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Full text of "Vie de Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de Condé, 1628-1694"

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VIE 



DE 



CLAIRE-CLEMENCE 

DE MAILLÉ-BRÉZÉ 

PRINCESSE DE CONDÉ 

1628 1694 



VUI- - I YIMX.KVIMUK lAHIiKK 
Rue d«* Fleuriis, \) 



claire^lKhench 
DE MAII.LÉ-BRÉZÉ 

PRINCESSE DE CONDÉ 



CHARLES ASSEUNEAU 




PARIS 
LÉON TECHBNER, LIBRAIRE 




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19/9 



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AVANT-PROPOS 




w hasard m'a jeté sur la 
trace de la princesse de 
Coridé. Je ne me doutais 
pas en écrivant le commentaire 
historique d'un portrait de Peti- 
tot*, que j'en poursuivrais l'ori- 
ginal à travers les Mémoires el 
les Chansonniers du temps. 

1. Au tome h^ des Émaux de Petitot, de la 
collection du Louvre^ publiés par Blaisot en 
862, 2 vol. ia-^, grav. de Ceroui. 

1 



\^ 



\ 



2 AVANT-PROPOS. 

Un attrait irrésistible pour un 
ami de l'histoire m'entraînait à 
cette recherche, l'attrait de l'in- 
connu, de la nouveauté, du mys- 
tère. La vie de Claire-Clémence 
de Maillé - Brézé , princesse de 
Condé, n'a jamais été écrite, 
quoiqu'elle méritât de l'être au- 
tant par l'importance de la per- 
sonne elle-même que par l'intérêt 
des événements. Cette vie ca- 
chée, ignorée appelait la lumière, 
moins comme gloire que comme 
réparation; et ainsi le besoin de 
justice s'ajoutait à l'attrait de la 
curiosité. 

Une victime est toujours in- 
téressante : on veut savoir néan- 



7 



AVANT-PI\OPOS. 



moins si elle l'est légitimement, 
et dans quelle mesure elle mérite 
l'admiration, ou la pitié. C'est 
là véritablement, sans vouloir 
trop grossir les choses ni donner 
trop d'importance à ces menus 
problèmes de l'histoire, ce qui 
m'a conduit des Historiettes de 
Tallemant des Réaux aux Lettres 
de Mme de Sévigné et à la Q)r- 
respondance de Bussy, des Mé- 
moires de Mademoiselle au Recueil 
de Maurepas, et de Walkenaër à 
Lord Mahon. 

Par l'étrangeté des aventures 
autant que par la lutte des senti* 
ments et des passions, la vie de 
CUaire de Maillé eût aisément 



4 AVANT-PROPOS. 

fourni la matière d'une de ces 
histoires romanesques, telles qu'en 
ont écrites Mme de la Fayette et 
Mme de Tencin, telles qu'en écri- 
vait encore au commencement 
de ce siècle Mme de Genlis. 
Mais la mode en est passée, et 
ce n'est pas moi qui la restau- 
rerai. 

J'ai donc dû me borner à re- 
cueillir et à coordonner entre eux 
les quelques traits qui nous sont 
parvenus de cette figure effacée. 

J'ai constaté dans le cours de 
cette notice que les renseigne- 
ments étaient rares. On ne les 
rencontre même pas toujours là 
où on les va chercher et où l'on 



AVANT-PROPOS. 



pourrait le mieux se flatter d'en 
trouver. Par exemple, M. Cousin 
dans ses Études sur les Femmes 
illustres, au temps de la Fronde, 

• 

ne parle qu'en passant de la 
princesse de Condé, et seulement 
pour mentionner la déception 
causée par ce mariage politique 
au chevaleresque amant de Mar- 
the du Vigean. Le moment, l'é- 
pisode où Claire de Maillé, ré- 
veillée par le danger, se montra 
la vraie fille d'un maréchal Ae 
France et la digne compagne 
d'un héros, est resté suspendu 
entre deux récits : La Jeunesse de 
Madante de Longue^fille , et Ma- 
dame de Longuei^ille pendant la 



6 AAAÎIT-PROPOS. 

Fronde. Peut-être M. Cousin a-l-îl 
pris le temps de combler celte 
lacune de son histoire. Peut-être 
l'épisode qui nous manque s'est- 
il retrouvé traité et achevé dans 
ses papiers et viendra-l-il quelque 
jour relier entre eux et compléter 
ceux que nous avons déjà. Ce 
jôur-là notre modeste travail per- 
dra le peu d'intérêt qu'il doit à 
notre seule bonne volonté, car 
indubitablement l'historien pas- 
sionné qui trouvait tout et ne né- 
gligeait rien aura étendu ses ré- 
el ktcIics bien au delà de la portée 
même de notre vision. 

A défaut de documents nous 
trouvons néanmoins dans le se- 



AVANT-PROPOS. 



cond récit un jugement que nous 
devons rapporter parmi les té- 
moignages favorables à notre obs- 
cure héroïne. 

ce Au premier rang du conseil, 
et environnée d'universels hom- 
mages (il s'agit de la seconde 
Fronde), était Mme la princesse 
de Condé qui s'était si noblement 
conduite dans la première guerre 
de Guyenne, en 1650. Cette fois, 
fatiguée par une grossesse péni- 
ble, toujours souffrante et éclip- 
sée par sa belle-sœur, elle s'efFa- 
cait volontiers et se bornait avec 
sa douceur accoutumée à recom- 
inander autour d'elle la modéra- 
tion et l'union, surtout l'absolue 



8 AVANT-PROPOS. 

obéissance aux instructions de son 
mari, dont elle-même ne cessa de 
donner le plus parfait et le plus 
touchant exemple*. » 

Une vue si juste du caractère 
et du rôle de la princesse de 
Condé, et si conforme aux aites- 
tations de ceux qui l'ont connue, 
nous fait regretter d'autant plus 
que M. Cousin ait ajourné l'oc- 
casion de nous dire tout ce qu'il 
savait d'elle et de sa vie. 

Un autre ouvrage eût sans 
doute répandu sur notre sujet une 
lumière décisive, c'est Y Histoire 





1. Madame de Longneville pendant la 
Fronde, 



AVANT PROPOS. 9 

des Princes de la Maison de 
Condéy publiée en 1 869, chez Mi- 
chel Lëvy. Malheureusement cet 
ouvrage entravé dans sa publiea-' 
tion par des motifs tout à la 
gloire de Fauteur, s'est arrêté au 
tome second avant même la nais- 
sance du vainqueur de Rocroy. 
Nul doute que les archives de la 
maison de Condé, dont disposait 
l'auteur, n'eussent produit révé- 
lation sur révélation, et résolu 
jusqu'à l'évidence tout ce que 
nous avons laissé à l'état de pro- 
blème ou de conjecture. Néan- 
moins les proportions mêmes de 
cette simple étude nous rendaient 
la modestie facile, et nous dispen- 



10 ÀVANT-PROPOS. 

saient en quelque sorte de ram- 
bition de viser au définitif et au 
complet. Nos prétentions sont 
plus humbles. Nous n'avons voulu 
que réunir ici les renseignements 
que nous avons pu rencontrer^ 
sans la moindre pensée de riva- 
lité avec des travaux plus amples 
et plus prolongés. Nous appor- 
tons notre maigre javelle, heu- 
reux si nous pouvons ajouter 
quelques brins à la botte des 
moissonneurs plus vaillants et 
plus robustes. 

Une perte à jamais regrettable 
est celle de V Historiette que le 
grand informateur des faits et des 
choses au temps, de la Fronde, 



AVANT-PROPOS. 11 

Tallemant des Réaux, s'était pro- 
posé de consacrer à la princesse 
de Condé. On lit au tome UI de 
son livre [Historiette de la reine 
de Pologne) : 

Comme j'ay dessein de mettre 

AUTANT qu'il ME SEROIT POSSIBLE 

tout de suitte ce qui tousche a 
l'hostel de Rambouillet, j'ay 

TROUVÉ A PROPOS d'iNSÉRER ICY LA 
REYNE DE POLOGNE ET SES SOEURS 
PAR OCCASION, PARCE QU'eLLE AI- 
MOIT FORT Mme DE MONTAUZIER, 

ET JE PRÉTENS FINIR PAR Madame 
la Princesse, Mme de Longueville 



ET LES PRÉCIEUSES V 



1. Édit. Paulin Paris, p. 301. 



12 AVANT-PROPOS. 

Et M. Paulin-Paris ajoute dans 

son excellent commentaire : 

a Les trois dernières Histo- 
riettes ^ si précieuses pour nous, 
ne se retrouvent pas dans le ma- 
nuscrit de des Réaux. Ou la pen- 
sée ne fut pas réalisée, ou Fauteur 
plus tard jugea convenable de 
supprimer un cahier de son ou- 
vrage. Peut-être les aura-t-il dé- 
tachées une fois pour les conj- 
muniquer à quelque ami discret 
qui ne les aura pas .rendues.... 
Par madame la Princesse il faut 
entendre sans doute Claire-Clé- 
mence de Maillé dont les aven- 
tures j les malheurs ^ les imprU' 
dences auraient en effet bien 



AVANT-PROPOS. 



13 



mérité un historien particu - 
lier^.... » 

Que ce regret de M. Paulin- 
iParis serve d'excuse à notre té- 
mérité comme à notre insuffi- 
sance. 

Charles Asseujseau. 

1. Édit., p. 315. 




I 




LA 

PRINCESSE DE CONDÉ 

(CIAIRE-CLÉMENCE DE MAILLÉ-BRÉzÉ) 

FEMME DU GRAND CONDÉ. 

laire-Clémence de Mail- 
lé-Brézé fut à l'âge de 
treize ans mariée à 
Louis de Bourbon, duc d'En- 
ghien, le futur héros de Rpcroi 
et de Lens: et dès avant le ma- 
riage, et encore après, le jeune 
duc protesta par acte en forme 
qu'il cédoit à la violence et qu'il 




16 LA PRINCESSE 

subissoit le pouvoir de Paulorité 
paternelle. Henri H, prince de 
Condé, qui exigeoit ce mariage, 
suivoit ses instincts de courtisan 
ambitieux et avide, en recher- 
chant Palliance du cardinal de 
Richelieu, dont Mlle de Brëzé 
étoit la nièce par sa mère, Nicole 
du Plessis. Mlle de Montpensier, 
qui croyoit avoir plus de raison 
que personne de s'indigner de 
cette recherche, dit en propres 
termes que M. le Prince se mit 
aux pieds de Son Éminence pour 
lui demander à la fois Mlle de 
Brézé pour le duc d'Enghien, et 
M. de Brézé son frère pour Mlle de 
Bourbon, et qu'il n'échappa à 



DE CONDÉ. 17 

la honte d'une double mésallian- 
ce que par la clémence du cardi- 
nal, qui lui répondit w qu'il vou- 
loit bien donner des demoiselles 
à des princes, mais non des prin- 
cesses à des gentilshommes*. » 

Lenet, le serviteur assidu de la 
maison de Condé, et en ce temps- 
là le confident du duc d'Enghien, 
nous a conservé tout le détail de 
sa résistance. Il raconte qu'un 
jour à la chasse le jeune duc lui 
confia qu'il étoit résolu à s'en- 

1. Tallemant des Réaux qui rapporte le 
même fait à peu près dans les mêmes termes, 
ajoute qu'il fut reproché publiquement au 
prince de Condé par l'avocat de Mme d'Ai- 
guillon, contre laquelle il eut procès au su- 
jet de la succession du cardinal. 



18 LA PRINCESSE 

fuir et à se jeter dansDôle pour se 
soustraire à la persécution de son 
père; mais le vieux courtisan, 
instruit par le sort du comte de 
Soissons de ce qu'il en coûtoit de 
traiter légèrement les nièces de 
Richelieu, ne tint compte ni des 
répugnances de son fils, ni de ses 
protestations. 

