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Full text of "Vie de la Révérende Mère Marie de l'Incarnation, Ursuline (née Marie Guyard) : première supérieure du monastère des Ursulines de Québec"

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THE  UNIVERSITY 

OF  ILLINOIS 

LIBRARY 

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VIE  DE  LA  MERE 


MARIE  DE  L'INCARNATION. 


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APPROBATION  DE  L'EVECHE  DE  TOURNAI. 


Nous  permettons  l'impression  de  la  Vie  de  la  Révérende  Mère  Maine  de 
l'Incarnation  :  la  lecture  de  cet  ouvrage  est  très-px'opre  à  nourrir  la  piété  des 
fidèles,  à  exciter  leur  zèle  pour  la  conversion  des  pécheurs.  En  outre  ce  livre 
présente,  aux  personnes  qui  ont  embrassé  la  vie  religieuse,  l'exemple  de  toutes 
les  vertus  de  leur  sainte  profession.    '•- 

Tournai,  le  29  octobre  1873. 

CONREUR.    Vic.-Gé7t. 


THE  mmi 

OF  THÉ 
UNIYÉRSITY  OF  ILLINOIS 


mraiïîM  Mite  miirir  àe  i'3îiftïrïuiîwi 

Fondatrice  et  Première  Supérieure  des  UrsulmesdeÇuébec, 


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VIE  ^ 


DE     LA     REVERENDE     MERE 


MARIE  DE  L'INCARNATION 

URSULINE 

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(née   marie    g  u  y  a  R  D) 

PREMIÈRE  SUPÉRIEURE  DU  MONASTÈRE  DES  URSULINES  DE  QUÉBEC  ; 

PAR 

LABBÉ  P.-F.  RICHAUDEAU, 

Du  Tiers-Ordre  de  S. -F.,  aumônier  des  Ursulines  de  Blois,  ancien  prof,  de  théologie, 
chan.  honoraire  de  Blois  et  d'Alby,  auteur  de  plusieurs  autres  ouvrages. 


DEUXIEME     KDITIOX. 


PARIS 

LIBRAIRIE     INTERNATIONALE  -  CATHOLIQUE 


LEIPZIG 

L.     A.      KITTLER,     COMMISSIONNAIRE 


Rue  Bonapai  le,  66  -:-  Ouersirasse,  34 

V^--  H.  CASTERMAN 

ÉDITEUR    PONTIFICAL,    IMPRIMEUR    DE    l'ÉVÊCHÉ 

TOURNAI 
1874 


TUUS     DROITS     KKSBKVÉS. 


APPROBATION  DE  SA  GRACE  MGR  TASCHEREAU,  ARCHEVÊQUE 

DE  QUÉBEC. 

Québec,  16  décembre  1873. 
A  M.  l'Abbé  Richaudeau,  aumônier  des  Ursulines  de  Blois. 

Monsieur  l'Abbé, 

J'apprends  que  vous  avez  mis  la  dernière  main  à  la  Vie  de  la 
Révérende  Mère  Marie  de  V Incarnation,  première  Supé- 
rieure des  Ursulines  de  Québec.  Toutes  les  feuilles,  à  mesure 
qu'elles  sortaient  de  la  presse,  ont  été  soumises  à  l'examen 
d'une  personne  tout  à  fait  compétente,  dont  le  rapport  a  été 
favorable.  Les  petites  corrections  qu'elle  a  suggérées  et  que 
vous  avez  faites,  prouvent  avec  quel  soin  elle  s'est  acquittée  de 
sa  commission. 

C'est  avec  grande  joie  que  je  donne  mon  approbation  à  cet 
ouvrage,  qui  contribuera,  j'en  ai  l'intime  conviction,  à  la  gloire 
de  Dieu,  qui  est  admirable  dans  ses  saints,  et  à  l'édification  des 
âmes,  pour  qui  l'exemple  est  toujours  une  leçon  plus  puissante 
que  les  paroles. 

L'ancienne  France  se  glorifie  d'avoir  donné  le  jour  à  cette 
Thérèse  du  Nouveau-Monde;  la  Nouvelle-France  a  été  le 
théâtre  où  s'est  exercé  son  zèle  et  se  sont  manifestées  au  grand 
jour  les  admirables  inspirations  de  la  grâce  divine  en  elle.  Des 
deux  côtés  du  grand  océan  qui  nous  sépare  s'élèvera  un  concert 
de  bénédictions  et  de  louanges,  d'admiration  et  de  reconnais- 
sance, à  la  gloire  de  Dieu  infiniment  parfait,  dont  la  grâce  est 
si  puissante. 

Vous  avez  fait  une  bonne  œuvre,  pour  laquelle  je  vous  dois  et 
vous  conserverai  toujours  une  vive  reconnaissance. 

t  F.  A.,  Archev.  de  Québec. 


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6  APPROBATIONS. 

APPROBATION  DE  SA  GRACE  MGR  LAFLÈCHE,  ÉVÊQUE 
DES  TROIS-RIVIÈRES. 

Sur  le  rapport  officiel  et  favorable  de  notre  Vicaire-Général, 
nous  sommes  heureux  d'approuver  et  de  pouvoir  ajouter  à  la  liste 
des  bons  livres,  dont  nous  avons  recommandé  la  lecture  à  nos 
diocésains,  la  Vie  de  la  Révérende  Mère  Marie  de  V Incar- 
nation, première  supérieure  et  fondatrice  des  Ursidines  de 
Québec,  par  M.  l'Abbé  Richaudeau,  aumônier  des  Ursulines 
de  Blois. 

Outre  une  valeur  historique  incontestable,  ce  livre  offre  à  la 
piété  un  aliment  précieux  et  des  mieux  conditionné. 

Donné  aux  Trois-Rivières,  ce  10  novembre  1873. 

'C  L.  F.,  Ev.  des  Trois-Riviè}-es. 


APPROBATION  DE  SA  GRACE  MGR  GUIGUES,  ÉVÊQUE  D'OTTAWA. 
A  M.  l'Abbé  Richaudeau, 

La  Vie  de  la  Révérende  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  pre- 
mière supérieure  des  Ui-sulines  de  Québec,  sera  lue  dans  toute 
la  Province  avec  empressement.  L'intérêt  qui  s'attache  au  sou- 
venir des  vertus  et  des  grandes  qualités  de  cette  âme  privilégiée, 
comme  aussi  l'intérêt  que  vous  avez  su  répandre  dans  le  récit 
que  vous  en  avez  fait,  en  assure  le  succès. 

Je  le  désire  ardemment  et  du  plus  profond  de  mon  cœur. 

Ollaiva,  le  18  décembre  1873. 

f  Jos.  Eugène,  Ev.  d'Ottawa. 


APPROBATIONS.  7 

APPROBATION  DE  SA  GRACE  MGR  LAROCQUE,  ÉVÊQUE 
DE  SAINT-HYACINTHE. 

Nous  recommandons  à  l'attention  du  clergé  et  des  fidèles  de 
notre  diocèse  la  Vie  de  la  Révérende  Mère  Marie  de  Vlncar- 
nation,  première  supérieure  des  Ursidines  de  Québec,  que 
M.  l'abbé  Richaudeau  vient  de  publier  en  France. 

M.  l'Abbé  Casgrain  édifiait,  il  y  a  quelques  années,  le  Canada 
tout  entier,  en  consacrant  ses  veilles  et  les  travaux  de  sa  plume 
élégante  et  facile  à  ramener  sur  notre  horizon  social  l'éclat  si 
brillant  et  si  vif  qu'y  répandirent  autrefois  les  dons  singuliers 
de  grâce  et  les  vertus  héroïques  de  l'illustre  et  célèbre  religieuse, 
providentiellement  conduite  de  la  vieille  France  en  la  nouvelle  ! 

L'œuvre  plus  complète  de  M.  l'Abbé  Richaudeau,  qui  y  a 
apporté  tout  le  soin  et  l'exactitude  d'un  écrivain  éclairé  et 
consciencieux,  sera  sans  doute  accueillie  avec  toute  la  faveur 
et  tout  l'empressement  dont  fut  honorée  et  encouragée  celle  de 
M.  l'Abbé  Casgrain. 

La  lecture  de  ce  nouveau  monument  littéraire,  élevé  à  la 
gloire  des  origines  si  religieuses  et  si  chevaleresques  de  notre 
pays,  sera  d'une  bien  douce  jouissance  pour  tous  ceux  qui  aiment 
à  reporter  leurs  souvenirs  sur  les  personnes,  les  faits  ou  les 
choses  de  l'époque  de  notre  histoire  à  laquelle  a  vécu  la  véné- 
rable Mère  Marie  de  l'Incarnation,  qui  en  fut  elle-même  l'une 
des  plus  grandes  figures,  et  l'un  des  plus  grands  intérêts. 

Puisse  la  nouvelle  vie  de  cette  femme  vraiment  extraordinaire 
contribuer  à  réaliser  l'espoir  de  la  foi  et  de  la  piété  qui  ont 
appelé  l'attention  du  Chef  de  l'Eglise  sur  l'éminence  de  ses 
vertus,  en  le  suppliant  de  lui  décerner  l'honneur  suprême  du 
culte  public  ! 

f  C,  Ev.  de  Saint- Hyacinthe . 

Saint-Hyacinthe ,  18  décembre  ISIri. 


(S  APPROBATIONS. 

APPROBATION  DE  SA  GRACE  MGR  LANGEVIN,  ÊVÈQUE  DE  RIMOUSKI. 

C'est  avec  bonheur  (|ue  je  salue  l'apparition  d'une  nouvelle 
Vie  de  la  Mère  3/arie  de  l'Incarnation,  première  supérieure 
des  Ursulines  de  Québec,  par  M.  l'Abbé  Richaudeau.  La  publi- 
cation de  cet  ouvrage,  si  propre  à  faire  connaître  et  admirer 
de  plus  en  plus  les  vertus  et  les  dons  extraordinaires  de  cette 
sainte  Religieuse,  me  paraît  faite  dans  un  moment  très-opportun 
pour  aider  au  succès  de  la  cause  de  béatification  de  cette  véné- 
rable servante-de  Dieu. 

Aussi,  verrai-je  avec  plaisir  ce  livre,  honoié  de  l'approbation 
de  Monseigneur  l'Archevêque  de  Québec,  se  répandre  parmi  le 
clergé  et  le  peuple  de  mon  diocèse. 

"(■  Jean,  Kv.  de  Saint-Germai^i  fie  Rimouski. 
Siihit-Gei  ûiii/in  de  Rimouski,  19  décembre  ISl'-i. 


APPROBATION  DE  SA  GRANDEUR  MGR  PALLU-DU-PARC.  ÉVÉQUE 

DE  BLOIS. 

Nous  avons  fait  examiner  par  un  pieux  et  savant  théologien 
de  notre  grand-séminaire  un  livre  intitulé  :  Vie  de  la  Révé- 
rende Mère  Marie  de  l'Incarnation  {née  Marie  Guyard), 
première  supériem-e  du  monastère  des  Ursulines  de  Québec, 
par  M.  l'Abbé  Richaudeau,  aumônier  des  Ursulines  de  Rlois. 
ancien  professeur  de  théologie,  etc. 

Sur  le  rapport  très-favorable  qui  nous  a  été  fait  de  cet  ouvrage, 
nous  lui  donnons  bien  volontiers  notre  approbation,  persuadé 
que  cette  belle  vie  sera  lue  avec  un  grand  intérêt  et  beaucoup 
de  fruit,  spécialement  dans  les  communautés  religieuses  et  par 
Tontes  les  âmes  chrétiennes  qui  aspirent  à  la  perfection 

t  L.  Th.,  Kv.  de  Jilois. 
I 

Donné  à  fJ/o/s,  le  l  janvier  187  L 


APPROBATIONS.  9 

APPROBATION  DE  SA  GRACE  MGR  I.  BOURGET,  ÉVÊQUE 

DE  MONTRÉAL.        \ 

J'éprouve  une  véritable  joie  de  trouver  dans  l'ouvrage  de 
M.  l'Abbé  Ricliaudeau  un  nouveau  panégyrique  de  la  vénérée 
fondatrice  du  monastère  des  Ursulines  de  Québec. 

C'est  une  voix  de  plus  ajoutée  à  tant  d'autres,  qui  forment  un 
agréable  concert,  pour  publier  les  vertus  héroïques  qu'a  pra- 
tiquées cette  fidèle  servante  de  Dieu  et  les  dons  singuliers  dont 
Notre-Seigneur  s'est  plu  à  'orner  sa  belle  âme. 

J'ai  la  confiance  que  cette  nouvelle  Vie  de  la  Mère  de  flncar- 
nalion  contribuera  efficacement  à  entretenir  dans  ce  pays  la 
réputation  de  sainteté  qu'elle  ajustement  méritée  de  son  vivant 
et  dont  la  bonne  odeur  se  conserve  parmi  nous,  qui  ne  saurions 
oublier  les  admirables  exemples  de  vertus  qu'elle  donna  à  nos 
pères  et  les  puissants  secours  qu'elle  leur  procura  par  ses  ferven- 
tes prières,  son  généreux  dévoûment  et  ses  pénibles  sacrifices 
dans  leurs  besoins,  leurs  épreuves  et  leurs  dangers. 

Il  n'y  pas  à  douter  que  la  dévotion  que  l'on  a  déjà  à  cette 
admirable  servante  de  Dieu  ne  s'augmente  et  ne  se  propage 
parmi  nous  par  la  lecture  de  l'histoire  de  sa  vie  qui  est  si  inti- 
mement unie  à  l'histoire  de  notre  pays.  Il  s'ensuivra  un  redou- 
blement de  confiance  dans  ses  mérites  :  et  comme  le  temps  paraît 
venu  où  Dieu  veut  la  glorifier,  nous  pouvons  espérer  qu'il  s'en- 
suivra des  prodiges  éclatants  et  incontestables,  qui  seront  pour 
l'Eglise  un  motif  de  lui  décerner  les  honneurs  de  l'autel.  Puissions- 
nous  voir  arriver  bientôt  ce  jour  fortuné  ! 

f  Ig.,  Ey.  de  Montréal. 

Montréal,  le  24  février  1874. 


10  APPROBATIONS. 

LETTRE  DE  SA  GRANDEUR  MGR  LYONNET,  ARCHEVÊQUE  D'ALBY, 
A  M.  L'ABBÉ  RICHAUDEAU. 

sUhy,  10  mars  1814 

Mon  cher  Monsieur  Richaudeau, 

Si  je  ne  vous  ai  pas  remercié  plus  tôt  du  bel  ouvrage  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer,  c'est  que  je  voulais,  avant 
de  vous  en  témoigner  ma  satisfaction,  prendre  au  moins  con- 
naissance de  l'ensemble  des  faits  que  vous  avez  relatés. 

Je  ne  saurais  vous  dire,  à  présent  que  j'ai  suivi  depuis  le 
commencement  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  la  vénérable  Mère  Marie 
de  l'Incarnation,  toute  la  douce  et  pieuse  impression  que  cette 
lecture  a  laissée  dans  mon  âme. 

Vraiment  il  y  a  du  trait  dans  la  vie  de  cette  sainte  Mère  ; 
on  sent  que  le  souffle  de  Dieu  l'a  inspirée  ;  c'est  lui  qui  l'a  fait 
passer  par  tant  de  phases  diverses  pour  la  conduire  heureuse- 
ment à  ses  fins.  Aussi,  quelle  élévation  dans  ses  pensées!  quelle 
délicatesse  dans  ses  sentiments  !  quelle  générosité  dans  ses 
sacrifices!  Elle  a  bien  mérité,  ce  me  semble,  par  son  coup  d'œil 
si  pénétrant,  son  jugement  si  juste  et  ses  vertus  si  profondes,  le 
surnom  qu'on  lui  a  donné  de  sainte  Thérèse  du  Nouveau- Monde . 

Elle  aura,  je  n'en  doute  pas,  largement  contribué,  pour  sa 
part,  à  étendre  et  propager  le  royaume  de  Dieu  dans  cette  partie 
de  l'Amérique  où  la  foi  a  jeté  de  si  profondes  racines. 

Puisse  maintenant  votre  travail  si  consciencieux  venir  en  aide, 
à  la  cause  de  la  révérende  Mère  devant  la  Congrégation  qui  sera 
chargée  par  le  chef  suprême  de  l'Eglise  de  prononcer  sur  son 
incontestable  sainteté  ! 

Dans  la  persuasion  qu'il  en  sera  ainsi,  je  vous  réitère,  mon 
cher  M.  Richaudeau,  avec  mes  félicitations,  la  nouvelle  assu- 
rance des  sentiments  d'estime  et  de  sincèi'e  affection  avec  lesquels 
je  suis,  aujourd'hui  comme  aux  beaux  jours  de  votre  séminaire. 

Tout  à  vous  en  N.  S. 

t  J.  P.  Archev.  d'Alby. 


APPROBATIONS.  11 

Un  mois  après,  Mgr  Lyonnet,  qui  avait  eu  le  temps  de 
mieux  apprécier  encore  la  Vie  de  la  Mère  Marie  de  Vlncarna- 
tion,  envoyait  à  l'auteur  le  titre  de  Chanoine  honoraire  de  sa 
métropole. 


Le  Courrier  du  Canada  y  journal  qui  se  publie  à  Québec, 
et  qui  inscrit  en  tète  de  tous  ses  numéros  la  devise  : 

JE    CROIS,    j'espère    et   j'aIME, 

apprécie  de  la  manière  suivante  la  Vie  de  la  révét^ende  Mère 
Marie  de  l'Incarnation,  dans  son  numéro  du  P""  mai  1874  : 

"  L'auteur  s'est  attaché  surtout  à  faire  renaître  la  vie  inté- 
rieure de  la  femme  vraiment  extraordinaire  qui  illustra  de  ses 
vertus  et  l'Eglise  de  France  et  celle  du  Canada... 

"  M.  Richaudeau  est  déjà  auteur  de  plusieurs  ouvrages  estimés. 
On  sent,  en  le  lisant,  qu'il  n'écrit  pas  pour  le  plaisir  d'écrire, 
et  que  c'est  à  un  homme  d'expérience  que  l'on  a  affaire.  Il  n'est 
guère  de  chapitres  dans  le  livre  que  nous  avons  sous  les  yeux, 
qui  ne  contienne  des  conseils  sur  l'éducation  des  enfants,  la 
direction  des  âmes,  etc.  ;  puis  des  explications  sur  les  vérité 
de  la  foi,  et  des  considérations,  très-attachantes  dans  leur 
mysticité,  sur  les  communications  de  Dieu  avec  les  âmes  fidèles 
et  privilégiées,  les  miracles,  la  grâce,  la  vertu  toute-puissante 
du  sacrifice. 

»  Traiter  un  pareil  sujet  avec  une  telle  hauteur  de  vues  sup- 
pose un  talent,  une  science  théologique  et  une  connaissance  du 
cœur  humain  peu  ordinaires.  Hâtons-nous  de  dire  que  le  véné- 
rable et  savant  hagiographe  n'a  pas  trop  présumé  de  ses  forces  : 
c'est  ce  qui  ressort  des  approbations  dont  son  œuvre  est  revêtue, 
et  c'est  aussi  le  témoignage  que  nous  avons  recueilli  de  plusieurs 
membres  du  clergé  de  cette  ville. 

"  Quant  à  nous,  laïque,  nous  déclarons  que  nous  avons  été 
étonné  de  l'attrait  que  M.  l'abbé  Richaudeau  a  su  donner  à  son 
livre.  Nous  avons  lu  avec  une  véritable  avidité,  non-seulement 


12  APPROBATIONS. 

ces  pages  oh  figurent  nos  héroïques  ancêtres  et  où  sont  racontés 

I 

les  commencements  de  l'Eglise  huronne-algonquine,  mais  encore 
celles  où  le  théologien  nous  transporte  dans  les  régions  supé- 
rieures, déchirant  les  voiles  qui  cachent  les  horizons  lumineux, 
expliquant  les  admirables  opérations  de  la  grâce  dans  l'àrae 
humaine,  et  commentant  avec  autant  de  clarté  que  de  justesse 
les  paroles  inspirées  de  la  vénérable  Marie  de  l'Incarnation  sur 
les  vérités  dogmatiques  de  l'ordre  le  plus  élevé. 

"  M.  l'abbé  Richaudeau  parle  avec  ce  ton  d'autorité  exempt 
de  toute  raideur  que  peuvent  seuls  donner  la  maturité  du  talent, 
les  fortes  études  et  le  commerce  des  âmes.  Son  style  est  ferme, 
sobre,  concis.  En  le  lisant  on  pense  à  ce  qu'il  dit  et  on  ne  songe 
guère  à  remarquer  comment  il  le  dit.  L'écrivain,  en  gardant  la 
mesure  et  le  ton  convenables,  s'efface  presque  complètement,  et 
la  grande  figure  de  la  Sainte  et  les  autres  figures  qui  l'entourent 
restent  seules  en  lumière.  Or,  savoir  attacher  le  lecteur  et  se 
faire  oublier  soi-même  est  déjà  un  grand  art  :  c'est  la  marque 
par  excellence  des  écrivains  de  bonne  école. 

"  Au  moment  de  terminer  cet  article,  deux  des  choses  que 
nous  venons  de  lire  nous  reviennent  à  la  mémoire.  La  première, 
c'est  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  daigné  faire  connaître 
à  nôtre  Sainte  Canadienne  l'efficacité  irrésistible  de  la  dévotion 
à  son  Cœur  sacré  cinquante  ans  avant  l'apparition  de  Paray- 
le-Monial.  La  seconde,  c'est  que  l'œuvre  de  sainte  Angèle  Mérici. 
l'institution  des  Ursulines,  a  la  promesse  d'une  durée  éternelle. 
Nous  nous  bornons  pour  aujourd'hui  à  faire  mention  de  ces  deux 
faits  sans  y  ajouter  aucun  commentaire ,  et  nous  laissons  nos 
lecteurs,  si  profondément  catholiques,  aux  sentiments  doux  et 
consolants  qu'ils  feront  naître  dans  leurs  cœurs. 

•'  Ernest  Gagnon.  •• 


APPROBATIONS.  13 

Voici  comment  s'exprime  à  son  tour ,  au  sujet  du  même 
ouvrage,  la  Revue  Catholique  d'Aire  et  de  Daœ,  paraissant 
sous  le  patronage  de  Mgr  l'Evèque  d'Aire  (N°  du  23  mai  1874). 

"  Peu  de  livres  apparaissent  avec  un  cachet  d'opportunité 
plus  marqué  que  celui  de  l'abbé  Richaudeau  .  j'ajouterai  qu'il 
en  est  peu  qui  offrent  une  lecture  plus  saine,  plus  utile  et  plus 
attrayante... 

"  Il  est  aisé  de  se  convaincre,  en  lisant  l'ouvrage  de  M.  Ri- 
chaudeau, qu'il  possède,  avec  la  doctrine  sûre  du  théologien, 
une  grande  dextérité  acquise  dans  la  conduite  des  âmes  et 
l'application  des  maximes  et  des  règles  de  la  vie  mystique.  Il  lui 
fallait  tout  cela  pour  dire  convenablement  ce  que  fut  la  vénérable 
Marie  de  l'Incarnation . . . 

"  Inutile  de  dire  que  les  personnes  élevées  à  l'ombre  de  sainte 
Ursule,  trouveront  un  charme  particulier  à  lire  la  Vie  de  Marie 
de  Vlncarmation  ;  car  elle  leur  rappellera  mille  souvenirs  d'en- 
fance; et  dans  la  vénérable  Mère  dont  elles  étudieront  les  vertus, 
elles  retrouveront  plus  d'une  fois  l'image  des  maîtresses  dont  la 
sollicitude  entoura  leurs  premiers  ans. 

"  Nous  formons  le  vœu  que  ce  livre  se  répande  ;  il  est  d'ailleurs 
bien  écrit  ;  des  traits  semés  çà  et  là  avec  quelque  profusion 
soutiennent  l'intérêt  ;  l'on  arrive  à  la  fin  sans  avoir  éprouvé  le 
moindre  ennui  ;  et  l'on  emporte  de  sa  lecture  le  double  sentiment 
de  vénération  et  de  désir  du  bien  qu'inspire  toujours  la  vie  des 
saints.  •• 


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LETTRE  DE  MGR  GRANDIN.  ÉVÊQUE  DE  SAINT-ALBERT. 

{Haut-Canada.) 

Takukewin,  gt^andes  plaines  du  Nord-Ouest,  en  route  vers 
Saint- Albert,  9  août  1874. 

Monsieur  rAumônier, 

J'ai  lu  d'un  bout  à  l'autre,  soit  assis  sur  mon  cheval,  soit  dans 
mes  différents  campements,  l'admirable  Vie  de  la  Mère  Marie 
de  V Incarnation.  Je  ne  saurais  assez  vous  remercier  de  l'avoir 
écrite.  C'est  un  livre  que  tout  missionnaire,  de  l'Amérique  du 
Nord  du  moins,  tiendra  à  avoir  dans  sa  bibliothèque,  dès  lors 
qu'il  le  connaîtra. 

Cette  Vie  m'a  vraiment  impressionné  ;  je  dirai  même  qu'elle  m"a 
fait  du  bien,  et  elle  en  fera  à  mes  missionnaires  qui,  avec  moi, 
continuent  sur  différents  points  de  mon  immense  diocèse  l'œuvre 
commencée  au  Bas-Canada  par  de  saints  missionnaires  avec 
lesquels  a  travaillé  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Puissions- 
nous  avoir  leurs  vies,  comme  nous  avons,  grâce  à  vous,  la  vie 
de  cette  dernière 

Encore  une  fois.  Monsieur  Taumùnier,  merci  pour  cette  Vie. 
Elle  nous  fera  du  bien,  j'en  suis  certain.  J'ai  la  consolation 
d'emmener  dans  ce  voyage,  non-seulement  des  Pères  et  des 
Frères  convers  oblats,  mais  aussi  de  bonnes  religieuses  canadien- 
nes, dont  les  ancêtres  ont  peut-être  été  formées  à  la  science  et 
à  la  vertu  par  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Elles  lisent  main- 
tenant cette  Vie  ;  tous,  à  peu  près,  nous  l'avons  lue,  et  elle  contri- 
buera, j'espère,  à  nous  rendre  supportables,  peut-être  même 
aimables  les  nombreuses  difficultés  de  notre  si  long,  si  pénible 
et  si  ennuveux  vovaçje 

t  Vital,  J.  Ev.  de  Saint- Albert. 
0.  M.  J. 


16  INTRODUCTION. 

réconcilierait  jamais  avec  l'état  religieux  tel  qu'il  avait 
existé  jusqu'alors,  et  que  le  plus  sage  était  d'entrer  en 
accommodement  avec  l'esprit  du  siècle,  de  céder  à  la 
répulsion  qu'il  semblait  avoir  pour  la  vie  mystérieuse 
du  cloître  et  de  lui  donner  des  religieuses  abordables 
dans  nn  salon.  On  voulait  faire  la  part  du  feu  et  con- 
server à  l'Eglise  sa  légitime  influence  sur  l'éducation 
des  jeunes  filles. 

On  peut  voir  aujourd'hui  qu'il  y  avait  là  une  étrange 
illusion  :  car  pendant  que  ces  personnes,  d'ailleurs 
véritablement  pieuses,  disaient  :  Les  Ursiilines  ont  fait 
leur  temps,  les  philosophes  et  les  révolutionnaires 
tenaient  le  même  langage  en  parlant  de  l'Eglise. 
Aujourd'hui  encore  ils  prétendent  que  le  catholicisme 
doit  disparaître  avec  toutes  ses  institutions  et  faire 
place  aux  conquêtes  de  l'esprit  moderne.  S'ils  étaient 
libres  de  mettre  leurs  idées  à  exécution,  ils  ne  feraient 
pas  plus  grâce  aux  congrégations  religieuses  fondées 
hier  qu'aux  Ordres  qui  ont  traversé  des  siècles  ;  ce  qui 
se  passe  en  Italie  en  est  la  preuve  (Mars  1873). 

Cependant  l'intention  de  ceux  qui  fondèrent  des  com- 
munautés enseignantes  non  cloîtrées  était  bonne  ;  et 
Dieu  qui  la  dirigeait  en  tira  des  avantages  que  lui  seul 
pouvait  prévoir,  de  même  que  seul  il  savait  de  quel 
grand  nombre  d'écoles  religieuses  l'Eglise  allait  avoir 
besoin.  Il  bénit  les  nouvelles  communautés  sans  aban- 
donner les  anciennes;  les  unes  et  les  autres  travaillèrent 
sans  se  nuire;  toutes  même  eurent  des  succès  inespérés; 
et  cette  société  du  XIX^  siècle,  qui  sortait  de  la  révolu- 
tion la  plus  antichrétienne  que  l'on  eût  vue,  sembla 
éprouver  une  invincible  défiance  à  l'égard  de  toute 
éducation  qui  n'aurait  pas  eu  un  véritable  cachet  reli- 
gieux. Cette  disposition  évidemment  providentielle  se 


INTRODUCTION.  17 

manifeste  de  plus  en  plus,  au  point  que  jamais  on  ne 
vit  autant  de  familles  confier  l'éducation  de  leurs 
enfants,  surtout  celle  des  filles,  aux  établissements 
religieux,^  que  depuis  un  demi-siècle. 

Les  Ursulines  eurent,  pourtant,  une  certaine  peine 
à  se  reconnaître  et  à  se  relever  après  la  tourmente 
révolutionnaire.  L'esprit  d'irréligion  qui  minait  les 
hautes  classes  de  la  société,  longtemps  avant  l'explosion 
de  1789,  avait  considérablement  diminué  le  nombre 
des  vocations;  bien  des  monastères  avaient  même  déjà 
succombé  par  la  pénurie  de  sujets;  les  autres  jetaient 
des  cris  de  détresse,  comme  celui  que  nous  ont  transmis 
les  annales  des  Ursulines  de  Blois,  à  l'année  1784. 
«  Les  pertes  fréquentes  que  nous  faisons  des  sujets  qui 
composent  notre  communauté,  et  le  petit  nombre  de 
ceux  qui  se  présentent  pour  combler  les  vides  nous 
affligent  au  delà  de  toute  expression.  Cela  nous  fait 
dire  avec  le  prophète  Jérémie  au  chapitre  de  ses 
Lamentations  :  Les  voies  de  Sion  gémissent,  parce  que 
personne  ne  les  fréquente  plus.  » 

Il  faut  ajouter,  comme  conséquence  de  la  rareté  des 
vocations,  que  la  plupart  des  religieuses  chassées  de 
leur  couvent  par  la  révolution  étaient  d'un  âge  plus 
ou  moins  avancé;  plusieurs  étaient  arrivées  à  la  décré- 
pitude. Il  leur  fut  donc  difficile,  après  la  Terreur,  de  se 
retrouver  en  nombre  suffisant  pour  essayer  de  reprendre 
leur  œuvre  interrompue.  Aussi  nous  ne  connaissons 
que  trois  maisons  qui  aient  pu  y  parvenir  avant  les 

(1)  Si  la  liberté  des  pères  de  famille  n'était  pas  entravée,  soit  par  les  bourses, 
qui  sont  accordées  aux  seuls  établissements  universitaires  lorsqu'elles  devraient 
l'être  aux  familles,  soit  par  d'autres  causes  que  nous  ne  pouvons  détailler  ici,  la 
presque  totalité  des  jeunes  gens  serait  élevée  par  le  clergé,  tant  les  familles  com- 
prennent encore  leurs  véritables  intérêts  en  même  temps  que  ceux  de  la  société. 
M.  DE  l'inc.  2 


18  INTRODUCTION. 

prélimiaires  du  Concordat.  Nous  parlons  de  la  France, 
bien  entendu.  Or,  à  mesure  qu'on  laissait  le  temps 
s'écouler,  la  vieillesse  et  la  mort,  causant  de  nouveaux 
ravages,  accroissaient  les  difficultés. 


11  était  arrêté  néanmoins  dans  les  décrets  célestes 
que  cet  Ordre  béni,  non-seulement  ne  succomberait 
pas,  mais  reprendrait  son  éclat  d'autrefois.  Quoi  d'éton- 
nant? N'était-il  pas  l'œuvre  de  Dieu?  N'avait-ce  pas  été 
après  un  commandement  divin  plusieurs  fois  réitéré, 
que  sainte  Angèle  l'avait  fondé  en  1535?  On  n'ignore 
pas  que  ce  fait  merveilleux  a  été  constaté  dans  le 
procès  de  canonisation  de  la  sainte  par  le  Vicaire 
infaillible  de  Jésus-Christ.  En  second  lieu,  une  pro- 
messe divine  assure  à  la  Compagnie  de  sainte  Ursule, 
comme  aux  trois  Ordres  de  saint  François,  une  durée 
égale  à  celle  de  l'Eglise.  Ici  encore  nous  avons  pour 
garant  le  même  oracle  irréfragable.  Après  avoir  dit  que 
sainte  Angèle  fut  ornée  des  plus  sublimes  vertus,  com- 
blée des  dons  du  Ciel,  particulièrement  des  dons  de 
sagesse  et  de  prophétie,  Pie  VII  ajoute  qu'au  moment  de 
la  mort  elle  prédit  que  la  société  établie  par  elle  durerait 
toujours:  Pcrennem  quoque  futuram  morti proxima prœdixit. 

Ajoutons  que  cette  société  d'humbles  vierges  chré- 
tiennes venait  d'acquérir  pendant  la  persécution  même, 
et  par  le  sang  qu'elle  y  avait  versé  pour  la  cause  de 
Dieu,  un  titre  nouveau  à  la  protection  du  Ciel.  De  même 
que  le  sang  des  martyrs  en  général  est  une  semence  de 
chrétiens,  de  même  le  sang  de  martyres  religieuses  est 
un  germe  fécond  de  vocations.  Or  l'Ordre  des  Ursulines 
avait  fourni  une  généreuse  part  de  victimes  à  la  rage 


INTRODUCTION.  19 

révolutionnaire.  Voici  les  plus  remarquables  entre  ces 
héroïques  et  chastes  immolations. 

Au  mois  d'octobre  179-i,  cinq  Ursulines  de  Valen- 
ciennes  furent  condamnées  par  le  tribunal  révolution- 
naire. Les  vierges  chrétiennes,  radieuses  de  bonheur, 
s'acheminèrent  vers  le  lieu  du  supplice  en  psalmodiant 
\e  Miserere.  Elles  avaient  les  mains  liées  derrière  le  dos; 
mais  cela  n'empêcha  pas  l'une  d'entre  elles  de  monter 
avec  tant  d'empressement  sur  l'échafaud,  qu'il  fallut  l'en 
faire  descendre.  Elle  avait  devancé  son  rang! 

Quelques  jours  après,  six  autres  de  la  même  commu- 
nauté eurent  le  même  sort.  L'une  d'elles,  arrivée  au 
lieu  de  l'exécution,  dit  aux  soldats  qui  les  escortaient  : 
«  Citoyens,  nous  vous  sommes  bien  obligées,  car  ce  jour 
est  le  plus  beau  de  notre  vie.  Nous  prions  le  Seigneur 
qu'il  vous  ouvre  les  yeux.  »  —  Une  autre  ajouta  : 
«  Nous  pardonnons  à  nos  juges,  à  nos  ennemis,  au 
bourreau.  »  Celui-ci  les  ayant  garrottées,  chacune  le 
remercia  avec  transport  et  lui  baisa  la  main. 

Trois  mois  auparavant,  à  l'autre  extrémité  de  la 
France,  à  Orange,  trente-deux  religieuses,  dont  quinze 
Ursulines,  avaient  porté  également  leur  tête  sur  l'écha- 
faud. Marie-Anne-Marguerite  Rocher,  Ursuline  de 
Bolène,  fut  à  même,  un  jour,  de  s'échapper.  Elle  con- 
sulta son  père,  vieillard  octogénaire  qui  n'avait  que 
cette  fille  pour  le  servir  à  la  fin  de  sa  carrière.  Voici 
sa  réponse  :  «  Il  me  serait  facile  de  vous  cacher,  ma 
chère  enfant,  et  de  vous  dérober  aux  poursuites  des 
persécuteurs.  Mais  examinez  bien  devant  Dieu  si,  en 
fuyant,  vous  ne  vous  écartez  pas  des  desseins  qu'il  a 
sur  vous.  Peut-être  veut-il  votre  mort  comme  celle 
d'une  victime  qui  doit  apaiser  sa  colère.  Je  vous  dirai 
comme  Mardochée  à   Esther,  que   vous  n'existez  pas 


20  INTRODUCTION. 

pour  VOUS,  mais  pour  son  peuple.  «  L'angélique  fille 
de  ce  héros  chrétien  donna  sa  tête  au  bourreau  après 
avoir  remercié  ses  juges  de  la  manière  la  plus  gra- 
cieuse. Ainsi  moururent  toutes  ses  compagnes  de 
prison;  d'autres  encore  recueillirent  ailleurs  la  palme 
du  martyre  et  méritèrent  par  là  des  grâces  immenses 
en  faveur  de  leur  Ordre.  Unies  à  toutes  les  Ursulines 
qui  avaient  eu  le  bonheur  de  parvenir  à  la  gloire,  elles 
prièrent  pour  leurs  sœurs  dispersées  à  tous  les  vents 
du  ciel. 

On  peut  croire  que  le  premier  et  principal  effet  de 
ces  prières  fut  la  canonisation  de  sainte  Angèle,  qui  eut 
lieu  d'une  manière  pour  ainsi  dire  inespérée,  le  24  mai 
1807  :  car  c'est  à  partir  de  ce  moment  que  l'on  vit  les 
a,nciennes  maisons  d'Ursulines  se  relever,  et  que  d'au- 
tres furent  fondées.  En  effet,  sur  les  cent  trente  monas- 
tères qui  existent  en  France  aujourd'hui,  il  y  en  a 
environ  cent  dont  le  rétablissement  ou  la  fondation 
ne  remonte  pas  au  delà  de  1807;  et  sur  les  deux  cent 
soixante-dix  qui  sont  répandus  dans  les  différentes 
autres  contrées  du  monde  catholique,  une  centaine 
également  ont  été  institués  postérieurement  à  1806. 


Ce  qui  montre  que  Dieu  n'a  pas  cessé,  depuis  lors, 
de  bénir  l'Ordre  des  Ursulines,  c'est  que  soixante  mai- 
sons environ  ont  été  fondées  depuis  1848,  et  il  s'en 
fonde  de  nouvelles  presque  chaque  année. 

Elles  se  multiplient  particulièrement  en  Amérique  où 
elles  exercent  leur  apostolat  avec  des  succès  inespérés. 
Mgr  Dubuis,  évêque  de  Galveston,  qui  en  établit  le  plus 
qu'il  peut  dans  son  immense  diocèse,  nous  disait,  il  y  a 


INTRODUCTION.  21 

quelques  années,  dans  un  voyage  qu'il  a  bien  voulu  faire 
à  Blois,  que  sur  dix  conversions  de  protestants  procurées 
par  des  influences  autres  que  celle  du  clergé  et  des 
missionnaires,  sept  ou  huit  étaient  dues  aux  Ursulines. 

Bien  d'autres  faveurs  que  celles  dont  nous  venons  de 
parler  ont  été  accordées  par  la  divine  Providence  à 
cette  Compagnie  de  vierges  chrétiennes.  Le  11  juillet 
1861,  par  un  Décret  Urbi  et  Orbi,  le  Souverain  Pon- 
tife étendit  à  toute  l'Eglise  le  culte  particulier  rendu 
jusque-là  à  sainte  Angèle.  Voici  les  termes  de  ce  Décret  : 
«  Afin  que  par  la  protection  et  les  mérites  de  cette 
sainte,  le  Seigneur  daigne  préserver  de  toute  erreur  et 
de  toute  souillure  les  personnes  de  son  sexe,  Sa  Sainteté 
a  décrété  par  autorité  apostolique,  que  désormais  la  fête 
de  sainte  Angèle  Mérici,  Vierge,  ainsi  que  l'office  et  la 
Messe  déjà  accordés  pour  quelques  lieux,  sous  le  rite 
double-mineur,  soient  célébrés  par  toute  l'Eglise,  nonob- 
stant toutes  dispositions  à  ce  contraires.  » 

Le  17  avril  1863,  le  même  Pontife  érigea  en  Archi- 
confrérie  une  pieuse  Association  établie  au  couvent  des 
Ursulines  de  Blois  en  l'honneur  de  sainte  Angèle.  Le 
registre  de  Blois  contient  aujourd'hui  les  noms  de  plus 
de  cinquante-quatre  mille  associées,  sans  compter  celles 
qui  font  partie  d'associations  agrégées  à  cette  Archi- 
confrérie  et  dont  nous  ignorons  le  nombre. 

Enfin  un  autre  honneur,  le  dernier  que  l'Eglise 
accorde  aux  saints  sur  la  terre,  fut  rendu  à  sainte 
Angèle  le  25  juillet  1866.  Ce  jour-là,  sa  statue  monu- 
mentale, en  marbre  de  Paros,  haute  de  quatre  mètres 
soixante-douze  centimètres,  fut  placée  dans  la  basilique 
de  Saint-Pierre  de  Rome.  La  sainte  est  représentée 
faisant  lire  une  petite  fille  dont  la  hauteur  est  de  deux 
mètres  soixante-dix  centimètres. 


22  INTRODUCTION. 

Aujourd'hui  Dieu  semble  vouloir  prodiguer  d'autres 
faveurs  à  l'Ordre  dont  nous  parlons,  en  faisant  res- 
plendir les  vertus  et  l'éminente  sainteté  d'une  Ursuline 
dont  le  nom,  après  avoir  été  un  moment  dans  toutes  les 
bouches  il  y  a  deux  siècles,  avait  presque  cessé  d'être 
prononcé  et  même  d'être  connu  ailleurs  qu'au  Canada., 
La  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  née  à  Tours,  fut  l'une 
\  des  femmes  qui  jetèrent  le  plus  d'éclat  au  XVIi®  siècle, 
si  fécond  en  grands  caractères.  Sa  vie  écrite  par  son 
fils,  religieux  Bénédictin,  et  publiée  en  1G76,  fit  une 
grande  sensation  au  moment  où  elle  parut.  Le  public 
fut  si  frappé  des  vertus  de  cette  admirable  religieuse, 
qu'on  la  qualifia,  dit  Bossuet,  de  Thérèse  de  son  siècle 
et  du  Nouveau  Monde. 


Dieu  permit  que  cette  juste  admiration  disparût, 
mais  c'était  pour  la  faire  revivre  en  temps  opportun. 
Or  ce  temps  semble  être  l'époque  actuelle.  Par  un 
mouvement  qui  paraît  bien  avoir  été  l'effet  de  la  grâce, 
plusieurs  personnes  pieuses  ayant  lu,  soit  l'ancienne 
vie  de  Marie  de  l'Incarnation  par  son  fils,  soit  celle 
du  Père  Charlevoix,  jésuite,  éprouvèrent  le  désir  et 
l'espérance  de  voir  sur  les  autels  une  religieuse  si 
sainte  et  si  parfaite,  que  sa  vertu  semble  n'avoir  jamais 
été  assombrie  par  le  moindre  nuage  durant  les  soixante- 
treize  ans  qu'elle  passa  sur  la  terre.  On  exprima  cette 
pensée  à  feu  Mgr  Baillargeon,  archevêque  de  Québec, 
mort  depuis,  après  avoir  quitté  le  concile  pour  cause 
de  mauvaise  santé.  Ce  pieux  prélat  agréa  la  proposi- 
tion qui  lui  fut  faite,  et  aussitôt  il  nomma  une  commis- 
sion pour  recueillir  tous  les  faits  et  tous  les  renseigne- 
ments historiques  de  nature  à  éclairer  le  Saint-Siège 


INTRODUCTION.  23 

sur  une  affaire  de  si  grande  importance  pour  l'Eglise 
en  général  et  le  diocèse  de  Québec  en  particulier. 

La  commission  travailla  avec  un  zèle  admirable; 
elle  eut  le  bonheur  de  pouvoir  constater  canonique- 
ment  non-seulement  des  miracles  déjà  opérés,  mais 
des  guérisons  frappantes  obtenues  pendant  qu'elle  était 
en  fonction.  Elle  en  rédigea  les  procès- verbaux  selon 
les  règles  canoniques,  et  le  tout  fut  envoyé  à  Rome 
à  l'époque  où  les  intrépides  zouaves  du  Canada  vinrent 
offrir  leurs  services  à  Pie  IX,  et  lui  faire  bénir  leur 
drapeau  orné  de  cette  devise  :  Aime  Dieu  et  va  ton 
CHEMIN.  Mgr  Baillargeon  sachant  que,  d'après  les  règles 
ordinaires  et  les  usages  romains,  ces  pièces  devaient 
attendre  dix  ans  avant  qu'on  en  rompît  les  sceaux,  fît 
présenter  au  Pape  une  supplique  signée  de  tous  les 
évoques  de  sa  province,  dans  le  but  d'obtenir  de  Sa 
Sainteté  la  dispense  des  dix  ans  d'attente.  Le  bienveil- 
lant Pontife  accueillit  la  demande,  fit  rompre  les 
sceaux  et  ordonna  de  mettre  les  pièces  entre  les  mains 
de  la  Congrégation  des  Rites. 


Nous  avons  cru,  en  conséquence  de  ces  faits,  le 
moment  favorable  pour  publier  une  nouvelle  Vie  de 
cette  religieuse  éminente.  Il  nous  a  semblé  qu'il  était 
bon  de  préparer  les  fidèles  à  lui  rendre  les  hommages 
que  l'Eglise  va  lui  décerner  si,  comme  nous  l'espérons, 
elle  juge  suffisantes  les  preuves  de  sainteté  qu'elle 
examine  en  ce  moment. 

Il  est  vrai  que  M.  l'abbé  Casgrain  a  publié  à  Québec, 
en  1864,  un  excellent  travail  sur  ce  même  sujet  et 
ayant  le  même  titre;  mais  pour  des  motifs  que  nous 


24  INTRODUCTION. 

ignorons,  et  qui  en  tout  cas  ne  pourraient  plus  être 
admissibles  au  moment  où  tout  fait  espérer  que  Marie 
de  l'Incarnation  va  être  mise  au  rang  des  Bienheureux, 
M.  Casgrain,  suivant  une  méthode  opposée  à  celle  du 
Père  Charlevoix,  a  presque  entièrement  omis,  dans 
l'histoire  de  la  servante  de  Dieu,  ce  qui  caractérise  le 
plus  sa  sainteté  exceptionnelle.  Il  n'a  pas  jugé  à  propos 
de  mettre  en  relief  les  faveurs  extraordinaires  dont 
son  âme  a  été  comblée,  les  degrés  par  lesquels  elle  a 
été  élevée  à  une  vie  mystique  et  une  perfection  d'union 
avec  Dieu  telles  que  bien  peu  de  saints,  même  parmi 
les  plus  éminents  peut-être,  l'ont  surpassée  ou  égalée. 
Or  il  nous  semble  que  ce  n'est  plus  le  moment  de 
laisser  dans  l'ombre  ce  splendide  travail  de  la  grâce 
dont  Bossuet  et  les  grands  esprits  du  XVIP  siècle 
avaient  été  particulièrement  frappés,  et  qui,  à  leurs 
3^eux,  rendait  Marie  de  l'Incarnation  comparable  à 
sainte  Thérèse. 

Je  sais  bien  qu'on  redoute  généralement  les  lectures 
sérieuses,  et  surtout  la  partie  mystique  de  la  vie  des 
saints.  Mais  c'est  précisément  là  le  grand  mal  de  notre 
époque;  c'est  le  désordre  contre  lequel  il  est  indispen- 
sable de  réagir.  Qui  ne  voit  combien  cette  légèreté  des 
esprits,  ce  parti  pris  de  vouloir  ignorer  les  chefs-d'œu- 
vre de  la  grâce,  renferme  d'outrage  envers  Dieu? 

On  veut  tout  savoir  aujourd'hui,  ou  plutôt  on  veut 
savoir  quelque  chose  de  tout,  excepté  ce  qui  concerne 
la  science  de  Dieu,  de  sa  religion,  de  son  amour  pour 
les  âmes.  Une  jeune  fille,  surtout  si  elle  se  destine  à  la 
carrière  de  l'instruction,  consent  à  se  fatiguer  durant 
des  années  entières  par  des  études  abstraites  pour 
apprendre  la  géométrie,  l'algèbre,  pour  résoudre  les 
plus  difficiles  problèmes  de  l'arithmétique,  et  elle  fer- 


INTRODUCTION.  25 

mera  son  esprit,  elle  refusera  toute  espèce  d'attention 
s'il  s'agit  de  connaître  l'action  de  la  grâce  divine  dans 
une  âme.  Cependant  cette  science  est  bien  plus  belle, 
elle  est  plus  grande,  plus  utile  et  plus  facile  à  acquérir 
que  celles  auxquelles  elle  consacre  de  si  longues 
heures  !  Elle  ne  craindra  pas  un  pénible  travail  pour 
mettre  dans  sa  tête  toute  une  classification  de  termes 
scientifiques  barbares  comme  ceux  de  la  chimie,  et 
elle  refusera  de  faire  un  quart  d'heure  de  lecture 
spirituelle,  si  cette  lecture  n'est  pas  amusante! 

On  ne  doit  pas  oublier  que  nous  sommes  sur  la  terre 
pour  connaître  Dieu,  l'aimer  et  le  servir;  tout  le  reste 
n'est  qu'accessoire,  ou  plutôt  il  n'y  a  rien  en  dehors  de  cela, 
parce  que  tout  doit  être  dirigé  vers  cette  fin  suprême  et 
unique.  Toute  science,  même  celle  que  l'on  appelle  pro- 
fane, doit  être  surnaturalisée  et  étudiée  dans  le  but  de 
mieux  connaître  les  œuvres  de  Dieu  et  Dieu  lui-même. 

Il  y  a  deux  sortes  d'œuvres  de  Dieu  :  les  unes  appar- 
tiennent à  l'ordre  de  la  nature,  les  autres  à  celui  de  la 
grâce;  mais  celles-ci  sont  incomparablement  plus  excel- 
lentes. Qu'est-ce  que  les  astres  qui  roulent  au-dessas 
de  nos  têtes,  et  les  océans  de  lumière  dont  ils  inondent 
l'espace,  en  comparaison  d'une  âme  sainte  qui,  remplie 
des  clartés  de  l'essence  divine,  servira  comme  de  phare 
céleste  pour  éclairer  une  multitude  d'autres  saints 
pendant  la  durée  des  siècles,  et  qui  les  fera  graviter 
autour  d'elle  par  l'imitation  de  ses  vertus,  jusqu'à  ce 
que  tous  les  élus  se  trouvent  enveloppés  dans  les 
splendeurs  éternelles?  Que  sont  ces  immenses  brasiers 
qu'on  appelle  des  soleils,  et  dont  la  chaleur  traverse 
des  espaces  incalculables,  si  l'on  veut  étudier  cet 
amour  véritablement  insondable  que  Dieu  allume  lui- 
même  dans  les  cœurs  où  il  habite,  et  dont  il  active  la 


2b  INTRODUCTION. 

flamme  dans  des   proportions   auxquelles  rien   ici-bas 
ne  peut  être  comparé? 

De  même  que  les  perfections  infinies  de  Dieu  dont 
la  raison  humaine  peut  avoir  quelque  notion  s'aper- 
çoivent dans  ses  œuvres  de  l'ordre  naturel,  comme  le 
dit  saint  Paul,  ainsi  les  merveilles  de  l'ordre  surnaturel, 
objet  de  la  contemplation  des  Bienheureux  qui  voient 
Dieu  face  à  f^ce ,  se  reflètent  dans  les  vertus  et  les 
perfections  de  certaines  âmes  d'élite  données  en  spec- 
tacle au  monde  par  une  miséricordieuse  Providence. 
Or,  n'est-ce  pas  là  une  science  que  tout  chrétien  a 
intérêt  de  connaître,  que  tous  même  nous  devons 
travailler  à  acquérir,  puisque  nous  sommes  créés  pour 
voir  Dieu  et  contempler  à  jamais  les  beautés  du  ciel? 
Il  serait  bien  aveugle  celui  qui  croirait  que  l'on  ne  doit 
pas  initier  les  jeunes  enfants  à  cette  science  divine. 
Quoi!  les  enfants  de  Dieu  pourraient  connaître  trop  tôt 
ou  trop  bien  les  grandes  et  magnifiques  œuvres  de  leur 
Père  céleste!  11  y  aurait  de  l'inconvénient  à  les  mettre 
en  face  des  phénomènes  de  la  grâce  les  plus  propres 
à  leur  faire  comprendre  ce  qu'il  y  a  de  grand  dans  leur 
vocation  à  la  foi  et  dans  leur  titre  de  chrétiens,  ce  qu'il 
y  a  d'élevé  et  de  sublime  dans  leurs  destinées  éter- 
nelles! A  Dieu  ne  plaise  qu'une  telle  manière  de  penser 
puisse  jamais  prévaloir  dans  une  famille  chrétienne! 


On  dira  que  ce  sont  des  choses  trop  relevées  pour 
que  les  personnes  d'une  instruction  ordinaire  les  puis- 
sent comprendre.  —  Mais,  tous  les  jours,  n'impose-t-on 
pas  un  travail  pénible  à  des  enfants  de  six  ou  sept  ans, 
pour  leur  faire  réciter  des  règles  de  grammaire  dont 


INTRODUCTION.  27 

ils  ne  comprennent  pas  un  mot?  Cela  pourtant  est 
nécessaire  si  l'on  veut  qu'ils  les  comprennent  plus  tard. 
Ajoutons  que  les  enfants  qui  lisent  les  merveilles  de 
la  grâce  dans  la  vie  des  saints,  acquièrent  bien  plus 
qu'on  ne  croit  une  haute  idée  de  la  magnificence  des 
œuvres  de  Dieu,  surtout  de  ses  œuvres  surnaturelles; 
quelque  chose  leur  dit  qu'il  y  a  dans  la  sainteté  une 
beauté  d'autant  plus  admirable  qu'il  est  plus  difficile 
de  la  comprendre  et  d'en  soutenir  l'éclat,  de  même 
que  nous  avons  une  plus  haute  idée  de  la  splendeur 
du  soleil,  précisément  parce  que  nos  yeux  ne  peuvent 
le  fixer. 

«  Toujours  dans  le  ciel!  entends-tu,  mon  frère?  ou 
bien  toujours  dans  les  enfers!  Toujours,  toujours!  « 
Ainsi  parlait  à  son  petit  frère  une  petite  fille  qui  fut 
sainte  Thérèse.  Ils  lisaient  ensemble,  à  l'âge  de  sept 
ou  huit  ans,  les  vies  des  saints,  et  pensant  à  la  gloire 
des  martyrs,  il  leur  prit  un  désir  ardent  de  mourir 
comme  eux,  afin  de  jouir  plus  tôt  de  la  félicité  éter- 
nelle. Toujours!  toujours!  se  disaient-ils  l'un  à  l'autre, 
et  ils  se  mirent  en  route  pour  aller  dans  la  contrée  de 
l'Espagne  où  étaient  encore  les  Sarrasins,  espérant 
trouver  le  martyre.  Rencontrés  par  un  oncle,  ils  furent 
ramenés  à  la  maison,  mais  un  feu  céleste  continua 
d'embraser  leurs  jeunes  cœurs.  Son  ardeur  n'aurait 
probablement  fait  que  s'accroître,  si  une  parente  animée 
de  l'esprit  du  monde  n'eût  mis  entre  les  mains  de 
Thérèse  des  romans  et  d'autres  écrits  futiles.  L'enfant 
y  prit  goût,  le  poison  s'infiltra  dans  cette  âme  jusque-là 
si  belle  et  si  pure.  Elle  perdit  cette  ferveur  qui  avait 
dû  faire  l'admiration  des  anges.  Son  père  s'en  aperçut, 
et  comme  il  était  fervent  chrétien,  il  la  mit  en  pension 
dans  un  couvent  pour  remédier  au  mal.  Là  se  réveil- 


28  INTRODUCTION. 

lèrent  ses  sentiments-  de  piété;  de  pieuses  lectures  la 
ramenèrent  peu  à  peu,  mais  non  sans  difficultés  et  sans 
combats,  vers  cette  voie  de  perfection  où  elle  fit  ensuite 
tant  de  progrès. 

«  Longtemps  après,  dit  la  sainte,  étant  un  jour  en 
oraison,  il  me  sembla  que  je  me  trouvai  en  un  moment 
dans  l'enfer,  sans  savoir  de  quelle  manière  j'y  avais  été 
portée.  Je  compris  seulement  que  Dieu  voulait  me  faire 
voir  le  lieu  que  les  démons  m'avaient  préparé,  et  qui 
eût  été  ma  demeure  si  j'avais  continué  de  marcher  dans 
le  relâchement  où  m'avait  jetée  la  lecture  des  romans.  » 

Combien  de  parents  qui  préparent  à  leurs  enfants 
une  place  dans  l'enfer,  en  croyant  les  aimer  beaucoup! 

On  verra  plus  loin  dans  ce  volume  que,  tout  enfant, 
Marie  Guyard  eut  le  bonheur  de  sentir  le  danger  des 
livres  futiles.  D'elle-même  elle  rejeta  ceux  que  ses 
parents  lui  avaient  donnés  pour  son  amusement,  et  elle 
devint  u^ne  femme  forte,  comparable  aux  esprits  les  plus 
élevés  et  aux  plus  grands  saints  dont  s'honore  l'Eglise. 


Les  historiens  de  sainte  Angèle  Mérici  nous  appren- 
nent que  ses  parents,  tenant  à  élever  leur  famille  dans 
la  crainte  de  Dieu,  faisaient  chaque  jour  en  commun 
les  prières  du  matin  et  du  soir,  ainsi  qu'une  lecture 
spirituelle ,  puisée  ordinairement  dans  la  Vie  des  saints. 
«  Ils  avaient  soin  de  faire  assister  à  ces  exercices  non- 
seulement  les  enfants  dont  l'intelligence  était  déjà  déve- 
loppée, mais  encore  ceux  de  l'âge  le  plus  tendre,  et  qui 
ne  semblaient  encore  être  capables  que  d'une  assistance 
matérielle.  Ils  voulaient  les  accoutumer,  dès  ces  tendres 
années ,   à  s'occuper  selon   leur   pouvoir  de    pensées 


INTRODUCTION.  29 

pieuses  et  d'œuvres  de  religion.  «  Or  il  arriva,  avec 
le  secours  de  la  grâce  sans  doute,  que  ces  lectures, 
bien  autrement  propres  à  ouvrir  l'esprit  et  à  en  perfec- 
tionner les  facultés  que  les  romans,  les  histoires  fan- 
tastiques et  de  stupides  plaisanteries,  produisirent  des 
effets  étonnants  sur  la  petite  Angèle.  Elles  fixèrent 
son  attention,  émurent  son  cœur  et  amenèrent  une 
précocité  de  raison  qui  tient  du  miracle.  Dès  1  âge  de 
trois  ou  quatre  ans,  elle  entendait  la  lecture  édifiante 
et  s'unissait  aux  prières  avec  un  extérieur  composé  et 
attentif  comme  aurait  pu  le  faire  yne  personne  arrivée 
à  lage  mûr.  Bien  loin  de  témoigner  de  l'ennui  ou  le 
désir  de  voir  arriver  la  fin,  comme  cela  est  ordinaire 
aux  enfants,  elle  éprouvait  un  vrai  chagrin  quand  il 
fallait  passer  des  œuvres  de  piété  aux  amusements. 

Ce  développement  intellectuel  se  manifesta  surtout 
dans  l'ordre  de  la  piété.  «  Les  plus  anciens  historiens 
de  sa  vie,  dit  le  Père  Salvatori,  s'accordent  tous  à 
assurer  que,  dès  l'âge  de  cinq  ans,  elle  commença  à 
s'avancer  dans  le  chemin  de  la  perfection,  fuyant  la 
dissipation  et  l'oisiveté,  montrant  du  goût  pour  la 
retraite  et  l'oraison,  voulant  toujours  être  occupée  ou 
aux  exercices  de  piété  ou  au  travail  qu'on  lui  deman- 
dait. 5»  Tel  fut  l'effet  produit  sur  Angèle  par  la  lecture 
de  la  vie  des  saints,  telle  l'origine  d'une  sainteté  qui 
ne  fit  que  croître  jusqu'à  l'âge  de  soixante-dix  ans,  oii 
elle  quitta  la  terre  pour  aller  au  ciel. 

Ce  n'était  pas  seulement  par  sa  piété  qu'Angèle  exci- 
tait l'admiration.  Tous  ceux  qui  avaient  eu  occasion 
de  la  connaître  étaient  surpris  de  la  sagesse  de  ses 
conseils  et  des  lumières  supérieures  de  son  esprit. 
On  vit  un  jour  la  ville  de  Venise  tout  entière  exprimer 
comme   par  acclamation   le  désir   de  la   posséder,   et 


30  INTRODUCTION. 

lui  envoyer  une  députation  pour  lui  proposer  la  direc- 
tion de  son  plus  important  établissement  de  charité. 

Le  Pape  Clément  VII,  à  son  tour,  après  s'être  con- 
vaincu, par  lui-même,  de  sa  grande  capacité,  l'invita 
à  se  fixer  à  Rome,  et  lui  offrit  de  la  mettre  à  la  tête 
de  celui  des  établissements  de  la  ville  éternelle  qui  lui 
plairait  le  plus. 

François  Sforza,  dernier  duc  de  Milan,  sur  le  point 
d'être  dépouillé  de  ses  Etats  à  la  suite  d'une  guerre 
malheureuse,  voulut  s'éclairer  de  ses  conseils.  Frappé 
d'étonnement  à  la  manière  dont  elle  jugeait  sa  situation 
et  à  la  sagesse  de  ses  appréciations,  en  même  temps 
qu'il  était  touché  jusqu'au  fond  du  cœur  des  célestes 
maximes  de  résignation  et  de  confiance  qu'elle  lui  insi- 
nuait, «  il  la  prit  pour  directrice  de  son  âme,  la  sup- 
pliant d'être  sa  mère  spirituelle  et  la  protectrice  auprès 
de  Dieu  de  toute  sa  cour  et  de  son  peuple.  » 

Or,  qui  oserait  dire  que  cette  humble  femme  eût 
jamais  pu  conquérir  une  pareille  considération  si  elle 
eût  passé  sa  jeunesse  à  lire  des  romans,  au  lieu  de 
donner  à  son  esprit  l'aliment  solide  et  substantiel  de 
la  vie  des  saints?  Qui  connaîtrait  aujourd'hui  son  nom, 
qui  connaîtrait  les  noms  de  Thérèse ,  de  Marie  de 
l'Incarnation  et  de  cent  autres,  si,  dès  leur  enfance  et 
durant  leur  jeune  âge,  ces  femmes  remarquables  n'eus- 
sent pas  excité  un  saint  enthousiasme  dans  leur  âme 
par  la  méditation  des  grands  exemples  de  vertus  que 
nous  ont  laissés  les  héros  chrétiens? 


Si  l'on  savait  réfléchir  à  ce  qui  se  passe  tous  les 
jours  dans   les  conditions  ordinaires  de   la   vie,   on 


INTRODUCTION.  31 

verrait  combien  de  femmes  deviennent  malheureuses 
uniquement  parce  qu'elles  ont  étiolé  leur  intelligence 
et  leur  cœur  par  l'habitude  des  lectures  futiles  et 
légères.  Les  unes,  unies  à  un  mari  peu  capable  de 
gérer  ses  affaires,  ou  facile  à  se  laisser  entraîner  par 
de  mauvais  conseils,  ne  savent  pas  acquérir  un  ascen- 
dant ou  inspirer  une  confiance  qui  les  auraient  sauvés 
l'un  et  l'autre  en  conjurant  de  funestes  catastrophes. 
Les  autres,  éprouvées  par  des  revers  imprévus,  man- 
quent de  cette  vigueur  chrétienne  qui  empêche  l'âme 
de  fléchir  sous  le  poids  de  l'adversité,  qui  même,  bien 
souvent,  fournit  des  ressources  pour  vaincre  ce  que 
l'on  appelle  improprement  la  rigueur  du  sort  et  relever 
une  situation  désespérée. 

Les  parents  qui  ne  saisissent  pas  ces  vérités  que 
tant  de  malheurs  de  famille  leur  mettent  pourtant 
chaque  jour  sous  les  yeux,  et  qui  ne  s'en  inspirent  pas 
pour  diriger  l'éducation  de  leurs  enfants,  manquent 
eux-mêmes  de  la  vraie  intelligence  des  choses  de  la 
vie,  intelligence  que  seule  la  piété  chrétienne  peut 
donner.  Très-peu,  en  effet,  comprennent  que  Dieu  a 
disposé  toutes  choses,  dans  sa  sagesse  infinie,  de 
manière  que  le  sens  chrétien  est  aux  intelligences  ce 
qu'un  air  pur  est  pour  la  respiration  corporelle.  C'est 
la  respiration  de  ce  sens,  de  cet  esprit  chrétien  qui 
donne  à  lame  sa  vie  et  sa  force,  et  qui  la  rend  capable 
de  supporter  les  épreuves  et  les  travaux  par  lesquels 
elle  est  condamnée  à  passer  pour  mériter  les  récom- 
penses éternelles. 


Après  ces  réflexions  si  importantes  et  néanmoins  si 
souvent  négligées,  nous  croyons  utile  d'aller  au  devant 


32  INTRODUCTION. 

d'une  autre  objection  qui  pourrait  nous  être  faite. 
Certaines  personnes,  plus  ombrageuses  que  véritable- 
ment prudentes,  croiront  peut-être  qu'il  y  a  dans  la  vie 
de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  des  choses  qui  sont 
de  nature  à  produire  de  dangereuses  impressions  :  par 
exemple,  ce  qu'elle  raconte  du  mariage  de  son  âme 
avec  Dieu.  —  Nous  croyons  connaître  assez  les  enfants 
formés  à  un  commencement  de  piété  pour  dire  qu'ils 
sont,  sous  ce  rapport,  généralement  plus  raisonnables 
et  plus  capables  d'apprécier  un  sentiment  pur  et  un 
amour  surnaturel,  que  beaucoup  de  personnes  plus 
âgées.  Une  jeune  fille  comprend ,  sans  la  moindre 
apparence  de  nuage  ou  d'obscurité,  que  le  sentiment 
d'amour  pour  Dieu,  qui  inonde  son  âme  et  enivre  son 
cœur  au  jour  de  sa  première  communion,  est  plus  pur 
qu'un  rayon  de  soleil,  et  que  s'il  était  cent  fois  plus  vif, 
il  serait  cent  fois  plus  pur  et  plus  saint.  Elle  sent  que 
si  Dieu  achevait  en  elle  l'œuvre  qu'il  a  commencée, 
s'il  transformait  en  lui  son  âme  autant  qu'il  est  possible, 
s'il  l'étreignait  dans  un  embrassement  divin  aussi  ditfé- 
rent  des  embrassements  sensuels  que  l'amour  dont  elle 
brûle  alors  diffère  de  l'amour  profane,  elle  sent  que 
son  cœur  deviendrait  un  ciel  et  qu'il  égalerait  le  ciel 
en  pureté.  Or  le  mariage  de  l'âme  avec  Dieu  n'est  rien 
autre  chose  que  cette  transformation,  et  cette  union 
de  la  créature  et  du  Créateur.  Est-ce  que,  tous  les 
jours,  les  enfants  élevés  chrétiennement  ne  lisent  pas, 
n'entendent  pas  dire  que  les  âmes  consacrées  à  Dieu 
sont  ses  épouses  véritables,  et  que  quand  elles  sont 
fidèles  à  toutes  les  grâces  de  leur  sainte  vocation,  il 
arrive  quelquefois  que  leur  cœur  se  trouve  comme 
liquéfié  en  celui  de  Jésus-Christ,  ou  blessé  d'une  bles- 
sure d'amour,  comme  cela  eut  lieu  pour  sainte  Thérèse? 


INTRODUCTION.  33 

Or  la  Mère  Marie  de  rincarnation  ne  dit  rien  de  plus  en 
parlant  de  son  mariage  avec  Dieu.  Heureux  les  enfants 
à  qui  l'on  ne  donnerait  jamais  de  livre  plus  propre  à 
troubler  la  pure  et  douce  sérénité  dont  ils  ont  reçu  la 
grâce  au  jour  de  leur  baptême! 


Disons  maintenant  à  quelles  sources  nous  avons 
puisé  pour  composer  cet  ouvrage. 

La  principale  a  dû  être  la  vie  de  la  servante  de 
Dieu,  écrite  par  son  fils,  Dom  Claude  Martin,  d'après 
des  relations  qu'elle  avait  rédigées  elle-même,  forcée 
en  quelque  sorte  par  l'obéissance.  La  première  de  ces 
relations  fut  faite  peu  de  temps  après  sa  profession, 
en  1633.  Comme  elle  était  alors  accablée  des  plus 
horribles  tentations,  sa  supérieure  l'engagea  à  s'ouvrir 
au  Père  de  la  Haye,  Jésuite,  qui  prêchait  le  carême 
à  Tours.  Ce  religieux  eut  bien  vite  compris  qu'il  n'était 
pas  en  présence  d'une  âme  commune  et  ordinaire  ;  et 
pour  être  en  état  de  porter  un  jugement  sûr,  il  l'obligea 
à  lui  faire  connaître  par  écrit  toutes  les  grâces  qu'elle 
avait  reçues  dans  sa  vie.  Elle  se  soumit  à  cette  injonc- 
tion, mettant  toutefois  pour  condition  qu'elle  écrirait 
en  tête  la  confession  de  tous  ses  péchés.  Le  Père  y 
consentit,  puis  quand  il  eut  le  tout,  il  jeta  la  confession 
au  feu  et  garda  la  relation  des  grâces  reçues,  ainsi 
que  des  tribulations  et  des  épreuves  par  où  elle  avait 
passé.  Avant  de  mourir,  il  en  avait  fait  cadeau  aux 
Ursulines  de  Saint-Denis,  qui  l'envoyèrent  à  Claude 
Martin,  dès  qu'elles  eurent  appris  qu'il  travaillait  à 
composer  l'histoire  de  la  vie  de  sa  mère. 

La  Mère  de  l'Incarnation  écrivit  sa  seconde  relation 


M.  DE  LINC. 


34  INTRODUCTION. 

par  ordre  du  Père  Lallemand,  autre  Jésuite  et  égale- 
ment son  confesseur.  Elle  s'arrête  à  l'année  1654.  Nous 
n'avons  plus  le  texte  original  de  ces  relations  ;  mais 
Claude  Martin  déclare  les  avoir  reproduites  exacte- 
ment, et  il  mérite  toute  confiance. 

La  seconde  source  où  nous  avons  puisé,  est  le 
volume  des  lettres  de  la  vénérable  Mère.  Elles  furent 
publiées  par  le  même  Claude  Martin,  au  nombre  de 
deux  cent  vingt-une,  en  l'année  1681.  Nous  espérons 
en  donner  bientôt  une  nouvelle  édition. 

Deux  Vies  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  l'une  com- 
posée par  le  Père  Charlevoix,  Jésuite,  imprimée  en 
1624;  l'autre  publiée  tout  récemment  par  M.  l'abbé 
Casgrain,  prêtre  du  diocèse  de  Québec,  nous  ont  égale- 
ment servi. 

Nous  avons  eu,  en  outre,  l'heureuse  chance  de 
trouver  un  ouvrage  extrêmement  rare,  intitulé  :  La  Vie 
du  vénérable  Père  Dom  Claude  Martin,  religieux  Bénédictin 
de  la  Congrégation  de  Saint-Maur,  par  le  Père  Edmond 
Martène,  son  disciple.  Voici  la  principale  raison  pour 
laquelle  ce  volume  est  rare.  Après  l'avoir  composé  par 
un  sentiment  d'afection  filiale,  Martène  sollicita  auprès 
de  ses  supérieurs  la  permission  de  le  faire  imprimer; 
il  écrivit  lettre  sur  lettre,  fit  même  le  voyage  de  Paris 
et  employa  la  médiation  des  personnes  qu'il  supposait 
avoir  le  plus  de  crédit;  mais  il  ne  reçut  jamais  que  des 
réponses  négatives,  motivées  sur  ce  qu'il  était  contraire 
aux  usages  et  à  la  coutume  de  la  Congrégation  de  faire 
imprimer  la  yie  de  ses  membres.  Alors,  soit  qu'on  lui 
eût  dérobé  son  manuscrit,  soit  par  une  autre  cause  que 
l'on  n'indique  pas,  ce  travail  tomba  entre  les  mains  d'un 
personnage  important  ou  hardi,  qui  prit  sur  lui  de  le 
faire  imprimer  à  Tours  en  1697.  L'édition  ne  fut  tirée 


INTRODUCTION.  35 

qu'à  un  petit  nombre  d'exemplaires,  à  cause  de  ces 
difficultés,  et  l'on  a  cru.  que  les  Bénédictins  en  détrui- 
sirent le  plus  qu'ils  purent.  Quelques-uns  échappèrent 
néanmoins.  Il  en  existe  même  à  l'abbaye  des  Bénédictins 
de  Solesmes. 

L'éditeur  termine  ainsi  V Avertissement  où  il  fait  con- 
naître ces  particularités  sur  la  Vie  de  Claude  Martin  : 
«  Il  semble  que  Dieu,  qui  avait  fait  de  ce  saint  Reli- 
gieux un  homme  de  la  Providence  pendant  sa  vie, 
ait  voulu  continuer,  après  sa  mort,  à  faire  éclater  sur 
lui  cette  même  Providence  :  puisque  ses  supérieurs 
qui  auraient  dû  par  toutes  sortes  de  raisons  faire  hon- 
neur à  sa  mémoire,  en  faisant  connaître  ses  vertus 
à  toute  la  terre,  ayant  poussé  leur  modestie  jusqu'à 
lui  refuser  cette  justice,  il  a  permis  que  cette  histoire 
de  sa  vie  tombât  entre  les  mains  de  personnes  zélées 
qui  se  sont  crues  obligées,  dans  l'intérêt  de  la  gloire 
de  Dieu,  d'en  faire  part  au  public.  » 

Quoi  qu'il  en  soit  des  motifs  qui  ont  fait  publier  cette 
vie  et  des  moyens  que  l'on  prit  pour  y  réussir,  elle  est 
tellement  propre  à  édifier,  que  l'on  se  demande  en  la 
lisant  si  Claude  Martin  a  été  moins  saint  que  sa  mère. 

Mentionnons  encore,  comme  source  où  nous  avons 
puisé,  outre  les  Relations  des  Jésuites,  dont  nous  parlons 
souvent,  la  remarquable  Histoire  du  Monastère  des  Ursu- 
lines  de  Québec,  en  trois  volumes  in-S*^,  composée  par 
une  religieuse  de  cette  communauté,  et  imprimée  en 
1863  et  années  suivantes. 

Enfin,  des  renseignements  inédits  conservés  dans  les 
Annales  des  Ursulines  de  Québec,  et  que  ces  pieuses 
religieuses  ont  eu  l'obligeance  de  nous  communiquer, 
nous  ont  fourni  des  détails  du  plus  haut  intérêt. 


DÉCLARATION 


En  traitant  un  sujet  aussi  délicat  que  la  vie  d'une 
âme  qui  a  marché  durant  soixante-treize  ans  dans  le 
chemin  de  la  perfection  chrétienne  et  religieuse;  en 
parlant  surtout  des  voies  si  ardues  de  la  vie  mystique, 
il  a  pu  nous  échapper  quelque  erreur.  Nous  la  désa- 
vouons d'avance  et  nous  rétractons  sans  réserve  tout 
ce  que  l'Oracle  infaillible  du  Saint-Siège  regarderait 
comme  tant  soit  peu  répréhensible. 

De  plus,  entièrement  éloigné  de  vouloir  devancer  le 
jugement  de  l'Eglise  sur  quelque  point  que  ce  soit, 
nous  restreignons  au  sens  du  langage  commun  et  ordi- 
naire toutes  les  expressions  de  sainte,  de  vénérable,  et 
autres  de  ce  genre.  De  même  aussi,  nous  ne  voulons 
donner  aucun  fait  extraordinaire  comme  miracle  ou 
révélation  dépassant  la  certitude  purement  humaine. 
Enfin,  nous  nous  soumettons  en  tout  avec  amour  au 
jugement  de  la  sainte  Eglise. 


î>©io 


VIE  DE  LA  RÉVÉRENDE  MÈRE 


MARIE  DE  L'INCARNATION 


CHAPITRE  I. 

Naissance  de  Marie  Guyard,  1599.  —  Ses  parents,  son  enfance.  —  Elle  se 
donne  à  Dieu  dès  làge  de  sept  ans.  —  Son  esprit  de  prière.  —  Elle  rejette  les 
lectures  futiles.  —  Prémices  de  zèle  et  de  vocation  religieuse.  —  Son  mariage, 
1617.  —  Peines  qui  en  sont  la  suite.  —  Soin  qu'elle  prend  de  sa  maison. 
Elle  puise  sa  force  dans  la  parole  de  Dieu  et  la  communion.  —  Naissance  de 
son  fils,  1619.  —  Mort  de  son  mari,  10  octobre  1619. 


On  sait  qu'une  sainte  Carmélite,  du  nom  de  Marie 
de  l'Incarnation,  a  été  canonisée  par  l'illustre  Pie  IX, 
qui  a  mis  sur  les  autels  tant  d'autres  pieux  personnages 
durant  le  cours  de  son  long  et  à  jamais  mémorable 
pontificat.  Celle  que  nous  entreprenons  de  faire  con- 
naître, est  une  Ursuline  née  à  Tours  le  28  octobre  1599, 
mariée  à  dix-sept  ans,  devenue  veuve  deux  ans  plus 
tard,  et  entrée  en  religion  après  douze  ans  de  veuvage. 
A  l'âge  de  quarante  ans  elle  quitta  la  France  pour  aller 
fonder  une  maison  de  son  Ordre  à  Québec,  où  elle 
mourut  le  30  avril  1672.^ 

(1)  Dom  Cfaude  Martin,  fils  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  le  Père  Charlevoix, 
Feller,  M.  Casgrain  et  probablement  tous  ceux  qui  en  ont  parlé  fixent  la  naissance 
de  la  vénérable  Mère  au  18  octobre  ;  mais  c'est  une  erreur  incontestable.  Son  acte 
de  baptême  dont  nous  avons  un  extrait  authentique  porte  la  date  du  29  octobre  : 


38  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

La  première  faveur  que  reçut  de  la  miséricorde 
divine  cette  enfant  prédestinée  pour  le  ciel,  fut  de 
naître  dans  une  famille  éminemment  chrétienne,  qui 
dirigea  vers  la  piété  les  premières  aspirations  de  son 
cœur.  Ses  parents  étaient  d'une  condition  extrêmement 
modeste.  Son  père,  nommé  Florent,  ou  comme  porte 
le  registre,  Fleurant  Guyard,  était  maître  boulanger; 
sa  mère,  Jeanne  Michelet,  quoique  issue  de  la  famille 
noble  des  Babou  de  la  Bourdaisière,  qui  avait  réussi 
à  s'établir  à  la  Cour  du  temps  de  Charles  VII,  et  y  était 
restée  en  grande  faveur  sous  les  règnes  suivants , 
devait  être  regardée  comme  déchue  de  sa  noblesse 
par  son  union  avec  un  simple  artisan.  Mais  ils  avaient 
Tun  et  l'autre  la  noblesse  des  sentiments,  sans  laquelle 
celle  que  donnent  les  blasons  et  les  généalogies,  n'est 
qu'une  vaine  parade,  un  souvenir  de  gloire  passée, 
dont  le  lointain  éclat  humilie  bien  plus  qu'il  ne  les 
honore  ceux  qui  s'en  prétendent  les  héritiers. 

Florent  Guyard  avait  des  qualités  et  des  vertus  qui 
rélevaient  au-dessus  de  son  humble  condition.  Une 
réputation  de  probité,  de  droiture,  et  en  même  temps 
d'intelligence,  lui  avait  gagné  l'estime  et  la  confiance 
de  tous  ceux  qui  le  connaissaient,  en  sorte  qu'il  était 
choisi  comme  arbitre  de  tous  les  différends.  Jeanne 
Michelet  fit  voir,  de  son  côté,  par  la  manière  dont  elle 

or  comme  elle  a  été  baptisée  le  lendemain  de  sa  naissance,  d'après  l'affirmation  de 
son  fils,  il  s'ensuit  qu'elle  est  née  le  28.  Sur  le  registre,  l'acte  précédent  est  du 
23  octobre  et  le  suivant  du  30.  Mais  ce  qui  tranche  surtout  la  question,  c'est  que 
la  Mère  de  l'Incarnation,  dans  une  lettre  à  son  fils  datée  du  18  octobre  1663,  dit  : 
«  J'aurai  64  ans  le  28  de  ce  mois.  »  Dans  une  autre  du  30  octobre  1667,  on  lit  : 
«  J'ai  eu  68  ans  accomplis  le  28  de  ce  mois.  » 

Nous  n'avons  pu  avoir  son  acte  de  mariage.  Mais  son  mari  étant  mort  le 
10  octobre  1619,  et  leur  union  ayant  duré  environ  deux  ans,  le  mariage  avait  dil 
être  célébré  dans  le  courant  de  1617. 


CHAPITRE    I.  39 

éleva  ses  quatre  filles  que  si,  comme  le  dit  Claude 
Martin,  «  sortie  d'une  famille  illustre,  elle  netait  en 
un  sens,  à  l'égard  de  ses  proches,  que  comme  ces 
petites  branches  qui  avortent  et  se  flétrissent  sous  les 
autres,  elle  avait  cependant  conservé  dans  son  âme 
une  élévation  qui  compensait  et  au-delà  l'abaissement 
extérieur.  »  Elle  ne  pouvait  communiquer  à  celui  dont 
elle  acceptait  le  nom,  une  distinction  héraldique  qui 
lui  échappait  par  là  même;  mais  elle  lui  donnait  une 
noblesse  plus  précieuse,  celle  que  la  femme  forte  fait 
rejaillir  sur  son  mari  :  Nobilis  in  partis  vir  ejus  quando 
sederit  cum  senatoribus  terrœ.  —  Son  mari  sera  illustre  dans 
l'assemblée  des  juges,  quand  il  sera  assis  avec  les  sénateurs 
de  la  terre.  (Prov.  31,  23.) 

Pénétrés  d'un  esprit  chrétien  plus  précieux  encore 
que  leurs  qualités  naturelles,  les  deux  époux  firent 
baptiser  leur  fille  le  lendemain  de  sa  naissance  et  ils 
lui  donnèrent  le  nom  de  Marie,  comme  prélude  de  la 
dévotion  singulière  qu'ils  avaient  intention  de  lui  inspi- 
rer et  qu'ils  lui  inspirèrent  en  efi'et  envers  la  Reine 
du  ciel. 

La  jeune  Marie  profita  merveilleusement  à  cette 
pieuse  école  et  elle  en  fut  toute  sa  vie  reconnaissante. 
Elle  dit  dans  une  de  ses  lettres  :  «  La  bonne  éducation 
que  j'avais  reçue  de  mes  parents,  qui  étaient  bons 
chrétiens  et  fort  pieux,  avait  fait  un  excellent  fond 
dans  mon  âme,  et  je  bénis  Dieu  des  grâces  qu'il  lui 
a  plu  de  me  faire  en  ce  point;  car  c'est  une  grande 
disposition  pour  la  vertu  et  pour  être  vraiment  prépa- 
rée à  une  haute  piété  que  de  tomber  en  des  mains  qui 
fassent  prendre  un  bon  pli  dès  les  premières  années.  » 

Nous  voyons  dans  le  saint  Evangile  que  Notre-Sei- 
gneur  avait  un  amour  de  prédilection  pour  les  enfants; 


40  MARIE    DE    l'incarnation. 

qu'il  voulait  qu'on  leur  donnât  pleine  liberté  d'appro- 
cher de  lui,  et  qu'il  les  embrassait  tendrement  aux 
yeux  du  public,  afin  que  personne  ne  doutât  de  cet 
amour.  On  peut  dire  que  cela  est  de  l'essence  même 
de  Dieu  :  car  s'il  a  créé  les  hommes  par  amour,  c'est 
par  un  amour  encore  plus  grand  qu'il  les  régénère 
dans  le  baptême;  et  comme  il  ne  peut  changer  de  sen- 
timent que  s'il  y  est  en  quelque  sorte  forcé,  il  continue 
de  les  aimer  tant  qu'ils  ne  s'en  sont  pas  rendus  indignes 
par  la  perte  de  leur  innocence  primitive. 

Si  donc  les  parents  veillaient  sur  l'innocence  de  leurs 
enfants;  s'ils  avaient  soin  d'éloigner  d'eux  les  occasions 
de  péché,  de  développer  et  d'entretenir  en  leur  âme 
les  vertus  dont  ils  ont  reçu  le  germe  dans  le  baptême, 
ils  leur  procureraient  d'immenses  trésors  de  grâces. 
Nous  en  avons  pour  preuves  les  enfants  chrétiens  des 
premiers  siècles  que  leurs  parents  préparaient  au  mar- 
tyre; et  plus  tard  saint  Louis,  roi  de  France,  saint 
Louis  de  Gonzague,  sainte  Angèle  Mérici,  sainte  Chantai 
et  une  foule  d'autres.  Ce  que  nous  allons  raconter  de 
Marie  Guyard  en  est  un  nouvel  exemple. 


Il  est  entre  tous  un  moment  précieux  qu'une  mère 
chrétienne  devrait  épier  avec  le  plus  grand  soin,  celui 
où  la  raison  commençant  à  se  produire  et  à  dissiper 
les  nuages  du  premier  âge,  l'homme  est  dans  la  néces- 
sité de  se  donner  à  Dieu  par  un  choix  libre  de  sa 
volonté  ou  de  se  tourner  vers  la  créature,  comme  le 
remarque  Claude  Martin.  A  ce  moment,  qui  arrive 
d'ordinaire  vers  l'âge  de  six  ou  sept  ans,  Marie  Guyard 
se  donna  à  Dieu'  et  elle  en   fut   récompensée  de   la 


CHAPITRE    I.  41 

manière  qu'elle  raconte  elle-même.  «  Je  n'avais  qu'en- 
viron sept  ans,  lorsqu'une  nuit,  pendant  mon  sommeil, 
il  me  sembla  que  je  voyais  le  ciel  ouvert  et  Notre- 
Seigneur  descendant  sur  moi.  Ce  plus  beau  des  enfants 
des  hommes,  avec  le  visage  plein  d'une  douceur  et 
d'un  attrait  indicible,  m'embrassa  ;  et,  me  baisant  amou- 
reusement, il  me  dit  :  Voulez-vous  être  à  moi?  Je  lui 
répondis  :  Oui;  et  ayant  eu  mon  consentement,  il 
remonta  au  ciel.  » 

A  partir  de  ce  momenl:,  elle  éprouva  un  penchant 
prononcé  vers  le  bien  et  un  goût  très-sensible  pour  la 
prière,  ce  qu'elle-même  attribue  à  la  visite  du  Sauveur. 
Elle  fut  constamment  fidèle  à  cet  attrait,  au  point  que 
tous  ceux  qui  en  furent  témoins  étaient  étonnés  de 
voir  un  si  grand  amour  de  la  solitude  et  du  recueille- 
ment dans  une  jeune  fille  de  son  âge. 

Il  lui  paraissait  impossible  que  Dieu  refusât  d'ac- 
corder ce  qu'on  lui  demandait  humblement.  C'est  pour- 
quoi, dit-elle,  étant  à  l'église,  j'examinais  la  posture 
et  le  maintien  de  ceux  qui  priaient,  et  lorsque  j'en 
voyais  dont  l'extérieur  répondait  à  l'idée  que  je  m'étais 
faite  de  la  véritable  prière,  je  disais  en  moi-même  : 
assurément  Dieu  exaucera  ces  personnes,  car  elles 
prient  avec  humilité. 

Sa  confiance  dans  l'efficacité  de  la  prière  lui  fit 
estimer  et  pratiquer  cet  exercice  au  point  que,  étant 
encore  toute  petite  enfant,  elle  allait  seule  à  l'église, 
se  retirait  dans  un  coin  pour  n'être  vue  de  personne, 
et  y  restait  de  longues  heures  à  s'entretenir  avec  Dieu. 
«  Tout  notre  voisinage,  dit-elle,  était  étonné  et  ne 
pouvait  comprendre  cette. grande  inclination  que  j'avais 
d'aller  à  l'église  chaque  jour;  mais  on  ne  voyait  pas 
ce  que  j'éprouvais  intérieurement,  et  quels  étaient  les 


42  MARIE    DE    l'incarnation. 

effets  de  la  bonté  de  Notre-Seigneur  à  mon  égard.  » 

On  lui  avait  mis  entre  les  mains,  pour  la  récréer, 
des  livres  qui  traitaient  de  choses  vaines  et  futiles; 
elle  y  renonça  de  son  propre  mouvement,  et  elle  ne 
voulut  plus  faire  d'autres  lectures  que  celles  qui  étaient 
propres  à  nourrir  sa  piété. 

Si  les  parents  savaient  combien  les  lectures  oiseuses 
et  futiles  vicient  l'intelligence  des  enfants,  rétrécissent 
leurs  idées  et  affadissent  leur  cœur,  ils  ne  les  leur 
permettraient  jamais.  Marie  Guyard  sut  apprécier  pen- 
dant ses  premières  années  la  vraie  nourriture  de  l'esprit, 
et  ce  fut  là,  en  partie  du  moins,  ce  qui  la  prépara  à  deve- 
nir une  femme  forte,  une  âme  généreuse  et  une  sainte. 

Tout  cela  était  le  fruit  des  grâces  de  prédilection 
dont  cette  enfant  était  l'objet.  L'Esprit-Saint  s'était 
comme  emparé  d'elle,  et  si  l'on  eût  pu  connaître  tout 
ce  qu'il  opérait  dans  son  âme,  on  eût  facilement  compris 
qu'elle  était  destinée  à  procurer  un  jour,  d'une  manière 
plus  qu'ordinaire,  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des 
âmes.  Un  secret  instinct  de  zèle  apostolique  la  remuait 
dès  lors  et  produisait  en  elle  une  agitation  intérieure 
bien  plus  inexplicable,  et  on  pourrait  dire  plus  étrange, 
que  n'était  la  soif  précoce  du  martyre  dont  sainte 
Thérèse  était  enflammée  à  l'âge  de  sept  ou  huit  ans. 

«  Dès  mon  enfance,  écrivait-elle  de  Québec  à  l'âge 
de  quarante-quatre  ans,  Dieu  me  disposait  à  la  grâce 
que  je  possède  à  présent,  car  j'avais  plus  l'esprit  dans 
les  régions  étrangères  pour  y  considérer  les  généreuses 
actions  de  ceux  qui  y  travaillaient  et  souffraient  pour 
Jésus-Christ,  qu'aux  lieux  que  j'habitais.  Mon  cœur 
se  sentait  uni  aux  âmes  apostoliques  d'une  manière 
tout  extraordinaire.  Il  me  prenait  quelquefois  des  sail- 
lies si  fortes,  que  si  le  respect  humain  ne  m'eût  retenue, 


CHAPITRE    I.  43 

j'aurais  couru  après  ceux  que  je  voyais  portés  au  salut 
des  âmes.  » 


Un  autre  travail  de  la  grâce  que  l'on  remarqua  en 
elle  fut  une  grande  charité  pour  les  pauvres,  surtout 
quand  ils  étaient  malades.  Nulle  autre  compagnie  ne 
lui  était  aussi  agréable.  Elle  les  servait  de  ses  mains 
et  leur  donnait  tous  les  soins  dont  elle  était  capable. 
Rien  ne  la  rebutait.  Elle  dit  qu'elle  mangeait  leurs 
restes  sans  aucun  dégoût,  et  qu'elle  eût  volontiers 
accepté  leur  état  pour  les  en  délivrer.  Elle  leur  donnait 
tout  ce  qu'elle  trouvait  sous  sa  main,  et  sa  plus  grande 
peine  était  de  ne  pouvoir  faire  l'aumône  comme  elle 
eût  voulu. 

De  pareilles  dispositions  pour  la  vertu  sont  le  plus 
souvent  des  préludes  de  vocation  à  la  vie  religieuse  : 
aussi,  dès  l'âge  de  quatorze  ou  quinze  ans,  Marie 
Guyard  laissa  voir  l'intention  de  se  consacrer  à  Dieu, 
et  elle  exprima  le  désir  d'entrer  chez  les  Bénédictines 
de  Beaumont-lès-Tours,  où  une  des  proches  parentes 
de  sa  mère,  de  la  famille  de  la  Bourdaisière ,  était 
abbesse.  C'était  le  seul  couvent  de  femmes  qui  fût 
alors  à  Tours.  Madame  Guyard  parut  d'abord  favorable 
aux  désirs  de  sa  fille  et  elle  lui  dit  qu'elle  ne  doutait 
pas  que  Madame  de  Beaumont  ne  facilitât  son  entrée 
dans  sa  communauté.  Cette  affaire  n'eut  pourtant 
aucune  suite.  La  jeune  fille  continuait  bien  à  ne  désirer 
que  la  vie  religieuse,  mais  elle  se  sentait  peu  d'attrait 
pour  la  communauté  de  Beaumont.  D'un  autre  côté 
ses  parents  firent  voir  une  volonté  prononcée  de  la 
marier.  C'est  pourquoi  un  parti  que  l'on  jugea  avanta- 
geux s'étant   présenté  lorsqu'elle  avait  dix-sept  ans, 


44  MARIE    DE    l'incarnation. 

elle  se  soumit  par  esprit  d'obéissance  à  ceux  qu'elle 
regardait  comme  lui  tenant  la  place  de  Dieu.  Le  jeune 
homme  qu'elle  épousa  était  un  fabricant  de  soieries 
nommé  Claude-Joseph  Martin,  dont  la  famille,  qui  s'est 
perpétuée  jusqu'ici  à  Tours  et  à  Blois,  conserve  des 
sentiments  de  foi  remarquables.  Claude  Martin  était 
un  homme  de  bien,  animé  de  bonnes  intentions  et 
laissant  à  sa  jeune  femme  la  plus  grande  liberté  pour 
remplir  ses  pratiques  de  dévotion.  Elle  n'en  eut  pas 
moins  à  subir,  pendant  les  deux  années  de  son  mariage, 
de  très-rudes  épreuves  auxquelles  son  mari  n'était  pas 
étranger.  Parfois  il  était  ému  jusqu'aux  larmes  en 
voyant  que  les  peines  qu'il  lui  causait  n'altéraient  en 
rien  sa  douceur,  son  amour  et  son  dévoûment;  alors 
il  lui  demandait  pardon,  mais  Dieu  ne  voulait  pas 
qu'une  âme  qu'il  s'était  réservé  de  rendre  heureuse 
lui-même  pût  trouver  le  bonheur  dans  les  choses  créées. 
C'est,  du  reste,  ce  qui  arrive  ordinairement;  nous  avons 
connu  et  nous  connaissons  encore  un  bon  nombre  de 
personnes  qui,  ayant  été  mariées  malgré  une  vraie 
vocation  à  la  vie  religieuse ,  ont  passé  par  les  plus 
douloureuses  épreuves.  Les  unes  sont  mortes  peu  après 
leur  mariage,  les  autres  ont  perdu  leur  mari,  d'autres 
portent  journellement  des  croix  très-pesantes.  Est-ce 
châtiment  de  la  part  de  Dieu?  Non.  Dieu  ne  punit  pas 
ce  qui  n'est  point  péché  :  or  il  n'y  a  pas  de  péché  à  se 
marier,  pourvu  qu'on  le  fasse  avec  des  intentions  pures. 
Les  conseils  évangéliques,  dont  la  mise  en  pratique 
constitue  l'état  religieux,  ne  sont  que  des  conseils,  et, 
à  moins  d'exceptions  assez  rares,  personne  n'est  tenu 
de  s'y  conformer  sous  peine  de  péché.  Mais  il  y  a  des 
âmes  qui  sont,  de  la  part  de  Dieu,  l'objet  d'une  prédilec- 
tion toute   particulière,   et  qu'il  destine  à  une  gloire 


CHAPITRE    I.  45 

plus  qu'ordinaire  dans  le  ciel  :  or  il  ne  change  pas 
de  disposition  à  leur  égard  parce  qu'elles  n'ont  pas 
suivi  la  voie  qu'il  ouvrait  devant  elles,  en  leur  faisant 
une  simple  invitation  d'y  marcher.  Cela  est  vrai  surtout 
si  ces  âmes  ont  obéi  à  une  influence  à  laquelle  il  leur 
était  presque  impossible  de  résister»,  il  veut  toujours 
leur  faire  mériter  la  brillante  couronne  qu'il  tient  en 
réserve  pour  elles,  et  comme  elles  n'ont  pas  voulu  ou 
n'ont  pas  pu  entrer  dans  la  voie  de  perfection  dont 
cette  couronne  devait  être  la  récompense,  il  la  leur 
fait  gagner  par  des  souffrances,  des  sacrifices,  des 
croix.  Mais  il  leur  faut  du  courage  et  de  la  générosité 
pour  se  soutenir  dans  ces  épreuves,  se  préserver  de 
l'abattement  et  demeurer  fidèles  aux  devoirs  qui  les 
obligent  à  sortir  d'elles-mêmes  et  à  s'occuper  de  ce 
qui  les  entoure. 

Il  en  est  qui  se  découragent,  s'affligent  et  consument 
leur  activité  et  leurs  forces  en  regrets  inutiles.  Il  n'en 
fut  pas  ainsi  de  Marie  Guyard.  La  première  chose 
qu'elle  eut  à  cœur  dans  son  nouvel  état,  dit  Claude 
Martin,  fut  de  faire  régner  la  crainte  de  Dieu  dans  sa 
maison,  et  de  fermer  toutes  les  avenues  par  où  le 
péché  y  pouvait  avoir  entrée.  Quant  à  ce  qui  la  con- 
cernait personnellement,  elle  prit  des  mesures  pour 
s'acquitter  fidèlement  de  tout  ce  qu'elle  devait  à  Dieu, 
à  son  mari,  à  ses  domestiques  et  à  elle-même.  Elle 
ne  se  laissait  pas  absorber  par  les  soins  des  affaires 
matérielles  au  point  de  ne  pas  prendre  un  temps  con- 
venable pour  ses  pratiques  de  piété.  Outre  ses  heures 
réglées  pour  faire  oraison  et  entendre  la  messe  tous 
les  jours,  elle  tenait  surtout  à  fréquenter  les  sacrements 
et  entendre  la  parole  de  Dieu.  C'était  à  ces  sources 
qu'elle  puisait   la  force  nécessaire  pour  ne  pas  suc- 


46  MARIE    DE    l'incarnation. 

comber  sous  les  croix  continuelles  dont  le  poids  et 
l'amertume  allaient  croissant  de  jour  en  jour.  Voici  ce 
qu'elle  dit  des  fruits  que  la  parole  de  Dieu  produisait 
en  son  âme  : 

«  Dès  mon  enfance,  ayant  appris  que  Dieu  parlait 
par  la  bouche  des  prédicateurs,  cela  me  semblait  admi- 
rable, et  j'avais  une  grande  inclination  à  les  aller 
entendre.  Etant  si  jeune,  j'y  comprenais  peu  de  chose, 
excepté  l'histoire  que  je  racontais  à  mon  retour;  mais 
devenue  plus  grande,  la  foi  que  j'avais  dans  le  cœur 
excitait  de  plus  en  plus  mon  désir  de  cette  divine 
parole.  J'avais  les  prédicateurs  en  si  grande  vénération, 
que  quand  j'en  voyais  un  par  les  rues,  je  me  sentais 
portée  à  courir  après  lui  et  à  baiser  les  vestiges  de  ses 
pijeds.  Une  petite  prudence  me  retenait;  mais  je  le 
suivais  des  yeux  jusqu'à  ce  que  je  l'eusse  perdu  de  vue. 
Je  ne  trouvais  rien  de  plus  grand  que  la  parole  de 
Dieu,  et  c'était  ce  qui  me  faisait  estimer  ceux  auxquels 
Notre- Seigneur  en  avait  confié  le  ministère.  Lorsque 
je  l'entendais,  mon  cœur  me  semblait  être  un  vase  où 
elle  découlait  à  la  manière  d'une  liqueur.  Ce  n'était 
pas  une  imagination,  mais  un  effet  réel  de  l'Esprit 
de  Dieu,  qui  opérait  de  la  sorte  dans  mon  âme  par  une 
effusion  de  ses  grâces. 

»  Une  fois,  après  le  sermon  sur  le  saint  nom  de 
Jésus,  cette  divine  parole,  comme  une  manne  céleste, 
me  remplit  si  abondamment,  que  tout  le  jour  mon 
esprit  ne  disait  autre  chose  que  Jésus,  sans  pouvoir 
finir.^  » 

(1)  Tous  les  saints  ont  aimé  la  parole  de  Dieu  et  ont  cherché  à  en  nourrir  leur 
àme.  Sainte  Chantai,  étant  encore  clans  le  monde,  au  château  de  Monthelon,  <>  se 
levait  de  grand  matin,  montait  à  cheval  et  s'en  allait  à  deux  lieues  de  distance 
entendre  la  messe  et  le  sermon  à  Autun  ;  et  aussitôt  après  le  sermon  elle  revenait 


CHAPITRE    I.  47 

Elle  faisait  encore  plus  ses  délices  de  la  sainte  com- 
munion, où  elle  se  rendait  Dieu  comme  sensible  par 
une  foi  vive  et  un  amour  ardent  ;  et  elle  ne  la  recevait 
jamais  sans  que  Ton  remarquât  en  elle  un  nouvel 
accroissement  de  grâce  et  de  vertu.  Aussi  disait-elle 
plus  tard,  dans  une  de  ses  lettres,  qu'il  ne  faut  qu'une 
seule  communion  pour  rendre  une  âme  sainte,  et  que 
ce  qui  empêche  ce  résultat,  c'est  qu'on  se  reprend  soi- 
même  un  instant  après  s'être  donné  à  Dieu  dans  la 
réception  de  ce  divin  sacrement. 

Pour  elle,  elle  savait  tout  concilier,  et  lorsqu'après 
avoir  communié  elle  s'occupait  du  soin  de  sa  maison, 
mettant  toutes  choses  dans  un  ordre  convenable,  elle 
ne  perdait  pour  cela  ni  le  souvenir  de  la  grâce  qu'elle 
avait  reçue,  ni  l'accroissement  d'amour  qui  lui  avait 
été  communiqué.  D'ailleurs,  comme  elle  agissait  tou- 
jours par  des  motifs  de  foi  et  pour  plaire  à  Dieu,  ses 
actions  les  plus  communes  se  trouvaient  transformées 
en  pratiques  de  piété.  «  Ainsi  elle  regardait  son  mari 
comme  lui  tenant  la  place  de  Dieu,  et  dans  cette  vue 
elle  avait  pour  lui  tout  le  respect  et  lui  rendait  tous 
les  services  possibles.  Elle  l'aimait  à  cause  de  ses 
qualités  naturelles,  mais  beaucoup  plus  parce  que  la 
loi  divine  l'y  obligeait.  Aussi  son  amour  étant  plus 
fondé  sur  la  grâce  que  sur  la  nature,  on  ne  voyait  pas 
en  elle  ces  caresses  molles  auxquelles  se  laissent  aller  quel- 
ques nouvelles  mariées  (c'est  son  fils  qui  s'exprime  ainsi)  ; 
mais  seulement  une  humeur  gaie  et  ouverte,  retenue 
par  une  gravité  respectueuse.  »  Par  la  même  raison, 
son  amour  était  inaltérable  dans  les  afflictions  qu'elle 

au  grand  trot  pour  arriver  à  l'heure  où  son  beau-père  se  mettait  à  table.  »  Elle 
faisait  cela  tout  le  carême.  Où  sont  aujourd'hui  les  dames  de  son  rang  qui  s'impo- 
seraient une  pareille  fatigue  pour  entendre  la  parole  de  Dieu? 


48  MARIK    DE    l'incarnation. 

éprouvait;  et  c'est  ce  qui  donnait  de  l'admiration  à  ses 
parents  et  à  ses  amis.  Ils  ne  pouvaient  comprendre 
cet  attachement  affectueux  autant  que  dévoué  à  l'égard 
d'un  homme  qui  avait  été  pour  elle,  quoique  sans 
mauvaise  volonté,  une  cause  de  peines  si  cuisantes. 

Quels  étaient  les  chagrins  qu'il  lui  causait?  Nul  ne 
le  sait.  L'ingénieuse  charité  de  l'épouse  et  la  piété 
filiale  du  fils  ont  voulu -les  dérober  aux  regards  et  les 
couvrir  d'un  voile  impénétrable,  remarque  M.  Casgrain, 
après  le  Père  Charlevoix.  La  vénérable  Mère  en  parle 
d'une  manière  si  pieuse  et  si  touchante,  que  nous  nous 
reprocherions  de  ne  pas  citer  ce  qu'elle  en  dit  à  son 
fils.  «  La  seule  consolation  que  j'ai  eue  dans  le  mariage 
a  été  de  vous  avoir  donné  à  Dieu  avant  que  vous 
fussiez  au  monde,  et  de  ce  que  votre  père  était  si  bon, 
qu'il  me  permettait  toutes  mes  dévotions.  Il  y  prenait 
même  plaisir,  étant  homme  de  bien  et  craignant  Dieu. 
Pour  les  choses  que  vous  savez  et  qui  étaient  arrivées 
par  surprise,  il  en  avait  tant  de  douleur,  qu'il  m'en  a 
souvent  demandé  pardon.  » 


Il  est  un  devoir  auquel  trop  peu  de  personnes 
aujourd'hui  font  attention  :  c'est  de  se  préoccuper  du 
salut  des  ouvriers  et  des  domestiques  que  l'on  emploie. 
Les  maîtres  ont  commencé  par  négliger  eux-mêmes 
le  soin  de  leur  âme,  donnant  ainsi  à  ceux  qui  les 
servent  un  exemple  qui  n'a  été  que  trop  fidèlement 
suivi.  Tous  en  expient  en  ce  moment  la  peine,  et  sont 
peut-être  à  la  veille  de  l'expier  bien  plus  douloureuse- 
ment encore.  Puissent-ils  comprendre  que  l'eftroyable 
perversité  d'une  partie  de  la  classe  ouvrière,  perversité 


CHAPITRE    I.  49 

allant  jusqu'à  dépasser  l'ancienne  barbarie  et  la  férocité 
des  sauvages,  ainsi  qu'on  l'a  vu  à  Paris  en  1871,  a  eu 
pour  cause  l'irréligion  des  maîtres  du  travail,  des 
maîtres  de  l'enseignement  et  des  chefs  de  famille? 
Madame  Martin  comprenait  à  dix-sept  ans  l'importance 
.  d'un  devoir  dont  aujourd'hui  beaucoup  de  vieillards 
n'ont  jamais  eu  l'intelligence.  «  Elle  ne  se  contentait 
pas,  remarque  son  fils,  de  pourvoir  aux  besoins  corpo- 
rels de  ses  domestiques;  elle  prenait  encore  plus  soin 
de  leurs  âmes  :  veillant  à  ce  qu'ils  fussent  exacts  à 
faire  leurs  prières  et  à  s'acquitter  de  tous  leurs  devoirs 
de  chrétiens.  Elle  craignait  surtout  qu'ils  ne  commis- 
sent quelque  péché  qui  obligeât  Dieu  de  détourner  sa 
vue  de  dessus  eux  et  de  toute  sa  maison.  « 

Sans  le  savoir,  elle  préludait  aux  fonctions  aposto- 
liques qu'elle  devait  exercer  plus  tard  avec  tant  de  zèle 
et  avec  des  fruits  si  abondants.  Elle  catéchisait  ses 
domestiques  et  ses  ouvriers,  les  instruisant  des  vérités 
de  la  foi  et  de  leurs  devoirs  de  chrétiens.  Elle  raconte 
qu'après  avoir  entendu  la  parole  de  Dieu,  ne  pouvant 
contenir  l'abondance  des  lumières  qu'elle  y  avait  pui- 
sées et  des  sentiments  que  la  grâce  avait  excités  dans 
son  âme,  elle  en  parlait  comme  malgré  elle  :  «  Ce  que 
je  faisais,  dit-elle,  à  Dieu  avec  une  grande  ferveur, 
et  aux  personnes  de  notre  maison  avec  un  grand  zèle, 
leur  rapportant  ce  que  le  prédicateur  avait  dit  et 
y  ajoutant  mes  propres  pensées,  qui  me  rendaient 
éloquente.  » 


Si  elle  était  si  fidèle  à  ses  devoirs  de  maîtresse  de 
maison  et  d'épouse,  elle  ne  le  fut  pas  moins  à  ceux  que 
lui  imposa  sa  qualité  de  mère.  «  Elle  otîrit  son  enfant 


M.   DE  LINC. 


50  MARIE    DK    L  INCARNATION. 

à  Dieu  dès  qu'elle  l'eut  conçu;  car  cette  sainte  femme 
ne  s'était  engagée  dans  le  mariage,  pour  lequel  elle 
avait  de  la  répugnance,  que  dans  la  vue  qu'elle  pour- 
rait servir  à  Dieu  d'instrument  pour  augmenter  le 
nombre  des  prédestinés. 

w  Elle  vint  à  l'abbaye  de  Marmoutier  la  veille  du 
jour  où  elle  mit  son  fils  au  monde  (c'est-à-dire  le 
V^'  avril  1619).  Nous  ne  savons  pas  dans  quel  but; 
mais  il  y  a  bien  de  l'apparence  que  ce  fut  pour  offrir 
à  Dieu  et  à  saint  Martin  la  petite  créature  qu'elle 
portait  en  son  sein.  Le  Seigneur  accepta  cette  victime, 
qui  devait  être  un  jour  consumée  en  ce  saint  lieu,  et 
saint  Martin  choisit  dès  lors  cet  enfant  pour  être  le 
plus  illustre  de  ses  successeurs  dans  la  conduite  de  ce 
célèbre  monastère.  '  » 

On  aura  beau  vanter  le  progrès  des  lumières  et  de 
la  philosophie  du  XIX®  siècle,  jamais  il  n'y  aura  de 
philosophie  plus  élevée,  de  lumières  plus  véritables 
et  de  sagesse  plus  profonde  que  celle  de  cette  jeune 
femme,  qui  n'était,  pour  ainsi  dire,  qu'une  enfant.  Si 
les  parents,  les  maîtres  et  tous  ceux  à  qui  leur  position 
permet  d'exercer  quelque  influence  étaient  animés  de 
pareils  sentiments  et  donnaient  de  pareils  exemples, 
on  verrait  bientôt  la  société  se  régénérer,  et  la  con- 
fiance entre  les  supérieurs  et  les  inférieurs  se  rétablir. 

Mais  comment  une  enfant  de  dix-sept  ans,  mariée 
contre  ses  inclinations,  [)Our  qui,  par  conséquent,  sou 
nouvel  état  devait  être  par  lui-môme  une  lourde  croix, 
et  qui  y  rencontre  encore  des  épreuves  accidentelles 
dont  elle  n'avait  pu  avoir  l'idée,  comment  cette  femme 


(1)  La  Vie  du  vénérable  P.  Dom  Claude  Martin,  religieux  Bénédictin  de  ta 
Congr.  de  S,  Maur,  par  le  P.  Edmond  Martèue,  son  disciple.  Tours,  1(397. 


CHAPITRK    I  51 

si  jeune  et  sans  expérience  se  trouve-t-eile  tout  à  coup 
si  forte  pour  supporter  ses  dîners  chagrins,  et  si  ingé- 
nieuse pour  les  faire  servir  à  l'accroissement  de  sa 
vertu  ;  si  sage  dans  le  gouvernement  de  sa  maison, 
et  d'un  esprit  si  élevé  quand  il  s'agit  de  donner  à  tout 
ce  qu'elle  fait  le  cachet  surnaturel  sans  lequel  il  n'y 
a  point  de  vie  vraiment  chrétienne?  Elle-même  répond 
à  cette  question  dans  une  de  ses  lettres.  «  Maintenant 
que  j'ai  plus  de  connaissance  et  d'expérience  en  la  vie 
spirituelle,  je  reconnais  que  la  bonté  divine  me  préve- 
nait par  de  grandes  grâces  et  me  remplissait  des  béné- 
dictions de  sa  douceur,  pendant  que,  d'un  autre  côté, 
j'avais  de  grands  sujets  de  croix  dans  une  condition 
qui  m'en  produisait  de  continuelles.  »  Elle  était  éclairée 
et  dirigée  en  tout  par  la  grâce,  pour  ainsi  dire  sans 
le  savoir ,  parce  qu'elle  recourait  à  Dieu  avec  une 
confiance  entière  et  un  abandon  parfait,  parce  qu'en 
toutes  choses  elle  lui  donnait  sa  main  pour  être  con- 
duite par  lui  de  la  manière  dont  un  petit  enfant  est 
conduit  par  sa  mère.  Comme  elle  se  livrait  à  lui  sans 
réserve  dans  la  communion  et  qu'elle  l'invoquait  conti- 
nuellement par  la  prière,  ce  Dieu  qui  fait  la  volonté  de 
ceux  qui  le  craignent,  dit  le  Psalmite,  se  plaisait  à  lui 
donner  son  Esprit  et  à  lui  communiquer  une  sagesse 
bien  supérieure  à  la  sagesse  humaine.  C'est  lui  qui 
donne  l'intelligence  aux  petits  :  Intellectum  dat  parvulis. 

Mais  il  destinait  cette  âme  d'élite  à  le  glorifier  d'une 
façon  plus  éclatante  et  plus  efficace  qu'elle  n'etit  pu 
faire  dans  les  étroites  limites  de  la  vie  domestique. 
C'est  pourquoi  il  brisa  le  premier  et  le  plus  fort  des 
liens  qui  la  retenaient  dans  le  monde.  M.  Martin 
mourut  le  10  octobre  1619,  deux  ans  après  son  mariage, 
laissant  des  affaires  en  mauvais  état,  une  jeune  femme 


52  MARIE    DE    l'incarnation. 

de  moins  de  vingt  ans  et  un  enfant  de  six  mois,  sans 
fortune  et  à  peu  près  sans  appui. 


CHAPITRE  II. 

Dispositions  de  madame  Martin  devenue  veuve.  —  Tentation.  —  Extase,  1620. 

—  Fidélité  à  la  grâce.  —  Vie  solitaire  et  pénitente.  —  Œuvres  de  charité. 

—  Humiliations.    —   Tentations   d'orgueil.   —    Elle    demande   à  afficher  sa 
confession  générale  à  la  porte  de  l'église.  —  Vie  agitée  et  néanmoins  recueillie. 

—  Double  travail  de  la  grâce  dans  la  servante  de  Dieu.  —  Desseins  de  Dieu 
à  son  égard. 

Marie  Guyard  avait  dit  à  sa  mère  lorsqu'on  lui  eut 
manifesté  la  volonté  arrêtée  de  la  marier  :  «  Ma  mère, 
puisque  c'est  Tine  r<'solution  prise  et  que  mon  père  le 
veut  absolument,  je  me  crois  obligée  d'obéir  à  sa 
volonté  et  à  la  vôtre;  mais  si  Dieu  me  fait  la  grâce 
de  me  donner  un  fils,  je  lui  promets  dès  à  présent  de  le 
consacrer  à  son  service;  et  si  ensuite  il  me  rend  la 
liberté  que  je  vais  perdre,  je  lui  promets  de  m'y  con- 
sacrer moi-même.  » 

Ces  paroles  qui  semblent  prophétiques  étaient  comme 
le  programme  de  la  conduite  à  tenir  par  la  jeune 
veuve,  programme  auquel  elle  résolut  d'être  fidèle. 
Etant  d'ailleurs  plus  éclairée,  elle  comprenait  qu'elle 
eût  mieux  fait  d'opposer  un  refus  formel  aux  instances 
qu'on  lui  avait  faites  pour  la  marier,  quoiqu'elle  vît 
que  Dieu  avait  tiré  sa  gloire  de  ce  qui  était  arrivé. 
Elle  expose  admirablement  sa  pensée  à  ce  sujet  en 
écrivant  à  son  fils  :  «  Dès  l'âge  de  quatorze  ou  quinze 
ans,  j'avais  une  inclination  très-grande  pour  être  reli- 


CHAPITRE   IL  53 

gieuse  et  j'exprimais  mon  désir  à  ma  mère  relativement 
au  monastère  de  Beaumont.  Elle  ne  me  rebuta  pas; 
mais,  comme  j  étais  fort  timide,  je  n'osai  insister  et 
l'affaire  en  resta  là.  Il  me  sembla  alors  que  comme 
j'avais  une  humeur  gaie  et  un  caractère  enjoué,  ma 
mère  avait  cru  qu'il  y  avait  en  cela  quelque  chose 
d'incompatible  avec  la  vie  du  cloître,  car  c'est  ainsi 
que  jugent  les  personnes  du  monde. 

y>  Aujourd'hui,  il  me  paraît  évident  que  Dieu  ne  me 
voulait  pas  là,  ni  pour  lors  en  quelque  religion  que 
ce  fût.  Tout  ce  qui  m'est  arrivé  depuis,  par  la  conduite 
de  la  divine  Providence  à  mon  égard,  me  fait  penser 
ainsi.  Vous  seriez  étonné,  mon  cher  fils,  si  vous  saviez 
toutes  ces  particularités,  que  vous  connaîtrez  dans 
l'éternité.  Vous  comprendriez  pourquoi  il  fallait  que 
je  fusse  engagée  dans  les  croix  du  mariage.  J'ai 
toujours  cru  que  ce  n'avait  été  qu'afin  de  servir  au 
dessein  que  Dieu  avait  de  vous  mettre  au  monde  et 
de  m'éprouver  par  les  croix  et  les  tribulations.  Je  dois 
néanmoins  vous  avouer  que  si  j'avais  eu  un  directeur 
spirituel,  je  n'aurais  jamais  consenti  à  me  marier;  mais 
je  n'en  avais  pas  et  j'étais  dans  une  entière  ignorance 
qu'il  y  eût  des  directeurs  et  une  direction  spirituelle.   » 

On  voit  combien  les  intentions  de  Marie  Guyard 
avaient  été  pures,  Aussi  Dieu  conserva  toujours  à  son 
égard  ses  desseins  de  miséricorde,  et  afin  de  les  accom- 
plir, il  lui  rendit  la  liberté  qu'elle  avait  perdue  comme 
malgré  elle.  Mais  combien  cette  liberté  se  trouvait 
restreinte  avec  un  enfant  de  six  mois  et  une  ruine 
complète!  Il  lui  fallut  attendre  douze  ans  pour  reprendre 
l'œuvre  de  sa  vocation  interrompue.  Ce  temps  néan- 
moins ne  fut  pas  perdu;  il  servit,  au  contraire,  à  lui 
faire  aciiuérir  un  degré  de  vertu  auquel  n'arrivent  pas 


54  MARIE    DE    l'incarnation. 

toujours,    après   de    longues   années   de   religion,    les 
personnes  consacrées  à  Dieu. 

Malgré  son  éloignement  pour  le  mariage,  madame 
Martin,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  avait  pris  cet  état  au 
sérieux.  Elle  en  avait  rempli  tous  les  devoirs  avec 
une  fidélité  irréprochable;  elle  avait  aimé  son  mari 
comme  le  doit  aimer  une  femme  vraiment  chrétienne, 
et  elle  le  pleura  sincèrement;  mais  sa  tristesse  fut 
atténuée  par  ces  hautes  considérations  de  la  foi  auxquel- 
les les  saints  ne  manquent  jamais  de  s'élever.  Elle  vit 
clairement  la  main  de  la  Providence,  non-seulement 
dans  le  coup  qui  la  frappait,  mais  dans  tous  les  détails 
qui,  au  point  de  vue  humain,  devaient  rendre  son 
inquiétude  plus  grande  et  son  chagrin  plus  pénible. 
«  Quoique  j'aimasse  beaucoup  votre  père,  écrivait-elle 
plus  tard  à  son  fils,  et  que  la  perte  que  j'en  fis  me  fût 
très-sensible,  toutefois,  me  voyant  libre  et  dégagée, 
mon  âme  se  liquéfiait  en  action  de  grâces  de  ce  que 
je  n'avais  plus  que  Die.u  à  qui  mon  cœur  et  mes  affec- 
tions se  pussent  dilater  et  se  dilataient  en  efifet  sans 
cesse  dans  ma  solitude,  où  je  n'avais  qu'à  penser  inté- 
rieurement à  lui,  et  à  vous  élever  pour  'son  saint 
service.» 

Il  y  a  donc  un  sentiment  qui  domine  chez  elle,  et  qui 
est  plus  fort  que  la  peine  sensible,  c'est  la  joie  de 
n'avoir  plus  que  Dieu  à  aimer,  que  son  service  et  le 
soin  de  procurer  sa  gloire  pour  sujet  de  ses  préoccu- 
pations. La  perte  de  ses  biens  qui  allait  jusqu'à  une 
ruine  entière,  l'embarras  d'afïaires  embrouillées,  la 
jeunesse  de  son  fils  qui  va  se  trouver  sans  appui,  dont 
l'avenir  est  si  incertain  et  par  là-même  si  inquiétant, 
rien  de  tout  cela  n'altère  la  sérénité  de  son  âme,  et  ne 
la  fait  hésiter  dans  sa  confiance  en  Dieu.  On  peut  juger 


CHAPITRE    II.  55 

de  la  force  surhumaine  qui  la  soutint  alors  ,  par  les 
lignes  suivantes  d'une  de  ses  lettres  :  «  J'avais  dix-neuf 
ans  lorsque  Notre-Seigneur  appela  à  lui  la  personne 
avec  laquelle,  par  sa  permission,  j'avais  été  liée. 
Diverses  afiaires  qui  suivirent  cette  séparation  me 
causèrent  de  nouvelles  croix,  et  naturellement  plus 
grandes  qu'une  personne  de  mon  sexe,  de  mon  âge, 
de  ma  capacité  et  de  mon  peu  d'expérience  ne  les  eût 
pu  porter;  mais  les  excès  de  la  bonté  divine  mirent 
dans  mon  esprit  et  dans  mon  cœur  une  force  et  un 
courage  qui  me  rendirent  supérieure  à  tout.  Je  m'ap- 
puyais sur  ces  paroles  de  l'Esprit  saint  :  Je  suis  avee 
ceux  qui  sont  dans  la  tribulation.  Je  croyais  fermement 
qu'il  était  avec  moi,  puisqu'il  l'avait  dit  :  de  sorte  que 
ni  la  perte  des  biens  temporels,  ni  les  procès,  ni  les 
privations,  ni  mon  fils  qui  n'avait  que  six  mois,  et  que 
je  voyais  dénué  de  tout  aussi  bien  que  moi ,  ne 
m'inquiétaient.  » 

11  y  eut  pourtant  chez  elle  un  court  instant  de 
faiblesse,  mais  faiblesse  qui  était  presque  un  acte  de 
vertu,  en  ce  sens  qu'elle  procédait  de  son  humilité, 
de  la  défiance  d'elle-même  et  de  la  crainte  d'agir  par 
présomption  et  entêtement  à  se  croire  plus  éclairée 
que  toutes  les  personnes,  d'ailleurs  bien  intentionnées, 
qui  lui  donnaient  des  conseils.  Voici  comment  son  fils 
en  fait  le  récit  : 

«  Quelque  aversion  qu'elle  eût  du  mariage  et  quelque 
répugnance  qu'elle  en  eût  témoignée  à  tous  ceux  qui 
lui  en  avaient  parlé,  elle  se  trouva  un  jour  si  pressée 
et  si  accablée  de  raisons,  fondées  principalement  sur 
sa  jeunesse,  sur  l'âge  de  son  fils,  sur  le  triste  état  de 
ses  afiaires  et  sur  la  disposition  où  étaient  ses  amis 
de  lui  venir  en  aide,  qu'elle  se  demanda  si  elle  pe  devait 


56  MARIE    DE    l'incarnation. 

point  plutôt  suivre  le  conseil  de  tant  de  personnes 
désintéressées,  que  les  lumières  de  son  propre  esprit; 
mais  elle  revint  aussitôt  à  sa  première  résolution.  Cette 
prétendue  infidélité  lui  parut  néanmoins  si  criminelle, 
que  dans  une  confession  générale  des  principaux  péchés 
de  sa  vie  qu'elle  fit  plus  tard  et  dont  le  détail  par  écrit 
a  été  retrouvé  dans  ses  papiers,  elle  met  celui-là  en 
tête  (si  pourtant  on  le  peut  appeler  péché)  comme  celui 
dont  elle  avait  le  plus  de  douleur,  et  qu'elle  croyait 
pouvoir  être  la  cause  des  peines  intérieures  que  Dieu 
lui  faisait  souffrir.  « 

'  Que  l'on  se  demande  à  quel  degré  de  sainteté  finit 
par  arriver  une  âme  qui,  vers  la  fin  de  sa  carrière, 
ne  trouvait  pas  dans  toute  sa  vie  un  autre  péché  aussi 
grand  que  celui-là! 

Certaines  personnes  qui  ne  comprennent  rien  à  la  vie 
spirituelle,  croiront  que  la  douleur  de  cette  sainte  âme 
à  l'égard  d'une  faute  pareille  indique  un  esprit  faussé 
par  l'habitude  du  scrupule  ;  qu'il  y  a  chez  elle  ce  que 
l'on  appelle  volontiers  une  pieuse  extravagance.^  Il  est 
donc  utile  de  faire  voir  que  cette  contrition  de  notre 
vénérable  religieuse  était  parfaitement  raisonnable  et 
qu'elle  procédait  d'une  vraie  élévation  d'esprit. 

On  dit  qu'une  jeune  fille  ayant  été  demandée  en 
mariage  par  Bernadette,  lorsque  celui-ci  n'était  encore 
que  sous-officier,  dédaigna  cette  alliance;  et  que,  plus 
tard,  quand  elle  sut  qu'il  était  roi  de  Suède,  elle  eut 
un  tel  regret  de  son  refus  qu'elle  en  perdit  la  raison. 
Elle  répétait  sans  cesse  :  Je  serais  reine;  je  serais  reine! 
En  réalité,  elle  n'était  coupable  ni  envers  elle-même 
ni  envers  Bernadette;  mais  si  celui-ci  eût  renouvelé 

(l)   M.  (.iyizot.  Histoire  de  la  civilisation  en  Europe. 


CHAPITRE    II.  O/ 

sa  demande  lorsqu'il  fut  prince  royal  de  Suéde  en  lui 
faisant  pressentir  sa  royauté  future,  et  que  la  jeune 
fille,  par  étourderie  ou  par  dédain,  eût  persévéré  dans 
son  refus,  il  est  certain  que  considérant  les  choses  à 
sa  manière  et  à  son  point  de  vue,  elle  eût  pu  croire 
qu'elle  méritait  un  double  reproche  :  1°  d'avoir  témoigné 
une  odieuse  ingratitude  au  prince;  2°  d'avoir  été  très- 
aveugle  sur  ses  propres  intérêts,  puisqu'elle  croyait 
que  la  royauté,  même  celle  de  Suède,  était  un  grand 
avantage. 

Or,  notre  jeune  veuve  se  trouvait  dans  une  position 
bien  autrement  propre  à  lui  faire  juger  sévèrement 
l'ingratitude  qu'elle  eût  eu  à  se  reprocher,  si  elle  eût 
sacrifié  à  un  second  mariage  les  grâces  extraordinaires 
dont  elle  venait  d'être  favorisée,  et  celles,  bien  plus 
grandes  encore,  que  Notre-Seigneur  lui  ofirait  pour 
l'avenir.  Lors  donc  que,  dans  un  âge  avancé,  elle  se 
voyait  par  sa  profession  religieuse  épouse  du  Roi  des 
rois,  lorsqu'elle  repassait  dans  son  esprit  tant  de  faveurs 
dont  elle  avait  été  comblée,  tant  d'oeuvres  de  bénédic- 
tion pour  lesquelles  elle  avait  été  un  instrument  dans 
la  main  de  Dieu,  est-il  étonnant  qu'elle  regardât  comme 
une  ingratitude  digne  de  larmes  amères,  un  moment 
d'hésitation  qui  l'avait  mise  en  danger  de  perdre  ces 
avantages  inappréciables? 


Les  grâces  nouvelles  répandues  dans  l'âme  de 
madame  Martin  après  la  mort.de  son  mari,  un  attrait 
plus  vif  pour  la  vie  solitaire  et  recueillie,  ainsi  qu'une 
aversion  plus  grande  que  jamais  pour  l'état  dont  elle 
se    trouvait   délivrée,    lui   donnaient   suffisamment    à 


58  MARIK    DE    l'incarnation. 

entendre  que  Dieu  voulait  être  désormais  l'unique  objet 
de  son  amour;  mais  elle  le  comprit  plus  clairement 
encore  par  une  vision  dont  elle  fut  favorisée  après 
avoir  vaincu  la  tentation  dont  nous  venons  de  parler, 
et  qui  lui  donna  comme  un  avant-goût  des  faveurs 
immenses  réservées  à  sa  fidélité.  Voici  le  récit  qu'elle 
en  fait  : 

«  Après  tous  les  mouvements  intérieurs,  que  la  bonté 
de  Dieu  m'avait  donnés  pour  m'attirer  à  la  vraie  pureté 
de  cœur,  en  laquelle  je  ne  pouvais  entrer  de  moi-même, 
n'ayant  eu  jusqu'alors  aucun  directeur  pour  me  con- 
duire dans  la  vie  spirituelle,  sa  divine  Majesté  daigna 
me  tirer  de  mes  ignorances  par  un  coup  de  grâce 
extraordinaire,  et  me  mettre  dans  la  voie  où  elle  voulait 
me  faire  miséricorde  :  ce  qui  arriva  la  veille  de  la  fête 
de  l'Incarnation  de  l'année  1620.  Un  matin  que  j'allais 
vaquer  à  mes  affaires,  les  recommandant  instamment  à 
Dieu  au  moyen  de  mon  aspiration  ordinaire  :  In  te, 
Domine,  speravi,  no7i  confundar  in  œternum,  prière  que 
j'avais  profondément  gravée  en  mon  esprit,  avec  une 
ferme  conviction  d'être  assistée  infailliblement,  je  fus 
subitement  arrêtée  intérieurement  et  extérieurement. 
Toute  pensée  de  mes  affaires  me  fut  ôtée  de  la  mémoire. 
Alors  les  yeux  de  mon  esprit  furent  ouverts  en  un 
instant,  et  toutes  les  fautes,  imperfections  et  péchés 
que  j'avais  commis  depuis  que  j'étais  au  monde,  me 
furent  représentés  dans  leur  ensemble  et  en  détail  avec 
une  netteté  et  une  clarté  d'où  résultait  une  certitude 
plus  grande  que  toute  certitude  humaine.  Au  même 
moment  je  me  vis  plongée  dans  du  sang,  et  mon  esprit 
fut  convaincu  que  ce  sang  était  celui  du  Fils  de  Dieu 
répandu  pour  mon  salut,  et  de  l'effusion  duquel  j'étais 
coupable    par   les   péchés    qui   m'étaient   représentés. 


CHAPITRE    II,  59 

Tout  se  passa  à  l'intérieur,  mais  avec  une  clarté  si 
grande  et  une  impression  si  vive,  que  cette  immersion 
de  tout  moi-même  dans  ce  sang  était  comme  une 
réalité. 

»  Si  la  bonté  de  Dieu  ne  m'eût  soutenue  en  cette 
rencontre,  je  crois  que  je  serais  morte  de  frayeur, 
tant  la  vue  du  péché,  pour  léger  qu'il  puisse  être, 
me  paraissait  horrible  et  épouvantable.  Il  n'est  langue 
humaine  qui  le  puisse  exprimer.  En  effot,  voir  un  Dieu 
d'une  bonté  infinie  et  d'une  sainteté  incompréhensible, 
offensé  par  un  ver  de  terre,  c'est  ce  qui  surpasse 
l'horreur  même.  De  plus,  un  Dieu  fait  homme  mourir 
pour  expier  le  péché,  et  répandre  son  sang  précieux 
pour  apaiser  son  Père,  et  par  ce  moyen  lui  réconcilier 
les  pécheurs,  c'est  un  prodige  tel  qu'il  est  impossible 
de  dire  l'impression  qu'il  produit.  Enfin  voir  que  l'on 
est  soi-même  personnellement  coupable  de  cette  eflTu- 
sion  du  sang  d'un  Dieu,  et  que  quand  bien  même  nul 
autre  péché  n'eût  été  commis,  le  Fils  de  Dieu  aurait 
fait  pour  un  seul  ce  qu'il  a  fait  pour  tous,  c'est  ce  qui 
confond  et  anéantit. 

y>  Ces  lumières  et  ces  opérations  de  la  grâce  sont  si 
pénétrantes,  qu'en  un  moment  elle  disent  tout  et  pro- 
duisent leur  effet  d'une  manière  efficace,  ainsi  qu'il 
m'arriva  dans  cette  circonstance.- 

r>  En  ce  moment,  mon  cœur  se  sentit  ravi  et  tout 
changé  en  l'amour  de  celui  qui  lui  avait  fait  cette 
insigne  miséricorde,  et  qui  me  fit  éprouver,  par  la 
force  de  cet  amour,  une  douleur  et  un  regret  de  l'avoir 
offensé,  plus  grand  qu'il  n'est  possible  d'imaginer;  non, 
il  ne  se  peut  imaginer.  Ce  trait  de  l'amour  fut  si  péné- 
trant et  si  inexorable  quant  à  la  douleur  qu'il  fit  naître 
en  moi,  que  je  me  fusse  jetée  dans  les  flammes  pour 


60  MARIE    DE    l'incarnation. 

le  satisfaire.  Ce  qui  est  surtout  incompréhensible,  c'est 
que  sa  rigueur  me  semblait  douce.  11  possédait  des 
charmes  et  des  chaînes  qui  liaient  et  attachaient  l'âme, 
afin  de  la  conduire  où  il  voulait;  et  elle,  de  sa  part, 
s'estimait  heureuse  de  se  laisser  ainsi  captiver.  Enfin 
le  même  trait  d'amour  qui  avait  ravi  mon  âme  me 
pressait  de  me  confesser. 

»  Revenant  à  moi,  je  me  trouvai  debout,  arrêtée 
vis-à-vis  de  la  petite  chapelle  des  RR.  PP.  Feuillants, 
qui  venaient  de  s'établir  à  Tours.  J'y  entrai  et  rencon- 
trai un  Père  seul  au  milieu  de  la  chapelle,  lequel 
semblait  n'être  là  que  pour  m'attendre.  Je  l'abordai 
et  lui  dis,  pressée  par  l'esprit  qui  me  conduisait  :  Mon 
Père,  je  voudrais  bien  me  confesser,  car  j'ai  commis 
tels  péchés  et  telles  fautes.  En  même  temps  je  lui  fis 
connaître  tous  les  péchés  qui  m'avaient  été  montrés, 
et  cela  avec  une  effusion  de  larmes  qui  provenaient 
de  la  douleur  que  j'avais  dans  le  cœur.  Après  que  j'eus 
tout  dit,  je  m'aperçus  que  ce  bon  Père  avait  été  extrê- 
mement surpris  de  la  façon  dont  je  m'étais  énoncée, 
qu'il  connut  bien  netre  pas  naturelle,  mais  extraor- 
dinaire. Il  me  dit  avec  une  grande  douceur  :  Allez-vous- 
en,  et  demain  venez  me  trouver  à  mon  confessionnal. 
Je  ne  fis  pas  même  réflexion  qu'il  ne  m'avait  pas  donné 
l'absolution  et  je  me  retirai. 

»  Le  lendemain,  de  grand  matin,  je  me  rendis  à  son 
confessionnal,  où,  lui  ayant  répété  ce  que  je  lui  avais 
dit  le  jour  précédent,  je  reçus  l'absolution.  Comme 
Dieu,  par  un  effet  particulier  de  sa  Providence,  m'avait 
donné  ce  bon  Père  pour  confesseur,  je  n'en  pris  point 
d'autre  pendant  tout  le  temps  qu'il  demeura  à  Tours, 
lise  nommait  Dom  François  de  Saint-Bernard,  et  c'est 
le  premier  religieux  à  qui  je  me  sois  confessée.  Je  m'en 


CHAPITRE    n.  61 

retournai  changée  en  une  autre  créature  ;  mais  si  puis- 
samment changée  que  je  ne  me  reconnaissais  plus 
moi-même.  Je  voyais  à  découvert  l'ignorance  qui 
m'avait  fait  croire  que  j'étais  très-parfaite,  que  mes 
actions  étaient  fort  innocentes  et  que  j'étais  bien  auprès 
de  Dieu;  mais  après  que  Notre-Seigneur  m'eut  ouvert 
les  yeux,  je  me  voyais  telle  que  j'étais,  et  je  confessais 
que  mes  justices  n'étaient  qu'iniquités.  " 


La  servante  de  Dieu  regarda  toujours  l'extase  dont 
nous  venons  de  parler  comme  l'une  des  plus  grandes 
grâces  qu'elle  eût  reçues  dans  sa  vie.  Ce  qui  valait 
mieux  encore,  elle  mit  sur-le-champ  tous  ses  soins  à  y 
être  fidèle.  Combien  de  personnes  reçoivent  de  temps 
en  temps  des  grâces  signalées  :  une  vive  lumière  sur 
la  fragilité  de  la  vie  présente  et  la  vanité  des  choses 
du  monde,  un  sentiment  de  componction  pour  les  fautes 
qu'elles  ont  commises,  une  vue  claire  des  beautés  de 
la  piété,  de  l'ingratitude  qu'il  y  a  pour  un  chrétien  à 
transiger  avec  son  devoir  et  à  servir  le  monde  en 
même  temps  que  l'on  ne  voudrait  pourtant  pas  risquer 
son  salut!  Dieu  les  visite  alors,  il  voudrait  les  attirer 
à  une  vie  pieuse,  mais  elles  manquent  de  générosité; 
elles  continuent  une  manière  d'agir  plus  que  dange- 
reuse pour  leur  éternité.  Alors  la  grâce  se  tait,  l'im- 
pression s'efface  et  on  en  perd  jusqu'au  souvenir.  On 
ne  comprendra  qu'au  jugement  de  Dieu  les  trésors 
spirituels  dont  on  s'est  privé  en  ne  profitant  pas  de 
cette  visite  de  la  miséricorde.  Il  n'en  fut  pas  ainsi  pour 
notre  jeune  veuve.  A  partir  de  là  et  sans  la  moindre 
hésitation,  elle  résolut  de  ne  plus  donner  une  seule 


62  Marik  1)K  l'incarnation. 

pensée  au  monde,  ni  à  ses  soins  ni  à  ses  espérances  ; 
mais  de  se  plonger  tout  entière  en  Dieu  et  de  ne  plus 
vivre  que  de  son  amour. 

Dans  ce  but,  elle  se  hâta  de  terminer  ses  affaires 
et  de  congédier  ses  domestiques.  Pénétrée  de  la  pensée 
divine  à  son  égard,  et  voulant  rendre  toujours  visible 
le  dessein  qu'elle  avait  formé  de  né  plus  se  mêler  en 
rien  aux  embarras  du  siècle;  tenant  surtout  à  ce  que 
l'on  vît  clairement  qu'elle  avait  renoncé  à  toute  pensée 
d'une  nouvelle  alliance,  elle  choisit  une  forme  de  vête- 
ment qui  l'excluait  des  compagnies  du  monde,  de  celles 
mêmes  qui  sont  honnêtes.  «  Sans  différer,  dit-elle,  je 
pris  un  habit  ridicule,  afin  de  faire  comprendre  à  tous 
ceux  de  ma  connaissance  que  je  ne  pensais  plus  à 
aucun  établissement  dans  le  monde.  » 

On  ne  manqua  pas  de  critiquer  cette  conduite,  mais 
les  personnes  judicieuses  l'admirèrent  et  l'on  cessa 
pour  le  moment  de  lui  faire  de  nouvelles  propositions 
de  mariage.  Elle  se  retira  ensuite  chez  son  père,  pour 
s'y  établir  dans  une  profonde  solitude.  Elle  se  logea 
à  l'étage  supérieur,  dans  une  chambre  qui  ouvrait  sur 
une  petite  galerie,  au  bout  de  laquelle  elle  pratiqua 
un  oratoire.  Séparée  de  tout,  même  de  son  fils,  placé 
en  nourrice,  elle  était  là  bien  véritablement  seule  avec 
Dieu,  qu'elle  regardait  comme  son  unique  trésor. 

Retirée  et  solitaire  comme  la  tourterelle  dans  son  nid, 
suivant  son  expression,  elle  répandait  ses  larmes  aux 
pieds  du  crucifix,  regrettant  d'avoir  été  jetée  dans  un 
tumulte  d'affaires  qui  ne  lui  avait  pas  permis  d'être 
unie  à  son  souverain  bien  comme  elle  s'y  était  toujours 
sentie  attirée. 

Elle  joignait  à  la  prière  et  aux  larmes  de  rigoureuses 
austérités,   châtiant  son  corps   non-seulement  par  la 


CHAPITRK    II.  63 

discipline  et  le  cilice,  mais  par  bien  d'autres  instru- 
ments de  pénitence.  Elle  renonça  dès  lors  à  l'usage 
du  linge  ordinaire,  auquel  elle  substitua  la  serge. 

Cette  vie  de  pénitence  et  d'union  à  Dieu  ne  lui  fit 
pas  oublier  les  œuvres  de  charité.  Elle  ne  lavait  pas 
seulement  les  pieds  des  fi'ièles,  comme  saint  Paul  le 
recommandait  aux  veuves  de  son  temps;  mais,  dit 
Claude  Martin,  elle  allait  à  la  recherche  des  pauvres 
affligés  de  plaies  et  d'ulcères  ;  elle  les  amenait  chez 
elle  à  certaines  heures.  Puis,  les  faisant  asseoir  dans  un 
fauteuil,  comme  elle  eût  fait  pour  Jésus-Christ  lui- 
même,  et  se  mettant  à  genoux,  elle  pansait  leurs  plaies 
et  leur  donnait  tous  les  soins  que  peut  inspirer  la  plus 
tendre  charité. 

«  A  peine  se  trouve-t-il,  ajoute  encore  son  fils,  une 
espèce  de  bonnes  œuvres  qu'elle  n'ait  pratiquée  dans 
une  très-grande  perfection.  Elle  fît  des  aumônes  autant 
que  la  perte  de  sa  fortune  pouvait  le  lui  permettre; 
elle  consola  les  affligés,  secourut  les  malades,  servit 
les  pauvres,  instruisit  les  ignorants,  défendit  les  fai- 
bles, convertit  les  pécheurs,  encouragea  les  bous.  » 


Dans  cette  position  nouvelle  si  conforme  à  ses  goûts, 
madame  Martin  était  véritablement  comblée  de  faveurs 
spirituelles.  Elle  semblait  être  désormais  en  possession 
du  vrai  repos  que  Dieu  lui  réservait  ici-bas,  et  n'avoir 
plus  qu'à  laisser  couler  ainsi  ses  jours  dans  la  solitude 
et  les  bonnes  œuvres.  Mais  c'est  surtout  à  l'égard  des 
saints  que  les  voies  divines  sont  incompréhensibles. 
Rien  ne  le  montre  mieux  que  la  vie  de  la  servante 
de  Dieu. 


64  MARIE    DE    l'incarnation. 

«  Après  un  an  de  solitude,  dit-elle,  Dieu  m'en  retira 
pour  me  mettre  chez  une  de  mes  sœurs  qui  se  trouvait 
surchargée  d'affaires  teinporelles.  Son  mari  et  elle  me 
désiraient,  pour  les  aider  à  porter  ce  fardeau.  La 
proposition  qui  m'était  faite  me  parut  d'abord  si  con- 
traire à  ce  que  je  m'étais  proposé,  que  je  ne  voulais 
pas  même  y  penser;  mais  je  finis  par  l'accepter,  à 
condition  que  je  serais  entièrement  libre  pour  mes 
pratiques  de  piété  :  car  je  faisais  ce  sacrifice  de  mon 
plein  gré  et  par  charité  pour  ma  sœur.  Notre-Seigneur 
me  voulut  montrer  que  c'était  lui  qui  m'avait  fait 
consentir  à  cela,  en  me  donnant  un  nouveau  don 
d'oraison  plus  parfait,  qui  m'établissait  dans  une  union 
très-étrpite  avec  lui  par  la  contemplation  des  mystères 
de  sa  vie  et  de  sa  mort.  » 

Elle  ajouta  que  l'esprit  de  grâce  qui  la  conduisait 
lui  inspira  la  pensée  de  cacher  ses  talents  naturels 
pour  les  affaires,  afin  de  laisser  croire  quelle  n'avait 
ni  intelligence  ni  aptitude  pour  quoi  que  ce  fût,  et 
qu'elle  n'était  propre  qu'à  être  la  servante  des  servi- 
teurs et  des  servantes  de  la  maison.  «  En  effet,  j'en 
faisais  les  offices  dans  les  choses  les  plus  abjectes  et 
les  plus  humiliantes.  La  bonté  de  Dieu  permettait  que 
l'on  me  traitât  ainsi,  et  qu'on  le  fît  avec  un  ton  impé- 
rieux et  d'ime  façon  étonnante.  Mais  j'aimais  tant  les 
choses  humbles  et  basses  que  je  dis  un  jour  à  mon 
directeur  que  je  craignais  d'y  avoir  de  l'attache.  » 

Elle  dit  dans  un  autre  endroit  :  «  Je  faisais  l'office 
de  servante  envers  les  serviteurs  de  mon  frère,  et 
quelquefois  j'en  avais  un  fort  grand  nombre  de  malades. 
Je  n'avais  garde  de  souffrir  que  d'autres  en  prissent 
soin;  je  leur  rendais  même  les  services  les  plus  vils, 
mais  je  le  faisais  en  cachette,  pour  que  les  personnes 


CHAPITRE    II.  65 

qui  en  étaient  chargées  ne  s'en  aperçussent  pas.  Quand 
elles  se  présentaient,  elles  trouvaient  la  besogne  faite. 
Pendant  l'espace  de  trois  ou  quatre  ans  je  fis  toujours 
la  cuisine,  y  endurant  de  grandes  incommodités  ;  mais 
plus  je  souffrais,  plus  Notre-Seigneur  me  comblait 
de  ses  consolations  et  récompensait  mes  services  par 
ses  faveurs  et  ses  grâces.  » 

Que  de  peines  de  cœur  éprouvent  en  pareil  cas  les 
personnes  qui  n'ont  pas  pour  se  soutenir  et  se  consoler 
l'esprit  de  foi  et  d'humilité  !  Que  de  larmes  elles  versent, 
que  de  reproches  elles  adressent  de  temps  en  temps 
à  ceux  qui  oublient  ainsi  les  convenances  à  leur  égard  ! 
Le  chagrin  les  consume,  et  se  grave  promptement  sur 
leur  figure  en  lignes  ineffaçables.  Il  en  fut  tout  autre- 
ment de  madame  Martin  :  elle  conservait  la  paix  de  son 
âme  et  une  vraie  joie  intérieure;  elle  faisait  l'office 
de  servante  avec  autant  de  bonheur  qu'en  éprouvent 
ceux  qui,  après  de  longs  désirs,  à  force  d'instances  et 
au  moyen  de  puissantes  médiations,  ont  obtenu  l'hon- 
neur de  servir  les  rois  de  la  terre.  C'est  qu'elle  voyait 
en  tout  celui  qui  est  infiniment  au-dessus  de  tous  les 
monarques  du  monde;  c'était  lui  qu'elle  servait  dans 
la  personne  des  domestiques  de  son  beau-frère,  et  elle 
était  heureuse.  On  a  d'elle  un  portrait  qui  fut  fait 
lorsqu'elle  avait  quarante  ans  ;  sa  figure  n'y  laisse  pas 
entrevoir  la  moindre  trace  de  souffrance.  On  ne  soup- 
çonne même  pas,  eu  la  voyant,  les  austérités  et  les 
macérations  par  lesquelles  elle  châtiait  son  corps.  Ses 
traits  révèlent,  au  contraire,  le  bonheur  et  la  joie,  en 
même  temps  que  la  force  et  la  santé.  C'est  que  le 
fardeau  qui  eût  été  accablant  pour  un  grand  nombre, 
était  pour  elle  doux  et  léger. 


M     DE  LINC. 


66  MARIE    DE    l'incarnation. 

Quelle  que  fût  sa  profonde  humilité,  le  démon  de 
l'orgueil  cherchait  à  lui  inspirer  des  sentiments  de 
vaine  complaisance;  il  lui  représentait  les  grâces  sans 
nombre  qu'elle  avait  reçues  aussi  bien  que  les  dons 
naturels  dont  elle  était  douée,  pour  lui  donner  une 
haute  idée  d'elle-même.  Mais  Dieu  vint  à  son  secours, 
et  elle  surmonta  si  parfaitement  la  tentation,  dit  Claude 
Martin,  que  son  cœur  demeura  fermé  pour  jamais  aux 
plus  petits  sentiments  de  vanité.  Toutefois,  ajoute-t-il, 
la  manière  dont  elle  se  rendit  victorieuse  dans  ce 
combat  est  si  remarquable,  qu'on  verra  avec  plaisir 
le  récit  qu'elle  en  fait  elle-même. 

«  Je  fus  attaquée  de  plusieurs  pensées  de  bonne 
estime  de  moi-même,  et  sollicitée  par  la  tentation  de 
m'attribuer  plusieurs  choses,  tant  pour  l'intérieur  que 
pour  l'extérieur,  comme  si  elles  m'eussent  appartenu; 
mais  ayant  ouvert  un  livre  de  piété,  mes  yeux  tom- 
bèrent sur  les  premières  paroles  du  Psaume  126  :  Si 
Dieu  ne  bâtit  lui-même  une  maison,  cest  en  vain  que  travail- 
lent ceux  qui  la  construisent.  Alors  je  me  vis  si  nulle  et  si 
incapable  de  faire  aucun  bien,  et  au  contraire,  si  propre 
à  tout  mal,  que  force  me  fut  de  reconnaître  que  je 
n'étais  qu'un  vrai  rien.  Ce  regard  de  moi-même  me  fit 
voir  si  clairement  mon  néant,  que  le  sentiment  ne 
m'en  est  jamais  sorti  de  l'esprit  :  en  sorte  que,  depuis 
ce  temps,  je  n'ai  pu  m'attribuer  aucun  avantage;  tou- 
jours j'ai  vu  que  Dieu  seul  est  auteur  de  tout  bien. 

»  Ce  qui  contribua  encore  à  m'avUir  à  mes  propres 
yeux,  c'est  que  sur  le  bord  du  chemin  par  où  j'allais 
à  la  messe,  il  y  avait  dans  la  boue  un  chien  mort 
répandant  une  telle  infection  qu'il  fallait  se  détourner 
pour  n'eu  pas  être  incommodé.  Je  me  sentis  inspirée 
de  m'en  approcher  chaque  fois  que  je  passais.  Quelque 


CHAPITRE    II.  67 

temps  après  je  le  vis  tout  rempli  de  vers,  puis  devenir 
à  rien.  Depuis  je  ne  crois  pas  avoir  jamais  eu  aucune 
pensée  d'orgueil,  qu'aussitôt  et  presque  avant  d'avoir 
aperçu  la  tentation,  je  ne  me  sois  dit  devant  Dieu  : 
Ah!  je  ne  suis  qu'un  chien  mort!  Cela  m'a  inspiré 
contre  moi-même  une  haine  qui  m'est  toujours  restée  : 
je  ne  jette  pas  les  yeux  sur  moi  sans  me  détester,  et 
plus  je  suis  unie  à  Dieu,  plus  je  désire  être  anéantie 
en  sa  présence.  » 

Les  personnes  légères  et  mondaines  qui  liraient  un 
pareil  récit  ne  manqueraient  pas  de  dire  que  madame 
Martin  se  faisait  à  elle-même  une  vie  malheureuse, 
et  qu'une  âme  qui  se  persécute  de  la  sorte  ne  peut 
avoir  ni  joie  ni  sérénité,  que  tout  en  elle  est  sombre 
comme  la  nuit,  déchirant  comme  l'enfer.  Ce  serait  là 
une  grande  erreur.  Rien  ne  donne  la  paix,  une  douce- 
sérénité,  une  joie  suave  et  tranquille  comme  la  vraie 
humilité.  Il  est  d'expérience  que  rien  ne  trouble  l'âme 
solidement  établie  dans  cette  vertu.  Ce  sont,  au  con- 
traire, les  orgueilleux  qui  éprouvent  sans  cesse  de  la 
peine.  Il  leur  sufiat  d'une  légère  déception,  de  quelque 
dédain  réel  ou  apparent,  ou  même  purement  imagi- 
naire pour  les  remplir  d'amertume.  Comme  ils  croient 
mériter  plus  d'égards  qu'on  ne  pense  à  leur  en  accor- 
der, ils  sont  toujours  mécontents,  et,  sans  qu'il  s'en 
rendent  bien  compte,  toute  leur  vie  est  malheureuse. 

L'amour  de  l'humiliation  qui  est  la  marque  de  l'humi- 
lité portée  au  plus  haut  degré,  fit  faire  à  madame  Martin 
une  démarche  que  Ton  ne  peut  proposer  à  l'imitation, 
mais  qui  fait  trop  bien  voir  quels  progrès  elle  avait 
faits  dès  lors  dans  ce  que  saint  Paul  appelle  la  folie  de 
la  croix,  pour  que  nous  ne  la  fassions  pas  connaître, 
en  rapportant  ce  qu'elle  en  dit  elle-même  à  son  fils. 


68  MARIE    DE    l'incarnation. 

r^  Le  désir  de  m'humilier  me  remit  en  la  mémoire 
tous  mes  péchés,  non  pour  me  gêner  l'esprit,  mais  pour 
m'abaisser  et  me  faire  mépriser.  Je  les  écrivis  tous 
depuis  le  premier  usage  de  ma  raison  jusqu'ici,  quel- 
que honteux  qu'ils  fussent,  en  pensées,  paroles  et 
actions,  sans  omettre  aucune  circonstance.  Puis  ayant 
mis  mon  nom  au  bas,  je  portai  cet  écrit  à  mon  confes- 
seur, le  suppliant  de  me  faire  la  charité  de  l'attacher 
à  la  porte  de  l'église,  afin  que  tous  ceux  qui  y  entre- 
raient, vissent  combien  j'avais  été  misérable  par  mes 
offenses  envers  la  divine  bonté.  Il  prit  le  papier  en  me 
disant  qu'il  s'en  chargeait;  mais  il  me  fit  la  mortifica- 
tion de  ne  pas  l'afficher.  » 

On  le  sait  déjà  et  on  le  verra  mieux  encore  dans  la 
suite,  les  plus  grands  péchés  qu'elle  eût  commis  étaient 
à  peine  des  imperfections  légères,  en  sorte  que  cette 
confession  était  la  preuve  d'une  rare  sainteté  ;  mais 
la  jeune  veuve  était  loin  de  penser  ainsi;  elle  se  croyait, 
au  contraire,  coupable  des  plus  noires  ingratitudes. 
Par  conséquent  elle  faisait  un  grand  acte  d'humilité 
en  voulant  afiiicher  cette  confession.  C'est  la  remarque 
de  son  fils. 


Malgré  l'application  qu'elle  mettait  à  cacher  ses 
talents  naturels,  on  finit  par  les  soupçonner.  Son  beau- 
frère  qui  ne  pouvait  suffire  à  toutes  ses  affaires,  la 
pria  d'en  prendre  la  conduite.  Il  était  commissionnaire 
pour  le  transport  des  marchandises  dans  toute  l'étendue 
du  royaume,  et,  de  plus,  officier  d'artillerie.  A  la  faveur 
de  ces  deux  offices,  il  se  livrait  encore  à  quantité 
d'autres  entreprises,  ce  qui  l'obligeait  d'avoir  le  plus 
nombreux  personnel  de  toute  la  province  :  car  pour 


CHAPITRE   II.  69 

s'acquitter  plus  avantageusement  de  ses  emplois  et  afin 
de  ne  dépendre  de  personne,  il  possédait  tout  ce  qui 
lui  était  nécessaire  en  hommes,  chevaux,  harnais, 
coches,  carrosses,  etc. 

Sa  charitable  sœur  consentit  à  se  charger  de  tout, 
et  elle  s'en  acquittait  d'une  manière  qui  semblait  mira- 
culeuse ;  car  sans  rien  négliger  et  en  trouvant  moyen 
de  contenter  tout  le  monde,  elle  portait  ce  fardeau  de 
façon  à  ne  pas  même  être  distraite  de  la  présence  de 
Dieu  :  en  sorte  qu'on  eût  dit  qu'elle  était  du  nombre 
de  ces  purs  esprits  qui  dirigent  l'économie  du  monde 
et  qui  ne  cessent  point  de  voir  la  face  du  Père  céleste.  C'est 
elle-même  qui  révèle  ce  phénomène. 

«  Cette  grande  application  que  j'avais  à  Dieu,  dit- 
elle,  n'était  jamais  interrompue.  Je  me  trouvais  parmi 
le  bruit  des  marchands,  et  cependant  mon  esprit  était 
abîmé  dans  la  divine  Majesté.  On  eût  jugé,  à  me  voir, 
que  j'écoutais  avec  attention  tout  ce  qu'on  me  disait; 
mais,  si  l'on  m'en  eût  demandé  des  nouvelles,  j'eusse 
été  bien  embarrassée.  Néanmoins,  Notre-Seigneur  me 
faisait  la  grâce  de  venir  à  bout  de  toutes  les  affaires 
dont  j'avais  la  charge.  Je  passais  les  jours  presque 
entiers  dans  une  écurie  qui  servait  de  magasin,  et 
quelquefois  il  était  minuit  que  j'étais  sur  le  port  à  faire 
charger  ou  décharger  des  marchandises.  J'avais  pour 
compagnie  ordinaire  des  crocheteurs,  des  charretiers 
et  en  outre  cinquante  ou  soixante  chevaux,  dont  il 
fallait  que  j'eusse  le  soin;  et  cependant  tous  ces  tracas 
ne  m'éloignaient  point  de  Dieu.  Je  m'en  sentais  plutôt 
rapprochée,  parce  que  tout  était  pour  la  charité  et  non 
pour  mon  profit  particulier.  Je  me  voyais  quelquefois 
si  surchargée  d'affaires  que  je  ne  savais  par  où  com- 
mencer. Je  m'adressais  alors  à  mon  refuge  ordiniire. 


70  MARIE    DE    L INCARNATION. 

lui  disant  :  Mon  Amour,  il  n'y  a  pas  moyen  que  je  fasse 
toutes  ces  ciioses;  faites-les  pour  moi,  autrement  tout 
restera.  Me  confiant  ainsi  en  sa  bonté,  tout  me  devenait 
facile.  Quelquefois  je  me  retirais  dans  la  solitude  pour 
tâcher  de  m'unir  à  Dieu  loin  du  bruit  ;  aussitôt  l'on 
me  rappelait,  et  j'obéissais  joyeusement  en  disant  : 
Allons,  mon  doux  Amour,  vous  le  voulez;  il  suffit  que 
je  vous  possède  ;  cette  action  est  pour  vous.  » 


On  voit  par  tout  ce  qui  arrive  à  madame  Martin 
après  la  mort  de  son  mari,  que  la  grâce  produisait  en 
elle  une  activité  étonnante,  toujours  réglée  néanmoins 
par  la  prudence,  le  tact  et  l'intention  surnaturelle.  Mais 
outre  ce  travail  que  l'on  pourrait  appeler  extérieur, 
au  moyen  duquel  une  Providence  attentive  la  préparait 
à  devenir  plus  tard  apôtre  du  Canada,  une  opération 
plus  merveilleuse  encore  de  l'Esprit  divin  avait  lieu 
dans  son  intérieur,  ainsi  que  nous  allons  le  voir  dans 
le  chapitre  suivant,  et  la  faisait  monter  à  ce  degré  de 
vertu  et  de  perfection  qui  est  le  cachet  des  âmes  d'élite, 
à  cette  hauteur  de  vie  mystique  qui  a  permis  à  Bossuet 
de  la  qualifier  de  Thérèse  de  son  siècle  et  du  Nouveau -Monde. 

Pour  bien  comprendre  cette  conduite  de  Dieu  à 
l'égard  de  sa  servante ,  cette  éducation ,  pour  ainsi 
parler,  au  moyen  de  laquelle  il  communiquait  à  son 
âme  des  aptitudes  si  différentes ,  les  unes  pour  les 
oeuvres  extérieures,  les  autres  pour  la  contemplation, 
il  faut  remarquer  que  l'Ordre  des  Ursulines  auquel  il 
la  destinait,  demande  précisément  ces  deux  espèces 
d'aptitudes,  au  moins  dans  une  certaine  mesure.  Il  y  a 
deux  vies  dans  la  fille  de  sainte  Angèle  :  la  vie  aposto- 


CHAPITRE    II.  71 

lique,  active  par  conséquent,  se  consumant  à  faire 
connaître  Dieu,  à  inspirer  son  amour  autour  de  soi, 
à  sauver  des  âmes,  et  la  vie  religieuse  proprement  dite, 
qui  consiste  à  tendre  tous  les  jours  à  sa  propre  perfec- 
tion par  la  pratique  des  trois  vœux  de  chasteté,  d'obéis  - 
sance  et  de  pauvreté  perpétuelles.  Celle-ci  est  la 
principale;  elle  est  le  fondement  de  Vautre,  qui  autre- 
ment ne  serait  qu'un  travail  purement  humain,  sans 
proportion  avec  le  but  que  doit  se  proposer  l'apôtre  de 
Jésus-Christ;  mais  toutes  deux  s'harmonisent,  s'aident 
et  se  perfectionnent  réciproquement.  Plus  une  Ursuline 
sera  sainte,  plus  elle  sera  propre  à  glorifier  Dieu  et  à 
sauver  des  âmes.  D'un  autre  côté,  elle  se  sanctifie 
elle-même  en  s'appliquant  à  sanctifier  les  autres. 

Il  faut  considérer  encore  que,  dans  les  desseins  de 
Dieu,  madame  Martin  était  destinée  à  une  mission 
extrêmement  laborieuse  et  difficile;  elle  devait  aller, 
dans  une  région  inconnue  et  parmi  des  sauvages, 
braver  les  plus  grands  dangers,  endurer  mille  priva- 
tions et  se  livrer  pendant  un  tiers  de  siècle  à  des  tra- 
vaux tels  que  rarement  une  femme  en  a  affronté  de 
semblables.  Or,  pour  être  en  état  de  parcourir  une  telle 
carrière,  ce  n'était  pas  trop  de  souffrir  l'espace  de  neuf 
ou  dix  ans  les  humiliations  et  les  fatigues  auxquelles 
elle  fut  soumise  chez  son  beau- frère.  Elle-même  le 
reconnut  plus  tard  et  témoigna  sa  reconnaissance  à 
cette  invisible  main  qui  la  dirigeait  en  toutes  choses. 

«  Je  vois  maintenant,  écrivait- elle  vers  la  fin  de  sa 
vie,  que  tous  les  états,  épreuves  et  travaux  par  lesquels 
j'ai  passé,  avaient  pour  but  de  me  former  à  l'œuvre  du 
Canada.  C'a  été  mon  noviciat  ;  je  n'en  suis  pas  sortie  par- 
faite, mais  pourtant,  par  sa  miséricorde,  Dieu  m'a  mise 
en  état  de  porter  les  tracas  et  les  travaux  du  Canada.  » 


72  MARIE    DE    l'incarnation. 

Enfin,  elle  devait  fonder  une  maison  considérable 
dans  une  contrée  où  nulle  femme  consacrée  à  Dieu 
n'avait  encore  paru,  servir  de  guide  et  de  modèle  non- 
seulement  aux  religieuses  qui  travailleraient  avec  elle, 
mais  à  toutes  celles  qui  se  succéderaient  dans  la  com- 
munauté dont  elle  serait  la  Mère.  Dieu  voulait  même 
que ,  par  l'éclat  de  ses  vertus  et  l'ascendant  de  sa 
sainteté,  elle  contribuât  à  affermir  l'une  des  plus  impor- 
tantes colonies  qu'ait  fondées  une  nation  catholique  : 
il  était  donc  comme  nécessaire  que  des  grâces  de 
choix  et  véritablement  extraordinaires  lui  fissent  com- 
mencer de  bonne  heure  l'édifice  de  sainteté  que  deman- 
dait une  telle  mission.  Or,  nous  allons  voir  comment 
Dieu  opéra  en  elle  ce  travail  intérieur  de  sagesse  et 
d'amour. 


CHAPITRE  III. 


