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THE UNIVERSITY
OF ILLINOIS
LIBRARY
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VIE DE LA MERE
MARIE DE L'INCARNATION.
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APPROBATION DE L'EVECHE DE TOURNAI.
Nous permettons l'impression de la Vie de la Révérende Mère Maine de
l'Incarnation : la lecture de cet ouvrage est très-px'opre à nourrir la piété des
fidèles, à exciter leur zèle pour la conversion des pécheurs. En outre ce livre
présente, aux personnes qui ont embrassé la vie religieuse, l'exemple de toutes
les vertus de leur sainte profession. '•-
Tournai, le 29 octobre 1873.
CONREUR. Vic.-Gé7t.
THE mmi
OF THÉ
UNIYÉRSITY OF ILLINOIS
mraiïîM Mite miirir àe i'3îiftïrïuiîwi
Fondatrice et Première Supérieure des UrsulmesdeÇuébec,
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VIE ^
DE LA REVERENDE MERE
MARIE DE L'INCARNATION
URSULINE
I
(née marie g u y a R D)
PREMIÈRE SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DES URSULINES DE QUÉBEC ;
PAR
LABBÉ P.-F. RICHAUDEAU,
Du Tiers-Ordre de S. -F., aumônier des Ursulines de Blois, ancien prof, de théologie,
chan. honoraire de Blois et d'Alby, auteur de plusieurs autres ouvrages.
DEUXIEME KDITIOX.
PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE - CATHOLIQUE
LEIPZIG
L. A. KITTLER, COMMISSIONNAIRE
Rue Bonapai le, 66 -:- Ouersirasse, 34
V^-- H. CASTERMAN
ÉDITEUR PONTIFICAL, IMPRIMEUR DE l'ÉVÊCHÉ
TOURNAI
1874
TUUS DROITS KKSBKVÉS.
APPROBATION DE SA GRACE MGR TASCHEREAU, ARCHEVÊQUE
DE QUÉBEC.
Québec, 16 décembre 1873.
A M. l'Abbé Richaudeau, aumônier des Ursulines de Blois.
Monsieur l'Abbé,
J'apprends que vous avez mis la dernière main à la Vie de la
Révérende Mère Marie de V Incarnation, première Supé-
rieure des Ursulines de Québec. Toutes les feuilles, à mesure
qu'elles sortaient de la presse, ont été soumises à l'examen
d'une personne tout à fait compétente, dont le rapport a été
favorable. Les petites corrections qu'elle a suggérées et que
vous avez faites, prouvent avec quel soin elle s'est acquittée de
sa commission.
C'est avec grande joie que je donne mon approbation à cet
ouvrage, qui contribuera, j'en ai l'intime conviction, à la gloire
de Dieu, qui est admirable dans ses saints, et à l'édification des
âmes, pour qui l'exemple est toujours une leçon plus puissante
que les paroles.
L'ancienne France se glorifie d'avoir donné le jour à cette
Thérèse du Nouveau-Monde; la Nouvelle-France a été le
théâtre où s'est exercé son zèle et se sont manifestées au grand
jour les admirables inspirations de la grâce divine en elle. Des
deux côtés du grand océan qui nous sépare s'élèvera un concert
de bénédictions et de louanges, d'admiration et de reconnais-
sance, à la gloire de Dieu infiniment parfait, dont la grâce est
si puissante.
Vous avez fait une bonne œuvre, pour laquelle je vous dois et
vous conserverai toujours une vive reconnaissance.
t F. A., Archev. de Québec.
705408
6 APPROBATIONS.
APPROBATION DE SA GRACE MGR LAFLÈCHE, ÉVÊQUE
DES TROIS-RIVIÈRES.
Sur le rapport officiel et favorable de notre Vicaire-Général,
nous sommes heureux d'approuver et de pouvoir ajouter à la liste
des bons livres, dont nous avons recommandé la lecture à nos
diocésains, la Vie de la Révérende Mère Marie de V Incar-
nation, première supérieure et fondatrice des Ursidines de
Québec, par M. l'Abbé Richaudeau, aumônier des Ursulines
de Blois.
Outre une valeur historique incontestable, ce livre offre à la
piété un aliment précieux et des mieux conditionné.
Donné aux Trois-Rivières, ce 10 novembre 1873.
'C L. F., Ev. des Trois-Riviè}-es.
APPROBATION DE SA GRACE MGR GUIGUES, ÉVÊQUE D'OTTAWA.
A M. l'Abbé Richaudeau,
La Vie de la Révérende Mère Marie de l'Incarnation, pre-
mière supérieure des Ui-sulines de Québec, sera lue dans toute
la Province avec empressement. L'intérêt qui s'attache au sou-
venir des vertus et des grandes qualités de cette âme privilégiée,
comme aussi l'intérêt que vous avez su répandre dans le récit
que vous en avez fait, en assure le succès.
Je le désire ardemment et du plus profond de mon cœur.
Ollaiva, le 18 décembre 1873.
f Jos. Eugène, Ev. d'Ottawa.
APPROBATIONS. 7
APPROBATION DE SA GRACE MGR LAROCQUE, ÉVÊQUE
DE SAINT-HYACINTHE.
Nous recommandons à l'attention du clergé et des fidèles de
notre diocèse la Vie de la Révérende Mère Marie de Vlncar-
nation, première supérieure des Ursidines de Québec, que
M. l'abbé Richaudeau vient de publier en France.
M. l'Abbé Casgrain édifiait, il y a quelques années, le Canada
tout entier, en consacrant ses veilles et les travaux de sa plume
élégante et facile à ramener sur notre horizon social l'éclat si
brillant et si vif qu'y répandirent autrefois les dons singuliers
de grâce et les vertus héroïques de l'illustre et célèbre religieuse,
providentiellement conduite de la vieille France en la nouvelle !
L'œuvre plus complète de M. l'Abbé Richaudeau, qui y a
apporté tout le soin et l'exactitude d'un écrivain éclairé et
consciencieux, sera sans doute accueillie avec toute la faveur
et tout l'empressement dont fut honorée et encouragée celle de
M. l'Abbé Casgrain.
La lecture de ce nouveau monument littéraire, élevé à la
gloire des origines si religieuses et si chevaleresques de notre
pays, sera d'une bien douce jouissance pour tous ceux qui aiment
à reporter leurs souvenirs sur les personnes, les faits ou les
choses de l'époque de notre histoire à laquelle a vécu la véné-
rable Mère Marie de l'Incarnation, qui en fut elle-même l'une
des plus grandes figures, et l'un des plus grands intérêts.
Puisse la nouvelle vie de cette femme vraiment extraordinaire
contribuer à réaliser l'espoir de la foi et de la piété qui ont
appelé l'attention du Chef de l'Eglise sur l'éminence de ses
vertus, en le suppliant de lui décerner l'honneur suprême du
culte public !
f C, Ev. de Saint- Hyacinthe .
Saint-Hyacinthe , 18 décembre ISIri.
(S APPROBATIONS.
APPROBATION DE SA GRACE MGR LANGEVIN, ÊVÈQUE DE RIMOUSKI.
C'est avec bonheur (|ue je salue l'apparition d'une nouvelle
Vie de la Mère 3/arie de l'Incarnation, première supérieure
des Ursulines de Québec, par M. l'Abbé Richaudeau. La publi-
cation de cet ouvrage, si propre à faire connaître et admirer
de plus en plus les vertus et les dons extraordinaires de cette
sainte Religieuse, me paraît faite dans un moment très-opportun
pour aider au succès de la cause de béatification de cette véné-
rable servante-de Dieu.
Aussi, verrai-je avec plaisir ce livre, honoié de l'approbation
de Monseigneur l'Archevêque de Québec, se répandre parmi le
clergé et le peuple de mon diocèse.
"(■ Jean, Kv. de Saint-Germai^i fie Rimouski.
Siihit-Gei ûiii/in de Rimouski, 19 décembre ISl'-i.
APPROBATION DE SA GRANDEUR MGR PALLU-DU-PARC. ÉVÉQUE
DE BLOIS.
Nous avons fait examiner par un pieux et savant théologien
de notre grand-séminaire un livre intitulé : Vie de la Révé-
rende Mère Marie de l'Incarnation {née Marie Guyard),
première supériem-e du monastère des Ursulines de Québec,
par M. l'Abbé Richaudeau, aumônier des Ursulines de Rlois.
ancien professeur de théologie, etc.
Sur le rapport très-favorable qui nous a été fait de cet ouvrage,
nous lui donnons bien volontiers notre approbation, persuadé
que cette belle vie sera lue avec un grand intérêt et beaucoup
de fruit, spécialement dans les communautés religieuses et par
Tontes les âmes chrétiennes qui aspirent à la perfection
t L. Th., Kv. de Jilois.
I
Donné à fJ/o/s, le l janvier 187 L
APPROBATIONS. 9
APPROBATION DE SA GRACE MGR I. BOURGET, ÉVÊQUE
DE MONTRÉAL. \
J'éprouve une véritable joie de trouver dans l'ouvrage de
M. l'Abbé Ricliaudeau un nouveau panégyrique de la vénérée
fondatrice du monastère des Ursulines de Québec.
C'est une voix de plus ajoutée à tant d'autres, qui forment un
agréable concert, pour publier les vertus héroïques qu'a pra-
tiquées cette fidèle servante de Dieu et les dons singuliers dont
Notre-Seigneur s'est plu à 'orner sa belle âme.
J'ai la confiance que cette nouvelle Vie de la Mère de flncar-
nalion contribuera efficacement à entretenir dans ce pays la
réputation de sainteté qu'elle ajustement méritée de son vivant
et dont la bonne odeur se conserve parmi nous, qui ne saurions
oublier les admirables exemples de vertus qu'elle donna à nos
pères et les puissants secours qu'elle leur procura par ses ferven-
tes prières, son généreux dévoûment et ses pénibles sacrifices
dans leurs besoins, leurs épreuves et leurs dangers.
Il n'y pas à douter que la dévotion que l'on a déjà à cette
admirable servante de Dieu ne s'augmente et ne se propage
parmi nous par la lecture de l'histoire de sa vie qui est si inti-
mement unie à l'histoire de notre pays. Il s'ensuivra un redou-
blement de confiance dans ses mérites : et comme le temps paraît
venu où Dieu veut la glorifier, nous pouvons espérer qu'il s'en-
suivra des prodiges éclatants et incontestables, qui seront pour
l'Eglise un motif de lui décerner les honneurs de l'autel. Puissions-
nous voir arriver bientôt ce jour fortuné !
f Ig., Ey. de Montréal.
Montréal, le 24 février 1874.
10 APPROBATIONS.
LETTRE DE SA GRANDEUR MGR LYONNET, ARCHEVÊQUE D'ALBY,
A M. L'ABBÉ RICHAUDEAU.
sUhy, 10 mars 1814
Mon cher Monsieur Richaudeau,
Si je ne vous ai pas remercié plus tôt du bel ouvrage que
vous avez eu la bonté de m'envoyer, c'est que je voulais, avant
de vous en témoigner ma satisfaction, prendre au moins con-
naissance de l'ensemble des faits que vous avez relatés.
Je ne saurais vous dire, à présent que j'ai suivi depuis le
commencement jusqu'à la fin de sa vie la vénérable Mère Marie
de l'Incarnation, toute la douce et pieuse impression que cette
lecture a laissée dans mon âme.
Vraiment il y a du trait dans la vie de cette sainte Mère ;
on sent que le souffle de Dieu l'a inspirée ; c'est lui qui l'a fait
passer par tant de phases diverses pour la conduire heureuse-
ment à ses fins. Aussi, quelle élévation dans ses pensées! quelle
délicatesse dans ses sentiments ! quelle générosité dans ses
sacrifices! Elle a bien mérité, ce me semble, par son coup d'œil
si pénétrant, son jugement si juste et ses vertus si profondes, le
surnom qu'on lui a donné de sainte Thérèse du Nouveau- Monde .
Elle aura, je n'en doute pas, largement contribué, pour sa
part, à étendre et propager le royaume de Dieu dans cette partie
de l'Amérique où la foi a jeté de si profondes racines.
Puisse maintenant votre travail si consciencieux venir en aide,
à la cause de la révérende Mère devant la Congrégation qui sera
chargée par le chef suprême de l'Eglise de prononcer sur son
incontestable sainteté !
Dans la persuasion qu'il en sera ainsi, je vous réitère, mon
cher M. Richaudeau, avec mes félicitations, la nouvelle assu-
rance des sentiments d'estime et de sincèi'e affection avec lesquels
je suis, aujourd'hui comme aux beaux jours de votre séminaire.
Tout à vous en N. S.
t J. P. Archev. d'Alby.
APPROBATIONS. 11
Un mois après, Mgr Lyonnet, qui avait eu le temps de
mieux apprécier encore la Vie de la Mère Marie de Vlncarna-
tion, envoyait à l'auteur le titre de Chanoine honoraire de sa
métropole.
Le Courrier du Canada y journal qui se publie à Québec,
et qui inscrit en tète de tous ses numéros la devise :
JE CROIS, j'espère et j'aIME,
apprécie de la manière suivante la Vie de la révét^ende Mère
Marie de l'Incarnation, dans son numéro du P"" mai 1874 :
" L'auteur s'est attaché surtout à faire renaître la vie inté-
rieure de la femme vraiment extraordinaire qui illustra de ses
vertus et l'Eglise de France et celle du Canada...
" M. Richaudeau est déjà auteur de plusieurs ouvrages estimés.
On sent, en le lisant, qu'il n'écrit pas pour le plaisir d'écrire,
et que c'est à un homme d'expérience que l'on a affaire. Il n'est
guère de chapitres dans le livre que nous avons sous les yeux,
qui ne contienne des conseils sur l'éducation des enfants, la
direction des âmes, etc. ; puis des explications sur les vérité
de la foi, et des considérations, très-attachantes dans leur
mysticité, sur les communications de Dieu avec les âmes fidèles
et privilégiées, les miracles, la grâce, la vertu toute-puissante
du sacrifice.
» Traiter un pareil sujet avec une telle hauteur de vues sup-
pose un talent, une science théologique et une connaissance du
cœur humain peu ordinaires. Hâtons-nous de dire que le véné-
rable et savant hagiographe n'a pas trop présumé de ses forces :
c'est ce qui ressort des approbations dont son œuvre est revêtue,
et c'est aussi le témoignage que nous avons recueilli de plusieurs
membres du clergé de cette ville.
" Quant à nous, laïque, nous déclarons que nous avons été
étonné de l'attrait que M. l'abbé Richaudeau a su donner à son
livre. Nous avons lu avec une véritable avidité, non-seulement
12 APPROBATIONS.
ces pages oh figurent nos héroïques ancêtres et où sont racontés
I
les commencements de l'Eglise huronne-algonquine, mais encore
celles où le théologien nous transporte dans les régions supé-
rieures, déchirant les voiles qui cachent les horizons lumineux,
expliquant les admirables opérations de la grâce dans l'àrae
humaine, et commentant avec autant de clarté que de justesse
les paroles inspirées de la vénérable Marie de l'Incarnation sur
les vérités dogmatiques de l'ordre le plus élevé.
" M. l'abbé Richaudeau parle avec ce ton d'autorité exempt
de toute raideur que peuvent seuls donner la maturité du talent,
les fortes études et le commerce des âmes. Son style est ferme,
sobre, concis. En le lisant on pense à ce qu'il dit et on ne songe
guère à remarquer comment il le dit. L'écrivain, en gardant la
mesure et le ton convenables, s'efface presque complètement, et
la grande figure de la Sainte et les autres figures qui l'entourent
restent seules en lumière. Or, savoir attacher le lecteur et se
faire oublier soi-même est déjà un grand art : c'est la marque
par excellence des écrivains de bonne école.
" Au moment de terminer cet article, deux des choses que
nous venons de lire nous reviennent à la mémoire. La première,
c'est que Notre-Seigneur Jésus-Christ a daigné faire connaître
à nôtre Sainte Canadienne l'efficacité irrésistible de la dévotion
à son Cœur sacré cinquante ans avant l'apparition de Paray-
le-Monial. La seconde, c'est que l'œuvre de sainte Angèle Mérici.
l'institution des Ursulines, a la promesse d'une durée éternelle.
Nous nous bornons pour aujourd'hui à faire mention de ces deux
faits sans y ajouter aucun commentaire , et nous laissons nos
lecteurs, si profondément catholiques, aux sentiments doux et
consolants qu'ils feront naître dans leurs cœurs.
•' Ernest Gagnon. ••
APPROBATIONS. 13
Voici comment s'exprime à son tour , au sujet du même
ouvrage, la Revue Catholique d'Aire et de Daœ, paraissant
sous le patronage de Mgr l'Evèque d'Aire (N° du 23 mai 1874).
" Peu de livres apparaissent avec un cachet d'opportunité
plus marqué que celui de l'abbé Richaudeau . j'ajouterai qu'il
en est peu qui offrent une lecture plus saine, plus utile et plus
attrayante...
" Il est aisé de se convaincre, en lisant l'ouvrage de M. Ri-
chaudeau, qu'il possède, avec la doctrine sûre du théologien,
une grande dextérité acquise dans la conduite des âmes et
l'application des maximes et des règles de la vie mystique. Il lui
fallait tout cela pour dire convenablement ce que fut la vénérable
Marie de l'Incarnation . . .
" Inutile de dire que les personnes élevées à l'ombre de sainte
Ursule, trouveront un charme particulier à lire la Vie de Marie
de Vlncarmation ; car elle leur rappellera mille souvenirs d'en-
fance; et dans la vénérable Mère dont elles étudieront les vertus,
elles retrouveront plus d'une fois l'image des maîtresses dont la
sollicitude entoura leurs premiers ans.
" Nous formons le vœu que ce livre se répande ; il est d'ailleurs
bien écrit ; des traits semés çà et là avec quelque profusion
soutiennent l'intérêt ; l'on arrive à la fin sans avoir éprouvé le
moindre ennui ; et l'on emporte de sa lecture le double sentiment
de vénération et de désir du bien qu'inspire toujours la vie des
saints. ••
- — ■>o^»vr<v..-
LETTRE DE MGR GRANDIN. ÉVÊQUE DE SAINT-ALBERT.
{Haut-Canada.)
Takukewin, gt^andes plaines du Nord-Ouest, en route vers
Saint- Albert, 9 août 1874.
Monsieur rAumônier,
J'ai lu d'un bout à l'autre, soit assis sur mon cheval, soit dans
mes différents campements, l'admirable Vie de la Mère Marie
de V Incarnation. Je ne saurais assez vous remercier de l'avoir
écrite. C'est un livre que tout missionnaire, de l'Amérique du
Nord du moins, tiendra à avoir dans sa bibliothèque, dès lors
qu'il le connaîtra.
Cette Vie m'a vraiment impressionné ; je dirai même qu'elle m"a
fait du bien, et elle en fera à mes missionnaires qui, avec moi,
continuent sur différents points de mon immense diocèse l'œuvre
commencée au Bas-Canada par de saints missionnaires avec
lesquels a travaillé la Mère Marie de l'Incarnation. Puissions-
nous avoir leurs vies, comme nous avons, grâce à vous, la vie
de cette dernière
Encore une fois. Monsieur Taumùnier, merci pour cette Vie.
Elle nous fera du bien, j'en suis certain. J'ai la consolation
d'emmener dans ce voyage, non-seulement des Pères et des
Frères convers oblats, mais aussi de bonnes religieuses canadien-
nes, dont les ancêtres ont peut-être été formées à la science et
à la vertu par la Mère Marie de l'Incarnation. Elles lisent main-
tenant cette Vie ; tous, à peu près, nous l'avons lue, et elle contri-
buera, j'espère, à nous rendre supportables, peut-être même
aimables les nombreuses difficultés de notre si long, si pénible
et si ennuveux vovaçje
t Vital, J. Ev. de Saint- Albert.
0. M. J.
16 INTRODUCTION.
réconcilierait jamais avec l'état religieux tel qu'il avait
existé jusqu'alors, et que le plus sage était d'entrer en
accommodement avec l'esprit du siècle, de céder à la
répulsion qu'il semblait avoir pour la vie mystérieuse
du cloître et de lui donner des religieuses abordables
dans nn salon. On voulait faire la part du feu et con-
server à l'Eglise sa légitime influence sur l'éducation
des jeunes filles.
On peut voir aujourd'hui qu'il y avait là une étrange
illusion : car pendant que ces personnes, d'ailleurs
véritablement pieuses, disaient : Les Ursiilines ont fait
leur temps, les philosophes et les révolutionnaires
tenaient le même langage en parlant de l'Eglise.
Aujourd'hui encore ils prétendent que le catholicisme
doit disparaître avec toutes ses institutions et faire
place aux conquêtes de l'esprit moderne. S'ils étaient
libres de mettre leurs idées à exécution, ils ne feraient
pas plus grâce aux congrégations religieuses fondées
hier qu'aux Ordres qui ont traversé des siècles ; ce qui
se passe en Italie en est la preuve (Mars 1873).
Cependant l'intention de ceux qui fondèrent des com-
munautés enseignantes non cloîtrées était bonne ; et
Dieu qui la dirigeait en tira des avantages que lui seul
pouvait prévoir, de même que seul il savait de quel
grand nombre d'écoles religieuses l'Eglise allait avoir
besoin. Il bénit les nouvelles communautés sans aban-
donner les anciennes; les unes et les autres travaillèrent
sans se nuire; toutes même eurent des succès inespérés;
et cette société du XIX^ siècle, qui sortait de la révolu-
tion la plus antichrétienne que l'on eût vue, sembla
éprouver une invincible défiance à l'égard de toute
éducation qui n'aurait pas eu un véritable cachet reli-
gieux. Cette disposition évidemment providentielle se
INTRODUCTION. 17
manifeste de plus en plus, au point que jamais on ne
vit autant de familles confier l'éducation de leurs
enfants, surtout celle des filles, aux établissements
religieux,^ que depuis un demi-siècle.
Les Ursulines eurent, pourtant, une certaine peine
à se reconnaître et à se relever après la tourmente
révolutionnaire. L'esprit d'irréligion qui minait les
hautes classes de la société, longtemps avant l'explosion
de 1789, avait considérablement diminué le nombre
des vocations; bien des monastères avaient même déjà
succombé par la pénurie de sujets; les autres jetaient
des cris de détresse, comme celui que nous ont transmis
les annales des Ursulines de Blois, à l'année 1784.
« Les pertes fréquentes que nous faisons des sujets qui
composent notre communauté, et le petit nombre de
ceux qui se présentent pour combler les vides nous
affligent au delà de toute expression. Cela nous fait
dire avec le prophète Jérémie au chapitre de ses
Lamentations : Les voies de Sion gémissent, parce que
personne ne les fréquente plus. »
Il faut ajouter, comme conséquence de la rareté des
vocations, que la plupart des religieuses chassées de
leur couvent par la révolution étaient d'un âge plus
ou moins avancé; plusieurs étaient arrivées à la décré-
pitude. Il leur fut donc difficile, après la Terreur, de se
retrouver en nombre suffisant pour essayer de reprendre
leur œuvre interrompue. Aussi nous ne connaissons
que trois maisons qui aient pu y parvenir avant les
(1) Si la liberté des pères de famille n'était pas entravée, soit par les bourses,
qui sont accordées aux seuls établissements universitaires lorsqu'elles devraient
l'être aux familles, soit par d'autres causes que nous ne pouvons détailler ici, la
presque totalité des jeunes gens serait élevée par le clergé, tant les familles com-
prennent encore leurs véritables intérêts en même temps que ceux de la société.
M. DE l'inc. 2
18 INTRODUCTION.
prélimiaires du Concordat. Nous parlons de la France,
bien entendu. Or, à mesure qu'on laissait le temps
s'écouler, la vieillesse et la mort, causant de nouveaux
ravages, accroissaient les difficultés.
11 était arrêté néanmoins dans les décrets célestes
que cet Ordre béni, non-seulement ne succomberait
pas, mais reprendrait son éclat d'autrefois. Quoi d'éton-
nant? N'était-il pas l'œuvre de Dieu? N'avait-ce pas été
après un commandement divin plusieurs fois réitéré,
que sainte Angèle l'avait fondé en 1535? On n'ignore
pas que ce fait merveilleux a été constaté dans le
procès de canonisation de la sainte par le Vicaire
infaillible de Jésus-Christ. En second lieu, une pro-
messe divine assure à la Compagnie de sainte Ursule,
comme aux trois Ordres de saint François, une durée
égale à celle de l'Eglise. Ici encore nous avons pour
garant le même oracle irréfragable. Après avoir dit que
sainte Angèle fut ornée des plus sublimes vertus, com-
blée des dons du Ciel, particulièrement des dons de
sagesse et de prophétie, Pie VII ajoute qu'au moment de
la mort elle prédit que la société établie par elle durerait
toujours: Pcrennem quoque futuram morti proxima prœdixit.
Ajoutons que cette société d'humbles vierges chré-
tiennes venait d'acquérir pendant la persécution même,
et par le sang qu'elle y avait versé pour la cause de
Dieu, un titre nouveau à la protection du Ciel. De même
que le sang des martyrs en général est une semence de
chrétiens, de même le sang de martyres religieuses est
un germe fécond de vocations. Or l'Ordre des Ursulines
avait fourni une généreuse part de victimes à la rage
INTRODUCTION. 19
révolutionnaire. Voici les plus remarquables entre ces
héroïques et chastes immolations.
Au mois d'octobre 179-i, cinq Ursulines de Valen-
ciennes furent condamnées par le tribunal révolution-
naire. Les vierges chrétiennes, radieuses de bonheur,
s'acheminèrent vers le lieu du supplice en psalmodiant
\e Miserere. Elles avaient les mains liées derrière le dos;
mais cela n'empêcha pas l'une d'entre elles de monter
avec tant d'empressement sur l'échafaud, qu'il fallut l'en
faire descendre. Elle avait devancé son rang!
Quelques jours après, six autres de la même commu-
nauté eurent le même sort. L'une d'elles, arrivée au
lieu de l'exécution, dit aux soldats qui les escortaient :
« Citoyens, nous vous sommes bien obligées, car ce jour
est le plus beau de notre vie. Nous prions le Seigneur
qu'il vous ouvre les yeux. » — Une autre ajouta :
« Nous pardonnons à nos juges, à nos ennemis, au
bourreau. » Celui-ci les ayant garrottées, chacune le
remercia avec transport et lui baisa la main.
Trois mois auparavant, à l'autre extrémité de la
France, à Orange, trente-deux religieuses, dont quinze
Ursulines, avaient porté également leur tête sur l'écha-
faud. Marie-Anne-Marguerite Rocher, Ursuline de
Bolène, fut à même, un jour, de s'échapper. Elle con-
sulta son père, vieillard octogénaire qui n'avait que
cette fille pour le servir à la fin de sa carrière. Voici
sa réponse : « Il me serait facile de vous cacher, ma
chère enfant, et de vous dérober aux poursuites des
persécuteurs. Mais examinez bien devant Dieu si, en
fuyant, vous ne vous écartez pas des desseins qu'il a
sur vous. Peut-être veut-il votre mort comme celle
d'une victime qui doit apaiser sa colère. Je vous dirai
comme Mardochée à Esther, que vous n'existez pas
20 INTRODUCTION.
pour VOUS, mais pour son peuple. « L'angélique fille
de ce héros chrétien donna sa tête au bourreau après
avoir remercié ses juges de la manière la plus gra-
cieuse. Ainsi moururent toutes ses compagnes de
prison; d'autres encore recueillirent ailleurs la palme
du martyre et méritèrent par là des grâces immenses
en faveur de leur Ordre. Unies à toutes les Ursulines
qui avaient eu le bonheur de parvenir à la gloire, elles
prièrent pour leurs sœurs dispersées à tous les vents
du ciel.
On peut croire que le premier et principal effet de
ces prières fut la canonisation de sainte Angèle, qui eut
lieu d'une manière pour ainsi dire inespérée, le 24 mai
1807 : car c'est à partir de ce moment que l'on vit les
a,nciennes maisons d'Ursulines se relever, et que d'au-
tres furent fondées. En effet, sur les cent trente monas-
tères qui existent en France aujourd'hui, il y en a
environ cent dont le rétablissement ou la fondation
ne remonte pas au delà de 1807; et sur les deux cent
soixante-dix qui sont répandus dans les différentes
autres contrées du monde catholique, une centaine
également ont été institués postérieurement à 1806.
Ce qui montre que Dieu n'a pas cessé, depuis lors,
de bénir l'Ordre des Ursulines, c'est que soixante mai-
sons environ ont été fondées depuis 1848, et il s'en
fonde de nouvelles presque chaque année.
Elles se multiplient particulièrement en Amérique où
elles exercent leur apostolat avec des succès inespérés.
Mgr Dubuis, évêque de Galveston, qui en établit le plus
qu'il peut dans son immense diocèse, nous disait, il y a
INTRODUCTION. 21
quelques années, dans un voyage qu'il a bien voulu faire
à Blois, que sur dix conversions de protestants procurées
par des influences autres que celle du clergé et des
missionnaires, sept ou huit étaient dues aux Ursulines.
Bien d'autres faveurs que celles dont nous venons de
parler ont été accordées par la divine Providence à
cette Compagnie de vierges chrétiennes. Le 11 juillet
1861, par un Décret Urbi et Orbi, le Souverain Pon-
tife étendit à toute l'Eglise le culte particulier rendu
jusque-là à sainte Angèle. Voici les termes de ce Décret :
« Afin que par la protection et les mérites de cette
sainte, le Seigneur daigne préserver de toute erreur et
de toute souillure les personnes de son sexe, Sa Sainteté
a décrété par autorité apostolique, que désormais la fête
de sainte Angèle Mérici, Vierge, ainsi que l'office et la
Messe déjà accordés pour quelques lieux, sous le rite
double-mineur, soient célébrés par toute l'Eglise, nonob-
stant toutes dispositions à ce contraires. »
Le 17 avril 1863, le même Pontife érigea en Archi-
confrérie une pieuse Association établie au couvent des
Ursulines de Blois en l'honneur de sainte Angèle. Le
registre de Blois contient aujourd'hui les noms de plus
de cinquante-quatre mille associées, sans compter celles
qui font partie d'associations agrégées à cette Archi-
confrérie et dont nous ignorons le nombre.
Enfin un autre honneur, le dernier que l'Eglise
accorde aux saints sur la terre, fut rendu à sainte
Angèle le 25 juillet 1866. Ce jour-là, sa statue monu-
mentale, en marbre de Paros, haute de quatre mètres
soixante-douze centimètres, fut placée dans la basilique
de Saint-Pierre de Rome. La sainte est représentée
faisant lire une petite fille dont la hauteur est de deux
mètres soixante-dix centimètres.
22 INTRODUCTION.
Aujourd'hui Dieu semble vouloir prodiguer d'autres
faveurs à l'Ordre dont nous parlons, en faisant res-
plendir les vertus et l'éminente sainteté d'une Ursuline
dont le nom, après avoir été un moment dans toutes les
bouches il y a deux siècles, avait presque cessé d'être
prononcé et même d'être connu ailleurs qu'au Canada.,
La Mère Marie de l'Incarnation, née à Tours, fut l'une
\ des femmes qui jetèrent le plus d'éclat au XVIi® siècle,
si fécond en grands caractères. Sa vie écrite par son
fils, religieux Bénédictin, et publiée en 1G76, fit une
grande sensation au moment où elle parut. Le public
fut si frappé des vertus de cette admirable religieuse,
qu'on la qualifia, dit Bossuet, de Thérèse de son siècle
et du Nouveau Monde.
Dieu permit que cette juste admiration disparût,
mais c'était pour la faire revivre en temps opportun.
Or ce temps semble être l'époque actuelle. Par un
mouvement qui paraît bien avoir été l'effet de la grâce,
plusieurs personnes pieuses ayant lu, soit l'ancienne
vie de Marie de l'Incarnation par son fils, soit celle
du Père Charlevoix, jésuite, éprouvèrent le désir et
l'espérance de voir sur les autels une religieuse si
sainte et si parfaite, que sa vertu semble n'avoir jamais
été assombrie par le moindre nuage durant les soixante-
treize ans qu'elle passa sur la terre. On exprima cette
pensée à feu Mgr Baillargeon, archevêque de Québec,
mort depuis, après avoir quitté le concile pour cause
de mauvaise santé. Ce pieux prélat agréa la proposi-
tion qui lui fut faite, et aussitôt il nomma une commis-
sion pour recueillir tous les faits et tous les renseigne-
ments historiques de nature à éclairer le Saint-Siège
INTRODUCTION. 23
sur une affaire de si grande importance pour l'Eglise
en général et le diocèse de Québec en particulier.
La commission travailla avec un zèle admirable;
elle eut le bonheur de pouvoir constater canonique-
ment non-seulement des miracles déjà opérés, mais
des guérisons frappantes obtenues pendant qu'elle était
en fonction. Elle en rédigea les procès- verbaux selon
les règles canoniques, et le tout fut envoyé à Rome
à l'époque où les intrépides zouaves du Canada vinrent
offrir leurs services à Pie IX, et lui faire bénir leur
drapeau orné de cette devise : Aime Dieu et va ton
CHEMIN. Mgr Baillargeon sachant que, d'après les règles
ordinaires et les usages romains, ces pièces devaient
attendre dix ans avant qu'on en rompît les sceaux, fît
présenter au Pape une supplique signée de tous les
évoques de sa province, dans le but d'obtenir de Sa
Sainteté la dispense des dix ans d'attente. Le bienveil-
lant Pontife accueillit la demande, fit rompre les
sceaux et ordonna de mettre les pièces entre les mains
de la Congrégation des Rites.
Nous avons cru, en conséquence de ces faits, le
moment favorable pour publier une nouvelle Vie de
cette religieuse éminente. Il nous a semblé qu'il était
bon de préparer les fidèles à lui rendre les hommages
que l'Eglise va lui décerner si, comme nous l'espérons,
elle juge suffisantes les preuves de sainteté qu'elle
examine en ce moment.
Il est vrai que M. l'abbé Casgrain a publié à Québec,
en 1864, un excellent travail sur ce même sujet et
ayant le même titre; mais pour des motifs que nous
24 INTRODUCTION.
ignorons, et qui en tout cas ne pourraient plus être
admissibles au moment où tout fait espérer que Marie
de l'Incarnation va être mise au rang des Bienheureux,
M. Casgrain, suivant une méthode opposée à celle du
Père Charlevoix, a presque entièrement omis, dans
l'histoire de la servante de Dieu, ce qui caractérise le
plus sa sainteté exceptionnelle. Il n'a pas jugé à propos
de mettre en relief les faveurs extraordinaires dont
son âme a été comblée, les degrés par lesquels elle a
été élevée à une vie mystique et une perfection d'union
avec Dieu telles que bien peu de saints, même parmi
les plus éminents peut-être, l'ont surpassée ou égalée.
Or il nous semble que ce n'est plus le moment de
laisser dans l'ombre ce splendide travail de la grâce
dont Bossuet et les grands esprits du XVIP siècle
avaient été particulièrement frappés, et qui, à leurs
3^eux, rendait Marie de l'Incarnation comparable à
sainte Thérèse.
Je sais bien qu'on redoute généralement les lectures
sérieuses, et surtout la partie mystique de la vie des
saints. Mais c'est précisément là le grand mal de notre
époque; c'est le désordre contre lequel il est indispen-
sable de réagir. Qui ne voit combien cette légèreté des
esprits, ce parti pris de vouloir ignorer les chefs-d'œu-
vre de la grâce, renferme d'outrage envers Dieu?
On veut tout savoir aujourd'hui, ou plutôt on veut
savoir quelque chose de tout, excepté ce qui concerne
la science de Dieu, de sa religion, de son amour pour
les âmes. Une jeune fille, surtout si elle se destine à la
carrière de l'instruction, consent à se fatiguer durant
des années entières par des études abstraites pour
apprendre la géométrie, l'algèbre, pour résoudre les
plus difficiles problèmes de l'arithmétique, et elle fer-
INTRODUCTION. 25
mera son esprit, elle refusera toute espèce d'attention
s'il s'agit de connaître l'action de la grâce divine dans
une âme. Cependant cette science est bien plus belle,
elle est plus grande, plus utile et plus facile à acquérir
que celles auxquelles elle consacre de si longues
heures ! Elle ne craindra pas un pénible travail pour
mettre dans sa tête toute une classification de termes
scientifiques barbares comme ceux de la chimie, et
elle refusera de faire un quart d'heure de lecture
spirituelle, si cette lecture n'est pas amusante!
On ne doit pas oublier que nous sommes sur la terre
pour connaître Dieu, l'aimer et le servir; tout le reste
n'est qu'accessoire, ou plutôt il n'y a rien en dehors de cela,
parce que tout doit être dirigé vers cette fin suprême et
unique. Toute science, même celle que l'on appelle pro-
fane, doit être surnaturalisée et étudiée dans le but de
mieux connaître les œuvres de Dieu et Dieu lui-même.
Il y a deux sortes d'œuvres de Dieu : les unes appar-
tiennent à l'ordre de la nature, les autres à celui de la
grâce; mais celles-ci sont incomparablement plus excel-
lentes. Qu'est-ce que les astres qui roulent au-dessas
de nos têtes, et les océans de lumière dont ils inondent
l'espace, en comparaison d'une âme sainte qui, remplie
des clartés de l'essence divine, servira comme de phare
céleste pour éclairer une multitude d'autres saints
pendant la durée des siècles, et qui les fera graviter
autour d'elle par l'imitation de ses vertus, jusqu'à ce
que tous les élus se trouvent enveloppés dans les
splendeurs éternelles? Que sont ces immenses brasiers
qu'on appelle des soleils, et dont la chaleur traverse
des espaces incalculables, si l'on veut étudier cet
amour véritablement insondable que Dieu allume lui-
même dans les cœurs où il habite, et dont il active la
2b INTRODUCTION.
flamme dans des proportions auxquelles rien ici-bas
ne peut être comparé?
De même que les perfections infinies de Dieu dont
la raison humaine peut avoir quelque notion s'aper-
çoivent dans ses œuvres de l'ordre naturel, comme le
dit saint Paul, ainsi les merveilles de l'ordre surnaturel,
objet de la contemplation des Bienheureux qui voient
Dieu face à f^ce , se reflètent dans les vertus et les
perfections de certaines âmes d'élite données en spec-
tacle au monde par une miséricordieuse Providence.
Or, n'est-ce pas là une science que tout chrétien a
intérêt de connaître, que tous même nous devons
travailler à acquérir, puisque nous sommes créés pour
voir Dieu et contempler à jamais les beautés du ciel?
Il serait bien aveugle celui qui croirait que l'on ne doit
pas initier les jeunes enfants à cette science divine.
Quoi! les enfants de Dieu pourraient connaître trop tôt
ou trop bien les grandes et magnifiques œuvres de leur
Père céleste! 11 y aurait de l'inconvénient à les mettre
en face des phénomènes de la grâce les plus propres
à leur faire comprendre ce qu'il y a de grand dans leur
vocation à la foi et dans leur titre de chrétiens, ce qu'il
y a d'élevé et de sublime dans leurs destinées éter-
nelles! A Dieu ne plaise qu'une telle manière de penser
puisse jamais prévaloir dans une famille chrétienne!
On dira que ce sont des choses trop relevées pour
que les personnes d'une instruction ordinaire les puis-
sent comprendre. — Mais, tous les jours, n'impose-t-on
pas un travail pénible à des enfants de six ou sept ans,
pour leur faire réciter des règles de grammaire dont
INTRODUCTION. 27
ils ne comprennent pas un mot? Cela pourtant est
nécessaire si l'on veut qu'ils les comprennent plus tard.
Ajoutons que les enfants qui lisent les merveilles de
la grâce dans la vie des saints, acquièrent bien plus
qu'on ne croit une haute idée de la magnificence des
œuvres de Dieu, surtout de ses œuvres surnaturelles;
quelque chose leur dit qu'il y a dans la sainteté une
beauté d'autant plus admirable qu'il est plus difficile
de la comprendre et d'en soutenir l'éclat, de même
que nous avons une plus haute idée de la splendeur
du soleil, précisément parce que nos yeux ne peuvent
le fixer.
« Toujours dans le ciel! entends-tu, mon frère? ou
bien toujours dans les enfers! Toujours, toujours! «
Ainsi parlait à son petit frère une petite fille qui fut
sainte Thérèse. Ils lisaient ensemble, à l'âge de sept
ou huit ans, les vies des saints, et pensant à la gloire
des martyrs, il leur prit un désir ardent de mourir
comme eux, afin de jouir plus tôt de la félicité éter-
nelle. Toujours! toujours! se disaient-ils l'un à l'autre,
et ils se mirent en route pour aller dans la contrée de
l'Espagne où étaient encore les Sarrasins, espérant
trouver le martyre. Rencontrés par un oncle, ils furent
ramenés à la maison, mais un feu céleste continua
d'embraser leurs jeunes cœurs. Son ardeur n'aurait
probablement fait que s'accroître, si une parente animée
de l'esprit du monde n'eût mis entre les mains de
Thérèse des romans et d'autres écrits futiles. L'enfant
y prit goût, le poison s'infiltra dans cette âme jusque-là
si belle et si pure. Elle perdit cette ferveur qui avait
dû faire l'admiration des anges. Son père s'en aperçut,
et comme il était fervent chrétien, il la mit en pension
dans un couvent pour remédier au mal. Là se réveil-
28 INTRODUCTION.
lèrent ses sentiments- de piété; de pieuses lectures la
ramenèrent peu à peu, mais non sans difficultés et sans
combats, vers cette voie de perfection où elle fit ensuite
tant de progrès.
« Longtemps après, dit la sainte, étant un jour en
oraison, il me sembla que je me trouvai en un moment
dans l'enfer, sans savoir de quelle manière j'y avais été
portée. Je compris seulement que Dieu voulait me faire
voir le lieu que les démons m'avaient préparé, et qui
eût été ma demeure si j'avais continué de marcher dans
le relâchement où m'avait jetée la lecture des romans. »
Combien de parents qui préparent à leurs enfants
une place dans l'enfer, en croyant les aimer beaucoup!
On verra plus loin dans ce volume que, tout enfant,
Marie Guyard eut le bonheur de sentir le danger des
livres futiles. D'elle-même elle rejeta ceux que ses
parents lui avaient donnés pour son amusement, et elle
devint u^ne femme forte, comparable aux esprits les plus
élevés et aux plus grands saints dont s'honore l'Eglise.
Les historiens de sainte Angèle Mérici nous appren-
nent que ses parents, tenant à élever leur famille dans
la crainte de Dieu, faisaient chaque jour en commun
les prières du matin et du soir, ainsi qu'une lecture
spirituelle , puisée ordinairement dans la Vie des saints.
« Ils avaient soin de faire assister à ces exercices non-
seulement les enfants dont l'intelligence était déjà déve-
loppée, mais encore ceux de l'âge le plus tendre, et qui
ne semblaient encore être capables que d'une assistance
matérielle. Ils voulaient les accoutumer, dès ces tendres
années , à s'occuper selon leur pouvoir de pensées
INTRODUCTION. 29
pieuses et d'œuvres de religion. « Or il arriva, avec
le secours de la grâce sans doute, que ces lectures,
bien autrement propres à ouvrir l'esprit et à en perfec-
tionner les facultés que les romans, les histoires fan-
tastiques et de stupides plaisanteries, produisirent des
effets étonnants sur la petite Angèle. Elles fixèrent
son attention, émurent son cœur et amenèrent une
précocité de raison qui tient du miracle. Dès 1 âge de
trois ou quatre ans, elle entendait la lecture édifiante
et s'unissait aux prières avec un extérieur composé et
attentif comme aurait pu le faire yne personne arrivée
à lage mûr. Bien loin de témoigner de l'ennui ou le
désir de voir arriver la fin, comme cela est ordinaire
aux enfants, elle éprouvait un vrai chagrin quand il
fallait passer des œuvres de piété aux amusements.
Ce développement intellectuel se manifesta surtout
dans l'ordre de la piété. « Les plus anciens historiens
de sa vie, dit le Père Salvatori, s'accordent tous à
assurer que, dès l'âge de cinq ans, elle commença à
s'avancer dans le chemin de la perfection, fuyant la
dissipation et l'oisiveté, montrant du goût pour la
retraite et l'oraison, voulant toujours être occupée ou
aux exercices de piété ou au travail qu'on lui deman-
dait. 5» Tel fut l'effet produit sur Angèle par la lecture
de la vie des saints, telle l'origine d'une sainteté qui
ne fit que croître jusqu'à l'âge de soixante-dix ans, oii
elle quitta la terre pour aller au ciel.
Ce n'était pas seulement par sa piété qu'Angèle exci-
tait l'admiration. Tous ceux qui avaient eu occasion
de la connaître étaient surpris de la sagesse de ses
conseils et des lumières supérieures de son esprit.
On vit un jour la ville de Venise tout entière exprimer
comme par acclamation le désir de la posséder, et
30 INTRODUCTION.
lui envoyer une députation pour lui proposer la direc-
tion de son plus important établissement de charité.
Le Pape Clément VII, à son tour, après s'être con-
vaincu, par lui-même, de sa grande capacité, l'invita
à se fixer à Rome, et lui offrit de la mettre à la tête
de celui des établissements de la ville éternelle qui lui
plairait le plus.
François Sforza, dernier duc de Milan, sur le point
d'être dépouillé de ses Etats à la suite d'une guerre
malheureuse, voulut s'éclairer de ses conseils. Frappé
d'étonnement à la manière dont elle jugeait sa situation
et à la sagesse de ses appréciations, en même temps
qu'il était touché jusqu'au fond du cœur des célestes
maximes de résignation et de confiance qu'elle lui insi-
nuait, « il la prit pour directrice de son âme, la sup-
pliant d'être sa mère spirituelle et la protectrice auprès
de Dieu de toute sa cour et de son peuple. »
Or, qui oserait dire que cette humble femme eût
jamais pu conquérir une pareille considération si elle
eût passé sa jeunesse à lire des romans, au lieu de
donner à son esprit l'aliment solide et substantiel de
la vie des saints? Qui connaîtrait aujourd'hui son nom,
qui connaîtrait les noms de Thérèse , de Marie de
l'Incarnation et de cent autres, si, dès leur enfance et
durant leur jeune âge, ces femmes remarquables n'eus-
sent pas excité un saint enthousiasme dans leur âme
par la méditation des grands exemples de vertus que
nous ont laissés les héros chrétiens?
Si l'on savait réfléchir à ce qui se passe tous les
jours dans les conditions ordinaires de la vie, on
INTRODUCTION. 31
verrait combien de femmes deviennent malheureuses
uniquement parce qu'elles ont étiolé leur intelligence
et leur cœur par l'habitude des lectures futiles et
légères. Les unes, unies à un mari peu capable de
gérer ses affaires, ou facile à se laisser entraîner par
de mauvais conseils, ne savent pas acquérir un ascen-
dant ou inspirer une confiance qui les auraient sauvés
l'un et l'autre en conjurant de funestes catastrophes.
Les autres, éprouvées par des revers imprévus, man-
quent de cette vigueur chrétienne qui empêche l'âme
de fléchir sous le poids de l'adversité, qui même, bien
souvent, fournit des ressources pour vaincre ce que
l'on appelle improprement la rigueur du sort et relever
une situation désespérée.
Les parents qui ne saisissent pas ces vérités que
tant de malheurs de famille leur mettent pourtant
chaque jour sous les yeux, et qui ne s'en inspirent pas
pour diriger l'éducation de leurs enfants, manquent
eux-mêmes de la vraie intelligence des choses de la
vie, intelligence que seule la piété chrétienne peut
donner. Très-peu, en effet, comprennent que Dieu a
disposé toutes choses, dans sa sagesse infinie, de
manière que le sens chrétien est aux intelligences ce
qu'un air pur est pour la respiration corporelle. C'est
la respiration de ce sens, de cet esprit chrétien qui
donne à lame sa vie et sa force, et qui la rend capable
de supporter les épreuves et les travaux par lesquels
elle est condamnée à passer pour mériter les récom-
penses éternelles.
Après ces réflexions si importantes et néanmoins si
souvent négligées, nous croyons utile d'aller au devant
32 INTRODUCTION.
d'une autre objection qui pourrait nous être faite.
Certaines personnes, plus ombrageuses que véritable-
ment prudentes, croiront peut-être qu'il y a dans la vie
de la Mère Marie de l'Incarnation des choses qui sont
de nature à produire de dangereuses impressions : par
exemple, ce qu'elle raconte du mariage de son âme
avec Dieu. — Nous croyons connaître assez les enfants
formés à un commencement de piété pour dire qu'ils
sont, sous ce rapport, généralement plus raisonnables
et plus capables d'apprécier un sentiment pur et un
amour surnaturel, que beaucoup de personnes plus
âgées. Une jeune fille comprend , sans la moindre
apparence de nuage ou d'obscurité, que le sentiment
d'amour pour Dieu, qui inonde son âme et enivre son
cœur au jour de sa première communion, est plus pur
qu'un rayon de soleil, et que s'il était cent fois plus vif,
il serait cent fois plus pur et plus saint. Elle sent que
si Dieu achevait en elle l'œuvre qu'il a commencée,
s'il transformait en lui son âme autant qu'il est possible,
s'il l'étreignait dans un embrassement divin aussi ditfé-
rent des embrassements sensuels que l'amour dont elle
brûle alors diffère de l'amour profane, elle sent que
son cœur deviendrait un ciel et qu'il égalerait le ciel
en pureté. Or le mariage de l'âme avec Dieu n'est rien
autre chose que cette transformation, et cette union
de la créature et du Créateur. Est-ce que, tous les
jours, les enfants élevés chrétiennement ne lisent pas,
n'entendent pas dire que les âmes consacrées à Dieu
sont ses épouses véritables, et que quand elles sont
fidèles à toutes les grâces de leur sainte vocation, il
arrive quelquefois que leur cœur se trouve comme
liquéfié en celui de Jésus-Christ, ou blessé d'une bles-
sure d'amour, comme cela eut lieu pour sainte Thérèse?
INTRODUCTION. 33
Or la Mère Marie de rincarnation ne dit rien de plus en
parlant de son mariage avec Dieu. Heureux les enfants
à qui l'on ne donnerait jamais de livre plus propre à
troubler la pure et douce sérénité dont ils ont reçu la
grâce au jour de leur baptême!
Disons maintenant à quelles sources nous avons
puisé pour composer cet ouvrage.
La principale a dû être la vie de la servante de
Dieu, écrite par son fils, Dom Claude Martin, d'après
des relations qu'elle avait rédigées elle-même, forcée
en quelque sorte par l'obéissance. La première de ces
relations fut faite peu de temps après sa profession,
en 1633. Comme elle était alors accablée des plus
horribles tentations, sa supérieure l'engagea à s'ouvrir
au Père de la Haye, Jésuite, qui prêchait le carême
à Tours. Ce religieux eut bien vite compris qu'il n'était
pas en présence d'une âme commune et ordinaire ; et
pour être en état de porter un jugement sûr, il l'obligea
à lui faire connaître par écrit toutes les grâces qu'elle
avait reçues dans sa vie. Elle se soumit à cette injonc-
tion, mettant toutefois pour condition qu'elle écrirait
en tête la confession de tous ses péchés. Le Père y
consentit, puis quand il eut le tout, il jeta la confession
au feu et garda la relation des grâces reçues, ainsi
que des tribulations et des épreuves par où elle avait
passé. Avant de mourir, il en avait fait cadeau aux
Ursulines de Saint-Denis, qui l'envoyèrent à Claude
Martin, dès qu'elles eurent appris qu'il travaillait à
composer l'histoire de la vie de sa mère.
La Mère de l'Incarnation écrivit sa seconde relation
M. DE LINC.
34 INTRODUCTION.
par ordre du Père Lallemand, autre Jésuite et égale-
ment son confesseur. Elle s'arrête à l'année 1654. Nous
n'avons plus le texte original de ces relations ; mais
Claude Martin déclare les avoir reproduites exacte-
ment, et il mérite toute confiance.
La seconde source où nous avons puisé, est le
volume des lettres de la vénérable Mère. Elles furent
publiées par le même Claude Martin, au nombre de
deux cent vingt-une, en l'année 1681. Nous espérons
en donner bientôt une nouvelle édition.
Deux Vies de la Mère de l'Incarnation, l'une com-
posée par le Père Charlevoix, Jésuite, imprimée en
1624; l'autre publiée tout récemment par M. l'abbé
Casgrain, prêtre du diocèse de Québec, nous ont égale-
ment servi.
Nous avons eu, en outre, l'heureuse chance de
trouver un ouvrage extrêmement rare, intitulé : La Vie
du vénérable Père Dom Claude Martin, religieux Bénédictin
de la Congrégation de Saint-Maur, par le Père Edmond
Martène, son disciple. Voici la principale raison pour
laquelle ce volume est rare. Après l'avoir composé par
un sentiment d'afection filiale, Martène sollicita auprès
de ses supérieurs la permission de le faire imprimer;
il écrivit lettre sur lettre, fit même le voyage de Paris
et employa la médiation des personnes qu'il supposait
avoir le plus de crédit; mais il ne reçut jamais que des
réponses négatives, motivées sur ce qu'il était contraire
aux usages et à la coutume de la Congrégation de faire
imprimer la yie de ses membres. Alors, soit qu'on lui
eût dérobé son manuscrit, soit par une autre cause que
l'on n'indique pas, ce travail tomba entre les mains d'un
personnage important ou hardi, qui prit sur lui de le
faire imprimer à Tours en 1697. L'édition ne fut tirée
INTRODUCTION. 35
qu'à un petit nombre d'exemplaires, à cause de ces
difficultés, et l'on a cru. que les Bénédictins en détrui-
sirent le plus qu'ils purent. Quelques-uns échappèrent
néanmoins. Il en existe même à l'abbaye des Bénédictins
de Solesmes.
L'éditeur termine ainsi V Avertissement où il fait con-
naître ces particularités sur la Vie de Claude Martin :
« Il semble que Dieu, qui avait fait de ce saint Reli-
gieux un homme de la Providence pendant sa vie,
ait voulu continuer, après sa mort, à faire éclater sur
lui cette même Providence : puisque ses supérieurs
qui auraient dû par toutes sortes de raisons faire hon-
neur à sa mémoire, en faisant connaître ses vertus
à toute la terre, ayant poussé leur modestie jusqu'à
lui refuser cette justice, il a permis que cette histoire
de sa vie tombât entre les mains de personnes zélées
qui se sont crues obligées, dans l'intérêt de la gloire
de Dieu, d'en faire part au public. »
Quoi qu'il en soit des motifs qui ont fait publier cette
vie et des moyens que l'on prit pour y réussir, elle est
tellement propre à édifier, que l'on se demande en la
lisant si Claude Martin a été moins saint que sa mère.
Mentionnons encore, comme source où nous avons
puisé, outre les Relations des Jésuites, dont nous parlons
souvent, la remarquable Histoire du Monastère des Ursu-
lines de Québec, en trois volumes in-S*^, composée par
une religieuse de cette communauté, et imprimée en
1863 et années suivantes.
Enfin, des renseignements inédits conservés dans les
Annales des Ursulines de Québec, et que ces pieuses
religieuses ont eu l'obligeance de nous communiquer,
nous ont fourni des détails du plus haut intérêt.
DÉCLARATION
En traitant un sujet aussi délicat que la vie d'une
âme qui a marché durant soixante-treize ans dans le
chemin de la perfection chrétienne et religieuse; en
parlant surtout des voies si ardues de la vie mystique,
il a pu nous échapper quelque erreur. Nous la désa-
vouons d'avance et nous rétractons sans réserve tout
ce que l'Oracle infaillible du Saint-Siège regarderait
comme tant soit peu répréhensible.
De plus, entièrement éloigné de vouloir devancer le
jugement de l'Eglise sur quelque point que ce soit,
nous restreignons au sens du langage commun et ordi-
naire toutes les expressions de sainte, de vénérable, et
autres de ce genre. De même aussi, nous ne voulons
donner aucun fait extraordinaire comme miracle ou
révélation dépassant la certitude purement humaine.
Enfin, nous nous soumettons en tout avec amour au
jugement de la sainte Eglise.
î>©io
VIE DE LA RÉVÉRENDE MÈRE
MARIE DE L'INCARNATION
CHAPITRE I.
Naissance de Marie Guyard, 1599. — Ses parents, son enfance. — Elle se
donne à Dieu dès làge de sept ans. — Son esprit de prière. — Elle rejette les
lectures futiles. — Prémices de zèle et de vocation religieuse. — Son mariage,
1617. — Peines qui en sont la suite. — Soin qu'elle prend de sa maison.
Elle puise sa force dans la parole de Dieu et la communion. — Naissance de
son fils, 1619. — Mort de son mari, 10 octobre 1619.
On sait qu'une sainte Carmélite, du nom de Marie
de l'Incarnation, a été canonisée par l'illustre Pie IX,
qui a mis sur les autels tant d'autres pieux personnages
durant le cours de son long et à jamais mémorable
pontificat. Celle que nous entreprenons de faire con-
naître, est une Ursuline née à Tours le 28 octobre 1599,
mariée à dix-sept ans, devenue veuve deux ans plus
tard, et entrée en religion après douze ans de veuvage.
A l'âge de quarante ans elle quitta la France pour aller
fonder une maison de son Ordre à Québec, où elle
mourut le 30 avril 1672.^
(1) Dom Cfaude Martin, fils de la Mère de l'Incarnation, le Père Charlevoix,
Feller, M. Casgrain et probablement tous ceux qui en ont parlé fixent la naissance
de la vénérable Mère au 18 octobre ; mais c'est une erreur incontestable. Son acte
de baptême dont nous avons un extrait authentique porte la date du 29 octobre :
38 MARIE DE L INCARNATION.
La première faveur que reçut de la miséricorde
divine cette enfant prédestinée pour le ciel, fut de
naître dans une famille éminemment chrétienne, qui
dirigea vers la piété les premières aspirations de son
cœur. Ses parents étaient d'une condition extrêmement
modeste. Son père, nommé Florent, ou comme porte
le registre, Fleurant Guyard, était maître boulanger;
sa mère, Jeanne Michelet, quoique issue de la famille
noble des Babou de la Bourdaisière, qui avait réussi
à s'établir à la Cour du temps de Charles VII, et y était
restée en grande faveur sous les règnes suivants ,
devait être regardée comme déchue de sa noblesse
par son union avec un simple artisan. Mais ils avaient
Tun et l'autre la noblesse des sentiments, sans laquelle
celle que donnent les blasons et les généalogies, n'est
qu'une vaine parade, un souvenir de gloire passée,
dont le lointain éclat humilie bien plus qu'il ne les
honore ceux qui s'en prétendent les héritiers.
Florent Guyard avait des qualités et des vertus qui
rélevaient au-dessus de son humble condition. Une
réputation de probité, de droiture, et en même temps
d'intelligence, lui avait gagné l'estime et la confiance
de tous ceux qui le connaissaient, en sorte qu'il était
choisi comme arbitre de tous les différends. Jeanne
Michelet fit voir, de son côté, par la manière dont elle
or comme elle a été baptisée le lendemain de sa naissance, d'après l'affirmation de
son fils, il s'ensuit qu'elle est née le 28. Sur le registre, l'acte précédent est du
23 octobre et le suivant du 30. Mais ce qui tranche surtout la question, c'est que
la Mère de l'Incarnation, dans une lettre à son fils datée du 18 octobre 1663, dit :
« J'aurai 64 ans le 28 de ce mois. » Dans une autre du 30 octobre 1667, on lit :
« J'ai eu 68 ans accomplis le 28 de ce mois. »
Nous n'avons pu avoir son acte de mariage. Mais son mari étant mort le
10 octobre 1619, et leur union ayant duré environ deux ans, le mariage avait dil
être célébré dans le courant de 1617.
CHAPITRE I. 39
éleva ses quatre filles que si, comme le dit Claude
Martin, « sortie d'une famille illustre, elle netait en
un sens, à l'égard de ses proches, que comme ces
petites branches qui avortent et se flétrissent sous les
autres, elle avait cependant conservé dans son âme
une élévation qui compensait et au-delà l'abaissement
extérieur. » Elle ne pouvait communiquer à celui dont
elle acceptait le nom, une distinction héraldique qui
lui échappait par là même; mais elle lui donnait une
noblesse plus précieuse, celle que la femme forte fait
rejaillir sur son mari : Nobilis in partis vir ejus quando
sederit cum senatoribus terrœ. — Son mari sera illustre dans
l'assemblée des juges, quand il sera assis avec les sénateurs
de la terre. (Prov. 31, 23.)
Pénétrés d'un esprit chrétien plus précieux encore
que leurs qualités naturelles, les deux époux firent
baptiser leur fille le lendemain de sa naissance et ils
lui donnèrent le nom de Marie, comme prélude de la
dévotion singulière qu'ils avaient intention de lui inspi-
rer et qu'ils lui inspirèrent en efi'et envers la Reine
du ciel.
La jeune Marie profita merveilleusement à cette
pieuse école et elle en fut toute sa vie reconnaissante.
Elle dit dans une de ses lettres : « La bonne éducation
que j'avais reçue de mes parents, qui étaient bons
chrétiens et fort pieux, avait fait un excellent fond
dans mon âme, et je bénis Dieu des grâces qu'il lui
a plu de me faire en ce point; car c'est une grande
disposition pour la vertu et pour être vraiment prépa-
rée à une haute piété que de tomber en des mains qui
fassent prendre un bon pli dès les premières années. »
Nous voyons dans le saint Evangile que Notre-Sei-
gneur avait un amour de prédilection pour les enfants;
40 MARIE DE l'incarnation.
qu'il voulait qu'on leur donnât pleine liberté d'appro-
cher de lui, et qu'il les embrassait tendrement aux
yeux du public, afin que personne ne doutât de cet
amour. On peut dire que cela est de l'essence même
de Dieu : car s'il a créé les hommes par amour, c'est
par un amour encore plus grand qu'il les régénère
dans le baptême; et comme il ne peut changer de sen-
timent que s'il y est en quelque sorte forcé, il continue
de les aimer tant qu'ils ne s'en sont pas rendus indignes
par la perte de leur innocence primitive.
Si donc les parents veillaient sur l'innocence de leurs
enfants; s'ils avaient soin d'éloigner d'eux les occasions
de péché, de développer et d'entretenir en leur âme
les vertus dont ils ont reçu le germe dans le baptême,
ils leur procureraient d'immenses trésors de grâces.
Nous en avons pour preuves les enfants chrétiens des
premiers siècles que leurs parents préparaient au mar-
tyre; et plus tard saint Louis, roi de France, saint
Louis de Gonzague, sainte Angèle Mérici, sainte Chantai
et une foule d'autres. Ce que nous allons raconter de
Marie Guyard en est un nouvel exemple.
Il est entre tous un moment précieux qu'une mère
chrétienne devrait épier avec le plus grand soin, celui
où la raison commençant à se produire et à dissiper
les nuages du premier âge, l'homme est dans la néces-
sité de se donner à Dieu par un choix libre de sa
volonté ou de se tourner vers la créature, comme le
remarque Claude Martin. A ce moment, qui arrive
d'ordinaire vers l'âge de six ou sept ans, Marie Guyard
se donna à Dieu' et elle en fut récompensée de la
CHAPITRE I. 41
manière qu'elle raconte elle-même. « Je n'avais qu'en-
viron sept ans, lorsqu'une nuit, pendant mon sommeil,
il me sembla que je voyais le ciel ouvert et Notre-
Seigneur descendant sur moi. Ce plus beau des enfants
des hommes, avec le visage plein d'une douceur et
d'un attrait indicible, m'embrassa ; et, me baisant amou-
reusement, il me dit : Voulez-vous être à moi? Je lui
répondis : Oui; et ayant eu mon consentement, il
remonta au ciel. »
A partir de ce momenl:, elle éprouva un penchant
prononcé vers le bien et un goût très-sensible pour la
prière, ce qu'elle-même attribue à la visite du Sauveur.
Elle fut constamment fidèle à cet attrait, au point que
tous ceux qui en furent témoins étaient étonnés de
voir un si grand amour de la solitude et du recueille-
ment dans une jeune fille de son âge.
Il lui paraissait impossible que Dieu refusât d'ac-
corder ce qu'on lui demandait humblement. C'est pour-
quoi, dit-elle, étant à l'église, j'examinais la posture
et le maintien de ceux qui priaient, et lorsque j'en
voyais dont l'extérieur répondait à l'idée que je m'étais
faite de la véritable prière, je disais en moi-même :
assurément Dieu exaucera ces personnes, car elles
prient avec humilité.
Sa confiance dans l'efficacité de la prière lui fit
estimer et pratiquer cet exercice au point que, étant
encore toute petite enfant, elle allait seule à l'église,
se retirait dans un coin pour n'être vue de personne,
et y restait de longues heures à s'entretenir avec Dieu.
« Tout notre voisinage, dit-elle, était étonné et ne
pouvait comprendre cette. grande inclination que j'avais
d'aller à l'église chaque jour; mais on ne voyait pas
ce que j'éprouvais intérieurement, et quels étaient les
42 MARIE DE l'incarnation.
effets de la bonté de Notre-Seigneur à mon égard. »
On lui avait mis entre les mains, pour la récréer,
des livres qui traitaient de choses vaines et futiles;
elle y renonça de son propre mouvement, et elle ne
voulut plus faire d'autres lectures que celles qui étaient
propres à nourrir sa piété.
Si les parents savaient combien les lectures oiseuses
et futiles vicient l'intelligence des enfants, rétrécissent
leurs idées et affadissent leur cœur, ils ne les leur
permettraient jamais. Marie Guyard sut apprécier pen-
dant ses premières années la vraie nourriture de l'esprit,
et ce fut là, en partie du moins, ce qui la prépara à deve-
nir une femme forte, une âme généreuse et une sainte.
Tout cela était le fruit des grâces de prédilection
dont cette enfant était l'objet. L'Esprit-Saint s'était
comme emparé d'elle, et si l'on eût pu connaître tout
ce qu'il opérait dans son âme, on eût facilement compris
qu'elle était destinée à procurer un jour, d'une manière
plus qu'ordinaire, la gloire de Dieu et le salut des
âmes. Un secret instinct de zèle apostolique la remuait
dès lors et produisait en elle une agitation intérieure
bien plus inexplicable, et on pourrait dire plus étrange,
que n'était la soif précoce du martyre dont sainte
Thérèse était enflammée à l'âge de sept ou huit ans.
« Dès mon enfance, écrivait-elle de Québec à l'âge
de quarante-quatre ans, Dieu me disposait à la grâce
que je possède à présent, car j'avais plus l'esprit dans
les régions étrangères pour y considérer les généreuses
actions de ceux qui y travaillaient et souffraient pour
Jésus-Christ, qu'aux lieux que j'habitais. Mon cœur
se sentait uni aux âmes apostoliques d'une manière
tout extraordinaire. Il me prenait quelquefois des sail-
lies si fortes, que si le respect humain ne m'eût retenue,
CHAPITRE I. 43
j'aurais couru après ceux que je voyais portés au salut
des âmes. »
Un autre travail de la grâce que l'on remarqua en
elle fut une grande charité pour les pauvres, surtout
quand ils étaient malades. Nulle autre compagnie ne
lui était aussi agréable. Elle les servait de ses mains
et leur donnait tous les soins dont elle était capable.
Rien ne la rebutait. Elle dit qu'elle mangeait leurs
restes sans aucun dégoût, et qu'elle eût volontiers
accepté leur état pour les en délivrer. Elle leur donnait
tout ce qu'elle trouvait sous sa main, et sa plus grande
peine était de ne pouvoir faire l'aumône comme elle
eût voulu.
De pareilles dispositions pour la vertu sont le plus
souvent des préludes de vocation à la vie religieuse :
aussi, dès l'âge de quatorze ou quinze ans, Marie
Guyard laissa voir l'intention de se consacrer à Dieu,
et elle exprima le désir d'entrer chez les Bénédictines
de Beaumont-lès-Tours, où une des proches parentes
de sa mère, de la famille de la Bourdaisière , était
abbesse. C'était le seul couvent de femmes qui fût
alors à Tours. Madame Guyard parut d'abord favorable
aux désirs de sa fille et elle lui dit qu'elle ne doutait
pas que Madame de Beaumont ne facilitât son entrée
dans sa communauté. Cette affaire n'eut pourtant
aucune suite. La jeune fille continuait bien à ne désirer
que la vie religieuse, mais elle se sentait peu d'attrait
pour la communauté de Beaumont. D'un autre côté
ses parents firent voir une volonté prononcée de la
marier. C'est pourquoi un parti que l'on jugea avanta-
geux s'étant présenté lorsqu'elle avait dix-sept ans,
44 MARIE DE l'incarnation.
elle se soumit par esprit d'obéissance à ceux qu'elle
regardait comme lui tenant la place de Dieu. Le jeune
homme qu'elle épousa était un fabricant de soieries
nommé Claude-Joseph Martin, dont la famille, qui s'est
perpétuée jusqu'ici à Tours et à Blois, conserve des
sentiments de foi remarquables. Claude Martin était
un homme de bien, animé de bonnes intentions et
laissant à sa jeune femme la plus grande liberté pour
remplir ses pratiques de dévotion. Elle n'en eut pas
moins à subir, pendant les deux années de son mariage,
de très-rudes épreuves auxquelles son mari n'était pas
étranger. Parfois il était ému jusqu'aux larmes en
voyant que les peines qu'il lui causait n'altéraient en
rien sa douceur, son amour et son dévoûment; alors
il lui demandait pardon, mais Dieu ne voulait pas
qu'une âme qu'il s'était réservé de rendre heureuse
lui-même pût trouver le bonheur dans les choses créées.
C'est, du reste, ce qui arrive ordinairement; nous avons
connu et nous connaissons encore un bon nombre de
personnes qui, ayant été mariées malgré une vraie
vocation à la vie religieuse , ont passé par les plus
douloureuses épreuves. Les unes sont mortes peu après
leur mariage, les autres ont perdu leur mari, d'autres
portent journellement des croix très-pesantes. Est-ce
châtiment de la part de Dieu? Non. Dieu ne punit pas
ce qui n'est point péché : or il n'y a pas de péché à se
marier, pourvu qu'on le fasse avec des intentions pures.
Les conseils évangéliques, dont la mise en pratique
constitue l'état religieux, ne sont que des conseils, et,
à moins d'exceptions assez rares, personne n'est tenu
de s'y conformer sous peine de péché. Mais il y a des
âmes qui sont, de la part de Dieu, l'objet d'une prédilec-
tion toute particulière, et qu'il destine à une gloire
CHAPITRE I. 45
plus qu'ordinaire dans le ciel : or il ne change pas
de disposition à leur égard parce qu'elles n'ont pas
suivi la voie qu'il ouvrait devant elles, en leur faisant
une simple invitation d'y marcher. Cela est vrai surtout
si ces âmes ont obéi à une influence à laquelle il leur
était presque impossible de résister», il veut toujours
leur faire mériter la brillante couronne qu'il tient en
réserve pour elles, et comme elles n'ont pas voulu ou
n'ont pas pu entrer dans la voie de perfection dont
cette couronne devait être la récompense, il la leur
fait gagner par des souffrances, des sacrifices, des
croix. Mais il leur faut du courage et de la générosité
pour se soutenir dans ces épreuves, se préserver de
l'abattement et demeurer fidèles aux devoirs qui les
obligent à sortir d'elles-mêmes et à s'occuper de ce
qui les entoure.
Il en est qui se découragent, s'affligent et consument
leur activité et leurs forces en regrets inutiles. Il n'en
fut pas ainsi de Marie Guyard. La première chose
qu'elle eut à cœur dans son nouvel état, dit Claude
Martin, fut de faire régner la crainte de Dieu dans sa
maison, et de fermer toutes les avenues par où le
péché y pouvait avoir entrée. Quant à ce qui la con-
cernait personnellement, elle prit des mesures pour
s'acquitter fidèlement de tout ce qu'elle devait à Dieu,
à son mari, à ses domestiques et à elle-même. Elle
ne se laissait pas absorber par les soins des affaires
matérielles au point de ne pas prendre un temps con-
venable pour ses pratiques de piété. Outre ses heures
réglées pour faire oraison et entendre la messe tous
les jours, elle tenait surtout à fréquenter les sacrements
et entendre la parole de Dieu. C'était à ces sources
qu'elle puisait la force nécessaire pour ne pas suc-
46 MARIE DE l'incarnation.
comber sous les croix continuelles dont le poids et
l'amertume allaient croissant de jour en jour. Voici ce
qu'elle dit des fruits que la parole de Dieu produisait
en son âme :
« Dès mon enfance, ayant appris que Dieu parlait
par la bouche des prédicateurs, cela me semblait admi-
rable, et j'avais une grande inclination à les aller
entendre. Etant si jeune, j'y comprenais peu de chose,
excepté l'histoire que je racontais à mon retour; mais
devenue plus grande, la foi que j'avais dans le cœur
excitait de plus en plus mon désir de cette divine
parole. J'avais les prédicateurs en si grande vénération,
que quand j'en voyais un par les rues, je me sentais
portée à courir après lui et à baiser les vestiges de ses
pijeds. Une petite prudence me retenait; mais je le
suivais des yeux jusqu'à ce que je l'eusse perdu de vue.
Je ne trouvais rien de plus grand que la parole de
Dieu, et c'était ce qui me faisait estimer ceux auxquels
Notre- Seigneur en avait confié le ministère. Lorsque
je l'entendais, mon cœur me semblait être un vase où
elle découlait à la manière d'une liqueur. Ce n'était
pas une imagination, mais un effet réel de l'Esprit
de Dieu, qui opérait de la sorte dans mon âme par une
effusion de ses grâces.
» Une fois, après le sermon sur le saint nom de
Jésus, cette divine parole, comme une manne céleste,
me remplit si abondamment, que tout le jour mon
esprit ne disait autre chose que Jésus, sans pouvoir
finir.^ »
(1) Tous les saints ont aimé la parole de Dieu et ont cherché à en nourrir leur
àme. Sainte Chantai, étant encore clans le monde, au château de Monthelon, <> se
levait de grand matin, montait à cheval et s'en allait à deux lieues de distance
entendre la messe et le sermon à Autun ; et aussitôt après le sermon elle revenait
CHAPITRE I. 47
Elle faisait encore plus ses délices de la sainte com-
munion, où elle se rendait Dieu comme sensible par
une foi vive et un amour ardent ; et elle ne la recevait
jamais sans que Ton remarquât en elle un nouvel
accroissement de grâce et de vertu. Aussi disait-elle
plus tard, dans une de ses lettres, qu'il ne faut qu'une
seule communion pour rendre une âme sainte, et que
ce qui empêche ce résultat, c'est qu'on se reprend soi-
même un instant après s'être donné à Dieu dans la
réception de ce divin sacrement.
Pour elle, elle savait tout concilier, et lorsqu'après
avoir communié elle s'occupait du soin de sa maison,
mettant toutes choses dans un ordre convenable, elle
ne perdait pour cela ni le souvenir de la grâce qu'elle
avait reçue, ni l'accroissement d'amour qui lui avait
été communiqué. D'ailleurs, comme elle agissait tou-
jours par des motifs de foi et pour plaire à Dieu, ses
actions les plus communes se trouvaient transformées
en pratiques de piété. « Ainsi elle regardait son mari
comme lui tenant la place de Dieu, et dans cette vue
elle avait pour lui tout le respect et lui rendait tous
les services possibles. Elle l'aimait à cause de ses
qualités naturelles, mais beaucoup plus parce que la
loi divine l'y obligeait. Aussi son amour étant plus
fondé sur la grâce que sur la nature, on ne voyait pas
en elle ces caresses molles auxquelles se laissent aller quel-
ques nouvelles mariées (c'est son fils qui s'exprime ainsi) ;
mais seulement une humeur gaie et ouverte, retenue
par une gravité respectueuse. » Par la même raison,
son amour était inaltérable dans les afflictions qu'elle
au grand trot pour arriver à l'heure où son beau-père se mettait à table. » Elle
faisait cela tout le carême. Où sont aujourd'hui les dames de son rang qui s'impo-
seraient une pareille fatigue pour entendre la parole de Dieu?
48 MARIK DE l'incarnation.
éprouvait; et c'est ce qui donnait de l'admiration à ses
parents et à ses amis. Ils ne pouvaient comprendre
cet attachement affectueux autant que dévoué à l'égard
d'un homme qui avait été pour elle, quoique sans
mauvaise volonté, une cause de peines si cuisantes.
Quels étaient les chagrins qu'il lui causait? Nul ne
le sait. L'ingénieuse charité de l'épouse et la piété
filiale du fils ont voulu -les dérober aux regards et les
couvrir d'un voile impénétrable, remarque M. Casgrain,
après le Père Charlevoix. La vénérable Mère en parle
d'une manière si pieuse et si touchante, que nous nous
reprocherions de ne pas citer ce qu'elle en dit à son
fils. « La seule consolation que j'ai eue dans le mariage
a été de vous avoir donné à Dieu avant que vous
fussiez au monde, et de ce que votre père était si bon,
qu'il me permettait toutes mes dévotions. Il y prenait
même plaisir, étant homme de bien et craignant Dieu.
Pour les choses que vous savez et qui étaient arrivées
par surprise, il en avait tant de douleur, qu'il m'en a
souvent demandé pardon. »
Il est un devoir auquel trop peu de personnes
aujourd'hui font attention : c'est de se préoccuper du
salut des ouvriers et des domestiques que l'on emploie.
Les maîtres ont commencé par négliger eux-mêmes
le soin de leur âme, donnant ainsi à ceux qui les
servent un exemple qui n'a été que trop fidèlement
suivi. Tous en expient en ce moment la peine, et sont
peut-être à la veille de l'expier bien plus douloureuse-
ment encore. Puissent-ils comprendre que l'eftroyable
perversité d'une partie de la classe ouvrière, perversité
CHAPITRE I. 49
allant jusqu'à dépasser l'ancienne barbarie et la férocité
des sauvages, ainsi qu'on l'a vu à Paris en 1871, a eu
pour cause l'irréligion des maîtres du travail, des
maîtres de l'enseignement et des chefs de famille?
Madame Martin comprenait à dix-sept ans l'importance
. d'un devoir dont aujourd'hui beaucoup de vieillards
n'ont jamais eu l'intelligence. « Elle ne se contentait
pas, remarque son fils, de pourvoir aux besoins corpo-
rels de ses domestiques; elle prenait encore plus soin
de leurs âmes : veillant à ce qu'ils fussent exacts à
faire leurs prières et à s'acquitter de tous leurs devoirs
de chrétiens. Elle craignait surtout qu'ils ne commis-
sent quelque péché qui obligeât Dieu de détourner sa
vue de dessus eux et de toute sa maison. «
Sans le savoir, elle préludait aux fonctions aposto-
liques qu'elle devait exercer plus tard avec tant de zèle
et avec des fruits si abondants. Elle catéchisait ses
domestiques et ses ouvriers, les instruisant des vérités
de la foi et de leurs devoirs de chrétiens. Elle raconte
qu'après avoir entendu la parole de Dieu, ne pouvant
contenir l'abondance des lumières qu'elle y avait pui-
sées et des sentiments que la grâce avait excités dans
son âme, elle en parlait comme malgré elle : « Ce que
je faisais, dit-elle, à Dieu avec une grande ferveur,
et aux personnes de notre maison avec un grand zèle,
leur rapportant ce que le prédicateur avait dit et
y ajoutant mes propres pensées, qui me rendaient
éloquente. »
Si elle était si fidèle à ses devoirs de maîtresse de
maison et d'épouse, elle ne le fut pas moins à ceux que
lui imposa sa qualité de mère. « Elle otîrit son enfant
M. DE LINC.
50 MARIE DK L INCARNATION.
à Dieu dès qu'elle l'eut conçu; car cette sainte femme
ne s'était engagée dans le mariage, pour lequel elle
avait de la répugnance, que dans la vue qu'elle pour-
rait servir à Dieu d'instrument pour augmenter le
nombre des prédestinés.
w Elle vint à l'abbaye de Marmoutier la veille du
jour où elle mit son fils au monde (c'est-à-dire le
V^' avril 1619). Nous ne savons pas dans quel but;
mais il y a bien de l'apparence que ce fut pour offrir
à Dieu et à saint Martin la petite créature qu'elle
portait en son sein. Le Seigneur accepta cette victime,
qui devait être un jour consumée en ce saint lieu, et
saint Martin choisit dès lors cet enfant pour être le
plus illustre de ses successeurs dans la conduite de ce
célèbre monastère. ' »
On aura beau vanter le progrès des lumières et de
la philosophie du XIX® siècle, jamais il n'y aura de
philosophie plus élevée, de lumières plus véritables
et de sagesse plus profonde que celle de cette jeune
femme, qui n'était, pour ainsi dire, qu'une enfant. Si
les parents, les maîtres et tous ceux à qui leur position
permet d'exercer quelque influence étaient animés de
pareils sentiments et donnaient de pareils exemples,
on verrait bientôt la société se régénérer, et la con-
fiance entre les supérieurs et les inférieurs se rétablir.
Mais comment une enfant de dix-sept ans, mariée
contre ses inclinations, [)Our qui, par conséquent, sou
nouvel état devait être par lui-môme une lourde croix,
et qui y rencontre encore des épreuves accidentelles
dont elle n'avait pu avoir l'idée, comment cette femme
(1) La Vie du vénérable P. Dom Claude Martin, religieux Bénédictin de ta
Congr. de S, Maur, par le P. Edmond Martèue, son disciple. Tours, 1(397.
CHAPITRK I 51
si jeune et sans expérience se trouve-t-eile tout à coup
si forte pour supporter ses dîners chagrins, et si ingé-
nieuse pour les faire servir à l'accroissement de sa
vertu ; si sage dans le gouvernement de sa maison,
et d'un esprit si élevé quand il s'agit de donner à tout
ce qu'elle fait le cachet surnaturel sans lequel il n'y
a point de vie vraiment chrétienne? Elle-même répond
à cette question dans une de ses lettres. « Maintenant
que j'ai plus de connaissance et d'expérience en la vie
spirituelle, je reconnais que la bonté divine me préve-
nait par de grandes grâces et me remplissait des béné-
dictions de sa douceur, pendant que, d'un autre côté,
j'avais de grands sujets de croix dans une condition
qui m'en produisait de continuelles. » Elle était éclairée
et dirigée en tout par la grâce, pour ainsi dire sans
le savoir , parce qu'elle recourait à Dieu avec une
confiance entière et un abandon parfait, parce qu'en
toutes choses elle lui donnait sa main pour être con-
duite par lui de la manière dont un petit enfant est
conduit par sa mère. Comme elle se livrait à lui sans
réserve dans la communion et qu'elle l'invoquait conti-
nuellement par la prière, ce Dieu qui fait la volonté de
ceux qui le craignent, dit le Psalmite, se plaisait à lui
donner son Esprit et à lui communiquer une sagesse
bien supérieure à la sagesse humaine. C'est lui qui
donne l'intelligence aux petits : Intellectum dat parvulis.
Mais il destinait cette âme d'élite à le glorifier d'une
façon plus éclatante et plus efficace qu'elle n'etit pu
faire dans les étroites limites de la vie domestique.
C'est pourquoi il brisa le premier et le plus fort des
liens qui la retenaient dans le monde. M. Martin
mourut le 10 octobre 1619, deux ans après son mariage,
laissant des affaires en mauvais état, une jeune femme
52 MARIE DE l'incarnation.
de moins de vingt ans et un enfant de six mois, sans
fortune et à peu près sans appui.
CHAPITRE II.
Dispositions de madame Martin devenue veuve. — Tentation. — Extase, 1620.
— Fidélité à la grâce. — Vie solitaire et pénitente. — Œuvres de charité.
— Humiliations. — Tentations d'orgueil. — Elle demande à afficher sa
confession générale à la porte de l'église. — Vie agitée et néanmoins recueillie.
— Double travail de la grâce dans la servante de Dieu. — Desseins de Dieu
à son égard.
Marie Guyard avait dit à sa mère lorsqu'on lui eut
manifesté la volonté arrêtée de la marier : « Ma mère,
puisque c'est Tine r<'solution prise et que mon père le
veut absolument, je me crois obligée d'obéir à sa
volonté et à la vôtre; mais si Dieu me fait la grâce
de me donner un fils, je lui promets dès à présent de le
consacrer à son service; et si ensuite il me rend la
liberté que je vais perdre, je lui promets de m'y con-
sacrer moi-même. »
Ces paroles qui semblent prophétiques étaient comme
le programme de la conduite à tenir par la jeune
veuve, programme auquel elle résolut d'être fidèle.
Etant d'ailleurs plus éclairée, elle comprenait qu'elle
eût mieux fait d'opposer un refus formel aux instances
qu'on lui avait faites pour la marier, quoiqu'elle vît
que Dieu avait tiré sa gloire de ce qui était arrivé.
Elle expose admirablement sa pensée à ce sujet en
écrivant à son fils : « Dès l'âge de quatorze ou quinze
ans, j'avais une inclination très-grande pour être reli-
CHAPITRE IL 53
gieuse et j'exprimais mon désir à ma mère relativement
au monastère de Beaumont. Elle ne me rebuta pas;
mais, comme j étais fort timide, je n'osai insister et
l'affaire en resta là. Il me sembla alors que comme
j'avais une humeur gaie et un caractère enjoué, ma
mère avait cru qu'il y avait en cela quelque chose
d'incompatible avec la vie du cloître, car c'est ainsi
que jugent les personnes du monde.
y> Aujourd'hui, il me paraît évident que Dieu ne me
voulait pas là, ni pour lors en quelque religion que
ce fût. Tout ce qui m'est arrivé depuis, par la conduite
de la divine Providence à mon égard, me fait penser
ainsi. Vous seriez étonné, mon cher fils, si vous saviez
toutes ces particularités, que vous connaîtrez dans
l'éternité. Vous comprendriez pourquoi il fallait que
je fusse engagée dans les croix du mariage. J'ai
toujours cru que ce n'avait été qu'afin de servir au
dessein que Dieu avait de vous mettre au monde et
de m'éprouver par les croix et les tribulations. Je dois
néanmoins vous avouer que si j'avais eu un directeur
spirituel, je n'aurais jamais consenti à me marier; mais
je n'en avais pas et j'étais dans une entière ignorance
qu'il y eût des directeurs et une direction spirituelle. »
On voit combien les intentions de Marie Guyard
avaient été pures, Aussi Dieu conserva toujours à son
égard ses desseins de miséricorde, et afin de les accom-
plir, il lui rendit la liberté qu'elle avait perdue comme
malgré elle. Mais combien cette liberté se trouvait
restreinte avec un enfant de six mois et une ruine
complète! Il lui fallut attendre douze ans pour reprendre
l'œuvre de sa vocation interrompue. Ce temps néan-
moins ne fut pas perdu; il servit, au contraire, à lui
faire aciiuérir un degré de vertu auquel n'arrivent pas
54 MARIE DE l'incarnation.
toujours, après de longues années de religion, les
personnes consacrées à Dieu.
Malgré son éloignement pour le mariage, madame
Martin, ainsi que nous l'avons dit, avait pris cet état au
sérieux. Elle en avait rempli tous les devoirs avec
une fidélité irréprochable; elle avait aimé son mari
comme le doit aimer une femme vraiment chrétienne,
et elle le pleura sincèrement; mais sa tristesse fut
atténuée par ces hautes considérations de la foi auxquel-
les les saints ne manquent jamais de s'élever. Elle vit
clairement la main de la Providence, non-seulement
dans le coup qui la frappait, mais dans tous les détails
qui, au point de vue humain, devaient rendre son
inquiétude plus grande et son chagrin plus pénible.
« Quoique j'aimasse beaucoup votre père, écrivait-elle
plus tard à son fils, et que la perte que j'en fis me fût
très-sensible, toutefois, me voyant libre et dégagée,
mon âme se liquéfiait en action de grâces de ce que
je n'avais plus que Die.u à qui mon cœur et mes affec-
tions se pussent dilater et se dilataient en efifet sans
cesse dans ma solitude, où je n'avais qu'à penser inté-
rieurement à lui, et à vous élever pour 'son saint
service.»
Il y a donc un sentiment qui domine chez elle, et qui
est plus fort que la peine sensible, c'est la joie de
n'avoir plus que Dieu à aimer, que son service et le
soin de procurer sa gloire pour sujet de ses préoccu-
pations. La perte de ses biens qui allait jusqu'à une
ruine entière, l'embarras d'afïaires embrouillées, la
jeunesse de son fils qui va se trouver sans appui, dont
l'avenir est si incertain et par là-même si inquiétant,
rien de tout cela n'altère la sérénité de son âme, et ne
la fait hésiter dans sa confiance en Dieu. On peut juger
CHAPITRE II. 55
de la force surhumaine qui la soutint alors , par les
lignes suivantes d'une de ses lettres : « J'avais dix-neuf
ans lorsque Notre-Seigneur appela à lui la personne
avec laquelle, par sa permission, j'avais été liée.
Diverses afiaires qui suivirent cette séparation me
causèrent de nouvelles croix, et naturellement plus
grandes qu'une personne de mon sexe, de mon âge,
de ma capacité et de mon peu d'expérience ne les eût
pu porter; mais les excès de la bonté divine mirent
dans mon esprit et dans mon cœur une force et un
courage qui me rendirent supérieure à tout. Je m'ap-
puyais sur ces paroles de l'Esprit saint : Je suis avee
ceux qui sont dans la tribulation. Je croyais fermement
qu'il était avec moi, puisqu'il l'avait dit : de sorte que
ni la perte des biens temporels, ni les procès, ni les
privations, ni mon fils qui n'avait que six mois, et que
je voyais dénué de tout aussi bien que moi , ne
m'inquiétaient. »
11 y eut pourtant chez elle un court instant de
faiblesse, mais faiblesse qui était presque un acte de
vertu, en ce sens qu'elle procédait de son humilité,
de la défiance d'elle-même et de la crainte d'agir par
présomption et entêtement à se croire plus éclairée
que toutes les personnes, d'ailleurs bien intentionnées,
qui lui donnaient des conseils. Voici comment son fils
en fait le récit :
« Quelque aversion qu'elle eût du mariage et quelque
répugnance qu'elle en eût témoignée à tous ceux qui
lui en avaient parlé, elle se trouva un jour si pressée
et si accablée de raisons, fondées principalement sur
sa jeunesse, sur l'âge de son fils, sur le triste état de
ses afiaires et sur la disposition où étaient ses amis
de lui venir en aide, qu'elle se demanda si elle pe devait
56 MARIE DE l'incarnation.
point plutôt suivre le conseil de tant de personnes
désintéressées, que les lumières de son propre esprit;
mais elle revint aussitôt à sa première résolution. Cette
prétendue infidélité lui parut néanmoins si criminelle,
que dans une confession générale des principaux péchés
de sa vie qu'elle fit plus tard et dont le détail par écrit
a été retrouvé dans ses papiers, elle met celui-là en
tête (si pourtant on le peut appeler péché) comme celui
dont elle avait le plus de douleur, et qu'elle croyait
pouvoir être la cause des peines intérieures que Dieu
lui faisait souffrir. «
' Que l'on se demande à quel degré de sainteté finit
par arriver une âme qui, vers la fin de sa carrière,
ne trouvait pas dans toute sa vie un autre péché aussi
grand que celui-là!
Certaines personnes qui ne comprennent rien à la vie
spirituelle, croiront que la douleur de cette sainte âme
à l'égard d'une faute pareille indique un esprit faussé
par l'habitude du scrupule ; qu'il y a chez elle ce que
l'on appelle volontiers une pieuse extravagance.^ Il est
donc utile de faire voir que cette contrition de notre
vénérable religieuse était parfaitement raisonnable et
qu'elle procédait d'une vraie élévation d'esprit.
On dit qu'une jeune fille ayant été demandée en
mariage par Bernadette, lorsque celui-ci n'était encore
que sous-officier, dédaigna cette alliance; et que, plus
tard, quand elle sut qu'il était roi de Suède, elle eut
un tel regret de son refus qu'elle en perdit la raison.
Elle répétait sans cesse : Je serais reine; je serais reine!
En réalité, elle n'était coupable ni envers elle-même
ni envers Bernadette; mais si celui-ci eût renouvelé
(l) M. (.iyizot. Histoire de la civilisation en Europe.
CHAPITRE II. O/
sa demande lorsqu'il fut prince royal de Suéde en lui
faisant pressentir sa royauté future, et que la jeune
fille, par étourderie ou par dédain, eût persévéré dans
son refus, il est certain que considérant les choses à
sa manière et à son point de vue, elle eût pu croire
qu'elle méritait un double reproche : 1° d'avoir témoigné
une odieuse ingratitude au prince; 2° d'avoir été très-
aveugle sur ses propres intérêts, puisqu'elle croyait
que la royauté, même celle de Suède, était un grand
avantage.
Or, notre jeune veuve se trouvait dans une position
bien autrement propre à lui faire juger sévèrement
l'ingratitude qu'elle eût eu à se reprocher, si elle eût
sacrifié à un second mariage les grâces extraordinaires
dont elle venait d'être favorisée, et celles, bien plus
grandes encore, que Notre-Seigneur lui ofirait pour
l'avenir. Lors donc que, dans un âge avancé, elle se
voyait par sa profession religieuse épouse du Roi des
rois, lorsqu'elle repassait dans son esprit tant de faveurs
dont elle avait été comblée, tant d'oeuvres de bénédic-
tion pour lesquelles elle avait été un instrument dans
la main de Dieu, est-il étonnant qu'elle regardât comme
une ingratitude digne de larmes amères, un moment
d'hésitation qui l'avait mise en danger de perdre ces
avantages inappréciables?
Les grâces nouvelles répandues dans l'âme de
madame Martin après la mort.de son mari, un attrait
plus vif pour la vie solitaire et recueillie, ainsi qu'une
aversion plus grande que jamais pour l'état dont elle
se trouvait délivrée, lui donnaient suffisamment à
58 MARIK DE l'incarnation.
entendre que Dieu voulait être désormais l'unique objet
de son amour; mais elle le comprit plus clairement
encore par une vision dont elle fut favorisée après
avoir vaincu la tentation dont nous venons de parler,
et qui lui donna comme un avant-goût des faveurs
immenses réservées à sa fidélité. Voici le récit qu'elle
en fait :
« Après tous les mouvements intérieurs, que la bonté
de Dieu m'avait donnés pour m'attirer à la vraie pureté
de cœur, en laquelle je ne pouvais entrer de moi-même,
n'ayant eu jusqu'alors aucun directeur pour me con-
duire dans la vie spirituelle, sa divine Majesté daigna
me tirer de mes ignorances par un coup de grâce
extraordinaire, et me mettre dans la voie où elle voulait
me faire miséricorde : ce qui arriva la veille de la fête
de l'Incarnation de l'année 1620. Un matin que j'allais
vaquer à mes affaires, les recommandant instamment à
Dieu au moyen de mon aspiration ordinaire : In te,
Domine, speravi, no7i confundar in œternum, prière que
j'avais profondément gravée en mon esprit, avec une
ferme conviction d'être assistée infailliblement, je fus
subitement arrêtée intérieurement et extérieurement.
Toute pensée de mes affaires me fut ôtée de la mémoire.
Alors les yeux de mon esprit furent ouverts en un
instant, et toutes les fautes, imperfections et péchés
que j'avais commis depuis que j'étais au monde, me
furent représentés dans leur ensemble et en détail avec
une netteté et une clarté d'où résultait une certitude
plus grande que toute certitude humaine. Au même
moment je me vis plongée dans du sang, et mon esprit
fut convaincu que ce sang était celui du Fils de Dieu
répandu pour mon salut, et de l'effusion duquel j'étais
coupable par les péchés qui m'étaient représentés.
CHAPITRE II, 59
Tout se passa à l'intérieur, mais avec une clarté si
grande et une impression si vive, que cette immersion
de tout moi-même dans ce sang était comme une
réalité.
» Si la bonté de Dieu ne m'eût soutenue en cette
rencontre, je crois que je serais morte de frayeur,
tant la vue du péché, pour léger qu'il puisse être,
me paraissait horrible et épouvantable. Il n'est langue
humaine qui le puisse exprimer. En effot, voir un Dieu
d'une bonté infinie et d'une sainteté incompréhensible,
offensé par un ver de terre, c'est ce qui surpasse
l'horreur même. De plus, un Dieu fait homme mourir
pour expier le péché, et répandre son sang précieux
pour apaiser son Père, et par ce moyen lui réconcilier
les pécheurs, c'est un prodige tel qu'il est impossible
de dire l'impression qu'il produit. Enfin voir que l'on
est soi-même personnellement coupable de cette eflTu-
sion du sang d'un Dieu, et que quand bien même nul
autre péché n'eût été commis, le Fils de Dieu aurait
fait pour un seul ce qu'il a fait pour tous, c'est ce qui
confond et anéantit.
y> Ces lumières et ces opérations de la grâce sont si
pénétrantes, qu'en un moment elle disent tout et pro-
duisent leur effet d'une manière efficace, ainsi qu'il
m'arriva dans cette circonstance.-
r> En ce moment, mon cœur se sentit ravi et tout
changé en l'amour de celui qui lui avait fait cette
insigne miséricorde, et qui me fit éprouver, par la
force de cet amour, une douleur et un regret de l'avoir
offensé, plus grand qu'il n'est possible d'imaginer; non,
il ne se peut imaginer. Ce trait de l'amour fut si péné-
trant et si inexorable quant à la douleur qu'il fit naître
en moi, que je me fusse jetée dans les flammes pour
60 MARIE DE l'incarnation.
le satisfaire. Ce qui est surtout incompréhensible, c'est
que sa rigueur me semblait douce. 11 possédait des
charmes et des chaînes qui liaient et attachaient l'âme,
afin de la conduire où il voulait; et elle, de sa part,
s'estimait heureuse de se laisser ainsi captiver. Enfin
le même trait d'amour qui avait ravi mon âme me
pressait de me confesser.
» Revenant à moi, je me trouvai debout, arrêtée
vis-à-vis de la petite chapelle des RR. PP. Feuillants,
qui venaient de s'établir à Tours. J'y entrai et rencon-
trai un Père seul au milieu de la chapelle, lequel
semblait n'être là que pour m'attendre. Je l'abordai
et lui dis, pressée par l'esprit qui me conduisait : Mon
Père, je voudrais bien me confesser, car j'ai commis
tels péchés et telles fautes. En même temps je lui fis
connaître tous les péchés qui m'avaient été montrés,
et cela avec une effusion de larmes qui provenaient
de la douleur que j'avais dans le cœur. Après que j'eus
tout dit, je m'aperçus que ce bon Père avait été extrê-
mement surpris de la façon dont je m'étais énoncée,
qu'il connut bien netre pas naturelle, mais extraor-
dinaire. Il me dit avec une grande douceur : Allez-vous-
en, et demain venez me trouver à mon confessionnal.
Je ne fis pas même réflexion qu'il ne m'avait pas donné
l'absolution et je me retirai.
» Le lendemain, de grand matin, je me rendis à son
confessionnal, où, lui ayant répété ce que je lui avais
dit le jour précédent, je reçus l'absolution. Comme
Dieu, par un effet particulier de sa Providence, m'avait
donné ce bon Père pour confesseur, je n'en pris point
d'autre pendant tout le temps qu'il demeura à Tours,
lise nommait Dom François de Saint-Bernard, et c'est
le premier religieux à qui je me sois confessée. Je m'en
CHAPITRE n. 61
retournai changée en une autre créature ; mais si puis-
samment changée que je ne me reconnaissais plus
moi-même. Je voyais à découvert l'ignorance qui
m'avait fait croire que j'étais très-parfaite, que mes
actions étaient fort innocentes et que j'étais bien auprès
de Dieu; mais après que Notre-Seigneur m'eut ouvert
les yeux, je me voyais telle que j'étais, et je confessais
que mes justices n'étaient qu'iniquités. "
La servante de Dieu regarda toujours l'extase dont
nous venons de parler comme l'une des plus grandes
grâces qu'elle eût reçues dans sa vie. Ce qui valait
mieux encore, elle mit sur-le-champ tous ses soins à y
être fidèle. Combien de personnes reçoivent de temps
en temps des grâces signalées : une vive lumière sur
la fragilité de la vie présente et la vanité des choses
du monde, un sentiment de componction pour les fautes
qu'elles ont commises, une vue claire des beautés de
la piété, de l'ingratitude qu'il y a pour un chrétien à
transiger avec son devoir et à servir le monde en
même temps que l'on ne voudrait pourtant pas risquer
son salut! Dieu les visite alors, il voudrait les attirer
à une vie pieuse, mais elles manquent de générosité;
elles continuent une manière d'agir plus que dange-
reuse pour leur éternité. Alors la grâce se tait, l'im-
pression s'efface et on en perd jusqu'au souvenir. On
ne comprendra qu'au jugement de Dieu les trésors
spirituels dont on s'est privé en ne profitant pas de
cette visite de la miséricorde. Il n'en fut pas ainsi pour
notre jeune veuve. A partir de là et sans la moindre
hésitation, elle résolut de ne plus donner une seule
62 Marik 1)K l'incarnation.
pensée au monde, ni à ses soins ni à ses espérances ;
mais de se plonger tout entière en Dieu et de ne plus
vivre que de son amour.
Dans ce but, elle se hâta de terminer ses affaires
et de congédier ses domestiques. Pénétrée de la pensée
divine à son égard, et voulant rendre toujours visible
le dessein qu'elle avait formé de né plus se mêler en
rien aux embarras du siècle; tenant surtout à ce que
l'on vît clairement qu'elle avait renoncé à toute pensée
d'une nouvelle alliance, elle choisit une forme de vête-
ment qui l'excluait des compagnies du monde, de celles
mêmes qui sont honnêtes. « Sans différer, dit-elle, je
pris un habit ridicule, afin de faire comprendre à tous
ceux de ma connaissance que je ne pensais plus à
aucun établissement dans le monde. »
On ne manqua pas de critiquer cette conduite, mais
les personnes judicieuses l'admirèrent et l'on cessa
pour le moment de lui faire de nouvelles propositions
de mariage. Elle se retira ensuite chez son père, pour
s'y établir dans une profonde solitude. Elle se logea
à l'étage supérieur, dans une chambre qui ouvrait sur
une petite galerie, au bout de laquelle elle pratiqua
un oratoire. Séparée de tout, même de son fils, placé
en nourrice, elle était là bien véritablement seule avec
Dieu, qu'elle regardait comme son unique trésor.
Retirée et solitaire comme la tourterelle dans son nid,
suivant son expression, elle répandait ses larmes aux
pieds du crucifix, regrettant d'avoir été jetée dans un
tumulte d'affaires qui ne lui avait pas permis d'être
unie à son souverain bien comme elle s'y était toujours
sentie attirée.
Elle joignait à la prière et aux larmes de rigoureuses
austérités, châtiant son corps non-seulement par la
CHAPITRK II. 63
discipline et le cilice, mais par bien d'autres instru-
ments de pénitence. Elle renonça dès lors à l'usage
du linge ordinaire, auquel elle substitua la serge.
Cette vie de pénitence et d'union à Dieu ne lui fit
pas oublier les œuvres de charité. Elle ne lavait pas
seulement les pieds des fi'ièles, comme saint Paul le
recommandait aux veuves de son temps; mais, dit
Claude Martin, elle allait à la recherche des pauvres
affligés de plaies et d'ulcères ; elle les amenait chez
elle à certaines heures. Puis, les faisant asseoir dans un
fauteuil, comme elle eût fait pour Jésus-Christ lui-
même, et se mettant à genoux, elle pansait leurs plaies
et leur donnait tous les soins que peut inspirer la plus
tendre charité.
« A peine se trouve-t-il, ajoute encore son fils, une
espèce de bonnes œuvres qu'elle n'ait pratiquée dans
une très-grande perfection. Elle fît des aumônes autant
que la perte de sa fortune pouvait le lui permettre;
elle consola les affligés, secourut les malades, servit
les pauvres, instruisit les ignorants, défendit les fai-
bles, convertit les pécheurs, encouragea les bous. »
Dans cette position nouvelle si conforme à ses goûts,
madame Martin était véritablement comblée de faveurs
spirituelles. Elle semblait être désormais en possession
du vrai repos que Dieu lui réservait ici-bas, et n'avoir
plus qu'à laisser couler ainsi ses jours dans la solitude
et les bonnes œuvres. Mais c'est surtout à l'égard des
saints que les voies divines sont incompréhensibles.