Mlle de Brézé entroit donc 
dans la famille de Condé par la 
voie détestable de l'autorité et de 
la politique. Son époux l'avoit en 
aversion; sa belle -mère, Char- 
lotte-Marguerite de Montmoren- 
cy, la méprisoit; Mme de Lon- 
gueville, sa belle-sœur, ne l'esti- 
moit pas; Mlle de Montpensier 



DE CONDÉ. 19 

déclare qiHelle lui faisait pitié ^ et 
c'étoit le mot le plus doux qu'elle 
put trouver pour uùe personne 
qui eontrarioit si fort ses vues. 
Enfin M. le Prince, son beau- 
père, a la protégeoit sans l'ai- 
mer . » 

Personnellement, la jeune du- 
chesse méritoit-elle cette aversion 
et ces mépri§? Mademoiselle nous 
dit à la vérité qu'elle étoit gau- 
che, et que « du côté de la 
beauté et de l'esprit elle n'avoit 
rien qui la mît au-dessus du com- 
mun. » Mais Mme de Motteville, 
moins passionnée et plus désin- 
téressée dans* ses jugements, lui 
reconnoît quelques avantages. 



20 LA PRINCESSE 

a Elle n'étoît pas laide, dit-elle; 
elle avoit les yeux beaux, le teint 
beau et la taille jolie.... Elle par- 
loit spirituellement, quand il lui 

plaisoitde parler » Lenet, dont 

nous n'avons voulu donner le 
témoignage qu'en second à cause 
de son attachement à la famille, 
qui pou voit le rendre suspect, 
déclare qu'elle étoit « brune et 
belle, et autant agréable qu'il y 
en eust à la cour*. » Mme de 



1. Outre le portrait- émail de Petitot, delà 
collection du Louvre, gravé par Ceroni pour 
l'ouvrage de BlaisDt, déjà cité, on a plusieurs 
portraits gravés de la princesse de Coudé. Le 
cabinet des estampes, rue de Richelieu, en 
possède huit d'auteurs différents : !<> par 
.Moncornet^ la figure tournée à droite; 2° par 



DE GONDÉ. 21 

Motteville ajoute que si Mme de 
Condé n'eut pas toujours le ta- 
lent de plaire au bal et dans les 
conversations, la fidélité qu'elle 
garda à son mari dans l'adversité, 
et le zèle qu'elle montra pour ses 
intérêts et pour ceux de son fils 
pendant la campagne de Guyenne, 
auroient dû compenser le malheur 



Hollanderf à gauche (dur); 3* par Daret, à 
droite, 1653 ; 4° le même, retourné ; 5° par 
Moncornet, à gauche, encadré, fond de pay- 
sage 1663 (35 ans); 6° le même; 7° par 
Boutais; 8° par de Jode, traits allongés, as- 
pect jeune ; 9° par Humùelot, encadré, fond 
de jardin, portrait jeune, un peu différent 
des autres : le menton est fort, Toeil est intel- 
ligent. Ce joli portrait a été gravé après le 
siège d'Orbitel le, où fut tué le frère de C. de 
Maillé, en 1646. 



22 LA. PRINCESSE 

de Ji avoir pu mériter ^ par de plus 
émiiientes vertus, une réputation 
plus éclatante et mieux établie. 

Il faut en quelque sorte ici de- 
viner sous les façons de parler 
du temps quelles étoient ces ver- 
tus éminentes qui ont manqué à 
la princesse de Condé pour mé- 
riter l'estime de son mari; ou se 
demander si la fidélité éprouvée, 
le courage, le dévouement n'é- 
toient point alors des vertus émi- 
nentes. Us l'étoient sans doute, 
et il est probable que ce que 
Mme de Motteville entend par ces 
mots, c'est plutôt l'éminence des 
qualités propres aux femmes, e 
qui en ce temps-là, plus que ja 



) 



DE CONDÉ. 23 

mais^ emporloient un genre d'il- 
lustration qui ressembloit vrai- 
ment à de la gloire : l'éclat de la 
beauté, de l'esprit, des grâces, 
de l'intrépidité, le charme, en un 
mot, que possédèrent à un si 
haut degré une Mme de Longue- 
ville, une Mme de Chevreuse, 
une Marie de Hautefort, une 
Mlle du Vigean. 

Quoi qu'il en soit du mérite 
personnel de Mme la princesse 
de Condé, le peu qu'elle en avoit 
justifieroit-il le malheur de sa 
destinée? Non : quelque beauté, 
de l'esprit, de la vertu, du cou- 
rage; un esprit timide peut-être, 
une vertu sans éclat, un courage 




24 LA PBIN'CESSE 

même médiocre, prompt à se dé- 
concerter, et qui avoit besoin 
pour se développer de la pres- 
sion des événements et du dan- 
ger; ce n'étoit pas là sans doute 
de quoi appeler les furies impla- 
cables. 

A considérer cette vie vraiment 
déplorable, et du commencement 
à la fin affligée de tous les genres 
de douleurs et d'humiliations, on 
devine l'ascendant d'une fatalité 
invincible, le guîgnon, la conju- 
ration funeste des événements et 
du sort. I^e malheur de Claire de 
Brézé commence dès ses premières 
années. Lorsqu'elle épousa le duc 
d'Enghien, à l'âge que l'on sait. 



DE CONDÉ. 25 

il y avoit déjà six ans qu'elle avoit 
perdu sa mère, morte en 1635. 
Que devint son enfance, livrée à 
la négligence d'un' père fantasque 
et libertin, gouverné dès avant 
son veuvage par une maîtresse, 
femme d'un de ses laquais- qu'il 
fit tuer à la chasse afin d'être plus 
libre^; d'un père à qui, ditTalle- 
mant, — qui le prouve, — l'a- 
mour fit faire d'étranges choses, 
et qui, lors du mariage de sa fille, 
disoit négligemment, comme s'il 
se fût agi d'une autre : Ils vont 
faire cette petite fille princesse * ? 

1. On consultera avec profit sur le maré- 
chal de Brézé (Urbain de Maillé, marquis de 
B., né en 1597, m. 1650), outre les Hlsio- 

2 




26 LA PRINCESSE 

Le premier souvenir que les 
Mémoires aient conservé d'elle 

nettes de Tallemant, t. II et tables de Tédit. 
de M. P. Paris, un article de M. Huillard- 
Bréholles dans la Bévue contemporaine du 
31 août 1863. Cet article, composé d'après 
une correspondance inédile, est écrit sur un 
ton d'apologie qui balance les dénigrements 
de des Réaux. Toutefois l'auteur de l'article, 
s*il est parvenu à réhabiliter le maréchal 
cpmme homme de guerre et comme diplo- 
mate, n*a pu nous montrer eu lui un père 
bien vigilant, ni bien tendre. Il se contente 
de nous dire que le marquis, qu^ depuis la 
mort de sa femme avait remis Mlle de 
Brézé aux mains de Mme Bouthillier, fem- 
me du surintendant, c Ce qui était, remar- 
que-t-il^ la placer sous la tutelle directe dç 
Richelieu, 9 ne resta pas cependant après 
cette séparation c indifférent au sort de sa 
fille, ni à ses progrès. » Selon M. H. Bré- 
holles, le cardinal se serait chargé de pour- 
voir à réducation de sa nièce, comme à son 
établissement. Malgré un si illustre patronage, 



DE CONDÉ. 27 

semble à lui seul tout un présage 
de son amère destinée. Dans un. 

il ne parait pas que Téducation de Mlle de 
Brézé ait été bien suivie, c On ne lui avait, 
dit Mademoiselle, montré ni à lire ni à écrire, 
et il fallut après son mariage la mettre au 
couvent pour qu'elle Tapprît. » Nous avons 
eu sous les yeux une lettre d'elle, datée du 
9 janvier 16(i2, c'est-à-dire deux ans après 
qu'elle fut mariée : elle avait donc çnviron 
quatorze ans. C'est une lettre d'enfant de huit 
ans pour l'orthographe comme pour le style, 
écrite en gros caractères inégaux et mal for- 
més, en moyenne bâtarde^ comme dirait un 
maître d'écriture. Nous ne pouvons manquer 
de rapporter ici cette pièce rare, en en don- 
nant la reproduction fidèle : 

e: A monsieur monsieur le Maréchal de 
Breszé de madame la duchesse d'Anguyen. 

a Monsieur 

c Je este priée de vous supplier de vouloir 
a bien avoir la honte de pardonner a un 



i 



28 LA PRINCESSE 

bal d'enÊints, donné par Mon- 
sieur au Luxembourç;, on ima- 
gina comme divertissement d'ap- 
porter des cages pleines d'oi- 
seaux, auxquels on donnoit la 

c nomme le Brun dit St-Andre qnî estoit de 
c Tostre compagnie de gardas hon de che- 
« vaux légers quy sen est venu sans congé 
c celui quy men a priée Cbt un Père augustin 
c qu>' rit comme un saiut et priera bien dieu 
a pour TOUS mon bon papa ce tous en suplie 
c de luy vouloir bien remettre sa Fanlte pour 
« lamour de moy ce vous en conjure et de 
c me faire Thonneur de me croire pour tonte 
c ma vie 

c Monsieur 
c Totre très bumble et très obéissante fille 
c ce 9me de janvier 1642 

C. DB Maille 

c Monsieur mon beau père arrive samedi 
c a Paris mon bon se porte bien dieu mersy 



DE CONDÉ. 29 

Volée dans la salle. Un de ces 
oiseaux; effarouché, s'alla glisser 
dans la fraise tuyautée et gou- 
dronnée de Mlle de Brézé qui, 
surprise et effrayée, « se mit à 
crier et pleurer avec tant de vé- 
hémence, qu'elle fît redoubler le 
rire que cet accident imprévu 
avoit causé dans toute l'assem- 
blée. » Hélas ! pauvre enfant ! déjà 
pleurante et raillée! Cette ironie 
insultant à son effroi et à son 



« bien de limpassiance de savoir de vos nou- 
« velles » Le maréchal de Brézé était .alors en 
Aragon occupé à faciliter par une diversion 
la conquête du Roussillon. — M. le comte 
de Béhague possédait une autre lettre de la 
princesse de Condé. Nous ne l'avons pas vue, 
et nous n'avons pu en retrouver la tracé. 




30 LA PRINCESSE 

m 

chagrin , elle devoil l'entendre 
loiile sa vie. 

Ix» jour de ses noces fut mar- 
qué par un autre accident, ridi- 
cule aussi, mais qui sans doute 
eut frappé de terreur l'âme d'une 
Romaine. Mlle de Brézë étoît 
petite, et, pour lui donner quel- 
que avantage, on l'avoit chaussée 
de souliers si hauts, « qu'elle pou- 
voit à peine marcher. » En dan- 
sant une courante, elle glissa sur 
ses talons trop élevés, et... tom- 
ba. Mademoiselle, qui rapporte 
le second accident et aussi le 
premier, n'ajoute pas un mot de 
condoléance ; et certes elle n'avoit 
j)as diï être des moins empressées 



DE CONDE . 3i 

à rire et de la frayeur de l'enfant 
et de la maladresse de la dan- 
seuse \ 

Mais voici des fatalités plus 
graves. 

A la gaucherie de la provin- 
ciale timide et de la fille élevée 
sans mère s'ajoutent les trahisons 
du sort^ la conspiration des évé- 
nements et des passions contraires. 
Claire-^Clémence ne tomba pas 
qu'une fois ce jour-là. Des ob- 
stacles inconnus, mvstérieux, in- 
visibles, auxquels son innocence 

1. Il n*y eut point de considération qni 
empêchât de rire toute la compagnie, sans en 
excepter M. le duc d'Enghien. [Mémoires de 
Mademoiselle y ehap. ii.) 



« 



32 LA PRINCESSE 

se heurta, lui firent faire une 
chute plus profonde et plus dou- 
loureuse au-dessous du ridicule 
et du mépris. 

