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Full text of "Versailles: le Château - les jardins - les Trianons - le Musée - la ville"

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LES    VILLES    D'ART    CÉLÈBRES 


VERSAILLES 


MEME    COLLECTION 


Blois,  Chambord  et  les  Châteaux  du 
Blésois,  par  Fernand  Bourkon,  i  di  grav. 

Bruges  et  Ypres,  par  Henri  Hymans, 
Ii6  gravures. 

Le  Caire,  par  G.iston  MiGEON.  133  gravures. 

Cologne,  par  Louis  Réau,  127  grav. 

Constantinople,  par  H. Bartii,  103  gravures 

Cordoue  et  Grenade,  par  Ch.  E.  Schmidt, 
97  gravures. 

Dijon  et  Beaune,  par  A.  Kleinclausz, 

119  gravures. 

Florence,  par  Emile  Gebiiart,  de  l'Acadé- 
mie française,  176  gravures. 

Fontainebleau,  par  Louis  Dimier,  109  gra- 
vures. 

Gand    et    Tournai,    par  Henri   Hymans, 

120  gravures. 

Gènes,  par  Jean  de  Foville,  130  gravures. 

Grenoble  et  Vienne,  par  Marcel  Rey- 
MoxD,  118  gravures. 

Milan,  par  Pierre  Gauthiez,  109  gravures. 

Moscou,  par  Louis  Léger,  de  Tlnstitut, 
86  gravures. 

Munich,  par  Jean  Chamtavoin'h,  134  gra- 
vures. 

Nancy,  par  André  Hallays,  iiS  gravures, 

Nimes,  Arles,  Orange,  par  Roger  Peyre. 
85  gravures. 

Nuremberg,  par  P.-J.  Rée,  106  gravures. 

Padoue  et  Vérone,  par  Roger  Peyre, 
128  gravures. 


Palerme  et  Syracuse,  pai  Charles  Diehl, 
129  gravures. 

Paris,  par  Georges  Riat.  151  gravures. 

Poitiers  et  Angouléme,  par  H.  Labbé 
DE  LA  Mauvin'ière,  113  gravures. 

Pompéi  (Histoire  —  Vie  privée),  par  PJenry 
Thédenat,  de  l'Institut,  i:-3  gravures. 

Pompéi  (Vie  publique^i,  par  Henry  Théde- 
nat, de  l'Institut,  "]"]  gravures. 

Prague,  par  Louis  Léger,  de  l'Institut, 
m  gravures. 

Ravenne,  par  Charles  Diehl,  134  gra- 
vures. 

Rome  (L'Antiquité),  par  Emile  Bertaux, 
136  gravures. 

Rome  (Des  catacombes  à  Jules  II),  par  Emile 
Bertaux,  117  gravures. 

Rome  (De  Jules  II  à  nos  jours),  par  Emile 
Bertaux,  100  gravures. 

Rouen,  par  Camille  Enlart,  108  gravures. 

Séville,  par  Ch.-Eug.  Schmidt,  m  grav. 

Strasbourg,  par  Henri  Welschinger,  de 
l'Institut,  117  gravures. 

Tours  et  les  Châteaux  de  Touraine, 
par  Paul  Vitry,  107  gravures. 

Tunis  et  Kairouan,  par  Henri  Saladin, 
iio  gravures. 

Venise,  par  Pierre  Gusman,   130  gravures. 

Versailles,  par  André  Pératé,  149  gra- 
vures. 


EN    PRÉPARATION 


Bâle.   Berne   et    Genève, 

Saixte-Marie  Perrin. 


par    Antoine 


Thèbes  aux  cent  portes,  Louxor,  Kar- 
nak,    Ramesseum,    Medinet-Habou, 

par  George  Foucart. 


1  <-\.  c-vo  (  v 


Les    Villes  d'Art  célèbres 


VERSAILLES 

Le  Château  —  Les  Jardins 
Les  Jnanons  —  Le  Musée  —  L.a  Ville 


ANDRE  PERATE 

CONSERVATEUR    ADJOINT    DU    M  U  S  K  K    NATIONAL    DK    V  K  R  S  A  I  L  L  E  S  ^ 


Ouvrage  orné    de   149  Gravures 


Troisicnte  cditioii  revue  et  corn'srèe. 


PARIS 

LIBRAIRIE   RENOUARD.    H.   LAURENS,   ÉDITEUR 

6  ,     RUE    DE     T  t)  U  R  N  O  N  ,     6 
1909 


Cliatcau.  vu   de  l'avant-cour. 


Clkhé  P.nn.-ini, 


AVANT-PROPOS 


Versailles  est  un  châteaii  avant  d'être  une  ville,  et  Von  peut  dire  que 
cette  ville  n  existe  que  par  ce  château.  La  longue  route  de  Paris,  les 
trois  avenues  pareilles,  à  quadruple  rangée  d'ormes,  qui  s'ache- 
minent lentement,  et  comme  dans  le  vide,  vers  une  place  immejise, 
ne  sont  faites  qi/e  pour  le  château  de  Louis  XIV.  A  peine  ohserve-t-on, 
à  droite  et  à  gauche,  des  maisons  qui  se  serrent  autour  de  deux 
églises;  on  songe  à  la  très  grande  chose  qui  va  se  découvrir  par  delà 
ces  lignes  d'arbres.  Et  il  faut  bien  avouer  que  d'abord  la  déception 
est  égale  à  l'attente.  Des  casernes;  puis,  au  bout  de  V immense  place, 
un  amas  de  bâtiments  discords  à  demi  cachés  derrière  une  large 
grille;  des  statues  géantes  et  gesticulantes  qui  tiennent  conciliabule 
autour  d'un  pavé  raboteux  et  interminable  ;  de  mornes  façades  qui 
soulèvent  lourdement  leurs  colonnes  de  temples  grecs  ;  un  Louis  XTV 


2  A\'AXT-PROPOS 

de  bronze  carncolniit  sur  nu  Juuit  piédcstaL  pour  iuiroduïrc  noblc- 
incnt  les  visiteurs  «  A  tort  tes  les  gloires  de  la  France  »,  au  Mus'e  du 
roi  Louis-Philippe;  enfin,  tout  au  fond  d'une  cour,  de  petits  murs 
roses  et  blancs,  avec  de  beaux  balcons  dorés  :  telle  est  rentrée  de 
Versailles,  dont  la  grandeur  ju.'lée  de  ridicule  offusquera  toujours^ 
et  ne  peut  être  entièrement  /-établie. 

Mais  insiste^;  pénétre:^  aux  parties  de  ce  château  que  n'a  point 
ravagées  la  médiocre  imagination  du  roi  bourgeois;  ou  plutôt,  avant 
toute  visite,  alle^  aux  Jardins,  vers  la  terrasse  ouverte  au  libre 
horizon,  par-dessus  l' immobile  océan  des  feuillages.  Des  murailles 
la  dominent,  dorées  par  deux  siècles  de  soleil,  et  dont  les  fenêtres 
reflètent  la  lumière  de  V occident,  reflétées  elles-mêmes  au  miroir 
de  pièces  d'eau  paisibles.  Là  vous  sentire;  l'émotion  d'une  beauté 
toute  d'éléments  tiumains,  beauté  de arcliitecture,  faisant  œuvre  d'art 
des  bois,  des  eaux  et  des  nuages,  aussi  bien  que  des  bron;es  et  des 
marbres,  et  du  sourire  mélancolique  des  années  mortes.  Tant  de 
souvenirs  de  riiistoire  de  France  dorment  ensevelis  éi  Versailles  ! 

Les  pages  qui  suivent  expliqueront  cette  beauté,  montreront  ce 
que  peuvent,  avec  de  bons  ouvriers  dociles,  une  discipline  et  une 
volonté.  Lê>'' admirables  études  érudites  ont  été  publiées  récemment 
sur  Versailles.  Il  s'agit  moins  ici  de  détails  érudits  que  de  peinture 
vivante.  Beaucoup  de  faits  et  de  dates,  et  m'ême  des  recberclies  nou- 
velles, peuvent  tenir  en  peu  de  lignes:  et  la  description  seule  de 
monuments  classés  avec  méthode  enseigne  un  sens  de  fart  et  une 
doct/'ine.  Ce  petit  livi'e  ne  rer:iplacera  point  les  in-folios;  /nais  il 
en  voudrait  donner  ressent  ici,  avec  quelq/ie  cliose  au  deléi  :  c'est 
Va /ne  de  Versailles. 


La  devise  de  Louis  XIV.  détail  du  plafond  de  l'antichambre  de  la  Reine. 


VERSAILLES 


CHAPITRE  PREMIER 

LE  CHATEAU  DE  LOUIS  XIV 


Ver.sailles  est  né  de  la  volonté  d'un  homme,  volonté  .si  puissante  et 
si.  absolument  créatrice,  que,  malgré  les  retours  imprévus  de  l'histoire 
qui  s'est  faite  en  ses  murs,  malgré  les  menaces  d'abandon  et  de  ruine,  et 
les  restaurations  souvent  plus  cruelles  que  la  solitude,  l'énorme  château 
et  la  ville  qui  l'entoure  demeurent,  dans  l'esprit  de  ceux  qui  les  visitent, 
l'œuvre  de  Louis  XIV.  Jamais  plus  forte  empreinte  ne  fut  mise  sur  l'art 
de  tout  un  peuple  et  même  de  tout  un  siècle,  pour  qu'en  bien  peu  d'an- 
nées l'habitation  la  plus  magnifique  surgît  du  sol,  avec  un  décor  où  les 
meilleurs  ouvriers  ont  travaillé  les  matières  les  plus  rares,  pour  que  des 
jardins  immenses  s'emplissent  de  fleurs  en  toute  saison,  et  qu'enfin,  de 
bon  ou  mauvais  gré,  toute  la  noblesse  de  France  vînt  s'établir  et  créer 
une  ville,  par  ordre  du  Roi,  là  où  on  peut  bien  dire  qu'il  n'y  avait  rien 
avant  lui. 


4  VERSAILLES 

C'était  peu  de  chose  que  le  château  construit  par  Louis  XIII  à  Ver- 
sailles, inais  c'était  une  gracieuse  chose,  et  de  goût  bien  français.  «  Le 
chétif  château  de  Versailles  )>.  dit  le  maréchal  de  Bassompierre  en  1627  ; 
«  un  petit  château  de  gentilhomme  m,  dit  le  marquis  de  Sourches;  et 
Saint-Simon,  dans  une  phrase  célèbre,  l'appelle  «  ce  petit  château  de 
cartes  ».  Le  Roi,  grand  chasseur,  voulait  un  pied-à-terre  qui  ne  fût  ni  trop 
proche  ni  trop  loin  de  Saint-Germain;  il  choisit  une  butte,  au-dessus 
d"un  terrain  giboyeux,  plat  et  boisé,  coupé  de  ruisseaux  et  de  marais,  que 
deux  lignes  de  coteaux  enserrent,  la  séparant  au  nord  de  la  vallée  de  la 
Seine,  au  midi  de  celle  de  la  Bièvre.  La  terre  de  Versailles  ce  nom 
paraît  pour  la  première  fois  dans  une  charte  du  Xi«  siècle^  avait  changé 
plus  d'une  fois  de  maître  avant  de  venir  aux  mains  des  Gondi  par  la 
munificence  de  Catherine  de  Médicis.  L'n  château  féodal  en  ruine,  un 
prieuré,  une  église  dédiée  à  saint  Julien,  quelques  auberges  de  rouliers, 
une  maison  de  justice  et  une  geôle,  cela  faisait  tant  bien  que  mal  un 
bourg  qui  se  dénommait  Versailles  au  Val  de  Galie.  Laissant  d'abord 
aux  Gondi  leur  château  délabré  et  trop  bas  dans  la  plaine,  le  Roi  se  fit 
arranger  une  maison  au  sommet  de  la  butte,  où  jusqu'alors  tournaient  les 
ailes  d'un  moulin  à  \ent.  Deux  documents  de  1652  nous  donnent  quelque 
idée  de  la  nouvelle  maison  royale,  telle  que  la  laissa  Louis  XIII;  c'est 
une  gravure  minuscule  reléguée  dans  un  angle  du  grand  plan  de  Paris 
par  Gomboust,  et  c'est  une  estampe  de  l'excellent  et  fidèle  graveur 
Israël  Silvestre,  préludant  à  l'importante  série  qu'il  va  bientôt  publier. 
Xous  y  voyons  un  bâtiment  à  deux  étages,  de  modestes  dimensions,  dont 
les  deux  ailes,  que  relie  un  portique  à  sept  arcades,  ceignent  une  petite 
cour,  la  future  cour  de  Marbre.  Quatre  pavillons  carrés  s'appuient  à  ses 
angles.  L^ne  étroite  terrasse,  ou  fausse-braye,  bordée  d'une  balustrade, 
domine  un  fossé  d'eau,  que  franchissent  un  pont  de  pierre  du  côté  des 
jardins,  c'est-à-dire  au  couchant,  et,  au  levant,  un  pont-levis;  toutes  les 
maisons  royales  gardent  encore,  plus  ou  moins,  un  aspect  de  forteresse. 
Devant  ce  pont-levis,  il  y  a  une  avant-cour  que  ferment  une  grille  et 
deux  bâtiments  de  communs.  La  construction  était  toute  de  pierre  et  de 
brique,  dans  le  goût  du  temps,  avec  l'harmonie  chatoyante  et  vive  des 
blancs  placages  sur  le  fond  rouge,  et  l'élégance  des  combles  aigus,  aux 
revêtements  d'ardoises,  percés  de  fenêtres  et  de  lucarnes.  Du  château  de 
Louis  XIV,  aujourd'hui  encore,  les  murs  intérieurs  qui  dominent  la  cour 
de  Marbre  (bien  que  fort  exhaussés  et  chargés  d'ornements  ,  surtout  les 
anciennes  écuries,  dénommées  (.<  aile  Louis  XIII  »,  donnent,  en  pro- 
portions agrandies,  une  idée  assez  juste  de   ce    premier  château.    Rien 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS  XIV 


n'en  a  subsisté  au  dedans, 
sauf  un  degré  à  vis,  en  pierre, 
jadis  escalier  d'une  tourelle, 
qui  de  la  soml^re  cour  du 
Dauphin  donne  accès,  au  pre- 
mier étage,  tout  contre  une 
porte  de  l'Œil-de-Bœuf.  Une 
tradition  voudrait  qu'en  la 
fameuse  journée  des  Dupes, 
Richelieu  eût  pris  cette  voie 
dérobée  pour  entrer  chez  le 
Roi.  Sans  doute  n'en  faut-il 
pas  tenir  plus  de  compte  que 
de  la  légende  qui,  depuis 
Tépoque  de  Louis-Philippe, 
désigne  Jacques  Le  Mercier 
comme  l'architecte  de  Ver- 
sailles. En  Tabsence  de  tout 
document  ancien  nous  don- 
nant un  nom,  il  semble  que 
Ton  puisse  prononcer  avec 
plus  de  confiance  celui  de 
Salomon  de  Brosse,  qui,  de 
1614  à  1626,  fut  architecte 
général  des  Bâtiments  du 
Roi. 

Louis  XIII  avait  formé 
son  domaine  de  Versailles 
par  achats  successifs,  de  1624 
à  1632;  c'est  alors  qu'ayant 
constitué  le  parc  de  chasse 
(les  jardins  autour  du  château 
sont  de  bien  faible  étendue  , 
il  acquiert  de  l'archevêque 
de  Paris,  Jean  François  de 
Gondi,  la  terre  et  tout  à 
la  fois  la  seigneurie  de  Ver- 
sailles; et  l'écusson  aux  fleurs 
de  lis  est  affiché  à  l'orme  du 


6  VERSAILLES 

premier  carrefour.  Il  s'attaclie  à  sa  maison  de  A^ersailles,  il  y  chasse, 
il  y  reçoit  la  Reine  et  ses  dames,  auxquelles  il  offre  la  collation;  même 
il  eût  souhaité  vivre  assez  pour  s'y  retirer,  dès  la  majorité  du  Dauphin, 
et  n'y  plus  songer  «  qu'aux  affaires  de  son  âme  et  de  son  salut  ». 


Depuis  1643,  et  pendant  bien  des  années,  le  petit  château  conserva 

sa  jolie  forme.  Louis XIV, 
âgé  de  douze  ans,  y  vient 
chasser  en  1651,  et  en 
garde  Thabitude  ;  la  gra- 
vure de  Silvestre,  dès 
1652,  porte  cette  légende  : 
Vciic  du  Clia  stca  II 
Royale  de  Versa  il  le,  oii 
le  Roy  se  va  souvent 
divertir  à  la  cJiasse.  lùi 

1660,  l'année  de  son  ma- 
riage, il  y  conduit  la 
reine    31arie-Thérèse.    En 

1661,  il  y  ordonne  les 
premiers  travaux,  que 
d'autres  suivront  sans 
arrêter  durant  un  demi- 
siècle,  pour  amplifier  dé- 
mesurément, et  jusqu'aux 
limites  de  la  fantaisie,  le 
modeste  héritage  de 
Louis  XIII. 

Un  modèle  s'offrait  au 
Roi,  œuvre  de  goût  par- 
fait non  moins  que  de 
luxe  inouï,  le  château  que  Nicolas  Fouquet,  ministre  d'état  et  surinten- 
dant des  finances,  avait  élevé  à  Vaux,  dans  sa  vicomte  de  iMelun,  une 
des  merveilles  de  Tart  français,  à  laquelle  une  restauration  récente  a 
rendu  la  meilleure  part  de  son  charme  et  de  sa  splendeur.  De  très  grands 
artistes  avaient  été  enrôlés  :  l'architecte  Louis  le  Vau  termine  la  cons- 
truction en  cinq  années,  de  1656  en  1661;  André  Le  Nôtre  compose  les 
jardins;  Charles  Le  Brun  est  le  peintre  des  appartements,  le  régisseur 
du  décor  et  des  fêtes.  On  sait  c|ue  ce  fut  la  plus  belle  de  ces  fêtes,  celle 


l.liclir  a.:-  M.  Bri.-i 

5uste  de  Louis  XIV,  d'auleur  inconnu,  vers  1665. 


LE   CHATEAU   DE    LOUIS   XIV  7 

du  17  août  1661,  qui  précipita  P'ouquet  aux  abîmes  de  la  ruine.  La  jeune 
passion  du  Roi  pour  M'"  de  la  Vallière,  audacieusement  disputée  par 
Fouquet,  l'irritation  causée  par  un  faste  qui  offusquait  les  lis  de  France, 
enfin  la  haine  avertie  et  patiente  de  CollDcrt,  intendant  des  finances 
depuis  quelques  mois  (16  mars;,  et  déjà  conseiller  très  écouté,  furent 
les  agents  de  sa  perte  ;  la  couleuvre  de  Colbert  atteignit  l'écureuil  sym- 
boliciue,  trop  fier  de  l'imprudente  devise  :  Qi/o  non  asccndct^ 


Le  Château  en  1668,  peinture  de  Patel. 


Colbert  attacha  au  service  du  Roi  les  artistes  de  Fouquet;  et  de  la 
ruine  de  Vaux  naquirent  pour  Versailles  des  splendeurs  parallèles  et  plus 
belles.  Pleurez,  nymphes  de  Vaux,  s'écrie  La  Fontaine,  qui  bientôt 
chantera  dans  la  prose  et  les  vers  mélodieux  de  sa  Psyché  les  embellis- 
sements du  nouveau  Versailles.  Toutefois,  malgré  les  dépenses  qui 
s'accumulent  jusc^u'en  1668,  et  que  nous  révèlent  les  Comptes  des  Bâti- 
ments du  Roi,  les  dimensions  du  château  de  Louis  XIII  ne  se  sont  point 
accrues;  soit  piété  filiale,  soit  attachement  aux  souvenirs  de  sa  jeunesse, 
le  Roi  ne  veut  point  abattre  le  premier  château,  le  rendez-vous  de  chasse, 
la  résidence  plus  bourgeoise  que  princière  c[ui  reste  enclose  dans  les 
étroites  limites  de  son  fossé.  Mais  il  demande  à  ses  artistes  d'en  faire  ce 
qu'elle  n'était  pas  encore,  une   œuvre  d'art.    La   création   de  multiples 


8  VERSAILLES 

annexes,  et  la  magnificence  des  jardins,  peuplés  de  statues  et  animés  de 
jeux  d'eau,  va  donner  à  un  art  nouveau  le  petit  monument  paré  des  der- 
nières g-ràces  de  la  Renaissance.  Un  précieux  tal)leau.  peint  par  Pierre 
Patel  en  1668,  nous  montre  ce  premier  Versailles  de  Louis  XIV,  tout 
chato3^ant  et  jo3'eux  dans  son  style  un  peu  tirchaïciue.  Des  bustes  de  mar- 
bre, posés  sur  des  consoles  (en  1665;,  s'appuient  aux  l)lancs  placages  qui 
interrompent  la  monotonie  de  la  brique.  Un  balcon  de  ferronnerie  dorée 
entoure  le  bâtiment  à  la  hauteur  de  l'unicpie  étage,  et  les  combles  suré- 
levés, ornés  de  fenêtres  nouvelles  et  de  hautes  cheminées,  sont  couronnés 
d'une  crête  d'or.  Un  perron  de  maçonnerie  a  remplacé  le  pont-levis; 
laxant-cour,  que  bordent  les  écuries  et  les  cuisines,  c^ue  ferme  une  grille 
entre  deux  pavillons  ornés  de  trophées,  est  elle-même  précédée  d'un 
terre-plein  circulaire,  dont  la  muraille  de  brique  à  iKilustrade  de  pierre 
s'incline  doucement  ^ers  le  sol. 

C'est  là  cju'arrive  à  toute  vitesse  le  carrosse  du  Roi,  attelé  de  six 
chevaux,  avec  l'escorte  des  mousquetaires,  trompettes  et  timbaliers  en 
tète.  Le  Roi  vient  se  divertir.  Dans  le  petit  château  et  dans  les  vastes 
jardins,  les  fêtes  incessantes  engloutissent  l'argent,  au  désespoir  du  sage 
Colbert.  On  connaît  la  lettre  hardie,  les  remontrances  qu'il  ne  craignit 
pas  d'adresser  à  son  maître,  en  1664  sans  doute,  peu  après  qu'il  avait  été 
nommé  surintendant  et  ordonnateur  général  des  Bâtiments  du  Roi.  Il 
voudrait  le  détourner  de  travaux  qui  regardent  son  plaisir  plus  que  sa 
gloire;  il  plaide  la  cause  du  Louvre  abandonné  :  a  Votre  Majesté  sait  qu'au 
défaut  des  actions  éclatantes  de  la  guerre,  rien  ne  marque  davantage 
la  grandeur  et  l'esprit  des  princes  que  les  bâtiments  ;  et  toute  la  pos- 
térité les  mesure  à  l'aune  de  ces  superbes  maisons  qu'ils  ont  élevées 
pendant  leur  vie.  Ah!  quelle  pitié  que  le  plus  grand  Roi  et  le  plus  ver- 
tueux, de  la  véritable  vertu  qui  fait  les  plus  grands  princes,  fût  mesuré 
à  l'aune  de  Versailles!  Et  toutefois  il  y  a  lieu  de  craindre  ce  malheur.  » 

Le  Roi  ne  fut  pas  insensible  à  ces  regrets.  Il  fit  travailler  au  Louvre, 
mais  il  ne  renonça  point  aux  plaisirs  de  Versailles.  Dès  1662,  la  Reine 
Mère  et  iMarie-Thérèse  y  étaient  venues  dîner,  il  y  avait  eu  grand  bal  ; 
dès  1663,  le  Roi  et  la  Reine  y  font  de  petits  séjours.  Les  appartements 
ont  été  transformés  et  meublés  à  nouveau  de  façon  magnifique.  On  peut 
se  faire  idée  des  raretés  qu'ils  contiennent  par  les  enthousiastes  descrip- 
tions de  M'"  de  Scudéry,  qui  publie  en  1669  saP/'07)ieuadc  de  Versailles. 
Ce  ne  sont  cpie  miroirs  et  cristaux,  pilastres  transparents  couronnés  de 
soleils  d'or,  et  pilastres  de  lapis  à  feuillages  dorés  avec  le  chiffre  du  Roi, 
et   meubles    de   filigranes  d'argent,   fauteuils,   lits,   tapisseries  en   point 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV  9 

d'Espagne  d'or,  d'argent  et  de  fleurs  ou  en  tissu  de  la  Chine  «  plein  de 
figures  »,  nous  dit  La  P^ontaine,  «  qui  contiennent  toute  la  religion  de  ce 
pa3's-là  ».  Ce  mobilier  royal  sort  de  la  manufacture  des  Gobelins,  qui 
vient  d'être  fondée,  et  que  Le  Brun  dirige,  comme  il  avait  dirigé  pour 
Fouquet,  à  31aincy,  des  ateliers  de  tapisserie  occupés  par  des  ouvriers 
flamands;  ouvriers  et  métiers  ont  émigré  à  Paris.  Par  1  initiative  de  Col- 
bert  et  de  Le  Brun,  les  Gobelins  sont  devenus  un  «  séminaire  »  où  tous 
es  arts  doivent  être  pratiqués  et  enseignés  ;  peintres,  sculpteurs,  gra- 
veurs, orfèvres,  mosaïstes,  ébénistes,  tapissiers  et  brodeurs,  toute  une 
ruche  y  bourdonne.  Nous  voyons  au  travail  la  colonie  d'artistes  dans  une 
des  tapisseries  qui  décorent  depuis  peu  de  temps  l'appartement  de  la 
Reine,  une  de  ces  tentures  admirables  composées  par  Le  Brun  pour  racon- 
ter «  l'Histoire  du  Roi  ».  C'est  la  visite  que  Louis  XIV  fit  aux  Gobelins, 
le  15  octobre  1667.  Colbert  est  auprès  du  Roi,  et  les  ouvriers  s'empres- 
sent, apportant  les  vases  d'or  et  d'argent,  les  meubles,  les  tajjis  dont,  Le 
Brun  explique  le  choix  et  les  beautés.  La  grande  et  singulière  figure  de 
Le  Brun  apparaît  ici  dans  son  vrai  rôle.  Génie  de  second  ordre,  sans 
doute,  mais  universel,  disciple  docile  des  Italiens  et  créateur  pourtant 
d'une  oeuvre  devenue  française  par  le  goût  et  l'harmonie,  architecte  et 
sculpteur,  ingénieur,  machiniste  aussi  bien  que  peintre,  ou  plutôt  ordon- 
nateur admirable  d'architecture,  de  sculpture,  de  peinture,  cerveau  mer- 
veilleusement équilibré  pour  la  composition  de  décors  immenses,  il  sem- 
ble par  destination  l'interprète  des  moindres  désirs  du  Roi,  et  l'on  se 
demande  enfin  s'il  n'est  très  grand  artiste  que  pour  paraître  meilleur 
courtisan,  lorsque  ce  château  et  ces  jardins,  ornés  ou  transformés  par 
lui,  ne  le  sont  que  pour  une  apothéose. 

Ayant  ordonné  les  fêtes  de  Fouquet,  Le  Brun  ordonna  celles  de 
Louis  XIV.  L'histoire  en  sera  narrée  plus  loin,  parmi  celle  des  jardins 
et  des  eaux.  Il  y  eut,  en  mai  1664,  jeu  de  bagues  dans  les  fossés  du  châ- 
teau, loterie  et  comédie  dans  le  Salon  du  Roi  :  les  Fâcheux,  le  Tartufe 
et  le  Mariage  forcé  y  furent  joués  par  Molière.  La  fête  de  1668  se  passa 
toute  dans  les  jardins,  qui  seuls  encore  avaient  l'ampleur  nécessaire  à  ce 
divertissement  d'un  jour. 

Le  Vau  n'avait  dû  exécuter  qu'à  contre-cœur  les  travaux  d'embellisse- 
ment qui  lui  étaient  demandés  ;  il  eût  préféré  construire.  Au  lendemain  de  la 
fête  de  1664,  le  désir  du  Roi  de  séjourner  à  Versailles  fut  évident,  et  non 
moins  évidente  l'insuffisance  de  l'habitation.  Le  règne  dont  la  gloire 
commençait  à  étonner  l'Europe  exigeait  un  faste  chaque  jour  accru,  et  le 
Roi,  dans  l'intervalle  de  ses  conquêtes,  allait  se  distraire  à  bâtir.   Ver- 


VERSAILLES 


sailles  trailleurs  n'était-il  pas  une  conquête,  et  des  plus  ardues,  sur  la 
nature  ingrate,  forcée  à  se  revêtir  d'une  parure  inattendue?  C'est  dans  les 
loisirs  de  la  paix  que  furent  préparées  ses  grandes  transformations  : 
en  1668,  après  Aix-la-Chapelle;  en  1678,  après  Nimègue;  et  les  désastres 
mêmes  des  dernières  guerres  ne  purent  écarter  Louis  XIV  de  son  passe- 
temps  favori. 

«  A  peine  » ,  note 
Charles  Perrault,  «  31. 
Colbert  se  fut-il  réjoui 
de  \oir  une  maison 
royale  achevée,  où.  il  ne 
serait  plus  besoin  que 
d'aller  deux  ou  trois  fois 
l'an  pour  y  faire  les 
réparations  qu'il  con- 
'  viendrait,  que  le  Roi 
prit  la  résolution  de 
l'augmenter  de  plusieurs 
bâtiments  pour  y  pou- 
voir loger  commodé- 
ment, avec  son  Conseil, 
pendant  un  séjour  de 
quelc^ues  jours.  » 

En  vain  le  ministre 
s'efforçait  de  dégoûter  le 
Roi  de  ses  grands  pro- 
jets, en  lui  montrant 
l'énorme  dépense  et  les 
obstacles  à  p  r  é  \'  o  i  r . 
«  Tout  ce  que  Ton  projette  de  faire  »,  écrivait-il,  «  n'est  que  rapetasserie 
qui  ne  sera  jamais  bien...  »,  et,  donnant  les  dimensions  des  parterres  qui 
enserraient  le  château,  il  ajoutait  :  u  II  est  impossible  de  faire  une  grande 
maison  dans  cet  espace...  Tout  homme  qui  aura  du  goût  de  l'architec- 
ture, et  à  présent  et  à  l'avenir,  trouvera  que  ce  château  ressemblera  à 
un  petit  homme  qui  aurait  de  grands  bras,  une  grosse  tête,  c'est-à-dire  un 
monstre  en  bâtiments.  Par  ces  raisons  il  semble  que  l'on  devrait  con- 
clure de  raser,  et  faire  une  grande  maison.  » 

Un  instant  le  Roi  accepta  de  tout  abattre;  mais  bientôt  il  se  reprenait, 
et  posait  comme  première  condition    aux   architectes  qu'ils,  fissent  des 


J.-B.  Colbert,  par  Claude  Lefebvre  (1666). 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS  XIV 


constructions  nouvelles  une  enveloppe  du  petit  château.  Lui-même  avait 
indicjué,  avec  cette  vue  nette  de  l'œuvre  future  et  cette  précision  du 
détail  qu'il  pt^rtera  en  toutes  choses,  la  distril^ution  des  espaces  à  couvrir 
et  des  chambres  à  créer;  le  plan  de  Le  A^au,  qui  fut  adopté  contre  ceux 
de  Jacciues  Gabriel,  de  Claude  Perrault,  d'Antoine  LePautre  et  de  Viga- 
rani,  et  dont  une  minute 
manuscrite,  pour  la  par- 
tie du  rez-de-chaussée, 
existe  encore,  n'est 
qu'une  traduction  fidèle 
des  ordres  de  Louis 
XIV.  «  On  commença  », 
dit  Charles  Perrault, 
«  par  quelques  bâti- 
ments c|ui,  étant  à  moi- 
tié, ne  plurent  pas  et 
furent  aussitôt  abattus. 
On  construisit  ensuite 
les  trois  grands  corps 
de  logis  cj^ui  entourent 
le  petit  château  et  qui 
ont  leur  face  tournée 
sur  les  jardins.  »  Et 
quand  Louvrage  fut  ter- 
miné à  la  satisfaction 
de  tous,  l'on  tenta  un 
dernier  effort  pour  sup- 
primer ce  qui  restait 
d'un  autre  st^de.  «  3Lais 
le  Roi  n'y  voulut  point 

consentir.  On  eut  beau  lui  représenter  qu'une  grande  partie  menaçait 
ruine,  il  fit  rebâtir  ce  qui  avait  besoin  d'être  rebâti,  et  se  doutant  qu'on 
lui  faisait  ce  petit  château  plus  caduc  qu'il  n'était  pour  le  faire  résoudre 
à  l'abattre,  il  dit  avec  un  peu  d'émotion  qu'on  pouvait  l'abattre  tout 
entier,  mais  qu'il  le  ferait  rebâtir  tout  tel  qu'il  était  sans  y  rien  chan- 
ger. »  Regrettable  ou  non,  il  faut  reconnaître  que  cette  décision  a  pesé 
sur  toute  l'histoire  du  Château  de  Versailles;  c'est  elle  qui  a  fourni  pré- 
texte aux  essais  de  transformation  qui,  aux  deux  siècles  suivants,  l'ont 
irrémédiablement  mutilé. 


Charles  Perrault,  par  Philippe  Lallemant  (1672). 


12  VERSAILLES 

Le  Vau  cependant  fit  tout  le  possiljle  ]M)ur  créer  une  harmonie,  là  où 
il  y  avait  menace  de  désaccord,  ou  ])lutôt  il  juxtaposa  deux  harmonies 
distinctes,  sui\'ant  que  Ion  al)orde  le  Château  du  côté  de  Paris,  ou  du 
côté  des  jardins.  Les  fossés  sont  comblés  et  le  portique  de  la  cour 
détruit;  de  nouveaux  bâtiments,  en  pierre  et  en  briques,  relient  à  ceux 
des  cuisines  et  des  écuries  les  ailes  du  Château,  pour  former  de  la  sorte 
une  nouvelle  cour  ciue  termine  la  ligne  arrondie  d'une  grille.  Lavant- 
cour,  énormément  agrandie,  prend  les  proportions  qu'elle  gardera  désor- 
mais; quatre  gros  pavillons,  plus  tard  reliés  par  de  longs  bâtiments,  qui 
feront  les  ailes  des  .Ministres,  en  occupent  puissamment  les  angles.  C'est 
toute  une  montagne  de  maçonnerie  que  va  élever  en  moins  de  trois  ans 
l'entrepreneur  Jacques  Gabriel;  la  petite  butte  cj[ui  portait  le  premier 
château  a  disparu  sous  les  terrassements.  Pour  alléger  la  masse  des  nau- 
veaux  édifices.  Le  Vau  a  eu  l'heureuse  idée  de  créer  à  droite  et  à  gauche 
de  la  cour  Royale  deux  cours  spacieuses  que  3lansart  doit  bientôt  rétrécir 
et  couper  ;  elles  laissent  jouer  l'air  et  la  lumière  sur  les  vieilles  murailles 
de  Louis  XIII,  et  réservent  toute  la  majesté  de  l'enveloppe  de  pierre. 

Le  Vau  est  le  véritable  créateur  du  Château  de  Louis  XIV.  Au 
dehors,  sur  les  jardins,  où  toute  liberté  lui  était  donnée,  il  s'est  jeté  réso- 
lument à  l'imitation  de  l'Italie.  Plus  de  ces  belles  toitures  aiguës,  dont 
les  longues  pentes  d'ardoises,  dans  les  châteaux  de  la  Loire,  luisent 
doucement  sous  la  dentelle  de  pierre  et  de  plomb  qui  les  couronne,  parmi 
l'orfèvrerie  des  cheminées  et  des  pinacles;  mais  la  marge  régulière  des 
terrasses  que  bordent  des  balcons,  mais  les  longues  murailles  droites  que 
n'interrompt  pas  le  caprice  des  tourelles,  où  le  cintre  des  hautes  fenêtres 
se  dessine  en  formes  nues,  dont  les  proportions  pures  sont  toute  la  beauté. 
Ce  n'est  même  plus,  comme  autrefois,  la  Renaissance  florentine,  c'est 
Rome  qui  devient  la  maîtresse  de  l'art  français.  Les  lois  de  l'antiquité 
romaine  et  les  leçons  de  Vitruve,  commentées  par  Scamozzi,  Vignole 
ou  Palladio,  s'imposent  à  l'obéissance  aveugle.  Un  rez-de-chaussée  de  bos- 
sages à  l'italienne,  un  étage  noble  à  pilastres  et  colonnades,  un  attique  à 
fenêtres  carrées  c[ue  surmonte  une  balustrade,  voilà  les  lignes  monotones 
de  Versailles.  3lais  il  y  a  dans  cette  monotonie  une  grandeur  que  rien  ne 
dépasse,  par  l'accord  de  ces  lignes  droites  que  les  jardins  prolongent 
jusqu'aux  horizons  lointains,  par  la  sécurité  et  la  paix  où  tant  de  robustesse 
conspire.  Et  puis,  si  l'on  insiste,  ne  trouve-t-on  pas  une  vie  puissante  à 
ces  avant-corps  dont  les  fenêtres  au  ras  du  sol  se  creusent  en  niches  pro- 
fondes, et  dont  les  balcons  .soutiennent,  de  leurs  couples  de  colonnes 
et  sur  de  larges  entablements,  tout  un  peuple  de  statues?  Les  ailes  que 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS  XIV 


13 


construira  Mansart  n'ouvrent  pas  encore  leur  éventail  interminable,  et, 
dans  le  milieu  même  de  la  puissante  masse  qui  domine  les  jardins, 
le  premier  étage  s'interrompt  pour  former  une  terrasse,  à  Tendroit  où  la 
Galerie  des  Glaces  se  dressera  bientôt.  Ce  recul  imprévu  de  la  façade 
semble  du  plus  heureux  effet  ;  c'est  un  balcon  gigantesque  d'où  le  Roi  et 
sa  cour  peuvent  admirer  le  jeu  des  eaux  et  du  soleil  dans  le  cadre  des 
arbres  et  des  fleurs. 


Façade  du  Château  sur  les  jardins,  avant  1O78;  peinture  du  temps 


Du  côté  de  Paris,  l'innovation  charmante  est  dans  les  deux  pavillons 
où  s'attache  la  grille  de  la  cour.  Ils  s'ouvrent  en  arrière  d'une  colonnade 
qui  porte  aussi  un  toit  à  l'italienne,  et  leur  balustrade  est  couronnée 
de  statues,  tandis  que  plus  loin  et  tout  autour  du  Château,  les  trophées 
d'armes  alternent  avec  les  vases  de  pierre.  D'excellents  sculpteurs  ont 
travaillé  à  toutes  ces  statues.  De  celles  des  «  grands  balcons  »,  ou 
pavillons  à  colonnes,  plus  rien  ne  subsiste;  mais  celles  des  avant-corps 
sont  demeurées  à  leur  ancienne  place,  parfois  .sous  forme  de  copies 
modernes.  Elles  mesurent  deux  mètres  et  demi.  Des  douze  figures 
des  Mois  qui  décorent  la  façade  centrale,  huit  sont  des  frères  Mar.sy, 
quatre  de  Massou.  Plus  tard  ont  été  ajoutées  les  statues  d'Apollon  et  de 
Diane,  et,  dans  les  niches'du  centre,  l'Art  et  la  Nature,  de  Louis  Le  Comte. 


14  \- ERS  AILLES 

Du  côté  de  rOrangerie,  Le  Hongre,  Le  Gros,  Houzeau  et  Tubi  ont 
travaillé  aux  avant-corps;  les  deux  gracieuses  figures  que  Ton  voit  dans 
les  niches  du  premier  étage,  la  Music|ue  et  la  Danse,  sont  de  Nicolas 
Dossier.  Du  côté  du  Parterre  du  Nord,  où  est  la  grotte  de  Thétis,  il  y  a 
des  Fleuves  et  des  Naïades  de  Laurent  Magnier,  une  Cérès  et  un  Bacchus 
de  Buvster,  un  Cornus  et  un  Momus  de  LIérard,  une  Thétis  et  des 
Nymphes  de  Desjardins,  et,  dans  les  niches,  une  Hébé  et  un  CTan3'mède 
versant  à  boire  aux  dieux.  Au-dessus  des  hautes  fenêtres  carrées  'que 
Mansart  cintrera^ ,  il  y  a  des  bas-reliefs  d'enfants  au  milieu  d'armes  et 
de  branchages  fleuris;  enfin,  aux  clefs  des  croisées  de  l'étage  l)as,  des 
masques,  sculptés  en  1674,  font  parler,  rire,  chanter,  pleurer  les  murs  du 
grand  Château.  Hélas  !  beaucoup  de  ces  merveilles  ont  été  cruellement 
détruites  et  remplacées  par  des  figures  insignifiantes  ou  sottes;  mais,  sur 
la  façade  centrale,  les  vivantes  tètes  des  frères  3Iarsy  nous  regardent 
encore  de  leurs  yeux  de  pierre  :  ce  sont  les  âges  de  la  vie,  depuis  les 
gracieuses  figures  joufflues  aux  cheveux  mêlés  de  fleurs,  jusqu'aux  faces 
ridées  et  douloureuses,  aux  bouches  édentées  et  grimaçantes;  chefs- 
d'œuvre  oi^i  l'art  déjà  solennisé  du  grand  siècle  se  souvient,  parmi  son 
italianisme,  des  fortes  traditions  d'autrefois. 

Cette  mythologie  de  Versailles  n'est  qu'une  immense  flatterie.  Toutes 
ces  figures  de  dieux  et  de  déesses,  de  saisons  et  d'heures,  de  nymphes  et 
de  sylvains,  évoluent  autour  d'une  figure  sou\'eraine,  comme  la  Cour 
de  France  autour  de  son  Roi.  Louis  est  Apollon,  le  Roi  vSoleil  dont  le 
lever  et  le  coucher  distril^uent  aux  mortels  la  vie  et  le  repos;  —  )iec 
pliiribiis  iinpar,  «  aucun  ne  l'égale  ».  Dire  toutes  les  fantaisies  brodées 
sur  ce  simple  thème  par  l'ingéniosité  de  Le  Brun  deviendrait  fastidieux. 
Partout  rayonne  la  face  emblématique.  ^leubles  et  tentures.  1)ois  et 
marbres,  bronzes  ou  cristaux,  tout  proclame  la  gloire  du  dieu;  A'ersailles 
est  le  temple  du  Soleil;  et  il  fallait  bien  tout  l'esprit  de  nos  sculpteurs 
pour  donner  la  vie  à  ces  fadaises,  et  faire  de  ces  mythes  démodés  et  de 
ce  décor  de  théâtre  une  œuvre  de  grandeur  et  de  beauté  à  laquelle  non 
moins  justement  s'appliquerait  la  royale  devise. 

Le  Vau  était  mort  en  1670,  laissant  les  travaux  assez  avancés,  avec 
des  plans  fort  minutieux  de  ce  qui  restait  à  faire,  pour  que  Colbert  pût 
réserver,  c[uelques  années  durant,  le  titre  de  premier  architecte  du  Roi. 
François  Dorbay,  soii  élève,  lui  succède,  et  après  avoir  terminé  avec  une 
rapidité  merveilleuse  l'œuvre  énorme  de  maçonnerie  qui  absorbe,  en 
trois  ans.  1.350.000  livres),  va  diriger,  selon  les  plans  arrêtés  avec 
le  Roi,  la  o-randiose  décoration  des  intérieurs.  Là,   tout  est  à  créer.   Le 


LE   CHAÏKAU   DE   LOUIS   XIV  15 

balcon  royal,  dès  1670,  domine,  du  haut  de  ses  huil  colonnes,  une  petite 
cour  de  marbre  blanc  et  noir,  égayée  par  une  fontaine  de  marbre  blanc 
à  figures  de  bronze  doré;  dans  les  angles  il  y  a  des  volières  de  fer  forgé 
et  doré,  au-dessous  desquelles  des  tritons  jettent  l'eau.  D'autres  fontaines 
chantent  dans  les  cours  voisines,  et  sur  la  terrasse  dallée  de  marbre  qui 
regarde  les  jardins.  Partout  le  marbre,  en  escaliers,  en  dallages,  en 
lambris,  marbres  extraits  des  carrières  de  P"rance,  du  Languedoc  ou  des 


La  Famille  de  Louis  XIV,  composition  allégorique  de  Jean  Nocret. 


P3-rénées,  pour  remplacer  ceux  que  Ton  amenait  autrefois  de  Grèce 
et  d'Italie.  Les  compartiments  de  marbre  des  parquets  ne  durèrent  pas 
après  1684,  où  le  Roi  les  fit  détruire,  parce  que  Teau  que  l'on  y  jetait  pour 
les  nettoyer  pourrissait  tous  les  planchers  au-dessous.  Mais  il  reste  dans 
les  appartements  modifiés  par  Mansart  des  témoins  somptueux  de  ce  luxe 
de  quelques  années,  luxe  inhabitable,  oîi  la  mode  italienne  a  tout  ordonné, 
sans  prendre  avis  des  usages  nécessaires.  A  ces  revêtements  de  marbre, 
à  ces  parquets  de  marbre,  il  faut  des  habitants  de  marbre,  les  statues 
immobiles  dans  leurs  niches,  et  c'est  à  peine  si  les  froids  modérés  du  31idi 
sont  tolérables  dans  ces  déserts  glacés  où  des  charbons  rougis  sur  quelques 
réchauds  tant  bien  que  mal  échauffent  Tair.  A  Versailles,  dans  la  mollesse 


i6  VERSAILLES 

■pluvieuse  des  automnes  et  les  brouillards  neigeux  des  hivers,  cétait  un 
contre-sens  et  une  folie.  Ces  lambris  de  marbre  ne  sont  demeurés  entiè- 
rement qu'aux  escaliers  et  aux  antichambres,  en  dehors  des  grands 
salons  d'apparat.  Dans  le  .salon  des  Gardes  de  la  Reine,  l'assemblage  des 
marbres  blancs,  verts,  rouges  et  noirâtres,  dont  les  tons  se  mêlent  à 
réclat  amorti  des  ors,  aux  douces  lueurs  d'améthyste  du  grand  lustre  de 
cristal,  aux  vivante^  peintures  du  "[ilatoiid.    demeure  (Miror(^  aujourd'hui 


Salon  des  Gardes  de  la  Reine. 


d'une  harmonie  puissante.  Dans  Tappartement  du  Roi,  le  salon  de  Vénus^ 
avec  ses  colonnes  et  ses  pilastres  aux  chapiteaux  de  bronze  doré,  et  les 
deux  grandes  peintures  de  Rousseau  dont  les  perspectives  fuvantes 
donnent  à  l'architecture  de  vastes  horizons,  forme  un  cadre  de  théâtre 
à  la  statue  de  Louis  XIV  en  costume  romain,  que  le  bon  médailleur  et 
sculpteur  Warin  léguait  au  Roi  par  testament  du  25  août  1672,  «  pour 
marque  de  .son  respect  et  de  sa  reconnaissance  des  bontez  dont  il  a  pieu 
à  sa  Majesté  de  lui  donner  en  plusieurs  occasions  des  témoignages, 
fort  avantageux  pour  lui  ù.  Le  salon  de  Diane,  moins  vaste  et  moins 
orné,    a  été  modifié  par  JMansart  pour   recevoir,  en    1685,    le    buste  de 


LE   CHATEAU   DE    LOUIS   XIV  17 

Louis  XIV  sculpté  vingt  ans  plus  tôt  par  Bernin,  et  tout  d'abord  installé 
au  Louvre. 

Les    grands  appartements   du  Roi   et  de   la   Reine  occupent  dès  ce 


Salon  de  Vénus. 


temps-là  leur  place  définitive  ;  et  deux  escaliers  symétriquement  ouverts, 
aux  côtés  de  la  cour  Royale,  sur  des  vestibules  à  triple  arcade  que  fer- 
ment de  hautes  grilles,  donnent  accès,  chez  la  Reine,  à  gauche,  et,  à 
droite,  chez  le  Roi.  L'Escalier  de  la  Reine  n'a  pas  encore  toute  son 
ampleur  ;  il  est  rétréci  par  le  voisinage  de  la  chapelle,  placée  d'abord 
sur  la  gauche  et  dans  l'intérieur  du  Château.  Quant  à  l'Escalier   du  Roi, 

2 


VKRSAILLES 


que  Ion  appellera  aussi  le  Grand  Escalier  ou  l'Escalier  des  Ambassa- 
deurs, il  est  commencé  en  1672,  sur  les  plans  laissés  par  Ee  Ydii  ;  le 
travail  y  durera  six  années.  Détruit  au  xvm"  siècle,  il  ne  nous  est  plus 
connu  que  par  la  série  des  o-ravures  de  vSuruo-ue,  réunies  et  pul^liées 
a]5rès  la  mort  de   Louis  Xl\'.  Pour  colorer  ces  nobles  burins  et  raviver 

par  l'imagination  tant  de 
splendeurs  défuntes,  l'Es- 
calier de  la  Reine  et  sur- 
tout la  Galerie  des  Glaces 
et  les  deux  salons  r[ui  la 
terminent  nous  ])eu\ent 
donner  une  aide  précieuse. 
La  cage  énorme,  par  un 
heureux  et  nou\'el  effet,  ne 
r(%^()it  sa  lumière  que  d'en 
haut  ;  en  sorte  c^ue  le  regard 
(|ui  \a.  du  seuil  orné  de 
marl^res,  par  les  peintures 
des  murailles  jusqu'aux  ors 
de  la  voûte,  monte  dans 
une  lumière  toujours  crois- 
sante qui  se  termine  dans 
un  él:)louissement.  Une  ni- 
che s'ouvre  sur  un  palier, 
où  jaillit  une  fontaine 
tlans  une  vascj^ue  de  mar- 
])re  ;  et  les  marches  de 
]3ierre  de  liais  qui  descen- 
dent de  ce  palier  vers  le 
sol  vont  en  s'élargissant 
comme  une  nappe  d'eau  qui  s'épanche  ;  tandis  c^u'à  droite  et  à  gauche 
monte  lentement  la  double  rampe  de  bronze  doré.  Jusqu'à  mi-hauteur 
de  la  voûte,  il  n'y  a  d'autre  décor  que  les  couleurs  variées  et  graves 
des  compartiments  de  marbre.  Mais  toute  la  richesse  de  l'art  nouveau 
éclate  au  premier  étage.  Entre  les  deux  portes  sculptées  et  dorées  qui 
terminent  le  mur  du  fond,  un  arrangement  de  peintures  encadre  une 
niche  centrale,  où,  dans  le  bronze  et  dans  l'or,  entouré  de  trophées  et 
de  palmes,  surmonté  du  soleil  emljlématique,  triomphe  le  buste  de  marbre 
du  Roi.  Ge  buste,    sculpté   par  Warin  en  1666,  occupa  quelques  années 


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Charles  Le  Brun,  par  Coyzevox. 


LE   CHATEAU    DE   LOUIS   XIV 


un  poste  magnifique  entre  tous,  avant  que  l'y  remplaçât  un  chef-d'œuvre 
de  Coyzevox.  Les  peintures,  qui  se  répondent  en  panneaux  S3'métriques 
aux  deux  murs  qui   se  font  face,    simulent  des  tapisseries   à  fond  d'or, 
où  Van  der  3leulen  a  représenté  quatre  victoires  du  Roi  :  Valenciennes, 
Cambrai,  Saint-Omer   et  Cassel  ;  les  autres  sont  de  feintes  architectures, 
loggias  à  l'italienne  où  des  gens  de  toutes  nations  se  pressent  et  se  pen- 
chent    aux     balcons     c[ue 
recouvrent    des    tapis.    En 
face  du  buste  du   Roi,   et 
sur     les     grands     paliers, 
entre  les  portes  qui  mènent 
aux  appartements,    il   y   a 
trois  niches  de  marbre  avec 
des     trophées     de     bronze 
dorés,  les  armes  de  France 
et    de..  Navarre,    celles 
d'Hercule  et  celles  de  31i- 
nerve,  que  surmontent  des 
fleurs    et    la     face    rayon- 
nante du  Soleil  ;  c'est  l'œu- 
vre de  Coyzevox.  La  voûte 
enfin,  soutenue  aux  angles 
par  des  rostres  de  navires, 
en  stuc  doré,  auxquels  sont 
adossées     des     figures     de 
captifs    et    d'où   s'élancent 
des  Victoires  porteuses  de 
palmes,  commémore  en  ses 
médaillons  peints,  où  l'his- 
toire et  la  mythologie  s'ac- 
cordent pour  un  seul  hymne  de  triomphe,  les  succès  récemment  emportés 
sur  les   flottes   d'Espagne   et  de  Hollande.    Tout   au   long  de   la  loggia 
feinte   qui    relie    cette    voûte   aux   murailles,    des    figures    sont    assises 
qui  .symbolisent  les  Parties  du  monde,  les  Sciences  et  les  Arts,  la  Paix, 
la  Discipline,  l'Abondance  ;   Apollon  vainqueur  du    serpent.   Hercule  et 
Minerve  signifient  dans  un  pompeux  concile    l'union  de  la  force  et  de  la 
paix  sous  l'égide  de  l'autorité  royale. 

On  reconnaît,  sans  qu'il  soit  besoin  de   le   nommer,  le  maître  qui  a 
tout  imaginé  de  ce  chef-d'œuvre,  et  tout  dessiné  dans  les  moindres  détails. 


CUtlié  Lk\ 

Antoine  Coyzevox,  par  Gilles  Allou  (ijii). 


\^  E  R  s  A I L  L  E  s 


Le  triomphe  de  Louis  XIV  est  tout  à  la  fois  celui  de  Charles  Le  Brun, 
consacré  par  l'universelle  admiration.  3lais  la  gloire  du  chef  d'orchestre 
n'est  telle  que  par  l'habileté  merveilleuse  des  exécutants.  Presque  tous 
les  grands  sculpteurs  de  Versailles  ont  travaillé  ici  :  Le  Hongre  et  Regnau- 
din,  les  Marsy,  Guérin,  31agnier,  Desjardins,  et,  les  premiers  detous,Tubi 
et  Coyzevox.  Le  vaillant,  l'excellent  Co3"zevox,  peu  connu  encore,  révèle 

les  c|ualités  c^ui  lui  vau- 
dront de  devenir  bientôt  le 
grand  collaborateur  de  Le 
lîrun  et  de  31ansart.  Le 
serrurier  Delobel  forge  les 
grilles  du  vestibule,  comme 
il  a  forgé  les  splendides 
l^alcons  de  fer  doré  que  l'on 
\()it  sur  la  cour  Royale  ; 
lOrfèvre  Dominique  Cucci, 
un  Italien,  cisèle  les  balus- 
tres  de  l'escalier,  comme  il 
fait,  dans  les  appartements, 
les  serrures,  les  crochets  et 
les  l^outons  de  porte  ;  Phi- 
lippe Caffiéri,  autre  Italien, 
et  chef  d'une  dynastie  qui 
doit  s'illustrer  à  Versailles, 
sculpte,  avec  l'aide  de 
Francesco  Temporiti,  les 
six  portes  de  bois  doré, 
dont  il  subsiste  deux,  aux 
salons  de  Diane  et  de  Vé- 
nus. 
Cette  même  compagnie  d'artistes,  toujours  dirigée  par  le  Premier 
Peintre,  vient  de  terminer,  au  rez-de-chaussée  du  Château,  le  décor  de 
l'appartement  des  Bains,  qui  occupe  cinq  pièces  ouvrant  sur  les  jardins, 
au  nord  et  au  couchant.  La  seconde  merveille  de  Versailles  n'a  pas  duré 
plus  longtemps  que  la  première  ;  et  c'est  pitié  de  penser  aux  fabuleuses 
richesses,  clignes  des  Césars,  que  les  descriptions  anciennes  et  c^uelques 
dessins  ou  gravures  nous  font  seuls  connaître.  Partout  des  lambris  de 
marbre  et  des  statues,  dont  plusieurs  antiques,  des  colonnes  et  des  pilas- 
tres. Le  cabinet  octogone,  à  l'angle  du  Château,  était  orné  de  niches  de 


Cliclu;  de  iM.  Bricr 

Panneau  des  volets  de  l'appartement  des  Bains. 


LE   CHATEAU   DE   LOL'IS   XIV  21 

miroirs  correspondant  aux  six  croisées,  et  de  douze  figures  des  Mois  en 
étain  doré,  dont  Regnaudin,  Le  Hongre,  Tubi  et  Girardon  avaient  fait 
les  modèles.  C'étaient  des  génies  ailés  assis  sur  des  socles  de  marbre  et 
de  bronze,  et  tenant  chacun  une  corne  d'abondance  avec  les  fleurs  ou  les 
fruits  qui  convenaient  à  la  saison,  et  un  flambeau  où  l'on  mettait  une 
bougie  ;  au-dessus,  en  douze  médaillons,  étaient  représentés  les  signes 
du  zodiaque.  Ces  précieux  débris  d'un  art  solennel,  jetés  aux  magasins 
par  les  architectes  de  Louis  XA',  furent  fondus  en  1772.  vSix  colonnes 
sont  restées  en  place,  et  quatre  des  volets  sculptés  par  Caffiéri  et  Tem- 
poriti  se  voient  encore  aux  fenêtres  du  cabinet  des  Bains.  Le  bois  y  est 
travaillé  comme  du  cuivre,  les  rocailles,  les  jeux  deau  et  les  dauphins 
sont  rendus  avec  tout  l'esprit  qu'on  rencontre  aux  plus  charmants 
vases  des  jardins.  La  piscine  de  Louis  XIV,  vaste  cube  à  huit  pans 
en  marbre  de  Rance,  fut  transportée,  au  siècle  suivant,  dans  l'Ermi- 
tage de  31"'"  de  Pompadour,  où  elle  ser\-it  d'ornement  parmi  les 
fleurs. 

Ici  se  termine  le  prologue  d'une  grande  histoire.  Le  Château,  si  mer- 
veilleux qu'il  soit,  où  Louis  XIV  est  venu  se  divertir,  où  il  a  conduit 
31'"'  de  La  Vallière  et  installé  31""^  de  31ontespan,  ne  suffit  plus  au  rôle 
qui  l'attend  ;  il  va  devenir  le  siège  de  la  monarchie  française  ;  la  Cour  et 
le  Gouvernement  s'y  transporteront.  Depuis  le  séjour  de  quatre  mois  que 
le  Roi  y  avait  fait  en  1674,  après  la  conquête  de  la  Franche-Comté,  il  3' 
était  venu  à  de  fréquents  intervalles,  et  bien  que  de  nombreux  terrains 
eussent  été  distribués  jDour  construire  des  hôtels,  les  courtisans  obligés 
de  suivre  le  maître  s'exposaient  aux  plus  cruelles  incommodités.  Il  fallait 
des  logements  pour  un  nombre  infini  de  personnes,  et  l'aisance  des  ser- 
vices privés  et  publics.  Ces  grands  espaces,  Versailles  seul  les  pouvait 
donner  ;  Saint-Germain  était  trop  étroit,  et  le  Roi  avait  le  dégoût  de 
Paris.  Il  fut  ainsi  conduit  à  demander  les  agrandissements  immenses  qui 
transforment  pour  la  troisième  fois,  et  de  façon  définitive,  l'aspect  et 
l'intérieur  du  Château. 

L'architecte  cj^ui  va  diriger  ce  dernier  travail,  et  dont  le  nom  demeu- 
rera inséparable  de  Versailles,  Jules-Hardouin  31ansart,  élève  de  Libéral 
Bruand  et  petit-neveu  du  célèbre  François  31ansart,  a  donné  à  Colbert 
plus  d'une  preuve  de  son  savoir  ;  et  31"'^  de  31ontespan,  pour  qui  il  a 
élevé,  à  Versailles  même,  les  splendeurs  du  château  de  Clagny,  l'a 
recommandé  au  choix  de  Louis  XIV.  Premier  architecte  du  Roi,  puis 
surintendant  des  Bâtiments,  appuyé  par  Louvois  après  la  demi-disgrâce 


VK RSAILLES 


et  la  mort  de  Colbert  (6  septembre  16^3,  il  sera,  pendant  ])lus  de  trente 
années,  le  fidèle  exécuteur  des  volontés  royales.  vSaint-Simon,  qui  le 
déteste,  et  qui  a  Versailles  en  horreur  ^il  y  fut  très  mal  logé^ ,  a  laissé 
de  lui  un  cruel  portrait.  «  C'était  un  grand  homme  bien  fait,  d'un  visage 
agréable,  et  de  la  lie  du  peuple,  mais  de  beaucoup  d'esprit  naturel,  tout 
tourné  à  l'adresse  et  à  plaire,  sans  toutefois  qu'il  se  fût  épuré  de  la  gros- 
sièreté contractée  dans 
sa  première  condition... 
L'adresse  de  3Iansart 
était  d'engager  le  Roi, 
par  des  riens  en  appa- 
rence, en  des  entreprises 
fortes  ou  longues,  et  de 
lui  montrer  des  plans 
im]:)arfaits,  surtout  pour 
ses  jardins,  qui,  tout 
seuls .  lui  missent  le 
doigt  sur  la  lettre.  Alors 
31ansart  s'écriait  qu'il 
n'aurait  jamais  trouvé 
ce  que  le  Roi  proposait  : 
il  éclatait  en  admira- 
tions, protestait  qu'au- 
près de  lui  il  n'était 
qu'un  écolier,  et  le  fai- 
sait tomber  de  la  sorte 
où  il  voulait,  sans  que  le 
Roi  s'en  doutât  le  moins 
du  monde.  »  Et  cela, 
tout  méchant  qu'il  soit, 
est  à  retenir,  comme  joli  et  vraisemblable,  sans  d'ailleurs  aucunement 
diminuer  le  talent  du  grand  architecte. 

Jusqu'ici  les  documents  surtout  ont  parlé  :  désormais  ce  seront  les 
œuvres,  dont  les  principales  sont  demeurées  debout.  Une  fois  décidé  à 
fixer  sa  résidence  à. Versailles,  le  Roi  pousse  les  travaux  avec  une  sorte 
de  .frénésie.  Sa  correspondance  incessante  avec  Colbert  montre  le  souci 
extraordinaire  et  la  mémoire  qu'il  a  des  moindres  détails  ;  il  en  sera  de 
même  avec  Louvois,  puis  avec  Mansart,  de  qui  les  rapports,  annotés  de 
la  main  royale,  restent,  dans  le  peu   qui  nous   a  été  conservé,  comme  un 


Mansart,  par  Detroy 


LE    CHATKAU    DE   ].OUIS   XIV 


23 


étonnant  témoi^-nag-e  de  la  raison  et  de  la  méthode  portées  dans  les  pro- 
digalités les  plus  extrêmes. 