Genre  d'oraison  de  madame  Martin.  —  Son  attention  continuelle  à  la  présence 
de  Dieu.  —  Pressentiments  d'un  état  plus  parfait.  —  Efforts  pour  s'y  préparer. 
Pénitences  rigoureuses.  —  Elle  écrit  de  nouveau  ses  péchés.  —  Elle  connaît 
qu'elle  doit  être  épouse  de  Dieu.  —  Bonheur  et  angoisses.  —  Nouvelles 
austérités  —  Union  de  deux  cœurs.  —  Préliminaires  du  mariage  divin  et 
analogies.  —  Admirable  vision  de  la  sainte  Trinité. 


Animée  du  plus  vif  désir  d'arriver  à  la  sainteté, 
madame  Martin  prenait  tous  les  moyens  qui  lui  parais- 
saient propres  à  atteindre  ce  but.  Elle  s'appliquait 
particulièrement  à  l'oraison,  et  elle  y  mettait  l'ardeur 
qui  était  dans  sa  nature  ;  elle  s'était  livrée  à  cet  exer- 
cice, durant  quelque  temps,  d'après  une  méthode  qui 


CHAPITRE   m.  73 

lui  était  tombée  entre  les  mains,  mais  elle  y  trouvait 
beaucoup  plus  de  fatigue  que  de  profit.  C'est  pourquoi 
son  confesseur,  Dom  François  de  Saint-Bernard,  ayant 
quitté  Tours,  et  la  servante  de  Dieu  setant  adressée 
à  un  autre  Feuillant,  Dom  Raimond  de  Saint-Bernard, 
qui  le  remplaçait,  celui-ci  lui  défendit  la  méditation 
proprement  dite  et  voulut  qu'elle  s'abandonnât  entière- 
ment à  l'esprit  de  Dieu.  Cette  liberté  que  lui  donna 
son  nouveau  directeur  lui  fut  extrêmement  avanta- 
geuse, et  elle-même  fait  connaître  les  fruits  qu'elle  en 
retira. 

«  Dès  que  je  m'étais  mise  à  genoux  devant  mon 
crucifix,  ce  divin  Sauveur  s'emparait  de  mon  esprit, 
et  tout  ce  que  je  pouvais  faire  était  de  lui  dire  :  ^  C'est 
"  l'amour  qui  vous  a  réduit  à  cet  état;  si  vous  n'étiez 
«  pas  amour,  vous  n'auriez  pas  souffert  de  la  sorte.  » 
En  semblables  occasions,  je  me  suis  trouvée  dans  un 
battement  de  cœur  si  étrange  qu'il  me  réduisait  à 
n'en  pouvoir  plus;  si  ce  cœur  se  fût  fendu,  j'eusse 
trouvé  mon  soulagement  par  ma  mort,  pour  aller  jouir 
de  celui  que  je  ne  voyais  ni  ne  pouvais  concevoir 
qu'amour.  « 

Ce  n'était  pourtant  là  que  le  commencement  des 
prodiges  de  grâces  que  Dieu  voulait  opérer  en  elle. 
«  Sitôt,  ajoute-t-elle,  que  la  divine  Majesté  m'eût  com- 
muniqué le  don  d'oraison,  elle  me  donna  aussi  la  grâce 
de  sa  sainte  présence,  qui  était  toute  ma  force  et 
m'établissait  dans  un  entretien  continuel  avec  Notre- 
Seigneur.  Dans  cet  état  il  laissait  voir  à  mon  âme  son 
intention  de  la  faire  arriver  à  une  pureté  qui  lui  était 
inconnue,  et  par  où  elle  n'avait  pas  encore  passé.  Il 
lui  faisait  comprendre  qu'il  était  comme  une  grande 
et  vaste  mer  :  de  même  que  la  mer  ne  peut  rien  souffrir 


74  MARIE    DE    L INCARNATION. 

d'impur,  ainsi  ce  Dieu  de  pureté  infinie  rejette  toutes 
les  âmes  mortes,  lâches  et  impures.  Je  vis  pour  lors 
une  si  grande  disproportion  de  la  pureté  de  l'esprit 
humain  pour  entrer  dans  l'union  avec  la  divine  Majesté, 
que  cela  était  épouvantable.  » 

Les  saints,  que  la  grâce  inonde  et  pénètre  d'abon- 
dantes lumières,  voient  en  eux  une  multitude  d'im- 
perfections et  même  de  souillures  là  oii  les  âmes 
d'une  piété  commune  croiraient  apercevoir  des  vertus. 
Madame  Martin  avait  reçu  ces  lumières,  et  elle  se 
voyait  remplie  de  tant  de  défauts  qu'elle  en  était 
comme  accablée,  sans  toutefois  se  laisser  aller  au 
découragement  ou  à  la  défiance. 

Voyant  que  le  défaut  de  pureté  de  son  âme,  c'est-à- 
dire  du  détachement  parfait  à  l'égard  d'elle-même  et 
de  la  créature,  était  un  obstacle  à  cette  grâce  inconnue 
qu'elle  pressentait  et  désirait  si  ardemment,  elle  se 
donna  tout  entière  aux  actes  d'humilité  et  de  morti- 
fication corporelle.  «  Je  m'estimais  heureuse,  dit-elle, 
quand  on  me  causait  des  humiliations.  Je  sentais  au 
fond  de  mon  cœur  un  vif  amour  pour  les  personnes 
qui  me  procuraient  -cet  avantage;  j'agissais  à  leur 
égard  avec  une  affection  très-sincère,  et  dès  que  j'y 
mêlais  quelque  imperfection,  j'en  étais  reprise  inté- 
rieurement, ce  qui  m'arriva  dans  une  circonstance  où 
j'entendis  fort  distinctement  ces  paroles  au  dedans  de 
moi  :  «  Si  tu  avais  une  belle  perle  ou  une  pierre  pré- 
«  cieuse  et  que  l'on  vînt  à  la  salir  dans  un  bourbier, 
»  serais-tu  contente?  »  Ces  paroles  me  jetèrent  dans  un 
abîme  de  confusion.  L'effet  qu'elles  produisirent  fut 
une  si  grande  haine  de  moi-même,  que  je  ne  voyais 
rien  qui  fût  digne  de  mépris  et  de  rebut  autant  que 
je  l'étais.  La  haine  de  moi-même  et  l'humilité  crois- 


CHAPITRE  iir-'  75 

saient  et  me  faisaient  faire  des  actions  de  plus  en  plus 
humiliantes  et  où  la  nature  recevait  plus  de  confusion. 

«  Mon  âme  cependant  se  portait  sans  cesse  vers 
Dieu;  je  voulais  le  posséder  d'une  façon  qui  m'était 
inconnue  et  à  laquelle  lui-même  me  dispensait.  Je  le 
rencontrais  dans  toutes  les  créatures  et  danj^^  les  fins 
pour  lesquelles  elles  avaient  été  créées.  J'av.ais  une 
connaissance  infuse  de  la  nature  de  chaque  chose, 
et,  sans  penser  que  cela  fût  extraordinaire,  j'en  pa>rlais 
quelquefois  avec  beaucoup  de  simplicité.  » 

Dieu  lui  faisait  comprendre  néanmoins  qu'elle  n'avait 
pas  encore  les  dispositions  requises  pour  recevoir  la 
faveur  qu'il  lui  réservait.  «  C'est  pourquoi,  dit-elle, 
mon  âme  eût  voulu  passer  par  les  flammes  pour  arriver 
au  but  de  ses  désirs.  Il  n'y  avait  travaux  qu'elle  n'em- 
brassât pour  acquérir  ce  qui  lui  manquait.  Elle  faisait 
tout  son  possible  pour  gagner  le  Cœur  de  Dieu,  et 
Dieu,  de  son  côté,  lui  donnait  un  nouvel  esprit  de  péni- 
tence, qui  lui  faisait  traiter  son  corps  comme  un 
esclave.  Elle  le  chargeait  de  haires,  de  cilices  et  de 
chaînes;  elle  le  faisait  coucher  sur  le  bois;  elle  lui 
faisait  passer  une  bonne  partie  des  nuits  à  se  donner 
la  discipline  avec  grande  effusion  de  sang.  Elle  ne  lui 
permettait  que  le  peu  de  sommeil  qui  lui  était  néces- 
saire pour  ne  pas  mourir;  elle  lui  faisait  encore  sup- 
porter, avec  ces  pénitences,  les  travaux  domestiques 
et  les  peines  attachées  à  ses  divers  emplois.  Non  con- 
tente de  cela,  elle  priait  quelque  personne  complaisante 
de  le  battre  rudement.  Elle  ne  lui  donnait  aucun  repos, 
cherchant  sans  cesse  de  nouvelles  inventions  pour  le 
faire  souffrir.  Ce  pauvre  corps  se  laissait  traiter  comme 
un  mort  et  souffrait  tout  sans  mot  dire,  tant  l'Esprit 
de  grâce  l'avait  subjugué. 


76  MARIE    DE    l'incarnation.  • 

«  Ce  n'est  pas  tout;  cet  Esprit  intérieur,  qui  s'était 
rendu  le  maître  et  le  guide  de  l'âme,  lui  fit  voir  que  la 
pureté  intérieure  demandait  qu'elle  allât  déclarer  de 
nouveau  à  son  directeur  tous  les  péchés  de  sa  vie 
et  le  prier,  après  les  lui  avoir  donnés  par  écrit,  de  les 
attacher  à  la  porte  de  l'église  avec  le  nom  de  la  cou- 
pable, afin  que  tout  le  monde  sût  à  quel  point  elle  avait 
été  infidèle  à  Dieu.  Mon  directeur  me  renvoya  assez 
sévèrement  plusieurs  fois,  mais  enfin  il  vit  bien  que 
mes  larmes  venaient  d'une  autre  source  que  de  la 
nature.  Il  m'écouta  donc  et  je  lui  présentai  mon  papier; 
il  le  prit  sans  mot  dire,  mais  je  crois  qu'il  le  brûla,  car 
je  ne  le  vis  point  afiSché  à  la  porte  de  l'église,  comme 
je  l'avais  demandé. 

»  Après  que  j'avais  ainsi  obéi  à  l'Esprit  de  grâce, 
il  se  montrait  généreux  et  libéral  envers  moi.  Qu'il  soit 
béni  éternellement  pour  avoir  témoigné  tant  d'amour 
à  une  si  chétive  créature  !  « 


Tous  ces  actes  de  vertus,  surtout  des  vertus  qui 
coûtent  le  plus  à  la  nature,  élevèrent  en  peu  de  temps 
madame  Martin  à  une  haute  perfection  et  lui  procu- 
rèrent, à  un  certain  degré,  cette  pureté  de  l'âme  à 
laquelle  elle  aspirait  avec  une  si  vive  ardeur.  Alors 
Dieu  se  laissa  toucher,  et  il  lui  fit  comprendre  que  la 
grâce  insigne  qu'il  lui  réservait,  était  de  l'élever  jusqu'à 
lui  par  une  union  mystérieuse  et  de  lui  donner  la 
qualité  d'P]pouse. 

Cette  ouverture  qui  la  combla  de  joie  fut  néanmoins 
suivie  de  grandes  angoisses,  mais  angoisses  d'amour 
dont  elle  n'eût  pas  voulu  être  délivrée  et  qui  servirent 


CHAPITRE    III.  77 

à   perfectionner   de  plus   en   plus  cette    pureté    dans 
laquelle  elle  faisait  tous  les  jours  des  progrès. 

«  J'étais  étonnée  de  ce  que  Notre-Seigneur  me  faisait 
tant  de  grâces,  me  permettant  d'aspirer  à  être  son 
Epouse  et  à  me  perdre  dans  ses  divins  embrassements. 
Mais  il  y  avait  encore  quelque  ornement  dont  mon  âme 
avait  besoin,  et  à  cause  de  cela  elle  languissait,  quoi- 
qu'elle fût  unie  de  volonté  à  celui  qui  la  faisait  languir. 
Elle  se  regardait  comme  assurée  de  le  posséder  dans 
l'étroite  union  pour  laquelle  il  lui  donnait  tant  d'attrait; 
mais  il  ne  se  peut  dire  combien  cet  amour  cause  de 
peines  et  de  souffrances.  Cependant  l'âme  ne  voudrait 
pas  être  délivrée  de  ces  peines,  sinon  pour  posséder 
-celui  qu'elle  aime.  Il  lui  semble  qu'elle  a  des  bras 
intérieurs  continuellement  tendus  vers  lui;  et  comme 
si  déjà  elle  le  possédait,  lorsqu'elle  ne  fait  qu'aspirer 
à  cette  possession,  elle  dit  :  «  Mon  bien-aimé  est  à  moi 
»  et  je  suis  toute  à  lui;  il  est  comme  un  autre  moi-même, 
»  c'est  mon  tout,  c'est  ma  vie.  »  Tous  ses  mouvements, 
toutes  ses  attentions,  tout  ce  qui  est  en  elle  tend  conti- 
nuellement vers  son  bien-aimé.  Elle  estime  sa  vie 
comme  rien,  pourvu  qu'elle  le  possède  en  la  manière 
qu'il  lui  fait  pressentir,  car  elle  ne  peut  se  contenter 
de  moins.  «  Non,  dit-elle,  non,  mon  chaste  Amour,  je 
»  ne  vous  veux  point  en  partie, je  vous  veux  tout  entier; 
»  si  c'est  ma  vie  qui  vous  empêche  de  venir,  ôtez-la-moi, 
»  puisqu'elle  m'est  nuisible.  Pourquoi  tardez- vous  tant 
y>  à  venir  à  moi  ou  à  m'attirer  à  vous?  » 

»  Tout  cela  se  passait  dans  des  chemins  où  les 
affaires  me  conduisaient,  dans  l'embarras  des  soins 
domestiques  et  dans  la  conversation  d'un  grand  nom- 
bre de  personnes,  avec  autant  d'attention  et  d'appli- 
cation d'esprit  que  si  c'eût  été  dans  l'oratoire,   parce 


78  MARIE    DE    l'incarnation. 

que  lame  était  emportée  par  une  force  qui,  au  fond, 
lui  donnait  une  très-grande  paix,  tandis  que,  d'un 
autre  côté,  l'amour  divin  la  tenait  dans  une  angoisse 
qui  se  peut  bien  sentir,  mais  non  pas  exprimer.  » 

Plus  elle  recevait  de  grâces  nouvelles,  plus  elle 
soupirait  vers  cette  union  intime  qui  devait  la  rendre 
Épouse,  et  que  pour  cette  raison  elle  appelle  Mariage. 
Jour  et  nuit  elle  s'écriait:  «  Ah!  mon  Amour,  quand 
est-ce  que  s'achèvera  ce  mariage?  »»  Elle  appelle  Notre- 
Seigneur  son  Amour,  selon  l'ordre  que  lui-même  lui 
avait  donné.  Un  jour  que,  lui  parlant  dans  l'oraison 
avec  un  profond  sentiment  d'humilité  et  de  respect, 
elle  l'appelait  son  Dieu  et  son  grand  Dieu,  il  lui  dit 
avec  une  merveilleuse  douceur.  «  Tu  m'appelles  ton 
»  grand  Dieu,  ton  Maître,  ton  Seigneur,  et  tu  dis  bien, 
»  car  je  le  suis.  Mais  aussi  je  suis  charité;  l'Amour  est 
»  mon  nom,  et  c'est  ainsi  que  je  veux  que  tu  m'appelles.  » 
Son  âme  ne  fut  jamais  pénétrée  d'une  douceur  sem- 
blable à  celle  qu'elle  ressentit  à  ces  paroles.  Cet  aimable 
nom,  ce  nom  Amour  lui  demeura  depuis  si  fortement 
imprimé  dans  l'esprit  et  dans  le  cœur,  que  quand  elle 
parlait  à  Notre-Seigneur,  elle  ne  l'appelait  plus  que 
son  Amour,  son  doux  Amour,  son  cher  Amour,  son 
très-pur  et  très-chaste  Amour. 


P>n  attendant  la  faveur  si  ardemment  désirée,  elle 
adoucissait  ses  angoisses  et  même  elle  soulageait  ses 
fatigues  corporelles  par  la  sainte  communion.  •<  Après 
toutes  les  fatigues  que  je  prenais  pour  le  service  du 
prochain,  mon  corps  brisé  de  pénitences  reprenait  ses 
forces  par  la  manducation  de  ce  pain  divin  et  recevait 


CHAPITRE    III.  79 

un  nouveau  courage  peur  recommencer,  ce  que  natu- 
rellement je  n'aurais  pu  faire.  Néanmoins,  après  la 
consommation  des  saintes  espèces,  mon  âme  revenait 
dans  sa  tendance  ordinaire  à  le  posséder  sans  retour. 
Je  gémissais,  je  me  voyais  quelquefois  comme  aban- 
donnée lorsque,  dans  la  rigueur  de  l'hiver  et  pendant 
l'obscurité  de  la  nuit,  je  voulais  châtier  mon  corps, 
que  je  tenais  tout  découvert  au  froid.  A  peine  pou- 
vais-je  remuer  le  bras.  Je  disais  à  ce  divin  amant  : 
Mon  bien-aimé,  mettez-vous  sur  mon  bras,  afin  qu'il 
ait  des  forces  pour  châtier  ce  misérable  corps.  Alors 
il  m'en  donnait  de  si  puissantes  que  je  me  déchirais 
de  coups;  puis  je  mettais  une  haire,  afin  que  ses 
nœuds  et  ses  épines  fussent  d'autant  plus  sensibles  que 
les  plaies  étaient  plus  récentes  ;  et  enfin  je  m'allais  jeter 
quelques  heures  sur  mon  pauvre  lit.  Je  voyais  bien 
que  je  suivais  ses  intentions,  car  son  Esprit  ne  me 
permettait  pas  de  faire  autrement.  » 

Voici  ce  qu'elle  dit  encore  de  ses  mortifications  : 
"  Coucher  sur  des  planches  me  semblait  trop  sensuel; 
j'y  ajoutais  un  cilice,  sur  lequel  je  m'étendais.  Les 
disciplines  d'orties  dont  je  me  servais  l'été  produisaient 
un  tel  effet,  après  que  j'en  avais  employé  trois  ou 
quatre  poignées  à  chaque  fois,  qu'il  me  semblait  être 
dans  une  chaudière  bouillante;  et  pour  l'ordinaire  je 
m'en  sentais  trois  jours  durant,  puis  je  recommençais. 
La  douleur  en  était  si  grande  que  voulant  ensuite 
employer  des  chardons,  je  ne  les  sentais  pas.  Je  ne 
laissais  pas  de  me  servir  d'une  discipline  de  chaînes, 
mais  ce  n'était  rien  en  comparaison  de  la  douleur  des 
orties.  Je  mangeais  de  l'absinthe  avec  la  viande,  et  hors 
les  repas  j'en  tenais  longtemps  dans  ma  bouche,  puis, 
après    en  avoir   bien    goûté    l'amertume,  je  l'avalais. 


80  MARIE    DE    l'incarnation. 

Mais  on  me  défendit  d'en  faire  usage,  parce  que  cela 
me  nuisait  à  l'estomac. 

»  J'avais  si  souvent  la  haire  et  le  cilice  sur  le  dos 
que  l'usage  s'était  tourné  en  habitude.  Si  ceux  avec  qui 
j'étais  eussent  soupçonné  tout  cela,  ils  m'eussent  jugée 
folle  :  aussi  me  donnais-je  garde  qu'on  s'en  aperçût. 
Le  long  temps  où  je  couchai  sur  le  bois  recouvert  d'un 
cilice,  me  macéra  si  fort  la  chair  du  côté  où  je  me 
couchais,  qu'il  devint  insensible.  Cette  mortification  est 
la  plus  pénible  que  j'aie  jamais  faite  :  car  la  dureté 
du  bois  et  la  pesanteur  du  corps  faisaient  entrer  le 
crin  dans  la  peau,  en  sorte  que  je  ne  pouvais  dormir 
qu'à  demi,  sentant  toujours  la  douleur  des  piqûres. 

w  On  me  disait  quelquefois  des  paroles  dures  parce 
que  je  cherchais  Dieu;  j'écoutais  tranquillement,  et  au 
fond  de  mon  cœur  j'offrais  tout  cela  à  l'Amour  pour 
lequel  je  le  souffrais.  Après  avoir  passé  le  jour  en  toutes 
ces  peines,  j'allais  la  nuit  dans  une  caverne  qui  appar- 
tenait à  mon  frère  et  où  il  y  avait  des  bêtes  venimeuses. 
Comme  personne  n'y  mettait  le  pied,  j'y  restais  long- 
temps à  prier  et  à  prendre  la  discipline,  puis  j'allais 
me  coucher  sur  ma  planche  ou  sur  une  .balle  de  mar- 
chandises. Je  prenais  fort  peu  de  repos,  mais  je  n'en 
fus  jamais  malade.  Je  sentais  une  nouvelle  ardeur  pour 
faire  toujours  davantage,  et  l'Esprit  me  poussait  sans  cesse 
vers  de  nouvelles  mortifications.  J'aurais  regardé  comme 
perdu  un  jour  passé  sans  souffrir.  Tout  cela  m'était  si 
fortement  inspiré  que  mon  confesseur  me  le  permettait.'  •' 

(I)  Un  confesseur  n'aurait  jamais  permis  de  pareilles  austérités,  s'il  n'avait 
vu  clairement  qu'il  y  avait  là  une  intervention  particulière  de  Dieu  et  son 
assistance,  en  quelque  sorte,  miraculeuse  pour  conserver  la  vie  et  la  santé  de  sa 
servante.  D'un  autre  côté,  cette  déférence  à  l'égard  du  confesseur  est  le  cachet 
d'une  vraie  piété  et  d'une  humilité  sincère. 


CHAPITRE    III.  81 

Ces  etfrayantes  austérités  avaient  pour  but  d'arriver 
au  mariage  divia  qui  lui  avait  été  promis;  mais  Notre- 
Seigneur  semblait,  de  son  côté,  se  plaire  à  la  faire 
languir  pour  exciter  encore  davantage  son  désir  et  la 
n lieux  préparer.  Dans  ce  but  il  lui  fît  voir  comme  une 
image  de  cette  union  :  «  Ce  divin  Jésus,  dit-elle,  ne  me 
laissait  ni  jour  ni  nuit  en  repos.  Je  regrettais  le  som- 
meil que  je  prenais;  et,  quoiqu'il  fût  fort  court,  je 
souffrais  d'être  si  longtemps  sans  penser  à  ce  divin 
Amant.  Je  m'éveillais  fort  souvent  en  oraison  ;  et  une 
nuit  je  vis  que  ce  divin  Epoux  tenait  deux  cœurs 
entre  ses  mains,  et  que  ces  deux  cœurs  étaient  le  sien 
et.  le  mien.  Il  mit  l'un  dans  l'autre  si  artificiellement 
qu'il  n'en  paraissait  plus  qu'un,  et  pourtant  je  voyais 
l'union  des  deux.  Faisant  cette  union,  il  me  dit  :  Tiens, 
voilà  comme  se  fait  l'union  des  cœurs.  J'éprouvai  alors 
une  touche  si  divine  et  si  délicate  dans  sa  suavité, 
qu'il  ne  me  serait  pas  possible  de  l'exprimer.  » 

«  Depuis  ce  moment,  dit  Claude  Martin,  son  cœur 
»  demeura  pour  toujours  esclave  de  celui  de  Jésus.  Elle 
"  ne  le  considérait  plus  comme  étant  à  elle,  mais  comme 
»  appartenant  à  celui  qui  l'avait  si  saintement  ravi  et 
"  enchâssé  dans  le  sien.  » 


Nous  dirons  plus  loin  ce  que  c'est  que  le  mariage  de 
Dieu  avec  l'âme  humaine;  remarquons  ici  les  analogies 
qui  existent,  quant  aux  préliminaires,  entre  celui  de' la 
Mère  Marie  de  l'Incarnation  avec  Notre-Seigneur  et  le 
mariage  humain.  Si  un  grand  roi  voulait  épouser  une 
humble  bergère,  il  ne  lui  ferait  pas  connaître  de  suite 
son  intention,  mais  il  lui  donnerait  à  entendre  qu'il 


M     DE  LINC. 


82  MARIE    DE   l'incarnation. 

veut  l'élever  à  une  grande  fortune  et  à  une  haute 
position,  pourvu  quelle  consente  à  s'en  rendre  digne. 
Il  lui  ferait  donner  une  éducation  convenable  et  en 
rapport  avec  sa  nouvelle  destinée  ;  il  l'engagerait  à  se 
défaire  de  ses  manières  communes,  en  lui  faisant 
comprendre  combien  elle  est  éloignée  sous  ce  rapport 
de  ce  que  demande  l'élégance  d'une  cour  royale.  La 
jeune  fille  pourrait  être  épouvantée  à  la  vue  de  ce  qui 
lui  manque;  mais  le  désir  de  posséder  les  grands  avan- 
tages qu'on  lui  fait  entrevoir  lui  donnerait  de  l'énergie 
pour  surmonter  toutes  les  diflBcultés.  Elle  s'efforcerait 
surtout  de  se  pénétrer  des  sentiments  les  plus  élevés 
pour  être  digne  des  faveurs  d'un  prince  vertueux  et 
magnanime.  Celui-ci,  touché  d'aussi  belles  dispositions, 
lui  ferait  enfin  connaître  sa  véritable  intention.  On 
comprend  quels  seraient  alors  les  désirs  et  les  trans- 
ports de  reconnaissance  et  d'amour  de  la  jeune  fille, 
comme  elle  redoublerait  d'efforts  pour  acquérir  tout 
ce  que  demande  une  destinée  qu'elle  n'eût  jamais  osé 
rêver. 

Or  n'est-ce  pas  ce  que  nous  voyons  se  passer  entre 
Notre-Seigneur  et  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation?  Il 
lui  fait  pressentir  une  grande  faveur,  sans  lui  en  dire 
davantage;  en  même  temps  il  lui  fait  comprendre 
qu'elle  n'a  encore  ni  la  beauté  spirituelle  qui  résulte 
d'un  pur  et  absolu  détachement  de  tout  ce  qui  est 
sensible  et  crée,  ni  cette  élévation,  ni  cette  grandeur 
de  l'âme  vraiment  surnaturelle  que  donne  une  profonde 
humilité.  La  servante  de  Dieu  voit  en  elle  une  indignité 
épouvantable;  mais  elle  est  plus  enflammée  que  décou- 
ragée, et  elle  se  livre  avec  ardeur  aux  actes  d'humilité 
et  de  mortification.  Cette  ardeur  devient  encore  plus 
grande   quand   elle   sait   que   c'est   au   mariage   divin 


CHAPITRE    III.  83 

qu'elle  est  destinée,  ainsi  qu'on  va  le  voir  dans  un 
instant.  Alors  son  amour  devient  comme  une  fournaise 
et  ses  désirs  sont  des  angoisses  produites  par  cet 
amour. 

Après  cette  ouverture  du  divin  fiancé,  les  relations, 
on  pourrait  dire  les  entrevues,  deviennent  plus  fré- 
quentes et  plus  intimes.  Notre  vénérable  Mère  ne  peut 
plus  penser  qu'à  son  bien-aimé;  rien  ne  peut  en 
détourner  son  attention  ni  diminuer  l'impétuosité  du 
sentiment  qui  emporte  son  cœur  vers  lui.  Elle  seule 
peut  faire  connaître  un  pareil  état. 

«  Si  l'horloge  sonnait,  dit-elle,  mon  âme  était  con- 
trainte de  compter  les  heures  par  les  doigts,  parce  que 
ce  travail  de  compter  (ce  que  je  ne  faisais  que  par 
nécessité)  mettait  de  l'interruption  à  son  entretien 
amoureux  avec  son  bien-aimé.  S'il  fallait  parler  au 
prochain ,  son  regard  ne  quittait  pas  celui  qu'elle 
aimait,  et  l'attention  à  ce  qui  était  nécessaire  ne  lui 
ôtait  point  celle  qu'elle  avait  à  Dieu.  Il  en  était  de 
même  lorsque  j'écrivais;  l'attention  de  mon  âme  était 
double  :  savoir  à  son  divin  objet  et  à  l'écriture  que 
je  traçais.  Lorsqu'il  fallait  tremper  la  plume  dans 
l'encre,  ce  temps  était  précieux,  parce  que  l'esprit  et 
le  cœur  en  profitaient  pour  s'entretenir  avec  Dieu. 
Enfin,  quand  tout  le  monde  eût  été  présent,  rien  n'eût 
pu  distraire  mon  âme.  » 

Remarquons  en  passant  qu'à  l'époque  où  madame 
Martin  vivait  dans  celte  application  à  la  présence 
Dieu  et  ces  continuelles  ardeurs,  elle  n'avait  que  vingt- 
cinq  ou  vingt-six  ans;  or  elle  fit  toujours,  à  partir  de 
là,  des  progrès  dans  la  spiritualité.  Ainsi  qu'on  le  verra 
dans  la  suite  de  cette  histoire,  elle  ne  cessa  jusqu'à  sa 
bienheureuse  mort,  qui  arriva  dans  sa  soixante-treizième 


84  MARIE    DE    l'incarnation. 

année,  île  croître  en  vertu  et  en  sainteté.  Qu'on  juge, 
en  conséquence,  du  degré  de  perfection  auquel  elle  était 
parvenue  lorsque  Dieu  la  retira  de  ce  monde. 


Continuons  notre  étude  des  préliminaires  de  ce 
mariage  divin.  Comme  un  fiancé  aime  à  répondre  à 
l'amour  de  celle  qu'il  aime  lui-même  d'un  amour  pur 
et  légitime,  de  même  qu'il  se  plaît  à  lui  découvrir  sa 
noblesse,  ses  richesses  et  tout  ce  qui  peut  lui  faire 
honneur,  ainsi  Notre-Seigneur  agit  envers  sa  sainte 
fiancée.  «  Un  jour  qu'elle  se  plaignait  à  lui  de  ne 
pouvoir  méditer  sur  ses  souffrances,  parce  qu'aussitôt 
qu'elle  voulait  s'y  appliquer,  elle  se  trouvait  comme 
transportée  dans  sa  familiarité  ordinaire  avec  Dieu, 
le  Sauveur  lui  révéla,  dit  Claude  Martin,  les  secrets 
du  grand  mystère  de  l'Incarnation  avec  ses  circons- 
tances et  ses  suites,  comme  les  perfections  de  sa  sainte 
âme,  les  opérations  de  son  esprit,  les  affections  de  son 
Cœur  tant  envers  son  Père  qu'envers  les  créatures, 
en  un  mot  toute  l'économie  de  son  intérieur.  »  Voici 
ce  qu'elle  en  dit  elle-même  : 

«  De  temps  en  temps,  et  lorsque  je  ne  le  cherchais 
pas,  Notre-Seigneur  me  donnait  de  grandes  lumières 
sur  le  mystère  de  l'Incarnation  et  sur  l'union  du  Verbe 
avec  sa  sainte  humanité.  C'était  d'une  façon  si  admi- 
rable qu'il  m'est  impossible  de  l'exprimer.  J'y  ai  connu 
tout  ce  que  l'Eglise  en  dit,  mais  au  delà  il  y  a  des 
secrets  impénétrables  que  nous  verrons  dans  l'éternité, 
et  qui  seront  une  des  plus  nobles  occupations  des  bien- 
heureux. Une  fois,  durant  un  carême  entier,  toute 
autre  occupation  me  fut  ôtée  de  l'esprit;  il  n'y  demeura 


CHAPITRE    III.  85 

que  la  seule  vue  des  grandeurs  et  des  perfections  de 
son  âme  bienheureuse  et  des  affections  amoureuses 
de  son  Cœur,  » 

Ce  n'était  pas  assez  pour  Notre-Seigneur  de  se  com- 
muniquer intimement  à  sa  fiancée  et  de  lui  ouvrir  ses 
secrets  personnels,  il  la  mit  en  relation  intime  avec 
la  famille  divine  de  la  Sainte-Trinité,  et  il  lui  donna 
de  ce  mystère  une  connaissance  que  Claude  Martin 
ne  craint  pas  d'appeler  sublime.  Comme  toujours,  nous 
citons  les  paroles  de  la  vénérable  Mère. 

«  Un  matin,  qui  était  la  seconde  fête  de  la  Pentecôte, 
lorsque  j'entendais  la  sainte  messe  en  la  chapelle  des 
RR.  PP.  Feuillants,  je  regardais  sans  dessein  de  petites 
images  de  Chérubins,  qui  étaient  au  bas  des  cierges; 
tout  à  coup  mes  yeux  furent  fermés  et  mon  esprit 
élevé  et  absorbé  dans  la  vue  de  la  très-sainte  et  très- 
auguste  Trinité.  Cette  impression  était  sans  forme  ni 
figure,  mais  plus  claire  et  plus  intelligible  que  toute 
lumière.  En  un  moment  je  vis  le  divin  commerce  que 
les  trois  personnes  divines  ont  ensemble  :  l'intelligence 
du  Père  qui,  se  contemplant  soi-même,  engendre  son 
Fils,  ce  qui  a  été  de  toute  éternité  et  sera  éternelle- 
ment. Mon  âme  recevait  cette  vérité  d'une  façon  inef- 
fable qui  me  fit  perdre  toute  parole,  car  elle  était 
abîmée  dans  cette  lumière.  Ensuite  elle  voyait  l'amour 
mutuel  du  Père  et  du  Fils  produisant  le  Saint-Esprit, 
ce  qui  se  faisait  par  un  réciproque  prolongement 
d'amour,  mais  sans  mélange  et  sans  confusion.  J'en- 
tendais ce  que  c'était  que  spiration  et  production,  spi- 
ration  active  et  spiration  passive.'  Voyant  les  distinc- 


(1)  Dieu  le  Père  produit  et  engendre  le  Fils  de  toute  éternité.   Le  Père  et  le 
Fils  produisent  le  Saint-Esprit,  mais  ne  l'engendrent  pas.  L'action  éternelle  par 


86  MARIE    DE    l'incarnation. 

tions,  je  connaissais  l'unité  d'essence  dans  les  divines 
Personnes,  et  quoiqu'il  me  faille  plusieurs  mots  pour 
en  parler,  en  un  moment  et  sans  intervalle  de  temps, 
je  connaissais  l'unité,  les  distinctions  et  les  opérations 
de  cette  Trinité  adorable,  soit  en  elle-même,  soit  hors 
d'elle-même. 

»  Dans  la  même  vision,  cette  très-sainte  Trinité 
éclairait  mon  âme  sur  ce  qu'elle  opérait  par  communi- 
cation dans  la  suprême  hiérarchie  des  anges  :  savoir 
des  Chérubins,  des  Séraphins  et  des  Trônes,  auxquels 
elle  manifeste  ses  volontés  sans  intermédiaire  d'aucun 
esprit  créé.  Je  voyais  distinctement  les  opérations  et 
les  rapports  de  chacune  des  Personnes  de  la  très- 
auguste  Trinité  dans  chacun  des  chœurs  de  cette 
suprême  hiérarchie.  Je  voyais  que  le  Père  éternel 
habite  dans  les  Trônes,  ce  qui  me  faisait  connaître  la 
pureté  et  la  solidité  de  ses  pensées  éternelles.  Je  voyais 
que  le  Verbe,  par  la  splendeur  de  ses  lumières,  se 
communique  aux  Chérubins ,  ce  qui  me  donnait  à 
entendre  qu'il  est  tout  lumière  et  tout  vérité,  au- dedans 
de  lui-même  par  sa  génération  éternelle,  et  au  dehors 
lorsqu'il  se  communique.  Je  voyais  que  le  Saint-Esprit 
se  répand  dans  les  Séraphins  et  qu'il  les  remplit  de  ses 
ardeurs,  ce  qui  me  montrait  que  cette  personne  ado- 
rable est  tout  feu  et  tout  amour,  puisqu'il  embrase  de 
la  sorte  tout  un  chœur  angélique.  Je  voyais  enfin  que 
toute  la  très- sainte  Trinité  en  l'unité  de  la  divine 
Essence  se  communique  à  cette  suprême  hiérarchie, 
laquelle  ensuite  manifeste  les  volontés  divines  aux 
autres  Esprits  célestes.  Mon  âme  était  perdue  dans  ces 

laquelle  le  Père  et  le  Fils  produisent  le  Saint-Esprit,  en  s'aimant  d'un  amour 
infini,  s'appelle  spiration  active,  considérée  dans  les  deux  premières  personnes  ; 
et  spiration  passive,  considérée  dans  l'Esprit-Saint. 


CHAPITRE    III.  87 

grandes  splendeurs,  et  il  semblait  que  la  Divinité  se 
plût  à  l'illuminer  sur  des  choses  qui  surpassent  infini- 
ment la  faiblesse  de  la  créature.  Je  recevais  toutes  ces 
lumières  sans  acte  réfléchi  ni  mouvement  venant  de  moi. 

»  Lorsque  cela  m'arriva,  je  n'avais  jamais  été  ins- 
truite sur  le  grand  et  suradorable  mystère  de  la  très- 
sainte  Trinité,  et  quand  j'aurais  lu  et  relu  une  instruc- 
tion venant  des  homrnes,  cela  ne  m'en  aurait  pu  donner 
une  impression  telle  que  je  l'eus  pour  lors  et  qu'elle 
m'est  demeurée  depuis.  Je  me  tenais  à  genoux  jusqu'à 
cinq  heures  de  suite  sans  me  lasser  ni  penser  à  moi  : 
l'amour  du  divin  Sauveur  me  tenait  liée  et  comme 
transformée  en  lui.  Mon  âme  était  abîmée  dans  ce 
grand  océan,  où  elle  voyait  et  entendait  des  choses 
inexplicables.  Quoique  pour  en  parler  il  faille  du  temps, 
l'âme  néanmoins  voyait  en  un  instant  le  mystère  de  la 
génération  éternelle  du  Père  engendrant  son  Fils,  et 
le  Père  et  le  Fils  produisant  le  Saint-Esprit,  sans 
mélange  ni  confusion.  Ces  gran'des  choses  ne  s'oublient 
jamais,  et  j'ai  encore  celles-ci  aussi  présentes  (après 
plus  de  quarante  ans)  que  lorsqu'elles  arrivèrent.  Quant 
aux  termes,  ils  sont  sans  étude  et  seulement  pour 
signifier  ce  que  mon  esprit  me  fournit;  mais  ils  sont 
toujours  au-dessous  des  choses,  parce  que  l'on  n'en 
peut  trouver  d'autres  pour  les  mieux  exprimer. 

"  Après  que  j'eus  reçu  ces  lumières,  le  P.  Raymond 
me  procura  les  oeuvres  de  saint  Denis,  traduites  par 
un  Père  de  son  Ordre.  Je  les  comprenais  parfaitement 
et  je  fus  extrêmement  consolée  d'y  voir  les  grands 
mystères  que  Dieu,  par  sa  bonté,  m'avait  communi- 
qués; mais  les  choses  sont  bien  autres  lorsque  la  divine 
Majesté  les  fait  voir  elle-même  à  l'âme.  » 

«  Il  est  évident,  dit  Claude  Martin,  que  cette  vision 


88  MARIE    DE    l'incarnation. 

est  la  plus  remarquable  que  la  Mère  de  rincarnation 
ait  eue  dans  sa  vie,  et  peut-être  l'une  des  plus  grandes 
et  des  plus  rares  qu'une  âme  puisse  avoir  en  ce  monde. 
On  y  voit  la  plus  sublime  théologie,  expliquée  si  claire- 
ment et  en  des  termes  si  justes,  qu'il  n'est  possible  de 
rien  dire  qui  soit  de  nature  à  mettre  la  vérité  dans 
un  plus  grand  jour.  Je  ne  me  suis  jamais  lassé  de  lire 
ni  je  n'ai  cessé  d'admirer  ce  ravissement.  » 


CHAPITRE  IV. 


Le  mariage  céleste  s'accomplit.  —  Seconde  vision  de  la  Sainte-Trinité.  — 
Opération  divine  dans  l'âme  de  la  servante  de  Dieu.  —  Réalité  du  mariage 
divin.  —  Nouvelles  analogies  :  abandon  de  tout  et  de  soi-même  causé  par 
l'amour  ;  communauté  de  biens  ;  possession  mutuelle.  —  Familiarité,  délire  et 
transports  d'amour.  —  Union  plus  parfaite  et  plus  continuelle.  —  Martyre,  et 
extase  d'amour.  —  L'entrée  au  couvent  des  Ursulines  de  Tours  est  décidée. 
1631.  —  Perte  de  son  fils.  —  On  le  retrouve  à  Blois. 

Nous  venons  de  voir  comment  la  pieuse  servante  de 
Dieu  fut  préparée  au  divin  mariage  vers  lequel  elle 
soupirait  si  ardemment;  elle  va  maintenant  nous 
dire  de  quelle  manière  cette  union  céleste  fut  enfin 
accomplie. 

«  Un  matin  que  j'étais  en  oraison,  Dieu  absorba 
mon  esprit  en  lui  par  un  attrait  extraordinairement 
puissant.  La  vue  de  la  très-auguste  Trinité  me  fut 
encore  communiquée,  mais  d'une  façon  plus  élevée  et 
plus  distincte  que  la  première  fois.  Lors  donc  que  j'étais 
comme  abîmée  en  la  présence  de  icette  suradorable 
Majesté,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit,  en  reconnaissance 


CHAPITRE    IV.  89 

et  confession  de  ma  bassesse,  le  Verbe  divin  me  donna 
à  entendre  qu'il  était  vraiment  l'Epoux  de  l'âme  qui 
lui  est  fidèle.  J'entendais  cette  vérité  avec  certitude; 
et  la  connaissance  qui  m'en  était  donnée  m'était  une 
préparation  prochaine  à  la  voir  effectuée  en  moi.  En 
ce  moment  cette  adorable  personne  s'empara  de  mon 
âme,  et  l'embrassant  avec  un  amour  inexplicable,  l'unit 
à  soi  et  la  prit  pour  son  Epouse/  Quand  je  dis  qu'il 
l'embrassa,  ce  ne  fut  pas  à  la  manière  des  embrasse- 
ments  humains  ;  rien  de  ce  qui  peut  tomber  sous  les 
sens,  n'approche  de  cette  divine  opération;  mais  il  faut 
s'exprimer  selon  notre  façon  grossière  de  parler,  puis- 
que nous  sommes  composés  de  matière.  Ce  fut  par  des 
touches  divines,  par  des  pénétrations  de  lui  en  moi 
et  réciproquement  de  moi  en  lui  :  de  sorte  que  n'étant 
plus  à  moi,  je  demeurais  toute  à  lui  par  intimité 
d'amour  et  d'union;  et  étant  en  quelque  sorte  perdue 
à  moi-même  et  devenue  lui-même  par  cette  perte,  je 
ne  me  voyais  plus.  Toutefois,  par  de  courts  instants, 
je  me  retrouvais  et  j'avais  la  vue  du  Père  éternel  et 
du  Saint-Esprit,  ainsi  que  de  l'unité  des  trois  personnes 
divines.  Dans  les  grandeurs  et  dans  les  amours  de  ce 

(1)  L'âme  de  saint  François  d'Assise  avait  aussi  épousé  le  Verbe  divin  :  •'  Mon 
âme  doucement  enchaînée,  disait-il,  se  précipite  dans  les  embrassements  du  bien- 

aimé  :  plus  elle  contemple  sa  beauté,  plus  elle  est  hors  d'elle-même l'rans- 

formée  en  lui,  elle  est  presque  le  Christ  lui-même.  Unie  à  Dieu,  elle  devient 
presque  toute  divine....  L'amour  est  si  ardent  que  mon  cœur  est  fendu  comme 
par  un  glaive  et  que  les  flammes  le  consument.  Je  me  jette  dans  les  bras  du 
Christ,  et  je  lui  crie  :  0  amour,  fais-moi  mourir  d'amour!  0  amour  sans  mesure, 
pourquoi  me  rends-tu  fou  et  me  fais-tu  mourir  dans  une  ardente  fournaise  ?  » 
{Histoire  de  saint  François  d'Assise,  par  Chavin  de  Malan.)  On  voit  combien  les 
grâces  que  reçut  la  Mère  de  l'Incarnation  ressemblent  à  celles  qui  inondèrent  l'âme 
du  séraphique  François. 

Au  reste,  on  pourrait  citer  bien  d'autres  traits  ««mblables  dans  les  vies  des 
saints. 


90  MARIE    DE    l'incarnation. 

divin  Verbe,  qui  était  mon  Epoux  et  mon  Aolour,  et 
qui  tenait  mon  âme  captive  avec  toutes  ses  puissances, 
la  voulant  toute  pour  lui  dans  l'excès  de  son  divin 
amour,  je  me  voyais  comme  impuissante  à  rendre  mes 
hommages  au  Père  et  au  Saint-Esprit.  Il  me  permettait 
néanmoins  de  porter  mes  regards  par  intervalles  vers 
ces  deux  adorables  personnes,  et  ces  regards  rendaient 
témoignage  de  ma  soumission  parfaite  et  de  mon 
entière  dépendance. 

»  Mon  esprit  connaissait  les  opérations  appropriées 
à  chacune  des  trois  Personnes.  Lorsque  le  Verbe  sacré 
opérait  en  moi,  le  Père  et  le  Saint-Esprit  regardaient 
son  opération,  et  toutefois  cela  n'empêchait  pas  l'unité 
du  principe  agissant,  qui  était  le  même  dans  les  trois 
personnes.  » 

Ces  deux  dernières  lignes  sont  dignes  d'attention, 
en  ce  que  sans  elles  le  premier  membre  de  la  phrase 
représenterait  le  Verbe  comme  agissant  seul  en  dehors 
de  la  Sainte-Trinité,  ce  qui  serait  contraire  à  l'ortho- 
doxie. C'est  ce  que  fait  observer  Claude  Martin.  «  Elle 
vient  de  faire,  dit-il,  une  remarque  de  grande  impor- 
tance, savoir  que  dans  ce  ravissement  merveilleux  elle 
voyait  distinctement  dans  les  opérations  divine  l'unité 
du  principe  agissant  et  l'appropriation  aux  personnes 
en  particulier.  Car  il  est  certain  que  toutes  les  actions 
de  Dieu  à  l'égard  des  créatures  sont  communes  aux 
trois  personnes,  toutes  trois  agissant  par  un  principe 
qui  leur  est  commun.  Malgré  cela,  certaines  opérations 
sont  plus  justement  appropriées  à  une  personne  qu'à 
une  autre.  Les  œuvres  qui  marquent  la  force  et  la 
puissance  sont  plus  particulièrement  attribuées  à  la 
personne  du  Père;  les  lumières  dont  il  plaît  à  Dieu  de 
nous  éclairer  sont  attribuées  à  celle  du  Fils,  parce  qu'il 


CHAPITRE    IV.  91 

est  lumière  et  vérité;  l'amour  et  les  désirs  que  nous 
avons  pour  le  bien  sont  rapportés  à  celle  du  Saint- 
Esprit,  parce  qu'il  est  l'amour  personnel  du  Père  et  du 
Fils.  Ce  principe  supposé,  il  est  certain  que  quand 
Dieu  épouse  une  âme,  surtout  d'une  façon  extraordi- 
naire, comme  il  vient  d'épouser  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion, cette  opération  est  commune  aux  trois  personnes 
divines  à  cause  de  l'unité  du  principe  agissant;  et  ainsi 
l'on  peut  dire  absolument  que  le  Père  est  Epoux,  que 
le  Fils  est  Epoux,  que  le  Saint-Esprit  est  Epoux.  Cette 
opération  néanmoins  est  plus  particulièrement  attri- 
buée à  la  personne  du  Verbe,  a  cause  de  son  union 
à  la  nature  humaine. 

»  Quand  elle  dit  que  la  personne  du  Verbe  l'embrassa 
dans  ce  ravissement  où  il  la  prit  pour  Epouse,  elle  a 
soin  d'ajouter  qu'il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  cet 
embrassement  fût  semblable  à  ceux  par  lesquels  les 
hommes  se  témoignent  de  l'amitié  :  or  cette  observation 
était  importante,  afin  d'aller  au-devant  des  pensées 
charnelles  que  des  personnes  peu  éclairées  auraient 
pu  laisser  entrer  dans  leur  esprit.  Ces  embrasseraents 
surnaturels  de  Dieu  à  l'âme  et  de  l'âme  à  Dieu  ne  sont 
autre  chose  qu'une  liaison  d'amour  produite  pajr  des 
affections  réciproques,  affections  qui  sont  comme  autant 
de  bras  par  lesquels  le  Créateur  et  l'âme  pieuse  se 
serrent  si  étroitement  qu'ils  semblent  vouloir  devenir 
une  même  chose  afin  de  ne  se  jamais  séparer.  Mais 
tout  cela  est  infiniment  éloigné  des  sens. 

y>  Il  en  est  de  même  des  baisers  dont  elle  parle 
plusieurs  fois  et  qu'elle  demande  ou  veut  donner  dans 
ses  aspirations  amoureuses,  à  l'exemple  de  l'Epouse 
des  Cantiques.  Ces  baisers  n'ont  rien  de  sensible,  si  ce 
n'est  d'une  sensibilité  spirituelle.   C'est  une  douceur 


92  MARIE    DE    l'incarnation. 

et  une  suavité  que  Dieu  l'ait  ressentir  à  lame  en  se 
donnant  à  elle  ou  en  lui  communiquant  quelque  grâce 
ou  quelque  don  du  Saint-Esprit.  " 

On  aurait  néanmoins  grand  tort  de  regarder  le 
mariage  de  1  ame  avec  Dieu  comme  une  rêverie  d'ima- 
gination et  le  pur  produit  d'un  mysticisme  égaré.  Cer- 
taines personnes  seraient  portées  à  juger  ainsi,  mais 
elles  blasphémeraient  la  vérité  sans  la  comprendre. 
Ce  mariage,  au  contraire,  est  le  plus  parfait  et  on 
pourrait  dire  le  plus  réel,  le  mariage  par  excellence. 
Celui  des  époux  humains  n'en  est  que  l'image  et  le 
symbole.  C'est  même,  selon  la  doctrine  de  saint  Paul, 
pour  cette  raison  qu'il  est  grand  et  saint;  c'est  à  cause 
de  sa  ressemblance  éloignée  avec  le  mariage  divin 
qu'il  mérite  ce  nom. 


Nous  avons  montré  plus  haut  les  analogies  qui  exis- 
tent entre  les  préliminaires;  en  voici  d'autres  relatives 
au  mariage  lui-même  et  à  ses  eâets;  elles  ne  sont  pas 
moins  frappantes. 

Lorsqu'une  jeune  fille  contracte  l'alliance  qui  lui 
donne  le  titre  et  la  dignité  d'épouse,  elle  laisse  son 
père,  sa  mère,  tous  les  membres  de  sa  famille,  la 
maison  où  elle  a  vu  le  jour,  les  amis  et  les  jeux  de 
son  enfance;  elle  quitte  tout  entièrement  et  pour  tou- 
jours. Elle  perd  sa  liberté,  son  nom  et  presque  son 
moi,  car  elle  est  devenue  une  même  chair  avec  son 
mari,  et  il  ne  doit  y  avoir  également  entre  eux  qu'un 
cœur  et  qu'une  âme.  Sa  volonté  désormais  ne  voudra 
plus  seule;  elle  ne  devra  vouloir  que  dans  l'obéissance 
à  une  autre  volonté  qui  lui  est  supérieure.  Elle  est 
dépendante  et,  pour  ainsi  dire,  nulle  pour  le  choix  de 


CHAPITRE    IV.  93 

sa  demeure,  de  son  travail,  de  ses  vêtements,  de  ses 
aliments,  de  son  repos.  Même  pour  sa  parure,  elle  doit 
se  conformer  au  goût  de  son  mari  et  non  au  sien 
propre.  Quce  nupta  est  cogitât  quœ  sunt  mundi  quomodo 
placeat  virœ  (I.  Cor.  7,  34.)  Elle  s'est  mise  dans  cette 
dépendance  par  un  acte  de  pur  et  immense  amour  : 
car  je  suppose  un  mariage  contracté  selon  les  règles 
divines,  et  des  époux  disposés  à  toujours  suivre  les 
maximes  de  la  vraie  piété.  C'est  en  prononçant  un 
oui  inspiré  par  l'amour,  que  la  jeune  fille  a  cessé 
d'avoir  sa  vie  propre  à  elle  seule  et  sa  personnalité 
indépendante. 

Quand  cette  union  est  accomplie,  il  y  a  communauté 
de  biens,  de  joies,  de  peines  entre  les  époux  ;  les  inté- 
rêts sont  les  mêmes;  les  efforts,  le  travail,  les  désirs 
tendent  au  même  but;  tout  ce  que  le  cœur  de  l'un 
éprouve  de  plaisir  ou  de  souffrance,  d'espérance  ou  de 
crainte,  se  communique  à  l'autre.  C'est  comme  une 
seule  vie  qui  anime  deux  êtres,  un  même  amour  qui 
fait  battre  deux  cœurs.  ' 

Or  tous  ces  phénomènes  résultant  du  mariage  humain 
se  trouvent  d'une  manière  plus  parfaite,  plus  sublime 
et  plus  vraie  dans  le  mariage  de  l'âme  avec  Dieu. 
Il  suffît  pour  s'en  convaincre,  de  considérer  attentive- 
ment celui  que  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  vient 
de  nous  mettre  sous  les  yeux. 

(1)  Telles  devraient  être  toutes  les  unions;  telles  elles  seraient  en  effet,  si  les 

époux  comprenaient  ce  qu'il  y  a  de  grand  et  de  surnaturel  dans  le  mariage  chré- 

'tien.  Ce  sacrement  est  grand;  mais  je  dis  en  Jésus-Christ  et  en  son  Eglise. 

c'est-à-dire  en  tant  qu'il  est  un  symbole  de  l'union  de  Jésus-Christ  avec  l'Eglise 

en  général  et  les  âmes  saintes  en  particulier.  [S.  Paul  aux  Ephésiens,  3,  32.) 

Nous  croyons  qu'il  n'est  pas  sans  utilité  et  sans  à-propos  de  donner  ici  la  notion 
véritable  du  mariage  chrétien,  notion  aussi  ignorée  qu'elle  est  importante. 

Pour  bien  comprendre  le  mariage  chi-étian,  il  faut  remarquer  que  Dieu  consi- 


94  MARIE    DK    l'incarnation. 

1°  Elle  aussi  s'était  détachée  de  tout,  de  sa  famille, 
des  biens  terrestres  par  l'acceptation  de  la  pauvreté 
et  le  vœu  d'en  pratiquer  l'amour  toute  sa  vie.  Ce  qui 
est  héroïque  pour  une  mère,  elle  avait  demandé  à  Dieu 
que  son  fils  lui-même  fût  toujours  pauvre.  Non-seule- 
ment elle  avait  renoncé  à  toutes  les  jouissances  sen- 
suelles par  le  vœu  de  chasteté,  mais  elle  «e  vivait 
pour  ainsi  dire  que  de  souffrances  qu'elle  s'imposait 
volontairement.  Elle  avait  abdiqué  sa  volonté  par  le 
vœu  d'obéissance,  et  elle  le  pratiquait  avec  tant  de 
perfection  qu'on  la  verra  dire  à  Dieu  :  «  Mon  Dieu, 
voulez  vous-même  à  ma   place.    »   Elle  obéissait  aux 

dère  principalement  et  comme  en  premier  lieu,  les  choses  les  plus  excellentes. 
Non  pas  qu'il  les  considère  avant  les  autres,  puisque  pour  lui  tout  est  présent  ; 
il  ne  les  regarde  pas  non  plus  avec  une  plus  grande  attention,  puisqu'il  voit  tout 
d'une  manière  également  parfaite;  mais  il  les  estime  davantage,  et  il  leur  subor- 
donne les  choses  moins  excellentes.  Ainsi  Dieu  ayant  vu  de  toute  éternité  la  sainte 
humanité  de  Notre-Seigneur,  ainsi  que  le  premier  homme,  il  ne  créa  pas  le  corps 
et  l'âme  de  sou  Fils  à  l'image  d'Adam,  mais,  au  contraire,  il  créa  Adam  à  l'image 
de  Jésus-Christ. 

De  même  voyant  l'union  ineffable,  le  mariage  véritable  qui  devait,  un  jour, 
avoir  lieu  entre  le  Sauveur  et  son  Eglise  ;  mariage  consacré  par  la  plénitude  des 
dons  du  Saint-Esprit  ;  mariage  qui  devait  produire  l'enfantement  des  élus  ;  union 
tellement  étroite  que  Jésus-Christ  et  l'Eglise  forment  un  seul  corps  dont  le  Sauveur 
est  la  tète  ;  union  produite  par  un  amour  auquel  rien  ne  peut  être  comparé,  il  créa 
sur  ce  modèle  l'union  conjugale  de  l'homme  et  de  la  femme.  Puis,  lorsque  le 
mystère  de  l'Incarnation  eut  été  réalisé ,  Jésus-Christ  ayant  fondé,  épousé  et 
sanctifié  son  Eglise,  il  éleva  le  mariage,  jusque-là.  purement  naturel,  à  la  dignité 
de  sacrement,  et  il  donna  à  ce  sacrement  la  vertu  de  faire  participer  les  époux 
chrétiens  à  trois  effets  de  son  union  avec  l'Eglise,  savoir  :  1°  l'amour  divin  qui 
existe  entre  lui  et  son  Epouse  mystique  ;  2°  l'honneur  rendu  à  Dieu  dans  le  temps  ; 
3°  la  gloire  qui  lui  est  procurée  dans  l'éternité  par  les  élus  qu'enfante  l'Eglise. 

C'est-à-dire  que  si  les  époux  chrétiens  comprenaient  leur  état,  la  sainteté  du 
lien  qui  les  unit,  la  grandeur  du  sacrement  qui  a  consacré  et  presque  divinisé  ce 
lien,  ils  s'efforceraient  de  ressembler  des  trois  manières  dont  nous  venons  de 
parler,  à  Notre-Seigneur  et  à  son  Eglise. 

1°  Ils  s'aimeraient  en  Dieu  et  pour  Dieu  ;  ils  voudraient  que  leur  vie  conjugale 
fût  surnaturelle,  comme  elle  doit  l'être  depuis   que  le  mariage  a   été  élevé  à  la 


CHAPITRE    IV.  95 

membres  de  sa  famille,  à  leurs  domestiques,  à  tous 
ceux  qu'elle  pouvait  regarder  comme  les  instruments 
de  Dieu  pour  lui  faire  faire  quelque  sacrifice  et  quelque 
acte  de  vertu. 


2°  En  tout  cela  elle  agissait  par  amour  pour  son 
divin  Epoux,  et  par  un  amour  tellement  généreux  qu'il 
lui  faisait  accepter  avec  joie,  on  dirait  presque  avec 
volupté,  toutes  les  humiliations,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  pénible  et  de  plus  rebutant  pour  la  nature  :  en 
sorte  que  jamais   l'amour   humain   le  plus   passionné 

dignité  de  sacrement.  Ils  n'imiteraient  pas  ceux  dont  l'Ange  Raphaël  parlait  en 
ces  termes  au  jeune  Tobie  :  «  Lorsque  des  personnes  s'engagent  dans  le  mariage 
de  façon  qu'elles  bannissent  Dieu  de  leur  cœur,  pour  satisfaire  leurs  passions, 
elles  se  livrent  au  pouvoir  du  démon.  » 

2°  Les  époux  chrétiens  serviraient  Dieu  avec  fidélité  et  ils  le  feraient  servir  par 
tous  ceux  qui  leur  appartiennent,  de  manière  que  leur  famille  méritât  la  belle 
qualification  d'Eglise  domestique,  donnée  par  saint  Paul  à  la  famille  de  Prisque 
et  d'Aquila  dans  son  Epître  aux  Romains. 

De  même  qu'il  y  a  dans  l'Eglise  un  culte  public  distinct  des  pratiques  de 
dévotion  de  chaque  fidèle,  une  communion  générale  à  la  quinzaine  de  Pâques, 
outre  les  communions  particulières  qui  ont  lieu  à  toutes  les  époques  de  l'année  ; 
de  même  un  culte  devrait  être  rendu  à  Dieu  par  la  famille  réunie,  comme  la  prière 
en  commun.  Il  devrait  y  avoir  des  communions  générales  à  certains  jours  qui 
intéressent  la  famille  entière,  comme  la  fête  d'un  père,  dune  mère,  etc.,  lorsque 
l'on  a  reçu  une  grâce  commune,  ou  que  l'on  redoute  une  affliction.  Job  pratiquait 
ce  culte  collectif.  Chaque  année,  il  offrait  un  sacrifice  d'expiation  pour  les  péchés 
que  ses  enfants  avaient  pu  commettre  dans  les  festins  qu'ils  se  donnaient  les  uns 
aux  autres. 

3°  Les  époux,  éclairés  de  la  vraie  lumière  chrétienne,  s'estimeraient  heureux 
de  donner  naissance  à  des  enfants  qui,  élevés  par  eux  dans  une  tendre  et  solide 
piété,  les  rejoindraient  au  ciel  pour  glorifier  Dieu  durant  toute  l'éternité. 

Tel  est  le  mariage  dans  le  christianisme.  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  symbolise 
l'union  mystique  du  Verbe  divin  avec  les  âmes  saintes  et  avec  l'Eglise.  En  le 
considérant  sous  cet  aspect,  c'est-à-dire  dans  sa  vérité  et  dans  ses  grandeurs,  on 
peut  y  penser,  non-seulement  sans  danger,  mais  avec  une  utilité  véritable,  si  l'on 
croit  devoir  s'y  engager. 


96  MARIK    DK    l'incarnation. 

n'a  fait  faire  la  centième  partie  de  ce  qu'elle  faisait 
par  amour  pour  Dieu.  Aussi,  son  cœur  était  emporté 
par  une  force  inimaginable  vers  l'objet  de  ses  désirs. 
Il  semble  qu'elle  est  dans  l'état  oii  doit  se  trouver  une 
âme  sainte  lorsque,  ayant  achevé  de  purifier  ses  der- 
nières imperfections  dans  les  flammes  du  purgatoire, 
elle  s'élance,  avec  la  rapidité  de  la  pensée,  dans  le  sein 
de  Dieu.  Ne  peut-on  pas  dire  qu'arrivée  là,  il  fallait 
ou  que  son  âme  brisât  les  liens  de  la  vie  pour  aller  se 
perdre  dans  l'ivresse  des^  joies  éternelles,  ou  que  le 
Sauveur,  objet  de  son  ardent  amour,  vînt  à  elle  pour 
rester  en  elle  et  se  faire  le  compagnon  du  pèlerinage 
qu'elle  devait  continuer  sur  la  terre.  Voilà  pourquoi  le 
Verbe  incarné  descend  jusqu'à  elle,  et  y  fait  descendre 
le  ciel,  en  quelque  sorte,  par  une  ineffable  merveille. 
Il  enchâsse  le  cœur  de  sa  servante  dans  son  Cœur 
divin;  il  s'empare  de  son  âme  par  un  amour  qu'elle- 
même  reconnaît  inexplicable,  et  cet  amour  unit  l'Epouse 
^  son  Epoux  céleste  d'une  manière  bien  plus  parfaite  et 
plus  excellente  que  n'est  le  lien  surnaturel  attachant 
l'un  à  l'autre  les  époux  chrétiens  en  sanctifiant  leur 
amour  mutuel. 

Ainsi  unie  à  Dieu,  remplie  de  ses  grâces,  devenue 
Epouse  véritable  du  Verbe  éternel  et  embrasée  de  son 
amour,  elle  semble  ne  plus  être  une  créature  terrestre. 
C'est  ce  qu'indique  la  manière  dont  elle  parle  de  son 
nouvel  état. 

«  Dans  le  mariage  spirituel,  l'âme  possède  celui 
qu'elle  aime  et  elle  en  est  pénétrée  et  possédée.  Je  ne 
puis  trouver  aucune  comparaison  sur  la  terre  qui  me 
puisse  servir  à  expliquer  les  embrassements  du  Verbe 
et  de  l'âme.  Quoique  celle-ci  le  connaisse  grand  Dieu, 
consubstantiel  et  égal  à  son   Père,   immense,  éternel, 


CHAPITRE    IV.  97 

infini,  elle  l'embrasse,  elle  lui  parle  bouche  à  bouche, 
se  voyant  agrandie  par  cette  dignité  que  le  Verbe  est 
son  Epoux  et  qu'elle  est  son  Epouse.  Elle  lui  ait  :  Vous 
êtes  à  moi  et  je  suis  à  vous.  » 

Elle  ajoute  un  peu  plus  loin  :  «  Dans  les  entretiens 
et  les  familiarités  que  j'ai  avec  lui,  je  reconnais  ses 
grandeurs  et  ma  bassesse  et  l'inégalité  qui  est  entre 
lui  et  moi  ;  pressée  néanmoins  de  son  amour,  et  quoi- 
qu'il soit  grand  Dieu  et  que  je  ne  sois  rien,  je  lui  dis  : 
«  0  mon  Amour!  quand  vous  me  devriez  envoyer  en 
enfer,  il  faut  que  je  vous  aime  et  que  vous  soyez  l'en- 
tière possession  de  mon  cœur  :  car  je  ne  puis  aspirer 
qu'à  vous,  ô  mon  grand  Dieu!  ô  mon  grand  Amour!  « 

Désormais  sa  vie  sera  un  épithalame,  un  chant 
continuel  d'amour.  «  Quelque  variété  d'emplois  que 
j'eusse,  dit-elle,  ils  ne  me  pouvaient  distraire;  ils  me 
soulageaient  seulement  en  un  certain  sens  ;  puis,  ce 
temps  écoulé,  c'était  comme  si  l'on  eût  ouvert  le  sou- 
pirail d'une  fournaise  embrasée  pour  en  faire  évaporer 
la  flamme  :  car  mon  cœur  se  dilatait  avec  des  paroleé 
si  ardentes  qu'elles  étaient  comme  des  flammes  lancées 
par  une  vengeance  d'amour  vers  celui  qui  m'avait  fait 
souffrir.  Etant  comme  hors  de  moi,  je  lui  disais  avec 
une  familiarité  dont  je  ne  pouvais  me  défendre  :  «  Ne 
veux-tu  donc  pas  que  je  meure,  ô  Amour?  Ne  sais-tu 
pas  qu'il  n'y  a  rien  sur  la  terre  qui  me  plaise  et  qui 
ne  me  soit  une  croix?  M'ayant  unie  si  intimement  à  toi, 
ne  sais-tu  pas  que  je  ne  puis  vivre  avec  ceux  qui  ne 
t'aiment  point?  Hélas  !  Amour,  ne  serais-tu  pas  bien 
aise  que  je  mourusse  à  cette  heure  et  qu'un  éclat  de 
tonnerre,  ou  plutôt  d'amour,  descendît  du  ciel  pour 
me  consumer  à  l'instant?  Je  ne  sais  ce  que  je  dis  ni 
ce  que  je  fais,  tant  je  suis  hors  de  moi,  mais  tu  en  es 

M.   DE  l'iNC.  ^ 


98  MARIE    DE    l'incarnation. 

la  cause.  Ah  !  je  ne  te  demande  ni  trésors  ni  richesses, 
mais  que  je  meure  et  que  je  meure  d'amour.  " 

Il  y  a  quelquefois  dans  l'amour  humain  un  délire  qui 
est  une  folie  véritable  et  qui  rapproche  l'être  intelligent 
de  la  brute;  mais  le  délire  de  l'amour  divin  élève  la 
créature  jusqu'à  Dieu  et  la  fait  se  perdre  en  celui  qui 
est  la  fin  et  l'unique  vrai  bonheur  de  tout  être  raison- 
nable. C'est  comme  un  avant-goût  de  cette  ivresse  qui 
fait  le  bonheur  des  saints  durant  toute  l'éternité.  Cet 
amour  est  si  pur,  si  éloigné  des  satisfactions  des  sens 
et  des  voluptés  terrestres,  qu'il  ne  soupçonne  même  pas 
que  le  langage  qu'il  emploie  puisse  être  interprêté  dans 
un  autre  sens  que  le  sien.  On  le  voit,  notre  vénérable 
Mère  est  .véritablement  dans  un  délire  d'amour  pour 
son  Dieu  devenu  son  Epoux.  Elle  ne  peut  plus  rien 
goûter  de  ce  qui  appartient  à  la  terre;  elle  n'est  plus 
elle-même,  pour  ainsi  dire,  elle  est  perdue  et  trans- 
formée en  Dieu.  Son  langage  est  devenu  un  chant 
surhumain,  toutes  les  impressions  de  son  âme  une 
poésie  céleste.  En  voici  un  exemple  trouvé  dans  des 
feuilles  qu'elle  avait  oublié  de  brûler  : 

«  Ah!  ah!  Amour,  combien  sont  doux  vos  charmes 
et  vos  aimables  liens! 

«  Ah  !  que  vous  êtes  un  doux  Amour! 

»  Vous  nous  ôtezlavue,  vous  nous  dérobez  les  sens, 
vous  nous  rendez  comme  insensés. 

«  Ah!  que  vous  êtes  un  doux  Amour! 

«  Que  ne  faites-vous  pas  de  nous?  Tantôt  vous  nous 
blessez,  tantôt  vous  nous  enchaînez  dans  un  doux 
esclavage. 

»  Ah  !  que  vous  êtes  un  doux  Amour  ! 

V  Amour,  que  voulez- vous  donc  faire?  A  quoi  vous 
plaisez- vous? 


CHAPITRE    IV.  99 

"   Sont-ce  là  les  délices  et  les  doux  jeux  de  votre 
amour  ? 

»  Oui,  mon  très-doux  Amour,  vous  vous  plaisez  à 
nos  langueurs. 

»  Ah!  qu'il  est  vrai  que  vous  êtes  Amour! 

»  Je  sais  ce  que  je  vous  ferai  ;  je  vais  m'élancer  vers 
vous,  en  retour  de  ce  que  vous  faites  à  mon  âme. 

»   Ah!  ah!  vous  serez  mon  esclave;  je  vous  aurai 
à  mon  souhait. 

"  Vous  serez  toujours  mon  doux  Amour! 

»  Mais  que  ferai-je  de  vous,  car  vous  êtes  tout  à  moi? 

"  Tout  à  moi  pour  jamais,  ô  ma  désirable  vie! 

w  Ah!  mon  Tout,  que  désiré-je  de  vous?  Je  veux  de 
vous  l'amour  et  ne  veux  que  l'amour. 

»  Ah!   c'est  vous  que  je  veux,  mon  doux  et  cher 
Amour! 

w  Je  vous  veux  dans  la  très-douce  mort  de  l'amour, 
pour  être  consumée  dans  les  flammes  de  l'amour,  r 

Telles  sont  les  étincelles  qui  jaillissent  de.  ce  cœur 
où  l'amour  divin  avait  établi  une  fournaise. 


3^  Un  autre  effet  de  ce  mariage  divin  était  la  com- 
munauté de  biens  entre  l'Epoux  et  l'Epouse,  ainsi  que 
le  fait  remarquer  à  plusieurs  reprises  notre  vénérable 
Mère. 

«  Le  Verbe  faisait  expérimenter  à  mon  âme  qu'il 
était  tout  à  elle  et  qu'elle  était  toute  à  lui,  qu'il  lui  était 
donné  en  propre  pour  en  jouir  sans  obstacle;  et,  si  j'ose 
le  dire,  tous  ses  biens  lui  étaient  communs.  Se  voyant 
si  riche  par  la  jouissance  de  son  bien  infini,  elle  voulait 
pourtant  être  sa  captive.  Elle  voulait  tout  pour  lui  et 


100  -MARIK    DE    l'incarnation. 

rien  pour  elle,  n'être  rien  et  qu'il  fût  tout.  Ce  fut  là 
que  je  compris  et  expérimentai  que  le  Verbe  est  véri- 
tablement l'Epoux  de  l'âme.  Cela  est  si  profond  que 
c'est  un  abîme.  Tout  ce  qu'on  en  peut  dire  n'approche 
point  de  la  réalité,  y 

«  Cette  Mère,  dit  ici  Claude  Martin,  ayant  tout  à  la 
fois  la  dignité  et  la  qualité  d'Epouse,  on  ne  doit  pas 
s'étonner  qu'elle  dise  que,  dans  cette  alliance  sainte, 
tous  les  biens  étaient  devenus  communs,  car  dès  que 
l'amour  a  élevé  une  âme  à  ce  comble  d'honneur,  elle 
n'a  rien  qui  ne  soit  à  Dieu  et  Dieu  n'a  rien  qui  ne  soit 
à  elle.  Ils  ont  mêmes  biens,  mêmes  maux ,  mêmes 
intérêts.  Elle  explique  encore  plus  clairement  cette 
communauté  de  biens  dans  une  de  ses  méditations  où 
elle  dit  :  «  Mon  âme  est  à  l'Amour  et  l'Amour  est  à 
mon  âme,  et,  si  je  l'ose  d^re,  tous  biens  sont  communs, 
il  n'y  a  plus  de  distinction  av.  mien  et  du  sien...  Mon 
âme  -se  plaît  dans  son  grand  dépouillement,  s'estimant 
plus  glorieuse  dans  cette  nudité  et  désappropriation 
d'elle-même  et  de  toutes  choses,  que  dans  la  possession 
du  ciel.  Ce  qui  est  le  plus  admirable,  c'est  que  dans 
cette  grande  nudité  elle  est,  en  quelque  sorte,  divinisée 
par  la  participation  qu'elle  a  avec  Dieu,  ressentant 
l'effet  de  cette  parole  :  J'ai  dit  :  Vous  êtes  des  Dieux  et  des 
enfants  du  Très-Haut.  Si  elle  est  belle,  c'est  de  la  beauté 
de  Dieu;  si  elle  est  bonne,  c'est  de  la  bonté  de  Dieu; 
si  elle  est  sage,  c'est  de  la  sagesse  de  Dieu;  si  elle  est 
riche,  c'est  des  richesses  de  Dieu.  » 

n  Voilà  comme  elle  était  riche  des  biens  de  la  Divi- 
nité; mais  parce  que  la  communauté  de  biens  doit  être 
réciproque  entre  les  parties,  elle  ajoute  que,  comme  elle 
était  riche  des  richesses  de  Dieu  parce  qu'elle  habitait 
en   Dieu,    ainsi    Dieu   possédait  tout  ce  qu'elle  avait, 


CHAPITRE    IV.  101 

parce  qu'il  habitait  en  elle  et  qu'il  en  était  le  maître 
absolu.  "  Dieu,  dit-elle,  me  fait  connaître  qu'il  habite 
en  mon  âme  et  qu'en  y  habitant  il  la  possède  avec 
tout  ce  qui  lui  appartient.  » 

y>  On  ne  peut  écrire,  ajoute  le  savant  Bénédictin, 
d'une  manière  plus  simple  et  à  la  fois  plus  relevée  la 
communication  de  biens  qui  se  fait  entre  Dieu  et  l'âme 
par  suite  du  mariage  surnaturel,  surtout  quand  il  s'ac- 
complit d'une  façon  aussi  extraordinaire  que  celui-ci.  » 


Le  principal  effet  de  cette  faveur  incomparable  fut 
une  union  continuelle  et  plus  parfaite  de  son  âme  avec 
Dieu.  L'objet  divin  dont  elle  était  occupée,  dit  Martin, 
la  ravissait  si  puissamment  qu'elle  oubliait  tout  le  reste. 
Alors  elle  disait  à  Notre -Seigneur  :  «  Hé!  mon  Amour, 
je  vous  prie  de  me  laisser  un  peu  de  relâche,  afin  de 
penser  à  ce  que  j'ai. à  faire  pour  le  prochain;  puis  je 
vous  caresserai.  » 

C'était  surtout  par  la  sainte  communion  que  se  forti- 
fiait cette  union  avec  son  divin  Epoux.  «  Je  ne  saurais 
exprimer,  dit-elle,  la  force  ni  la  douceur  de  l'union 
de  mon  âme  avec  Notre-Seigneur,  principalement  par 
suite  de  la  sainte  communion.  Je  me  sentais  remplie 
de  Dieu  au  fond  de  l'âme,  et  quoique  j'eusse  précé- 
demment sa  présence  habituelle,  c'était  alors  d'une 
tout  autre  manière.  J'aurais  voulu  communier  sans 
cesse,  si  c'eût  étd  possible.  Quelquefois,  plus  de  cinq 
ou  six  heures  après  avoir  communié  et  vaqué  aux 
affaires  les  plus  distrayantes,  je  sentais  si  fort  cette 
union  intérieure,  que  j'étais  obligée  de  me  faire  violence 
pour  prendre  mon  repas.  » 


102  MARIE    DE    l'iNCARNATFON. 

Elle  appelle  cet  état  un  martyre  d'amour,  et,  dans  les 
moments  où  elle  en  sentait  plus  vivement  les  déli- 
cieuses douleurs,  elle  s'écriait  :  «  Mon  doux  Amour! 
mon  doux  Amour,  mes  délices  adorables!  prenez- vous 
donc  plaisir  à  mes  langueurs?  Vous  savez  quel  est  mon 
désir,  car  mon  cœar  est  à  nu  devant  vos  yeux,  près  de 
l'autel  de  votre  Sacré  Cœur.  Que  je  sois  donc  tout  à 
vous  comme  vous  êtes  tout  à  moi;  possédez-moi  et  que 
je  vous  possède  par  un  mélange  d'amour.  Encore  une 
fois,  autel  sacré  du  Cœur  de  mon  Dieu,  que  sur  vous 
soit  fait  ce  sacrifice.  0  brasier  adorable  !  faites  brûler 
celle  qui  ne  veut  vivre  que  dans  vos  flammes.  Puis-je 
être  si  près  de  vous  et  sur  un  autel  de  feu  sans  être 
consumée  d'amour!  Mais  ô  secrets,  ô  secrets!  vous 
vous  plaisez  dans  mes  croix  :  car  unie  à  vous  et  à  votre 
Cœur  embrasé,  je  vis^  et  meurs  tout  ensemble.  Je  vis 
parce  que  l'on  ne  peut  être  unie  à  vous  sans  vivre  de 
votre  vie;  et  je  meurs,  parce  que  cette  union  est  aussi 
une  mort  qui  détruit  tout  ce  qui  n'est  pas  vous.  Ainsi 
vivant  et  mourant,  je  ne  suis  pas  à  moi,  mais  à  vous, 
ô  mon  cher  Tout,  ô  mon  Amour,  ô  mon  unique  Désiré  !  « 

Nous  allons  terminer  ce  qui  concerne  les  efets  du 
mariage  divin  de  notre  vénérable  Mère,  en  faisant 
connaître  les  délicieuses  aspirations  d'amour  qu'elle 
adressa  un  jour  à  Notre  Seigneur,  en  forme  de  lettre, 
et  qui  lui  furent  inspirées  par  ces  paroles  de  l'Apoca- 
lypse :  Oculi  ejus  tanquam  flamma  ignis;  ses  yeux  sont 
comme  une  flamme  de  feu. 

«  A  mon  très-chaste  Amour,  le  sacré  Verbe  incarné, 
dont  les  yeux  sont  comme  une  flamme  de  feu. 

r>  Qu'est  ceci,  ô  mon  cher  Amour?  Vos  yeux  purs  et 
divins  sont  comme  des  flammes  de  feu,  et  ce  sont  eux 
qui  font  tant  de  blessures  aux  cœurs  que  vous  vous 


CHAPITRE    IV.  103 

êtes  assujétis.  0  mon  adorable  époux!  De  guérissez 
jamais  ces  plaies;  mais  plutôt  augmentez  cet  heureux 
martyre  par  les  regards  de  vos  yeux  et  par  les  flammes 
qui  en  sortent.  Mon  cher  Amour,  combien  vos  impres- 
sions sont  douces,  quoique  crucifiantes  !  Qui  pourrait 
voir  ce  qu'on  éprouve  quand  on  ressent  vos  ardeurs, 
celui-là  brûlerait  des  mêmes  flammes,  ou  bien  son 
cœur  serait  plein  de  démons.  Vos  desseins  adorables 
sur  les  âmes  que  vous  aimez,  sont  de  les  faire  mourir 
et  remourir  sans  cesse.  0  abîme  de  feu  !  L'adoucisse- 
ment que  vous  donnez  à  cette  croix,  c'est  que  vous  ôtez 
à  ceux  qui  la  portent  la  puissance  de  vouloir  autre 
chose  que  leur  aimable  martyre.  0  mon  suradorable 
Amour!  cent  fois  mon  Amour!  mille  fois  mon  Amour! 
une  infinité  de  fois  mon  Amour!  Il  faudrait  voir  mon 
cœur  à  nu  pour  comprendre  la  douce  impression  de 
votre  amour  et  mon  agréable  captivité.  Vous  savez  ce 
qui  en  est,  ô  mon  grand  Dieu!  cela  me  suffit  et  je 
demeure  collée  pour  jamais  à  mon  grand  Amour,  le 
sacré  Verbe  incarné,  de  qui  je  suis  la  très-humble 
esclave.  « 


On  comprend  que  Dieu  ne  voulut  pas  laisser  dans  le 
monde  et  livrer  pour  toute  sa  vie  à  des  travaux  maté- 
riels une  âme  à  laquelle  il  accordait  de  pareilles 
faveurs.  Le  moment  approchait  donc  où  cette  longue 
ei^  laborieuse  préparation  à  la  vie  religieuse  allait 
recevoir  son  couronnement.  En  effet,  pendant  les  dix 
ans  et  plus  qui  se  sont  écoulés,  depuis  que  madame 
Martin  a  perdu  son  mari,  de  quelles  grâces  n'a-t-elle 
pas  été  comblée,  et  comme  elle  le  reconnaît  elle-même 
dans  ses  élans  d'amour  envers  la  divine  miséricorde! 


104  MARIE    DE   l'incarnation. 

Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  précieux,  c'est  qu'elle  a  été 
admirablement  fidèle  à  ces  grâces,  et  que  par  cette 
fidélité  elle  est  parvenue  à  une  perfection  oii  les  âmes 
héroïques  et  privilégiées  peuvent  seules  arriver.  On 
ne  sait  ce  qui  brille  plus  en  elle  de  son  humilité,  de 
ses  austérités  effrayantes,  de  sa  charité  sans  bornes 
pour  le  prochain  et  de  son  amour  enflammé  pour  Dieu. 
Elle  est  encore  dans  le  monde,  mais  elle  sent  qu'elle 
ne  peut  plus  y  rester.  Quelque  chose  lui  dit  qu'après 
avoir  travaillé  si  longtemps  pour  des  intérêts  humains, 
elle  doit  se  livrer  désormais  tout  entière  à  ceux  de 
Dieu,  à  la  gloire  de  ce  Verbe  éternel  qui  a  daigné  la 
rendre  son  Epouse. 

C'était,  au  reste,  par  obéissance  qu'elle  s'était  abstenue 
jusque-là  de  faire  des  démarches  pour  entrer  en  reli- 
gion, son  directeur  l'ayant  obligée  à  retarder  ainsi 
pour  surveiller  l'éducation  de  son  fils.  Cette  attente 
n'en  était  pas  moins  un  pénible  sacrifice,  car,  disait-elle, 
«  mon  cœur  était  dans  le  cloître,  quoique  mon  corps 
fût  dans  le  monde.  » 

Persuadée  que  le  moment  de  répondre  à  ce  vif  attrait 
était  enfin  arrivé,  elle  laissa  voir  son  intention.  Il  n'en 
fallut  pas  davantage  pour  qu'une  tempête  violente 
s'élevât  autour  d'elle;  son  beau-frère  et  sa  sœur  furent 
les  premiers  à  manifester  leur  mécontentement,  l'accu- 
sant de  cruauté  à  l'égard  de  son  fils.  Mais  Dieu,  qui 
est  le  maître  des  cœurs,  changea  si  bien  leurs  disposi- 
tions, qu'au  lieu  de  s'opposer,  comme  ils  faisaient 
d'abord,  à  l'exécution  de  son  dessein,  ils  consentirent 
à  se  charger  de  l'enfant,  alors  dans  sa  douzième  année. 
Ce  qui  la  rassurait  davantage,  c'est  que  Dieu  lui  avait 
fait  comprendre  par  une  lumière  intérieure  qu'il  s'en 
chargeait  lui-même.  Elle  ajoute  à  ce  récit  :   «  Mon 


CHAPITRE    IV.  105 

divin  Epoux  me  faisait  des  reproches,  lorsque  j'avais 
la  moindre  crainte  qu'il  manquât  à  mon  fils  ou  à  moi.  » 


Il  y  avait  environ  vingt  ans  que  l'Ordre  de  sainte 
Ursule,  fondé  en  Italie  par  sainte  Angèle  Mérici  en 
1535,  avait  été  introduit  en  France.  C'était  le  premier 
Ordre  spécialement  établi  pour  l'éducation  des  jeunes 
filles,  que  l'on  eût  vu  dans  l'Église.  Ce  caractère 
nouveau  produisit  une  telle  impression  et  les  succès 
des  premières  Ursulines  françaises  excitèrent  un  si 
vif  enthousiasme,  que  bientôt  l'on  compta  par  milliers 
les  jeunes  filles  qui  voulurent  s'associer  à  cette  œuvre, 
et  que  près  de  trois  cents  monastères  furent  fondés  en 
moins  de  soixante  ans.  On  venait  d'en  établir  un  à 
Tours,  à  quelques  pas  seulement  de  la  maison  qu'habi- 
tait  madame  Martin.  11  était  alors  décidé  qu'elle  entre- 
rait au  monastère  des  Feuillantines  de  Paris;  mais 
Dieu  avait  d'autres  desseins.  «  Chaque  fois,  dit  la  Mère 
de  l'Incarnation,  que  je  passais  devant  le  monastère 
des  Ursulines,  et  j'y  passais  plusieurs  fois  par  jour, 
mon  esprit  et  mon  cœur  sentaient  un  mouvement 
subit  qui  les  emportait  en  cette  sainte  maison  sans 
que  j'y  eusse  pensé  auparavant.  Je  fis  connaître  cela 
à  mon  directeur,  qui  me  répondit  simplement  que  ce 
n'était  pas  là  que  Dieu  me  voulait.^  Je  me  tins  tran- 


si) Il  est  facile  de  voir  aujourd'hui  que  Raimond-de-saint-Bernard  s'était 
trompé,  et  il  le  reconnut  bientôt  lui-même.  A  cette  occasion  nous  nous  permet- 
trons une  remarque.  Un  certain  nombre  de  personnes  pieuses,  et  même  de  prêtres, 
croient  que  le  directeur  doit  donner  une  suprême  décision  en  matière  de  vocation, 
et  qu'en  pareil  cas,  ce  que  l'on  a  de  mieux  à  faire  est  de  lui  dire  :  "  Mou  Père, 
prononcez  et  dites-moi  si  je  dois  embrasser  l'état  religieux  et  dans  quel  Ordre 


106  MARIE    DE    l'incarnation. 

quille,  croyant  qu'il  en  était  ainsi.  Cependant  je  sentais 
toujours  cet  attrait  que  je  recommandais  à  mon  divin 
Epoux,  le  priant  de  choisir  pour  moi.  Lorsque  rien 
ne  paraissait  avancer  à  l'extérieur,  une  voix  intérieure 
me  poursuivait  partout  et  me  disait  :  Hâte-toi,  il  est 
temps,  il  n'y  a  plus  rien  à  faire  pour  toi  dans  le  monde. 
Après  une  longue  perplexité,  au  moment  oii  je  m'y 
attendais  le  moins,  je  vis  disparaître  le  désir  que  j'avais 
eu  d'être  Feuillantine  et  je  sentis  à  la  place  celui  d'être 
Ursuline,  avec  une  impression  si  forte  qu'il  me  semblait 
que  tout  ce  qui  était  au  monde  me  menaçait  de  ruine, 
si  je  ne  me  sauvais  promptement  en  cette  maison 
de  Dieu.  Cela  fut  donc  résolu  et  mon  confesseur  y 
consentit.  " 

Mais  quinze  jours  avant  l'époque  fixée  pour  son 
entrée  aux  Ursulines,  il  arriva  un  événement  terrible 
et  qui  fut  l'une  des  plus  rudes  épreuves  que  puisse 
rencontrer  une  vocation  religieuse.  Son  fils,  qui  n'avait 
pas  douze  ans,  et  ne  savait  rien  des  intentions  de  sa 

je  dois  aller.  Je  i^egarderai  votre  décision  comme  venant  de  Dieu  et  je  m'y 
conformerai.  " 

Il  y  a  en  cela  une  dangereuse  erreur.  Le  directeur  doit  donner  des  conseils 
à  son  pénitent  et  lui  aider  à  connaître  sa  vocation  ;  mais  pour  décider  avec  autorité 
il  lui  faudrait  une  inspiration,  ce  dont  il  ne  pourra  jamais  se  flatter. 

Les  moyens  de  connaître  sa  vocation,  dit  le  P.  Gautrelet,  Jésuite,  [Traité  de 
tétat  religieux,  P»  part.  Cii.  2.),  se  réduisent  à  trois  :  «  la  prière,  la  réflexion, 
le  conseil  d'un  homme  sage  et  désintéressé.  »  Mais  c'est  le  pénitent  lui-même 
qui  doit  se  décider  api'ès  avoir  prié,  réfléchi  et  pris  conseil.  S'il  ne  le  peut  faire, 
c'est  une  preuve  ou  que  sa  vocation  n'est  pas  mûre,  ou  qu'il  lui  manque  quelque 
chose  d'essentiel  à  la  persévérance. 

Il  serait  le  plus  souvent  imprudent  de  prendre  une  décision  contraire  au 
sentiment  du  directeur  ;  on  ne  peut  dire  néanmoins  qu'il  y  ait  obligation  de  suivre 
son  avis.  Des  conseils  ne  seraient  plus  des  conseils,  s'ils  devenaient  des  décisions 
auxquelles  on  dût  se  soumettre.  C'est  pourquoi  le  directeur  doit  se  garder 
d'imposer  son  sentiment,  soit  formellement  .  soit  d'une  manière  indirecte  et 
déguisée. 


CHAPITRE    IV.  107 

mère,  disparut  de  la  maisoD  où  il  était  en  pension, 
sans  qu'on  pût  savoir  ce  qu'il  était  devenu.  ^  Alors, 
raconte-t-elle,  tous  mes  amis  m'accablèrent  de  raisons 
et  prétendirent  que  c'était  une  marque  évidente  que 
Dieu  ne  voulait  pas  que  je  fusse  religieuse.  On  m'affli- 
geait de  toutes  parts,  et  ce  me  fut  une  grande  croix,  car 
le  diable  se  mettant  de  la  partie,  voulait  me  persuader 
que  j'étais  la  cause  de  cette  perte  et  m'objectait  une 
foule  d'inconvénients.  Enfin,  au  bout  de  trois  jours, 
après  des  prières  vives  et  pressantes  que  j'avais  adres- 
sées à  Dieu,  un  honnête  homme  qui  avait  trouvé  mon 
fils  sur  le  pont  de  Blois,  me  le  ramena.  Chacun  m'opposa 
de  nouvelles  difficultés,  et  j'étais  combattue  de  tous 
côtés,  sans  parler  de  l'amour  naturel  qui  me  pressait 
comme  si  l'on  m'eût  séparé  l'âme  du  corps.  » 

Ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  que  l'enfant  s'était 
échappé  pour  s'en  aller  à  Paris  afin  de  se  faire  religieux. 
Il  est  vrai  que  longtemps  après,  n'ayant  plus  le  sou- 
venir d'avoir  agi  par  ce  motif,  il  dit  que  sa  mère  se 
trompait  et  que  sa  fuite  avait  eu  pour  cause  unique  une 
profonde  mélancolie  ;  mais  il  n'est  guère  croyable  que 
la  mère  se  fût  fait  une  pareille  idée,  si  l'enfant  n'avait 
pas  parlé  en  ce  sens  au  moment  même.  Cela  n'empêche 
pas  le  fait  de  la  mélancolie;  il  est  même  probable 
qu'une  seule  de  ces  deux  causes  n'eût  pas  été  suffisante 
pour  le  décider  à  une  manière  d'agir  aussi  étrange. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dom  Claude  Martin  fait  remarquer, 
en  parlant  de  l'entrée  en  religion  de  sa  mère,  que  si 
jamais  le  précepte  de  tout  quitter  pour  Dieu  a  été 
pratiqué  avec  perfection  ce  fut  en  cette  rencontre. 
«  D'autres,  dit-il,  ont  quitté  leurs  enfants  pour  se  donner 
à  Dieu,  mais  en  leur  laissant  leurs  biens  et  leurs  pos- 
sessions.   Mais,   ce   qui   est    peut-être    sans   exemple, 


108  MARIE    DE   l'incarnation. 

cette  femme  admirable  laisse  le  sien  sans  biens,  sans 
appui,  sans  ressource  aucune,  l'abandonnant  à  la  seule 
Providence.  » 


CHAPITRE   V. 


Entrée  au  monastère  et  adieux  à  son  fils,  1632.  —  Son  esprit  d'obéissance. 
Tourments  que  lui  cause  son  enfant.  —  Il  est  mia  au  collège  de  Rennes. 
Conduite  de  Marie  de  l'Incarnation  au  noviciat.  —  Troisième  vision  de  la  sainte 
Trinité.  —  Science  infuse  de  l'Ecriture  Sainte  et  de  la  langue  latine.  —  Nom- 
breuses et  fortes  tentations.  —  Son  fils  menacé  d'être  renvoyé  du  collège  de 
Rennes,  est  admis  à  celui  d'Orléans.  —  Elle  fait  profession  le  25  janvier  1633. 
Consolations  passagères  et  retour  des  épreuves.  —  Elle  donne  par  écrit  un 
abrégé  de  sa  vie  au  Père  de  la  Haye.  —  Retour  à  une  paix  entière.  —  Elle 
est-  nommée  sous-maîtresse  des  novices.  —  Belles  maximes  qu'elle  leur  incul- 
quait et  catéchisme  à  leur  intention. 


Madame  Martin,  ayant  enfin  surmonté  toutes  les 
difficultés,  entra  au  monastère  des  Ursulines  le  jour 
de  la  conversion  de  saint  Paul,  le  25  janvier  1631  ;  mais 
le  départ  fut  déchirant.  «  Je  quittai  mon  fils,  dit-elle, 
ainsi  que  mon  père  déjà  fort  âgé,  qui  jetait  des  cris 
lamentables  lorsque  je  lui  fis  mes  adieux.  Il  n'y  a  raison 
qu'il  ne  mît  en  avant  pour  m'arrêter,  mais  mon  cœur 
se  sentait  invincible.  Je  traitais  intérieurement  cette 
afifaire  avec  mon  divin  Epoux,  auquel  je  ne  pouvais 
dire  autre  chose  que  ces  paroles  :  Mon  chaste  Amour, 
je  ne  veux  pas  faire  ce  coup  si  vous  ne  le  voulez; 
voulez  pour  moi,  mon  bien-aimé.  Alors  il  répandait 
en  mon  âme  un  aliment  divin  et  une  force  intérieure 
qui  m'eût  fait  passer  à  travers  les  fiammes.  » 


CHAPITRE    V.  109 

Pour  qui  ne  croit  pas  à  l'action  de  la  grâce  sur  les 
âmes,  pour  ceux  qui  s'imaginent  que  Dieu  envisage 
les  choses  selon  les  règles  de  notre  faible  raison,  il  n'y 
a  dans  cette  conduite  qu'aveuglement  et  folie;  mais 
si  l'on  s'élève  jusqu'à  l'ordre  surnaturel,  si  même  on 
veut  peser  le  bien  immense  qui  résultera  pour  l'huma- 
nité de  la  vocation  religieuse  de  cette  femme  héroïque, 
les  peines  qu'elle  adoucira,  les  larmes  qu'elle  séchera; 
si  l'on  compte  tous  les  sauvages  dont  elle  sera  l'institu- 
trice, la  mère,  l'apôtre  et  dont  elle  guidera  les  âmes 
vers  le  ciel  ;  si  l'on  considère  que  cette  foi  vigoureuse, 
qui  s'est  conservée  jusquici  dans  le  Canada,  lui  est  due 
en  grande  partie,  par  suite  de  l'éducation  que  les  Ursu- 
lines  ont  donnée  à  un  nombre  incalculable  de  jeunes 
filles  depuis  bientôt  deux  siècles  et  demi,  alors  tout 
s'explique  ;  on  comprend  que  de  pareils  avantages  aient 
pu  être  achetés  par  les  larmes  d'un  père  et  les  cris 
d'un  enfant.  Est-ce  que  tous  les  jours  la  gloire  humaine 
ne  se  paie  pas  plus  cher  sur  les  champs  de  bataille, 
et  souvent  sans  profit?  Combien  de  soldats,  d'officiers 
pères  des  famille,  qui  s'arrachent  aux  embrassements 
de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants  en  pleurs  pour  aller 
se  faire  tuer  sur  un  champ  de  bataille  perdue!  Ceux 
qui  s'engagent  à  la  guerre  pour  Dieu,  sont  toujours 
vainqueurs.  Ces  raisons  sont  invincibles,  et  cependant 
jamais  on  ne  les  fera  accepter  par  le  monde. 


La  fidèle  servante  de  Dieu  estimait  trop  la  grâce 
de  sa  vocation  pour  vouloir  entrer  au  couvent  à  la 
dérobée.  Elle  y  mit  même  une  espèce  de  solennité  qui 
n'irait  pas  aujourd'hui   avec  le  refroidissement  de   la 


110  MARIE   DE    l'incarnation. 

piété  publique.  Comme  autrefois  la  mère  de  saint  Jean 
Chrysostôme,  avec  non  moins  d'éloquence  peut-être, 
mais  dans  un  sens  beaucoup  plus  chrétien  et  un  but 
incomparablement  plus  élevé,  elle  fit  un  discours  à  son 
fils,  afin  de  le  préparer  à  une  séparation  aussi  dou- 
loureuse pour  le  cœur  de  l'une  et  de  l'autre.  * 

«  Mon  fils,  j'ai  à  vous  communiquer  un  grand  secret 
que  je  vous  ai  tenu  caché  jusqu'à  présent  parce  que 
vous  n'étiez  pas  en  âge  de  l'écouter  ni  d'en  comprendre 
l'importance.  Mais  aujourd'hui  que  vous  êtes  plus  rai- 
sonnable et  que  je  suis  sur  le  point  de  l'exécuter,  je 
ne  puis  plus  différer  de  vous  en  donner  connaissance. 
Je  vous  dirai  donc  que  dès  le  temps  que  Dieu  m'a 
séparée  de  votre  père,  avec  lequel  je  n'ai  vécu  que 
deux  ans,  il  m'a  donné  l'intention  de  quitter  le  monde 
et  de  me  faire  religieuse.  Depuis  lors,  ce  dessein  s'est 
toujours  fortifié,  et,  si  je  ne  l'ai  pas  exécuté,  c'est  que 
vous  étiez  trop  jeune  et  que  j'ai  cru  nécessaire  de 
rester  auprès  de  vous  pour  vous  apprendre  à  aimer 
Dieu  et  à  le  bien  servir.  Sur  le  point  de  vous  quitter, 
en  ce  moment,  je  n'ai  pas  voulu  le  faire  sans  vous 
le  dire  et  vous  prier  de  le  trouver  bon.  J'aurais  pu 
m'échapper  sans  bruit  et  à  votre  insu,  car  il  y  va  de 
mon  salut,  et  quand  il  est  question  de  se  sauver,  on 
n'a  besoin  de  la  permission  de  personne.  Mais  comme 
vous  auriez  été  étonné  de  vous  voir  tout  à  coup  sans 
père  et  sans  mère,  ne  voulant  pas  vous  causer  un  aussi 
amer  chagrin,  je  vous  ai  pris  ici  en  particulier  pour 

(1)  La  Mère  de  saint  Jean  Chrysostôme,  ayant  su  ou  deviné  que  son  fils  voulait 
se  faire  religieux,  le  fit  venir  dans  sa  chambre,  où  elle  s'enferma  avec  lui,  et  lui 
montrant  le  lit  où  elle  l'avait  mis  au  monde,  elle  lui  fit,  pour  l'attendrir  et  le 
détourner  de  son  dessein,  un  discours  dont  l'éloquence  le  cède  à  peine  à  celle 
de  Chrysostôme  lui-même. 


CHAPITRE    V.  111 

VOUS  demander  votre  consentement.  Dieu  le  veut,  mon 
fils,  et,  si  nous  l'aimons,  nous  devons  le  vouloir  aussi. 
C'est  à  lui  de  commander,  à  nous  d'obéir.  Si  cette 
séparation  vous  afflige,  vous  devez  penser  que  c'est 
un  grand  honneur  que  Dieu  me  fait  de  m'avoir  ainsi 
choisie  pour  le  servir.  De  votre  côté,  vous  devez  vous 
estimer  heureux  en  apprenant  que  je  le  prierai  pour 
vous  jour  et  nuit.  Dites-moi  maintenant,  si  vous  con- 
sentez à  ce  que  j'obéisse  à  Dieu  qui  me  commande  de 
me  séparer  de  vous.  » 

Après  ce  discours,  l'enfant,  qui  ne  s'y  était  pas 
attendu,  demeura  interdit,  accablé  ;  il  ne  put  que  laisser 
échapper  ce  cri  sublime  de  tendresse  filiale,  non  moins 
éloquent  que  le  discours  de  sa  mère  :  —  Je  ne  vous 
verrai  donc  plus  !  —  Ne  croyez  pas  cela,  mon  fils,  je 
ne  m'éloigne  pas  de  vous,  le  lieu  de  ma  retraite  est 
le  couvent  des  Ursulines,  il  est  tout  près,  vous  pourrez 
me  voir  aussi  souvent  que  vous  le  désirerez.  —  S'il 
en  est  ainsi,  si  je  dois  jouir  de  la  consolation  de  vous 
voir  et  de  vous  parler,  je  consens  à  tout.  La  mère 
continua  :  «  J'aurais  eu  bien  de  la  peine  à  me  séparer 
de  vous,  si  vous  aviez  fait  de  la  résistance;  mais  puisque 
vous  le  voulez  bien,  je  me  retire  et  vous  laisse  entre 
les  mains  de  Dieu...  Je  ne  vous  laisse  point  de  biens, 
car  comme  Dieu  est  mon  héritage,  je  désire  qu'il  soit 
aussi  le  vôtre.  Si  vous  le  craignez,  vous  serez  assez 
riche,  car  la  crainte  de  Dieu  est  un  grand  trésor.  Mon 
fils,  vous  perdez  aujourd'hui  votre  mère,  mais  vous  ne 
perdez  rien,  parce  que  je  vous  en  donne  une  autre  qui 
sera  bien  meilleure  que  moi,  et  qui  a  beaucoup  plus 
de  pouvoir  pour  vous  faire  du  bien.  C'est  la  Sainte 
Vierge,  à  qui  je  vous  recommande.  Soyez-lui  bien  dévot, 
appelez-la. votre  Mère,  et  dans  vos  besoins  adressez-vous 


112  MARIE    DE    l'incarnation. 

à  elle  avec  confiance,  la  faisant  ressouvenir  que  vous 
êtes  son  fils  et  qu'il  faut  qu'elle  ait  soin  de  vous. 

y>  Je  vous  laisse  entre  les  mains  de  ma  sœur,  qui  m'a 
promis  de  vous  aimer  et  de  vous  entretenir  jusqu'à  ce 
que  Dieu  dispose  de  vous  selon  l'ordre  de  sa  providence  : 
c'est  pourquoi  rendez-lui  le  même  respect  et  la  même 
obéissance  qu'à  moi-même. 

»  Respectez  tous  vos  parents,  honorez  tout  le  monde; 
ne  soyez  point  querelleur  ;  évitez  la  compagnie  des 
écoliers  débauchés  et  fréquentez  ceux  que  vous  verrez 
se  porter  à  la  piété.  Approchez  souvent  des  sacrements, 
servez  bien  Dieu,  priez-le  avec  respect  et  dévotion,  et 
gardez  surtout  ses  saints  commandements.  En  un  mot, 
aimez  Dieu,  et  Dieu  vous  aimera,  et  il  aura  soin 
de  vous  en  quelque  état  que  vous  soyez.  Adieu,  mon 

fils.  » 

Quelle  scène  sublime  !  et  combien  elle  est  supé- 
rieure à  ce  que  l'on  admire  le  plus  dans  les  pièces  de 
théâtre  ! 

«  C'était  le  lieu  et  le  moment  de  donner  à  son  fils  un 
baiser'  pour  dernière  marque  d'aff'ection  ,  dit  Claude 
Martin;  mais  elle  ne  le  fit  pas,  et  il  y  avait  dix  ans 
qu'elle  ne  l'avait  fait.  ^^  Voilà  encore  ce  qui  paraît 
inexplicable,"  ce  qui  semble  même  une  espèce  de  bar- 
barie dans  une  mère.  Cesser  d'embrasser  son  enfant 
à  l'âge  de  deux  ans!  J'avoue,  dit  le  Père  Martin,  que 
je  n'avais  jamais  compris  moi-même  cette  conduite 
jusqu'au  moment  où  elle  m'en  donna  l'explication  sui- 
vante :  «  Il  y  avait  bien  dix  ans  que  je  lui  imposais 
le  sacrifice  de  ne  me  faire  aucune  caresse,  de  même 
que  je  ne  lui  en  faisais  point  de  mon  côté,  quoique  je 
l'aimasse  beaucoup,  afin  que  n'étant  point  habitué  aux 
marques  de  tendresse  et  à  la   sensibilité   des   autres 


CHAPITRE    V.  113 

enfants,  il  éprouvât  moins  de  peine  quand  !e  jour  do 
la  séparation  serait  venu.  -^  Il  en  fut  tout  autrement, 
ajoute  le  fils,  mais  l'héroïque  mortification  de  la  mère 
n'en  est  pas  moins  admirable;  plus  admirable  sans  doute 
qu'imitable. 

Après  cela  elle  se  dirigea  vers  le  couvent  des  Ursu- 
lines  d'une  manière  qui  montrait,  dit  Martin,  avec 
quelle  générosité  elle  triomphait  du  monde  et  surmon- 
tait tous  les  sentiments  de  la  nature.  Au  lieu  de  prendre 
quelque  mesure  pour  que  son  fils  ne  connût  pas  le 
moment  de  son  départ,  ce  qui  eût  été  facile,  elle  le  fit 
marcher  à  son  côté.  Elle  avait  encore  voulu  être 
accompagnée  d'un  certain  nombre  de  parents  et  d'amis. 
Une  de  ses  nièces  allait  en  avant  et  portait  un  crucifix. 
Plusieurs  personnes  qui  s'étaient  jointes  à  cette  espèce 
de  procession  versaient  des  larmes,  les  unes  par  atten- 
drissement à  la  vue  de  l'enfant,  les  autres  par  dévotion 
en  considérant  l'héroïque  sacrifice  de  la  mère.  Dans  le 
récit  écrit  de  la  main  de  cette  dernière,  nous  lisons  : 
«  Cet  enfant  vint  avec  moi  tout  résigné;  il  n'osait  me 
témoigner  son  afiliction  ;  mais  les  larmes  qui  coulaient 
de  ses  yeux  me  faisaient  comprendre  ce  qui  se  passait 
en  son  cœur.  Il  me  faisait  si  grande  compassion  qu'il 
me  semblait  qu'on  m'arrachait  l'âme  ;  mais  Dieu  m'était 
plus  cher  que  tout  cela. 

»  Lui  laissant  donc  mon  fils,  auquel  je  dis  adieu  en 
riant,  je  me  jetai  aux  pieds  de  la  révérende  Mère,  qui 
me  reçut  gratuitement  pour  l'amour  de  Notre-Seigneur 
avec  beaucoup  d'amour  et  d'afîection.  Ce  qui  me  causa 
un  nouvel  étounement  fut  qu'elle  me  reçut  à  la  condi- 
tion de  sœur  de  chœur,  car  je  n'avais  pas  voulu  lui 
demander  d'avance  ce  qu'elle  ferait  de  moi.  »  Ce  trait 
est  à  lui  seul  un  caractère  de  sainteté. 

M.   DE  l'inC.  8 


114  MARIK    DE    l'incarnation. 

A  peine  fut- elle  au  noviciat,  qu'elle  fit  voir  que  c'était 
bien  véritablement  l'Esprit  de  Dieu  qui  l'y  avait  con- 
duite :  car  sa  supérieure  lui  ayant  dit  de  quitter  ses 
haires,  ses  cilices,  ses  chaînes  et  tous  ses  autres  instru- 
ments de  pénitence  afin  de  s'accommoder  en  tout  à  la 
vie  commune,  elle  obéit  sans  résistance  ni  réplique, 
conservant  néanmoins  le  désir  de  reprendre  tout  cela 
dans  le  cas  où  l'obéissance  le  lui  permettrait.  Elle 
savait  que  l'obéissance  étant  meilleure  que  le  sacrifice, 
la  volonté  propre  est  la  plus  agréable  victime  que  l'on 
puisse  immoler  à  Dieu. 

La  manière  dont  elle  s'exprime  à  ce  sujet  montre 
clairement  à  quel  point  elle  comprenait  la  vertu  véri- 
table. "  Quoique  j'aimasse  la  mortification  et  que  je 
me  portasse  d'affection  à  tous  ces  petits  exercices  de 
pénitence  dans  le  monde,  je  ne  ressentis  néanmoins 
en  cette  occasion  ni  une  pensée  ni  un  mouvement  con- 
traire à  l'obéissance.  » 


Cependant  la  résignation  du  jeune  Martin  ne  dura 
pas  longtemps;  lui-même  le  raconte  de  la  manière 
suivante  :  -  Il  ne  se  peut  dire  combien  elle  fut  com- 
battue, ni  en  combien  de  manières  sa  constance  fut 
agitée  de  la  part  de  son  fils.  On  bâtissait  le  monastère; 
ei  comme,  à  cause  des  ouvriers,  les  portes  étaient 
souvent  ouvertes,  il  prenait  adroitement  ce  temps  pour 
entrer,  afin  de  chercher  sa  mère.  Tantôt  il  se  trouvait 
dans  le  jardin  avec  des  religieuses,  tantôt  il  pénétrait 
dans  les  cours  les  plus  intérieures  de  la  maison.  Une 
fois  il  fit  tant  de  tours,  sans  savoir  où  il  allait,  qu'il 
se  trouva  dans  une  salle  où  toute  la  communauté  était 
assemblée  pour  se  mettre  à  table.   On  se  demande  ce 


CHAPITRE    V.  115 

que  dut  éprouver  la  pauvre  mère  en  pareille  circons- 
tance. D'un  côté,  son  cœur  était  comme  brisé  par  des 
sentiments  de  tendresse  maternelle  et  de  compassion 
pour  son  fils;  de  l'autre,  elle  se  sentait  couverte  de 
confusion  à  la  pensée  de  tous  les  désagréments  qu'elle 
occasionnait  à  la  communauté. 

»  Quelquefois  l'enfant  voyant  le  guichet  de  la  com- 
munion ouvert  pendant  la  messe,  y  passait  sa  tête 
et  essayait  d'entrer  dans  le  chœur.  D'autres  fois,  il  y 
jetait  son  manteau  ou  son  chapeau,  qui  tombant  aux 
pieds  de  sa  mère,  renouvelait  toutes  ses  peines. 

»  Un  jour  ses  petits  camarades,  le  voyant  privé  de 
bien  des  douceurs  que  leur  accordaient  leurs  mères, 
lui  dirent  que  c'était  sa  faute;  ils  ajoutèrent  :  Tu  n'as 
pas  de  ceci  et  de  cela,  parce  que  tu  n'as  pas  de  mère; 
mais  viens,  allons  chercher  la  tienne  ;  nous  ferons  du 
bruit,  nous  romprons  les  portes;  il  faudra  bien  qu'on 
te  la  rende.  Sans  délibérer  davantage,  ils  courent  au 
monastère,  armés  de  pierres,  de  bâtons,  de  tout  ce  qui 
leur  tombe  sous  la  main.  Ils  frappent,  jettent  des  cria 
et  font  tout  le  vacarme  que  l'on  peut  imaginer.  Au 
milieu  de  tout  le  bruit,  la  mère  distingue  une  voix  qui 
lui  frappe  particulièrement  le  cœur,  c'est  celle  de  son 
fils  :  de  même  qu'une  brebis  innocente  distingue  entre 
mille  la  voix  de  son  agneau.  »  A  ce  moment  le  courage 
sembla  l'abandonner.  Elle  crut  que  c'en  était  fait  de 
sa  vocation  d'Ursuline,  et  qu'encore  qu'elle  fût  résolue 
de  ne  pas  céder  à  l'orage,  les  religieuses  allaient  être 
lasses  de  tant  de  désagréments  et  qu'elles  la  prieraient 
honnêtement  de  se  retirer  pour  prendre  soin  de  l'édu- 
cation d'un  fils  qui  serait  toujours  un  sujet  de  tenta- 
tion pour  elle  et  une  occasion  de  trouble  pour  la 
communauté. 


116  MARIK    DE    l'incarnation. 

«  Jamais,  dit-elle  dans  une  de  ses  lettres,  je  ne  fus 
tant  combattue.  Je  pensais  qu'on  me  mettrait  bientôt 
hors  de  la  maison.  Je  trouvais  cela  juste  de  !a  part 
de  la  communauté;  mais,  pour  moi,  l'idée  de  retourner 
dans  le  monde  était  une  croix  pesante.  Je  croyais 
néanmoins  qu'il  en  serait  ainsi,  et  je  m'abandonnais 
entre  les  mains  de  Notre -Seigneur,  qui  voulut  enfin 
me  consoler  dans  cette  grande  épreuve.  Un  jour,  lors- 
que je  montais  l'escalier  du  noviciat,  il  me  donna  une 
certitude  intérieure  que  je  serais  religieuse  en  cette 
maison,  ce  qui  me  ranima  entièrement.  En  même 
temps  notre  révérende  Mère  m'aflSrma  que  ni  elle  ni 
aucune  des  religieuses  n'avait  la  pensée  de  me  faire 
sortir. 

»  Cette  bourrasque  passa,  mais  ce  fut  pour  recom- 
mencer ensuite  avec  plus  de  violence.  Avant  mon 
entrée  au  monastère,  il  n'y  avait  rien  de  plus  innocent 
que  mon  fils,  mais  toutes  les  choses  qu'on  lui  dit  l'ai- 
grirent et  le  changèrent  tellement,  qu'il  ne  voulait  plus 
étudier  ni  travailler  en  aucune  manière,  en  sorte  qu'il 
semblait  ne  devoir  jamais  être  bon  à  rien.  Alors  je 
crus  que  j'allais  être  la  cause  de  son  malheur,  et  que 
par  là  même  ce  n'était  pas  Dieu  qui  m'avait  portée  à 
quitter  le  monde;  que  cet  enfant  serait  perdu  et  que 
je  serais  responsable  de  sa  perte. 

«  Pourtant,  malgré  toutes  mes  peines,  je  ne  perdais 
point  la  familiarité  avec  Notre-Seigneur.  Un  jour  que 
je  lui  étais  fortement  unie,  et  que  je  lui  faisais  mes 
plaintes,  il  m'inspira  de  lui  demander  de  souffrir  encore 
davantage  pour  mon  fils.  Je  lui  dis  avec  beaucoup' 
d'ardeur  :  0  mon  Amour,  faites-moi  souffrir  tout  ce 
qu'il  vous  plaira,  pourvu  que  cet  enfant  ne  vous  ofiénse 
point.  Je  veux  bien  être  dans  les  croix  de  toutes  parts, 


CHAPITRE    V.  117 

martyrisée  de  toutes  les  manières,  si  vous  en  prenez 
soin.  « 


Claude  Martin,  après  avoir  rapporté  tout  cela  et  cité 
les  {)aroles  de  sa  mère,  ajoute  les  lignes  suivantes  qui 
font  foi  de  sa  profonde  humilité. 

-  Ce  ne  fut  pas  sans  raison  que  Dieu  inspira  à  sa 
servante  de  lui  demander  de  souffrir  pour  son  fils  :  car 
encore  que  son  bas- âge  donnât  sujet  de  croire  qu'il 
était  innocent,  il  était  néanmoins  dans  un  état  oii  il 
avait  besoin  d'une  puissante  médiation  auprès  de  la 
divine  Majesté,  ainsi  que  je  le  dirai  ailleurs,  oii  je  ferai 
voir  les  effets  que  les  souffrances  d'une  si  sainte  mère 
eurent  à  son  égard.  » 

Quelque  temps  après,  les  Jésuites,  à  la  prière  de 
l'archevêque  de  Tours,  voulurent  bien  se  charger  de 
cet  enfant,  et  ils  l'emmenèrent  à  leur  collège  de  Rennes. 

Le  public,  de  son  côté,  s'irritait  contre  la  mère,  la 
traitait  de  marâtre  cruelle,  indigne  du  nom  de  mère. 
Mais  rien  n'est  mobile  comme  ces  sortes  d'impressions; 
le  monde  est  quelquefois  meilleur  qu'il  ne  croit;  un 
rien  l'irrite,  le  met  en  fureur;  mais  souvent  cette 
fureur  se  calme  subitement  sans  qu'on  sache  par  quel 
moyen,  à  moins  qu'on  ne  remonte  à  Dieu,  qui  tient 
en  ses  mains  les  flots  des  passions  humaines  comme 
ceux  de  la  mer.  -^  Bientôt,  dit-elle,  les  personnes  qui 
avaient  blâmé  mon  entrée  en  religion  changèrent  de 
sentiment  et  avouèrent  que  la  bonté  divine  conduisait 
mes  affaires.  Si  elles  avaient  vu  ce  que  Dieu  opérait 
en  mon  âme,  elles  m'eussent  aidée  à  chanter  ses  misé- 
ricordes, mais  c'était  un  secret  qui  leur  était  caché.  » 
Ce   langage,   que  la  vénérable  Mère  fait  entendre   si 


118  •  MARIK    DE    l'incarnation. 

souvent,  est  digne  d'une  sérieuse  attention,  mais  il  n'est 
compris  que  d'un  bien  petit  nombre.  La  plupart  des 
personnes  du  monde  restent  incrédules  quand  on  leur 
dit  que  Dieu  parle  aux  âmes  qui  se  donnent  à  lui,  qu'il 
les  console,  les  fortifie,  leur  fait  comprendre  sa  pensée 
de  manière  à  rendre  le  doute  impossible  :  cependant 
cela  est  vrai,  cela  arrive  tous  les  jours. 

Elle  eut  bientôt  une  autre  épreuve  qui  ajouta  aux 
douleurs  de  la  tendresse  maternelle,  celles  de  la  piété 
filiale.  «  Mon  père,  dit- elle,  qui  était  âgé  lorsque  je 
le  quittai,  m'assura  qu'il  mourrait  d'affliction  si  je  m'en 
allais  au  couvent;  mais  voulant  obéir  à  Dieu,  et  ayant 
dans  le  monde  trois  sœurs  en  état  de  l'assister  s'il  en 
etit  eu  besoin,  je  passai  par-dessus  toutes  les  tendresses 
de  la  nature,  appuyée  sur  les  paroles  de  Notre-Seigneur  : 
Qui  aime  son  père  ou  sa  mère  plus  que  moi  n'est  pas  digne 
de  moi.  (Matth.  37,  10.)  Ce  bon  père  mourut  en  eff'et  six 
mois  après.  J'étais  bien  néanmoins  avec  lui;  il  m'avait 
donné  sa  bénédiction,  et  me  visitait  à  la  grille;  mais 
les  personnes  qui  ne  jugeaient  que  selon  le  monde 
avaient  divers  sentiments  à  ce  sujet,  pendant  que 
mon  divin  Epoux  me  faisait  expérimenter  combien 
il  est  doux  de  quitter  toutes  choses  pour  son  amour.  » 


Nous  ne  dirons  que  quelques  mots  de  la  manière 
dont  la  servante  de  Dieu  se  conduisit  au  noviciat  des 
Ursulines,  et  nous  nous  bornerons  à  citer  les  paroles 
de  son  fils.  «  Elle  agissait  avec  les  novices,  dit  il,  dans 
un  esprit  de  simplicité  qui  ravissait  tout  le  monde; 
elle  était  plus  enfant  que  ces  enfants  mêmes,  mais  de 
cette  simplicité  évangélique  et  de  cette  enfance  sainte 


CHAPITRE    V.  119 

et  innocente  que  le  Fils  de  Dieu  recommandait  à  ses 
disciples  lorsqu'il  leur  disait  :  Si  vous  ne  devenez  comme 
de  petits  enfants,  vous  nentrerez  pas  dans  le  royaume  des 
deux.  Car  oubliant  son  âge,  ses  lumières,  son  talent 
des  affaires,  les  communications  extraordinaires  qu'elle 
avait  avec  Dieu,  et  son  expérience  des  choses  spiri- 
tuelles, elle  vivait  avec  ces  jeunes  filles  comme  si  elle 
eût  été  la  plus  ignorante  de  toutes,  prenant  plaisir  à 
leur  demander  conseil.  « 

Mais  Dieu  la  récompensa  de  cette  humilité  en  lui 
donnant  des  lumières  qui  la  rendirent  capable  tout 
d'un  coup  de  diriger  elle-même  les  autres.  Elle  reçut 
une  troisième  manifestation  de  la  très -sainte  Trinité, 
de  la  manière  suivante. 

«  Après  les  combats  dont  mon  fils  avait  été  l'occasion, 
mon  âme  était  dans  le  calme,  en  sorte  que  rien  ne  la 
troublait  dans  l'attachement  où  elle  était  avec  son 
Epoux  céleste,  qui  la  faisait  un  même  esprit  avec  lui. 
La  règle,  le  chœur  et  toutes  les  actions  d'obéissance 
contribuaient  à  la  perfection  de  cet  état,  parce  que 
j'y  voyais  l'Esprit  de  Dieu,  ce  qui  me  faisait  aimer  ma 
vocation  et  l'état  religieux,  que  rien  ne  me  paraissait 
égaler.  Je  ne  pouvais  comprendre  l'aveuglement  du 
monde,  qui  n'a  d'estime  que  pour  son  néant  et  sa 
vanité. 

«  Dans  cette  disposition  je  voyais  bien  que  la  divine 
Majesté  préparait  mon  âme  à  quelque  chose  de  grand, 
et  je  disais  familièrement  à  mon  Epoux  :  Qu'est-ce 
que  vous  voulez  faire,  mon  bien-aimé?  Faites  de  moi 
tout  ce  qu'il  vous  plaira.  Vous  charmez  mon  âme  de  telle 
sorte  que  je  puis  à  peine  supporter  l'excès  de  votre 
douceur. 

y>  Je  fus  trois  jours  dans  l'attente  de  ce  qu'il  voulait 


120  MARIE    DE    l'incarnation. 

faire,  et  lui  parlant  de  ce  qu'il  me  faisait  éprouver, 
jusqu'à  ce  qu'un  soir,  lorsque  l'on  venait  de  donner  le 
signal  pour  commencer  l'oraison,  un  attrait  subit  ravit 
mon  âme,  et  les  trois  personnes  de  la  très- sainte  Trinité 
se  manifestèrent  à  elle  de  nouveau,  avec  l'impression 
de  ces  paroles  du  Verbe  incarné  :  Si  quelqu'un  m'aime, 
mon  Père  l'aimera;  nous  viendrons  à  lui  et  nous  ferons  notre 
demeure  en  lui.  J'éprouvais  les  effets  de  cette  promesse, 
et  les  opérations  des  trois  divines  personnes  en  moi 
furent  plus  éminentes  que  jamais.  La  sainte  Trinité 
s'emparait  de  mon  âme  comme  d'une  chose  qui  lui  était 
propre,  et  Dieu  me  faisait  connaître  que  je  recevais 
alors  la  plus  haute  grâce  que  j'eusse  jamais  reçue  dans 
les  communications  des  divines  personnes.  C'était  par 
le  langage  suivant  :  «  La  première  fois  que  je  me 
manifestai  à  toi,  ce  fut  pour  instruire  ton  âme  de  ce 
grand  mystère;  la  seconde,  afin  que  le  Verbe  prît  ton 
âme  pour  son  épouse;  mais  cette  fois  le  Père,  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit  se  donnent  et  se  communiquent  à  toi 
pour  posséder  entièrement  ton  âme.  » 

»  Alors  l'effet  fut  produit,  et  comme  les  trois  divines 
personnes  me  possédaient,  je  les  possédais  aussi  dans 
l'amplitude  de  la  participation  de  tous  les  trésors  de  la 
magnificence  divine.  Le  Père  éternel  était  mon  père, 
le  Verbe  suradorable  mon  Epoux,  et  le  Saint-Esprit, 
celui  qui  disposait  mon  âme  et  lui  faisait  recevoir  les 
divines  impressions.  En  toute  cette  opération,  je  me 
voyais  le  néant  et  le  rien  tout  pur.  Je  ne  pouvais  rien 
dire,  sinon  :  0  mon  grand  Dieu!  0  suradorable  abîme! 
je  suis  le  néant  et  le  rien  ;  et  il  m'était  repondu  : 
*•  Encore  que  tu  sois  le  néant  et  le  rien,  tu  es  néan- 
moins toute  propre  pour  moi.  »  Cela  me  fut  répété 
plusieurs  fois  à  proportion  de  mes  abaissements.  Plus 


CHAPITRE    V.  121 

je  m'abaissais,  plus  je  me  voyais  agrandie,  et  mon 
âme  recevait  des  témoignages  d'amour  qui  ne  sauraient 
tomber  sous  les  sens,  ni  être  exprimés  par  le  langage 
des  hommes  mortels.  »  Il  y  avait  alors  environ  deux 
mois  qu'elle  était  au  noviciat,  et  quelques  jours  après 
on  lui  donna  l'habit  religieux.  Ce  fut  à  cette  occasion, 
et  à  cause  de  l'union  étroite  qu'elle  avait  contractée  et 
si  souvent  renouvelée  avec  le  Verbe  incarné,  qu'elle 
demanda  à  s'appeler  Marie  de  l'Incarnation,  heureuse 
de  porter  le  nom  de  son  Epoux  divin. 


Cette  troisième  manifestation  de  l'adorable  Trinité 
à  cette  âme  privilégiée  fut  bientôt  suivie  de  deux  autres 
faveurs  qui  montrent  à  quel  point  elle  était  pour  Dieu 
un  objet  de  prédilection,  combien  il  l'aimait  et  avec 
quel  soin  il  la  préparait  à  lui  gagner  des  âmes  et  à 
les  diriger  dans  les  voies  de  la  sainteté  :  elle  reçut, 
comme  par  une  grâce  infuse,  l'intelligence  de  la  sainte 
Ecriture  et  celle  de  la  langue  latine,  qu'elle  n'avait 
jamais  étudiée. 

«  Mon  esprit,  .conservant  toujours  l'onction  de  la 
grande  grâce  dont  je  viens  de  parler  ci-dessus,  fut  plus 
éloigné  que  jamais  des  choses  d'ici-bas,  et  plus  porté 
aux  vertus  religieuses  et  au  service  divin,  où  Notre- 
Seigneur  me  donnait  l'intelligence  de  l'Ecriture  sainte. 
J'entendais  en  français  ce  que  je  disais  en  latin;  mon 
esprit  était  alors  transporté  au  point  que  si  je  ne  me 
fusse  fait  violence,  j'aurais  éclaté  au  dehors.  Le  chant 
me  soulageait,  et  pourtant  mes  sens  étaient  tellement 
touchés  que  j'avais  de  puissants  mouvements  de  battre 
des  mains  et  de  provoquer  tout  le  monde  à  chanter  les 


122  MARIE    DE    l'incarnation. 

louanges  d'un  Dieu  si  grand  et  si  digne  que  tous  se 
consument  pour  son  amour  et  pour  son  service.  J'au- 
rais voulu,  comme  le  Prophète,  chanter  un  Eructavit 
pour  célébrer  les  grandeurs  et  les  prérogatives  de  mon 
Epoux.  Je  voyais  dans  la  psalmodie  ses  justices,  ses 
jugements,  ses  grandeurs,  ses  amours,  son  équité,  ses 
beautés,  ses  magnificences,  ses  libéralités,  ses  mains 
d'or  arrondies  au  tour,  toutes  pleines  dliyacinthes,  selon  le 
langage  des  Cantiques,  et  prêtes  à  faire  découler  leur 
plénitude  sur  les  âmes  qui  l'aiment. 

»  Mon  esprit  était  si  rempli  de  ce  qui  se  chantait 
au  chœur,  que  jour  et  nuit  c'était  le  sujet  de  mon 
entretien  avec  mon  Epoux.  Le  psaume  dix-huit, 
Cœli  enarrant,  avait  des  attraits  qui  me  ravissaient  le 
cœur  :  Oui,  disais-je,  oui,  mon  Amour,  vos  témoignages 
sont  véritables,  ils  se  justifient  d'eux-mêmes,  ils  donnent  la 
sagesse  aux  petits  enfants.  Une  fois,  dans  un  de  ces  trans- 
ports que  me  causait  la  psalmodie,  j'e  dis  le  Laudate 
en  français  au  lieu  du  latin.  En  marchant,  je  ne  me 
sentais  pas  toucher  la  terre;  et  en  regardant  mon  habit 
religieux,  je  mettais  la  main,  sur  ma  tête  pour  toucher 
mon  voile  et  voir  si  je  me  trompais  point  en  pensant 
posséder  le  bonheur  d'être  dans  la  maison  de  Dieu.  « 

Claude  Martin  assure  que  l'intelligence  de  l'Ecriture 
sainte  a  été  l'une  des  grâces  les  plus  signalées  et  les 
plus  continuelles  que  sa  pieuse  mère  ait  reçues  de  Notre- 
Seigneur  :  car  elle  en  a  été  favorisée  jusqu'à  la  mort, 
en  sorte  que  son  esprit  et  sa  bouche  étaient  toujours 
remplis  de  cette  manne  céleste.  Rarement  elle  parlait 
sans  que  quelque  passage  de  l'Ecriture  se  présentât  à 
elle  pour  fortifier  et  éclaircir  ce  qu'elle  disait.  Si  elle 
avait  à  consoler  des  malades  ou  des  affligés,  c'était  * 
par  quelques  textes  de  la  parole  sainte,  d'où  elle  savait 


CHAPITRE    V.  123 

tirer  tant  de  motifs  de  consolation,  que  l'on  ne  pouvait 
l'entendre  sans  éprouver  du  soulagement  ou  sentir  une 
nouvelle  force.  C'était  aussi  par  ce  moyen  que,  durant 
les  récréations,  elle  savait  élever  les  esprits  et  empê- 
cher les  conversations  de  devenir  trop  communes  pour 
des  âmes  qui  doivent  se  regarder  comme  étant  toujours 
sous  l'œil  de  Dieu. 

Elle-même  s'exprime  ainsi  sur  ce  sujet  :  «  Les  con- 
naissances que  Notre- Seigneur  m'a  données  sur  l'Ecri- 
ture sainte  ne  me  sont  pas  venues  en  la  lisant,  mais  dans 
l'oraison.  L'Esprit-Saint  me  fournit  dans  les  occasions 
ce  qu'il  lui  plaît  pour  mes  besoins  ;  ce  que  j'expérimente 
soit  en  psalmodiant,  soit  en  priant,  soit  enfin  en  lisant 
l'Ecriture  sainte  pour  accomplir  l'article  de  la  règle  qui 
prescrit  de  faire  une  lecture  spirituelle  :  car  il  est  rare 
que  je  la  fasse  ailleurs.  Le  sens  m'en  est  découvert 
et  je  sens  pulluler  en  mon  esprit  une  suite  de  passages 
de  cette  même  Ecriture,  dont  j'ai  une  telle  intelligence 
qu'il  me  semble  qu'on  me  prêche  et  qu'on  me  dit  les 
secrets  qui  y  sont  cachés.  » 

En  effet,  quand  on  lit  son  École  sainte,  on  est  étonné 
de  la  multitude  des  textes  qu'elle  cite  et  de  l'à-propos 
avec  lequel  elle  les  emploie. 


Les  plus  grandes  faveurs  accordées  par  Dieu  aux 
âmes  qu'il  aime  et  ses  plus  enivrantes  consolations 
sont  toujours  le  prélude  de  terrifiantes  épreuves,  car 
il  doit  être  vrai  pour  tous  que  la  vie  présente  est  une 
vallée  de  larmes  et  que  nul  ne  peut  arriver  au  ciel 
par  une  voie  autre  que  celle  de  la  croix.  Cela  est  vrai, 
surtout  pour  les  âmes  privilégiées  :  or,  la  Mère  Marie 


124  MARIE    DE    l'incarnation. 

de  l'Incarnation  étant  de  ce  nombre,  ses  épreuves  ont 
dû  être  d'autant  plus  amères  qu'elle  recevait  parfois 
de  plus  douces  consolations.  Aussi,  après  ces  jours  si 
radieux,  vinrent  des  nuits  sombres  comme  le  chaos; 
après  ces  joies  du  ciel,  des  douleurs  presque  égales  à 
celles  de  l'enfer  se  multiplièrent  pour  la  torturer.  En 
arrêtant  ce  torrent  de  grâces  sensibles  et  de  délices 
spirituelles,  Dieu  voulut  faire  comprendre  à  sa  ser- 
vante qu'il  était  nécessaire  de  donner  à  sa  vertu  le 
perfectionnement  que  l'infirmité  et  les  épreuves  peuvent 
seules  procurer  aux  âmes  choisies. 

On  va  donc  la  voir  abandonnée  à  la  violence,  non 
d'une  tentation,  dit  Claude  Martin,  mais  de  toutes. 
-  Les  pensées  contre  la  foi,  les  impressions  de  blas- 
phème, de  mépris  de  Dieu,  de  lâcheté,  de  dégoût  des 
choses  saintes,  d'aversion  du  prochain,  d'impureté, 
d'orgueil,  de  désespoir,  vont  se  succéder  sans  inter- 
mission, et  quelquefois  toutes  ces  tentations  vont  l'as- 
saillir à  la  fois. 

"  Pour  comble  d'affliction,  Dieu  lui  ôta  le  P.  Raymond 
de  saint  Bernard,  qui  fut  appelé  à  Feuillant,  berceau 
de  la  réforme,  pour  y  être  supérieur,  et  il  lui  donna 
un  autre  directeur  qui  ne  fit  qu'appesantir  ses  croix, 
tantôt  par  des  mortifications  intempestives,  tantôt  en 
voulant  lui  faire  croire  que  mal  conduite  jusque-là, 
elle  avait  vécu  dans  une  illusion  complète.  Il  voulut 
lui  persuader  qu'elle  ne  devait  pas  prendre  l'habit 
religieux  avant  un  an. 

»  Par  là,  dit-elle,  il  me  semblait  avoir  l'intention  de 
me  préparer  de  loin  à  sortir  du  couvent;  mais  je  sentais 
en  moi  d'autres  mouvements,  et  je  voyais  clairement 
que  Notre-Seigneur  voulait  que  je  fusse  religieuse. 
En  conséquence,  je  consentais  de  nouveau  à  souffrir. 


CHAPITRE    V.  125 

Notre  révérende  Mère  ne  laissa  pas  -sje  me  donner  le 
saint  habit,  par  lequel  je  me  sentis  entièrement  fortifiée 
et  passionnée  pour  souffrir. 

"  Me  voilà  donc  dans  un  abandon  intérieur,  comme 
si  je  fusse  tombée  d'une  haute  montagne  dans  un 
abîme  de  misère.  L'oraison  m'était  un  tourment,  y 
étant  assaillie  de  toutes  sortes  d'abominations.  Les 
choses  que  je  n'avais  jamais  aimées  dans  le  monde, 
et  celles  auxquelles  j'avais  renoncé  il  y  avait  plus  de 
seize  ans,  me  revenaient  à  l'esprit  ;  il  me  semblait  que 
je  voulais  le  mal  et  que  la  maison  de  Dieu  était  la 
cause  de  ce  martyre,  puisque  dans  le  monde  je  vivais 
dans  un  si  grand  recueillement.  Il  me  prenait  de  si 
grandes  angoisses,  que  pour  ne  pas  les  laisser  paraître, 
j'étais  contrainte  de  demander  la  permission  de  me 
retirer  de  la  compagnie  de  mes  soeurs.  Je  souffrais 
partout  jour  et  nuit  et  je  croyais  qu'il  n'y  avait  plus 
pour  moi  de  faveurs  divines. 

»  Quand  Notre-Seigneur  me  donnait  un  peu  de  trêve, 
je  demeurais  confuse  en  sa  présence,  lui  disant  :  «  Mon 
cher  Amour,  je  ne  suis  pas  lasse  de  soj.iffrir;  non,  je  ne 
suis  pas  lasse.  »  Après  cela  je  retournais  à  ma  croix,  où 
j'étais  plus  attachée  qu'auparavant,  plus  dans  l'obscu- 
rité, plus  combattue.  Il  se  présentait  à  mon  imagination 
des  saletés  horribles  qui  me  faisaient  trembler.  Il  me 
venait  des  pensées  de  blasphème  contre  Dieu  et  contre 
la  sainte  Vierge.... 

«  Mon  confesseur  ne  faisait  qu'augmenter  mes  peines, 
car  quand  je  lui  exposais  mes  angoisses,  il  me  disait 
pour  toute  réponse  que  je  n'étais  pas  assez  mortifiée, 
que  j'avais  été  mal  dirigée,  que  je  n'avais  aucune  vertu, 
et  que  telle  était  la  cause  de  mes  souffrances.  Si  je  lui 
parlais  des  rares  consolations  et  de  quelques  grâces 


126  MARIE    DE    l'incarnation. 

extraordinaires  f^ue  je  recevais  par  intervalles,  il  se 
moquait  de  tout  cela  et  me  demandait  si  je  ne  pensais 
point  faire  des  miracles  un  de  ces  jours.  Après  cela  il 
était  quelquefois  trois  mois  sans  me  parler.  « 

La  Mère  de  l'Incarnation  excuse  son  confesseur  en 
rejetant  sur  elle-même  la  cause  de  cette  conduite;  mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  exposait  sa  pénitente 
à  tomber  dans  le  désespoir,  si  elle  eût  été  moins  sainte 
et  moins  digne  de  l'intérêt  tout  particulier  dont  il 
afifectait  de  lui  refuser  les  marques.  Le  seul  moyen 
de  l'excuser  est  de  dire  que  Dieu  permettait  cette 
manière  d'agir  contraire  à  toutes  les  règles  de  la  pru- 
dence et  du  vrai  zèle,  afin  d'éprouver  davantage  sa 
servante  et  de  la  faire  arriver  à  un  plus  haut  degré 
de  vertu. 


Toutes  ces  épreuves,  que  nous  avons  été  forcé  de 
montrer  seulement  en  abrégé,  ne  servirent  qu'à  faire 
croître  dans  la  Mère  de  l'Incarnation,  l'humilité,  l'amour 
des  souffrances,  l'union  avec  Notre-Seigneur  et  la  con- 
formité à  sa  sainte  volonté.  «  Je  me  conformais,  dit- 
elle,  à  la  volonté  de  mon  Époux,  dont  je  voulais  chérir 
les  dispositions  aux  dépens  de  toutes  les  douleurs  qu'il 
eût  voulu  m'imposer.  Qui  verrait  une  âme  en  cet  état, 
pleurerait  de  compassion.  Qu'on  se  la  figure  surtout 
^  quand  elle  considère  son  Époux  si  pur  et  si  parfait, 
tandis  qu'elle  se  voit  elle-même  toute  confuse,  pauvre, 
vile,  abjecte,  et  comme  un  vrai  rien.  En  tout  cela, 
néanmoins,  elle  comprend  que  son  bien-aimé  la  laisse 
ainsi  par  amour,  et  c'est  ce  qui  lui  fait  dire  :  Je  suis 
contente  d'être  ainsi,  ô  mon  cher  Amour,  oui,  je  suis 
contente  d'être  ainsi.  » 


CHAPITRE    V.  127 

De  pareilles  tribulations,  qui  commencèrent  peu  de 
temps  après  son  entrée  au  couvent  et  durèrent  jus- 
qu'après sa  profession,  étaient  de  nature  à  en  décou- 
rager cent  autres;  Marie  de  l'Incarnation  demeura 
inébranlable.  Cependant,  vers  la  fin  de  son  noviciat, 
un  nouvel  orage  éclata.  Des  plaintes  qu'on  lui  fit 
touchant  la  conduite  de  son  fils  au  collège  de  Rennes, 
vinrent  lui  donner  les  plus  grandes  inquiétudes  qu'elle 
eût  peut-être  ressenties  à  son  sujet.  Voici  comment 
lui-même  raconte  l'affaire,  ou  plutôt  la  manière  dont 
on  la  présenta  à  sa  mère. 

«  Cet  enfant,  dont  le  recteur  du  collège  avait  jusque- 
là  rendu  de  bons  témoignages,  se  laissa  tout  à  coup 
entraîner  par  d'autres  élèves  de  son  âge;  il  ne  voulait 
plus  travailler  et  montrait  de  si  mauvaises  dispositions 
que  l'on  se  crut  un  moment  dans  la  nécessité  de  le 
renvoyer.  La  pauvre  mère  fut  accablée  à  cette  nou- 
velle, pensant  que  les  Ursulines.la  renverraient  elle- 
même  pour  qu'elle  prît  soin  de  son  fils  s'il  était  renvoyé, 
comme  il  le  fut  en  effet.  « 

L'humble  religieux  passe  condamnation  sur  ce  renvoi 
que  l'on  crut  avoir  été  occasionné  par  sa  mauvaise 
conduite;  mais  son  biographe,  le  Père  Martène,  expli- 
que le  fait  autrement  et  d'une  manière  bien  plus 
vraisemblable. 

«  Le  maître  du  collège,  dit-il,  voulut  le  renvoyer, 
sous  prétexte  qu'il  ne  voulait  pas  étudier,  quoique 
auparavant  le  R.  P.  Recteur  eût  écrit  à  sa  mère  que 
l'on  en  était  très-satisfait  et  qu'il  était  un  sujet  d'édi- 
fication. Il  y  a  bien  de  l'apparence  que  ce  maître, 
sachant  que  les  parents  étaient  riches,  qu'ils  avaient 
promis  d'avoir  soin  de  l'enfant  et  qu'ils  étaient  en  état 
de   payer  sa  pension,   crut  qu'il  valait   mieux  mettre 


128  MARIE    DE    l'incarnation. 

à  sa  place  quelque  écolier  plus  pauvre  que  lui  :  ce 
qu'on  ne  peut  attribuer  qu'à  une  insigne  charité.  y> 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  jeune  Martin  revint  à  Tours,  et, 
quelque  temps  après,  il  fut  envoyé  au  collège  des 
Jésuites  à  Orléans,  où  le  Père  de  la  Haye  voulut 
l'avoir.  «  Ses  parents  et  une  personne  de  qualité  payè- 
rent sa  pension;  et  il  fut  toujours  si  bien  entretenu 
qu'il  n'y  avait  point  d'enfant  dans  la  ville  de  Tours 
qui  ÎVii  mieux  mis  et  mieux  entretenu  que  lui.'  » 


La  pieuse  mère  fut  ainsi  délivrée  de  ce  nouvel  obs- 
tacle à  l'accomplissement  de  ses  désirs.  D'un  autre 
côté,  les  religieuses,  ravies  des  admirables  exemples 
de  vertu  qu'elle  leur  donnait,  la  regardaient  comme 
l'un  des  plus  riches  présents  que  le  Ciel  pût  leur  faire  : 
c'est  pourquoi  elles  l'admirent  à  faire  profession.  Cette 
cérémonie  eut  lieu  le  25  janvier  1633,  jour  où  finis- 
saient ses  deux  années  de  noviciat  exigées  par  la  règle. 
Elle  crut  un  instant  que  sa  consécration  solennelle 
avait  mis  fin  à  ses  croix.  Elle  se  sentit  si  heureuse 
qu'elle  semble  ne  pouvoir  trouver  d'expression  propre 
à  exprimer  le  bonheur  qu'elle  commença  à  sentir  dès 
la  veille. 

«  Il  semblait,  dit-elle,  que  toutes  les  impressions  de 
mes  souffrances  fussent  changées  en  des  sentiments 
de  l'amour  le  plus  tendre  que  j'eusse  encore  ressenti. 
Je  disais  :  «  0  mou.  cher  Amour,  quoique  jusqu'à 
présent  j'aie  été  votre  épouse  par  les  vœux  que  j'ai 
faits,  je  vais  l'être  encore  d'une  toute  autre  manière.  »» 
Toutes  les  puissances  de  mon  âme  étaient  tellement 

(1)  \  ie  tle  ClauJe  Alarlin,  par  le  P.  Martène. 


CHAPITRE    V.  129 

plongées  dans  un  océan  d'amour,  qu'elle  n'en  sortait 
non  plus  qu'une  personne  qui  serait  engloutie  au  fond 
de  la  mer.  Je  suppliais  ce  divin  Époux  que  cela  ne 
parût  point  au  dehors,  et  qu'il  me  laissât  libre  pour 
l'action  que  j'allais  faire.  Il  me  l'accorda.  Toutefois, 
pendant  la  cérémonie,  j'eus  beaucoup  de  peine  à  con- 
server toute  l'attention  nécessaire  pour  ne  rien  omettre, 
et  ce  ne  fut  pas  sans  de  grandes  difficultés  que  je  vins 
à  bout  de  lire  et  de  proférer  la  formule  de  mes  vœux. 
Après  l'action,  j'éprouvai  intérieurement  des  choses 
dont  j'ai  encore  le  souvenir  fidèle,  mais  dont  je  ne  puis 
rien  exprimer. 

y>  Dès  que  je  fus  retirée  dans  ma  chambre,  les  assauts 
du  divin  amour  furent  si  pressants  qu'il  fallut  me 
prosterner.  J'étais  si  transportée,  qu'en  marchant  par 
la  maison  il  me  semblait  que  tout  fût  mort  pour  moi. 
Je  ne  pouvais  entendre  ni  comprendre  que  mon  Époux. 

»  Le  lendemain  de  ma  profession,  étant  prosternée 
devant  mon  oratoire,  je  sentis  mon  cœur  s'élargir  dans 
un  entretien  avec  mon  Époux  sur  la  grande  miséri- 
corde qu'il  m'avait  faite.  Ce  fut  alors  qu'il  me  donna 
à  entendre  avec  une  très-grande  clarté  qu'il  voulait 
que  désormais  je  volasse  continuellement  à  lui ,  à 
l'imitation  de  ces  esprits  suprêmes  qui  sont  les  plus 
proches  de  lui,  qui  le  connaissent,  l'aiment  et  sont 
comme  la  demeure  de  sa  divine  Majesté.  Ces  paroles 
me  donnèrent  un  courage  nouveau,  et  je  voyais  le 
chemin  de  l'amour  si  aplani  et  toutes  choses  si  faciles, 
que  je  m'offrais  sans  cesse  au  bien- aimé  pour  faire 
et  souffrir  tout  ce  qui  lui  serait  plus  agréable.  » 

Mais  le  bonheur,  même  celui  des  saints,  n'est  jamais 
de  longue  durée  sur  la  terre.  «  Je  ne  fus  pas  huit  jours 
en   cet   état,   dit-elle,    que   me   voilà   replongée   dans 


M.    DE  LINC. 


130  MARIE   DE    l'incarnation. 

l'abîme  de  mes  croix.  Il  me  semblait,  que  toutes  les 
créatures  devaient  m'avoir  en  horreur  à  cause  de  ma 
méchanceté.  Je  croyais  que  toutes  mes  sœurs  voyaient 
mes  fautes  aussi  clairement  que  je  les  voyais  moi- 
même;  et,  dans  cette  pensée,  je  ne  paraissais  devant 
elles  qu'avec  honte  et  confusion.  J'offrais  tout  cela  à 
Notre- Seigneur,  et  j'entendais  une  voix  qui  me  disait  : 
Cherche  encore  à  te  faire  mépriser;  aspire  à  te  plonger 
dans  l'oubli  de  toutes  les  créatures  autant  qu'il  te  sera 
possible.  " 


Voilà ,  dit  Claude  Martin ,  comme  cette  colombe 
expose  les  douleurs  de  son  cœur  en  attendant  les  con- 
solations de  son  Époux.  Sa  supérieure,  qui  connaissait 
toutes  ses  peines  et  qui  savait  surtout  combien  elle 
avait  à  souffrir  de  la  part  du  confesseur,  admirait  la 
grande  vertu  qui  lui  faisait  tout  endurer  avec  résigna- 
tion; mais  elle  n'en  était  pas  pour  cela  moins  touchée 
de  compassion,  ni  moins  désireuse  de  lui  procurer  du 
soulagement.  C'est  pourquoi  un  jésuite  de  grand  mérite, 
le  Père  George  de  la  Haye,  étant  alors  à  Tours,  où  il 
avait  prêché  l'Avent  et  devait  ensuite  prêcher  le 
Carême,  elle  lui  proposa  de  le  voir  et  de  lui  ouvrir 
son  âme.  La  servante  de  Dieu  avait  eu  cette  pensée, 
même  avant  sa  profession.  Ayant  entendu  ce  Père  qui 
était  venu  donner  des  instructions  à  la  communauté, 
elle  avait  conçu  un  grand  désir  de  lui  faire  connaître 
son  état;  mais  elle  n'en  avait  pas  ouvert  la  bouche, 
dans  la  crainte  de  céder  à  un  sentiment  de  recherche 
d'elle-même.  Quand  la  supérieure  lui  en  eut  fait  la 
proposition,  elle  ne  craignit  plus  rien;  elle  vit  là, 
au  contraire,  une  attention  délicate  de  Notre-Seigneur 


CHAPITRE    V.  131 

• 

à  soD  égard.  Elle  s'ouvrit  donc  à  ce  bon  religieux  avec 
.  un  entier  abandon,  lui  faisant  connaître  toute  la  con- 
duite de  Dieu  sur  elle,  les  grâces  qu'elle  avait  reçues, 
les  épreuves  par  où  elle  avait  passé,  en  un  mot  tout 
ce  qui  lui  était  arrivé  dans  sa  vie. 

Le  Père  de  la  Haye  fut  extrêmement  frappé  de  ce 
compte-rendu,  et,  sous  prétexte  d'examiner  la  chose 
plus  mûrement  avant  de  lui  répondre,  il  l'obligea  à  lui 
donner  le  tout  par  écrit.  Elle  n'y  consentit  qu'après 
avoir  obtenu  la  permission  de  sa  supérieure,  et  à 
condition  qu'elle  mettrait  également  tous  ses  péchés 
par  écrit,  afin  que  le  Père  connût  sa  perversité  et  qu'il 
pût  porter  son  jugement  avec  une  plus  parfaite  con- 
naissance de  cause.  Elle  reçut,  en  cette  circonstance, 
une  lumière  extraordinaire  de  la  grâce  pour  se  con- 
former au  désir  de  son  nouveau  directeur.  Voici  comme 
elle  le  raconta  plus  tard  à  son  fils. 

«  Le  jour  du  Vendredi-Saint,  lorsque  je  pensais  me 
mettre  à  mon  ouvrage,  je  reçus  une  telle  grâce  de 
recueillement  intérieur,  que  je  ne  pouvais  m'appliquer 
qu'à  Dieu  seul.  Alors  toutes  les  miséricordes  qu'il 
m'avait  faites,  furent  présentes  à  mon  esprit  avec  une 
grande  clarté.  Je  fus  inspirée  d'obéir  à  l'ordre  qui 
m'avait  été  donné.  J'étais  contente,  puisqu'il  m'était 
permis  d'écrire  tous  mes  péchés,  afin  que  l'on  pût  voir 
s'ils  étaient  compatibles  avec  des  miséricordes  aussi 
grandes,  et  que  l'on  connût  celle  qui  avait  fait  un  si 
mauvais  usage  des  grâces  de  son  Dieu.  Je  fus  même 
contrainte  d'écrire  mes  péchés  le's  premiers,  afin  de  ne 
tromper  personne;  et,  sans  examen,  ils  me  furent 
mis  tout  d'un  coup  devant  les  yeux,  ainsi  que  toutes 
les  grâces  que  j'avais  reçues,  et  que  j'écrivis  à  la  suite. 
Il  me  semblait  que  j'eusse  été  hypocrite  de  dire  le  bien 


132  MARIE    DE    l'incarnation. 

qu'on  désirait  connaître  et  de   taire  le  mal  qui  était 
en  moi.  » 

Elle  n'était  pas  arrivée  toutefois  à  terminer,  ni  même 
à  entreprendre  ce  travail,  sans  de  nouveaux  combats. 
Elle  éprouva  même  un  redoublement  de  tentations  que 
l'on  croirait  à  peine  possible  ;  or  ces  redoutables  épreu- 
ves renferment  des  enseignements  trop  utiles,  surtout 
aux  âmes  afi&igées  de  quelques  croix  de  ce  genre,  pour 
que  nous  ne  mettions  pas  sous  les  yeux  du  lecteur 
le  récit  qu'elle  en  a  laissé. 

«  Toutes  les  faiblesses  qu'une  âme  est  capable  de 
souffrir,  m'assaillirent  à  la  fois.  Je  me  voyais  tomber 
dans  toutes  les  imperfections  dont  je  m'étais  autrefois 
mal  édifiée  quand  j'y  avais  vu  tomber  les  autres  : 
ce  qui  m'humiliait  d'autant  plus  qu'alors  j'avais  été 
étonnée  que  l'on  pût  s'y  laisser  aller.  Je  ne  fus  jamais 
plus  punie  ni  plus  confuse  que  de  m'y  voir  succomber 
à  mon  tour. . 

»  De  là  je  tombai  dans  de  plus  grands  maux.  Je  fus 
tentée  d'orgueil,  la  pensée  me  venant  de  quitter  l'ou- 
vrage dont  l'obéissance  m'avait  chargée  et  d'aller  dire 
à  ma  supérieure  que  Dieu  voulait  de  moi  autre  chose 
que  des  occupations  d'aussi  peu  d'importance.  La  ten- 
tation était  si  violente  que  l'effort  pour  y  résister  me 
rendait  malade  :  car  voyant  avec  évidence  que  c'était 
un  piège  du  démon,  je  n'eusse  voulu  pour  tout  au 
monde  m'y  arrêter,  outre  que  la  vue  de  mes  défauts, 
de  mon  ignorance  et  de  mes  imperfections,  me  donnait 
des  sentiments  tout  cohtraires. 

«  Après  ces  résistances,  la  tentation  recommençait. 
Il  ,se  présentait  à  mon  esprit  un  grand  nombre  de 
perfections  avec  la  persuasion  que  tout  cela  était  en 
moi,  et  je  me  voyais  la  plus  parfaite  de  toutes.  Il  était 


CHAPITRE    V.  133 

facile  de  voir  d'où  cela  venait  :  c'est  pourquoi  tout  se 
dissipait  par  le  mépris  que  j'en  taisais.  Mais  je  sentais 
promptement  de  nouveaux  assauts  pour  m'empêcher 
d'obéir  et  me  faire  quitter  l'ouvrage  qui  m'était  com- 
mandé. Je  ne  me  fis  jamais  tant  de  violence,  n'en 
voulant  toutefois  rien  dire  pour  lors  à  ma  supérieure, 
de  crainte  qu'elle  ne  me  fît  quitter  mon  ouvrage  pour 
me  soulager.  A  force  de  résister,  je  parvins  à  (^cou- 
rager  le  démon  sur  ce  point;  mais  il  dressa  une  autre 
batterie,  troublant  mon  imagination  et  la  remplissant 
de  toutes  sortes  d'infamies,  tant  le  jour  que  la  nuit. 
Si  je  voulais  recourir  à  Dieu,  il  me  venait  à  la  pensée 
que  c'était  une  grande  folie  de  croire  qu'il  y  eût  un 
Dieu,  et  que  tous  les  enseignements  de  la  foi  étaient 
des  chimères  comme  celles  du  Paganisme;  que  toutes 
les  grâces  que  j'avais  cru  m'a  voir  été  faites  n'étaient 
que  des  folies  et  des  illusions  de  la  nature;  que  je 
ferais  mieux  de  ne  pas  continuer  le  récit  qu'on  m'avait 
ordonné  d'en  faire,  et  de  brûler,  au  contraire,  ce  que 
j'avais  déjà  écrit. 

»  Ces  attaques  m'affligeaient  à  un  tel  point  que  toutes 
les  créatures  ensemble  n'eussent  pas  été  capables  de 
me  consoler.  Les  pensées  contre  Dieu  m'étaient  plus 
sensibles  que  tout  le  reste.  Avoir  de  tels  sentiments 
'  contre  mon  cher  Amour,  si  bon  pour  moi,  c'est  le  plus 
cruel  martyre  que  l'on  puisse  endurer.  J'étais  en  outre 
persuadée  que  mes  croix  ne  venaient  point  d'une  per- 
mission de  Dieu,  mais  de  ma  misère.  C'était  la  plus 
grande  tentation  de  désespoir  que  j'eusse  jamais  eue. 
A  tout  cela  se  joignit  une  tentation  a'aversion  pour  ma 
supérieure,  que  je  me  figurais  être  la  cause  de  toutes 
mes  peines.  Jusque-là  elle  m'avait  procuré  quelques 
soulagements,  Dieu  voulut  m'ôter  encore  cette  conso- 


134  MARIK    DE    l'incarnation. 

latioû.  J'allai  la  trouver  pour  vaincre  ma  tentation, 
et  je  lui  dis  tout  ce  que  j'avais  tant  contre  elle  que 
contre  les  autres  ;  mais  bien  loin  de  me  soulager,  cela 
augmenta  mes  peines.  Je  regrettais  de  lui  avoir  fait 
cette  ouverture,  pensant  qu'elle  allait  croire  que  tout 
était  volontaire  et,  en  conséquence,  me  mépriser  et 
m'humilier  autant  qu'il  lui  serait  possible.  Plus  je  com- 
battais toutes  ces  pensées,  plus  elles  se  multipliaient; 
quand  j'en  étouffais  une,  il  en  renaissait  une  autre.  » 


Cette  grande  servante  de  Dieu  demeura  ferme  au 
milieu  de  ces  effroyables  tempêtes;  elle  en  sentait  les 
coups,  mais  elle  ne  s'attachait  que  plus  fortement  à  ses 
devoirs,  surtout  à  celui  de  l'obéissance,  qui  renferme 
tous  les  autres.  Elle  continua  donc  d'écrire  le  double 
récit  de  ses  péchés  et  des  grâces  qu'elle  avait  reçues. 
Le  Père  de  la  Haye  ayant  reçu  ces  deux  écrits,  détruisit 
le  premier,  comme  l'on  fait  pour  une  confession,  et  il 
conserva  l'autre.  Avant  de  mourir  il  en  fit  cadeau  aux 
Ursulines  de  Saint-Denis,  qui  le  remirent  plus  tard 
à  Claude  Martin,  quand  elles  eurent  su  qu'il  écrivait 
la  vie  de  sa  mère. 

Le  résultat  de  son  ouverture  de  conscience  fut  pour 
la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  le  retour  à  une  paix 
entière  de  son  âme,  dès  que  le  Père  de  la  Haye  lui  eut 
dit  qu'il  reconnaissait  l'Esprit  de  Dieu  dans  tout  ce  qui 
s'était  passé  en  elle,  et  qu'elle  serait  bien  coupable  si 
jamais  elle  aimait  quelque  autre  chose  que  celur  qui 
l'avait  comblée  de  tant  de  faveurs.  Elle  lui  objecta 
qu'elle  avait  quelque  inquiétude,  parce  que  la  présence 
de  Dieu  lui  était  restée  constamment  au  milieu  de  ses 


CHAPITRE    V.  135 

épreuves,  et  qu'une  pareille  grâce  lui  semblait  incom- 
patible avec  les  troubles  d'imagination  qu'elle  avait 
éprouvés,  et  surtout  avec  les  tentations  impures.  Le 
sage  directeur  la  tranquillisa  encore  sur  ce  point  et 
elle  retrouva  une  parfaite  sérénité. 

Elle  passa  ainsi  tout  le  temps  pascal  jusqu'à  l'Ascen- 
sion ;  puis  tout  d'un  coup  elle  se  trouva  replongée  dans 
ses  plus  grandes  peines.  Mais  cela  ne  dura  pas  et  n'eut 
aucune  suite.  Voici  comment  elle  raconte  la  cessation 
de  cette  nouvelle  épreuve. 

«  Un  soir,  comme  je  me  promenais  par  obéissance 
dans  une  allée  du  jardin,  fortement  unie  à  Dieu,  à  qui 
je  faisais  de  nouvelles  protestations  de  vigilance  sur 
moi-même,  j'eus  un  instinct  très-puissant  de  m'arrêter, 
de  demander  pardon  du  plus  profond  de  mon  cœur  au 
céleste  Époux  et  de  lui  promettre  une  éternelle  fidélité. 
Au  même  instant,  toutes  mes  croix  et  mes  peines  inté- 
rieures s'évanouirent;  j'étais  comme  si  je  n'avais  rien 
éprouvé  de  tout  cela,  sentant  même  un  grand  accrois- 
sement ÔG  paix  intérieure.  » 

Toutes  les  âmes  que  Dieu  a  élevées  à  une  haute 
sainteté  ont  passé  par  ces  alternatives  de  consolations 
et  de  peines  intérieures,  de  joies  et  de  douleurs.  Ce 
sont  comme  des  jours  et  des  nuits,  des  printemps 
agréables  et  des  hivers  rigoureux,  des  travaux  pénibles 
et  des  moments  de  repos  qui  se  succèdent,  en  atten- 
dant la  bienheureuse  éternité  où  brille  un  jour  sans 
déclin,  où  le  printemps,  le  repos,  la  joie,  le  bonheur 
sans  mélange  ne  finiront  jamais.  Les  vicissitudes  d'ici- 
bas  nous  font  comprendre  que  nous  ne  sommes  pas 
dans  une  demeure  stable.  Comme  rien  de  ce  qui  nous 
arrive  n'est  durable,  rien  ne  doit  nous  attacher  ni  nous 
décourager.   La   rapidité    avec    laquelle  nous   voyons 


136       -  MARIE    DE    l'incarnation. 

disparaître  la  jeunesse,  la  santé,  souvent  la  fortune 
et  la  vie  elle  même,  nous  procure  un  haut  et  salutaire 
enseignement;  mais  rien  n'éclaire  et  ne  fortifie  les 
âmes,  surtout  celles  des  saints,  comme  les  croix.  «  Dans 
toutes  mes  croix,  dit  la  Mère  Marie,  je  reconnais  le 
grand  amour  que  Notre-Seigneur  me  porte;  je  vois 
combien  elles  me  sont  utiles  et  à  quel  point  je  dois  les 
chérir  :  car  c'est  par  ce  moyen  que  ce  divin  Sauveur 
me  fait  connaître  ce  qu'il  y  a  en  moi  de  défectueux  et 
de  contraire  à  son  amour.  C'est  le  profit  que  j'en  retire, 
comme  aussi  de  mourir  à  mes  sentiments  et  de  me 
défaire,  à  quelque  prix  que  ce  soit,  de  tout  ce  qui  peut 
me  retarder  dans  ma  course.  Quand  je  vois  ma  nature 
mortifiée  et  privée  de  ce  qu'elle  aime,  c'est  alors  que 
mon  âme  est  satisfaite.  Je  prie  de  nouveau  Notre- 
Seigneur  de  me  traiter  avec  rigueur,  et  de  m'amener 
à  n'avoir  de  vie  et  de  sentiments  que  pour  lui.  Je  vois 
si  bien  alors  la  nécessité  de  ce  détachement  et  l'impos- 
sibilité d'y  arriver  par  une  autre  voie  que  celle  de  la 
croix,  que  si  l'on  me  donnait  à  choisir,  ou  les  plus 
grandes  consolations  spirituelles,  ou  toutes  les  croix 
qui  ont  pesé  sur  moi,  je  prendrais  celles-ci  avec  amour, 
bien  qu'elles  aient  été  très-nombreuses  et  tellement 
amères  qu'il  m'a  été  impossible  de  faire  connaître  la 
tnillième  partie  de  cette  amertume,  faute  d'expressions 
pour  rendre  ma  pensée.  » 

Au  milieu  de  toutes  ces  épreuves,  la  vertu,  l'intel- 
ligence, la  solidité  du  jugement,  toutes  les  qualités 
d'un  esprit  supérieur  éclataient  dans  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  au  point  que  personne  ne  pouvait  s'y 
tromper.  On  remarquait  surtout  sa  science  des  choses 
spirituelles  et  son  adresse  à  porter  les  âmes  à  la  vertu. 
On  comprenait  que  nulle  autre  dans  la  maison  n'était 


CHAPITRE    V.  137 

ausvsi  capable  de  diriger  les  novices  et  les  jeunes  pro- 
fesses; mais  la  Règle  s'opposait  à  ce  qu'elle  pût  être 
à  la  tête  d'un  office  avant  d'avoir  au  moins  quatre  ans 
de  profession:  c'est  pourquoi  l'on  prit  un  détour  et  on 
la  nomma  sous-maîtresse  des  novices  et  des  jeunes 
professes,  qui  étaient  en  tout  au  nombre  de  trente  envi- 
ron, et  on  la  chargea  de  leur  donner  des  instructions. 