Rien ne le montre mieux que la vie de la servante
de Dieu.
64 MARIE DE l'incarnation.
« Après un an de solitude, dit-elle, Dieu m'en retira
pour me mettre chez une de mes sœurs qui se trouvait
surchargée d'affaires teinporelles. Son mari et elle me
désiraient, pour les aider à porter ce fardeau. La
proposition qui m'était faite me parut d'abord si con-
traire à ce que je m'étais proposé, que je ne voulais
pas même y penser; mais je finis par l'accepter, à
condition que je serais entièrement libre pour mes
pratiques de piété : car je faisais ce sacrifice de mon
plein gré et par charité pour ma sœur. Notre-Seigneur
me voulut montrer que c'était lui qui m'avait fait
consentir à cela, en me donnant un nouveau don
d'oraison plus parfait, qui m'établissait dans une union
très-étrpite avec lui par la contemplation des mystères
de sa vie et de sa mort. »
Elle ajouta que l'esprit de grâce qui la conduisait
lui inspira la pensée de cacher ses talents naturels
pour les affaires, afin de laisser croire quelle n'avait
ni intelligence ni aptitude pour quoi que ce fût, et
qu'elle n'était propre qu'à être la servante des servi-
teurs et des servantes de la maison. « En effet, j'en
faisais les offices dans les choses les plus abjectes et
les plus humiliantes. La bonté de Dieu permettait que
l'on me traitât ainsi, et qu'on le fît avec un ton impé-
rieux et d'ime façon étonnante. Mais j'aimais tant les
choses humbles et basses que je dis un jour à mon
directeur que je craignais d'y avoir de l'attache. »
Elle dit dans un autre endroit : « Je faisais l'office
de servante envers les serviteurs de mon frère, et
quelquefois j'en avais un fort grand nombre de malades.
Je n'avais garde de souffrir que d'autres en prissent
soin; je leur rendais même les services les plus vils,
mais je le faisais en cachette, pour que les personnes
CHAPITRE II. 65
qui en étaient chargées ne s'en aperçussent pas. Quand
elles se présentaient, elles trouvaient la besogne faite.
Pendant l'espace de trois ou quatre ans je fis toujours
la cuisine, y endurant de grandes incommodités ; mais
plus je souffrais, plus Notre-Seigneur me comblait
de ses consolations et récompensait mes services par
ses faveurs et ses grâces. »
Que de peines de cœur éprouvent en pareil cas les
personnes qui n'ont pas pour se soutenir et se consoler
l'esprit de foi et d'humilité ! Que de larmes elles versent,
que de reproches elles adressent de temps en temps
à ceux qui oublient ainsi les convenances à leur égard !
Le chagrin les consume, et se grave promptement sur
leur figure en lignes ineffaçables. Il en fut tout autre-
ment de madame Martin : elle conservait la paix de son
âme et une vraie joie intérieure; elle faisait l'office
de servante avec autant de bonheur qu'en éprouvent
ceux qui, après de longs désirs, à force d'instances et
au moyen de puissantes médiations, ont obtenu l'hon-
neur de servir les rois de la terre. C'est qu'elle voyait
en tout celui qui est infiniment au-dessus de tous les
monarques du monde; c'était lui qu'elle servait dans
la personne des domestiques de son beau-frère, et elle
était heureuse. On a d'elle un portrait qui fut fait
lorsqu'elle avait quarante ans ; sa figure n'y laisse pas
entrevoir la moindre trace de souffrance. On ne soup-
çonne même pas, eu la voyant, les austérités et les
macérations par lesquelles elle châtiait son corps. Ses
traits révèlent, au contraire, le bonheur et la joie, en
même temps que la force et la santé. C'est que le
fardeau qui eût été accablant pour un grand nombre,
était pour elle doux et léger.
M DE LINC.
66 MARIE DE l'incarnation.
Quelle que fût sa profonde humilité, le démon de
l'orgueil cherchait à lui inspirer des sentiments de
vaine complaisance; il lui représentait les grâces sans
nombre qu'elle avait reçues aussi bien que les dons
naturels dont elle était douée, pour lui donner une
haute idée d'elle-même. Mais Dieu vint à son secours,
et elle surmonta si parfaitement la tentation, dit Claude
Martin, que son cœur demeura fermé pour jamais aux
plus petits sentiments de vanité. Toutefois, ajoute-t-il,
la manière dont elle se rendit victorieuse dans ce
combat est si remarquable, qu'on verra avec plaisir
le récit qu'elle en fait elle-même.
« Je fus attaquée de plusieurs pensées de bonne
estime de moi-même, et sollicitée par la tentation de
m'attribuer plusieurs choses, tant pour l'intérieur que
pour l'extérieur, comme si elles m'eussent appartenu;
mais ayant ouvert un livre de piété, mes yeux tom-
bèrent sur les premières paroles du Psaume 126 : Si
Dieu ne bâtit lui-même une maison, cest en vain que travail-
lent ceux qui la construisent. Alors je me vis si nulle et si
incapable de faire aucun bien, et au contraire, si propre
à tout mal, que force me fut de reconnaître que je
n'étais qu'un vrai rien. Ce regard de moi-même me fit
voir si clairement mon néant, que le sentiment ne
m'en est jamais sorti de l'esprit : en sorte que, depuis
ce temps, je n'ai pu m'attribuer aucun avantage; tou-
jours j'ai vu que Dieu seul est auteur de tout bien.
» Ce qui contribua encore à m'avUir à mes propres
yeux, c'est que sur le bord du chemin par où j'allais
à la messe, il y avait dans la boue un chien mort
répandant une telle infection qu'il fallait se détourner
pour n'eu pas être incommodé. Je me sentis inspirée
de m'en approcher chaque fois que je passais. Quelque
CHAPITRE II. 67
temps après je le vis tout rempli de vers, puis devenir
à rien. Depuis je ne crois pas avoir jamais eu aucune
pensée d'orgueil, qu'aussitôt et presque avant d'avoir
aperçu la tentation, je ne me sois dit devant Dieu :
Ah! je ne suis qu'un chien mort! Cela m'a inspiré
contre moi-même une haine qui m'est toujours restée :
je ne jette pas les yeux sur moi sans me détester, et
plus je suis unie à Dieu, plus je désire être anéantie
en sa présence. »
Les personnes légères et mondaines qui liraient un
pareil récit ne manqueraient pas de dire que madame
Martin se faisait à elle-même une vie malheureuse,
et qu'une âme qui se persécute de la sorte ne peut
avoir ni joie ni sérénité, que tout en elle est sombre
comme la nuit, déchirant comme l'enfer. Ce serait là
une grande erreur. Rien ne donne la paix, une douce-
sérénité, une joie suave et tranquille comme la vraie
humilité. Il est d'expérience que rien ne trouble l'âme
solidement établie dans cette vertu. Ce sont, au con-
traire, les orgueilleux qui éprouvent sans cesse de la
peine. Il leur sufiat d'une légère déception, de quelque
dédain réel ou apparent, ou même purement imagi-
naire pour les remplir d'amertume. Comme ils croient
mériter plus d'égards qu'on ne pense à leur en accor-
der, ils sont toujours mécontents, et, sans qu'il s'en
rendent bien compte, toute leur vie est malheureuse.
L'amour de l'humiliation qui est la marque de l'humi-
lité portée au plus haut degré, fit faire à madame Martin
une démarche que Ton ne peut proposer à l'imitation,
mais qui fait trop bien voir quels progrès elle avait
faits dès lors dans ce que saint Paul appelle la folie de
la croix, pour que nous ne la fassions pas connaître,
en rapportant ce qu'elle en dit elle-même à son fils.
68 MARIE DE l'incarnation.
r^ Le désir de m'humilier me remit en la mémoire
tous mes péchés, non pour me gêner l'esprit, mais pour
m'abaisser et me faire mépriser. Je les écrivis tous
depuis le premier usage de ma raison jusqu'ici, quel-
que honteux qu'ils fussent, en pensées, paroles et
actions, sans omettre aucune circonstance. Puis ayant
mis mon nom au bas, je portai cet écrit à mon confes-
seur, le suppliant de me faire la charité de l'attacher
à la porte de l'église, afin que tous ceux qui y entre-
raient, vissent combien j'avais été misérable par mes
offenses envers la divine bonté. Il prit le papier en me
disant qu'il s'en chargeait; mais il me fit la mortifica-
tion de ne pas l'afficher. »
On le sait déjà et on le verra mieux encore dans la
suite, les plus grands péchés qu'elle eût commis étaient
à peine des imperfections légères, en sorte que cette
confession était la preuve d'une rare sainteté ; mais
la jeune veuve était loin de penser ainsi; elle se croyait,
au contraire, coupable des plus noires ingratitudes.
Par conséquent elle faisait un grand acte d'humilité
en voulant afiiicher cette confession. C'est la remarque
de son fils.
Malgré l'application qu'elle mettait à cacher ses
talents naturels, on finit par les soupçonner. Son beau-
frère qui ne pouvait suffire à toutes ses affaires, la
pria d'en prendre la conduite. Il était commissionnaire
pour le transport des marchandises dans toute l'étendue
du royaume, et, de plus, officier d'artillerie. A la faveur
de ces deux offices, il se livrait encore à quantité
d'autres entreprises, ce qui l'obligeait d'avoir le plus
nombreux personnel de toute la province : car pour
CHAPITRE II. 69
s'acquitter plus avantageusement de ses emplois et afin
de ne dépendre de personne, il possédait tout ce qui
lui était nécessaire en hommes, chevaux, harnais,
coches, carrosses, etc.
Sa charitable sœur consentit à se charger de tout,
et elle s'en acquittait d'une manière qui semblait mira-
culeuse ; car sans rien négliger et en trouvant moyen
de contenter tout le monde, elle portait ce fardeau de
façon à ne pas même être distraite de la présence de
Dieu : en sorte qu'on eût dit qu'elle était du nombre
de ces purs esprits qui dirigent l'économie du monde
et qui ne cessent point de voir la face du Père céleste. C'est
elle-même qui révèle ce phénomène.
« Cette grande application que j'avais à Dieu, dit-
elle, n'était jamais interrompue. Je me trouvais parmi
le bruit des marchands, et cependant mon esprit était
abîmé dans la divine Majesté. On eût jugé, à me voir,
que j'écoutais avec attention tout ce qu'on me disait;
mais, si l'on m'en eût demandé des nouvelles, j'eusse
été bien embarrassée. Néanmoins, Notre-Seigneur me
faisait la grâce de venir à bout de toutes les affaires
dont j'avais la charge. Je passais les jours presque
entiers dans une écurie qui servait de magasin, et
quelquefois il était minuit que j'étais sur le port à faire
charger ou décharger des marchandises. J'avais pour
compagnie ordinaire des crocheteurs, des charretiers
et en outre cinquante ou soixante chevaux, dont il
fallait que j'eusse le soin; et cependant tous ces tracas
ne m'éloignaient point de Dieu. Je m'en sentais plutôt
rapprochée, parce que tout était pour la charité et non
pour mon profit particulier. Je me voyais quelquefois
si surchargée d'affaires que je ne savais par où com-
mencer. Je m'adressais alors à mon refuge ordiniire.
70 MARIE DE L INCARNATION.
lui disant : Mon Amour, il n'y a pas moyen que je fasse
toutes ces ciioses; faites-les pour moi, autrement tout
restera. Me confiant ainsi en sa bonté, tout me devenait
facile. Quelquefois je me retirais dans la solitude pour
tâcher de m'unir à Dieu loin du bruit ; aussitôt l'on
me rappelait, et j'obéissais joyeusement en disant :
Allons, mon doux Amour, vous le voulez; il suffit que
je vous possède ; cette action est pour vous. »
On voit par tout ce qui arrive à madame Martin
après la mort de son mari, que la grâce produisait en
elle une activité étonnante, toujours réglée néanmoins
par la prudence, le tact et l'intention surnaturelle. Mais
outre ce travail que l'on pourrait appeler extérieur,
au moyen duquel une Providence attentive la préparait
à devenir plus tard apôtre du Canada, une opération
plus merveilleuse encore de l'Esprit divin avait lieu
dans son intérieur, ainsi que nous allons le voir dans
le chapitre suivant, et la faisait monter à ce degré de
vertu et de perfection qui est le cachet des âmes d'élite,
à cette hauteur de vie mystique qui a permis à Bossuet
de la qualifier de Thérèse de son siècle et du Nouveau -Monde.
Pour bien comprendre cette conduite de Dieu à
l'égard de sa servante , cette éducation , pour ainsi
parler, au moyen de laquelle il communiquait à son
âme des aptitudes si différentes , les unes pour les
oeuvres extérieures, les autres pour la contemplation,
il faut remarquer que l'Ordre des Ursulines auquel il
la destinait, demande précisément ces deux espèces
d'aptitudes, au moins dans une certaine mesure. Il y a
deux vies dans la fille de sainte Angèle : la vie aposto-
CHAPITRE II. 71
lique, active par conséquent, se consumant à faire
connaître Dieu, à inspirer son amour autour de soi,
à sauver des âmes, et la vie religieuse proprement dite,
qui consiste à tendre tous les jours à sa propre perfec-
tion par la pratique des trois vœux de chasteté, d'obéis -
sance et de pauvreté perpétuelles. Celle-ci est la
principale; elle est le fondement de Vautre, qui autre-
ment ne serait qu'un travail purement humain, sans
proportion avec le but que doit se proposer l'apôtre de
Jésus-Christ; mais toutes deux s'harmonisent, s'aident
et se perfectionnent réciproquement. Plus une Ursuline
sera sainte, plus elle sera propre à glorifier Dieu et à
sauver des âmes. D'un autre côté, elle se sanctifie
elle-même en s'appliquant à sanctifier les autres.
Il faut considérer encore que, dans les desseins de
Dieu, madame Martin était destinée à une mission
extrêmement laborieuse et difficile; elle devait aller,
dans une région inconnue et parmi des sauvages,
braver les plus grands dangers, endurer mille priva-
tions et se livrer pendant un tiers de siècle à des tra-
vaux tels que rarement une femme en a affronté de
semblables. Or, pour être en état de parcourir une telle
carrière, ce n'était pas trop de souffrir l'espace de neuf
ou dix ans les humiliations et les fatigues auxquelles
elle fut soumise chez son beau- frère. Elle-même le
reconnut plus tard et témoigna sa reconnaissance à
cette invisible main qui la dirigeait en toutes choses.
« Je vois maintenant, écrivait- elle vers la fin de sa
vie, que tous les états, épreuves et travaux par lesquels
j'ai passé, avaient pour but de me former à l'œuvre du
Canada. C'a été mon noviciat ; je n'en suis pas sortie par-
faite, mais pourtant, par sa miséricorde, Dieu m'a mise
en état de porter les tracas et les travaux du Canada. »
72 MARIE DE l'incarnation.
Enfin, elle devait fonder une maison considérable
dans une contrée où nulle femme consacrée à Dieu
n'avait encore paru, servir de guide et de modèle non-
seulement aux religieuses qui travailleraient avec elle,
mais à toutes celles qui se succéderaient dans la com-
munauté dont elle serait la Mère. Dieu voulait même
que , par l'éclat de ses vertus et l'ascendant de sa
sainteté, elle contribuât à affermir l'une des plus impor-
tantes colonies qu'ait fondées une nation catholique :
il était donc comme nécessaire que des grâces de
choix et véritablement extraordinaires lui fissent com-
mencer de bonne heure l'édifice de sainteté que deman-
dait une telle mission. Or, nous allons voir comment
Dieu opéra en elle ce travail intérieur de sagesse et
d'amour.
CHAPITRE III.
Genre d'oraison de madame Martin. — Son attention continuelle à la présence
de Dieu. — Pressentiments d'un état plus parfait. — Efforts pour s'y préparer.
Pénitences rigoureuses. — Elle écrit de nouveau ses péchés. — Elle connaît
qu'elle doit être épouse de Dieu. — Bonheur et angoisses. — Nouvelles
austérités — Union de deux cœurs. — Préliminaires du mariage divin et
analogies. — Admirable vision de la sainte Trinité.
Animée du plus vif désir d'arriver à la sainteté,
madame Martin prenait tous les moyens qui lui parais-
saient propres à atteindre ce but. Elle s'appliquait
particulièrement à l'oraison, et elle y mettait l'ardeur
qui était dans sa nature ; elle s'était livrée à cet exer-
cice, durant quelque temps, d'après une méthode qui
CHAPITRE m. 73
lui était tombée entre les mains, mais elle y trouvait
beaucoup plus de fatigue que de profit. C'est pourquoi
son confesseur, Dom François de Saint-Bernard, ayant
quitté Tours, et la servante de Dieu setant adressée
à un autre Feuillant, Dom Raimond de Saint-Bernard,
qui le remplaçait, celui-ci lui défendit la méditation
proprement dite et voulut qu'elle s'abandonnât entière-
ment à l'esprit de Dieu. Cette liberté que lui donna
son nouveau directeur lui fut extrêmement avanta-
geuse, et elle-même fait connaître les fruits qu'elle en
retira.
« Dès que je m'étais mise à genoux devant mon
crucifix, ce divin Sauveur s'emparait de mon esprit,
et tout ce que je pouvais faire était de lui dire : ^ C'est
" l'amour qui vous a réduit à cet état; si vous n'étiez
« pas amour, vous n'auriez pas souffert de la sorte. »
En semblables occasions, je me suis trouvée dans un
battement de cœur si étrange qu'il me réduisait à
n'en pouvoir plus; si ce cœur se fût fendu, j'eusse
trouvé mon soulagement par ma mort, pour aller jouir
de celui que je ne voyais ni ne pouvais concevoir
qu'amour. «
Ce n'était pourtant là que le commencement des
prodiges de grâces que Dieu voulait opérer en elle.
« Sitôt, ajoute-t-elle, que la divine Majesté m'eût com-
muniqué le don d'oraison, elle me donna aussi la grâce
de sa sainte présence, qui était toute ma force et
m'établissait dans un entretien continuel avec Notre-
Seigneur. Dans cet état il laissait voir à mon âme son
intention de la faire arriver à une pureté qui lui était
inconnue, et par où elle n'avait pas encore passé. Il
lui faisait comprendre qu'il était comme une grande
et vaste mer : de même que la mer ne peut rien souffrir
74 MARIE DE L INCARNATION.
d'impur, ainsi ce Dieu de pureté infinie rejette toutes
les âmes mortes, lâches et impures. Je vis pour lors
une si grande disproportion de la pureté de l'esprit
humain pour entrer dans l'union avec la divine Majesté,
que cela était épouvantable. »
Les saints, que la grâce inonde et pénètre d'abon-
dantes lumières, voient en eux une multitude d'im-
perfections et même de souillures là oii les âmes
d'une piété commune croiraient apercevoir des vertus.
Madame Martin avait reçu ces lumières, et elle se
voyait remplie de tant de défauts qu'elle en était
comme accablée, sans toutefois se laisser aller au
découragement ou à la défiance.
Voyant que le défaut de pureté de son âme, c'est-à-
dire du détachement parfait à l'égard d'elle-même et
de la créature, était un obstacle à cette grâce inconnue
qu'elle pressentait et désirait si ardemment, elle se
donna tout entière aux actes d'humilité et de morti-
fication corporelle. « Je m'estimais heureuse, dit-elle,
quand on me causait des humiliations. Je sentais au
fond de mon cœur un vif amour pour les personnes
qui me procuraient -cet avantage; j'agissais à leur
égard avec une affection très-sincère, et dès que j'y
mêlais quelque imperfection, j'en étais reprise inté-
rieurement, ce qui m'arriva dans une circonstance où
j'entendis fort distinctement ces paroles au dedans de
moi : « Si tu avais une belle perle ou une pierre pré-
« cieuse et que l'on vînt à la salir dans un bourbier,
» serais-tu contente? » Ces paroles me jetèrent dans un
abîme de confusion. L'effet qu'elles produisirent fut
une si grande haine de moi-même, que je ne voyais
rien qui fût digne de mépris et de rebut autant que
je l'étais. La haine de moi-même et l'humilité crois-
CHAPITRE iir-' 75
saient et me faisaient faire des actions de plus en plus
humiliantes et où la nature recevait plus de confusion.
« Mon âme cependant se portait sans cesse vers
Dieu; je voulais le posséder d'une façon qui m'était
inconnue et à laquelle lui-même me dispensait. Je le
rencontrais dans toutes les créatures et danj^^ les fins
pour lesquelles elles avaient été créées. J'av.ais une
connaissance infuse de la nature de chaque chose,
et, sans penser que cela fût extraordinaire, j'en pa>rlais
quelquefois avec beaucoup de simplicité. »
Dieu lui faisait comprendre néanmoins qu'elle n'avait
pas encore les dispositions requises pour recevoir la
faveur qu'il lui réservait. « C'est pourquoi, dit-elle,
mon âme eût voulu passer par les flammes pour arriver
au but de ses désirs. Il n'y avait travaux qu'elle n'em-
brassât pour acquérir ce qui lui manquait. Elle faisait
tout son possible pour gagner le Cœur de Dieu, et
Dieu, de son côté, lui donnait un nouvel esprit de péni-
tence, qui lui faisait traiter son corps comme un
esclave. Elle le chargeait de haires, de cilices et de
chaînes; elle le faisait coucher sur le bois; elle lui
faisait passer une bonne partie des nuits à se donner
la discipline avec grande effusion de sang. Elle ne lui
permettait que le peu de sommeil qui lui était néces-
saire pour ne pas mourir; elle lui faisait encore sup-
porter, avec ces pénitences, les travaux domestiques
et les peines attachées à ses divers emplois. Non con-
tente de cela, elle priait quelque personne complaisante
de le battre rudement. Elle ne lui donnait aucun repos,
cherchant sans cesse de nouvelles inventions pour le
faire souffrir. Ce pauvre corps se laissait traiter comme
un mort et souffrait tout sans mot dire, tant l'Esprit
de grâce l'avait subjugué.
76 MARIE DE l'incarnation. •
« Ce n'est pas tout; cet Esprit intérieur, qui s'était
rendu le maître et le guide de l'âme, lui fit voir que la
pureté intérieure demandait qu'elle allât déclarer de
nouveau à son directeur tous les péchés de sa vie
et le prier, après les lui avoir donnés par écrit, de les
attacher à la porte de l'église avec le nom de la cou-
pable, afin que tout le monde sût à quel point elle avait
été infidèle à Dieu. Mon directeur me renvoya assez
sévèrement plusieurs fois, mais enfin il vit bien que
mes larmes venaient d'une autre source que de la
nature. Il m'écouta donc et je lui présentai mon papier;
il le prit sans mot dire, mais je crois qu'il le brûla, car
je ne le vis point afiSché à la porte de l'église, comme
je l'avais demandé.
» Après que j'avais ainsi obéi à l'Esprit de grâce,
il se montrait généreux et libéral envers moi. Qu'il soit
béni éternellement pour avoir témoigné tant d'amour
à une si chétive créature ! «
Tous ces actes de vertus, surtout des vertus qui
coûtent le plus à la nature, élevèrent en peu de temps
madame Martin à une haute perfection et lui procu-
rèrent, à un certain degré, cette pureté de l'âme à
laquelle elle aspirait avec une si vive ardeur. Alors
Dieu se laissa toucher, et il lui fit comprendre que la
grâce insigne qu'il lui réservait, était de l'élever jusqu'à
lui par une union mystérieuse et de lui donner la
qualité d'P]pouse.
Cette ouverture qui la combla de joie fut néanmoins
suivie de grandes angoisses, mais angoisses d'amour
dont elle n'eût pas voulu être délivrée et qui servirent
CHAPITRE III. 77
à perfectionner de plus en plus cette pureté dans
laquelle elle faisait tous les jours des progrès.
« J'étais étonnée de ce que Notre-Seigneur me faisait
tant de grâces, me permettant d'aspirer à être son
Epouse et à me perdre dans ses divins embrassements.
Mais il y avait encore quelque ornement dont mon âme
avait besoin, et à cause de cela elle languissait, quoi-
qu'elle fût unie de volonté à celui qui la faisait languir.
Elle se regardait comme assurée de le posséder dans
l'étroite union pour laquelle il lui donnait tant d'attrait;
mais il ne se peut dire combien cet amour cause de
peines et de souffrances. Cependant l'âme ne voudrait
pas être délivrée de ces peines, sinon pour posséder
-celui qu'elle aime. Il lui semble qu'elle a des bras
intérieurs continuellement tendus vers lui; et comme
si déjà elle le possédait, lorsqu'elle ne fait qu'aspirer
à cette possession, elle dit : « Mon bien-aimé est à moi
» et je suis toute à lui; il est comme un autre moi-même,
» c'est mon tout, c'est ma vie. » Tous ses mouvements,
toutes ses attentions, tout ce qui est en elle tend conti-
nuellement vers son bien-aimé. Elle estime sa vie
comme rien, pourvu qu'elle le possède en la manière
qu'il lui fait pressentir, car elle ne peut se contenter
de moins. « Non, dit-elle, non, mon chaste Amour, je
» ne vous veux point en partie, je vous veux tout entier;
» si c'est ma vie qui vous empêche de venir, ôtez-la-moi,
» puisqu'elle m'est nuisible. Pourquoi tardez- vous tant
y> à venir à moi ou à m'attirer à vous? »
» Tout cela se passait dans des chemins où les
affaires me conduisaient, dans l'embarras des soins
domestiques et dans la conversation d'un grand nom-
bre de personnes, avec autant d'attention et d'appli-
cation d'esprit que si c'eût été dans l'oratoire, parce
78 MARIE DE l'incarnation.
que lame était emportée par une force qui, au fond,
lui donnait une très-grande paix, tandis que, d'un
autre côté, l'amour divin la tenait dans une angoisse
qui se peut bien sentir, mais non pas exprimer. »
Plus elle recevait de grâces nouvelles, plus elle
soupirait vers cette union intime qui devait la rendre
Épouse, et que pour cette raison elle appelle Mariage.
Jour et nuit elle s'écriait: « Ah! mon Amour, quand
est-ce que s'achèvera ce mariage? »» Elle appelle Notre-
Seigneur son Amour, selon l'ordre que lui-même lui
avait donné. Un jour que, lui parlant dans l'oraison
avec un profond sentiment d'humilité et de respect,
elle l'appelait son Dieu et son grand Dieu, il lui dit
avec une merveilleuse douceur. « Tu m'appelles ton
» grand Dieu, ton Maître, ton Seigneur, et tu dis bien,
» car je le suis. Mais aussi je suis charité; l'Amour est
» mon nom, et c'est ainsi que je veux que tu m'appelles. »
Son âme ne fut jamais pénétrée d'une douceur sem-
blable à celle qu'elle ressentit à ces paroles. Cet aimable
nom, ce nom Amour lui demeura depuis si fortement
imprimé dans l'esprit et dans le cœur, que quand elle
parlait à Notre-Seigneur, elle ne l'appelait plus que
son Amour, son doux Amour, son cher Amour, son
très-pur et très-chaste Amour.
P>n attendant la faveur si ardemment désirée, elle
adoucissait ses angoisses et même elle soulageait ses
fatigues corporelles par la sainte communion. •< Après
toutes les fatigues que je prenais pour le service du
prochain, mon corps brisé de pénitences reprenait ses
forces par la manducation de ce pain divin et recevait
CHAPITRE III. 79
un nouveau courage peur recommencer, ce que natu-
rellement je n'aurais pu faire. Néanmoins, après la
consommation des saintes espèces, mon âme revenait
dans sa tendance ordinaire à le posséder sans retour.
Je gémissais, je me voyais quelquefois comme aban-
donnée lorsque, dans la rigueur de l'hiver et pendant
l'obscurité de la nuit, je voulais châtier mon corps,
que je tenais tout découvert au froid. A peine pou-
vais-je remuer le bras. Je disais à ce divin amant :
Mon bien-aimé, mettez-vous sur mon bras, afin qu'il
ait des forces pour châtier ce misérable corps. Alors
il m'en donnait de si puissantes que je me déchirais
de coups; puis je mettais une haire, afin que ses
nœuds et ses épines fussent d'autant plus sensibles que
les plaies étaient plus récentes ; et enfin je m'allais jeter
quelques heures sur mon pauvre lit. Je voyais bien
que je suivais ses intentions, car son Esprit ne me
permettait pas de faire autrement. »
Voici ce qu'elle dit encore de ses mortifications :
" Coucher sur des planches me semblait trop sensuel;
j'y ajoutais un cilice, sur lequel je m'étendais. Les
disciplines d'orties dont je me servais l'été produisaient
un tel effet, après que j'en avais employé trois ou
quatre poignées à chaque fois, qu'il me semblait être
dans une chaudière bouillante; et pour l'ordinaire je
m'en sentais trois jours durant, puis je recommençais.
La douleur en était si grande que voulant ensuite
employer des chardons, je ne les sentais pas. Je ne
laissais pas de me servir d'une discipline de chaînes,
mais ce n'était rien en comparaison de la douleur des
orties. Je mangeais de l'absinthe avec la viande, et hors
les repas j'en tenais longtemps dans ma bouche, puis,
après en avoir bien goûté l'amertume, je l'avalais.
80 MARIE DE l'incarnation.
Mais on me défendit d'en faire usage, parce que cela
me nuisait à l'estomac.
» J'avais si souvent la haire et le cilice sur le dos
que l'usage s'était tourné en habitude. Si ceux avec qui
j'étais eussent soupçonné tout cela, ils m'eussent jugée
folle : aussi me donnais-je garde qu'on s'en aperçût.
Le long temps où je couchai sur le bois recouvert d'un
cilice, me macéra si fort la chair du côté où je me
couchais, qu'il devint insensible. Cette mortification est
la plus pénible que j'aie jamais faite : car la dureté
du bois et la pesanteur du corps faisaient entrer le
crin dans la peau, en sorte que je ne pouvais dormir
qu'à demi, sentant toujours la douleur des piqûres.
w On me disait quelquefois des paroles dures parce
que je cherchais Dieu; j'écoutais tranquillement, et au
fond de mon cœur j'offrais tout cela à l'Amour pour
lequel je le souffrais. Après avoir passé le jour en toutes
ces peines, j'allais la nuit dans une caverne qui appar-
tenait à mon frère et où il y avait des bêtes venimeuses.
Comme personne n'y mettait le pied, j'y restais long-
temps à prier et à prendre la discipline, puis j'allais
me coucher sur ma planche ou sur une .balle de mar-
chandises. Je prenais fort peu de repos, mais je n'en
fus jamais malade. Je sentais une nouvelle ardeur pour
faire toujours davantage, et l'Esprit me poussait sans cesse
vers de nouvelles mortifications. J'aurais regardé comme
perdu un jour passé sans souffrir. Tout cela m'était si
fortement inspiré que mon confesseur me le permettait.' •'
(I) Un confesseur n'aurait jamais permis de pareilles austérités, s'il n'avait
vu clairement qu'il y avait là une intervention particulière de Dieu et son
assistance, en quelque sorte, miraculeuse pour conserver la vie et la santé de sa
servante. D'un autre côté, cette déférence à l'égard du confesseur est le cachet
d'une vraie piété et d'une humilité sincère.
CHAPITRE III. 81
Ces etfrayantes austérités avaient pour but d'arriver
au mariage divia qui lui avait été promis; mais Notre-
Seigneur semblait, de son côté, se plaire à la faire
languir pour exciter encore davantage son désir et la
n lieux préparer. Dans ce but il lui fît voir comme une
image de cette union : « Ce divin Jésus, dit-elle, ne me
laissait ni jour ni nuit en repos. Je regrettais le som-
meil que je prenais; et, quoiqu'il fût fort court, je
souffrais d'être si longtemps sans penser à ce divin
Amant. Je m'éveillais fort souvent en oraison ; et une
nuit je vis que ce divin Epoux tenait deux cœurs
entre ses mains, et que ces deux cœurs étaient le sien
et. le mien. Il mit l'un dans l'autre si artificiellement
qu'il n'en paraissait plus qu'un, et pourtant je voyais
l'union des deux. Faisant cette union, il me dit : Tiens,
voilà comme se fait l'union des cœurs. J'éprouvai alors
une touche si divine et si délicate dans sa suavité,
qu'il ne me serait pas possible de l'exprimer. »
« Depuis ce moment, dit Claude Martin, son cœur
» demeura pour toujours esclave de celui de Jésus. Elle
" ne le considérait plus comme étant à elle, mais comme
» appartenant à celui qui l'avait si saintement ravi et
" enchâssé dans le sien. »
Nous dirons plus loin ce que c'est que le mariage de
Dieu avec l'âme humaine; remarquons ici les analogies
qui existent, quant aux préliminaires, entre celui de' la
Mère Marie de l'Incarnation avec Notre-Seigneur et le
mariage humain. Si un grand roi voulait épouser une
humble bergère, il ne lui ferait pas connaître de suite
son intention, mais il lui donnerait à entendre qu'il
M DE LINC.
82 MARIE DE l'incarnation.
veut l'élever à une grande fortune et à une haute
position, pourvu quelle consente à s'en rendre digne.
Il lui ferait donner une éducation convenable et en
rapport avec sa nouvelle destinée ; il l'engagerait à se
défaire de ses manières communes, en lui faisant
comprendre combien elle est éloignée sous ce rapport
de ce que demande l'élégance d'une cour royale. La
jeune fille pourrait être épouvantée à la vue de ce qui
lui manque; mais le désir de posséder les grands avan-
tages qu'on lui fait entrevoir lui donnerait de l'énergie
pour surmonter toutes les diflBcultés. Elle s'efforcerait
surtout de se pénétrer des sentiments les plus élevés
pour être digne des faveurs d'un prince vertueux et
magnanime. Celui-ci, touché d'aussi belles dispositions,
lui ferait enfin connaître sa véritable intention. On
comprend quels seraient alors les désirs et les trans-
ports de reconnaissance et d'amour de la jeune fille,
comme elle redoublerait d'efforts pour acquérir tout
ce que demande une destinée qu'elle n'eût jamais osé
rêver.
Or n'est-ce pas ce que nous voyons se passer entre
Notre-Seigneur et la Mère Marie de l'Incarnation? Il
lui fait pressentir une grande faveur, sans lui en dire
davantage; en même temps il lui fait comprendre
qu'elle n'a encore ni la beauté spirituelle qui résulte
d'un pur et absolu détachement de tout ce qui est
sensible et crée, ni cette élévation, ni cette grandeur
de l'âme vraiment surnaturelle que donne une profonde
humilité. La servante de Dieu voit en elle une indignité
épouvantable; mais elle est plus enflammée que décou-
ragée, et elle se livre avec ardeur aux actes d'humilité
et de mortification. Cette ardeur devient encore plus
grande quand elle sait que c'est au mariage divin
CHAPITRE III. 83
qu'elle est destinée, ainsi qu'on va le voir dans un
instant. Alors son amour devient comme une fournaise
et ses désirs sont des angoisses produites par cet
amour.
Après cette ouverture du divin fiancé, les relations,
on pourrait dire les entrevues, deviennent plus fré-
quentes et plus intimes. Notre vénérable Mère ne peut
plus penser qu'à son bien-aimé; rien ne peut en
détourner son attention ni diminuer l'impétuosité du
sentiment qui emporte son cœur vers lui. Elle seule
peut faire connaître un pareil état.
« Si l'horloge sonnait, dit-elle, mon âme était con-
trainte de compter les heures par les doigts, parce que
ce travail de compter (ce que je ne faisais que par
nécessité) mettait de l'interruption à son entretien
amoureux avec son bien-aimé. S'il fallait parler au
prochain , son regard ne quittait pas celui qu'elle
aimait, et l'attention à ce qui était nécessaire ne lui
ôtait point celle qu'elle avait à Dieu. Il en était de
même lorsque j'écrivais; l'attention de mon âme était
double : savoir à son divin objet et à l'écriture que
je traçais. Lorsqu'il fallait tremper la plume dans
l'encre, ce temps était précieux, parce que l'esprit et
le cœur en profitaient pour s'entretenir avec Dieu.
Enfin, quand tout le monde eût été présent, rien n'eût
pu distraire mon âme. »
Remarquons en passant qu'à l'époque où madame
Martin vivait dans celte application à la présence
Dieu et ces continuelles ardeurs, elle n'avait que vingt-
cinq ou vingt-six ans; or elle fit toujours, à partir de
là, des progrès dans la spiritualité. Ainsi qu'on le verra
dans la suite de cette histoire, elle ne cessa jusqu'à sa
bienheureuse mort, qui arriva dans sa soixante-treizième
84 MARIE DE l'incarnation.
année, île croître en vertu et en sainteté. Qu'on juge,
en conséquence, du degré de perfection auquel elle était
parvenue lorsque Dieu la retira de ce monde.
Continuons notre étude des préliminaires de ce
mariage divin. Comme un fiancé aime à répondre à
l'amour de celle qu'il aime lui-même d'un amour pur
et légitime, de même qu'il se plaît à lui découvrir sa
noblesse, ses richesses et tout ce qui peut lui faire
honneur, ainsi Notre-Seigneur agit envers sa sainte
fiancée. « Un jour qu'elle se plaignait à lui de ne
pouvoir méditer sur ses souffrances, parce qu'aussitôt
qu'elle voulait s'y appliquer, elle se trouvait comme
transportée dans sa familiarité ordinaire avec Dieu,
le Sauveur lui révéla, dit Claude Martin, les secrets
du grand mystère de l'Incarnation avec ses circons-
tances et ses suites, comme les perfections de sa sainte
âme, les opérations de son esprit, les affections de son
Cœur tant envers son Père qu'envers les créatures,
en un mot toute l'économie de son intérieur. » Voici
ce qu'elle en dit elle-même :
« De temps en temps, et lorsque je ne le cherchais
pas, Notre-Seigneur me donnait de grandes lumières
sur le mystère de l'Incarnation et sur l'union du Verbe
avec sa sainte humanité. C'était d'une façon si admi-
rable qu'il m'est impossible de l'exprimer. J'y ai connu
tout ce que l'Eglise en dit, mais au delà il y a des
secrets impénétrables que nous verrons dans l'éternité,
et qui seront une des plus nobles occupations des bien-
heureux. Une fois, durant un carême entier, toute
autre occupation me fut ôtée de l'esprit; il n'y demeura
CHAPITRE III. 85
que la seule vue des grandeurs et des perfections de
son âme bienheureuse et des affections amoureuses
de son Cœur, »
Ce n'était pas assez pour Notre-Seigneur de se com-
muniquer intimement à sa fiancée et de lui ouvrir ses
secrets personnels, il la mit en relation intime avec
la famille divine de la Sainte-Trinité, et il lui donna
de ce mystère une connaissance que Claude Martin
ne craint pas d'appeler sublime. Comme toujours, nous
citons les paroles de la vénérable Mère.
« Un matin, qui était la seconde fête de la Pentecôte,
lorsque j'entendais la sainte messe en la chapelle des
RR. PP. Feuillants, je regardais sans dessein de petites
images de Chérubins, qui étaient au bas des cierges;
tout à coup mes yeux furent fermés et mon esprit
élevé et absorbé dans la vue de la très-sainte et très-
auguste Trinité. Cette impression était sans forme ni
figure, mais plus claire et plus intelligible que toute
lumière. En un moment je vis le divin commerce que
les trois personnes divines ont ensemble : l'intelligence
du Père qui, se contemplant soi-même, engendre son
Fils, ce qui a été de toute éternité et sera éternelle-
ment. Mon âme recevait cette vérité d'une façon inef-
fable qui me fit perdre toute parole, car elle était
abîmée dans cette lumière. Ensuite elle voyait l'amour
mutuel du Père et du Fils produisant le Saint-Esprit,
ce qui se faisait par un réciproque prolongement
d'amour, mais sans mélange et sans confusion. J'en-
tendais ce que c'était que spiration et production, spi-
ration active et spiration passive.' Voyant les distinc-
(1) Dieu le Père produit et engendre le Fils de toute éternité. Le Père et le
Fils produisent le Saint-Esprit, mais ne l'engendrent pas. L'action éternelle par
86 MARIE DE l'incarnation.
tions, je connaissais l'unité d'essence dans les divines
Personnes, et quoiqu'il me faille plusieurs mots pour
en parler, en un moment et sans intervalle de temps,
je connaissais l'unité, les distinctions et les opérations
de cette Trinité adorable, soit en elle-même, soit hors
d'elle-même.
» Dans la même vision, cette très-sainte Trinité
éclairait mon âme sur ce qu'elle opérait par communi-
cation dans la suprême hiérarchie des anges : savoir
des Chérubins, des Séraphins et des Trônes, auxquels
elle manifeste ses volontés sans intermédiaire d'aucun
esprit créé. Je voyais distinctement les opérations et
les rapports de chacune des Personnes de la très-
auguste Trinité dans chacun des chœurs de cette
suprême hiérarchie. Je voyais que le Père éternel
habite dans les Trônes, ce qui me faisait connaître la
pureté et la solidité de ses pensées éternelles. Je voyais
que le Verbe, par la splendeur de ses lumières, se
communique aux Chérubins , ce qui me donnait à
entendre qu'il est tout lumière et tout vérité, au- dedans
de lui-même par sa génération éternelle, et au dehors
lorsqu'il se communique. Je voyais que le Saint-Esprit
se répand dans les Séraphins et qu'il les remplit de ses
ardeurs, ce qui me montrait que cette personne ado-
rable est tout feu et tout amour, puisqu'il embrase de
la sorte tout un chœur angélique. Je voyais enfin que
toute la très- sainte Trinité en l'unité de la divine
Essence se communique à cette suprême hiérarchie,
laquelle ensuite manifeste les volontés divines aux
autres Esprits célestes. Mon âme était perdue dans ces
laquelle le Père et le Fils produisent le Saint-Esprit, en s'aimant d'un amour
infini, s'appelle spiration active, considérée dans les deux premières personnes ;
et spiration passive, considérée dans l'Esprit-Saint.
CHAPITRE III. 87
grandes splendeurs, et il semblait que la Divinité se
plût à l'illuminer sur des choses qui surpassent infini-
ment la faiblesse de la créature. Je recevais toutes ces
lumières sans acte réfléchi ni mouvement venant de moi.
» Lorsque cela m'arriva, je n'avais jamais été ins-
truite sur le grand et suradorable mystère de la très-
sainte Trinité, et quand j'aurais lu et relu une instruc-
tion venant des homrnes, cela ne m'en aurait pu donner
une impression telle que je l'eus pour lors et qu'elle
m'est demeurée depuis. Je me tenais à genoux jusqu'à
cinq heures de suite sans me lasser ni penser à moi :
l'amour du divin Sauveur me tenait liée et comme
transformée en lui. Mon âme était abîmée dans ce
grand océan, où elle voyait et entendait des choses
inexplicables. Quoique pour en parler il faille du temps,
l'âme néanmoins voyait en un instant le mystère de la
génération éternelle du Père engendrant son Fils, et
le Père et le Fils produisant le Saint-Esprit, sans
mélange ni confusion. Ces gran'des choses ne s'oublient
jamais, et j'ai encore celles-ci aussi présentes (après
plus de quarante ans) que lorsqu'elles arrivèrent. Quant
aux termes, ils sont sans étude et seulement pour
signifier ce que mon esprit me fournit; mais ils sont
toujours au-dessous des choses, parce que l'on n'en
peut trouver d'autres pour les mieux exprimer.
" Après que j'eus reçu ces lumières, le P. Raymond
me procura les oeuvres de saint Denis, traduites par
un Père de son Ordre. Je les comprenais parfaitement
et je fus extrêmement consolée d'y voir les grands
mystères que Dieu, par sa bonté, m'avait communi-
qués; mais les choses sont bien autres lorsque la divine
Majesté les fait voir elle-même à l'âme. »
« Il est évident, dit Claude Martin, que cette vision
88 MARIE DE l'incarnation.
est la plus remarquable que la Mère de rincarnation
ait eue dans sa vie, et peut-être l'une des plus grandes
et des plus rares qu'une âme puisse avoir en ce monde.
On y voit la plus sublime théologie, expliquée si claire-
ment et en des termes si justes, qu'il n'est possible de
rien dire qui soit de nature à mettre la vérité dans
un plus grand jour. Je ne me suis jamais lassé de lire
ni je n'ai cessé d'admirer ce ravissement. »
CHAPITRE IV.
Le mariage céleste s'accomplit. — Seconde vision de la Sainte-Trinité. —
Opération divine dans l'âme de la servante de Dieu. — Réalité du mariage
divin. — Nouvelles analogies : abandon de tout et de soi-même causé par
l'amour ; communauté de biens ; possession mutuelle. — Familiarité, délire et
transports d'amour. — Union plus parfaite et plus continuelle. — Martyre, et
extase d'amour. — L'entrée au couvent des Ursulines de Tours est décidée.
1631. — Perte de son fils. — On le retrouve à Blois.
Nous venons de voir comment la pieuse servante de
Dieu fut préparée au divin mariage vers lequel elle
soupirait si ardemment; elle va maintenant nous
dire de quelle manière cette union céleste fut enfin
accomplie.
« Un matin que j'étais en oraison, Dieu absorba
mon esprit en lui par un attrait extraordinairement
puissant. La vue de la très-auguste Trinité me fut
encore communiquée, mais d'une façon plus élevée et
plus distincte que la première fois. Lors donc que j'étais
comme abîmée en la présence de icette suradorable
Majesté, Père, Fils et Saint-Esprit, en reconnaissance
CHAPITRE IV. 89
et confession de ma bassesse, le Verbe divin me donna
à entendre qu'il était vraiment l'Epoux de l'âme qui
lui est fidèle. J'entendais cette vérité avec certitude;
et la connaissance qui m'en était donnée m'était une
préparation prochaine à la voir effectuée en moi. En
ce moment cette adorable personne s'empara de mon
âme, et l'embrassant avec un amour inexplicable, l'unit
à soi et la prit pour son Epouse/ Quand je dis qu'il
l'embrassa, ce ne fut pas à la manière des embrasse-
ments humains ; rien de ce qui peut tomber sous les
sens, n'approche de cette divine opération; mais il faut
s'exprimer selon notre façon grossière de parler, puis-
que nous sommes composés de matière. Ce fut par des
touches divines, par des pénétrations de lui en moi
et réciproquement de moi en lui : de sorte que n'étant
plus à moi, je demeurais toute à lui par intimité
d'amour et d'union; et étant en quelque sorte perdue
à moi-même et devenue lui-même par cette perte, je
ne me voyais plus. Toutefois, par de courts instants,
je me retrouvais et j'avais la vue du Père éternel et
du Saint-Esprit, ainsi que de l'unité des trois personnes
divines. Dans les grandeurs et dans les amours de ce
(1) L'âme de saint François d'Assise avait aussi épousé le Verbe divin : •' Mon
âme doucement enchaînée, disait-il, se précipite dans les embrassements du bien-
aimé : plus elle contemple sa beauté, plus elle est hors d'elle-même l'rans-
formée en lui, elle est presque le Christ lui-même. Unie à Dieu, elle devient
presque toute divine.... L'amour est si ardent que mon cœur est fendu comme
par un glaive et que les flammes le consument. Je me jette dans les bras du
Christ, et je lui crie : 0 amour, fais-moi mourir d'amour! 0 amour sans mesure,
pourquoi me rends-tu fou et me fais-tu mourir dans une ardente fournaise ? »
{Histoire de saint François d'Assise, par Chavin de Malan.) On voit combien les
grâces que reçut la Mère de l'Incarnation ressemblent à celles qui inondèrent l'âme
du séraphique François.
Au reste, on pourrait citer bien d'autres traits ««mblables dans les vies des
saints.
90 MARIE DE l'incarnation.
divin Verbe, qui était mon Epoux et mon Aolour, et
qui tenait mon âme captive avec toutes ses puissances,
la voulant toute pour lui dans l'excès de son divin
amour, je me voyais comme impuissante à rendre mes
hommages au Père et au Saint-Esprit. Il me permettait
néanmoins de porter mes regards par intervalles vers
ces deux adorables personnes, et ces regards rendaient
témoignage de ma soumission parfaite et de mon
entière dépendance.
» Mon esprit connaissait les opérations appropriées
à chacune des trois Personnes. Lorsque le Verbe sacré
opérait en moi, le Père et le Saint-Esprit regardaient
son opération, et toutefois cela n'empêchait pas l'unité
du principe agissant, qui était le même dans les trois
personnes. »
Ces deux dernières lignes sont dignes d'attention,
en ce que sans elles le premier membre de la phrase
représenterait le Verbe comme agissant seul en dehors
de la Sainte-Trinité, ce qui serait contraire à l'ortho-
doxie. C'est ce que fait observer Claude Martin. « Elle
vient de faire, dit-il, une remarque de grande impor-
tance, savoir que dans ce ravissement merveilleux elle
voyait distinctement dans les opérations divine l'unité
du principe agissant et l'appropriation aux personnes
en particulier. Car il est certain que toutes les actions
de Dieu à l'égard des créatures sont communes aux
trois personnes, toutes trois agissant par un principe
qui leur est commun. Malgré cela, certaines opérations
sont plus justement appropriées à une personne qu'à
une autre. Les œuvres qui marquent la force et la
puissance sont plus particulièrement attribuées à la
personne du Père; les lumières dont il plaît à Dieu de
nous éclairer sont attribuées à celle du Fils, parce qu'il
CHAPITRE IV. 91
est lumière et vérité; l'amour et les désirs que nous
avons pour le bien sont rapportés à celle du Saint-
Esprit, parce qu'il est l'amour personnel du Père et du
Fils. Ce principe supposé, il est certain que quand
Dieu épouse une âme, surtout d'une façon extraordi-
naire, comme il vient d'épouser la Mère de l'Incarna-
tion, cette opération est commune aux trois personnes
divines à cause de l'unité du principe agissant; et ainsi
l'on peut dire absolument que le Père est Epoux, que
le Fils est Epoux, que le Saint-Esprit est Epoux. Cette
opération néanmoins est plus particulièrement attri-
buée à la personne du Verbe, a cause de son union
à la nature humaine.
» Quand elle dit que la personne du Verbe l'embrassa
dans ce ravissement où il la prit pour Epouse, elle a
soin d'ajouter qu'il ne faut pas s'imaginer que cet
embrassement fût semblable à ceux par lesquels les
hommes se témoignent de l'amitié : or cette observation
était importante, afin d'aller au-devant des pensées
charnelles que des personnes peu éclairées auraient
pu laisser entrer dans leur esprit. Ces embrasseraents
surnaturels de Dieu à l'âme et de l'âme à Dieu ne sont
autre chose qu'une liaison d'amour produite pajr des
affections réciproques, affections qui sont comme autant
de bras par lesquels le Créateur et l'âme pieuse se
serrent si étroitement qu'ils semblent vouloir devenir
une même chose afin de ne se jamais séparer. Mais
tout cela est infiniment éloigné des sens.
y> Il en est de même des baisers dont elle parle
plusieurs fois et qu'elle demande ou veut donner dans
ses aspirations amoureuses, à l'exemple de l'Epouse
des Cantiques. Ces baisers n'ont rien de sensible, si ce
n'est d'une sensibilité spirituelle. C'est une douceur
92 MARIE DE l'incarnation.
et une suavité que Dieu l'ait ressentir à lame en se
donnant à elle ou en lui communiquant quelque grâce
ou quelque don du Saint-Esprit. "
On aurait néanmoins grand tort de regarder le
mariage de 1 ame avec Dieu comme une rêverie d'ima-
gination et le pur produit d'un mysticisme égaré. Cer-
taines personnes seraient portées à juger ainsi, mais
elles blasphémeraient la vérité sans la comprendre.
Ce mariage, au contraire, est le plus parfait et on
pourrait dire le plus réel, le mariage par excellence.
Celui des époux humains n'en est que l'image et le
symbole. C'est même, selon la doctrine de saint Paul,
pour cette raison qu'il est grand et saint; c'est à cause
de sa ressemblance éloignée avec le mariage divin
qu'il mérite ce nom.
Nous avons montré plus haut les analogies qui exis-
tent entre les préliminaires; en voici d'autres relatives
au mariage lui-même et à ses eâets; elles ne sont pas
moins frappantes.
Lorsqu'une jeune fille contracte l'alliance qui lui
donne le titre et la dignité d'épouse, elle laisse son
père, sa mère, tous les membres de sa famille, la
maison où elle a vu le jour, les amis et les jeux de
son enfance; elle quitte tout entièrement et pour tou-
jours. Elle perd sa liberté, son nom et presque son
moi, car elle est devenue une même chair avec son
mari, et il ne doit y avoir également entre eux qu'un
cœur et qu'une âme. Sa volonté désormais ne voudra
plus seule; elle ne devra vouloir que dans l'obéissance
à une autre volonté qui lui est supérieure. Elle est
dépendante et, pour ainsi dire, nulle pour le choix de
CHAPITRE IV. 93
sa demeure, de son travail, de ses vêtements, de ses
aliments, de son repos. Même pour sa parure, elle doit
se conformer au goût de son mari et non au sien
propre. Quce nupta est cogitât quœ sunt mundi quomodo
placeat virœ (I. Cor. 7, 34.) Elle s'est mise dans cette
dépendance par un acte de pur et immense amour :
car je suppose un mariage contracté selon les règles
divines, et des époux disposés à toujours suivre les
maximes de la vraie piété. C'est en prononçant un
oui inspiré par l'amour, que la jeune fille a cessé
d'avoir sa vie propre à elle seule et sa personnalité
indépendante.
Quand cette union est accomplie, il y a communauté
de biens, de joies, de peines entre les époux ; les inté-
rêts sont les mêmes; les efforts, le travail, les désirs
tendent au même but; tout ce que le cœur de l'un
éprouve de plaisir ou de souffrance, d'espérance ou de
crainte, se communique à l'autre. C'est comme une
seule vie qui anime deux êtres, un même amour qui
fait battre deux cœurs. '
Or tous ces phénomènes résultant du mariage humain
se trouvent d'une manière plus parfaite, plus sublime
et plus vraie dans le mariage de l'âme avec Dieu.
Il suffît pour s'en convaincre, de considérer attentive-
ment celui que la Mère Marie de l'Incarnation vient
de nous mettre sous les yeux.
(1) Telles devraient être toutes les unions; telles elles seraient en effet, si les
époux comprenaient ce qu'il y a de grand et de surnaturel dans le mariage chré-
'tien. Ce sacrement est grand; mais je dis en Jésus-Christ et en son Eglise.
c'est-à-dire en tant qu'il est un symbole de l'union de Jésus-Christ avec l'Eglise
en général et les âmes saintes en particulier. [S. Paul aux Ephésiens, 3, 32.)
Nous croyons qu'il n'est pas sans utilité et sans à-propos de donner ici la notion
véritable du mariage chrétien, notion aussi ignorée qu'elle est importante.
Pour bien comprendre le mariage chi-étian, il faut remarquer que Dieu consi-
94 MARIE DK l'incarnation.
1° Elle aussi s'était détachée de tout, de sa famille,
des biens terrestres par l'acceptation de la pauvreté
et le vœu d'en pratiquer l'amour toute sa vie. Ce qui
est héroïque pour une mère, elle avait demandé à Dieu
que son fils lui-même fût toujours pauvre. Non-seule-
ment elle avait renoncé à toutes les jouissances sen-
suelles par le vœu de chasteté, mais elle «e vivait
pour ainsi dire que de souffrances qu'elle s'imposait
volontairement. Elle avait abdiqué sa volonté par le
vœu d'obéissance, et elle le pratiquait avec tant de
perfection qu'on la verra dire à Dieu : « Mon Dieu,
voulez vous-même à ma place. » Elle obéissait aux
dère principalement et comme en premier lieu, les choses les plus excellentes.
Non pas qu'il les considère avant les autres, puisque pour lui tout est présent ;
il ne les regarde pas non plus avec une plus grande attention, puisqu'il voit tout
d'une manière également parfaite; mais il les estime davantage, et il leur subor-
donne les choses moins excellentes. Ainsi Dieu ayant vu de toute éternité la sainte
humanité de Notre-Seigneur, ainsi que le premier homme, il ne créa pas le corps
et l'âme de sou Fils à l'image d'Adam, mais, au contraire, il créa Adam à l'image
de Jésus-Christ.
De même voyant l'union ineffable, le mariage véritable qui devait, un jour,
avoir lieu entre le Sauveur et son Eglise ; mariage consacré par la plénitude des
dons du Saint-Esprit ; mariage qui devait produire l'enfantement des élus ; union
tellement étroite que Jésus-Christ et l'Eglise forment un seul corps dont le Sauveur
est la tète ; union produite par un amour auquel rien ne peut être comparé, il créa
sur ce modèle l'union conjugale de l'homme et de la femme. Puis, lorsque le
mystère de l'Incarnation eut été réalisé , Jésus-Christ ayant fondé, épousé et
sanctifié son Eglise, il éleva le mariage, jusque-là. purement naturel, à la dignité
de sacrement, et il donna à ce sacrement la vertu de faire participer les époux
chrétiens à trois effets de son union avec l'Eglise, savoir : 1° l'amour divin qui
existe entre lui et son Epouse mystique ; 2° l'honneur rendu à Dieu dans le temps ;
3° la gloire qui lui est procurée dans l'éternité par les élus qu'enfante l'Eglise.
C'est-à-dire que si les époux chrétiens comprenaient leur état, la sainteté du
lien qui les unit, la grandeur du sacrement qui a consacré et presque divinisé ce
lien, ils s'efforceraient de ressembler des trois manières dont nous venons de
parler, à Notre-Seigneur et à son Eglise.
1° Ils s'aimeraient en Dieu et pour Dieu ; ils voudraient que leur vie conjugale
fût surnaturelle, comme elle doit l'être depuis que le mariage a été élevé à la
CHAPITRE IV. 95
membres de sa famille, à leurs domestiques, à tous
ceux qu'elle pouvait regarder comme les instruments
de Dieu pour lui faire faire quelque sacrifice et quelque
acte de vertu.
2° En tout cela elle agissait par amour pour son
divin Epoux, et par un amour tellement généreux qu'il
lui faisait accepter avec joie, on dirait presque avec
volupté, toutes les humiliations, tout ce qu'il y a de
plus pénible et de plus rebutant pour la nature : en
sorte que jamais l'amour humain le plus passionné
dignité de sacrement. Ils n'imiteraient pas ceux dont l'Ange Raphaël parlait en
ces termes au jeune Tobie : « Lorsque des personnes s'engagent dans le mariage
de façon qu'elles bannissent Dieu de leur cœur, pour satisfaire leurs passions,
elles se livrent au pouvoir du démon. »
2° Les époux chrétiens serviraient Dieu avec fidélité et ils le feraient servir par
tous ceux qui leur appartiennent, de manière que leur famille méritât la belle
qualification d'Eglise domestique, donnée par saint Paul à la famille de Prisque
et d'Aquila dans son Epître aux Romains.
De même qu'il y a dans l'Eglise un culte public distinct des pratiques de
dévotion de chaque fidèle, une communion générale à la quinzaine de Pâques,
outre les communions particulières qui ont lieu à toutes les époques de l'année ;
de même un culte devrait être rendu à Dieu par la famille réunie, comme la prière
en commun. Il devrait y avoir des communions générales à certains jours qui
intéressent la famille entière, comme la fête d'un père, dune mère, etc., lorsque
l'on a reçu une grâce commune, ou que l'on redoute une affliction. Job pratiquait
ce culte collectif. Chaque année, il offrait un sacrifice d'expiation pour les péchés
que ses enfants avaient pu commettre dans les festins qu'ils se donnaient les uns
aux autres.
3° Les époux, éclairés de la vraie lumière chrétienne, s'estimeraient heureux
de donner naissance à des enfants qui, élevés par eux dans une tendre et solide
piété, les rejoindraient au ciel pour glorifier Dieu durant toute l'éternité.
Tel est le mariage dans le christianisme. C'est à ce point de vue qu'il symbolise
l'union mystique du Verbe divin avec les âmes saintes et avec l'Eglise. En le
considérant sous cet aspect, c'est-à-dire dans sa vérité et dans ses grandeurs, on
peut y penser, non-seulement sans danger, mais avec une utilité véritable, si l'on
croit devoir s'y engager.
96 MARIK DK l'incarnation.
n'a fait faire la centième partie de ce qu'elle faisait
par amour pour Dieu. Aussi, son cœur était emporté
par une force inimaginable vers l'objet de ses désirs.
Il semble qu'elle est dans l'état oii doit se trouver une
âme sainte lorsque, ayant achevé de purifier ses der-
nières imperfections dans les flammes du purgatoire,
elle s'élance, avec la rapidité de la pensée, dans le sein
de Dieu. Ne peut-on pas dire qu'arrivée là, il fallait
ou que son âme brisât les liens de la vie pour aller se
perdre dans l'ivresse des^ joies éternelles, ou que le
Sauveur, objet de son ardent amour, vînt à elle pour
rester en elle et se faire le compagnon du pèlerinage
qu'elle devait continuer sur la terre. Voilà pourquoi le
Verbe incarné descend jusqu'à elle, et y fait descendre
le ciel, en quelque sorte, par une ineffable merveille.
Il enchâsse le cœur de sa servante dans son Cœur
divin; il s'empare de son âme par un amour qu'elle-
même reconnaît inexplicable, et cet amour unit l'Epouse
^ son Epoux céleste d'une manière bien plus parfaite et
plus excellente que n'est le lien surnaturel attachant
l'un à l'autre les époux chrétiens en sanctifiant leur
amour mutuel.
Ainsi unie à Dieu, remplie de ses grâces, devenue
Epouse véritable du Verbe éternel et embrasée de son
amour, elle semble ne plus être une créature terrestre.
C'est ce qu'indique la manière dont elle parle de son
nouvel état.
« Dans le mariage spirituel, l'âme possède celui
qu'elle aime et elle en est pénétrée et possédée. Je ne
puis trouver aucune comparaison sur la terre qui me
puisse servir à expliquer les embrassements du Verbe
et de l'âme. Quoique celle-ci le connaisse grand Dieu,
consubstantiel et égal à son Père, immense, éternel,
CHAPITRE IV. 97
infini, elle l'embrasse, elle lui parle bouche à bouche,
se voyant agrandie par cette dignité que le Verbe est
son Epoux et qu'elle est son Epouse. Elle lui ait : Vous
êtes à moi et je suis à vous. »
Elle ajoute un peu plus loin : « Dans les entretiens
et les familiarités que j'ai avec lui, je reconnais ses
grandeurs et ma bassesse et l'inégalité qui est entre
lui et moi ; pressée néanmoins de son amour, et quoi-
qu'il soit grand Dieu et que je ne sois rien, je lui dis :
« 0 mon Amour! quand vous me devriez envoyer en
enfer, il faut que je vous aime et que vous soyez l'en-
tière possession de mon cœur : car je ne puis aspirer
qu'à vous, ô mon grand Dieu! ô mon grand Amour! «
Désormais sa vie sera un épithalame, un chant
continuel d'amour. « Quelque variété d'emplois que
j'eusse, dit-elle, ils ne me pouvaient distraire; ils me
soulageaient seulement en un certain sens ; puis, ce
temps écoulé, c'était comme si l'on eût ouvert le sou-
pirail d'une fournaise embrasée pour en faire évaporer
la flamme : car mon cœur se dilatait avec des paroleé
si ardentes qu'elles étaient comme des flammes lancées
par une vengeance d'amour vers celui qui m'avait fait
souffrir. Etant comme hors de moi, je lui disais avec
une familiarité dont je ne pouvais me défendre : « Ne
veux-tu donc pas que je meure, ô Amour? Ne sais-tu
pas qu'il n'y a rien sur la terre qui me plaise et qui
ne me soit une croix? M'ayant unie si intimement à toi,
ne sais-tu pas que je ne puis vivre avec ceux qui ne
t'aiment point? Hélas ! Amour, ne serais-tu pas bien
aise que je mourusse à cette heure et qu'un éclat de
tonnerre, ou plutôt d'amour, descendît du ciel pour
me consumer à l'instant? Je ne sais ce que je dis ni
ce que je fais, tant je suis hors de moi, mais tu en es
M. DE l'iNC. ^
98 MARIE DE l'incarnation.
la cause. Ah ! je ne te demande ni trésors ni richesses,
mais que je meure et que je meure d'amour. "
Il y a quelquefois dans l'amour humain un délire qui
est une folie véritable et qui rapproche l'être intelligent
de la brute; mais le délire de l'amour divin élève la
créature jusqu'à Dieu et la fait se perdre en celui qui
est la fin et l'unique vrai bonheur de tout être raison-
nable. C'est comme un avant-goût de cette ivresse qui
fait le bonheur des saints durant toute l'éternité. Cet
amour est si pur, si éloigné des satisfactions des sens
et des voluptés terrestres, qu'il ne soupçonne même pas
que le langage qu'il emploie puisse être interprêté dans
un autre sens que le sien. On le voit, notre vénérable
Mère est .véritablement dans un délire d'amour pour
son Dieu devenu son Epoux. Elle ne peut plus rien
goûter de ce qui appartient à la terre; elle n'est plus
elle-même, pour ainsi dire, elle est perdue et trans-
formée en Dieu. Son langage est devenu un chant
surhumain, toutes les impressions de son âme une
poésie céleste. En voici un exemple trouvé dans des
feuilles qu'elle avait oublié de brûler :
« Ah! ah! Amour, combien sont doux vos charmes
et vos aimables liens!
« Ah ! que vous êtes un doux Amour!
» Vous nous ôtezlavue, vous nous dérobez les sens,
vous nous rendez comme insensés.
« Ah! que vous êtes un doux Amour!
« Que ne faites-vous pas de nous? Tantôt vous nous
blessez, tantôt vous nous enchaînez dans un doux
esclavage.
» Ah ! que vous êtes un doux Amour !
V Amour, que voulez- vous donc faire? A quoi vous
plaisez- vous?
CHAPITRE IV. 99
" Sont-ce là les délices et les doux jeux de votre
amour ?
» Oui, mon très-doux Amour, vous vous plaisez à
nos langueurs.
» Ah! qu'il est vrai que vous êtes Amour!
» Je sais ce que je vous ferai ; je vais m'élancer vers
vous, en retour de ce que vous faites à mon âme.
» Ah! ah! vous serez mon esclave; je vous aurai
à mon souhait.
" Vous serez toujours mon doux Amour!
» Mais que ferai-je de vous, car vous êtes tout à moi?
" Tout à moi pour jamais, ô ma désirable vie!
w Ah! mon Tout, que désiré-je de vous? Je veux de
vous l'amour et ne veux que l'amour.
» Ah! c'est vous que je veux, mon doux et cher
Amour!
w Je vous veux dans la très-douce mort de l'amour,
pour être consumée dans les flammes de l'amour, r
Telles sont les étincelles qui jaillissent de. ce cœur
où l'amour divin avait établi une fournaise.
3^ Un autre effet de ce mariage divin était la com-
munauté de biens entre l'Epoux et l'Epouse, ainsi que
le fait remarquer à plusieurs reprises notre vénérable
Mère.
« Le Verbe faisait expérimenter à mon âme qu'il
était tout à elle et qu'elle était toute à lui, qu'il lui était
donné en propre pour en jouir sans obstacle; et, si j'ose
le dire, tous ses biens lui étaient communs. Se voyant
si riche par la jouissance de son bien infini, elle voulait
pourtant être sa captive. Elle voulait tout pour lui et
100 -MARIK DE l'incarnation.
rien pour elle, n'être rien et qu'il fût tout. Ce fut là
que je compris et expérimentai que le Verbe est véri-
tablement l'Epoux de l'âme. Cela est si profond que
c'est un abîme. Tout ce qu'on en peut dire n'approche
point de la réalité, y
« Cette Mère, dit ici Claude Martin, ayant tout à la
fois la dignité et la qualité d'Epouse, on ne doit pas
s'étonner qu'elle dise que, dans cette alliance sainte,
tous les biens étaient devenus communs, car dès que
l'amour a élevé une âme à ce comble d'honneur, elle
n'a rien qui ne soit à Dieu et Dieu n'a rien qui ne soit
à elle. Ils ont mêmes biens, mêmes maux , mêmes
intérêts. Elle explique encore plus clairement cette
communauté de biens dans une de ses méditations où
elle dit : « Mon âme est à l'Amour et l'Amour est à
mon âme, et, si je l'ose d^re, tous biens sont communs,
il n'y a plus de distinction av. mien et du sien... Mon
âme -se plaît dans son grand dépouillement, s'estimant
plus glorieuse dans cette nudité et désappropriation
d'elle-même et de toutes choses, que dans la possession
du ciel. Ce qui est le plus admirable, c'est que dans
cette grande nudité elle est, en quelque sorte, divinisée
par la participation qu'elle a avec Dieu, ressentant
l'effet de cette parole : J'ai dit : Vous êtes des Dieux et des
enfants du Très-Haut. Si elle est belle, c'est de la beauté
de Dieu; si elle est bonne, c'est de la bonté de Dieu;
si elle est sage, c'est de la sagesse de Dieu; si elle est
riche, c'est des richesses de Dieu. »
n Voilà comme elle était riche des biens de la Divi-
nité; mais parce que la communauté de biens doit être
réciproque entre les parties, elle ajoute que, comme elle
était riche des richesses de Dieu parce qu'elle habitait
en Dieu, ainsi Dieu possédait tout ce qu'elle avait,
CHAPITRE IV. 101
parce qu'il habitait en elle et qu'il en était le maître
absolu. " Dieu, dit-elle, me fait connaître qu'il habite
en mon âme et qu'en y habitant il la possède avec
tout ce qui lui appartient. »
y> On ne peut écrire, ajoute le savant Bénédictin,
d'une manière plus simple et à la fois plus relevée la
communication de biens qui se fait entre Dieu et l'âme
par suite du mariage surnaturel, surtout quand il s'ac-
complit d'une façon aussi extraordinaire que celui-ci. »
Le principal effet de cette faveur incomparable fut
une union continuelle et plus parfaite de son âme avec
Dieu. L'objet divin dont elle était occupée, dit Martin,
la ravissait si puissamment qu'elle oubliait tout le reste.
Alors elle disait à Notre -Seigneur : « Hé! mon Amour,
je vous prie de me laisser un peu de relâche, afin de
penser à ce que j'ai. à faire pour le prochain; puis je
vous caresserai. »
C'était surtout par la sainte communion que se forti-
fiait cette union avec son divin Epoux. « Je ne saurais
exprimer, dit-elle, la force ni la douceur de l'union
de mon âme avec Notre-Seigneur, principalement par
suite de la sainte communion. Je me sentais remplie
de Dieu au fond de l'âme, et quoique j'eusse précé-
demment sa présence habituelle, c'était alors d'une
tout autre manière. J'aurais voulu communier sans
cesse, si c'eût étd possible. Quelquefois, plus de cinq
ou six heures après avoir communié et vaqué aux
affaires les plus distrayantes, je sentais si fort cette
union intérieure, que j'étais obligée de me faire violence
pour prendre mon repas. »
102 MARIE DE l'iNCARNATFON.
Elle appelle cet état un martyre d'amour, et, dans les
moments où elle en sentait plus vivement les déli-
cieuses douleurs, elle s'écriait : « Mon doux Amour!
mon doux Amour, mes délices adorables! prenez- vous
donc plaisir à mes langueurs? Vous savez quel est mon
désir, car mon cœar est à nu devant vos yeux, près de
l'autel de votre Sacré Cœur. Que je sois donc tout à
vous comme vous êtes tout à moi; possédez-moi et que
je vous possède par un mélange d'amour. Encore une
fois, autel sacré du Cœur de mon Dieu, que sur vous
soit fait ce sacrifice. 0 brasier adorable ! faites brûler
celle qui ne veut vivre que dans vos flammes. Puis-je
être si près de vous et sur un autel de feu sans être
consumée d'amour! Mais ô secrets, ô secrets! vous
vous plaisez dans mes croix : car unie à vous et à votre
Cœur embrasé, je vis^ et meurs tout ensemble. Je vis
parce que l'on ne peut être unie à vous sans vivre de
votre vie; et je meurs, parce que cette union est aussi
une mort qui détruit tout ce qui n'est pas vous. Ainsi
vivant et mourant, je ne suis pas à moi, mais à vous,
ô mon cher Tout, ô mon Amour, ô mon unique Désiré ! «
Nous allons terminer ce qui concerne les efets du
mariage divin de notre vénérable Mère, en faisant
connaître les délicieuses aspirations d'amour qu'elle
adressa un jour à Notre Seigneur, en forme de lettre,
et qui lui furent inspirées par ces paroles de l'Apoca-
lypse : Oculi ejus tanquam flamma ignis; ses yeux sont
comme une flamme de feu.
« A mon très-chaste Amour, le sacré Verbe incarné,
dont les yeux sont comme une flamme de feu.
r> Qu'est ceci, ô mon cher Amour? Vos yeux purs et
divins sont comme des flammes de feu, et ce sont eux
qui font tant de blessures aux cœurs que vous vous
CHAPITRE IV. 103
êtes assujétis. 0 mon adorable époux! De guérissez
jamais ces plaies; mais plutôt augmentez cet heureux
martyre par les regards de vos yeux et par les flammes
qui en sortent. Mon cher Amour, combien vos impres-
sions sont douces, quoique crucifiantes ! Qui pourrait
voir ce qu'on éprouve quand on ressent vos ardeurs,
celui-là brûlerait des mêmes flammes, ou bien son
cœur serait plein de démons. Vos desseins adorables
sur les âmes que vous aimez, sont de les faire mourir
et remourir sans cesse. 0 abîme de feu ! L'adoucisse-
ment que vous donnez à cette croix, c'est que vous ôtez
à ceux qui la portent la puissance de vouloir autre
chose que leur aimable martyre. 0 mon suradorable
Amour! cent fois mon Amour! mille fois mon Amour!
une infinité de fois mon Amour! Il faudrait voir mon
cœur à nu pour comprendre la douce impression de
votre amour et mon agréable captivité. Vous savez ce
qui en est, ô mon grand Dieu! cela me suffit et je
demeure collée pour jamais à mon grand Amour, le
sacré Verbe incarné, de qui je suis la très-humble
esclave. «
On comprend que Dieu ne voulut pas laisser dans le
monde et livrer pour toute sa vie à des travaux maté-
riels une âme à laquelle il accordait de pareilles
faveurs. Le moment approchait donc où cette longue
ei^ laborieuse préparation à la vie religieuse allait
recevoir son couronnement. En effet, pendant les dix
ans et plus qui se sont écoulés, depuis que madame
Martin a perdu son mari, de quelles grâces n'a-t-elle
pas été comblée, et comme elle le reconnaît elle-même
dans ses élans d'amour envers la divine miséricorde!
104 MARIE DE l'incarnation.
Mais ce qui n'est pas moins précieux, c'est qu'elle a été
admirablement fidèle à ces grâces, et que par cette
fidélité elle est parvenue à une perfection oii les âmes
héroïques et privilégiées peuvent seules arriver. On
ne sait ce qui brille plus en elle de son humilité, de
ses austérités effrayantes, de sa charité sans bornes
pour le prochain et de son amour enflammé pour Dieu.
Elle est encore dans le monde, mais elle sent qu'elle
ne peut plus y rester. Quelque chose lui dit qu'après
avoir travaillé si longtemps pour des intérêts humains,
elle doit se livrer désormais tout entière à ceux de
Dieu, à la gloire de ce Verbe éternel qui a daigné la
rendre son Epouse.
C'était, au reste, par obéissance qu'elle s'était abstenue
jusque-là de faire des démarches pour entrer en reli-
gion, son directeur l'ayant obligée à retarder ainsi
pour surveiller l'éducation de son fils. Cette attente
n'en était pas moins un pénible sacrifice, car, disait-elle,
« mon cœur était dans le cloître, quoique mon corps
fût dans le monde. »
Persuadée que le moment de répondre à ce vif attrait
était enfin arrivé, elle laissa voir son intention. Il n'en
fallut pas davantage pour qu'une tempête violente
s'élevât autour d'elle; son beau-frère et sa sœur furent
les premiers à manifester leur mécontentement, l'accu-
sant de cruauté à l'égard de son fils. Mais Dieu, qui
est le maître des cœurs, changea si bien leurs disposi-
tions, qu'au lieu de s'opposer, comme ils faisaient
d'abord, à l'exécution de son dessein, ils consentirent
à se charger de l'enfant, alors dans sa douzième année.
Ce qui la rassurait davantage, c'est que Dieu lui avait
fait comprendre par une lumière intérieure qu'il s'en
chargeait lui-même. Elle ajoute à ce récit : « Mon
CHAPITRE IV. 105
divin Epoux me faisait des reproches, lorsque j'avais
la moindre crainte qu'il manquât à mon fils ou à moi. »
Il y avait environ vingt ans que l'Ordre de sainte
Ursule, fondé en Italie par sainte Angèle Mérici en
1535, avait été introduit en France. C'était le premier
Ordre spécialement établi pour l'éducation des jeunes
filles, que l'on eût vu dans l'Église. Ce caractère
nouveau produisit une telle impression et les succès
des premières Ursulines françaises excitèrent un si
vif enthousiasme, que bientôt l'on compta par milliers
les jeunes filles qui voulurent s'associer à cette œuvre,
et que près de trois cents monastères furent fondés en
moins de soixante ans. On venait d'en établir un à
Tours, à quelques pas seulement de la maison qu'habi-
tait madame Martin. 11 était alors décidé qu'elle entre-
rait au monastère des Feuillantines de Paris; mais
Dieu avait d'autres desseins. « Chaque fois, dit la Mère
de l'Incarnation, que je passais devant le monastère
des Ursulines, et j'y passais plusieurs fois par jour,
mon esprit et mon cœur sentaient un mouvement
subit qui les emportait en cette sainte maison sans
que j'y eusse pensé auparavant. Je fis connaître cela
à mon directeur, qui me répondit simplement que ce
n'était pas là que Dieu me voulait.^ Je me tins tran-
si) Il est facile de voir aujourd'hui que Raimond-de-saint-Bernard s'était
trompé, et il le reconnut bientôt lui-même. A cette occasion nous nous permet-
trons une remarque. Un certain nombre de personnes pieuses, et même de prêtres,
croient que le directeur doit donner une suprême décision en matière de vocation,
et qu'en pareil cas, ce que l'on a de mieux à faire est de lui dire : " Mou Père,
prononcez et dites-moi si je dois embrasser l'état religieux et dans quel Ordre
106 MARIE DE l'incarnation.
quille, croyant qu'il en était ainsi. Cependant je sentais
toujours cet attrait que je recommandais à mon divin
Epoux, le priant de choisir pour moi. Lorsque rien
ne paraissait avancer à l'extérieur, une voix intérieure
me poursuivait partout et me disait : Hâte-toi, il est
temps, il n'y a plus rien à faire pour toi dans le monde.
Après une longue perplexité, au moment oii je m'y
attendais le moins, je vis disparaître le désir que j'avais
eu d'être Feuillantine et je sentis à la place celui d'être
Ursuline, avec une impression si forte qu'il me semblait
que tout ce qui était au monde me menaçait de ruine,
si je ne me sauvais promptement en cette maison
de Dieu. Cela fut donc résolu et mon confesseur y
consentit. "
Mais quinze jours avant l'époque fixée pour son
entrée aux Ursulines, il arriva un événement terrible
et qui fut l'une des plus rudes épreuves que puisse
rencontrer une vocation religieuse. Son fils, qui n'avait
pas douze ans, et ne savait rien des intentions de sa
je dois aller. Je i^egarderai votre décision comme venant de Dieu et je m'y
conformerai. "
Il y a en cela une dangereuse erreur. Le directeur doit donner des conseils
à son pénitent et lui aider à connaître sa vocation ; mais pour décider avec autorité
il lui faudrait une inspiration, ce dont il ne pourra jamais se flatter.
Les moyens de connaître sa vocation, dit le P. Gautrelet, Jésuite, [Traité de
tétat religieux, P» part. Cii. 2.), se réduisent à trois : « la prière, la réflexion,
le conseil d'un homme sage et désintéressé. » Mais c'est le pénitent lui-même
qui doit se décider api'ès avoir prié, réfléchi et pris conseil. S'il ne le peut faire,
c'est une preuve ou que sa vocation n'est pas mûre, ou qu'il lui manque quelque
chose d'essentiel à la persévérance.
Il serait le plus souvent imprudent de prendre une décision contraire au
sentiment du directeur ; on ne peut dire néanmoins qu'il y ait obligation de suivre
son avis. Des conseils ne seraient plus des conseils, s'ils devenaient des décisions
auxquelles on dût se soumettre. C'est pourquoi le directeur doit se garder
d'imposer son sentiment, soit formellement . soit d'une manière indirecte et
déguisée.
CHAPITRE IV. 107
mère, disparut de la maisoD où il était en pension,
sans qu'on pût savoir ce qu'il était devenu. ^ Alors,
raconte-t-elle, tous mes amis m'accablèrent de raisons
et prétendirent que c'était une marque évidente que
Dieu ne voulait pas que je fusse religieuse. On m'affli-
geait de toutes parts, et ce me fut une grande croix, car
le diable se mettant de la partie, voulait me persuader
que j'étais la cause de cette perte et m'objectait une
foule d'inconvénients. Enfin, au bout de trois jours,
après des prières vives et pressantes que j'avais adres-
sées à Dieu, un honnête homme qui avait trouvé mon
fils sur le pont de Blois, me le ramena. Chacun m'opposa
de nouvelles difficultés, et j'étais combattue de tous
côtés, sans parler de l'amour naturel qui me pressait
comme si l'on m'eût séparé l'âme du corps. »
Ce qu'il y a de singulier, c'est que l'enfant s'était
échappé pour s'en aller à Paris afin de se faire religieux.
Il est vrai que longtemps après, n'ayant plus le sou-
venir d'avoir agi par ce motif, il dit que sa mère se
trompait et que sa fuite avait eu pour cause unique une
profonde mélancolie ; mais il n'est guère croyable que
la mère se fût fait une pareille idée, si l'enfant n'avait
pas parlé en ce sens au moment même. Cela n'empêche
pas le fait de la mélancolie; il est même probable
qu'une seule de ces deux causes n'eût pas été suffisante
pour le décider à une manière d'agir aussi étrange.
Quoi qu'il en soit, dom Claude Martin fait remarquer,
en parlant de l'entrée en religion de sa mère, que si
jamais le précepte de tout quitter pour Dieu a été
pratiqué avec perfection ce fut en cette rencontre.
« D'autres, dit-il, ont quitté leurs enfants pour se donner
à Dieu, mais en leur laissant leurs biens et leurs pos-
sessions. Mais, ce qui est peut-être sans exemple,
108 MARIE DE l'incarnation.
cette femme admirable laisse le sien sans biens, sans
appui, sans ressource aucune, l'abandonnant à la seule
Providence. »
CHAPITRE V.
Entrée au monastère et adieux à son fils, 1632. — Son esprit d'obéissance.
Tourments que lui cause son enfant. — Il est mia au collège de Rennes.
Conduite de Marie de l'Incarnation au noviciat. — Troisième vision de la sainte
Trinité. — Science infuse de l'Ecriture Sainte et de la langue latine. — Nom-
breuses et fortes tentations. — Son fils menacé d'être renvoyé du collège de
Rennes, est admis à celui d'Orléans. — Elle fait profession le 25 janvier 1633.
Consolations passagères et retour des épreuves. — Elle donne par écrit un
abrégé de sa vie au Père de la Haye. — Retour à une paix entière. — Elle
est- nommée sous-maîtresse des novices. — Belles maximes qu'elle leur incul-
quait et catéchisme à leur intention.
Madame Martin, ayant enfin surmonté toutes les
difficultés, entra au monastère des Ursulines le jour
de la conversion de saint Paul, le 25 janvier 1631 ; mais
le départ fut déchirant. « Je quittai mon fils, dit-elle,
ainsi que mon père déjà fort âgé, qui jetait des cris
lamentables lorsque je lui fis mes adieux. Il n'y a raison
qu'il ne mît en avant pour m'arrêter, mais mon cœur
se sentait invincible. Je traitais intérieurement cette
afifaire avec mon divin Epoux, auquel je ne pouvais
dire autre chose que ces paroles : Mon chaste Amour,
je ne veux pas faire ce coup si vous ne le voulez;
voulez pour moi, mon bien-aimé. Alors il répandait
en mon âme un aliment divin et une force intérieure
qui m'eût fait passer à travers les fiammes. »
CHAPITRE V. 109
Pour qui ne croit pas à l'action de la grâce sur les
âmes, pour ceux qui s'imaginent que Dieu envisage
les choses selon les règles de notre faible raison, il n'y
a dans cette conduite qu'aveuglement et folie; mais
si l'on s'élève jusqu'à l'ordre surnaturel, si même on
veut peser le bien immense qui résultera pour l'huma-
nité de la vocation religieuse de cette femme héroïque,
les peines qu'elle adoucira, les larmes qu'elle séchera;
si l'on compte tous les sauvages dont elle sera l'institu-
trice, la mère, l'apôtre et dont elle guidera les âmes
vers le ciel ; si l'on considère que cette foi vigoureuse,
qui s'est conservée jusquici dans le Canada, lui est due
en grande partie, par suite de l'éducation que les Ursu-
lines ont donnée à un nombre incalculable de jeunes
filles depuis bientôt deux siècles et demi, alors tout
s'explique ; on comprend que de pareils avantages aient
pu être achetés par les larmes d'un père et les cris
d'un enfant. Est-ce que tous les jours la gloire humaine
ne se paie pas plus cher sur les champs de bataille,
et souvent sans profit? Combien de soldats, d'officiers
pères des famille, qui s'arrachent aux embrassements
de leurs femmes et de leurs enfants en pleurs pour aller
se faire tuer sur un champ de bataille perdue! Ceux
qui s'engagent à la guerre pour Dieu, sont toujours
vainqueurs. Ces raisons sont invincibles, et cependant
jamais on ne les fera accepter par le monde.
La fidèle servante de Dieu estimait trop la grâce
de sa vocation pour vouloir entrer au couvent à la
dérobée. Elle y mit même une espèce de solennité qui
n'irait pas aujourd'hui avec le refroidissement de la
110 MARIE DE l'incarnation.
piété publique. Comme autrefois la mère de saint Jean
Chrysostôme, avec non moins d'éloquence peut-être,
mais dans un sens beaucoup plus chrétien et un but
incomparablement plus élevé, elle fit un discours à son
fils, afin de le préparer à une séparation aussi dou-
loureuse pour le cœur de l'une et de l'autre. *
« Mon fils, j'ai à vous communiquer un grand secret
que je vous ai tenu caché jusqu'à présent parce que
vous n'étiez pas en âge de l'écouter ni d'en comprendre
l'importance. Mais aujourd'hui que vous êtes plus rai-
sonnable et que je suis sur le point de l'exécuter, je
ne puis plus différer de vous en donner connaissance.
Je vous dirai donc que dès le temps que Dieu m'a
séparée de votre père, avec lequel je n'ai vécu que
deux ans, il m'a donné l'intention de quitter le monde
et de me faire religieuse. Depuis lors, ce dessein s'est
toujours fortifié, et, si je ne l'ai pas exécuté, c'est que
vous étiez trop jeune et que j'ai cru nécessaire de
rester auprès de vous pour vous apprendre à aimer
Dieu et à le bien servir. Sur le point de vous quitter,
en ce moment, je n'ai pas voulu le faire sans vous
le dire et vous prier de le trouver bon. J'aurais pu
m'échapper sans bruit et à votre insu, car il y va de
mon salut, et quand il est question de se sauver, on
n'a besoin de la permission de personne. Mais comme
vous auriez été étonné de vous voir tout à coup sans
père et sans mère, ne voulant pas vous causer un aussi
amer chagrin, je vous ai pris ici en particulier pour
(1) La Mère de saint Jean Chrysostôme, ayant su ou deviné que son fils voulait
se faire religieux, le fit venir dans sa chambre, où elle s'enferma avec lui, et lui
montrant le lit où elle l'avait mis au monde, elle lui fit, pour l'attendrir et le
détourner de son dessein, un discours dont l'éloquence le cède à peine à celle
de Chrysostôme lui-même.
CHAPITRE V. 111
VOUS demander votre consentement. Dieu le veut, mon
fils, et, si nous l'aimons, nous devons le vouloir aussi.
C'est à lui de commander, à nous d'obéir. Si cette
séparation vous afflige, vous devez penser que c'est
un grand honneur que Dieu me fait de m'avoir ainsi
choisie pour le servir. De votre côté, vous devez vous
estimer heureux en apprenant que je le prierai pour
vous jour et nuit. Dites-moi maintenant, si vous con-
sentez à ce que j'obéisse à Dieu qui me commande de
me séparer de vous. »
Après ce discours, l'enfant, qui ne s'y était pas
attendu, demeura interdit, accablé ; il ne put que laisser
échapper ce cri sublime de tendresse filiale, non moins
éloquent que le discours de sa mère : — Je ne vous
verrai donc plus ! — Ne croyez pas cela, mon fils, je
ne m'éloigne pas de vous, le lieu de ma retraite est
le couvent des Ursulines, il est tout près, vous pourrez
me voir aussi souvent que vous le désirerez. — S'il
en est ainsi, si je dois jouir de la consolation de vous
voir et de vous parler, je consens à tout. La mère
continua : « J'aurais eu bien de la peine à me séparer
de vous, si vous aviez fait de la résistance; mais puisque
vous le voulez bien, je me retire et vous laisse entre
les mains de Dieu... Je ne vous laisse point de biens,
car comme Dieu est mon héritage, je désire qu'il soit
aussi le vôtre. Si vous le craignez, vous serez assez
riche, car la crainte de Dieu est un grand trésor. Mon
fils, vous perdez aujourd'hui votre mère, mais vous ne
perdez rien, parce que je vous en donne une autre qui
sera bien meilleure que moi, et qui a beaucoup plus
de pouvoir pour vous faire du bien. C'est la Sainte
Vierge, à qui je vous recommande. Soyez-lui bien dévot,
appelez-la. votre Mère, et dans vos besoins adressez-vous
112 MARIE DE l'incarnation.
à elle avec confiance, la faisant ressouvenir que vous
êtes son fils et qu'il faut qu'elle ait soin de vous.
y> Je vous laisse entre les mains de ma sœur, qui m'a
promis de vous aimer et de vous entretenir jusqu'à ce
que Dieu dispose de vous selon l'ordre de sa providence :
c'est pourquoi rendez-lui le même respect et la même
obéissance qu'à moi-même.
» Respectez tous vos parents, honorez tout le monde;
ne soyez point querelleur ; évitez la compagnie des
écoliers débauchés et fréquentez ceux que vous verrez
se porter à la piété. Approchez souvent des sacrements,
servez bien Dieu, priez-le avec respect et dévotion, et
gardez surtout ses saints commandements. En un mot,
aimez Dieu, et Dieu vous aimera, et il aura soin
de vous en quelque état que vous soyez. Adieu, mon
fils. »
Quelle scène sublime ! et combien elle est supé-
rieure à ce que l'on admire le plus dans les pièces de
théâtre !
« C'était le lieu et le moment de donner à son fils un
baiser' pour dernière marque d'aff'ection , dit Claude
Martin; mais elle ne le fit pas, et il y avait dix ans
qu'elle ne l'avait fait. ^^ Voilà encore ce qui paraît
inexplicable," ce qui semble même une espèce de bar-
barie dans une mère. Cesser d'embrasser son enfant
à l'âge de deux ans! J'avoue, dit le Père Martin, que
je n'avais jamais compris moi-même cette conduite
jusqu'au moment où elle m'en donna l'explication sui-
vante : « Il y avait bien dix ans que je lui imposais
le sacrifice de ne me faire aucune caresse, de même
que je ne lui en faisais point de mon côté, quoique je
l'aimasse beaucoup, afin que n'étant point habitué aux
marques de tendresse et à la sensibilité des autres
CHAPITRE V. 113
enfants, il éprouvât moins de peine quand !e jour do
la séparation serait venu. -^ Il en fut tout autrement,
ajoute le fils, mais l'héroïque mortification de la mère
n'en est pas moins admirable; plus admirable sans doute
qu'imitable.
Après cela elle se dirigea vers le couvent des Ursu-
lines d'une manière qui montrait, dit Martin, avec
quelle générosité elle triomphait du monde et surmon-
tait tous les sentiments de la nature. Au lieu de prendre
quelque mesure pour que son fils ne connût pas le
moment de son départ, ce qui eût été facile, elle le fit
marcher à son côté. Elle avait encore voulu être
accompagnée d'un certain nombre de parents et d'amis.
Une de ses nièces allait en avant et portait un crucifix.
Plusieurs personnes qui s'étaient jointes à cette espèce
de procession versaient des larmes, les unes par atten-
drissement à la vue de l'enfant, les autres par dévotion
en considérant l'héroïque sacrifice de la mère. Dans le
récit écrit de la main de cette dernière, nous lisons :
« Cet enfant vint avec moi tout résigné; il n'osait me
témoigner son afiliction ; mais les larmes qui coulaient
de ses yeux me faisaient comprendre ce qui se passait
en son cœur. Il me faisait si grande compassion qu'il
me semblait qu'on m'arrachait l'âme ; mais Dieu m'était
plus cher que tout cela.
» Lui laissant donc mon fils, auquel je dis adieu en
riant, je me jetai aux pieds de la révérende Mère, qui
me reçut gratuitement pour l'amour de Notre-Seigneur
avec beaucoup d'amour et d'afîection. Ce qui me causa
un nouvel étounement fut qu'elle me reçut à la condi-
tion de sœur de chœur, car je n'avais pas voulu lui
demander d'avance ce qu'elle ferait de moi. » Ce trait
est à lui seul un caractère de sainteté.
M. DE l'inC. 8
114 MARIK DE l'incarnation.
A peine fut- elle au noviciat, qu'elle fit voir que c'était
bien véritablement l'Esprit de Dieu qui l'y avait con-
duite : car sa supérieure lui ayant dit de quitter ses
haires, ses cilices, ses chaînes et tous ses autres instru-
ments de pénitence afin de s'accommoder en tout à la
vie commune, elle obéit sans résistance ni réplique,
conservant néanmoins le désir de reprendre tout cela
dans le cas où l'obéissance le lui permettrait. Elle
savait que l'obéissance étant meilleure que le sacrifice,
la volonté propre est la plus agréable victime que l'on
puisse immoler à Dieu.
La manière dont elle s'exprime à ce sujet montre
clairement à quel point elle comprenait la vertu véri-
table. " Quoique j'aimasse la mortification et que je
me portasse d'affection à tous ces petits exercices de
pénitence dans le monde, je ne ressentis néanmoins
en cette occasion ni une pensée ni un mouvement con-
traire à l'obéissance. »
Cependant la résignation du jeune Martin ne dura
pas longtemps; lui-même le raconte de la manière
suivante : - Il ne se peut dire combien elle fut com-
battue, ni en combien de manières sa constance fut
agitée de la part de son fils. On bâtissait le monastère;
ei comme, à cause des ouvriers, les portes étaient
souvent ouvertes, il prenait adroitement ce temps pour
entrer, afin de chercher sa mère. Tantôt il se trouvait
dans le jardin avec des religieuses, tantôt il pénétrait
dans les cours les plus intérieures de la maison. Une
fois il fit tant de tours, sans savoir où il allait, qu'il
se trouva dans une salle où toute la communauté était
assemblée pour se mettre à table. On se demande ce
CHAPITRE V. 115
que dut éprouver la pauvre mère en pareille circons-
tance. D'un côté, son cœur était comme brisé par des
sentiments de tendresse maternelle et de compassion
pour son fils; de l'autre, elle se sentait couverte de
confusion à la pensée de tous les désagréments qu'elle
occasionnait à la communauté.
» Quelquefois l'enfant voyant le guichet de la com-
munion ouvert pendant la messe, y passait sa tête
et essayait d'entrer dans le chœur. D'autres fois, il y
jetait son manteau ou son chapeau, qui tombant aux
pieds de sa mère, renouvelait toutes ses peines.
» Un jour ses petits camarades, le voyant privé de
bien des douceurs que leur accordaient leurs mères,
lui dirent que c'était sa faute; ils ajoutèrent : Tu n'as
pas de ceci et de cela, parce que tu n'as pas de mère;
mais viens, allons chercher la tienne ; nous ferons du
bruit, nous romprons les portes; il faudra bien qu'on
te la rende. Sans délibérer davantage, ils courent au
monastère, armés de pierres, de bâtons, de tout ce qui
leur tombe sous la main. Ils frappent, jettent des cria
et font tout le vacarme que l'on peut imaginer. Au
milieu de tout le bruit, la mère distingue une voix qui
lui frappe particulièrement le cœur, c'est celle de son
fils : de même qu'une brebis innocente distingue entre
mille la voix de son agneau. » A ce moment le courage
sembla l'abandonner. Elle crut que c'en était fait de
sa vocation d'Ursuline, et qu'encore qu'elle fût résolue
de ne pas céder à l'orage, les religieuses allaient être
lasses de tant de désagréments et qu'elles la prieraient
honnêtement de se retirer pour prendre soin de l'édu-
cation d'un fils qui serait toujours un sujet de tenta-
tion pour elle et une occasion de trouble pour la
communauté.
116 MARIK DE l'incarnation.
« Jamais, dit-elle dans une de ses lettres, je ne fus
tant combattue. Je pensais qu'on me mettrait bientôt
hors de la maison. Je trouvais cela juste de !a part
de la communauté; mais, pour moi, l'idée de retourner
dans le monde était une croix pesante. Je croyais
néanmoins qu'il en serait ainsi, et je m'abandonnais
entre les mains de Notre -Seigneur, qui voulut enfin
me consoler dans cette grande épreuve. Un jour, lors-
que je montais l'escalier du noviciat, il me donna une
certitude intérieure que je serais religieuse en cette
maison, ce qui me ranima entièrement. En même
temps notre révérende Mère m'aflSrma que ni elle ni
aucune des religieuses n'avait la pensée de me faire
sortir.
» Cette bourrasque passa, mais ce fut pour recom-
mencer ensuite avec plus de violence. Avant mon
entrée au monastère, il n'y avait rien de plus innocent
que mon fils, mais toutes les choses qu'on lui dit l'ai-
grirent et le changèrent tellement, qu'il ne voulait plus
étudier ni travailler en aucune manière, en sorte qu'il
semblait ne devoir jamais être bon à rien. Alors je
crus que j'allais être la cause de son malheur, et que
par là même ce n'était pas Dieu qui m'avait portée à
quitter le monde; que cet enfant serait perdu et que
je serais responsable de sa perte.
« Pourtant, malgré toutes mes peines, je ne perdais
point la familiarité avec Notre-Seigneur. Un jour que
je lui étais fortement unie, et que je lui faisais mes
plaintes, il m'inspira de lui demander de souffrir encore
davantage pour mon fils. Je lui dis avec beaucoup'
d'ardeur : 0 mon Amour, faites-moi souffrir tout ce
qu'il vous plaira, pourvu que cet enfant ne vous ofiénse
point. Je veux bien être dans les croix de toutes parts,
CHAPITRE V. 117
martyrisée de toutes les manières, si vous en prenez
soin. «
Claude Martin, après avoir rapporté tout cela et cité
les {)aroles de sa mère, ajoute les lignes suivantes qui
font foi de sa profonde humilité.
- Ce ne fut pas sans raison que Dieu inspira à sa
servante de lui demander de souffrir pour son fils : car
encore que son bas- âge donnât sujet de croire qu'il
était innocent, il était néanmoins dans un état oii il
avait besoin d'une puissante médiation auprès de la
divine Majesté, ainsi que je le dirai ailleurs, oii je ferai
voir les effets que les souffrances d'une si sainte mère
eurent à son égard. »
Quelque temps après, les Jésuites, à la prière de
l'archevêque de Tours, voulurent bien se charger de
cet enfant, et ils l'emmenèrent à leur collège de Rennes.
Le public, de son côté, s'irritait contre la mère, la
traitait de marâtre cruelle, indigne du nom de mère.
Mais rien n'est mobile comme ces sortes d'impressions;
le monde est quelquefois meilleur qu'il ne croit; un
rien l'irrite, le met en fureur; mais souvent cette
fureur se calme subitement sans qu'on sache par quel
moyen, à moins qu'on ne remonte à Dieu, qui tient
en ses mains les flots des passions humaines comme
ceux de la mer. -^ Bientôt, dit-elle, les personnes qui
avaient blâmé mon entrée en religion changèrent de
sentiment et avouèrent que la bonté divine conduisait
mes affaires. Si elles avaient vu ce que Dieu opérait
en mon âme, elles m'eussent aidée à chanter ses misé-
ricordes, mais c'était un secret qui leur était caché. »
Ce langage, que la vénérable Mère fait entendre si
118 • MARIK DE l'incarnation.
souvent, est digne d'une sérieuse attention, mais il n'est
compris que d'un bien petit nombre. La plupart des
personnes du monde restent incrédules quand on leur
dit que Dieu parle aux âmes qui se donnent à lui, qu'il
les console, les fortifie, leur fait comprendre sa pensée
de manière à rendre le doute impossible : cependant
cela est vrai, cela arrive tous les jours.
Elle eut bientôt une autre épreuve qui ajouta aux
douleurs de la tendresse maternelle, celles de la piété
filiale. « Mon père, dit- elle, qui était âgé lorsque je
le quittai, m'assura qu'il mourrait d'affliction si je m'en
allais au couvent; mais voulant obéir à Dieu, et ayant
dans le monde trois sœurs en état de l'assister s'il en
etit eu besoin, je passai par-dessus toutes les tendresses
de la nature, appuyée sur les paroles de Notre-Seigneur :
Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne
de moi. (Matth. 37, 10.) Ce bon père mourut en eff'et six
mois après. J'étais bien néanmoins avec lui; il m'avait
donné sa bénédiction, et me visitait à la grille; mais
les personnes qui ne jugeaient que selon le monde
avaient divers sentiments à ce sujet, pendant que
mon divin Epoux me faisait expérimenter combien
il est doux de quitter toutes choses pour son amour. »
Nous ne dirons que quelques mots de la manière
dont la servante de Dieu se conduisit au noviciat des
Ursulines, et nous nous bornerons à citer les paroles
de son fils. « Elle agissait avec les novices, dit il, dans
un esprit de simplicité qui ravissait tout le monde;
elle était plus enfant que ces enfants mêmes, mais de
cette simplicité évangélique et de cette enfance sainte
CHAPITRE V. 119
et innocente que le Fils de Dieu recommandait à ses
disciples lorsqu'il leur disait : Si vous ne devenez comme
de petits enfants, vous nentrerez pas dans le royaume des
deux. Car oubliant son âge, ses lumières, son talent
des affaires, les communications extraordinaires qu'elle
avait avec Dieu, et son expérience des choses spiri-
tuelles, elle vivait avec ces jeunes filles comme si elle
eût été la plus ignorante de toutes, prenant plaisir à
leur demander conseil. «
Mais Dieu la récompensa de cette humilité en lui
donnant des lumières qui la rendirent capable tout
d'un coup de diriger elle-même les autres. Elle reçut
une troisième manifestation de la très -sainte Trinité,
de la manière suivante.
« Après les combats dont mon fils avait été l'occasion,
mon âme était dans le calme, en sorte que rien ne la
troublait dans l'attachement où elle était avec son
Epoux céleste, qui la faisait un même esprit avec lui.
La règle, le chœur et toutes les actions d'obéissance
contribuaient à la perfection de cet état, parce que
j'y voyais l'Esprit de Dieu, ce qui me faisait aimer ma
vocation et l'état religieux, que rien ne me paraissait
égaler. Je ne pouvais comprendre l'aveuglement du
monde, qui n'a d'estime que pour son néant et sa
vanité.