Le  Roi  prend  la  fièvre  à  visiter  les  travaux.  Il  y  a  là  toute  une  armée 
de  maçons,  de  terrassiers,  de  manœuvres  qui  remuent  les  terres,  assè- 
chent les  marécages,  amoncellent  les  pierres  et  les  marbres.  Dangeau 
ncjtera.  pour  la  dernière  semaine  d'août  1684,  qu'il  y   a  eu  t()us   les  jours 


Grille  d'entrée  du  Château. 


22.000  hommes  et  6.000  chevaux  qui  travaillaient,  et,  le  31  mai  1685, 
cj^uil  y  a  plus  de  36.000  hommes  sur  les  chantiers.  Le  froid,  la  neige,  les 
épidémies  n'arrêtent  rien.  «  Le  Roi  «,  écrit  M""^  de  Se  vigne  le  12  octo- 
bre 1678,  «  \'eut  aller  samedi  à  Versailles,  mais  il  semble  que  Dieu  ne  le 
veuille  pas,  par  l'impossibilité  que  les  bâtiments  soient  en  état  de  le 
recevoir,  et  par  la  mortalité  prodigieuse  des  ouvriers,  dont  on  emjDorte, 
toutes  les  nuits,  comme  de  l'Hôtel-Dieu,  des  charrettes  pleines  de  morts.  » 
C'est  qu'il  faut  presque  tout  avancer  à  la  fois,  les  ailes  du  Château,  le 
grand  Commun,  les  écuries,  une  partie  de  la  ville  nouvelle  avec  ses  ave- 
nues, et  l'immensité  des  jardins.  Dès  1680,  une  médaille  frappée  à  l'effigie 


24  VERSAILLES 

du  Roi  avec,  au  re\('rs,  une  vue  perspective  du  Château,  montre  toutes 
les  grandes  lignes  du  plan  de  iMansart  définitivement  arrêtées,  sinon 
exécutées  ;  enfin,  le  6  mai  1682,  Versailles  a  remplacé  le  Louvre  ;  lu 
monarchie  française  s'y  est  transportée  ;  elle  n'en  sera  arrachée  qu'en  1789. 

A'isitons,  à  la  suite  du  Roi  ^souvent  il  se  plaira  lui-même  à  diriger 
cette  A'isite  ,  le  pompeux  ensemble  des  anciens  et  des  nouveaux  bâtiments. 
A3'ant  franchi  les  grands  espaces  vides  de  la  place  Royale,  qui  séparent 
les  Écuries  du  Château,  centre  où  vient  aboutir  la  triple  percée  d'avenues 
plantées  d'ormes,  nous  sommes  devant  une  large  grille  à  fers  de  pique 
dorés  forgée  par  Delobel,  Luchet  et  Belin" .  Huit  pilastres  à  jour  qui 
figurent  «  une  grande  lyre  avec  un  soleil,  et  trois  fleurs  de  lys  au-dessus  », 
la  divisent  en  travées  au  milieu  desquelles  s'ouvre  la  grande  porte,  cou- 
ronnée de  trophées  d'or  et  de  l^écusson  de  France  que  domine  la  couronne 
ro3^ale.  Les  petits  corps  de  garde  c^ui  flanquent  la  grille  servent  de  piédes- 
taux à  deux  nobles  groupes  de  pierre,  œuvres  de  Gaspard  ^lars}^  et  de 
(■rirardon,  qui  représentent,  dans  le  st3de  des  marbres  de  Michel-Ange  ou 
de  Jean  Bologne,  des  A'ictoires  élevant  une  couronne  et  terrassant  un 
captif  ;  aux  pieds  de  Tune  est  Taigle  de  TEmpire  ;  aux  pieds  de  l'autre 
le  lion  de  l'Espagne.  Nous  sommes  dans  l'avant-cour,  parmi  la  foule  des 
piétons  et  des  carrosses  ;  les  Suisses,  en  double  haie,  présentent  les 
armes  tandis  que  passe  le  Roi.  Si  nous  montons  par  les  rampes  c^u'en- 
cadre  à  droite  et  à  gauche  une  balustrade  de  pierre,  nous  voici  devant  les 
ailes  où  logent  les  secrétaires  d'État.  Ce  sont  les  quatre  pavillons  de  Le 
Vau  réunis  deux  à  deux  par  des  corps  de  logis,  et  dont  les  combles  ont 
été  revêtus  de  guirlandes  de  feuillage  en  plomb  doré,  modelées  par  Coy- 
zevox.  De  nouvelles  grilles  nous  séparent  encore  du  Château,  et  seuls  les 
carrosses  c[ui  ont  les  honneurs  du  Louvre  peuvent  entrer  dans  la  cour 
Royale.  Cette  grille  de  la  cour  Royale  forme  presque  un  demi-cercle,  et 
son  entrée  se  trouve  à  l'endroit  que  marc[ue  aujourd'hui  la  statue  éc|ues- 
tre  de  Louis  XIV.  La  ferronnerie  n'en  est  pas  moins  élégante  que  celle 
de  la  première  grille,  et  ses  deux  corps  de  garde  supportent  également 
deux  charmants  groupes  de  pierre  (aujtnird'hui  reportés  sur  la  balustrade 
de  l'avant-cour),  la  Paix,  de  Tubi,  et  l'Abondance,  de  Coyzevox.  Négli- 
geons, à  droite  et  à  gauche,  les  passages  qui  donnent  accès  aux  jardins, 
et  qui  se  nomment  déjà  les  cours  des  Princes  et  de  la  Chapelle  ;  regar- 
dons, de  la  cour  Royale,  les  changements  qu'a  faits  Mansart  aux  bâti- 
ments de  Le  Vau. 

31ansart  a  vainement  tenté,  comme  son  prédécesseur,  d'obtenir  la 
suppression  du  château  de  Louis  XIII  ;  tout  ce  qu'il  a  pu  faire,  c'a  été 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS  XIV  25 

d'en  accroître  la  masse  par  de  nouvelles  toitures  et  un  puissant  décor. 
Les  pavillons  à  colonnes  et  les  corps  de  logis  ciui  s"}^  attachent  ne  sont 
plus  dominés  par  des  terrasses  à  l'italienne  ;  Mansart  3^  introduit  un  peu 
de  tradition  française  en  les  couronnant  de  combles  à  revêtements 
d'ardoises,  dont  les  fenêtres  en  avancée,  les  «  mansardes  »,  s'encadrent  de 
plombs  dorés  ;  et  deux  fines  lanternes  dorées,  qui  dominent  les  pavillons, 


Cliché  Neurdein. 

Les  cours  et  la  Place  d'Armes,  vues  de  la  cour  de  Marbre,  peinture  de  J.-B.  Martin. 


annoncent  la  magnific|ue  horloge  dressée,  au  centre  du  Château,  sur  la 
trop  délicate  et  restreinte  façade,  relevée  et  fortifiée,  autant  cj^uil  était 
possible,  par  un  nouvel  étage  ou  attic[ue  à  trois  fenêtres.  Deux  statues  de 
pierre  s'adossent  au  cadran  de  Thorloge,  le  .Mars  de  Gaspard  31arsy 
et  l'Hercule  de  Girardon,  robustes  figures  qui  semblent  présider  l'assem- 
blée symbolique  des  jeunes  déesses  familièrement  assises,  les  jambes 
pendantes,  sur  la  balustrade  des  combles  de  la  cour.  Il  y  a  là,  malgré 
Téternelle  banalité  des  sujets  d'école,  une  allure  bien  française  et  de  jolis 
caprices  d'invention.  Ce  sont  d'abord,  pour  encadrer  la  façade  centrale, 
une  Renommée  de  Le  Comte  et  une  Victoire  de  Lesj^ingola  ;  puis,  se 
faisant   face  aux  deux  côtés   de   la   cour,  les   quatre  parties   du   monde 


26  vkrsaili.es 

aima^jlement  associées  deux  à  deux  :  TKurope,  de  l.e  Gros,  noble  guer- 
rière appu5^ée  sur  un  sceptre,  coudoie  TAsie  enturbanée  de  31assou  : 
TAfrique,  de  Le  .  Hongre,  coiffée  d'une  dépouille  d'éléphant  dont  les 
oreilles,  les  défenses  et  la  trompe  lui  font  un  rastiue  original,  s'appuie 
sur  un  lion,  tandis  que  TAmérique,  de  Regnaudin,  (|ui  porte  un  diadème 
de  plumes  d'autruche,  foule  de  son  pied  nu  la  tète  d'un  caïman.  Plus 
loin,  la  Paix  répond  à  la  Gloire,  toutes  deux  encore  de  Regnaudin  ;  la 
Diligence,  de  Raon,  qui  tient  une  touffe  de  lavande  où  butinent  des 
abeilles,  fait  pendant  à  l'Autorité,  de  Le  Hongre  ;  la  Prudence,  de  3lassou, 
dont  le  jeune  visage  se  double  d'une  face  de  vieillard,  selon  les  lois 
toujours  en  vigueur  de  la  primitive  iconographie,  regarde  la  Richesse,  de 
Le  Hongre  ;  la  Sagesse,  que  (iirardon  représente  sous  les  traits  de 
Minerve,  fait  face  à  la  Générosité,  de  Le  Gros  ;  Co}'zevox  a  sculpté 
la  Justice  et  la  Force,  et  Gaspard  3iarsy  la  ^Lagnilicence  et  l'Abondance, 
les  premières  qu'aperçoit  le  visiteur  qui  entre  dans  la  cour  Royale.  Et 
tout  cela,  sans  doute,  peut  sembler  du  Bernin  traduit  en  goût  français, 
et  l'on  y  reconnaît  Rome  transportée  à  Versailles  ;  mais  l'iuirmonie  n'en 
est  pas  moins  nouvelle  et  vivante  au-dessus  des  gracieux  murs  de  brique, 
où  les  quatre-vingt-quatre  bustes  de  marbre,  imités  de  l'antique,  se 
figent  sur  leurs  immuables  piédestaux. 

Il  y  avait  dans  la  cour  Royale,  depuis  1678,  un  grand  bassin  avec  des 
jeux  d'eaux.  Ceux  de  la  cour  de  31arbre,  ainsi  que  les  volières  en  fer  doré, 
ont  à  jamais  disparu  ;  et  cette  cour  de  3larl)re  de  1682,  au-dessus  de 
laquelle  les  admirables  balcons  ciselés  par  Delol^el  courbent  autour 
du  chiffre  du  Roi  leurs  barres  et  leurs  feuillages  de  fer  doré,  serait  exac- 
tement la  cour  d'aujourd'hui ,  si  les  restaurations  maladroites  du 
xix*^  siècle  n'en  avaient  abaissé  le  niveau.  On  peut  le  voir  aux  bases, 
beaucoup  trop  hautes,  des  colonnes  accouplées  qui  soutiennent  le  balcon 
royal,  et  aux  fenêtres  du  rez-de-chaussée,  qui  faisaient  office  de  portes, 
d'où  l'on  descendait  à  l'intérieur  du  Château. 

Le  Roi  sort  de  son  carrosse  sur  la  gauche  de  la  a  cour  du  Louvre  » 
(ainsi  nomme-t-on  encore  la  cour  Ro^^ale',  devant  la  triple  baie  d'un 
A'estibule  fermé  de  grilles,  dont  le  décor  rappelle,  avec  une  profusion 
moindre,  le  vestibule  trop  solennel  ouvert  du  côté  droit.  L'Escalier  des 
Ambassadeurs  est  réservé  pour  les  récepticins  illustres  et  les  fêtes  ;  cet 
escalier-ci,  que  3Iansart  vient  d'achever  en  1681,  garde  le  nom  d'Escalier 
de  la  Reine  ;  mais  son  palier  supérieur,  qui  entre  aux  appartements  de  la 
Reine,  tourne  également  à  gauche  vers  ceux  du  Roi.  C'est  l'escalier  de 
Le    Vau,    élargi    par    la    suppression    de    la  Chapelle,    que    Mansart    a 


LE    CHATEAU   DE   LOUIS   XIV  27 

reportée  sur  la  droite  du  Château.  La  rampe  unique  suit  la  courbe  d'une 
muraille  recouverte  de  marbres  précieux,  ou  égayée  d'architectures 
feintes  et  mêlées  de  figures.  En  haut,  sur  le  palier,  une  grande  niche 
abrite  un  groupe  d'amours  en  plomi)  doré,  de  31assou,  qui  soutiennent 
1  ecusson  aux  chiffres  enlacés  de  la  Reine  et  du  Roi,  parmi  des  carquois, 
des  torches  allumées,  des  colombes.  Des  pilastres   de  marbre,  à  bases  et 


La  cour  de  Marbre. 


chapiteaux  de  bronze  doré,  encadrent  des  perspectives  peintes.  Au-dessus 
des  portes  et  dans  les  angles  qui  leur  répondent  il  y  a  des  bas-reliefs 
d'enfants  et  de  sphinx,  d'une  grande  élégance,  en  métal  (qui  signifie  un 
alliage  de  plomb  et  d'étain^ .  Mais,  en  contraste  avec  l'Escalier  des  Ambas- 
sadeurs, celui-ci  est  sombre  :  son  plafond  sans  ornement  ne  laissera 
pénétrer  la  lumière  que  par  des  baies  donnant  sur  une  cour  latérale, 
jusqu'à  ce  que  3lansart,  en  1701,  ait  ouvert  la  jolie  loggia  qui  s'éclaire 
sur  la  grande  cour. 

L'appartement  de  la  Reine,  où  nous  pénétrons  par  le  Salon  de  marbre, 
ne   doit  être  habité  que   bien    peu   de   temps   par   3larie-Thérèse,    qui   y 


28  VERSAILLES 

mourra  le  30  juillet  1683.  Il  comprend,  à  la  suite  du  Salon  de  marbre, 
une  salle  des  Gardes,  qui  deviendra  l'antichambre  et  servira  de  salle  à 
manger  ;  puis  le  grand  Cabinet  où  se  font  les  présentations,  enfin  la 
chambre  à  coucher,  que  suivent  un  salon  et  deux  cabinets.  Toutes  ces 
chambres,  sauf  le  Salon  de  marbre,  suljiront  bien  des  changements  ;  les 
dernières  vont  être  détruites  ]jar  la  construction  de  la  Galerie  des  Glaces 
et  du  salon  de  la  Paix,  et  la  chambre  à  coucher  sera  entièrement  refaite 
au  xvill"  siècle.  31ais  les  plafonds  étincelants  d'or  et  de  peintures,  com- 
mencés en  167 1,  et  terminés  seulement  en  168 1,  restent,  dans  les  trois 
premières  pièces,  des  témoins  qui  ont  vu  passer  la  reine  Marie-Thérèse. 
Celui  du  Salon  de  marbre,  le  ])lus  somptueux,  est  de  Noël  Co^qDel  ;  il 
imite  dans  la  disposition  de  sa  corniche  à  balustrade  feinte,  où  s'appuient 
des  spectateurs  curieux,  les  inventions  de  Le  Brun  dans  l'Escalier  des 
Ambassadeurs.  Mais  est-ce  Le  Brun  qui  invente  ici  ?  Xe  sont-ce  pas  les 
Italiens,  les  Carraches,  le  Guide,  le  Dominiquin,  sans  qu'il  nous  soit 
besoin  de  remonter  jusqu'à  Corrège  et  encore  moins  jusqu'à  3Iantègne  ? 
Que  l'on  songe  à  Florence,  aux  plafonds  du  palais  Pitti  où  Pierre  de 
Cortone  a  prodigué  aux  derniers  Médicis  l'ingéniosité  de  sa  mythologie  et 
de  ses  travestissements  historiques,  plafonds  de  Avenus,  d'Apollon,  de 
Mars,  de  Jupiter,  de  Saturne  ;  tout  Versailles  est  là,  et  toute  l'inspiration 
de  Le  Brun  et  de  ses  satellites,  les  Houasse,  les  Blanchard,  les  Jouvenet, 
les  Audran,  les  Lafosse,  les  Coypel,  peintres  sages  et  discrets,  instruits, 
disciplinés  ;  Messieurs  de  l'Académie  savent  tourner  le  compliment  au 
Roi,  en  charades  mythologiques.  Le  plafond  de  Coypel  fd'abord  destiné 
au  cabinet  du  Conseil)  célèbre  Jupiter  ;  celui  de  Vignon  le  fils,  d'ans 
l'antichambre  de  la  Reine,  est  consacré  à  31ars  le  panneau  central, 
remplacé  sous  Napoléon  I*"'  par  une  toile  de  Véronèse,  l'est  maintenant 
par  une  réplique  ancienne  du  tableau  de  Le  Brun,  la  Famille  de  Darius 
aux  pieds  d'x\lexandre}  ;  celui  de  Michel  Corneille,  au  grand  Cabinet, 
représente  31ercure  «  qui  répand  son  influence  sur  les  arts  et  sur  les 
sciences  w .  Dans  la  chambre  de  la  Reine  il  y  a  un  plafond  de  Gilbert  de 
Sève,  représentant  le  Soleil,  les  heures  du  jour  et  les  quatre  parties 
du  monde,  qui  sera  remplacé,  au  XYliT'  siècle,  par  un  décor  plus  simple 
et  moins  pesant. 

Dans  le  grand  appartement  du  Roi,  si  l'on  entre  par  l'escalier  des 
Ambassadeurs,  on  traverse  aussi  deux  Salons  de  marbre,  puis  une  salle 
des  Gardes  et  une  antichambre,  qui  sont  les  salons  de  Vénus,  de  Diane, 
de  31ars  et  de  Mercure,  avant  d'arriver  à  la  chambre  à  coucher,  ou  salon 
d'Apollon,  puis  au  grand  Cabinet,  qui   deviendra  bientôt  le  salon  de   la 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV 


29 


Guerre,  et  que  suivent  la  petite  chambre  à  coucher,  et  le  cabinet  de  la 
Terrasse.  Il  serait  oiseux  de  décrire  les  plafonds,  qui  demeureront 
intacts,  et  dont  Houasse,    Blanchard,    Audran,   Jean-Baptiste  de   Cham- 


L'Escalier  de  la  Reine 


pagne  et  Lafosse  (Mit  exécuté  les  peintures  sur  les  indications  et  les 
dessins  de  Le  Brun.  Plus  somptueux  encore,  s'il  est  possible,  que  ceux 
de  l'appartement  de  la  Reine,  ces  plafonds  ont  été  chargés  par  les  frères 
Marsy  d'étonnants  stucs  dorés  dont  les  festons  et  les  guirlandes  flottent 
autour  des  cadres  et  les  relient  ;  au  salon  d'Apollon  il  y  a  même  de 
hardies  figures   de    nymphes   dansantes   qui   de   leurs  bras   tendus  sou- 


30 


VERSAILLES 


tiennent  le  centre  triomphal  de  la  voûte.  Les  portes  en  bois  sculpté  et 
doré,  par  Caffiéri,  viennent  d'être  posées,  et  Tune  d'elles,  au  salon 
d'Apollon,  porte  la  date  de  1681. 


Le  salon  de  Diane. 


31ais,  à  peine  terminé,  tout  ce  côté  des  appartements  ne  sert  déjà  plus 
à  l'habitation  du  Roi  ;  ce  sont  pièces  d'apparat  et  de  fêtes',  et  comme  la 
splendide  introduction  de  cette  Grande  Galerie; que  le  Roi  souhaitait  voir 
construire  il  3'  a  déjà  dix  ans,  et  où  31ansart  et  Le  Brun  vont  lui  créer 
des  merveilles  supérieures  à  ses  désirs.  Il  a  transporté  sa  demeure  dans  le 
petit   château   de   son   père,    aux  pièces   voisines  de  la    cour  de  31arbre. 


LE   CHATEAU   UE    LOUIS   XIV 


3î 


Si  nous  revenons  au  palier  haut  de  TEscalier  de  la  Reine,  et  que,  tour- 
nant à  gauche,  nous  entrions  aux  nouveaux  appartements,  nous  rencon- 
trons d'abord  un  vestibule  de  marbre,  puis  une  o-rande  salle  des  Gardes, 


Une  porte  du  Grand  Cabinet  du  Roi  (chambre  de  Louis  XIV). 


à  voûte  arrondie,  mais  de  décor  très  nu,  que  suit  l'antichambre  où  le  Roi 
mange.  Cette  pièce  qui  prend  jour,  comme  la  précédente,  de  deux  côtés, 
sur  la  cour  de  3larbre  et  sur  une  cour  intérieure,  a  une  voûte  de  stuc  sans 
peintures,  dont  la  corniche  seule  est  dorée,  avec  un  ornement  de  cou- 
ronnes et  de  "trophées  darmes  qui  alternent  ;  en  1687,  les  murs  en  seront 
tapissés    de    tableaux    de   batailles,    dont   l'un,    au-dessus    de    la    vaste 


32  VERSAILLES 

cheminée  de  marbre  rouge,  est  de  Pierre  de  Cortone,  et  représente 
Arbelles  ;  les  autres  sont  de  Joseph  Parrocel  ou  de  son  atelier.  Des  deux 
portes  qui  s'ouvrent  aux  côtés  de  la  cheminée,  celle  de  droite  donne  dans 
la  chambre  à  coucher  du  Roi.  qui  prend  jour  ])ar  deux  fenêtres  sur  la 
cour  de  3Larbre,  et  celle  de  gauche  dans  un  cabinet  que  Félibien  nomme 
la  chambre  des  Bassans,  «  à  cause  qu'il  y  a  plusieurs  tableaux  de  cet 
ancien  maître  au-dessus  des  portes  et  des  lambris  ».  La  Chambre  des 
Bassans  et  la  chambre  du  Roi  seront  réunies,  en  1701,  pour  former 
le  salon  de  l'Œil-de-Bœuf.  Au  delà  se  trouve  le  Salon,  ou  Grand  Cabinet 
du  Roi,  qui  a  trois  fenêtres  sur  le  balcon  de  la  cour,  et,  en  face  de  ces 
fenêtres,  trois  arcades  communiquant  avec  la  terrasse,  ou  plutôt  déjà 
avec  la  Grande  Galerie.  Ce  Salon,  au  centre  du  Château,  deviendra 
en  1701  la  grande  chambre  à  coucher,  et  recevra  un  décor  nouveau  de  la 
paroi  du  fond,  entièrement  transformée.  3Iais  les  murs  des  côtés,  avec 
leurs  superbes  boiseries,  leurs  portes  et  leurs  glaces,  ne  seront  presque 
pas  changés,  et  il  est  regrettable  de  ne  pouvoir  mettre  à  coup  sûr  une 
signature  d'artiste,  et  de  grand  artiste,  sur  un  décor  dont  nous  n'avons 
point  de  mention  expresse  aux  Comptes  des  Bâtiments.  A  la  frise  en 
stuc  doré  de  la  corniche,  qui  soutient  un  attique,  le  motif  d'ornement  se 
compose  de  la  tête  du  .Soleil  et  de  son  diadème  s^-mbolique  alternant 
avec  des  foudres  entre  deux  têtes  d'aigles  ;  et  ces  aigles  portent  dans 
leurs  becs  des  guirlandes  de  feuilles  de  laurier,  ([ui  relient  tout  autour  de 
la  pièce  leurs  souples  festons.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  comparer 
ce  décor  à  celui  des  admirables  dessus  de  porte  du  cabinet  du  Billard, 
dessinés  par  31ansart  et  gravés  par  Le  Pautre,  dont  les  originaux  sub- 
sistent encore  dans  l'appartement  de  Louis  XV  :  ce  sont,  au-dessus  de 
cadres  ronds  contenant  des  peintures,  des  masques  de  faunes  d'où 
partent  de  grands  festons  de  laurier,  que  deux  aigles  saisissent  dans  leurs 
becs.  Dans  le  salon  du  Roi  il  y  a  aussi  des  cadres  ovales  que  surmonte 
une  coquille,  mais  il  en  tombe  une  profusion  de  fleurs,  tulipes,  roses  et 
iasmins,  que  des  nymphes  toutes  gracieuses,  assises  sur  le  couronnement 
de  la  porte,  font  glisser  entre  leurs  mains.  Le  reste  du  décor,  hauts 
pilastres  cannelés  et  dorés,  chapiteaux  à  feuilles  d"acanthe,  chambranles 
ciselés  comme  une  orfèvrerie,  et  minces  bordures  de  cuivre  des 
glaces,  semble  n'être  inventé  que  pour  faire  valoir  le  charme  et  la  vie 
de  ces  jeunes  figures. 

Au  delà  du  Grand  Cabinet  du  Roi,  on  entre  au  Cabinet  du  Conseil  et 
au  Cabinet  des  Perruques,  dit  aussi  des  Termes,  à  cause  de  sa  décora- 
tion ;  ces  deux  pièces  seront  détruites  sous  Louis  XV  et  transformées  en 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV  33 

une  seule,  parmi  les  plus  magnifiques  du  Château.  Enfin,  continuant 
notre  promenade  tout  autour  de  la  cour  de  Marbre,  nous  rencontrons, 
après  la  salle  du  Billard,  les  cabinets  intérieurs,  où  sont  accumulés  les 
tableaux  les  plus  rares  et  les  merveilles  de  l'orfèvrerie  du  temps. 

Si  nous  traversons  à  nouveau  le  grand  appartement  du  Roi,  nous 
arriverons,  au  delà  du  salon  de  Vénus,  par  une  petite  antichambre  qui 
est  le  salon  de  l'Abondance,  à  la  tribune  royale  de  la  chapelle  (ce  sera, 
au  xviii'  siècle,  le  salon  d'Hercule)  ;  plus  loin,  il  n'y  a  rien  encore.  Si 


^i^'^l^'l^t^ 


FaoaJc  du  Château  sur 


nous  traversons  le  grand  appartement  de  la  Reine,  nous  trouverons,  au 
delà  du  salon  de  Marbre  où  sont  les  gardes,  une  autre  grande  salle  de 
gardes  qui  remplace  Tancienne  chapelle,  puis  une  pièce  de  communication 
qui  mène,  par  un  long  vestibule,  au  palier  supérieur  de  Tescalier  des 
Princes,  et  à  Taile  du  Midi, 

Du  côté  des  jardins,  de  grands  changements  sont  entrepris.  La  façade 
de  Le  Vau  s'est  élargie  rapidement  et  unifiée,  sous  la  direction  de  3lan- 
sart.  Dès  l'été  de  1678,  pour  élever  au  centre  du  Château  la  Grande 
Galerie  et  ses  deux  salons,  il  a  fait  jeter  bas,  par  l'entrepreneur  Gabrie'i, 
la  belle  terrasse,  dont  la  muraille  de  fond  est  utilisée  dans  la  maçonnerie 
nouvelle.  Le  nouveau  mur  de  façade  est  percé  de  fenêtres  cintrées,  31an- 
sart  ayant  heureusement  décidé  de  transformer  toutes  les  ouvertures  de 
l'étage  noble,  aux  trois  faces  qui  regardent  les  jardins.  Au  sommet  de  ces 
fenêtres,  les  couronnes  royales  alternent  avec  les  casques,  et  de  chaque 

3 


34  VERSAILLES 

côté  du  cintre,  les  trophées  d'armes  et  les  rameaux  de  chêne  ou  de  lau- 
rier, mêlés  de  fleurs,  sont  sculptés  en  un  faible  relief  qui  soutient,  sans 
Taltérer,  la  pureté  des  lignes  d'architecture.  La  balustrade  des  toits  achève 
de  se  couronner  des  grands  trophées  et  des  vases  de  ];)ierre  qui  dessinent 
leur  silhouette  puissante  et  variée  sur  le  bleu  du  ciel. 

Derrière  cette  nouvelle  façade,  le  chef-d'œuvre  de  Mansart  et  de 
Le  Brun  va  demeurer  intact.  Le  décor  intérieur  de  la  Grande  Galerie,  où 
il  semble  que  se  soient  transportés  tous  les  ateliers  des  Gobelins,  est 
commencé  dès  1679.  Les  marbriers,  fondeurs  et  ciseleurs  ont  assez  avancé 
levir  travail  en  1680  pour  que  la  compagnie  des  peintres  qui  vient  de 
terminer  l'Escalier  des  Ambassadeurs  passe  à  l'œuvre  nouvelle.  Le  Brun 
croit  même  pouvoir,  dès  le  mois  d'août  1681,  satisfaire  l'impatiente 
curiosité  du  Roi  et  de  la  Cour  en  découvrant,  pendant  une  semaine,  une 
partie  achevée  de  la  voûte  (où  est  représenté  le  Passage  du  Rhin).  Le  Mer- 
cure Galant  nous  apprend  que  l'œuvre  parut  digne  du  Roi,  «  louange 
c|ui  comprend  tout  ce  qui  se  peut  dire  ».  En  1682,  l'installation  de  la  Cour 
à  Versailles  oblige  à  un  arrangement  provisoire,  pour  laisser  un  lil:)re 
passage  ;  la  Galerie  est  terminée  en  1684,  et  les  salons  de  la  Paix  et  de  la 
Guerre,  qui  en  forment  l'indi.spensable  complément,  sont  livrés  au  Roi 
deux  ans  plus  tard. 

La  Galerie  mesure  soixante-treize  mètres  de  longueur,  sur  dix  et  demi 
de  largeur  et  treize  de  hauteur.  Elle  est  éclairée  par  dix-sept  grandes 
croisées  en  arcades  auxquelles  répondent  dix-sept  arcades  feintes  que 
remislissent  des  glaces  à  biseau  montées  sur  des  cadres  de  cuivre,  et  ces 
glaces  sont  au  nombre  de  trois  cent  six.  C'était,  pour  l'époque,  unegrande 
rareté.  Les  portes  de  glaces  qui  ouvrent  sur  les  salles  et  cabinets  voisins 
ne  diffèrent  aucunement  des  autres  arcades,  en  sorte  que  d'un  bout  à 
l'autre  la  lumière  qui  traverse  les  fenêtres  se  multiplie  et  se  recueille 
sous  ce  portique  éblouissant.  Autour  des  arcades  le  fond  des  murailles 
est  de  marbres  presque  blancs,  sur  lesquels  tranchent  les  compartiments 
d'autres  marbres  presque  verts,  et  les  grands  pilastres  mauves  qui  sou- 
tiennent la  corniche  d'or.  Ces  pilastres  ont  des  bases  de  bronze  doré  au 
feu,  et  des  chapiteaux,  de  métal  également  doré,  formés  de  volutes  de 
palmes  cj^ui  encadrent  une  fleur  de  lis,  au-dessus  de  laquelle  le  soleil 
diadème  paraît  entre  deux  coqs  battant  des  ailes  ;  chapiteaux  d'un  ordre 
nouveau,  inventé  i)ar  Le  Brun  sur  la  demande  de  Colbert,  et  que  l'on 
nomme  l'ordre  français.  Aux  grands  trumeaux  du  centre,  quatre  niches 
renferment  des  statues  antiques;  au-dessus  se  voient  cjuatre  grands  tro- 
phées d'armes  en  métal  doré,  modelés  par  Coyzevox,  Massou,  Le  Gros 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV 


35 


et  TuIm,  ainsi  que  les  douze  autres,  moins  grands,  au-dessus  des  douze 
élégantes  chutes  d'armes  en  cuivre  ciselé  dont  l'harmonie  avec  le  ton  des 
marbres  est  délicieuse.  Au  sommet  des  arcades  de  glaces  et  des  croisées, 
la  tète  rayonnante  du  .Soleil,  encadrée  de  festons  de  fleurs  ou  de  laurier, 
alterne  avec  des  peaux  de  lion  au  mufle  farouche,  qui  rappellent  c[ue 
ridée  première  de  Le  Brun  fut  de  glorifier  le  Roi  sous  les  traits  d'Her- 
cule. Tous  ces  festons  de  métal  doré,  ainsi  que  les  chapiteaux,  ont  été 
fondus  et  ciselés  \)-dr  Caffiéri  ;  c^'est  Cafliéri  encore,  avec  Lespagnandel, 


Galerie  des  Glace 


qui  a  modelé  les  charmantes  roses  de  métal  au-dessus  du  cintre  des  croi- 
sées, et  la  corniche  de  stuc  dont  les  métopes  portent  des  attributs  con- 
venables à  la  gloire  du  Roi,  couronnes  et  colliers  du  Saint-Esprit  et  de 
Saint-iAlichel.  De  cette  corniche,  qui  étend  d'une  extrémité  à  l'autre  de 
la  lumineuse  Galerie  son  étincelante  barre  d'or,  s'élance  le  cintre  profond 
de  la  voûte  que  Le  Brun  a  couverte  de  ses  peintures. 

Rarement,  en  France,  pareille  surface  avait  été  offerte  à  la  décora- 
tion ;  elle  n'était  pas  pour  effra3^er  le  Premier  Peintre,  formé  par  les 
leçons  de  l'Italie  aux  plus  vastes  ambitions.  Il  semblait  même  que  ses 
œuvres  antérieures  appelaient  ce  couronnement  d'une  glorieuse  carrière  : 
à  Vaux,  pour  Fouquet,  à  Sceaux,  pour  Colbert,  il  avait  préludé  à  ces 


36 


VERSAILLES 


fêtes  de  la  peinture  que  le  Grand  Escalier  de  Versailles  lui  offrait  dans 
toute  leur  ampleur;  à  Paris,  la  galerie  d'Hercule,  dont  il  avait  enrichi 
l'hôtel  Lambert,  et  surtout  la  g-alerie  d'Apollon,  ([u'il  v(Miait  à  peine  de 
terminer  au  Louvre,  étaient  les  parfaits  modèles  de  la  royale  apothéose 
qu  on  lui  demandait  de  composer.  Son  premier  dessin,  la  Glorification 
d'ilercule,  tout  enfoncé  encore  dans  la  tradition  italienne,  et  où  la 
louange  du  Roi  ne  se  détachait  pas  assez  clairement  pour  la  plus  exigeante 

des  vanités,  souleva  des  observa- 
tions auxcjuelles  il  satisfit  en  deux 
jours,  présentant  la  composition  du 
tableau  central  de  la  Galerie,  qui 
fut  acceptée.  vSoutenu  désormais  ])ar 
1  enthousiasme  du  Roi,  il  ])oussa 
rapidement  l'ensemble  et  le  détail 
de  l'énorme  ouvrage,  dessinant  les 
moindres  motifs  de  peinture,  comme 
il  a\ait  fait  déjà  ceux  de  l'architec- 
ture et  du  décor  sculpté,  et])eignant 
de  chaque  tal:)leau  des  esquisses  très 
poussées  ,  d'après  lesc^uelles  ses 
élèves  et  lui-même  font  l'exécution 
sur  des  toiles  marouflées  qui  s'en- 
cadrent aux  festons  dorés  des  bor- 
dures de  stuc. 

Un  tableau  double  des  autres 
occupe  tout  le  centre  de  la  voûte,  et 
de  chaque  côté  sont  réparties  les 
dix  grandes  compositions  qui  nar- 
rent les  fastes  militaires  de  Louis  XIV  ;  douze  médaillons  ovales,  entre 
lesquels  il  y  a  six  camaïeux,  expriment  les  heureux  effets  du  gouverne- 
ment intérieur;  c'est  toute  l'histoire  du  règne  jusqu'à  la  paix  deXimègue. 
De  brèves  légendes  et  une  date  précisent  le  sens  des  petits  tableaux; 
pour  1  intelligence  des  autres,  dont  l'esprit  le  plus  perspicace  aurait  peine 
à  se  tirer,  des  inscriptions,  d'abord  latines,  puis  mises  en  français  par 
Racine  et  Boileau,  détachent  leurs  lettres  d'or  sur  le  fond  vert  bronze  de 
grands  cartouches  appuyés  à  la  corniche,  au  milieu  des  charmants  tro- 
phées d'armes  et  d'enfants  que  Coyzevox,  Le  Comte,  Clérion,  Massou, 
Le  Gros  ont  modelés. 

La  composition  centrale   oppose  le  Roi  qui  gouverne    par   lui-même 


Buste  de  Louis  XIV,  par  Coyzevox  (lôSl^ 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV 


3; 


(1661)  au  Faste  des  puissances  voisines  de  la  France,  Pour  connaître  la 
première  partie  du  règne,  jusqu'à  la  paix  d'Aixda  Chapelle,  il  faudrait 
ne  regarder  c[ue  les  petites  compositions  ; 
les  autres  représentent  la  période  guer- 
rière, de  167 1  à  1678;  encore  ne  sont-elles 
pas  groupées  selon  Tordre  historic^ue. 
Seuls  les  cintres  extrêmes  de  la  Galerie 
montrent  en  contraste  le  point  de  départ 
et  la  fin  de  la  coalition  domptée  par  les 
victoires  du  Roi  :  au-dessus  de  la  porte 
qui  ouvre  sur  le  salon  de  la  Guerre  est 
peinte  TAlliance  de  TAUemagne  et  de 
TEspagne  avec  la  Hollande  1672;  ;  au- 
dessus  de  la  porte  du  salon  de  la  Paix  , 
la  Hollande  soumise  qui  se  sépare  de  ses 
alliées  (1678).  Le  Passage  du  Rhin  et  la 
Prise  de  3laëstricht  ^1672  et  1673)  répon- 
dent à  la  Prise  de  Gand  et  à  la  Défaite  des 
Espagnols  (1678);  des  quatre  autres  pein- 
tures, trois  sont  consacrées  aux  Prépara- 
tifs de  guerre  contre  la  Hollande  ,'1671 
et  1672;,  une  à  la  Seconde  Conquête  de  la 
Franche-Comté  '1674'. 

Il  y  a  bien  de  Tarl^itraire  dans  cet 
arrangement  de  tableaux  d'apparence  si 
pondérée.  Il  n'y  a  pas  moins  de  confu- 
sion dans  l'ordonnance  intérieure  des 
allégories.  Il  est  vrai,  l'unique  héros  par- 
tout reconnaissable  est  le  Roi  ;  et  il  n'en 
fallait  pas  davantage  à  Louis  XIV.  Le 
Roi,  pareil  à  un  César  dans  sa  cuirasse 
d'or  et  son  manteau  de  pourpre,  jambes 
et  bras  nus,  se  distingue  à  sa  fière  atti- 
tude n(m  moins  c|u'à  Ténormité  de  sa  per- 
ruque ;  mais  si  Ton  n'apercevait  dans  un 
des  tableaux  iMonseigneur  d'Orléans,  Turenne  et  Conch 
plein  Olympe.  Dieux  et  déesses  accourent  au  service  du  Roi  ;  3iars  lui 
recrute  ses  armées,  dont  Cérès  assure  la  subsistance;  Neptune  lui  é(iuipe 
une  flotte  ;  31ercure,  Vulcain  et  31inerve   lui   fournissent   des  armes     et 


Un  troph 


i.i'hc  Levy. 

lu  salon  de  la  Paix. 


on  se  croirait  en 


38  \'ERSAILLES 

Apollon,  ciu  lieu  de  Vaiiban.  lui  élève  des  forteresses;  la  A'igilance  et  la 
Prévoyance  suivies  de  la  Victoire  forment  son  infatigable  escorte.  Assis 
dans  un  char  et  brandissant  la  foudre,  il  fait  reculer  d'épouvante  le  Rhin 
a  tranquille  et  fier  du  progrès  de  ses  eaux  ».  Ailleurs  il  vole  au  secours 
de  jeunes  femmes  éplorées  que  3lars  amène  à  ses  pieds  :  ce  sont  les 
villes  de  la  Franche-Comté;  le  lion  espagnol,  qui  bondit,  est  tenu  en 
respect  par  la  massue  d'Hercule,  et  tandis  que  le  vieil  hiver  sème  les 
frimas,  le  grand  aigle  d'Allemagne,  sur  un  arbre  dépouillé,  crie  de 
désespoir  et  bat  des  ailes.  Ges  allégories  pouvaient  être  accessibles,  dans 
le  Versailles  de  Louis  XIV,  à  des  esprits  élégants  et  nourris  aux  lettres 
latines;  toutefois  il  exista,  dès  1687,  un  livret  pour  servir  de  guide  aux 
visiteurs.  Les  explications  en  sembleraient  aujourd'hui  non  moins  fasti- 
dieuses que  nécessaires  ;  mais  qu'avons-nous  à  demander  autre  chose  aux 
peintures  de  Le  Brun,  que  d'être  un  superbe  décor? 

Ce  qui  le  complète,  le  grand  décor  allégorique,  ce  qui  en  achève  l'har- 
monie et  le  charme,  c'est  la  beauté  des  figures  qui  l'enveloppent  et  le 
soutiennent.  Cariatides  puissantes  adossées  aux  pilastres,  petits  génies 
nus  et  roses  dormant  parmi  les  fleurs.  Victoires  aux  ailes  blanches,  vêtues 
de  bleu,  de  blanc,  de  vert,  agitant  des  drapeaux  où  se  lisent  des  noms 
glorieux,  ou  inscrivant  ces  noms  pour  l'éternité  sur  un  bouclier  d'airain, 
faunes  issus  des  créations  de  31ichel-Ange  ou  de  Jules  Romain,  médail- 
lons où  resplendit  le  Soleil,  trompettes  de  la  Renommée,  trophées  d'ar- 
mes et  d'étendards,  vases  de  fleurs  et  guirlandes  de  fruits,  tout  chatoie, 
tincelle  de  couleurs  à  peine  assombries,  serties  d'ors  fauves  et  rouges 
et  verts,  qui,  mariés  aux  stucs  et  aux  étains  dorés  des  frises  et  des  chapi- 
teaux tout  au  long  des  parois  de  marbre,  font  de  cette  immense  et  lumi- 
neuse Galerie  un  endroit  à  souhait  pour  la  fête  des  yeux. 

Que  serait-ce  si  nous  la  pouvions  entrevoir  dans  son  premier  ameu- 
blement, dans  la  vie  de  son  décor  ?  Xous  comprendrions  entièrement 
«  cette  sorte  de  ro3'ale  beauté  unique  dans  le  monde  ».  dont  parlait 
31""'  de  Sévigné  dans  une  lettre  de  1685.  Q^^  1  01^  imagine  d'abord  le 
parquet  entièrement  recouvert  de  deux  tapis  de  la  Savonnerie,  aux  larges 
rinceaux  de  nuances  claires,  et  les  fenêtres  munies  de  rideaux  en  gros 
damas  blanc,  brochés  d'or  au  chiffre  du  Roi;  puis  les  deux  rangs  de 
douze  lustres  de  cristal,  et,  aux  extrémités,  deux  autres  lustres  d'argent, 
immenses,  à  huit  branches.  Tout  le  mobilier  est  d'argent  ciselé  ou  de 
vermeil.  Les  candélabres  ornés  de  cupidons  et  de  sat3"res,  les  chande- 
liers, au  nombre  de  douze,  représentant  les  travaux  d'Hercule,  les  giran- 
doles et  les  torchères,  les  tables,  les  grands  guéridons  à  figures  de  Mores, 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV 


39 


les  caisses  et  les  vases  à  fleurs,  les  bancelles,  les  tabourets  et  les  bran- 
cards, les  buires,  les  aiguières  :  c'est,  d.\in  bout  à  Tautre  de  la  galerie, 
une  symphonie  d'argent  et  d'or,  dont  les  orangers  fleuris  donnent  la  note 


Cliché  Clie\ojon. 


Le  salon  de  la  Guerre. 


la  plus  délicate.  Ces  chefs-d  œuvre,  dessinés  par  Le  Brun,  et  dont  quel- 
ques tableaux  du  temps  nous  conservent  la  fidèle  image,  sont  des  orfèvres 
Ladoireau,  31erlin,  Cousinet,  Germain,  Delaunay  surtout,  Télève  et 
successeur  du  grand  Claude  Ballin,  qui  est  mort  en  1678,  après  avoir 
travaillé  si  longtemps  au  mobilier  de  Versailles. 

Telle  est  la  Grande  Galerie  en  1684.  Deux  ans  plus  tard  sont  termi- 


40  VERSAILLES 

nés,  aux  angles  du  Château,  les  deux  salons  carrés  qui  la  complètent,  et 
qui  s'appelleront,  dans  la  suite,  les  salons  delà  Guerre  et  de  la  Paix.  Ce 
sont  les  dernières  œuvres  de  Le  Brun  au  service  de  Louis  XIV.  Leurs 
coupoles  arrondies  célèbrent,  en  parfait  équilibre,  ici  la  France  guerrière 
qui  brandit  Timage  du  Roi  et  lance  la  foudre;  là,  cette  même  France 
glorieuse  et  pacifique,  portée  sur  un  char  au  milieu  des  airs  par  des 
amours  et  des  colombes;  les  figures  allégoriques  convenables  à  chaque 
sujet  enrichissent  la  composition,  et  dans  les  voussures  reparaissent 
TAllemagne,  la  Hollande  et  l'Espagne,  comme  au  plafond  de  la  Galerie, 
ici  accablées  par  la  furieuse  Bellone,  là  radieuses  et  renaissant  à  la  pros- 
périté. L'exécution  des  peintures,  surtout  au  salon  de  la  Guerre,  semble 
médiocre  et  toute  indigne  de  Le  Brun.  .Mais  la  décoration  des  murs,  dans 
Tespace  plus  restreint  qui  lui  est  donné,  résume  et  surpasse  toutes  les 
beautés  de  la  Galerie.  iVu  salon  de  la  Guerre,  la  muraille  du  fond  est 
occupée  par  un  vaste  bas-relief  ovale,  d\m  stuc  mat  et  laiteux,  où  Coyzevox 
a  sculpté  le  Roi  qui  passe  au  galop  de  son  cheval  sur  ses  ennemis  abat- 
tus. La  Victoire,  dans  le  fond,  lui  tend  une  couronne,  et,  en  dehors  du 
cadre,  des  Renommées  en  métal  doré,  penchées  au-dessus  de  lui,  clai- 
ronnent son  triomphe.  Au-dessous,  des  captifs  enchaînés  sont  appuyés 
au  chambranle  d'une  cheminée  que  surmonte  une  tête  d'LIercule,  et  dont 
le  devant  est  occupé  par  un  grand  bas-relief  de  stuc  en  imitation  de  bronze 
vert,  où  Ion  voit  l'Histoire,  parmi  des  amours,  qui  écrit  les  hauts  faits 
du  Roi.  Les  trophées  dorés,  grands  et  petits,  fixés  parmi  les  marbres, 
sont  pareils  à  ceux  de  la  Galerie.  31ais  ce  qui  passe  le  reste  pour  le  charme 
du  travail,  c'est,  au  chambranle  des  quatre  portes  'dont  trois  sont  en 
glaces  et  feintes  ,  des  compartiments  de  marbre  où  se  détache  en  bronze 
doré  le  chiffre  du  Roi,  et  que  supportent  des  pieds  de  feuillage  également 
dorés.  Des  festons  de  fleurs,  d'épis,  de  vigne  et  de  laurier  les  surmontent, 
pour  syml3()liser  les  saisons,  et  sont  soutenus  par  des  masques  différents, 
d'un  esprit  délicieux.  C'est  à  Coyzevox,  après  Le  Brun,  cj[u"il  en  faut 
attribuer  le  modèle,  Tubi  et  Prou  restant  d'ailleurs  associés  à  ses  travaux 
de  stuc  et  de  métal.  Au  salon  de  la  Paix  les  ornements  sont  disposés  de 
même  sorte,  mais  au  lieu  de  trophées  guerriers  l'on  trouve  des  instru- 
ments de  musique,  des  vases  avec  des  amours,  et  une  profusion  de  fleurs 
et  de  fruits.  .Six  bustes  antiques  d'empereurs  romains,  dont  la  tête  est  de 
porphyre  et  la  àraperie  de  marbres  variés  (Girardon  a  refait  cette  dra- 
perie', se  reflètent  aux  glaces  des  deux  salons;  derrière  ces  immobiles 
figures,  les  longs  trumeaux  de  marbre  sont  ornés  de  chutes  d'armes  en 
bronze   doré   d'or    moulu,  qui  comptent   parmi  les  plus   précieux   chefs- 


LE    CHATEAU    DE    LOUIS   XIV 


41 


dœuvre  de  la  ciselure  au  xvii°  siècle.  Il  y  a  vingt-quatre  de  ces  trophées, 
dont  douze  dans  la  Galerie  des  Glaces,  qui  sont  dus  à  Torfèvre  Ladoireau, 
et  pour  lesquels  les  sculpteurs  Buirette  et  Lespingola  ont  fourni  six 
modèles,  quatre  fois  répétés  ^le  sixième  toutefois  avec  de  nombreuses 
variantes).  Chose  étrange,  les  six  trophées  du  salon  de  la  Guerre  ne 
furent  posés  qu'en  1701,  et  les  dix-huit  autres  en  1704. 


Salon  de  la  Guerre.  Décor  de  Covzevox. 


Colbert  n'avait  point  vu  l'achèvement  de  ces  grands  ouvrages.  Il  était 
mort  en  1683,  après  avoir  vainement  essayé  d'assurer  à  son  trop  jeune 
fils,  le  marquis  d'Ormo}^  la  survivance  de  sa  charge  de  surintendant  des 
Bâtiments.  C'est  Louvois  qui  a  la  fortune  d'assister  à  l'inauguration  de 
la  Galerie  et  des  deux  salons,  c'est  lui  qui  termine  le  Château  jDar  la 
construction  de  l'aile  du  Nord. 

L'aile  du  Midi,  que  l'on  appelait  la  Grande  aile,  était  achevée 
dès  1682,  et  le  Roi  y  avait  distribué  les  logements.  L'aile  du  Nord  n'est 
commencée  que  deux  ans  plus  tard,  et  ce  n'est  guère  qu'en  1689  que  se 
développera  l'immense  façade  dans  sa  régularité  définitive,  et  qu'on 
pourrait    dire    désespérante,   si    les    niveaux    différents    des  jardins,  les 


42  VERSAILLES 

masses  des  arbres  et  surtout  les  bassins  aux  reflets  mouvants  n'en 
variaient  les  aspects  à  l'infini.  .Alais  onchercheen  vain  quelque  ouverture 
à  ces  murailles  si  uniformément  rejointes,  et  l'on  ne  peut  se  défendre  de 
trouver  de  la  justesse  à  la  critique  acerbe  et  pittoresque  de  Saint-Simon: 
«  Du  côté  de  la  cour,  l'étranglé  suffoque,  et  ces  vastes  ailes  s'enfuient 
sans  tenir  à  rien.  Du  côté  des  jardins,  on  jouit  de  la  beauté  du  tout 
ensemble,  mais  on  croit  voir  un  palais  qui  a  été  brûlé,  où  le  dernier  étage 
et  les  toits  manquent  encore.  ))  La  critique  semblait  même  plus  valable 
jusqu'à  ces  dernières  années,  où  l'on  a  commencé  de  rétablir  au  long  des 
balustrades  les  trophées  et  les  vases  c[u'avait  supprimés  Napoléon  I*^'', 
pour  s'en  épargner  la  restauration. 

La  décoration  sculpturale  des  deux  ailes  ne  vaut  pas  celle  du  centre 
du  Château.  On  y  sent  une  exécution  plus  hâtive,  bien  que  les  Comptes 
des  Bâtiments  mentionnent  parmi  les  artistes  qui  v  ont  travaillé  presque 
tous  les  sculpteurs  occupés  à  Versailles.  Il  faut  dire  que  les  restaurations 
récentes  ont  remplacé  par  des  copies  modernes  une  bonne  partie  des  clefs 
des  croisées  et  des  trente-deux  statues  de  pierre  représentant  les  Cluses, 
les  Vertus  et  les  Sciences,  debout  sur  les  quatre  avant-corps  à  huit 
colonnes  de  l'aile  du  .^lidi.  Les  statues,  en  pareil  nombre,  de  l'aile  du 
Nord,  qui  représentent  les  Arts,  les  Lettres  et  les  Saisons,  doivent  être 
bientôt  aussi  restaurées. 

L'organisation  du  31usée,  au  Xix-  siècle,  détruira  toutes  les  disposi- 
tions intérieures  des  deux  ailes,  ne  laissant  subsister  que  les  longues 
galeries  de  pierre  qui  desservaient  les  appartements  du  côté  du  levant. 
Là  descendaient  les  innombrables  escaliers;  là  s'abritaient,  sous  la 
courbe  des  arcades,  les  plus  humbles  et  nécessaires  offices;  ces  galeries, 
aujourd'hui  nécropoles  de  statues  tombales  et  de  bustes  monotones, 
furent,  durant  l'ancienne  monarchie,  à  l'intérieur  du  grand  Château,  la 
rue,  avec  ses  immondices  et  toutes  ses  odeurs,  qui  refluaient  au  plus  loin- 
tain des  chambres. 

Vers  les  jardins,  le  rez-de-chaussée  et  le  premier  étage  appartiennent 
aux  princes  du  sang;  les  courtisans  occupent  de  nombreux  appartements, 
pour  la  plupart  installés  dans  les  corps  de  bâtiments  parallèles,  du  côté 
de  la  ville,  ou  dans  les  pavillons  qui  rejoignent  les  premiers  corps.  Tristes 
logements  et  peu  salubres,  aux  entresols  étroits  et  sombres  ;  mais  on  est 
à  Versailles,  proche  du  souverain;  on  quête  une  parole,  un  sourire,  et 
cela  excuse  les  pires  incommodités.  xV  peine  savons-nous  aujourd'hui  où 
logèrent  Saint-Simon  et  Dangeau,  celui-ci  vers  le  milieu  de  l'aile  du 
Nord  au  premier  étage,  celui-là  dans  l'attique  du  31idi.  L'escalier  même 


LE   CHATEAU    DE   LOUIS  XIV 


^13 


qui  donne  accès  dans  l'aile  du  3lidi,  et  c[ui  est,  après  lEscalier  de  la  Reine, 
rentrée  la  plus  fréquentée  du  Château,  sera  cruellement  mutilé  par  Tar- 
chitecte  de  Louis-Philippe,  c[ui  doit  lui  imposer  un  hideux  plafond  à 
rosaces,  et  mêler  des  placages  de  stuc  à  ses  nobles  Vjas-reliefs  de  pierre. 
Lorsque  Louis  XIV,  en  février  i68g,  reçut  à  Versailles  le  roi  d'Angle- 
terre Jacc|ues  II  et  lui  montra  toutes  les  merveilles  de  son  Château  et  de 
ses  jardins,    il   ne   man([ua  pas   de  lui   faire  visiter,  au  rez-de-chaussée, 


L'aile  du  Midi,  du  côté  de  la  Pièce  d'eau  des  Suisses. 


Tappartement  du  Dauphin,  qui  occupait,  vers  le  Midi,  un  espace  égal  à 
celui  que  tenait  au  Nord  Tappartement  des  Bains.  Avec  ses  lambris 
d'ébène  incrustés  de  cuivre,  son  plafond  de  31ignard,  ses  meubles  de 
Boulle,  la  profusion  de  miroirs,  de  vases  précieux  et  de  tableaux  des 
plus  excellents  maîtres  dont  il  était  orné,  il  formait  comme  un  raccourci 
des  splendeurs  écrasantes  que  Ton  rencontrait  au  premier  étage,  et 
dont  il  semble  impossible  de  donner  une  description  suivie.  Le  grand 
trône  d'argent,  dressé,  parmi  les  torchères  et  les  girandoles  d'ar- 
gent, sur  une  estrade  et  sous  un  dais  de  tapisserie  à  fond  d'or, 
emplit  de  son  éclat  le  salon  d'Apollon  ;  au  salon  de  Mercure,  une  estrade 
de  marqueterie,  protégée  par  une  l^alustrade  d'argent,  supporte  le  lit  de 


44  VERSAILLES 

parade,  dont  le  Roi  ne  se  sert  plus;  et  sur  les  tentures  de  velours 
cramoisi  brillent  doucement  des  merveilles  de  peinture.  Rubens  avec  sa 
Thomyris,  Titien  avec  son  Ensevelissement  du  Christ,  sont  voisins  des 
Bolonais  chers  à  Le  Brun  et  à  31ig-nard;  du  Guide,  voici  les  Travaux 
iT  Hercule,  et,  du  Dominiquin,  le  David,  que  Ion  tient  alors  en  particu- 
lière estime,  puisqu'il  passera  en  1701  de  la  salle  du  trône  dans  la 
chambre  du  Roi.  Les  mêmes  meubles  d'argent  sont  partout,  aux  salons 
de  Mars,  de  Diane,  de  Vénus.  Six  portraits  de  Titien,  Va.  Sainte  Famille 
et  les  Pèlerins  d'Euiinai'is  de  Véronèse,  décorent  le  salon  de  Mars,  où 
Ion  donne  le  jeu,  le  bal  et  les  concerts;  on  joue  au  billard  dans  le  salon 
de  Diane,  où,  sur  un  tapis  de  marbre  coloré,  trône  le  buste  du  Roi  par 
Bernin,  tout  de  faste  et  d'orgueil  dans  les  plis  de  sa  draperie  tourbillon- 
nante. Les  sculpteurs  Mazeline  et  Jouvenet  lui  ont  fait  un  admirable 
piédouche  qu'encadrent  des  trophées  de  bronze;  et  des  amours  de  bronze 
soutiennent  une  couronne  dans  les  airs;  c'est  une  apothéose  qui,  pour 
n'ax'oir  pas  été  inventée  par  Le  lirun,  n'en  est  pas  moins  séduisante  et 
parfaite.  Les  salons  de  Vénus  et  de  l'Abondance  sont  destinés  à  la  colla- 
tion et  aux  rafraîchissements.  Et  Félibien  nous  apprend  encore  que  la 
tenture  et  l'ameublement  de  toutes  ces  salles  varient  selon  les  saisons  : 
en  hiver,  ce  sont  les  velours  verts  et  les  velours  de  feu  que  l'on  y  emploie; 
en  été,  les  brocards  à  fleurs  d'or,  d'argent  et  de  soies  de  toutes  couleurs. 
Que  l'on  imagine  là,  aux  heures  d'appartement,  c'est-à-dire  de  réception, 
les  merveilleux  habits  des  courtisans,  les  broderies  d'or,  les  diamants,  les 
pierreries  ;  que  l'on  songe  à  la  visite  du  doge  de  Gènes  ou  à  celle  des 
ambassadeurs  de  Siam,  en  1685  et  1686,  et  voici  que  toute  la  prodigieuse 
féerie  s'anime,  s'empresse  et  se  prosterne  devant  la  vivante  idole,  le  dieu 
qui  d'un  mot  l'a  créée,  comme  il  la  peut  détruire. 

Des  pièces  plus  secrètes,  au  long  de  la  cour  Ro3'ale,  font  retour  vers 
le  centre  du  Château.  Là  sont  accumulés  d'inestimables  trésors,  la  fleur 
des  riches.ses  du  Louvre.  Le  Cabinet  des  médailles,  ou  des  raretés,  tran.s- 
féré  à  Versailles  en  1684,  y  demeurera  jusqu'en  1741.  On  y  pénètre  par 
le  salon  de  l'Abondance,  et  il  n'y  a  point  d'autre  issue.  C'est  une  pièce 
octogone,  toute  d'or  et  de  glaces.  Un  grand  bureau  par  Oppenord,  et 
douze  armoires  basses  en  bois  violet  contiennent  les  médailles  et  les 
pierres  gravées;  ces  armoires  sont  placées  au-dess(nis  de  vingt-quatre 
tableaux  des  plus  grands  maîtres,  Raphaël,  Lé(3nard,  Véronèse,  André 
del  Sarte,  3Iantègne,  Van  Dyck,  Holbein,  Claude  Lorrain,  parmi  des 
bustes  de  porphyre. à  draperies  de  bronze  doré,  que  supportent  des 
piédestaux  d'ébène  travaillés  par  Cucci.  Plus  loin,  par  le  palier  de  l'Esca- 


E   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV 


lier  des  Ambassadeurs,  on  pénètre  dans  la  Petite  Galerie,  décorée  par 
Mignard,  quia  été  commencée  en  1685  sur  l'emplacement  des  chambres 
occupées  par  JM'""  de  Montespan  ;  Tancienne  favorite  ayant  obtenu  du 
Roi,  par  compensation,  l'appartement  des  Bains,  au  rez-de-chaussée.  On 
traverse  le  salon  ovale  pour  entrer  au  cabinet  des  agates  et  des  bijoux, 
où  sont  nombre  d'objets 
précieux,  au j  o  u  r  d'h  u  i 
exposés  au  Louvre,  dans 
la  galerie  crApoUon . 
lùifin,  ])ar  le  cabinet  du 
Billard,  le  cabinet  des 
Perruc|ues  et  le  cabinet 
du  Roi,  on  rejoint  le 
centre  du  Château,  où 
s'étalent  les  monuments 
les  plus  extraordinaires 
de  ce  luxe  que  Fénelon 
ne  craignit  point  d'ap- 
peler «  monstrueux  et 
in  curai  )le  ». 

Ce])endant,  lorsque 
P  énelon  écrit  de  la  sorte 
à  Louis  XIV,  en  1693,  le 
luxe  de  Versailles  est 
singulièrement  appau- 
vri. Au  moment  oùl'apo 
théose  paraissait  com- 
plète, la  ligue  d'Augs- 
bourg  était  venue  ébran- 
ler l^rusquement  le  superbe  édifice  de  la  gloire  française;  les  désastres  du 
grand  règne  commençaient,  et,  le  Trésor  épuisé,  le  Roi  devait  parer  aux 
dépenses  imprévues  par  tous  les  expédients  :  il  fit  fondre  son  argenterie  à 
la  Monnaie.  Tous  les  chefs-d  œuvre  des  orfèvres  périrent;  de  Claude 
Ballin  et  de  tant  d'autres  il  ne  resta  guère  qu'un  nom;  de  leurs  fontes  et 
ciselures,  il  demeura  quelques  images,  peintes  ou  dessinées.  Nées  comme 
par  miracle  en  bien  peu  d'années,  ces  merveilles  disparurent  en  bien  peu 
de  jours.  La  décision  fut  absolue  et  sans  réserves,  venant  d'un  maître  aux 
yeux  de  qui  l'art  n'était  qu'un  instrunient  de  puissance,  et  qui,  confiant 
dans   sa  force  sans  limites,  crovait  n'abandonner  aux  menaces  des  flots 


Mignard,  par  Rigaud. 