«  Elle  s'acquittait  de  ce  devoir,  dit  Claude  Martin, 
avec  un  zèle  qui  mettait  la  ferveur  dans  toute  la 
maison,  car  encore  que  son  office  fût  seulement  d'ins- 
truire les  novices  et  les  jeunes  religieuses,  un  certain 
nombre  d'anciennes  se  montraient  empressées  pour 
l'entendre  et  se  pénétrer  de  son  esprit.  » 


On  a  trouvé  parmi  les  papiers  de  la  servante  de  Dieu 
plusieurs  maximes  qu'elle  inculquait  à  ses  novices  pour 
leur  servir  de  règles  de  conduite;  elles  font  voir  com- 
bien il  y  avait  chez  elle  de  solidité  et  de  justesse  dans 
les  idées,  d'esprit  pratique  et  de  vraie  habileté  dans 
l'art  de  donner  à  l'âme  humaine  la  beauté,  la  grandeur, 
la  vertu  solide,  en  un  mot  tout  le  perfectionnement 
dont  elle  est  capable  ici-bas.  Nulle  sagesse  philosophi- 
que, pas  même  celle  des  Socrate  et  des  Platon,  ne 
soutiendrait  la  comparaison  avec  les  sentences  de  cette 
humble  et  modeste  religieuse  du  XVIP  siècle.  Rien 
ne  saurait  mieux  peindre  son  esprit  que  ces  maximes. 

I.  Il  faut  tous  les  jours  commencer  à  aimer  Dieu 
et  croire  aujourd'hui  qu'hier  on  ne  l'aimait  pas  véri- 
tablement :  car  en  ce  saint  exercice  on  ne  doit  regarder 
comme  parfait  que  ce  que  l'on  a  devant  soi  ;  ce  qui  ,est 
passé  doit  être  jugé  défectueux. 


138  MARIE   DE   l'incarnation. 

II.  L'on  peut  excéder  dans  le  désir  de  cannaître, 
mais  non  dans  le  désir  d'aimer.^ 

III.  Mon  esprit  ne  peut  concevoir  comment  une 
lumière  peut  demeurer  dans  l'entendement  sans  que  la 
volonté  soit  captivée;  parce  que  Dieu  est  un  objet  si 
aimable,  si  gracieux  et  si  ravissant,  qu'il  lui  faut  céder 
dès  qu'il  paraît. 

IV.  Plus  l'âme  s'approche  de  Dieu,  plus  elle  connaît 
son  propre  néant.  Si  elle  est  dans  un  très-haut  degré 
d'amour,  elle  s'humilie  davantage,  selon  cette  parole 
de  Notre-Seigneur  :  Celui  qui  s  humilie  sera  exalté;  et 
cette  autre  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble 
de  cœur,  et  vous  trouverez  le  repos  de  vos  âmes. 

V.  La  pureté  de  l'âme  est  une  disposition  essentielle 
pour  s'unir  à  Dieu  :  car  comme  la  mer  ne  peut  rien 
soufifrir  d'impur,  ainsi  Dieu,  qui  est  un  océan  infini  de 
toute  perfection,  rejette  les  âmes  mortes  et  n'admet 
que  celles  qui  lui  sont  semblables  en  pureté. 

VI.  Je  ne  puis  m'imaginer  comment  une  âme  reli- 
gieuse, qui  a  la  divinité  au  dedans  d'elle-même,  peut 
chercher  sa  satisfaction  dans  les  créatures. 

VII.  Quand  un  cœur  est  navré  (blessé),  il  aime 
partout,  pourvu  qu'il  entretienne  les  plaies  de  l'amour , 
et  qu'il  ne  les  referme  pas  par  de  misérables  médica- 
ments, c'est-à-dire  par  les  fausses  raisons  de  l'amour- 
propre. 

VIII.  Une  âme  que  Dieu  appelle  à  une  vie  continuelle 
de  l'esprit,  doit  se  résoudre  à  passer  par  beaucoup  de 
morts  avant  d'arriver  au  terme.  Cela  n'est  pas  imagi- 
nable, et  qui  n'y  aurait  passé  aurait  de  la  peine  à 
le   croire,  aussi  bien  qu'à  se  figurer  l'abandon   avec 

(1)  Saint  François  de  Sales  a  dit  d'une  manière  plus  absolue,   mais  peut-être 
moins  claire  :  »  11  n'y  a  que  dans  le  désir  d'aimer  qu'on  ne  peut  excéder.  >• 


CHAPITRE   V.  139 

lequel  l'âme  doit  se  laisser  conduire  où  Dieu  la  veut 
mener. 

IX.  Je  m'étonne  qu'une  âme  ne  soit  pas  toujours 
contente,  croyant  et  sachant  qu'elle  a  Dieu  pour  Père. 
C'est  que  l'on  se  replie  trop  sur  soi-même. 

X.  Il  n'y  a  point  de  chemin  plus  court  pour  parvenir 
à  la  perfection  de  la  vie  intérieure,  que  le  retranche- 
ment universel  des  réflexions,  non-seulement  sur  tout 
ce  qui  peut  donner  de  la  peine,  mais  encore  surtout  ce 
qui  ne  porte  point  à  Dieu  ni  à  la  pratique  de  la  vertu. 

XI.  II  importe  beaucoup  que  par  notre  propre  expé- 
rience nous  ressentions  des  faiblesses,  afin  que  les 
portant  en  nous,  nous  en  soyons  humiliés  et  que  nous 
ayons  de  la  compassion  pour  les  autres.  Mes  tentations 
ont  été  pour  moi  des  instructions  ;  j'ai  ainsi  appris  à 
gouverner  les  autres. 

XII.  Il  n'est  pas  possible  de  vivre  longtemps  dans 
la  vie  spirituelle,  sans  passer  par  de  grandes  épreuves. 

XIII.  Les  afflictions  ne  nous  arrivent  point  par 
hasard;  ce  sont  des  grâces  providentielles  pour  nous 
détacher  des  créatures  et  nous  unir  à  Dieu. 

XIV.  Je  ne  sais  comment  on  peut  s'aigrir  dans  les 
accidents  fâcheux,  puisque,  venant  par  l'ordre  de  la 
divine  Providence,  tout  nous  doit  être  également 
aimable. 

XV.  Avoir  de  la  résignation  dans  les  souffrances 
est  une  marque  que  l'on  est  proche  de  Dieu  et  de  ses 
miséricordes. 

XVI.  Dans  les  infirmités  que  Dieu  nous  envoie,  nous 
ne  devons  rien  désirer,  sinon  qu'elles  ne  nous  empê- 
chent point  de  le  servir.   Quant  aux  souffrances  qui' 
y  sont  attachées,  c'est  un  présent  qu'il  nous  fait  et  que 
nous  devons  chérir. 


\ 


140  MARIE    DE    l'incarnation. 

XVII.  La  mortification  et  l'oraison  sont  deux  sœurs 
jumelles  qui  ne  se  doivent  point  quitter  :  si  l'une  cesse, 
l'autre  périt. 

XVIII.  Plusieurs  désirent  et  s'efforcent  d'acquérir 
le  don  d'oraison,  et  ils  ne  désirent  ni  ne  s'efforcent 
d'avoir  l'humilité  et  la  vraie  abnégation  :  sans  cela, 
néanmoins,  il  n'y  a  point  de  vraie  oraison. 

XIX.  L'âme  curieuse  des  choses  du  monde  n'a  point 
l'esprit  de  Dieu. 

XX.  Le  royaume  de  la  paix  s'établit  dans  un  cœur 
détaché  de  tout,  et  qui,  par  une  sainte  haine  de  soi- 
même,  se  plaît  à  détruire  les  restes  de  la  nature 
corrompue. 

XXI.  L'obéissance  est  le  passe-port  de  tout,  pourvu 
qu'on  ait  l'intention  droijte. 

XXII.  C'est  un  de  mes  étonnemonts  et  une  chose 
que  je  ne  puis  comprendre,  qu'une  âme  religieuse  qui 
veut  aimer  Dieu  et  être  aimée  de  lui,  ne  soit  pas  obéis- 
sante et  qu'elle  ait  de  la  peine  à  se  soumettre. 

XXIII.  Pour  agir  avec  douceur  et  tranquilité,  il  faut 
se  dire  que  l'empressement  à  achever  une  chose  pour 
en  commencer  plus  vite  une  autre,  fait  que  toutes  les 
deux  sont  imparfaites. 

XXIV.  La  candeur  d'une  âme  soumise  émousse  la 
pointe  de  la  curiosité.  Car  comme  la  foi  borne  notre 
curiosité  et  qu'il  n'y  a  plus  de  questions  à  faire  après 
qu'on  nous  a  dit  que  Dieu  a  parlé,  ainsi,  dans  la  direc- 
tion, la  candeur  et  la  simplicité  avec  laquelle  on 
acquiesce  aux  lumières  d'un  directeur  que  l'on  sait 
avoir  l'expérience  des  choses  que  l'on  soumet  à  son 
jugement'  fait  que  l'esprit  demeure- en  repos. 

(1)  Cette  remarque  est  tout  iV  fait  selon  l'Esprit  de  Dieu  et  en  même  temps 
d'une  grande  importance,  car  bien  des  âmes  sont  dévoyées  parce  qu'elles  écoutent 


CHAPITRE    V.  141 

XXV.  Encore  que  l'Esprit  de  Dieu  se  trouve  dans 
toutes  les  bonnes  œuvres  faites  par  le  mouvement  de 
la  grâce,  il  reluit  néanmoins  d'une  manière  bien  plus 
pure  dans  les  observances  religieuses;  car,  quelque 
sainte  que  soit  une  action,  l'on  a  souvent  sujet  de 
douter  si  Dieu  veut  qu'on  la  fasse;  mais  on  ne  peut 
douter  qu'il  ne  veuille  qu'un  religieux  pratique  sa  règle. 
De  plus,  dans  les  bonnes  actions  que  nous  faisons  par 
notre  choix,  il  y  a  un  mouvement  de  notre  volonté,  et 
par  conséquent  moins  de  l'Esprit  de  Dieu  ;  mais  dans  la 
pratique  des  règles,  Dieu  nous  ôtant  la  liberté  de  choisir 
nos  pratiques  nous  détermine  lui-même  à  ce  qu'il 
demande  de  nous  ;  d'où  il  suit  que  son  esprit  s'y  trouve 
sans  mélange,  puisqu'il  n'y  a  rien  de  notre  part  que 
le  simple  acquiescement  de  notre  volonté  à  la  sienne. 

Outre  les  instructions  verbales  et  en  grande  partie 
improvisées  qu'elle  donnait  aux  novices,  elle  avait 
composé  pour  elles  un  catéchisme  qui  est  peut-être, 
dit  le  P.  Charlevoix,  le  meilleur  que  nous  ayons  en 
notre  langue.  On  l'a  donné  au  public  sous  le  nom  de 
l'Ecole  sainte.  «  On  peut  assurer,  ajoute  le  même  auteur, 
qu'il  n'en  est  point  où  les  choses  soient  expliquées  avec 
plus  d'ordre,  de  précision  et  de  netteté,  et  que  le  choix 
et  l'application  des  passages  de  l'Ecriture  font  bien  voir 
que  la  Mère  de  l'Incarnation  a  été  l'une  des  personnes 
de  son  siècle  qui  ont  le  mieux  possédé  les  livres  saints. 
Ceux   qui  ne  cherchent  dans  la  lecture  de  ces  sortes 

le  premier  directeur  venu.  D'un  autre  côté,  la  vogue  et  la  réputation  sont  souvent 
des  indices  trompeurs.  Pour  avoir  le  directeur  qui  nous  convient,  il  faut  prier 
beaucoup  ;  puis  se  conduire  uniquement  par  des  motifs  surnaturels  quand  le 
moment  est  venu  de  le  choisir.  On  doit,  entre  autres  choses,  s'assurer  qu'il  est 
éclairé,  et  qu'il  a,  comme  le  veut  notre  vénérable  Mère,  l'expérience  des  choses 
que  l'on  devra  soumettre  à  son  jugement. 


142  MARIE    DE    l'incarnation. 

d'ouvrages  qu'à  s'instruire  de  leur  religion,  n'en  sau- 
raient trouver  qui  la  leur  enseigne  mieux  que  celui-ci/  » 
C'est  pendant  qu'elle  était  sous-maîtresse  des  novices, 
que  Dieu  lui  fit  pressentir,  par  une  vision  que  nous 
allons  rapporter,  une  mission  plus  importante  à  laquelle 
elle  était  réservée. 


CHAPITRE  VI. 

Vision  du  Canada.  —  Ardeurs  pour  la  conversion  des  infidèles.  —  Acceptation 
de  toutes  les  souffrances  pour  l'obtenir.  —  Révélation  de  la  dévotion  au  Sacré- 
Cœur  de  Jésus,  1635.  —  Dieu  fait  connaître  à  Marie  de  l'Incarnation  que 
c'est  le  Canada  qu'il  lui  a  fait  voir.  —  Extase  d'amour.  —  Paix  dans  les 
contrariétés. 

Bien  peu  de  personnes  peuvent  comprendre,  comme 
il  serait  à  désirer,  l'action  de  Dieu  sur  les  âmes.  Elles 
ne  sont  pas  sans  éprouver  de  temps  à  autre  certaines 
touches  de  la  grâce;  mais  comme  elles  y  font  peu 
d'attention,  ces  impressions  sont  vite  effacées,  oubliées 
même,  et  elles  demeurent  sans  résultat.  De  là  une 
persuasion  qu'il  en  est  ainsi  pour  tout  le  monde,  et 
que  l'action  de  la  divine  Providence  est  toujours  insen- 
sible et  inaperçue.  Il  y  a  en  cela  une  grande  erreur. 
De  même  que  les  rois  de  la  terre  ont  des  confidents 
secrets  auxquels  ils  communiquent  leurs  pensées,  des 
hommes  qu'ils  initient  à  leurs  projets  et  qu'ils  prépa- 
rent pour  en  faire  des  instruments  dans  l'xécution 
de   leurs   entreprises,   de  même   Dieu   se  découvre   à 

(1)  Vie  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  par  le  Père  Charlevoix,  Jésuite. 


CHAPITRE   VI.  143 

certaines  âmes  d'élite  et  il  leur  fait  connaître  les  des- 
seins de  sa  miséricordieuse  sagesse  à  leur  égard.  C'est 
ce  qui  nous  explique  la  vision  suivante  que  raconte 
la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  « 

«  Une  nuit,  après  un  entretien  familier  que  j'avais 
eu  avec  Notre-Seigneur,  je  me  trouvai  dans  un  songe 
avec  une  dame  séculière;  la  prenant  par  la  main,  je 
l'emmenais  avec  moi  à  grands  pas  et  avec  bien  de  la 
fatigue,  parce  que  nous  trouvions  des  obstacles  très- 
difficiles  qui  s'opposaient  à  notre  passage  et  nous 
empêchaient  d'aller  où  nous  voulions  arriver  ;  nous 
ne  connaissions  même  ni  ce  lieu  ni  le  chemin  qui  y 
conduisait.  Je  franchissais  pourtant  tous  ces  obstacles, 
tirant  après  moi  cette  bonne  dame,  et  nous  arrivâmes 
à  une  belle  place,  à  l'entrée  de  laquelle  se  trouvait  un 
homme  vêtu  de  blanc,  avec  les  dehors  sous  lesquels 
on  représente  ordinairement  les  Apôtres.  Sans  parler 
il  me  fit  comprendre  que  c'était  là  le  lieu  où  nous 
devions  aller.  Ce  lieu  était  ravissant,  le  pavé  ressem- 
blait à  du  marbre  blanc  ou  de  l'albâtre,  cimenté  d'un 
beau  rouge.  En  avançant,  je  vis  à  gauche  une  petite 
église  de  marbre  blanc,  d'une  belle  architecture,  et, 
dans  une  espèce  de  siège  placé  sur  le  faîte  de  cette 
église,  la  sainte  Vierge  tenant  son  petit  Jésus  entre 
ses  bras.  On  apercevait  de  là  une  vaste  contrée  pleine 
de  montagnes  et  de  vallées,  où  tout  était  couvert  de 
brouillards  épais,  excepté  une  petite  maison  qui  était 
l'église  de  ce  pays. 

y>  La  sainte  Vierge,  qui  parut  d'abord  aussi  insensible 
que  le  marbre  sur  lequel  elle  était  assise,  regardait  ce 
pays  aussi  digne  de  compassion  qu'il  était  propre  à 
inspirer  l'effroi.  Emportée  par  un  élan  d'amour,  je 
courus  vers  cette  divine  Mère,  étendant  les  bras  vers 


144  MARIE   DE    l'incarnation. 

elle  et  ayant  tout  à  la  fois  le  désir  et  l'espérance  d'ob- 
tenir quelque  grâce.  Elle  regarda  son  bénit  enfant;  il 
me  semblait  que,  sans  parler,  elle  lui  communiquait 
quelque  chose  d'important;  qu'elle  lui  parlait  de  ce 
pays  et  de  moi,  et  qu'elle  avait  quelque  dessein  à  mon 
sujet.  Voyant  qu'elle  parlait  de  moi,  mon  cœur  s'en- 
flammait de  plus  en  plus  ;  alors  elle  me  baisa  par  trois 
fois.  A  ce  moment  mon  âme  ressentit  je  ne  sais  quoi 
de  divin  qui  la  mit  dans  une  paix  et  un  bonheur  inex- 
primables. La  beauté  de  cette  divine  Mère  était  si 
ravissante,  que  l'impression  qu'elle  fit  sur  moi  ne  s'est 
jamais  affaiblie.  Je  me  réveillai  de  mon  sommeil  qui 
était  fort  léger,  et  j'étais  si  transportée  par  l'effet  des 
délicieuses  caresses  de  mon  auguste  Mère,  qu'il  s'en 
fallut  peu  que  je  ne  courusse  par  le  monastère  pour 
le  dire  à  chacune  de  nos  Mères  et  de  nos  Sœurs. 

»  Je  ne  savais  point  alors  pourquoi  j'éprouvais  tout 
cela.  Je  n'avais  nulle  idée  ni  de  cette  grande  contrée 
que  j'avais  vue,  ni  du  lieu  où  m'avait  introduite  celui 
qui  paraissait  en  être  le  gardien.  J'ignorais  pourquoi 
la  sainte  Vierge  m'avait  accordé  de  si  douces  marques 
de  tendresse.  Toutes  ces  choses  étaient  pour  moi  un 
mystère  incompréhensible,  parce  qu'il  n'y  eut  pas  une 
parole  de  dite.  Mais  ce  que  je  ne  pouvais  comprendre 
alors,  me  devint  très-clair  dans  la  suite. 

»  Voici  d'abord  l'effet  que  produisirent  en  mon  âme 
les  baisers  de  la  sainte  Vierge.  J'avais  toujours  eu 
depuis  ma  première  enfance  une  inclination  pour  tra- 
vailler au  salut  des  âmes,  et  ce  fut  là  ce  qui  me  porta 
plus  tard  à  entrer  dans  l'Ordre  des  Ursulines.  Bien 
que  cette  disposition  ait  toujours  fait  des  progrès  en 
moi,  il  n'y  avait  pourtant  rien  en  cela  que  ne  puisse 
éprouver  toute  personne  pieuse  qui  considère  le  travail 


CHAPITRE    VI.  .  145 

du  salut  des  âmes  comme  un  moyen  de  procurer  la 
gloire  de  Dieu;  mais  après  les  baisers  de  la  sainte 
Vierge  et  par  suite  de  l'onction  qu'ils  laissèrent  dans 
mon  âme,  ce  zèle  s'accrut  de  manière  à  mettre  mon 
esprit  comme  hors  de  moi.  Il  volait  par  tout  le  monde 
pour  chercher  les  âmes  rachetées  du  sang  du  Fils  de 
Dieu;  il  accompagnait  partout  les  ouvriers  évangé- 
liques,  auxquels  je  me  joignais  pour  les  aider  à  sauver 
ces  âmes  abandonnées.  A  cet  effet,  je  parlais  avec 
hardiesse  au  Père  céleste  pour  toucher  sa  miséricorde.  » 
La  Mère  Marie  de  l'Incarnation  dit  qu'elle  avait 
trente-quatre  à  trente-cinq  ans  lorsqu'elle  reçut  ces 
impressions  de  zèle  apostolique;  c'était  par  conséquent 
lorsqu'elle  était  chargée  de  la  direction  et  de  l'instruc- 
tion des  novices  ;  mais  avant  cette  époque,  elle  avait 
senti  que  Dieu  avait  sur  elle  des  vues  qu'il  réaliserait 
plus  tard. 


«  Dès  mon  entrée  aux  Ursulines,  dit-elle,  j'eus  le 
pressentiment  que  la  divine  bonté  me  mettait  en  cette 
sainte  maison,  comme  en  dépôt  et  en  un  lieu  de  refuge, 
en  attendant  qu'elle  disposât  de  moi  pour  d'autres 
desseins.  Je  rejetais  cette  pensée,  dans  la  crainte  que 
ce  ne  fût  un  piège  du  démon,  mais  elle  me  revenait 
sans  cesse.  » 

Nous  voyons  là  deux  caractères  qui  rendent  l'action 
de  la  grâce  incontestable  et  font  que  l'illusion  est 
impossible  : 

P  La  Mère  Marie  de  l'Incarnation  se  défie  de  l'idée 
qui  lui  vient  que  Dieu  a  des  vues  extraordinaires  sur 
elle;  tandis  que  les  âmes  qui  sont  le  jouet  de  leur 
orgueil   et  de  la  tentation,    se  complaisent   dans  des 

M.   DE  l'iNC.  10 


146  •  MARIE    DE    l'incarnation. 

imaginations  de  ce  genre,  et  ne  peuvent  consentir  à 
révoquer  en  doute  le  moins  du  monde  leur  prétendue 
destinée  à  de  grandes  choses.  Si  le  confesseur  ou  les 
supérieurs  n'entrent  pas  dans  leurs  vues,  elles  se  per- 
suadent que  le  moment  n'est  pas  venu  et  que  Dieu 
leur  enverra  d'autres  personnes  plus  éclairées.  En 
attendant,  elles  croient  faire  acte  de  grande  vertu  en 
se  résignant  à  être  conduites  par  des  guides  qui  man- 
quent de  lumières. 

2°  Quand  on  est  ainsi  le  jouet  de  l'illusion  et  de 
l'orgueil,  on  montre  ou  au  moins  on  éprouve  du  dédain 
pour  les  devoirs  ordinaires  de  sa  position  ;  on  a  hâte  de 
voir  arriver  le  moment  où  Dieu  nous  emploiera  pour  des 
choses  d'éclat.  La  Mère  de  l'Incarnation,  au  contraire, 
se  livrait  aux  fonctions  qui  lui  étaient  confiées,  comme 
si  elle  n'eût  jamais  dû  en  avoir  d'autres  sur  la  terre. 

Cela  n'empêchait  pas  que  la  grâce  fît  croître  en  elle 
de  jour  en  jour  l'esprit  apostolique,  qui  devait  avoir 
bientôt  de  si  admirables  résultats.  On  en  peut  juger 
par  ces  paroles  toutes  brûlantes  d'un  zèle  dont  Dieu 
seul  peut  embraser  les  âmes. 

«  Mon  corps  était  dans  notre  monastère;  mais  mon 
esprit,  qui  était  lié  à  celui  de  Jésus-Christ,  n'y  pouvait 
demeurer  enfermé.  Il  se  sentait  transporté  dans  les 
Indes,  au  Japon,  en  Amérique,  en  Orient,  en  Occident, 
dans  les  parties  septentrionales  les  plus  inaccessibles, 
en  un  mot  partout  où  il  y  avait  des  âmes  raisonnables. 
Sachant  avec  une  entière  certitude,  d'un  côté,  que  ces 
âmes  appartenaient  à  Jésus-Christ,  qui- les  avait  rache- 
tées de  son  sang  précieux,  de  l'autre,  qu'elles  étaient 
sous  l'empire  des  démons,  j'éprouvais  un  sentiment  de 
jalousie,  je  n'en  pouvais  plus,  je  languissais;  j'embras- 
sais toutes  ces  pauvres  âmes,  je  les  tenais  sur  mon 


CHAPITRE    VI.  147 

sein  ;  je  les  présentais  au  Père  Eternel  en  lui  disant 
qu'il  était  temps  de  faire  justice  à  mon  Epoux,  qu'il 
devait  se  souvenir  de  sa  promesse  de  lui  donner  toutes 
les  nations  en  héritage.  J'ajoutai?  que  ce  divin  Fils 
avait  satisfait  par  l'effusion  de  son  sang  pour  tous  les 
péchés  des  hommes,  et  que  quoiqu'il  fût  mort  pour 
tous,  tous  ne  vivaient  pas  encore;  quil  s'en  fallait  de 
toutes  les  âmes  que  je  lui  présentais,  et  que  je  les  lui 
demandais  toutes  pour  Jésus-Christ,  à  qui  elles  appar- 
tenaient de  droit.  L'Esprit  de  grâce  qui  s'était  emparé 
de  moi,  m'inspirait  cette  hardiesse  et  cette  familiarité 
avec  Dieu,  de  manière  que  rien  ne  m'arrêtait  :  0  Père, 
que  tardez-vous,  puisqu'il  y  a  si  longtemps  que  mon 
bien-aimé  a  répandu  son  sang?  Je  prie  pour  les  intérêts 
de  mon  Epoux  ;  vous  lui  avez  promis  toutes  les  nations, 
vous  tiendrez  votre  parole. 

»  Je  voyais  la  justice  de  mon  côté,  et  l'Esprit  qui 
s'était  emparé  de  moi  me  le  faisait  voir  et  me  faisait 
dire  au  Père  Eternel  :  «  Il  est  juste  que  mon  Epoux 
soit  le  maître.  J'en  sais  assez  pour  le  faire  connaître 
à  toutes  les  nations;  donnez-moi  une  voix  assez  puis- 
sante pour  retentir  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre 
et  dire  au  monde  entier  que  mon  divin  Epoux  est  digne 
de  régner  et  d'être  aimé  de  tous  les  cœurs.  »  Puis,  me 
repliant  sur  moi-même,  je  me  trouvais  en  esprit  parmi 
des  multitudes  d'âmes*  qui,  ne  connaissant  pas  mon 
Epoux,  ne  lui  rendaient  pas  leurs  hommages;  mais  je 
remplissais  ce  devoir  à  leur  place;  je  les  étreignais  et 
les  plongeais  dans  le  sang  de  cet  adorable  Seigneur 
et  Maître.  Pendant  ce  temps,  je  ne  perdais  pas  de  vue 
le  Père  Eternel  à  qui  je  parlais  en  faveur  de  son  Fils 
comme  si  j'eusse  été  son  avocate  chargée  de  lui  faire 
rendre  son  héritage.  » 


148  MARIE    DE    l'incarnation. 

Tous  ces  flots  de  la  grâce  qui  excitaient  comme  une 
tempête  de  zèle  et  d'amour  dans  cette  âme  ardente  nous 
font  connaître  que  l'Esprit-Saint  s'emparait  d'elle  pour 
la  préparer  à  l'œuvre  apostolique  du  Canada,  de  même 
qu'il  s'empara  des  Apôtres  pour  les  préparer  à  évangéli- 
ser  le  monde.  C'était  comme  la  Pentecôte  de  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation ,  et  nous  allons  voir  quels  en 
furent  les  fruits. 

On  pourrait  être  tenté  de  croire  qu'une  âme  aussi 
ardente  et  enflammée  d'un  zèle  aussi  vif  pour  la  gloire 
de  Dieu,  va  se  jeter  avec  impétuosité  dans  des  entre- 
prises hasardeuses;  mais  ce  ne  serait  pas  connaître  la 
manière  dont  l'Esprit-Saint  exerce  son  action;  ce  serait 
ignorer  qu'il  commence  toujours  la  sanctification  des 
âmes  d'élite  en  leur  inspirant  une  profonde  humilité. 

Or  quand  une  âme  est  sous  l'empire  de  la  vraie 
humilité  chrétienne,  de  quelques  lumières  qu'elle  soit 
favorisée,  elle  ne  se  croit  jamais  en  état  de  se  conduire 
elle-même;  et  son  zèle  le  plus  ardent  et  le  plus  pur 
dans  sa  source  est  toujours  accompagné  de  réserve  et 
d'une  certaine  timidité,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  appuyé  sur 
l'approbation  de  ceux  qui  tiennent  la  place  de  Dieu 
à  son  égard.  La  vie  de  tous  les  saints  atteste  cette 
double  vérité,  et  la  conduite  de  la  Mère  Marie  de  l'In- 
carnation lui  rend  un  nouveau  témoignage.  Eclairée 
comme  elle  l'était  sur  le  piix*des  âmes  et  se  sentant 
enflammée  d'une  ardeur  continuelle  pour  travailler  à 
leur  salut,  elle  eût  pu  se  laisser  emporter  par  son 
imagination  et  se  montrer  impatiente  de  satisfaire  ses 
désirs.  Ainsi  fait  le  faux  zèle;  mais  celui  de  la  servante 
de  Dieu  était  l'œuvre  de  l'Esprit-Saint,  et  pour  cette 
raison  il  devait  chercher  l'appui  solide  de  l'obéissance. 

Ses  supérieurs  l'avaient  mise  sous   la  direction  du 


CHAPITRE    VI.  140 

Père  Dinet,  Jésuite  de  Tours,  le  même  probablement 
qui,  quelques  années  auparavant,  avait  aidé  à  la  fon- 
dation des  Ursulines  de  Blois.  Elle  ouvrit  tout  son 
intérieur  à  ce  religieux,  et  elle  lui  fit  particulièrement 
connaître  la  vision  que  nous  avons  racontée,  ainsi  que 
l'ardeur  qu'elle  éprouvait  pour  procurer  le  salut  des 
âmes.  Le  pieux  directeur  crut  que  ses  dispositions, 
ainsi  que  tout  ce  qui  lui  était  arrivé,  étaient  le  résultat 
de  la  grâce,  et  il  ajouta  que  sa  vision  relative  au  pays 
inconnu  où  elle  s'était  vue  transportée,  pourrait  bien 
se  réaliser  dans  la  mission  du  Canada. 

«  Lorsqu'il  me  dit  cela,  ajoute  la  Mère  Marie,  je 
n'avais  jamais  entendu  dire  qu'il  y  eût  un  Canada  dans 
le  monde,  et  ce  que  j'avais  vu  en  esprit  ne  m'en  avait 
donné  aucune  idée.  Je  ne  cherchais  même  pas  à  com- 
prendre ce  qui  m'était  arrivé,  laissant  tout  à  la  volonté 
divine  et  me  contentant  de  m'abandonner  à  l'esprit  qui 
m'excitait  si  fortement  au  sujet  du  salut  des  âmes.  » 

Cet  esprit  apostolique  était  tel ,  nous  dit  Claude 
Martin  d'après  les  lettres  de  sa  mère,  «  qu'elle  s'offrait 
comme  une  victime  prête  à  souffrir  toutes  sortes  de 
supplices,  afin  de  presser  le  Père  Eternel  de  mettre 
son  Epoux  en  possession  d'un  héritage  qui  lui  était  dû 
à  tant  de  titres.  Outre  le  martyre  continuel  qui  résul- 
tait de  l'ardeur  même  de  ce  zèle,  elle  désirait  être 
crucifiée,  déchirée,  brûlée,  tourmentée  pour  une  cause 
qui  lui  paraissait  si  juste.  Et  même  la  cruauté  des 
tyrans  lui  semblant  trop  douce,  et  les  peines  qu'ils 
faisaient  souffrir  aux  martyrs  trop  légères,  elle  soffrait 
pour  souffrir  jusqu'au  jour  du  jugement  universel  les  peines 
de  i' enfer  et  la  cruauté  des  démons,  en  conservant  la  grâce 
et  l'amour  de  Dieu,  pour  obtenir  de  ce  divin  Père  une 
chose  en    comparaison  de   laquelle    aucun    sacrifice, 


150  MARIE    DE    l'incarnation. 

même  l'anéantissement  de  toutes  les  créatures  visibles, 
ne  pouvait  être  mis.  » 

C'est  là  sans  doute,  l'héroïsme  porté  jusqu'où  il  peut 
aller,  et  l'on  est  tenté  de  se  demander  comment  il  est 
possible  que  Dieu,  qui  est  le  maître  de  tout,  et  qui 
formait  lui-même  ces  admirables  sentiments  dans  le 
cœur  de  sa  servante,  ne  les  ait  pas  complètement 
exaucés.  Des  milliers  d'âmes  héroïques,  dans  tous  les 
temps  et  dans  tous  les  lieux  du  monde,  ont  demandé 
la  conversion  de  l'Univers  entier.  Outre  les  Hildegarde, 
les  Catherine  de  Sienne,  les  Thérèse,  les  Angèle  Mérici, 
les  Catherine  Emmerich,  les  Anna  Maria  Taïgi  et  une 
infinité  d'autres,  combien  d'âmes  saintes,  encore  aujour- 
d'hui, ne  cessent  de  supplier  la  miséricorde  divine  de 
convertir  les  pécheurs  et  d'éclairer  tant  de  nations 
hérétiques  ou  infidèles  qui  demeurent  dans  les  ténè- 
bres! Cependant  le  miracle  n'arrive  pas;  il  semble  que 
Dieu  soit  sourd  à  tant  de  cris,  insensible  à  tant  de 
sacrifices. 

Il  y  a  là  un  sujet  de  tentation,  mais  pour  les  faibles 
seulement,  car  il  n'est  pas  bien  difficile  de  pénétrer  la 
pensée  divine.  Nous  la  ferons  connaître  par  un  exem- 
ple. Pourquoi  sainte  Monique,  qui  avait  offert  son  fils 
à  Dieu,  qui  avait  prié  pour  lui  avec  tant  de  pureté 
d'intention  et  de  ferveur,  n'eut-elle  pas  la  consolation 
si  douce  pour  une  mère  de  voir  Augustin  docile  à 
toutes  les  inspirations  de  la  piété,  ou  au  moins  celle 
d'obtenir  sa  prompte  conversion?  C'est  que  Dieu  voulait 
se  servir  des  égarements  du  fils  pour  faire  arriver  la 
mère  à  une  sainteté  éminente.  Que  fût-il  arrivé  si 
Monique  eût  été  exaucée  après  quelques  neuvaines  ou 
quelques  communions?  Peut-être  eût-elle  été  médio- 
crement reconnaissante.   Tout  entière  au  bonheur  de 


CHAPITRE    VI.  151 

voir  son  fils  marcher  dans  les  sentiers  de  la  vertu, 
elle  n'eût  pas  senti  le  besoin  de  prier  sans  cesse,  de 
jeûner,  de  multiplier  ses  aumônjss  et  ses  bonnes 
œuvres,  de  jeter  des  cris  du  cœur  et  déverser  d'abon- 
dantes larmes  ;  Monique  n'eût  été  probablement  qu'une 
chrétienne  ordinaire.  Mais  le  retard  que  Dieu  mit  à 
exaucer  ses  prières,  la  douleur  que  lui  causèrent 
pendant  vingt  ans  les  égarements  de  son  fils,  les 
angoisses  qui  en  furent  le  résultat  pour  son  cœur, 
la  forcèrent,  en  quelque  sorte,  de  devenir  une  grande 
sainte,  et  lui  firent  mériter  pour  Augustin  ces  torrents 
de  grâces  qui  l'ont  rendu  l'admiration  de  tous  les 
siècles. 

Or,  sainte  Monique  peut  être  considérée  comme  une 
image  de  l'Eglise  priant  pour  les  pécheurs,  pour  le 
genre  humain  tout  entier,  dont  elle  a  été  établie  la 
Mère.  Comme  Monique,  plus  l'Eglise  voit  le  mal  se 
multiplier  et  la  grâce  se  faire  attendre,  plus  elle  redou- 
ble d'ardeur  ;  elle  se  sanctifie,  à  l'exemple  du  Sauveur 
lui-même,  pour  obtenir  que  tous  les  hommes  deviennent 
un  jour  des  saints;  ou  plutôt  Jésus-Christ,  qui,  étant 
la  sainteté  infinie,  ne  peut  devenir  plus  saint  en  lui- 
même,  se  sanctifie  dans  son  Eglise;  il  y  suscite  des 
âmes  d'une  vertu  éminente,  et  il  leur  inspire  pour  les 
pécheurs  une  charité  qui  dépasse,  en  quelque  sorte, 
l'héroïsme;  et  quand  la  mesure.de  sainteté  dont  il  veut 
enrichir  cette  Eglise  sera  remplie,  quand  le  nombre 
d'âmes  héroïques  voulu  par  la  sagesse  infinie  sera 
complet,  «  Dieu  enverra  son  Esprit  et  il  y  aura  comme 
une  nouvelle  création  dans  l'ordre  de  la  grâce,  et  la 
face  de  la  terre  sera  renouvelée.  (Ps.  103.  30.)  » 

Certainement  on  peut  dire  que  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation   a   été   une   de  ces  âmes   éminentes  qui 


152  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

agissent  sur  le  cœur  de  Dieu.  Elle  n'a  pas  été  entière- 
ment exaucée  pendant  sa  vie,  mais  elle  le  sera  plus 
tard  :  car,  comme  elle  priait  toujours,  on  peut  dire 
qu'elle  a  quitté  ce  monde  en  priant;  en  sorte  que  sa 
prière  subsiste  encore  et  subsistera  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  exaucée.  C'était  pour  la  rendre  plus  puissante  que 
la  grâce  l'enflammait  sans  cesse  dans  son  cœur  pendant 
qu'elle  était  sur  la  terre. 


«  Mon  occupation  intérieure,  écrivait-elle  à  son  fils, 
se  fortifiait  toujours,   aussi  bien  que  mes   poursuites 
continuelles  auprès  du  Père  Eternel  pour  l'amplifica- 
tion du  royaume  de  Jésus-Christ  dans  toutes  les  pau- 
vres âmes  qui  ne  le  connaissaient  point.  Mais  une  nuit 
que  je  lui  représentais  cette  grande  affaire,  je  connus, 
par  une  lumière  intérieure,  que  sa  divine  Majesté  ne 
m'écoutait  point,  et  qu'elle  ne  se  rendait  pas  propice, 
comme  à  l'ordinaire,  aux  vœux  et  aux  instances  que 
je  lui  faisais.  Cela  me  piqua  le  cœur  d'une  angoisse 
extrême,  accompagnée  d'humiliation.  Je  me  consumais 
à  ses  pieds,  je  m'abîmais  au  centre  de  ma  bassesse  et 
de  mon  néant,  afin   qu'il   plût  à  sa   divine  bonté  de 
mettre   en   moi   ce   qui   lui   plairait   davantage,    pour 
mériter  d'être  exaucée  en  faveur  de  mon  Epoux.  Alors 
j'expérimentai  un  écoulement  et  un  rayon  divin  en  mon 
âme,  lequel  fut  aussitôt  suivi  de  ces  paroles  :  Demande- 
moi  par  le  Cœur  de  Jésus  mon  très -aimable  Fils  ;  cest  par  lui 
que  je  t'exaucerai,  et  que  je  t'accorderai  tes  demandes.  Dès 
ce  moment,  l'Esprit  qui  me  dirigeait  m'unit  à  ce  divin 
et  très-adorable   Cœur  de  Jésus,  en  sorte  que  je  ne 
parlais  et  ne    respirais    que    par    lui.  J'exprimentais 


CHAPITRE    VI.  153 

toujours  de  nouvelles  infusions  de  grâces  dans  ce  divin 
Cœur  de  Jésus,  qui  me  faisait  produire  des  choses 
admirables,  que  ma  plume  et  ma  langue  ne  peuvent 
exprimer,  au  sujet  de  l'amplification  du  royaume  de 
Jésus-Christ.  Cela  se  passait  environ  l'an  1635.  » 

Il  est  bon  de  remarquer  ici  que  cette  grâce  accordée 
à  la  servante  de  Dieu  a  précédé  d'an  demi- siècle  l'ordre 
que  Notre-Seigneur  donna  à  la  bienheureuse  Margue- 
rite-Marie de  s'employer  pour  faire  établir  la  fête  du 
Sacré-Cœur.  L'opportunité  de  cette  fête  et  les  circons- 
tances favorables  à  son  établissement  n'existaient  pas 
encore  dans  l'Eglise,  mais  la  sainteté  de  la  Mère  Marie 
de  l'Incarnation  était  assez  grande  et  son  amour  assez 
ardent,  pour  que  Dieu  lui  fît  connaître  ce  puissant 
moyen  d'obtenir  ses  grâces. 


Au  reste,  ce  ne  fut  pas  une  ferveur  passagère  :  con- 
tinuellement elle  éprouvait  cette  soif  du  salut  des 
âmes,  et  elle  le  demandait  avec  une  égale  ardeur.  Voici 
ce  qu'elle  écrivait,  le  21  avril  1635,  au  R.  P.  Dom 
Raymond  de  Saint-Bernard,  son  directeur  :  «  Un  désir 
comme  le  mien  ne  peut  longtemps  garder  le  silence; 
il  se  réitère  sans  cesse  et  j'ai  toujours  de  nouvelles 
choses  à  dire.  Il  n'y  a  heure,  mon  R.  P.,  à  laquelle 
je  ne  ressente  de  nouveaux  attraits  qui  me  font  ardem- 
ment aimer  ces  pauvres  âmes.  Si  la  prière  a  du  pouvoir 
sur  Dieu,  j'ose  me  promettre  leur  conversion,  et  que 
le  Cœur  de  mon  divin  Epoux  se  laissera  fléchir,  car 
je  le  caresserai  tant,  qu'il  ne  pourra  refuser.  L'ardeur 
que  je  sens  en  mon  âme  me  porte  à  vouloir  souffrir 
des  choses  très-grandes,  que  Votre  Révérence  ne  croi- 


154  MARIE    DE    l'incarnation. 

rait  pas  volontiers  de  ma  chanté,  qu'elle  sait  être 
très-petite;  raais  celui  qui  allume  ce  feu  dans  mon 
cœur  est  assez  fort  pour  tirer  sa  gloire  de  la  plus  faible 
et  de  la  plus  chétive  de  toutes  ses  créatures.  C'est  la 
grande  lumière  dont  il  me  remplit,  surtout  en  ce  qui 
concerne  la  foi  des  vérités  divines,  qui  cause  de  tels 
effets.  y> 

Quelle  vie  que  celle  qui  se  consume  ainsi  pour  le 
salut  des  âmes  rachetées  parle  sang  de  Jésus-Christ! 
Tout  cela  c'était  le  travail  de  la  grâce  qui  préparait 
à  une  grande  œuvre  apostolique  cette  femme  admi- 
rable; et  ce  travail  prenait  comme  de  nouvelles  pro- 
portions à  mesure  qu'elle  s'y  montrait  fidèle.  Rien  ne 
nous  fera  mieux  connaître  l'action  de  Dieu  en  cette 
sainte  religieuse,  que  ce  qu'elle  en  dit  elle-même. 

«  Un  jour  que  j'étais  en  oraison  devant  le  Saint- 
Sacrement,  mon  esprit  fut  subitement  ravi  en  Dieu, 
dans  lequel  cette  contrée  qui  m'avait  été  montrée  m'ap- 
parut  de  nouveau.  Alors  cette  adorable  Majesté  me  dit  : 
Cest  le  Canada  que  je  fai  fait  voir;  il  faut  que  tu  y  ailles 
construire  une  demeure  à  Jésus  et  à  Marie.  Quoique 
anéantie  par  ces  paroles,  j'eus  assez  de  force  pour 
répondre  :  0  mon  grand  Dieu  !  vous  pouvez  tout,  et 
moi  je  ne  puis  rien;  s'il  vous  plaît  de  m'aider,  me  voilà 
prête;  je  vous  promets  de  vous  obéir;  faites  en  moi 
et  par  moi  votre  adorable  volonté.  A  partir  de  ce 
moment,  je  ne  voyais  plus  d'autres  pays  pour  moi  que 
le  Canada,  et  j'étais  sans  cesse  en  course  chez  les 
Hurons,  en  compagnie  des  missionnaires. 

»  Pendant  que  Dieu  opérait  tout  cela  en  moi,  le  Père 
Poncet  m'envoya  une  relation  de  ce  qui  se  passait  au 
Canada;  et,  cans  rien  connaître  ni  de  mes  dispositions 
ni  de  ce  que  j'éprouvais,  il  m'écrivit  que  Dieu  l'appelait 


CHAPITRE   VI.  155 

à  aller  travailler  dans  ce  pays.  En  même  temps  il 
m'envoyait  une  image  de  la  Mère  Anne-de-Saint-Bar- 
thélemi,  espagnole,  où  Notre- Seigneur  montrait  la 
Flandre  à  cette  sainte  religieuse,  l'invitant  à  y  aller 
pour  travailler  à  sa  gloire,  parce  que  l'hérésie  était 
sur  le  point  de  perdre  cette  province.  Le  Père  Poncet 
m'envoyait  encore  un  petit  bourdon  qu'il  avait  apporté 
de  Lorette,  et  il  me  disait  :  »  Je  vous  envoie  ce  bourdon 
et  cette  image  pour  vous  qpnvier  d'aller  servir  Dieu 
dans  la  nouvelle  France.  «  Je  fus  extrêmement  surprise 
d'une  pareille  invitation  de  la  part  d'un  homme  qui 
ignorait  complètement  ce  qui  m'était  arrivé.  Tout  cela 
enflammait  encore  davantage  mon  ardeur,  et  cepen- 
dant je  n'osais  parler  à  personne  de  l'ordre  qui  m'avait 
été  donné  par  Dieu,  tant  une  pareille  entreprise  me 
semblait  extraordinaire,  sans  exemple  et  au-dessus 
de  ma  condition  et  de  mon  sexe.  » 


C'était  une  grande  faveur  que  d'avoir  appris  par 
Dieu  même  que  la  dévotion  au  Cœur  de  Jésus  est  un 
moyen,  en  quelque  sorte,  tout-puissant  pour  obtenir 
les  grâces  du  Ciel.  C'en  était  une  grande  encore  que 
cette  mission  que  lui  donnait  le  Père  Eternel  d'aller 
dans  un  pays  sauvage  travailler  au  salut  de  tant 
d'âmes  délaissées.  Mais  les  saints  ne  se  contentent  pas 
de  recevoir  des  grâces,  ils  les  font  fructifier  en  eux,  et 
ils  en  provoquent  de  nouvelles  non  moins  abondantes. 
C'est  ce  que  fit  la  servante  de  Dieu. 

«  Etant  un  jour  devant  le  Saint-Sacrement,  dit-elle, 
je  traitais  l'affaire  du  salut  des  âmes  avec  la  Divine 
Majesté.   En  un  moment  mon  âme  fut  ravie  en  une 


156  MARIE    DP]    l'incarnation. 

extase  qui  la  mit  dans  son  souverain  et  unique  bien; 
enflammée  alors  pour  les  intérêts  de  son  Epoux,  elle 
souhaitait  avec  une  amoureuse  impatience  que  ses 
affaires  fussent  avancées,  s'off'rant  pour  cet  effet  d  être 
victime,  eût-il  fallu  donner  mille  vies,  et  conjurant  le 
Père  Eternel  de  la  mettre  à  même  d'exécuter  l'ordre 
qu'il  lui  avait  donné  de  bâtir  une  maison  à  Jésus  et  à 
Marie.  Je  le  priais  de  n'en  point  séparer  le  grand  saint 
Joseph,  parce  que  j'ét^-is  vivement  portée  à  croire  que 
c'était  lui  qui  m'avait  paru  être  le  gardien  de  ce  pays; 
et  dans  mes  plus  intimes  familiarités  avec  Dieu,  quel- 
que chose  me  disait  que  Jésus,  Marie  et  Joseph  ne 
devaient  pas  être  séparés.  » 

Ce  langage  au  sujet  de  la  dévotion  à  saint  Joseph 
est  très-remarquable,  parce  qu'il  est  conforme  à  la 
manière  de  voir  et  de  sentir  des  plus  grands  saints, 
surtout  des  derniers  temps,  et  que  la  conduite  de 
l'Eglise  le  justifie  pleinement.^ 

La  Mère  de  l'Incarnation  passa  une  année  dans  ces 
désirs  et  ces  espérances  sans  les  communiquer  à  qui 
que  ce  fût;  mais  pressée  par  les  instances  réitérées 
d'une  grâce  intérieure,  elle  s'en  ouvrit  au  Père  Salin, 
Jésuite,  qui  était  alors  son  directeur.  «  C'était,  dit  le 
Père  Charlevoix,  un  homme  qui  ne  voyait  que  de  l'illu- 
sion dans  toutes  les  impressions  extraordinaires  de  la 
grâce,  et  qui  croyait  qu'en  les  rejetant,  on  ne  peut 
s'exposer  à  commettre  une  imprudence.  »  C'est  pour- 
quoi, dès  le  premier  mot,  il  imposa  silence  à  sa  péni- 
tente et  se  moqua  de  ses  idées,  qu'il  traita  de  fantaisies 
vaines  et  ridicules.  Elle  se  tint  tranquille  et  remit  tout 
entre  les  mains   de   la  Providence;  puis   pressée    de 

(1)  Nous  avons  vu,  dans  l'Histoire  de  l' Hôtel-Dieu  de  Québec,  que,  dès  cette 
époque,  il  existait  ries  litanies  de  saint  Joseph. 


CHAPITRE    VI.  157 

nouveau,  elle  en  parla  à  un  autre  jésuite,  et,  par  son 
conseil,  elle  en  écrivit  au  Père  de  la  Haye,  qui  la  con- 
naissait mieux  que  personne.  Celui-ci  lui  recommanda 
de  se  disposer  à  suivre  les  voies  de  la  divine  Provi- 
dence, lui  disant  qu'il  espérait  voir  ses  bons  désirs 
s'exécuter. 

Pour  plus  de  sûreté  encore,  elle  écrivit  à  dom 
Raymond  de  Saint-Bernard,  son  ancien  directeur  égale- 
ment. Malgré  l'estime  qu'il  avait  pour  elle,  il  ne  la 
voulut  point  écouter.  Alors  elle  le  conjura  d'examiner 
la  chose  devant  Dieu.  Il  le  fit;  il  se  rappela  en  même 
temps  la  trempe  de  son  esprit,  incapable  de  se  laisser 
aller  aux  écarts  de  l'imagination;  les  faveurs  qu'elle 
avait  reçues  du  Ciel  dès  sa  plus  tendre  enfance  et  la 
fidélité  avec  laquelle  elle  y  avait  répondu.  Il  se  ressou- 
vint de  ce  secret  instinct  qui  la  portait  à  s'unir  aux 
prédicateurs  de  l'Evangile;  du  zèle  pour  la  gloire  de 
Dieu  dont  elle  lui  avait  donné  des  preuves  en  tant 
d'occasions;  de  ses  désirs  si  calmes  dans  leur  ardeur 
quand  il  était  question  du  règne  divin  sur  les  âmes. 
La  paix  inaltérable  qu'elle  conservait  au  milieu  des 
plus  violentes  saillies  de  son  amour,  lui  revint  à  la 
mémoire,  ainsi  que  l'élévation  de  son  âme,  jointe  à  la 
plus  profonde  humilité.  Ce  qui  le  frappa  surtout,  ce 
fut  que  paraissant  avoir  la  certitude  que  tout  venait 
d'une  inspiration  céleste,  elle  n'était  néanmoins  nulle- 
ment attachée  à  son  sens.  Il  reconnut  donc  le  doisjt  de 
Dieu  dans  le  dessein  qu'elle  lui  proposait,  et  il  lui 
manda  qu'il  ne  pouvait  se  dispenser  de  l'approuver. 

Bien  des  difficultés  s'élevèrent  pourtant  encore;  quel- 
ques-uns même  de  ceux  qui  l'avaient  approuvée  com- 
battirent son  dessein  :  de  ce  nombre,  fut  sa  supérieure. 
Au  milieu  de   ces   contrariétés,  la   servante  de  Dieu 


158  MARIE    DE    l'incarnation. 

demeurait  ferme  et  impassible  comme  un  rocher.  Sans 
renoncer  à  un  désir  qu'elle  savait  lui  venir  de  Dieu, 
elle  se  soumettait  avec  la  plus  parfaite  résignation; 
en  sorte  qu'on  ne  savait,  dit  Claude  Martin,  lequel  était 
le  plus  admirable,  ou  son  zèle  pour  aller  au  Canada, 
ou  sa  résignation  aux  ordres  de  la  divine  Providence. 

Il  est  non-seulement  utile,  mais  nécessaire  que  ceux 
qui  font  les  œuvres  de  Dieu  rencontrent  des  obstacles, 
et  qu'ils  soient  quelquefois  arrêtés  jusqu'à  se  voir  dans 
l'impuissance  de  rien  faire.  Sans  cela  ils  se  laisseraient 
bientôt  aller  à  une  ardeur  de  tempérament  qui  ferait 
agir  la  nature  à  la  place  de  la  grâce;  ils  seraient 
entraînés  à  compter  sur  leurs  propres  forces  et  se 
croiraient  capables  de  tout,  parce  que  rien  ne  leur 
offrirait  de  difficultés,  rien  ne  les  humilierait.  Les 
traverses  qui  les  arrêtent  tout  à  coup  leur  mettent, 
au  contraire,  leur  impuissance  naturelle  devant  les 
yeux  et  les  forcent  de  reconnaître  que  si  Dieu  ne  nous 
aide,  il  nous  est  impossible  de  rien  faire  pour  sa  gloire. 
On  en  peut  juger  par  ce  que  dit  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  après  avoir  raconté  son  mauvais  succès 
auprès  du  Père  Salin. 

«  Le  voyant  opposé  à  tout  ce  que  je  voulais  dire, 
je  n'osai  plus  lui  en  parler,  reconnaissant  en  même 
temps  que  j'étais  une  créature  si  pauvre  et  si  chétive, 
que  je  ne  devais  pas  m'étonner  s'il  me  renvoyait  de  la 
sorte.  Je  demeurais  donc  dans  mon  humiliation,  et  je 
disais  au  Verbe  incarné  :  "  Mon  doux  Amour,  mon 
doux  Amour,  s'il  y  a  quelque  chose  à  faire,  faites-le, 
s'il  vous  plaît.  Vous  savez  que  je  ne  suis  qu'un  néant. 
On  dira  que  je  veux  tromper  les  autres  après  m'être 
trompée  moi-même,  surtout  en  une  chose  qui  semble 
être  hors  du  sens  commun.  » 


CHAPITRE    VII.  159 

y>  Après  cette  prière,  je  demeurai  en  paix  ;  et  cepen- 
dant j'étais  encore  plus  convaincue  qu'auparavant  que 
je  n'étais  en  notre  monastère  de  Tours  que  comme  en 
dépôt.  Je  repoussais  à  mon  ordinaire  ces  pensées;  mais 
il  se  forma  malgré  moi,  au  fond  de  mon  âme,  une 
certitude  que  j'irais  au  Canada.  » 

En  effet,  pendant  que  mille  obstacles  tendaient  à 
rendre  cette  mission  impossible,  Dieu  préparait  tout 
en  secret  et  à  l'insu  de  sa  servante,  pour  exécuter  la 
promesse  qu'il  lui  avait  faite. 


CHAPITRE  VIL 

Mademoiselle  de  Chauvigny.  —  Elle  épouse  M.  de  la  Peltrie  malgré  ses  répu- 
gnances pour  le  mariage.  —  Elle  perd  son  mari,  1625.  —  Notre-Seigneur  veut 
qu'elle  aille  au  Canada.  —  Surnaturalisme  de  Claude  Martin.  —  Madame  de 
la  Peltrie  malade,  puis  guérie  en  faisant  vœu  d'aller  au  Canada.  —  Persécu- 
tions de  ses  proches.  —  Elle  est  mise  en  rapport  avec  la  Mère  de  l'Incarnation. 
—  Elle  va  à  Tours.  —  Prières  de  Quarante  heures.  —  Sœur  Marie  de  Saint- 
Bernard.  —  Vision  qu'elle  a  en  songe.  —  Contre-temps.  —  Charlotte  Barré.  — 
Oidge  contre  la  Mère  de  l'Incarnation.  —  L'archevêque  de  Tours.  —  Départ 
pour  Paris.  —  Départ  de  Paris  pour  Dieppe.  —  Séjour  dans  cette  ville  et 
adjonction  d'une  nouvelle  religieuse  missionnaire,  1639. 

Nous  avons  dit  comment  la  Mère  Alarie  de  l'Incar- 
nation s'était  vue  transportée  dans  un  pays  qu'elle  sut 
plus  tard  être  le  Canada,  et  que  là  elle  s'était  trouvée 
en  compagnie  d'une  dame  qu'elle  entraînait  avec  elle. 
Or,  pendant  qu'elle  était  favorisée  de  cette  vision,  Dieu 
lui  préparait  une  compagne  de  sa  mission  apostolique 
dans  la  personne  d'une  dame  séculière  déjà  parvenue  à 
une  grande  piété,  et  dont  voici  l'histoire  en  peu  de  mots. 


160  MARIE    DE    l'incarnation. 

Fille  d'un  gentilhomme  de  Normandie  qui  apparte- 
nait à  la  plus  haute  noblesse  du  pays  et  possédait  une 
grande  fortune,  mademoiselle  de  Chauvigny,  née  en 
1603,  avait  montré  dès  sa  première  enfance  les  plus 
douces  inclinations  pour  la  pieté.  Lorsque  sa  raison 
se  fut  asspz  développée  pour  pouvoir  comparer  la  vie 
du  monde,  même  la  plus  édifiante,  avec  celle  qui  se 
consume  tout  entière  pour  Dieu,  elle  sentit  en  elle 
comme  un  attrait  invincible  pour  l'état  religieux  :  au 
point  qu'un  jour  elle  s'échappa  du  château  paternel 
pour  aller  faire  une  retraite  dans  un  monastère  voisin, 
avec  l'espérance  ou  plutôt  le  désir  d'y  rester.  Avant 
la  fin  du  jour  elle  en  sortait  par  la  volonté  de  fer  de 
son  père,  et  quelques  semaines  plus  tard,  elle  épousait, 
malgré  toutes  ses  répugnances  pour  l'état  du  mariage, 
un  jeune  gentilhomme,  nommé  M.  de  la  Peltrie.  Dieu 
avait  consenti  à  perdre  sa  cause;  mais  c'était,  comme 
il  arrive  souvent,  pour  s'en  dédommager  plus  tard. 
Après  cinq  ans  de  mariage,  madame  de  la  Peltrie  vit 
mourir  son  mari,  à  la  fleur  de  l'âge.  Elle  recouvra  ainsi 
la  liberté  qu'elle  avait  perdue  et  se  trouva  maîtresse 
d'une  immense  fortune,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans. 

Pendant  quelque  temps  elle  se  demanda  si  elle  devait 
réaliser  les  désirs  qu'elle  avait  eus  quelques  années 
plus  tôt,  ou  rester  dans  le  monde  et  y  employer  en 
bonnes  œuvres  les  grandes  richesses  qu'elle  possédait. 
Partout  il  était  question  du  Canada;  mais  on  s'en 
occupait  surtout  dans  la  province  de  Normandie,  qui 
avait  fourni  une  grande  partie  des  nouveaux  habitants 
de  cette  colonie. 

Le  Père  Le  Jeune,  supérieur  de  cette  mission,  venait 
de  publier  une  Relation  des  Missions  du  Canada.  Il  y 
invitait  d'une  manière  pressante  toutes  les  personnes 


CHAPITRE    VII..  161 

pieuses  à  concourir,  selorj  leurs  moyens,  à  la  conver- 
sion des  sauvages,  et  il  terminait  par  ces  chaleureuses 
paroles  : 

«.  Hélas!  ne  se  trouvera-t-il  pas  quelque  bonne  et 
vertueuse  dame  qui  veuille  venir  en  ce  pays  pour 
recueillir  le  sang  de  Jésus-Christ  en  instruisant  les 
petites  filles  sauvages?  " 

Cet  écrit  étant  tombé  entre  les  mains  de  madame  de 
la  Peltrie,  elle  en  fut  extrêmement  frappée.  Ce  n'étaii 
pourtant  encore  qu'une  première  touche  de  la  grâce  ; 
elle  en  sentit  une  seconde  quelque  temps  après.  Etant 
en  oraison  au  jour  de  la  Visitation  de  la  Sainte  Vierge, 
elle  crut  entendre  Notre-Seigneur  lui  dire  que  sa 
volonté  était  qu'elle  allât  au  Canada  travailler  au  salut 
des  jeunes  filles  sauvages,  et  qu'il  lui  ferait  de  grandes 
grâces  en  cette  contrée  barbare.  Elle  répondit  en  fon- 
dant en  larmes  :  «  Ce  n'est  pas  à  moi,  si  grande  péche- 
resse et  si  vile  créature,  qu'il  convient  d'accorder  de 
pareilles  faveurs,  ô  mon  Dieu.  »  Le  Sauveur  lui  répartit: 
'i  II  est  vrai,  mais  c'est  pour  donner  sujet  d'admirer 
davantage  ma  miséricorde.  Je  veux  me  servir  de  vous 
en  ce  pays,  et  malgré  les  obstacles  qui  s'élèveront  pour 
empêcher  ma  volonté  de  s'accomplir,  vous  y  irez  et 
vous  y  mourrez.  »  Elle  se  sentit  alors  pénétrée  d'une 
telle  ardeur  apostolique,  que,  «  depuis  ce  temps,  dit  la 
Mère  de  l'Incarnation,  son  esprit  fut  plus  en  Canada 
qu'en  elle-même.  » 


Ici  se  présente  une  observation  importante  et  à 
laquelle  il  est  bon  de  faire  souvent  attention  :  c'est  que 
Dom  Claude  Martin,  qui  publiait  la  vie  de  sa  mère  en 
1677,  est,  en  France,  l'un  des  derniers  écrivains  reli- 

M.    DE   l'iNC.  1  l 


16::^  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

gieux  qui  aient  eu  cette  foi  simple  et  forte  au  surna- 
turel dont  on  voit  des  preuves  à  toutes  les  pages,  de 
son  livre.  A  partir  de  cette  époque,  et  même  en  remon- 
tant plus  haut,  tout  ce  qui  tient  du  miracle,  ce  qui 
indique  une  communication  de  Dieu  avec  la  créature, 
ce  que  l'on  appelle  le  merveilleux  dans  l'ordre  surna- 
turel disparaît  des  ouvrages  de  piété.  • 

On  retranchait  des  vies>mêmes  des  plus  grands  saints 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  incontestable  en  ce  genre,  tant 
le  jansénisme  avait  perverti  les  idées.  Au  point  de  vue 
des  malheureux  sectaires  de  Port-Royal ,  Dieu  n'est 
plus  qu'un  être  froid  à  l'égard  de  ses  créatures,  sans 
cesse  disposé  à  les  menacer  et  à  les  punir.  Ce  n'est 
plus  ce  Père  bon,  tendre  et  compatissant,  cet  ami  des 
âmes,  qui  s'abaisse  jusqu'à  elles,  qui  se  rend  familier 
et  se  laisse  caresser,  selon  l'expression  plusieurs  fois 
répétée  de  la  Mère  de  l'Incarnation. 

Pourtant  n'est-ce  pas  là  l'idée  que  tous  les  saints 
se  sont  faite  de  Dieu?  N'est  ce  pas  ainsi  que  se  montre 
notre  divin  Sauveur  dans  l'Evangile?  Comment  peut-on 
s'étonner  que  l'être  infiniment  bon  qui  nous  a  créés 
par  amour,  se  communique  d'une  manière  sensible  et 
s'entretienne  familièrement  avec  certaines  âmes  d'élite? 

11  veut  cependant  que  ces  sortes  de  faveurs  soient 
soumises  au  contrôle  de  ceux  qu'il  a  établis  pour  le 
représenter  sur  la  terre,  et  madame  de  la  Peltrie, 
quelque  convaincue  qu'elle  fût  de  n'être  pas  le  jouet 
de  l'illusion,  n'eut  garde  de  se  soustraire  à  cette  règle. 
Après  avoir  tout  exposé  à  des  hommes  éclairés  dans 
les  voies  surnaturelles,  et  leur  avoir  demandé  leur 
avis,  elle  reçut  pour  réponse  que  la  communicatiou 
qui  lui  avait  été  faite  venait  de  Dieu,  et  qu'elle  ne  pou- 
vait différer  l'exécution  sans  résister  à  l'Esprit-Saint. 


CHAPITRE    VII.  .  163 

Elle  attendit  encore,  ne  sachant  quelle  voie  suivre  ; 
mais  bientôt  elle  tomba  dans  une  maladie,  tellement 
grave  qu'on  dut  croire  que  c'en  était  fait  de  sa  mission 
pour  le  Canada.  Elle  fut  en  peu  de  temps  à  la  dernière 
extrémité,  et  deux  Capucins  récitaient  auprès  de  son 
lit  les  prières  des  agonisants,  lorsqu'il  lui  vint  à  la 
pensée  de  faire  vœu  d'aller  au  Canada,, d'y  bâtir  une 
église  en  l'honneur  de  saint  Joseph  et  d'employer  ses 
biens  et  sa  vie  au  service  des  filles  sauvages  sous  les 
auspices  de  ce  grand  saint.  A  peine  eut-elle  acquiescé 
à  cette  pensée,  qu'elle. s'endormit  d'un  paisible  sommeil 
pendant  lequel  les  douleurs  et  la  fièvre  disparurent 
complètement.  Les  médecins,  qui  la  regardaient  comme 
morte,  furent  surpris  d'apprendre  qu'elle  vivait  encore 
et  vinrent  la  voir.  L'un  d'eux  lui  tâta  le  pouls,  et  quoi- 
qu'il ne  sût  rien,  ni  de  ses  projets  ni  du  vœu  qu'elle 
venait  de  faire,  il  lui  dit  d'un  ton  de  surprise  :  —  Où 
est  donc  votre  fièvre,  madame?  Assurément  elle  est 
allée  en  Canada.*  Surprise  à  son  tour  de  cette  observa- 
tion, elle  lui  dit  en  souriant  :  —  Oui,  monsieur,  elle  est 
en  Canada. 

A  partir  de  ce  moment,  madame  de  laPeltrie  se  mit 
sérieusement  à  l'œuvre  pour  arriver  aux  moyens  d'ac- 
complir son  vœu;  et  comme  l'ordre  des  Ursulines  atti- 
rait l'attention  de  tout  le  monde,  non-seulement  en 
France  mais  dans  presque  toute  l'Europe,  elle  crut 
qu'elle  n'avait  rien  de  mieux  à  faire  que  de  fonder  un 
monastère  de  cet  institut  pour  travailler  à  l'éducation 

,1)  Le  Canada  où  la  France  fondait  sa  première  colonie,  que  les  Jésuites 
évangélisaient  au  prix  de  mille  sacritices  et  d'où  l'on  envoyait  chaque  année  des 
relations  de  l'intérêt  le  plus  saisissant,  était  alors  le  sujet  de  presque  tous  les 
entretiens  et  venait  à  tout  propos  dans  les  conversations.  C'est  ce  qui  explique 
la  phrase  du  docteur. 


164  MARIE    DE    l'incarnation. 

des  petites  filles  des  tribus  sauvages.  Elle  rencontra 
cependant  encore  de  terribles  difficultés.  D'abord,  son 
père  voulait  absolument  l'obliger  à  se  remarier  ;  mais 
il  mourut  au  bout  de  très-peu  de  temps.  Cet  événement 
eût  rendu  sa  liberté  complète^  si  ses  proches  parents; 
inquiets  à  la  vue  de  ses  grandes  aumônes,  ne  lui 
eussent  intenté  un  procès  pour  la  faire  interdire, 
comme  incapable  de  gérer  ses  affaires.  Après  avoir 
gagné  leur  cause,  en  première  instance,  ils  la  perdirent 
en  appel  devant  le  parlement  de  Rouen;  mais  loin  de 
se  décourager,  ils  résolurent  de  recourir  à  un  moyen 
que  l'on  employait  assez  souvent  à  cette  époque,  et 
sans  trop  de  difficultés,  bien  qu'aujourd'hui  l'on  ait 
peine  à  en  comprendre  la  possibilité  :  c'était  de  s'em- 
parer de  force  de  la  personne  de  madame  de  la  Peltrie 
et  de  l'enfermer  par  autorité  privée.  C'était  à.  Paris 
même,  où  elle  étai't  allée  pour  s'occuper  de  son  projet, 
qu'on  cherchait  à  exécuter  cette  entreprise.  Madame 
de  la  Peltrie,  qui  était  instruite  de  tout,  ne  sortait  de 
son  hôtel  qu'après  avoir  changé  de  vêtements  avec  sa 
servante  qu'elle  suivait  ensuite  par  la  ville  comme  si 
elle-même  eût  été  la  femme  de  chambre. 

Rien  toutefois  ne  découragea  la  jeune  veuve  sou- 
tenue par  une  volonté  ferme  d'accomplir  le  vœu  qu'elle 
avait  fait  relativement  à  la  mission  du  Canada.  C'était 
pour  y  réussir  qu'elle  était  venue  à  Paris,  où  elle  con- 
sulta le  Père  de  Condren  et  saint  Vincent  de  Paul,  qui 
étaient  alors  les  arbitres  des  entreprises  extraordinaires, 
dit  Claude  Martin.  Tous  deux  approuvèrent  ses  inten- 
tions et  ils  l'engagèrent  à  s'adresser  aux  Jésuites.  Or 
le  seul  qui  fût  alors  chargé  des  affaires  du  Canada, 
était  le  Père  Poncet.  Dès  qu'il  eut  connaissance  du 
dessein  de  madame  de  la  Peltrie,  il  se  souvint  de  ce 


CHAPITRE    VII.  165 

que  lui  avait  communiqué  la  Mère  Marie  de  rincarna- 
tion,  quelque  temps  auparavant.  Il  se  hâta  de  mettre 
ces  deux  femmes  en  rapport.  «  Madame  de  la  Peltrie 
et  moi,  dit  la  Mère  Marie,  nous  ne  nous  connaissions 
encore  ni  de  réputation  ni  autrement,  sauf  ce  que  les 
révérends  Pères  lui  avaient  dit  de  moi  à  mon  insu. 
Tout  cela  se  passait  au  mois  de  novembre  1638.  Notre 
Révérende  Mère  supérieure,  ayant  reçu  les  lettres  du 
Père  Poncet  et  de  Madame  de  la  Peltrie,  et  voyant  que 
l'on  jetait  les  yeux  sur  moi  pour  ce  dessein,  avec  l'in- 
tention de  nous  faire  passer  au  Canada  par  le  premier 
vaisseau  qui  prendrait  la  mer,  fut  aussi  surprise  qu'il 
est  possible.  Ce  qui  la  frappait  particulièrement  était 
de  voir  de  quelle  manipre  la  divine  Providence  avait 
ménagé  les  voies  pour  arriver  à  ce  résultat,  en  mon- 
trant la  réalité  de  ma  vocation  pour  le  Cancda.  Elle 
me  vint  trouver  et  se  mettant  à  genoux  avec  moi, 
me  raconta  l'affaire.  '  Toutes  deux  nous  rendîmes  grâces 
à  la  divine  Majesté.  J'avais  senti  intérieurement,  même 
avant  ce  dénoûment,  que  l'accomplissement  des  pro- 
messes que  Dieu  m'avait  faites  approchait;  mais  quand 
•nous  le  vîmes  si  clairement  réalisé,  nous  ne  pouvions 
nous  lasser  d'admirer  la  conduite  de  la  divine  Provi- 
dence, qui  avait  ainsi  ménagé  la  rencontre  de  madame 
delà  Peltrie  et  du  Père  Poncet.  Cela  me  faisait  chanter 
les  miséricordes  de  Dieu  et  m'entretenir  amoureuse- 
ment avec  lui  de  la  manière  admirable  dont  il  accom- 
plit ses  promesses,  dirige  les  âmes  vers  une  fin  et  sait 
tout  disposer  pour  les  y  faire  parvenir.  " 


(1)  Que  l'on  remarque  la  foi  et  la  piété  de  ces  deux  femmes,  qui  se  mettent  à 
genoux  pour  parler  d'une  chose  qui  intéresse  la  gloire  de  Dieu,  et  dans  laquelle 
se  fait  voir  le  cachet  d'une  intervention  providentielle  ! 


lf)6  MARIK    DE    l'incarnation. 

Voilà  comment  les  saintes  âmes  éclairées  de  la 
lumière  céleste  savent  apprécier  les  événements,  tandis 
que  la  sagesse  humaine  n'y  voit  que  le  résultat  du 
hasard  :  ce  qui  veut  dire  que  la  sagesse  humaine  a 
une  perspicacité  qui  ne  demande  ni  science,  ni  sagesse, 
ni  habileté.  Elle  voit  ce  que  l'homme  le  plus  stupide 
peut  voit  aussi  bien  qu'elle. 

Si  les  saints  sont  supérieurs  aux  sages  du  monde 
par  l'intelligence  et  une  sainte  appréciation  dos  événe- 
ments d'ici-bas,  ils  les  surpassent  bien  plus  encore  par 
la  magnanimité  et  l'élévation  du  sentiment.  La  lettre 
suivante,  écrite  par  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation 
à  madame  de  la  Peltrie,  en  est  une  preuve  irrécusable. 

^  Madame, 

»  Béni  soit  le  grand  Jésus,  de  qui  les  desseins  et  les 
aimables  providences  sont  toujours  adorables,  et  surtout 
au  temps  de  leurs  succès.  Le  R.  P.  Poncet,  extrême- 
ment zélé  pour  tout  ce  qui  regarde  la  plus  grande 
gloire  de  Dieu,  m'ayant  informée  de  votre  généreux 
dessein,  a  fait  dilater  mon  .cœur,  ([ui  se  répand  toul 
entier  en  bénédictions  et  en  louanges  à  la  divine  bonté, 
dont  les  inventions  sont  admirables  quand  elle  veut 
rendre  les  âmes  propres  à  devenir  les  instruments  de 
sa  gloire. 

»  Quoi  !  Madame,  notre  divin  Maître  Jésus  vous 
veut-il  introduire  dans  le  Paradis  terrestre  de  la  Nou- 
velle-France? Serez -vous  assez  heureuse  d'y  aller 
brûler  de  ses  flammes  saintes  et  divines? -Il  est  vrai 
qu'il  y  a  des  glaçons,  des  ronces,  des  épines;  mais  le 
feu  du  Saint-Esprit  a  un  souverain  pouvoir  pour  con- 
sumer tout  cela  et  même  pour  fondre  les  rochers. 


CHAPITRF.    Vil.  167 

^-  Ce  feu  divin  est  l'esprit  qui  anime  et  fortifie  les 
âmes  saintes,  qui  les  fait  passer  par  les  plus  grands 
travaux,  se  mépriser  elle-mêmes  et  prodiguer  leurs 
biens  et  leurs  vies  pour  la  conquête  des  âmes  rachetées 
du  sang  de  Jésus-Christ.  Ah  !  ma  chère  Dame,  chère 
épouse  de  mon  divin  Maître,  vous  trouvant,  j'ai  trouvé 
celle  qui  l'aime  avec  vérité,  puisqu'il  n'y  a  point  de  plus 
grand  amour  que  de  se  donner  soi-même  et  tout  ce 
qu'on  a  pour  son  bien-aimé.  Et  puisqu'il  a  plu  à  sa 
miséricorde  de  me  communiquer  les  mêmes  sentiments, 
il  me  semble  que  mon  cœur  est  dans  le  vôtre  et  que 
tous  deux  ensemble  ne  sont  qu'un  dans  celui  de  Jésus, 
au  milieu  de  ces  espaces  larges  et  infinis  dans  lesquels 
nous  embrassons  toutes  les  petites  sauvages ,  leur 
enseignant  comme  il  faut  aimer  celui  qui  est  infiniment 
aimable.  »»  Cette  lettre  est  du  mois  de  novembre  1638. 

La  divine  providence  ayant  ainsi  tout  préparé  pour 
la  mission  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  madame 
de  la  Peltrie  vint  à  Tours  pour  s'entendre  avec  la 
communauté  et  obtenir  le  consentement  de  l'Arche- 
vêque. Toutes  choses  s'arrangèrent  avec  la  plus  grande 
facilité,  et  même  l'Archevêque  de  Tours,  de  son  propre 
mouvement,  donna  ordre  de  faire  entrer  madame  de  la 
Peltrie  dans  la  clôture.  Elle  y  fut  reçue  avec  solennité 
^au  milieu  des  religieuses  rangées  en  deux  chœurs  et 
chantant  le  Veni  Creator  suivi  du  Te  Deum. 

Voilà  un  type  des  manifestations  dans  les  commu- 
nautés religieuses.  C'est  bien  là  le  caractère  de  la 
charité  expansive  du  cloître  et  de  la  cordialité  surna- 
turelle. Mais  écoutons  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation. 
«  Il  semblait  que  cette  bonne  dame  eût  apporté  la  joie 
du  Paradis  avec  elle  dans  le  monastère,  et  c'était  à  qui 
irait  la  première  se  jeter  à  ses  pieds  et  s'offrir  à  elle 


168  MARip:  dp:  l'incarnation. 

pour  être  compagne  des  travaux  qu'elie  allait  embras- 
ser. Pour  moi,  dès  que  je  l'eus  envisagée,  je  me  ressou- 
vins de  celle  que  j'avais  vue  dans  le  grand  pays  qui 
m'avait  été  montré.  L'ingénuité  et  la  douceur  de  sa 
physionomie  me  firent  comprendre  qu'effectivement 
c'était  elle  ,  quoiqu'elle  n'eût  pas  les  mêmes  habits. 
Elle  fut  trois  jours  dans  notre  maison  pour  régler  le 
choix  de  celle  qui  m'accompagnerait.  Après  des  prières 
de  quarante  heures  que  l'on  fit  à  cette  fin,  je  me  sentis 
portée,  par  un  mouvement  intérieur  et  par  le  conseil 
d'une  personne  de  vertu,  à  demander  la  Mère  Marie 
de  Saint-Bernard,  qui  plus  tard  fut  nommée  de  Saint- 
Joseph.  Il  y  eut  une  grande  résistance  de  la  part  4e 
notre  supérieure  qui  la  regardait  corpme  trop  jeune  : 
elle  n'avait  que  vingt-deux  ans  et  demi;  mais  madame 
de  la  Peltrie  et  moi  persistions  a  la  demander,  et  on 
finit  par  nous  l'accorder.  Ses  parents,  auxquels  on 
donna  avis  de  cette  décision,  s'y  opposèrent  à  leur  tour 
par  tous  les  moyens  possibles;  mais  Notre- Seigneur, 
qui  lui-même  avait  fait  ce  choix,  fut  le  maître.  Il  y  eut 
à  ce  sujet  bien  d'autres  circonstances  remarquables 
dont  j'ai  parlé  ailleurs  et  que  je  ne  répète  pas  ici.  « 

Voici  de  quelle  manière  son  fils  résume  ces  circons- 
tances qui  sont  en  effet  remarquables  :  «  Après  que  les 
religieuses  eurent  chanté  le  Veni  Creator.,  on  eût  dit  que 
le  Saint-Esprit  était  descendu  en  toutes  et  qu'il  les 
avait  remplies  de  ce  feu  dont  les  disciples  furent 
embrasés  le  jour  de  la  Pentecôte  :  car  elles  ne  se  con- 
tentaient pas  do  s'offrir  à  madame  de  la  Peltrie  ;  mais 
voyant  que  M.  de  Bernières,  qui  était  venu  avec  elle, 
avait  une  grande  part  dans  les  affaires  de  cette  mission, 
elles  allaient  le  trouver  au  parloir  pour  le  mettre  dans 
leurs  intérêts.   Seule,  la  jeune  sœur  Marie  de  Saint- 


CHAPITRE    VII.  V  169 

Bernard  n'osait  faire  aucune  démarche,  dans  la  crainte 
que  sa  trop  grande  jeunesse  ne  la  fît  regarder  comme 
impropre  à  une  œuvre  pour  laquelle  on  ne  saurait 
avoir  trop  de  maturité.  C'était  elle  cependant  que  Dieu 
avait  choisie  de  toute  éternité.  N'ayant  rien  de  la  jeu- 
nesse que  le  petit  nombre  de  ses  années,  elle  brûlait 
de  zèle  dans 'son  silence,  et  le  feu  dont  son  cœur 
était  embrasé  produisait  plus  d'effet  dans  sa  retenue 
qu'il  n'eût  fait  par  «ne  impétuosité  de  paroles  et  -de 
mouvements. 

»  Il  y  avait  longtemps,  du  reste,  que  Dieu  lui  en 
avait  fait  sentir  les  premières  ardeurs,  et  qu'il  l'avait 
préparée  pour  cette  œuvre;  mais  elle  y  faisait  peu 
attention,  ne  pouvant  s'imaginer  qu'une  chose  aussi 
extraordinaire  lui  pût  jamais  arriver.  Elle  en  avait 
eu  un  pressentiment  bien  singulier-  peu  de  temps 
auparavant.  Il  lui  avait  semblé,  durant  son  sommeil, 
que  le  monde  lui  était  mis  devant  les  yeux  avec  tous 
les  dangers  dont  il  est  rempli.  C'était  comme  une  place 
immense,  entourée  de  constructions  où  toutes  les  beau- 
tés, les  délices  et  les  séductions  qui  font  aimer  la  vie 
présente  s'offraient  aux  regards  de  ceux  qui  voulaient 
les  considérer;  et  quiconque  cédait  à  cette  faiblesse 
était  aussitôt  pris  comme  dans  un  piège  et  disparaissait. 
Elle  remarqua  même  un  religieux  de  sa  connaissance, 
qui,  pour  s'être  trop  avancé  et  avoir  regardé  les  objets 
de  trop  près,  fut  pris  et  entraîné  comme  les  autres.  Elle 
fat  surtout  épouvantée  lorsqu'il  lui  sembla  qu'ayant  fait 
quelques  pas  sur  cette  '^lace  et  ayant  vu  le  grand 
nombres  de  personnes  qui  se  perdaient,  elle  voulut 
retourner  en  arrière,  sans  pouvoir  en  venir  à  bout. 
Se  voyant  comme  entraînée  malgré  elle  dans  le  préci- 
pice, elle  éprouvait  une  angoisse  inexprimable.  Mais 


M 

170  MARIE    DK    l'incarnation. 

au  moment  où  elle  se  croyait  perdue,  elle  vit  une  com- 
pagnie de  jeunes  gens  habillés  en  sauvages  canadiens 
dont  un  portait  un  drapeau  sur  lequel  était  une  ins- 
cription tracée  en  caractères  qui  lui  étaient  inconnus. 
Elle,  sut  que  c'étaient  les  anges  gardiens  des  filles 
sauvages,,  dont  le  porte-enseigne  était  l'ange  du  Canada. 
Lorsqu'elle  était  occupée  à  les  regarder,  de  manière  à 
être  distraite  des  vains  objets  qui  auraient  pu  la 
séduire,  ils  lui  crièrent  tous  enseînble  :  «  Ne  craignez 
point;  c'est  par  nous  que  vous  serez  sauvée!  »  Puis 
formant  deux  haies,  ils  la  firent  passer  au  milieu,  sans 
qu'elle  pût  apercevoir  les  objets  séduisants  dont  la  vue 
était  si  funeste.  » 

Elle  comprit  plus  tard  le  sens  de  cette  vision,  surtout 
quand  elle  apprit  que  le  religieux  qu'elle  avait  vu 
entraîner  vers  le  mal  s'étant  laissé  aller  à  une  trop 
grande  fréquentation  du  monde,  dans  le  but  de  mon- 
trer ses  talents  et  d'acquérir  de  la  gloire,  avait  fini  par 
abandonner  son  état,  auquel  pourtant  il  revint  quelque 
temps  après. 


Un  grand  nombre  de  personnes  sont  peu  disposées  . 
à  regarder  ces  sortes  de  faits  comme  digr^es  de  quelque 
attention.  Elles  ne  voient  en  cela  que  des  rêverie^  que 
l'imagination  modifie  ensuite  pour  les  accommoder  aux 
événements.  Les  saints  pensent  tout  autrement  et  ils 
ont  pour  eux  l'expérience  et  une  foule  de  faits  incon- 
testables appuyés  d'une  manière  formelle  sur  l'autorité 
des  saints  livres.  Nous  ne  pouvons  en  citer  un  grand 
nombre;  ce  détail  nous  mènerait  trop  loin.  Disons 
seulement  que  le  glorieux  époux  de  la  très -sainte 
Vierge  fut  averti  quatre  fois  par  un  ange  pendant  son 


CHAPITRK    VII,  171 

sommeil.  C'est  en  songe  qu'il  apprend  la  maternité 
divine  de  Marie;  qu'il  reçoit  l'ordre  de  fuir  en  Egypte 
avec  l'enfant  et  la  mère;  qu'il  est  averti  du  moment 
oii  il  peut  revenir  dans  la  terre  d'Israël,  et  enfin  que 
la  Galilée  lui  est  indiquée  comme  le  séjour  qu'il  doit 
chf)isir.  Nous  trouvons  dans  les  Actes  des  Apôtres  un 
fait  qui  ressemble  particulièrement  à  la  vision  de  la 
sœur  Marie  de  Saint-Bernard.  II  est  rapporté  que  saint 
Paul  étant  arrivé  à  Troade  vit  en  songe  un  Macédonien 
qui,  se  tenant  debout,  lui  dit  :  «  Passez  en  Macédonie 
et  venez  à  notre  aide.  »  Alors,  dît  l'historien  sacré, 
nous  cherchâmes  les  moyens  d'aller  en  ce  pays,  assurés 
que  Dieu  nous  y  envoyait  pour  porter  l'Evangile.  Or 
les  commentateurs  sont  d'accord  pour  dire  que  c'était 
ou  l'ange  d'un  Macédonien  dont  Dieu  voulait  particu- 
lièrement le  salut,  ou  celui  du  pays  même.  C'était 
également  un  ange,  probablement  l'ange  gardien  de 
saint  Paul,  qui  avait  apparu  en  songe  à  Ananie  pour 
lui  dire  de  baptiser  le  futur  apôtre  des  Gentils. 

Il  n'y  a,  du  reste,  rien  d'étonnant  à  ce  que  des  âmes 
très-élevées  dans  l'ordre  surnaturel  soient  favorisées 
de  visions  de  ce  genre.  Pour  quiconque  a  la  foi  chré- 
tienne, il  existe  un  monde  supérieur  au  nôtre,  et  ce 
mond'e  ne  nous  est  pas  étranger.  Il  est  composé  des 
saints  qui  sont  nos  proches,  nos  frères,  nos  ascendants; 
des  anges  qui  sont  nos  amis,  nos  gardiens,  nos  protec- 
teurs, chargés  spécialement  de  nos  intérêts  spirituels, 
et  même  de  notre  sécurité  corporelle.  Ce  monde  a, 
comme  nous,  Dieu  pour  maître  et  pour  roi,  le  Dieu 
dont  la  Providence  veille  sur  toutes  ses  créatures,  avec 
intention  de  nous  réunir  un  jour  à  ceux  qui  environ- 
nent son  trône.  De  plus,  le  travail  de  la  grâce  a  pour 
but  de  nous  rendre  célestes  dès  ici-bas,  par  conséquent 


172  MARIE    DE    l'incarnation. 

de  nous  rapprocher,  autaat  qu'il  est  possible,  du  monde 
supérieur.  Or  doit-on  s'étonner  si  certaines  âmes  fidèles 
à  l'impression  de  cette  grâce  au  point  que  leurs  senti- 
ments, leur  langage,  leurs  actions  mêmes  sont  déjà 
dans  le  ciel,  comme  le  dit  l'Apôtre  :  Nostra  autem  con- 
versatio  in  cœlis  est,  se  trouvent  facilement  en  rapport 
avec  le  ciel?  Saas  doute  Dieu  peut  fai-^e  des  révélations 
à  des  personnes  éveillées,  et  l'on  en  voit  mille  exem- 
ples, tant  dans  l'Ancien  que  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment; mais  souvent  il  a  recours  à  des  visions  noctur- 
nes :  peut-être  parce  que  les  sens  étant  alors  assoupis, 
l'âme  se  trouve  plus  disposée  à  voir  et  à  entendre  les 
habitants  du  ciel. 

Bisons  cependant,  avec  tous  les  maîtres  de  la  vie 
spirituelle,  que  ia  disposition  à  croire  volontiers  que  l'on 
est  l'objet  de  faveurs  de  ce  genre  est  par  elle-même  très- 
suspecte,  et  qu'elle  entraîne  presque  toujours  l'illusion. 

Quant  à  la  sœur  Saint-Bernard,  elle  suivait  la  véri- 
table voie,  ne  prenant  point  pour  règle  de  conduite 
les  pressentiments  et  les  visions  qui  lui  arrivaient, 
mais  la  seule  obéissance  et  l'abandon  à  Bieu.  Cepen- 
dant, ajoute  dom  Claude  Martin,  depuis  cette  vision, 
elle  ressentit  toujours  un  amour  secret  pour  le  fealut 
des  âmes  et  surtout  pour  celles  des  sauvages  du 
Canada.  Elle  n'avait  jamais  cru  jusque-là  qu'elle  pût 
aller  un  jour  exercer  son  zèle  dans  cette  contrée,  mais 
quand  elle  vit  la  mission  qui  se  préparait  d'une  façon 
si  extraordinaire,  elle  se  rappela  tout  ce  qui  lui  était 
arrivé,  et  elle  s'offrit  à  Dieu  en  perpétuel  holocauste 
pour  se  consumer  à  son  service  dans  l'œuvre  de  la 
conversion  des  sauvages.  Elle  rôdait  autour  des  parloirs, 
continue  l'historien,  n'osant  pas  dire  un  mot,  lorsque 
la   Mère  de   l'Incarnation    l'ayant   rencontrée   l'encou- 


CHAPITRE    VII.  173 

ra^ea  et  la  décida  à  faire  sa  demande  à  la  supérieure. 
Celle-ci  lui  dit  que  son  désir  était  tout  simplement  une 
légèreté  d'esprit. 

Alors  l'humble  religieuse  s'adressa  à  Dieu,  le  sup- 
pliant de  lui  accorder  cette  faveur.  Eu  même  temps 
elle  eut  recours  à  saint  Joseph  et  elle  fit  vœu  de 
prendre  son  nom  à  la  place  de  celui  qu'elle  portait,  s'il 
lui  obtenait  cette  grâce.  Le  conseil  de  la  communauté 
délibérait  sur  le  choix  à  faire,  et  à  peine  la  pieuse  sœur 
eut-elle  fait  son  vœu  qu'il. fut  impossible,  dans  l'assem- 
blée, de  s'accorder  pour  un  autre  sujet.  On  avait  beau 
passer  en  revue  tous  les  membres  de  la  communauté, 
on  trouvait  mille  difiBcultés  qui  forçaient  de  revenir 
à  la  sœur  Saint-Bernard,  en  sorte  qu'on  déoida  que 
ce  serait  elle  qui  partirait  avec  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation. 


Au  moment  où  tout  paraissait  arrangé  et  où  l'on  se 
disposait  à  partir,  il  survint  une  difficulté  qui  causa 
une  certaine  confusion.  Quoique  cet  incident  ait  peu 
d'importance  en  lui-même,  nous  croyons  utile  de  le 
faire  connaître,  parce  qu'il  fournit  matière  à  plus  d'une 
réflexion  utile.  Madame  de  la  Peltrie  avait  avec  elle 
une  demoiselle  de  compagnie,  son  amie  d'enfance, 
élevée  par  sa  famille,  et  qui  lui  paraissait  dévouée  à 
la  vie  et  à  la  mort.  Cette  personne  avait  paru  jusque-là 
vouloir  s'associer  à  l'entreprise;  mais  quand  elle  vit 
que  les  affaires  prenaient  une  tournure  sérieuse,  ce  sur 
quoi  elle  n'avait  peut-être  pas  compté,  elle  déclara 
qu'elle  ne  voulait  pas  faire  ce  voyage;  que  la  seule 
pensée  des  dangers  de  la  mer  lui  causait  une  frayeur 
dont  elle  n'était  pas  maîtresse,  et  que  sa  constitution 


174  MARIK    DE    l'incarnation. 

était  trop  délicate  pour  lui  permettre  de  s'exposer  à  de 
semblables  fatigues. 

Une  telle  déclaration,  faite  dans  un  pareil  moment, 
causa  une  grande  surprise  à  tout  le  monde,  et  mit 
madame  de  la  Peltrie  dans  un  extrême  embarras,  car 
elle  avait  compté  sur  une  compagne,  et  il  lui  semblait 
difficile  de  s'en  passer.  Elle  confia  sa  peine  à  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation,  qui  s'occupa  sur-le-champ  de 
trouver  une  personne  qui  eût  le  courage  d'aller  recueil- 
lir la  couronne  que  celle-ci  refusait.  Un  Père  Jésuite, 
venu  pour  lui  faire  ses  adieux,  lui  dit  qu'il  en  con- 
naissait une  telle  qu'il  la  fallait,  et  il  sortit  aussitôt 
pour  la  faire  chercher.  Il  lui  fît  dire,  saris  autre  expli- 
cation, d'aller  sur-le-champ  aux  Ursulines  parler  à  la 
Mère  de  l'Incarnation.  Cette  bonne  fille  s'y  rendit  immé-* 
diatement.  La  Mère  Marie  la  présenta  à  madame  de  la 
Peltrie  et  celle-ci  lui  demanda  si  elle  voulait  partir 
avec  elle  et  l'accompagner  au  Canada,  pour  y  travailler 
à  la  conversion  des  filles  sauvages.  Cette  demoiselle, 
nommée  Charlotte  Barré,  d'une  excellente  famille  de 
Tours,  répondit  qu'e'.le  était  toute  prête  ;  qu'à  la  vérité 
elle  faisait  des  démarches  pour  être  religieuse,  mais 
qu'elle  profiterait  volontiers  de  la  belle  occasion  que 
Dieu  lui  offrait  de  risquer  sa  vie  pour  son  service. 
Elle  supplia  seulement,  dit  l'historien,  qu'on  lui  permît 
de  porter  la  clef  de  son  coffre  à  une  de  ses  amies  (qui 
était  apparemment  dans  le  voisinage),  afin  qu'elle  y 
prît  un  objet  dont  elle  était  dépositaire  et  qu'elle  le 
remît  à  la  personne  qui  le  lui  avait  confié. 

Cela  fait,  elle  se  mit  à  la  disposition  de  madame  de 
la  Peltrie,  sans  même  aller  faire  ses  adieux  à  sa  mère. 

Voilà  un  trait  qui  ne  ressemble  ni  à  une  histoire 
véritable,  ni  à  une  fiction.   C'est  que  quelquefois  les 


CHAPITRE    VII.  175 

actions  des  saints  sont  en  dehors  des  voies  communes 
et  ordinaires.  «  Mes  voies  ne  sont  pas  vos  voies,  dit 
Dieu  par  la  bouche  d'Isaïe;  elles  sont  autant  au-dessus 
des  vôtres  que  le  ciel  est  au-dessus  de  la  terre.  »  En 
effet,  une  pareille  détermination,  prise  avec  la  rapidité 
de  leclair  en  quelque  sorte,  et  en  même  temps  avec 
un  calme  surhumain,  sans  préparation,  sans  qu'aucune 
influence  ait  pu  exalter  l'imagination,  n'est-ce  pas  quel- 
que chose  d'aussi  élevé  que  le  ciel? 

Charlotte  Barré  avait  un  oncle,  pieux  chanoine  de 
Tours,  et  un  frère;  dès  qu'ils  surent  son  dessein,  ils 
firent  tous  leurs  efforts  pour  l'en  détourner,  mais  ils 
ne  purent  l'ébT'anler.  Quand  on  sut  que  depuis  près  de 
six  ans  elle  désirait  être  religieuse  et  trouver  une 
occasion  de  se  dévouer  aux  intérêts  de  la  gloire  de 
Dieu,  on  lui  promit  de  lui  donner  l'habit  à  son  arrivée 
au  Canada.  Voici  ce  que  dit  à  son  sujet  la  Mère  de 
l'Incarnation  dans  une  de  ses  lettres  : 

«  Nous  reçûmes  cette  bonne  fille  comme  un  présent 
que  Dieu  nous  faisait  pour  participer  au  sacrifice  que 
nous  allions  faire  de  nos  personnes  à  sa  divine  Majesté. 
Nous  lui  avons  donné  l'habit  de  religieuse  de  chœur, 
et  elle  s'appelle  Mère  de  Saint-Ignace.  Elle  est  la  pre- 
mière qui  ait  fait  profession  au  Canada.  » 

Quant  à  la  Mère  de  l'Incarnation,  les  choses  ne  se 
passèrent  pas  aussi  tranquillement;  un  nouvel  orage 
s'éleva  dès  que  le  bruit  de  son  prochain  départ  se  fut 
répandu.  Sa  sœur,  dont  nous  avons  déjà  parié,  témoi- 
gna une  peine  plus  grande  encore  que  celle  qu'elle 
avait  ressentie  lorsque  la  Mère  Marie  prit  le  parti  de 
s'enfermer  dans  le  cloître.  Elle  mit  tout  eu  œuvre 
pour  l'arrêter,  et  quand  elle  vit  que  ses  efforts  étaient 
vains,  elle  essaya  de  toucher  de  nouveau  la  fibre  de  ' 


176  MARIK    DK    l'incarnation. 

l'amour  maternel.  "  Vous  avez  un  fils,  lui  dit-ellô,  et  ce 
fils  n'a  par  lui-même  aucune  ressource.  Eh  bien!  il 
sera  abandonné  de  tout  le  monde  lorsque  votre  pré- 
•  sence  n'intéressera  plus  en  sa  faveur.  Moi-même  je 
l'abandonnerai  la  première,  et  dès  que  vous  serez  partie 
je  ne  veux  plus  ni  le  voir  ni  même  entendre  parler 
de  lui.  y  . 

Dieu  a  voulu  que  tout  cela  fût  raconté  plus  tard  par 
ce  même  fils,  afin  que,  dans  sa  bouche,  l'apologie  de  la 
mère  fût  irrécusable.  Voici  ce  qu'il  dit  :  «  Il  était  impos- 
sible qu'un  cœur  aussi  tendre  que  l'était  celui  de  cette 
mère  ne  fût  pas  affecté  de  la  manière  la  plus  vive  par 
un  pareil  langage;  mais  après  avoir  donâiné  avec  tant 
de  force  les  sentiments  de  la  nature  en  quittant  son  fils 
pour  se  consacrer  à  Dieu,  à  une  époque  oii  cet  enfaut 
avait  bien  plus  grand  besoin  de  sa  présence,  elle  n'eut 
pas  moins  de  générosité  pour  résister  à  ces  nouv-elles 
attaques,  r, 

Tous  ces  moyens  s'étanfc  trouvés  inefficaces,  on  crut 
que  son  fils  seul  pourrait  entraver  ses  desseins.  Igno- 
rant tout  ce  qui  se  passait,  il  continuait*  ses  études  à 
Orléans  oii  sa  mère  devait  s'arrêter.  On  lui  écrivit  une 
lettre  dans  laquelle  on  n'omettait  rien  de  ce  qui  pouvait 
le  surexciter  contre  la  manière  d'agir  de  sa  mère;  on 
lui  représentait,  dans  les  termes  les  plus  énergiques, 
le  mépris  dont  il  allait  être  l'objet,  le  délaissement  et 
la  misère  oii  il  allait  se  trouver.  Sa  tante  lui  déclarait 
nettement  qu'elle  ne  paierait  plus  ni  sa  pension  ni  son 
entretien.  Afin  que  sa  mère  ne  pût  pas  lui  échapper. 

Jour  ainsi  dire,  on  avait  gagné  le  cocher  qui  devait  la 
bnduire,  et  on  l'avait  chargé  de  remettre  lui-même 
la  lettre  au  jeune  homme,  ce  dont  il  s'acquitta  fidèle- 
ment, ainsi  qu'on  va  le  voir. 


CHAPITRE    VII.  177 

Cependant  tout  se  disposait  pour  le  départ  des  zélées 
missionnaires.  L'archevêque  de  To,urs,  vénérable  vieil- 
lard de  quatre-vingts  ans,  s'était  montré  extrêmement 
favorable;  il  ne  se  démentit  pas.  Voulant  même  témoi- 
gner davantage  sa  bienveillance,  il  fit  venir  à  son  palais 
archiépiscopal  M.  de  Bernières,  madame  de  la  Peltrie, 
la  Mère  de  l'Incarnation,  la  supérieure  des  Ursulines 
de  Tours  et  la  sœur  Saint-Bernard.  Son  but  était 
encore  de  donner  au  départ  de  ces  courageuses  femmes 
un  caractère  religieux  et  solennel  qui,  en  attirant  la 
bénédiction  du  Ciel,  fît  une  salutaire  impression  sur 
les  coeurs  et  ajoutât  ehcore  à  l'ardeur  du  zèle  gui  les 
animait. 

Il  désirait  leur  dire  lui-même  la  sainte  messe,  afin- 
de  les  communier  de  sa  main  et  de  remplir  pour  la 
dernière  fois,  à  leur  égard,  l'office  de  pasteur,  leur 
'donnant  pour  viatique  la  nourriture  qui  pouvait  seule 
leur  communiquer  la  force  de  mener  à  bonne  fin  une 
entreprise  de  cette  nature;  mais  ne  le  pouvant  pas,  à 
cause  de  son  grand  âge  et  de  sa  faiblesse,  il  voulut  au 
moins  communier  avec  elles  et  leur  témoigner  par  là 
que  leurs  coeurs  étant  ainsi  unis  en  celui  doat  ils  se 
nourrissaient  ensemble,  rien  ne  pourrait  désormais  les 
séparer.  A  la  fin  de  la  messe,  on  chanta  le  psaume  In 
exitu  Israël  et  le  cantique  Magnificat. 

S'adressant  ensuite  à  M.  de  Bernières  et  à  madame 
de  la  Peltrie  en  leur  présentant  ses  deux  religieuses, 
il  leur  dit  avec  une  paternelle  et  pieuse  émotion  : 
«  Voilà  les  deux  pierres  fondamentales  de  l'édifice  que 
vous  voulez  élever  à  Notre-Seigneur  dans  le  Nouveau- 
Monde;  je  vous  les  donne  pour  la  fin  que  vous  avez 
en  vue  en  me  les  demand^ant;  qu'elles  soient  donc 
comme  deux  pierres   précieuses,  semblables   à   celtes 

M.    DE    l'iNC.  12 


178  MARIE    DE    l'incarnation. 

des  fondements  de  la  Jérusalem  céleste  !  Que  cet  édifice 
soit  à  jamais  un  lieu  de  paix,  de  grâces  et  de  béné- 
dictions, plus  encore  que  le  temple  de  Salomon!  Que 
les  efiforts  de  l'enfer  ne  puissent  jamais  prévaloir  contre 
lui,  ni  lui  faire  aucun  mal;  et  puisque  c'est  pour  Dieu 
que  vous  l'élevez,  que  Dieu  y  habite  à  jamais;  qu'il 
soit  le  Père  et  l'Epoux,  non-seulement  des  religieuses 
que  je  vous  donne,  mais  encore  de  celles  qui  les  accom- 
pagneront et  de  celles  qui  vivront  après  elles  jusqu'à 
la  consommation  des  siècles  !  »» 

Ne  croirait-on  pas  entendre  ces  patriarches  inspirés 
de  la  loi  ancienne,  transmettant  à  leur  lit  de  mort  la 
bénédiction  mystérieuse  dont  ils  étaient  dépositaires, 
bénédiction  que  l'Eglise  chrétienne  a'  reçue,  agrandie 
et  transformée,  de  la  bouche  de  son  divin  Auteur?  On 
voit  bien  qu'il  y  a  là  quelque  chose  de  plus  élevé  que 
les  entreprises  humaines;  et  ce  qui  le  démontre  mieux 
que  tous  les  raisonnements,  c'est  que  la  bénédiction 
du  saint  vieillard  de  la  loi  nouvelle  a  été  par  le  fait 
une  prédiction,  dont  l'accomplissement  se  maintient 
depuis  bientôt  deux  siècles  et  demi.  Véritablement  ces 
deux  religieuses,  parties  du  centre  de  la  France  pour 
aller  fonder  un  monastère  dans  un  monde  nouveau  et 
encore  sauvage,  ont  été  les  fondements  solides  de  cette 
œuvre,  et  elles  y  figurent  comme  deux  pierres  pré- 
cieuses par  la  sainteté  de  leur  vie  et  l'éclat  de  leurs 
vertus.  Depuis  plus  de  deux  siècles  que  leur  monastère 
subsiste,  il  a  toujours  été  et  il  est  encore  un  lieu  de 
paix,  de  grâces  et  de  bénédictions.  L'histoire  détaillée, 
minutieuse  en  quelque  sorte,  mais  par  cela  même  des 
plus  intéressantes,  vient  d'en  être  publiée,  et  l'on  voit 
que  jamais  la  paix  n'a  cessé  d'y  régner.  Quel  empire 
est  exempt  à   ce   point  de  guerres,    de   troubles,    de 


CHAPITRE    VII.  179 

révolutions  pendant  une  durée  égale?  Les  grâces  et 
les  bénédictions  y  ont  abondé  :  des  âmes  d'élite,  des 
saintes  ont  toujours  honoré  leur  vocation  par  la 
pratique  de  toutes  les  vertus  religieuses;  et  toujours 
il  s'est  rencontré  des  vocations  nouvelles  pour  conti- 
nuer l'œuvre  ainsi  bénie  dans  ses  fondements.  Et  ce 
qui  n'est  pas  une  moindre  bénédiction,  que  de  milliers 
de  jeunes  filles  sont  venues  dans  ce  monastère  former 
leur  cœur  à  la  piété  pour  aller  ensuite  en  répandre 
le  parfum  dans  la  société,  devenir  des  mères  de  famille 
chrétiennes,  et  conserver  ainsi  dans  le  Canada  cette 
foi  vive  et  ce  profond  attachement  à  la  religion  qui 
le  distinguent  encore  aujourd'hui  ! 

On  voit  également  que  les  puissances  de  l'enfer  n'ont 
jamais  prévalu  contre  cette  œuvre,  ni  ne  lui  ont  fait 
un  mal  proprement  dit.  Les  efforts  acharnés  des  sau- 
vages ont  mis  bien  souvent  la  colonie  en  péril,  les 
guerres  maritimes  l'ont  quelquefois  réduite  aux  hor- 
reurs de  la  famine;  deux  fois  les  bâtiments  du  monas- 
tère ont  été  dévorés  par  l'incendie,  la  ville  de  Québec 
a  été  assiégée  et  bombardée,  le  couvent  criblé  par  les 
boulets  ennemis  ;  tout  le  pays  a  passé  sous  la  domina- 
tion des  Anglais  protestants,  et  cependant  le  monastère 
subsiste  et  il  est  plus  florissant  que  jamais  ;  Dieu  y 
•  habite,  il  y  est  le  Père  et  l'Epoux  des  religieuses  qui  conti- 
nuent l'œuvre  fondée  par  la  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation et  bénie  par  Tarchevêque  de  Tours. 

Il  y  a  Ueu  de  croire  que  Dieu  continuera  à  protéger 
cette  communauté,  l'une  des  plus  remarquables  de 
l'ordre  fondé  par  sainte  Angèle.  Jamais,  on  doit  l'es- 
pérer, les  religieuses  familles  du  Canada  n'oublieront 
qu'un  sentiment  patriotique  les  unit  aux  Ursulines, 
que  ces  religieuses  ont  assisté  à  la  création  même  de 


180  MARIK    DE    l'incarnation. 

la  colonie,  qu'elles  en  ont  partagé  tous  les  travaux 
et  toutes  les  épreuves,  que  plus  que  personne  elles  ont 
contribué  à  maintenir  dans  le  pays  cet  héroïsme  chré- 
tien qui  l'a  rendu  supérieur  à  tous  les  périls  et  à  toutes 
les  adversités. 

Nous  savons,  au  reste,  que  ce  sentiment  est  très-vif 
dans  toute  la  contrée  et  que  l'attachement  des  Cana- 
diens pour  les  Ursulines  est  comme  un  résultat  néces- 
saire du  sentiment  patriotique. 

Le  vénérable  archevêque  de  Tours  voulut  que  la 
supérieure  du  monastère  et  une  autre  religieuse  les 
accompagnassent  jusqu'à  la  maison  des  Ursulines  d'Am- 
boise,  où  se  firent  les  derniers  adieux  avec  des  larmes 
de  joie  et  de  consolation,  qui  témoignaient  que  ces 
'  cœurs  étaient  plus  unis  par  les  intérêts  de  Dieu,  dit 
Claude  Martin,  que  par  des  inclinations  naturelles. 
«  Le  premier  de  ces  liens  conserve  toute  sa  force 
malgré  les  distances,  tandis  que  l'autre  s'affaiblit  bien 
vite  par  l'absence  des  personnes  qu'on  aime.  « 


Elles  se  séparèrent  alors,  les  unes  pour  revenir  à 
Tours,  les  autres  pour  continuer  leur  route,  mais 
toutes  ayant  Dieu  en  vue  et  se  proposant  uniquement 
son  service.  On  en  peut  juger  par  ce  que  dit  à  ce  sujet 
le  même  historien. 

«  On  ne  se  peut  rien  imaginer  de  plus  céleste  ni  de 
plus  admirable  que  leur  conduite  pendant  tout  le 
voyage.  Ils  vivaient  plutôt  comme  des  anges  que 
comme  des  habitants  d'ici-bas.  Tout  était  réglé  dans 
le  carrosse  comme  dans  le  monastère.  Il  y  avait  un 
temps  employé  à   l'oraison,  un   autre  à  la  prière  en 


CHAPITRE    VII.  '  181 

commun,  un  pour  le  silence  et  un  pour  la  conversa- 
tion. Alors  chacun  faisait  part  aux  autres  des  lumières 
que  Dieu  lui  avait  données  dans  l'oraison.  Leurs  cœurs 
et  leurs  esprits  étaient  continuellement  élevés  vers 
Dieu,  même  dans  leurs  pieuses  conversations,  en  sorte 
que  l'on  eût  pu  dire  de  ce  carrosse  ce  que  le  prophète 
dit  du  char  sur  lequel  il  vit  Dieu  assis  :  qu'il  était 
rempli  d'anges  visibles,  sans  compter  les  invisibles  qui 
les  accompagnaient.  » 

On  arriva  ainsi  à  Orléans  où  l'on  s'arrêta.  Le  cocher 
fit  promptement  la  commission  dont  on  l'avait  chargé 
en  remettant  au  jeune  Claude  Martin  la  lettre  de  sa 
tante.  Aussitôt  l'enfant  va  trouver  sa  mère  à  l'hôtel  où 
elle  était  descendue,  et  feignant  d'ignorer  son  dessein, 
il  laissa  paraître  un  extrême  étonnement  de  voir  une 
religieuse  hors  de  son  cloître.  —  Ma  mère,  où  allez- 
vous  donc?  —  Je  vais  à  Paris.  —  Vous  n'allez  pas  plus 
loin?  —  Je  pourrais  bien  aller  jusqu'en  Normandie. 
Voyant  qu'elle  ne  voulait  pas  lui  en  dire  davantage, 
il  tire  la  lettre  qu'il  venait  de  recevoir.  —  Ma  mère, 
je  vous  prie  de  prendre  la  peine  de  lire  cela.  Elle  lut 
la  lettre  tout  entière  avQc  un  grand  calme;  puis  levant 
les  yeux  au  ciel,  elle  dit  :  «  Oh!  que  le  démon  a  d'arti- 
fices pour  traverser  les  desseins  de  Dieu  !  »  S'adressant 
ensuite  à  son  fils  :  —  Mon  fils,  il  y  a  huit  ans  que  je 
vous  ai  quitté  pour  me  donner  à  Dieu;  depuis  lors 
quelque  chose  vous  a-t-il  manqué?  —  Non.  —  Eh  bien, 
l'expérience  du  passé  doit  être  un  motif  de  confiance 
pour  l'avenir.  Vous  quittant  pour  son  amour  et  pour 
lui  obéir,  je  vous  donnai  à  lui,  le  priant  qu'il  voulût 
être  votre  père,  et  vous  voyez  qu'il  l'a  été  au-delà  de 
toutes  nos  espérances.  Non-seulement  il  vous  a  donné 
le  nécessaire,   mais  il  s'est  montré  si  généreux  pour 


182  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

VOUS,  que  vous  avez  reçu  une  éducation  bien  supé- 
rieure à  votre  condition.  Il  en  sera  toujours  de  même 
tant  que  vous  aurez  Dieu  pour  père,  et  vous  l'aurez 
toujours  pour  père,  si  vous  êtes  pour  lui  un  véri- 
table fils ,  si  vous  observez  ses  commandements ,  si 
vous  vous  conformez  à  sa  volonté,  si  vous  avez  une 
confiance  filiale  en  son  aimable  Providence.  Faites 
cela,  mon  fils,  et  vous  expérimenterez  ce  que  dit  le 
Saint-Esprit,  que  rien  ne  manque  à  ceux  qui  craignent 
Dieu. 

«  Je  vais  en  Canada,  et  c'est  encore  par  l'ordre  de 
Dieu  que  je  vous  quitte  une  seconde  fois.  Rien  ne  me 
pouvait  arriver  de  plus  honorable  que  d'être  choisie 
pour  l'exécution  d'un  si  grand  dessein,  et,  si  vous 
m'aimez,  vous  prendrez  part  à  ma  joie.  » 

Après  avoir  ainsi  rapporté  les  paroles  de  sa  pieuse 
mère,  dom  Claude  Martin  ajoute  :  «  Elle  dit  tout  cela 
avec  une  si  douce  gravité  et  des  marques  si  évidentes 
d'une  maternelle  tendresse,  que  son  fils  se  trouva  tout 
changé.  Il  ne  pensa  plus  à  ses  propres  intérêts,  son 
cœur  se  sentant  élevé  au-dessus  de  toutes  les  choses 
créées;  il  s'abandonna-,  les  yeux  fermés,  à  la  conduite 
de  Dieu,  s'estimant  heureux  de  l'avoir  pour  père,  et 
d'avoir  une  si  sainte  mère  pour  caution  de  sa  Provi- 
dence à  son  égard.  Pénétré  de  ces  sentiments,  il  ne  fut 
pas  plus  tôt  de  retour  chez  lui  qu'il  fit  brûler  la  lettre 
qu'il  venait  de  recevoir,  et  il  prit  la  résolution  de  ne 
jamais  rien  demander  à  ses  parents,  afin  de  leur 
montrer  qu'il  entrait  dans  les  vues  de  sa  mère  et  qu'il 
prenait  son  parti  de  l'abandon  où  ils  déclaraient  vouloir 
le  laisser.  " 

La  Mère  Marie  de  l'Incarnation  put  donc  quitter 
Orléans,  le  cœur  soulagé.  Le  lendemain  les  voyageurs 


CHAPITRE    VII.  183 

continuèrent  leur  route,  et  ils   arrivèrent  à  Paris  le 
27  février,  cinq  jours  après  leur  départ  de  Tours. 

Il  y  avait  alors  deux  couvents  d'Ursulines  à  Paris  : 
l'un,  rue  Sainte- Avoye,  l'autre  faubourg  Saint-Jacques. 
La  supérieure  de  celui-ci  fit  offrir  l'hospitalité  à  la  véné- 
rable Mère,  mais  cette  invitation  ne  put  être  acceptée 
pour  le  moment,  à  cause  de  la  nécessité  où  l'on  était 
de  ne  se  pas  séparer  de  M.  de  Bernières,  tant  que  les 
plus  importants  préparatifs  du  voyage  ne  seraient  pas 
terminés.  On  logea  donc  provisoirement  chez  un  M.  de 
Meulles,  maître  d'hôtel  du  roi,  qui  leur  avait  cédé  toute 
sa  maison.  C'était  un  gentilhomme  blaisois,  rempli  de  foi 
et  de  piété.  Convaincu,  disent  les  Annales  des  Ursulines 
de  Blois,  qu'il  y  a  beaucoup  plus  de  chances  de  salut 
dans  l'état  religieux  que  dans  le  monde ,  il  désirait 
que  toutes .  ses  filles  fussent  religieuses.  Par  le  fait, 
il  en  avait  déjà  une  Ursuline  à  Tours  et  deux  autres  le 
furent  peu  après  à  Blois  oii  il  avait  des  parentes  faisant 
partie  de  la  communauté.^  L'hôtel  de  M.  de  Meulles 
était  une  dépendance  du  cloître  des  Jésuites.  «  Là,  dit 
notre  pieuse  Mère,  nous  étions  comme  dans  un  lieu  de 
retraite,  excepté  que  par  la  nécessité  de  nos  affaires 
nous  étions  quelquefois  obligées  de  nous  produire,  et  de 
recevoir  des  visites  de  plusieurs  personnes  de  considé- 
ration, qui  nous  faisaient  l'honneur  de  nous  venir  voir.  » 

(1)  On  verra  avec  édification  comment  mourut  en  1657  la  plus  jeune  des 
demoiselles  de  Meulles,  Ursulines  à  Blois.  Voyant  auprès  d'elle  sa  sœur, 
qui  fondait  en  larmes,  elle  lui  dit  :  «  Ma  sœur,  laissez-moi  mourir  courageuse- 
ment. "  Alors  elle  se  releva  sur  son  chevet  et  s'accommoda  en  la  posture  où 
elle  voulait  être  pour  expirer  ;  puis,  ajoute  la  notice,  se  tenant  avec  la  générosité 
d'un  général  d'armée  qui  affronte  l'ennemi,  elle  nous  fit  remarquer  la  sueur 
de  la  mort  qui  coulait  sur  son  front,  décrocha  son  petit  manteau  et  dit  :  Cen 
est  fait..  Elle  commença  alors  la  récitation  de  Y  In  manns,  et  elle  expira  avant 
de  l'avoir  achevée. 


184  MARIE    DE    L INCARNATION. 

En  efiet,  on  sot  bientôt  à  Paris  et  la  présence  de 
ces  femmes  courageuses  et  leur  dessein  de  passer  au 
Canada,  pour  v  établir  une  communauté  et  trayailler 
à  la  conversion  des  sauvages.  En  conséquence  bien 
des  personnes  de  la  plus  haute  société,  entre  autres 
la  duchesse  d'Aiguillon,  nièce  du  cardinal  de  Richelieu, 
et  la  comtesse  Loménie  de  Brienne,  dévouées  l'une  et 
l'autre  à  toutes  les  'do unes  œuvres,  voulurent  les  voir  et 
les  aider  de  leur  puissante  influence.  La  reine  elle- 
même  désira  les  entretenir,  et  chargea  la  comtesse  de 
Brienne  de  les  lui  amener  à  Saint  Grermain-en-Lave, 
où  elle  était.  «  Sa  Majesté,-  dit  la  vénérable  Mère, 
par  sa  bonté  et  sa  haute  piété,  nous  regarda  avec 
un  amour  tout  particulier,  et  nous  témoigna  une  grande 
joie  de  notre  passage  au  Canada,  et  beaucoup  d'édifi- 
catidn  de  ce  que  madame  de  la  Peitrie,  non  contente 
'd'y  donner  son  bien,  voulait  encore  s'v  donner  elle- 
même.  Elle  voulut  savoir  tout  ce  qui  s'était  passé  pour 
arriver  à  l'exécution  de  cette  entreprise.  Nous  lui  en 
fîmes  le  récit  par  le  menu.  * 

Le  19  mars,  lorsque  tout  semblait  en  bonne  voie, 
les  Mères  Marie  de  llncamation  et  Saint-Joseph  allè- 
rent loger  chez  leurs  sœurs  du  faubourg  Saint-Jacques. 
Là  elles  firent  tous  leurs  efforts  pour  obtenir  qu'une 
religieuse  de  cette  maison  s'a'djoignît  à  elles,  et,  un 
moment,  elles  crurent  avoir  réussi.  Une  Mère  Saint- 
Jérôme  s'étant  offerte,  l'on  *  obtint  avec  le  consentement 
de  la  supérieure,  celui  de  l'archevêque  de  Paris.  Mais 
celui-ci  rétracta  dès  le  lendemain  la  permission  qu'il 
avait  accordée  la  veille,  et  il  persista  dans  son  refus 
malgré  toutes  les  instances  qu'on  put  lui  faire.  Ayant  su 
que  des  personnes  de  la  plus  haute  considération  et  la 
reine  Anne   d'Autriche  elle-même  avaient  l'intention 


CHAPITRE  vn.  185 

de  s'interposer  auprès  de  lui  pour  le  ramener  à  ses 
premières  dispositions,  il  s'éloigna  de  Paris  ou  se 
rendit  invisible,  afin  d'échapper  à  leurs  sollicitations. 

Tout  espoir  étant  perdu  de  ce  côté,  nos  missionnai- 
res, que  rien  ne  pouvait  plus  retenir  à  Paris,  quittèrent 
cette  ville  au  commencement  d'a\^l  et  prirent  le  chemin 
de  Dieppe,  où  tout  avait  été  préparé  d'avance  pour 
l'embarquement  par  le  Père  Lallement  Jésuite.  Cepen- 
dant les  vaisseaux  ne  devant  prendre  là  mer  qu'après 
plusieurs  semaines,  la  Mère  de  llncamation  et  ses 
compagnes  se  retirèrent  au  monastère  des  Ursulines. 

Dieu  qui  les  conduisait  en  tout,  et  d'une  manière 
qui  finissait  toujours  par  être  visible,  leur  fit  trouver 
à  Dieppe  ce  qu'elles  avaient  en  vain  sollicité  à  Paris. 
Une  jeune  religieuse,  nommée  sœur  Cécile  de  sainte 
Croix,  se  sentit  enflammée  du  désir  de  partager  leur 
apostolat  et  en  obtint  la  permission  de  ses  supérieurs. 

Tout  semblait  donc  annoncer  que  nul  obstacle  ne 
pourrait  empêcher  le  départ  tant  désiré.  Il  n'y  avait 
plus  que  douze  jours  jusqu'à  l'embarquement  et  toutes 
les  difficultés  paraissaient  aplanies.  Cependant  la  véné- . 
rable  Mère  avait  une  vague  inquiétude  et  comme  un 
pressentiment  que  quelque  nouvelle  épreuve  allait  se 
présenter  an  dernier  moment.  Presque  en  possession 
du  bonheur  de  se  voir  emportée  par  les  flots  vers 
ses  chers  sauvages,  elle  craignait  encore  que  cette 
joie  ne  lui  fut  ravie.  Elle  écrivait  à  son  directeur  : 
*  Quoique  tout  soit  prêt,  j'ai  encore  peur  de  perdre 
mon  bonheur.  L'un  des  Pères  qui  étaient  allés  à  La 
Rochelle  pour  s'embarj^uer  est  tombé  malade  et  demeure, 
tandis  que  son  compagnon  passe  seul,  selon  cetie 
parole  de  Notre-Seigneur  :  -  Vwê.  serm  ektiri  et  toMtre 
laissé.  » 


186  MARIE    DE    l'incarnation. 

Il  y  eut  bientôt  un  moment  où  le  pressentiment  parut 
devoir  se  vérifier.  A  peine  cette  lettre  était-elle  partie 
que  la  Mère  Saint- Joseph  en  reçut  une  de  ses  parents, 
qui  lui  enjoignaient  de  la  manière  la  plus  énergique 
de  revenir  à  Tours.  On  sut  en  même  temps  qu'ils 
avaient  donné  ordre  de  l'arrêter,  en  quelque  lieu  qu'elle 
fût,  et  de  la  ramener  dans  son  monastère,  au  cas 
oii  elle  paraîtrait  vouloir  continuer  son  voyage.  Un 
pareil  contre-temps  était  de  nature  à  briser  le  plus 
ferme  courage;  mais  la  Mère  de  l'Incarnation  conserva 
toute  sa  tranquillité  et  sa  résolution  demeura  inébran- 
lable. Ce  n'était  pas  chez  elle  de  l'insensibilité,  car 
elle  était  tendrement  attachée  à  la  Mère  Saint-Joseph 
qu'elle  avait  lieu  de  regarder  comme  un  don  en 
quelque  sorte  miraculeux  de  la  divine  Providence. 
Elle  ne  pouvait  donc  sans  un  déchirement  de  cœur, 
se  voir  menacée  de  la  perdre  lorsqu'après  tant  d'obs- 
tacles vaincus,  elle  se  croyait  à  la  veille  d'un  succès 
si  longtemps  désiré;  mais  sa  grande  âme,  soutenue 
par  une  grâce  de  vocation  telle  que  Dieu  la  donne 
à  ses  amis  privilégiés ,  était  plus  forte  que  toutes 
les  épreuves. 

Elle  jugea  qu'il  fallait  vaincre  cette  difficulté,  comme 
toutes  les  autres,  par  la  prière,  et  en  gagnant  le  cœur 
de  Dieu,  ce  à  quoi  elle  s'appliqua  avec  ardeur,  résolue 
toutefois,  quel  que  fût  le  résultat,  de  passer  seule  au 
Canada  et  même  d'aller  jusqu'aux  extrémités  du  monde, 
s'il  le  fallait,  plutôt  que  de  renoncer  à  une  œuvre,  pour 
laquelle  elle  avait  tant  prié  et  tant  versé  de  larmes. 

De  son  côté,  la  Mère  Saint-Joeeph  ne  négligea  rien 
pour  détromper  ses  parents  et  les  persuader  qu'ils 
avaient  été  induits  en  erreur  par  les  derniers  rapports 
qu'on  leur  avait  faits.    Voici   ce  qui  avait  eu   lieu. 


CHAPITRE   VII.  187v 

Plusieurs  membres  de  la  famille,  entre  autres  l'évêque 
de  La  Rochelle,  oncle  maternel  de  la  Mère  Saint  Joseph, 
ayant  appris  son  départ,  blâmèrent  avec  amertume  mon- 
sieur et  madame  de  la  Troche,  ses  parents,  d'avoir  donné 
leur  consentement  avec  tant  de  facilité.  Ils  prétendaient 
que  le  Canada  était  un  pays  perdu  de  réputation,  un 
grand  nombre  de  femmes  de  mauvaise  vie  y  atant 
été  envoyées,  disaient-ils,  pour  le  peupler;  qu'indé- 
pendamment du  danger  auquel  leur  fille  était  exposée, 
le  fait  seul  de  son  passage  dans  une  telle  colonie  serait 
à  jamais  un  opprobre  pour  la  famille. 

La  Mère  Saint-Joseph  s'efforça  de  renverser  cet  écha- 
faudage d'assertions  calomnieuses  et  d'appréhensions 
sans  fondement.  Elle  dit,  ce  qui  était  vrai,  que  des 
femmes  suspectes  avaient  été  envoyées  en  Amérique, 
mais  dans  l'Amérique  méridionale  à  plus  de  huit 
cents  lieues  de  Québec,  sans  que  rien  de  semblable 
eût  été  fait  pour  le  Canada,  où  la  religion  chrétienne, 
qui  ne  faisait  que  d'y  naître,  égalait  en  ferveur  et  en 
pureté  de  mœurs  celle  des  premiers  siècles.  Elle 
ajouta  que  les  choses  étaient  trop  avancées  pour  qu'ils 
pussent  révoquer  leur  premier  consentement,  et  qu'ils 
seraient  éternellement  responsables  de  sa  vocation 
devant  Dieu,  s'ils  la  lui  faisaient  perdre  pour  avoir 
écouté  trop  facilement  des  personnes  entièrement  abu- 
sées sur  le  véritable  état  des  choses. 

Elle  leur  écrivit  tout  cela,  dit  Claude  Martin,  d'une 
manière  si  sage  et  en  même  temps  si  forte,  que 
craignant  de  résister  à  la  volonté  de  Dieu,  et  recon- 
naissant d'ailleurs  que  leurs  inquiétudes  ne  reposaient 
que  sur  un  malentendu,  ils  cessèrent  toute  opposition. 


188  MARIE    DE    l'incarnation, 


CHAPITRE  VIII. 


Embarquement  pour  le  Canada,  1639.  —  Tempête.  —  Ecueil  de  glace.  —  Le 
vaisseau  échappe  au  naufrage  à  la  suite  d'un  vœu.  —  Arrivée  au  terme  du 
voyage.  —  Réception  solennelle  à  Québec.  —  Réflexion  sur  l'importance  de 
l'élément  religieux  à  l'égard  de  la  colonie. 


L'orage  dont  nous  venons  de  parler  s  étant  trouvé 
apaisé  juste  au  moment  fixé  pour  le  départ  des  vais- 
seaux, les  Mères  Marie  de  l'Incarnation,  Marie  de  Saint- 
Bernard,  désormais  de  Saint- Joseph ,  et  Cécile  de.  la 
Croix,  madame  de  la  Peltrie  et  Charlotte  Barré  s'em- 
barquèrent à  Dieppe,  le  4  mai  1639,  et  firent  voile 
pour  le  Canada.  Voici  comment  notre  vénérable  Mère 
raconte  les  circonstances  de  cet  embarquement. 

«  Pendant  tant  de  voyages  et  de  courses  que  nous 
avions  faits  depuis  notre  départ  de  Tours,  mon  esprit 
et  mon  cœur  n'étaient  pas  où  était  mon  corps.  Il  me 
tardait  de  voir  arriver  le  moment  où  j'exposerais  véri- 
tablement ma  vie  pour  Dieu,  lui  donnant  ce  faible 
témoignage  de  mon  amour,  en  reconnaissance  de  ses 
immenses  miséricordes  envers  moi  sa  chétive  créature. 
Je  voyais  que  ma  vie  n'était  rien  ;  mais  mon  néant  ne 
pouvait  rien  offrir  de  plus,  si  ce  n'est  mon  cœur  et  tout 
l'amour  dont  il  pouvait  être  capable.  Etant  dans  cette 
disposition,  et  sous  une  impression  tellement  forte 
qu'elle  m'emportait  hors  de  moi,  je  restai  longtemps 
prosternée  devant  le  Saint-Sacrement  pour  adorer  la 
Majesté  de  Dieu  et  m'offrir  à  elle  .en  perpétuel  holo- 


CHAPITRE    VIII.  189 

causte.  0  Dieu!  qui  pourrait  dire  ce  qui  se  passa  en 
moi,  au  moment  où  je  fis  cet  abandon  de  tout  moi- 
même?  Je  ne  le  saurais  exprimer.  Je  sentais  que  le 
Verbe  incarné,  Roi  et  Monarque  universel,  aimait  et 
agréait  mon  offrande. 

»  Lorsque  je  mis  le  pied  dans  la  chaloupe  qui  devait 
nous  conduire  à  la  rade,  il  me  sembla  entrer  en  Para- 
dis; je  chantais  intérieurement  la  miséricorde  d'un 
Dieu  si  bon,  qui  me  conduisait  avec  tant  d'amour  où 
j'avais  tant  désiré  d'aller.  Bientôt  on  lève  l'ancre,  on 
étend  les  voiles,  le  vent  nous  emporte  et  je  quitte  ainsi 
la  France,  avec  l'intention  de  n'y  retourner  jamais  et 
de  consacrer  ma  vie  au  service  des  peuplades  sauvages 
pour  les  civiliser  et  les  soumettre  à  leur  Roi  légitime, 
mon  céleste  et  divin  Epoux.  » 


Les  hommes  étant  les  mêmes  dans  tous  les  temps, 
chacun  parlait  de  ce  voyage  à  sa  manière.  Les  uns  y 
voyaient  un  sujet  de  plaisanteries  ;  ils  le  regardaient 
comme  le  résultât  d'un  caprice  de  femmes  qui  se  lais- 
sent emporter  par  l'ardeur  de  leur  imagination  pour 
passer  bientôt  à  un  sentiment  opposé.  Us  prédisaient 
que  quand  elles  auraient  vu  le  Canada,  elles  en  seraient 
promptement  dégoûtées  et  qu'elles  ne  tarderaient  pas 
à  revenir.  D'autres  disaient  qu'il  y  avait  folie  à  s'ex- 
poser et  aux  dangers  de  -la  mer  et  à  la  fureur'  des 
sauvages.  Pour  eux,  ils  se  croyaient  doués  d'une  rare 
sagesse,  bien  entendu. 

Les  personnes  vraiment  judicieuses  et  qui  raison- 
naient au  point  de  vue  de  la  foi,  le  seul  qui  permette 
une   saine  appréciation  des  choses,  ne  croyaient  pas 


190  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

pouvoir  trop  applaudir  à  de  faibles  femmes  qui  fai- 
saient preuve  d'un  courage  dont  peu  d'hommes  sont 
capables. 

Il  ne  faut  s'étonner  ni  de  ces  divers  jugements,  ni 
de  la  vive  sensation  produite  par  le  départ  de  la  Mère 
de  l'Incarnation  et  de  ses  compagnes  :  car  c'était  le 
premier  exemple  d'un  courage  aussi  hardi,  donné  p^r 
des  femmes  dans  les  temps  modernes.  Aujourd'hui  que 
les  plus  lointaines  régions  et  les  contrées  les  plus 
sauvages  sont  peuplées  de  Carmélites,  d'Ursulines,  de 
Sœurs  de  charité,  etc.,  ces  sortes  de  sacrifices  passent 
presque  inaperçus;  mais  alors  il  en  était  autrement, 
et  il  a  fallu  à  ces  généreuses  missionnaires  un  courage 
bien  plus  grand  et  une  plus  forte  confiance  dans  la 
protection  divine,  pour  exécuter  une  pareille  entreprise. 

Trois  religieuses  hospitalières  de  Dieppe  s'étaient 
embarquées  avec  les  Ursulines.  Elles  allaient  également 
à  Québec  où  elles  devaient  fonder  un  hôtel-Dieu  aux 
frais  de  la  duchesse  d'Aiguillon.  La  plus  âgée,  désignée 
pour  être  supérieure,  avait  vingt-neuf  ans;  ses  compa- 
gnes en  avaient  l'une  vingt-huit,  l'autre  vingt-deux. 
Le  même  vaisseau,  appelé  le  Saint-Joseph,  portait  encore 
le  Père  Vimont,  Jésuite.  Quatre  autres  Pères  et  un 
Frère  de  la  même  Compagnie ,  s'embarquaient  le 
même  jour,  sur  d'autres  vaisseaux,  pour  la  même 
destination. 


Les  voyageurs  n'arrivèrent  à  Québec  que  le  1"  août. 
On  mit  ainsi  près  de  trois  mois  pour  un  voyage  qui  se 
fait  aujourd'hui  en  moins  de  quinze  jours.  Mais  si  la 
navigation  fut  longue,  elle  ne  fut  pas  moins  orageuse. 
Il  s'éleva  bientôt  un  vent  violent  qui  poussa  le  vaisseau 


CHAPITRE    VIII.  191 

vers  les  mers  du  nord  et  lui  fit  courir  l'un  des  plus 
effroyables  dangers  auxquels  on  puisse  être  exposé  sur 
l'océan.  Un  matin,  jour  de  la  fête  de  la  Sainte-Trinité, 
un  cri  d'eff'roi  retentit  tout  à  coup  sur  la  dune.  En  un 
instant  tout  l'équipage  fut  sur  le  pont,  et  l'on  aperçut, 
à  une  faible  distance,  une  montagne  de  glace  dont  la 
Mère  de  l'Incarnation  fait  une  description  qui  témoigne 
de  la  terreur  dont  tout  le  monde  fut  saisi.  Elle  disait 
dans  une  lettre  à  son  fils  que,  d'après  le  témoignage  de 
tous  ceux  qui  étaient  sur  le  vaisseau  et  celui  de  ses 
propres  yeux,  cette  montagne  ressemblait  par  sa  masse 
et  par  sa  forme  à  une  ville  fortifiée  ;  des  proéminences 
semblaient  en  être  les  tours  ;  des  glaçons  entassés 
auraient  été  pris  de  loin  pour  des  donjons^  des  pointes 
de  glace  s'élevaient  comme  des  flèches,  et  à  une  telle 
hauteur  que  l'on  n'en  voyait  pas  la  cime. 

«  Cet  écueil  flottant  était  poussé  vers  le  vaisseau 
avec  une  rapidité  si  eff'rayante,  que  tout  espoir  sem- 
blait perdu.  Chacun  se  voyant  à  son  dernier  moment,  des 
cris  s'élevaient  de  toutes  parts  ;  le  Père  Vimont  donna 
l'absolution  générale.  Pendant'tout  ce  bruit  mon  esprit 
et  mon  cœur  étaient  dans  une  tranquillité  aussi  grande 
que  possible;  n'ayant  pas  la  moindre  frayeur,  je  me 
sentais  parfaitement  disposée  à  faire  le  sacrifice  de  ma 
vie  et  celui  de  voir  jamais  nos  cliers  sauvages.  Mais 
j'avais  au  fond  de  l'âme  la  ferme  espérance  que  nous 
arriverions  à  bon  port,  ce  qui  n'empêcha  pas  que  je 
fisse  tous  les  actes  propres  à  me  mettre  en  état  de 
paraître  devant  Dieu.  Je  disposai  mes  vêtements  de 
telle  sorte  qu'au  moment  oii  le  vaisseau  serait  brisé, 
je  ne  pusse  être  vue  qu'avec  décence.  Madame  de  la 
Peltrie  se  tenait  comme  collée  à  moi^  afin  que  nous 
pussions  mourir  ensemble. 


192  MARIE   DE    l'incarnation. 

r>  Dans  cette  extrémité,  le  Père  Vimont,  voyant  que 
tout  espoir  naturel  avait  disparu,  fit  un  vœu  à  la  Sainte 
Vierge  au  nom  de  tous,  et  la  Mère  Marie  de  Saint- 
Joseph  commença  les  litanies  de  cette  divine  Mère, 
auxquelles  tout  le  monde  répondit.  Au  même  instant, 
le  pilote  ayant  reçu  ordre  de  tourner  le  gouvernail 
d'un  côté,  le  tourna  de  l'autre  involontairement,  et  ce 
fut  cette  manœuvre  qui  nous  sauva.  Le  vaisseau,  dont 
la  proue  touchait  presque  l'eflfroyable  montagne  de 
glace,  lui  tourna  tout  à  coup  le  flanc  et  la  côtoya  sans 
être  atteint.  » 

Après  divers  autres  incidents  oii  Ton  courut  de 
nouveaux  dangers,  on  jeta  l'ancre  dans  le  port  de 
Tadoussac  sur  le  fleuve  Saint-Laurent,  que  l'on  remonta 
ensuite  jusqu'à  l'île  d'Orléans,  à  une  très-petite  dis- 
tance de  Québec.  C'était  le  31  juillet  1639.  La  marée  se 
trouvant  contraire  et  le  vent  n'étant  pas  assez  favorable, 
il  fallut  attendre  au  lendemain  pour  entrer  à  Québec. 

Le  vaisseau  qui  portait  leurs  bagages  et  que  madame 
de  la  Peltrie  aivait  frété  elle-même,  était  arrivé  quelques 
jours  plus  tôt,  et  l'équipage  avait  annoncé  la  prochaine 
arrivée  des  religieuses.  Cette  nouvelle  remplit  la  ville 
entière  d'enthousiasme.  Quand  on  sut  qu'elles  étaient 
à  l'endroit  de  l'île  d'Orléans,  qui  est  le  plus  près  de 
Québec,  M.  de  Montmagny,  gouverneur  de  la  Nouvelle- 
France,  assembla  son  Conseil  et  proposa  de  leur  faire 
uce  réception  digne  de  la  grande  œuvre  qu'elles 
venaient  inaugurer  et  en  rapport  avec  les  sentiments 
de  piété  dont  étaient  pénétrés  les  habitants  de  Québec, 
•  Il  leur  envoya  immédiatement  sa  chaloupe ,  toute 
pavoisée  et  remplie  de  rafraîchissements. 

Le  lendemain,  dès  la  pointe  du  jour,  .toute  la  popu- 
lation était  sur  pied,  les  yeux  tournés  vers  l'île  d'Or- 


CHAPITRE    VIII.  193 

léans,  d'où  l'on  voyait  se  détacher  les  légères  embar- 
cations qui  portaient  les  hôtes  tant  désirés.  M.  de 
Montmagny,  accompagné  de  la  garnison  et  suivi  de 
la  ville  entière,  descendit  au  rivage  pour  les  recevoir. 
Tous  les  canons  du  fort  Saint-Louis  les  accueillirent 
par  une  joyeuse  salve  au  moment  où  elles  touchèrent 
le  port.  En  mettant  pied  à  terre,  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion et  ses  compagnes  se  prosternèrent  avec  un  pieux 
respect  et  baisèrent  avec  transport  cette  terre,  objet 
de  tant  de  vœux. 

Après  les  premières  félicitations,  le  cortège  prit  le 
chemin  de  la  Haute-Ville,  aux  acclamations  de  la  foule, 
ivre  de  joie,  et  se  rendit  en  procession  à  l'église  de  Notre- 
Dame  de  Recouvrance,  où  un  Te  Deum  solennel  fut 
chanté  au  bruit  réitéré  des  salves  d'artillerie.  La  sainte 
messe  fut  célébrée  avec  toute  la  pompe  que  permettait 
cette  église  naissante,  et  toutes  les  religieuses  commu- 
nièrent en  action  de  grâces  de  leur  heureuse  arrivée. 

Le  cortège  reprit  ensuite  sa  route  vers  le  château 
Saint-Louis,  où  le  gouverneur  fit  déjeuner  à  sa  table 
les  nouveaux  débarqués  avec  les  principaux  citoyens; 
puis  il  les  conduisit  à  la  demeure  qu'il  leur  avait  fait 
préparer.  Toute  la  journée  se  passa  en  réjouissances 
publiques;  les  magasins  furent  fermés  et  les  travaux 
suspendus  comme  en  un  jour  de  fête.i 


Certaines  personnes  trouveront  peut-être  étrange  la 
solennité  avec  laquelle  on  accueillait  quelques  femmes 
qui  semblaient  ne  devoir  être  qu'un  embarras  de  plus 

.  (1)  Histoire  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  par  M.  Casgraui. 
>     M.  DE  l'inc.  ]  J 


194  MARIE    DE    l'incarnation. 

dans  les  luttes  de  chaque  jour  contre  les  sauvages, 
et  des  bouches  inutiles  durant  les  disettes  si  fréquentes 
alors  pour  le  Canada.  Qu'eussent  donc  fait,  dira-t-on, 
les  habitants  de  Québec,  si  un  Turenne  ou  un  Condé 
eût  débarqué  avec  une  nombreuse  armée ,  pourvue 
de  vivres  et  de  munitions,  pour  en  finir  avec  les  peu- 
plades barbares  qui  mettaient  sans  cesse  la  colonie 
en  péril? 

Ceux  qui  .raisonnent  ainsi  ne  comprennent  ni  l'ordre 
de  la  Providence,  sans  laquelle  pourtant  rien  n'a  lieu 
sur  la  terre,  ni  même  les  choses  d'ici- bas  considérées 
au  point  de  vue  naturel.  Il  est  cependant  facile  de 
conclure  aujourd'hui  des  événements  que  les  Ursulines 
et  les  Sœurs  de  charité  qui  étaient  venues  avec  elles 
pour  prendre  possession  de  l'Hôtel-Dieu,  et  les  mission- 
naires envoyés  pour  annoncer  l'Evangile  aux  Hurons, 
aux  Algonquins  et  aux  Iroquois,  ont  plus  fait  pour  le 
maintien  de  la  colonie  et  plus  influé. sur  son  avenir 
que  les  citadelles,  les  canons  et  les  valeureux  bataillons 
qui  pourtant  ne  marchandaient  pas  leur  vie.  La  force 
matérielle  a  fini  par  succomber.  Le  31  juillet  1759, 
cent  vingt  ans  jour  pour  jour  après  l'arrivée  des  Ursu- 
lines à  Québec,  les  Anglais  éprouvaient  encore  une 
sanglante  défaite.  ««  Ils  bombardaient  la  ville  depuis 
plus  de  deux  semaines,  quand  ils  tentèrent  de  forcer 
les  lignes  françaises  de  Beauport,  en  attaquant  laile 
gauche  de  l'armée  de  Montcalm.  Six  mille  se  déployè- 
rent sur  la  plage,  tandis  que  deux  mille  autres  remon- 
taient la  rivière  Montmorency  pour  la  passer  à  gué  et 
prendre  à  dos  nos  troupes.  Mais  les  décharges  des 
Canadiens  furent  si  multipliées  et  si  terribles,  que  les 
ennemis  tourbillonnant  pêle-mêle,  furent  heureux  de 
profiter    d'un    orage    pour   se    rembarquer   en    toute 


CHAPITRE    Vlll.  195 

hâte.  Dix  pièces  de  canon  en  avaient  fait  taire  cent 
dix-huit!  ^  » 

Mais  c'était  là  le  dernier  revers  que  devaient  éprou- 
ver les  Anglais  sur  le  sol  du  Canada  avant  de  s'être 
rendus  maîtres  de  Québec.  Le  13  septembre  de  la 
même  année,  le  général  en  chef  de  l'armée  française 
était  tué  sur  le  champ  de  bataille;  ses  soldats  étaient 
en  déroute  complète  et  l'ennemi  entrait  dans  Québec 
après  un  siège  de  soixante  jours.  Les  forts  étaient  pris 
avec  leurs  canons  et  leurs  munitions,  le  port  avec  ses 
vaisseaux  ;  le  Canada  était  perdu  pour  la  France;  mais 
il  n'était  pas  perdu  pour  lui-même.  Il  lui  restait  son 
clergé,  ses  communautés  religieuses  et  sa  population 
fortement  chrétienne.  Ce  fut  là  son  salut. 

La  Mère  de  l'Incarnation  avait  dit,  près  d'un  siècle 
avant  cette  perte  de  notre  colonie  :  «  Le  Canada  est 
un  pays  spécialement  gardé  par  la  Providence.  Si  les 
épreuves  les  plus  sensibles  lui  sont  souvent  venues 
quand  il  croyait  toucher  à  des  temps  prospères,  c'est 
aussi  lorsqu'il  croit  tout  perdu  et  qu'il  se  sent  rouler 
d'abîme  en  abîme,  que  la  Providence  se  plaît  à  le  rele- 
ver, à  le  maintenir  debout  et  à  le  diriger,  sans  qu'il 
le  sache,  vers  la  véritable  prospérité,  et  cela  d'une 
manière  impénétrable  à  toutes  les  prévisions  humai- 
nes. y>  Cette  parole,  dit  l'annaliste  de  1759,  a  eu  trop 
visiblement  son  effet  dans  la  circonstance  critique  où 
se  trouve  le  pays ,  pour  qu'elle  ne  se  présente  pas 
d'elle-même  à  notre  esprit. 

(1)  Histoire  des  Ursulines  de  Québec,  par  une  religieuse  du  couvent.  Québec, 
1864.  Il  y  a  un  siècle  que  ces  religieuses  sont  sous  la  domination  anglaise,  et 
ailes  disent  encore  nos  troupes  en  parlant  des  soldats  français,  les  ennemis 
en  parlant  des  Anglais.  Elles  mettent  un  point  d'exclamation  à  la  fin  de  la  phrase 
qui  apprend  que  dix  canons  de  la  France  eu  ont  fait  taire  cent  dix-huit  de 
l'Angrleterre. 


196  MARIE    DE    l'incarnation. 

Oui,  le  Canada  a  été  sauvé  dans  sa  perte  même,  et 
il  l'a  été  par  la  foi  solide  de  sa  population,  par  son 
inviolable  attachement  au  catholicisme.  Or  cette  foi, 
qui  donc  l'a  mise  dans  les  cœurs  et  l'a  conservée  de 
génération  en  génération,  si  ce  n'est  le  clergé  composé 
de  prêtres  séculiers  et  de  religieux  missionnaires  et 
apôtres,  ces  communautés  exhalant  le  parfum  de  leurs 
vertus  en  donnant  à  l'enfance  cette  science  de  la  foi 
qui  est  l'aliment  des  grandes  âmes  et  la  seule  base 
solide  de  la  force  chez  les  nations  chrétiennes?  La 
France  a  perdu  une  précieuse  colonie;  mais  le  Canada 
n'a  rien  perdu,  il  est  resté  fier  et  chrétien  comme  il 
était  au  XVII®  siècle.  Il  est  peut-être  même,  dans  sa 
sujétion  à  l'égard  de  l'Angleterre,  le  plus  libre  et  le 
plus  indépendant  des  peuples  modernes,  et  cela,  grâce 
à  sa  vigoureuse  sève  de  catholicisme. 

On  avait  donc  raison  de  saluer  avec  tant  de  joie  et 
d'enthousiasme  les  Jésuites,  les  Ursulines  et  les  Sœurs 
de  charité  qui  abordaient  à  Québec  le  P^  août  1639. 
C'était  la  fortune  du  Canada  qu'une  miséricordieuse 
Providence  lui  envoyait  à  travers  les  écueils  et  les 
tempêtes. 


Mais  "  à  l'époque  oii  nos  généreuses  missionnaires 
abordaient  sur  cette  plage  appelée  alors  Nouvelle- 
France,  on  était  loin  de  prévoir  qu'un  jour  la  vieille 
patrie,  vaincue  par  sa  rivale,  lui  céderait  la  colonie 
dont  elle  commençait  à  être  si  justement  fière.  Ce  qui 
excitait  à  un  si  haut  point  l'enthousiasme  des  habitants 
de  Québec,  était  le  sentiment  religieux  dont  la  popu- 
lation entière  était  profondément  pénétrée.  Il  nous 
semble  à  propos  de  mettre  ce  fait  dans  tout  son  jour 


CHAPITRE    VIII.  197 

pour  faire  comprendre  la  grande  part  qui  revient  à 
l'élément  surnaturel  dans  l'histoire  du  Canada,  et  l'in- 
fluence qu'eurent  les  ministres  de  la  religion  et  les 
communautés  religieuses,  la  Mère  Marie  de  l'Incarna- 
tion en  particulier,  sur  ses  destinées. 

Dieu  voulait  établir,  dans  cette  partie  de  l'Amérique 
du  Nord,  une  colonie  telle  que  les  peuples  non  catho- 
liques n'ont  pas  même  la  pensée  d'en  former,  et  qui 
fût  l'un  des  plus  beaux  ornements  de  son  Eglise.  Pour 
arriver  à  ce  résultat,  il  souffle  le  zèle  apostolique  dans 
la  haute  société  française,  il  enflamme  l'élite  de  cette 
société  du  désir  d'aller  fonder  au  loin  une  Nouvelle- 
France  plus  chrétienne  encore  que  celle  qui,  depuis 
si  longtemps,  méritait  le  titre  de  Très- Chrétienne  :  or 
ce  n'était  pas  peu  de  chose,  au  commencement  du 
XVIP  siècle,  que  l'élite  de  la  société  française. 

On  sait  que  d'ordinaire  les  colonies  ne  sont  guère 
peuplées,  à  leur  origine,  que  par  des  spéculateurs,  des 
chercheurs  de  fortune  ou  d'aventures,  des  gens  qui  ont 
peu  à  craindre  de  trouver  pire  que  ce  qu'ils  ont  au 
pays  natal  :  il  en  fut  tout  autrement  de  îa  colonisation 
du  Canada.  On  voulait  en  faire  partie  pluspar  religion 
que  par  spéculation,  plus  dans  l'intérêt  de  la  foi  que 
dans  celui  de  sa  fortune.  Nous  en  donnerons  des 
preuves  tirées  des  Relations  contemporaines  et  repro- 
duites dans  divers  écrits  relatifs  à  l'histoire  du  Canada. 

Il  est  à  remarquer  d'abord  que  les  premiers  gouver- 
neurs de  la  colonie,  ainsi  que  les  officiers  de  l'armée, . 
furent  presque  tous  des  hommes  d'une  piété  éminente 
et  d'un  dévoûment  héroïque  à  l'égard  de  la  religion, 
d(?nt  ils  faisaient  passer  les  intérêts  avant  tous  les 
autres.  Champlain  qui,  le  premier,  arbora  le  drapeau 
blanc  sur  le  promontoire  de  Québec  et  que  les  Cana- 


198  MARIE    DE    l'incarnation. 

diens  appellent  encore  le  père  de  la  Nouvelle-France,  était 
un  héros  chrétien  digne  de  l'époque  des  croisades. 
Voici  comment  en  parle  M.  Casgrain^  :  «  Intelligence 
vaste  et  éclairée,  vues  hautes  et  larges,  expérience 
consommée  des  hommes  et  des  choses,  honneur,  désin- 
téressement, loyauté,  courage,  fermeté  dans  les  revers, 
grandeur  dame,  persévérance,  voilà  ce  qui  résume 
toute  la  vie  et  le  caractère  de  Champlain.  Type  et 
modèle  de  tous  ces  héros  qu'un  même  honneur  assem- 
ble, il  occupe  la  première  place  près  de  l'autel  de  la 
patrie.  Nul,  en  effet,  parmi  ces  rois  de  notre  histoire, 
ne  réunit  plus  d'éminentes  qualités.  Car  c'était  l'œuvre 
de  Dieu  que  le  gentilhomme  saintongeois  avait  eu  la 
conviction  d'accomplir  lorsque,  la  croix  sur  le  cœur  et 
le  regard  au  ciel,  il  descendit  les  degrés  du  château  de 
ses  pères  pour  aller  s'enfoncer  dans  les  solitudes  améri- 
caines. Aussi,  lorsqu'à  son  lit  de  mort  il  promena  un 
dernier  regard  d'adieu  sur  le  cercle  de  vaillants  hommes 
qu'il  avait  formés,  il  leur  léguait  le  plus  sûr  gage  d'im- 
mortalité :  la  sève  vigoureuse  de  mœurs  austères,  la 
pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes  qu'il  leur  avait 
constamment  enseignée  de  paroles  et  d'exemples. 

«  La  discipline  qu'il  avait  établie  parmi  cette  petite 
société,  était  admirable.  «  Le  fort,  dit  un  chroniqueur 
du  temps,  ressemble  à  une  académie  bien  réglée...  Bon 
nombre  de  très-honorables  personnes  viennent  se  jeter 
dans  nos  bois  comme  dans  le  sein  de  la  paix,  pour  vivre 
ici  avec  plus  de  piété,  plus  de  franchise  et  plus  de 
liberté....  Les  exactio^ns,  les  tromperies,  les  vols,  les 
assassinats,  les  perfidies,  les  inimitiés,  les  malices 
noires  ne  se  voient  ici  qu'une  fois  l'an,  sur  les  papiei's 

1)  Histoire  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Québec,  1864. 


CHAPITRE    VIII.  199 

et   sur   les    gazettes   que    quelques-uns    apportent   de 
l'ancienne  France.  » 

»  A  l'exemple  de  leur  chef,  tous  menaient  la  conduite 
la  plus  édifiante,  et  s'approchaient  régulièrement  des 
sacrements  de  l'Eglise.  Pour  rappeler  plus  souvent  à 
chacun  la  pensée  du  ciel,  Champlain  établit  la  coutume 
si  pieuse  et  si  touchante,  conservée  jusqu'à  nous,  de 
sonner  Y  Angélus  trois  fois  par  jour.  L'intérieur  du  fort 
ressemblait  plus  à  une  communauté  religieuse  qu'à  une 
garnison.  La  lecture  se  faisait  régulièrement  à  chaque 
repas;  au  dîner,  on  lisait  quelque  livre  d'histoire;  au 
souper,  c'était  la  vie  des  saints.  Une  douce  et  franche 
gaîté  assaisonnait  les  moments  de  loisir  y  et,  chaque 
soir,  le  vénérable  patriarche  de  la  colonie  rassemblait 
tous  ses  enfants  dans  ses  appartements,  pour  réciter 
la  prière  en  commun  et  faire  l'examen  de  conscience.'  y 

Après  la  mort  de  Champlain,  son  successeur,  M.  de 
Montmagny,  continua  l'œuvre  si  heureusement  com- 
mencée. «  Je  puis  dire  avec  vérité,  écrivait  le  Père 
Le  Jeune  en  1637,  que  le  sol  de  la  Nouvelle-France,  est 
arrosé  de  tant  de  bénédictions  célestes,  que  les  âmes 
nourries  à  la  vertu  y  trouvent  leur  vrai  élément....  Nos 
églises  sont  trop  petites  ...  Les  prières  se  font  publi- 
quement ,  non-seulement  au  fort ,  mais  aussi  chez  les 
familles  éparses  çà  et  là.  La  vertu,  par  la  grâce  de 
Notre-Seigneur,  marche  ici  la  tête  levée;  elle  est  dans 
l'honneur  et  dans  la  gloire,  le  crime  dans  l'obscurité 
et  la  confusion.  Je  le  dis  avec  joie  et  bénédiction  de 
Dieu,  ceux  que  sa  bonté  nous  a  donnés  pour  comman- 
der, et  ceux  encore  qui  s'établissent  en  ces  contrées, 
goûtent,  chérissent  et  veulent  suivre  les  maximes  les 

(l)Si,  sous  le  règne  de  Napoléon  III,  tous  les  offliciers  de  l'armée  française 
eussent  été  des  Champlains,  les  Prussiens  ne  seraient  pas  entrés  en  France. 


200  MARIK    DE    l'incarnation. 

plus  sincères  du  vrai  christianisme.  C'est  l'industrie, 
la  prudence  et  la  sagesse  de  M.  le  chevalier  de  Mont- 
magny,  notre  gouverneur ,  qui  fait  cette  espèce  de 
miracle.  Il  est  le  premier  dans  les  actions  de  piété,  et, 
par  ce  moyen,  les  rend  honorables.  Cet  homme  aimé  de 
Dieu  et  des  hommes,  marchant  dans  les  voies  de  Dieu, 
y  attire  après  soi  les  autres.  « 

Voici  comment  s'exprime  la  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation en  parlant  d'un  autre  gouverneur,  le  vicomte 
d'Argenson,  qui  regardait  cette  sainte  religieuse  comme 
5a  mère  spirituelle,  dit  une  chronique  :  «  M.  le  gouver- 
neur fait  paraître  de  jour  en  jour  son  zèle  pour  la 
conservation  et  l'accroissement  du  pays...  C'est  un 
homme  d'une  haute  vertu  et  sans  reproche.  Il  y  a 
toujours  à  profiter  avec  lui,  car  il  ne  parle  que  de  Dieu 
et  de  la  vertu.  »  Elle  ajoute  ailleurs  :  «  Il  était  si 
religieux  qu'il  donnait  l'exemple  aux  .Français  et  aux 
sauvages.  »  ^ 

Ils  sont  rares  aujourd'hui  les  gouverneurs  de  pro- 
vinces avec  lesquels  une  religieuse  trouverait  à  profiter 
pour  sa  perfection. 


Les  exemples  donnés  à  la  population  par  ces  héros 
chrétiens  n'étaient  pas  stériles;  en  voici  des  témoi- 
gnages choisis  parmi  un  grand  nombre  d'autres  non 
moins  dignes  d'attention.  Nous  lisons  dans  une  Relation 
de  1637  : 

«  La  fête  du  glorieux  saint  Joseph,  père,  patron  et 
protecteur  de  la  Nouvelle-France,  est  l'une  des  plus 
grandes  solennités  de  ce  pays.  La  veille  de  ce  jour  qui 
nous  est  si  cher,  on  arbora  le  drapeau  national  et  l'on  fit 
jouer  le  canon  comme  au  jour  de  la  fête  de  l'Immaculée- 


CHAPITRE    VI II.  201 

Conception....  Chacun  bénissant  Dieu  de  nous  avoir 
donné  pour  protecteur,  le  protecteur  et  l'ange  gardien, 
pour  ainsi  dire,  de  Jésus-Christ  son  Fils.  C'est,  à  mon 
avis,  par  sa  faveur  et  par  ses  mérites,  que  les  habitants 
de  la  Nouvelle-France  ont  résolu  de  recevoir  toutes  les 
bonnes  coutumes  de  leur  ancienne  patrie  et  de  refuser  Ventrée 
aux  mauvaises.  » 

Le  Père  Ragueneau,  Jésuite,  dans  une  autre  Relation, 
écrite  en  1651,  s'exprime  ainsi  : 

«  L'habitation  de  Trois-Rivières  ne  subsistait  que  par 
miracle,  tant  on  y  était  harcelé  par  les  bandes  des 
farouches  Iroquois.  Des  habitants  attribuent  leur  con- 
servation au  recours  extraordinaire  qu'ils  ont  eu  à  la 
Sainte  Vierge  dont  il  y  avait  un  petit  oratoire  dans 
chaque  maison  :  l'un  était  dédié  à  Notre-Dame-de- 
Lorette,  l'autre  à  Notre-Dame-de-Liesse,  les  autres  à 
Notre-Dame- des- Vertus,  du  Bon-Secours,  de  Bonne- 
Nouvelle,  de  la  Victoire,  et  à  quantité  d'autres  titres 
sous  lesquels  on  honore  la  Sainte  Vierge  en  divers 
lieux  de  la  chrétienté.  C'était  une  dévotion  ordinaire 
d'aller  visiter  ces  petits  oratoires  à  divers  jours  de  la 
semaine,  principalement  les  samedis.  En  chaque  mai- 
son, matin  et  soir,  tout  le  monde  se  rassemblait 
pour  y  faire  la  prière  en  commun  et  l'examen  de 
conscience,  et  pour  y  dire  les  Litanies  de  la  Sainte 
Vierge.  Le  chef  de  la  famille  faisait  les  prières, 
et  tous  les  autres ,  femmes ,  enfants ,  serviteurs , 
répondaient. 

y>  A  Québec  et  aux  environs,  cette  manière  de  faire 
la  prière  était  une  dévotion  oi^dinàire,  chaque  maison 
ayant  pris  un  saint  pour  patron  et  fait  un  vœu  public 
que  chacun  se  confesserait  et  communierait  au  moins 
une  fois  le  mois....  La  plupart  de  ceux  qui  sont  en  ce 


202  MARIK    DE    l'incarnation. 

pays  avouent  qu'en  aucun  lieu  du  monde  ils  n'avaient 
trouvé  ni  plus  d'instruction,  ni  plus  d'aide  pour  leur 
salut,  ni  un  soin  de  leur  conscience  plus  doux  et  plus 
facile.. ..  » 

Ici  plus  d'une  réflexion  se  présente.  D'abord  remar- 
quons que  ces  Relations,  à  peu  près  périodiques,  avaient 
pour  but  de  recruter  des  colons  pour  le  Canada  en  ins- 
pirant à  ceux  qui  les  liraient  le  désir  d'aller  s'établir 
en  cette  contrée;  et  pour  cela  on  la  leur  représente 
comme  déjà  peuplée  en  partie  par  des  familles  qui 
égalent  en  piété  les  chrétiens  des  temps  apostoliques  ; 
des  familles  qui  allaient  au  Canada,  disent  encore  les 
Relations,  parce  qu'on  croyait  que  c'était  le  chemin  le  plus 
court  pour  aller  au  ciel.  On  avouera  que  ce  n'est  pas  ainsi 
qu'on  s'y  prend  aujourd'hui  pour  coloniser  l'Afrique 
et  la  Cochinchine. 

,  La  seconde  remarque  qui  s'offre  à  l'esprit,  c'est  que 
la  colonisation  du  Canada  est  une  digne  continuation 
de  cette  vieille  histoire  de  France  que  l'on  a  appelée 
Gesta  Dei  per  Francos  :  Les  œuvres  de  Dieu  par  les  Francs. 
Oui,  la  main  de  la  Providence  est  visible  dans  cet  éta- 
blissement d'une  France  nouvelle,  qui  a  eu  le  bonheur 
de  rester  très-chrétienne,  même  sous  la  domination 
d'un  Etat  protestant. 

Nous  pouvons  ajouter  que  le  Canada  ainsi  colonisé, 
le  Canada  peuplé  par  les  hommes  que  la  Providence 
choisissait  entre  les  plus  religieux  de  notre  France^ 
avait  à  remplir  une  mission  que  personne  ne  pouvait 
prévoir  et  qui  n'en  a  pas  moins  été  réelle  à  l'égard 
des  aborigènes  et  des  nations  civilisées  de  l'Amérique 
septentrionale:  Sous  la  domination  française  (qui  a 
cessé  en  1759),  les  autorités  ecclésiastiques  de  la  Nou- 
velle-France envoyaient  des  missionnaires  visiter  les 


CHAPITRE    VIII.  203 

peuples,  depuis  l'embouchure  du  fleuve  Saint-Laurent 
jusqu'à  la  Rivière  des  Illinois,  et  tout  le  long  du 
Mississipi  jusqu'à  la  Nouvelle-Orléans. 

Sous  la  domination  anglaise  (qui  commença  en  1759), 
un  bon  nombre  de  Canadiens,  pour  fuir  le  joug  de  la 
Grande-Bretagne,  allèrent  s'établir  le  long  des  grands 
lacs  du  Haut- Canada  et  dans  l'intérieur  des  terres  du 
côté  du  Sud  et  de  l'Ouest,  à  Saint-Louis  du  Missouri 
et  ailleurs.  Ce  fut  une  précieuse  semence  de  foi  en 
faveur  des  émigrants  d'Europe  venant  dans  ces  parties 
des  Etats-Unis. 