« Dans cette disposition je voyais bien que la divine
Majesté préparait mon âme à quelque chose de grand,
et je disais familièrement à mon Epoux : Qu'est-ce
que vous voulez faire, mon bien-aimé? Faites de moi
tout ce qu'il vous plaira. Vous charmez mon âme de telle
sorte que je puis à peine supporter l'excès de votre
douceur.
y> Je fus trois jours dans l'attente de ce qu'il voulait
120 MARIE DE l'incarnation.
faire, et lui parlant de ce qu'il me faisait éprouver,
jusqu'à ce qu'un soir, lorsque l'on venait de donner le
signal pour commencer l'oraison, un attrait subit ravit
mon âme, et les trois personnes de la très- sainte Trinité
se manifestèrent à elle de nouveau, avec l'impression
de ces paroles du Verbe incarné : Si quelqu'un m'aime,
mon Père l'aimera; nous viendrons à lui et nous ferons notre
demeure en lui. J'éprouvais les effets de cette promesse,
et les opérations des trois divines personnes en moi
furent plus éminentes que jamais. La sainte Trinité
s'emparait de mon âme comme d'une chose qui lui était
propre, et Dieu me faisait connaître que je recevais
alors la plus haute grâce que j'eusse jamais reçue dans
les communications des divines personnes. C'était par
le langage suivant : « La première fois que je me
manifestai à toi, ce fut pour instruire ton âme de ce
grand mystère; la seconde, afin que le Verbe prît ton
âme pour son épouse; mais cette fois le Père, le Fils
et le Saint-Esprit se donnent et se communiquent à toi
pour posséder entièrement ton âme. »
» Alors l'effet fut produit, et comme les trois divines
personnes me possédaient, je les possédais aussi dans
l'amplitude de la participation de tous les trésors de la
magnificence divine. Le Père éternel était mon père,
le Verbe suradorable mon Epoux, et le Saint-Esprit,
celui qui disposait mon âme et lui faisait recevoir les
divines impressions. En toute cette opération, je me
voyais le néant et le rien tout pur. Je ne pouvais rien
dire, sinon : 0 mon grand Dieu! 0 suradorable abîme!
je suis le néant et le rien ; et il m'était repondu :
*• Encore que tu sois le néant et le rien, tu es néan-
moins toute propre pour moi. » Cela me fut répété
plusieurs fois à proportion de mes abaissements. Plus
CHAPITRE V. 121
je m'abaissais, plus je me voyais agrandie, et mon
âme recevait des témoignages d'amour qui ne sauraient
tomber sous les sens, ni être exprimés par le langage
des hommes mortels. » Il y avait alors environ deux
mois qu'elle était au noviciat, et quelques jours après
on lui donna l'habit religieux. Ce fut à cette occasion,
et à cause de l'union étroite qu'elle avait contractée et
si souvent renouvelée avec le Verbe incarné, qu'elle
demanda à s'appeler Marie de l'Incarnation, heureuse
de porter le nom de son Epoux divin.
Cette troisième manifestation de l'adorable Trinité
à cette âme privilégiée fut bientôt suivie de deux autres
faveurs qui montrent à quel point elle était pour Dieu
un objet de prédilection, combien il l'aimait et avec
quel soin il la préparait à lui gagner des âmes et à
les diriger dans les voies de la sainteté : elle reçut,
comme par une grâce infuse, l'intelligence de la sainte
Ecriture et celle de la langue latine, qu'elle n'avait
jamais étudiée.
« Mon esprit, .conservant toujours l'onction de la
grande grâce dont je viens de parler ci-dessus, fut plus
éloigné que jamais des choses d'ici-bas, et plus porté
aux vertus religieuses et au service divin, où Notre-
Seigneur me donnait l'intelligence de l'Ecriture sainte.
J'entendais en français ce que je disais en latin; mon
esprit était alors transporté au point que si je ne me
fusse fait violence, j'aurais éclaté au dehors. Le chant
me soulageait, et pourtant mes sens étaient tellement
touchés que j'avais de puissants mouvements de battre
des mains et de provoquer tout le monde à chanter les
122 MARIE DE l'incarnation.
louanges d'un Dieu si grand et si digne que tous se
consument pour son amour et pour son service. J'au-
rais voulu, comme le Prophète, chanter un Eructavit
pour célébrer les grandeurs et les prérogatives de mon
Epoux. Je voyais dans la psalmodie ses justices, ses
jugements, ses grandeurs, ses amours, son équité, ses
beautés, ses magnificences, ses libéralités, ses mains
d'or arrondies au tour, toutes pleines dliyacinthes, selon le
langage des Cantiques, et prêtes à faire découler leur
plénitude sur les âmes qui l'aiment.
» Mon esprit était si rempli de ce qui se chantait
au chœur, que jour et nuit c'était le sujet de mon
entretien avec mon Epoux. Le psaume dix-huit,
Cœli enarrant, avait des attraits qui me ravissaient le
cœur : Oui, disais-je, oui, mon Amour, vos témoignages
sont véritables, ils se justifient d'eux-mêmes, ils donnent la
sagesse aux petits enfants. Une fois, dans un de ces trans-
ports que me causait la psalmodie, j'e dis le Laudate
en français au lieu du latin. En marchant, je ne me
sentais pas toucher la terre; et en regardant mon habit
religieux, je mettais la main, sur ma tête pour toucher
mon voile et voir si je me trompais point en pensant
posséder le bonheur d'être dans la maison de Dieu. «
Claude Martin assure que l'intelligence de l'Ecriture
sainte a été l'une des grâces les plus signalées et les
plus continuelles que sa pieuse mère ait reçues de Notre-
Seigneur : car elle en a été favorisée jusqu'à la mort,
en sorte que son esprit et sa bouche étaient toujours
remplis de cette manne céleste. Rarement elle parlait
sans que quelque passage de l'Ecriture se présentât à
elle pour fortifier et éclaircir ce qu'elle disait. Si elle
avait à consoler des malades ou des affligés, c'était *
par quelques textes de la parole sainte, d'où elle savait
CHAPITRE V. 123
tirer tant de motifs de consolation, que l'on ne pouvait
l'entendre sans éprouver du soulagement ou sentir une
nouvelle force. C'était aussi par ce moyen que, durant
les récréations, elle savait élever les esprits et empê-
cher les conversations de devenir trop communes pour
des âmes qui doivent se regarder comme étant toujours
sous l'œil de Dieu.
Elle-même s'exprime ainsi sur ce sujet : « Les con-
naissances que Notre- Seigneur m'a données sur l'Ecri-
ture sainte ne me sont pas venues en la lisant, mais dans
l'oraison. L'Esprit-Saint me fournit dans les occasions
ce qu'il lui plaît pour mes besoins ; ce que j'expérimente
soit en psalmodiant, soit en priant, soit enfin en lisant
l'Ecriture sainte pour accomplir l'article de la règle qui
prescrit de faire une lecture spirituelle : car il est rare
que je la fasse ailleurs. Le sens m'en est découvert
et je sens pulluler en mon esprit une suite de passages
de cette même Ecriture, dont j'ai une telle intelligence
qu'il me semble qu'on me prêche et qu'on me dit les
secrets qui y sont cachés. »
En effet, quand on lit son École sainte, on est étonné
de la multitude des textes qu'elle cite et de l'à-propos
avec lequel elle les emploie.
Les plus grandes faveurs accordées par Dieu aux
âmes qu'il aime et ses plus enivrantes consolations
sont toujours le prélude de terrifiantes épreuves, car
il doit être vrai pour tous que la vie présente est une
vallée de larmes et que nul ne peut arriver au ciel
par une voie autre que celle de la croix. Cela est vrai,
surtout pour les âmes privilégiées : or, la Mère Marie
124 MARIE DE l'incarnation.
de l'Incarnation étant de ce nombre, ses épreuves ont
dû être d'autant plus amères qu'elle recevait parfois
de plus douces consolations. Aussi, après ces jours si
radieux, vinrent des nuits sombres comme le chaos;
après ces joies du ciel, des douleurs presque égales à
celles de l'enfer se multiplièrent pour la torturer. En
arrêtant ce torrent de grâces sensibles et de délices
spirituelles, Dieu voulut faire comprendre à sa ser-
vante qu'il était nécessaire de donner à sa vertu le
perfectionnement que l'infirmité et les épreuves peuvent
seules procurer aux âmes choisies.
On va donc la voir abandonnée à la violence, non
d'une tentation, dit Claude Martin, mais de toutes.
- Les pensées contre la foi, les impressions de blas-
phème, de mépris de Dieu, de lâcheté, de dégoût des
choses saintes, d'aversion du prochain, d'impureté,
d'orgueil, de désespoir, vont se succéder sans inter-
mission, et quelquefois toutes ces tentations vont l'as-
saillir à la fois.
" Pour comble d'affliction, Dieu lui ôta le P. Raymond
de saint Bernard, qui fut appelé à Feuillant, berceau
de la réforme, pour y être supérieur, et il lui donna
un autre directeur qui ne fit qu'appesantir ses croix,
tantôt par des mortifications intempestives, tantôt en
voulant lui faire croire que mal conduite jusque-là,
elle avait vécu dans une illusion complète. Il voulut
lui persuader qu'elle ne devait pas prendre l'habit
religieux avant un an.
» Par là, dit-elle, il me semblait avoir l'intention de
me préparer de loin à sortir du couvent; mais je sentais
en moi d'autres mouvements, et je voyais clairement
que Notre-Seigneur voulait que je fusse religieuse.
En conséquence, je consentais de nouveau à souffrir.
CHAPITRE V. 125
Notre révérende Mère ne laissa pas -sje me donner le
saint habit, par lequel je me sentis entièrement fortifiée
et passionnée pour souffrir.
" Me voilà donc dans un abandon intérieur, comme
si je fusse tombée d'une haute montagne dans un
abîme de misère. L'oraison m'était un tourment, y
étant assaillie de toutes sortes d'abominations. Les
choses que je n'avais jamais aimées dans le monde,
et celles auxquelles j'avais renoncé il y avait plus de
seize ans, me revenaient à l'esprit ; il me semblait que
je voulais le mal et que la maison de Dieu était la
cause de ce martyre, puisque dans le monde je vivais
dans un si grand recueillement. Il me prenait de si
grandes angoisses, que pour ne pas les laisser paraître,
j'étais contrainte de demander la permission de me
retirer de la compagnie de mes soeurs. Je souffrais
partout jour et nuit et je croyais qu'il n'y avait plus
pour moi de faveurs divines.
» Quand Notre-Seigneur me donnait un peu de trêve,
je demeurais confuse en sa présence, lui disant : « Mon
cher Amour, je ne suis pas lasse de soj.iffrir; non, je ne
suis pas lasse. » Après cela je retournais à ma croix, où
j'étais plus attachée qu'auparavant, plus dans l'obscu-
rité, plus combattue. Il se présentait à mon imagination
des saletés horribles qui me faisaient trembler. Il me
venait des pensées de blasphème contre Dieu et contre
la sainte Vierge....
« Mon confesseur ne faisait qu'augmenter mes peines,
car quand je lui exposais mes angoisses, il me disait
pour toute réponse que je n'étais pas assez mortifiée,
que j'avais été mal dirigée, que je n'avais aucune vertu,
et que telle était la cause de mes souffrances. Si je lui
parlais des rares consolations et de quelques grâces
126 MARIE DE l'incarnation.
extraordinaires f^ue je recevais par intervalles, il se
moquait de tout cela et me demandait si je ne pensais
point faire des miracles un de ces jours. Après cela il
était quelquefois trois mois sans me parler. «
La Mère de l'Incarnation excuse son confesseur en
rejetant sur elle-même la cause de cette conduite; mais
il n'en est pas moins vrai qu'il exposait sa pénitente
à tomber dans le désespoir, si elle eût été moins sainte
et moins digne de l'intérêt tout particulier dont il
afifectait de lui refuser les marques. Le seul moyen
de l'excuser est de dire que Dieu permettait cette
manière d'agir contraire à toutes les règles de la pru-
dence et du vrai zèle, afin d'éprouver davantage sa
servante et de la faire arriver à un plus haut degré
de vertu.
Toutes ces épreuves, que nous avons été forcé de
montrer seulement en abrégé, ne servirent qu'à faire
croître dans la Mère de l'Incarnation, l'humilité, l'amour
des souffrances, l'union avec Notre-Seigneur et la con-
formité à sa sainte volonté. « Je me conformais, dit-
elle, à la volonté de mon Époux, dont je voulais chérir
les dispositions aux dépens de toutes les douleurs qu'il
eût voulu m'imposer. Qui verrait une âme en cet état,
pleurerait de compassion. Qu'on se la figure surtout
^ quand elle considère son Époux si pur et si parfait,
tandis qu'elle se voit elle-même toute confuse, pauvre,
vile, abjecte, et comme un vrai rien. En tout cela,
néanmoins, elle comprend que son bien-aimé la laisse
ainsi par amour, et c'est ce qui lui fait dire : Je suis
contente d'être ainsi, ô mon cher Amour, oui, je suis
contente d'être ainsi. »
CHAPITRE V. 127
De pareilles tribulations, qui commencèrent peu de
temps après son entrée au couvent et durèrent jus-
qu'après sa profession, étaient de nature à en décou-
rager cent autres; Marie de l'Incarnation demeura
inébranlable. Cependant, vers la fin de son noviciat,
un nouvel orage éclata. Des plaintes qu'on lui fit
touchant la conduite de son fils au collège de Rennes,
vinrent lui donner les plus grandes inquiétudes qu'elle
eût peut-être ressenties à son sujet. Voici comment
lui-même raconte l'affaire, ou plutôt la manière dont
on la présenta à sa mère.
« Cet enfant, dont le recteur du collège avait jusque-
là rendu de bons témoignages, se laissa tout à coup
entraîner par d'autres élèves de son âge; il ne voulait
plus travailler et montrait de si mauvaises dispositions
que l'on se crut un moment dans la nécessité de le
renvoyer. La pauvre mère fut accablée à cette nou-
velle, pensant que les Ursulines.la renverraient elle-
même pour qu'elle prît soin de son fils s'il était renvoyé,
comme il le fut en effet. «
L'humble religieux passe condamnation sur ce renvoi
que l'on crut avoir été occasionné par sa mauvaise
conduite; mais son biographe, le Père Martène, expli-
que le fait autrement et d'une manière bien plus
vraisemblable.
« Le maître du collège, dit-il, voulut le renvoyer,
sous prétexte qu'il ne voulait pas étudier, quoique
auparavant le R. P. Recteur eût écrit à sa mère que
l'on en était très-satisfait et qu'il était un sujet d'édi-
fication. Il y a bien de l'apparence que ce maître,
sachant que les parents étaient riches, qu'ils avaient
promis d'avoir soin de l'enfant et qu'ils étaient en état
de payer sa pension, crut qu'il valait mieux mettre
128 MARIE DE l'incarnation.
à sa place quelque écolier plus pauvre que lui : ce
qu'on ne peut attribuer qu'à une insigne charité. y>
Quoi qu'il en soit, le jeune Martin revint à Tours, et,
quelque temps après, il fut envoyé au collège des
Jésuites à Orléans, où le Père de la Haye voulut
l'avoir. « Ses parents et une personne de qualité payè-
rent sa pension; et il fut toujours si bien entretenu
qu'il n'y avait point d'enfant dans la ville de Tours
qui ÎVii mieux mis et mieux entretenu que lui.' »
La pieuse mère fut ainsi délivrée de ce nouvel obs-
tacle à l'accomplissement de ses désirs. D'un autre
côté, les religieuses, ravies des admirables exemples
de vertu qu'elle leur donnait, la regardaient comme
l'un des plus riches présents que le Ciel pût leur faire :
c'est pourquoi elles l'admirent à faire profession. Cette
cérémonie eut lieu le 25 janvier 1633, jour où finis-
saient ses deux années de noviciat exigées par la règle.
Elle crut un instant que sa consécration solennelle
avait mis fin à ses croix. Elle se sentit si heureuse
qu'elle semble ne pouvoir trouver d'expression propre
à exprimer le bonheur qu'elle commença à sentir dès
la veille.
« Il semblait, dit-elle, que toutes les impressions de
mes souffrances fussent changées en des sentiments
de l'amour le plus tendre que j'eusse encore ressenti.
Je disais : « 0 mou. cher Amour, quoique jusqu'à
présent j'aie été votre épouse par les vœux que j'ai
faits, je vais l'être encore d'une toute autre manière. »»
Toutes les puissances de mon âme étaient tellement
(1) \ ie tle ClauJe Alarlin, par le P. Martène.
CHAPITRE V. 129
plongées dans un océan d'amour, qu'elle n'en sortait
non plus qu'une personne qui serait engloutie au fond
de la mer. Je suppliais ce divin Époux que cela ne
parût point au dehors, et qu'il me laissât libre pour
l'action que j'allais faire. Il me l'accorda. Toutefois,
pendant la cérémonie, j'eus beaucoup de peine à con-
server toute l'attention nécessaire pour ne rien omettre,
et ce ne fut pas sans de grandes difficultés que je vins
à bout de lire et de proférer la formule de mes vœux.
Après l'action, j'éprouvai intérieurement des choses
dont j'ai encore le souvenir fidèle, mais dont je ne puis
rien exprimer.
y> Dès que je fus retirée dans ma chambre, les assauts
du divin amour furent si pressants qu'il fallut me
prosterner. J'étais si transportée, qu'en marchant par
la maison il me semblait que tout fût mort pour moi.
Je ne pouvais entendre ni comprendre que mon Époux.
» Le lendemain de ma profession, étant prosternée
devant mon oratoire, je sentis mon cœur s'élargir dans
un entretien avec mon Époux sur la grande miséri-
corde qu'il m'avait faite. Ce fut alors qu'il me donna
à entendre avec une très-grande clarté qu'il voulait
que désormais je volasse continuellement à lui , à
l'imitation de ces esprits suprêmes qui sont les plus
proches de lui, qui le connaissent, l'aiment et sont
comme la demeure de sa divine Majesté. Ces paroles
me donnèrent un courage nouveau, et je voyais le
chemin de l'amour si aplani et toutes choses si faciles,
que je m'offrais sans cesse au bien- aimé pour faire
et souffrir tout ce qui lui serait plus agréable. »
Mais le bonheur, même celui des saints, n'est jamais
de longue durée sur la terre. « Je ne fus pas huit jours
en cet état, dit-elle, que me voilà replongée dans
M. DE LINC.
130 MARIE DE l'incarnation.
l'abîme de mes croix. Il me semblait, que toutes les
créatures devaient m'avoir en horreur à cause de ma
méchanceté. Je croyais que toutes mes sœurs voyaient
mes fautes aussi clairement que je les voyais moi-
même; et, dans cette pensée, je ne paraissais devant
elles qu'avec honte et confusion. J'offrais tout cela à
Notre- Seigneur, et j'entendais une voix qui me disait :
Cherche encore à te faire mépriser; aspire à te plonger
dans l'oubli de toutes les créatures autant qu'il te sera
possible. "
Voilà , dit Claude Martin , comme cette colombe
expose les douleurs de son cœur en attendant les con-
solations de son Époux. Sa supérieure, qui connaissait
toutes ses peines et qui savait surtout combien elle
avait à souffrir de la part du confesseur, admirait la
grande vertu qui lui faisait tout endurer avec résigna-
tion; mais elle n'en était pas pour cela moins touchée
de compassion, ni moins désireuse de lui procurer du
soulagement. C'est pourquoi un jésuite de grand mérite,
le Père George de la Haye, étant alors à Tours, où il
avait prêché l'Avent et devait ensuite prêcher le
Carême, elle lui proposa de le voir et de lui ouvrir
son âme. La servante de Dieu avait eu cette pensée,
même avant sa profession. Ayant entendu ce Père qui
était venu donner des instructions à la communauté,
elle avait conçu un grand désir de lui faire connaître
son état; mais elle n'en avait pas ouvert la bouche,
dans la crainte de céder à un sentiment de recherche
d'elle-même. Quand la supérieure lui en eut fait la
proposition, elle ne craignit plus rien; elle vit là,
au contraire, une attention délicate de Notre-Seigneur
CHAPITRE V. 131
•
à soD égard. Elle s'ouvrit donc à ce bon religieux avec
. un entier abandon, lui faisant connaître toute la con-
duite de Dieu sur elle, les grâces qu'elle avait reçues,
les épreuves par où elle avait passé, en un mot tout
ce qui lui était arrivé dans sa vie.
Le Père de la Haye fut extrêmement frappé de ce
compte-rendu, et, sous prétexte d'examiner la chose
plus mûrement avant de lui répondre, il l'obligea à lui
donner le tout par écrit. Elle n'y consentit qu'après
avoir obtenu la permission de sa supérieure, et à
condition qu'elle mettrait également tous ses péchés
par écrit, afin que le Père connût sa perversité et qu'il
pût porter son jugement avec une plus parfaite con-
naissance de cause. Elle reçut, en cette circonstance,
une lumière extraordinaire de la grâce pour se con-
former au désir de son nouveau directeur. Voici comme
elle le raconta plus tard à son fils.
« Le jour du Vendredi-Saint, lorsque je pensais me
mettre à mon ouvrage, je reçus une telle grâce de
recueillement intérieur, que je ne pouvais m'appliquer
qu'à Dieu seul. Alors toutes les miséricordes qu'il
m'avait faites, furent présentes à mon esprit avec une
grande clarté. Je fus inspirée d'obéir à l'ordre qui
m'avait été donné. J'étais contente, puisqu'il m'était
permis d'écrire tous mes péchés, afin que l'on pût voir
s'ils étaient compatibles avec des miséricordes aussi
grandes, et que l'on connût celle qui avait fait un si
mauvais usage des grâces de son Dieu. Je fus même
contrainte d'écrire mes péchés le's premiers, afin de ne
tromper personne; et, sans examen, ils me furent
mis tout d'un coup devant les yeux, ainsi que toutes
les grâces que j'avais reçues, et que j'écrivis à la suite.
Il me semblait que j'eusse été hypocrite de dire le bien
132 MARIE DE l'incarnation.
qu'on désirait connaître et de taire le mal qui était
en moi. »
Elle n'était pas arrivée toutefois à terminer, ni même
à entreprendre ce travail, sans de nouveaux combats.
Elle éprouva même un redoublement de tentations que
l'on croirait à peine possible ; or ces redoutables épreu-
ves renferment des enseignements trop utiles, surtout
aux âmes afi&igées de quelques croix de ce genre, pour
que nous ne mettions pas sous les yeux du lecteur
le récit qu'elle en a laissé.
« Toutes les faiblesses qu'une âme est capable de
souffrir, m'assaillirent à la fois. Je me voyais tomber
dans toutes les imperfections dont je m'étais autrefois
mal édifiée quand j'y avais vu tomber les autres :
ce qui m'humiliait d'autant plus qu'alors j'avais été
étonnée que l'on pût s'y laisser aller. Je ne fus jamais
plus punie ni plus confuse que de m'y voir succomber
à mon tour. .
» De là je tombai dans de plus grands maux. Je fus
tentée d'orgueil, la pensée me venant de quitter l'ou-
vrage dont l'obéissance m'avait chargée et d'aller dire
à ma supérieure que Dieu voulait de moi autre chose
que des occupations d'aussi peu d'importance. La ten-
tation était si violente que l'effort pour y résister me
rendait malade : car voyant avec évidence que c'était
un piège du démon, je n'eusse voulu pour tout au
monde m'y arrêter, outre que la vue de mes défauts,
de mon ignorance et de mes imperfections, me donnait
des sentiments tout cohtraires.
« Après ces résistances, la tentation recommençait.
Il ,se présentait à mon esprit un grand nombre de
perfections avec la persuasion que tout cela était en
moi, et je me voyais la plus parfaite de toutes. Il était
CHAPITRE V. 133
facile de voir d'où cela venait : c'est pourquoi tout se
dissipait par le mépris que j'en taisais. Mais je sentais
promptement de nouveaux assauts pour m'empêcher
d'obéir et me faire quitter l'ouvrage qui m'était com-
mandé. Je ne me fis jamais tant de violence, n'en
voulant toutefois rien dire pour lors à ma supérieure,
de crainte qu'elle ne me fît quitter mon ouvrage pour
me soulager. A force de résister, je parvins à (^cou-
rager le démon sur ce point; mais il dressa une autre
batterie, troublant mon imagination et la remplissant
de toutes sortes d'infamies, tant le jour que la nuit.
Si je voulais recourir à Dieu, il me venait à la pensée
que c'était une grande folie de croire qu'il y eût un
Dieu, et que tous les enseignements de la foi étaient
des chimères comme celles du Paganisme; que toutes
les grâces que j'avais cru m'a voir été faites n'étaient
que des folies et des illusions de la nature; que je
ferais mieux de ne pas continuer le récit qu'on m'avait
ordonné d'en faire, et de brûler, au contraire, ce que
j'avais déjà écrit.
» Ces attaques m'affligeaient à un tel point que toutes
les créatures ensemble n'eussent pas été capables de
me consoler. Les pensées contre Dieu m'étaient plus
sensibles que tout le reste. Avoir de tels sentiments
' contre mon cher Amour, si bon pour moi, c'est le plus
cruel martyre que l'on puisse endurer. J'étais en outre
persuadée que mes croix ne venaient point d'une per-
mission de Dieu, mais de ma misère. C'était la plus
grande tentation de désespoir que j'eusse jamais eue.
A tout cela se joignit une tentation a'aversion pour ma
supérieure, que je me figurais être la cause de toutes
mes peines. Jusque-là elle m'avait procuré quelques
soulagements, Dieu voulut m'ôter encore cette conso-
134 MARIK DE l'incarnation.
latioû. J'allai la trouver pour vaincre ma tentation,
et je lui dis tout ce que j'avais tant contre elle que
contre les autres ; mais bien loin de me soulager, cela
augmenta mes peines. Je regrettais de lui avoir fait
cette ouverture, pensant qu'elle allait croire que tout
était volontaire et, en conséquence, me mépriser et
m'humilier autant qu'il lui serait possible. Plus je com-
battais toutes ces pensées, plus elles se multipliaient;
quand j'en étouffais une, il en renaissait une autre. »
Cette grande servante de Dieu demeura ferme au
milieu de ces effroyables tempêtes; elle en sentait les
coups, mais elle ne s'attachait que plus fortement à ses
devoirs, surtout à celui de l'obéissance, qui renferme
tous les autres. Elle continua donc d'écrire le double
récit de ses péchés et des grâces qu'elle avait reçues.
Le Père de la Haye ayant reçu ces deux écrits, détruisit
le premier, comme l'on fait pour une confession, et il
conserva l'autre. Avant de mourir il en fit cadeau aux
Ursulines de Saint-Denis, qui le remirent plus tard
à Claude Martin, quand elles eurent su qu'il écrivait
la vie de sa mère.
Le résultat de son ouverture de conscience fut pour
la Mère Marie de l'Incarnation le retour à une paix
entière de son âme, dès que le Père de la Haye lui eut
dit qu'il reconnaissait l'Esprit de Dieu dans tout ce qui
s'était passé en elle, et qu'elle serait bien coupable si
jamais elle aimait quelque autre chose que celur qui
l'avait comblée de tant de faveurs. Elle lui objecta
qu'elle avait quelque inquiétude, parce que la présence
de Dieu lui était restée constamment au milieu de ses
CHAPITRE V. 135
épreuves, et qu'une pareille grâce lui semblait incom-
patible avec les troubles d'imagination qu'elle avait
éprouvés, et surtout avec les tentations impures. Le
sage directeur la tranquillisa encore sur ce point et
elle retrouva une parfaite sérénité.
Elle passa ainsi tout le temps pascal jusqu'à l'Ascen-
sion ; puis tout d'un coup elle se trouva replongée dans
ses plus grandes peines. Mais cela ne dura pas et n'eut
aucune suite. Voici comment elle raconte la cessation
de cette nouvelle épreuve.
« Un soir, comme je me promenais par obéissance
dans une allée du jardin, fortement unie à Dieu, à qui
je faisais de nouvelles protestations de vigilance sur
moi-même, j'eus un instinct très-puissant de m'arrêter,
de demander pardon du plus profond de mon cœur au
céleste Époux et de lui promettre une éternelle fidélité.
Au même instant, toutes mes croix et mes peines inté-
rieures s'évanouirent; j'étais comme si je n'avais rien
éprouvé de tout cela, sentant même un grand accrois-
sement ÔG paix intérieure. »
Toutes les âmes que Dieu a élevées à une haute
sainteté ont passé par ces alternatives de consolations
et de peines intérieures, de joies et de douleurs. Ce
sont comme des jours et des nuits, des printemps
agréables et des hivers rigoureux, des travaux pénibles
et des moments de repos qui se succèdent, en atten-
dant la bienheureuse éternité où brille un jour sans
déclin, où le printemps, le repos, la joie, le bonheur
sans mélange ne finiront jamais. Les vicissitudes d'ici-
bas nous font comprendre que nous ne sommes pas
dans une demeure stable. Comme rien de ce qui nous
arrive n'est durable, rien ne doit nous attacher ni nous
décourager. La rapidité avec laquelle nous voyons
136 - MARIE DE l'incarnation.
disparaître la jeunesse, la santé, souvent la fortune
et la vie elle même, nous procure un haut et salutaire
enseignement; mais rien n'éclaire et ne fortifie les
âmes, surtout celles des saints, comme les croix. « Dans
toutes mes croix, dit la Mère Marie, je reconnais le
grand amour que Notre-Seigneur me porte; je vois
combien elles me sont utiles et à quel point je dois les
chérir : car c'est par ce moyen que ce divin Sauveur
me fait connaître ce qu'il y a en moi de défectueux et
de contraire à son amour. C'est le profit que j'en retire,
comme aussi de mourir à mes sentiments et de me
défaire, à quelque prix que ce soit, de tout ce qui peut
me retarder dans ma course. Quand je vois ma nature
mortifiée et privée de ce qu'elle aime, c'est alors que
mon âme est satisfaite. Je prie de nouveau Notre-
Seigneur de me traiter avec rigueur, et de m'amener
à n'avoir de vie et de sentiments que pour lui. Je vois
si bien alors la nécessité de ce détachement et l'impos-
sibilité d'y arriver par une autre voie que celle de la
croix, que si l'on me donnait à choisir, ou les plus
grandes consolations spirituelles, ou toutes les croix
qui ont pesé sur moi, je prendrais celles-ci avec amour,
bien qu'elles aient été très-nombreuses et tellement
amères qu'il m'a été impossible de faire connaître la
tnillième partie de cette amertume, faute d'expressions
pour rendre ma pensée. »
Au milieu de toutes ces épreuves, la vertu, l'intel-
ligence, la solidité du jugement, toutes les qualités
d'un esprit supérieur éclataient dans la Mère Marie de
l'Incarnation, au point que personne ne pouvait s'y
tromper. On remarquait surtout sa science des choses
spirituelles et son adresse à porter les âmes à la vertu.
On comprenait que nulle autre dans la maison n'était
CHAPITRE V. 137
ausvsi capable de diriger les novices et les jeunes pro-
fesses; mais la Règle s'opposait à ce qu'elle pût être
à la tête d'un office avant d'avoir au moins quatre ans
de profession: c'est pourquoi l'on prit un détour et on
la nomma sous-maîtresse des novices et des jeunes
professes, qui étaient en tout au nombre de trente envi-
ron, et on la chargea de leur donner des instructions.
« Elle s'acquittait de ce devoir, dit Claude Martin,
avec un zèle qui mettait la ferveur dans toute la
maison, car encore que son office fût seulement d'ins-
truire les novices et les jeunes religieuses, un certain
nombre d'anciennes se montraient empressées pour
l'entendre et se pénétrer de son esprit. »
On a trouvé parmi les papiers de la servante de Dieu
plusieurs maximes qu'elle inculquait à ses novices pour
leur servir de règles de conduite; elles font voir com-
bien il y avait chez elle de solidité et de justesse dans
les idées, d'esprit pratique et de vraie habileté dans
l'art de donner à l'âme humaine la beauté, la grandeur,
la vertu solide, en un mot tout le perfectionnement
dont elle est capable ici-bas. Nulle sagesse philosophi-
que, pas même celle des Socrate et des Platon, ne
soutiendrait la comparaison avec les sentences de cette
humble et modeste religieuse du XVIP siècle. Rien
ne saurait mieux peindre son esprit que ces maximes.
I. Il faut tous les jours commencer à aimer Dieu
et croire aujourd'hui qu'hier on ne l'aimait pas véri-
tablement : car en ce saint exercice on ne doit regarder
comme parfait que ce que l'on a devant soi ; ce qui ,est
passé doit être jugé défectueux.
138 MARIE DE l'incarnation.
II. L'on peut excéder dans le désir de cannaître,
mais non dans le désir d'aimer.^
III. Mon esprit ne peut concevoir comment une
lumière peut demeurer dans l'entendement sans que la
volonté soit captivée; parce que Dieu est un objet si
aimable, si gracieux et si ravissant, qu'il lui faut céder
dès qu'il paraît.
IV. Plus l'âme s'approche de Dieu, plus elle connaît
son propre néant. Si elle est dans un très-haut degré
d'amour, elle s'humilie davantage, selon cette parole
de Notre-Seigneur : Celui qui s humilie sera exalté; et
cette autre : Apprenez de moi que je suis doux et humble
de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes.
V. La pureté de l'âme est une disposition essentielle
pour s'unir à Dieu : car comme la mer ne peut rien
soufifrir d'impur, ainsi Dieu, qui est un océan infini de
toute perfection, rejette les âmes mortes et n'admet
que celles qui lui sont semblables en pureté.
VI. Je ne puis m'imaginer comment une âme reli-
gieuse, qui a la divinité au dedans d'elle-même, peut
chercher sa satisfaction dans les créatures.
VII. Quand un cœur est navré (blessé), il aime
partout, pourvu qu'il entretienne les plaies de l'amour ,
et qu'il ne les referme pas par de misérables médica-
ments, c'est-à-dire par les fausses raisons de l'amour-
propre.
VIII. Une âme que Dieu appelle à une vie continuelle
de l'esprit, doit se résoudre à passer par beaucoup de
morts avant d'arriver au terme. Cela n'est pas imagi-
nable, et qui n'y aurait passé aurait de la peine à
le croire, aussi bien qu'à se figurer l'abandon avec
(1) Saint François de Sales a dit d'une manière plus absolue, mais peut-être
moins claire : » 11 n'y a que dans le désir d'aimer qu'on ne peut excéder. >•
CHAPITRE V. 139
lequel l'âme doit se laisser conduire où Dieu la veut
mener.
IX. Je m'étonne qu'une âme ne soit pas toujours
contente, croyant et sachant qu'elle a Dieu pour Père.
C'est que l'on se replie trop sur soi-même.
X. Il n'y a point de chemin plus court pour parvenir
à la perfection de la vie intérieure, que le retranche-
ment universel des réflexions, non-seulement sur tout
ce qui peut donner de la peine, mais encore surtout ce
qui ne porte point à Dieu ni à la pratique de la vertu.
XI. II importe beaucoup que par notre propre expé-
rience nous ressentions des faiblesses, afin que les
portant en nous, nous en soyons humiliés et que nous
ayons de la compassion pour les autres. Mes tentations
ont été pour moi des instructions ; j'ai ainsi appris à
gouverner les autres.
XII. Il n'est pas possible de vivre longtemps dans
la vie spirituelle, sans passer par de grandes épreuves.
XIII. Les afflictions ne nous arrivent point par
hasard; ce sont des grâces providentielles pour nous
détacher des créatures et nous unir à Dieu.
XIV. Je ne sais comment on peut s'aigrir dans les
accidents fâcheux, puisque, venant par l'ordre de la
divine Providence, tout nous doit être également
aimable.
XV. Avoir de la résignation dans les souffrances
est une marque que l'on est proche de Dieu et de ses
miséricordes.
XVI. Dans les infirmités que Dieu nous envoie, nous
ne devons rien désirer, sinon qu'elles ne nous empê-
chent point de le servir. Quant aux souffrances qui'
y sont attachées, c'est un présent qu'il nous fait et que
nous devons chérir.
\
140 MARIE DE l'incarnation.
XVII. La mortification et l'oraison sont deux sœurs
jumelles qui ne se doivent point quitter : si l'une cesse,
l'autre périt.
XVIII. Plusieurs désirent et s'efforcent d'acquérir
le don d'oraison, et ils ne désirent ni ne s'efforcent
d'avoir l'humilité et la vraie abnégation : sans cela,
néanmoins, il n'y a point de vraie oraison.
XIX. L'âme curieuse des choses du monde n'a point
l'esprit de Dieu.
XX. Le royaume de la paix s'établit dans un cœur
détaché de tout, et qui, par une sainte haine de soi-
même, se plaît à détruire les restes de la nature
corrompue.
XXI. L'obéissance est le passe-port de tout, pourvu
qu'on ait l'intention droijte.
XXII. C'est un de mes étonnemonts et une chose
que je ne puis comprendre, qu'une âme religieuse qui
veut aimer Dieu et être aimée de lui, ne soit pas obéis-
sante et qu'elle ait de la peine à se soumettre.
XXIII. Pour agir avec douceur et tranquilité, il faut
se dire que l'empressement à achever une chose pour
en commencer plus vite une autre, fait que toutes les
deux sont imparfaites.
XXIV. La candeur d'une âme soumise émousse la
pointe de la curiosité. Car comme la foi borne notre
curiosité et qu'il n'y a plus de questions à faire après
qu'on nous a dit que Dieu a parlé, ainsi, dans la direc-
tion, la candeur et la simplicité avec laquelle on
acquiesce aux lumières d'un directeur que l'on sait
avoir l'expérience des choses que l'on soumet à son
jugement' fait que l'esprit demeure- en repos.
(1) Cette remarque est tout iV fait selon l'Esprit de Dieu et en même temps
d'une grande importance, car bien des âmes sont dévoyées parce qu'elles écoutent
CHAPITRE V. 141
XXV. Encore que l'Esprit de Dieu se trouve dans
toutes les bonnes œuvres faites par le mouvement de
la grâce, il reluit néanmoins d'une manière bien plus
pure dans les observances religieuses; car, quelque
sainte que soit une action, l'on a souvent sujet de
douter si Dieu veut qu'on la fasse; mais on ne peut
douter qu'il ne veuille qu'un religieux pratique sa règle.
De plus, dans les bonnes actions que nous faisons par
notre choix, il y a un mouvement de notre volonté, et
par conséquent moins de l'Esprit de Dieu ; mais dans la
pratique des règles, Dieu nous ôtant la liberté de choisir
nos pratiques nous détermine lui-même à ce qu'il
demande de nous ; d'où il suit que son esprit s'y trouve
sans mélange, puisqu'il n'y a rien de notre part que
le simple acquiescement de notre volonté à la sienne.
Outre les instructions verbales et en grande partie
improvisées qu'elle donnait aux novices, elle avait
composé pour elles un catéchisme qui est peut-être,
dit le P. Charlevoix, le meilleur que nous ayons en
notre langue. On l'a donné au public sous le nom de
l'Ecole sainte. « On peut assurer, ajoute le même auteur,
qu'il n'en est point où les choses soient expliquées avec
plus d'ordre, de précision et de netteté, et que le choix
et l'application des passages de l'Ecriture font bien voir
que la Mère de l'Incarnation a été l'une des personnes
de son siècle qui ont le mieux possédé les livres saints.
Ceux qui ne cherchent dans la lecture de ces sortes
le premier directeur venu. D'un autre côté, la vogue et la réputation sont souvent
des indices trompeurs. Pour avoir le directeur qui nous convient, il faut prier
beaucoup ; puis se conduire uniquement par des motifs surnaturels quand le
moment est venu de le choisir. On doit, entre autres choses, s'assurer qu'il est
éclairé, et qu'il a, comme le veut notre vénérable Mère, l'expérience des choses
que l'on devra soumettre à son jugement.
142 MARIE DE l'incarnation.
d'ouvrages qu'à s'instruire de leur religion, n'en sau-
raient trouver qui la leur enseigne mieux que celui-ci/ »
C'est pendant qu'elle était sous-maîtresse des novices,
que Dieu lui fit pressentir, par une vision que nous
allons rapporter, une mission plus importante à laquelle
elle était réservée.
CHAPITRE VI.
Vision du Canada. — Ardeurs pour la conversion des infidèles. — Acceptation
de toutes les souffrances pour l'obtenir. — Révélation de la dévotion au Sacré-
Cœur de Jésus, 1635. — Dieu fait connaître à Marie de l'Incarnation que
c'est le Canada qu'il lui a fait voir. — Extase d'amour. — Paix dans les
contrariétés.
Bien peu de personnes peuvent comprendre, comme
il serait à désirer, l'action de Dieu sur les âmes. Elles
ne sont pas sans éprouver de temps à autre certaines
touches de la grâce; mais comme elles y font peu
d'attention, ces impressions sont vite effacées, oubliées
même, et elles demeurent sans résultat. De là une
persuasion qu'il en est ainsi pour tout le monde, et
que l'action de la divine Providence est toujours insen-
sible et inaperçue. Il y a en cela une grande erreur.
De même que les rois de la terre ont des confidents
secrets auxquels ils communiquent leurs pensées, des
hommes qu'ils initient à leurs projets et qu'ils prépa-
rent pour en faire des instruments dans l'xécution
de leurs entreprises, de même Dieu se découvre à
(1) Vie de la Mère Marie de l'Incarnation, par le Père Charlevoix, Jésuite.
CHAPITRE VI. 143
certaines âmes d'élite et il leur fait connaître les des-
seins de sa miséricordieuse sagesse à leur égard. C'est
ce qui nous explique la vision suivante que raconte
la Mère Marie de l'Incarnation. «
« Une nuit, après un entretien familier que j'avais
eu avec Notre-Seigneur, je me trouvai dans un songe
avec une dame séculière; la prenant par la main, je
l'emmenais avec moi à grands pas et avec bien de la
fatigue, parce que nous trouvions des obstacles très-
difficiles qui s'opposaient à notre passage et nous
empêchaient d'aller où nous voulions arriver ; nous
ne connaissions même ni ce lieu ni le chemin qui y
conduisait. Je franchissais pourtant tous ces obstacles,
tirant après moi cette bonne dame, et nous arrivâmes
à une belle place, à l'entrée de laquelle se trouvait un
homme vêtu de blanc, avec les dehors sous lesquels
on représente ordinairement les Apôtres. Sans parler
il me fit comprendre que c'était là le lieu où nous
devions aller. Ce lieu était ravissant, le pavé ressem-
blait à du marbre blanc ou de l'albâtre, cimenté d'un
beau rouge. En avançant, je vis à gauche une petite
église de marbre blanc, d'une belle architecture, et,
dans une espèce de siège placé sur le faîte de cette
église, la sainte Vierge tenant son petit Jésus entre
ses bras. On apercevait de là une vaste contrée pleine
de montagnes et de vallées, où tout était couvert de
brouillards épais, excepté une petite maison qui était
l'église de ce pays.
y> La sainte Vierge, qui parut d'abord aussi insensible
que le marbre sur lequel elle était assise, regardait ce
pays aussi digne de compassion qu'il était propre à
inspirer l'effroi. Emportée par un élan d'amour, je
courus vers cette divine Mère, étendant les bras vers
144 MARIE DE l'incarnation.
elle et ayant tout à la fois le désir et l'espérance d'ob-
tenir quelque grâce. Elle regarda son bénit enfant; il
me semblait que, sans parler, elle lui communiquait
quelque chose d'important; qu'elle lui parlait de ce
pays et de moi, et qu'elle avait quelque dessein à mon
sujet. Voyant qu'elle parlait de moi, mon cœur s'en-
flammait de plus en plus ; alors elle me baisa par trois
fois. A ce moment mon âme ressentit je ne sais quoi
de divin qui la mit dans une paix et un bonheur inex-
primables. La beauté de cette divine Mère était si
ravissante, que l'impression qu'elle fit sur moi ne s'est
jamais affaiblie. Je me réveillai de mon sommeil qui
était fort léger, et j'étais si transportée par l'effet des
délicieuses caresses de mon auguste Mère, qu'il s'en
fallut peu que je ne courusse par le monastère pour
le dire à chacune de nos Mères et de nos Sœurs.
» Je ne savais point alors pourquoi j'éprouvais tout
cela. Je n'avais nulle idée ni de cette grande contrée
que j'avais vue, ni du lieu où m'avait introduite celui
qui paraissait en être le gardien. J'ignorais pourquoi
la sainte Vierge m'avait accordé de si douces marques
de tendresse. Toutes ces choses étaient pour moi un
mystère incompréhensible, parce qu'il n'y eut pas une
parole de dite. Mais ce que je ne pouvais comprendre
alors, me devint très-clair dans la suite.
» Voici d'abord l'effet que produisirent en mon âme
les baisers de la sainte Vierge. J'avais toujours eu
depuis ma première enfance une inclination pour tra-
vailler au salut des âmes, et ce fut là ce qui me porta
plus tard à entrer dans l'Ordre des Ursulines. Bien
que cette disposition ait toujours fait des progrès en
moi, il n'y avait pourtant rien en cela que ne puisse
éprouver toute personne pieuse qui considère le travail
CHAPITRE VI. . 145
du salut des âmes comme un moyen de procurer la
gloire de Dieu; mais après les baisers de la sainte
Vierge et par suite de l'onction qu'ils laissèrent dans
mon âme, ce zèle s'accrut de manière à mettre mon
esprit comme hors de moi. Il volait par tout le monde
pour chercher les âmes rachetées du sang du Fils de
Dieu; il accompagnait partout les ouvriers évangé-
liques, auxquels je me joignais pour les aider à sauver
ces âmes abandonnées. A cet effet, je parlais avec
hardiesse au Père céleste pour toucher sa miséricorde. »
La Mère Marie de l'Incarnation dit qu'elle avait
trente-quatre à trente-cinq ans lorsqu'elle reçut ces
impressions de zèle apostolique; c'était par conséquent
lorsqu'elle était chargée de la direction et de l'instruc-
tion des novices ; mais avant cette époque, elle avait
senti que Dieu avait sur elle des vues qu'il réaliserait
plus tard.
« Dès mon entrée aux Ursulines, dit-elle, j'eus le
pressentiment que la divine bonté me mettait en cette
sainte maison, comme en dépôt et en un lieu de refuge,
en attendant qu'elle disposât de moi pour d'autres
desseins. Je rejetais cette pensée, dans la crainte que
ce ne fût un piège du démon, mais elle me revenait
sans cesse. »
Nous voyons là deux caractères qui rendent l'action
de la grâce incontestable et font que l'illusion est
impossible :
P La Mère Marie de l'Incarnation se défie de l'idée
qui lui vient que Dieu a des vues extraordinaires sur
elle; tandis que les âmes qui sont le jouet de leur
orgueil et de la tentation, se complaisent dans des
M. DE l'iNC. 10
146 • MARIE DE l'incarnation.
imaginations de ce genre, et ne peuvent consentir à
révoquer en doute le moins du monde leur prétendue
destinée à de grandes choses. Si le confesseur ou les
supérieurs n'entrent pas dans leurs vues, elles se per-
suadent que le moment n'est pas venu et que Dieu
leur enverra d'autres personnes plus éclairées. En
attendant, elles croient faire acte de grande vertu en
se résignant à être conduites par des guides qui man-
quent de lumières.
2° Quand on est ainsi le jouet de l'illusion et de
l'orgueil, on montre ou au moins on éprouve du dédain
pour les devoirs ordinaires de sa position ; on a hâte de
voir arriver le moment où Dieu nous emploiera pour des
choses d'éclat. La Mère de l'Incarnation, au contraire,
se livrait aux fonctions qui lui étaient confiées, comme
si elle n'eût jamais dû en avoir d'autres sur la terre.
Cela n'empêchait pas que la grâce fît croître en elle
de jour en jour l'esprit apostolique, qui devait avoir
bientôt de si admirables résultats. On en peut juger
par ces paroles toutes brûlantes d'un zèle dont Dieu
seul peut embraser les âmes.
« Mon corps était dans notre monastère; mais mon
esprit, qui était lié à celui de Jésus-Christ, n'y pouvait
demeurer enfermé. Il se sentait transporté dans les
Indes, au Japon, en Amérique, en Orient, en Occident,
dans les parties septentrionales les plus inaccessibles,
en un mot partout où il y avait des âmes raisonnables.
Sachant avec une entière certitude, d'un côté, que ces
âmes appartenaient à Jésus-Christ, qui- les avait rache-
tées de son sang précieux, de l'autre, qu'elles étaient
sous l'empire des démons, j'éprouvais un sentiment de
jalousie, je n'en pouvais plus, je languissais; j'embras-
sais toutes ces pauvres âmes, je les tenais sur mon
CHAPITRE VI. 147
sein ; je les présentais au Père Eternel en lui disant
qu'il était temps de faire justice à mon Epoux, qu'il
devait se souvenir de sa promesse de lui donner toutes
les nations en héritage. J'ajoutai? que ce divin Fils
avait satisfait par l'effusion de son sang pour tous les
péchés des hommes, et que quoiqu'il fût mort pour
tous, tous ne vivaient pas encore; quil s'en fallait de
toutes les âmes que je lui présentais, et que je les lui
demandais toutes pour Jésus-Christ, à qui elles appar-
tenaient de droit. L'Esprit de grâce qui s'était emparé
de moi, m'inspirait cette hardiesse et cette familiarité
avec Dieu, de manière que rien ne m'arrêtait : 0 Père,
que tardez-vous, puisqu'il y a si longtemps que mon
bien-aimé a répandu son sang? Je prie pour les intérêts
de mon Epoux ; vous lui avez promis toutes les nations,
vous tiendrez votre parole.
» Je voyais la justice de mon côté, et l'Esprit qui
s'était emparé de moi me le faisait voir et me faisait
dire au Père Eternel : « Il est juste que mon Epoux
soit le maître. J'en sais assez pour le faire connaître
à toutes les nations; donnez-moi une voix assez puis-
sante pour retentir jusqu'aux extrémités de la terre
et dire au monde entier que mon divin Epoux est digne
de régner et d'être aimé de tous les cœurs. » Puis, me
repliant sur moi-même, je me trouvais en esprit parmi
des multitudes d'âmes* qui, ne connaissant pas mon
Epoux, ne lui rendaient pas leurs hommages; mais je
remplissais ce devoir à leur place; je les étreignais et
les plongeais dans le sang de cet adorable Seigneur
et Maître. Pendant ce temps, je ne perdais pas de vue
le Père Eternel à qui je parlais en faveur de son Fils
comme si j'eusse été son avocate chargée de lui faire
rendre son héritage. »
148 MARIE DE l'incarnation.
Tous ces flots de la grâce qui excitaient comme une
tempête de zèle et d'amour dans cette âme ardente nous
font connaître que l'Esprit-Saint s'emparait d'elle pour
la préparer à l'œuvre apostolique du Canada, de même
qu'il s'empara des Apôtres pour les préparer à évangéli-
ser le monde. C'était comme la Pentecôte de la Mère
Marie de l'Incarnation , et nous allons voir quels en
furent les fruits.
On pourrait être tenté de croire qu'une âme aussi
ardente et enflammée d'un zèle aussi vif pour la gloire
de Dieu, va se jeter avec impétuosité dans des entre-
prises hasardeuses; mais ce ne serait pas connaître la
manière dont l'Esprit-Saint exerce son action; ce serait
ignorer qu'il commence toujours la sanctification des
âmes d'élite en leur inspirant une profonde humilité.
Or quand une âme est sous l'empire de la vraie
humilité chrétienne, de quelques lumières qu'elle soit
favorisée, elle ne se croit jamais en état de se conduire
elle-même; et son zèle le plus ardent et le plus pur
dans sa source est toujours accompagné de réserve et
d'une certaine timidité, jusqu'à ce qu'il soit appuyé sur
l'approbation de ceux qui tiennent la place de Dieu
à son égard. La vie de tous les saints atteste cette
double vérité, et la conduite de la Mère Marie de l'In-
carnation lui rend un nouveau témoignage. Eclairée
comme elle l'était sur le piix*des âmes et se sentant
enflammée d'une ardeur continuelle pour travailler à
leur salut, elle eût pu se laisser emporter par son
imagination et se montrer impatiente de satisfaire ses
désirs. Ainsi fait le faux zèle; mais celui de la servante
de Dieu était l'œuvre de l'Esprit-Saint, et pour cette
raison il devait chercher l'appui solide de l'obéissance.
Ses supérieurs l'avaient mise sous la direction du
CHAPITRE VI. 140
Père Dinet, Jésuite de Tours, le même probablement
qui, quelques années auparavant, avait aidé à la fon-
dation des Ursulines de Blois. Elle ouvrit tout son
intérieur à ce religieux, et elle lui fit particulièrement
connaître la vision que nous avons racontée, ainsi que
l'ardeur qu'elle éprouvait pour procurer le salut des
âmes. Le pieux directeur crut que ses dispositions,
ainsi que tout ce qui lui était arrivé, étaient le résultat
de la grâce, et il ajouta que sa vision relative au pays
inconnu où elle s'était vue transportée, pourrait bien
se réaliser dans la mission du Canada.
« Lorsqu'il me dit cela, ajoute la Mère Marie, je
n'avais jamais entendu dire qu'il y eût un Canada dans
le monde, et ce que j'avais vu en esprit ne m'en avait
donné aucune idée. Je ne cherchais même pas à com-
prendre ce qui m'était arrivé, laissant tout à la volonté
divine et me contentant de m'abandonner à l'esprit qui
m'excitait si fortement au sujet du salut des âmes. »
Cet esprit apostolique était tel , nous dit Claude
Martin d'après les lettres de sa mère, « qu'elle s'offrait
comme une victime prête à souffrir toutes sortes de
supplices, afin de presser le Père Eternel de mettre
son Epoux en possession d'un héritage qui lui était dû
à tant de titres. Outre le martyre continuel qui résul-
tait de l'ardeur même de ce zèle, elle désirait être
crucifiée, déchirée, brûlée, tourmentée pour une cause
qui lui paraissait si juste. Et même la cruauté des
tyrans lui semblant trop douce, et les peines qu'ils
faisaient souffrir aux martyrs trop légères, elle soffrait
pour souffrir jusqu'au jour du jugement universel les peines
de i' enfer et la cruauté des démons, en conservant la grâce
et l'amour de Dieu, pour obtenir de ce divin Père une
chose en comparaison de laquelle aucun sacrifice,
150 MARIE DE l'incarnation.
même l'anéantissement de toutes les créatures visibles,
ne pouvait être mis. »
C'est là sans doute, l'héroïsme porté jusqu'où il peut
aller, et l'on est tenté de se demander comment il est
possible que Dieu, qui est le maître de tout, et qui
formait lui-même ces admirables sentiments dans le
cœur de sa servante, ne les ait pas complètement
exaucés. Des milliers d'âmes héroïques, dans tous les
temps et dans tous les lieux du monde, ont demandé
la conversion de l'Univers entier. Outre les Hildegarde,
les Catherine de Sienne, les Thérèse, les Angèle Mérici,
les Catherine Emmerich, les Anna Maria Taïgi et une
infinité d'autres, combien d'âmes saintes, encore aujour-
d'hui, ne cessent de supplier la miséricorde divine de
convertir les pécheurs et d'éclairer tant de nations
hérétiques ou infidèles qui demeurent dans les ténè-
bres! Cependant le miracle n'arrive pas; il semble que
Dieu soit sourd à tant de cris, insensible à tant de
sacrifices.
Il y a là un sujet de tentation, mais pour les faibles
seulement, car il n'est pas bien difficile de pénétrer la
pensée divine. Nous la ferons connaître par un exem-
ple. Pourquoi sainte Monique, qui avait offert son fils
à Dieu, qui avait prié pour lui avec tant de pureté
d'intention et de ferveur, n'eut-elle pas la consolation
si douce pour une mère de voir Augustin docile à
toutes les inspirations de la piété, ou au moins celle
d'obtenir sa prompte conversion? C'est que Dieu voulait
se servir des égarements du fils pour faire arriver la
mère à une sainteté éminente. Que fût-il arrivé si
Monique eût été exaucée après quelques neuvaines ou
quelques communions? Peut-être eût-elle été médio-
crement reconnaissante. Tout entière au bonheur de
CHAPITRE VI. 151
voir son fils marcher dans les sentiers de la vertu,
elle n'eût pas senti le besoin de prier sans cesse, de
jeûner, de multiplier ses aumônjss et ses bonnes
œuvres, de jeter des cris du cœur et déverser d'abon-
dantes larmes ; Monique n'eût été probablement qu'une
chrétienne ordinaire. Mais le retard que Dieu mit à
exaucer ses prières, la douleur que lui causèrent
pendant vingt ans les égarements de son fils, les
angoisses qui en furent le résultat pour son cœur,
la forcèrent, en quelque sorte, de devenir une grande
sainte, et lui firent mériter pour Augustin ces torrents
de grâces qui l'ont rendu l'admiration de tous les
siècles.
Or, sainte Monique peut être considérée comme une
image de l'Eglise priant pour les pécheurs, pour le
genre humain tout entier, dont elle a été établie la
Mère. Comme Monique, plus l'Eglise voit le mal se
multiplier et la grâce se faire attendre, plus elle redou-
ble d'ardeur ; elle se sanctifie, à l'exemple du Sauveur
lui-même, pour obtenir que tous les hommes deviennent
un jour des saints; ou plutôt Jésus-Christ, qui, étant
la sainteté infinie, ne peut devenir plus saint en lui-
même, se sanctifie dans son Eglise; il y suscite des
âmes d'une vertu éminente, et il leur inspire pour les
pécheurs une charité qui dépasse, en quelque sorte,
l'héroïsme; et quand la mesure.de sainteté dont il veut
enrichir cette Eglise sera remplie, quand le nombre
d'âmes héroïques voulu par la sagesse infinie sera
complet, « Dieu enverra son Esprit et il y aura comme
une nouvelle création dans l'ordre de la grâce, et la
face de la terre sera renouvelée. (Ps. 103. 30.) »
Certainement on peut dire que la Mère Marie de
l'Incarnation a été une de ces âmes éminentes qui
152 MARIE DE L INCARNATION.
agissent sur le cœur de Dieu. Elle n'a pas été entière-
ment exaucée pendant sa vie, mais elle le sera plus
tard : car, comme elle priait toujours, on peut dire
qu'elle a quitté ce monde en priant; en sorte que sa
prière subsiste encore et subsistera jusqu'à ce qu'elle
soit exaucée. C'était pour la rendre plus puissante que
la grâce l'enflammait sans cesse dans son cœur pendant
qu'elle était sur la terre.
« Mon occupation intérieure, écrivait-elle à son fils,
se fortifiait toujours, aussi bien que mes poursuites
continuelles auprès du Père Eternel pour l'amplifica-
tion du royaume de Jésus-Christ dans toutes les pau-
vres âmes qui ne le connaissaient point. Mais une nuit
que je lui représentais cette grande affaire, je connus,
par une lumière intérieure, que sa divine Majesté ne
m'écoutait point, et qu'elle ne se rendait pas propice,
comme à l'ordinaire, aux vœux et aux instances que
je lui faisais. Cela me piqua le cœur d'une angoisse
extrême, accompagnée d'humiliation. Je me consumais
à ses pieds, je m'abîmais au centre de ma bassesse et
de mon néant, afin qu'il plût à sa divine bonté de
mettre en moi ce qui lui plairait davantage, pour
mériter d'être exaucée en faveur de mon Epoux. Alors
j'expérimentai un écoulement et un rayon divin en mon
âme, lequel fut aussitôt suivi de ces paroles : Demande-
moi par le Cœur de Jésus mon très -aimable Fils ; cest par lui
que je t'exaucerai, et que je t'accorderai tes demandes. Dès
ce moment, l'Esprit qui me dirigeait m'unit à ce divin
et très-adorable Cœur de Jésus, en sorte que je ne
parlais et ne respirais que par lui. J'exprimentais
CHAPITRE VI. 153
toujours de nouvelles infusions de grâces dans ce divin
Cœur de Jésus, qui me faisait produire des choses
admirables, que ma plume et ma langue ne peuvent
exprimer, au sujet de l'amplification du royaume de
Jésus-Christ. Cela se passait environ l'an 1635. »
Il est bon de remarquer ici que cette grâce accordée
à la servante de Dieu a précédé d'an demi- siècle l'ordre
que Notre-Seigneur donna à la bienheureuse Margue-
rite-Marie de s'employer pour faire établir la fête du
Sacré-Cœur. L'opportunité de cette fête et les circons-
tances favorables à son établissement n'existaient pas
encore dans l'Eglise, mais la sainteté de la Mère Marie
de l'Incarnation était assez grande et son amour assez
ardent, pour que Dieu lui fît connaître ce puissant
moyen d'obtenir ses grâces.
Au reste, ce ne fut pas une ferveur passagère : con-
tinuellement elle éprouvait cette soif du salut des
âmes, et elle le demandait avec une égale ardeur. Voici
ce qu'elle écrivait, le 21 avril 1635, au R. P. Dom
Raymond de Saint-Bernard, son directeur : « Un désir
comme le mien ne peut longtemps garder le silence;
il se réitère sans cesse et j'ai toujours de nouvelles
choses à dire. Il n'y a heure, mon R. P., à laquelle
je ne ressente de nouveaux attraits qui me font ardem-
ment aimer ces pauvres âmes. Si la prière a du pouvoir
sur Dieu, j'ose me promettre leur conversion, et que
le Cœur de mon divin Epoux se laissera fléchir, car
je le caresserai tant, qu'il ne pourra refuser. L'ardeur
que je sens en mon âme me porte à vouloir souffrir
des choses très-grandes, que Votre Révérence ne croi-
154 MARIE DE l'incarnation.
rait pas volontiers de ma chanté, qu'elle sait être
très-petite; raais celui qui allume ce feu dans mon
cœur est assez fort pour tirer sa gloire de la plus faible
et de la plus chétive de toutes ses créatures. C'est la
grande lumière dont il me remplit, surtout en ce qui
concerne la foi des vérités divines, qui cause de tels
effets. y>
Quelle vie que celle qui se consume ainsi pour le
salut des âmes rachetées parle sang de Jésus-Christ!
Tout cela c'était le travail de la grâce qui préparait
à une grande œuvre apostolique cette femme admi-
rable; et ce travail prenait comme de nouvelles pro-
portions à mesure qu'elle s'y montrait fidèle. Rien ne
nous fera mieux connaître l'action de Dieu en cette
sainte religieuse, que ce qu'elle en dit elle-même.
« Un jour que j'étais en oraison devant le Saint-
Sacrement, mon esprit fut subitement ravi en Dieu,
dans lequel cette contrée qui m'avait été montrée m'ap-
parut de nouveau. Alors cette adorable Majesté me dit :
Cest le Canada que je fai fait voir; il faut que tu y ailles
construire une demeure à Jésus et à Marie. Quoique
anéantie par ces paroles, j'eus assez de force pour
répondre : 0 mon grand Dieu ! vous pouvez tout, et
moi je ne puis rien; s'il vous plaît de m'aider, me voilà
prête; je vous promets de vous obéir; faites en moi
et par moi votre adorable volonté. A partir de ce
moment, je ne voyais plus d'autres pays pour moi que
le Canada, et j'étais sans cesse en course chez les
Hurons, en compagnie des missionnaires.
» Pendant que Dieu opérait tout cela en moi, le Père
Poncet m'envoya une relation de ce qui se passait au
Canada; et, cans rien connaître ni de mes dispositions
ni de ce que j'éprouvais, il m'écrivit que Dieu l'appelait
CHAPITRE VI. 155
à aller travailler dans ce pays. En même temps il
m'envoyait une image de la Mère Anne-de-Saint-Bar-
thélemi, espagnole, où Notre- Seigneur montrait la
Flandre à cette sainte religieuse, l'invitant à y aller
pour travailler à sa gloire, parce que l'hérésie était
sur le point de perdre cette province. Le Père Poncet
m'envoyait encore un petit bourdon qu'il avait apporté
de Lorette, et il me disait : » Je vous envoie ce bourdon
et cette image pour vous qpnvier d'aller servir Dieu
dans la nouvelle France. « Je fus extrêmement surprise
d'une pareille invitation de la part d'un homme qui
ignorait complètement ce qui m'était arrivé. Tout cela
enflammait encore davantage mon ardeur, et cepen-
dant je n'osais parler à personne de l'ordre qui m'avait
été donné par Dieu, tant une pareille entreprise me
semblait extraordinaire, sans exemple et au-dessus
de ma condition et de mon sexe. »
C'était une grande faveur que d'avoir appris par
Dieu même que la dévotion au Cœur de Jésus est un
moyen, en quelque sorte, tout-puissant pour obtenir
les grâces du Ciel. C'en était une grande encore que
cette mission que lui donnait le Père Eternel d'aller
dans un pays sauvage travailler au salut de tant
d'âmes délaissées. Mais les saints ne se contentent pas
de recevoir des grâces, ils les font fructifier en eux, et
ils en provoquent de nouvelles non moins abondantes.
C'est ce que fit la servante de Dieu.
« Etant un jour devant le Saint-Sacrement, dit-elle,
je traitais l'affaire du salut des âmes avec la Divine
Majesté. En un moment mon âme fut ravie en une
156 MARIE DP] l'incarnation.
extase qui la mit dans son souverain et unique bien;
enflammée alors pour les intérêts de son Epoux, elle
souhaitait avec une amoureuse impatience que ses
affaires fussent avancées, s'off'rant pour cet effet d être
victime, eût-il fallu donner mille vies, et conjurant le
Père Eternel de la mettre à même d'exécuter l'ordre
qu'il lui avait donné de bâtir une maison à Jésus et à
Marie. Je le priais de n'en point séparer le grand saint
Joseph, parce que j'ét^-is vivement portée à croire que
c'était lui qui m'avait paru être le gardien de ce pays;
et dans mes plus intimes familiarités avec Dieu, quel-
que chose me disait que Jésus, Marie et Joseph ne
devaient pas être séparés. »
Ce langage au sujet de la dévotion à saint Joseph
est très-remarquable, parce qu'il est conforme à la
manière de voir et de sentir des plus grands saints,
surtout des derniers temps, et que la conduite de
l'Eglise le justifie pleinement.^
La Mère de l'Incarnation passa une année dans ces
désirs et ces espérances sans les communiquer à qui
que ce fût; mais pressée par les instances réitérées
d'une grâce intérieure, elle s'en ouvrit au Père Salin,
Jésuite, qui était alors son directeur. « C'était, dit le
Père Charlevoix, un homme qui ne voyait que de l'illu-
sion dans toutes les impressions extraordinaires de la
grâce, et qui croyait qu'en les rejetant, on ne peut
s'exposer à commettre une imprudence. » C'est pour-
quoi, dès le premier mot, il imposa silence à sa péni-
tente et se moqua de ses idées, qu'il traita de fantaisies
vaines et ridicules. Elle se tint tranquille et remit tout
entre les mains de la Providence; puis pressée de
(1) Nous avons vu, dans l'Histoire de l' Hôtel-Dieu de Québec, que, dès cette
époque, il existait ries litanies de saint Joseph.
CHAPITRE VI. 157
nouveau, elle en parla à un autre jésuite, et, par son
conseil, elle en écrivit au Père de la Haye, qui la con-
naissait mieux que personne. Celui-ci lui recommanda
de se disposer à suivre les voies de la divine Provi-
dence, lui disant qu'il espérait voir ses bons désirs
s'exécuter.
Pour plus de sûreté encore, elle écrivit à dom
Raymond de Saint-Bernard, son ancien directeur égale-
ment. Malgré l'estime qu'il avait pour elle, il ne la
voulut point écouter. Alors elle le conjura d'examiner
la chose devant Dieu. Il le fit; il se rappela en même
temps la trempe de son esprit, incapable de se laisser
aller aux écarts de l'imagination; les faveurs qu'elle
avait reçues du Ciel dès sa plus tendre enfance et la
fidélité avec laquelle elle y avait répondu. Il se ressou-
vint de ce secret instinct qui la portait à s'unir aux
prédicateurs de l'Evangile; du zèle pour la gloire de
Dieu dont elle lui avait donné des preuves en tant
d'occasions; de ses désirs si calmes dans leur ardeur
quand il était question du règne divin sur les âmes.
La paix inaltérable qu'elle conservait au milieu des
plus violentes saillies de son amour, lui revint à la
mémoire, ainsi que l'élévation de son âme, jointe à la
plus profonde humilité. Ce qui le frappa surtout, ce
fut que paraissant avoir la certitude que tout venait
d'une inspiration céleste, elle n'était néanmoins nulle-
ment attachée à son sens. Il reconnut donc le doisjt de
Dieu dans le dessein qu'elle lui proposait, et il lui
manda qu'il ne pouvait se dispenser de l'approuver.
Bien des difficultés s'élevèrent pourtant encore; quel-
ques-uns même de ceux qui l'avaient approuvée com-
battirent son dessein : de ce nombre, fut sa supérieure.
Au milieu de ces contrariétés, la servante de Dieu
158 MARIE DE l'incarnation.
demeurait ferme et impassible comme un rocher. Sans
renoncer à un désir qu'elle savait lui venir de Dieu,
elle se soumettait avec la plus parfaite résignation;
en sorte qu'on ne savait, dit Claude Martin, lequel était
le plus admirable, ou son zèle pour aller au Canada,
ou sa résignation aux ordres de la divine Providence.
Il est non-seulement utile, mais nécessaire que ceux
qui font les œuvres de Dieu rencontrent des obstacles,
et qu'ils soient quelquefois arrêtés jusqu'à se voir dans
l'impuissance de rien faire. Sans cela ils se laisseraient
bientôt aller à une ardeur de tempérament qui ferait
agir la nature à la place de la grâce; ils seraient
entraînés à compter sur leurs propres forces et se
croiraient capables de tout, parce que rien ne leur
offrirait de difficultés, rien ne les humilierait. Les
traverses qui les arrêtent tout à coup leur mettent,
au contraire, leur impuissance naturelle devant les
yeux et les forcent de reconnaître que si Dieu ne nous
aide, il nous est impossible de rien faire pour sa gloire.
On en peut juger par ce que dit la Mère Marie de
l'Incarnation, après avoir raconté son mauvais succès
auprès du Père Salin.
« Le voyant opposé à tout ce que je voulais dire,
je n'osai plus lui en parler, reconnaissant en même
temps que j'étais une créature si pauvre et si chétive,
que je ne devais pas m'étonner s'il me renvoyait de la
sorte. Je demeurais donc dans mon humiliation, et je
disais au Verbe incarné : " Mon doux Amour, mon
doux Amour, s'il y a quelque chose à faire, faites-le,
s'il vous plaît. Vous savez que je ne suis qu'un néant.
On dira que je veux tromper les autres après m'être
trompée moi-même, surtout en une chose qui semble
être hors du sens commun. »
CHAPITRE VII. 159
y> Après cette prière, je demeurai en paix ; et cepen-
dant j'étais encore plus convaincue qu'auparavant que
je n'étais en notre monastère de Tours que comme en
dépôt. Je repoussais à mon ordinaire ces pensées; mais
il se forma malgré moi, au fond de mon âme, une
certitude que j'irais au Canada. »
En effet, pendant que mille obstacles tendaient à
rendre cette mission impossible, Dieu préparait tout
en secret et à l'insu de sa servante, pour exécuter la
promesse qu'il lui avait faite.
CHAPITRE VIL
Mademoiselle de Chauvigny. — Elle épouse M. de la Peltrie malgré ses répu-
gnances pour le mariage. — Elle perd son mari, 1625. — Notre-Seigneur veut
qu'elle aille au Canada. — Surnaturalisme de Claude Martin. — Madame de
la Peltrie malade, puis guérie en faisant vœu d'aller au Canada. — Persécu-
tions de ses proches. — Elle est mise en rapport avec la Mère de l'Incarnation.
— Elle va à Tours. — Prières de Quarante heures. — Sœur Marie de Saint-
Bernard. — Vision qu'elle a en songe. — Contre-temps. — Charlotte Barré. —
Oidge contre la Mère de l'Incarnation. — L'archevêque de Tours. — Départ
pour Paris. — Départ de Paris pour Dieppe. — Séjour dans cette ville et
adjonction d'une nouvelle religieuse missionnaire, 1639.
Nous avons dit comment la Mère Alarie de l'Incar-
nation s'était vue transportée dans un pays qu'elle sut
plus tard être le Canada, et que là elle s'était trouvée
en compagnie d'une dame qu'elle entraînait avec elle.
Or, pendant qu'elle était favorisée de cette vision, Dieu
lui préparait une compagne de sa mission apostolique
dans la personne d'une dame séculière déjà parvenue à
une grande piété, et dont voici l'histoire en peu de mots.
160 MARIE DE l'incarnation.
Fille d'un gentilhomme de Normandie qui apparte-
nait à la plus haute noblesse du pays et possédait une
grande fortune, mademoiselle de Chauvigny, née en
1603, avait montré dès sa première enfance les plus
douces inclinations pour la pieté. Lorsque sa raison
se fut asspz développée pour pouvoir comparer la vie
du monde, même la plus édifiante, avec celle qui se
consume tout entière pour Dieu, elle sentit en elle
comme un attrait invincible pour l'état religieux : au
point qu'un jour elle s'échappa du château paternel
pour aller faire une retraite dans un monastère voisin,
avec l'espérance ou plutôt le désir d'y rester. Avant
la fin du jour elle en sortait par la volonté de fer de
son père, et quelques semaines plus tard, elle épousait,
malgré toutes ses répugnances pour l'état du mariage,
un jeune gentilhomme, nommé M. de la Peltrie. Dieu
avait consenti à perdre sa cause; mais c'était, comme
il arrive souvent, pour s'en dédommager plus tard.
Après cinq ans de mariage, madame de la Peltrie vit
mourir son mari, à la fleur de l'âge. Elle recouvra ainsi
la liberté qu'elle avait perdue et se trouva maîtresse
d'une immense fortune, à l'âge de vingt-deux ans.
Pendant quelque temps elle se demanda si elle devait
réaliser les désirs qu'elle avait eus quelques années
plus tôt, ou rester dans le monde et y employer en
bonnes œuvres les grandes richesses qu'elle possédait.
Partout il était question du Canada; mais on s'en
occupait surtout dans la province de Normandie, qui
avait fourni une grande partie des nouveaux habitants
de cette colonie.
Le Père Le Jeune, supérieur de cette mission, venait
de publier une Relation des Missions du Canada. Il y
invitait d'une manière pressante toutes les personnes
CHAPITRE VII.. 161
pieuses à concourir, selorj leurs moyens, à la conver-
sion des sauvages, et il terminait par ces chaleureuses
paroles :
«. Hélas! ne se trouvera-t-il pas quelque bonne et
vertueuse dame qui veuille venir en ce pays pour
recueillir le sang de Jésus-Christ en instruisant les
petites filles sauvages? "
Cet écrit étant tombé entre les mains de madame de
la Peltrie, elle en fut extrêmement frappée. Ce n'étaii
pourtant encore qu'une première touche de la grâce ;
elle en sentit une seconde quelque temps après. Etant
en oraison au jour de la Visitation de la Sainte Vierge,
elle crut entendre Notre-Seigneur lui dire que sa
volonté était qu'elle allât au Canada travailler au salut
des jeunes filles sauvages, et qu'il lui ferait de grandes
grâces en cette contrée barbare. Elle répondit en fon-
dant en larmes : « Ce n'est pas à moi, si grande péche-
resse et si vile créature, qu'il convient d'accorder de
pareilles faveurs, ô mon Dieu. » Le Sauveur lui répartit:
'i II est vrai, mais c'est pour donner sujet d'admirer
davantage ma miséricorde. Je veux me servir de vous
en ce pays, et malgré les obstacles qui s'élèveront pour
empêcher ma volonté de s'accomplir, vous y irez et
vous y mourrez. » Elle se sentit alors pénétrée d'une
telle ardeur apostolique, que, « depuis ce temps, dit la
Mère de l'Incarnation, son esprit fut plus en Canada
qu'en elle-même. »
Ici se présente une observation importante et à
laquelle il est bon de faire souvent attention : c'est que
Dom Claude Martin, qui publiait la vie de sa mère en
1677, est, en France, l'un des derniers écrivains reli-
M. DE l'iNC. 1 l
16::^ MARIE DE L INCARNATION.
gieux qui aient eu cette foi simple et forte au surna-
turel dont on voit des preuves à toutes les pages, de
son livre. A partir de cette époque, et même en remon-
tant plus haut, tout ce qui tient du miracle, ce qui
indique une communication de Dieu avec la créature,
ce que l'on appelle le merveilleux dans l'ordre surna-
turel disparaît des ouvrages de piété. •
On retranchait des vies>mêmes des plus grands saints
ce qu'il y avait de plus incontestable en ce genre, tant
le jansénisme avait perverti les idées. Au point de vue
des malheureux sectaires de Port-Royal , Dieu n'est
plus qu'un être froid à l'égard de ses créatures, sans
cesse disposé à les menacer et à les punir. Ce n'est
plus ce Père bon, tendre et compatissant, cet ami des
âmes, qui s'abaisse jusqu'à elles, qui se rend familier
et se laisse caresser, selon l'expression plusieurs fois
répétée de la Mère de l'Incarnation.
Pourtant n'est-ce pas là l'idée que tous les saints
se sont faite de Dieu? N'est ce pas ainsi que se montre
notre divin Sauveur dans l'Evangile? Comment peut-on
s'étonner que l'être infiniment bon qui nous a créés
par amour, se communique d'une manière sensible et
s'entretienne familièrement avec certaines âmes d'élite?
11 veut cependant que ces sortes de faveurs soient
soumises au contrôle de ceux qu'il a établis pour le
représenter sur la terre, et madame de la Peltrie,
quelque convaincue qu'elle fût de n'être pas le jouet
de l'illusion, n'eut garde de se soustraire à cette règle.
Après avoir tout exposé à des hommes éclairés dans
les voies surnaturelles, et leur avoir demandé leur
avis, elle reçut pour réponse que la communicatiou
qui lui avait été faite venait de Dieu, et qu'elle ne pou-
vait différer l'exécution sans résister à l'Esprit-Saint.
CHAPITRE VII. . 163
Elle attendit encore, ne sachant quelle voie suivre ;
mais bientôt elle tomba dans une maladie, tellement
grave qu'on dut croire que c'en était fait de sa mission
pour le Canada. Elle fut en peu de temps à la dernière
extrémité, et deux Capucins récitaient auprès de son
lit les prières des agonisants, lorsqu'il lui vint à la
pensée de faire vœu d'aller au Canada,, d'y bâtir une
église en l'honneur de saint Joseph et d'employer ses
biens et sa vie au service des filles sauvages sous les
auspices de ce grand saint. A peine eut-elle acquiescé
à cette pensée, qu'elle. s'endormit d'un paisible sommeil
pendant lequel les douleurs et la fièvre disparurent
complètement. Les médecins, qui la regardaient comme
morte, furent surpris d'apprendre qu'elle vivait encore
et vinrent la voir. L'un d'eux lui tâta le pouls, et quoi-
qu'il ne sût rien, ni de ses projets ni du vœu qu'elle
venait de faire, il lui dit d'un ton de surprise : — Où
est donc votre fièvre, madame? Assurément elle est
allée en Canada.* Surprise à son tour de cette observa-
tion, elle lui dit en souriant : — Oui, monsieur, elle est
en Canada.
A partir de ce moment, madame de laPeltrie se mit
sérieusement à l'œuvre pour arriver aux moyens d'ac-
complir son vœu; et comme l'ordre des Ursulines atti-
rait l'attention de tout le monde, non-seulement en
France mais dans presque toute l'Europe, elle crut
qu'elle n'avait rien de mieux à faire que de fonder un
monastère de cet institut pour travailler à l'éducation
,1) Le Canada où la France fondait sa première colonie, que les Jésuites
évangélisaient au prix de mille sacritices et d'où l'on envoyait chaque année des
relations de l'intérêt le plus saisissant, était alors le sujet de presque tous les
entretiens et venait à tout propos dans les conversations. C'est ce qui explique
la phrase du docteur.
164 MARIE DE l'incarnation.
des petites filles des tribus sauvages. Elle rencontra
cependant encore de terribles difficultés. D'abord, son
père voulait absolument l'obliger à se remarier ; mais
il mourut au bout de très-peu de temps. Cet événement
eût rendu sa liberté complète^ si ses proches parents;
inquiets à la vue de ses grandes aumônes, ne lui
eussent intenté un procès pour la faire interdire,
comme incapable de gérer ses affaires. Après avoir
gagné leur cause, en première instance, ils la perdirent
en appel devant le parlement de Rouen; mais loin de
se décourager, ils résolurent de recourir à un moyen
que l'on employait assez souvent à cette époque, et
sans trop de difficultés, bien qu'aujourd'hui l'on ait
peine à en comprendre la possibilité : c'était de s'em-
parer de force de la personne de madame de la Peltrie
et de l'enfermer par autorité privée. C'était à. Paris
même, où elle étai't allée pour s'occuper de son projet,
qu'on cherchait à exécuter cette entreprise. Madame
de la Peltrie, qui était instruite de tout, ne sortait de
son hôtel qu'après avoir changé de vêtements avec sa
servante qu'elle suivait ensuite par la ville comme si
elle-même eût été la femme de chambre.
Rien toutefois ne découragea la jeune veuve sou-
tenue par une volonté ferme d'accomplir le vœu qu'elle
avait fait relativement à la mission du Canada. C'était
pour y réussir qu'elle était venue à Paris, où elle con-
sulta le Père de Condren et saint Vincent de Paul, qui
étaient alors les arbitres des entreprises extraordinaires,
dit Claude Martin. Tous deux approuvèrent ses inten-
tions et ils l'engagèrent à s'adresser aux Jésuites. Or
le seul qui fût alors chargé des affaires du Canada,
était le Père Poncet. Dès qu'il eut connaissance du
dessein de madame de la Peltrie, il se souvint de ce
CHAPITRE VII. 165
que lui avait communiqué la Mère Marie de rincarna-
tion, quelque temps auparavant. Il se hâta de mettre
ces deux femmes en rapport. « Madame de la Peltrie
et moi, dit la Mère Marie, nous ne nous connaissions
encore ni de réputation ni autrement, sauf ce que les
révérends Pères lui avaient dit de moi à mon insu.
Tout cela se passait au mois de novembre 1638. Notre
Révérende Mère supérieure, ayant reçu les lettres du
Père Poncet et de Madame de la Peltrie, et voyant que
l'on jetait les yeux sur moi pour ce dessein, avec l'in-
tention de nous faire passer au Canada par le premier
vaisseau qui prendrait la mer, fut aussi surprise qu'il
est possible. Ce qui la frappait particulièrement était
de voir de quelle manipre la divine Providence avait
ménagé les voies pour arriver à ce résultat, en mon-
trant la réalité de ma vocation pour le Cancda. Elle
me vint trouver et se mettant à genoux avec moi,
me raconta l'affaire. ' Toutes deux nous rendîmes grâces
à la divine Majesté. J'avais senti intérieurement, même
avant ce dénoûment, que l'accomplissement des pro-
messes que Dieu m'avait faites approchait; mais quand
•nous le vîmes si clairement réalisé, nous ne pouvions
nous lasser d'admirer la conduite de la divine Provi-
dence, qui avait ainsi ménagé la rencontre de madame
delà Peltrie et du Père Poncet. Cela me faisait chanter
les miséricordes de Dieu et m'entretenir amoureuse-
ment avec lui de la manière admirable dont il accom-
plit ses promesses, dirige les âmes vers une fin et sait
tout disposer pour les y faire parvenir. "
(1) Que l'on remarque la foi et la piété de ces deux femmes, qui se mettent à
genoux pour parler d'une chose qui intéresse la gloire de Dieu, et dans laquelle
se fait voir le cachet d'une intervention providentielle !
lf)6 MARIK DE l'incarnation.
Voilà comment les saintes âmes éclairées de la
lumière céleste savent apprécier les événements, tandis
que la sagesse humaine n'y voit que le résultat du
hasard : ce qui veut dire que la sagesse humaine a
une perspicacité qui ne demande ni science, ni sagesse,
ni habileté. Elle voit ce que l'homme le plus stupide
peut voit aussi bien qu'elle.
Si les saints sont supérieurs aux sages du monde
par l'intelligence et une sainte appréciation dos événe-
ments d'ici-bas, ils les surpassent bien plus encore par
la magnanimité et l'élévation du sentiment. La lettre
suivante, écrite par la Mère Marie de l'Incarnation
à madame de la Peltrie, en est une preuve irrécusable.
^ Madame,
» Béni soit le grand Jésus, de qui les desseins et les
aimables providences sont toujours adorables, et surtout
au temps de leurs succès. Le R. P. Poncet, extrême-
ment zélé pour tout ce qui regarde la plus grande
gloire de Dieu, m'ayant informée de votre généreux
dessein, a fait dilater mon .cœur, ([ui se répand toul
entier en bénédictions et en louanges à la divine bonté,
dont les inventions sont admirables quand elle veut
rendre les âmes propres à devenir les instruments de
sa gloire.
» Quoi ! Madame, notre divin Maître Jésus vous
veut-il introduire dans le Paradis terrestre de la Nou-
velle-France? Serez -vous assez heureuse d'y aller
brûler de ses flammes saintes et divines? -Il est vrai
qu'il y a des glaçons, des ronces, des épines; mais le
feu du Saint-Esprit a un souverain pouvoir pour con-
sumer tout cela et même pour fondre les rochers.
CHAPITRF. Vil. 167
^- Ce feu divin est l'esprit qui anime et fortifie les
âmes saintes, qui les fait passer par les plus grands
travaux, se mépriser elle-mêmes et prodiguer leurs
biens et leurs vies pour la conquête des âmes rachetées
du sang de Jésus-Christ. Ah ! ma chère Dame, chère
épouse de mon divin Maître, vous trouvant, j'ai trouvé
celle qui l'aime avec vérité, puisqu'il n'y a point de plus
grand amour que de se donner soi-même et tout ce
qu'on a pour son bien-aimé. Et puisqu'il a plu à sa
miséricorde de me communiquer les mêmes sentiments,
il me semble que mon cœur est dans le vôtre et que
tous deux ensemble ne sont qu'un dans celui de Jésus,
au milieu de ces espaces larges et infinis dans lesquels
nous embrassons toutes les petites sauvages , leur
enseignant comme il faut aimer celui qui est infiniment
aimable. »» Cette lettre est du mois de novembre 1638.
La divine providence ayant ainsi tout préparé pour
la mission de la Mère Marie de l'Incarnation, madame
de la Peltrie vint à Tours pour s'entendre avec la
communauté et obtenir le consentement de l'Arche-
vêque. Toutes choses s'arrangèrent avec la plus grande
facilité, et même l'Archevêque de Tours, de son propre
mouvement, donna ordre de faire entrer madame de la
Peltrie dans la clôture. Elle y fut reçue avec solennité
^au milieu des religieuses rangées en deux chœurs et
chantant le Veni Creator suivi du Te Deum.
Voilà un type des manifestations dans les commu-
nautés religieuses. C'est bien là le caractère de la
charité expansive du cloître et de la cordialité surna-
turelle. Mais écoutons la Mère Marie de l'Incarnation.
« Il semblait que cette bonne dame eût apporté la joie
du Paradis avec elle dans le monastère, et c'était à qui
irait la première se jeter à ses pieds et s'offrir à elle
168 MARip: dp: l'incarnation.
pour être compagne des travaux qu'elie allait embras-
ser. Pour moi, dès que je l'eus envisagée, je me ressou-
vins de celle que j'avais vue dans le grand pays qui
m'avait été montré. L'ingénuité et la douceur de sa
physionomie me firent comprendre qu'effectivement
c'était elle , quoiqu'elle n'eût pas les mêmes habits.
Elle fut trois jours dans notre maison pour régler le
choix de celle qui m'accompagnerait. Après des prières
de quarante heures que l'on fit à cette fin, je me sentis
portée, par un mouvement intérieur et par le conseil
d'une personne de vertu, à demander la Mère Marie
de Saint-Bernard, qui plus tard fut nommée de Saint-
Joseph. Il y eut une grande résistance de la part 4e
notre supérieure qui la regardait corpme trop jeune :
elle n'avait que vingt-deux ans et demi; mais madame
de la Peltrie et moi persistions a la demander, et on
finit par nous l'accorder. Ses parents, auxquels on
donna avis de cette décision, s'y opposèrent à leur tour
par tous les moyens possibles; mais Notre- Seigneur,
qui lui-même avait fait ce choix, fut le maître. Il y eut
à ce sujet bien d'autres circonstances remarquables
dont j'ai parlé ailleurs et que je ne répète pas ici. «
Voici de quelle manière son fils résume ces circons-
tances qui sont en effet remarquables : « Après que les
religieuses eurent chanté le Veni Creator., on eût dit que
le Saint-Esprit était descendu en toutes et qu'il les
avait remplies de ce feu dont les disciples furent
embrasés le jour de la Pentecôte : car elles ne se con-
tentaient pas do s'offrir à madame de la Peltrie ; mais
voyant que M. de Bernières, qui était venu avec elle,
avait une grande part dans les affaires de cette mission,
elles allaient le trouver au parloir pour le mettre dans
leurs intérêts. Seule, la jeune sœur Marie de Saint-
CHAPITRE VII. V 169
Bernard n'osait faire aucune démarche, dans la crainte
que sa trop grande jeunesse ne la fît regarder comme
impropre à une œuvre pour laquelle on ne saurait
avoir trop de maturité. C'était elle cependant que Dieu
avait choisie de toute éternité. N'ayant rien de la jeu-
nesse que le petit nombre de ses années, elle brûlait
de zèle dans 'son silence, et le feu dont son cœur
était embrasé produisait plus d'effet dans sa retenue
qu'il n'eût fait par «ne impétuosité de paroles et -de
mouvements.
» Il y avait longtemps, du reste, que Dieu lui en
avait fait sentir les premières ardeurs, et qu'il l'avait
préparée pour cette œuvre; mais elle y faisait peu
attention, ne pouvant s'imaginer qu'une chose aussi
extraordinaire lui pût jamais arriver. Elle en avait
eu un pressentiment bien singulier- peu de temps
auparavant. Il lui avait semblé, durant son sommeil,
que le monde lui était mis devant les yeux avec tous
les dangers dont il est rempli. C'était comme une place
immense, entourée de constructions où toutes les beau-
tés, les délices et les séductions qui font aimer la vie
présente s'offraient aux regards de ceux qui voulaient
les considérer; et quiconque cédait à cette faiblesse
était aussitôt pris comme dans un piège et disparaissait.
Elle remarqua même un religieux de sa connaissance,
qui, pour s'être trop avancé et avoir regardé les objets
de trop près, fut pris et entraîné comme les autres. Elle
fat surtout épouvantée lorsqu'il lui sembla qu'ayant fait
quelques pas sur cette '^lace et ayant vu le grand
nombres de personnes qui se perdaient, elle voulut
retourner en arrière, sans pouvoir en venir à bout.
Se voyant comme entraînée malgré elle dans le préci-
pice, elle éprouvait une angoisse inexprimable. Mais
M
170 MARIE DK l'incarnation.
au moment où elle se croyait perdue, elle vit une com-
pagnie de jeunes gens habillés en sauvages canadiens
dont un portait un drapeau sur lequel était une ins-
cription tracée en caractères qui lui étaient inconnus.
Elle, sut que c'étaient les anges gardiens des filles
sauvages,, dont le porte-enseigne était l'ange du Canada.
Lorsqu'elle était occupée à les regarder, de manière à
être distraite des vains objets qui auraient pu la
séduire, ils lui crièrent tous enseînble : « Ne craignez
point; c'est par nous que vous serez sauvée! » Puis
formant deux haies, ils la firent passer au milieu, sans
qu'elle pût apercevoir les objets séduisants dont la vue
était si funeste. »
Elle comprit plus tard le sens de cette vision, surtout
quand elle apprit que le religieux qu'elle avait vu
entraîner vers le mal s'étant laissé aller à une trop
grande fréquentation du monde, dans le but de mon-
trer ses talents et d'acquérir de la gloire, avait fini par
abandonner son état, auquel pourtant il revint quelque
temps après.
Un grand nombre de personnes sont peu disposées .
à regarder ces sortes de faits comme digr^es de quelque
attention. Elles ne voient en cela que des rêverie^ que
l'imagination modifie ensuite pour les accommoder aux
événements. Les saints pensent tout autrement et ils
ont pour eux l'expérience et une foule de faits incon-
testables appuyés d'une manière formelle sur l'autorité
des saints livres. Nous ne pouvons en citer un grand
nombre; ce détail nous mènerait trop loin. Disons
seulement que le glorieux époux de la très -sainte
Vierge fut averti quatre fois par un ange pendant son
CHAPITRK VII, 171
sommeil. C'est en songe qu'il apprend la maternité
divine de Marie; qu'il reçoit l'ordre de fuir en Egypte
avec l'enfant et la mère; qu'il est averti du moment
oii il peut revenir dans la terre d'Israël, et enfin que
la Galilée lui est indiquée comme le séjour qu'il doit
chf)isir. Nous trouvons dans les Actes des Apôtres un
fait qui ressemble particulièrement à la vision de la
sœur Marie de Saint-Bernard. II est rapporté que saint
Paul étant arrivé à Troade vit en songe un Macédonien
qui, se tenant debout, lui dit : « Passez en Macédonie
et venez à notre aide. » Alors, dît l'historien sacré,
nous cherchâmes les moyens d'aller en ce pays, assurés
que Dieu nous y envoyait pour porter l'Evangile. Or
les commentateurs sont d'accord pour dire que c'était
ou l'ange d'un Macédonien dont Dieu voulait particu-
lièrement le salut, ou celui du pays même. C'était
également un ange, probablement l'ange gardien de
saint Paul, qui avait apparu en songe à Ananie pour
lui dire de baptiser le futur apôtre des Gentils.
Il n'y a, du reste, rien d'étonnant à ce que des âmes
très-élevées dans l'ordre surnaturel soient favorisées
de visions de ce genre. Pour quiconque a la foi chré-
tienne, il existe un monde supérieur au nôtre, et ce
mond'e ne nous est pas étranger. Il est composé des
saints qui sont nos proches, nos frères, nos ascendants;
des anges qui sont nos amis, nos gardiens, nos protec-
teurs, chargés spécialement de nos intérêts spirituels,
et même de notre sécurité corporelle. Ce monde a,
comme nous, Dieu pour maître et pour roi, le Dieu
dont la Providence veille sur toutes ses créatures, avec
intention de nous réunir un jour à ceux qui environ-
nent son trône. De plus, le travail de la grâce a pour
but de nous rendre célestes dès ici-bas, par conséquent
172 MARIE DE l'incarnation.
de nous rapprocher, autaat qu'il est possible, du monde
supérieur. Or doit-on s'étonner si certaines âmes fidèles
à l'impression de cette grâce au point que leurs senti-
ments, leur langage, leurs actions mêmes sont déjà
dans le ciel, comme le dit l'Apôtre : Nostra autem con-
versatio in cœlis est, se trouvent facilement en rapport
avec le ciel? Saas doute Dieu peut fai-^e des révélations
à des personnes éveillées, et l'on en voit mille exem-
ples, tant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testa-
ment; mais souvent il a recours à des visions noctur-
nes : peut-être parce que les sens étant alors assoupis,
l'âme se trouve plus disposée à voir et à entendre les
habitants du ciel.
Bisons cependant, avec tous les maîtres de la vie
spirituelle, que ia disposition à croire volontiers que l'on
est l'objet de faveurs de ce genre est par elle-même très-
suspecte, et qu'elle entraîne presque toujours l'illusion.
Quant à la sœur Saint-Bernard, elle suivait la véri-
table voie, ne prenant point pour règle de conduite
les pressentiments et les visions qui lui arrivaient,
mais la seule obéissance et l'abandon à Bieu. Cepen-
dant, ajoute dom Claude Martin, depuis cette vision,
elle ressentit toujours un amour secret pour le fealut
des âmes et surtout pour celles des sauvages du
Canada. Elle n'avait jamais cru jusque-là qu'elle pût
aller un jour exercer son zèle dans cette contrée, mais
quand elle vit la mission qui se préparait d'une façon
si extraordinaire, elle se rappela tout ce qui lui était
arrivé, et elle s'offrit à Dieu en perpétuel holocauste
pour se consumer à son service dans l'œuvre de la
conversion des sauvages. Elle rôdait autour des parloirs,
continue l'historien, n'osant pas dire un mot, lorsque
la Mère de l'Incarnation l'ayant rencontrée l'encou-
CHAPITRE VII. 173
ra^ea et la décida à faire sa demande à la supérieure.
Celle-ci lui dit que son désir était tout simplement une
légèreté d'esprit.
Alors l'humble religieuse s'adressa à Dieu, le sup-
pliant de lui accorder cette faveur. Eu même temps
elle eut recours à saint Joseph et elle fit vœu de
prendre son nom à la place de celui qu'elle portait, s'il
lui obtenait cette grâce. Le conseil de la communauté
délibérait sur le choix à faire, et à peine la pieuse sœur
eut-elle fait son vœu qu'il. fut impossible, dans l'assem-
blée, de s'accorder pour un autre sujet. On avait beau
passer en revue tous les membres de la communauté,
on trouvait mille difiBcultés qui forçaient de revenir
à la sœur Saint-Bernard, en sorte qu'on déoida que
ce serait elle qui partirait avec la Mère Marie de
l'Incarnation.
Au moment où tout paraissait arrangé et où l'on se
disposait à partir, il survint une difficulté qui causa
une certaine confusion. Quoique cet incident ait peu
d'importance en lui-même, nous croyons utile de le
faire connaître, parce qu'il fournit matière à plus d'une
réflexion utile. Madame de la Peltrie avait avec elle
une demoiselle de compagnie, son amie d'enfance,
élevée par sa famille, et qui lui paraissait dévouée à
la vie et à la mort. Cette personne avait paru jusque-là
vouloir s'associer à l'entreprise; mais quand elle vit
que les affaires prenaient une tournure sérieuse, ce sur
quoi elle n'avait peut-être pas compté, elle déclara
qu'elle ne voulait pas faire ce voyage; que la seule
pensée des dangers de la mer lui causait une frayeur
dont elle n'était pas maîtresse, et que sa constitution
174 MARIK DE l'incarnation.
était trop délicate pour lui permettre de s'exposer à de
semblables fatigues.
Une telle déclaration, faite dans un pareil moment,
causa une grande surprise à tout le monde, et mit
madame de la Peltrie dans un extrême embarras, car
elle avait compté sur une compagne, et il lui semblait
difficile de s'en passer. Elle confia sa peine à la Mère
Marie de l'Incarnation, qui s'occupa sur-le-champ de
trouver une personne qui eût le courage d'aller recueil-
lir la couronne que celle-ci refusait. Un Père Jésuite,
venu pour lui faire ses adieux, lui dit qu'il en con-
naissait une telle qu'il la fallait, et il sortit aussitôt
pour la faire chercher. Il lui fît dire, saris autre expli-
cation, d'aller sur-le-champ aux Ursulines parler à la
Mère de l'Incarnation. Cette bonne fille s'y rendit immé-*
diatement. La Mère Marie la présenta à madame de la
Peltrie et celle-ci lui demanda si elle voulait partir
avec elle et l'accompagner au Canada, pour y travailler
à la conversion des filles sauvages. Cette demoiselle,
nommée Charlotte Barré, d'une excellente famille de
Tours, répondit qu'e'.le était toute prête ; qu'à la vérité
elle faisait des démarches pour être religieuse, mais
qu'elle profiterait volontiers de la belle occasion que
Dieu lui offrait de risquer sa vie pour son service.
Elle supplia seulement, dit l'historien, qu'on lui permît
de porter la clef de son coffre à une de ses amies (qui
était apparemment dans le voisinage), afin qu'elle y
prît un objet dont elle était dépositaire et qu'elle le
remît à la personne qui le lui avait confié.
Cela fait, elle se mit à la disposition de madame de
la Peltrie, sans même aller faire ses adieux à sa mère.
Voilà un trait qui ne ressemble ni à une histoire
véritable, ni à une fiction. C'est que quelquefois les
CHAPITRE VII. 175
actions des saints sont en dehors des voies communes
et ordinaires. « Mes voies ne sont pas vos voies, dit
Dieu par la bouche d'Isaïe; elles sont autant au-dessus
des vôtres que le ciel est au-dessus de la terre. » En
effet, une pareille détermination, prise avec la rapidité
de leclair en quelque sorte, et en même temps avec
un calme surhumain, sans préparation, sans qu'aucune
influence ait pu exalter l'imagination, n'est-ce pas quel-
que chose d'aussi élevé que le ciel?
Charlotte Barré avait un oncle, pieux chanoine de
Tours, et un frère; dès qu'ils surent son dessein, ils
firent tous leurs efforts pour l'en détourner, mais ils
ne purent l'ébT'anler. Quand on sut que depuis près de
six ans elle désirait être religieuse et trouver une
occasion de se dévouer aux intérêts de la gloire de
Dieu, on lui promit de lui donner l'habit à son arrivée
au Canada. Voici ce que dit à son sujet la Mère de
l'Incarnation dans une de ses lettres :
« Nous reçûmes cette bonne fille comme un présent
que Dieu nous faisait pour participer au sacrifice que
nous allions faire de nos personnes à sa divine Majesté.
Nous lui avons donné l'habit de religieuse de chœur,
et elle s'appelle Mère de Saint-Ignace. Elle est la pre-
mière qui ait fait profession au Canada. »
Quant à la Mère de l'Incarnation, les choses ne se
passèrent pas aussi tranquillement; un nouvel orage
s'éleva dès que le bruit de son prochain départ se fut
répandu. Sa sœur, dont nous avons déjà parié, témoi-
gna une peine plus grande encore que celle qu'elle
avait ressentie lorsque la Mère Marie prit le parti de
s'enfermer dans le cloître. Elle mit tout eu œuvre
pour l'arrêter, et quand elle vit que ses efforts étaient
vains, elle essaya de toucher de nouveau la fibre de '
176 MARIK DK l'incarnation.
l'amour maternel. " Vous avez un fils, lui dit-ellô, et ce
fils n'a par lui-même aucune ressource. Eh bien! il
sera abandonné de tout le monde lorsque votre pré-
• sence n'intéressera plus en sa faveur. Moi-même je
l'abandonnerai la première, et dès que vous serez partie
je ne veux plus ni le voir ni même entendre parler
de lui. y .
Dieu a voulu que tout cela fût raconté plus tard par
ce même fils, afin que, dans sa bouche, l'apologie de la
mère fût irrécusable. Voici ce qu'il dit : « Il était impos-
sible qu'un cœur aussi tendre que l'était celui de cette
mère ne fût pas affecté de la manière la plus vive par
un pareil langage; mais après avoir donâiné avec tant
de force les sentiments de la nature en quittant son fils
pour se consacrer à Dieu, à une époque oii cet enfaut
avait bien plus grand besoin de sa présence, elle n'eut
pas moins de générosité pour résister à ces nouv-elles
attaques, r,
Tous ces moyens s'étanfc trouvés inefficaces, on crut
que son fils seul pourrait entraver ses desseins. Igno-
rant tout ce qui se passait, il continuait* ses études à
Orléans oii sa mère devait s'arrêter. On lui écrivit une
lettre dans laquelle on n'omettait rien de ce qui pouvait
le surexciter contre la manière d'agir de sa mère; on
lui représentait, dans les termes les plus énergiques,
le mépris dont il allait être l'objet, le délaissement et
la misère oii il allait se trouver. Sa tante lui déclarait
nettement qu'elle ne paierait plus ni sa pension ni son
entretien. Afin que sa mère ne pût pas lui échapper.
Jour ainsi dire, on avait gagné le cocher qui devait la
bnduire, et on l'avait chargé de remettre lui-même
la lettre au jeune homme, ce dont il s'acquitta fidèle-
ment, ainsi qu'on va le voir.
CHAPITRE VII. 177
Cependant tout se disposait pour le départ des zélées
missionnaires. L'archevêque de To,urs, vénérable vieil-
lard de quatre-vingts ans, s'était montré extrêmement
favorable; il ne se démentit pas. Voulant même témoi-
gner davantage sa bienveillance, il fit venir à son palais
archiépiscopal M. de Bernières, madame de la Peltrie,
la Mère de l'Incarnation, la supérieure des Ursulines
de Tours et la sœur Saint-Bernard. Son but était
encore de donner au départ de ces courageuses femmes
un caractère religieux et solennel qui, en attirant la
bénédiction du Ciel, fît une salutaire impression sur
les coeurs et ajoutât ehcore à l'ardeur du zèle gui les
animait.
Il désirait leur dire lui-même la sainte messe, afin-
de les communier de sa main et de remplir pour la
dernière fois, à leur égard, l'office de pasteur, leur
'donnant pour viatique la nourriture qui pouvait seule
leur communiquer la force de mener à bonne fin une
entreprise de cette nature; mais ne le pouvant pas, à
cause de son grand âge et de sa faiblesse, il voulut au
moins communier avec elles et leur témoigner par là
que leurs coeurs étant ainsi unis en celui doat ils se
nourrissaient ensemble, rien ne pourrait désormais les
séparer. A la fin de la messe, on chanta le psaume In
exitu Israël et le cantique Magnificat.