46  \'  E  R  S  A I  r.  L  E  S 

tant  de  merveilles,  que  pour  en  faire  surgir,  la  tempête  passée,  de  plus 
étonnantes  encore.  Les  plus  fins  et  délicats  objets,  où  le  travail  était  tout, 
la  matière  insignifiante,  jusqu'aux  étoffes  d'argent,  furent  impit03'able- 
ment  jetés  au  creuset  en  même  temps  que  les  massives  balustrades  des 
alcôves,  les  caisses  d'orangers,  les  tables  ou  les  lustres.  C'était  l'anéantis- 
sement de  tout  un  grand  effort  de  l'art  français. 

Il  ne  lui  fut  point  donné  de  ressusciter.  Non  que,  la  crise  passée,  le 
Roi  ne  se  fût  occupé  de  remeubler  Versailles,  mais  son  goût  allait 
ailleurs.  Ce  bâtisseur  infatigable  était  tout  occupé  de  Trianonetde  3Iarly. 
Les  sages  remontrances  de  M™*"  de  3Iaintenon  n'y  pouvaient  rien.  Elle 
écrivait  en  1698  au  cardinal  de  Noailles  :  «  3Iarly  sera  bientôt  un  second 
Versailles.  Il  n'y  a  qu'à  prier  et  à  souffrir.  3lais  le  peuple,  que  devien- 
dra-t-il?  » 

Depuis  1684,  par  son  mariage  avec  le  Roi,  Al"'-  de  .Alaintenon  est  la 
souveraine  occulte  de  Versailles;  l'appartement  qu'elle  y  possède  (mala- 
droitement détruit  par  le  roi  Louis-Philippe  pour  l'organisation  du 
Musée)  comprend  quatre  pièces,  dont  une  seule,  le  grand  Cabinet,  conser- 
vera son  ancienne  forme.  La  chambre  à  coucher,  suivie  de  deux  anti- 
chambres (à  l'endroit  où  monte  aujourd'hui  l'escalier  de  lattique  Chimay  , 
était  éclairée  par  trois  fenêtres  donnant  sur  la  cour  Royale,  et  communi- 
quait de  plain-pied  avec  l'appartement  du  Roi  par  le  palier  de  l'Iîscalier 
de  la  Reine.  Pendant  la  longue  vieillesse  du  Roi,  aux  dernières  années 
de  splendeur  et  de  deuil,  la  vie  intime  de  la  monarchie  se  renferma  dans 
ces  étroites  murailles.  Saint-Simon  a  décrit  la  chambre  très  simple  de 
la  marquise  :  «  Entre  la  porte  de  l'antichambre  et  la  cheminée,  était 
le  fauteuil  du  Roi  adossé  à  la  muraille,  une  table  devant  lui  et  un  ployant 
autour  pour  le  ministre  qui  travaillait.  De  l'autre  côté  de  la  cheminée, 
une  niche  de  damas  rouge  et  un  fauteuil  où  se  tenait  M"-  de  .Alaintenon. 
avec  une  petite  table  devant  elle.  Plus  loin,  son  lit  dans  un  enfonce- 
ment... »  Le  grand  Cabinet  ser\-aiL  dans  l'intimité  de  salle  de  comédie 
et  de  concert;  les  deux  premières  répétitions  de  X'EstJicr  de  Racine  y  fu- 
rent données  en  1689  par  les  jeunes  actrices  de  Saint-Cyr;  la  duchesse  de 
Bourgogne,  en  1702,  y  joua  Athalic  devant  le  Roi;  et  lorsque,  par  un 
coup  de  foudre  inattendu,  la  mort  de  la  gracieuse  duchesse,  de  son  mari 
et  de  son  second  fils  ne  laissa  auprès  du  Roi  vieilli  et  abattu  que  le 
berceau  d'un  enfant  de  deux  ans,  ce  fut  là,  plus  que  jamais,  qu'il  vint 
chercher  à  sa  mélancolie  d'incertains  et  faibles  divertissements. 

Les  derniers  grands  changements  de  l'appartement  de  Louis  XIV 
sont   de  l'année    1701.   L'étiquette  minutieuse  qui   place    au  lever  et  au 


LE    CHATEAU    DE   LOUIS   XIV 


47 


coucher  du  Roi  deux  moments  solennels  de  la  vie  de  la  Cour,  a  fait 
de  la  chambre  du  lit  un  sanctuaire  dont  la  véritable  place  est  le  centre 
même  du  Château.  Pour  préparer  à  la  divinité  de  A^ersailles  un  autel  défi- 


Aï""-  de  iMciintenon,  par  Ferdinand  Elle. 


nitif,  Mansart  reçoit  Tordre  de  transformer  en  chambre  à  coucher  le  grand 
Salon  du  Roi,  tandis  que  Tantichambre  des  Bassans  et  la  chambre 
seront  réunies  en  une  seule  pièce.  Les  cabinets  du  Conseil,  des  Perru- 
ques et  du  Billard  seront  également  ou  reconstruits  ou  décorés  à  nouveau; 
il  est  inutile  d'en  parler,  ces  pièces,  telles  que  nous  les  voyons  aujourd'hui, 
datant  de  Louis  XV. 


48  VERSAILLES 

I/antichambre  nouvelle  prend  son  nom  du  vitrage  ovale,  ou  œil-de- 
bœuf,  percé  à  la  naissance  de  la  voûte  (que  Ton  a  fort  exhaussée)  du 
côté  du  Midi  ;  sur  la  paroi  qui  fait  face,  où  est  la  cheminée,  on  a  ménag-é 
(Ml  o-lace  une  ouverture  seml)lal)le.  Trois  portes  en  arcades  donnent  sur 
la  Galerie  des  Glaces,  une  sur  un  étroit  couloir  de  déo-agement  qui  conduit 
à  des  cabinets  intérieurs  (les  premiers  lambris  de  ce  passage  ont  gardé 
leur    décor  de  Vépoque  de   Mansart)  ;    deux  autres   portes   ouvrent    sur 


L'antichambre  de  l'Œil-de-Bœuf. 


l'antichambre  du  Roi,  la  dernière  enfin  sur  la  chambre  du  lit.  Ce  qui 
fait  l'originale  beauté  de  ce  salon,  c'est,  mieux  que  les  boiseries  très  fines 
mais  banales  de  Taupin,  Bellan,  Dugoulon  et  Le  Goupil,  la  frise  rampante 
que  Poultier,  Flamen,  Van  Clève,  Hurtrelle,  Lespingola,  Poirier  et 
Hardy  ont  modelée  en  stuc  doré  au-dessus  de  l'entablement.  «  Cette 
grande  frise  »,  dit  Félibien,  «  est  surmontée  d'une  autre  corniche  qui  forme 
deux  espèces  de  frontons  ronds  au-dessus  de  la  nouvelle  ouverture  de 
fenêtre  et  de  l'ouverture  feinte  qui  lui  est  opposée.  Chacun  des  frontons 
est  porté  par  deux  figures  de  jeunes  hommes  en  bas-relief,  et  le  reste  delà 
frise  à  fond  blanc  est  enrichi  de  roses  et  de  compartiments  en  façon  de 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV 


49 


réseaux  d'or  ;  et  il  y  a  sur  cette  riche  mosaïque  quantité  défigures  en  bas- 
relief  aussi  toutes  dorées  qui  représentent  des  enfants  de  grandeur 
naturelle  ;  plusieurs  semblent  s'occuper  à  courir  après  des  oiseaux,  à 
dompter  des  lions  et  d'autres  bêtes  farouches  ;  d'autres  s'exercent 
à  sauter,  à  danser,  à  manier  diverses  armes  ;  quelques-uns  sont  portés 
comme  en  triomphe.  Les  corniches  sont  toutes  dorées  et  celle  de  dessous 
a   des    modillons  dont  chaque  intervalle  est  rempli  d'une  médaille  avec 


La  chambre  du  Ro 


des  festons  de  fleurs  et  des  branches  de  palmes  et  de  laurier.  » 
Jamais  encore  rien  d'aussi  souple  et  varié  n'avait  paru  dans  l'art 
majestueux  et  un  peu  lourd  du  XVIT  siècle  français.  On  ne  peut  s'empê- 
cher de  songer,  devant  tant  de  grâce  vivante,  aux  rondes  et  aux  groupes 
d'enfants  que  les  premiers  sculpteurs  de  la  Renaissance  italienne,  un 
Donatello  ou  un  Luca  délia  Robbia,  ont  inventés  deux  siècles  et  demi 
plus  tôt.  L'exécution  sans  doute  est  fort  loin  de  valoir  celle  des  grands 
maîtres  italiens,  et  la  collaboration  de  tant  d'artistes  y  introduit  une 
fâcheuse  inégalité  ;  mais  le  sentiment  très  juste  de  la  vivacité  et  delà  joie 
de  l'enfance,  que  l'on  peut  reconnaître  déjà  en  de  nombreuses  sculptures 

4 


50  VERSAILLES 

des  jardins,  soutient  et  entraîne  un  décor  si  heureusement  conçu  et  pro- 
portionné ;  et  c'est  avec  un  secret  déplaisir  que,  l'œil  réjoui  par  une 
invention  toute  libre  et  spontanée,  on  retrouve,  en  pénétrant  dans  la 
chambre  du  Roi.  des  boiseries  sans  d(Hite  admirables,  mais  dont  on 
connaît  déjà  la  formule. 

Le  lit  du  Roi,  sur  une  estrade,  est  adossé  au  mur  ([ui  touche  la 
Galerie  des  Glaces,  et  dont  les  arcades  ont  été  bouchées  avec  de  la 
brique.  Un  grand  cintre  surbaissé,  qui  le  domine,  est  tout  rempli 
d'un  décor  en  stuc  doré  :  des  Renommées  sont  assises  aux  extrémités,  et, 
dans  le  milieu,  des  amours  écartent  les  rideaux  d'un  pavillon  où  la 
France  majestueuse,  avec  la  couronne  et  le  sceptre,  trône  parmi  des  tro- 
phées d'armes.  Cette  belle  sculpture  est  de  Nicolas  Coustou.  Il  ne 
semble  pas  que  les  autres  parois  de  la  chambre  aient  été  refaites  à  ce 
moment  ;  seules  les  glaces  sont  renouvelées  et  portent  à  leur  sommet 
un  vase  de  fleurs  entre  deux  petits  génies  ailés,  des  zéphires  de  propor- 
tions trop  fortes'.  Il  y  a.  au  chambranle  des  portes,  quatre  tableaux 
ovales,  dont  deux  peints  par  Van  D3^ck;  ils  seront  remplacés,  au  temps 
de  Louis-Philippe,  par  des  portraits  de  Louis  XIII  et  d'Anne  d'Autriche, 
du  duc  et  de  la  duchesse  de  Bourgogne.  Dans  l'attique  qui  règne  au- 
dessus  de  la  corniche  sont  encastrées  six  toiles  de  ^'alentin,  dont  quatre 
représentent  les  Evangélistes.  La  coupole  de  la  voûte  n'a  jamais  été 
peinte.  L'n  saint  Jean,  attril^ué  à  Raphaël  (que  possède  le  Musée  de 
Mai-seille"_ ,  et  le  David  de  Dominiquin  devenu  du  Louvre  à  Versailles), 
sont  fixés  sur  la  tapisserie  de  l'alcôve,  aux  deux  côtés  du  lit. 

Il  ne  sera  pas  inutile  de  rappeler,  —  bien  qu'il  suffise  d'un  coup 
d'œil  pour  s'en  assurer  —  que  le  lit  exposé  aujourd'hui  dans  la  célèbre 
chambre  n'est  qu'une  mauvaise  et  inexacte  reconstitution  tentée  d'après 
les  indications  et  souvenirs  du  roi  Louis-Philippe.  Le  lit  original  était  à 
colonnes,  comme  on  peut  le  voir  par  une  petite  peinture  encastrée,  tout 
près  de  la  chambre  à  coucher,  dans  une  des  murailles  de  l'antichambre 
du  Roi.  Ce  qui  est  authentique  ici,  c'est  d'abord  la  balustrade  en  bois  doré 
(qui  doit  reproduire  l'aspect  des  balustrades  d'argent  fondues  en  i6g0;.  puis 
la  tenture  de  la  housse  et  du  dais,  formée  de  morceaux  mal  assortis,  mais 
anciens,  provenant  peut-être  du  lit  de  parade  du  salon  de  Mercure  (les 
compositions  mythologiques  en  auraient  été  brodées  par  Simon  Delobel, 
valet  de  chambre  et  tapissier  du  Roi},  enfin  la  merveilleuse  courte-pointe 
en  dentelle,  aux  chiffres  enlacés  de  Louis  XIV  et  de  3larie-Thérèse, 
exécutée  vers  1682  pour  le  lit  même  de  la  Reine.  Ce  lit  du  Roi  Soleil, 
qui  reçoit  du    soleil  levant    ses  premiers  rayons,  qui  est  le  témoin  des 


LK   CHATEAU   DE   LOUIS   XIV  ,i 

audiences  solennelles,  et  oblig-e  à  la  révérence  les  plus  hautes  dames  et 
les  princesses  du  sang-,  contiendra,  au  matin  du  i"  septembre  17  15,  la 
dépouille  gangrenée  du  créateur  de  Versailles. 


Louis  XIV  en  1706,  cire  d'Antoine  Benoist. 


Les  Grandes  Eaux. 

CHAPITRE  II 

LES   JARDINS 


En  même  temps  que  le  Château  se  développait  avec  la  belle  régularité 
d'un  organisme  vivant,  les  jardins,  parallèlement  accrus,  lui  donnaient 
l'achèvement  de  sa  couleur  par  les  jeux  de  l'air  et  de  la  lumière,  le  com- 
plément de  ses  lignes  par  la  profondeur  des  horizons.  Les  arbres  et  les 
fleurs,  le  gazon  où  le  sable  des  allées,  et  les  eaux  vives  ou  dormantes  des 
bassins  obéissaient  à  la  même  loi  que  les  pierres  du  grand  édifice.  Nulle 
part,  à  une  époque  où  l'architecture,  comme  il  devrait  toujours  être,  tint 
le  pas  sur  les  autres  arts,  on  ne  vit  plus  éclatant  exemple  du  servage  de 
la  nature.  La  terre  était  ingrate,  de  fécondité  médiocre,  pourrie  par  les 
eaux  stagnantes  ;  mais  cette  longue  plaine  monotone  qui  paraissait,  à 
l'opposé  de  Paris,  devant  le  Château  royal,  s'encadrait  harmonieusement, 


LES   JARDINS  53 

à  droite  et  à  gauche,  de  douces  collines  boisées  :  ce  furent  les  limites 
du  parc  de  Louis  XIV.  Aujourd'hui  encore,  lorsque  de  la  terrasse  du 
Château  ou  des  fenêtres  de  la  Galerie  des  Glaces  le  regard  plane  sur 
Timmense  étendue,  il  se  repose  dans  l'espace  et  se  baigne  dans  la  lumière 
sans  que  rien  le  puisse  distraire  de  sa  contemplation  ;  de  larges  percées 
au  travers  des  arbres  conduisent  à  des  ouvertures  plus  larges  où  l'eau 
scintille  ;  et  partout  le  calme  et  le  silence  ;  voilà  la  pure  grandeur  et 
l'enchantement  de  Versailles,  dans  ces  jardins  mieux  achevés  pour  nous 
qu'ils  ne  furent  pour  Louis  XIV.  Car  le  temps  ici,  loin  de  détruire,  a  tout 
revêtu  de  splendeur;  les  profondes  allées  ombreuses  ont  remplacé  l'impi- 
toyable muraille  des  charmilles  ;  la  nature,  moins  torturée,  s'est  reprise  à 
sourire.  Rappelez-vous  les  paroles  de  Saint-Simon  sur  le  mauvais  goût 
d'un  parc  <(  dont  la  magnificence  étonne,  mais  dont  le  plus  léger  usage 
rebute...  On  n'y  est  conduit  dans  la  fraîcheur  de  l'ombre  que  par  une  vaste 
zone  torride,  au  bout  de  laquelle  il  n'y  a  plus,  oi^i  que  ce  soit,  qu'à  monter 
et  à  descendre  ;  et  avec  la  colline,  qui  est  fort  courte,  se  terminent  les 
jardins...  La  violence  qui  a  été  faite  partout  à  la  nature  repousse  et 
dégoûte  malgré  soi.  L'abondance  des  eaux  forcées  et  ramassées  de  toutes 
parts  les  rend  vertes,  épaisses,  bourbeuses  ;  elles  répandent  une  humidité 
malsaine  et  sensible,  une  odeur  qui  l'est  encore  plus.  Leurs  effets,  qu  il 
faut  pourtant  beaucoup  ménager,  sont  incomparables  ;  mais  de  ce  tout, 
il  résulte  ([u'on  admire  et  qu'on  fuit.  »  On  est  tenté,  à  certains  moments, 
de  souscrire  à  cette  condamnation.  ^Mais  quand,  sous  le  ciel  pâle  et  lumi- 
neux d'un  jour  d'automne,  marchant  sur  le  sable  rosé  du  grand  Parterre, 
au  long  de  ces  miroirs  liquides  où  se  reflètent,  parmi  la  nappe  glissante 
des  murailles  du  Château,  les  vertes  figures  de  bronze  noblement  couchées 
aux  margelles  de  marbre,  on  voit  tous  les  tons  de  l'or  et  de  la  flamme  se 
mêler  aux  feuillages  prêts  à  mourir,  et  les  blanches  statues  muettes  se 
pencher  au  bord  des  gazons,  ne  semble-t-il  pas  que  l'on  se  sente  vivre 
dans  un  rêve,  dans  l'idéale  résurrection  d'un  paysage  de  Poussin  ? 

Le  plan  de  Gomboust,  qui  nous  fait  connaître  à  la  date  de  1652  le 
petit  château  de  Louis  XIII,  reste  l'unique  monument  pour  nous  rensei- 
gner sur  le  premier  état  des  jardins.  Ce  que  nous  3'  devinons  se  borne 
à  un  parterre  de  «  broderie  »,  comme  on  disait  alors,  c'est-à-dire  des  pla- 
tes-bandes où  le  buis  taillé  et  les  fleurs  forment  d'ingénieuses  découpures, 
une  sorte  de  dentelle  qui  relève  le  manteau  du  sol.  Jacques  Boyceau,  qui 
fut  jardinier  de  Louis  XIII  à  Versailles,  a  laissé  dans  son  Traite  du  Jar- 
dinage (volume  somptueux  et  rarissime,   publié  après  sa  mort  en  1638) 


54 


VERSAILLES 


les  préceptes  selon  lesquels  fut  ])]anté  le  premier  parc  ;  ils  ne  diffèrent 
point  de  ceux  qui  règlent  depuis  le  xvi'  siècle  l'organisation  des  jar- 
dins «  de  plaisir  ».  Le  grand  artiste  que  Louis  XIV  arrache  à  Fouquet 
en  1661,  et  auquel  il  remet  le  soin  de  ses  jardins  avec  une  confiance  qui 
croîtra  d'année  en  année.  André  Le  Nôtre  tout  d'abord  ne  fera  que  suivre 


Vase  de  marbre,  par  Dugoulon. 


la  vieille  tradition,  telle  que  Boyceau  la  résume.  Dès  1665,  les  lignes 
principales  des  jardins  sont  tracées.  Elles  sont  délimitées,  des  deux  côtés 
d'une  grande  allée  centrale,  par  deux  avenues  obliques  s'ouvrant  en 
éventail  au  bas  et  à  quelc^ue  distance  de  la  terrasse.  D'autres  allées  s'en- 
tre-croisent  dans  l'intervalle  selon  la  plus  précise  géométrie,  de  façon  à 
déterminer  des  carrefours  et  des  bosquets  symétriques.  Sur  ce  premier 
tracé  l'on  plante   les    charmilles,  qu'il  faudra  constamment  renouveler. 


LES   JARDINS 


55 


Ces  murailles  de  verdure,  dont  la  hauteur  atteint  jusqu'à  huit  mètres, 
enferment  des  arbres  d'essences  variées.  On  va  chercher  à  Compiègne  et 
en  Flandre  des  ormes  et  des  tilleuls,  en  Normandie  des  ifs,  et  jusque 
dans  les  forêts  du  Dauphiné  la  sombre  verdure  des  épicéas.  Le  grand 
Parterre  n'a  que  des  compartiments  de  broderie  ;  à  sa  droite  et  en  contre- 
bas est  le  Parterre  de  gazon  ;  à  sa  gauche  le  Parterre  de  fleurs,  qui 
domine  la  première  Orangerie.  Une  épaisse  futaie  encadre  la  demi-lune 


Sphinx  et  Amour,  par  Sarraziii  et  Lerambert. 


OÙ  sera  le  bassin  de  Latone,  et  plus  loin,  entre  les  bosquets  de  la 
Girandole  et  du  Dauphin,  l'allée  Royale,  c^ue  l'on  appellera  plus  tard  le 
Tapis  Vert,  conduit  au  bassin  des  C5^gnes,  que  doit  remplacer  le  Cheir 
d'Apollon.  Les  jeux  d'eau  n'existent  pas  encore,  mais,  aux  carrefours  des 
allées  ou  à  Textrémité  des  points  de  vue,  les  bassins,  ou  rondeaux, 
apportent  de  la  lumière  au  milieu  des  jeunes  plantations  d'arbres. 

Et  déjà  rOlympe  a  envahi  les  jardins.  Jupiter  et  son  cortège  de  dieux 
et  de  déesses,  Pan  avec  ses  satyres  et  ses  nymphes  ont  surgi  au  milieu  des 
arbres,  et  se  mirent  aux  rustiques  bassins.  Ce  ne  sont  encore  que 
des  statues  ou  des  termes  de  pierre,  des  termes  surtout  à  la  mode  antique, 


56 


VERSAILLES 


bordant  le  Jardin  des  Fleurs  ou  le  Fer-à-Cheval,  comme  on  les  peut  voir 
à  Vaux-le-Vicomte.  Leraml^ert.  Houzeau,  Poissant  et  Buyster  sont  les 
auteurs  de  ce  premier  décor,  dont  les  estampes  seules  nous  conservent  le 
souvenir  ;  la  sculpture  [de  pierre,  trop  modeste,  va  céder  la  place  aux 
somptuosités  du  marbre  et  du  bronze. 


Vase  de  bronze,  par  Ballin. 


-  Une  fête  brillante,  offerte  par  Louis  XIV  aux  deux  reines,  ou  plutôt  à 
M'"' de  la  Vallière,  c'ui  en  était  la  secrète  héroïne,  rendit  illustres  les  jar- 
dins de  Versailles,  pendant  les  journées  des  7,  8  et  9  mai  1664.  L'ingé- 
nieur V.igarani,  metteur  en  œuvre,  avec  Le  Brun,  des  fêtes  de  P^ouquet, 
avait  organisé,  dans  le  goût  italien,  les  illuminations  et  les  feux  d'artifice, 
pour  accompagner  le  ballet,  inspiré  d'Arioste,  oi^i  le  Roi,  dans  le  rôle  de 
Roger,  échappait,  grâce  à. la  bague  d'Angélique,  aux  sortilèges  de  l'en- 
chanteresse  Alcine.    Ce  furent  les  Plaisirs  de  fl/c  cnchantcc,  dont  le 


LES   JARDINS  57 

succès  bruyant  hâta  peut-être  la  décision  du  Roi  de  transformer  Versailles, 
malgré  Colbert,  et  d'y  porter  le  Louvre  et  la  Cour. 

Les  jardins  furent  renouvelés  bien  avant  que  le  Château  ne  fût  prêt.  Ce 
c[ui  leur  manquait,  c'était  l'eau  vivante  et  jaillissante,  le  plaisant  murmure 
des  fontaines  qui,  dans  les  jardins  d'Italie,    accompagne  et   enchante  le 


Vase  de  bronze,  par  Ba 


promeneur.  Et  pour  créer  la  viedes  eaux,  dans  cette  plaine  d'eaux  mortes 
et  de  marécage,  il  fallait  un  miracle  de  volonté,  d'ingéniosité  et  de 
dépense.  Ce  n'était  pas  pour  retenir  Louis  XIV  ;  et  quelle  tentation  plus 
vive  cjuc  «  ce  plaisir  superbe  de  forcer  la  nature  »,  que  Saint-Simon  lui 
reproche  si  amèrement  !  Deux  artistes  révélés  encore  par  Fouciuet^  en 
même  temps  que  Le  Brun,  Le  Vau  et  Le  Nôtre,  François  et  Pierre  Fran- 
cine,  «  MM.  de  Franchine  «  ou  Francini,  car  ils  sont  eux  aussi  d'origine 
italienne,  de   cette    Florence  où  les  eaux  coulent  si  gaiement   dans    les 


58  VERSAILLES 

jairdins  des  Médicis,  ont  entrepris  rénorme  besogne  de  forer  tout  le  ]>aro, 
d"v  cacher  les  immenses  conduites  de  plomb,  l'infini  réseau  déveines  ([ui 
portent  Teau  des  lointains  réserx-oirs  jusc^u  aux  jjoints  où  elle  doit  surg-ir, 
de  la  gueule  des  monstres  ou  entrc^  les  mainsdes  amours  et  des  nymjihes. 
La  Pompe  et  la  Tour  d'eau  sont  construites  en  1(105  sur  les  bords  de 
l'étang  de  Clagny.  dont  elles  élèvent  l'eau  pour  la  transporter  dans  les 
réservoirs,  situés  alors  à  l'emplacement  exact  de  l'aile  du  Xord  du 
Château,  Tout  auprès,  à  l'endroit  où  sera  la  Chapelle,  on  commence  dès 
cette  époque  les  tra\-aux  du  ])lus  singulier  et  comjjlitiué  monument  dont 
la  fantaisie  royale  ait  enrichi,  ]jour  un  tem])s,  les  jardins  de  A'ersailles. 
La  Grotte  de  Thétis  est  Texemple  le  plus  fameux  de  ces  constructions 
en  rocaille,  dont  l'Italie  fournissait  les  modèles  à  la  P'rance,  il  n'y  avait 
pas  de  jardin  tant  soit  peu  riche  qui  ne  possédât  sa  grotte.  Celle-ci  était 
toute  à  la  gloire  du  Soleil,  dont  les  rayons  resplendissaient  en  barres  d'or 
sur  sa  tri})le  grille.  Au  dedans,  le  rocailleur  Delaunav  avait  modelé  et 
peint  les  plus  étranges  figures,  mêlées  au  chiffre  du  R(n  et  à  l'image  du 
vSoleil,  avec  delà  nacre,  du  c^trail,  les  coquilles  les  plus  variées.  Sur  la 
façade,  en  trois  bas-reliefs.  A"an  (  )pstal  avait  représenté  le  Soleil  au  terme 
de  sa  carrière,  rentrant  chez  Thétis,  parmi  les  divinités  marines  qui  l'ac- 
cueillent. 3lais  le  beau  groupe  d'Apollon  servi  par  les  nymphes,  de 
Girardon  et  de  Regnaudin.  ne  fut  installé  qu'en  1675  dans  la  grande  niche 
du  milieu,  ainsi  qu'à  droite  et  à  gauche,  en  d'autres  niches  de  rocaille, 
les  chevaux  sculptés  par  Gilles  Guérin  et  Gaspard  Marsy.  La  Fontaine, 
dans  sa  Psychc'\  a  joliment  décrit  l'amusement  des  effets  d'eau,  le  chant 
de  l'orgue  hydraulique  et  la  surprise  des  jets  inattendus  dont  les  visiteurs 
sont  trempés.  Que  n'a-t-il  pu  décrire  aussi  les  merveilles  plus  ingénieuses 
encore  qui.  durant  la  nuit  du  iS  juillet  1O68.  deux  mois  après  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle,  enchantèrent  le  Roi  et  la  Cour  !  Jamais  fête  plus 
extraordinaire  ne  fut  donnée,  où  la  comédie,  les  festins,  le  bal,  en  des 
salles  toutes  de  feuillages,  ou  de  marbres  précieux,  ou  de  tapisseries  plus 
précieuses  encore,  ne  formaient  que  le  prélude  de  la  féerie  qui  parut 
embraser  en  un  instant  le  Château  et  les  jardins  dans  un  tonnerre  et  un 
éblouissement  d'or,  d'argent  et  de  flammes. 

Après  1668,  on  peut  dire  que  tous  les  sculpteurs  français  sont  occupés 
à  Versailles.  Ils  préparent  pour  les  jardins  les  modèles  pénétrés  d'esprit 
italien  que  Charles  Le  Brun  dessine  sans  se  lasser,  d'un  crayon  ou  d'un 
pinceau  faciles.  Ces  modèles,  en  plâtre,  couverts  d'un  vernis  qui  leur 
donne  quelque  résistance,  sont  mis  en  place  et  attendent  que  le  Roi  en 
ait  décidé  l'exécution  en  métal  ou  en  marbre. De  grandes  commandes  ont 


LES   JARDINS  59 

été  faites  pour  le  décor  des  bassins,  qui  s'animent  et  se  colorent  défigures 
en  plomb  doré.  Les  premières  sont  des  frères  Marsy,  artistes  spirituels 
et  nerveux  dont  les  mollesses  académiques  n'ont  point  gâté  la  main.  Ils 
ont  décoré  le  bassin  du  Dragon  ^dont  les  plombs,  depuis  longtemps 
détruits,  ont  été  refaits,  il  y  a  peu  d'années,  par  M.  Tony  XoëF  et  le 
bassin  de  la  Sirène,  qui  domine  les  marches  du  Parterre  du  Nord,  et 
disparaîtra  bientôt  sans  être  rem])lacé.   I.erambert.  comme    eux   élève  et 


Le  bassin  de  Latonc 


continuateur  de  Sarrazin,  termine,  au-dessus  du  Fer-à-Cheval,  les  délicieux 
sphinx  de  marbre  chevauchés  par  des  amours  de  bronze  qui  seront  trans- 
portés un  peu  plus  tard  au-dessus  des  marches  du  Parterre  du  Midi  ;  et 
il  fait  pour  la  fontaine  du  Parterre  des  fleurs,  au-dessus  de  l'Orangerie, 
un  amour  de  bnjnze  tirant  une  flèche  d'eau  vers  le  ciel.  Il  n'y  a  pas 
d'autre  décor  sculpté  sur  la  large  terrasse,  livrée  alors  aux  maçons  et 
aux  tailleurs  de  pierre  qui  travaillent  à  la  grande  enveloppe  du  Chtiteau. 
Mais,  en  1670,  le  groupe  de  Latone  et  de  ses  enfants  assaillis  de  jets 
d'eau  par  les  paysans  de  Lycie  qu'elle  métamorphose  en  grenouilles, 
mêle,  au  rondeau  du  Fer-à-Cheval,  la  douce  couleur  des  marbres  blancs 
et  rosés  à  la  vivacité  de  l'or.  Les  vingt-ciuatre  grenouilles  sont  accroupies 
alors  sur  la  margelle  du  bassin,  au  lieu  que  la  restauration  moderne  les 


6o 


VER  SAILLIES 


tfansportera  vers  le  centre,  ce  qui  a  changé  les  effets  d'eau.  Cet  ensemble 
pittoresque,  complété  par  deux  fontaines  plus  pf.nites,  est  Toeuvre  la  plus 
heureuse  des  frères  Marsy.  Ba])tiste  Tubi,  cette  même  année,  leur  dis- 
pute les  applaudissements  de  la  Cour,  en  terminant  le  groupe  majestueux 
du  Char  d'Apollon,  la  plus  belle  œuvre  de  sculpture  monumentale  qu'il 
y   ail  aux  jardins  de    ^^ersailles.    Elle  complète,  sur  les   intlications  de 


Clifhc  Neui-dcia. 


Le  bassin  d'Apollon  et  le  Tapis  Vert. 


Charles  Perrault,  le  symbolisme  de  la  Grotte  de  Thétis  :  c'est  le  moment 
où  le  Soleil  jaillit  des  flots  pour  éclairer  le  monde.  D'immenses  gerbes 
d'eau  accompagnent  son  essor,  tandis  que,  assis  sur  son  char,  il  dirige 
d'une  main  légère  ses  chevaux  qui  hennissent  et  se  cabrent.  Des  tritons 
soufflent  dans  leur  conque  pour  annoncer  le  dieu  du  jour,  et  des  dau- 
phins fendent  l'eau  tumultueuse.  Le  gros  esprit  populaire  a  fait  du  puissant 
quadrige  «  le  Char  embourbé  » . 

Douis  XIV  vieillissant  écrivait  en  marge  d'un  devis  de  Mansart  :  «Il 
faut  de  l'enfance  répandue  partout  ».  Dès  le  premier  décor   des  jardins. 


LES   JARDINS 


6i 


les  jeux  de  Tenfance  furent  partout  à  Versailles,  mais  nulle  part  plus 
gracieux,  plus  jo3^eux  et  plus  naturels  que  dans  TAllée  d'eau,  qui  des- 
cend du  Parterre  du  Nord  jusqu'au  bassin   du  Dragon.  C'est  à  Claude 


Cliohé  Pamard. 


L'Allée  d'eau. 


Perrault  que  Ton  doit  la  délicate  invention  de  ces  groupes  d'enfants, 
trois  par  trois  réunis  au-dessous  de  vasques  de  marbre  d'où  jaillit  un 
bouillon  d'eau  ;  Le  Brun,  après  divers  essais,  en  arrêta  le  dessin.  Il  y  a 
en  tout  onze  groupes,  qui  S3  répètent  exactement  de  chaque  côté  de  l'Allée. 
Ce  sont  de  petits  tritons  et  de  petits  faunes,  de  Le  Gros  ;  des  amours  qui 
dansent  et  jouent  de  la  musique,  de  Lerambert  et  Le  Hongre  ;  de  petits 


62 


VERSAILLES 


termes,  de  Leramliert  encore  ;  puis  des  entants  qui  pèchent  et  qui  chassent, 
de  Mazeline  ;  d'autres  qui  ont  un  air  pensif  et  des  fillettes  qui  tiennent 
des  oiseaux,  de  Buirette.  lù  tous  expriment  leur  surprise  et  leur  joie  de 
voir  l'eau  déborder  en  j^luie  de  la  \'asque  de  marbre  qui  les  abrite  ;  ils  se 
trémoussent  sous  la  pluie  joyeuse,  ils  s'y  baignent  en  riant,  ils  en  laissent 
filtrer  les   gouttes  entre  leurs  doigts.   Les  bronzes,  qui  sont  d"une  fonte 


Le  bassin  de  Cérès,  par  Regnaudin. 


et  d'une  patine  merveilleuses,  ont  remplacé,  en  1688,  les  figures  de  plomb 
fondues  vingt  ans  plus  tôt. 

L'illustre  Girardon  est  l'auteur  de  cette  charmante  Pyramide,  composée 
de  vasques  superposées,  soutenues  par  des  tritons  et  des  amours,  qui 
domine  et  alimente  l'Allée  d'eau.  Il  a  ménagé  plus  bas,  et  à  la  lète  même 
de  l'Allée,  un  bassin  où  tombe  une  nappe  d'eau  qui  couvre  «comme  d'un 
voile  d'argent  »,  selon  l'expression  de  Félibien,  le  délicieux  bas-relief  du 
Bain  des  n3miphes  ;  sur  ces  corps  jeunes  et  souples,  les  traces  usées  de 
l'ancienne  dorure  laissent  aux  plombs  l^aignés  d'eau  un  ton  vivant  et 
coloré.  Quant  aux  deux  bassins  des  Couronnes  ou  des  Sirènes,  que  l'on 
voit  au  Parterre  du  Nord,  en  symétrie  avec  la  Pyramide,  ils  ont  des  figures 
de  plomb  toutes  modernes. 


LES   JARDINS  63 

D'autres  jeux  d'eau  se  cachent  au  carrefour  des  charmilles  :  ce  sont 
les  bassins  des  Saisons,  construits  et  décorés  de  1672  à  1679.  A  droite  du 
Tapis  A^ert  sont  Cérès  et  Flore,  de  Regnaudin  et  de  Tubi  ;  à  gauche 
Bacchus  et  Saturne,  de  .Marsy  et  de  Girardon.  11  faut  l'eau  jaillissante 
pour  en  comprendre  tout  le  charme.  Cérès,  faucille  en  main,  couchée  sur 
les  gerbes  de  blé,  se  rejette  en  arrière,  émerveillée   de    la  gerbe  liquide 


Le  bassin  de  Saturne,  par  Girardon. 


qui  jaillit  du  milieu  de  la  moisson,  et  dont  les  épis  retombent  en  blanche 
grêle  sur  l'escorte  joyeuse  des  amours.  La  jolie  Flore,  demi-nue  dans  les 
jonchées  de  roses,  sourit  à  l'ondée  rapide  qvii  bat  ses  fines  épaules  et  sa 
jeune  poitrine  ;  les  amours  près  d'elle  fléchissent  sous  l'averse  au  milieu 
des  fleurs.  Bacchus,  au  visage  mystérieux,  couronné  de  pampres,  assis 
parmi  les  grappes  amoncelées,  s'appuie  à  l'urne  où  il  presse  le  raisin  :  un 
flot  brusque  en  jaillit  ;  il  courbe  le  dos  sous  la  violence  du  jet  ;  l'eau 
s'égoutte  au  coin  de  ses  lèvres,  et  se  mêle  à  la  vendange  dont  s'eni\rent 
les  petits  faunes.  Saturne  enfin,  vieillard  robuste  qui  a  pris  au  Temps  ses 
grandes  ailes,  est  couché  sur  un  écueil  que  recouvrent  d'admirables 
coquilles  et  des  fruits  de  mer.  Autour  de  lui,  les  amours  gesticulent  et 
jouent  ;  l'un  tient  un  masque  comique,  un  autre  agite  un  soufflet  ;  ils  sont 


64  VERSAILLES 

fouettés  par  les  larges   gouttes  de  l'eau   blanche,    dont  la  fusée  monte, 
sous  le  couvert  des  arbres,  vers  un  coin  de  ciel  lileu. 

La  plus  amusante,  la  ])lus  italienne,  la  ])lus  l)erninesque  de  toutes  ces 
fontaines  est  celle  de  TEncelade,  située  dans  le  bas  des  jardins,  adroite 
du  bassin  d'Apollon.  Balthazar  31arsy  Ta  composée  en  1675.  On  voit  sous 
l'amas  des  rocs  de  grès  la  tète  colossale  et  la  poitrine  velue  du  Titan  qui 
se  soulève  avec  effort  ;  un  puissant  jet  (il  atteint  vingt-cinq  mètres^  sort  de 
sa  bouche  contractée,  et  de  ses  mains  à  fleur  d'eau,  et  des  rochers  qui 
l'écrasent,  jaillissent  avec  symétrie  une  quantité  de  jets  plus  courts. 

Grâce  à  la  pente  du  terrain,  l'on  pouvait  obtenir  en  ces  parties 
éloignées  du  Château  des  effets  d'eau  vigoureux  ;  mais  pour  les  terrasses 
la  pression  était  insuffisante.  Comment  lutter  avec  Chantilh*.  où  Condé 
installait  en  ces  années  mêmes  les  fontaines  dont  a  parlé  Bossuet,  «  qui 
ne  se  taisaient  ni  jour  ni  nuit  »  ?  «  Ces  merveilles  de  l'art  en  fontaines 
tarissaient,  »  écrit  Saint-Simon.  «  comme  elles  font  encore  à  tous  momens, 
malgré  la  prévoyance  de  ces  mers  de  réservoirs  qui  avaient  coûté  tant  de 
millions  à  établir  et  à  conduire  sur  le  sable  mouvant  et  sur  la  fange.  Oui 
l'aurait  cru  ?  Ce  défaut  devint  la  ruine  de  l'infanterie.  ^1""  de  .Alainte- 
non  régnait  ;  ...  31.  de  Louvois  alors  était  bien  avec  elle  :  on  jouissaitde 
la  paix.  Il  imagina  de  détourner  la  rivière  d'Eure  entre  Chartres  et  3lain- 
tenon,  et  de  la  faire  venir  tout  entière  à  Versailles.  Oui  pourra  dire  l'or 
et  les  hommes  que  la  tentative  en  coûta  plusieurs  années...  ?  La  guerre 
enfin  les  interrompit  en  1688  sans  qu'ils  aient  été  repris  depuis  ;  il  n'en 
est  resté  que  d'informes  monuments,  qui  éterniseront  cette  cruelle 
folie.  » 

Bien  avant  cette  tentative  désespérée  (ayant  même  hésité  un  moment 
à  quitter  Versailles),  le  Roi  cherchait  à  compenser  le  peu  de  force  des 
eaux  par  la  variété  et  la  singularité  de  leurs  effets.  A  gauche  de  l'Allée 
d'eau,  Francine  inventa  le  Berceau  d'eau,  où  les  jets  se  croisaient  avec 
tant  de  précision  qu'ils  formaient  une  voûte  liquide  sous  laquelle  on  se 
promenait  sans  être  mouillé.  Ce  décor  fut  bientôt  remplacé  par  celui  des 
Trois-Fontaines,  dont  les  cascades  successives,  mêlées  de  rocailles  et 
encadrées  de  bouillons  d'eau,  avaient  beaucoup  de  grâce.  De  l'autre  côté 
de  l'Allée  d'eau,  et  faisant  pendant  aux  Troi.s-Fontaines,  on  put  voir, 
iusqu'à  la  Révolution,  le  somptueux  bosquet  de  l'Arc  de  Triomphe,  dont 
les  ferronneries  et  les  plombs  dorés  furent  célèbres  ;  il  n'y  reste  plus 
qu'un  groupe  de  figures  presque  entièrement  refaites,  le  char  de  la 
France  triomphante,  par  Coyzevox  et  Tubi.  LTn  peu  plus  loin,  à  l'endroit 
où  sont  aujourd'hui  les  Bains  d'Apollon,  il  y  avait  la  plus  bizarre  inven- 


LES   JARIHXS  65 

tion  du  parc,  le  .Marais,  dont  on  disait  que  M'"-  de  .^lontespan  avait 
ordonné  les  dessins.  Un  arbre  de  bronze  y  jetait  l'eau  par  toutes  ses 
feuilles  de  fer-blanc,  et  les  roseaux  de  la  rive  répondaient  par  d'autres 
jets.  Deux  buffets  de  marbre  blanc  et  rouge  étaient  couverts  d'ajustages 
en   bronze   doré  d'où   jaillissaient  de   minces   na])pes    d'eau  pour   fiourer 


^:«P[ 


Le  bassin  de  la  Pyramide,  par  Girardon, 


tout   un  service   de  cristal,  aiguières,  verres,   carafes  et  vases  de   toute 
sorte.  Cette  fantaisie  coûteuse  dura  jusqu'en  1704. 

Une  précieuse  série  de  tableaux  conservés  au  .Musée  de  Versailles,  et 
qui  furent  commandés  par  T.ouis  XI Y  pour  décorer  ïrianon,  représente 
les  bosquets  subsistants  et  ceux,  non  moins  nombreux,  qui  ont  disparu. 
Vingt  et  un  de  ces  tableaux,  peints  par  Cotelle,  animent  de  mythologie 
cette  fausse  rusticité  :  Jupiter  et  Junon,  Apollon  et  Diane,  Vénus  avec 
ses  nymphes  et  ses  amours,  tout  un  Olympe  au  goût  du  temps  s'ébat 
dans  un  décor  de  théâtre.  A'oici,  dans  le  noml^re,  le  Théâtre  d  eau,  à 
l'endroit  où  se  trouve  aujourd'hui  le  Rond  vert,  la  Montagne  d'eau,  que 
remplacera  le  bosquet  de  l'Etoile,    le  Labyrinthe,    situé  de  l'autre   côté 

5 


66 


VERSAILTJ' S 


des  jardins,  et  qui  sera  replanté  en  1775,  pour  faire  le  Bosquet  de  la 
Reine.  Ce  Labyrinthe,  créé  dès  avant  1665.  décor  n(n'i  moins  nécessaire 
que  la   Grotte  dans    les  jardins    de   la    Renaissance,    est  meublé  par    I.e 


La  Montagne  d'eau,  peinture  de  Cotelle. 


Nôtre,  en  1673,  de  trente-neuf  bassins  enrichis  de  figures  en  plomb 
colorié,  qui  représentent  les  Fables  d'Esope.  Presque  tous  les  artistes 
emplo5'és  à  Versailles  ont  travaillé,  sous  la  direction  de  Le  Brun,  -à 
cet  ensemble  amusant  et  puéril,  dont  les  débris  assez  nombreux 
encore  montrent  Ténorme  dépense  de  talent  qui  se  fit  en  un  espace  si 
restreint.  Des   cartels   de   bronze,   où  étaient  gravés  en  lettres  d'or  des 


LES    [ARDIXS 


67 


quatrains  de  Benseracle,  expliquaient  aux  visiteurs  le  sujet  de  chaque 
fable  ;  à  l'entrée  du  Labyrinthe,  TAmour,  modelé  par  Tubi,  tenait  le  fil 
conducteur,  tandis  qu'un  Ésope,  de  Le  Gros,  spirituel  et  réaliste  avec  sa 
tète  de  nain  bouffon,  son  manteau  flottant  et  ses  chausses  tombantes, 
invitait  à  l'intelligence  de  ses  simples  allégories. 


Ésope,  par  Le  Gr 


D'autres  tableaux,  plus  réels,  de  J.-B.  .Martin  et  des  frères  iVUegrain, 
peuvent  nous  [intéresser  davantage.  Nous  y  voyons  le  Roi  et  sa  Cour^qui 
visitent  les  bosquets.  Ici  le  Roi  lui-même  explique  les  points  de  vue]  à 
quelque  notable  personnage,  comme  il  avait  accoutumé  de  faire  ;  là  de 
petits  groupes  se  forment  ;des  seigneurs  se  saluent  avec  de  profondes  révé- 
rences, ou  offrent  la  main  aux  dames,  ou  s'asseyent  avec  elles,  pour 
deviser  galamment,  sur  une  margelle  de  gazon.  Ailleurs,  c'est  encore  le 


68  VERSAILLES 

Roi,  plus  'dgé,  tiue  n')us  voyons  dans  sa  petite  voiture,  sa  roulette,  pour 
laquelle  des  pentes  sont  ménagées  au  milieu  des  degrés  de  marlore,  à  la. 
descente  des  terrasses.  Quel  joli  et  \i\ant  commentaire  des  récits  de  La- 
Fontaine  dans  sa  Psyrlir  .'et  (|ue  Ton  aime  se  ligurer  ainsi  les  quatre  amis- 
passant  dans  les  vastes  allées,  vers  le  soir,  au  moment  oi^i  Acante,  c'est- 
à-dire  Racine,  les  prie  «  de  considérer  ce  gris  de  lin,  ce  couleur  d'.Vurore, 
cet  orangé  et  surtout  ce  pourpre,  qui  environnent  le  roi  des  astres  ». 
Mais  ces  tableaux  ne  prennent-ils  i)as  une  vie  plus  forte  encore,  et  plus 
voisine  de  nous,  si  nous  a\'ons  lu,  ])our  les  commenter,  l'Itinéraire  tracé 
par  le  Roi  lui-même  à  Tusage  des  visiteurs,  et  dont  il  existe,  à  la  Biblio- 
thèque Nationale  de  Paris,  un  exemplaire  écrit  et  raturé  de  sa  main, 
avec  des  copies  calligraphiées?  La  ])lus  ancienne  de  ces  feuilles  qui 
enseignent  la  Manière  de  voir  le  Janlin  de  Veisailles  est  datée  du 
(j  juillet  lùSg,  à  6  lieures  du  soir  ;  elle  est  très  brève.  Les  autres,  com- 
posées c[uelc[ue  dix  ou  douze  ans  plus  tard,  donnent,  point  par  point,  les 
plus  minutieuses  instructions.  lùi  \-()ici  quelques  détails  : 

Jîn  sortant  du  chasteau,  par  le  vestibule  de  la  Cour  de  marbre, 
on  ira  sur  le  terrain  ;  //  t'aut  s'arrester  sur  le  haut  des  degre^  pour 
considérer  la  situation  des  pa/derres  des  pièces  d'eau  et  les  fontaines 
des  Cabine/s. 

Il  faut  ensuite  aller  droit  sur  le  liant  de  Latonne  et  faire  une  pause 
pour  considêi-er  Latonne,  les  lé;ars,  les  rampes,  les  statues,  lallée 
royale,  l'Apollon,  le  canal,  et  puisse  tourner  pourvoir  les  parterres 
et  le  chasteau . 

Il  faut  ap/'ès  tourne/-  à  gauche  pour  aller  passer  entre  les 
Sphinx  ;...  et  après  ou  ira  droit  sur  /<■  haut  de  f  Orangerie,  d'où 
l'on  verra  le  parterre  des  orangers  et   le  lac  des  Suisses. 

On  doit  ensuite  visiter  LOrangerie,  le  Labyrinthe,  et,  passant  par 
Bacchus,  voir  la  Salle  de  bal,  charmant  amphithéâtre  de  rocailles  dont 
les  jets  d'eau  ont  été  très  soigneusement  rétablis  ^en  1876).  Ce  sont  de 
gros  bouillons  et  des  jets  raides  et  blancs  comme  des  cierges,  mêlés  au 
chatoiement  des  petites  nappes  qui  ondulent  entre  les  bassins  de  roches. 
De  magnificj^uestorchères  deplomb,  restées  en  place,  recevaient  des  giran- 
doles pour  éclairer  les  fêtes  de  nuit. 

].e  Roi  recommande  d'aller  j// /)o////  de  vue  du  bas  de  Latonne.  C'est 
de  là  que  ra^'onnent  les  grandes  allées  du  parc,  et  que  Ion  aperçoit  tout 
ensemble  les  plus  C(Misidérables  effets  d'eau. 

On  descendra  par  la  girandole  (c'est  maintenant  le  quinconce  du 
]A.\(l\)qif  enverra  en  passant  pour  aller  à  Saturne, on  en  fera  le  demi- 


LES   JARDINS  69 

tour  et  l'on  ira  a  V islc  royallc.  Cette  Ile  Royale,  qui  s'appela  dans  la 
suite  rile  crAmour,  a  été  peinte  par  .Martin  ;  alxmdonnée  sous  la  Révo- 
lution   et    devenue    un     marais    affreux    et    puant,    elle    fut    remplacée, 


La  salle  des  Festins,  peinture  de  J.-B.  Martin. 


en  1817,  sur  l'ordre  de  Louis  XVIII,  par  le  charmant  jardin  anglais,  le 
Jardin  du  Roi,  dont  les  vertes  pelouses  et  les  arbres  rares  forment  un 
paysage  d'une  parfaite  fraîcheur.  Seul,  le  Miroir,  ou  A'ertugadin,  séparé 
de  nie  Royale  par  une  chaussée,  reflète  toujours  les  marbres  et  les  char- 


70  VERSAILLES 

milles  dans  ses  eeiux  profondes  que  peuplent  des  carpes  en  nombre  infini. 
Après  on  ira  jusqiics  à  la  petite  allée  qui  va  à  r Apollon,  et  Von 
entrera  à  la  galerie  par  en  bas.  Cette  Galerie  d'eau,  ou  Cabinet  des 
Antiques,  que  nous  représente  un  des  tableaux  de  Martin,  enfermait 
vingt-quatre  statues    séparées   par  des   jets    dVau  :   le    Roi    la    détruisit 


Le  Parterre  du  Nord,  peinture  de  G.  Allegrain. 


en  1704  pour  en  faire  la  Salle  des  3Iarronniers,  qui  subsiste  encore, 
mais  dépouillée  du  treillage  de  chèvrefeuille  dont  elle  était  entièrement 
couverte. 

De  là  on  se  rend  à  la  Colonnade,  à  TApoUon  et  au  Canal,  où  Ion 
peut  s'embarquer  pour  ïrianon  et  la  ^lénagerie  ;  on  visite  les  Bains 
d'Apollon  (c'est-à-dire  le  Bosquet  des  Dômes  i,  l'Encelade,  la  Salle  du 
Conseil  ou  des  Festins  'qui  occupe  l'emplacement  actuel  de  l'Obélisque), 
Flore  et  la  Montagne  d'eau,  Cérès  et  le  Théâtre  d'eau,  le  Marais,  les 
Trois  Fontaines,  le  Dragon,  Neptune  et  l'Arc  de  Triomphe.  On  montera 
par  l'Allée  des  Enfants,  non  sans  s'être  retourné /)0//r  voir  d'un  coup 
d'œil  tous  les  iets  de  Neptune  et  du  Dragon. 


LES   JARDINS 


71 


On  passera  après  à  la  Piramidc,  où  l'on  sarrcstcra  un  moment,  et 
après  on  remontera  auchastean  par  le  degré  de  marbre  qui  est  entre 
VEsguiseiir  et  la  Vènushonteuse ;onse  tourner asur  le  haut  du  degré 
pour  voir  le  parterre  du  Nord,  les  statues,  les  vases,  les  eouronnes, 
la  Piramide,  et  ce  que  Von  peut  voir  de  Neptune,  et  après  on  sortira 
du  Jardin  par  la  même  porte  par  oit  Von  est  entré. 


Le  Parterre  du  Nord. 


Tel  est  ce  petit  (iiiide  rédig'é  par  Louis  XIV,  tout  rempli,  entre  les 
lig-nes,  d'une  immense  vanité  d'auteur.  Il  est  donc  terminé,  ce  chef- 
d'œuvre  ruineux,  où,  écrit  Saint-Simon,  «  les  changements  des  bassins  et 
des  fontaines  ont  enterré  tant  d'or  qui  ne  peut  paraître  ».  Où  que  se  porte 
le  regard  du  Roi,  il  n'aperçoit  que  son  œuvre,  et  la  nature  qu'il  a  forcée 
à  le  servir.  Les  arches  abandonnées  des  aqueducs  de  31aintenon,  pareilles 
aux  ruines  qui  sillonnent  la  campagne  romaine,  sont  trop  loin  de  Ver- 
sailles pour  c^u'il  sente  l'échec  de  son  plus  grand  effort  ;  mais,  sous  ses 
pieds,  l'immense  voûte  du  Parterre  d'eau  renferme  des  réservoirs  et  des 
canaux  où  bouillonnent  les  flots  captés  à  3lontboron  et  à  Satory,  prêts  à 
s'élancer  dans  les  airs  sur  un  signe  du  maître  1   Ce  Parterre  d'eau,  tant  de 


72  VERSAILLES 

■fois  transformé,  offre  enfin  aux  yeux  du  Roi  le  spectacle  de  la  majesté 
la  mieux  ordonnée  et  la  plus  auo-uste.  Pendant  trente  années  les  travaux 
n'y  ont  point  cessé.  Que  de  chano-ements  tle])uis  tpie  Le  Nôtre,  abandonnant 
le  décor  en  broderie  de  g-azon  et  de  Heurs,  eut  l'heureuse  idée  de  chercher 
dans  la  lumière  et  les  reflets  d'une  grande  surface  lic[uide  la  vie  et  la 
beauté  de  ces  larges  espaces  !  L"ne  peinture  anonyme  du  31usée  de  Yer- 
sailles  nous  montre  le  Parterre  tel  qu'on  le  vit,  un  peu  de  temps,  de  la 
terrasse  que  Le  Vau  avait  ménagée  au  premier  étage  du  Château.  Il  y  a 
un  grand  Ixissin,  a\'ec  des  figures  dorées,  ([ue  cantonnent  cpuitre  pièces 
plus  petites.  La  forme  de  ces  bassins  fut  modifiée  en  1674,  et  les  estampes 
de  Pérelle  et  de  ses  imitateurs  nous  aident  à  comprendre  le  i)rojet  gran- 
diose que  Le  Brun  avait  dû  proposer  à  Colbert,  et  dont  l'exécution 
demeura  inachevée.  Il  s'agissait  de  compléter  par  des  statues  de  marbre 
les  bordures  des  bassins,  jus(|ue-là  composées  d'une  margelle  de  gazon 
oi^i  s'alignaient  entre  des  ifs  d'innombral^les  \-ases  à  fleurs  de  chaudron- 
nerie, de  ces  A-ases  peints  en  imitation  de  faïence  où  la  mode  hollandaise 
persistait  au  milieu  du  décor  italien,  moins  maig-re  et  moins  menu.  Un 
peuple  de  blanches  statues,  né  de  l'imagination  de  Le  Brun,  devait  surgir 
entre  l'eau  et  le  ciel.  I-e  choix  en  paraîtra  quelque  peu  étrange,  mais  il 
est  conforme  à  la  banalité  de  l'allégorie  décorati\'e  au  xvii'^  siècle,  où  la 
recherche  unique  de  l'antiquité  a  fait  bannir  ce  ([u'on  aurait  pu  encore 
découvrir  dans  un  vieux  fond  de  tradition  française.  Tout  ce  décor  de 
marbre  vient  de  Rome,  par  l'esprit,  sinon  par  l'exécution,  et  Bernin 
est  le  grand  inventeur,  aussi  bien  c^ue  Le  Brun.  A  cette  m}-thologie  acadé- 
mique il  faut  d'abord  de  beaux  Enlèvements  de  nymphes,  à  la  façon  de 
ceux  de  Jean  Bologne  ou  de  Bernin,  et  le  Premier  Peintre  n'y  a  pas 
man(|ué  :  il  campe  autour  du  bassin  central  ([luitre  groupes  en  pyra- 
mide :  l'Enlèvement  d'Orithye  par  Borée,  celui  de  Cybèle  par  Saturne, 
celui  de  Proserpine  par  Pluton,  celui  de  Coronis  par  Neptune.  Puis,  en 
six  séries  de  c[uatre  figures,  il  répartit  toute  la  fantaisie  cjui  peut  naître 
dans  l'âme  d'un  académicien  de  Louis  XIA"  :  et  ce  sont  les  quatre 
Eléments,  les  quatre  Parties  du  blonde,  les  quatre  Parties  de  l'année,  les 
c^uatre  Parties  du  jour,  les  (:[uatre  Temjjéraments  ou  Complexions  de 
l'homme,  et  les  c|uatre  Poèmes.  Il  lui  faut  mieux  encore,  il  veut  placer 
dans  le  milieu  de  la  grande  pièce  d'eau  un  rocher  c[ui  sera  le  Parnasse, 
avec  Apollon  et  ses  filles  de  3Iémoire,  et  Pégase  qui  s'élève  en  faisant 
iaillir  la  fontaine  Hippocrène,  dont  l'eau,  tombant  en  nappe  au-devant  de 
c^uatre  ouvertures,  laisse  entrevoir  au  travers  «  le  fleuve  Ilélicon  accom- 
pagné de  ses  nymphes  assises  ensemble  sous  le  rocher  ».   Et   tandis   ([ue 


LES   JARDINS  73 

des  enfants  jouent  avec  des  cygnes  et  des  dragons,  0  quelques  nym^Dhes 
reçoivent  de  l'eau  de  cette  fontaine,  pour  figurer  les  savantes  personnes, 
telles  que  Sapho...  Cette  masse  ainsi  représentée  est  une  figure  en  corps 


Alice  des  Trois  Fontaines. 


des  effets  et  des  vertus  du  Soleil,  lequel  préside  et  domine  sur  les  neuf 
cercles  figurés  par  les  neuf  jMuses,  et  par  ces  jets  d'eau  la  dislriljution 
c|ui  se  fait  de  leurs  influences  dans  toute  la  masse  universelle,  n  Tout  ce 
fatras  d'allégorie  et  de  flatterie  grandiose  ne  suffit  pas  à  mener  à  bon 
point  la  conception  de  Le  Brun,  et  il  faut  nous  en  réjouir,  puisque  l'arran- 
gement  définitif  du  Parterre  d'eau  est  supérieur    à   tout    le  reste.    Des 


/4 


VERSAILLES 


quatre  Enlèvements,  trois  furent  exécutés,  dont  un  seul,  celui  de 
Proserpine,  est  demeuré  à  Versailles  ;  mais  les  vingt-quatre  figures 
commandées  à  toute  la  belle  cohorte  des  sculpteurs  versaillais,  et  dont 
quelques  modèles  étaient  en  place  dès  1674.  ne  furent  terminées  que  pour 
recevoir  une  autre  destination  ;  dès  1686,  les  ambassadeurs  de  Siam  [dont 
le  Mercure  galant  narre  prolixement  la  visite  à  Versailles^  les  virent  aux 
places  qu'elles  occupent  encore  aujourd'hui,  c'est-à-dire  le  long  des 
palissades  du  Parterre  du  Xord,  et  «  en  remontant  jusques  à  l'endroit 
appelé  leFer-à-Cheval  ».  Les  ambassadeurs  montrèrent  leur  bon  goût,  en 
admirant  «  la  figure  de  l'Air,  de  M.  Le  Hongre...,  qui  est  beaucoup 
estimée  pour  la  délicatesse  du  travail  et  pour  la  correction  du  dessin.  » 
Les  meilleures  parmi  ces  statues  sont  placées  à  l'extrémité  de  la  terrasse 
c|ui  regarde  Latone  :  ce  sont,  avec  l'Air,  de  Le  Hongre,  l'Eau,  de  Le 
Gros,  le  Point  du  jour,  de  Gaspard  .Marsy,  et,  du  même  excellent  maître, 
une  délicieuse  Vénus  dont  le  marbre  pur  et  souple,  rongé  par  les  pluies, 
a  le  charme  touchant  d'une  figure  de  Praxitèle.  Près  de  la  Vénus,  la 
svelte  Diane  de  Desjardins  vibre  de  tout  son  long  corps  élancé  à  la  course, 
comme  le  lévrier  qui  l'accompagne.  L'Hiver,  de  Girardon,  est  une  belle 
œuvre  toute  romaine,  d'un  marbre  superbe  ;  et  il  y  a  une  jeunesse  fière et 
royale  dans  l'Europe,  de  3lazeline.  Le  symbolisme  des  figures  qui  repré- 
sentent les  Parties  du  monde  est  des  plus  simples  ;  nous  l'avons  vu  déjà 
aux  statues  de  pierre  assises  sur  les  balustrades  du  petit  château  ;  mais  il 
faut  convenir  que  la  nécessité  de  draperies  classiques,  pour  assurer  à  la 
masse  du  marbre  une  solidité  plus  grande,  joue  parfois  d'assez  mauvais 
tours  aux  sculpteurs.  Il  y  a  bien  de  la  médiocrité  dans  les  quatre  Tem- 
péraments (le  Sanguin,  le  Colérique,  le  Flegmatique  et  le  31élancolique), 
dont  on  a  peine  à  comprendre  la  signification,  au  lieu  que  les  Poèmes 
s'expriment  avec  toute  la  noblesse,  la  malice  et  la  grâce  apprêtées  qui 
conviennent  à  l'inspiration  d'un  Boileau. 