En 1 641 , date de ce mariage 
funeste, le duc d'Enghien, à peine 
âgé de vingt ans, n'avoit encore 
servi que comme volontaire sous 
les ordres du maréchal de La 
Meilleraye , au siège d'Arras; 
mais dès cette première campa- 
gne il avoit déjà montré par son 
activité, par son zèlq, par sa té- 
mérité, l'impatience de l'obscurité 
et l'amour de la gloire dont il de- 
voit s'emparer, si jeune encore, 
à deux ans de là. 

Mademoiselle , plus croyable 




DE CONOE. 33 

quand elle parle de Condé que 
quand elle parle de la princesse sa 
femme, nous apprend ce qu'avoit 
été avant ce début la jeunesse du 
duc d'Enghien, dans quelle dé- 
pendance le tenoit son père, et 
quelle vie appliquée et sans dis- 
traction il lui faisoit mener auprès 
de lui et dans les académies, après 
qu'il eut terminé ses études au 
collège des Jésuites de Bourges. 

a II l'avoit tenu, dii-elle, tou- 
jours à Dijon, sans lui rien donner 
et sans lui permettre aucune li- 
berté : ce jeune prince s' ennuyait 
de ne pas se faire connoitre ; et 
il a bien paru depuis qu'il avoit 
dès ce temps-là des qualités pour 




34 LA PRINCESSE 

le pouvoir faire avantageuse- 
ment. » Ce premier siège et ces 
premiers combats l'avoient éman- 
cipé. Il s'en revint à 'Chantilly, 
affranchi par le péril et par le 
commandement qu'il avoit exer- 
cé (car, dit Lenet, les volontaires 
s'étoient montrés glorieux, de 
mettre à leur tète un homme de 
cette élévation), ayant déjà mordu 
à ces fruits généreux dont il étoit 
affamé, et baptisé sur le champ 
de bataille par le sang du baron 
de La Fer té-Saint-Nectaire, blessé 
à côté de lui. M. Cousinaraconté, 
en quelques pages enchantées de 
ce beau livre, la Jeunesse de 
Mme de Longaeifille^ quels étoient 



D£ CONDE. 35 

en ce temps-là les plaisirs de cette 
noble famille,, la beauté des jar- 
dins de Chantilly, de Liancourt 
et de Ruel, les divertissements 
mêlés de haute galanterie et de 
badinage poétique, auxquels pre- 
noient part Mlle de Bourbon et 
ses jeunes amies^, le duc d'Enghien 
et ses compagnons d'armes, et 
Voiture, et Sarrazin, les beaux 

• 

esprits de la maison. Phase de 
délices, enivrements passagers où, 
d'un côté, l'héroïsme relevoit la 
frivolité, et où, de l'autre, les 
traditions sévères de l'hôtel de 
Rambouillet sauvegardoient la 
foiblesse et la grâce. On les voit 
passer, ces jeunes vaillants et ces 




36 LA PRINCESSE 

charmantes, sur ces terrasses et 
dans ces parterres merveilleux 
illustrés par Perelle et chantés par 
Sarrazin. Et à les voir ainsi mar- 
cher deux à deux, ou converser 
ensemble, ou rêver à l'écart, on 
croiroit réalisée la fiction déli- 
cieuse d'un d'Urfé, d'un Tasse ou 
d'un Watteau. Tout leur conseil- 
loit Tamour : le lieu, la solitude, 
l'âge et leur noblesse même qui, 
en les faisant tous dignes, parce 
qu'ils éloient tous égaux, ôtoit 
jusqu'à l'appréhension d'une er- 
reur, jusqu'au scrupule d'une 
décadence. Les nacelles qu'ils 
détachoient des rives de la pièce 
d'eaulesmenôient à V lied Amour; 




DE CONDÉ. 37 

les bois et les élaiigs,la foret pro- 
fonde et les eaux dormantes évo- 
quoient mille souvenirs mytholo- 
giques, et les vers charmants que 
rimoient facilement pour eux les 
plus gracieux maîtres de la poésie 
galante, ne leur parloient que de 
Diane, d'Astrée et d'Alcine. Ne 
cherchons plus à recomposer les 
paysages magnifiques de la vallée 
du Lignon, tii la forêt des Ar- 
dennes, ni le palais d'Armidet 
Si jamais le bonheur, paré de 
toutes les grâces, de tous les 
prestiges de la jeunesse : beauté, 
splendeur du rang, luxe de la 
vie, vaillance, héroïsme; si ja- 
mais la poésie du bonheur et de 

3 




38 LA PRINCESSE 

l'amour existèrent quelque part, 
ce fut dans ces lieux si beaux, 
peuplés d'èlres si choisis, si géné- 
reux, si également comblés de 
dons si rares. 

On sait de quel roman délicat 
Condé fut en ce temps-là le héros 
à Chantilly et quelle en fut l'hé- 
roïne. Mlle du Vigean, une La 
Vallière sans foiblesse, qui porta 
au couvent des Carmélites le 
deuil de son unique et chaste 
amour, fut.au dire de Mme de 
Motteville la seule que Condé ait 
véritablement aimée. 11 n'est resté 
aucun portrait d'elle*; et avant 

1. M. Cousin cite ce passage des Mémoires- 



DE GOINDE. 31) 

les généreuses recherches du bio- 
graphe de Mme de Longueville, 
à qui la passion du savoir a fait 
poursuivre dans les archives du . 
couvent et dans les manuscrits 
du temps les moindres traces de 
sa vie^ on ignoroit jusqu'à ce doux 
prénom de Marthe « qui, dit- il, 
répond si bien à son caractère et 
à sa destinée. » A quoi bon de- 
mander si elle étoit belle? Quel- 



Anccdotes de Segrais, d'après lequel il lui pa- 
roit qu'il ne seroit pas impossible de retrouver 
un portrait de Mlle du Yigean : c Mademoi- 
selle m'a fait voir à Saint-Fargeau, dans son 
cabinet, un tableau où elle est représentée en 
Grâce, entre Mlle du Yigean et Mme de 
Montbazon. » {La Jeunesse de Mme de Lon"- 
gueville, App, du chap. u.) 




40 * LA PRINCESSE 

qiies vers de Voiture, où elle est 
comparée à l'aurore, à une fleur 
s'épanouissant, à l'innocence qui 
ignore son pouvoir et ses charmes, 
et une décraration non suspecte 
de Mademoiselle, peu disposée à 
exagérer les mérites de celles 
qu'aimoit Condé, nous appren- 
nent qu'elle étoit d'une beauté 
peu ordinaire. Sans le savoir, 
nous l'aurions bien cru. Le peu 
de bruit qui s'est fait autour de 
sa vie, marque d'un respect rare 
en ce temps-là, sa discrétion, sa 
fierté, la dignité de sa retraite, 
tout annonce une âme sérieuse 
et forte, digne d'être la compagne 
d'un héros, ^ confidente, et 




DE CONDÉ. 41 

peut-être même sa conseillère. 
Peut-être, dans ses entrevues d'a- 
dieu si déchirantes, où Condé 
prêt à rejoindre l'armée pleuroit 
et s'attendrissoit, nous dit-on, 
jusqu'à s'évanouir ; peut-être 
Mlle du Vigean pleuroit-elle moins 
que lui, quoique non moins afïlir- 
gée.EUel'encourageoitsansdoute; 
et par sa fermeté, par la gravité 
de sa douleur,- elle lui inspiroit 
une confiance plus mâle et des 
sentiments plus dignes de sa 
gloire. 

tf A la rigueur, dit M. Cousin, 
le duc d'Enghien pouvoit fort 
bien imaginer qu41 ne lui seroit 
pas impossible d'obtenir de son 



42 LA PRINCESSE 

père et du roi, c'est-à-dire du 
cardinal de Richelieu, leur con- 
sentement à un mariage, dispro- 
portionné sans doute, mais qui 
n'a voit rien de dégradant. Mlle du 
Vigean étoit fort riche, et sa fa- 
mille étoiten grand crédit. Riche- . 
lieu la favorisoit, et il ne lui eût 
pas trop déplu de voir un prince 
du sang redescendre un peu de 
son rang. Le mariage qui fut im- 
posé à Coudé quelque temps après, 
n'étoit pas beaucoup plus relevé 
que celui-là. » Mais étoit-ce bien 
là qu'alloient ses pensées, et n'est- 
ce pas forcer un peu les choses 
que de sortir ici dé la sphère 
éthérée du roman, de l'amour 



DE CONDÉ. 43 

désintéressé et sans autre but 
que lui-même? Du moins Lenet, 
sans se tromper sur là violence et 
sur la sincérité de la passion du 
duc d'Englîien pour Mlle du Vi- 
gean, nous le fait voir dans le 
même temps préoccupé de pen- * 
sées, de projets tout différents. 
Il nous le montre, fidèle en cela 
au génie de sa maison, songeant 
à une alliance illustre et plus con- 
forme à sa destinée. Mlle de Mont- 
pensier, plus jeune que lui de 
quelques années, n'étoit pas ma- 
riée, et aucun parti convenable 
ne se présenloit pour elle. Le 
jeune duc, raisonnant en grand 
seigneur et en prince du sîmg, 



44 LA PRINCESSE 

pouvoit se promettre de grands 
avantages d'une union qui faisoit 
rentrer le nom et les biens des 
Mpntpensier dans la maison de 
Bourbon. Le cardinal et le roi, à 
qui tant d'avantages réunis dans 
une seule famille pouvoient don- 
ner omtbrage, étoient vieux et 
maladifs. Aussi fut-ce la première 
objection qu'il opposa aux vues 
du prince son père, qu'il « ne 
pouvoit consentir à aucune al- 
liance tant qu'une princesse de 
sa maison, belle, jeune, spiri- 
tuelle et comblée de biens, seroit 
à marier*. » Ainsiilalloil,de l'in- 

1. Lenet, 




DE CONDÉ. 45 

térêt de son amour à Fintérêt de 

• 

sa grandeur, hésitant entre son 
affection et son orgueil; mais 
voyant, quelque parti qu'il prit, 
pour se consoler de ce qu'il aban- 
donnoit, soit la satisfaction de 
son cœur, soit l'accomplissement 
de son ambition. 

C'est alors qu'elle arrive, la 
pauvre provinciale, gauche, on l'a 
dit, timide, peu habituée à la cour 
et au monde, sans mère qui la 
conseille, sans un père pour la 
gouverner ; médiocre d'esprit, 
ordinaire en beauté, ayant juste 
assez de l'un et de l'autre ce qu'il 
en falloit pour se faire écraser par 
la comparaison. Elle butte tout 



:. j. K 




46 . LA PRINCESSE 

d'abord contre les deux plus ter- 
ribles écueils que pût rencontrer 
son inexpérience : elle blesse le 
coeur de son mari dans ses deux 
passions les plus vives, son amour 
et son ambition. Tout tourne 
contre elle, sa jeunesse, son inno- 
cence et jusqu'à la toute-puissance 
de son oncle, qui ajoute au dés- 
espoir du jeune prince la honte 
d'épouser la nièce d'un favori. 

On sait déjà quelle fut la résis- 
tance de Condé : en se soumettant, 
il conservoit encore l'espoir de 
s'affranchir, et pendant deux ans 
il eut la fermeté de ne rien entre- 
prendre qui put contrarier le pro- 
jet qu'il avoit de rompre son 




,. . _^,*^«*/^ . 



^< 



DE CONDÉ. 47 

mariage. Le cardinal n'ignoroit 
, |)as de quelle façon sa nièce ëtoit 
traitée. Il ressenloit vivement ces 
méuris et ces outrages, et ne pré- 
voyoit que trop bien de quel 
affront suprême ils seroient suivis 
dès qu'il ne seroit plus là pour 
protéger sa famille. 