S'adressant ensuite à M. de Bernières et à madame
de la Peltrie en leur présentant ses deux religieuses,
il leur dit avec une paternelle et pieuse émotion :
« Voilà les deux pierres fondamentales de l'édifice que
vous voulez élever à Notre-Seigneur dans le Nouveau-
Monde; je vous les donne pour la fin que vous avez
en vue en me les demand^ant; qu'elles soient donc
comme deux pierres précieuses, semblables à celtes
M. DE l'iNC. 12
178 MARIE DE l'incarnation.
des fondements de la Jérusalem céleste ! Que cet édifice
soit à jamais un lieu de paix, de grâces et de béné-
dictions, plus encore que le temple de Salomon! Que
les efiforts de l'enfer ne puissent jamais prévaloir contre
lui, ni lui faire aucun mal; et puisque c'est pour Dieu
que vous l'élevez, que Dieu y habite à jamais; qu'il
soit le Père et l'Epoux, non-seulement des religieuses
que je vous donne, mais encore de celles qui les accom-
pagneront et de celles qui vivront après elles jusqu'à
la consommation des siècles ! »»
Ne croirait-on pas entendre ces patriarches inspirés
de la loi ancienne, transmettant à leur lit de mort la
bénédiction mystérieuse dont ils étaient dépositaires,
bénédiction que l'Eglise chrétienne a' reçue, agrandie
et transformée, de la bouche de son divin Auteur? On
voit bien qu'il y a là quelque chose de plus élevé que
les entreprises humaines; et ce qui le démontre mieux
que tous les raisonnements, c'est que la bénédiction
du saint vieillard de la loi nouvelle a été par le fait
une prédiction, dont l'accomplissement se maintient
depuis bientôt deux siècles et demi. Véritablement ces
deux religieuses, parties du centre de la France pour
aller fonder un monastère dans un monde nouveau et
encore sauvage, ont été les fondements solides de cette
œuvre, et elles y figurent comme deux pierres pré-
cieuses par la sainteté de leur vie et l'éclat de leurs
vertus. Depuis plus de deux siècles que leur monastère
subsiste, il a toujours été et il est encore un lieu de
paix, de grâces et de bénédictions. L'histoire détaillée,
minutieuse en quelque sorte, mais par cela même des
plus intéressantes, vient d'en être publiée, et l'on voit
que jamais la paix n'a cessé d'y régner. Quel empire
est exempt à ce point de guerres, de troubles, de
CHAPITRE VII. 179
révolutions pendant une durée égale? Les grâces et
les bénédictions y ont abondé : des âmes d'élite, des
saintes ont toujours honoré leur vocation par la
pratique de toutes les vertus religieuses; et toujours
il s'est rencontré des vocations nouvelles pour conti-
nuer l'œuvre ainsi bénie dans ses fondements. Et ce
qui n'est pas une moindre bénédiction, que de milliers
de jeunes filles sont venues dans ce monastère former
leur cœur à la piété pour aller ensuite en répandre
le parfum dans la société, devenir des mères de famille
chrétiennes, et conserver ainsi dans le Canada cette
foi vive et ce profond attachement à la religion qui
le distinguent encore aujourd'hui !
On voit également que les puissances de l'enfer n'ont
jamais prévalu contre cette œuvre, ni ne lui ont fait
un mal proprement dit. Les efforts acharnés des sau-
vages ont mis bien souvent la colonie en péril, les
guerres maritimes l'ont quelquefois réduite aux hor-
reurs de la famine; deux fois les bâtiments du monas-
tère ont été dévorés par l'incendie, la ville de Québec
a été assiégée et bombardée, le couvent criblé par les
boulets ennemis ; tout le pays a passé sous la domina-
tion des Anglais protestants, et cependant le monastère
subsiste et il est plus florissant que jamais ; Dieu y
• habite, il y est le Père et l'Epoux des religieuses qui conti-
nuent l'œuvre fondée par la Mère Marie de l'Incar-
nation et bénie par Tarchevêque de Tours.
Il y a Ueu de croire que Dieu continuera à protéger
cette communauté, l'une des plus remarquables de
l'ordre fondé par sainte Angèle. Jamais, on doit l'es-
pérer, les religieuses familles du Canada n'oublieront
qu'un sentiment patriotique les unit aux Ursulines,
que ces religieuses ont assisté à la création même de
180 MARIK DE l'incarnation.
la colonie, qu'elles en ont partagé tous les travaux
et toutes les épreuves, que plus que personne elles ont
contribué à maintenir dans le pays cet héroïsme chré-
tien qui l'a rendu supérieur à tous les périls et à toutes
les adversités.
Nous savons, au reste, que ce sentiment est très-vif
dans toute la contrée et que l'attachement des Cana-
diens pour les Ursulines est comme un résultat néces-
saire du sentiment patriotique.
Le vénérable archevêque de Tours voulut que la
supérieure du monastère et une autre religieuse les
accompagnassent jusqu'à la maison des Ursulines d'Am-
boise, où se firent les derniers adieux avec des larmes
de joie et de consolation, qui témoignaient que ces
' cœurs étaient plus unis par les intérêts de Dieu, dit
Claude Martin, que par des inclinations naturelles.
« Le premier de ces liens conserve toute sa force
malgré les distances, tandis que l'autre s'affaiblit bien
vite par l'absence des personnes qu'on aime. «
Elles se séparèrent alors, les unes pour revenir à
Tours, les autres pour continuer leur route, mais
toutes ayant Dieu en vue et se proposant uniquement
son service. On en peut juger par ce que dit à ce sujet
le même historien.
« On ne se peut rien imaginer de plus céleste ni de
plus admirable que leur conduite pendant tout le
voyage. Ils vivaient plutôt comme des anges que
comme des habitants d'ici-bas. Tout était réglé dans
le carrosse comme dans le monastère. Il y avait un
temps employé à l'oraison, un autre à la prière en
CHAPITRE VII. ' 181
commun, un pour le silence et un pour la conversa-
tion. Alors chacun faisait part aux autres des lumières
que Dieu lui avait données dans l'oraison. Leurs cœurs
et leurs esprits étaient continuellement élevés vers
Dieu, même dans leurs pieuses conversations, en sorte
que l'on eût pu dire de ce carrosse ce que le prophète
dit du char sur lequel il vit Dieu assis : qu'il était
rempli d'anges visibles, sans compter les invisibles qui
les accompagnaient. »
On arriva ainsi à Orléans où l'on s'arrêta. Le cocher
fit promptement la commission dont on l'avait chargé
en remettant au jeune Claude Martin la lettre de sa
tante. Aussitôt l'enfant va trouver sa mère à l'hôtel où
elle était descendue, et feignant d'ignorer son dessein,
il laissa paraître un extrême étonnement de voir une
religieuse hors de son cloître. — Ma mère, où allez-
vous donc? — Je vais à Paris. — Vous n'allez pas plus
loin? — Je pourrais bien aller jusqu'en Normandie.
Voyant qu'elle ne voulait pas lui en dire davantage,
il tire la lettre qu'il venait de recevoir. — Ma mère,
je vous prie de prendre la peine de lire cela. Elle lut
la lettre tout entière avQc un grand calme; puis levant
les yeux au ciel, elle dit : « Oh! que le démon a d'arti-
fices pour traverser les desseins de Dieu ! » S'adressant
ensuite à son fils : — Mon fils, il y a huit ans que je
vous ai quitté pour me donner à Dieu; depuis lors
quelque chose vous a-t-il manqué? — Non. — Eh bien,
l'expérience du passé doit être un motif de confiance
pour l'avenir. Vous quittant pour son amour et pour
lui obéir, je vous donnai à lui, le priant qu'il voulût
être votre père, et vous voyez qu'il l'a été au-delà de
toutes nos espérances. Non-seulement il vous a donné
le nécessaire, mais il s'est montré si généreux pour
182 MARIE DE L INCARNATION.
VOUS, que vous avez reçu une éducation bien supé-
rieure à votre condition. Il en sera toujours de même
tant que vous aurez Dieu pour père, et vous l'aurez
toujours pour père, si vous êtes pour lui un véri-
table fils , si vous observez ses commandements , si
vous vous conformez à sa volonté, si vous avez une
confiance filiale en son aimable Providence. Faites
cela, mon fils, et vous expérimenterez ce que dit le
Saint-Esprit, que rien ne manque à ceux qui craignent
Dieu.
« Je vais en Canada, et c'est encore par l'ordre de
Dieu que je vous quitte une seconde fois. Rien ne me
pouvait arriver de plus honorable que d'être choisie
pour l'exécution d'un si grand dessein, et, si vous
m'aimez, vous prendrez part à ma joie. »
Après avoir ainsi rapporté les paroles de sa pieuse
mère, dom Claude Martin ajoute : « Elle dit tout cela
avec une si douce gravité et des marques si évidentes
d'une maternelle tendresse, que son fils se trouva tout
changé. Il ne pensa plus à ses propres intérêts, son
cœur se sentant élevé au-dessus de toutes les choses
créées; il s'abandonna-, les yeux fermés, à la conduite
de Dieu, s'estimant heureux de l'avoir pour père, et
d'avoir une si sainte mère pour caution de sa Provi-
dence à son égard. Pénétré de ces sentiments, il ne fut
pas plus tôt de retour chez lui qu'il fit brûler la lettre
qu'il venait de recevoir, et il prit la résolution de ne
jamais rien demander à ses parents, afin de leur
montrer qu'il entrait dans les vues de sa mère et qu'il
prenait son parti de l'abandon où ils déclaraient vouloir
le laisser. "
La Mère Marie de l'Incarnation put donc quitter
Orléans, le cœur soulagé. Le lendemain les voyageurs
CHAPITRE VII. 183
continuèrent leur route, et ils arrivèrent à Paris le
27 février, cinq jours après leur départ de Tours.
Il y avait alors deux couvents d'Ursulines à Paris :
l'un, rue Sainte- Avoye, l'autre faubourg Saint-Jacques.
La supérieure de celui-ci fit offrir l'hospitalité à la véné-
rable Mère, mais cette invitation ne put être acceptée
pour le moment, à cause de la nécessité où l'on était
de ne se pas séparer de M. de Bernières, tant que les
plus importants préparatifs du voyage ne seraient pas
terminés. On logea donc provisoirement chez un M. de
Meulles, maître d'hôtel du roi, qui leur avait cédé toute
sa maison. C'était un gentilhomme blaisois, rempli de foi
et de piété. Convaincu, disent les Annales des Ursulines
de Blois, qu'il y a beaucoup plus de chances de salut
dans l'état religieux que dans le monde , il désirait
que toutes . ses filles fussent religieuses. Par le fait,
il en avait déjà une Ursuline à Tours et deux autres le
furent peu après à Blois oii il avait des parentes faisant
partie de la communauté.^ L'hôtel de M. de Meulles
était une dépendance du cloître des Jésuites. « Là, dit
notre pieuse Mère, nous étions comme dans un lieu de
retraite, excepté que par la nécessité de nos affaires
nous étions quelquefois obligées de nous produire, et de
recevoir des visites de plusieurs personnes de considé-
ration, qui nous faisaient l'honneur de nous venir voir. »
(1) On verra avec édification comment mourut en 1657 la plus jeune des
demoiselles de Meulles, Ursulines à Blois. Voyant auprès d'elle sa sœur,
qui fondait en larmes, elle lui dit : « Ma sœur, laissez-moi mourir courageuse-
ment. " Alors elle se releva sur son chevet et s'accommoda en la posture où
elle voulait être pour expirer ; puis, ajoute la notice, se tenant avec la générosité
d'un général d'armée qui affronte l'ennemi, elle nous fit remarquer la sueur
de la mort qui coulait sur son front, décrocha son petit manteau et dit : Cen
est fait.. Elle commença alors la récitation de Y In manns, et elle expira avant
de l'avoir achevée.
184 MARIE DE L INCARNATION.
En efiet, on sot bientôt à Paris et la présence de
ces femmes courageuses et leur dessein de passer au
Canada, pour v établir une communauté et trayailler
à la conversion des sauvages. En conséquence bien
des personnes de la plus haute société, entre autres
la duchesse d'Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu,
et la comtesse Loménie de Brienne, dévouées l'une et
l'autre à toutes les 'do unes œuvres, voulurent les voir et
les aider de leur puissante influence. La reine elle-
même désira les entretenir, et chargea la comtesse de
Brienne de les lui amener à Saint Grermain-en-Lave,
où elle était. « Sa Majesté,- dit la vénérable Mère,
par sa bonté et sa haute piété, nous regarda avec
un amour tout particulier, et nous témoigna une grande
joie de notre passage au Canada, et beaucoup d'édifi-
catidn de ce que madame de la Peitrie, non contente
'd'y donner son bien, voulait encore s'v donner elle-
même. Elle voulut savoir tout ce qui s'était passé pour
arriver à l'exécution de cette entreprise. Nous lui en
fîmes le récit par le menu. *
Le 19 mars, lorsque tout semblait en bonne voie,
les Mères Marie de llncamation et Saint-Joseph allè-
rent loger chez leurs sœurs du faubourg Saint-Jacques.
Là elles firent tous leurs efforts pour obtenir qu'une
religieuse de cette maison s'a'djoignît à elles, et, un
moment, elles crurent avoir réussi. Une Mère Saint-
Jérôme s'étant offerte, l'on * obtint avec le consentement
de la supérieure, celui de l'archevêque de Paris. Mais
celui-ci rétracta dès le lendemain la permission qu'il
avait accordée la veille, et il persista dans son refus
malgré toutes les instances qu'on put lui faire. Ayant su
que des personnes de la plus haute considération et la
reine Anne d'Autriche elle-même avaient l'intention
CHAPITRE vn. 185
de s'interposer auprès de lui pour le ramener à ses
premières dispositions, il s'éloigna de Paris ou se
rendit invisible, afin d'échapper à leurs sollicitations.
Tout espoir étant perdu de ce côté, nos missionnai-
res, que rien ne pouvait plus retenir à Paris, quittèrent
cette ville au commencement d'a\^l et prirent le chemin
de Dieppe, où tout avait été préparé d'avance pour
l'embarquement par le Père Lallement Jésuite. Cepen-
dant les vaisseaux ne devant prendre là mer qu'après
plusieurs semaines, la Mère de llncamation et ses
compagnes se retirèrent au monastère des Ursulines.
Dieu qui les conduisait en tout, et d'une manière
qui finissait toujours par être visible, leur fit trouver
à Dieppe ce qu'elles avaient en vain sollicité à Paris.
Une jeune religieuse, nommée sœur Cécile de sainte
Croix, se sentit enflammée du désir de partager leur
apostolat et en obtint la permission de ses supérieurs.
Tout semblait donc annoncer que nul obstacle ne
pourrait empêcher le départ tant désiré. Il n'y avait
plus que douze jours jusqu'à l'embarquement et toutes
les difficultés paraissaient aplanies. Cependant la véné- .
rable Mère avait une vague inquiétude et comme un
pressentiment que quelque nouvelle épreuve allait se
présenter an dernier moment. Presque en possession
du bonheur de se voir emportée par les flots vers
ses chers sauvages, elle craignait encore que cette
joie ne lui fut ravie. Elle écrivait à son directeur :
* Quoique tout soit prêt, j'ai encore peur de perdre
mon bonheur. L'un des Pères qui étaient allés à La
Rochelle pour s'embarj^uer est tombé malade et demeure,
tandis que son compagnon passe seul, selon cetie
parole de Notre-Seigneur : - Vwê. serm ektiri et toMtre
laissé. »
186 MARIE DE l'incarnation.
Il y eut bientôt un moment où le pressentiment parut
devoir se vérifier. A peine cette lettre était-elle partie
que la Mère Saint- Joseph en reçut une de ses parents,
qui lui enjoignaient de la manière la plus énergique
de revenir à Tours. On sut en même temps qu'ils
avaient donné ordre de l'arrêter, en quelque lieu qu'elle
fût, et de la ramener dans son monastère, au cas
oii elle paraîtrait vouloir continuer son voyage. Un
pareil contre-temps était de nature à briser le plus
ferme courage; mais la Mère de l'Incarnation conserva
toute sa tranquillité et sa résolution demeura inébran-
lable. Ce n'était pas chez elle de l'insensibilité, car
elle était tendrement attachée à la Mère Saint-Joseph
qu'elle avait lieu de regarder comme un don en
quelque sorte miraculeux de la divine Providence.
Elle ne pouvait donc sans un déchirement de cœur,
se voir menacée de la perdre lorsqu'après tant d'obs-
tacles vaincus, elle se croyait à la veille d'un succès
si longtemps désiré; mais sa grande âme, soutenue
par une grâce de vocation telle que Dieu la donne
à ses amis privilégiés , était plus forte que toutes
les épreuves.
Elle jugea qu'il fallait vaincre cette difficulté, comme
toutes les autres, par la prière, et en gagnant le cœur
de Dieu, ce à quoi elle s'appliqua avec ardeur, résolue
toutefois, quel que fût le résultat, de passer seule au
Canada et même d'aller jusqu'aux extrémités du monde,
s'il le fallait, plutôt que de renoncer à une œuvre, pour
laquelle elle avait tant prié et tant versé de larmes.
De son côté, la Mère Saint-Joeeph ne négligea rien
pour détromper ses parents et les persuader qu'ils
avaient été induits en erreur par les derniers rapports
qu'on leur avait faits. Voici ce qui avait eu lieu.
CHAPITRE VII. 187v
Plusieurs membres de la famille, entre autres l'évêque
de La Rochelle, oncle maternel de la Mère Saint Joseph,
ayant appris son départ, blâmèrent avec amertume mon-
sieur et madame de la Troche, ses parents, d'avoir donné
leur consentement avec tant de facilité. Ils prétendaient
que le Canada était un pays perdu de réputation, un
grand nombre de femmes de mauvaise vie y atant
été envoyées, disaient-ils, pour le peupler; qu'indé-
pendamment du danger auquel leur fille était exposée,
le fait seul de son passage dans une telle colonie serait
à jamais un opprobre pour la famille.
La Mère Saint-Joseph s'efforça de renverser cet écha-
faudage d'assertions calomnieuses et d'appréhensions
sans fondement. Elle dit, ce qui était vrai, que des
femmes suspectes avaient été envoyées en Amérique,
mais dans l'Amérique méridionale à plus de huit
cents lieues de Québec, sans que rien de semblable
eût été fait pour le Canada, où la religion chrétienne,
qui ne faisait que d'y naître, égalait en ferveur et en
pureté de mœurs celle des premiers siècles. Elle
ajouta que les choses étaient trop avancées pour qu'ils
pussent révoquer leur premier consentement, et qu'ils
seraient éternellement responsables de sa vocation
devant Dieu, s'ils la lui faisaient perdre pour avoir
écouté trop facilement des personnes entièrement abu-
sées sur le véritable état des choses.
Elle leur écrivit tout cela, dit Claude Martin, d'une
manière si sage et en même temps si forte, que
craignant de résister à la volonté de Dieu, et recon-
naissant d'ailleurs que leurs inquiétudes ne reposaient
que sur un malentendu, ils cessèrent toute opposition.
188 MARIE DE l'incarnation,
CHAPITRE VIII.
Embarquement pour le Canada, 1639. — Tempête. — Ecueil de glace. — Le
vaisseau échappe au naufrage à la suite d'un vœu. — Arrivée au terme du
voyage. — Réception solennelle à Québec. — Réflexion sur l'importance de
l'élément religieux à l'égard de la colonie.
L'orage dont nous venons de parler s étant trouvé
apaisé juste au moment fixé pour le départ des vais-
seaux, les Mères Marie de l'Incarnation, Marie de Saint-
Bernard, désormais de Saint- Joseph , et Cécile de. la
Croix, madame de la Peltrie et Charlotte Barré s'em-
barquèrent à Dieppe, le 4 mai 1639, et firent voile
pour le Canada. Voici comment notre vénérable Mère
raconte les circonstances de cet embarquement.
« Pendant tant de voyages et de courses que nous
avions faits depuis notre départ de Tours, mon esprit
et mon cœur n'étaient pas où était mon corps. Il me
tardait de voir arriver le moment où j'exposerais véri-
tablement ma vie pour Dieu, lui donnant ce faible
témoignage de mon amour, en reconnaissance de ses
immenses miséricordes envers moi sa chétive créature.
Je voyais que ma vie n'était rien ; mais mon néant ne
pouvait rien offrir de plus, si ce n'est mon cœur et tout
l'amour dont il pouvait être capable. Etant dans cette
disposition, et sous une impression tellement forte
qu'elle m'emportait hors de moi, je restai longtemps
prosternée devant le Saint-Sacrement pour adorer la
Majesté de Dieu et m'offrir à elle .en perpétuel holo-
CHAPITRE VIII. 189
causte. 0 Dieu! qui pourrait dire ce qui se passa en
moi, au moment où je fis cet abandon de tout moi-
même? Je ne le saurais exprimer. Je sentais que le
Verbe incarné, Roi et Monarque universel, aimait et
agréait mon offrande.
» Lorsque je mis le pied dans la chaloupe qui devait
nous conduire à la rade, il me sembla entrer en Para-
dis; je chantais intérieurement la miséricorde d'un
Dieu si bon, qui me conduisait avec tant d'amour où
j'avais tant désiré d'aller. Bientôt on lève l'ancre, on
étend les voiles, le vent nous emporte et je quitte ainsi
la France, avec l'intention de n'y retourner jamais et
de consacrer ma vie au service des peuplades sauvages
pour les civiliser et les soumettre à leur Roi légitime,
mon céleste et divin Epoux. »
Les hommes étant les mêmes dans tous les temps,
chacun parlait de ce voyage à sa manière. Les uns y
voyaient un sujet de plaisanteries ; ils le regardaient
comme le résultât d'un caprice de femmes qui se lais-
sent emporter par l'ardeur de leur imagination pour
passer bientôt à un sentiment opposé. Us prédisaient
que quand elles auraient vu le Canada, elles en seraient
promptement dégoûtées et qu'elles ne tarderaient pas
à revenir. D'autres disaient qu'il y avait folie à s'ex-
poser et aux dangers de -la mer et à la fureur' des
sauvages. Pour eux, ils se croyaient doués d'une rare
sagesse, bien entendu.
Les personnes vraiment judicieuses et qui raison-
naient au point de vue de la foi, le seul qui permette
une saine appréciation des choses, ne croyaient pas
190 MARIE DE L INCARNATION.
pouvoir trop applaudir à de faibles femmes qui fai-
saient preuve d'un courage dont peu d'hommes sont
capables.
Il ne faut s'étonner ni de ces divers jugements, ni
de la vive sensation produite par le départ de la Mère
de l'Incarnation et de ses compagnes : car c'était le
premier exemple d'un courage aussi hardi, donné p^r
des femmes dans les temps modernes. Aujourd'hui que
les plus lointaines régions et les contrées les plus
sauvages sont peuplées de Carmélites, d'Ursulines, de
Sœurs de charité, etc., ces sortes de sacrifices passent
presque inaperçus; mais alors il en était autrement,
et il a fallu à ces généreuses missionnaires un courage
bien plus grand et une plus forte confiance dans la
protection divine, pour exécuter une pareille entreprise.
Trois religieuses hospitalières de Dieppe s'étaient
embarquées avec les Ursulines. Elles allaient également
à Québec où elles devaient fonder un hôtel-Dieu aux
frais de la duchesse d'Aiguillon. La plus âgée, désignée
pour être supérieure, avait vingt-neuf ans; ses compa-
gnes en avaient l'une vingt-huit, l'autre vingt-deux.
Le même vaisseau, appelé le Saint-Joseph, portait encore
le Père Vimont, Jésuite. Quatre autres Pères et un
Frère de la même Compagnie , s'embarquaient le
même jour, sur d'autres vaisseaux, pour la même
destination.
Les voyageurs n'arrivèrent à Québec que le 1" août.
On mit ainsi près de trois mois pour un voyage qui se
fait aujourd'hui en moins de quinze jours. Mais si la
navigation fut longue, elle ne fut pas moins orageuse.
Il s'éleva bientôt un vent violent qui poussa le vaisseau
CHAPITRE VIII. 191
vers les mers du nord et lui fit courir l'un des plus
effroyables dangers auxquels on puisse être exposé sur
l'océan. Un matin, jour de la fête de la Sainte-Trinité,
un cri d'eff'roi retentit tout à coup sur la dune. En un
instant tout l'équipage fut sur le pont, et l'on aperçut,
à une faible distance, une montagne de glace dont la
Mère de l'Incarnation fait une description qui témoigne
de la terreur dont tout le monde fut saisi. Elle disait
dans une lettre à son fils que, d'après le témoignage de
tous ceux qui étaient sur le vaisseau et celui de ses
propres yeux, cette montagne ressemblait par sa masse
et par sa forme à une ville fortifiée ; des proéminences
semblaient en être les tours ; des glaçons entassés
auraient été pris de loin pour des donjons^ des pointes
de glace s'élevaient comme des flèches, et à une telle
hauteur que l'on n'en voyait pas la cime.
« Cet écueil flottant était poussé vers le vaisseau
avec une rapidité si eff'rayante, que tout espoir sem-
blait perdu. Chacun se voyant à son dernier moment, des
cris s'élevaient de toutes parts ; le Père Vimont donna
l'absolution générale. Pendant'tout ce bruit mon esprit
et mon cœur étaient dans une tranquillité aussi grande
que possible; n'ayant pas la moindre frayeur, je me
sentais parfaitement disposée à faire le sacrifice de ma
vie et celui de voir jamais nos cliers sauvages. Mais
j'avais au fond de l'âme la ferme espérance que nous
arriverions à bon port, ce qui n'empêcha pas que je
fisse tous les actes propres à me mettre en état de
paraître devant Dieu. Je disposai mes vêtements de
telle sorte qu'au moment oii le vaisseau serait brisé,
je ne pusse être vue qu'avec décence. Madame de la
Peltrie se tenait comme collée à moi^ afin que nous
pussions mourir ensemble.
192 MARIE DE l'incarnation.
r> Dans cette extrémité, le Père Vimont, voyant que
tout espoir naturel avait disparu, fit un vœu à la Sainte
Vierge au nom de tous, et la Mère Marie de Saint-
Joseph commença les litanies de cette divine Mère,
auxquelles tout le monde répondit. Au même instant,
le pilote ayant reçu ordre de tourner le gouvernail
d'un côté, le tourna de l'autre involontairement, et ce
fut cette manœuvre qui nous sauva. Le vaisseau, dont
la proue touchait presque l'eflfroyable montagne de
glace, lui tourna tout à coup le flanc et la côtoya sans
être atteint. »
Après divers autres incidents oii Ton courut de
nouveaux dangers, on jeta l'ancre dans le port de
Tadoussac sur le fleuve Saint-Laurent, que l'on remonta
ensuite jusqu'à l'île d'Orléans, à une très-petite dis-
tance de Québec. C'était le 31 juillet 1639. La marée se
trouvant contraire et le vent n'étant pas assez favorable,
il fallut attendre au lendemain pour entrer à Québec.
Le vaisseau qui portait leurs bagages et que madame
de la Peltrie aivait frété elle-même, était arrivé quelques
jours plus tôt, et l'équipage avait annoncé la prochaine
arrivée des religieuses. Cette nouvelle remplit la ville
entière d'enthousiasme. Quand on sut qu'elles étaient
à l'endroit de l'île d'Orléans, qui est le plus près de
Québec, M. de Montmagny, gouverneur de la Nouvelle-
France, assembla son Conseil et proposa de leur faire
uce réception digne de la grande œuvre qu'elles
venaient inaugurer et en rapport avec les sentiments
de piété dont étaient pénétrés les habitants de Québec,
• Il leur envoya immédiatement sa chaloupe , toute
pavoisée et remplie de rafraîchissements.
Le lendemain, dès la pointe du jour, .toute la popu-
lation était sur pied, les yeux tournés vers l'île d'Or-
CHAPITRE VIII. 193
léans, d'où l'on voyait se détacher les légères embar-
cations qui portaient les hôtes tant désirés. M. de
Montmagny, accompagné de la garnison et suivi de
la ville entière, descendit au rivage pour les recevoir.
Tous les canons du fort Saint-Louis les accueillirent
par une joyeuse salve au moment où elles touchèrent
le port. En mettant pied à terre, la Mère de l'Incarna-
tion et ses compagnes se prosternèrent avec un pieux
respect et baisèrent avec transport cette terre, objet
de tant de vœux.
Après les premières félicitations, le cortège prit le
chemin de la Haute-Ville, aux acclamations de la foule,
ivre de joie, et se rendit en procession à l'église de Notre-
Dame de Recouvrance, où un Te Deum solennel fut
chanté au bruit réitéré des salves d'artillerie. La sainte
messe fut célébrée avec toute la pompe que permettait
cette église naissante, et toutes les religieuses commu-
nièrent en action de grâces de leur heureuse arrivée.
Le cortège reprit ensuite sa route vers le château
Saint-Louis, où le gouverneur fit déjeuner à sa table
les nouveaux débarqués avec les principaux citoyens;
puis il les conduisit à la demeure qu'il leur avait fait
préparer. Toute la journée se passa en réjouissances
publiques; les magasins furent fermés et les travaux
suspendus comme en un jour de fête.i
Certaines personnes trouveront peut-être étrange la
solennité avec laquelle on accueillait quelques femmes
qui semblaient ne devoir être qu'un embarras de plus
. (1) Histoire de la Mère Marie de l'Incarnation, par M. Casgraui.
> M. DE l'inc. ] J
194 MARIE DE l'incarnation.
dans les luttes de chaque jour contre les sauvages,
et des bouches inutiles durant les disettes si fréquentes
alors pour le Canada. Qu'eussent donc fait, dira-t-on,
les habitants de Québec, si un Turenne ou un Condé
eût débarqué avec une nombreuse armée , pourvue
de vivres et de munitions, pour en finir avec les peu-
plades barbares qui mettaient sans cesse la colonie
en péril?
Ceux qui .raisonnent ainsi ne comprennent ni l'ordre
de la Providence, sans laquelle pourtant rien n'a lieu
sur la terre, ni même les choses d'ici- bas considérées
au point de vue naturel. Il est cependant facile de
conclure aujourd'hui des événements que les Ursulines
et les Sœurs de charité qui étaient venues avec elles
pour prendre possession de l'Hôtel-Dieu, et les mission-
naires envoyés pour annoncer l'Evangile aux Hurons,
aux Algonquins et aux Iroquois, ont plus fait pour le
maintien de la colonie et plus influé. sur son avenir
que les citadelles, les canons et les valeureux bataillons
qui pourtant ne marchandaient pas leur vie. La force
matérielle a fini par succomber. Le 31 juillet 1759,
cent vingt ans jour pour jour après l'arrivée des Ursu-
lines à Québec, les Anglais éprouvaient encore une
sanglante défaite. «« Ils bombardaient la ville depuis
plus de deux semaines, quand ils tentèrent de forcer
les lignes françaises de Beauport, en attaquant laile
gauche de l'armée de Montcalm. Six mille se déployè-
rent sur la plage, tandis que deux mille autres remon-
taient la rivière Montmorency pour la passer à gué et
prendre à dos nos troupes. Mais les décharges des
Canadiens furent si multipliées et si terribles, que les
ennemis tourbillonnant pêle-mêle, furent heureux de
profiter d'un orage pour se rembarquer en toute
CHAPITRE Vlll. 195
hâte. Dix pièces de canon en avaient fait taire cent
dix-huit! ^ »
Mais c'était là le dernier revers que devaient éprou-
ver les Anglais sur le sol du Canada avant de s'être
rendus maîtres de Québec. Le 13 septembre de la
même année, le général en chef de l'armée française
était tué sur le champ de bataille; ses soldats étaient
en déroute complète et l'ennemi entrait dans Québec
après un siège de soixante jours. Les forts étaient pris
avec leurs canons et leurs munitions, le port avec ses
vaisseaux ; le Canada était perdu pour la France; mais
il n'était pas perdu pour lui-même. Il lui restait son
clergé, ses communautés religieuses et sa population
fortement chrétienne. Ce fut là son salut.
La Mère de l'Incarnation avait dit, près d'un siècle
avant cette perte de notre colonie : « Le Canada est
un pays spécialement gardé par la Providence. Si les
épreuves les plus sensibles lui sont souvent venues
quand il croyait toucher à des temps prospères, c'est
aussi lorsqu'il croit tout perdu et qu'il se sent rouler
d'abîme en abîme, que la Providence se plaît à le rele-
ver, à le maintenir debout et à le diriger, sans qu'il
le sache, vers la véritable prospérité, et cela d'une
manière impénétrable à toutes les prévisions humai-
nes. y> Cette parole, dit l'annaliste de 1759, a eu trop
visiblement son effet dans la circonstance critique où
se trouve le pays , pour qu'elle ne se présente pas
d'elle-même à notre esprit.
(1) Histoire des Ursulines de Québec, par une religieuse du couvent. Québec,
1864. Il y a un siècle que ces religieuses sont sous la domination anglaise, et
ailes disent encore nos troupes en parlant des soldats français, les ennemis
en parlant des Anglais. Elles mettent un point d'exclamation à la fin de la phrase
qui apprend que dix canons de la France eu ont fait taire cent dix-huit de
l'Angrleterre.
196 MARIE DE l'incarnation.
Oui, le Canada a été sauvé dans sa perte même, et
il l'a été par la foi solide de sa population, par son
inviolable attachement au catholicisme. Or cette foi,
qui donc l'a mise dans les cœurs et l'a conservée de
génération en génération, si ce n'est le clergé composé
de prêtres séculiers et de religieux missionnaires et
apôtres, ces communautés exhalant le parfum de leurs
vertus en donnant à l'enfance cette science de la foi
qui est l'aliment des grandes âmes et la seule base
solide de la force chez les nations chrétiennes? La
France a perdu une précieuse colonie; mais le Canada
n'a rien perdu, il est resté fier et chrétien comme il
était au XVII® siècle. Il est peut-être même, dans sa
sujétion à l'égard de l'Angleterre, le plus libre et le
plus indépendant des peuples modernes, et cela, grâce
à sa vigoureuse sève de catholicisme.
On avait donc raison de saluer avec tant de joie et
d'enthousiasme les Jésuites, les Ursulines et les Sœurs
de charité qui abordaient à Québec le P^ août 1639.
C'était la fortune du Canada qu'une miséricordieuse
Providence lui envoyait à travers les écueils et les
tempêtes.
Mais " à l'époque oii nos généreuses missionnaires
abordaient sur cette plage appelée alors Nouvelle-
France, on était loin de prévoir qu'un jour la vieille
patrie, vaincue par sa rivale, lui céderait la colonie
dont elle commençait à être si justement fière. Ce qui
excitait à un si haut point l'enthousiasme des habitants
de Québec, était le sentiment religieux dont la popu-
lation entière était profondément pénétrée. Il nous
semble à propos de mettre ce fait dans tout son jour
CHAPITRE VIII. 197
pour faire comprendre la grande part qui revient à
l'élément surnaturel dans l'histoire du Canada, et l'in-
fluence qu'eurent les ministres de la religion et les
communautés religieuses, la Mère Marie de l'Incarna-
tion en particulier, sur ses destinées.
Dieu voulait établir, dans cette partie de l'Amérique
du Nord, une colonie telle que les peuples non catho-
liques n'ont pas même la pensée d'en former, et qui
fût l'un des plus beaux ornements de son Eglise. Pour
arriver à ce résultat, il souffle le zèle apostolique dans
la haute société française, il enflamme l'élite de cette
société du désir d'aller fonder au loin une Nouvelle-
France plus chrétienne encore que celle qui, depuis
si longtemps, méritait le titre de Très- Chrétienne : or
ce n'était pas peu de chose, au commencement du
XVIP siècle, que l'élite de la société française.
On sait que d'ordinaire les colonies ne sont guère
peuplées, à leur origine, que par des spéculateurs, des
chercheurs de fortune ou d'aventures, des gens qui ont
peu à craindre de trouver pire que ce qu'ils ont au
pays natal : il en fut tout autrement de îa colonisation
du Canada. On voulait en faire partie pluspar religion
que par spéculation, plus dans l'intérêt de la foi que
dans celui de sa fortune. Nous en donnerons des
preuves tirées des Relations contemporaines et repro-
duites dans divers écrits relatifs à l'histoire du Canada.
Il est à remarquer d'abord que les premiers gouver-
neurs de la colonie, ainsi que les officiers de l'armée, .
furent presque tous des hommes d'une piété éminente
et d'un dévoûment héroïque à l'égard de la religion,
d(?nt ils faisaient passer les intérêts avant tous les
autres. Champlain qui, le premier, arbora le drapeau
blanc sur le promontoire de Québec et que les Cana-
198 MARIE DE l'incarnation.
diens appellent encore le père de la Nouvelle-France, était
un héros chrétien digne de l'époque des croisades.
Voici comment en parle M. Casgrain^ : « Intelligence
vaste et éclairée, vues hautes et larges, expérience
consommée des hommes et des choses, honneur, désin-
téressement, loyauté, courage, fermeté dans les revers,
grandeur dame, persévérance, voilà ce qui résume
toute la vie et le caractère de Champlain. Type et
modèle de tous ces héros qu'un même honneur assem-
ble, il occupe la première place près de l'autel de la
patrie. Nul, en effet, parmi ces rois de notre histoire,
ne réunit plus d'éminentes qualités. Car c'était l'œuvre
de Dieu que le gentilhomme saintongeois avait eu la
conviction d'accomplir lorsque, la croix sur le cœur et
le regard au ciel, il descendit les degrés du château de
ses pères pour aller s'enfoncer dans les solitudes améri-
caines. Aussi, lorsqu'à son lit de mort il promena un
dernier regard d'adieu sur le cercle de vaillants hommes
qu'il avait formés, il leur léguait le plus sûr gage d'im-
mortalité : la sève vigoureuse de mœurs austères, la
pratique de toutes les vertus chrétiennes qu'il leur avait
constamment enseignée de paroles et d'exemples.
« La discipline qu'il avait établie parmi cette petite
société, était admirable. « Le fort, dit un chroniqueur
du temps, ressemble à une académie bien réglée... Bon
nombre de très-honorables personnes viennent se jeter
dans nos bois comme dans le sein de la paix, pour vivre
ici avec plus de piété, plus de franchise et plus de
liberté.... Les exactio^ns, les tromperies, les vols, les
assassinats, les perfidies, les inimitiés, les malices
noires ne se voient ici qu'une fois l'an, sur les papiei's
1) Histoire de la Mère Marie de l'Incarnation. Québec, 1864.
CHAPITRE VIII. 199
et sur les gazettes que quelques-uns apportent de
l'ancienne France. »
» A l'exemple de leur chef, tous menaient la conduite
la plus édifiante, et s'approchaient régulièrement des
sacrements de l'Eglise. Pour rappeler plus souvent à
chacun la pensée du ciel, Champlain établit la coutume
si pieuse et si touchante, conservée jusqu'à nous, de
sonner Y Angélus trois fois par jour. L'intérieur du fort
ressemblait plus à une communauté religieuse qu'à une
garnison. La lecture se faisait régulièrement à chaque
repas; au dîner, on lisait quelque livre d'histoire; au
souper, c'était la vie des saints. Une douce et franche
gaîté assaisonnait les moments de loisir y et, chaque
soir, le vénérable patriarche de la colonie rassemblait
tous ses enfants dans ses appartements, pour réciter
la prière en commun et faire l'examen de conscience.' y
Après la mort de Champlain, son successeur, M. de
Montmagny, continua l'œuvre si heureusement com-
mencée. « Je puis dire avec vérité, écrivait le Père
Le Jeune en 1637, que le sol de la Nouvelle-France, est
arrosé de tant de bénédictions célestes, que les âmes
nourries à la vertu y trouvent leur vrai élément.... Nos
églises sont trop petites ... Les prières se font publi-
quement , non-seulement au fort , mais aussi chez les
familles éparses çà et là. La vertu, par la grâce de
Notre-Seigneur, marche ici la tête levée; elle est dans
l'honneur et dans la gloire, le crime dans l'obscurité
et la confusion. Je le dis avec joie et bénédiction de
Dieu, ceux que sa bonté nous a donnés pour comman-
der, et ceux encore qui s'établissent en ces contrées,
goûtent, chérissent et veulent suivre les maximes les
(l)Si, sous le règne de Napoléon III, tous les offliciers de l'armée française
eussent été des Champlains, les Prussiens ne seraient pas entrés en France.
200 MARIK DE l'incarnation.
plus sincères du vrai christianisme. C'est l'industrie,
la prudence et la sagesse de M. le chevalier de Mont-
magny, notre gouverneur , qui fait cette espèce de
miracle. Il est le premier dans les actions de piété, et,
par ce moyen, les rend honorables. Cet homme aimé de
Dieu et des hommes, marchant dans les voies de Dieu,
y attire après soi les autres. «
Voici comment s'exprime la Mère Marie de l'Incar-
nation en parlant d'un autre gouverneur, le vicomte
d'Argenson, qui regardait cette sainte religieuse comme
5a mère spirituelle, dit une chronique : « M. le gouver-
neur fait paraître de jour en jour son zèle pour la
conservation et l'accroissement du pays... C'est un
homme d'une haute vertu et sans reproche. Il y a
toujours à profiter avec lui, car il ne parle que de Dieu
et de la vertu. » Elle ajoute ailleurs : « Il était si
religieux qu'il donnait l'exemple aux .Français et aux
sauvages. » ^
Ils sont rares aujourd'hui les gouverneurs de pro-
vinces avec lesquels une religieuse trouverait à profiter
pour sa perfection.
Les exemples donnés à la population par ces héros
chrétiens n'étaient pas stériles; en voici des témoi-
gnages choisis parmi un grand nombre d'autres non
moins dignes d'attention. Nous lisons dans une Relation
de 1637 :
« La fête du glorieux saint Joseph, père, patron et
protecteur de la Nouvelle-France, est l'une des plus
grandes solennités de ce pays. La veille de ce jour qui
nous est si cher, on arbora le drapeau national et l'on fit
jouer le canon comme au jour de la fête de l'Immaculée-
CHAPITRE VI II. 201
Conception.... Chacun bénissant Dieu de nous avoir
donné pour protecteur, le protecteur et l'ange gardien,
pour ainsi dire, de Jésus-Christ son Fils. C'est, à mon
avis, par sa faveur et par ses mérites, que les habitants
de la Nouvelle-France ont résolu de recevoir toutes les
bonnes coutumes de leur ancienne patrie et de refuser Ventrée
aux mauvaises. »
Le Père Ragueneau, Jésuite, dans une autre Relation,
écrite en 1651, s'exprime ainsi :
« L'habitation de Trois-Rivières ne subsistait que par
miracle, tant on y était harcelé par les bandes des
farouches Iroquois. Des habitants attribuent leur con-
servation au recours extraordinaire qu'ils ont eu à la
Sainte Vierge dont il y avait un petit oratoire dans
chaque maison : l'un était dédié à Notre-Dame-de-
Lorette, l'autre à Notre-Dame-de-Liesse, les autres à
Notre-Dame- des- Vertus, du Bon-Secours, de Bonne-
Nouvelle, de la Victoire, et à quantité d'autres titres
sous lesquels on honore la Sainte Vierge en divers
lieux de la chrétienté. C'était une dévotion ordinaire
d'aller visiter ces petits oratoires à divers jours de la
semaine, principalement les samedis. En chaque mai-
son, matin et soir, tout le monde se rassemblait
pour y faire la prière en commun et l'examen de
conscience, et pour y dire les Litanies de la Sainte
Vierge. Le chef de la famille faisait les prières,
et tous les autres , femmes , enfants , serviteurs ,
répondaient.
y> A Québec et aux environs, cette manière de faire
la prière était une dévotion oi^dinàire, chaque maison
ayant pris un saint pour patron et fait un vœu public
que chacun se confesserait et communierait au moins
une fois le mois.... La plupart de ceux qui sont en ce
202 MARIK DE l'incarnation.
pays avouent qu'en aucun lieu du monde ils n'avaient
trouvé ni plus d'instruction, ni plus d'aide pour leur
salut, ni un soin de leur conscience plus doux et plus
facile.. .. »
Ici plus d'une réflexion se présente. D'abord remar-
quons que ces Relations, à peu près périodiques, avaient
pour but de recruter des colons pour le Canada en ins-
pirant à ceux qui les liraient le désir d'aller s'établir
en cette contrée; et pour cela on la leur représente
comme déjà peuplée en partie par des familles qui
égalent en piété les chrétiens des temps apostoliques ;
des familles qui allaient au Canada, disent encore les
Relations, parce qu'on croyait que c'était le chemin le plus
court pour aller au ciel. On avouera que ce n'est pas ainsi
qu'on s'y prend aujourd'hui pour coloniser l'Afrique
et la Cochinchine.
, La seconde remarque qui s'offre à l'esprit, c'est que
la colonisation du Canada est une digne continuation
de cette vieille histoire de France que l'on a appelée
Gesta Dei per Francos : Les œuvres de Dieu par les Francs.
Oui, la main de la Providence est visible dans cet éta-
blissement d'une France nouvelle, qui a eu le bonheur
de rester très-chrétienne, même sous la domination
d'un Etat protestant.
Nous pouvons ajouter que le Canada ainsi colonisé,
le Canada peuplé par les hommes que la Providence
choisissait entre les plus religieux de notre France^
avait à remplir une mission que personne ne pouvait
prévoir et qui n'en a pas moins été réelle à l'égard
des aborigènes et des nations civilisées de l'Amérique
septentrionale: Sous la domination française (qui a
cessé en 1759), les autorités ecclésiastiques de la Nou-
velle-France envoyaient des missionnaires visiter les
CHAPITRE VIII. 203
peuples, depuis l'embouchure du fleuve Saint-Laurent
jusqu'à la Rivière des Illinois, et tout le long du
Mississipi jusqu'à la Nouvelle-Orléans.
Sous la domination anglaise (qui commença en 1759),
un bon nombre de Canadiens, pour fuir le joug de la
Grande-Bretagne, allèrent s'établir le long des grands
lacs du Haut- Canada et dans l'intérieur des terres du
côté du Sud et de l'Ouest, à Saint-Louis du Missouri
et ailleurs. Ce fut une précieuse semence de foi en
faveur des émigrants d'Europe venant dans ces parties
des Etats-Unis.
Dès 1818, des Missionnaires Canadiens parcourant
le lac des Bois, la Rivière Rouge, et plus tard les
Montagnes Rocheuses de^ la Colombie, trouvèrent que
la foi avait déjà pénétré, depuis longtemps, chez les
tribus sauvages; et cela, par les voyageurs et les trai-
tants canadiens, qui parcouraient en tous sens le terri-
toire du Nord-Ouest et de la Baie d'Hudson.
L'émigration canadienne, qui depuis soixante-quinze
ans, a commencé de se faire dans le vaste Etat de New-
York et dans les autres Etats limitrophes , compte
actuellement un demi-million d'âmes, population saine
et animée des meilleurs sentiments, qui fera connaître
avantageusement la religion catholique, à mesure que
le clergé du Canada pourra subvenir à ses besoins
religieux.
Mais évidemment il y a plus que cela dans les
desseins de la divine Providence. Le Canada reçut la
mission de contribuer pour une bonne part à. ramener
l'Angleterre au catholicisme , en minant sourdement
son fanatisme protestant ; en forçant ses hommes les
plus distingués de voir de près et par leurs propres
yeux, ce que le catholicisme communique de vie, de
204 MARIE DK l'incarnation.
grandeur dame, ' de loyauté et d'esprit chevaleresque
à ceux qui reçoivent ses inspirations. Obligés, dans leur
intérêt, de ménager une conquête qui aurait pu leur
échapper, les Anglais laissèrent au Canada toute sa
liberté religieuse; en même temps les fonctionnaires
qui y étaient envoyés se trouvaient en contact avec
une nx)blesse attachée de cœur à sa religion, un clergé
missionnaire pour qui les intérêts humains n'étaient
rien, une population pieuse et éclairée sur ses devoirs :
toutes choses qui avaient disparu de l'Angleterre et que
la haine et l'esprit de persécution ne permettaient pas
de "voir en Irlande.
Voilà comment, après plus de deux siècles, on aper-
çoit le dessein de Dieu dans cette œuvre d'un caractère
exceptionnel. Mais on peut dire que la main de la
Providence se montre en particulier dans la mission
que reçut la Mère Marie de l'Incarnation d'aller con-
courir à cette entreprise, et de contribuer, par un
parfum de vertu dont le Canada est encore embaumé,
à maintenir l'esprit chrétien et l'attachement à l'Eglise,
qu'il est impossible de ne pas admirer dans la nation
canadienne, et auquel l'éducation des jeunes filles a
une part considérable.
(1) Voici quelques traits qui justifient les éloges que nous donnons ici aux
Canadiens. Après la conquête (1759), la population envoya une requête au roi
d'Angleterre, réclamant comme un droit le maintien de l'évèché catholique. Lors
de la première invasion américaine, l'évêque de Québec obligea, par une lettre
pastorale, les Canadiens à rester soumis au Gouvernement anglais. Il en fut de
même à la seconde invasion en 1812, et lors de l'insurrection partielle des Cana-
diens en 1837. De plus, quoique les catholiques possèdent la puissance législative,
jamais ils n'ont pris aucune mesure oppressive à l'égard des protestants.
CHAPITRE IX. 205
CHAPITRE IX.
Visite aux sauvages convertis, 1639. — Etude des langues. — Pauvreté, petite
vérole. — Charité en exercice. — Ses succès, 1641. — Enfants qui s'échap-
pent, 1643. — La jeune captive huronne. — Ferveur des petites sauvages. —
Anne-Marie, Agnès et Louise, 1640. — Mort d'Agnès, 1643. — Piété des
femmes sauvages. — Autres traits des enfants sauvages. — La Mère de
l'Incarnation apprend le huron, 1649. — Nouvelles oeuvres de zèle. — Efforts
pour fixer les sauvages, 1644. — Multiplication du pain. — Piété et zèle
apostolique de plusieurs sauvages convertis. — Précocité d'intelligence des
enfants sauvages. — En France, on ne rend pas justice aux Ursulines. —
Deux écrivains modernes qui ont suivi cette voie.
A peine nos généreuses missionnaires étaient-elles
arrivées au terme de leur long voyage qu'elles voulu-
rent mettre la main à l'œuvre pour laquelle elles
avaient tout quitté. « Le lendemain, dit la Mère Marie
de l'Incarnation dans une -lettre à son fils, les révé-
rends Pères Jésuites nous menèrent au village des
sauvages, nos très-chers frères, que nous eûmes la
consolation d'entendre chanter les louanges de Dieu
en leur langue. 0 combien nous étions heureuses de
nous trouver parmi nos chers néophytes, qui, de leur
côté, ne l'étaient pas moins de nous voir! Celui qui le
premier avait reçu le baptême nous confia sa fille.
^Plusieurs autres firent de même les jours suivants,
ainsi que toutes les familles françaises qui avaient des
filles en âge de recevoir l'instruction. »
« Au sortir de là, dit un récit du temps, elles visitent
les familles isolées et les cabanes voisines. Madame de
206 MARIK DE l'incarnation.
•
la Peltrie, qui conduisait la bande, ne rencontrait
petite fille sauvage qu'elle ne l'embrassât avec des signes
d'amour si doux et si forts, que ces pauvres barbares
en étaient autant étonnés qu'édifiés. Ces bonnes reli-
gieuses en faisai'ent autant, sans prendre garde si ces
petits enfants étaient sales, ou non, et sans demander
si c'était la coutume du pays. »
La Mère de l'Incarnation continue son récit. « Pour
arriver au but que nous nous étions proposé en venant
au Canada, il nous fallut étudier la langue des sau-
vages. Je m'y appliquai avec une grande ardeur; mais
comme il y avait plus de vingt ans que je ne m'étais
occupée de science et d'étude, ce travail pour apprendre
une langue si différente de la nôtre me causa de
grandes fatigues. Les noms et les verbes que j'appre-
nais par cœur me semblaient autant de cailloux qui
me roulaient dans la tête. Cette douleur, jointe aux
réflexions que je faisais sur la rudesse et les difficultés
d'une langue aussi barbare, me persuadait que, humai-
nement parlant, je n'en viendrais jamais à bout. C'est
pourquoi j'en parlais amoureusement à Notre-Seigneur,
qui m'aida de telle sorte que je parvins en peu de
temps à l'entendre et à la parler avec une très-grande
facilité. Croyez- moi, le désir de parle?' fait beaucoup. "
Combien pourraient en dire autant, mais tous n'ajou-
teraient peut-être pas, avec la Mère Marie : ■' Je vou-
drais faire sortir mon cœur par ma langue pour dire
à mes chers néophytes ce qu'il sent de l'amour de
Dieu et de Jésus notre bon maître. Mon travail était
en même temps une oraison qui finit par me rendre
l'usage de cette langue si agréable, qu'elle ne me parais •
sait plus barbare. Alors les sauvages, hommes, femmes
et enfants, vinrent en foule à notre parloir, où je les
CHAPITRE IX. 2U7
instruisais des devoirs du cijrétien et des mystères de
notre sainte foi. »
Cette sainte religieuse arriva même bientôt à com-
poser des livres en langues sauvages. Elle a laissé,
dit Claude Martin, une telle quantité d'écrits, tant en
français qu'en huron et en algonquin, que toutes les
filles qui vivront dans son monastère, jusqu'à la fin des
siècles, y trouveront abondamment de quoi s'instruire
elles-mêmes.
Nous n'avons pas encore parlé du somptueux monas-
•tère qu'on improvisa pour les Ursulines et qu'elles
appelèrent leur Louvre. En voici la description d'après
un récit du temps : « En une chambre de seize pieds
carrés étaient notre chœur, notre parloir, nos cellules
et notre réfectoire ; et dans une autre petite salle était
la classe pour les filles françaises et pour les sauvages.
Pour la chapelle, la sacristie extérieure et la cuisine,
nous fîmes faire une galerie en forme d'appentis. »»
Cette résidence était jugée charmante, surtout pour
les agréipents accessoires que voici. « La saleté des
filles sauvages, qui n'étaient pas encore formées à la
propreté des Français, nous faisait trouver tous les
jours des cheveux, des charbons et autres choses dans
notre pot; quelquefois on trouvait un vieux soulier
dans la marmite, ce qui pourtant ne nous donnait pas
trop de dégoût !»
Une épreuve plus terrible survint à la fin du mois
d'août 1639. « Cette petite maison, dit la Mère Marie,
fut changée en un hôpital par la maladie de la petite
vérole, qui se prit aux petites filles sauvages. Toutes
l'eurent jusqu'à trois fois, et quatre en moururent.
208 marik de l'incarnation.
Nous nous attendions toutes de tomber malades, tant
parce que cette maladie était contagieuse qu'à cause
que nous étions jour et nuit à les assister.... Comme
nous n'avions pas encore de meubles, tous les lits
étaient sur le plancher en si grand nombre qu'il nous
fallait passer incessamment par dessus les malades,
et, dans cette nécessité la divine Majesté nous donnait
un si grand courage, qu'aucune de nous n'avait de
dégoût dés maux et de la saleté des sauvages. »
Elles donnaient le nom de séminaire à leur établisse-
ment d'enfants, et voici ce que la Mère Marie écrivait
à son sujet : « Je vous dirai, Madame, que l'on croira
difficilement en France les bénédictions que Dieu verse
sur ce petit séminaire. Sans parler des femmes et des
filles sauvages qui ont permission d'entrer, les hommes
nous visitent au parloir, où nous tâchons de leur faire
la même charité qu'à leurs femmes; et ce nous est une
consolation bien sensible de nous ôter le pain de la
bouche pour le donner à ces pauvres gens, afin de leur
inspirer l'amour de Notre-Seigneur. Après l'instruction
et les prières, nous leur faisons festin à leur mode. La
faim qu'ils ont est l'horloge qui fait juger de l'heure
du repas. »
Voilà cette religion que tant de gens blasphèment et
poursuivent d'une haine sauvage!
On ne sera peut-être pas fâché de savoir comment
se faisait la cuisine des sauvages. La voici décrite par
la Mère de l'Incarnation : « Pour en traiter splendide-
ment soixante ou quatre-vingts, on emploie environ
un boisseau de pruneaux noirs, quatre pains de six
livres, quatre mesures de farine de pois ou de blé
d'Inde, une douzaine de chandelles de suif fondues,
deux ou trois livres de gros lard, afin que tout soit
CHAPITRE IX. 209
bien gras, car c'est ce qu'ils aiment. Ce festin, qui leur
sert tout ensemble de boire et de manger, est un de
leurs plus magnifique repas. »
Mais en traitant les sauvages avec cette magnifi-
cence, les pauvres religieuses s'exposaient à mourir
elles-mêmes de faim. Voici sur ce point le témoignage
de la Mère Marie de l'Incarnation :
« Je pensais que cette année nous manquerions de
tout à cause de notre extrême pauvreté. M. Marchand
(bourgeois de Tours), nous a envoyé de quoi vêtir nos
séminaristes (petites filles sauvages), un ciboire, et des
outils pour le travail. Les bonnes Mères de la Visita-
tion de Paris nous ont fait un présent de la valeur de
plus de deux cent cinquante livres, nos chères Mères
de Tours et de Loches nous ont fait une bonne aumône ;
nos amis de Tours s'y sont joints; tout cela nous a
tirées de la nécessité où nous étions d'employer nos
tours de lits à faire des habits pour nos filles. Les
habitants de Québec nous donnent des légumes et
autres semblables rafraîchissements, en sorte que nous
sommes trop à notre aise, »
Madame de la Peltrie, élevée dans la délicatesse et
habituée à se faire servir, ne restait pas en arrière.
« Auprès de mademoiselle Charlotte Barré, disent les
Annales, accourait toujours avec empressement madame
de la Peitrie pour partager ces petits travaux domes-
tiques dont le détail appartient à une sœur converse.
Elle balayait la maison, préparait la nourriture, lavait
la vaisselle, etc. C'est surtout à peigner et à nettoyer
les filles sauvages qu'on la voyait se livrer avec plaisir.
:>i. DE l'inc. ^4
210 MARIE DE l'incarnation.
Quand on nous les donne, il faut les laver depuis la
iêie jusqu'aux pieds : et quoi qu'on fasse et qu'on les
change souvent de linge et d'habits, on ne peut de
longtemps les délivrer de la vermine. Une sœur emploie
une partie du jour à cela. C'est un office que chacune
ambitionne; celle qui l'emporte s'estime riche d'un si
heureux sort; celles qui en sont privées s'en estiment
indignes et demeurent dans l'humilité. Madame notre
fondatrice l'a exercé presque toute l'année; aujourd'hui,
c'est la Mère Marie de Saint-Joseph qui jouit de ce
bonheur. » Voilà sans doute un bonheur incompréhen-
sible pour les personnes mondaines sans cesse appli-
quées à parfumer tout ce qu'elles touchent. C'est qu'elles
n'ont pas idée de ce que Dieu fait en faveur des âmes
qui ne lui marchandent pas les sacrifices. Ecoutons
plutôt ce que dit encore la Mère de l'Incarnation :
« Nous avons patsé cet hiver aussi doucement qu'en
France, et quoique nous soyons pressées dans un petit
trou où il n'y a point d'air, nous n'avons pas été mala-
des, et jamais je ne me sentis ^i forte. Si en France, on
ne mangeait que du lard et du poisson salé comme
nous faisons ici, on serait malade et on n'aurait pas
de voix; nous nous portons fort bien et nous chantons
mieux qu'on ne fait en France, L'air est excellent :
aussi est-ce un paradis terrestre où les croix et les
épines naissent si amoureusement, que plus on est
piqué, plus le cœur est rempli de douceur. »
Ce qui contribuait à inonder de douceur et de conso-
lation le cœur des religieuses, c'était le bien qu'elles
faisaient aux âmes. En peu de temps, par leurs témoi-
gnages de bonté et par l'efficacité de leurs prières, elles
transformaient ces populations abruties. La Mère Marie
écrivait à ce sujet, au mois de septembre 1641 : « Je
CHAPITRE IX. t\\
ne vous parlerai pas de la barbarie de nos souvages,
car il n'y en a plus dans cette nouvelle Eglise; mais on
y voit un esprit tout nouveau, qui porte je ne sais quoi
de divin.... Nous avons des dévots et des dévotes
sauvages, comme vous en avez de polis en'" France.
Il y a cependant cette différence qu'ils ne sont pas si
subtils et si raffinés que les vôtres, mais ils sont dans
une candeur d'enfance, qui fait voir que ce sont des
âmes lavées et régénérées dans le sang de Jésus-Christ.
Quand j'entends parler le bon Charles Montagnais, et
Michel Tekouerimat, je ne quitterais pas la place
pour entendre le premier prédicateur de l'Europe...
11 y a quelque temps, Michel me disait : «* Je ne vis plus
pour des bêtes, moi, comme je vivais autrefois, ni pour
des robes de castor. Je vis et je suis pour Dieu. Quand
je vais à la chasse, moi, je lui dis : Grand capitaine
Jésus, détermine de moi; encore que tu arrêtes les
bêtes et qu'elles ne paraissent pas devant moi, j'espé-
rerai toujours en toi. »
» Que pensez-vous que mon cœur dise de tous ces
progrès? pensez- vous qu'il ne chérisse pas les petits
travaux du Canada? »
Une relation écrite cette "même année, 1641, par le
Père Le Jeune, Jésuite, fait encore mieux connaître les
succès des Ursulines.
« Leur monastère renferme plus de joie dans sa
petite enceinte que les palais des Césars dans leur
grande étendue.
» Disons deux mots de leurs petites séminaristes.
Ces petites créatures ont un si grand désir de se faire
instruire, qu'elles disent à leurs maîtresses de les châ-
tier si elles manquent à leur devoir, et si l'une tombe
en quelque faute, elle se jette aussitôt à genoux pour
ÎÎ12 MARIE DE l'incarnation.
demander pardon. Les deux plus grandes écrivirent
ce printemps à un de nos Pères, lui témoignant, d'un
côté, une grande consolation de ce qu'il instruisait
leurs compatriotes, et, de l'autre , le plaisir qu'elles
auraient de le revoir. Le Père lut ces deux lettres en
présence des sauvages, leur montrant comme leurs
enfants étaient capables d'écrire aussi bien que les
Françaises. Ils prenaient ces lettres, les tournaient de
tous côtés; ils faisaient dire et redire tout ce qu'il
y avait dedans, bien joyeux de voir que notre papier
parlait leur langue.
n Ces enfants croissent tous les jours en dévotion
et en vertu; elles font chaque soir l'examen de leur
conscience et s'entr'avertissent avec paix de leurs
petits défauts. Il y en a une, qui n'a pas plus de huit ans,
qui instruit celles qui sont plus jeunes, les aide à
s'examiner et leur recommande sur toutes choses de
ne cacher aucun péché. Je puis vous assurer que je
n'ai entendu aucun enfant français de leur âge qui
ouvrît son coeur plus nettement, et qui en reconnût
mieux les petits plis et replis. »
Il y avait quelquefois, il est vrai, des ombres au
tableau ; il se trouvait des enfants dont la sauvage
nature ne se pliait pas aussi facilement à la discipline.
En voici quelques exemples.
Le chef des Algonquins, Michel Tekouerimat, dont
nous venons de parler, et que les Ursulines appelaient
le Grand Tekouerimat, leur avait donné sa fille le
lendemain de leur arrivée. Cette enfant était donc leur
première élève, et tant pour cette raison qu'à cause
CHAPITRE IX. 213
de la foi et de toutes les grandes qualités de son père,
elle était la plus chérie. Madame de la Peltrie voulut
être sa marraine, et elle lui donna le nom de Marie.
Dès son entrée, on l'avait habillée à la française ainsi
que plusieurs de ses compagnes qui se joignirent
promptement à elle : Madeleine Amiskouevan, Marie-
Madeleine Abatenau, Marie-Ursule Gamitiens, Agnès
Chapdikouechich, Louise Aretevir et Nicole Asse-
panse. La nouveauté plut à toutes. N'était-ce pas un
délicieux passage de la vie errante et grossière des
sauvages aux manières civiles et douces, ainsi qu'à la
propreté des dames françaises? Ce plaisir cependant
dura fort peu pour notre volage petite Marie. Elle
parut d'abord, il est vrai, avoir oublié les bois, les jeux
de son enfance et tous les gais passe-temps de la vie
indépendante et oiseuse; mais le naturel revint. —
Je suis triste, dit-elle un jour à ses compagnes; je
n'entends plus les oiseaux de Sillery; je ne puis plus
courir sur nos rochers, ni jouer avec nos gentils écu-
reuils; je vais donc mourir... je suis triste, je vais
mourir ici !
A midi, Marie n'était pas à table : ce fut en vain
qu'on l'attendit, en vain qu'on la chercha. Elle avait
imité ses « gentils écureuils » en grimpant par-dessus
la clôture pour prendre la route des bois. Après deux
heures de course, la petite déserteuse se trouvait au
milieu de la bourgade de Sillery; ses joUes chaussures
ne tenaient plus, sa belle robe rouge était en pièces
et ses longs cheveux noirs tombaient en désordre sur
ses épaules.
Qu'importe! Elle se présente gaîment à l'entrée de
la cabane de son père; mais la réception ne fut pas
aussi flatteuse qu'elle se Tétait imaginé. Sa mère, en la
214 MARiK dp: l'incarnation.
voyant dans ce triste état, éclate en sanglots et lui dit :
u Enfant, tu seras cause de ma mort. » Son père lui
adresse ces paroles avec un regard sévère : « Ma fille,
est-ce moi qui t'ai permis de quitter les vierges? Va,
ingrate, retourne à la maison de Jésus... tu ne resteras
pas ici. » Le lendemain, dès la pointe du jour, sa mère
la réveille et lui donne à manger. Tekouerimat, sans
prononcer une seule parole, prend sa fille par le bras
et l'amène au canot qui les attendait. Une heure
après, ils étaient sur le rivage, à la porte du petit
cloître de la Basse- Ville. Les religieuses, qui étaient
dans une mortelle inquiétude, ne peuvent exprimer leur
joie. Marie seule se fait entendre; elle éclate en san-
glots et promet qu'elle sera pour toujours ohéissante.
Madame de la Peltrie la serre dans ses bras, l'habille
de nouveau, lui lave le visage, arrange ses cheveux,
lui met des souliers et des mitaines rouges et la ramène
à la classe.
L'enfant fut fidèle à sa promesse, elle fut toujours
obéissante et elle se distingua par son assiduité au
travail et sa piété. Dans sa relation de 1647, le R. P.
Lallemant dit, en parlant d'elle : « On a marié, cette
année, une jeune fille sortie depuis quelque temps
du séminaire des Ursulines; elle est d'un naturel fort
doux et bien affermie dans la foi; le jeune homme
qui l'a épousée n'est pas moins bon chrétien que son
épouse. "
Les annales du monastère nous apprennent en même
temps que la générosité des religieuses ne fit pas défaut
en cette occasion ; car non-seulement elles donnèrent
à Marie tous les petits meubles nécessaires dans son
nouveau ménage, mais aussi elles obtinrent pour cette
élève chérie une belle somme d'argent que les Ursulines
CHAPITRE IX. 215
de Paris voulurent bien fournir comme dot pour son
mariage.
Ea 1643, une autre Algonquine eut également un
accès de noir ennui, ce que nous appelons le mal du
paijs. En vain religieuses et élèves s'empressaient
auprès d'elle. « Je suis triste, répondait Catherine, je
m'en vais mourir loin de ma cabane! » Assise dans un
coin et enveloppée de sa couverture, elle semblait
avoir fait ses adieux au monde entier; et si parfois
elle ouvrait encore son œil morne, c'était pour regarder
les chemins qui conduisaient aux terres de chasse de
son père. Enfin ne pouvant plus supporter sa mélan-
colie, elle sort un jour par une croisée, saute par-dessus
la clôture et s'éloigne en courant de toutes ses forces.
Quelques minutes après, elle se retourne, et voyant que
personne ne la suivait, elle ralentit sa marche. Puis,
regrettant déjà sa fuite, elle arrive à la cabane de ses
parents. Ceux-ci, étonnés, lui demandent pourquoi elle
a quitté les filles vierges (les religieuses). — C'est parce
que je suis triste. — Eh bien, lui dit sa mère, puisque
tu ne veux pas faire autre chose , viens travailler
avec moi.
Quelques jours après, elle dit à sa mère : « Je m'en
vais retourner chez les filles vierges, je ne suis plus
triste; je n'avais pas d'esprit quand je les ai quittées. »
Sa mère lui répond : « Va si tu veux, mais ne reviens
plus sans qu'on te le dise. »
Catherine, livrée à sa volonté, reprend la route du
monastère. A mesure qu'elle approche, elle sent son
cœur battre, car elle se reconnaît coupable et elle ne
sait de quelle manière on va la recevoir. Elle se glisse
derrière la clôture et voit ses compagnes qui s'amu-
saient gaîment. « Oh! dit-elle, je ne serai plus triste! »
216 MARIE DE l'incarnation.
et, s'élançant vers la porte, elle demande l'entrée. La
portière lui répond que sa place est prise au séminaire"
et qu'elle ne peut plus entrer. A ces mots elle éclate
en sanglots, et supplie la sœur d'intercéder pour elle.
Peine inutile; là Mère de l'Incarnation avait résolu
d'expulser, au moins pour quelque temps, ces petites
coureuses des bois qui troublaient l'ordre. Catherine,
voyant qu'elle ne gagnait rien, prend finement un
détour et attend l'heure où les externes doivent se
rendre au couvent. Dès que celles-ci arrivent, elle leur
conte ses aventures et elles lui promettent leur assis-
tance. On sonne, la porte s'ouvre et la troupe entre
lentement. Bientôt la portière aperçoit Catherine qui
court se jeter aux pieds de la Mère de l'Incarnation. —
« J'ai mal fait de vous quitter, je ne m'enfuirai plus, je
serai obéissante; c'est tout de bon que je veux être
instruite. » La Mère de l'Incarnation, touchée de ses
larmes et de ses promesses, lui fait grâce; on lui
donne des habits neufs, elle se remet à l'étude et
jamais, depuis, l'on n'eut le moindre reproche à faire
à Catherine.
L'histoire d'une autre espiègle est ainsi racontée par
le Père Vimont, Jésuite :
« Une petite fille de huit à neuf ans sortit (à la sour-
dine) du séminaire des Ursulines, l'an dernier, pour
retourner chez ses parents, oii elle passa l'hiver. Au
printemps, ils revinrent à Québec,, et cette pauvre
enfant va prier les Mères de la reprendre. On refuse;
l'enfant pleure et veut rester malgré ses parents et
contre la volonté des religieuses. On la renvoie pour-
tant; elle revient, on la refuse encore. Enfin elle profite
de l'occasion d'une procession publique pour y retourner
une troisième fois. Ce jour-là, les religieuses faisaient
f
CHAPITRE IX. 217
festin ^aux sauvages et la petite était présente avec ses
parents. Mais au moment de leur départ, elle les quitte
et court à la porte du monastère en criant de toutes ses
forces : «» Je veux êtrelnstruite, ayez pitié de moi, mes
parents ne peuvent pas m'instruire! » La nuit vient,
la pluie tombe, elle se couche à la porte et les reli-
gieuses sont forcées de l'admettre. »
La chronique du monastère ajoute que cette enfant
devint par la suite une des plus sages de la classe.
Mais aucune élève sauvage n'a laissé un plus doux
souvenir que Thérèse, dite la jeune captive huronne. On
nous saura gré de faire connaître ce qu'en disent les
Annales du monastère de Québec.
Thérèse fut amenée aux Ursulines au printemps de
l'année 1640, par son oncle, le bon Joseph Taonde-
chorin, et l'ardeur de son zèle pour la religion fut telle,
que ses saintes institutrices en étaient tout émerveil-
lées. Plusieurs de ses compatriotes venus à Québec
s'étant convertis, on la regarda comme l'instrument
dont Dieu s'était servi pour leur ouvrir les yeux à la
lumière de la foi. Voici ce que raconte à ce sujet le
Père Vimont : « Deux Hurons avaient passé l'hiver à
Québec; l'un des motifs qu'ils eurent d'embrasser la foi
de Jésus-Christ, fut de voir le zèle d'une jeune sémina-
riste, leur compatriote, nommée Thérèse. Cette enfant,
âgée de treize à quatorze ans, leur parlait de Dieu et
de la grandeur de nos mystères avec une éloquence
naturelle si douce, que ces bonnes gens en étaient
puissamment touchés, en sorte qu'un de leurs plaisirs
était de la visiter de temps en temps.
218 MARIE DE l'incarnation.
y> L'un d'eux, considérant la ferveur de cette jeune
chrétienne, voulut l'éprouver. Comme 14 était sur le
point d'être baptisé et que cette enfant en ressentait
une grande joie,» il va la trouver au parloir des Ursu-
lines, et feignant d'avoir perdu la foi, il lui dit qu'il a
peine à croire tout ce qu'on lui enseigne, et qu'il ne
pense plus à son baptême. A ces paroles, voilà cette
jeune fille tout en feu. « Que penses-tu faire, misérable?
lui dit-elle dans une sainte colère. Qui est-ce qui a
troublé tes pensées? Veux-tu donc aller dans l'enfer
avec les démons? Tu mourras peut-être cette nuit,
et tu te trouveras avec eux avant le jour! Ah! le
diable t'a renversé la tête. " Le voyant continuer à faire
l'infidèle, elle éclate en sanglots et l'accable de repro-
ches. Enfin croyant qu'il n'y a plus rien à espérer pour
lui, elle le quitte et va tout éplorée trouver la Mère
de l'Incarnation. « Il est perdu, dit-elle, et je suis
triste, car il ne veut plus croire en Dieu; le diable l'a
trompé et il dit qu'il ne se soucie plus d'aller au ciel. »»
Puis, élevant la voix et gesticulant avec menaces, elle
ajoute : « Ah! si j'eusse pu rompre la grille, je l'aurais
bien battu. »»
Les Ursulines faisant une retraite chaque année, les
sauvages qui, durant ces exercices, ne les voyaient
pas, disaient qu'elles se cachaient pour prier. La petite
Thérèse voulant aussi se cacher, se fait une espèce
de cabane dans un bocage retiré et passe toute sa
journée à prier. Une de ses compagnes, l'ayant trouvée
là, lui demande ce qu'elle fait. — Je me cache comme
les Mères, afin de prier Dieu pour vous, pour moi,
pour les Français et pour les sauvages.
A la fin de son éducation, dans le cours do l'année
1642; elle fut confiée au Père Jogues pour être rendue
CHAPITRE IX. 219
à sa famille qui habitait les bords des grands lacs;
mais elle fut prise par les Iroquois avec ceux de ses
parents qui raccompagnaient, le Père Jogues et deux
Français, L'année suivante, le Père Vimont écrivait
à son sujet : « Nous avons des nouvelles de la jeune
Thérèse, captive chez les Iroquois, Là son cœur reste
fidèle à Dieu, et sa bouche ne trouve de paroles que
pour le glorifier. » Son oncle Taondechorin, qui avait
été pris avec elle, s'étant échappé, lui rendait témoi-
gnage dans les termes suivants : « Thérèse n'a point
de honte de son baptême; elle prie Dieu publiquement;
elle se confesse souvent au Père Jogues, et elle m'obéis-
sait en tout. Je l'exhortais souvent à ne point se laisser
abattre. Je lui disais : Aie courage, cette vie est courte,
tes travaux prendront fin et tu seras heureuse au Ciel,
si tu persévères. Elle n'a point de chapelet pour prier,
mais elle se sert de ses doigts ou de petites pierres
qu'elle laisse tomber à chaque Ave Maria qu'elle dit.
« Thérèse parlait souvent de vous, mes Mères. Hélas!
disait-elle, si les filles vierges me voyaient en cet état
parmi ces méchants Iroquois, qui ne connaissent pas
Dieu, oh! comme elles auraient pitié de moi!... »
La pauvre enfant n'invoqua pas en vain Tassistance
de ses anciennes Mères, dont l'ingénieuse tendresse
avait déjà trouvé moyen d'intéresser à sa délivrance
toutes les autorités du pays. Grâce à cette touchante
sollicitude, Thérèse fut délivrée, quelque temps après,
par un échange de prisonniers.
Voici encore quelques traits qui montrent le bien
que firent les Ursulines dès leur arrivée au Canada.
220 MARIE DE L INCARNATION.
La Mère de Saint- Joseph, première maîtresse des élèves
huronnes, rendant compte aux RR. PP. Jésuites des
dispositions de ses élèves, leur disait : « Quand on eut
donné avis à trois de nos plus grandes séminaristes
quelles pourraient communier à Pâques, je ne vis
jamais plus de joie. Elles témoignèrent un plaisir
indicible pendant qu'on les instruisait sur cet adorable
mystère; elles semblaient avoir de cette amoureuse
vérité une intelligence bien supérieure à leur âge. Elles
voulurent jeûner la veille de leur première communion,
coutume qu'elles ont gardée depuis, autant de fois
qu'elles se sont approchées de la sainte table. »
Voici le témoignage que leur rend à son tour madame
de la Peltrie : « Je ne puis me dispenser de vous
raconter la joie que nos enfants font paraître de ce
qu'on leur a accordé la sainte communion pour le
Jeudi-Saint. Cest une ferveur qui n'est pas croyable.
Quand on leur demande pourquoi elles ont un si grand
désir de communier, elles répondent que Jésus viendra
dans leur cœur et qu'il embellira leur âme. Souvent
l'on aperçoit le visage de ma filleule, Marie Négabamat,
dans un épanouissement de joie tout extraordinaire;
si vous lui en demandez le sujet : « C'est, répond-elle,
que je communierai bientôt. » Je vous avoue que j'ai
le cœur ravi de les voir dans de si belles dispositions,
de sorte que lorsqu'il plaira à Dieu de me retirer de ce
monde, je suis satisfaite, puisque sa miséricorde com-
mence à reluire sur nos pauvres séminaristes, et qu'il
semble agréer nos petits travaux. «
Un jour, pendant que le R. P. Pijard instruisait celles
qui devaient communier, une des plus petites, âgée
d'environ six ans, se présenta devant lui, demandant
à être admise à communier comme les autres. Le Père
CHAPITRE IX. 221
lui dit qu'elle était trop petite. « Ah ! Père, s'écria-t-elle,
ne me renvoyez pas parce que je suis petite; vous
verrez, je deviendrai bientôt aussi grande que mes
compagnes. » On lui laissa écouter l'instruction, et elle
retint si bien ce qu'elle entendait, elle en rendait compte
d'une manière si étonnante, qu'elle ravissait tous ceux
qui l'interrogeaient.
Sa mère, étant venue la voir, elle se mit à l'instruire
des mystères de notre sainte foi, qu'elle lui expliquait
par des images ; ensuite elle la fit prier Dieu et se mit
en devoir de lui apprendre à lire. La mère était si
ravie, qu'elle se fit enfant avec son enfant, prenant
sa leçon et répétant les lettres après sa petite fille.
Ensuite elle dit aux religieuses : « Ah ! que n'ai-je
connu Dieu aussitôt que vous; je suis très-contente de
voir ma fille avec vous; quand nous la retirerons, elle
nous instruira son père et moi; nous avons tous deux
un grand désir d'être baptisés ; elle nous enseignera
à prier Dieu. »
Voici une autre preuve de la précocité d'intelligence
chez les enfants canadiens. Elle se trouve dans une
lettre de la Vénérable Mère, datée du 3 septembre 1640,
et adressée à une dame de qualité, dont on ignore le nom.
y* Votre filleule,^ Marie-Madeleine Abateneau, nous
fut donnée toute couverte de petite vérole et n'ayant
encore que six ans. A cet âge, elle seule avait servi
son père et sa mère dans la maladie dont ils mouru-
rent, ce qu'elle faisait avec tant d'adresse, qu'elle exci-
tait l'admiration. Il ne se peut rien voir de plus obéis-
(1) Plusieurs dames en France s'intéressaient à l'œuvre apostolique du Canada,
et demandaient à être marraines de petites sauvages, à peu près comme on le
pratique aujourd'hui pour les enfants chinois, excepté qu'elles connaissaient, pour
ainsi dire, leurs filleules par les nouvelles qu'on leur en donnait.
222 MARIE DK L INCARNATION.
sant que cette enfant; elle prévient même l'obéissance,
car elle a l'adresse de se placer dans les lieux où elle
prévoit qu'on pourra l'employer; et elle fait ce qu'on
lui commande avec tant de maturité et de si bonne
grâce, qu'on la prendrait pour une fille de qualité.
J'ajouterai, pour votre consolation, qu'elle sait par
cœur son catéchisme, avec les prières chrétiennes
qu'elle récite avec une dévotion capable d'en donner
à ceux qui la voient. »
La vénérable Mère ajoute dans la même lettre :
« Marie-Ursule Gamitiens, filleule de mademoiselle
de Chevreuse, n'est âgée que de cinq à six ans. Elle
n'est pas plus tôt éveillée, qu'elle se met d'elle-même
en devoir de prier Dieu. Elle dit son chapelet durant
la messe et chante des cantiques en sa langue
sauvage. »»
C'est peut-être de sa bouche que sortirent ces paroles
attribuées à une petite sauvage qu'on ne nomme pas :
« Je n'ai plus de parents que les vierges habillées de
noir; ce sont mes mères. Mon père me l'a dit avant
sa mort, il m'a commandé de leur obéir, il m'a donné
à elles afin qu'elles fussent mes mères. »
La Mère de l'Incarnation dit encore, à propos de
trois autres jeunes filles qui leur avaient été confiées
par un Jésuite : « Les trois séminaristes que vous nous
avez données, ont laissé leur humeur sauvage à la
porte. Elles n'en ont rien apporté chez nous, et il
semble qu'elles y aient toujours été élevées. Elles voient
tranquillement entrer et sortir des filles et des femmes
sauvages, sans laisser voir aucun désir de les suivre.
Elles les saluent à la française et les quittent en riant.
II leur semble que nous soyons leurs mères naturelles,
et elles viennent se jeter entre nos bras comme en'leur
CHAPITRE IX. 223
refuge, quand elles ont quelque petite affliction. L'un
de ces jours, comme j'avais des douleurs de tête, on
leur dit que j'étais malade et que je mourrais si elles
faisaient du bruit. A ce mot de mourir, elles se mirent
toutes à pleurer, et elles gardèrent parfaitement le si-
lence. Quedésireriez-vous davantage? Ne semble-t-il pas
que les trésors du Ciel se versent sur ce pauvre peuple?»
Madame de la Peltrie, écrivant à un Père Jésuite,
rend le même témoignage aux petites sauvages, dans^
les termes suivants : « Je ne serais pas satisfaite si je
ne vous entretenais de la consolation que je reçois
journellement de nos petites filles; j'en ai tout le plaisir
qu'une mère pourrait souhaiter de ses bons enfants,
tant en l'obéissance qu'elle me rendent, qu'en l'amour
tendre et filial qu'elles me portent. J'avais commission,
durant la retraite de nos Mères, de leur faire prier
Dieu, de leur faire répéter leur leçon; je ressentais,
en faisant cette action, une joie qui ne se peut dire.
Leur ayant fait comprendre que nos Mères étaient avec
Dieu, je leur fis garder durant huit jours un silence qui
m'étonna; j'en venais bien plus aisément à bout que des
Françaises. L'un de ces jours, ayant gardé le lit une
matinée pour quelque indisposition, comme je vins
à passer dans leur chambre, l'après-dînée, ce furent
des caresses qui ne sont pas croyables. ElUes s'écriaient
Nmgue, Ningue, ma Mère, ma Mère; elles se jetaient
à mon cou si bien que j'eus de la peine à m'en défaire.
r> Etant allée vous voir dernièrement à Saint-Joseph
de Sillery, je laissai deux de mes enfants à la maison;
elles ne firent que se lamenter en mon absence; l'on
en trouva une tout éplorée dans un petit coin, se
lamentant et s'écriant : Daiar, Nmgue, Daiar, venez, ma
Mère, venez ;Da/ar, Madame. Elles m'appellent tantôt
224 MARIE DE l'incarnation.
d'une façon, tantôt d'une autre, croyant ainsi me faire
répondre plus tôt.
j» J'ai commencé à leur montrer à travailler à l'ai-
guille, mais mon principal exercice, c'est de les pei-
gner, laver et habiller; je ne suis pas capable de
chose plus grande. Hélas ! mon révérend Père, encore
suis-je trop heureuse de leur pouvoir rendre ces petits
services. »»
Voilà la véritable charité chrétienne; elle s'exerce
par le dévoûment le plus généreux, et avec l'humilité
la plus profonde. C'est le feu que Notre Seigneur est
venu apporter sur la terre et qui produit un embrase-
ment. Les missionnaires françaises brûlaient de ce feu
et elles le communiquaient à tout ce qui les approchait.
Persuadé que les âmes pieuses aimeront à voir, dans
les œuvres admirables des premières Ursulines du
Canada, les preuves d'un zèle que Dieu bénissait d'une
manière visible, nous ajouterons de nouveaux récits
à ceux que nous avons donnés. La voie que nous avons
à suivre est d'ailleurs facile; elle nous est tracée en
ces termes, par l'annaliste du monastère de Québec.
« Sans parler de ces nombreux néophytes, hommes,
femmes et filles, qu'elles disposèrent au saint baptême,
ni de ces innocentes- petites séminaristes nouvellement
régénérées, et qui cherchaient en tout à imiter la
ferveur de leurs Mères, passons à celles qui, plus
avancées en âge, portaient au loin les fruits des saintes
instructions qu'elles avaient reçues. »
« Nous avons eu, dit la vénérable Mère, trois
grandes séminaristes qui ont été cet hiver à la chasse
avec leurs parents, pour les aider dans le ménage et
CHAPITRE IX. 2*25
à apprêter leurs pelleteries. Elles s'appelaient Anne-
Marie , Agnès et Louise. Elles eurent bien de la
peine à se résoudre à ce voyage , parce qu'elles
devaient être trois mois privées de la sainte Messe
et de l'usage des sacrements. Nous les pourvûmes
autant que notre pauvreté put le permettre, après
quoi elles nous quittèrent avec bien des larmes. Leur
principal office était de régler les prières et les exer-
cices du chrétien parmi les sauvages. L'une s'occupait
des prières et les faisait faire avec une singulière
dévotion; la seconde indiquait les cantiques spirituels
sur les mystères de la foi ; la troisième présidait à
l'examen de conscience et faisait concevoir à l'assem-
blée l'importance de cet exercice. Mais quoiqu'elles
passassent ainsi le temps dans des pratiques de dévo-
tion , elles ne laissèrent pas d'écrire deux fois au
R. P. Supérieur de la mission et à moi, en des termes
si religieux et si judicieux, que tout le monde admi-
rait leur esprit. Le sujet de leurs lettres était que se
voyant si longtemps privées des sacrements , elles
demandaient qu'on leur envoyât des secours pour les
retirer de cet ennui.
» A leur retour, la première visite qu'elles firent fut
au Très-Saint'Sacrement, la seconde à l'image de la
Très-Sainte Vierge, comme aussi au petit Jésus. Anne-
Marie avait cherché les premières fleurs du printemps
pour leur faire des couronnes.
y> Anne-Marie et Agnès étant suffisamment instruites,
leurs parents songèrent à les reprendre tout à fait.
Elles en eurent beaucoup de chagrin et vinrent un jour
trouver notre Vénérable Mère, lui présentant deux
petites lettres qu'elles désiraient envoyer à leur cabane.
Voici ces deux lettres oii l'on verra avec plaisir un
M. DE l'iNC. 15
226 MARIE DE l'incarnation
échantillon de style des jeunes sauvages élevées au
Canada par les premières Ursulines. »
On n'explique pas le titre de frère et de sœur que
donnent ces enfants à leur père et à leur mère.
Première lettre :
« Mon frère, je suis résolue de ne m'en pas aller,
c'est une conclusion prise que je veux être vierge, et
que je désire aimer et servir, en cette maison oii je
suis, Celui qui a tout fait. Je désire, dis-je, y demeurer
toute ma vie pour instruire des filles de ma nation.
Si je puis une fois savoir bien lire et écrire, je leur
enseignerai plus efficacement à aimer Dieu. Apaise-toi,
mon frère, apaise ma soeur, car je ne veux plus m'en
aller chez toi. Adieu donc, mon frère , je te serai
servante tant que je vivrai et je prierai Dieu pour toi
dans la maison des prières. Agnès. »
Voici la lettre d'Anne-Marie :
« Mon frère, agréerais-tu que je demeurasse pour
toujours avec les filles vierges en cette maison? car
de tout mon cœur je souhaité d'être vierge comme
elles, et c'est une affaire d'importance pour moi que
je sois toujours vierge. Quand je serai plus grande,
j'instruirai les filles de ma nation, et leur enseignerai
le chemin du Ciel, afin qu'elles puissent un jour, après
leur mort, voir Celui qui a tout fait. Voilà pourquoi j'ai
résolu de ne m'en pas retourner chez toi, si tu l'agrées,
et de demeurer pour toujours dans la maison des
prières. Prie pour moi, je prierai pour toi tant que je
vivrai, et je te serai servante, moi qui suis ta fille.
" Anne-Marie. «
CHAPITRE IX. 227
Que devinrent ces deux intéressantes jeunes filles?
Nous ne trouvons rien sur le sort d'Anne-Marie; mais
nous pouvons faire connaître celui de la bonne petite
Agnès. Voici d'abord, à son sujet, quelques lignes de
la Mère de l'Incarnation :
« Agnès Chapdikouechich, nous fut donnée au mois
d'août 1639. Le nom d'Agnès lui convient très-bien,
car c'est un agneau en douceur et en simplicité.
Quelque temps avant d'entrer au séminaire , elle
rencontra le R. P. de Quen dans le bois où elle
coupait sa provision ; elle ne l'eut pas plus tôt aperçu
qu'elle jeta sa hacbe à l'écart et lui dit : «Instruis-
moi, y Agnès fit cela de si bonne grâce que le Père
en fut sensiblement touché, et, pour satisfaire sa fer-
veur, il l'amena au séminaire avec deux de ses compa-
gnes. Toutes trois se rendirent bientôt capables du
saint baptême. Agnès fit en peu de temps de très-
grands progrès, tant danç la connaissance de nos saints
mystères que dans les bonnes mœurs, dans la science
des ouvrages, à lire, à jouer de la viole et en mille
autres petites adresses. »
Trois ans s'écoulent; Agnès avançait en âge, en
vertu, en science et en grâces naturelles. Habillée à la
française, douce et polie, parlant et écrivant sa propre
langue ainsi que le français, avec facilité, elle ne
ressemblait en rien à cette enfant de la forêt que le
Père de Quen avait rencontrée coupant des branches
d'arbres avec sa petite hache. La voyant si gracieuse
et si accomplie, ses parents voulurent l'avoir avec eux
pendant quelque temps, avant de la laisser entrer au
noviciat.
Ils l'emmenèrent à la pêche dans l'automne de 1643.
Un jour qu'elle s'amusait dans un canot avec plusieurs
228 MARIE DE l'incarnation.
autres jeunes filles, la frêle embarcation versa et elles
tombèrent dans les eaux profondes du Saint-Laurent.
On'se hâta d'accourir à leur secours; le frère d'Agnès
parvint à saisir sa sœur et la transporta presque sans
vie sur le rivage. Elle revint peu à peu et parut
reprendre des forces ; mais cet accident avait déterminé
sa mort.
Peu après, la vénérable Mère de l'Incarnation annon-
çait à ses amis de France la fin édifiante de sa douce
a
Agnès. « Il est mort une de nos séminaristes dans les
bois. Nous avions pensé la faire religieuse, car elle
en était très-digne. Mais enfin elle est morte son livre
à la main et en priant Dieu. »
Quand ceux qui l'assistaient lui annoncèrent qu'elle
allait mourir, elle se recueillit, puis, poussant un pro-
fond soupir, elle dit : « Hélas! je voudrais bien pouvoir
me confesser, je ne sens rien qui me pèse sur Ta con-
science; mais je voudrais bien être assistée par un
Père. " Il n'y avait pas moyen de satisfaire ce désir,
car ses parents étaient dans leurs grandes chasses et
l'avaient emmenée avec eux loin de toute habitation.
La pauvre enfant suppléa par sa foi vive et sa douce
piété aux secours extérieurs qui lui manquaient. Elle
produisait des actes de douîeur d'avoir offensé Dieu,
mais avec des expressions si touchantes, au rapport
d'un jeune Français qui avait accompagné ces sauvages
chrétiens pour apprendre leur langue, que tous en
étaient vivement émus. Elle avait toujours en main
ou devant ses yeux son livre et son chapelet pour
entretenir ses rapports intimes avec Dieu, et ce fut
ainsi qu'elle expira sous le regard des anges, loin de
ce monastère béni, où elle avait tant désiré de faire
le sacrifice de toutes choses et d'elle-même. "
CHAPITRE IX. 229
Ses parents l'inhumèrent avec son livre de prières
et son rosaire; et quand on leur demanda s'ils n'avaient
pas de regret de l'avoir perdue. — Non, dirent-ils,
elle a fait une trop belle mort; nous la croyons bien-
heureuse, il ne faut pas s'attrister de son bonheur.
Pauvre enfant ! Dieu lui accorda la grâce de mourir
vierge comme elle l'avait tant désiré. Qui sait même si,
voyant ses parents s'opposer à sa vocation, elle ne
demanda pas elle-même cette mort prématurée, mais
bien précieuse aux yeux de la foi? Elle avait été recher-
chée en mariage non-seulement par des jeunes gens
de sa nation, mais par des Français; n'était-ce pas
assez pour lui causer un vif désir de s'envoler prompte-
ment au ciel avec l'innocence de son baptême et la
brillante auréole de sa virginité?
Au premier abord on pourrait être surpris de voir
une si grande et si prompte transformation chez ces
pauvres populations du Nouveau-Monde; mais l'éton-
nement cesse quand on sait avec quel zèle notre véné-
rable Mère se livrait à ce travail avec ses sœurs. Voici
comment parle de leur œuvre, le P. Vimont, Jésuite :
« Les UrsuUnes ont des séminaristes passagères
tirées des cabanes sauvages, et elles en ont de séden-
taires. Leurs grilles sont visitées des nouveaux chré-
tiens, qui les vont voir pour entendre parler des choses
du Ciel. Il y a dans cette maison des religieuses qui
parlent algonquin, d'autres qui parlent huron : elles
honorent Notre-Seigneur en plusieurs langues, et sa
bonté leur donne occasion de débiter la science qu'il
leur a départie, leur envoyant des personnes qui, par
leur moyen, apprennent à le connaître et à l'aimer.
y> On aurait de la peine à croire que de petites filles
sauvages se rendissent ponctuelles aux temps des
230 MARIE DE l'incarnation.
prières et des instructions, si nos yeux ne voyaient
cette vérité. Il n'y a donc rien de si farouche que la
douceur, la grâce et l'éducation ne polissent. On entend
souvent avec plaisir ces petites sauvages entonner un
motet dans le chœur des rehgieuses pendant l'élévation
du Saint- Sacrement, et même chanter avec elles pen-
dant les vêpres. Il n'y a pas de doute que si l'on avait
le moyen d'en loger un plus grand nombre, on les
rendrait aussi adroites et aussi gentilles que nos Euro-
péennes. Ce n'est pas cependant ce que l'on cherche
pour le moment, mais bien de graver dans leur cœur
l'amour et la crainte de Celui dont elles ont maintenant
la connaissance : c'est à quoi visent les travaux de
ces bonnes Mères, auxquelles Notre- Seigneur semble
donner sa bénédiction.
» Or, ce n'est pas seulement à l'égard de ces jeunes
enfants que ces bonnes Mères emploient leur zèle : des
femmes sauvages et d'autres personnes les vont visiter
à leurs grilles et les supplient de leur donner quelque
instruction ; d'autres laissent leurs filles comme en
dépôt pendant quelques mois qu'ils vont faire leurs
grandes chasses, bien assurés qu'elles ne souffriront
ni la faim ni le froid ; et ce qui vaut mieux que tout
le reste, ils se réjouissent de ce qu'on leur apprend
le chemin du Ciel.
» Une de ces femmes, baptisée depuis quelques
années, revint trouver les religieuses pour être instruite
de nouveau sur le Saint-Sacrement. — J'ai été long-
temps absente, dit-elle, j'ai perdu -la mémoire de ce
que je dois savoir. A chaque article que lui expliquait
la bonne Mère qu'on lui avait donnée pour maîtresse :
— Voilà justement, disait-elle, ce qu'on m'avait ensei-
gné! je n'ai point d'esprit, je ne saurais retenir ce qu'on
CHAPITRE IX. 231
me dit. En vérité, tu me fais plaisir, je te remercie.
Ah! que j'étais affligée quelquefois quand quelques-uns
de mes enfants venaient à mourir! je ne trouvais point
de consolations; mais depuis que je suis baptisée, je
dis en mon cœur : Dieu a de l'esprit, il est bien sage,
il est bon, il sait tout ce qu'il fait; peut-être qu'il voit
de loin que si mon enfant vivait plus longtemps, il ne
croirait plus en lui et qu'il serait brûlé ; voilà pourquoi
il le prend de bonne heure; laissons-le donc, car mon
enfant n'est pas mal d'être avec lui. Quand j'en vois
mourir un, je dis : 0 Dieu, détermine de moi aussi,
si tu veux; fais tout ce que tu voudras de mes enfants.
Tu me veux peut-être éprouver; tu veux voir si je
crois en toi ; quand tu m'affligerais cent fois davantage,
j'y croirais toujours; je t'aimerai et t'obéirai toujours,
je veux tout ce que tu veux; et puis, en m'adressant
à mon enfant, je lui dis : prend courage, va-t-en voir
Dieu, et, quand tu le verras, dis-lui : Aie pitié de ma
mère!... prie-le pour moi afin que j'aille au Ciel avec
toi; je prierai pour ton âme, afin que tu ne sois pas
longtemps en Purgatoire. "
« Ce n'est pas tout, ajoute le même Père, plusieurs
sauvages de l'Isle, de la nation des Iroquois (dans les
environs du lac Témiscaming) et d'autres endroits,
étant venus se camper assez près de Québec, allaient
tous les jours dans la chapelle des Ursulines, où le
Père de Quen leur faisait l'aumône spirituelle; on en a
baptisé quelques-uns dans cette petite église, après les
avoir suffisamment instruits. Or, comme la misère
accablait ce peuple, l'aumône spirituelle étant faite.
232 MARIE DE l'incarnation.
venait l'aumône corporelle. Les Mères, au sortir du
sermon, donnaient à manger à quatre-vingts personnes,
charité quelles ont continuée durant six semaines. «
Après ces traits édifiants des jeunes sauvages du
Canada élevées par les Ursulines, en voici d'autres
racontés par le P. Vimont, Jésuite. Il dit, en parlant
de ces jeunes filles :
« Tout ce qui regarde le Sauveur leur est adorable,
surtout sa sainte mort et passion.
y> La plus grande récréation pour elles est de danser
à la mode de leur pays ; elles ne se livrent pas néan-
moins à cet amusement sans en avoir demandé la
permission. Etant venues un jour demander à leur
maîtresse de le leur permettre, la religieuse leur dit :
Mes enfants, c'est aujourd'hui vendredi, Jésus est mort
le vendredi et, par conséquent, c'est un jour de tristesse.
Il n'en fallut pas davantage pour les arrêter. Nous ne
danserons plus ce jour-là, dirent-elles.
» Le Vendredi-Saint, ces petites sauvages baptisées,
voyant jeûner leurs maîtresses plus rigoureusement
qu'à l'ordinaire, résolurent de les imiter; elles cachèrent
donc tout ce qu'on leur donna à manger ce jour-là,
se contentant de pain sec, sans vouloir prendre de
collation le soir.
» Ces bonnes Ursulines n'oublient rien pour bien
élever toutes ces petites créatures. La dévotion à la
Mère de Dieu est aussi florissante, parmi ces petites
pensionnaires du Canada, qu'au milieu des demoiselles
de notre France. Ces religieuses impriment tellement
l'amour de Marie dans le cœur de leurs élèves, que
celles-ci ne respirent que son service. Assez souvent
on les trouve seules, priant Dieu et récitant leur cha-
pelet. Elles prennent un singulier plaisir à ramasser
" CHAPITRE IX. 1^33
des fleurs dans les bois et à en faire des couronnes
qu'elles présentent à l'image de la Sainte Vierge; elles
l'entourent de leurs plus beaux bouquets et lui font
ingénument toutes les caresses possibles. Parfois ces
jeunes filles se glissent dans le chœur, et là, se plaçant
de part et d'autre comme des religieuses lorsqu'elles
officient, et tenant chacune un livre à la main, elles
chantent des hymnes ou récitent des prières comme
elles l'ont vu faire à leurs maîtresses. Elles chantent
ainsi' VAve Maris Stella avec les inclinations convenables,
et n'en sachant point d'autres par cœur, elles les répè-
tent jusqu'à vingt et trente fois, tant elles ont de plaisir
à chanter les louanges de la Vierge Mère de Dieu.
» Leur affection pour saint Joseph suit de fort près
celle de la Sainte Vierge. Qui veut qu'on aime celle-ci
veut aussi qu'on honore son glorieux époux : c'est
pourquoi ces bonnes Mères mettent bien avant dans
le cœur de ces petites innocentes la tendresse pour ce
saint patriarche, et elles leur apprennent à dire, après
chaque Ave Maria de la couronne de la Sainte Vierge,
Sancte Joseph, ora pro nobis, parce qu'elles l'ont choisi
pour leur premier protecteur parmi les saints. »
Le bien opéré par les Ursulines était si remarqué,
que le P. Vimont ne fait pas difficulté de regarder
leur établissement comme l'un des plus précieux du pays.
« Le séminaire des Ursulines est un des plus beaux
ornements de la colonie, et une ressource signalée pour
fixer les sauvages et les convertir. Elles ont toujours
eu un assez bon nombre de filles sauvages tant pen-
sionnaires fixes que passagères, outre les petites filles
françaises; et quantité de sauvages, hommes et fem-
mes, les vont voir souvent pour recevoir secours et
instruction. »
234 MARIK DE l'incarnation.
Le P. Lallement, dans sa relation de 1647, dit que,
durant le cours de cette année, elles ont instruit et
secouru plus de quatre-vingts filles sauvages.
Un an auparavant, la Mère de l'Incarnation écrivait :
« Notre plus grande moisson, c'est l'hiver, alors que nos
sauvages allant à la chasse de six mois, nous laissent
leurs filles pour les instruire. Ce temps nous est pré-
cieux, car comme l'été les enfants ne peuvent quitter
leurs mères, ni les mères leurs enfants, et qu'elles se
servent d'eux dans leurs champs de blé d'Inde et à
presser les peaux de castors, nous n'en avons pas
un si grand nombre. Nous en avons néanmoins toujours
assez pour nous occuper. >»
Quant aux sauvages, hommes et femmes, qui venaient
aux parloirs recevoir l'assistance corporelle et spiri-
tuelle, leur affluence fut quelquefois bien grande, puis-
que, d'après les annales du monastère, il y en eut
jusqu'à huit cents dans une seule année.
En 1648, la Mère de l'Incarnation exprimé son regret
que le nombre en ait diminué par suite des guerres et
de la férocité des Iroquois. Mais bientôt la dispersion
de la nation huronne, à la suite d'une guerre mal-
heureuse avec les Iroquois , fournit ample matière à
son zèle et à celui de ses sœurs. L'arrivée en grand
nombre de ces pauvres sauvages obligea cette infa-
tigable religieuse à étudier leur langue. « J'en appris
assez, dit-elle, pour enseigner les prières et le caté-
chisme aux filles et aux femmes, ce que nous faisions
alternativement par semaine, la Mère Saint- Joseph
et moi. »
Quel courage et quelle énergie, en même temps
quelle capacité intellectuelle n'a-t-il pas fallu à cette
sainte religieuse pour apprendre ces langues barbares
CHAPITRE IX. 235
dans un âge avancé, et sans avoir fait, dans sa jeu-
nesse, aucune étude qui pût rendre ce travail moins
pénible! Que de difficultés et de dégoût elle dut ren-
contrer, et combien d'autres se seraient découragés!
Mais elle donne elle-même, dans une de ses lettres,
le secret de sa persévérance.