Dès  1818,  des  Missionnaires  Canadiens  parcourant 
le  lac  des  Bois,  la  Rivière  Rouge,  et  plus  tard  les 
Montagnes  Rocheuses  de^  la  Colombie,  trouvèrent  que 
la  foi  avait  déjà  pénétré,  depuis  longtemps,  chez  les 
tribus  sauvages;  et  cela,  par  les  voyageurs  et  les  trai- 
tants canadiens,  qui  parcouraient  en  tous  sens  le  terri- 
toire du  Nord-Ouest  et  de  la  Baie  d'Hudson. 

L'émigration  canadienne,  qui  depuis  soixante-quinze 
ans,  a  commencé  de  se  faire  dans  le  vaste  Etat  de  New- 
York  et  dans  les  autres  Etats  limitrophes ,  compte 
actuellement  un  demi-million  d'âmes,  population  saine 
et  animée  des  meilleurs  sentiments,  qui  fera  connaître 
avantageusement  la  religion  catholique,  à  mesure  que 
le  clergé  du  Canada  pourra  subvenir  à  ses  besoins 
religieux. 

Mais  évidemment  il  y  a  plus  que  cela  dans  les 
desseins  de  la  divine  Providence.  Le  Canada  reçut  la 
mission  de  contribuer  pour  une  bonne  part  à.  ramener 
l'Angleterre  au  catholicisme ,  en  minant  sourdement 
son  fanatisme  protestant  ;  en  forçant  ses  hommes  les 
plus  distingués  de  voir  de  près  et  par  leurs  propres 
yeux,  ce  que  le  catholicisme  communique  de  vie,  de 


204  MARIE    DK    l'incarnation. 

grandeur  dame,  '  de  loyauté  et  d'esprit  chevaleresque 
à  ceux  qui  reçoivent  ses  inspirations.  Obligés,  dans  leur 
intérêt,  de  ménager  une  conquête  qui  aurait  pu  leur 
échapper,  les  Anglais  laissèrent  au  Canada  toute  sa 
liberté  religieuse;  en  même  temps  les  fonctionnaires 
qui  y  étaient  envoyés  se  trouvaient  en  contact  avec 
une  nx)blesse  attachée  de  cœur  à  sa  religion,  un  clergé 
missionnaire  pour  qui  les  intérêts  humains  n'étaient 
rien,  une  population  pieuse  et  éclairée  sur  ses  devoirs  : 
toutes  choses  qui  avaient  disparu  de  l'Angleterre  et  que 
la  haine  et  l'esprit  de  persécution  ne  permettaient  pas 
de  "voir  en  Irlande. 

Voilà  comment,  après  plus  de  deux  siècles,  on  aper- 
çoit le  dessein  de  Dieu  dans  cette  œuvre  d'un  caractère 
exceptionnel.  Mais  on  peut  dire  que  la  main  de  la 
Providence  se  montre  en  particulier  dans  la  mission 
que  reçut  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  d'aller  con- 
courir à  cette  entreprise,  et  de  contribuer,  par  un 
parfum  de  vertu  dont  le  Canada  est  encore  embaumé, 
à  maintenir  l'esprit  chrétien  et  l'attachement  à  l'Eglise, 
qu'il  est  impossible  de  ne  pas  admirer  dans  la  nation 
canadienne,  et  auquel  l'éducation  des  jeunes  filles  a 
une  part  considérable. 

(1)  Voici  quelques  traits  qui  justifient  les  éloges  que  nous  donnons  ici  aux 
Canadiens.  Après  la  conquête  (1759),  la  population  envoya  une  requête  au  roi 
d'Angleterre,  réclamant  comme  un  droit  le  maintien  de  l'évèché  catholique.  Lors 
de  la  première  invasion  américaine,  l'évêque  de  Québec  obligea,  par  une  lettre 
pastorale,  les  Canadiens  à  rester  soumis  au  Gouvernement  anglais.  Il  en  fut  de 
même  à  la  seconde  invasion  en  1812,  et  lors  de  l'insurrection  partielle  des  Cana- 
diens en  1837.  De  plus,  quoique  les  catholiques  possèdent  la  puissance  législative, 
jamais  ils  n'ont  pris  aucune  mesure  oppressive  à  l'égard  des  protestants. 


CHAPITRE    IX.  205 


CHAPITRE  IX. 


Visite  aux  sauvages  convertis,  1639.  —  Etude  des  langues.  —  Pauvreté,  petite 
vérole.  —  Charité  en  exercice.  —  Ses  succès,  1641.  —  Enfants  qui  s'échap- 
pent, 1643.  —  La  jeune  captive  huronne.  —  Ferveur  des  petites  sauvages.  — 
Anne-Marie,  Agnès  et  Louise,  1640.  —  Mort  d'Agnès,  1643.  —  Piété  des 
femmes  sauvages.  —  Autres  traits  des  enfants  sauvages.  —  La  Mère  de 
l'Incarnation  apprend  le  huron,  1649.  —  Nouvelles  oeuvres  de  zèle.  —  Efforts 
pour  fixer  les  sauvages,  1644.  —  Multiplication  du  pain.  —  Piété  et  zèle 
apostolique  de  plusieurs  sauvages  convertis.  —  Précocité  d'intelligence  des 
enfants  sauvages.  —  En  France,  on  ne  rend  pas  justice  aux  Ursulines.  — 
Deux  écrivains  modernes  qui  ont  suivi  cette  voie. 


A  peine  nos  généreuses  missionnaires  étaient-elles 
arrivées  au  terme  de  leur  long  voyage  qu'elles  voulu- 
rent mettre  la  main  à  l'œuvre  pour  laquelle  elles 
avaient  tout  quitté.  «  Le  lendemain,  dit  la  Mère  Marie 
de  l'Incarnation  dans  une  -lettre  à  son  fils,  les  révé- 
rends Pères  Jésuites  nous  menèrent  au  village  des 
sauvages,  nos  très-chers  frères,  que  nous  eûmes  la 
consolation  d'entendre  chanter  les  louanges  de  Dieu 
en  leur  langue.  0  combien  nous  étions  heureuses  de 
nous  trouver  parmi  nos  chers  néophytes,  qui,  de  leur 
côté,  ne  l'étaient  pas  moins  de  nous  voir!  Celui  qui  le 
premier  avait  reçu  le  baptême  nous  confia  sa  fille. 
^Plusieurs  autres  firent  de  même  les  jours  suivants, 
ainsi  que  toutes  les  familles  françaises  qui  avaient  des 
filles  en  âge  de  recevoir  l'instruction.  » 

«  Au  sortir  de  là,  dit  un  récit  du  temps,  elles  visitent 
les  familles  isolées  et  les  cabanes  voisines.  Madame  de 


206  MARIK    DE    l'incarnation. 

• 

la  Peltrie,  qui  conduisait  la  bande,  ne  rencontrait 
petite  fille  sauvage  qu'elle  ne  l'embrassât  avec  des  signes 
d'amour  si  doux  et  si  forts,  que  ces  pauvres  barbares 
en  étaient  autant  étonnés  qu'édifiés.  Ces  bonnes  reli- 
gieuses en  faisai'ent  autant,  sans  prendre  garde  si  ces 
petits  enfants  étaient  sales,  ou  non,  et  sans  demander 
si  c'était  la  coutume  du  pays.  » 

La  Mère  de  l'Incarnation  continue  son  récit.  «  Pour 
arriver  au  but  que  nous  nous  étions  proposé  en  venant 
au  Canada,  il  nous  fallut  étudier  la  langue  des  sau- 
vages.  Je  m'y  appliquai  avec  une  grande  ardeur;  mais 
comme  il  y  avait  plus  de  vingt  ans  que  je  ne  m'étais 
occupée  de  science  et  d'étude,  ce  travail  pour  apprendre 
une  langue  si  différente  de  la  nôtre  me  causa  de 
grandes  fatigues.  Les  noms  et  les  verbes  que  j'appre- 
nais par  cœur  me  semblaient  autant  de  cailloux  qui 
me  roulaient  dans  la  tête.  Cette  douleur,  jointe  aux 
réflexions  que  je  faisais  sur  la  rudesse  et  les  difficultés 
d'une  langue  aussi  barbare,  me  persuadait  que,  humai- 
nement parlant,  je  n'en  viendrais  jamais  à  bout.  C'est 
pourquoi  j'en  parlais  amoureusement  à  Notre-Seigneur, 
qui  m'aida  de  telle  sorte  que  je  parvins  en  peu  de 
temps  à  l'entendre  et  à  la  parler  avec  une  très-grande 
facilité.  Croyez- moi,  le  désir  de  parle?'  fait  beaucoup.  " 

Combien  pourraient  en  dire  autant,  mais  tous  n'ajou- 
teraient peut-être  pas,  avec  la  Mère  Marie  :  ■'  Je  vou- 
drais faire  sortir  mon  cœur  par  ma  langue  pour  dire 
à  mes  chers  néophytes  ce  qu'il  sent  de  l'amour  de 
Dieu  et  de  Jésus  notre  bon  maître.  Mon  travail  était 
en  même  temps  une  oraison  qui  finit  par  me  rendre 
l'usage  de  cette  langue  si  agréable,  qu'elle  ne  me  parais  • 
sait  plus  barbare.  Alors  les  sauvages,  hommes,  femmes 
et  enfants,  vinrent  en  foule  à  notre  parloir,  où  je  les 


CHAPITRE    IX.  2U7 

instruisais  des  devoirs  du  cijrétien  et  des  mystères  de 
notre  sainte  foi.  » 

Cette  sainte  religieuse  arriva  même  bientôt  à  com- 
poser des  livres  en  langues  sauvages.  Elle  a  laissé, 
dit  Claude  Martin,  une  telle  quantité  d'écrits,  tant  en 
français  qu'en  huron  et  en  algonquin,  que  toutes  les 
filles  qui  vivront  dans  son  monastère,  jusqu'à  la  fin  des 
siècles,  y  trouveront  abondamment  de  quoi  s'instruire 
elles-mêmes. 


Nous  n'avons  pas  encore  parlé  du  somptueux  monas- 
•tère  qu'on  improvisa  pour  les  Ursulines  et  qu'elles 
appelèrent  leur  Louvre.  En  voici  la  description  d'après 
un  récit  du  temps  :  «  En  une  chambre  de  seize  pieds 
carrés  étaient  notre  chœur,  notre  parloir,  nos  cellules 
et  notre  réfectoire  ;  et  dans  une  autre  petite  salle  était 
la  classe  pour  les  filles  françaises  et  pour  les  sauvages. 
Pour  la  chapelle,  la  sacristie  extérieure  et  la  cuisine, 
nous  fîmes  faire  une  galerie  en  forme  d'appentis.  »» 

Cette  résidence  était  jugée  charmante,  surtout  pour 
les  agréipents  accessoires  que  voici.  «  La  saleté  des 
filles  sauvages,  qui  n'étaient  pas  encore  formées  à  la 
propreté  des  Français,  nous  faisait  trouver  tous  les 
jours  des  cheveux,  des  charbons  et  autres  choses  dans 
notre  pot;  quelquefois  on  trouvait  un  vieux  soulier 
dans  la  marmite,  ce  qui  pourtant  ne  nous  donnait  pas 
trop  de  dégoût  !» 

Une  épreuve  plus  terrible  survint  à  la  fin  du  mois 
d'août  1639.  «  Cette  petite  maison,  dit  la  Mère  Marie, 
fut  changée  en  un  hôpital  par  la  maladie  de  la  petite 
vérole,  qui  se  prit  aux  petites  filles  sauvages.  Toutes 
l'eurent  jusqu'à  trois  fois,   et   quatre   en   moururent. 


208  marik  de  l'incarnation. 

Nous  nous  attendions  toutes  de  tomber  malades,  tant 
parce  que  cette  maladie  était  contagieuse  qu'à  cause 
que  nous  étions  jour  et  nuit  à  les  assister....  Comme 
nous  n'avions  pas  encore  de  meubles,  tous  les  lits 
étaient  sur  le  plancher  en  si  grand  nombre  qu'il  nous 
fallait  passer  incessamment  par  dessus  les  malades, 
et,  dans  cette  nécessité  la  divine  Majesté  nous  donnait 
un  si  grand  courage,  qu'aucune  de  nous  n'avait  de 
dégoût  dés  maux  et  de  la  saleté  des  sauvages.  » 

Elles  donnaient  le  nom  de  séminaire  à  leur  établisse- 
ment d'enfants,  et  voici  ce  que  la  Mère  Marie  écrivait 
à  son  sujet  :  «  Je  vous  dirai,  Madame,  que  l'on  croira 
difficilement  en  France  les  bénédictions  que  Dieu  verse 
sur  ce  petit  séminaire.  Sans  parler  des  femmes  et  des 
filles  sauvages  qui  ont  permission  d'entrer,  les  hommes 
nous  visitent  au  parloir,  où  nous  tâchons  de  leur  faire 
la  même  charité  qu'à  leurs  femmes;  et  ce  nous  est  une 
consolation  bien  sensible  de  nous  ôter  le  pain  de  la 
bouche  pour  le  donner  à  ces  pauvres  gens,  afin  de  leur 
inspirer  l'amour  de  Notre-Seigneur.  Après  l'instruction 
et  les  prières,  nous  leur  faisons  festin  à  leur  mode.  La 
faim  qu'ils  ont  est  l'horloge  qui  fait  juger  de  l'heure 
du  repas.  » 

Voilà  cette  religion  que  tant  de  gens  blasphèment  et 
poursuivent  d'une  haine  sauvage! 

On  ne  sera  peut-être  pas  fâché  de  savoir  comment 
se  faisait  la  cuisine  des  sauvages.  La  voici  décrite  par 
la  Mère  de  l'Incarnation  :  «  Pour  en  traiter  splendide- 
ment soixante  ou  quatre-vingts,  on  emploie  environ 
un  boisseau  de  pruneaux  noirs,  quatre  pains  de  six 
livres,  quatre  mesures  de  farine  de  pois  ou  de  blé 
d'Inde,  une  douzaine  de  chandelles  de  suif  fondues, 
deux  ou  trois  livres  de  gros  lard,  afin  que  tout  soit 


CHAPITRE    IX.  209 

bien  gras,  car  c'est  ce  qu'ils  aiment.  Ce  festin,  qui  leur 
sert  tout  ensemble  de  boire  et  de  manger,  est  un  de 
leurs  plus  magnifique  repas.  » 


Mais  en  traitant  les  sauvages  avec  cette  magnifi- 
cence, les  pauvres  religieuses  s'exposaient  à  mourir 
elles-mêmes  de  faim.  Voici  sur  ce  point  le  témoignage 
de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  : 

«  Je  pensais  que  cette  année  nous  manquerions  de 
tout  à  cause  de  notre  extrême  pauvreté.  M.  Marchand 
(bourgeois  de  Tours),  nous  a  envoyé  de  quoi  vêtir  nos 
séminaristes  (petites  filles  sauvages),  un  ciboire,  et  des 
outils  pour  le  travail.  Les  bonnes  Mères  de  la  Visita- 
tion de  Paris  nous  ont  fait  un  présent  de  la  valeur  de 
plus  de  deux  cent  cinquante  livres,  nos  chères  Mères 
de  Tours  et  de  Loches  nous  ont  fait  une  bonne  aumône  ; 
nos  amis  de  Tours  s'y  sont  joints;  tout  cela  nous  a 
tirées  de  la  nécessité  où  nous  étions  d'employer  nos 
tours  de  lits  à  faire  des  habits  pour  nos  filles.  Les 
habitants  de  Québec  nous  donnent  des  légumes  et 
autres  semblables  rafraîchissements,  en  sorte  que  nous 
sommes  trop  à  notre  aise,  » 

Madame  de  la  Peltrie,  élevée  dans  la  délicatesse  et 
habituée  à  se  faire  servir,  ne  restait  pas  en  arrière. 

«  Auprès  de  mademoiselle  Charlotte  Barré,  disent  les 
Annales,  accourait  toujours  avec  empressement  madame 
de  la  Peitrie  pour  partager  ces  petits  travaux  domes- 
tiques dont  le  détail  appartient  à  une  sœur  converse. 
Elle  balayait  la  maison,  préparait  la  nourriture,  lavait 
la  vaisselle,  etc.  C'est  surtout  à  peigner  et  à  nettoyer 
les  filles  sauvages  qu'on  la  voyait  se  livrer  avec  plaisir. 

:>i.  DE  l'inc.  ^4 


210  MARIE    DE    l'incarnation. 

Quand  on  nous  les  donne,  il  faut  les  laver  depuis  la 
iêie  jusqu'aux  pieds  :  et  quoi  qu'on  fasse  et  qu'on  les 
change  souvent  de  linge  et  d'habits,  on  ne  peut  de 
longtemps  les  délivrer  de  la  vermine.  Une  sœur  emploie 
une  partie  du  jour  à  cela.  C'est  un  office  que  chacune 
ambitionne;  celle  qui  l'emporte  s'estime  riche  d'un  si 
heureux  sort;  celles  qui  en  sont  privées  s'en  estiment 
indignes  et  demeurent  dans  l'humilité.  Madame  notre 
fondatrice  l'a  exercé  presque  toute  l'année;  aujourd'hui, 
c'est  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph  qui  jouit  de  ce 
bonheur.  »  Voilà  sans  doute  un  bonheur  incompréhen- 
sible pour  les  personnes  mondaines  sans  cesse  appli- 
quées à  parfumer  tout  ce  qu'elles  touchent.  C'est  qu'elles 
n'ont  pas  idée  de  ce  que  Dieu  fait  en  faveur  des  âmes 
qui  ne  lui  marchandent  pas  les  sacrifices.  Ecoutons 
plutôt  ce  que  dit  encore  la  Mère  de  l'Incarnation  : 

«  Nous  avons  patsé  cet  hiver  aussi  doucement  qu'en 
France,  et  quoique  nous  soyons  pressées  dans  un  petit 
trou  où  il  n'y  a  point  d'air,  nous  n'avons  pas  été  mala- 
des, et  jamais  je  ne  me  sentis  ^i  forte.  Si  en  France,  on 
ne  mangeait  que  du  lard  et  du  poisson  salé  comme 
nous  faisons  ici,  on  serait  malade  et  on  n'aurait  pas 
de  voix;  nous  nous  portons  fort  bien  et  nous  chantons 
mieux  qu'on  ne  fait  en  France,  L'air  est  excellent  : 
aussi  est-ce  un  paradis  terrestre  où  les  croix  et  les 
épines  naissent  si  amoureusement,  que  plus  on  est 
piqué,  plus  le  cœur  est  rempli  de  douceur.  » 

Ce  qui  contribuait  à  inonder  de  douceur  et  de  conso- 
lation le  cœur  des  religieuses,  c'était  le  bien  qu'elles 
faisaient  aux  âmes.  En  peu  de  temps,  par  leurs  témoi- 
gnages de  bonté  et  par  l'efficacité  de  leurs  prières,  elles 
transformaient  ces  populations  abruties.  La  Mère  Marie 
écrivait  à  ce  sujet,  au  mois  de  septembre  1641  :  «  Je 


CHAPITRE    IX.  t\\ 

ne  vous  parlerai  pas  de  la  barbarie  de  nos  souvages, 
car  il  n'y  en  a  plus  dans  cette  nouvelle  Eglise;  mais  on 
y  voit  un  esprit  tout  nouveau,  qui  porte  je  ne  sais  quoi 
de  divin....  Nous  avons  des  dévots  et  des  dévotes 
sauvages,  comme  vous  en  avez  de  polis  en'"  France. 
Il  y  a  cependant  cette  différence  qu'ils  ne  sont  pas  si 
subtils  et  si  raffinés  que  les  vôtres,  mais  ils  sont  dans 
une  candeur  d'enfance,  qui  fait  voir  que  ce  sont  des 
âmes  lavées  et  régénérées  dans  le  sang  de  Jésus-Christ. 
Quand  j'entends  parler  le  bon  Charles  Montagnais,  et 
Michel  Tekouerimat,  je  ne  quitterais  pas  la  place 
pour  entendre  le  premier  prédicateur  de  l'Europe... 
11  y  a  quelque  temps,  Michel  me  disait  :  «*  Je  ne  vis  plus 
pour  des  bêtes,  moi,  comme  je  vivais  autrefois,  ni  pour 
des  robes  de  castor.  Je  vis  et  je  suis  pour  Dieu.  Quand 
je  vais  à  la  chasse,  moi,  je  lui  dis  :  Grand  capitaine 
Jésus,  détermine  de  moi;  encore  que  tu  arrêtes  les 
bêtes  et  qu'elles  ne  paraissent  pas  devant  moi,  j'espé- 
rerai toujours  en  toi.  » 

»  Que  pensez-vous  que  mon  cœur  dise  de  tous  ces 
progrès?  pensez- vous  qu'il  ne  chérisse  pas  les  petits 
travaux  du  Canada?  » 

Une  relation  écrite  cette  "même  année,  1641,  par  le 
Père  Le  Jeune,  Jésuite,  fait  encore  mieux  connaître  les 
succès  des  Ursulines. 

«  Leur  monastère  renferme  plus  de  joie  dans  sa 
petite  enceinte  que  les  palais  des  Césars  dans  leur 
grande  étendue. 

»  Disons  deux  mots  de  leurs  petites  séminaristes. 
Ces  petites  créatures  ont  un  si  grand  désir  de  se  faire 
instruire,  qu'elles  disent  à  leurs  maîtresses  de  les  châ- 
tier si  elles  manquent  à  leur  devoir,  et  si  l'une  tombe 
en  quelque  faute,  elle  se  jette  aussitôt  à  genoux  pour 


ÎÎ12  MARIE    DE    l'incarnation. 

demander  pardon.  Les  deux  plus  grandes  écrivirent 
ce  printemps  à  un  de  nos  Pères,  lui  témoignant,  d'un 
côté,  une  grande  consolation  de  ce  qu'il  instruisait 
leurs  compatriotes,  et,  de  l'autre ,  le  plaisir  qu'elles 
auraient  de  le  revoir.  Le  Père  lut  ces  deux  lettres  en 
présence  des  sauvages,  leur  montrant  comme  leurs 
enfants  étaient  capables  d'écrire  aussi  bien  que  les 
Françaises.  Ils  prenaient  ces  lettres,  les  tournaient  de 
tous  côtés;  ils  faisaient  dire  et  redire  tout  ce  qu'il 
y  avait  dedans,  bien  joyeux  de  voir  que  notre  papier 
parlait  leur  langue. 

n  Ces  enfants  croissent  tous  les  jours  en  dévotion 
et  en  vertu;  elles  font  chaque  soir  l'examen  de  leur 
conscience  et  s'entr'avertissent  avec  paix  de  leurs 
petits  défauts.  Il  y  en  a  une,  qui  n'a  pas  plus  de  huit  ans, 
qui  instruit  celles  qui  sont  plus  jeunes,  les  aide  à 
s'examiner  et  leur  recommande  sur  toutes  choses  de 
ne  cacher  aucun  péché.  Je  puis  vous  assurer  que  je 
n'ai  entendu  aucun  enfant  français  de  leur  âge  qui 
ouvrît  son  coeur  plus  nettement,  et  qui  en  reconnût 
mieux  les  petits  plis  et  replis.  » 


Il  y  avait  quelquefois,  il  est  vrai,  des  ombres  au 
tableau  ;  il  se  trouvait  des  enfants  dont  la  sauvage 
nature  ne  se  pliait  pas  aussi  facilement  à  la  discipline. 
En  voici  quelques  exemples. 

Le  chef  des  Algonquins,  Michel  Tekouerimat,  dont 
nous  venons  de  parler,  et  que  les  Ursulines  appelaient 
le  Grand  Tekouerimat,  leur  avait  donné  sa  fille  le 
lendemain  de  leur  arrivée.  Cette  enfant  était  donc  leur 
première  élève,   et  tant  pour  cette  raison  qu'à  cause 


CHAPITRE    IX.  213 

de  la  foi  et  de  toutes  les  grandes  qualités  de  son  père, 
elle  était  la  plus  chérie.  Madame  de  la  Peltrie  voulut 
être  sa  marraine,  et  elle  lui  donna  le  nom  de  Marie. 
Dès  son  entrée,  on  l'avait  habillée  à  la  française  ainsi 
que  plusieurs  de  ses  compagnes  qui  se  joignirent 
promptement  à  elle  :  Madeleine  Amiskouevan,  Marie- 
Madeleine  Abatenau,  Marie-Ursule  Gamitiens,  Agnès 
Chapdikouechich,  Louise  Aretevir  et  Nicole  Asse- 
panse.  La  nouveauté  plut  à  toutes.  N'était-ce  pas  un 
délicieux  passage  de  la  vie  errante  et  grossière  des 
sauvages  aux  manières  civiles  et  douces,  ainsi  qu'à  la 
propreté  des  dames  françaises?  Ce  plaisir  cependant 
dura  fort  peu  pour  notre  volage  petite  Marie.  Elle 
parut  d'abord,  il  est  vrai,  avoir  oublié  les  bois,  les  jeux 
de  son  enfance  et  tous  les  gais  passe-temps  de  la  vie 
indépendante  et  oiseuse;  mais  le  naturel  revint.  — 
Je  suis  triste,  dit-elle  un  jour  à  ses  compagnes;  je 
n'entends  plus  les  oiseaux  de  Sillery;  je  ne  puis  plus 
courir  sur  nos  rochers,  ni  jouer  avec  nos  gentils  écu- 
reuils; je  vais  donc  mourir...  je  suis  triste,  je  vais 
mourir  ici  ! 

A  midi,  Marie  n'était  pas  à  table  :  ce  fut  en  vain 
qu'on  l'attendit,  en  vain  qu'on  la  chercha.  Elle  avait 
imité  ses  «  gentils  écureuils  »  en  grimpant  par-dessus 
la  clôture  pour  prendre  la  route  des  bois.  Après  deux 
heures  de  course,  la  petite  déserteuse  se  trouvait  au 
milieu  de  la  bourgade  de  Sillery;  ses  joUes  chaussures 
ne  tenaient  plus,  sa  belle  robe  rouge  était  en  pièces 
et  ses  longs  cheveux  noirs  tombaient  en  désordre  sur 
ses  épaules. 

Qu'importe!  Elle  se  présente  gaîment  à  l'entrée  de 
la  cabane  de  son  père;  mais  la  réception  ne  fut  pas 
aussi  flatteuse  qu'elle  se  Tétait  imaginé.  Sa  mère,  en  la 


214  MARiK  dp:  l'incarnation. 

voyant  dans  ce  triste  état,  éclate  en  sanglots  et  lui  dit  : 
u  Enfant,  tu  seras  cause  de  ma  mort.  »  Son  père  lui 
adresse  ces  paroles  avec  un  regard  sévère  :  «  Ma  fille, 
est-ce  moi  qui  t'ai  permis  de  quitter  les  vierges?  Va, 
ingrate,  retourne  à  la  maison  de  Jésus...  tu  ne  resteras 
pas  ici.  »  Le  lendemain,  dès  la  pointe  du  jour,  sa  mère 
la  réveille  et  lui  donne  à  manger.  Tekouerimat,  sans 
prononcer  une  seule  parole,  prend  sa  fille  par  le  bras 
et  l'amène  au  canot  qui  les  attendait.  Une  heure 
après,  ils  étaient  sur  le  rivage,  à  la  porte  du  petit 
cloître  de  la  Basse- Ville.  Les  religieuses,  qui  étaient 
dans  une  mortelle  inquiétude,  ne  peuvent  exprimer  leur 
joie.  Marie  seule  se  fait  entendre;  elle  éclate  en  san- 
glots et  promet  qu'elle  sera  pour  toujours  ohéissante. 
Madame  de  la  Peltrie  la  serre  dans  ses  bras,  l'habille 
de  nouveau,  lui  lave  le  visage,  arrange  ses  cheveux, 
lui  met  des  souliers  et  des  mitaines  rouges  et  la  ramène 
à  la  classe. 

L'enfant  fut  fidèle  à  sa  promesse,  elle  fut  toujours 
obéissante  et  elle  se  distingua  par  son  assiduité  au 
travail  et  sa  piété.  Dans  sa  relation  de  1647,  le  R.  P. 
Lallemant  dit,  en  parlant  d'elle  :  «  On  a  marié,  cette 
année,  une  jeune  fille  sortie  depuis  quelque  temps 
du  séminaire  des  Ursulines;  elle  est  d'un  naturel  fort 
doux  et  bien  affermie  dans  la  foi;  le  jeune  homme 
qui  l'a  épousée  n'est  pas  moins  bon  chrétien  que  son 
épouse.  " 

Les  annales  du  monastère  nous  apprennent  en  même 
temps  que  la  générosité  des  religieuses  ne  fit  pas  défaut 
en  cette  occasion  ;  car  non-seulement  elles  donnèrent 
à  Marie  tous  les  petits  meubles  nécessaires  dans  son 
nouveau  ménage,  mais  aussi  elles  obtinrent  pour  cette 
élève  chérie  une  belle  somme  d'argent  que  les  Ursulines 


CHAPITRE    IX.  215 

de  Paris  voulurent  bien  fournir  comme  dot  pour  son 
mariage. 

Ea  1643,  une  autre  Algonquine  eut  également  un 
accès  de  noir  ennui,  ce  que  nous  appelons  le  mal  du 
paijs.  En  vain  religieuses  et  élèves  s'empressaient 
auprès  d'elle.  «  Je  suis  triste,  répondait  Catherine,  je 
m'en  vais  mourir  loin  de  ma  cabane!  »  Assise  dans  un 
coin  et  enveloppée  de  sa  couverture,  elle  semblait 
avoir  fait  ses  adieux  au  monde  entier;  et  si  parfois 
elle  ouvrait  encore  son  œil  morne,  c'était  pour  regarder 
les  chemins  qui  conduisaient  aux  terres  de  chasse  de 
son  père.  Enfin  ne  pouvant  plus  supporter  sa  mélan- 
colie, elle  sort  un  jour  par  une  croisée,  saute  par-dessus 
la  clôture  et  s'éloigne  en  courant  de  toutes  ses  forces. 
Quelques  minutes  après,  elle  se  retourne,  et  voyant  que 
personne  ne  la  suivait,  elle  ralentit  sa  marche.  Puis, 
regrettant  déjà  sa  fuite,  elle  arrive  à  la  cabane  de  ses 
parents.  Ceux-ci,  étonnés,  lui  demandent  pourquoi  elle 
a  quitté  les  filles  vierges  (les  religieuses).  —  C'est  parce 
que  je  suis  triste.  —  Eh  bien,  lui  dit  sa  mère,  puisque 
tu  ne  veux  pas  faire  autre  chose ,  viens  travailler 
avec  moi. 

Quelques  jours  après,  elle  dit  à  sa  mère  :  «  Je  m'en 
vais  retourner  chez  les  filles  vierges,  je  ne  suis  plus 
triste;  je  n'avais  pas  d'esprit  quand  je  les  ai  quittées.  » 
Sa  mère  lui  répond  :  «  Va  si  tu  veux,  mais  ne  reviens 
plus  sans  qu'on  te  le  dise.  » 

Catherine,  livrée  à  sa  volonté,  reprend  la  route  du 
monastère.  A  mesure  qu'elle  approche,  elle  sent  son 
cœur  battre,  car  elle  se  reconnaît  coupable  et  elle  ne 
sait  de  quelle  manière  on  va  la  recevoir.  Elle  se  glisse 
derrière  la  clôture  et  voit  ses  compagnes  qui  s'amu- 
saient gaîment.  «  Oh!  dit-elle,  je  ne  serai  plus  triste!  » 


216  MARIE    DE    l'incarnation. 

et,  s'élançant  vers  la  porte,  elle  demande  l'entrée.  La 
portière  lui  répond  que  sa  place  est  prise  au  séminaire" 
et  qu'elle  ne  peut  plus  entrer.  A  ces  mots  elle  éclate 
en  sanglots,  et  supplie  la  sœur  d'intercéder  pour  elle. 
Peine  inutile;  là  Mère  de  l'Incarnation  avait  résolu 
d'expulser,  au  moins  pour  quelque  temps,  ces  petites 
coureuses  des  bois  qui  troublaient  l'ordre.  Catherine, 
voyant  qu'elle  ne  gagnait  rien,  prend  finement  un 
détour  et  attend  l'heure  où  les  externes  doivent  se 
rendre  au  couvent.  Dès  que  celles-ci  arrivent,  elle  leur 
conte  ses  aventures  et  elles  lui  promettent  leur  assis- 
tance. On  sonne,  la  porte  s'ouvre  et  la  troupe  entre 
lentement.  Bientôt  la  portière  aperçoit  Catherine  qui 
court  se  jeter  aux  pieds  de  la  Mère  de  l'Incarnation.  — 
«  J'ai  mal  fait  de  vous  quitter,  je  ne  m'enfuirai  plus,  je 
serai  obéissante;  c'est  tout  de  bon  que  je  veux  être 
instruite.  »  La  Mère  de  l'Incarnation,  touchée  de  ses 
larmes  et  de  ses  promesses,  lui  fait  grâce;  on  lui 
donne  des  habits  neufs,  elle  se  remet  à  l'étude  et 
jamais,  depuis,  l'on  n'eut  le  moindre  reproche  à  faire 
à  Catherine. 

L'histoire  d'une  autre  espiègle  est  ainsi  racontée  par 
le  Père  Vimont,  Jésuite  : 

«  Une  petite  fille  de  huit  à  neuf  ans  sortit  (à  la  sour- 
dine) du  séminaire  des  Ursulines,  l'an  dernier,  pour 
retourner  chez  ses  parents,  oii  elle  passa  l'hiver.  Au 
printemps,  ils  revinrent  à  Québec,,  et  cette  pauvre 
enfant  va  prier  les  Mères  de  la  reprendre.  On  refuse; 
l'enfant  pleure  et  veut  rester  malgré  ses  parents  et 
contre  la  volonté  des  religieuses.  On  la  renvoie  pour- 
tant; elle  revient,  on  la  refuse  encore.  Enfin  elle  profite 
de  l'occasion  d'une  procession  publique  pour  y  retourner 
une  troisième  fois.  Ce  jour-là,  les  religieuses  faisaient 
f 


CHAPITRE    IX.  217 

festin ^aux  sauvages  et  la  petite  était  présente  avec  ses 
parents.  Mais  au  moment  de  leur  départ,  elle  les  quitte 
et  court  à  la  porte  du  monastère  en  criant  de  toutes  ses 
forces  :  «»  Je  veux  êtrelnstruite,  ayez  pitié  de  moi,  mes 
parents  ne  peuvent  pas  m'instruire!  »  La  nuit  vient, 
la  pluie  tombe,  elle  se  couche  à  la  porte  et  les  reli- 
gieuses sont  forcées  de  l'admettre.  » 

La  chronique  du  monastère  ajoute  que  cette  enfant 
devint  par  la  suite  une  des  plus  sages  de  la  classe. 


Mais  aucune  élève  sauvage  n'a  laissé  un  plus  doux 
souvenir  que  Thérèse,  dite  la  jeune  captive  huronne.  On 
nous  saura  gré  de  faire  connaître  ce  qu'en  disent  les 
Annales  du  monastère  de  Québec. 

Thérèse  fut  amenée  aux  Ursulines  au  printemps  de 
l'année  1640,  par  son  oncle,  le  bon  Joseph  Taonde- 
chorin,  et  l'ardeur  de  son  zèle  pour  la  religion  fut  telle, 
que  ses  saintes  institutrices  en  étaient  tout  émerveil- 
lées. Plusieurs  de  ses  compatriotes  venus  à  Québec 
s'étant  convertis,  on  la  regarda  comme  l'instrument 
dont  Dieu  s'était  servi  pour  leur  ouvrir  les  yeux  à  la 
lumière  de  la  foi.  Voici  ce  que  raconte  à  ce  sujet  le 
Père  Vimont  :  «  Deux  Hurons  avaient  passé  l'hiver  à 
Québec;  l'un  des  motifs  qu'ils  eurent  d'embrasser  la  foi 
de  Jésus-Christ,  fut  de  voir  le  zèle  d'une  jeune  sémina- 
riste, leur  compatriote,  nommée  Thérèse.  Cette  enfant, 
âgée  de  treize  à  quatorze  ans,  leur  parlait  de  Dieu  et 
de  la  grandeur  de  nos  mystères  avec  une  éloquence 
naturelle  si  douce,  que  ces  bonnes  gens  en  étaient 
puissamment  touchés,  en  sorte  qu'un  de  leurs  plaisirs 
était  de  la  visiter  de  temps  en  temps. 


218  MARIE    DE    l'incarnation. 

y>  L'un  d'eux,  considérant  la  ferveur  de  cette  jeune 
chrétienne,  voulut  l'éprouver.  Comme  14  était  sur  le 
point  d'être  baptisé  et  que  cette  enfant  en  ressentait 
une  grande  joie,»  il  va  la  trouver  au  parloir  des  Ursu- 
lines,  et  feignant  d'avoir  perdu  la  foi,  il  lui  dit  qu'il  a 
peine  à  croire  tout  ce  qu'on  lui  enseigne,  et  qu'il  ne 
pense  plus  à  son  baptême.  A  ces  paroles,  voilà  cette 
jeune  fille  tout  en  feu.  «  Que  penses-tu  faire,  misérable? 
lui  dit-elle  dans  une  sainte  colère.  Qui  est-ce  qui  a 
troublé  tes  pensées?  Veux-tu  donc  aller  dans  l'enfer 
avec  les  démons?  Tu  mourras  peut-être  cette  nuit, 
et  tu  te  trouveras  avec  eux  avant  le  jour!  Ah!  le 
diable  t'a  renversé  la  tête.  "  Le  voyant  continuer  à  faire 
l'infidèle,  elle  éclate  en  sanglots  et  l'accable  de  repro- 
ches. Enfin  croyant  qu'il  n'y  a  plus  rien  à  espérer  pour 
lui,  elle  le  quitte  et  va  tout  éplorée  trouver  la  Mère 
de  l'Incarnation.  «  Il  est  perdu,  dit-elle,  et  je  suis 
triste,  car  il  ne  veut  plus  croire  en  Dieu;  le  diable  l'a 
trompé  et  il  dit  qu'il  ne  se  soucie  plus  d'aller  au  ciel.  »» 
Puis,  élevant  la  voix  et  gesticulant  avec  menaces,  elle 
ajoute  :  «  Ah!  si  j'eusse  pu  rompre  la  grille,  je  l'aurais 
bien  battu.  »» 

Les  Ursulines  faisant  une  retraite  chaque  année,  les 
sauvages  qui,  durant  ces  exercices,  ne  les  voyaient 
pas,  disaient  qu'elles  se  cachaient  pour  prier.  La  petite 
Thérèse  voulant  aussi  se  cacher,  se  fait  une  espèce 
de  cabane  dans  un  bocage  retiré  et  passe  toute  sa 
journée  à  prier.  Une  de  ses  compagnes,  l'ayant  trouvée 
là,  lui  demande  ce  qu'elle  fait.  —  Je  me  cache  comme 
les  Mères,  afin  de  prier  Dieu  pour  vous,  pour  moi, 
pour  les  Français  et  pour  les  sauvages. 

A  la  fin  de  son  éducation,  dans  le  cours  do  l'année 
1642;  elle  fut  confiée  au  Père  Jogues  pour  être  rendue 


CHAPITRE    IX.  219 

à  sa  famille  qui  habitait  les  bords  des  grands  lacs; 
mais  elle  fut  prise  par  les  Iroquois  avec  ceux  de  ses 
parents  qui  raccompagnaient,  le  Père  Jogues  et  deux 
Français,  L'année  suivante,  le  Père  Vimont  écrivait 
à  son  sujet  :  «  Nous  avons  des  nouvelles  de  la  jeune 
Thérèse,  captive  chez  les  Iroquois,  Là  son  cœur  reste 
fidèle  à  Dieu,  et  sa  bouche  ne  trouve  de  paroles  que 
pour  le  glorifier.  »  Son  oncle  Taondechorin,  qui  avait 
été  pris  avec  elle,  s'étant  échappé,  lui  rendait  témoi- 
gnage dans  les  termes  suivants  :  «  Thérèse  n'a  point 
de  honte  de  son  baptême;  elle  prie  Dieu  publiquement; 
elle  se  confesse  souvent  au  Père  Jogues,  et  elle  m'obéis- 
sait  en  tout.  Je  l'exhortais  souvent  à  ne  point  se  laisser 
abattre.  Je  lui  disais  :  Aie  courage,  cette  vie  est  courte, 
tes  travaux  prendront  fin  et  tu  seras  heureuse  au  Ciel, 
si  tu  persévères.  Elle  n'a  point  de  chapelet  pour  prier, 
mais  elle  se  sert  de  ses  doigts  ou  de  petites  pierres 
qu'elle  laisse  tomber  à  chaque  Ave  Maria  qu'elle  dit. 

«  Thérèse  parlait  souvent  de  vous,  mes  Mères.  Hélas! 
disait-elle,  si  les  filles  vierges  me  voyaient  en  cet  état 
parmi  ces  méchants  Iroquois,  qui  ne  connaissent  pas 
Dieu,  oh!  comme  elles  auraient  pitié  de  moi!...  » 

La  pauvre  enfant  n'invoqua  pas  en  vain  Tassistance 
de  ses  anciennes  Mères,  dont  l'ingénieuse  tendresse 
avait  déjà  trouvé  moyen  d'intéresser  à  sa  délivrance 
toutes  les  autorités  du  pays.  Grâce  à  cette  touchante 
sollicitude,  Thérèse  fut  délivrée,  quelque  temps  après, 
par  un  échange  de  prisonniers. 


Voici  encore  quelques  traits  qui  montrent  le  bien 
que  firent  les  Ursulines  dès  leur  arrivée  au  Canada. 


220  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

La  Mère  de  Saint- Joseph,  première  maîtresse  des  élèves 
huronnes,  rendant  compte  aux  RR.  PP.  Jésuites  des 
dispositions  de  ses  élèves,  leur  disait  :  «  Quand  on  eut 
donné  avis  à  trois  de  nos  plus  grandes  séminaristes 
quelles  pourraient  communier  à  Pâques,  je  ne  vis 
jamais  plus  de  joie.  Elles  témoignèrent  un  plaisir 
indicible  pendant  qu'on  les  instruisait  sur  cet  adorable 
mystère;  elles  semblaient  avoir  de  cette  amoureuse 
vérité  une  intelligence  bien  supérieure  à  leur  âge.  Elles 
voulurent  jeûner  la  veille  de  leur  première  communion, 
coutume  qu'elles  ont  gardée  depuis,  autant  de  fois 
qu'elles  se  sont  approchées  de  la  sainte  table.  » 

Voici  le  témoignage  que  leur  rend  à  son  tour  madame 
de  la  Peltrie  :  «  Je  ne  puis  me  dispenser  de  vous 
raconter  la  joie  que  nos  enfants  font  paraître  de  ce 
qu'on  leur  a  accordé  la  sainte  communion  pour  le 
Jeudi-Saint.  Cest  une  ferveur  qui  n'est  pas  croyable. 
Quand  on  leur  demande  pourquoi  elles  ont  un  si  grand 
désir  de  communier,  elles  répondent  que  Jésus  viendra 
dans  leur  cœur  et  qu'il  embellira  leur  âme.  Souvent 
l'on  aperçoit  le  visage  de  ma  filleule,  Marie  Négabamat, 
dans  un  épanouissement  de  joie  tout  extraordinaire; 
si  vous  lui  en  demandez  le  sujet  :  «  C'est,  répond-elle, 
que  je  communierai  bientôt.  »  Je  vous  avoue  que  j'ai 
le  cœur  ravi  de  les  voir  dans  de  si  belles  dispositions, 
de  sorte  que  lorsqu'il  plaira  à  Dieu  de  me  retirer  de  ce 
monde,  je  suis  satisfaite,  puisque  sa  miséricorde  com- 
mence à  reluire  sur  nos  pauvres  séminaristes,  et  qu'il 
semble  agréer  nos  petits  travaux.  « 

Un  jour,  pendant  que  le  R.  P.  Pijard  instruisait  celles 
qui  devaient  communier,  une  des  plus  petites,  âgée 
d'environ  six  ans,  se  présenta  devant  lui,  demandant 
à  être  admise  à  communier  comme  les  autres.  Le  Père 


CHAPITRE    IX.  221 

lui  dit  qu'elle  était  trop  petite.  «  Ah  !  Père,  s'écria-t-elle, 
ne  me  renvoyez  pas  parce  que  je  suis  petite;  vous 
verrez,  je  deviendrai  bientôt  aussi  grande  que  mes 
compagnes.  »  On  lui  laissa  écouter  l'instruction,  et  elle 
retint  si  bien  ce  qu'elle  entendait,  elle  en  rendait  compte 
d'une  manière  si  étonnante,  qu'elle  ravissait  tous  ceux 
qui  l'interrogeaient. 

Sa  mère,  étant  venue  la  voir,  elle  se  mit  à  l'instruire 
des  mystères  de  notre  sainte  foi,  qu'elle  lui  expliquait 
par  des  images  ;  ensuite  elle  la  fit  prier  Dieu  et  se  mit 
en  devoir  de  lui  apprendre  à  lire.  La  mère  était  si 
ravie,  qu'elle  se  fit  enfant  avec  son  enfant,  prenant 
sa  leçon  et  répétant  les  lettres  après  sa  petite  fille. 
Ensuite  elle  dit  aux  religieuses  :  «  Ah  !  que  n'ai-je 
connu  Dieu  aussitôt  que  vous;  je  suis  très-contente  de 
voir  ma  fille  avec  vous;  quand  nous  la  retirerons,  elle 
nous  instruira  son  père  et  moi;  nous  avons  tous  deux 
un  grand  désir  d'être  baptisés  ;  elle  nous  enseignera 
à  prier  Dieu.  » 

Voici  une  autre  preuve  de  la  précocité  d'intelligence 
chez  les  enfants  canadiens.  Elle  se  trouve  dans  une 
lettre  de  la  Vénérable  Mère,  datée  du  3  septembre  1640, 
et  adressée  à  une  dame  de  qualité,  dont  on  ignore  le  nom. 

y*  Votre  filleule,^  Marie-Madeleine  Abateneau,  nous 
fut  donnée  toute  couverte  de  petite  vérole  et  n'ayant 
encore  que  six  ans.  A  cet  âge,  elle  seule  avait  servi 
son  père  et  sa  mère  dans  la  maladie  dont  ils  mouru- 
rent, ce  qu'elle  faisait  avec  tant  d'adresse,  qu'elle  exci- 
tait l'admiration.  Il  ne  se  peut  rien  voir  de  plus  obéis- 

(1)  Plusieurs  dames  en  France  s'intéressaient  à  l'œuvre  apostolique  du  Canada, 
et  demandaient  à  être  marraines  de  petites  sauvages,  à  peu  près  comme  on  le 
pratique  aujourd'hui  pour  les  enfants  chinois,  excepté  qu'elles  connaissaient,  pour 
ainsi  dire,  leurs  filleules  par  les  nouvelles  qu'on  leur  en  donnait. 


222  MARIE    DK    L  INCARNATION. 

sant  que  cette  enfant;  elle  prévient  même  l'obéissance, 
car  elle  a  l'adresse  de  se  placer  dans  les  lieux  où  elle 
prévoit  qu'on  pourra  l'employer;  et  elle  fait  ce  qu'on 
lui  commande  avec  tant  de  maturité  et  de  si  bonne 
grâce,  qu'on  la  prendrait  pour  une  fille  de  qualité. 
J'ajouterai,  pour  votre  consolation,  qu'elle  sait  par 
cœur  son  catéchisme,  avec  les  prières  chrétiennes 
qu'elle  récite  avec  une  dévotion  capable  d'en  donner 
à  ceux  qui  la  voient.  » 

La  vénérable  Mère  ajoute  dans  la  même  lettre  : 
«  Marie-Ursule  Gamitiens,  filleule  de  mademoiselle 
de  Chevreuse,  n'est  âgée  que  de  cinq  à  six  ans.  Elle 
n'est  pas  plus  tôt  éveillée,  qu'elle  se  met  d'elle-même 
en  devoir  de  prier  Dieu.  Elle  dit  son  chapelet  durant 
la  messe  et  chante  des  cantiques  en  sa  langue 
sauvage.  »» 

C'est  peut-être  de  sa  bouche  que  sortirent  ces  paroles 
attribuées  à  une  petite  sauvage  qu'on  ne  nomme  pas  : 
«  Je  n'ai  plus  de  parents  que  les  vierges  habillées  de 
noir;  ce  sont  mes  mères.  Mon  père  me  l'a  dit  avant 
sa  mort,  il  m'a  commandé  de  leur  obéir,  il  m'a  donné 
à  elles  afin  qu'elles  fussent  mes  mères.  » 

La  Mère  de  l'Incarnation  dit  encore,  à  propos  de 
trois  autres  jeunes  filles  qui  leur  avaient  été  confiées 
par  un  Jésuite  :  «  Les  trois  séminaristes  que  vous  nous 
avez  données,  ont  laissé  leur  humeur  sauvage  à  la 
porte.  Elles  n'en  ont  rien  apporté  chez  nous,  et  il 
semble  qu'elles  y  aient  toujours  été  élevées.  Elles  voient 
tranquillement  entrer  et  sortir  des  filles  et  des  femmes 
sauvages,  sans  laisser  voir  aucun  désir  de  les  suivre. 
Elles  les  saluent  à  la  française  et  les  quittent  en  riant. 
II  leur  semble  que  nous  soyons  leurs  mères  naturelles, 
et  elles  viennent  se  jeter  entre  nos  bras  comme  en'leur 


CHAPITRE    IX.  223 

refuge,  quand  elles  ont  quelque  petite  affliction.  L'un 
de  ces  jours,  comme  j'avais  des  douleurs  de  tête,  on 
leur  dit  que  j'étais  malade  et  que  je  mourrais  si  elles 
faisaient  du  bruit.  A  ce  mot  de  mourir,  elles  se  mirent 
toutes  à  pleurer,  et  elles  gardèrent  parfaitement  le  si- 
lence. Quedésireriez-vous  davantage?  Ne  semble-t-il  pas 
que  les  trésors  du  Ciel  se  versent  sur  ce  pauvre  peuple?» 

Madame  de  la  Peltrie,  écrivant  à  un  Père  Jésuite, 
rend  le  même  témoignage  aux  petites  sauvages,  dans^ 
les  termes  suivants  :  «  Je  ne  serais  pas  satisfaite  si  je 
ne  vous  entretenais  de  la  consolation  que  je  reçois 
journellement  de  nos  petites  filles;  j'en  ai  tout  le  plaisir 
qu'une  mère  pourrait  souhaiter  de  ses  bons  enfants, 
tant  en  l'obéissance  qu'elle  me  rendent,  qu'en  l'amour 
tendre  et  filial  qu'elles  me  portent.  J'avais  commission, 
durant  la  retraite  de  nos  Mères,  de  leur  faire  prier 
Dieu,  de  leur  faire  répéter  leur  leçon;  je  ressentais, 
en  faisant  cette  action,  une  joie  qui  ne  se  peut  dire. 
Leur  ayant  fait  comprendre  que  nos  Mères  étaient  avec 
Dieu,  je  leur  fis  garder  durant  huit  jours  un  silence  qui 
m'étonna;  j'en  venais  bien  plus  aisément  à  bout  que  des 
Françaises.  L'un  de  ces  jours,  ayant  gardé  le  lit  une 
matinée  pour  quelque  indisposition,  comme  je  vins 
à  passer  dans  leur  chambre,  l'après-dînée,  ce  furent 
des  caresses  qui  ne  sont  pas  croyables.  ElUes  s'écriaient 
Nmgue,  Ningue,  ma  Mère,  ma  Mère;  elles  se  jetaient 
à  mon  cou  si  bien  que  j'eus  de  la  peine  à  m'en  défaire. 

r>  Etant  allée  vous  voir  dernièrement  à  Saint-Joseph 
de  Sillery,  je  laissai  deux  de  mes  enfants  à  la  maison; 
elles  ne  firent  que  se  lamenter  en  mon  absence;  l'on 
en  trouva  une  tout  éplorée  dans  un  petit  coin,  se 
lamentant  et  s'écriant  :  Daiar,  Nmgue,  Daiar,  venez,  ma 
Mère,  venez  ;Da/ar,  Madame.  Elles  m'appellent  tantôt 


224  MARIE    DE    l'incarnation. 

d'une  façon,  tantôt  d'une  autre,  croyant  ainsi  me  faire 
répondre  plus  tôt. 

j»  J'ai  commencé  à  leur  montrer  à  travailler  à  l'ai- 
guille, mais  mon  principal  exercice,  c'est  de  les  pei- 
gner, laver  et  habiller;  je  ne  suis  pas  capable  de 
chose  plus  grande.  Hélas  !  mon  révérend  Père,  encore 
suis-je  trop  heureuse  de  leur  pouvoir  rendre  ces  petits 
services.  »» 


Voilà  la  véritable  charité  chrétienne;  elle  s'exerce 
par  le  dévoûment  le  plus  généreux,  et  avec  l'humilité 
la  plus  profonde.  C'est  le  feu  que  Notre  Seigneur  est 
venu  apporter  sur  la  terre  et  qui  produit  un  embrase- 
ment. Les  missionnaires  françaises  brûlaient  de  ce  feu 
et  elles  le  communiquaient  à  tout  ce  qui  les  approchait. 
Persuadé  que  les  âmes  pieuses  aimeront  à  voir,  dans 
les  œuvres  admirables  des  premières  Ursulines  du 
Canada,  les  preuves  d'un  zèle  que  Dieu  bénissait  d'une 
manière  visible,  nous  ajouterons  de  nouveaux  récits 
à  ceux  que  nous  avons  donnés.  La  voie  que  nous  avons 
à  suivre  est  d'ailleurs  facile;  elle  nous  est  tracée  en 
ces  termes,  par  l'annaliste  du  monastère  de  Québec. 

«  Sans  parler  de  ces  nombreux  néophytes,  hommes, 
femmes  et  filles,  qu'elles  disposèrent  au  saint  baptême, 
ni  de  ces  innocentes-  petites  séminaristes  nouvellement 
régénérées,  et  qui  cherchaient  en  tout  à  imiter  la 
ferveur  de  leurs  Mères,  passons  à  celles  qui,  plus 
avancées  en  âge,  portaient  au  loin  les  fruits  des  saintes 
instructions  qu'elles  avaient  reçues.  » 

«  Nous  avons  eu,  dit  la  vénérable  Mère,  trois 
grandes  séminaristes  qui  ont  été  cet  hiver  à  la  chasse 
avec  leurs  parents,  pour  les  aider  dans  le  ménage  et 


CHAPITRE    IX.  2*25 

à  apprêter  leurs  pelleteries.  Elles  s'appelaient  Anne- 
Marie  ,  Agnès  et  Louise.  Elles  eurent  bien  de  la 
peine  à  se  résoudre  à  ce  voyage ,  parce  qu'elles 
devaient  être  trois  mois  privées  de  la  sainte  Messe 
et  de  l'usage  des  sacrements.  Nous  les  pourvûmes 
autant  que  notre  pauvreté  put  le  permettre,  après 
quoi  elles  nous  quittèrent  avec  bien  des  larmes.  Leur 
principal  office  était  de  régler  les  prières  et  les  exer- 
cices du  chrétien  parmi  les  sauvages.  L'une  s'occupait 
des  prières  et  les  faisait  faire  avec  une  singulière 
dévotion;  la  seconde  indiquait  les  cantiques  spirituels 
sur  les  mystères  de  la  foi  ;  la  troisième  présidait  à 
l'examen  de  conscience  et  faisait  concevoir  à  l'assem- 
blée l'importance  de  cet  exercice.  Mais  quoiqu'elles 
passassent  ainsi  le  temps  dans  des  pratiques  de  dévo- 
tion ,  elles  ne  laissèrent  pas  d'écrire  deux  fois  au 
R.  P.  Supérieur  de  la  mission  et  à  moi,  en  des  termes 
si  religieux  et  si  judicieux,  que  tout  le  monde  admi- 
rait leur  esprit.  Le  sujet  de  leurs  lettres  était  que  se 
voyant  si  longtemps  privées  des  sacrements ,  elles 
demandaient  qu'on  leur  envoyât  des  secours  pour  les 
retirer  de  cet  ennui. 

»  A  leur  retour,  la  première  visite  qu'elles  firent  fut 
au  Très-Saint'Sacrement,  la  seconde  à  l'image  de  la 
Très-Sainte  Vierge,  comme  aussi  au  petit  Jésus.  Anne- 
Marie  avait  cherché  les  premières  fleurs  du  printemps 
pour  leur  faire  des  couronnes. 

y>  Anne-Marie  et  Agnès  étant  suffisamment  instruites, 
leurs  parents  songèrent  à  les  reprendre  tout  à  fait. 
Elles  en  eurent  beaucoup  de  chagrin  et  vinrent  un  jour 
trouver  notre  Vénérable  Mère,  lui  présentant  deux 
petites  lettres  qu'elles  désiraient  envoyer  à  leur  cabane. 
Voici  ces  deux  lettres  oii   l'on  verra  avec  plaisir  un 

M.     DE    l'iNC.  15 


226  MARIE    DE    l'incarnation 

échantillon  de  style  des  jeunes   sauvages   élevées   au 
Canada  par  les  premières  Ursulines.  » 

On  n'explique  pas  le  titre  de  frère  et  de  sœur  que 
donnent  ces  enfants  à  leur  père  et  à  leur  mère. 

Première  lettre  : 

«  Mon  frère,  je  suis  résolue  de  ne  m'en  pas  aller, 
c'est  une  conclusion  prise  que  je  veux  être  vierge,  et 
que  je  désire  aimer  et  servir,  en  cette  maison  oii  je 
suis,  Celui  qui  a  tout  fait.  Je  désire,  dis-je,  y  demeurer 
toute  ma  vie  pour  instruire  des  filles  de  ma  nation. 
Si  je  puis  une  fois  savoir  bien  lire  et  écrire,  je  leur 
enseignerai  plus  efficacement  à  aimer  Dieu.  Apaise-toi, 
mon  frère,  apaise  ma  soeur,  car  je  ne  veux  plus  m'en 
aller  chez  toi.  Adieu  donc,  mon  frère ,  je  te  serai 
servante  tant  que  je  vivrai  et  je  prierai  Dieu  pour  toi 
dans  la  maison  des  prières.  Agnès.  » 

Voici  la  lettre  d'Anne-Marie  : 

«  Mon  frère,  agréerais-tu  que  je  demeurasse  pour 
toujours  avec  les  filles  vierges  en  cette  maison?  car 
de  tout  mon  cœur  je  souhaité  d'être  vierge  comme 
elles,  et  c'est  une  affaire  d'importance  pour  moi  que 
je  sois  toujours  vierge.  Quand  je  serai  plus  grande, 
j'instruirai  les  filles  de  ma  nation,  et  leur  enseignerai 
le  chemin  du  Ciel,  afin  qu'elles  puissent  un  jour,  après 
leur  mort,  voir  Celui  qui  a  tout  fait.  Voilà  pourquoi  j'ai 
résolu  de  ne  m'en  pas  retourner  chez  toi,  si  tu  l'agrées, 
et  de  demeurer  pour  toujours  dans  la  maison  des 
prières.  Prie  pour  moi,  je  prierai  pour  toi  tant  que  je 
vivrai,  et  je  te  serai  servante,  moi  qui  suis  ta  fille. 

"  Anne-Marie.  « 


CHAPITRE    IX.  227 

Que  devinrent  ces  deux  intéressantes  jeunes  filles? 
Nous  ne  trouvons  rien  sur  le  sort  d'Anne-Marie;  mais 
nous  pouvons  faire  connaître  celui  de  la  bonne  petite 
Agnès.  Voici  d'abord,  à  son  sujet,  quelques  lignes  de 
la  Mère  de  l'Incarnation  : 

«  Agnès  Chapdikouechich,  nous  fut  donnée  au  mois 
d'août  1639.  Le  nom  d'Agnès  lui  convient  très-bien, 
car  c'est  un  agneau  en  douceur  et  en  simplicité. 
Quelque  temps  avant  d'entrer  au  séminaire ,  elle 
rencontra  le  R.  P.  de  Quen  dans  le  bois  où  elle 
coupait  sa  provision  ;  elle  ne  l'eut  pas  plus  tôt  aperçu 
qu'elle  jeta  sa  hacbe  à  l'écart  et  lui  dit  :  «Instruis- 
moi,  y  Agnès  fit  cela  de  si  bonne  grâce  que  le  Père 
en  fut  sensiblement  touché,  et,  pour  satisfaire  sa  fer- 
veur, il  l'amena  au  séminaire  avec  deux  de  ses  compa- 
gnes. Toutes  trois  se  rendirent  bientôt  capables  du 
saint  baptême.  Agnès  fit  en  peu  de  temps  de  très- 
grands  progrès,  tant  danç  la  connaissance  de  nos  saints 
mystères  que  dans  les  bonnes  mœurs,  dans  la  science 
des  ouvrages,  à  lire,  à  jouer  de  la  viole  et  en  mille 
autres  petites  adresses.  » 

Trois  ans  s'écoulent;  Agnès  avançait  en  âge,  en 
vertu,  en  science  et  en  grâces  naturelles.  Habillée  à  la 
française,  douce  et  polie,  parlant  et  écrivant  sa  propre 
langue  ainsi  que  le  français,  avec  facilité,  elle  ne 
ressemblait  en  rien  à  cette  enfant  de  la  forêt  que  le 
Père  de  Quen  avait  rencontrée  coupant  des  branches 
d'arbres  avec  sa  petite  hache.  La  voyant  si  gracieuse 
et  si  accomplie,  ses  parents  voulurent  l'avoir  avec  eux 
pendant  quelque  temps,  avant  de  la  laisser  entrer  au 
noviciat. 

Ils  l'emmenèrent  à  la  pêche  dans  l'automne  de  1643. 
Un  jour  qu'elle  s'amusait  dans  un  canot  avec  plusieurs 


228  MARIE    DE    l'incarnation. 

autres  jeunes  filles,  la  frêle  embarcation  versa  et  elles 
tombèrent  dans  les  eaux  profondes  du  Saint-Laurent. 
On'se  hâta  d'accourir  à  leur  secours;  le  frère  d'Agnès 
parvint  à  saisir  sa  sœur  et  la  transporta  presque  sans 
vie  sur  le  rivage.  Elle  revint  peu  à  peu  et  parut 
reprendre  des  forces  ;  mais  cet  accident  avait  déterminé 
sa  mort. 

Peu  après,  la  vénérable  Mère  de  l'Incarnation  annon- 
çait à  ses  amis  de  France  la  fin  édifiante  de  sa  douce 

a 

Agnès.  «  Il  est  mort  une  de  nos  séminaristes  dans  les 
bois.  Nous  avions  pensé  la  faire  religieuse,  car  elle 
en  était  très-digne.  Mais  enfin  elle  est  morte  son  livre 
à  la  main  et  en  priant  Dieu.  » 

Quand  ceux  qui  l'assistaient  lui  annoncèrent  qu'elle 
allait  mourir,  elle  se  recueillit,  puis,  poussant  un  pro- 
fond soupir,  elle  dit  :  «  Hélas!  je  voudrais  bien  pouvoir 
me  confesser,  je  ne  sens  rien  qui  me  pèse  sur  Ta  con- 
science; mais  je  voudrais  bien  être  assistée  par  un 
Père.  "  Il  n'y  avait  pas  moyen  de  satisfaire  ce  désir, 
car  ses  parents  étaient  dans  leurs  grandes  chasses  et 
l'avaient  emmenée  avec  eux  loin  de  toute  habitation. 
La  pauvre  enfant  suppléa  par  sa  foi  vive  et  sa  douce 
piété  aux  secours  extérieurs  qui  lui  manquaient.  Elle 
produisait  des  actes  de  douîeur  d'avoir  offensé  Dieu, 
mais  avec  des  expressions  si  touchantes,  au  rapport 
d'un  jeune  Français  qui  avait  accompagné  ces  sauvages 
chrétiens  pour  apprendre  leur  langue,  que  tous  en 
étaient  vivement  émus.  Elle  avait  toujours  en  main 
ou  devant  ses  yeux  son  livre  et  son  chapelet  pour 
entretenir  ses  rapports  intimes  avec  Dieu,  et  ce  fut 
ainsi  qu'elle  expira  sous  le  regard  des  anges,  loin  de 
ce  monastère  béni,  où  elle  avait  tant  désiré  de  faire 
le  sacrifice  de  toutes  choses  et  d'elle-même.  " 


CHAPITRE    IX.  229 

Ses  parents  l'inhumèrent  avec  son  livre  de  prières 
et  son  rosaire;  et  quand  on  leur  demanda  s'ils  n'avaient 
pas  de  regret  de  l'avoir  perdue.  —  Non,  dirent-ils, 
elle  a  fait  une  trop  belle  mort;  nous  la  croyons  bien- 
heureuse, il  ne  faut  pas  s'attrister  de  son  bonheur. 

Pauvre  enfant  !  Dieu  lui  accorda  la  grâce  de  mourir 
vierge  comme  elle  l'avait  tant  désiré.  Qui  sait  même  si, 
voyant  ses  parents  s'opposer  à  sa  vocation,  elle  ne 
demanda  pas  elle-même  cette  mort  prématurée,  mais 
bien  précieuse  aux  yeux  de  la  foi?  Elle  avait  été  recher- 
chée en  mariage  non-seulement  par  des  jeunes  gens 
de  sa  nation,  mais  par  des  Français;  n'était-ce  pas 
assez  pour  lui  causer  un  vif  désir  de  s'envoler  prompte- 
ment  au  ciel  avec  l'innocence  de  son  baptême  et  la 
brillante  auréole  de  sa  virginité? 

Au  premier  abord  on  pourrait  être  surpris  de  voir 
une  si  grande  et  si  prompte  transformation  chez  ces 
pauvres  populations  du  Nouveau-Monde;  mais  l'éton- 
nement  cesse  quand  on  sait  avec  quel  zèle  notre  véné- 
rable Mère  se  livrait  à  ce  travail  avec  ses  sœurs.  Voici 
comment  parle  de  leur  œuvre,  le  P.  Vimont,  Jésuite  : 

«  Les  UrsuUnes  ont  des  séminaristes  passagères 
tirées  des  cabanes  sauvages,  et  elles  en  ont  de  séden- 
taires. Leurs  grilles  sont  visitées  des  nouveaux  chré- 
tiens, qui  les  vont  voir  pour  entendre  parler  des  choses 
du  Ciel.  Il  y  a  dans  cette  maison  des  religieuses  qui 
parlent  algonquin,  d'autres  qui  parlent  huron  :  elles 
honorent  Notre-Seigneur  en  plusieurs  langues,  et  sa 
bonté  leur  donne  occasion  de  débiter  la  science  qu'il 
leur  a  départie,  leur  envoyant  des  personnes  qui,  par 
leur  moyen,  apprennent  à  le  connaître  et  à  l'aimer. 

y>  On  aurait  de  la  peine  à  croire  que  de  petites  filles 
sauvages    se    rendissent   ponctuelles   aux   temps    des 


230  MARIE    DE    l'incarnation. 

prières  et  des  instructions,  si  nos  yeux  ne  voyaient 
cette  vérité.  Il  n'y  a  donc  rien  de  si  farouche  que  la 
douceur,  la  grâce  et  l'éducation  ne  polissent.  On  entend 
souvent  avec  plaisir  ces  petites  sauvages  entonner  un 
motet  dans  le  chœur  des  rehgieuses  pendant  l'élévation 
du  Saint- Sacrement,  et  même  chanter  avec  elles  pen- 
dant les  vêpres.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  si  l'on  avait 
le  moyen  d'en  loger  un  plus  grand  nombre,  on  les 
rendrait  aussi  adroites  et  aussi  gentilles  que  nos  Euro- 
péennes. Ce  n'est  pas  cependant  ce  que  l'on  cherche 
pour  le  moment,  mais  bien  de  graver  dans  leur  cœur 
l'amour  et  la  crainte  de  Celui  dont  elles  ont  maintenant 
la  connaissance  :  c'est  à  quoi  visent  les  travaux  de 
ces  bonnes  Mères,  auxquelles  Notre- Seigneur  semble 
donner  sa  bénédiction. 

»  Or,  ce  n'est  pas  seulement  à  l'égard  de  ces  jeunes 
enfants  que  ces  bonnes  Mères  emploient  leur  zèle  :  des 
femmes  sauvages  et  d'autres  personnes  les  vont  visiter 
à  leurs  grilles  et  les  supplient  de  leur  donner  quelque 
instruction  ;  d'autres  laissent  leurs  filles  comme  en 
dépôt  pendant  quelques  mois  qu'ils  vont  faire  leurs 
grandes  chasses,  bien  assurés  qu'elles  ne  souffriront 
ni  la  faim  ni  le  froid  ;  et  ce  qui  vaut  mieux  que  tout 
le  reste,  ils  se  réjouissent  de  ce  qu'on  leur  apprend 
le  chemin  du  Ciel. 

»  Une  de  ces  femmes,  baptisée  depuis  quelques 
années,  revint  trouver  les  religieuses  pour  être  instruite 
de  nouveau  sur  le  Saint-Sacrement.  —  J'ai  été  long- 
temps absente,  dit-elle,  j'ai  perdu -la  mémoire  de  ce 
que  je  dois  savoir.  A  chaque  article  que  lui  expliquait 
la  bonne  Mère  qu'on  lui  avait  donnée  pour  maîtresse  : 
—  Voilà  justement,  disait-elle,  ce  qu'on  m'avait  ensei- 
gné! je  n'ai  point  d'esprit,  je  ne  saurais  retenir  ce  qu'on 


CHAPITRE    IX.  231 

me  dit.  En  vérité,  tu  me  fais  plaisir,  je  te  remercie. 
Ah!  que  j'étais  affligée  quelquefois  quand  quelques-uns 
de  mes  enfants  venaient  à  mourir!  je  ne  trouvais  point 
de  consolations;  mais  depuis  que  je  suis  baptisée,  je 
dis  en  mon  cœur  :  Dieu  a  de  l'esprit,  il  est  bien  sage, 
il  est  bon,  il  sait  tout  ce  qu'il  fait;  peut-être  qu'il  voit 
de  loin  que  si  mon  enfant  vivait  plus  longtemps,  il  ne 
croirait  plus  en  lui  et  qu'il  serait  brûlé  ;  voilà  pourquoi 
il  le  prend  de  bonne  heure;  laissons-le  donc,  car  mon 
enfant  n'est  pas  mal  d'être  avec  lui.  Quand  j'en  vois 
mourir  un,  je  dis  :  0  Dieu,  détermine  de  moi  aussi, 
si  tu  veux;  fais  tout  ce  que  tu  voudras  de  mes  enfants. 
Tu  me  veux  peut-être  éprouver;  tu  veux  voir  si  je 
crois  en  toi  ;  quand  tu  m'affligerais  cent  fois  davantage, 
j'y  croirais  toujours;  je  t'aimerai  et  t'obéirai  toujours, 
je  veux  tout  ce  que  tu  veux;  et  puis,  en  m'adressant 
à  mon  enfant,  je  lui  dis  :  prend  courage,  va-t-en  voir 
Dieu,  et,  quand  tu  le  verras,  dis-lui  :  Aie  pitié  de  ma 
mère!...  prie-le  pour  moi  afin  que  j'aille  au  Ciel  avec 
toi;  je  prierai  pour  ton  âme,  afin  que  tu  ne  sois  pas 
longtemps  en  Purgatoire.  " 


«  Ce  n'est  pas  tout,  ajoute  le  même  Père,  plusieurs 
sauvages  de  l'Isle,  de  la  nation  des  Iroquois  (dans  les 
environs  du  lac  Témiscaming)  et  d'autres  endroits, 
étant  venus  se  camper  assez  près  de  Québec,  allaient 
tous  les  jours  dans  la  chapelle  des  Ursulines,  où  le 
Père  de  Quen  leur  faisait  l'aumône  spirituelle;  on  en  a 
baptisé  quelques-uns  dans  cette  petite  église,  après  les 
avoir  suffisamment  instruits.  Or,  comme  la  misère 
accablait  ce  peuple,  l'aumône  spirituelle   étant  faite. 


232  MARIE    DE    l'incarnation. 

venait  l'aumône  corporelle.  Les  Mères,  au  sortir  du 
sermon,  donnaient  à  manger  à  quatre-vingts  personnes, 
charité  quelles  ont  continuée  durant  six  semaines.  « 

Après  ces  traits  édifiants  des  jeunes  sauvages  du 
Canada  élevées  par  les  Ursulines,  en  voici  d'autres 
racontés  par  le  P.  Vimont,  Jésuite.  Il  dit,  en  parlant 
de  ces  jeunes  filles  : 

«  Tout  ce  qui  regarde  le  Sauveur  leur  est  adorable, 
surtout  sa  sainte  mort  et  passion. 

y>  La  plus  grande  récréation  pour  elles  est  de  danser 
à  la  mode  de  leur  pays  ;  elles  ne  se  livrent  pas  néan- 
moins à  cet  amusement  sans  en  avoir  demandé  la 
permission.  Etant  venues  un  jour  demander  à  leur 
maîtresse  de  le  leur  permettre,  la  religieuse  leur  dit  : 
Mes  enfants,  c'est  aujourd'hui  vendredi,  Jésus  est  mort 
le  vendredi  et,  par  conséquent,  c'est  un  jour  de  tristesse. 
Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  les  arrêter.  Nous  ne 
danserons  plus  ce  jour-là,  dirent-elles. 

»  Le  Vendredi-Saint,  ces  petites  sauvages  baptisées, 
voyant  jeûner  leurs  maîtresses  plus  rigoureusement 
qu'à  l'ordinaire,  résolurent  de  les  imiter;  elles  cachèrent 
donc  tout  ce  qu'on  leur  donna  à  manger  ce  jour-là, 
se  contentant  de  pain  sec,  sans  vouloir  prendre  de 
collation  le  soir. 

»  Ces  bonnes  Ursulines  n'oublient  rien  pour  bien 
élever  toutes  ces  petites  créatures.  La  dévotion  à  la 
Mère  de  Dieu  est  aussi  florissante,  parmi  ces  petites 
pensionnaires  du  Canada,  qu'au  milieu  des  demoiselles 
de  notre  France.  Ces  religieuses  impriment  tellement 
l'amour  de  Marie  dans  le  cœur  de  leurs  élèves,  que 
celles-ci  ne  respirent  que  son  service.  Assez  souvent 
on  les  trouve  seules,  priant  Dieu  et  récitant  leur  cha- 
pelet. Elles  prennent  un  singulier  plaisir  à  ramasser 


"  CHAPITRE    IX.  1^33 

des  fleurs  dans  les  bois  et  à  en  faire  des  couronnes 
qu'elles  présentent  à  l'image  de  la  Sainte  Vierge;  elles 
l'entourent  de  leurs  plus  beaux  bouquets  et  lui  font 
ingénument  toutes  les  caresses  possibles.  Parfois  ces 
jeunes  filles  se  glissent  dans  le  chœur,  et  là,  se  plaçant 
de  part  et  d'autre  comme  des  religieuses  lorsqu'elles 
officient,  et  tenant  chacune  un  livre  à  la  main,  elles 
chantent  des  hymnes  ou  récitent  des  prières  comme 
elles  l'ont  vu  faire  à  leurs  maîtresses.  Elles  chantent 
ainsi'  VAve  Maris  Stella  avec  les  inclinations  convenables, 
et  n'en  sachant  point  d'autres  par  cœur,  elles  les  répè- 
tent jusqu'à  vingt  et  trente  fois,  tant  elles  ont  de  plaisir 
à  chanter  les  louanges  de  la  Vierge  Mère  de  Dieu. 

»  Leur  affection  pour  saint  Joseph  suit  de  fort  près 
celle  de  la  Sainte  Vierge.  Qui  veut  qu'on  aime  celle-ci 
veut  aussi  qu'on  honore  son  glorieux  époux  :  c'est 
pourquoi  ces  bonnes  Mères  mettent  bien  avant  dans 
le  cœur  de  ces  petites  innocentes  la  tendresse  pour  ce 
saint  patriarche,  et  elles  leur  apprennent  à  dire,  après 
chaque  Ave  Maria  de  la  couronne  de  la  Sainte  Vierge, 
Sancte  Joseph,  ora  pro  nobis,  parce  qu'elles  l'ont  choisi 
pour  leur  premier  protecteur  parmi  les  saints.  » 

Le  bien  opéré  par  les  Ursulines  était  si  remarqué, 
que  le  P.  Vimont  ne  fait  pas  difficulté  de  regarder 
leur  établissement  comme  l'un  des  plus  précieux  du  pays. 

«  Le  séminaire  des  Ursulines  est  un  des  plus  beaux 
ornements  de  la  colonie,  et  une  ressource  signalée  pour 
fixer  les  sauvages  et  les  convertir.  Elles  ont  toujours 
eu  un  assez  bon  nombre  de  filles  sauvages  tant  pen- 
sionnaires fixes  que  passagères,  outre  les  petites  filles 
françaises;  et  quantité  de  sauvages,  hommes  et  fem- 
mes, les  vont  voir  souvent  pour  recevoir  secours  et 
instruction.  » 


234  MARIK    DE    l'incarnation. 

Le  P.  Lallement,  dans  sa  relation  de  1647,  dit  que, 
durant  le  cours  de  cette  année,  elles  ont  instruit  et 
secouru  plus  de  quatre-vingts  filles  sauvages. 

Un  an  auparavant,  la  Mère  de  l'Incarnation  écrivait  : 
«  Notre  plus  grande  moisson,  c'est  l'hiver,  alors  que  nos 
sauvages  allant  à  la  chasse  de  six  mois,  nous  laissent 
leurs  filles  pour  les  instruire.  Ce  temps  nous  est  pré- 
cieux, car  comme  l'été  les  enfants  ne  peuvent  quitter 
leurs  mères,  ni  les  mères  leurs  enfants,  et  qu'elles  se 
servent  d'eux  dans  leurs  champs  de  blé  d'Inde  et  à 
presser  les  peaux  de  castors,  nous  n'en  avons  pas 
un  si  grand  nombre.  Nous  en  avons  néanmoins  toujours 
assez  pour  nous  occuper.  >» 

Quant  aux  sauvages,  hommes  et  femmes,  qui  venaient 
aux  parloirs  recevoir  l'assistance  corporelle  et  spiri- 
tuelle, leur  affluence  fut  quelquefois  bien  grande,  puis- 
que, d'après  les  annales  du  monastère,  il  y  en  eut 
jusqu'à  huit  cents  dans  une  seule  année. 

En  1648,  la  Mère  de  l'Incarnation  exprimé  son  regret 
que  le  nombre  en  ait  diminué  par  suite  des  guerres  et 
de  la  férocité  des  Iroquois.  Mais  bientôt  la  dispersion 
de  la  nation  huronne,  à  la  suite  d'une  guerre  mal- 
heureuse avec  les  Iroquois ,  fournit  ample  matière  à 
son  zèle  et  à  celui  de  ses  sœurs.  L'arrivée  en  grand 
nombre  de  ces  pauvres  sauvages  obligea  cette  infa- 
tigable religieuse  à  étudier  leur  langue.  «  J'en  appris 
assez,  dit-elle,  pour  enseigner  les  prières  et  le  caté- 
chisme aux  filles  et  aux  femmes,  ce  que  nous  faisions 
alternativement  par  semaine,  la  Mère  Saint- Joseph 
et  moi.  » 

Quel  courage  et  quelle  énergie,  en  même  temps 
quelle  capacité  intellectuelle  n'a-t-il  pas  fallu  à  cette 
sainte  religieuse  pour  apprendre  ces  langues  barbares 


CHAPITRE    IX.  235 

dans  un  âge  avancé,  et  sans  avoir  fait,  dans  sa  jeu- 
nesse, aucune  étude  qui  pût  rendre  ce  travail  moins 
pénible!  Que  de  difficultés  et  de  dégoût  elle  dut  ren- 
contrer, et  combien  d'autres  se  seraient  découragés! 
Mais  elle  donne  elle-même,  dans  une  de  ses  lettres, 
le  secret  de  sa  persévérance. 

«  Vous  rirez  peut-être  de  ce  qu'à  l'âge  de  cinquante 
ans  je  commence  à  étudier  une  nouvelle  langue;  mais 
il  faut  tout  entreprendre  pour  le  service  de  Dieu  et  le  salut 
du  prochain,  »  Voilà  le  grand  mobile ,  et  ce  qui  fait 
disparaître  les  impossibilités.  Les  réflexions  suivantes 
de  l'annaliste  de  1863  n'en  sont  pas  moins  justes 
toutefois. 

«  L'étude  des  langues  sauvages  fut,  sans  contredit, 
le  plus  rude  travail  auquel  eurent  à  se  livrer  en  ce 
pays  nos  saintes  Mères.  Nous  avons  vu  que  dès  leur 
arrivée,  en  1639,  elles  s'y  portèrent  avec  une  ardeur 
extraordinaire.  Pour  être  en  état  d'enseigner  plus  toi 
la  voie  du  salut  à  ces  pauvres  sauvages,  elles  se  parta- 
gèrent la  tâche.  La  Mère  Saint-Joseph  seule  étudia 
d'abord  le  huron  ;  la  Mère  de  l'Incarnation  et  la  Mère 
Sainte-Croix  s'appliquèrent  à  l'algonquin  et  au  monta- 
gnais.  «  Nous  étudions  la  langue  algonquine  par  pré- 
ceptes et  par  méthode,  ce  qui  est  très-difficile,  écrivait 
la  Vénérable  Mère  en  1640.  Il  faut  que  je  vous  dise 
qu'en  France  je  ne  me  fusse  jamais  donné  la  peine  de 
lire  une  histoire*,  et  maintenant  il  faut  que  je  lise  et 
médite  toutes  sortes  de  choses  en  sauvage.  Nous  faisons 
nos  études  en  cette  langue  barbare  comme  font  ces 
jeunes  enfants  qui  vont  au  collège  pour  apprendre  le 
latin.  Nos  révérends  Pères,  quoique  grands  docteurs, 
en  viennent  là  aussi  bien  que  nous, 'et  ils  le  font  avec 
une  affection  et  une  docilité  incroyables.  » 


236  MARIE    DE    l'incarnation. 

Dans"  la  suite,  la  Mère  de  l'IncarnatioQ  se  rendit 
tellement  maîtresse  de  ces  différents  idiomes,  qu'elle  put 
laisser  de  précieux  manuscrits  pour  en  faciliter  l'étude 
à  ses  sœurs.  «  Mes  occupations  des  matinées  d'hiver, 
écrivait-elle  encore,  sont  d'enseigner  les  langues  sau- 
vages à  nos  jeunes  sœurs.  La  Mère  Assistante  et  la  Mère 
Sainte- Croix  sont. assez  savantes,  parce  que  dans  le  com- 
mencement nous  apprîmes  le  dictionnaire  par  cœur. 

»  Comme  ces  études  sont  très-difficiles,  j'ai  résolu 
de  laisser  avant  ma  mort  le  plus  d'écrits  que  je  pourrai. 
Depuis  le  commencement  du  carême  dernier  jusqu'à 
l'Ascension,  j'ai  écrit  un  gros  livre  algonquin  d'histoire 
sacrée  et  de  choses  saintes,  avec  un  dictionnaire  et  un 
catéchisme  iroquois,  que  l'on  estime  un  trésor.  L'année 
dernière,  j'ai  écrit  un  gros  dictionnaire  algonquin  à 
l'alphabet  sauvage.  » 

C'est  à  ce  prix  que  les  Ursulines  du  Canada  ache- 
tèrent la  faculté  d'instruire  les  sauvages  et  de  les 
mettre  dans  le  chemin  du  Ciel. 

Avant  l'époque  dont  nous  parlons,  il  n'y  avait  pas 
assez  de  Hurons  à  Québec  pour  réclamer  un  catéchisme 
public,  mais  alors  on  le  fit  régulièrement  aux  femmes 
et  aux  filles. 

«  Il  est  bon  de  faire  remarquer  ici,  dit  l'annaliste 
de  1863,  que  ces  instructions  étaient  données  dès 
l'année  1640,  aux  Algonquines  et  aux  Montagnaises, 
de  la  même  manière  que  l'on  instruit  encore  aujour- 
d'hui pour  la  première  communion,  à  l'école  des 
externes,  les  enfants  des  diverses  paroisses  de  Québec, 
qui  sont  présentés  par  leurs  curés.'  » 

(1)  Quoique  cette  manière  d'agir  des  curés  de  Québec  ne  soit  pas  générale,  elle 
ne  nous  surprend  pas.  Il  est  tout  simple  que  des  hommes  intelligents  et  des 
prêtres  zélés  profitent   de   l'un  des  moyens   les   plus   efficaces    que  l'on  puisse 


CHAPITRE    IX.  237 

On  voit  que  la  Mère  de  l'IncarDation  ne  reculait 
devant  aucun  travail  ni  aucun  sacrifice  quand  il  s'agis- 
sait de  procurer  le  salut  à  ses  chers  sauvages.  Elle  ne 
se  contentait  pas  néanmoins  de  saisir  l'occasion  à 
mesure  qu'elle  se  présentait  et  de  faire  ie  bien  au  jour 
le  jour.  Non,  il  y  avait  chez  elle  un  vrai  zèle  selon  la 
science;  elle  cherchait  les  moyens,  non  pas  de  faire 
quelques  bonnes  œuvres  du  moment,  mais  d'assurer 
le  bien  pour  l'avenir.  Simple  femme  enfermée  dans  un 
cloître,  elle  travaillait  à  consolider  la  colonie  en  ame- 
nant peu  à  peu  les  sauvages  à  abandonner  la  vie 
errante;  et  pour  cela  elle  les  portait  à  bâtir  des  mai- 
sons, leur  procurant  dans  ce  but  tous  les  secours  possi- 
bles. Voici  ce  qu'elle  écrivait,  en  1641,  en  parlant  d'une 
jeune  sauvage  de  dix-sept  ans  : 

«  Elle  est  recherchée  en  mariage  par  un  Français, 
mais  on  a  dessein  de  la  marier  à  un  de  sa  nation,  à 
cause  de  l'exemple  qu'on  espère  qu'elle  donnera  aux 
sauvages.  Oh!  si  Dieu  donnait  la  dévotion  à  quelque 
personne  de  France  d'aider  à  faire  une  petite  maison! 
Cette  fille  nous  a  beaucoup  aidées  dans  l'étude  de  la 
langue,  parce  qu'elle  parle  bien  français.  Elle  gagne 

rencontrer  pour  bien  préparer  des  jeunes  filles  au  grand  acte  de  leur  première 
communion.  Un  prêtre  s'honore  certainement  en  reconnaissant  que  des  reli- 
gieuses sont  plus  propres  à  une  pareille  fonction  que  lui-même.  Nous  ne  parlons 
pas  ici  de  l'enseignement  de  la  doctrine,  mais  de  ces  soins  pieux  qui  disposent 
l'âme  d'une  enfant  à  la  délicatesse  de  conscience,  à  l'amour  de  la  piété  et  à  cette 
pureté  du  cœur  qui  la  transforme  en  un  ange. 

Un  vénérable  vieillard,  curé  de  la  seconde  paroisse  de  Blois,  disait  il  y  a  trente 
ans  à  une  jeune  fille  qui  lui  demandait  la  permission  de  faire  sa  communion 
pascale  aux  Ursuiines,  parce  qu'elle  désirait  aller  s'y  préparer  auprès  de  ses 
anciennes  maîtresses  :  "  Allez,  ma  chère  enfant,  non-seulement  je  vous  permets, 
mais  je  rous  félicite  ;  je  voudrais  que  tous  mes  paroissiennes  fissent  comme 
vous,  je  serais  sûr  qu'elles  feraient  une  bonne  communion.  «  N'est-ce  pas  là  un 
langage  vraiment  sacerdotal? 


238  MARIE    DE    l'iNCARNATIOxN. 

les  cœurs  de  tout  le  monde  par  sa  grande  douceur  et 
par  ses  belles  qualités.  » 

Madame  de  la  Peltrie  faisait  également  tous  ses 
efforts  pour  arracher  ces  pauvres  nations  à  la  vie 
errante.  C'est  le  témoignage  que  lui  rend  le  P.  Vimont  : 
«  Elle  leur  parlerait  bien  plus  volontiers  des  mains; 
et  si  elle  pouvait  exercer  le  métier  de  maçon  ou  de 
charpentier  pour  leur  dresser  de  petites  demeures , 
elle  s'y  emploierait  avec  d'autant  plus  d'ardeur  qu'elle 
voit  de  bonnes  dispositions  en  ces  peuples  pour  se 
fixer,  w 

Les  efforts  que  firent  les  Ursulines  pour  amener  les 
sauvages  à  quitter  la  vie  errante  parurent,  au  premier 
abord,  devoir  être  couronnés  d'un  certain  succès;  car, 
en  1644,  on  en  décida  trois  cents  à  se  cantonner  autour 
du  monastère.  Malheureusement  on  ne  put  se  procurer 
les  secours  matériels  indispensables  pour  soutenir  ces 
heureux  commencements;  la  minorité  de  Louis  XIV 
et  les  guerres  de  la  Fronde  ne  permettaient  pas  au 
gouvernement  de  la  mère-patrie  de  faire  les  sacrifices 
que  demandait  une  colonie  naissante;  on  manqua  des 
choses  les  plus  indispensables  à  la  vie,  et  les  Ursulines 
furent  obligées  de  partager  leurs  faibles  ressources 
avec  leurs  chers  sauvages.  Elles  s'aperçurent  alors,  , 
pour  la  première  fois,  que  le  pain  se  multipliait  entre 
les  mains  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  à  mesure  qu'elle 
le  distribuait.  On  constata  en  effet  que  n'ayant  à  par- 
tager (que  deux  ou  trois  pains  entre  cinquante  ou 
soixante  sauvages,  elle  trouvait  moyen  d'en  donner 
suffisamment  à  tqjis.  Le  prodige  s'étant  renouvelé  assez 
souvent  pour  ne  plus  pouvoir  être  révoqué  en  doute, 
la  vénérable  Mère  l'attribuait  aux  bonnes  dispositions 
de  ces  pauvres  gens. 


CHAPITRE    IX.  239 

Environ  vingt-cinq  ans  plus  tard,  Louis  XIV,  profi- 
tant d'un  moment  de  repos  après  la  paix  d'Aix-la-Cha- 
pelle, entreprit  de  donner  suite  à  ce  plan  de  colonisa- 
tion, commencé  par  de  pauvres  religieuses  qui  n'avaient 
d'autres  secours  que  les  aumônes  qu  elles  sollicitaient 
auprès  de  leurs  amis  de  France;  mais  on  alla  trop  loin. 
On  eut  la  prétention  de  franciser  les  sauvages,  en 
commençant  par  la  jeunesse.  Dans  ce  but  on  plaça  au 
séminaire  diocésain  de  Québec  et  au  pensionnat  fran- 
çais des  Ursulines,  un  certain  nombre  de  jeunes  gar- 
çons et  déjeunes  filles.  Les  hommes  d'Etat  de  Louis  XIV 
se  flattaient  sans  doute  d'un  heureux  succès;  mais  la 
Mère  de  l'Incarnation  déclara  nettement  qu'on  entre- 
prenait une  chose  à  peu  près  impossible.  Elle  avait 
en  effet  pensé  à  cela,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  avant  le 
gouvernement  français;  mais  elle  n'avait  pu  obtenir 
que  des  résultats  insignifiants,  qui  lui  faisaient  dire  : 
«  C'est  à  peine  si  sur  cent,  nous  en  avons  francisé  une.  » 
L'événement  justifia  cette  prévision,  car  à  la  fin  de 
l'année  il  ne  restait  plus  qu'un  petit  sauvage  au  sémi- 
naire diocésain,  et  les  Ursulines  revenaient  au  premier 
mode  d'enseignement,  qui  consistait  à  élever  séparément 
les  Françaises  et  les  sauvages.. 

.  Cette  observation  que  les  Ursulines  ont  à  peine  fran- 
cisé une  sauvage  sur  cent  fait  entrevoir  le  grand  nombre 
de  jeunes  filles  indigènes  élevées  par  elles,  car  les 
registres  de  la  maison  et  les  écrits  de  la  vénérable  Mère 
attestent  que  ceux  que  l'on  réussit  à  franciser,  comme 
on  disait  alors,  n'étaient  pas  en  si  petite  quantité.  «  Nous 
avons  francisé  plusieurs  filles  sauvages,  Huronnes  et 
Algonquines,  que  nous  avons  mariées  ensuite  à  des 
Français  et  qui  font  fort  bon  ménage,  »  écrivait-elle. 
Plusieurs  furent  jugées  aptes  à  la  vie  religieuse,  qu'elles 


240  MARIE  dp:  l'incarnation. 

auraient  probablement  embrassée  si  elles  n'en  avaient 
été  empêchées  par  des  événements  de  force  majeure. 

Lorsque  cette  tentative  de  franciser  les  sauvages 
vint  à  l'esprit  des  conseillers  de  Louis  XIV,  il  y  avait 
près  de  trente  ans  que  les  Ursulines  travaillaient  à  les 
christianiser,  et  le  peu  que  nous  avons  pu  dire,  fait 
voir  de  qu'elle  manière  elles  avaient  réussi;  mais  on 
nous  saura  gré  de  mettre  dans  un  plus  grand  jour  et 
en  citant  des  faits  non  moins  intéressants  que  les  pre- 
miers, le  bien  que  firent  au  Canada  ces  femmes  vérita- 
blement héroïques. 

«  0  ma  chère  sœur,  écrivait  la  Mère  de  l'Incarnation, 
quel  plaisir  de  se  voir  au  milieu  d'une  troupe  de 
femmes  et  de  filles  sauvages,  dont  les  pauvres  habits, 
qui  ne  sont  qu'un  bout  de  peau  ou  de  couverture,  n'ont 
pas  si  bonne  odeur  que  ceux  des  dames  de  France, 
mais  dont  là,  candeur  et  simplicité  est  si  ravissante, 
qu'elle  ne  se  peut  dire!  Celle  des  hommes  n'est  pas 
moindre.  Je  vois  des  capitaines  généreux  et  vaillants 
se  mettra  à  genoux  à  mes  pieds  pour  que  je  les  fasse 
prier  Dieu  avant  de  manger;  ils  joignent  les  mains 
comme  des  enfants,  et  je  leur  fais  dire  tout  ce  que  je 
veux.  L'un  d'eux  me  dit  :  —  Nous  n'avons  pas  encore 
d'esprit,  mais  nous  en  aurons  quand  nous  serons 
instruits. 

»  Le  bon  Victor  Ouechkivé  est  un  des  meilleurs 
ctrétiens;  ayant  peu  de  mémoire,  il  oublie  facilement 
ses  prières  :  il  n'en  est  pas  de  même  de  son  oraison 
intérieure,  car  il  est  dans  une  attention  continuelle 
à  Dieu.  Il  s'en  vient  à  la  grille,  et  à  la  première  de 
nous  qu'il  rencontre,  il  dit  :  «  Hélas!  je  n'ai  point 
d'esprit,  fais-moi  prier  Dieu.  »  Il  a  la  patience  de  se 
faire  répéter  dix  ou  douze  fois  sa  prière,  et  croyant 


t  CHAPITRE    IX.  241 

la  bien  savoir,  il  retourne  à  sa  cabane,  où  il  n'est  pas 
plus  tôt  arrivé  qu'il  l'oublie.  Il  revient  encore,  puis, 
les  mains  jointes,  il  confesse  comme  un  enfant  qu'il  n'a 
pas  d'esprit  et  prie  qu'on  recommence  à  l'instruire. 
Combien  pensez-vous  que  cette  ferveur  est  agréable 
aux  âmes  qui  désirent  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  de 
ces  pauvres  sauvages?  » 


Voici  un  autre  trait  de  la  vertu  de  Victor;  c'est  le 
Père  Vimont  qui  parle. 

«  Victor  Ouechkivé  s'étant  confessé,  raconta  de  quelle 
manière  Dieu  lui  avait  donné  deux  fois  sa  .petite  fille. 
—  Tu  vois  ma  petite  fille,  Dieu  me  l'a  donnée  deux  fois. 
Etant  cet  hiver  dans  les  bois  pour  faire  notre  grande 
chasse,  elle  tomba  malade,  de  sorte  que  je  n'attendais 
plus  que  la  mort.  Ma  femme  ne  faisait  que  pleurer  : 
Tes  larmes,  lui  dis-je,  ne  sauveront  pas  notre  enfant; 
ayons  recours  à  Celui  qui  nous  l'a  donnée,  et  prions-le 
qu'il  nous  la  donne  encore  une  fois. 

»  Ils  se  mirent  tous  deux  à  genoux  et  firent  cette 
prière  :  Toi  qui  as  tout  fait  et  qui  conserves  tout,  c'est 
toi  qui  as  créé  cette  enfant"et  qui  nous  l'as  donnée;  elle 
est  malade,  tu  peux  la  guérir;  guéris-la  donc,  si  tu 
veux  :  si  elle  vit,  elle  croira  en  toi  ;  elle  t'obéira  quand 
elle  sera  grande.  Si  tu  ne  veux  pas  la  guérir,  je  ne 
laisserai  pas  de  croire  en  toi  ;  je  n'en  dirai  pas  davan- 
tage, car  tu  es  le  Maître,  fais  ce  que  tu  voudras.  Le 
lendemain,  disait  le  bon  néophyte,  ma  fille  était  en 
aussi  bonne  santé  que  tu  la  vois  maintenant.  » 

La  Mère  de  l'Incarnation  dit  de  son  côté  :  «  Nous 
habitons  un  quartier  où  les  Montagnais,  les  Algonquins, 

M.  DE  l'iNC.  16 


242  MARIE    DE    l'incarnation. 

les  Abenaquiouais  et  ceux  de  Saguenay  viennent 
s'arrêter;  tous  veulent  croire  en  Dieu  et  lui  obéir; 
n'y  a-t-il  pas  là  de  quoi  mourir  de  joie?  Un  des  leurs, 
baptisé  depuis  peu,  a  plus  fait  que  cent  prédicateurs. 
Dans  un  voyage  à  Tadoussac,  il  emporta  tous  les  cœurs 
pour  les  faire  acquiescer  à  la  doctrine  que  prêchait 
le  Père  Lejeune.  On  voyait  prêcher  deux  apôtres  en 
même  temps,  l'un  Jésuite,  l'autre  sauvage,  chrétien 
depuis  six  mois  seulement. 

»  J'ai  vu  ce  bon  Charles  se  mettre  à  genoux  devant 
des  images  que  je  lui  avais  données,  prier  avec  tant 
d'ardeur  et  dans  un  si  profond  recueillement  qu'il 
semblait  ravi  en  extase.  C'était  lui  qui  gardait  le  Père 
Lejeune,  de  crainte  que  quelque  ennemi  de  la  foi  ne 
l'abordât.  —  Mon  Père,  lui  disait-il,  je  porte  mon 
pistolet  pour  te  garder,  et  je  ferai  autant  de  pas  que  toi.  » 

Joseph  Chiouatenhoux,  regardé  corhme  l'un  des  apô- 
tres indigènes  du  pays,  était  à  Québec  lors  de  l'arrivée 
des  Ursulines,  et  il  fut  converti  à  cette  époque.  De 
retour  dans  son  pays,  «  il  va  hardiment  de  bourg  en 
bourg,  dit  la  vénérable  Mère,  prêchant  avec  une  élo- 
quence du  paradis.  Ses  compatriotes,  sachant  qu'il  ne 
pouvait  avoir  cette  science  naturellement,  étaient 
comme  en  extase  en  l'entendant  parler.  Il  leur  disait  : 
Ah!  si  vous  saviez  la  charité  qui  est  parmi  ceux  qui 
croient  en  Dieu,  vous  ne  resteriez  pas  comme  vous 
êtes.  Encore  qu'ils  ne  se  soient  jamais  vus,  ce  n'est 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme.  Je  fus  ravi  l'an  passé  à 
Québec,  à  l'arrivée  d'un  vaisseau,  où  il  y  avait  des 
filles  vierges  vêtues  de  noir,  qui  pour  l'amour  de  nous, 
sont  venues  en  ce  pays.  Les  unes  prirent  des  filles 
montagnaises  qu'elles  faisaient  manger  avec  elles  et 
à  qui  elles  donnaient  de  beaux  habits;  les  autres,  qui 


CHAPITRE    IX.  243 

étaient  habillées  d'une  autre  couleur,  prirent  les  mala- 
des, qu'elles  assistaient  et  veillaient  jour  et  nuit.  A  leur 
arrivée,  on  fit  tant  de  fêtes,  que  vous  eussiez  dit  que 
tous  ceux  de  Québec  n'étaient  qu'un.  Oh!  que  nous 
sommes  éloignés  de  cela!  Nous  vivons  comme  des 
bêtes,  et  ne  savons  ce  que  c'est  que  la  parfaite  charité, 
laquelle  ne  se  trouve  qu'avec  ceux  qui  croient  en 
Dieu.  » 


Voici  ce  que  dit  d'un  de  ses  autres  élèves  la  véné- 
rable Mère  :  «  Augustin,  ayant  été'  catéchisé,  ne  voulut 
jamais  partir  pour  la  chasse  qu'il  ne  fût  lavé  des  eaux 
du  saint  baptême.  Je  l'interrogeai  longtemps  sur  les 
mystères  de  notre  sainte  religion,  et  j'étais  ravie  de 
l'entendre  et  de  voir  qu'il  en  avait  plus  de  connaissance 
que  des  millions  de  chrétiens  qui  font  les  savants  :  c'est 
pour  cela  qu'on  le  nomma  Augustin.  Durant  son  séjour 
à  la  chasse,  il  fut  contraint  de  demeurer  avec  ceux  de 
sa  nation,  qui  est  l'une  des  plus  immorales.  Ils  lui 
donnèrent  de  grands  sujets  d'exercer  sa  foi  et  sa 
patience;  mais  quoi  qu'ils  lui  pussent  dire,  ils  ne 
l'ébranlèrent  jamais,  et  il  ne  laissa  pas  sa  prière,  point 
sur  lequel  on  le  combattait.  Lorsqu'il  fut  de  retour 
pour  la  fête  de  Pâques,  je  lui  demandai  comment  il 
s'était  comporté.  —  Ah!  me  dit-il,  le  diable  m'a  grande- 
ment tenté.  —  Et  que  faisais-tu  pour  le  chasser?  — 
Je  tenais  en  main  le  chapelet  que  tu  m'as  donné,  et  je 
faisais  le  signe  de  Jésus  (le  signe  de  la  croix),  puis 
je  disais  :  Aie  pitié  de  moi,  Jésus,  c'est  toi  qui  m'e 
soutiens,  chasse  le  diable  afin  qu'il  ne  me  trompe  point. 
Ainsi  ce  bon  néophyte  demeura  victorieux  de  ses  enne- 
mis visibles  et  invisibles.  » 


244  MARIE   DE   l'incarnation. 

Le  Père  Lallemant  raconte  à  son  tour  les  traits 
suivants,  pour  montrer  à  quel  degré  de  vertu  pouvaient 
arriver  ces  pauvres  sauvages  instruits  et  dirigés  par 
des  religieuses." 

«  Un  Huron  nommé  Jean-Baptiste,  voulant  aller 
à  la  chasse,  et  voyant  qu'un  Français  refusait  de  lui 
donner  quelques  vivres  qu'il  avait  achetés,  se  sentit 
ému  et  laissa  échapper  quelques  paroles  d'impatience. 
S'apercevant  aussitôt  de  sa  faute,  il  va  pour  trouver 
son  confesseur  ;  ne  l'ayant  pas  rencontré  et  ne  voulant 
pas  partir  avec  un  péché  sur  la  consciencOj  il  court 
aux  Ursulines  et  demande  la  Mère  Marie  de  Saint- 
Joseph.  La  voyant  à  la  grille,  il  lui  dit  ces  quatre 
paroles  :  Marie,  tu  diras  à  mon  confesseur  quand  il 
sera  de  retour  :  Jean-Baptiste  a  péché;  il  s'est  mis  en 
colère,  il  en  est  grandement  fâché;  il  se  tiendra  sur  ses 
gardes  pour  ne  plus  retomber.  Cela  dit,  il  s'en  va  sans 
autre  cérémonie.  Arrivé  à  Sillery,  il  apprend  que  son 
confesseur  est  de  retour  à  Québec;  il  va  le  trouver 
sans  délai,  se  confesse,  fait  sa  pénitence,  se  rembarque 
dans  son  canot  et  part  pour  la  chasse. 

y>  Un  autre  Huron  allant  voir  de  temps  en  temps 
cette  bonne  Mère  Saint- Joseph,  lui  dit  un  jour  :  Marie, 
mes  camarades  veulent  me  mener  à  la  chasse,  donne - 
moi  conseil,  que  dois-je  faire?  —  Comme  il  n'était  pas 
encore  baptisé,  la  Mère  lui  répondit  :  Si  tu  désires  être 
bientôt  baptisé,  demeure,  afin  d'être  mieux  instruit. 
Si  tu  n'es  pas  pressé  de  jouir  de  ce  bonheur,  tu  peux 
aller  à  la  chasse.  —  Je  ne  suis  pas  venu  parmi  les 
Français,  reprit-il,  pour  amasser  d'autres  richesses  que 
celles  de  la  foi;  voilà  l'unique  trésor  que  je  veux  re- 
porter en  mon  pays.  Il  resta  et  ne  manqua  pas  un  seul 
jour,  durant  quatre  mois,  de  venir  voir  la  Mère  Ouarie 


CHAPITRE    IX.  245 

(c'est  ainsi  que  les  Hurons  prononcent  le  nom  de  Marie, 
leur  langue  n'ayant  pas  de  lettres  labiales).  » 

Nous  ne  pouvons  reproduire  tout  le  bien  que  firent 
au  Canada  les  pieuses  et  infatigables  Ursulines,  mais 
ce  que  nous  venons  de  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur 
suffit  pour  donner  une  idée  de  leur  zèle  et  de  la 
manière  dont  il  fut  béni  par  l'efficacité  de  la  grâce. 
Cependant  on  en  parla  peu  en  France  :  on  n'en  connut 
même  qu'une  très-faible  partie  ;  car  ces  humbles  filles 
ne  se  prêtaient  guère  à  publier  les  résultats  de  leurs 
travaux  apostoliques,  ainsi  qu'on  en  peut  juger  par 
ces  lignes  de  la  Mère  de  l'Incarnation  au  Père  Vimont. 

^  Je  vous  envoie  quelques  détails  pour  satisfaire  à 
l'obéissance.  J'ai  eu  de  la  difficulté  à  m'y  résoudre, 
parce  que  si  l'on  voulait  dire  tout  ce  qui  peut  donner 
de  l'édification  chez  nos  filles  sauvages,  ce  ne  serait 
jamais  fait.  Vous  savez  d'ailleurs  le  gros  de  ce  qui  a 
lieu.  Vous  savez  mieux  que  moi  si  Dieu  peut  être 
glorifié  dans  les  petits  services  que  lui  rendent  ses 
servantes  en  la  personne  des  pauvres  petites  'filles 
sauvages.  Je  sens  bien  que  nous  ne  sommes  nullement 
satisfaites  de  tout  ce  que  nous  faisons,  n'étant  que  des 
personnes  inutiles,  moi  très-particulièrement,  comme 
vous  le  savez  bien.  C'est  ce  qui  me  faisait  souhaiter 
que  vous  ne  fissiez  aucune  mention  de  nous.  Il  suffit 
que  Dieu,  qui  est  notre  Père,  sache  avec  quel  amour 
nous  servons  nos  néophytes.  C'est  assez  que  Lui  seul 
connaisse  ce  qui  se  passe  en  cette  petite  maison,  sans 
qu'il  soit  produit  aux  yeux  des  hommes.  Nous  sommes 
trop  heureuses  que  nos  fatigues  se  passent  à  la  vue 
de  notre  Maître,  qui  est  si  bon,  qu'il  nous  fait  espérer 
le  pardon  de  nos  fautes.  » 

On  communiquait  pourtant  aux  Jésuites  les  faits  les 


(  - 


246  MARIE    DK    l'incarnation. 

plus  remarquables;  mais  la  vénérable  Mère  se  plaint 
ailleurs  qu'on  en  retranchait  en  France  beaucoup  de 
choses.  Le  libraire-imprimeur  Cramoisy,  de  Paris, 
supprimait  sonnent  les  plus  belles  pages,  dit  l'annaliste 
du  couvent. 

Il  arriva  de  là  que  plusieurs  relations  publiées  par 
les  RR.  PP.  Jésuites  ne  dirent  rien  ou  peu  de  choses 
des  Ursulines,  ce  qui  fournit  prétexte  à  quelques  pam- 
phlétaires de  dire  qu'elles  étaient  inutiles  au  Canada. 
Dom  Claude  en  ayant  informé  sa  mère,  celle-ci  lui 
répondit  en  lui  énumérant  longuemeut  les  travaux 
de  la  communauté,  puis  elle  ajoute  : 

«  Voilà  les  fruits  de  notre  petit  travail,  dont  j'ai 
voulu  vous  dire  quelques  particularités,  pour  répondre 
aux  bruits  que  vous  dites  que  l'on  fait  courir  en  France 
que  les  Ursulines  sont  inutiles  en  ce  pays.  Nos  Révé- 
rends Pères  et  Mgr  notre  Prélat  sont  ravis  de  l'éduca- 
tion que  nous  donnons  à  la  jeunesse.  Ils  font  communier 
nos  filles  dès  l'âge  de  huit  ans,  les  trouvant  aussi 
instruites  qu'elles  le  peuvent  être.^  Si  l'on  prétend  que 
nous  sommes  inutiles  parce  que  la  relation  ne  parle 
point  de  nous,  il  faut  dire  que  Mgr  notre  Prélat  est 
inutile,  que  son  séminaire  est  inutile,  que  le  séminaire 
des  Révérends  Pères  est  inutile,  que  MM.  les  ecclé- 

(1)  La  vénérable  Mère  raconte  le  trait  suivant  dans  une  autre  lettre  :  Un  jour 
plusieurs  pensionnaires  se  demandaient  les  unes  aux  autres  quelle  était  la  chose 
pour  laquelle  elles  pensaient  avoir  plus  d'obligation  à  Dieu.  L'une  dit  :  «  C'est 
parce  qu'il  s'est  fait  homme  pour  moi,  et  qu'il  a  enduré  la  mort  pour  me  délivrer 
de  l'enfer.  >•  L'autre  ajouta  :  «  C'est  de  ce  qu'il  m'a  faite  chrétienne  et  de  ce  qu'il 
m'a  mise  par  le  baptême  au  nombre  de  ses  enfants.  »  Une  petite  fille  qui  n'a  pas 
plus  de  neuf  ans  et  qui  a  fait  sa  première  communion  depuis  un  an  et  demi,  haussa 
la  voix  et  dit  :  «  C'est  de  ce  que  Jésus  se  donne  à  nous  au  Saint-Sacrement  de 
l'autel.  " 

On  voit  par  ces  traits  que  ni  les  religieux  missionnaires,  ni  les  prêtres  des 


CHAPITRE   IX.  247 

siatiques  de  Montréal  sont  inutiles,  et  enfin  que  les 
Mères  Hospitalières  sont  inutiles,  parce  que  les  rela- 
tions  ne  disent  rien  de  tout  cela.  Et  cependant  c'est 
ce  qui  fait  le  soutien,  la  force,  et  l'honneur  même  de 
tout  le  pays.  Mon  très-cher  fils,  ce  que  nous  faisons 
en  cette  nouvelle  Église,  est  vu  de  Dieu  et  non  pas  des 
hommes;  notre  clôture  couvre  tout,  et  il  est  difficile 
de  parler  de  ce  qu'on  ne  voit  pas.  » 


Cette  humble  réserve  que  gardèrent  les  Ursulines 
explique  en  partie  le  peu  de  justice  que  l'on  rendit 
à  leurs  travaux;  mais  si  l'on  se  rappelle  qu'à  l'époque 
de  leur  départ  elles  furent  l'objet  d'une  foule  de  criti- 
ques, et  que  bien  des  personnes  se  mêlèrent  de  prédire 
qu'elles  seraient  bientôt  ramenées  en  France  par  le 
désenchantement,  on  comprendra  les  motifs  d'une 
certaine  hostilité  qui  dut  se  manifester  à  leur  égard. 
Les  auteurs  de  ces  prédictions  malveillantes  ne  vou- 
laient pas  se  dédire,  leur  amour -propre  y  mettait 
obstacle  ;  il  fallait  donc  trouver  quelque  prétexte  pour 
pouvoir  soutenir  qu'on  avait  eu  raison.  Après  avoir 
attendu  en  vain  leur  retour  en  France,  on  dut  se 
rabattre  sur  l'inutilité  prétendue  de  leur  mission  ;  c'était 

paroisses  ne  faisaient  difficulté  d'admettre  les  enfants  à  la  première  communion 
dès  l'âge  de  sept  ans  et  demi  et  huit  ans,  quand  ils  les  trouvaient  suffisamment 
instruits  eu  égard  à  cet  âge.  C'est  encore  ce  qui  se  pratique  en  Italie,  en  Espagne, 
en  Angleterre,  en  Irlande  et  probablement  dans  d'autres  pays,  tandis  que  dans 
certains  diocèses  de  France  on  fixe  un  âge  qui  est  quelquefois  celui  de  onze  ou 
douze  ans,  de  manière  que  des  enfants  qui  auraient  été  en  état  de  communier 
plus  tôt  sont  privés  d'une  foule  de  grâces  qu'ils  auraient  reçues  au  moyen  de  la 
sainte  communion.  Il  est  vrai  que  cette  discipline,  qui  n'a  pu  être  que  l'effet  de 
l'influence  janséniste,  tend  aujourd'hui  à  disparaître.  On  doit  s'en  réjouir  pour 
le  bien  des  âmes. 


248  MARIE    DE    l'incarnation. 

une  méprisable  consolation  d'amour-propre  blessé,  dont 
toute  personne  judicieuse  aurait  dû  tenir  compte. 

Cependant  malgré  l'évidence  des  faits,  justice  com- 
plète n'a  jamais  été  rendue  aux  Ursulines  sous  ce 
rapport.  A  notre  époque,  M  Faillon,  de  Saint-Sulpice, 
dans  un  écrit  où  il  a  été  amené  à  parler  d'elles,  s'est 
inspiré  des  injustes  pamphlets  du  XVIP  siècle,  en 
jetant  un  voile  sur  le  bien  que  firent  ces  intrépides  et 
zélées  missionnaires. 

M.  l'abbé  Sausseret,  dans  un  ouvrage  publié  à  Troyes 
e,n  1864,  a  été  plus  loin  encore.  Il  avance  que  la 
première  école  ou  mission  pour  les  petites  sauvages,  établie 
dans  la  Nouvelle- France,  fut  celle  de  la  Montagne,  dans  l'île 
de  Montréal.  Or,,  cette  école  commençait  en  1680,  huit 
ans  après  la  mort  de  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'In- 
carnation, plus  de  quarante  ans  après  l'ouverture  du 
pensionnat,  appelé  séminaire,  fondé  pour  les  jeunes 
filles  sauvages  du  Canada.  Pendant  ces  quarante  ans, 
les  Ursulines  qui  avaient  eu  jusqu'à  quatre-vingts  de 
ces  jeunes  filles  à  la  fois,  sans  compter  celles  qui  n'y 
étaient  qu'en  passant,  en  avaient  élevé  des  milliers, 
et  M.  Sausseret  n'en  a  rien  vu,  parce  qu'en  efî'et  rien 
de  tout  cela  n'était  arrivé  jusqu'à  Troyes.  On  voit  une 
fois  de  plus  par  là  combien  l'on  s'expose  à  défigurer 
l'histoire,  quand  on  l'écrit  à  distance  et  que  l'on  n'a 
pas  soin  de  s'environner  do  tous  les  documents  possi- 
bles. Il  est  propable  que  M.  Sausseret  n'a  pas  même 
eu  sous  les  yeux  les  Relations  de  la  mission  du  Canada  : 
car,  bien  qu'elles  n'aient  jamais  fait  beaucoup  ressortir 
le  bien  opéré  par  les  Ursulines,  elles  en  disent  assez 
pour  faire  voir  que  le  zèle  de  ces  religieuses  rendit  des 
services  immenses  à  la  gloire  de  Dieu  et  aux  pauvres 
populations    du   Canada.   Nous   l'avons    fait  voir  par 


CHAPITRE    IX.  249 

toutes  les  citations  que  nous  avons  faites,  et  il  en  reste 
encore.  Voici,  par  exemple,  un  témoignage  du  Père 
Lejeune  qui ,  après  avoir  dit  que  dès  le  lendemain 
de  leur  arrivée  (P''  août  1639),  on  donna  aux  Ursulines 
six  filles  sauvages,  dont  les  Pères  avaient  commencé 
l'instruction,  et  qu'on  leur  amena  en  outre  toutes  les 
autres  filles  tant  françaises  que  sauvag-es  qui  se  purent 
rencontrer,  il  ajoute  : 

«  Si  bien  que  les  voilà  déjà  dans  l'exercice  de  leur 
institut,  et  si  jamais  elles  ont  une  maison  bien  capable, 
et  bien  de  quoi  nourrir  les  enfants  sauvages,  elles  en 
auront  peut-être  jusqu'à  se  lasser.  Dieu  veuille  que  les 
grands  frais  ne  retardent  pas  leur  dessein.  » 

Trois  ans  et  demi  plus  tard,  les  Ursulines  avaient, 
à  l'endroit  où  est  le  monastère  actuel,  une  maison  bien 
capable,  et  elles  s'efforcèrent  d'avoir,  surtout  au  moyen 
des  aumônes  qui  leur  venaient  de  France,  de  quoi  nourrir 
les  enfants  sauvages,  et  sans  se  lasser,  elles  continuèrent 
cette  œuvre  jusque  vers  l'année  1682.  Si  à  cette  époque 
elles  se  livrèrent  moins  à  ce  genre  d'apostolat,  c'est  que 
l'œuvre  était  à  peu  près  terminée  dans  les  limites  de 
leur  mission.  Alors,  en  effet,  le  nombre  des  sauvages 
avait  beaucoup  diminué  dans  les  environs  de  Québec 
et  à  Sillery',  mission  fondée  par  les  Jésuites  en  1637 
en  faveur  des  Algonquins  et  des  Montagnais,  avec 
résidence,  église,  maison  pour  les  néophytes,  etc., 
à  une  lieue  de  Québec.  Le  nombre  des  filles  françaises, 
au  contraire,  s'était  considérablement  accru. 

(1)  A  partir  de  1619,  les  Hurons,  chassés  de  leur  pays,  se  réunirent  en  bour- 
gades à  l'Ile-d'Orléans,  et  à  distance  de  Québec.  Vers  1680,  les  Algonquins  et  les 
Montagnais  pi'irent  des  directions  difi'érentes  ;  les  Iroquois  chrétiens  se  portaient 
naturellement  vers  Montréal. 


250  MARIE    DE    l'incarnation. 


CHAPITRE  X. 


Construction  du  monastère,  1641.  —  Union  des  deux  Congrégations  d'Ursnlines, 
1641.  —  Historique  de  ces  deux  Congrégations.  —  Heureux  résultats  de 
l'union.  —  Epreuves  terribles.  —  Départ  de  Madame  de  la  Peltrie,  1642,  ses 
suites.  —  Tribulations  intérieures  de  la  Mère  de  l'Incarnation.  —  Confession 
de  toute  sa  vie. 


Nous  avons  anticipé  sur  les  événements  de  la  vie 
proprement  dite  de  la  Mère  Alarie  de  rincarnation,  afin 
de  faire  connaître  l'œuvre  pour  laquelle  elle  avait 
traversé  les  mers  et  jeter  une  lumière  plus  grande  sur 
les  desâeins  de  Dieu  à  son  égard,  comme  aussi  sur  le 
caractère  particulier  de  la  sainteté  de  cette  femme 
extraordinaire.  Nous  allons  reprendre  maintenant  la 
suite  des  faits  qui  la  concernent  personnellement  et 
qui  font  éclater  sa  vertu  en  même  temps  que  sa  capa- 
cité et  son  énergie  naturelle. 

.  Un  de  ses  premiers  soins  fat  de  se  procurer  un  loge- 
ment convenable,  qui  permît  de  faire  le  bien  que  l'on 
avait  en  vue  et  de  pratiquer  toutes  les  observances  de 
la  vie  religieuse.  On  choisit  un  emplacement  dans  la 
ville  haute  où  l'air  était  plus  pur;  madame  de  la  Peltrie 
posa  la  première  pierre  au  printemps  de  1641,  et  le 
travail  fut  poussé  avec  assez  d'activité  pour  que,  le 
21  novembre  de  l'année  suivante,  les  Ursulines  pussent 
prendre  possession  de  leur  nouveau  monastère.  «  Dans 
cet  intervalle,  dit  la  vénérable  Mère,  notre  monastère 
fut  bâti  au  lieu  le  plus  beau  et  le  plus  avantageux  du 


CHAPITRE    X.  251 

pays.  Notre  nombre  de  religieuses  crût  aussi  par  la 
venue  de  quelques-unes,  tant  de  la  Congrégation  de 
Paris  que  de  la  nôtre  de  Tours,  en  suite  de  quoi  nous 
fîmes  une  union  à  laquelle  Notre-Seigneur  a  donné 
de  très-grandes  et  très-sensibles  bénédictions.  » 


Pour  comprendre  ces  dernières  paroles,  il  faut  savoir 
qu'à  l'époque  où  la  Compagnie  de  Sainte-Ursule  fut 
établie  en  France,  au  commencement  du  XVIP  siècle, 
plusieurs  maisons  furent  fondées  à  la  fois  en  différentes 
villes,  sans  que  ceux  qui  y  travaillaient  eussent  eu 
même  la  pensée  de  se  concerter.  Tous  se  proposaient 
pour  modèle  l'œuvre  de  saint  Charles  Borromée  à 
Milan,  mais  avec  les  niodifications  que  chacun  crut  les 
plus  convenables.  Ces  premières  maisons  en  .fondèrent 
d'autres,  et  il  en  résulta  plusieurs  Congrégations  d'Ur- 
sulines,  ayant  toutes  le  même  but  et  le  même  esprit, 
mais  régies  par  des  constitutions  qui  différaient  dans 
le  détail. 

La  première,  dans  l'ordre  des  temps,  si  l'on  prend 
pour  point  de  départ  la  date  des  Balles  d'approbation 
pontificale,  fut  celle  de  Paris,  à  laquelle  travaillèrent 
madame  Acarie,  plus  tard  Carmélite  et  canonisée  sous 
le  nom  de  sainte  Marie  de  l'Incarnation,  madame  de 
Sainte-Beuve  et  mademoiselle  Françoise  de  Bermond. 

a 

Ces  pieuses  dames  fondèrent  la  prenjière  maison  en 
1608  et  elles  obtinrent  une  Bulle  d'approbation  datée 
du  13  juin  1612.  Le  Pape  Paul  V  approuvait  les  consti- 
tutions qui,  aux  trois  vœux  ordinaires,  en  ajoutaient 
un  quatrième,  celui  d'instruire  les  jeunes  tîUes. 

Le  cardinal   de  Sourdis,   archevêque  de  Bordeaux, 


252  MARIE    DE    l'incarnation. 

que  l'on  a  appelé,  de  son  vivant,  le  Charles  Borromée 
de  la  France,  travaillait,  lui  aussi,  à  fonder  des  Ursu- 
lines  dans  sa  ville  archiépiscopale.  La  communauté 
qu'il  forma  fut  établie  en  1606;  mais  la  Bulle  d'appro- 
bation ne  fut  donnée  que  le  8  février  1618.  Le  même 
Pape  Paul  V  approuvait  les  constitutions  rédigées  par 
le  cardinal  et  dans  lesquelles  il  n'était  pas  fait  mention 
du  quatrième  vœu.  Il  est  probable  qu'on  le  crut  ren- 
fermé dans  le  vœu  d'obéissance,  joint  à  la  Bulle  et 
aux  constitutions  qui  déclarent  formellement  que  le 
but  de  l'Institut  est  l'instruction  et  l'éducation  des 
jeunes  filles.  Outre  cela,  le  costume  religieux  n'est 
pas  exactement  le  même  dans  les  deux  Congrégations.  ' 
Ces  différences  constituaient  une  véritable  difficulté 
pour  des  personnes  qui  devaient  vivre  ensemble,  former 
une  même  famille,  pratiquer  les  mêmes  exercices  et  se 
dévouer,  à  toutes  les  minutes  du  jour,  avec  unité  de 
cœur  et  d'action,  à  une  œuvre  héroïque.  La  vénérable 
Mère  le  comprit  et  elle  sut  y  remédier  avec  une  sagesse 
,qui  lui  venait  évidemment  du  Ciel.  Comme  on  ne  savait 
pas  encore  si  cette  fondation,  qui  n'était  qu'à  son  ber- 
ceau et  se  trouvait  en  présence  de  difficultés  immenses, 
pourrait  se  maintenir,  il  fallait  se  borner  à  des  arrange- 
ments provisoires  et  conditionnels.  C'est  pourquoi  elle 
régla  que  les  religieuses  de  Tours  feraient  le  quatrième 
vœu,  avec  cette  restriction  qu'il  ne  serait  ni  solennel 

(1)  D'autres  maisons,  qui  devinrent  chefs  de  Congrégations,  furent  fondées  à 
Lyon,  à  Toulouse,  à  Dijon,  à  Dôle.  Celle  de  Lyon  est  aujourd'hui  la  plus  nom- 
breuse après  celles  de  Bordeaux  et  de  Paris;  Les  Ursulines  de  Dôle  n'ont  jamais 
été  cloîtrées.  Parmi  elles,  quelques-unes  se  regardent  comme  filles  de  sainte 
Angèle;  les  autres  se  contentent  de  pratiquer  une  grande  dévotion  envers  cette 
sainte,  sans  l'appeler,  leur  Mère.  11  en  est  ainsi  des  Ursulines  actuelles  de  Tours, 
qui  ont  remplacé  dans  cette  ville  la  maison  où  la  Mère  de  l'Incarnation  avait  fait 
ses  vœux,  et  qui  n'a  pu  se  relever  après  la  révolution  de  1793. 


CHAPITRE    X.  253 

ni  absolu,  mais  seulement  pour  le  temps  où  elles  rési- 
deraient en  Canada;  et  que,  de  leur  côté,  les  religieuses 
de  Paris  adopteraient  le  costume  de  leurs  sœurs  de 
Tours  aux  mêmes  conditions  de  temps  et  de  lieu.  Quant 
aux  constitutions,  elle  les  fondit  ensemble,  tout  en  les 
adaptant  aux  besoins  du  pays. 

L'accommodement  ayant  été  conclu  de  la  sorte  au 
gré  de  toute  la  communauté,  la  Mère  de  l'Incarnation 
l'envoya  aux  deux  maisons  de  Paris  et  de  Tours,  qui 
l'approuvèrent  et  le  signèrent  avec  beaucoup  de  satis- 
faction. Il  fut  même  trouvé  si  judicieux  et  si  équitable, 
dit  Claude  Martin,  que  l'on  parla  de  faire  une  union 
générale  de  toutes  les  Congrégations  de  France  et  de 
prendre  celle  du  Canada  pour  modèle.  Plusieurs  supé- 
rieures écrivirent  en  ce  sens  à  la  Mère  de  l'Incarnation. 
Elle  ne  pouvait  qu'entrer  dans  leurs  vues;  mais  elle 
y  voyait  une  grande  difficulté,  en  ce  que  les  évêques 
pouvant  toujours  modifier  les  constitutions,  l'accord 
que  l'on  aurait  fait  n'aurait  rien  de  stable.^ 

(1)  Disons  qu'il  y  a  bien  peu  à  se  préoccuper,  dans  l'Ordre  des  Ursulines,  de  la 
variété  des  règlements  et  des  constitutions.  Nous  nous  sommes  convaincu  en  effet 
que,  même  entre  les  maisons  d'origine  commune,  l'uniformité  n'a  pas  subsisté 
dix  ans  :  à  toutes  les  époques,  il  y  a  eu  des  changements,  comme  le  prouvent 
les  éditions  anciennes  de  ces  constitutions.  Le  monastère  de  Rome  est  peut-être 
le  seul  qui  ait  conservé  intactes  les  constitutions  primitives. 

Ajoutons,  ce  qui  est  une  autorité  décisive,  que  les  bulles  pontificales  regardent 
cette  unifox'mité  comme  sans  aucune  importance,  puisque  toutes  permettent 
expressément  aux  supérieurs  locaux  'de  changer  et  de  modifier  les  constitutions 
primitives  selon  qu'ils  le  jugent  convenable  eu  égard  aux  circonstances. 

Enfin  cette  uniformité  n'est  ni  nécessaire  ni  possible,  si  ce  n'est  pour  les  reli- 
gieuses d'une  même  communauté.  Elle  n'est  pas  nécessaire,  puisque  l'Ordre  a 
toujours  existé  et  prospéré  sans  cela.  Elle  n'est  pas  possible,  par  la  raison  que  les 
différences  de  pays,  de  climats,  de  genres  d'éducation  des  enfants  exigent  quelque 
différence  dans  les  règlements. 

Quant  au  costume,  si  l'on  excepte  les  communautés  d'Allemagne  et  trois  ou 
quatre  de  France,  il  diffère  très-peu.   C'est  à  peine  si  quelques  personnes  du 


254  MARIE    DE    l'incarnation. 

La  question  était  toute  différente  pour  une  commu- 
nauté composée  de  membres  d'origines  diverses,  comme 
était  alors  celle  de  Québec;  il  était  indispensable  d'éta- 
blir l'uniformité  d'une  manière  ou  d'une  autre  si  l'on 
voulait  obvier  à  des  tiraillements  et  des  embarras  inévi- 
tables, ainsi  qu'aux  susceptibilités  à  l'égard  de  la  supé- 
rieure, qui  aurait  eu  mille  peines  à  persuader  qu'elle 
tenait  la  balance  égale.  Ce  fut  surtout  après  la  con- 
clusion de  l'accord  que  l'on  en  comprit  l'importance 
et  l'utilité  pour  le  bien  général  et  la  perfection  de  chaque 
religieus^e. 


«•  Cette  union  ayant  été  conclue,  dit  Claude  Martin, 
il  serait  difficile  de  dire  la  ^'ie  parfaite  qui  en  résulta. 
Sujets  choisis  qui  avaient  renoncé  aux  délices  du  pays 
natal  et  aux  douces  joies  -de  la  famille,  pour  se  dévouer 
au  service  de  Dieu  dans  un  pays  de  croix  et  d'épines, 
et  jeter  les  fondements  d'une  colonie  telle  que  l'on  n'en 
avait  pas  encore  vu  de  semblable  depuis  l'établissement 
de  leur  Ordre,  elles  s'acquittaient  de  leurs  devoirs  avec 
tant  de  fidélité  et  de  zèle  qu'on  eût  pu  les  comparer 
aux  premiers  religieux  de  Saint-Benoît,  de  Saint- 
Dominique,    de    Saint-François    et  de    ces  anciennes 

monde  en  ont  connaissance.  Après  tout,  en  quoi  cela  peiit-il  nuire  à  l'influence 
des  religieuses,  à  leur  bon  esprit  et  à  leur  perfection,  ou  diminuer  l'estime  et  la 
confiance  des  séculiers  ? 

On  a  paru  attacher  une  certaine  importance  au  quatrième  vœu  ;  mais  dans  la 
pratique,  les  communautés  où  il  ne  se  fait  pas,  agissent  exactement  comme  celles 
où  il  est  émis. 

Disons  enfin  qu'il  n'y  a  rien,  dans  ces  variétés,  qui  puisse  nuire  à  l'union  des 
cœurs  ;  les  Ursulines  n'aiment  pas  leurs  sœurs,  parce  qu'elles  ont  une  ceinture 
de  cuir  ou  un  cordon  dejaiue,  un  vêtement  de  telle  forme  plutôt  que  dételle 
autre;  mais  parce  qu'elles  sont  toutes  les  épouses  du  même  Dieu,  les  filles  d'une 
même  mère,  sainte  Angèle,  et  qu'elles  tendent  au  même  but  par  le  même  travail. 


CHAPITRE    X.  255 

communautés  qui,  étant  remplies  des  prémices  de  l'es- 
prit de  leurs  patriarches,  ont  servi  d'exemple  à  celles 
des  siècles  suivants.  » 

La  pieuse  supérieure  en  éprouvait  une  joie  qu'elle 
ne  pouvait  taire  et  dont  elle  s'entretenait  volontiers 
avec  ses  amis  de  France.  Elle  semblait  donc  être  au 
comble  de  ses  vœux  et  devoir  jouir  de  la  plus  douce 
paix.  Arrivée  dans  sa  chère  mission,  objet  de  désirs 
si  ardents,  livrée  avec  toute,  l'ardeur  de  sa  grande 
âme  à  l'instruction  des  petites  sauvages,  et  recueillant 
dans  l'exercice  de  ce  ministère  des  fruits  inespérés  ; 
voyant  s'élever  un  monastère  vaste  et  solidement  cons- 
truit, soutenue  par  la  confiance  qu'on  lui  avait  toujours 
témoignée,  et  encouragée  par  la  vénération  profonde 
dont  jusque-là  elle  avait  été  l'objet;  au  centre  de  la 
plus  fervente  chrétienté  qui  fût  peut-être  alors  dans 
l'Eglise,  dit  le  Père  de  Charlevoix;  dans  le  continuel 
exercice  de  ce  que  la  pénitence  a  de  plus  austère  et  la 
charité  de  plus  éminent,  que  pouvait -elle  désirer 
encore?  Aux  yeux  de  la  sagesse  ordinaire,  même  de 
celle  qui  n'est  pas  la  sagesse  charnelle,  tout  cela  était 
beau;  mais  il  y  a  pour  les  saints  une  sagesse  plus 
excellente-,  fondée  sur  un  amour  d'extrême  prédilection 
dont  Dieu  les  prévient. 

Dans  le  ciel,  où  il  n'y  a  plus  de  combats  entre  la 
nature  et  la  grâce,  rien  ne  trouble  les  âmes.  Sur  la 
terre,  il  en  est  autrement;  nous  sommes  toujours  solli- 
cités à  chercher  dans  les  créatures  un  bonheur  ou  au 
moins  des  consolations  que  Dieu  seul  doit  nous  donner. 
C'est  pourquoi,  quand  il  veut  faire  arriver  certaines 
âmes  ici-bas  à  la  sainteté,  non  consommée  il  est  vrai, 
mais  parfaite  cependant,  il  les  détache  par  les  croix 
et  les  tribulations,  de  tout  ce  qui  pourrait  leur  donner 


256  MARIE    DE   l'incarnation. 

quelque  consolation  naturelle.  Il  fait  que  ses  faveurs 
mêmes  ont  une  telle  amertume  que,  semblable  à  la 
colombe  de  l'Arche ,  1  ame  ne  pouvant  trouver  nul 
repos  ni  s'arrêter  à  quoi  que  ce  soit,  est  forcée  de 
s'élever  vers  lui'  et  de  lui  rapporter  ses  grâces,  dont 
le  rameau  d'olivier  était  la  figure.  Ce  fut  ce  qui  arriva 
pour  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Au  moment  où 
elle  semblait  devoir  trouver  de  nombreux  sujets  de 
consolation,  tout  se  tourna  contre  elle,  et  elle  se  trouva 
plongée  dans  un  océan  de  tribulations. 

Sans  qu'on  puisse  savoir  pourquoi,  madame  de  la 
Peltrie,  jusque-là  si  dévouée  à  l'œuvre  des  Ursulines, 
si  pleine  de  respect  et  de  vénération  pour  la  Mère  de 
l'Incarnation  ,  se  laissa  aller  à  des  sentiments  qui 
étaient  plus  que  de  l'indifférence;  elle  quitta  tout  à  coup 
ses  protégées,  leur  retira  tous  ses  effets  mobiliers  et, 
suivie  de  Charlotte  Barré,  elle  s'en  alla  à  Montréal 
où  une  œuvre  nouvelle  paraissait  vouloir  se  fonder. 

Ce  départ  laissa  les  Ursulines  dans  un  dénûment 
tel,  qu'il  ne  leur  resta  que  trois  lits  pour  leurs  quatorze 
élèves.  «  Nous  les  faisons  coucher  sur  des  planches, 
écrivait  la  Mère  de  l'Incarnation;  nous  mettons  sous 
elles  ce  que  nous  pouvons  pour  en  adoucir  la  dureté; 
et  nous  empruntons  des  peaux  pour  les  couvrir,  notre 
pauvreté  ne  nous  permettant  pas  de  faire  autrement.  » 


Humainement  parlant,  tout  paraissait  perdu,  et  il 
semblait  qu'il  n'y  avait  d'autre  parti  à  prendre  que  de 
revenir  en  France.  M.  de  Bernières,  si  dévoué  pour- 
tant, et  qui  avait  mis  tant  de  zèle  pour  l'entreprise 
de  cette  mission,  lui  écrivait  les  lignes  suivantes,  bien 


CHAPITRE   X.  257 

propres  à  abattre  le  courage  le  plus  fort  :  «  Il  faut  se 
résoudre  à  congédier  vos  élèves  et  vos  ouvriers,  puis- 
que pour  payer  seulement  le  fret  de  ce  que  je  vous 
envoie,  il  me  faut  trouver  neuf  cents  livres,  ce  qui 
forme  tout  le  revenu  de  votre  fondation.  Et  de  plus, 
si  Madame  votre  fondatrice  vous  quitte,  comme  j'y  vois 
de  grandes  apparences  ,  il  vous  faudra  revenir  en 
France,  à  moins  que  Dieu  ne  suscite  une  autre  per- 
sonne qui  vous  soutienne.  » 

Pour  la  nature  laissée  à  elle-même,  la.  première 
pensée  qui  se  présente  en  un  cas  pareil  est  celle  de 
•l'humiliation  résultant  d'une  entreprise  avortée;  c'est 
la  confusion  dont  on  est  couvert  lorsque  l'on  se  voit 
forcé  de  reprendre  la  modeste  position  que  l'on  avait 
quittée  pour  de  vastes  projets  ;  mais  les  saints  ne 
pensent  même  pas  à  cela.  La  Mère  Marie  de  l'Incarna- 
tion ne  s'était  pas  aperçue  qu'il  y  eût  de  la  gloire 
humaine  dans  son  entreprise  ;  elle  ne.  pensait  pas 
davantage  à  la  confusion  de  l'insuccès.  Sa  grande, 
son  unique  peine,  eût  été  l'abandon  d'une  œuvre  où 
elle  voyait  l'intérêt  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut 
des  âmes.  Cette  femme  forte,  qui  avait  dit  adieu  à  son 
fils  unique,  âgé  de  treize  ans,  le  cœur  brisé  à  la  vérité, 
mais  saas  embrasser  cet  enfant  et  sans  verser  une 
larme,  n'eût  jamais  pu  faire  de  même  à  l'égard  de  ses 
petites  sauvages.  Elle  n'eût  pu,  sans  éclater  en  san- 
glots, voir  se  disperser  et  retourner  à  leurs  forêts, 
ces  enfants  adoptives,  dont  cinquante  avaient  été  éle- 
vées par  ses  soins  dès  la  première  année.  Elle  n'eût  pu 
s'éloigner  de  ces  chers  sauvages,  dont  plus  de  sept 
cents,  tant  hommes  que  femmes ,  avaient  reçu  de  sa 
charité  d'abondantes  aumônes  corporelles  et  spiri- 
tuelles.  Telle  était  néanmoins  la  perspective  qu'elle 

M.    DE    L'iNC.  17 


258  MARIE   DE   l'incarnation. 

eut  un  moment  devant  les  yeux,  nulle  apparence  de 
secours  humains  ne  se  montrant  plus  à  elle. 

Ce  n'était  pas  encore  tout.  Les  peines  et  les  tribu- 
lations intérieures  surpassaient  de  beaucoup  celles  dont 
elle  se  voyait  entourée  au  dehors.  Dieu  semblait  pren- 
dre plaisir  à  remplir  son  âme  de  ténèbres  et  à  la  laisser 
en  proie   aux  plus  horribles  tentations  de  désespoir. 


Voici  la  peinture  qu'elle-même  a  laissée  de  son  état  : 
«  Je  me  voyais  comme  dépouillée  de  tous  les  dons 
de  grâce  que  Dieu  avait  mis  en  moi,  et  de  tous  les 
talents  naturels  qu'il  m'avait  donnés.  Je  n'avais  plus 
confiance  en  qui  que  ce  fût,  et  les  personnes  les  plus 
saintes,  celles  même  avec  lesquelles  j'avais  eu  le  plus 
d'intimité,  me  donnaient  les  plus  grands  sujets  de  peine 
et  de  mortification,  Dieu  permettant  qu'elles  eussent 
des  tentations  continuelles  d'aversion  contre  moi,  ainsi 
qu'elles  me  l'ont  avoué  depuis.  Je  me  voyais  la  créature 
la  plus  digne  de  mépris  et  la  plus  vile  qui  fût  au 
monde;  et,  dans  ce  sentiment,  je  ne  pouvais  me  lasser 
d'admirer  la  bonté,  la  douceur  et  l'humilité  de  mes 
sœurs,  de  vouloir  bien  dépendre  de  moi  et  me  souffrir. 
Je  n'osais  presque  lever  les  yeux  sous  le  poids  de  cette 
humiliation,  et  je  m'appliquais  aux  actions  les  plus 
humbles  et  les  plus  viles,  ne  m'estimant  pas  digne 
d'en  faire  d'autres. 

y>  Aux  récréations,  je  n'osais  presque  parler  et  j'écou- 
tais mes  sœurs  avec  respect.  Je  me  faisais  néanmoins 
violence  pour  éviter  la  singularité.  J'agissais  de  même 
dans  les  autres  fonctions  de  ma  charge,  et  cependant 
mon  esprit  restait  libre  pour  l'étude  des  langues.  Je 


CHAPITRE    X.  259 

n'ai  point  vu  qu'on  se  fût  aperçu  de  ce  que  je  souffrais, 
quoiqu'alors  il  me  semblât  que  tout  le  monde  voyait 
ma  misère.  Je  communiquais  peu  mon  état  au  Père 
Lejeune,  étant  dans  l'impuissance  de  le  faire;  mais 
il  en  connaissait  assez  pour  en  avoir  compassion  et 
pour  en  appréhender  les  suites. 

»  Parmi  ces  ténèbres  si  affligeantes,  il  s'élevait  quel- 
quefois un  rayon  de  lumière  qui  éclairait  mon  âme  et 
la  mettait  dans  un  transport  d'amour  si  extraordinaire 
qu'il  me  semblait  être  dans  le  paradis.  Mais  cela  passait 
bien  vite.  Cette  lumière  n'était  que  comme  des  éclairs 
qui  frappent  subitement  la  vue  et  disparaissent  aus- 
sitôt; et  ces  grandes  caresses  ne  servaient  qu'à  appe- 
santir ma  croix  et  à  rendre  mes' peines  plus  sensibles; 
car  je  passais  d'un  abîme  de  lumière  et  d'amour  à  un 
abîme  d'obscurité  et  de  ténèbres  douloureuses.  Je  me 
voyais  plongée  comme  dans  un  enfer  qui  contenait  des 
tristesses  et  des  amertumes  mortelles,  fruit  d'une  tenta- 
tion de  désespoir  dont  je  ne  connaissais  pas  la  cause. 
Je  me  serais  perdue  en  cet  état  si,  par  une  vertu 
secrète,  la  bonté  de  Dieu  ne  m'eût  soutenue.  Je  voyais 
que  je  méritais  l'enfer,  et  que  Dieu  n'eût  pas  été  injuste 
envers  moi  s'il  m'eût  jetée  dans  l'abîme.  Je  le  voulais 
bien,  pourvu  que  je  ne  fusse  pas  privée  de  son  amitié.  » 


Tel  était  Tétat  de  cette  grande  âme,  telle  était  la 
manière  dont  Dieu  travaillait  à  la  détacher  de  toutes 
choses  pour  se  l'attacher  uniquement.  Combien  d'autres 
auraient  succombé  à  l'accablement  et  pris  le  parti  de 
tout  abandonner,  en  voyant  ainsi  crouler  au  dehors 
toutes  les  ressources  humaines,  et  disparaître  toutes 


260  MARIE    DE    l'incarnation. 

les  consolations  sensibles  au  moyen  desquelles  la  grâce 
soutient  les  âmes  d'une  piété  ordinaire!  Mais  la  Mère 
de  l'Incarnation  reste  ferme  dans  son  imperturbable 
confiance  en  Dieu.  Comme  si  elle  eût  voulu  braver 
toutes  les  difficultés  et  l'impossibilité  elle-même,  ce  qui 
était  pourtant  loin  de  la  pensée  d'une  religieuse  aussi 
humble  et  aussi  judicieuse,  elle  résolut  de  conserver 
les  pensionnaires  sauvages,  de  continuer  ses  aumônes 
aux  pauvres  indigènes  qui  venaient  en  foule  implorer 
sa  pitié,  et  d'achever  la  construction  du  monastère. 
Elle  écrit  tranquillement  : 

«  M.  de  Bernières  sera  épouvanté  en  voyant  que  je 
lui  demande  des  vivres  comme  à  l'ordinaire,  et  de  plus 
que  je  lui  envoie  des  parties,  pour  six  mille  livres, 
qui  ont  été  employées  à  payer  les  gages  de  nos  ouvriers, 
et  à  l'achat  des  matériaux  de  notre  bâtiment,  sans 
parler  du  fret  du  vaisseau;  car,  en  tout  cela,  nous 
n'avons  que  la  Providence  de  Dieu.  On  me  dit  que  tout 
est  perdu  ;  et  cependant  je  me  suis  sentie  portée  inté- 
rieurement à  poursuivre  ce  que  Notre-Seigneur  nous 
a  fait  la  grâce  de  commencer  en  sa  nouvelle  Eglise,  » 

Au  milieu  de  toutes  les  angoisses  dont  nous  venons 
de  parler,  elle  vaquait  aux  devoirs  de  sa  charge  avec 
une  liberté  d'esprit  qui  étonnait  son  confesseur  ;  et  ce 
fut  dans  le  fort  de  cette  épreuve  qu'elle  conclut  la 
grande  affaire  de  l'union  des  deux  branches  de  sa 
communauté  sous  une  même  règle,  sans  cesser  un 
instant  de  diriger  et  d'activer  les  travaux  de  la  cons- 
'truction  du  monastère. 

Cependant  les  croix  continuaient  toujours  :  l'idée  de 
ses  péchés  était  sans  cesse  retracée  à  son  esprit  avec 
des  traits  si  vifs,  qu'elle  ne  pouvait  plus  se  souffrir 
elle-même.  Un  jour  qu'elle  en  était  plus  frappée  qu'à 


CHAPITRE    X.  261 

l'ordinaire,  et  que  son  cœur  était  brisé  de  contrition, 
elle  s'avisa  de  se  revêtir  d'une  haire  qu'elle  porta  très- 
longtemps  sans  l'ôter,  pas  même  la  nuit  pour  reposer. 
Son  confesseur  l'ayant  appris,  lui  en  fit  de  très-vifs 
reproches,  et  lui  ordonna  d'aller  sur-le-champ  quitter 
cet  instrument  de  pénitence.  Avant  que  d'obéir,  elle 
se  jeta  à  ses  pieds  et  le  supplia  de  vouloir  bien  écouter 
la  déclaration  qu'elle  voulait  lui  faire  de  tous  ses- 
péchés  et  de  toutes  ses  imperfections,  afin  qu'il  sût 
jusqu'oïl  allait  sa  perversité. 

Le  Père  la  rebuta  d'abord;  mais  enfin,  attendri  par 
ses  larmes  et  vaincu  par  ses  instances,  il  y  consentit, 
^lle  lui  fit  donc  une  confession  générale  de  toute  sa 
vie,  sans  examen;  mais  avec  tant  d'exactitude^et  de 
précision  qu'elle  n'eût  pu  mieux  faire  si  elle  eût 
employé  plusieurs  jours  à  se  préparer. 

Nous  ignorons,  bien  entendu,  les  détails  de  cette 
confession,  mais  nous  en  connaissons  une  autre  qu'elle 
a  écrite  elle-même  dans  les  termes  suivants,  et  qui  ne 
peut-être  différente  de  celle  qu'elle  avait  faite  au  ministre 
de  Dieu. 

«  Je  me  sens  coupable,  ô  mon  divin  Epoux,  d'un 
nombre  innombrable  de  péchés  et  de  fautes  cachées; 
mais  voici  ceux  qui  me  paraissent  vous  avoir  particu- 
lièrement déplu.  Vous  savez,  ô  mon  chaste  Epoux, 
qu'à  l'époque  où  votre  divine  bonté  m'appela  par  une 
grâce  extraordinaire  .pour  vous  suivre  dans  une  vraie 
pureté,  (j'avais  alors  dix-neuf  ans),  lorsqu'elle  m'eut  fait 
voir  que  je  me  trompais  dans  la  créance  que  j'avais 
d'être  dans  un  état  parfait,  j'examinai  si  je  ne  retour- 
nerais pas  dans  la  route  du  monde  et  dans  la  condition 
de  laquelle  vous  m'aviez  -délivrée.  La  tentation,  sous 
une  raison  spécieuse  et  nécessité  apparente,  à  cause 


262  MARIE    DE    l'incarnation. 

des  grandes  affaires  que  j'avais  sur  les  bras,  et 
desquelles  il  me  semblait  que  je  ne  me  pouvais  tirer, 
m'ébranla  et  m'eût  emportée  si,  par  votre  immense 
bonté,  vous  n'eussiez  mis  votre  Esprit  dans  la  bouche 
d'une  bonne  fille,  ma  compagne  de  dévotion,  qui  igno- 
rant mes  affaires,  et,  je  crois,  sans  avoir  connaissance 
de  ce  qui  m'occupait,  me  dit  dans  un  entretien  fami- 
lier :  Il  faut  être  tout  à  Dieu.  Ce  mot  me  frappa  vive- 
ment le  cœur  et  me  donna  tout  d'un  coup  une  lumière 
qui  affermit  mon  esprit  dans  vos  voies,  sans  quoi,  ô 
mon  divin  Epoux,  ma  volonté  allait  succomber,  et 
tout  cela  n'a  point  arrêté  le  torrent  de  vos  miséricordes. 

»  0,ma  vie,  vous  savez  encore  qu'en  deux  autres 
occasions,  je  m'amusai  à  de  certaines  complaisances 
qui  tenaient  de  l'esprit  de  nature,  et  que,  sous  l'ombre 
de  bien,  j'y  croupis  quelque  temps,  et  qu'enfin  si  votre 
bonté  ne  m'en  eût  tirée,  j'aurais  étouffé  l'esprit  de 
grâce  par  lequel  vous  me  conduisiez  si  amoureusement. 

»»  Ah!  que  j'ai  de  douleur,  et  combien  je  mérite 
d'enfers  pour  châtiment  de  mes  infidélités  ! 

r  Une  autre  fois,  étant  religieuse,  je  fis,  il  me  semble, 
un  acte  d'hypocrisie,  en  allant  prier  ma  supérieure  de 
m'humilier.  Je  crois  qu'elle  m'eût  bien  mortifiée  de  me 
prendre  au  mot,  car  je  pense  que  mon  intention  n'était 
pas  pure;  j'avais  un  orgueil  secret  qui  me  faisait  agir. 

y>  Une  autre  fois  encore,  sous  ombre  d'amour  de  la 
justice,  j'allai  donner  un  avis  à  ina  supérieure,  et  ce 
n'était  au  fond  que  par  une  vertu  plâtrée,  ou  plutôt 
c'était  l'orgueil  qui  me  faisait  agir;  et  vous  avez  souf- 
fert tout  cela,  ô  mon  divin  Epoux,  sans  arrêter  le  cours 
de  vos  miséricordes.  Il  est  juste  que  vous  en  tiriez 
vengeance.  » 


CHAPITRE   X.  263 

«  Ce  sont  ici,  dit  Claude  Martin  les  gémissements 
de  la  colombe,  qui  marquent  tout  ensemble  l'intiocence 
et  la  douleur.  Son  innocence  paraît  dans  la  confession 
générale  et  publique  qu'elle  fait  de  ses  péchés,  car 
voulant  déclarer  les  fautes  qu'elle  croyait  être  la  cause 
de  ses  peines  intérieures,  on  ne  peut  douter  qu'elle  ne 
rapporte  celles  qui  lui  semblaient  les  plus  grandes  de 
toute  sa  vie  et  qui  alarmaient  plus  vivement  sa  con- 
science. Cependant  quoi  qu'elle  fasse  pour  les  exposer 
dans  toutes  leurs  circonstances,  elles  paraissent  pour 
la  plupart  si  légères,  que  je  ne  sais  même  si  on  peut 
leur  donner  le  nom  de  péchés. 

»  Elle  ne  fait  cette  confession  que  depuis  l'âge  de 
dix-neuf  ans,  car  avant  ce  temps-là,  ses  fautes  n'avaient 
été  que  des  légèretés  d'enfant,  dans  lesquelles,  comme 
elle  l'a  dit  ailleurs,  elle  n'avait  jamais  cru  qu'il  y  eût 
du  péché.  Toute  sa  vie  s'est  passée  dans  cette  délica- 
tesse et  cette  pureté  de  conscience.  Elle  fit  bien  voir 
un  jour  jusqu'à  quel  point  son  âme  était  sensible  aux 
moindres  fautes,  en  témoignant  une  joie  extraordinaire 
de  ce  qu'elle  avait  été  à  confesse  :  car  ses  novices  lui 
en  ayant  demandé  la  cause,  elle  répondit  avec  simpli- 
cité :  C'est  que  j'en  avais  besoin,  m'étant  laissée  distraire 
par  des  puérilités  pendant  une  dizaine  de  mon  chapelet. 
Voilà,  ajoute  son  fils,  le  plus  grand  péché  qu'elle  ait 
commis  dans  les  trente-trois  années  qu'elle  a  vécu  en  . 
Canada.  D'où  il  faut  conclure  qu'aucun  de  ces  péchés 
qui  donnent  la  mort  à  l'âme  n'est  jamais  entré  dans 
la  sienne,  et  que  Dieu  l'a  trouvée,  à  la  fin  de  sa  vie, 
avec  cette  première  grâce  dont  il  l'a  si  amoureusement 
prévenue.  » 

On  aurait  néanmoins  tort  de  croire  que  quand  les 
saints  tiennent  un  pareil  langage,  ils  s'accusent  sans 


264  MARIE   DE   l'incarnation. 

motif.  Si  l'on  fait  attention  aux  attributs  infinis  de 
Dieu  :  à  sa  grandeur,  à  sa  puissance,  au  domaine 
absolu  qu'il  a  sur  nous,  et  qui  nous  impose  l'obligation 
de  le  regarder  comme  la  fin  dernière  et  indispensable, 
non-seulement  de  nos  paroles  et  de  nos  actions,  mais 
de  nos  pensées,  de  nos  désirs  et  des  moindres  mouve- 
ments de  notre  volonté,  on  comprendra  que  nous 
commettons  une  faute  chaque  fois  que,  volontairement, 
nous  nous  proposons  autre  chose  que  Dieu  pour  fin 
dernière  dés  mouvements  et  des  tendances  de  notre 
âme.  Or,  qui  peut  se  flatter  de  ne  pas  commettre  bien 
des  fautes  de  ce  genre?  Un  bon  nombre  de  saints, 
comme  saint  François-Xavier,  saint  Charles  Borromée, 
se  confessaient  tous  les  jours  et  trouvaient  toujours 
matière  à  absolution.  Etait-ce  erreur  ou  illusion  de 
leur  part?  Il  faudrait  avoir  bien  de  la  suffisance  et  de 
la  confiance  en  soi-même  pour  le  supposer.  Il  est 
certain,  au  contraire,  que  ces  âmes  délicates  avaient 
plus  de  lumières  que  n'en  ont  ceux  qui,  à  la  fin  d'une 
semaine,  ne  trouvent  rien  à  accuser. 

On  ne  peut  pas  dire  non  plus  que  la  douleur  extrême 
dont  les  saints  étaient  pénétrés  pour  ces  fautes  relative- 
ment légères,  était  une  douleur  exagérée.  Quel  est 
celui  qui  ne  sentirait  toute  sa  vie  le  plus  vif  regret  si, 
par  une  simple  étourderie  accompagnée  d'un  léger 
sentiment  de  vengeance,  il  avait  causé  l'incendie  d'une 
grande  ville  dont  tous  les  habitants  auraient  péri  dans 
les  flammes?  Or  il  n'est  pas  un  théologien  qui  n'en- 
seigne que  le  moindre  péché  véniel  est  un  mal  plus 
grand  que  la  destruction  de  l'univers  entier,  et  que 
le  supplice  le  plus  rigoureux  de  tous  les  hommes 
ensemble.  Comment  les  saints  qui  savent  cela  et  qui 
aiment  Dieu  de  tout  leur  cœur,  n'auraient-ils  pas  une 


CHAPITRE    XI.  265 

vive  et  amère  contrition  des  fautes  qu'ils  savent  avoir 
commises? 


CHAPITRE  XL 

Cause  des  épreuves  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  —  Accord  qu'elle  fait 
avec  Dieu.  —  Claude  Martin  veut  se  faire  religieux,  1639.  —  Il  est  refusé 
par  les  Jésuites.  —  Ses  qualités.  —  Il  cherche  une  position  dans  le  monde. 
—  Sa  vocation  se  décide.  —  Il  enXve  au  noviciat  des  Bénédictins  à  Vendôme, 
1641.  —  Sa  mère  le  félicite,  1641.  —  Crise  au  moment  de  sa  profession.  — 
Il  prononce  ses  vœux  le  3  février  1642. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  au  sujet  des  doulou- 
reuses épreuves  de  la  Mère  de  rincarnation,  suffirait 
pour  les  expliquer  et  justifier  la  conduite  de  Dieu, 
surtout  lorsque  l'on  sait  que,  comme  nous  l'enseigne 
saint  Paul,  nulle  souffrance  ici-bas  n'a  de  proportion 
avec  la  gloire  immense  qui  doit  en  être  la  récompense. 
Nous  pourrions  donc  dire  qu'il  y  a  là  une  de  ces  voies 
mystérieuses  par  lesquelles  Dieu  conduit  ses  saints 
pour  leur  faire  mériter  une  plus  brillante  couronne. 
Mais  nous  avons  encore  une  autre  explication  des 
angoisses  de  cette  sainte  âme  :  c'est  qu'elle-même  les 
avait  demandées.  Différents  épanchements  de  son  cœur 
nous  apprennent  qu'elle  regardait  ses  croix  comme 
une  suite  de  l'offre  qu'elle  avait  faite  à  Dieu  de  soufifrir 
pour  son  fils  et  pour  une  de  ses  nièces,  à  une  époque 
où  ni  l'un  ni  l'autre  ne  donnaient  lieu  d'espérer  qu'ils 
seraient  un  jour  aussi  fidèles  à  ses  pieuses  recomman- 
dations qu'ils  le  devinrent  plus  tard.  Voici  ce  qu'elle 
dit  dans  une  lettre  à  son  fils  :  . 


266  MARIE    DE   l'incarnation. 

«  La  crainte  que  j'avais  que  vous  ne  tombassiez  dans 
les  précipices  où  vous  couriez,  me  fit  faire  un  accord 
avec  Dieu  pour  porter  la  peine  due  à  yos  péchés,  et 
afin  qu'il  ne  nous  châtiât  point  par  la  privation  du 
bien  qu'il  m'avait  fait  espérer  pour  vous.  Par  suite  de 
cotte  convention,  vous  ne  sauriez  croire  combien  j'ai 
soufîert  à  ce  sujet.  »  Ailleurs,  elle  écrit  ces  lignes  bien 
-significatives  : 

«  0  mon  Dieu!  châtiez-moi  selon  vos  adorables 
jugements.  Je  vous  en  conjure  moi-même,  tant  je  vois 
de  justice  à  ce  que  votre  amour  soit  satisfait.  Oh!  que 
de  châtiments  je  dois  subir!  car  outre  ce  que  méritent 
mes  propres  iniquités,  vous  savez,  ô  mon  divin  Epoux, 
que,  pour  les  deux  âmes  que  je  vous  ai  recommandées^ 
je  me  suis  offerte  à  souffrir  la  punition  des  fautes 
quelles  auraient  commises  contre  votre  divine  Majesté 
et  qui  les  auraient  rendues  indignes  de.  la  faveur  que 
vous  leur  avez  faite  en  les  retirant  du  monde.  » 


Dieu  lui  fit  payer  cher  la  générosité  avec  laquelle 
elle  s'était  chargée  des  dettes  de  ces  deux  âmes  ;  mais 
aussi  il  lui  accorda  avec  magnifience  ce  qu'elle  avait 
demandé  et  si  héroïquement  acheté. 

On  a  vu  comment  des  personnes  malveillantes  avaient 
cherché  à  exaspérer  son  fils,  pour  la  mettre  dans 
l'impossibilité  de  suivre  sa  vocation;  nous  avons  dit 
quelles  inquiétudes,  quels  tourments  même  il  causa 
à  sa  pieuse  mère,  quelles  étaient  les  angoisses  de  celle- 
ci  relativement  à  l'avenir  de  son  enfant  au  point  de 
vue  du  salut,  car  pour  le  reste  elle  s'en  inquiétait  peu. 
A  l'époque    où    nous    sommes,    Claude   Martin  avait 


CHAPITRE    XI.  267 

environ  vingt-deux  ans;  c'était  le  moment  où  il  lui 
fallait  faire  choix  d'un  état  de  vie  ;  or,  de  ce  choix 
pouvait  dépendre  son  avenir  éternel;  rien  donc  n'était 
plus  de  nature  à  préoccuper  sa  mère  ;  c'était  pour  elle 
un  nouvel  enfantement  plus  douloureux  que  n'avait 
pu  être  le  premier,  et  il  est  facile  de  comprendre  qu'elle 
dut  se  vouer  à  toutes  les  peines  possibles  pour  obtenir 
que  cet  enfant  prît  le  chemin  qui  devait  le  conduire 
au  Ciel.  On  en  jugera  mieux  encore  par  ce  que  nous 
allons  raconter  touchant  cet  épisode  de  la  vie  du  jeune 
homme. 

Lorsque,  trois  ans  auparavant,  touché  jusqu'au  fond 
du  cœur  des  réflexions  que  lui  fît  sa  mère  en  passant 
par  Orléans,  et  pénétré  d'admiration  pour  sa  vertu, 
il  résolut  de  ne  plus  rien  demander  à  sa  famille,  la 
pensée  qu'il  avait  eue  dans  son  enfance  d'embrasser 
la  vie  religieuse  se  présenta  de  nouveau  à  son  esprit. 
Ses  parents,  qui  étaient  peut-être  las  de  pourvoir  à  des 
dépenses  dont  il  leur  était  difficile  d'entrevoir  la  fin, 
ne  virent  pas  sans  une  certaine  satisfaction  reparaître 
ces  dispositions;  et,  au  lieu  de  les  combattre,  ils  les 
encouragèrent  de  leur  mieux.  Jugeant  les  choses  au 
point  de  vue  humain,  ils  crurent  que  le  meilleur 
moyen  de  réussir  était  de  lui  proposer  un  ordre  reli- 
gieux relâché,  où  la  vie  serait  commode  et  joyeuse; 
c'est  pourquoi  ils  cherchèrent  à  le  faire  entrer  dans 
un  couvent  de  Citeaux.  «  Mais,  dit  Edmond  Martène, 
parce  que  l'observance  de  la  règle  n'y  était  pas  gardée 
dans  sa  pureté,  sa  digne  mère,  qui  ne  cherchait  pas 
tant  l'établissement  de  son  fils  que  sa  sanctification, 
ne  voulut  jamais  permettre  qu'il  se  fît  religieux  dans 
cet  Ordre,  où  il  aurait  été  reçu  à  bras  ouverts. 

r>  Elle  aurait  bien  mieux  aimé  le  voir  dans  la  Com- 


268  MARIE   DE   L  INCARNATION. 

pagnie  de  Jésus.  Les  grands  services  qu'elle  avait  reçus 
des  Jésuites  dans  la  conduite  de  son  intérieur,  ceux 
qu'elle  leur  voyait  tous  les  jours  rendre  à  l'Eglise  par 
leurs  prédications  et  leurs  autres  travaux,  et  aux 
infidèles  par  leurs  missions,  lui  avaient  donné  une  si 
haute  idée  de  ces  révérends  Pères,  qu'elle  aurait  été 
au  comble  de  la  joie  si  son  fils  avait  embrassé  leur 
institut.  Lui-même  voyant  la  grande  estime  de  sa  mère 
à  leur  égard,  et  d'ailleurs  touché  par  les  fréquents 
entretiens  d'un  de  ses  régents,  qui  lui  avait  dit  des 
choses  admirables  de  la  conversion  des  pauvres  sau- 
vages, et  du  progrès  de  la  foi  aux  Indes,  en  Chine  et 
au  Japon  "par  suite  des  travaux  de  ses  confrères,  il 
avait  senii  son  cœur  s'enflammer  de  ce  feu  divin  que 
le  Sauveur  est  venu  apporter  sur  la  terre;  et  brûlant 
du  désir  d'étendre,  au  périr  de  sa  vie,  le  royaume  de 
Jésus-Christ  parmi  ces  nations  barbares,  il  pria  ces 
révérends  Pères  de  l'admettre  dans  leur  Compagnie. 
Il  donna  en  même  temps  avis  de  ses  dispositions  à  sa 
mère  qui  était  encore  à  Paris.  Elle  en  eut  une  extrême 
joie  et  elle  employa  tout  ce  qu'elle  avait  d'amis  dans 
la  Société  pour  seconder  les  pieux  désirs  de  son  fils. 
D'après  leur  conseil,  elle  lui  manda  de  se  rendre  à 
Paris  afin  de  conclure  cette  aff'aire  avec  le  Père 
Provincial,  qui  venait  d'y  arriver.  » 


Soit  que  Claude  Martin  eût  reçu  trop  tard  la  lettre 
de  sa  mère,  soit  pour  d'autres  raisons,  il  n'arriva  pas 
au  jour  fixé.  Sou's  ce  prétexte,  le  Provincial  lui  dit 
qu'il  était  trop  tard  et  qu'on  ne  pouvait  le  recevoir 
pour  le   moment.    La    Mère    de   l'Incarnation   en   fut 


CHAPITRE    XI.  269 

extrêmement  affligée,  ainsi  que  le  Père  de  la  Haye 
et  les  autres  Jésuites  -ses  amis,  qui  croyaient  la  chose 
déjà  faite.  On  lui  laissa  néanmoins  entrevoir  qu'il 
pourrait  être  reçu,  et  il  retourna  à.  Orléans  sans  avoir 
perdu  courage,  résolu,  au  contraire,  de  faire  de  vives 
instances  et  de  ne  rien  négliger  de  ce  qui  pourrait 
procurer  sa  réception   dans   la  Compagnie   de  Jésus. 