Aussi, dans cette dernière an- 
née de sa vie, lorsque Condé se 
résolut à rentrer en faveur auprès 
de lui et à réparer l'offense qu'il 
avoit faite à son frère, Farclie- 
vêque de Lyon, en refusant de 
lui rendre visite, la première con- 
dition que le cardinal mit à ses 
bonnes grâces fut que le duc vi- 
vroit désormais en bon mari avec 




48 LA PRINCESSE 

sa femme et même, comme dit 
Lenet qui souligne le mot, qu'il 
couçheroit avec elle de bonne fojr. 

Le duc, cette fois, s'exécuta^ et 
s'exécuta même si bien, que, peu 
de jours après ce retour, la du- 
chesse fut trouvée enceinte du 
^ ducdeBourbon.il est vrai, comme 
l'ajoute encore le fidèle narrateur, 
qu'en rentrant à Paris, M. le duc 
trouva Mme la duchesse fort 
grandie et embellie. 

La voilà donc mère; et il sem- 
ble qu'après cet événement déci- 
sif le duc dut renoncer à tout pro- 
jet de séparation, et avoir dès lors 
pour sa femme le respect et les 
;ménagements que méritoit au 




.. .*--w-: 



DE CONDÉ. 49 

moins celle qui venoit de don- 
ner un héritier à sa maison. Il 
n'en fut rien; et ce dernier af- 
front prévu par son oncle, la 
nièce de Richelieu devait le su- 
bir, sinon de fait, du moins d'in- 
tention : mais l'outrage en étoit-il 
moins dur? C'est alors que tout 
conspire contre elle ! Lé cardinal 
étoit mort, et Condé, déjà illus- 
tre par les victoires de Rocroi et 
de Thionville, trouvoit au minis- 
tère, au lieu d'un adversaire et 
d'un maître tout-puissant, un al- 
lié déjà obligera lui par la gloire 
qu'il jetoit sur son pouvoir nou- 
veau. Mme la Princesse qui n'a- 
voit jamais pris son parti sur la 



50 LA PRINCESSE 

mésalliance, encourageoit son fils. 
Mademoiselle prétend savoir que 
la rupture eût été autorisée si l'on 
avoit été assuré que Condé n'y 
avoit -pas d'autre intérêt que d'é- 
pouser Mlle du Vigean. 

Heureusement le Prince de 
Condé vivoit encore, et quoi 
qu'on ait dit de sa cupidité qui 
lui fit ejivisager surtout la perle 
de l'héritage du cardinal, il est 
certain qu'il prit le parti de l'hon- 
neur en s'opposant à la répudia- 
tion, d'une épouse irréprochable, 
et doublement légitimée par la 
maternité. La reine partagea ce 
sentiment, et. on ne piit jamais 
l^'^mener à consentir au déshon- 






DE CONOÉ. 51 

neiir immérité d'une vertueuse 
femme, déjà si malheureuse et, 
jusque dans son triomphe^ si liu- 
miliée. 

Elle devoit avoir son jour pour- 
tant j et ce jour, amené par tant 
de désastres et par la captivité de 
son mari, approchoit. Lors de 
l'arrestation des princes, tandis 
que la princesse douairière de 
Condé conféroit à Chantilly sur 
les meilleures mesures à prendre 
pour la délivrance des prisonniers 
et pour le salut de son petit-fils, 
la jeune princesse, dominant sa 
timidité, interrompit Lenet qui 
exposoit un plan de fuite et un 
plan de campagne, et après les 



I 



52 LA PRINCESSE 



plus humbles témoignages de res- 
pect et de déférence pour sa belle- 
mère, la supplia de ne point la sé- 
parer de son fils^ protestant qu^ elle 
le suwroit partout as^ec joie^ quel 
que fût le Ranger ^ et quelle s'ex^ 
poseroit à tout pour le serçice du 



o rince son mari^, 



A partir de ce moment, nous 
avons, pour ainsi dire jour par 
jour dans les Mémoires de Le* 
net, les preuves du zèle et de la 
constance de la princesse de 
Condé. Elle s'échappe à pied de 
Chantilly avec son fils et une pe- 
tite troupe de fidèles, et traverse 

1 , Lenet. * 



rj. ■iw..ifc- 



DE CONDE. 53 

Paris; d'où elle se rend en trois 
jours et par des chemins détour- 
nés à Montrojid, lieu marqué 
par Lenet comme le plus sûr pour 
une retraite et le plus avantageux 
en cas de défense. Ses lettres à 
la reine et aux ministres, aux ma- 
gistrats, à ses parents, sont plei- 
nes de noblesse et de fermeté. 
Menacée dans Montrond par La 
Meilleraye qui s'avançoit avec 
ses troupes, elle s'échappe encore 
à la faveur d'une partie de chasse, 
après avoir pourvu à la sûreté de 
la place et des places qui en dé- 
pendoient, et s'en va rejoindre à 
travers mille difficultés, tantôt 
à cheval et tantôt en litière ou en 



54 LA PRINCESSE 



D 



baleau, les ducs de Bouillon et de 
La Rochefoucauld, qui la condui- 
sent à Bordeaux. Il faut lire dans 
Lenet tout le détail de ce péni- 
ble voyage et de celte pénible in- 
surrection de Bordeaux, qu'il a 
racontée avec la minutie et avec 
l'animation d'un témoin et d'un 
acteur qui a. été plus d'une fois 
au premier rang. Plus de timi- 
dité, plus de gaucherie; en pré- 
sence du danger, la fille du ma- 
réchal de Brézé s'est réveillée 

amazone et presque héroïne. Elle 
passe des revues, tient conseil, 
négocie, donne des ordres. A 
peine arrivée à Bordeaux, où 
son entrée fut un triomphe, elle 



DE CONDE. 55 

% 

assiège la chambre du Parlement 
pour faire enregistrer ses requêtes 
et ses protestations contre l'in- 
juste détention de son mari. 
« Elle sollici toit les juges à me- 
sure qu'ils sortoient dans la 
grand'chambre , et fondoit en 
* larmes en leur représentant le 
malheureux état de toute sa mai- 
son opprimée.... Le jeune duc, 
qu'un gentilhomme (Vialas) por- 
toit sur ses bras, se jetoit au cou 
des conseillers quand ils pas- 
soient, et les embrassant, leur 
demandoit les .larmes aux yeux 
la liberté de monsieur son père, 
d'une manière si tendre, que ces 
messieurs pleuroient aussi amère- 



36 LA PklHCESSE 

ment que lui et que madame sa 
mère^ et lui donnoient tous honoe 
espérance.... » Elle harangue les 
magistrats^ les supplie^ les presse; 
elle les protège méme^ le jour où 
le peuple de Bordeaux^ les trou- 
vant trop timides à son gré^ leur 
voulut faire rapporter par force 
un arrêt contraire aux vues du 
parti des princes. Elle se rend au 
palais^ et du ha^t des marches 
elle conjure celle foule furieuse 
et lui fait mettre bas les armes. 
c( Et il faut advoûer^ dit Lenet^ 
qu'elle avoit un talent particulier 
pour parler en public... et que 
rien ne pouvoil être mieux^ plus 
à propos, et plus conforme à sa 




DE GONDÉ.^ 57 

qualité que ,ce qu'elle disoit. » Ce 
jour-là, la princesse de Condé 
sur le perron dePhôtel de ville de 
Bordeaux, ne paroît plus si in- 
digne de Mme de Longueville à 
l'hôtel de ville de Paris, ni de 
Mlle d'Orléans à la porte Saint- 
Antoine. Brienne ajoute qu'elle 
travailla de ses mains, avec les 
dames de la ville, aux fortifica- 
tions, et qu'elle voulut broder 
elle-même, sur les drapeaux de 
son armée, l'emblème et la de- 
vise delà rébellion : une grenade 
éclatant avec ce mot : coacla^! 



1. On peut consulter encore sur la con- 
duite de ia princesse de Condé pendant la dé- 



d8 la PRINCESSE 

On sait quel fut le résultat de 
ces trois mois de résistance : la 
paix, conclue à Bourges, l'amnistie 
îBiccordée à tous ceux qui a voient 



feuse de Bordeaux, sur sa bravoure et sa 
charité, l'excellent ouvrage de M. Alphouse 
Feillet, La misère au temps deja Fronde^ 1862. 
Il la montre (p. 269) travaillant de ses mains 
avec les dames bordelaises, comme autrefois 
les héroïnes Siennoises, aux fortifications de 
la ville, c La princesse et les dames allaient 
en personne, chacune avec un petit panier, 
porter de la terre afin d'encourager les" tra- 
vailleurs. Le duc d'Ënghien monté sur un pe- 
tit chçval se montrait à tous les ateliers de 
terrassement, tantôt pliant sous le faix (Tune 
hotte chargée de tcrre^ tantôt blessant ses ten- 
dres mains à porter des pierres que sa mère 
rangeait avec du ciment trempé de ses larmes, 
dit une lettre de» Dames du parlement de 
Bordeaux aux Dames du parlement de Pa* 
ris. » 




DE CONDÉ. 59 

pris les armes en Guyenne, en un- 
mot, toutes les conditions pro- 
posées parla princesse et les ducs 
concédées, hormis une seule, la 
principale, celle qui avoit été la 
première cause de tout ce soulève- 
ment, la délivrance du prince de 
Condé que Mazarin persistoit à 
retenir prisonnier, tout en pro- 
mettant de tout faire pour abré- 
ger sa captivité. 

Là princesse fut renvoyée à 
Montrond avec son fils, dépité 
sans doute de n'avoir pas vaincu, 
mais fière d'avoir tant osé et sa- 
tisfaite d'avoir cette, fois mérité 
sa prison. Il arriva pourtant ce 
jour, le jour de la reconnois- 



60 LA PRINCESSE 



sance et de la justice. Une fois 
déjà, étant encore à Vincennes, 
le prince en arrosant les tulipes 
chantées par Mlle de Scudéry, 
avoit dit à quelqu'un : Qui au- 
roit jamais cru que j arroserais des 
fleurs pendant que Madame la 
Princesse feroil la guerre! Mais 
plus tard, la campagne de Bor- 
deaux terminée, le prince encore 
prisonnier au Havre, envoyant 
une correspondance chiffrée à 
Lenet, y joignit un billet pour la 
princesse, et les termes en étoient 
si tendres -que Lenet craignant 
que dans l'explosion de sa joie la 
princesse ne trahît le secret de cette 
correspondance, hésita quelques 



DE GONDÉ^ 61 

instants à lui en faire part. Ce 
billet, première et seule récom- 
pense du dévouement, du cou- 
rage et de la constance, il faut le 
transcrire ici en gros caractères, 
comme la compensation tardive 
et avare d'une si longue mécon- 
noissance, d'un si long mépris, 
de tant d'outrages cruels et im- 
mérités. 

* 

Il ME TARDE, MADAME, QUE JE 
sois EN ÉTAT DE VOUS EMBRASSER 
MIL FOIS POUR TOUTE l'aMITIB QUE 

vous m'avez Témoigné, qui m'est 
d'autant PLUS sensible que ma con- 
duite envers vous l'avoit peu mé- 
ritée; mais JE sgauraysibien vivre 

AVEC vous A l'aDVENIR, QUE VOUS 

4 



ij'2 LA PRINCESSE 

JNE VOUS REPENTIRÉS PAS DE TOLT 
CE QUE VOUS AVÉS FAICT POUR MOY, 
QUI FERA QUE JE SERAY TOUTE MA 
VIE TOUT A VOUS ET DE TOUT MON 
CCEUR. 