L'unité  merveilleuse  qui  donne  à  ces  statues,  prises  ensemble,  le 
meilleur  de  leur  beauté,  se  continue  au  long  des  rampes  de  Latone  par 
des  oeuvres  toutes  classiques,  copiées  à  Rome  par  les  sculpteurs  de 
l'Académie  de  France  :  ce  sont  des  Hercules,  des  Apollons,  des  Gan}'- 
mèdes  ou  des  Vénus  dont  tout  le  charme  est  de  coopérer  à  une  parfaite 
harmonie.  Çà  et  là  une  figure  plus  libre,  plus  vivante,  surprend  et 
attire  :  au  Gaulois  mourant,  très  fidèlement  et  robustement  traduit  par 
Mosnier,  répond  la  X3-mphe  à  la  coquille,  de  Coyzevox.  si  jeune,  si 
fraîche  et  française  dans  son  interprétation  du  modèle  antique  (l'original, 
maintenant  au  Louvre,  est  remplacé  par  une  molle  copie\  A  l'entrée  du 


LES   JARDINS  75 

Tapis  Vert  se  dressent  des  groupes  plus  considérables  :  la  copie  du 
Laocoon.  de  Tubi,  en  face  de  laquelle  était  alors  le  .Milon  de  Crotone, 
de  Puget  ;  les  Dioscures,  de  Coyzevox,  et  d'autres  figures  de  Lespingola 
et  de  Carlier.  Parmi  les  douze  statues  qui,  avec  douze  grands  vases,  sont 
en  marge  du  Tapis  Vert,  la  grâce  de  TAchille,  de  Vigier,  ou  l'emphase 
dramatique  de  la  Didon,  de  Poultier,  ne  paraîtraient  nullement  mépri- 
sables,   si  l'on  ne    découvrait    tout     d'un    coup  une    merveille  de  vie   et 


Cliché  Barljichon. 


Ariane,  par  Van  Clève. 


d'esprit,  la  Vénus  de  Richelieu,  le  chef-d'œuvre  de  Le  Gros.  Tout  le 
meilleur  de  la  sculpture  décorative  du  xvii«  siècle  est  à  Versailles  ;  nobles 
marbres  toujours  souriants  et  fiers,  malgré  l'injure  quotidienne  des  pas- 
sants soigneux  de  perpétuer  la  sottise  de  leurs  noms  ! 

Les  termes  surtout  sont  les  plus  beaux  que  l'on  puisse  voir.  Ils  ne 
ressemblent  plus  aux  termes  d'autrefois,  coupés  aux  épaules,  gaines  rigi- 
des portant  des  tètes  vivantes  ;  mais  leurs  corps  sortent  presc[ue  entiers  du 
fût  de  marbre  qu'une  draperie  ingénieuse  enveloppe  vers  les  hanches. 
Aux  deux  issues  du  Tapis  Vert,  ces  termes  apparaissent  comme  l'expres- 
sion même  de  la  nature  si  noblement  mutilée  par  le  grand  Roi.  Il  est  de 
tradition  que  Poussin  a  donné  les  modèles  de  ceux  que  l'on  trouve  au 
Quinconce  du  Nord. 


76  VERSAILLES 

.Vu  long  des  raides  charmilles,  où  passe  sans  trêve  la  faucille  de 
l'émondeur,  il  y  a  encore  des  \-ases.  Ceux  du  'ra])is  \"ert,  de  formes  sim- 
ples et  de  proportion  parfaite  avec  leur  socl(\  sont  ornés  de  feuilles  et  de 
fleurs,  branches  de  laurier  et  de  chêne,  acantlie  ou  lierre,  roses,  ané- 
mones et  tulipes,  soleils  surtout,  dont  le  syml)ole  fournit  au  ("iseau  des 
artistes  un  admirable  motif  d'ornement.  D'autres,  autour  du  Ijassin  de 
Latone  ou  du  Parterre  du  Nord,  reproduisent  à  ]:)lusieurs  exemplaires  de 
célèbres  œuvres  antiques,  bacchanales,  Sacrifice  d'Iphigénie,  jeux  d'en- 
fants et  d'amours.  Au  Parterre  d'eau  enfin,  aux  angles  de  la  terrasse  du 
Château,  sont  les  deux  grands  vases  sculptés  par  Coyzevox  et  par  Tubi 
pour  célébrer  la  gloire  de  Louis  XIV  après  la  paix  de  Ximègue  ;  les 
allégories  du  plafond  de  Le  Brun  y  reparaissent,  traduites  par  le  ciseau 
le  plus  souple  et  le  plus  spirituel. 

Les  vases  de  bronze,  de  ]3rop()rtions  plus  modestes,  qui  garnissent  les 
tablettes  de  marbre  au  nord  et  au  midi  du  Parterre  d'eau,  ont  été  modelés 
]iar  l'orfèx're  Ballin,  et  fondus  par  Du\ai.  Ces  petits  chefs-d'œu\-re  fai- 
saient partie  du  plus  ancien  décor. du  parc,  de  celui  que  .M"''  de  Scudéry 
décrivait  avec  de  gracieux  éloges  dans  sa  Promenade  de  Versailles  ;  elle 
y  parle  de  ces  petits  enfants  appuyés  sur  les  anses  des  vases,  c|ui  se  regar- 
dent gentiment  au  travers  des  fleurs. 

Les  décorateurs  de  Versailles  ont  admirablement  compris  le  rôle  que 
doit  jouer  le  bronze  associé  au  marbre  dans  un  puissant  ensemble  d'or- 
nements. Ce  qu'ils  ont  fait  à  l'intérieur  du  Château,  dans  lesdeux  escaliers 
et  dans  la  Galerie  des  Glaces,  ils  vont  le  faire,  avec  plus  degrandeur  simple, 
dans  le  large  espace  qui  leur  est  donné.  C'est  en  1683  que,  sur  l'ordre  de 
Louvois,  qui  vient  à  peine  de  remplacer  Colbert,  .Mansart  et  Le  Xôtre 
entreprennent  la  dernière  transformation  du  (rrand  Parterre.  Au  lieu  des 
ingénieux  compartiments  d'eau  et  de  gazon,  il  n'y  a  plus  que  deux  vastes 
bassins  dont  les  lignes  droites,  qui  s'échancrent  et  s'arrondissent  aux 
angles,  se  marient  harmonieusement  aux  proportions  immenses  de  Ver- 
sailles. Leurs  canaux  liquides,  qui  s'allongent  en  a\'ant  du  Château, 
répondent  à  la  longueur  des  deux  ailes,  et  la  font  accepter  en  l'enfermant 
au  cadre  d'un  miroir. 

La  sobriété  du  décor  égale  sa  perfection.  Un  projet  énorme,  dont  les 
guerres  ruineuses  empêchèrent  la  complète  exécution,  ajoutait  aux  figures 
qui  nous  restent  une  surcharge  excessive  d'ornements.  Au  centre  des  deux 
bassins  il  devait  y  avoir  deux  Triomphes  marins  dont  les  figures  de 
plâtre  furent  exécutées  et  pour  un  temps  mises  en  place)  :  la  Naissance 
de  Vénus  et  celle  de  Thétis  3-  étaient  représentées   par  des  figures  nues 


LES   JARDINS  7; 

portées  sur  une  coquille  entre  des  tritons  soufflant  dans  leurs  conques  ; 
on  a  reconnu  le  modèle  classique,  et  tant  de  fois  répété,  la  Galatée  de 
Haphaël.  Au  long  de  la  façade  du  Château,  des  cuvettes  de  bronze  remplies 
d'ornements  auraient  fait  pendant  à  ces  deux  bassins  plus  étroits,  enfoncés 
dans  la  verdure  aux  deux  angles  du  Parterre,  et  que  Ton  nomme  les 
Combats  des  Animaux,  parce  ([ue  l'on  y  x'oit,  modelés  par  lîouzeau  et 
Van  Clè\-e.  des  animaux  de  Ijronze  (|ui  luttent  en  jetant  de  l'eau.    Mais  il 


Le  Parterre  d'eau.  Bassin  du  Nord. 


n'y  a,  contre  cette  façade  illuminée  parle  soleil  couchant,  que  des  statues 
de  bronze  fondues  d'après  l'antique,  un  Silène,  un  Antinoïis,  un  Apollon 
et  un  Bacchus,  dont  les  silhouettes  sombres  annoncent,  un  peu  plus  bas, 
celles  des  Fleuves  et  des  Rivières  qui  reposent  mollement  accoudées  aux 
margelles  des  Parterres,  et  se  mirent  dans  l'eau  paisible. 

Bien  souvent  l'Italie  avait  assis  au  rebord  de  ses  vasques  des  figures  de 
nymphes  et  de  tritons  ;  de  Jean  Bologne  jusqu'à  Bernin  les  modèles 
s'étaient  multipliés  ;  et  l'idée  même  de  ces  statues  couchées  est  prise  aux 
œuvres  antiques,  à  ce  Tibre,  à  ce  Nil  que  nos  jeunes  sculpteurs  allaient 
copier  à  Rome.  Mais  quelle  beauté  nouvelle  d'arrangement,  et  ne  peut-on 
dire  qu'en    un  pareil   décor  les  sculpteurs  de  Louis  XIV    ont    fait  une 


78  VERSAILLES 

œuvre  aussi  française  par  le  sens  des  proportions  et  la  vivante  harmonie, 
qu'un  Racine  lorsqu'il  composait  son  IpJiigénie  ou  sa  PJièJrc  ?  Le  sujet 
des  figures  importe  peu  ;  mais  leurs  dimensions  relatives  aux  distances 
où  elles  sont  posées,  la  ligne  pure  des  figures  couchées,  qui  se  relève  à 
chaque  angle  avec  ces  groupes  d'enfants  debout,  élancés  comme  des 
gerbes  de  fleurs,  Aoilà  un  miracle  de  la  sculpture  française.  Les  meilleurs 


Le  Parterre  d"eau.  Bassin  du  }tlidi. 


maîtres  sont  là  :  Co3'zevox  a  modelé,  au  bassin  du  Xord,  la  Garonne  et  la 
Dordogne,  et  Le  Hongre,  à  l'autre  bout,  la  Seine  et  la^larne;  Regnaudin, 
au  bassin  du  Midi,  la  Loire  et  le  Loiret,  et  Tubi,  le  Rhône  et  la  Saône. 
Rivières  et  fleuves  se  font  face,  appu3'és  sur  des  urnes  ou  sur  des  avirons  ; 
des  cornes  d'abondance  indiquent  la  fertilité  de  leurs  cours  ;  des  amours, 
auprès  d'eux,  tiennent  des  coquillages  ou  des  guirlandes  de  fleurs  et  de 
feuillages,  pendant  que,  placides  ou  souriants,  ils  regardent  l'espace  alen- 
tour. Huit  nymphes,  par  Raon,  Le  Hongre,  3Iagnier  et  Le  Gros,  sont  cou- 
chées sur  les  margelles  longues  des  bassins,  et  semblent  converser  avec  des 
amours,  de  petits  tritons,  de  petits  zéphyres  ;  ils  leur  présentent,  qui  un 
miroir,  qui  un  collier  de   perles  ou  une   couronne  de   fleurs  ;  et  ce    sont 


LES   JARDINS 


79 


encore  des  fleurs,  ou  des  coquilles,  des  coraux,  des  oiseaux,  un  miroir,  que 
tiennent  les  jolis  amours  réunis  trois  par  trois  en  huit  groupes  aux  angles 
des  bassins.  Ils  sont  de  Van  Clève,  de  Lespingola,  de  Poultier,  de  Le  Gros, 
etsi  potelés,  si  souples,  si  jo3^eux,  comme  leurs  petits  compagnons,  lesiiiar- 
inoiiscts,  c{\x\  jouent,  tout  près  de  là,  autour  des  vasques  de  l'Allée  d'eau! 
Parmi  les  grandes  ligures,  celles  de  Coyzevox  et  de  Tubi  sont  évidemment 
supérieures  au  reste,  par  leur  robuste  et  spirituelle  beauté  ;  mais  la  fougue 
de  Le  Gros,  la  distinction  de  Magnier,  même  la  correction  plus  lourde  et 


Le  Parterre  d'eau.  La  Saône,  par  Tub 


banale  de  Regnaudin,  tout  concourt,  par  la  discipline  merveilleuse,  à  l'unité 
de  l'œuvre  parfaite.  Girardon  n'a  point  travaillé  au  Parterre  d'eau;  mais 
c'est  à  lui  qu'est  confinée  «  la  conduite  des  ouxragesde  sculpture,  et  la 
fonte  des  figures  de  bronze  w  ;  et  comment  ouljlier  les  deux  Keller,  les 
grands  fondeurs  suisses  c[ui,  de  1688  à  1690,  ont  transformé  à  l'Arsenal, 
où  ils  font  les  canons  du  Roi,  les  cires  de  ces  bons  artistes  en  des  bronzes 
d'une  robustesse  immortelle,  vêtus  de  la  patine  idéale,  dont  le  vert  pro- 
fond Vehausse  et  fleurit  le  ton  mauve  des  margelles  de  marbre?  Ce  Parterre 
d'eau  est  l'enchantement  des  yeux.  Et  c^uand,  le  soleil  couché,  dans 
l'ombre  qui  monte  au  ciel,  les  grands  bassins  reflètent  à  leur  miroir  pai- 
sible la  fête  mystérieuse  qui  s'allume  aux  vitres  du  Château,  ce  vermeil 
et  cette  nacre  s'attardent  un  instant,  comme  le  souvenir  d'une  splendeur 


8o  \'  E  R  S  A  1 1.  L  E  S 

éteinte,  puis  lentement  se  lève  la  blanche  féerie  de  la  lune  et  sur  les 
canaux  immobiles  une  nappe  trargent  s'étale  ;  Venise  n'est  pas  plus  belle 
que  ce  château  fantôme  enveloppé  de  nuit  et  de  silence. 

Mansart  a  complété  les  travaux  de  Le  Nôtre.  De  la  plage  où  reposent 
dans  leur  bronze  lumineux  les  indolentes  divinités  des  eaux,  on  aperçoit 
de  tous  côtés   l'œuvre   de  cet    architecte    inlassable.    A  droite,   par  delà 


Le  bassin  du  Draojon  et  l'Allée  d"eau. 


l'Allée  d'eau  et  le  bassin  du  Dragon,  s'ouvre  en  vaste  hémicycle  le 
bassin  de  Neptune,  sorte  de  théâtre  à  l'antique,  mais  dont  les  bancs 
seraient  un  gazon,  et  le  parterre  une  nappe  lic[uide.  La  scène,  tournée  vers 
le  Château,  a  pour  décor  de  fond  les  magnifiques  masses  d'arbres  qui 
encadrent  l'allée  des  Lnfants  ;  plus  haut  la  Pyramide,  plus  haut  encore  un 
coin  de  façade  que  dore  le  soleil.  Et  sur  cette  scène  préparée  pour  le  plus 
grand  des  monarc^ues,  en  guise  de  lampions  il  y  a  une  prodigieuse  rampe 
de  jets  d'eau,  au  nombre  de  quarante-quatre,  dont  la  moitié  s'échappe 
de  grands  vases  de  plomb  superbement  ornés  ;  et  tous  montent  à  une 
même  hauteur  de  vingt  mètres,  tandis  c|ue  des  cascades  en  éventail  retom- 
bent sur  le  bassin,  d'où  jaillissent  sixgrosses  gerbes.  C'est  le  plus  puissant 


LES   JARDINS  8i 

des  effets  d'eau,  et  le  dernier  de  tous;  comme  il  est  en  contre-bas  des 
jardins,  toutes  les  eaux  se  ramassent  vers  Neptune.  Mais  les  splendides 
fig-ures  de  plomb  qui  décorent  le  bassin,  et  remplacent  celles,  inachevées 


Le  bassin  de  Neptune,  peinture  de  J.-B.  iMartin. 


qu'avait  commandées  Louis  XIV.  ne  seront  exécutées  et  posées  que  sous 
le  règne  de  Louis  XV. 

En  même  temps  ciue  le  bassin  de  Neptune,  et  pour  lui  faire  pendant  de 
l'autre  côté  du  Château,  était  creusée,  de  1678  a  1682,  la  grande  Pièce  d'eau 
des  Suisses.  Mansart  dirigea  l'un  et  l'autre  travail,  en  l'absence  de  Le  Nôtre, 

6 


82  VERSAILLES 

qui  voyageait  alors  en  Italie.  Le  lac  des  Suisses,  comme  le  nommait  le 
Roi,  pour  reconnaître  le  mérite  du  régiment  qui  fit  la  plus  grande  part  de 
ces  rudes  travaux,  servit,  par  un  transport  énorme  de  terreset  le  dessèche- 
ment des  marais  voisins,  à  Tassainissement  de  toute  une  région  de  Ver- 
sailles. La  perspective  qu'il  ouvre  au  pied  des  coteaux  boisés  de  Sator}^, 
et  des  rangées  d'arbres  du  mail,  est  une  des  plus  belles  jouissances  du 
regard,  lorsque,  parcourant  l'admirable  terrasse,  on  approche  delà  balus- 
trade de  rOrangerie.  Une  tache  blanche  sur  les  pelouses  à  l'extrémité 
de  la  Pièce  d'eau  :  c'estla  fameuse  statue  équestre  de  Bernin,  le  Louis  XIV 
transformé  en  .Alarcus  Curtius  par  Girardon.  Il  répond,  d'une  extrémité 
des  jardins  à  l'autre,  augroupede  Domenico  Guidi.  la  Renommée  du  Roi, 
qui  lui  fut  substitué  pour  un  temps,  en  1686,  au  milieu  du  parterre  des 
orangers,  et  alla  ensuite  dominer  l'amphithéâtre  de  Neptune. 

La  petite  construction  de  Le  Vau,  où  le  Roi  avait  recueilli  les  orangers 
de  Fouquet,  insuffisante  à  contenir  le  nombre  infini  d'arbustes  dont  La 
Ouintinie  emplit  les  jardins  et  le  Château,  est  détruite  en  i68i;  et  .^Uin- 
sart.  qui  dessine  en  même  temps  l'Orangerie  de  Chantilly,  prépare  pour 
Versailles  une  galerie  profonde  comme  une  nef  de  cathédrale,  ou  comme 
les  voûtes  antiques  du  Palatin,  dont  il  avait  pu  à  Rome  étudier  et  dessiner 
les  ruines.  Cette  galerie  de  pierre,  longue  dans  son  milieu  de  cent  cin- 
quante-six mètres  et  qui  s'éclaire  par  douze  grandes  fenêtres  cintrées, 
soutient  de  sa  forte  façade  à  bossages  le  rebord  du  Parterre  du  .Midi;  puis, 
aux  deux  extrémités,  elle  tourne  à  angle  droit,  pour  se  prolonger  en  deux 
galeries  latérales  jusque  sous  les  deux  escaliers  des  Cent-31arches,  sou- 
tenus eux-mêmes  par  d'énormes  murailles.  Ces  escaliers,  que  précèdent 
de  hardis  pvlones  couronnés  de  figures  de  pierre,  semblent  monter,  par 
une  invention  originale  et  magnifique,  au  dessus  des  terrasses  et  des 
balustrades,  en  plein  ciel. 

Aux  deux  côtés  de  l'Allée  Royale,  et  proche  du  Char  d'Apollon,  3lan- 
sart  a  terminé  deux  des  plus  riches  décors  des  jardins.  A  gauche  est  la 
Colonnade.  Ce  sont  des  colonnes  de  marbre  bleu  turquin,  de  marbre  rouge 
et  de  marbre  blanc,  au  nombre  de  trente-deux,  qui,  doublées  d'un  même 
nombre  de  pilastres,  soutiennent  une  frise  ronde  de  marbre  blanc,  au- 
dessus  de  laquelle  il  n'y  a  rien,  que  des  vases  de  marbre,  et  la  coupale 
du  ciel.  Cette  frise  est  ornée  de  délicats  bas-reliefs  qui  représentent  des 
jeux  d'amours;  au  sommet  de  chaque  cintre  sourit  une  fine  tête  de  nym- 
phe ou  de  Sylvain,  dont  Coyzevox,  Le  Hongre,  3lazière,  Granier  et 
Le  Comte  ont  fait  la  sculpture.  Entre  les  colonnes  il  y  a  des  vasques  de 
marbre,  qui  toutes  lancent  un  jet  rigide  à  pareille  hauteur;  et  les  blanches 


LES   JARDINS  83 

fusées  s'encadrent  exactement  sous  les  blancs  portiques.  Le  groupe  de 
Girardon,  l'Enlèvement  de  Proserpine,  achevé  seulement  en  1699,  occupe 
le  centre  du  cirque,  sur  un  élégant  piédestal  tout  sculpté  en  bas-relief.  On 
ne  saurait  plus  élégamment  insulter  l'art  des  jardins,  et  Le.  Nôtre  le  sentit 
bien,  c[ui,  pressé  par  le  Roi  d'en  dire  son  avis,  répliqua  :  «  D'un  maçon 
vous   avez   fait  un   jardinier;    il  vous  a  donné  un  plat  de   son  métier.   » 


La  Colonnade. 


Il  en  pouvait  dire  autant  (.les  Dômes,  les  deux  somptueux  édifices,  ou 
cabinets,  de  marbre  et  de  bronze  qui  dominaient,  à  droite  de  l'Allée 
Royale,  la  double  balustrade  d'un  bassin.  Il  y  eut  d'abord,  au  centre  de 
ce  bassin,  une  Renommée  de  plomb,  de  Marsy,  que  remplaça,  en  1684, 
un  grand  jet  sortant  d'une  vasque  de  marbre.  Un  effet  d'eau  charmant 
(q\\\  a  été  rétabli  dans  une  restauration  toute  récente)  consiste  en  une 
nappe  circulaire  tombant  d'un  étroit  canal  ménagé  dans  le  marbre  rouge 
de  la  balustrade  inférieure;  l'autre  balustrade  s'appuie  sur  un  degré  de 
marbre  blanc  où  Girardon  a  sculpté  des  trophées  d'armes.  Après  la  des- 
truction de  la  Grotte  deThétis,  c'est  là  que  furent  transportés  les  chevaux 


84  VERSAILLES 

"du  Soleil  et  le  groupe  d'Apollon  servi  par  les  nymphes;  mais  ils  émigrè- 
rent  encore  en  1 704,  ])our  trôner  sous  trois  pavillons  dorés  dans  un  nouveau 
bosquet,  à  la  place  du  31arais;  et  c'est  alors  que  le  bosquet  de  la  Renom- 
mée reçut  ce  nom  des  Dômes,  qu'il  a  gardé  depuis,  bien  que  ces  Dômes, 
avec  leurs  frontons  de  marbre,  leurs  trophées  de  métal  doré,  leurs  mosaï- 
(|ues  et  leurs  peintures,  aient  achevé  de  périr  en  1820. 


L'Orançrerie. 


Pour  connaître  les  dernières  œuvres  de  31ansart  dans  le  grand  parc  de 
Louis  XIV,  la  Ménagerie  qu'il  a  seulement  terminée^  et  Trianon.  il 
faut  sortir  des  jardins  et  s'embarquer  sur  le  Canal,  ce  souvenir  à  Ver- 
sailles de  la  Hollande  ou  de  Venise.  C'est  le  véritable  achèvement  des 
jardins,  qui  leur  donne  l'immensité  voulue  par  Louis  XIV  ;  il  les  prolonge 
à  1  infini  :  par  delà  son  extrémité,  une  avenue  d'arbres, .  en  droite  ligne, 
s'enfonçait  dans  la  campagne,  aussi  loin  que  la  vue  portait.  Œuvre  de 
sagesse  d'ailleurs  tout  aussi  bien  que  de  luxe,  ceir  il  draine  les  eaux 
mortes,  assainit  la  grande  plaine  marécageuse.  Dès  avant  iô68,  le  Canal 
était  creusé,  petit  encore,    puis   rapidement  accru  dans   la  forme  qu'il  a 


LES    JARDINS  85 

gardée,  lin  1671,1e  Roi  en  failles  honneurs  à  Tambassadeur  vénitien 
Francesco  Michieli  ;  en  1674,  une  admirable  fête  de  nuit  est  donnée  sur 
le  Canal  illuminé,  où  voguent,  au  son  des  violons,  les  vaisseaux  du  Roi 
et  de  sa  Cour.  Grâce  à  la  Seigneurie  de  A'enise,  des  gondoles  étaient 
venues  avec  leurs  gondoliers,  qui  furent  logés  près  de  la  flotte  royale, 
au  lieu  qu'on  nomme   encore  la  Petite  Venise  ;  et  jusqu'à  la  fin  du  grand 


L'Orangerie  et  les  Cent-x\Lirches,  vues  de  la  Pièce  d'eau  des  Suisses. 


règne,  ce  fut  un  des  divertissements  les  plus  goûtés  que  d'aller,  de  jour 
et  de  nuit,  au  gré  des  rames,  sur  cette  mer  sans  tempêtes  mais  sans  beauté 
profonde,  car  les  rives  n'en  étaient  pas  encore  ombragées  des  grands 
arbres  dont  la  magnificence  aujourd'hui  nous  émeut. 


Trianon  vu  du  Canal. 


Cliché  Neurdein. 


CHAPITRE    III 

TRIANON 


De  la  Ménagerie  qui  fut,  dès  le  premier  Versailles,  un  des  amusements 
préférés  du  Roi,  et  Tune  des  parties  les  plus  coûteuses  d'un  luxe  toujours 
renouvelé,  il  ne  subsiste  aujourd'hui  que  de  misérables  vestiges.  A 
Textrémité  du  bras  gauche  du  canal,  les  gradins  qui  ouvrent  un  seuil 
majestueux  gardé  par  des  figures  de  pierre  ne  mènent  plus  nulle  part. 
Le  génie  militaire  et  les  bâtiments  d'une  ferme  occupent  remplacement 
du  petit  château  où  le  Roi  allait  faire  collation,  et  des  cours  où  étaient 
rassemblés  jadis  les  animaux  et  les  oiseaux  les  plus  rares.  Le  salon 
octogone  élevé  sur  la  grotte  en  rocaille  a  été  rasé,  et  les  restes  mêmes 
de  cette  grotte  ont  récemment  disparu  ;  seuls,  deux  pavillons  très 
simples  montrent  encore  à  l'intérieur  d'élégantes  sculptures,  des  frontons 
en  triangle,  portés  par  de  légères  consoles,  qui  encadrent  une  coquille  et 


TRIANON  87 

des  fleurs  et  soutiennent  de  petits  génies  ailés.  Plus  loin,  on  découvre 
avec  surprise,  à  Tentrée  d'une  maison  de  chasse,  deux  grands  pilastres  de 
pierre  terminés  par  des  têtes  de  cerf.  Voilà  les  seuls  restes  des  travaux 
dirigés  par  .^lansart  pour  la  duchesse  de  Bourgogne.  Louis  XIV,  très 
indulgent  à  tous  les  caprices  de  la  petite  duchesse,  la  joie  et  la  vie 
de  Versailles   assombri   par  les  guerres   malheureuses   et   par  l'austérité 


Trianon  en  1722.  Peinture  de  P. -D.  Martin. 


de  M™'  de  3Iaintenon,  lui  avait  galamment  fait  don  de  sa  Ménagerie  en 
1678;  et  ce  fut,  près  d'un  siècle  par  avance,  une  sorte  de  Petit  Trianon. 
La  duchesse  y  trayait  les  vaches,  et  offrait  au  Roi  du  beurre  gentiment 
pétri  de  ses  mains.  .Mais,  comme  une  autre  Marie-Antoinette,  elle 
exigeait  des  meubles,  de  Tor,  des  peintures.  Mansart,  en  bon  pédant, 
proposait  de  peindre  dans  la  Ménagerie  toutes  les  figures  de  TOlympe. 
Il  faut  voir,  au  musée  de  Versailles,  le  feuillet  où,  en  marge  des  beaux 
devis  de  son  architecte,  Louis  XIV  a  noté  de  sa  main  la  critique  la  plus 
juste  et  charmante  :  «  Il  me  paraît  qu'il  y  a  quelque  chose  à  changer, 
que  les  sujets  sont  trop  sérieux,  et  qu'il  faut  de  la  jeunesse  mêlée  dans 


88  VERSAILLES 

ce  que  l'on  fera.  Vous  m'apporterez  des  dessins  quand  vous  viendrez,  ou 
du  moins  des  pensées.  Il  faut  de  l'enfance  répandue  partout.  »  L'abandon 
de  la  31énag-erie  commence  en  171 2,  à  la  mort  de  l'aimable  duchesse. 
En  1750,  Louis  XV  la  restaure,  on  3-  transporte  des  animaux  féroces, 
deux  tigres  et  trois  lions.  La  Révolution  détruisit  tout;  les  animaux 
passèrent  au  Jardin  des  Plantes  de  Paris;  les  bâtiments  saccagés,  ruinés, 
furent  vendus  en  i<So2. 

Trianon  eut  un  sort  plus  heureux.  «  Trianon,  d'abord  maison  de  por- 
celaine à  aller  faire  des  collations,  agrandie  après  pour  y  pouvoir  coucher, 
enfin  palais  de  marbre.  »  C'est  ainsi  qu'en  deux  lignes,  Saint-Simon 
résume  l'histoire  du  gracieux  palais  rose  et  blond  dont  l'eau  morte  du 
canal  reflète  les  terrasses  feuillues.  Il  y  avait  à  cette  place,  avant  1668, 
un  très  pauvre  hameau,  et  une  vieille  église  dédiée  à  Xotre-Dame  de 
Trianon,  «  Divae  3laria3  de  Trienno.  »  Louis  XIV,  a3^ant  acquis  le 
domaine,  fit  tout  raser,  et.  en  quelques  mois  de  l'année  1670,  un  petit 
château  s'éleva,  qui  «  fut  regardé  d'abord  de  tout  le  monde  comme  un 
enchantement,  »  écrit  Félibien,  «  car,  n'a3'ant  été  commencé  qu'à  la  fin  de 
l'hiver,  il  se  trouva  fait  au  printemps,  comme  s'il  fût  sorti  de  terre  avec 
les  fleurs  des  jardins  qui  l'accompagnaient  ».  Ce  Trianon  de  porcelaine, 
comme  on  l'appela,  «  travaillé  à  la  manière  des  ouvrages  qui  viennent 
de  Chine  »,  donna  une  mode  qui  fit  aussitôt  fureur.  Il  était  rehaussé  d'un 
chato3^ant  décor  où  le  blanc  et  le  bleu  des  «carreaux  de  Hollande  », 
c'est-à-dire  des  plaques  en  faïence  de  Delft  ornées  de  rinceaux  de  feuillage, 
étincelaient  au  soleil  parmi  les  plombs  dorés  des  combles.  Des  vases 
blancs  et  bleus  posés  sur  la  balustrade,  des  bustes  de  marbre  blanc  sur 
des  consoles  de  faïence  3"  mettaient  un  gai  contraste  avec  la  pierre 
blonde  des  murailles  et  la  brique  rouge  des  hautes  cheminées  ;  en  sorte 
que  le  château  avec  ses  pavillons,  dans  l'étroite  enceinte  qui  le  séparait 
des  parterres  et  des  bosquets,  faisait  songer  aux  maisons  de  Chine,  à 
la  Tour  de  porcelaine,  qui  décrivaient  déjà  les  relations  des  mission- 
naires. L'intérieur  surtout  était  adapté  au  goût  chinois  ou  plutôt  hol- 
landais ;  mais  il  n'est  pas  inutile  de  noter  que  ces  faïences  si  fraîches 
et  si  claires  ne  venaient  pas  de  loin  :  il  3^  en  avait  une  manufacture  à 
vSaint-Cloud.  Le  plus  grand  charme  de  la  galante  maison  était  dans  ses 
jardins.  On  admirait  dans  le  petit  château  un  «  cabinet  des  parfums  »  où 
s'amoncelaient  les  fleurs  les  plus  odorantes  ;  mais,  au  dehors,  c'était  le 
même  enivrement.  Le  Roi  aimait  les  odeurs  fortes,  et  le  jardinier  Le 
Douteux  s'était  ingénié   à  créer  des   parterres  où  les  essences   les  plus 


TRIANON 


rares  mêlaient  leurs  baumes  pénétrants  jusqu'au  vertige  :  les  orangers 
toujours  fleuris  et  les  jasmins  d'Espagne  donnaient  la  note  dominante 
de  ce  concert  subtil  où  des  milliers  de  narcisses  et  de  tubéreuses,  de  jon- 


Cliclié  Neurdeii 


Trianon.  Le  Cabinet  de  travail. 


quilles,  de  jacinthes,  de  giroflées  doubles  tenaient  leur  partie,  en  accords 
serrés  et  pesants,  parmi  les  tulipes,  les  anénomes,  les  fleurs  plus  légères 
et  d  odeur  moins  sensible.  Les  grandes  serres  vitrées  de  lorangerie,  où 
les  espaliers  se  chargeaient  de  citrons  et  d'oranges,  de  grenades  et  de 
raisins  muscats,  excitaient  parmi  les  visiteurs  la  plus  grande  admiration. 
C'était  un  lieu  de  divertissement  magnifique  ;  Louis  XIV,  qui  allait  off"rir 


9-0  VERSAILLES 

•Clagny  à  3IT  de  Montespan,  se  plaisait  à  l'y  conduire  avec  les  plus 
aimables  dames  de  la  Cour;  et  la  musique  de  LuUi  et  les  vers  de  Ouinault 
;,-  rehaussèrent  l'éclat  et  Tojjulence  des  soupers. 

3Iais  cette  joyeuse  petite  merveille,  après  quinze  ans  d'usag-e,  avait 
épuisé  sa  faveur  ;  le  Roi  n'y  pouvant  rien  ajouter,  il  fallait  bien  qu'il  la 
détruisît.  En  1687,  1^  Trianon  de  porcelaine  n'existe  plus,  et  déjà  s'édifie 
en  hâte  un  nouveau  palais  dont  3lansart,  avec  l'aide  de  Robert  de  Cotte, 
a  régie  toute  ILarchit^ei-ture  et  tout  rornement.  Il  s"ag"it  cette  fois  d'un 
lieu  de  j^laisance  et  d'habitation  tout  ensemble,  d'un  raccourci  de 
l'énorme  Versailles,  devenu  toute  une  cité,  et  où  l'étiquette  impérieuse 
règle  chaque  heure  de  la  journée,  mais  d'un  raccourci  plus  libre,  d'un 
3larly  à  portée  de  la  main,  .^lansart,  est-il  l^esoin  de  le  dire  ?  conçut  son 
plan  à  l'italienne  :  des  bâtiments  Ijas,  couverts  en  terrasse,  autour  d'une 
petite  cour,  point  d'escalier  à  gravir,  tous  les  salons  ouvrant  de  plain 
pied  sur  les  jardins.  Une  longue  avenue  montante  conduit  à  un  rond- 
point,  à  l'extrémité  duquel  il  y  a  un  petit  fossé,  une  grille  et  la  cour  ;  au 
fond  de  cette  cour,  un  large  portique  ouvre  sept  baies  lumineuses  pour 
laisser  voir  la  verdure  des  arbres  et  le  mobile  éclair  des  eaux  jaillissantes 
(ce  portique  est  maintenant  fermé  de  vitres]  ;  adroite  et  à  gauche  s'avancent 
deux  courtes  ailes,  que  continuent  à  angle  droit  sur  les  jardins  deux  ailes 
plus  longues.  De  ce  côté,  un  grand  perron  descend  à  une  terrasse,  au 
milieu  de  laquelle  il  y  a  deux  bassins  avec  des  parterres  de  fleurs,  et  cette 
terrasse,  au  midi,  s'appuie  à  un  mur  qui  domine  d'autres  terrasses  plus 
étroites  en  pente  vers  le  canal  ;  au  nord,  elle  se  ferme  par  un  retour  des  bâti- 
ments, une  longue  galerie  rattachée  à  une  dernière  aile,  qui  est  Trianon-sous- 
Bois.  Plus  loin  s'étendent  les  avenues  et  les  pièces  d'eau  sous  l'ombrage 
des  marronniers  et  des  ormes.  Cette  grâce  familière,  ces  lents  replis  d'une 
galerie  qui  erre  parmi  les  fleurs  et  se  laisse  aimablement  dominer  par  les 
arbres  donnent  au  Trianon  de  Louis  XIV  un  charme  très  vif.  La  mono- 
tonie en  est  heureusement  animée  par  le  ton  délicieux  des  marbres,  et  il 
ne  faut  pas  oublier  que  durant  tout  un  siècle  la  balustrade  des  toits  fut 
ornée  de  vases  et  de  statues  de  pierre.  Les  colonnes  accouplées  du  péri- 
style de  marbre  vert  campan  semblent  moins  parfaites  encore  que  les 
pilastres  roses  en  marbre  du  Languedoc  qui,  tantôt  isolés  et  tantôt  appa- 
riés, encadrent  les  hautes  fenêtres  ;  bases  et  chapiteaux  sont  de  marbre 
blanc,  et,  sur  le  cintre  des  fenêtres  que  domine  une  coquille,  les  emblèmes 
de  la  guerre,  de  la  chasse,  de  la  pêche,  du  jardinage,  de  la  musique, 
fleurissent  la  pierre  blonde  des  plus  ingénieux  bas-reliefs.  Le  marbre  rose 
paraît  encore  dans  le  tore  à  relief  puissant   qui   s'encastre  au-dessous  de 


T  R I A  N  O  N 


91 


la  corniche  du  toit,  et  dans  les  placages  de  la  balustrade.  Seul,  Trianon- 
sous-Bois,  surcharge  visible  et  complément  exigé  après  coup,  a  le  .carac- 
tère d'une  habitation  plus  que  d'une  galerie  de  fêtes,  avec  deux  étages 
de  fenêtres  que  le  marbre  rose  n'encadre  plus,  ^lansart,  en  un  monu- 
ment où  les  exigences  de  son  maître  l'obligaient  aux  décisions  immé- 
diates et  aux  risques  d'une  hâte  excessive,  a  donné  la  mesure   excellente 


Cliché  .Neuide 


Trianon.  Le  grand  salon  Rond. 


de  ce  que  pouvait  inventer  la  grande  architecture  officielle  vers  cette 
fin  du  XVir  siècle  qui  annonce,  un  peu  lourdement  encore,  tout  l'esprit 
du  XVlil'' ;  le  Petit  Trianon  de  Gabriel  sortira  de  Trianon-sous-Bois. 

L'armée  des  sculpteurs,  ciseleurs,  ébénistes  qui  venaient  de  terminer 
la  Grande  Galerie  de  Versailles  se  transporte,  avec  la  même  discipline, 
dans  les  chantiers  de  Trianon.  Tous  les  sculpteurs  sur  marbre  et  sur  pierre 
dont  nous  avons  plus  d'une  fois  vu  les  noms  au  Château  et  dans  les  jar- 
dins, —  ils  sont  plus  de  cinquante  —  se  partagent  la  besogne,  les  ordres 
et  les  dessins  de  Mansart.  Coyzevox,  Coustou,  Tubi  et  Van  Clève, 
Le  Hongre,  Le  Gros,  Magnier,  Regnaudin,  les  plus  habiles  comme  les  plus 
dociles,  travaillent  aux  chapiteaux,  aux  groupes  d'enfants,  aux  corbeilles 


92 


VERSAILLES 


de  pierre  et  de  plomb,  aux  ornements  cent  fois  répétés  et  gracieux  tou- 
iours.  Bon  nombre  d'entre  eux  se  joig-nent  aux  ornemanistes  tels  que 
Lange,  Legay,  Pineau,  Régnier,  Taupin,  ([ui  modèlent  au  dedans  du 
palais  les  stucs  des  corniches  et  cisèlent  les  reliefs  des  boiseries.  Le 
style  de  ce  décor  intérieur,  malgré  les  nombreux  dégâts  et  la  suppression 
de  toute  dorure,  montre  (Micore  une  puissante  unité,  l)ien  (|ue  Tinvention 
y  soit  par  endroits  assez  lourde  et  banale.  Nulle  part  on  ne  saisira  mieux 
les  principes  de  composition  chers  à  Mansart.  Des  mascarons  aux  faces 
jeunes  et  souriantes  dominent  le  cintre  des  glaces,  parmi  les  retombées 
de  riches  guirlandes  de  fleurs  ;  des  colonnes  cannelées  et  des  pilastres  aux 
chapiteaux  feuillus  d'acanthe  soutiennent  les  frises  des  plafonds  divisées 
par  d'élégants  modillons  en  segments  réguliers  où  des  trophées  d'armes 
et  d'instruments  de  musique  inscrivent  leurs  bas-reliefs  joyeux.  Ailleurs 
des  cassolettes  fument,  entre  des  gerbes  de  palmes,  au-dessus  des  cham- 
branles, et  une  guirlande  touffue  où  se  mêlent  des  épis  de  blé  et  des 
grappes  de  raisin  rampe  à  la  base  de  la  voûte;  ou  bien  un  casque  à  hci^ut 
panache,  entre  des  carquois,  des  boucliers,  des  glaives  et  des  piquçs, 
sert  de  couronnement  à  une  cheminée  monumentale.  ; 

Les  appartements  donnant  sur  les  jardins  comprennent,  à  gauche  du 
péristyle,  un  grand  salon  des  glaces,  un  cabinet  et  une  chambre,  où 
habite  Monseigneur,  frère  du  Roi,  puis  le  salon  de  la  Chapelle  et  le 
salon  des  Seigneurs,  qui  sert  de  vestibule  ;  à  droite  du  péristyle,  le 
salon  des  Colonnes  ou  salon  Rond,  la  plus  élégante  de  ces  pièces  d'apparat, 
le  salon  de  la  31usique,  l'antichambre  des  Jeux  et  la  chambre  du  Som- 
meil (maintenant  réunies  en  une  seule  chambre),  le  cabinet  du  Couchant 
et  le  salon  Frais  ;  telles  sont  les  désignations  des  anciens  guides  pour 
cette  partie  du  palais  spécialement  réservée  au  Roi.  En  retour  de  ces 
dernières  pièces  se  trouvaient  les  petits  appartements,  comprenant  un 
buffet,  le  cabinet  du  Repos,  le  cabinet  du  Levant  et  le  salon  des  Sources, 
qui  furent  disposés  pour  M""-'  de  Maintenon,  puis  servirent  à  Stanislas 
Leczinski  et  à^P'^dePompadour.  Napoléon  les  transforma,  et  leur  donna 
le  décor  et  le  mobilier  qu'ils  ont  gardé  jusqu'aujourd'hui. 

La  galerie  qui  part  du  salon  Frais  (nommé  à  présent,  pour  son  mobi- 
lier, salon  des  3ialachites)  fut  ornée,  par  ordre  de  Louis  XIV,  de  toutes 
ces  précieuses  vues  de  Versailles  et  de  ses  bosquets,  peintes  par  Cotelle, 
Martin  et  les  Allegrain,  que  Louis-Philippe  a  fait  transporter  dans  son 
musée.  Le  salon  qui  la  termine  donne  accès  à  la  salle  du  Billard  [devenue, 
sous   Louis-Philippe,   une  chapelle  où  la  princesse  Marie,    en   1837,  fut 


TRIANON 


93 


la  princesse  Palatine,  dans  une  lettre  du  21  juin  1705,  décrivait  joli-' 
ment  les  entours  :  «  Je  suis  bien  logée  ;  j'ai  quatre  chambres  et  un 
cabinet  dans  lequel  je  vous  écris.  Il  a  vue  sur  les .  Sources^  comme- 
cela  s'appelle.  Les  -Sources  sont  un  petit  bosquet  si  touffu,  qu'en 
plein  midi  le  soleil  n'y  pénètre  pas.  Il  y  sort  de  terre  plus  de  cinquante 
sources  qui   font   de  petits  ruisselets  larges  d'un  pied  à   peine...   Il  y  a. 


Tiianon.  Le  salon  des  Glaces. 


des  deux  côtés,  de  larges  degrés,  car  tout  est  un  peu  en  pente  ;  l'eau  court 
aussi  sur  ces  degrés...  C'est,  comme  vous  le  voyez,  un  endroit  très  agréable. 
De  mon  côté,  les  arbres  entrent  presc[ue  dans  mes  fenêtres...  » 

Les  arbres  forment  le  cadre  immense  et  incomparable  de  ïrianon. 
Les  bassins  et  les  effets  d'eau  ne  sont  rien  auprès  de  leur  beauté.  Et 
pourtant  31ansart  a  fait  un  miracle  d'ingéniosité  dans  les  agencements  de 
son  Buffet,  dont  la  crête  porte  les  figures  en  plomb  doré  de  Neptune  et 
d'Amphitrite.  Le  mélange  des  marbres  blancs,  roses  et  verts,  le  doux 
éclat  des  plombs  dorés  parmi  l'argent  des  cascades  cj^ui  rejaillissent  d'une 
vasque   à  l'autre,  surprend  le  regard  à  l'extrémité  d'une   longue    allée 


94 


VERSAILLES 


ombreuse.  Une  habile  restauration  a  rendu  tout  récemment  aux  marbres 
effrités,  aux  plombs  rompus  et  délabrés  toute  la  vie  et  la  joie  somptueuse 
du  vieux  temps.   Le   Plafond  aussi,  restauré  comme  le  Buffet,  épanche 


Trianon.  Le  Buffet,  peinture  d'Ét.  AUegrain. 


Cliché  Neurdein. 


ses  larges  nappes  entre  des  margelles  de  marbre  rose  que  deux  dragons 
aux  silhouettes  chinoises  éclaboussent  d'un  jet  violent  ;  et  l'épaisse  gerbe 
qui  domine  le  bassin  s'encadre  exactemen'^  sous  l'arceau  incliné  des 
arbres  dont  le  quinconce  aérien  fait  face  au  centre  du  palais.  Au  pied 
des  terrasses,  d'autres  jets  emplissent  de  leur  tumulte  le  fer  à  cheval  de 


TRI  AN  ON 


95 


rocailles  recouvertes  d'un  manteau  de  glaçons,  autour  duquel  deux 
rampes  à  pente  douce  descendent  vers  le  Canal.  Plus  haut  que  Trianon- 
sous-Bois,  le  jardin  des  Marronniers  étale  ses  compartiments  de  gazon  et 
ses  allées  montantes  en  liémic3'cle  ;  des  bustes  d'empereurs,  de  dieux  et 
de  déesses,  taches  blanches  parmi  les  troncs  rouilles,  regardent  un  petit 
bassin  où    sont    assises    sur    un    rocher    quatre    élégantes   figurines    de 


Trianon.  Jardin  des  Marronniers. 


nymphes.  Enfin  d'autres  bassins,  plus  gracieux  encore,  avec  leurs  jeux 
d'amours  et  de  petits  faunes,  se  cachent  ici  et  là  dans  le  mystère  des 
bosquets.  3lais  c'est  aux  grands  arbres  qu'il  faut  demander  la  paix  pro- 
fonde, l'élargissement  du  rêve  porté  vers  des  horizons  de  lumière,  tout 
au  bout  de  leurs  immenses  nefs  de  verdure.  Des  tapis  de  gazons  revêtent 
ces  allées  c[ui  ra5'onnent,  semble-t-il,  à  l'infini  ;  des  murs  qu'une  charmille 
dissimule  et  d'invisibles  fossés,  ouverts  comme  des  seuils  nouveaux  au 
terme  de  chaque  a\enue,  ceignent  le  domaine  sans  paraître  le  borner. 
Nulle  part  la  solitude  n'est  plus  douce  ;  la  savante  tirchitecture  de  Le  Nôtre 
et  de  Mansart,  à  qui  nous  devons  pourtant  d'être  siîrement  guidés  en  ce 
labyrinthe  de  nobles  frondaisons,  se  fait  oublier  et  redevient  nature. 


La  Chapelle.  Balustrade  du  chev 


CHAPITRE  IV 

LA  CHAPELLE 


L^n  siècle  nouveau  commence,  qui  va  transformer  le  Château  de 
Louis  XI^^,  3lais  il  faut  crabord  que  les  plans  du  Roi  et  de  son  archi- 
tecte aient  été  pleinement  exécutés,  et  à  ce  Château  agrandi  pour  rece- 
voir toute  la  Cour,  il  manque  encore  une  Chapelle  suffisante  à  contenir 
toute  cette  Cour,  et  dont  les  beautés  ne  le  cèdent  à  rien  de  ce  que  Ton  a 
pu  admirer  dans  Thabitation  royale.  Ce  sera  Lœuvre  de  dix  années,  ^lan- 
sart  mourra  avant  d'en  avoir  vu  l'achèvement,  laissant  à  son  beau-frère 
Robert  de  Cotte  le  soin  d'en  diriger  le  décor.  L'emplacement  choisi  était 
tout  contre  Tancienne  Chapelle,  que  Ton  allait  détruire,  et  s'étendait  dans 
l'axe  d'une  des  ailes  des  3Linistres,  perpendiculairement  aux  deux  longs 
corps  de  logis  de  l'aile  du  Nord,  qui  venaient  s'appuyer  à  la  construction 
nouvelle.  Les  plans  arrêtés  dès  1689,  et  même  envoie  d'exécution,  ne  furent 
repris   et  modifiés  que   dix  années  plus  tard.    On  renonça  au   marbre. 


LA   CHAPELLE 


dont  il  avait  d'abord  été  décidé  que  Ton  revêtirait  tout  l'édifice,  et  Ton 
choisit  une  pierre  très  blanche,  au  grain  très  fin,  merveilleusement  propre 
à  la  sculpture.  Les  seuls  ouvrages  de  maçonnerie,  conduits  par  l'entrepre- 


La  Chapelle,  vue  de  la  cour. 


neur  Jacques  .^lazière,  aidé  de  Pierre  Thévenot,  Gérard  31arcou  et  Jacques 
A'arignon,  absorbèrent,  de  1699  à  1709,  plus  de  huit  cent  mille  livres.  Le 
5  juin  17  10,  après  que  la  Chapelle  neuve  eut  été  soigneusement  examinée 
et  approuvée  du  Roi  en  ses  moindres  détails,  le  cardinal  de  Noailles, 
archevêque  de  Paris,  la  bénit  solennellement  ;  un  mois  plus  tard,  le  Roi  y 
célébrait  le  mariage  du  duc  de  Berry  avec  M"®  de  Chartres. 


gS  VERSAILLES 

Du  dehors,  l'édifice  paraît  .singulier.  Comme  autrefois  la  Sainte-Cha- 
pelle de  Paris,  il  ne  se  montre  que  par  le  chevet,  la  face  en  étant  appliquée 
contre  la  longue  aile  du  Château,  dont  sa  muraille  continue  les  proportions. 
La  saillie  d'une  corniche,  qui  supporte  des  pilastres  d'ordre  corinthien, 
divise  cette  muraille  en  deux  étages,  jjour  marquer  nettement  l'architec- 
ture intérieure.  En  bas,  il  y  a  des  fenêtres  courtes,  à  cintre  surbaissé  ;  en 
haut,  entre  les  pilastres,  des  baies  à  plein  cintre  .s'allongent  comme  les 
vitraux  des  églises  gothiques.  Puis  une  nouvelle  corniche,  très  large, 
termine  sa  ligne  horizontale  au  niveau  même  des  toits  du  Château  ;  elle 
délimite,  au-dessus  des  bas  côtés,  une  sorte  de  terrasse  d'où  s'élance, 
porté  sur  des  arcs-boutants,  le  haut  de  la  nef,  tout  percé  de  fenêtres,  et 
que  couronne  un  comble  aigu,  à  pente  d'ardoises,  à  faîtage  de  plomb. 
Seule,  cette  dernière  partie  de  la  Chapelle,  par-dessus  les  toits  du  Châ- 
teau, oppose  à  son  chevet  arrondi  une  façade  triangulaire  qui  regarde  les 
jardins.  Elle  offre  de  joartout,  écrit  pittoresquement  vSaint-Simon,  «  la 
triste  représentation  d'un  immense  catafalque  »  ;  image  forte,  et  qu'on  ne 
peut  oublier,  après  avoir  vu  les  vases  de  pierre  qui  simulent  malencon- 
treusement des  torchères  allumées  tout  autour  de  cette  toiture.  Plus  bas, 
la  balustrade  porte  des  statues  d'apôtres  et  de  Pères  de  l'Église,  médiocres 
imitations  de  celles  qui  gesticulent  assez  ridiculement  aux  frontons  des 
églises  romaines  décorées  par  Bernin  et  ses  élèves  ;  ce  n'est  que  du  mau- 
vais Bernin,  cet  assemblage  de  longues  silhouettes,  aux  draperies  flottan- 
tes, que  des  barres  de  fer  maintiennent  en  un  périlleux  équilibre.  Le  décor 
en  bas-relief,  trophées  religieux,  chiffres  du  Roi,  guirlandes  de  fleurs, 
enfants  assis  au  cintre  des  fenêtres  et  portant  des  ornements  d'église,  mé- 
daillons du  Christ  et  de  la  Vierge,  forme  un  arrangement  précis,  d'une 
très  belle  et  souple  exécution.  La  jolie  lanterne  de  plomb  doré  qui  domi- 
nait la  Chapelle  a  été  supprimée  en  1765  pour  alléger  la  toiture  ;  il  ne 
reste  aux  extrémités  du  faîtage  que  deux  groupes  d'enfants  en  plomb  qui 
élèvent,  les  uns  des  palmes,  les  autres  le  globe  du  monde  surmonté  de  la 
croix.  Des  fleurs  de  lis  et  des  têtes  de  chérubins  soutiennent  la  crête  du 
faîtage,  et  sur  les  versants  du  fronton  sont  assises  deux  figures  de  pierre, 
par  Guillaume  Coustou,  qui  sA^mbolisent  la  Foi  et  la  Religion  ;  enfin  six 
gracieuses  lucarnes  envoient  quelque  lumière  dans  la  forêt  de  la  charpente, 
dont  le  robuste  assemblage  sous  le  haut  toit  d'ardoises  seml^le  un  dernier 
souvenir  des  constructions  gothiques. 

Tout  l'étrange  et  presque  le  maladroit  dé  cette  grande  aile  parasite 
s'explique  très  logiquement,  dès  que  l'on  pénètre  à  l'intérieur.  L'on  com- 
prend alors,  du  premier  coup  d'œil,  que  la  Chapelle,    ainsi    que    tout  le 


LA   CHAPELLE 


99 


Château,  dont  elle  dépend,  n'a  été  disposée  que  pour  Tusage  du  Roi. 
«  Mansart  »,  dit  Saint-Simon,  «  ne  compta  les  proportions  que  des  tribunes, 
parce  que  le  Roi  ne  devait  presque  jamais  y  aller  en  bas  »  ;  et  il  est  très 
vrai  que  c'est  de  la  tribune  roj-ale  qu'il  faut  tout  d'abord  regarder  la 
Chapelle  ;  mais  elle  plaît  de  partout,  grâce  au  rythme  parfait  et  à  la  jus- 
tesse idéale  de  l'ordonnance,  que  fait  valoir,  comme  dans  les  chefs-d'œuvre 
de  l'art  gothique,  la  sobriété  de  l'ornement.  Dans  ce  grand  vaisseau  tout 


Vestibule  haut  de  la  Chapelle. 


baigné  d'air  et  de  clarté,  c'est  Tarchitecture  qui  domine  et  règle  tout  ;  les 
autres  arts  ne  sont  plus,  comme  il  convient,  que  ses  dociles  serviteurs. 
Point  de  marbre,  sauf  au  pavé  et  aux  autels  ;  tout  est  de  pierre,  mais  d'une 
pierre  si  délicate,  d'un  grain  si  égal  et  si  pur,  presque  blonde,  et  où  la 
lumière  se  joue  délicieusement.  Cette  simplicité  grave  et  inattendue  saisit 
dès  l'entrée  des  vestibules,  qui  Tun  au-dessus  de  l'autre  prennent  jour 
sur  les  jardins,  et,  en  même  temps  qu'à  la  Chapelle,  introduisent  aux 
appartements  de  l'aile  du  Nord.  Celui  du  bas,  plus  largement  ouvert,  avec 
sa  colonnade  de  pierre  qui  soutient  une  voûte  plate,  donne  accès,  par 
une  grande  porte  blanche  et  dorée,  à  la  nef  centrale,  et,  par  deux  portes 
latérales,  aux  escaliers  tournants  qui  mènent  au  premier  étage.  Celui  du 


loo  VERSAILLES 

haut  forme  un  admirable  salon  tout  blanc,  à  voûte  arrondie,  où  des  colon- 
nes à  fûts  cannelés,  tantôt  accouplées  et  tantôt  simples,  s  appuient  aux 
murailles  dont  elles  divisent  chacune  en  trois  arcades,  pour  les  fenêtres 


ClMlie  l'amaiJ. 


Intérieur  de  la  Chapelle,  vu  de  la  tribune  royale. 


donnant  sur  les  jardins,  pour  les  portes  communiquant  avec  la  Chapelle  et 
les  appartements,  enfin  pour  deux  niches  c^ui  se  font  face,  et  ont  reçu,  au 
temps  de  Louis  XV,  deux  élégantes  statues  de  marbre,  de  Vassé  et  de 
Bousseau,  la  Gloire  et  la  Magnanimité.  Félibien  assure  que  Ton  devait 
mettre  en  ces  niches  les  statues  de  TAsie  et  de  l'Europe  ;  on  y  renonça, 
parce  qu'elles  auraient  fait  double  emploi  avec  les  grandes  figures  de  stuc 


LA   CHAPELLE  loi 

qui  sont  aux  quatre  angles  de  la  voûte,  et  représen  ent  les  quatre  parties 
du  monde  où  l'Evangile  a  été  prêché. 

Le  Roi,  venant  des  appartements,  traversait  le  premier  étage  de  Tan- 


Intérieur  de  la  Chapelle,  vu  de  la  tribune  des  orgues. 

cienne  Chapelle  (à  l'endroit  où  sera  bientôt  le  salon  d'Hercule;,  pour 
entrer  au  nouveau  vestibule  ;  les  deux  battants  de  la  grande  porte,  magni- 
fiquement ornés  de  son  chiffre,  avec  des  branches  de  lis,  des  tètes  de 
chérubins  et  les  armes  de  France,  s'ouvraient  à  son  approche  ;  il  était 
dans  sa  tribune.  Devant  lui  s'allongeait  le  blanc  vaisseau  terminé  en 
courbe  élégante.  Ce  vaisseau  se  divise  en  deux  étages,  dont  une  rampe  de 


102  VERSAILLES 

brèche  violette  posée  sur  des  balustres  dorés  marque  nettement  la  limite. 
Des  pilastres  carrés  supportent  des  arceaux  au  cintre  régulier  qui  s'accor- 
dent aux  divisions  de  la  voûte  des  bas  côtés,  et  ré])()ndent  à  d'autres  pilas- 
tres adossés  aux  murs;  et  chacun  d'eux,  à  l'étage  des  tribunes,  se  continue 
par  les  colonnes  cannelées  où  s'appuie  la  voûte.  Le  pavé  est  couvert  d'une 
riche  mosaïque  de  marbre,  où  les  grandes   fenêtres  jettent  à  flots   leur 
lumière.  Elles  sont  toutes  claires  avec  leurs  carreaux  de  blanc  cristal  bien 
pris  dans  les  armatures  de  fer  doré  ;  le  cadre  seul  est  de  vitraux  de  cou- 
leur, formé  d'une  grosse  torsade  d'or  et  de  rinceaux   qui   montrent   des 
fleurs  de  lis  sur  un  fond  d'azur  ;  dans  le  cintre  supérieur  deux  cercles  sont 
inscrits  qui  contiennent,  en  lettres  d'or,  le  chiffre  du  Roi.  Ces  vitraux  ont 
été  décorés  par  Claude  Audran,  d'après  les   modèles  des  peintres  Dieu, 
Bertin  et  Christophe.  La  voûte  cintrée,  toute  peinte  à  fresque,  part  d'une 
large  corniche  blanche,  posée  sur  une  architrave  presque  nue,  dont  la  sim- 
plicité fait  vm  contraste  saisissant   avec  la  surcharge   de  fausses   dorures 
imitant  le  bas-relief  et  de  figures  que  l'on  dirait  en  carton  peint.  Les  orne- 
ments sont  de  Philippe  Meusnier,  les  figures  d'Antoine  Coypel,  qui  a  repré- 
senté, au  centre,  le  Père  Lternel  dans  sa  gloire,  entre  deux  groupes  d'es- 
prits célestes  portant  les  instruments  de   la  Passion.    C'est  une   absurde 
sarabande  de  jambes  et  de  bras  nus,  l'exacte  imitation  de  la  pire  décadence 
italienne,  non  plus  même  de  Luca  Giordano,  mais  du  P.  Pozzi,  ce  jésuite 
qui   couvrait,    vingt   ans   plus   tôt,    à  Rome,  l'immense  voûte  de  Saint- 
Ignace  de  ses  fantaisies  délirantes.  Aux  pendentifs,  Co3'pel,  qui  songeait 
au  plafond  de  la  Sixtine,  a  peint  les  douze  prophètes  :  pauvres  caricatures 
des  héros  de  Michel- Ange  !  Lafosse,  qui  a  composé  à  l'abside  la  Résur- 
rection de  Jésus-Christ,  et  Jouvenet  qui,  à  l'autre  extrémité  de  la  voûte, 
au-dessus  de  la  tribune  du  Roi,  a  représenté  la  descente  du  Saint-Esprit, 
sont  plus  discrets  et  paisibles,  mais  ils  n'en  restent  pas  moins  des  décora- 
teurs   de   théâtre.    Aux    tribunes    de    pourtour,    la   voûte  est  divisée  en 
petites  travées  à  coupoles  basses  où  les  deux  Boulogne,  l'aîné  à  droite, 
le  jeune  à  gauche,  ont  peint  les  apôtres  parmi  des  anges,  sur  un  fond  de 
ciel  et  de   nuages  ;  trois  des  travées  de  l'abside  sont    remplies    par   un 
concert    d'anges    c^ui    chantent   le    Domine  salvtiin  fac   regein.    C'est 
encore  Boulogne  le  jeune  qui  a  peint  la  chapelle  de  la  A'ierge,  construite 
au-dessus  de  la  chapelle  de  saint  Louis,  dans  un  corps  qui  fait  saillie  au 
côté  gauche  de  l'édifice.  Il  y  a  représenté,  dans  la  coupole,  l'Assomption  ; 
aux  pendentifs,  des  anges   qui  portent  des    attributs  tirés   des   litanies  : 
Rosa  niystica,  Fœderis  arca,  Stella  niatutiim.  Tu r ris  David ica  ;  aux 
voussures  des  arcades,  l'Amour  divin,  la  Pureté  et  l'Humilité  ;   enfin,  au 


LA   CHAPELLE 


103 


tableau  d'autel,  l'Annonciation.  Tout  cela  est  d'un  goût  bien  faible  ;  et 
ciue  dire  de  l'autel  de  sainte  Thérèse,  un  peu  plus  loin,  où  Santerre  a 
donné  à  la  sainte  un  visage  de  poupée,  et  de  l'autel  de  saint  Louis,  où 
Jouvenet  a  cuirassé  et  casqué  le  pieux  roi  à  la  mode  de  Louis  XIV  ? 