« Vous rirez peut-être de ce qu'à l'âge de cinquante
ans je commence à étudier une nouvelle langue; mais
il faut tout entreprendre pour le service de Dieu et le salut
du prochain, » Voilà le grand mobile , et ce qui fait
disparaître les impossibilités. Les réflexions suivantes
de l'annaliste de 1863 n'en sont pas moins justes
toutefois.
« L'étude des langues sauvages fut, sans contredit,
le plus rude travail auquel eurent à se livrer en ce
pays nos saintes Mères. Nous avons vu que dès leur
arrivée, en 1639, elles s'y portèrent avec une ardeur
extraordinaire. Pour être en état d'enseigner plus toi
la voie du salut à ces pauvres sauvages, elles se parta-
gèrent la tâche. La Mère Saint-Joseph seule étudia
d'abord le huron ; la Mère de l'Incarnation et la Mère
Sainte-Croix s'appliquèrent à l'algonquin et au monta-
gnais. « Nous étudions la langue algonquine par pré-
ceptes et par méthode, ce qui est très-difficile, écrivait
la Vénérable Mère en 1640. Il faut que je vous dise
qu'en France je ne me fusse jamais donné la peine de
lire une histoire*, et maintenant il faut que je lise et
médite toutes sortes de choses en sauvage. Nous faisons
nos études en cette langue barbare comme font ces
jeunes enfants qui vont au collège pour apprendre le
latin. Nos révérends Pères, quoique grands docteurs,
en viennent là aussi bien que nous, 'et ils le font avec
une affection et une docilité incroyables. »
236 MARIE DE l'incarnation.
Dans" la suite, la Mère de l'IncarnatioQ se rendit
tellement maîtresse de ces différents idiomes, qu'elle put
laisser de précieux manuscrits pour en faciliter l'étude
à ses sœurs. « Mes occupations des matinées d'hiver,
écrivait-elle encore, sont d'enseigner les langues sau-
vages à nos jeunes sœurs. La Mère Assistante et la Mère
Sainte- Croix sont. assez savantes, parce que dans le com-
mencement nous apprîmes le dictionnaire par cœur.
» Comme ces études sont très-difficiles, j'ai résolu
de laisser avant ma mort le plus d'écrits que je pourrai.
Depuis le commencement du carême dernier jusqu'à
l'Ascension, j'ai écrit un gros livre algonquin d'histoire
sacrée et de choses saintes, avec un dictionnaire et un
catéchisme iroquois, que l'on estime un trésor. L'année
dernière, j'ai écrit un gros dictionnaire algonquin à
l'alphabet sauvage. »
C'est à ce prix que les Ursulines du Canada ache-
tèrent la faculté d'instruire les sauvages et de les
mettre dans le chemin du Ciel.
Avant l'époque dont nous parlons, il n'y avait pas
assez de Hurons à Québec pour réclamer un catéchisme
public, mais alors on le fit régulièrement aux femmes
et aux filles.
« Il est bon de faire remarquer ici, dit l'annaliste
de 1863, que ces instructions étaient données dès
l'année 1640, aux Algonquines et aux Montagnaises,
de la même manière que l'on instruit encore aujour-
d'hui pour la première communion, à l'école des
externes, les enfants des diverses paroisses de Québec,
qui sont présentés par leurs curés.' »
(1) Quoique cette manière d'agir des curés de Québec ne soit pas générale, elle
ne nous surprend pas. Il est tout simple que des hommes intelligents et des
prêtres zélés profitent de l'un des moyens les plus efficaces que l'on puisse
CHAPITRE IX. 237
On voit que la Mère de l'IncarDation ne reculait
devant aucun travail ni aucun sacrifice quand il s'agis-
sait de procurer le salut à ses chers sauvages. Elle ne
se contentait pas néanmoins de saisir l'occasion à
mesure qu'elle se présentait et de faire ie bien au jour
le jour. Non, il y avait chez elle un vrai zèle selon la
science; elle cherchait les moyens, non pas de faire
quelques bonnes œuvres du moment, mais d'assurer
le bien pour l'avenir. Simple femme enfermée dans un
cloître, elle travaillait à consolider la colonie en ame-
nant peu à peu les sauvages à abandonner la vie
errante; et pour cela elle les portait à bâtir des mai-
sons, leur procurant dans ce but tous les secours possi-
bles. Voici ce qu'elle écrivait, en 1641, en parlant d'une
jeune sauvage de dix-sept ans :
« Elle est recherchée en mariage par un Français,
mais on a dessein de la marier à un de sa nation, à
cause de l'exemple qu'on espère qu'elle donnera aux
sauvages. Oh! si Dieu donnait la dévotion à quelque
personne de France d'aider à faire une petite maison!
Cette fille nous a beaucoup aidées dans l'étude de la
langue, parce qu'elle parle bien français. Elle gagne
rencontrer pour bien préparer des jeunes filles au grand acte de leur première
communion. Un prêtre s'honore certainement en reconnaissant que des reli-
gieuses sont plus propres à une pareille fonction que lui-même. Nous ne parlons
pas ici de l'enseignement de la doctrine, mais de ces soins pieux qui disposent
l'âme d'une enfant à la délicatesse de conscience, à l'amour de la piété et à cette
pureté du cœur qui la transforme en un ange.
Un vénérable vieillard, curé de la seconde paroisse de Blois, disait il y a trente
ans à une jeune fille qui lui demandait la permission de faire sa communion
pascale aux Ursuiines, parce qu'elle désirait aller s'y préparer auprès de ses
anciennes maîtresses : " Allez, ma chère enfant, non-seulement je vous permets,
mais je rous félicite ; je voudrais que tous mes paroissiennes fissent comme
vous, je serais sûr qu'elles feraient une bonne communion. « N'est-ce pas là un
langage vraiment sacerdotal?
238 MARIE DE l'iNCARNATIOxN.
les cœurs de tout le monde par sa grande douceur et
par ses belles qualités. »
Madame de la Peltrie faisait également tous ses
efforts pour arracher ces pauvres nations à la vie
errante. C'est le témoignage que lui rend le P. Vimont :
« Elle leur parlerait bien plus volontiers des mains;
et si elle pouvait exercer le métier de maçon ou de
charpentier pour leur dresser de petites demeures ,
elle s'y emploierait avec d'autant plus d'ardeur qu'elle
voit de bonnes dispositions en ces peuples pour se
fixer, w
Les efforts que firent les Ursulines pour amener les
sauvages à quitter la vie errante parurent, au premier
abord, devoir être couronnés d'un certain succès; car,
en 1644, on en décida trois cents à se cantonner autour
du monastère. Malheureusement on ne put se procurer
les secours matériels indispensables pour soutenir ces
heureux commencements; la minorité de Louis XIV
et les guerres de la Fronde ne permettaient pas au
gouvernement de la mère-patrie de faire les sacrifices
que demandait une colonie naissante; on manqua des
choses les plus indispensables à la vie, et les Ursulines
furent obligées de partager leurs faibles ressources
avec leurs chers sauvages. Elles s'aperçurent alors, ,
pour la première fois, que le pain se multipliait entre
les mains de la Mère de l'Incarnation, à mesure qu'elle
le distribuait. On constata en effet que n'ayant à par-
tager (que deux ou trois pains entre cinquante ou
soixante sauvages, elle trouvait moyen d'en donner
suffisamment à tqjis. Le prodige s'étant renouvelé assez
souvent pour ne plus pouvoir être révoqué en doute,
la vénérable Mère l'attribuait aux bonnes dispositions
de ces pauvres gens.
CHAPITRE IX. 239
Environ vingt-cinq ans plus tard, Louis XIV, profi-
tant d'un moment de repos après la paix d'Aix-la-Cha-
pelle, entreprit de donner suite à ce plan de colonisa-
tion, commencé par de pauvres religieuses qui n'avaient
d'autres secours que les aumônes qu elles sollicitaient
auprès de leurs amis de France; mais on alla trop loin.
On eut la prétention de franciser les sauvages, en
commençant par la jeunesse. Dans ce but on plaça au
séminaire diocésain de Québec et au pensionnat fran-
çais des Ursulines, un certain nombre de jeunes gar-
çons et déjeunes filles. Les hommes d'Etat de Louis XIV
se flattaient sans doute d'un heureux succès; mais la
Mère de l'Incarnation déclara nettement qu'on entre-
prenait une chose à peu près impossible. Elle avait
en effet pensé à cela, ainsi qu'on l'a vu, avant le
gouvernement français; mais elle n'avait pu obtenir
que des résultats insignifiants, qui lui faisaient dire :
« C'est à peine si sur cent, nous en avons francisé une. »
L'événement justifia cette prévision, car à la fin de
l'année il ne restait plus qu'un petit sauvage au sémi-
naire diocésain, et les Ursulines revenaient au premier
mode d'enseignement, qui consistait à élever séparément
les Françaises et les sauvages..
. Cette observation que les Ursulines ont à peine fran-
cisé une sauvage sur cent fait entrevoir le grand nombre
de jeunes filles indigènes élevées par elles, car les
registres de la maison et les écrits de la vénérable Mère
attestent que ceux que l'on réussit à franciser, comme
on disait alors, n'étaient pas en si petite quantité. « Nous
avons francisé plusieurs filles sauvages, Huronnes et
Algonquines, que nous avons mariées ensuite à des
Français et qui font fort bon ménage, » écrivait-elle.
Plusieurs furent jugées aptes à la vie religieuse, qu'elles
240 MARIE dp: l'incarnation.
auraient probablement embrassée si elles n'en avaient
été empêchées par des événements de force majeure.
Lorsque cette tentative de franciser les sauvages
vint à l'esprit des conseillers de Louis XIV, il y avait
près de trente ans que les Ursulines travaillaient à les
christianiser, et le peu que nous avons pu dire, fait
voir de qu'elle manière elles avaient réussi; mais on
nous saura gré de mettre dans un plus grand jour et
en citant des faits non moins intéressants que les pre-
miers, le bien que firent au Canada ces femmes vérita-
blement héroïques.
« 0 ma chère sœur, écrivait la Mère de l'Incarnation,
quel plaisir de se voir au milieu d'une troupe de
femmes et de filles sauvages, dont les pauvres habits,
qui ne sont qu'un bout de peau ou de couverture, n'ont
pas si bonne odeur que ceux des dames de France,
mais dont là, candeur et simplicité est si ravissante,
qu'elle ne se peut dire! Celle des hommes n'est pas
moindre. Je vois des capitaines généreux et vaillants
se mettra à genoux à mes pieds pour que je les fasse
prier Dieu avant de manger; ils joignent les mains
comme des enfants, et je leur fais dire tout ce que je
veux. L'un d'eux me dit : — Nous n'avons pas encore
d'esprit, mais nous en aurons quand nous serons
instruits.
» Le bon Victor Ouechkivé est un des meilleurs
ctrétiens; ayant peu de mémoire, il oublie facilement
ses prières : il n'en est pas de même de son oraison
intérieure, car il est dans une attention continuelle
à Dieu. Il s'en vient à la grille, et à la première de
nous qu'il rencontre, il dit : « Hélas! je n'ai point
d'esprit, fais-moi prier Dieu. » Il a la patience de se
faire répéter dix ou douze fois sa prière, et croyant
t CHAPITRE IX. 241
la bien savoir, il retourne à sa cabane, où il n'est pas
plus tôt arrivé qu'il l'oublie. Il revient encore, puis,
les mains jointes, il confesse comme un enfant qu'il n'a
pas d'esprit et prie qu'on recommence à l'instruire.
Combien pensez-vous que cette ferveur est agréable
aux âmes qui désirent la gloire de Dieu et le salut de
ces pauvres sauvages? »
Voici un autre trait de la vertu de Victor; c'est le
Père Vimont qui parle.
« Victor Ouechkivé s'étant confessé, raconta de quelle
manière Dieu lui avait donné deux fois sa .petite fille.
— Tu vois ma petite fille, Dieu me l'a donnée deux fois.
Etant cet hiver dans les bois pour faire notre grande
chasse, elle tomba malade, de sorte que je n'attendais
plus que la mort. Ma femme ne faisait que pleurer :
Tes larmes, lui dis-je, ne sauveront pas notre enfant;
ayons recours à Celui qui nous l'a donnée, et prions-le
qu'il nous la donne encore une fois.
» Ils se mirent tous deux à genoux et firent cette
prière : Toi qui as tout fait et qui conserves tout, c'est
toi qui as créé cette enfant"et qui nous l'as donnée; elle
est malade, tu peux la guérir; guéris-la donc, si tu
veux : si elle vit, elle croira en toi ; elle t'obéira quand
elle sera grande. Si tu ne veux pas la guérir, je ne
laisserai pas de croire en toi ; je n'en dirai pas davan-
tage, car tu es le Maître, fais ce que tu voudras. Le
lendemain, disait le bon néophyte, ma fille était en
aussi bonne santé que tu la vois maintenant. »
La Mère de l'Incarnation dit de son côté : « Nous
habitons un quartier où les Montagnais, les Algonquins,
M. DE l'iNC. 16
242 MARIE DE l'incarnation.
les Abenaquiouais et ceux de Saguenay viennent
s'arrêter; tous veulent croire en Dieu et lui obéir;
n'y a-t-il pas là de quoi mourir de joie? Un des leurs,
baptisé depuis peu, a plus fait que cent prédicateurs.
Dans un voyage à Tadoussac, il emporta tous les cœurs
pour les faire acquiescer à la doctrine que prêchait
le Père Lejeune. On voyait prêcher deux apôtres en
même temps, l'un Jésuite, l'autre sauvage, chrétien
depuis six mois seulement.
» J'ai vu ce bon Charles se mettre à genoux devant
des images que je lui avais données, prier avec tant
d'ardeur et dans un si profond recueillement qu'il
semblait ravi en extase. C'était lui qui gardait le Père
Lejeune, de crainte que quelque ennemi de la foi ne
l'abordât. — Mon Père, lui disait-il, je porte mon
pistolet pour te garder, et je ferai autant de pas que toi. »
Joseph Chiouatenhoux, regardé corhme l'un des apô-
tres indigènes du pays, était à Québec lors de l'arrivée
des Ursulines, et il fut converti à cette époque. De
retour dans son pays, « il va hardiment de bourg en
bourg, dit la vénérable Mère, prêchant avec une élo-
quence du paradis. Ses compatriotes, sachant qu'il ne
pouvait avoir cette science naturellement, étaient
comme en extase en l'entendant parler. Il leur disait :
Ah! si vous saviez la charité qui est parmi ceux qui
croient en Dieu, vous ne resteriez pas comme vous
êtes. Encore qu'ils ne se soient jamais vus, ce n'est
qu'un cœur et qu'une âme. Je fus ravi l'an passé à
Québec, à l'arrivée d'un vaisseau, où il y avait des
filles vierges vêtues de noir, qui pour l'amour de nous,
sont venues en ce pays. Les unes prirent des filles
montagnaises qu'elles faisaient manger avec elles et
à qui elles donnaient de beaux habits; les autres, qui
CHAPITRE IX. 243
étaient habillées d'une autre couleur, prirent les mala-
des, qu'elles assistaient et veillaient jour et nuit. A leur
arrivée, on fit tant de fêtes, que vous eussiez dit que
tous ceux de Québec n'étaient qu'un. Oh! que nous
sommes éloignés de cela! Nous vivons comme des
bêtes, et ne savons ce que c'est que la parfaite charité,
laquelle ne se trouve qu'avec ceux qui croient en
Dieu. »
Voici ce que dit d'un de ses autres élèves la véné-
rable Mère : « Augustin, ayant été' catéchisé, ne voulut
jamais partir pour la chasse qu'il ne fût lavé des eaux
du saint baptême. Je l'interrogeai longtemps sur les
mystères de notre sainte religion, et j'étais ravie de
l'entendre et de voir qu'il en avait plus de connaissance
que des millions de chrétiens qui font les savants : c'est
pour cela qu'on le nomma Augustin. Durant son séjour
à la chasse, il fut contraint de demeurer avec ceux de
sa nation, qui est l'une des plus immorales. Ils lui
donnèrent de grands sujets d'exercer sa foi et sa
patience; mais quoi qu'ils lui pussent dire, ils ne
l'ébranlèrent jamais, et il ne laissa pas sa prière, point
sur lequel on le combattait. Lorsqu'il fut de retour
pour la fête de Pâques, je lui demandai comment il
s'était comporté. — Ah! me dit-il, le diable m'a grande-
ment tenté. — Et que faisais-tu pour le chasser? —
Je tenais en main le chapelet que tu m'as donné, et je
faisais le signe de Jésus (le signe de la croix), puis
je disais : Aie pitié de moi, Jésus, c'est toi qui m'e
soutiens, chasse le diable afin qu'il ne me trompe point.
Ainsi ce bon néophyte demeura victorieux de ses enne-
mis visibles et invisibles. »
244 MARIE DE l'incarnation.
Le Père Lallemant raconte à son tour les traits
suivants, pour montrer à quel degré de vertu pouvaient
arriver ces pauvres sauvages instruits et dirigés par
des religieuses."
« Un Huron nommé Jean-Baptiste, voulant aller
à la chasse, et voyant qu'un Français refusait de lui
donner quelques vivres qu'il avait achetés, se sentit
ému et laissa échapper quelques paroles d'impatience.
S'apercevant aussitôt de sa faute, il va pour trouver
son confesseur ; ne l'ayant pas rencontré et ne voulant
pas partir avec un péché sur la consciencOj il court
aux Ursulines et demande la Mère Marie de Saint-
Joseph. La voyant à la grille, il lui dit ces quatre
paroles : Marie, tu diras à mon confesseur quand il
sera de retour : Jean-Baptiste a péché; il s'est mis en
colère, il en est grandement fâché; il se tiendra sur ses
gardes pour ne plus retomber. Cela dit, il s'en va sans
autre cérémonie. Arrivé à Sillery, il apprend que son
confesseur est de retour à Québec; il va le trouver
sans délai, se confesse, fait sa pénitence, se rembarque
dans son canot et part pour la chasse.
y> Un autre Huron allant voir de temps en temps
cette bonne Mère Saint- Joseph, lui dit un jour : Marie,
mes camarades veulent me mener à la chasse, donne -
moi conseil, que dois-je faire? — Comme il n'était pas
encore baptisé, la Mère lui répondit : Si tu désires être
bientôt baptisé, demeure, afin d'être mieux instruit.
Si tu n'es pas pressé de jouir de ce bonheur, tu peux
aller à la chasse. — Je ne suis pas venu parmi les
Français, reprit-il, pour amasser d'autres richesses que
celles de la foi; voilà l'unique trésor que je veux re-
porter en mon pays. Il resta et ne manqua pas un seul
jour, durant quatre mois, de venir voir la Mère Ouarie
CHAPITRE IX. 245
(c'est ainsi que les Hurons prononcent le nom de Marie,
leur langue n'ayant pas de lettres labiales). »
Nous ne pouvons reproduire tout le bien que firent
au Canada les pieuses et infatigables Ursulines, mais
ce que nous venons de mettre sous les yeux du lecteur
suffit pour donner une idée de leur zèle et de la
manière dont il fut béni par l'efficacité de la grâce.
Cependant on en parla peu en France : on n'en connut
même qu'une très-faible partie ; car ces humbles filles
ne se prêtaient guère à publier les résultats de leurs
travaux apostoliques, ainsi qu'on en peut juger par
ces lignes de la Mère de l'Incarnation au Père Vimont.
^ Je vous envoie quelques détails pour satisfaire à
l'obéissance. J'ai eu de la difficulté à m'y résoudre,
parce que si l'on voulait dire tout ce qui peut donner
de l'édification chez nos filles sauvages, ce ne serait
jamais fait. Vous savez d'ailleurs le gros de ce qui a
lieu. Vous savez mieux que moi si Dieu peut être
glorifié dans les petits services que lui rendent ses
servantes en la personne des pauvres petites 'filles
sauvages. Je sens bien que nous ne sommes nullement
satisfaites de tout ce que nous faisons, n'étant que des
personnes inutiles, moi très-particulièrement, comme
vous le savez bien. C'est ce qui me faisait souhaiter
que vous ne fissiez aucune mention de nous. Il suffit
que Dieu, qui est notre Père, sache avec quel amour
nous servons nos néophytes. C'est assez que Lui seul
connaisse ce qui se passe en cette petite maison, sans
qu'il soit produit aux yeux des hommes. Nous sommes
trop heureuses que nos fatigues se passent à la vue
de notre Maître, qui est si bon, qu'il nous fait espérer
le pardon de nos fautes. »
On communiquait pourtant aux Jésuites les faits les
( -
246 MARIE DK l'incarnation.
plus remarquables; mais la vénérable Mère se plaint
ailleurs qu'on en retranchait en France beaucoup de
choses. Le libraire-imprimeur Cramoisy, de Paris,
supprimait sonnent les plus belles pages, dit l'annaliste
du couvent.
Il arriva de là que plusieurs relations publiées par
les RR. PP. Jésuites ne dirent rien ou peu de choses
des Ursulines, ce qui fournit prétexte à quelques pam-
phlétaires de dire qu'elles étaient inutiles au Canada.
Dom Claude en ayant informé sa mère, celle-ci lui
répondit en lui énumérant longuemeut les travaux
de la communauté, puis elle ajoute :
« Voilà les fruits de notre petit travail, dont j'ai
voulu vous dire quelques particularités, pour répondre
aux bruits que vous dites que l'on fait courir en France
que les Ursulines sont inutiles en ce pays. Nos Révé-
rends Pères et Mgr notre Prélat sont ravis de l'éduca-
tion que nous donnons à la jeunesse. Ils font communier
nos filles dès l'âge de huit ans, les trouvant aussi
instruites qu'elles le peuvent être.^ Si l'on prétend que
nous sommes inutiles parce que la relation ne parle
point de nous, il faut dire que Mgr notre Prélat est
inutile, que son séminaire est inutile, que le séminaire
des Révérends Pères est inutile, que MM. les ecclé-
(1) La vénérable Mère raconte le trait suivant dans une autre lettre : Un jour
plusieurs pensionnaires se demandaient les unes aux autres quelle était la chose
pour laquelle elles pensaient avoir plus d'obligation à Dieu. L'une dit : « C'est
parce qu'il s'est fait homme pour moi, et qu'il a enduré la mort pour me délivrer
de l'enfer. >• L'autre ajouta : « C'est de ce qu'il m'a faite chrétienne et de ce qu'il
m'a mise par le baptême au nombre de ses enfants. » Une petite fille qui n'a pas
plus de neuf ans et qui a fait sa première communion depuis un an et demi, haussa
la voix et dit : « C'est de ce que Jésus se donne à nous au Saint-Sacrement de
l'autel. "
On voit par ces traits que ni les religieux missionnaires, ni les prêtres des
CHAPITRE IX. 247
siatiques de Montréal sont inutiles, et enfin que les
Mères Hospitalières sont inutiles, parce que les rela-
tions ne disent rien de tout cela. Et cependant c'est
ce qui fait le soutien, la force, et l'honneur même de
tout le pays. Mon très-cher fils, ce que nous faisons
en cette nouvelle Église, est vu de Dieu et non pas des
hommes; notre clôture couvre tout, et il est difficile
de parler de ce qu'on ne voit pas. »
Cette humble réserve que gardèrent les Ursulines
explique en partie le peu de justice que l'on rendit
à leurs travaux; mais si l'on se rappelle qu'à l'époque
de leur départ elles furent l'objet d'une foule de criti-
ques, et que bien des personnes se mêlèrent de prédire
qu'elles seraient bientôt ramenées en France par le
désenchantement, on comprendra les motifs d'une
certaine hostilité qui dut se manifester à leur égard.
Les auteurs de ces prédictions malveillantes ne vou-
laient pas se dédire, leur amour -propre y mettait
obstacle ; il fallait donc trouver quelque prétexte pour
pouvoir soutenir qu'on avait eu raison. Après avoir
attendu en vain leur retour en France, on dut se
rabattre sur l'inutilité prétendue de leur mission ; c'était
paroisses ne faisaient difficulté d'admettre les enfants à la première communion
dès l'âge de sept ans et demi et huit ans, quand ils les trouvaient suffisamment
instruits eu égard à cet âge. C'est encore ce qui se pratique en Italie, en Espagne,
en Angleterre, en Irlande et probablement dans d'autres pays, tandis que dans
certains diocèses de France on fixe un âge qui est quelquefois celui de onze ou
douze ans, de manière que des enfants qui auraient été en état de communier
plus tôt sont privés d'une foule de grâces qu'ils auraient reçues au moyen de la
sainte communion. Il est vrai que cette discipline, qui n'a pu être que l'effet de
l'influence janséniste, tend aujourd'hui à disparaître. On doit s'en réjouir pour
le bien des âmes.
248 MARIE DE l'incarnation.
une méprisable consolation d'amour-propre blessé, dont
toute personne judicieuse aurait dû tenir compte.
Cependant malgré l'évidence des faits, justice com-
plète n'a jamais été rendue aux Ursulines sous ce
rapport. A notre époque, M Faillon, de Saint-Sulpice,
dans un écrit où il a été amené à parler d'elles, s'est
inspiré des injustes pamphlets du XVIP siècle, en
jetant un voile sur le bien que firent ces intrépides et
zélées missionnaires.
M. l'abbé Sausseret, dans un ouvrage publié à Troyes
e,n 1864, a été plus loin encore. Il avance que la
première école ou mission pour les petites sauvages, établie
dans la Nouvelle- France, fut celle de la Montagne, dans l'île
de Montréal. Or,, cette école commençait en 1680, huit
ans après la mort de la vénérable Mère Marie de l'In-
carnation, plus de quarante ans après l'ouverture du
pensionnat, appelé séminaire, fondé pour les jeunes
filles sauvages du Canada. Pendant ces quarante ans,
les Ursulines qui avaient eu jusqu'à quatre-vingts de
ces jeunes filles à la fois, sans compter celles qui n'y
étaient qu'en passant, en avaient élevé des milliers,
et M. Sausseret n'en a rien vu, parce qu'en efî'et rien
de tout cela n'était arrivé jusqu'à Troyes. On voit une
fois de plus par là combien l'on s'expose à défigurer
l'histoire, quand on l'écrit à distance et que l'on n'a
pas soin de s'environner do tous les documents possi-
bles. Il est propable que M. Sausseret n'a pas même
eu sous les yeux les Relations de la mission du Canada :
car, bien qu'elles n'aient jamais fait beaucoup ressortir
le bien opéré par les Ursulines, elles en disent assez
pour faire voir que le zèle de ces religieuses rendit des
services immenses à la gloire de Dieu et aux pauvres
populations du Canada. Nous l'avons fait voir par
CHAPITRE IX. 249
toutes les citations que nous avons faites, et il en reste
encore. Voici, par exemple, un témoignage du Père
Lejeune qui , après avoir dit que dès le lendemain
de leur arrivée (P'' août 1639), on donna aux Ursulines
six filles sauvages, dont les Pères avaient commencé
l'instruction, et qu'on leur amena en outre toutes les
autres filles tant françaises que sauvag-es qui se purent
rencontrer, il ajoute :
« Si bien que les voilà déjà dans l'exercice de leur
institut, et si jamais elles ont une maison bien capable,
et bien de quoi nourrir les enfants sauvages, elles en
auront peut-être jusqu'à se lasser. Dieu veuille que les
grands frais ne retardent pas leur dessein. »
Trois ans et demi plus tard, les Ursulines avaient,
à l'endroit où est le monastère actuel, une maison bien
capable, et elles s'efforcèrent d'avoir, surtout au moyen
des aumônes qui leur venaient de France, de quoi nourrir
les enfants sauvages, et sans se lasser, elles continuèrent
cette œuvre jusque vers l'année 1682. Si à cette époque
elles se livrèrent moins à ce genre d'apostolat, c'est que
l'œuvre était à peu près terminée dans les limites de
leur mission. Alors, en effet, le nombre des sauvages
avait beaucoup diminué dans les environs de Québec
et à Sillery', mission fondée par les Jésuites en 1637
en faveur des Algonquins et des Montagnais, avec
résidence, église, maison pour les néophytes, etc.,
à une lieue de Québec. Le nombre des filles françaises,
au contraire, s'était considérablement accru.
(1) A partir de 1619, les Hurons, chassés de leur pays, se réunirent en bour-
gades à l'Ile-d'Orléans, et à distance de Québec. Vers 1680, les Algonquins et les
Montagnais pi'irent des directions difi'érentes ; les Iroquois chrétiens se portaient
naturellement vers Montréal.
250 MARIE DE l'incarnation.
CHAPITRE X.
Construction du monastère, 1641. — Union des deux Congrégations d'Ursnlines,
1641. — Historique de ces deux Congrégations. — Heureux résultats de
l'union. — Epreuves terribles. — Départ de Madame de la Peltrie, 1642, ses
suites. — Tribulations intérieures de la Mère de l'Incarnation. — Confession
de toute sa vie.
Nous avons anticipé sur les événements de la vie
proprement dite de la Mère Alarie de rincarnation, afin
de faire connaître l'œuvre pour laquelle elle avait
traversé les mers et jeter une lumière plus grande sur
les desâeins de Dieu à son égard, comme aussi sur le
caractère particulier de la sainteté de cette femme
extraordinaire. Nous allons reprendre maintenant la
suite des faits qui la concernent personnellement et
qui font éclater sa vertu en même temps que sa capa-
cité et son énergie naturelle.
. Un de ses premiers soins fat de se procurer un loge-
ment convenable, qui permît de faire le bien que l'on
avait en vue et de pratiquer toutes les observances de
la vie religieuse. On choisit un emplacement dans la
ville haute où l'air était plus pur; madame de la Peltrie
posa la première pierre au printemps de 1641, et le
travail fut poussé avec assez d'activité pour que, le
21 novembre de l'année suivante, les Ursulines pussent
prendre possession de leur nouveau monastère. « Dans
cet intervalle, dit la vénérable Mère, notre monastère
fut bâti au lieu le plus beau et le plus avantageux du
CHAPITRE X. 251
pays. Notre nombre de religieuses crût aussi par la
venue de quelques-unes, tant de la Congrégation de
Paris que de la nôtre de Tours, en suite de quoi nous
fîmes une union à laquelle Notre-Seigneur a donné
de très-grandes et très-sensibles bénédictions. »
Pour comprendre ces dernières paroles, il faut savoir
qu'à l'époque où la Compagnie de Sainte-Ursule fut
établie en France, au commencement du XVIP siècle,
plusieurs maisons furent fondées à la fois en différentes
villes, sans que ceux qui y travaillaient eussent eu
même la pensée de se concerter. Tous se proposaient
pour modèle l'œuvre de saint Charles Borromée à
Milan, mais avec les niodifications que chacun crut les
plus convenables. Ces premières maisons en .fondèrent
d'autres, et il en résulta plusieurs Congrégations d'Ur-
sulines, ayant toutes le même but et le même esprit,
mais régies par des constitutions qui différaient dans
le détail.
La première, dans l'ordre des temps, si l'on prend
pour point de départ la date des Balles d'approbation
pontificale, fut celle de Paris, à laquelle travaillèrent
madame Acarie, plus tard Carmélite et canonisée sous
le nom de sainte Marie de l'Incarnation, madame de
Sainte-Beuve et mademoiselle Françoise de Bermond.
a
Ces pieuses dames fondèrent la prenjière maison en
1608 et elles obtinrent une Bulle d'approbation datée
du 13 juin 1612. Le Pape Paul V approuvait les consti-
tutions qui, aux trois vœux ordinaires, en ajoutaient
un quatrième, celui d'instruire les jeunes tîUes.
Le cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux,
252 MARIE DE l'incarnation.
que l'on a appelé, de son vivant, le Charles Borromée
de la France, travaillait, lui aussi, à fonder des Ursu-
lines dans sa ville archiépiscopale. La communauté
qu'il forma fut établie en 1606; mais la Bulle d'appro-
bation ne fut donnée que le 8 février 1618. Le même
Pape Paul V approuvait les constitutions rédigées par
le cardinal et dans lesquelles il n'était pas fait mention
du quatrième vœu. Il est probable qu'on le crut ren-
fermé dans le vœu d'obéissance, joint à la Bulle et
aux constitutions qui déclarent formellement que le
but de l'Institut est l'instruction et l'éducation des
jeunes filles. Outre cela, le costume religieux n'est
pas exactement le même dans les deux Congrégations. '
Ces différences constituaient une véritable difficulté
pour des personnes qui devaient vivre ensemble, former
une même famille, pratiquer les mêmes exercices et se
dévouer, à toutes les minutes du jour, avec unité de
cœur et d'action, à une œuvre héroïque. La vénérable
Mère le comprit et elle sut y remédier avec une sagesse
,qui lui venait évidemment du Ciel. Comme on ne savait
pas encore si cette fondation, qui n'était qu'à son ber-
ceau et se trouvait en présence de difficultés immenses,
pourrait se maintenir, il fallait se borner à des arrange-
ments provisoires et conditionnels. C'est pourquoi elle
régla que les religieuses de Tours feraient le quatrième
vœu, avec cette restriction qu'il ne serait ni solennel
(1) D'autres maisons, qui devinrent chefs de Congrégations, furent fondées à
Lyon, à Toulouse, à Dijon, à Dôle. Celle de Lyon est aujourd'hui la plus nom-
breuse après celles de Bordeaux et de Paris; Les Ursulines de Dôle n'ont jamais
été cloîtrées. Parmi elles, quelques-unes se regardent comme filles de sainte
Angèle; les autres se contentent de pratiquer une grande dévotion envers cette
sainte, sans l'appeler, leur Mère. 11 en est ainsi des Ursulines actuelles de Tours,
qui ont remplacé dans cette ville la maison où la Mère de l'Incarnation avait fait
ses vœux, et qui n'a pu se relever après la révolution de 1793.
CHAPITRE X. 253
ni absolu, mais seulement pour le temps où elles rési-
deraient en Canada; et que, de leur côté, les religieuses
de Paris adopteraient le costume de leurs sœurs de
Tours aux mêmes conditions de temps et de lieu. Quant
aux constitutions, elle les fondit ensemble, tout en les
adaptant aux besoins du pays.
L'accommodement ayant été conclu de la sorte au
gré de toute la communauté, la Mère de l'Incarnation
l'envoya aux deux maisons de Paris et de Tours, qui
l'approuvèrent et le signèrent avec beaucoup de satis-
faction. Il fut même trouvé si judicieux et si équitable,
dit Claude Martin, que l'on parla de faire une union
générale de toutes les Congrégations de France et de
prendre celle du Canada pour modèle. Plusieurs supé-
rieures écrivirent en ce sens à la Mère de l'Incarnation.
Elle ne pouvait qu'entrer dans leurs vues; mais elle
y voyait une grande difficulté, en ce que les évêques
pouvant toujours modifier les constitutions, l'accord
que l'on aurait fait n'aurait rien de stable.^
(1) Disons qu'il y a bien peu à se préoccuper, dans l'Ordre des Ursulines, de la
variété des règlements et des constitutions. Nous nous sommes convaincu en effet
que, même entre les maisons d'origine commune, l'uniformité n'a pas subsisté
dix ans : à toutes les époques, il y a eu des changements, comme le prouvent
les éditions anciennes de ces constitutions. Le monastère de Rome est peut-être
le seul qui ait conservé intactes les constitutions primitives.
Ajoutons, ce qui est une autorité décisive, que les bulles pontificales regardent
cette unifox'mité comme sans aucune importance, puisque toutes permettent
expressément aux supérieurs locaux 'de changer et de modifier les constitutions
primitives selon qu'ils le jugent convenable eu égard aux circonstances.
Enfin cette uniformité n'est ni nécessaire ni possible, si ce n'est pour les reli-
gieuses d'une même communauté. Elle n'est pas nécessaire, puisque l'Ordre a
toujours existé et prospéré sans cela. Elle n'est pas possible, par la raison que les
différences de pays, de climats, de genres d'éducation des enfants exigent quelque
différence dans les règlements.
Quant au costume, si l'on excepte les communautés d'Allemagne et trois ou
quatre de France, il diffère très-peu. C'est à peine si quelques personnes du
254 MARIE DE l'incarnation.
La question était toute différente pour une commu-
nauté composée de membres d'origines diverses, comme
était alors celle de Québec; il était indispensable d'éta-
blir l'uniformité d'une manière ou d'une autre si l'on
voulait obvier à des tiraillements et des embarras inévi-
tables, ainsi qu'aux susceptibilités à l'égard de la supé-
rieure, qui aurait eu mille peines à persuader qu'elle
tenait la balance égale. Ce fut surtout après la con-
clusion de l'accord que l'on en comprit l'importance
et l'utilité pour le bien général et la perfection de chaque
religieus^e.
«• Cette union ayant été conclue, dit Claude Martin,
il serait difficile de dire la ^'ie parfaite qui en résulta.
Sujets choisis qui avaient renoncé aux délices du pays
natal et aux douces joies -de la famille, pour se dévouer
au service de Dieu dans un pays de croix et d'épines,
et jeter les fondements d'une colonie telle que l'on n'en
avait pas encore vu de semblable depuis l'établissement
de leur Ordre, elles s'acquittaient de leurs devoirs avec
tant de fidélité et de zèle qu'on eût pu les comparer
aux premiers religieux de Saint-Benoît, de Saint-
Dominique, de Saint-François et de ces anciennes
monde en ont connaissance. Après tout, en quoi cela peiit-il nuire à l'influence
des religieuses, à leur bon esprit et à leur perfection, ou diminuer l'estime et la
confiance des séculiers ?
On a paru attacher une certaine importance au quatrième vœu ; mais dans la
pratique, les communautés où il ne se fait pas, agissent exactement comme celles
où il est émis.
Disons enfin qu'il n'y a rien, dans ces variétés, qui puisse nuire à l'union des
cœurs ; les Ursulines n'aiment pas leurs sœurs, parce qu'elles ont une ceinture
de cuir ou un cordon dejaiue, un vêtement de telle forme plutôt que dételle
autre; mais parce qu'elles sont toutes les épouses du même Dieu, les filles d'une
même mère, sainte Angèle, et qu'elles tendent au même but par le même travail.
CHAPITRE X. 255
communautés qui, étant remplies des prémices de l'es-
prit de leurs patriarches, ont servi d'exemple à celles
des siècles suivants. »
La pieuse supérieure en éprouvait une joie qu'elle
ne pouvait taire et dont elle s'entretenait volontiers
avec ses amis de France. Elle semblait donc être au
comble de ses vœux et devoir jouir de la plus douce
paix. Arrivée dans sa chère mission, objet de désirs
si ardents, livrée avec toute, l'ardeur de sa grande
âme à l'instruction des petites sauvages, et recueillant
dans l'exercice de ce ministère des fruits inespérés ;
voyant s'élever un monastère vaste et solidement cons-
truit, soutenue par la confiance qu'on lui avait toujours
témoignée, et encouragée par la vénération profonde
dont jusque-là elle avait été l'objet; au centre de la
plus fervente chrétienté qui fût peut-être alors dans
l'Eglise, dit le Père de Charlevoix; dans le continuel
exercice de ce que la pénitence a de plus austère et la
charité de plus éminent, que pouvait -elle désirer
encore? Aux yeux de la sagesse ordinaire, même de
celle qui n'est pas la sagesse charnelle, tout cela était
beau; mais il y a pour les saints une sagesse plus
excellente-, fondée sur un amour d'extrême prédilection
dont Dieu les prévient.
Dans le ciel, où il n'y a plus de combats entre la
nature et la grâce, rien ne trouble les âmes. Sur la
terre, il en est autrement; nous sommes toujours solli-
cités à chercher dans les créatures un bonheur ou au
moins des consolations que Dieu seul doit nous donner.
C'est pourquoi, quand il veut faire arriver certaines
âmes ici-bas à la sainteté, non consommée il est vrai,
mais parfaite cependant, il les détache par les croix
et les tribulations, de tout ce qui pourrait leur donner
256 MARIE DE l'incarnation.
quelque consolation naturelle. Il fait que ses faveurs
mêmes ont une telle amertume que, semblable à la
colombe de l'Arche , 1 ame ne pouvant trouver nul
repos ni s'arrêter à quoi que ce soit, est forcée de
s'élever vers lui' et de lui rapporter ses grâces, dont
le rameau d'olivier était la figure. Ce fut ce qui arriva
pour la Mère Marie de l'Incarnation. Au moment où
elle semblait devoir trouver de nombreux sujets de
consolation, tout se tourna contre elle, et elle se trouva
plongée dans un océan de tribulations.
Sans qu'on puisse savoir pourquoi, madame de la
Peltrie, jusque-là si dévouée à l'œuvre des Ursulines,
si pleine de respect et de vénération pour la Mère de
l'Incarnation , se laissa aller à des sentiments qui
étaient plus que de l'indifférence; elle quitta tout à coup
ses protégées, leur retira tous ses effets mobiliers et,
suivie de Charlotte Barré, elle s'en alla à Montréal
où une œuvre nouvelle paraissait vouloir se fonder.
Ce départ laissa les Ursulines dans un dénûment
tel, qu'il ne leur resta que trois lits pour leurs quatorze
élèves. « Nous les faisons coucher sur des planches,
écrivait la Mère de l'Incarnation; nous mettons sous
elles ce que nous pouvons pour en adoucir la dureté;
et nous empruntons des peaux pour les couvrir, notre
pauvreté ne nous permettant pas de faire autrement. »
Humainement parlant, tout paraissait perdu, et il
semblait qu'il n'y avait d'autre parti à prendre que de
revenir en France. M. de Bernières, si dévoué pour-
tant, et qui avait mis tant de zèle pour l'entreprise
de cette mission, lui écrivait les lignes suivantes, bien
CHAPITRE X. 257
propres à abattre le courage le plus fort : « Il faut se
résoudre à congédier vos élèves et vos ouvriers, puis-
que pour payer seulement le fret de ce que je vous
envoie, il me faut trouver neuf cents livres, ce qui
forme tout le revenu de votre fondation. Et de plus,
si Madame votre fondatrice vous quitte, comme j'y vois
de grandes apparences , il vous faudra revenir en
France, à moins que Dieu ne suscite une autre per-
sonne qui vous soutienne. »
Pour la nature laissée à elle-même, la. première
pensée qui se présente en un cas pareil est celle de
•l'humiliation résultant d'une entreprise avortée; c'est
la confusion dont on est couvert lorsque l'on se voit
forcé de reprendre la modeste position que l'on avait
quittée pour de vastes projets ; mais les saints ne
pensent même pas à cela. La Mère Marie de l'Incarna-
tion ne s'était pas aperçue qu'il y eût de la gloire
humaine dans son entreprise ; elle ne. pensait pas
davantage à la confusion de l'insuccès. Sa grande,
son unique peine, eût été l'abandon d'une œuvre où
elle voyait l'intérêt de la gloire de Dieu et du salut
des âmes. Cette femme forte, qui avait dit adieu à son
fils unique, âgé de treize ans, le cœur brisé à la vérité,
mais saas embrasser cet enfant et sans verser une
larme, n'eût jamais pu faire de même à l'égard de ses
petites sauvages. Elle n'eût pu, sans éclater en san-
glots, voir se disperser et retourner à leurs forêts,
ces enfants adoptives, dont cinquante avaient été éle-
vées par ses soins dès la première année. Elle n'eût pu
s'éloigner de ces chers sauvages, dont plus de sept
cents, tant hommes que femmes , avaient reçu de sa
charité d'abondantes aumônes corporelles et spiri-
tuelles. Telle était néanmoins la perspective qu'elle
M. DE L'iNC. 17
258 MARIE DE l'incarnation.
eut un moment devant les yeux, nulle apparence de
secours humains ne se montrant plus à elle.
Ce n'était pas encore tout. Les peines et les tribu-
lations intérieures surpassaient de beaucoup celles dont
elle se voyait entourée au dehors. Dieu semblait pren-
dre plaisir à remplir son âme de ténèbres et à la laisser
en proie aux plus horribles tentations de désespoir.
Voici la peinture qu'elle-même a laissée de son état :
« Je me voyais comme dépouillée de tous les dons
de grâce que Dieu avait mis en moi, et de tous les
talents naturels qu'il m'avait donnés. Je n'avais plus
confiance en qui que ce fût, et les personnes les plus
saintes, celles même avec lesquelles j'avais eu le plus
d'intimité, me donnaient les plus grands sujets de peine
et de mortification, Dieu permettant qu'elles eussent
des tentations continuelles d'aversion contre moi, ainsi
qu'elles me l'ont avoué depuis. Je me voyais la créature
la plus digne de mépris et la plus vile qui fût au
monde; et, dans ce sentiment, je ne pouvais me lasser
d'admirer la bonté, la douceur et l'humilité de mes
sœurs, de vouloir bien dépendre de moi et me souffrir.
Je n'osais presque lever les yeux sous le poids de cette
humiliation, et je m'appliquais aux actions les plus
humbles et les plus viles, ne m'estimant pas digne
d'en faire d'autres.
y> Aux récréations, je n'osais presque parler et j'écou-
tais mes sœurs avec respect. Je me faisais néanmoins
violence pour éviter la singularité. J'agissais de même
dans les autres fonctions de ma charge, et cependant
mon esprit restait libre pour l'étude des langues. Je
CHAPITRE X. 259
n'ai point vu qu'on se fût aperçu de ce que je souffrais,
quoiqu'alors il me semblât que tout le monde voyait
ma misère. Je communiquais peu mon état au Père
Lejeune, étant dans l'impuissance de le faire; mais
il en connaissait assez pour en avoir compassion et
pour en appréhender les suites.
» Parmi ces ténèbres si affligeantes, il s'élevait quel-
quefois un rayon de lumière qui éclairait mon âme et
la mettait dans un transport d'amour si extraordinaire
qu'il me semblait être dans le paradis. Mais cela passait
bien vite. Cette lumière n'était que comme des éclairs
qui frappent subitement la vue et disparaissent aus-
sitôt; et ces grandes caresses ne servaient qu'à appe-
santir ma croix et à rendre mes' peines plus sensibles;
car je passais d'un abîme de lumière et d'amour à un
abîme d'obscurité et de ténèbres douloureuses. Je me
voyais plongée comme dans un enfer qui contenait des
tristesses et des amertumes mortelles, fruit d'une tenta-
tion de désespoir dont je ne connaissais pas la cause.
Je me serais perdue en cet état si, par une vertu
secrète, la bonté de Dieu ne m'eût soutenue. Je voyais
que je méritais l'enfer, et que Dieu n'eût pas été injuste
envers moi s'il m'eût jetée dans l'abîme. Je le voulais
bien, pourvu que je ne fusse pas privée de son amitié. »
Tel était Tétat de cette grande âme, telle était la
manière dont Dieu travaillait à la détacher de toutes
choses pour se l'attacher uniquement. Combien d'autres
auraient succombé à l'accablement et pris le parti de
tout abandonner, en voyant ainsi crouler au dehors
toutes les ressources humaines, et disparaître toutes
260 MARIE DE l'incarnation.
les consolations sensibles au moyen desquelles la grâce
soutient les âmes d'une piété ordinaire! Mais la Mère
de l'Incarnation reste ferme dans son imperturbable
confiance en Dieu. Comme si elle eût voulu braver
toutes les difficultés et l'impossibilité elle-même, ce qui
était pourtant loin de la pensée d'une religieuse aussi
humble et aussi judicieuse, elle résolut de conserver
les pensionnaires sauvages, de continuer ses aumônes
aux pauvres indigènes qui venaient en foule implorer
sa pitié, et d'achever la construction du monastère.
Elle écrit tranquillement :
« M. de Bernières sera épouvanté en voyant que je
lui demande des vivres comme à l'ordinaire, et de plus
que je lui envoie des parties, pour six mille livres,
qui ont été employées à payer les gages de nos ouvriers,
et à l'achat des matériaux de notre bâtiment, sans
parler du fret du vaisseau; car, en tout cela, nous
n'avons que la Providence de Dieu. On me dit que tout
est perdu ; et cependant je me suis sentie portée inté-
rieurement à poursuivre ce que Notre-Seigneur nous
a fait la grâce de commencer en sa nouvelle Eglise, »
Au milieu de toutes les angoisses dont nous venons
de parler, elle vaquait aux devoirs de sa charge avec
une liberté d'esprit qui étonnait son confesseur ; et ce
fut dans le fort de cette épreuve qu'elle conclut la
grande affaire de l'union des deux branches de sa
communauté sous une même règle, sans cesser un
instant de diriger et d'activer les travaux de la cons-
'truction du monastère.
Cependant les croix continuaient toujours : l'idée de
ses péchés était sans cesse retracée à son esprit avec
des traits si vifs, qu'elle ne pouvait plus se souffrir
elle-même. Un jour qu'elle en était plus frappée qu'à
CHAPITRE X. 261
l'ordinaire, et que son cœur était brisé de contrition,
elle s'avisa de se revêtir d'une haire qu'elle porta très-
longtemps sans l'ôter, pas même la nuit pour reposer.
Son confesseur l'ayant appris, lui en fit de très-vifs
reproches, et lui ordonna d'aller sur-le-champ quitter
cet instrument de pénitence. Avant que d'obéir, elle
se jeta à ses pieds et le supplia de vouloir bien écouter
la déclaration qu'elle voulait lui faire de tous ses-
péchés et de toutes ses imperfections, afin qu'il sût
jusqu'oïl allait sa perversité.
Le Père la rebuta d'abord; mais enfin, attendri par
ses larmes et vaincu par ses instances, il y consentit,
^lle lui fit donc une confession générale de toute sa
vie, sans examen; mais avec tant d'exactitude^et de
précision qu'elle n'eût pu mieux faire si elle eût
employé plusieurs jours à se préparer.
Nous ignorons, bien entendu, les détails de cette
confession, mais nous en connaissons une autre qu'elle
a écrite elle-même dans les termes suivants, et qui ne
peut-être différente de celle qu'elle avait faite au ministre
de Dieu.
« Je me sens coupable, ô mon divin Epoux, d'un
nombre innombrable de péchés et de fautes cachées;
mais voici ceux qui me paraissent vous avoir particu-
lièrement déplu. Vous savez, ô mon chaste Epoux,
qu'à l'époque où votre divine bonté m'appela par une
grâce extraordinaire .pour vous suivre dans une vraie
pureté, (j'avais alors dix-neuf ans), lorsqu'elle m'eut fait
voir que je me trompais dans la créance que j'avais
d'être dans un état parfait, j'examinai si je ne retour-
nerais pas dans la route du monde et dans la condition
de laquelle vous m'aviez -délivrée. La tentation, sous
une raison spécieuse et nécessité apparente, à cause
262 MARIE DE l'incarnation.
des grandes affaires que j'avais sur les bras, et
desquelles il me semblait que je ne me pouvais tirer,
m'ébranla et m'eût emportée si, par votre immense
bonté, vous n'eussiez mis votre Esprit dans la bouche
d'une bonne fille, ma compagne de dévotion, qui igno-
rant mes affaires, et, je crois, sans avoir connaissance
de ce qui m'occupait, me dit dans un entretien fami-
lier : Il faut être tout à Dieu. Ce mot me frappa vive-
ment le cœur et me donna tout d'un coup une lumière
qui affermit mon esprit dans vos voies, sans quoi, ô
mon divin Epoux, ma volonté allait succomber, et
tout cela n'a point arrêté le torrent de vos miséricordes.
» 0,ma vie, vous savez encore qu'en deux autres
occasions, je m'amusai à de certaines complaisances
qui tenaient de l'esprit de nature, et que, sous l'ombre
de bien, j'y croupis quelque temps, et qu'enfin si votre
bonté ne m'en eût tirée, j'aurais étouffé l'esprit de
grâce par lequel vous me conduisiez si amoureusement.
»» Ah! que j'ai de douleur, et combien je mérite
d'enfers pour châtiment de mes infidélités !
r Une autre fois, étant religieuse, je fis, il me semble,
un acte d'hypocrisie, en allant prier ma supérieure de
m'humilier. Je crois qu'elle m'eût bien mortifiée de me
prendre au mot, car je pense que mon intention n'était
pas pure; j'avais un orgueil secret qui me faisait agir.
y> Une autre fois encore, sous ombre d'amour de la
justice, j'allai donner un avis à ina supérieure, et ce
n'était au fond que par une vertu plâtrée, ou plutôt
c'était l'orgueil qui me faisait agir; et vous avez souf-
fert tout cela, ô mon divin Epoux, sans arrêter le cours
de vos miséricordes. Il est juste que vous en tiriez
vengeance. »
CHAPITRE X. 263
« Ce sont ici, dit Claude Martin les gémissements
de la colombe, qui marquent tout ensemble l'intiocence
et la douleur. Son innocence paraît dans la confession
générale et publique qu'elle fait de ses péchés, car
voulant déclarer les fautes qu'elle croyait être la cause
de ses peines intérieures, on ne peut douter qu'elle ne
rapporte celles qui lui semblaient les plus grandes de
toute sa vie et qui alarmaient plus vivement sa con-
science. Cependant quoi qu'elle fasse pour les exposer
dans toutes leurs circonstances, elles paraissent pour
la plupart si légères, que je ne sais même si on peut
leur donner le nom de péchés.
» Elle ne fait cette confession que depuis l'âge de
dix-neuf ans, car avant ce temps-là, ses fautes n'avaient
été que des légèretés d'enfant, dans lesquelles, comme
elle l'a dit ailleurs, elle n'avait jamais cru qu'il y eût
du péché. Toute sa vie s'est passée dans cette délica-
tesse et cette pureté de conscience. Elle fit bien voir
un jour jusqu'à quel point son âme était sensible aux
moindres fautes, en témoignant une joie extraordinaire
de ce qu'elle avait été à confesse : car ses novices lui
en ayant demandé la cause, elle répondit avec simpli-
cité : C'est que j'en avais besoin, m'étant laissée distraire
par des puérilités pendant une dizaine de mon chapelet.
Voilà, ajoute son fils, le plus grand péché qu'elle ait
commis dans les trente-trois années qu'elle a vécu en .
Canada. D'où il faut conclure qu'aucun de ces péchés
qui donnent la mort à l'âme n'est jamais entré dans
la sienne, et que Dieu l'a trouvée, à la fin de sa vie,
avec cette première grâce dont il l'a si amoureusement
prévenue. »
On aurait néanmoins tort de croire que quand les
saints tiennent un pareil langage, ils s'accusent sans
264 MARIE DE l'incarnation.
motif. Si l'on fait attention aux attributs infinis de
Dieu : à sa grandeur, à sa puissance, au domaine
absolu qu'il a sur nous, et qui nous impose l'obligation
de le regarder comme la fin dernière et indispensable,
non-seulement de nos paroles et de nos actions, mais
de nos pensées, de nos désirs et des moindres mouve-
ments de notre volonté, on comprendra que nous
commettons une faute chaque fois que, volontairement,
nous nous proposons autre chose que Dieu pour fin
dernière dés mouvements et des tendances de notre
âme. Or, qui peut se flatter de ne pas commettre bien
des fautes de ce genre? Un bon nombre de saints,
comme saint François-Xavier, saint Charles Borromée,
se confessaient tous les jours et trouvaient toujours
matière à absolution. Etait-ce erreur ou illusion de
leur part? Il faudrait avoir bien de la suffisance et de
la confiance en soi-même pour le supposer. Il est
certain, au contraire, que ces âmes délicates avaient
plus de lumières que n'en ont ceux qui, à la fin d'une
semaine, ne trouvent rien à accuser.
On ne peut pas dire non plus que la douleur extrême
dont les saints étaient pénétrés pour ces fautes relative-
ment légères, était une douleur exagérée. Quel est
celui qui ne sentirait toute sa vie le plus vif regret si,
par une simple étourderie accompagnée d'un léger
sentiment de vengeance, il avait causé l'incendie d'une
grande ville dont tous les habitants auraient péri dans
les flammes? Or il n'est pas un théologien qui n'en-
seigne que le moindre péché véniel est un mal plus
grand que la destruction de l'univers entier, et que
le supplice le plus rigoureux de tous les hommes
ensemble. Comment les saints qui savent cela et qui
aiment Dieu de tout leur cœur, n'auraient-ils pas une
CHAPITRE XI. 265
vive et amère contrition des fautes qu'ils savent avoir
commises?
CHAPITRE XL
Cause des épreuves de la Mère Marie de l'Incarnation. — Accord qu'elle fait
avec Dieu. — Claude Martin veut se faire religieux, 1639. — Il est refusé
par les Jésuites. — Ses qualités. — Il cherche une position dans le monde.
— Sa vocation se décide. — Il enXve au noviciat des Bénédictins à Vendôme,
1641. — Sa mère le félicite, 1641. — Crise au moment de sa profession. —
Il prononce ses vœux le 3 février 1642.
Ce que nous venons de dire au sujet des doulou-
reuses épreuves de la Mère de rincarnation, suffirait
pour les expliquer et justifier la conduite de Dieu,
surtout lorsque l'on sait que, comme nous l'enseigne
saint Paul, nulle souffrance ici-bas n'a de proportion
avec la gloire immense qui doit en être la récompense.
Nous pourrions donc dire qu'il y a là une de ces voies
mystérieuses par lesquelles Dieu conduit ses saints
pour leur faire mériter une plus brillante couronne.
Mais nous avons encore une autre explication des
angoisses de cette sainte âme : c'est qu'elle-même les
avait demandées. Différents épanchements de son cœur
nous apprennent qu'elle regardait ses croix comme
une suite de l'offre qu'elle avait faite à Dieu de soufifrir
pour son fils et pour une de ses nièces, à une époque
où ni l'un ni l'autre ne donnaient lieu d'espérer qu'ils
seraient un jour aussi fidèles à ses pieuses recomman-
dations qu'ils le devinrent plus tard. Voici ce qu'elle
dit dans une lettre à son fils : .
266 MARIE DE l'incarnation.
« La crainte que j'avais que vous ne tombassiez dans
les précipices où vous couriez, me fit faire un accord
avec Dieu pour porter la peine due à yos péchés, et
afin qu'il ne nous châtiât point par la privation du
bien qu'il m'avait fait espérer pour vous. Par suite de
cotte convention, vous ne sauriez croire combien j'ai
soufîert à ce sujet. » Ailleurs, elle écrit ces lignes bien
-significatives :
« 0 mon Dieu! châtiez-moi selon vos adorables
jugements. Je vous en conjure moi-même, tant je vois
de justice à ce que votre amour soit satisfait. Oh! que
de châtiments je dois subir! car outre ce que méritent
mes propres iniquités, vous savez, ô mon divin Epoux,
que, pour les deux âmes que je vous ai recommandées^
je me suis offerte à souffrir la punition des fautes
quelles auraient commises contre votre divine Majesté
et qui les auraient rendues indignes de. la faveur que
vous leur avez faite en les retirant du monde. »
Dieu lui fit payer cher la générosité avec laquelle
elle s'était chargée des dettes de ces deux âmes ; mais
aussi il lui accorda avec magnifience ce qu'elle avait
demandé et si héroïquement acheté.
On a vu comment des personnes malveillantes avaient
cherché à exaspérer son fils, pour la mettre dans
l'impossibilité de suivre sa vocation; nous avons dit
quelles inquiétudes, quels tourments même il causa
à sa pieuse mère, quelles étaient les angoisses de celle-
ci relativement à l'avenir de son enfant au point de
vue du salut, car pour le reste elle s'en inquiétait peu.
A l'époque où nous sommes, Claude Martin avait
CHAPITRE XI. 267
environ vingt-deux ans; c'était le moment où il lui
fallait faire choix d'un état de vie ; or, de ce choix
pouvait dépendre son avenir éternel; rien donc n'était
plus de nature à préoccuper sa mère ; c'était pour elle
un nouvel enfantement plus douloureux que n'avait
pu être le premier, et il est facile de comprendre qu'elle
dut se vouer à toutes les peines possibles pour obtenir
que cet enfant prît le chemin qui devait le conduire
au Ciel. On en jugera mieux encore par ce que nous
allons raconter touchant cet épisode de la vie du jeune
homme.
Lorsque, trois ans auparavant, touché jusqu'au fond
du cœur des réflexions que lui fît sa mère en passant
par Orléans, et pénétré d'admiration pour sa vertu,
il résolut de ne plus rien demander à sa famille, la
pensée qu'il avait eue dans son enfance d'embrasser
la vie religieuse se présenta de nouveau à son esprit.
Ses parents, qui étaient peut-être las de pourvoir à des
dépenses dont il leur était difficile d'entrevoir la fin,
ne virent pas sans une certaine satisfaction reparaître
ces dispositions; et, au lieu de les combattre, ils les
encouragèrent de leur mieux. Jugeant les choses au
point de vue humain, ils crurent que le meilleur
moyen de réussir était de lui proposer un ordre reli-
gieux relâché, où la vie serait commode et joyeuse;
c'est pourquoi ils cherchèrent à le faire entrer dans
un couvent de Citeaux. « Mais, dit Edmond Martène,
parce que l'observance de la règle n'y était pas gardée
dans sa pureté, sa digne mère, qui ne cherchait pas
tant l'établissement de son fils que sa sanctification,
ne voulut jamais permettre qu'il se fît religieux dans
cet Ordre, où il aurait été reçu à bras ouverts.
r> Elle aurait bien mieux aimé le voir dans la Com-
268 MARIE DE L INCARNATION.
pagnie de Jésus. Les grands services qu'elle avait reçus
des Jésuites dans la conduite de son intérieur, ceux
qu'elle leur voyait tous les jours rendre à l'Eglise par
leurs prédications et leurs autres travaux, et aux
infidèles par leurs missions, lui avaient donné une si
haute idée de ces révérends Pères, qu'elle aurait été
au comble de la joie si son fils avait embrassé leur
institut. Lui-même voyant la grande estime de sa mère
à leur égard, et d'ailleurs touché par les fréquents
entretiens d'un de ses régents, qui lui avait dit des
choses admirables de la conversion des pauvres sau-
vages, et du progrès de la foi aux Indes, en Chine et
au Japon "par suite des travaux de ses confrères, il
avait senii son cœur s'enflammer de ce feu divin que
le Sauveur est venu apporter sur la terre; et brûlant
du désir d'étendre, au périr de sa vie, le royaume de
Jésus-Christ parmi ces nations barbares, il pria ces
révérends Pères de l'admettre dans leur Compagnie.
Il donna en même temps avis de ses dispositions à sa
mère qui était encore à Paris. Elle en eut une extrême
joie et elle employa tout ce qu'elle avait d'amis dans
la Société pour seconder les pieux désirs de son fils.
D'après leur conseil, elle lui manda de se rendre à
Paris afin de conclure cette aff'aire avec le Père
Provincial, qui venait d'y arriver. »
Soit que Claude Martin eût reçu trop tard la lettre
de sa mère, soit pour d'autres raisons, il n'arriva pas
au jour fixé. Sou's ce prétexte, le Provincial lui dit
qu'il était trop tard et qu'on ne pouvait le recevoir
pour le moment. La Mère de l'Incarnation en fut
CHAPITRE XI. 269
extrêmement affligée, ainsi que le Père de la Haye
et les autres Jésuites -ses amis, qui croyaient la chose
déjà faite. On lui laissa néanmoins entrevoir qu'il
pourrait être reçu, et il retourna à. Orléans sans avoir
perdu courage, résolu, au contraire, de faire de vives
instances et de ne rien négliger de ce qui pourrait
procurer sa réception dans la Compagnie de Jésus.
Mais quand sa mère eut quitté la France, toutes les
espérances qu'on lui avait données s'évanouirent, et
quelques vifs désirs qu'il exprimât, le Provincial lui
déclara qu'on ne pouvait pas le recevoir, et cela pour
deux raisons: la première, parce qu'il* était sourd;
la seconde, parce qu'il n'avait pas assez d'esprit pour
être Jésuite.
« La première raison, dit Martène, était un faux
prétexte : car, chez les Bénédictins, on ne s'est jamais
aperçu qu'il fût sourd, et il a conservé l'ouïe jusqu'à
son dernier soupir, nonobstant sa vieillesse. Quant à
la seconde raison, on ne croit pas faire injure à cette
illustre Compagnie, qui renferme tant d'hommes de
mérite, en doutant qu'elle ait beaucoup de sujets com-
parables à Dom Claude Martin pour la beauté, la soli-
dité et la délicatesse de l'esprit. "
On peut dire à l'appui de cette opinion que ce saint
religieux : P a été, durant neuf ans, assistant du Général
de la célèbre Congrégation de Saint-Maur, à la grande
satisfaction de tous ceux qui la composaient; et que,
pendant tout le reste de sa vie, sauf très-peu d'années,
il a été supérieur dans différentes maisons de son
Ordre; 2° il a été nommé plusieurs fois président du
Chapitre général; et celui qui fut tenu en 1687 l'aurait
élu Général de la Congrégation à peu près à l'unani-
mité, dit Martène, si, au moment de procéder au vote.
270 MARIE DE l'incarnation.
il n'était arrivé un message du roi. Louis XIV, défen-
dant de le nommer. Des courtkans avaient dit à Sa
Majesté que celui sur lequel les voix allaient se porter
était un saint, mais en même temps un entêté. On
dit que les saints sont entêtés, observe ici Dom Martène,
lorsqu'ils ont de la fermeté dans les choses qui regar-
dent la gloire de Dieu et les obligations de leurs
charges, et qu'ils s'opposent avec un courage intrépide
aux ambitions humaines. 3° Ce qui prouve encore
mieux s'il est possible que Claude Martin n'était pas
dépourvu d'esprit, c'est qu'il est le principal auteur des
éditions bénédictines des Pères de l'Eglise, l'un des
plus gigantesques travaux que l'intelligence humaine
ait jamais accomplis. Après avoir raconté de quelle
manière Dom Claude Martin eut la principale part à
cette mémorable entreprise, Martène ajoute : « Voilà
comme ce grand homme, sans s'ortir de son cloître,
se rendait utile à l'Eglise, qui lui est redevable de tous
les beaux ouvrages qui sont sortis de la Congrégatoin. »
Mais à l'époque où Claude Martin éprouva un refus
de la part du Provincial des Jésuites, il n'était qu'un
jeune homme de vingt ans, et nul ne pouvait prévoir
ni le haut degré de vertu qu'il devait atteindre, ni les
travaux importants que plus tard on le vit exécuter.
Cette sorte de mépris dont il se vit alors l'objet, lui
causa un vif chagrin ; il ne voulut plus penser à la vie
religieuse, résolu, au contraire, d'employer tous les
moyens possibles pour se faire une position dans le
monde. Sachant que la duchesse d'Aiguillon, nièce de
Richelieu, et plusieurs autres dames de la Cour avaient
CHAPITRE XI. 271
offert à sa mère de se charger de son avenir, il
retourna à Paris pour mettre leur bienveillance à
profit. Après avoir attendu pendant cinq ou six mois,
il était enfin sur le point de voir son ambition satis-
faite ; mais sa mère priait et surtout elle souffrait pour
lui ses grandes peines intérieures, véritable martyre
de lame. Dieu, qui avait destiné son fils à des choses
bien plus élevées que tout ce qui flatte l'orgueil, lui
avait ménagé ce secours inappréciable de la piété d'une
sainte mère, et il l'arracha au monde de la manière
que nous allons- raconter.
Un jour qu'il était encore dans son lit, occupé à lire
un ouvrage de philosophie, il entendit frapper trois
coups à la porte de sa chambre : il se lève aussitôt,
se couvre de quelque vêtement et va voir qui avait
frappé; mais il ne trouve personne. Il n'en fat pas
surpris, pensant que durant le temps qu'il avait mis
à s'habiller, celui qui avait frappé s'était retiré. A peine
avait-il refermé la porte qu'il entend frapper de nou-
veau; il ouvre à l'instant même et ne voit rien. Cette
fois il demeure tout interdit; car, comme sa chambre
ouvrait au milieu d'une grande galerie, il était sûr
que nul n'eût pu disparaître aussi vite après avoir
frappé. Dans son étonnement, la première pensée qui
lui vint à l'esprit fut qiie c'était sa pieuse mère qui
l'avertissait de songer sérieusement à son salut. La
grâce agissant en même temps sur son cœur, il résolut
de travailler de toutes ses forces à se sanctifier. Sur-
le-champ il se met à écrire une confession générale
de toute sa vie ; puis il va au monastère des Feuillants
trouver le Père Raymond de Saint-Bernard, ancien
confesseur de sa mère. Cet excellent religieux qui lui
portait un vif intérêt, lui demanda où en étaient ses
272 MARIE DE l'incarnation.
affaires. — Je ne sais, répliqua Martin; voilà bien du
temps que je passe, de la peine que je me donne, de
l'argent que je dépense, et je ne suis pas plus avancé
que le premier jour. — Le Père Raymond, qui avait
probablement entendu parler de ser démarches pour
entrer chez les Jésuites, lui dit : — N'auriez-vous point
envie d'être religieux? — J'en ai eu quelquefois la
pensée; mais je ne trouve aucun Ordre qui me con-
vienne. — Vous ne les connaissez pas tous, reprit le
Père. Aussitôt il lui fit un grand éloge des Bénédictins
de la Congrégation deSaint-Maur, citant des faits à
l'appui de ce qu'il disait. — Revenez me voir, ajouta-t-il,
et je vous donnerai une lettre pour l'un d'eux, qui est
mon compatriote et mon intime ami, jouissant d'ail-
leurs de beaucoup de considération et de crédit auprès
de ses supérieurs.
Cet entretien, qui ne semblait qu'un simple laisser-
aller de conversation, et auquel, vraisemblablement,
on n'attachait de part et d'autre aucune importance
sérieuse, eut un résultat que Dieu seul avait voulu
et prévu- de toute éternité; il décida la vocation de
Claude Martin à la vie religieuse. A peine eut-il quitté
le Père Raymond, qu'il sentit au dedans de lui-même
une très- forte impression de la grâce; un attrait invin-
cible le portait vers la vie religieuse et lui inspirait
un souverain mépris pour le monde. C'est pourquoi,
craignant de résister à Dieu même, s'il se laissait aller
à la moindre hésitation, il alla sur-le-champ au monas-
tère des Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, et,
sans se mettre en peine de la lettre de recommandation
qu'on lui avait promise, il s'adressa au Général. Ce
Père qui était l'un des religieux les plus saints et les
plus éclairés de son siècle, l'interrogea, examina sa
CHAPITRE XI. 273
vocation, lui doona des encouragements et lui dit de
revenir le voir, l'engageant à prier beaucoup.
Martin sortit de l'entretien irès-satisfait; il fit une
confession de toute sa vie , communia trois jours de
suite pour obtenir les grâces dont il avait besoin ; puis,
se sentant plus désireux que jamais d'être Bénédictin,
il retourna chez le Père Général. Celui-ci, après deux
ou trois autres entretiens, fut entièrement convaincu
que ce jeune homme avait tout à la fois et une vraie
vocation et d'érainentes qualités. Il lui dit, en consé-
quence, qu'on l'admettait dans la Congrégation, et qu'il
n'avait qu'à se disposer à aller au noviciat de Vendôme.
Heureux de cette décision, Martin alla trouver le
Père Raymond de Saint-Bernard pour lui faire part
de cette nouvelle. Le bon religieux qui, dans l'inter-
valle , s'était occupé très-activement de ses affaires ,
lui dit en le voyant : « J'ai à vous apprendre que vos
vœux sont enfin satisfaits. Vous avez désiré un emploi :
eh bien, l'on vous en offre un qui, sans doute, va vous
faire plaisir. On vous demande pour être sous-secré-
taire de M. le Cardinal de Richelieu. Il faut ^our cet
emploi un homme d'un jugement solide, capable de
garder un secret, et l'on vous fait l'honneur de vous
regarder comme tel. » Le Père Raymond, croyant qu'un
jeune homme de vingt-deux ans devait se trouver au
comble de la joie à l'idée d'une pareille position, s'at-
tendait à voir Martin se confondre en témoignages de
gratitude : aussi fut-il extrêmement surpris quand il
entendit cette réponse : « Jusqu'ici, mon Révérend
Père, j'ai cherché le monde et il n'a point voulu de moi;
aujourd'hui, il me cherche et je ne veux plus de lui. »
Puis il lui raconta ce qui s'était passé. Le Père l'en-
gagea à ne pas trop se presser; mais à réfléchir mûre-
M. DE l'iNC. . 18
274 MARIE DE l'incarnation.
ment. « Vous pourriez peut-être écouter une ardeur
passagère, ajouta-t-il, puis vous repentir lorsqu'il ne
serait plus possible de retrouver une position comme
celle-ci, qui vous ouvre le plus bel avenir. — J'y ai pensé
suffisamment, répliqua Martin, et je vous déclare que
je n'aurai jamais d'autre ambition que d'être Bénédictin
de la Congrégation de Saint-Maur. « Dom Raymond,
au lieu d'insister davantage, l'encouragea dans son
dessein de se donner tout à Dieu, et, comme témoignage
de son affection persévérante, il lui fit chercher un
cheval pour aller à Vendôme. Dès que Martin fut au
noviciat, il commença à mener une vie angélique, dit
le Père Martène, et il ne se démentit jamais.
Tel fut le résultat des prières d'une sainte mère et
le prix du martyre spirituel qu'elle avait comme
demandé à Dieu pour le salut de son fils. C'était la
première des deux âmes qu'elle voulait sauver à tout
prix. A peine arrivé au monastère de Vendôme, il
écrivit à sa mère ce qui venait de se passer; elle lui fit
la réponse suivante :
« De Québec, le 4 septembre 1641.
» Mon très-cher et bien-aimé fils, l'amour et la vie
de Jésus- Christ soit votre partage.
« Votre lettre m'a apporté une consolation si grande,
qu'il me serait difficile de vous l'exprimer. J'ai été
toute cette année en de grandes croix à votre occasion,
mon esprit envisageant les écueils où vous pouviez
tomber. Mais enfin notre bon Dieu lui a donné le calme
dans la créance que son amoureuse et paternelle bonté
ne perdrait point celui que j'avais abandonné pour son
amour. Ce qui vous est arrivé a surpassé mes espé-
CHAPITRE XI. 275
rances, puisque sa bonté vous a placé dans un Ordre
si saint, que j'honore et estime infiniment. J'avais
souhaité cette grâce pour vous, lorsqu'on réforma les
monastères de Tours ; mais parce qu'il faut que les
vocations viennent du Ciel, je ne vous en dis rien,
ne voulant pas mettre du mien en ce qui appartient
à Dieu seul.
» Vous avez été abandonné de votre mère et de vos
parents; cet abandon ne vous a4-il pas été avanta-
geux? Lorsque je vous quittai, n'ayant pas encore
douze ans, je ne le fis qU'avec des convulsions étranges
qui n'étaient connues que de Dieu seul; mais il fallait
obéir à sa divine volonté. Comme il me faisait espérer
qu'il aurait soin de vous, mon cœur s'affermit pour
surmonter la difficulté qui avait retardé mon entrée
en religion dix ans entiers : encore fallut il que la
nécessité de faire ce coup me fût signifiée par mon
directeur et par des voies que je ne puis confier à ce
papier, mais que je vous^ dirais volontiers à "l'oreille.
Je prévoyais l'abandon de vos parents, ce qui me
causait mille croix, et ensuite l'infirmité humaine me
faisait appréhender votre perte.
» Lorsque je passai par Paris, il m'était facile de
vous placer. La reine, madame la duchesse d'Aiguillon,
madame la comtesse de Brienne, qui me firent toujours
l'honneur de me regarder de bon œil, et qui m'ont
honorée cette année de leurs lettres, ne m'eussent rien
refusé de ce que j'eusse désiré pour vous. Mais la
pensée qui me vint alors que si vous étiez avancé
dans le monde, votre âme serait en danger de se
perdre, et de plus la disposition où j'étais de ne désirer
que la pauvreté d'esprit comme héritage et pour vous
et pour moi, me firent résoudre de vous laisser une
270 MARIK DE l'incarnation.
seconde fois entre les mains de la Mère de bonté, me
confiant que puisque j'allais exposer ma vie pour le
service de son Fils, elle prendrait soin de vous. Ne
l'aviez-vous pas prise aussi pour votre Mère en entrant
dans vos études? Vous ne pouviez donc attendre d'elle
qu'un bien semblable à celui que vous possédez. Les
avantages qui se sont présentés pour vous à Paris
eussent été quelque chose selon le monde; mais ils
eussent été infiniment au-dessous de ceux que vous
possédez à présent....
» Je ne vous ai jamais aimé que dans la pauvreté
de Jésus-Christ, dans laquelle se trouvent tous les
trésors. Vous n'étiez pas encore au monde, cela est
certain, que je la souhaitais pour vous; et mon cœur
en ressentait des mouvements si puissants, que je ne
les puis exprimer.
» Vous êtes donc maintenant dans la milice, mon
très-cher fils. Au nom de Dieu, faites état de la parole
de Jésils-Christ, et pensez qu'il vous dit que celui qui
met la main à la charrue et qui regarde derrière lui, n'est
pas propre au royaume des deux. Ce qu'il vous promet
est bien plus grand que ce qu'on vous faisait espérer,
et que vous ne devez estimer que boue et que fange
pour acquérir Jésus-Christ. Votre glorieux patriarche
vous en a donné un grand exemple : imitez-le, au nom
de Dieu, et que mon cœur reçoive cette consolation,
à la première fiotte, d'apprendre que mes vœux offerts
à la divine majesté depuis vingt-et-un ans sans inter-
mission, ont été reçus au Ciel. Il ne se passe jour que
je ne vous sacrifie à son amour sur le Cœur de son
bien-aimé Fils. Plaise à la divine bonté que vous
soyez un vrai holocauste tout consumé sur ce divin
autel !»
CHAPITRE XI. 277
« Voilà, ditMartène, comme celte pieuse mère conso-
lait son fils et l'exhortait à la vertu ; mais il était bien
plus consolé encore par les grâces que Dieu versait
continuellement dans son cœur, et qui le faisaient
avancer à pas de géant dans les voies de la perfection.
Jamais on ne vit un novice plus fervent, d'une plus
grande régularité, plus fidèle à son devoir, plus assidu
à la prière et à l'oraison, plus appliqué à. régler son
intérieur, plus mortifié et détaché des choses de la
terre. Le R. P. Dom Paul Rivery, son Père Maître,
admirant en lui les effets de la grâce, le regardait
comme un homme fait dans la vie religieuse, lorsqu'il
ne faisait que d'y naître. «
A l'appui de ces éloges, Martène cite le trait suivant :
Claude Martin ayant écrit au R. P. Général, aussitôt
après son entrée au noviciat, pour le remercier de la
grâce qu'il lui avait faite, en reçut une réponse qui lui
fut remise non décachetée, parce quelle venait d'un
supérieur majeur. Le généreux novice crut qu'elle
venait de quelqu'un de ses anciens amis ou de ses
parents; et ne voulant pas embarrasser de nouveau
son esprit des idées du monde, auxquelles il avait
renoncé, il la jeta dans la rivière qui passait à travers
le jardin du monastère.
Quand on lit la vie de ce saint religieux, on voit
qu'elle surpassa toutes les espérances que pouvait faire
naître la ferveur de son noviciat. Il y a là une preuve
nouvelle, après tant d'autres, de la puissance des
prières d'une mère pour obtenir des grâces en faveur
de ses enfants, lorsque ces prières sont appuyées par les
mérites d'une sainte vie et qu'elles ont en vue plus l'âme
que le corps, plus les biens du Ciel et la vie éternelle
avec Dieu, que les fragiles avantages de la vie présente.
278 MARIE DE l'incarnation.
On pourra juger de la pureté d'intention, des vues
élevées et des sentiments tout célestes de la mère et du
fils, par la fin de la lettre dont nous venons de citer
la plus grande partie.
« J'ai une consolation très-sensible du bon souhait
que vous faites pour moi du martyre. Hélas! mon
très-cher fils, mes péchés me priveront de ce grand
bien; je n'ai rien fait jusqu'ici qui soit capable de
gagner le cœur de Dieu, et il faut avoir beaucoup
travaillé pour être trouvé digne de répandre son sang
pour Jésus-Christ. Aussi n'os^-je porter mes prétentions
si haut ; mais je laisse faire sa bonté immense, qui m'a
toujours prévenue de tant de faveurs. Je me donne et
vous donne aussi à elle; et pour une bénédiction que
vous me demandez, je la prie qu'elle vous comble de
celles qu'elle a départies à tant de valeureux soldats
qui lui ont gardé une fidélité inviolable.
y> Si l'on venait me dire : Votre fils, est martyr, je
crois que j'en mourrais de joie. Laissons faire ce Dieu
plein d'amour ; il a ses temps, et il fera de vous ce qu'il
a déterminé d'en faire de toute éternité. Soyez-lui fidèle,
et il trouvera les occasions de faire de vous un grand
saint et un grand martyr, si vous obéissez à ses divins
mouvements, si vous vous plaisez à mourir à vous-
même, et si vous vous efforcez de suivre l'exemple que
tant de grands saints de votre Ordre vous ont donné.
Priez bien Dieu pour moi; je vous visite en lui plu-
sieurs fois le jour, et sans cesse je parle de vous à
Jésus et à Marie. Adieu, mon très-cher fils; je ne me
lasserais point de vous entretenir; mais enfin il faut
finir et vous dire adieu pour cette année. -
CHAPITRE XI. 279
La servante de Dieu était dans la joie; mais pourtant
les souffrances qu'elle avait consenti à endurer pour
son fils, n'étaient pas encore à leur terme,
« Son fils, dit Martin en parlant de lui-même, passa
son année de noviciat dans un entier oubli du monde,
et nourri des douceurs de la grâce, il porta avec joie
le joug de l'obéissance et les austérités du genre de vie
oii il s'était engagé. " Mais cependant, la vénérable
Mère, quoique soulagée de ses peines, continuait à
souffrir à son occasion ; elle eut même un redoublement
de peine et de souffrance dont la coïncidence avec une
traverse qu'éprouva la vocation de son fils, est certaine-
ment digne d'attention. Lorsque le fervent novice était
sur le point de prononcer ses vœux, un marchand
d'Orléans, auquel il devait une somme assez légère,
se rendit à Vendôme et déclara qu'il s'opposait à la
profession de son débiteur, selon le droit que lui don-
nait la législation à cette époque.
Le supérieur eut la prudence de laisser ignorer au
novice la difficulté qui se présentait, de peur de le
troubler dans ses exercices de piété. Il eut même la
charité de se porter pour caution, s'estimant heureux,
dit Martène, d'acheter à ce prix un sujet qui méritait
d'être payé au poids de l'or. Il n'eut cependant que le
mérite de la bonne volonté, car les parents, ayant su
ce qui se passait, se hâtèrent de payer le marchand.
Cet embarras levé , Claude Martin fit profession le
3 février 1642.
Mais la difficulté ainsi survenue au moment décisif
ne fut pas inconnue à la vénérable Mère : car entre les
grâces dont Dieu la favorisait, elle avait quelquefois
le don de connaître ce qui se passait dans des lieux
éloignés. Elle connut donc du Canada où elle était, soit
280 MARIE DE l'incarnation.
d'une manière nette, soit par quelque vive impression,
l'opposition du créancier, et elle eut une grande crainte
que cet obstacle ne renversât toutes ses espérances.
Mais un jour elle se vit tout à coup délivrée de ses
peines : or, elle sut plus tard que c'était celui de la pro-
fession de son fils. Voici ce qu'elle lui dit à ce sujet dans
une lettre du P"^ septembre 1643. ^
« Lors même que vous étiez sur le point de faire
profession, je fus un jour contrainte de sortir de table
et de me retirer pour vous aller ofîrir à Dieu. Mes
croix prirent fin pour vous en ce temps-là, ainsi que je
l'ai remarqué, ayant vu vos lettres et confronté ce qui
s'était passé en moi. Je vous ai dit tout ceci, afin de
vous faire voir combien Dieu vous aime, vous attirant
à lui par des voies toutes pleines de sa bonté, et pour
que votre vie se consume en continuelles actions de
grâces. »
CHAPITRE XII.
Seconde cause des épreuves de Marie de l'IncarnatioD, sa nièce. — Mondanité
de cette jeune fille. — Son père meurt. — Elle est enlevée par un jeune gentil-
homme, 1641. — Celui-ci est poursuivi, condamné, puis gracié. — La jeuue
fille devient entièrement orpheline. — Un magistrat la protège. — Elle se
retire aux Ursulines de Tours. — Intervention de l'archevêque. — Elle entre au
noviciat par dépit et esprit de vengeance. — Elle se convertit. — Elle fait
profession en 1643 ou 1644. — Retour de madame de la Peltrie.
La Mère Marie de l'Incarnation vient de dire à son
fils : « Mes croix prirent fin pour vous en ce temps-là ; «
elle donne donc à entendre que les épreuves et les
CHAPITRE XII. 281
souffrances continuaient pour un autre sujet. En effet,
elle était toujours en instances et en expiation pour
une de ses nièces, fille de cette sœur chez laquelle elle
avait supporté tant de travaux et d'humiliations.
C'était, dit Claude Martin, une jeune fille de quirtze
ans, douée de tous les attraits de la beauté et des
charmes de l'esprit que peut désirer une jeune personne
disposée à chercher son bonheur dans le monde. Sa
mère, qui l'idolâtrait en quelque sorte, n'avait rien
négligé pour joindre tous les avantages de l'éducation
la plus soignée aux qualités qu'elle' avait apportées en
naissant. Son père étant mort, elle se trouvait en
possession d'une fortune considérable. Enivrée de tous
ces avantages humains, dont elle était loin de com-
prendre la fragilité, elle n'avait de pensées et d'estime
que pour les vanités du siècle. Voir et être vue, se
livrer aux divertissements avec to,ute la fougue de
son jeune âge, telle était son unique préoccupation.
Si on lui eût dit que, grâce aux prières de sa tante,
elle se déciderait un jour à renoncer entièrement au
monde et à embrasser comme elle l'état religieux, elle
eût accueilli cette prédiction avec une dédaigneuse
incrédulité. C'était pourtant là ce qui était arrêté dans
les desseins de Dieu, et ce qui eut lieu d'une manière
si extraordinaire, dit Claude Martin, qu'elle mérite
d'être rapportée en détail, afin de faire voir la force de
la grâce qui vint à bout d'un cœur aussi mondain,
et la puissance des prières qui méritèrent une aussi
éclatante victoire.
La vanité de la jeune fille fut précisément le moyen
dont Dieu se servit pour arriver au but que se propo-
sait sa miséricorde. Il permit qu'elle réussît plus même
qu'elle n'eût voulu dans son désir de plaire. En effet,
282 MARIE DE l'incarnation.
un bon nombre de jeunes gens de qualité jetèrent les
yeux sur elle. Au commencement, elle dut être fière
d'un pareil succès , peut-être même affecta-t-elle de
paraître en suspens afin de rendre plus ardents les
désirs de ceux qui aspiraient à sa main. Quoi qu'il en
soit, l'un de ces jeunes gentilshommes, officier de la
maison du roi, fut pris pour elle d'une passion si vive
qu'il jura de l'épouser à tout prix. Craignant que le
moindre retard ne lui fît préférer un de ses concurrents,
il résolut d'employer la force au moyen d'un enlèvement.
Aujourd'hui, un pareil acte de violence paraît tellement
impossible que personne ne s'arrêterait à la pensée de
le tenter, surtout en plein jour et au milieu d'une ville;
mais l'histoire des siècles passés nous en offre une foule
d'exemples.
A une époque plus reculée, ces abus de la force
brutale inspiraient une sorte de terreur qui rendait la
résistance impossible; mais au milieu du XVIP siècle,
l'indignation publique commençait à se manifester avec
énergie; on se montrait résolu de ne plus laisser de
pareilles monstruosités impunies. Aussi, à la première
nouvelle de cet enlèvement, une foule d'hommes géné-
reux s'offrent à la mère pour poursuivre à main armée
le ravisseur de sa fille. On s'informe de la route que la
voiture a suivie et l'on a bientôt découvert le lieu où
elle s'est arrêtée. C'était un château où la jeune fille
se trouva entre les mains d'une demoiselle qui paraissait
l'attendre. Cette personne d'une certaine condition, à ce
qu'il paraît, joua son rôle avec le plus d'habileté pos-
sible, usant de procédés aussi convenables qu'ils peuvent
l'être en pareil cas pour faire consentir la prisonnière à
CHAPITRE XII. 283
épouser son ravisseur. Mais cette enfant de seize ans
était douée d'une énergie de caractère qui, sous ce
rapport, la rendait une digne nièce de la Mère Marie
de l'Incarnation. Vivement pénétrée de l'injure qui lui
était faite, elle rejeta avec indignation les propositions
d'une inconnue qui ne rougissait pas de se prêter à un
attentat aussi odieux.
Heureusement la mère arrive avec une troupe nom-
breuse de défenseurs bien résolus de venger sa cause
à quelque prix que ce fût. Le ravisseur tenta de se
mettre en défense à l'aide de ses gens ; mais les assié-
geants livrèrent l'attaque avec une telle énergie que
la capitulation devint vite une nécessité. De part et
d'autre on y mit des conditions. La mère voulut avoir
sa fille sur-le-champ, bien entendu; le gentilhomme
demanda la vie sauve et la permission d'aller cacher
ailleurs son ignominie, c'est-à-dire de n'être pas lié et
emmené comme un malfaiteur; ce qui lui fut accordé.
On voit, par les lettres de la Mère Marie de l'Incarna-
tion et par la Vie de Claude Martin, que cela dut se
passer en 1641. i
Soit pour obvier à de nouvelles tentatives, soit pour
dissiper les ombres qui auraient pu rester dans l'esprit
du public relativement à l'honneur de sa fille, la mère
poursuivit le coupable en justice, et l'affaire fut portée
(1) Quoique bien jeune encore, et malgré ses goûts légers et frivoles, la nièce
de uotre vénérable Mère laisse voir, en cette circonstance, une énergie qui ne se
démentira pas, et dont elle donnera des preuves encore plus remarquables, lors-
que, devenue orpheline de père et de mère, elle sera, en quelque sorte, abandonnée
à ses seules ressources. Nous ne sommes plus accoutumés à voir des enfants de
quinze ou seize ans montrer cette précocité d'intelligence et cet aplomb de volonté,
dus autrefois à la prédominance de l'élément religieux dans l'éducation. A nulle
autre époque depuis l'ère des martyrs, les caractères ne se montrent autant dans
toute leur grandeur qu'au XVII'' siècle. Si l'on en étudie l'histoire avec attention,
284 MARIE DE l'incarnation.
devant la Tournelle, chambre du Parlement qui jugeait
les affaires criminelles. La jeune fille parut elle-même
au tribunal et elle parla avec tant de force et d'élo-
quence, qu'elle fit l'admiration des juges. Elle gagna
complètement sa cause, en sorte que le ravisseur fut
condamné avec tous ses complices et obligé de fuir ou
de se cacher.
On serait tenté de croire néanmoins que cette sévé-
rité de la justice n'était souvent alors que pour la
forme. Le gentilhomme, ne l'ignorant pas, se contenta
de disparaître pendant quelque temps, juste autant
qu'il lui en fallait pour faire agir ses amis à la Cour
et obtenir sa grâce, ce qui ne fut pas long. Gaston,
duc d'Orléans et comte de Blois , alors lieutenant-
général du royaume, lui accorda sa protection et tout
fut fini.
Dans ces entrefaites , la jeune fille perdit sa mère
par un accident funeste, mais dont nous ne connaissons
par la nature. Voici ce qu'en dit la Mère de l'Incarna-
tion dans une lettre à sa nièce, datée du 14 septem-
bre 1643 : « Ma très-chère et bien-aimée fille, la paix
et l'amour de Jésus soient l'unique joie de votre cœur.
Je veux croire que la grande affliction que vous avez
de la perte de votre bonne mère, arrivée par un acci-
il sera facile de se convaincre qu'il a été par excellence le siècle des grands
caractères de femmes. C'est surtout en étudiant les annales des communautés
religieuses que l'on en trouve des preuves multipliées. Nous avons mis pour notre
part cette vérité en évidence, en publiant nos deux volumes de l'Histoire des
Ursulines de Blois.
L'instruction que l'on donnait aloio aux jeuL.es filles était moins étendue, il est
vrai ; on chargeait moins leur mémoire; mais les autres facultés se développaient
davantage.
CHAPITRE XII. 285
dent si funeste, est cause que j'ai été privée cette année
de vos lettres. Je ne laisse pas de vous écrire pour vous
témoigner que je compatis beaucoup à votre perte et
aux angoisses que vous avez souffertes et que vous
souffrez encore par suite de ce coup terrible. Voilà,
ma chère fille, comme vont les affaires du monde.
Votre bonne mère en a bien souffert; puis la voilà
morte, et morte d'une déplorable façon. Je l'ai quasi
vue mourir en vous mettant au * monde. Depuis, il
semble qu'après Dieu son plus tendre amour était pour
vous. Ce qui vous est arrivé, ainsi qu'à elle, n'est point
arrivé par hasard. Dieu l'a permis pour votre sancti-
fication, et afin de vous sauver par des voies extraordi-
naires que vous ne prévoyiez pas. Il importe beaucoup
d'ouvrir les yeux sur cette conduite de la Providence.
La vanité aveugle un grand nombre de filles de votre
âge, qui, s'y laissant emporter, se privent elles-mêmes
par leur faute des grâces que la divine bonté leur
voulait faire.
y> J'ai fait dire beaucoup de messes et fait beaucoup de
communions pour le repos de l'âme de votre bonne
mère. Encore à présent je ne cesse pas de l'offrir à
Dieu, et je voudrais avoir assez de mérites pour
accroître sa gloire dans le Ciel. Retenez ce que vous
avez remarqué de vertu en elle durant sa vie, afin
de l'imiter. Elle a tant fait dire de messes, tant paré
d'autels, tant fait d'aumônes et tant délivré de prison-
niers; elle a tant revêtu de misérables réduits à la
nudité; et enfin elle a tant fait d'œuvres de miséricorde
et de charité, que c'est admirable. Je le sais, car elle
se servait de moi afin que tout se fît plus secrètement. »
C'est là, on ne peut le nier, un magnifique éloge d'une
femme du monde, éloge par les œuvres; il est toujours
286 MARIE DE l'incarnation.
le plus éloquent. Que ses œuvres la louent devant le public,
dit le Sage en parlant de la femme forte. Tels sont les
fruits que produit dans les âmes la foi dont les parents
chrétiens savent pénétrer les enfants dès leurs pre-
mières années. On vante la multitude des œuvres géné-
reuses qui se font aujourd'hui, et je reconnais que ce
n'est pas sans motif, car il se fait du bien, et beaucoup;
mais est-il un grand nombre de personnes, même
riches et pieuses, qui- en fassent autant que cette femme
du XVIP siècle? Peu s'en est fallu néanmoins que tout
ne fût resté ignoré pour toujours. Combien d'autres
fruits de la piété chrétienne qui ne seront connus qu'au
grand jour des révélations !
Il est probable que la vénérable Mère fait allusion
à toutes ces bonnes œuvres, lorsqu'elle dit dans une
lettre du 16 août 1644, en parlant de sa nièce qui
était entrée au noviciat des Ursulines, comme nous
le verrons plus loin : « Elle n'est venue au monde
qu'après un grand nombre de vœux, de prières et de
bonnes œuvres, pratiquées pour la demander à Dieu.
Elle a aussi été offerte à la Sainte Vierge, qui peut-être
la veut donner pour épouse à son Fils, après l'avoir
retirée des tromperies du monde. »»
La pauvre enfant se trouvait dans une position des
plus fâcheuses, par suite de la mort de sa mère; mais
une pieuse dame la prit chez elle et voulut lui servir
de tutrice, la traitant comme une de ses propres filles.
Son mari, qui était l'un des magistrats de la ville, de
Tours, se chargea des affaires d'intérêt de l'orpheline.
Cette immense fortune, dont elle se trouvait désor-
CHAPITRE XII. 287
mais en possession, enflamma plus vivement encore
la cupidité du ravisseur. Il eut l'audace de dire au duc
d'Orléans « que cette jeune personne était sa femme,
que pour des raisons qu'il ne pouvait comprendre, un
juge qui eût dû être le premier à défendre ses droits,
la retenait injustement dans sa maison, et qu'il priait
Son Altesse de la lui faire rendre. Gaston avec toutes
les qualités d'un bon bourgeois, eût été un excellent
homme et un bon chrétien dans une condition com-
mune, mais il était loin d'avoir une capacité et des
talents en rapport avec son élévation. Il eut donc la
faiblesse de se laisser tromper par un jeune mauvais
sujet et il écrivit en sa faveur au magistrat. Celui-ci
craignit probablement de n'être pas assez fort pour
pouvoir résister à la seconde personne du royaume,
comme on disait alors. Mais , en même temps , ne
croyant pas pouvoir, sans se rendre coupable devant
Dieu, abandonner une jeune fille innocente à la cupi-
dité d'un misérable qui ne méritait que le dernier
supplice, dit Claude Martin, il engagea sa pupille à se
retirer pour quelque temps dans un couvent, afin de
se mettre en sûreté contre toute nouvelle tentative
d'enlèvement.
Elle suivit ce conseil et se retira au monastère des
Ursulines, d'oii sa tante était partie, quelques années
auparavant, pour le Canada. Là elle avait le loisir de
méditer sur. les amertumes qui accompagnent si sou-
vent les plaisirs et les joies de la terre. Elle pouvait
comparer cette vie si douce et si heureuse du cloître
avec les agitations, les tristesses et les angoisses
cruelles dont, si jeune encore, elle avait la douloureuse
expérience. Mais ni la raison abandonnée à elle-même,
ni les déceptions les plus amères ne suffisent pour
288 MARIE DE l'incarnation.
détacher du monde un cœur qui en est épris. Elle resta
donc avec ses premiers sentiments, ne voulant que se
mettre à l'abri d'un orage dont elle espérait voir bientôt
la fin, et ayant hâte de retourner au milieu de ce
monde dont elle ne croyait pas se pouvoir passer.
Son persécuteur était loin, lui aussi, de vouloir
perdre courage, et il proportionna les efforts aux diffi-
cultés. Il eut assez de crédit auprès de la reine, mère
de Louis XIV, pour obtenir qu'elle écrivît à l'archevêque
de Tours, afin qu'il fît sortir la jeune fille du cloître
et qu'il la fît remettre à celui qui prétendait avoir des
droits sur elle. La reine était trop pieuse, sans doute,
pour vouloir forcer les grilles d'un monastère; mais
l'archevêque connaissait assez son époque et les mœurs
du temps, pour craindre que d'autres ne les forçassent
en son nom et comme de sa part. Il n'osa donc pas
opposer un refus formel. Comme le ravisseur prétendait
que celle qu'il appelait sa fiancée était détenue malgré
elle, et quelle ne désirait pas moins vivement que lui
de l'épouser, le pieux et sage prélat les fit venir l'un et
l'autre en son palais, en présence de témoins. Pour leur
laisser toute liberté de s'expliquer ensemble, il les mit
dans un coin d'une grande salle et il se retira à l'autre
extrémité, ainsi que les personnes qu'il avait choisies
pour rendre témoignage de la vérité.
Le gentilhomme eut recours à tout ce que son
ardente passion et aussi le désir d'acquérir une grande
fortune put lui suggérer pour gagner un cœur aussi
profondément ulcéré; mais l'indignation de la jeune
fille n'en devint que plus vive. Il parlait bas, parce que
le vice n'a pas moins honte de se faire entendre que
de se faire voir, dit Claude Martin, et que c'est le
propre de l'astuce de chercher les ténèbres. Mais elle
CHAPITRE XII. 289
répondait fortement et à voix haute, afin que les
témoins de cette scène pussent l'entendre, et juger à
quel point elle était éloignée de vouloir donner son
cœur à celui qui employait pour l'obtenir des procédés -
aussi méprisables.
L'archevêque, qui savait sans doate par avance à
quoi s'en tenir, mais qui avait voulu mettre la vérité
en évidence, fit reconduire la jeune fille au monastère,
seul asile où elle pût jouir de quelque tranquillité.
Elle-même néanmoins ne '"s'y croyait pas en parfaite
sûreté, sachant surtout que son ennemi, loin de recon-
naître sa défaite et de s'avouer vaincu, méditait de
nouvelles industries pour triompher de sa résistance.
De plus en plus indignée à la vue d'une aussi odieuse
persécution, et plus pour lui témoigner sa haine que
pour suivre un attrait de la grâce, refoulant, au con-
traire, toutes les aspirations de son àme vers un monde
auquel elle eût voulu appartenir, elle résolut d'em-
brasser la vie religieuse. Simulant un vrai désir de se
consacrer à Dieu, elle fit dire à la reine que telle était
son intention, et, peu après, elle lui écrivit que c'était
là l'unique motif qui la retenait dans le cloître. La reine
n'en demanda pas davantage et elle donna ordre de la
laisser en paix, ce qui fut exécuté. *
La pauvre enfant n'était donc entrée au noviciat que
comme malgré elle, et plus par aversion de son persé-
cuteur que par le désir de son salut éternel. Or, il est
facile de comprendre que dans de telles conditions
le bonheur était impossible. Cette absence de vocation
et ces intentions purement humaines, ne pouvaient rien
M DE l'inC. 19
290 iMARlE DE l'jNCARNATION.
présager que de funeste, si la miséricorde divine, sans
cesse sollicitée par les prières et les sacrifices de la
tante, n'eût disposé toutes choses pour le plus grand
bonheur de la nièce. Si, en effet, la vocation céleste
ne se faisait ni apercevoir dans les intentions, ni sentir
dans le cœur de la jeune fille, elle se rendait visible
dans la conduite de la Providence, qui allait à son but,
nonobstant toutes les apparences contraires. Notre-
Seigneur voulait se l'attacher, malgré ses inclinations
pour les plaisirs et en dépit de la faiblesse avec laquelle
elle s'y laissait entraîner. Il se servit des déboires que
lui attira son esprit mondain et léger. Car, dit saint
Augustin, Dieu a un si grand désir de notre salut, qu'il
permet que les créatures nous soient quelquefois con-
traires, pour nous empêcher d'y attacher notre cœur,
et afin que nous y trouvions des motifs qui nous en
éloignent. Si, en effet, on les aime quoiqu'on les trouve
si souvent remplies d'amertume, que serait-ce si elles
ne nous procuraient jamais que des douceurs?
Telle fut la conduite qu'il tint à l'égard de cette jeune
personne. 11 se servit des créatures pour la détacher
des créatures, d'un mondain passionné d'amour pour
la chasser du monde, en quelque sorte, et la forcer
de se réfugier elle-même dans l'asile où sa tante
désirait la voir entrer, mais qu'elle n'etit pas osé lui
proposer. Ce n'était pourtant là encore qu'un prélude
bien imparfait de la transformation que la sainte Mère
demandait à Dieu par tant de prières, et qu'elle s'effor-
çait de mériter par tant de sacrifices. Sa nièce était dans
un monastère; mais elle n'y était que corporellement :
ses pensées, ses désirs, ses affections, son âme tout
entière était restée dans le monde, dont toujours elle
rêvait les fêtes et etit voulu savourer les jouissances.
CHAPITRE XII. - 291
Son cousin cependant qui, lui aussi, priait pour elle,
avait essayé de lui inspirer des pensées plus sérieuses.
« Au moment de sa profession, c'est-à-dire au commen-
cement de l'année 1642, il lui écrivit, dit Martène, une
grande lettre de quatre pages, la plus touchante et la
plus pressante du monde, pour lui persuader de quitter
les vanités du siècle et d'embrasser la vie religieuse.
Elle était pour lors en pension chez l'un des premiers
magistrats de la "ville, qui lui déroba cette lettre; et
lorsqu'il la voyait se livrer aux joies et aux divertisse-
ments qu'une jeune personne de son âge a coutume
de rechercher, il prenait plaisir à lui en lire les pas-
sages les plus propres à la toucher. Elle faisait l'esprit
fort; mais, malgré sa résistance, il arrivait que ces
vérités produisaient sur elle de fortes impressions; et
il y a bien de l'apparence que les exhortations du
cousin, jointes aux ardentes prières de la tante, con-
tribuèrent beaucoup à la détacher des vanités du siècle
et à lui faire embrasser la profession sainte dont elle
remplit aujourd'hui les devoirs avec une très-grande
édification. ^ »
On voit que Dieu l'attaquait de toutes parts à la fois,
et que sa miséricorde était enfin gagnée par la géné-
reuse charité de la Mère Marie de l'Incarnation qui,
au pied de son crucifix, avait consenti à porter toutes
les croix possibles pour sauver cette âme. C'est pou-
quoi elle écrivait plus tard à son fils : «< Notre-Seigneur
m'ayant donné pour vous et pour elle un amour tout
particulier, et un désir extraordinaire de votre salut,
(\.) Vie du Vénérable Père Claude Martiu.