Pauvre Clémence de Maillé! 
comme à ce premier témoignage 
d'ime affection qu'elle a voit dés- 
espéré de gagner, son cœur si 
longtemps comprimé se desserre 
et s'épanouit ! et combien Lenet, 
en voyant cette folle expansion 
d'une joie si généreuse, dut se.fé- 
1 ici ter de n'avoir pas persévéré 
dans sa prudence de diplomate ! 
Elle prend la lettre, elle pleure, 
elle la baise; elle la relit, elle veut 
la savoir par cœur (car qlle peut 



DS CONDÉ. 63 

la perdre!); puis elle choisit sur 
sa" toilette son plus beau ruban 
(un beau ruban couleur de feu /), 
et y coud cette précieuse lettre, 
pour la pouvoir toujours porter 
sur elle, sous son vêtement, — 
sur sa chemise, — dit crûment 
Lenet, qui ajoute que ce délire 
de joie dura jusqu'au lendemain. 
Hélas! ce rayon fut le seul que 
Condé dans sa gloire laissa tom- 
ber sur elle, et il fut rapide. Le 
danger passé, la prison ouverte, 
Condé rétabli dans ses honneurs 
et dans son pouvoir, elle rede- 
vient l'épouse dédaignée, éloi 
gnée, humiliée. Mademoiselle, 
en la revoyant, demande s'il est 



.r- A\ r»L iiarî à ce qui 

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D£ CONDE. 6Ô 

que Mademoiselle remarque dans 
cette action, c'est que la prin- 
cesse avoit mauvaise grâce, et 
que récharpe qui soutenoit son 
bras saigné de la veille étoit 
mise si ridiculement^ aussi bien 
que le reste de son ajustement, 
que la reine et elle-même. Made- 
moiselle, « eurent grand'peine à 
s'empêcher de rire. » 

Puis viennent des humiliations 
plus cuisantes et plus profondes 
en douleur. Deux, fois la maladie 
la prend, et l'on prétend qu'elle 
va l'emporter. Et chaque fois cette 
nouvelle est accueillie à la cour 
comme l'annonce joyeuse d*un 
mariage ou d'une succession. On 



66 LA rniNCESSE 

remarie Monsieur le Prince ; quel- 
ques-uns repensent à Mademoi- 
selle : ce Ce bruit vint jusqu'à moi, 
dit-elle, et j'y rêvai..., » Malheu- 
reusement Madame la Princesse 
guérit; et Mademoiselle put at- 
tendre Lauzun. Ailleurs, elle dit 
encore avec quelque dépit : « Ma- 
dame la Princesse arriva en meil- 
leure santé qu'on ne crojoit ; 
personne riauroil cru qu'elle ré- 
chappât, » 

Enfin un événement tragique, 
et dont les conséquences mon- 
trent sous un jour sinistre la per- 
sévérance des mauvais sentiments 
qu'on eut toujours pour elle dans 
la famille où elle était entrée, 



DE CONDÉ. 67, 

s'ajoute à celle suite à peine in- 
terrompue de tribulations, d'ou- 
trages, de maux et où ne devait 
manquer aucmie sorte de cala- * 
mités. Deux officiers de sa mai- 
son se prennent un jour de que- 
relle et mettent l'épée à la main. 
Ija Princesse (elle avoit alors qua- 
rante-trois ans — 1671) se met 
entre eux pour les séparer, et elle 
reçoit un coup d'epée dans le 
côté. On fit le procès à celui qui 
l'avoit blessée. Quant à elle, 

c< Lorsqu'elle fut guérie, Mon- 
sieur le Prince la fit conduire à 
Clîâteauroux, qui est une de ses 
maisons. Elle y a été gardée très- 
longtemps en prison ; et à présent 







68 LA PRINCESSE 

on lui donne seulement la per- 
mission de se promener dans la 
cour, toujours gardée par des gens 
que Monsieur le Prince tient au- 
près d'elle. Monsieur le duc fut 
accusé d'as^ir conseillé à mon^ 
sieur le Prince le traitement que 
reces^oit madame sa mère : il étoit 
bien aise^ k ce que l'on disoit, 
d'avoir trouvé un prétexte de la 
mettre dans un lieu où elle feroit 
moins de dépense que dans le 
monde *. » 

Est-ce l'avarice héréditaire dans 
la maison de Condé qui se révèle 



1. Mémoires de Mademoiselle^ 2* partie, 
chnp. xvr. 



* -1 



DE COMDÉ. 69 

par la pensée odieuse de cet in- 
digne fils ? Pauvre femme ! trop 
dépensière, c'est là son crime. 
Elle avoit, il est vrai, follement 
mis ses diamants en gage à Bor- 
deaux pour soutenir les frais de 
la guerre. Mais n'avoit-elle point, 
pour parer à ses prodigalités, ap- 
porté à M. le duc d'Enghien et à 
son père sa part de la fortune de 
Richelieu*? Ces sages conseils 
d'un bon fils furent observés : la 



1. lie cardinal avait donné en dota sa nièce 
les terres d^Ansach , de Mouy,de Gambronne 
et de Plessiers-Billebaut, avec âOO mille livres 
en argent comptant. Cette somme devait être 
employée en Tacquit des dettes contractées 
par les Montmorency et les Gond é. Huillakd 
Bréhollbs, article cité. 



LA PBIBICESSE 



|>rincesse de (londé étoit encore 
prisonnière à Châteauroax, lors- 
que le prince son mari mourut^ 
en 1 686 ; et par une précaution' 
qui épouvante en donnant la me- 
sure d'une haine implacable^ il 
recommanda qu'elle continuât de 
l'être après sa mort. Cette fois. 
Mademoiselle trouve enfin une 
parole de pitié* pour cette hon- 
nête femme persécutée : « J'au- 
rois voulu, dit-elle en rapportant 
les derniers moments du prince, 
qu'il n'eût pas prié le roi que 
madame sa femme demeurât tou- 
jours à Châteauroux, et j'en fus 
fort fâchée.... » 

C'est là sans doute qu'elle mou- 




DE COJSDE. il 

« 

rut, en 1694, âgée de soixante- 
six ans. J'ai cherché dans les œii- 
yres des prédicateurs, et dans les 
recueils du temps une oraison 
funèbre à sa mémoire ; je n'en ai 
même pas trouvé la mention. Et 
j'en veux, je l'avoue, à Bossuet, 
de n'avoir pas, dans son pané- 
gyrique du héros, trouvé un mot 
d'éloge, de consolation, un mot 
de pitié même pour l'ombre mal- 
heureuse qu'il traîna derrière lui, 
« triste -et souvent brisée. » 

Au défaut d'ime parole élo- 
quente, nous avons ces humbles 
lignes où le fidèle Lenet a témoi- 
gné de la vertu et des mérites de 
l'héroïne de Bordeaux: 



72 LA PRINCESSE 

« Elle gagna l'afFection d'une 
des plus considérables villes du 
royaume; elle y soutint la guerre 
sans endetter sa maison ; elle 
donna le mouvement, par sa fer- 
meté, à tout ce qu'on vit après 
éclore en faveur de M. son mari. 
Elle fit rétablir ses anciens amis et 
serviteurs dans leurs biens et dans 
leurs charges. Elle évita de tom- 
ber avec son fils entre les mains 
des ennemis de sa maison, et 
donna l'exemple à tout le royaume 
pour défendre l'innocence oppri- 
mée. Et surtout elle acquit, avec 
l'amitié et l'estime de M. son mari 
qui ne la croyoit pas capable de 
contribuer, autant qu'elle le fit, 



DE CONDE. 73 

à sa liberté, celle de toute la 
France et, l'on peut dire, de toute 
l'Europe, qui vit faire avec éton- 
nement à une jeune princesse 
sans expérience, tout ce que la 
prudence la plus consommée et 
la hardiesse la plus déterminée 
auroient pu entreprendre. y> 

Destinée mystérieuse, fatalité 
bizarre que ne justifient ni le dé- 
mérite personnel, ni les torts, ni 
les fautes, et que ne purent con- 
, jurer ni l'amour, ni le dévoue- 
ment, ni une vertu constante, 
éprouvée et respectée même de 
la calomnie. 





APPENDICE. 



DOCUMENTS IMPRIMES ET INEDITS 



SUR 



CLAIRE-CLÉMENCE DE MAILLÉ-BRÉZÉ 



PRINCESSE DE COKDE. 




ES renseignements n'a- 
bondent pas sur la vie 
de la princesse de Con- 
dé. L'histoire lui a continué ce 
rôle effacé, ce rôle de victi- 
nie refoulée et insultée, qu'elle 



76 LA PRINCESSE 

avoit eu pendant sa vie. Quel- 
ques mots aigres de Mademoiselle, 
un portrait charitable plutôt que 
bienveillant de' Mme de Motte- 
ville y les interprétations mali- 
cieuses de Bussy, la pitié équi- 
voque de Mme de Sévigné, tel 
est à peu près le bilan des con- 
temporains à son chapitre. Il 
reste, il est vrai, la chaleureuse 
apologie de Lenet, et son élo- 
quent témoignage que peut mal- 
heureusement infirmer , auprès 
des esprits mal prévenus, sa qua- 
Hté de serviteur de la maison de 
Condé. J'ai essavé d'intéresser au 
malheur de cette destinée, et d'y 
montrer constante, du commen- 




DE CONDE. 77 



cément à la fin, l'influence du 
mauvais sort, de l'adversité, du 
guignon : du guignon qui cor- 
rompt et envenime tous ses avan- 
tages de naissance, d'alliance, et 
jusqu'à ses vertus mêmes; du 
guignon qui dès le berceau lui 
enlève sa mère et abandonne sa 
jeunesse à la négligence d'un père 
fantasque et libertin ; qui dans 
un mariage imposé lui donne 
pour ennemis son mari, qu'elle 
aima toujours, sa belle-mère, et 
toute la maison où elle entroit; 
qui annule les effets de son cou- 
rage et de son dévouement pen- 
dant une campagne périlleuse; 
qui enfin, après trente ans d'une 



78 LA PRINCESSE 

vie honorée et pure de tout soup- 
çon, la livre à la malignité pu- 
blique à propos d'une aventure 
mystérieuse qui met le comble à 
ses malheurs et à ses affronts. J'a- 
vois mis d'un côté l'innocence, la 
fidélité, la vertu patiente, le dés- 
intéressement , l'héroïsme ; de 
l'autre, les dédains, les insultes, 
la persécution, les mauvais trai- 
tements, la haine implacable, la 
haine léguée par testament du 
père au fils; et je m'étois demandé 
si par quelque défaut de nature, 
par quelque manquement grave, 
par* quelque faute étouffée, mais 
devinable, la prisonnière de Cliâ- 
teauroux n'avoit pas accordé cette 



DE CONDÉ. 79 

disparate et justifié la fatalité. Car 
j'admets la gaucherie, la mau- 
vaise grâce, la déplaisance; on 
comprend le dépit du consente- 
ment forcé et de la passion trahie, 
le ressentiment de la violence, 
l'horreur d'un nom détesté ; mais 
pour ces torts involontaires, ra- 
chetés d'ailleurs par une sou- 
mission parfaite et par un dé- 
vouement éclatant au jour du 
malheur, la rigueur inflexible, 
l'ingratitude froide, la séquestra- 
tion, la mort sans pardon, il me 
semble que c'est trop. 

Tous ceux et toutes celles qui, 
favorablement ou défavorable- 
ment, ont parlé de la princesse 



80 LA PRINCESSE 

de Condé, conviennent de son 
courage et de la noblesse de sa 
conduite pendant la campagne 
de Guyenne. Les témoins im- 
partiaux reconnaissent qu'elle ne 
manquoit pas d'agréments capa- 
bles de donner de l'attachement : 
beauté, tendresse, vaillancei, élo- 
quence. Quant à sa vertu qu'au- 
cune femme ne conteste, c'est 
par là que la malignité Ta attaquée 
à l'occasion d'un événement sur- 
venu trente ans après son ma- 
riage, alors qu'elle étoit âgée de 
quarante-trois ans. J'ai déjà ra- 
conté l'aventure : un gentilhom- 
me, autrefois page de la princesse, 
se prend de querelle avec un va- 



DE CONDÉ. 8t 

let de pied ; tous deux tirent Té- 
pée, et la princesse, en voulant 
les séparer, est blessée au sein. 
Grande rumeur ; le bruit se ré- 
pand que madaLme la Princesse 
vient d'être assassinée. Le peuple 
se presse aux portes de l'hôtel de 
Condé; les langues travaillent; 
les lettres circulent. Oh sait bien- 
tôt que le gentilhomme s'appelle 
Rabutin, et qu'il est parent du 
comte de Bussy. Le valet de pied, 
nommé Duval, est arrêté comme 
il se sauvoit, dans les jardins du 
Luxembourg. lA-dessus la mal- 
veillance fait son œuvre, et trans- 
forme cette querelle domestique 
en rivalité d'amour. Et voilà la 



82 LA PRINCESSE 

princesse de Condé convaincue 
d'avoir eu en même temps pour 
amants son page et son valet. 