Maitre-autel  de  la  Chapelle. 


Cette  décoration  peinte,  d'un  S3-mbolisme  assurément  bien  enchaîné, 
eût  mérité  de  meilleurs  exécutants  ;  mais  les  temps  de  Lesueur  sont  déjà 
loin,  la  mythologie  romaine  a  tout  corrompu,  et  l'on  sent  que  ces  médio- 
cres élèves  de  Le  Brun  s'acquittent  avec  peu  de  conviction  de  leur  grande 
tâche.  Au  moins  la  peinture  ne  joue-t-elle    ici   qu'un   rôle  secondaire,  et 


104  VERSAILLES 

g,ssez  loin  des, regards.  Llçsprit  de  la  sculpture  n'est  guère  plus  chrétien, 
sans  doute  ;  mais  quelle  finesse  et  quelle  grâce  du  travail  !  quel  sentiment 
parfait  de  l'adaptation  du  décor  aux  formes  architecturales  !  Est-ce  à  3lan- 
sart,  n'est-ce  pas  plutôt  à  Koljert  de  Cotte  que  l'on  doit  faire  honneur  du 
dessin  de  Tensemble  ?  Il  est  d\in  grand  maître,  et  l'accord  dans  l'exécu- 
tion de  tous  ces  excellents  ouvriers  formés  à  la  discipline  académique 
paraît  ici  tellement  harmonieux  qu'il  semble  impossible  de  distinguer  des 
mains  si  diverses.  Bertrand  et  Frémin,  Dumont  et  Femoine,  Cornu  et 
^Manière,  Le  Lorrain  et  Lapierre,  Thierry  et  Le  Pautre,  Poultier  et  Poirier, 
Guillaume  et  Nicolas  Coustou,  les  bons  ornemanistes  dont  la  plupart  tra- 
vaillent à  l'ordinaire  ]:iour  A^ersailles,  sont  occupés  depuis  ])lusieurs 
années  au  décor  de  la  Chapelle.  Ils  ont  mis  de  mauvaises  statues  sur  la 
balustrade  ;  ils  mettent  de  charmants  bas-reliefs  au  dehors  et  au  dedans 
des  murailles.  Coyzevox  manque  à  la  petite  troupe  de  Robert  de  Cotte  ; 
mais  Van  Clève  et  les  Coustou  peuvent  rivaliser  avec  lui.  A^an  Clève,  le 
plus  favorisé,  a  eu  la  commande  du  maître-autel,  tout  en  marbre  et  en 
bronzes  dorés.  Derrière  le  tabernacle,  dans  tout  le  fond  de  l'arcade  de 
pierre,  il  a  représenté  une  Gloire  où  le  nom  de  Dieu,  en  lettres  hébraïques, 
apparaît  clans  un  triangle  ;  des  rayons  d'or  en  jaillissent,  et  des  chéru- 
bins et  des  anges  se  jouent  parmi  ces  ravons  sur  les  nuages.  Au  sommet 
de  l'arcade,  un  grand  ange  plane  au-dessus  de  l'autel  ;  il  tenait  autrefois 
des  deux  mains  une  banderole  qui  a  disparu,  où  on  lisait  :  Saiictuui  et 
tcrribilc  iwmcu  cjiis.  Deux  autres  anges,  modelés  en  plein  relief,  sont 
agenouillés  sur  des  nuages  à  droite  et  à  gauche  du  grand  retable.  Enfin 
le  devant  d'autel,  formé  d'un  bas-relief  doré  où  l'on  voit  les  Saintes 
Femmes  pleurant  sur  le  corps  du  Christ,  est  encadré  d'élégantes  appli- 
c{ues  de  lironze  où  sourient  des  tètes  de  chérubins. 

Ce  que  Caylus,  à  propcjs  de  l'autel  de  Van  Clève,  appelle  «  les  varié- 
tés nobles  dans  le  même  caractère  «  se  peut  dire  également  des  figures 
d'anges  tenant  les  instruments  de  la  Passion  si  ingénieusement  disposées 
à  la  naissance  des  arcades  de  la  nef.  Avec  un  rien  de  mièvrerie  sans  doute 
et  cj^uelque  chose  par  avance  de  cette  grâce  voluptueuse  cj^ui  animera  les 
statues  de  Coustou  le  jeune,  de  Jean-Baptiste  Lemoyne  ou  dePigalle,  elles 
s'associent  dans  un  rN'thme  parfait  à  la  haute  signification  du  décor  reli- 
gieux. Les  emblèmes  que  portent  les  anges  forment  en  seize  tableaux 
une  sorte  de  Chemin  de  la  Croix,  arrangé  de  telle  sorte  qu'en  partant  de  la 
droite  du  sanctuaire  pour  faire  le  tour  de  la  Chapelle,  on  trouve,  aux  deux 
côtés  de  l'autel,  d'une  part  le  Lavement  des  pieds  et  la  Cène,  et  de  l'autre 
la  Descente  de  Croix  et  la  visite  des  Saintes  Femmes  au  Tombeau,  qui 


LA   CHAPELLE  105 

sont  l'expression  même  du  Sacrifice  de  la  Messe,  complété,  si  on  lève 
ensLute  les  yeux  vers  les  peintures  de  la  voûte,  par  la  Résurrection  c^ue 
l'on  aperçoit  à  l'abside. 

Entre  ces  figures  d'anges,  ciselées  avec  la  souplesse  du  cuivre  par  tant 
de  mains  différentes,  il  y  a,  au  sommet  du  cintre  des  arcades,  de  petites 
tètes  de  chérubins,  deux  par  deux,  qui  sourient  avec  une  grâce  délicieuse. 


Piliers  de  la  nef,  du  côté  gauche. 


Celles  du  fond  du  chœur  sont  de  Guillaume  Coustou,  et  c'est  Augustin  Cayot 
qui  a  modelé,  pour  être  fondus  en  bronze,  les  petits  corps  nus  et  potelés 
des  angelots  assis  ou  agenouillés  sur  le  retable  des  autels  placés  au  pourtour 
de  la  Chapelle,  et  montrant  le  crucifix  d'un  geste  si  gentil  et  si  tendre. 

L'exécution  est  plus  raffinée  encore,  d'une  légèreté  qu'il  semble  que 
la  pierre  ne  puisse  pas  admettre,  dans  la  plupart  des  trophées  sculptés  sur 
les  quatre  faces  des  piliers  de  la  nef,  et  dans  les  compartiments  qui  leur 
répondent,  aux  murs  des  bas  côtés.  La  pierre  souple  et  docile  s'est  laissé 
manier  comme  du  bois  et  l'on  ne  sera  pas  surpris  de  trouver  parmi  les 
noms  des  ornemanistes  si  experts  auxquels  ce  travail  extraordinaire  a 
été  réparti,  celui   d'un   des  maîtres  de  la  boiserie  et    du    cuivre,   Duo-ou- 


io6  VERSAILLES 

Ion,  ou  celui  de  Rousseau  de  Corbeil,  chef  de  la  d3mastie  des  sculpteurs 
en  bois  qui  s'illustreront  sous  les  règnes  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI. 

Ces  trophées  se  composent  en  général  de  médaillons  où  est  sculpté,  en 
très  petites  figures,  un  sujet  évangélique  ou  une  allégorie  religieuse, 
que  commentent  par  des  emblèmes  appropriés  les  autres  parties  du  décor. 
Voici  les  figures  des  apôtres,  des  évangélistes,  des  Pères  de  l'Église  et 
des  premiers  saints,  les  scènes  de  la  vie  et  de  la  Passion  du  Christ. 
l'Ancienne  Loi  et  la  Loi  Nouvelle,  l'Iiglise  enseignante  et  triomphante, 
les  Vertus,  les  Sacrements.  C'est  tout  un  catéchisme  en  images  spiri- 
tuelles et  jolies,  dont  la  disposition  n'est  pas  toujours  d'une  logique 
rigoureuse,  mais  dont  l'ornement  témoigne  dune  inépuisable  invention. 

L'iconographie  des  évangélistes  a  perdu  un  peu  de  sa  précision  tradi- 
tionnelle ;  mais  le  trophée  de  saint  31ichel  offrait  au  sculpteur  un  admi- 
rable dragon  emblématique  ;  celui  de  saint  Sébastien  est  orné  de  fouets 
et  de  flèches  ;  celui  de  sainte  31adeleine,  dont  le  médaillon  représente  la 
solitaire  au  désert  de  la  Sainte-Baume,  oppose  aux  souvenirs  de  sa  vie 
mondaine,  cornemuse,  colliers  de  perles,  pièces  dor.  l'instrument  de  la 
pénitence,  la  discipline,  au-dessous  de  laquelle  est  placé  le  vase  de  parfums. 
Autour  du  joli  médaillon  de  la  Nativité,  il  3^  a  deux  colombes,  un  agneau, 
une  couronne  et  un  ange  qui  tient  la  banderole  où  on  lit  :  Gloria  in 
excelsis.  Au-dessous  du  médaillon  des  3Iarchands  chassés  du  temple,  il 
y  a  une  corbeille  d'osier  d'où  s'échappent  des  poulets,  une  bourse  qui  se 
vide  de  ses  pièces  d'argent.  Ailleurs,  parmi  les  scènes  de  la  Passion,  qui 
expliquent,  autour  de  la  nef,  les  emblèmes  portés  par  les  anges,  voici  la 
lanterne,  la  torche,  l'escarcelle  de  Judas,  pour  commenter  l'Arrestation 
de  Jésus  ;  le  voile  de  A'éronique,  l'éponge  et  le  vase  de  fiel,  le  marteau  et 
les  clous  dans  un  panier  sont  les  ornements  de  la  Montée  au  Calvaire  ;  et 
aux  pieds  du  Crucifix,  parmi  les  armes  de  la  soldatesque  romaine,  on 
voit  le  serpent  qui  tenta  la  première  femme.  A  l'entrée  du  sanctuaire,  de 
petits  anges  qui  se  jouent  parmi  les  nues  portent  les  tables  du  Décalogue 
et  le  candélabre  à  sept  branches  qui  symbolisent  l'Ancienne  Loi.  et 
d'autres,  en  face  de  ceux-là,  soulèvent  l'arche  d'alliance,  ornée  de  ses 
tètes  de  chérubins,  l'autel  des  parfums,  et  la  table  des  pains  de  propi- 
tiation.  Cependant,  aux  piliers  où  s'adosse  le  maître-autel,  une  élégante 
gerbe  de  blé  signifie  le  pain  eucharistique  associé  aux  grappes  de  rai- 
sin qui  entourent  le  calice  ;  les  cierges,  les  burettes,  l'encensoir  annon- 
cent et  résument  le  Saint  Sacrifice  ;  et  l'on  ne  saurait  dire  toute  l'ingé- 
niosité, tout  l'esprit  dépensés  à  renouveler  et  varier  ces  trophées  d'église 
qui,  autour  du  chœur,    amoncellent  en  leurs  bandeaux   étroits  les  vases 


LA   CHAPELLE 


107 


et  les  ornements  sacrés,  sans  monotonie  et  sans  répétition.  Dans  la 
chapelle  de  saint  Louis,  ce  sont,  comme  il  convient,  des  trophées 
d'armes,  musulmanes  d'un  côté,  françaises  de  Tautre,  autour  de  médail- 
lons qui  représentent  la  prière  du  saint  roi  tenant  en  mains  la  Cou- 
ronne   d"I\pines  reconquise,  et  sa   dernière   Communion  ;    et    une   petite 


Cliché  Pamard. 


Buffet  d'orgue. 


couJ3ole  surbaissée,  pareille  à  celle  des  travées  des  bas  côtés,  est  ornée 
d'une  gloire  de  chérubins,  tandis  c[u"aux  retombées  de  la  voûte  des  anges 
tiennent  la  main  de  justice,  le  sceptre,  la  couronne  ro3"ale  et  la  palme 
du  Ciel.  Que  de  délicatesse  encore  dans  les  menues  figures  des  Vertus,  Foi, 
Espérance,  Charité,  Pureté,  Force,  Justice  et  Sagesse,  ciselées  au  bas 
côté  de  gauche,  et  clans  les  petits  tableaux  des  Sacrements,  au  bas  côté 
de  droite  !  Ces  bas  côtés  sont  tous  revêtus,  dans  les  intervalles,  d'un  élégant 
guillochis  de  pierre,  où  le  chiffre  du  Roi  se  mêle  à  des  gerbes  fleuries,  et 
où  des  semis  de  fleurs  de  lis  alternant  avec  des  soleils  forment  ce  que  les 


io8  VERSAILLES 

Comptes  des  Bâtiments  appellant  un  ((  ornement  de  mosaïque  ».  Ces 
fleurs  de  lis,  soigneusement  et  puérilement  grattées  sous  la  Révolution,  qui 
a  voulu  les  effacer  de  tout  le  Château,  ont  été  remplacées  tant  bien  que 
mal  par  d'insignifiants  fleurons. 

Les  mêmes  ornements  du  rez-de-chaussée  se  continuent  au  pourtcjur 
des  tribunes,  et  les  trophées  d'église  qui  ornent  la  tril)une  royale,  aussi 
bien  que  les  trophées  d'instruments  de  musique  qui  décorent  les  murs 
dans  le  voisinage  de  l'orgue,  ont  une  ampleur,  une  somptuosité  parfaites. 
Le  chambranle  de  pierre  qui  domine,  entre  de  hauts  pilastres  cannelés, 
l'admirable  porte  de  la  tribune  du  Roi  est  relevé  de  festons  de  fleurs  au- 
dessus  de  deux  têtes  de  séraphins  dans  un  nuage  ;  il  supporte  deux 
grands  anges  assis  qui  soutiennent  la  couronne  royale  et  l'écusson  de 
France.  Ces  anges  sont  de  .Manière  ;  à  droite  et  à  gauche,  au-dessus 
des  deux  portes  latérales  de  la  triljune  aujcjurd'hui  fermées  et  murées;, 
deux  grands  bas-reliefs,  de  Poirier  et  de  Iruillaume  Coustou,  montrent  la 
Présentation  au  Temple  et  Jésus  parmi  les  docteurs,  deux  images  qui 
sont  la  meilleure  des  introductions  au  symbolisme  figuré  de  la  Chapelle. 
Enfin  il  ne  faut  pas  oublier  les  vingt-six  figures  de  Vertus  assises  deux 
par  deux  au  chambranle  des  hautes  fenêtres,  d'où  elles  regardaient, 
d'où  elles  instruisaient  cette  foule  de  courtisans  pressés  au  pourtour  des 
tribunes  et  qui  ne  songeaient  sans  doute  guère  à  leurs  symboliques 
images,  mais  n'avaient  d'yeux  que  pour  la  tribune  royale,  pour  les  deux 
«  tourelles  »  vitrées  et  dorées  placées  à  ses  coins  arrondis,  et  d'où,  presque 
invisibles  mais  attentifs,  le  roi  vieilli  et  .M'"*^  de  3laintenon  suivaient 
l'office  ou  écoutaient  le  prêche. 

La  chaire,  dont  Vassé  avait  fait  le  modèle,  et  les  confessionnaux, 
sculptés  par  Diot,  Jollivet,  Lelong,  Lejay,  ont  disparu  pendant  la  Révo- 
lution ;  mais  le  rez-de-chaussée  garde  encore,  autour  du  chœur,  les 
superbes  balustrades  de  bronze  doré  dont  l'ornement  est  formé  du  chifl"re 
du  Roi  mêlé  aux  fleurs  de  lis.  Et  surtout,  au  chevet  de  la  tribune,  il  3^  a 
un  merveilleux  buffet  d'orgue,  dont  les  jeux,  habilement  restaurés,  per- 
mettent d'animer  la  grande  Chapelle  des  harmonies  musicales  d'autrefois. 
C'est  le  chef-d'œuvre  de  sculpture  des  vaillants  ouvriers  qui  travaillent 
depuis  si  longtemps  pour  le  Roi,  Dugoulon  et  ses  associés,  Le  Goupil, 
Taupin  et  Bellan,  auxquels  se  sont  joints  Diot  et  Delalande  ;  et  Bertrand 
a  fait  les  modèles,  d'après  les  dessins  de  Robert  de  Cotte.  Entre  des 
trophées  d'instruments  de  musique,  au-dessous  des  Victoires  portant  des 
palmes  et  soutenant  l'écusson  de  France  et  la  couronne  ro3'ale,  ils  ont 
ciselé    au    panneau    central  une  figure  du    roi    David  inspirée    de   l'art 


LA   CHAPELLE  109 

classique  du  xvii"  siècle  ;  mais  tout  Tesprit  et  toute  la  grâce  du  XVIll' 
palpitent  aux  montants  des  angles.  Ce  sont  des  tiges  de  palmiers 
auxquelles  s'eni-oulent  des  guirlandes,  et  dont  le  feuillage  s'épanouit,  se 
recourbe,  se  fleurit  de  têtes  de  chérubins  joufflus  ;  voici  qu'apparaît  dans 
l'art  de  Versailles  un  des  motifs  préférés  de  la  décoration  prochaine,  qui 
en  tirera  les  cadres  de  glaces  et  de  tableaux  les  plus  exquis. 

Une  porte,  au  bas  côté  de  gauche,  donne  accès  à  la  sacristie,  toute  en 
bois  naturel  ciré.  Un  couloir,  où  s'ouvre  une  petite  pièce  avec  un  lavabo  de 
marbre  rouge,  mène  à  la  haute  salle  entourée  d'armoires  et  divisée  par 
un  grand  cintre  sculpté.  De  jolies  têtes  d'anges  se  montrent  au-dessus  des 
placards.  Aux  angles,  il  y  a  quatre  confessionnaux  élégants.  Les  peintu- 
res, plus  que  médiocres,  ne  valent  même  pas  d'être  citées,  et  treize  petits 
bustes  de  terre  cuite,  que  Ton  voit  rangés  tout  au  fond,  modelés  ancien- 
nement par  Sarrazin,  représentent  le  Sauveur  et  les  Apôtres. 

Tel  est,  d'ensemble  et  de  détails,  un  des  plus  parfaits  monuments 
élevés  par  Louis  XIV.  C'est  l'adieu  des  artistes  du  grand  siècle,  et  c'est 
aussi  l'annonce  d'un  art  plus  souple  et  moins  pompeux,  qui  essayait  déjà 
toute  sa  force  quelques  années  plus  tôt,  en  modelant  la  délicieuse  frise 
de  l'Œil-de-Bœuf.  On  ne  peut  se  défendre,  en  l'étudiant,  de  songer  par- 
fois à  l'art  gothique,  quelque  surprenant  qu'en  soit  le  souvenir  au  milieu 
des  solennités  académiques.  Certes,  on  n'aura  point  de  peine  à  trouver 
plus  d'art  chrétien  sincère  et  agissant  dans  la  moindre  église  du  XllT  siècle  ; 
mais  la  forme  même  de  la  Chapelle  de  Versailles  ne  doit-elle  pas  rappeler 
la  Sainte-Chapelle  de  Paris  ?  et  n'y  a-t-il  pas  encore  dans  ce  sens  persistant 
du  symbolisme  quelque  chose  de  surprenant,  et  qui  semblait  aboli  depuis 
la  Renaissance,  une  certaine  beauté  religieuse  dont  on  reconnaît  ici  pour 
la  dernière  fois  avant  longtemps  une  expression  complète  ?  Ce  dernier 
monument  du  grand  règne,  construit  aux  années  de  tristesse  et  de  recueil- 
lement, garde  dans  sa  magnificence  quelque  chose  de  sérieux  et  desimpie. 
On  pourrait  le  comparer  aux  chefs-d'œuvre  des  lettres  françaises  :  il  a  les 
nobles  lignes  et  les  périodes  majestueuses  d'un  Bossuet,  la  pureté  du  décor 
sans  surcharge,  la  clarté  du  détail  et  l'ordre  d'un  Racine  ;  la  lourdeur  et 
le  pathos  trop  dorés  des  anciens  appartements  n'y  reparaissent  plus.  C'est 
l'achèvement  et  l'harmonie  définitive  du  Versailles  dé  Louis  XIV,  de 
l'immense  Château  dont  la  noblesse  ne  sera  bientôt  plus  comprise  ;  car 
des  mœurs  plus  familières  vont  commencer,  qui  exigeront  un  art  intime, 
léger,  spirituel,  amolli,  plié  aux  nécessités  d'un  bien-être  nouveau,  un  art 
moins  royal  sans  doute,  mais  aussi  plus  humain. 


Le  Château  en  1722,  peinture  de  P.-D.  ^Martin. 

CHAPITRE   V 

LE  CHATEAU   DE    LOUIS   XV    ET   DE    LOUIS    XVI 


Par  la  mort  de  Louis  XIV  disparaissait  la  forte  volonté  qui  faisait 
Tunité  de  Versailles  et  de  la  France.  L'enfant  de  cinq  ans  qui  succédait  au 
grand  Roi  avait  été  conduit  à  Paris,  d'où  il  devait  revenir  au  bout  de 
quelques  années,  enfant  encore,  mais  déjà  capable  de  désirs  sinon  de 
décisions,  fiancé  à  une  petite  princesse  de  sept  ans,  que  Ton  élevait  à  la 
Cour,  et  qui,  durant  trois  années,  avant  la  répudiation  brutalement  impo- 
sée à  LEspagne,  eut  pour  logement  à  Versailles  le  solennel  appartement 
de  la  Reine.  Le  Château  abandonné  avait  reçu  quelques  visites  :  en  17 17, 
le  czar  Pierre  le  Grand  y  séjournait  à  deux  reprises  ;  on  y  meublait  pour 
lui  Létroit  et  sombre  appartement  du  duc   de  Bourgogne,   ces   cabinets 


LE  CHATEAU  DE  LOUIS  XV  ET  DE  LOUIS  XVI       m 

intérieurs  où  les  reines  Marie  Leczinska  et  Marie-Antoinette  devaient  se 
ménager  une  retraite  élégante  ;  en  1 718,, le  duc  et  la  duchesse  de  Lorraine 
faisaient  une  promenade  dans  les  salons  et  les  jardins  déserts  ;  mais  la 
vie,  avec  son  travail  incessant  de  démolitions  et  de  transformiitions,  ne 
recommence  qu'à  la  date  du  15  juin  1722,  au  moment  où  le  jeune' Roi 
ramène  la  Cour,  les  affaires 
et  les  intrigues  dans  la  rési- 
dence désormais  consacrée. 

Un  tableau  de  Pierre- 
Denis  Martin  nous  montre, 
avec  la  minutie  et  la  cons- 
cience habituelles  à  ce  peintre, 
le  Château  et  ses  entours  en 
cette  année  1722.  De  la  place 
Ro3'ale ,  sorte  de  chantier 
qu'encombrent  des  moellons 
énormes,  tout  le  vaste  édifice 
se  déploie  aux  regards.  L'har- 
monie en  est  parfaite,  dans 
le  gracieux  mélange  de  la 
pierre  blonde,  de  la  brique 
rose  et  des  bleus  toits  d'ar- 
doise, où  chatoie  au  soleil 
l'or  des  plombs  ciselés.  Rien 
n'altère  encore  la  belle  ordon- 
nance de  l'œuvre,  telle  que 
Louis  XIV  l'a  voulue  ;  aucune 
construction  disparate  n'é- 
crase de  sa  masse  la  lointaine 

petite  façade,  qui  luit  doucement  au-dessus  des  marbres  de  sa  petite  cour. 
Le  regard  y  est  conduit  par  les  deux  grilles  qui  l'une  après  l'autre  enfer- 
ment de  leur  ronde  ceinture  un  vaste  pavé  qui  monte  en  se  rétrécissant. 
Les  corps  de  logis  s'allongent  comme  des  bras  pour  accueillir  le 
visiteur  ,  l'attirer  d'une  cour  dans  l'autre  jusqu'à  ces  dernières 
marches  de  marbre  que  domine  le  balcon  ro3^al.  D'ingénieux  arti- 
fices ont  sauvé  ce  qui  pouvait  paraître  de  mesquin  et  de  bizarre 
dans  le  premier  château  démesurément  agrandi  ;  ils  en  ont  fait  un 
bijou  précieux  dans  un  immense  écrin.  Cet  aspect  du  Château  de 
Louis    XIV   va    durer    tout    un    demi-siècle     encore,    jusqu'à    ce    que 


Louis  XV  en  1730,  par  Rigaud. 


112  VERSAILLES 

Louis  XV.  bien  près    de   mourir,  en  ordonne    rirrém:kliable    mutilation. 

Le  premier  grand  travail  que  Ton  entreprend  sous  les  yeux  du  jeune 
Roi  n'est  pas,  à  la  vérité,  une  œuvre  nouvelle,  mais  la  continuation  et 
l'achèvement  des  desseins  de  Louis  XIV.  Lorsque  l'usage  de  la  Chapelle 
neuve  eut  permis  de  supprimer  l'ancienne  Chapelle,  dont  le  rez-de-chaus- 
sée devint  un  passage  ouvert  sur  les  jardins,  il  3'  eut,  au  premier  étage, 
un  large  espace  vide  à  combler.  Robert  de  Cotte,  qui  s'aidait  peut-être  d'un 
plan  déjà  combiné  par  3lansart,  organisa,  sut  l'emplacement  de  l'ancienne 
tribune  ro3'ale,  une  vaste  salle,  de  fêtes,  dont  le  vieux  Roi,  dès  17  12,  put 
connaître  et  approuver  le  modèle,  et  dont  il  suivit  tout  le  gros  œuvre  de 
maçonnerie.  lùi  171  5.  comme  le  deuil  de  la  monarchie  retirait  tous  les 
ouvriers  de  Versailles,  il  y  avait  en  magasin  de  splendides  pilastres  de 
marbre  tout  prêts  à  décorer  ces  murailles  nouvelles.  Ils  attendirent  que  le 
duc  d'Antin,  surintendant  et  ordonnateur  général  des  Bâtiments  du  Roi, 
«  voulant  laisser  un  monument  qui  fit  honneur  à  son  administration  »,  se 
déterminât  à  faire  achever  ce  salon.  Ce  fut  l'œuvre  de  plusieurs  années  ; 
et  Robert  de  Cotte,  qui  put  y  employer  ses  meilleurs  élèves,  mourut  trop 
tôt,  en  1735,  pour  avoir  la  joie  de  contempler  dans  sa  pleine  beauté  ce 
parfait  modèle  de  l'art  décoratif. 

L'harmonie  colorée  de  la  Galerie*des  Glaces  se  reproduit  heureusement 
dans  la  grande  salle,  de  forme  carrée,  où  six  fenêtres,  qui  se  font  face, 
répandent  abondamment  la  lumière.  La  paroi  qui  la  sépare  du  vestibule 
de  la  Chapelle  est  percée  à  ses  extrémités  de  deux  portes  cintrées,  de  mêmes 
dimensions  que  les  fenêtres,  et  dont  les  panneaux  de  bois  à  reliefs  dorés 
sont  du  plus  pur  style  Louis  XIV  ;  ils  rappellent  le  décor  des  boiseries  de 
l'Œil-de-Bœuf.  Des  placages  de  marbres  blancs  et  verts  couvrent  les 
murs,  dans  l'intervalle  des  grands  pilastres  mauves  en  marbre  de  Rance, 
dont  les  bases  et  les  chapiteaux,  comme  ceux  des  grands  salons  de3lansart 
et  de  Le  Brun,  sont  en  bn^nze  et  en  étain  doré.  Ici  pourtant.  Robert  de 
Cotte  n'a  point  voulu  se  servir  du  fameux  «  ordre  français  »  de  Le  Brun  ; 
ses  chapiteaux  corinthiens,  dun  galbe  très  pur.  ont  la  classique  feuille 
d'acanthe,  que  domine  une:  gracieuse  fleur  de  tournesol.  La  grande  cor- 
niche dorée  qui  règne  à  la  base  de  la  voûte  est  soutenue  par  une  infinité 
de  menues  consoles  également  dorées,  où  sourient  de  petites  têtes  d'en- 
fants ;  entre  ces  consoles,  sur  un  fond  de  marbre  vert,  il  y  a  des  trophées 
d'or,  tour  à  tour  guerriers  ou  pacifiques.  LTn  immense  cadre  de  bois  doré, 
surmonté  des  armes  de  France  et  soutenu  par  des  appliques  de  bronze 
ornées  de  mufles  de  lion,  occupe  toute  la  paroi  du  fond.  Il  a  contenu 
longtemps  un  tableau  de  Véronèse,  le  Repas  chez  Simon,  qui  est  mainte- 


LE   CHATEAU    DE    LOUIS   XV    ET    DE   LOUIS   XVI 


liant  au  Louvre.  En  face,  au-dessus  de  la  grande  cheminée  de  marbre  et 
de  bronze,  un  cadre  non  moins  somptueux  enfermait  une  autre  peinture 
de  Véronèse,  Eliczcr  et  Rébccca,  remplacée  depuis  par  une  œuvre  assez 
raide  et  guindée  de  iMignard,  un  Louis  XIV  à  cheval  couronné  par  la 
Victoire.  La  cheminée  énorme,  dont  le  manteau  de  marbre  est  d'une 
seule   pièce,  porte   un   décor  de  bronzes  dorés  d'une  robustesse  et  d'une 


.V    -^      -^ 


Le  salon  d'Hercule. 


largeur  incomparables  :  une  tète  d'Hercule,  coiffée  d'un  mufle  de  lion, 
sort  du  milieu  de  deux  volutes  d'acanthe,  que  vont  rejoindre  les  fleurs  et 
les  fruits  débordant  de  deux  cornes  d'abondance  ;  et  ce  puissant  cintre  de 
marbre  s'appuie  à  droite  et  à  gauche  sur  deux  tètes  de  lion.  Le  maître 
quia  inventéet  modelé,  en  1734,  ce  grandiose  décor,  Antoine  Vassé,  élève 
et  collaborateur  de  Puget,  avait  travaillé  déjà,  avec  Dugoulon,  aux  boise- 
ries de  la  Chapelle  ;  il  se  fait  aider  cette  fois,  pour  la  ciselure  des  bois  et 
des  stucs,  par  un  sculpteur  anversois,  Jacques  Verberckt,  âgé  de  trente 
ans,  et  qui  va  être,  durant  tout  le  règne  de  Louis  XV,  le  plus  fécond  des 
ouvriers  de  Versailles. 

Mais    la    merveille  du   salon  neuf,    plus   encore  que  la  cheminée  de 


114  VERSAILLES 

Vassé,  c'est  le  i:)lafond,  peint  par  François  Lemo3'ne,  de  1730  à  1736.   Le 
peintre   dont    le  talent,  très  jalousé  et  rom]:)attu,  venait  de  triompher  en 
1729  à  Versailles,  où  il  ornait  le  salon  de  la  Paix  dune  aimal)le  allégorie 
à  la  gloire  de  Louis  XV,  avait  obtenu  non  sans  peine,  après  un  concours 
dont   il   partageait  la  palme   avec   Detroy,  la  commande  du  magnifique 
plafond.   D'abord  il  eut  le  projet  d"y  ]:)eindre  «  la  gloire  de  la  monarchie 
française,    établie  et  soutenue  par  les  belles  actions  de  nos    plus  grands 
Rois  ».  On  y  eût  vu  les  images  de  Clovis,  deCharlemagne,  de  saint  Louis 
et  de  Henri  le  Grand  accompagnées  des  scènes  principales  de  leurs  règnes. 
Le  surintendant,    mieux  inspiré,   lui  proposa    un  sujet  tout  ada])té  à  son 
talent  facile  et  sensuel,  Y  Apothéose  cf  Hercule.  C'était  réaliser,   après 
cinquante  ans,  l'idée  première  de  Le  Brun  pour  le   décor  de  la   Galerie 
d^s  Glaces,  et  en  somme  une  des  inventions  allégoriques  les  plus  chères 
au  xvir  siècle.  Y  eut-il  là  aussi  une  flatterie  délicate  au  tout-puissant  car- 
dinal André-Hercule  de  Pleury  ?  il  est  possible  ;  en  tout  cas,  Lemoyne, 
dans  la  description  qu'il  rédigea  lui-même  pour  la  présenter  au  Roi,  s'at- 
tache à  «  faire   voir    dans  ce  grand  tableau  que  la   Vertu  élève  l'homme 
au-dessus  de  lui-même,  lui  fait  surmonter  les  travaux  les  plus  difficiles 
et  les  plus  grands   oljstacles,  et  le  conduit  enfin    à    l'immortalité  ».  Tout 
ce  beau  programme  sentimental  et  moral  d'un  artiste  qui  venait  de  pein- 
dre le   chef-d'œuvre  voluptueux.  Hercule  amoureux  d'Omphale,  con- 
servé au   3lusée  du   Louvre,    et  qui   entreprenait  en  même  temps,  avec 
l'appui  de  la  Reine,  de  décorer  la  chapelle  de  la  Vierge  dans  l'église  de 
Saint-Sulpice,  ne    l'empêche    point  de   produire  une  composition  si  bien 
pondérée  et  si  libre  à  la  fois,  si  aérienne  et  si  colorée,  si  nouvelle   enfin 
dans  l'art  français  à  demi  paralysé  par  la  tradition   académique  et   les 
exemples  de  Le  Brun,  que  le  26  septembre  1736,  jour  où  elle  parut  dans 
son  entier  aux  yeux  émerveillés  du   Roi,   il  n'y  eut   dans  la  foule  des 
courtisans  et  des  artistes  rivaux  qu'un  même  cri  d'enthousiasme  et  d'admi- 
ration . 

Il  serait  fastidieux  de  décrire  le  sujet,  de  nommer  les  innomljrables 
dieux  et  déesses  groupés  ingénieusement  dans  cet  Olympe  ;  c'est  l'œuvre 
du  grand  artiste  qu'il  faut  avant  tout  regarder.  Lemoyne  renonce  délibé- 
rément à  tous  les  ornements  de  stuc,  à  tous  les  compartiments  et  cadres 
dont  l'art  du  xviT  siècle,  à  l'imitation  de  la  Renaissance  italienne,  a 
encombré  et  alourdi  ses  plafonds  ;  il  demande  tout  son  décor  à  la  toile 
peinte,  marouflée  sur  l'immense  voûte.  ^Mais,  pour  mieux  équilibrer  ses 
figures  lointaines  aux  profondeurs  de  l'azur,  il  imagine  une  sorte  de 
grande  balustrade  en  marbre   blanc,  sur   laquelle  il  assied  de  blanches 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS  XV   ET   DE   LOUIS   XVI  115 

statues  ;  une  rampe  et  des  cartouches  dorés  la  font  luire  sur  le  ciel.  Cette 
base,  nécessaire  pour  Toeil,  ne  Test  pas  moins  pour  le  symbolisme  de  la 
composition  :  les  figures  y  expriment  les  Vertus  et  les  Travaux  d'Hercule. 
Au  delà,  nous  sommes  en  plein  ciel,  dans  un  outremer  lumineux  où  glis- 
sent des  nuages  blonds  et  rosés,  tout  peuplés  de  torses  robustes  et  de 
blanches  épaules  ;  dieux  et  déesses,  amours  et  nymphes,  tous  assistent  à 
la  montée  du  char  dTIercule,  par-dessus  les  monstres  et  les  Vices  culbu- 


Bronzes  de  la  cheminée  du  salon  d'Hercule,  par  Vassé. 


tés  en  avalanche,  vers  le  trône  où  le  père  des  dieux  lui  désigne  sa  fiancée 
et  sa  récompense,  Hébé,  couronnée  de  roses.  L'illusion  aérienne  est  par- 
faite. Le  rayon  rose,  dont  Boucher  usera  et  abusera  peut-être,  jette  ici 
son  premier  éclat,  a  J'ai  déjà  pensé  que  ce  morceau-là  gâterait  tout  Ver- 
sailles n,  déclara  le  cardinal  de  Fleury,  pour  reconnaître  le  triomphe  de 
ces  formes  légères  et  d'enveloppe  moelleuse  sur  les  couleurs  dures  et  trop 
absolues  de  Le  Brun.  C'était  aussi,  dans  l'art  français,  le  triomphe  de 
Venise  sur  la  t3"rannie  romaine  et  florentine  ;  Véronèse,  par  la  main  de 
Lemoyne,  donnait  sa  première  leçon  à  la  peinture  duXVlT  siècle  ;  Véro- 
nèse dont  une  des  grandes  œuvres  illuminait  les  murs  de  ce  salon  d'Her- 
cule, où  elle  a  malheureusement  cédé  la  place  à  un  sombre  et  banal 
Passage  du  Rhin. 

Un  art  nouveau  a  commencé  de  s'épanouir  aux  murs  du  grand  Châ- 


ii6 


VERSAILLES 


teau.  sous  Tinfluence  trhabitudes  jdIlis  libres.  La  solennité  des  placages  de 
marbre,  dont  le  salon  d'Hercule  offre  le  dernier  et  magnifique  exemple, 
disparaît  devant  les  revêtements  de  bois,  plus  souples,  plus  familiers, 
plus  vivants,  et,  pour  tout  dire,  plus  français.  Car  c'est  encore  une  tradi- 
tion de  notre  moyen  âge,  à  demi  étouffée  par  l'invasion  italienne,  qui  va 
renaître  au  siècle  de   Louis  XV.  Ledécor  italien,  où  la  fresc[ue  se  combine 


Salon  Je  la  Pendule. 


au  marbre,  ne  se  prête  pas  aux  surfaces  de  plus  en  plus  restreintes,  aux 
murailles  plus  basses  et  plus  courtes  où  se  confine  une  vie  plus  intime, 
moins  donnée  à  l'apparat  et  à  la  représentation.  «  Quelques  auteurs  »,  écrit 
Vauvenargues,  «  traitent  la  morale  comme  on  traite  la  nouvelle  architec- 
ture, où  Ton  cherche  avant  toutes  choses  la  commodité.  »  Et  l'architecte 
Patte,  publiant  en  1765  une  apologie  du  st3'le  nouveau,  s'exprimait  en  des 
termes  qu'il  peut  être  utile  de  citer  ici  :  «  Toutes  ces  distributions  agréa- 
bles que  l'on  admire  aujourd'hui  dans  nos  hôtels  modernes,  qui  déga- 
gent les  appartements  avec  tant  d'art  ;  ces  escaliers  dérobés,  toutes  ces 
commodités  recherchées  qui  rendent  le  service  des  domestiques  si  aisé,  et 


LE  CHATEAU  DE  LOUIS  XV  ET  DE  LOUIS  XVI 


117 


qui  font  de  nos  demeures  des  séjours  délicieux  et  enchantés,  n'ont  été  in- 
ventés que  de  nos  jours  :  ce  fut  au  palais  de  Bourbon,  en  1722,  qu'on  en  fit 
le  premier  essai,  qui  a  été  imité  depuis  en  tant  de  manières. 

«  Ce  changement  dans  nos  intérieur.-^  fit  aussi  sul)stituer,  à  la  gravite 
des  ornements  dont  on  les  surchargeait,   toutes  sortes  de  décorations  de 


Ciuhu  N'eu.- 

La  Reine  Marie  Leczinbka  et  le  Daupliin,  par  Belle  (1731')- 


menuiserie,  légères,  pleines  de  goût,  variées  de  mille  façons  diverses...  On 
supprima  les  solives  apparentes  des  i^lanchers,  et  on  les  revêtit  de  ces  pla- 
fonds qui  donnent  tant  de  grâce  aux  appartements,  et  que  Ton  décore  de 
frises  et  de  toutes  sortes  d'ornements  agréables  ;  au  lieu  de  ces  tableaux  ou 
de  ces  énormes  bas-reliefs  que  Ion  plaçait  sur  les  cheminées,  on  les  a  déco- 
rées déglaces  c[ui,  par  leur  répétition  avec  celles  c^u'on  leur  oppose,  for- 
ment des  tableaux  mouvants  c^ui  grandissent  et  animent  les  appartements 
et  leur  donnent  un  air  de  gaieté  et  de  magnificence  qu'ils  n'avaient  pas. 
On  a  obligation  à  M.  de  Cotte  de  cette  nouveauté.  » 

Robert  de   Cotte   et  Germain  Boffrand,  tous  deux  élèves  de  JMansart, 


,i8  VERSAILLES 

ont  assurément  puisé  dans  les  modèles  composés  par  l'illustre  architecte 
les  principaux  éléments  de  leur  décor.  La  Galerie  Dorée  de  Ihôtel  de 
Toulouse  (aujourd'hui  la  Banque  de  France),  où  Robert  de  Cotte  fut  si 
merveilleusement  secondé  par  Vassé,  fait  mieux  comprendre  qu'aucun 
des  salons  de  Versailles  la  somptuosité  inouïe  où  se  porta  le  st3de  de  la 
Régence  ;  dans  Thistoire  de  la  l^oiserie  à  Versailles  il  n  y  a  rien  de  com- 
parable. Durant  près  de  trente  années,  à  partir  de  1701,  aucun  grand 
travail  n'est  entrepris,  et  lorsque,  vers  172(8,  réapparaissent  les  commandes 
ro3'ales  aux  ornemanistes,  dont  quelques-uns  sont  d'anciens  ouvriers  du 
Chiiteau,  Dugoulon,  Le  Goupil,  A'erberckt  et  Roumier.  ce  que  Ton  a 
nommé  le  style  Louis  XV  existe  dans  sa  plénitude.  Tout  ce  qu'il  y  avait 
de  raide,  de  heurtant,  de  cassant  dans  les  panneaux  et  clans  les  meubles 
d'autrefois  s'est  amolli  et  comme  fondu  ;  les  angdes  s'abattent,  les  lig'nes 
droites  se  courbent,  les  tiges  sèches  et  mortes  se  parent  tout  d-.un  coup 
de  feuilles  et  de  fleurs  ;  et  parmi  ces  fleurs,  des  ailes  d'oiseauxpalpitent, 
des  rubans  flottent  et  se  lient,  de  petits  médaillons  épanouissent  leurs 
reliefs  où  des  fig-urines  d'amours  voltigent  et  jouent  avec  les  plus  aima- 
bles emblèmes. 

Les  premiers  changements  du  Château  se  font  pour  la  jeune  Reine 
([ueLouisXV  avait  amenée  à  Versailles  dans  la  nuit  du  i"'  décembre  1725. 
Très  vite  elle  s'épouvante  de  la  majesté  froide  de  s()n  appartement,  et  se 
fait  donner  par  le  Roi  les  cabinets  intérieurs  qui  ont  été  arrangés  jadis 
pour  le  duc  de  Bourgogne.  On  v  organise  des  bains,  un  oratoire,  de 
petits  salons  dont  le  décor  sera  plus  d'une  fois  renouvelé,  jusqu'à  ce  que 
3larie-Antoinette,  détruisant  les  souvenirs  de  Marie  Leczinska,  ordonne 
les  boiseries  exquises  qui  ont  survécu  pour  notre  joie. 

Mais,  avant  de  pénétrer  en  ces  cabinets  élégants,  il  nous  faut  voir 
ce  qu'est  devenue  la  grande  chambre  à  coucher,  la  chambre  de  Marie- 
Thérèse  et  de  la  duchesse  de  Bourgogne,  dont  les  marbres  et  les  stucs 
ont  cessé  de  plaire.  C'est  en  1734  qu'est  décidée  la  suppression  de  l'en- 
r.uyeux  et  lourd  plafond  de  Gilbert  de  Sève  ;  la  bonne  et  pieuse  Reine 
préfère  à  cette  mythologie  surannée  les  compositions  en  grisaille  où  Bou- 
cher a  si  délicatement  peint  la  Charité,  l'Abondance,  la  Fidélité  et  la 
Prudence  ;  surtout  elle  est  ravie  de  rencontrer  dans  les  dessus  de  portes 
allégoriques  exécutés  par  Xatoire  et  Detroy,  peintures  charmantes  dont 
la  dernière  est  un  vrai  chef-d'œuvre  dont  le  goût  de  Véronèse,  les  por- 
traits de  ses  enfants,  parmi  lesquels  le  petit  Dauphin,  qui  se  laissent 
conduire,  de  l'air  le  plus  naturel,  par  la  Gloire,  la  Jeunesse  et  la  Vertu. 

Ces  peintures  sont  mises  en  valeur  par  les  plus  beaux  cadres  que  l'on 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XV   ET    DE   LOUIS   XVI 


119 


puisse  imaginer.  Ils  sont  de  Jacques  Verberckt,  et  procèdent  du  merveil- 
leux décor  de  boiserie  que  nous  avons  déjà  pu  admirer  au  bufFet  d'orgues 
de  la  Chapelle.  Des  rameaux  de  palmes  se  courbent  et  s  enlacent  parmi 
les  guirlandes  de  fleurs,  au-dessus 
des  deux  chambranles  ;  et,  autour 
de  Tunique  glace  qui  nous  ait  été 
conservée,  ce  sont  deux  palmiers, 
dont  les  fûts  légers  s'enguirlan- 
dent de  roses,  d'anémones,  de 
renoncules,  de  jacinthes  et  de  lis, 
et  dont  les  cimes  feuillues  s'in- 
clinent élégamment  ])our  ceindre 
un  médaillon  peint,  dominé  par 
la  couronne  royale  que  deux 
grandes  ailes  semblent  soutenir 
dans  les  airs.  On  dirait,  plutôt 
que  du  bois,  du  bronze  ou  de  lor 
ciselé,  tant  le  modelé  est  souple 
et  les  arêtes  précises.  Les  pan- 
neaux sculptés  des  portes  et  des 
volets,  et  le  revêtement  des  murs, 
en  reliefs  d'or  sur  fond  blanc, 
s'accordent  avec  un  sens  décoratif 
aussi  parfait.  C'est  un  des  mo- 
ments les  plus  délicieux  de  l'art 
de  Louis  XV,  où  nulle  surcharge 
encore,  nulle  mièvrerie  n'alourdit 
ou  ne  subtilise  à  l'excès  une  grâce 
aussi  sobre  que  vive  et  spirituelle. 
Les  cadres  des  panneaux  longs 
sont  formés  de  ce  faisceau  de 
tiges  nouées  de  rubans  que  re- 
prendra l'art  de  Louis  XVI,  mais 

où  s'ajoute  le  gracieux  entortillement  d'une  liane  de  liseron.  Des  feuilles 
de  fougère,  des  feuilles  de  vigne,  des  palmettes,  des  plumes  et  des 
coquilles  sont  réunies  aux  deux  extrémités,  et  des  médaillons,  en  haut, 
en  bas  et  au  milieu,  sont  remplis  de  jeux  d'amcjurs.  Ici,  c'est  un  amour 
qui  brandit  une  torche,  en  face  d'un  autre  qui  renverse  une  urne  ;  là, 
voici  un  petit  chanteur  d'opéra  qu'un  camarade  accompagne  sur  la  man- 


Cli.lié  Painai'a. 

Porte  de  la  chambre  de  la  Reine. 


I20  VERSAILLES 

doline.Ces  amours  tressent  des  fleurs  ou  arrosent  des  ])lantes,  ils  devisent 
philosophiquement  à  Tombre  d'un  arljre,  ils  brandissent  des  armes  et  des 
étendards  d'un  air  belliiiueux,  ou  l^ien  ils  chevauchent  un  mouton  paci- 
fique, ils  font  des  bulles  de  savon,  ils  se  balancent  au  bout  d'une  poutre 
ou  à  la  volée  d'une  corde,  ils  jjrennent  une  mine  d'Hercule  en  foulant 
aux  pieds  une  li}(lre  percée  de  flèches,  ou  gentimtnt  ils  oux'rent  une  cage 
et  donnent  l'essor  à  des  moineaux.  Verberckt  est  le  metteur  en  scène  des 


Salon  de  la  Pendule  :  panneau  de  Verberckt. 


amours  ;  et  plus  que  jamais  on  verra  dans  le  Château  rajeuni  «  de  l'enfance 
répandue  partout  »,  cette  enfance  que  réclamait  instamment  la  vieillesse 
assombrie  de  Louis  XIV. 

Le  travail  n'est  pas  moins  considérable  dans  les  petits  cabinets  de  la 
Reine  ;  travail  d'architecture  d'abord,  car  il  s'agit  de  créer  tout  un  appar- 
tement intérieur  avec  ses  dégagements,  là  où  il  n'y  avait  que  les  deux  pièces 
assez  grandes  qu'occupait  le  duc  de  Bourgogne,  isolées  des  petits  réduits 
appartenant  à  la  duchesse.  Il  serait  parfaitement  inutile  de  décrire  un 
état  ancien  que  le  décor  de  Marie-Antoinette  a  presque  partout  remplacé, 
si  une  découverte  inattendue  et  récente  ne  nous  avait  révélé  un  précieux 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XV    ET   DE    LOUIS   XVI  121 

reste  de'ces  cabinets  où  JMarie  Leczinska  passa  dans  Tinlimité  de  quel- 
ques amies,  la  lecture,  la  peinture  et  la  dévotion,  la  meilleure  part  de  son 
existence.   Le  g-rand  Dictionnaire  de  La  Martinière  décrit  en  ces  termes. 


Bibliotlièque  du  Dauphin. 


à  la  date  de  1741,  la  pièce  qui  avait  été  la  chambre  à  coucher  du  duc  de 
Bourgogne,  et  deviendra  le  salon  de  Marie-Antoinette  :  «  Ensuite  on 
trouve  un  cabinet  qui  sert  de  retraite,  lequel  est  orné  de  riches  lambris 
avec  [des  fleurs  taillées  sur  les  moulures,  peintes  en  coloris  au  naturel. 
Le  plafond  est  cintré  en  calotte  ;  la  peinture  en  est  en  manière  de  treil- 
lages en  perspectives,  avec  différentes  fleurs  et  feuillages  mêlés  d'oiseaux.  » 


122  VERSAILLES 

Cette  pièce  sera  modifiée,  ainsi  que  le  reste  des  cabinets  de  la  Reine, 
dans  les  travaux  dirigés  par  Gabriel  de  1746  à  1747  les  Comptes  nous  y 
révèlent,  parmi  les  noms  des  sculpteurs,  et  à  côté  de  celui  de  \'erberckt, 
celui  d'Antoine  Rousseau,  fils  du  Rousseau  de  Corbeil  appelé  en  1707  à 
travailler  au  décor  de  la  Chapelle\  3Iais,  en  1894,  un  nettOA'age  des  murs 
du  boudoir  voisin  fit  reparaître  sous  l'épais  badigeon  dont  elles  avaient 
été  masquées  au  temps  de  Louis-Philippe,  de  délicieuses  peintures  rustiques 
inspirées  des  décors  «  en  grotesque  et  en  arabesque  »  de  Watteau  et  de 
Christophe  Huet,  bergers  et  bergères,  joueurs  de  flageolet,  jardiniers  au 
travail,  seigneurs  et  dames  en  conversation  dans  un  parc,  et,  autour  de 
ces  peintures,  des  cadres  feints  en  treillis  et  rocaille  du  goût  le  plus  déli- 
cat, des  semis  de  fleurs  peintes  à  plat  sur  le  champ  des  panneaux,  et 
d'autres  sculptées  et  peintes.  Il  faut  souhaiter  qu'une  restauration  soigneu- 
sement conduite  consolide  et  sauve  ces  restes  gravement  mutilés  d'un  art 
exquis,  et  dont  l'exemple  demeure  unique  à  Versailles  depuis  qu'un  net- 
toyage radical  a  supprimé  au  rez-de-chaussée,  dans  la  petite  Bibliothèque 
du  Dauphin,  des  panneaux  de  fleurs  tout  semlDlables,  ensevelis  au  XIX" 
siècle  sous  une  médiocre  peinture  à  la  colle. 

Le  même  besoin  d'intimité,  bien  que  pour  des  causes  fort  diverses, 
porte  le  Roi,  en  même  temps  que  la  Reine,  à  se  créer  des  cabinets  inté- 
rieurs où  il  puisse  se  réfugier  loin  du  cérémonial  et  de  l'étiquette.  Dès  son 
installation  à  Versailles,  en  1722,  les  travaux  commencent  tout  autour  de 
la  sombre  cour  des  Cerfs  ;  ils  n'arrêteront  point  jusqu'à  sa  mort,  c'est- 
à-dire  durant  plus  d'un  demi-siècle.  Les  écrivains  du  temps  parlent  avec 
regret  de  «  ce  fameux  amour  des  petits  bâtiments  et  des  infinis  détails, 
qui  coûtaient  immensément,  sans  qu'on  créât  rien  de  beau  qui  put  res- 
ter ))  ;  et  ils  comparent  ces  minuties  ruineuses  aux  magnificences  du  siècle 
précédent.  «  31.  de  Cotte  le  fils\  qui  n'est  plus  dans  les  Bâtiments,  »  écrit 
d'Argenson  en  1749,  «me  disait  avant-hier  que  les  nids  à  rats  qu'on  faisait 
coûtaient  plus  cher  que  les  grands  bâtiments  de  Louis  XIV  ;  que  le  Roi 
était  dune  facilité  singulière  à  tout  ce  qu'on  lui  proposait  de  ce  genre-là  ; 
que  31,  de  Tournehem  n'y  entendait  rien  et  que  les  dépenses  étaient  énor- 
mes. »  Roumier,  avec  Dugoulon  et  ses  associés,  est  employé  dès  1727 
au  décor  de  la  Bibliothèque  du  Roi.  dans  les  combles  :  en  1729,  on 
y  crée  une  volière,  et  désormais  les  meilleurs  ouvriers  sont  réunis  dans 
ces  «  Petits  Cabinets  »  ou  «  Petits  Appartements  du  Roi.  »  Verberckc  est 
du  nombre  avec  31aurisant,  grand  sculpteur  de  cadres,  et  Caffiéri,  qui  fait 
«  les  ouvrages  de  bronze  doré  et  moulu  w.  Il  y  a  là,  s'éclairant  sur  la 
cour  de  31arbre.  une  petite  galerie  et  des  salons  [qxxi  deviendront  beau- 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS   XV   ET   DE   LOUIS   XVI  123 

coup  plus  tard  l'appartement  de  31"""  du  Barry),  où  le  décor  est  délicieuse- 
ment varié.  «  Rien  n'est  d(jré,  »  écrit  la  31artinière,  «  que  les  moulures 
des  glaces,  les  ornements  de  dessus  les  cheminées,  ceux  des  trémauxet  des 
bordures  de  plusieurs  tableaux.  Tout  le  reste  des  lambris  est  peint  de  dif- 


Le  marquis  de  iMarigny,  directeur  général  des  Bâtiments  du  Roi,  par  Tocqué  (i7)5). 

férentes  couleurs  tendres,  appliquées  avec  un  vernis  particvilier  tait 
exprès,  qui  se  polit  et  se  rend  brillant  par  le  mélange  de  huit  ou  dix 
couches  les  unes  sur  les  autres.  »  Ces  boiseries  charmantes,  que  déco- 
raient des  tableaux  de  Boucher,  de  Vanloo,  de  Parrocel,  de  Lancret  et 
d'autres  excellents  peintres,  ont  été  dorées  en  1770  pour  M"'"  du  Barry  ; 
une  seule  pièce,  la  salle  à  manger,  a  conservé  sous  l'affreux  badigeon  de 
I.ouis-Philippe  sa  délicate  peinture,  en  ton  crème  et  vert  d'eau,  que  l'on 
pourra  un  jour  restaurer  à  peu  de  frais. 


124  VERSAILLES 

'  Ces  jo}'euses  harmonies  de  tons  sont  remplacées,  au  premier  étage, 
par  l'uniformité  du  blanc  et  or.  La  nouvelle  chambre  à  coucher  du  Roi 
date  de  173^-  Jusque-là  Louis  XV  s'était  servi  de  la  grande  chambre,  d'ail- 
leurs incommode  etglaciale,  deLouisXI\^  ;  les  rhumes  qu'il  y  avait  pris  et  le 
désir  de  s'isoler  davantage  lui  firent  désigner  pour  son  nouveau  logement 
la  salle  du  Billard,  qui  ouvrait  sur  le  cabinet  des  Perruques,  à  l'opposé 
de  la  Grande  Galerie  ;  mais  une  fois  même  installé  dans  ce  coin  du  Châ- 
teau, il  dut  longtemps  encore,  par  égard  pour  l'étiquette,  subir  dans  la 
chambre  de  parade  le  cérémonial  fastidieux  du  lever  et  du  coucher.  Le 
décor  des  murs  de  la  nouvelle  chambre,  exécuté  par  Verberckt,  imite  avec 
un  moindre  luxe  celui  de  la  chambre  de  la  Reine  ;  les  montants  des 
glaces  se  terminent  par  de  jolies  tètes  de  femmes,  et  le  plafond  uni  repose 
sur  une  corniche  ornée  de  trophées  d'instruments  de  musique.  Le  meil- 
leur du  décor  était  à  l'origine  l'encadrement  de  l'alcôve,  formé  de  deux 
grands  palmiers  dont  les  tètes  s'inclinaient  au  long  d'une  traverse  chan- 
tournée, comme  pour  saluer  l'écusson  aux  armes  du  Roi  ;  ces  palmiers,  à 
eux  seuls,  étaient  une  signature  de  Verberckt.  Ils  ont  disparu  dans  le 
remaniement  qui  fut  fait  en  1755.  en  même  temps  qu'était  renouvelé  le 
Cabinet  du  Conseil. 

Les  travaux  de  la  Chambre  du  Roi  s'étendent  aux  cabinets  voisins  ; 
mais  comme  ils  seront  modifiés  à  plus  d'une  reprise,  mieux  vaut,  avant 
de  les  voir,  descendre  au  rez-de-chaussée,  oii  nous  trouverons  l'apparte- 
ment du  Dauphin,  ou  plutôt  les  précieux  restes  qui  en  ont  échappé  aux 
dévastations  de  Louis-Philippe.  Le  Dauphin,  fils  de  Louis  XV,  avait 
occupé  depuis  1736  cet  appartement  somptueusement  décoré  par  BouUe 
pour  le  fils  de  Louis  XIV,  et  où  le  Régent  était  mort.  Après  son  premier 
mariage,  en  1745,  il  avaitémigré,  pour  peu  de  temps,  au  premier  étage  de 
l'aile  des  Princes  ;  ce  fut  pour  son  second  mariage  que  le  Roi  lui  fit  aména- 
ger à  nouveau  l'appartement  du  rez-de-chaussée.  Il  reste  peu  du  décor  de 
Verberckt  dans  la  lumineuse  pièce  d'angle  où  sont  maintenant  exposés  les 
portraits  de  Nattier  ;  mais  la  chambre  voisine  a  encore  une  glace  et  une 
frise  charmantes,  tout  égayées  de  symbolisme.  Des  dauphins  sont  les 
motifs  d'appui  de  la  grande  glace,  et  de  dessus  ces  dauphins  jaillissenten 
bouquets  :  des  gerbes  de  roseaux  mêlées  de  roses,  et  des  tritons  encore 
sortent  de  ces  roseaux.  A  la  frise  du  plafond,  des  fleuves  et  des  nymphes 
se  reposent,  et  des  cygnes  glissent  auprès  d'eux,  et,  sous  les  médaillons 
d'or  des  quatre  angles,  emplis  de  rustiques  emblèmes  des  saisons,  voici 
—  nous  sommes  dans  une  chambre  à  coucher  —  des  coqs  aux  ailes 
éployées  qui  chantent  à  plein  gosier  le  réveil. 


LE   CHATEAU   DE   LOUIS  XV   ET   DE   LOUIS  XVI 


Le  chef-d'œuvre  de  cette  chambre,  et  l'un  des  plus  délicats  chefs- 
d'œuvre  de  l'art  de  Louis  XV,  est  la  cheminée  de  marbre  rouge  ornée  de 
bronzes  par  Caffiéri  :  au  chambranle,  une  coquille  entourée  de  feuillages 
capricieux  ;  aux  montants, 
deux  souples  gaines  d'où  sor- 
tent les  corps  de  Zéphire  et  de 
Flore,  l'un  qui  gonfle  mali- 
cieusement la  joue,  l'autre 
qui  s'abrite  en  souriant  de  la 
main  ;etrien  n'estd'unegràce 
et  d'une  volupté  plus  ingénue 
et  plus  fraîche  c[ue  cette 
petite  nymphe  au  candide 
profil. 

En  revenant  du  salon 
d'angle  vers  l'aile  des  Prin- 
ces, nous  traversons  la  petite 
Bibliothèque,  autrefois 
toute  décorée  de  fleurs,  et 
dont  les  cadres  de  glaces, 
ornés  aussi  de  dauphins, 
semblent  de  métal  mieux 
encore  que  de  bois  ciselé  ; 
puis  un  cabinet  où  la  dau 
phine  31arie-Josèphe  avait 
ses  livres  et  sa  table  à  écrire  ; 
cette  dernière  pièce,  joliment 
ouvrée  par  31aurisant,  était 
en  menuiseries  blanches  avec 
des  sculptures  vert  d'eau. 

Déjà  une  bonne  partie 
des  cabinets  de  Louis  XIV 
avaient   été  atteints  par  les 

nouveaux  aménagements.  Le  témoin  des  splendeurs  et  des  solen- 
nités d'autrefois,  l'Escalier  des  ^ambassadeurs,  n'était  plus  qu'une  chose 
gênante  dans  le  Versailles  nouveau,  le  Versailles  du  déguisement  et  des 
plaisirs  clandestins  ;  il  tenait  une  place  inutile.  11  fut  sacrifié  en  1752, 
avec  les  restes  de  la  Galerie  de  Mignard,  dont  le  plafond  avait  été  détruit 
dès  1736.  Le  Brun  et  Coyzevox,  les  stucs  peints   et  dorés,  les  marbres  et 


Cheminée  de  la  chambre  du  Dauphin 
Flore,  par  Caffiéri. 