292 MARIE DE l'incarnation.
je ne pouvais vivre vous voyant dans le monde, où l'on
court risque, tous les jours, de se perdre. Il me semblait
alors que j'étais chargée de votre salut et du sien;
ainsi ne vous étonnez pas si j'ai tant souffert pour
vous et pour elle.... Vous êtes les deux personnes dont
j'ai voulu parler, et quand il m'eût fallu souffrir jusqu'à
la fin du monde pour vous gagner à Dieu, j'avais pour
cela une vocation puissante que me donnait la divine
Majesté. Je tiens toutefois que vos vocations à son saint
service viennent de son pur amour et de son élection
gratuite. A lui seul donc en soit la gloire dans le temps
et dans l'éternité. » » •
Dieu ne pouvait résister à une charité si ardente,
dont il était lui-même le principe. Aussi, il répandit
des flots de grâce dans l'âme de la novice. Au moment
où elle se vit revêtue de l'habit religieux, il s'opéra en
elle un changement complet. Dieu lui donna un cœur
tout nouveau, dit Claude Martin. Le monde, qui lui
avait paru si attrayant, fut pour elle un spectacle
, d'horreur, et l'état religieux, qui lui avait semblé si
affreux, devint pour son âme un délicieux paradis.
A partir de là, elle se faisait comme un jeu des rigueurs
de la pénitence; elle tâchait de ne perdre aucune occa-
sion de faire des actes de vertu, prenant en même
temps mille précautions pour les dérober aux regards
des créatures. Comme Dieu était seul témoin des mou-
vements de son cœur, elle voulait que lui seul aussi
eût connaissance do ce qu'elle pourrait faire de bien.
Ne respirant plus que pour le ciel et n'ayant d'estime
que peur les biens surnaturels, elle dédaigna la fortune
considérable que lui avaient laissée ses parents et elle
en disposa pour ia gloire de Dieu, selon les conseils que
lui donnèrent ses supérieurs, sans se prévaloir de ce
CHAPITRE XII. 293
qu'elle donnait à sa communauté ni prétendre pour
ce motif à la moindre considération qui la distinguât
des autres religieuses, quoique certaines personnes,
sages selon le monde, lui eussent donné des conseils
opposés à cette abnégation et à cet oubli d'elle-même ' .
Ce fut dans ces dispositions et avec une joie toute
céleste qu'elle prononça ses vœux. Toute la suite de
sa vie fut une preuve de la transformation qui alors
s'était opérée en elle. On vit, comme le remarque avec
raison Claude Martin, que si Dieu avait si vivement
troublé les joies de ses jeunes années, c'était afin de
l'attirer plus fortement à son service; et que s'il avait
permis qu'elle fût un instant la proie d'un ravisseur,
c'était pour la ravir lui-même au monde et se l'attacher
à jamais par la plus chaste et la plus sainte des unions.
Lorsque, dès son entrée au noviciat, elle avait pris
le nom de religion de sa tante, elle ne fut sans doute
guidée que par un sentiment d'affection naturelle;
mais son ardeur à travailler pour imiter les vertus
de celle qui avait tant sollicité sa conversion auprès
de Dieu, fit voir dans la suite qu'en cela même elle
avait obéi, saUvS s'en douter, à une impression de
la grâce.
Après même que la nièce eut déclaré vouloir renoncer
au monde, sa pieuse tante continuait à éprouver ses
grandes souffrances intérieures. Elle comprenait par
là que l'œuvre de la grâce était encore loin de son
triomphe complet à l'égard de cette âme. Enân, après
plusieurs années de ces cruelles épreuves, le jour de la
(1) A cette époque, certaines familles qui ajoutaient un appoint considérable
au chiffre fixé pour la dot d'une jeune religieuse, demandaient qus la communauté
lui reconnût, par acte authentique, le titre honorifique de fondatrice. Il parait
que la nièce de la Mère de l'Incarnation rejeta bien loin cette prétention.
294 MARIE DE l'incarnation.
fête de l'Assomption (1647), la Mère de l'Incarnation
se sentit fortement inspirée de s'adresser à la Sainte
Vierge, et tout à coup elle fut délivrée de ses angoisses.
C'était comme si on lui eût ôté un vêtement de plomb
sous lequel elle gémissait depuis si longtemps. Elle
sut plus tard, à l'arrivée des vaisseaux d'Europe, qu'à
l'heure même où elle avait été délivrée de ses peines,
sa nièce avait pris le voile de novice aux Ursulines
de Tours. Or le jour de sa vêture avait été également
celui de sa conversion. Une vie longue, où elle s'appli-
qua constamment à imiter les vertus de sa pieuse
tante, fit voir combien cette conversion avait été
solide. ^
La Mère de l'Incarnation eut, vers la même époque,
fl) La date ci-dessus, 1647, dans la Vie de la Mère Marie de'l' Incarnation
par son fils, n'a pu être que le résultat d'une faute d'impression ou d'un chiffre
manuscrit mal formé. En 1647, il y avait déjà longtemps que la nièce avait fait
profession, et par conséquent qu'elle était convertie. Voici des dates certaines à
l'appui de ce que nous avançons.
Dans une lettre du 14 septembre 1643, la tante écrit à sa nièce pour la consoler
de la mort de sa mère et elle lui parle de sou tuteur officieux.
Le 16 août 1644, elle se réjouit de la vocation de sa nièce, qui, dit-elle, lui
a écrit quatre lettres, dans lesquelles elle s'étend sur le désir qu'elle a d'être
bonne religieuse. Cela semble bien indiquer qu'elle était convertie , et que,
par conséquent, elle avait pris l'habit, puisque sa prise d'habit fut l'occasion
de sa conversion. Il fallait même qu'il se fût écoulé du temps, pour que sa
' nièce eût écrit quatre lettres lorsque les départs de vaisseaux pour le Canada
étaient si rares.
Le 3 octobre de l'année suivante, 1645, elle se réjouit encore de cette même
vocation ; elle dit à la supérieure des Ursulines de Tours : » Commençons à parler
de la vocation de votre novice ; je m'attendais à la grâce de cette conversion. Vous
m'obligerez infiniment d'exei'cer ma chère fille dans la mortification... «
Au mois d'octobre 1646, elle donne des avis à sa nièce pour une élection de
supérieure, qui était proche, et pour laquelle elle devait donner sa voix ; or les
jeunes-professes Ursulines ne sont vocales qu'après deux ans de profession, trois
ans au moins après la prise d'habit. La jeune Marie de l'Incarnation avait donc
pris l'habit au plus tard à la fête de l'Assomption, 1643.
CHAPITRE XII. 295
un autre sujet de consolation bien doux. Nous avons
vu qu'au printemps de 1642, madame de la Peltrie était
partie pour Montréal, emmenant avec elle Charlotte
Barré et laissant la communauté dans un état de détresse
qui faisait craindre sa ruine. Mais son cœur la ramena
bientôt à d'autres sentiments; elle sentit que rien ne
pouvait lui tenir lieu de la sainte amie que Dieu lui-
même lui avait donnée; et après dix-huit mois d'une
séparation qui lui avait été sans nul doute, bien pénible,
elle revint à Québec pour y passer le reste de sa vie.
Son arrivée fut une joie universelle. « Quand les petites
sauvages la virent, dit le Père Vimont, elles ne pou- _
valent contenir leur joie; alors surtout elles la regar-
daient comme une vraie mère, qui les avait toujours
aimées. » Les religieuses et particulièrement la Mère
de l'Incarnation, qui lui était si attachée et si reconnais-
sante, n'éprouvaient pas un bonheur moins grand. Voici,
quant à madame de la Peltrie elle-même, de quelle
manière elle manifeste ses sentiments dans une lettre
à Claude Martin :
« Je puis vous assurer que Notre-Seigneur continue
toujours à faire beaucoup de grâces à notre très-aimée
Mère Marie de l'Incarnation, et c'est une bénédiction
toute particulière de l'avoir en cette petite maison,
laquelle, par son exemple et ses paroles, augmente tous
les jours en vertus et en sainteté. Elle a tant de charité
pour nous, qu'elle daigne bien prendre la peine de nous
faire tous les jours des conférences. Je m'estime très-
privilégiée de vivre en sa sainte compagnie. Elle a un
grand amour pour les personnes qui lui font du déplai-
sir. Elle vit dans un grand détachement de tout ce qui
n'est point Dieu, et dans un grand abandon à la Provi-
dence. Elle est toujours aussi dans une présence de Dieu
296 MARIE DE l'incarnation.
continuelle, et son recueillement intërieur est si admira-
ble, que ni les grandes affaires, ni les tracas ne peuvent
la distraire. Si j'avais la dixième partie de ses vertus,
ah! que je serais heureuse!... »
Dieu ne se contentait pas de ménager ainsi des joies
et des consolations à cette admirable Mère après ses
épreuves; mais il faisait servir ces mêmes épreuves à
la faire croître en vertus et à lui procurer des lumières
surnaturelles telles que bien peu de saints en ont reçu de
plus grandes. Nous en parlerons dans le chapitre suivant.
A partir de ce moment, aucun nuage ne vint trou-
bler l'union de la Mère de l'Incarnation et de Madame
de la Peltrie. Celle-ci même, pour faire mieux compren-
dre que son dévouement serait désormais inaltérable,
fit bâtir une maison à* son usage sur un terrain qui lui
appartenait auprès du monastère. Bientôt il lui sembla
que ce n'était pas encore assez; elle demanda à genoux
la grâce d'être admise au noviciat, afin de se lier par
des vœux à la communauté, exprimant le désir d'être
regardée comme là dernière de toutes. On ne jugea
pas toutefois que Dieu lui demandât ce sacrifice.
La pieuse dame reçut cette décision avec une soumis-
sion d'enfant, sans témoigner, ni au moment ni plus tard,
le moindre mécontentement. Elle continua à se dévouer à
l'œuvre commune avec un zèle qui ne se refroidit jamais.
Quoiqu'elle n'eût point fait de vœux, elle s'assujettit aux
règles et à toutes les observances de la vie monastique,
sans vouloir accepter ni exemptions ni prévilége».
Telle fut le cours de sa pieuse existence jusqu'au
18 novembre 1671, oii elle mourut dans les bras de sa
sainte amie. C'est ainsi que Dieu ménageait à notre
admirable Mère, des joies, des consolations et des épreu-
ves, dont elle profitait toujours pour croître en sainteté.
CHAPITRE XIII. 297
CHAPITRE XIII.
Avantages que la Mère de l'Incarnation retire des épreuves. — Son humilité. —
Sa défiance d'elle-même. — On lui donne des emplois humiliants et pénibles.
— Elle est soutenue par la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. — Ses lumières
nouvelles sur cette dévotion. — Elle voit la double beauté de Jésus-Christ. —
Sa dévotion aux saints Anges, à saint Joseph, à saint François de Paule. —
Comment la grâce agissait en tout cela sur elle. — Sa charité à l'égard des
sauvages.
Dieu qui, dans son infinie miséricorde, tient compte
d'un verre d'eau froide donné pour l'amour de lui, ne
pouvait laisser sans récompense l'héroïque charité de
notre vénérable Mère. Tant de sacrifices qu'elle avait
non-seulement acceptés, mais désirés pour le .-^alut de
deux âmes exposées à se perdre, devaient lui attirer
des grâces immenses : car prier, travailler, souffrir
pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, c'est prier,
travailler et souffrir pour soi-même. La servante de
Dieu l'expérimenta d'une manière sensible en cette
circonstance, ainsi qu'elle le raconte elle-même.
« Il ne me serait pas possible de décrire le déluge
de grâces où mon âme se trouva plongée lorsqu'elle
se vit délivrée de son fardeau et rétablie en tout ce
qu'elle croyait avoir perdu. Non-seulèraent elle com-
prenait qu'elle n'avait fait aucune perte, mais elle
voyait par expérience qu'elle avait fait un amas do
trésors inestimables, et que ce qui lui avait oté la vue
des biens qu'elle possédait dans l'intime union de
l'Epoux, n'avait été qu'une cendre qui cachait son feu;
298 MARIK DE l'incarnation.
que ses lumières n'avaient été voilées que pour son
bien et pour la faire avancer davantage dans les vertus
solides. A la vue de ce changement, je ne pouvais me
lasser de bénir Dieu de m'a voir fait passer par des
chemins si étroits et si parsemés d'épines. Je lui deman-
dais pardon de ne lui avoir pas été assez fidèle dans
mes tentations, et j'entrais dans une confusion qui me
mettait au-dessous de toutes choses en sa divine pré-
sence. C'est là que j'ai trouvé un poids d'humiliation
qui a produit en moi un esprit de componction amou-
reuse que Notre- Seigneur me donne continuellement
avec bien d'autres faveurs insignes. Je loue et bénis
ce divin Sauveur de ce qu'il a bien voulu m'humilier
en tant de manières. Je lui dis avec le prophète : Il
m est avantageux que vous m ayez humilié. (Ps. 118.) C'est
bien sincèrement que je le dis : car je ne voudrais pour
tout au monde n'avoir point passé par cet état d'humi-
liation, voyant qu'il est mille fois plus précieux que je
ne puis dire. Il me semble que j'ai passé par ces
cavernes de lions et de léopards, dont parle l'Epouse
des Cantiques, et que, sans avoir été atteinte par leurs
morsures, je me suis réfugiée dans les retraites de
mon céleste Epoux, qui ne sont autre chose que les
saintes maximes de l'Evangile. S'il a dit : Faites du
bien à ceux qui vous font du mal, c'est une loi qu'il
me semble avoir écrite dans mon cœur avec une force
et une impression toute d'amour. Je l'expérimente dans
les occasions, non en me faisant violence, mais en
suivant une pente et une inclination, qui sont en moi
l'effet des maximes de mon divin Epoux. Comme j'ai
eu des affaires fort épineuses depuis que je suis au
Canada, et que j'ai été obligée de traiter avec des
personnes de diverses conditions et d'humeurs fort
CHAPITRE XIII. 299
différentes, ces divines maximes ont été ma force et
mon soutien. Souvent on a cru que ma manière d'agir
en cela venait d'un naturel facile et disposé à oublier
les injures ; mais la vraie cause, c'est que mon esprit
étant rempli de l'esprit des maximes du Fils de Dieu,
c'était là le principe qui me faisait agir. »
A l'exemple de presque toutes les âmes éprouvées
par la tentation et plongées dans les ténèbres, la Mère
de l'Incarnation s'était crue loin de Dieu et il lui avait
semblé qu'elle avait rétrogradé dans la voie de la per-
fection ; mais quand la lumière lui eut été rendue, elle
vit, comme dans un plein jour, que Dieu ne lui avait
point retiré les grâces dont elle avait eu auparavant
un sentiment si vif, et qu'au contraire il y avait ajouté
de nouveaux dons à son insu. Elle reconnut que les
vertus dont la pratique lui avait été autrefois si douce
et si facile, loin d'avoir été affaiblies pendant cette crise
douloureuse, avaient reçu de notables accroissements
et étaient parvenues à un très- haut degré de perfec-
tion. Elle comprit particulièrement que le plus grand
fruit qu'elle eût retiré de ses épreuves était un état
habituel d'anéantissement à ses propres yeux qu'elle
conserva toute sa vie.
Elle se trouva, en effet, tellement affermie dans la
conviction qu'elle n'était rien et dans l'amour de sa
propre abjection, qu'on ne lui entendit jamais dire une
parole de vanité, ni rien qui pût donner de l'estime de
ce qu'elle faisait. Jamais il ne lui arriva de laisser
poindre l'idée qu'elle rendait service au monastère;
elle se croyait, au contraire, si inutile, qu'elle allait
jusqu'à prétendre qu'on lui faisait une longue et perpé-
tuelle aumône de la nourrir, et une grande miséricorde
de ne pas la chasser. « Je me vois continuellement
30O MARIH DR l'incarnation.
comme étant dans la maison de Dieu par miséricorde;
je ne sais rien et ne fais rien qui vaille ce que font
mes sœurs. Je suis la plus ignorante du monde, et
quoique j'enseigne aux autres, il me semble qu'elles
en savent plus que moi. Je n'ai, grâce à Dieu, ni
pensées de vanité, ni bonne estime de moi-même. Si
mon imagination veut travailler en ce sens au sujet
de quelque petite apparence de bien, la vue de ma
pauvreté l'arrête aussitôt. » {Letth à son fils, 25 sep-
tembre 1670.)
Quand il arrivait quelque accident funeste à son
monastère ou au pays, elle croyait toujours en être la
cause. Elle disait que ses péchés étaient le plus grand
obstacle à la gloire de Dieu et aux progrès de la foi
dans le Canada; que les Iroquois, ennemis acharnés
de cette Église naissante, ne lui faisaient pas autant
de mal que ses iniquités. Pénétrée de la plus entière
conviction à cet égard, elle ne pouvait trouver de
termes assez énergiques pour exprimer la haine qu'elle
avait d'elle-même. « Je n'ai aucune vertu, disait-elle,
et il n'y a aucun bien en moi. Je suis la plus indigne
de toutes les créatures, un abîme de néant et une
grande pécheresse; et j'ai sujet non -seulement de
m'abaisser au-dessous de toutes les créatures, mais de
me mettre sous les pieds de Lucifer : car je ne suis
rien et ne mérite rien, et si Dieu me mettait en enfer,
je n'aurais nul sujet de me plaindre. »
Ses révélations, ses communications familières avec
Dieu, les grâces abondantes et extraordinaires dont elle
était comblée, étaient des fruits du ciel qui l'humiliaient
encore davantage, comme les fruits d'un arbre font
pencher les branches à proportion qu'ils sont plus
beaux et plus abondants, dit Claude Martin. Elle regar-
CHAPITRE XIII. 301
dait, d'un côté la grandeur de Dieu qui la comblait
ainsi de faveurs, et de Vautre, sa bassesse, son néant,
son impuissance à opérer aucun bien , et c'était ce
double regard qui produisait en elle la vertu d'humilité.
Elle n'était donc ni aveugle sur les grâces immenses
qu'elle recevait, ni ingrate envers la divine miséri-
corde ; car elle voyait ces grâces, elle les appréciait ;
mais au lieu d'en concevoir de l'orgueil, elle en témoi-
gnait sa reconnaissance par une humilité toujours
plus profonde, « Dieu, disait- elle, a sur moi des desseins
pleins d'amour, et, eu égard au mépris que je mérite,
à ma grosièreté et à ma négligence à y correspondre,
tout remplis de miséricorde. J'ai arrêté une multitude
de fois le cours de ses grâces, ce qui a beaucoup
empêché mon avancement dans la sainteté, de laquelle,
sans mentir, je n'ai pas une seule trace. » [Lettre à son
fils, 1647.)
L'humilité qui la tenait ainsi abattue devant Dieu,
à la vue de tant de faveurs, était accompagnée d'une
pieuse crainte qui ne lui permettait pas de les regarder
sans trembler. C'est ainsi qu'après avoir exposé à son
fils la conduite de Dieu à son égard, elle ajoutait :
« Lorsque vous lirez ce que la divine Majesté a fait
en mon âme, tremblez pour moi, parce qu'il a mis ses
trésors dans un vaisseau de terre, le plus fragile qui
soit au monde ; et surtout parce qu'il n'y a rien d'assuré
en cette vie, et que nul ne sait s'il est digne d'amour ou
de haine. Priez le Dieu de toute bonté qu'il m'envoie
plutôt mille supplices que de permettre que je vienne
à lui être infidèle en dégénérant des pensées élevées
qui conviennent à ses enfants, et qu'il veuille bien
faire en sorte que l'humilité soit le contre-poids qui
m'abaisse. »
302 MARIE DE l'incarnation.
Cette humble défiance, que lui iuspirait la fragilité
de notre nature, ne l'abandon-na jamais. Mais elle se
fortifia extrêmement un jour qu'elle médita avec une
attention plus particulière sur la chute du premier
ange ; car réfléchissant sur ces paroles du prophète
Isaïe : « Comment es-tu tombé du Ciel, Lucifer, toi qui
paraissais si brillant au point du jour? comment as-tu
été renversé à terre, toi qui frappais de plaies les
nations? » elle entra dans une sainte frayeur. Voici
comment elle s'exprime à ce sujet : « Cette interroga-
tion du prophète m'a pénétrée d'un grand saisissement
intérieur. Je considérais cette chute du plus' bel astre
qui fût au Ciel; il tombe au moment de son premier
regard sur lui-même, n'ayant, je crois, fait qu'une
seule bonne action, reconnaître à l'instant de sa créa-
tion celui qui lui donnait l'être. Enivré par ce regard
de soi-même et de sa beauté, il crut ne se devoir
abaisser au-dessous de qui que ce fût, mais il voulut
aller de pair avec la divinité, ce qui lui fit refuser
d'adorer le mystère de l'Incarnation lorsqu'il en reçut
le commandement. Puis méprisant l'Homme-Dieu par
ce même orgueil, il déclara vouloir s'élever davan-
tage et s'asseoir sur les nuées les plus élevées pour
être semblable au Très- Haut; mais il est tombé dans
l'abîme.
» Cette épouvantable chute me tenait dans le saisis-
sement, car je me sentais moins solide sur la terre et
dans une nature corrompue que ce sublime esprit dans
le Ciel hors des atteintes de la corruption. Il est tombé
néanmoins, et moi, terre et poussière, je ne craindrais
pas de tomber et d'abuser des grandes grâces que la
divine Majesté a daigné me communiquer! Je me sen-
tais pressée d'avoir recours au Père Eternel, et du fond
CHAPITRE XIII. 303
de mon cœur je lui disais ces paroles, que je répétai
plus de cent fois sans pouvoir m'en empêcher : 0 mon
grand Dieu (ajoutant quelquefois Père des petits, Père
des humbles), donnez-moi l'humilité et faites que je
vous serve, ainsi que vous me l'enseignez, avec crainte
et tremblement. »
Quoi que je dise de son humilité, ajoute ici son fils,
je n'en parle qu'avec crainte, car il y a tant de choses
admirables à dire, que j'ai peur de n'en dire pas assez,
ou de ne le dire pas comme il faut et selon le mérite
du sujet. Elle recevait toutes les humiliations qui lui
venaient du dehors avec un visage gai et serein,
traitant toujours avec plus de bonté et de douceur
ceux qui l'humiliaient davantage.
En 1639, Mgr l'archevêque de Tours l'avait établie
d'ofiBce supérieure de la communauté naissante; elle
exerça cette charge jusqu'au 12 juin 1642, oti elle fut
continuée supérieure par une élection en règle. Mais le
12 juin 1645, il fallut en choisir une autre, les constitu-
tions ne permettant pas un plus long exercice de cette
charge. Alors la Mère Saint- Athanase , religieuse de
la maison de la rue Saint-Jacques de Paris, fut élue
pour la remplacer, et elle prit pour assistante la Mère
Saint-Joseph, qui l'était déjà depuis six ans.
La Mère Marie de l'Incarnation reçut les offices de
dépositaire et de boulangère. Dans l'un, elle fut accablée
d'affaires; dans l'autre, elle ent beaucoup à souffrir : car
avant que de faire le pain, elle faisait elle-même la
farine, écrasant le blé à force de bras, en sorte qu'elle
en avait quelquefois les mains tout écorchées.
304 MARIK 1)K L'INOARNATION.
Peu de temps après, on lui ôta ces emplois pour lui
en donner d'autres encore plus humiliants', et on le fit
d'une manière qui pouvait lui causer bien de la morti-
fication ; car Notre-Seigneur ayant permis, dit le Père
Martin, que l'on eût des soupçons sur sa conduite,
et que, sans lui en rien dire, on lui attribuât des
défauts qu'elle n'avait pas, on agissait à son égard
comme si elle eût été réellement coupable. Quoi qu'elle
fît et de quelque côté qu'elle se tournât, elle trouvait
partout de la froideur. Mais rien ne la déconcerta, car
comme elle avait une vertu à toute épreuve et qu'elle
s'estimait digne de tout mépris, sa physionomie ne
parut jamais altérée; on y voyait reluire, au contraire,
une joie nouvelle chaque fois qu'il se présentait une
occasion de pratiquer la vertu et de faire un sacrifice.
Les religieuses, qui lui voyaient cet air de contente-
ment, s'imaginaient q,u'elle ignorait la mauvaise opi-
nion qu'on avait sur son compte , mais elle le savait
très-bien.
Certaines personnes seront peut-être étonnées ou
même scandalisées de cette injustice à l'égard d'une
religieuse aussi sainte et qui avait rendu tant de
services. Elles demanderont comme cela peut arriver
dans une communauté, là où la charité devrait être
sans bornes et couvrir d'un voile les défauts réels,
bien loin d'en laisser soupçonner qui ne sont pas. —
On oublie que la faiblesse humaine se trouve partout;
que les lumières de notre pauvre raison sont toujours
très- faibles, même avec une piété sincère, et que rien
n'est plus commun que ces sortes d'erreurs sur la con-
duite et les sentiments du prochain. Dans le monde,
elles sont dix fois plus fréquentes que dans les commu-
nautés; et comme elles durent souvent toute la vie.
CHAPITRE XIII. 305
il arrive rarement qu'on s'en aperçoive et qu'on s'en
fasse un reproche. Dieu permet d'ailleurs que ses saints
soient quelquefois l'objet de préventions injustes, même
de la part d'autres saints, afin de purifier leur vertu
et de les élever à une sainteté plus grande. C'est en
même temps, pour ceux qui se sont laissés aller à des
jugements sévères et injustes à l'égard du prochain,
une leçon d'humilité et un sujet de salutaires réflexions
sur la défiance que l'on doit avoir de soi-même et le
danger de juger les autres.
Mais quel était le secret de cette force étonnante
qui soutenait la Mère Marie de l'Incarnation dans une
épreuve si pénible et à laquelle il est si rare qu'on
résiste? C'était tout particulièrement la dévotion au
Cœur de Jésus. Nous avons vu plus haut, page 152,
comment cette dévotion lui fut révélée avant son départ
pour le Canada. Or, voici en quels termes elle en parlait
à son fils, dans une lettre écrite trente ans plus tard,
en 1661. On verra combien l'impression produite en
elle par cette insigne faveur avait été forte, et avec
quelle persévérance elle s'y était montrée fidèle.
« Vous me demandez que je vous fasse part de quel-
ques-unes de mes pratiques de dévotion. Vous savez
que les dévotions qui se consomment par quelques
actes particuliers, me sont bien difficiles; mais je vous
dirai en simplicité que j'en ai une que Dieu m'a inspi-
rée, de laquelle il me semble que je vous ai parlé
dans mes écrits : c'est au suradorable Cœur de Jésus.
Il y a plus de trente ans que je, la pratique; c'est par
elle que, depuis ce temps, j'achève mes dévotions de
M. DE l'iNC. , 20
306 MARIE DE l'incarnation.
chaque jour, et il ne me souvient point d'y avoir man-
qué, si ce n'est par impuissance de maladie, ou pour
n'avoir pas été libre en mon action intérieure. Voici
à peu près comme je m'y comporte en m'adressant
d'abord au Père Eternel.
« C'est par le cœur de Jésus, ma voie, ma vérité et
ma vie, que je m'approche de vous, ô Père Eternel.
Par ce divin Cœur, je vous adore pour tous ceux qui
ne vous adorent pas ; je vous aime pour tous ceux qui
ne vous aiment pas; je vous reconnais pour tous les
aveugles volontaires qui, par mépris, ne vous reconnais-
sent pas. Je veux, par ce divin Cœur, satisfaire 'au
devoir de tous les mortels. Je fais en esprit le tour du
monde pour chercher toutes les âmes rachetées du sang
très-précieux de mon divin Epoux, afin de vous satis-
faire pour toutes par ce divin Cœur. Je les embrasse
pour vous les présenter par lui, et par lui je vous
demande leur conversion. Hé, quoi! Père Eternel,
souffrirez -vous qu'elles ne connaissent pas mon Jésus,
et qu'elles ne vivent pas pour lui qui est mort pour
tous? Vous voyez, ô divin Père, qu'elles ne vivent pas
encore. Ah ! faites qu'elles vivent par ce divin Cœur. *
C'est ici que je fais mention particulière de cette
nouvelle Eglise.
y> Puis je m'adresse au Verbe incarné, lui disant :
* Vous savez, mon bien-aimé, tout ce que je veux dire
à votre Père par votre divin Cœ.ur et par votre sainte
âme; je vous le dis en le lui disant, parce que vous êtes
dans votre Père et que votre Père est en vous ; faites
donc tout cela avec lui. Je vous présente toutes ces
âmes; faites qu'elles soient une même chose avec
vous, etc. »
r Considérant ensuite ce que je dois au Verbe
• • CHAPITRE XIII. 307
incarné, je lui dis : « 0 mon divin Epoux, que vous
rendrai-je pour votre excessive charité à mon égard?
C'est par votre divine Mère que je veux vous remercier.
Je vous présente son Cœur sacré, comme je présente
le vôtre à votre Père. Je vous aime par ce Cœur qui
vous a tant aimé; je vous offre ces mamelles qui vous
ont allaité, et ce sein virginal qui vous a possédé;
je vous fais ces offrandes en action de grâces de tous
les bienfaits que j'ai reçus de vous, tant dans l'ordre
de la grâce que dans celui de la nature. Je vous les
fais pour l'amendement de ma vie et pour la sanctifi-
cation de mon âme. Je vous les présente afin qu'il vous
plaise de me donner la grâce de ma persévérance finale
dans votre service et dans votre amour. Je vous rends
grâces, mon divin Epoux, de ce qu'il vous a plu de
choisir cette très-sainte Vierge pour votre Mère, de ce
que vous avez consenti à être enfermé neuf mois dans
son sein, et de ce que vous avez bien voulu nous la
donner pour AJère. J'adore le moment de votre Incar-
nation en elle et tous les divins moments de votre vie
voyageuse sur la terre. »
» Je me tourne ensuite vers la Sainte Vierge et lui
dis tout ce que l'amour me peut suggérer, toujours
dans le même esprit et dans le même sens que ci-dessus.
Je termine par ]à mes exercices du soir. »
Il est très- remarquable que cette sainte religieuse ait
ainsi pratiqué tous les jours, pendant la dernière moitié
de sa vie, une si tendre dévotion au Cœur adorable de
Jésus et à celui de Marie. Il faut qu'elle ait été l'objet
d'un grand amour de la part de Dieu pour qu'il lui ait
308 MARIE DE l'incarnation..
révélé et fait pratiquer à ce point une dévotion qu'il ne
jugea à propos de faire connaître à son Eglise que
cinquante ans plus tard. Cela seul serait bien propre
à donner une haute idée de la sainteté de la Mère de
l'Incarnation.
C'était par forme de sacrifice, ajoute le Père Martin,
qu'elle faisait son offrande au Cœur de Jésus : car elle
le regardait toujours comme un autel, les âmes pour
qui elle priait comme des victimes qu'elle désirait y
être saintement consumées. Mais elle se mettait tou-
jours à la première place, et quand elle s'offrait elle-
même, c'était toujours sur cet autel adorable.
La cause première et principale de cette dévotion au
Cœur de Jésus avait été, sans aucun doute, la révéla-
tion intérieure qu'elle avait reçue du Père Eternel vers
l'année 1635, et que nous avons rapportée ; mais elle
eut dans une autre circonstance, sur ce même sujet,
une lumière nouvelle dont il est impossible de n'être
pas frappé. Comme elle méditait un jour sur ces paroles
du premier chapitre de l'Epître de saint Jacques :
Voluntarie genuit nos Verbo veritatis ut simus initium aliquod
creatiirœ ejus : Il nous a engendrés volontairement par le
Verbe de vérité, pour que nous soyons le commencement de sa
créature, son esprit fut ravi par un transport extatique
dans lequel Dieu lui montra l'élection qu'il fait éter-
nellement de ceux qu'il appelle par son Fils au Chris-
tianisme, élection qui est l'enfantement et le commen-
cement de la créature de Dieu dont parle cette apôtre,
l'accroissement et la perfection ayant lieu par l'imita-
tion de la vie et des vertus de ce même Fils. La
manière dont cette vérité lui fut montrée embrasa
tellement son cœur qu'elle semblait tomber en défail-
lance en exprimant son amour au Verbe divin. Mais
CHAPITRE XIII. 309
ce qui la mit surtout dans un transport indicible, fut
que le Père Eternel la montrant à son Fils, témoignait
qu'il agréait ces marques d'amour et qu'il la lui avait
donnée pour être l'une de ses premières créatures.
Quand elle entendit ces paroles, qu'elle était choisie
pour être l'une des premières créatures, elle qui ne se
regardait que comme rien selon le monde, et qui
s'estimait encore moins selon la grâce, elle se demanda
ce (ju'elle pourrait faire en reconnaissance d'une faveur
si- grande et qu'elle n'avait point méritée, mais qui
venait de l'élection toute libérale de Dieu. Sa première
pensée fut de conjurer ce même Verbe à qui elle était
donnée par le Père, de la recevoir sur son Cœur comme
sur un autel, pour y brûler en perpétuel holocauste.
Sa prière fut exaucée, car à partir de ce moment, elle
fut jusqu'à sa mort comme une victime véritablement
immolée à Dieu.
Cette dévotion, chaque jour pratiquée envers le Cœur
de Jésus, avait introduit la vénérable Mère dans des
secrets djvins que bien peu d'âmes ont eu le bonheur
de pénétrer au même degré. Les mystères les plus
inaccessibles à notre faible raison semblaient s'illu-
miner pour elle, tant elle jouissait d'une intime fami-
liarité avec le Verbe divin. On en jugera par ce qu'elle
écrivait à son fils en 1647.
« L'écrit que je vous envoie vous fera connaître ce
que j'éprouvai un jour en méditant sur ces paroles :
Speciosus forma prœ filiis hominum : Ijô plus beau des enfants
des hommes. Une lumière me remplissant l'esprit sur la
double beauté du Fils de Dieu, il fallut que mon cœur
se soulageât. Comme c'était auprès de la seconde per-
310 MAlllK DE l'incarnation.
sonne de la très-sainte Trinité que mon âme avait alors
accès, c'est à elle que mes aspirations s'adressent.
» Vous êtes le plus beau d'entre tous les enfants des
hommes, ô mon bien-aimé.
» Vous êtes beau, mon cher Amour, en votre double
beauté divine et humaine.
j» Vous êtes beau, mon cher Amour, et vous emportez
mon esprit dans une vue inexplicable de ce que vous
êtes en votre Père et de ce que votre Père est en vous.
» Mais comment pourrais- je supporter l'éclat de vos
splendeurs, si vous no ravissiez mon esprit, et si, dans
ce ravissement, vous ne l'introduisiez en vous-même,
lui donnant une capacité qui le rende une même chose
avec vous? De cette sorte, encore que je vous voie Dieu
de Dieu, lumière de lumière et vrai Dieu de vrai Dieu,
je vous embrasse comme étant mon Amour et tout
mon bien.
« 0 mon divin Epoux, qu'est ceci? Je vous vois tout
à votre Père, et vous êtes tout à moi. Votre Père est
aussi à moi et je ne sais comment cela se fait.
» Je me vois dans un, de qui je fais ce que je veux
par l'empire que me donne cet un, qui est mon amour
et ma vie.
» 0 mon cher bien-aimé ! dans cette privante qui
ravit mon âme, il me semble que mon néant se perd
dans un abîme qui n'a point de fond. Ce grand abîme,
c'est vous qui me tenez sous votre empire; ot ensuite
ou plutôt en même temps, vous m'inspirez de telle
manière que je vous parle comme si j'avais empire
sur vous.
» Je suis impuissante par une consommadon d'amour
que je ne puis exprimer; je vois bien des choses de vos
grandeurs et de vos épanchements amoureux, ô Verbe
CHAPITRE XIII. V 311
incréé; mais elles anéantissent ma conception dans un
abîme sans fond où elle se perd.
» Mettez-moi où vous voudrez, partout vous serez
mon Amour. J'espère que je vous verrai en votre
double beauté divine et humaine, dans la splendeur des
saints, au jour de votre force. r>
Le Père Martin fait ensuite connaître la dévotion
de sa mère envers les saints anges. Elle s'entretenait
avec eux, nous dit- il, avec autant de familiarité que
si elle-même eût été un ange du Paradis. Elle n'avait
pas de plus douce pensée dans sa solitude, ni de plus
agréable entretien dans la conversation. C'est pourquoi
un jour de fête de saint Micl\el, se trouvant en compa-
gnie de quelques jeunes religieuses qui travaillaient
avec elle à un ouvrage important, la circonstance fit
tomber la conversation sur les anges. Peu à peu elle
perdit de vue ses compagnes de travail; elle se trouva
en rapport intime avec les esprits célestes et elle eut
avec eux un entretien familier dont elle rendit compte
par écrit à son Directeur. Je donnerai cet écrit en
entier, dit le Père Martin, ne croyant pas qu'il y ait
une seule parole à perdre.
« Dans la pensée que les cellules des religieuses sont
des cieux et que les anges y habitent, nous entrâmes
dans une profonde méditation de la suprême hiérarchie
céleste, qui contient les Chérubins, les Séraphins et les
Trônes, et nous y demeurâmes jusqu'à l'oraison, forte-
ment occupées à ce sujet, sans pourtant quitter le
travail que nous faisions. Nous étions plongées dans
ces esprits célestes, et par là même dans celui de. qui
312 MARIE DE l'incarnation.
découle tout ce qui est en eux. La vue de ces merveilles
était pour moi si claire, que l'amour m'enflamma et il
me fut impossible de ne pas le laisser agir. M'adressant
donc à la très-sainte Trinité, je lui parlai en cette
sorte : « 0 abîme d'amour, incompréhensible et sura-
dorable Trinité, je vous confesse et vous adore en ce
jour dédié à vos anges. Permettez-moi de m'adresser
à ces bienheureux esprits qui sont tout plongés en
vous, et que mon cœur leur dise ce que l'amour lui
voudra inspirer. »
» Or considérant que les Chérubins reçoivent en eux
la lumière et la clarté des secrets de Dieu, et qu'éclairés
de ces divines splendeurs, ils sont tout abîmés et trans-
formés dans la lumière même par une participation
ineffable, je m'écriais en m'adressant à eux : « 0 Ché-
rubins instruits et éclairés ! 0 bienheureux esprits qui
recevez de ce grand Dieu les irradiations et les lumières
qui vous le font connaître, et par lesquelles tout abîmés
en lui, vous devenez lui-même par participation, que
mon désir est grand d'avoir part à votre bonheur et de
voir mon Epoux d'un œil aussi épuré que le vôtre !
Car comment vivre et ne connaître qu'imparfaitement
cette lumière ineffable qui vous inonde et fait votre
joie? Faites-moi part de quelques rayons de vos
lumières, afin que mon entendement ne voie plus que
ce que vous voyez. »»
» Toute parole me manquant dans le transport où
se trouvait mon âme, je m'adressai aux Séraphins ;
mais je tombai d'un abîme dans un autre ; car dès que
je les eus envisagés, ils me ravirent le cœur. Dieu étant
amour, ces divins Esprits sont ceux qui participent
le plus à son ardeur, et qui, plongés dans cet abîme
infini de charité, deviennent tout feu en lui. Ce Dieu
CHAPITRE XIII. 313
d'amour s'unissant à ces substances sublimes, qui ne
sont créées que dans l'amour et pour l'amour, et se
versant- en eux avec plénitude, ils deviennent autant
d'amours par participation. Je ne puis dire les paroles
de feu ni les transports embrasés de mon âme à ces
glorieux Esprits.
« 0 Séraphins ardents, faites-moi aimer mon Amour,
puisque je suis créée pour cela aussi bien que vous.
Mais que puis-je faire, mes amours n'étant pas épurés
comme les vôtres? Oh! faites que j'aime. Cette trans-
cendance amoureuse par laquelle vous aimez cet océan
d'amour, fait que vous êtes en quelque façon lui-même.
Oh ! qui verra cette bonté immense verser en vous ses
ardeurs? Qui vous verra reverser en lui le même amour
en la même pureté qu'il vous l'a communiqué? Je ne
vois en lui et en vous qu'un amour mutuel et réci-
proque. Mais il faut ici goûter l'amour, et non pas
en parler. »
» Puis venant aux Trônes dans lesquels Dieu habite
et qu'il a créés comme des vases purs pour sa divine
Majesté, je les voyais en Dieu et Dieu en eux. Sa
miséricorde les remplissait de sa pureté pour les ren-
dre dignes de lui, et ils lui rendaient la même pureté
par la complaisance qu'il prenait en eux. Ainsi je
voyais entre lui et eux un admirable commerce de
pureté.
« 0 Trônes purs, qui participez par votre pureté
à la pureté de ce Dieu trois fois pur et trois fois saint,
faites que ma mémoire épurée de tous les objets qui
sont moindres que lui, puisse contenir cet océan de
pureté qui ne veut que des vases purs, et que je lui
sois parfaitement unie et perdue dans l'abîme de sa
sainteté. »
314 MARIE DE l'incarnation.
r> Encore que l'on soit avec ces bienheureux Esprits
et qu'on leur parle familièrement, cela se fait sans
sortir de Dieu : car comme cette suprême Majesté les
tient absorbés et abîmés en elle, on ne peut les voir
ni leur parler en la manière que je viens de dire, sans
y être absorbé et abîmé avec eux. C'est pourquoi je les
perdis de vue, et mon esprit demeura totalement uni
à cette haute Majesté. »
« Tels sont, dit le Père Martin, les entretiens familiers
de la Mère de l'Incarnation avec ces suprêmes intelli-
gences. Plus ces esprits célestes se communiquaient
à son âme, plus ses conversations avec eux devenaient
familières; elle finit par les entretenir avec une espèce
d'égalité qui faisait voir que déjà ils la regardaient
comme une de leurs futures compagnes dans le Ciel.
» Mais que dirai-je de sa dévotion envers saint
Joseph? Dès son enfance elle avait eu de l'amour et
de la tendresse pour ce saint patriarche, à cause de ses
rapports avec la Mère de Dieu. Mais ce fut tout autre
chose après la vision où il se présenta à elle comme
protecteur du Canada et quand elle eut reconnu qu'elle
y avait été conduite par lui. Aussi, elle dédia son
monastère à Dieu sous le titre de Séminaire de Saint-
Joseph, et elle prit pour sceau de la maison une image
de saint Joseph tenant le petit Jésus entre ses bras.
Elle crut avoir ainsi un motif suffisant pour renoncer
au sceau de la Congrégation de Bordeaux dont elle se
servait auparavant, et qui représentait un lis entre
les épines. » ,
« Je finirai par la dévotion singulière qu'elle portait
au glorieux saint François- de-Paule, non-seulement
CHAPITRE XIII.' 315
parce qu'il est l'un des patrons de sa ville natale et que
ce fut le jour de sa fête que Dieu lai donna un fils pour
bénédiction de son mariage ; ' mais principalement parce
que son bisaïeul fut un de ceux qui allèrent le chercher
en Italie par l'ordre de Louis XI, et l'amenèrent à
Plessis-les- Tours. Cela dut sans doute lui attirer des
grâces ; mais il les mérita tout spécialement par le
respect qu'il témoigna au saint durant toute sa vie.
Chaque dimanche, il allait lui faire visite avec tous ses
enfants, auxquels le saint faisait mille caresses, parti-
culièrement à son fils, sur le front duquel il aimait à
faire des signes de croix, lui disant avec tendresse :
Dieu te bénisse, mon enfant.
» Notre bonne Mère racontait quelquefois cette his-
toire par dévotion et avec joie. Elle avait raison : car
je ne doute point qu'elle n'ait été la bénédiction que ce
grand saint désirait tant pour ce jeune enfant. »
On peut dire que Claude Martin a été lui-même à
son tour une bénédiction, et qu'ainsi les prières de
l'humble François-de-Paule ont eu leur efficacité jus-
qu'à la quatrième génération ; mais la fidélité avec
laquelle notre bienheureuse Mère profita de toutes les
grâces qu'elle reçut, ne fut pas moins puissante auprès
de Dieu pour prolonger les bénédictions célestes.
« Ce qui ne peut laisser de doute sur cette inviolable
fidélité, ajoute encore ici Dom Martin, c'est qu'elle dit
elle-même que Dieu lui faisait la grâce d'avancer tou-
jours vers ce qui était plus parfait; en sorte qu'elle n'a
pas cessé de marcher du plus parfait vers ce qui l'était
(1) L'auteur de cet ouvrage, ne également le jour de la fête de saint François-
de-Paul, dont il a reçu le nom au baptême, remercie Dieu d'avoir bien voulu
qu'il écrivît la vie de cette sainte religieuse, dont le fils n'a pas été moins saint
que sa mère.
316 DE MARIE l'incarnation.
davantage, comme le soleil dont l'éclat va toujours
croissant depuis son lever jusqu'à son midi. »
Tel fut, au reste, le témoignage q.ue lui rendirent
les religieuses qui avaient été les témoins continuels
de ses vertus. La Mère de la Croix, qui était partie de
Dieppe avec elle, et qui ne l'avait pas quittée depuis,
affirmait que durant ces trente-trois ans, elle ne lui
avait jamais vu commettre une seule faute contre la
douceur, la patience, l'humilité, la charité, la modestie,
la pauvreté ou l'obéissance, ni manqué une occasion
de faire des actes de ces vertus.
Tout cela était l'effet d'une grâce puissante qui s'était
emparée de cette sainte religieuse, et qui agissait en
elle tantôt par les épreuves, tantôt par les consolations,
mais toujours avec une merveilleuse efficacité. Elle-
même fait connaître cette action de la grâce sur son
âme.
« Dans la paix profonde que la bonté de Dieu fit
succéder à mes tentations, l'union avec mon divin
Epoux opérait en moi par ses impressions saintes, et
y produisait les vertus dont les maximes sorties de sa
bouche adorable sont la source. Cela se faisait d'une
manière si étrangère aux sens, que je ne m'en aperce-
vais quasi que par les effets, surtout environ un an
avant l'incendie de notre monastère. Ces effets consis-
taient en une paix extraordinairement douce, et dans
un si grand dépouillement de moi-même, que ce que
j'avais auparavant possédé de ces vertus ne me sem-
blait rien. J'expérimentais que dans les vertus reli-
gieuses j'étais une créature tout autre, et que Dieu
CHAPITRE XIII. 317
s'emparait de moi par les maximes de son suradorable
Fils, me conduisant en tout ce que j'avais à faire par
les influences et les onctions saintes de passages comme
ceux-ci : Apprenez de moi que je suis doux et humble de
cœur. — L' Eprit de Dieu rend témoignage à notre esprit
que nous sommes enfants de Dieu. C'est pourquoi un jour
que j'avais rendu compte de mon état au Révérend
Père Lallemand, il me dit de ne point refuser d'emploi
concernant les affaires temporelles, parce qu'ils ne
troublaient point le commerce intime dans lequel il
plaisait à la divine Majesté de m'entretenir.
y> Cette année-là, j'eus de grandes croix à porter,
à cause de la persécution que les Iroquois firent souf-
frir aux sauvages convertis et aux Français : car
comme j'avais à cœur les intérêts de mon divin Epoux,
je ne pouvais voir les débris de cette église naissante
sans éprouver un crucifiement intérieur, quoique sou-
mise à la volonté divine et aux dispositions de la Pro-
vidence. Ce fut alors que les Révérends Pères de
Brébœuf, Garnier et Lallemand furent brûlés et mas-
sacrés avec leur troupeau, et que tous les Révérends
Pères de la mission des Hurons, avec le reste des
convertis, furent contraints de quitter le pays et de se
réfugier ici. Rien d'aussi lamentable n'était encore
arrivé à cette nouvelle Église. Les missionnaires qui
avaient échappé à la mort avaient plus souffert que
ceux qui en avaient été victimes. Ils furent forcés de
se fixer à Québec avec les quatre ou cinq cents chré-
tiens qui leur restaient.
» Ma seule consolation dans la douleur dont j'étais
pénétrée à la vue de ces pauvres fugitifs, était la
pensée de les assister et d'élever leurs filles. Notre-
Seigneur rn'inspira, dans ce but, d'étudier la langue
318 MARIE DE l'incarnation.
huronne, dont je ne m'étais pas encore occupée. Je
l'avais laissée à ma sœur Marie de Saint-Joseph pour
étudier l'Algonquin et le Montagnais qui nous étaient
plus nécessaires, au commencement, que le Huron.
J'appris donc cette dernière langue assez pour ensei-
gner les prières et le- catéchisme aux jeunes filles et
aux femmes. »
Elle ne se contentait pas de leur faire connaître Dieu
et de les porter à la piété; elle se donnait les plus
grandes peines et faisait faire au monastère les plus
grands sacrifices pour les recourir dans leurs misères
corporelles. « C'était moi, dit-elle, qui, étant alors dépo-
sitaire (c'est-à-dire chargée du dépôt des provisions
de la maison), distribuais la nourriture et les autres
secours. C'était pour moi une grande consolation de
pouvoir exercer cette charité; mais Notre-Seigneur
me l'ôta bientôt en nous envoyant une épreuve qui
nous réduisit nous-mêmes à avoir besoin de l'assistance
que nous avions donnée aux plus misérables. »
CHAPITRE XIV.
Visions anticipées de l'incendie du monastère. — Incendie, 1650. — Présence
d'esprit de la Mère de l'Incarnation. — Sa charité et son humilité en cette
circonstance. — Les Ursulines à l'Hôtel-Dieu. — Inconvénients et avantages
de l'incendie du monastère. — Harangue des Hurons.
Avant de raconter la douloureuse catastrophe à
laquelle notre sainte Mère vient de faire allusion, il nous
faut remonter plus haut et renouer la suite des faits.
CHAPITRE XIV. 319
Nous avons vu que les Ursulines, arrivées à Québec en
1639, s'établirent provisoirement dans la Basse-Ville.
Presque aussitôt elles obtinrent une concession de ter-
rain dans l'une des meilleures positions de la ville haute,
et trois ans après, le 21 novembre 1642, elles prenaient
possession du monastère qu'elles y avaient fait cons-
truire. C'était un unique corps de bâtiment qui mesu-
rait quatre-vingt-douze pieds de longueur sur vingt-huit
de largeur. Il n'y avait de terminé que les principales
divisions et le plancher du rez-de chaussée. Les autres
n'étaient formés que de madriers volants, posés sur
les poutres. Ce fut ainsi que les Ursulines passèrent
l'hiver de 1643 dans un pays où le thermomètre descend
jusqu'à trente-cinq degrés au-dessous de zéro. Les
aumônes abondantes que l'on reçut de France permi-
rent de reprendre les travaux ; mais ce ne fut pourtant
qu'en 1648 que l'édifice fut terminé.
A une distance d'environ cent pas, madame de la
Peltrie s'était fait construire la maison dont nous avons
parlé, oii elle fit quelque séjour et qui fut bientôt une
ressource providentielle pour la communauté.
La Mère Marie de l'Incarnation nous apprend que
deux personnes de grande vertu furent averties surna-
turellement de ce qui allait arriver au monastère. La
première eut une vive impression par laquelle il lui
semblait voir la grande affliction que devaient éprou-
ver les religieuses, si leur monastère était brûlé; et
dans cette supposition, qui se présentait à elle comme
une réalité, elle cherchait les moyens de venir à leur
secours; et, après l'événement, elle mit à exécution
ceux qui, par avance, lui avaient semblé le^ plus
convenables. Cette personne éprouvait tout cela avant
l'incendie, à deux lieues de Québec.
320 MARIE DE l'incarnation.
L'autre qui demeurait non loin du monastère, le vit
en esprit comme environné d'un cercle de lumière,
et elle entendit une voix qui disait avec une expression
de tristesse : Hélas! n'y a-t-il donc aucun moyen d'em-
pêcher ce malheur? — Non, il n'y en a pas, répondit
une autre voix ; l'arrêt est prononcé. — Il est probable,
dit la Mère de l'Incarnation, que c'était l'ange exécu-
teur de la justice divine qui donnait cette réponse. —
La personne pieuse qui avait cette vision aperçut alors
une main qui faisait vers le monastère un signe indi-
cateur, et, peu de moments après, elle comprit par le
son du tocsin et les appels au secours, que sa vision
était une réalité.^ C'était l'incendie du couvent, que la
Mère Marie de l'Incarnation raconte de la manière
suivante, soit dans ses Mémoires, soit dans ses lettres.
« Le 30 décembre 1650, pendant l'octave de sa nais-
sance, Notre-Seigneur voulut nous associer aux souf-
frances et à la pauvreté de sa crèche. Une bonne sœur
converse, chargée de faire le pain, prépara ses levains
pour le lendemain et enferma du charbon allumé dans
le pétrin pour le préserver de la gelée. Son dessein
était de retirer le feu avant de se coucher, mais comme
elle n'avait pas coutume do prendre ce moyen, elle
oublia. Une autre sœur étant allée à huit heures du
(1) Certains esprits rejettent sans exaraen ces sortes de visloas; mais ils
seraient bien embarrassés pour se justifier par de bonnes raisons. Est-ce parce
que les personnes qui les racontent ne sont pas dignes de foi ? Nullement : car
si elles racontaient quelque chose de Tordre naturel, par exemple qu'elles ont
eu une colique ou une migraine, on les croirait. Est-ce parce que des visions
semblables sont impossibles? Mais qui a jamais essayé sérieusement de démon-
trer cette impossibilité ?
1
CHAPITRE XIV. 321
soir à la boulangerie, ne s'aperçut de rien. Mais bientôt
le pétrin, qui était de bois de sapin, prit feu et embrasa
d'abord la boulangerie, puis les caves, qui n'étant point
voûtées, n'étaient séparées du rez-de-chaussée que par
un plancher également en sapin. Elles renfermaient
toutes les provisions faites pour l'année. L'incendie,
ainsi alimenté, gagna les planchers d'en haut ainsi
que l'escalier qui conduisait au dortoir des enfants.
La Mère des Séraphins, qui y couchait, s'éveilla en
sursaut au bruit et au pétillement du feu, croyant
entendre ces paroles : « Levez-vous, sauvez vos filles,
elles vont brûler toutes vives. » En effet, le feu avait
déjà percé le plancher et les flammes entraient dans
la pièce, où elles donnaient une grande clarté. Pleine
de terreur, elle crie aux enfants : « Sauvez-vous,
sauvez- vous! »
y> De là elle monte au dortoir de la communauté
pour éveiller les religieuses, ce qu'elle fit d'un ton si
terrifiant qu'en un instant toutes furent sur pied. L'une
va à la cloche pour appeler du secours, les autres
veulent essayer d'éteindre le feu. Pour moi, au lieu d'y
travailler, je cours dire aux sœurs de tout abandonner,
que le mal est sans remède. Puis je voulus monter
vers l'appartement où j'avais en réserve les étofies
et les vêtements des religieuses, pensant qu'elles
s'étaient sauvées à demi-nues; mais Dieu m'ôta cette
pensée pour me donner celle de sauver les papiers
d'affaires de notre communauté. Je les jette par la
fenêtre avec tout ce qui se trouva sous ma main. Ce
parti et le peu de temps qu'il me fallut pour l'exécuter,
me sauva la vie : car au bout de quelques minutes,
le feu était non- seulement au lieu où je voulais d'abord
aller, et où je fusse demeurée, mais encore à la toiture
M. DE LINC.
21
322 MARIE DE l'incarnation.
de la maison. Comme il était également dans les offices
d'en bas, je me trouvais entre deux feux ; un troisième
venait à moi comme un torrent, et, pour me sauver,
il me fallut passer sous la cloche, dont la fonte coulait
et faillit m'inonder. J'évitai tous ces dangers, mais peu
s'en fallut que je ne fusse étouffée par la fumée.
» Dans toutes les courses que je fis parmi les flam-
mes, j'avais une aussi grande liberté d'esprit et une
vue aussi tranquille de ce que je faisais, que si rien
ne fût arrivé. Je ne ressentais pas un mouvement
de peine, de tristesse, ni d'inquiétude. Il me semblait
entendre en moi une voix intérieure qui me disait ce
que je devais faire, où je devais aller, ce que je devais
jeter par la fenêtre et ce que je devais laisser périr
par le feu. Je vis en un moment le néant de toutes les
choses de la terre, et il me fut donné une grâce de
dénûment si grande, que je ne puis exprimer son effet
ni par paroles ni par écrit. Les bénédictions que mon
âme donnait à Dieu au milieu de ce désastre étaient
aussi fréquentes que mes respirations, et je ne pouvais
me détacher de cette union à la volonté divine. Je voulus
jeter par la fenêtre notre crucifix qui était sur la table;
mais je me sentis arrêtée, comme si l'on m'eût insinué
que cela était irrespectueux. ^
Parlant d'une relation de sa vie qu'elle avait écrite
par l'ordre de son confesseur et qui lui avait coûté
beaucoup de travail et de peine, elle dit dans une lettre
à son fils : « Je laissai volontairement les papiers que
vous m'aviez demandés et que je vous avais promis :
car la pensée m'étant venue de les jeter par la fenêtre,
CHAPITRE XIV. 323
j'aimai mieux les abandonner au feu que de les exposer
à tomber entre les mains de quelqu'un qui aurait pu
les lire.
» La Mère assistante avec notre sœur Saint- Laurent
avait rompu une grille de parloir, qui n'était que
de bois, afin de se sauver avec une partie des enfants
qui avaient été la trouver au dortoir. Mais il n'y avait
que les grandes; les petites étaient restées seules sans
savoir quel chemin prendre. La sœur Saint-Ignace
n'hésite pas à exposer sa vie pour essayer de sauver
ces petites innocentes. Quoique le feu fût déjà aux
cloisons, elle court à la chambre où elles étaient; elle les
entraîne avec elle et aussitôt les planchers s'écroulent.
5> J'étais encore dans les dortoirs où, voyant qu'il
n'y avait plus rien à faire pour moi et que j'allais périr,
je fis une inclination au crucifix, acquiesçant aux
ordres de la divine 'Providence, et lui faisant un
abandon de tout, je me sauvai par le parloir qui était
au bout du dortoir. En descendant, je rencontrai le
R. P. Supérieur des Jésuites et toutes les personnes qui
venaient à notre secours ; mais apprenant qu'il n'y avait
rien à faire plus haut, ils descendirent à la chapelle
où l'on put, à grande peine, sauver le Très-Saint- Sacre-
ment et les ornements qui se trouvaient à la sacristie.
» Notre bonne Mère Saint- Athanase, qui était sortie
la première pour ouvrir les portes, ne se voyant rejointe
par aucune d'entre nous, souffrait en son âme des
convulsions de mort. Elle nous appelait avec des cris
lamentables; mais ne nous voyant ni ne nous enten-
dant, elle se jeta aux pieds de la Sainte Vierge, et fit
un vœu en l'honneur de l'Immaculée-Conception. Je
ne puis dire absolument quel a été l'effet de ce vœu
auprès de Dieu; mais j'attribue à un vrai miracle
324 MARIE DE LINCyVRNATION.
qu'aucune de nous ni de nos enfants n'ait été consumée
dans un incendie si prompt et si violent. Une femme
huronne, Cécile Arenhatsi, très-bonne chrétienne, ne
s'étant pas éveillée aussi tôt que les autres, ne trouva
pas d'autre moyen de se sauver que de se jeter par une
fenêtre. Elle en fut si étourdie que d'abord on la crut
morte; mais elle revint à soi, et Dieu voulut nous
la conserver.
w On se réunit enfin autour de notre Mère Supérieure
qui commença à respirer; mais grande était sa peine
de ne me pas voir. Nos pensionnaires et nos sémina-
ristes sauvages se rangèrent aussi auprès d'elle, et elles
pensèrent y mourir de froid, car elles n'avaient que
leurs chemises, tous leurs vêtements ayant été brûlés.
Vous n'eussiez pu voir sans pleurer madame de la
Peltrie, si sensible au froid, les pieds nus sur la neige,
n'ayant qu'une petite tunique qu'elle avait jetée sur ses
épaules en prenant la fuite. Mais ce qui me touchait
le plus, c'était de voir ce qu'allait souffrir notre pauvre
malade, la Mère Marie de Saint-Joseph. Si elle eût eu
.autant de force que de courage, nous eussions sauvé,
elle et moi, une partie de ce qui était au dortoir; mais
elle était si faible, qu'en voulant remuer son matelas,
les bras lui manquaient; il n'y eut que le mien de sauvé
avec ce qui me couvrait qui fût tout propre pour elle. »
C'est par ces mots insignifiants au point de vue des
règles du langage humain, mais sublimes à celui de
l'humilité et de la charité, que la Mère Marie de l'In-
carnation fait connaître ou plutôt cache autant qu'il
lui est possible un acte deux fois héroïque dont avaient
été témoins, non-seulement la communauté et les élèves
françaises et sauvages, mais les Pères de la Compagnie
de Jésus, la peuplade des Hurons et un grand nombre
CHAPITRE XIV. 325
• - *
d'autres personnes de Québec, et qui, le lendemain,
était su de toute la ville et devait l'être l^entôt de la
France entière. Cette religieuse, si délicate sur la
pudeur, que se voyant en danger de périr par la tem-
pête, onze ans auparavant, elle avait lié ses vêtements
pour ne pas être vue d'une manière opposée à la
décence au moment où le vaisseau serait brisé, voilà
qu'aujourd'hui elle se déshabille en public pour donner
ses vêtements à une de ses sœurs malade; elle y ajoute
ses chaussures et elle marche pieds nus sur la neige
glacée.
Elle continue ainsi son récit : « J'avais jeté des
habits par notre fenêtre, mais ils demeurèrent accro-
chés aux grilles du réfectoire, où ils furent brûlés
comme tout le reste. Aiiisi je demeurai nue comme les
autres, que je fus trouver sur la neige, où elles priaient
Dieu en regardant cette effroyable fournaise. »
Remarquons une nouvelle finesse d'humilité. On voit
que la Mère de l'Incarnation, embarrassée de son acte
d'héroïque générosité, emploie toutes les ressources de
son esprit pour se délivrer de ce lourd fardeau. Elle
a recours à une tournure de phrase équivoque et habile-
ment combinée pour faire croire que si elle s'est trouvée
nue comme tout le monde, c'est parce que les habits
qu'elle avait jetés par la fenêtre s'étaient accrochés à
des grilles et avaient été brûlés; mais l'histoire dira
à sa louange, jusqu'à la fin des siècles, qu'elle se
dépouilla entièrement et volontairement pour vêtir une
de ses sœurs, acte autant supérieur à celui de saint
Martin que la profession religieuse est au-dessus de
l'état de catéchumène. Continuons son admirable récit.
326 MARIE DE l'incarnation.
« La nuit était sereine, le ciel bien étoile, le froid
très-vif et l'air calme. Au fort de l'incendie, il s'éleva
une brise légère qui jeta les flammes du côté des
jardins et de la campagne; sans cela le Fort, la rési-
dence des Pères Jésuites et les maisons voisines eussent
été en danger. Enfin tout fut embrasé et tout ce que
nous possédions d'habits, de vivres, de meubles, de
de provisions de toute espèce, fut consumé en moins de
deux heures.
y> Tous ceux qui étaient là fondaient en larmes en
nous voyant réduites à cet extrême dénûment, car la
lumière de l'incendie rendait la nuit claire comme le
jour, et il nous était impossible de dérober aux regards
notre douloureuse nudité. Un homme de bien, ne pou-
vant comprendre comment on pouvait passer par une
telle épreuve sans éclater en démonstrations de douleur,
dit tout haut : « Il faut que ces femmes soient folles
ou qu'elles soient des saintes. » Celui qui nous a tou-
chées de sa main sait ce qui en est, et ce que sa bonté
opéra pour lors dans nos cœurs.
» Voyant enfin tout le monde réuni, le R. P. supé-
rieur des Jésuites fit conduire une partie de nos enfants
dans le logement de nos domestiques, et les autres
dans la maison d'un de nos voisins. Les pauvres petites
étaient à moitié mortes de froid ; plusieurs en ont été
fort malades. Pour nous, il nous mena à sa résidence,
dans le triste état oii nous étions et nous mit dans la
salle où l'on reçoit les séculiers. On nous donna en
chemin, par aumône, deux ou trois paires de chaus-
sures pour quelques-unes de celles qui étaient nu-pieds ;
madame de la Peltrie était du nombre. Le révérend
Père en donna ensuite à toutes celles qui en man-
quaient encore.
CHAPITRE XIV. 327
» Les révérendes Mères de l'Hôpital, ayant appris que
nous étions chez les Pères Jésuites et que l'on voulait
nous mener au Fort, nous envoyèrent chercher pour
nous loger chez elles. Ces bonnes Mères, avec qui nous
avons toujours .été unies très-étroitement, étaient plus
touchées de l'état où nous étions que nous-mêmes. Elles
nous revêtirent de leurs habits gris et nous fournirent
tout ce qui nous était nécessaire, à quinze que nous
étions, avec une cordialité admirable.
» Le lendemain, ajoute encore notre vénérable Mère,
le R. P. supérieur des Jésuites, accompagné de M. le
Gouverneur, nous mena voir les restes lamentables
de notre monastère, ou plutôt cette effroyable fournaise
de laquelle on n'osait encore approcher. Toutes les
cheminées étaient tombées, les murs de refend abattus
et les principales murailles crevassées et calcinées
jusque dans les fondements. »
Le Père R^gueneau, supérieur des Jésuites, rendant
compte de ce désastre, s'exprime ainsi dans sa relation
de 1651 : « Ce fut beaucoup pour les Ursulines qu'elles
pussent s'échapper du milieu des flammes pour se jeter
au milieu des neiges. La charité de quelques-unes de
ces Mères, vraiment tendres, fut plus active que le feu.
C'était un spectacle digne du regard des anges de les
voir traverser les flammes, portant dans leurs bras
leurs petites innocentes pour les mettre en lieu de
sûreté, et retourner incontinent au milieu du danger
sans crainte d'y être brûlées. -Voyant tout se réduire
en cendre, elles bénissaient Dieu de ce que le feu
accomplissait ainsi sa volonté. A genoux au milieu
328 MARIE DE l'incarnation.
de la neige ; elles firent leur offrande à Notre-Seigneur
avec un œil plein de joie et un cœur si paisible, que
les Français et les sauvages, qui étaient accourus de
toutes parts, ne pouvaient retenir leurs larmes. Les uns
étaient touchés de compassion pour celles qui ne pleu-
raient pas leur propre malheur; les autres pleuraient
de joie en voyant que Dieu avait des servantes assez
vertueuses et assez détachées d'elles-mêmes pour ne
vouloir que ce qu'il voulait. ».
Telle était bien, en effet, la disposition de ces fer-
ventes religieuses, et de la Mère de l'Incarnation en
particulier. « Mon âme, dit-elle, n'eut jamais une plus
grande paix qu'en cette occasion. Je me sentais intime-
ment unie à l'esprit et à la main do Celui qui opérait
en nous cette circoncision. J'avais cette pensée que
mes sœurs et moi nous devions prendre cette perte
universelle de notre monastère et de tout ce qu'il con-
tenait, selon l'esprit des saints, pensant à ceux, tant
de l'Ancien que du Nouveau Testament, qui suppor-
taient les peines temporelles que Dieu leur envoyait,
en le bénissant et en chantant ses louanges. »
Beaucoup se demanderont, sans doute, comment
Dieu a pu permettre que des âmes si saintes aient
éprouvé un tel désastre; comment leurs prières, leur
charité si ardente et si désintéressée, comment tout
cela n'a pas eu assez de puissance auprès de sa misé-
ricorde pour les préserver d'une si effroyable calamité.
Pour répondre à cette difficulté, établissons la balance
des avantages et des inconvénients qu'a eus cette
calastrophc.
/
CHAPITRE XIV. 329
Voici d'abord les inconvénients. Quinze religieuses
et une centaine d'enfants sont réveiUées en sursaut, au
milieu de la nuit, dans une saison rigoureuse. La ter-
reur est dans tous les cœurs; on fuit à la hâte sans
avoir pu prendre ni vêtements ni chaussures, et on se
trouve ainsi plus d'une heure sur la neige glacée,
grelottant, se serrant les unes contre les autres. Mais
pas une ne manque à l'appel, lorsqu'il semble que,
dans une maison cloîtrée où toutes les portes sont
fermées et les clefs remises le soir chez la supérieure,
le plus grand nombre aurait dû périr. Quoiqu'elles
soient aveuglées par la fumée, que l'incendie ait envahi
l'escalier ordinaire et qu'elles soient obligées d'aller
en chercher un autre, probablement inconnu du plus
grand nombre, puisqu'il était en dehors de la clôture
et que, pour y arriver, il leur faut briser une grille
de leurs propres mains, aucune ne s'égare; ni une
religieuse ni' une enfant ne va par erreur se jeter dans
le brasier au lieu de deviner, en quelque sorte, la seule
voie de salut qui restait encore ouverte. Elles souffrent
du froid ; plusieurs en sont ensuite malades, mais pas
une ne meurt ni ne reste infirme, tandis que souvent
des causes vingt fois moins graves suffisent pour
amener des pleurésies et conduire à la mort.
Un autre inconvénient, c'est que cette pauvre com-
munauté, qui avait eu tant de peine à s'établir et s'était
imposé tant de privations,- se trouvait tout à coup
ruinée sans qu'on pût voir au premier moment com-
ment elle pourrait ne pas succomber. Toutes les pro-
visions de l'année étaient détruites, et comme la plupart
ne pouvaient venir que de France, il fallait attendre
le milieu de l'été pour en avoir d'autres, la navigation
entre la France et le Canada n'ayant lieu alors qu'en
330 MARIE DE l'incarnation.
cette saison. D'ailleurs, où trouver de l'argent pour
payer ces approvisionnements et bâtir un nouveau
monastère? comment se loger et vivre en attendant?
Déjà, quelque temps auparavant, les Ursulines avaient
été réduites à une telle détresse, que leurs amis les
plus dévoués leur avaient donné le conseil d'aban-
donner leur œuvre et de retourner en France. Allait-il
être possible, après une aussi accablante épreuve, de
ne pas prendre ce parti?
Mais ces préoccupations n'existent que chez les amis
des Ursulines et chez les personnes qui raisonnent
pour le plaisir de raisonner. Ces saintes filles ne sont
pas plus inquiètes, pas plus tourmentées que si rien
ne fût arrivé. Elles ne savent pas comment Dieu s'y
prendra pour venir à leurs secours et elles ne désirent
pas le savoir. Elles sont sûres qu'il ne sera pas embar-
rassé, ni elles non plus ; par conséquent, cela leur suffit.
Dans le fait, elles vécurent, elles et leurs petites
sauvages, jusqu'à l'arrivée de la flotte, qui précisément
fut en retard cette année. Elles vécurent l'année sui-
vante encore, quoique les vaisseaux n'eussent apporté
que les secours ordinaires, la nouVelle du désastre
n'étant pas encore parvenue en France au moment
de leur départ. De plus, le monastère fut rebâti, et,
quelques années plus tard, l'épouvantable désastre
n'était plus qu'un souvenir. Voilà, il me semble, tous
les inconvénients : voyons les avantages.
Ces saintes religieuses, dirigées par les conseils de
la Mère Marie de l'Incarnation et enflammées par les
exemples qu'elle leur donnait, étaient déjà arrivées à
CHAPITRE XIV. 331
un haut degré de perfection ; mais on peut dire que la
grande épreuve qu'elles eurent à subir par l'incendie
de leur monastère, fit d'elles des_ créatures célestes.
Ni la surprise, qui pourtant fut aussi grande que possi-
ble, ni la terreur, qui renverse souvent les plus mâles
courages en pareil cas, ni la vue d'une ruine complète,
qui les mit sans pain, sans abri, sans vêtements, les
pieds nus et en chemise sur la neige, à mille lieues de
leurs familles, auxquelles il leur est impossible de faire
connaître leur état avant six mois, rien de tout cela
ne trouble leur sérénité, ne leur fait verser une larme,
n'altère même leur physionomie. Qui pourrait dire
jusqu'à quel point elles grandirent devant Dieu, pendant
ces deux heures que dura l'incendie de leur maison?
Qui saura, avant d'en devenir témoin dans le Ciel,
le degré de gloire éternelle qu'elles ont acquis par leur
héroïque résignation ? . '
Par là même quelle gloire résulte ici-bas, pour Dieu,
d'une telle vertu produite par sa grâce dans de faibles
femmes ! Quel honneur pour l'état religieux, de trans-
former ainsi les âmes et de leur donner une force dix
fois plus grande que celle qui est nécessaire pour
affronter la mort sur un champ de bataille ! Il semble
que, depuis l'ère des martyrs, Dieu n'avait rien montré
de plus grand et où l'action de sa grâce fût plus visible.
On crut qu'un pareil désastre était un grand malheur
pour la communauté qui venait d'être fondée à Québec :
dans la réalité, c'a été un avantage immense. On peut
dire que cet événement, qui est comme le point culmi-
nant de son histoire, lui a donné un caractère religieux
et une noblesse dont elle se croira toujours obligée de
ne jamais déchoir. Toujours on mettra sous les yeux
des jeunes filles qui viendront s'y adjoindre, le récit
332 MARIE DE l'incarnation.
que nous venons de mettre sous les yeux du lecteur,
et elles ne manqueront jamais de se dire : Il faut que
•nous travaillions à nous rendre dignes de ces modèles
et que nous nous efforcions de marcher sur leurs traces.
Du haut du Ciel ces saintes Mères ont les yeux sur
nous, et elles ne nous reconnaîtront pour leurs filles
que si nous ne sommes pas indignes du nom d'Ursu-
lines qu'elles ont embelli de leur sainteté. L'odeur de
l'incendie s'est évaporée depuis longtemps : Odoi^ ignis
non erit in te; mais le parfum de vertu qu'ont laissé
après elles ces admirables religieuses, embaumera
toutes les générations qui viendront continuer leur
œuvre.
De plus, n'oublions pas tous les sentiments d'admira-
tion, l'accroissement de foi et de piété dans un grand
nombre d'âmes et surtout les actes de vertu qui furent
le résultat immédiat de l'incendie du monastère, et de
l'héroïque résignation des religieuses. Nous avons vu
combien les témoins de cette scène grandiose furent
impressionnés; mais ce n'est encore là qu'un faible
aperçu. Tous les cœurs furent émus de compassion et
cette compassion ne resta pas stérile. Les Pères Jésuites
donnèrent l'exemple. « Le 2 janvier 1651, est-il dit
dans leur journal, la conclusion fut prise, du consente-
ment unanime des Pères et des Frères, de nous priver
de nos desserts, afin de secourir ces bonnes Mères, qui
ont plus besoin de ces douceurs que nous. »
« Nos Révérends Pères, ajoute la Mère de l'Incarna-
tion, nous ont secourues de toute l'étendue de leur
pouvoir, jusqu'à nous envoyer, afin de nous revêtir,
les étoffes qu'ils avaient en réserve pour se faire des
CHAPITRE XIV. 333
habits. Ils nous ont encore donné des vivres, du linge,
des couvertures, des journées de leurs Frères et de
leurs domestiques.. M. le Gouverneur d'Ailleboust et
madame sa femme nous ont aussi assistées. Nous
avons été l'objet de la compassion et de la charité de
tous nos amis. Cette compassion a été partagée par les
pauvres également. L'un nous offrait une serviette,
l'autre une chemise, l'autre un manteau. Un autre nous
donnait une poule, un autre des œufs, un autre d'autres
choses. y>
N'oublions pas la charité encore plus grande, l'union
plus étroite et plus intime qui s'établit entre les Ursu-
Unes et les Hospitalières. Parties de France ensem-
ble et arrivées à Québec sur le même vaisseau, elles
s'aimaient déjà comme ne pouvaient manquer de s'aimer
des âmes généreuses et animées du véritable esprit
religieux ; mais combien cet amour ne dut-il pas être
plus ardent et plus saint après que le désastre des unes
eut procuré aux autres le bonheur si doux de leur
4onner une part égale de leur pain, de leurs vêtements
et de leur abri ?
Pendant trois semaines, toutes vécurent ensemble,
prièrent ensemble, soignèrent ensemble les malades.
Après ce temps, les Ursulines voulurent, quoique à
regret, se séparer de leurs généreuses amies; mais la
séparation même fit encore éclater la générosité d'une
part, la reconnaissance de l'autre, la cordialité la plus
affectueuse des deux côtés. On rédigea par écrit et on
signa un acte d'union en vertu duquel toutes devaient
se regarder comme les membres d'une même famille,
quoique séparées par la nécessité de remplir chacune
leur mission. Elles s'obligeaient particulièrement à un
échange perpétuel de prières et de bonnes œuvres,
334 MARIE DE l'incarnation.
surtout au dëcès d'une religieuse dans l'une ou l'autre
communauté : consacrant ainsi, par un acte solennel
et inviolable, et rendant plus étroite l'union qui s'était
établie entre elles dès leur première entrevue à Dieppe,
quand, dans un même but, elles s'exilaient ensemble
de leur commune patrie.
Voici encore un trait qui n'est pas moins digne d'être
rapporté. « Les religieuses avaient une petite métairie
qu'elles étaient dans l'impuissance de faire valoir;
M. Vignal, leur chapelain depuis trois ans, touché de
la misère où se trouvait réduite au printemps cette
pauvre communauté, résolut de cultiver ses champs.
Il y alla résider, et, non content de surveiller les domes-
tiques, il y travailla lui-même et plus qu'aucun autre
comme simple laboureur. Dieu bénit tellement la cha-
rité de ce généreux ami, que cette terre donna une
quantité prodigieuse de blé, de pois et d'orge ; ce qui
fut, en automne, une grande ressource pour la maison, j»
Quelques années après, M. *Vignal retourna en
France, où il se fit Sulpicien. Ses supérieurs le ren-
voyèrent au Canada pour exercer la fonction d'économe
à leur maison de Montréal. Un jour qu'il s'était trans-
porté à quelque distance de la ville pour surveiller
des ouvriers, les Iroquois, qui y étaient en embuscade,
se jetèrent sur les Français comme des bêtes féroces
et en tuèrent un certain nombre. M. Vignal, blessé,
fut emmené par ces barbares. Il disait à ses compa-
gnons d'infortune : « Tout mon regret est d'être la
cause de l'état où vous êtes ; prenez courage et souffrez
pour Dieu. » Il succomba à ses blessures le 27 octo-
bre 1661. Après sa mort, les sauvages lui enlevèrent la
chevelure et firent rôtir son corps pour le manger.
Sa charité lui avait fait mériter le martyre.
CHAPITRE XIV. 335
Autres actes de vertus auxquels l'incendie donna lieu.
Une petite pensionnaire huronne, Geneviève-Agnès
Skanudharoua, ne s'étant pas trouvée avec les autres,
on crut qu'elle était brûlée. Le père et la mère de cette
enfant et quantité de Français l'ayant cherchée inutile-
ment, personne ne conservait d'espoir. La résignation
• à la volonté de Dieu était bien difficile, en pareil cas, à
un père et à une mère qui aimaient cette enfant comme
la prunelle de leurs yeux, dit la relation du temps.
Après avoir versé d'abondantes larmes dans un calme
d'esprit qui témoignait bien de leur paisible soumission
.à la volonté de Dieu, ils se mirent à genoux et lui offri-
rent leur enfant, ne laissant pas échapper la moindre
parole d'impatience ni de murmure. Le père se contenta
de dire au plus fort de sa douleur : « Dieu nous éprouve
bien rudement ; mais ce nous est assez qu'il nous ait
fait miséricorde en nous appelant à la foi; ma fille est
maintenant au ciel, puisqu'elle a été baptisée, et nous
la suivrons parce que nous voulons mourir bons chré-
tiens. » La mère dit, de son côté : « Ce qui m'a le plus
touchée c'est le supplice qu'a enduré ma pauvre fille
mourant dans les flammes. Je n'ai pu refuser des larmes
à la tendresse de mon cœur; mais l'espérance que nous
avons de son salut ne nous permet pas de nous plaindre
davantage. »
Quelques instant après, Geneviève fut retrouvée, et
les larmes de douleur firent place aux larmes de joie.
Cette enfant de bénédiction, ne pouvant plus rester
chez les Ursulines, obtint une place à l'Hôtel-Dieu.
Bientôt après, elle demanda à entrer au noviciat des
Hospitalières et elle y fut admise. Au bout de huit mois,
elle tomba malade et mourut après avoir obtenu de
prendre l'habit et de faire ses vœux dans son lit.
336 MARIE DE l'incarnation.
Cécile Arenhatsi, dont nous avons parlé plus haut,
était une jeune femme de vingt-trois ans, devenue
veuve après quatre mois de mariage. Elle demeurait
dans le monastère, ainsi que sa petite fille, alors âgée
de six à sept ans. Quand elle fut revenue à elle après
s'être jetée par une fenêtre du dernier étage, la Mère
Marie de l'Incarnation lui demanda quelles avaient été
ses pensées en se voyant entourée par les flammes.
« J'avais offert ma vie à Dieu, répondit-elle, et je fusse
morte bien contente; mais je crus que Dieu m'obligeait
de me sauver, puisque je le pouvais faire. Je ne son-
geais qu'à lui, et je craignais que ce malheur ne fût
arrivé à des filles si saintes qu'à cause de mes péchés :
car je suis indigne de vivre dans leur compagnie. »
Cécile avait eu le désir d'être sœur converse aux
Ursulines, mais ne se sentant pas pour cela assez forte,
elle se remaria à un homme de sa nation et conserva sa
grande piété jusqu'à sa mort, qui arriva en 1659. Voici
ce qu'en dit le P. Chaumonet, jésuite, dans la Relation
de cette année : « Nous avons perdu deux de 'nos
bonnes chrétiennes, l'une desquelles, nommée Cécile
Arenhatsi, était demeurée deux ans chez les Mères
Ursulines, oii elle avait pris l'esprit d'une dévotion
très-rare, qu'elle conserva jusqu'à la mort, chose
assez ordinaire à celles qui ont le bonheur d'être éle-
vées dans cet asile de piété. Lorsqu'elle touchait à
ses derniers moments, son confesseur lui demanda
si elle n'avait pas regret de mourir. — Hélas! mon
Père, dit-elle, j'aurais bien tort de craindre la mort,
et même de ne pas la désirer, puisque, en me tirant
de ce monde, elle me retirera des occasions d'offenser
Dieu. J'espère, il est vrai, que toutes mes confessions
ont effacé mes péchés ; mais elles ne m'ont pas rendue
CHAPITRE XIV. 337
impeccable; ma consolation est que je le serai appès
cette misérable vie. Puisque l'amour n'est pas assez
grand en moi pour faire ce que la mort y fera, que
la mort vienne donc pour me délivrer en même temps
de la servitude de mon corps et de celle du péché. •
» Le mari de cette femme était à la chasse, très-
loin dans les bois, au moment où elle expira. Cécile
lui apparut et lui dit le dernier adieu, lui recom-
mandant surtout de ne jamais quitter la « prière »
qu'avec la vie. Cet homme se tourne aussitôt vers
son compagnon de chasse, lui raconte sa vision et
la mort de sa femme ; puis ils se met en chemin pour
retourner à Québec. A son arrivée, il apprend que sa
femme a rendu le dernier soupir au moment même
oii elle s'était montrée à lui.
» Le changement de cet homme et sa ferveur jointe
à la contenance qu'il garde depuis cet événement aux
prières publiques et parliculières, nous persuadent
qu'il y a eu dans cette rencontre quelque chose d'ex-
traordinaire. Cécile Arenhatsi était nièce de Joseph
Chiouatenhoux, dont nous avons parlé plus haut'. »
Dieu ne voulut pas seulement faire servir cette
étonnante catastrophe de l'incendie d'une maison habi-
tée par des saintes, à rendre ces âmes plus saintes
encore et à faire naître, dans quelques familles ou chez
un petit nombre d'individus, des actes de vertu qui
n'auraient pas eu lieu autrement; il se proposait un
autre résultat qu'il est facile d'apercevoir. Il y avait là
(1) Page 242.
M. DE l'iNC. 22
338 MARIE DE L INCARNATION.
les débris malheureux d'une pleuplade dont les Iroquois
avaient fait un affreux massacre, et qui semblait ne
pouvoir imputer ses malheurs qu'à sa conversion au
christianisme. C'était à cause de leur foi que les Hurons
avaient été l'objet d'une haine aussi féroce qu'impla-
cable de la part de leurs ennemis. Leurs bourgades
entièrement détruites, leurs femmes et leurs enfants
égorgés, toute- leur nation exterminée à l'exception de
quelques centaines d'individus qui avaient pu échapper
à la mort, et s'étaient réfugiés, privés de toute ressource,
sous les murs de Québec, telle avait été, pour ce monde,
la récompense de leur docilité à la prédication des
missionnaires.
Sans doute les Ursulines, auprès desquelles leurs
femmes, leurs filles et souvent eux-mêmes étaient
venus apprendre les premiers éléments de la foi,
n'avaient pas manqué de leur dire que les chrétiens
attendent une autre patrie où il n'y a plus ni dou-
leur ni chagrin; mais on ne peut se dissimuler que
la tentation était bien forte pour des néophytes à
peines sortis de l'état sauvage. Cette prospérité des
impies qui étonnait Jérémie lui-même; ces succès
d'un peuple farouche qui avait juré de ne pas laisser
un seul chrétien vivre dans son voisinage ne devaient-
ils pas paraître aux Hurons bien difficiles à expliquer?
Ils durent quelquefois avoir la pensée de dire à leurs
consolatrices : Vous en parlez à votre aise ; mais si
vous étiez, comme nous, sans pain, sans abri, presque
sans vêtements, obligées de tendre la main pour vivre
et pour apaiser la faim de vos filles adoptives, seriez-
vous aussi résignées, aussi patientes, aussi soumises
à la volonté de Celui qui a tout créé que vous nous
engagez à l'être?
CHAPITRE XIV. 339
Dieu se chargea de répondre à l'objection. Il choisit
le moment ou les Hurons étaient tous réunis à quelques
pas du monastère pour leur mettre sous les yeux
ces pieuses filles réduites à un état plus misérable
encore que le leur. A la lueur de ces flammes qu'ils
ne purent même essayer d'éteindre, ils virent ces reli-
gieuses, dont la plupart avaient été élevées dans l'opu-
lence et les délicatesses qu'elle procure, accepter une
épreuve telle qu'ils n'en avaient jamais vu de sem-
blable, et se soumettre avec une sérénité surhumaine
à ce qu'elles pouvaient rencontrer de plus pénible
après l'offense de Dieu.
•La leçon ne fut pas perdue. Ces hommes, que la
foi et le malheur avaient rendus sensibles et compa-
tissants, furent profondément émus à la vue d'une telle
résignation. Jamais les enseignements chrétiens ne
leur avaient paru si vrais. Eux qui ne savaient pas
lire les caractères tracés sur le papier, lisaient dans
la douce et calme physionomie des Ursulines, dans
leurs yeux élevés vers le ciel, sur leurs lèvres sou-
riantes et laissant échapper des formules d'action de
grâces, tout ce que les livres ascétiques révèlent de
plus touchant et de plus pieux à ceux qui en médi-
tent les pages. A peine eurent-ils eu le temps de se
communiquer leur émotion qu'ils arrêtèrent entre eux
de se présenter en corps pour offrir le témoignage
de leurs condoléances à ces saintes filles, comme ils
les appelaient. Les Ursulines les reçurent dans une
salle de l'Hôtel-Dieu, et l'un deux leur . adressa, au
nom de tous, la harangue suivante :
« Vous voyez, saintes filles, de pauvres cadavres,
les restes d'une nation qui a été florissante et qui
n'est plus. Au pays des Hurons, nous avons été dévorés
340 MARIE DE l'incarnation.
par la guerre et par la famine. Ces cadavres ne se
tiennent debout que parce que vous les soutenez. Vous
aviez appris par des lettres et maintenant vous voyez
de vos yeux à quelle extrême misère nous sommes
.réduits. Regardez-nous de tous côtés et voyez, consi-
dérez s'il y a rien en nous qui ne nous oblige de pleurer
sur nous-mêmes et de verser sans cesse des torrents
de larmes. Hélas! ce funeste accident qui vous est
arrivé va renouveler tous nos maux, et faire couler
encore nos larmes, qui commençaient à se tarir. Avoir-
vu brûler cette belle maison de Jésus ! avoir vu réduire
en cendres cette maison de, charité! avoir vu régner
le feu sans respecter vos personnes, saintes filles!...
Voilà ce qui renouvelle le souvenir de l'incendie de
toutes nos maisons, de nos bourgades, de notre patrie
tout entière ! Faut-il donc que le feu nous suive ainsi
partout? »
Se tournant vers ses compatriotes :
« Pleurons, mes chers amis, pleurons nos malheurs,
qui, de propres qu'ils nous étaient, nous sont devenus
communs avec ces innocentes filles. Saintes filles,
vous voilà réduites à la même misère que vos pauvres
Hurons pour lesquels vous avez eu une compassion
si tendre. Vous voil^ sans patrie, sans maison, sans
provisions et sans secours, sinon du Ciel que jamais
vous ne perdez de vue. Nous sommes venus ici dans
le dessein de vous consoler, et pour cela nous avons
essayé de pénétrer dans vos cœurs pour y découvrir
ce qui peut vous affliger davantage par suite de votre
incendie, et y porter remède. Si nous avions affaire
à des personnes semblables à nous, la coutume de
notre pays eût été de vous faire un présent pour
essuyer vos larmes, et un autre pour affermir votre
CHAPITRÉ XIV. 341
courage. Mais nous avons bien vu que votre courage
n'a 'pas été abattu sous les ruines de votre maison,
et pas un de nous n'a vu même une demi-larme sortir
de vos yeux pour pleurer sur vous-mêmes à la vue
de cette infortune. Vos cœurs ne s'attristent pas dans
la perte des biens de la terre; nous les voyons trop
élevés dans les désirs des biens du ciel.
y> Nous ne craignons qu'une chose, saintes filles,
et ce serait un malheur pour nous : nous craignons
que la nouvelle de l'accident qui vous est arrivé étant
portée en France, ne soit sensible à vos parents plus
qu'à vous-mêmes; nous craignons qu'ils ne vous rap-
pellent et que vous ne soyez attendries par leurs
larmes. Gomment Une mère pourrait-elle lire sans
pleurer les lettres qui lui feront savoir que sa fi^le
est restée sans vêtements, sans lit, sans vivres et sans
aucune des douceurs dans lesquelles vous avez été,
élevées dès votre jeunesse?
» La première chose que la nature inspirera à ces
mères désolées sera de vous rappeler auprès d'elles.
Un frère fera de même pour une sœur, un oncle ou
une tante pour leur nièce. Ainsi nous serons en danger
de vous perdre et de perdre avec vous le secours
que nous avions espéré pour l'instruction de nos filles.
» Mais courage, saintes filles, ne vous laissez pas
vaincre par l'amour de vos parents, et faites voir que
l'affection que vous avez pour les pauvres sauvages
est une charité céleste plus forte que les liens de la
nature. Pour affermir en cela vos résolutions, voici
un présent de douze cents grains de porcelaine, qui
enfoncera si bien vos pieds-dans la terre de ce pays
qu'aucun amour de vos parents ou de votre patrie ne
pourra les en retirer.
342 MARIK DE L INCARNATION.
» Le second présent que nous vous prions d'agréer
est un second collier tout semblable au premier, de
douze cents grains de porcelaine, pour jeter de nouveau
les fondements d'un édifice, qui sera encore la maison
de Jésus, la maison des prières, et où seront vos
classes dans lesquelles vous puissiez instruire vos
petites filles Huronnes. Ce sont nos désirs, ce sont
aussi les vôtres : car sans doute, vous ne sauriez
mourir contentes si, en mourant, vous' pouviez vous
faire ce reproche, que, par un amour trop tendre pour
vos parents, vous n'eussiez pas contribué au salut de
tant d'âmes que vous aviez aimées pour Dieu, et qui
seront dans le ciel votre éternelle récompense. »
Il est évident, d'après ce discours, que le désastre
arrivé aux Ursulines leur avait attaché plus fortement
•
le cœur des Hurons, et avait affermi la foi de ces géné-
reux néophytes. On voit également quelle est la puis-
sance civilisatrice de la religion et comme il lui faut
peu de temps pour transformer une peuplade barbare
et sauvage. Quelle autre influence eût pu mettre dans
le cœur de ces hommes, naguère non moins féroces
que les Iroquois, cette exquise sensibilité et cette déli-
catesse de sentiment et de langage que ne possèdent
pas toujours les peuples civilisés ?
La supérieure et toutes les religieuses, touchées de
tant de reconnaissance de la part de ces infortunés,
leur promirent de rester avec eux et de continuer
l'œuvre à laquelle elles avaient résolu de consacrer
leur vie.
Aujourd'hui, les descendants des Hurons habitent
CHAPITRE XV. 343
encore le voisinage des Ursulines, et ils sont chrétiens
comme étaient leurs pères.
L'incendie du monastère des Ursulines n'a donc été
un malheur qu'en apparence. Les inconvénients qu'il
a pu avoir méritent à peine quelque attention, et ses.
avantages furent immenses. Encore devons-nous ajou-
ter que si nous connaissions les secrets de Dieu, nous
verrions bien d'autres résultats merveilleux qui sont
un objet d'admiration et un sujet de louanges pour les
esprits célestes. Nous en apercevons assez néanmoins
pour comprendre que les vertus pratiquées à cette
occasion seront l'une des splendeurs du Ciel durant
toute l'éternité.
CHAPITRE XV.
m
Les Ursulines quittent l'Hôtel-ïlieu, 1650. — Sœur Saint-Joseph, sa vertu
héroïque, sa sainte mort, 1652. — On commence la reconstruction du mo-
nastère, 1651. — Activité de la Mère de l'Incarnation, — Caractère mira-
culeux de l'œuvre qu'elle exécute. — On s'installe dans le monastère reconstruit.
29 mai, 1652. — ïLes Ursulines ont repris leur œuvre avant la reconstruction.
— Inquiétudes causées par les courses et la férocité des Iroquois. — Traité
de paix avec ces barbares, 1654. — Nouveau travail intérieur de la grâce
dans la servante de Dieu. — Traits nouveaux de son humilité. — Son état
de victime.
Les Ursulines, ayant dit adieu à leurs tendres et
généreuses amies de l'Hôtel- Dieu, s'établirent dans la
maison de madame de la Peltrie. Dans ce petit local
qui n'avait que deux chambres, elles durent trouver
chapelle, classe et parloir, cellules, réfectoire et cui-
344 MARIE DE l'incarnation.
sine. Là aussi était l'infirmerie. Il en fallait une, parce
qu'il y avait une religieuse dont la vie s'éteignait peu
à peu au milieu de ces émotions, des privations et des
souffrances. Or l'infirmerie était un des lits placés
sur des tablettes et accolés les uns au-dessus des autres
à la muraille, comme les rayons d'une bibliothèque ;
et la religieuse qui souriait à la souff'rance et à la mort
dans l'un de ces casiers était la sœur Marie de Saint-
Joseph, fille d'un châtelain millionnaire, élevée dans
la délicatesse, et qui se trouvait alors plus heureuse
et plus riche que tous les membres de sa famille
ensemble.
Cependant elle souffrait beaucoup. A sa première
maladie, qui était un asthme et une pneumonie accom-
pagnés do crachements de sang et d'une fièvre con-
tinue, était venue se joindre une hydropisie qui lui
occasionna d'atroces douleurs. On lui fit aux jambes
de profondes incisions qui ne servirent qu'à amener
la gangrène. Outre les douleurs de la maladie et des
remèdes, dit la Mère Alarie de l'Incarnation, elle souf-
frait beaucoup du lieu où nous étions logées. Il était
fort petit et l'on ne pouvait aller au chœur sans passer
près de sa cabane et à sa vue. Le bruit des sandales de
bois sur un plancher de bois, les clameurs des enfants,
les allées et les venues de tout le monde, le bruit de
la cuisine dont nous n'étions séparées que par de sim-
ples planches, l'odeur de l'anguille qui infectait tout,
en sorte que, durand la rigueur du froid, il fallait tenir
les fenêtres ouvertes pour purifier l'air; la fumée de
la chambre qui était presque continuelle ; enfin la
cloche, le chant, la psalmodie, tout cela était un con-
tinuel tourment qui augmentait son oppression et irri-
tait sa toux. Or, sait-on ce qu'elle répondait quand
CHAPITRE XV. 345
on lui en témoignait de la compassion? Que tout cela,
au contraire, servait à la distraire! Elle voyait de plus,
dans l'incendie du monastère, une attention de la Pro-
vidence et un trait d-e la miséricorde divine à son
égard, parce qu'elle avait, en conséquence, la conso-
lation de finir ses jours dans un lieu où elle entendait
de son lit la sainte messe, l'office divin, la prédication,
et qu'elle assisterait ainsi aux observances de sa règle
jusqu'à la mort. N'est-ce pas là une sublime vérifica-
' tion de la parole de saint Paul : « Tout concourt au
bien de ceux qui aiment Dieu et qui, dans, les décrets
éternels, sont déjà appelés saints? »
Aussi , bien loin de laisser échapper la moindre
plainte, la Mère Marie de Saint-Joseph ne pouvait se
lasser de bénir Dieu des grandes grâces qu'il lui avait
faites. Elle disait au père Lalleraant : « Je sais, mon
père, que Dieu a promis à ceux qui quitteraient quelque
chose pour son amour, le centuple en cette vie et le
bonheur éternel en l'autre. Pour le centuple, je lui
donnerai quittance quand il lui plaira, car il me l'a
généreusement payé; et quant à la vie éternelle, je
l'attends bientôt. » Elle ne parlait que des biens de
l'autre vie, du néant des choses de la terre, du bonheur
que l'on goûte au service de Dieu et de la fidélité que
l'on doit avoir à sa vocation. « Ah! que je suis heu-
reuse, disait-elle à ses sœurs, de mourir en un lieu
pauvre et d'être privée des petites douceurs dont on
jouit en France! Ecrivez, je vous prie, à monsieur
de la Rochelle (son oncle, évêque de la Rochelle),
à nos chères sœurs de France, à mes parents; que
je suis très-contente de les avoir tous quittés et de
mourir pauvre religieuse de la mission des Ursulines
du Canada. »
346 MARIE DE l'incarnation-
Elle mourut le jeudi de Pâques 1652, âgée de trente -
six ans, entre les bras de la Mère Marie de l'Incar-
nation, dont elle avait été la première compagne et
la fidèle, amie. Au moment même où elle venait de
quitter cette vie, elle apparut à une sœur converse
de Tours, nommée Elisabeth, qui l'avait élevée toute
jeune. Elle lui dit en la réveillant : « Ma chère sœur
Elisabeth, préparez-vous au voyage, car il est temps
de partir. » La sœur se lève, se rend aussitôt chez la
supérieure et lui dit : « Certainement la Mère Marie
de Saint-Joseph est morte; elle vient de m'avertir qu'il
faut que je me prépare à mourir aussi. » En effet, la
sœur tomba malade presque aussitôt et mourut treize
jours après.
Voici un autre trait qui n'est pas moins extraor-
dinaire. Quatorze ans après la mort de la Mère Saint-
Joseph, en 1666, deux jeunes filles enlevées par les
Iroquois furent rachetées et ramenées à Québec par
monsieur de Tracy , gouverneur, qui, à la suite de
victoires remportées sur ces sauvages ennemis, les
avait contraints de souscrire à un arrangement ,
ainsi que nous le raconterons plus loin. Comme elles
étaient devenues aussi ignorantes et presque aussi
sauvages que les Iroquois eux-mêmes , monsieur de
Tracy se chargea de leur éducation et les mit en pen-
sion aux Ursulines. L'une d'elles, appelée Anne Bail-
largeau , âgée de dix-huit ans , apercevant dans la
salle de la communauté le portrait de la Mère Saint-
Joseph, s'écria comme hors d'elle-même : « Ah! c'est
elle, c'est celle-là qui m'a parlé! « Les reUgieuses
étonnées lui demandent l'explication de ces paroles.
CHAPITRE XV. 347
Elle leur raconta alors qu'ayant été faite captive à l'âge
de neuf ans, elle prit tellement goût à la vie libre et
errante, au milieu des forêts, qu'elle résolut de rester
parmi les sauvages. Quand ceux-ci furent contraints
de rendre leurs prisonniers, Anne Baillargeau se cacha
dans les bois pour ne pas être obligée de quitter la
famille qui l'avait adoptée. Mais lorsqu'elle se croyait
en parfaite assurance, une religieuse lui était apparue,
la menaçant de la châtier sévèrement si elle ne s'en
retournait* avec les Français. Saisie de frayeur, elle
sortit du bois et alla .se réunir aux autres captifs
que l'on mettait en liberté. Or, elle venait de recon-
naître dans son portrait la religieuse qui lui avait
apparu.
Le séjour de la communauté des Ursulines dans
la petite maison de madame de la Peltrie nç pouvait
être que provisoire; il fallait évidemment ou rebâtir
le monastère incendié ou renancer à l'œuvre du Canada,
et par conséquent, revenir en France. Un bon nombre
d'amis des Ursulines croyaient ce dernier parti seul
praticable, et ils alléguaient le désastre qui venait
d'arriver comme une preuve manifeste que telle était
l'intention de la Providence. Mais la Mère de l'Incar-
nation demeura inébranlable contre toutes les sollici-
tations. Pleine de confiance en Dieu et résolue de tenir
la promesse qu'elle avait faite à ses chers Hurons,
elle tint ferme pour la reconstruction. Elle faisait
remarquer à ses amis de France que les maisons reli-
gieuses étaient de la plus grande importance pour la
colonie, et qu'il ne s'agissait pas seulement des intérêts
d'une communauté. « Il faut que vous sachiez, écri-
348 MARIE DE l'incarnation.
vait-elle à son fils, que si une seule quittait, cela
serait de nature à décourager la plus grande partie
des Français qui n'ont persévéré qu'en considération
des maisons religieuses et par leur moyen. De plus,
les filles françaises ont encore plus besoin , en un
sens , de l'éducation qu'elles reçoivent de nous que
les sauvages : car les Révérends Pères peuvent sup-
pléer pour celles-ci ; mais ils ne le peuvent pour les
autres. >»
Sans attendre que tout le monde fut d'accord, ce
qui ne serait jamais arrivé, elle mit la main à l'œuvre.
Elle monta elle-même sur les décombres, suivie de ses
sœurs, et elle commença le déblaiement; des ouvriers
continuèrent ce travail, et, le 19 mai 1651, on posait
la première pierre du nouveau monastère. Trois se-
maines après, la Mère de l'Incarnation était nommée de
nouveau Supérieure, la communauté ayant cru", avec
raison sans doute, que nulle autre ne pouvait plus
convenablement être mise en face des immenses diffi-
cultés de la situation.
Elle sut venir à bout de tout d'une manière qui
semble vraiment miraculeuse. Mais pourtant que de
difficultés et d'obstacles de tout genre à surmonter!
« Pour commencer, disait la vénérable Mère, les Pères
jésuites nous ont prêté huit mille livres; en ce moment
nous en devons bien quinze mille, et, avant que notre
bâtiment soit achevé, nous en devrqns bien vingt
mille, sans parler des accommodements du dedans et
des meubles.
y> Il faut que je vous dise encore qu'il semble que
notre bon Dieu veuille triompher de nous en nous
réduisant à l'extrémité. Croiriez-vous que pour qua-
rante à cinquante personnes que nous sommes, y com-
CHAPITRE XV. 349
pris nos ouvriers, nous n'avons plus que pour trois
fournées de pain, et nous n'avons nulles nouvelles
des vaisseaux qui apportent des approvisionnements
à ce pays. »
Malgré tout cela, les travaux avançaient avec une
telle rapidité, que le 29 mai, 1652, un an et dix jours
après la pose de la première pierre, la communauté
s'installait dans le nouveau monastère. Comment en si
peu de temps, et sans nulles ressources, pour ainsi
dire, était-on parvenu à un tel résultat? Voici l'explica-
cation qu'on donne la Mère Marie de l'Incarnation.