Rappelons que la princesse 
avoit alors quarante - trois ans, 
et que sa réputation avoit été 
jusque-là intacte. M. Paul Boi- 
teau, dans une note de son édi- 
tion de V Histoire amoureuse des 
Gaules (1856, Bibliothèque elzé- 
virienne, p. 240), prétend, il est 
vrai, que Mme de Condé, délais- 
sée par son mari, eut des amants, 
r( Mademoiselle, dit-il, cite en 
1649 Saint-Mégrin. » Voyons ce 
que dit Mademoiselle : 

a U courut un bruit, dans ce 
temps, que Saint-Mesgrin étoit 



DE CONDÉ. 83 

amoureux de Mme la Princesse, 
et lui rendoit ses devoirs avec 
soin ; ce rien étoit pas une mar^ 
que : l'on ne manque pas de les 
rendre aux personnes de cette 
qualité. La reine alloit tous les 
jours aux litanies à la chapelle, 
et elle se meltoit dans un petit 
oratoire, au bout de la tribune 
où les autres demeuroient; et 

c 

comme la reine demeuroit long- 
temps après qu'elles étoient dites, 
celles qui n'avoient pas autant de 
dévotion s'amusoient à causer, 
et l'on remarquoit que M. de 
Saint-Mesgrin parloit à Mme la 
Princesse. Pour moi, je n'en 
voyoii» rien ; car j'étoîs dans To- 




A4 1.A PBIIICE5SC 

raloire avec la reine, où le plus 
souvent je m'endormois, n'étant 
pas une demoiselle à si longues 
prières ni à méditations. Je pen- 
sai que des amis de M. de Saint- 
Mesgrin Tavertiroient de suppri- 
mer ces conversations, et que, si 
elles venoient à la connaissance 
de M. le. Prince, cela ne lui plai- 
roit pas quoique madame sa 
femme fût fort sage^ et qu'il s'en 
souciât très-peu. Ce qu'il fit, et 
l'on n'en parla pas davantage *. » 
Notons que le galant Saint-Mé-i- 
grin, après avoir autrefois et vai- 



1. Edition Chéruel, t. I^", p. 207 et 208 
des Mémoires, 



DE GONDE. 85 

nement essayé de remplacer 
Condé dans le cœur de Mlle du 
Vigean*, avoit très-bien pu vou- 
loir prendre sa revanche en sé- 
duisant sa femme. Mais le passage 
des Mémoires marque-t-il qu'il 
ait réussi? Ne prouve-t-il pas tout 
le contraire'? 

En conscience, ce témoignage 



1. Mademoiselle^ même édit., t. !•*, p. 107 
et 108. 

2. Relevons encore, seulement pour éviter 
le soupçon d^omisslon volontaire, une insi- 
nuation perfide de Coligny-Saligny dont les 
Mémoires ont été publiés par la société de 
r Histoire de France, en 18(il. Il est vrai que 
cette imputation se réfute d'elle-même, comme 
venant de l'ennemi déclaré et acharné de la 
maison de Condé, de celui qui disait : Je ne 
prends jamais la plume que ma première pensée 



f 



86 LA PRINCESSE 

ne peut compter pour une accu- 
sation. C'est donc à l'aventure de 
de 1671 qu'il faut rapporter la 
première et l'unique imputation 
contre la vertu de la princesse de 
Condé. 

Je n'ai pas grande confiance 
aux chansonniers. 

Il ne faut pas les prendre pour 



ne soit pour dire pis que pendre de M, le prince 
de Condti. Coligny était donc en ce temps-là 
au service de M. le prince, et, chargé d'ac- 
compagner Mme la princesse dans s^ fuite de 
Montrond, donne à entendre avec toutes sor- 
tes de réticences avantageuses que la princesse 
coqueta avec lui pendant le vojage, et un peu 
plus loin lui donne pour » galant », — mais 
sans aucunes preuves, — le marquis de Ces- 
sac, sou ami, qu'il tua peu après en duel .i 
Bordeaux. Voy. Mémoires , p. 25-30. 



DE CONDÉ. 87 

des autorités en histoire ; mais on 
peut les consulter comme reflets 
de l'opinion publique. I^s chan- 
sonniers^ et c'est bon signe, se 
sont peu occupés de la princesse 
de Condé. Dans le recueil de 
Maurepas, ce vaste répertoire des 
scandales publics, où l'on voit 
chansonnés les noms les plus res- 
pectables, elle n'est citée que 
deux ou trois fois, et une fois 
encore à son avantage, comme 
nous le verrons. La pièce la plus 
longue et la plus significative est 
une fable en vers, déjà signalée 
j)ar Walkenaër dans les notes de 
son Histoire de Mme de Sévigné 
(t. V, p. 399), et relative aux 



i 



88 LÀ PRINCESSE 

faits dont nous parlons. C'est ici 
le lieu de citer cette pièce, cu- 
rieuse malgré sa médiocrité, et 
dont l'auteur est resté inconnu 
sans préjudice pour sh gloire. 
Nous rapporterons ensuite , 
comme commentaire, les divers 
passages des lettres et des mé- 
moires contemporains où le fait 
a été discuté. 

FABLE ALT^GORIQUE. 

LE LTOlf y LE CHAT ET LE CHIEN > . 

Un grand lion, dont le courage 
S'étoit rendu fameux dedans tout Tunivers, 
Yoyoit autour de lui les animaux divers 

1. Recueil de M aurepas. Année 1671, t. ItT, 
p. 397. 



DE CONDÉ. 89 

Dans les liens du mariage. 

Il les regardoit fièrement, 

Et puis se disoit à lui-même : [reaux, 

fi Que ces boucs, ces besliers, ces cerfs et ces tau- 

Ces chevreuils et ces daims sont de laids ani- 

Que ma douleur seroit extrême, [maux ! 

Si je Yoyois un jour des cornes à mon front! 

Mais mon courage et ma naissance 
Me mettront à Tabri de ce cruel affront. 
Et, si l'on en croit l'apparence. 
Ce front est plutôt destiné 
A être couronné. » 
Cependant le lion à l'hymen se dispose, [sent*. 
Plusieurs (plus d'un) grands partis se propo- 
II choisit entre tous^ une jeune beauté % 
Dont la douceur et la simplicité 
Furent capables de lui plaire. 
Elle choisit une vie {sic) solitaire 
Afin que le lion ne pût être jaloux *. 
Le plus discret berger, la plus sage bergère. 



1 . La note dit que celle qu'épousa le prince 
de Condé étoit fort belle. 

2 . Mme la princesse étoit fort séparée. (Note 
du Recueil.) 




90 LA PRINCESSE 

Disoient: « Neaauroit-on Tatlirer parmi nous? 
De nos plus beaux troupeaux elle seroit la 

[teste. » 
Mais elle, qui fuyoît et le monde et le bruit, 
Ne \ouloit pas sortir de son petit réduit. 

Dans ce réduit, hélas! que faisoit-elle? 
Rarement son lion setrouvoit auprès d'elle *. 
Elle avoit un chat et un chien 
Qui faisoient tout son entrelien. 
Ils caressoient souvent cette bonne maîtresse, 
Qui leur rendoit caresse pour caresse. 
Mais enfin le chat et le chjen 
Ne peuvent longtemps être bien, [sordre. 
L'un voulant chasser l'autre, il se fait du dé- 
En vain elle défend d'esgratigner, de mordre; 
Les méchants animaux deviennent furieux. 
Elle se jette entre les deux. 



1 . Nous ne rapportons pas les notes assez 
nombreuses du manuscrit, qui feroient double 
emploi avec le commentaire qui va suivre. 
Ici encore le copiste remarque que la Priu- 
cesse étoit fort négligée de son mari. Il donne 
plus loin la Princesse pour une femme d'un 
a esprit extraordinaire. » 



DE CONDÉ. 91 

Mais, bien loiu d'arrêter cette fureur brutale, 

Elle-même en reçoit des coups. 
(j Allez, s'écria-t-elle, allez, retirez-vous ; 
Vous m'avez déchiré (e) de vos pattes fatales! » 
A ces cris aussitôt ils connoissent leur tort, 
Et fuyent promptement pour éviter la mort, 

[poursuite 
IMnis le grand bruit s'entend ; on court à la 

De ces animaux insolents. 
Le lion veut savoir le sujet de leur fuite. 

Et du caquet des médisants. 
Et cependant il se gratte la teste; 

Il trouve ce qu'il craint si fort. 
« Ah ! me voilà, dit-il, au rang des autres 

[bestes ; 

m 

J'ai mesme un plus malheureux sort ! 

C'est en vain, grandeur et prudence, 
Que vous pensez changer les arrêts du* destin. 

D'un foible chat, d*un indigue mastin, 
Le grand lion reçoit tout l'outrage qu'il craint, 
Malgré tout son esprit et toute sa puissance, 



Voilà donc le brait public^ le 
cancan, nettement formulé : la 




9â LA PRINCESSE 

Princesse, abandonnée ou, pour 
mieux dire, méprisée par son mari, 
se seroit à la fin lassée de son iso- 
lement, et pour se dédommager 
auroit pris pour amants son 
page et son laquais. Disons d'a- 
bord qu'en 1 671 Louis de Rabu- 
tin n'étoit plus page de la prin- 
cesse, et que depuis 1 668 il avoit 
quitté sa maison, comme le prouve 
une note de Bussy que nous ci- 
terons plus loin. Comparons 
maintenant les diverses relations 
qui ont été données de l'événe- 
ment en question par Mme de 
Se vigne, Mme de Montmorency, 
Bussy-Rabutin et Mlle de Mont- 
pensier. Dix jours après l'événe- 



r^ 



DE, CONDE. 93 

ment*, le 23 janvier, Mme de 
Sévigné écrit à Bussy : « On me 
. vient de conter une aventure 
extraordinaire qui s'est passée à 
l'hôtel de Condé. Mme la Prin- 
cesse ayant pris, il y a quelque 
temps, de l'affeclion pour un de 
ses valets de pied nommé Duval, 
celui-ci fut assez fou pour souffrir 
impatiemment la bonne volonté 
qu'elle témoignoit aussi pour le 
jeune Rabutin, qui avoit été son 
page. Un jour qu'ils se trouvoient 
tous deux dans sa chambre, Du- 
val ayant dit quelque chose qui 



1 . Arrivé le 13 janvier, selon le journal de 
d^Ormessou. • 




94 LA PllIKCESSE 

inaiiquoit de resj>eel à ia Prin- 
cesse, Rahutin niîl réj>êe à la 
main jxiur l'en eliâlier; Duval 
tii'a aussi la sienne, el la Prin- 
cesse se mettant entre-deux j>our 
les séj>arer, elle fut légèrement 
blessée à la gorge. On a arrêté 
Duval, et Rabutin est en fuite. 
Cela fait grand bruit dans ce 
pays-ci (à Paris . » Le style n'est 
[Kis généreux, ni la pensée non 
plus : les mots d'affection^ de 
bonne volonté; ceux-ci : ils se 
trouvoient tous deux tlans sa 
chambre j sont d'un vague assez 
[leu cliaritable que Bussy dissipe 
brutalement dans s:i réponse 
/'lettre du 1*' février^ : « L*aveii- 




DE CONDÉ. 95 

ure de notre cousin (Rabulin) 
n'est ni belle, ni laide : la mai- 
tresse lui fait honneur, et le rival 
de la honte. » Un mois après, 
Bussy reçoit une autre relation, 
celle de Mme de Montmorency ; 
et voici déjà quelques détails 
plus précis et pljis vraisembla- 
bles : 

<c Pour vous dire l'histoire de 
Mme Ja Princesse, vous saurez 
qu'un homme qui avoit été à elle 
en qualité de valet de pied et 
auquel par une manière de pitié 
elle donnoit pension, n'en étant 
pas bien payé, la lui demanda 
insolemment devant un garçon 
de qualité qui porte votre nom, 



'• »ui p.i!. •:•!: iimir:'. uiUïv de 
y •- r:iUf- •^*iiit--. ll'ïJilTu if 
.jf-tH-f-:»'- aie: a*-* ijif iiiiiiinrais : 

^u* '■►-;. .iii'.:-' iiL. .::: iiur inse- 
.♦-;•••. il- mi »•*".: . -^in^r* .. m mam : 
_\iiD» .. -'iLif •-•*?- - .)imiu'i les 

-^UitJ"*" - -U; ..»**^î»>r**- .t'^ Lieux t-'OOpà. 