120 


VERSAILLES 


les  bronzes  furent  jetés  aux  gravats  ou  amoncelés  dans  les  magasins.  A 
leur  place,  Gabriel  organisa  en  1753  l'appartement  de  ^l™*"  Adélaïde,  dont 
une  seule  pièce  nous  est  demeurée  dans  son  état  ancien,  modifié  d'ailleurs 


Cheminée  du  cabinet  du  Roi. 


et  complété  en  1767.  C'est  Verberckt  encore  qui  est  appelé  à  orner  ces 
murs  des  boiseries  sculptées  dont  il  est  Tinfatigable  fournisseur.  D'année 
en  année,  son  talent  s'assouplit,  sa  fantaisie  un  peu  uniforme  se  soutient 
par  une  exécution  toujours  plus  parfaite.  Dans  le  cabinet  de  la  Pendule, 
qui  renferme  aujourd'hui  comme  autrefois  le  chef-d'œuvre  d'horlogerie 
de  Passemant  et  de  Dauthiau,  et  tout  à  la  fois  un  des  chefs-d'œuvre  de 


LE   CHATEAU    DE    LOUIS    XV    ET   DE   LOUIS   XVI 


ciselure  de  Cafiiéri,  il  complétera  en  1760  un  décor  plus  ancien  ;  de  même 
dans  le  cabinet  d'angle  voisin,  où  les  grands  médaillons  ornés  de  jeux 
d'amours  sont  peut-être  ce  qu'il  a  produit  de  plus  achevé.  Il  promène  une 
fois  encore,  en  1761,  sa  troupe  d'ingénieux  amours  au  rez-de-chaussée  du 
Château,  dans  le  grand  cabi- 
net de  M"'*' Victoire,  qui  occupe 
l'angle  de  droite  de  la  façade 
sur  les  jardins  :  salle  char- 
mante, et  que  l'on  a  commencé 
de  restaurer  discrètement  ; 
enfin,  en  1767,  il  termine  par 
quatre  merveilleux  panneaux 
d'instruments  de  musique,  de 
jardinage  et  de  pèche,  le 
cabinet  de  31""^  Adélaïde,  déjà 
orné  par  lui,  en  175,^  de 
glaces  enguirlandées  de  fleurs, 
et  de  panneaux  plus  simples, 
que  couronnent  des  cadres 
ronds  où  des  bouquets  s'épa- 
nouissent en  des  vases.  Le 
plafond  un  peu  lourd,  où  l'or 
vert  (comme  aux  panneaux 
les  plus  récents)  se  mêle  aux 
tons  mats  ou  polis  de  la 
dorure  ancienne,  indique, 
chez  le  vieil  ornemaniste  au 
terme  de  sa  carrière,  un  souci 
nouveau  et  une  modification 
de  son  style  au  goût  du  jour. 
Peut-être  y   faut-il  voir  aussi 

l'influence  de  son  collaborateur  et  rival  Antoine  Rousseau  qui,  en 
chargé  par  31arigny  de  décorer  le  cabinet  du  Conseil  que  Gabriel  venait 
de  reconstruire  en  y  adjoignant  l'ancien  cabinet  des  Perruques,  y  appli- 
quait les  principes  mêmes  de  l'art  de  Verberckt,  mais  avec  un  modelé 
plus  fort  et  une  plénitude  de  coloration  encore  inconnue.  La  corniche  de 
cette  large  pièce  conserve  le  caractère  symétrique  et  robuste  des  créations 
de  Mansart,  et  la  simplicité  d'encadrement  des  glaces  et  des  fenêtres  s'y 
accorde  avec  le  dessin  des  portes,  qui  sont  celles  de  Louis  XIV.  Aux  grands 


Panneau  du  cabinet  de  M'"''  Adélaïde. 


'55, 


128  VERSAILLES 

panneaux  de  la  muraille  du  fond,  la  transition  est  parfaite  entre  les  deux 
styles,  et  l'esprit  nouveau  s'est  marié  harmonieusement  à  la  magnificence 
d'autrefois.  L'allégorie  triomphale  y  paraît  dans  les  médaillons  que  sur- 
montent des  trophées  d'armes  ;  mais  ce  sont  des  amours  qui  s'y  acquittent 
de  solennelles  fonctions,  et  de  souples  rameaux  d'olivier  mettent  tout 
alentour  une  gTàce  aimable  et  ])acifique  ;  Coyzevox  et  les  Coustou  11 'eus- 
sent pas  mieux  fait. 

Le  plus  surprenant  dans  l'œuvre  de  Rousseau,  ce  sont  les  Bains  de 
Louis  XV,  créés  en  1770,  derrière  le  salon  de  Musique,  que  le  Roi  venait 
de  reprendre  à  M"'*  Adélaïde.  Cette  pièce  élégante,  qui  reçoit  un  jour  dou- 
teux d'un  escalier  de  dégagement,  ne  ressemble  à  rien  de  ce  c[ue  nous 
avions  vu  jusqu'ici  de  l'art  de  Versailles,  art  un  peu  officiel,  il  faut  bien  le 
reconnaître,  et  qui  ne  craint  pas  les  redites  monotones.  Verberckt  a 
été  un  admiralile  ouvrier,  mais  il  n'a  pas  su  renouveler  sa  fantaisie.  Ici 
la  sculpture  du  bas-relief,  aux  mains  d'Antoine  Rousseau,  confine  à  la 
peinture  :  ce  sont  de  vrais  tableaux  de  genre  que  ces  médaillons  des  mu- 
railles, où,  dans  un  cadre  de  roseaux  noués  de  fleurs,  des  scènes  cham- 
pêtres nous  montrent  hommes,  femmes  et  enfants  ramant  dans  une  barque, 
s'ébattant  au  C(jurs  d'une  rivière,  ou  s'essayant  à  nager,  ou  chassant  le 
canard  dans  un  marais,  sous  un  joli  ciel  tout  gonflé  de  nuages.  L'esprit,  le 
sentiment  de  nature  sont  parfaits.  Lt  quoi  de  plus  gracieux  que  ces  petits 
paysages  à  fond  d'or,  inspirés  des  potiches  de  la  Chine  depuis  longtemps 
en  vogue,  que  ces  volets  où  un  canard,  perché  sur  une  coquille  cj^ue  sou- 
tiennent des  dauphins,  lance  comiquement  en  l'air  un  jet  d'eau,  enfin  que 
cette  voussure  de  la  fenêtre,  où  un  vol  de  chouettes  et  de  chauves-souris 
traverse  le  ciel  nocturne,  empli  de  nuages  et  d'étoiles  !  Le  mélange  de 
plusieurs  ors,  allant  du  jaune  au  brun  et  au  vert,  ajoute  un  charme  nou- 
veau à  tant  d'originalité. 

Que  d'autres  chambres  il  faudrait  encore  décrire,  dans  ce  Château  où 
seuls  désormais  les  grands  appartements  de  Louis  XIV  restent  intacts  ! 
C'est,  dans  les  cabinets  intérieurs,  un  enchevêtrement  de  pièces  mignon- 
nes et  chatoyantes  où  l'f^r  et  les  vernis  tendres  des  murailles  se  marient 
aux  meubles  flexibles,  aux  cuivres  fleuris  des  appliques  et  des  lustres, 
aux  porcelaines  fleuries  de  Saxe  et  de  Sèvres,  aux  soies  brochées  et  fleu- 
ries des  chaises  et  des  fauteuils.  Il  y  a  aux  meubles  et  aux  murs  de  Ver- 
sailles plus  de  fleurs  encore  que  les  jardiniers  n'en  font  épanouir  dans  les 
immenses  parterres.  Art  précieux,  art  de  luxe  et  de  coquetterie,  qui  con- 
vient aux  joues  fardées  et  aux  œillades  galantes  ;  c'est  le  décor  nécessaire 
aux  maîtresses  du   Roi,  dans  le  bel  appartement  où  elles  se  succèdent^ 


LE  CHATEAU  DE  LOUIS  XV  ET  DE  LOUIS  XVI 


i29 


au-dessus  des  salons  d  apparat,  à  côté  des  cabinets  où  se  donnent  les 
fameux  soupers.  Seule,  AP'  de  Pompadour,  lasse  des  éternels  escaliers, 
a  obtenu  en  1750,  au  rez-de-chaussée,  des  pièces  vastes  et  commodes  qui 


Cliché  Paillard. 


Cabinet  du  Conseil. 


s'éclairent  aussi  sur  le  parterre  du  Xord.  31""^  du  Barry,  plus  audacieuse- 
ment,  s'est  fait  loger  dans  les  cabinets  sur  la  cour  de  Marbre,  dont  les 
mansardes  ont  prêté  à  de  si  jolis  arrangements,  et  sa  chambre  à  coucher, 
qui  se  termine  aux  côtés  d'une  blanche  cheminée  par  deux  pans  arrondis, 
domine  exactement  la  chambre  même  du  Roi. 

Maîtresses    et    courtisans    flattaient    la    manie     de  construire     dont 

9 


I3i)  \-l' RSAILTJ' S 

Louis  XV  113  fut  pas  moins  possédé  que  son  grand  aïeul  ;  les  comman- 
des continuaient  malgré  la  pénurie  lamentable  des  finances,  et  le  retard 
toujours  croissant  à  pa3'er  les  artistes.  Cependant,  depuis  que  Kobert  de 
Cotte  avait  entrepris  le  salon  d'Hercule,  aucun  ouxrage  d'aussi  grande 
importance  n''a\'ait  été  entrepris;  tout  l'argent  allait  aux  menus  décors. 
3Iais  Tacc[ues-Ange  (rabriel,  qui  succédait  en     1742    à     son  ])ère  dans   la 


Chambre  à  coucher  de  M""  du  Barr 


charge  de  premier  architecte  du  Roi,  avait  les  vues  larges  et  l'ambition 
d'un  31ansart.  Il  décida  de  donner  au  Château  la  salle  de  l'Opéra  qui  lui 
manquait,  et  dont  Mansart  avait  arrêté  les  plans  et  commencé  la  maçon- 
nerie à  l'extrémité  de  l'aileduXord.  Ce  fut  un  long  et  difficile  travail, qui 
n'alla  pas  sans  interruption,  de  1753  a  1770,  année  oia  la  salle  futinaugurée 
pour  les  fêtes  du  mariage  du  Dauphin.  Transformée  en  1871  pour  les. 
réunions  de  l'Assemblée  Nationale,  occupée  par  le  vSénat  de  1876^11879,. 
cette  pièce  splendide,  où  avait  eu  lieu,  le  i^'"  octobre  1789,  le  fameux  ban- 
quet des  gardes  du  corps,  a  perdu,  en  même  temps  que  son  plafond,  rem- 
placé par  un  \-itrage,  la  charmante  peinture  de  ses  boiseries  en  imitation 
de  marbre  vert  antique,  si  délicatement  harmonisée  avec  le  velours  bleu 


LE  CHATEAU   DE   LOUIS   XV    ET   DE   LOUIS   XVI 


131 


qui  garnissait  les  log-es,  et  la  dorure  mate  de  ses  balustres,  de  ses  cha- 
piteaux, de  ses  consoles,  de  ses  ravissants  bas-reliefs  de  Pajou  et  de  Gui- 
bert.  L'affreuse  couleur  rougeàtre  dont  elle  est  revêtue  n'empêche  point 
d'apprécier  la  beauté  des  proportions  et  la  richesse  inouïe  de  l'ornement; 
c'est  la  plus  belle  salle  de  théâtre  cjue  l'on  puisse  imaginer  ;  c'est  le  Bay- 
reuth  tant  de  fois  réclamé  pour  la  France,  un  Bayreuth  aux  portes  de 
Paris,  et  où  il  semble  que  l'écho  redise 
encore  les  airs  de  LuUi,  de  Rameau  et 
de  (.rluck.  Le  fover  a\'ec    ses  cariatides. 


L'Opéra  (salle  de  séances  du  Sénat). 


ses  groupes  sculptés,  les  délicieux  bas-reliefs  de  ses  portes,  n'est  pas 
moins  exquis  et  complet  ;  pour  connaître  l'art  de  Pajou,  il  faut  avoir  vu 
l'Opéra  de  Versailles. 

Si  Gabriel  s'était  contenté  de  ces  travaux  intérieurs,  en  se  bornant  à 
restaurer,  au  dehors,  l'ouvrage  des  précédents  architectes,  Versailles  fût 
demeuré  le  chef-d'œuvre  qu'il  était  à  la  mort  de  Louis  XIV.  Mais  le  ter- 
rible démolisseur  qui  venait  de  supprimer  une  des  plus  belles  créations 
du  XVII*^  siècle  ne  pouvait  pas  moins  faire  que  de  reprendre,  à  sa  façon, 
c'est-à-dire  en  style  néo-grec,  les  projets  de  reconstruction  générale 
plutôt  rêvés  qu'ébauchés  par  iMansart.  Les  deux  ailes  du  Château  sur  la 
cour,  avec  leurs  pavillons  à  colonnades,  étaient  gravement  endommagées; 


132  VERSAILLES 

ce  fut  Toccasion  de  faire  adopter  au  Roi  «  un  plan  général  de  décoration 
analogue  à  celui  du  côté  des  jartlins  »  c't  (|ui  eût  rappelé  Tarrangement 
nouveau  de  la  place  Royale,  à  Paris.  Le  travail,  entre])ris  vn  1771.  dura 
trois  années  ;  lorsque  Louis  XYI  monta  sur  le  trône,  la  belle  unité  du 
grand  Cliàteau  était  rompue,  une  aile  énorme,  avec  une  lourde  ccjlonnade 

et  un  fronton  de 
t('m])le  grec,  domi- 
nait, écrasait  les 
])au\res  bâtiments 
de  l)ri(_iu('  rose.  L"in- 
térieur  en  était  vide 
encore  ;  il  n'y  avait 
c[ue  la  cage  d'un 
immense  escalier. 
].e  i^avillon  qui,  sur 
la  gauche  de  la  cour 
Royale,  fait  pen- 
dant à  Taile  Cra- 
briel,  ne  fut  com- 
mencé que  sous 
Xa])olé(jn  et  con- 
duit à  terme  sous 
Louis  XA^III,  par 
Du  four. 

LouisXVI,  mal- 
gré les  efforts  de 
son  directeur  des 
Bâtiments,  le  comte 
d'Angiviller,  ne  put  faire  aboutir  les  grands  projets  laissés  en  souffrance 
par  Gabriel  ;  Targent  manquait  ;  le  Château  demeura  estroi3ié.  Mais  dans 
la  nouvelle  aile,  et  sur  l'emplacement  même  de  l'escalier  préparé  par 
Gabriel  pour  remplacer  le  degré  des  Ambassadeurs,  une  grande  salle  de 
spectacle  fut  édifiée,  dont  Hubert  Robert  et  Lagrenée  firent  les  peintures  ; 
les  eigencements  en  furent  conservés  jusqu'au  temps  de  Louis-Philippe, 
qui  les  détruisit.  Dans  les  appartements,  le  Roi  ne  voulut  rien  changer 
des  dispositions  essentielles  ;  seulement  il  se  fit  installer  une  Bibliothèque 
plus  à  sa  portée,  dans  l'ancienne  chambre  de  M"'*^  Adélaïde.  Cette  belle 
pièce,  simple  et  paisible,  avec   son  décor  tout  en  lignes   horizontales  et 


Le  foyer  de  l'Opéra. 


LE    CHATEAU    DE   LOUIS   XV    ET   DE    LOUIS   XVI 


verticales,  n'a  plus  rien  du  style  de  Louis  X\"  ;  elle  revient  aux  principes 
de  lart  de  Louis  XI\",  mais  avec  une  sobriété  plusgrande.  L'harmonie  en 
blanc  et  or  est  désormais  la  règle  ;  tout  ce  que  l'on  peut  admettre  est  de 
varier  les  tons  de  Lor.  La  cheminée  même,  de  marbre  tout  blanc  avec  des 
feuillages  dorés  sur  le  linteau  que  soutiennent  des  cariatides  enfantines, 
s'accorde  avec  les  bas- 
reliefs  presque  plats  qui 
brillent  au-dessus  des 
glaces  et  les  panneaux 
en  hauteur  qui  occupent 
les  quatre  angles,  où  les 
emblèmes  des  Muses  sont 
ciselés  au  milieu  de  feuil- 
lages et  de  fleurs  d'une 
prodigieuse  finesse.  C'est 
bien  ainsi  que  l'on  doit 
concevoir  le  grave  asile 
de  la  pensée,  où  le  livre 
sera  le  motif  souverain, 
jusque  dans  les  glaces 
des  portes  en  trompe- 
l'œil,  que  tapissent  des 
dos  de  reliures. 

Les  fils  d'Antoine 
Rousseau,  qui  cisèlent 
en  1774  les  vitrines  de 
cette  Bibliothèque,  sont 
occupés  depuis  quatre 
ans,  avec  leur  père,  aux 

appartements  de  ^larie-Antoinette.  La  jeune  Dauphine,  à  qui  Louis  XV 
abandonnait,  en  même  temps  que  la  grande  chambre,  les  Cabinets  de 
Marie  Leczinska,  s'était  empressée  de  les  modifier  à  son  usage;  sitôt 
Reine,  et  dès  c[u'elle  eut  fait  nommer  le  lorrain  Richard  Clique  intendant 
et  contrôleur  général  de  ses  Bâtiments  ((Tabriel  a}'ant  pris  sa  retraite  en 


Louis  XVI,  par  Duplessis. 


Cliché  NeurJeia. 


/  /D, 


,  elle  hâta  tous  ces  menus  travaux. 


Il  ne  faut  pas  confondre  les  Cabinets  de  la  Reine  avec  son  Petit 
Appartement,  qui  comprenait  une  série  de  pièces  situées  au  rez-de- 
chaussée  du  Château,  entre  la  cour  de  31arbre  et  la  Terrasse.  M"'"  Sophie 
les  habita  longtemps,  et  ce  ne  fut  qu'après  la  mort   de  cette  princesse. 


t34 


VERSAILLES 


survenue  le  3  mars  1782,  que  3Uirie-.\nt()inettc  les  fit  adajUer  à  son 
usage.  Elle  y  trouvait  Tinstallation  joyeuse,  large  et  elaire,  et  les  com- 
modités de  service  que  ne  pouvaient  lui  donner  les  charnières  uniquement 
ouvertes  sur  la  sombre  et  mélancolique  .cour  du  I)aui)hiii.  J)e  ce  Petit 
Appartement  aux  entresols   nombreux   et    com])liqiu''s    ] ires  pie   rien    ne 


Cliché  Neui-deii 


Bibliothèque  de  Louis  XVL 


subsiste,  et  tous  les   ornements  ont   péri,    sauf  quelques   volets  fort  élé- 
gants, demeurés  aux  fenêtres  de  la  Galerie  Basse. 

Dans  les  Cabinets,  la  jolie  Bibliothèque,  en  or  jaune  et  vert,  où  Tai- 
gle  à  deux  tètes,  par  un  artifice  délicat,  sert  de  poignée  aux  tiroirs, 
fut  créée  en  1772,  refaite  en  17S1  ;  quant  au  délicieux  petit  salon  à  pans 
coupés,  la  3léridienne,  dont  les  documents  signalent  Tachèvementà  cette 
même  date,  on  serait  tenté  d'en  croire  les  boiseries  plus  anciennes,  et, 
à  en  juger  par  le  sujet,  destinées  à  être  vues  par  la  Dauphine.  Le 
travail  de  ces  boiseries  atteint  la  perfection  suprême  ;  leurs  guirlandes  de 
roses,  si  régulièrement  agencées,  sont  toutes  pareilles   aux  cuivres    dont 


LE   CHATEAU    DE   LOUIS   XV    ET    UE    LOUIS   XVI  135 

un  Riesener  ou  un  Gouthière  incrustent  leurs  plus  beaux  meubles;  mais 
sans  aller  plus  loin,  il  suffit  de  les  comparer  aux  cuivres,  de  facture 
pareille,   aiipli([ués  sur    les    g'iaces  sans  tain  des  deux  portes,    feuillages 


Cliché   Neunlein 

Marie-Antoinette  et  ses  enfants,  par  M"''  Vigée-Lebrun  (1787). 


et  boutons  de  roses  auprès  desquels  un  dauphin  et  un  cœur  percé  de 
flèches  résument  si  gentiment  le  symbolisme  convenable  aux  jeunes 
époux. 

Marie-Antoinette  dauphine  n'avait  pu  obtenir,  avec  les  plus  vives  ins- 
tances, qu'on  lui  refit  la  grande  chambre  à  coucher  :  Gabriel,  pour  une 
fois  quHl  conservait   au  lieu  de  détruire,  eut  gain  de  cause,  l.e  plafond, 


t36 


VERSAILLES 


à  peine  modifié,  fut  redoré,  et  l'aigle  d'Autriche,  avec  des  sphinx,  y  fut 
modelé  par  Antoine  Rousseau,  en  stucs  assez  lourds,  auprès  de  colombes 
et  de  dauphins  accolés  aux  armes  de  France  et  de  Navarre.  Derrière  la 
solennelle  balustrade,  un  dais  de  brocart  à  paillettes  dorées  abritait  le 
lit  somptueux,  et  dans  l'angle  de  la  muraille,  à  gauche,  s'ouvre  encore 


Cliché  Keui'iiei 


Salon  des  Cabinets  de  Marie- Antoinette. 


la  porte  dérobée  par  où  la  Reine  gagnait  ses  Cabinets  intérieurs,  les 
Bibliothèques,  la  salle  de  bain,  le  salon  où  elle  aimait  se  retirer,  malgré 
la  tristesse  de  la  petite  cour  sur  laquelle  ouvrent  leurs  fenêtres,  lorsqu'elle 
ne  pouvait  fuir  jusqu'en  son  cher  et  tout  aimable  ïrianon. 

La  dernière  et  la  plus  belle  des  pièces  de  cet  appartement  intérieur, 
le  grand  Cabinet,  fut  toute  décorée  à  nouveau,  en  1783,  par  les  frères 
Rousseau.  Une  niche  de  glaces,  comme  à  la  Méridienne,  abrite  un 
canapé,  d'où  les  hautes  coiffures  à  plumes  vont  se  refléter  partout;  et  les 
reliefs  dorés  des  boiseries  ont  la  précision  de  métaux  ciselés.  L'aspect 
noble  et  paisible  de  ces  panneaux  longs,  où  des  sphinx  ailés  à  têtes  de 
femmes  sont  accroupis  deux  par  deux  aux  côtés  de  trépieds  fumants,  tandis 


LE    CHATEAU    DE    LOUIS   XV    ET    D  !•:    LOUIS   XVI 


137 


que,  tout  en  haut,  de  grands  médaillons  au  chiffre  de  la  Reine  semblent 
soutenir  des  vases  de  parfums,  s'égaie,  à  la  base  du  lambris,  d'autres 
panneaux  étroits  où  TAmour  aux  yeux  bandés  se  balance  sur  une  escar- 
polette de  fleurs.  Le  st^de  de  l'Empire,  le  décor  des  meubles  de  Jacob, 
apparaît  ici  mieux  qu'en  germe, 
et  déjà  dans  toute  sa  plénitude  ; 
il  ne  faut  pas  oublier  que  la 
résurrection  d'Herculanum  et  de 
Pompéi  est  toute  récente,  et  c[ue 
le  grand  Piranesi  a  publié  ses 
premiers  ornements  d'après  l'an- 
tique. Les  bronzes  réguliers  qui 
rehaussent  la  belle  cheminée  de 
marbre  rouge,  soutenue  par  de 
classiques  tètes  de  femmes,  s'ac- 
cordent à  la  pureté  de  lignes  du 
lambris;  et  le  joli  lustre,  le  petit 
mobilier  gracieux  conservent  un 
charmecrintimité  à  ce  salon  où 
survit  encore  le  sourire  de  la 
Reine  dans  le  délicieux  buste  en 
biscuit  de  Pajou. 

C'est  dans  le  même  goût  clas- 
sic|ue,  avec  le  même  agencement 
des  panneaux  étroits  ou  larges, 
aux  bordures  rectangulaires,  cj^ue 
les  frères  Rousseau  achevaient, 
aux  approches  de  la  Révolution, 
le  Cabinet  en  arrière  de  la  cham- 
bre du  Roi.  L^'ne  porte  dérobée, 
à  gauche  de  l'alcôve,  mène  dans 
cette  petite  pièce,  où  l'esprit  et  la 
variété  infinie  des  motifs  s'asso- 
cient à  des  prodiges  d'exécution.  Chacun  des  grands  panneaux,  complété 
en  haut  et  en  bas  par  deux  compartiments  en  largeur,  a  pour  thème  un 
des  ^Ministères  soumis  à  l'autorité  royale  :  Agriculture,  Finances,  Guerre, 
3Iarine,  Arts  et  Sciences.  Dire  tout  ce  ciue  les  ingénieux  sculpteurs  ont 
dépensé  de  verve  aux  jolus  infimes  détails  serait  impossible  ;  et  les  bronzes 
de  la  cheminée,    rinceaux  de    feuillages  et  de  fleurs,   têtes  de  lions,  ser- 


Cliché  Neuideiu. 

Panneau  du  Cabinet  en  arrière  de  la  chambre 
à  coucher  de  Louis  XVI. 


138  VERSAILLES 

pents  qui  se  tordent  en  appliques,  montrent,  aussi  bien  que  les  boiseries, 
les  plus  exquis  modèles  d'un  art  cette  fois  affranchi  des  entraves  de 
l'antiquité,  et  rattaché  à  la  meilleure  tradition  française. 

C'est  la  dernière  fleur  et  le  dernier  sourire  de  Tart  de  Versailles.  De 
ce  cabinet  d'oi^i  Louis  XVI,  par  le  balcon  de  la  cour  des  Cerfs,  gagne  sans 
être  vu  sa  Forge  cachée  sous  les  toits,  et  d'où  il  gagne  aussi  les  appar- 
tements de  .ALarie-Antoinette  par  l'étroit  et  long  corridor,  le  Passage  du 
Roi,  qu'il  a  fait  ouvrir  en  1775  aux  chambres  de  l'entresol,  il  sortira 
en  hâte  au  matin  du  6  octobre  1789,  pour  aller  chercher  la  Reine, 
menacée  par  les  hordes  furieuses  qui  ont  envahi  le  Château.  Mais  déjà 
Marie-Antoinette  a  franchi  sa  porte  dérobée,  traversé  l'Œil-de-Beuf, 
la  Chambre  de  parade  et  le  Cabinet  du  Conseil  ;  et,  serrant  ses  enfants 
des  deux  mains,  elle  écoute  les  cris  de  mort  qui  montent  de  la  cour  vers 
ses  fenêtres. 


K'«f^-/i«M»<A*f*lM^/v^'^«^-^''»'?'V^"''»^  f^i^'>^<^4^-^^ 


Panneau  du  salon  des  Cabinets  de  Marie-Antoinette. 


Le  Petit  Trianon,  du  côté  du  Jardin  français. 

CHAPITRE   VI 

LES  JARDINS  AU  XVIIP  SIÈCLE  ET  LE  PETIT  TRIANON 


A  la  veille  même  du  jour  où  le  peuple  de  Paris  allait  chercher  à  Ver- 
sailles ((  le  boulanger,  la  boulangère  et  le  petit  mitron  »,  la  Reine,  seule, 
rêvait  dans  son  jardin  de  Trianon.  Le  grand  parc  de  Louis  XIV  s^était 
bien  transformé  durant  tout  un  siècle;  il  avait  lentement  dépéri,  sans 
que  les  restaurations  successives  et  les  reboisements  eussent  suffi  à  rendre 
à  ses  charmilles  et  à  ses  jeux  d'eau  la  magnificence  exigée  par  leur 
créateur.  Une  décision  toute  humaine  et  bienveillante  du  Roi  devenait, 
dès  1704,  une  première  cause  de  ruine.  Voulant,  raconte  Dangeau,  «  que 
tous  les  jardins  et  toutes  les  fontaines  fussent  pour  le  public,  »  il  faisait 
supprimer  les  grilles  qui  fermaient  les  bosquets.  On  peut  juger  des 
mutilations  qui  en  résultèrent  par  celles  qu'aujourd'hui  encore  la  surveil- 
lance des  gardes  ne  parvient  pas  à  supprimer.  Plombs  mutilés  ou  volés, 
marbres  entaillés,  déshonorés  par  les  inscriptions,  telles  furent  les  souf- 
frances de  ces  jardins  splendides,  dont  le  vieux  Roi  n'avait  plus  grand 
souci,  occupé  qu'il  était  par  les  incessants  travaux  de  3Iarly.  Le  terrible 


140 


VERSAILLES 


hi\  er  de  1707,  ([ui  détruisit  l(^s  ]dus  beaux  arbres,  donna  de  nouveaux 
motifs  à  l'abandon.  Puis  vint  le  deuil  de  17 15,  et  Versailles  fut  désert. 
Les  jardiniers  y  restaient  toutefois,  et  la  petite  colonie  des  gondoliers  du 
Canal;  en  17  17,  Pierre  le  (irand  fut  conduit  en  gondole  de  Trianon  à  la 
Ménagerie.  D'ailleurs,  cette  année  même,  par  mesure  d'économie,  les 
matelots  vénitiens  étaient  licenciés.  Il  arri\a  aussi  que  Pouis  XV,  dans 
ses  premières  années  de  \^ersailles,  se  divertît  à  la  mode  de  son  aïeul  en 
promenades  sur  le  Canal  ;  mais  le  goût  n'était  plus  à  ces  réjouissances 
tl'apparat. 

.V  partir  de  1730,  en  même  temps  que  recommencent  au  Château  les 
grands  ouvrages  d'architecture,  les  jardins  sont  remis  en  état.  Le  duc 
d'Antin  fait  rétablir  les  fermetures  des  bosquets,  repeindre  les  plombs, 
nettoyer  les  marbres;  on  restaure,  en  1732,  les  édifices  compliqués  de 
l'Arc  de  Triomphe,  et,  en  1739,  Jacques-Ange  Gabriel  construit  dans  le 
massif  du  31arais,  sur  un  emplacement  destiné  par  Louis  XIA'  à  une  fon- 
taine qui  ne  fut  pas  exécutée,  le  Nouveau  bosquet  du  Dauphin.  C'était,  à 
l'usage  du  fils  de  Louis  XV,  une  sorte  d'abrégé  de  la  ^lénagerie.  Un  pavil- 
lon octogone  entre  deux  volières  joliment  peintes  occupait  le  centre  d'un 
parterre  où  des  canards  et  des  tortues  étaient  nourris  par  l'enfant  royal. 
Antoine  Rousseau  avait  ciselé  les  ornements  du  pavillon,  et  près  des 
volières  étaient  placés  deux  chefs-d'œuvre  des  frères  Coustou,  ces 
marbres  élégants  et  spirituels  au  possible,  Louis  XA'  et  ^larie  Leczinska 
sous  les  traits  de  Jupiter  et  de  Junon,  qui,  transportés  à  Trianon  par 
Hubert  Robert,  puis  au  musée  de  A'ersailles,  ont  trouvé  au  Louvre,  en 
1850,  un  asile  définitif. 

Pendant  que  s'ache\'ait.  à  l'intérieur  du  Château,  le  grand  décor  du 
salon  d'Hercule,  dernier  et  splendide  souvenir  de  l'art  de  Louis  XIV 
dans  le  Versailles  de  Louis  XV,  l'immense  bassin  de  Xeptune  se  parait 
des  figures  et  des  groupes  que  31ansart  avait  rêvés  pour  animer  ses  lignes 
puissantes,  et  qui,  sous  la  main  des  heureux  maîtres  de  l'art  nouveau, 
prenaient  une  vie  et  une  beauté  encore  inconnues.  Les  travaux  a'  recom- 
mencèrent dès  1733.  Les  glaçons  de  pierre  et  les  divers  ornements  de 
cette  longue  muraille  sont  sculptés  par  Verberckt  et  Le  Goupil,  auxquels 
succèdent  vSenelle  et  Hard}-;  cependant  Bouchardon,  Jean-Baptiste 
Lemoine  et  Lambert-Sigisbert  Adam  préparent  les  groupes  de  plomb 
qui  seront  posés  en  1739  et  1740;  ce  fut  le  14  août  1741  que,  pour  la  pre- 
mière fois,  les  eaux  du  bassin  tel  que  nous  le  connaissons  jouèrent  devant 
le  Roi. 

Les  vingt-deux  vases  de  plomb  posés  sur  la  tablette  supérieure  et  les 


LES  JARDINS   AU   XVJII"   SIÈCLE   ET   LE    PETIT   TRIANON     141 

mascarons  fixés  à  la  muraille  ont  été  modelés  par  Girardon  avant  1685, 
et  gardent,  malgré  la  perte  de  leur  dorure,  une  richesse  et  une  magnifi- 
cence extraordinaires.  Plus  bas,  sur  la  margelle  inférieure,  trois  groupes 
allégoriques  s  adossent  à  la  muraille.  Au  centre  est  le  Triomphe  de  Nep- 
tune et  d'Amphitrite,  exécuté  par  Adam  selon  les  règles,  on  serait  presque 
tenté  de  dire  d'après  les  projets  de  ces  Triomphes  marins  imaginés  jadis 


Le  bassin  de  Neptune. 


pour  les  bassins  du  grand  Parterre.  Le  dieu  et  la  déesse,  Tun  avec  le  tri- 
dent, lautre  avec  le  sceptre,  sont  assis  au  bord  d'une  large  conque  dominée 
par  une  tète  de  dragon  ailé.  Des  tritons,  une  naïade  leur  font  escorte,  et 
des  dauphins  nagent  devant  eux.  Les  figures,  un  peu  maigres  et  banales, 
sont  loin  de  valoir  celle  des  autres  groupes.  A  droite,  Lemoine  a  repré- 
senté le  vieil  Océan  assis,  les  jambes  croisées,  contre  le  vaste  corps  tout 
squameux  d  un  espadon;  à  ses  pieds  rampe  un  énorme  crabe  qui  dévore 
un  serpent  de  mer;  plus  loin,  un  ph(jque  en  criant  sort  des  roseaux.  A 
gauche,  Bouchardon  a  modelé  un  Protée  jeune,  imberbe,  appu}-é  contre  un 
poisson  monstrueux  qui  se  traîne  sur  une  vasque  largement  étalée,  et  dont 
les  replis  abritent   des   tètes   étonnées  de  dauphins  et  de  phoques.  Tout 


142  VERSAILLES 

cela  est  d'un  travail  aisé,  souille  et  vraiment  fluide,  qui  n'avait  pas 
encore  son  égal  dans  l'art  français.  Et  la  perfection  même  de  ce  grand 
art  décoratif  est  atteinte  dans  les  deux  groupes  de  Bouchardon.  placés, 
comme  sur  deux  promontoires,  aux  extrémités  en  retour  du  long  rebord 
de  pierre.  Ces  dragons,  de  mine  chinoise,  aux  larges  pattes  palmées,  à  la 
croupe  tortueuse  et  si  bien  recourbée,  que  chevauchent  et  tiennent  en 
laisse   des    amours   potelés,  joufflus,  aux  tètes  mutines  et  candides,   aux 


Ci;clie  Baibxhon 


iassin  de  Neotune.  Un  dragon,  par  Bouchardon. 


jolies  boucles  relevées  sur  la  nuque,  sont  une  merveille  d'esprit,  d'une 
irrésistible  séduction.  Quelle  belle  matière  que  le  plomb  aux  mains  de 
pareils  maîtres  ! 

De  nouveau  les  jardins  sont  laissés  à  l'abandon,  l'aigri  des  vieilles 
charmilles  sert  aux  pires  malfaiteurs  ;  on  vole  et  on  assassine  même  dans 
les  bosquets.  Mais  le  Roi,  tout  à  ses  plaisirs,  n'aime  plus  que  Trianon  ; 
il  y  trouve  la  retraite  de  son  choix,  et  lorsque  commence  la  durable 
faveur  de  31""'  de  Pompadour,  c'est  là  qu'il  cherchera  souvent  à  dissiper 
son  éternel  ennui.  I.es  goûts  champêtres  de  la  marcjuise  vont  s'exercer  à 
ïrianon,  comme  à  l'Ermitage,  à  Bellevue,  à  Compiègne,  à  Fontainebleau. 
Déjà  le  Roi  avait  dans  ses  cabinets  des  combles,  au  Château,  toute  une 
basse-cour  de  pigeons  et  de  poules;  à  Trianon,  Gabriel  lui  construit,  en 


LES   JARDINS   AU   XVIII'    SIÈCLE    ET    LE    Pl'TIT   TRIAXON     143 

1749  et  1750,  une  «  ])etite  ménagerie  »,  c'est-à-dire  une  ferme,  comprenant 
laiterie,  vacherie  et  bergerie,  dont  on  peut  voir  encore  les  bâtiments,  un 
peu  modernisés,  à  quelque  distance  au-dessous  du  grand  bassin  du  Trèfle, 
le  réser\oir  creusé  au  XVir  siècle  pour  alimenter  lesjeuxdeau  de  Trianon. 
Devant  la  laiterie,  un  gracieux  parterre,  avec  fpuitre  bassins,  des  plates- 


i 


"|i''4!ni,''JJUiaiiiJiJJi.. li.il.  *^IUUil*LMuiUUlf^ 
^gl '  '  ' 


Le  Petit  Trianon,  du  côté  de  la  cour. 


bandes  de  gazon  et  de  fleurs,  des  avenues  d'arljres  taillés  en  berceau, 
des  bosquets  rustiques,  faisaient  cadre  à  un  pavillon  circulaire  flanqué  de 
quatre  cabinets,  dont  une  restauration  minutieuse  vient  de  rétablir  les 
lamlDris  dorés  et  le  pavé  de  marbres  en  mosaïque.  Ce  «  salon  de  compa- 
gnie et  de  jeu  »  est  de  la  plus  g-alante  invention,  avec  ses  colonnes  enga- 
gées et  sa  frise  toute  étincelanted'or,  où  s'ébattent,  en  des  comiDartiments 
de  stuc,  les  oiseaux  de  la  basse-cour  royale.  Il  y  avait  encore  un  «  salon 
frais  ))  très  élégant,  accompagné  de  galeries  de  treillage,  qui  servait  de 
salle  à  manger;  il  a  disparu  sous  la  Révolution. 

Voilà  donc  le  théâtre  des  divertissements  rustiques  de  M""  de  Pompa- 
dour,  bergère  d'opéra,  qui   porte,    avant   Marie-Antoinette,    la  houlette 


VERSAILLES 


enrubannée  et  les  seaux  à  lait.  Le  Roi,  plus  curieux  de  jardinage  que  de 
bergerie,  tente  de  son  côté  des  expériences  nouvelles.  Il  a  fait  venir  de 
Saint-Germain  le  jardinier  Claude  Richard,   dont  les  cultures  de  fleurs 


Petit  Trianon.  Rampe  de  l'escalier. 


sont  célèbres  jusqu'en  Hollande;  il  se  l'est  attaché,  Ta  installé  et  logé 
dans  le  nouveau  Trianon.  Et  alors,  de  1733  à  1759,  on  construit  des  serres 
chaudes,  des  serres  sans  feu,  des  serres  hollandaises;  les  pépinières,  les 
potagers,  les  fleuristes,  les  orangeries  se  succèdent  et  s'avoisinent;  le 
Roi  cultive  les  ananas,  les  pêchers,  les  figuiers,  et  distribue  lui-même 
aux  personnes  de  sa  suite  les  fraises  merveilleuses  dont  il  a  forcé  l'éclo- 
sion.  En  même  temps,  il  appelle  dans  son  Trianon  un  botaniste  jeune 
encore  et  déjà  illustre,  Bernard  de   Jussieu,  auquel  est  remise,  pendant 


LES   JARDINS   AU   XVIII"   SIÈCLE    ET   LE   PETIT   TRIAXON 


[45 


quelques  années,  la  direction  méthodique  des  plantations.  Sous  l'inspira- 
tion de  Jussieu,  le  jardin  botanique  de  ïrianon  s'enrichit  des  plants  et 
des  arbustes  les  plus  rares,  que  le  fils  de  Claude  Richard,  Antoine,  ira 
chercher  dans  toutes  les  contrées  de  l'Europe  et  jusqu'à  Tunis  ou  en  Asie 
Mineure,  ou  que  les  chefs  des  escadres  royales  ont  ordre  de  rapporter  de 
leurs  expéditions  lointaines.    On   voit  encore,  près  de  l'entrée  du    Petit 


Cliclié  .Neurdeii 


Petit  Trianon.  Cheminée  du  srand  salon. 


Trianon,  quelques  cèdres  du  Liban  et  quelques  pins  exotiques,  rares  sur- 
vivants du  jardin  botanique  de  Louis  XV, 

Tout  ce  joli  domaine,  si  fleuri,  si  vivant,  appelle  un  centre  d'habita- 
tion. Aussi  bien,  dès  1759,  Louis  XV  a-t-il  décidé  la  construction  d'un 
petit  château,  dont  les  plans,  dressés  par  Gabriel,  ont  eu  l'approbation 
de  M""'  de  Pompadour.  Le  Petit  Trianon  s'élève  en  deux  années,  de  1762 
à  1764;  il  en  faut  trois  ou  quatre  pour  le  décorer,  le  meubler  ;  tout  est 
terminé  en  1768,  avec  une  dépense  d'un  peu  plus  de  sept  cent  mille  livres. 
C'est  une  maison  de  forme  carrée,  comprenant  un  étage  surmonté  d'un 
attique,  sous  un  toit  plat  à  l'italienne  que  borde  une  balustrade.  LTne 
façade  en   est    tournée  vers  le  Jardin  français,  qui  la  sépare  du    Grand 


146 


VERSAILLES 


Trianon;  elle  est  précédée  d'un  parterre,  au-dessus  duquel  des  escaliers 
donnent  accès  à  un  perron,  et  quatre  hautes  colonnes  cannelées,  partant 
de  ce  perron,  s'adossent  à  la  muraille  pour  soutenir  une  avancée  de  la 
corniche.  La  seconde  façade  est  sur  une  cour  fermée  d'une  grille;  de  ce 
côté,  le  sol  étant  beaucoup  plus  bas,  il  y  a  un  rez-de-chaussée,  et,  au  lieu 
de  colonnes,  des  pilastres  en  fai])le  relief  séparent  les  cinq  fenêtres.  Point 


Cliclie  Neurdein. 

Peut  Trianon.  Panneau  de  la  chambre  à  coucher,  sculpté  par  Guibert. 


d'ornements  inutiles,  de  mascarons  ou  de  trophées;  toute  la  beauté  du 
petit  édifice  est  dans  l'harmonie  très  pure  de  ses  lignes  droites,  dans  les 
proportions  du  cadre  de  ses  fenêtres,  du  bandeau  plat  de  sa  corniche. 
C'est  de  l'architecture  de  la  Renaissance  romaine,  traduite  par  un  disciple 
de  .Mansart. 

Si  l'on  entre  par  la  cour,  le  vestibule,  tout  de  pierre  blanche  et  claire, 
réjouit  les  regards  par  une  délicieuse  rampe  d'escalier  en  fer  ciselé  et 
qui  forme  balcon  au  premier  étage.  Des  fenêtres  qui  éclairent  les  déga- 
gements intérieurs  répondent,  sur  la  muraille  du  fond,  aux  fenêtres  de 
façade  dont  elles  reflètent  la  vive  lumière,  et  de  grandes  guirlandes  de 
chêne  égaient  la  simplicité  des  autres  murs.  Les  appartements  se  compc- 


LES   JARDINS   AU  XVIII"   SIÈCLE    ET   LE   PETIT   TRIAXON     147 

sent,  au  premier  étage,  crime  antichambre,  d'une  salle  à  manger,  d'un 
petit  salon  d'angle  et  d'un  grand  salon;  le  cabinet  du  Roi,  qui  donne  sur 
le  jardin  botanique,  est  accompagné  d'un  petit  cabinet  et  d'une  biblio- 
thèque. A  l'entresol  et  au  second  étage  sont  les  chambres  à  coucher;  au 
rez-de-chaussée,  la  salle  de  billard,  la  salle  des  gardes  et  les  offices.  Une 
des  grandes  curiosités  du  nouveau  palais  était  le  mécanisme  inventé  par 


Le  Petit  Trianon.  Chambre  à  coucher  de  Marie-Antoinette. 


un  artiste  du  nom  de  Loriot  pour  la  salle  à  manger  :  le  parquet  s'ouvrait 
sur  un  signal,  et  une  table  volante,  ou  plutôt  le  milieu  delà  table  autour 
de  laquelle  on  était  assis,  descendait  et  montait  avec  les  mets  et  les  bois- 
sons; les  feuilles  d'une  rose  de  métal  se  dépliaient  pour  cacher  le  vide. 
L'on  imagine  aisément  le  mystère  des  soupers  galants  et  des  fêtes  intimes 
dans  ces  pièces  aux  boiseries  fines  dont  les  reliefs  blancs  et  dorés  se  déta- 
chaient sur  un  fond  du  vert  d'eau  le  plus  tendre;  des  dessus  de  porte  de 
Pater,  de  Natoire  et  de  Lépicié  animaient  les  délicates  murailles  de  leurs 
figures  spirituelles  et  de  leurs  paysages  aux  chaudes  couleurs.  Ces  char- 
mantes boiseries,  aujourd'hui  si  lourdement  empâtées  par  l'enduit  à  la 
colle   de  ton  grisâtre  dont  Louis-Philippe  les  a   fait  badigeonner,    sont 


148 


VERSAILLES 


Tœuvre  d'un  artiste  peu  connu.  Guibert,  le  beau-frère  du  peintre  Vernet. 
C  est  Gabriel  évidemment  qui  a  dessiné  les  grandes  lignes  du  décor,  les 
corniches  des  plafonds  et  les  encadrements  de  porte  d'un  style  tout  ins- 
piré de  l'antique;  mais  c'est  à  Guibert  c[u"il  faut  faire  honneur  des 
motifs  si  variés  et  personnels  dont  les  panneaux  sont  embellis  ;  tout  y 
rappelle  les  jardins  de  Trianon.  Dans  la  salle  à  manger,  les  fruits  les 
plus  divers  s'entassent  en  de  larges  coupes  ;  dans  le  grand  salon,  des 
branches  de  lis  s'encadrent  en  des  couronnes  de  laurier  et  de  chêne:  dans 


Les  Jardins  de  \"ersaiiles  en  1773,  par  Hubert  Robert. 


le  cabinet  du  Roi  qui  deviendra  la  chambre  de  31arie-Antoinette^ .  il  3" 
a  des  bouquets  de  roses,  de  pavots,  de  renoncules,  d'asters,  mêlés  aux 
fleurs  des  champs,  à  des  liserons,  des  coquelicots,  d'une  grâce,  d'une 
simplicité  exquises. 

Le  palais  imaginé  par  31"""  de  Pompadour  fut  inauguré  par  M'""  du 
Barry;  mais  lorsque,  bien  peu  de  temps  après  la  mort  de  Louis  XV,  il 
eut  été  donné  par  Louis  XA'I  à  la  Reine,  il  sembla  qu'une  si  aimable  pré- 
sence en  avait  chassé  les  pénibles  et  impurs  souvenirs;  et  le  Petit  Tria- 
non  ne  sera  plus  désormais  pour  ses  visiteurs  que  le  séjour  favori  de 
Marie-Antoinette.  Elle  y  apparaît  partout,  semble-t-il;  et  pourtant  une 
seule  petite  pièce,  un  boudoir,  a  été  de  nouveau  décoré  pour  elle,  et 
bien  probablement  par  un  des  Rousseau,  dans  le  style  de  son  cabinet  de 


LES    JARDINS    AU    XVIII''   SIÈCLE    ET   LE    PETIT   TRIANON     149 

la  .Aléridienne,  à  Versailles.  La  chambre  à  coucher,  Tancien  cabinet  de 
Louis  XV,  a  gardé,  fort  heureusement,  les  boiseries  de  Guibert,  avec 
leur  flore  champêtre  toute  fraîche  ;  et  le  mobilier  disparate,  mais  si  joli 
par  endroits  que  Napoléon  I",  Louis-Philippe  et  l'impératrice  Eugénie 
y  ont  peu  à  peu  rassemblé  :  lit,  chaises  et  fauteuils,  commode  et  biblio- 
thèque, tables  et  guéridons,  pendules,  candélabres,  jusqu'au  merveilleux 
lustre  du  vestibule,  tout  dans  le  petit  palais  aide  à  une  évocation  pieuse 
de  la  Reine,  tout  parle  de  sa  grâce  et  de  sa  bonté. 


Les  Jardins  de  Versailles  en  1775,  par  Hubert  Robert. 


On  pouvait  prévoir  dès  lors  qu\ine  fantaisie  t(jute-puissante,  plus  que 
jamais  attachée  à  ïrianon,  y  continuerait  les  embellissements  au  détri- 
ment des  jardins  de  Versailles.  Ces  jardins  semblaient  condamnés  à 
périr  ;  leurs  fontaines  remplies  de  bourbe  répandaient  une  odeur  infecte, 
les  charmilles  desséchées  n'avaient  plus  la  majesté  d'autrefois.  .Mais 
c'est  à  ce  moment  même  qu'est  décidée  la  grande  transformation  qui 
nous  a  donné  les  merveilles  dont  nous  j(juissons  aujourd  hui.  Le  plan 
général  de  reconstruction  du  Château  que  le  comte  d'Angiviller  avait  fait 
adopter  à  Louis  XV,  comportait  sans  aucun  doute  un  remaniement  du 
parc.  Les  travaux  entrepris  au  Château,  puis  interrompus,  ne  servaient, 
nous  l'avons  vu,  qu'à  déformer  irrémédiablement  la  grande  œuvre  de  Le 


150 


VERSAI]. LES 


'Ynn  et  de  3lansart:  dans  les  jardins,  le  résultat  fut  parfait.  La  mode 
n'était  plus  aux  grandes  lignes  sj^métriques,  aux  avenues  droites  intermi- 
nables, aux  savantes  architectures  de  feuillage;  les  âmes  sensibles  se 
tournaient  vers  la  nature.  On  cherchait  les  allées  «  tortueuses  et  irrégu- 
lières, bordées  de  bocag^es  fleuris,  couvertes  de  mille  guirlandes  de  vigne 
de  Judée,  de  vigne  vierge,  de  liseron,  de  h(Jublon.  de  clématite  »,  les  eaux 
limpides  et  claires,  «  circulant  parmi  Therbe  et  les  fleurs  en  filets  pres- 
que imperceptibles  >\  que  Rousseau  célèbre  dans  sa  Nouvelle  Héloïse  ; 


Le  bosquet  d'Apollon. 


on  ne  voulait  plus  des  architectes  «chèrement  pa3'és  pour  gâter  la  nature  »; 
on  demandait,  pour  Thomme  de  goût,  «  une  promenade  à  la  porte  de  sa 
maison  ».  «  Il  la  fera  »,  disait  Jean-Jacques,  «  si  commode  et  si  agréable^qu'il 
s'y  puisse  plaire  à  toutes  les  heures  de  la  journée,  et  pourtant  si  simple  et 
si  naturelle  qu'il  semble  n'avoir  rien  fait.  »  C'est  le  jardin  anglais  qui  va 
être  organisé  à  Trianon,  et  qui  faillit  l'être  à  Versailles.  Le  20  novem- 
bre 1774,  fut  annoncée  la  vente  «  de  tous  les  bois  de  futaie,  de  ligne  et  de 
décoration,  et  des  taillis  en  massifs  »  des  jardins  de  Versailles  et  de  Tria- 
non.  L'abatage  des  vieux  arbres  commença  dès  la  fin  de  décembre;  Hubert 
Robert  en  a  fixé  le  souvenir,  avec  une  vérité  pittoresque,  en  deux  de  ses 


LES   JARDINS   AU   XVIII'-'   SIECLE   ET   LE   PETIT   TRIANON     151 

meilleurs  tableaux.  I.emoine,  jardinier  du  parc,  entreprit  la  replantation 
au  printemps  de  1776.  Le  plan  de  Le  Nôtre  était  conservé  ;  mais  au  lieu  des 
trop  hautes  et  monotones  charmilles,  les  bosquets  n'étaient  plus  entourés 
que  de  haies,  et  des  rangs  de  tilleuls,  d'ormes  et  de  charmes,  en  bordure 
de  chaque  allée,  préparaient  ces  profondes  nefs  de  verdure  qui  sont  deve- 
nues, avec  les  années,  Torgueil  et  l'enchantement  de    Versailles.    Les  ifs 


Le  temple  de  l'Amour. 


de  Louis  XV  continuèrent,  au  pourtour  des  rampes  de  Latone,  à  dres- 
ser leurs  guérites  immuables  et  sombres;  mais,  tout  au  long  des  pentes 
qui  s'abaissent  du  Parterre  d'eau  vers  le  lac  des  Suisses  et  le  bassin  de 
Neptune,  des  marronniers  élevèrent  les  murailles  immenses  que  les  rayons 
du  soleil  couchant  découpent  en  figures  lumineuses  de  vitrail.  Les  bos- 
quets du  Dauphin  et  de  la  Girandole  devinrent  des  quinconces  de  marron- 
niers; le  Labyrinthe,  détruit  en  1775,  fut  remplacé  par  le  bosquet  de  la 
Reine,  et  Hubert  Robert  dessina,  en  1778,  l'ingénieux  arrangement  des 
Bains  d'Apollon,  sur  l'emplacement  de  l'ancien  Marais.  C'est  le  jardin 
anglais  dans  toute  sa  perfection,  avec  son  rocher  en  maçonnerie,  sa  grotte 
qui  abrite  l'Apollon  chez  Thétis  de   Girardon,    son  petit  lac,  sa  pelouse 


'5.2 


VERSAILLES 


.toujours  verte  et  ses  massifs  d'arbres  harmonieux;  mais  où  sont  les  eaux 
L^rillantes  et  bouillonnantes  que  demandait  Jean-Jacques  ? 

I.a  Reine  attendait  mieux  de  son  joli  Trianon.  Elle  s'adressa  d'abcjrd  à 
Antoine  Richard,  qui  a\ait  visité  rAng-lcterrc.  et  qui  lui  présenta  bien 
vite  un  i)lan  où  rien  ne  manc[uait,  non  pas  même  les  ornements  chinois 
dont  le  piquant  semblait  indispensable  pour  faire  goûter  la  nature  :  kios- 
ques, pagode,  volières,  avec  un  théâtre  et  un  tem]:)le  de  Diane,  au  milieu 


Le  Ik 


des  indolents  méandres  d'une  rivière  en  de  grasses  prairies.  Ce  plan  ne  sa- 
tisfit point,  mais  un  autre,  qu'avait  préparé  le  comte  de  Caraman,  fut  agréé, 
presque  aussitôt  repris  par  l'architecte  Clique,  est  terminé  en  1777.  Il 
ménageait  autour  du  Petit  Trianon  les  perspectives  les  plus  heureuses. 
Les  prairies,  la  montagne,  le  lac  et  l'indispensable  rivière  s'y  rehaus- 
saient du  belvédère,  du  théâtre  et  du  temple  non  moins  indispensables. 
Des  maquettes  de  tout  ce  décor  furent  exposées  devant  la  Cour  et  approu- 
vées. Le  temple  de  l'Amour,  construit  par  le  sculpteur  Deschamps  en 
1778,  consiste  en  une  rotonde  de  douze  colonnes  corinthiennes  en  marbre 
blanc,  qui  soutiennent  une  coupole  basse  de  style  romain;  au  centre,  sur 


LES   JARDINS   AU  XYIIL'  SIÈCLE   ET   LE   PETIT   TRIANON     153 

un  socle  élégant,  il  y  a  une  statue  de  l'Amour  adolescent  qui  se  taille  un 
arc  dans  la  massue  d'Hercule  ;  la  statue,  sculptée  par  Bouchardon  en 
1746,  a  été  transportée  au  Louvre,  et  remplacée  par  une  copie.  Le  théâtre, 
d'abord  installé  dans  la  galerie  du  Grand  Trianon,  puis  dans  l'Orange- 
rie, auprès  d'un  jeu  de  bague  à  la  chinoise,  fut  élevé  à  part,  en  1778  et 
177g,  sur  les  dessins  de  31ique.  D'extérieur,  c'est  un  bâtiment  des   plus 


Hameau  de  Trianon.  La  Maison  de  la  Reine. 


modestes,  qui  s'abrite  derrière  les  charmilles  du  jardin  français,  en 
contre-bas  de  la  petite  montagne  où  se  dresse  le  Belvédère.  Mais  d'inté- 
rieur, c'est  un  des  plus  parfaits  bijoux  de  l'art  de  Louis  XVI.  La  petite 
salle,  en  fer  à  cheval  assez  étroit,  comprend  deux  galeries  de  loges,  sous 
une  voussure  percée  dedouze  œils-de-bœuf.  Desamours,  assis  sur  la  frise, 
tiennent  des  guirlandes  de  fleurs  ;  des  cariatides  féminines  soulèvent  le 
rideau  de  la  scène  ;  deux  muses,  au-dessus  de  ce  rideau,  s'appuient  à  un 
écusson  au  chiffre  de  la  Reine  ;  des  nymphes  enfin,  sur  l'avant-scène, 
portent  des  cornes  d'abondance  remplies  de  fleurs  et  de  fruits,  où  les 
bougies  étaient  piquées.  Toutes  ces  sculptures  (œuvres  de  Deschamps), 


t54 


VERSAILLES 


en  pâte  de  carton  et  en  stuc,  entièrement  dorées  de  deux  ors,  s'harmo- 
nisent avec  les  fines  boiseries  peintes  en  brèche  violette  ou  en  marbre 
laiteux  que  soutenait  autrefois  le  ton  bleu  délicieux  de  la  moire,  des 
velours  et  du  gros  de  Tours  qui  revêtaient  les  loges  et  le  parterre.  Ce  fut 
là  que.  devant  des  specttiteurs  d'élite,  la  Reine  joua  elle-même  dans  les 


Hameau  de  Trianon.  La  Laiterie. 


comédies  de  Sedaine,  de  31onsigny,  de  Favart,  et  que,  le  ig  août  1785, 
en  présence  de  Beaumarchais,  elle  fut  la  Rosine  du  Barbier  de  Séville. 
Le  Belvédère  ne  fut  terminé  qu'en  1781.  C'est  un  pavillon  octogone, 
avec  quatre  portes  et  quatre  fenêtres  alternées,  au-dessus  desquelles  Des- 
champs a  délicatement  sculpté  en  bas-relief  les  Saisons.  Le  dedans,  stuqué 
d'un  ton  crème  très  doux,  a  été  orné  par  le  peintre  Le  Riche  de  jolies 
arabesques  avec  figurines  dans  le  goût  du  décor  de  la  villa  Madame,  à 
Rome,  ou  des  Loges  de  Raphaël.  Autour  de  ce  salon  d'été,  des  sphinx, 
en  quatre  groupes,  montaient  la  garde  sur  le  rocher  gazonné  et  fleuri, 
reflété  dans  l'eau  paisible  du  lac;  une  cascade  menue  jaillissait  du  sein  de  la 
montagne,  et  des  arbres   rares,    de    grands  buissons  parfumés  faisaient 


LES   JARDINS   AU   XVIII''   SIECLE   ET   LE   PETIT  TRIANON     155 

cadre  aux  savantes  perspectives  de  Mique.  C'était  un  décor  de  théâtre 
idéal,  bientôt  complété,  de  1783  à  1786,  par  la  construction  du  Hameau, 
sur  un  large  terrain  qui  continuait  le  parc  du  nouveau  Trianon,  vers  la 
p<jrte  Saint-Antoine. 

Déjà  le  prince  de  Condé  s'était  fait  construire,  à  Chantilly,   des  mai- 


Hameau  de  Trianon.  Le  Lac  et  la  Tour  de  Marlborough. 


sons  rustiques  propres  à  ces  déguisements  dont  raffolait  une  noblesse 
blasée  et  lasse  de  la  vie  de  Cour.  Les  paysanneries  à  la  Diderot  et  à  la 
Greuze  étaient  tout  justement  ce  qui  convenait  à  des  àaies  si  frivoles  que 
les  fortes  beautés  entrevues  par  un  Jean-Jacques  leur  demeuraient  encore 
inaccessibles  ;  mais  on  s  y  acheminait  doucement  par  la  féerie  et  le  jeu. 
Quand  Bernardin  de  Saint-Pierre,  en  1784,  publie  ses  Études  de  la  nature, 
toute  la  Cour  de  France  ne  rêve  que  chaumières  et  moulins  ;  ce  ne  sont, 
dans  les  prés,  qu'agneaux  enrubannés  de  couleurs  tendres,  et  pas  le 
moindre  loup.  Le  Roi  même,  chasseur  obstiné  et  peu  sensible  auxberqui- 
nades,  avait  fait  creuser  sur  la  grande  terrasse  de  Versailles,  devant  les 
fenêtres  de  Tappartement  du  Dauphin,  une  manière  de  potager  où  il  s'exer- 


156  VERSAILLES 

çait  avec  son  fils  aux  travaux  des  champs.  .Marie-Antoinette  ne  voulait  rien 
d'aussi  sérieux,  mais  elle  était  heureuse  c[ue  son  Hameau  de  Trianon 
surpassât  en  élégance  celui  de  Chantilly.  I/arrangement,  fidèlement  con- 
servé dans  les  restaurations  successives,  est  séduisant  et  gracieux  au  pos- 
sible. Un  lac,  aux  rives  sinueuses,  où  s'inclinent  des  pentes  gazonnées, 
reilète  les  balustrades  de  la  maison  de  la  Reine,  reliée  par  une  galerie 
de  bois  à  la  maison  du  billard.  I.es  murs  (jrnés  par  les  peintres  Tolède  et 
Dardignac':  sont  en  imitation  de  j^ierres  et  de  briques  usées,  lézardées, 
que  rejoignent  des  traverses  de.  bois  vermoulu.  Un  toit  de  chaume  les 
recouvre  et  des  escaliers  à  jour  y  donnent  accès,  et  les  rosiers  grimpants 
et  la  vigne  vierge  couvrent  de  leur  verdure  jo3^euse  ces  misères  apprê- 
tées. Près  de  là  bruit  le  tic-tac  d'un  petit  moulin;  un  boudoir  et  des 
bâtiments  de  ser\-ice  se  cachent  derrière  le  manoir.  Plus  loin,  au  delà 
d'un  pont  rustique,  il  y  a  des  logis  de  garde  et  de  jardinier,  un  poulail- 
ler, une  grange  et  une  tour  avec  une  laiterie.  Ua  tour  porte  le  nom  de 
]Marlborough,  en  souvenir  de  la  vieille  complainte  sur  la  mort  du  général 
anglais,  cjue  31""'  Poitrine,  la  nourrice  du  Dauphin,  avait  apportée  de  son 
village,  et  apprise  au  Roi  et  à  la  Reine;  la  laiterie,  achevée  en  i7<S6, 
a  encore  ses  charmantes  tables  de  marbre  et  ses  fontaines,  et  l'on  aime- 
rait y  voir  quelques  restes  du  fameux  service  de  porcelaine  blanche  et 
bleue  au  chiffre  de  la  Reine,  fal^riqué  à  Sèvres  pour  Trianon  en  même 
temps  que  pour  Rambouillet. 