« Mon esprit fut rempli de courage et de force pour
travailler jour et nuit à cet ouvrage, que je regardais
comme appartenant à la très-sainte Vierge , notre
bonne Mère et Supérieure. Je l'appelle ainsi, parce
que, quelque temps avant notre incendie , la Mère
Saint-Athanase, .supérieure, lui avait remis sa charge
entre les mains, ce dont nous avions fait une grande
solennité! Je la regardais donc en cette entreprise
con;me ma directrice et mon tout après Dieu. Ainsi
je n'eus pas plus tôt commencé que je ressentis son
assistance d'une manière extraordinaire ; je l'avais con-
tinuellement présente partout où j'allais et en tout ce
que je faisais. Je ne la voyais pas des yeux du corps
mais en la manière que le suradorable Verbe incarné
me fait l'honneur de se communiquer à moi, par union,
par amour et communication actuelle, ce que je n'avais
encore jamais expérimenté de la très-sainte Vierge. Je
la sentais auprès de moi, m'accompagnaht partout dans
les allées et venues qu'il me fallait faire. Chemin faisant,
je m'entretenais avec elle et je lui disais : Allons, ma
350 MARIE DE l'incarnation.
divine Mère, allons voir nos ouvriers. Et selon les
occurrences j allais en haut, en bas, sur les échafauds,
sans aucune crainte, l'entretenant toujours de la sorte. »
Elle ajoute dans une autre lettre, en parlant à son
fils : « Vous êtes en peine de ce que je vous ai dit
qu'il y a eu du miracle dans notre établissement. Il y
en a eu en effet. Nous avions tout perdu et notre
incendie nous avait dépouillées de toutes choses. Nous
avons fait rebâtir notre monastère ; nous nous sommes
vêtues et remeublées, et pour cela il nous a fallu faire
des dépenses au montant de trente mille livres. L'on nous
a prêté huit mille livres sur le pays, lesquelles n'en valent
pas six mille de France. Nous n'avons eu que très-peu
d'aumônes, dont une partie a servi à nous vêtir et l'autre
à acheter un peu de grain. Malgré cela, il ne nous reste
que quatre mille livres à payer : encore la personne à
qui nous les devons nous en donne le fonds après sa
mort, s'en réservant l'usufruit pendant sa vie. Enfin
il y a vingt-quatre mille livres de pure Providence. »
Le dénûment absolu dans lequel étaient tombées
les XJrsulines, les privations journalières qui en étaient
la suite, l'incertitude d'un avenir qui ne laissait entre-
voir aucune ressource, les représentations d'amis dé-
voués qui disent et' qui croient que Dieu ne veut pas
la continuation de leur œuvre, rien n'abat leur courage
ni n'affaiblit leur résolution. Soutenues et entraînées
par la Mère de l'Incarnation, elles sont prises d'une
sainte folie pour tenter l'impossible et l'impossible se
fait. C'est-à-dire que des personnes réduites à une
extrême et absolue pauvreté font des dépenses consi-
dérables sans faire de dettes; dès ouvriers nombreux
sont payés et nourris pendant plus d'un an par des per-
sonnes qui n'ont ni pain ni argent. Mais elles avaient la
CHAPITRE XV. 351
Providence, et c'est là une ressource sans laquelle nulle
autre ne peut servir. Les personnes mondaines habi-
tuées aux calculs ne croient pas cela; mais ce sont les
saints qui voient véritablement clair, les autres sont des
aveugles plus ou moins volontaires.
Nous avons vu combien, en toute circonstance, la
population de Québec avait témoigné de sympathie aux
Ursulines ; il en fut encore de même lorsqu'elles prirent
possession de leur nouveau monastère. La cérémonie
eut lieu la veille de la Pentecôte, 29 mai 1652. Le
clergé de la paroisse y transporta le Saint-Sacrement,
accompagné d'un grand concours de peuple. Immédia-
tement après, on commença des prières de quarante
heures, qui durèrent jusqu'au mardi de la Pentecôte.
Chaque matin, pendant ces trois jours, une procession
solennelle se fit de l'église paroissiale à celle des Ursu-
lines, le clergé et les fidèles chantant les litanies.
11 ne venait alors à l'esprit de personne de témoigner
de l'éloignement à l'égard des établissements religieux ;
on les regardait, au contraire, comme devant être chers
à tous ; on savait qu'ils appartiennent à Dieu, qui,
alors comme aujourd'hui, employait ce moyen "pour
rendre à la société l'un des plus gratids services qu'elle
puisse recevoir, celui d'une éducation chrétienne pour
la jeunesse, outre des exemples de verlus héroïques
et des prières qui ont la force de faire violence au Ciel.
On aurait dû sans doute excuser la Mère Marie de
l'Incarnation et ses compagnes si, accablées de peines
352 MARIE DE l'incarnation.
après l'incendie de leur maison et distraites par les
préoccupations inévitables d'un travail de reconstruc-
tion, elles avaient quelque peu interrompu les soins
donnés jusque là par elles aux jeunes filles, mais elles
ne voulurent pas avoir besoin de cette indulgence. Ce
qu'elles avaient surtout à cœur c'était de sauver des
âmes, d'arracher les sauvages à la barbarie en élevant
leurs filles et en leur apprenant à connaître , aimer
et servir Dieu. C'était même uniquement pour ce motif
qu'elles tenaient à reconstruire le monastère.
Aussi, à peine ont-elles eu le temps de se procurer
des vêtements pour être en état de se montrer, qu'elles
se hâtent de quitter l'Hôtel-Dieu oii on voulait les
retenir, et que, s'entassant dans un local étroit et
incommode, elles se livrent de nouveau à leur œuvre
apostolique. Déjà elles instruisent quelques enfants dans
les pièces étroites qui leur servent de dortoirs, de classe
et de réfectoire, mais bientôt la saison du printemps leur
permet d'en rappeler un plus grand nombre. Sous les
arbres séculaires de l'antique forêt, on construit des
cabanes d'écorce où elles rassemblent non-seulement les
élèves proprement dites, mais les néophytes, femmes et
filles, qui ont besoin que leur instruction dans la foi
soit continuée et perfectionnée. Les jeunes demoiselles
françaises elles-mêmes s'y rendaient, heureuses de re-
trouver leurs bonnes Mères après une si douloureuse
épreuve, et de profiter des leçons de dévoûment et de
vertu que tout concourait à rendre plus éloquentes que
jamais.
Il y eut cependant diminution de séminaristes sau-
vages pendant les trois premières années qui suivirent
CHAPITRE XV. 353
l'incendie, et cela à cause de la terreur qu'inspiraient
les courses fréquentes et les actes de barbarie des
Iroquois. Ils venaient quelquefois jusqu'aux portes de
Québec, et massacraient ou emmenaient prisonnier,
afin d'exercer leur barbarie plus à loisir, quiconque
tombait sous leur main. Voici à ce sujet un épisode
bien digne d'être raconté.
Deux Français avaient été pris par ces barbares
auprès du fort appelé Richelieu. Emmenés à l'une des
résidences Iroquoises appelée les Cinq-Cantons, ils
furent couverts de plaies et ils allaient être mis à
mort quand, sur l'avis d'un de leurs chefs, ami des
Français, on leur donna un guide pour les ramener en
leur pays. Mais le guide les abandonna au milieu de ces
terres inconnues. Exténués et à demi-morts, ils invo-
quent la Sainte Vierge et trouvent assez de force pour
se traîner jusqu'à l'entrée d'un village habité par une
autre de ces peuplades sauvages. Que faire? Allaient-
ils se livrer à la merci de leurs plus cruels ennemis?...
Ils invoquent de nouveau la Sainte Vierge et se sentent
inspirés d'aller se réfugier dans une cabane qui se
trouvait à l'écart. 0 Providence! une jeune femme
vient à leur rencontre, les accueille avec toute la cha-
rité possible, leur parlant bon français et les* rassurant
sur leur sort. Elle allume du feu, leur présente à
manger et panse leurs plaies. « Je suis, leur dit-elle,
la pauvre Marguerite Kaouenhontona, bien connue
des Robes noires, de qui j'ai reçu le baptême, et des
saintes filles les Mères Ursulines de Québec, chez les-
quelles j'ai été élevée. J'en ai reçu de si bonnes ins-
tructions que, nonobstant ma malheureuse captivité,
je ne quitterai jamais la foi dont elles m'ont enseigné
les principes. Il est bien juste que je vous rende en
U. DE LINC.
•23
354 MARIE DE l'incarnation.
partie la charité dont elles m'oiit comblée quand j'étais
chez elles. Elles m'ont appris à parler français, ne
dois-je pas être heureuse de vous consoler dans cette
langue? Ce peu que je fais pour vous n'est rien, en
comparaison de ce qu'elles ont fait pour moi. »
Cependant la bonne Marguerite fut dénoncée, et les
deux Français se virent de nouveau à deux doio^ts de
la mort; mais protégés par la Sainte Vierge qu'ils ne
cessaient d'invoquer, ils échappèrent à tous les dangers
et arrivèrent enfin chez eux, où ils rendirent témoi-
gnage des fruits que portait au loin l'éducation donnée
par les Ursulines.
Dans le courant de l'année 1653, on entama avec les
Iroquois des négociations qui aboutirent enfin à un
traité de paix. Ce traité fut conclu l'année suivante
et la sécurité parut rétablie, au moins pour quelque
temps. La confiance succéda à la crainte et les élèves
revinrent en grand nombre aux Ursulines.
L'année 1655 fut surtout remarquable par le nombre
de sauvages qui vinrent à Québec et qui confièrent
leurs filles aux Ursulines. En deux mois seulement
il en fut amené une vingtaine. Aussi, la vénérable
Mère écrivait : « Maintenant que la paix est faite, nous
avons beaucoup d'occupation, de sorte que si quel-
qu'une de nous venait à manquer, il nous faudrait
faire venir des soeurs de Franche. »
Cette activité étonnante qui nous montre dans la
Mère Marie de l'Incarnation une apôtre dévorée de
zèle, ce courage que rien ne peut déconcerter et qui
dénote en elle tant de force et d'énergie méritent sans
doute notre admiration ; toutefois le travail de la grâce
embellissant son âme et l'unissant à Dieu est quelque
chose de bien plus merveilleux encore. Nous avons
CHAPITRE XV. 355
VU par quels progrès de perfection elle fut rendue digne
d'être l'épouse du Verbe incarné; mais l'œuvre divine
continua dans cette âme véritablement privilégiée, et
il est temps d'étudier la suite des transformations que
l'Esprit-Saint ne cessa d'opérer en elle. Pour mieux
comprendre cette suite de prodiges, jetons un coup d'œil
en arrière.
Lorsque la Mère Marie de l'Incarnation fut nommée
supérieure pour la troisième fois et qu'elle commença,
en 1651, la reconstruction de son monastère, elle avait
cinquante-deux ans. Si l'on veut résumer sa vie pen-
dant ce demi-siècle , écoulé, on verra qu'elle fut pré-
venue des grâces les plus abondantes et les plus rares.
Dieu agit avec elle comme envers les âmes qui
sont l'objet d'une prédilection toute spéciale de sa
part. Dès qu'elle commence à avoir l'usage de sa
raison, il vient miraculeusement recueillir son pre-
mier acte d'amour libre et méritoire; il l'emporte avec
lui dans le ciel et il lui laisse en échange une onction
de piété qui en fera une enfant exceptionnelle, douée
du don d'oraison et d'une sainte familiarité avec le
souverain Créateur.
Plus tard un ravissement extatique l'enlève pour
un moment au monde visible et la change en l'amour
de celui qui lui avait fait cette insigne miséricorde; expres-
sion admirable et qui demande à être méditée. Alors
ses prières, ses bonnes œuvres, ses communions devien-
nent des sources de grâces nouvelles et plus abon-
dantes. Notre- Seigneur s'applique, pour ainsi dire, à
la purifier, à l'orner, à l'embellir de plus en plus; et
enfin il l'unit à sa personne adorable par un mariage
356 4lARIE DE l'incarnation.
surnaturel et divin, après avoir ainsi mis en elle le
degré de perfection que rendait nécessaire une pareille
faveur.
De son côté, la servante de Dieu est admirablement
fidèle aux grâces quelle reçoit. Par cette fidélité elle
les transforme en vertus, en mérites et en beautés
de son âme, comme l'abeille transforme en un miel
qui lui est propre, et qui fait partie de son être, le
suc qu'une Providence attentive a déposé pour elle
dans le calice des fleurs. Ce fut ainsi qu'on vit cette
vénérable Mère croître sans cesse en humilité, en esprit
de pénitence et zèle de la gloire de Dieu ; et, par des
actes de vertus toujours renouvelés et perfectionnés,
arriver à un esprit intérieur et une union avec Dieu
qui semble comparable à la perfection des saints les
plus illustres. Rien ne peut en donner une connais-
sance plus exacte que le tableau fait par elle-même
de son état spirituel à l'époque où nous sommes de
sa vie. Quoiqu'elle écrivît par obéissance et qu'elle eût
ainsi une excuse légitime pour parler d'elle-même,
elle cherche néanmoins à se cacher autant qu'il lui
est possible en parlant à la troisième personne.
« Dieu ayant créé l'âme raisonnable avec la liberté
et la grâce pour opérer son salut, dès qu'elle vient
à connaître sa dignité, et que, par la lumière de la
grâce, elle découvre la perfection à laquelle elle est
appelée, si elle est fidèle à cette première lumière et
si elle correspond à cette grâce par un mouvement
continuel vers son souverain bien, la divine bonté
fait fondre en elle des torrents de lumière, de feu et
de saintes ardeurs; puis elle lui donne la clef de
la science et la met en possession de ses trésors et de
ses richesses.
CHAPITRE XV. 357
» Cette âme se voyant comblée et enrichie de la
sorte, se promène dans ces pâturages gras et fertiles,
dans ces parterres odoriférants et dans ces cabinets
délicieux qui lui ont été ouverts. Là ses puissances
se délectent en goûtant une saveur que je ne saurais
expliquer, non plus que les divins plaisirs, les repos
délicieux et la paix profonde qu'elle y reçoit. Les
ivresses saintes qu'elle 'y éprouve lui font ensuite
chanter un épithalame ou cantique d'amour qui ne peut
finir que lorsque^ par de certaines pâmoisons, Dieu
l'arrête pour la faire expirer en lui et pour l'abîmer de
nouveau dans le torrent des voluptés divines.
» Revenue de cette extase, elle recommence son
cantique, disant à celui qui la remue si puissamment :
Nous nous réjouirons et nous tressaillerons d'aise, nous sou-
venant de vos mamelles, qui sont plus douces et plus déli-
cieuses que le vin. Les justes et ceux qui ont le cœur droit
n'ont de l'amour que pour vous. (Cant. l. 3.) Tout cela se
dit et se passe sans aucune opération réfléchie, mais
par une abondance de communication divine où l'âme
demeure passive, et qui forme en son entendement un
sens et une intelligence qui la fait fondre d'amour.
De là naissent les joies et les larmes qui font en elle
un paradis où elle jouit de Dieu dans une familiarité
très-intime. »
Tel est, décrit par elle-même, l'état de notre véné-
rable Mère depuis le premier usage de sa raison.
« Quand la Mère de l'Incarnation, dit Claude Martiû,
parle d'une âme et qu'elle décrit les lumières de la grâce
dont cette âme a été prévenue, les douceurs de la con-
templation dont elle a été saintement enivrée et les
358 MARIE DE l'incarnation.
transports de charité qui l'ont si heureusement con-
sommée en Dieu, elle parle d'elle-même. »
Il semble qu'après avoir reçu tant de faveurs divines,
et être devenue l'Epouse véritable du Verbe éternel,
elle ne puisse être élevée plus haut et se voir plus
étroitement unie à Dieu en cette vie; mais il n'en
est pas ainsi; la munificence céleste est infinie. Quels
que soient les trésors de grâce dont une âme aura été
comblée, toujours de nouveaux horizons renfermant
des richesses encore plus grandes que celles qui lui
ont été prodiguées, s'ouvriront devant elle. C'est ce qui
eut lieu pour cette admirable rehgieuse, qui fut élevée
successivement à plusieurs autres degrés d'union encore
plus étroite et plus parfaite avec Dieu; elle-même en
fait la remarque.
« Jusqu'ici il n'y a point eu de circoncision ni de
retranchement dans cette vie intérieure. Il semble à
l'âme qu'il n'y a rien au-dessus de la jouissance où elle
se trouve, et qu'elle soit établie pour toujours en cet
état, où elle est comblée des richesses immenses de
l'Epoux : car pour ce qui regarde les mystères de la
foi, elle les possède par une science infuse avec tant
de certitude et si peu d'obscurité, qu'elle s'écrie : 0 mon
Dieu! je n'ai' plus la foi; il me semble que vous avez
tiré le rideau. Mais tandis quelle est ainsi absorbée,
elle ne voit pas ce qui va lui arriver ni où l'Esprit
va la conduire. »
Bientôt toutefois cet Esprit divin lui fit comprendre
que cet état n'était pas ce qu'il pouvait y avoir de plus
parfait, même ici-bas, dans la vie spirituelle. C'est
qu'en effet la nature morte à elle-même et à toute
CHAPITRE XV. 359
jouissance humaine s'était faite, il est vrai, aux austé-
rités, aux privations et aux croix; elle les acceptait
de tout cœur, ce qui est une grande perfection; mais
son sacrifice n'était pas complet, car elle avait un
dédommagement dans la part qu'elle prenait aux biens
spirituels de l'âme. « Elle les trouvait même si à son
goût, que toutes les satisfactions que les créatures lui
avaient autrefois procurées ne lui causaient plus que
de l'ennui. » Or, quand Dieu voulut la faire arriver
à un état plus parfait, « il attaqua cette partie sensible
et inférieure de l'âme en lui faisant souffrir des priva-
tions très-rudes et très-crucifiantes. » Alors ne pouvant
plus participer aux délices de l'esprit, par suite de
cette nouvelle épreuve, et étant privée depuis long-
temps de toute satisfaction naturelle, elle se voit su7'
le rien.
Notre vénérable Mère ajoute : « La nature étant ainsi
anéantie premièrement par la pénitence, et en second
lieu par la privation des délices spirituelles qui la sou-
tenaient, elle est humiliée à un point qui ne se peut
dire, pendant que la partie supérieure est dans un con-
tentement très-véritable, se voyant délivrée de ce qui
nuirait à sa vraie et parfaite pureté dans la jouissance
de son souverain bien. » Tel est le premier degré de
pauvreté ou de dépouillement de l'esprit que Dieu ajoute
à sa perfection intérieure. Il consiste, comtoe on voit,
dans une transformation de la partie inférieure de l'âme,
qui ne peut plus goûter ni les satisfactions de la nature
dont elle s'est déshabituée, ni les jouissances spiri-
tuelles et surnaturelles dont elle se voit privée par
cette nouvelle conduite de Dieu à son égard.
Pour faire connaître le second degré de cette pau-
vreté spirituelle, Marie de l'Incarnation commence par
360 MARIE DE l'incarnation.
une remarque dont elle comprenait sans doute la jus-
tesse, mais que ceux qui n'ont pas reçu de pareilles
grâces, et le nombre en est grand, ne saisiront pas
aussi facilement. Elle dit que l'entendement lui-même,
quoiqu'il n'appartienne pas à la partie sensible et infé-
rieure de lame, « mêle encore du sien aux opérations
divines, ce qui est une impureté ou un défaut notable dans
la pauvreté spirituelle. C'est pourquoi l'Esprit de Dieu
le rend incapable de ses opérations ordinaires. » Il
est comme crucifié à "son tour, à l'exemple de la partie
inférieure.
, Ce second degré de la pauvreté d'esprit fait que
la volonté ravie en Dieu et n'ayant plus besoin de
l'entendement « demeure comme une reine qui jouit
de son divin Epoux dans des privautés dont les Séra-
phins pourraient mieux parler au moyen de leurs
langues de feu que la créature par une langue de
chair,, incapable d'exprimer une chose si haute et si
sublime. »
La vénérable Mères fut des années en cet état, après
quoi elle reçut un troisième degré de pauvreté spiri-
tuelle. Depuis que son entendement ne fonctionnait
plus, pour ainsi parler, mais recevait toutes ses
lumières de l'Esprit-Saint, la volonté se trouvant la
seule faculté agissante de l'âme, possédait en consé-
quence une plus grande liberté pour se porter vers
Dieu et jouir sans obstacle de sa possession et de son
amour. Les élans et les ardeurs de cette volonté avaient
la grâce pour mobile, mais pourtant il y avait encore
en cela trop d'activité créée, toute surnaturelle et sainte
qu'elle fût; Dieu voulait en elle une perfection plus
élevée.
" Le divin Esprit, qui est la source inépuisable de
CHAPITRE XV. 361
toute pureté, veut encore triompher de la volonté,
et quoique ce fût lui qui opérait ces divines motions
et qui lui faisait chanter son continuel épithalame,
cette volonté néanmoins y mêlait encore de son propre
agir; il ne le peut souffrir ; jaloux de sa beauté, il veut
en être le maître absolu. Comme il est amour, il est
vrai de dire qu'il est fort comme la mort, que sa jalousie
est inflexible comme l'enfer, qui ne pardonne à personne ;
ses lampes sont des lampes de feu et de flammes, il faut
qu'elles consument tout. Cette amoureuse activité qui,
dans les embrassemeots de l'Epoux, surpassait toute
douceur et concentrait sa volonté dans son souverain
bien, est donc arrêtée. Voilà l'état de victime où le
Saint-Esprit, infiniment zélé pour la pureté des âmes
épouses du Fils de Dieu, les réduit, afin de les mettre
dans la disposition où il les veut pour prendre en elles
ses délices. »
Claude Martin explique ce troisième degré de dépouil-
lement en disant qu'avant cette iu)uvelle faveur, c'était
l'esprit de la servante de Dieu qui s'appliquait par
un acte de volonté, avec le secours de la grâce néan-
moins, à l'objet de la contemplation, tandis que dans
l'état plus parfait. Dieu détermine et applique lui-même
l'esprit aux vérités divines qu'il a dessein de lui
manifester.
Le pieux et savant religieux ajoute que la première
contemplation est appelée active, parce que l'âme y
agit d'elle-même, se portant à son objet avec choix,
délibération et réflexion. L'autre est appelée passive,
par .cette raison que l'âme s'y comporte passivement
et selon qu'il plaît à Dieu de la déterminer et de fappli-
362 MARIE DE L INCARNATION.
quer; non qu'elle n'agisse véritablement, le rayon de
la contemplation et la jouissance de l'amour étant
de véritables actes humains, l'un de l'entendement,
l'autre de la volonté; mais parce que ces actes sont si
doux et si tranquilles, qu'ils semblent plutôt reçus dans
l'âme que produits par elle.
Voilà donc la Mère Marie de l'Incarnation favorisée
de la grâce à un tel point que l'Esprit- Saint exerce une
continuelle et souveraine influence sur toutes ses
facultés. Mais elle remarque que l'âme humaine ayant
une inclination naturelle à agir ne supporte pas sans
souffrir, et même sans une certaine résistance, cet
état passif. « Il n'est pas croyable, dit-elle, combien ce
retranchement est pénible aux puissances de l'âme,
surtout dans les solennités de l'Eglise, où elles avaient
coutume de méditer avec délices les mystères de notre
rédemption, et d'y être favorisées des lumières de
l'Esprit-Saint.
j» Cependant cette inclination de l'âme à agir meurt
comme tout le reste : car, comme je l'ai dit, l'Esprit de
Dieu est inexorable pour donner au divin Epoux, qui
prend ses délices dans la paix et le silence, une demeure
exempte de tout bruit. La volonté donc, •ayant perdu
son activité amoureuse et même l'inclination à aimer
de cette façon, demeure, par un amour actuel, dans
les embrassements du suradorable Verbe incarné, son
Epoux. Cet état, ou quatrième degré de dépouillement
et de pureté de l'âme, est un doux et amoureux respir,
qui ne finit point. C'est un commerce d'Esprit à esprit
et d'Esprit en esprit, qui produit dans l'âme ce que saint
Paul éprouvait lorsqu'il disait: Jésus-Christ est ma vie
et ma vie est Jésus- Christ. (Philipp. 1. 21.) Ce nest pas
moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. (G al. 1. 20.) »
CHAPITRE XV. 363
Claude Martin explique ainsi cette oraison d'amou-
reux respir dont parle sa mère : « Ce respir n'était
pas simple, il était réciproque, parce que c'était un
commerce d'Esprit à esprit et d'Esprit en esprit. Dieu
respirait en elle, en quelque façon, lui communiquant
son Esprit et sa vie; et elle respirait en Dieu, lui
rendant l'esprit et la vie qu'elle recevait de lui. Si l'air
que nous respirons était vivant et animé, en l'attirant
en nous nous vivrions de sa vie, et, en le respirant, nous
lui rendrions l'esprit de vie que nous aurions reçu
de lui; notre vie, par ce moyen, serait un commerce
continuel d'esprit à esprit et d'esprit en esprit. » Il
ajoute : « Mais il faut voir de quelle manière elle expli-
que ailleurs une disposition si spirituelle et si cachée. »
« Le respir doux et amoureux qui suit l'anéantisse-
ment des puissances se doit entendre ainsi : Comme
notre vie naturelle se maintient par la respiration,
sans laquelle il faudrait mourir, ainsi l'âme, étant déli-
vrée de l'opération de ses puissances, ne vit plus que de
la vie de son Époux. Elle reçoit de lui la vie dans
son intime union, et elle Jui respire cette même vie
qu'il lui influe. Voilà ce que j'appelle commerce d'Esprit
à esprit et d'Esprit dans l'esprit. Je m'entends bien,
mais je n'ai pas de paroles plus significatives pour
m'expliquer. »
La Mère de l'Incarnation avait eu, depuis son enfance,
l'habitude de penser à Dieu et de vivre en sa présence :
mais, à l'exemple de ceux-mêmes que l'on regarde
comme avancés dans la vie spirituelle, elle avait
besoin de chercher Dieu en quelque sorte, d'élever
vers lui son entendement et de faire acte de sa volonté.
Maintenant la pensée de Disu lui est devenue tellement
facile, qu'elle n'a plus besoin du moindre effort pour
364 MARIE DE l'incarnation.
la faire entrer dans son esprit et donner l'amour
comme aliment à sa volonté. De même que nous res-
pirons'sans effort, sans réflexion et par cela seul
que nous ne voulons pas nous asphyxier, de même
la pensée et l'amour de Dieu possédaient l'âme de
cette parfaite religieuse par cela seul qu'elle ne s'y
opposait pas.
Qui donc imaginerait un état plus élevé, une union
plus intime avec Dieu et plus ressemblante à celle
des esprits célestes? Eh bien, oui, il y avait encore
quelque chose de plus parfait. Celle qui a passé par
tous ces états va nous l'apprendre.
« L'amour divin ne s'en tient pas là; cet Esprit
censeur, qui a des lampes de feu et de flammes, veut encore
consumer quelque chose dans ce respir, où il trouve
un reste de matière que l'activité même de l'amour
lui fournit. Il le consume donc, et voilà le sacrifice
de la victime, la vraie pureté d'esprit substantielle i et
spirituelle.
» Mais pour arriver là, il faut passer par de grandes
épreuves intérieures et extérieures, qui épouvanteraient
une âme si on les lui faisait voir par avance, et qui,
même lorsqu'elle les expérimente, lui ôteraient la
volonté d'aller plus avant, si une vertu secrète et puis-
sante ne la soutenait. »
Claude Martin se demande ce qu'il pouvait y avoir
d'imparfait dans ce que sa mère appelle l'état d'a'mou-
reux respir, et il n'ose pas hasarder une réponse.
(1) La Mère de l'Incarnation a voulu dire, sans aucun doute, non pas qu'il y
ait une pureté d'esprit substantielle en elle-même,' mais que cette pureté affecte
l'âme dans sa substance.
CHAPITRE XV. 365
Il nous semble pourtant qu'on peut la donner en disant,
que comme la respiration est un travail continuel de
notre organisme, de même c'était par un certain travail
que la Mère de l'Incarnation entretenait son union,
bien que ce travail se fît sans aucun effort de sa volonté.
Dieu supprime ce travail et il fait seul tous les frais,
pour ainsi dire, de l'union qu'il entretient avec cette
âme. Il semble donc que notre vénérable Mère était
dans une extase continuelle d'union avec Dieu. Elle
restait libre néanmoins, car elle eût pu se distraire et
mettre obstacle à ces grâces inappréciables; mais elle
ne le voulait pas, et c'était par ce libre usage de sa
volonté qu'elle laissait s'accroître la flamme dans son
âme et méritait des grâces nouvelles. Tel est, il nous
semble, le sens de ces autres paroles de notre sainte
Mère :
« Je suis sans cesse dans ce divin commerce d'une
manière si délicate, si simple et si ravissante, qu'elle
ne me peut permettre aucune expression. Ce n'est pas
un acte, ce n'est pas un respir; c'est un air si doux
dans le centre de l'âme oii est la demeure de Dieu,
que comme j'ai déjà dit, je ne puis trouver de termes
pour m'expliquer. »
Elle ajoute dans le dernier chapitre de son compte-
rendu : « Il y a encore une autre disposition dans
laquelle je me trouve, et qui est comme une suite de
celle dont je viens de parler. J'éprouve une impression
dans l'âme (ce n'est pas que je conçoive cela comme
une impression; mais, je n'ai pas d'autre mot); c'est
une chose si haute, si ravissante et si divine, si simple,
si pure et si élevée au-dessus de ce qui peut tomber
sous les sens ou être manifesté par la parole, que je
ne la puis exprimer. Tout ce que je puis dire c'est que
366 MARIE DE L INCARNATION.
je suis en Dieu, posséde'e de Dieu, et que Dieu m'aurait
bientôt consumée par son efficacité amoureuse, si je
n'étais soutenue par une autre impression qui modère
la grandeur et l'excès de la première sans la détruire.
» Les effets que cet état produit en mon âme sont
un anéantissement profond, ainsi qu'une véritable et
solide conviction qu'elle est le néant et l'impuissance
même, ce qui la tient dans une grande humilité, quel-
que élevée qu'elle puisse être. Cet état opère encore une
grande patience dans les adversités, une inclination
entière à la paix et à la bonté envers tout le monde,
un doux empressement de bienveillance pour ceux de
qui elle a été ofî'ensée ; desquels elle cherche à s'appro-
cher avec adresse et sans faire semblant de rien, pour
les traiter en amis, soit par des paroles, soit par des
services, ou de toute autre manière propre à les con-
vaincre qu'elle n'a rien contre eux.
» Cet état lui donne encore une grande fidélité pour
prendre les souffrances dans l'amour et dans l'union
du suradorable Verbe incarné, avec des écoulements
amoureux en lui ; un grand amour pour l'état où elle
a été appelée; une disposition à tout faire et à tout
entreprendre pour la gloire de Dieu; un amour toujours
plus grand pour tout ce qui se fait et se pratique
dans l'Eglise de Dieu, en laquelle elle ne voit que
pureté et sainteté; et enfin une entière pente à se
laisser conduire et à soumettre son jugement à ceux •
qui tiennent la place de Dieu. (Ces deux dernières
dispositions sont surtout la marque non équivoque
d'une vraie vertu.)
« Or il est à remarquer que l'Esprit, qui m'a si
amoureusement conduite, a toujours tendu à une même
fin et porté mon âme à la pratique des vertus dont
CHAPITRE XV. 367
j'ai parlé, et de plusieurs autres. Si j'y avais fidèlement
répondu, j'aurais fait bien d'autres progrès dans la
voie de la sainteté ; mais mes infidélités me font trem-
bler. Je prie le Dieu des bontés, mon suradorable
Epoux, qu'il lui plaise de me faire miséricorde. Qu'il
soit béni, loué et glorifié des anges et des saints, que
je prie d'intercéder pour moi, afin d'apaiser sa divine
justice. Je finis ces cahiers le quatrième jour d'août
1654, après avoir fait les exercices spirituels. »
La Mère de l'Incarnation avait alors cinquante-cinq
ans; elle en vécut encore dix-huit, pendant lesquels,
ainsi que nous le verrons, elle ne cessa d'agir comme
une victime véritablement consacrée à Dieu, confor-
mément à l'état où l'avaient mise ces grâces admirables
qui lui avaient été communiquées.
Claude Martin, qui avait étudié cette admirable
religieuse moins avec l'amour d'un fils pour sa mère
qu'avec l'estime et la vénération d'un saint pour une
sainte, explique, d'après les communications qu'elle lui
avait faites, la manière dont elle fut mise en état
de victime et dont elle acquit les vertus des huit
béatitudes.
« Cet état de victime où elle entre, dit-il, et qui
durera jusqu'à sa mort, est fondé sur deux excellents
principes qui sont la base de tout bien surnaturel,
savoir : la pratique héroïque des maximes de l'Evangile
et l'union intime et familière avec Dieu. Ces deux
principes contiennent la plus haute perfection où une
âme puisse être élevée en cette vie, ainsi qu'il a plu à
Notre-Seigneur de le révéler à sa servante, qui en
368 MARIE DE l'incarnation.
parle dans les termes suivants : « Oh! qu'il est bon de
ne souhaiter que cette sainte consommation et anéan-
tissement qui fait que l'on n'a de la pente que pour
la gloire de celui qui seul est digne d'être! Il y a deux
choses où mon âme semble trouver sa pleine satis-
faction en attendant le bonheur de se voir détachée
de cette vie mortelle : P se repaître de la pratique
des maximes de l'Évangile; 2° vivre dans une douce
familiarité avec la divine bonté, qui permet à mon
âme de prendre ses délices en elle, bien qu'il soit
évident que je ne suis que poussière en présence de
sa Majesté. Sans ces deux aides je ne puis comprendre
comme on peut vivre en ce monde. La vie la plus
sublime consiste donc en ces deux points : la pratique
extérieure des vertus de l'Evangile et la familiarité
intérieure avec Dieu. Je ne l'aurais jamais cru, si je
n'en avais été assurée par une voie que je ne puis
indiquer sur ce papier. » Or, ajoute Martin, la Mère
de l'Incarnation a été si solidement établie sur ces
deux fondements, qu'ils lui étaient devenus comme
naturels, en sorte qu'il lui était aussi facile de les
pratiquer que de respirer. ^
Nous allons reprendre maintenant la suite des faits
historiques proprement dits.
-«-oî^Ko»^—
CHAPITRE XVI. 369
CHAPITRE XVI.
Arrivée d'un évoque à Québec, 1659. — Eloge qu'en fait la Mère de llncar-
nation. — Vertus du clergé de Québec. — Piété des sauvages convertis.
— Perfidie des Iroquois. — Terreur qu'ils inspirent de nouveau, 1660.
— Les Ursulines quittent leur couvent. — Courage de la Mère de l'In-
carnation. — Etat de défense. — Héroïsme de Daulac , qui sauve la
colonie.
Notre vénérée Mère eut un grand sujet de joie
lorsque, le 16 juin 1659, on vit arriver à Québec mon-
seigneur de Laval , premier évêque de cette ville.
L'événement était d'autant plus heureux que le prélat
était plus recommandable. Voici comment elle en parle
dans une lettre de l'année 1659 : « C'est un bonheur
d'avoir un homme dont les qualités personnelles sont
si rares. Sans parler de sa naissance, qui est fort
illustre, car il est de la maison ûe Montmorency, c'est
un homme d'un mérite et d'une vertu singulière. Il
vit saintement et en apôtre. » Elle écrit quelque temps
après : « C'est un autre saint Thomas de Villeneuve
pour la charité et l'humilité, car il se donnerait lui-
même pour cela. Il ne se réserve que le pire. Il
est infatigable au travail ; c'est bien l'homme du monde
le plus austère et le plus détaché des biens de cette
vie. Il donne tout et vit en pauvre. »
Nous verrons plus loin que monseigneur do Laval sut
apprécier, de son côté, la Mère de l'Incarnation et que,
sans connaître ces éloges, il les lui rendit abondamment.
On pourrait être tenté de croire la vénérable Mère
M. DE LINC.
24
370 MARIE DE l'incarnation.
disposée, à cause de sa grande piété, à tout voir en,
beau dans un évêque et même à exagérer ses vertus
par zèle pour le bien. Non, tel n'est pas le vrai carac-
tère de la sainteté. L'Apôtre des nations résista en
face à saint Pierre, parce que, dit-il, il était repréhen^
sible; sainte Brigitte et d'autres saintes ont parlé avec
force aux papes de leur temps. La Mère de l'Incar-
nation crut aussi qu'elle pouvait, qu'elle devait même
différer de sentiment avec monseigneur de Laval au
sujet de quelques tentatives qu'il voulut faire pour
modifier les constitutions et les usages du monas-
tère. Voici ce qu'elle dit dans une lettre du 13 sep-
tembre 1661 à la supérieure des Ursulines de Tours :
« Monseigneur notre prélat a quelque envie de chan-
ger ou du moins d'altérer nos constitutions. Il en
a fait faire un abrégé selon son idée. Laissant la
substance , il retranche ce qui explique et facilite
la pratique. Il a ajouté ensuite ce qu'il- lui a plu,
en sorte que cet abrégé, qui serait plus propre pour
des Carmélites ou des religieuses du Calvaire, que
pour des Ursulines, ruine en réalité notre constitution.
Il nous a donné huit mois ou un an pour y penser;
mais l'affaire est déjà toute pensée et la résolution
toute prise : nous ne l'accepterons pas , si ce n'est
à la dernière extrémité de l'obéissance. Nous ne dirons
mot néanmoins, pour ne pas aigrir les choses : car
nous avons affaire à un prélat qui, étant d'une très-
haute piété, s'il est une fois persuadé qu'il y va de
la gloire de Dieu, n'en reviendra jamais; et il nous
en faudra passer par là, ce qui causerait un grand
préjudice à nos observances. Il s'en est peu fallu que
notre chant n'ait été retranché. Pour la grand'messe,
il veut qu'elle soit chantée à voix droite, n'ayant nul
CHAPITRE XVI. 371
égard à ce qui se fait soit à Paris, soit à Tours, mais
seulement à ce que son esprit lui suggère être pour le
. mieux.... J'attribue tout cela au zèle de ce très-digne
prélat; mais comme vous savez, mon intime Mère, en
matière de règlements, l'expérience le doit emporter sur
les spéculations. Quand on est bien, il s'y faut tenir. »»
Il arrive souvent qu'un saint voit les choses et les
juge autrement qu'un autre saint. Dieu permet ces
conflits d'intentions droites pour nous apprendre à
nous défier de nous-mêmes et nous ôter l'envie de
prendre pour unique règle notre propre jugement,
évitant surtout d'imposer trop facilement cette règle
aux autres. La résistance, si modérée d'ailleurs, de
la Mère Marie de l'Incarnation ne préjudicie en rien
à sa sainteté; et, d'un autre côté, les tentatives de
monseigneur de Laval , quand il veut changer les
constitutions et les coutumes de la communauté des
Ursulines, ne jettent aucune ombre sur sa piété et ses
éminentes qualités. Il suffit, pour en être convaincu,
de savoir le bien qu'il fit à son clergé déjà si édifiant
avant son arrivée. On en jugera par les lignes suivantes
de V Histoire manuscrite du Séminaire de Québec.
« Rien ne représente mieux la primitive Eglise
que la vie de ce clergé. Ils n'étaient tous qu'un cœur
et qu'une âme sous la conduite de monseigneur de
Laval. Ils ne faisaient qu'une seule famille dont il
était le père. Biens de patrimoine, bénéfices simples,
pensions; présents et honoraires, ils mirent tout en
commun. Monseigneur de Laval ne faisait rien de
.considératle que de. concert avec tout son ctergé:
ses biens étaient aussi en commun. Il n'y avait ni
riches ni pauvres, ils étaient tous frères.
» Le trait suivant suffirait seul pour constater la
372 MARIE DE l'incarnation.
grande piété de l'évêque de Québec. Une pieuse sœur de
l'hôpital, âgée de vingt ans seulement, mais déjà en
grande réputation de vertu, étant malade à l'extrémité,
monseigneur de Laval voulut la veiller lui-même la der-
nière nuit de sa vie, afin d'être témoin des paroles pleines
d'onction qu'elle adressait à tous ceux qui l'approchaient. »
Une conduite aussi admirable du clergé canadien
est une preuve éclatante de la beauté de cette nou-
velle église' et de son vigoureux esprit chrétien. Mais
on est plus étonné quand on voit à quel degré de piété
et à quelle délicatesse de sentiments les sauvages
convertis avaient pu être élevés en si peu de temps.
Les preuves que nous en donnons ne peuvent que causer
un grand plaisir et une grande édification.
Un capitaine huron disait que depuis qu'il était
baptisé, il lui semblait avoir acquis une grande parenté;
que quand il entrait dans l'église il croyait que tous
ceux qu'il y voyait étaient sa famille, et que si les
Iroquois étaient baptisés, il les regarderait comme ses
proches, parce qu'ils ne seraient plus méchants.
Une sauvage demandait un jour si la prière qu'elle
faisait était bonne, car, disait-elle, je ne l'ai apprise
de personne. Quand je couche ma petite fille dans son
berceau, je fais le signe de la croix sur elle, et j'adresse
ces paroles à celui qui a tout fait : <* Ma petite fille
dit par ma bouche et par mon cœur, puisqu'elle ne
saurait encore parler : — C'est toi qui m'as donné la vie,
conserve-la-moi ; éloigne de moi le méchant manitou :
quand je serai grande, je croirai en toi, je t'aimerai,
je t'obéirai. — Voilà ce que dit ma fille par la bouche
CHAPITRE XVI. 373
de sa mère, fais- moi la grâce de lui apprendre un jour
à te lo dire par la sienne. »
Une autre bonne Huronne avait coutume, quand
elle allaitait son enfant , d'adresser cette prièi-e au
Saint Enfant Jésus : « Ah ! Seigneur, que je me fusse
estimée heureuse si, pendant votre enfance, la Sainte
Vierge m'eût permis de vous allaiter de quelques gouttes
de mon lait! mais puisque je n'ai pas eu le bonheur
de me trouver au monde pour lors et de vous rendre
ce petit service, je vous le veux rendre au moins dans
la personne de mon fils : car vous avez dit que ce
qu'on ferait au moindre des vôtres, vous le regarderiez
comme fait à vous-même. »
Elle s'entretenait avec Notre-Seigneur d'une manière
si tendre et si familière, qu'elle en avait du scrupule,
parce qu'elle s'esticsait trop méprisable pour se laisser
aller à cet abandon. Il fallut la rassurer pour qu'elle
osât continuer cette naïve et pieus3 méthode.
Le supérieur des Jésuites demanda un jour à une
troupe de Huronnes chrétiennes, à propos de quelques
dames de France qui leur avaient envoyé des présents,
si elles pouvaient aimer les personnes qu'elles n'avaient
jamais vues. Une d'entre elles répondit : « Pourquoi
non, mon Père? nous aimons bien Dieu que nous ne
voyons pas; ces personnes nous aiment aussi sans
nous avoir vues. Nous voyons les aumônes qu'elles
nous envoient, et cela nous fait souvenir continuelle-
ment des obligations que nous leur avons. »
Elles s'entretenaient toujours de bons discours et
parlaient de l'état religieux avec une grande estime.
* Les filles vierges, disaient-elles, sont si parfaitement
à Dieu qu'elles n'ont point d'autre volonté que la sienne.
La santé ou la maladie, la vie ou la mort, tout leur
374 MARIE DE l'incarnation.
est indifférent; elles souffrent patiemment et se ren-
dent en toutes choses très-agréables à Dieu; elles
savent^e chemin du ciel. Il n'en est pas de même
de nous; nous n'avons pas encore de bons yeux; nous
ne savons pas, comme elles, ce qu'il faut dire à Dieu
et de quelle manière il faut lui parler. «
Tels étaient les prodiges de grâce opérés parmi
ces sauvages qui, peu auparavant, étaient presque
aussi abrutis que les animaux de leurs forêts. Voilà
comment les missionnaires et les religieuses étaient
parvenus à les transformer.
La paix conclue avec les Iroquois ne fut pas de
longue durée, ou plutôt ce n'était f)as une paix, mais
une atroce perfidie de la part des sauvages et un piège
dans lequel les Français s'étaient laissé prendre. Ce
n'était pas toutefois sans que d'autres habitants du
pays les eussent engagés à se tenir en garde au sujet
des propositions de paix. « Les pauvres sauvages,
en général, dit la vénérable Mère, n'osent se fier
aux Iroquois, après tant de preuves qu'ils ont de leur
mauvaise foi. Ils disent sans cesse à nos Français
o
que les Iroquois sont des fourbes et que toutes leurs
avances ne sont que des déguisements qui ont pour
but de nous perdre. »
Cependant toutes les apparences étaient de nature
à faire mépriser ces appréhensions. Les Iroquois avaient
demandé en signant la paix, à emmener des Jésuites
avec eux pour leur enseigner la foi. Ces Pères parti-
rent avec joie et en instruisirent un bon nombre le
long de la route. Ils furent reçus partout avec enthou-
CHAPITRE XVI. 375
siasme; on leur bâtit une chapelle decorce qui ne
désemplissait pas. Un Père baptisa lui seul quatre
cents personnes et les autres à peu près autant. Les
Iroquois allèrent- plus loin encore et demandèrent des
missionnaires en plus grand nombre ainsi qu'une
compagnie de colons français pour établir une habi-
tation fixe. Cinquante-cinq, y compris quatre Pères et
trois Frères Jésuites ainsi que quelques soldats de
la garnison, s'offrirent pour cette œuvre de dévoûment
et partirent sous la conduite d'un jeune gentilhomme
qui avait un commandement dans le fort de Québec.
« Lorsque cet officier me fit l'honneur de me dire
adieu , dit notre vénérable Mère , il m'assura avec
une ferveur qui ne sentait point son homme de
guerre, qu'il exposerait volontiers sa vie et qu'il
s'estimerait heureux de mourir pour un si glorieux
dessein. »
Cela fait voir que les esprits sérieux ne regardaient
pas l'affaire comme très-claire. En effet, peu de temps
après, les Iroquois firent entre eux une conjuration
pour massacrer tous les Pères et tous les Français
qui les avaient accompagnés. Heureusement ceux-ci
furent avertis par un Iroquois sincèrement chrétien,
et ils purent s'échapper. Mais alors la guerre recom-
mença avec une fureur et une rage que l'on n'avait
pas encore vue. Les habitants de Québec étaient pour
la plupart dispersés à la campagne au printemps de
1660, quand soudain se répand la nouvelle que douze
cents Iroquois s'avancent avec l'intention de détruire
la colonie, « et que, dans ce but, ils vont commencer
par la capitale où réside Ononthio,^ afin qu'ayant
(l) C'est le nom que les sauvages donnaient au gouverneur du Canada.
376 MARIE DE l'incarnation.
coupé la tête, il leur soit facile d'avoir raison des
membres. »
Partout, à cette nouvelle, se répand la consternation.
Des prières publiques se font dans toutes les églises
et on y expose le Saint-Sacrement. L'évêque, craignant
pour les religieuses, les obligea de quitter leur demeure,
et il les fit conduire chez les Pères Jésuites, où on leur
donna un corps de logis séparé et un autre aux hospi-
talières. « Quand les habitants nous virent quitter
une maison aussi forte que la nôtre, dit la vénérable
Mère, ils furent si épouvantés qu'ils crurent que tout
était perdu. Cependant le monastère fut mis en état
de défense; on y construisit des redoutes; toutes les
fenêtres furent garnies de poutreaux et murées à moitié
avec des meurtrières. » Cette maison de paix était
ainsi transformée en un fort gardé par vingt- quatre
hommes armés jusqu'aux dents et résolus de faire
leur devoir de soldats comme les pieuses filles dont
ils occupaient la demeure faisaient celui de religieuses.
> J'eus permission de ne point quitter le monastère,
ajoute notre vénérable Mère, pour ne pas le laisser à
l'abandon parmi tant d'ho«imes de guerre, à qui je
devais d'ailleurs préparer à manger et fournir des
munitions. Trois autres religieuses demeurèrent avec
moi. Je n'avais aucune crainte ni intérieure ni appa-
rente; mais j'avoue que je fus sensiblement touchée
lorsque je vis qu'on nous ôtait le Saint-Sacrement.
Une de nos sœurs, nommée de Sainte-Ursule, pleurait
amèrement et demeurait inconsolable. Toutes les ave-
nues des cours étaient barricadées; de plus, nous
avions une douzaine de grands chiens qui gardaient
les portes extérieures, et dont la garde valait mieux
que celle des hommes pour écarter les sauvages. »
CHAPITRE XVI 377
En effet, ces chiens, très-répandus dans la colonie
et dressés à la chasse des Peaux-Rouges, les flairaient
avec un instinct merveilleux. Au plus léger bruit, le
poil hérissé, les yeux flamboyants, ils se précipitaient
sur leur proie humaine. Malheur alors à l'Iroquois
caché dans les taillis ou se glissant dans l'ombre, le
chien bondissait sur lui et le mettait en pièces.
Une nuit se passe ainsi dans une anxiété et des
transes mortelles; le lendemain matin, les Ursulines
reviennent au monastère avec leurs élèves; le soir,
elles retournent chez les Pères Jésuites, scène qui se
renouvela pendant huit jours.
Le 8 juin, après Cinq semaines entières de fatigues
et d'angoisses sans cesse renouvelées, on commençait
à se rassurer un peu lorsque tout à coup la nouvelle
se répand que les Iroquois sont sur le point d'arriver
à Québec. « En un instant, dit la Mère de l'Incarnation,
chacun fut à son poste et en mesure de se défendre.
Toutes nos portes furent de nouveau barricadées et je
donnai à chaque soldat ce qui lui était nécessaire. On
redoubla de prières; la confiance en la Sainte Vierge
était sans bornes. Un de nos domestiques, que je
faisais travailler à nos fortifications, me dit avec une
ferveur tout animée de confiance : « Ne vous imaginez
pas, ma Mère, que Dieu permette que l'ennemi nous
surprenne; il enverra quelque Huron, par les prières
de la Sainte Vierge, qui nous donnera les avis néces-
saires. « Ce discours me toucha fort, et il se vérifia
dès le jour même ou le lendemain. Deux Hurons
prisonniers, qui s'éfaient échappés comme miraculeuse-
378 MARIE DE l'incarnation.
ment par l'assistance de la Sainte Vierge, apportèrent
la nouvelle du généreux dévoûment de Daulac et de
ses compagnons, ainsi que de la retraite de l'ennemi.* »
CHAPITRE XVII.
Trafic des boissons enivrantes. — Prédictions sinistres. — Horrible tremblement
de terre, 1663. — Tranquillité de la vénénable Mère. — Conversions et renou-
vellement du Canada. — Prospérité. — M. de Tracy gouverneur, 1665. —
Expéditions contre les Iroquois. — Leur soumission. — Ils se révoltent de
nouveau vingt ans après ; mais alors leur puissance est anéantie sans retour.
Délivré, au moins pour un temps, d'une guerre qui
avait plus d'une fois mis la colonie à deux doigts de
sa perte, il semble que le Canada pouvait respirer,
travailler à accroître ses forces et assurer ainsi son
avenir. Ne pouvait-il pas compter sur la protection
divine avec un clergé si pieux, si dévoué aux intérêts
du Ciel et à ceux du pays, avec une population si
(1) Daulac était un jeune militaire qui, avec seize colons non moins généreux
que lui, avait résolu de sacrifier sa vie pour sauver le pays. Tous ayant fait
leur testament, s'étant confessés et ayant communié dans l'église de Montréal,
appelée alors Villemarie, jurèrent aux pieds des saints autels de rester fidèlement
unis jusqu'à la mort et de ne jamais demander quartier. Certains de ne plus revoir
leurs foyers, ils embrassèrent tous ceux qui leur étaient chers, et s'éloignèrenr
accompagnés des larmes et des bénédictions de ceux pour qui ils allaient mourir.
Ils allèrent s'enfermer dans un fort qui n'en avait guère que le nom et y atten-
dirent les Iroquois. Quelques jours après, ils se virent rejoints par quarante
guerriers hurons, commandés par un vieux héros chrétien de la môme nation,
nommé Anahotaha. Un fameux chef algonquin, avec six de ses guerriers, s'était
joint à eux.
Ils furent attaqués d'abord par deux cents Iroquois, dont ils tuèrent ou blés-
CHAPITRE, XVII. 379
pleine de foi et si fidèle à ses devoirs? Tel eût été,
selon toute apparence, le cours des événements, si un
funeste désordre n'eût fait tout à coup d'effroyables
progrès dans cette chrétienté si admirable.
Il est vrai que Dieu tolère quelquefois de plus grands
scandales sans les châtier comme il fit en cette circon-
stance, mais il n'use de cette apparente indulgence qu'à
l'égard des peuples qui ont longtemps irrité sa colère
et mérité une sorte d'indifférence de sa part. Il agit
de la sorte surtout à l'égard des nations infidèles ou
hérétiques ; mais comme il aimait le Canada, il voulut
arrêter un mal qui l'eût foccé de retirer sa protection
à cette chrétienté naissante et si digne encore de ses
faveurs, et il le fit d'une manière qui ne permettait
pas de méconnaître l'action de sa toute-puissance.
sèrent la plus grande partie sans perdre un seul homme. Mais bientôt une armée
entière les investit de tous les côtés. A ce moment, vingt-quatre des sauvages
chrétiens passèrent par-dessus les palissades et se rendirent à l'ennemi pour
sauver leur vie. Il ne restait plus que quatorze Hurons, quatre Algonquins et
les dix-sept Français. Tous sentirent croitre leur courage et s'affermirent dans
la résolution de mourir. Sans cesse attaqués durant sept jours et sept nuits, ils
soutinrent un feu continuel, encore plus tourmentés néanmoins par le froid, la
faim, la soif et l'insomnie, que par les Iroquois. Ceux-ci, honteux d'avoir été tant
de fois repoussés par un si petit nombre de guerriers, s'élancèrent tous ensemble
à travers les balles. Les cadavres amoncelés tout autour du camp leur servirent
pour escalader les palissades ; mais les assiégés continuèrent la défense tant qu'il
leur fut possible de se battre. Quatre Français seulement et quatre Hurons tom-
bèrent vivants entre les mains de l'ennemi.
Les Iroquois furent terrifiés en comparant le nombre de leurs morts et celui
de leurs victimes. Après avoir assouvi leur vengeance sur les prisonniers français,
ils retournèrent vers leurs villages, n'osant aller attaquer un pays peuplé de tels
héros. La colonie était sauvée. Quand on eut appris ces détails par des Hurons
qui étaient parvenus à s'échapper , un sentiment douloureux pénétra tous les
cœurs ; mais on voua une éternelle reconnaissance aux héros chrétiens ensevelis
dans leur triomphe.
380 MARIE DE l'incarnation.
Dès l'origine de la fondation du Canada, quelques
hommes que l'envie de faire fortune avait portés à se
joindre aux véritables colons, et qui ne prévoyaient
peut-être pas d'abord les terribles conséquences dont
leur cupidité devait être suivie, vendaient aux sauvages
convertis des boissons enivrantes, qui mettaient ces
infortunés hors d'eux-mêmes au point de les leur faire
rechercher avec un irrésistible entraînement; mais les
premiers gouverneurs avaient pris des mesures éner-
giques pour réprimer ce commerce.
Malheureusement un faux amour de liberté vint un
jour remplacer cette sage et seule vraie politique. Le
baron d'Avaugour, établi gouverneur du pays dans le
cours de l'année 1661, après avoir suivi quelque temps
la conduite de ses prédécesseurs, changea tout à coup
de dispositions, et, malgré les protestations du clergé
et des citoyens les plus recommandables, il laissa un
libre cours à l'infâme trafic. Voicr comment la Mère
Marie de l'Incarnation en fait connaître les suites
désastreuses. Elle écrit à son fils, le 10 août 1662 :
« Je vous ai parlé dans une autre lettre d'une croix
que je vous disais m'être plus pesante que toutes les
hostilités des Iroquois. 11 y a, en ce pays, des Français
si misérables et si peu touchés de la crainte de Dieu,
qu'ils perdent tou§ nos nouveaux chrétiens, Içur don-
nant des boissons enivrantes pour tirer d'eux des peaux
de castors. Ces boissons perdent tous ces pauvres gens,
les hommes, les femmes, les garçons, les filles mêmes :
car chacun est maître dans la cabane quand il s'agit
jde manger et de boire. Ils sont pris tout aussitôt et
deviennent comme furieux; ils courent nus avec des
épées et d'autres armes, et font fuir tout le monde. y>
Le Père Lallement dit de son côté dans sa Relation :
CHAPITRE XVII. 381
« Les sauvages réduisaient leur famille à la mendicité;
ils allaient même jusqu'à vendre leurs propres enfants
pour avoir de quoi contenter cette passion enragée.
Je ne veux pas décrire les malheurs que ces désordres
ont causés à cette Eglise naissante. Mon encre n'est
pas assez noire pour les dépeindre ; il faudrait du fiel
de dragon pour exprimer ici les "amertumes que nous
en avons ressenties. Qu'il suffise de dire que nous^
perdons en "un mois les sueurs et les travaux de dix
et vingt années. »
Les plus intelligents et les plus chrétiens parmi les
sauvages ne se faisaient pas illusion sur la grandeur
du mal. Un capitaine algonquin, homme plein de foi
et le premier baptisé du Canada, dit un jour aux
Ursulines : « Ononthio (le gouverneur) nous tue, en per-
mettant qu'on nous donne des boissons. — Dis-lui qu'il
le défende. — Je le lui ai dit 'deux fois, et il n'en fait rien. *
En vain l'autorité épiscopale sévit contre les préva-
ricateurs et fulmina une sentence d'excommunication :
le mal avait fait trop de progrès et il exerçait trop
d'empire sur ceux qui s'en étaient faits les propagateurs
ou les victimes. Dieu seul pouvait apporter un remède
efficace et il s'en chargea, touché par la piété et la
générosité des âmes qui versaient des larmes amères à
la vue de si horribles scandales et en pensant à la perte
d'un si grand nombre de chrétiens encore trop faibles
et trop peu éclairés pour résister à une pareille tentation.
« Je désirais, écrivait à son fils, la Mère de l'Incar-
nation, d'être chargée dé tous ces péchés, comme s'ils
m'eussent été propres, afin d'en recevoir seule le châti-
ment. J'eusse voulu même que toutes ces abominations
eussent paru, aux yeux des hommes, comme étant mes
propres crimes. » Enfin le châtiment arriva, portant
382 MARIE DE l'incarnation.
le cachet de cette grandeur et de cette majesté divine
à laquelle rien ne peut être comparé, de cette puissance
infinie qui ébranle les montagnes et fait trembler la
terre quand il lui plaît, et enfin d'une miséricorde qui
ne demande pas la mort du pécheur, mais qu'il se
convertisse et qu'il vive.
« Le 3 février 1663, une sauvage chrétienne et fort
pieuse, étant la nuit dans sa cabane, entendit une voix
lui affirmer distinctement qu'il allait arriver des choses
extraordinaires. Le lendemain, en plein jour, lorsqu'elle
était dans les bois, la même voix lui dit : « Demain,
entre cinq et six heures du soir, la terre tremblera
d'une manière eff'rayante. » Elle raconta ce qu'elle
avait entendu, mais personne ne voulut la croire; on
supposa que c'était ou une visionnaire ou une fourbe
qui voulait se faire passer pour prophétesse. Il faisait
d'ailleurs un très-beau temps; le lendemain parut
encore plus doux, et comme c'était le lundi gras, on
ne pensa qu'à se divertir.
j» Ce même jour, une sœur hospitalière, la Mère
Catherine de Saint-Augustin, qui était en grande répu-
tation de sainteté, priait devant le Saint-Sacrement,
entre quatre et cinq heures du soir. A un moment où
l'Esprit-Saint agissait fortement en elle, .il lui sembla
voir que Dieu était grandement irrité contre le Canada.
Se trouvant alors saisie d'un zèle ardent pour les inté-
rêts de sa justice, elle ne put s'empêcher de demander
le châtiment des iniquités ; mais elle s'offrit aussitôt
pour être elle-même la victime de la vengeance céleste.
Alors elle eut cette étrange vision : quatre démons
furieux, aux quatre côtés des terres voisines de Québec,
les secouaient si rudement, qu'ils se proposaient de
renverser toute la colonie. En même temps, un jeune
CHAPITRE XVII. 383
homme à l'air majestueux, montra lautorité qu'il avait
sur ces spectres, en arrêtant leur fureur; puis il leur
lâcha la bride, et elle entendit les démons dire que ce
qui allait arriver convertirait tous les pécheurs. Ils
ajoutèrent, apparemment pour se consoler, que ce ne
serait que pour un temps. ' »
La religieuse continua de prier; vers cinq heures
et demie, on entendit dans toute l'étendue du Canada
un bruit semblable à celui de plusieurs voitures lancées
à toute vitesse sur des pavés, et aux flots de la mer
dans les violentes tempêtes. On aurait dit que des cris
éclataient dans les airs. On entendait comme une grêle
de pierres sur les toits, dans les greniers et dans les
appartements, en même temps que des tourbillons de
poussière obscurcissaient le ciel. Des portes s'ouvraient
d'elles-mêmes, d'autres qui étaient ouvertes se fer-
maient. Les cloches des églises sonnaient toutes seules ;
les clochers et les autres édifices étaient agités et
balancés comme des arbres pendant la tempête. Il faut
ajouter à cela une horrible confusion de meubles qui
se renversaient, de pierres qui tombaient, de planchers-
qui se séparaient, de murs qui se fendaient. Les habi-
tants, affolés de terreur, sortaient dé leurs maisons
par la crainte d'y être écrasés, puis ils y rentraient,
ramenés par ■ une terreur plus grande; ils allaient et
venaient comme des insensés. Les animaux n'étaient
pas moins effrayés que les hommes: les bêtes sauvages
sortirent des forêts et vinrent faire entendre jusque
dans les villes des hurlements qui se mêlaient aux cris
des animaux domestiques.
On ne se rendit pas compte, au premier moment, de
(1) Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, par une religieuse rie la maison.
384 MARIE DE L INCARNATION.
cet épouvantable bouleversement; les uns crurent à un
incendie qui consumait la ville entière; les* autres
s'imaginèrent une attaque subite des Iroquois, tant les
esprits étaient troublés. Bientôt cependant les secousses
de tremblement de terre devenant plus fortes, on com-
prit la nature du fléau. Alors on se crut arrivé au
jugement dernier. On vit des hommes, d'ailleurs intré-
pides, s'évanouir de frayeur; d'autres se prosternaient
la face contre terre en se frappant la poitrine, ou
élevaient les mains vers le ciel en implorant la misé-
ricorde de Dieu. La consternation fut universelle; mais
ceux-là surtout furent comme foudroyés, qui se livraient
au moment même aux divertissements du carnaval.
Pendant toute la nuit, les églises furent remplies de
fidèles qui entouraient les tribunaux sacrés.
La première agitation dura une demi-heure, et elle
fut suivie d'un peu de calme; puis, à huit heures du
soir, il y eut une nouvelle secousse. Les Ursulines
étaient alors au chœur, rangées dans leurs stalles et
psalmodiant l'office des matines. Le choc fut si violent
que toutes se trouvèrent instantanément à genoux.
Une personne dit le lendemain à la Mère de l'Incarna-
tion qu'elle avait compté trente-deux oscillations pen-
dant la nuit. Elles étaient telles, quelquefois, que l'on
éprouvait un balancement analogue à celui d'un vais-
seau bercé par les vagues et elles produisaient le même
effet, c'est-à-dire le mal de mer.
Ces phénomènes éclatèrent dans une étendue de cent
lieues et une profondeur de deux cents : en sorte qu'une
superficie de vingt mille lieues trembla b même jour
CHAPITRE XVII. 385
et à la même heure, d'après les rapports que firent
plus tard les voyageurs. Dans tout le Canada, l'horrible
fléau dura sept mois. Commencé le 5 février, il ne
cessa qu'au mois de septembre, en sorte que les plus
hardis furent dans des transes continuelles. « Quand
nous nous trouvions à la fin de la journée, dit la véné-
rable Mère, nous nous préparions comme pour être
englouties en quelque abîme pendant la nuit. Le jour
étant venu, nous attendions continuellement la mort. »
En eff'et, outre lés catastrophes dont on était témoin
en chaque endroit, on apprenait sans cesse que des
bouleversements dont on n'avait jamais eu l'idée avaient
lieu soit d'un côté, soit d'un autre. Des abîmes profonds
s'étaient ouverts, des torrents s'étaient creusé un nou-
veau passage, de nouvelles fontaines avaient surgi,
des collines s'étaient élevées oii l'on n'en avait jamais
vu, des montagnes avaient disparu. On voyait des
rochers renversés, des terres profondément remuées,
des forêts détruites, les arbres étant en partie renversés,
en partie enfoncés en terre jusqu'à la cime. Des plaines
considérables, qui étaient auparavant couvertes d'arbres
et de broussailles, se trouvèrent balayées et sans trace,
pour ainsi dire, de végétation. Une île nouvelle surgit
dans le fleuve Saint-Laurent. « Mais ce qui nous a
surtout étonnés, ajoute la Mère de l'Incarnation, c'est
que ce grand fleuve qui, à cause de son immense
profondeur, ne change jamais de couleur, ni par la
fonte des neiges, ni par le grossissement de plus de
cinq cents rivières et six cents ruisseaux, assez consi-
dérables pour la plupart, qui s'y jettent, prit une couleur
de soufre et la conserva pendant huit jours. »
Quelques sauvages, que la peur avait chassés des bois
où ils demeuraient, voulurent retourner dans leurs
M. D. l'inc. 25
386 ■ MARIE DE l'incarnation.
cabanes, mais ils trouvèrent un lac à la place. Le
même phénomène eut lieu en d'autres endroits.
A Tadoussac, localité située à trente lieues de Québec,
il plut de la cendre pendant six heures en telle quan-
tité, qu'il y en avait un pouce d'épais sur la terre et
dans les barques. Nous omettons une foule d'autres
détails plus étranges les uns que les autres, et qu'il
serait trop long de rapporter, mais qui renouvelaient
sans cesse la terreur dans tous les esprits.
Des météores nombreux, que l'on avait vus durant
l'automne précédent, parurent en plus grand nombre
encore pendant les tremblements de terre et ajoutaient
à la terreur produite par ce qui se passait à la surface
du globe. Outre que ces phénomènes affectent souvent
des formes étranges et propres par elies -mêmes à
effrayer, l'imagination ne manquait peut-être pas d'y
ajouter beaucoup. D'après une Relation des Jésuites,
on avait vu « des serpents embrasés, qui s'enlaçaient
les uns dans les autres en forme de caducée, et volaient
par le milieu des airs, portés sur des ailes de feu. On
avait aperçu au-dessus de Québec un globe de flamme,
dont les étincelles qu'il dardait de toutes parts mêlaient
de frayeur le plaisir qu'on prenait à le voir. Ce même
météore parut sur Montréal ; mais il semblait sortir
du sein de la lune, avec un bruit égal à celui des
canons et des tonnerres ; et après s'être promené plu-
sieurs lieues en l'air, il avait été se perdre derrière
la montagne dont l'île porte le nom. »
Plusieurs affirmèrent avoir vu dans les airs un
spectre portant un flambeau à la main et passant par-
dessus la grande redoute de Trois-Rivières. D'autres
avaient vu comme un homme de feu qui jetait des
flammes par la bouche. On croyait entendre dans l'at-
CHAPITRE XVII. 387
mosphère, non-seulement les détonations que produisent
souvent les météores, mais des hurlements, des clameurs,
des gémissements et même des cris articulés. Tout cela
sufifît pour faire comprendre à quel degré d'épouvante
toute la population, tant des Français que des sauvages,
était arrivée.
Au milieu de cette agitation universelle, la Mère
Marie de l'Incarnation conservait la même tranquilité
que si nul accident, nul bruit n'eût éveillé l'attention.
« Pendant que les uns tremblent, dit Claude Martin,
que les autres pâlissent ou sèchent d'épouvante, et que
tous sont dans une consternation aussi accablante que
celle qui surprendra le monde à la fin des siècles, elle
demeure ferme et tranquille, aveo une présence d'esprit
capable de donner de l'admiration aux anges. »
On comprend qu'une pareille tranquillité fût impos-
sible à ceux qui n'avaient pas les mêmes raisons pour
attendre avec confiance la sentence du souverain Juge;
et surtout à ces coupables qui avaient agi sciemment
contre leurs devoirs de chrétiens, en résistant de propos
délibéré et par avarice aux défenses faites par l'autorité
ecclésiastique. La vue d'un châtiment qu'ils voyaient
bien être envoyé par Dieu les glaçait d'épouvante; et,
ce qui valait beaucoup mieux, les faisait rentrer en
eux-mêmes. « Quand Dieu parle , écrivait le Père
Lallemant, il se fait bien entendre, surtout quand il
parle par la voix des tonnerres et des tremblements
de terre. Cette voix n'a pas moins ébranlé les coeurs
endurcis que nos plus solides rochers; elle a fait de
plus grands bouleversements dans les consciences que
dans nos forêts et sur nos montagnes. »
388 MARIE DE l'incarnation.
Aussi, la population entière se renouvela dans l'esprit
de foi, la crainte de Dieu et la pratique des devoirs du
chrétien. « Ce tremblement de terre, dit l'annaliste de
l'Hôtel-Dieu, produisit plusieurs bons effets; il remua
les consciences des pécheurs les plus endurcis, et les
fit penser sérieusement à leur salut. Jamais il ne se fit
de confessions plus sincères et accompagnées d'autant
de marques d'une véritable contrition. Tout prêchait
la pénitence; chacun était pénétré de componction et ne
songeait qu'au jugement de Dieu, et on s'y préparait
comme devant y bientôt comparaître. Le temps du
Carême ne fut jamais si bien passé. Beaucoup commu-
niaient comme si ce devait être la dernière fois de leur
vie, parce que l'on se voyait à chaque moment sur le
point d'être abîmé dans les entrailles de la terre et que
l'épouvante générale faisait rentrer tout le monde en
soi-même ^ »
Un témoignage qui suflSrait à lui seul pour donner
une idée de l'étendue et de la sincérité des retours vers
Dieu, est celui d'un prêtre afiSrmant à la Mère de l'In-
carnation que, pour sa part, il avait entendu plus de
huit cents confessions générales.
Les religieuses elles-mêmes, quoique bien innocentes
de ce qui avait excité la colère céleste, voulurent
l'apaiser par un redoublement de pénitence. Les Ursu-
lines passèrent le Carême sans se déshabiller; elles
couchaient toutes vêtues sur des paillasses étendues
par terre dans la salle de communauté; et à chaque
secousse elles se mettaient à genoux et récitaient le
psaume Miserere. Elles ajoutaient au jeûne d'autres péni-
tences qui n étaient pas épargnées, dit l'annaliste.
(1) Histoire de V Hôtel-Dieu de Québec.
CHAPITRE XVII. 389
La vénérable Mère termine ainsi son récit :
« Nous voici au treizième d'août. Cette nuit dernière,
la terre a tremblé fort rudement ; notre dortoir et notre
séminaire en- ont eu une forte secousse, qui nous a
réveillées de notre sommeil et qui a renouvelé nos
craintes.
» Je ferme cette relation le vingtième du même mois,
sans savoir à quoi se termineront tous ces fracas, car
les tremblements continuent toujours. Mais ce qui est
admirable, c'est que parmi des débris si étranges et si
universels, nul n'a péri, ni même été blessé. Cette
marque visible de la protection de Dieu sur son peuple
nous donne un juste sujet de croire qu'il ne se fâche
contre nous que pour nous sauver. Nous espérons qu'il
tirera sa gloire de nos frayeurs, par la conversion de
tant d'âmes qui étaient endormies dans leurs péchés. "
Cette espérance de la vénérable Mère se réalisa
promptement et d'une façon bien remarquable. Toute
la population se trouva renouvelée par cette grande
épreuve où k main de la divine Providence était si
visible. Un tremblement de terre est sans doute le
résultat de causes naturelles; mais qui donc, si ce n'est
Dieu, avait préparé ces causes pour qu'elles produi-
sissent leur effet juste au moment où le Canada en
avait un immense besoin : c'est-à-dire lorsqu'un désor-
dre, qui était de nature à perdre la colonie en anéan-
tissant la foi des sauvages convertis et en les faisant
tomber dans un abrutissement pire que leur premier
état, se répandait d'une manière effrayante? Qui donc
avait ménagé l'apparition de ce fléau de sorte qu'il se
390 MARIE DE L INCARNATION.
trouva prêt pour venir au secours de l'autorité lipisco-
pale méconnue et faisant d'inutiles efiforts pour arrêter
le mal? Qui donc enfin en avait donné une connaissance
anticipée à des âmes simples et pieuses dont les prédic-
tions excitaient le mépris et la risée? Puis, cette subite
et formidable mise en scène a-t-elle lieu au jour et à
l'heure des plus coupables folies du carnaval par un
pur effet du hasard?
Telle ne fut pas l'opinion des Canadiens. Ils compri-
rent, au contraire, que c'était bien Dieu qui les châtiait :
doués de^trop de bon sens, et surtout de trop d'esprit
de foi, pour opposer une résistance insensée, ils se
soumirent avec une humble componction, en sorte que
la colonie entière fut régénérée. Dieu agréa leur repentir,
et, par une miséricorde non moins éclatante que ne
l'avaient été les avertissements de sa justice, il ne
permit pas que personne pérît ou reçût quelque mal,
lorsque l'on pouvait craindre que des villes entières n'en-
sevelissent leurs habitants sous leurs ruines amoncelées.
Une ère nouvelle de prospérité matérielle s'ouvrit
en même temps pour le pays. Louis ' XIV supprima
la compagnie dite des Cent- Associés, dont l'impuissance
et l'incurie, dit M. l'abbé Casgrain, avait paralysé si
longtemps la colonisation. Alors le Canada entre dans
le domaine royal ; Québec est honoré du nom de ville,
et le marquis de Tracy, nommé vice-roi de la Nouvelle-
France, y arrive le 30 juin 1665, suivi bientôt d'un
régiment de quatorze à quinze cents hommes. Voici
ce que dit de ce noble représentant du grand roi la
vénérable Mère :
CHAPITRE XVII. >* 391
« M. de Tracy a déjà fait de très- beaux règlements;
je crois qu'il est choisi de Dieu pour l'établissement
solide de ces contrées, pour la liberté de l'Eglise et
pour l'ordre de la justice. C'est un homme d'une haute
piété: toute sa maison, ses officiers, ses soldats imitent
ses exemples.... Quant au reste de l'armée, elle est en
bonne disposition de signaler sa foi et son courage,
et l'on tâche de leur inspirer de véritables sentiments
de piété et de dévotion. Il y a bien cinq cents soldats
qui ont pris le scapulaire de la Sainte Vierge. C'est
nous qui les faisons, ce à quoi nous travaillons avec
bien du plaisir. Ils disent tous les jours le chapelet
de la Sainte Famille.... M. de Tracy a gagné tout le
monde par ses bonnes œuvres et par les grands exem-
ples de vertu et de religion qu'il a donnés à tout le
pays. On l'a vu plus de six heures entières dans l'église
sans en sortir. »
Cela ne l'empêchait pas d'accomplir ses devoirs de
chef de la colonie et de général d'armée. Il se livra
avec tant de zèle et d'ardeur à la bonne administration
du pays et il imprima une direction si sage et si éner-
gique à ceux qui devaient le seconder, que les abus
furent promptement supprimés; le commerce reçut un
élan inconnu et, en moins de trois ans, la population
de la colonie s'accrut de plus du double.
Pour cela il avait fallu faire cesser les ravages des
Iroquois et donner au pays la tranquillité dont il avait
besoin. Aussi, dès que les nouvelles troupes eurent été
mises en état de marcher, M. de Tracy entreprit une
expédition contre les tribus ennemies et il ne négligea
rien pour la rendre décisive. Quoique âgé de soixante-
'deux ans, il voulut la commander en personne pour
en mieux assurer le succès. Cependant il s'agissait
392 MARIE DE L INCARNATION.
d'un voyage de cent cinquante lieues à travers les bois
et les rivières, dans lequel le chef, comme le soldat,
' devait souvent porter sur son dos vivres, armes,
bagages et munitions. Trois semaines après l'arrivée
des premiers vaisseaux, la Mère de l'Incarnation écri-
vait : " Les compagnies s.ont déjà parties avec cent
Français de ce pays et un grand nombre de sauvages
pour prendre le devant, s'emparer de la rivière des
Iroquois, y faire des forts et les garnir de munitions.
Nos ennemis ont eux-mêmes de bons forts et du canon ;
ils sont vaillants et donneront de la peine ; mais nos
soldats français sont si fervents qu'ils ne craignent
rien. Ils ont entrepris de porter des canons sur leur
dos dans des sauts et passages fort difficiles. Ils ont
porté même des chaloupes, ce qui est inouï. Il
semble à toute cette milice qu'elle va assiéger le
paradis et qu'elle espère le prendre et y entrer,
parce que c'est pour la foi et le bien de la religion
qu'elle va combattre. M. de Tracy n'est parti d'ici
avec le gros de l'armée, que le jour de l'Exaltation de
la Sainte-Croix.
» Au moment du départ, il fit défiler ses troupes
devant un chef Iroquois prisonnier et il lui dit: Voilà
que nous allons chez toi, qu'en dis-tu? Les larmes lui
tombaient des yeux, voyant de si belles troupes et en
si bel ordre. 11 repartit néanmoins : Ononthio, je vois
bien que nous sommes perdus, mais notre perte te
coûtera cher. Notre nation ne sera plus; mais je
t'avertis qu'il y demeurera beaucoup de ta belle jeunesse,
parce que la nôtre se défendra jusqu'à l'extrémité. »
L'expédition réussit néanmoins sans trop de pertes,
mais à travers des difficultés qui surpassèrent toutes
les prévisions. Les Iroquois constamtuent mis en fuite
CHAPITRE XVII. 393
virent leur quatre bourgs réduits en cendre avec toutes
leurs provisions. Complètement découragés par un tel
revers, ils firent leur soumission, ainsi que les autres
tribus ennemies.
« Toutes ces nations, dit la vénérable Mère, ont été
si épouvantées du résultat de cette guerre et du grand
courage des Français, regardés auparavant par eux
comme des poules, qu'ils s'imaginaient qu'une armée
française était toujours à leurs trousses. Dans cette
frayeur, ils ont acquiescé à toutes les conditions qu'on
leur a imposées. »
Cette circonstance fournit encore à notre sainte Mère
l'occasion d'exercer son zèle pour la gloire de Dieu et
-le salut des âmes. Les Iroquois, vaincus et pour ainsi
dire écrasés, consentirent non-seulement à emmener
avec eux des missionnaires pour évangéliser leur nation,
mais à laisser à Québec un certain nombre de familles
pour otages. D'autres y restèrent volontairement et
témoignèrent le désir de connaître la doctrine chrétienne.
« L'on instruit, dit la vénérable Mère, leurs familles
sédentaires et d'otage, dont plusieurs doivent être bap-
tisées le jour de la Conception de la Sainte Vierge, qui
est la fête de toutes ces contrées. Une femme iroquoise
nous a donné sa fille à condition qu'elle serait française
comme nous. Cette enfant, qui a beaucoup d'esprit,
a tellement pris goût aux mystères de la foi et à l'hu-
meur française, qu'elle ne veut plus retourner chez ses
parents. Elle tient du caractère des femmes de sa nation,
qui sont les créatures du monde les plus douces et les
plus dociles.
» Le zèle et la charité de M. de Tracy se sont signalés
dans cette transmigration : car outre celles de la nation
iroquoise, il nous a encore donné d'autres femmes et
394 MARIE DE l'incarnation.
filles sauvages qui y étaient captives, et qui, dans
leur captivité, avaient oublié notre langue et nos saints
mystères. Il les a habillées et nous a généreusement
payé leur pension. De notre part, nous n'avons pas
perdu notre travail ni nos soins, car nous avons, avec
l'aide de la grâce, réveillé leurs premiers sentiments
et ressuscité la foi, qui était pour ainsi dire éteinte
en leur âme. »
Attentive à tout et portant ses vues, dans l'intérêt
de la religion et de la patrie, aussi loin que l'eût pu
faire un homme d'Etat consommé dans l'art des négo-
ciations, chaque fois que les Sauvages avaient envoyé
des ambassades, elle avait comme deviné les grands
caractères parmi ces farouches guerriers, et elle n'avait
rien oublié pour en tirer le meilleur parti possible.
Elle avait ainsi gagné depuis longtemps le fameux
chef iroquois Garakontié, appelé le « Bayard des Sau-
vages, » qui devint ensuite le héros de la foi et le plus
fidèle auxiliaire des, Français. A chaque voyage qu'il
avait fait à Québec, elle avait eu soin de lui donner
à dîner, ainsi qu'à ses compagnons d'ambassade; et
une fois elle lui fit présent d'une belle ceinture, espèce
d'écharpe qu'elle avait fait broder par les jeunes reli-
gieuses. C'était donner au fameux capitaine un témoi-
gnage convaincant de l'estime que l'on avait pour sa rare
probité, et l'obliger en même temps à persévérer dans sa
noble et généreuse conduite à l'égard des Français. Ce
présent, qui parut magnifique aux Sauvages, fit tant
de plaisir à Garakontié qu'il le conserva comme un
trésor inestimable, et profita de toutes les occasions pour
l'étaler à l'admiration de ses compatriotes.
CHAPITRE XVII. 395
Ces moyens humains le préparèrent à écouter les
ouvertures qui lui furent faites après la conclusion de
la paix pour l'amener à embrasser la foi. Docile aux
impressions de la grâce, il demanda le l)aptême, qu'il
reçut, ainsi que la confirmation, dans la cathédrale
de Québec, en 1670. Cette cérémonie fut un événement;
il y avait des représentants de presque toutes les
nations canadiennes, et on lui donna toute la solennité
possible.
Le nouveau baptisé remercia gracieusement l'évêque
de lui avoir ouvert la porte de l'Eglise et celle du Ciel
par les deux sacrements qu'il lui avait administrés.
Il protesta de nouveau, après la cérémonie, qu'il vivrait
en bon chrétien et il tint parole. La Mère Marie de
l'Incarnation n'avait pas jeté une première semence
sur un sol ingrat.
Garakontié fut ensuite conduit au fort, oii il remercia
Je gouverneur de l'honneur qu'il lui avait fait en lui
donnant son nom sur les fonts de baptême. A. son
entrée, il se vit salué par tous les canons de la citadelle
et par toute la mousqueterie des soldats rangés en
haie pour le recevoir.
Cette expédition du marquis de Tracy procura vingt
ans de paix à la colonie; après lesquels la nation iro-
quoise plus irritée encore qu'abattue de ses défaites,
recommença la guerre avec une fureur et une rage
plus grande que jamais. Ces féroces et implacables
barbares revenaient à leur première résolution d'exter-
miner tous les Européens. Ils exercèrent, en 1688 et
1689, de tels massacres et inspirèrent une si grande
terreur, que l'on crut tout perdu. Quand on eut appris,
surtout au mois de juillet 1689, que les Iroquois avaient
ravagé et désolé cinquante lieues de pays, toute la
396 MARIE DE L INCARNATION.
population se trouva plongée dans un effroi impossible
à décrire, disent les Annales du monastère.
Enfin, en 1696, le comte de Frontenac, gouverneur,
résolut de frapper un coup décisif; il fit appel à toutes
les forces et à toutes les bonnes volontés, qui ne lui
firent pas défaut. Les Ursuiines soldèrent et équipèrent
à leurs frais deux jeunes soldats « qui ne furent pas
les moins braves de l'armée. » M. de Frontenac, telle-
ment brave que « l'idée d'une défaite n'était jamais
entrée dans son esprit, » conduisit lui-même l'expé-
dition, malgré ses soixante-seize ans. Il fit subir aux
Iroquois un désastre dont ils ne se relevèrent jamais,
et il eut la gloire d'anéantir une puissance jusque-là
indomptable.
CHAPITRE XVIII,
Comment la Mère Marie de l'Incarnation va passer ses dernières années. —
Elle tombe malade, 1664. — Elle est réélue supérieure. — Ses travaux dans
les langues sauvages. — Son état de spiritualité de 1667 à 1672. — Elle reçoit
■ les derniers sacrements, 1672. — Son état s'améliore, joie, Te Deiim. —
Dernière maladie. — Elle meurt le 30 avril 1672.
Dès son plus jeune âge , Marie Guyard avait été
comme saisie par la grâce. Notre-Seigneur, par des
faveurs extraordinaires auxquelles il l'avait rendue
fidèle, s'était emparé de son âme et l'avait préparée
à la mission apostolique qu'il lui destinait. Quand le
moment où il voulait l'employer à sa gloire et au salut
des âmes fut arrivé, il cessa do la conduire par des
CHAPITRE XVIII. 397
«
visions et des extases; mais il la maintint dans un
recueillement habituel, une attention à sa divine pré-
sence qui n'était presque pas interrompue, et il lui
donna un zèle et une activité que ni les obstacles, ni
les épreuves les plus propres à abattre tout courage
humain ne purent jamais affaiblir ni déconcerter. Cette
vie laborieuse de la Mère Marie de l'Incarnation, cette
expansion d'un zèle qui lui faisait trouver sans cesse
de nouveaux moyens de glorifier Dieu et de se dépenser
sans mesure pour son cher Canada, semble désormais
finie. Les années qu'elle va encore passer sur la terre
vont s'écouler dans les maladies et des souff'rances
corporelles que Claude Martin ne craint pas de com-
parer à celles des martyrs qui ont le plus souffert.
C'est par là que Dieu va achever l'œuvre de sa sancti-
fication. Il lui en donna un pressentiment de la manière
qu'elle raconte elle-même à son fils.
« En l'année 1664, il plut à la divine bonté de me
visiter par une grande maladie et de m'y disposer d'une
manière tout extraordinaire et tout aimable. Je vis
en songe Notre-Seigneur attaché à la croix et entière-
ment couvert de plaies. Il gémissait d'une manière
très-attendrissante, et j'avais une forte impression qu'il
cherchait quelque âme fidèle pour lui demander du
soulagement dans ses extrêmes douleurs. Je le suivais,
le contemplant toujours dans ce pitoyable état. Je n'en
vis pas davantage , mais ma maladie étant venue
ensuite, il me demeura dans l'esprit une impression si
forte et si vive de ce divin Sauveur crucifié, qu'il me
semblait l'avoir continuellement devant les yeux, com-
prenant néanmoins qu'il ne me faisait part que d'une
partie de sa croix, bien que mes douleurs fussent des
plus violentes et des plus insupportables... Cette longue
398 MARIE DE l'incarnation.
maladie ne m'a point du tout ennuyée, et, par la misé-
ricorde de notre bon Dieu, je n'y ai ressenti aucut
mouvement d'impatience. J'en dois toute la gloire à
l'aimable compagnie de mon Jésus crucifié, son divin
Esprit ne me permettant pas de souhaiter un moment
de relâche en mes souffrances, et me faisant éprouver
une douceur qui me maintenait en disposition de les
endurer jusqu'au jour du jugement. Les remèdes ne
servaient qu'à aigrir mon mal et à accroître mes dou-
leurs, ce qui fit résoudre les médecins de me laisser
entre les mains de Dieu, disant que tant de maladies
jointes ensemble étaient extraordinaires et que la Pro-
vidence me les avait envoyées uniquement pour me
faire souffrir. «
Au milieu de si vives douleurs, elle ne perdait pas
un instant la pensée de Dieu et l'union de son cœur
avec Jésus souffrant. Aussi dit-elle que sa nature s'était
familiarisée avec les douleurs. Elle ajoute : ^ J'y sens
de l'attachement, et j'ai peur que mes lâchetés n'obli-
gent la divine bonté de me les ôter ou du moins de les
modérer. De mon côté j'aime mieux cette croix que
toutes les délices du monde, et même que celles que
je pourrais prendre innocemment et sans offenser Dieu.
C'est sa bonté qui m'a envoyé ces maladies comme un
gage très-précieux de son amour, dont je la remercie
de tout mon cœur. »
Pendant qu'elle était en cet état, les trois ans de sa
supériorité prirent fin. Elle eût désiré être délivrée
de cette charge; mais l'attachement que l'on avait pour
elle et qui croissait à mesure que l'on craignait de la
perdre, le bien qu'elle faisait à la communauté malgré
CHAPITRE XVIII. 399
ses inexprimables souffrances, et la vénération que sa
sainteté inspirait à toutes ses sœurs , réunirent de
nouveau les voix en sa faveur. Elle se soumit avec
résignation, considérant en tout la volonté de Dieu.
« Me* voyant réduite à cet état, écrivait-elle à son fils,
j'estimais que l'on me donnerait du repos et que l'on
mettrait la charge sur des épaules plus fortes que les
miennes, qui penchent si fort vers la terre, mais
Dieu a permis que ce fardeau soit encore tombé sur
moi. »
Elle s'acquitta de sa charge comme si elle eût été en
santé. Elle était la première levée et la dernière cou-
chée, assistait a toutes les observances, mettant toutes
les affaires en ordre et écrivant une foule de lettres.
Elle jeûna même tout un carême, quoique malade
depuis trois ans, et réduite à une telle faiblesse qu'elle
ne pouvait rester à genoux « le quart de la messe, »
même en s'appuyant.
Elle éprouva néanmoins du mieux pendant quelques
- années, et elle en profita pour mettre les jeunes reli-
gieuses en état de continuer son œuvre apostolique à
l'égard des sauvages. Elle écrivit un dictionnaire algon-
quin et d'autres livres dans la même langue. - Comme
ces choses sont très-difficiles, je me suis résolue avant
ma mort de laisser le plus d'écrits qu'il me sera possi-
ble.' Je vous dis cela afin de vous faire voir que la
bonté divine me donne des forces dans ma faiblesse
pour laisser à mes sœurs de quoi travailler à son
service et au salut des âmes. » (Lettre du 9 août 1668.)
(1) Ces écrits, qui ne furent jamais imprimés, ont tous disparu. On croit que
le second incendie du monastère, arrivé en 1686, les a détruits. Pourtant quel-
ques religieuses pensent que vers 1818, époque de l'ouverture des missions à la
Rivière Rouge, ils furent donnés à des missionnaires.
400 MARIK DR l'incarnation.
Mais enfin le moment devait venir oii, après s'être
consumée de travaux et comblëe de mérites, elle irait
en recevoir la récompense éternelle. « Je me réjouis,
écrivait-elle en 1669 à une religieuse de Tours, de ce
que nous perdrons bientôt les connaissances de la
terre pour n'avoir plus de communication qu'avec les
citoyens du Ciel. »»
Déjà même on peut dire que cet état céleste avait
commencé pour elle et qu'elle était devenue comme
étrangère à tout ce qui est du monde présent. Elle
écrivait à son fils, le 25 septembre 1670 : « Je vous
dirai avec simplicité, mon très-cher fils, que Dieu
tient sur moi la même conduite que sur vous. Je me
vois remplie de tant d'infidélités et de misères que je
ne sais comment y apporter remède, parce que je vois
mes imperfections dans une obscurité qui n'a point
d'entrée ni d'issue. Me voilà à la fin de ma vie, et je
ne fais rien qui soit digne d'une âme qui doit bientôt
paraître devant son Juge. Cependant tout imparfaite
que je suis, et pour anéantie que je sois en sa présence,
je me vois perdue dans sa divine Majesté, qui me tient
dans une union et une privante que je ne puis expli-
quer. Je ne puis même m'entretenir avec les anges,
ni des délices des bienheureux ni des mystères de la
foi. Je veux quelquefois m'y arrêter et m'égayer dans
leurs l^eautés que j'aime beaucoup, mais aussitôt je les
oublie et l'esprit qui me conduit me ramène à Celui
qui me plaît plus que toutes choses. Je me perds en
Lui. J'y vois ses amabilités, sa majesté, ses grandeurs,
sa puissance sans aucun acte de raisonnement ou de
recherche, mais en un moment qui dure toujours. Je
veux dire ce que je ne puis exprimer et je ne sais
si je le dis comme il faut. »
CHAPITRK XVIII. 401
Dans la dernière lettre qu'elle écrivit à son (ils, elle
s'exprime ainsi : « Quelque sujet d'oraison que je puisse
prendre, je l'oublie. Je me trouve en un moment et
sans y faire réflexion, dans mon fond ordinaire, oii
mon âme contemple Dieu daus lequel elle est. Je lui
parle selon le mouvement qu'il me donne , et cette
grande privante ne me permet pas de le contempler
sans lui parler, et suivre en cela son attrait. Mes
paroles sont comme à mon Epoux, et il n'est pas en
mon pouvoir d'en dire d'autres. Mon amour n'est jamais
oisif et mon cœur ne peut respirer que cela. Les respirs
qui me font vivre sont de mon Epoux; ce qui me
consume de telle sorte par intervalles, que si la misé-
ricorde n'accommodait sa grâce à la nature, j'y succom-
berais, et cette vie me ferait mourir. »
Ce sont là comme les derniers accents de cette âme
séraphique, nous^ ne saurons désormais ce qui la con-
cerne que par le témoignage d'autrui. « Ce n'est plus
la Mère de l'Incarnation qui parle, dit Claude Martin
en continuant l'histoire de sa vie, la mort, qui réduit
au silence les plus grands saints, ne lui permettra plus
de nous faire connaître les trésors que Dieu avait
déposés dans son âme et dont le prix ne nous sera
révélé que dans l'éternité.' « Elle en a dit assez néan-
moins pour nous donner une haute idée de la perfec-
tion d'union avec Dieu et du degré d'amour où elle
était parvenue lorsque, dans la nuit du 15 au 16 jan-
vier 1672, elle fut prise d'un vomissement qui dura
l'espace de vingt-quatre heures, sans qu'on pût y appor-
ter le moindre soulagement. A cela se joignirent une
violente douleur de tête, une oppression de poitrine
(1) Ce que nous allons dire pour faire connaître ses derniers raomants est tiré
principalement de l'Histoire du Monastère.
M. D. l'inc, 26
402 MARIE DE l'incarnation.
et une cruelle insomnie. Cette fidèle amante de Jésus
crucifié s'estimait heureuse, et elle disait avec l'accent
de la joie : ^ C'est maintenant que j'ai l'honneur d'être
attachée à la croix de Jésus-Christ. » Le mal s'accrut
avec une telle violence, que le cinquième jour les
médecins perdirent tout espoir et dirent qu'il fallait
lui donner les derniers sacrements.
Le 20 janvier, à une heure après-midi, elle reçut
le saint Viatique au milieu des sanglots de toute la
communauté. Elle seule laissait paraître des transports
de joie en pensant que son divin Epoux venait la
chercher pour se montrer bientôt à elle à découvert.
Le lendemain, elle reçut l'Extrême- Onction avec un
redoublement de joie. Après sa profession de foi, elle
demanda pardon à M. de Bernières, supérieur du
monastère, et au R. P. Lallemant, son directeur; puis
se tournant vers la Mère Saint-Athanase, supérieure,
et vers la communauté, elle les remercia de leur charité
à son égard, et leur demanda pardon des peines qu'elle
leur avait données pendant sa maladie.
Peu après, ayant appris que la petite fille d'un chef
algonquin venait d'entrer au pensionnat, elle demanda
à la voir et lui donna les plus grandes marques de
tendresse. En même temps elle exhorta les religieuses
à conserver toujours une grande affection pour les
petites sauvages, qu'elle appelait ses délices. Toutes les
pensionnaires françaises et sauvages lui furent ensuite
présentées pour recevoir sa bénédiction.
Cependant toutes les religieuses étaient plongées dans
la plus profonde douleur; on faisait des pénitences et
CHAPITRE XVIII. 403
des mortifications extraordinaires, on conjurait le Ciel
de prolonger encore, au moins pour quelque temps,
des jours si chers et si précieux. L'humble Mère voyait
avec une certaine peine l'empressement de ses filles
à prolonger une vie qu'elle croyait inutile, et elle s'en
plaignit au R. P. Lallemant. Ce bon Père, touché du
deuil où cette mort allait jeter la communauté, lui
ordonna de s'unir à ses sœurs pour demander à Dieu
la santé. Elle fut d'abord comme interdite, puis levant
les mains et les yeux vers le Ciel : « Je crois, dit-elle,
que j'en mourrai ; mais si c'est la volonté de Dieu que
je vive encore, j'en suis contente. — Tout cela est
bon, ma Mère, reprit le ministre de Dieu, mais vous
devez vous mettre de notre côté, et faire tout votre
possible pour vous conserver à votre communauté,
qui croit avoir encore besoin de vous. »
Alors la malade se résigna sans réplique; fermant
les yeux à ses propres intérêts, elle renouvela le dévoû-
ment de son compatriote saint Martin de Tours : « Mon
Seigneur et mon Dieu, si vous jugez que je suis encore
nécessaire à cette petite communauté, je ne refuse
point la peine ni le travail ! » Aussitôt elle éprouva
un mieux considérable, et, peu après, les médecins
la déclarèrent hors de danger. La joie du monastère
fut inexprimable lorsqu'on la vit quitter son lit d'agonie
pour aller au chœur remercier Dieu et assister au
Te Deum qui fut chanté en action de grâces. La ville
entière s'associa au bonheur des religieuses ; les témoi-
gnages de respectueux intérêt et les félicitations arri-
vaient de toutes parts.
Cette convalescence parut se continuer pendant tout
le carême. Le jour des Rameaux, elle prit part à la
cérémonie, et, le Vendredi-Saint, elle eut encore assez
404 MARIE DE L INCARNATION.
(le force pour assister à l'office du matin et à l'adoration
de la croix. Mais, le soir, elle fut obligée de déclarer
à la supérieure que deux tumeurs qu'elle avait aux
côtés lui causaient d'extrêmes douleurs. C'étaient deux
abcès, qu'il fallut ouvrir. L'opération dut être très-
douloureuse; cependant la vénérable Mère ne laissa
paraître autre chose sur sa figure que la plus douce
sérénité.
Le chirurgien eut d'abord de l'espérance, mais le
huitième jour, effrayé du grand affaiblissement de la
malade, il déclara qu'elle était sans ressource. Quand
elle apprit cette nouvelle, une joie subite se vit sur
tous ses traits, et, depuis ce moment jusqu'à sa mort,
elle fut comme dans une continuelle extase, ayant
la vue modestement baissée ou fixée sur son crucifix
qu'elle tenait entre ses mains. Elle répondait avec une
douceur et une affabilité angélique à celles qui lui
adressaient la parole, mais toujours en peu de mots,
et aussitôt elle était de nouveau absorbée en Dieu.
La Mère Saint-Athanase, qui demeurait constamment
auprès d'elle, lui demanda si elle avait quelque chose
à faire dire à son fils. A ces mots, la vénérable Mère
laissa voir un attendrissement expressif. « Dites-lui,,
murmura-t-elle, que je l'emporte avec moi dans mon
cœur en Paradis, où je solliciterai fortement sa parfaite
sanctification. »
Elle souffrait des douleurs extrêmes avec une patience
admirable, consentant à les endurer jusqu'à la fin du
monde pour le salut des peuples, si la divine Majesté
l'eût eu pour agréable. A plusieurs reprises elle désira
voir les élèves pensionnaires, et chaque fois elle les
bénissait avec une tendresse inexprimable.
Le vendredi tl avril, elle reçut de nouveau le
CHAPITRE XVIII. 405
saint Viatique et rExtrême-Onction ; jusque là elle'
avait communié tous les deux jours. Quelques reli-
gieuses lui ayant demandé de leur faire part de ses
mérites, elle répondit avec un sourire céleste : « Tout
est pour les sauvages, mes sœurs, je n'ai plus rien
à moi. »
Dans la matinée du 30 avril, se sentant à l'extrémité,
elle voulut voir une dernière fois ses petites sauvages.
Après les avoir bénies avec la plus grande effasion
de cœur, elle leur adressa dans leur langue des paroles
admirables sûr la beauté des saints mystères et le
bonheur de servir Dieu.
A midi, elle perdit l'usage de l'ouïe et de la parole,
mais il était facile de voir que son âme était intimement
unie à Dieu; on la vit encore en- cet état porter d'une
main tremblante son crucifix à ses lèvres. Quelques
minutes avant six heures du soir, elle ouvrit les yeux,
regarda ses chères sœurs comme pour leur dire le
dernier adieu, puis elle les referma pour ne plus les
ouvrir aux choses de la terre. La communauté, à
genoux autour de son lit, était dans la plus profonde
désolation. A six heures, on entendit deux faibles
soupirs; tous les regards se portèrent vers la chère et
sainte mourante, mais son âme venait de briser ses
entraves terrestres. A l'instant même, un rayon de
lumière céleste sembla tomber sur cette figure que
la mort venait de frapper, et les religieuses immobiles,
partagées entre la douleur et l'admiration, contem-
plaient, sans pouvoir en détourner leurs regards, le
visage de leur pieuse Mère, sur lequel se trouvait
répandue une beauté éblouissante. L'âme, en prenant
son vol vers les cieux, semblait y avoir imprimé un
reflet de sa gloire immortelle. Ce phénomène, attesté
406 MARIE DE l'incarnation.
par toutes les religieuses qui en furent témoins, leur
fit une telle impression, qu'elles voulurent en perpétuer
le souvenir; chaque année, au jour anniversaire de la
mort de leur vénérée fondatrice, elles chantaient un
Te Deum d'action de grâces, et cet usage se continue
encore aujourd'hui.
La nouvelle de cette heureuse mort produisit le
même effet au dehors qu'au dedans du monastère. Par-
tout se manifesta le double sentiment d'une profonde
douleur et d'une religieuse vénération. On réclamait
comme de précieuses reliques les objets qui avaient
été à son usage : tuniques, livres, chapelets, médailles,
tout fut enlevé en un instant, et c'est à peine si les
religieuses purent conserver son grand chapelet, qui
se voit encore dans une des chapelles de leur église.
Quand on sut que l'on ne pouvait plus rien obtenir,
on apporta des images et autres objets de piété pour
les faire toucher à la sainte Mère; cette expression
était dans toutes les bouches : car « au moment
où elle mourut, dit le Père Charlevoix, la voix
publique la canonisa dans tous les lieux où elle était
connue. "
Rien n'égala surtout l'impression qui se produisit
chez les Sauvages. Dès que la triste nouvelle leur fut
parvenue aux villages de Sillerj et de Lorette, ils
vinrent en foule s'assembler autour du monastère
afin de prier pour celle qui les avait tant aimés. A
mesure qu'ils arrivaient, ils sonnaient à la porte et
disaient aux religieuses avec l'accent de la douleur :
« Notre Mère à nous est morte! « Puis ils se met-
taient le doigt sur les lèvres pour signifier qu'une
CHAPITRE XVI II. 407
telle affliction ne s'exprimait pas. Les religieuses « qui
n'en pouvaient plus » dit la chronique du temps, les
consolaient de leur mieux et chacun s'en allait de son
côté pleurer et prier jusqu'à l'heure de l'enterrement.
Cette cérémonie, bien triste pour tout le monde, mais
d'une tristesse adoucie par une immense consolation,
se fit avec une solennité proportionnée à l'estime que
l'on avait pour la vénérable Mère, et aux regrets qu'elle
laissait après elle. Son séjour de trente-trois ans au
Canada, le bien qu'elle y avait fait, la considération
dont elle y avait joui depuis son arrivée jusqu'à la
mort, l'influence qu'elle avait exercée, non-seulement
par l'ascendant de sa vertu, mais par sa rare capacité
et l'élévation de ses vues, tout concourait à la faire
envisager comme l'une des gloires les plus éclatantes
et les plus pures de la naissante colonie. Personne, soit
dans l'ordre civil, soit dans l'ordre militaire, n'avait
rendu autant de services pendant aussi longtemps. Les
gouverneurs, dont plusieurs l'avaient prise pour leur
Mère spirituelle et lui avaient demandé des conseils,
avaient passé et elle était restée. La plupart des femmes
et des jeunes filles de la classe élevée et influente
avaient été formées par ses leçons et portées à la vertu
par ses exhortations, avantage auquel les . pauvres
n'avaient pas été étrangères. Les Sauvages, qui con-
naissaient si bien sa prédilection pour eux, la regar-
daient comme leur mère. Le clergé était habitué à
voir en elle l'ornement de la religion au Canada et
l'un des plus beaux fleurons qui pussent embellir la
couronne d'une Eglise que le sang de plusieurs mis-
sionnaires avait déjà arrosée. L'émotion avait donc
agité tous les cœurs. Aussi, il y eut un concours uni-
versel à ses obsèques. Le gouverneur, l'intendant et
408 MARIE DE l'incarnation.
toutes les personnes de qualité, dit Claude Martin,
voulurent les honorer de leur présence. Mgr de Laval
étant alors en France, la cérémonie fut faite par
M. de Bernières, grand-vicaire du diocèse, et l'oraison
funèbre prononcée par le Père Lallemant, qui avait
été son directeur pendant plus de vingt ans. L'orateur
montra dans son illustre et sainte pénitente tous les
caractères que Salomon attribue à la femme forte.