*- ii*— i»-N?*ur L .. lui. iniiir corn- 
ai*- lUiir*-.- 1. n * ■ iQioi'. oue ces 
.i»-u" U'^nirn*^.- iiiîMTeii. Diei- avee 
•^ÎK '^^ «.:ut iT ^- ju»r J» Died. 
vr. >\j;i ijai>?tt". •» -ei. :?ri ^i 1 aii- 
ir- -*■ '^.L- -•• ■::•. u t- suie; de 
i*"aî' qu*-reu^. 1 • i. . unir eela 
1^ i>iu.- iii..L ■::;. jl . du duoi' 
3Llli- il-- ^v:n*.'ea^ i.yur M it 
^' V i u vt L ■. i-u \ « > V -r*- ..■. _ lia i t':iur» >u \ . 
Ai *r au«> a-: bourijoi. ^ tiii et 



DE CO.NDÇ. 97 

qu'il a pu pour rompre ce voyage; 
mais la Palatine (la Dauphine) a 
mis la dernière aigreur dans l'es- 
prit de M^ le Prince. On dit que 
ce qui l'a encore plus irrité, c'est 
qu'il a su que Mademoiselle, qui 
le hait à cause de l'affaire de Lau- 
zun, eh a fait des railleries avec 
le roi. La colère de M. le Prince 
étoit si grande, que sans M. le 
duc Madame la Princesse s'en 
alloit sans équipage. Il n'y a point 
de désespoir pareil au sien. Per- 
sonne que ses très-proches ne 
l'a vue en partant*. » Le récit 



1. Correspondance de Bussjr^ édit. Lalanne. 
Lettre du 25 février. 



■>H LA P!li:fCKS»E: 

lint |Kir MaiiemoLseile «taii* rà*^ 
M f* moires est, a peu <le ehose 
l>rrs» le inèrne: L»e qui prc)uverf>it 
<|u ♦•n It>7T, ;i fqxMjue ou Milite- 
<lefBw>ie*€Ue eeri voit, cette versioa 
rloit .unrpptre lîomme verttabie. 
Ktk? [Htrk" au^ <i due reelamaiioa 
iii>oie»ilt* du vatet de pied, à 
>lHit- i« PrtHues«c% uu même ddne 
ti?M(u(tvtr (W vol réprimée Tépee 
I ta ruttiu fMr Rabutin^ auci^i 
\H%u^' d^> M. \e Prince. On sait de 
»t»'4r y\x%r Afedeiiioiselle a est pas 
-aiHiH-HîH? (Tuidui^tMice à Feodrott 

I V i»v . .iM^ttft !<^ Jourtmi d*Oiivur ttOrmes^ 
v^ « ^l«» iHir ^. («tWritel» dan» ma. éditiim 




DE CONDE. 99 

Bussy, quoiqu'il eût répondu à 
Mme de Montmorency en badi- 

et où Ton a, jour par jour, les diverses ap- 
précîaiions de l'affaire. C'est d*abord une 
simple tentative d'assassinat, commise par un 
ancien valet chassé de la muison de M. le 
Prince, et qui étoit venu exiger de l'argent 
de Mme la Princesse. Le lendemain, 14 jan- 
vier, c'est une infamie que l'on veut étouffer, 
et M. le Prince a fait évader Du val pour le 
soustraire aux enquêtes de la justice, — Du- 
val est néanmoins pris et conduit en prison. 
Alors se produit, le 15, la version de Mme de 
Sévigné, d'une querelle, non motivée, dans 
laquelle la Princesse auroit été blessée ; puis 
vient la version du couvent des Jésuites, qui 
prétendent que le fond de l'affaire a été caché 
au roi et par b'.eii des raisons. Enfin, le 17, 
l'affaire est évoquée au Parlement ; Tavocat gé- 
néral Talon expose les faits de la même façon 
que Mademoiselle et Mme de Montmorency , et, 
au sortir de l'audience, confirme à d'Ormes- 
son la vérité de son réquisitoire. D'Ormesson 
ajoute que Duval fut jugé au Parlement, la 



100 LA princessij: 

nant*, comme à Mme de Sévi- 
gné, se rangea cependant plus 
lard à l'opinion de cette princesse 
et de Mlle de Montpensier, 
comme le prouve une note de sa 
correspondance relative à ce 
même Louis de Rabutin, son pa- 
rent, qu'on a vu figurer dans 
l'affaire. Rabutin né s'étoit pas 
laissé prendre; il s'étoit caché 

Grand'ChambreetIa Tournelle assemblées, et 
condamné aux galères; mais que l'instruc- 
tion ne fut pas entière, la Princesse n'ayant 
pas voulu déposer. — Il paroît (voy. Mau- 
repas) que Duval ou Du Val mourut avant 
que d'arriver aux galères ; d'où l'on conclut, 
suivant l'usage, qu'il avoit été empoisonné, 
hypothèse aussi impossible à attaquer qu'à 
défendre. 

1. Corresp.f même édit., t. le', p. 381. 



DE CONOÉ. 101 

d'abord, puis sauvé en Allemagne, 
où s*étant mis au service de l'Em- 
pereur, il épousa en 1682 une 
princesse de Efolstein, Dorothée- 
Elisabeth, fille de Philippe, due 
de Holstein-Wissembourg , et 
veuve de Georges-Louis, comte 
de Zirizendorf. C'est à la lettre de 
compliment qu'il adressa dans 
cette occasion à la princesse de 
Holstein que Bussy a ajouté la 
note suivante* : 

« La fortune extraordinaire de 
Ijouis de Rabutin, troisième fils 
de Jean de Rabutin, éhef de là 
branche des cadets de ma maison, 

1. Corresp., t. V, p. 430 etsuiv. 



102' LA PRINCESSE 

m'oblige de dire par quelle aven- 
ture elle arriva. Il faut d'abord 
savoir .que Louis étoit un des 
plus jolis garçons ae France (tou- 
jours YHistoire amoureuse des 
G(tules) . ' Au commencement de 
1664, son père m'ayaht prié de 
le placer en quelque lieu digne 
de sa naissance, je le donnai pour 
page à M. le Prince qui, vu sa 
grande jeunesse, le fit page de 
Mme la Princesse. Il ,y demeura 
quatre ans, pendant lesquels il 
se rendit si soigneux auprès de 
sa maîtresse, qu'elle prit de la 
bonne volonté pour lui. Et, 
qusmd il sortit de l'hôtel de 
Condé, il entra dans lef^ mous- 



DE CONDÉ. 103 

quetaires, où Mme la Princesse 
eut la bonté de contribuer à son 
équipage. 

Comme il venoit de temps en 
temps lui rendre ses devoirs, il 
rencontra un jour dans sa cham- 
bre un de sc'i valets de pied 
nommé Duval,. qui, ayant bu, 
parloit insolemment de la Prin- 
cesse ; Rabutin , ne pouvant 
souffrir ce manque de respect, 
le traita de coquin et le me- 
naça de le châtier s'il étoit ail- 
leurs. Duval lui répondit avec 
tant d'arrogance que Rabutin ne 
put s'empêcher de mettre l'épée 
à la main pour le frapper ; Duval 
tira aussi la sienne, et la Prin- 



_^ . Trr^rs 










DE COKOE. 105 

ne reste plus, comme chef d'ac- 
cusation, qu'un jeune et joli 
page, de très-bonne maison, et 
qui par la suite de sa vie, s'est 
montré très-digne de l'attention 
d'une grande dame. Mme la Prin- 
cesse eût-elle failli cette fois, ou 
plutôt à la fin défailli sous le 
poids accumulé du dédain, de 
l'ingratitude et de la persécu- 
tion; se fût-elle, à cet âge des 
regrets et dans son abandon > 
laissée prendre y pauvre femme 
rebutée, à la fraîche affection 
d'un cœur naïf, trahie peut-être 
par l'abondance de sa tendresse 
si longtemps refoulée, que nous 
ne la trouverions que trop excu- 



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DE CONDÉ. lOr 

bandon, se soit tout à coup dé- 
mentie à quarante ans passés par 
une foiblesse que la disproportion 
d'âge entre elle et son amant 
présumé rend presque ridicule. 
Car^ si nous n'avons pour preuve 
à l'appui de la faute de Mme la 
Princesse que les assertions un 
peu légères de Mme de Sévigné 
et de son cousin, et une pièce 
anonvme tirée du recueil de 
toutes les médisances et de toutes 
les calomnies rimées du siècle, 
n'en est-ce pas une à sa décharge 
que l'âge de Rabutin, de cet en- 
fant trouvé trop jeune pour le 
service d^un prince, et qui l'étoit 
en effet, puisqu'il n'avôit que 




108 I^A PRINCESSE 

douze ans en 1664% lorsque 
M. le Prince le donna pour page 
à sa femme? Nous voyons qu'il 
quitta son service quatre ans 
après pour entrer dans les mous- 
quetaires, et, par conséquent, à 
l'âge de seize ans. N'est-il donc 
pas plus simple et plus raison- 
nable de croire à une de ces af- 
fections maternelles, fruit ordi- 
naire de l'automne de la vie des 
femmes, surtout après un été et 
un printemps stériles, comme ils 
l'avoient été pour Mme de Condé, 
deux fois trompée dans sa ten- 
dresse, comme femme et comme 

1. Il éloit né eu 1652 et mourut en i717. 



DE CONDÉ. 109 

mère, par un époux ingrat et par 
un jBls dénaturé? 

Un historien anglois, lord Ma- 
hon, qui parmi d'autres ouvrages 
remarquables a écrit une Vie de 
Condé^, a répugné comme nous 
à l'idée de cette faute tardive, 
démentant une jeunesse irrépro- 
chable. Il objecte aussi Page de 
la Princesse et sa réputation jus- 
que-là sans tache. Mais il ne tient 

1 . Life of Louis y prince of Condé^ sumamed 
the Great, by lord Mahon. London, 1845 ; 
in-12. Il est à remarquer que ce livre fat pri- 
mitiyement écrit en François et imprimé à uu 
petit nombre d'exemplaires. C^est à la sollici- 
tation de ses amis que l'auteur s'est décidé à 
en donner une édition publique. Et c'est 
alors qu'il le traduisit du françois dans sa 
langue nationale. 