Après  avoir  erré  dans  les  allées  que  parfume  l'odeur  amère  du  Ijuis. 
si  l'on  arrive,  un  soir  de  printemps  ou  d'automne,  sur  la  berge  silencieuse 
du  petit  lac,  on  suit  du  rêve,  penchées  aux  vieux  balcons  de  bois,  les 
figures  d'autrefois,  avec  ces  robes  de  percale  blanche  et  ces  coiffes  de 
gaze  que  31""'  Campan  nous  a  décrites;  on  revoit  la  Reine,  seule,  un 
livre  à  la  main,  gagnant  la  grotte  voisine  du  Belvédère.  C'est  là  cju'elle 
était  assise,  l'après-midi  du  5  octobre  1789,  lorsqu'un  page  vint  lui 
apprendre  l'arrivée  menaçante  du  peuple  de  Paris;  elle  c^uitta  Trianon 
pour  A^ersailles,  avec  un  dernier  regarda  l'asile  heureux  où  les  illusions 
rustiques,  les  plaisirs  du  théâtre  et  l'amitié  plus  douce  lui  avaient  fait  ou- 
blier pour  un  temps  les  soucis  trop  graves  de  la  royauté. 


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Le  Centenaire  des  Etats  généraux  célébré  par  le  Président  Carnot  à  Versailles,  par  RoU. 

CHAPITRE   VII 

LE   MUSÉE 


Le  6  octobre  178g  est  une  date  funèbre  pour  Versailles.  La  monarchie 
française,  en  quittant  le  Château  où  elle  avait  régné,  où  elle  s'était  incor- 
porée durant  plus  d'un  siècle,  n'y  a  laissé  que  le  vide  el:  la  désolation  ;  il 
ne  sera  plus  qu'une  superlDe  et  encombrante  inutilité,  jusqu'au  moment  où 
sa  transformation  en  31usée  lui  rendra  une  vie  moins  éclatante  mais  assu- 
rée de  l'avenir. 

La  Révolution  fut  clémente  pour  le  Château  désert.  Xon  que,  dès  179.2, 
il  n'y  ait  eu  des  patriotes  p(jur  réclamer  la  destrucLion  d'un  monument 
«  propre  à  rappeler  le  souvenir  du  despotisme  »  ;  une  tradition  rapporte 
même  que  le  conventionnel  Charles  Delacroix,  se  promenant  sur  la  ter- 
rasse, se  serait  écrié  :  «  Il  faut  que  la  charrue  passe  ici  I  »  Mais  les  Ver- 
saillais  avaient  agi  ;  ils  obtenaient  la  suspension  des  lois  des  16  et 
19  septembre  ordonnant  l'enlèvement  des  tableaux,  statues,  oeuvres  d'art 
dont  ils    étaient  justement  fiers;  ils  réussissaient  même  à  faire  décréter 


158  VERSAILLES 

par  la  Convention,  le  5  mai  1794,  que  le  Château  et  les  jardins  de  Ver- 
sailles seraient  «  consacrés  et  entretenus  aux  frais  de  la  République,  pour 
servir  aux  jouissances  du  peuple,  et  former  des  établissements  utiles  à 
Tagriculture  et  aux  arts  ». 

Ce  fut  d'abord  une  sorte  de  Musée  assez  bizarre.  Dépouillé  de  son 
mobilier,  qui  avait  été  transporté  à  Paris,  et  dispersé  ou  lamentablement 
vendu  aux  enchères,  soigneusement  expurgé  des  emblèmes  delà  tyrannie, 
couronnes,  fleurs  de  lis  ou  chiffres  royaux,  cj^ue  le  trop  fameux  Gamain, 
serrurier  de  Louis  XVI,  avait  eu  mission,  dès  le  24  septembre  1792,  de 
faire  disparaître  de  tous  les  monuments  publics  de  Versailles,  le  Château 
servit  de  dépôt  pour  les  objets  d'art  confisqués  par  l'Jùat  sur  les  divers 
points  du  département;  il  renferma  un  Muséum  national  où  il  y  avait 
de  tout,  jusqu'à  une  vaste  série  de  curiosités  naturelles  ;  enfin,  en  1797, 
on  y  installait  un  Musée  spécial  de  VÉcole  française,  premier  essai  du 
Musée  réalisé  qmirante  ans  plus  tard  par  Louis-Philippe,  mais  concep- 
tion grandiose,  et  qui  fait  honneur  entre  toutes  à  la  première  République. 
Il  vaut  la  peine  de  s'y  arrêter  un  instant.  Pour  compenser  la  perte  des 
chefs-d'œuvre  des  écoles  étrangères  et  des  antiques  du  Cabinet  du  Roi, 
que  la  Convention  avait  fait  transporter  au  Louvre,  Versailles  reçut  du 
Louvre  toutes  les  toiles  d'artistes  français  qui  a'  étaient  conservées.  On 
put  voir,  rassemblés  dans  les  grands  appartements  du  premier  étage, 
depuis  le  salon  d'Hercule  jusqu'à  l'escalier  de  Marbre,  environ  six  cents 
tableaux  d'artistes  français,  dont  Jean  Cousin  était  le  plus  vénérable  et 
Prud'hon  l'un  des  plus  jeunes.  Il  y  avait  vingt-trois  peintures  de  Poussin, 
huit  de  Claude  Lorrain,  la  série  complète  de  la  vie  de  saint  Bruno  par 
Lesueur,  et  des  Le  Brun,  des  Mignard,  des  Rigaud,  des  Largillière,  des 
Chardin,  des  Vanloo,  des  Tocqué  merveilleux.  La  collection  des  morceaux 
de  réception  des  membres  de  l'ancienne  Académie  royale  de  peinture  et 
de  sculpture  était  là,  bien  complète,  et  des  sculptures  de  Coyzevox,  de 
Girardon,  de  Puget,  de  Vassé,  y  faisaient  un  noble  pendant  aux  statues 
demeurées  dans  les  jardins. 

L'Empire  diminua  peu  à  peu  et  finit  par  supprimer  le  premier  3Iusée 
de  Versailles.  Le  tout-puissant  Empereur  n'aimait  guère  ce  qu'il  n'avait 
point  créé  ou  réformé  lui-même,  et  il  lui  plaisait  de  légiférer  jusqu'en 
matière  d'art.  Sitôt  après  1804,  Versailles  et  les  Trianons  ayant  fait 
retour  au  domaine  de  la  Couronne,  les  travaux  y  recommencèrent.  L'ar- 
chitecte Dufour  supprima,  de  i8ioà  1814,  les  trophées  et  les  vases  qui 
ornaient  la  balustrade  des  combles,  et  refit  en  .grande  partie  les  façades. 
Cependant  Fontaine  préparait  pour   Napoléon  un   projet  de  reconstruc- 


LE   MUSEE 


'59 


tion  totale,  qui  eût  été  rachèvement  des  plans  ébauchés  sous  Louis  XV. 
Il  voulait  faire  d'  «  un  nain  difforme,  dont  les  membres  gigantesques, 
plus   difformes    encore,   augmentent   la    laideur,  »    un  monument  majes- 


Cliclié  Neurdein. 


Mademoiselle  de  Béthis}-  et  son  frère,  par  Belle. 


tueux  à  l'instar  des  plus  grandes  œuvres  antiques.  Son  projet,  en 
somme,  n'était  c[u'une  reprise,  avec  corrections,  des  plans  de  Gabriel  et 
de  Peyre  le  jeune,  où  rien  n'était  conservé  des  appartements  donnant 
sur  les  cours.  Mais  l'Empereur  ne  voulait  pas  dépenser  plus  de  six  mil- 
lions et  Fontaine,  Dufour,  Gondouin  lui  en  demandaient  cinquante; 
cela  arrêta  toute  décision,  et  Versailles  fut  sauvé  pour  le  moment;  sans 


i6o 


VERSAILLES 


la  ruine  de  Tlimpire,  il  faut  avouer  qu'il  é'.ait  perdu.  On  ne  peut  lire 
sans  stupeur  une  page,  d'ailleurs  bien  peu  connue,  du  Mémorial  de 
Saiiite-Hélè}u\  qui  révèle  l'état  d'esprit  le  plus  étrange  d'un  homme 
fermé  obstinément  à  toute  vision  d'art.  «  Je  condamnais  Versailles  dans 
sa  création,  »  disait-il  à  Las  Cases,  «  mais  dans  mes  idées  parfois  gigan- 
tesques sur  Paris,  je 
rêvais  den  tirer  partie, 
el  de  n  en  faire,  avec  le 
temi)s.  (|u"une  espèce  de 
faubourg,  un  site  voisin, 
un  ])()inL  de  vue  de  la 
grande  capitale  ;  et  pour 
l'approprier  davantage 
à  cet  ()1)jet,  j'avais  conçu 
une  singulière  idée,  dont 
je  m'étais  même  fait  pré- 
senter le  programme. 
De  ces  l:)eaux  bosquets,  je 
chassais  toutes  ces  nym- 
phes de  mauvais  goût, 
ces  ornements  à  la  Tiir- 
carct,  et  je  les  rempla- 
(;ais  par  des  panoramas, 
en  maçonnerie,  de  toutes 
les  capitales  où  nous 
étions  entrés  victorieux, 
de  toutes  les  célèbres 
l:)atailles  qui  avaient 
illustré  nos  armes.  C'eût 
été  autant  de  monuments 
éternels  de  nos  triomphes  et  de  notre  gloire  nationale,  posés  à  la  porte 
de  la  capitale  de  l'Europe,  laquelle  ne  pouvait  manquer  d'être  visitée 
par  force  du  reste  de  l'univers.  »  De  telles  paroles  ne  se  commentent 
point,  mais  elles  feraient  trouver  sublimes  les  plus  bourgeoises  imagina- 
tions de  Louis-Philippe. 

Ce  fut  Louis  XVIII  qui  mit  à  exécution  le  plan  de  reconstruction  de 
Fontaine,  mais  sans  dépasser  les  six  millions  de  crédit  que  Napoléon  y 
voulait  consacrer.  Aussi  bien  ce  nouveau  travail  ne  fut-il  c|u'un  pis  aller, 
un  raccord  misérable  qui  semblait  rendre  plus  nécessaire  encore  la  sup- 


Napoléon  I'''.  par  Robert  Lefèvre. 


LE   MUSEE 


i6i 


pression  du  petit  château  de  Louis  XIV.  Dufour  acheva,  en  1820,  pour 
correspondre  à  Taile  de  Gabriel,  sur  l'emplacement  du  pavillon  de  Le 
Vau  encore  subsistant,  la  bâtisse  médiocre  à  laquelle  son  nom  demeure 
attaché.  La  cour  de  .^Larbre  et  la  Chapelle  furent  restaurées,  les  peintures 
et  dorures  des  grands  appartements  nettoyées  et  ravivées,  beaucoup  des 
communications  intérieures  simplifiées  ou  supprimées.  Voilà  le  Château 
redevenu  habitable  ; 
mais  on  n'y  rencontre 
que  des  familles  d'é- 
migrés qui,  de  1S15  à 
1830,  occupent  une  par- 
tie des  ailes  et  Tattique 
du  corps  central  ;  la  Ré- 
volution de  juillet  1830. 
enarrachant  Charles  X 
du  trône,  déposséda  ces 
locataires  provisoires. 

Le  roi  Louis-Phi- 
lippe donna  au  palais 
encore  une  fois  désert 
sa  destination  défini- 
tive. Lafayette  y  voulait 
transférer  les  Invalides  ; 
d'autres  parlaient,  une 
fois  de  plus,  de  le  dé- 
truire ;  en  réclamant 
Versailles  et  les  Tria- 
nons    pour    la   dotation 

de  la  Couronne,  le  nouveau  roi  prenait  rengagement  de  transformer  le 
Château  de  Louis  XIV  en  un  3lusée  national,  dédié  <(  à  toutes  les  gloires 
de  la  France  ».  L'idée  était  noble  ;  était-elle  également  désintéressée  ? 
peu  importe;  avant  tout  elle  conservait  Versailles.  On  ne  peut  s'empêcher 
de  sourire  en  lisant  les  dithyrambes  consacrés,  sous  forme  d'ouvrages 
historiques,  par  Vatout,  premier  bibliothécaire  du  roi,  et  par  le  comte 
Alexandre  de  Laborde,  membre  de  l'Institut,  à  cette  création  immense  et 
inégale,  dont  la  partie  la  plus  durable  n'est  point  celle  de  qui  le  royal 
fondateur  attendait  une  sûre  immortalité.  Comme  un  autre  Louis  XIV, 
Louis-Philippe  a  voulu  faire  servir  Versailles  à  son  apothéose  et  à  celle 
de    sa  famille  ;  le  dessein  en  perce  à  chaque    page   de   ces   descriptions 


L'impératrice  Joséphine,,  esquisse  de  Gérard. 


i62  VERSAILLES 

officielles  que  nous  pouvons  consulter  aujourd'hui  à  la  manière  cVun 
Félibien.  «  On  attendait.  »  dit  Laborde.  «  un  souverain  qui  eût  le 
sentiment  de  la  patrie  assez  vif.  assez  profond.  ])our  confondre  dans  son 
cœur  tout  ce  qu'elle  avait  produit  de  grand,  et  qui  peut-être  même  avait 
le  droit  de  réclamer  personnellement  une  sorte    de  part  à   ces  différents 

genres  d'illustration.  Ainsi,  à  ces  anciens  preux  couverts  d'armoiries, 

il  fallait  quelqu'un  qui  pût  dire  :  Il  y  a  parmi  vous  deux  de  mes 
ancêtres  qui  se  conduisirent  assez  bien  à  cette  é])oque  ;  ils  s'appelaient 
saint  Louis  et  Philippe-Auguste.  A  ces  autres  guerriers,   plus  nouveaux, 

mais    non    moins    illustres,    c[ui    ne    blasonnent    que    des    cicatrices 

il  était  heureux  de  pouvoir  dire  :  J'ai  affronté,  comme  vous,  les  premiers 
coups  de  canon  tirés  contre  la  liberté  ;  et  ces  couleurs  nationales, 
qui  vous  sont  si  chères,  je  n'ai  jamais  voulu  en  porter  d'autres —  A  ces 
hommes  plus  modestes  et  plus  doux,  dont  les    conquêtes    sont  cependant 

plus  durables il  fallait  qu'il  pût  dire  :  Ces  sciences.  cj[ue  vous  cultivez 

avec  tant  d'ardeur,  mont  consolé  dans  l'exil  et  nourri  dans  l'adversité. 
3lais  c'est  à  vous  surtout  qu'il  devait  s'adresser,  hommes  simples  et 
grands  des  journées  de  juillet....;  venez  contempler  la  place  glorieuse  c[ui 
vous  a  été  réservée  dans  cette  histoire  des  siècles.  La  salle  qui  porte  votre 
nom  termine  ce  .^lusée  national  :  il  faut  traverser  la  galerie  des  batailles, 
la  gloire  de  la  France  entière,  pour  arriver  à  la  vôtre.  Les  reconnaissez- 
vous,  ces  bras  nus,  ces  mains  noircies  par  la  poudre,  qui  écartent  les 
pavés  pour  faire  place  au  prince  c[ue  vous  avez  élevé  au  trône  ?  Le  voilà 
cet  Hôtel  de  Ville  où  vous  avez  reçu  ses  serments  ;  levez  les  3'eux  et 
voyez  la  Charte  sous  l'emblème  de  la  vérité  ;  elle  vous  rappelle  les  pre- 
mières paroles  qu'il  prononça,  et  il  leur  a  élevé  ce  monument  pour 
consacrer  éternellement  sa  promesse.  » 

Pour  cette  transformation  immense,  trois  années  suffirent,  et  vingt- 
quatre  millions  de  francs,  prélevés  surtout,  il  faut  le  reconnaître,  sur  la  for- 
tune privée  du  roi.  Tous  les  artistes  de  France,  docilement  enrégimentés 
par  les  commandes  officielles,  goûtèrent  la  douceur  du  Pactole  inattendu  ; 
la  grande  querelle  entre  classiques  et  romantic^ues  s'apaisa  sur  le  terrain 
de  Versailles,  où  Gros  et  Delacroix  furent  voisins.  Le  10  juin  1837,  ^^ 
roi  Louis-Philippe,  entouré  de  ses  fils,  inaugurait  solennellement  le  31usée 
national. 

Il  en  avait  décidé  lui-même  toute  l'organisation,  discutant  les  plans 
de  l'architecte  Xepveu,  et  imposant  sa  volonté  malgré  de  respectueuses 
observations  dont  il  eût  mieux  fait  de  tenir  compte.  A  l'extérieur,  où  il 
y  avait  peu  à  changer,  deux  graves  erreurs  furent  commises.  La  cour  de 


LE   MUSEE 


163 


iMarbre,  auparavant  élevée  de  plusieurs  marches,  et  d'où  Ton  descendait 
dans  les  vestibules  du  corps  central,  fut  abaissée  au  niveau  du  rez-de- 
chaussée,  ce  qui  était  plus  commode  à  certains  points  de  vue,  mais  détrui- 
sait les  proportions  de  l'architecture  du  petit  château  et  le  faisait  paraî- 
tre encore  plus  enfoncé  derrière  les  constructions  de  Gabriel  et  de  Du- 
four.  Une  statue  équestre  de  Louis  XI^^,  en  bronze,  par  Cartellier  et 
Petitot,  fut  'logée  sur  un 
haut  socle,  à  l'endroit 
même  où  se  trouvait 
jadis  le  seuil  de  la  cour 
Royale  ;  et,  devant  les 
ailes  des  Ministres,  seize 
colosses  de  marbre,  de- 
bout sur  les  balustrades 
de  l'avant-cour,  annon- 
cèrent, avec  des  gestes 
héroïques,  la  destination 
nouvelle  du  vieux  Châ- 
teau. 

L'histoire  de  ces  mar- 
bres est  singulière.  Par 
décret  du  i' 'janvier  18 10, 
Napoléon  avait  décidé 
d'ériger  à  Paris,  sur  le 
pont  de  la  Concorde,  des 
statues  de  généraux  tués 
à  l'ennemi.  En  i(Si5, 
quatre  de  ces  .  statues 
étaient  seules  terminées, 

celles  des  généraux  Espagne,  Colbert,  Valhubert  et  Roussel.  Elles  ne 
pouvaient  plaire  â  Louis  XVIIL  et  une  nouvelle  liste  de  douze  grands 
hommes  fut  remise  aux  sculpteurs  :  c'étaient  Duguesclin  et  Bavard, 
Suger  et  Sully,  Richelieu  et  Colbert,  Condé  et  Turenne,  Tourville  et 
vSuffren,  Duquesne  et  Duguay-Trouin.  Ils  étaient  en  place  dès  1828  sur 
les  piles  du  pont,  mais  ils  les  écrasaient.  Louis-Philippe  eut  l'idée  malen- 
contreuse de  les  transporter  dans  la  cour  de  Versailles,  en  leur  adjoignant 
c[uatre  figures  nouvelles,  qui  n'étaient  autres  c[ue  les  généraux  sculptés 
sous  Napoléon,  mais  transformés,  par  une  simple  substitution  de  tètes, 
en  personnages  plus  illustres.  Mortier,   Lannes,  Jourdan  et   Masséna  ;  et 


CUilié  Neuidein. 

Le  roi  de  Rome,  par  Gérard. 


104  VERSAILLES 

c'est  ainsi  que  se  recruta  la  plus  bizarre  assemblée  de  héros  casqués  et 
empanachés,  dans  le  voisinage,  hélas,  des  belles  statues  de  3larsy  et  de 
ïubi,  de  Girardon  et  de  Coyzevox.  «  Alliance  de  siècles,  de  grandeurs  et 
de  renommées  »,  s'écrie  h'riquement  Vatout,  «  qui  révèle  dès  le  premier 
pas  la  pensée  toute  française  qui  a  présidé  à  la  création  du  palais  histo- 
rique de  Versailles  !    »> 

P'aire  un  .Musée  d"un  palais  qui  n"a  été  ccmstruit  que  pour  Ihabitation 
sera  toujours  une  entreprise  des  plus  ardues,  et  dont  la  réussite  ne  peut 
que  demeurer  médiocre.  On  s'en  aperçoit  cruellement  au  Louvre  ;  on  n'en 
souffre  pas  moins,  toutes  proportions  gardées,  à  Versailles.  Ici  pourtant 
il  y  avait  une  partie  centrale,  entre  toutes  précieuse,  dont  la  conserva- 
tion s'imposait,  les  appartements  royaux.  Xe  pouvant  les  remeubler  'ce 
qui  fut  fait,  et  nous  avons  vu  comment,  pour  la  seule  chambre  de 
Louis  XIV  .  Louis-Philippe  en  orna  les  murs  des  cartons  peints  de  l'His- 
toire du  Roi,  par  Le  Brun  et  Van  der3leulen,  dont  les  tapisseries,  tissées 
aux  Gobelins,  avaient  autrefois  appartenu  à  Versailles;  mais  pour  placer 
svmétriquement  ces  intéressantes  peintures  il  n'hésita  pas,  malgré  l'in- 
sistance de  Xepveu,  à  mutiler  un  décor  parfait  comme  celui  de  la  cham- 
bre de  la  Reine.  Ou'était-ce  alors  que  des  boiseries  et  des  cadres  de 
glaces  de  Verberckt,  auprès  de  peintures,  historiques  ?  L'art  du 
XVlll'  siècle,  aujourd'hui  prisé  plus  que  tout,  ne  rencontrait  qu'igno- 
rance et  mépris.  Les  noms  de  Louis  X\'.  de  Louis  XVI  et  de  3Iarie- 
Antoinette  sauvèrent  fort  heureusement  la  partie  essentielle  des  petits 
appartements,  des  cabinets  délicieux  du  premier  étage.  31ais.  au  rez-de- 
chaussée,  les  chambres  et  les  salons  gracieux  où  le  Dauphin,  père  de 
Louis  XVI,  et  l'aimable  Marie-Josèphe  de  Saxe  coulèrent  vnie  paisible 
et  honnête  existence,  où  31""^  Sophie  et  M"'^  Victoire,  et  31"'"  de  Pompadour 
avant  31"*°  Adélaïde,  reposèrent  leur  indolence  et  leur  lassitude,  où 
3Larie-Antoinette  enfin  rassembla  ses  intimes  pour  de  familières  cause- 
ries, ces  chambres  toutes  fleuries  d'or  furent  dénudées  sans  vergogne 
pour  recevoir  sur  leurs  tristes  murailles  des  portraits  raidement  alignés, 
en  pied  ou  en  buste,  de  rois  douteux,  d'amiraux  imaginaires,  de  connéta- 
bles problématiques,  de  maréchaux  dont  les  plus  illustres  ne  sont  pas 
les  plus  ressemblants.  Le  plus  étrange,  dans  ces  aménagements  hâtifs 
et  sans  contrôle  séri^-ux.  fut  que.  par  l'erreur  d'un  bibliothécaire  qui 
cherchait  l'appartement  de  31""  de  3laintenon  au  nord  de  la  cour  de 
31arbre,  le  véritable  appartement  de  la  marquise,  situé  au  sud  de  cette 
cour,  fut  détruit  pour  donner  place  à  l'escalier  de  l'attique  Chima}^  et  à 
quelques  tableaux  des  guerres  de  la  Révolution  !  Louis-Philippe  a  sauvé 


LE   MUSEE 


165 


Versailles,  on  ne  peut  le  nier,   mais  d'une  façon  parfois  douloureuse  et 
barbare. 

Le  royal  fondateur  du  3Iasée  a  cependant  accompli,  par  l'aménage- 
ment des  deux  grandes  ailes  du  Château,  une  œuvre  nécessaire  et  qui 
prête  moins  à  la  critique.   Il   eût    été    illusoire    et    même    dangereux    de 


Louis-Philippe  et  ses  fils  inaugurant  le  Musée  national  de  Versailles, 
par  Horace  Vernet. 


chercher  à  conserver  cet  amoncellement  de  chambres  souvent  obscures 
et  sans  air,  et  pour  la  plupart  sans  ornements  ni  dorures.  Abattre  ces 
cloisons  d'une  ruche  inextricable,  supprimer  les  entresols,  rendre  aux 
appartements  toute  la  hauteur  que  leurs  fenêtres  annoncent  au  dehors, 
ouvrir  des  vitrages  au  milieu  des  toits,  pour  donner  aux  attiques  la  lumière 
qu'exigent  des  collections  de  tableaux,  tel  était  le  problème  à  résoudre,  et 
il  fut  vite  résolu.  Les  longs  corridors  de  pierre  du  rez-de-chaussée  et  du 
premier  étage,  promenoirs  où  se  déversait  autrefois  la  vie  bruyante  du 
Château,  se  changèrent  en  galeries  de  sculpture,  en  nécropoles  de  statues 


lOt) 


VERSAILLES 


tombales  aux  blancheurs  de  marbre  ou  de  idàtre.  Et,  dans  les  salles 
voisines,  les  tableaux  de  batailles  et  les  portraits,  tous  fixés  aux  murailles, 
en  d'uniformes  bordures  de  chêne,  tous  encadrés  du  même  filet  d'or  sur 
un  fond  noir,  tous  munis  du  même  cartel  aux  indications  précises,  racon- 
tèrent riiistoire  de  la  France  depuis  ses  origines. 

Ainsi  les  précieuses    séries   de  peintures   militaires   (-ommandées   par 


Galerie  de  pierre  au  rez-de-cliaussée  de  l'aile  du  Nord. 


l'ancienne  monarchie  trouvèrent  à  Versailles  un  emplacement  digne 
d'elles  ;  les  œuvres  de  Le  Brun,  de  Van  der  JMeulen  et  de  leurs  élèves  qui 
glorifient  le  règne  de  Louis  XIV,  les  campagnes  de  Louis  XV  peintes 
par  Lenfant  et  les  Parrocel,  les  gouaches  fameuses  de  Yiin  Blarenberghe, 
la  superbe  composition  mythologic[ue  de  Halle  qui  commémore  la  paix 
de  1763,  formèrent  le  premier  et  le  plus  riche  appoint  de  collections  desti- 
nées à  un  utile  enseignement. 

Mais  ce  qui  parut  extraordinaire  et  mérita  d'être  loué  par  les  nouveaux 
Félibiensà  l'égal,  sinon  au-dessus  des  plus  belles  créations  deLouisXIV, 
fut  l'énorme  Galerie  des  Batailles,  c|ui,  à  elle  seule,  coûta  deux  millions 
de   francs.  Pour    ouvrir  cette  nef  de  cent  vingt  mètres  de  longueur  sur 


LE    MUSEE 


167 


treize  de  largeur,  Fontaine  et  Xepveu  vidèrent  entièrement  Taile  du 
Midi,  au  niveau  du  premier  étage,  de  tout  ce  qu'elle  contenait  d'apparte- 
ments avec  leurs  entresols  et  leur  attique  ;  sur  des  armatures  de  fer  que 
soutenaient  trente-deux  colonnes  en  granit,  groupées  deux  par  deux  aux 
extrémités  et  au  centre  de  la  Galerie,  ils  posèrent  une  voûte  cintrée, 
décorée  de  rosaces  dans  le  goût  classique,  et  percée  dans  son  milieu  d'un 
vitrage  pour  compenser  la  suppression  de  la  plupart  des  fenêcres.  Trente- 


Galerie  des  Batailles. 


Cliché  Neurdein. 


trois  tableaux  sont  encastrés  aux  parois  de  la  Galerie,  où  ils  célèbrent 
les  gloires  militaires  de  la  France,  depuis  Tolbiac  jusqu'à  Wagram  : 
c'est  Napoléon  qui  termine  l'épopée  de  Clovis.  Charles-31artel  et  Charle- 
magne,  le  comte  Eudes  et  Philippe-Auguste,  saint  Louis,  Philippe  le  Bel 
et  Philippe  de  Valois  précèdent  Jeanne  d'Arc  et  Dunois,  Charles  VIII  et 
François  I"'  ;  la  Prise  de  Calais  et  V Entrée  de  Henri  IV  à  Paris,  les 
victoires  de  Condé,  de  Turenne  et  des  maréchaux  de  Louis  XIV  sont 
comme  une  longue  préface  des  pages  plus  populaires  de  la  Révolution  et 
de  l'Empire,  le  Zurich  de  Bouchot,  le  Rivoli  de  Philippoteaux,  r.4//6'- 
tcrliti  de  Gérard,  V Icna,  le  Fricdland  et  le  Wagram  d'Horace  Vernet, 
Ce  grand  tournoi  officiel,  où  les  Ary  Scheffer  et  les  Devéria,  les  Schnetz, 


i68  \' ERSA1LT.es 

l'es  Gros,  les  Lari\-ière,  les  Couder,  d'autres  encore,  rompirent  des  lances 
aux  applaudissements  du  pul)lic,  n"a  vraiment  plus  aujourd'hui  qu'un 
vainqueur,  Delacroix,  avec  son  émouvant  Taillcboiirg  ;  loin  de  ce  cadre 
médiocre,  ce  serait  à  tous  les  yeux  une  merveille  surprenante  et  nouvelle 
de  coloris  et  de  passion. 

Louis-Philippe,  dans  la  (ialerie  des  Batailles,  avait  fait  à  la  légende 
napoléonienne  la  très  large  part  qu'elle  était  endroit  d'exiger  ;  il  lui  donna 
mieux  encore,  avec  toute  une  série  de  salles  au  rez-de-chaussée  de  cette 
aile  du  .^lidi,  et  au  premier  étage  de  l'aile  du  Xord.  \À\  furent  réunies  un 
grand  nombre  de  peintures  exécutées  sur  Tordre  de  Napoléon,  parfois 
même  composées  sur  ses  indications,  pour  illustrer  ses  campagnes,  ses 
actes  diplomatiques  et  civils.  Ce  long  commentaire  d'art,  où  le  pinceau 
des  Thévenin,  des  Carie  Vernet,  des  3Ieynier,  des  Gautherot,  des 
Lejeune,  obéit  fidèlement  à  une  volonté  rigoureuse  et  immual^le.  demeure 
une  des  principales  richesses  de  Versailles. 

.Mais  ce  n'est  pas  assez  encore  pour  la  gloire  du  héros  dont  les  cen- 
dres, bientôt  rapportées  en  France,  devaient  reposer  sous  le  dôme  triom- 
phal des  Invalides  ;  Louis-Philippe  tint  à  lui  consacrer  une  salle  au  seuil 
même  des  appartements  royaux.  La  grande  salle  des  Gardes  abrita  les 
deux  célèbres  toiles  commandées  à  David  par  Xapoléon,  le  Cotironne- 
luent  de  Vùiipératrice  Joséphine  après  le  Sacre,  et  le  Serment  de 
r armée  après  la  dislribiition  des  Aigles  ;  la  gigantesque  Bataille 
d'Aboiikir,  de  Gros,  occupa  la  paroi  du  fond.  Cette  salle,  si  richement 
et  médiocrement  ornée,  a  maintenant  perdu  sa  raison  d'être  :  le  Sacre  a 
émigré  au  Louvre.  Il  faut  souhaiter  c|u'un  a\'enir  prochain  la  rende, 
ainsi  que  tout  le  centre  du  vieux  palais,  aux  souvenirs  de  l'ancienne 
monarchie. 

Avant  ainsi  généreusement,  et  non  sans  habileté,  satisfait  les  nom- 
breux partisans  du  régime  impérial,  le  roi  citoyen  se  concilia  les  bonnes 
grâces  de  la  noblesse  hostile  au  régime  nouveau  par  l'organisation  des 
salles  des  Croisades.  Là.  dans  un  décor  de  batailles  romantiques  ^où  l'on 
put  voir  jusqu'en  ces  derniers  temps  un  Delacroix  sublime.  \' Entrée  des 
Croisés  à  Constant inople,,  des  plafonds  de  bois  aux  solives  gothiques 
reçurent  les  écussons  des  familles  qui  se  glorifiaient  d'avoir  envoyé  quelque 
ancêtre  aux  Croisades  ;  et  plus  d'un  intrus  .s'y  mêla,  dans  une  hâte  où  la 
complaisance  et  l'intérêt  tinrent  lieu  parfois  de  contrôle  historique. 

Louis-Philippe  enfin  voulut  célébrer,  dans  le  Château  de  Louis  XIV, 
l'avènement  au  trône  de  la  dynastie  d'Orléans.  Déjà,  dans  les  tableaux  de 
Vernet  ou  de  Gérard  qui  racontent  le  règne  de  Charles  X,   c'est  lui,  le 


LE   MUSEE 


169 


duc  d'Orléans,  qui  apparaît  dans  sa  robustesse  triomphante  auprès  du 
roi  sénile  ;  mais  si  l'on  traverse  la  Galerie  des  Batailles  pour  entrer  dans 
la  salle  de  1830,  c'est  une  apothéose  que  Ion  rencontre  dans  les  immenses 
tableaux  où  Larivière  et  Devéria  ont  représenté  ï  Entrée  du  chic  cf  Or- 
léans à  r Hôtel  de  Ville,  et  le  Serment  de  fidclitc  à  la  Charte  ;  d'au- 
tres compositions  de  Gérard,  d'Ary  Scheffer  et  de  C(Hirt  complètent  ces 
épisodes  historiques,  sur  lesquels  plane  une  allégorie  de  Picot  :  la   Vérité, 


Serment  de  l'Armée  après  la  distribution  des  Aigles,  par  David. 


accompagnée  de  la  Justice  et  de  la  Sagesse,  protège  la  France  contre 
V Hypocrisie,  le  Fanatisme  et  la  Discorde.  Ne  croirait-on  pas  entendre 
quelque  écho  déformé  des  pompeuses  fanfares  du  XYli'  siècle  ^ 

Les  gloires  militaires  de  la  nouvelle  dynastie  attendaient  leur  Le 
Brun  :  ce  fut  Horace  Vernet,  dont  l'intarissable  facilité  s'épancha  aux 
anecdotes  pittoresques  de  la  campagne  d'Algérie.  De  nouvelles  salles 
s'ajoutèrent  au  Musée  pour  contenir  ces  vastes  toiles,  peintes  de  1838  à 
1845.  Le  dramatique  récit,  en  trois  parties,  du  Siège  de  Constant  me 
suscita,  au  Salon  de  1839,  un  enthousiasme  qui  ne  fut  pas  moins  vif, 
cinq  ans  plus  tard,  lorsque  le  public  eut  sous  les  yeux  la  Prise  de  la 
Smala  d'Abd-el-Kader,  une  des  peintures  les  plus  grandes  que  l'on 
connût  (elle  mesure  plus  de  vingt  et  un  mètres),  en  un  temps  où  n'exis- 
taient pas  encore  nos  panoramas  de  batailles.  La  République  de  1848  et 


i;o  VERSAILLES 

le  Second  Empire  devaient  continuer  au  Musée  de  Versailles  cette  illus- 
Lration  si  instructive  de  Thistoire  contemporaine.  La  salle  de  Crimée  :  que 
Louis-Philippe  avait  préparée  pour  commémorer  la  campagne  du  Maroc) 
n'est  pas  moins  populaire  que  les  salles  dWfriiiue  :  Yvon  y  a  retracé  en 
trois  épisodes  dramatiques  la  Prise  de  la  redoute  de  Mûlûkoff.  Cest 
Yvon  encore  qui  a  célél^ré  la  campagne  d'Italie,  Magenta  et  Solférino, 
en  deux  peintures  lamentablement  banales.  Quant  aux  désastres  de  1870, 
le  souvenir  en  demeure  vivant  dans  une  composition  puissante  d'Aimé 
31orot,  qui  a  immortalisé  la  Cliarge  des  eiiirassiers  f  rançais  à  Reictis- 
hojfen.  la  course  à  la  mort,  avec  le  furieux  élan  des  chevaux,  Técin- 
cellement  des  casques,  des  cuirasses  et  des  épées,  et  la  fumée  rouge  de  la 
fusillade  où  tout  vient  s'engouffrer.  L^n  grand  fragment  du  panorama 
de  Neuville  et  Détaille,  la  Bataille  de  Chaiupigii\\  mérite  également 
de  rester  au  nombre  des  meilleures  pages  historiques  rassemblées  à 
Versailles  par  la  Troisième  République.  Depuis  l'.Vnnée  Terrible,  ce  ne 
sont  guère  que  des  événements  pacifiques  dont  n(_)s  peintres  officiels 
ont  dû  perpétuer  le  souvenir,  en  des  toiles  de  dimensions  trop  souvent 
énormes  et  bien  mal  accordées  à  l'intérêt  restreint  des  compositions.  Au 
moins  dans  les  tableau  de  Roll  admire-t-on  une  harmonie  lumineuse,  un 
sens  de  la  vie  et  du  mouvement  des  foules,  c^ui  sont  d'un  vrai  peintre. 

Tels  paraissent  les  résultats  durables  de  l'œuvre  de  Louis-Philippe, 
dans  ce  JMusée  si  riche  auquel  l'abondance  d'une  illustration  de  fantaisie 
et  la  banalité  d'un  décor  hàtif  ont  trop  longtemps  donné  si  fâcheuse 
réputation.  Mais  peu  à  peu  tout  reprend  sa  place  :  les  Charlemagne  de 
Paul  Delaroche,  les  saint  Louis  de  Cabanel,  les  Gaston  de  Foix  ou  les 
Jeanne  d'Arc  d'Ary  Scheffer,  cantonnés  au  rez-de-chaussée  de  l'aile  du 
Nord,  ou  dans  les  vastes  espaces  de  la  Galerie  des  Batailles,  ne  risquent 
plus  de  se  confondre  avec  des  œuvres  d'art  c^ui  ont  une  valeur  de  docu- 
ments d'histoire.  Le  remaniement  du  31usée,  récemment  entrepris,  aura 
enfin  raison  du  fatras  apocryphe  et  de  l'imagerie  d'Épinal.  La  série  des 
rois  de  France  «  depuis  Pharamond  »,  celles  des  grands  amiraux,  des 
connétables,  des  maréchaux  antérieurs  à  178g,  ne  pouvaient,  à  c|uelc|ues 
rares  exceptions  près,  que  fausser  l'instruction  des  visiteurs  de  Versailles  ; 
il  convenait  de  les  supprimer.  31ais,  auprès  de  ces  faux  documents,  c|ue 
d'autres  indiscutables  à  mettre  en  valeur  1  L'histoire  militaire  de  la  France 
n'est  pas  tout  à  Versailles  ;  un  merveilleux  musée  de  portraits  y  est 
rassemblé,  qui  s'accroît  chaque  année  et  achèvera  bientôt  d'être  présenté 
dans  les  conditions  les  plus  favorables  à  l'étude. 

Les    plus    précieux    des    portraits  réunis    par   Louis-Philippe  prove- 


LE    MUSEE 


[71 


naient  des  maisons  royales,  et  plusieurs  avaient  fait  partie  du  Musée  de 
rÉcole  française  constitué  en  1797  ;  à  ce  premier  fonds  s'ajoutèrent  d'in- 
nombrables envois.  «  Sitôt,  »  écrit  Laborde,  «  ciue  les  premiers  travaux 
eurent  été  exécutés,  que  ce  projet  d'un  panthéon  national  eut  été  connu, 
de  tous  côtés  vinrent  s'y  joindre  des  tableaux,  des  bustes,  des  statues 
historiques   conservés    dans    les   différents  dépôts   et  jusque-là   négligés. 


Prise  de  la  Smala  d'AbJ-el-Kader  (détail;,  par  Horace  Vernet. 


Les  anciennes  familles  de  France,  même  les  plus  opposées  à  l'ordre  de 
choses  actuel,  envoyèrent  les  portraits  des  personnages  célèbres  c|u'elles 
comp;;aient  parmi  leurs  ancêtres.  L'orgueil,  la  haine,  l'esprit  de  parti  se 
turent  devant  ce  désir  inné  chez  l'homme  d'une  juste  renommée,  laitdis 
iminensa  ciipido.  Ce  fut  bientôt  une  faveur  d'y  être  admis.  »  Dans  cet 
assemblage  parfois  étrange  un  sévère  triage  a  été  fait  ;  les  copies  ou  les 
reconstitutions  d'après  gravures  commandées  par  Louis-Philippe  sont 
allées  aux  magasins  du  .Musée  :  les  portraits  authentiques,  quelle  c|ue 
soit  leur  valeur  d'art,  demeurent  seuls,  non  plus  comme  autrefois,  dou- 
loureusement encastrés  aux  murailles,  mais  en  des  cadres  parfois  somp- 
tueux, plus  souvent  modestes,  groupés  selon  leurs  afiînités  et  leurs  dates, 


VERSAILLES 


au  milieu  des  œuvres  de  sculpture  qui  peuvent  compléter  renseignement 
iconographique.  Le  classement  logique  et  l'épuration  des  collections 
de  sculpture,  où  les  œuvres  originales  sont  le  plus  souvent  remplacées 
par  des  moulages,  achèvera  dans  quelques  années  cette  importante 
réforme. 

Les  portraits,  depuis  le  xvi'  siècle  jusqu'à  la  fin  du  xviii''.  occupaient 
les  attiques  des  deux  ailes  du  Xord  et  du  3lidi,  où  ils  formaient  deux 
séries    parallèles   et    se  doublant,  la  sec-onde,  celle   du   ,Midi,    avant  été 

formée  longtemps  après  la 
première  ;  les  toiles  du  Xix'' 
siècle  étaient  réunies  chms 
l'attique  Chimay,  qui  s'étend 
au-dessus  de  l'appartement 
de  la  Reine.  Dans  le  nou- 
veau classement,  l'attique 
du  Xord  ne  renferme  plus 
que  les  portraits  du  xvi''  et 
du  XVII''  siècle  ;  mais  les 
plus  importants  de  ces  der- 
niers, ceux  de  la  fin  du  règne 
de  Louis  XIV,  sont  exposés 
au  premier  étage  du  Châ- 
teau, dans  les  chambres  où 
habita  31"'  de  3iaintenon. 
Le  XVIII''  siècle  est  descendu 
au  rez-de-chaussée,  dans  les 
pièces  lumineuses  et  gaies 
où  quelques  boiseries  dorées 
ou  peintes,  des  glaces,  des 
cheminées,  un  meuble  ici  et  là,  rendent  l'illusion  de  la  vie  aux  seigneurs 
et  aux  dames  en  atours  élégants,  et  qui  sourient  à  leur  résurrection. 
Il  faut  remonter  à  l'attique  Chimav  pour  atteindre  la  Révolution  et  le 
XIX''  siècle,  qui  se  continuera  jusqu'à  ses  dernières  années  tout  au  long 
de  l'aile  du  .Midi.  C'est  ainsi  que  d'une  extrémité  à  l'autre  du  grand 
Château  se  présenteront  dans  une  vie  nouvelle  les  images  des  hommes 
et  des  femmes  qui  furent  la  France  d'autrefois  et  d'hier,  dans  sa  richesse, 
son  esprit  et  sa  grâce. 

Versailles  possède  tout  un  trésor  du  xvr  siècle,  la  série  des 
petits  portraits  qui   appartinrent  au  collectionneur  Roger  de  Gaignières. 


Catherine  de  Médicis,  par  François  Clouet, 


LE    MUSEE 


173 


Légués  en  171 1  à  Louis  XIV,  vendus  en  17  17,  lamentablement  dispersés, 
puis  en  partie  recueillis  par  TAnglais  Craufurd  et  de  nouveau  vendus  en 
1820,  ces  portraits,  ou  plutôt  leurs  épaves  fatiguées,  restaurées,  repeintes, 
entrèrent  aux  collections  de  Louis-Philippe.  Les  noms  obscurs  encore  des 
Clouet  et  de  leurs  rivaux  ou  élèves,  Claude  Corneille  de  Lyon,  les 
Dumonstier,  Jean  de  Court,  François  Quesnel,  Antoine  Caron,  Benjamin 


Anne  d'Autriche  et  ses  entants  en  prières  devant  sainte  Scholastique  et  saint  Benoît, 
par  Pliilippe  de  Cliampagne. 


Foulon,  seraient  à  inscrire  au  bas  de  ces  menues  et  spirituelles  effigies, 
s'il  était  possible  d'en  démêler  de  façon  certaine  le  caractère  d'art  et  les 
origines  ;  une  série  du  moins  en  a  été  justement  revendiquée  pour 
Corneille,  gracieux  et  facile  peintre  de  visages  féminins,  tous  présentés 
dans  la  même  pose,  avec  le  même  regard  des  yeux  clairs  ou  sombres, 
le  même  pli  souriant,  un  peu  boudeur,  des  lèvres  arquées,  Henri  II, 
Catherine  de  3lédicis  et  Diane  de  Poitiers,  les  Guise,  les  La  Rochefou- 
cauld, les  trois  Coligny,  les  seigneurs  et  les  dames  de  la  cour  raffinée  et 
corrompue  des  derniers  Valois,  puis  les  Bourbons,  Henri  IV  et  ses  fidèles 
serviteurs,  Marie   de  Médicis  reine   et  régente,  c'est    toute  la  fin   de  la 


i;4 


VERSAILLES 


Renaissance  française  qui  nous  introduit  aux  solennités  du  xvir  siècle. 
Auprès  de  Louis  XIII  et  d'.Vnne  d'Aulri:^h?,  de  curieuses  peintures 
provenant  du  château  de  Richelieu,  et  dont  les  premières  sont  dans  le 
goût  de  Callot,  présentent,  à  vol  d'oiseau,  le  rt'sumé  des  campagnes  du 
grand    cardinal.    Philippe   de    Champagne,    qui    a    peint    un    très    beau 

Richelieu,  a  plus 
loin  des  œuvres 
non  moins  intéres- 
santes, un  Saint- 
Cyran,un  Tubœuf, 
l)ortraits  austères 
q  u  '  a  c  compagnent 
dignement  des  toi- 
les officielles  de 
A^ouet,  deTestelin, 
des  B  e  a  u  h r  u  n  ; 
voici  commencée 
l'iconographie  du 
r  è  g  ne  de  L  o  u  i  s 
XIV. Les  portraits. 
les  statues  et  les 
bustes  du  Roi  sont 
en  nombre  :  Le 
Brun,  3lignard  et 
Rigaud  ,  ]3ernin  , 
Warin  etCoyzevox 
ont  des  chefs- 
d'œuvre  à  Ver- 
sailles ;  mais  de 
toutes  ces  royales 
images  aucune 
n'est  évocatrice 
pparaît   dans  un    cadre  de  vitre  auprès   du   lit   de 


La  Duchesse  du  Maine,  par  Mignard. 


comme  un  profil  qu 
parade.  C'est  une  cire  en  couleur,  modelée  en  1706  par  Antoine  Benoist  ; 
le  Roi  avait  soixante-huit  ans.  Une  perruque  de  cheveux  gris  domine  le 
front  altier  ;  l'œil  d'émail,  à  prunelle  d'un  gris  verdâlre,  luit  impérieu- 
sement dans  la  chair  un  peu  jaune  et  bouffie,  sans  que  la  vieillesse  ait 
altéré  la  courbe  puissante  du  nez,  la  rol^ustesse  méprisante  de  la  lèvre 
inférieure  et  du  menton  ;  Louis  XIV  vit  encore    au   cœur   même  de   son 


LE    MUSEE 


175 


Château.  Et,  dans  le  salon  de  M'"'  de  Maintenon,  c'est  elle  que  nous  voyons 
assise  et  trônant  presque,  telle  que  Saint-Simon  nous  l'a  représentée  : 
ce  portrait,  de  Ferdinand  Elle,  fut  donné  par  la  marquise  à  ses  chères 
filles  de  Saint-C\\-r.  Non  loin,  un  Dangeau  resplendissant,  sous  le  noble 
pinceau  de  Rigaud,  semble  prêt  à  nous  narrer,  jour  par  jour,  heure  par 
heure,  les  faits  et  gestes 
de  la  famille  royale. 
Tous  sont  là.  enfants 
légitimes  ou  bâtards,  en 
costumes  brochés  d'or  et 
en  armures  étincelantes, 
mais  Nocret  les  a  peints 
de  façon  plus  surpre- 
nante dans  la  grande 
composition  allégorique 
destinée  à  Saint-Cloud 
et  encastrée  au  mur  de 
l'Œil-de-Bœuf.  C'est  une 
assemblée  de  dieux  et 
de  déesses  que  préside 
Apollon,  le  Roi  Soleil, 
couronné  de  lauriers  : 
Anne  d'Autriche  est  de- 
venue Cybèle,  la  mère 
des  dieux;  Marie-ïhérèse 
est  Junon,  M'"  de  31ont- 
pensier  Diane,  et  Hen- 
riette de  France,  pour 
gouverner  l'Angleterre,' 
a  pris  à  Amphitrite  son 
trident.  Rien   ne  saurait 

mieux  nous  faire  comprendre  la  mythologie  de  Versailles  que  cet 
Olympe  où  règne  le  grand  Roi.  Une  des  séries  les  plus  belles,  quoique 
fort  appauvrie  par  les  emprunts  du  Louvre,  est  celle  des  portraits 
d'artistes.  L'excellent  Coyzevox  d'Allou,  les  deux  Keller  de  Rigaud,  le 
Desjardins  exubérant  et  le  Mignard  revèche  et  glacial,  l'un  et  l'autre 
encore  de  Rigaud,  enfin  Rigaud  lui-même,  fidèlement  représenté  par 
son  élève  Le  Bouteux,  sont  au  premier  rang  de  la  glorieuse  compagnie. 
Et  que  de  guerriers  illustres,  Turenne  tout  le  premier,  dans  l'admirable 


Dangeau,  par  H.  RigauJ. 


176 


VERSAILLES 


esquisse  de   Le  Brun,  et  d'aimables  dames,  depuis    31"'^    de   la  Vallière 
jusqu'à  31"'-  de  Sévigné,  il  faudrait  énumérer  auprès  d'eux  ! 

Rigaud  a  continué  de  peindre  sous  la  Régence  et  le  règne  de  Louis  XV  ; 
il  y  a  de  lui  à  Versailles  deux  superbes  portraits  du  jeune  Roi,  en  17 15  et 
en  1730.  dans  tout  l'éclat  et  la  séduction  de  sa  beauté  ;  il  y  a  aussi  d'in- 
téressantes répliques  de   ses  dernières   œuvres.   Bien   plus    attrayant  et 

harmonieux,  Largillière 
nous  montre  quelques 
excellents  portraits,  dont 
le  sien  propre  ;  et  Belle, 
les  Parrocel,  les  trois 
Vanloo  se  pressent  à  sa 
A^^^^^^^^^^K  ^  ^^^^^^^^^^^^^^H^        suite  dans  les  salles  heu- 

Ih^^^^^^^^^Êtê   "   /^^^^^^^^^^^^^K  l'appartement 

du  Dauphin.  Toute  une 

salle,    et    la    plus   lumi- 

i-^^^^^^^^^  ..^sim^^^^^^^^^mÊ     ^^^^^^'     appartient     uni- 

M^^^^^^^B^    V.    ^         uMf  "^Ê^^^^^^^^M  Xattier, 

\\^^^^^^^r  V  ^^'■'''^Mm  ^B^^^^^^H     P^ii'^^^6   attitré  de    3Ies- 

dames,  apprécié  aujour- 
^^^^^  ■.,^¥'^ÊmEf -^^^^^Xff^^        d'hui  à  l'égal  d'un  AVat- 

Vi^^^^^i       ^  ^^BÊÊl^^W^mS^^K?'  teau   ou   d'un    La    Tour. 

Il  }'  a  dans  cet  engoue- 
ment un  peu  d'exagéra- 
tion. Ce  peintre  d'une 
trop  exquise  et  monotone 
volupté,  pour  qui  toutes 
les  femmes  sont  belles, 
et  qui  leur  donne  à 
toutes  la  même  grâce  provocante,  dans  le  plus  banal  des  arrangements 
mythologiques,  n'a  point  d'esprit,  point  de  caractère  ni  d'observation  ; 
mais  il  remplace  tout  par  le  plaisir  des  yeux.  Ses  trois  portraits  de  31es- 
dames  Sophie,  Victoire  et  Louise,  peintsà  Fontevrault  en  1748,  nous  offrent 
la  plus  gracieuse  image  de  la  femme  au  xviu'^  siècle  ;  3Iarie  Leczinska  en 
fut  ravie  :  ((  Les  aînées  sont  belles  réellement  »,  écrivait-elle  à  la  duchesse 
de  Luynes,  «  mais  je  n'ai  jamais  rien  vu  de  si  agréable  que  la  petite  : 
elle  a  la  physionomie  attendrissante,  touchante,  douce  et  spirituelle.  » 

Tocqué,  sans  atteindre  à  la  même  plénitude  de  coloris,  a  mis  dans  son 
grand    portrait    de   31arigny    toute    l'affabilité    de   manières  du  frère  de 


Cliché  .Ne 

Madame  Louise  de  France,  par  Nattier. 


LE   MUSEE 


177 


M""  de  Pompadour.  et  dans  son  buste  de  Gresset  toute  la  malice  apprêtée 
et  la  grâce  élégante  du  chantre  de  Ver- Vert  Le  Suédois  Roslin,  avec  ses 
portraits  du  peintre  lîoucher,  tout  décrépit,  et  du   graveur  Cochin,  hon- 


L'infante  Isabelle,  petiîe-fiUe  de  l.ouis  XV,  par  Nattier. 


nète  et  souriant.  Duplessis,  avec  Teffigie  satisfaite  du  comte  d'Angiviller, 
nous  introduisent  au  règne  de  Louis  XVL  Le  meilleur  portrait  du  Roi, 
celui  de  Duplessis,  paraîtra  insignifiant  auprès  du  majestueux  buste  de 
Houdon,  un  des  chefs-d'œuvre  du  grand  sculpteur,  de  qui  Ton  peut  encore 
admirer  à  Versailles  un  Diderot  et  un  Voltaire  de  la  plus  fine  exécution. 
Quant  à  la  Reine,  dont  on  voif,  au  salon  des  Cabinets,  un  ravissant  buste 

12 


178  VERSAILLES 

eh  biscuit  par  Pajou,  c'est  à  .M'""  Vigée-Lebrun,  si  d(''licatement  admise 
dans  son  intimité,  c[u"il  nous  faut  demander  les  souvenirs  non  pas  les  plus 
fidèles,  mais  assurément  le  mieux  selon  son  cciHir,  de  sa  \ie  à  Versailles. 
Mais  la  Révolution  est  venue,  avec  les  portraits  de  ses  principaux  acteurs, 
où  manciuent  pourtant  un  Danton  et  un  Robespierre.  La  fière  et  pure 
Charlotte  Cordav  de  Hauer  est  voisine  du  tragique  .Maratc[u\ineréplic[ue 
du  tableau    de  David  nous  montre  sanglant  dans  sa    baignoire.    Camille 


Lecture  faite  par  Andrieux  au  comité  de  la  Comédie-Française,  par  Heim. 


Desmoulins,  Lucile  et  Horace  se  sont  unis  en  groupe  sentimental  p(_)ur 
Tadmiration  de  la  postérité.  Et  déjà  Bonaparte  apparaît,  Premier  Consul 
clans  Ténergique  buste  de  Corbet,  bientôt  Empereur  dans  les  toiles  offi- 
cielles de  Gérard  et  de  Robert  Lefèvre.  Il  est  entouré  des  portraits  de 
tous  les  siens,  de  3ladame  31ère,  dignement  paisible,  de  ses  frères  et 
de  ses  scpurs.  parmi  lesquelles  Elisa,  étrange  et  inquiétante  dans  la 
peinture  de  31""'  Benoist,  enfin  de  Joséphine  et  de  la  placide  3larie- 
Eouise,  c|ui  tient  dans  ses  bras  le  roi  de  Rome.  Toutes  ces  figures 
de  Timmense  épopée  impériale  reparaissent  dans  une  précieuse  série  de 
petites  esquisses  c[ui  proviennent  de  Tatelier  de  Gérard,  premières  pen- 
sées ou  réductions  des  portraits  exécutés  par  le  maître.  Ces  peintures 
nous  font  passer  des  champs  de   bataille  de  l'Empire  aux   salons   de    la 


LE   MUSEE  179 

Restauration  et  de  la  monarchie  de  Juille''  :  elles  commencent  aux  hommes 
de  la  Révolution  pour  finir  avec  Louis-Philippe.  Cependant  des  portraits 
plus  considérables  s'imposent  à  Tattention  ;    après   les  nombreux    maré- 


Napoléon  III,  par  il.  l'iandrin 


chaux  et  dignitaires  de  TEmpire,  voici  les  artistes  et  les  écrivains  de 
l'ère  romantique.  Une  spirituelle  composition  de  Ileim  les  réunit  au, 
fo3'er  de  la  Comédie-Française,  pour  ouïr  une  lecture  d'Andrieux;  Cha- 
teaubriand (qu'une  toile  plus  ancienne  de  Girodet  représente  méditant  sur 
les  ruines  de  Rome)  tnjne  un  peu  isolé  dans  son  fauteuil,  tandis  que  Dela- 
croix, Vign5%  Tlugo,  Alexandre  Dumas  attirent  les  regards  au  milieu  des 


i8o  VERSAILLES 

vieuxacadémiciens.  Un  chef-d'œuvre  de  Prudhon,  él)auehe  toute  craquelée 
d'un  visage  spirituelaux3^eux  aigus,  porteàlapostéritélenomdunaturaliste 
Bruun-Neegard  ;  et  parmi  les  figures  illustres  peintes  par  Ary  Scheffer, 
Paul-Louis  Courier.  .Vrmand  Carrel,  Horace  A^ernet,  (îounod,  Lamar- 
tine, Cavaignac  semblent  des  a])paritions  \-ivantes  et  ])roches  encore. 

Dans  la  galerie  de  iWttitiue  du  Midi  sont  réunis  les  princes  et  prin- 
cesses de  la  maison  d'Orléans,  autour  de  Louis-Philippe  et  de  jMarie- 
Amélie;  tous,  à  l'exception  du  duc  d'Orléans,  qui  a  inspiré  l'une  des  meil- 
leures œuvres  d'Ingres,  ont  posé  devant  Winterhalter,  portraitiste  officiel 
et  fécond  auquel  le  Second  lùnpire  demeurera  fidèle.  Et  c'est  Flandrin, 
l'élève  dingres,  qui  traduit  de  façon  merveilleuse  le  regard  trouble  et 
rêveur  de  Napoléon  III,  dans  une  peinture  dont  la  mollesse  même  semble 
d'une  intention  pénétrante.  Gérôme  a  groupé  toute  la  cour  impériale 
dans  une  charmante  petite  composition,  la  Réception  des  ambassadeurs 
Siamois  à  Fontainebleau,  en  1861.  Le  prince  Napoléon  a  été  peint  par 
L"landrin  et  par  Hébert,  et  ce  dernier  a  fait  un  chef-d'œuvre  du  portrait 
de  la  princesse  Clotilde.  La  République  de  1870  enfin  donne  à  A^ersailles 
plus  de  bustes  que  de  portraits;  toutefois  des  anuTes  comme  le  Thiers, 
le  31ontalivet,  le  A'ictor  Hugo  de  Bonnat  doi\ent  figurer  au  premier  rang 
d'une  iconographie  qui  s'enrichit  chaque  jour;  et  la  sécheresse  minutieuse 
des  toiles  d'un  Détaille  assure  au  3lusée  de  l'histoire  de  France  ce  qu'il 
doit  exiger  avant  tout,  des  documents  précis  et  fidèles  ^ 

Il  suffira  de  quelques  lignes  pour  terminer  l'histoire  du  Château. 
Louis-Philippe  a\ait  dû,  lui  aussi,  abandonner  le  grand  projet  toujoui^s 
repris  depuis  Louis  XV,  projet  de  reconstruction  ou  plutôt  d'achèvement 
par  une  façade  monumentale  reliant  les  pavillons  de  Gabriel  et  de 
Dufour.  Il  est  peu  probable  que  l'on  y  revienne  jamais.  Tout  ce  c^u'ilest 
possible  de  souhaiter  est  le  relèvement  de  la  cour  de  .Marbre,  et  la  sup- 
pression des  statues  ridicules  de  l'avant-cour.  .Alais,  depuis  1870,  des 
annexes  ont  été  bâties;  la  salle  de  l'Opéra,  à  l'extrémité  de  l'aile  du 
Nord,  a  été  transformée  par  les  architectes  de  Joh'  et  Ouestel  en  salle  de 

^  Les  remaniements  les  plus  récents  du  Musée  ont  mis  en  lumière,  dans  les  salles  de 
TAttique  Chimay  et  de  l'Attique  du  Midi,  d'intéressantes  peintures  modernes.  11  faut 
citer  principalement  la  nouvelle  salle  consacrée  aux  tableaux  du  baron  Lejeune  qui 
représentent  les  batailles  napoléoniennes,  la  série  des  portraits  des  membres  de  l'expé- 
dition d'Egypte  si  spirituellement  crayonnés  par  Dutertre.  et  une  admirable  esquisse  de 
Gros  :  Napoléon  récompensant  les  artistes  au  Salon  de  1S08.  En  même  temps  Ton  a 
commencé,  dans  les  grands  appartements,  à  fixer  aux  murs  les  célèbres  tapisseries 
des  Gobelins,  YHistoire  du  Roi,  à  la  place  de  leurs  cartons  peints. 