Mais  quand  sa  mère  eut  quitté  la  France,  toutes  les 
espérances  qu'on  lui  avait  données  s'évanouirent,  et 
quelques  vifs  désirs  qu'il  exprimât,  le  Provincial  lui 
déclara  qu'on  ne  pouvait  pas  le  recevoir,  et  cela  pour 
deux  raisons:  la  première,  parce  qu'il*  était  sourd; 
la  seconde,  parce  qu'il  n'avait  pas  assez  d'esprit  pour 
être  Jésuite. 

«  La  première  raison,  dit  Martène,  était  un  faux 
prétexte  :  car,  chez  les  Bénédictins,  on  ne  s'est  jamais 
aperçu  qu'il  fût  sourd,  et  il  a  conservé  l'ouïe  jusqu'à 
son  dernier  soupir,  nonobstant  sa  vieillesse.  Quant  à 
la  seconde  raison,  on  ne  croit  pas  faire  injure  à  cette 
illustre  Compagnie,  qui  renferme  tant  d'hommes  de 
mérite,  en  doutant  qu'elle  ait  beaucoup  de  sujets  com- 
parables à  Dom  Claude  Martin  pour  la  beauté,  la  soli- 
dité et  la  délicatesse  de  l'esprit.  " 

On  peut  dire  à  l'appui  de  cette  opinion  que  ce  saint 
religieux  :  P  a  été,  durant  neuf  ans,  assistant  du  Général 
de  la  célèbre  Congrégation  de  Saint-Maur,  à  la  grande 
satisfaction  de  tous  ceux  qui  la  composaient;  et  que, 
pendant  tout  le  reste  de  sa  vie,  sauf  très-peu  d'années, 
il  a  été  supérieur  dans  différentes  maisons  de  son 
Ordre;  2°  il  a  été  nommé  plusieurs  fois  président  du 
Chapitre  général;  et  celui  qui  fut  tenu  en  1687  l'aurait 
élu  Général  de  la  Congrégation  à  peu  près  à  l'unani- 
mité, dit  Martène,  si,  au  moment  de  procéder  au  vote. 


270  MARIE   DE   l'incarnation. 

il  n'était  arrivé  un  message  du  roi.  Louis  XIV,  défen- 
dant de  le  nommer.  Des  courtkans  avaient  dit  à  Sa 
Majesté  que  celui  sur  lequel  les  voix  allaient  se  porter 
était  un  saint,  mais  en  même  temps  un  entêté.  On 
dit  que  les  saints  sont  entêtés,  observe  ici  Dom  Martène, 
lorsqu'ils  ont  de  la  fermeté  dans  les  choses  qui  regar- 
dent la  gloire  de  Dieu  et  les  obligations  de  leurs 
charges,  et  qu'ils  s'opposent  avec  un  courage  intrépide 
aux  ambitions  humaines.  3°  Ce  qui  prouve  encore 
mieux  s'il  est  possible  que  Claude  Martin  n'était  pas 
dépourvu  d'esprit,  c'est  qu'il  est  le  principal  auteur  des 
éditions  bénédictines  des  Pères  de  l'Eglise,  l'un  des 
plus  gigantesques  travaux  que  l'intelligence  humaine 
ait  jamais  accomplis.  Après  avoir  raconté  de  quelle 
manière  Dom  Claude  Martin  eut  la  principale  part  à 
cette  mémorable  entreprise,  Martène  ajoute  :  «  Voilà 
comme  ce  grand  homme,  sans  s'ortir  de  son  cloître, 
se  rendait  utile  à  l'Eglise,  qui  lui  est  redevable  de  tous 
les  beaux  ouvrages  qui  sont  sortis  de  la  Congrégatoin.  » 
Mais  à  l'époque  où  Claude  Martin  éprouva  un  refus 
de  la  part  du  Provincial  des  Jésuites,  il  n'était  qu'un 
jeune  homme  de  vingt  ans,  et  nul  ne  pouvait  prévoir 
ni  le  haut  degré  de  vertu  qu'il  devait  atteindre,  ni  les 
travaux  importants  que  plus  tard  on  le  vit  exécuter. 


Cette  sorte  de  mépris  dont  il  se  vit  alors  l'objet,  lui 
causa  un  vif  chagrin  ;  il  ne  voulut  plus  penser  à  la  vie 
religieuse,  résolu,  au  contraire,  d'employer  tous  les 
moyens  possibles  pour  se  faire  une  position  dans  le 
monde.  Sachant  que  la  duchesse  d'Aiguillon,  nièce  de 
Richelieu,  et  plusieurs  autres  dames  de  la  Cour  avaient 


CHAPITRE    XI.  271 

offert  à  sa  mère  de  se  charger  de  son  avenir,  il 
retourna  à  Paris  pour  mettre  leur  bienveillance  à 
profit.  Après  avoir  attendu  pendant  cinq  ou  six  mois, 
il  était  enfin  sur  le  point  de  voir  son  ambition  satis- 
faite ;  mais  sa  mère  priait  et  surtout  elle  souffrait  pour 
lui  ses  grandes  peines  intérieures,  véritable  martyre 
de  lame.  Dieu,  qui  avait  destiné  son  fils  à  des  choses 
bien  plus  élevées  que  tout  ce  qui  flatte  l'orgueil,  lui 
avait  ménagé  ce  secours  inappréciable  de  la  piété  d'une 
sainte  mère,  et  il  l'arracha  au  monde  de  la  manière 
que  nous  allons-  raconter. 

Un  jour  qu'il  était  encore  dans  son  lit,  occupé  à  lire 
un  ouvrage  de  philosophie,  il  entendit  frapper  trois 
coups  à  la  porte  de  sa  chambre  :  il  se  lève  aussitôt, 
se  couvre  de  quelque  vêtement  et  va  voir  qui  avait 
frappé;  mais  il  ne  trouve  personne.  Il  n'en  fat  pas 
surpris,  pensant  que  durant  le  temps  qu'il  avait  mis 
à  s'habiller,  celui  qui  avait  frappé  s'était  retiré.  A  peine 
avait-il  refermé  la  porte  qu'il  entend  frapper  de  nou- 
veau; il  ouvre  à  l'instant  même  et  ne  voit  rien.  Cette 
fois  il  demeure  tout  interdit;  car,  comme  sa  chambre 
ouvrait  au  milieu  d'une  grande  galerie,  il  était  sûr 
que  nul  n'eût  pu  disparaître  aussi  vite  après  avoir 
frappé.  Dans  son  étonnement,  la  première  pensée  qui 
lui  vint  à  l'esprit  fut  qiie  c'était  sa  pieuse  mère  qui 
l'avertissait  de  songer  sérieusement  à  son  salut.  La 
grâce  agissant  en  même  temps  sur  son  cœur,  il  résolut 
de  travailler  de  toutes  ses  forces  à  se  sanctifier.  Sur- 
le-champ  il  se  met  à  écrire  une  confession  générale 
de  toute  sa  vie  ;  puis  il  va  au  monastère  des  Feuillants 
trouver  le  Père  Raymond  de  Saint-Bernard,  ancien 
confesseur  de  sa  mère.  Cet  excellent  religieux  qui  lui 
portait  un  vif  intérêt,  lui  demanda  où  en  étaient  ses 


272  MARIE    DE    l'incarnation. 

affaires.  —  Je  ne  sais,  répliqua  Martin;  voilà  bien  du 
temps  que  je  passe,  de  la  peine  que  je  me  donne,  de 
l'argent  que  je  dépense,  et  je  ne  suis  pas  plus  avancé 
que  le  premier  jour.  —  Le  Père  Raymond,  qui  avait 
probablement  entendu  parler  de  ser  démarches  pour 
entrer  chez  les  Jésuites,  lui  dit  :  —  N'auriez-vous  point 
envie  d'être  religieux?  —  J'en  ai  eu  quelquefois  la 
pensée;  mais  je  ne  trouve  aucun  Ordre  qui  me  con- 
vienne. —  Vous  ne  les  connaissez  pas  tous,  reprit  le 
Père.  Aussitôt  il  lui  fit  un  grand  éloge  des  Bénédictins 
de  la  Congrégation  deSaint-Maur,  citant  des  faits  à 
l'appui  de  ce  qu'il  disait.  —  Revenez  me  voir,  ajouta-t-il, 
et  je  vous  donnerai  une  lettre  pour  l'un  d'eux,  qui  est 
mon  compatriote  et  mon  intime  ami,  jouissant  d'ail- 
leurs de  beaucoup  de  considération  et  de  crédit  auprès 
de  ses  supérieurs. 

Cet  entretien,  qui  ne  semblait  qu'un  simple  laisser- 
aller  de  conversation,  et  auquel,  vraisemblablement, 
on  n'attachait  de  part  et  d'autre  aucune  importance 
sérieuse,  eut  un  résultat  que  Dieu  seul  avait  voulu 
et  prévu-  de  toute  éternité;  il  décida  la  vocation  de 
Claude  Martin  à  la  vie  religieuse.  A  peine  eut-il  quitté 
le  Père  Raymond,  qu'il  sentit  au  dedans  de  lui-même 
une  très- forte  impression  de  la  grâce;  un  attrait  invin- 
cible le  portait  vers  la  vie  religieuse  et  lui  inspirait 
un  souverain  mépris  pour  le  monde.  C'est  pourquoi, 
craignant  de  résister  à  Dieu  même,  s'il  se  laissait  aller 
à  la  moindre  hésitation,  il  alla  sur-le-champ  au  monas- 
tère des  Bénédictins  de  Saint-Germain-des-Prés,  et, 
sans  se  mettre  en  peine  de  la  lettre  de  recommandation 
qu'on  lui  avait  promise,  il  s'adressa  au  Général.  Ce 
Père  qui  était  l'un  des  religieux  les  plus  saints  et  les 
plus  éclairés  de  son  siècle,  l'interrogea,  examina  sa 


CHAPITRE    XI.  273 

vocation,  lui  doona  des  encouragements  et  lui  dit  de 
revenir  le  voir,  l'engageant  à  prier  beaucoup. 

Martin  sortit  de  l'entretien  irès-satisfait;  il  fit  une 
confession  de  toute  sa  vie ,  communia  trois  jours  de 
suite  pour  obtenir  les  grâces  dont  il  avait  besoin  ;  puis, 
se  sentant  plus  désireux  que  jamais  d'être  Bénédictin, 
il  retourna  chez  le  Père  Général.  Celui-ci,  après  deux 
ou  trois  autres  entretiens,  fut  entièrement  convaincu 
que  ce  jeune  homme  avait  tout  à  la  fois  et  une  vraie 
vocation  et  d'érainentes  qualités.  Il  lui  dit,  en  consé- 
quence, qu'on  l'admettait  dans  la  Congrégation,  et  qu'il 
n'avait  qu'à  se  disposer  à  aller  au  noviciat  de  Vendôme. 

Heureux  de  cette  décision,  Martin  alla  trouver  le 
Père  Raymond  de  Saint-Bernard  pour  lui  faire  part 
de  cette  nouvelle.  Le  bon  religieux  qui,  dans  l'inter- 
valle ,  s'était  occupé  très-activement  de  ses  affaires , 
lui  dit  en  le  voyant  :  «  J'ai  à  vous  apprendre  que  vos 
vœux  sont  enfin  satisfaits.  Vous  avez  désiré  un  emploi  : 
eh  bien,  l'on  vous  en  offre  un  qui,  sans  doute,  va  vous 
faire  plaisir.  On  vous  demande  pour  être  sous-secré- 
taire de  M.  le  Cardinal  de  Richelieu.  Il  faut  ^our  cet 
emploi  un  homme  d'un  jugement  solide,  capable  de 
garder  un  secret,  et  l'on  vous  fait  l'honneur  de  vous 
regarder  comme  tel.  »  Le  Père  Raymond,  croyant  qu'un 
jeune  homme  de  vingt-deux  ans  devait  se  trouver  au 
comble  de  la  joie  à  l'idée  d'une  pareille  position,  s'at- 
tendait à  voir  Martin  se  confondre  en  témoignages  de 
gratitude  :  aussi  fut-il  extrêmement  surpris  quand  il 
entendit  cette  réponse  :  «  Jusqu'ici,  mon  Révérend 
Père,  j'ai  cherché  le  monde  et  il  n'a  point  voulu  de  moi; 
aujourd'hui,  il  me  cherche  et  je  ne  veux  plus  de  lui.  » 
Puis  il  lui  raconta  ce  qui  s'était  passé.  Le  Père  l'en- 
gagea à  ne  pas  trop  se  presser;  mais  à  réfléchir  mûre- 

M.    DE  l'iNC.  .  18 


274  MARIE    DE    l'incarnation. 

ment.  «  Vous  pourriez  peut-être  écouter  une  ardeur 
passagère,  ajouta-t-il,  puis  vous  repentir  lorsqu'il  ne 
serait  plus  possible  de  retrouver  une  position  comme 
celle-ci,  qui  vous  ouvre  le  plus  bel  avenir.  —  J'y  ai  pensé 
suffisamment,  répliqua  Martin,  et  je  vous  déclare  que 
je  n'aurai  jamais  d'autre  ambition  que  d'être  Bénédictin 
de  la  Congrégation  de  Saint-Maur.  «  Dom  Raymond, 
au  lieu  d'insister  davantage,  l'encouragea  dans  son 
dessein  de  se  donner  tout  à  Dieu,  et,  comme  témoignage 
de  son  affection  persévérante,  il  lui  fit  chercher  un 
cheval  pour  aller  à  Vendôme.  Dès  que  Martin  fut  au 
noviciat,  il  commença  à  mener  une  vie  angélique,  dit 
le  Père  Martène,  et  il  ne  se  démentit  jamais. 

Tel  fut  le  résultat  des  prières  d'une  sainte  mère  et 
le  prix  du  martyre  spirituel  qu'elle  avait  comme 
demandé  à  Dieu  pour  le  salut  de  son  fils.  C'était  la 
première  des  deux  âmes  qu'elle  voulait  sauver  à  tout 
prix.  A  peine  arrivé  au  monastère  de  Vendôme,  il 
écrivit  à  sa  mère  ce  qui  venait  de  se  passer;  elle  lui  fit 
la  réponse  suivante  : 

«  De  Québec,  le  4  septembre  1641. 

»  Mon  très-cher  et  bien-aimé  fils,  l'amour  et  la  vie 
de  Jésus- Christ  soit  votre  partage. 

«  Votre  lettre  m'a  apporté  une  consolation  si  grande, 
qu'il  me  serait  difficile  de  vous  l'exprimer.  J'ai  été 
toute  cette  année  en  de  grandes  croix  à  votre  occasion, 
mon  esprit  envisageant  les  écueils  où  vous  pouviez 
tomber.  Mais  enfin  notre  bon  Dieu  lui  a  donné  le  calme 
dans  la  créance  que  son  amoureuse  et  paternelle  bonté 
ne  perdrait  point  celui  que  j'avais  abandonné  pour  son 
amour.  Ce  qui  vous  est  arrivé  a  surpassé  mes  espé- 


CHAPITRE    XI.  275 

rances,  puisque  sa  bonté  vous  a  placé  dans  un  Ordre 
si  saint,  que  j'honore  et  estime  infiniment.  J'avais 
souhaité  cette  grâce  pour  vous,  lorsqu'on  réforma  les 
monastères  de  Tours  ;  mais  parce  qu'il  faut  que  les 
vocations  viennent  du  Ciel,  je  ne  vous  en  dis  rien, 
ne  voulant  pas  mettre  du  mien  en  ce  qui  appartient 
à  Dieu  seul. 

»  Vous  avez  été  abandonné  de  votre  mère  et  de  vos 
parents;  cet  abandon  ne  vous  a4-il  pas  été  avanta- 
geux? Lorsque  je  vous  quittai,  n'ayant  pas  encore 
douze  ans,  je  ne  le  fis  qU'avec  des  convulsions  étranges 
qui  n'étaient  connues  que  de  Dieu  seul;  mais  il  fallait 
obéir  à  sa  divine  volonté.  Comme  il  me  faisait  espérer 
qu'il  aurait  soin  de  vous,  mon  cœur  s'affermit  pour 
surmonter  la  difficulté  qui  avait  retardé  mon  entrée 
en  religion  dix  ans  entiers  :  encore  fallut  il  que  la 
nécessité  de  faire  ce  coup  me  fût  signifiée  par  mon 
directeur  et  par  des  voies  que  je  ne  puis  confier  à  ce 
papier,  mais  que  je  vous^  dirais  volontiers  à  "l'oreille. 
Je  prévoyais  l'abandon  de  vos  parents,  ce  qui  me 
causait  mille  croix,  et  ensuite  l'infirmité  humaine  me 
faisait  appréhender  votre  perte. 

»  Lorsque  je  passai  par  Paris,  il  m'était  facile  de 
vous  placer.  La  reine,  madame  la  duchesse  d'Aiguillon, 
madame  la  comtesse  de  Brienne,  qui  me  firent  toujours 
l'honneur  de  me  regarder  de  bon  œil,  et  qui  m'ont 
honorée  cette  année  de  leurs  lettres,  ne  m'eussent  rien 
refusé  de  ce  que  j'eusse  désiré  pour  vous.  Mais  la 
pensée  qui  me  vint  alors  que  si  vous  étiez  avancé 
dans  le  monde,  votre  âme  serait  en  danger  de  se 
perdre,  et  de  plus  la  disposition  où  j'étais  de  ne  désirer 
que  la  pauvreté  d'esprit  comme  héritage  et  pour  vous 
et  pour  moi,  me  firent  résoudre  de  vous  laisser  une 


270  MARIK    DE    l'incarnation. 

seconde  fois  entre  les  mains  de  la  Mère  de  bonté,  me 
confiant  que  puisque  j'allais  exposer  ma  vie  pour  le 
service  de  son  Fils,  elle  prendrait  soin  de  vous.  Ne 
l'aviez-vous  pas  prise  aussi  pour  votre  Mère  en  entrant 
dans  vos  études?  Vous  ne  pouviez  donc  attendre  d'elle 
qu'un  bien  semblable  à  celui  que  vous  possédez.  Les 
avantages  qui  se  sont  présentés  pour  vous  à  Paris 
eussent  été  quelque  chose  selon  le  monde;  mais  ils 
eussent  été  infiniment  au-dessous  de  ceux  que  vous 
possédez  à  présent.... 

»  Je  ne  vous  ai  jamais  aimé  que  dans  la  pauvreté 
de  Jésus-Christ,  dans  laquelle  se  trouvent  tous  les 
trésors.  Vous  n'étiez  pas  encore  au  monde,  cela  est 
certain,  que  je  la  souhaitais  pour  vous;  et  mon  cœur 
en  ressentait  des  mouvements  si  puissants,  que  je  ne 
les  puis  exprimer. 

»  Vous  êtes  donc  maintenant  dans  la  milice,  mon 
très-cher  fils.  Au  nom  de  Dieu,  faites  état  de  la  parole 
de  Jésils-Christ,  et  pensez  qu'il  vous  dit  que  celui  qui 
met  la  main  à  la  charrue  et  qui  regarde  derrière  lui,  n'est 
pas  propre  au  royaume  des  deux.  Ce  qu'il  vous  promet 
est  bien  plus  grand  que  ce  qu'on  vous  faisait  espérer, 
et  que  vous  ne  devez  estimer  que  boue  et  que  fange 
pour  acquérir  Jésus-Christ.  Votre  glorieux  patriarche 
vous  en  a  donné  un  grand  exemple  :  imitez-le,  au  nom 
de  Dieu,  et  que  mon  cœur  reçoive  cette  consolation, 
à  la  première  fiotte,  d'apprendre  que  mes  vœux  offerts 
à  la  divine  majesté  depuis  vingt-et-un  ans  sans  inter- 
mission, ont  été  reçus  au  Ciel.  Il  ne  se  passe  jour  que 
je  ne  vous  sacrifie  à  son  amour  sur  le  Cœur  de  son 
bien-aimé  Fils.  Plaise  à  la  divine  bonté  que  vous 
soyez  un  vrai  holocauste  tout  consumé  sur  ce  divin 
autel  !» 


CHAPITRE   XI.  277 

«  Voilà,  ditMartène,  comme  celte  pieuse  mère  conso- 
lait son  fils  et  l'exhortait  à  la  vertu  ;  mais  il  était  bien 
plus  consolé  encore  par  les  grâces  que  Dieu  versait 
continuellement  dans  son  cœur,  et  qui  le  faisaient 
avancer  à  pas  de  géant  dans  les  voies  de  la  perfection. 
Jamais  on  ne  vit  un  novice  plus  fervent,  d'une  plus 
grande  régularité,  plus  fidèle  à  son  devoir,  plus  assidu 
à  la  prière  et  à  l'oraison,  plus  appliqué  à.  régler  son 
intérieur,  plus  mortifié  et  détaché  des  choses  de  la 
terre.  Le  R.  P.  Dom  Paul  Rivery,  son  Père  Maître, 
admirant  en  lui  les  effets  de  la  grâce,  le  regardait 
comme  un  homme  fait  dans  la  vie  religieuse,  lorsqu'il 
ne  faisait  que  d'y  naître.  « 

A  l'appui  de  ces  éloges,  Martène  cite  le  trait  suivant  : 
Claude  Martin  ayant  écrit  au  R.  P.  Général,  aussitôt 
après  son  entrée  au  noviciat,  pour  le  remercier  de  la 
grâce  qu'il  lui  avait  faite,  en  reçut  une  réponse  qui  lui 
fut  remise  non  décachetée,  parce  quelle  venait  d'un 
supérieur  majeur.  Le  généreux  novice  crut  qu'elle 
venait  de  quelqu'un  de  ses  anciens  amis  ou  de  ses 
parents;  et  ne  voulant  pas  embarrasser  de  nouveau 
son  esprit  des  idées  du  monde,  auxquelles  il  avait 
renoncé,  il  la  jeta  dans  la  rivière  qui  passait  à  travers 
le  jardin  du  monastère. 

Quand  on  lit  la  vie  de  ce  saint  religieux,  on  voit 
qu'elle  surpassa  toutes  les  espérances  que  pouvait  faire 
naître  la  ferveur  de  son  noviciat.  Il  y  a  là  une  preuve 
nouvelle,  après  tant  d'autres,  de  la  puissance  des 
prières  d'une  mère  pour  obtenir  des  grâces  en  faveur 
de  ses  enfants,  lorsque  ces  prières  sont  appuyées  par  les 
mérites  d'une  sainte  vie  et  qu'elles  ont  en  vue  plus  l'âme 
que  le  corps,  plus  les  biens  du  Ciel  et  la  vie  éternelle 
avec  Dieu,  que  les  fragiles  avantages  de  la  vie  présente. 


278  MARIE    DE    l'incarnation. 

On  pourra  juger  de  la  pureté  d'intention,  des  vues 
élevées  et  des  sentiments  tout  célestes  de  la  mère  et  du 
fils,  par  la  fin  de  la  lettre  dont  nous  venons  de  citer 
la  plus  grande  partie. 

«  J'ai  une  consolation  très-sensible  du  bon  souhait 
que  vous  faites  pour  moi  du  martyre.  Hélas!  mon 
très-cher  fils,  mes  péchés  me  priveront  de  ce  grand 
bien;  je  n'ai  rien  fait  jusqu'ici  qui  soit  capable  de 
gagner  le  cœur  de  Dieu,  et  il  faut  avoir  beaucoup 
travaillé  pour  être  trouvé  digne  de  répandre  son  sang 
pour  Jésus-Christ.  Aussi  n'os^-je  porter  mes  prétentions 
si  haut  ;  mais  je  laisse  faire  sa  bonté  immense,  qui  m'a 
toujours  prévenue  de  tant  de  faveurs.  Je  me  donne  et 
vous  donne  aussi  à  elle;  et  pour  une  bénédiction  que 
vous  me  demandez,  je  la  prie  qu'elle  vous  comble  de 
celles  qu'elle  a  départies  à  tant  de  valeureux  soldats 
qui  lui  ont  gardé  une  fidélité  inviolable. 

y>  Si  l'on  venait  me  dire  :  Votre  fils,  est  martyr,  je 
crois  que  j'en  mourrais  de  joie.  Laissons  faire  ce  Dieu 
plein  d'amour  ;  il  a  ses  temps,  et  il  fera  de  vous  ce  qu'il 
a  déterminé  d'en  faire  de  toute  éternité.  Soyez-lui  fidèle, 
et  il  trouvera  les  occasions  de  faire  de  vous  un  grand 
saint  et  un  grand  martyr,  si  vous  obéissez  à  ses  divins 
mouvements,  si  vous  vous  plaisez  à  mourir  à  vous- 
même,  et  si  vous  vous  efforcez  de  suivre  l'exemple  que 
tant  de  grands  saints  de  votre  Ordre  vous  ont  donné. 
Priez  bien  Dieu  pour  moi;  je  vous  visite  en  lui  plu- 
sieurs fois  le  jour,  et  sans  cesse  je  parle  de  vous  à 
Jésus  et  à  Marie.  Adieu,  mon  très-cher  fils;  je  ne  me 
lasserais  point  de  vous  entretenir;  mais  enfin  il  faut 
finir  et  vous  dire  adieu  pour  cette  année.  - 


CHAPITRE   XI.  279 

La  servante  de  Dieu  était  dans  la  joie;  mais  pourtant 
les  souffrances  qu'elle  avait  consenti  à  endurer  pour 
son  fils,  n'étaient  pas  encore  à  leur  terme, 

«  Son  fils,  dit  Martin  en  parlant  de  lui-même,  passa 
son  année  de  noviciat  dans  un  entier  oubli  du  monde, 
et  nourri  des  douceurs  de  la  grâce,  il  porta  avec  joie 
le  joug  de  l'obéissance  et  les  austérités  du  genre  de  vie 
oii  il  s'était  engagé.  "  Mais  cependant,  la  vénérable 
Mère,  quoique  soulagée  de  ses  peines,  continuait  à 
souffrir  à  son  occasion  ;  elle  eut  même  un  redoublement 
de  peine  et  de  souffrance  dont  la  coïncidence  avec  une 
traverse  qu'éprouva  la  vocation  de  son  fils,  est  certaine- 
ment digne  d'attention.  Lorsque  le  fervent  novice  était 
sur  le  point  de  prononcer  ses  vœux,  un  marchand 
d'Orléans,  auquel  il  devait  une  somme  assez  légère, 
se  rendit  à  Vendôme  et  déclara  qu'il  s'opposait  à  la 
profession  de  son  débiteur,  selon  le  droit  que  lui  don- 
nait la  législation  à  cette  époque. 

Le  supérieur  eut  la  prudence  de  laisser  ignorer  au 
novice  la  difficulté  qui  se  présentait,  de  peur  de  le 
troubler  dans  ses  exercices  de  piété.  Il  eut  même  la 
charité  de  se  porter  pour  caution,  s'estimant  heureux, 
dit  Martène,  d'acheter  à  ce  prix  un  sujet  qui  méritait 
d'être  payé  au  poids  de  l'or.  Il  n'eut  cependant  que  le 
mérite  de  la  bonne  volonté,  car  les  parents,  ayant  su 
ce  qui  se  passait,  se  hâtèrent  de  payer  le  marchand. 
Cet  embarras  levé ,  Claude  Martin  fit  profession  le 
3  février  1642. 

Mais  la  difficulté  ainsi  survenue  au  moment  décisif 
ne  fut  pas  inconnue  à  la  vénérable  Mère  :  car  entre  les 
grâces  dont  Dieu  la  favorisait,  elle  avait  quelquefois 
le  don  de  connaître  ce  qui  se  passait  dans  des  lieux 
éloignés.  Elle  connut  donc  du  Canada  où  elle  était,  soit 


280  MARIE    DE    l'incarnation. 

d'une  manière  nette,  soit  par  quelque  vive  impression, 
l'opposition  du  créancier,  et  elle  eut  une  grande  crainte 
que  cet  obstacle  ne  renversât  toutes  ses  espérances. 
Mais  un  jour  elle  se  vit  tout  à  coup  délivrée  de  ses 
peines  :  or,  elle  sut  plus  tard  que  c'était  celui  de  la  pro- 
fession de  son  fils.  Voici  ce  qu'elle  lui  dit  à  ce  sujet  dans 
une  lettre  du  P"^  septembre  1643.  ^ 

«  Lors  même  que  vous  étiez  sur  le  point  de  faire 
profession,  je  fus  un  jour  contrainte  de  sortir  de  table 
et  de  me  retirer  pour  vous  aller  ofîrir  à  Dieu.  Mes 
croix  prirent  fin  pour  vous  en  ce  temps-là,  ainsi  que  je 
l'ai  remarqué,  ayant  vu  vos  lettres  et  confronté  ce  qui 
s'était  passé  en  moi.  Je  vous  ai  dit  tout  ceci,  afin  de 
vous  faire  voir  combien  Dieu  vous  aime,  vous  attirant 
à  lui  par  des  voies  toutes  pleines  de  sa  bonté,  et  pour 
que  votre  vie  se  consume  en  continuelles  actions  de 
grâces.  » 


CHAPITRE   XII. 

Seconde  cause  des  épreuves  de  Marie  de  l'IncarnatioD,  sa  nièce.  —  Mondanité 
de  cette  jeune  fille.  —  Son  père  meurt.  —  Elle  est  enlevée  par  un  jeune  gentil- 
homme, 1641.  —  Celui-ci  est  poursuivi,  condamné,  puis  gracié.  —  La  jeuue 
fille  devient  entièrement  orpheline.  —  Un  magistrat  la  protège.  —  Elle  se 
retire  aux  Ursulines  de  Tours.  —  Intervention  de  l'archevêque.  —  Elle  entre  au 
noviciat  par  dépit  et  esprit  de  vengeance.  —  Elle  se  convertit.  —  Elle  fait 
profession  en  1643  ou  1644.  —  Retour  de  madame  de  la  Peltrie. 

La  Mère  Marie  de  l'Incarnation  vient  de  dire  à  son 
fils  :  «  Mes  croix  prirent  fin  pour  vous  en  ce  temps-là  ;  « 
elle  donne  donc  à  entendre   que  les  épreuves  et   les 


CHAPITRE    XII.  281 

souffrances  continuaient  pour  un  autre  sujet.  En  effet, 
elle  était  toujours  en  instances  et  en  expiation  pour 
une  de  ses  nièces,  fille  de  cette  sœur  chez  laquelle  elle 
avait  supporté  tant  de  travaux  et  d'humiliations. 

C'était,  dit  Claude  Martin,  une  jeune  fille  de  quirtze 
ans,  douée  de  tous  les  attraits  de  la  beauté  et  des 
charmes  de  l'esprit  que  peut  désirer  une  jeune  personne 
disposée  à  chercher  son  bonheur  dans  le  monde.  Sa 
mère,  qui  l'idolâtrait  en  quelque  sorte,  n'avait  rien 
négligé  pour  joindre  tous  les  avantages  de  l'éducation 
la  plus  soignée  aux  qualités  qu'elle'  avait  apportées  en 
naissant.  Son  père  étant  mort,  elle  se  trouvait  en 
possession  d'une  fortune  considérable.  Enivrée  de  tous 
ces  avantages  humains,  dont  elle  était  loin  de  com- 
prendre la  fragilité,  elle  n'avait  de  pensées  et  d'estime 
que  pour  les  vanités  du  siècle.  Voir  et  être  vue,  se 
livrer  aux  divertissements  avec  to,ute  la  fougue  de 
son  jeune  âge,  telle  était  son  unique  préoccupation. 
Si  on  lui  eût  dit  que,  grâce  aux  prières  de  sa  tante, 
elle  se  déciderait  un  jour  à  renoncer  entièrement  au 
monde  et  à  embrasser  comme  elle  l'état  religieux,  elle 
eût  accueilli  cette  prédiction  avec  une  dédaigneuse 
incrédulité.  C'était  pourtant  là  ce  qui  était  arrêté  dans 
les  desseins  de  Dieu,  et  ce  qui  eut  lieu  d'une  manière 
si  extraordinaire,  dit  Claude  Martin,  qu'elle  mérite 
d'être  rapportée  en  détail,  afin  de  faire  voir  la  force  de 
la  grâce  qui  vint  à  bout  d'un  cœur  aussi  mondain, 
et  la  puissance  des  prières  qui  méritèrent  une  aussi 
éclatante  victoire. 

La  vanité  de  la  jeune  fille  fut  précisément  le  moyen 
dont  Dieu  se  servit  pour  arriver  au  but  que  se  propo- 
sait sa  miséricorde.  Il  permit  qu'elle  réussît  plus  même 
qu'elle  n'eût  voulu  dans  son  désir  de  plaire.   En  effet, 


282  MARIE    DE   l'incarnation. 

un  bon  nombre  de  jeunes  gens  de  qualité  jetèrent  les 
yeux  sur  elle.  Au  commencement,  elle  dut  être  fière 
d'un  pareil  succès ,  peut-être  même  affecta-t-elle  de 
paraître  en  suspens  afin  de  rendre  plus  ardents  les 
désirs  de  ceux  qui  aspiraient  à  sa  main.  Quoi  qu'il  en 
soit,  l'un  de  ces  jeunes  gentilshommes,  officier  de  la 
maison  du  roi,  fut  pris  pour  elle  d'une  passion  si  vive 
qu'il  jura  de  l'épouser  à  tout  prix.  Craignant  que  le 
moindre  retard  ne  lui  fît  préférer  un  de  ses  concurrents, 
il  résolut  d'employer  la  force  au  moyen  d'un  enlèvement. 
Aujourd'hui,  un  pareil  acte  de  violence  paraît  tellement 
impossible  que  personne  ne  s'arrêterait  à  la  pensée  de 
le  tenter,  surtout  en  plein  jour  et  au  milieu  d'une  ville; 
mais  l'histoire  des  siècles  passés  nous  en  offre  une  foule 
d'exemples. 


A  une  époque  plus  reculée,  ces  abus  de  la  force 
brutale  inspiraient  une  sorte  de  terreur  qui  rendait  la 
résistance  impossible;  mais  au  milieu  du  XVIP  siècle, 
l'indignation  publique  commençait  à  se  manifester  avec 
énergie;  on  se  montrait  résolu  de  ne  plus  laisser  de 
pareilles  monstruosités  impunies.  Aussi,  à  la  première 
nouvelle  de  cet  enlèvement,  une  foule  d'hommes  géné- 
reux s'offrent  à  la  mère  pour  poursuivre  à  main  armée 
le  ravisseur  de  sa  fille.  On  s'informe  de  la  route  que  la 
voiture  a  suivie  et  l'on  a  bientôt  découvert  le  lieu  où 
elle  s'est  arrêtée.  C'était  un  château  où  la  jeune  fille 
se  trouva  entre  les  mains  d'une  demoiselle  qui  paraissait 
l'attendre.  Cette  personne  d'une  certaine  condition,  à  ce 
qu'il  paraît,  joua  son  rôle  avec  le  plus  d'habileté  pos- 
sible, usant  de  procédés  aussi  convenables  qu'ils  peuvent 
l'être  en  pareil  cas  pour  faire  consentir  la  prisonnière  à 


CHAPITRE    XII.  283 

épouser  son  ravisseur.  Mais  cette  enfant  de  seize  ans 
était  douée  d'une  énergie  de  caractère  qui,  sous  ce 
rapport,  la  rendait  une  digne  nièce  de  la  Mère  Marie 
de  l'Incarnation.  Vivement  pénétrée  de  l'injure  qui  lui 
était  faite,  elle  rejeta  avec  indignation  les  propositions 
d'une  inconnue  qui  ne  rougissait  pas  de  se  prêter  à  un 
attentat  aussi  odieux. 

Heureusement  la  mère  arrive  avec  une  troupe  nom- 
breuse de  défenseurs  bien  résolus  de  venger  sa  cause 
à  quelque  prix  que  ce  fût.  Le  ravisseur  tenta  de  se 
mettre  en  défense  à  l'aide  de  ses  gens  ;  mais  les  assié- 
geants livrèrent  l'attaque  avec  une  telle  énergie  que 
la  capitulation  devint  vite  une  nécessité.  De  part  et 
d'autre  on  y  mit  des  conditions.  La  mère  voulut  avoir 
sa  fille  sur-le-champ,  bien  entendu;  le  gentilhomme 
demanda  la  vie  sauve  et  la  permission  d'aller  cacher 
ailleurs  son  ignominie,  c'est-à-dire  de  n'être  pas  lié  et 
emmené  comme  un  malfaiteur;  ce  qui  lui  fut  accordé. 
On  voit,  par  les  lettres  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarna- 
tion et  par  la  Vie  de  Claude  Martin,  que  cela  dut  se 
passer  en  1641.  i 

Soit  pour  obvier  à  de  nouvelles  tentatives,  soit  pour 
dissiper  les  ombres  qui  auraient  pu  rester  dans  l'esprit 
du  public  relativement  à  l'honneur  de  sa  fille,  la  mère 
poursuivit  le  coupable  en  justice,  et  l'affaire  fut  portée 

(1)  Quoique  bien  jeune  encore,  et  malgré  ses  goûts  légers  et  frivoles,  la  nièce 
de  uotre  vénérable  Mère  laisse  voir,  en  cette  circonstance,  une  énergie  qui  ne  se 
démentira  pas,  et  dont  elle  donnera  des  preuves  encore  plus  remarquables,  lors- 
que, devenue  orpheline  de  père  et  de  mère,  elle  sera,  en  quelque  sorte,  abandonnée 
à  ses  seules  ressources.  Nous  ne  sommes  plus  accoutumés  à  voir  des  enfants  de 
quinze  ou  seize  ans  montrer  cette  précocité  d'intelligence  et  cet  aplomb  de  volonté, 
dus  autrefois  à  la  prédominance  de  l'élément  religieux  dans  l'éducation.  A  nulle 
autre  époque  depuis  l'ère  des  martyrs,  les  caractères  ne  se  montrent  autant  dans 
toute  leur  grandeur  qu'au  XVII''  siècle.  Si  l'on  en  étudie  l'histoire  avec  attention, 


284  MARIE    DE    l'incarnation. 

devant  la  Tournelle,  chambre  du  Parlement  qui  jugeait 
les  affaires  criminelles.  La  jeune  fille  parut  elle-même 
au  tribunal  et  elle  parla  avec  tant  de  force  et  d'élo- 
quence, qu'elle  fit  l'admiration  des  juges.  Elle  gagna 
complètement  sa  cause,  en  sorte  que  le  ravisseur  fut 
condamné  avec  tous  ses  complices  et  obligé  de  fuir  ou 
de  se  cacher. 

On  serait  tenté  de  croire  néanmoins  que  cette  sévé- 
rité de  la  justice  n'était  souvent  alors  que  pour  la 
forme.  Le  gentilhomme,  ne  l'ignorant  pas,  se  contenta 
de  disparaître  pendant  quelque  temps,  juste  autant 
qu'il  lui  en  fallait  pour  faire  agir  ses  amis  à  la  Cour 
et  obtenir  sa  grâce,  ce  qui  ne  fut  pas  long.  Gaston, 
duc  d'Orléans  et  comte  de  Blois ,  alors  lieutenant- 
général  du  royaume,  lui  accorda  sa  protection  et  tout 
fut  fini. 


Dans  ces  entrefaites ,  la  jeune  fille  perdit  sa  mère 
par  un  accident  funeste,  mais  dont  nous  ne  connaissons 
par  la  nature.  Voici  ce  qu'en  dit  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion dans  une  lettre  à  sa  nièce,  datée  du  14  septem- 
bre 1643  :  «  Ma  très-chère  et  bien-aimée  fille,  la  paix 
et  l'amour  de  Jésus  soient  l'unique  joie  de  votre  cœur. 
Je  veux  croire  que  la  grande  affliction  que  vous  avez 
de  la  perte  de  votre  bonne  mère,  arrivée  par  un  acci- 

il  sera  facile  de  se  convaincre  qu'il  a  été  par  excellence  le  siècle  des  grands 
caractères  de  femmes.  C'est  surtout  en  étudiant  les  annales  des  communautés 
religieuses  que  l'on  en  trouve  des  preuves  multipliées.  Nous  avons  mis  pour  notre 
part  cette  vérité  en  évidence,  en  publiant  nos  deux  volumes  de  l'Histoire  des 
Ursulines  de  Blois. 

L'instruction  que  l'on  donnait  aloio  aux  jeuL.es  filles  était  moins  étendue,  il  est 
vrai  ;  on  chargeait  moins  leur  mémoire;  mais  les  autres  facultés  se  développaient 
davantage. 


CHAPITRE    XII.  285 

dent  si  funeste,  est  cause  que  j'ai  été  privée  cette  année 
de  vos  lettres.  Je  ne  laisse  pas  de  vous  écrire  pour  vous 
témoigner  que  je  compatis  beaucoup  à  votre  perte  et 
aux  angoisses  que  vous  avez  souffertes  et  que  vous 
souffrez  encore  par  suite  de  ce  coup  terrible.  Voilà, 
ma  chère  fille,  comme  vont  les  affaires  du  monde. 
Votre  bonne  mère  en  a  bien  souffert;  puis  la  voilà 
morte,  et  morte  d'une  déplorable  façon.  Je  l'ai  quasi 
vue  mourir  en  vous  mettant  au  *  monde.  Depuis,  il 
semble  qu'après  Dieu  son  plus  tendre  amour  était  pour 
vous.  Ce  qui  vous  est  arrivé,  ainsi  qu'à  elle,  n'est  point 
arrivé  par  hasard.  Dieu  l'a  permis  pour  votre  sancti- 
fication, et  afin  de  vous  sauver  par  des  voies  extraordi- 
naires que  vous  ne  prévoyiez  pas.  Il  importe  beaucoup 
d'ouvrir  les  yeux  sur  cette  conduite  de  la  Providence. 
La  vanité  aveugle  un  grand  nombre  de  filles  de  votre 
âge,  qui,  s'y  laissant  emporter,  se  privent  elles-mêmes 
par  leur  faute  des  grâces  que  la  divine  bonté  leur 
voulait  faire. 

y>  J'ai  fait  dire  beaucoup  de  messes  et  fait  beaucoup  de 
communions  pour  le  repos  de  l'âme  de  votre  bonne 
mère.  Encore  à  présent  je  ne  cesse  pas  de  l'offrir  à 
Dieu,  et  je  voudrais  avoir  assez  de  mérites  pour 
accroître  sa  gloire  dans  le  Ciel.  Retenez  ce  que  vous 
avez  remarqué  de  vertu  en  elle  durant  sa  vie,  afin 
de  l'imiter.  Elle  a  tant  fait  dire  de  messes,  tant  paré 
d'autels,  tant  fait  d'aumônes  et  tant  délivré  de  prison- 
niers; elle  a  tant  revêtu  de  misérables  réduits  à  la 
nudité;  et  enfin  elle  a  tant  fait  d'œuvres  de  miséricorde 
et  de  charité,  que  c'est  admirable.  Je  le  sais,  car  elle 
se  servait  de  moi  afin  que  tout  se  fît  plus  secrètement.  » 
C'est  là,  on  ne  peut  le  nier,  un  magnifique  éloge  d'une 
femme  du  monde,  éloge  par  les  œuvres;  il  est  toujours 


286  MARIE   DE   l'incarnation. 

le  plus  éloquent.  Que  ses  œuvres  la  louent  devant  le  public, 
dit  le  Sage  en  parlant  de  la  femme  forte.  Tels  sont  les 
fruits  que  produit  dans  les  âmes  la  foi  dont  les  parents 
chrétiens  savent  pénétrer  les  enfants  dès  leurs  pre- 
mières années.  On  vante  la  multitude  des  œuvres  géné- 
reuses qui  se  font  aujourd'hui,  et  je  reconnais  que  ce 
n'est  pas  sans  motif,  car  il  se  fait  du  bien,  et  beaucoup; 
mais  est-il  un  grand  nombre  de  personnes,  même 
riches  et  pieuses,  qui- en  fassent  autant  que  cette  femme 
du  XVIP  siècle?  Peu  s'en  est  fallu  néanmoins  que  tout 
ne  fût  resté  ignoré  pour  toujours.  Combien  d'autres 
fruits  de  la  piété  chrétienne  qui  ne  seront  connus  qu'au 
grand  jour  des  révélations  ! 

Il  est  probable  que  la  vénérable  Mère  fait  allusion 
à  toutes  ces  bonnes  œuvres,  lorsqu'elle  dit  dans  une 
lettre  du  16  août  1644,  en  parlant  de  sa  nièce  qui 
était  entrée  au  noviciat  des  Ursulines,  comme  nous 
le  verrons  plus  loin  :  «  Elle  n'est  venue  au  monde 
qu'après  un  grand  nombre  de  vœux,  de  prières  et  de 
bonnes  œuvres,  pratiquées  pour  la  demander  à  Dieu. 
Elle  a  aussi  été  offerte  à  la  Sainte  Vierge,  qui  peut-être 
la  veut  donner  pour  épouse  à  son  Fils,  après  l'avoir 
retirée  des  tromperies  du  monde.  »» 


La  pauvre  enfant  se  trouvait  dans  une  position  des 
plus  fâcheuses,  par  suite  de  la  mort  de  sa  mère;  mais 
une  pieuse  dame  la  prit  chez  elle  et  voulut  lui  servir 
de  tutrice,  la  traitant  comme  une  de  ses  propres  filles. 
Son  mari,  qui  était  l'un  des  magistrats  de  la  ville,  de 
Tours,  se  chargea  des  affaires  d'intérêt  de  l'orpheline. 

Cette  immense  fortune,  dont  elle  se  trouvait  désor- 


CHAPITRE   XII.  287 

mais  en  possession,  enflamma  plus  vivement  encore 
la  cupidité  du  ravisseur.  Il  eut  l'audace  de  dire  au  duc 
d'Orléans  «  que  cette  jeune  personne  était  sa  femme, 
que  pour  des  raisons  qu'il  ne  pouvait  comprendre,  un 
juge  qui  eût  dû  être  le  premier  à  défendre  ses  droits, 
la  retenait  injustement  dans  sa  maison,  et  qu'il  priait 
Son  Altesse  de  la  lui  faire  rendre.  Gaston  avec  toutes 
les  qualités  d'un  bon  bourgeois,  eût  été  un  excellent 
homme  et  un  bon  chrétien  dans  une  condition  com- 
mune, mais  il  était  loin  d'avoir  une  capacité  et  des 
talents  en  rapport  avec  son  élévation.  Il  eut  donc  la 
faiblesse  de  se  laisser  tromper  par  un  jeune  mauvais 
sujet  et  il  écrivit  en  sa  faveur  au  magistrat.  Celui-ci 
craignit  probablement  de  n'être  pas  assez  fort  pour 
pouvoir  résister  à  la  seconde  personne  du  royaume, 
comme  on  disait  alors.  Mais ,  en  même  temps ,  ne 
croyant  pas  pouvoir,  sans  se  rendre  coupable  devant 
Dieu,  abandonner  une  jeune  fille  innocente  à  la  cupi- 
dité d'un  misérable  qui  ne  méritait  que  le  dernier 
supplice,  dit  Claude  Martin,  il  engagea  sa  pupille  à  se 
retirer  pour  quelque  temps  dans  un  couvent,  afin  de 
se  mettre  en  sûreté  contre  toute  nouvelle  tentative 
d'enlèvement. 

Elle  suivit  ce  conseil  et  se  retira  au  monastère  des 
Ursulines,  d'oii  sa  tante  était  partie,  quelques  années 
auparavant,  pour  le  Canada.  Là  elle  avait  le  loisir  de 
méditer  sur.  les  amertumes  qui  accompagnent  si  sou- 
vent les  plaisirs  et  les  joies  de  la  terre.  Elle  pouvait 
comparer  cette  vie  si  douce  et  si  heureuse  du  cloître 
avec  les  agitations,  les  tristesses  et  les  angoisses 
cruelles  dont,  si  jeune  encore,  elle  avait  la  douloureuse 
expérience.  Mais  ni  la  raison  abandonnée  à  elle-même, 
ni   les  déceptions   les  plus  amères  ne  suffisent  pour 


288  MARIE    DE    l'incarnation. 

détacher  du  monde  un  cœur  qui  en  est  épris.  Elle  resta 
donc  avec  ses  premiers  sentiments,  ne  voulant  que  se 
mettre  à  l'abri  d'un  orage  dont  elle  espérait  voir  bientôt 
la  fin,  et  ayant  hâte  de  retourner  au  milieu  de  ce 
monde  dont  elle  ne  croyait  pas  se  pouvoir  passer. 

Son  persécuteur  était  loin,  lui  aussi,  de  vouloir 
perdre  courage,  et  il  proportionna  les  efforts  aux  diffi- 
cultés. Il  eut  assez  de  crédit  auprès  de  la  reine,  mère 
de  Louis  XIV,  pour  obtenir  qu'elle  écrivît  à  l'archevêque 
de  Tours,  afin  qu'il  fît  sortir  la  jeune  fille  du  cloître 
et  qu'il  la  fît  remettre  à  celui  qui  prétendait  avoir  des 
droits  sur  elle.  La  reine  était  trop  pieuse,  sans  doute, 
pour  vouloir  forcer  les  grilles  d'un  monastère;  mais 
l'archevêque  connaissait  assez  son  époque  et  les  mœurs 
du  temps,  pour  craindre  que  d'autres  ne  les  forçassent 
en  son  nom  et  comme  de  sa  part.  Il  n'osa  donc  pas 
opposer  un  refus  formel.  Comme  le  ravisseur  prétendait 
que  celle  qu'il  appelait  sa  fiancée  était  détenue  malgré 
elle,  et  quelle  ne  désirait  pas  moins  vivement  que  lui 
de  l'épouser,  le  pieux  et  sage  prélat  les  fit  venir  l'un  et 
l'autre  en  son  palais,  en  présence  de  témoins.  Pour  leur 
laisser  toute  liberté  de  s'expliquer  ensemble,  il  les  mit 
dans  un  coin  d'une  grande  salle  et  il  se  retira  à  l'autre 
extrémité,  ainsi  que  les  personnes  qu'il  avait  choisies 
pour  rendre  témoignage  de  la  vérité. 

Le  gentilhomme  eut  recours  à  tout  ce  que  son 
ardente  passion  et  aussi  le  désir  d'acquérir  une  grande 
fortune  put  lui  suggérer  pour  gagner  un  cœur  aussi 
profondément  ulcéré;  mais  l'indignation  de  la  jeune 
fille  n'en  devint  que  plus  vive.  Il  parlait  bas,  parce  que 
le  vice  n'a  pas  moins  honte  de  se  faire  entendre  que 
de  se  faire  voir,  dit  Claude  Martin,  et  que  c'est  le 
propre  de  l'astuce  de  chercher  les  ténèbres.  Mais  elle 


CHAPITRE    XII.  289 

répondait   fortement    et   à   voix    haute,    afin    que   les 
témoins  de  cette  scène  pussent  l'entendre,  et  juger  à 
quel  point  elle  était  éloignée  de  vouloir  donner  son 
cœur  à  celui  qui  employait  pour  l'obtenir  des  procédés  - 
aussi  méprisables. 

L'archevêque,  qui  savait  sans  doate  par  avance  à 
quoi  s'en  tenir,  mais  qui  avait  voulu  mettre  la  vérité 
en  évidence,  fit  reconduire  la  jeune  fille  au  monastère, 
seul  asile  où  elle  pût  jouir  de  quelque  tranquillité. 
Elle-même  néanmoins  ne '"s'y  croyait  pas  en  parfaite 
sûreté,  sachant  surtout  que  son  ennemi,  loin  de  recon- 
naître sa  défaite  et  de  s'avouer  vaincu,  méditait  de 
nouvelles  industries  pour  triompher  de  sa  résistance. 
De  plus  en  plus  indignée  à  la  vue  d'une  aussi  odieuse 
persécution,  et  plus  pour  lui  témoigner  sa  haine  que 
pour  suivre  un  attrait  de  la  grâce,  refoulant,  au  con- 
traire, toutes  les  aspirations  de  son  àme  vers  un  monde 
auquel  elle  eût  voulu  appartenir,  elle  résolut  d'em- 
brasser la  vie  religieuse.  Simulant  un  vrai  désir  de  se 
consacrer  à  Dieu,  elle  fit  dire  à  la  reine  que  telle  était 
son  intention,  et,  peu  après,  elle  lui  écrivit  que  c'était 
là  l'unique  motif  qui  la  retenait  dans  le  cloître.  La  reine 
n'en  demanda  pas  davantage  et  elle  donna  ordre  de  la 
laisser  en  paix,  ce  qui  fut  exécuté.    * 


La  pauvre  enfant  n'était  donc  entrée  au  noviciat  que 
comme  malgré  elle,  et  plus  par  aversion  de  son  persé- 
cuteur que  par  le  désir  de  son  salut  éternel.  Or,  il  est 
facile  de  comprendre  que  dans  de  telles  conditions 
le  bonheur  était  impossible.  Cette  absence  de  vocation 
et  ces  intentions  purement  humaines,  ne  pouvaient  rien 

M     DE  l'inC.  19 


290  iMARlE    DE    l'jNCARNATION. 

présager  que  de  funeste,  si  la  miséricorde  divine,  sans 
cesse  sollicitée  par  les  prières  et  les  sacrifices  de  la 
tante,  n'eût  disposé  toutes  choses  pour  le  plus  grand 
bonheur  de  la  nièce.  Si,  en  effet,  la  vocation  céleste 
ne  se  faisait  ni  apercevoir  dans  les  intentions,  ni  sentir 
dans  le  cœur  de  la  jeune  fille,  elle  se  rendait  visible 
dans  la  conduite  de  la  Providence,  qui  allait  à  son  but, 
nonobstant  toutes  les  apparences  contraires.  Notre- 
Seigneur  voulait  se  l'attacher,  malgré  ses  inclinations 
pour  les  plaisirs  et  en  dépit  de  la  faiblesse  avec  laquelle 
elle  s'y  laissait  entraîner.  Il  se  servit  des  déboires  que 
lui  attira  son  esprit  mondain  et  léger.  Car,  dit  saint 
Augustin,  Dieu  a  un  si  grand  désir  de  notre  salut,  qu'il 
permet  que  les  créatures  nous  soient  quelquefois  con- 
traires, pour  nous  empêcher  d'y  attacher  notre  cœur, 
et  afin  que  nous  y  trouvions  des  motifs  qui  nous  en 
éloignent.  Si,  en  effet,  on  les  aime  quoiqu'on  les  trouve 
si  souvent  remplies  d'amertume,  que  serait-ce  si  elles 
ne  nous  procuraient  jamais  que  des  douceurs? 

Telle  fut  la  conduite  qu'il  tint  à  l'égard  de  cette  jeune 
personne.  11  se  servit  des  créatures  pour  la  détacher 
des  créatures,  d'un  mondain  passionné  d'amour  pour 
la  chasser  du  monde,  en  quelque  sorte,  et  la  forcer 
de  se  réfugier  elle-même  dans  l'asile  où  sa  tante 
désirait  la  voir  entrer,  mais  qu'elle  n'etit  pas  osé  lui 
proposer.  Ce  n'était  pourtant  là  encore  qu'un  prélude 
bien  imparfait  de  la  transformation  que  la  sainte  Mère 
demandait  à  Dieu  par  tant  de  prières,  et  qu'elle  s'effor- 
çait de  mériter  par  tant  de  sacrifices.  Sa  nièce  était  dans 
un  monastère;  mais  elle  n'y  était  que  corporellement  : 
ses  pensées,  ses  désirs,  ses  affections,  son  âme  tout 
entière  était  restée  dans  le  monde,  dont  toujours  elle 
rêvait  les  fêtes  et  etit  voulu  savourer  les  jouissances. 


CHAPITRE    XII.  -  291 

Son  cousin  cependant  qui,  lui  aussi,  priait  pour  elle, 
avait  essayé  de  lui  inspirer  des  pensées  plus  sérieuses. 
«  Au  moment  de  sa  profession,  c'est-à-dire  au  commen- 
cement de  l'année  1642,  il  lui  écrivit,  dit  Martène,  une 
grande  lettre  de  quatre  pages,  la  plus  touchante  et  la 
plus  pressante  du  monde,  pour  lui  persuader  de  quitter 
les  vanités  du  siècle  et  d'embrasser  la  vie  religieuse. 
Elle  était  pour  lors  en  pension  chez  l'un  des  premiers 
magistrats  de  la  "ville,  qui  lui  déroba  cette  lettre;  et 
lorsqu'il  la  voyait  se  livrer  aux  joies  et  aux  divertisse- 
ments qu'une  jeune  personne  de  son  âge  a  coutume 
de  rechercher,  il  prenait  plaisir  à  lui  en  lire  les  pas- 
sages les  plus  propres  à  la  toucher.  Elle  faisait  l'esprit 
fort;   mais,   malgré  sa  résistance,  il  arrivait  que  ces 
vérités  produisaient  sur  elle  de  fortes  impressions;  et 
il  y  a   bien  de   l'apparence   que  les   exhortations   du 
cousin,  jointes  aux  ardentes  prières  de  la  tante,  con- 
tribuèrent beaucoup  à  la  détacher  des  vanités  du  siècle 
et  à  lui  faire  embrasser  la  profession  sainte  dont  elle 
remplit  aujourd'hui  les  devoirs  avec  une  très-grande 
édification.  ^  » 


On  voit  que  Dieu  l'attaquait  de  toutes  parts  à  la  fois, 
et  que  sa  miséricorde  était  enfin  gagnée  par  la  géné- 
reuse charité  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  qui, 
au  pied  de  son  crucifix,  avait  consenti  à  porter  toutes 
les  croix  possibles  pour  sauver  cette  âme.  C'est  pou- 
quoi  elle  écrivait  plus  tard  à  son  fils  :  «<  Notre-Seigneur 
m'ayant  donné  pour  vous  et  pour  elle  un  amour  tout 
particulier,  et  un  désir  extraordinaire  de  votre  salut, 

(\.)  Vie  du  Vénérable  Père  Claude  Martiu. 


292  MARIE    DE    l'incarnation. 

je  ne  pouvais  vivre  vous  voyant  dans  le  monde,  où  l'on 
court  risque,  tous  les  jours,  de  se  perdre.  Il  me  semblait 
alors  que  j'étais  chargée  de  votre  salut  et  du  sien; 
ainsi  ne  vous  étonnez  pas  si  j'ai  tant  souffert  pour 
vous  et  pour  elle....  Vous  êtes  les  deux  personnes  dont 
j'ai  voulu  parler,  et  quand  il  m'eût  fallu  souffrir  jusqu'à 
la  fin  du  monde  pour  vous  gagner  à  Dieu,  j'avais  pour 
cela  une  vocation  puissante  que  me  donnait  la  divine 
Majesté.  Je  tiens  toutefois  que  vos  vocations  à  son  saint 
service  viennent  de  son  pur  amour  et  de  son  élection 
gratuite.  A  lui  seul  donc  en  soit  la  gloire  dans  le  temps 
et  dans  l'éternité.  »  »  • 

Dieu  ne  pouvait  résister  à  une  charité  si  ardente, 
dont  il  était  lui-même  le  principe.  Aussi,  il  répandit 
des  flots  de  grâce  dans  l'âme  de  la  novice.  Au  moment 
où  elle  se  vit  revêtue  de  l'habit  religieux,  il  s'opéra  en 
elle  un  changement  complet.  Dieu  lui  donna  un  cœur 
tout  nouveau,   dit  Claude  Martin.   Le  monde,  qui  lui 
avait  paru   si    attrayant,   fut   pour  elle  un   spectacle 
,  d'horreur,   et  l'état  religieux,  qui   lui  avait  semblé  si 
affreux,   devint   pour  son  âme  un   délicieux    paradis. 
A  partir  de  là,  elle  se  faisait  comme  un  jeu  des  rigueurs 
de  la  pénitence;  elle  tâchait  de  ne  perdre  aucune  occa- 
sion de  faire  des  actes  de  vertu,   prenant   en   même 
temps  mille  précautions  pour  les  dérober  aux  regards 
des  créatures.  Comme  Dieu  était  seul  témoin  des  mou- 
vements de  son  cœur,  elle  voulait  que  lui  seul  aussi 
eût  connaissance  do  ce  qu'elle  pourrait  faire  de  bien. 
Ne  respirant  plus  que  pour  le  ciel  et  n'ayant  d'estime 
que  peur  les  biens  surnaturels,  elle  dédaigna  la  fortune 
considérable  que  lui  avaient  laissée  ses  parents  et  elle 
en  disposa  pour  ia  gloire  de  Dieu,  selon  les  conseils  que 
lui  donnèrent  ses  supérieurs,  sans  se  prévaloir  de  ce 


CHAPITRE   XII.  293 

qu'elle  donnait  à  sa  communauté  ni  prétendre  pour 
ce  motif  à  la  moindre  considération  qui  la  distinguât 
des  autres  religieuses,  quoique  certaines  personnes, 
sages  selon  le  monde,  lui  eussent  donné  des  conseils 
opposés  à  cette  abnégation  et  à  cet  oubli  d'elle-même  ' . 

Ce  fut  dans  ces  dispositions  et  avec  une  joie  toute 
céleste  qu'elle  prononça  ses  vœux.  Toute  la  suite  de 
sa  vie  fut  une  preuve  de  la  transformation  qui  alors 
s'était  opérée  en  elle.  On  vit,  comme  le  remarque  avec 
raison  Claude  Martin,  que  si  Dieu  avait  si  vivement 
troublé  les  joies  de  ses  jeunes  années,  c'était  afin  de 
l'attirer  plus  fortement  à  son  service;  et  que  s'il  avait 
permis  qu'elle  fût  un  instant  la  proie  d'un  ravisseur, 
c'était  pour  la  ravir  lui-même  au  monde  et  se  l'attacher 
à  jamais  par  la  plus  chaste  et  la  plus  sainte  des  unions. 

Lorsque,  dès  son  entrée  au  noviciat,  elle  avait  pris 
le  nom  de  religion  de  sa  tante,  elle  ne  fut  sans  doute 
guidée  que  par  un  sentiment  d'affection  naturelle; 
mais  son  ardeur  à  travailler  pour  imiter  les  vertus 
de  celle  qui  avait  tant  sollicité  sa  conversion  auprès 
de  Dieu,  fit  voir  dans  la  suite  qu'en  cela  même  elle 
avait  obéi,  saUvS  s'en  douter,  à  une  impression  de 
la  grâce. 

Après  même  que  la  nièce  eut  déclaré  vouloir  renoncer 
au  monde,  sa  pieuse  tante  continuait  à  éprouver  ses 
grandes  souffrances  intérieures.  Elle  comprenait  par 
là  que  l'œuvre  de  la  grâce  était  encore  loin  de  son 
triomphe  complet  à  l'égard  de  cette  âme.  Enân,  après 
plusieurs  années  de  ces  cruelles  épreuves,  le  jour  de  la 

(1)  A  cette  époque,  certaines  familles  qui  ajoutaient  un  appoint  considérable 
au  chiffre  fixé  pour  la  dot  d'une  jeune  religieuse,  demandaient  qus  la  communauté 
lui  reconnût,  par  acte  authentique,  le  titre  honorifique  de  fondatrice.  Il  parait 
que  la  nièce  de  la  Mère  de  l'Incarnation  rejeta  bien  loin  cette  prétention. 


294  MARIE    DE    l'incarnation. 

fête  de  l'Assomption  (1647),  la  Mère  de  l'Incarnation 
se  sentit  fortement  inspirée  de  s'adresser  à  la  Sainte 
Vierge,  et  tout  à  coup  elle  fut  délivrée  de  ses  angoisses. 
C'était  comme  si  on  lui  eût  ôté  un  vêtement  de  plomb 
sous  lequel  elle  gémissait  depuis  si  longtemps.  Elle 
sut  plus  tard,  à  l'arrivée  des  vaisseaux  d'Europe,  qu'à 
l'heure  même  où  elle  avait  été  délivrée  de  ses  peines, 
sa  nièce  avait  pris  le  voile  de  novice  aux  Ursulines 
de  Tours.  Or  le  jour  de  sa  vêture  avait  été  également 
celui  de  sa  conversion.  Une  vie  longue,  où  elle  s'appli- 
qua constamment  à  imiter  les  vertus  de  sa  pieuse 
tante,  fit  voir  combien  cette  conversion  avait  été 
solide.  ^ 
La  Mère  de  l'Incarnation  eut,  vers  la  même  époque, 

fl)  La  date  ci-dessus,  1647,  dans  la  Vie  de  la  Mère  Marie  de'l' Incarnation 
par  son  fils,  n'a  pu  être  que  le  résultat  d'une  faute  d'impression  ou  d'un  chiffre 
manuscrit  mal  formé.  En  1647,  il  y  avait  déjà  longtemps  que  la  nièce  avait  fait 
profession,  et  par  conséquent  qu'elle  était  convertie.  Voici  des  dates  certaines  à 
l'appui  de  ce  que  nous  avançons. 

Dans  une  lettre  du  14  septembre  1643,  la  tante  écrit  à  sa  nièce  pour  la  consoler 
de  la  mort  de  sa  mère  et  elle  lui  parle  de  sou  tuteur  officieux. 

Le  16  août  1644,  elle  se  réjouit  de  la  vocation  de  sa  nièce,  qui,  dit-elle,  lui 
a  écrit  quatre  lettres,  dans  lesquelles  elle  s'étend  sur  le  désir  qu'elle  a  d'être 
bonne  religieuse.  Cela  semble  bien  indiquer  qu'elle  était  convertie ,  et  que, 
par  conséquent,  elle  avait  pris  l'habit,  puisque  sa  prise  d'habit  fut  l'occasion 
de  sa  conversion.  Il  fallait  même  qu'il  se  fût  écoulé  du  temps,  pour  que  sa 
'  nièce  eût  écrit  quatre  lettres  lorsque  les  départs  de  vaisseaux  pour  le  Canada 
étaient  si  rares. 

Le  3  octobre  de  l'année  suivante,  1645,  elle  se  réjouit  encore  de  cette  même 
vocation  ;  elle  dit  à  la  supérieure  des  Ursulines  de  Tours  :  »  Commençons  à  parler 
de  la  vocation  de  votre  novice  ;  je  m'attendais  à  la  grâce  de  cette  conversion.  Vous 
m'obligerez  infiniment  d'exei'cer  ma  chère  fille  dans  la  mortification...  « 

Au  mois  d'octobre  1646,  elle  donne  des  avis  à  sa  nièce  pour  une  élection  de 
supérieure,  qui  était  proche,  et  pour  laquelle  elle  devait  donner  sa  voix  ;  or  les 
jeunes-professes  Ursulines  ne  sont  vocales  qu'après  deux  ans  de  profession,  trois 
ans  au  moins  après  la  prise  d'habit.  La  jeune  Marie  de  l'Incarnation  avait  donc 
pris  l'habit  au  plus  tard  à  la  fête  de  l'Assomption,  1643. 


CHAPITRE    XII.  295 

un  autre  sujet  de  consolation  bien  doux.  Nous  avons 
vu  qu'au  printemps  de  1642,  madame  de  la  Peltrie  était 
partie  pour  Montréal,  emmenant  avec  elle  Charlotte 
Barré  et  laissant  la  communauté  dans  un  état  de  détresse 
qui  faisait  craindre  sa  ruine.  Mais  son  cœur  la  ramena 
bientôt  à  d'autres  sentiments;  elle  sentit  que  rien  ne 
pouvait  lui  tenir  lieu  de  la  sainte  amie  que  Dieu  lui- 
même  lui  avait  donnée;  et  après  dix-huit  mois  d'une 
séparation  qui  lui  avait  été  sans  nul  doute,  bien  pénible, 
elle  revint  à  Québec  pour  y  passer  le  reste  de  sa  vie. 

Son  arrivée  fut  une  joie  universelle.  «  Quand  les  petites 
sauvages  la  virent,  dit  le  Père  Vimont,  elles  ne  pou-  _ 
valent  contenir  leur  joie;  alors  surtout  elles  la  regar- 
daient comme  une  vraie  mère,  qui  les  avait  toujours 
aimées.  »  Les  religieuses  et  particulièrement  la  Mère 
de  l'Incarnation,  qui  lui  était  si  attachée  et  si  reconnais- 
sante, n'éprouvaient  pas  un  bonheur  moins  grand.  Voici, 
quant  à  madame  de  la  Peltrie  elle-même,  de  quelle 
manière  elle  manifeste  ses  sentiments  dans  une  lettre 
à  Claude  Martin  : 

«  Je  puis  vous  assurer  que  Notre-Seigneur  continue 
toujours  à  faire  beaucoup  de  grâces  à  notre  très-aimée 
Mère  Marie  de  l'Incarnation,  et  c'est  une  bénédiction 
toute  particulière  de  l'avoir  en  cette  petite  maison, 
laquelle,  par  son  exemple  et  ses  paroles,  augmente  tous 
les  jours  en  vertus  et  en  sainteté.  Elle  a  tant  de  charité 
pour  nous,  qu'elle  daigne  bien  prendre  la  peine  de  nous 
faire  tous  les  jours  des  conférences.  Je  m'estime  très- 
privilégiée  de  vivre  en  sa  sainte  compagnie.  Elle  a  un 
grand  amour  pour  les  personnes  qui  lui  font  du  déplai- 
sir. Elle  vit  dans  un  grand  détachement  de  tout  ce  qui 
n'est  point  Dieu,  et  dans  un  grand  abandon  à  la  Provi- 
dence. Elle  est  toujours  aussi  dans  une  présence  de  Dieu 


296  MARIE    DE    l'incarnation. 

continuelle,  et  son  recueillement  intërieur  est  si  admira- 
ble, que  ni  les  grandes  affaires,  ni  les  tracas  ne  peuvent 
la  distraire.  Si  j'avais  la  dixième  partie  de  ses  vertus, 
ah!  que  je  serais  heureuse!...  » 

Dieu  ne  se  contentait  pas  de  ménager  ainsi  des  joies 
et  des  consolations  à  cette  admirable  Mère  après  ses 
épreuves;  mais  il  faisait  servir  ces  mêmes  épreuves  à 
la  faire  croître  en  vertus  et  à  lui  procurer  des  lumières 
surnaturelles  telles  que  bien  peu  de  saints  en  ont  reçu  de 
plus  grandes.  Nous  en  parlerons  dans  le  chapitre  suivant. 

A  partir  de  ce  moment,  aucun  nuage  ne  vint  trou- 
bler l'union  de  la  Mère  de  l'Incarnation  et  de  Madame 
de  la  Peltrie.  Celle-ci  même,  pour  faire  mieux  compren- 
dre que  son  dévouement  serait  désormais  inaltérable, 
fit  bâtir  une  maison  à*  son  usage  sur  un  terrain  qui  lui 
appartenait  auprès  du  monastère.  Bientôt  il  lui  sembla 
que  ce  n'était  pas  encore  assez;  elle  demanda  à  genoux 
la  grâce  d'être  admise  au  noviciat,  afin  de  se  lier  par 
des  vœux  à  la  communauté,  exprimant  le  désir  d'être 
regardée  comme  là  dernière  de  toutes.  On  ne  jugea 
pas  toutefois  que  Dieu  lui  demandât  ce  sacrifice. 

La  pieuse  dame  reçut  cette  décision  avec  une  soumis- 
sion d'enfant,  sans  témoigner,  ni  au  moment  ni  plus  tard, 
le  moindre  mécontentement.  Elle  continua  à  se  dévouer  à 
l'œuvre  commune  avec  un  zèle  qui  ne  se  refroidit  jamais. 
Quoiqu'elle  n'eût  point  fait  de  vœux,  elle  s'assujettit  aux 
règles  et  à  toutes  les  observances  de  la  vie  monastique, 
sans  vouloir  accepter  ni  exemptions  ni  prévilége». 

Telle  fut  le  cours  de  sa  pieuse  existence  jusqu'au 
18  novembre  1671,  oii  elle  mourut  dans  les  bras  de  sa 
sainte  amie.  C'est  ainsi  que  Dieu  ménageait  à  notre 
admirable  Mère,  des  joies,  des  consolations  et  des  épreu- 
ves, dont  elle  profitait  toujours  pour  croître  en  sainteté. 


CHAPITRE    XIII.  297 


CHAPITRE  XIII. 

Avantages  que  la  Mère  de  l'Incarnation  retire  des  épreuves.  —  Son  humilité.  — 
Sa  défiance  d'elle-même.  —  On  lui  donne  des  emplois  humiliants  et  pénibles. 
—  Elle  est  soutenue  par  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus.  —  Ses  lumières 
nouvelles  sur  cette  dévotion.  —  Elle  voit  la  double  beauté  de  Jésus-Christ.  — 
Sa  dévotion  aux  saints  Anges,  à  saint  Joseph,  à  saint  François  de  Paule.  — 
Comment  la  grâce  agissait  en  tout  cela  sur  elle.  —  Sa  charité  à  l'égard  des 
sauvages. 

Dieu  qui,  dans  son  infinie  miséricorde,  tient  compte 
d'un  verre  d'eau  froide  donné  pour  l'amour  de  lui,  ne 
pouvait  laisser  sans  récompense  l'héroïque  charité  de 
notre  vénérable  Mère.  Tant  de  sacrifices  qu'elle  avait 
non-seulement  acceptés,  mais  désirés  pour  le  .-^alut  de 
deux  âmes  exposées  à  se  perdre,  devaient  lui  attirer 
des  grâces  immenses  :  car  prier,  travailler,  souffrir 
pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes,  c'est  prier, 
travailler  et  souffrir  pour  soi-même.  La  servante  de 
Dieu  l'expérimenta  d'une  manière  sensible  en  cette 
circonstance,  ainsi  qu'elle  le  raconte  elle-même. 

«  Il  ne  me  serait  pas  possible  de  décrire  le  déluge 
de  grâces  où  mon  âme  se  trouva  plongée  lorsqu'elle 
se  vit  délivrée  de  son  fardeau  et  rétablie  en  tout  ce 
qu'elle  croyait  avoir  perdu.  Non-seulèraent  elle  com- 
prenait qu'elle  n'avait  fait  aucune  perte,  mais  elle 
voyait  par  expérience  qu'elle  avait  fait  un  amas  do 
trésors  inestimables,  et  que  ce  qui  lui  avait  oté  la  vue 
des  biens  qu'elle  possédait  dans  l'intime  union  de 
l'Epoux,  n'avait  été  qu'une  cendre  qui  cachait  son  feu; 


298  MARIK    DE    l'incarnation. 

que  ses  lumières  n'avaient  été  voilées  que  pour  son 
bien  et  pour  la  faire  avancer  davantage  dans  les  vertus 
solides.  A  la  vue  de  ce  changement,  je  ne  pouvais  me 
lasser  de  bénir  Dieu  de  m'a  voir  fait  passer  par  des 
chemins  si  étroits  et  si  parsemés  d'épines.  Je  lui  deman- 
dais pardon  de  ne  lui  avoir  pas  été  assez  fidèle  dans 
mes  tentations,  et  j'entrais  dans  une  confusion  qui  me 
mettait  au-dessous  de  toutes  choses  en  sa  divine  pré- 
sence. C'est  là  que  j'ai  trouvé  un  poids  d'humiliation 
qui  a  produit  en  moi  un  esprit  de  componction  amou- 
reuse que  Notre- Seigneur  me  donne  continuellement 
avec  bien  d'autres  faveurs  insignes.  Je  loue  et  bénis 
ce  divin  Sauveur  de  ce  qu'il  a  bien  voulu  m'humilier 
en  tant  de  manières.  Je  lui  dis  avec  le  prophète  :  Il 
m  est  avantageux  que  vous  m  ayez  humilié.  (Ps.  118.)  C'est 
bien  sincèrement  que  je  le  dis  :  car  je  ne  voudrais  pour 
tout  au  monde  n'avoir  point  passé  par  cet  état  d'humi- 
liation, voyant  qu'il  est  mille  fois  plus  précieux  que  je 
ne  puis  dire.  Il  me  semble  que  j'ai  passé  par  ces 
cavernes  de  lions  et  de  léopards,  dont  parle  l'Epouse 
des  Cantiques,  et  que,  sans  avoir  été  atteinte  par  leurs 
morsures,  je  me  suis  réfugiée  dans  les  retraites  de 
mon  céleste  Epoux,  qui  ne  sont  autre  chose  que  les 
saintes  maximes  de  l'Evangile.  S'il  a  dit  :  Faites  du 
bien  à  ceux  qui  vous  font  du  mal,  c'est  une  loi  qu'il 
me  semble  avoir  écrite  dans  mon  cœur  avec  une  force 
et  une  impression  toute  d'amour.  Je  l'expérimente  dans 
les  occasions,  non  en  me  faisant  violence,  mais  en 
suivant  une  pente  et  une  inclination,  qui  sont  en  moi 
l'effet  des  maximes  de  mon  divin  Epoux.  Comme  j'ai 
eu  des  affaires  fort  épineuses  depuis  que  je  suis  au 
Canada,  et  que  j'ai  été  obligée  de  traiter  avec  des 
personnes   de    diverses    conditions   et   d'humeurs   fort 


CHAPITRE    XIII.  299 

différentes,  ces  divines  maximes  ont  été  ma  force  et 
mon  soutien.  Souvent  on  a  cru  que  ma  manière  d'agir 
en  cela  venait  d'un  naturel  facile  et  disposé  à  oublier 
les  injures  ;  mais  la  vraie  cause,  c'est  que  mon  esprit 
étant  rempli  de  l'esprit  des  maximes  du  Fils  de  Dieu, 
c'était  là  le  principe  qui  me  faisait  agir.  » 

A  l'exemple  de  presque  toutes  les  âmes  éprouvées 
par  la  tentation  et  plongées  dans  les  ténèbres,  la  Mère 
de  l'Incarnation  s'était  crue  loin  de  Dieu  et  il  lui  avait 
semblé  qu'elle  avait  rétrogradé  dans  la  voie  de  la  per- 
fection ;  mais  quand  la  lumière  lui  eut  été  rendue,  elle 
vit,  comme  dans  un  plein  jour,  que  Dieu  ne  lui  avait 
point  retiré  les  grâces  dont  elle  avait  eu  auparavant 
un  sentiment  si  vif,  et  qu'au  contraire  il  y  avait  ajouté 
de  nouveaux  dons  à  son  insu.  Elle  reconnut  que  les 
vertus  dont  la  pratique  lui  avait  été  autrefois  si  douce 
et  si  facile,  loin  d'avoir  été  affaiblies  pendant  cette  crise 
douloureuse,  avaient  reçu  de  notables  accroissements 
et  étaient  parvenues  à  un  très- haut  degré  de  perfec- 
tion. Elle  comprit  particulièrement  que  le  plus  grand 
fruit  qu'elle  eût  retiré  de  ses  épreuves  était  un  état 
habituel  d'anéantissement  à  ses  propres  yeux  qu'elle 
conserva  toute  sa  vie. 

Elle  se  trouva,  en  effet,  tellement  affermie  dans  la 
conviction  qu'elle  n'était  rien  et  dans  l'amour  de  sa 
propre  abjection,  qu'on  ne  lui  entendit  jamais  dire  une 
parole  de  vanité,  ni  rien  qui  pût  donner  de  l'estime  de 
ce  qu'elle  faisait.  Jamais  il  ne  lui  arriva  de  laisser 
poindre  l'idée  qu'elle  rendait  service  au  monastère; 
elle  se  croyait,  au  contraire,  si  inutile,  qu'elle  allait 
jusqu'à  prétendre  qu'on  lui  faisait  une  longue  et  perpé- 
tuelle aumône  de  la  nourrir,  et  une  grande  miséricorde 
de  ne  pas  la  chasser.   «   Je  me  vois  continuellement 


30O  MARIH    DR    l'incarnation. 

comme  étant  dans  la  maison  de  Dieu  par  miséricorde; 
je  ne  sais  rien  et  ne  fais  rien  qui  vaille  ce  que  font 
mes  sœurs.  Je  suis  la  plus  ignorante  du  monde,  et 
quoique  j'enseigne  aux  autres,  il  me  semble  qu'elles 
en  savent  plus  que  moi.  Je  n'ai,  grâce  à  Dieu,  ni 
pensées  de  vanité,  ni  bonne  estime  de  moi-même.  Si 
mon  imagination  veut  travailler  en  ce  sens  au  sujet 
de  quelque  petite  apparence  de  bien,  la  vue  de  ma 
pauvreté  l'arrête  aussitôt.  »  {Letth  à  son  fils,  25  sep- 
tembre 1670.) 

Quand  il  arrivait  quelque  accident  funeste  à  son 
monastère  ou  au  pays,  elle  croyait  toujours  en  être  la 
cause.  Elle  disait  que  ses  péchés  étaient  le  plus  grand 
obstacle  à  la  gloire  de  Dieu  et  aux  progrès  de  la  foi 
dans  le  Canada;  que  les  Iroquois,  ennemis  acharnés 
de  cette  Église  naissante,  ne  lui  faisaient  pas  autant 
de  mal  que  ses  iniquités.  Pénétrée  de  la  plus  entière 
conviction  à  cet  égard,  elle  ne  pouvait  trouver  de 
termes  assez  énergiques  pour  exprimer  la  haine  qu'elle 
avait  d'elle-même.  «  Je  n'ai  aucune  vertu,  disait-elle, 
et  il  n'y  a  aucun  bien  en  moi.  Je  suis  la  plus  indigne 
de  toutes  les  créatures,  un  abîme  de  néant  et  une 
grande  pécheresse;  et  j'ai  sujet  non -seulement  de 
m'abaisser  au-dessous  de  toutes  les  créatures,  mais  de 
me  mettre  sous  les  pieds  de  Lucifer  :  car  je  ne  suis 
rien  et  ne  mérite  rien,  et  si  Dieu  me  mettait  en  enfer, 
je  n'aurais  nul  sujet  de  me  plaindre.  » 

Ses  révélations,  ses  communications  familières  avec 
Dieu,  les  grâces  abondantes  et  extraordinaires  dont  elle 
était  comblée,  étaient  des  fruits  du  ciel  qui  l'humiliaient 
encore  davantage,  comme  les  fruits  d'un  arbre  font 
pencher  les  branches  à  proportion  qu'ils  sont  plus 
beaux  et  plus  abondants,  dit  Claude  Martin.  Elle  regar- 


CHAPITRE    XIII.  301 

dait,  d'un  côté  la  grandeur  de  Dieu  qui  la  comblait 
ainsi  de  faveurs,  et  de  Vautre,  sa  bassesse,  son  néant, 
son  impuissance  à  opérer  aucun  bien ,  et  c'était  ce 
double  regard  qui  produisait  en  elle  la  vertu  d'humilité. 

Elle  n'était  donc  ni  aveugle  sur  les  grâces  immenses 
qu'elle  recevait,  ni  ingrate  envers  la  divine  miséri- 
corde ;  car  elle  voyait  ces  grâces,  elle  les  appréciait  ; 
mais  au  lieu  d'en  concevoir  de  l'orgueil,  elle  en  témoi- 
gnait sa  reconnaissance  par  une  humilité  toujours 
plus  profonde,  «  Dieu,  disait- elle,  a  sur  moi  des  desseins 
pleins  d'amour,  et,  eu  égard  au  mépris  que  je  mérite, 
à  ma  grosièreté  et  à  ma  négligence  à  y  correspondre, 
tout  remplis  de  miséricorde.  J'ai  arrêté  une  multitude 
de  fois  le  cours  de  ses  grâces,  ce  qui  a  beaucoup 
empêché  mon  avancement  dans  la  sainteté,  de  laquelle, 
sans  mentir,  je  n'ai  pas  une  seule  trace.  »  [Lettre  à  son 
fils,  1647.) 

L'humilité  qui  la  tenait  ainsi  abattue  devant  Dieu, 
à  la  vue  de  tant  de  faveurs,  était  accompagnée  d'une 
pieuse  crainte  qui  ne  lui  permettait  pas  de  les  regarder 
sans  trembler.  C'est  ainsi  qu'après  avoir  exposé  à  son 
fils  la  conduite  de  Dieu  à  son  égard,  elle  ajoutait  : 
«  Lorsque  vous  lirez  ce  que  la  divine  Majesté  a  fait 
en  mon  âme,  tremblez  pour  moi,  parce  qu'il  a  mis  ses 
trésors  dans  un  vaisseau  de  terre,  le  plus  fragile  qui 
soit  au  monde  ;  et  surtout  parce  qu'il  n'y  a  rien  d'assuré 
en  cette  vie,  et  que  nul  ne  sait  s'il  est  digne  d'amour  ou 
de  haine.  Priez  le  Dieu  de  toute  bonté  qu'il  m'envoie 
plutôt  mille  supplices  que  de  permettre  que  je  vienne 
à  lui  être  infidèle  en  dégénérant  des  pensées  élevées 
qui  conviennent  à  ses  enfants,  et  qu'il  veuille  bien 
faire  en  sorte  que  l'humilité  soit  le  contre-poids  qui 
m'abaisse.  » 


302  MARIE    DE    l'incarnation. 

Cette  humble  défiance,  que  lui  iuspirait  la  fragilité 
de  notre  nature,  ne  l'abandon-na  jamais.  Mais  elle  se 
fortifia  extrêmement  un  jour  qu'elle  médita  avec  une 
attention  plus  particulière  sur  la  chute  du  premier 
ange  ;  car  réfléchissant  sur  ces  paroles  du  prophète 
Isaïe  :  «  Comment  es-tu  tombé  du  Ciel,  Lucifer,  toi  qui 
paraissais  si  brillant  au  point  du  jour?  comment  as-tu 
été  renversé  à  terre,  toi  qui  frappais  de  plaies  les 
nations?  »  elle  entra  dans  une  sainte  frayeur.  Voici 
comment  elle  s'exprime  à  ce  sujet  :  «  Cette  interroga- 
tion du  prophète  m'a  pénétrée  d'un  grand  saisissement 
intérieur.  Je  considérais  cette  chute  du  plus'  bel  astre 
qui  fût  au  Ciel;  il  tombe  au  moment  de  son  premier 
regard  sur  lui-même,  n'ayant,  je  crois,  fait  qu'une 
seule  bonne  action,  reconnaître  à  l'instant  de  sa  créa- 
tion celui  qui  lui  donnait  l'être.  Enivré  par  ce  regard 
de  soi-même  et  de  sa  beauté,  il  crut  ne  se  devoir 
abaisser  au-dessous  de  qui  que  ce  fût,  mais  il  voulut 
aller  de  pair  avec  la  divinité,  ce  qui  lui  fit  refuser 
d'adorer  le  mystère  de  l'Incarnation  lorsqu'il  en  reçut 
le  commandement.  Puis  méprisant  l'Homme-Dieu  par 
ce  même  orgueil,  il  déclara  vouloir  s'élever  davan- 
tage et  s'asseoir  sur  les  nuées  les  plus  élevées  pour 
être  semblable  au  Très- Haut;  mais  il  est  tombé  dans 
l'abîme. 

»  Cette  épouvantable  chute  me  tenait  dans  le  saisis- 
sement, car  je  me  sentais  moins  solide  sur  la  terre  et 
dans  une  nature  corrompue  que  ce  sublime  esprit  dans 
le  Ciel  hors  des  atteintes  de  la  corruption.  Il  est  tombé 
néanmoins,  et  moi,  terre  et  poussière,  je  ne  craindrais 
pas  de  tomber  et  d'abuser  des  grandes  grâces  que  la 
divine  Majesté  a  daigné  me  communiquer!  Je  me  sen- 
tais pressée  d'avoir  recours  au  Père  Eternel,  et  du  fond 


CHAPITRE    XIII.  303 

de  mon  cœur  je  lui  disais  ces  paroles,  que  je  répétai 
plus  de  cent  fois  sans  pouvoir  m'en  empêcher  :  0  mon 
grand  Dieu  (ajoutant  quelquefois  Père  des  petits,  Père 
des  humbles),  donnez-moi  l'humilité  et  faites  que  je 
vous  serve,  ainsi  que  vous  me  l'enseignez,  avec  crainte 
et  tremblement.  » 

Quoi  que  je  dise  de  son  humilité,  ajoute  ici  son  fils, 
je  n'en  parle  qu'avec  crainte,  car  il  y  a  tant  de  choses 
admirables  à  dire,  que  j'ai  peur  de  n'en  dire  pas  assez, 
ou  de  ne  le  dire  pas  comme  il  faut  et  selon  le  mérite 
du  sujet.  Elle  recevait  toutes  les  humiliations  qui  lui 
venaient  du  dehors  avec  un  visage  gai  et  serein, 
traitant  toujours  avec  plus  de  bonté  et  de  douceur 
ceux  qui  l'humiliaient  davantage. 


En  1639,  Mgr  l'archevêque  de  Tours  l'avait  établie 
d'ofiBce  supérieure  de  la  communauté  naissante;  elle 
exerça  cette  charge  jusqu'au  12  juin  1642,  oti  elle  fut 
continuée  supérieure  par  une  élection  en  règle.  Mais  le 
12  juin  1645,  il  fallut  en  choisir  une  autre,  les  constitu- 
tions ne  permettant  pas  un  plus  long  exercice  de  cette 
charge.  Alors  la  Mère  Saint- Athanase ,  religieuse  de 
la  maison  de  la  rue  Saint-Jacques  de  Paris,  fut  élue 
pour  la  remplacer,  et  elle  prit  pour  assistante  la  Mère 
Saint-Joseph,  qui  l'était  déjà  depuis  six  ans. 

La  Mère  Marie  de  l'Incarnation  reçut  les  offices  de 
dépositaire  et  de  boulangère.  Dans  l'un,  elle  fut  accablée 
d'affaires;  dans  l'autre,  elle  ent  beaucoup  à  souffrir  :  car 
avant  que  de  faire  le  pain,  elle  faisait  elle-même  la 
farine,  écrasant  le  blé  à  force  de  bras,  en  sorte  qu'elle 
en  avait  quelquefois  les  mains  tout  écorchées. 


304  MARIK    1)K    L'INOARNATION. 

Peu  de  temps  après,  on  lui  ôta  ces  emplois  pour  lui 
en  donner  d'autres  encore  plus  humiliants',  et  on  le  fit 
d'une  manière  qui  pouvait  lui  causer  bien  de  la  morti- 
fication ;  car  Notre-Seigneur  ayant  permis,  dit  le  Père 
Martin,  que  l'on  eût  des  soupçons  sur  sa  conduite, 
et  que,  sans  lui  en  rien  dire,  on  lui  attribuât  des 
défauts  qu'elle  n'avait  pas,  on  agissait  à  son  égard 
comme  si  elle  eût  été  réellement  coupable.  Quoi  qu'elle 
fît  et  de  quelque  côté  qu'elle  se  tournât,  elle  trouvait 
partout  de  la  froideur.  Mais  rien  ne  la  déconcerta,  car 
comme  elle  avait  une  vertu  à  toute  épreuve  et  qu'elle 
s'estimait  digne  de  tout  mépris,  sa  physionomie  ne 
parut  jamais  altérée;  on  y  voyait  reluire,  au  contraire, 
une  joie  nouvelle  chaque  fois  qu'il  se  présentait  une 
occasion  de  pratiquer  la  vertu  et  de  faire  un  sacrifice. 
Les  religieuses,  qui  lui  voyaient  cet  air  de  contente- 
ment, s'imaginaient  q,u'elle  ignorait  la  mauvaise  opi- 
nion qu'on  avait  sur  son  compte ,  mais  elle  le  savait 
très-bien. 

Certaines  personnes  seront  peut-être  étonnées  ou 
même  scandalisées  de  cette  injustice  à  l'égard  d'une 
religieuse  aussi  sainte  et  qui  avait  rendu  tant  de 
services.  Elles  demanderont  comme  cela  peut  arriver 
dans  une  communauté,  là  où  la  charité  devrait  être 
sans  bornes  et  couvrir  d'un  voile  les  défauts  réels, 
bien  loin  d'en  laisser  soupçonner  qui  ne  sont  pas.  — 
On  oublie  que  la  faiblesse  humaine  se  trouve  partout; 
que  les  lumières  de  notre  pauvre  raison  sont  toujours 
très- faibles,  même  avec  une  piété  sincère,  et  que  rien 
n'est  plus  commun  que  ces  sortes  d'erreurs  sur  la  con- 
duite et  les  sentiments  du  prochain.  Dans  le  monde, 
elles  sont  dix  fois  plus  fréquentes  que  dans  les  commu- 
nautés; et  comme  elles  durent  souvent  toute  la  vie. 


CHAPITRE   XIII.  305 

il  arrive  rarement  qu'on  s'en  aperçoive  et  qu'on  s'en 
fasse  un  reproche.  Dieu  permet  d'ailleurs  que  ses  saints 
soient  quelquefois  l'objet  de  préventions  injustes,  même 
de  la  part  d'autres  saints,  afin  de  purifier  leur  vertu 
et  de  les  élever  à  une  sainteté  plus  grande.  C'est  en 
même  temps,  pour  ceux  qui  se  sont  laissés  aller  à  des 
jugements  sévères  et  injustes  à  l'égard  du  prochain, 
une  leçon  d'humilité  et  un  sujet  de  salutaires  réflexions 
sur  la  défiance  que  l'on  doit  avoir  de  soi-même  et  le 
danger  de  juger  les  autres. 


Mais  quel  était  le  secret  de  cette  force  étonnante 
qui  soutenait  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  dans  une 
épreuve  si  pénible  et  à  laquelle  il  est  si  rare  qu'on 
résiste?  C'était  tout  particulièrement  la  dévotion  au 
Cœur  de  Jésus.  Nous  avons  vu  plus  haut,  page  152, 
comment  cette  dévotion  lui  fut  révélée  avant  son  départ 
pour  le  Canada.  Or,  voici  en  quels  termes  elle  en  parlait 
à  son  fils,  dans  une  lettre  écrite  trente  ans  plus  tard, 
en  1661.  On  verra  combien  l'impression  produite  en 
elle  par  cette  insigne  faveur  avait  été  forte,  et  avec 
quelle  persévérance  elle  s'y  était  montrée  fidèle. 

«  Vous  me  demandez  que  je  vous  fasse  part  de  quel- 
ques-unes de  mes  pratiques  de  dévotion.  Vous  savez 
que  les  dévotions  qui  se  consomment  par  quelques 
actes  particuliers,  me  sont  bien  difficiles;  mais  je  vous 
dirai  en  simplicité  que  j'en  ai  une  que  Dieu  m'a  inspi- 
rée, de  laquelle  il  me  semble  que  je  vous  ai  parlé 
dans  mes  écrits  :  c'est  au  suradorable  Cœur  de  Jésus. 
Il  y  a  plus  de  trente  ans  que  je,  la  pratique;  c'est  par 
elle  que,  depuis  ce  temps,  j'achève  mes  dévotions  de 

M.    DE    l'iNC.  ,  20 


306  MARIE    DE    l'incarnation. 

chaque  jour,  et  il  ne  me  souvient  point  d'y  avoir  man- 
qué, si  ce  n'est  par  impuissance  de  maladie,  ou  pour 
n'avoir  pas  été  libre  en  mon  action  intérieure.  Voici 
à  peu  près  comme  je  m'y  comporte  en  m'adressant 
d'abord  au  Père  Eternel. 

«  C'est  par  le  cœur  de  Jésus,  ma  voie,  ma  vérité  et 
ma  vie,  que  je  m'approche  de  vous,  ô  Père  Eternel. 
Par  ce  divin  Cœur,  je  vous  adore  pour  tous  ceux  qui 
ne  vous  adorent  pas  ;  je  vous  aime  pour  tous  ceux  qui 
ne  vous  aiment  pas;  je  vous  reconnais  pour  tous  les 
aveugles  volontaires  qui,  par  mépris,  ne  vous  reconnais- 
sent pas.  Je  veux,  par  ce  divin  Cœur,  satisfaire  'au 
devoir  de  tous  les  mortels.  Je  fais  en  esprit  le  tour  du 
monde  pour  chercher  toutes  les  âmes  rachetées  du  sang 
très-précieux  de  mon  divin  Epoux,  afin  de  vous  satis- 
faire pour  toutes  par  ce  divin  Cœur.  Je  les  embrasse 
pour  vous  les  présenter  par  lui,  et  par  lui  je  vous 
demande  leur  conversion.  Hé,  quoi!  Père  Eternel, 
souffrirez -vous  qu'elles  ne  connaissent  pas  mon  Jésus, 
et  qu'elles  ne  vivent  pas  pour  lui  qui  est  mort  pour 
tous?  Vous  voyez,  ô  divin  Père,  qu'elles  ne  vivent  pas 
encore.  Ah  !  faites  qu'elles  vivent  par  ce  divin  Cœur.  * 
C'est  ici  que  je  fais  mention  particulière  de  cette 
nouvelle  Eglise. 

y>  Puis  je  m'adresse  au  Verbe  incarné,  lui  disant  : 
*  Vous  savez,  mon  bien-aimé,  tout  ce  que  je  veux  dire 
à  votre  Père  par  votre  divin  Cœ.ur  et  par  votre  sainte 
âme;  je  vous  le  dis  en  le  lui  disant,  parce  que  vous  êtes 
dans  votre  Père  et  que  votre  Père  est  en  vous  ;  faites 
donc  tout  cela  avec  lui.  Je  vous  présente  toutes  ces 
âmes;  faites  qu'elles  soient  une  même  chose  avec 
vous,  etc.  » 

r    Considérant    ensuite    ce   que  je    dois    au   Verbe 


•      •  CHAPITRE    XIII.  307 

incarné,  je  lui  dis  :  «  0  mon  divin  Epoux,  que  vous 
rendrai-je  pour  votre  excessive  charité  à  mon  égard? 
C'est  par  votre  divine  Mère  que  je  veux  vous  remercier. 
Je  vous  présente  son  Cœur  sacré,  comme  je  présente 
le  vôtre  à  votre  Père.  Je  vous  aime  par  ce  Cœur  qui 
vous  a  tant  aimé;  je  vous  offre  ces  mamelles  qui  vous 
ont  allaité,  et  ce  sein  virginal  qui  vous  a  possédé; 
je  vous  fais  ces  offrandes  en  action  de  grâces  de  tous 
les  bienfaits  que  j'ai  reçus  de  vous,  tant  dans  l'ordre 
de  la  grâce  que  dans  celui  de  la  nature.  Je  vous  les 
fais  pour  l'amendement  de  ma  vie  et  pour  la  sanctifi- 
cation de  mon  âme.  Je  vous  les  présente  afin  qu'il  vous 
plaise  de  me  donner  la  grâce  de  ma  persévérance  finale 
dans  votre  service  et  dans  votre  amour.  Je  vous  rends 
grâces,  mon  divin  Epoux,  de  ce  qu'il  vous  a  plu  de 
choisir  cette  très-sainte  Vierge  pour  votre  Mère,  de  ce 
que  vous  avez  consenti  à  être  enfermé  neuf  mois  dans 
son  sein,  et  de  ce  que  vous  avez  bien  voulu  nous  la 
donner  pour  AJère.  J'adore  le  moment  de  votre  Incar- 
nation en  elle  et  tous  les  divins  moments  de  votre  vie 
voyageuse  sur  la  terre.  » 

»  Je  me  tourne  ensuite  vers  la  Sainte  Vierge  et  lui 
dis  tout  ce  que  l'amour  me  peut  suggérer,  toujours 
dans  le  même  esprit  et  dans  le  même  sens  que  ci-dessus. 
Je  termine  par  ]à  mes  exercices  du  soir.  » 


Il  est  très- remarquable  que  cette  sainte  religieuse  ait 
ainsi  pratiqué  tous  les  jours,  pendant  la  dernière  moitié 
de  sa  vie,  une  si  tendre  dévotion  au  Cœur  adorable  de 
Jésus  et  à  celui  de  Marie.  Il  faut  qu'elle  ait  été  l'objet 
d'un  grand  amour  de  la  part  de  Dieu  pour  qu'il  lui  ait 


308  MARIE   DE   l'incarnation.. 

révélé  et  fait  pratiquer  à  ce  point  une  dévotion  qu'il  ne 
jugea  à  propos  de  faire  connaître  à  son  Eglise  que 
cinquante  ans  plus  tard.  Cela  seul  serait  bien  propre 
à  donner  une  haute  idée  de  la  sainteté  de  la  Mère  de 
l'Incarnation. 

C'était  par  forme  de  sacrifice,  ajoute  le  Père  Martin, 
qu'elle  faisait  son  offrande  au  Cœur  de  Jésus  :  car  elle 
le  regardait  toujours  comme  un  autel,  les  âmes  pour 
qui  elle  priait  comme  des  victimes  qu'elle  désirait  y 
être  saintement  consumées.  Mais  elle  se  mettait  tou- 
jours à  la  première  place,  et  quand  elle  s'offrait  elle- 
même,  c'était  toujours  sur  cet  autel  adorable. 

La  cause  première  et  principale  de  cette  dévotion  au 
Cœur  de  Jésus  avait  été,  sans  aucun  doute,  la  révéla- 
tion intérieure  qu'elle  avait  reçue  du  Père  Eternel  vers 
l'année  1635,  et  que  nous  avons  rapportée  ;  mais  elle 
eut  dans  une  autre  circonstance,  sur  ce  même  sujet, 
une  lumière  nouvelle  dont  il  est  impossible  de  n'être 
pas  frappé.  Comme  elle  méditait  un  jour  sur  ces  paroles 
du  premier  chapitre  de  l'Epître  de  saint  Jacques  : 
Voluntarie  genuit  nos  Verbo  veritatis  ut  simus  initium  aliquod 
creatiirœ  ejus  :  Il  nous  a  engendrés  volontairement  par  le 
Verbe  de  vérité,  pour  que  nous  soyons  le  commencement  de  sa 
créature,  son  esprit  fut  ravi  par  un  transport  extatique 
dans  lequel  Dieu  lui  montra  l'élection  qu'il  fait  éter- 
nellement de  ceux  qu'il  appelle  par  son  Fils  au  Chris- 
tianisme, élection  qui  est  l'enfantement  et  le  commen- 
cement de  la  créature  de  Dieu  dont  parle  cette  apôtre, 
l'accroissement  et  la  perfection  ayant  lieu  par  l'imita- 
tion de  la  vie  et  des  vertus  de  ce  même  Fils.  La 
manière  dont  cette  vérité  lui  fut  montrée  embrasa 
tellement  son  cœur  qu'elle  semblait  tomber  en  défail- 
lance en  exprimant  son  amour  au  Verbe  divin.   Mais 


CHAPITRE    XIII.  309 

ce  qui  la  mit  surtout  dans  un  transport  indicible,  fut 
que  le  Père  Eternel  la  montrant  à  son  Fils,  témoignait 
qu'il  agréait  ces  marques  d'amour  et  qu'il  la  lui  avait 
donnée  pour  être  l'une  de  ses  premières  créatures. 
Quand  elle  entendit  ces  paroles,  qu'elle  était  choisie 
pour  être  l'une  des  premières  créatures,  elle  qui  ne  se 
regardait  que  comme  rien  selon  le  monde,  et  qui 
s'estimait  encore  moins  selon  la  grâce,  elle  se  demanda 
ce  (ju'elle  pourrait  faire  en  reconnaissance  d'une  faveur 
si-  grande  et  qu'elle  n'avait  point  méritée,  mais  qui 
venait  de  l'élection  toute  libérale  de  Dieu.  Sa  première 
pensée  fut  de  conjurer  ce  même  Verbe  à  qui  elle  était 
donnée  par  le  Père,  de  la  recevoir  sur  son  Cœur  comme 
sur  un  autel,  pour  y  brûler  en  perpétuel  holocauste. 
Sa  prière  fut  exaucée,  car  à  partir  de  ce  moment,  elle 
fut  jusqu'à  sa  mort  comme  une  victime  véritablement 
immolée  à  Dieu. 


Cette  dévotion,  chaque  jour  pratiquée  envers  le  Cœur 
de  Jésus,  avait  introduit  la  vénérable  Mère  dans  des 
secrets  djvins  que  bien  peu  d'âmes  ont  eu  le  bonheur 
de  pénétrer  au  même  degré.  Les  mystères  les  plus 
inaccessibles  à  notre  faible  raison  semblaient  s'illu- 
miner pour  elle,  tant  elle  jouissait  d'une  intime  fami- 
liarité avec  le  Verbe  divin.  On  en  jugera  par  ce  qu'elle 
écrivait  à  son  fils  en  1647. 

«  L'écrit  que  je  vous  envoie  vous  fera  connaître  ce 
que  j'éprouvai  un  jour  en  méditant  sur  ces  paroles  : 
Speciosus  forma  prœ  filiis  hominum  :  Ijô  plus  beau  des  enfants 
des  hommes.  Une  lumière  me  remplissant  l'esprit  sur  la 
double  beauté  du  Fils  de  Dieu,  il  fallut  que  mon  cœur 
se  soulageât.  Comme  c'était  auprès  de  la  seconde  per- 


310  MAlllK    DE    l'incarnation. 

sonne  de  la  très-sainte  Trinité  que  mon  âme  avait  alors 
accès,  c'est  à  elle  que  mes  aspirations  s'adressent. 

»  Vous  êtes  le  plus  beau  d'entre  tous  les  enfants  des 
hommes,  ô  mon  bien-aimé. 

»  Vous  êtes  beau,  mon  cher  Amour,  en  votre  double 
beauté  divine  et  humaine. 

j»  Vous  êtes  beau,  mon  cher  Amour,  et  vous  emportez 
mon  esprit  dans  une  vue  inexplicable  de  ce  que  vous 
êtes  en  votre  Père  et  de  ce  que  votre  Père  est  en  vous. 

»  Mais  comment  pourrais- je  supporter  l'éclat  de  vos 
splendeurs,  si  vous  no  ravissiez  mon  esprit,  et  si,  dans 
ce  ravissement,  vous  ne  l'introduisiez  en  vous-même, 
lui  donnant  une  capacité  qui  le  rende  une  même  chose 
avec  vous?  De  cette  sorte,  encore  que  je  vous  voie  Dieu 
de  Dieu,  lumière  de  lumière  et  vrai  Dieu  de  vrai  Dieu, 
je  vous  embrasse  comme  étant  mon  Amour  et  tout 
mon  bien. 

«  0  mon  divin  Epoux,  qu'est  ceci?  Je  vous  vois  tout 
à  votre  Père,  et  vous  êtes  tout  à  moi.  Votre  Père  est 
aussi  à  moi  et  je  ne  sais  comment  cela  se  fait. 

»  Je  me  vois  dans  un,  de  qui  je  fais  ce  que  je  veux 
par  l'empire  que  me  donne  cet  un,  qui  est  mon  amour 
et  ma  vie. 

»  0  mon  cher  bien-aimé  !  dans  cette  privante  qui 
ravit  mon  âme,  il  me  semble  que  mon  néant  se  perd 
dans  un  abîme  qui  n'a  point  de  fond.  Ce  grand  abîme, 
c'est  vous  qui  me  tenez  sous  votre  empire;  ot  ensuite 
ou  plutôt  en  même  temps,  vous  m'inspirez  de  telle 
manière  que  je  vous  parle  comme  si  j'avais  empire 
sur  vous. 

»  Je  suis  impuissante  par  une  consommadon  d'amour 
que  je  ne  puis  exprimer;  je  vois  bien  des  choses  de  vos 
grandeurs  et  de  vos  épanchements  amoureux,  ô  Verbe 


CHAPITRE    XIII.  V  311 

incréé;  mais  elles  anéantissent  ma  conception  dans  un 
abîme  sans  fond  où  elle  se  perd. 

»  Mettez-moi  où  vous  voudrez,  partout  vous  serez 
mon  Amour.  J'espère  que  je  vous  verrai  en  votre 
double  beauté  divine  et  humaine,  dans  la  splendeur  des 
saints,  au  jour  de  votre  force.  r> 


Le  Père  Martin  fait  ensuite  connaître  la  dévotion 
de  sa  mère  envers  les  saints  anges.  Elle  s'entretenait 
avec  eux,  nous  dit- il,  avec  autant  de  familiarité  que 
si  elle-même  eût  été  un  ange  du  Paradis.  Elle  n'avait 
pas  de  plus  douce  pensée  dans  sa  solitude,  ni  de  plus 
agréable  entretien  dans  la  conversation.  C'est  pourquoi 
un  jour  de  fête  de  saint  Micl\el,  se  trouvant  en  compa- 
gnie de  quelques  jeunes  religieuses  qui  travaillaient 
avec  elle  à  un  ouvrage  important,  la  circonstance  fit 
tomber  la  conversation  sur  les  anges.  Peu  à  peu  elle 
perdit  de  vue  ses  compagnes  de  travail;  elle  se  trouva 
en  rapport  intime  avec  les  esprits  célestes  et  elle  eut 
avec  eux  un  entretien  familier  dont  elle  rendit  compte 
par  écrit  à  son  Directeur.  Je  donnerai  cet  écrit  en 
entier,  dit  le  Père  Martin,  ne  croyant  pas  qu'il  y  ait 
une  seule  parole  à  perdre. 

«  Dans  la  pensée  que  les  cellules  des  religieuses  sont 
des  cieux  et  que  les  anges  y  habitent,  nous  entrâmes 
dans  une  profonde  méditation  de  la  suprême  hiérarchie 
céleste,  qui  contient  les  Chérubins,  les  Séraphins  et  les 
Trônes,  et  nous  y  demeurâmes  jusqu'à  l'oraison,  forte- 
ment occupées  à  ce  sujet,  sans  pourtant  quitter  le 
travail  que  nous  faisions.  Nous  étions  plongées  dans 
ces  esprits  célestes,  et  par  là  même  dans  celui  de.  qui 


312  MARIE   DE    l'incarnation. 

découle  tout  ce  qui  est  en  eux.  La  vue  de  ces  merveilles 
était  pour  moi  si  claire,  que  l'amour  m'enflamma  et  il 
me  fut  impossible  de  ne  pas  le  laisser  agir.  M'adressant 
donc  à  la  très-sainte  Trinité,  je  lui  parlai  en  cette 
sorte  :  «  0  abîme  d'amour,  incompréhensible  et  sura- 
dorable Trinité,  je  vous  confesse  et  vous  adore  en  ce 
jour  dédié  à  vos  anges.  Permettez-moi  de  m'adresser 
à  ces  bienheureux  esprits  qui  sont  tout  plongés  en 
vous,  et  que  mon  cœur  leur  dise  ce  que  l'amour  lui 
voudra  inspirer.  » 

»  Or  considérant  que  les  Chérubins  reçoivent  en  eux 
la  lumière  et  la  clarté  des  secrets  de  Dieu,  et  qu'éclairés 
de  ces  divines  splendeurs,  ils  sont  tout  abîmés  et  trans- 
formés dans  la  lumière  même  par  une  participation 
ineffable,  je  m'écriais  en  m'adressant  à  eux  :  «  0  Ché- 
rubins instruits  et  éclairés  !  0  bienheureux  esprits  qui 
recevez  de  ce  grand  Dieu  les  irradiations  et  les  lumières 
qui  vous  le  font  connaître,  et  par  lesquelles  tout  abîmés 
en  lui,  vous  devenez  lui-même  par  participation,  que 
mon  désir  est  grand  d'avoir  part  à  votre  bonheur  et  de 
voir  mon  Epoux  d'un  œil  aussi  épuré  que  le  vôtre  ! 
Car  comment  vivre  et  ne  connaître  qu'imparfaitement 
cette  lumière  ineffable  qui  vous  inonde  et  fait  votre 
joie?  Faites-moi  part  de  quelques  rayons  de  vos 
lumières,  afin  que  mon  entendement  ne  voie  plus  que 
ce  que  vous  voyez.  »» 

»  Toute  parole  me  manquant  dans  le  transport  où 
se  trouvait  mon  âme,  je  m'adressai  aux  Séraphins  ; 
mais  je  tombai  d'un  abîme  dans  un  autre  ;  car  dès  que 
je  les  eus  envisagés,  ils  me  ravirent  le  cœur.  Dieu  étant 
amour,  ces  divins  Esprits  sont  ceux  qui  participent 
le  plus  à  son  ardeur,  et  qui,  plongés  dans  cet  abîme 
infini  de  charité,  deviennent  tout  feu  en  lui.  Ce  Dieu 


CHAPITRE   XIII.  313 

d'amour  s'unissant  à  ces  substances  sublimes,  qui  ne 
sont  créées  que  dans  l'amour  et  pour  l'amour,  et  se 
versant- en  eux  avec  plénitude,  ils  deviennent  autant 
d'amours  par  participation.  Je  ne  puis  dire  les  paroles 
de  feu  ni  les  transports  embrasés  de  mon  âme  à  ces 
glorieux  Esprits. 

«  0  Séraphins  ardents,  faites-moi  aimer  mon  Amour, 
puisque  je  suis  créée  pour  cela  aussi  bien  que  vous. 
Mais  que  puis-je  faire,  mes  amours  n'étant  pas  épurés 
comme  les  vôtres?  Oh!  faites  que  j'aime.  Cette  trans- 
cendance amoureuse  par  laquelle  vous  aimez  cet  océan 
d'amour,  fait  que  vous  êtes  en  quelque  façon  lui-même. 
Oh  !  qui  verra  cette  bonté  immense  verser  en  vous  ses 
ardeurs?  Qui  vous  verra  reverser  en  lui  le  même  amour 
en  la  même  pureté  qu'il  vous  l'a  communiqué?  Je  ne 
vois  en  lui  et  en  vous  qu'un  amour  mutuel  et  réci- 
proque. Mais  il  faut  ici  goûter  l'amour,  et  non  pas 
en  parler.  » 

»  Puis  venant  aux  Trônes  dans  lesquels  Dieu  habite 
et  qu'il  a  créés  comme  des  vases  purs  pour  sa  divine 
Majesté,  je  les  voyais  en  Dieu  et  Dieu  en  eux.  Sa 
miséricorde  les  remplissait  de  sa  pureté  pour  les  ren- 
dre dignes  de  lui,  et  ils  lui  rendaient  la  même  pureté 
par  la  complaisance  qu'il  prenait  en  eux.  Ainsi  je 
voyais  entre  lui  et  eux  un  admirable  commerce  de 
pureté. 

«  0  Trônes  purs,  qui  participez  par  votre  pureté 
à  la  pureté  de  ce  Dieu  trois  fois  pur  et  trois  fois  saint, 
faites  que  ma  mémoire  épurée  de  tous  les  objets  qui 
sont  moindres  que  lui,  puisse  contenir  cet  océan  de 
pureté  qui  ne  veut  que  des  vases  purs,  et  que  je  lui 
sois  parfaitement  unie  et  perdue  dans  l'abîme  de  sa 
sainteté.  » 


314  MARIE    DE    l'incarnation. 

r>  Encore  que  l'on  soit  avec  ces  bienheureux  Esprits 
et  qu'on  leur  parle  familièrement,  cela  se  fait  sans 
sortir  de  Dieu  :  car  comme  cette  suprême  Majesté  les 
tient  absorbés  et  abîmés  en  elle,  on  ne  peut  les  voir 
ni  leur  parler  en  la  manière  que  je  viens  de  dire,  sans 
y  être  absorbé  et  abîmé  avec  eux.  C'est  pourquoi  je  les 
perdis  de  vue,  et  mon  esprit  demeura  totalement  uni 
à  cette  haute  Majesté.  » 

«  Tels  sont,  dit  le  Père  Martin,  les  entretiens  familiers 
de  la  Mère  de  l'Incarnation  avec  ces  suprêmes  intelli- 
gences. Plus  ces  esprits  célestes  se  communiquaient 
à  son  âme,  plus  ses  conversations  avec  eux  devenaient 
familières;  elle  finit  par  les  entretenir  avec  une  espèce 
d'égalité  qui  faisait  voir  que  déjà  ils  la  regardaient 
comme  une  de  leurs  futures  compagnes  dans  le  Ciel. 

»  Mais  que  dirai-je  de  sa  dévotion  envers  saint 
Joseph?  Dès  son  enfance  elle  avait  eu  de  l'amour  et 
de  la  tendresse  pour  ce  saint  patriarche,  à  cause  de  ses 
rapports  avec  la  Mère  de  Dieu.  Mais  ce  fut  tout  autre 
chose  après  la  vision  où  il  se  présenta  à  elle  comme 
protecteur  du  Canada  et  quand  elle  eut  reconnu  qu'elle 
y  avait  été  conduite  par  lui.  Aussi,  elle  dédia  son 
monastère  à  Dieu  sous  le  titre  de  Séminaire  de  Saint- 
Joseph,  et  elle  prit  pour  sceau  de  la  maison  une  image 
de  saint  Joseph  tenant  le  petit  Jésus  entre  ses  bras. 
Elle  crut  avoir  ainsi  un  motif  suffisant  pour  renoncer 
au  sceau  de  la  Congrégation  de  Bordeaux  dont  elle  se 
servait  auparavant,  et  qui  représentait  un  lis  entre 
les  épines.  »  , 


«  Je  finirai  par  la  dévotion  singulière  qu'elle  portait 
au    glorieux   saint    François- de-Paule,   non-seulement 


CHAPITRE   XIII.'  315 

parce  qu'il  est  l'un  des  patrons  de  sa  ville  natale  et  que 
ce  fut  le  jour  de  sa  fête  que  Dieu  lai  donna  un  fils  pour 
bénédiction  de  son  mariage  ;  '  mais  principalement  parce 
que  son  bisaïeul  fut  un  de  ceux  qui  allèrent  le  chercher 
en  Italie  par  l'ordre  de  Louis  XI,  et  l'amenèrent  à 
Plessis-les- Tours.  Cela  dut  sans  doute  lui  attirer  des 
grâces  ;  mais  il  les  mérita  tout  spécialement  par  le 
respect  qu'il  témoigna  au  saint  durant  toute  sa  vie. 
Chaque  dimanche,  il  allait  lui  faire  visite  avec  tous  ses 
enfants,  auxquels  le  saint  faisait  mille  caresses,  parti- 
culièrement à  son  fils,  sur  le  front  duquel  il  aimait  à 
faire  des  signes  de  croix,  lui  disant  avec  tendresse  : 
Dieu  te  bénisse,  mon  enfant. 

»  Notre  bonne  Mère  racontait  quelquefois  cette  his- 
toire par  dévotion  et  avec  joie.  Elle  avait  raison  :  car 
je  ne  doute  point  qu'elle  n'ait  été  la  bénédiction  que  ce 
grand  saint  désirait  tant  pour  ce  jeune  enfant.  » 

On  peut  dire  que  Claude  Martin  a  été  lui-même  à 
son  tour  une  bénédiction,  et  qu'ainsi  les  prières  de 
l'humble  François-de-Paule  ont  eu  leur  efficacité  jus- 
qu'à la  quatrième  génération  ;  mais  la  fidélité  avec 
laquelle  notre  bienheureuse  Mère  profita  de  toutes  les 
grâces  qu'elle  reçut,  ne  fut  pas  moins  puissante  auprès 
de  Dieu  pour  prolonger  les  bénédictions  célestes. 

«  Ce  qui  ne  peut  laisser  de  doute  sur  cette  inviolable 
fidélité,  ajoute  encore  ici  Dom  Martin,  c'est  qu'elle  dit 
elle-même  que  Dieu  lui  faisait  la  grâce  d'avancer  tou- 
jours vers  ce  qui  était  plus  parfait;  en  sorte  qu'elle  n'a 
pas  cessé  de  marcher  du  plus  parfait  vers  ce  qui  l'était 

(1)  L'auteur  de  cet  ouvrage,  ne  également  le  jour  de  la  fête  de  saint  François- 
de-Paul,  dont  il  a  reçu  le  nom  au  baptême,  remercie  Dieu  d'avoir  bien  voulu 
qu'il  écrivît  la  vie  de  cette  sainte  religieuse,  dont  le  fils  n'a  pas  été  moins  saint 
que  sa  mère. 


316  DE    MARIE    l'incarnation. 

davantage,   comme   le   soleil  dont  l'éclat  va  toujours 
croissant  depuis  son  lever  jusqu'à  son  midi.  » 

Tel  fut,  au  reste,  le  témoignage  q.ue  lui  rendirent 
les  religieuses  qui  avaient  été  les  témoins  continuels 
de  ses  vertus.  La  Mère  de  la  Croix,  qui  était  partie  de 
Dieppe  avec  elle,  et  qui  ne  l'avait  pas  quittée  depuis, 
affirmait  que  durant  ces  trente-trois  ans,  elle  ne  lui 
avait  jamais  vu  commettre  une  seule  faute  contre  la 
douceur,  la  patience,  l'humilité,  la  charité,  la  modestie, 
la  pauvreté  ou  l'obéissance,  ni  manqué  une  occasion 
de  faire  des  actes  de  ces  vertus. 


Tout  cela  était  l'effet  d'une  grâce  puissante  qui  s'était 
emparée  de  cette  sainte  religieuse,  et  qui  agissait  en 
elle  tantôt  par  les  épreuves,  tantôt  par  les  consolations, 
mais  toujours  avec  une  merveilleuse  efficacité.  Elle- 
même  fait  connaître  cette  action  de  la  grâce  sur  son 
âme. 

«  Dans  la  paix  profonde  que  la  bonté  de  Dieu  fit 
succéder  à  mes  tentations,  l'union  avec  mon  divin 
Epoux  opérait  en  moi  par  ses  impressions  saintes,  et 
y  produisait  les  vertus  dont  les  maximes  sorties  de  sa 
bouche  adorable  sont  la  source.  Cela  se  faisait  d'une 
manière  si  étrangère  aux  sens,  que  je  ne  m'en  aperce- 
vais quasi  que  par  les  effets,  surtout  environ  un  an 
avant  l'incendie  de  notre  monastère.  Ces  effets  consis- 
taient en  une  paix  extraordinairement  douce,  et  dans 
un  si  grand  dépouillement  de  moi-même,  que  ce  que 
j'avais  auparavant  possédé  de  ces  vertus  ne  me  sem- 
blait rien.  J'expérimentais  que  dans  les  vertus  reli- 
gieuses j'étais  une  créature  tout  autre,  et  que  Dieu 


CHAPITRE    XIII.  317 

s'emparait  de  moi  par  les  maximes  de  son  suradorable 
Fils,  me  conduisant  en  tout  ce  que  j'avais  à  faire  par 
les  influences  et  les  onctions  saintes  de  passages  comme 
ceux-ci  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de 
cœur.  —  L' Eprit  de  Dieu  rend  témoignage  à  notre  esprit 
que  nous  sommes  enfants  de  Dieu.  C'est  pourquoi  un  jour 
que  j'avais  rendu  compte  de  mon  état  au  Révérend 
Père  Lallemand,  il  me  dit  de  ne  point  refuser  d'emploi 
concernant  les  affaires  temporelles,  parce  qu'ils  ne 
troublaient  point  le  commerce  intime  dans  lequel  il 
plaisait  à  la  divine  Majesté  de  m'entretenir. 

y>  Cette  année-là,  j'eus  de  grandes  croix  à  porter, 
à  cause  de  la  persécution  que  les  Iroquois  firent  souf- 
frir aux  sauvages  convertis  et  aux  Français  :  car 
comme  j'avais  à  cœur  les  intérêts  de  mon  divin  Epoux, 
je  ne  pouvais  voir  les  débris  de  cette  église  naissante 
sans  éprouver  un  crucifiement  intérieur,  quoique  sou- 
mise à  la  volonté  divine  et  aux  dispositions  de  la  Pro- 
vidence. Ce  fut  alors  que  les  Révérends  Pères  de 
Brébœuf,  Garnier  et  Lallemand  furent  brûlés  et  mas- 
sacrés avec  leur  troupeau,  et  que  tous  les  Révérends 
Pères  de  la  mission  des  Hurons,  avec  le  reste  des 
convertis,  furent  contraints  de  quitter  le  pays  et  de  se 
réfugier  ici.  Rien  d'aussi  lamentable  n'était  encore 
arrivé  à  cette  nouvelle  Église.  Les  missionnaires  qui 
avaient  échappé  à  la  mort  avaient  plus  souffert  que 
ceux  qui  en  avaient  été  victimes.  Ils  furent  forcés  de 
se  fixer  à  Québec  avec  les  quatre  ou  cinq  cents  chré- 
tiens qui  leur  restaient. 

»  Ma  seule  consolation  dans  la  douleur  dont  j'étais 
pénétrée  à  la  vue  de  ces  pauvres  fugitifs,  était  la 
pensée  de  les  assister  et  d'élever  leurs  filles.  Notre- 
Seigneur  rn'inspira,  dans  ce  but,  d'étudier  la  langue 


318  MARIE    DE    l'incarnation. 

huronne,  dont  je  ne  m'étais  pas  encore  occupée.  Je 
l'avais  laissée  à  ma  sœur  Marie  de  Saint-Joseph  pour 
étudier  l'Algonquin  et  le  Montagnais  qui  nous  étaient 
plus  nécessaires,  au  commencement,  que  le  Huron. 
J'appris  donc  cette  dernière  langue  assez  pour  ensei- 
gner les  prières  et  le- catéchisme  aux  jeunes  filles  et 
aux  femmes.  » 

Elle  ne  se  contentait  pas  de  leur  faire  connaître  Dieu 
et  de  les  porter  à  la  piété;  elle  se  donnait  les  plus 
grandes  peines  et  faisait  faire  au  monastère  les  plus 
grands  sacrifices  pour  les  recourir  dans  leurs  misères 
corporelles.  «  C'était  moi,  dit-elle,  qui,  étant  alors  dépo- 
sitaire (c'est-à-dire  chargée  du  dépôt  des  provisions 
de  la  maison),  distribuais  la  nourriture  et  les  autres 
secours.  C'était  pour  moi  une  grande  consolation  de 
pouvoir  exercer  cette  charité;  mais  Notre-Seigneur 
me  l'ôta  bientôt  en  nous  envoyant  une  épreuve  qui 
nous  réduisit  nous-mêmes  à  avoir  besoin  de  l'assistance 
que  nous  avions  donnée  aux  plus  misérables.  » 


CHAPITRE  XIV. 


Visions  anticipées  de  l'incendie  du  monastère.  —  Incendie,  1650.  —  Présence 
d'esprit  de  la  Mère  de  l'Incarnation.  —  Sa  charité  et  son  humilité  en  cette 
circonstance.  —  Les  Ursulines  à  l'Hôtel-Dieu.  —  Inconvénients  et  avantages 
de  l'incendie  du  monastère.  —  Harangue  des  Hurons. 


Avant  de  raconter  la  douloureuse  catastrophe  à 
laquelle  notre  sainte  Mère  vient  de  faire  allusion,  il  nous 
faut  remonter  plus  haut  et  renouer  la  suite  des  faits. 


CHAPITRE   XIV.  319 

Nous  avons  vu  que  les  Ursulines,  arrivées  à  Québec  en 
1639,  s'établirent  provisoirement  dans  la  Basse-Ville. 
Presque  aussitôt  elles  obtinrent  une  concession  de  ter- 
rain dans  l'une  des  meilleures  positions  de  la  ville  haute, 
et  trois  ans  après,  le  21  novembre  1642,  elles  prenaient 
possession  du  monastère  qu'elles  y  avaient  fait  cons- 
truire. C'était  un  unique  corps  de  bâtiment  qui  mesu- 
rait quatre-vingt-douze  pieds  de  longueur  sur  vingt-huit 
de  largeur.  Il  n'y  avait  de  terminé  que  les  principales 
divisions  et  le  plancher  du  rez-de  chaussée.  Les  autres 
n'étaient  formés  que  de  madriers  volants,  posés  sur 
les  poutres.  Ce  fut  ainsi  que  les  Ursulines  passèrent 
l'hiver  de  1643  dans  un  pays  où  le  thermomètre  descend 
jusqu'à  trente-cinq  degrés  au-dessous  de  zéro.  Les 
aumônes  abondantes  que  l'on  reçut  de  France  permi- 
rent de  reprendre  les  travaux  ;  mais  ce  ne  fut  pourtant 
qu'en  1648  que  l'édifice  fut  terminé. 

A  une  distance  d'environ  cent  pas,  madame  de  la 
Peltrie  s'était  fait  construire  la  maison  dont  nous  avons 
parlé,  oii  elle  fit  quelque  séjour  et  qui  fut  bientôt  une 
ressource  providentielle  pour  la  communauté. 

La  Mère  Marie  de  l'Incarnation  nous  apprend  que 
deux  personnes  de  grande  vertu  furent  averties  surna- 
turellement  de  ce  qui  allait  arriver  au  monastère.  La 
première  eut  une  vive  impression  par  laquelle  il  lui 
semblait  voir  la  grande  affliction  que  devaient  éprou- 
ver les  religieuses,  si  leur  monastère  était  brûlé;  et 
dans  cette  supposition,  qui  se  présentait  à  elle  comme 
une  réalité,  elle  cherchait  les  moyens  de  venir  à  leur 
secours;  et,  après  l'événement,  elle  mit  à  exécution 
ceux  qui,  par  avance,  lui  avaient  semblé  le^  plus 
convenables.  Cette  personne  éprouvait  tout  cela  avant 
l'incendie,  à  deux  lieues  de  Québec. 


320  MARIE    DE    l'incarnation. 

L'autre  qui  demeurait  non  loin  du  monastère,  le  vit 
en  esprit  comme  environné  d'un  cercle  de  lumière, 
et  elle  entendit  une  voix  qui  disait  avec  une  expression 
de  tristesse  :  Hélas!  n'y  a-t-il  donc  aucun  moyen  d'em- 
pêcher ce  malheur?  —  Non,  il  n'y  en  a  pas,  répondit 
une  autre  voix  ;  l'arrêt  est  prononcé.  —  Il  est  probable, 
dit  la  Mère  de  l'Incarnation,  que  c'était  l'ange  exécu- 
teur de  la  justice  divine  qui  donnait  cette  réponse.  — 
La  personne  pieuse  qui  avait  cette  vision  aperçut  alors 
une  main  qui  faisait  vers  le  monastère  un  signe  indi- 
cateur, et,  peu  de  moments  après,  elle  comprit  par  le 
son  du  tocsin  et  les  appels  au  secours,  que  sa  vision 
était  une  réalité.^  C'était  l'incendie  du  couvent,  que  la 
Mère  Marie  de  l'Incarnation  raconte  de  la  manière 
suivante,  soit  dans  ses  Mémoires,  soit  dans  ses  lettres. 


«  Le  30  décembre  1650,  pendant  l'octave  de  sa  nais- 
sance, Notre-Seigneur  voulut  nous  associer  aux  souf- 
frances et  à  la  pauvreté  de  sa  crèche.  Une  bonne  sœur 
converse,  chargée  de  faire  le  pain,  prépara  ses  levains 
pour  le  lendemain  et  enferma  du  charbon  allumé  dans 
le  pétrin  pour  le  préserver  de  la  gelée.  Son  dessein 
était  de  retirer  le  feu  avant  de  se  coucher,  mais  comme 
elle  n'avait  pas  coutume  do  prendre  ce  moyen,  elle 
oublia.  Une  autre  sœur  étant  allée  à  huit  heures  du 

(1)  Certains  esprits  rejettent  sans  exaraen  ces  sortes  de  visloas;  mais  ils 
seraient  bien  embarrassés  pour  se  justifier  par  de  bonnes  raisons.  Est-ce  parce 
que  les  personnes  qui  les  racontent  ne  sont  pas  dignes  de  foi  ?  Nullement  :  car 
si  elles  racontaient  quelque  chose  de  Tordre  naturel,  par  exemple  qu'elles  ont 
eu  une  colique  ou  une  migraine,  on  les  croirait.  Est-ce  parce  que  des  visions 
semblables  sont  impossibles?  Mais  qui  a  jamais  essayé  sérieusement  de  démon- 
trer cette  impossibilité  ? 


1 


CHAPITRE   XIV.  321 

soir  à  la  boulangerie,  ne  s'aperçut  de  rien.  Mais  bientôt 
le  pétrin,  qui  était  de  bois  de  sapin,  prit  feu  et  embrasa 
d'abord  la  boulangerie,  puis  les  caves,  qui  n'étant  point 
voûtées,  n'étaient  séparées  du  rez-de-chaussée  que  par 
un  plancher  également  en  sapin.  Elles  renfermaient 
toutes  les  provisions  faites  pour  l'année.  L'incendie, 
ainsi  alimenté,  gagna  les  planchers  d'en  haut  ainsi 
que  l'escalier  qui  conduisait  au  dortoir  des  enfants. 
La  Mère  des  Séraphins,  qui  y  couchait,  s'éveilla  en 
sursaut  au  bruit  et  au  pétillement  du  feu,  croyant 
entendre  ces  paroles  :  «  Levez-vous,  sauvez  vos  filles, 
elles  vont  brûler  toutes  vives.  »  En  effet,  le  feu  avait 
déjà  percé  le  plancher  et  les  flammes  entraient  dans 
la  pièce,  où  elles  donnaient  une  grande  clarté.  Pleine 
de  terreur,  elle  crie  aux  enfants  :  «  Sauvez-vous, 
sauvez- vous!  » 

y>  De  là  elle  monte  au  dortoir  de  la  communauté 
pour  éveiller  les  religieuses,  ce  qu'elle  fit  d'un  ton  si 
terrifiant  qu'en  un  instant  toutes  furent  sur  pied.  L'une 
va  à  la  cloche  pour  appeler  du  secours,  les  autres 
veulent  essayer  d'éteindre  le  feu.  Pour  moi,  au  lieu  d'y 
travailler,  je  cours  dire  aux  sœurs  de  tout  abandonner, 
que  le  mal  est  sans  remède.  Puis  je  voulus  monter 
vers  l'appartement  où  j'avais  en  réserve  les  étofies 
et  les  vêtements  des  religieuses,  pensant  qu'elles 
s'étaient  sauvées  à  demi-nues;  mais  Dieu  m'ôta  cette 
pensée  pour  me  donner  celle  de  sauver  les  papiers 
d'affaires  de  notre  communauté.  Je  les  jette  par  la 
fenêtre  avec  tout  ce  qui  se  trouva  sous  ma  main.  Ce 
parti  et  le  peu  de  temps  qu'il  me  fallut  pour  l'exécuter, 
me  sauva  la  vie  :  car  au  bout  de  quelques  minutes, 
le  feu  était  non- seulement  au  lieu  où  je  voulais  d'abord 
aller,  et  où  je  fusse  demeurée,  mais  encore  à  la  toiture 


M.   DE  LINC. 


21 


322  MARIE   DE   l'incarnation. 

de  la  maison.  Comme  il  était  également  dans  les  offices 
d'en  bas,  je  me  trouvais  entre  deux  feux  ;  un  troisième 
venait  à  moi  comme  un  torrent,  et,  pour  me  sauver, 
il  me  fallut  passer  sous  la  cloche,  dont  la  fonte  coulait 
et  faillit  m'inonder.  J'évitai  tous  ces  dangers,  mais  peu 
s'en  fallut  que  je  ne  fusse  étouffée  par  la  fumée. 

»  Dans  toutes  les  courses  que  je  fis  parmi  les  flam- 
mes, j'avais  une  aussi  grande  liberté  d'esprit  et  une 
vue  aussi  tranquille  de  ce  que  je  faisais,  que  si  rien 
ne  fût  arrivé.  Je  ne  ressentais  pas  un  mouvement 
de  peine,  de  tristesse,  ni  d'inquiétude.  Il  me  semblait 
entendre  en  moi  une  voix  intérieure  qui  me  disait  ce 
que  je  devais  faire,  où  je  devais  aller,  ce  que  je  devais 
jeter  par  la  fenêtre  et  ce  que  je  devais  laisser  périr 
par  le  feu.  Je  vis  en  un  moment  le  néant  de  toutes  les 
choses  de  la  terre,  et  il  me  fut  donné  une  grâce  de 
dénûment  si  grande,  que  je  ne  puis  exprimer  son  effet 
ni  par  paroles  ni  par  écrit.  Les  bénédictions  que  mon 
âme  donnait  à  Dieu  au  milieu  de  ce  désastre  étaient 
aussi  fréquentes  que  mes  respirations,  et  je  ne  pouvais 
me  détacher  de  cette  union  à  la  volonté  divine.  Je  voulus 
jeter  par  la  fenêtre  notre  crucifix  qui  était  sur  la  table; 
mais  je  me  sentis  arrêtée,  comme  si  l'on  m'eût  insinué 
que  cela  était  irrespectueux.  ^ 


Parlant  d'une  relation  de  sa  vie  qu'elle  avait  écrite 
par  l'ordre  de  son  confesseur  et  qui  lui  avait  coûté 
beaucoup  de  travail  et  de  peine,  elle  dit  dans  une  lettre 
à  son  fils  :  «  Je  laissai  volontairement  les  papiers  que 
vous  m'aviez  demandés  et  que  je  vous  avais  promis  : 
car  la  pensée  m'étant  venue  de  les  jeter  par  la  fenêtre, 


CHAPITRE   XIV.  323 

j'aimai  mieux  les  abandonner  au  feu  que  de  les  exposer 
à  tomber  entre  les  mains  de  quelqu'un  qui  aurait  pu 
les  lire. 

»  La  Mère  assistante  avec  notre  sœur  Saint- Laurent 
avait  rompu  une  grille  de  parloir,  qui  n'était  que 
de  bois,  afin  de  se  sauver  avec  une  partie  des  enfants 
qui  avaient  été  la  trouver  au  dortoir.  Mais  il  n'y  avait 
que  les  grandes;  les  petites  étaient  restées  seules  sans 
savoir  quel  chemin  prendre.  La  sœur  Saint-Ignace 
n'hésite  pas  à  exposer  sa  vie  pour  essayer  de  sauver 
ces  petites  innocentes.  Quoique  le  feu  fût  déjà  aux 
cloisons,  elle  court  à  la  chambre  où  elles  étaient;  elle  les 
entraîne  avec  elle  et  aussitôt  les  planchers  s'écroulent. 

5>  J'étais  encore  dans  les  dortoirs  où,  voyant  qu'il 
n'y  avait  plus  rien  à  faire  pour  moi  et  que  j'allais  périr, 
je  fis  une  inclination  au  crucifix,  acquiesçant  aux 
ordres  de  la  divine  'Providence,  et  lui  faisant  un 
abandon  de  tout,  je  me  sauvai  par  le  parloir  qui  était 
au  bout  du  dortoir.  En  descendant,  je  rencontrai  le 
R.  P.  Supérieur  des  Jésuites  et  toutes  les  personnes  qui 
venaient  à  notre  secours  ;  mais  apprenant  qu'il  n'y  avait 
rien  à  faire  plus  haut,  ils  descendirent  à  la  chapelle 
où  l'on  put,  à  grande  peine,  sauver  le  Très-Saint- Sacre- 
ment et  les  ornements  qui  se  trouvaient  à  la  sacristie. 

»  Notre  bonne  Mère  Saint- Athanase,  qui  était  sortie 
la  première  pour  ouvrir  les  portes,  ne  se  voyant  rejointe 
par  aucune  d'entre  nous,  souffrait  en  son  âme  des 
convulsions  de  mort.  Elle  nous  appelait  avec  des  cris 
lamentables;  mais  ne  nous  voyant  ni  ne  nous  enten- 
dant,  elle  se  jeta  aux  pieds  de  la  Sainte  Vierge,  et  fit 
un  vœu  en  l'honneur  de  l'Immaculée-Conception.  Je 
ne  puis  dire  absolument  quel  a  été  l'effet  de  ce  vœu 
auprès  de  Dieu;  mais  j'attribue  à  un   vrai  miracle 


324  MARIE    DE    LINCyVRNATION. 

qu'aucune  de  nous  ni  de  nos  enfants  n'ait  été  consumée 
dans  un  incendie  si  prompt  et  si  violent.  Une  femme 
huronne,  Cécile  Arenhatsi,  très-bonne  chrétienne,  ne 
s'étant  pas  éveillée  aussi  tôt  que  les  autres,  ne  trouva 
pas  d'autre  moyen  de  se  sauver  que  de  se  jeter  par  une 
fenêtre.  Elle  en  fut  si  étourdie  que  d'abord  on  la  crut 
morte;  mais  elle  revint  à  soi,  et  Dieu  voulut  nous 
la  conserver. 

w  On  se  réunit  enfin  autour  de  notre  Mère  Supérieure 
qui  commença  à  respirer;  mais  grande  était  sa  peine 
de  ne  me  pas  voir.  Nos  pensionnaires  et  nos  sémina- 
ristes sauvages  se  rangèrent  aussi  auprès  d'elle,  et  elles 
pensèrent  y  mourir  de  froid,  car  elles  n'avaient  que 
leurs  chemises,  tous  leurs  vêtements  ayant  été  brûlés. 
Vous  n'eussiez  pu  voir  sans  pleurer  madame  de  la 
Peltrie,  si  sensible  au  froid,  les  pieds  nus  sur  la  neige, 
n'ayant  qu'une  petite  tunique  qu'elle  avait  jetée  sur  ses 
épaules  en  prenant  la  fuite.  Mais  ce  qui  me  touchait 
le  plus,  c'était  de  voir  ce  qu'allait  souffrir  notre  pauvre 
malade,  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph.  Si  elle  eût  eu 
.autant  de  force  que  de  courage,  nous  eussions  sauvé, 
elle  et  moi,  une  partie  de  ce  qui  était  au  dortoir;  mais 
elle  était  si  faible,  qu'en  voulant  remuer  son  matelas, 
les  bras  lui  manquaient;  il  n'y  eut  que  le  mien  de  sauvé 
avec  ce  qui  me  couvrait  qui  fût  tout  propre  pour  elle.  » 

C'est  par  ces  mots  insignifiants  au  point  de  vue  des 
règles  du  langage  humain,  mais  sublimes  à  celui  de 
l'humilité  et  de  la  charité,  que  la  Mère  Marie  de  l'In- 
carnation fait  connaître  ou  plutôt  cache  autant  qu'il 
lui  est  possible  un  acte  deux  fois  héroïque  dont  avaient 
été  témoins,  non-seulement  la  communauté  et  les  élèves 
françaises  et  sauvages,  mais  les  Pères  de  la  Compagnie 
de  Jésus,  la  peuplade  des  Hurons  et  un  grand  nombre 


CHAPITRE   XIV.  325 

•   -  * 

d'autres  personnes  de  Québec,  et  qui,  le  lendemain, 
était  su  de  toute  la  ville  et  devait  l'être  l^entôt  de  la 
France  entière.  Cette  religieuse,  si  délicate  sur  la 
pudeur,  que  se  voyant  en  danger  de  périr  par  la  tem- 
pête, onze  ans  auparavant,  elle  avait  lié  ses  vêtements 
pour  ne  pas  être  vue  d'une  manière  opposée  à  la 
décence  au  moment  où  le  vaisseau  serait  brisé,  voilà 
qu'aujourd'hui  elle  se  déshabille  en  public  pour  donner 
ses  vêtements  à  une  de  ses  sœurs  malade;  elle  y  ajoute 
ses  chaussures  et  elle  marche  pieds  nus  sur  la  neige 
glacée. 


Elle  continue  ainsi  son  récit  :  «  J'avais  jeté  des 
habits  par  notre  fenêtre,  mais  ils  demeurèrent  accro- 
chés aux  grilles  du  réfectoire,  où  ils  furent  brûlés 
comme  tout  le  reste.  Aiiisi  je  demeurai  nue  comme  les 
autres,  que  je  fus  trouver  sur  la  neige,  où  elles  priaient 
Dieu  en  regardant  cette  effroyable  fournaise.  » 

Remarquons  une  nouvelle  finesse  d'humilité.  On  voit 
que  la  Mère  de  l'Incarnation,  embarrassée  de  son  acte 
d'héroïque  générosité,  emploie  toutes  les  ressources  de 
son  esprit  pour  se  délivrer  de  ce  lourd  fardeau.  Elle 
a  recours  à  une  tournure  de  phrase  équivoque  et  habile- 
ment combinée  pour  faire  croire  que  si  elle  s'est  trouvée 
nue  comme  tout  le  monde,  c'est  parce  que  les  habits 
qu'elle  avait  jetés  par  la  fenêtre  s'étaient  accrochés  à 
des  grilles  et  avaient  été  brûlés;  mais  l'histoire  dira 
à  sa  louange,  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  qu'elle  se 
dépouilla  entièrement  et  volontairement  pour  vêtir  une 
de  ses  sœurs,  acte  autant  supérieur  à  celui  de  saint 
Martin  que  la  profession  religieuse  est  au-dessus  de 
l'état  de  catéchumène.  Continuons  son  admirable  récit. 


326  MARIE    DE   l'incarnation. 

«  La  nuit  était  sereine,  le  ciel  bien  étoile,  le  froid 
très-vif  et  l'air  calme.  Au  fort  de  l'incendie,  il  s'éleva 
une  brise  légère  qui  jeta  les  flammes  du  côté  des 
jardins  et  de  la  campagne;  sans  cela  le  Fort,  la  rési- 
dence des  Pères  Jésuites  et  les  maisons  voisines  eussent 
été  en  danger.  Enfin  tout  fut  embrasé  et  tout  ce  que 
nous  possédions  d'habits,  de  vivres,  de  meubles,  de 
de  provisions  de  toute  espèce,  fut  consumé  en  moins  de 
deux  heures. 

y>  Tous  ceux  qui  étaient  là  fondaient  en  larmes  en 
nous  voyant  réduites  à  cet  extrême  dénûment,  car  la 
lumière  de  l'incendie  rendait  la  nuit  claire  comme  le 
jour,  et  il  nous  était  impossible  de  dérober  aux  regards 
notre  douloureuse  nudité.  Un  homme  de  bien,  ne  pou- 
vant comprendre  comment  on  pouvait  passer  par  une 
telle  épreuve  sans  éclater  en  démonstrations  de  douleur, 
dit  tout  haut  :  «  Il  faut  que  ces  femmes  soient  folles 
ou  qu'elles  soient  des  saintes.  »  Celui  qui  nous  a  tou- 
chées de  sa  main  sait  ce  qui  en  est,  et  ce  que  sa  bonté 
opéra  pour  lors  dans  nos  cœurs. 

»  Voyant  enfin  tout  le  monde  réuni,  le  R.  P.  supé- 
rieur des  Jésuites  fit  conduire  une  partie  de  nos  enfants 
dans  le  logement  de  nos  domestiques,  et  les  autres 
dans  la  maison  d'un  de  nos  voisins.  Les  pauvres  petites 
étaient  à  moitié  mortes  de  froid  ;  plusieurs  en  ont  été 
fort  malades.  Pour  nous,  il  nous  mena  à  sa  résidence, 
dans  le  triste  état  oii  nous  étions  et  nous  mit  dans  la 
salle  où  l'on  reçoit  les  séculiers.  On  nous  donna  en 
chemin,  par  aumône,  deux  ou  trois  paires  de  chaus- 
sures pour  quelques-unes  de  celles  qui  étaient  nu-pieds  ; 
madame  de  la  Peltrie  était  du  nombre.  Le  révérend 
Père  en  donna  ensuite  à  toutes  celles  qui  en  man- 
quaient encore. 


CHAPITRE   XIV.  327 

»  Les  révérendes  Mères  de  l'Hôpital,  ayant  appris  que 
nous  étions  chez  les  Pères  Jésuites  et  que  l'on  voulait 
nous  mener  au  Fort,  nous  envoyèrent  chercher  pour 
nous  loger  chez  elles.  Ces  bonnes  Mères,  avec  qui  nous 
avons  toujours  .été  unies  très-étroitement,  étaient  plus 
touchées  de  l'état  où  nous  étions  que  nous-mêmes.  Elles 
nous  revêtirent  de  leurs  habits  gris  et  nous  fournirent 
tout  ce  qui  nous  était  nécessaire,  à  quinze  que  nous 
étions,  avec  une  cordialité  admirable. 

»  Le  lendemain,  ajoute  encore  notre  vénérable  Mère, 
le  R.  P.  supérieur  des  Jésuites,  accompagné  de  M.  le 
Gouverneur,  nous  mena  voir  les  restes  lamentables 
de  notre  monastère,  ou  plutôt  cette  effroyable  fournaise 
de  laquelle  on  n'osait  encore  approcher.  Toutes  les 
cheminées  étaient  tombées,  les  murs  de  refend  abattus 
et  les  principales  murailles  crevassées  et  calcinées 
jusque  dans  les  fondements.  » 


Le  Père  R^gueneau,  supérieur  des  Jésuites,  rendant 
compte  de  ce  désastre,  s'exprime  ainsi  dans  sa  relation 
de  1651  :  «  Ce  fut  beaucoup  pour  les  Ursulines  qu'elles 
pussent  s'échapper  du  milieu  des  flammes  pour  se  jeter 
au  milieu  des  neiges.  La  charité  de  quelques-unes  de 
ces  Mères,  vraiment  tendres,  fut  plus  active  que  le  feu. 
C'était  un  spectacle  digne  du  regard  des  anges  de  les 
voir  traverser  les  flammes,  portant  dans  leurs  bras 
leurs  petites  innocentes  pour  les  mettre  en  lieu  de 
sûreté,  et  retourner  incontinent  au  milieu  du  danger 
sans  crainte  d'y  être  brûlées.  -Voyant  tout  se  réduire 
en  cendre,  elles  bénissaient  Dieu  de  ce  que  le  feu 
accomplissait  ainsi  sa  volonté.   A  genoux  au   milieu 


328  MARIE    DE    l'incarnation. 

de  la  neige  ;  elles  firent  leur  offrande  à  Notre-Seigneur 
avec  un  œil  plein  de  joie  et  un  cœur  si  paisible,  que 
les  Français  et  les  sauvages,  qui  étaient  accourus  de 
toutes  parts,  ne  pouvaient  retenir  leurs  larmes.  Les  uns 
étaient  touchés  de  compassion  pour  celles  qui  ne  pleu- 
raient pas  leur  propre  malheur;  les  autres  pleuraient 
de  joie  en  voyant  que  Dieu  avait  des  servantes  assez 
vertueuses  et  assez  détachées  d'elles-mêmes  pour  ne 
vouloir  que  ce  qu'il  voulait.  ». 

Telle  était  bien,  en  effet,  la  disposition  de  ces  fer- 
ventes religieuses,  et  de  la  Mère  de  l'Incarnation  en 
particulier.  «  Mon  âme,  dit-elle,  n'eut  jamais  une  plus 
grande  paix  qu'en  cette  occasion.  Je  me  sentais  intime- 
ment unie  à  l'esprit  et  à  la  main  do  Celui  qui  opérait 
en  nous  cette  circoncision.  J'avais  cette  pensée  que 
mes  sœurs  et  moi  nous  devions  prendre  cette  perte 
universelle  de  notre  monastère  et  de  tout  ce  qu'il  con- 
tenait, selon  l'esprit  des  saints,  pensant  à  ceux,  tant 
de  l'Ancien  que  du  Nouveau  Testament,  qui  suppor- 
taient les  peines  temporelles  que  Dieu  leur  envoyait, 
en  le  bénissant  et  en  chantant  ses  louanges.  » 


Beaucoup  se  demanderont,  sans  doute,  comment 
Dieu  a  pu  permettre  que  des  âmes  si  saintes  aient 
éprouvé  un  tel  désastre;  comment  leurs  prières,  leur 
charité  si  ardente  et  si  désintéressée,  comment  tout 
cela  n'a  pas  eu  assez  de  puissance  auprès  de  sa  misé- 
ricorde pour  les  préserver  d'une  si  effroyable  calamité. 
Pour  répondre  à  cette  difficulté,  établissons  la  balance 
des  avantages  et  des  inconvénients  qu'a  eus  cette 
calastrophc. 


/ 


CHAPITRE   XIV.  329 

Voici  d'abord  les  inconvénients.  Quinze  religieuses 
et  une  centaine  d'enfants  sont  réveiUées  en  sursaut,  au 
milieu  de  la  nuit,  dans  une  saison  rigoureuse.  La  ter- 
reur est  dans  tous  les  cœurs;  on  fuit  à  la  hâte  sans 
avoir  pu  prendre  ni  vêtements  ni  chaussures,  et  on  se 
trouve  ainsi  plus  d'une  heure  sur  la  neige  glacée, 
grelottant,  se  serrant  les  unes  contre  les  autres.  Mais 
pas  une  ne  manque  à  l'appel,  lorsqu'il  semble  que, 
dans  une  maison  cloîtrée  où  toutes  les  portes  sont 
fermées  et  les  clefs  remises  le  soir  chez  la  supérieure, 
le  plus  grand  nombre  aurait  dû  périr.  Quoiqu'elles 
soient  aveuglées  par  la  fumée,  que  l'incendie  ait  envahi 
l'escalier  ordinaire  et  qu'elles  soient  obligées  d'aller 
en  chercher  un  autre,  probablement  inconnu  du  plus 
grand  nombre,  puisqu'il  était  en  dehors  de  la  clôture 
et  que,  pour  y  arriver,  il  leur  faut  briser  une  grille 
de  leurs  propres  mains,  aucune  ne  s'égare;  ni  une 
religieuse  ni' une  enfant  ne  va  par  erreur  se  jeter  dans 
le  brasier  au  lieu  de  deviner,  en  quelque  sorte,  la  seule 
voie  de  salut  qui  restait  encore  ouverte.  Elles  souffrent 
du  froid  ;  plusieurs  en  sont  ensuite  malades,  mais  pas 
une  ne  meurt  ni  ne  reste  infirme,  tandis  que  souvent 
des  causes  vingt  fois  moins  graves  suffisent  pour 
amener  des  pleurésies  et  conduire  à  la  mort. 

Un  autre  inconvénient,  c'est  que  cette  pauvre  com- 
munauté, qui  avait  eu  tant  de  peine  à  s'établir  et  s'était 
imposé  tant  de  privations,-  se  trouvait  tout  à  coup 
ruinée  sans  qu'on  pût  voir  au  premier  moment  com- 
ment elle  pourrait  ne  pas  succomber.  Toutes  les  pro- 
visions de  l'année  étaient  détruites,  et  comme  la  plupart 
ne  pouvaient  venir  que  de  France,  il  fallait  attendre 
le  milieu  de  l'été  pour  en  avoir  d'autres,  la  navigation 
entre  la  France  et  le  Canada  n'ayant  lieu  alors  qu'en 


330  MARIE   DE   l'incarnation. 

cette  saison.  D'ailleurs,  où  trouver  de  l'argent  pour 
payer  ces  approvisionnements  et  bâtir  un  nouveau 
monastère?  comment  se  loger  et  vivre  en  attendant? 
Déjà,  quelque  temps  auparavant,  les  Ursulines  avaient 
été  réduites  à  une  telle  détresse,  que  leurs  amis  les 
plus  dévoués  leur  avaient  donné  le  conseil  d'aban- 
donner leur  œuvre  et  de  retourner  en  France.  Allait-il 
être  possible,  après  une  aussi  accablante  épreuve,  de 
ne  pas  prendre  ce  parti? 

Mais  ces  préoccupations  n'existent  que  chez  les  amis 
des  Ursulines  et  chez  les  personnes  qui  raisonnent 
pour  le  plaisir  de  raisonner.  Ces  saintes  filles  ne  sont 
pas  plus  inquiètes,  pas  plus  tourmentées  que  si  rien 
ne  fût  arrivé.  Elles  ne  savent  pas  comment  Dieu  s'y 
prendra  pour  venir  à  leurs  secours  et  elles  ne  désirent 
pas  le  savoir.  Elles  sont  sûres  qu'il  ne  sera  pas  embar- 
rassé, ni  elles  non  plus  ;  par  conséquent,  cela  leur  suffit. 
Dans  le  fait,  elles  vécurent,  elles  et  leurs  petites 
sauvages,  jusqu'à  l'arrivée  de  la  flotte,  qui  précisément 
fut  en  retard  cette  année.  Elles  vécurent  l'année  sui- 
vante encore,  quoique  les  vaisseaux  n'eussent  apporté 
que  les  secours  ordinaires,  la  nouVelle  du  désastre 
n'étant  pas  encore  parvenue  en  France  au  moment 
de  leur  départ.  De  plus,  le  monastère  fut  rebâti,  et, 
quelques  années  plus  tard,  l'épouvantable  désastre 
n'était  plus  qu'un  souvenir.  Voilà,  il  me  semble,  tous 
les  inconvénients  :  voyons  les  avantages. 


Ces  saintes  religieuses,  dirigées  par  les  conseils  de 
la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  et  enflammées  par  les 
exemples  qu'elle  leur  donnait,  étaient  déjà  arrivées  à 


CHAPITRE   XIV.  331 

un  haut  degré  de  perfection  ;  mais  on  peut  dire  que  la 
grande  épreuve  qu'elles  eurent  à  subir  par  l'incendie 
de  leur  monastère,  fit  d'elles  des_  créatures  célestes. 
Ni  la  surprise,  qui  pourtant  fut  aussi  grande  que  possi- 
ble, ni  la  terreur,  qui  renverse  souvent  les  plus  mâles 
courages  en  pareil  cas,  ni  la  vue  d'une  ruine  complète, 
qui  les  mit  sans  pain,  sans  abri,  sans  vêtements,  les 
pieds  nus  et  en  chemise  sur  la  neige,  à  mille  lieues  de 
leurs  familles,  auxquelles  il  leur  est  impossible  de  faire 
connaître  leur  état  avant  six  mois,  rien  de  tout  cela 
ne  trouble  leur  sérénité,  ne  leur  fait  verser  une  larme, 
n'altère  même  leur  physionomie.  Qui  pourrait  dire 
jusqu'à  quel  point  elles  grandirent  devant  Dieu,  pendant 
ces  deux  heures  que  dura  l'incendie  de  leur  maison? 
Qui  saura,  avant  d'en  devenir  témoin  dans  le  Ciel, 
le  degré  de  gloire  éternelle  qu'elles  ont  acquis  par  leur 
héroïque  résignation  ?  .   ' 

Par  là  même  quelle  gloire  résulte  ici-bas,  pour  Dieu, 
d'une  telle  vertu  produite  par  sa  grâce  dans  de  faibles 
femmes  !  Quel  honneur  pour  l'état  religieux,  de  trans- 
former ainsi  les  âmes  et  de  leur  donner  une  force  dix 
fois  plus  grande  que  celle  qui  est  nécessaire  pour 
affronter  la  mort  sur  un  champ  de  bataille  !  Il  semble 
que,  depuis  l'ère  des  martyrs,  Dieu  n'avait  rien  montré 
de  plus  grand  et  où  l'action  de  sa  grâce  fût  plus  visible. 

On  crut  qu'un  pareil  désastre  était  un  grand  malheur 
pour  la  communauté  qui  venait  d'être  fondée  à  Québec  : 
dans  la  réalité,  c'a  été  un  avantage  immense.  On  peut 
dire  que  cet  événement,  qui  est  comme  le  point  culmi- 
nant de  son  histoire,  lui  a  donné  un  caractère  religieux 
et  une  noblesse  dont  elle  se  croira  toujours  obligée  de 
ne  jamais  déchoir.  Toujours  on  mettra  sous  les  yeux 
des  jeunes  filles  qui  viendront  s'y  adjoindre,  le  récit 


332  MARIE    DE   l'incarnation. 

que  nous  venons  de  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur, 
et  elles  ne  manqueront  jamais  de  se  dire  :  Il  faut  que 
•nous  travaillions  à  nous  rendre  dignes  de  ces  modèles 
et  que  nous  nous  efforcions  de  marcher  sur  leurs  traces. 
Du  haut  du  Ciel  ces  saintes  Mères  ont  les  yeux  sur 
nous,  et  elles  ne  nous  reconnaîtront  pour  leurs  filles 
que  si  nous  ne  sommes  pas  indignes  du  nom  d'Ursu- 
lines  qu'elles  ont  embelli  de  leur  sainteté.  L'odeur  de 
l'incendie  s'est  évaporée  depuis  longtemps  :  Odoi^  ignis 
non  erit  in  te;  mais  le  parfum  de  vertu  qu'ont  laissé 
après  elles  ces  admirables  religieuses,  embaumera 
toutes  les  générations  qui  viendront  continuer  leur 
œuvre. 


De  plus,  n'oublions  pas  tous  les  sentiments  d'admira- 
tion, l'accroissement  de  foi  et  de  piété  dans  un  grand 
nombre  d'âmes  et  surtout  les  actes  de  vertu  qui  furent 
le  résultat  immédiat  de  l'incendie  du  monastère,  et  de 
l'héroïque  résignation  des  religieuses.  Nous  avons  vu 
combien  les  témoins  de  cette  scène  grandiose  furent 
impressionnés;  mais  ce  n'est  encore  là  qu'un  faible 
aperçu.  Tous  les  cœurs  furent  émus  de  compassion  et 
cette  compassion  ne  resta  pas  stérile.  Les  Pères  Jésuites 
donnèrent  l'exemple.  «  Le  2  janvier  1651,  est-il  dit 
dans  leur  journal,  la  conclusion  fut  prise,  du  consente- 
ment unanime  des  Pères  et  des  Frères,  de  nous  priver 
de  nos  desserts,  afin  de  secourir  ces  bonnes  Mères,  qui 
ont  plus  besoin  de  ces  douceurs  que  nous.  » 

«  Nos  Révérends  Pères,  ajoute  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion, nous  ont  secourues  de  toute  l'étendue  de  leur 
pouvoir,  jusqu'à  nous  envoyer,  afin  de  nous  revêtir, 
les  étoffes  qu'ils  avaient  en  réserve  pour  se  faire  des 


CHAPITRE    XIV.  333 

habits.  Ils  nous  ont  encore  donné  des  vivres,  du  linge, 
des  couvertures,  des  journées  de  leurs  Frères  et  de 
leurs  domestiques..  M.  le  Gouverneur  d'Ailleboust  et 
madame  sa  femme  nous  ont  aussi  assistées.  Nous 
avons  été  l'objet  de  la  compassion  et  de  la  charité  de 
tous  nos  amis.  Cette  compassion  a  été  partagée  par  les 
pauvres  également.  L'un  nous  offrait  une  serviette, 
l'autre  une  chemise,  l'autre  un  manteau.  Un  autre  nous 
donnait  une  poule,  un  autre  des  œufs,  un  autre  d'autres 
choses.  y> 

N'oublions  pas  la  charité  encore  plus  grande,  l'union 
plus  étroite  et  plus  intime  qui  s'établit  entre  les  Ursu- 
Unes  et  les  Hospitalières.  Parties  de  France  ensem- 
ble et  arrivées  à  Québec  sur  le  même  vaisseau,  elles 
s'aimaient  déjà  comme  ne  pouvaient  manquer  de  s'aimer 
des  âmes  généreuses  et  animées  du  véritable  esprit 
religieux  ;  mais  combien  cet  amour  ne  dut-il  pas  être 
plus  ardent  et  plus  saint  après  que  le  désastre  des  unes 
eut  procuré  aux  autres  le  bonheur  si  doux  de  leur 
4onner  une  part  égale  de  leur  pain,  de  leurs  vêtements 
et  de  leur  abri  ? 