V 



110 LA PRINCESSE 

pas compte de la circonstance^ 
suivant nous très- notable^ de 
Tàge de Rabutin, qui peut réduire 
cette grosse affaire au badinage 
innocent de Chérubin chez la 
comtesse Almaviva. L'honorable 
lord cite à l'appui de son opi- 
nion une correspondance secrète 
découverte par lui aux archives 
de Londres, et dont il donne 
quelques extraits. Ces extraits, 
qui vont du 16 de janvier au 
24 du mois suivant, rapportent 
les faits déjà connus avec quel- 
ques différences que nous indi- 
querons. Ce n'est d'abord plus le 
valet de pied Duval qui est en 
scène, mais son frère qui, habitué 




0£ CONDÉ. 111 

aux bontés de la Princesse, serait 
venu réclamer d'elle un nouveau 
don, et sur son refus l'auroit 
blessée de trois coups d'épée au 
sein droit; et c'est pour lui sauver 
la vie que la Princesse auroit dé- 
claré s'être blessée elle-même à 
son épée. Le page qui n'est point 
ici nommé, ne seroit survenu 
qu'après l'événement, aux cris de 
la Princesse, et lorsque l'assassin 
étoit déjà en fuite. La querelle^ 
les épées tirées dans l'anticham- 
bre, etc., ne seroient donc qu'un 
mensonge charitable de Mme la 
Princesse de Condé pour sauver 
son assassin. Cette première note, 
que j'abrège de beaucoup, ajoute 




112 LA PRINCESSE 

que le roi et toute la cour s'em- 
pressèrent de faire complimenter 
la Princesse au sujet de ce triste 
événement. — 20 jan\;ier : « Du- 
val après avoir subi trois inter- 
rogatoires a avoué , comme on 
alloit le . remettre à la question , 
qu'il avoit blessé Mme la Prin- 
cesse.. La' Princesse persiste à 
vouloir lui sauver la vie; mais le 
Prince veut qu'il soit fait un 
exemple. » — 6 février : « M, le 
Prince, qui est retourné à Chan- 
tilly, a écrit au roi pour lui dire 
qu'il ne remettroit plus le pied à 
Paris tant que la Princesse sa 
femme y seroit. Sa Majesté a fait 
rendre en conséquence à la 




DE CONOE. 1?3 

Princesse une lettre de cachet 
pour lui enjoindre de quitter im- 
médiatement la cour et de sortir 
de la ville. » — 13 fé\^rier : « Le 
roi exile Mme la Princesse de 
Condé à Châteauroux en Berrv 
pour le reste de sa vie, de quoi 
elle est inconsolable. » — 20 fé- 
vrier : « La Princesse de Condé 
est partie hier de Paris pour Châ- 
teauroux. Avant son départ, elle 
a envoyé chercher le curé de 
Saint-Sulpice avec lequel elle s'est 
entretenue sur des sujets de piété. 
Elle lui a dit : « Monsieur, c'est 
« la dernière fois que vous me 
« parlez; je ne reviendrai jamais 
« d'où le roi m'envoie. Mais la 




Lier 

^ aa ^aget de- ce brtde 

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fctMWt 5 serati. S* SUjesié 




114 LA PRINCESSB 

« confession que je viens de vous 
tt faire servira quelque jour à 
« prouver mon innocence. kEi 
là-dessus, elle lui a dit adieu. » 
— 24 février : « Le roi et le 
prince (de Condé *, ont obligé la 
Princesse, avant son départ pour 
Châteaurou^, k abandonner à son 
fils toute sa fortune qui monte 
au delà de cent mille écus de 
rente (crowns), libres de toute 
dette. Il ne lui a été permis de 
garder pour elle qu'une très-mé- 
diocre pension ; et encore a-t-elle 
répété trois fois qij'elle n'en pro- 
fiteroit pas longtemps, et que le 
chemin qu'elle alloit prendre étoit 
le chemin de son tombeau. Elle 




DE CONDE. 115 

s'est évanouie dans les bras du 
duc, son fils, en lui disant adieuV » 
Sauf quelques variantes inévi- 
tables dans le récit d'un événement 
caché et livré à l'incertitude du 
jugement public, ce document, 
dont le lord nous garantit l'au- 
thenticité , s'accorde assez sur les 
principaux points, et même sur 
quelques détails , avec les rela- 
tions que nous connoissons déjà 
pour mériter quelque créance. Il 
se pourroit d'ailleurs que le der- 
nier paragraphe nous livrât le 
mot véritable de cette mvstérieuse 
affaire. 

1. Ufe ofCondéy p. 272 8qq. 



116 LA PRINCESSE 

' La dureté de Condé envers sa 
femme a été universellement blâ- 
mée *. Et en effet la Princesse 
eût-elle été réellement coupable, 
coupable de foiblesse et de lassi- 
tude, cet exil perpétuel, la sé- 
questration, la mort civile, encore 
une fois c'étoit trop ! Faut-il pren- 
dre au sérieux l'allégation de 
l'historien-apotogiste de Condé, 
Désormeaux, qui prétend que la 



1. Ajoutons à ce que nous avons dît déjà 
sur ce point ce passage d*une lettre de Cor- 
binellî au président de Moulceau (6 janvier 
1687) : c La moit de M. le Prince a édifié 
tout le monde, et vous autres comme nous. 
Paurois voulu quMI eût donné quelque signe 
de vie au public pour Mme sa femme. > Ma- 
demoiselle dit à peu près la même chose. 



*K 



DB CONDE. 117 

Princesse étoit devenue folle, et 
que son esprit s'étoit dérangé 
dans la solitude (la solitude! qui 
donc l'y avoit condamnée)? Mais 
cette allégation d'un écrivain sus- 
pect, et même adversaire dans la 
cause, et qui n'est répétée nulle 
part, n'est -elle pas plutôt la 
preuve du besoin de donner 
après coup un prétexte à ces sé- 
vérités inouïes? 

Il y a plus de raison , et aussi 
plus d'autorité , dans cette décla- 
ration de l'un des derniers des- 
cendants de Condé, qui reconnoît 
que son illustre aïeul s'empressa 
de profiter de l'occasion qui s'of- 
froit pour exécuter le projet de 



il8 LA PRINCESSE 

séparation auquel il n'avoit jamais 
renoncé *, 



1. Essai sur la vie du grand Condéf par 
Louis-Joseph de Bourbon, son quatrième des- 
cendant; 1806, 2<^ édition. Voici la phrase 
entière : « M. le Prince, qui ne put jamais 
prendre sur lui d*aimer sa femme, crut trou- 
ver dans ce temps une occasion favorable de 
se séparer d'elle, projet qu'il nourrîssoit de- 
puis longtemps. Il obtint la permission du roi 
de fixer le séjour de la Princesse à Château- 
roux, où elle mourut en 1694. Il est impos- 
sible, en lisant l'histoire du grand Côndé, de 
ne pas s'affliger du peu de considération qu'il 
eut toute sa vie pour elle, malgré tout ce 
qu'elle avoit fait pour lui. Mais les grands 
hommes seroient trop au-dessus de Thumanité, 
s'ils étoient exempts de ses foiblesse^. > La 
pireroière édition de cet ouvrage est de 1798, 
2 vol. in-12. Il a été réimprimé dans le 
1» yolume des Mémoires pour servir à V histoire 
de. la maison de Condé, publiés par de Séve- 
linges; Paris, 1820. 



DE CONDÉ. 119 

Et en effet là est la vraisem- 
blance, et sans doute aussi la vé- 
rité, Condé ne pardonna jamais : 
ne pardonna jamais, non pas la 
faute! que lui importoit une foi- 
blesse de cette femme qui ne lui 
étoit rien? mais le tort irrépa- 
rable de la naissance et de l'inop- 
portunité. Cette femme qui l'aima 
toujours, qui s'étoit dévouée à lui, 
au péril de son crédit à la cour, 
de sa fortune et de sa liberté, fut 
toujouis pour lui la nièce de Ri- 
chelieu, l'épouse imposée, l'en- 
trave appliquée à ses ambitions 
et à ses amours. L'élan de recon- 
noissance témoigné pendant la 
campagne de Guyenne ne fut 



4 



120 LA PRINC£8&B 

qu'un éclair, qu'une illusion fa- 
vorisée par l'éloignement et par 
la captivité. Le rapprochement 
dissipa le mirage, Condé en ren- 
trant à la cour, retrouva dans 
mille circonstances le souvenir 
de la violence qu'il avoit subie. 
Les murs de son palais lui parlè- 
rent de ses anciennes douleurs et 
de son humiliation; et dès lors 
il n'y eut plus d'héroïne; il n'y 
eut plus que l'être malencontreux 
et fatal qui avoit fait dévier sa vie. 
Les héros, de même que les 
grands artistes, enfants gâtés de 
la nature et de la Providence, 
sont implacables dans leurs res- 
sentiments et féroces dans leurs 



DE CONDÉ. 121 

antipathies. Leur résister, leur 
déplaire, c'est être coupable. 
Condé ne pouvant tuer sa femme, 
la supprima. Comment oublia- t-il 
la mère? 

L'historien anglois que j'ai déjà 
cité, lord Mahon, a remarqué 
qu'en ce moment fatal Clémence 
de Maillé n'avoit plus ni soutien, 
ni famille. Son père-, son frère 
étoient morts. Son fils la trahis- 
soit. Enfin son fidèle serviteur et 
conseiller, Lenet, mourut dans 
cette même année. . 

Mlle de Montpensier nous a dit 
ce qu'avoit été l'exil de la Prin- 
cesse à Châteauroux : — « Elle y 
a été longtemps en prison. A cette 



122 LÀ PRINCESSE 

heure (1677, six ans après la ca- 
tastrophe) on dit quelle se pro- 
mène; mais elle est comme gardée, 
avec peu de gens. » Saint-Simon 
ajoute qu'elle étoit gardée de telle 
sorte qu'elle ignora toujours 1^ 
mort de M. le Prince , son mari; 
et qu'après cette mort les rigueurs 
ne diminuèrent point. M. le due 
fut aussi bon geôlier de sa mère 
que M. le Prince l'avoit été de sa 
femme. 

Ne quittons pas Saint-Simon : 
on sait quel portrait il a laissé de 
ce fils , et ce qu'il a dit de son 
avarice, de ses perfidies, de ses 
rapines, de sa bassesse, de ses ex- 
travagances endiablées : « Fils 



DE CONDé. 123 

DÉNATURÉ, cruel père, mari terri 
ble, maître détestable, pernicieux 

voisin, sans amitié, sans amis 

uniquement propre à être son 
bourreau et le fléau des au- 
tres ! . . . » Portrait effrayant quand 
on songe au pouvoir cruel qui 
lui fut dévolu par la haine pater- 
nelle ! Je veux croire ce que dit 

« 

Mme de Montmorency, qu'au 
moment du renvoi de Mme la 
Princesse, M. le duc s'interposa 
entre la fureur de son père et sa 
mère accablée; mais partout ail- 
leurs les témoignages sont écra- 
sants pour lui. « On blâma fort 
*M, le duc, dit Mademoiselle, de 
traiter ainsi sa mère, et l'on crut 



124 LA PRINCESSE 

qu'il étoit bien aise d'avoir cette 
occasion de l'éloigner pour queltc 
ne fît pas de dépense. — Il auroit 
pu trouver des prétextes^ plus 
avantageux !. » Qu'on ne m'accuse 
pas d'accueillir touf à tour et de 
récuser les on dit; mais le carac- 
tère de M. le duc et surtout son 
avarice étant connus, je ne puis 
m'empêcher en lisant ce propos 
de Mademoiselle , de songer à ce 
dernier paragraphe de la corres- 
pondance citée par lord Mahon, 
où il est dit que la Princesse fut 
obligée^ avant de quitter Paris, 
de faire donation à son fils de 
toute sa fortune. L'accusation 
d'ailleurs étoit publique, témoin 



DE COMDÉ. 125 

ce couplet répété dans le Recueil 
de Maure pas (t. VI et Vil) : 

Condé, je ne sanrois m*en taire, 

Tu déclares p ta mère 

Pour avoir son dernier écu,.,. 

Là est peut-être tout le secret 
de Taffaire : la donation ! 




PARIS. — TYPOGRAPHIE LAHURE 
Rue de Flcurus» 9 



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