I.E   MUSEE  i8i 

séances  pour  TAssemblée  Nationale;  en  i-Sys,  elle  était  affectée  au  Sénat, 
tandis  c^u'une  salle  spéciale  pour  la  Chambre  des  Députés  était  construite 
sur  remplacement  du  pavillon  de  Provence,  et  adossée  à  Taile  du  .Midi. 
Le  Grand  Trianon,  rendu  habitable  pour  Louis-Philippe,  devint  un 
Musée,  ainsi  que  le  Petit  Trianon,  après  que  des  meubles  et  des  objets 
d'art  y  eurent  été  portés  du  Garde-Meuble,  en  1850.  L'impératrice  Eugénie 


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Le  Musée  des  Voitures. 


organisa  même,  en  1867,  au  Petit  Trianon,  une  intéressante  exposition 
de  souvenirs  de  toute  sorte  relatifs  à  3larie-x\ntoinette.  Enfin,  c'est  en 
1851  que  Questel  construisit,  sur  l'emplacement  d'un  ancien  corps  de 
garde,  et  en  bordure  du  Jardin  français,  le  bâtiment  qui  contient  le  Musée 
des  voitures.  On  y  voit,  provenant  des  écuries  de  la  Couronne  et  du  Garde- 
.Meuble,  les  carrosses  du  sacre  de  Napoléon  I"',  la  Topa^ic,  c[ui  servit  au 
mariage  de  Napoléon  et  de  Marie-Louise,  la  voiture  du  sacre  de  Charles  X 
et  celle  dubaptême  duduc  de  Bordeaux.  Auprès  de  ces  pesantes  machines, 
quelques  chaises  à  porteurs  et  traîneaux  décorés  de  figures  et  de  fleurs 
sont  un  dernier  rappel  de  l'esprit  et  des  grâces  du  XYllT  siècle. 


l.a  rue  Hoche  et  Notre-Dame. 

CHAPITRE  VIII 

LA   VILLE 


Le  Château  de  Louis  XIV,  du  fond  de  sa  petite  cour  de  ^Marbre,  par 
ses  bâtiments  impérieusement  allongés  vers  Limmense  place  d"Armes, 
par  les  trois  avenues  qui  s'ouvrent  à  perte  de  vue  devant  lui,  proclame  à 
la  ville  qu'il  domine  la  loi  de  soumission  et  d'harmonie  qui  est  maîtresse 
en  architecture  ;  il  affirme  une  volonté,  un  ordre,  une  beauté  dont  il 
donne  l'expression  parfaite,  à  laquelle  tout  doit  se  subordonner.  Si  Ver- 
sailles eût  compris  cette  loi,  c'était  le  modèle  des  villes.  Xon  plus  ramas- 
sée et  blottie  comme  les  villes  féodales,  mais  largement  épanouie  dans  la 
verte  plaine  c^ue  ceignent  des  collines  régulières,  la  paisible  cité  devait 
être  un  jardin  de  repos  aux  portes  du  bru3^ant  Paris. 

•  Le  cardinal  de  Richelieu  avait  tenté,  près  des  rives  de  la  Loire,  ce  que 
Louis  XIV  réalisa.  Mais  la  petite  ville  de  Richelieu  ne  pouvait  vivre, 
parce  qu'elle  ne  dépendait  que   d'un  homme  ;    à  Versailles  Louis   XIA' 


LA  VILLE 


:«3 


attirait  la  France.  Jusqu'en  1 671  ce  ne  fut  guère  c|u''un  village,  avec  sa  petite 
église,  sa  maison  de  justice  et  c|uelc|ues  auberges  de  rouliers,  dont  les 
noms  se  trouvent  en  des  procès-verbaux  de  rixes.  Louis  XIII,  en  faisant 
élever  son  «  petit  château  de  cartes  »,  ordcjuna  un  premier  défrichement 
des  terrains  qui  s'étendaient  vers  Paris,  et  institua  des  foires  et  marchés 
francs  pour  attirer  les  habitants  par  quelque  trafic  durable.  Les  premiers 
hôtels  se  contruisent  en  1664,  pour  les  heureux  c|ue  Louis  XIV  veut 
garder  à  ses  côtés  ;  mais,  auprès  de  ce  petit  nombre  de  favorisés,  quelle 
foule  de  mécontents  1  M""'  de  vSévigné,  qui  a\'ait  assisté  aux  fêtes  de  cette 
année-là,  racontait  à  Olivier  d"Ormesson  que  tous  les  courtisans  étaient 


La  place  d'Armes  et  la  Grande  Écurie,  vues  du  Château. 


enragés,  n"a}'ant  pas  «  quasi  un  trou  pour  se  mettre  à  couvert  ».  C'est  en 
167 1  c|ue  Louis  XIV  décida  la  création  de  toute  une  ville  autour  du  Châ- 
teau agrandi  ;  la  résolution  fut  rendue  publique  le  22  mai,  dans  les 
termes  qui  suivent  :  «  Sa  ^lajesté  a^-ant  en  particulière  recommandation 
le  bourg  de  Versailles,  souhaitant  de  le  rendre  le  plus  florissant  et  le 
plus  fréquenté  c^u'il  se  pourra,  elle  a  résolu  de  faire  don  des  places  à 
toutes  personnes  qui  voudront  bâtir  depuis  la  Pompe  dudit  Versailles] us- 
qu'à  la  ferme  de  Clagny...,  pour  desdites  places  et  bâtiments  jouir  par 
chacun  des  particuliers  auxc^uels  icelles  places  seront  délivrées  en  pleine 
propriété  comme  à  eux  appartenant,  à  la  charge  de  par  eux,  leurs  hoirs 
et  ayant  cause,  entretenir  les  bâtiments  en  l'état  et  de  même  symétrie 
ciu'ils  seront  bâtis  et  édifiés.  »  La  clause  était  importante  ;  elle  assurait 
la  beauté  et  le  style  de  Versailles.  Les  hôtels  que  les  courtisans  vont 
s'empresser  de  construire  pour  plaire  au  maître,  tout  en  profitant  des 
avantages  fort  appréciables  qui  leur  sont  offerts,  ont,  à  en  juger  par  les 
estampes  et  les  plans  qui  nous  en  conservent  l'image,   un  aspect  si  par- 


i84  VERSAILLES 

faitenient  uniforme etressemblant  qu'il  serait  inuliled'y  chercher  quelque 
détail.  Mieux  vaut  s'attarder  aux  entours  de  la  place  d'Armes,  à  ces 
dépendances  immédiates  du  Château  que  l'on  nomme  les  «  Dehors  de 
A^ersailles  ».  C'est  d'abord  la  Surintendance,  construite  pour  Colbert  en 
1670  et  i67i,et  l'hôtel  de  la  Chancellerie,  terminé  en  if^^y,,,  au  midi  du 
Château  ;  ce  sont  surtout  les  Ecuries  et  le  (îrand  Commun,  dont  le  rôle 
est  considérable  dans  la  vie  du  Roi  et  de  sa  Cour. 

Ce  complément  nécessaire  du  Château,  ces  «     Dehors   »    ma,onili([ues 


La  Petite  Écurie  et  la  place  d'Armes,  vues  du  Château. 


sont  l'œuvre  de  31ansart.  Déjà  Le  Vau  avait  arrêté  les  proportions  de  la 
place  Royale  et  des  trois  avenues  à  quadruple  rangée  d'ormes,  qui  sem- 
blaient prolongera  Tinfinises  larges  per.spectives  ;  mais  elle  n'était  bornée, 
du  côté  de  Paris,  que  par  deux  hôtels,  celui  de  Xoailles  et  celui  de  Lau- 
zun  ;  ils  furent  remplacés  par  les  Ecuries  du  Roi,  que  31ansart  termina 
en  1682,  avec  un  travail  de  quatre  années,  et  une  dépense  de  trois  mil- 
lions de  livres.  La  Grande  lîcurie  s'étend  au  nord  de  l'avenue  de  Paris, 
que  Ton  nomme  alors  la  Grande  Avenue,  la  Petite  Ecurie  au  midi  ;  et  leurs 
pavillons  avancés  délimitent  exactement  le  départ  des  trois  avenues.  Leur 
plan  est  sensiblement  le  même.  Au  fond  d'une  vaste  cour  fermée  d'une 
grille  (qui  a  malheureusement  été  refaite  sous  la  Restauration},  un 
pavillon  central  ouvre  sa  porte,  couronnée  d'un  fronton  triangulaire  et 
flanquée  de  pilastres  sculptés,  qui  en  font  comme  un  arc   de   triomphe. 


LA  VILLE 


tSS 


Alentour  se  déploie  une  galerie  en  demi-lune  qui  se  raccorde  à  deux  ailes 
pour  aboutir  aux  pavillons  de  la  place  d'Armes.  Le  Mercure  de  1686,  qui 
en  donne  une  longue  et  précise  description,  fait  justement  remarquer  que 
«  ces  bâtiments  sont  assez  bas  pour  ne  point  emi:êcher  la  vue  du  Château  ; 
ainsi  le  niveau  des  faîtes  répond  à  peu  près  au  pavé  de  marbre  de  la 
petite  cour...  »  Le  Mercure  nous  apprend  encore  que  la  Grande  Ecurie 
renferme  les  chevaux  de  main,  avec  deux  manèges,  dont  l'un  pour  les 
joutes  et    tournois,    au-devant  duquel  est  le  Chenil.    «    ].a  sculpture   de 


Le  vieux  Versailles  et  Saiin-Louis,  vus  du  Château. 


Tavant-corps  du  milieu  renferme  de  grands  bas-reliefs,  des  trophées 
d'armes,  des  harnais  et  autres  ouvrages  de  cette  nature  »,  sculptés  par 
Granier,  Raon  et  Mazière  ;  de  la  voussure  de  la  porte  s'élancent  trois  che- 
vaux en  haut  relief;  deux  Renommées,  au  fronton,  s'appuient  à  l'écusson 
royal  ;  et  il  ne  faut  pas  oublier  les  beaux  masques  de  faunes  qui,  aux 
clefs  des  croisées  de  l'étagebas,  rient  et  grimacent  dans  un  épanouissement 
de  vie  animale  et  heureuse. 

La  Petite  Kcurie,  dont  le  décor  sculpté  est  parallèle  (les  trois  chevaux 
et  le  cocher  que  l'on  voit  au-dessus  de  la  porte  ont  été  modelés  par  Le 
Comte),  renferme  les  remises  des  carrosses  dans  les  arcades  de  la  demi- 
lune  au  fond  de  la  cour.  Trois  hautes  galeries  rayonnent  autour  d'un 
dôme  porté  sur  quatre  pendentifs,  «  voûté  de  pierre  et  éclairé  par  un 
jour  au  milieu,  dont  le  châssis  de   fer,  un  peu  cintré,  porte  les  vitres  ». 


i86  VERSAILLES 

Ces  galeries,  où  les  chevaux  sont  attachés  sur  deux  rangs,  sont  séparées 
par  des  piliers  en  deux  berceaux,  où  les  râteliers  «  laissent  encore  assez 
d'espace  derrière  le  chevaux  pour  5'-  pouvoir  aller  en  carrosse.  Derrière 
cette  écurie  est  encore  une  entrée  ])rincipale  au  milieu  d'un  grand  avant- 
corps  environné  d'un  fronton  triangulaire,  dans  lequel  est  un  bas-relief 
qui  représente  Alexandre  qui  dompte  Bucéphale.  Ce  bas-relief-  est  de 
31.  (jirardon.  » 

)■-  1,1  faudrait  dire,  mieux  que  ne  font  ces  notes,  la  beauté  des  ccnirbes, 
la  pureté  et  l'harmonie  des  profils,  et  l'effet  puissant  de  ces  nefs  inté- 
rieures-dont  les  rexêtements  de  brique  et  de  pierre  sont  divisés  par 
des  pilastres  aux  chapiteaux  sculptés,  enfin  la  singularité  du  dôme 
à  coupole  surbaissée,  imitation  réduite  du  Panthéon  de  Rome.  Le 
bas-relief  de  Girardon  est  une  des  plus  nobles  œuvres  du  grand 
sculpteur. 

:  Le  manège  de  la  Grande  Ecurie  servit  aux  fêtes  de  Louis  XI\'  et  de 
Louis  XA"  ;  un  opéra  de  lAdli,  un  ballet  de  Voltaire  et  de  Rameau  y 
furent  représentés.  Depuis  1852,  ces  bâtiments  superbes  api^artiennent 
à  l'Armée  ;  la  Grande  Lcurie  abrite  l'I^cole  et  la  Direction  de  l'artil- 
lerie; la  Petite  Lcurie  est  affectée  au  premier  régiment  du  Génie;  et 
du  somptueux  décor  que  décrivait  le  yicrciire  il  ne  reste  rien,  que 
d'élégantes  potences  en  ferronnerie,  auxquelles  les  lanternes  étaient 
suspendues. 

Le  Grand  Commun  est  entrepris  aussitôt  après  l'achèvement  des 
Écuries,  et  terminé  en  16S4,  en  face  de  l'aile  du  3lidi,  sur  l'emplacement 
des  pauvres  maisons  du  vieux  village,  et  de  la  petite  église  dédiée  à  saint 
Julien.  Autour  d'une  énorme  cour  carrée  s'étend  un  quadruple  corps  de 
logis  dont  les  deux  étages  et  les  combles  n'ont  pas  moins  de  cinq  cents 
fenêtres  ;  à  l'intérieur,  un  millier  de  j^ièces  de  toute  dimension  reçoivent 
jusqu'à  quinze  cents  habitants  :  ce  n'est  plus  une  maison,  c'est  une  ville 
que  ce  «  Grand  carré  des  offices  communs  du  Roi,  de  la  Reine,  de  31on- 
seigneur  et  de  31""^  la  Dauphine  j).  Le  décor  sculpté  se  réduit  aux  orne- 
ments d'une  porte  immense  et  à  quatre  frontons  de  pierre  où  sont  mode- 
lées (par  31azeline,  31azière,  Le  Comte  et  Jouvenet,  d'après  des  dessins  de 
Le  Brun;  les  figures  des  Saisons  accompagnées  de  leurs  attributs.  A 
l'intérieur  il  y  a  d'autres  sculptures,  et  une  balustrade  en  fer  forgé  qui 
tourne  tout  au  long  des  murailles. 

Les  cuisines  occupent  le  rez-de-chaussée,  ainsi  que  la  paneterie  et 
Téchansonnerie  ;  tout  cequi  a,  comme  l'on  dit.  «  bouche  à  la  Cour  «.tire 
de  là  sa  nourriture.  Seule,  «  la  Bouche  du  Roi  n'est  jamais  hors  du  lieu 


LA   VILLK 


187 


OÙ  loge  Sa  3Iaje.sté  ))  :  elle  a  des  cuisines  spéciales  au  rez-de-chaussée  de 
l'aile  du  3Iidi,  d'où,  ainsi  que  nous  l'enseignent  les  Ordonnances  de  la 
liaison  du  Roi,  la  Viande  de  sa  3lajesté  est  portée  en  cérémonie,  pré- 
cédée de  deux  gardes,  de  l'huissier  de  salle,  du  maître  d'hôtel  avec  son 
bâton,  du  gentilhomme  servant-panetier.  du  contnMeur  général,  du  con- 


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Avant-corps  central  de  la  Grande-Écurie. 


trôleur  clerc-d'office  et  autres...,  «  et  derrière  eux  deux  autres  gardes  de 
vSa  ^Majesté  qui  ne  laisseront  personne  approcher  de  la  Viande.  »  Pour 
la  nourriture  d'un  Roi  qui  «  mangeait  si  prodigieusement,  »  dit  Saint- 
Simon,  u  et  si  solidemenc,  soir  et  matin,  qu'on  ne  s'accoutumait  point  a 
le  voir,  »  il  n'y  avait  pas  moins  de  trois  cent  vingt-quatre  officiers  et 
gens  de  service  ;  et  d'autres  étaient  attachés  aux  offices  de  la  Reine,  du 
Dauphin  et  de  la  Dauphine. 


i88 


VERSAILLES 


L'organisation  complexe  du  (yrand  Commun  (lurejus([u"à  la  Révolu- 
tion. En  1793,  il  est  transformé  en  une  manufacture  d'armes  qui,  sous  la 
direction  habile  de  Boutet,  s'acquiert  une  célébrité  universelle  ;  de  cette 
époque    datent    les  bas-reliefs  guerriers  qui  se  mêlent  autour  de  sa  pcjrte 

aux  sculptures  du 
XVI 1'^  siècle.  Puis  on 
\it  au  Grand  Com- 
mun une  l{cole  de 
musique  et  une 
l^cole  de  dessin,  un 
()r])helinat  ;  en  1826, 
il  fut  maladroite- 
ment surélevé  d'un 
étage  ;  rhô])ital  mi- 
litaire qui  l'occupe 
aujourd'hui  y  est 
in  stalle  depuis  1832. 
Le  Potager,  de 
Uj-jS  à  1683,  fut 
établi  plus  au  31idi, 
au-dessus  de  la  rue 
de  l'Orangerie,  sur 
des  terrains  maréca- 
geux patiemment 
comblés  et  assainis. 
Lesconstructionsde 
.Mansart  y  sont  de 
petite  importance  ; 
mais  on  y  retrouve 
les  dispositions  gé- 
nérales dues  à  l'il- 
lustre La  Ouintinie,  dans  les  carrés  percés  de  bassins,  les  terrasses  et  les 
jardins  clos.  La  seule  œuvre  d'art  qui  subsiste  est  une  admirable  grille 
en  fer  forgé,  qui  ouvre  en  bordure  de  la  Pièce  d'eau  des  ^Suisses. 

Tels  sont,  des  «  Dehors  de  Versailles  »  au  temps  de  Louis  XIV,  ceux 
que  notre  époque  a  gardés  à  .son  usage.  Il  suffit  de  mentionner  les 
grandes  constructions  disparues,  telles  que  la  Vénerie,  dont  un  Palais  de 
Justice,  depuis  1800,  occupe  les  terrains,  ou  que  le  château  de  Clagny, 
donné  par  Louis  XIV  avec  un  domaine  immense  à  l'orgueilleuse  Montes- 


hîtérieur  de  Notre-Dame. 


LA   VILLE  189 

pan.  Dès  1769,  rien  ne  subsistait  de  ce  «  palais  d'Armide  »,  comme 
l'appelait  31""  de  S^vigné,  et  de  ces  jardins  enchantés,  où  Mansart  et 
Le   Nôtre   avaient  créé  des  merveilles.  Tout  un  quartier  neuf  et  des  plus 


Versailles  vu  de  la  butte  de  Montboron,  peinture  de  J.-B.  Martin. 


riches  du  Versailles  moderne  occupe  la  place  où  s'étalaient  des  somptuo- 
sités presque  rivales  de  la  résidence  du  Roi.  L'étang-  de  Clagny  fut 
desséché  en  1736,  et  remplacé  par  le  réseau  de  rues  qui  vont  de  la  rue 
Duplessis  à  la  rue  Maurepas,  et  de  la  rue  Berthier  à  la  rue  Neuve. 

Tout  le  Versailles  de  Louis  XIV  (qui  compte,  en  17 15,  près  de  trente 
mille  habitants)   consiste,    au   milieu   des  jardins  et  des    rues  pavées  et 


iqo  VERSAILLES 

liordées  d'ormes  par  Colbert.  en  hôtels  de  seigneurs  ou  en  maisons  de 
marchands  et  auberges,  dont  hi  hauteur  et  la  couleur  apparaissent  partout 
les  mêmes,  car  pavillons  ou  maisons  sont  pareillement  de  pierre  et  de 
brique,  élevés  d\in  seul  étage,  et  cou\'erts  d'une  toiture  dardoises.  L'effet 


Façade  de  Saint-Louis. 


de  ces  murs  roses  et  de  ces  toits  bleus  parmi  les  lignes  vertes  bien  régu- 
lières des  arbres  devait  paraître  d'une  symétrie  amusante  et  joyeuse  ; 
c'était,  vu  du  Château,  comme  un  grand  parterre  fleuri,  à  l'opposé  de 
ceux  que  montraient  les  jardins.  Bien  ])eu  de  ces  hôtels  ont  conservé 
leur  première  forme  ;  l'un  des  plus  beaux  et  des  plus  grands  était  celui 
de  Conti,  élevé  en  1670  par  le  maréchal  de  Bellefonds,  et  acheté  en  1680 
par  Louis  XIV  pour  son  fils   le  duc  de  Vermandois,  de  qui  la  princesse 


LA   VILLE 


[91 


de  Conti  Teut  en  héritage,  dès  i6(S3.  En  1723,  Louis  XV  le  fit  affecter  au 
Grand  3Iaître  de  la  .Maison  du  Roi,  qui  était  le  duc  de  Bourbon.  De 
grandes  fêtes  y  furent  données  en  l'honneur  de  M'""  de  Prie,  et  c'est  de 
ce  temps  c[ue  datent  les  ravissantes  boiseries  que  l'on  peut  voir  encore, 
bien  que  très  altérées,  dans  le  nouvel  Hôtel  de  Avilie,  avec  des  dessus  de 
porte  de  Martin  et 
des  toiles  c|ue  Res- 
tout,  Detro}',  Coy- 
pel  et  Lemoyne  ont 
égayées  de  leurs 
plus  galantes  inven- 
tions. Le  pavillon 
des  Bains  de  la  prin- 
cesse de  Conti,  avec 
un  joli  plafond  peint 
à  fresc^ue  clans  le 
goût  des  décors  de 
fjérain,  subsiste  en- 
core (au  n''  I  de 
l'avenue  deSceaux) . 
On  distingue  une 
partie  du  gracieux 
hôtel,  ainsi  que  la 
Carrière  et  le  Chenil 
qui  lui  font  vis-à- 
vis,  derrière  la 
Grande  Lcurie,  dans 
le  tableau  de  J-B. 
Martin  qui  repré- 
sente 'Versailles  vu 
des    hauteurs    de 

.Montboron.  Le  Roi,  entouré  de  courtisans,  vient  de  traverser  la  chaussée 
qui  divise  par  le  milieu  le  grand  réservoir  ,'établi  en  1685)  où  vont  se 
recueillir,  ainsi  ciue  dans  le  réservoir  de  Gobert,  les  eaux  pluviales  drai- 
nées au  plateau  de  Satory,  On  aperçoit  au  bas  de  la  butte,  derrière  les 
pavillons  habités  par  la  Cour,  les  maisons  d'artisans  et  de  marchands;  on 
devine  dans  le  nombre  ces  auberges  aux  noms  pittoresques,  de  l'iniage 
Notre-Dame,  de  la  Licorne,  du  Pélican,  du  Mouton  rouge  ;  l'énorme 
hôtel  de   Limoges,    où   logent  les  maçons  et  les  charretiers  limousins,  à 


Intérieur  de  Saint-Louis. 


[92 


VERSAILLES 


gauche  de  Tavenue  de  Paris,  n'est  point  compris  dans  le  tableau.  Dans 
un  coin,  toute  petite  et  basse,  est  l'église  Xotre-Dame,  que  .Mansart  a 
construite  de  1684  à  1686,  pour  remplacer  la  chaj^elle  voisine  des  Récol- 


Porte  de  la  Bibliothèque  de  la  Ville. 


lets,  transportée  de  l'autre  côté  de  la  place  d'Armes.  C'est  une  église 
purement  italienne,  et  de  caractère  assez  banal,  avec  ses  petites  coupoles 
basses  et  sa  façade  à  double,  étage  de  colonnes ,  qu'encadrent  deux  clochers  ; 
sa  voûte  au  cintre  aplati  repose  sur  un  large  entablement  que  soutiennent 
des  pilastres  classiques. 

Les  proportions  modestes  de  la  joaroisse  de  Versailles  ^à  laquelle  une 


LA   VIL 


9i 


chai^elle  du  Sacré-Cœur  fut  annexée  en  1867)  paraîtront  plus  exiguës 
encore,  si  on  les  rapproche  de  celles  de  la  cathédrale  dont  Louis  XV 
posa  la  première  pierre  le  12  juin  1743,  et  qui  fut  ouverte  au  culte  le 
24  août  1754.  L'église  cathédrale  vSaint-Louis  a  été  construite  parle  petit- 
fils  du  grand  31ansart,  Jacques-Hardouin  .Mansart  de  Sagonne,  à  Test  des 


Lliché  Barbichon. 


Vue  intérieure  de  la  Biblioihèque  de  la  Ville. 


jardins  du  Potager  et  par  delà  la  rue  de  Satory.  L'extérieur^en  est  bizarre 
et  peu  plaisant,  avec  la  grande  coupole  à  renflements  bulbeux  qui  la 
domine,  et  les  clochetons  baroques  de  la  façade.  Mais  la  nef  (longue  de 
93  mètres)  est  haute  et  lumineuse,  et  l'on  s'y  souvient  sans  trop  de  sur- 
prise des  belles  voûtes  gothiques.  Quelques  peintures  anciennes  y  seraient 
à  citer  :  dans  la  sacristie,  Vd Résurrection  du  fUs  delà  veuve  de  Naïin, 


194  VERSAILLES 

par  JoLivenet  (lyo.S),  Lableau  i)rovenant  de  l'église  des  Récollels  ;  au 
pourtour  du  chœur,  un  Saint-Louis^  par  Lemoyne,  et  une  Prédication 
de  saint  Jcjii,  par  Boucher.  Auprès  de  Saint-I.ouis,  le  (juarlierdu  Parc- 
aux-Cerfs  se  peu])le  de  maisons.  Le  beau  ])lan  de  labbé  Delagrixe,  en 
1746,  nous  montre  les  carrés  réguliers  c[ui  ont  subsisté  en  partie  dans 
cette  région  du  \"ersailles  moderne.  Le  centre  en  est  occupé  par  le  3lar- 
ché,  qui  a  conserv'é  jusqu'à  nos  jours  son  aspect  si  curieux  ;  il  date  de 
1735  ;  la  grande  fontaine  que  Ton  y  \'oit  a  été  construite  en  1766.  Dans 
la  rue  Ro\'ale,  on  remarque  la  jjorte  monumentale  de  l'ancien  Hôtel  des 
Gardes  du  corps  '173  i'  ;  c'est  maintenant  une  caserne  de  cavalerie.  Caserne 
aussi,  l'hôtel  des  Che\-au-légers  \^  1751),  sur  l'avenue  de  Sceaux.  L'Hôtel 
de  la  Guerre,  construit  en  1759  par  Berthier,  et  dont  la  porte,  ornée  de 
beaux  trophées,  ouvre  sur  la  rue  Gambetta,  s'appelle  aujourd'hui  l'Lcole 
d'artillerie  et  du  génie.  Plus  bas.  l'Hôtel  des  Affaires  étrangères,  cons- 
truit en  1701  i)ar  le  même  Berthier,  est  de\-enu  en  1799  la  Bibliothèque  de 
la  \'ille.  C'est  un  des  plus  beaux  monuments  de  Versailles,  avec  sa 
haute  porte  à  fronton  si  élégant,  et  la  richesse  des  salles  aux  ornements 
dorés,  dont  les  dessus  de  porte,  peints  par  Van  Blarenberghe  en  1770, 
représentent  les  principales  villes  de  l'Iùirope.  Bien  des  livres  du  Château 
ont  trouvé  asile  en  cette  aimable  P)ibliothèque,  où  les  maroquins 
aux  armes  royales,  ceux  cpie  .Mesdames,  filles  de  Louis  XV,  aimèrent  à 
manier,  ceux  qui  habitèrent  les  vitrines  des  cabinets  de  3larie-Antoinette, 
reposent  auprès  de  boiseries  excjuises  et  de  quelques  œuvres  d  art,  parmi 
lesquelles  un  des  plus  charmants  bustes  féminins  de  Caffiéri. 

Les  maîtresses  du  Roi  ne  sont  pas  oubliées  dans  le  nouveau  Ver- 
sailles. 31""-'  de  Pompadour,  non  contente  des  jardins  dont  elle  a  enrichi 
en  1748  son  Ermitage,  proche  de  Trianon.  reçoit  en  1752  un  magni- 
fique hôtel  construit  tout  auprès  du  Château,  sur  l'emplacement  de 
la  Pompe  de  Louis  XIV  i  c'est  aujourtl'hui  l'hôtel-restaurant  des  Réser- 
voirs, qui  a  englobé  aussi  les  grands  bâtiments  du  Garde-.Meuble  de  la 
Couronne,  élevés  en  1783;.  31"""  du  Barry  eut,  sur  l'avenue  de  Paris, ^e 
gracieux  pavillon  que  Binet,  valet  de  chambre  du  Dauphin,  s'était  fait 
arranger  en  1751  ;  elle  y  annexa  un  vaste  logement,  où  furent  installées, 
en  1775,  les  écuries  du  comte  de  Provence  ;  la  caserne  cpii  les  occupe 
depuis  la  Révolution  en  a  gardé  le  nom  de  caserne  de  .Monsieur. 

Depuis  longtemps,  les  prescriptions  de  Louis XIV  étaient  tombées  en 
désuétude  ;  les  maisons  n'avaient  plus  l'aspect  et  les  dimensions  uniformes 
du  xvir  siècle  ;  de  gracieuses  façades  rehaussées  d'ornements  fleuris,  des 
balcons  en  fer  forgé  mettaient  au  milieu  des  grands  alignements  d'arbres 


LA   VILLE 


195 


une  gaie  Lé  nouvelle  et  variée.  Beaucoup  de  ces  maisons  ont  été  mutilées 
et  cléfiu-urées  ;  la  plus  charmante  que  Ton  puisse  citer  est  Thôtel  de 
Nyert,  premier  valet  de  chambre  de  l.ouis  KV 'au  n°  35  de  la  rue  Neuve). 


Porte  de  la  chefferie  du  Génie  (6,  avenue  de  Paris). 


L'église  Saint-Symphorien,  construite  de  1764  à  1770,  est  d'une 
parfaite  médiocrité  ;  mais  on  admirera  les  proportions  du  beau  couvent 
des  Ursulines,  achevé  par  .Clique  en  1772,  avec  les  matériaux  de  démo- 
lition du  château  de  Clagny.  C'est,  depuis  1807,  un  lycée,  c^ui  a  reçu  le 
nom  de  Iloche.  La  chapelle,  avec  son  majestueux  portail,  fut  imitée  assez 


ig6 


\-  E  R  S  A  1  L  r,  K  S 


ser^'ilement  dans  les  construclions  qui  complétèrent,  de  Louis  X\^I 
iusqu'à  nos  jours,  le  grand  Hospice  civil,  situé  entre  la  rue  Richaud  et  le 
boulevard  de  la  Reine.  Parmi  les  édifices  dus  à  Louis  XVI,  en  dehors 
des  petits  hôtels  très  simples  (|ui  ])euplcnt  le  quartier  des  Prés  à  la  place 
qu'occupait  l'ancien  étano-  de  (  "la^-ny  .  il  faut  citer  le  théâtre,  élevé  en  1777 
pour  M'^'^  3l()ntansier  par  le  machiniste  lioullet,  entre  le  bassin  de  Xeptune 


Cliché  Neurdein. 


Salle  du  Jeu  de  Paume. 


et  la  rue  des  Réservoirs  :  grand  l^âtiment  très  simple,  dont  la  salle  a  des 
proportions  parfaites  ;  un  couloir  le  reliait  autrefois  au  Château.  L'hôtel 
de  M"""  Elisabeth,  vaste  propriété  en  bordure  de  Ta  venue  de  Paris,  date 
de  1776  ;  celui  d'Etienne  Defautre,  valet  de  chambre  de  la  Dauphine, 
situé  tout  contre  la  barrière  de  la  ville,  s'est  accru  en  1780  d'un  belvé- 
dère et  de  grilles  élégantes  ajoutées  à  la  petite  maison  de  1734  ;  de  celui 
de  la  comtesse  de  Provence,  datant  aussi  de  1780,  il  ne  reste  guère  qu'un 
somptueux  pavillon. 

Une  démolition  stupide,  en  1800,  a  su])primé  la  magnifique  salle  que 
l'architecte  Paris  avait  élevée  en  1787,  tout  auprès  des  bâtiments  des 
Menus-Plaisirs  i^transformésen  caserne;,  pour  les  séances  de  l'Assemblée 


LA    VILLE  197 

des  Notables  ;  c'est  là  que  les  Ktats  Généraux  s'étaient  réunis  le 
5  mai  178g.  Du  moins  il  reste  à  Versailles  un  souvenir  précieux  des  temps 
héroïques  :  c'est  la  pauvre  salle  nue  et  lumineuse  qui  servit  dès  1686  au 
jeu  de  paume  de  Louis  XIV,  et  où,  le  20  juin  178g,  les  députés  du  Tiers 
prêtèrent  leur  fameux  serment.  Dans  ce  berceau  de  la  grande  Révolution, 
une  table  de  bronze  commémorative  avait  été  posée  dès  17QO,  mais  ce  ne 


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L'Hôtel  de  Ville  de  Versailles. 


fut  qu'en  187g  qu'il  fut  décidé  d'y  créer  un  Musée  spécial  ;  le  Musée  de 
la  Révolution  fut  inauguré  le  20  juin  1883.  Une  statue  de  Baillj^  par 
Saint-.Alarceaux,  est  entourée  de  bustes  des  principaux  membres  du  Tiers 
Etat  ;  et  une  reconstitution  par  Luc-Olivier  Merson  de  la  grande  peinture 
entreprise  par  David  orne  le  mur  de  fond  de  la  salle.  Les  vitrines  con- 
tiennent des  médailles,  des  moulages,  des  dessins,  gravures  et  autogra- 
phes intéressant  les  origines  de  la  Révolution. 

La   ville  du  Xix"  siècle,  avec  ses  inévitables  enlaidissements,  a  long- 
temps respecté,    autcint  qu'il  était   possible,  le  caractère  de  ses  vieilles 


198  VERSAILLES 

i-Lies  et  de  ses  vieilles  places  ;  elle  a  com])ris  la  beauté  unique  de  ses 
grandes  avenues,  dont  les  ormes  continuent  à  dresser  leurs  murailles 
symétriquement  taillées.  La  gare  de  la  Rive  Droite,  qui  fut  inaugurée 
en  1839  par  le  duc  d'Orléans,  a  déjà,  peut  on  dire,  un  charme  archaïque, 
si  Ton  songe  au  mouvement  incessant  c|ui,  depuis  quelques  années,  sou- 
lève des  ilôts  de  poussière  autour  du  Château  de  ].ouis  XIV.  .Sous  le 
Second  Empire,  de  1863  à  i8(j0,  un  architecte  versaillais,  An^klée  .^la- 
nuel,  construisait  en  bordure  de  l'avenue  de  Paris,  sur  l'emplacement  du 
Chenil  du  Roi,  les  élégants  l)àtiments  de  la  Préfecture,  où  le  souvenir 
de  31ansart  est  partout  visible.  Trois  corps  de  logis  à  un  étage,  sur- 
montés, au-devant  de  la  toiture,  d'une  balustrade  ornée  de  vases  de 
pierre,  encadrent  une  cour  que  précède  une  fort  belle  grille.  Les  hautes 
fenêtres  cintrées,  les  sculptures  du  fronton  et  le  comble  surélevé  du 
pavillon  central  ont  une  harmonie  aimal*le  et  discrète.  L'exemple  était 
parfait,  et  il  semblait  l)ien  qu'il  n'y  eût  qu'à  le  suivre,  sans  chercher  en 
des  -voies  nouvelles  des  effets  rares  et  amljitieux.  Et  p()urtant.  lorsque  la 
municipalité  de  Versailles,  à  l'étroit  dans  le  gracieux  petit  hôtel  de  Ccjnti. 
voulut  se  donner,  aux  dernières  années  du  XIX*^  siècle,  une  maison  qui 
fût  l'honneur  et  l'orgueil  de  la  \ille,  le  souvenir  de  3lansart  ne  prévalut 
])oint  contre  les  glorieux  désirs.  L'œuvre  à  faire  eût  été  \Taiment  trop 
sim])le  ])our  a\-oir  chance  de  réussir  :  il  s'agissait  de  doubler  l'hôtel  de 
Conti  par  un  corps  de  logis  parallèle,  et  de  réunir  ces  deux  ailes  ]jar  une 
galerie  en  façade  sur  l'avenue  de  Paris,  L'n  concours  fut  institué 
en  1897,  et  le  projet  de  l'architecte  Le  Grand  adopté  et  exécuté 
sans  retard  ;  le  nouvel  Hôtel  de  \'ille  était  inauguré  en  juillet  1900.  Le 
mieux  ([uelon  en  pourrait  dire  serait  de  n'en  rien  dire  du  tout.  C'est  un 
monument  d'une  entière  nullité  architecturale,  mais  un  monument  gigan- 
tesque. La  lanterne  qui  surmonte  ses  combles  aigus  du  plus  faux  style  de 
la  Renaissance)  domine  audacieusement  tout  ce  que,  dans  l'ancienne  \-ille 
et  jusque  dans  le  Château,  la  sagesse  et  le  goût  des  architectes  disciples 
de  31ansart  avaient  fixé  en  harmonieuses  proportions.  La  loi  de  Ver- 
sailles, de  s'étendre  paisiblement,  en  lignes  régulières,  sans  effort  pour 
s'éLincer  trop  haut  ou  trop  loin,  a  été  cruellement  enfreinte.  Il  y  a  des 
villes  dont  la  beauté  morte  doit  être  conservée  sans  outrages, 
lentement  et  pieusement  accrue  par  la  vie  qui  afflue  autour  d'elle  ;  villes 
de  repos  et  de  silence,  miroirs  où  la  i)âle  figure  d'autrefois  sourit  à  la 
figure  nouvelle  c|ui  se  penche  et  l'interroge  ;  et  que  pourrions-nous 
demander  de  moderne  à  la  \ille  de  Louis  XIV  et  de  31ansart  ? 


La  i'o 


NOTE   BIBLIOGRAPHIQUE 


Ouvrages  antérieurs  au  XIX-  siècle 

Mi''=  ut  ScuDÉKY,  La  Fiomaïadeiie  VcisailUs,  1669  ;  —  La  Fontaine,  Les  amoni s  de  Psyché,  1(171  ;  — 
André  Félibiln,  Description  sommaire  du  Château  de  Versailles,  J674;  —  Piganiol  de  la  Force,  KouveUe 
Descripticn  des  Clàteaux  et  Parcs  de  Veisaillescl  de  Marly,  1701  ;  —  Fr.  Félibien,  Description  sommaire  de  Ver- 
sailles ancienne  et  nouvelle,  1703  ;  Description  de  lu  chapelle  du  Château  de  Versailles,  1711  ;  —  Mercure  galant. 
Lettres  de  M""=  de  Sévigné,  A/fmoim  </e  Saint-Simon,  Journal  de  L^angeau  ;  —  Comptes  des  Bâtiments  du  Roi, 
(1664-1715.  publiés  par  Guiefkeï)  ;  —  Bruzen  de  la  Martinièke.  Dictionnaire  géographique,  historique  et 
critique,  1726   art.   Versailles  ;  —  Blondel,  Architecture  française,  t. 


:r6  :  — Mémoires  au  duc  de  Luynes. 


Ouvrages  modernes  : 

Vatout  Souvenirs  historiques  des  Résidences  royales  de  France,  Palaisde  Veruiillcs.i8^-J  : 
Versailles,  ancien  et  mcden.e,  1859;  —  Le  Roi,  Hiitoire  de  Versailles,  2  voL,  1&68  ;  - 
Mu^ée  Xalioinii  de  Viisailles.  2'' éd.,  3  voL,  1839-51  ;  Xotice...  des  palais  de  Trianon,  1852  ; 
}^oiiee  du  Miiu'r  historique  de  Versailles.  Supplément.   '881  ;  —  Dussieux,  Le  Château  de 

description.  2-  éd.,  2  \oL,  18S5  ;  —  Uesjardins,  Le  Petit  Trianon.  1885   ;  —  Jehan,  La   Ville  de  Versailles 
1900  : 


•  Al.  de  Labokde, 
SuuLiÉ,  Nolice  du 
Clément  de  Ris, 
trsailles.   hisloiie  et 
Le  Petit  Tr 
M.  Lamiîekt   et  Ph.   Gille,   Versailles  et    les  deux  Trianons,  2  ^oL,  1899-1900.—  Recueil  de  gra- 
vures: Le  Petit   Tiiancn.  architecture,  décoration,  ameublement.   Introduction  par  L.  DtSHAiRS,  s.   d.   (191.:}; 
—  Le  Château  de  Versailles,  architecture  et  déuvation,  Introduciion  par  G.  Bkiére.  s.  d.  (1907--1909). 

P.  de  Nolhac.  La  Création  de  Versailles,  1901  ipreniière  partie  d'un  grand  travail  qu'il  faut  compléter 
par  des  ar.icles  publiés  dans  la  Ga::ictte  des  Beaux-Arts:  Le  Versailles  de  Mansait,  3  ait.,  1902;  La  découition 
de  Versailles  au  XVllI'  siècle.  8  art.,  de  1893  à  1898,  —  et  dans  la  Revue  de  l'art  ancien  et  moderne:  La  chambre 
de  Louis  XIV,  2  art..  1897  ;  La  Galerie  des  Glaces,  2  art.,  1903)  ;  Le  Château  de  Versailles  sous  Louis  XV,  ■"-"- 
Versailles  au  temps  de  Marie-Antoinette.  1889;  Etudes  sur 
Louis  XV  et  W""  de  Pompadour,  Marie-Antoinette  Dauphii 
Sttilles.  1906. 

P.  DE  NoLiiAC  et  A.  Pératé,  Le  Musée  de  Versailles, 
La    Revue    Veisailles   illuslié  (1896-1903)  et  la  Revi 


Cour 
La  Rc 


de   Fiance  {Louis  XV  et  Marie   Lec^inska, 
lue  Marie-Antoinette]  ;  Les  Jardins  de   Ver- 


de  l'histoiie  de  Versailles  et  de  Seine-et-Oise  (depui 


1899)   contiennent  de  nombreux  et  fort  précieux  articles  d'érudition  veriaillaise. 


Chapelle  du  couvent  des  Ursulines  (Lycée  Hoche). 


TABLE   ALPHABETIQUE^ 


Adam,  140,  141. 

Aile  du  Midi,  41,42,  43. 

Aile  du  Nord,  41,  42,  166. 

Allée  d'eau,  59-61,  60. 

Allée  des  Trois  Fontaines,  73 

Allegrain,  67,  70,  92,  94-. 

Angivillcr  .C'-'   d"j^ 

177. 
Antin  (duc  d"),  112 
Appartement  de  M' 

126-127,  127. 
Appartement  de  M""-'  du  Bar 

ry,  123,  129,  130. 
Appartement  du  Dauphin,  43 

121,  124-125,  125. 
Appartement  de  M"^''  de  Main 

tenon,  4Ô. 


49. 


[40. 
Adélaïde 


Appartement  de  M'""  de  Pom- 

13adour,   129. 
Appartement  de  la  Reine,  17, 

27-28. 
Appartement  du  Roi.  17. 28-30. 
Arc  de  Triomphe  ^bosquet  de 

ri.64. 
Ariane,  par  Van  Cléve,  75. 
Audran,   28,  29.    102. 

Bains  (appartement  des),    21), 

20,21,45. 
Bains  de   Louis  XV,  128. 
Ballin,  39,  45,  56,  57.  76. 
Bassin  d'Apollon,  60,  60. 
Bassin  du  Dragon,  59,  80. 
Bassin  d'Encelade.  64. 


Bassin  de  Lat( 


59,   59-6c 


81, 


Bassin  de  Neptune,  80-81 

140-142,  141.  142. 
Bassin  delà  Pyramide,  62,  65 
Bassins  des   Saisons,  62,   63 

63-04. 
Bellan,  48.  iu8. 
Belle,  117,  159,  176. 
Belvédère,  152,  154. 
Benoist  (M'""),  178. 
Benserade.  67. 
Bernin.  17.  30,  44,  82. 
Bertin,   to2. 
Bertrand,  104,  108. 
BibliotliL-que  du  Dauphin,  121 

1^5- 
—  de  la  Dauphine.   125. 


Les  chirtres  gras  indiquent  les  illustr.uions 


TABLE    ALPHABETIQU 


Bibliothèque    de    Louis     XV, 

122. 

-de  Louis XV L  132-133. 134. 

—  de  Marie-Antoinette,    134. 

—  de  la  Ville,  192.  193.    19-]. 
Blanchard.  28.  2Q. 
Boffrand,   117. 

Bosquet  d'Apollon,    05.    150, 

150-151- 

Bosquet  de  la  Colonnade.  S3, 
83. 

Bosquet  des  Dômes.  83  84. 

Bosquet  de  la  Montaa;ne  d'eau. 
65.  66. 

Bosquet  de  la  Salle  de  bal, 
68. 

Bosquet  de  la  Salle  des  Fes- 
tins, 69. 

Bouchardon,  140.  i.]  i,  142, 142. 

153- 
Boucher,  115,  iio,    123,   194. 
Boulle,  43,  124. 
Boulogne  ^les),   102.  103. 
Bousseau,  loo. 
Boyceau,  53,  54. 
Brosse  iSalomon  de),  5. 
Buirette,  41,  62. 
Bu3ster,  14,  56. 

Cabinet  de  M""'  Adélaïde.  127. 
127. 

Cabinet  du  Billard.  32.  45.47. 

Cabinet  du  Conseil.  47,  127- 
128,  129. 

Cabinet  (.Arriére-)  de  Louis 
XVL  137.  137- 138. 

Cabinet  ^Grandj  de  Marie -An- 
toinette, 136,    136-137,    138. 

Cabinet  des  Médailles,  44. 

Cabinet  des  Perruques,  47, 
127. 

Cabinets  de  la  Reine,  120.  122, 

136-13;- 
Cabinet   du  Roi    (Louis  X\'). 

126,  127. 

Caffiéri  (Ph.),  20,  21,  30,  35. 
Caffiéri  (J.-J.),  122,   125,    125, 

127,  194. 
Campan  (M""'),  156. 
Caraman  (C'''de),  152. 
Carlier,  75. 

Cathédrale  Saint-L;.uis,    190, 

191,  193-194. 
Cayot,  105. 
Chambre   du    Dauphin,     124- 

12^,  125. 


Chambre  de  la  Reine,  28,  118- 

120,  119,   135-136. 
Chambre  du  Roi  J^ouis  XI V», 

31,32,49,5.-51- 
Chambre  du  Roi  (Louis  XV), 

Ï24. 
Champagne  (J  -B.  de),  29. 
Champagne  (Ph,  de),  173,  174. 
Chapelle,  96-109. 

—  vue  de  la  cour,  97. 

—  chevet,  £8. 

—  vestibule  haut,  99,  loo. 

—  intérieur,  100,  102. 

—  peintures  de  la  voûte,  11-2. 

—  maître-autel,  103,  104. 

—  piliers  de  la  nef,  105. 

—  trophées,  105-108. 

—  orgue,  107,  108-iog. 

—  sacristie,  109. 

Château  (le',  ^u  de  l'avant- 
cour,  1. 

—  vue   générale.  5. 

—  en  i6'j8,  par  Patel.  7. 

—  fai;ade  sur  les  jardins, 
avant  1673.  13. 

—  façade  sur  les  jardins,  état 
actuel,  33. 

—  en    1722,    par  Martin,  110, 

1 1 1. 
Chribtophi',  i(:2. 
Clérion,  36. 
Clouet  (Fr.),  172. 

Colbert.  7,  10.  14,  22,    34,  35, 

41,    19). 
Commun  (Grand),  i86-;8S. 
Corday  (Charlotte),   178. 
Corneille  (M.),  28. 
Cornu,  104. 

Cortone  (P.  de),  28,  32. 
Cotelle,  6;,  6S,  92. 
Cotte  ^R.de),9:),  96,  104,  iu8, 

112,  1 17,    118. 

Cour  de  Marbre,  15,  26,  27. 

Cours  (les)  et  la  Place  d'Ar- 
mes, 25. 

Cùusinet,  39. 

Coustou  (G.^,  98,  104,  105,  108. 

Coustou  (N.),  50,91,  104. 

Coypel  (A.),  102,  191. 

Coypel  (N.),  28. 

Coyzevox,  19,  19.  20,  24,  26, 
34,  36,  40.64.74,  75,  76,  yS, 
jq,  82,  91,  158. 

Cucci,  20.  44. 

Dangeau,  23,  42,  175. 


Dauthiau,  126. 

David,  :68,  169,  178. 

Delacroix,  168,    177. 

Delalande,  it)8. 

Delaunay,  39,  58. 

Delobel,  20,  24,  26. 

Delobel  (Simon),  .50. 

Deschamps,  152. 

Desjardins,  14,  20,  74. 

Desmoulins  (C),  178. 

Detroy,  114,  118,  191. 

Dieu,    102. 

Diot,  i;:8. 

Dorbay,  14. 

Dossier,   14. 

Du  Barry  (M'"'^),  129,  148,  104. 

Dufour,  132,   158,  159,  161. 

Dugoulon,    48,   54.^05,    108, 

118,  122. 
Dumont,  104. 
Duplessis,  133.  177. 
Dutertre,  100. 
Du  val.  76. 

iùiux  (Grandes),  52. 

Écurie  ^Grande)   183,   184-186, 

187. 
Écurie  (Petite),    184,   185-186. 
Église  Notre-Dame,  182,  188. 

192. 
Ermitage,  21,  1Q4. 
Escalier   des    Ambassadeurs, 


[8-20, 


[26. 


Escalier  des  Princes,  42  43. 
Escalier  de    la  Reine,   17,  26- 

27,  29. 
Ésope,  67. 

Flaini'n,  48. 

Flandrin,  179,   180. 

Fleury  ^Card.  de),  114,  115. 

Fontaine,  158,  159,  160,  167. 

Fouquet,  6,  7,  q,  54,  56. 

Fraiicine  ,Fr.  et  P.),  57,  58,  64. 

Frémin,  104. 

Gabriel  (J.),  n,   12,  ^^. 
Gabriel  (J.-A.),  127,  130,  131, 

132?  133'  ^35'   1-1"'  i-|2'  1-15' 

148,   159. 
Galerie  des  Batailles,  166-168, 

167. 
Galerie  des  Glaces,  13,  34-39, 

35. 
Garaain,  158. 
Gérard,  16"^!,  163,  178-179. 


TABLE   ALPHABETIQUE 


Germain,  39. 

Girardon,  21,  24,  25,  26,  40, 
58,  62,  63,. 63,  65,  74,  79,82, 
83.  83,  141,  151,  158,  186. 

Girodet-Trioson,  179. 

Gomboust,  4,  53. 

Gondouin,  159. 

Granier,  82,   185. 

Grille  d'entrée  du  Château, 
23,  24. 

Gros,  168,  180. 

Grotte  de  Thétis,  58. 

Guérin,  20,  58. 

Guibert,  131,  146,  148,  149. 

Guidi,  Si. 

Hameau  de  Trianon,  153.154. 
155,  15.5-15^- 

Hardy,  48,  140. 

Heim'.  178,  179. 

Hérard,  14. 

Hôpital  militaire  (Grand  Com- 
mun), 188. 

Hôtel  de  Ville,  190-191,  197- 
iq8,  197. 

Houasse,  28,  29,  77. 

Houdon,  177. 

Houzeau,  14,  56. 

Hurtrelle,  48. 

Inauguration     du    musée    de 

Versailles,  162,  165. 
Isabelle  ^l'infante),  177. 

Jardin  du  Roi,  69. 

Jardins  (les)  en  1775,  148,149,, 

149-152.  ■ 
Jollivet,  in8. 
Joséphine  (l'Impératrice),  161, 

178. 
Jouvenet(J.),  28,102,  103,  194. 
Jouvenet  (L.),  44,  186. 
Jussieu  (B.  de),   144,   145. 

Keller  (les),  79. 

Ladoireau,   39,  41. 

La  Fontaine,  7,  9,  68. 

Lafosse,  28,  29,   102. 

Lagrenée,  132. 

Lange,  92. 

Lapierre,   104. 

La  Quintinie,  82,  188. 

La  Vallière  (M"-   de),    7,  21, 

56. 
Le  Bouteux,  88. 


Le  Brun.  6,  9,  18,  18-21,  28, 
29,  30,  34-41-  72-74,  186. 

Le  Comte,  13,  25,  ^6,  82,  185, 
186. 

Lefèvre  (R.),  160,178. 

Legay,  91. 

Le  Goupil,    48,  108,  118,   1411. 

Le  Gros,  14,26,  34.  36,  67,67, 

74.  75.  78,  79' 91- 
Le  Hongre,  14,  20,  26,  61.74. 

78,82.91. 
Lejay,   108. 
Lejeune,  168,   180. 
Lelorig,   ic8. 
Le  Lorrain,  104. 
Le  Mercier,  5. 
Lemoine  (J.-B.),  140,  141. 
Lemoyne  (Fr.),    114-115,   191, 

194.' 
Lenfant,  166. 
Le  Nôtre,  6,  54,  66,  72,  76.  81, 

83.  95- 
Li'  Pautre,  11,  32,  104. 
Lépicié,  147. 

Lerambert,  55.  56,  59,  61,    62. 
Le  Riche,  154. 
Lespagnandel.  35. 
Lespingola,  25,41.48.  75,  79. 
Le  Vau,  6-14,  18,  184. 
Loriot.  147. 
Louis  XIII  (Versailles  sous), 

4  à,  183. 
Louis  XIV  ^buste  de)  en  1665, 

6. 

—  buste  de),  pur  Bernin,  17, 
30. 

—  ^buste  de),  parWarin.  18- 
19. 

—  (buste  de),  par  Covzevox, 
36. 

—  (statue  de),  par  Warin.  16. 

—  (statue  de),  par  Cartellier 
et  Petitot.  163. 

—  cire  de  Benoist,  51,  174. 

—  Ja  famille  de)  par  Xocret. 
15,  175- 

Louis  X\'  en  175..,  111. 
Louis  XV],  133. 
Louis  XVIII,  160. 
Louis-Philippe,    161-170,   165. 
Louise  (M""-'),  176. 
Louvois,  21,  22,  41,  64,  76. 
Lycée  Hoche,  195,  200. 

Magnier,  14,  20,  78,91. 
Maine  (duchesse  du),  174. 


Maintenon  (M'"'^  de),    46,  47. 

64.  175- 
Manière,  104,  108. 
Mansart;j.  Hardouin),  12,  21- 

22,  22,  24-51,  76,  80-84,    87. 

90-95,  96,  99.    112.  130,  131. 

140,  184-189,  192. 
Mansart  de  Sagonne,   193. 
Marie-Antoinette  en  1787,  135. 
^larie  Leczinska  en  1730,  117. 
Marigny,  123.   127. 
Marsy  (les),  13,  14,20,  24,25, 

26,  29,  58,  59,60,  63.  u.\.  7.1 . 

83- 
Martin  (  J.-B.\  25.  67.    69.  81. 

189,  191. 
Martin    P.  D.  ,  87.    110.    m. 
Massou,   13,  26,  33,  36. 
Maurisant,  122,  125. 
Mazeline,  44,  62,  74,  186. 
Mazière,  82,  185,  180. 
Ménagerie,  86-83. 
Mercure  galant,    34.  74,    185, 

186. 
Merlin,  39. 
Meusnier,  102. 

Mignard,  43,45.45,  125,174. 
Mique,  133,  152,  153,  155,  195. 
Montespan    (M'"-  de),  21,  45, 

65,  188. 
Mosnier,  74. 

Mythologie  de  Versailles,  14, 
28,37,  55'  65,72,  175. 

X'apoléon  l''%()2,  i58-io<i.  160, 

163,  168. 
Napoléon  III,  179,  180. 
Natoire,  118,  147. 
Nattier,  176,  176,  177. 
Nec  pluribu"  iiiipar.  3.  14. 
Nepveu,  162,  164,  167. 
Nocret,  15,  175. 

Œil-de-Bœuf  (antichambre  de 

1'),    47-50,  48. 
Opéra,  130-131.131.  132. 
Oppenord,  44. 
Orangerie,  82,  84. 

Pajou.  131,  137. 

Parrocel   (les),    32,   123,    166. 

176. 
Parterre  d'eau,  71-811,  77.  78. 

79. 
Parterre  du  Midi,  59. 
Parterre  du  Nord,  59.  70.   7L 


TABLE   ALPHABEÏIQUP: 


20.- 


Passemant,  126. 

Patel,  7,  8. 

Pater,  147. 

Perrault   Ch.),  11, 11.  60. 

Perrault  yC\.),   11,  61. 

Pièce  d"eau   des    Suisses.  43, 

81-82,  85. 
Pineau,  91. 
Place  d'Armes.    25.   183,  184, 

184. 
Poitier,  48,  104,  108. 
Poissant,  56. 
Pompadour  ^^>"■d<■^  i-'g,  142- 

148,  194. 

Porte  delà  chefferie  du  Ciénie, 

195. 
Porte  Saint-Antoine,  199. 
Potager,  188. 
Poultier,  48,  75,  79,   104. 
Préfecture,  197. 
Prou,  40. 

Prudhon,  158.   18). 
Puget,   75,  158. 

Raon.  26,  78,  185. 
Regnaudin,  20,  21,  25,  58,  62. 

63,  78,  79.  91. 
Régnier.  92. 

Réservoirs    .hôtel   des),     194. 
Restout,  19 1. 

Richard  ;C"1.  et  Ant.'.  144,  i.]5. 
Rigaud,  175.  175-176. 
Robert  .Hubert),  132,  140,  148. 

149.  150,  151. 
RoU,  157,  170. 
Roslin,  1-7. 
Roumier,  118,  122. 
Rousseau(  J.-j.),  150. 
Rousseau  de  Corbeil,  106,  122. 
Rousseau   (Ant.    et    ses    fils) 

122,  127,  128,  12'3,  13:;,  134, 
136,136,  137,  137.  138,  140, 
148. 

Saint-Pierre    (Bernardin    de), 


Saint  Simon,  4,  22,  42,  .i(),  53, 

^■/.  64,  g8,  9Q. 
Salle  du  Jeu  de  Paume,     196. 

196. 
Salon     de    l'Abondance,    33, 

44. 
Salon  d'Apollon,  28,  43. 
Salon    de  Diane,    16.    28,    33, 

-14- 
Salon  des  Gardes  de  la  Reine, 

16,  16,  33- 
Salon  de  la  Guerre,  29,  33.  .10, 

41. 
Salon  d'Hercule,  112-11^,  113, 

115. 
Salon  de  Mars,  28,  4-|. 
Salon  de  Mercure,  2S,    13. 
Salon  de  la  Paix,  37.  4". 
Salon  de  la  Pendule,  116,  120, 

I2b-I27. 

Salon    de     Vénus,      16.      17, 

-14- 

Santerre,  103. 

Sarrazin,  55,  59. 

Scheffer  (A.),\6q,  180. 

Scudéry  (M"'-  de),  8,  7C). 

Senelle,  140. 

Sé\e  ^G.  de),  28. 

Sévigné  (M'"'de),  23,  38,  183, 
iSq. 

Sphinx  de  Sarrazin  et  Leram- 
bert.  55,  59. 

Statues  du  pont  de  la  Con- 
corde, 163. 

Tapis  Vert.  55,  60,  75. 

Taupin,  ^]8,  92,  ico. 

Temple  de  l'Amour,  151.  152- 

Temporiti,  20,  21. 

Théâtre  du  Petit  Trianon,  153- 

154. 
Théâtre  de  la  Ville,    196.     - 
Thierry,  104. 
Tocqué,  123,  170. 
Tournehem,  122. 


Trianon,  88-95. 

—  en  1722,  par  Martin,  87. 

—  vu  du  canal,  86. 

—  le    cabinet  de   travail,    89. 

—  le   grand     salon  rond,    91. 

—  le   salon    des     Glaces,    93. 

—  le  Buffet,  93,  94. 

—  le  Plafond,  94. 

—  le   Jardin  des  Alarronniers, 
95." 

Trianon -sous-Bois,  92-93. 
Trianon  (le    Petit),    139,    143, 

144,  145,   146,  147.  145-149. 
Tubi,  14,  io,  21,  24,  34,  40,  60, 

03,  64,  67,  75,  76,  78,  79,  79, 

91. 

Valentin,  50. 

Van  Blarenberghe,    166.  194. 

Van  Clève,  48,  75,  77,  79,  91, 

104. 
Van  der  Meulen,  tq,  164,  166. 
Van  Opstal,  5». 
Vases  de   bronze,  par  Ballin, 

56,  57.  7b. 
Vases  de  marbre,  parDugou- 

lon,  54. 
Vases  de  Coyzevox  et  de  Tubi, 

76. 
Vassé,  100,  108,113,  115,  118, 

158. 
Vaux  I château  de),  6. 
Verberckt,  113,    it8,    iiq-120, 

120, 122,  124, 120,  126,    127, 

127,  128, 140. 
Vernet  (H.),  167-169,171. 
Vigarani,  11,  56. 
Vigée-Lebrun  [M'"-^),  135,  178. 
Vigier,  75. 
Vignonle  fils,  -18. 
Ville  (la),    182-198,    182,    185, 

189,  204. 
Voitures  jiiuséedes',  181, 181. 

Warin,  16,  18-19. 
Winterhalter,  180. 


L'auteur  et  l'éditeur  tiennent  à  remercier  les  excellents  photographes  parisiens,  MM.  Lévy,  Neurdeiu  et 
PaniarJ.  ainsi  que  MM.  Barbichon  et  Bourdier  de  Versailles,  d'avoir  bien  voulu  les  autoriser  à  reproduire 
d'importantes  séries  de  leurs  clichés. 

D'autres  clichés,  entièrement  inédits,  sont  dus  à  l'aniicale  obligeance  de  M.  Gaston  Brière.  attaché  à  la 
Conservation  du  Musée  de  Veriailies. 


Fontaine  du  Marché  Saint-Louis. 


TABLE   DES    MATIERES 


AVA.\T-PK01>0S I 

CiiAPiTRii  PREMIER.  —  Le  Chàteau  de  Louis  XIV 2 

Chapitre  IL  -    Les  Jardins 52 

Chapitre  IIL   —  Trianun 86 

Chapitre  I\'.  —  La  Chapelle 96 

Chapitre  V.  —  Le  Chàteau  de  Louis  -W"  et  de  Louis  XVI 11  o 

Chapitre  \'I.  —  Les  Jardins  au  xviii'  ^iècle  et  le  Petit  Trianon 139 

Chapitre  VII.  —  Le  Musée 157 

Chapitre  VIII.  —  La  Ville 182 

Note  Bibliographk^jue 199 

Table  ALPiiAiiiiTiQUE 200 


V  U  E  C  X  .     IMPRIMERIE     C  H  .     H  E  R  1  S  S  E  Y     ET     FILS 


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