Pendant  trois  semaines,  toutes  vécurent  ensemble, 
prièrent  ensemble,  soignèrent  ensemble  les  malades. 
Après  ce  temps,  les  Ursulines  voulurent,  quoique  à 
regret,  se  séparer  de  leurs  généreuses  amies;  mais  la 
séparation  même  fit  encore  éclater  la  générosité  d'une 
part,  la  reconnaissance  de  l'autre,  la  cordialité  la  plus 
affectueuse  des  deux  côtés.  On  rédigea  par  écrit  et  on 
signa  un  acte  d'union  en  vertu  duquel  toutes  devaient 
se  regarder  comme  les  membres  d'une  même  famille, 
quoique  séparées  par  la  nécessité  de  remplir  chacune 
leur  mission.  Elles  s'obligeaient  particulièrement  à  un 
échange  perpétuel  de  prières  et  de  bonnes  œuvres, 


334  MARIE    DE    l'incarnation. 

surtout  au  dëcès  d'une  religieuse  dans  l'une  ou  l'autre 
communauté  :  consacrant  ainsi,  par  un  acte  solennel 
et  inviolable,  et  rendant  plus  étroite  l'union  qui  s'était 
établie  entre  elles  dès  leur  première  entrevue  à  Dieppe, 
quand,  dans  un  même  but,  elles  s'exilaient  ensemble 
de  leur  commune  patrie. 

Voici  encore  un  trait  qui  n'est  pas  moins  digne  d'être 
rapporté.  «  Les  religieuses  avaient  une  petite  métairie 
qu'elles  étaient  dans  l'impuissance  de  faire  valoir; 
M.  Vignal,  leur  chapelain  depuis  trois  ans,  touché  de 
la  misère  où  se  trouvait  réduite  au  printemps  cette 
pauvre  communauté,  résolut  de  cultiver  ses  champs. 
Il  y  alla  résider,  et,  non  content  de  surveiller  les  domes- 
tiques, il  y  travailla  lui-même  et  plus  qu'aucun  autre 
comme  simple  laboureur.  Dieu  bénit  tellement  la  cha- 
rité de  ce  généreux  ami,  que  cette  terre  donna  une 
quantité  prodigieuse  de  blé,  de  pois  et  d'orge  ;  ce  qui 
fut,  en  automne,  une  grande  ressource  pour  la  maison,  j» 

Quelques  années  après,  M.  *Vignal  retourna  en 
France,  où  il  se  fit  Sulpicien.  Ses  supérieurs  le  ren- 
voyèrent au  Canada  pour  exercer  la  fonction  d'économe 
à  leur  maison  de  Montréal.  Un  jour  qu'il  s'était  trans- 
porté à  quelque  distance  de  la  ville  pour  surveiller 
des  ouvriers,  les  Iroquois,  qui  y  étaient  en  embuscade, 
se  jetèrent  sur  les  Français  comme  des  bêtes  féroces 
et  en  tuèrent  un  certain  nombre.  M.  Vignal,  blessé, 
fut  emmené  par  ces  barbares.  Il  disait  à  ses  compa- 
gnons d'infortune  :  «  Tout  mon  regret  est  d'être  la 
cause  de  l'état  où  vous  êtes  ;  prenez  courage  et  souffrez 
pour  Dieu.  »  Il  succomba  à  ses  blessures  le  27  octo- 
bre 1661.  Après  sa  mort,  les  sauvages  lui  enlevèrent  la 
chevelure  et  firent  rôtir  son  corps  pour  le  manger. 
Sa  charité  lui  avait  fait  mériter  le  martyre. 


CHAPITRE   XIV.  335 

Autres  actes  de  vertus  auxquels  l'incendie  donna  lieu. 
Une   petite   pensionnaire   huronne,    Geneviève-Agnès 
Skanudharoua,  ne  s'étant  pas  trouvée  avec  les  autres, 
on  crut  qu'elle  était  brûlée.  Le  père  et  la  mère  de  cette 
enfant  et  quantité  de  Français  l'ayant  cherchée  inutile- 
ment, personne  ne  conservait  d'espoir.  La  résignation 
•  à  la  volonté  de  Dieu  était  bien  difficile,  en  pareil  cas,  à 
un  père  et  à  une  mère  qui  aimaient  cette  enfant  comme 
la  prunelle  de  leurs  yeux,  dit  la  relation  du  temps. 
Après  avoir  versé  d'abondantes  larmes  dans  un  calme 
d'esprit  qui  témoignait  bien  de  leur  paisible  soumission 
.à  la  volonté  de  Dieu,  ils  se  mirent  à  genoux  et  lui  offri- 
rent leur  enfant,  ne  laissant  pas  échapper  la  moindre 
parole  d'impatience  ni  de  murmure.  Le  père  se  contenta 
de  dire  au  plus  fort  de  sa  douleur  :  «  Dieu  nous  éprouve 
bien  rudement  ;  mais  ce  nous  est  assez  qu'il  nous  ait 
fait  miséricorde  en  nous  appelant  à  la  foi;  ma  fille  est 
maintenant  au  ciel,  puisqu'elle  a  été  baptisée,  et  nous 
la  suivrons  parce  que  nous  voulons  mourir  bons  chré- 
tiens. »  La  mère  dit,  de  son  côté  :  «  Ce  qui  m'a  le  plus 
touchée  c'est  le  supplice  qu'a  enduré  ma  pauvre  fille 
mourant  dans  les  flammes.  Je  n'ai  pu  refuser  des  larmes 
à  la  tendresse  de  mon  cœur;  mais  l'espérance  que  nous 
avons  de  son  salut  ne  nous  permet  pas  de  nous  plaindre 
davantage.  » 

Quelques  instant  après,  Geneviève  fut  retrouvée,  et 
les  larmes  de  douleur  firent  place  aux  larmes  de  joie. 

Cette  enfant  de  bénédiction,  ne  pouvant  plus  rester 
chez  les  Ursulines,  obtint  une  place  à  l'Hôtel-Dieu. 
Bientôt  après,  elle  demanda  à  entrer  au  noviciat  des 
Hospitalières  et  elle  y  fut  admise.  Au  bout  de  huit  mois, 
elle  tomba  malade  et  mourut  après  avoir  obtenu  de 
prendre  l'habit  et  de  faire  ses  vœux  dans  son  lit. 


336  MARIE   DE    l'incarnation. 

Cécile  Arenhatsi,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
était  une  jeune  femme  de  vingt-trois  ans,  devenue 
veuve  après  quatre  mois  de  mariage.  Elle  demeurait 
dans  le  monastère,  ainsi  que  sa  petite  fille,  alors  âgée 
de  six  à  sept  ans.  Quand  elle  fut  revenue  à  elle  après 
s'être  jetée  par  une  fenêtre  du  dernier  étage,  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  lui  demanda  quelles  avaient  été 
ses  pensées  en  se  voyant  entourée  par  les  flammes. 
«  J'avais  offert  ma  vie  à  Dieu,  répondit-elle,  et  je  fusse 
morte  bien  contente;  mais  je  crus  que  Dieu  m'obligeait 
de  me  sauver,  puisque  je  le  pouvais  faire.  Je  ne  son- 
geais qu'à  lui,  et  je  craignais  que  ce  malheur  ne  fût 
arrivé  à  des  filles  si  saintes  qu'à  cause  de  mes  péchés  : 
car  je  suis  indigne  de  vivre  dans  leur  compagnie.  » 

Cécile  avait  eu  le  désir  d'être  sœur  converse  aux 
Ursulines,  mais  ne  se  sentant  pas  pour  cela  assez  forte, 
elle  se  remaria  à  un  homme  de  sa  nation  et  conserva  sa 
grande  piété  jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  en  1659.  Voici 
ce  qu'en  dit  le  P.  Chaumonet,  jésuite,  dans  la  Relation 
de  cette  année  :  «  Nous  avons  perdu  deux  de  'nos 
bonnes  chrétiennes,  l'une  desquelles,  nommée  Cécile 
Arenhatsi,  était  demeurée  deux  ans  chez  les  Mères 
Ursulines,  oii  elle  avait  pris  l'esprit  d'une  dévotion 
très-rare,  qu'elle  conserva  jusqu'à  la  mort,  chose 
assez  ordinaire  à  celles  qui  ont  le  bonheur  d'être  éle- 
vées dans  cet  asile  de  piété.  Lorsqu'elle  touchait  à 
ses  derniers  moments,  son  confesseur  lui  demanda 
si  elle  n'avait  pas  regret  de  mourir.  —  Hélas!  mon 
Père,  dit-elle,  j'aurais  bien  tort  de  craindre  la  mort, 
et  même  de  ne  pas  la  désirer,  puisque,  en  me  tirant 
de  ce  monde,  elle  me  retirera  des  occasions  d'offenser 
Dieu.  J'espère,  il  est  vrai,  que  toutes  mes  confessions 
ont  effacé  mes  péchés  ;  mais  elles  ne  m'ont  pas  rendue 


CHAPITRE   XIV.  337 

impeccable;  ma  consolation  est  que  je  le  serai  appès 
cette  misérable  vie.  Puisque  l'amour  n'est  pas  assez 
grand  en  moi  pour  faire  ce  que  la  mort  y  fera,  que 
la  mort  vienne  donc  pour  me  délivrer  en  même  temps 
de  la  servitude  de  mon  corps  et  de  celle  du  péché.    • 

»  Le  mari  de  cette  femme  était  à  la  chasse,  très- 
loin  dans  les  bois,  au  moment  où  elle  expira.  Cécile 
lui  apparut  et  lui  dit  le  dernier  adieu,  lui  recom- 
mandant surtout  de  ne  jamais  quitter  la  «  prière  » 
qu'avec  la  vie.  Cet  homme  se  tourne  aussitôt  vers 
son  compagnon  de  chasse,  lui  raconte  sa  vision  et 
la  mort  de  sa  femme  ;  puis  ils  se  met  en  chemin  pour 
retourner  à  Québec.  A  son  arrivée,  il  apprend  que  sa 
femme  a  rendu  le  dernier  soupir  au  moment  même 
oii  elle  s'était  montrée  à  lui. 

»  Le  changement  de  cet  homme  et  sa  ferveur  jointe 
à  la  contenance  qu'il  garde  depuis  cet  événement  aux 
prières  publiques  et  parliculières,  nous  persuadent 
qu'il  y  a  eu  dans  cette  rencontre  quelque  chose  d'ex- 
traordinaire. Cécile  Arenhatsi  était  nièce  de  Joseph 
Chiouatenhoux,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut'.  » 


Dieu  ne  voulut  pas  seulement  faire  servir  cette 
étonnante  catastrophe  de  l'incendie  d'une  maison  habi- 
tée par  des  saintes,  à  rendre  ces  âmes  plus  saintes 
encore  et  à  faire  naître,  dans  quelques  familles  ou  chez 
un  petit  nombre  d'individus,  des  actes  de  vertu  qui 
n'auraient  pas  eu  lieu  autrement;  il  se  proposait  un 
autre  résultat  qu'il  est  facile  d'apercevoir.  Il  y  avait  là 

(1)  Page  242. 

M.  DE  l'iNC.  22 


338  MARIE    DE   L  INCARNATION. 

les  débris  malheureux  d'une  pleuplade  dont  les  Iroquois 
avaient  fait  un  affreux  massacre,  et  qui  semblait  ne 
pouvoir  imputer  ses  malheurs  qu'à  sa  conversion  au 
christianisme.  C'était  à  cause  de  leur  foi  que  les  Hurons 
avaient  été  l'objet  d'une  haine  aussi  féroce  qu'impla- 
cable de  la  part  de  leurs  ennemis.  Leurs  bourgades 
entièrement  détruites,  leurs  femmes  et  leurs  enfants 
égorgés,  toute-  leur  nation  exterminée  à  l'exception  de 
quelques  centaines  d'individus  qui  avaient  pu  échapper 
à  la  mort,  et  s'étaient  réfugiés,  privés  de  toute  ressource, 
sous  les  murs  de  Québec,  telle  avait  été,  pour  ce  monde, 
la  récompense  de  leur  docilité  à  la  prédication  des 
missionnaires. 

Sans  doute  les  Ursulines,  auprès  desquelles  leurs 
femmes,  leurs  filles  et  souvent  eux-mêmes  étaient 
venus  apprendre  les  premiers  éléments  de  la  foi, 
n'avaient  pas  manqué  de  leur  dire  que  les  chrétiens 
attendent  une  autre  patrie  où  il  n'y  a  plus  ni  dou- 
leur ni  chagrin;  mais  on  ne  peut  se  dissimuler  que 
la  tentation  était  bien  forte  pour  des  néophytes  à 
peines  sortis  de  l'état  sauvage.  Cette  prospérité  des 
impies  qui  étonnait  Jérémie  lui-même;  ces  succès 
d'un  peuple  farouche  qui  avait  juré  de  ne  pas  laisser 
un  seul  chrétien  vivre  dans  son  voisinage  ne  devaient- 
ils  pas  paraître  aux  Hurons  bien  difficiles  à  expliquer? 
Ils  durent  quelquefois  avoir  la  pensée  de  dire  à  leurs 
consolatrices  :  Vous  en  parlez  à  votre  aise  ;  mais  si 
vous  étiez,  comme  nous,  sans  pain,  sans  abri,  presque 
sans  vêtements,  obligées  de  tendre  la  main  pour  vivre 
et  pour  apaiser  la  faim  de  vos  filles  adoptives,  seriez- 
vous  aussi  résignées,  aussi  patientes,  aussi  soumises 
à  la  volonté  de  Celui  qui  a  tout  créé  que  vous  nous 
engagez  à  l'être? 


CHAPITRE    XIV.  339 

Dieu  se  chargea  de  répondre  à  l'objection.  Il  choisit 
le  moment  ou  les  Hurons  étaient  tous  réunis  à  quelques 
pas  du  monastère  pour  leur  mettre  sous  les  yeux 
ces  pieuses  filles  réduites  à  un  état  plus  misérable 
encore  que  le  leur.  A  la  lueur  de  ces  flammes  qu'ils 
ne  purent  même  essayer  d'éteindre,  ils  virent  ces  reli- 
gieuses, dont  la  plupart  avaient  été  élevées  dans  l'opu- 
lence et  les  délicatesses  qu'elle  procure,  accepter  une 
épreuve  telle  qu'ils  n'en  avaient  jamais  vu  de  sem- 
blable, et  se  soumettre  avec  une  sérénité  surhumaine 
à  ce  qu'elles  pouvaient  rencontrer  de  plus  pénible 
après  l'offense  de  Dieu. 

•La  leçon  ne  fut  pas  perdue.  Ces  hommes,  que  la 
foi  et  le  malheur  avaient  rendus  sensibles  et  compa- 
tissants, furent  profondément  émus  à  la  vue  d'une  telle 
résignation.  Jamais  les  enseignements  chrétiens  ne 
leur  avaient  paru  si  vrais.  Eux  qui  ne  savaient  pas 
lire  les  caractères  tracés  sur  le  papier,  lisaient  dans 
la  douce  et  calme  physionomie  des  Ursulines,  dans 
leurs  yeux  élevés  vers  le  ciel,  sur  leurs  lèvres  sou- 
riantes et  laissant  échapper  des  formules  d'action  de 
grâces,  tout  ce  que  les  livres  ascétiques  révèlent  de 
plus  touchant  et  de  plus  pieux  à  ceux  qui  en  médi- 
tent les  pages.  A  peine  eurent-ils  eu  le  temps  de  se 
communiquer  leur  émotion  qu'ils  arrêtèrent  entre  eux 
de  se  présenter  en  corps  pour  offrir  le  témoignage 
de  leurs  condoléances  à  ces  saintes  filles,  comme  ils 
les  appelaient.  Les  Ursulines  les  reçurent  dans  une 
salle  de  l'Hôtel-Dieu,  et  l'un  deux  leur .  adressa,  au 
nom  de  tous,  la  harangue  suivante  : 

«  Vous  voyez,  saintes  filles,  de  pauvres  cadavres, 
les  restes  d'une  nation  qui  a  été  florissante  et  qui 
n'est  plus.  Au  pays  des  Hurons,  nous  avons  été  dévorés 


340  MARIE    DE    l'incarnation. 

par  la  guerre  et  par  la  famine.  Ces  cadavres  ne  se 
tiennent  debout  que  parce  que  vous  les  soutenez.  Vous 
aviez  appris  par  des  lettres  et  maintenant  vous  voyez 
de  vos  yeux  à  quelle  extrême   misère  nous  sommes 
.réduits.  Regardez-nous  de  tous  côtés  et  voyez,  consi- 
dérez s'il  y  a  rien  en  nous  qui  ne  nous  oblige  de  pleurer 
sur  nous-mêmes  et  de  verser  sans  cesse  des  torrents 
de  larmes.   Hélas!    ce  funeste   accident   qui   vous  est 
arrivé  va  renouveler  tous  nos  maux,  et  faire  couler 
encore  nos  larmes,  qui  commençaient  à  se  tarir.  Avoir- 
vu  brûler  cette  belle  maison  de  Jésus  !  avoir  vu  réduire 
en  cendres  cette  maison  de,  charité!  avoir  vu  régner 
le  feu  sans  respecter  vos  personnes,  saintes  filles!... 
Voilà  ce  qui  renouvelle  le  souvenir  de  l'incendie  de 
toutes  nos  maisons,  de  nos  bourgades,  de  notre  patrie 
tout  entière  !  Faut-il  donc  que  le  feu  nous  suive  ainsi 
partout?  » 

Se  tournant  vers  ses  compatriotes  : 

«  Pleurons,  mes  chers  amis,  pleurons  nos  malheurs, 
qui,  de  propres  qu'ils  nous  étaient,  nous  sont  devenus 
communs  avec  ces  innocentes  filles.  Saintes  filles, 
vous  voilà  réduites  à  la  même  misère  que  vos  pauvres 
Hurons  pour  lesquels  vous  avez  eu  une  compassion 
si  tendre.  Vous  voil^  sans  patrie,  sans  maison,  sans 
provisions  et  sans  secours,  sinon  du  Ciel  que  jamais 
vous  ne  perdez  de  vue.  Nous  sommes  venus  ici  dans 
le  dessein  de  vous  consoler,  et  pour  cela  nous  avons 
essayé  de  pénétrer  dans  vos  cœurs  pour  y  découvrir 
ce  qui  peut  vous  affliger  davantage  par  suite  de  votre 
incendie,  et  y  porter  remède.  Si  nous  avions  affaire 
à  des  personnes  semblables  à  nous,  la  coutume  de 
notre  pays  eût  été  de  vous  faire  un  présent  pour 
essuyer  vos  larmes,  et  un  autre  pour  affermir  votre 


CHAPITRÉ   XIV.  341 

courage.  Mais  nous  avons  bien  vu  que  votre  courage 
n'a  'pas  été  abattu  sous  les  ruines  de  votre  maison, 
et  pas  un  de  nous  n'a  vu  même  une  demi-larme  sortir 
de  vos  yeux  pour  pleurer  sur  vous-mêmes  à  la  vue 
de  cette  infortune.  Vos  cœurs  ne  s'attristent  pas  dans 
la  perte  des  biens  de  la  terre;  nous  les  voyons  trop 
élevés  dans  les  désirs  des  biens  du  ciel. 

y>  Nous  ne  craignons  qu'une  chose,  saintes  filles, 
et  ce  serait  un  malheur  pour  nous  :  nous  craignons 
que  la  nouvelle  de  l'accident  qui  vous  est  arrivé  étant 
portée  en  France,  ne  soit  sensible  à  vos  parents  plus 
qu'à  vous-mêmes;  nous  craignons  qu'ils  ne  vous  rap- 
pellent et  que  vous  ne  soyez  attendries  par  leurs 
larmes.  Gomment  Une  mère  pourrait-elle  lire  sans 
pleurer  les  lettres  qui  lui  feront  savoir  que  sa  fi^le 
est  restée  sans  vêtements,  sans  lit,  sans  vivres  et  sans 
aucune  des  douceurs  dans  lesquelles  vous  avez  été, 
élevées  dès  votre  jeunesse? 

»  La  première  chose  que  la  nature  inspirera  à  ces 
mères  désolées  sera  de  vous  rappeler  auprès  d'elles. 
Un  frère  fera  de  même  pour  une  sœur,  un  oncle  ou 
une  tante  pour  leur  nièce.  Ainsi  nous  serons  en  danger 
de  vous  perdre  et  de  perdre  avec  vous  le  secours 
que  nous  avions  espéré  pour  l'instruction  de  nos  filles. 

»  Mais  courage,  saintes  filles,  ne  vous  laissez  pas 
vaincre  par  l'amour  de  vos  parents,  et  faites  voir  que 
l'affection  que  vous  avez  pour  les  pauvres  sauvages 
est  une  charité  céleste  plus  forte  que  les  liens  de  la 
nature.  Pour  affermir  en  cela  vos  résolutions,  voici 
un  présent  de  douze  cents  grains  de  porcelaine,  qui 
enfoncera  si  bien  vos  pieds-dans  la  terre  de  ce  pays 
qu'aucun  amour  de  vos  parents  ou  de  votre  patrie  ne 
pourra  les  en  retirer. 


342  MARIK    DE    L INCARNATION. 

»  Le  second  présent  que  nous  vous  prions  d'agréer 
est  un  second  collier  tout  semblable  au  premier,  de 
douze  cents  grains  de  porcelaine,  pour  jeter  de  nouveau 
les  fondements  d'un  édifice,  qui  sera  encore  la  maison 
de  Jésus,  la  maison  des  prières,  et  où  seront  vos 
classes  dans  lesquelles  vous  puissiez  instruire  vos 
petites  filles  Huronnes.  Ce  sont  nos  désirs,  ce  sont 
aussi  les  vôtres  :  car  sans  doute,  vous  ne  sauriez 
mourir  contentes  si,  en  mourant,  vous'  pouviez  vous 
faire  ce  reproche,  que,  par  un  amour  trop  tendre  pour 
vos  parents,  vous  n'eussiez  pas  contribué  au  salut  de 
tant  d'âmes  que  vous  aviez  aimées  pour  Dieu,  et  qui 
seront  dans  le  ciel  votre  éternelle  récompense.  » 


Il  est  évident,  d'après  ce  discours,  que  le  désastre 
arrivé  aux  Ursulines  leur  avait  attaché  plus  fortement 

• 

le  cœur  des  Hurons,  et  avait  affermi  la  foi  de  ces  géné- 
reux néophytes.  On  voit  également  quelle  est  la  puis- 
sance civilisatrice  de  la  religion  et  comme  il  lui  faut 
peu  de  temps  pour  transformer  une  peuplade  barbare 
et  sauvage.  Quelle  autre  influence  eût  pu  mettre  dans 
le  cœur  de  ces  hommes,  naguère  non  moins  féroces 
que  les  Iroquois,  cette  exquise  sensibilité  et  cette  déli- 
catesse de  sentiment  et  de  langage  que  ne  possèdent 
pas  toujours  les  peuples  civilisés  ? 

La  supérieure  et  toutes  les  religieuses,  touchées  de 
tant  de  reconnaissance  de  la  part  de  ces  infortunés, 
leur  promirent  de  rester  avec  eux  et  de  continuer 
l'œuvre  à  laquelle  elles  avaient  résolu  de  consacrer 
leur  vie. 

Aujourd'hui,   les  descendants   des   Hurons  habitent 


CHAPITRE    XV.  343 

encore  le  voisinage  des  Ursulines,  et  ils  sont  chrétiens 
comme  étaient  leurs  pères. 

L'incendie  du  monastère  des  Ursulines  n'a  donc  été 
un  malheur  qu'en  apparence.  Les  inconvénients  qu'il 
a  pu  avoir  méritent  à  peine  quelque  attention,  et  ses. 
avantages  furent  immenses.  Encore  devons-nous  ajou- 
ter que  si  nous  connaissions  les  secrets  de  Dieu,  nous 
verrions  bien  d'autres  résultats  merveilleux  qui  sont 
un  objet  d'admiration  et  un  sujet  de  louanges  pour  les 
esprits  célestes.  Nous  en  apercevons  assez  néanmoins 
pour  comprendre  que  les  vertus  pratiquées  à  cette 
occasion  seront  l'une  des  splendeurs  du  Ciel  durant 
toute  l'éternité. 


CHAPITRE   XV. 

m 

Les  Ursulines  quittent  l'Hôtel-ïlieu,  1650.  —  Sœur  Saint-Joseph,  sa  vertu 
héroïque,  sa  sainte  mort,  1652.  —  On  commence  la  reconstruction  du  mo- 
nastère, 1651.  —  Activité  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  —  Caractère  mira- 
culeux de  l'œuvre  qu'elle  exécute.  —  On  s'installe  dans  le  monastère  reconstruit. 
29  mai,  1652.  — ïLes  Ursulines  ont  repris  leur  œuvre  avant  la  reconstruction. 
—  Inquiétudes  causées  par  les  courses  et  la  férocité  des  Iroquois.  —  Traité 
de  paix  avec  ces  barbares,  1654.  —  Nouveau  travail  intérieur  de  la  grâce 
dans  la  servante  de  Dieu.  —  Traits  nouveaux  de  son  humilité.  —  Son  état 
de  victime. 

Les  Ursulines,  ayant  dit  adieu  à  leurs  tendres  et 
généreuses  amies  de  l'Hôtel- Dieu,  s'établirent  dans  la 
maison  de  madame  de  la  Peltrie.  Dans  ce  petit  local 
qui  n'avait  que  deux  chambres,  elles  durent  trouver 
chapelle,  classe  et  parloir,  cellules,  réfectoire  et  cui- 


344  MARIE    DE    l'incarnation. 

sine.  Là  aussi  était  l'infirmerie.  Il  en  fallait  une,  parce 
qu'il  y  avait  une  religieuse  dont  la  vie  s'éteignait  peu 
à  peu  au  milieu  de  ces  émotions,  des  privations  et  des 
souffrances.  Or  l'infirmerie  était  un  des  lits  placés 
sur  des  tablettes  et  accolés  les  uns  au-dessus  des  autres 
à  la  muraille,  comme  les  rayons  d'une  bibliothèque  ; 
et  la  religieuse  qui  souriait  à  la  souff'rance  et  à  la  mort 
dans  l'un  de  ces  casiers  était  la  sœur  Marie  de  Saint- 
Joseph,  fille  d'un  châtelain  millionnaire,  élevée  dans 
la  délicatesse,  et  qui  se  trouvait  alors  plus  heureuse 
et  plus  riche  que  tous  les  membres  de  sa  famille 
ensemble. 

Cependant  elle  souffrait  beaucoup.  A  sa  première 
maladie,  qui  était  un  asthme  et  une  pneumonie  accom- 
pagnés do  crachements  de  sang  et  d'une  fièvre  con- 
tinue, était  venue  se  joindre  une  hydropisie  qui  lui 
occasionna  d'atroces  douleurs.  On  lui  fit  aux  jambes 
de  profondes  incisions  qui  ne  servirent  qu'à  amener 
la  gangrène.  Outre  les  douleurs  de  la  maladie  et  des 
remèdes,  dit  la  Mère  Alarie  de  l'Incarnation,  elle  souf- 
frait beaucoup  du  lieu  où  nous  étions  logées.  Il  était 
fort  petit  et  l'on  ne  pouvait  aller  au  chœur  sans  passer 
près  de  sa  cabane  et  à  sa  vue.  Le  bruit  des  sandales  de 
bois  sur  un  plancher  de  bois,  les  clameurs  des  enfants, 
les  allées  et  les  venues  de  tout  le  monde,  le  bruit  de 
la  cuisine  dont  nous  n'étions  séparées  que  par  de  sim- 
ples planches,  l'odeur  de  l'anguille  qui  infectait  tout, 
en  sorte  que,  durand  la  rigueur  du  froid,  il  fallait  tenir 
les  fenêtres  ouvertes  pour  purifier  l'air;  la  fumée  de 
la  chambre  qui  était  presque  continuelle  ;  enfin  la 
cloche,  le  chant,  la  psalmodie,  tout  cela  était  un  con- 
tinuel tourment  qui  augmentait  son  oppression  et  irri- 
tait sa  toux.  Or,  sait-on  ce  qu'elle  répondait  quand 


CHAPITRE   XV.  345 

on  lui  en  témoignait  de  la  compassion?  Que  tout  cela, 
au  contraire,  servait  à  la  distraire!  Elle  voyait  de  plus, 
dans  l'incendie  du  monastère,  une  attention  de  la  Pro- 
vidence et  un  trait  d-e  la  miséricorde  divine  à  son 
égard,  parce  qu'elle  avait,  en  conséquence,  la  conso- 
lation de  finir  ses  jours  dans  un  lieu  où  elle  entendait 
de  son  lit  la  sainte  messe,  l'office  divin,  la  prédication, 
et  qu'elle  assisterait  ainsi  aux  observances  de  sa  règle 
jusqu'à  la  mort.  N'est-ce  pas  là  une  sublime  vérifica- 
'  tion  de  la  parole  de  saint  Paul  :  «  Tout  concourt  au 
bien  de  ceux  qui  aiment  Dieu  et  qui,  dans,  les  décrets 
éternels,  sont  déjà  appelés  saints?  » 

Aussi ,  bien  loin  de  laisser  échapper  la  moindre 
plainte,  la  Mère  Marie  de  Saint-Joseph  ne  pouvait  se 
lasser  de  bénir  Dieu  des  grandes  grâces  qu'il  lui  avait 
faites.  Elle  disait  au  père  Lalleraant  :  «  Je  sais,  mon 
père,  que  Dieu  a  promis  à  ceux  qui  quitteraient  quelque 
chose  pour  son  amour,  le  centuple  en  cette  vie  et  le 
bonheur  éternel  en  l'autre.  Pour  le  centuple,  je  lui 
donnerai  quittance  quand  il  lui  plaira,  car  il  me  l'a 
généreusement  payé;  et  quant  à  la  vie  éternelle,  je 
l'attends  bientôt.  »  Elle  ne  parlait  que  des  biens  de 
l'autre  vie,  du  néant  des  choses  de  la  terre,  du  bonheur 
que  l'on  goûte  au  service  de  Dieu  et  de  la  fidélité  que 
l'on  doit  avoir  à  sa  vocation.  «  Ah!  que  je  suis  heu- 
reuse, disait-elle  à  ses  sœurs,  de  mourir  en  un  lieu 
pauvre  et  d'être  privée  des  petites  douceurs  dont  on 
jouit  en  France!  Ecrivez,  je  vous  prie,  à  monsieur 
de  la  Rochelle  (son  oncle,  évêque  de  la  Rochelle), 
à  nos  chères  sœurs  de  France,  à  mes  parents;  que 
je  suis  très-contente  de  les  avoir  tous  quittés  et  de 
mourir  pauvre  religieuse  de  la  mission  des  Ursulines 
du  Canada.  » 


346  MARIE   DE   l'incarnation- 

Elle  mourut  le  jeudi  de  Pâques  1652,  âgée  de  trente - 
six  ans,  entre  les  bras  de  la  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation, dont  elle  avait  été  la  première  compagne  et 
la  fidèle,  amie.  Au  moment  même  où  elle  venait  de 
quitter  cette  vie,  elle  apparut  à  une  sœur  converse 
de  Tours,  nommée  Elisabeth,  qui  l'avait  élevée  toute 
jeune.  Elle  lui  dit  en  la  réveillant  :  «  Ma  chère  sœur 
Elisabeth,  préparez-vous  au  voyage,  car  il  est  temps 
de  partir.  »  La  sœur  se  lève,  se  rend  aussitôt  chez  la 
supérieure  et  lui  dit  :  «  Certainement  la  Mère  Marie 
de  Saint-Joseph  est  morte;  elle  vient  de  m'avertir  qu'il 
faut  que  je  me  prépare  à  mourir  aussi.  »  En  effet,  la 
sœur  tomba  malade  presque  aussitôt  et  mourut  treize 
jours  après. 


Voici  un  autre  trait  qui  n'est  pas  moins  extraor- 
dinaire. Quatorze  ans  après  la  mort  de  la  Mère  Saint- 
Joseph,  en  1666,  deux  jeunes  filles  enlevées  par  les 
Iroquois  furent  rachetées  et  ramenées  à  Québec  par 
monsieur  de  Tracy ,  gouverneur,  qui,  à  la  suite  de 
victoires  remportées  sur  ces  sauvages  ennemis,  les 
avait  contraints  de  souscrire  à  un  arrangement , 
ainsi  que  nous  le  raconterons  plus  loin.  Comme  elles 
étaient  devenues  aussi  ignorantes  et  presque  aussi 
sauvages  que  les  Iroquois  eux-mêmes ,  monsieur  de 
Tracy  se  chargea  de  leur  éducation  et  les  mit  en  pen- 
sion aux  Ursulines.  L'une  d'elles,  appelée  Anne  Bail- 
largeau ,  âgée  de  dix-huit  ans ,  apercevant  dans  la 
salle  de  la  communauté  le  portrait  de  la  Mère  Saint- 
Joseph,  s'écria  comme  hors  d'elle-même  :  «  Ah!  c'est 
elle,  c'est  celle-là  qui  m'a  parlé!  «  Les  reUgieuses 
étonnées   lui  demandent  l'explication  de  ces  paroles. 


CHAPITRE   XV.  347 

Elle  leur  raconta  alors  qu'ayant  été  faite  captive  à  l'âge 
de  neuf  ans,  elle  prit  tellement  goût  à  la  vie  libre  et 
errante,  au  milieu  des  forêts,  qu'elle  résolut  de  rester 
parmi  les  sauvages.  Quand  ceux-ci  furent  contraints 
de  rendre  leurs  prisonniers,  Anne  Baillargeau  se  cacha 
dans  les  bois  pour  ne  pas  être  obligée  de  quitter  la 
famille  qui  l'avait  adoptée.  Mais  lorsqu'elle  se  croyait 
en  parfaite  assurance,  une  religieuse  lui  était  apparue, 
la  menaçant  de  la  châtier  sévèrement  si  elle  ne  s'en 
retournait*  avec  les  Français.  Saisie  de  frayeur,  elle 
sortit  du  bois  et  alla  .se  réunir  aux  autres  captifs 
que  l'on  mettait  en  liberté.  Or,  elle  venait  de  recon- 
naître dans  son  portrait  la  religieuse  qui  lui  avait 
apparu. 


Le  séjour  de  la  communauté  des  Ursulines  dans 
la  petite  maison  de  madame  de  la  Peltrie  nç  pouvait 
être  que  provisoire;  il  fallait  évidemment  ou  rebâtir 
le  monastère  incendié  ou  renancer  à  l'œuvre  du  Canada, 
et  par  conséquent,  revenir  en  France.  Un  bon  nombre 
d'amis  des  Ursulines  croyaient  ce  dernier  parti  seul 
praticable,  et  ils  alléguaient  le  désastre  qui  venait 
d'arriver  comme  une  preuve  manifeste  que  telle  était 
l'intention  de  la  Providence.  Mais  la  Mère  de  l'Incar- 
nation demeura  inébranlable  contre  toutes  les  sollici- 
tations. Pleine  de  confiance  en  Dieu  et  résolue  de  tenir 
la  promesse  qu'elle  avait  faite  à  ses  chers  Hurons, 
elle  tint  ferme  pour  la  reconstruction.  Elle  faisait 
remarquer  à  ses  amis  de  France  que  les  maisons  reli- 
gieuses étaient  de  la  plus  grande  importance  pour  la 
colonie,  et  qu'il  ne  s'agissait  pas  seulement  des  intérêts 
d'une  communauté.  «  Il  faut  que  vous  sachiez,  écri- 


348  MARIE    DE   l'incarnation. 

vait-elle  à  son  fils,  que  si  une  seule  quittait,  cela 
serait  de  nature  à  décourager  la  plus  grande  partie 
des  Français  qui  n'ont  persévéré  qu'en  considération 
des  maisons  religieuses  et  par  leur  moyen.  De  plus, 
les  filles  françaises  ont  encore  plus  besoin ,  en  un 
sens ,  de  l'éducation  qu'elles  reçoivent  de  nous  que 
les  sauvages  :  car  les  Révérends  Pères  peuvent  sup- 
pléer pour  celles-ci  ;  mais  ils  ne  le  peuvent  pour  les 
autres.  >» 

Sans  attendre  que  tout  le  monde  fut  d'accord,  ce 
qui  ne  serait  jamais  arrivé,  elle  mit  la  main  à  l'œuvre. 
Elle  monta  elle-même  sur  les  décombres,  suivie  de  ses 
sœurs,  et  elle  commença  le  déblaiement;  des  ouvriers 
continuèrent  ce  travail,  et,  le  19  mai  1651,  on  posait 
la  première  pierre  du  nouveau  monastère.  Trois  se- 
maines après,  la  Mère  de  l'Incarnation  était  nommée  de 
nouveau  Supérieure,  la  communauté  ayant  cru",  avec 
raison  sans  doute,  que  nulle  autre  ne  pouvait  plus 
convenablement  être  mise  en  face  des  immenses  diffi- 
cultés de  la  situation. 

Elle  sut  venir  à  bout  de  tout  d'une  manière  qui 
semble  vraiment  miraculeuse.  Mais  pourtant  que  de 
difficultés  et  d'obstacles  de  tout  genre  à  surmonter! 
«  Pour  commencer,  disait  la  vénérable  Mère,  les  Pères 
jésuites  nous  ont  prêté  huit  mille  livres;  en  ce  moment 
nous  en  devons  bien  quinze  mille,  et,  avant  que  notre 
bâtiment  soit  achevé,  nous  en  devrqns  bien  vingt 
mille,  sans  parler  des  accommodements  du  dedans  et 
des  meubles. 

y>  Il  faut  que  je  vous  dise  encore  qu'il  semble  que 
notre  bon  Dieu  veuille  triompher  de  nous  en  nous 
réduisant  à  l'extrémité.  Croiriez-vous  que  pour  qua- 
rante à  cinquante  personnes  que  nous  sommes,  y  com- 


CHAPITRE   XV.  349 

pris  nos  ouvriers,  nous  n'avons  plus  que  pour  trois 
fournées  de  pain,  et  nous  n'avons  nulles  nouvelles 
des  vaisseaux  qui  apportent  des  approvisionnements 
à  ce  pays.  » 


Malgré  tout  cela,  les  travaux  avançaient  avec  une 
telle  rapidité,  que  le  29  mai,  1652,  un  an  et  dix  jours 
après  la  pose  de  la  première  pierre,  la  communauté 
s'installait  dans  le  nouveau  monastère.  Comment  en  si 
peu  de  temps,  et  sans  nulles  ressources,  pour  ainsi 
dire,  était-on  parvenu  à  un  tel  résultat?  Voici  l'explica- 
cation  qu'on  donne  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation. 

«  Mon  esprit  fut  rempli  de  courage  et  de  force  pour 
travailler  jour  et  nuit  à  cet  ouvrage,  que  je  regardais 
comme  appartenant  à  la  très-sainte  Vierge ,  notre 
bonne  Mère  et  Supérieure.  Je  l'appelle  ainsi,  parce 
que,  quelque  temps  avant  notre  incendie ,  la  Mère 
Saint-Athanase,  .supérieure,  lui  avait  remis  sa  charge 
entre  les  mains,  ce  dont  nous  avions  fait  une  grande 
solennité!  Je  la  regardais  donc  en  cette  entreprise 
con;me  ma  directrice  et  mon  tout  après  Dieu.  Ainsi 
je  n'eus  pas  plus  tôt  commencé  que  je  ressentis  son 
assistance  d'une  manière  extraordinaire  ;  je  l'avais  con- 
tinuellement présente  partout  où  j'allais  et  en  tout  ce 
que  je  faisais.  Je  ne  la  voyais  pas  des  yeux  du  corps 
mais  en  la  manière  que  le  suradorable  Verbe  incarné 
me  fait  l'honneur  de  se  communiquer  à  moi,  par  union, 
par  amour  et  communication  actuelle,  ce  que  je  n'avais 
encore  jamais  expérimenté  de  la  très-sainte  Vierge.  Je 
la  sentais  auprès  de  moi,  m'accompagnaht  partout  dans 
les  allées  et  venues  qu'il  me  fallait  faire.  Chemin  faisant, 
je  m'entretenais  avec  elle  et  je  lui  disais  :  Allons,  ma 


350  MARIE    DE   l'incarnation. 

divine  Mère,  allons  voir  nos  ouvriers.  Et  selon  les 
occurrences  j  allais  en  haut,  en  bas,  sur  les  échafauds, 
sans  aucune  crainte,  l'entretenant  toujours  de  la  sorte.  » 

Elle  ajoute  dans  une  autre  lettre,  en  parlant  à  son 
fils  :  «  Vous  êtes  en  peine  de  ce  que  je  vous  ai  dit 
qu'il  y  a  eu  du  miracle  dans  notre  établissement.  Il  y 
en  a  eu  en  effet.  Nous  avions  tout  perdu  et  notre 
incendie  nous  avait  dépouillées  de  toutes  choses.  Nous 
avons  fait  rebâtir  notre  monastère  ;  nous  nous  sommes 
vêtues  et  remeublées,  et  pour  cela  il  nous  a  fallu  faire 
des  dépenses  au  montant  de  trente  mille  livres.  L'on  nous 
a  prêté  huit  mille  livres  sur  le  pays,  lesquelles  n'en  valent 
pas  six  mille  de  France.  Nous  n'avons  eu  que  très-peu 
d'aumônes,  dont  une  partie  a  servi  à  nous  vêtir  et  l'autre 
à  acheter  un  peu  de  grain.  Malgré  cela,  il  ne  nous  reste 
que  quatre  mille  livres  à  payer  :  encore  la  personne  à 
qui  nous  les  devons  nous  en  donne  le  fonds  après  sa 
mort,  s'en  réservant  l'usufruit  pendant  sa  vie.  Enfin 
il  y  a  vingt-quatre  mille  livres  de  pure  Providence.  » 

Le  dénûment  absolu  dans  lequel  étaient  tombées 
les  XJrsulines,  les  privations  journalières  qui  en  étaient 
la  suite,  l'incertitude  d'un  avenir  qui  ne  laissait  entre- 
voir aucune  ressource,  les  représentations  d'amis  dé- 
voués qui  disent  et'  qui  croient  que  Dieu  ne  veut  pas 
la  continuation  de  leur  œuvre,  rien  n'abat  leur  courage 
ni  n'affaiblit  leur  résolution.  Soutenues  et  entraînées 
par  la  Mère  de  l'Incarnation,  elles  sont  prises  d'une 
sainte  folie  pour  tenter  l'impossible  et  l'impossible  se 
fait.  C'est-à-dire  que  des  personnes  réduites  à  une 
extrême  et  absolue  pauvreté  font  des  dépenses  consi- 
dérables sans  faire  de  dettes;  dès  ouvriers  nombreux 
sont  payés  et  nourris  pendant  plus  d'un  an  par  des  per- 
sonnes qui  n'ont  ni  pain  ni  argent.  Mais  elles  avaient  la 


CHAPITRE   XV.  351 

Providence,  et  c'est  là  une  ressource  sans  laquelle  nulle 
autre  ne  peut  servir.  Les  personnes  mondaines  habi- 
tuées aux  calculs  ne  croient  pas  cela;  mais  ce  sont  les 
saints  qui  voient  véritablement  clair,  les  autres  sont  des 
aveugles  plus  ou  moins  volontaires. 


Nous  avons  vu  combien,  en  toute  circonstance,  la 
population  de  Québec  avait  témoigné  de  sympathie  aux 
Ursulines  ;  il  en  fut  encore  de  même  lorsqu'elles  prirent 
possession  de  leur  nouveau  monastère.  La  cérémonie 
eut  lieu  la  veille  de  la  Pentecôte,  29  mai  1652.  Le 
clergé  de  la  paroisse  y  transporta  le  Saint-Sacrement, 
accompagné  d'un  grand  concours  de  peuple.  Immédia- 
tement après,  on  commença  des  prières  de  quarante 
heures,  qui  durèrent  jusqu'au  mardi  de  la  Pentecôte. 
Chaque  matin,  pendant  ces  trois  jours,  une  procession 
solennelle  se  fit  de  l'église  paroissiale  à  celle  des  Ursu- 
lines, le  clergé  et  les  fidèles  chantant  les  litanies. 
11  ne  venait  alors  à  l'esprit  de  personne  de  témoigner 
de  l'éloignement  à  l'égard  des  établissements  religieux  ; 
on  les  regardait,  au  contraire,  comme  devant  être  chers 
à  tous  ;  on  savait  qu'ils  appartiennent  à  Dieu,  qui, 
alors  comme  aujourd'hui,  employait  ce  moyen  "pour 
rendre  à  la  société  l'un  des  plus  gratids  services  qu'elle 
puisse  recevoir,  celui  d'une  éducation  chrétienne  pour 
la  jeunesse,  outre  des  exemples  de  verlus  héroïques 
et  des  prières  qui  ont  la  force  de  faire  violence  au  Ciel. 


On  aurait  dû  sans  doute  excuser  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation  et  ses  compagnes  si,  accablées  de  peines 


352  MARIE   DE    l'incarnation. 

après  l'incendie  de  leur  maison  et  distraites  par  les 
préoccupations  inévitables  d'un  travail  de  reconstruc- 
tion, elles  avaient  quelque  peu  interrompu  les  soins 
donnés  jusque  là  par  elles  aux  jeunes  filles,  mais  elles 
ne  voulurent  pas  avoir  besoin  de  cette  indulgence.  Ce 
qu'elles  avaient  surtout  à  cœur  c'était  de  sauver  des 
âmes,  d'arracher  les  sauvages  à  la  barbarie  en  élevant 
leurs  filles  et  en  leur  apprenant  à  connaître ,  aimer 
et  servir  Dieu.  C'était  même  uniquement  pour  ce  motif 
qu'elles  tenaient  à  reconstruire  le  monastère. 

Aussi,  à  peine  ont-elles  eu  le  temps  de  se  procurer 
des  vêtements  pour  être  en  état  de  se  montrer,  qu'elles 
se  hâtent  de  quitter  l'Hôtel-Dieu  oii  on  voulait  les 
retenir,  et  que,  s'entassant  dans  un  local  étroit  et 
incommode,  elles  se  livrent  de  nouveau  à  leur  œuvre 
apostolique.  Déjà  elles  instruisent  quelques  enfants  dans 
les  pièces  étroites  qui  leur  servent  de  dortoirs,  de  classe 
et  de  réfectoire,  mais  bientôt  la  saison  du  printemps  leur 
permet  d'en  rappeler  un  plus  grand  nombre.  Sous  les 
arbres  séculaires  de  l'antique  forêt,  on  construit  des 
cabanes  d'écorce  où  elles  rassemblent  non-seulement  les 
élèves  proprement  dites,  mais  les  néophytes,  femmes  et 
filles,  qui  ont  besoin  que  leur  instruction  dans  la  foi 
soit  continuée  et  perfectionnée.  Les  jeunes  demoiselles 
françaises  elles-mêmes  s'y  rendaient,  heureuses  de  re- 
trouver leurs  bonnes  Mères  après  une  si  douloureuse 
épreuve,  et  de  profiter  des  leçons  de  dévoûment  et  de 
vertu  que  tout  concourait  à  rendre  plus  éloquentes  que 
jamais. 


Il  y  eut  cependant  diminution  de  séminaristes  sau- 
vages pendant  les  trois  premières  années  qui  suivirent 


CHAPITRE    XV.  353 

l'incendie,  et  cela  à  cause  de  la  terreur  qu'inspiraient 
les  courses  fréquentes  et  les  actes  de  barbarie  des 
Iroquois.  Ils  venaient  quelquefois  jusqu'aux  portes  de 
Québec,  et  massacraient  ou  emmenaient  prisonnier, 
afin  d'exercer  leur  barbarie  plus  à  loisir,  quiconque 
tombait  sous  leur  main.  Voici  à  ce  sujet  un  épisode 
bien  digne  d'être  raconté. 

Deux  Français  avaient  été  pris  par  ces  barbares 
auprès  du  fort  appelé  Richelieu.  Emmenés  à  l'une  des 
résidences  Iroquoises  appelée  les  Cinq-Cantons,  ils 
furent  couverts  de  plaies  et  ils  allaient  être  mis  à 
mort  quand,  sur  l'avis  d'un  de  leurs  chefs,  ami  des 
Français,  on  leur  donna  un  guide  pour  les  ramener  en 
leur  pays.  Mais  le  guide  les  abandonna  au  milieu  de  ces 
terres  inconnues.  Exténués  et  à  demi-morts,  ils  invo- 
quent la  Sainte  Vierge  et  trouvent  assez  de  force  pour 
se  traîner  jusqu'à  l'entrée  d'un  village  habité  par  une 
autre  de  ces  peuplades  sauvages.  Que  faire?  Allaient- 
ils  se  livrer  à  la  merci  de  leurs  plus  cruels  ennemis?... 
Ils  invoquent  de  nouveau  la  Sainte  Vierge  et  se  sentent 
inspirés  d'aller  se  réfugier  dans  une  cabane  qui  se 
trouvait  à  l'écart.  0  Providence!  une  jeune  femme 
vient  à  leur  rencontre,  les  accueille  avec  toute  la  cha- 
rité possible,  leur  parlant  bon  français  et  les*  rassurant 
sur  leur  sort.  Elle  allume  du  feu,  leur  présente  à 
manger  et  panse  leurs  plaies.  «  Je  suis,  leur  dit-elle, 
la  pauvre  Marguerite  Kaouenhontona,  bien  connue 
des  Robes  noires,  de  qui  j'ai  reçu  le  baptême,  et  des 
saintes  filles  les  Mères  Ursulines  de  Québec,  chez  les- 
quelles j'ai  été  élevée.  J'en  ai  reçu  de  si  bonnes  ins- 
tructions que,  nonobstant  ma  malheureuse  captivité, 
je  ne  quitterai  jamais  la  foi  dont  elles  m'ont  enseigné 
les  principes.   Il  est  bien  juste  que  je  vous  rende  en 


U.    DE    LINC. 


•23 


354  MARIE    DE   l'incarnation. 

partie  la  charité  dont  elles  m'oiit  comblée  quand  j'étais 
chez  elles.  Elles  m'ont  appris  à  parler  français,  ne 
dois-je  pas  être  heureuse  de  vous  consoler  dans  cette 
langue?  Ce  peu  que  je  fais  pour  vous  n'est  rien,  en 
comparaison  de  ce  qu'elles  ont  fait  pour  moi.  » 

Cependant  la  bonne  Marguerite  fut  dénoncée,  et  les 
deux  Français  se  virent  de  nouveau  à  deux  doio^ts  de 
la  mort;  mais  protégés  par  la  Sainte  Vierge  qu'ils  ne 
cessaient  d'invoquer,  ils  échappèrent  à  tous  les  dangers 
et  arrivèrent  enfin  chez  eux,  où  ils  rendirent  témoi- 
gnage des  fruits  que  portait  au  loin  l'éducation  donnée 
par  les  Ursulines. 

Dans  le  courant  de  l'année  1653,  on  entama  avec  les 
Iroquois  des  négociations  qui  aboutirent  enfin  à  un 
traité  de  paix.  Ce  traité  fut  conclu  l'année  suivante 
et  la  sécurité  parut  rétablie,  au  moins  pour  quelque 
temps.  La  confiance  succéda  à  la  crainte  et  les  élèves 
revinrent  en  grand  nombre  aux  Ursulines. 

L'année  1655  fut  surtout  remarquable  par  le  nombre 
de  sauvages  qui  vinrent  à  Québec  et  qui  confièrent 
leurs  filles  aux  Ursulines.  En  deux  mois  seulement 
il  en  fut  amené  une  vingtaine.  Aussi,  la  vénérable 
Mère  écrivait  :  «  Maintenant  que  la  paix  est  faite,  nous 
avons  beaucoup  d'occupation,  de  sorte  que  si  quel- 
qu'une de  nous  venait  à  manquer,  il  nous  faudrait 
faire  venir  des  soeurs  de  Franche.  » 

Cette  activité  étonnante  qui  nous  montre  dans  la 
Mère  Marie  de  l'Incarnation  une  apôtre  dévorée  de 
zèle,  ce  courage  que  rien  ne  peut  déconcerter  et  qui 
dénote  en  elle  tant  de  force  et  d'énergie  méritent  sans 
doute  notre  admiration  ;  toutefois  le  travail  de  la  grâce 
embellissant  son  âme  et  l'unissant  à  Dieu  est  quelque 
chose  de  bien  plus  merveilleux  encore.  Nous  avons 


CHAPITRE   XV.  355 

VU  par  quels  progrès  de  perfection  elle  fut  rendue  digne 
d'être  l'épouse  du  Verbe  incarné;  mais  l'œuvre  divine 
continua  dans  cette  âme  véritablement  privilégiée,  et 
il  est  temps  d'étudier  la  suite  des  transformations  que 
l'Esprit-Saint  ne  cessa  d'opérer  en  elle.  Pour  mieux 
comprendre  cette  suite  de  prodiges,  jetons  un  coup  d'œil 
en  arrière. 


Lorsque  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  fut  nommée 
supérieure  pour  la  troisième  fois  et  qu'elle  commença, 
en  1651,  la  reconstruction  de  son  monastère,  elle  avait 
cinquante-deux  ans.  Si  l'on  veut  résumer  sa  vie  pen- 
dant ce  demi-siècle , écoulé,  on  verra  qu'elle  fut  pré- 
venue des  grâces  les  plus  abondantes  et  les  plus  rares. 
Dieu  agit  avec  elle  comme  envers  les  âmes  qui 
sont  l'objet  d'une  prédilection  toute  spéciale  de  sa 
part.  Dès  qu'elle  commence  à  avoir  l'usage  de  sa 
raison,  il  vient  miraculeusement  recueillir  son  pre- 
mier acte  d'amour  libre  et  méritoire;  il  l'emporte  avec 
lui  dans  le  ciel  et  il  lui  laisse  en  échange  une  onction 
de  piété  qui  en  fera  une  enfant  exceptionnelle,  douée 
du  don  d'oraison  et  d'une  sainte  familiarité  avec  le 
souverain  Créateur. 

Plus  tard  un  ravissement  extatique  l'enlève  pour 
un  moment  au  monde  visible  et  la  change  en  l'amour 
de  celui  qui  lui  avait  fait  cette  insigne  miséricorde;  expres- 
sion admirable  et  qui  demande  à  être  méditée.  Alors 
ses  prières,  ses  bonnes  œuvres,  ses  communions  devien- 
nent des  sources  de  grâces  nouvelles  et  plus  abon- 
dantes. Notre- Seigneur  s'applique,  pour  ainsi  dire,  à 
la  purifier,  à  l'orner,  à  l'embellir  de  plus  en  plus;  et 
enfin  il  l'unit  à  sa  personne  adorable  par  un  mariage 


356  4lARIE    DE    l'incarnation. 

surnaturel  et  divin,  après  avoir  ainsi  mis  en  elle  le 
degré  de  perfection  que  rendait  nécessaire  une  pareille 
faveur. 

De  son  côté,  la  servante  de  Dieu  est  admirablement 
fidèle  aux  grâces  quelle  reçoit.  Par  cette  fidélité  elle 
les  transforme  en  vertus,  en  mérites  et  en  beautés 
de  son  âme,  comme  l'abeille  transforme  en  un  miel 
qui  lui  est  propre,  et  qui  fait  partie  de  son  être,  le 
suc  qu'une  Providence  attentive  a  déposé  pour  elle 
dans  le  calice  des  fleurs.  Ce  fut  ainsi  qu'on  vit  cette 
vénérable  Mère  croître  sans  cesse  en  humilité,  en  esprit 
de  pénitence  et  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  ;  et,  par  des 
actes  de  vertus  toujours  renouvelés  et  perfectionnés, 
arriver  à  un  esprit  intérieur  et  une  union  avec  Dieu 
qui  semble  comparable  à  la  perfection  des  saints  les 
plus  illustres.  Rien  ne  peut  en  donner  une  connais- 
sance plus  exacte  que  le  tableau  fait  par  elle-même 
de  son  état  spirituel  à  l'époque  où  nous  sommes  de 
sa  vie.  Quoiqu'elle  écrivît  par  obéissance  et  qu'elle  eût 
ainsi  une  excuse  légitime  pour  parler  d'elle-même, 
elle  cherche  néanmoins  à  se  cacher  autant  qu'il  lui 
est  possible  en  parlant  à  la  troisième  personne. 

«  Dieu  ayant  créé  l'âme  raisonnable  avec  la  liberté 
et  la  grâce  pour  opérer  son  salut,  dès  qu'elle  vient 
à  connaître  sa  dignité,  et  que,  par  la  lumière  de  la 
grâce,  elle  découvre  la  perfection  à  laquelle  elle  est 
appelée,  si  elle  est  fidèle  à  cette  première  lumière  et 
si  elle  correspond  à  cette  grâce  par  un  mouvement 
continuel  vers  son  souverain  bien,  la  divine  bonté 
fait  fondre  en  elle  des  torrents  de  lumière,  de  feu  et 
de  saintes  ardeurs;  puis  elle  lui  donne  la  clef  de 
la  science  et  la  met  en  possession  de  ses  trésors  et  de 
ses  richesses. 


CHAPITRE    XV.  357 

»  Cette  âme  se  voyant  comblée  et  enrichie  de  la 
sorte,  se  promène  dans  ces  pâturages  gras  et  fertiles, 
dans  ces  parterres  odoriférants  et  dans  ces  cabinets 
délicieux  qui  lui  ont  été  ouverts.  Là  ses  puissances 
se  délectent  en  goûtant  une  saveur  que  je  ne  saurais 
expliquer,  non  plus  que  les  divins  plaisirs,  les  repos 
délicieux  et  la  paix  profonde  qu'elle  y  reçoit.  Les 
ivresses  saintes  qu'elle  'y  éprouve  lui  font  ensuite 
chanter  un  épithalame  ou  cantique  d'amour  qui  ne  peut 
finir  que  lorsque^  par  de  certaines  pâmoisons,  Dieu 
l'arrête  pour  la  faire  expirer  en  lui  et  pour  l'abîmer  de 
nouveau  dans  le  torrent  des  voluptés  divines. 

»  Revenue  de  cette  extase,  elle  recommence  son 
cantique,  disant  à  celui  qui  la  remue  si  puissamment  : 
Nous  nous  réjouirons  et  nous  tressaillerons  d'aise,  nous  sou- 
venant de  vos  mamelles,  qui  sont  plus  douces  et  plus  déli- 
cieuses que  le  vin.  Les  justes  et  ceux  qui  ont  le  cœur  droit 
n'ont  de  l'amour  que  pour  vous.  (Cant.  l.  3.)  Tout  cela  se 
dit  et  se  passe  sans  aucune  opération  réfléchie,  mais 
par  une  abondance  de  communication  divine  où  l'âme 
demeure  passive,  et  qui  forme  en  son  entendement  un 
sens  et  une  intelligence  qui  la  fait  fondre  d'amour. 
De  là  naissent  les  joies  et  les  larmes  qui  font  en  elle 
un  paradis  où  elle  jouit  de  Dieu  dans  une  familiarité 
très-intime.  » 


Tel  est,  décrit  par  elle-même,  l'état  de  notre  véné- 
rable Mère  depuis  le  premier  usage  de  sa  raison. 
«  Quand  la  Mère  de  l'Incarnation,  dit  Claude  Martiû, 
parle  d'une  âme  et  qu'elle  décrit  les  lumières  de  la  grâce 
dont  cette  âme  a  été  prévenue,  les  douceurs  de  la  con- 
templation dont  elle  a  été  saintement  enivrée  et  les 


358  MARIE    DE    l'incarnation. 

transports  de  charité  qui  l'ont  si  heureusement  con- 
sommée en  Dieu,  elle  parle  d'elle-même.  » 

Il  semble  qu'après  avoir  reçu  tant  de  faveurs  divines, 
et  être  devenue  l'Epouse  véritable  du  Verbe  éternel, 
elle  ne  puisse  être  élevée  plus  haut  et  se  voir  plus 
étroitement  unie  à  Dieu  en  cette  vie;  mais  il  n'en 
est  pas  ainsi;  la  munificence  céleste  est  infinie.  Quels 
que  soient  les  trésors  de  grâce  dont  une  âme  aura  été 
comblée,  toujours  de  nouveaux  horizons  renfermant 
des  richesses  encore  plus  grandes  que  celles  qui  lui 
ont  été  prodiguées,  s'ouvriront  devant  elle.  C'est  ce  qui 
eut  lieu  pour  cette  admirable  rehgieuse,  qui  fut  élevée 
successivement  à  plusieurs  autres  degrés  d'union  encore 
plus  étroite  et  plus  parfaite  avec  Dieu;  elle-même  en 
fait  la  remarque. 


«  Jusqu'ici  il  n'y  a  point  eu  de  circoncision  ni  de 
retranchement  dans  cette  vie  intérieure.  Il  semble  à 
l'âme  qu'il  n'y  a  rien  au-dessus  de  la  jouissance  où  elle 
se  trouve,  et  qu'elle  soit  établie  pour  toujours  en  cet 
état,  où  elle  est  comblée  des  richesses  immenses  de 
l'Epoux  :  car  pour  ce  qui  regarde  les  mystères  de  la 
foi,  elle  les  possède  par  une  science  infuse  avec  tant 
de  certitude  et  si  peu  d'obscurité,  qu'elle  s'écrie  :  0  mon 
Dieu!  je  n'ai'  plus  la  foi;  il  me  semble  que  vous  avez 
tiré  le  rideau.  Mais  tandis  quelle  est  ainsi  absorbée, 
elle  ne  voit  pas  ce  qui  va  lui  arriver  ni  où  l'Esprit 
va  la  conduire.  » 

Bientôt  toutefois  cet  Esprit  divin  lui  fit  comprendre 
que  cet  état  n'était  pas  ce  qu'il  pouvait  y  avoir  de  plus 
parfait,  même  ici-bas,  dans  la  vie  spirituelle.  C'est 
qu'en   effet  la  nature   morte  à   elle-même   et  à  toute 


CHAPITRE   XV.  359 

jouissance  humaine  s'était  faite,  il  est  vrai,  aux  austé- 
rités, aux  privations  et  aux  croix;  elle  les  acceptait 
de  tout  cœur,  ce  qui  est  une  grande  perfection;  mais 
son  sacrifice  n'était  pas  complet,  car  elle  avait  un 
dédommagement  dans  la  part  qu'elle  prenait  aux  biens 
spirituels  de  l'âme.  «  Elle  les  trouvait  même  si  à  son 
goût,  que  toutes  les  satisfactions  que  les  créatures  lui 
avaient  autrefois  procurées  ne  lui  causaient  plus  que 
de  l'ennui.  »  Or,  quand  Dieu  voulut  la  faire  arriver 
à  un  état  plus  parfait,  «  il  attaqua  cette  partie  sensible 
et  inférieure  de  l'âme  en  lui  faisant  souffrir  des  priva- 
tions très-rudes  et  très-crucifiantes.  »  Alors  ne  pouvant 
plus  participer  aux  délices  de  l'esprit,  par  suite  de 
cette  nouvelle  épreuve,  et  étant  privée  depuis  long- 
temps de  toute  satisfaction  naturelle,  elle  se  voit  su7' 
le  rien. 

Notre  vénérable  Mère  ajoute  :  «  La  nature  étant  ainsi 
anéantie  premièrement  par  la  pénitence,  et  en  second 
lieu  par  la  privation  des  délices  spirituelles  qui  la  sou- 
tenaient, elle  est  humiliée  à  un  point  qui  ne  se  peut 
dire,  pendant  que  la  partie  supérieure  est  dans  un  con- 
tentement très-véritable,  se  voyant  délivrée  de  ce  qui 
nuirait  à  sa  vraie  et  parfaite  pureté  dans  la  jouissance 
de  son  souverain  bien.  »  Tel  est  le  premier  degré  de 
pauvreté  ou  de  dépouillement  de  l'esprit  que  Dieu  ajoute 
à  sa  perfection  intérieure.  Il  consiste,  comtoe  on  voit, 
dans  une  transformation  de  la  partie  inférieure  de  l'âme, 
qui  ne  peut  plus  goûter  ni  les  satisfactions  de  la  nature 
dont  elle  s'est  déshabituée,  ni  les  jouissances  spiri- 
tuelles et  surnaturelles  dont  elle  se  voit  privée  par 
cette  nouvelle  conduite  de  Dieu  à  son  égard. 

Pour  faire  connaître  le  second  degré  de  cette  pau- 
vreté spirituelle,  Marie  de  l'Incarnation  commence  par 


360  MARIE    DE    l'incarnation. 

une  remarque  dont  elle  comprenait  sans  doute  la  jus- 
tesse, mais  que  ceux  qui  n'ont  pas  reçu  de  pareilles 
grâces,  et  le  nombre  en  est  grand,  ne  saisiront  pas 
aussi  facilement.  Elle  dit  que  l'entendement  lui-même, 
quoiqu'il  n'appartienne  pas  à  la  partie  sensible  et  infé- 
rieure de  lame,  «  mêle  encore  du  sien  aux  opérations 
divines,  ce  qui  est  une  impureté  ou  un  défaut  notable  dans 
la  pauvreté  spirituelle.  C'est  pourquoi  l'Esprit  de  Dieu 
le  rend  incapable  de  ses  opérations  ordinaires.  »  Il 
est  comme  crucifié  à  "son  tour,  à  l'exemple  de  la  partie 
inférieure. 

,  Ce  second  degré  de  la  pauvreté  d'esprit  fait  que 
la  volonté  ravie  en  Dieu  et  n'ayant  plus  besoin  de 
l'entendement  «  demeure  comme  une  reine  qui  jouit 
de  son  divin  Epoux  dans  des  privautés  dont  les  Séra- 
phins pourraient  mieux  parler  au  moyen  de  leurs 
langues  de  feu  que  la  créature  par  une  langue  de 
chair,,  incapable  d'exprimer  une  chose  si  haute  et  si 
sublime.  » 

La  vénérable  Mères  fut  des  années  en  cet  état,  après 
quoi  elle  reçut  un  troisième  degré  de  pauvreté  spiri- 
tuelle. Depuis  que  son  entendement  ne  fonctionnait 
plus,  pour  ainsi  parler,  mais  recevait  toutes  ses 
lumières  de  l'Esprit-Saint,  la  volonté  se  trouvant  la 
seule  faculté  agissante  de  l'âme,  possédait  en  consé- 
quence une  plus  grande  liberté  pour  se  porter  vers 
Dieu  et  jouir  sans  obstacle  de  sa  possession  et  de  son 
amour.  Les  élans  et  les  ardeurs  de  cette  volonté  avaient 
la  grâce  pour  mobile,  mais  pourtant  il  y  avait  encore 
en  cela  trop  d'activité  créée,  toute  surnaturelle  et  sainte 
qu'elle  fût;  Dieu  voulait  en  elle  une  perfection  plus 
élevée. 

"  Le  divin  Esprit,  qui  est  la  source  inépuisable  de 


CHAPITRE   XV.  361 

toute  pureté,  veut  encore  triompher  de  la  volonté, 
et  quoique  ce  fût  lui  qui  opérait  ces  divines  motions 
et  qui  lui  faisait  chanter  son  continuel  épithalame, 
cette  volonté  néanmoins  y  mêlait  encore  de  son  propre 
agir;  il  ne  le  peut  souffrir  ;  jaloux  de  sa  beauté,  il  veut 
en  être  le  maître  absolu.  Comme  il  est  amour,  il  est 
vrai  de  dire  qu'il  est  fort  comme  la  mort,  que  sa  jalousie 
est  inflexible  comme  l'enfer,  qui  ne  pardonne  à  personne  ; 
ses  lampes  sont  des  lampes  de  feu  et  de  flammes,  il  faut 
qu'elles  consument  tout.  Cette  amoureuse  activité  qui, 
dans  les  embrassemeots  de  l'Epoux,  surpassait  toute 
douceur  et  concentrait  sa  volonté  dans  son  souverain 
bien,  est  donc  arrêtée.  Voilà  l'état  de  victime  où  le 
Saint-Esprit,  infiniment  zélé  pour  la  pureté  des  âmes 
épouses  du  Fils  de  Dieu,  les  réduit,  afin  de  les  mettre 
dans  la  disposition  où  il  les  veut  pour  prendre  en  elles 
ses  délices.  » 


Claude  Martin  explique  ce  troisième  degré  de  dépouil- 
lement en  disant  qu'avant  cette  iu)uvelle  faveur,  c'était 
l'esprit  de  la  servante  de  Dieu  qui  s'appliquait  par 
un  acte  de  volonté,  avec  le  secours  de  la  grâce  néan- 
moins, à  l'objet  de  la  contemplation,  tandis  que  dans 
l'état  plus  parfait.  Dieu  détermine  et  applique  lui-même 
l'esprit  aux  vérités  divines  qu'il  a  dessein  de  lui 
manifester. 

Le  pieux  et  savant  religieux  ajoute  que  la  première 
contemplation  est  appelée  active,  parce  que  l'âme  y 
agit  d'elle-même,  se  portant  à  son  objet  avec  choix, 
délibération  et  réflexion.  L'autre  est  appelée  passive, 
par  .cette  raison  que  l'âme  s'y  comporte  passivement 
et  selon  qu'il  plaît  à  Dieu  de  la  déterminer  et  de  fappli- 


362  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

quer;  non  qu'elle  n'agisse  véritablement,  le  rayon  de 
la  contemplation  et  la  jouissance  de  l'amour  étant 
de  véritables  actes  humains,  l'un  de  l'entendement, 
l'autre  de  la  volonté;  mais  parce  que  ces  actes  sont  si 
doux  et  si  tranquilles,  qu'ils  semblent  plutôt  reçus  dans 
l'âme  que  produits  par  elle. 

Voilà  donc  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  favorisée 
de  la  grâce  à  un  tel  point  que  l'Esprit- Saint  exerce  une 
continuelle  et  souveraine  influence  sur  toutes  ses 
facultés.  Mais  elle  remarque  que  l'âme  humaine  ayant 
une  inclination  naturelle  à  agir  ne  supporte  pas  sans 
souffrir,  et  même  sans  une  certaine  résistance,  cet 
état  passif.  «  Il  n'est  pas  croyable,  dit-elle,  combien  ce 
retranchement  est  pénible  aux  puissances  de  l'âme, 
surtout  dans  les  solennités  de  l'Eglise,  où  elles  avaient 
coutume  de  méditer  avec  délices  les  mystères  de  notre 
rédemption,  et  d'y  être  favorisées  des  lumières  de 
l'Esprit-Saint. 

j»  Cependant  cette  inclination  de  l'âme  à  agir  meurt 
comme  tout  le  reste  :  car,  comme  je  l'ai  dit,  l'Esprit  de 
Dieu  est  inexorable  pour  donner  au  divin  Epoux,  qui 
prend  ses  délices  dans  la  paix  et  le  silence,  une  demeure 
exempte  de  tout  bruit.  La  volonté  donc,  •ayant  perdu 
son  activité  amoureuse  et  même  l'inclination  à  aimer 
de  cette  façon,  demeure,  par  un  amour  actuel,  dans 
les  embrassements  du  suradorable  Verbe  incarné,  son 
Epoux.  Cet  état,  ou  quatrième  degré  de  dépouillement 
et  de  pureté  de  l'âme,  est  un  doux  et  amoureux  respir, 
qui  ne  finit  point.  C'est  un  commerce  d'Esprit  à  esprit 
et  d'Esprit  en  esprit,  qui  produit  dans  l'âme  ce  que  saint 
Paul  éprouvait  lorsqu'il  disait:  Jésus-Christ  est  ma  vie 
et  ma  vie  est  Jésus- Christ.  (Philipp.  1.  21.)  Ce  nest  pas 
moi  qui  vis,  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi.  (G al.  1.   20.)  » 


CHAPITRE   XV.  363 

Claude  Martin  explique  ainsi  cette  oraison  d'amou- 
reux respir  dont  parle  sa  mère  :  «  Ce  respir  n'était 
pas  simple,  il  était  réciproque,  parce  que  c'était  un 
commerce  d'Esprit  à  esprit  et  d'Esprit  en  esprit.  Dieu 
respirait  en  elle,  en  quelque  façon,  lui  communiquant 
son  Esprit  et  sa  vie;  et  elle  respirait  en  Dieu,  lui 
rendant  l'esprit  et  la  vie  qu'elle  recevait  de  lui.  Si  l'air 
que  nous  respirons  était  vivant  et  animé,  en  l'attirant 
en  nous  nous  vivrions  de  sa  vie,  et,  en  le  respirant,  nous 
lui  rendrions  l'esprit  de  vie  que  nous  aurions  reçu 
de  lui;  notre  vie,  par  ce  moyen,  serait  un  commerce 
continuel  d'esprit  à  esprit  et  d'esprit  en  esprit.  »  Il 
ajoute  :  «  Mais  il  faut  voir  de  quelle  manière  elle  expli- 
que ailleurs  une  disposition  si  spirituelle  et  si  cachée.  » 

«  Le  respir  doux  et  amoureux  qui  suit  l'anéantisse- 
ment des  puissances  se  doit  entendre  ainsi  :  Comme 
notre  vie  naturelle  se  maintient  par  la  respiration, 
sans  laquelle  il  faudrait  mourir,  ainsi  l'âme,  étant  déli- 
vrée de  l'opération  de  ses  puissances,  ne  vit  plus  que  de 
la  vie  de  son  Époux.  Elle  reçoit  de  lui  la  vie  dans 
son  intime  union,  et  elle  Jui  respire  cette  même  vie 
qu'il  lui  influe.  Voilà  ce  que  j'appelle  commerce  d'Esprit 
à  esprit  et  d'Esprit  dans  l'esprit.  Je  m'entends  bien, 
mais  je  n'ai  pas  de  paroles  plus  significatives  pour 
m'expliquer.  » 

La  Mère  de  l'Incarnation  avait  eu,  depuis  son  enfance, 
l'habitude  de  penser  à  Dieu  et  de  vivre  en  sa  présence  : 
mais,  à  l'exemple  de  ceux-mêmes  que  l'on  regarde 
comme  avancés  dans  la  vie  spirituelle,  elle  avait 
besoin  de  chercher  Dieu  en  quelque  sorte,  d'élever 
vers  lui  son  entendement  et  de  faire  acte  de  sa  volonté. 
Maintenant  la  pensée  de  Disu  lui  est  devenue  tellement 
facile,  qu'elle  n'a  plus  besoin  du  moindre  effort  pour 


364  MARIE    DE    l'incarnation. 

la  faire  entrer  dans  son  esprit  et  donner  l'amour 
comme  aliment  à  sa  volonté.  De  même  que  nous  res- 
pirons'sans  effort,  sans  réflexion  et  par  cela  seul 
que  nous  ne  voulons  pas  nous  asphyxier,  de  même 
la  pensée  et  l'amour  de  Dieu  possédaient  l'âme  de 
cette  parfaite  religieuse  par  cela  seul  qu'elle  ne  s'y 
opposait  pas. 


Qui  donc  imaginerait  un  état  plus  élevé,  une  union 
plus  intime  avec  Dieu  et  plus  ressemblante  à  celle 
des  esprits  célestes?  Eh  bien,  oui,  il  y  avait  encore 
quelque  chose  de  plus  parfait.  Celle  qui  a  passé  par 
tous  ces  états  va  nous  l'apprendre. 

«  L'amour  divin  ne  s'en  tient  pas  là;  cet  Esprit 
censeur,  qui  a  des  lampes  de  feu  et  de  flammes,  veut  encore 
consumer  quelque  chose  dans  ce  respir,  où  il  trouve 
un  reste  de  matière  que  l'activité  même  de  l'amour 
lui  fournit.  Il  le  consume  donc,  et  voilà  le  sacrifice 
de  la  victime,  la  vraie  pureté  d'esprit  substantielle  i  et 
spirituelle. 

»  Mais  pour  arriver  là,  il  faut  passer  par  de  grandes 
épreuves  intérieures  et  extérieures,  qui  épouvanteraient 
une  âme  si  on  les  lui  faisait  voir  par  avance,  et  qui, 
même  lorsqu'elle  les  expérimente,  lui  ôteraient  la 
volonté  d'aller  plus  avant,  si  une  vertu  secrète  et  puis- 
sante ne  la  soutenait.  » 

Claude  Martin  se  demande  ce  qu'il  pouvait  y  avoir 
d'imparfait  dans  ce  que  sa  mère  appelle  l'état  d'a'mou- 
reux  respir,    et  il  n'ose   pas  hasarder  une  réponse. 

(1)  La  Mère  de  l'Incarnation  a  voulu  dire,  sans  aucun  doute,  non  pas  qu'il  y 
ait  une  pureté  d'esprit  substantielle  en  elle-même,'  mais  que  cette  pureté  affecte 
l'âme  dans  sa  substance. 


CHAPITRE   XV.  365 

Il  nous  semble  pourtant  qu'on  peut  la  donner  en  disant, 
que  comme  la  respiration  est  un  travail  continuel  de 
notre  organisme,  de  même  c'était  par  un  certain  travail 
que  la  Mère  de  l'Incarnation  entretenait  son  union, 
bien  que  ce  travail  se  fît  sans  aucun  effort  de  sa  volonté. 
Dieu  supprime  ce  travail  et  il  fait  seul  tous  les  frais, 
pour  ainsi  dire,  de  l'union  qu'il  entretient  avec  cette 
âme.  Il  semble  donc  que  notre  vénérable  Mère  était 
dans  une  extase  continuelle  d'union  avec  Dieu.  Elle 
restait  libre  néanmoins,  car  elle  eût  pu  se  distraire  et 
mettre  obstacle  à  ces  grâces  inappréciables;  mais  elle 
ne  le  voulait  pas,  et  c'était  par  ce  libre  usage  de  sa 
volonté  qu'elle  laissait  s'accroître  la  flamme  dans  son 
âme  et  méritait  des  grâces  nouvelles.  Tel  est,  il  nous 
semble,  le  sens  de  ces  autres  paroles  de  notre  sainte 
Mère  : 

«  Je  suis  sans  cesse  dans  ce  divin  commerce  d'une 
manière  si  délicate,  si  simple  et  si  ravissante,  qu'elle 
ne  me  peut  permettre  aucune  expression.  Ce  n'est  pas 
un  acte,  ce  n'est  pas  un  respir;  c'est  un  air  si  doux 
dans  le  centre  de  l'âme  oii  est  la  demeure  de  Dieu, 
que  comme  j'ai  déjà  dit,  je  ne  puis  trouver  de  termes 
pour  m'expliquer.  » 

Elle  ajoute  dans  le  dernier  chapitre  de  son  compte- 
rendu  :  «  Il  y  a  encore  une  autre  disposition  dans 
laquelle  je  me  trouve,  et  qui  est  comme  une  suite  de 
celle  dont  je  viens  de  parler.  J'éprouve  une  impression 
dans  l'âme  (ce  n'est  pas  que  je  conçoive  cela  comme 
une  impression;  mais,  je  n'ai  pas  d'autre  mot);  c'est 
une  chose  si  haute,  si  ravissante  et  si  divine,  si  simple, 
si  pure  et  si  élevée  au-dessus  de  ce  qui  peut  tomber 
sous  les  sens  ou  être  manifesté  par  la  parole,  que  je 
ne  la  puis  exprimer.  Tout  ce  que  je  puis  dire  c'est  que 


366  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

je  suis  en  Dieu,  posséde'e  de  Dieu,  et  que  Dieu  m'aurait 
bientôt  consumée  par  son  efficacité  amoureuse,  si  je 
n'étais  soutenue  par  une  autre  impression  qui  modère 
la  grandeur  et  l'excès  de  la  première  sans  la  détruire. 

»  Les  effets  que  cet  état  produit  en  mon  âme  sont 
un  anéantissement  profond,  ainsi  qu'une  véritable  et 
solide  conviction  qu'elle  est  le  néant  et  l'impuissance 
même,  ce  qui  la  tient  dans  une  grande  humilité,  quel- 
que élevée  qu'elle  puisse  être.  Cet  état  opère  encore  une 
grande  patience  dans  les  adversités,  une  inclination 
entière  à  la  paix  et  à  la  bonté  envers  tout  le  monde, 
un  doux  empressement  de  bienveillance  pour  ceux  de 
qui  elle  a  été  ofî'ensée  ;  desquels  elle  cherche  à  s'appro- 
cher avec  adresse  et  sans  faire  semblant  de  rien,  pour 
les  traiter  en  amis,  soit  par  des  paroles,  soit  par  des 
services,  ou  de  toute  autre  manière  propre  à  les  con- 
vaincre qu'elle  n'a  rien  contre  eux. 

»  Cet  état  lui  donne  encore  une  grande  fidélité  pour 
prendre  les  souffrances  dans  l'amour  et  dans  l'union 
du  suradorable  Verbe  incarné,  avec  des  écoulements 
amoureux  en  lui  ;  un  grand  amour  pour  l'état  où  elle 
a  été  appelée;  une  disposition  à  tout  faire  et  à  tout 
entreprendre  pour  la  gloire  de  Dieu; un  amour  toujours 
plus  grand  pour  tout  ce  qui  se  fait  et  se  pratique 
dans  l'Eglise  de  Dieu,  en  laquelle  elle  ne  voit  que 
pureté  et  sainteté;  et  enfin  une  entière  pente  à  se 
laisser  conduire  et  à  soumettre  son  jugement  à  ceux  • 
qui  tiennent  la  place  de  Dieu.  (Ces  deux  dernières 
dispositions  sont  surtout  la  marque  non  équivoque 
d'une  vraie  vertu.) 

«  Or  il  est  à  remarquer  que  l'Esprit,  qui  m'a  si 
amoureusement  conduite,  a  toujours  tendu  à  une  même 
fin  et  porté  mon  âme  à  la  pratique  des  vertus  dont 


CHAPITRE   XV.  367 

j'ai  parlé,  et  de  plusieurs  autres.  Si  j'y  avais  fidèlement 
répondu,  j'aurais  fait  bien  d'autres  progrès  dans  la 
voie  de  la  sainteté  ;  mais  mes  infidélités  me  font  trem- 
bler. Je  prie  le  Dieu  des  bontés,  mon  suradorable 
Epoux,  qu'il  lui  plaise  de  me  faire  miséricorde.  Qu'il 
soit  béni,  loué  et  glorifié  des  anges  et  des  saints,  que 
je  prie  d'intercéder  pour  moi,  afin  d'apaiser  sa  divine 
justice.  Je  finis  ces  cahiers  le  quatrième  jour  d'août 
1654,  après  avoir  fait  les  exercices  spirituels.  » 


La  Mère  de  l'Incarnation  avait  alors  cinquante-cinq 
ans;  elle  en  vécut  encore  dix-huit,  pendant  lesquels, 
ainsi  que  nous  le  verrons,  elle  ne  cessa  d'agir  comme 
une  victime  véritablement  consacrée  à  Dieu,  confor- 
mément à  l'état  où  l'avaient  mise  ces  grâces  admirables 
qui  lui  avaient  été  communiquées. 

Claude  Martin,  qui  avait  étudié  cette  admirable 
religieuse  moins  avec  l'amour  d'un  fils  pour  sa  mère 
qu'avec  l'estime  et  la  vénération  d'un  saint  pour  une 
sainte,  explique,  d'après  les  communications  qu'elle  lui 
avait  faites,  la  manière  dont  elle  fut  mise  en  état 
de  victime  et  dont  elle  acquit  les  vertus  des  huit 
béatitudes. 

«  Cet  état  de  victime  où  elle  entre,  dit-il,  et  qui 
durera  jusqu'à  sa  mort,  est  fondé  sur  deux  excellents 
principes  qui  sont  la  base  de  tout  bien  surnaturel, 
savoir  :  la  pratique  héroïque  des  maximes  de  l'Evangile 
et  l'union  intime  et  familière  avec  Dieu.  Ces  deux 
principes  contiennent  la  plus  haute  perfection  où  une 
âme  puisse  être  élevée  en  cette  vie,  ainsi  qu'il  a  plu  à 
Notre-Seigneur  de  le  révéler   à  sa   servante,  qui   en 


368  MARIE   DE   l'incarnation. 

parle  dans  les  termes  suivants  :  «  Oh!  qu'il  est  bon  de 
ne  souhaiter  que  cette  sainte  consommation  et  anéan- 
tissement qui  fait  que  l'on  n'a  de  la  pente  que  pour 
la  gloire  de  celui  qui  seul  est  digne  d'être!  Il  y  a  deux 
choses  où  mon  âme  semble  trouver  sa  pleine  satis- 
faction en  attendant  le  bonheur  de  se  voir  détachée 
de  cette  vie  mortelle  :  P  se  repaître  de  la  pratique 
des  maximes  de  l'Évangile;  2°  vivre  dans  une  douce 
familiarité  avec  la  divine  bonté,  qui  permet  à  mon 
âme  de  prendre  ses  délices  en  elle,  bien  qu'il  soit 
évident  que  je  ne  suis  que  poussière  en  présence  de 
sa  Majesté.  Sans  ces  deux  aides  je  ne  puis  comprendre 
comme  on  peut  vivre  en  ce  monde.  La  vie  la  plus 
sublime  consiste  donc  en  ces  deux  points  :  la  pratique 
extérieure  des  vertus  de  l'Evangile  et  la  familiarité 
intérieure  avec  Dieu.  Je  ne  l'aurais  jamais  cru,  si  je 
n'en  avais  été  assurée  par  une  voie  que  je  ne  puis 
indiquer  sur  ce  papier.  »  Or,  ajoute  Martin,  la  Mère 
de  l'Incarnation  a  été  si  solidement  établie  sur  ces 
deux  fondements,  qu'ils  lui  étaient  devenus  comme 
naturels,  en  sorte  qu'il  lui  était  aussi  facile  de  les 
pratiquer  que  de  respirer.  ^ 

Nous  allons  reprendre  maintenant  la  suite  des  faits 
historiques  proprement  dits. 


-«-oî^Ko»^— 


CHAPITRE   XVI.  369 


CHAPITRE  XVI. 


Arrivée  d'un  évoque  à  Québec,   1659.  —  Eloge  qu'en  fait  la  Mère  de  llncar- 
nation.    —   Vertus  du  clergé  de  Québec.   —   Piété   des  sauvages   convertis. 

—  Perfidie   des  Iroquois.   —   Terreur   qu'ils   inspirent  de   nouveau,    1660. 

—  Les  Ursulines  quittent  leur  couvent.  —  Courage  de  la  Mère  de  l'In- 
carnation. —  Etat  de  défense.  —  Héroïsme  de  Daulac ,  qui  sauve  la 
colonie. 


Notre  vénérée  Mère  eut  un  grand  sujet  de  joie 
lorsque,  le  16  juin  1659,  on  vit  arriver  à  Québec  mon- 
seigneur de  Laval ,  premier  évêque  de  cette  ville. 
L'événement  était  d'autant  plus  heureux  que  le  prélat 
était  plus  recommandable.  Voici  comment  elle  en  parle 
dans  une  lettre  de  l'année  1659  :  «  C'est  un  bonheur 
d'avoir  un  homme  dont  les  qualités  personnelles  sont 
si  rares.  Sans  parler  de  sa  naissance,  qui  est  fort 
illustre,  car  il  est  de  la  maison  ûe  Montmorency,  c'est 
un  homme  d'un  mérite  et  d'une  vertu  singulière.  Il 
vit  saintement  et  en  apôtre.  »  Elle  écrit  quelque  temps 
après  :  «  C'est  un  autre  saint  Thomas  de  Villeneuve 
pour  la  charité  et  l'humilité,  car  il  se  donnerait  lui- 
même  pour  cela.  Il  ne  se  réserve  que  le  pire.  Il 
est  infatigable  au  travail  ;  c'est  bien  l'homme  du  monde 
le  plus  austère  et  le  plus  détaché  des  biens  de  cette 
vie.  Il  donne  tout  et  vit  en  pauvre.  » 

Nous  verrons  plus  loin  que  monseigneur  do  Laval  sut 
apprécier,  de  son  côté,  la  Mère  de  l'Incarnation  et  que, 
sans  connaître  ces  éloges,  il  les  lui  rendit  abondamment. 

On  pourrait  être  tenté  de  croire  la  vénérable  Mère 


M.  DE  LINC. 


24 


370  MARIE    DE    l'incarnation. 

disposée,  à  cause  de  sa  grande  piété,  à  tout  voir  en, 
beau  dans  un  évêque  et  même  à  exagérer  ses  vertus 
par  zèle  pour  le  bien.  Non,  tel  n'est  pas  le  vrai  carac- 
tère de  la  sainteté.  L'Apôtre  des   nations  résista  en 
face  à  saint  Pierre,  parce  que,  dit-il,  il  était  repréhen^ 
sible;  sainte  Brigitte  et  d'autres  saintes  ont  parlé  avec 
force  aux  papes  de  leur  temps.  La  Mère  de  l'Incar- 
nation crut  aussi  qu'elle  pouvait,  qu'elle  devait  même 
différer  de  sentiment  avec  monseigneur  de  Laval  au 
sujet  de  quelques  tentatives   qu'il  voulut  faire   pour 
modifier   les    constitutions  et  les  usages    du   monas- 
tère. Voici  ce  qu'elle  dit  dans  une  lettre  du  13  sep- 
tembre 1661  à  la  supérieure  des  Ursulines  de  Tours  : 
«  Monseigneur  notre  prélat  a  quelque  envie  de  chan- 
ger ou    du   moins    d'altérer  nos  constitutions.   Il  en 
a    fait  faire  un  abrégé    selon  son    idée.    Laissant    la 
substance ,   il    retranche    ce    qui    explique   et  facilite 
la  pratique.   Il  a  ajouté  ensuite  ce   qu'il- lui  a  plu, 
en  sorte  que  cet  abrégé,  qui  serait  plus  propre  pour 
des  Carmélites   ou   des  religieuses   du   Calvaire,   que 
pour  des  Ursulines,  ruine  en  réalité  notre  constitution. 
Il  nous  a  donné  huit  mois  ou  un  an  pour  y  penser; 
mais  l'affaire  est  déjà  toute  pensée  et  la  résolution 
toute  prise  :  nous   ne  l'accepterons  pas ,    si  ce  n'est 
à  la  dernière  extrémité  de  l'obéissance.  Nous  ne  dirons 
mot  néanmoins,  pour  ne  pas  aigrir  les  choses  :  car 
nous  avons  affaire  à  un  prélat  qui,   étant  d'une  très- 
haute  piété,   s'il  est  une  fois  persuadé  qu'il  y  va  de 
la  gloire  de  Dieu,   n'en  reviendra  jamais;  et  il  nous 
en  faudra  passer  par  là,  ce  qui  causerait  un  grand 
préjudice  à  nos  observances.  Il  s'en  est  peu  fallu  que 
notre  chant  n'ait  été  retranché.  Pour  la  grand'messe, 
il  veut  qu'elle  soit  chantée  à  voix  droite,  n'ayant  nul 


CHAPITRE    XVI.  371 

égard  à  ce  qui  se  fait  soit  à  Paris,  soit  à  Tours,  mais 
seulement  à  ce  que  son  esprit  lui  suggère  être  pour  le 
.  mieux....  J'attribue  tout  cela  au  zèle  de  ce  très-digne 
prélat;  mais  comme  vous  savez,  mon  intime  Mère,  en 
matière  de  règlements,  l'expérience  le  doit  emporter  sur 
les  spéculations.   Quand  on  est  bien,  il  s'y  faut  tenir.  »» 

Il  arrive  souvent  qu'un  saint  voit  les  choses  et  les 
juge  autrement  qu'un  autre  saint.  Dieu  permet  ces 
conflits  d'intentions  droites  pour  nous  apprendre  à 
nous  défier  de  nous-mêmes  et  nous  ôter  l'envie  de 
prendre  pour  unique  règle  notre  propre  jugement, 
évitant  surtout  d'imposer  trop  facilement  cette  règle 
aux  autres.  La  résistance,  si  modérée  d'ailleurs,  de 
la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  ne  préjudicie  en  rien 
à  sa  sainteté;  et,  d'un  autre  côté,  les  tentatives  de 
monseigneur  de  Laval ,  quand  il  veut  changer  les 
constitutions  et  les  coutumes  de  la  communauté  des 
Ursulines,  ne  jettent  aucune  ombre  sur  sa  piété  et  ses 
éminentes  qualités.  Il  suffit,  pour  en  être  convaincu, 
de  savoir  le  bien  qu'il  fit  à  son  clergé  déjà  si  édifiant 
avant  son  arrivée.  On  en  jugera  par  les  lignes  suivantes 
de  V Histoire  manuscrite  du  Séminaire  de  Québec. 

«  Rien  ne  représente  mieux  la  primitive  Eglise 
que  la  vie  de  ce  clergé.  Ils  n'étaient  tous  qu'un  cœur 
et  qu'une  âme  sous  la  conduite  de  monseigneur  de 
Laval.  Ils  ne  faisaient  qu'une  seule  famille  dont  il 
était  le  père.  Biens  de  patrimoine,  bénéfices  simples, 
pensions;  présents  et  honoraires,  ils  mirent  tout  en 
commun.  Monseigneur  de  Laval  ne  faisait  rien  de 
.considératle  que  de.  concert  avec  tout  son  ctergé: 
ses  biens  étaient  aussi  en  commun.  Il  n'y  avait  ni 
riches  ni  pauvres,  ils  étaient  tous  frères. 

»  Le  trait  suivant  suffirait  seul  pour  constater  la 


372  MARIE    DE    l'incarnation. 

grande  piété  de  l'évêque  de  Québec.  Une  pieuse  sœur  de 
l'hôpital,  âgée  de  vingt  ans  seulement,  mais  déjà  en 
grande  réputation  de  vertu,  étant  malade  à  l'extrémité, 
monseigneur  de  Laval  voulut  la  veiller  lui-même  la  der- 
nière nuit  de  sa  vie,  afin  d'être  témoin  des  paroles  pleines 
d'onction  qu'elle  adressait  à  tous  ceux  qui  l'approchaient.  » 
Une  conduite  aussi  admirable  du  clergé  canadien 
est  une  preuve  éclatante  de  la  beauté  de  cette  nou- 
velle église'  et  de  son  vigoureux  esprit  chrétien.  Mais 
on  est  plus  étonné  quand  on  voit  à  quel  degré  de  piété 
et  à  quelle  délicatesse  de  sentiments  les  sauvages 
convertis  avaient  pu  être  élevés  en  si  peu  de  temps. 
Les  preuves  que  nous  en  donnons  ne  peuvent  que  causer 
un  grand  plaisir  et  une  grande  édification. 


Un  capitaine  huron  disait  que  depuis  qu'il  était 
baptisé,  il  lui  semblait  avoir  acquis  une  grande  parenté; 
que  quand  il  entrait  dans  l'église  il  croyait  que  tous 
ceux  qu'il  y  voyait  étaient  sa  famille,  et  que  si  les 
Iroquois  étaient  baptisés,  il  les  regarderait  comme  ses 
proches,  parce  qu'ils  ne  seraient  plus  méchants. 

Une  sauvage  demandait  un  jour  si  la  prière  qu'elle 
faisait  était  bonne,  car,  disait-elle,  je  ne  l'ai  apprise 
de  personne.  Quand  je  couche  ma  petite  fille  dans  son 
berceau,  je  fais  le  signe  de  la  croix  sur  elle,  et  j'adresse 
ces  paroles  à  celui  qui  a  tout  fait  :  <*  Ma  petite  fille 
dit  par  ma  bouche  et  par  mon  cœur,  puisqu'elle  ne 
saurait  encore  parler  :  —  C'est  toi  qui  m'as  donné  la  vie, 
conserve-la-moi  ;  éloigne  de  moi  le  méchant  manitou  : 
quand  je  serai  grande,  je  croirai  en  toi,  je  t'aimerai, 
je  t'obéirai.  —  Voilà  ce  que  dit  ma  fille  par  la  bouche 


CHAPITRE    XVI.  373 

de  sa  mère,  fais- moi  la  grâce  de  lui  apprendre  un  jour 
à  te  lo  dire  par  la  sienne.  » 

Une  autre  bonne  Huronne  avait  coutume,  quand 
elle  allaitait  son  enfant ,  d'adresser  cette  prièi-e  au 
Saint  Enfant  Jésus  :  «  Ah  !  Seigneur,  que  je  me  fusse 
estimée  heureuse  si,  pendant  votre  enfance,  la  Sainte 
Vierge  m'eût  permis  de  vous  allaiter  de  quelques  gouttes 
de  mon  lait!  mais  puisque  je  n'ai  pas  eu  le  bonheur 
de  me  trouver  au  monde  pour  lors  et  de  vous  rendre 
ce  petit  service,  je  vous  le  veux  rendre  au  moins  dans 
la  personne  de  mon  fils  :  car  vous  avez  dit  que  ce 
qu'on  ferait  au  moindre  des  vôtres,  vous  le  regarderiez 
comme  fait  à  vous-même.  » 

Elle  s'entretenait  avec  Notre-Seigneur  d'une  manière 
si  tendre  et  si  familière,  qu'elle  en  avait  du  scrupule, 
parce  qu'elle  s'esticsait  trop  méprisable  pour  se  laisser 
aller  à  cet  abandon.  Il  fallut  la  rassurer  pour  qu'elle 
osât  continuer  cette  naïve  et  pieus3  méthode. 

Le  supérieur  des  Jésuites  demanda  un  jour  à  une 
troupe  de  Huronnes  chrétiennes,  à  propos  de  quelques 
dames  de  France  qui  leur  avaient  envoyé  des  présents, 
si  elles  pouvaient  aimer  les  personnes  qu'elles  n'avaient 
jamais  vues.  Une  d'entre  elles  répondit  :  «  Pourquoi 
non,  mon  Père?  nous  aimons  bien  Dieu  que  nous  ne 
voyons  pas;  ces  personnes  nous  aiment  aussi  sans 
nous  avoir  vues.  Nous  voyons  les  aumônes  qu'elles 
nous  envoient,  et  cela  nous  fait  souvenir  continuelle- 
ment des  obligations  que  nous  leur  avons.  » 

Elles  s'entretenaient  toujours  de  bons  discours  et 
parlaient  de  l'état  religieux  avec  une  grande  estime. 
*  Les  filles  vierges,  disaient-elles,  sont  si  parfaitement 
à  Dieu  qu'elles  n'ont  point  d'autre  volonté  que  la  sienne. 
La  santé  ou  la  maladie,  la  vie  ou  la  mort,  tout  leur 


374  MARIE    DE    l'incarnation. 

est  indifférent;  elles  souffrent  patiemment  et  se  ren- 
dent en  toutes  choses  très-agréables  à  Dieu;  elles 
savent^e  chemin  du  ciel.  Il  n'en  est  pas  de  même 
de  nous;  nous  n'avons  pas  encore  de  bons  yeux;  nous 
ne  savons  pas,  comme  elles,  ce  qu'il  faut  dire  à  Dieu 
et  de  quelle  manière  il  faut  lui  parler.  « 

Tels  étaient  les  prodiges  de  grâce  opérés  parmi 
ces  sauvages  qui,  peu  auparavant,  étaient  presque 
aussi  abrutis  que  les  animaux  de  leurs  forêts.  Voilà 
comment  les  missionnaires  et  les  religieuses  étaient 
parvenus  à  les  transformer. 


La  paix  conclue  avec  les  Iroquois  ne  fut  pas  de 
longue  durée,  ou  plutôt  ce  n'était  f)as  une  paix,  mais 
une  atroce  perfidie  de  la  part  des  sauvages  et  un  piège 
dans  lequel  les  Français  s'étaient  laissé  prendre.  Ce 
n'était  pas  toutefois  sans  que  d'autres  habitants  du 
pays  les  eussent  engagés  à  se  tenir  en  garde  au  sujet 
des  propositions  de  paix.  «  Les  pauvres  sauvages, 
en  général,  dit  la  vénérable  Mère,  n'osent  se  fier 
aux  Iroquois,  après  tant  de  preuves  qu'ils  ont  de  leur 
mauvaise   foi.    Ils   disent   sans   cesse   à  nos  Français 

o 

que  les  Iroquois  sont  des  fourbes  et  que  toutes  leurs 
avances  ne  sont  que  des  déguisements  qui  ont  pour 
but  de  nous  perdre.  » 

Cependant  toutes  les  apparences  étaient  de  nature 
à  faire  mépriser  ces  appréhensions.  Les  Iroquois  avaient 
demandé  en  signant  la  paix,  à  emmener  des  Jésuites 
avec  eux  pour  leur  enseigner  la  foi.  Ces  Pères  parti- 
rent avec  joie  et  en  instruisirent  un  bon  nombre  le 
long  de  la  route.  Ils  furent  reçus  partout  avec  enthou- 


CHAPITRE    XVI.  375 

siasme;  on  leur  bâtit  une  chapelle  decorce  qui  ne 
désemplissait  pas.  Un  Père  baptisa  lui  seul  quatre 
cents  personnes  et  les  autres  à  peu  près  autant.  Les 
Iroquois  allèrent-  plus  loin  encore  et  demandèrent  des 
missionnaires  en  plus  grand  nombre  ainsi  qu'une 
compagnie  de  colons  français  pour  établir  une  habi- 
tation fixe.  Cinquante-cinq,  y  compris  quatre  Pères  et 
trois  Frères  Jésuites  ainsi  que  quelques  soldats  de 
la  garnison,  s'offrirent  pour  cette  œuvre  de  dévoûment 
et  partirent  sous  la  conduite  d'un  jeune  gentilhomme 
qui  avait  un  commandement  dans  le  fort  de  Québec. 
«  Lorsque  cet  officier  me  fit  l'honneur  de  me  dire 
adieu ,  dit  notre  vénérable  Mère ,  il  m'assura  avec 
une  ferveur  qui  ne  sentait  point  son  homme  de 
guerre,  qu'il  exposerait  volontiers  sa  vie  et  qu'il 
s'estimerait  heureux  de  mourir  pour  un  si  glorieux 
dessein.  » 

Cela  fait  voir  que  les  esprits  sérieux  ne  regardaient 
pas  l'affaire  comme  très-claire.  En  effet,  peu  de  temps 
après,  les  Iroquois  firent  entre  eux  une  conjuration 
pour  massacrer  tous  les  Pères  et  tous  les  Français 
qui  les  avaient  accompagnés.  Heureusement  ceux-ci 
furent  avertis  par  un  Iroquois  sincèrement  chrétien, 
et  ils  purent  s'échapper.  Mais  alors  la  guerre  recom- 
mença avec  une  fureur  et  une  rage  que  l'on  n'avait 
pas  encore  vue.  Les  habitants  de  Québec  étaient  pour 
la  plupart  dispersés  à  la  campagne  au  printemps  de 
1660,  quand  soudain  se  répand  la  nouvelle  que  douze 
cents  Iroquois  s'avancent  avec  l'intention  de  détruire 
la  colonie,  «  et  que,  dans  ce  but,  ils  vont  commencer 
par  la  capitale  où   réside    Ononthio,^   afin    qu'ayant 

(l)  C'est  le  nom  que  les  sauvages  donnaient  au  gouverneur  du  Canada. 


376  MARIE    DE    l'incarnation. 

coupé  la   tête,    il   leur   soit   facile   d'avoir   raison   des 
membres.  » 

Partout,  à  cette  nouvelle,  se  répand  la  consternation. 
Des  prières  publiques  se  font  dans  toutes  les  églises 
et  on  y  expose  le  Saint-Sacrement.  L'évêque,  craignant 
pour  les  religieuses,  les  obligea  de  quitter  leur  demeure, 
et  il  les  fit  conduire  chez  les  Pères  Jésuites,  où  on  leur 
donna  un  corps  de  logis  séparé  et  un  autre  aux  hospi- 
talières. «  Quand  les  habitants  nous  virent  quitter 
une  maison  aussi  forte  que  la  nôtre,  dit  la  vénérable 
Mère,  ils  furent  si  épouvantés  qu'ils  crurent  que  tout 
était  perdu.  Cependant  le  monastère  fut  mis  en  état 
de  défense;  on  y  construisit  des  redoutes;  toutes  les 
fenêtres  furent  garnies  de  poutreaux  et  murées  à  moitié 
avec  des  meurtrières.  »  Cette  maison  de  paix  était 
ainsi  transformée  en  un  fort  gardé  par  vingt- quatre 
hommes  armés  jusqu'aux  dents  et  résolus  de  faire 
leur  devoir  de  soldats  comme  les  pieuses  filles  dont 
ils  occupaient  la  demeure  faisaient  celui  de  religieuses. 

>  J'eus  permission  de  ne  point  quitter  le  monastère, 
ajoute  notre  vénérable  Mère,  pour  ne  pas  le  laisser  à 
l'abandon  parmi  tant  d'ho«imes  de  guerre,  à  qui  je 
devais  d'ailleurs  préparer  à  manger  et  fournir  des 
munitions.  Trois  autres  religieuses  demeurèrent  avec 
moi.  Je  n'avais  aucune  crainte  ni  intérieure  ni  appa- 
rente; mais  j'avoue  que  je  fus  sensiblement  touchée 
lorsque  je  vis  qu'on  nous  ôtait  le  Saint-Sacrement. 
Une  de  nos  sœurs,  nommée  de  Sainte-Ursule,  pleurait 
amèrement  et  demeurait  inconsolable.  Toutes  les  ave- 
nues des  cours  étaient  barricadées;  de  plus,  nous 
avions  une  douzaine  de  grands  chiens  qui  gardaient 
les  portes  extérieures,  et  dont  la  garde  valait  mieux 
que  celle  des  hommes  pour  écarter  les  sauvages.  » 


CHAPITRE    XVI  377 

En  effet,  ces  chiens,  très-répandus  dans  la  colonie 
et  dressés  à  la  chasse  des  Peaux-Rouges,  les  flairaient 
avec  un  instinct  merveilleux.  Au  plus  léger  bruit,  le 
poil  hérissé,  les  yeux  flamboyants,  ils  se  précipitaient 
sur  leur  proie  humaine.  Malheur  alors  à  l'Iroquois 
caché  dans  les  taillis  ou  se  glissant  dans  l'ombre,  le 
chien  bondissait  sur  lui  et  le  mettait  en  pièces. 

Une  nuit  se  passe  ainsi  dans  une  anxiété  et  des 
transes  mortelles;  le  lendemain  matin,  les  Ursulines 
reviennent  au  monastère  avec  leurs  élèves;  le  soir, 
elles  retournent  chez  les  Pères  Jésuites,  scène  qui  se 
renouvela  pendant  huit  jours. 


Le  8  juin,  après  Cinq  semaines  entières  de  fatigues 
et  d'angoisses  sans  cesse  renouvelées,  on  commençait 
à  se  rassurer  un  peu  lorsque  tout  à  coup  la  nouvelle 
se  répand  que  les  Iroquois  sont  sur  le  point  d'arriver 
à  Québec.  «  En  un  instant,  dit  la  Mère  de  l'Incarnation, 
chacun  fut  à  son  poste  et  en  mesure  de  se  défendre. 
Toutes  nos  portes  furent  de  nouveau  barricadées  et  je 
donnai  à  chaque  soldat  ce  qui  lui  était  nécessaire.  On 
redoubla  de  prières;  la  confiance  en  la  Sainte  Vierge 
était  sans  bornes.  Un  de  nos  domestiques,  que  je 
faisais  travailler  à  nos  fortifications,  me  dit  avec  une 
ferveur  tout  animée  de  confiance  :  «  Ne  vous  imaginez 
pas,  ma  Mère,  que  Dieu  permette  que  l'ennemi  nous 
surprenne;  il  enverra  quelque  Huron,  par  les  prières 
de  la  Sainte  Vierge,  qui  nous  donnera  les  avis  néces- 
saires. «  Ce  discours  me  toucha  fort,  et  il  se  vérifia 
dès  le  jour  même  ou  le  lendemain.  Deux  Hurons 
prisonniers,  qui  s'éfaient  échappés  comme  miraculeuse- 


378  MARIE    DE    l'incarnation. 

ment  par  l'assistance  de  la  Sainte  Vierge,  apportèrent 
la  nouvelle  du  généreux  dévoûment  de  Daulac  et  de 
ses  compagnons,  ainsi  que  de  la  retraite  de  l'ennemi.*  » 


CHAPITRE  XVII. 

Trafic  des  boissons  enivrantes.  —  Prédictions  sinistres.  —  Horrible  tremblement 
de  terre,  1663.  —  Tranquillité  de  la  vénénable  Mère.  —  Conversions  et  renou- 
vellement du  Canada.  —  Prospérité.  —  M.  de  Tracy  gouverneur,  1665.  — 
Expéditions  contre  les  Iroquois.  —  Leur  soumission.  —  Ils  se  révoltent  de 
nouveau  vingt  ans  après  ;  mais  alors  leur  puissance  est  anéantie  sans  retour. 

Délivré,  au  moins  pour  un  temps,  d'une  guerre  qui 
avait  plus  d'une  fois  mis  la  colonie  à  deux  doigts  de 
sa  perte,  il  semble  que  le  Canada  pouvait  respirer, 
travailler  à  accroître  ses  forces  et  assurer  ainsi  son 
avenir.  Ne  pouvait-il  pas  compter  sur  la  protection 
divine  avec  un  clergé  si  pieux,  si  dévoué  aux  intérêts 
du   Ciel  et  à  ceux  du  pays,   avec  une  population   si 

(1)  Daulac  était  un  jeune  militaire  qui,  avec  seize  colons  non  moins  généreux 
que  lui,  avait  résolu  de  sacrifier  sa  vie  pour  sauver  le  pays.  Tous  ayant  fait 
leur  testament,  s'étant  confessés  et  ayant  communié  dans  l'église  de  Montréal, 
appelée  alors  Villemarie,  jurèrent  aux  pieds  des  saints  autels  de  rester  fidèlement 
unis  jusqu'à  la  mort  et  de  ne  jamais  demander  quartier.  Certains  de  ne  plus  revoir 
leurs  foyers,  ils  embrassèrent  tous  ceux  qui  leur  étaient  chers,  et  s'éloignèrenr 
accompagnés  des  larmes  et  des  bénédictions  de  ceux  pour  qui  ils  allaient  mourir. 
Ils  allèrent  s'enfermer  dans  un  fort  qui  n'en  avait  guère  que  le  nom  et  y  atten- 
dirent les  Iroquois.  Quelques  jours  après,  ils  se  virent  rejoints  par  quarante 
guerriers  hurons,  commandés  par  un  vieux  héros  chrétien  de  la  môme  nation, 
nommé  Anahotaha.  Un  fameux  chef  algonquin,  avec  six  de  ses  guerriers,  s'était 
joint  à  eux. 

Ils  furent  attaqués  d'abord  par  deux  cents  Iroquois,  dont  ils  tuèrent  ou  blés- 


CHAPITRE, XVII.  379 

pleine  de  foi  et  si  fidèle  à  ses  devoirs?  Tel  eût  été, 
selon  toute  apparence,  le  cours  des  événements,  si  un 
funeste  désordre  n'eût  fait  tout  à  coup  d'effroyables 
progrès  dans  cette  chrétienté  si  admirable. 

Il  est  vrai  que  Dieu  tolère  quelquefois  de  plus  grands 
scandales  sans  les  châtier  comme  il  fit  en  cette  circon- 
stance, mais  il  n'use  de  cette  apparente  indulgence  qu'à 
l'égard  des  peuples  qui  ont  longtemps  irrité  sa  colère 
et  mérité  une  sorte  d'indifférence  de  sa  part.  Il  agit 
de  la  sorte  surtout  à  l'égard  des  nations  infidèles  ou 
hérétiques  ;  mais  comme  il  aimait  le  Canada,  il  voulut 
arrêter  un  mal  qui  l'eût  foccé  de  retirer  sa  protection 
à  cette  chrétienté  naissante  et  si  digne  encore  de  ses 
faveurs,  et  il  le  fit  d'une  manière  qui  ne  permettait 
pas  de  méconnaître  l'action  de  sa  toute-puissance. 

sèrent  la  plus  grande  partie  sans  perdre  un  seul  homme.  Mais  bientôt  une  armée 
entière  les  investit  de  tous  les  côtés.  A  ce  moment,  vingt-quatre  des  sauvages 
chrétiens  passèrent  par-dessus  les  palissades  et  se  rendirent  à  l'ennemi  pour 
sauver  leur  vie.  Il  ne  restait  plus  que  quatorze  Hurons,  quatre  Algonquins  et 
les  dix-sept  Français.  Tous  sentirent  croitre  leur  courage  et  s'affermirent  dans 
la  résolution  de  mourir.  Sans  cesse  attaqués  durant  sept  jours  et  sept  nuits,  ils 
soutinrent  un  feu  continuel,  encore  plus  tourmentés  néanmoins  par  le  froid,  la 
faim,  la  soif  et  l'insomnie,  que  par  les  Iroquois.  Ceux-ci,  honteux  d'avoir  été  tant 
de  fois  repoussés  par  un  si  petit  nombre  de  guerriers,  s'élancèrent  tous  ensemble 
à  travers  les  balles.  Les  cadavres  amoncelés  tout  autour  du  camp  leur  servirent 
pour  escalader  les  palissades  ;  mais  les  assiégés  continuèrent  la  défense  tant  qu'il 
leur  fut  possible  de  se  battre.  Quatre  Français  seulement  et  quatre  Hurons  tom- 
bèrent vivants  entre  les  mains  de  l'ennemi. 

Les  Iroquois  furent  terrifiés  en  comparant  le  nombre  de  leurs  morts  et  celui 
de  leurs  victimes.  Après  avoir  assouvi  leur  vengeance  sur  les  prisonniers  français, 
ils  retournèrent  vers  leurs  villages,  n'osant  aller  attaquer  un  pays  peuplé  de  tels 
héros.  La  colonie  était  sauvée.  Quand  on  eut  appris  ces  détails  par  des  Hurons 
qui  étaient  parvenus  à  s'échapper ,  un  sentiment  douloureux  pénétra  tous  les 
cœurs  ;  mais  on  voua  une  éternelle  reconnaissance  aux  héros  chrétiens  ensevelis 
dans  leur  triomphe. 


380  MARIE    DE    l'incarnation. 

Dès  l'origine  de  la  fondation  du  Canada,  quelques 
hommes  que  l'envie  de  faire  fortune  avait  portés  à  se 
joindre  aux  véritables  colons,  et  qui  ne  prévoyaient 
peut-être  pas  d'abord  les  terribles  conséquences  dont 
leur  cupidité  devait  être  suivie,  vendaient  aux  sauvages 
convertis  des  boissons  enivrantes,  qui  mettaient  ces 
infortunés  hors  d'eux-mêmes  au  point  de  les  leur  faire 
rechercher  avec  un  irrésistible  entraînement;  mais  les 
premiers  gouverneurs  avaient  pris  des  mesures  éner- 
giques pour  réprimer  ce  commerce. 

Malheureusement  un  faux  amour  de  liberté  vint  un 
jour  remplacer  cette  sage  et  seule  vraie  politique.  Le 
baron  d'Avaugour,  établi  gouverneur  du  pays  dans  le 
cours  de  l'année  1661,  après  avoir  suivi  quelque  temps 
la  conduite  de  ses  prédécesseurs,  changea  tout  à  coup 
de  dispositions,  et,  malgré  les  protestations  du  clergé 
et  des  citoyens  les  plus  recommandables,  il  laissa  un 
libre  cours  à  l'infâme  trafic.  Voicr  comment  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  en  fait  connaître  les  suites 
désastreuses.  Elle  écrit  à  son  fils,  le  10  août  1662  : 

«  Je  vous  ai  parlé  dans  une  autre  lettre  d'une  croix 
que  je  vous  disais  m'être  plus  pesante  que  toutes  les 
hostilités  des  Iroquois.  11  y  a,  en  ce  pays,  des  Français 
si  misérables  et  si  peu  touchés  de  la  crainte  de  Dieu, 
qu'ils  perdent  tou§  nos  nouveaux  chrétiens,  Içur  don- 
nant des  boissons  enivrantes  pour  tirer  d'eux  des  peaux 
de  castors.  Ces  boissons  perdent  tous  ces  pauvres  gens, 
les  hommes,  les  femmes,  les  garçons,  les  filles  mêmes  : 
car  chacun  est  maître  dans  la  cabane  quand  il  s'agit 
jde  manger  et  de  boire.  Ils  sont  pris  tout  aussitôt  et 
deviennent  comme  furieux;  ils  courent  nus  avec  des 
épées  et  d'autres  armes,  et  font  fuir  tout  le  monde.  y> 

Le  Père  Lallement  dit  de  son  côté  dans  sa  Relation  : 


CHAPITRE    XVII.  381 

«  Les  sauvages  réduisaient  leur  famille  à  la  mendicité; 
ils  allaient  même  jusqu'à  vendre  leurs  propres  enfants 
pour  avoir  de  quoi  contenter  cette  passion  enragée. 
Je  ne  veux  pas  décrire  les  malheurs  que  ces  désordres 
ont  causés  à  cette  Eglise  naissante.  Mon  encre  n'est 
pas  assez  noire  pour  les  dépeindre  ;  il  faudrait  du  fiel 
de  dragon  pour  exprimer  ici  les  "amertumes  que  nous 
en  avons  ressenties.  Qu'il  suffise  de  dire  que  nous^ 
perdons  en  "un  mois  les  sueurs  et  les  travaux  de  dix 
et  vingt  années.  » 

Les  plus  intelligents  et  les  plus  chrétiens  parmi  les 
sauvages  ne  se  faisaient  pas  illusion  sur  la  grandeur 
du  mal.  Un  capitaine  algonquin,  homme  plein  de  foi 
et  le  premier  baptisé  du  Canada,  dit  un  jour  aux 
Ursulines  :  «  Ononthio  (le  gouverneur)  nous  tue,  en  per- 
mettant qu'on  nous  donne  des  boissons.  —  Dis-lui  qu'il 
le  défende.  —  Je  le  lui  ai  dit 'deux  fois,  et  il  n'en  fait  rien.  * 

En  vain  l'autorité  épiscopale  sévit  contre  les  préva- 
ricateurs et  fulmina  une  sentence  d'excommunication  : 
le  mal  avait  fait  trop  de  progrès  et  il  exerçait  trop 
d'empire  sur  ceux  qui  s'en  étaient  faits  les  propagateurs 
ou  les  victimes.  Dieu  seul  pouvait  apporter  un  remède 
efficace  et  il  s'en  chargea,  touché  par  la  piété  et  la 
générosité  des  âmes  qui  versaient  des  larmes  amères  à 
la  vue  de  si  horribles  scandales  et  en  pensant  à  la  perte 
d'un  si  grand  nombre  de  chrétiens  encore  trop  faibles 
et  trop  peu  éclairés  pour  résister  à  une  pareille  tentation. 

«  Je  désirais,  écrivait  à  son  fils,  la  Mère  de  l'Incar- 
nation, d'être  chargée  dé  tous  ces  péchés,  comme  s'ils 
m'eussent  été  propres,  afin  d'en  recevoir  seule  le  châti- 
ment. J'eusse  voulu  même  que  toutes  ces  abominations 
eussent  paru,  aux  yeux  des  hommes,  comme  étant  mes 
propres  crimes.  »  Enfin  le  châtiment  arriva,   portant 


382  MARIE    DE   l'incarnation. 

le  cachet  de  cette  grandeur  et  de  cette  majesté  divine 
à  laquelle  rien  ne  peut  être  comparé,  de  cette  puissance 
infinie  qui  ébranle  les  montagnes  et  fait  trembler  la 
terre  quand  il  lui  plaît,  et  enfin  d'une  miséricorde  qui 
ne  demande  pas  la  mort  du  pécheur,  mais  qu'il  se 
convertisse  et  qu'il  vive. 

«  Le  3  février  1663,  une  sauvage  chrétienne  et  fort 
pieuse,  étant  la  nuit  dans  sa  cabane,  entendit  une  voix 
lui  affirmer  distinctement  qu'il  allait  arriver  des  choses 
extraordinaires.  Le  lendemain,  en  plein  jour,  lorsqu'elle 
était  dans  les  bois,  la  même  voix  lui  dit  :  «  Demain, 
entre  cinq  et  six  heures  du  soir,  la  terre  tremblera 
d'une  manière  eff'rayante.  »  Elle  raconta  ce  qu'elle 
avait  entendu,  mais  personne  ne  voulut  la  croire;  on 
supposa  que  c'était  ou  une  visionnaire  ou  une  fourbe 
qui  voulait  se  faire  passer  pour  prophétesse.  Il  faisait 
d'ailleurs  un  très-beau  temps;  le  lendemain  parut 
encore  plus  doux,  et  comme  c'était  le  lundi  gras,  on 
ne  pensa  qu'à  se  divertir. 

j»  Ce  même  jour,  une  sœur  hospitalière,  la  Mère 
Catherine  de  Saint-Augustin,  qui  était  en  grande  répu- 
tation de  sainteté,  priait  devant  le  Saint-Sacrement, 
entre  quatre  et  cinq  heures  du  soir.  A  un  moment  où 
l'Esprit-Saint  agissait  fortement  en  elle,  .il  lui  sembla 
voir  que  Dieu  était  grandement  irrité  contre  le  Canada. 
Se  trouvant  alors  saisie  d'un  zèle  ardent  pour  les  inté- 
rêts de  sa  justice,  elle  ne  put  s'empêcher  de  demander 
le  châtiment  des  iniquités  ;  mais  elle  s'offrit  aussitôt 
pour  être  elle-même  la  victime  de  la  vengeance  céleste. 
Alors  elle  eut  cette  étrange  vision  :  quatre  démons 
furieux,  aux  quatre  côtés  des  terres  voisines  de  Québec, 
les  secouaient  si  rudement,  qu'ils  se  proposaient  de 
renverser  toute  la  colonie.  En  même  temps,  un  jeune 


CHAPITRE   XVII.  383 

homme  à  l'air  majestueux,  montra  lautorité  qu'il  avait 
sur  ces  spectres,  en  arrêtant  leur  fureur;  puis  il  leur 
lâcha  la  bride,  et  elle  entendit  les  démons  dire  que  ce 
qui  allait  arriver  convertirait  tous  les  pécheurs.  Ils 
ajoutèrent,  apparemment  pour  se  consoler,  que  ce  ne 
serait  que  pour  un  temps.  '  » 

La  religieuse  continua  de  prier;  vers  cinq  heures 
et  demie,  on  entendit  dans  toute  l'étendue  du  Canada 
un  bruit  semblable  à  celui  de  plusieurs  voitures  lancées 
à  toute  vitesse  sur  des  pavés,  et  aux  flots  de  la  mer 
dans  les  violentes  tempêtes.  On  aurait  dit  que  des  cris 
éclataient  dans  les  airs.  On  entendait  comme  une  grêle 
de  pierres  sur  les  toits,  dans  les  greniers  et  dans  les 
appartements,  en  même  temps  que  des  tourbillons  de 
poussière  obscurcissaient  le  ciel.  Des  portes  s'ouvraient 
d'elles-mêmes,  d'autres  qui  étaient  ouvertes  se  fer- 
maient. Les  cloches  des  églises  sonnaient  toutes  seules  ; 
les  clochers  et  les  autres  édifices  étaient  agités  et 
balancés  comme  des  arbres  pendant  la  tempête.  Il  faut 
ajouter  à  cela  une  horrible  confusion  de  meubles  qui 
se  renversaient,  de  pierres  qui  tombaient,  de  planchers- 
qui  se  séparaient,  de  murs  qui  se  fendaient.  Les  habi- 
tants, affolés  de  terreur,  sortaient  dé  leurs  maisons 
par  la  crainte  d'y  être  écrasés,  puis  ils  y  rentraient, 
ramenés  par ■  une  terreur  plus  grande;  ils  allaient  et 
venaient  comme  des  insensés.  Les  animaux  n'étaient 
pas  moins  effrayés  que  les  hommes:  les  bêtes  sauvages 
sortirent  des  forêts  et  vinrent  faire  entendre  jusque 
dans  les  villes  des  hurlements  qui  se  mêlaient  aux  cris 
des  animaux  domestiques. 

On  ne  se  rendit  pas  compte,  au  premier  moment,  de 

(1)  Histoire  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  par  une  religieuse  rie  la  maison. 


384  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

cet  épouvantable  bouleversement;  les  uns  crurent  à  un 
incendie  qui  consumait  la  ville  entière;  les*  autres 
s'imaginèrent  une  attaque  subite  des  Iroquois,  tant  les 
esprits  étaient  troublés.  Bientôt  cependant  les  secousses 
de  tremblement  de  terre  devenant  plus  fortes,  on  com- 
prit la  nature  du  fléau.  Alors  on  se  crut  arrivé  au 
jugement  dernier.  On  vit  des  hommes,  d'ailleurs  intré- 
pides, s'évanouir  de  frayeur;  d'autres  se  prosternaient 
la  face  contre  terre  en  se  frappant  la  poitrine,  ou 
élevaient  les  mains  vers  le  ciel  en  implorant  la  misé- 
ricorde de  Dieu.  La  consternation  fut  universelle;  mais 
ceux-là  surtout  furent  comme  foudroyés,  qui  se  livraient 
au  moment  même  aux  divertissements  du  carnaval. 
Pendant  toute  la  nuit,  les  églises  furent  remplies  de 
fidèles  qui  entouraient  les  tribunaux  sacrés. 


La  première  agitation  dura  une  demi-heure,  et  elle 
fut  suivie  d'un  peu  de  calme;  puis,  à  huit  heures  du 
soir,  il  y  eut  une  nouvelle  secousse.  Les  Ursulines 
étaient  alors  au  chœur,  rangées  dans  leurs  stalles  et 
psalmodiant  l'office  des  matines.  Le  choc  fut  si  violent 
que  toutes  se  trouvèrent  instantanément  à  genoux. 
Une  personne  dit  le  lendemain  à  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion qu'elle  avait  compté  trente-deux  oscillations  pen- 
dant la  nuit.  Elles  étaient  telles,  quelquefois,  que  l'on 
éprouvait  un  balancement  analogue  à  celui  d'un  vais- 
seau bercé  par  les  vagues  et  elles  produisaient  le  même 
effet,  c'est-à-dire  le  mal  de  mer. 

Ces  phénomènes  éclatèrent  dans  une  étendue  de  cent 
lieues  et  une  profondeur  de  deux  cents  :  en  sorte  qu'une 
superficie  de  vingt  mille  lieues  trembla  b  même  jour 


CHAPITRE    XVII.  385 

et  à  la  même  heure,  d'après  les  rapports  que  firent 
plus  tard  les  voyageurs.  Dans  tout  le  Canada,  l'horrible 
fléau  dura  sept  mois.  Commencé  le  5  février,  il  ne 
cessa  qu'au  mois  de  septembre,  en  sorte  que  les  plus 
hardis  furent  dans  des  transes  continuelles.  «  Quand 
nous  nous  trouvions  à  la  fin  de  la  journée,  dit  la  véné- 
rable Mère,  nous  nous  préparions  comme  pour  être 
englouties  en  quelque  abîme  pendant  la  nuit.  Le  jour 
étant  venu,  nous  attendions  continuellement  la  mort.  » 

En  eff'et,  outre  lés  catastrophes  dont  on  était  témoin 
en  chaque  endroit,  on  apprenait  sans  cesse  que  des 
bouleversements  dont  on  n'avait  jamais  eu  l'idée  avaient 
lieu  soit  d'un  côté,  soit  d'un  autre.  Des  abîmes  profonds 
s'étaient  ouverts,  des  torrents  s'étaient  creusé  un  nou- 
veau passage,  de  nouvelles  fontaines  avaient  surgi, 
des  collines  s'étaient  élevées  oii  l'on  n'en  avait  jamais 
vu,  des  montagnes  avaient  disparu.  On  voyait  des 
rochers  renversés,  des  terres  profondément  remuées, 
des  forêts  détruites,  les  arbres  étant  en  partie  renversés, 
en  partie  enfoncés  en  terre  jusqu'à  la  cime.  Des  plaines 
considérables,  qui  étaient  auparavant  couvertes  d'arbres 
et  de  broussailles,  se  trouvèrent  balayées  et  sans  trace, 
pour  ainsi  dire,  de  végétation.  Une  île  nouvelle  surgit 
dans  le  fleuve  Saint-Laurent.  «  Mais  ce  qui  nous  a 
surtout  étonnés,  ajoute  la  Mère  de  l'Incarnation,  c'est 
que  ce  grand  fleuve  qui,  à  cause  de  son  immense 
profondeur,  ne  change  jamais  de  couleur,  ni  par  la 
fonte  des  neiges,  ni  par  le  grossissement  de  plus  de 
cinq  cents  rivières  et  six  cents  ruisseaux,  assez  consi- 
dérables pour  la  plupart,  qui  s'y  jettent,  prit  une  couleur 
de  soufre  et  la  conserva  pendant  huit  jours.  » 

Quelques  sauvages,  que  la  peur  avait  chassés  des  bois 
où   ils   demeuraient,    voulurent  retourner   dans   leurs 

M.  D.  l'inc.  25 


386        ■  MARIE    DE    l'incarnation. 

cabanes,   mais   ils  trouvèrent   un  lac  à  la   place.   Le 
même  phénomène  eut  lieu  en  d'autres  endroits. 

A  Tadoussac,  localité  située  à  trente  lieues  de  Québec, 
il  plut  de  la  cendre  pendant  six  heures  en  telle  quan- 
tité, qu'il  y  en  avait  un  pouce  d'épais  sur  la  terre  et 
dans  les  barques.  Nous  omettons  une  foule  d'autres 
détails  plus  étranges  les  uns  que  les  autres,  et  qu'il 
serait  trop  long  de  rapporter,  mais  qui  renouvelaient 
sans  cesse  la  terreur  dans  tous  les  esprits. 

Des  météores  nombreux,  que  l'on  avait  vus  durant 
l'automne  précédent,  parurent  en  plus  grand  nombre 
encore  pendant  les  tremblements  de  terre  et  ajoutaient 
à  la  terreur  produite  par  ce  qui  se  passait  à  la  surface 
du  globe.  Outre  que  ces  phénomènes  affectent  souvent 
des  formes  étranges  et  propres  par  elies -mêmes  à 
effrayer,  l'imagination  ne  manquait  peut-être  pas  d'y 
ajouter  beaucoup.  D'après  une  Relation  des  Jésuites, 
on  avait  vu  «  des  serpents  embrasés,  qui  s'enlaçaient 
les  uns  dans  les  autres  en  forme  de  caducée,  et  volaient 
par  le  milieu  des  airs,  portés  sur  des  ailes  de  feu.  On 
avait  aperçu  au-dessus  de  Québec  un  globe  de  flamme, 
dont  les  étincelles  qu'il  dardait  de  toutes  parts  mêlaient 
de  frayeur  le  plaisir  qu'on  prenait  à  le  voir.  Ce  même 
météore  parut  sur  Montréal  ;  mais  il  semblait  sortir 
du  sein  de  la  lune,  avec  un  bruit  égal  à  celui  des 
canons  et  des  tonnerres  ;  et  après  s'être  promené  plu- 
sieurs lieues  en  l'air,  il  avait  été  se  perdre  derrière 
la  montagne  dont  l'île  porte  le  nom.  » 

Plusieurs  affirmèrent  avoir  vu  dans  les  airs  un 
spectre  portant  un  flambeau  à  la  main  et  passant  par- 
dessus la  grande  redoute  de  Trois-Rivières.  D'autres 
avaient  vu  comme  un  homme  de  feu  qui  jetait  des 
flammes  par  la  bouche.  On  croyait  entendre  dans  l'at- 


CHAPITRE    XVII.  387 

mosphère,  non-seulement  les  détonations  que  produisent 
souvent  les  météores,  mais  des  hurlements,  des  clameurs, 
des  gémissements  et  même  des  cris  articulés.  Tout  cela 
sufifît  pour  faire  comprendre  à  quel  degré  d'épouvante 
toute  la  population,  tant  des  Français  que  des  sauvages, 
était  arrivée. 


Au  milieu  de  cette  agitation  universelle,  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  conservait  la  même  tranquilité 
que  si  nul  accident,  nul  bruit  n'eût  éveillé  l'attention. 
«  Pendant  que  les  uns  tremblent,  dit  Claude  Martin, 
que  les  autres  pâlissent  ou  sèchent  d'épouvante,  et  que 
tous  sont  dans  une  consternation  aussi  accablante  que 
celle  qui  surprendra  le  monde  à  la  fin  des  siècles,  elle 
demeure  ferme  et  tranquille,  aveo  une  présence  d'esprit 
capable  de  donner  de  l'admiration  aux  anges.  » 

On  comprend  qu'une  pareille  tranquillité  fût  impos- 
sible à  ceux  qui  n'avaient  pas  les  mêmes  raisons  pour 
attendre  avec  confiance  la  sentence  du  souverain  Juge; 
et  surtout  à  ces  coupables  qui  avaient  agi  sciemment 
contre  leurs  devoirs  de  chrétiens,  en  résistant  de  propos 
délibéré  et  par  avarice  aux  défenses  faites  par  l'autorité 
ecclésiastique.  La  vue  d'un  châtiment  qu'ils  voyaient 
bien  être  envoyé  par  Dieu  les  glaçait  d'épouvante;  et, 
ce  qui  valait  beaucoup  mieux,  les  faisait  rentrer  en 
eux-mêmes.  «  Quand  Dieu  parle ,  écrivait  le  Père 
Lallemant,  il  se  fait  bien  entendre,  surtout  quand  il 
parle  par  la  voix  des  tonnerres  et  des  tremblements 
de  terre.  Cette  voix  n'a  pas  moins  ébranlé  les  coeurs 
endurcis  que  nos  plus  solides  rochers;  elle  a  fait  de 
plus  grands  bouleversements  dans  les  consciences  que 
dans  nos  forêts  et  sur  nos  montagnes.  » 


388  MARIE    DE    l'incarnation. 

Aussi,  la  population  entière  se  renouvela  dans  l'esprit 
de  foi,  la  crainte  de  Dieu  et  la  pratique  des  devoirs  du 
chrétien.  «  Ce  tremblement  de  terre,  dit  l'annaliste  de 
l'Hôtel-Dieu,  produisit  plusieurs  bons  effets;  il  remua 
les  consciences  des  pécheurs  les  plus  endurcis,  et  les 
fit  penser  sérieusement  à  leur  salut.  Jamais  il  ne  se  fit 
de  confessions  plus  sincères  et  accompagnées  d'autant 
de  marques  d'une  véritable  contrition.  Tout  prêchait 
la  pénitence;  chacun  était  pénétré  de  componction  et  ne 
songeait  qu'au  jugement  de  Dieu,  et  on  s'y  préparait 
comme  devant  y  bientôt  comparaître.  Le  temps  du 
Carême  ne  fut  jamais  si  bien  passé.  Beaucoup  commu- 
niaient comme  si  ce  devait  être  la  dernière  fois  de  leur 
vie,  parce  que  l'on  se  voyait  à  chaque  moment  sur  le 
point  d'être  abîmé  dans  les  entrailles  de  la  terre  et  que 
l'épouvante  générale  faisait  rentrer  tout  le  monde  en 
soi-même  ^  » 

Un  témoignage  qui  suflSrait  à  lui  seul  pour  donner 
une  idée  de  l'étendue  et  de  la  sincérité  des  retours  vers 
Dieu,  est  celui  d'un  prêtre  afiSrmant  à  la  Mère  de  l'In- 
carnation que,  pour  sa  part,  il  avait  entendu  plus  de 
huit  cents  confessions  générales. 

Les  religieuses  elles-mêmes,  quoique  bien  innocentes 
de  ce  qui  avait  excité  la  colère  céleste,  voulurent 
l'apaiser  par  un  redoublement  de  pénitence.  Les  Ursu- 
lines  passèrent  le  Carême  sans  se  déshabiller;  elles 
couchaient  toutes  vêtues  sur  des  paillasses  étendues 
par  terre  dans  la  salle  de  communauté;  et  à  chaque 
secousse  elles  se  mettaient  à  genoux  et  récitaient  le 
psaume  Miserere.  Elles  ajoutaient  au  jeûne  d'autres  péni- 
tences qui  n étaient  pas  épargnées,  dit  l'annaliste. 

(1)  Histoire  de  V Hôtel-Dieu  de  Québec. 


CHAPITRE    XVII.  389 

La  vénérable  Mère  termine  ainsi  son  récit  : 
«  Nous  voici  au  treizième  d'août.  Cette  nuit  dernière, 
la  terre  a  tremblé  fort  rudement  ;  notre  dortoir  et  notre 
séminaire  en-  ont  eu  une  forte  secousse,  qui  nous  a 
réveillées  de  notre  sommeil  et  qui  a  renouvelé  nos 
craintes. 

»  Je  ferme  cette  relation  le  vingtième  du  même  mois, 
sans  savoir  à  quoi  se  termineront  tous  ces  fracas,  car 
les  tremblements  continuent  toujours.  Mais  ce  qui  est 
admirable,  c'est  que  parmi  des  débris  si  étranges  et  si 
universels,  nul  n'a  péri,  ni  même  été  blessé.  Cette 
marque  visible  de  la  protection  de  Dieu  sur  son  peuple 
nous  donne  un  juste  sujet  de  croire  qu'il  ne  se  fâche 
contre  nous  que  pour  nous  sauver.  Nous  espérons  qu'il 
tirera  sa  gloire  de  nos  frayeurs,  par  la  conversion  de 
tant  d'âmes  qui  étaient  endormies  dans  leurs  péchés.  " 


Cette  espérance  de  la  vénérable  Mère  se  réalisa 
promptement  et  d'une  façon  bien  remarquable.  Toute 
la  population  se  trouva  renouvelée  par  cette  grande 
épreuve  où  k  main  de  la  divine  Providence  était  si 
visible.  Un  tremblement  de  terre  est  sans  doute  le 
résultat  de  causes  naturelles;  mais  qui  donc,  si  ce  n'est 
Dieu,  avait  préparé  ces  causes  pour  qu'elles  produi- 
sissent leur  effet  juste  au  moment  où  le  Canada  en 
avait  un  immense  besoin  :  c'est-à-dire  lorsqu'un  désor- 
dre, qui  était  de  nature  à  perdre  la  colonie  en  anéan- 
tissant la  foi  des  sauvages  convertis  et  en  les  faisant 
tomber  dans  un  abrutissement  pire  que  leur  premier 
état,  se  répandait  d'une  manière  effrayante?  Qui  donc 
avait  ménagé  l'apparition  de  ce  fléau  de  sorte  qu'il  se 


390  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

trouva  prêt  pour  venir  au  secours  de  l'autorité  lipisco- 
pale  méconnue  et  faisant  d'inutiles  efiforts  pour  arrêter 
le  mal?  Qui  donc  enfin  en  avait  donné  une  connaissance 
anticipée  à  des  âmes  simples  et  pieuses  dont  les  prédic- 
tions excitaient  le  mépris  et  la  risée?  Puis,  cette  subite 
et  formidable  mise  en  scène  a-t-elle  lieu  au  jour  et  à 
l'heure  des  plus  coupables  folies  du  carnaval  par  un 
pur  effet  du  hasard? 

Telle  ne  fut  pas  l'opinion  des  Canadiens.  Ils  compri- 
rent, au  contraire,  que  c'était  bien  Dieu  qui  les  châtiait  : 
doués  de^trop  de  bon  sens,  et  surtout  de  trop  d'esprit 
de  foi,  pour  opposer  une  résistance  insensée,  ils  se 
soumirent  avec  une  humble  componction,  en  sorte  que 
la  colonie  entière  fut  régénérée.  Dieu  agréa  leur  repentir, 
et,  par  une  miséricorde  non  moins  éclatante  que  ne 
l'avaient  été  les  avertissements  de  sa  justice,  il  ne 
permit  pas  que  personne  pérît  ou  reçût  quelque  mal, 
lorsque  l'on  pouvait  craindre  que  des  villes  entières  n'en- 
sevelissent leurs  habitants  sous  leurs  ruines  amoncelées. 


Une  ère  nouvelle  de  prospérité  matérielle  s'ouvrit 
en  même  temps  pour  le  pays.  Louis  ' XIV  supprima 
la  compagnie  dite  des  Cent- Associés,  dont  l'impuissance 
et  l'incurie,  dit  M.  l'abbé  Casgrain,  avait  paralysé  si 
longtemps  la  colonisation.  Alors  le  Canada  entre  dans 
le  domaine  royal  ;  Québec  est  honoré  du  nom  de  ville, 
et  le  marquis  de  Tracy,  nommé  vice-roi  de  la  Nouvelle- 
France,  y  arrive  le  30  juin  1665,  suivi  bientôt  d'un 
régiment  de  quatorze  à  quinze  cents  hommes.  Voici 
ce  que  dit  de  ce  noble  représentant  du  grand  roi  la 
vénérable  Mère  : 


CHAPITRE    XVII.  >*  391 

«  M.  de  Tracy  a  déjà  fait  de  très- beaux  règlements; 
je  crois  qu'il  est  choisi  de  Dieu  pour  l'établissement 
solide  de  ces  contrées,  pour  la  liberté  de  l'Eglise  et 
pour  l'ordre  de  la  justice.  C'est  un  homme  d'une  haute 
piété:  toute  sa  maison,  ses  officiers,  ses  soldats  imitent 
ses  exemples....  Quant  au  reste  de  l'armée,  elle  est  en 
bonne  disposition  de  signaler  sa  foi  et  son  courage, 
et  l'on  tâche  de  leur  inspirer  de  véritables  sentiments 
de  piété  et  de  dévotion.  Il  y  a  bien  cinq  cents  soldats 
qui  ont  pris  le  scapulaire  de  la  Sainte  Vierge.  C'est 
nous  qui  les  faisons,  ce  à  quoi  nous  travaillons  avec 
bien  du  plaisir.  Ils  disent  tous  les  jours  le  chapelet 
de  la  Sainte  Famille....  M.  de  Tracy  a  gagné  tout  le 
monde  par  ses  bonnes  œuvres  et  par  les  grands  exem- 
ples de  vertu  et  de  religion  qu'il  a  donnés  à  tout  le 
pays.  On  l'a  vu  plus  de  six  heures  entières  dans  l'église 
sans  en  sortir.  » 

Cela  ne  l'empêchait  pas  d'accomplir  ses  devoirs  de 
chef  de  la  colonie  et  de  général  d'armée.  Il  se  livra 
avec  tant  de  zèle  et  d'ardeur  à  la  bonne  administration 
du  pays  et  il  imprima  une  direction  si  sage  et  si  éner- 
gique à  ceux  qui  devaient  le  seconder,  que  les  abus 
furent  promptement  supprimés;  le  commerce  reçut  un 
élan  inconnu  et,  en  moins  de  trois  ans,  la  population 
de  la  colonie  s'accrut  de  plus  du  double. 

Pour  cela  il  avait  fallu  faire  cesser  les  ravages  des 
Iroquois  et  donner  au  pays  la  tranquillité  dont  il  avait 
besoin.  Aussi,  dès  que  les  nouvelles  troupes  eurent  été 
mises  en  état  de  marcher,  M.  de  Tracy  entreprit  une 
expédition  contre  les  tribus  ennemies  et  il  ne  négligea 
rien  pour  la  rendre  décisive.  Quoique  âgé  de  soixante- 
'deux  ans,  il  voulut  la  commander  en  personne  pour 
en   mieux  assurer  le  succès.   Cependant  il  s'agissait 


392  MARIE    DE    L INCARNATION. 

d'un  voyage  de  cent  cinquante  lieues  à  travers  les  bois 
et  les  rivières,  dans  lequel  le  chef,  comme  le  soldat, 
'  devait  souvent  porter  sur  son  dos  vivres,  armes, 
bagages  et  munitions.  Trois  semaines  après  l'arrivée 
des  premiers  vaisseaux,  la  Mère  de  l'Incarnation  écri- 
vait :  "  Les  compagnies  s.ont  déjà  parties  avec  cent 
Français  de  ce  pays  et  un  grand  nombre  de  sauvages 
pour  prendre  le  devant,  s'emparer  de  la  rivière  des 
Iroquois,  y  faire  des  forts  et  les  garnir  de  munitions. 
Nos  ennemis  ont  eux-mêmes  de  bons  forts  et  du  canon  ; 
ils  sont  vaillants  et  donneront  de  la  peine  ;  mais  nos 
soldats  français  sont  si  fervents  qu'ils  ne  craignent 
rien.  Ils  ont  entrepris  de  porter  des  canons  sur  leur 
dos  dans  des  sauts  et  passages  fort  difficiles.  Ils  ont 
porté  même  des  chaloupes,  ce  qui  est  inouï.  Il 
semble  à  toute  cette  milice  qu'elle  va  assiéger  le 
paradis  et  qu'elle  espère  le  prendre  et  y  entrer, 
parce  que  c'est  pour  la  foi  et  le  bien  de  la  religion 
qu'elle  va  combattre.  M.  de  Tracy  n'est  parti  d'ici 
avec  le  gros  de  l'armée,  que  le  jour  de  l'Exaltation  de 
la  Sainte-Croix. 

»  Au  moment  du  départ,  il  fit  défiler  ses  troupes 
devant  un  chef  Iroquois  prisonnier  et  il  lui  dit:  Voilà 
que  nous  allons  chez  toi,  qu'en  dis-tu?  Les  larmes  lui 
tombaient  des  yeux,  voyant  de  si  belles  troupes  et  en 
si  bel  ordre.  11  repartit  néanmoins  :  Ononthio,  je  vois 
bien  que  nous  sommes  perdus,  mais  notre  perte  te 
coûtera  cher.  Notre  nation  ne  sera  plus;  mais  je 
t'avertis  qu'il  y  demeurera  beaucoup  de  ta  belle  jeunesse, 
parce  que  la  nôtre  se  défendra  jusqu'à  l'extrémité.  » 

L'expédition  réussit  néanmoins  sans  trop  de  pertes, 
mais  à  travers  des  difficultés  qui  surpassèrent  toutes 
les  prévisions.  Les  Iroquois  constamtuent  mis  en  fuite 


CHAPITRE    XVII.  393 

virent  leur  quatre  bourgs  réduits  en  cendre  avec  toutes 
leurs  provisions.  Complètement  découragés  par  un  tel 
revers,  ils  firent  leur  soumission,  ainsi  que  les  autres 
tribus  ennemies. 

«  Toutes  ces  nations,  dit  la  vénérable  Mère,  ont  été 
si  épouvantées  du  résultat  de  cette  guerre  et  du  grand 
courage  des  Français,  regardés  auparavant  par  eux 
comme  des  poules,  qu'ils  s'imaginaient  qu'une  armée 
française  était  toujours  à  leurs  trousses.  Dans  cette 
frayeur,  ils  ont  acquiescé  à  toutes  les  conditions  qu'on 
leur  a  imposées.  » 

Cette  circonstance  fournit  encore  à  notre  sainte  Mère 
l'occasion  d'exercer  son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  et 
-le  salut  des  âmes.  Les  Iroquois,  vaincus  et  pour  ainsi 
dire  écrasés,  consentirent  non-seulement  à  emmener 
avec  eux  des  missionnaires  pour  évangéliser  leur  nation, 
mais  à  laisser  à  Québec  un  certain  nombre  de  familles 
pour  otages.  D'autres  y  restèrent  volontairement  et 
témoignèrent  le  désir  de  connaître  la  doctrine  chrétienne. 

«  L'on  instruit,  dit  la  vénérable  Mère,  leurs  familles 
sédentaires  et  d'otage,  dont  plusieurs  doivent  être  bap- 
tisées le  jour  de  la  Conception  de  la  Sainte  Vierge,  qui 
est  la  fête  de  toutes  ces  contrées.  Une  femme  iroquoise 
nous  a  donné  sa  fille  à  condition  qu'elle  serait  française 
comme  nous.  Cette  enfant,  qui  a  beaucoup  d'esprit, 
a  tellement  pris  goût  aux  mystères  de  la  foi  et  à  l'hu- 
meur française,  qu'elle  ne  veut  plus  retourner  chez  ses 
parents.  Elle  tient  du  caractère  des  femmes  de  sa  nation, 
qui  sont  les  créatures  du  monde  les  plus  douces  et  les 
plus  dociles. 

»  Le  zèle  et  la  charité  de  M.  de  Tracy  se  sont  signalés 
dans  cette  transmigration  :  car  outre  celles  de  la  nation 
iroquoise,  il  nous  a  encore  donné  d'autres  femmes  et 


394  MARIE    DE    l'incarnation. 

filles  sauvages  qui  y  étaient  captives,  et  qui,  dans 
leur  captivité,  avaient  oublié  notre  langue  et  nos  saints 
mystères.  Il  les  a  habillées  et  nous  a  généreusement 
payé  leur  pension.  De  notre  part,  nous  n'avons  pas 
perdu  notre  travail  ni  nos  soins,  car  nous  avons,  avec 
l'aide  de  la  grâce,  réveillé  leurs  premiers  sentiments 
et  ressuscité  la  foi,  qui  était  pour  ainsi  dire  éteinte 
en  leur  âme.  » 


Attentive  à  tout  et  portant  ses  vues,  dans  l'intérêt 
de  la  religion  et  de  la  patrie,  aussi  loin  que  l'eût  pu 
faire  un  homme  d'Etat  consommé  dans  l'art  des  négo- 
ciations, chaque  fois  que  les  Sauvages  avaient  envoyé 
des  ambassades,  elle  avait  comme  deviné  les  grands 
caractères  parmi  ces  farouches  guerriers,  et  elle  n'avait 
rien  oublié  pour  en  tirer  le  meilleur  parti  possible. 
Elle  avait  ainsi  gagné  depuis  longtemps  le  fameux 
chef  iroquois  Garakontié,  appelé  le  «  Bayard  des  Sau- 
vages, »  qui  devint  ensuite  le  héros  de  la  foi  et  le  plus 
fidèle  auxiliaire  des, Français.  A  chaque  voyage  qu'il 
avait  fait  à  Québec,  elle  avait  eu  soin  de  lui  donner 
à  dîner,  ainsi  qu'à  ses  compagnons  d'ambassade;  et 
une  fois  elle  lui  fit  présent  d'une  belle  ceinture,  espèce 
d'écharpe  qu'elle  avait  fait  broder  par  les  jeunes  reli- 
gieuses. C'était  donner  au  fameux  capitaine  un  témoi- 
gnage convaincant  de  l'estime  que  l'on  avait  pour  sa  rare 
probité,  et  l'obliger  en  même  temps  à  persévérer  dans  sa 
noble  et  généreuse  conduite  à  l'égard  des  Français.  Ce 
présent,  qui  parut  magnifique  aux  Sauvages,  fit  tant 
de  plaisir  à  Garakontié  qu'il  le  conserva  comme  un 
trésor  inestimable,  et  profita  de  toutes  les  occasions  pour 
l'étaler  à  l'admiration  de  ses  compatriotes. 


CHAPITRE    XVII.  395 

Ces  moyens  humains  le  préparèrent  à  écouter  les 
ouvertures  qui  lui  furent  faites  après  la  conclusion  de 
la  paix  pour  l'amener  à  embrasser  la  foi.  Docile  aux 
impressions  de  la  grâce,  il  demanda  le  l)aptême,  qu'il 
reçut,  ainsi  que  la  confirmation,  dans  la  cathédrale 
de  Québec,  en  1670.  Cette  cérémonie  fut  un  événement; 
il  y  avait  des  représentants  de  presque  toutes  les 
nations  canadiennes,  et  on  lui  donna  toute  la  solennité 
possible. 

Le  nouveau  baptisé  remercia  gracieusement  l'évêque 
de  lui  avoir  ouvert  la  porte  de  l'Eglise  et  celle  du  Ciel 
par  les  deux  sacrements  qu'il  lui  avait  administrés. 
Il  protesta  de  nouveau,  après  la  cérémonie,  qu'il  vivrait 
en  bon  chrétien  et  il  tint  parole.  La  Mère  Marie  de 
l'Incarnation  n'avait  pas  jeté  une  première  semence 
sur  un  sol  ingrat. 

Garakontié  fut  ensuite  conduit  au  fort,  oii  il  remercia 
Je  gouverneur  de  l'honneur  qu'il  lui  avait  fait  en  lui 
donnant  son  nom  sur  les  fonts  de  baptême.  A.  son 
entrée,  il  se  vit  salué  par  tous  les  canons  de  la  citadelle 
et  par  toute  la  mousqueterie  des  soldats  rangés  en 
haie  pour  le  recevoir. 

Cette  expédition  du  marquis  de  Tracy  procura  vingt 
ans  de  paix  à  la  colonie;  après  lesquels  la  nation  iro- 
quoise  plus  irritée  encore  qu'abattue  de  ses  défaites, 
recommença  la  guerre  avec  une  fureur  et  une  rage 
plus  grande  que  jamais.  Ces  féroces  et  implacables 
barbares  revenaient  à  leur  première  résolution  d'exter- 
miner tous  les  Européens.  Ils  exercèrent,  en  1688  et 
1689,  de  tels  massacres  et  inspirèrent  une  si  grande 
terreur,  que  l'on  crut  tout  perdu.  Quand  on  eut  appris, 
surtout  au  mois  de  juillet  1689,  que  les  Iroquois  avaient 
ravagé  et  désolé  cinquante  lieues  de  pays,  toute  la 


396  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

population  se  trouva  plongée  dans  un  effroi  impossible 
à  décrire,  disent  les  Annales  du  monastère. 

Enfin,  en  1696,  le  comte  de  Frontenac,  gouverneur, 
résolut  de  frapper  un  coup  décisif;  il  fit  appel  à  toutes 
les  forces  et  à  toutes  les  bonnes  volontés,  qui  ne  lui 
firent  pas  défaut.  Les  Ursuiines  soldèrent  et  équipèrent 
à  leurs  frais  deux  jeunes  soldats  «  qui  ne  furent  pas 
les  moins  braves  de  l'armée.  »  M.  de  Frontenac,  telle- 
ment brave  que  «  l'idée  d'une  défaite  n'était  jamais 
entrée  dans  son  esprit,  »  conduisit  lui-même  l'expé- 
dition, malgré  ses  soixante-seize  ans.  Il  fit  subir  aux 
Iroquois  un  désastre  dont  ils  ne  se  relevèrent  jamais, 
et  il  eut  la  gloire  d'anéantir  une  puissance  jusque-là 
indomptable. 


CHAPITRE   XVIII, 


Comment  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  va  passer  ses  dernières  années.  — 
Elle  tombe  malade,  1664.  —  Elle  est  réélue  supérieure.  —  Ses  travaux  dans 
les  langues  sauvages.  —  Son  état  de  spiritualité  de  1667  à  1672.  —  Elle  reçoit 

■  les  derniers  sacrements,  1672.  —  Son  état  s'améliore,  joie,  Te  Deiim.  — 
Dernière  maladie.  —  Elle  meurt  le  30  avril  1672. 


Dès  son  plus  jeune  âge  ,  Marie  Guyard  avait  été 
comme  saisie  par  la  grâce.  Notre-Seigneur,  par  des 
faveurs  extraordinaires  auxquelles  il  l'avait  rendue 
fidèle,  s'était  emparé  de  son  âme  et  l'avait  préparée 
à  la  mission  apostolique  qu'il  lui  destinait.  Quand  le 
moment  où  il  voulait  l'employer  à  sa  gloire  et  au  salut 
des  âmes  fut  arrivé,  il  cessa  do  la  conduire  par  des 


CHAPITRE   XVIII.  397 

« 

visions  et  des  extases;  mais  il  la  maintint  dans  un 
recueillement  habituel,  une  attention  à  sa  divine  pré- 
sence qui  n'était  presque  pas  interrompue,  et  il  lui 
donna  un  zèle  et  une  activité  que  ni  les  obstacles,  ni 
les  épreuves  les  plus  propres  à  abattre  tout  courage 
humain  ne  purent  jamais  affaiblir  ni  déconcerter.  Cette 
vie  laborieuse  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  cette 
expansion  d'un  zèle  qui  lui  faisait  trouver  sans  cesse 
de  nouveaux  moyens  de  glorifier  Dieu  et  de  se  dépenser 
sans  mesure  pour  son  cher  Canada,  semble  désormais 
finie.  Les  années  qu'elle  va  encore  passer  sur  la  terre 
vont  s'écouler  dans  les  maladies  et  des  souff'rances 
corporelles  que  Claude  Martin  ne  craint  pas  de  com- 
parer à  celles  des  martyrs  qui  ont  le  plus  souffert. 
C'est  par  là  que  Dieu  va  achever  l'œuvre  de  sa  sancti- 
fication. Il  lui  en  donna  un  pressentiment  de  la  manière 
qu'elle  raconte  elle-même  à  son  fils. 

«  En  l'année  1664,  il  plut  à  la  divine  bonté  de  me 
visiter  par  une  grande  maladie  et  de  m'y  disposer  d'une 
manière  tout  extraordinaire  et  tout  aimable.  Je  vis 
en  songe  Notre-Seigneur  attaché  à  la  croix  et  entière- 
ment couvert  de  plaies.  Il  gémissait  d'une  manière 
très-attendrissante,  et  j'avais  une  forte  impression  qu'il 
cherchait  quelque  âme  fidèle  pour  lui  demander  du 
soulagement  dans  ses  extrêmes  douleurs.  Je  le  suivais, 
le  contemplant  toujours  dans  ce  pitoyable  état.  Je  n'en 
vis  pas  davantage ,  mais  ma  maladie  étant  venue 
ensuite,  il  me  demeura  dans  l'esprit  une  impression  si 
forte  et  si  vive  de  ce  divin  Sauveur  crucifié,  qu'il  me 
semblait  l'avoir  continuellement  devant  les  yeux,  com- 
prenant néanmoins  qu'il  ne  me  faisait  part  que  d'une 
partie  de  sa  croix,  bien  que  mes  douleurs  fussent  des 
plus  violentes  et  des  plus  insupportables...  Cette  longue 


398  MARIE    DE    l'incarnation. 

maladie  ne  m'a  point  du  tout  ennuyée,  et,  par  la  misé- 
ricorde de  notre  bon  Dieu,  je  n'y  ai  ressenti  aucut 
mouvement  d'impatience.  J'en  dois  toute  la  gloire  à 
l'aimable  compagnie  de  mon  Jésus  crucifié,  son  divin 
Esprit  ne  me  permettant  pas  de  souhaiter  un  moment 
de  relâche  en  mes  souffrances,  et  me  faisant  éprouver 
une  douceur  qui  me  maintenait  en  disposition  de  les 
endurer  jusqu'au  jour  du  jugement.  Les  remèdes  ne 
servaient  qu'à  aigrir  mon  mal  et  à  accroître  mes  dou- 
leurs, ce  qui  fit  résoudre  les  médecins  de  me  laisser 
entre  les  mains  de  Dieu,  disant  que  tant  de  maladies 
jointes  ensemble  étaient  extraordinaires  et  que  la  Pro- 
vidence me  les  avait  envoyées  uniquement  pour  me 
faire  souffrir.  « 

Au  milieu  de  si  vives  douleurs,  elle  ne  perdait  pas 
un  instant  la  pensée  de  Dieu  et  l'union  de  son  cœur 
avec  Jésus  souffrant.  Aussi  dit-elle  que  sa  nature  s'était 
familiarisée  avec  les  douleurs.  Elle  ajoute  :  ^  J'y  sens 
de  l'attachement,  et  j'ai  peur  que  mes  lâchetés  n'obli- 
gent la  divine  bonté  de  me  les  ôter  ou  du  moins  de  les 
modérer.  De  mon  côté  j'aime  mieux  cette  croix  que 
toutes  les  délices  du  monde,  et  même  que  celles  que 
je  pourrais  prendre  innocemment  et  sans  offenser  Dieu. 
C'est  sa  bonté  qui  m'a  envoyé  ces  maladies  comme  un 
gage  très-précieux  de  son  amour,  dont  je  la  remercie 
de  tout  mon  cœur.  » 


Pendant  qu'elle  était  en  cet  état,  les  trois  ans  de  sa 
supériorité  prirent  fin.  Elle  eût  désiré  être  délivrée 
de  cette  charge;  mais  l'attachement  que  l'on  avait  pour 
elle  et  qui  croissait  à  mesure  que  l'on  craignait  de  la 
perdre,  le  bien  qu'elle  faisait  à  la  communauté  malgré 


CHAPITRE   XVIII.  399 

ses  inexprimables  souffrances,  et  la  vénération  que  sa 
sainteté  inspirait  à  toutes  ses  sœurs  ,  réunirent  de 
nouveau  les  voix  en  sa  faveur.  Elle  se  soumit  avec 
résignation,  considérant  en  tout  la  volonté  de  Dieu. 
«  Me* voyant  réduite  à  cet  état,  écrivait-elle  à  son  fils, 
j'estimais  que  l'on  me  donnerait  du  repos  et  que  l'on 
mettrait  la  charge  sur  des  épaules  plus  fortes  que  les 
miennes,  qui  penchent  si  fort  vers  la  terre,  mais 
Dieu  a  permis  que  ce  fardeau  soit  encore  tombé  sur 
moi.  » 

Elle  s'acquitta  de  sa  charge  comme  si  elle  eût  été  en 
santé.  Elle  était  la  première  levée  et  la  dernière  cou- 
chée, assistait  a  toutes  les  observances,  mettant  toutes 
les  affaires  en  ordre  et  écrivant  une  foule  de  lettres. 
Elle  jeûna  même  tout  un  carême,  quoique  malade 
depuis  trois  ans,  et  réduite  à  une  telle  faiblesse  qu'elle 
ne  pouvait  rester  à  genoux  «  le  quart  de  la  messe,  » 
même  en  s'appuyant. 

Elle  éprouva  néanmoins  du  mieux  pendant  quelques 
-  années,  et  elle  en  profita  pour  mettre  les  jeunes  reli- 
gieuses en  état  de  continuer  son  œuvre  apostolique  à 
l'égard  des  sauvages.  Elle  écrivit  un  dictionnaire  algon- 
quin et  d'autres  livres  dans  la  même  langue.  -  Comme 
ces  choses  sont  très-difficiles,  je  me  suis  résolue  avant 
ma  mort  de  laisser  le  plus  d'écrits  qu'il  me  sera  possi- 
ble.' Je  vous  dis  cela  afin  de  vous  faire  voir  que  la 
bonté  divine  me  donne  des  forces  dans  ma  faiblesse 
pour  laisser  à  mes  sœurs  de  quoi  travailler  à  son 
service  et  au  salut  des  âmes.  »  (Lettre  du  9  août  1668.) 

(1)  Ces  écrits,  qui  ne  furent  jamais  imprimés,  ont  tous  disparu.  On  croit  que 
le  second  incendie  du  monastère,  arrivé  en  1686,  les  a  détruits.  Pourtant  quel- 
ques religieuses  pensent  que  vers  1818,  époque  de  l'ouverture  des  missions  à  la 
Rivière  Rouge,  ils  furent  donnés  à  des  missionnaires. 


400  MARIK    DR    l'incarnation. 

Mais  enfin  le  moment  devait  venir  oii,  après  s'être 
consumée  de  travaux  et  comblëe  de  mérites,  elle  irait 
en  recevoir  la  récompense  éternelle.  «  Je  me  réjouis, 
écrivait-elle  en  1669  à  une  religieuse  de  Tours,  de  ce 
que  nous  perdrons  bientôt  les  connaissances  de  la 
terre  pour  n'avoir  plus  de  communication  qu'avec  les 
citoyens  du  Ciel.  »» 

Déjà  même  on  peut  dire  que  cet  état  céleste  avait 
commencé  pour  elle  et  qu'elle  était  devenue  comme 
étrangère  à  tout  ce  qui  est  du  monde  présent.  Elle 
écrivait  à  son  fils,  le  25  septembre  1670  :  «  Je  vous 
dirai  avec  simplicité,  mon  très-cher  fils,  que  Dieu 
tient  sur  moi  la  même  conduite  que  sur  vous.  Je  me 
vois  remplie  de  tant  d'infidélités  et  de  misères  que  je 
ne  sais  comment  y  apporter  remède,  parce  que  je  vois 
mes  imperfections  dans  une  obscurité  qui  n'a  point 
d'entrée  ni  d'issue.  Me  voilà  à  la  fin  de  ma  vie,  et  je 
ne  fais  rien  qui  soit  digne  d'une  âme  qui  doit  bientôt 
paraître  devant  son  Juge.  Cependant  tout  imparfaite 
que  je  suis,  et  pour  anéantie  que  je  sois  en  sa  présence, 
je  me  vois  perdue  dans  sa  divine  Majesté,  qui  me  tient 
dans  une  union  et  une  privante  que  je  ne  puis  expli- 
quer. Je  ne  puis  même  m'entretenir  avec  les  anges, 
ni  des  délices  des  bienheureux  ni  des  mystères  de  la 
foi.  Je  veux  quelquefois  m'y  arrêter  et  m'égayer  dans 
leurs  l^eautés  que  j'aime  beaucoup,  mais  aussitôt  je  les 
oublie  et  l'esprit  qui  me  conduit  me  ramène  à  Celui 
qui  me  plaît  plus  que  toutes  choses.  Je  me  perds  en 
Lui.  J'y  vois  ses  amabilités,  sa  majesté,  ses  grandeurs, 
sa  puissance  sans  aucun  acte  de  raisonnement  ou  de 
recherche,  mais  en  un  moment  qui  dure  toujours.  Je 
veux  dire  ce  que  je  ne  puis  exprimer  et  je  ne  sais 
si  je  le  dis  comme  il  faut.  » 


CHAPITRK    XVIII.  401 

Dans  la  dernière  lettre  qu'elle  écrivit  à  son  (ils,  elle 
s'exprime  ainsi  :  «  Quelque  sujet  d'oraison  que  je  puisse 
prendre,  je  l'oublie.  Je  me  trouve  en  un  moment  et 
sans  y  faire  réflexion,  dans  mon  fond  ordinaire,  oii 
mon  âme  contemple  Dieu  daus  lequel  elle  est.  Je  lui 
parle  selon  le  mouvement  qu'il  me  donne ,  et  cette 
grande  privante  ne  me  permet  pas  de  le  contempler 
sans  lui  parler,  et  suivre  en  cela  son  attrait.  Mes 
paroles  sont  comme  à  mon  Epoux,  et  il  n'est  pas  en 
mon  pouvoir  d'en  dire  d'autres.  Mon  amour  n'est  jamais 
oisif  et  mon  cœur  ne  peut  respirer  que  cela.  Les  respirs 
qui  me  font  vivre  sont  de  mon  Epoux;  ce  qui  me 
consume  de  telle  sorte  par  intervalles,  que  si  la  misé- 
ricorde n'accommodait  sa  grâce  à  la  nature,  j'y  succom- 
berais, et  cette  vie  me  ferait  mourir.  » 

Ce  sont  là  comme  les  derniers  accents  de  cette  âme 
séraphique,  nous^  ne  saurons  désormais  ce  qui  la  con- 
cerne que  par  le  témoignage  d'autrui.  «  Ce  n'est  plus 
la  Mère  de  l'Incarnation  qui  parle,  dit  Claude  Martin 
en  continuant  l'histoire  de  sa  vie,  la  mort,  qui  réduit 
au  silence  les  plus  grands  saints,  ne  lui  permettra  plus 
de  nous  faire  connaître  les  trésors  que  Dieu  avait 
déposés  dans  son  âme  et  dont  le  prix  ne  nous  sera 
révélé  que  dans  l'éternité.'  «  Elle  en  a  dit  assez  néan- 
moins pour  nous  donner  une  haute  idée  de  la  perfec- 
tion d'union  avec  Dieu  et  du  degré  d'amour  où  elle 
était  parvenue  lorsque,  dans  la  nuit  du  15  au  16  jan- 
vier 1672,  elle  fut  prise  d'un  vomissement  qui  dura 
l'espace  de  vingt-quatre  heures,  sans  qu'on  pût  y  appor- 
ter le  moindre  soulagement.  A  cela  se  joignirent  une 
violente  douleur  de  tête,  une  oppression  de  poitrine 

(1)  Ce  que  nous  allons  dire  pour  faire  connaître  ses  derniers  raomants  est  tiré 
principalement  de  l'Histoire  du  Monastère. 

M.  D.  l'inc,  26 


402  MARIE    DE    l'incarnation. 

et  une  cruelle  insomnie.  Cette  fidèle  amante  de  Jésus 
crucifié  s'estimait  heureuse,  et  elle  disait  avec  l'accent 
de  la  joie  :  ^  C'est  maintenant  que  j'ai  l'honneur  d'être 
attachée  à  la  croix  de  Jésus-Christ.  »  Le  mal  s'accrut 
avec  une  telle  violence,  que  le  cinquième  jour  les 
médecins  perdirent  tout  espoir  et  dirent  qu'il  fallait 
lui  donner  les  derniers  sacrements. 

Le  20  janvier,  à  une  heure  après-midi,  elle  reçut 
le  saint  Viatique  au  milieu  des  sanglots  de  toute  la 
communauté.  Elle  seule  laissait  paraître  des  transports 
de  joie  en  pensant  que  son  divin  Epoux  venait  la 
chercher  pour  se  montrer  bientôt  à  elle  à  découvert. 
Le  lendemain,  elle  reçut  l'Extrême- Onction  avec  un 
redoublement  de  joie.  Après  sa  profession  de  foi,  elle 
demanda  pardon  à  M.  de  Bernières,  supérieur  du 
monastère,  et  au  R.  P.  Lallemant,  son  directeur;  puis 
se  tournant  vers  la  Mère  Saint-Athanase,  supérieure, 
et  vers  la  communauté,  elle  les  remercia  de  leur  charité 
à  son  égard,  et  leur  demanda  pardon  des  peines  qu'elle 
leur  avait  données  pendant  sa  maladie. 

Peu  après,  ayant  appris  que  la  petite  fille  d'un  chef 
algonquin  venait  d'entrer  au  pensionnat,  elle  demanda 
à  la  voir  et  lui  donna  les  plus  grandes  marques  de 
tendresse.  En  même  temps  elle  exhorta  les  religieuses 
à  conserver  toujours  une  grande  affection  pour  les 
petites  sauvages,  qu'elle  appelait  ses  délices.  Toutes  les 
pensionnaires  françaises  et  sauvages  lui  furent  ensuite 
présentées  pour  recevoir  sa  bénédiction. 


Cependant  toutes  les  religieuses  étaient  plongées  dans 
la  plus  profonde  douleur;  on  faisait  des  pénitences  et 


CHAPITRE   XVIII.  403 

des  mortifications  extraordinaires,  on  conjurait  le  Ciel 
de  prolonger  encore,  au  moins  pour  quelque  temps, 
des  jours  si  chers  et  si  précieux.  L'humble  Mère  voyait 
avec  une  certaine  peine  l'empressement  de  ses  filles 
à  prolonger  une  vie  qu'elle  croyait  inutile,  et  elle  s'en 
plaignit  au  R.  P.  Lallemant.  Ce  bon  Père,  touché  du 
deuil  où  cette  mort  allait  jeter  la  communauté,  lui 
ordonna  de  s'unir  à  ses  sœurs  pour  demander  à  Dieu 
la  santé.  Elle  fut  d'abord  comme  interdite,  puis  levant 
les  mains  et  les  yeux  vers  le  Ciel  :  «  Je  crois,  dit-elle, 
que  j'en  mourrai  ;  mais  si  c'est  la  volonté  de  Dieu  que 
je  vive  encore,  j'en  suis  contente.  —  Tout  cela  est 
bon,  ma  Mère,  reprit  le  ministre  de  Dieu,  mais  vous 
devez  vous  mettre  de  notre  côté,  et  faire  tout  votre 
possible  pour  vous  conserver  à  votre  communauté, 
qui  croit  avoir  encore  besoin  de  vous.  » 

Alors  la  malade  se  résigna  sans  réplique;  fermant 
les  yeux  à  ses  propres  intérêts,  elle  renouvela  le  dévoû- 
ment  de  son  compatriote  saint  Martin  de  Tours  :  «  Mon 
Seigneur  et  mon  Dieu,  si  vous  jugez  que  je  suis  encore 
nécessaire  à  cette  petite  communauté,  je  ne  refuse 
point  la  peine  ni  le  travail  !  »  Aussitôt  elle  éprouva 
un  mieux  considérable,  et,  peu  après,  les  médecins 
la  déclarèrent  hors  de  danger.  La  joie  du  monastère 
fut  inexprimable  lorsqu'on  la  vit  quitter  son  lit  d'agonie 
pour  aller  au  chœur  remercier  Dieu  et  assister  au 
Te  Deum  qui  fut  chanté  en  action  de  grâces.  La  ville 
entière  s'associa  au  bonheur  des  religieuses  ;  les  témoi- 
gnages de  respectueux  intérêt  et  les  félicitations  arri- 
vaient de  toutes  parts. 

Cette  convalescence  parut  se  continuer  pendant  tout 
le  carême.  Le  jour  des  Rameaux,  elle  prit  part  à  la 
cérémonie,  et,  le  Vendredi-Saint,  elle  eut  encore  assez 


404  MARIE    DE   L INCARNATION. 

(le  force  pour  assister  à  l'office  du  matin  et  à  l'adoration 
de  la  croix.  Mais,  le  soir,  elle  fut  obligée  de  déclarer 
à  la  supérieure  que  deux  tumeurs  qu'elle  avait  aux 
côtés  lui  causaient  d'extrêmes  douleurs.  C'étaient  deux 
abcès,  qu'il  fallut  ouvrir.  L'opération  dut  être  très- 
douloureuse;  cependant  la  vénérable  Mère  ne  laissa 
paraître  autre  chose  sur  sa  figure  que  la  plus  douce 
sérénité. 

Le  chirurgien  eut  d'abord  de  l'espérance,  mais  le 
huitième  jour,  effrayé  du  grand  affaiblissement  de  la 
malade,  il  déclara  qu'elle  était  sans  ressource.  Quand 
elle  apprit  cette  nouvelle,  une  joie  subite  se  vit  sur 
tous  ses  traits,  et,  depuis  ce  moment  jusqu'à  sa  mort, 
elle  fut  comme  dans  une  continuelle  extase,  ayant 
la  vue  modestement  baissée  ou  fixée  sur  son  crucifix 
qu'elle  tenait  entre  ses  mains.  Elle  répondait  avec  une 
douceur  et  une  affabilité  angélique  à  celles  qui  lui 
adressaient  la  parole,  mais  toujours  en  peu  de  mots, 
et  aussitôt  elle  était  de  nouveau  absorbée  en  Dieu. 
La  Mère  Saint-Athanase,  qui  demeurait  constamment 
auprès  d'elle,  lui  demanda  si  elle  avait  quelque  chose 
à  faire  dire  à  son  fils.  A  ces  mots,  la  vénérable  Mère 
laissa  voir  un  attendrissement  expressif.  «  Dites-lui,, 
murmura-t-elle,  que  je  l'emporte  avec  moi  dans  mon 
cœur  en  Paradis,  où  je  solliciterai  fortement  sa  parfaite 
sanctification.  » 

Elle  souffrait  des  douleurs  extrêmes  avec  une  patience 
admirable,  consentant  à  les  endurer  jusqu'à  la  fin  du 
monde  pour  le  salut  des  peuples,  si  la  divine  Majesté 
l'eût  eu  pour  agréable.  A  plusieurs  reprises  elle  désira 
voir  les  élèves  pensionnaires,  et  chaque  fois  elle  les 
bénissait  avec  une  tendresse  inexprimable. 

Le   vendredi  tl  avril,    elle    reçut  de  nouveau    le 


CHAPITRE   XVIII.  405 

saint  Viatique  et  rExtrême-Onction  ;  jusque  là  elle' 
avait  communié  tous  les  deux  jours.  Quelques  reli- 
gieuses lui  ayant  demandé  de  leur  faire  part  de  ses 
mérites,  elle  répondit  avec  un  sourire  céleste  :  «  Tout 
est  pour  les  sauvages,  mes  sœurs,  je  n'ai  plus  rien 
à  moi.  » 

Dans  la  matinée  du  30  avril,  se  sentant  à  l'extrémité, 
elle  voulut  voir  une  dernière  fois  ses  petites  sauvages. 
Après  les  avoir  bénies  avec  la  plus  grande  effasion 
de  cœur,  elle  leur  adressa  dans  leur  langue  des  paroles 
admirables  sûr  la  beauté  des  saints  mystères  et  le 
bonheur  de  servir  Dieu. 

A  midi,  elle  perdit  l'usage  de  l'ouïe  et  de  la  parole, 
mais  il  était  facile  de  voir  que  son  âme  était  intimement 
unie  à  Dieu;  on  la  vit  encore  en- cet  état  porter  d'une 
main  tremblante  son  crucifix  à  ses  lèvres.  Quelques 
minutes  avant  six  heures  du  soir,  elle  ouvrit  les  yeux, 
regarda  ses  chères  sœurs  comme  pour  leur  dire  le 
dernier  adieu,  puis  elle  les  referma  pour  ne  plus  les 
ouvrir  aux  choses  de  la  terre.  La  communauté,  à 
genoux  autour  de  son  lit,  était  dans  la  plus  profonde 
désolation.  A  six  heures,  on  entendit  deux  faibles 
soupirs;  tous  les  regards  se  portèrent  vers  la  chère  et 
sainte  mourante,  mais  son  âme  venait  de  briser  ses 
entraves  terrestres.  A  l'instant  même,  un  rayon  de 
lumière  céleste  sembla  tomber  sur  cette  figure  que 
la  mort  venait  de  frapper,  et  les  religieuses  immobiles, 
partagées  entre  la  douleur  et  l'admiration,  contem- 
plaient, sans  pouvoir  en  détourner  leurs  regards,  le 
visage  de  leur  pieuse  Mère,  sur  lequel  se  trouvait 
répandue  une  beauté  éblouissante.  L'âme,  en  prenant 
son  vol  vers  les  cieux,  semblait  y  avoir  imprimé  un 
reflet  de  sa  gloire  immortelle.  Ce  phénomène,  attesté 


406  MARIE    DE    l'incarnation. 

par  toutes  les  religieuses  qui  en  furent  témoins,  leur 
fit  une  telle  impression,  qu'elles  voulurent  en  perpétuer 
le  souvenir;  chaque  année,  au  jour  anniversaire  de  la 
mort  de  leur  vénérée  fondatrice,  elles  chantaient  un 
Te  Deum  d'action  de  grâces,  et  cet  usage  se  continue 
encore  aujourd'hui. 


La  nouvelle  de  cette  heureuse  mort  produisit  le 
même  effet  au  dehors  qu'au  dedans  du  monastère.  Par- 
tout se  manifesta  le  double  sentiment  d'une  profonde 
douleur  et  d'une  religieuse  vénération.  On  réclamait 
comme  de  précieuses  reliques  les  objets  qui  avaient 
été  à  son  usage  :  tuniques,  livres,  chapelets,  médailles, 
tout  fut  enlevé  en  un  instant,  et  c'est  à  peine  si  les 
religieuses  purent  conserver  son  grand  chapelet,  qui 
se  voit  encore  dans  une  des  chapelles  de  leur  église. 
Quand  on  sut  que  l'on  ne  pouvait  plus  rien  obtenir, 
on  apporta  des  images  et  autres  objets  de  piété  pour 
les  faire  toucher  à  la  sainte  Mère;  cette  expression 
était  dans  toutes  les  bouches  :  car  «  au  moment 
où  elle  mourut,  dit  le  Père  Charlevoix,  la  voix 
publique  la  canonisa  dans  tous  les  lieux  où  elle  était 
connue.  " 

Rien  n'égala  surtout  l'impression  qui  se  produisit 
chez  les  Sauvages.  Dès  que  la  triste  nouvelle  leur  fut 
parvenue  aux  villages  de  Sillerj  et  de  Lorette,  ils 
vinrent  en  foule  s'assembler  autour  du  monastère 
afin  de  prier  pour  celle  qui  les  avait  tant  aimés.  A 
mesure  qu'ils  arrivaient,  ils  sonnaient  à  la  porte  et 
disaient  aux  religieuses  avec  l'accent  de  la  douleur  : 
«  Notre  Mère  à  nous  est  morte!  «  Puis  ils  se  met- 
taient le   doigt  sur   les   lèvres   pour   signifier   qu'une 


CHAPITRE    XVI II.  407 

telle  affliction  ne  s'exprimait  pas.  Les  religieuses  «  qui 
n'en  pouvaient  plus  »  dit  la  chronique  du  temps,  les 
consolaient  de  leur  mieux  et  chacun  s'en  allait  de  son 
côté  pleurer  et  prier  jusqu'à  l'heure  de  l'enterrement. 
Cette  cérémonie,  bien  triste  pour  tout  le  monde,  mais 
d'une  tristesse  adoucie  par  une  immense  consolation, 
se  fit  avec  une  solennité  proportionnée  à  l'estime  que 
l'on  avait  pour  la  vénérable  Mère,  et  aux  regrets  qu'elle 
laissait  après  elle.  Son  séjour  de  trente-trois  ans  au 
Canada,  le  bien  qu'elle  y  avait  fait,  la  considération 
dont  elle  y  avait  joui  depuis  son  arrivée  jusqu'à  la 
mort,  l'influence  qu'elle  avait  exercée,  non-seulement 
par  l'ascendant  de  sa  vertu,  mais  par  sa  rare  capacité 
et  l'élévation  de  ses  vues,  tout  concourait  à  la  faire 
envisager  comme  l'une  des  gloires  les  plus  éclatantes 
et  les  plus  pures  de  la  naissante  colonie.  Personne,  soit 
dans  l'ordre  civil,  soit  dans  l'ordre  militaire,  n'avait 
rendu  autant  de  services  pendant  aussi  longtemps.  Les 
gouverneurs,  dont  plusieurs  l'avaient  prise  pour  leur 
Mère  spirituelle  et  lui  avaient  demandé  des  conseils, 
avaient  passé  et  elle  était  restée.  La  plupart  des  femmes 
et  des  jeunes  filles  de  la  classe  élevée  et  influente 
avaient  été  formées  par  ses  leçons  et  portées  à  la  vertu 
par  ses  exhortations,  avantage  auquel  les .  pauvres 
n'avaient  pas  été  étrangères.  Les  Sauvages,  qui  con- 
naissaient si  bien  sa  prédilection  pour  eux,  la  regar- 
daient comme  leur  mère.  Le  clergé  était  habitué  à 
voir  en  elle  l'ornement  de  la  religion  au  Canada  et 
l'un  des  plus  beaux  fleurons  qui  pussent  embellir  la 
couronne  d'une  Eglise  que  le  sang  de  plusieurs  mis- 
sionnaires avait  déjà  arrosée.  L'émotion  avait  donc 
agité  tous  les  cœurs.  Aussi,  il  y  eut  un  concours  uni- 
versel à  ses  obsèques.   Le  gouverneur,  l'intendant  et 


408  MARIE    DE    l'incarnation. 

toutes  les  personnes  de  qualité,  dit  Claude  Martin, 
voulurent  les  honorer  de  leur  présence.  Mgr  de  Laval 
étant  alors  en  France,  la  cérémonie  fut  faite  par 
M.  de  Bernières,  grand-vicaire  du  diocèse,  et  l'oraison 
funèbre  prononcée  par  le  Père  Lallemant,  qui  avait 
été  son  directeur  pendant  plus  de  vingt  ans.  L'orateur 
montra  dans  son  illustre  et  sainte  pénitente  tous  les 
caractères  que  Salomon  attribue  à  la  femme  forte. 


Quand  la  foule  se  fut  écoulée,  M.  de  Courcelles, 
gouverneur,  M.  Talon,  intendant,  M.  de  Bernières, 
le  Père  Lallemant  et  les  religieuses  furent  d'avis  de 
faire  retirer  le  corps  du  caveau  afin  de  faire  faire  le 
portrait  de  la  défunte,  ce  qui  montre  que  la  beauté 
et  la  fraîcheur  dont  sa  figure  avait  été  revêtue  après 
la  mort  n'avaient  pas  été  un  phénomène  passager;  car 
on  n'aurait  pas  eu  l'idée  de  reproduire  des  traits  consi- 
dérablement altérés  par  les  douleurs  d'une  longue  mala- 
die, si  le  trépas  y  avait  encore  ajouté  ses  ravages 
pendant  l'espace  de  plusieurs  jours. 

Le  corps  fut  donc  retiré  du  caveau,  et  le  lendemain, 
le  gouverneur  envoya  un  artiste,  qui  réussit  à  prendre 
une  ressemblance  de  cette  noble  et  douce  figure  mar- 
quée du  sceau  de  la  béatitude.'  Quand  le  portrait  fut 
achevé,  on  ferma  la  bière,  qui  portait  l'inscription 
suivante  gravée  sur  une  plaque  d'étain  : 

(1)  Ce  tableau  périt  dans  le  second  incendie  du  monastère,  le  20  octobre  1686. 
Celui  que  l'on  possède  aujourd'hui  a  été  envoyé  de  France.  Il  doit  être  une  copie 
du  premier  :  car  il  représente  la  vénérable  Mère  comme  étant  dans  un  âge 
avancé,  et  on  ne  voit  pas  que  son  portrait  ait  été  fait  depuis  son  départ  de 
France,  sinon  après  sa  mort. 


CHAPITRE   XVIII,  409 

CI-GIT 
LA    RÉVÉRENDE    MÈRE 

MARIE  GUYARD  DE  L'INCARNATION, 

PREMIÈRE    SUPÉRIEURE    DE    CE    MONASTÈRE, 

DÉCÉDÉE  LE  DERNIER  JOUR  DAVRIL  1672, 

■>  AGEE    DE 

SOIXANTE-DOUZE   ANS    ET    SIX    MOIS, 

RELIGIEUSE    PROFESSE    VENUE    DE    TOURS. 

PRIEZ    POUR   SON   AME. 


La  Mère  de  l'Incarnation  était  d'une  haute  taille, 
d'un  port  grave  et  majestueux.  Tous  ses  traits  étaient 
d'une  régularité  parfaite,  mais  d'une  beauté  mâle  qui 
révélait  la  grandeur  de  son  âme.  Lorsqu'elle  était 
encore  dans  le  monde,  tout  son  air  avait  quelque  chose 
de  si  grand,  qu'on  s'arrêtait  dans  les  rues  pour  la  voir 
passer,  dit  le  Père  Cbarlevoix.  Plus  tard,  l'habitude 
de  la  présence  de  Dieu  ajouta  à  la  beauté  naturelle 
de  sa  figure  quelque  chose  de  céleste. 

Ce  ne  fut  que  plusieurs  mois  après,  par  les  vaisseaux 
veous  au  printemps,  que  les  Ursulines  de  Québec 
purent  faire  arriver  en  France  l'écho  de  leur  profonde 
douleur,  et  dire  à  leurs  amis  le  vide  que  laissait  au 
monastère  le  départ  des  deux  fondatrices  :  car  madame 
de  la  Peltrie  était  morte  cinq  mois  avant  la  Mère  de 
l'Incarnation.  Cette  nouvelle  ne  fit  guère  moins  de 
sensation  en  France  qu'au  Canada,  car,  tout  le  monde 
s'occupait  alors  de  cette  nouvelle  colonie  ;  les  Relations 
publiées  par  les  Jésuites  mettaient  le  public  au  courant 
de  tout  ce  qui  s'y  passait  et  faisaient  connaître  toutes 
les  personnes  qui  y  jouaient  un  rôle  important. 


410  MARIE    DE    l'incarnation. 

On  lira  avec  intérêt  ce  que  disait  de  la  vénérable 
défunte,  dans  sa  circulaire  aux  communautés  de 
France,  datée  du  V  mai  1672,  la  Mère  Saint-Athanase 
alors  supérieure'.  Cette  circulaire  était  restée  inédite 
jusqu'ici.  M.  Gasgrain  lui-même  ou  ne  l'a  pas  connue, 
ou  n'a  pas  jugé  à  propos  de  la  publier. 

Après  avoir  représenté  la  Mère  de  l'Incarnation  dans 
ses  souffrances,  «  se  tenant  devant  Dieu  en  qualité 
de  victime,  prête  à  soufifrir  mille  fois  davantage  et 
jusqu'au  jour  du  jugement,  pour  le  faire  connaître 
et  aimer  par  tous  les  infidèles,  se  réjouissant  avec 
Notre- Seigneur  d'être  attachée  avec  lui  à  la  croix, 
qu'elle  n'aurait  pas  changée  pour  tous  les  empires 
de  la  terre,  »  la  Mère  Saint-Athanase  ajoute  : 

«  Il  n'y  avait  pas  lieu  de  s'étonner  de  la  voir  dans 
ces  sentiments  au  moment  de  mourir,  puisque  sa  mort 
était  l'écho  de  sa  très-sainte  vie,  qu'elle  avait  passée 
dans  une  pratique  continuelle  et  généreuse  des  plus 
héroïques  vertus,  et  d'une  manière  si  éminente,  qu'il 
serait  difficile  de  l'égaler,  surtout  en  générosité  et 
magnanimité  lors  des  plus  fâcheux  accidents. 

«  Elle  n'était  pas  moins  admirable  par  son  esprit 
d'oraison  et  d'union  continuelle  avec  la  divine  Majesté, 
qu'elle  ne  perdait  jamais  de  vue  dans  toutes  ses  occu- 
pations et  conversations,  ce  qui  faisait  rejaillir  sur 
son  visage  un  je  ne  sais  quoi  qui  inspirait  du  respect 
et  de  la  vénération  pour  sa  personne,  que  l'on  considé- 
rait comme  toute  remplie  de  la  divinité. 

»  Sa  modestie  était  angélique,  son  humilité  et  sa 
simplicité   sans  exemple   étaient  accompagnées  d'une 

(1)  La  Mère  Saint-Athanase,  venue  du  grand  couvent  de  Paris,  était  une 
religieuse  d'une  trempe  d'esprit  supérieure.  Elle  a  vécu  cinquante  ans  dans  le 
monastère  de  Québec. 


CHAPITRE    XVIII.  411 

sagesse  et  d'une  prudence  qui  n'avaient  rien  d'humain. 
Je  passe  sous  silence  les  excessives  pénitences  et  mor- 
tifications que  notre  chère  défunte  a  pratiquées  depuis 
son  enfance.  Je  ne  parlerai  point  non  plus  ici  de  ses 
communications  intimes  avec  la  divine  Majesté,  des 
vues  qu'elle  avait  de  nos  mystères  et  qui  semblaient 
atteindre  l'évidence.  Quant  à  ce  qui  est  de  ses  grâces 
gratuites,  je  laisse  la  parole  à  quelque  personne  plus 
intelligente,  que  la  divine  Providence  suscitera  pour 
mettre  au  grand  jour  la  vie  pleine  de  merveilles  de 
cette  admirable  Mère.  Un  docte  et  savant  personnage, 
qui  a  eu  longtemps  la  conduite  de  cette  grande  âme, 
disait  qu'elle  peut  être  appelée  une  seconde  Thérèse, 
ou  la  Thérèse  du  Canada.  " 

Remarquons  que  la  Mère  Saint-Athanase  connaissait 
parfaitement  celle  dont  elle  parle  ainsi  :  toutes  deux 
ayant  été  alternativement  supérieures,  de  six  ans  en 
six  ans,  depuis  leur  arrivée  à  Québec.  C'était  donc 
surtout  quand  elle  était  supérieure  à  son  tour  qu'elle 
pouvait  pénétrer  dans  l'âme  de  sa  sainte  compagne, 
qui  n'était  pas  plus  tôt  sortie  de  charge,  ajoute-t-elle, 
qu'  elle  devenait  «  la  plus  soumise,  la  plus  obéissante 
et  la  plus  dépendante  de  la  maison,  rendant  compte 
de  son  intérieur  avec  autant  de  simplicité  qu'aurait 
pu  faire  la  dernière  novice.  » 

Deux  autres  témoignages  contemporains  se  trouvent 
joints  à  celui  de  la  Mère  Saint-Athanase.  Le  premier 
est  de  la  Mère  Sainte-Claire  qui,  étant  venue  à  Québec 
en  1640,  écrivait  ses  premières  impressions  à  ses  sœurs 
de  Paris  :  «  Nous  nous  approchâmes  de  la  grille  pour 
saluer  les  religieuses;  en  parlant  à  la  Mère  de  l'In- 
carnation, je  respirai  une  odeur  de  sainteté  qui 
m'embauma.  » 


412  MARIE    DE    l'incarnation. 

L'autre  témoignage  contemporain  est  de  la  Mère 
Cécile-de-la-Croix,  la  dernière  survivante  des  trois  pre- 
mières religieuses  fondatrices,  qui  mourut  en  1687.  Elle 
n'avait  plus  quitté  la  Mère  de  l'Incarnation  à  partir 
de  Dieppe,  oii  elle  s'était  jointe  à  elle  pour  aller  au 
Canada.  Elle  déclara  que  durant  les  trente-trois  ans 
qu'elle  avait  eu  le  bonheur  de  vivre  avec  elle,  jamais 
elle  ne  lui  avait  vu  commettre  une  faute  contre  la 
patience,  la  douceur,  l'humilité,  la  charité,  la  modestie, 
la  pauvreté  et  l'obéissance. 


CHAPITRE  XIX. 

Témoignages  en  faveur  de  la  sainteté  de  Marie  de  l'Incarnation.  —  Traditions 
de  son  monastère.  —  Opinion  de  personnages  recommandables  :  Mgr  de 
Laval,  M.  l'abbé  Ferland,  M.  l'abbé  Langevin,  Camus,  docteur  de  Sorbonne 
et  grand-vicaire  de  Tours,  Catinat,  également  docteur  de  Sorbonne  et  abbé 
de  Saint-Julien,  l'abbé  Ladvocat,  Feller,  Pereunès,  Moréri,  M.  Emery, 
le  Père  Ramière,  Jésuite. 

La  vie  que  nous  venons  d'écrire  n'est  pas  seulement 
celle  d'une  personne  de  grande  piété,  dont  les  vertus 
méritent  d'être  racontées  pour  servir  à  l'édification  ; 
c'est  l'histoire  d'une  âme  exceptionnelle,  regardée 
comme  une  sainte  pendant  sa  vie,  objet  d'une  véné- 
ration universelle  au  moment  de  sa  mort,  et  que  depuis 
lors  la  population  canadienne  n'a  pas  cessé  de  regarder 
comme  digne  d'être  mise  par  l'Eglise  au  nombre  des 
Bienheureux.  On  ne  lui  a  jamais  rendu  aucun  culte,  • 
parce  qu'on  devait  respecter  les  sévères   prohibitions 


CHAPITRE   XIX.  413 

du  Saint-Siège;  mais  on  s'en  est  dédommagé  par  des 
louanges,  des  panégyriques,  des  témoignages  de  véné- 
ration et  des  prières  particulières  pour  obtenir,  par 
son  crédit  auprès  de  Dieu,  soit  des  faveurs  temporelles, 
soit  des  secours  dans  l'ordre  du  salut.  Nous  croyons 
utile  de  ne  pas  laisser  dans  un  entier  oubli  ces  preuves 
de  vénération  que  rien  n'a  pu  interrompre  depuis  deux 
siècles  et  qui  même  prennent  de  l'accroissement  au 
lieu  de  s'affaiblir.  Commençons  par-  ce  qui  s'est  passé 
dans  le  monastère. 

Cet  élan  spontané  et  universel,  qui  porte  une  com- 
munauté à  chanter  un  Te  Deum  solennel  au  jour 
anniversaire  de  son  trépas,  est  déjà  quelque  chose  de 
bien  remarquable,  et  je  ne  sais  s'il  existe  un  seul 
autre  fait  de  ce  genre  dans  l'histoire  de  l'Eglise.  Mais 
que  ce  Te  Beum,  au  lieu  d'être  le  résultat  d'un  enthou- 
siasme momentané,  ait  été  continué  depuis  deux  cents 
ans  avec  la  même  solennité  et  un  zèle  croissant,  c'est 
ce  qui  étonnerait  davantage,  si  un  bon  nombre  de  faits 
traditionnels  que  nous  allons  raconter  n'en  donnaient 
l'explication. 


Ce  que  l'on  peut  regarder  comme  particulièrement 
propre  à  éclairer  sur  le  mérite  d'un  personnage,  c'est 
la  force  et  la  durée  de  l'impression  qu'il  produit  après 
sa  mort,  dans  le  pays  où  il  a  vécu  :  or  les  annales  des 
Ursulines  de  Québec  font  foi  que  toujours  le  langage 
des  anciennes  religieuses,  au  sujet  de  la  Mère  Marie 
de  l'Incarnation,  a  témoigné  d'une  vénération  spéciale. 
On  avait,  il  est  vrai,  une  haute  estime  pour  les  com- 
pagnes de  son  apostolat,  et  en  particulier  pour  la  Mère 
Saint- Joseph;  mais,  malgré  cela,  on  mit  toujours  la 


414  MARIK    DE    l'incarnation. 

Mère  de  rincarnation  au  premier  rang.  C'était  à  elle 
qu'on  attribuait  l'auréole  de  la  sainteté;  c'était  elle 
que  l'on  espérait  voir  un  jour  placée  par  l'Église  sur 
les  autels. 

Lorsqu'en  1724  on  transporta  dans  le  caveau  du 
nouveau  chœur  les  corps  des  religieuses  alors  dé- 
cédées, on  mit  à  part  et  dans  un  même  cercueil  en 
plomb  ceux  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  de  madame 
de  la  Peltrie  et  de  la  Mère  Saint-Joseph  (en  prenant 
toutefois  des  moyens  pour  les  reconnaître;^)  mais  on 
les  confondait  si  peu  pour  cela  dans  une  égale  estime, 
que  l'on  s'occupa  sérieusement  de  la  béatification  de 
la  première,  sans  penser  sous  ce  rapport  aux  deux 
autres. 

Le  Père  Charlevoix  écrivait  alors  sa  vie,  où  il  dit 
que  «  du  moment  où  elle  cessa  de  vivre,  la  voix  publi- 
que la  canonisa  dans  tous  les  lieux  où  elle  était  con- 
nue. »  Cette  impression  ne  s'affaiblit  jamais  ;  il  y  eut 
même  un  moment,  vers  le  milieu  du  XVIIP  siècle, 
où  l'on  crut  que  le  jugement  populaire  allait  se  trouver 
ratifié  par  celui  du  Saint-Siège.  C'est  ce  que  prouvent 
les  lignes  suivantes  écrites  par  une  Ursuline  de  Québec 
à  deux  Visitandines  de  France,  en  1751. 

«  Mesdames,  je  commence  par  vous  faire  mon  com- 
pliment sur  la  béatification  de  votre  bienheureuse  fon- 
datrice (sainte  Jeanne  de  Chantai).  Nous  avons  eu  quel- 
que lueur  d'espérance  de  voir  mettre  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation  sur  les  rangs  pour  le  même  sujet;  mais 
la  personne  qui  avait  pris  la  chose  à  cœur  n'est  plus... 

(1)  Il  n'y  avait  aucun  danger  de  confusion  ;  madame  de  la  Peltrie  étant  très- 
petite,  tandis  que  la  Mère  de  l'Iucaruation  était  d'une  haute  taille.  Quant  à  la 
Mère  de  Saint-Joseph,  ses  ossements  sont  d'une  couleur  blanchâtre  qui  contraste 
avec  la  teinte  brune  des  autres. 


CHAPITRE    XIX.  415 

Dieu  peut  susciter,  quand  il  sera  temps,  d'autres  per- 
sonnes ;  c'est  à  nous  à  nous  soumettre  et  à  nous  confier 
eu  sa  providence.  » 

En  1799,  on  exhuma  de  nouveau  les  restes  vénérés 
des  trois  fondatrices  :  les  Mères  de  l'Incarnation  et  de 
Saint- Joseph"  et  madame  de  la  Peltrie,  afin  de  les 
déposer  en  un  lieu  plus  convenable,  sous  la  grille  de  la 
communion.  On  réserva  quelques  ossements  de  ces 
corps  afin  de  satisfaire  la  dévotion  des  personnes  qui 
en  demanderaient;  mais  les  fidèles  persistèrent  à  ne 
regarder  comme  reliques  jque  les  restes  de  la  Mère 
de  l'Incarnation;  ce  fut  à  elle  que  l'on  continua  de 
s'adresser  pour  obtenir  des  faveurs  du  Ciel,  tant  on 
était  convaincu  de  son  crédit  tout  particulier  auprès 
de  Dieu. 


Sans  qu'on  sache  par  quel  accident,  il  y  a  une 
interruption  de  dix  ans  dans  les  annales  à  partir  de 
cette  époque  ;  mais  les  traditions  du  monastère  ne  sont 
pas  pour  cela  interrompues  :  car  une  vénérable 
ancienne  supérieure,  Mère  Saint-Gabriel,  qui  a  cin- 
quante-sept ans  de  religion,  atteste  qu'ayant  connu 
des  religieuses  qui  avaient  fait  profession  avant  la 
conquête  du  Canada  par  l'Angleterre  (1759),  elle  n'^ 
jamais  entendu  exprimer  deux  opinions  touchant  l'émi- 
nente  sainteté  de  la  Mère  de  l'Incarnation.  «  Loin 
de  là,  dit-elle,  les  anciennes  ne  parlaient  qu'avec  la 
plus  profonde  vénération  et  les  larmes  aux  yeux  de 
cette  Mère  incomparable.  Ses  sublimes  exemples,  son 
esprit  religieux  surtout,  et  son  zèle  immense  étaient 
à  la  fois  un  sujet  de  confusion  pour  les  anciennes  et  le 
plus   puissant   stimulant    que    l'on   pût  proposer  aux 


41()  MARIE    DE    l'incarnation. 

jeunes  pour  les  ameoer  à  se  dévouer  à  la  gloire  de 
Dieu.  Dès  l'entrée  au  noviciat,  on  apprenait  à  l'invo- 
quer, à  se  mettre  sous  sa  protection  spéciale  dans  les 
retraites  et  autres  exercices  de  la  vie  religieuse,  sur- 
tout à  lui  demander  toutes  les  vertus  d'une  vraie 
Ursuline.  Dans  les  difficultés,  on  s'adressait  à  elle  par 
de  ferventes  neuvaines  dont  plusieurs  sœurs,  à  ma 
connaissance,  ont  éprouvé  des  effets  signalés.  Une 
grande  faveur  accordée  aux  jeunes  novices  était  la 
permission  d'aller  dire  le  chapelet  sur  celui  de  la  véné- 
rable Mère,  qu'il  n'était  pas  permis  d'emporter  hors 
de  la  chapelle  des  saints.  C'était  aussi  un  grand  privi- 
lège que  de  pouvoir  lire  sa  Vie  ou  quelqu'un  de  ses 
ouvrages,  les  exemplaires  étant  uniques  dans  la 
maison.  « 


En  1833,  d'après  le  désir  des  religieuses,  leur  supé- 
rieur, M.  L.-J.  Desjardins  et  leur  aumônier,  M.  Th. 
Maguire,  vicaire-général,  sollicitèrent  la  permission  de 
vérifier  pour  la  troisième  fois  les  restes  des  trois  fon- 
datrices. Le  cercueil  fut  ouvert  avec  une  religieuse 
émotion,  au  jour  déjà  si  cher  du  30  avril,  anniversaire 
de  sa  mort.  On  ne  fut  pas  peu  surpris  de  le  trouver 
plein  d'une  eau  claire  et  limpide  que  l'on  eut  soin  de 
recueillir  et  de  conserver,  i  Les  trois  corps  étaient 
baignés  dans  cette  eau,  mais  la  sainteté  de  la  Mère 
de  l'Incarnation  prédomine  toujours,  et  c'est  sous  sa 

(1)  Nous  devons  dire  qu'il  n'y  a  eu  aucun  miracle  dans  ce  fait.  L'eau  avait 
pénétré  par  infiltration  dans  le  caveau  et  était  entrée  dans  le  cercueil  en  plomb, 
qui  n'était  pas  fermé  hermétiquement.  Si  donc  on  la  recueillit  avec  respect,  ce 
fut  à  cause  du  contact  qu'elle  avait  eu  avec  les  corps  des  trois  religieuses,  et 
particulièrement  avec  celui  de  la  Mère  de  l'Incarnation. 


CHAPITRE    XIX.     ,  417 

seule  invocation,   depuis   quarante  ans,  que   l'eau  du 
tombeau  a  été  employée  comme  miraculeuse. 

La  dévotion  envers  cette  vénérable  Mère  acquit  alors 
une  nouvelle  vivacité,  et  depuis  elle  a  toujours  été  en 
croissant.  Il  ne  se  passe  guère  de  semaine  oii  l'on 
n'aille  demander  au  monastère  quelques  neuvaines 
en  son  honneur. 

Telles  ont  toujours  été,  dans  le  monastère  des  Ursu- 
lines  de  Québec,  les  traditions  de  respect,  de  vénéra- 
tion, de  confiance,  d'amour  spécial,  et,  on  peut  le  dire, 
de  dévotion  envers  la  Mère  de  l'Incarnation.  Mais 
hâtons- nous  de  dire  que  ces  religieuses  n'ont  pas  été 
seules  à  manifester  ces  sentiments.  Bien  d'autres  témoi- 
gnages se  joignent  à  ceux  que  leur  a  fait  rendre  leur 
piété  filiale,  appuyée  d'ailleurs  sur  des  fondements 
soUdes  et  des  titres  irrécusables.  Des  hommes  éminents 
et  des  esprits  distingués  se  sont  joints  à  ces  pieuses 
filles  et  ont  exalté  A  l'envi  la  vertu  exceptionnelle 
de  leur  sainte  fondatrice. 


Le  premier  évêque  de  Québec,  Mgr  de  Laval-Mont- 
morency, s'exprimait  ainsi  :  «  Le  témoignage  que  nous 
pouvons  rendre  de  la  sainteté  de  la  vénérable  Mère 
de  l'Incarnation,  est  qu'elle  était  ornée  de  toutes  les 
vertus  dans  un  degré  éminent,  surtout  d'un  don  d'orai- 
ron  si  élevé  et  d'une  union  avec  Dieu  si  parfaite,  qu'elle 
conservait  sa  présence  au  milieu  de  l'embarras  des 
affaires  les  plus  ditïiciles  et  les  plus  distrayantes,  comme 
parmi  les  autres  occupations  oti  sa  vocation  l'engageait. 
Parfaitement  morte  à  elle-même,  Jésus  seul  vivait  et 
agissait  en  elle.   Dieu  l'ayant  choisie  pour  l'Ordre  de 

M.     DB    l'iNC.  'il 


418  MARIE    DK    l'incarnation. 

Sainte-Ursule  en  Canada,  il  l'a  douée  de  la  plénitude 
de  l'esprit  de  ce  saint  Institut.  C'était  une  supérieure 
parfaite,  une  excellente  maîtresse  des  novices,  et  elle 
était  très-capable  de  remplir  tous  les  emplois  d'une 
communauté  religieuse.  Son  zèle  pour  le  salut  des 
âmes  et  particulièrement  pour  celui  des  Sauvages  était 
si  ardent,  qu'il  semblait  qu'elles  les  portait  tous  dans 
son  cœur.  Nous  ne  doutons  pas  que  ses  prières  n'aient 
obtenu  en  grande  partie  les  faveurs  dont  jouit  mainte- 
nant l'Eglise  naissante  du  Canada.  " 


M.  l'abbé  Ferland,  l'historien  du  Canada,  s'élève 
jusqu'à  l'éloquence  quand  il  parle  de  cette  vraie  gloire 
de  son  pays. 

«  Le  dernier  jour  d'avril  de  l'année  1672,  mourut 
la  Mère  de  l'Incarnation,  première  supérieure  des  Ursu- 
lines  de  Québec,  qui,  par  ses  vertus  et  son  intelligence 
des  choses  spirituelles,  a  mérité  d'être  nommée  la 
Thérèse  de  la  nouvelle  France.  Possédant  un  esprit  supé- 
rieur, un  courage  calme  et  inébranlable,  une  patience 
que  rien  ne  pouvait  lasser,  elle  était  éminemment  propre 
aux  devoirs  qu'elle  fut  appelée  à  remplir.  A  la  tête 
d'une  communauté  de  faibles  filles,  dénuée  de  ressour- 
ces, elle  sut  inspirer  à  ses  compagnes  la  force  d'âme 
et  la  confiance  en  Dieu  qui  la  soutenaient  elle-même. 
Malgré  l'indocilité  et  l'inconstance  des  filles  algon- 
quines,  l'incommode  curiosité  de  leurs  parents,  les 
mille  misères  d'un  établissement  pauvre  et  nouveau, 
la  Mère  de  l'Incarnation  conservait  une  égalité  d'hu- 
meur qui  inspirait  du  courage  aux  compagnes  de  ses 
travaux.   Survenait-il  quelque  malheur  subit,   elle  se 


CHAPITRE    XIX.  419 

dressait  dans  toute  la  grandeur  d'une  chrétienne  de 
la  primitive  Eglise  pour  le  recevoir  avec  constance. 
Son  fils  lui  parlait-il  des  mauvais  traitements  auxquels 
elle  était  exposée  de  la  part  des  Iroquois  dans  un  temps 
oii  les  affaires  des  Français  paraissaient  désespérées, 
elle  répondait  avec  calme  :  «  N'ayez  point  ^d'inquiétude 
à  mon  égard,  je  ne  dis  pas  pour  le  martyre,  car  votre 
affection  pour  moi  vous  porte  à  me  le  désirer,  mais 
j'entends  parler  des  autres  outrages.  Je  ne  vois  aucun 
sujet    d'appréhender;    tout    ce    que  j'entends   dire   ne 
m'abat   point  le  cœur....   »   Son  âme  forte   et  grande 
semblait  s'élever  naturellement  au-dessus  des  malheurs 
qui  assaillaient  la  colonie  naissante.  Se  confiant  pleine- 
ment en  Dieu  dans  les  plus  violents  orages,  elle  con- 
tinuait à  s'occuper  tranquillement  de  son  œuvre  comme 
si  rien  au  monde  n'eût  pu  l'ébranler.  Dans  un  moment 
où  beaucoup  de  personnes  craignaient  que  les  Français 
ne  fussent  forcés  de  quitter  le  pays,  la  Mère  de  flncar- 
nation,   malgré  son   âge  déjà  avancé,   commençait  à 
étudier  la  langue  des  Hurons.  Toujours  calme,  elle  ne 
se  laissait  pas  plus  emporter  par  l'enthousiasme  qu'ar- 
rêter par  la  crainte. 

»  En  parcourant  ses  écrits,  l'on  est  étonné  d'y  trouver 
une  justesse  d'idées,  une  correction  de  style  et  une 
solidité  de  jugement  qui  donnent  une  haute  idée  de 
cette  femme  vraiment  supérieure.  Elle  était  chargée 
de  toutes  les  affaires  du  couvent,  écrivait  un  nombre 
prodigieux  de  lettres,  apprenait  les  deux  langues  mères 
du  pays,  l'algonquin  et  le  huron,  composait  un  diction- 
naire et  un  catéchisme  iroquois,  un  di<;tionnaire  algon- 
quin, un  catéchisme  huron,  un  catéchisme  et  un  livre 
de  prières  dans  la  langue  algonquine. 

»  On  ne  doit  pas  être  étonné  de  la  large  part  qu'oc- 


420  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

cupent,  dans  l'histoire  du  Canada,  madame  de  la  Peltrie 
et  la  Mère  de  l'Incarnation.  L'institution  fondée  par 
elles  a  exercé  une  grande  influence  sur  la  famille 
chrétienne  dans  notre  pays....  C'est  grâce  aux  soins 
de  madame  de  la  Peltrie  et  aux  leçons  de  la  Mère  de 
l'Incarnation  et  de  ses  premières  compagnes  que  se 
formèrent,  dans  les  premiers  temps  de  la  colonie,  ces 
familles  patriarcales  dont  le  type  s'est  conservé  jusqu'à 
nos  jours.  « 


M.  l'abbé  Langevin ,  vicaire  générai  de  Québec, 
envoyant  aux  Ursulines  une  série  d'autres  témoignages 
qu'il  avait  recueillis,  les  faisait  précéder  des  lignes 
suivantes  :  «  La  première  fois  que  j'entendis  parler 
de  la  Mère  de  l'Incarnation  j'étais  bien  jeune,  et  mes 
impressions  étaient  vives.  Je  me  rappelle  que  l'on 
prononçait  avec  un  singulier  respect  et  une  grande 
confiance  son  nom  dans  les  conversations  de  famille, 
et  que  l'on  n'y  faisait  allusion  que  comme  à  celui  d'une 
Bienheureuse  certainement  en  possession  du  bonheur 
du  Ciel,  et  dont  bien  des  personnes  avaient  éprouvé 
la  protection  sensible.  J'ai  donc  grandi  avec  la  pensée 
qu'il  y  avait  eu  une  grande  sainte  dans  le  monastère 
des  Ursulines  de  Québec,  que  ses  vertus  avaient  brillé 
d'un  grand  éclat,  qu'elle  avait  même  été  l'objet  de 
manifestations  particulières  de  la  part  de  Dieu,  et  qu'un 
jour  son  éminente  sainteté  serait  reconnue  d'une 
manière  éclatante  par  notre  sainte  Mère  l'Eglise. 

«  Plus  tard,  pour  satisfaire  ma  piété  et  donner  un 
fondement  à  ma  dévotion  envers  la  sainte  religieuse, 
je  m'efforçai  de  mettre  la  main  sur  des  ouvrages  qui 
pussent  me  la  faire  connaître.  « 


CHAPITRE    XIX.  421 

Ce  pieux  ecclésiastique  énumère  ensuite  ce  que, 
dans  ses  savantes  recherches  bibliographiques,  il  a 
découvert  de  témoignages  rendus  à  la  sainteté  de  la 
Mère  de  l'Incarnation.  Il  cite  Camus,  docteur  de  Sor- 
bonne  et  grand-vicaire  de  Tours,  1680;  Catinat,  égale- 
ment docteur  de  Sorbonne  et  abbé  de  Saint-Julien; 
le  Dictionnaire  historique  de  l'abbé  l'Advocat;  celui  de 
Feller  ;  le  Dictionnaire  de  Biographie  chrétienne  de  Perennès 
(édit.  de  Migne);  le  Dictionnaire  historique  de  Moréri. 
Nous  reproduisons  le  témoignage  de  ce  dernier  comme 
particulièrement  digne  d'attention.  Après  avoir  dit  que- 
Marie  de  l'Incarnation  se  maria  par  obéissance  à  ses 
parents,  Moréri  ajoute  :  «  Comme,  dès  sa  plus  tendre 
enfance,  elle  avait  été  élevée  à  un  don  d'oraison  très- 
sublime,  soutenue  d'une  austérité  de  vie  dont  on  a  peu 
d'exemples,  et  de  toutes  les  vertus  qui  peuvent  convenir 
aux  personnes  de  son  sexe,  elle  était  déjà  maîtresse 
dans  1^  "vie  apostolique  lorsqu'elle  entra  au  noviciat. 
Aussi  ne  tarda-t-on  pas,  après  sa  profession,  à  la 
charger  du  soin  d'instruire  les  novices.  Elle  s'acquitta 
de  cet  emploi  avec  un  succès  qui  répondit  à  l'attente 
que  l'on  en  avait;  elle  peupla  sa  maison  de  saintes. 
Ce  fut  dans  ce  temps-là,  et  pour  l'instruction  de  ces 
jeunes  filles,  qu'elle  composa  VEcole  sainte,  qui  est  un 
des  meilleurs  catéchismes  que  les  catholiques  romains 
aient  en  français.  Appelée  ensuite,  par  des  voies  extraor- 
dinaires, à  la  conversion  des  filles  sauvages  du  Canada, 
elle  passa  à  Québec  en  1639  pour  y  fgnder  un  couvent 
de  son  Ordre  qu'elle  a  solidement  établi,  gouverné 
longtemps  avec  une  grande  sagesse  et  soutenu  dans 
les  temps  fâcheux  d'une  manière  presque  miraculeuse. 
Elle  mourut  en  odeur  de  sainteté,  le  dernier  jour 
d'avril  1672.  « 


422  MARIE    DE    l'incarnation. 

M.  Emery,  supérieur  général  de  Saint-Sulpice,  ne 
mérite  pas  moins  d'être  cité.  Il  écrivait  en  1800  à  Mgr 
J.  0.  Plessis,  évêque  de  Québec  : 

«  J'ai  beaucoup  de  vénération  pour  les  Ursulines  de 
Québec,  qui,  sans  doute,  ont  hérité  des  vertus  éminentes 
de  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  C'est  une 
sainte  que  je  vénère  bien  sincèrement  et  que  je  mets 
dans  mon  estime  à  coté  de  sainte  Thérèse.  Dans  ma 
dernière  retraite,  sa  vie,  ses  lettres  et  ses  méditations 
ont  seules  fourni  la  matière  de  mon  oraison  et  de  mes 
lectures  » 

Feller  termine  ce  qu'il  dit  à  la  louange  de  la  véné- 
ble  Mère  par  les  paroles  suivantes  :  «  Les  écrits  de  cette 
religieuse  respirent  cette  onction  sublime  qu'on  ne 
trouve  que  dans  les  Saints.  » 


Laissant  de  côté  bien  d'autres  témoignages  rendus 
à  la  sainteté  de  cette  grande  servante  de  Dieu,  nous 
finirons  par  celui  du  Père  Ramière  dans  le  Messager 
du  Sacré-Cœur  du  mois  de  juin  1866.  «  Peut-être  dépend- 
il  des  pieuses  filles  de  Sainte-Ursule  et  des  catholiques 
canadiens  d'obtenir,  par  leur  ferveur  et  leur  confiance, 
l'élévation  sur  les  autels  de  cette  âme  héroïque,  dont 
la  glorieuse  mémoire  est  le  trésor  commun  et  de  l'Ordre 
religieux  qui  la  forma,  et  du  pays  auquel  elle  voua 
son  existence.  ^ 

Si  l'on  joint  à  ces  témoignages  celui  de  Bossuet  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut,  et  bien  d'auires  qu'il  serait 
trop  long  de  rapporter,  il  est  clair  qu'à  l'époque  où 
mourut  la  Mère  de  l'Incarnation,  il  n'y  avait  qu'une 
voix  pour  la  proclamer  sainte,  autant  que  cela  était 


CHAPITRE    XIX.  423 

possible  avant  le  jugement  de  l'Eglise;  et  que  depuis, 
soit  dans  le  monastère  qu  elle  édifia  durant  trente-trois 
ans,  soit  dans  tout  le  Canada,  où  ne  se  répandit  pas 
moins  l'éclat  de  ses  vertus,  la  conviction  qu  elle  mérite 
les  honneurs  rendus  aux  saints  du  Ciel  n'a  fait  que 
croître  aii  lieu  de  s'affaiblir. 


Nous  allons  en  donner  des  preuves  encore  plus 
manifestes  en  faisant  connaître  soit  des  gu^risons  mira- 
culeuses, soit  d'autres  faveurs  attribuées  à  la  puissance 
de  son  crédit  auprès  de  Dieu.  Il  est  probable  que  des 
faits  de  ce  genre  furent  constatés  dans  les  années  qui 
suivirent  sa  mort;  mais  le  second  incendie  du  monas- 
'tère,  arrivé  en  1686,  ayant  détruit  presque  tous  les 
titres,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ne  soit  rien  resté 
sinon  une  confiance  indestructible,  confiance  qui  serait 
inexplicable  si,  de  temps  en  temps  au  moins,  la  véné- 
rable Mère  n'avait  pas  donné  des  preuves  de  l'eflBcacité 
de  son  intercession. 

On  remarquera,  en  lisant  le  récit  des  faits  de  guéri- 
sons  et  autres  grâces  extraordinaires  dont  nous  allons 
donner  connaissance,  que  l'on  n'avait  guère  pensé  à 
les  recueillir  avant  l'année  1867.  C'est  qu'avant  cette 
époque  on  n'entrevoyait  pas  encore  le  jour  où  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  pourrait  être  béatifiée.  Mais 
feu  Mgr  Baillargeon,  archevêque  de  Québec,  ayant 
institué,  en  1867,  une  commission  qu'il  chargea  de 
rechercher  et  de  constater,  selon  les  formes  canoni- 
ques, tout  ce  qui  était  de  nature  à  démontrer  la  sain- 
teté de  la  vénérable  Mère,  on  sentit  tout  à  la  fois  de 
l'espérance,  de  la  joie  et  un  zèle  nouveau.  Seulement 


424  MARIE    DE    l'incarnation. 

comme  la  détermination  du  pieux  prélat  avait  été 
arrêtée  subitement  à  la  prière  des  Ursulines  de  Québec, 
on  se  trouva  pris  au  dépourvu.  On  éprouva  un  regret 
universel  de  n'avoir  pas  fait  plus  d'attention  aux  guéri- 
sons  qui  s'opéraient  si  fréquemment  et  auxquelles  on 
s'était,  pour  ainsi  dire,  accoutumé.  On  revint  en  arrière 
autant  que  l'on  put,  en  interrogeant  les  témoins  des 
miracles  les  pliis  récents,  et  l'on  parvint  à  réunir  des 
attestations  trop  nombreuses,  il  est  vrai,  pour  que 
nous  puissions  les  reproduire  toutes,  mais  qui  le 
seraient  bien  davantage  si  l'on  avait  toujours  pris  soin 
de  les  recueillir  à  mesure  que  les  faveurs  étaient 
obtenues.  En  effet,  même  parmi  les  miracles  les  plus 
récents,  il  dut  y  en  avoir  un  grand  nombre  qui  échap- 
pèrent aux  recherches.  On  en  a  la  preuve  par  les 
lignes  suivantes  du  registre  des  Ursulines  de  Québec, 
à  la  date  du  22  octobre  1867. 

«  Aujourd'hui  oii  s'assemble  la  commission  nommée 
au  sujet  des  affaires  relatives  à  la  béatification  de 
notre  vénérable  Mère,  '  une  personne  venue  pour  cher- 

(1)  La  commission  instituée  par  Mgr  Baillargeon,  qui  se  réunit  pour  la  per- 
mière  fois  le  22  octobre  1867,  était  composée  comme  il  suit  : 

Juge  :  M.  E.-A.  Taschereau,  D.-D.,  vicaire-général  de  Mgr  Baillargeon  , 
(aujourd'hui  son  digne  successeur). 

Juge  adjoint  :  M.  A.  Racine,  desservant  de  l'église  Saint-Jean  de  Québec. 

Promoteur  fiscal  :  M.  Edouard  Bonneau,  prêtre  de  l'archevêché,  aumônier 
militaire. 

Postulateur  :  M.  G.  Lemoine,  aumônier  des  Ursulines  de  Québec. 

Notaire  apostolique  :  MM.  les  abbés  H.  Gosselin,  Baillargeon  et  Collet,  ont 
rempli  successivement  cette  charge  en  devenant  secrétaires  de  l'archevêché. 

Portaient  les  sommations  :  MM.  les  abbés  Gauveau,  aumônier  de  l'archevêché, 
et  Godbout,  vicaire  à  la  cathédrale. 

Après  l'élévation  de  Mgr  Taschereau  à  la  dignité  archiépiscopale,  M.  l'abbé 
Racine  devint  juge,  et  fut  remplacé  comme  juge  adjoint  par  M.  l'abbé  Paquet, 
DD.,  professeur  de  théologie  à  l'Université  Laval. 


CHAPITRE    XX.  425 

cher  de  l'eau  du  tombeau  nous  a  indiqué  trois  guérisons 
miraculeuses  dont  ùous  n'avions  pas  même  entendu 
parler.  Il  est  étonnant  comme  cette  dévotion  se  propage. 
On  demande  de  l'eau  du  tombeau  pour  des  personnes 
du  Bic,  de  Ga^pé,  de  Montréal,  du  Haut-Canada,  et 
même  des  Etats-Unis.  » 

Nous  raconterons  selon  leur  ordre  chronologique 
celles  des  grâces  obtenues  que  l'on  a  bien  voulu  nous 
faire  connaître. 


CHAPITRE  XX. 

Grâces  obtenues  à  la  suite  de  prières  adressées  à  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation. 
—  Guérisons  obtenues  en  Amérique.  —  Mêmes  faveurs  obtenues  en  différentes 
contrées  de  l'Europe.  —  Faveurs  d'un  autre  genre. 

Nous  ne  pouvons  ni  qualifier  de  miracles  proprement 
dits  les  faits  que  nous  allons  raconter,  la  sagesse  de 
l'Eglise  lui  ayant  inspiré  de  se  réserver  à  elle-même 
tout  jugement  définitif  sur  les  faits  miraculeux;  ni 
même  prononcer  d'une  manière  absolue  que  ces  grâces, 
de  quelque  nature  qu'elles  soient,  sont  le  résultat  incon- 
testable des  prières  faites  dans  le  but  et  avec  l'intention 
de  les  obtenir.  Il  nous  est  permis  toutefois  de  les  faire 
connaître,  et  de  les  présenter  comme  vrais,  moyennant 
les  réserves  prescrites  par  le  Saint-Siège.  Pour  justifier 
tout  à  la  fois  notre  sentiment  et  notre  conduite,  nous 
emprunterons  quelques  lignes  au  pieux  auteur  des 
Voix  prophétiques. 

«  On  ne  cesse,  dit-il,  de  nous  objecter  le  Pape  Gélase 


426  MARIE    DE    l'incarnation. 

et  les  conciles  de  Latran  et  de  Trente  ;  mais  on  oublie 
que  le  Pape  Urbain  VIII  est  survenu,  qu'il  a  porté  le 
décret  du  13  mars  1625,  confirmé  plus  tard  par  sa 
bulle  du  5  juillet  1634,  après  qu'il  s'était  d'ailleurs 
clairement  exprimé  sur  le  sens  de  son  décret,  dans  la 
Congrégation  générale  de  la  sainte  Inquisition  romaine, 
tenue  au  Palais  apostolique  du  Quirinal,  le  5  juin  1631. 
Or,  en  cette  Congrégation,  Urbain  VIII  fit  lui-même 
connaître  que  l'on  pouvait  publier  des  révélations  et 
des  miracles  cinn  proiestatione  in  principio  {libri)  quod  Us 
nulla  adsit  auctoritas  ah  Ecclcsia  Romana,  sed  fîdes  sit  tantum 
pênes  auctorem  :  c'est-à-dire  en  protestant  au  commence- 
ment du  livre  qu'on  ne  les  donne  pas  comme  approuvés 
par  la  Sainte  Eglise,  mais  comme  un  récit  n'ayant 
qu'une  autorité  privée.  "  (Voix  prophétiques,  V  édit.. 
Introduction.) 

L'Eglise  ne  nous  interdit  donc  pas,  en  cette  matière, 
le  légitime  usage  de  nos  lumières  naturelles.  Elle 
permet  par  conséquent,  à  qui  le  voudra,  d'examiner 
trois  choses  :  1°  si  celui  que  l'on  dit  guéri  miraculeuse- 
ment était  malade  et  très-gravement  malade;  2°  si  des 
prières,  ou  autres  pratiques  de  dévotion  ont  été  faites 
dans  le  but  d'obtenir  sa  guérison  d'une  manière  surna- 
turelle; 3°  si,  pendant  ou  immédiatement  après  ces 
'  prières,  il  a  été  guéri  subitement,  sans  qu'on  puisse  voir 
ou  soupçonner  une  cause  naturelle  de  cette  guérison. 
Lorsque  cet  examen,  fait  avec  attention  et  une  sérieuse 
maturité  par  une  personne  judicieuse,  conduit  à  l'affir- 
mative sur  les  trois  questions,  celui  qui  a  ainsi  procédé 
peut  dire  :  Ma  conviction  est  qu'il  y  a  eu  miracle. 
Mais  cette  conviction  n'est  que  pour  lui  et  pour  ceux 
qui  auront  fait  comme  lui.  Il  ne  lui  est  pas  permis  de 
la   donner    comme    équivalant ,   même    à    peu    près , 


CHAPITRE    XX.         ^  427 

à  un  jugement  de  l'Eglise.  Il  peut  avoir  une  certi- 
tude, mais  cette  certitude  est  purement  humaine  et 
individuelle.  Elle  lui  suffit  néanmoins  pour  croire  de 
cette  foi  individuelle  qu'il  y  a  eu  miracle,  et  même 
pour  chercher  à  communiquer  à  d'autres  sa  propre 
ccnviction. 

Comme  cette  quesiion  est  importante,  nous  allons 
la  rendre  plus  claire  encore  par  un  exemple.  Une  jeune 
fille  de  Blois,  âgée  de  vingt-deux  ans  et  sourde-muette 
de  naissance,  fut  guérie  de  sa  surdité  le  7  octobre  1872, 
au  moment  où  elle  priait  dans  la  grotte  de  Lourdes, 
Plusieurs  des  personnes  qui  l'accompagnaient,  prêtres, 
religieuses,  amies  de  la  jeune  fille,  administrateurs 
de  l'Hôtel-Dieu,  etc.,  la  connaissaient  depuis  sa  pre- 
mière enfance  et  l'avaient,  pour  ainsi  dire,  vue  tous 
les  jours,  excepté  quelques  années  qu'elle  avait  passées 
à  une  école  de  sourdes-muettes  d'Orléans  ;  mais  cela 
même  était  encore  une  preuve  irrécusable  de  son  état 
d'infirmité.  L'Eglise  prescrit-elle  à  ces  personnes,  en 
attendant  qu'elle  décide  s'il  y  a  miracle  ou  non,  de 
douter  que  la  jeune  fille  ait  été  sourde -muette  de 
naissance?  Evidemment  non.  Ce  serait  prescrire  l'im- 
possible. Leur  défend-elle  de  croire  que  l'enfant  a  fait 
le  voyage  de  Lourdes  pour  obtenir  sa  guérison?  Non 
encore.  Ce  serait  tout  aussi  impossible,  puisque  ce 
furent  elles  qui  l'engagèrent  à  faire  ce  pèlerinage  et 
en  payèrent  les  frais,  et  qu'elles  furent  témoins  de  la 
pieuse  joie  avec  laquelle  cette  enfant  manifestait  le 
désir  et  même  l'espoir  d'obtenir  sa  guérison.  Enfin 
l'Eglise  défend- elle  à  ces  mêmes  personnes  de  croire 
que  cette  jeune  fille  a  cessé,  dans  la  grotte  de  Lourdes,, 
d'être  sourde?  Comment  feraient- elles  pour  douter, 
puisqu'elles  l'ont  vue  donner  des  preuves  manifestes 


428  MARIE    DE    l'incarnation. 

de  sa  guérisoD,  que  tous  les  jours,  depuis  lors,  ces 
preuves  se  sont  renouvelées;  que  la  jeune  fille,  qui  ne 
distinguait  pas  d'abord  de  quel  côté  venaient  les  sons, 
ni  la  différence  qui  existe  entre  les  différents  timbres 
de  voix,  distingue  cela  parfaitement  aujourd'hui?'  Elle 
tourne  la  iête  quand  on  fait  du  bruit  derrière  elle; 
un  son  strident  et  subit  lui  fait  éprouver  une  commo- 
tion; une  douce  musique  la  réjouit.  Après  avoir  sim- 
plement et  avec  peine  répété  les  syllabes  à  mesure 
qu'on  les  lui  prononçait  en  les  isolant  les  unes  des 
autres,  elle  est  parvenue  à  articuler  des  mots  et  des  . 
phrases  et  à  entretenir  passablement  une  conversation. 
Comment  douter  de  tout  cela,  quand  on  en  est  témoin 
tous  les  jours? 2 

D'un  autre  côté,  on  sait  qu'aucun  moyen  naturel 
n'a  été  employé.  D'ailleurs,  il  n'en  existe  pas  de  connu. 
Donc  on  peut  avoir  la  certitude  d'un  miracle  avant  le 
jugement  de  l'Eglise.  Mais,  je  le  répète,  c'est  une  certi- 
tude humaine.  J'ajouterai  que  quand  l'Eglise  prononce, 
elle  ne  fait  que  constater  cette  certitude  humaine  et 
lui  donner  la  garantie  infaillible  de  sa  prudence  et  de 

(1)  Quelques  semaines  après  sa  guérison,  elle  disait  aux  Sœurs  de  l'Hôtel- 
Dieu  :  «  Je  trouve  autant  de  différence  entre  vos  voix  qu'entre  vos  figures.  » 
Cette  remarque  naïve,  qu'elle  faisait  encore  par  le  langage  des  doigts,  est  à  elle 
seule  une  preuve  de  l'infirmité  précédente  et  de  la  guérison  survenue. 

(2)  Cette  jeune  personne,  que  nous  avons  vue  plusieurs  fois  depuis  sa  guérison, 
s'exprime  en  ce  moment  (mai  1873)  comme  ferait  une  étrangère  qui,  apprenant 
le  français  depuis  peu,  commencerait  à.  le  parler  passablement.  Ayant  été  intro- 
duite dans  la  clôture  des  Ursulines  pour  y  assister  à  une  cérémonie  et  entendre 
la  musique,  elle  disait  aux  religieuses,  dans  son  langage  encore  elliptique,  et 
où  les  verbes  ne  sont  guère  employés  qu'à  l'infinitif  :  ••  Vous  heureuses"!  vous  pas 
sortir!  »  témoignant  ainsi  de  son  estime  de  'a  vie  cloîtrée. 

Au  moment  où  nous  corrigeons  l'épreuve  de  la  2""=  édition  (25  février  1875), 
cette  jeune  fille  est  au  noviciat  des  Ursulines  de  Blois  depuis  trois  semaines,  sous 
le  nom  de  Sœur  Marie-Bernadette.  Dieu  lui  accorde  persévérance  et  bénédiction  ! 


CHAPITRE    XX.  429 

ses  lumières  surnaturelles.  Sans  cela  il  faudrait  dire 
qu'elle  est  favorisée  d'une  révélation,  toutes  les  fois 
qu'elle  se  prononce  en  faveur  d'un  miracle,  et  que  ce 
miracle  devient  article  de  foi. 


» 


Nous  avons  voulu  mettre  en  avant  ces  préliminaires, 
pour  faire  comprendre  dans  quel  sens  et  avec  quelle 
intention  nous  présentons  aux  personnes  pieuses  les 
guérisons  et  autres  grâces  obtenues  à  la  suite  de  prières 
adressées  à  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Nous  ne 
prétendons  même  pas  que  tous  ces  faits  sans  exception 
soient  certains  d'une  certitude  humaine  absolue;  mais 
il  en  est  un  bon  nombre  contre  lesquels  il  serait  difficile 
d'élever  des  objections  sérieuses;  et  ceux  qui  ofTriraient 
moins  de  garantie  s'ils  étaient  considérés  isolément, 
se  fortifient  par  leur  nombre.  Commentsupposer  rai- 
sonnablement que  tant  de  personnes  de  tout  âge,  de 
toute  condition,  vivant  non-seulement  à  des  centaines 
de  lieues  les  unes   des  autres ,    mais   à   des   époques 
différentes,  ont  pu  se  tromper,  comme  d'un  commun 
accord,  sur  des  faits  sensibles,  palpables,  sur  des  guéri- 
sons   permanentes?   Il  ne  faut   pas   oublier  que   pour 
deux  personnes  disposées  à  croire  aux  miracles,  il  y  en 
dix  qui  y  sont  hostiles,  et  vingt  qui  éprouvent  en  ce 
cas  une  défiance  involontaire.  Nous  croyons  donc  que 
quiconque   lira  sans   parti    pris   d'incrédulité  les  faits 
que  nous  allons  raconter,  sera  convaincu  que  tous  ont 
été  certifiés  avec  bonne  foi,  et  que  le  plus  grand  nom- 
bre  au  moins   sont  inattaquables.    Or  il  suffirait  d'un 
seul  bien  constaté  pour  prouver  l'efficacité  des  prières 
adressées  à  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  et,  par 


430  MARIK    DK    l'incarnation. 

conséquent,  le  crédit  puissant  de  cette  sainte  religieuse 
auprès  de  Dieu. 

Le  premier  en  date  remonte  à  l'année  1833,  mais, 
selon  la  remarque  que  nous  avons  faite  plus  haut, 
les  informations  n'ont  été  recueillies  et  mises  par  écrit, 
avec  un  soin  attentif,  qu'en  1867.  Ce  que  nous  en  disons 
est  extrait  du  registre  du  monastère  des  Ursulines  de 
Québec.  Il  en  est  de  même  pour  tous  les  autres  récits 
qui  ne  présentent  pas  d'indication  contraire. 

Ajoutons  qu'on  ne  peut  même  pas  les  regarder  comme 
ayant  l'autorité  des  informations  prises  canoniquement 
par  autorité  archiépiscopale,  et  soumises  en  ce  moment 
à  l'examen  du  Saint-Siège;  mais  on  doit  leur  attribuer 
simplement  le  crédit  que  méritaient  des  témoins  hon- 
nêtes, consciencieux,  n'ayant  aucun  intérêt  à  tromper, 
et  aflSrmant  des  faits  visibles  et  palpables. 


En  1833,  à  l'ouverture  du  tombeau,  mademoiselle 
Margaret-Marie  Gowan,  j^lors  pensionnaire,  mainte- 
nant sœur  de  Charité  à  Québec  sous  le  nom  de  sœur 
Marie  du  Calvaire,  souffrait  d'un  bras  depuis,  près 
d'un  an  et  ne  pouvait  aucunement  s'en  servir.  Ayant 
fait  une  neuvaine  en  l'honneur  de  la  vénérable  Mère 
de  l'Incarnation,  avec  application  de  l'eau,  elle  se  trouva 
guérie. 

Ce  fait  inspira  dès  lors  une  grande  confiance  dans 
l'eau  que  nous  venions  de  recueillir  du  cercueil  avec 
une  religieuse  vénération,  ajoute  l'annaliste  du  couvent. 


Marie-Adèle  Brunette,  âgée  de  neuf  ans,  avait  tou- 
jours été  d'une  santé  délicate.  Le  soir  du  31  décembre 


CHAPITRE    XX.  431 

1853,  elle  fut  soudainement  prise  d'une  vive  douleur 
dans  les  yeux.  Le  mal  s'accrut  au  point  de  priver 
l'enfant  de  sommeil.  Quelques  jours  plus  tard,  on  s'aper- 
çut que  ses  yeux  se  couvraient  d'une  taie.  Cette  taie 
s'épaissit,  perdit  toute  transparence  et  couvrit  complè- 
tement les  yeux  de  l'enfant,  qui  n'en  continuait  pas 
moins  à  souffrir.  Il  fallait,  non-seulement  la  tenir  dans 
une  chambre  obscure,  mais  lui  couvrir  les  yeux  d'un 
épais  bandeau,  qu'elle  n'ôtait  pas  même  pour  prendre 
sa  nourriture.  Elle  était  dans  un  si  pitoyable  état,  que 
son  père  disait  souvent  qu'il  QÛt  cent  fois  préféré  la 
voir  morte. 

Le  médecin  de  l'endroit  lui  donna  des  soins  assidus 
pendant  près  de  six  mois  ;  mais  les  remèdes  ne  firent 
qu'accroître  les  souffrances.  Il  était  impossible  de  faire 
ouvrir  les  yeux  à  la. malade,  quelque  promesse  qu'on 
lui  fît  et  quelque  surprise  qu'on  lui  causât.  Sur  la  fin 
de  juillet  1854,  une  cousine  de  l'enfant  (depuis,  elle 
est  morte  religieuse  aux  Ursulines  de  Québec)  suggéra 
à  ses  parents  de  demander  la  guérison  de  Marie-Adèle 
par  l'intercession  de  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation. Cette  proposition  fut  si  bien  acceptée,  que  les 
parents  et  plusieurs  familles  du  voisinage  convinrent 
de  se  réunir  chaque  jour,  à  une  heure  marquée,  chez 
un  oncle  de  l'enfant,  qui  était  en  grande  réputation 
de  piété. 

Le  premier  jour,  après  avoir  couvert  les  yeux  de 
la  malade  de  manière  à  les  rendre  inaccessibles  au 
moindre  rayon  de  lumière,  on  la  conduisit,  ou  plutôt 
on  la  traîna  au  lieu  indiqué,  tant  elle  était  faible.  Le 
second  jour,  elle  demanda  à  marcher  seule,  ayant  soin 
de  se  tenir  tout  près  de  sa  mère.  Bientôt  elle  put 
supporter  le  jour  suffisamment  pour  se  guider  elle- 


432  MARIE    DE    l'incarnation. 

même  ;  elle  remarquait  divers  objets ,  s'étonnant  de 
leur  nouveauté  et  des  plus  légers  changements  opérés 
dans  la  maison  depuis  sept  mois.  Enfin  le  neuvième 
jour,  à  la  joie  de  tout  le  monde,  un  de  ses  yeux  était 
parfaitement  clair. 

Dans  l'intervalle,  on  avait  écrit  au  monastère  pour 
avoir  de  l'eau  du  tombeau  de  la  Mère  de  l'Incarnation. 
Une  seconde  neuvaine  avec  application  de  cette  eau 
compléta  la  guérison.  L'enfant  n'éprouvait  plus  aucune 
douleur,  même  en  marchant  en  plein  soleil  ;  ses  yeux 
n'ont  plus  été  malades,  sa  santé  s'est  refaite.  C'est 
aujourd'hui  une  jeune  fille  d'un  fort  tempérament, 
capable  des  plus  rudes  travaux.  Elle  est  si  bien  con- 
vaincue d'avoir  été  guérie  par  une  intervention  céleste, 
qu'elle  conserve  comme  une  précieuse  relique  la  petite 
fiole  qui  contenait  l'eau  du  tombeau,  quoiqu'elle  soit 
vide  depuis  longtemps. 

Ce  témoignage  a  été  rendu  par  la  jeune  fille  elle- 
même  et  par  sa  mère,  le  3  juin  1862. 


Le  témoignage  suivant  n'a  été  recueilli  qu'en  1868. 

En  1855,  madame  Calliste  Dion,  de  Saint-Pierre- 
Rivière-du-Sud,  de  Stanfold,  avait  au  sein  une  glande 
dont  elle  fit  d'abord  peu  de  cas.  Mais  son  efïroi  fut  grand 
quand  elle  vit  cette  glande  augmenter  avec  rapidité, 
et  surtout  quand  elle  eut  la  conviction  qu'elle  était 
atteinte  d'un  cancer.  Elle  dut  se  décider  à  recourir  à 
la  médecine.  Cependant,  comme  elle  allait  commencer 
une  neuvaine  à  la  Mère  de  l'Incarnation  pour  une  de 
ses  cousines  aveugle  depuis  plusieurs  années,  elle 
résolut  d'en   faire  ensuite  une  pour  elle-même.  L'eau 


CHAPITRE    XX.  433 

miraculeuse  n'arriva  que  vers  le  milieu  de  la  neuvaine 
commencée  pour  la  personne  aveugle.  Madame  Dion, 
qui  s'était  chargée  de  porter  elle-même  cette  eau,  partit 
de  grand  matin ,  afin  de  pouvoir  entendre  la  sainte 
Messe  et  communier  pour  sa  cousine.  Elle  avait  eu  la 
dévotion  de  mettre  la  fiole  sur  sa  tumeur,  qui  parfois 
la  faisait  étrangement  souffrir. 

Madame  Dion  ne  demandait  pas  encore  sa  propre 
guérison,  mais  sa  charité  fut  récompensée  de  la  manière 
la  plus  admirable  et  la  plus  inespérée.  Au  sortir  de 
l'église,  elle  s'aperçoit  que  non-seulement  elle  ne  souffre 
plus,  mais  que  la  tumeur  même  a  disparu.  Depuis,  elle 
n'a  ressenti  aucune  atteinte  de  ce  mai. 


En  1860,  au  faubourg  Saint-Jean,  Amélie  Lefrançois, 
âgée  de  treize  à  quatorze  ans,  ayant  perdu  l'usage  d'un 
œil  par  suite  de  la  petite  vérole,  recouvra  la  vue  pen- 
dant une  neuvaine  à  notre  vénérable  Mère  de  l'Incar- 
nation, avec  application  de  l'eau  du  tombeau. 


En  1860 ,  au  pensionnat ,  mademoiselle  Virginie 
Godbout,  maintenant  religieuse  au  Bon-Pasteur  sous 
le  nom  de  Sainte-Dosithée ,  avait  souffert  des  yeux 
depuis  l'enfance,  passant  quelquefois  la  plus  grande 
partie  de  l'année  sans  pouvoir  supporter  le  jour.  Sentant 
alors  que  son  mal  reprenait  avec  ténacité,  elle  substitua 
aux  remèdes  l'eau  du  tombeau,  et  eut  recours  à  la 
vénérable  Mère  de  l'Incarnation.  A  partir  de  cette 
époque  (elle  avait  dix-sept  ans),  elle  poursuivit  régu- 

M.  D.  l'inc.  28 


434  MARIE    DE    l'incarnation. 

lièrement  ses  études;  et  ercore  aujourd'hui  (mai  1867), 
elle  attribue  à  la  Mère  de  l'Incarnation  le  bon  état 
de  fa  vue. 


Guérison  de  mademoiselle  Cécile  Landry,  fille  de 
M.  J.-E.-J.  Landry,  professeur  à  l'Université  Laval. 

M.  le  docteur  Landry,  l'un  des  membres  les  plus 
éminents  du  corps  médical,  a  rendu  le  22  décembre 
1862,  et  a  renouvelé  en  1867,  devant  plusieurs  per- 
sonnages ecclésiastiques,  un  témoignage  dont  voici  la 
substance. 

«  En  septembre  1859,  ma  fille  fut  atteinte  de  tic 
douloureux  excessivement  violent/  La  douleur,  siésreant 
au  côté  gauche  de  la  face,  revenait  par  paroxysmes 
qui  duraient  tantôt  une  heure,  tantôt  deux  heures  et 
même  plus.  Ces  paroxysmes  étaient  fréquents,  c'est- 
à-dire  revenaient  tous  les  deux  ou  trois  jours.  En 
novembre,  le  mal  s'aggrava  :  il  y  avait  quelquefois  deux 
paroxysmes  par  jour,  et  d'une  violence  extrême.  Elle 
fut  de  nouveau,  soumise  à  un  traitement  médical  suivi, 
et  les  douleurs  cessèrent  graduellement  vers  la  fin  de 
décembre. 

"  Elle  entra,  le  l®""  février  1860,  au  couvent  des  Ursu- 
lines  de  Québec.  Le  lendemain,  elle  eut  un  retour  de 
son  mal,  qui  dura  sans  interruption  notable  jusqu'à 
la  veille  de  l'Annonciation,  24  mars.  Pendant  cette 
dernière  période,  les  accès  furent  trôs-violents  et  très- 
fréquents  ;  elle  en  eut  jusqu'à  quatre  dans  la  même 
journée.  Le  16  mars,  c'est-à-dire  neuf  jours  avant  la 
ïèiQ  de  l'Annonciation,  ses  bonnes  maîtresses,  les  dames 
Ursulines,  eurent  la  bonne  pensée  de  la  recommander 
dans  une  neuvaine  qu'elles  lui  conseillèrent  et  à  laquelle 


CHAPITRE    XX.  435 

elles  eurent  la  charité  de  s'associer,,  ainsi  que  plusieurs 
des  pensionnaires  confiées  à  leurs  soins,  à  la  vénérable 
Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Pendant  toute  la  durée 
de  cette  neuvaine,  les  accès  furent  quotidiens  et  très- 
violents,  à  l'exception  de  l'avant-dernier  jour  de  la 
neuvaine,  où  l'accès  fut  léger,  comparativement  aux 
autres,  et  ce  fut  le  dernier.  A  partir  de  ce  moment, 
ma  fille  fut  guérie.  Elle  n'a  jamais  ressenti  depuis 
aucune  atteinte  du  mal  qui,  durant  six  mois  et  plus, 
en  avait  fait  une  martyre. 

»  Je  ne  puis  attribuer  à  autre  chose  qu'à  la  miséri- 
cordieuse et  puissante  intercession  de  la  vénérée  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  auprès  de  Dieu,  une  guérison  qui 
dure  depuis  huit  ans.  » 

'  Ce  fait,  de  nature  à  exciter  chez  les  bonnes  reli- 
gieuses une  grande  reconnaissance  envers  la  vénérée 
Mère  Marie  de  l'Incarnation,  a  laissé  dans  l'âme  de 
mademoiselle  Cécile  Landry  une  impression  qui  ne 
s'effacera  jamais.  Elle  aime  le  nom  de  la  Mère  Marie 
de  l'Incarnation  ;  c'est  par  elle  qu'elle  prie  Jésus  et 
Marie,  ainsi  que  le  font  également  son  père  recon- 
naissant et  sa  tendre  mère.  Dès  ses  jeunes  années,  le 
docteur  Landry,  lisant  la  Vie  de  la  Mère  de  l'Incarnation 
par  le  Père  Charlevoix,  avait  appris  à  connaître  cette 
grande  servante  de  Dieu. 


Témoignage  abrégé  du  même  docteur  Landry,  rendu 
en  1862  relativement  à  la  guérison  de  la  révérende 
Mère  Sainte-Angèle,  Ursuline. 

"  Lorsquen  1859  je  fus  chargé  de  donner  des  soins 
médicaux  à  la  communauté  des  Ursulines  de  Québec, 


436  MARIE    DE    l'incarnation. 

• 

une  des  premières  religieuses  qui  se  présentèrent  à 
l'infirmerie  fut  la  révérende  Mère  Sainte-Angèle.  Cette 
dame  portait  les  traces  d'un  mal  qui  devait  l'affecter 
depuis  longtemps.  Elle  était  d'une  pâleur  et  d'une 
faiblesse  extrêmes.  Le  moindre  exercice  était  pour  eîle 
une  fatigue;  son  appétit  était  très-mauvais,  sa  diges- 
tion difficile,  ses  intestins  habituellement  constipés. 
Elle  me  déclara  avoir  de  fréquentes  hémorragies 
intestinales. 

"  Les  toniques  ferrugineux,  la  quinine, -le  vin  furent 
employés  libéralement.  Sa  santé,  pendant  un  temps, 
sembla  s'améliorer,  l'anémie  diminua  un  peu,  de  même 
que  les  hémorragies,  sans  cependant  disparaître  tout 
à  fait. 

^  A  partir  de  la  mi-février  1862,  les  douleurs  devin- 
rent tellement  vives  et  constantes  que  la  révérende 
Mère  fut  contrainte  de  garder  tout  à  fait  le  lit.  J'avais 
toujours  considéré  cette  religieuse  comme  une  invalide 
à  peu  près  incurable  et  condamnée  à  traîner,  jusqu'à 
la  fin  de  sa  vie,  une  santé  délabrée.  Dans  les  premiers 
jours  de  mai  de  la  même  année,  à  l'une  de  mes  visites, 
la  révérende  mère  Sainte-Angèle  me  dit  qu'elle  éprou- 
vait quelque  amélioration  dans  son  état.  Quelques  jours 
plus'  tard,  elle  me  déclara,  et  par  l'ordre  de  sa  supé- 
rieure, qu'elle  était  guérie. 

y>  Depuis  cette  époque,  je  n'ai  plus  vu  mon  ancienne 
patiente,  si  ce  n'est  dernièrement  (novembre  1862),  qu'à 
ma  demande,  elle  s'est  présentée.  Je  désirais  constater 
son  état  actuel,  avant  d'écrire  la  relation  des  faits  qui 
se  sont  passés  à  ma  connaissance.  J'ai  trouvé,  chez  la 
révérende  Mère  Sainte-Angèle,  une  apparence  de  santé 
que  je  ne  lui  ai  jamais  vue  auparavant.  Elle  porte 
encore,  il  est  vrai,  quelques  traces  de  son  ancien  état; 


CHAPITRE    XX.  437 

elle  est  encore  un  peu  pâle;  les  hémorragies  intesti- 
nales, si  fréquentes  autrefois,  n'ont  pas  complètement 
cessé;  mais  elles  ne  paraissaient  plus  qu'à  de  très-rares 
intervalles.  Son  appétit,  m'a-t-elle  dit,  est  bon  et  s'ac- 
commode à  la  nourriture  de  la  communauté.  Elle 
vaque  à  tous  les  devoirs  de  sa  charge,  et  tous  ses  mouve- 
ments, au  liieu  d'être  lents  et  mesurés  comme  autrefois, 
s'exécutent  avec  une  prestesse  qu'on  ne  remarque  ordi- 
nairement que  chez  les  personnes  jeunes  et  bien 
portantes. 

»  L'amélioration  dans  l'état  de  la  révérende  Mère 
Sainte-Angèle  a  été  trop  prompte  et  trop  considérable; 
sa  guérison  a  duré  trop  longtemps  maintenant  pour 
que  je  puisse  l'attribuer  au  traitement  que  je  lui  ai 
fait  subir.  » 


La  guérison  ainsi  constatée  avec  autorité  et  une 
sage  réserve  par  le  docteur,  est  expliquée  de  la  manière 
suivante  par  la  révérende  Mère  Sainte-Anne,  Assistante 
de  la  commimauté  des  Ursulines,  et  personne  d'une 
grande  expérience  dans  le  soin  des  malades. 

«  Le  mauvais  état  de  santé  de  la  Mère  Sainte-Angèle 
datait  de  vingt-quatre  ans;  mais,  de  1848  à  1862,  il 
n'avait  guère  cesser  d'empirer.  En  conséquence,  plus 
de  récitation  publique  de  l'Office  divin,  ni  de  jeûnes, 
ni  d'abstinences;  état  habituel  de  souffrance  ou  de  débi- 
lité qui  l'empêchait  d'être  à  aucune  observance.  C'est 
ce  qui  avait  engagé  l'aumônier  du  monastère,  au  mois 
d'août  1862,  à  choisir  la  Mère  Sainte-Angèle  comme 
une  malade  dont  la  guérison  devait  être  une  grande 
gloire  pour  la  Mère  de  l'Incarnation.  Aussi,  la  neuvaine 
se  fit  publiquement;  toutes  les  élèves  y  prirent  part, 


4SS  MARIE    DE    L  INCARNATION  . 

VU  surtout  qu'il  s'agissait  de  leur  maîtresse  générale 
qui  n'avait  pas  paru  au  milieu  d'elles  depuis  trois  mois. 
La  proposition,  quoique  faite  par  M.  l'aumônier,  étonna 
fout  le  monde;  les  élèves  surtout  furent  extrêmement 
surprises.  «  La  maîtresse  générale  !  dirent-elles;  autant 
vaudrait  demander  la  résurrection  d'un  mort.  Elle  n'a 
plus  une  goutte  de  sang  dans  les  veines.  Et  puis/  il 
faudrait  la  rajeunir!  « 

"  Pour  les  décider  à  prier  à  cette  intention,  il  fallut 
leur  rappeler  la  toute-puissance  de  Dieu,  à  qui  il  n'en 
coûterait  pas  plus  pour  réparer  son  œuvre  que  pour 
la  créer;  que  le  miracle  n'en  serait  que  plus  manifeste. 
Malgré  cela,  bien  des  esprits  restèrent  incrédules; 
on  priait,  mais  plusieurs  espéraient  peu. 

"  Une  neuvaine  solennelle  avait  été  commencée  le 
22  avril.  Nous  disions  chaque  jour,  à  l'issue  de  la 
sainte  Messe,  la  prière  à  l'honneur  du  Cœur  de  Jésus 
composée  par  la  vénérable  Mère,  trois  Pater,  trois  Ave, 
trois  Gloria  Patri  et  trois  invocations  à  la  vénérable 
Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Nous  lisions  aussi  des 
extraits  de  sa  vie,  arrangés  en  neuvaine  par  une  de 
nos  sœurs.  Les  RR.  PP.  Jésuites  eurent  la  charité 
d'unir  leurs  prières  aux  nôtres,  et  notre  digne  aumô- 
nier offrit  plusieurs  fois,  à  la  même  intention,  le  Saint- 
Sacrifice.  Enfin,  le  neuvième  jour,  30  avril,  jour  anni- 
versaire de  la  mort  de  notre  vénérable  Mère,  nous 
exposâmes  son  tableau  dans  la  chapelle  intérieure, 
mais  avec  des  sentiments  tout  particuliers  de  confiance 
et  de  foi.  M.  notre  aumônier  nous  adressa  des  paroles 
pleines  d'onction  et  de  piété,  et  toutes  nous  commu- 
niâmes pour  obtenir  la  grâce  demandée.  Notre  chère 
malade  avait  communié,  dès  cinq  heures,  dans  son  lit. 
Après  la  messe,  la  Mère  supérieure  va  la  voir,  et  ne 


CHAPITRE    XX.  439 

pouvant  croire  quelle  ne  fût  pas  guérie,  elle  lui  dit 
de  se  lever.  Aidée  d'une  sœur,  la  malade  se  mit  en 
devoir  d'obéir  et  essaya  de  marcher  ;  mais  elle  ne  put 
se  soutenir  et  il  fallut  la  faire  recoucher  aussitôt.  — 
Vous  voyez  bien,  ma  Mère,  dit-elle,  que  le  bon  Dieu 
me  veut  dans  l'état  où  je  suis.  J'avais  un  grand  désir 
de  faire  glorifier  notre  vénérable  Mère  ;  mais  la  volonté 
de  Dieu  soit  faite!  Ne  parlons  plus  de  ma  guérison. 
—  Ce  n'est  pas  ainsi  que  je  l'entends,  reprit  notre 
Mère  supérieure,  comme  mue  par  une  inspiration 
divine;  vous  allez,  dès  demain,  commencer  une  autre 
neuvaine;  vous  demanderez  à  notre  vénérable  Mère 
de  vous  obtenir  au  moins  ce  qu'il  vous  faut  pour  remplir 
votre  emploi,  et,  à  la  fin  de  cette  neuvaine,  vous  viendrez 
communier  au  chœur,  à  la  messe . 

»  La  malade  obéit  en  toute  simplicité,  et  commença 
le  lendemain,  V^  mai,  cette  seconde  neuvaine,  que  la 
communauté  et  le  pensionnat  firent  aussi.  Dès  le  pre- 
mier jour,  la  Mère  Sainte-Angèle  éprouva  un  mieux 
si  sensible  qu'elle  reprit  la  récitation  de  son  Office. 
L'appétit  et  le  sommeil  lui  revinrent,  et  elle  recouvra 
tellement  ses  forces,  que,  le  septième  jour,  elle  se  rendait 
au  confessionnal,  et,  le  neuvième,  elle  descendait  au 
chœur  et  y  communiait  à  la  messe,  selon  l'ordre  qu'elle 
en  avait  reçu. 

y  La  Mère  Sainte-Angèle  avait  demandé  de  pouvoir 
remplir  son  emploi  ;  elle  l'avait  pleinement  obtenu,  et, 
sans  songer  à  demander  davantage,  elle  commença 
une  neuvaine  d'action  de  grâces,  se  rendant  chaque 
jour  en  pèlerinage  au  tombeau  de  notre  vénérable  Mère. 

y>  Admirable  effet  de  la  générosité  de  Dieu!  A  dater 
de  ce  vendredi,  9  mai,  non- seulement  elle  se  trouve 
délivrée  de  toutes  ses  infirmités,   mais  elle  sent  une 


440  MARIE  dp:  l'incarnation. 

telle  vigueur  dans  tous  ses  membres  que,  pendant  cette 
neu'vaine  d'action  de  grâces,  elle  fait  les  trois  absti- 
nences de  règle,  prend  les  observances,  lit  au  réfec- 
toire, se  lève  à  quatre  heures;  et  enfin,  le  dimanche, 
chante  les  vêpres  comme  officiante,  avec  une  force 
dont  peu  de  jeunes  sœurs  eussent  été  capables.  Les 
élèves  surprises  et  émues  entonnent  et  chantent  le 
Magnificat  avec  un  entrain  qui  témoignait  de  la  dispo- 
sition de  leurs  cœurs.  Plusieurs  même  pleuraient  à  la 
vue  d'une  faveur  aussi  remarquable. 

»  Quant  à  notre  chère  Mère  ressiiscitée,  comme  les 
élèves  l'appellent,  elle  sort  du  chœur  sans  éprouver 
aucune  fatigue,  et  le  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  n'a 
servi  qu'à  mieux  démontrer  la  réalité  du  prodige.  Elle 
s'accommode  en  tout  de  la  nourriture  commune;  elle 
fait  tous  les  jeûnes  et  les  abstinences  de  la  règle  ;  elle 
a  observé  le  carême  dernier  avec  plus  de  facilité  que 
lorsqu'elle  était  jeune  avant  de  tomber  malade.  Le 
changement  de  température  ne  l'affecte  pas.  Peu  après 
sa  guérison,  elle  suivit  au  dehors,  avant  six  heures 
du  matin,  par  un  temps  froid  et  humide,  la  procession 
des  Rogations  et  n'en  éprouva  que  du  bien-être.  Elle 
récita  sans  difficulté  le  grand  office  de  l'Ascension,  et, 
deux  jours  après,  celui  de  sainte  Angèle,  i  suivant 
tous -les  exercices  de  cette  dernière  fête  depuis  quatre 
heures  et  demie  du  matin  jusqu'à  dix  heures,  restant 
debout  ou  à  genoux  aussi  facilement  que  les  mieux 
portantes.  En  un  mot  depuis  plus  de  deux  ans,  elle 
n'a  pas  manqué- au  plus  petit  exercice,  depuis  quatre 
heures  du  matin  jusqu'à  neuf  heures  du  soir.  Sa  gué- 

(1)  Les  Ursulines  de  la  Congrégation  de  Paris  récitent,  à  ces  fêtes,  ei  à 
un  certain  nombre  d'autres  pendant  T'année ,  le  grand  office  ou  Bréviaire 
romain. 


CHAPITRE    XX.  441' 

rison  est  si  constante  et  si  réelle,  qu'il  lui  semble  avoir 
rêvé  qu'elle  était  malade.  Je  suis  plus  que  guérie, 
disait-elle  un  jour;  je  ne  me  comprends  plus.  Les 
exercices  qui  me  fatiguaient  lorsque  j'étais  jeune  reli- 
gieuse et  en  santé,  ne  me  fatiguent  nullement;  quand 
ils  sont  finis,  je  suis  prête  à  les  recommencer.  C'est 
une  vraie  résurrection;  je  suis  dans  un  autre  corps.  » 


Madame  Joseph  Létourijeau,  de  Saint-Roch  de  Qué- 
bec, a  attesté  ce  qui  suit  : 

Dans  l'été  de  1862,  elle  fut  attaquée  d'une  complica- 
tion de  maux  dont  le  principal  était  une  inflammation 
d'intestins.  Vers  le  milieu  de  juillet,  le  médecin,  la 
quittant  le  soir,  dit>à  son  mari  de  le  faire  prévenir 
si  elle  était  encore  en  vie  le  lendemain  matin.  On  était 
si  persuadé  qu'elle  ne  passerait  pas  la  nuit,  que  ses 
connaissances  du  voisinage  s'étaient  réunies  pour  l'as- 
sister à  ses  derniers  moments.  Une  d'entre  elles  s'étant 
procuré  de  l'eau  du  tombeau  de  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion, lui  demanda  en  arrivant  si  elle  y  avait  confiance. 
—  Mon  Dieu  î  s'écria-t-elle;  serais-je  assez  heureuse 
que  d'avoir  de  cette  eau  sainte!  Oh!  oui,  j'y  ai  con- 
fiance; je  suis  sûre  que  cette  sainte  Mère  me  guérira.... 
Et  je  me  mis  à  pleurer,  dit-elle,  sans  m'expliquer 
pourquoi  je  sentais  dans  mon  cœur  quelque  chose  qui 
me  disait  que  j'allais  revenir  à  la  vie. 

Elle  prit  de  l'eau  et  se  sentit  mieux  toute  cette 
nuit.  Le  lendemain,  le  médecin  la  trouva  hors  de 
danger.  Pendant  toute  la  convalescence,  elle  voulut 
avoir  sous  les  yeux  l'image  de  la  Mère  de  l'Incarna- 
tion,  convaincue,  ainsi  que  sa  famille,  qu'elle  doit  à 


442  MARIR    DE    l'incarnation. 

l'intercession  de  cette  vénérable  Mère  son  retour  à  la 
santé. 


Madame  Adolphe  Lachance,  née  Soulanges  Daillar- 
geon,  de  Saint-Roch  de  Québec,  souffrait  depuis  deux 
ans  d'un  mal  de  côté  qui  ne  lui  laissait  presque  pas  de 
repos.  L'appétit  était  complètement  perdu,  elle  n'avait 
plus  qu'un  sommeil  pénible  et  interrompu.  Le  bras 
gauche  lui  semblait  parfois  comme  paralysé.  Voyant 
que  les  remèdes  ne  la  soulageaient  en  rien,  elle  y  avait 
renoi  ce  quand  elle  entendit  parler  de  l'eau  miraculeuse. 
Elle  en  demanda  et  commença  une  neuvaine.  Ses 
prières  furent  si  bien  exaucées,  que  jamais  depuis  elle 
ne  s'est  aperçue  du  mal  opiniâtre  dont  elle  avait  souffert 
pendant  deux  ans,  et  dont  les  ac';',ès  revenaient  si  fré- 
quemment que,  le  dernier  hiver,  elle  n'avait  pu  aller 
que  trois  fois  à  la  messe. 

La  vigueur  et  l'embonpoint  lui  reviennent,  et  elle 
est  restée  tellement  frappée  de  la  faveur  qu'elle  a  reçue 
que,  depuis  cinq  ans,  son  plus  grand  bonheur  est  do 
répandre  la  dévotion  à  notre  vénérée  Mère  de  l'Incar- 
nation. «  Cette  chère  Mère. est  toujours  présente  à  mon 
esprit,  dit- elle;  si  je  m'éveille  la  nuit,  si  j'entreprends 
quelque  chose  ou  suis  en  quelque  difficulté,  je  l'invoque 
aussi  naturellement  que  jç  respire.  « 

Ce  témoignage  a  été  rendu  par  la  dite  dame,  à  la 
grille  du  parloir,  le  10  février  1867. 


Madame  Joseph  Bélanger,  née  Luce  Baiilargeon, 
de  Saint-Roch  de  Québec,  a  donné  les  détails  suivants 
sur  une  faveur  qu'elle  a  obtenue. 


CHAPITRE    XX.  443 

Son  enfant,  âgé  d'environ  treize  mois,  avait,  depuis 
quinze  jours,  la  partie  supérieure  du  visage  couverte 
d'une  gale  épaisse  qui  lui  fermait  complètement  les 
yeux,  et  à  travers  laquelle  supurait  difficilement  une 
matière  épaisse.  Le  médecin  ne  voulut  rien^  appliquer 
à  ce  mal,  disant  qu'il  serait  dangereux  de  le  guérir. 
La  mère,  voyant  qu'il  gagnait  la  bouche  et  les  oreilles, 
s'alarma.  Sa  soeur,  madame  Lachance,  qui  avait  obtenu 
une  faveur  signalée  de  la  vénérable  Mère ,  la  pressa 
de  se  servir  avec  foi  de  l'eau  miraculeuse,  dont  elle 
avait  encore  quelques  gouttes,  lui  affirmant  que  l'enfant 
guérirait  comme  elle  avait  été  guérie  elle-même.  L'eau 
fut  appliquée  légèrement  et  avec  parcimonie,  au  moyen 
d'une  plume,  sur  les  parties  malades,  et,  à  la  joie  géné- 
rale, le  caractère  du  mal  parut  changer  aussitôt.  A  la 
troisième  ou  quatrième  application,  tout  avait  disparu 
comme  par  enchantement,  dit  la  mère.  Cette  guérison 
a  été  obtenue  en  1862.  La  petite  fille  a  maintenant 
six  ans;  elle  n'a  jamais  éprouvé  aucune  conséquence 
fâcheuse  de  cette  cure  subite,  ni  retour  de  cette  humeur 
extraordinaire. 

GUÉRISON    d'une    SŒUR    DE    CHARITE. 

En  1862,  le  31  octobre,  à  Cacouma,  quarante  lieues 
de  Québec,  Sœur  Marie  de  Jésus,  malade  à  l'extrémité, 
au  point  qu'on  lui  avait  récité  les  prières  des  agoni- 
sants, donna  signe  de  vie  à  la  première  application  de 
Veau  miraculeuse.  Quelques  heures  après,  le  médecin  la 
trouvait  hors  de  danger. 

Premier  témoignage,  résultant  d'une  lettre  écrite, 
quelques  jours  après  la  guérison,  par  l'Assistante  de 
la  maison-mère  des  Soeurs  de  Charité.  • 


444  MARIE    DE    l'incarnation. 

«  Mardi,  4  novembre  1862. 

»  Ma  très-honorée  Mère, 

»  Mille  remercîments  pour  la  petite  fiole  d'eau  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  nous  envoyer....  Comme  je 
vous  l'écrivais  vendredi,  ma  sœur  Marie  de  Jésus  était 
très-mal;  et  lo  soir,  lorsque  notre  Mère  supérieure 
arriva,  elle  était  à  l'extrémité;  on  dit  même  pour  elle 
les  prières  des  agonisants.  Après  avoir  pris  quelques 
gouttes  de  votre  eau  miraculeuse,  ou  plutôt  après 
qu'on  lui  en.  eut  mis  sur  leâ  lèvres,  car  je  ne  pense 
pas  qu'elle  fût  en  état  d'en  avaler  une  seule  goutte, 
elle  commença  à  revivre  et  à  prendre  un  peu  de  forces. 
Le  lendemain,  le  médecin,  à  sa  grande  surprise,  la 
trouva  hors  de  danger. 

»  Ma  Révérende  Mère,  ayez,  s'il  vous  plaît,  la  bonté 
de  nous  aider  à  remercier  le  bon  Dieu  et  sa  fidèle 
servante  pour  la  grande  grâce  qu'il  vient  de  nous 
accorder. 

y^  Sœur  Marie  de  Bon-Secours,  Assistante.  » 

A  la  Révérende  Mère  supérieure  des  Ursiilines  (te  Québec. 

Deuxième  témoignage,  rendu  par  M.  le  curé  de 
Cacouma. 

«  Pour  en  informer  qui  de  droit,  et  pour  la  gloire  de 
Dieu  dans  ses» saints,  je  déclare  et  certifie  ce  qui  suit  : 

"  En  1862,  le  31  octobre,  j'ai  cru  devoir  administrer 
les  derniers  sacrements  à  la  révérende  sœur  Marie  de 
Jésus,  Sœur  de  la  Charité  de  Québec.  J'ai  été  poussé 


CHAPITRE    XX  445 

à  en  venir  là  par  mon  propre  jugement  :  car  dans 
l'ordre  ordinaire  des  choses^  il  m'a  paru  impossible 
qu'elle  ne  dût  pas  mourir,  à  moins  d'un  miracle.  Le 
médecin  m'avait  aussi  conseillé  d'en  agir  ainsi,  parce 
qu'il  ne  voyait  aucun  moyen  de  lui  sauver  la  vie. 

»  A  ma  connaissance,  la  Mère  supérieure  de  la 
communauté  des  Sœurs  de  Charité  de  Québec,  ayant 
elle-même  une  très-grande  confiance  en  de  l'eau  trouvée 
dans  le  tombeau  de  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation des  Ursulines  de  Québec,  excita  notre  chère 
Sœur  Marie  de  Jésus  à  mettre  toute  sa  confiance  en 
cette  sainte  et  à  demander  sa  guérison  par  son  inter- 
cession. Elle  prit  quelques  gouttes  de  cette  eau  sur 
les  neuf  ou  dix  heures  du  soir.  La  nuit  fut  bien  bonne, 
et,  le  jour  suivant,  le  mieux  fut  très-considérable,  au 
point  que  tous,  dans  la  maison  et  au  dehors,  ne  purent 
s'empêcher  de  crier  au  miracle,  à  une  guérison  cer- 
taine par  l'invocation  de  la  vénérable  Mère  Marie  de 
l'Incarnation. 

»  En  foi  de  quoi,  j'ai  signé  la  présente  déclaration, 
le  21  mai  1867. 

»  J.-C.  Cloutier,  Curé  de  Cacouma.  ^ 


Le  17  février  1867,  le  sieur  J.-B.  Clouet,  venant  au 
monastère  chercher  de  l'eau  du  tombeau  pour  un  de 
ses  neveux  devenu  presque  aveugle,  déclare  que  lui- 
même,  après  avoir  souffert  pendant  au  moins  vingt  ans 
d'une  vive  douleur  dans  les  yeux,  fut  complètement 
guéri  vers  le  milieu  d'une  neuvaine  où  il  s'appliquait, 
chaque  jour,  une  goutte  de  cette  eau  sur  les  yeux. 
Il  y  ^  de  cela  cinq  ans,  et  ses  yeux  ont  toujours  été 


446  MARIE    DE    l'incarnation. 

parfaitement  bien  depuis.  Sa  sœur  et  sa  belle-sœur  ont 
profité  de  cette  grâce  pour  étudier  les  vertus  de  la 
Mère  de  rincarnation,  et  il  est  consolant  de  les  entendre 
parler  d'une  manière  si  digne  de  cette  grande  servante 
de  Dieu. 


Les  infirmités  d'Elie  Desharnais,  cultivateur  à  Stan- 
fold,  avaient  commencé  en  1856.  A  la  suite  d'un  effort 
qu'il  s'était  donné  en  fauchant,  et  qui  lui  avait  occa- 
sionné une  longue  maladie,  il  s'était  vu  contraint  de 
renoncer  à  tout  travail  tant  soit  peu  pénible. 

Deux  ans  après,  un  accident  bien  plus  grave  le 
réduisit  à  une  impuissance  presque  absolue.  Un  jour 
qu'il  revenait  des  champs,  son  cheval  lui  donna  dans 
l'estomac  une  ruade  qui  le  renversa  par  terre,  où 
l'animal  continuait  à  le  frapper  rudement.  Des  per- 
sonnes qui  étaient  accourues  le  relevèrent  sans  senti- 
ment et  presque  sans  vie.  Il  fut  quarante-huit  heures 
privé  de  connaissance,  ef,  pendant  les  sept  ou  huit 
jours  qui  suivirent,  il  retombait  incessamment  dans 
cet  état  d'insensibilité. 

Après  un  certain  temps  le  malade  put  marcher,  mais 
il  ne  recouvra  aucune  vigueur.  Toute  la  part  qu'il 
prenait  à  la  culture  de  sa  terre  consistait  à  conduire 
et  surveiller  les  travaux.  Ce  n'est  pas  que  de  temps 
en  temps  il  n'essayât  ses  forces,  mais  chaque  tentative 
amenait  une  aggravation  de  son  état  et  le  forçait  de 
garder  le  lit  pendant  plusieurs  semaines. 

Desharnais  était  donc  infirme  depuis  six  ans  quand, 
au  printemps  de  1862,  sa  sœur,  religieuse  converse 
au  monastère  des  Ursulines  de  Québec,  lui  fit  connaître 
une  guérison  qui  venait  d'avoir  lieu  dans  la  maison. 


CHAPITRE    XX.  447 

l'engageant  à  s'adresser,  lui  aussi,  à  la  vénérable  Mère 
Marie  de  l'Incarnation.  Une  première  neuvaine  n'ayant 
amené  aucun  mieux  sensible,  la  bonne  religieuse  profita 
de  la  visite  d'une  de  ses  sœurs,  qui  se  rendait  à  Stan- 
fold,  pour  envoyer  à  son  frère  de  l'eau  du  tombeau 
de  la  Mère  de  l'Incarnation,  le  pressant  de  faire  une 
seconde  neuvaine  et  de  tâcher  de  la  terminer  par  la 
sainte  communion.  Cette  seconde  neuvaine  fut  faite, 
l'eau  fut  appliquée  sur  l'estomac,  siège  du  mal,  et  le 
neuvième  jour,  le  malade  communia.  Sa  foi  et  sa  con- 
fiance ne  furent  pas  vaines.  A  partir  de  ce  moment, 
toute  trace  de  son  infirmité  disparut.  S'étant  aussitôt 
mis  à  l'ouvrage  et  n'en  ayant  éprouvé  aucun  incon- 
vénient, il  entreprit  et  exécuta  la  plus  forte  part  de 
tous  les  travaux  des  champs,  fauchant  et  serrant  son 
foin,  coupant  ses  grains,  etc.  Ceci  avait  lieu  dans  l'été 
de  1862,  époque  où  la  besogne  avait  doublé  par  suite 
du  départ  de  deux  de  ses  frères  qui  étaient  allés  s'éta- 
blir ailleurs.  Depuis  lors,  il  n'a  cessé  de  se  livrer  aux 
plus  rudes  travaux,  comme  il  le  faisait  avant  les  six 
années  de  son  infirmité. 

Tel  est  le  témoignage  que  lui-même  a  rendu  à  la 
grille  du  parloir  des  Ursulines,  le  12  novembre  1866, 
ayant  fait,  à  la  demande  des  religieuses,  le  voyage  de 
Stanfold  à  Québec,  pour  rendre  compte  de  sa  guérison. 
Comme  on  lui  faisait  l'observation  que  ce  voyage  le 
dérangeait  dans  ses  affaires  et  lui  occasionnait  une 
dépense,  il  répondit  que  cette  dépense  n'était  rien, 
comparée  aux  avantages  qu'il  avait  retirés  de  sa  gué- 
rison, et  qu'il  devait  bien  cette  petite  marque  de  recon- 
naissance à  celle  qui  l'avait  si  particulièrement  assisté. 

La  religieuse  qui  nous  a  donné  ce  récit  ajoutait  : 
«*  Il  ne  manque  pas  un  seul  jour  de  réciter  les  prières 


448  MARIE    DE    l'incarnation. 

de  la  neuvaine  dont  les  résultats  ont  été   si  heureux 
pour  lui.  »  Il  avait  quarante  et  un  ans  à  l'époque  de 


sa  guérison. 


Léda  Pruneau,  de  Saint-Roch  de  Québec,  étant  âgée 
de  neuf  ans,  souffrait  d'un  violent  mal  d'yeux  quand 
dans  l'automne  de  1862,  son  état  empira  considéra- 
blement. Elle  ne  pouvait  supporter  le  moindre  rayon 
de  lumière.  Son  œil  droit  surtout  était  très-enflammé  , 
et  distillait  constamment  une  épaisse  matière. 

On  avait  consulté  un  médecin;  mais,  en  voyant  que 
le  mal  s'aggravait  toujours,  on  avait  cessé  les  remèdes. 

Au  mois  de  janvier  1863,  M.  Pierre  Fournier,  parrain 
de  l'enfant,  étant  venu  voir  sa  belle-sœur,  religieuse 
converse  en  cette  maison,  exprima  sa  compassion  sur 
le  triste  état  de  cette  enfant.  Notre  sœur  lui  conseilla 
une  neuvaine  à  la  vénérable  Mère  Alarie  de  l'Incar- 
nation et  lui  donna  de  l'eau  de  son  tombeau. 

La  neuvaine  fut  aussitôt  commencée  dans  de  grandes 
dispositions  de  foi  et  de  confiance,  avec  application 
de  l'eau  miraculeuse  sur  les  yeux  de  l'enfant.  La  mère 
allait  tous  les  jours  à  la  messe  et  elle  communia  dans 
le  cours  de  la  neuvaine. 

Dès  "la  première  application  de  l'eau,  il  sembla  à 
l'enfant  qu'on  lui  ôtait  le  plus  vif  de  ses  douleurs. 
Chaque  nouvelle  application  était  suivie  d'un  mieux 
si  sensible,  que  tous  les  témoins  en  étaient  frappés. 
A  la  fin  de  la  neuvaine,  la  petite  malade  était  complète- 
ment guérie.  Elle  a  aujourd'hui  treize  ans,  et,  depuis 
sa  guérison,  elle  n'a  souffert  des  yeux  en  aucune 
manière.  Les  cicatrices  qui  avoisinent  l'œil  droit  attes- 
tent encore  la  gravité  de  son  mal. 


CHAPITRE   XX.  449 

Ce  témoignage  a  été  rendu,  par  la  mère  et  par  la  fille, 
le  13  février  1867. 


En  1864,  au  faubourg  Saint-Jean,  à  Québec,  madame 
Ëlzéar  Vincent,  âgée  d'environ  trente  "ans,  souffrait 
depuis  sept  semaines  d'un  mal  de  genou  dont  l'inflam- 
mation se  répandait  dans  la  cuisse,  au  point  qu'elle 
était  réduite  à  garder  le  lit,  sans  s'aider  elle-même 
en  aucune  sorte.  Mademoiselle  Bilodeau,  ancienne 
élève  de  l'école  normale  Laval,  étant  venue  ici  chercher 
de  l'eau  du  tombeau,  commença  avec  elle  une  neuvaine 
à  la  vénérable  Mère  de  l'Incarnation.  Dès  la  première 
application  de  l'eau  sur  le  genou,  la  malade  éprouva 
du  soulagement.  Le  troisième  jour,  elle  était  très-bien 
et  pouvait  vaquer  aux  soins  de  son  ménage. 


Mademoiselle  Cécile  Huet,  venue  à  notre  grille  au 
printemps  de  1867,  a  déclaré  que  deux  ans  auparavant, 
s'étant  instamment  recommandée  à  la  vénérable  Mère 
Marie  de  l'Incarnation,  elle  avait  été  guérie  d'un  asthme 
dont  elle  souffrait  depuis  vingt  ans,  parfois  extraordi- 
nairement,  surtout  les  deux  années  qui  ont  précédé 
sa  guérison.  Elle  est  âgée  de  soixante  ans. 


M.  l'Abbé  Olivier  Caron,  Vicaire-Général  de  Mon- 
seigneur Thomas  Cooke,  évêque  des  Trois-Rivières, 
ainsi  que  la  révérende  Mère  supérieure  des  Ursulines 
de  cette  ville,   nous  avaient  fait  part  de  la  maladie 


M.   D.   LINC. 


29 


450  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

étrange  et  de  la  guérison  surprenante  de  mademoiselle 
D.  Caron  ;  mais  nous  sommes  heureuses  de  voir  le  tout 
corroboré  par  le  témoignage  rendu  en  février  1867  par 
M.  le  Docteur  Hyacinthe  Beauchemin,  dq  la  paroisse 
de  Sainte-Anne  d'Yamachiche.  C'est  quatre  mois  après 
l'heureux  événement,  que  M.  le  Docteur  Beauchemin 
écrivait  ce  qui  suit.  Nous  abrégeons  un  peu. 


«  Mademoiselle  Dorimène  Caron,  âgée  de  trente  ans, 
était  atteinte,  depuis  cinq  à  six  ans,  d'une  anémie  qui 
l'avait  réduite  à  une  faiblesse  extrême  et  à  un  marasme 
tel  qu'on  désespérait  de  ses  jours.  Pendant  tout  ce 
laps  de  temps,  elle  dut  abandonner  toutes  les  occupa- 
tions du  ménage,  et,  depuis  deux  ans,  sa  faiblesse  était 
telle  qu'elle  était  incapable  de  se  rendre  à  elle-même 
le  moindre  service.  Les  cinq  ou  six  derniers  mois, 
tout  le  système  nerveux  devint  fortement  ébranlé,  et 
des  symptômes  de  choréa,  ou  danse  de  Saint-Guy, 
se  manifestèrent.  Le  mal,  présentant  des  caractères 
de  plus  en  plus  alarmants,  finit  par  amener  une  lésion 
très- grave  des  facultés  intellectuelles.  Les  moments 
lucides  étaient  rares  et  de  peu  de  durée.  C'étaient 
tantôt  des  périodes  d'excitation,  tantôt  des  périodes  de 
dépression  qui  allèrent  jusqu'à  la  fureur,  et  qui  néces- 
sitèrent les  efforts  de  plusieurs  personnes  pour  la 
maîtriser. 

y>  Cette  maladie  mentale  résista,  comme  les  autres, 

au  traitement  suivi  que  je  lui  fis  subir,  et  alla  toujours 

croissant  jusqu'au  moment  où  la  malade  elle-même, 

dans  un  moment  lucide,  pensa  à  recourir  à  Dieu. 

»  On  la  conduisit  dans  ce  but  chez  les  Ursulines 


CHAPITRE    XX.  451 

des.Trois-Rivières,  qui  lui  conseillèrent  d'avoir  recours 
à  la  puissante  intercession  de  la  vénérable  Mère  Marie 
de  l'Incarnation. 

»  Pendant  toute  la  neuvaine,  la  malade  continua 
d'être  très-mal,  jusqu'au  dernier  jour  oii  elle  fut  subite- 
ment guérie  !  Depuis  ce  temps,  elle  jouit  d'une  santé 
parfaite,  a  recouvré  toutes  ses  facultés  intellectuelles, 
possède  un  embonpoint  étonnant  et  se  livre  à  tous  les 
travaux  de  la  maison. 

«  Mon  opinion  sur  cette  guérison. 

^  Toutes  les  névroses  ont  pour  caractère  d'être  de 
longue  durée  et  sont  très- difficilement  curables.  Quant 
à  l'aliénation  mentale  dont  la  malade  a  été  affectée 
les  cinq  ou  six  derniers  mois,  elle  peut  quelquefois 
disparaître  d'une  manière  spontanée.  L'anémie  et  l'état 
de  marasme  où  elle  était  depuis  longtemps,  ne  pou- 
vaient pas,  suivant  moi,  disparaître  aussi  subitement. 

"  De  plus,  pour  croire  qu'une  lésion  aussi  grave  des 
facultés  intellectuelles  n'eût  pas  été  guérie  par  les 
prières  adressées  à  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'In- 
carnation, il  faudrait  supposer  une  coïncidence  qui 
n'est  pas  probable. 

"  Toute  considération  faite,  je  ne  puis  faire  autre- 
ment que  d'attribuer  cette  guérison  surprenante  aux 
prières  adressées  à  Dieu  par  l'intercession  de  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation. 

»  H.  Beauchemin.  « 


Au  Bon- Pasteur  de  Québec,  une  novice  incommodée 
d'une  humeur  scrofuleuse,  qui  depuis  six  mois  résistait 
à  tous   les   remèdes,   fut  guérie  après  une  neuvaine 


452  MARIK    DE    l'INCARxNATION. 

à  la  Mère  de  l'IncarnatioD.  Une  année  s'est  écoulée 
depuis,  et  l'humeur  n'a  pas  reparu.  Témoignage  rendu 
par  la  Soeur  infirmière  du  Bon- Pasteur,  le  13  mai  1867. 


Le  10  octobre  1867,  M.  Jean-Baptiste  Lamontagne, 
de  Sainte-Flavie  de  Rimouski,  à  soixante  lieues  de 
Québec,  déclare  qu'il  croit  devoir  attribuer  le  recou- 
vrement de  sa  santé  à  la  Mère  de  l'Incarnation.  Par 
une  chute  de  voiture,  il  avait  été  horriblemerît  blessé 
et  contusionné,  surtout  à  la  tête  et  au  visage.  Le  plus 
inquiétant  était  une  large  plaie  à  la  lèvre  supérieure, 
où  la  putréfaction  s'était  mise.  Madame  Lamontagne, 
présente  à  cette  déclaration,  dit  qu'elle  commençait 
à  désespérer,  lorsque  le  10  septembre,  dix-huit  jours 
après  l'accident,  elle  reçut  de  l'eau  du  tombeau  de  la 
Mère  de  l'Incarnation.  Le  soir  même,  elle  en  appliqua 
légèrement  sur  la  plaie  avec  une  plume.  Le  lendemain 
matin,  à  la  surprise  et  à  l'admiration  de  tous,  la  plaie 
était  cicatrisée,  complètement  sèche,  sans  retour  de 
matière  purulente. 


Le  21  octobre  1867,  madame  Victor  Châteauvert, 
du  faubourg  Saint-Louis  de  Québec,  déclare  qu'elle  se 
croit  redevable  à  l'intercession  de  la  vénérable  Mère 
de  l'Incarnation,  de  la  conservation  de  sa  petite  fille. 
Cette  enfant,  âgée  de  six  semaines,  était  prise  de 
convulsions  depuis  trois  semaines.  Madame  Châteauvert 
avait  déjà  perdu  quatre  enfants  de  cette  même  maladie; 
l'état  de  cette  dernière  était  d'autant  plus  désespéré 
qu'elle  en  était  prise   plus  jeune.   Elle   avait  jusqu'à 


CHAPITRE   XX.  453 

soixante  attaques  et  plus  en  vingt-quatre  heures.  Vers 
le  milieu  de  juillet  dernier,  l'enfant  ayant  eu  une  crise 
des  plus  fortes,  était  sans  connaissance  depuis  trois 
heures  quand  on  lui  appliqua  sur  les  tempes  de  l'eau 
du  tombeau.  Elle  revint  à  elle  et  reposa.  A  partir  de 
ce  premier  jour  de  la  neuvaine,  toutes  les  convulsions 
disparurent,  et  depuis  elle  se  porte  bien. 


Le  même  jour,  21  octobre  1867,  madame  Théophile 
Darveau,  de  Saint-Roch  de  Québec,  est  venue  rendre 
compte  de  la  guérison  de  sa  petite  fille  Hermine,  dans 
les  termes  suivants  : 

«  Cette  enfant,  aujourd'hui  âgée  de  quatorze  mois, 
était  née  avec  une  affection  des  bronches  extrêmement 
prononcée.  Deux  enfants  de  la  famille  étaient  morts 
de  cette  même  maladie  et  vers  le  même  âge.  L'état 
de  celle-ci,  qui  allait  toujours  en  empirant,  était  devenu 
si  pénible  et  si  alarmant,  qu'il  y  avait  plus  de  sept 
mois  que  madame  Darveau  n'avait  pu  s'absenter,  même 
pour  aller  à  l'église;  et,  depuis  vingt-et-un  jours,  elle 
n'avait  pu  reposer  une  seule  fois  dans  son  lit.  L'enfant 
avait  à  la  gorge  deux  enflures  qui  l'empêchaient  abso- 
lument d'avaler ,  et  lui  occasionnaient  de  violentes 
crises.  Elle  était  dans  une  de  ces  crises  depuis  vingt 
minutes  et  on  la  regardait  comme  morte,  quand  une 
voisine  apporta  de  l'eau  du  tombeau.  C'était  le  soir. 
La  malade  n'eut  pas  plus  tôt  reçu  l'application  de  l'eau, 
qu'elle  se  calma;  elle  reposa  toute  la  nuit.  Le  troisième 
jour  de  la  neuvaine,  elle  était  tellement  bien  qu'elle 
supporta  sans  inconvénient  une  température  très- mal- 
saine, quoique  le  médecin  eût   déclaré  qu'il  faudrait 


454  MARIE    DR    l'incarnation. 

toujours   user  des  plus   grandes   précautions,  surtout 
dans  les  temps  humides. 

y>  Il  me  tarde,  dit  madame  Darveau,  de  pouvoir  faire 
comprendre  à  cette  enfant  tout  ce  qu'elle  doit  à  la 
sainte  Mère,  afin  qu'elle  puisse  la  remercier  et  l'invoquer 
avec  moi.  » 


GUËRISONS   OBTENUES  AUX  TROIS-RIVIÈRES. 

Une  lettre  de  M.  Ch.  01.  Caron,  Vicaire-Général  du 
diocèse  des  Trois-Rivières,  et  aumônier  des  Ursulines 
de  cette  ville,  annonçait,  à  la  date  du  25  septembre  1867, 
les  trois  guérisons  suivantes,  obtenues  dans  le  cours  de 
l'été  par  l'intercession  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation. 

I.  Guérison  de  madame  Luc  Précourt ,  âgée  de 
soixante-six  ans,  à  peu  près  aveugle,  et  souffrant  beau- 
coup, depuis  dix  ans,  d'une  ophthalmie  aiguë,  accom- 
pagnée d'un  écoulement  lacrymal  qui  parfois  devenait 
purulent.  Au  commencement  de  juin  1867,  le  troisième 
jour  d'une  neuvaine  avec  application  de  l'eau  du  tom- 
beau, elle  se  trouva  si  complètement  guérie,  qu'elle 
reprit,  ce  même  jour,  ses  ouvrages  de  broderie  et  les 
occupations  du  ménage.  Dès  la  première  application 
de  l'eau,  madame  Précourt  avait  éprouvé  un  soulage- 
ment marqué.  Sa  vue  a  été  dans  un  état  parfait  depuis 
sa  guérison. 

II.  Mademoiselle  Emma  Gélinas,  âgée  de  vingt  ans, 
souffrait  depuis  six  ans  d'une  douleur  interne  au  côté 
gauche,  qui  l'empêchait  de  pouvoir  supporter  la  moin- 
dre pression,  pas  même  parfois  le  contact  de  ses  habits. 
A  ce  mal  se  joignait  une  dyspepsie  invétérée  qui  l'avait 
réduite  à  un  grand  état  de  faiblesse  et  de  langueur. 


CHAPITRE    XX.  455 

Vers  le  milieu  de  juillet  1867,  le  troisième  jour  d'une 
seconde  neuvaine  à  la  Mère  de  l'Incarnation  avec 
application  de  l'eau  du  tombeau,  elle  éprouva  un  mieux 
sensible.  Tous  les  maux  disparurent  pendant  cette  neu- 
vaine ;  elle  reprit  le  travail  et  n'a  pas  cessé  de  se  bien 
porter  depuis. 

III.  Vers  le  commencement  de  juin  1867,  guérison 
de  la  révérende  Mère  Saint-François-Xavier,  religieuse 
Ursuline  âgée  de  soixante  et  onze  ans,  infirme  des 
jambes  depuis  dix-neuf  ans,  par  suite  d'une  chute  grave. 
Depuis  quatre  ans,  ses  douleurs  étaient  devenues  aiguës 
et  opiniâtres;  les  cinq  ou  six  derniers  mois,  il  lui  avait 
été  impossible  de  se  mettre  au  lit;  et,  à  cause  de  la 
violence  du  mal,  elle  fermait  rarement  l'œil.  Après 
avoir  éprouvé  un  redoublement  de  douleurs  au  com- 
mencement d'une  seconde  neuvaine  avec  application 
de  l'eau  du  tombeau,  elle  s'est  trouvée  guérie  dans 
les  derniers  jours.  Ses  jambes,  qui  étaient  pourpjres  et 
violettes,  et  démesurément  enflées,  reprirent  leur  état 
naturel,  avec  une  diminution  de  dix  pouces  de  circon- 
férence. La  Mère  Saint-François-Xavier  n'éprouve  plus 
de  douleur  et  elle  marche  avec  facilité,  malgré  son 
embonpoint  et  son  âge. 

Les  rapports  détaillés  de  ces  trois  guérisons,  obtenues 
à  la  suite  de  prières  adressées  à  la  vénérable  Mère  de/ 
l'Incarnation,  sont  conservés  dans  les  archives  du  monas- 
tère des  Ursulines  aux  Trois-Rivières.  Les  deux  pre- 
miers sont  signés  par  M.  le  Vicaire-Général  Caron,  le 
dernier  par  les  Révérendes  Mères  supérieure,  assistante 
et  secrétaire  de  la  communauté. 


456  MARIE    DE    l'incarnation, 


AUTRES    FAVEURS    OBTENUES    ET    CONSTATÉES    EN    1867. 

Juin  1867.  Madame  Robert  Roussel,  âgée  de  cin- 
quante ans,  résidant  à  la  Haute-Ville  de  Québec,  est 
venue  à  notre  parloir  et  a  déclaré  qu'elle  attribuait 
entièrement  à  la  Mère  de  l'Incarnation  la  guérison 
d'une  attaque  de  paralysie,  qui  l'avait  empêchée  de 
marcher  pendant  quatre  mois,  ayant  même  dû  garder 
entièrement  le  lit  les  quatre  dernières  semaines.  Du 
moment  qu'elle  fît  application  de  l'eau,  elle  se  sentit 
soulagée,  marcha  presque  aussitôt,  ayant  mis  de  côté 
toutes  les  frictions  et  les  remèdes.  C'est  vers  le  milieu 
d'avril  que  sa  santé  s'est  rétablie.  Elle  n'a  pas  eu  de 
rechute  depuis. 

P.  S.  —  En  octobre,  elle  est  encore  bien. 


30  août  1867.  Madame  Samuel  Hamelin,  de  Des- 
chambault,  quatorze  lieues  de  Québec,  venue  à  notre 
parloir,  a  déclaré  que  son  enfant,  âgé  de  dix-neuf  mois, 
avait  été  guéri  pendant  une  neuvaine  à  la  Mère  de 
l'Incarnation,  avec  application  de  l'eau.  Cet  enfant 
souffrait  beaucoup,  depuis  six  mois,  de  larges  taies  qu'il 
avait  sur  les  yeux  et  qu'aucun  remède  n'avait  pu 
guérir. 


Au  printemps  de  1867,  madame  Bélanger  de  Saint- 
Thomas  (vingt-deux   lieues  de  Québec) ,    qui  souffrait 


CHAPITRE    XX.  I  457 

extraordinairement  depuis  deux  mois  d'un  mal  d'yeux 
auquel  les  remèdes  n'apportaient  aucun  soulagement, 
fut  guérie  après  quelques  applications  de  l'eau  du»  tom- 
beau. —  Mademoiselle  Taché,  qui  lui  avait  envoyé  cette 
eau  au  moment  oii  elle  prenait  le  wagon  pour  Québec, 
nous  disait  ici  au  parloir  :  «  Si  madame  Bélanger  est 
guérie,  ce  sera  un  grand  miracle.  »  Or  quelle  ne  fut  pas 
la  surprise  de  mademoiselle  Taché,  de  retour  à  Saint- 
Thomas  le  dimanche  suivant,  en  voyant  madame 
Bélanger  à  la  grand'messe  ! 

Madame  Bélanger  avait  sur  les  yeux  une  taie  de  la 
grandeur  à  peu  près  de  l'ongle  du  petit  doigt.  S'étant 
mis  une  goutte  de  l'eau  miraculeuse  dans  les  yeux  le 
vendredi  soir,  elle  en  éprouva  aussitôt  du  soulagement. 
Le  lendemain  matin,  la  taie  avait  presque  entièrement 
disparu  ;  le  dimanche,  la  malade  était  parfaitement  bien. 
Six  mois  plus  tard,  ses  yeux  étaient  encore  dans  un 
état  parfait. 


Saint  Agapit,  1867.  Madame  Louis  Olivier,  regardée 
comme  tombée  en  état  de  consomption,  et  qui  ne 
pouvait  plus  sortir  depuis  huit  mois,  a  recouvré  la 
santé  à  la  suite  de  prières  faites  à  la  vénérable  Mère 
de  l'Incarnation,  en  prenant  quelques  gouttes  de  l'eau  du 
tombeau. 


Québec,  20  février  1867'. 

Aujourd'hui  est  venue  au  parloir  madame  Isaac  Ful- 
lerton  de  Québec,  rue  Saint-Jean,  témoignant  de  sa 
guérison  comme  il  suit. 


458  MARIE    DE    l'incarnation. 

Depuis  sept  semaines,  elle  était  tout  à  fait  percluse 
de  la  main  droite,  ne  pouvant  s^en  servir  en  aucune 
manière.  Cette  main,  qui  était  enflée,  surtout  aux  arti- 
culations, ne  pouvait  ni  se  fermer  ni  s'ouvrir,  et  la  dou- 
leur se  répandait  dans  tout  le  bras  et  l'épaule.  De  plus, 
elle  avait  souflert  tout  l'hiver  d'un  mal  d'oreilles,  parfois 
si  violent,  qu'elle  ne  savait  que  faire. 

Ayant  entendu  parler  de  l'eau  du  tombeau  de  notre 
vénérable  Mère,  elle  en  fît  demander  par  sa  fille,  qui 
fréquente  notre  externat.  Elle  se  procura  aussi  la 
prière  :  C'est  par  le  Cœur  de  mon  Jésus..., ^  que  l'on  a 
traduite  en  anglais  et  imprimée,  et  elle  commença  une 
neuvaine.  Dès  la  première  application  de  l'eau,  elle 
s'aperçut  que  sa  main  s'assouplissait,  et  elle  le  fit 
remarquer  à  son  mari.  Vendredi  15  février,  dernier 
jour  de  la  neuvaine,  sa  main,  son  bras  et  son  épaule 
étaient  parfaitement  guéris;  aucune  douleur  ni  raideur 
quelconques  ne  restaient. 

Le  mal  d'oreilles,  malheureusement,  ne  s'était  pas 
ressenti  de  cette  guérison,  et,  hier  mardi  19  février, 
madame  Fullerton  en  souffrait  cruellement.  Il  s'était 
même  formé,  depuis  quelques  jours,  une  tumeur  à  la 
partie  supérieure  de  l'oreille  droite.  Dans  l'après-midi, 
son  mari  lui  dit  :  Mais  l'eau  qui  vous  a  guéri  le  bras, 
vous  guérira  tout  aussi  bien  les  oreiUes;  pourquoi  ne 
pas  vjus  en  servir?  En  effet,  madame  Fullerton  n'avait 
pas  eu  l'idée  d'appliquer  cette  eau  ailleurs  que  sur  sa 
main.  Sa  première  pensée  fut  qu'elle  n'en  avait  plus; 
mais  en  trouvant  encore  quelque  peu  dans  la  fiole,  elle 
s'en  toucha  l'oreille.  Aussitôt  elle  éprouva,  dans  les 
deux  oreilles  et  dans   toute  la  tête ,    une  chaleur  si 

(1)  Ci-dessus,  page  30'î. 


CHAPITRE    XX.  459 

extraordinaire,  qu'elle  en  fut  comme  hors  d'elle-même. 
Mais  cette  sensation  ne  dura  qu'un  instant,  et  toute 
douleur  cessa.  Dieu  soit  loué,  s'écria-t-elle,  je  suis 
guérie!  je  ne  sens  plus  de  mal!  Son  mari  s'étant  appro- 
ché pour  lui  examiner  l'oreille,  jeta  à  son  tour  un  cri 
de  surprise  et  d'admiration  ;  la  tumeur  même  avait 
disparu  avec  la  douleur. 

Maintenant,  ajouta  madame  Fullerton,  je  suis  par- 
faitement guérie;  je  ne  sens  de  mal  ni  aux  bras,  ni 
aux  oreilles,  ni  à  la  tête,  et  je  le  dis  avec  reconnais- 
sance :  c'est  la  sainte  Mère  Marie  de  rincarnation  qui 
m'a  guérie. 


Mademoiselle  Bilodeau,  institutrice  à  la  Rivière-Noire, 
paroisse  de  Saint-Agapit,  nous  fit,  le  29  août  1867,  la 
déclaration  suivante  : 

"  Sur  la  fin  de  mai  dernier,  on  amena  à  mon  école 
Marie  Côté,  enfant  de  douze  ans,  me  demandant  de  la 
disposer  à  la  première  communion  et  à  la  confirmation. 
L'enfant  était  conduite  par  sa  tante  et  marchait  pénible- 
ment ;  ses  yeux  paraissaient  dans  un  triste  état.  On  me 
dit  qu'il  y  avait  déjà  cinq  ans  qu'elle  était  aveugle,  par 
suite  de  la  petite  vérole,  et  que  depuis  ce  temps  elle 
avait  souff'ert  le  martyre,  surtout  l'hiver,  où  l'inflam- 
mation augmentait. 

"  Ne  pouvant  me  persuader  que  le  mal  fût  aussi 
grand,  je  priai  sa  tante  de  la  conduire  à  la  chapelle 
et  de  tâcher  de  lui  faire  distinguer  l'autel  et  le  taber- 
nacle, afin  qu'elle  pût  mieux  comprendre  les  explica- 
tions qu'elle  entendrait  :  car  on  me  disait  qu'elle  n'avait 
jamais  vu  d'église,  qu'elle  n'était  même  jamais  entrée 


460  MARIE    DE    l'incarnation. 

dans  aucune,  ses  parents  demeurant  à  plus  d'une  heure 
et  demie  du  chef-lieu  de  la  paroisse  et  n'ayant  pas  de 
voiture. 

«  Marie  fut  conduite  à  la  chapelle,  mais  on  me  la 
ramena  en  disant  qu'elle  n'avait  rien  aperçu,  pas  même 
la  grande  statue  blanche  de  la  Sainte  Vierge.  J'exa- 
minai alors  de  plus  |)rès  les  yeux  de  la  petite  malade. 
La  peau  au-dessus  des  yeux  était  livide  et  bleuâtre; 
en  d'autres  endroits,  aux  paupières  surtout,  elle  était 
rouge  et  enflammée.  L'œil  lui-même  n'ofifrait  aucune 
apparence  de  pupille,  d'iris  ou  de  cornée;  c'était  un 
mélange  de  taches  rouges,  blanches,  et  noires  qui  fai- 
saient horreur.  Les  deux  yeux  étaient  dans  le  même  état. 

y>  On  me  dit  que  M.  le  Docteur  Morin,  qui  avait 
examiné  les  yeux  de  l'enfant  dès  le  commencement, 
avait  déclaré  le  mal  inqurable;  que  M.  le  Curé  de  Gaspé 
en  avait  dit  autant  et  exhorté  les  parents  à  la  soumis- 
sion à  la  volonté  de  Dieu.  Deux  Pères  Trappistes,  qui 
avaient  passé  par  l'endroit  l'été  précédent,  avaient 
également  dit  aux  parents  de  se  résigner,  qu'un  miracle 
seul  pourrait  rendre  la  vue  à  leur  enfant. 

y>  Eh  bien  !  dis-je  alors  à  la  petite,  je  connais  une 
sainte  qui  peut  faire  ce  miracle!  Si  tu  la  pries  avec 
ferveur,  elle  te  fera  certainement  voir  clair  pour  ta 
première  communion.  Je  lui  donnai  un  peu  de  l'eau 
du  tombeau  de  la  vénérable  Mère  Marie  de  Tlncarna- 
tion,  lui  disant  de  s'en  mettre  chaque  jour  une  goutte 
dans  les  yeux,  et^de  dire  trois  Pater,  trois  Ave,  trois 
Gloria  Patri,  et  trois 'fois:  Bienheureuse  Mère  Marie 
de  l'Incarnation,  obtenez  ma  guérisoo. 

»  Les  premiers  jours  de  la  neuvaine,  les  souflrances 
de  l'enfant  s'accrurent  tellement  qu'elle  ne  savait  que 
faire.  Je  lui  dis  de  ne  pas  se  décourager,  que  c'était 


CHAPITRE   XX.  461 

un  signe  que  la  sainte  Mère  agissait  sur  elle  et  allait 
la  guérir,  de  redoubler  de  prières  à  proportion  de  l'aug- 
mentation de  ses  douleurs.  La  petite  malade,  que  je 
faisais  asseoir  à  côté  de  moi  pour  les  explications  du 
catéchisme,  répétait  presque  sans  cesse  ses  prières  et 
son  invocation. 

y>  Le  troisième  ou  quatrième  jour,  comme  il  y  avait 
une  messe  extraordinaire  (la  Rivière-Noire  n'est  qu'une 
mission,  et  d'ordinaire  la^  messe  ne  s'y  dit  qu'une  fois 
le  mois),  la  tante  y  conduisit  la  petite  malade.  L'enfant 
souffrait  une  douleur  extrême  :  cependant  elle  répétait 
ses  prières  avec  une  nouvelle  ardeur;  elle  demandait 
avec  instance  à  la  Mère  de  l'Incarnation  de  lui  tuive 
voir  du  moins  la  grande  statue  de  la  Sainte  Vierge. 

"  Tout  à  coup,  vers  la  fin  de  la  messe,  quelque  chose 
lui  dit  de  lever  les  yeux.  Elle  les  lève  et  aperçoit 
comme  une  forme  blanche.  Tout  sentiment  de  douleur 
a  disparu.  Elle  regarde,  puis  regarde  encore.  Il  me 
semble,  dit-elle,  qu'on  me  débrouillait  les  yeux  à  mesure 
que  je  regardais  la  statue....  C'est  la  Sainte  Vierge, 
se  dit-elle.  Et,  toute  transportée,  elle  se  met  à  décrire 
à  sa  tante  tout  ce  qu'elle  aperçoit  autour  de  la  statue 
et  sur  l'autel,  aussi  étonnée  que  réjouie  à  la  vue  des 
objets  qui  se  présentent  à  elle. 

»  L'enfant  sort  de  l'église  dans  des  sentiments  de 
joie  inexprimables.  Elle  est  mise  à  l'épreuve  de  mille 
manières,  mais  il  n'y  a  pas  à  en  douter,  le  miracle 
est  accompli!  Elle  vient  seule  à  l'école,  s'en  retourne 
seule  d'un  pas  aussi  sûr  que  ses  compagnes;  elle  les 
devance  même. 

»  Au  reste,  le  changement  qui  s'était  opéré  dans  ses 
yeux  disait  assez"  le  prodige.  Ils  étaient  devenus  par- 
faitement clairs  et   limpides,    l'œil  gauche   seulement 


462  MARiK  DE  l'incarnation. 

retenant  à  la  cornée  quelques  traces  de  rougeur,  mais 
qui  n'affectaient  en  rien  la  vision,  et  qui  s'effacèrent 
d'elles-mêmes.  Cette  guérison  avait  lieu  le  8  ou  le 
9  juin. 

Mademoiselle  Bilodeau,  qui  nous  faisait,  le  23  août 
suivant,  le  rapport  ci-dessus,  fut  chargée  d'un  billet 
de  M.  notre  aumônier  pour  M.  le  docteur  Morin,  à  qui 
elle  devait  conduire  l'enfant.  Le  docteur  Morin  demeure 
à  Saint-Nicolas,  à  quatre  liçues  de  la  Rivière-Noire. 
Ne  pouvant  avoir  de  voiture  pendant  le  jour,  à  cause 
des  travaux  des  champs,  elle  dut  faire  le  voyage  de 
nuit.  Le  médecin  reconnut  aussitôt  l'enfant;  mais  il 
ne  comprenait  rien  au  changement  qu'il  remarquait 
en  elle.  Après  l'avoir  examinée,  il  déclare  qu'un  miracle 
seul  peut  avoir  produit  ce  qu'il  voit.  Le  lendemain, 
il  rendait  le  témoignage  suivant  : 

^  Saint-Nicolas,  5  septembre  1869. 

T  Je  soussigné,  certifie  et  puis  certifier  par  serment, 
que  j'ai  examiné,  il  y  a  cinq  ans,  les  yeux  de  Marie 
Côté,  enfant  d'Augustin  Côté,  ci-devant  de  Saint- Apol- 
linaire, maintenant  de  la  paroisse  de  Saint-Agapit. 
D'après  les  renseignements  donnés  par  ses  parents, 
j'ai  constaté  que  la  picote  avait  produit  une  opacité 
de  la  cornée  des  deux  yeux,  ou  maladie  qu'on  appelle 
Leucoma....  J'ai  déclaré  le  cas  incurable  et  ai,  en  consé- 
quence, refusé  de  prescrire  aucun  traitement.  Je  certifie 
que  j'ai  examiné  la  même  petite  fille  le  4  septem- 
bre 1867,  et  que  je  ne  puis  expliquer  la  guérison  de 
ses  yeux  d'une  manière  naturelle. 

y>  CI).  Morin,  médecin.  » 


CHAPITRE    XX.  463 

Mademoiselle  Bilodeau  conduisit  aussi  l'enfant  chez 
M.  A.,  de  Gaspé,  à  trois  lieues  de  la  Rivière-Noire.  Sa 
surprise  et  son  admiration  ne  furent  pas  moindres. 
Il  avoua  que  bien  des  fois  il  avait  demandé  à  Dieu 
de  prendre  cette  pauvre  petite,  sentant  que  dans  le 
triste  état  où  elle  était  réduite,  elle  ne  pouvait  qu'être 
à  charge  à  elle-même  et  à  sa  famille. 

Tous  ces  voyages  que  l'enfant  dut  faire  après  le 
coucher  du  soleil  et  de  nuit,  ne  l'ont  nullement  afifectée  ; 
et  l'on  remarque  que  non-seulement  elle  voit  parfaite- 
ment, mais  qu'elle  aperçoit  et  distingue  les  objets  de 
très-loin. 

Plus  tard,  Marie  Côté  et  sa  mère  ont,  à  leur  tour, 
rendu  le  même  témoignage. 


En  mai  1867,  madame  Aimable  Savard,  de  Québec, 
qui  depuis  de  longues  années  souffrait  d'une  double 
infirmité  et  se  trouvait  depuis  trois  mois  réduite  à  un 
grand  degré  d'épuisement  et  de  faiblesse,  fut  entièrement 
guérie  et  recouvra  ses  forces  à  la  fin  d'une  neuvaine 
à  notre  vénérable  Mère  de  l'Incarnation,  pendant 
laquelle  elle  avait  fait  usage  de  l'eau  du  tombeau. 

Nous  possédons  plusieurs  témoignages  de  parents 
et  de  connaissances  de  madame  Savard,  constatant 
ses  longues  infirmités  et  son  excellent  état  de  santé 
actuel. ^Madame  Savard  était  encore  parfaitement  bien 
en  novembre  1868. 


A  Saint-Agapit,  dans  l'été  de  1867.   M-   Dominique 
Béland,  âgé  d'environ  vingt-et-un  ans,  qui  n'avait  pas 


464  MARIE    DE    l'incarnation. 

quitté  le  lit  depuis  trois  ans,  et  prenait  si  peu  de  nour- 
riture qu'on  était  étonné  qu'il  pût  vivre,  éprouva  un 
mieux  si  sensible  dans  une  neuvaine  à  la  Mère  de  l'In- 
carnation, avec  usage  de  l'eau  miraculeuse,  qu'il  vint  à 
l'église.  Peu  après,  il  était  à  l'ouvrage,  faisant  tous 
les  travaux  de  la  campagne;  ce  qu'il  a  continué  de  faire 
avec  une  persistance  qui  jette  dans  l'étonnement  et 
l'admiration  tous  ceux  qui  l'avaient  connu. 


A  Saint-Pierre,  Rivière-du-Sud,  treize  lieues  de 
Québec,  madame  Gaspard  Biais  souffrait  depuis  sept 
mois  d'une  hémorragie  extraordinaire,  que  les  remèdes 
ne  soulageaient  en  rien.  Les  deux  derniers  mois  avaient 
été  des  plus  pénibles,  accompagnés  de  défaillances  et 
de  convulsions.  La  malade  avait  été  adûiinistrée  lors- 
que, le  24  août  1867,  elle  reçut  de  l'eau  du  tombeau 
de  la  sainte  Mère.  Dès  la  première  application,  elle 
sentit  une  réaction  extraordinaire  dans  tout  son  orga- 
nisme;  l'hémorragie  cessa  pour  ne  plus  reparaître. 
Madame  Biais,  pour  laquelle  il  y  avait  eu  une  consul- 
tation de  médecins  et  que  l'on  jugeait  sans  ressources, 
recouvra  promptement  les  forces  et  l'embonpoint , 
vaquant  à  tous  les  soins  du  ménage. 


A  Saint- Thomas  (quelques  lieues  de  la  station  de  la 
Rivière-Noire),  M.  J.-B,  Paradis  qui,  depuis  quinze  ans, 
était  sujet  à  une  sorte  d'apoplexie,  perdant  graduelle- 
ment l'appétit  et  les  forces,  se  trouvait  réduit  à  l'extré- 
mité, n'ayant  pris  aucune  nourriture  depuis  sept  jours. 


CHAPITRE   XX.  465 

Pendant  une  première  neuvaine  à  la  Mère  de  l'Incar- 
nation il  se  fit  un  si  grand  changement  dans  son  état, 
qu'il  recouvra  l'appétit,  pouvant  se  lever  et  se  rendre 
à  lui-même  tous  les  services.  A  partir  de  la  seconde 
neuvaine,  faite  il  y  a  six  semaines,  il  est  parfaitement 
bien,  n'éprouvant  rien  de  ces  attaques  d'apoplexie  dont 
il  avait  si  longtemps  souffert. 


A  Craig's  Road,  deux  lieues  de  la  station  de  la 
Rivière-Noire,  Sara  Fréchette,  enfant  de  deux  ans, 
souffrait  extraordinairement  d'un  doigt  depuis  quinze 
jours.  Le  doigt  était  noir,  horrible  à  voir.  C'était  en 
septembre  1867.  Pendant  une  neuvaine  à  la  vénérable 
Mère,  avec  application  de  l'eau  du  tombeau,  le  mal 
disparut  complètement. 


Cette  guérison  ayant  inspiré  une  grande  confiance 
à  tous  ceux  qui  en  furent  témoins,  M.  Louis  Fréchette 
père  de  l'enfant,  malade  depuis  de  longues  années  d'une 
diarrhée  qui  lui  occasionnait  de  fréquentes  défaillances, 
se  recommanda  à  la  Mère  de  l'Incarnation.  A  partir  de 
de  la  neuvaine  qu'il  fit  aussitôt  après  la  guérison  de  sa 
petite  fille,  il  fut  lui-même  complètement  guéri. 

Madame  Fréchette,  grand'mère  de  l'enfant,  souffrait 
depuis  vingt-et-un  ans  d'un  grand  mal  d'yeux;  elle 
demanda  sa  guérison  à  la  sainte  Mère.  Les  deux  pre- 
mières neuvaines  ne  lui  procurèrent  que  peu  de  soulage- 
ment ;  mais  elle  n'en  pria  qu'avec  plus  d'ardeur,  et  à  la 
troisième  neuvaine,  elle  fut  guérie. 

M.  D.  l'inc.  30 


466  Marie  de  l'incarnation. 

Le  l*""  septembre  1867,  M.  Orner  East,  de  la  paroisse 
de  Saint-Augustin,  à  cinq  lieues  de  Québec,  a  déclaré 
à  la  grille  du  parloir  des  Ursulines  qu'il  souffrait 
depuis  l'âge  de  treize  ans  (il  en  a  aujourd'hui  vingt- 
quatre),  d'un  rhumatisme  inflammatoire,  et  qu'il  en 
était  attaqué  violemment  pour  la  quatrième  fois  lors- 
qu'il commença  une  neuvaine  à  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation.  Dès  la  première  application  de  l'eau,  il 
fut  soulagé  et  put  dormir.  A  chaque  application  de 
l'eau,  il  éprouva  un  soulagement  instantané.  A  partir 
de  cette  neuvaine,  faite  au  commencement  d'août  der- 
nier, il  n'a  ressenti  aucune  douleur,  pas  même  en 
s'exposant  aux  températures  les  plus  humides  et  les 
plus  malsaines. 

A  la  fin  de  novembre  suivant,  M.  East  se  sentait  si 
radicalement  guéri,  qu'il  est  parti  pour  les  Etats-Unis 
afin  d'y  trouver  de  l'ouvrage,  emportant  avec  lui  l'image 
de  la  sainte  Mère,  comme  un  talisman  de  bonheur, 
disait-il. 


Sur  la  fin  d'octobre  1867,  M.  Abel  Lafrance,  qui 
souftrait  d'un  panaris  au  pouce  gauche,  fut  complète- 
ment guéri  à  la  troisième  application  d'un  petit  linge 
trempé  dans  l'eau  miraculeuse.  A  chaque  application  le 
malade  éprouvait  un  grand  soulagement. 


M.  Moisan,  âgé  de  dix-sept  ans,  élève  de  troisième 
au  petit  séminaire  de  Québec,  était  atteint  d'une  surdité 
considérable  depuis  quatre  mois,  au  point  de  ne  pouvoir 
suivre  en  aucune  manière  les  explications  des  profes- 


CHAPITRE   XX.  467 

seurs.  Un  médecin  qui  l'avait  traité  pendant  trois 
semaines,  lui  avait  procuré  un  peu  de  soulagement, 
mais  ce  soulagement  n'avait  duré  que  trois  jours.  Ayant 
fait  une  neuvaine  à  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation, avec  application  de  l'eau,  il  se  trouva  complète- 
ment guéri  le  neuvième  jour. 

Ce  témoignage  a  été  rendu  par  le  jeune  homme  lui- 
même  le  22  mai  1867,  deux  mois  après  la  guérison, 
et  il  a  été  confirmé  par  M.  le  Directeur  de  l'établisse- 
ment. La  guérison  se  maintenait  encore  au  mois  de 
mai  1873 


Témoignages  touchant  la  guérison  de  mademoiselle 
Marie  Bérubé,  de  Saint-Modeste,  à  trente-deux  lieues  de 
Québec.  Cette  jeune  fille,  âgée  de  dix-huit  ans,  était 
épileptique  depuis  environ  quatre  ans. 

Premier  témoignage. 

«  Notre-Dame- du- Partage,  2  juin  1867. 

«  A  M.  l'abbé  G.-L.  Lemoine,  aumônier  des  Ursulines 
de  Québec. 

»  Monsieur, 

»  Je  viens  de  recevoir  votre  lettre  du  28  mai,  par 
laquelle  vous  me  demandez  des  renseignements  au  sujet 
de  la  petite  malade  de  Saint-Modeste...  J'ai  bien  connu 
pendant  que  j'étais  curé  de  Saint-Modeste,  la  personne 
dont  vous  me  parlez.  Elle  était  sujette  à  de  fréquentes 
attaques  d'épilepsie,  tombant  même  si  souvent,  que  je 
l'ai  vue  des  journées  entières  sans  connaissance  et  dans 


468  ■      MARIK    DE    l'incarnation. 

un  état  d'insensibilité  complète.  L'été  dernier,  on  vint 
me  chercher  pour  l'administrer.  Elle  était  dans  l'état 
que  je  viens  de  décrire,  éprouvant  des  attaques  à  chaque 
moment  et  n'ayant  aucune  connaissance  depuis  plus 
de  vingt-quatre  heures. 

y>  Je  quittai  Saint-Modeste  au  mois  d'octobre....  J'eus 
occasion  de  revoir  la  pauvre  infirme,  et  elle  me  parut 
plus  affectée  que  lors  de  ma  dernière  visite. 

»  Vers  le  printemps,  ses  parents  vinrent  me  prier 
de  me  joindre  a  eux  pour  faire  une  neuvaine  en  l'hon- 
neur de  la  vénérée  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Ils 
me  parurent  animés  d'une  grande  confiance  en  la 
sainte  religieuse....  Je  ne  suis  point  retourné  à  Saint- 
Modeste  depuis,  et  je  ne  saurais  dire  exactement  ce 
qui  en  est  de  l'état  de  la  malade.  Ce  que  je  sais,  c'est 
que  des  personnes  bien  dignes  de  foi  m'ont  assuré  qu'elle 
jouit  d'une  santé  parfaite,  ainsi  que  d'un  esprit  lucide, 
et  qu'elle  travaille  comme  ses  sœurs. 

"  Jh.  Beaulieu,  prêtre.  » 

Deuxième  témoignage. 

«  Saint-Modeste,  8  juin  1867. 
»  Monsieur, 

r^  Les  parents  de  Marie-Rosalie  Bérubé  me  prient 
(le  vous  informer  de  la  guérison  de  leur  enfant,  opérée 
par  le  secours  de  la  bienheureuse  Mère  de  l'Incarnation. 

»  J'ai  vu  deux  fois  cette  malade  l'automne  dernier, 
quelque  temps  après  mon  arrivée  dans  la  paroisse,  et 
elle  m'a  paru  idiote.  Ses  parents  m'ont  dit  qu'elle  était 


CHAPITRE    XX.  469 

malade  depuis  quatre  aas,  et  qu'elle  tombait  fréquem- 
ment d'un  mal  qui  ressemblait  beaucoup  à  l'épilepsie. 
Toutes  les  personnes  qui  l'ont  connue  croient  qu'elle 
était  épileptique.  Elle  n'a  jamais  été  sous  les  soins  d'un 
médecin.  ». 

Après  avoir  dit  que  dès  le  commencement  de  la 
première  neuvaine  à  la  Mère  de  l'Incarnation,  faite 
à  la  fin  de  février  1867,  la  malade  éprouva  du  mieux 
et  recouvra  assez  d'intelligence  pour  se  joindre  à  la 
seconde  neuvaine  qui  fut  faite  le  mois  suivant,  et  où 
elle  se  trouva  tout  à  fait  délivrée  de  son  mal,  M.  le 
curé  de  Saint-Modeste  termine  ainsi  sa  lettre  : 

«  C'est  une  guérison  bien  extraordinaire,  faite  sans 
secours  humain,  dans  un  temps  où  l'on  priait  pour 
l'obtenir. 

»  F. -M.  FouRNiER,  prêtre,  curé.  » 

Plusieurs  mois  après  sa  guérison,  la  jeune  fille 
éprouva  quelques  indispositions  qui  firent  craindre  le 
retour  de  son  horrible  mal,  mais  ces  indispositions 
n'eurent  pas  de  suites.  En  décembre  1868,  on  nous 
écrivait  qu'elle  continuait  à  se  bien  porter,  travaillant 
comme  à  l'ordinaire,  se  faisant  seulement  remarquer 
par  une  plus  profonde  piété.  Nous  avons  vu  des  lettres 
de  ses  parents  qui  témoignent  de  la  plus  vive  recon- 
naissance pour  la  grâce  qu'ils  ont  reçue  dans  la  gué- 
rison de  leur  enfant,  faisant  des  vœux  pour  la  canoni- 
sation de  leur  bienfaitrice,  la  vénérable  Mère  Marie 
de  l'Incarnation. 


M.  Honoré  Dugay,  de  Saint-Roch  de  Québec,  venu 
à  notre  parloir  au  mois  de  décembre  1868,  a  confirmé 


470  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

les  détails  suivants  sur  sa  guérison,  arrivée  dans  l'été 
de  1867. 

Depuis  quinze  jours  il  souffrait  violemment  d'une 
maladie  inflammatoire  dont  le  médecin  n'avait  pu  le 
soulager  en  rien.  Il  se  trouvait  extrêmement  affaibli  par 
la  douleur  et  la  perte  du  sommeil.  Ayant  pris  trois 
gouttes  de  l'eau  du  tombeau,  et  s'unissant  à  la  prière  : 
Cest  parle  Cœur  de  mon  Jésus,  etc.,  que  l'on  récitait  à 
côté  de  lui,  il  se  trouva  soudain  délivré  de  ses  atroces 
douleurs,  «  comme  si  on  me  les  eût  ôtées  avec  la 
main,  «  dit-il.  Il  n'en  a  rien  éprouvé  depuis. 


Aujourd'hui,  5  décembre  1868,  est  venue  de  Leeds, 
seize  lieues  de  Québec,  madame  James  M*^  Cormic, 
remercier  des  prières  faites  pour  son  enfant,  et  donner 
les  détails  suivants  sur  sa  guérison. 

Michel  M'^  Cormic  était  âgé  de  cinq  ans  et  demi, 
quand  il  tomba  malade  au  commencement  de  l'été 
de  1868.  Il  y  eut  perte  d'appétit  et  douleurs  internes, 
surtout  dans  les  entrailles.  L'enfant  dépérissait,  conti- 
nuant néanmoins  de  se  lever  et  d'aller  et  venir  pendant 
quatre  semaines.  Après  ce  temps  il  fut  saisi  de  douleurs 
aiguës  dans  le  côté  droit,  principalement  à  la  hanche 
et  au  genou.  Les  nerfs  de  la  jambe  se  crispaient;  le 
jarret  surtout  était  extrêmement  raidi.  On  remarquait 
à  la  hanche  quelque  chose  qui  ressemblait  à  un  déplace- 
ment d'os,  laissant  une  cavité  ass^ez  considérable.  Il 
fallait  un  secours  étranger  pour  redresser  la  jambe 
qui,  laissée  à  elle-même,  réprenait  aussitôt  sa  position 
anormale.  On  ne  tarda  pas  à  remarquer  que  cette 
jambe  se  raccourcissait. 


CHAPITRE   XX.  471 

Le  médecin  qui  le  soignait  avait  guéri  les  douleurs 
d'entrailles,  mais  il  ne  put  rien  à  l'égard  du  membre 
malade.  Il  avait  dit  du  remède  qu'il  prescrivit  en  der- 
nier lieu  :  "  S'il  est  inefficace,  ne  dépensez  pas  un  sou 
de  plus.  "  Il  paraissait  craindre  de  dire  à  la  mère  toute 
la  vérité,  savoir,  qu'il  jugeait  le  mal  incurable.  «  Jamais 
il  ne  sera  comme  ceux-ci,  »  dit-il  un  jour,  en  regardant 
les  autres  membres  de  la  famille. 

Le  malade  était  dans  cet  état  depuis  trois  mois,  sans 
que  ni  frictions  ni  remèdes  quelconques  pussent  le 
soulager.  On  ne  pouvait  le  lever  qu'avec  précaution 
et  sur  des  oreillers.  Ce  fut  alors  que  madame  M^  Cor- 
mic  entendit  parler  par  des  personnes  du  Mont- 
Carmel,  à  trente  lieues  de  Québec,  des  effets  extraor- 
dinaires d'une  eau  miraculeuse  que  l'on  se  procurait 
aux  Ursulines  de  cette  dernière  ville.  Elle  en  fit 
demander  par  sa  belle-mère,  qui  venait  à  Québec  à  la 
Toussaint.  L'eau  lui  fut  envoyée  et  elle  la  reçut  un 
soir  très-tard.  Elle  attendit  au  lendemain  pour  s'en 
servir,  afin  de  commencer  la  neuvaine  avec  plus  de 
solennité.  En  effet,  le  lendemain,  vers  neuf  heures, 
après  qu'on  eut  mis  la  maison  dans  un  ordre  convena- 
ble, la  famille  se  réunit  autour  du  lit  du  petit  malade.  On 
fit  l'application  de  l'eau  miraculeuse  sur  les  nerfs  crispés, 
et  l'on  récita  en  anglais  la  prière  :  C'est  par  le  Cœur  de 
mon  doux  Jésus,  etc. 

Quinze  minutes,  peut-être,  après  cet  exercice,  une 
parente  de  madame  M*^  Cormic  alla  pour  frictionner 
le  genou  de  l'enfant,  comme  on  avait  la  fréquente 
habitude  de  faire.  Ne  rencontrant  pas  la  raideur  accou- 
tumée ,  elle  croit  se  tromper  de  jambe  et  appelle 
madame  M^  Cormic.  Celle-ci,  à  son  tour,  a  peine 
à  croire  ce  qu'elle   voit,  et  elle  appelle  sa  sœur  qui 


472  MARIE    DE    l'incarnation. 

venait  de  sortir.  Quel  ne  fut  pas  Tétonnement  de  tous 
en  voyant  l'enfant  se  dresser  lui-même  sur  son  lit! 
On  le  met  par  terre  et  il  continue  à  se  tenir  debout; 
il  marche  en  s'appuyant  aux  meubles  comme  un  enfant 
qui,  marchant  pour  la  première  fois,  ne  sait  pas  encore 
tenir  l'équilibre.  La  neuvaine  finie,  il  marchait  parfaite- 
ment, ayant  les  nerfs  de  cette  jambe  entièrement  sou- 
ples et  flexibles.  Il  est  maintenant  revenu  à  son 
embonpoint,  croissant  tous  les  jours  en  vigueur  et 
en  force. 


Témoignage  de  M.  Joseph  Verret,  touchant  sa  maladie 
et  sa  guérison. 

M.  Joseph  Verret  a  déclaré  ce  qui  suit,  le  14  jan- 
vier 1868. 

«  Depuis  six  semaines  je  souffrais  à  la  hanche  d'une 
douleur  qui  se  répandait  dans  toute  la  cuisse  et  jusqu'à 
l'extrémité  du  pied.  Elle  devenait  parfois  intolérable. 
Durant  ces  six  semaines,  je  n'avais  pas  eu  une  heure 
de  sommeil.  Les  remèdes  me  soulageaient  quelque  peu, 
mais  l'affaiblissement  moral,  qui  en  était  la  suite  me 
faisait  craindre  d'en  user.  Mon  estomac  se  refusait 
à  toute  nourriture  solide;  tous  les  essais  de  ce  genre 
étaient  suivis  de  vomissements. 

«  J'avais  cru  d'abord  que  mes  douleurs  étaient  rhuma- 
tismales, et  bien  des  frictions  me  furent  faites.  Le  siège 
du  mal  était  toujours  à  la  hanche  droite,  mais  il  n'y 
avait  à  l'extérieur  ni  enflure  ni  rougeur 

y^  J'étais  soigné  par  un  médecin  depuis  quinze  jours, 
sans  éprouver  un  soulagement  quelconque,  lorsque, 
le  2  janvier  au  soir,  je  cemmençai  une  neuvaine  à  Ja 


CHAPITRE   XX.  473 

vénérable  Mère  de  l'Incarnation.  Je  mis  de  côté  tous 
les  moyens  humains,  ne  voulant  pas  même  prendre  un 
calmant  qu'on  me  donnait  d'ordinaire  le  soir  pour 
engourdir  un  peu  mon  mal. 

»  Je  pris  donc  trois  gouttes  d'eau  du  tombeau  de  la 
Mère  de  l'Incarnation  et  fis  la  prière  :  Cest  par  le  Cœur  de 
mon  Jésus,  etc.  J'éprouvai  aussitôt  du  soulagement  et  je 
dormis  cette  nuit  même  pendant  plusieurs  heures. 
Cependant  je  continuai  de  souffrir  le  jour  suivant.  Une 
chose  néanmoins  frappait  tout  le  monde,  c'est  que,  du 
moment  que  l'on  priait  la  Mère  de  l'Incarnation,  mes 
crises  s'affaiblissaient.  Le  troisième  jour  de  la  neuvaine, 
toutes  mes  douleurs  s'étaient  graduellement  affaiblies;  et, 
le  neuvième,  j'allais  terminer  à  l'église,  par  la  sainte 
communion ,  les  prières  de  la  neuvaine ,  n'ayant  plus 
aucun  mal,  et  je  n'en  ai  plus  eu  depuis.  » 

Madame  Verret,  présente  à  la  déclaration  qni  pré- 
cède, dit  que  son  mari  était  tellement  affaibli  par  les 
souffrances,  la  perte  d'appétit  et  l'insomnie,  que  le 
moindre  bruit,  le  plus  léger  choc  lui  occasionnaient 
des  crises  redoublées,  qui  faisaient  de  lui  un  véritable 
martyr. 

M.  Joseph  Verret,  boulanger  à  Saint-Ambroise  de  la 
Jeune-Lorette,  à  trois  lieues  de  Québec,  est  âgé  de 
trente  ans. 

«  Je  soussigné,  prêtre,  curé  de  Saint-Ambroise  de  la 
Jeune-Lorette,  ayant  visité  deux  fois  le  dit  Joseph 
Verret  pendant  sa  maladie,  suis  positif  à  certifier  que 
le  témoignage  ci-dessus  est  en  tout  conforme  à  la  vérité. 

"\  Saint-Ambroise  de  la  Jeune-Lorette,  9  février  1868. 

»  François  Boucher,  prêtre,  curé.  « 


474  MARIE    DE    l'incarnation. 

Madame  François  Auchu,  de  Saint-Roch  de  Québec, 
venue  aujourd'hui  25  avril  à  notre  parloir,  nous  dit 
qu'elle  a  été  guérie  pendant  une  neuvaine  à  la  Mère 
Marie  de  rincarnation,  avec  application  de  l'eau  du 
tombeau,  d'un  mal  extraordinaire  qu'elle  éprouvait, 
depuis  quatre  ans,  dans  la  tête  et  dans  les  oreilles. 
Plusieurs  médecins  lui  avaient  donné  des  soins,  mais 
sans  améliorer  son  état.  Ayant  entendu  parler  de  l'eau 
miraculeuse,  elle  voulut  y  avoir  recours.  Dès  le  com- 
mencement de  sa  neuvaine  à  la  vénérable  Mère,  elle 
éprouva  un  soulagement  très-sensible;  puis  l'amélio- 
ration fit  de  tels  progrès,  qu'à  la  fin  de  cette  neuvaine 
toute  douleur  avait  disparu.  La  guérison,  qui  dure 
depuis  plusieurs  semaines,  lui  semble  si  certaine,  qu'elle 
ne  pense  pas  à  se  précautionner  contre  le  froid  ou 
l'humidité.  Auparavant,  elle  ne  pouvait  ni  sortir  ni 
s'occuper  du  soin  de  sa  maison. 


Guérison  de  Marguerite  Foley,  afî'ectée  de  surdité 
depuis  quatre  ans  et  demi,  30  avril  1868. 

Marguerite  Foley  était  dans  sa  quatorzième  année 
lorsqu'elle  fut  amenée  à  notre  externat  en  septem- 
bre 1867.  On  demandait  instamment  qu'elle  fût  pré- 
parée à  sa  première  communion,  sa  surdité  ayant  mis 
jusque-là  obstacle  à  son  instruction.  La  jeune  fille  fut 
acceptée  :  mais  plusieurs  maîtresses  ayant  inutilement 
essayé  de  se  faire  entendre,  même  en  la  prenant  dans 
une  chambre  à  part,  on  fit  dire  à  madame  Foley  que 
nous  ne  voyions  aucun  moyen  d'instruire  sa  fille,  et 
que  comme  elle  ne  gagnait  absolument  rien  à  suivre 
les  classes,  il  était  inutile  de  l'y  envoyer  plus  longtemps. 


CHAPITRE    XX.  475 

C'était  la  troisième  fois  qu'elle  sortait  d'une  école  pour 
la  même  cause.  Eu  dernier  lieu  elle  était  venue  des 
Sœurs  de  la  Charité  ici. 

Avant  le  carême  dernier  (1868),  comme  on  allait 
commencer  les  instructions  de  la  première  communion, 
quelques  élèves  parlèrent  de  Marguerite  Foley.  On  la 
fit  venir,  dans  l'espérance  que  son  état  se  serait  amé- 
lioré, mais  il  n'en  était  malheureusement  rien.  Comme 
elle  avait  appris  un  peu  à  lire  avant  sa  surdité,  elle 
avait  quelque  connaissance  de  la  lettre  du  catéchisme, 
et  c'était  tout. 

Cependant  l'époque  de  la  première  communion  appro- 
chait. Dans  l'embarras  où  l'on  se  trouvait  au  sujet  de 
cette  enfant,  une  des  maîtresses  proposa  une  neuvaine 
à  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Il  restait 
juste  neuf  jours  avant  la  première  communion,  qui, 
par  une  heureuse  coïncidence,  avait  lieu,  cette  année, 
le  30  avril,  jour  anniversaire  de  la  mort  de  nôtre 
sainte  Mère.  On  donna  à  l'enfant  un  peu  de  l'eau  mira- 
culeuse, lui  faisant  comprendre  qu'elle  s'en  mît  chaque 
jour  une  goutte  dans  les  oreilles. 

Toute  la  classe  commença  la  neuvaine  avec  beau- 

9 

coup  de  ferveur,  ainsi  que  la  petite  infirme.  On  la 
recommanda,  de  plus,  aux  prières  de  la  communauté 
et  du  pensionnat.  Ce  sera  à  coup  sûr  un  miracle,  dit-on 
de  toutes  parts,  si  la  pauvre  enfant  vient  à  entendre. 

Le  vendredi  24  avril,  devait  avoir  lieu  l'examen  des 
premières  communiantes.  Avant  de  s'y  rendre,  l'enfant 
se  jette  à  genoux  devant  une  image  de  notre  vénérable 
Mère,  que  nous  lui  avions  donnée,  et  prie  avec  .ferveur. 
Sa  pauvre  mère  était  triste;  elle  pensait  que,  cette 
année  encore  son  enfant  serait  privée  du  bonheur  de 
la  sainte  communion.  Elle  attendait  son  retour  avec 


476  MARIE    DE    l'incarnation. 

anxiété,  quand  elle  entend  monter  l'escalier  avec  rapi- 
dité, puis  voit  sa  fille  tenant  l'image  de  la  Mère  de 
l'Incarnation  et  la  baisant  avec  transport.  L'enfant  lui 
dit  qu'elle  a  entendu  tout  ce  qu'a  dit  le  prêtre  à  l'exa- 
men, et  qu'elle  espère  participer  au  divin  banquet! 

Le  lendemain,  grande  agitation  à  l'externat;  on 
entend  crier  de  tous  côtés  :  Miracle  !  Miracle  !  Les  élèves 
vont  tour  à  tour  adresser  la  parole  à  leur  compagne, 
pour  démontrer  à  leurs  maîtresses  qu'elle  est  bien 
réellement  guérie.  Déjà,  en  effet,  son  attitude  et  sa 
physionomie  étaient  tout  autres.  Elle  dit  que,  dès  le 
second  jour  de  la  neuvaine,  un  bourdonnement  qu'elle 
éprouvait  depuis  si  longtemps  dans  la  tête,  avait  cessé. 

Le  mercredi  suivant,  elle  se  confessa  au  confession- 
nal comme  ses  compagnes. 

Le  jeudi  30,  dernier  jour  de  la  neuvaine  et  jour  de 
la  première  communion,  plusieurs  religieuses,  celles 
surtout  qui  avaient  connu  la  petite  infirme,  se  rendi- 
rent à  l'externat,  et  toutes  constatèrent  une  parfaite 
guérison. 

Madame  Foley  assure  que,  depuis  quatre  ans  et 
demi,  elle  n'avait  pu  se  faire  comprendre  de  sa  fille 
autrement  que  par  signes.  Elle  ne  sait  à  quelle  cause 
attribuer  cette  infirmité.  Le  seul  fait  qu'elle  ait  remar- 
qué, c'est  que  l'enfant  s'étant  fait  percer  les  oreilles 
dans  l'automne  de  1863,  elle  y  eut  beaucoup  d'inflam- 
mation. Bientôt  après,  on  s'aperçut  qu'elle  perdait  l'ouïe 
rapidement.  Comme  elle  avait  continué  d'aller  à  l'école, 
on  pense  qu'elle  aura  pris  du  froid. 

Marguerite  ayant  été  porter  aux  Sœurs  de  Charité, 
dont  elle  avait  essayé  de  fréquenter  l'école,  une  copie 
du  témoignage  ci-dessus,  nous  reçûmes  en  réponse  la 
lettre  suivante,  à  la  date  du  22  mai  1868, 


CHAPITRE    XX.  477 

-  Ma  chère  et  vénérée  Mère, 

"  Je  suis  vraiment  heureuse  de  pouvoir  certifier  que 
Marguerite  Foley  était  très-sourde  lorsqu'elle  fut  admise 
à  nos  classes.  Je  la  reçus  plutôt  pour  faire  plaisir  à 
sa  pauvre  mère  affligée,  que  dans  aucun  espoir  de 
réussir  à  l'instruire  pour  sa  première  communion.  Peu 
de  jours  après,  la  sœur  à  qui  je  l'avais  confiée  vint  me 
dire  qu'elle  avait  essayé  en  vain  de  se  faire  comprendre. 
Je  fis  donc  venir  madame  Foley  et  lui  dis  qu'il  était 
inutile  d'envoyer  sa  fille  à  l'école. 

"  Ce  matin,  j'ai  amené  l'enfant  devant  la  sœur  qui 
avait  reconnu  sa  tâche  impossible,  et  tontes  deux  nous 
sommes  convaincues  du  miracle,  ce  qui  me  réjouit 
véritablement  le  cœur. 

"  Agréez,  ma  révérende  Mère,  etc. 

"  Sœur  Saint-bernard,  Sœur  de  la  Chanté.  » 


M.  Louis  Robin,  de  Saint-Roch  de  Québec,  âgé  de 
trente-huit  ans,  charpentier  de  navires,  ayant  reçu 
au  commencement  de  cette  année,  1868,  un  coup  de 
hache  à  la  tête,  se  trouva  dans  un  état  presque  déses- 
péré ;  le  médecin  jugeait  la  blessure  extrêmement  grave. 
Elle  se  cicatrisa  néanmoins,  mais  les  douleurs  de  tête 
et  la  débilité  continuèrent;  on  redoutait  l'aliénation 
mentale.  Une  neuvaine  à  la  vénérable  Mère  de  l'Incar- 
nation fut  commencée,  avec  application  de  l'eau  sur 
le  siège  du  mal.  Le  septième  jour,  le  malade  était 
extraordinairement  mal;  la  famille  n'en  pria  qu'avec 


478  MARIE    DE    l'incarnation. 

plus  de  confiance,  et  ce  ne  fut  pas  en  vain.  La  neu- 
vaine  finie,  le  malade  se  trouva  en  état  d'aller  commu- 
nier à  l'église.  On  remarqua  que  la  cavité  faite  par  le 
coup  s'effaçait,  cette  partie  du  crâne  revenant  à  sa 
forme  primitive.  Le  malade  se  trouvait  si  bien  rétabli, 
qu'il  ne  craignait  point  de  se  rendre  à  la  Pointe-aux- 
Trembles,  à  huit  lieues  de, Québec,  pour  reprendre  son 
travail. 

Au  mois  de  décembre  de  la  même  année,  environ 
cinq  mois  après  sa  guérison,  époque  des  dernières  nou- 
velles que  l'on  a  eues  de  lui  avant  de  clore  ce  récit, 
M.  Robin  n'avait  pas  interrompu  son  travail  par  un 
seul  jour  de  maladie. 


Dans  les  derniers  jours  de  mai  1868,  à  Saint-Ambroise 
de  la  Jeune-Lorette,  trois  lieues  de  Québec,  un  petit 
garçon  âgé  de  six  ans,  le  fils  de  M.  François  Garneau, 
souffrait  depuis  environ  un  an  d'un  grand  mal  d'yeux. 
Très-souvent  l'enfant  ne  voyait  pas  assez  pour  manger 
et  se  conduire.  Mademoiselle  Marie  Lagacé,  institutrice 
de  l'endroit,  ayant  proposé  une  neuvaine  à  notre  véné- 
rable Mère,  on  la  commença  avec  foi  et  confiance. 
Tous  les  enfants  de  l'école  y  prirent  part.  Une  goutte 
d'eau  du  tombeau  ayant  été  appliquée,  le  premier  jour, 
sur  les  yeux  de  l'enfant,  il  y  eut  un  soulagement  si- 
sensible  que  les  parents  en  furent  tout  surpris.  Le 
troisième  jour,  le  petit  malade  avait  les  yeux  dans  un 
état  parfait. 


28  décembre  1868.  M.  Charles  Dumontier,  venu 
aujourd'hui  à  notre  parloir,  a  certifié  les  détails  suivants 
touchant  la  guérison  de  son  enfant. 


CHAPITRE    XX.  479 

Emilie  Dumontier,  âgée  de  quatre  ans,  s'était  déplacé 
un  OS'  du  talon  droit  en  sautant  d'une  chaise.  Pendant 
quatre  mois,  elle  marcha  plus  ou  moins,  mais  toujours 
péniblement.  Au  commencement  de  novembre  1866, 
elle  fui  arrêtée  complètement.  Il  se  déclara,  au  côté  du 
talon,  une  plaie  qui  se  creusa  jusqu'à  laisser  voir  les 
os.  L'ouverture  en  était  de  la  grandeur  d'une  pièce  de 
trente  sous.  Du  sang,  des  matières  purulentes,  de  l'eau 
rousse  en  sortaient  avec  abondance.  L'enfant  était 
devenue  une  véritable  martyre  par  la  vivacité  de  ses 
souffrances. 

* 

La  famille  résidait  alors  à  Ottawa.  Cinq  médecins, 
appelés  en  consultation,  voulurent  faire  l'amputation 
du  pied  ;  mais  les  parents  ne  purent  y  consentir. 

Dans  l'automne  de  1867,  ils  vinrent  demeurer  à  Qué- 
bec; la  petite  malade  continua  à  souffrir  tout  l'hiver 
et  l'été  qui  suivirent.  Au  mois  d'août  1868,  elle  se  traî- 
nait encore  sur  ses  genoux.  Ce  fut  alors  seulement  que 
les  parents  ayant  appris  les  faveurs  obtenues  par  le 
recours  à  l'intercession  de  la  Mère  de  l'Incarnation, 
se  sentirent  pressés  de  lui  recommander  leur  enfant, 
et  demandèrent  de  l'eau  miraculeuse.  Une  première 
neuvaine  n'eut  aucun  résultat  sensible.  Une  seconde 
fut  recommencée  avec  un  redoublement  de  ferveur; 
on  faisait  la  prière  matin  et  soir,  avec  application  de 
l'eau  sur  la  plaie.  A  la  grande  joie  de  tous,  on  remarqua 
que  la  suppuration  avait  cessé.  Puis,  pendant  une 
troisième  neuvaine,  la  plaie  se  cicatrisa  entièrement,  et 
l'enfant  marcha.  La  cavité  qui  existe  encore  au  talon 
atteste  la  gravité  du  mal. 

Il  n'est  pas  inutile  de  dire  que,  dès  la  première  neu- 
vaine, on  avait  mis  de  côté  toute  espèce  d'onguents  et 
de  remèdes. 


480  MARIE   DE   l'incarnation. 

Ile  aux  Grues,  douze  lieues  de  Québec.  Célina  Pain- 
chaud,  âgée  d'environ  quatre  ans,  enfant  de  M.  Eugène 
Painchaud,  n'avait  pas  encore  marché,  et,  suivant 
l'opinion  du  médecin,  cette  débilité  des  jambes  devait 
être  longue,  ainsi  qu'il  en  avait  été  pour  sa  sœur  aînée. 
Pendant  une  neuvaine  à  la  vénérable  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  avec  application  de  l'eau  miraculeuse, 
l'enfant  commença  â  marcher;  elle  ne  tarda  pas  à  le 
faire  parfaitement  et  elle  a  toujours  continué  depuis. 

Ce  témoignage  rendu  en  septembre  1868,  plusieurs 
semaines  après  la  guérison,  a  été  confirmé  par  écrit 
au  mois  de  décembre  suivant. 


II  janvier  1869.  Joséphine  Trudel,  âgée  de  trois  ans 
et  demi,  enfant  de  M.  Antoine  Trudel,  de  Saint-Sau- 
veur à  Québec,  avait  des  humeurs  au  bras,  à  la  jambe 
et  surtout  au  pied  droit.  La  moitié  du  pied  était  dans 
un  état  pitoyable,  l'inflammation  s'étendant  à  la  jambe 
jusqu'au  genou.  Depuis  trois  semaines  l'enfant  n'avait 
pas  fermé  l'œil  par  suite  de  ses  grandes  et  continuelles 
souffrances.  La  plaie  était  de  mauvaise  apparence,  et 
le  mal  allait  toujours  croissant.  On  eut  alors  recours 
à  l'eau  miraculeuse.  Dès  la  première  application  qui 
en  fut  faite,  la  plaie  changea  d'aspect;  au  bout  de 
quelques  jours,  l'enfant  marchait.  Six  jours  après  la  fin 
de  la  neuvaine,  le  père  rendait  ce  témoignage  et  affir- 
mait que  l'enfant  était  très-bien. 


20  mars   1869.   Madame  veuve   Félix  Richard,  du 
faubourg  Saint- Louis  ^  Québec,  venue  au  parloir  des 


CHAPITRE    XX.  481 

Ursulines,  dit  que  sa  petite  fille  Alesima,  âgée  de  trois 
ans,  souffrait  beaucoup  d'un  mal  d'yeux,  lorsqu'on 
s'aperçut  qu'une  taie  traversait  perpendiculairement 
un  œil.  Les  remèdes  ayant  été  inutiles,  on  eut  recours 
à  l'eau  du  tombeau.  Dès  la  première  application,  l'en- 
fant éprouva  un  mieux  sensible;  les  douleurs  disparu- 
rent promptement,  et,  à  la  fin  de  la  neuvaine,  l'œil  était 
parfaitement  clair. 


29  mars  1869.  Madame  Joseph  Chamberland  dit  que 
son  mari  (journalier  au  faubourg  Saint-Jean  à  Québec) 
souffrait  depuis  huit  ans  au  moins  d'une  oppression 
et  d'une  toux  qui  le  mettait  souvent  hors  d'état  de 
vaquer  à  ses  travaux.  Depuis  un  an  il  était  beaucoup 
plus  mal.  Il  avait  dû  cesser  entièrement  son  travail; 
il  passait  des  nuits  cruelles,  toussait  sans  répit,  ce  qui 
le  réduisait  à  un  état  de  prostration  complète.  Il  en 
était  là,  au  commencement  de  février  dernier,  lorsqu'on 
eut  la  pensée  de  recourir  à  la  vénérable  Mère  Marie 
de  l'Incarnation,  en  faisant  usage  de  l'eau  miraculeuse. 
Le  premier  jour  de  la  neuvaine,  il  prit  une  goutte  de 
cette  eau  le  soir.  Il  dormit  paisiblement  toute  cette 
nuit,  et,  à  partir  de  ce  moment,  son  état  se  trouva  com- 
plètement changé.  Les  forces  lui  reviennent  et  il  a  pu 
reprendre  son  travail  qu'il  n'a  pas  discontinué  depuis. 
Il  est  âgé  de  quarante-cinq  ans. 


12  avril  1869.  Aujourd'hui,  madame  Jean  Brisson, 
demeurant  au  Foulon  à  Québec,  a  amené  au  parloir 
son  petit  garçon  Jacques,  âgé  de  onze  ans,  attribuant 

M.    DE    l'iNC.  '  31 


482  MARIE    DE    l'incarnation. 

à  la  Mère  de  l'Incarnation  son  retour  à  la  santé.  Sur 
la  fin  de  mai,  l'année  dernière,  cet  enfant  était  tombé 
d'un  quai.  A  la  suite  de  cet  accident,  il  éprouva  des 
étouffements  dont  les  remèdes  parurent  d'abord  le  sou- 
lager; mais  il  ne  fut  pas  guéri.  Loin  de  là,  les  jointures 
se  gonflèrent  par  tout  le  corps.  Aux  poignets,  aux 
chevilles  des  pieds  se  déclarèrent  des  plaies.  L'enfant 
souffrait  extraordinairement;  il  avait  entièrement  perdu 
l'appétit  et  maigrissait  à  vue  d'œil.  Un  médecin  très- 
habile  l'avait  déclaré  incurable.  Environ  un  mois  après 
l'accident,  sa  mère  ayant  entendu  parler  des  guérisons 
obtenues  par  la  Mère  de  l'Incarnation,  se  procura  de 
l'eau  miraculeuse  et  commença  une  neuvaine.  Dès  la 
première  application  de  l'eau,  les  douleurs  s'évanoui- 
rent, les  plaies  cessèrent  de  suppurer,  puis  elles  se 
cicatrisèrent  à  vue  d'œil.  L'appétit  était  revenu  ;  les 
forces  et  l'embonpoint  revinrent  également.  Enfin,  dit 
la  mère,  l'enfant  est  mieux  qu'il  n'était  auparavant. 

Les  cavités  et  les  cicatrices  qui  se  voient  aux  poi- 
gnets de  l'enfant  attestent  la  vérité  de  la  déposition 
ci-dessus. 


18  avril  1869.  Madame  J.-B.  Marois,  du  faubourg 
Saint-Jean  à  Québec,  déclare  qu'elle  attribue  entière- 
ment à  la  Mère  de  l'Incarnation  le  bon  état  de  sa  vue. 
Cette  dame,  qui  est  âgée  de  soixante  ans,  avait  toujours 
eu  la  vue  très-faible.  (Un  de  ses  frères  est  devenu  tout 
à  fait  aveugle,  il  y  a  plus  de  quinze  ans.)  Depuis  cinq 
ou  six  mois,  l'inflammation  était  devenue  extrêmement 
douloureuse,  et  la  malade  ne  pouvait  plus  s'occuper 
de  travail  manuel,  lorsqu'elle  eut  la  pensée  de  s'adresser 
à  la  vénérable  Mère.  Dès  la  première  application   de 


CHAPITRE    XX.  483 

l'eau,  elle  éprouva  un  soulagement  marqué.  Vers  le 
milieu  de  la  neuvaine,  elle  était  très-bien.  Cette  guéri- 
son  avait  eu  lieu  dans  l'été  de  1868,  vers  le  mois  de 
juillet.  Madame  Marois  a  toujours  été  bien  depuis.  Les 
accidents  qui  avaient  coutume  de  lui  affecter  la  vue, 
ne  l'incommodent  en  aucune  manière. 


29  avril  1869.  Aujourd'hui,  veille  de  l'anniversaire 
de  la  mort  de  notre  chère  et  sainte  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  nous  avons  appris  une  guérison  remar- 
quable, arrivée  à  Vaudreuil,  à  soixante-quinze  lieues 
de  Québec,  dans  les  premières  semaines  de  ce  même 
mois.  Cette  guérison  a  eu  lieu  dans  la  personne  de 
M.  Joseph-Guillaume  Meloche,  employé  au  télégraphe 
sûr  la  ligne  de  Montréal.  Il  y  avait  plus  de  dix  mois 
que  ce  jeune  homme  (il  est  âgé  de  vingt-quatre  ans) 
souffrait  d'un  mal  d'yeux  extraordinaire  dont  nul  remède 
n'avait  pu  le  soulager.  Il  ne  pouvait  vaquer  à  aucune 
occupation.  L'inflammation  était  parfois  excessive;  les 
yeux  étaient  dans  un  état  affreux.  Le  malade  avait 
été  soigné  par  un  oculiste  remarquable,  mais  sans 
résultat.  Il  avait  ainsi, dépensé  plus  de  cent  soixante 
piastres  (plus  de  huit  cents  francs),  lorsque  son  frère, 
M.  Antoine  Meloche,  qui  se  trouvait  à  Québec,  vint 
demander  de  l'eau  miraculeuse.  C'était  le  P^  avril. 
H  expédia  cette  eau  à  Montréal,  avec  les  prières  et 
une  image  de  la  sainte  Mère.  La  neuvaine  devait 
commencer  le  mardi  suivant.  Ce  même  jour,  M.  Antoine 
Meloche  recevait  une  lettre  qui  lui  annonçait  que  son 
frère  était  toujours  dans  un  plus  triste  état.  Il  lui 
répondit  en  l'encourageant  à  prendre  courage  et  à  faire 


484  MARIE    DE    l'incarnation. 

sa  neuvaine  avec  ferveur,  ajoutaut  qu'il  avait  confiance 
que  l'eau  sainte  aurait  plus  d'effet  que  les  moyens 
humains. 

Le  pauvre  jeune  homme,  qui  avait  épuisé  ses  épar- 
gnes pour  se  faire  traiter,  était  presque  découragé  à  la 
pensée  de  l'avenir  dont  il  était  menacé.  Mais,  ô  puis- 
sance de  la  foi  et  de  la  prière!  La  neuvaine  n'était  pas 
terminée,  que  le  malade  écrivait  à  son  frère  qu'il  était 
guéri. 

Ce  témoignage  a  été  rendu  par  M.  Antoine  Meloche. 
Il  venait  demander  de  nouveau  de  l'eau  du  tombeau 
pour  une  autre  personne  de  Montréal,  un  ami  de  son 
frère,  également  affligé  d'un  grand  mal  d'yeux  et  qui 
avait  conçu  une  vive  espérance,  par  suite  de  la  guérison 
obtenue. 


Témoignage  de  M.  le  docteur  M.-D.-S.  Martel,  tou- 
chant la  guérison  de  Benjamin  L...,  arrivée  à  Chambly 
en  mars  1869. 

Dans  le  cas  de  Benjamin  L...,  cas  de  hernie  ingui- 
nale étranglée,  médicalement  parlant,  le  patient  devait 
mourir. 

Appelé  une  première  fois,  je  pus  réduire  la  hernie, 
mais  cette  réduction  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Le 
soir  même,  la  hernie  s'étrangla  de  nouveau ,  et  le 
patient  fut  atteint  de  douleurs  plus  fortes  que  la  pre- 
mière fois.  Comme  il  faisait  une  véritable  tempête 
d'hiver,  accompagnée  d'un  froid  de  vingt-huit  à  trente 
degrés,  on  n'osa  pas  se  mettre  en  chemin  pour  venir 
me  chercher.  Le  patient  souffrit  toute  la  nuit  horri- 
blement. Vers  le  matin  seulement  les  douleurs  se 
calmèrent,  et  le  malade,  ignorant  sa  position  véritable, 


CHAPITRE    XX.  485 

s'écria  tout  joyeux  qu'il  était  guéri.  C'était  justement 
au  moment  oii  la  gangrène  commençait  son  travail  de 
destruction  et  où  la  mort  était  plus  prochaine. 

Malgré  cette  prétendue  guérison,  le  malade  changeait 
à  vue  d'œil,  et,  vers  les  neuf  heures  du  matin,  on  crut 
prudent  de  venir  chez  moi. 

Après  un  court  exposé  de  l'état  du  patient,  redoutant 
avec  trop  juste  raison  ce  mieux  subit,  je  partis  immé- 
diatement, me  dirigeant  en  toute  hâte  vers  sa  demeure. 
Le  malheureux  qui  n'avait  plus  conscience  de  sa' posi- 
tion, se  croyait  mieux,  mais  tous  les  symptômes  pré- 
curseurs de  la  mort  se  déroulèrent  en  un  instant  devant 
mes  yeux  :  le  malade  n'avait  plus  de  pouls,  sinon 
parfois  un  pouls  intermittent  ;  ses  yeux  étaient  hagards, 
sa  figure  inquiète  et  exaspérée,  sa  langue  sèche  et 
couverte  d'un  enduit  brun  foncé.  Il  y  avait  tympanite, 
vomissements  de  matières  fécales,  froideur  des  extré- 
mités, sueurs  froides  et  abondantes,  etc. 

Il  était  trop  tard  pour  tenter  une  opération,  le  débri- 
dement  de  la  hernie.  Néanmoins  je  passai  quatre  à 
cinq  heures  auprès  du  malade,  espérant  en  vain  quel- 
que changement.  Voyant  que  la  médecine  était  impuis- 
sante, je  fis  appeler  le  prêtre  et  lui  remis  mon  patient, 
lui  disant  que  tout  était  fini,  puis  je  m'acheminai  vers 
ma  demeure.  Ma  femme  me  demanda  aussitôt  des  nou- 
velles du  pauvre  Benjamin.  Je  lui  répondis  que  c'en  était 
fait,  qu'il  allait  mourir.  Ma  femme  me  proposa  alors  une 
neuvaine  en  l'honneur  de  la  vénérable  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  pour  obtenir  la  guérison  du  pauvre  mal- 
heureux. Je  m'y  associai  de  grand  cœur,  et  nous  la  . 
commençâmes  le' soir  même. 

Le  lendemain,  il  y  avait,  chez  le  malade,  une  ouver- 
ture dans  les  parois  de   l'abdomen   :  c'était  un  anus 


ISC)  MARIK    DE    l'incarnation. 

artificiel  qui  donnait  passage  à  des  matières  excré- 
mentielles abondantes.  Les  autres  symptômes  n'étaient 
point  changés  ;  le  vomissement  et  Je  hoquet  paraissaient 
l'exaspérer.  Le  troisième  jour,  il  y  avait  un  peu  de 
mieux;  le  quatrième,  l'anus  artificiel  avait  presque 
entièrement  disparu.  Il  y  eut  alors  disparition  des 
symptômes  alarmants.  Les  jours  suivants  le  mieux 
devient  de  plus  en  plus  sensible,  et  à  la  fin  de  la 
neuvaine,  mon  patient  était  en  parfaite  convalescence. 

C'était  au  mois  de  mars  1869;  et,  au  mois  de  mai 
suivant.  Benjamin  L...  travaillait  avec  son  père  à  faire 
les  semailles.  Depuis  ce  temps,  il  a  toujours  joui  d'une 
bonne  santé;  il  est  parfaitement  guéri  de  sa  hernie. 

Tel  ebt  le  résumé  du  cas  de  maladie  que  j'ai  eu  à 
traiter  moi-mê'me,  et  dont  j'attribue  la  guérison  à  la 
vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation. 

Chambly,  30  janvier  1871. 

M.-D.-S.  Martel,  docteur  en  médecine. 


9  mai  1873.  Aujourd'hui,  mademoiselle  Elisabeth- 
M"  Donald  a  confirmé  de  vive  voix,  comme  en  ayant 
été  témoin  oculaire,  la  guérison  de  madame  Duncan 
M*^  Rac,  arrivée  à  Saint-Raphaël,  comté  de  Glengarcy, 
Haut-Canada  (plus  de  cent  lieues  de  Québec)  au  prin- 
temps de  1869. 

Cette  dame,  âgée  d'environ  quarante  ans,  était  depuis 
longtemps  malade;  mais  les  trois  dernières  années,  elle 
avait  été  comme  clouée  à  son  lit  de  douleurs  par  une 
complication  de  maux,  dont  le  principal  était  la  maladie 
de  l'épine  dorsale.  La  pauvre  infirme  ne  pouvait  s'aider 


CHAPITRE    XX.  4SI 

en  rien  et  souffrait  extrêmement.  Elle  était  abandonnée 
des  médecins  et  avait  reçu  les  derniers  sacrements 
quand  on  écrivit  pour  demander  une  neuvaine  à  la 
vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  en  disant  qu'un 
miracle  seul  pouvait  la  sauver.  Bon  nombre  de  familles 
de  l'endroit  s'unirent  à  la  neuvaine  et  la  malade  fit 
usage  de  l'eau  du  tombeau.  La  grâce  sollicitée  fut 
complète.  A  partir  de  cette  neuvaine,  madame  Mac 
Rac  s'est  toujours  bien  portée,  assistant  régulièrement 
aux  offices  de  l'Eglise  et  vaquant  à  tous  les  travaux 
domestiques.  Le  village  entier  en  est  dans  l'admiration 
et  dit  hautement  que  Dieu  seul  a  pu  opérer  ce  prodige. 


7  janvier  1870.  Mademoiselle  Félicité  Motte,  venue 
à  notre  parloir,  dit  que  sa  petite  nièce,  Emma  Motte, 
âgée  de  douze  ans,  souffrait  depuis  un  an  d'un  mal 
extraordinaire  à  un  doigt;  le  médecin  n'avait  pu  y 
apporter  aucun  remède  efficace.  On  commença  une 
neuvaine  à  notre  vénérable  Mère,  avec  application 
de  l'eau.  Un  matin  durant  la  neuvaine,  l'enfant  se  lève 
en  criant  qu'elle  est  guérie,  et  elle  l'était  en  effet.  Cette 
guérison  a  eu  lieu  l'année  dernière  au  Cap-Santé  (douze 
lieues  de  Québec).  C'est  le  propre  père  de  l'enfant  qui  en 
a  donné  les  détails  à  mademoiselle  F.  Motte. 


10  janvier  1870.  Clément  Chaillé,  du  Cap-Santé, 
venu  à  notre  «rille,  déclare  que  sa  mère,  madame 
Urbain  Chaillé,  avec  qui  il  demeure,  et  qui  est  âgée 
de  soixante  treize  ans,  souffrait  depuis  plus  de  douze 


488  MARIE    DE    l'incarnation. 

ans  d'une  tumeur  au  nez  qu'aucun  remède  n'avait  pu 
guérir,  et  que  l'on  regardait  comme  dégénérée  en  chan- 
cre, quand,  vers  le  mois  d'août  1869,  on  commença  une 
neu vaine  avec  application  de  l'eau  du  tombeau.  Le  mal 
disparut  pendant  cette  neuvaine. 


10  mai  1870.  Aujourd'hui,  le  sieur  Thomas  Dooley, 
fermier  à  Sainte-Agathe  de  Lotbinière  (cinq  lieues  de 
Québec),  est  venu  témoigner  de  sa  guérison  et  remer- 
cier des  prières  faites  pour  lui.  Il  y  avait  six  ans  qu'il 
s'était  trouvé  atteint  d'un  rhumatisme  inflammatoire, 
et  aucun  traitement  n'avait  pu  le  guérir.  Il  avait  même 
pas?é  six  semaines  à  l'Hôtel-Dieu  de  Québec,  où  plu- 
sieurs médecins  habiles  l'avaient  soigné  sans  résultat. 
On  lui  conseilla  d'aller  séjourner  dans  le  Sud;  il  en 
revint  aussi  souffrant  et  aussi  incapable  de  travailler 
qu'auparavant.  Vers  le  milieu  du  mois  de  mars  dernier, 
il  commença  une  neuvaine  à  la  vénérable  Mère  Marie 
de  l'Incarnation,  avec  application  de  l'eau  miraculeuse. 
Il  sentit  presque  aussitôt  un  grand  soulagement  dans 
les  épaules  et  dans  les  bras.  Son  état  changea  tellement 
que  vers  la  fin  de  la  neuvaine  il  était  complètement 
guéri.  Il  a  fait  à  pied  un  long  chemin  pour  prendre 
ensuite  la  voiture  et  venir  rendre  compte  de  sa  guérison. 


9  mai  1873.  Mademoiselle  Hélène  Pelletier,  demeu- 
rant au  faubourg  Saint-Jean  à  Québec,«ayant  demandé 
de  l'eau  miraculeuse,  déclare  que  sa  sœur  Joséphine, 
âgée  de  onze  ans,  résidant  à  Sainte-Hélène  de  Kamou- 


CHAPITRE    XX.  489 

raka,  a  été  guérie  d'une  surdité  très-considérable  qui 
durait  depuis  deux  ans  et  à  laquelle  la  médecine  n'avait 
pu  remédier.  Depuis  la  neuvaine  faite  en  juillet  dernier 
à  la  vénérable  Mère  de  l'Incarnation,  la  jeune  fille 
entend  parfaitement. 


Ce  n'est  pas  seulement  dans  le  Nouveau-Monde  que 
la  vénérable  Mère  a  fait  sentir  son  crédit  auprès  de 
Dieu  :  partout  où  o^  l'a  invoquée,  elle  a  donné  des 
marques  de  sa  protection.  Nous  ne  citerons  que  quelques 
faits. 

La  supérieure  des  Ursulines  de  l'Arbresle  (Rhône) 
nous  écrivait,  le  20  septembre  1867  :  «  Je  ne  puis 
résister  au  désir  de  vous  faire  connaître  l'entière  et 
prompte  guérison  d'une  de  mes  religieuses,  qui  vient 
de  recouvrer  la  santé  par  l'entremise  de  la  vénérable 
Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Cette  chère  sœur  était 
atteinte,  depuis  plusieurs  années,  d'une  violente  douleur 
au^cœur  et  d'une  toux  opiniâtre,  qui  l'avaient  réduite 
à  un  tel  point  de  faiblesse  et  de  maigreur,  que  nous 
appréhendions  pour  ses  jours.  Elle  était  habituellement 
accablée  d'une  tristesse  et  d'un  abattement  qui  lui 
paraissaient  insurmontables.  Le  médecin  avait  peu 
d'espoir  et  les  remèdes  étaient  sans  effet.  Je  m'adressai 
alors  avec  confiance  à  notre  future  bienheureuse  :  le 
dimanche  de  la  sainte  Trinité,  je  commençai  en  son 
honneur  une  neuvaine  à  l'insu  de  la  malade.  Quelques 
heures  s'étaient  à  peine  écoulées,  que  nous  fûmes 
surprises  du  changement  qui  venait  de  s'opérer.  La 
malade,  sentant  diminuer  son  mal,  dit  à  l'infirmière 
qu'assurément  on  avait  prié  pour  elle.  Avant  la  fin  de 
la   neuvaine ,    les    souffrances    physiques   et    morales 


490  MARIE  dp:  I, incarnation, 

avaient  entièrement  disparu.  Aujourd'hui,  sa  santé  est 
parfaite.  » 

Ursulines  de  Mons  (Belgique),  27  mai  1869. 

«  C'est  pour  accomplir  une  promesse  faite  à  la 
vénérée  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  que  je  viens 
vous  faire  part  d'une  guérison  tout  à  fait  inattendue, 
que  cette  bonne  Mère  nous  a  obtenue  dans  le  mois 
d'août  dernier.  Notre  digne  et  bien-aimée  supérieure 
était  atteinte  d'une  inflammation  d'entrailles  tellement 
violente  qu'aucun  remède  ne  pouvait  y  apporter  de 
soulagement.  Le  mal  allait  toujours  en  augmentant; 
le  médecin  n'avait  plus  d'espoir,  lorsque  Dieu  inspira 
à  une  religieuse  de  la  communauté  l'heureuse  idée  de 
faire  avaler  à  la  malade  une  parcelle  d'une  lettre 
autographe  de  Marie  de  l'Incarnation,  ce  qu'elle  fit 
à  deux  reprises  diflérentes,  promettant  de  vous  faire 
connaître  la  guérison  si  elle  était  obtenue.  Dès  lors 
un  mieux  sensible  s'opéra  chez  la  malade,  qui,  malgré 
son  grand  âge  (soixante-dix-neuf  ans),  est  maintenant 
au  milieu  de  nous,  édifiant  la  communauté  par  ses 
exemples  de  vertus.  « 


Ursulines  de  Quimperlé  (Finistère),  16  mars  1870. 

«  Au  commencement  de  février,  une  de  nos  élèves, 
âgée  de  douze  ans,  fut  atteinte  d'un  rhumatisme  géné- 
rai; le  mal  augmenta  et  nous  donna  de  l'inquiétude 
pour  la  vie  de  cette  jeune  fille.  La  famille  ayant  été 
instruite  du  triste  état  de  Louise,  le  père  accourut 
promptement  laissant  sa  femme  malade  d'une  fluxion 
de  poitrine.  Son  affliction  était  extrême  :  il  était  me- 


CHAPITRE    XX.  491 

nacé  de  perdre  à  la  fois  et  sa  femme  et  son  unique 
enfant. 

y  Le  12  février,  nous  crûmes  qu'il  faudrait  adminis- 
trer notre  pauvre  petite;  mais  notre  révérende  Mère 
supérieure  eut  la  pensée  de  commencer  une  neuvaine 
à  notre  sainte  Mère  du  Canada.  Le  jour  même,  le  mieux 
se  fit  sentir;  la  malade  est  maintenant  rétablie;  elle  est 
allée  passer  quelque  temps  dans  la  famille  pour  achever 
de  se  remettre. 

»  Une  de  nos  grandes  élèves  avait,  depuis  quinze 
jours,  une  fièvre  muqueuse  sans  gravité;  vendredi,  son 
état  devint  plus  alarmant,  et  nous  avons  encore  eu 
recours  à  notre  Mère  de  l'Incarnation  au  moyen  d'une 
neuvaine.  Depuis,  les  vomissements  ont  complètement 
cessé  et  notre  chère _  malade  est  en  pleine  voie  de 
guérison.  »» 


Carhaix  (Finistère),  30  avril  1870. 

«  Notre  dévotion  pour  notre  vénérable  Mère  Marie 
de  l'Incarnation  s'accroît  de  toute  la  reconnaissance 
dont  nos  cœurs  sont  remplis  pour  les  faveurs  dont  elle 
ne  cesse  de  nous  combler.  Sans  parler  de  l'augmentation 
considérable  du  nombre  de  nos  enfants,  que  nous 
croyons  lui  devoir,  voici  un  fait  que  je  veux  vous  faire 
connaître  : 

»  Une  charmante  jeune  fille  de  quatorze  ans  fut 
atteinte,  dans  les  premiers  jours  de  ce  mois,  d'une 
maladie  qui  nous  inspirait  une  véritable  épouvante, 
à  cause  des  cris  que  lui  arrachaient  ses  cruelles  dou- 
leurs. Dans  le  jour,  on  voyait  des  religieuses  fuir,  les 
unes  d'un  côté  les  autres  de  l'autre,  pour  ne  pas  entendre 


49^  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

les  hurlements  de  la  pauvre  enfant;  mais,  la  nuit,  on 
ne  pouvait  les  éviter,  car  il  avait  fallu  transporter  la 
malade  à  l'infirmerie  des  religieuses.  Le  5  courant, 
je  dis  à  notre  chère  enfant,  en  lui  donnant  le  portrait 
de  notre  bien-aimée  Mère  Marie  de  l'Incarnation  : 
«  Recommandez- vous  à  cette  bonne  Mère,  nous  allons 
commencer  une  neuvaine  pour  vous  ce  soir.  —  A  la 
condition,  dit  la  malade,  que  je  sois  guérie  demain  matin 
à  six  heures.  Ah  !  je  ne  puis  plus  tant  souffrir!  —  Rési- 
gnez-vous, mon  enfant,  et  patientez  jusqu'à  la  fin  delà 
neuvaine,  si  telle  est  la  volonté  de  Dieu.  —  Non,  demain 
à  six  heures,  il  faut  que  je  sois  guérie.  »» 

y>  Nous  commençons  la  neuvaine  le  soir.  Pendant  la 
nuit  les  douleurs  furent  atroces.  A  partir  de  minuit, 
l'enfant  ne  cessa  de  crier  qu'elle  allait  mourir.  Nous 
étions  trois  religieuses  près  d'elle,  épuisant  toutes  les 
prières,  tous  les  raisonnements  pour  la  faire  consentir 
à  essayer  un  remède  :  «  J'aime  mieux  mourir,  répon- 
dait-elle. «  A  cinq  heures,  les  maîtresses  vinrent  la'  voir 
et  s'en  allèrent  avec  une  profonde  tristesse  dans  le 
cœur. 

y  Six  heures  sonnent  à  la  communauté  :  0  prodige! 
la  pauvre  petite  se  sent  guérie;  elle  fait  des  mouve- 
ments, sa  figure  change  d'expression,  ses  yeux  rede- 
viennent clairs  et  animés.  Elle  couvre  de  baisers  le 
portrait  de  la  Mère  Marie  l'Incarnation.  C'est  elle 
qui  m'a  guérie ,  répète-elle  à  toutes  les  personnes 
qui  entrent  dans  sa  chambre,  et  elle  montre  le  portrait 
avec  bonheur.  Elle  voulait  se  lever  à  l'instant  et  repren- 
dre les  exercices  de  ses  compagnes.  Quand  elle  vit 
entrer  le  docteur,  elle  lui  cria  de  loin  :  «  La  voyez-vous. 
Monsieur,  c'est  elle  qui  m'a  guérie,  et  juste  à  l'heure 
que  je  le  lui  avais  demandé!  » 


CHAPITRE    XX.  493 

Nous  terminerons  par  le  récit  d'une  guérison  obtenue 
aux  Ursulines  de  Blois,  le  2  avril  1873.  La  religieuse 
en  faveur  de  laquelle  elle  fut  opérée  se  trouvait  dans 
un  état  tel  que  l'on  attendait  sa  mort  à  bref  délai. 
Elle  n'avait  pas  prononcé  une  parole  à  voix  ordinaire 
depuis  seize  mois,  et  il  y  avait  six  ou  sept  semaines 
au  moins  que,  ne  pouvant  pas  même  se  faire  entendre 
à  voix  basse,  elle  se  confessait  par  écrit.  Sa  maigreur 
était  extrême;  elle  souffrait  continuellement  d'une  dou- 
leur au  côté,  outre  une  grosseur  sensible  et  douloureuse 
qu'elle  avait  à  la  gorge. 

Il  y  avait  bientôt  deux  mois  que  l'on  ne  faisait  plus 
aucun  remède ,  le  médecin  ayant  déclaré  que  tous 
seraient  inutiles,  lorsque  nous  proposâmes  de  faire 
une  neuvaine  à  la  Mère  Marie  de' l'Incarnation,  aux 
conditions  suivantes  :  P  que  la  malade  porterait  à  son 
cou,  pendant  toute  la  durée  de  la  neuvaine,  la  relique 
de  la  vénérable  Mère  ;  2°  que  si  elle  était  guérie,  elle 
ferait  son  portrait  à  l'huile  (Sœur  Saint-Dominique  est 
maîtresse  de  peinture  et  de  dessin),  et  que  ce  portrait 
serait  mis  dans  le  vestibule  du  tour  de  la  communauté. 
La  supérieure  dit  qu'elle  acceptait  ces  conditions  et 
sœur  Saint-Dominique  donna  son  assentiment  par  une 
inclination  de  tête. 

Voici  maintenant  comment  elle  raconte  elle-même 
sa  guérison  : 

«  Monastère  de  Saint-Ursule  de  Blois,  20  avril  1873. 

«  Le  4  décembre  1871,  à  la  suite  d'un  rhume  de 
poitrine,  je  perdis  complètement  la  voix;  j'étais  sujette 
à  ces  extinctions,  qui  revenaient  plusieurs  fois  chaque 
hiver  depuis  plus  de  dix  ans;  rien  donc  ne  semblait 


494  MARIK    DK    l'incarnation. 

d'abord  inquiétant.  Mais  j'éprouvai  bientôt  une  fatigue 
plus  grande  que  celle  qui  avait  jusqu'alors  accom- 
pagné ces  fréquentes  aphonies,  et,  durant  tout  le  mois 
de  décembre,  la  toux  fut  presque  continuelle  pendant 
la  nuit.  On  essaya  diverses  calmants,  qui  firent  céder 
la  toux,  mais  n'exercèrent  aucune  influence  sur  la  voix, 
et  dès  lors  j'éprouvai  tant  de  peine  à  parler,  que  j'eus  la 
crainte  d'être  tout  à  fait  privée  de  la  parole.  A  la  fin 
de  mars,  on  tenta  une  cautérisation,  qui,  dans  d'autres 
circonstances,  avait  réussi  à  ramener  la  voix  ;  cette 
fois,  ce  fut 'inutilement.  Les  injections  d'alun  dissous 
dans  de  l'eau  très-chaude  n'eurent  pas  plus  de  succès. 

»  On  espéra  que  des  douches  par  un  temps  très-froid 
rendraient  au  larynx  sa  sonorité;  il  n'en  fut  rien.  On 
dit  qu'il  fallait  attendre  la  saison  chaude,  et  je  suivis 
jusque-là  un  régime  fortifiant.  Les  chaleurs  venues 
n'apportèrent  aucun  changement.  Je  sentais  qu'au  con- 
traire mes  souffrances  augmentaient.  J'étais  facilement 
ojipressée,  et  l'appétit  me  faisait  complètement  défaut. 

«  Au  commencement  de  l'été,  on  avait  appliqué  suc- 
cessivement deux  vésicatoires  de  chaque  côté  du  larynx, 
et  déjà  on  craignait  pour  cet  organe  une  paralysie, 
laquelle  parut  inévitable  après  l'inutilité  des  vésicatoires. 

j»  Dans  le  courant  du  mois  d'aotitun  second  médecin 
désira  une  nouvelle  application  de  vésicatoires,  cou- 
vrant, cette  fois,  tout  le  devant  du  cou.  On  en  mit 
ainsi  deux  à  dix  jours  d'intervalle;  puis  il  fallut  s'ar- 
rêter à  cause  de  l'état  dans  lequel  me  mettait  ce  traite- 
ment, qui  produisait,  avec  la  fièvre,  un  accroissement 
de  faiblesse,  et  de  longues  insomnies.  Ce  fut  alors  que 
le  médecin  voulut  en  venir  à  un  traitement  plus  éner- 
gique, qui  lui  donnait  de  l'espérance,  mais  dont  l'in- 
succès serait  la  preuve  qu'il  n'y  avait  plus  à  compter 


CHAPITRE    XX.  495 

sur  le  retour  de  la  voix.  Eq  ce  cas,  les  ettorts  devraient 
se  borner  à  localiser  le  mal.  Il  appliqua  donc  deux 
cautères,  qu'il  fallut  entretenir  pendant  deux  mois, 
et  qui  n'amenèrent  aucun  soulagement.  Tous  ces  soins 
étaient  accompagnés  de  fumigations  de  goudron,  renou- 
velées trois  fois  chaque  jour  avec  d'autres  médicaments 
que  l'on  croyait  devoir  exercer  sur  l'organe  malade  une 
influence  salutaire.  Tout  fut  inutile,  et  je  sentais  que 
mon  état  empirait.  Parfois  c'était  à  peine  si  je  pouvais 
me  soutenir.  Il  me  semblait  impossible  qu'un  tel  état 
pût  durer  longtemps,  surtout  lorsqu'au  mois  de  janvier 
de  cette  année  je  ressentais  un  si  grand  épuisement  que 
je  dus  faire  usage  du  crayon  et  de  l'ardoise  pour  exprimer 
mes  pensées,  puis  me  confesser  uniquement  par  écrit. 
"  J'en  étais  là  lorsque  M.  notre  aumônier  proposa 
une  neu vaine  à  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Cette 
pensée  me  souriait  peu  ;  je  ne  me  sentais  aucune  dévo- 
tion spéciale  à  cette  sainte  religieuse.  Je  fis  donc  quel- 
ques difficultés;  mais  pourtant  je  m'unis  par  obéissance 
à  cette  neuvaine,  qui  commença  le  16  mars.  Peu  à  peu 
cependant  la  confiance  se  fît  sentir;  pensant  à  la  relique 
que  je  portais  sur  moi,  je  finis  par  être  persuadée  que 
la  sainte  TJrsuline  du  Canada  ferait  quelque  chose  en 
ma  faveur.  Puis  tout  espoir  s'évanouit  quand  je  vis 
que,  le  24  mars,  jour  de  la  clôture  de  la  neuvaine, 
le  seul  changement  opéré  était  une  augmentation  de 
souffrance  et  une  faiblesse  générale.  Du  reste,  j'avais 
tant  supplié  Notre-Seigceur,  tout  en  désirant  beaucoup 
ma  guérison,  de  ne  me  la  pas  accorder  s'il  prévoyait 
que  je  dusse  en  abuser  et  me  servir  de  ma  voix  pour 
l'offenser  tant  soit  peu,  que  je  me  regardais  désormais 
comme  certaine  de  la  volonté  de  Dieu  à  mon  égard. 
Je  crus  donc  qu'il  était  inutile  de  continuer  des  prières 


496  MARIE    DE    l'incarnation. 

auxquelles  Dieu  ne  refusait  de  se  rendre  que  par 
miséricorde. 

»  Cependant  notre  bonne  Mère  supérieure  et  M.  l'au- 
mônier étaient  résolus  d'insister  auprès  de  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  donné 
à  la  communauté  un  gage  certain  de  son  crédit  auprès 
de  Dieu;  et  le  lendemain,  25  mars,  on  commençait  une 
seconde  neuvaine.  On  priait  malgré  moi,  eu  quelque 
sorte,  et  si  je  m'unis  à  cette  seconde  neuvaine,  ce  fut 
uniquement  par  obéissance  et  par  un  sentiment  profond 
de  reconnaissance  pour  la  charité  dont  on  me  donnait 
tant.de  preuves.  Je  demeurais  d'ailleurs  convaincue 
que  nous  n'obtiendrions  rien,  et  je  ne  demandais  plus 
moi-même  au  bon  Dieu  que  de  faire  tourner  tant  de 
prières  au  profit  de  mon  âme. 

«  Telles  étaient  mes  dispositions  lorsque,  le  2  avril  à 
six  heures  du  matin,  commençant  à  prier,  je  voulus, 
ainsi  que  j'en  avais  l'habitude,  juger  de  l'état  de  ma 
pauvre  voix,  et  j'essayai  de  parler  en  faisant  sur  moi 
le  signe  de  la  croix.  Quelle  est  alors  ma  surprise  quand 
je  m'entends  articuler  hautement  les  mots  :  Au  nom  du! 
Ma  voix  s'éteignit  alors;  mais  je  fus  si  frappée  de  ces 
premiers  sons,  que  me  rappelant  seulement  alors  que 
ce  jour  était  le  dernier  de  la  seconde  neuvaine,  je  ne 
doutai  plus  que  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  se  fût 
occupée  de  moi.  Immédiatement  j'essaye  un  second 
signe  de  croix,  mais  cette  fois  avec  une  ferme  con- 
fiance :  Au  nom  du  Père  et  du  Fils.  Ce  fut  encore  tout  ce 
que  je  pus  dire.  Mais  ce  progrès  doublait  ma  confiance 
et  j'étais  convaincue  que  la  Sainte  Trinité  ferait  le 
reste.  En  eflet  je  fais  mon  signe  de  croix  tout  entier 
à  haute  voix  et  je  continue  ma  prière  sur  le  même  ton 
sans  faire  aucun  efTort  ni  éprouver  de  fatigue.  Je  com- 


CHAPITRE    XX.  ^  49Î 

pris  que  jetais  guérie,  et,  pleine  d'émotion,  je  baise 
à  genoux  la  relique  de  la  vénérable  Mère,  qui  se  ven- 
geait de  mon  peu  de  confiance  par  un  prodige  de  bonté. 

"  Depuis,  je  continue  à  parler  sans  fatigue.  Je  n'ai 
éprouvé  dans  cette  journée  de  ma  guérison,  qu'un  bour- 
donnement extraordinaire  dans  les  oreilles,  qui  ne  s'est 
reproduit  ensuite  que  le  dernier  jour  de  la  neuvaine 
d'action  de  grâces.  Je  sens  d'ailleurs  un  changement 
réel  dans  l'ensemble  de  ma  santé;  la  douleur  de  côté 
que  j'avais  habituellement  et  la  grosseur  à  la  gorge, 
qualifiée  par  le  médecin  de  gonflement  d'un  anneau  du 
larynx,  ont  entièrement  disparu.  Je  n'ai  plus  ressenti 
de  temps  en  temps  qu'une  légère  oppression,  que  j'at- 
tribue à  la  faiblesse  qui  m'est  restée,  quoique  incom- 
parablement moins  grande  qu'auparavant.  » 

Cette  déclaration,  écrite  trois  semaines  après  la  gué- 
rison, est  maintenue  dans  son  intégrité  au  moment 
d'être  mise  sous  presse,  21  juillet  1873. 


FAVEURS   DUN   AUTRE    GENRE. 

Quoiqu'il  ne  nous  soit  pas  permis  de  nommer  les  per- 
sonnes, ni  d'entrer  dans  des  détails  qui  les  feraient 
connaître,  nous  écrivait  la  révérende  Mère  supérieure 
des  Ursulines  de  Québec,  il  est  à  notre  connaissance, 
et  nous  pouvons  le  dire,  que  des  ménages  brouillés  ont 
été  ramenés  à  la  concorde  par  suite  de  prières  à  notre 
vénérable  Mère,  et  que  des  pécheurs  endurcis  ont  été 
réconciliés  avec  Dieu.  Bien  souvent,  nous  avons  entendu 
dire  à  ceux  qui  n'avaient  pas  obtenu  la  guérison  objet 
de  leurs  vœux,  que  la  vénérable  Mère  leur  avait  obtenu 
des  grâces  incomparablement  plus  précieuses. 


M.   D.  LINC. 


32 


498  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

Une  paroisse  allait  très-mal  au  point  de  vue  reli- 
gieux; une  institutrice  se  mit  en  devoir  d'y  établir 
la  dévotion  à  la  Mère  de  l'Incarnation,  répandant  dans 
les  deux  langues  (le  français  et  l'anglais)  les  prières 
aux  Cœurs  de  Jésus  et  de  Marie  dont  nous  avons  si 
souvent  parlé;  elle  demandait  à  la  sainte  Mère  de  guérir 
les  corps,  afin  de  pouvoir,  par  ce  moyen,  atteindre  et 
guérir  les  âmes.  Sa  prière  fut  exaucée  ;  quelques  guéri- 
sons  obtenues  ramenèrent  à  Dieu  des  familles  entières; 
des  protestants  même  furent  frappés  de  ce  qui  se 
passait  sous  leurs  yeux.  Le  missionnaire  qui  adminis- 
trait cette  localité  dit  publiquement  en  chaire  que 
depuis  que  la  dévotion  à  la  Mère  de  l'Incarnation  était 
entrée  dans  l'endroit,  il  s'y  était  fait  un  changement 
"admirable. 


Nous  connaissons  aussi  des  personnes  qui,  s'étant 
adressées  à  la  Mère  de  l'Incarnation  dans  de  grands 
embarras  d'affaires  temporelles,  ont  obtenu  des  résul- 
tats tels  que  l'on  est  comme  forcé  d'y  reconnaître  une 
intervention  céleste. 

Nous  savons  en  particulier  une  famille  dont  la  con- 
fiance en  cette  sainte  Mère  était  illimitée.  Avait-on 
besoin  d'argent,  fallait-il  négocier  quelque  acquisition 
importante?  on  en  référait  à  celle  qui  avait  su  traiter 
tant  d'affaires  épineuses  sans  jamais  porter  atteinte 
aux  grands  intérêts  de  son  âme.  Tout  était  remis  entre 
ses  mains;  c'était  la  Mère  de  l'Incarnation  qui  négo- 
ciait tout,  tantôt  avec  saint  Joseph,  tantôt  avec  la 
Sainte  Vierge,  tantôt  par  des  suffrages  offerts  pour  les 
âmes  du  purgatoire.  Quelques  personnes  qui  d'abord 
avaient  voulu  s'amuser  de  cette  confiance  naïve,  fini- 


CHAPITRE   XX.  499 

vent  par  la  partager,  en  voyant  les  heureux  fruits  qui 
en  résultaient. 

Nous  savons  encore  que  des  personnes  qui  portent 
l'image  ou  quelque  relique  de  la  sainte  Mère  ont  eu 
plusieurs  fois  lieu  de  s'en  féliciter.  Un  employé  d'une 
certaine  administration  avait  à  remplir  une  mission 
difiScile,  ceux  avec  qui  il  avait  à  traiter  ayant  juré 
sa  mort.  Il  se  munit  d'une  image  de  celle  en  qui  il 
met  sa  confiance,  sûr  qu'avec  cela  il  n'éprouvera  pas 
de  malheur.  Il  part  donc  avec  confiance;  mais  à  peine 
a-t-il  paru  qu'on  s'ameute  contre  lui;  il  est  renversé 
par  terre  et  horriblement  traité.  On  le  croyait  mort 
sous  les  coups.  Lui-même  dit  qu'il  lui  semblait  que 
chaque  coup  était  de  nature  à  lui  ôter  la  vie.  Cependant 
il  invoquait  toujours  sa  sainte  protectrice.  Enfin  ses 
agresseurs  le  laissent,  pensant  en  avoir  fini  avec 
lui.  Mais  grande  fut  ensuite  la  surprise  lorsque,  après 
qu'il  se  fut  un  peu  reposé,  on  le  vit  s'en  retourner  chez 
lui  en  aussi  bon  état  de  forces  et  de  santé  qu'avant  de 
recevoir  ces  affreux  traitements. 


Une  jeune  personne  qui  dirigeait  une  école  composée 
d'enfants  des  deux  sexes  se  trouvait  en  butte  à  des 
difiScultés  de  tout  genre;  elle  mettait  tout  entre  les 
mains  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  et  elle  s'en  trouvait 
bien.  Tracasseries  du  côté  des  parents,  mutineries  de 
la  part  des  grands  garçons  de  seize  à  dix-sept  ans, 
embarras  de  problèmes  qui  étaient  au-dessus  de  sa 
capacité,  tout  cela  arrivait  toujours  à  une  heureuse 
solution.  Elle  était  si  habituée  à  cette  bienveillante 
assistance,  qu'elle  s'y  reposait  entièrement.  Nous  n'en 


500  MARIK    DE    l'incarnation. 

citerons  qu'un  exemple.  Un  de  ses  grands  écoliers  lui 
demande  un  jour  la  solution  d'un  problème  d'arith- 
métique très-difficile.  Cette  solution  devait  être  donnée 
le  lendemain  matin.  Or,  la  pauvre  maîtresse,  qui  d'ail- 
leurs n'avait  qu'une  médiocre  aptitude  pour  l'arith- 
métique, n'avait  jamais  vu  les  règles  sur  lesquelles 
reposait  l'explication  qu'elle  avait  à  donner,  et  nulle 
ouverture  ne  se  faisait  à  ce  sujet  dans  son  esprit.  Elle 
a  recours  à  son  refuge  ordinaire;  elle  représente  à  la 
Mère  de  l'Incarnation  que  si  elle  ne  lui  vient  en  aide, 
elle  va  perdre  son  crédit  et  se  trouver  dans  l'impossi- 
bilité de  faire  autant  de  bien  à  ses  élèves.  11  s'agit  de 
son  œuvre,  de  l'éducation  des  enfants....  Là-dessus 
elle  prend  son  repos  comme  d'ordinaire,  sûre  que 
d'une  manière  ou  de  l'autre  la  difficulté  s'aplanira. 
Le  matin,  à  son  réveil,  par  quel  prodige?  elle  ne  le 
sait;  mais  le  problème  est  aussi  clairement  résolu  dans 
son  esprit  que  si  elle  le  voyait  chiffré  devant  elle. 
Prenant  une  ardoise  et  un  crayon,  elle  en  écrit  la 
formule  avec  autant  de  facilité  que  si  elle  eût  eu  sim- 
plement à  copier  une  solution  donnée  par  un  habile 
mathématicien. 


Bien  des  fois,  après  avoir  demandé  des  neuvaines 
à  la  sainte  Mère  pour  des  pécheurs  endurcis  qui,  même 
à  l'article  de  la  mort,  refusaient  de  revenir  à  Dieu, 
ou  pour  des  personnes  adonnées  au  vice  de  l'ivrognerie, 
on  est  venu  au  monastère  remercier  la  communauté, 
en  disant  que  la  conversion  avait  été  complète.  Parmi 
cos  miracles  dans  l'ordre  moral,  nous  en  citerons  un 
qui  a  eu  lieu  il  y  a  quelques  années,  et  dont  on  nous 
garantit  tous  les  détails. 


CHAPITRE    XX.  501 

Un  homme  de  bonne  condition  s'étant  irrité  contre 
une  de  ses  parentes,  protesta  qu'il  ne  mettrait  jamais 
le  pied  chez  elle.  Cependant  cette  parente,  qui  était 
veuve,  était  tombée  dans  la  plus  profonde  misère  et 
ne  savait  que  devenir.  Malade,  exténuée  et  privée  de 
toute  ressource,  elle  fut  recueillie  dans  un  hôpital.  Elle 
y  avait  été  cinq  mois  sans  que  son  parent  voulût  revenir 
de  ses  sentiments  d'aversion.  En  vain  les  Sœurs  de  la 
Charité  avaient-elles  essayé  de  le  fléchir;  il  répondait 
que  l'Evêque  même  ne  le  ferait  pas  changer  de  résolu- 
tion. Une  dame  charitable  ayant  été  voir  la  pauvre 
infortunée,  celle-ci  la  conjura  d'aller  elle-même  supplier 
son  parent  de  lui  permettre  au  moins  de  venir  mourir 
auprès  de  sa  mère  qui  demeurait  avec  lui.  Il  ne  pourra 
pas  vous  refuser,  ajouta-t-elle. 

Madame  L.  fit  la  démarche,  mais  elle  ne  fut  pas 
mieux  reçue  que  les  autres.  Elle  essuya  même  un  refus 
qui  était  plus  que  sec.  Alors  une  idée  la  frappa....  Elle 
va  soudain  au  monastère  des  Ursulines,  demande  de 
l'eau  du  tombeau  et  supplie  les  religieuses  de  com- 
mencer une  neuvaine.  Puis,  sans  perdre  de  temps  et 
malgré  la  fatigue  quelle  éprouve,  elle  retourne  à  l'hô- 
pital, donne  de  Veau  sainte  à  sa  malheureuse  amie  et 
lui  recommande  de  prier  avec  ferveur,  lui  disant  que 
la  sainte  Mère  l'exaucera  certainement. 

La  grâce  demandée  ne  se  fit  pas  attendre.  Dès  le 
lendemain,  M.  N.  inquiet,  troublé,  ordonne  d'aller 
chercher  la  malade  et  fait  donner  une  voiture  des  plus 
convenables  pour  la  transporter.  Il  lui  prodigua  tous 
les  soins  les  plus  affectueux  pendant  les  huit  jours 
qu'elle  vécut  encore.  Il  lui  fit  faire  à  ses  frais  un  enter- 
rement solennel,  et  il  adopta  ses  deux  enfants,  qu'il 
élève  comme  les  siens  propres. 


502  MARIE    DE    L  INCARNATION. 

«  Qui  aurait  pu  changer  ce  cœur  obstiné,  disait 
madame  L.  en  donnant  ces  détails,  sinon  la  puissante 
intercession  de  la  sainte  Mère  que  l'on  avait  invoquée?  » 


Au  mois  d'avril  1867,  nous  avions  engagé  toutes  les 
maisons  d'Ursulines  à  préparer  des  ressources  pour  les 
frais  de  la  future  béatification  de  la  vénérable  Mère; 
nous  proposions  de  demander,  dans  ce  but,  des  élèves 
de  plus.  Or  les  résultats  de  ce  simple  conseil  furent 
très -remarquables  partout  où  on  le  suivit.  Voici  quel- 
ques courtes  indications  à  ce  sujet. 

Ursulines  de  Hoogstraeten  (Belgique),  10  septem- 
1867.  «  Après  deux  neuvaines  faites  avec  intention 
de  consacrer  aux  frais  de  la  béatification  le  quart  de 
la  pension  des  élèves  Anglaises  ou  Allemandes  qui  nous 
seraient  procurées  par  la  vénérable  Mère,  on  nous  offrit 
deux  jeunes  Anglaises  catholiques.  « 

Cannobio  (Italie),  23  septembre  1867.  «  Commençant, 
il  y  a  peu  de  jours,  une  neuvaine  pour  remercier  le 
bon  Dieu  des  grâces  qu'il  a  faites  à  la  Mère  de  l'Incar- 
nation, je  lui  demandai  une  pensionnaire  et  une  maî- 
tresse des  classes  supérieures.  —  Le  troisième  jour 
de  la  neuvaine,  voilà  qu'on  me  présente  une  élève.  De 
plus,  nous  voyons  naître  l'espoir  d'avoir  une  maîtresse.  " 

22  novembre  suivant  :  «  Je  viens  vous  dire  avec  un 
cœur  rempli  de  la  plus  humble  et  de  la  plus  ardente 
reconnaissance,  que  notre  neuvaine  a  eu  son  entière 
efficacité.  Tlne  jeune  fille,  notre  ancienne  élève,  qui  a 
son  diplôme  au  degré  supérieur,  nous  pria  tout  à  coup 
de  vouloir  bien  l'accepter....  La  petite  nouvelle  élève 
est  maintenant  une  de  celles  auxquelles  elle  donne  des 
leçons,  w 


CHAPITRE    XX.  503 

Samt-Cyr-au-Mont-Dor  (Rhône),  14  septembre  1867. 
«  Le  noviciat  a  commencé  une  neuvaine  pour  avoir 
une  prétendante  :  le  cinquième  jour,  il  s'en  est  présenté 
une,  qui  entrera  le  dernier  jour  de  la  neuvaine.  » 

Uden  (Hollande),  26  octobre  1867.  «  Nous  étions 
convenues  que  si  la  vénérable  Mère  de  l'Incarnation 
nous  obtenait  pour  le  P""  octobre  une  rentrée  de  cin- 
quante élèves,  la  pension  de  la  cinquantième  serait 
pour  les  frais  de  la  béatification....  De  quarante-quatre 
élèves,  à  la  fin  de  l'année  scolaire,  une  dizaine  ne 
revenaient  pas,  de  sorte  qu'il  n'y  avait  guère  de  chance, 
humainement  parlant.  Et  pourtant,  la  semaine  d'avant 
la  rentrée,  on  demandait  place  pour  la  cinquantième.  « 

Chatam  (Haut-Canada),  13  avril.  1868.  «  Nous  avions 
fait  une  neuvaine  en  l'honneur  de  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  pour  qu'elle  nous  obtînt  vingt-cinq  pen- 
sionnaires pendant  toute  l'année  :  c'est  six  de  plus  que 
nous  n'en  avons  jamais  eu;  nous  avons  été  exaucées.  » 

Saluzzo  (Italie),  17  avril  1868.  «  Lisant  dans  votre 
circulaire  les  effets  de  la  protection  de  notre  vénérée 
Mère  Marie  de  l'Incarnation,  je  fis  cette  prière  ;  -  0 
vénérable  Mère,  si  vous  m'envoyez  une  élève,  je  vous 
donnerai  une  partie  de  sa  pension  pour  les  frais  de 
votre  béatification.  »  Or,  le  lendemain,  on  nous  présenta 
pour  pensionnaire  une  enfant  de  dix  ans.  " 

Vienne  (Autriche),  14  avril  1868.  «  Comme  les  évé- 
nements de  notre  malheureuse  patrie  diminuent  de 
plus  en  plus  le  nombre  de  nos  élèves,  nous  avons 
commencé  une  neuvaine  à  Marie  de  l'Incarnation;  et, 
dès  le  second  jour,  une  dame  accompagnée  de  quatre 
charmantes  petites  filles  nous  pria  de  les  recevoir  comme 
,  pensionnaires,  et  elle  a  été  heureuse  de  trouver  tant 
de  places  vides.  » 


504  MARIE   DE   l'incarnation. 

La  même  supérieure  nous  écrivait,  le  18  avril  1869.... 
«  Notre  chère  Mère  de  l'Incarnation,  à  la  suite  d'une 
autre  neuvaine,  nous  a  envoyé  plus  de  vingt  pension- 
naires et  demi- pensionnaires  à  la  fois.  " 

Ursulines  d'Evreux  (Eure),  5  mai  1869.  «  Une  famille 
de  Thiberville  à  laquelle  vous  avez  envoyé,  il  y  a  quel- 
ques mois,  le  portrait  de  la  vénérée  Mère  de  l'Incar- 
nation, croit  lui  devoir  la  santé  et  la  vie  d'une  de  ses 
enfants,  que  cinq  médecins  avaient  condamnée,  n'at- 
tendant plus  que  son  dernier  soupir.  Mais  ce  qu'il  y  a 
de  plus  heureux,  c'est  que  je  lui  avais  demandé  la  con- 
version du  père  de  cette  jeune  fille,  qui  depuis  trente 
ans  ne  s'était  pas  confessé.  Or,  gloire  à  Dieu  et  à  notre 
vénérable  Mère!  ce  cher  Monsieur  a  fait  ses  pâques 
et  a  communié  plusieurs  fois  depuis.  » 

Ces  derniers  faits  ne  peuvent  être,  pour  la  plupart, 
qualifiés  de  miracles,  il  est  vrai;  mais  quand  on  fait 
attention  à  leur  nombre,  ainsi  qu'à  la  coïncidence  qu'ils 
ont  eue  en  tant  de  lieux  différents  et  en  faveur  de 
personnes  qui  priaient  à  l'insu  les  unes  des  autres, 
il  n'est  pas  possible  de  les  regarder  comme  l'efïet  du 
hasard.  Un  hasard  pareil  serait  plus  étonnant  et  plus 
merveilleux  que  l'intervention  favorable  d'une  âme 
sainte  auprès  de  Dieu. 


Arrivé  à  l'accomplissement  de  notre  tâche,  nous  nous 
estimerons  heureux  si  ce  travail  n'est  pas  trop  indigne 
de  l'admirable  religieuse  à  laquelle  nous  avons  voué 
autant  de  vénération,  de  confiance  et  d'amour  qu'il  est 
permis  d'en  avoir  pour  les  personnages  auxquels  l'Eglise 
n'a  pas  encore  décerné  les  honneurs  des  autels.  Bien 
des  fois  nous  l'avons  invoquée,  en  jetant  les  yeux  sur 


V 


CHAPITRE    XX.  505 

sa  relique  placée  sur  notre  table  de  travail,  et  il  nous 
a  toujours  semblé  que  notre  prière  était  exaucée.  Puis- 
sent nos  lecteurs  partager  notre  conflance  en  la  protec- 
tion de  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation, 
Ursuline;  qu'ils  l'invoquent,  à  défaut  de  relique,  devant 
l'image  qui  est  au  frontispice  de  ce  volume,  et  nous 
espérons  que  leur  foi  sera  récompensée. 

On  ne  doit  pas  oublier  toutefois  que,  pour  obtenir 
la  protection  des  amis  de  Dieu,  il  ne  faut  pas  se  tenir 
trop  éloigné  des  dispositions  où  ils  étaient  pendant 
leur  vie  mortelle.  Certaines  personnes,  tout  en  se 
croyant  suffisamment  pénétrées  du  sentiment  chrétien, 
sont  peu  bienveillantes,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  à 
l'égard  des  communautés  :  ce  n'est  pas  le  moyen  d'ob- 
tenir la  protection  des  saints  religieux  et  religieuses, 
auxquels  l'Esprit  divin  lui-même  avait  donné  tant 
d'aniour  pour  leur  vocation  et  une  si  grande  estime 
pour  l'état  où  ils  se  sont  sanctifiés. 


Aux  pages  417  et  suivantes,  nous  avons  indiqué  un 
certain  nombre  d'homm^es  éminents  qui  à  foutes  les 
époques,  ont  rendu  hommage  aux  vertus  et  à  la  sainteté 
de  la  Mère  de  l'Incarnation  ;  mais  nous  n'avons  pas  tout 
recueilli.  L'on  a  bien  voulu  nous  en  signaler  plusieurs 
autres  que  nous  croyons  utile  de  faire  connaître , 
afin  de  prouver  que  la  mémoire  de  la  vénérable  Mère 
n'est  jamais  tombée  dans  un  complet  oubli,  même  hors 
du  Canada. 


I.  Dans  la  Relation  des  Missions  de  la  Nouvelle-France 
pour  1672,  le  R.  P.  Cl.  Dablon,  directeur  du  collège  de 


506  MARIE    DE    l'incarnation. 

Québec  et  supérieur  des  Missions,  dit  que,  «  cette  Révé- 
rende Mère  était  un  ouvrage  du  Saint-Esprit,  qui  s'est 
plu  en  cette  âme,  et  qui  a  pris  plaisir  de  l'enrichir 
des  dons  les  plus  exquis  de  ses  grâces...;  qu'elle  était 
d'une  sagesse  et  d'une  prudence  qui  ne  tenait  rien  de 
l'humain.  —  Au  moment  de  sa  mort  elle  assura  qu'elle 
offrait  continuellement  à  Dieu  le  peu  de  bien  qu'elle 
faisait,  ses  douleurs,  sa  vie  et  sa  mort  pour  la  conver- 
sion des  pauvres  sauvages...  Cette  âme  sainte  se  sépara 
sans  violence  de  sa  chère  communauté...  Elle  avait  les 
yeux  arrêtés  sur  la  volonté  de  Dieu,  qui  avait  toujours 
été  rol)jet  de  toutes  ses  délices,  et  son  paradis  en 
cette  vie.  » 


II.  Dans  la  Vie  de  la  servante  de  Dieu  par  son  fils,  on 
trouve  à  la  page  752  ce  témoignage  du  R.  P,  Lalemant, 
son  directeur,  et  ancien  supérieur  des  Missions  de  la 
Nouvelle-France  :  «  La  mémoire  de  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation  sera  à  jamais  en  bénédiction  en  ces  con- 
trées ;  et  pour  mon  particulier  j'ai  beaucoup  de  confiance 
en  ses  prières  :  et  j'espère  qu'elle  m'aidera  mieux  à  bien 
mourir  que  je  n'ai  fait  à  son  égard...  Je  me  suis  tou- 
jours contenté  d'être  l'observateur  des  ouvrages  du 
Saint-Esprit  en  elle,  sans  m'ingérer  d'aucune  chose,  de 
crainte  de  tout  arâter.  » 


III.  Le  savant  bénédictin  Dom  Martène  dit  à  la  page 
124  de  la  Vie  de  Dom  Cl.  Martin,  son  maître  et  son 
ami  :  «  L'an  1672,  la  vc'nérable  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation, première  supérieure  des  Ursulines  dans  la  Nou 
velle-France,  après  avoir  passé  trente-deux  ans  dans 


CHAPITRE    XX.  507 

le  siècle  en  des  pénitences  extraordinaires,  huit  ans  au 
monastère  des  Ursulines  de  Tours  dans  la  pratique 
d'une  très -exacte  observance,  et  trente -trois  ans  en 
Canada  dans  un  zèle  incroyable  pour  la  conversion  des 
sauvages,  mourut  à  Québec  en  odeur  de  sainteté  le 
trentième  d'avril.  » 


IV.  Camus,  que  Bossuet  appelle  «  un  de  n.os  plus 
célèbres  docteurs  ^  s'exprime  ainsi  dans  son  approbation 
des  Lettres  de  la  Mère  de  l'Incarnation  publiées  en  1681  : 
«  La  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation  s'est  acquis 
ce  privilège  d'immortalité  qui  est  le  partage  des  pré- 
destinés, non-seulement  par  sa  piété  extraordinaire  et 
ses  communications  avec  Dieu,  qui  ne  cesseront  jamais 
d'être  d'un  grand  exemple  et  d'une  édification  admirable 
pour  tout  son  Ordre;  mais  aussi  par  ses  maximes  très- 
évangéliques  et  très-chrétiennes.  » 

Nous  avons  reproduit  les  témoignages  de  Mgr  de 
Laval,  de  Bossuet,  de  Moréry,  du  P.  Charlevoix,  de 
M.  Eméry.  En  voici  d'autres  que  nous  avons  omis  : 


V.  Dans  la  Vie  du  R.  P.  Bernard,  prêtre  du  diocèse 
de  Paris,  par  le  R.  P.  Lempereur,  on  lit  à  la  page  141  : 
«  La  Vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  supérieure 
des  Ursulines  du  Canada,  cette  fille  d'une  sainteté  si 
solide  et  si  sublime.  » 


VI.   VEssai  historique  sur  l'influence  de  la  Religion  en 
France  pendant  le  XVI?  siècle,  tome  2,   page   149,  dit  • 


508  MARIK    DE    l'incarnation. 

<*  La  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  Ursuline,  vint  dans 
le  Canada  avec  madame  de  la  Peltrie,  pour  se  livrer 
à  l'instruction  des  jeunes  filles,  tant  parmi  les  Français 
que  parmi  les  sauvages...  Elle  rebâtit  le  couvent,  qui 
avait  été  consumé  par  un  incendie,  et  fut  un  modèle 
de  courage  dans  les  traverses,  de  patience  dans  les 
infirmités,  et  de  zèle  pour  faire  connaître  la  religion 
parmi  les  sauvages.*..  Ses  écrits  donnent  une  haute  idée 
des  progrès  que  la  Mère  de  l'Incarnation  avait  faits 
dans  l'amour  de  la  perfection  et  des  croix...  Cette  sainte 
femme  mourut  à  Québec  le  30  avril  1672  en  grande 
réputation  de  piété. 

VII.  Dans  le  livre  intitulé  :  Instructions  .  .  .  .  '  . 
Sacré  Cœur  de  Jésus,  publié  à  Paris  en  1765,  il  est  dit 
à  la  page  26  que  la  vénérable  Mère  Marie  de  l'Incarna- 
tion, fondatrice  des  Ursulines  du  Canada,  avait  une 
dévotion  extraordinaire  pour  le  Cœur  de  Jésus-Christ, 
dans  un  temps  où  cette  dévotion  était  encore  inconnue. 
L'auteur  ajoute  :  «Elle  n'en  paraît  rien  avoir  appris 
des  hommes  ;  c'est  de  Dieu  même  qu'elle  l'apprit  dans 
une  révélation  céleste.  » 


VIII.  Feller  dans  son  Dictionnaire  historique,  publié  en 
1781,  dit  que  "  les  écrits  de  cette  religieuse  respirent 
cette  onction  sublime  qu'on  ne  trouve  que  dans  les 
saints.  » 


IX.  Le  Dictionnaire  historique  de  l'abbé  Ladvocat  (édit. 
de^  1799)  la  qualifie  de  célèbre,  et  cite  avec  éloge  les 
ouvrages  qu'elle  a  composés. 


CHAPITRE    XX.  509 

X.  Dans  le  livre  intitulé  :  Le  bonheur  des  Maisons  Reli- 
gieuses, Paris  1842,  par  M.  l'abbé  Sarason,  l'auteur 
appelle  Bienheureuse  la  Mère  de  l'Incarnation,  fondatrice 
des  Ursulines  de  Québec,  et  dit  que  «  comme  on  a  vu 
à  l'égard  de  quelques  saints  dans  les  derniers  siècles, 
Dieu  a  voulu  la  conduire  par  la  voie  des  austérités  les 
plus  accablantes  pour  la  nature.  » 


XI  François  Pérennès,  dans  son  Dictionnaire  de  biogra- 
phie chrétienne,  (édition  Migne),  et  l'auteur  du  Dictionnaire 
d'ascétisme,  également  publié  par  Migne,  parlent  de  notre 
vénérable  Mère  avec  éloge  et  répètent  les  paroles  de 
Feller  au  sujet  de  ses  écrits. 

Mais  c'est  surtout  au  Canada  que  s'est  conservée  la 
mémoire  de  cette  admirable  et  sainte  religieuse  :  là  son 
souvenir  est  toujours  resté  vivant  dans  les  familles. 
Tous  les  hommes  sérieux  qui  ont  étudié  les  origines  de 
leur  pays  ont  été  frappés  de  cette  figure  resplendissante, 
de  cette  femme  tout  à  la  fois  sainte,  active  et  énergique, 
mais  exerçant  bien  plus  d'influence  par  sa  sainteté  que 
cent  autres  n'auraient  pu  faire  par  le  génie.  En  même 
temps  un  grand  nombre  de  mères  chrétiennes  et  pieuses 
n'ont  cessé  de  communiquer  à  leurs  enfants  et  à  leurs 
domestiques  les  sentiments  de  respect,  de  vénération 
et  de  confiance  qu'elles  avaient  puisés  dans  leur  éduca- 
tion, pour  celle  que  la  voix  populaire  nomme  la  sainte 
du  Canada. 


.-JÏ*iO«-- 


510  MARIK    DE    L'INCARNATION. 


DEUX  PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 


3Ϋ<0 


Nous  avons  dit  que  Mgr  Baillargeon,  Archevêque 
de  Québec,  avait  envoyé  à  Rome  des  informations 
canoniques  prises  dans  le  but  d'obtenir  la  béatification 
de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  et  qu'il  avait  obtenu 
du  Saint-Père  la  dispense  des  dix  ans  d'attente  que 
demandent  les  règles  établies  par  le  Saint-Siège.  Voici 
la  lettre  du  Concile  de  la  province  de  Québec,  sollicitant 
cette  dispense.  , 

«  Très-saint  Père, 

»  Il  y  a  déjà  près  de  deux  siècles  qu'est  morte  dans 
le  Seigneur  Marie  Guyard,  appelée  en  religion  Marie 
de  rincarnation,  première  supérieure  et  fondatrice  du 
monastère  des  Ursulines  de  Québec.  L'histoire  et  une 
tradition  constante  nous  attestent  combien  elle  a  été 
remarquable  par  la  pratique  des  vertus  théologiques 
et  l'observance  de  la  vie  religieuse.  On  montre  encore 
l'arbre  au  pied  duquel  elle  s'asseyait  pour  enseigner 
les  premiers  éléments  de  la  foi  aux  petites  filles  sau-, 
vages;  et  parmi  ces  tribus  errantes  qui  restent  encore, 
on  conserve  le  souvenir  de  cette  tendre  mère,  de  cette 
première  religieuse  du  Canada,  qui  jadis  vint  montrer 


DEUX    PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  511 

aux  femmes  de  ce  pays,  alors  assis  dans  les  ténèbres 
et  à  l'ombre  de  la  mort,  un  modèle  si  distingué  de  la 
vie  religieuse. 

«  La  renommée  de  sa  sainteté  et  de  ses  miracles, 
loin  de  s'affaiblir  avec  les  années,  augmente  au  con- 
traire de  jour  en  jour,  surtout  depuis  qu'un  grand 
nombre  de  personnes  ne  cessent  de  proclamer  qu'elles 
ont  obtenu,  par  son  intercession,  d'insignes  bienfaits 
dans  l'ordre  temporel  ou  dans  l'ordre  spirituel. 

»  L'ordinaire  de  cette  ville,  vers  le  commencement 
de  cette  année,  a  fait  préparer  un  procès  en  forme  au 
sujet  de  ces  miracles,  et  une  copie  de  ce  procès,  authen- 
tique et  scellée,  a  été  portée  à  Rome,  il  n'y  a  que 
quelques  semaines,  et  remise  au  secrétaire  de  la  Sacrée 
Congrégation  des  Rites  par  un  prêtre  délégué  spéciale- 
ment pour  cette  fin. 

«  Nous  savons ,  très-saint  Père ,  que  le  Saint-Siège 
a  réglé  dans  son  extrême  sagesse  que  les  procès  de 
cette  sorte  ne  doivent  s'ouvrir  qu'au  bout  de  dix  ans, 
et  que  pendant  ce  temps  l'on  ne  peut  rien  faire  pour 
la  béatification  et  la  canonisation  de  notre  vénérée 
Mère,  que  nous  espérons  et  que  nous  appelons  de  tous 
nos  vœux.  Aujourd'hui  cependant,  réunis  en  Concile 
provincial,  et  tournés  avec  une  très-grande  confiance 
vers  Votre  Sainteté,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher 
de  vous  dire  avec  quelle  ardeur  nous  désirons,  nous, 
nos  diocésains,  et  toutes  les  Ursulines  répandues  dans 
le  monde  catholique,  de  pouvoir  invoquer  bientôt 
publiquement  et  solennement  celle  dont  nous  implo- 
rons souvent  déjà  le  secours  privément,  mais  avec 
tant  d'efficacité.  Ce  désir,  puisqu'il  tourne  entièrement 
à  la  gloire  de  Dieu,  qui  se  montre  si  admirable  dans 
ses  saints,   permettez- nous  de  vous  l'exposer  avec  le 


512  MARIK    DE    l'incarnation. 

plus    profond    respect,    nous    qui    sonames    de    Votre 
Sainteté  les  fils  soumis  et  dévoués. 

>»  f  C.-F.,  Archevêque  de  Québec. 

r>  f  Ig.,  Evêque  de  Montréal. 

y>  f  Jos.  Eugène,  Evêque  d'Ottawa. 

r>  f  Vital  G.,  Evêque  de  Satala,  Coadjuteur  et 

Procureur  de  l'Evêque  de  Saint -Boni  face. 
y>  f  L.-F.,   Evêque  d'Anthéodon,  Coadjuteur  et 

Procureur  de  l'Evêque  des  Trois -Rivières. 
">  f  E.-G.,  Evêque  de  Kingston. 
y>  \  Jean-Joseph,  Evêque  de  Toronto. 
»  f  C,  Evêque  de  Saint -Hyacinthe. 
r>  \  Jean,  Evêque  de  S.  G.  de  Rimouski. 
y>  f  Jean,  Evêque  de  Sandwich.  y> 

Cette  lettre,  dont  nous  n'avons  pas  la  date  précise, 
fut  écrite  et  envoyée  à  Sa  Sainteté  au  mois  de  mai  1868, 
époque  oii  se  tint  le  Concile  de  la  province  de  Québec. 
Or,  dix-huit  mois  plus  tard,  Mgr  Baillargeon  étant  à 
Rome,  où  il  s'était  rendu  pour  le  Concile  du  Vatican, 
écrivait  dans  les  termes  suivants  à  la  supérieure  des 
Ursulines  de  Québec  : 

«  Rome,  25  novembre  1869. 

y^  Je  me  suis  empressé  d'aller  saluer  de  votre  part 
vos  révérendes  Soeurs  d'e  Rome,  dès  mon  arrivée.... 

y>  Ces  bonnes  Mères  m'ont  paru  fort  zélées  pour 
l'avancement  de  la  cause  de  la  canonisation  de  votre 
vénérable  fondatrice,  la  Mère  de  l'Incarnation,  i^lles 
se  sont  empressées  de  faire  avertir  de  mon  arrivée 
Mgr  Persichelli,  votre  postulateur.  Celui-ci  est  venu 
me  voir  hier,  accompagné  de  l'abbé  Taddei,  chanoine 


DEUX    PIÈCES    JUSTIFICATIVES.  513 

de  l'église  de  Saint-Marie  in  via  lata,  qui  s'est  chargé 
de  défendre  la  cause. 

"  Le  signer  Persichelli  nous  a  appris  qu'il  avait  eu 
plein  succès  auprès  du  président  de  la  Congrégation 
des  Rites,  le  Cardinal  Patrizzi,"  qui  a  bien  voulu  se 
charger  d'être  le  Rapporteur  de  la  cause,  et  que  le 
procès-verbal  de  l'enquête  faite  à  Québec  allait  bientôt 
être  ouvert;  c'est-à-dire  que  la  cause  entrera  bientôt 
en  cour  de  Rome.  Ce  sera  un  grand  pas  de  fait.... 

«  Maintenant,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  assurer 
que  je  pense  à  vous,  et  que  je  prie  pour  vous  et  pour 
votre  communauté  tous  les  jours,  comptant  avec  con- 
fiance sur  vos  prières,  dont  j'ai  grand  besoin  je  vous 
assure,  et  vous  bénissant  de  tout  mon  cœur. 

y»  Et  je  demeure  en  toute  affection  dans  le  Cœur  de 
Notre-Seigneur, 

»  Votre  tout  dévoué  serviteur, 

»  C.  F.,  Archevêque  de  Québec.  « 

«  Samedi  27.  Les  sceaux  du  procès-verbal  de  notre 
enquête  sur  la  réputation  de  sainteté  de  votre  Mère  de 
l'Incarnation,  ont  été  levés  hier.  Le  cardinal  Patrizzi, 
rapporteur,  va  être  approuvé  par  le  Saint-Père  dans 
l'audience  de  demain,  et  la  cause  entrée  en  cour  de 
Rome  va  marcher. 

»  C.  F.,  Archevêque  de  Québec.  « 


Voilà  oii  en  était  cette  importante  affaire  à  la  fin  de 
l'année  1869.  Mais  le  postulateur  et  l'avocat  de  la  cause 
ayant  remarqué,    dans   les   procès-verbaux,   quelques 

33 


M.    D.   LINC. 


514  DEUX    PIÈCES   JUSTIFICATIVES 

irrégularités  qui  pouvaient  nuire  au  succès,  prièrent 
le  vénérable  Archevêque  de  vouloir  bien  charger  la 
commission  de  rectifier  ce  qui  demandait  à  l'être.  Ce 
fut  une  cause  de  retard.  La  mort  de  Mgr  Baillargeon, 
qui  arriva  peu  après,  occasionna  de  nouvelles  compli- 
cations et  de  nouveaux  embarras. 

Enfin  Mgr  Taschereau,  le  vénérable  successeur  de 
Mgr  Baillargeon,  a  réorganisé  la  commission,  dont  le 
travail,  il  faut  l'espérer,  ne  laissera  rien  à  désirer. 


— o-oj^o»- 


ADDITIONS 

Publiées  à  Q,uébec  sous  la  surveillance  de  l'Aumônier 
des  Religieuses  Ursulines. 

1°  Témoignage  du  vénérable  M.  Emery,   Supérieur  du  Séminaire  de  St. 
Sulpice  à  Paris. 

Il  écrivait  en  1800  à  Mgr.  J.  0.  Plessis,  évêque  de  Québec:  "  J'ai 
beaucoup  de  vénération  pour  les  Ursulines  de  Québec,  qui,  sans  doute, 
ont  hérité  des  vertus  éniinentes  de  la  Vénérable  Mère  Marie  de  l'Incar- 
nation. C'est  une  sainte  que  je  vénère  bien  sincèrement  et  que  je  mets 
dans  mon  estime  à  côté  de  Ste.  Thérèse.  Dans  ma  dernière  retraite, 
sa  vie,  ses  lettres  et  ses  méditations  ont  seules  fourni  la  matière  de 
mon  oraison  et  de  mes  lectures.  " 

2°  Liste  des  Elèves  de  la  V.  M.  Marie  de  l'Incarnation  ou  des  religieuses 
formées  par  elle,  de  1639  à  1700, — Leurs  alliances. 

Le  —  signifie  épousa,  =  en  secondes  noces,  +  en  troisièmes  noces. 

Mlles.  M.  E.  Nicolet,  —  J.  LeBlanc,  =  Elle  DuSault. 

"  Elizabeth  Couillard,  —  J.  Guyon  du  Buisson. 

"  Margt.  Couillard,  —  J.  Nicolet,  =:  Nie.  Macart. 

"  Marie  Olivier.     Jeanne  Porchet.     Marie  M.  Badot. 

"  Marie  Marsolet,  —  Math.  Damoui's  des  Chaufours. 

"  Marie  Couillard,  — M.  Frs.  Bissot,  =  J.  G.  de  Lalande. 

"  Marie  LeGardeur  de  Repentigny,  — J.  P.  Godfroy  de  Linctot. 

"  M.  Cath.  Le  Gardeur  de  Repentigny,  —  C.  Daillebout  des  Musseaux. 

"  Marie  Le  Neuf  de  la  Poterie,  — Robiueau,  baron  de  Bécancour. 

"  Margte.  Le  Gardeur  du  Tilly,  —  J.  Le  Neuf  de  la  Poterie,  L.  G. 

"  Gen.  Jnchereau  de  More, —  Ch.  Le  Gardeur  du  Tilly. 

''  Marie  Bourdon,  Rel.  Hosp.,  Mère  Marie  Térèse  de  Jésus. 

'^  Margte.    Bourdon,   M.  St.    J.    Baptiste;    une    des   fondatrices  de 

l' Hôpital-Général  de  Québec. 

"  Gen.  Bourdon,  R.  U.,  M.  St.  Joseph. 

*'  Anne  Bourdon,  R.  U.,  M.  Ste.  Agnès:  filles  de  M.  Bourdon,  P.  Gén. 

"  Marie  M.  Hayot,  —  Michel  Robert,  =  Jean  l'Archevêque. 

"  Jeanne  Crevier,  —  Pierre  Boucher,  Gouv.  des  Trois-Riviêres. 

*'  Marie  M.  de  Chavigny,  —  Jean  Lemoine. 

"  Gen.  de  Chavigny,  —  Charles  Araiot,  =  J.  B.  Couillard,  Proc.  Royal. 

"  Margte.  de  Chavigny,  — J.  Douaire  de  Bondy,  =  Jac.  Alexis  Fleury 

de  la  Gorgendière. 

"  Gen.  Hayot,  —  Claude  Dorval,  Chirurgien. 

"  Louise  Marsolet,  —  Jean  Le  Mire. 

^'  Marie  M.  Marsolet,  —  François  Guyon  du  Buisson. 


Mlles.  Simonne  Côté,  —  Pierre  Soumande. 

"  Marie  Séve.stre,  —  M.  Jean  Loyer,  =  M.  Louis  de  Niort,  Sieur  de  la 

Noraye. 

''  Agnès  Morin,  —  Nie.  Gaudry,  =  Ig.  Beaupré. 

"  Louiçie  Racine,  —  Simon  Guyon  du  Buisson. 

"  Gen.  Marsolet,  —  Michel  Guyon  du  Buisson. 

"  Françoise  Hébert,  —  Gnill.  Fournier. 

"  Marie  M.  Martin,  —  Nie.  Froget,  =  J.  B.  Fonteneau. 

"  Caih.  Primot,  —  Cliarles  Lemoine  de  Longueuil. 

"  Louise  Morin,  —  Charles  Cloutier. 

"  Marie  Morin,  —  G.  Rageot,  Not.  Royal. 

"  Françoise  Denis,  —  J.  Cailleteau,  =  Michel  Le  Neuf  de  la  Poterie. 

"  Cath.  Denis,  —  P.  Dupeiras  de  Santerre. 

*'  Marguerite  Denis,  —  Michel  Cressé. 

"  Barbe  Denis, — Ant.   Pécody  de  Contrecœur,  Capt.  Regt.  Car.  = 

Louis  de  Gannes-Falaise,  Officier  des  troupes. 

"  Françoise  Peltier,  —  J.  Bériau,  =  S.  Liéuard. 

"  Jeanne  Peltier,  —  N.  Jérémie. 

"  Cath.  Boutet  de  St.  Martin,  —  Charles  Philippeau,  =  Jean  Soulard. 

"  Ursule  Proust,  fille  adoptive  de  Mme.  de  la  Peltrie.  Louise  Poisson. 

"  Margte.  Boissel,  —  Et.  Bouchard,  chir.  à  Montréal,  =  Julien  Joyan. 

"  Charlotte  Denis,  —  P.  Dubrahé. 

"  Marie  Morin,  Rel.  Hosp.  à  Montréal. 

"  Marie  Chartier,  Marie  Dodier,  Jacqueline  Maheu. 

"  Gen.  Peltier,  —  Vincent  Verdon,  =  Ths.  Lefêbvre. 

"  M.  Françoise  Denis,  —  J.  Outland,  Capt.,  =  N.  Chartrain,  Officier. 

"  Margte.  Crevier,  —  J.  Fournier,  =  Michel  Gamelin,    +   François 

Renou. 

"  Elizabeth  Moyen,  —  Lambert  Closse,  le  héros  de  Montréal. 

"  Jeanne  Brassard,  —  Jac.  Bédouin. 

"  Marie  Moyen,  —  Sidrac  Du  Gué  de  Bois-Briand. 

'  Marie  Sédilot,  —  Bert.  Fafart,  =  R.  Bernard. 

"  Jeanne  Langlois, — René  Chevalier. 

<'  Marie  M.  de  Hertel,  —  Pinard,  médecin,  T.  Riv. 

"  Margte.  des  Chaufours,  — Chev.  J.  T.  de  Montigny,  Capt. 

"  Margte.  Seigneuret,  —  L.  Godfroy  de  Normandville,  =  J.  Boudor,  + 

G.  Ste.  Marguerite  de  Boyvinet,  L.  Gén.  aux  Trois-Riviéres. 

"  Jacqueline  Juchereau  de  St.  Denis,  R.  U.  M.  des  Séraphins. 

"  Marie  Gen.  Guilbaut,  —  Séb.  Gingras,  =  P.  Robin. 

"  Margte.  Guilbaut,  —  Ant.  Pouliot,  =  J.  Rousseau. 
"       Anne  de  la  Marque,  —  M.  Testard. 

"       Charlotte  Béranger.  M.  M.  Bacon.  Françoise  de  la  Haye. 
"      Marie  Chauvin,  —  Rollin  Langlois,  =  Jean  DeNoyan. 
"       Anne  Gauthier  de  la  Chenaye,  —  G.  Feniou,  =  J.  Ragueneau, 
"      Marie  Baudry,  —  J.  Lefêbvre. 


—  3  — 

Mlles.  Claire  Tnrgeon,  —  A.  Sagot  dit  Laforge. 

"  Margte.  Massé-Gravelle,  —  Noël  Jlacine.- 

"  Elizabeth  Massé-Gravelle,  —  Math.  Côté. 

"  Marie  Gloria,  — J.  Toupin. 

"  Jeanne  F.  Millouer  ou  Milois,  —  Math.  LePrestre,  =  Jacq.  Paradis, 

+  François  Fellan  ou  Ferland. 

"  Jeanne   Couillard   de   l'Espinay,  —  Paul   Dupuis.  OfficierRegt.de 

Carignan,  Lt.  civil  et  crirn.  de  Québec. 

"  Gen.  Millouer,  —  Guill.  Paradis. 

"  Barbe  Dailiebout,  Marie  Lemaître,  Marie  Villeneuve. 

"  Jeanne  Guillet,  — Math.  Rouillard. 

**  Françoise  Savard,  — Robert  Jeannès. 

"  Marie  M.  Pinguet,  R.  U.  M.  de  l'Assomption.  Marie  Boissel. 

*'  Marie  Chesnay  de  la  Gareune,  —  Jos.  Petit. 

*'  Catherine  Biasot,  — Etienne  Charest. 

"  Marie  Des  Moulins. 

"  Margte.  Gloria,  R.  H.,  M.  du  Précieux  Sang. 

'•  Marie  Gloria,  R.  H.,  M.  Marie  de  l'Assomption. 

"  M.  Margte.  Vauvril  de  Blazon,  —  L.  Boucher  de  Grand  Pré,  Major 

aux  Trois-Riviéres. 

"  M.  Charlotte  Charets,  —  P.  Martel,  =  M.  Aug,  Le  Gardeur  du  Tilly. 

"  Claire-Françoise  Charets,  —  René  Jean  Boucher  de  Montbrun. 

"  Cath.  Charets, — Pierre  Trotier. 

<'  Marie  M.  Brassard, — Louis  Fontaine,  =  Jean  LeNormand. 

"  Margte.  Brassard, — J.  Lemelin. 

"  Marie  Guyon  du  Buisson,  — Adrien  Hayot. 

"  Dorothée  Brassard,  —  Pierre  Richer. 

"  Isabelle  Boucher,  — Denis  Guyon. 

"  Louise  Bissot,  —  S.  Marganne  de  la  Valtrie. 

"  Marie  Poulain,  —  P.  Maufis. 

"  Charlotte  de  Chavigny,  — René  Breton,  =  J.  Giron. 

"  Marie  Boutet  de  St.  Martin,  R.  U.,  M.  St.  Augustin. 

"  Elizabeth  de  Chavigny,  —  Et.  Landron. 

"  Anne  Martin,  — Jac.  Ratté. 

"  Marie  Macart,  —  Ch.  LeGarJeur  de  Villiers. 

"  Gen.  Macart,  —  Charles  Basire,  =  Frs.  Provost,  Lt.  du  Roi,  aux 

Trois-Rivières,  +  Charles  D'Alogny,  Marquis  de  la  Grois,  Capt. 

"       Anne  Macart,  —  P.  Becquart  Sieur  de  Grandville,  Capt.  des  troupes. 
"       B.  Delphine  LeTardif,  — Jacques  Cauchon. 

"      Cath.  Gert.  Macart,  — J.  B.  Deschamps. 

"      Françoise  Diiquet,  — M.  Madry,  méd.  =  Mich.  Olivier  Morel  de  la 
Durantaye. 

"      Agnès  Duquet,  R.  U.  M.  Marie  de  la  Nativité. 

'*      Anne  Duplessis,  fille  du   Gouv.   des  Trois-Riv.    massacré  par  les 

Iroquois,  —  Octave  Zapaglja  de  Ressan. 


—  4  — 

Mlles.  Gen,  Nosse-Messeray,  — Et.  LeTellier,  =  F.  DuSault. 

"  Marie  Gagnié,  —  A;  Leloutj'e,  =  Jean  Abelin. 

"  Gertrude  Coiiillard,  —  Charles  Aubert  <le  Gappé. 

'<  Ang.  Puisson,  II.  U.  M.  St.  Jean  l'Evangéliste. 

*'  Jeanne  Poisson,  R.  H.  de  Québec,  M.  Ste.  GertruJe. 

"  Louise  Poisson,  — Senj.  Anceau  de  IBerry. 

"  Jeanne  Godfroy  de  Liuctot,  R.  U.  M.  St.  Frs.  Xavier. 

"  Marie  Seve&tre,  — Aug.  Rouer  de  Villeray. 

"  Françoise  Chanier  de  Lotijinière,  —  P.  de  Jcybert-Marson. 

'.'  Catli.  Le  GarJenr  du  'l'illy.  —  Pierre  de  Saiirel,  Officier,  R.  C. 

"  Marie  Beaupré,  — Jean  Nault. 

"  M.  Margte.  Gagnon,  —  Jean  Caron. 

"  Marie  Lesseau.     !Marie  Odin.     Marie  Lamouche. 

"  Jeanne  Masse,  —  Guill.  Coustaniiu. 

"  Renée  Gagnon,  —  Jean  Uuiniet. 

«  Marie  Le  Gardeur  du  Tiiiy,  —  Alex.  Rertbier,  Off.  R.  C. 

"  Marie  J.  Côlé.     Mm-le  Gnilbaut.     M.  Paradis. 

"  Roiralie  Dnquet,  ■—  Charles  Auùot. 

"  Charl.  Gaudiu,  —  P.  Fréclielte,  =  P.  La  Forest. 

'<  Barbe  Renault,  —  J.  Charpentier,  =  Nie.   Cochart,  +  M.  Arnaud. 

"  Marie  Denis,  tille  du  Gouverneur  de  l'Acadie. 

"  Marie  Desrosiers,  —  J.  Raoult. 

"  Margte  de  Hertel,  —  J.  Crevier  de  la  Meslée. 

"  M.  M.  Crevier,  —  Nie.  Gatiueau  Duplessis,  =  Julien  de  St.  Aubin. 

"  M.  Louise  Côté,  —  J.  Grignon. 

"  Barbe  Cloutier,  —  Ch.  Bélanger,  =  Nie.  Gagnon. 

"  Anne  Baillargeou,  —  Jean  Polton,  =  Jacques  Duguay. 

"  M.  M.  Bourgery,  —  J.  Beaune,  =  J.  Chasle. 

'<  Cath.  Bonhomme  dit  Beaupré,  —  G.  Bertheaume. 

*<  Marie  Drouin,  —  Nie.  Lebel. 

<'  Cath.  Lefêbvre,  —  Ant.  Trotier. 

"  Marie  Aubert,  —  Jean  Préniont. 

<'  Marie  Cloutier,  —  François  Bélanger. 

"  Marie  Caron,  —  J.  Picard,  =  Noël  Langlois. 

"  Cath.  Caron,  —  Jae.  Dodier,  =  P.  Dupré. 

<«  Marie  Jolliet,  —  Frs.  Fortin. 

"  Gen.  Couillard,  —  Chevalier  Denis  de  la  Ronde. 

"  de  la  ]31anchetière,  —  d'ïïauleville,  Lt.  Gén.  de  la  Sénéchaussée. 

"  Anne  Aubnchon,  —  François  Chorel. 

<'  Marie  Pépin,  —  Gilles  La  Rue. 

"  Françoise  Meunière,  —  Charles  Pouliot,  =  J.  P.  Maheu. 

"  Cath.  Drouin,  —  Michel  Roulois,  =  G.  Simon. 

"  Marie  Chalitbur,  — Joachim  Martin. 

"  M.  Renée  Godt'roy,  —  P.  Le  Boulanger  de  St.  Pierre. 

*'  Marie  de  Bouchefville,  —  Chevalier  René  Gauthier  de  Varennes, 
Gouv,  des  Troie-Rivières. 


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—  5  — 

Mlles,  Gen.  de  Bouclierville,  R.  U.,  M.  St.  Pierre. 

Jacqueline  Pin,  —  J.  de  la  Une,  —  P.  Massé. 

Marie  F.  Jncliereaii  de  la  Ferté,  Mère  St.  Ignace,  annaliste  de  l'Hô- 

tel-Dien  de  Québec. 
Louise  Jiichereaii  de  la  Ferté,  —  Charles  Aubert  de  Gaspé. 
M.  Anne  Juchereau  de  St.  Denis,  — Frs.  PoUet  de  Lacorabe,  Capt. 

R.  C,    =  .Frs.  d'Antenil. 
M.  M.  on  Louise  Juchereau  de  St.  Denis,  —  A.  De   L'Estringan, 

Capt.  des  troupes. 
M.  M.  Le  Blanc,  ~  J.  Pichet. 
Louise  Ronssin,  —  Jacques  Asselin. 
Marie  Toupin,  — Pierre  Monnet. 
Louise  El.  Lefebre,  — Félix  ïhunès,  =J.  Collet. 
''       Marie  Anne  de  St.  Denis,  —  Pierre  Boucher. 
^'      Marie  de  Lauzon,  R.  U.,  M.  St.  Cliarles. 
"      Ang.  de  Lançon,  R.  U.,  M.  du  St.  Esprit.  Anne  de  Lauzon  ;  petites 

fdles  du  Gouverneur,  M.  de  Lauzon. 
"      Charl.  Frse.  Juchereau  de  St.  Denis,  —  Viennay-Pachot,  =  Frs. 
de  la  Forest. 
El.  Dauiours  des  Chaufours,  —  Cl.  Charron  de  la  Barre. 
M.  Jos.  Damours  des  Ciiaufours,  —  Etienne  de  Villedonné,  Aide. 
Major  de  Québec. 
^'      Gen.  Bissot,  —  Louis  Maheu. 
'*      Térèse  Juchereau  de  St.  Denis,  —  P.  de  La  Lande. 
*'       Cath.  Juchereau  de  fc>t.  Denis  —  P.  Aubert  de  Gaspé. 
*'       Marie  Soaniande,  —  Jos.  Mighot. 
^*       Aune  Souiiiande,  — François  Huzeur. 
*'  ■    Louise  Souniande,  M.  St.  Augustin,  Ire  Supérieure  de  l'Hop.  Gén. 

Québec. 
''      Jeanne  Souuiaude. 
•'       Louise  M.  Etienne,  —  J.  B.  Ménard. 

"      Margte.  LeGardeur  du  Tilly,  —  Cliev.  L.  Jos.  Le  Goues  de  Grey, 
Capt.     de    la    marine    =    Pierre  de  St.    Ours,    +    Charles 
Lenioine,  1er  Baron  de  Longueuil. 
"      Marie  Ursule  Etienne,  —  Jac.  Aubuchon. 
''       Margte.  Drouin,  —  J.  Gagnon,  =  Ant.  d'Arde. 
"      Françoise  Gobeil,  —  Philippe  Pasquier. 

"      Marie  Creste,  — Robert  Pépin,  =  Jean  Bridault,  +  P.  Jourdain. 
"      Marie  Lavoye,  — Pierre  Grenon. 

"       Elizabeth  Aubert,  —  B.  Chesnay,  =  J.  B.  Franquelin. 
"       Margte.  Couture,  —  J.  Marsolet  de  St.  Agnan. 
^'      Isabelle  Létourneau,  —  Math.  Tessier. 
"      Marie  M.  Peltier,  —  Nie.  Cliché,  =  P.  Millouer. 
"       Marie  Nielle,  —  Z.  Jolliet,  =  J.  de  Verueuil. 
"      Margte.  Poulin,  —  J.  Geucien  Amiot. 


li 


—  6  — 

Mlles.  Anne  Perrot,  —  Gab.  Tibierge. 

"  Jeanne-Cécile  Lambert-Closse,  —  J.  BizarJ,  =  Biaise  Raymond  de 

Rigaiulville,  Offi. 

"  Marie  M.  de  St.  Luçon.     Marie  LeDuc. 

"  Margte.  Celles-Duclos,  —  Jos.  Carlier,  =  Nie.  Perthuis. 

"  .Anne  Ang.  Artns  de  Sailly.     Marie  de  Villieux. 

"  Claude    El.    Sonart, —  Charles  Leinoine  de  Longueuil. 

"  Marie  Massé,   —  J.  Cloutier. 

"  Gabrielle  Monnot.     M.  de  Longcbamp.     Françoise  Gravelle. 

"  Marie  Le  Mire,  —  Pierre  Moreau. 

"  Jacqueline  Boulay,  —  Pierre  Joncas. 

"  Marie  J.  Le  Normand,  —  P.  Lambert. 

"  Anne  du  Fresne,  —  J.  Létourneau. 

"  Louise  Morel,  —  Guill.  Le  Tardif. 

"  Claire-Françoise  Bissot,  —  M.  Louis  Jolliet,  découvreur  dn  Mississipi. 

"  Marie  Moral  de  St.  Quentin,  —  Et.  Véron  de  Grand  Mesnil. 

"  Jeanne  de  St.  Quentin,  —  Jac.  Mongras. 

"  Anne  Goupil, — B.  Lamothe,  =:  Aimé  Lecompte,  +  S.  Mongeneau. 

"  Marie  Perrot,  — Jarret  de  Verchères. 

"  Barbe  Fortin,  —  P.  Gagnon. 

"  Jeanne  Dandonneau,  —  Jacques  Babie,  OflS.  R.  Car. 

Charlotte  Godfroy,  Rel.  Urs,  M.  du  St.  Sacrement. 

"  M.  Anceau  de  Berry.  Françoise  Capet.  Seb.  Lognon. 

''  M.  Anne  Durant,  — Mathuria  Cadau  ou  Çadot. 

"  Anne  LeMire,  —  G.  de  Catalorgne,  Lieut.  des  troupes. 

"  Marie  Cloutier,  —  François  Bélanger. 

"  Marie  Ancelin.  Marie  Vigner.  Marie  LaRoche. 

"  Jeanne-Isabelle  LeMire,  —  P.  Gaumont. 

"  Simonne  Chalifour,  —  Julien  Brourfseaa. 

"  Simonne  Bisson,  —  Nicolas  Gauvreau. 

*'  Margte.  Villeneuve,  —  Jean  Joly. 

"  Marie  Fournier,  -  Pierre  Blanchet. 

"  Marie  Lambert,  -*  Louis  T.  Chartierde  Lotbinière. 

''  Anne  Aubert,  —  Gerv.  Beaudoiu,  méd. 

"  Marie  Bissot,    -  Claude  Porlier,  =  Jacques  Gourdeau  de  Beaulieu. 

*•'  Marie-Térèse  Montpellier,   —  Math.  Langevin. 

"  Marie  Parant,  —  David  Courbion,  =  J.  Rancour. 

"  M.  Charl.  Etienne,  —  P.  Bougret  dit  Dufort. 

<'  Jeanne  Etienne,  —  M.  Jean  Vinet. 

<'  Gen.  Drouin,  —  R.  de  Trépagny. 

"  Ang.  Lefêbvre,  —  J.  Gauthier,  =  P.  Brnnet. 

"  Jeanne  St.  Amant,  —  R.  Becquet,  Not.  Royal. 

"  Marie  Vincent.     Marie  Le  Vasseur.     Marie  Anne  des  Granges. 

"  Marie  M.  Cadieu  de  Courville,  —  P.  Portier. 

^'  Jacqueline  Fouruier,  —  Jean  Proust. 


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—  7  — 

Mlles.  M.  Anne  Hayot,  —  J.  Marchand. 

"      M.  Chalut,  —  Nie.  Devé,  =  J.  Girard,  +  G.  Valade. 

Jeanne  Cadieu  de  Courville,  —  Et.  Montpellier. 

Marie  Bauchet,  —  François  Racine. 

Louise  Cadieu  de  Courville,  —  Vincent  Vachon. 

Marie  M.  Amiot  de  Vincelette,  R.  U.,  M.  de  la  Conception. 

Françoise  de  Courville,  —  J.  Prévost. 

Margte  Douaire  de  Bondy,  —  P.  Allemand,  =  Nie.  Pinau. 

M.  Anne  Pinguet,  — Léon.  Hazeur,  =  L.  Chambalon,  N.  R.,  méd. 

M.  Térèse  Poirier,  —  Math.  Guay. 

Margte  Pellerin  dit  St.  Amant,  R.  H.,  M.  de  la  Nativité. 

Cath.  Chapeleau,  —  P.  Maufait. 

Cath.  Gauthier,  —  P.  Cartier,   =  J.  Roy. 

M.  Anne  Pinguet  La  Glardière,  —  J.  Hervieux. 

M.  L.  Lemaître,  —  Jac.  Passard  de  la  Bretonnière. 

Marie  F.  Pinard,  —  Martin  Giguère. 

Marie  Poulain.     Marie  Savard.     Marie  La  Fontaine. 

Anne  Gauthier.  —  J.  Picard,  =  Nie.  Samus,  Chir. 
"      Gertrude  Guyon  du  Buisson,  —  D.  Belleperche. 
<'      Jeanne  F.  Denis,  —  Guill.  Bouthier,  =  N.  Daillebout  de  Mantet. 
"       Cath.  Denis,  R.  H.,  Mère  St.  Charles. 
"       Gabrielle  Denis,  R.  H.  à  Montréal. 
"      Louise  M.  Lemelin,  —  André  de  Chaume. 
"      Geu.  Sureau,  —  Martin  Lafilé,  =  Th.  Gasse,  +  J.  Maranda. 
"       Marie  M.  Paradis,  —  Robert  Choret. 
"       Marie  ilarlin  dit  La  Rivière,  —  A.  Villedieu. 
"       Margte  Renée  Denis,  —  Tho.  Tarieu  de  La  Naudière,  Off.,  =  Jacq» 

Alexis  de  Fleury  d'Eschauibaut. 
"      Louise  F.  Paradis,  — Tho.  Mézéray,  =  H.  Sureau. 
"       Marie  Marsolet.     L.  Suzanne  Migeon. 
"       Cath.  Pinguet,  R.  U.  Mère  de  l'Incarnation. 
"       Marie  Leiuaître,  —  P.  Lezeau,  =  Jean  Deblois. 
"       Louise  de  L'Estre,  —  Paul  Haguenier. 
"       Barbe  de  L'Estre,  —  Ch,  Roger,  =  Armand  Dumanceau. 
"       Marie  Racine,  R.  H.  à  Montréal. 

='       Térèse  Miguot  dit  Chatillon,  —  Nie.  Le  Bel,  =  René  Ouellet. 
■'       Jeanne  Mignot,  —  Ant.  Gaboury. 
•'       Marie  Mignot,  —  Jean  Dionne. 

■'       Jeanne  Leber,  Sainte  recluse  à  la  Cong.  N.  D.,  Montréal. 
'       Marie  Anne  Anceau  de  Berry,  R.  U.,  Mère  St.  Térèse. 
«      Marie  Jos.  Berthelot,  —  Jos.  Paré,  =  N.  Lessard. 
'      Barthélémie  Maillot,  —  Jos.  de  la  Croix. 
'      Marie  F.  Gaudry,  —  Jean  Pilote. 
'       M.  Charl.  Lemoine,  —  Math.  Guillet. 
'       Margte  Lemoine,  —  Ignace  Ganielin. 


—  8  — 

Mlles.  Anne  de  Lothainville,  —  Pierre  Lemaître. 

"  Marie  Antoinette  Cbouart  des   Groseillers,  — M.  J.  Jalot,  =  J.  B. 

Bouchard. 

"  Marie  M.  Lenioine,  — J.  B.  Bauvais. 

"  Marie  de  Villiers.     Françoise  Pinel. 

"  Jeanne  Soulard,  —  Guill.  Beaudry. 

"  M.  Catli.  Nosse-Mézéray,  —  J.  Auvray,  =  F.  Darveau. 

"  Françoise  Fliilippau,  —  René  Sénat,  =  lîeué  Gascliet. 

"  Marie  M.  Le  Gardeur  du  Tilly,  R.  H.,  M.  Ste.  Catherine. 

"  Jeanne  Lenioine,  —  L.  Gatineau  Duplessis. 

"  M.  Anne  Lemoine,  —  J.  Gias^on. 

«  M.  Anne  Le  Mire,  —  L.  Tessier,  =  Chev.  P.  d'Au-Jolliet,  =  Antdu 

•  Rupalley. 

"  Cath.  Delaunay,  —  Jos.  l'Archevêque. 

"  Gen.  Gert.  Le  Gardeur  du  Tilly,  —  J.  B.  Céloron  de  Blainville. 

"  Jeanne  Charpentier,  —  Jean_,Casavan. 

"  Marie  Sédilot  des  Noyers,  —  P.  Auclair. 

"  Elizabeth  d'Hauteville,  R.  H.,  Mère  St.  Joseph. 

"  Louise  Le  Gardeur  du  Tilly,  —  Aug.  Rouer  de  Villeray. 

"  Marie  Nolan,  —  Chev.  Louis  de  la  Porte,  Sieur  deLouvigny,  Lient. 

Gouv.  des  Trois-Rivières. 

"  Denise-Térèse  Migeon  de  Bransac,  —  Ch.  Jiichereau  de  St.  Denis, 

Çons.  du  Roy,  Lient.  Gén.  à  Montréal. 

"  Jeaune-Gabrielle  Migeon,  R.  H.,  à  Montréal. 

"  Marie-Anne  Migeon,  R.  U.,  M.  de  la  Nativité. 

''  Isabelle  Pérat.  Jeanne  la  Vallée.  M.  le  Grand. 

"  Charlotte  Denis  de  la  Ronde,  —  Chev.   Claude  de  Ramesay,  Offi. 

Gouverneur  de  Montréal. 

"  Cath.  Blondeau,  —  Nicolas  Sarrazin. 

•'  Anne  Chalifour,  —  J.  Le  Normand. 

"  Marie  de  ïrépagny,  —  ïï.  l'Archevêque,  =  R.  Voyer. 

"  M.  Anne  Ratté,  —  Ignace  Gosselin. 

"  Jeanne  Coutaucineau,  —  J.  Jourdain. 

"  Marie  Poulain,  —  Et.  de  Lessard. 

"  M.  Charl.  Bissot.     M.  Loignon.     Marie  Gariépj. 

"  Cath.  Perrot,  —  Et.  Jeanneau. 

"  Claire  F.  Gert.  Couillard,  R.  H.,  M.  St.  Louis. 

"  Marie  du  Gué  de  Bois-Briand,  -  Chev.  Gaspard  Piot  de  l'Angloiserie, 

"  Elizabeth  Le  Tellier,  -  Guill.  Page. 

"  Marie  Minette,  —  Sylvain  Duplais. 

"  Dorothée  Dubois,  —  J.  Janvier,  =  Et.  Le  Beguet. 

"  Françoise  Le  Tellier,  —  Simon  Savard. 

"  Françoise  Dubois,  — Jos.  Raoult. 

«  Margte.  Dubois,  —  Michel  Carié. 

"  Margte.  Rocher,  —  Ignace  Guay. 


—  9  — 

Mlles.  M.  Térèse  de  Lessard,  —  Jac.  Langlois. 

"  Margte.  I.e  Gardenr  dit  Sans  Soiicy.  —  Et.  Dubreiiil,  Not.  Roy. 

"  Louise  Dubois, —  Louis  Pliilippeau. 

"  Gen.  Rocher,  —  Louis  Marchand. 

"  Aimée  Giiyoti  (ies  Prè*,  —  Ant.  Legendre  de  oelair,  =  Jean  Chevalier. 

"  Marie  Aiig.  Denis  de  la  Ronde,  —  Cû.  x\uberi  de  Gaspé. 

■'  Jeanne  Dnliols,  —  Chev.  J.  B.  Herlel  de  Ronviile. 

"  Marie-Jos.  Le  Neuf  de  la  Vallière, — J.  P.  de  Rcpeucigny. 

"  Barbe  Le  Neuf  de  la  Vallière,  —  Louis  de  Gaspé. 

"  Félicité  Le  Picard,  —  Louis  Daillebout. 

"  Aune  Le  Picard.  —  J.  B.  Daillebout. 

"  Marie  Louise  Denis,  —  P.  Daillebout  d'Argenteuil. 

"  Cath.  Daillebout,  —  Cuev.  Nie.  Danneau  de  Muy,  Olïi.,  Gouv.  de 

la  Nouvelle-Orléans. 

"  Elizabetii  Dailleboaule  Mantet,  Rel.  Urs..  Mère  Ste.  Croix. 

"  Marie  Mad.  Daillebout  de  Mantet,  Re!.  Gong.  N.  D.,  Sr.  de  l'Incar. 

"  Jeanne  de  Boucherville,  —  J.  Charles  de  Sabrevois  de  Bleury,    Offi. 

"  Anne  Mars,  —  Charles  de'Couague. 

"  Marie  Mars,  —  Frs.  Rivière,  =  Paul  J3erry. 

"  Féliciié  Le  Vasseur,  —  J.  Haniel. 

"  Jeanne  Guyon  de  La  Lande.  Véronique  Véron  de  Grandmesnil. 

"  ïérèse  Duquet, —  Gabriel  Dupvac. 

"  Miclieile  Mars,  —  M.  Raymond  Dubocq.  =  Jos.  Rivière. 

"  M.  Bisson.  M.  Bellelbnds.  M.  Delisle.  M.  Gaulin. 

«  Marie  M.  Gauthier  de  Comporté,  R.  U.,  M.  Ste.  Agathe. 
"       Ang.  Gautiiter  de  Comporté,  —  Denis  Riveiin, 

"  Anne  Gauthier  de  Comporté,  R.  U.  M.  St.  Gabriel. 
"       Marie  Anne  Gauthier  de   Comporté,  —  Alex.   Peuvret,  Greff.  du 

Cons.  =  Claude  du  Tisné. 

"  Barbe  de  Montmaignier,  — Jean  Mercier. 
"       Cath.  TrefHé,  —  L.  Créquy,  =  Nie.  Bailiy. 

"  Anne  Tibierge,  —  Martin  Cheron. 
"      M.  Ursule  Bolduc,  —  Henri  Brault  dit  Pominville. 
"      M.  Gen.  Jolliet,^— J.  Gagnou. 
"       Margte.  Véron  de  Grandmesnil,  —  P.  Petit  de  Verneui!,  =  J.  B. 

Drapeau. 
"       Agnès  Cloutier,  —  M.  Jos.  Fortier. 
"       Scholastique  Nosse  Mézéray,  —  J.  B.  Delisle. 
"       Cath.  Gariépy,  — Philippe  Trudelle. 
"       Anne  Le  Vasseur,  —  J.  Fournel. 

«      Marie-LTrsiile  Denis  de  la  Ronde,  —  F.  Aubert  de  Gaspé. 
"       Marie-Anne  Dubocq,  R.  U.,  M.  Ste.  Madeleine. 
"       M.  F.  de  Hertel,  R.  U.,  M.  St.  Exupère. 

"       Marie  M.  Damours,  —  Chev.  Testard  de  Montigny,  Capt.  de  la  Mar. 
"      Louise  Maguan.     Anne  Sou vré.     Cath.  La  Roche. 


—  10  — 

Mlles.  An<^.  Rainville,  —  Rob.  Choret. 

"      M*.  Anne  Croteau,  —  J.  Daigle,  =:  N.  Cormier. 

"       M.  Anne  Mosny,  —  P.  Gauvreau. 

*'       Susanne  Guvon  des  Près,  —  Olivier  Morel  du  Houssay. 

"       M.  Gen.  Gauvreau,  —  Cli.  Rageot  de  St.  Luc,  Not.  Roy. 

*'       Deux  jeunes  anglaises  amenées  de  T.  Rivières  par  Mgr.  St.  Vallîér. 

"      Jeanne  M.  Brisj-ot.  Margte.  Le  Neuf  de  la  Vallière. 

*'      Agnès  Godfroy  de  Linctot,  —  Mich.  Fortier. 

"      Charlotte  de  Cressé,  R.  C.  N.-D. 

"       Madeleine  de  Cressé.  M.  Anne  Catignan.  M.  Mad.  Roussel. 

*'      Marie  Antoinette  Denys  de  Fronsac. 

"       Françoise  Chorel,  R.  U.,  M.  du  Sacré-Cœur. 

'<      Marie  T.  Mars,  —  J.  Jolliet,  =  J.  L.  Volant. 

"      Margte.  Choret,  — J.  Boissonnçau  dit  St.  Onge. 

♦'      Anne  Mesnage,  — P.  Le  Vasseur. 

"       Barbe  Godfroy  de  St.  Paul,  —  Ant.  Le  Pelé  Desmarets. 

"       Marie  Cath.  Aubert  de  Gaspé,  — Frs.  île  Gallifet,  Lieut.  du  Roy. 

"  Margte.  Aubert  de  Gaspé,  R.  H.,  M.  Ste.  Térèse. 

"       Marie  Boutteville,  R.  IT.,  M.  Ste.  Claire. 

"      Marie  Amiot,  — J.  B.  Thibaut. 

"  Louise  Huot,  —  J.  Garneau. 

"  Cath.  Trottier  des  Ruisseaux,  —  J.  Cuillerer,  =  François  Picoté  de 

Belestre. 

"  Cécile  Caron,  —  François  Le  Vasseur. 

"  Gen.  Juchereau  Duchesnay.  Agnès  Chesnay  de  Lothainville. 

"  Louise  Roussel,  R.  H.,  M.  St.  Gabriel. 

"  Louise  Cath.  Denys  de  Fronsac,  — Dominique  Bergeron,  —  GuilL 

Gaillard. 

"  Ang.  Aubert.  Marie  Ang.  Boulanger.     Franc.  Senard. 

"  M.  Anne  Lezeau,  — B.  du  Mareuil,  =  J.  Caddé. 

"  M.  Agnès  Pilote,  —  P.  Hédouin,  =  N.  Laraue. 

"  Anne  de  Genaple  Bellefonds,  —  Charles  Damours. 

"  Louise  Cath.  Dubocq,  — Jean  Ridday. 

"  Marie  M.  Génaple.     Louise  de  Brussy.     Cath.  de  Brussy. 

•  "  Marie  Bonnet,  —  Ant.  Martin. 

"  Anne  Picard,  —  P.  Laguerre. 

"  Cath.  Becquet,  —  Louis  Lcvrard. 

"  Marie  Cath.  Quatresols,  R.  C.  N.  D.,  Sr.  Ste.  Roee^ 

*'  El.  Du  Gué  de  Bois-Briand.     Louise  Bizard. 

"  Margte  Du  Gué  de  Bois-Briand,  —  Ant.  Pacaud. 

*'  El.  Denys  de  Fronsac,  —  Math.  Collet. 

"  Marie  Ang.  Denys  de  Fronsac,  R.  II.,  M.  St.  Hyacinthe. 

"  Marie  Gagnon,  —  René  Lepage. 

"  Cath.  Fournier,  —  Timothé  Roussel,  chirurgien. 

'<  Marie  Guyon  du  Buisson,  —  Nie.  Doyen. 


—  11  — 

Mlles.  Françoise  Gen.  Morel  de  la  Durantaye,  — L.  De  Cadaran. 

"  Margte  Bounat,  —  Nie.  Pacaud. 

"  Marie  Roussel,  —  Gabriel  Lambert. 

"  Aune  Roberge,  —  François  Giiyou. 

"  Ang.  Roberge,  R.  U.,  M.  Ste.  Marie. 

"  Gen.  Roberge.     Marie  M.  de  Lotbinière. 

"  Renée  Bezean,  —  Laurent  Delage,  =  J.  Bergevin. 

"  Françoise  Branche,  —  Ailrien  Legris-Lépine. 

"  Marie  MaJ.  Roberge,  —  Charles  Perthuis. 

"  M.  Anne  Giroux,  —  J.  B.  Provost. 

"  Margle  Durand,  —  Bernard  Rocheron,  =  Louis  Dunière. 

"  M.  Denis  de  Vitré.     Jeanne  Peuvret  du  Menu.     M.  Cliaillé. 

"  Margte  Gudfroy  de  Linctot,  —  Jac.  de  Hertel. 

"  Louise  de  Xaintes,  —  Bertrand  Arnaud. 

"  Claude  de  Xaintes,  —  Charles  de  Monseignat,  OfF. 

"  Jeanne  Toupin,  —  Guill.  Guyon  du  Buisson. 

"  Marie  Constantin,  —  Mich.  Caddé. 

"  Marie  M.  Avisse  —  Jean  Chevalier. 

"  Margte  Langlois.     Catherine  (anglaise.) 

"  Judith  Dauioursde  Clignancour,  R.  H.,  M.  Ste.  Thècle. 

"  Marie  Térèse  Pollet  de  la  Combe,  —  Chev.   Pierre  Lenioine  d'Iber- 

ville,  =  Comte  de  Bethune,  en  France. 

"  Marie-Louise  Pollet  de  la  Combe,  —  Augustin  Rouer  de  la   Car- 

donnière. 

"  Ehzabeth  de  Joybert  Marson,  —  Philippe   Rigaud,    Marquis   de 

Vaudreuil,  Gouv.  de  la  N.  F. 

''  Marie-Térèse  Chaillê,  —  François  Nault. 

"  Cath.  Gertrude  Rose.  M.  Ursule  Riverin.  M.  F.  Le  Vasseur. 

'*  M.  Anne  La  Roche,  —  Louis  Cureux  de  St.  Germain. 

"  M.  Anne  Chaillet,  —  Antoine  Defoy. 

"  Louise  Piûguet  dit  La  Glardière,  —  Gaspard  Petit,  =  Jacq.  Cauchoa 

dit  Laverdière,  chirurgien. 

"  Ang.  Pinguet  dit  La  Glardière,  —  P.  Bodin,  =  François  De  Rané. 

"  Françoise  Cloutier,  — Ant.  Doyon,  =  P.  Pasquier. 

"  Jeanne  Lemelin,  —  Thomas  Moore. 

"  Ang.  Boutin,  —  François  Basque. 

"  AnneDuquet,  —  J.  Thomas  =  J.  Parant,  +  Louis  Jourdain. 

*«  Marie  Roussel,'— Gabriel  Benoist. 

"  Anne  Rancin, —  Charles  Goulet. 

"  Marie  Joly,  —  Phil.  Basquin,  =  D.  Pauperet. 

"  Marie  Launan.  Marie  Perrot.  Cath.  Philippe  Denis. 

"  Margte.  ToupinDuSault,  —  Jos.  Berthelot. 

"  El.  Marchand, —  J.  Duprat,  =  Nie.  Aubin. 

"  Marie  Gagnon  de  La  Lande.  Jeanne  Toupin.  Charl.  Frérot, 

"  Margte.  Godfroy  de  Vieux  Pont,  —  J.  F.  Volant. 


il 

(C 


—  12  — 

Mlles.  Margte.  Giiyon,  —  Louis  Damonrp. 
'•'       Louise  Gnyon.  —  Cli.  Tiliaiit,  =  Malli.  Danioiir.'. 
"       Renée  Cliorel  (le  St.  Romain,— Cliev.  de  Noré  du  Mesiiil,  Major. 
"       Jeanne  Clioiel  de  St.  Romain,  R.  U.,  M.  Sie.  Ursule. 
"       Marie  Jos.  Chorel,  —  Et.  Pezard  de  la  Touclie. 
"       Marie  Loni>'e  Cliorel,  R.  H. 

Jjoiii^e  Fauvel,  —  Jean  Léger  de  la  Grange,  médecin  du  monastère. 

Marie  'ïévè.-e   Guyon,  —  .\nt.   de   Lamothe  Cadillac,    Gouv.    du 
Mississipi,  fond,  de  la  ville  du  Détroit. 
"       El.  Chorel,  — J.Mail  lot. 
"       Les  deux  filles  de  M.  Alexandre  Bertiiier. 
"       Marie  M.  Chorel, — Fi-anç,.  Leléiivre  Duplessis. 
"       Marie  Rol/ilaille, — Jos.  Fanconnet. 
"       Snsanne  Robitaille,  —  Gnill.  J'elleau. 
"       Gen.  Racine,  —  François  Paré. 

"       Gen.  Damonrs.  Isabelle  La'irec(ine,  Susanne  St.  Germain. 
«       M.  Mad.  Doré,  — B.  du  Mareuil. 
"       Jacqueline  (Jliorel,  —  Ant.  Dufresne). 
"       Margte.  Cliorel,  —  Guill.  de  Lorimier. 
"       ïérèse  Mesnage,  R.  H.  M.  Ste.  Marie. 
"       Louise-Rose  de  Lanaiidière,  R.  U.,  M.  Ste.  Catherine. 
"       Charl.  Aubert  de  Gaspé,  R.  H.  M.  St.  Michel. 
"       Marie  M.  Drouard,  R.  U-,  M.  St.  Micliel. 
"       Margte.  Le  G  ardeur  de  St.  Pierre,  —  Henri  Hiché. 

Marie  M.  Marquis,  —  F.  (Jhateauvert. 

M.  ïérèse  Lapierre,  —  M.  Dompierre. 

Gen.  Diipuis.  Françoise  Le  Vasseur.  Frs.  Dupuis.  J.  Laudron. 
"       Louise  ïïazeur,  R.  H.,  M.  Ste.  Anne. 

"       Marie  Jeanne  Lapierre.     Margte.  Nafrechon.  Louise  Lenoir. 
*'       Marie  M.  Duchesne  dit  Lapierre,  —  Jos.  Bouneau. 
•'       Margte.  Boucher,  —  François  Laberge. 
"       Marie  M.  Leclerc,  —  Jean  Mathieu. 
«       Cath.  Bertiiier,  R.  H. 
*'       Anne  Gouin,  —  François  Trotier. 
"       Marie  Perrot,  fille  du  Gouv.  de  Montréal. 
"       M.  A.  Beaudouin.  —  Chev.  J.  B.  Hertel  de  Rouville, 
"       Cath.  GodlVoy,  —  J.  Lemaîlre. 
"      Françoise  Vianne^'-Pachot,  —  A.  de  Berthier,  =  Nicolas  Desbet- 

gères  de  Rigaudville. 
"       Anne  Mars,  —  A.  JoUiet  de  Mingan,  =  J.  Taché. 
"       M.  Anne  Trotier,  —  Raymond  Martel,  =  Louis  Audet  de  Pierrecot. 
"       M.  Jos.  Boulanger,  —  Martin  Cheron. 
*'       Suzanne  Dupuis,  —  Jean  Petit,  Très.  Royal. 
"       Gen.  Boutteville,  —  Alex.  Pauvret. 
"      Ang.  Daillcbout.     M.  Robiueau.     M.  Amie  Neveu. 


te 
fi 
a 


—  13  — 

Mlles,  Marie  Dupuis,  R.  U.,  M.  de  l'Enfant-Jésus. 

"  Marie  Cath.  Robineau  de  Bécancoar,  R.  U.,  M.  de  la  Trinité. 

"  Marie  Cath.  de  Brisay,  tîlle  du  Marquis  de  Denouville,  Gouv.  Gen. 

du  Canada,  (rel.  eu  France). 

"  M.  Anne  Lenioiiie  de  Longueuil,  —  Bouilletde  la  Cliassaigne,  Gouv. 

de  Montréal. 

"  Cath.  Jeanne  Lemoine  de  Longneuil,  —  P.  de  Noyan,  Off. 

"  Louise  ^larie  de  Lotbinière,  —  Chev.  Denis  de  la  Ronde. 

"  Louise  Philippe  de  Lotbinière,  —  Chev.  Mariaucheau  d'Esglis,  Off. 

"  Marie  de  Contrecœur,  —  Chev.  J.  L.  de  Chapt  de  la  Corne. 

"  Judith  de  Lamothe  Cadillac.     M.  Magd.  de  Laniothe-Cadillac. 

"  Hélène  Margte  de  Hautmesny.     Marie  M.  Angers. 

"  Marie  Cath.  Martin  de  Lino,  —  J.  F.  Hazeur. 

«  Marie  M.  Babie,  —  J.  B.  Crevier. 

"  Marg.  Le  Neuf  de  la  Vallière.  M.  A.  Noiron. 

«  Margte  Trottier,  R.  C.  N.  D.,  M.  St.  Joseph. 

"  Margte  M.  Côté,  R.  H.,  Mère  St.  Paul. 

"  Claire  Catrin,  —  J.  B.  Le  Roy. 

"  Anne  Catrin,  —  Nicolas  Monssette. 

"  Marguerite  Langlois,  —  Jean  Blonin. 

"  Marie  Delannay.     Margte  Haniel. 

"  Marie  Aune  Hervieux,  —  Jean  Molay. 

"  Marie  Dasilva,  —  Jean  Guilbaut. 

"  Charlotte  Fleury  d"Eschaiiibaut.     Charlotte  Angers. 

"  Marie  Anne  Jourdain,  —  Jo*.  de  l'Estre. 

"  M.  Bienville-Lenioine.     Térèse  l'Huillier  (anglaise). 

"  Marie  Racine,  R.  C.  N.  D.,  Sr.  Ste.  Agathe. 

"  M.  Anne  Maufait.     M.  Anne  (anglaise).     M.  Bertheaume. 

'*  Térèse  Ainiot,  —  Bernard  de  la  Forçade. 

"  Anne-Jeanne  Le  Hardy,  —  Pierre  Simon. 

"  Aune-Jeanne  Sédilot  Montreuil.     Aug.  Léonard  de  Boisjoli. 

"  M.  Anne  Dandonneau  du  Sal)lé,  —  P.  Gauthier. 

"  Marie  M.  Du  Pont,  —  Paul  Lemoine  de  Maricour,  Capt. 

"  M.  Anne  de  Boucherville,  R.  U.,'M.  St.  Ignace. 

"  M.  Ang.  de  Boucherville,  R.C.  N.  D.,  Sr.  ^te.  Monique. 

'<  M.  Antoinette  de  Boucherville.     Margte  de  St.  Pierre. 

"  Marie  Turcotte,  —  i^'rançois  Rivard. 

"  Anne-Jeanne  Joitrdain,  —  P.  Perrot. 

«  M.  Charlotte  de  Boucherville,  R.  H. 

"  M.  Louise  de  la  Porte  de  Lonvigny,  —  D.  Mouet  de  Moras,  Off. 

"  Louise  Lalemant,  —  F.  Brousse,  =  J.  B.  Charest. 

**  Françoise  Godfroy  de  St.  Paul.     Marie  M.  Le  Duc. 

"  Gen.  Catien,  —  Jean  Michelon. 

"  Marie  Joseph  Viannay-Pachot,  R.  H.,  M.  des  Séraphins. 

"  Marie-Auae  Viauuay-Pachot,  R.  H.,  M.  de  la  Nativité. 


_  14  — 

Mlles.  Gen.  G.  du  Buisson,  —  Frs.  Chavigny  de  îa  Chevrotière. 
"       Françoise  Fafart,  —  Baron  Frs.  Augustin  de  Joannès,  Off. 
"       M.  Claire  d'A.uteuii  de  Monceaux,    —  Marquis  A.  de  Crisafy,  Off. 
<'       Anjr.  Daiilebout.     Marie  Jos.  Cliorel.     Henée  Gagnon. 
"       M.  Térèse  Masse,  —  M.  Jos.  Gingras,  =  A.  Mélhot. 
"       Marie  M.  Moreau  de  la  Taupine,  —  Frs.  Rolland,  =  Jean  Bonneau. 
"       Marguerite  Bobineau  de  Bécancour. 
"       Cath.  d'Anbusson  du  Verger,  —  F.  Raimbault. 
"       Marie  Ant.  de  St.  Simon.  Margte.  Grevier.  El.  Prémonneau. 
"       Margte.  des  Prés.  Marie  Gérin-LaJoye.  Ang.  Danois. 
"       Marie-Reiiée    Gauthier  de    Varennes,   —    Christ.     Dufrost    de    la 

Gemmerais,  =  T.  O'Sullivan,  Gent.  Irlandais. 
"       Anne  Margte.  G.  de  Varennes,  R.  U.,  M.  la  Présentation. 
"       Margte.  Philippe  Danneau  de  Muy,  —  René  Robineau,  Baron  de 

Bécancour. 
'•       Marie  Jos.  Danneau  de  Muy. 

"       Marie  Charlotte  Danneau  de  Muy,  R.  U.,  M.  Ste.  Hélène  :  Anna- 
liste des  Ursulines,  au  temps  de  la  conquête  du  Canada  par 

les  Anglais. 
**      Ans.  Jarret  de  Verchères,  —  M.  Coulon  de  Villiers. 
<'       'M.  Gabrielle  J.  de  Verchères,  —  Léon  de  Langy. 
"       Marie  M.  J.  de  Verchères,  —  P.  Tho.  Tarieu  de  Lanaudière. 
<'       Jeanne  Le  Borgne  de  Belisle,  —  Bern.  Damours. 
<'       Marie  F.  Le  Borgne  de  Belisle,  R.  H.  M.  Ste.  Elizabeth. 
"      Marie  Passard,  —  P.  Rochemont. 

"       Judith  Passard  de  la  Bretonnière.     Elizabeth  Belleperche. 
"       Gen.  Beaudouin,  R.  U.,  M.  St.  Augustin. 
«'       Elizabeth  Beaudouin,  R.  H.,  M.  Marie  de  Jésus. 
"       M.  Mercier.  Cath.  Douville.  M.  Anne  Bertigny. 
"       M.  Térèse  Voyer,  —  Pierre  Voyer. 
«       M.  Hubert,  —  J.  B.  Brassard. 

"       Catli.  La  Bruyère.  Gen.  Duplessis-Faber.  Gen.  Couillard. 
"       Cath.  Nosse-Mézéray,  —  J.  B.  Faucher. 
*'       Marie  F.  Renaud  Davanne  des  Meloises, —  Eustache  Chartier  de 

Lotbinière. 
«      Marie  M.  Cath.  Renaud.  D.  des  Meloises,  R.  Urs.,  M.  St.  Fr.  de 

Borgia. 
«       Marie  ïérèse  Renaud  D.  des  Meloises,  R.  H.,  M.  St.  Gabriel. 
"       Marie  Louise  Renaud  des  Meloises. 
"       Gabrielle  Louise  Braquil,    (Brakey)  baptisée   au  monastère,  ainsi 

que  sa  sœur. 
"       Marie  Louise  Braquil  (Brakey),  —  P.  Roy. 
"       Margte.  de  Repentigny.  Agathe  de  Repentigny. 
"       Cath.  du  Lino.     Jacqueline  Poisson.  M.  J.  Ducliesnay. 
"      Marie  Mad.  d'Auteuil,  —  Frs.  de  Celles. 


—  15  — 

Mlles.  Françoise  Roussel,  —  Capt.  Et.  de  Villedonné. 

"  Louise  Roussel,  R.  H.,  M.  St.  Gabriel. 

"  M.  Anne  Roussel,  —  Louis  Beaudoin,  =  Henri  Dusauty. 

*'  Hélène  Françoise  Célorou  de  Blainville,  et  Marie  A.  C.  de  Blainville, 

"  Marie  Cath.  Daillebout  de  Conlonge,  A.  Félicité  C.  D.  de  Coulonge. 

"  Marie  Louise  Célorou  de  Blainville.     Elizabetli  Gauthier^ 

La  liste  ci-dessus  est  inévitablement  incomplète,  à  cause  des  incendies 
de  1650  et  1686. — Le   Dictionnaire  Généalogique  publié  récemment  par 
M.   l'Abbé  C.  Tanguay,  a  été  l'heureux  et  presque   unique  guide  pour 
tracer  les  alliances. 

Sans  tenir  compte  des  surnoms  nombreux  mentionnés  par  M.  l'Abbé 
Tanguay,  nous  avons  en  général  donné  les  noms  tels  qu'ils  se  trouvent 
dans  les  Registres  des  Religieuses  Ursulines. 

La  grande  parj,ie  de  la  population  actuelle  tire  son  origine  de  ceux  qui 
vécurent  aux  temps  héroïques  du  Canada. 

L'émigration,  de  France  en  Canada,  vers  1713  et  dans  les  années- 
suivantes,  fut  importante,  mais  non  pas  nombreuse. 

Ursulines  de  Québec,  Mars  1874. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Approbations 5 

Introdcction - 15 

Déclaration  . 36 


I.   Naissance  de  Marie  Guyard,   1599.  —  Ses  parents,  son  eufance.  — 
Elle  se  donne  à  Dieu  dès  l'âge  de  sept  ans.  —  Son  esprit  de  prière. 

—  Elle  rejette  les  lectures  futiles.  —  Prémices  de  zèle  et  de  vocation 
religieuse.  —  Son  mariage,  1617.  —  Peines  qui  en  sont  la  suite.  — 
Soin  qu'elle  prend  de  sa  maison.  —  Elle  puise  sa  force  dans  la  parole 
de  Dieu  et  la  communion.  —  Naissance  de  son  fils.  1619.  —  Mort  de 
son  mari,  10  octobre  1619 37 

II.   Dispositions   de  madame  Martin  devenue   veuve.   —   Tentation.   — 
Extase,  1620.  —  Fidélité  à  la  grâce.  —  Vie  solitaire  et  pénitente. 

—  Œuvres  de  charité.  —  Humiliations.  —  Tentations  d'orgueil.  — 
Elle  demande  à  aflBcher  sa  confession  générale  à  la  porte  de  l'église. 

—  Vie  agitée  et  néanmoins  recueillie.  —  Double  travail  de  la  grâce 
dans  la  servante  de  Dieu.  —  Desseins  de  Dieu  à,  son  égard    ...     52 

111.  Qenre  d'oraison  de  madfime  Martin.  —  Son  attention  continuelle  à  la 
présence  de  Dieu.  —  Pressentiments  d'un  état  plus  parfait.  —  Efforts 
pour  s'y  préparer.  —  Pénitences  rigoureuses.  —  Elle  écrit  de  nouveau 
ses  péchés.  —  Elle  connaît  qu'elle  doit  être  épouse  de  Dieu.  —  Bon- 
heur et  angoisses.  —  Nouvelles  austérités.  —  Union  de  deux  cœurs. 

—  Préliminaires  du  mariage  divin  et  analogies.  —  Admirable  vision 

de  la  sainte  Trinité , 72 


516  TABLE    DES    MATIÈRES. 

l\ .   Le  mariage   céleste   s'accomplit.  —  Seconde  vision  de  la  Sainte- 
Trinité.  —  Opération  divine  dans  l'àme  de  la  servante  de  Dieu.  — 
Réalité  du  mariage  divin.  —  Nouvelles  analogies  :    abandon   de 
'         tout  et  de  soi-même  causé  par  l'amour  ;   communauté  de  biens  ; 
possession  mutuelle.  —  Familiarité,  délire  et  transports  d'amour. 

—  Union  plus  parfaite  et  plus  continuelle.  —  Martyre  et  extase 
d'amour.  —  L'entrée  au  couvent  des  Ursulines  de  Tours  est  décidée. 
163L  —  Perte  de  son  fils.  —  On  le  retrouve  à  Blois 88 

\'.  Entrée  au  monastère  et  adieux  à  son  fils,  1632.  —  Son  esprit  d'obéis- 
sance. —  Tourments  que  lui  cause  son  enfant.  —  Il  est  mis  au 
collège  de  Rennes.  —  Conduite  de  Marie  de  l'Incarnation  au  novi- 
ciat. —  Troisième  vision  de  la  sainte  Trinité.  —  Science  infuse  de 
l'Ecriture  Sainte  et  de  la  langue  latine.  —  Nombreuses  et  fortes 
tentations.  —  Son  fils  menacé  d'être  renvoyé  du  collège  de  Rennes 
est  admis  à  celui  d"Orléans.  —  Elle  fait  profession  le  25  janvier 
1633.  —  Consolations  passagères  et  retour  des  épreuves.  —  Elle 
donne  par  écrit  un  abrégé  de  sa  vie  au  Père  de  la  Haye.  —  Retour 
à  unfe  paix  entière.  —  Elle  est  nommée  sous-maîtresse  des  novices. 

—  Belles  maximes  qu'elle  leur  inculquait  et  catéchisme  à  leur 
intention  . 108 

VI.   Vision  du  Canada.  —  Ardeurs  pour  la  conversion  des  infidèles.  — 
Acceptation  de  toutes  les  souffrances  pour  l'obtenir.  —  Révélation 
de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus,   1635.   —  Dieu  fait  con- 
naître là  Marie  de  l'Incarnation  que  c'est  le  Canada  qu'il  lui  a  fait 
voir.  —  Extase  d'amour.  —  Paix  dans  les  contrariétés  ....   142 

\l\.  Mademoiselle  de  Chauvigny.  —  Elle  épouse  M.  de  la  Peltrie  malgré 
ses  répugnances  pour  le  mariage.  —  Elle  perd  son  mari,  1625.  — 
Notre-Seigueur  veut  qu'elle  aille  au  Canada.  —  Surnaturalisme  de 
Claude  Martin.  —  Madame  de  la  Peltrie  malade,  puis  guérie  en 
faisant  vœu  d'aller  au  Canada.  —  Persécutions  de  ses  proches.  — 
Elle  est  mise  en  rapport  avec  la  Mère  de  l'Incarnation.  —  Elle 
va  à  Tours.  —  Prières  de  Quarante  heures.  —  Sœur  Marie  de 
Saint-Bernard.  —  Vision  qu'elle  a  en  songe.  —  Contre-temps.  — 
Charlotte  Barré.  —  Orage  contre  la  Mère  de  l'Incarnation.  — 
L'archevêque  de  Tours.  —  Départ  pour  Paris.  —  Départ  de  Paris 
pour  Dieppe.  —  Séjour  dans  cette  ville  et  adjonction  d'une  nou- 
velle religieuse  missionnaire,  1639 159 

Vlll.   Embarquement  pour  le  Canada,   1639.   —  Tempête.  —  Ecueil  de 
glace.  —  Le  vaisseau  échappe  au  naufrage  à  la  suite  d'un  vœu.  — 


TABLE    DES    MATIERES.  517 

Arrivée  au  terme  du  voyage.  —  Réception  solennelle  à  Québec.  — 
Réflexion  sur  l'importance  de  l'élément  religieux  à  l'égard  de  la 
colonie 188 

IX.  Visite  aux  sauvages  convertis,  1639,  —  Etude  des  langues.  —  Pau- 
vreté, petite  vérole.  —  Charité  en  exercice.  —  Ses  succès,  1641. 
—  Enfants  qui  s'échappent.  1643.  —  La  jeune  captive  huronne.  — 
Ferveur  des  petites  sauvages.   —  Anne-Marie,  Agnès  et  Louise, 

1640.  —  Mort  d'Agnès,  1643.  —  Piété  des  femmes  sauvages.  — 
Autres  traits  des  enfants  sauvages.  —  La  Mère  de  l'Incarnation 
apprend  le  huron,  1649.  —  Nouvelles  œuvres  de  zèle.  —  Eff'ort 
pour  fixer  les  sauvages,  1644,  —  Multiplication  du  pain.  —  Piété 
et  zèle  apostolique  de  plusieurs  sauvages  convertis.  —  Précocité 
d'intelligence  des  enfants  sauviïges.  —  En  France,  on  ne  rend  pas 
justice  aux  Ursulines.  —  Deux  écrivains  modernes  qui  ont  suivi 
cette  voie 205 

X.  Construction  du  monastère,  1641.  —  Union  des  deux  Congrégations 
d'Ursulines,  1641.  —  Historique  de  ces  deux  Congrégations.  — 
Heureux  résultats  de  l'union,  —  Epreuves  tei-ribles.  —  Départ  de 
Madame  de  la  Peltrie,  1642,  ses  suites.  —  Tribulations  intérieures 
de  la  Mère  de  l'Incarnation.  —  Confession  de  toute  sa  vie    .      .     .   250 

XI.  Cause  des  épreuves  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  —  Accord 
qu'elle  fait  avec  Dieu.  —  Claude  Martin  veut  se  faire  religieux, 
1639.  —  Il  est  refusé  par  les  Jésuites.  —  Ses  qualités.  —  Il  cherche 
une  position  dans  le  monde. —  Sa  vocation  se  décide.  —  Il  entre 
au  noviciat  des  Bénédictins  à  Vendôme  1641.  —  Sa  mère  le  félicite, 

1641.  —  Crise  au  moment  de  sa  profession.  —  Il  prononce  ses 
vœux  le  3  février  1642 ' '-^ôô 

XII.  Seconde  cause  des  épreuves  de  Marie  de  l'Incarnation,  sa  nièce.  — • 
Mondanité  de  cette  jeune  fille.  —  Son  père  meurt.  —  Elle  est 
enlevée  par  un  jeune  gentilhomme,  1641.  —  Celui-ci  est  poursuivi, 
condamné,  puis  gracié.  —  La  jeune  fille  devient  entièrement  orphe- 
line, —  Un  magistrat  la  protège.  —  Elle  se  retire  aux  Ursulines 
de  Tours,  —  Intervention  de  l'archevêque,  —  Elle  entre  au  noviciat 
par  dépit  et  esprit  de  vengeance.  —  Elle  se  convertit.  —  Elle  fait 
profession  en  1643  ou  1644.  —  Retour  de  madame  de  la  Peltrie.   280 

XIII.  Avantages  que  la  Mère  de  l'Incarnation  retire  des  épreuves.  — •  Son 
humilité.  —  Sa  défiance  d'elle-même.  —  On  lui  donne  des  emplois 
humiliants  et  pénibles.  —  Elle  est  soutenue   par  la  dévotion  au 


518  TABLE    DES    MATIÈRES. 

Sacré-Cœur  de  Jésus.  —  Ses  lumières  nouvelles  sur  cette  dévotion. 

—  Elle  voit  la  double  beauté  de  Jésus-Christ.  —  Sa  dévotion  aux 
saints  Anges,  à  saint  Joseph,  à  saint  François  de  Paule.  — '-  Com- 
ment la  grâce  agissait  en  tout  cela  sur  elle.  —  Sachante  à  l'égard 

des  sauvages 291 

XI\'.  Visions  anticipées  de  l'incendie  du  monastère.  —  Incendie,  1650. 

—  Présence  d'esprit  de  la  Mère  de  l'Incarnation.  —  Sa  charité 
et  son  humilité  en  cette  circonstance.  —  Les  Ursulines  à  l'Hôtel- 
Dieu.  —  Inconvénients  et  avantages  de  l'incendie  du  monastère. 

—  Harangue  des  Hurons 318 

XV.  Les  Ursulines  quittent  l'Hôtel-Dieu.  1650.  —  Sœur  Saint-Joseph, 
sa  vertu  héroïque,  sa  sainte  mort,  1652.  —  On  commence  la 
reconstruction  du  monastère.  1651.  —  Activité  de  la  Mère  de 
riqcarnation.  —  Coi'actère  miraculeux  de  l'œuvre  qu'elle  exécute. 

—  On  s'installe  dans  le  monastère  reconstruit  29  mai,  1652.  —  Les 
Ursulines  ont  repris  leur  œuvre  avant  la  reconstruction.  —  Inquié- 
tudes causées  par  les  courses  et  la  férocité  des  Iroquois.  —  Traité 
de  paix  avec  ces  barbares,  1654.  —  Nouveau  travail  intérieur  de 
la  grâce  dans  la  servante  de  Dieu.  —  Traits  nouveaux  de  son 
humilité.  —  Son  état  de  victime 343 

XVI.  Arrivée  d'un  évêque  à  Québec,  1659.  —  Eloge  qu'en  fait  la  Mère 
de  l'Incarnation.  —  Vertus  du  clergé  de  Québec.  —  Piété  des 
sauvages  convertis.  —  Perfidie  des  Iroquois.  —  Terreur  qu'ils 
inspirent  de  nouveau,  1660.  —  Les  Ursulines  quittent  leur  cou- 
vent. —  Courage  de  la  Mère  de  l'Incarnation.. —  Etat  de  défense. 

—  Héroïsme  de  Daulac,  qui  sauve  la  colonie 369 

X\  il.   Trafic  des  boissons  enivi-autes.  —  Prédictions  sinistres.  —  Horrible 
tremblement  de  terre,  1663.  —  Tranquillité  de  la  vénérable  Mère. 

—  Conversions  et  renouvellement  du  Canada.  —  Prospérité.  — 
M.  de  Tracy  gouverneur,  1665.  —  Expéditions  contre  les  Iro- 
quois. —  Leur  soumission.  —  Ils  se  révoltent  de  nouveau  vingt 
ans  après  ;  mais  alors  leur  puissance  est  anéantie  sans  retour.     .   378 

.WllI.  Comment  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation  va  passer  ses  dernières 
années.  —  Elle  tombe  malade,  1664.  —  Elle  est  réélue  supé- 
rieure. —  Ses  travaux  dans  les  langues  sauvages.  —  Son  état  de 
spiritualité  de  1667  à  1672.  —  Elle  reçoit  les  derniers  sacre- 
ments, 1672.  —  Son  état  s'améliore,  joie.  Te  Deum.  —  Dernière 
maladie.  —  Elle  meurt  le  30  avril  1672 396 


TABLE    DES    MATIÈRES.  519 

XIX.  Témoignages  en  faveur  de  la  sainteté  de  Marie  de  l'Incarnation. 
—  Traditions  de  son  monastèr-e.  —  Opinion  de  personnages  re- 
commandables  :  Mgr  de  Laval ,  M.  l'abbé  Ferland ,  M.  l'abbé 
Langevin,  Camus,  docteur  de  Sorbonne  et  grand-vicaire  de  Tours, 
Catinat,  également  docteur  de  Sorbonne  et  abbe  de  Saint-Julien, 
l'abbé  Ladvocat,  Feller,  Pereunès,  Moréri,  M.  Emei-y,  le  Père 
Ramière,  Jésuite 412 

XX.  Grâces  obtenues  à  la  suite  de  prières  adressées  à  la  Mère  Marie  de 
l'Incarnation.  —  Guérisons  obtenues  en  Amérique.  —  Mômes 
faveurs  obtenues  en  différentes  contrées  de  l'Europe.   —  Faveurs 

d'un  autre  genre 425 

Supplément  aux  témoignages  du  chapitre  xix 505 


Deux  pièces  justificatives " ^>^^ 


-ooïOio. 


) 


Tournai,  typ.  Casteriuau. 


UNIVERSITY  OF  ILLINOIS-URBANA 

B.M3345R  C001 

VIE  DE  LA  REVERENDE  MERE  MARIE  DE  L'INCA 


3  0112  025408003 


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