Quand la foule se fut écoulée, M. de Courcelles,
gouverneur, M. Talon, intendant, M. de Bernières,
le Père Lallemant et les religieuses furent d'avis de
faire retirer le corps du caveau afin de faire faire le
portrait de la défunte, ce qui montre que la beauté
et la fraîcheur dont sa figure avait été revêtue après
la mort n'avaient pas été un phénomène passager; car
on n'aurait pas eu l'idée de reproduire des traits consi-
dérablement altérés par les douleurs d'une longue mala-
die, si le trépas y avait encore ajouté ses ravages
pendant l'espace de plusieurs jours.
Le corps fut donc retiré du caveau, et le lendemain,
le gouverneur envoya un artiste, qui réussit à prendre
une ressemblance de cette noble et douce figure mar-
quée du sceau de la béatitude.' Quand le portrait fut
achevé, on ferma la bière, qui portait l'inscription
suivante gravée sur une plaque d'étain :
(1) Ce tableau périt dans le second incendie du monastère, le 20 octobre 1686.
Celui que l'on possède aujourd'hui a été envoyé de France. Il doit être une copie
du premier : car il représente la vénérable Mère comme étant dans un âge
avancé, et on ne voit pas que son portrait ait été fait depuis son départ de
France, sinon après sa mort.
CHAPITRE XVIII, 409
CI-GIT
LA RÉVÉRENDE MÈRE
MARIE GUYARD DE L'INCARNATION,
PREMIÈRE SUPÉRIEURE DE CE MONASTÈRE,
DÉCÉDÉE LE DERNIER JOUR DAVRIL 1672,
■> AGEE DE
SOIXANTE-DOUZE ANS ET SIX MOIS,
RELIGIEUSE PROFESSE VENUE DE TOURS.
PRIEZ POUR SON AME.
La Mère de l'Incarnation était d'une haute taille,
d'un port grave et majestueux. Tous ses traits étaient
d'une régularité parfaite, mais d'une beauté mâle qui
révélait la grandeur de son âme. Lorsqu'elle était
encore dans le monde, tout son air avait quelque chose
de si grand, qu'on s'arrêtait dans les rues pour la voir
passer, dit le Père Cbarlevoix. Plus tard, l'habitude
de la présence de Dieu ajouta à la beauté naturelle
de sa figure quelque chose de céleste.
Ce ne fut que plusieurs mois après, par les vaisseaux
veous au printemps, que les Ursulines de Québec
purent faire arriver en France l'écho de leur profonde
douleur, et dire à leurs amis le vide que laissait au
monastère le départ des deux fondatrices : car madame
de la Peltrie était morte cinq mois avant la Mère de
l'Incarnation. Cette nouvelle ne fit guère moins de
sensation en France qu'au Canada, car, tout le monde
s'occupait alors de cette nouvelle colonie ; les Relations
publiées par les Jésuites mettaient le public au courant
de tout ce qui s'y passait et faisaient connaître toutes
les personnes qui y jouaient un rôle important.
410 MARIE DE l'incarnation.
On lira avec intérêt ce que disait de la vénérable
défunte, dans sa circulaire aux communautés de
France, datée du V mai 1672, la Mère Saint-Athanase
alors supérieure'. Cette circulaire était restée inédite
jusqu'ici. M. Gasgrain lui-même ou ne l'a pas connue,
ou n'a pas jugé à propos de la publier.
Après avoir représenté la Mère de l'Incarnation dans
ses souffrances, « se tenant devant Dieu en qualité
de victime, prête à soufifrir mille fois davantage et
jusqu'au jour du jugement, pour le faire connaître
et aimer par tous les infidèles, se réjouissant avec
Notre- Seigneur d'être attachée avec lui à la croix,
qu'elle n'aurait pas changée pour tous les empires
de la terre, » la Mère Saint-Athanase ajoute :
« Il n'y avait pas lieu de s'étonner de la voir dans
ces sentiments au moment de mourir, puisque sa mort
était l'écho de sa très-sainte vie, qu'elle avait passée
dans une pratique continuelle et généreuse des plus
héroïques vertus, et d'une manière si éminente, qu'il
serait difficile de l'égaler, surtout en générosité et
magnanimité lors des plus fâcheux accidents.
« Elle n'était pas moins admirable par son esprit
d'oraison et d'union continuelle avec la divine Majesté,
qu'elle ne perdait jamais de vue dans toutes ses occu-
pations et conversations, ce qui faisait rejaillir sur
son visage un je ne sais quoi qui inspirait du respect
et de la vénération pour sa personne, que l'on considé-
rait comme toute remplie de la divinité.
» Sa modestie était angélique, son humilité et sa
simplicité sans exemple étaient accompagnées d'une
(1) La Mère Saint-Athanase, venue du grand couvent de Paris, était une
religieuse d'une trempe d'esprit supérieure. Elle a vécu cinquante ans dans le
monastère de Québec.
CHAPITRE XVIII. 411
sagesse et d'une prudence qui n'avaient rien d'humain.
Je passe sous silence les excessives pénitences et mor-
tifications que notre chère défunte a pratiquées depuis
son enfance. Je ne parlerai point non plus ici de ses
communications intimes avec la divine Majesté, des
vues qu'elle avait de nos mystères et qui semblaient
atteindre l'évidence. Quant à ce qui est de ses grâces
gratuites, je laisse la parole à quelque personne plus
intelligente, que la divine Providence suscitera pour
mettre au grand jour la vie pleine de merveilles de
cette admirable Mère. Un docte et savant personnage,
qui a eu longtemps la conduite de cette grande âme,
disait qu'elle peut être appelée une seconde Thérèse,
ou la Thérèse du Canada. "
Remarquons que la Mère Saint-Athanase connaissait
parfaitement celle dont elle parle ainsi : toutes deux
ayant été alternativement supérieures, de six ans en
six ans, depuis leur arrivée à Québec. C'était donc
surtout quand elle était supérieure à son tour qu'elle
pouvait pénétrer dans l'âme de sa sainte compagne,
qui n'était pas plus tôt sortie de charge, ajoute-t-elle,
qu' elle devenait « la plus soumise, la plus obéissante
et la plus dépendante de la maison, rendant compte
de son intérieur avec autant de simplicité qu'aurait
pu faire la dernière novice. »
Deux autres témoignages contemporains se trouvent
joints à celui de la Mère Saint-Athanase. Le premier
est de la Mère Sainte-Claire qui, étant venue à Québec
en 1640, écrivait ses premières impressions à ses sœurs
de Paris : « Nous nous approchâmes de la grille pour
saluer les religieuses; en parlant à la Mère de l'In-
carnation, je respirai une odeur de sainteté qui
m'embauma. »
412 MARIE DE l'incarnation.
L'autre témoignage contemporain est de la Mère
Cécile-de-la-Croix, la dernière survivante des trois pre-
mières religieuses fondatrices, qui mourut en 1687. Elle
n'avait plus quitté la Mère de l'Incarnation à partir
de Dieppe, oii elle s'était jointe à elle pour aller au
Canada. Elle déclara que durant les trente-trois ans
qu'elle avait eu le bonheur de vivre avec elle, jamais
elle ne lui avait vu commettre une faute contre la
patience, la douceur, l'humilité, la charité, la modestie,
la pauvreté et l'obéissance.
CHAPITRE XIX.
Témoignages en faveur de la sainteté de Marie de l'Incarnation. — Traditions
de son monastère. — Opinion de personnages recommandables : Mgr de
Laval, M. l'abbé Ferland, M. l'abbé Langevin, Camus, docteur de Sorbonne
et grand-vicaire de Tours, Catinat, également docteur de Sorbonne et abbé
de Saint-Julien, l'abbé Ladvocat, Feller, Pereunès, Moréri, M. Emery,
le Père Ramière, Jésuite.
La vie que nous venons d'écrire n'est pas seulement
celle d'une personne de grande piété, dont les vertus
méritent d'être racontées pour servir à l'édification ;
c'est l'histoire d'une âme exceptionnelle, regardée
comme une sainte pendant sa vie, objet d'une véné-
ration universelle au moment de sa mort, et que depuis
lors la population canadienne n'a pas cessé de regarder
comme digne d'être mise par l'Eglise au nombre des
Bienheureux. On ne lui a jamais rendu aucun culte, •
parce qu'on devait respecter les sévères prohibitions
CHAPITRE XIX. 413
du Saint-Siège; mais on s'en est dédommagé par des
louanges, des panégyriques, des témoignages de véné-
ration et des prières particulières pour obtenir, par
son crédit auprès de Dieu, soit des faveurs temporelles,
soit des secours dans l'ordre du salut. Nous croyons
utile de ne pas laisser dans un entier oubli ces preuves
de vénération que rien n'a pu interrompre depuis deux
siècles et qui même prennent de l'accroissement au
lieu de s'affaiblir. Commençons par- ce qui s'est passé
dans le monastère.
Cet élan spontané et universel, qui porte une com-
munauté à chanter un Te Deum solennel au jour
anniversaire de son trépas, est déjà quelque chose de
bien remarquable, et je ne sais s'il existe un seul
autre fait de ce genre dans l'histoire de l'Eglise. Mais
que ce Te Beum, au lieu d'être le résultat d'un enthou-
siasme momentané, ait été continué depuis deux cents
ans avec la même solennité et un zèle croissant, c'est
ce qui étonnerait davantage, si un bon nombre de faits
traditionnels que nous allons raconter n'en donnaient
l'explication.
Ce que l'on peut regarder comme particulièrement
propre à éclairer sur le mérite d'un personnage, c'est
la force et la durée de l'impression qu'il produit après
sa mort, dans le pays où il a vécu : or les annales des
Ursulines de Québec font foi que toujours le langage
des anciennes religieuses, au sujet de la Mère Marie
de l'Incarnation, a témoigné d'une vénération spéciale.
On avait, il est vrai, une haute estime pour les com-
pagnes de son apostolat, et en particulier pour la Mère
Saint- Joseph; mais, malgré cela, on mit toujours la
414 MARIK DE l'incarnation.
Mère de rincarnation au premier rang. C'était à elle
qu'on attribuait l'auréole de la sainteté; c'était elle
que l'on espérait voir un jour placée par l'Église sur
les autels.
Lorsqu'en 1724 on transporta dans le caveau du
nouveau chœur les corps des religieuses alors dé-
cédées, on mit à part et dans un même cercueil en
plomb ceux de la Mère de l'Incarnation, de madame
de la Peltrie et de la Mère Saint-Joseph (en prenant
toutefois des moyens pour les reconnaître;^) mais on
les confondait si peu pour cela dans une égale estime,
que l'on s'occupa sérieusement de la béatification de
la première, sans penser sous ce rapport aux deux
autres.
Le Père Charlevoix écrivait alors sa vie, où il dit
que « du moment où elle cessa de vivre, la voix publi-
que la canonisa dans tous les lieux où elle était con-
nue. » Cette impression ne s'affaiblit jamais ; il y eut
même un moment, vers le milieu du XVIIP siècle,
où l'on crut que le jugement populaire allait se trouver
ratifié par celui du Saint-Siège. C'est ce que prouvent
les lignes suivantes écrites par une Ursuline de Québec
à deux Visitandines de France, en 1751.
« Mesdames, je commence par vous faire mon com-
pliment sur la béatification de votre bienheureuse fon-
datrice (sainte Jeanne de Chantai). Nous avons eu quel-
que lueur d'espérance de voir mettre la Mère Marie de
l'Incarnation sur les rangs pour le même sujet; mais
la personne qui avait pris la chose à cœur n'est plus...
(1) Il n'y avait aucun danger de confusion ; madame de la Peltrie étant très-
petite, tandis que la Mère de l'Iucaruation était d'une haute taille. Quant à la
Mère de Saint-Joseph, ses ossements sont d'une couleur blanchâtre qui contraste
avec la teinte brune des autres.
CHAPITRE XIX. 415
Dieu peut susciter, quand il sera temps, d'autres per-
sonnes ; c'est à nous à nous soumettre et à nous confier
eu sa providence. »
En 1799, on exhuma de nouveau les restes vénérés
des trois fondatrices : les Mères de l'Incarnation et de
Saint- Joseph" et madame de la Peltrie, afin de les
déposer en un lieu plus convenable, sous la grille de la
communion. On réserva quelques ossements de ces
corps afin de satisfaire la dévotion des personnes qui
en demanderaient; mais les fidèles persistèrent à ne
regarder comme reliques jque les restes de la Mère
de l'Incarnation; ce fut à elle que l'on continua de
s'adresser pour obtenir des faveurs du Ciel, tant on
était convaincu de son crédit tout particulier auprès
de Dieu.
Sans qu'on sache par quel accident, il y a une
interruption de dix ans dans les annales à partir de
cette époque ; mais les traditions du monastère ne sont
pas pour cela interrompues : car une vénérable
ancienne supérieure, Mère Saint-Gabriel, qui a cin-
quante-sept ans de religion, atteste qu'ayant connu
des religieuses qui avaient fait profession avant la
conquête du Canada par l'Angleterre (1759), elle n'^
jamais entendu exprimer deux opinions touchant l'émi-
nente sainteté de la Mère de l'Incarnation. « Loin
de là, dit-elle, les anciennes ne parlaient qu'avec la
plus profonde vénération et les larmes aux yeux de
cette Mère incomparable. Ses sublimes exemples, son
esprit religieux surtout, et son zèle immense étaient
à la fois un sujet de confusion pour les anciennes et le
plus puissant stimulant que l'on pût proposer aux
41() MARIE DE l'incarnation.
jeunes pour les ameoer à se dévouer à la gloire de
Dieu. Dès l'entrée au noviciat, on apprenait à l'invo-
quer, à se mettre sous sa protection spéciale dans les
retraites et autres exercices de la vie religieuse, sur-
tout à lui demander toutes les vertus d'une vraie
Ursuline. Dans les difficultés, on s'adressait à elle par
de ferventes neuvaines dont plusieurs sœurs, à ma
connaissance, ont éprouvé des effets signalés. Une
grande faveur accordée aux jeunes novices était la
permission d'aller dire le chapelet sur celui de la véné-
rable Mère, qu'il n'était pas permis d'emporter hors
de la chapelle des saints. C'était aussi un grand privi-
lège que de pouvoir lire sa Vie ou quelqu'un de ses
ouvrages, les exemplaires étant uniques dans la
maison. «
En 1833, d'après le désir des religieuses, leur supé-
rieur, M. L.-J. Desjardins et leur aumônier, M. Th.
Maguire, vicaire-général, sollicitèrent la permission de
vérifier pour la troisième fois les restes des trois fon-
datrices. Le cercueil fut ouvert avec une religieuse
émotion, au jour déjà si cher du 30 avril, anniversaire
de sa mort. On ne fut pas peu surpris de le trouver
plein d'une eau claire et limpide que l'on eut soin de
recueillir et de conserver, i Les trois corps étaient
baignés dans cette eau, mais la sainteté de la Mère
de l'Incarnation prédomine toujours, et c'est sous sa
(1) Nous devons dire qu'il n'y a eu aucun miracle dans ce fait. L'eau avait
pénétré par infiltration dans le caveau et était entrée dans le cercueil en plomb,
qui n'était pas fermé hermétiquement. Si donc on la recueillit avec respect, ce
fut à cause du contact qu'elle avait eu avec les corps des trois religieuses, et
particulièrement avec celui de la Mère de l'Incarnation.
CHAPITRE XIX. , 417
seule invocation, depuis quarante ans, que l'eau du
tombeau a été employée comme miraculeuse.
La dévotion envers cette vénérable Mère acquit alors
une nouvelle vivacité, et depuis elle a toujours été en
croissant. Il ne se passe guère de semaine oii l'on
n'aille demander au monastère quelques neuvaines
en son honneur.
Telles ont toujours été, dans le monastère des Ursu-
lines de Québec, les traditions de respect, de vénéra-
tion, de confiance, d'amour spécial, et, on peut le dire,
de dévotion envers la Mère de l'Incarnation. Mais
hâtons- nous de dire que ces religieuses n'ont pas été
seules à manifester ces sentiments. Bien d'autres témoi-
gnages se joignent à ceux que leur a fait rendre leur
piété filiale, appuyée d'ailleurs sur des fondements
soUdes et des titres irrécusables. Des hommes éminents
et des esprits distingués se sont joints à ces pieuses
filles et ont exalté A l'envi la vertu exceptionnelle
de leur sainte fondatrice.
Le premier évêque de Québec, Mgr de Laval-Mont-
morency, s'exprimait ainsi : « Le témoignage que nous
pouvons rendre de la sainteté de la vénérable Mère
de l'Incarnation, est qu'elle était ornée de toutes les
vertus dans un degré éminent, surtout d'un don d'orai-
ron si élevé et d'une union avec Dieu si parfaite, qu'elle
conservait sa présence au milieu de l'embarras des
affaires les plus ditïiciles et les plus distrayantes, comme
parmi les autres occupations oti sa vocation l'engageait.
Parfaitement morte à elle-même, Jésus seul vivait et
agissait en elle. Dieu l'ayant choisie pour l'Ordre de
M. DB l'iNC. 'il
418 MARIE DK l'incarnation.
Sainte-Ursule en Canada, il l'a douée de la plénitude
de l'esprit de ce saint Institut. C'était une supérieure
parfaite, une excellente maîtresse des novices, et elle
était très-capable de remplir tous les emplois d'une
communauté religieuse. Son zèle pour le salut des
âmes et particulièrement pour celui des Sauvages était
si ardent, qu'il semblait qu'elles les portait tous dans
son cœur. Nous ne doutons pas que ses prières n'aient
obtenu en grande partie les faveurs dont jouit mainte-
nant l'Eglise naissante du Canada. "
M. l'abbé Ferland, l'historien du Canada, s'élève
jusqu'à l'éloquence quand il parle de cette vraie gloire
de son pays.
« Le dernier jour d'avril de l'année 1672, mourut
la Mère de l'Incarnation, première supérieure des Ursu-
lines de Québec, qui, par ses vertus et son intelligence
des choses spirituelles, a mérité d'être nommée la
Thérèse de la nouvelle France. Possédant un esprit supé-
rieur, un courage calme et inébranlable, une patience
que rien ne pouvait lasser, elle était éminemment propre
aux devoirs qu'elle fut appelée à remplir. A la tête
d'une communauté de faibles filles, dénuée de ressour-
ces, elle sut inspirer à ses compagnes la force d'âme
et la confiance en Dieu qui la soutenaient elle-même.
Malgré l'indocilité et l'inconstance des filles algon-
quines, l'incommode curiosité de leurs parents, les
mille misères d'un établissement pauvre et nouveau,
la Mère de l'Incarnation conservait une égalité d'hu-
meur qui inspirait du courage aux compagnes de ses
travaux. Survenait-il quelque malheur subit, elle se
CHAPITRE XIX. 419
dressait dans toute la grandeur d'une chrétienne de
la primitive Eglise pour le recevoir avec constance.
Son fils lui parlait-il des mauvais traitements auxquels
elle était exposée de la part des Iroquois dans un temps
oii les affaires des Français paraissaient désespérées,
elle répondait avec calme : « N'ayez point ^d'inquiétude
à mon égard, je ne dis pas pour le martyre, car votre
affection pour moi vous porte à me le désirer, mais
j'entends parler des autres outrages. Je ne vois aucun
sujet d'appréhender; tout ce que j'entends dire ne
m'abat point le cœur.... » Son âme forte et grande
semblait s'élever naturellement au-dessus des malheurs
qui assaillaient la colonie naissante. Se confiant pleine-
ment en Dieu dans les plus violents orages, elle con-
tinuait à s'occuper tranquillement de son œuvre comme
si rien au monde n'eût pu l'ébranler. Dans un moment
où beaucoup de personnes craignaient que les Français
ne fussent forcés de quitter le pays, la Mère de flncar-
nation, malgré son âge déjà avancé, commençait à
étudier la langue des Hurons. Toujours calme, elle ne
se laissait pas plus emporter par l'enthousiasme qu'ar-
rêter par la crainte.
» En parcourant ses écrits, l'on est étonné d'y trouver
une justesse d'idées, une correction de style et une
solidité de jugement qui donnent une haute idée de
cette femme vraiment supérieure. Elle était chargée
de toutes les affaires du couvent, écrivait un nombre
prodigieux de lettres, apprenait les deux langues mères
du pays, l'algonquin et le huron, composait un diction-
naire et un catéchisme iroquois, un di<;tionnaire algon-
quin, un catéchisme huron, un catéchisme et un livre
de prières dans la langue algonquine.
» On ne doit pas être étonné de la large part qu'oc-
420 MARIE DE L INCARNATION.
cupent, dans l'histoire du Canada, madame de la Peltrie
et la Mère de l'Incarnation. L'institution fondée par
elles a exercé une grande influence sur la famille
chrétienne dans notre pays.... C'est grâce aux soins
de madame de la Peltrie et aux leçons de la Mère de
l'Incarnation et de ses premières compagnes que se
formèrent, dans les premiers temps de la colonie, ces
familles patriarcales dont le type s'est conservé jusqu'à
nos jours. «
M. l'abbé Langevin , vicaire générai de Québec,
envoyant aux Ursulines une série d'autres témoignages
qu'il avait recueillis, les faisait précéder des lignes
suivantes : « La première fois que j'entendis parler
de la Mère de l'Incarnation j'étais bien jeune, et mes
impressions étaient vives. Je me rappelle que l'on
prononçait avec un singulier respect et une grande
confiance son nom dans les conversations de famille,
et que l'on n'y faisait allusion que comme à celui d'une
Bienheureuse certainement en possession du bonheur
du Ciel, et dont bien des personnes avaient éprouvé
la protection sensible. J'ai donc grandi avec la pensée
qu'il y avait eu une grande sainte dans le monastère
des Ursulines de Québec, que ses vertus avaient brillé
d'un grand éclat, qu'elle avait même été l'objet de
manifestations particulières de la part de Dieu, et qu'un
jour son éminente sainteté serait reconnue d'une
manière éclatante par notre sainte Mère l'Eglise.
« Plus tard, pour satisfaire ma piété et donner un
fondement à ma dévotion envers la sainte religieuse,
je m'efforçai de mettre la main sur des ouvrages qui
pussent me la faire connaître. «
CHAPITRE XIX. 421
Ce pieux ecclésiastique énumère ensuite ce que,
dans ses savantes recherches bibliographiques, il a
découvert de témoignages rendus à la sainteté de la
Mère de l'Incarnation. Il cite Camus, docteur de Sor-
bonne et grand-vicaire de Tours, 1680; Catinat, égale-
ment docteur de Sorbonne et abbé de Saint-Julien;
le Dictionnaire historique de l'abbé l'Advocat; celui de
Feller ; le Dictionnaire de Biographie chrétienne de Perennès
(édit. de Migne); le Dictionnaire historique de Moréri.
Nous reproduisons le témoignage de ce dernier comme
particulièrement digne d'attention. Après avoir dit que-
Marie de l'Incarnation se maria par obéissance à ses
parents, Moréri ajoute : « Comme, dès sa plus tendre
enfance, elle avait été élevée à un don d'oraison très-
sublime, soutenue d'une austérité de vie dont on a peu
d'exemples, et de toutes les vertus qui peuvent convenir
aux personnes de son sexe, elle était déjà maîtresse
dans 1^ "vie apostolique lorsqu'elle entra au noviciat.
Aussi ne tarda-t-on pas, après sa profession, à la
charger du soin d'instruire les novices. Elle s'acquitta
de cet emploi avec un succès qui répondit à l'attente
que l'on en avait; elle peupla sa maison de saintes.
Ce fut dans ce temps-là, et pour l'instruction de ces
jeunes filles, qu'elle composa VEcole sainte, qui est un
des meilleurs catéchismes que les catholiques romains
aient en français. Appelée ensuite, par des voies extraor-
dinaires, à la conversion des filles sauvages du Canada,
elle passa à Québec en 1639 pour y fgnder un couvent
de son Ordre qu'elle a solidement établi, gouverné
longtemps avec une grande sagesse et soutenu dans
les temps fâcheux d'une manière presque miraculeuse.
Elle mourut en odeur de sainteté, le dernier jour
d'avril 1672. «
422 MARIE DE l'incarnation.
M. Emery, supérieur général de Saint-Sulpice, ne
mérite pas moins d'être cité. Il écrivait en 1800 à Mgr
J. 0. Plessis, évêque de Québec :
« J'ai beaucoup de vénération pour les Ursulines de
Québec, qui, sans doute, ont hérité des vertus éminentes
de la vénérable Mère Marie de l'Incarnation. C'est une
sainte que je vénère bien sincèrement et que je mets
dans mon estime à coté de sainte Thérèse. Dans ma
dernière retraite, sa vie, ses lettres et ses méditations
ont seules fourni la matière de mon oraison et de mes
lectures »
Feller termine ce qu'il dit à la louange de la véné-
ble Mère par les paroles suivantes : « Les écrits de cette
religieuse respirent cette onction sublime qu'on ne
trouve que dans les Saints. »
Laissant de côté bien d'autres témoignages rendus
à la sainteté de cette grande servante de Dieu, nous
finirons par celui du Père Ramière dans le Messager
du Sacré-Cœur du mois de juin 1866. « Peut-être dépend-
il des pieuses filles de Sainte-Ursule et des catholiques
canadiens d'obtenir, par leur ferveur et leur confiance,
l'élévation sur les autels de cette âme héroïque, dont
la glorieuse mémoire est le trésor commun et de l'Ordre
religieux qui la forma, et du pays auquel elle voua
son existence. ^
Si l'on joint à ces témoignages celui de Bossuet dont
nous avons parlé plus haut, et bien d'auires qu'il serait
trop long de rapporter, il est clair qu'à l'époque où
mourut la Mère de l'Incarnation, il n'y avait qu'une
voix pour la proclamer sainte, autant que cela était
CHAPITRE XIX. 423
possible avant le jugement de l'Eglise; et que depuis,
soit dans le monastère qu elle édifia durant trente-trois
ans, soit dans tout le Canada, où ne se répandit pas
moins l'éclat de ses vertus, la conviction qu elle mérite
les honneurs rendus aux saints du Ciel n'a fait que
croître aii lieu de s'affaiblir.
Nous allons en donner des preuves encore plus
manifestes en faisant connaître soit des gu^risons mira-
culeuses, soit d'autres faveurs attribuées à la puissance
de son crédit auprès de Dieu. Il est probable que des
faits de ce genre furent constatés dans les années qui
suivirent sa mort; mais le second incendie du monas-
'tère, arrivé en 1686, ayant détruit presque tous les
titres, il n'est pas étonnant qu'il ne soit rien resté
sinon une confiance indestructible, confiance qui serait
inexplicable si, de temps en temps au moins, la véné-
rable Mère n'avait pas donné des preuves de l'eflBcacité
de son intercession.
On remarquera, en lisant le récit des faits de guéri-
sons et autres grâces extraordinaires dont nous allons
donner connaissance, que l'on n'avait guère pensé à
les recueillir avant l'année 1867. C'est qu'avant cette
époque on n'entrevoyait pas encore le jour où la Mère
Marie de l'Incarnation pourrait être béatifiée. Mais
feu Mgr Baillargeon, archevêque de Québec, ayant
institué, en 1867, une commission qu'il chargea de
rechercher et de constater, selon les formes canoni-
ques, tout ce qui était de nature à démontrer la sain-
teté de la vénérable Mère, on sentit tout à la fois de
l'espérance, de la joie et un zèle nouveau. Seulement
424 MARIE DE l'incarnation.
comme la détermination du pieux prélat avait été
arrêtée subitement à la prière des Ursulines de Québec,
on se trouva pris au dépourvu. On éprouva un regret
universel de n'avoir pas fait plus d'attention aux guéri-
sons qui s'opéraient si fréquemment et auxquelles on
s'était, pour ainsi dire, accoutumé. On revint en arrière
autant que l'on put, en interrogeant les témoins des
miracles les pliis récents, et l'on parvint à réunir des
attestations trop nombreuses, il est vrai, pour que
nous puissions les reproduire toutes, mais qui le
seraient bien davantage si l'on avait toujours pris soin
de les recueillir à mesure que les faveurs étaient
obtenues. En effet, même parmi les miracles les plus
récents, il dut y en avoir un grand nombre qui échap-
pèrent aux recherches. On en a la preuve par les
lignes suivantes du registre des Ursulines de Québec,
à la date du 22 octobre 1867.
« Aujourd'hui oii s'assemble la commission nommée
au sujet des affaires relatives à la béatification de
notre vénérable Mère, ' une personne venue pour cher-
(1) La commission instituée par Mgr Baillargeon, qui se réunit pour la per-
mière fois le 22 octobre 1867, était composée comme il suit :
Juge : M. E.-A. Taschereau, D.-D., vicaire-général de Mgr Baillargeon ,
(aujourd'hui son digne successeur).
Juge adjoint : M. A. Racine, desservant de l'église Saint-Jean de Québec.
Promoteur fiscal : M. Edouard Bonneau, prêtre de l'archevêché, aumônier
militaire.
Postulateur : M. G. Lemoine, aumônier des Ursulines de Québec.
Notaire apostolique : MM. les abbés H. Gosselin, Baillargeon et Collet, ont
rempli successivement cette charge en devenant secrétaires de l'archevêché.
Portaient les sommations : MM. les abbés Gauveau, aumônier de l'archevêché,
et Godbout, vicaire à la cathédrale.
Après l'élévation de Mgr Taschereau à la dignité archiépiscopale, M. l'abbé
Racine devint juge, et fut remplacé comme juge adjoint par M. l'abbé Paquet,
DD., professeur de théologie à l'Université Laval.
CHAPITRE XX. 425
cher de l'eau du tombeau nous a indiqué trois guérisons
miraculeuses dont ùous n'avions pas même entendu
parler. Il est étonnant comme cette dévotion se propage.
On demande de l'eau du tombeau pour des personnes
du Bic, de Ga^pé, de Montréal, du Haut-Canada, et
même des Etats-Unis. »
Nous raconterons selon leur ordre chronologique
celles des grâces obtenues que l'on a bien voulu nous
faire connaître.
CHAPITRE XX.
Grâces obtenues à la suite de prières adressées à la Mère Marie de l'Incarnation.
— Guérisons obtenues en Amérique. — Mêmes faveurs obtenues en différentes
contrées de l'Europe. — Faveurs d'un autre genre.
Nous ne pouvons ni qualifier de miracles proprement
dits les faits que nous allons raconter, la sagesse de
l'Eglise lui ayant inspiré de se réserver à elle-même
tout jugement définitif sur les faits miraculeux; ni
même prononcer d'une manière absolue que ces grâces,
de quelque nature qu'elles soient, sont le résultat incon-
testable des prières faites dans le but et avec l'intention
de les obtenir. Il nous est permis toutefois de les faire
connaître, et de les présenter comme vrais, moyennant
les réserves prescrites par le Saint-Siège. Pour justifier
tout à la fois notre sentiment et notre conduite, nous
emprunterons quelques lignes au pieux auteur des
Voix prophétiques.
« On ne cesse, dit-il, de nous objecter le Pape Gélase
426 MARIE DE l'incarnation.
et les conciles de Latran et de Trente ; mais on oublie
que le Pape Urbain VIII est survenu, qu'il a porté le
décret du 13 mars 1625, confirmé plus tard par sa
bulle du 5 juillet 1634, après qu'il s'était d'ailleurs
clairement exprimé sur le sens de son décret, dans la
Congrégation générale de la sainte Inquisition romaine,
tenue au Palais apostolique du Quirinal, le 5 juin 1631.
Or, en cette Congrégation, Urbain VIII fit lui-même
connaître que l'on pouvait publier des révélations et
des miracles cinn proiestatione in principio {libri) quod Us
nulla adsit auctoritas ah Ecclcsia Romana, sed fîdes sit tantum
pênes auctorem : c'est-à-dire en protestant au commence-
ment du livre qu'on ne les donne pas comme approuvés
par la Sainte Eglise, mais comme un récit n'ayant
qu'une autorité privée. " (Voix prophétiques, V édit..
Introduction.)
L'Eglise ne nous interdit donc pas, en cette matière,
le légitime usage de nos lumières naturelles. Elle
permet par conséquent, à qui le voudra, d'examiner
trois choses : 1° si celui que l'on dit guéri miraculeuse-
ment était malade et très-gravement malade; 2° si des
prières, ou autres pratiques de dévotion ont été faites
dans le but d'obtenir sa guérison d'une manière surna-
turelle; 3° si, pendant ou immédiatement après ces
' prières, il a été guéri subitement, sans qu'on puisse voir
ou soupçonner une cause naturelle de cette guérison.
Lorsque cet examen, fait avec attention et une sérieuse
maturité par une personne judicieuse, conduit à l'affir-
mative sur les trois questions, celui qui a ainsi procédé
peut dire : Ma conviction est qu'il y a eu miracle.
Mais cette conviction n'est que pour lui et pour ceux
qui auront fait comme lui. Il ne lui est pas permis de
la donner comme équivalant , même à peu près ,
CHAPITRE XX. ^ 427
à un jugement de l'Eglise. Il peut avoir une certi-
tude, mais cette certitude est purement humaine et
individuelle. Elle lui suffit néanmoins pour croire de
cette foi individuelle qu'il y a eu miracle, et même
pour chercher à communiquer à d'autres sa propre
ccnviction.
Comme cette quesiion est importante, nous allons
la rendre plus claire encore par un exemple. Une jeune
fille de Blois, âgée de vingt-deux ans et sourde-muette
de naissance, fut guérie de sa surdité le 7 octobre 1872,
au moment où elle priait dans la grotte de Lourdes,
Plusieurs des personnes qui l'accompagnaient, prêtres,
religieuses, amies de la jeune fille, administrateurs
de l'Hôtel-Dieu, etc., la connaissaient depuis sa pre-
mière enfance et l'avaient, pour ainsi dire, vue tous
les jours, excepté quelques années qu'elle avait passées
à une école de sourdes-muettes d'Orléans ; mais cela
même était encore une preuve irrécusable de son état
d'infirmité. L'Eglise prescrit-elle à ces personnes, en
attendant qu'elle décide s'il y a miracle ou non, de
douter que la jeune fille ait été sourde -muette de
naissance? Evidemment non. Ce serait prescrire l'im-
possible. Leur défend-elle de croire que l'enfant a fait
le voyage de Lourdes pour obtenir sa guérison? Non
encore. Ce serait tout aussi impossible, puisque ce
furent elles qui l'engagèrent à faire ce pèlerinage et
en payèrent les frais, et qu'elles furent témoins de la
pieuse joie avec laquelle cette enfant manifestait le
désir et même l'espoir d'obtenir sa guérison. Enfin
l'Eglise défend- elle à ces mêmes personnes de croire
que cette jeune fille a cessé, dans la grotte de Lourdes,,
d'être sourde? Comment feraient- elles pour douter,
puisqu'elles l'ont vue donner des preuves manifestes
428 MARIE DE l'incarnation.
de sa guérisoD, que tous les jours, depuis lors, ces
preuves se sont renouvelées; que la jeune fille, qui ne
distinguait pas d'abord de quel côté venaient les sons,
ni la différence qui existe entre les différents timbres
de voix, distingue cela parfaitement aujourd'hui?' Elle
tourne la iête quand on fait du bruit derrière elle;
un son strident et subit lui fait éprouver une commo-
tion; une douce musique la réjouit. Après avoir sim-
plement et avec peine répété les syllabes à mesure
qu'on les lui prononçait en les isolant les unes des
autres, elle est parvenue à articuler des mots et des .
phrases et à entretenir passablement une conversation.
Comment douter de tout cela, quand on en est témoin
tous les jours? 2
D'un autre côté, on sait qu'aucun moyen naturel
n'a été employé. D'ailleurs, il n'en existe pas de connu.
Donc on peut avoir la certitude d'un miracle avant le
jugement de l'Eglise. Mais, je le répète, c'est une certi-
tude humaine. J'ajouterai que quand l'Eglise prononce,
elle ne fait que constater cette certitude humaine et
lui donner la garantie infaillible de sa prudence et de
(1) Quelques semaines après sa guérison, elle disait aux Sœurs de l'Hôtel-
Dieu : « Je trouve autant de différence entre vos voix qu'entre vos figures. »
Cette remarque naïve, qu'elle faisait encore par le langage des doigts, est à elle
seule une preuve de l'infirmité précédente et de la guérison survenue.
(2) Cette jeune personne, que nous avons vue plusieurs fois depuis sa guérison,
s'exprime en ce moment (mai 1873) comme ferait une étrangère qui, apprenant
le français depuis peu, commencerait à. le parler passablement. Ayant été intro-
duite dans la clôture des Ursulines pour y assister à une cérémonie et entendre
la musique, elle disait aux religieuses, dans son langage encore elliptique, et
où les verbes ne sont guère employés qu'à l'infinitif : •• Vous heureuses"! vous pas
sortir! » témoignant ainsi de son estime de 'a vie cloîtrée.
Au moment où nous corrigeons l'épreuve de la 2""= édition (25 février 1875),
cette jeune fille est au noviciat des Ursulines de Blois depuis trois semaines, sous
le nom de Sœur Marie-Bernadette. Dieu lui accorde persévérance et bénédiction !
CHAPITRE XX. 429
ses lumières surnaturelles. Sans cela il faudrait dire
qu'elle est favorisée d'une révélation, toutes les fois
qu'elle se prononce en faveur d'un miracle, et que ce
miracle devient article de foi.
»
Nous avons voulu mettre en avant ces préliminaires,
pour faire comprendre dans quel sens et avec quelle
intention nous présentons aux personnes pieuses les
guérisons et autres grâces obtenues à la suite de prières
adressées à la Mère Marie de l'Incarnation. Nous ne
prétendons même pas que tous ces faits sans exception
soient certains d'une certitude humaine absolue; mais
il en est un bon nombre contre lesquels il serait difficile
d'élever des objections sérieuses; et ceux qui ofTriraient
moins de garantie s'ils étaient considérés isolément,
se fortifient par leur nombre. Commentsupposer rai-
sonnablement que tant de personnes de tout âge, de
toute condition, vivant non-seulement à des centaines
de lieues les unes des autres , mais à des époques
différentes, ont pu se tromper, comme d'un commun
accord, sur des faits sensibles, palpables, sur des guéri-
sons permanentes? Il ne faut pas oublier que pour
deux personnes disposées à croire aux miracles, il y en
dix qui y sont hostiles, et vingt qui éprouvent en ce
cas une défiance involontaire. Nous croyons donc que
quiconque lira sans parti pris d'incrédulité les faits
que nous allons raconter, sera convaincu que tous ont
été certifiés avec bonne foi, et que le plus grand nom-
bre au moins sont inattaquables. Or il suffirait d'un
seul bien constaté pour prouver l'efficacité des prières
adressées à la Mère Marie de l'Incarnation, et, par
430 MARIK DK l'incarnation.
conséquent, le crédit puissant de cette sainte religieuse
auprès de Dieu.
Le premier en date remonte à l'année 1833, mais,
selon la remarque que nous avons faite plus haut,
les informations n'ont été recueillies et mises par écrit,
avec un soin attentif, qu'en 1867. Ce que nous en disons
est extrait du registre du monastère des Ursulines de
Québec. Il en est de même pour tous les autres récits
qui ne présentent pas d'indication contraire.
Ajoutons qu'on ne peut même pas les regarder comme
ayant l'autorité des informations prises canoniquement
par autorité archiépiscopale, et soumises en ce moment
à l'examen du Saint-Siège; mais on doit leur attribuer
simplement le crédit que méritaient des témoins hon-
nêtes, consciencieux, n'ayant aucun intérêt à tromper,
et aflSrmant des faits visibles et palpables.
En 1833, à l'ouverture du tombeau, mademoiselle
Margaret-Marie Gowan, j^lors pensionnaire, mainte-
nant sœur de Charité à Québec sous le nom de sœur
Marie du Calvaire, souffrait d'un bras depuis, près
d'un an et ne pouvait aucunement s'en servir. Ayant
fait une neuvaine en l'honneur de la vénérable Mère
de l'Incarnation, avec application de l'eau, elle se trouva
guérie.
Ce fait inspira dès lors une grande confiance dans
l'eau que nous venions de recueillir du cercueil avec
une religieuse vénération, ajoute l'annaliste du couvent.
Marie-Adèle Brunette, âgée de neuf ans, avait tou-
jours été d'une santé délicate. Le soir du 31 décembre
CHAPITRE XX. 431
1853, elle fut soudainement prise d'une vive douleur
dans les yeux. Le mal s'accrut au point de priver
l'enfant de sommeil. Quelques jours plus tard, on s'aper-
çut que ses yeux se couvraient d'une taie. Cette taie
s'épaissit, perdit toute transparence et couvrit complè-
tement les yeux de l'enfant, qui n'en continuait pas
moins à souffrir. Il fallait, non-seulement la tenir dans
une chambre obscure, mais lui couvrir les yeux d'un
épais bandeau, qu'elle n'ôtait pas même pour prendre
sa nourriture. Elle était dans un si pitoyable état, que
son père disait souvent qu'il QÛt cent fois préféré la
voir morte.
Le médecin de l'endroit lui donna des soins assidus
pendant près de six mois ; mais les remèdes ne firent
qu'accroître les souffrances. Il était impossible de faire
ouvrir les yeux à la. malade, quelque promesse qu'on
lui fît et quelque surprise qu'on lui causât. Sur la fin
de juillet 1854, une cousine de l'enfant (depuis, elle
est morte religieuse aux Ursulines de Québec) suggéra
à ses parents de demander la guérison de Marie-Adèle
par l'intercession de la vénérable Mère Marie de l'Incar-
nation. Cette proposition fut si bien acceptée, que les
parents et plusieurs familles du voisinage convinrent
de se réunir chaque jour, à une heure marquée, chez
un oncle de l'enfant, qui était en grande réputation
de piété.
Le premier jour, après avoir couvert les yeux de
la malade de manière à les rendre inaccessibles au
moindre rayon de lumière, on la conduisit, ou plutôt
on la traîna au lieu indiqué, tant elle était faible. Le
second jour, elle demanda à marcher seule, ayant soin
de se tenir tout près de sa mère. Bientôt elle put
supporter le jour suffisamment pour se guider elle-
432 MARIE DE l'incarnation.
même ; elle remarquait divers objets , s'étonnant de
leur nouveauté et des plus légers changements opérés
dans la maison depuis sept mois. Enfin le neuvième
jour, à la joie de tout le monde, un de ses yeux était
parfaitement clair.
Dans l'intervalle, on avait écrit au monastère pour
avoir de l'eau du tombeau de la Mère de l'Incarnation.
Une seconde neuvaine avec application de cette eau
compléta la guérison. L'enfant n'éprouvait plus aucune
douleur, même en marchant en plein soleil ; ses yeux
n'ont plus été malades, sa santé s'est refaite. C'est
aujourd'hui une jeune fille d'un fort tempérament,
capable des plus rudes travaux. Elle est si bien con-
vaincue d'avoir été guérie par une intervention céleste,
qu'elle conserve comme une précieuse relique la petite
fiole qui contenait l'eau du tombeau, quoiqu'elle soit
vide depuis longtemps.
Ce témoignage a été rendu par la jeune fille elle-
même et par sa mère, le 3 juin 1862.
Le témoignage suivant n'a été recueilli qu'en 1868.
En 1855, madame Calliste Dion, de Saint-Pierre-
Rivière-du-Sud, de Stanfold, avait au sein une glande
dont elle fit d'abord peu de cas. Mais son efïroi fut grand
quand elle vit cette glande augmenter avec rapidité,
et surtout quand elle eut la conviction qu'elle était
atteinte d'un cancer. Elle dut se décider à recourir à
la médecine. Cependant, comme elle allait commencer
une neuvaine à la Mère de l'Incarnation pour une de
ses cousines aveugle depuis plusieurs années, elle
résolut d'en faire ensuite une pour elle-même. L'eau
CHAPITRE XX. 433
miraculeuse n'arriva que vers le milieu de la neuvaine
commencée pour la personne aveugle. Madame Dion,
qui s'était chargée de porter elle-même cette eau, partit
de grand matin , afin de pouvoir entendre la sainte
Messe et communier pour sa cousine. Elle avait eu la
dévotion de mettre la fiole sur sa tumeur, qui parfois
la faisait étrangement souffrir.
Madame Dion ne demandait pas encore sa propre
guérison, mais sa charité fut récompensée de la manière
la plus admirable et la plus inespérée. Au sortir de
l'église, elle s'aperçoit que non-seulement elle ne souffre
plus, mais que la tumeur même a disparu. Depuis, elle
n'a ressenti aucune atteinte de ce mai.
En 1860, au faubourg Saint-Jean, Amélie Lefrançois,
âgée de treize à quatorze ans, ayant perdu l'usage d'un
œil par suite de la petite vérole, recouvra la vue pen-
dant une neuvaine à notre vénérable Mère de l'Incar-
nation, avec application de l'eau du tombeau.
En 1860 , au pensionnat , mademoiselle Virginie
Godbout, maintenant religieuse au Bon-Pasteur sous
le nom de Sainte-Dosithée , avait souffert des yeux
depuis l'enfance, passant quelquefois la plus grande
partie de l'année sans pouvoir supporter le jour. Sentant
alors que son mal reprenait avec ténacité, elle substitua
aux remèdes l'eau du tombeau, et eut recours à la
vénérable Mère de l'Incarnation. A partir de cette
époque (elle avait dix-sept ans), elle poursuivit régu-
M. D. l'inc. 28
434 MARIE DE l'incarnation.
lièrement ses études; et ercore aujourd'hui (mai 1867),
elle attribue à la Mère de l'Incarnation le bon état
de fa vue.
Guérison de mademoiselle Cécile Landry, fille de
M. J.-E.-J. Landry, professeur à l'Université Laval.
M. le docteur Landry, l'un des membres les plus
éminents du corps médical, a rendu le 22 décembre
1862, et a renouvelé en 1867, devant plusieurs per-
sonnages ecclésiastiques, un témoignage dont voici la
substance.
« En septembre 1859, ma fille fut atteinte de tic
douloureux excessivement violent/ La douleur, siésreant
au côté gauche de la face, revenait par paroxysmes
qui duraient tantôt une heure, tantôt deux heures et
même plus. Ces paroxysmes étaient fréquents, c'est-
à-dire revenaient tous les deux ou trois jours. En
novembre, le mal s'aggrava : il y avait quelquefois deux
paroxysmes par jour, et d'une violence extrême. Elle
fut de nouveau, soumise à un traitement médical suivi,
et les douleurs cessèrent graduellement vers la fin de
décembre.
" Elle entra, le l®"" février 1860, au couvent des Ursu-
lines de Québec. Le lendemain, elle eut un retour de
son mal, qui dura sans interruption notable jusqu'à
la veille de l'Annonciation, 24 mars. Pendant cette
dernière période, les accès furent trôs-violents et très-
fréquents ; elle en eut jusqu'à quatre dans la même
journée. Le 16 mars, c'est-à-dire neuf jours avant la
ïèiQ de l'Annonciation, ses bonnes maîtresses, les dames
Ursulines, eurent la bonne pensée de la recommander
dans une neuvaine qu'elles lui conseillèrent et à laquelle
CHAPITRE XX. 435
elles eurent la charité de s'associer,, ainsi que plusieurs
des pensionnaires confiées à leurs soins, à la vénérable
Mère Marie de l'Incarnation. Pendant toute la durée
de cette neuvaine, les accès furent quotidiens et très-
violents, à l'exception de l'avant-dernier jour de la
neuvaine, où l'accès fut léger, comparativement aux
autres, et ce fut le dernier. A partir de ce moment,
ma fille fut guérie. Elle n'a jamais ressenti depuis
aucune atteinte du mal qui, durant six mois et plus,
en avait fait une martyre.
» Je ne puis attribuer à autre chose qu'à la miséri-
cordieuse et puissante intercession de la vénérée Mère
Marie de l'Incarnation auprès de Dieu, une guérison qui
dure depuis huit ans. »
' Ce fait, de nature à exciter chez les bonnes reli-
gieuses une grande reconnaissance envers la vénérée
Mère Marie de l'Incarnation, a laissé dans l'âme de
mademoiselle Cécile Landry une impression qui ne
s'effacera jamais. Elle aime le nom de la Mère Marie
de l'Incarnation ; c'est par elle qu'elle prie Jésus et
Marie, ainsi que le font également son père recon-
naissant et sa tendre mère. Dès ses jeunes années, le
docteur Landry, lisant la Vie de la Mère de l'Incarnation
par le Père Charlevoix, avait appris à connaître cette
grande servante de Dieu.
Témoignage abrégé du même docteur Landry, rendu
en 1862 relativement à la guérison de la révérende
Mère Sainte-Angèle, Ursuline.
" Lorsquen 1859 je fus chargé de donner des soins
médicaux à la communauté des Ursulines de Québec,
436 MARIE DE l'incarnation.
•
une des premières religieuses qui se présentèrent à
l'infirmerie fut la révérende Mère Sainte-Angèle. Cette
dame portait les traces d'un mal qui devait l'affecter
depuis longtemps. Elle était d'une pâleur et d'une
faiblesse extrêmes. Le moindre exercice était pour eîle
une fatigue; son appétit était très-mauvais, sa diges-
tion difficile, ses intestins habituellement constipés.
Elle me déclara avoir de fréquentes hémorragies
intestinales.
" Les toniques ferrugineux, la quinine, -le vin furent
employés libéralement. Sa santé, pendant un temps,
sembla s'améliorer, l'anémie diminua un peu, de même
que les hémorragies, sans cependant disparaître tout
à fait.
^ A partir de la mi-février 1862, les douleurs devin-
rent tellement vives et constantes que la révérende
Mère fut contrainte de garder tout à fait le lit. J'avais
toujours considéré cette religieuse comme une invalide
à peu près incurable et condamnée à traîner, jusqu'à
la fin de sa vie, une santé délabrée. Dans les premiers
jours de mai de la même année, à l'une de mes visites,
la révérende mère Sainte-Angèle me dit qu'elle éprou-
vait quelque amélioration dans son état. Quelques jours
plus' tard, elle me déclara, et par l'ordre de sa supé-
rieure, qu'elle était guérie.
y> Depuis cette époque, je n'ai plus vu mon ancienne
patiente, si ce n'est dernièrement (novembre 1862), qu'à
ma demande, elle s'est présentée. Je désirais constater
son état actuel, avant d'écrire la relation des faits qui
se sont passés à ma connaissance. J'ai trouvé, chez la
révérende Mère Sainte-Angèle, une apparence de santé
que je ne lui ai jamais vue auparavant. Elle porte
encore, il est vrai, quelques traces de son ancien état;
CHAPITRE XX. 437
elle est encore un peu pâle; les hémorragies intesti-
nales, si fréquentes autrefois, n'ont pas complètement
cessé; mais elles ne paraissaient plus qu'à de très-rares
intervalles. Son appétit, m'a-t-elle dit, est bon et s'ac-
commode à la nourriture de la communauté. Elle
vaque à tous les devoirs de sa charge, et tous ses mouve-
ments, au liieu d'être lents et mesurés comme autrefois,
s'exécutent avec une prestesse qu'on ne remarque ordi-
nairement que chez les personnes jeunes et bien
portantes.
» L'amélioration dans l'état de la révérende Mère
Sainte-Angèle a été trop prompte et trop considérable;
sa guérison a duré trop longtemps maintenant pour
que je puisse l'attribuer au traitement que je lui ai
fait subir. »
La guérison ainsi constatée avec autorité et une
sage réserve par le docteur, est expliquée de la manière
suivante par la révérende Mère Sainte-Anne, Assistante
de la commimauté des Ursulines, et personne d'une
grande expérience dans le soin des malades.
« Le mauvais état de santé de la Mère Sainte-Angèle
datait de vingt-quatre ans; mais, de 1848 à 1862, il
n'avait guère cesser d'empirer. En conséquence, plus
de récitation publique de l'Office divin, ni de jeûnes,
ni d'abstinences; état habituel de souffrance ou de débi-
lité qui l'empêchait d'être à aucune observance. C'est
ce qui avait engagé l'aumônier du monastère, au mois
d'août 1862, à choisir la Mère Sainte-Angèle comme
une malade dont la guérison devait être une grande
gloire pour la Mère de l'Incarnation. Aussi, la neuvaine
se fit publiquement; toutes les élèves y prirent part,
4SS MARIE DE L INCARNATION .
VU surtout qu'il s'agissait de leur maîtresse générale
qui n'avait pas paru au milieu d'elles depuis trois mois.
La proposition, quoique faite par M. l'aumônier, étonna
fout le monde; les élèves surtout furent extrêmement
surprises. « La maîtresse générale ! dirent-elles; autant
vaudrait demander la résurrection d'un mort. Elle n'a
plus une goutte de sang dans les veines. Et puis/ il
faudrait la rajeunir! «
" Pour les décider à prier à cette intention, il fallut
leur rappeler la toute-puissance de Dieu, à qui il n'en
coûterait pas plus pour réparer son œuvre que pour
la créer; que le miracle n'en serait que plus manifeste.
Malgré cela, bien des esprits restèrent incrédules;
on priait, mais plusieurs espéraient peu.
" Une neuvaine solennelle avait été commencée le
22 avril. Nous disions chaque jour, à l'issue de la
sainte Messe, la prière à l'honneur du Cœur de Jésus
composée par la vénérable Mère, trois Pater, trois Ave,
trois Gloria Patri et trois invocations à la vénérable
Mère Marie de l'Incarnation. Nous lisions aussi des
extraits de sa vie, arrangés en neuvaine par une de
nos sœurs. Les RR. PP. Jésuites eurent la charité
d'unir leurs prières aux nôtres, et notre digne aumô-
nier offrit plusieurs fois, à la même intention, le Saint-
Sacrifice. Enfin, le neuvième jour, 30 avril, jour anni-
versaire de la mort de notre vénérable Mère, nous
exposâmes son tableau dans la chapelle intérieure,
mais avec des sentiments tout particuliers de confiance
et de foi. M. notre aumônier nous adressa des paroles
pleines d'onction et de piété, et toutes nous commu-
niâmes pour obtenir la grâce demandée. Notre chère
malade avait communié, dès cinq heures, dans son lit.
Après la messe, la Mère supérieure va la voir, et ne
CHAPITRE XX. 439
pouvant croire quelle ne fût pas guérie, elle lui dit
de se lever. Aidée d'une sœur, la malade se mit en
devoir d'obéir et essaya de marcher ; mais elle ne put
se soutenir et il fallut la faire recoucher aussitôt. —
Vous voyez bien, ma Mère, dit-elle, que le bon Dieu
me veut dans l'état où je suis. J'avais un grand désir
de faire glorifier notre vénérable Mère ; mais la volonté
de Dieu soit faite! Ne parlons plus de ma guérison.
— Ce n'est pas ainsi que je l'entends, reprit notre
Mère supérieure, comme mue par une inspiration
divine; vous allez, dès demain, commencer une autre
neuvaine; vous demanderez à notre vénérable Mère
de vous obtenir au moins ce qu'il vous faut pour remplir
votre emploi, et, à la fin de cette neuvaine, vous viendrez
communier au chœur, à la messe .
» La malade obéit en toute simplicité, et commença
le lendemain, V^ mai, cette seconde neuvaine, que la
communauté et le pensionnat firent aussi. Dès le pre-
mier jour, la Mère Sainte-Angèle éprouva un mieux
si sensible qu'elle reprit la récitation de son Office.
L'appétit et le sommeil lui revinrent, et elle recouvra
tellement ses forces, que, le septième jour, elle se rendait
au confessionnal, et, le neuvième, elle descendait au
chœur et y communiait à la messe, selon l'ordre qu'elle
en avait reçu.
y La Mère Sainte-Angèle avait demandé de pouvoir
remplir son emploi ; elle l'avait pleinement obtenu, et,
sans songer à demander davantage, elle commença
une neuvaine d'action de grâces, se rendant chaque
jour en pèlerinage au tombeau de notre vénérable Mère.
y> Admirable effet de la générosité de Dieu! A dater
de ce vendredi, 9 mai, non- seulement elle se trouve
délivrée de toutes ses infirmités, mais elle sent une
440 MARIE dp: l'incarnation.
telle vigueur dans tous ses membres que, pendant cette
neu'vaine d'action de grâces, elle fait les trois absti-
nences de règle, prend les observances, lit au réfec-
toire, se lève à quatre heures; et enfin, le dimanche,
chante les vêpres comme officiante, avec une force
dont peu de jeunes sœurs eussent été capables. Les
élèves surprises et émues entonnent et chantent le
Magnificat avec un entrain qui témoignait de la dispo-
sition de leurs cœurs. Plusieurs même pleuraient à la
vue d'une faveur aussi remarquable.
» Quant à notre chère Mère ressiiscitée, comme les
élèves l'appellent, elle sort du chœur sans éprouver
aucune fatigue, et le temps qui s'est écoulé depuis n'a
servi qu'à mieux démontrer la réalité du prodige. Elle
s'accommode en tout de la nourriture commune; elle
fait tous les jeûnes et les abstinences de la règle ; elle
a observé le carême dernier avec plus de facilité que
lorsqu'elle était jeune avant de tomber malade. Le
changement de température ne l'affecte pas. Peu après
sa guérison, elle suivit au dehors, avant six heures
du matin, par un temps froid et humide, la procession
des Rogations et n'en éprouva que du bien-être. Elle
récita sans difficulté le grand office de l'Ascension, et,
deux jours après, celui de sainte Angèle, i suivant
tous -les exercices de cette dernière fête depuis quatre
heures et demie du matin jusqu'à dix heures, restant
debout ou à genoux aussi facilement que les mieux
portantes. En un mot depuis plus de deux ans, elle
n'a pas manqué- au plus petit exercice, depuis quatre
heures du matin jusqu'à neuf heures du soir. Sa gué-
(1) Les Ursulines de la Congrégation de Paris récitent, à ces fêtes, ei à
un certain nombre d'autres pendant T'année , le grand office ou Bréviaire
romain.
CHAPITRE XX. 441'
rison est si constante et si réelle, qu'il lui semble avoir
rêvé qu'elle était malade. Je suis plus que guérie,
disait-elle un jour; je ne me comprends plus. Les
exercices qui me fatiguaient lorsque j'étais jeune reli-
gieuse et en santé, ne me fatiguent nullement; quand
ils sont finis, je suis prête à les recommencer. C'est
une vraie résurrection; je suis dans un autre corps. »
Madame Joseph Létourijeau, de Saint-Roch de Qué-
bec, a attesté ce qui suit :
Dans l'été de 1862, elle fut attaquée d'une complica-
tion de maux dont le principal était une inflammation
d'intestins. Vers le milieu de juillet, le médecin, la
quittant le soir, dit>à son mari de le faire prévenir
si elle était encore en vie le lendemain matin. On était
si persuadé qu'elle ne passerait pas la nuit, que ses
connaissances du voisinage s'étaient réunies pour l'as-
sister à ses derniers moments. Une d'entre elles s'étant
procuré de l'eau du tombeau de la Mère de l'Incarna-
tion, lui demanda en arrivant si elle y avait confiance.
— Mon Dieu î s'écria-t-elle; serais-je assez heureuse
que d'avoir de cette eau sainte! Oh! oui, j'y ai con-
fiance; je suis sûre que cette sainte Mère me guérira....
Et je me mis à pleurer, dit-elle, sans m'expliquer
pourquoi je sentais dans mon cœur quelque chose qui
me disait que j'allais revenir à la vie.
Elle prit de l'eau et se sentit mieux toute cette
nuit. Le lendemain, le médecin la trouva hors de
danger. Pendant toute la convalescence, elle voulut
avoir sous les yeux l'image de la Mère de l'Incarna-
tion, convaincue, ainsi que sa famille, qu'elle doit à
442 MARIR DE l'incarnation.
l'intercession de cette vénérable Mère son retour à la
santé.
Madame Adolphe Lachance, née Soulanges Daillar-
geon, de Saint-Roch de Québec, souffrait depuis deux
ans d'un mal de côté qui ne lui laissait presque pas de
repos. L'appétit était complètement perdu, elle n'avait
plus qu'un sommeil pénible et interrompu. Le bras
gauche lui semblait parfois comme paralysé. Voyant
que les remèdes ne la soulageaient en rien, elle y avait
renoi ce quand elle entendit parler de l'eau miraculeuse.
Elle en demanda et commença une neuvaine. Ses
prières furent si bien exaucées, que jamais depuis elle
ne s'est aperçue du mal opiniâtre dont elle avait souffert
pendant deux ans, et dont les ac';',ès revenaient si fré-
quemment que, le dernier hiver, elle n'avait pu aller
que trois fois à la messe.
La vigueur et l'embonpoint lui reviennent, et elle
est restée tellement frappée de la faveur qu'elle a reçue
que, depuis cinq ans, son plus grand bonheur est do
répandre la dévotion à notre vénérée Mère de l'Incar-
nation. « Cette chère Mère. est toujours présente à mon
esprit, dit- elle; si je m'éveille la nuit, si j'entreprends
quelque chose ou suis en quelque difficulté, je l'invoque
aussi naturellement que jç respire. «
Ce témoignage a été rendu par la dite dame, à la
grille du parloir, le 10 février 1867.
Madame Joseph Bélanger, née Luce Baiilargeon,
de Saint-Roch de Québec, a donné les détails suivants
sur une faveur qu'elle a obtenue.
CHAPITRE XX. 443
Son enfant, âgé d'environ treize mois, avait, depuis
quinze jours, la partie supérieure du visage couverte
d'une gale épaisse qui lui fermait complètement les
yeux, et à travers laquelle supurait difficilement une
matière épaisse. Le médecin ne voulut rien^ appliquer
à ce mal, disant qu'il serait dangereux de le guérir.
La mère, voyant qu'il gagnait la bouche et les oreilles,
s'alarma. Sa soeur, madame Lachance, qui avait obtenu
une faveur signalée de la vénérable Mère , la pressa
de se servir avec foi de l'eau miraculeuse, dont elle
avait encore quelques gouttes, lui affirmant que l'enfant
guérirait comme elle avait été guérie elle-même. L'eau
fut appliquée légèrement et avec parcimonie, au moyen
d'une plume, sur les parties malades, et, à la joie géné-
rale, le caractère du mal parut changer aussitôt. A la
troisième ou quatrième application, tout avait disparu
comme par enchantement, dit la mère. Cette guérison
a été obtenue en 1862. La petite fille a maintenant
six ans; elle n'a jamais éprouvé aucune conséquence
fâcheuse de cette cure subite, ni retour de cette humeur
extraordinaire.
GUÉRISON d'une SŒUR DE CHARITE.
En 1862, le 31 octobre, à Cacouma, quarante lieues
de Québec, Sœur Marie de Jésus, malade à l'extrémité,
au point qu'on lui avait récité les prières des agoni-
sants, donna signe de vie à la première application de
Veau miraculeuse. Quelques heures après, le médecin la
trouvait hors de danger.
Premier témoignage, résultant d'une lettre écrite,
quelques jours après la guérison, par l'Assistante de
la maison-mère des Soeurs de Charité. •
444 MARIE DE l'incarnation.
« Mardi, 4 novembre 1862.
» Ma très-honorée Mère,
» Mille remercîments pour la petite fiole d'eau que
vous avez eu la bonté de nous envoyer.... Comme je
vous l'écrivais vendredi, ma sœur Marie de Jésus était
très-mal; et lo soir, lorsque notre Mère supérieure
arriva, elle était à l'extrémité; on dit même pour elle
les prières des agonisants. Après avoir pris quelques
gouttes de votre eau miraculeuse, ou plutôt après
qu'on lui en. eut mis sur leâ lèvres, car je ne pense
pas qu'elle fût en état d'en avaler une seule goutte,
elle commença à revivre et à prendre un peu de forces.
Le lendemain, le médecin, à sa grande surprise, la
trouva hors de danger.
» Ma Révérende Mère, ayez, s'il vous plaît, la bonté
de nous aider à remercier le bon Dieu et sa fidèle
servante pour la grande grâce qu'il vient de nous
accorder.
y^ Sœur Marie de Bon-Secours, Assistante. »
A la Révérende Mère supérieure des Ursiilines (te Québec.
Deuxième témoignage, rendu par M. le curé de
Cacouma.
« Pour en informer qui de droit, et pour la gloire de
Dieu dans ses» saints, je déclare et certifie ce qui suit :
" En 1862, le 31 octobre, j'ai cru devoir administrer
les derniers sacrements à la révérende sœur Marie de
Jésus, Sœur de la Charité de Québec. J'ai été poussé
CHAPITRE XX 445
à en venir là par mon propre jugement : car dans
l'ordre ordinaire des choses^ il m'a paru impossible
qu'elle ne dût pas mourir, à moins d'un miracle. Le
médecin m'avait aussi conseillé d'en agir ainsi, parce
qu'il ne voyait aucun moyen de lui sauver la vie.
» A ma connaissance, la Mère supérieure de la
communauté des Sœurs de Charité de Québec, ayant
elle-même une très-grande confiance en de l'eau trouvée
dans le tombeau de la vénérable Mère Marie de l'Incar-
nation des Ursulines de Québec, excita notre chère
Sœur Marie de Jésus à mettre toute sa confiance en
cette sainte et à demander sa guérison par son inter-
cession. Elle prit quelques gouttes de cette eau sur
les neuf ou dix heures du soir. La nuit fut bien bonne,
et, le jour suivant, le mieux fut très-considérable, au
point que tous, dans la maison et au dehors, ne purent
s'empêcher de crier au miracle, à une guérison cer-
taine par l'invocation de la vénérable Mère Marie de
l'Incarnation.
» En foi de quoi, j'ai signé la présente déclaration,
le 21 mai 1867.
» J.-C. Cloutier, Curé de Cacouma. ^
Le 17 février 1867, le sieur J.-B. Clouet, venant au
monastère chercher de l'eau du tombeau pour un de
ses neveux devenu presque aveugle, déclare que lui-
même, après avoir souffert pendant au moins vingt ans
d'une vive douleur dans les yeux, fut complètement
guéri vers le milieu d'une neuvaine où il s'appliquait,
chaque jour, une goutte de cette eau sur les yeux.
Il y ^ de cela cinq ans, et ses yeux ont toujours été
446 MARIE DE l'incarnation.
parfaitement bien depuis. Sa sœur et sa belle-sœur ont
profité de cette grâce pour étudier les vertus de la
Mère de rincarnation, et il est consolant de les entendre
parler d'une manière si digne de cette grande servante
de Dieu.
Les infirmités d'Elie Desharnais, cultivateur à Stan-
fold, avaient commencé en 1856. A la suite d'un effort
qu'il s'était donné en fauchant, et qui lui avait occa-
sionné une longue maladie, il s'était vu contraint de
renoncer à tout travail tant soit peu pénible.
Deux ans après, un accident bien plus grave le
réduisit à une impuissance presque absolue. Un jour
qu'il revenait des champs, son cheval lui donna dans
l'estomac une ruade qui le renversa par terre, où
l'animal continuait à le frapper rudement. Des per-
sonnes qui étaient accourues le relevèrent sans senti-
ment et presque sans vie. Il fut quarante-huit heures
privé de connaissance, ef, pendant les sept ou huit
jours qui suivirent, il retombait incessamment dans
cet état d'insensibilité.
Après un certain temps le malade put marcher, mais
il ne recouvra aucune vigueur. Toute la part qu'il
prenait à la culture de sa terre consistait à conduire
et surveiller les travaux. Ce n'est pas que de temps
en temps il n'essayât ses forces, mais chaque tentative
amenait une aggravation de son état et le forçait de
garder le lit pendant plusieurs semaines.
Desharnais était donc infirme depuis six ans quand,
au printemps de 1862, sa sœur, religieuse converse
au monastère des Ursulines de Québec, lui fit connaître
une guérison qui venait d'avoir lieu dans la maison.
CHAPITRE XX. 447
l'engageant à s'adresser, lui aussi, à la vénérable Mère
Marie de l'Incarnation. Une première neuvaine n'ayant
amené aucun mieux sensible, la bonne religieuse profita
de la visite d'une de ses sœurs, qui se rendait à Stan-
fold, pour envoyer à son frère de l'eau du tombeau
de la Mère de l'Incarnation, le pressant de faire une
seconde neuvaine et de tâcher de la terminer par la
sainte communion. Cette seconde neuvaine fut faite,
l'eau fut appliquée sur l'estomac, siège du mal, et le
neuvième jour, le malade communia. Sa foi et sa con-
fiance ne furent pas vaines. A partir de ce moment,
toute trace de son infirmité disparut. S'étant aussitôt
mis à l'ouvrage et n'en ayant éprouvé aucun incon-
vénient, il entreprit et exécuta la plus forte part de
tous les travaux des champs, fauchant et serrant son
foin, coupant ses grains, etc. Ceci avait lieu dans l'été
de 1862, époque où la besogne avait doublé par suite
du départ de deux de ses frères qui étaient allés s'éta-
blir ailleurs. Depuis lors, il n'a cessé de se livrer aux
plus rudes travaux, comme il le faisait avant les six
années de son infirmité.
Tel est le témoignage que lui-même a rendu à la
grille du parloir des Ursulines, le 12 novembre 1866,
ayant fait, à la demande des religieuses, le voyage de
Stanfold à Québec, pour rendre compte de sa guérison.
Comme on lui faisait l'observation que ce voyage le
dérangeait dans ses affaires et lui occasionnait une
dépense, il répondit que cette dépense n'était rien,
comparée aux avantages qu'il avait retirés de sa gué-
rison, et qu'il devait bien cette petite marque de recon-
naissance à celle qui l'avait si particulièrement assisté.
La religieuse qui nous a donné ce récit ajoutait :
«* Il ne manque pas un seul jour de réciter les prières
448 MARIE DE l'incarnation.
de la neuvaine dont les résultats ont été si heureux
pour lui. » Il avait quarante et un ans à l'époque de
sa guérison.
Léda Pruneau, de Saint-Roch de Québec, étant âgée
de neuf ans, souffrait d'un violent mal d'yeux quand
dans l'automne de 1862, son état empira considéra-
blement. Elle ne pouvait supporter le moindre rayon
de lumière. Son œil droit surtout était très-enflammé ,
et distillait constamment une épaisse matière.
On avait consulté un médecin; mais, en voyant que
le mal s'aggravait toujours, on avait cessé les remèdes.
Au mois de janvier 1863, M. Pierre Fournier, parrain
de l'enfant, étant venu voir sa belle-sœur, religieuse
converse en cette maison, exprima sa compassion sur
le triste état de cette enfant. Notre sœur lui conseilla
une neuvaine à la vénérable Mère Alarie de l'Incar-
nation et lui donna de l'eau de son tombeau.
La neuvaine fut aussitôt commencée dans de grandes
dispositions de foi et de confiance, avec application
de l'eau miraculeuse sur les yeux de l'enfant. La mère
allait tous les jours à la messe et elle communia dans
le cours de la neuvaine.
Dès "la première application de l'eau, il sembla à
l'enfant qu'on lui ôtait le plus vif de ses douleurs.
Chaque nouvelle application était suivie d'un mieux
si sensible, que tous les témoins en étaient frappés.
A la fin de la neuvaine, la petite malade était complète-
ment guérie. Elle a aujourd'hui treize ans, et, depuis
sa guérison, elle n'a souffert des yeux en aucune
manière. Les cicatrices qui avoisinent l'œil droit attes-
tent encore la gravité de son mal.
CHAPITRE XX. 449
Ce témoignage a été rendu, par la mère et par la fille,
le 13 février 1867.
En 1864, au faubourg Saint-Jean, à Québec, madame
Ëlzéar Vincent, âgée d'environ trente "ans, souffrait
depuis sept semaines d'un mal de genou dont l'inflam-
mation se répandait dans la cuisse, au point qu'elle
était réduite à garder le lit, sans s'aider elle-même
en aucune sorte. Mademoiselle Bilodeau, ancienne
élève de l'école normale Laval, étant venue ici chercher
de l'eau du tombeau, commença avec elle une neuvaine
à la vénérable Mère de l'Incarnation. Dès la première
application de l'eau sur le genou, la malade éprouva
du soulagement. Le troisième jour, elle était très-bien
et pouvait vaquer aux soins de son ménage.
Mademoiselle Cécile Huet, venue à notre grille au
printemps de 1867, a déclaré que deux ans auparavant,
s'étant instamment recommandée à la vénérable Mère
Marie de l'Incarnation, elle avait été guérie d'un asthme
dont elle souffrait depuis vingt ans, parfois extraordi-
nairement, surtout les deux années qui ont précédé
sa guérison. Elle est âgée de soixante ans.
M. l'Abbé Olivier Caron, Vicaire-Général de Mon-
seigneur Thomas Cooke, évêque des Trois-Rivières,
ainsi que la révérende Mère supérieure des Ursulines
de cette ville, nous avaient fait part de la maladie
M. D. LINC.
29
450 MARIE DE L INCARNATION.
étrange et de la guérison surprenante de mademoiselle
D. Caron ; mais nous sommes heureuses de voir le tout
corroboré par le témoignage rendu en février 1867 par
M. le Docteur Hyacinthe Beauchemin, dq la paroisse
de Sainte-Anne d'Yamachiche. C'est quatre mois après
l'heureux événement, que M. le Docteur Beauchemin
écrivait ce qui suit. Nous abrégeons un peu.
« Mademoiselle Dorimène Caron, âgée de trente ans,
était atteinte, depuis cinq à six ans, d'une anémie qui
l'avait réduite à une faiblesse extrême et à un marasme
tel qu'on désespérait de ses jours. Pendant tout ce
laps de temps, elle dut abandonner toutes les occupa-
tions du ménage, et, depuis deux ans, sa faiblesse était
telle qu'elle était incapable de se rendre à elle-même
le moindre service. Les cinq ou six derniers mois,
tout le système nerveux devint fortement ébranlé, et
des symptômes de choréa, ou danse de Saint-Guy,
se manifestèrent. Le mal, présentant des caractères
de plus en plus alarmants, finit par amener une lésion
très- grave des facultés intellectuelles. Les moments
lucides étaient rares et de peu de durée. C'étaient
tantôt des périodes d'excitation, tantôt des périodes de
dépression qui allèrent jusqu'à la fureur, et qui néces-
sitèrent les efforts de plusieurs personnes pour la
maîtriser.
y> Cette maladie mentale résista, comme les autres,
au traitement suivi que je lui fis subir, et alla toujours
croissant jusqu'au moment où la malade elle-même,
dans un moment lucide, pensa à recourir à Dieu.
» On la conduisit dans ce but chez les Ursulines
CHAPITRE XX. 451
des.Trois-Rivières, qui lui conseillèrent d'avoir recours
à la puissante intercession de la vénérable Mère Marie
de l'Incarnation.
» Pendant toute la neuvaine, la malade continua
d'être très-mal, jusqu'au dernier jour oii elle fut subite-
ment guérie ! Depuis ce temps, elle jouit d'une santé
parfaite, a recouvré toutes ses facultés intellectuelles,
possède un embonpoint étonnant et se livre à tous les
travaux de la maison.
« Mon opinion sur cette guérison.
^ Toutes les névroses ont pour caractère d'être de
longue durée et sont très- difficilement curables. Quant
à l'aliénation mentale dont la malade a été affectée
les cinq ou six derniers mois, elle peut quelquefois
disparaître d'une manière spontanée. L'anémie et l'état
de marasme où elle était depuis longtemps, ne pou-
vaient pas, suivant moi, disparaître aussi subitement.
" De plus, pour croire qu'une lésion aussi grave des
facultés intellectuelles n'eût pas été guérie par les
prières adressées à la vénérable Mère Marie de l'In-
carnation, il faudrait supposer une coïncidence qui
n'est pas probable.
" Toute considération faite, je ne puis faire autre-
ment que d'attribuer cette guérison surprenante aux
prières adressées à Dieu par l'intercession de la Mère
Marie de l'Incarnation.
» H. Beauchemin. «
Au Bon- Pasteur de Québec, une novice incommodée
d'une humeur scrofuleuse, qui depuis six mois résistait
à tous les remèdes, fut guérie après une neuvaine
452 MARIK DE l'INCARxNATION.
à la Mère de l'IncarnatioD. Une année s'est écoulée
depuis, et l'humeur n'a pas reparu. Témoignage rendu
par la Soeur infirmière du Bon- Pasteur, le 13 mai 1867.
Le 10 octobre 1867, M. Jean-Baptiste Lamontagne,
de Sainte-Flavie de Rimouski, à soixante lieues de
Québec, déclare qu'il croit devoir attribuer le recou-
vrement de sa santé à la Mère de l'Incarnation. Par
une chute de voiture, il avait été horriblemerît blessé
et contusionné, surtout à la tête et au visage. Le plus
inquiétant était une large plaie à la lèvre supérieure,
où la putréfaction s'était mise. Madame Lamontagne,
présente à cette déclaration, dit qu'elle commençait
à désespérer, lorsque le 10 septembre, dix-huit jours
après l'accident, elle reçut de l'eau du tombeau de la
Mère de l'Incarnation. Le soir même, elle en appliqua
légèrement sur la plaie avec une plume. Le lendemain
matin, à la surprise et à l'admiration de tous, la plaie
était cicatrisée, complètement sèche, sans retour de
matière purulente.
Le 21 octobre 1867, madame Victor Châteauvert,
du faubourg Saint-Louis de Québec, déclare qu'elle se
croit redevable à l'intercession de la vénérable Mère
de l'Incarnation, de la conservation de sa petite fille.
Cette enfant, âgée de six semaines, était prise de
convulsions depuis trois semaines. Madame Châteauvert
avait déjà perdu quatre enfants de cette même maladie;
l'état de cette dernière était d'autant plus désespéré
qu'elle en était prise plus jeune. Elle avait jusqu'à
CHAPITRE XX. 453
soixante attaques et plus en vingt-quatre heures. Vers
le milieu de juillet dernier, l'enfant ayant eu une crise
des plus fortes, était sans connaissance depuis trois
heures quand on lui appliqua sur les tempes de l'eau
du tombeau. Elle revint à elle et reposa. A partir de
ce premier jour de la neuvaine, toutes les convulsions
disparurent, et depuis elle se porte bien.
Le même jour, 21 octobre 1867, madame Théophile
Darveau, de Saint-Roch de Québec, est venue rendre
compte de la guérison de sa petite fille Hermine, dans
les termes suivants :
« Cette enfant, aujourd'hui âgée de quatorze mois,
était née avec une affection des bronches extrêmement
prononcée. Deux enfants de la famille étaient morts
de cette même maladie et vers le même âge. L'état
de celle-ci, qui allait toujours en empirant, était devenu
si pénible et si alarmant, qu'il y avait plus de sept
mois que madame Darveau n'avait pu s'absenter, même
pour aller à l'église; et, depuis vingt-et-un jours, elle
n'avait pu reposer une seule fois dans son lit. L'enfant
avait à la gorge deux enflures qui l'empêchaient abso-
lument d'avaler , et lui occasionnaient de violentes
crises. Elle était dans une de ces crises depuis vingt
minutes et on la regardait comme morte, quand une
voisine apporta de l'eau du tombeau. C'était le soir.
La malade n'eut pas plus tôt reçu l'application de l'eau,
qu'elle se calma; elle reposa toute la nuit. Le troisième
jour de la neuvaine, elle était tellement bien qu'elle
supporta sans inconvénient une température très- mal-
saine, quoique le médecin eût déclaré qu'il faudrait
454 MARIE DR l'incarnation.
toujours user des plus grandes précautions, surtout
dans les temps humides.
y> Il me tarde, dit madame Darveau, de pouvoir faire
comprendre à cette enfant tout ce qu'elle doit à la
sainte Mère, afin qu'elle puisse la remercier et l'invoquer
avec moi. »
GUËRISONS OBTENUES AUX TROIS-RIVIÈRES.
Une lettre de M. Ch. 01. Caron, Vicaire-Général du
diocèse des Trois-Rivières, et aumônier des Ursulines
de cette ville, annonçait, à la date du 25 septembre 1867,
les trois guérisons suivantes, obtenues dans le cours de
l'été par l'intercession de la Mère Marie de l'Incarnation.
I. Guérison de madame Luc Précourt , âgée de
soixante-six ans, à peu près aveugle, et souffrant beau-
coup, depuis dix ans, d'une ophthalmie aiguë, accom-
pagnée d'un écoulement lacrymal qui parfois devenait
purulent. Au commencement de juin 1867, le troisième
jour d'une neuvaine avec application de l'eau du tom-
beau, elle se trouva si complètement guérie, qu'elle
reprit, ce même jour, ses ouvrages de broderie et les
occupations du ménage. Dès la première application
de l'eau, madame Précourt avait éprouvé un soulage-
ment marqué. Sa vue a été dans un état parfait depuis
sa guérison.
II. Mademoiselle Emma Gélinas, âgée de vingt ans,
souffrait depuis six ans d'une douleur interne au côté
gauche, qui l'empêchait de pouvoir supporter la moin-
dre pression, pas même parfois le contact de ses habits.
A ce mal se joignait une dyspepsie invétérée qui l'avait
réduite à un grand état de faiblesse et de langueur.
CHAPITRE XX. 455
Vers le milieu de juillet 1867, le troisième jour d'une
seconde neuvaine à la Mère de l'Incarnation avec
application de l'eau du tombeau, elle éprouva un mieux
sensible. Tous les maux disparurent pendant cette neu-
vaine ; elle reprit le travail et n'a pas cessé de se bien
porter depuis.
III. Vers le commencement de juin 1867, guérison
de la révérende Mère Saint-François-Xavier, religieuse
Ursuline âgée de soixante et onze ans, infirme des
jambes depuis dix-neuf ans, par suite d'une chute grave.
Depuis quatre ans, ses douleurs étaient devenues aiguës
et opiniâtres; les cinq ou six derniers mois, il lui avait
été impossible de se mettre au lit; et, à cause de la
violence du mal, elle fermait rarement l'œil. Après
avoir éprouvé un redoublement de douleurs au com-
mencement d'une seconde neuvaine avec application
de l'eau du tombeau, elle s'est trouvée guérie dans
les derniers jours. Ses jambes, qui étaient pourpjres et
violettes, et démesurément enflées, reprirent leur état
naturel, avec une diminution de dix pouces de circon-
férence. La Mère Saint-François-Xavier n'éprouve plus
de douleur et elle marche avec facilité, malgré son
embonpoint et son âge.
Les rapports détaillés de ces trois guérisons, obtenues
à la suite de prières adressées à la vénérable Mère de/
l'Incarnation, sont conservés dans les archives du monas-
tère des Ursulines aux Trois-Rivières. Les deux pre-
miers sont signés par M. le Vicaire-Général Caron, le
dernier par les Révérendes Mères supérieure, assistante
et secrétaire de la communauté.
456 MARIE DE l'incarnation,
AUTRES FAVEURS OBTENUES ET CONSTATÉES EN 1867.
Juin 1867. Madame Robert Roussel, âgée de cin-
quante ans, résidant à la Haute-Ville de Québec, est
venue à notre parloir et a déclaré qu'elle attribuait
entièrement à la Mère de l'Incarnation la guérison
d'une attaque de paralysie, qui l'avait empêchée de
marcher pendant quatre mois, ayant même dû garder
entièrement le lit les quatre dernières semaines. Du
moment qu'elle fît application de l'eau, elle se sentit
soulagée, marcha presque aussitôt, ayant mis de côté
toutes les frictions et les remèdes. C'est vers le milieu
d'avril que sa santé s'est rétablie. Elle n'a pas eu de
rechute depuis.
P. S. — En octobre, elle est encore bien.
30 août 1867. Madame Samuel Hamelin, de Des-
chambault, quatorze lieues de Québec, venue à notre
parloir, a déclaré que son enfant, âgé de dix-neuf mois,
avait été guéri pendant une neuvaine à la Mère de
l'Incarnation, avec application de l'eau. Cet enfant
souffrait beaucoup, depuis six mois, de larges taies qu'il
avait sur les yeux et qu'aucun remède n'avait pu
guérir.
Au printemps de 1867, madame Bélanger de Saint-
Thomas (vingt-deux lieues de Québec) , qui souffrait
CHAPITRE XX. I 457
extraordinairement depuis deux mois d'un mal d'yeux
auquel les remèdes n'apportaient aucun soulagement,
fut guérie après quelques applications de l'eau du» tom-
beau. — Mademoiselle Taché, qui lui avait envoyé cette
eau au moment oii elle prenait le wagon pour Québec,
nous disait ici au parloir : « Si madame Bélanger est
guérie, ce sera un grand miracle. » Or quelle ne fut pas
la surprise de mademoiselle Taché, de retour à Saint-
Thomas le dimanche suivant, en voyant madame
Bélanger à la grand'messe !
Madame Bélanger avait sur les yeux une taie de la
grandeur à peu près de l'ongle du petit doigt. S'étant
mis une goutte de l'eau miraculeuse dans les yeux le
vendredi soir, elle en éprouva aussitôt du soulagement.
Le lendemain matin, la taie avait presque entièrement
disparu ; le dimanche, la malade était parfaitement bien.
Six mois plus tard, ses yeux étaient encore dans un
état parfait.
Saint Agapit, 1867. Madame Louis Olivier, regardée
comme tombée en état de consomption, et qui ne
pouvait plus sortir depuis huit mois, a recouvré la
santé à la suite de prières faites à la vénérable Mère
de l'Incarnation, en prenant quelques gouttes de l'eau du
tombeau.
Québec, 20 février 1867'.
Aujourd'hui est venue au parloir madame Isaac Ful-
lerton de Québec, rue Saint-Jean, témoignant de sa
guérison comme il suit.
458 MARIE DE l'incarnation.
Depuis sept semaines, elle était tout à fait percluse
de la main droite, ne pouvant s^en servir en aucune
manière. Cette main, qui était enflée, surtout aux arti-
culations, ne pouvait ni se fermer ni s'ouvrir, et la dou-
leur se répandait dans tout le bras et l'épaule. De plus,
elle avait souflert tout l'hiver d'un mal d'oreilles, parfois
si violent, qu'elle ne savait que faire.
Ayant entendu parler de l'eau du tombeau de notre
vénérable Mère, elle en fît demander par sa fille, qui
fréquente notre externat. Elle se procura aussi la
prière : C'est par le Cœur de mon Jésus..., ^ que l'on a
traduite en anglais et imprimée, et elle commença une
neuvaine. Dès la première application de l'eau, elle
s'aperçut que sa main s'assouplissait, et elle le fit
remarquer à son mari. Vendredi 15 février, dernier
jour de la neuvaine, sa main, son bras et son épaule
étaient parfaitement guéris; aucune douleur ni raideur
quelconques ne restaient.
Le mal d'oreilles, malheureusement, ne s'était pas
ressenti de cette guérison, et, hier mardi 19 février,
madame Fullerton en souffrait cruellement. Il s'était
même formé, depuis quelques jours, une tumeur à la
partie supérieure de l'oreille droite. Dans l'après-midi,
son mari lui dit : Mais l'eau qui vous a guéri le bras,
vous guérira tout aussi bien les oreiUes; pourquoi ne
pas vjus en servir? En effet, madame Fullerton n'avait
pas eu l'idée d'appliquer cette eau ailleurs que sur sa
main. Sa première pensée fut qu'elle n'en avait plus;
mais en trouvant encore quelque peu dans la fiole, elle
s'en toucha l'oreille. Aussitôt elle éprouva, dans les
deux oreilles et dans toute la tête , une chaleur si
(1) Ci-dessus, page 30'î.
CHAPITRE XX. 459
extraordinaire, qu'elle en fut comme hors d'elle-même.
Mais cette sensation ne dura qu'un instant, et toute
douleur cessa. Dieu soit loué, s'écria-t-elle, je suis
guérie! je ne sens plus de mal! Son mari s'étant appro-
ché pour lui examiner l'oreille, jeta à son tour un cri
de surprise et d'admiration ; la tumeur même avait
disparu avec la douleur.
Maintenant, ajouta madame Fullerton, je suis par-
faitement guérie; je ne sens de mal ni aux bras, ni
aux oreilles, ni à la tête, et je le dis avec reconnais-
sance : c'est la sainte Mère Marie de rincarnation qui
m'a guérie.
Mademoiselle Bilodeau, institutrice à la Rivière-Noire,
paroisse de Saint-Agapit, nous fit, le 29 août 1867, la
déclaration suivante :
" Sur la fin de mai dernier, on amena à mon école
Marie Côté, enfant de douze ans, me demandant de la
disposer à la première communion et à la confirmation.
L'enfant était conduite par sa tante et marchait pénible-
ment ; ses yeux paraissaient dans un triste état. On me
dit qu'il y avait déjà cinq ans qu'elle était aveugle, par
suite de la petite vérole, et que depuis ce temps elle
avait souff'ert le martyre, surtout l'hiver, où l'inflam-
mation augmentait.
" Ne pouvant me persuader que le mal fût aussi
grand, je priai sa tante de la conduire à la chapelle
et de tâcher de lui faire distinguer l'autel et le taber-
nacle, afin qu'elle pût mieux comprendre les explica-
tions qu'elle entendrait : car on me disait qu'elle n'avait
jamais vu d'église, qu'elle n'était même jamais entrée
460 MARIE DE l'incarnation.
dans aucune, ses parents demeurant à plus d'une heure
et demie du chef-lieu de la paroisse et n'ayant pas de
voiture.
« Marie fut conduite à la chapelle, mais on me la
ramena en disant qu'elle n'avait rien aperçu, pas même
la grande statue blanche de la Sainte Vierge. J'exa-
minai alors de plus |)rès les yeux de la petite malade.
La peau au-dessus des yeux était livide et bleuâtre;
en d'autres endroits, aux paupières surtout, elle était
rouge et enflammée. L'œil lui-même n'ofifrait aucune
apparence de pupille, d'iris ou de cornée; c'était un
mélange de taches rouges, blanches, et noires qui fai-
saient horreur. Les deux yeux étaient dans le même état.
y> On me dit que M. le Docteur Morin, qui avait
examiné les yeux de l'enfant dès le commencement,
avait déclaré le mal inqurable; que M. le Curé de Gaspé
en avait dit autant et exhorté les parents à la soumis-
sion à la volonté de Dieu. Deux Pères Trappistes, qui
avaient passé par l'endroit l'été précédent, avaient
également dit aux parents de se résigner, qu'un miracle
seul pourrait rendre la vue à leur enfant.
y> Eh bien ! dis-je alors à la petite, je connais une
sainte qui peut faire ce miracle! Si tu la pries avec
ferveur, elle te fera certainement voir clair pour ta
première communion. Je lui donnai un peu de l'eau
du tombeau de la vénérable Mère Marie de Tlncarna-
tion, lui disant de s'en mettre chaque jour une goutte
dans les yeux, et^de dire trois Pater, trois Ave, trois
Gloria Patri, et trois 'fois: Bienheureuse Mère Marie
de l'Incarnation, obtenez ma guérisoo.
» Les premiers jours de la neuvaine, les souflrances
de l'enfant s'accrurent tellement qu'elle ne savait que
faire. Je lui dis de ne pas se décourager, que c'était
CHAPITRE XX. 461
un signe que la sainte Mère agissait sur elle et allait
la guérir, de redoubler de prières à proportion de l'aug-
mentation de ses douleurs. La petite malade, que je
faisais asseoir à côté de moi pour les explications du
catéchisme, répétait presque sans cesse ses prières et
son invocation.
y> Le troisième ou quatrième jour, comme il y avait
une messe extraordinaire (la Rivière-Noire n'est qu'une
mission, et d'ordinaire la^ messe ne s'y dit qu'une fois
le mois), la tante y conduisit la petite malade. L'enfant
souffrait une douleur extrême : cependant elle répétait
ses prières avec une nouvelle ardeur; elle demandait
avec instance à la Mère de l'Incarnation de lui tuive
voir du moins la grande statue de la Sainte Vierge.
" Tout à coup, vers la fin de la messe, quelque chose
lui dit de lever les yeux. Elle les lève et aperçoit
comme une forme blanche. Tout sentiment de douleur
a disparu. Elle regarde, puis regarde encore. Il me
semble, dit-elle, qu'on me débrouillait les yeux à mesure
que je regardais la statue.... C'est la Sainte Vierge,
se dit-elle. Et, toute transportée, elle se met à décrire
à sa tante tout ce qu'elle aperçoit autour de la statue
et sur l'autel, aussi étonnée que réjouie à la vue des
objets qui se présentent à elle.
» L'enfant sort de l'église dans des sentiments de
joie inexprimables. Elle est mise à l'épreuve de mille
manières, mais il n'y a pas à en douter, le miracle
est accompli! Elle vient seule à l'école, s'en retourne
seule d'un pas aussi sûr que ses compagnes; elle les
devance même.
» Au reste, le changement qui s'était opéré dans ses
yeux disait assez" le prodige. Ils étaient devenus par-
faitement clairs et limpides, l'œil gauche seulement
462 MARiK DE l'incarnation.
retenant à la cornée quelques traces de rougeur, mais
qui n'affectaient en rien la vision, et qui s'effacèrent
d'elles-mêmes. Cette guérison avait lieu le 8 ou le
9 juin.
Mademoiselle Bilodeau, qui nous faisait, le 23 août
suivant, le rapport ci-dessus, fut chargée d'un billet
de M. notre aumônier pour M. le docteur Morin, à qui
elle devait conduire l'enfant. Le docteur Morin demeure
à Saint-Nicolas, à quatre liçues de la Rivière-Noire.
Ne pouvant avoir de voiture pendant le jour, à cause
des travaux des champs, elle dut faire le voyage de
nuit. Le médecin reconnut aussitôt l'enfant; mais il
ne comprenait rien au changement qu'il remarquait
en elle. Après l'avoir examinée, il déclare qu'un miracle
seul peut avoir produit ce qu'il voit. Le lendemain,
il rendait le témoignage suivant :
^ Saint-Nicolas, 5 septembre 1869.
T Je soussigné, certifie et puis certifier par serment,
que j'ai examiné, il y a cinq ans, les yeux de Marie
Côté, enfant d'Augustin Côté, ci-devant de Saint- Apol-
linaire, maintenant de la paroisse de Saint-Agapit.
D'après les renseignements donnés par ses parents,
j'ai constaté que la picote avait produit une opacité
de la cornée des deux yeux, ou maladie qu'on appelle
Leucoma.... J'ai déclaré le cas incurable et ai, en consé-
quence, refusé de prescrire aucun traitement. Je certifie
que j'ai examiné la même petite fille le 4 septem-
bre 1867, et que je ne puis expliquer la guérison de
ses yeux d'une manière naturelle.
y> CI). Morin, médecin. »
CHAPITRE XX. 463
Mademoiselle Bilodeau conduisit aussi l'enfant chez
M. A., de Gaspé, à trois lieues de la Rivière-Noire. Sa
surprise et son admiration ne furent pas moindres.
Il avoua que bien des fois il avait demandé à Dieu
de prendre cette pauvre petite, sentant que dans le
triste état où elle était réduite, elle ne pouvait qu'être
à charge à elle-même et à sa famille.
Tous ces voyages que l'enfant dut faire après le
coucher du soleil et de nuit, ne l'ont nullement afifectée ;
et l'on remarque que non-seulement elle voit parfaite-
ment, mais qu'elle aperçoit et distingue les objets de
très-loin.
Plus tard, Marie Côté et sa mère ont, à leur tour,
rendu le même témoignage.
En mai 1867, madame Aimable Savard, de Québec,
qui depuis de longues années souffrait d'une double
infirmité et se trouvait depuis trois mois réduite à un
grand degré d'épuisement et de faiblesse, fut entièrement
guérie et recouvra ses forces à la fin d'une neuvaine
à notre vénérable Mère de l'Incarnation, pendant
laquelle elle avait fait usage de l'eau du tombeau.
Nous possédons plusieurs témoignages de parents
et de connaissances de madame Savard, constatant
ses longues infirmités et son excellent état de santé
actuel. ^Madame Savard était encore parfaitement bien
en novembre 1868.
A Saint-Agapit, dans l'été de 1867. M- Dominique
Béland, âgé d'environ vingt-et-un ans, qui n'avait pas
464 MARIE DE l'incarnation.
quitté le lit depuis trois ans, et prenait si peu de nour-
riture qu'on était étonné qu'il pût vivre, éprouva un
mieux si sensible dans une neuvaine à la Mère de l'In-
carnation, avec usage de l'eau miraculeuse, qu'il vint à
l'église. Peu après, il était à l'ouvrage, faisant tous
les travaux de la campagne; ce qu'il a continué de faire
avec une persistance qui jette dans l'étonnement et
l'admiration tous ceux qui l'avaient connu.
A Saint-Pierre, Rivière-du-Sud, treize lieues de
Québec, madame Gaspard Biais souffrait depuis sept
mois d'une hémorragie extraordinaire, que les remèdes
ne soulageaient en rien. Les deux derniers mois avaient
été des plus pénibles, accompagnés de défaillances et
de convulsions. La malade avait été adûiinistrée lors-
que, le 24 août 1867, elle reçut de l'eau du tombeau
de la sainte Mère. Dès la première application, elle
sentit une réaction extraordinaire dans tout son orga-
nisme; l'hémorragie cessa pour ne plus reparaître.
Madame Biais, pour laquelle il y avait eu une consul-
tation de médecins et que l'on jugeait sans ressources,
recouvra promptement les forces et l'embonpoint ,
vaquant à tous les soins du ménage.
A Saint- Thomas (quelques lieues de la station de la
Rivière-Noire), M. J.-B, Paradis qui, depuis quinze ans,
était sujet à une sorte d'apoplexie, perdant graduelle-
ment l'appétit et les forces, se trouvait réduit à l'extré-
mité, n'ayant pris aucune nourriture depuis sept jours.
CHAPITRE XX. 465
Pendant une première neuvaine à la Mère de l'Incar-
nation il se fit un si grand changement dans son état,
qu'il recouvra l'appétit, pouvant se lever et se rendre
à lui-même tous les services. A partir de la seconde
neuvaine, faite il y a six semaines, il est parfaitement
bien, n'éprouvant rien de ces attaques d'apoplexie dont
il avait si longtemps souffert.
A Craig's Road, deux lieues de la station de la
Rivière-Noire, Sara Fréchette, enfant de deux ans,
souffrait extraordinairement d'un doigt depuis quinze
jours. Le doigt était noir, horrible à voir. C'était en
septembre 1867. Pendant une neuvaine à la vénérable
Mère, avec application de l'eau du tombeau, le mal
disparut complètement.
Cette guérison ayant inspiré une grande confiance
à tous ceux qui en furent témoins, M. Louis Fréchette
père de l'enfant, malade depuis de longues années d'une
diarrhée qui lui occasionnait de fréquentes défaillances,
se recommanda à la Mère de l'Incarnation. A partir de
de la neuvaine qu'il fit aussitôt après la guérison de sa
petite fille, il fut lui-même complètement guéri.
Madame Fréchette, grand'mère de l'enfant, souffrait
depuis vingt-et-un ans d'un grand mal d'yeux; elle
demanda sa guérison à la sainte Mère. Les deux pre-
mières neuvaines ne lui procurèrent que peu de soulage-
ment ; mais elle n'en pria qu'avec plus d'ardeur, et à la
troisième neuvaine, elle fut guérie.
M. D. l'inc. 30
466 Marie de l'incarnation.
Le l*"" septembre 1867, M. Orner East, de la paroisse
de Saint-Augustin, à cinq lieues de Québec, a déclaré
à la grille du parloir des Ursulines qu'il souffrait
depuis l'âge de treize ans (il en a aujourd'hui vingt-
quatre), d'un rhumatisme inflammatoire, et qu'il en
était attaqué violemment pour la quatrième fois lors-
qu'il commença une neuvaine à la Mère Marie de
l'Incarnation. Dès la première application de l'eau, il
fut soulagé et put dormir. A chaque application de
l'eau, il éprouva un soulagement instantané. A partir
de cette neuvaine, faite au commencement d'août der-
nier, il n'a ressenti aucune douleur, pas même en
s'exposant aux températures les plus humides et les
plus malsaines.
A la fin de novembre suivant, M. East se sentait si
radicalement guéri, qu'il est parti pour les Etats-Unis
afin d'y trouver de l'ouvrage, emportant avec lui l'image
de la sainte Mère, comme un talisman de bonheur,
disait-il.
Sur la fin d'octobre 1867, M. Abel Lafrance, qui
souftrait d'un panaris au pouce gauche, fut complète-
ment guéri à la troisième application d'un petit linge
trempé dans l'eau miraculeuse. A chaque application le
malade éprouvait un grand soulagement.
M. Moisan, âgé de dix-sept ans, élève de troisième
au petit séminaire de Québec, était atteint d'une surdité
considérable depuis quatre mois, au point de ne pouvoir
suivre en aucune manière les explications des profes-
CHAPITRE XX. 467
seurs. Un médecin qui l'avait traité pendant trois
semaines, lui avait procuré un peu de soulagement,
mais ce soulagement n'avait duré que trois jours. Ayant
fait une neuvaine à la vénérable Mère Marie de l'Incar-
nation, avec application de l'eau, il se trouva complète-
ment guéri le neuvième jour.
Ce témoignage a été rendu par le jeune homme lui-
même le 22 mai 1867, deux mois après la guérison,
et il a été confirmé par M. le Directeur de l'établisse-
ment. La guérison se maintenait encore au mois de
mai 1873
Témoignages touchant la guérison de mademoiselle
Marie Bérubé, de Saint-Modeste, à trente-deux lieues de
Québec. Cette jeune fille, âgée de dix-huit ans, était
épileptique depuis environ quatre ans.
Premier témoignage.
« Notre-Dame- du- Partage, 2 juin 1867.
« A M. l'abbé G.-L. Lemoine, aumônier des Ursulines
de Québec.
» Monsieur,
» Je viens de recevoir votre lettre du 28 mai, par
laquelle vous me demandez des renseignements au sujet
de la petite malade de Saint-Modeste... J'ai bien connu
pendant que j'étais curé de Saint-Modeste, la personne
dont vous me parlez. Elle était sujette à de fréquentes
attaques d'épilepsie, tombant même si souvent, que je
l'ai vue des journées entières sans connaissance et dans
468 ■ MARIK DE l'incarnation.
un état d'insensibilité complète. L'été dernier, on vint
me chercher pour l'administrer. Elle était dans l'état
que je viens de décrire, éprouvant des attaques à chaque
moment et n'ayant aucune connaissance depuis plus
de vingt-quatre heures.
y> Je quittai Saint-Modeste au mois d'octobre.... J'eus
occasion de revoir la pauvre infirme, et elle me parut
plus affectée que lors de ma dernière visite.
» Vers le printemps, ses parents vinrent me prier
de me joindre a eux pour faire une neuvaine en l'hon-
neur de la vénérée Mère Marie de l'Incarnation. Ils
me parurent animés d'une grande confiance en la
sainte religieuse.... Je ne suis point retourné à Saint-
Modeste depuis, et je ne saurais dire exactement ce
qui en est de l'état de la malade. Ce que je sais, c'est
que des personnes bien dignes de foi m'ont assuré qu'elle
jouit d'une santé parfaite, ainsi que d'un esprit lucide,
et qu'elle travaille comme ses sœurs.
" Jh. Beaulieu, prêtre. »
Deuxième témoignage.
« Saint-Modeste, 8 juin 1867.
» Monsieur,
r^ Les parents de Marie-Rosalie Bérubé me prient
(le vous informer de la guérison de leur enfant, opérée
par le secours de la bienheureuse Mère de l'Incarnation.
» J'ai vu deux fois cette malade l'automne dernier,
quelque temps après mon arrivée dans la paroisse, et
elle m'a paru idiote. Ses parents m'ont dit qu'elle était
CHAPITRE XX. 469
malade depuis quatre aas, et qu'elle tombait fréquem-
ment d'un mal qui ressemblait beaucoup à l'épilepsie.
Toutes les personnes qui l'ont connue croient qu'elle
était épileptique. Elle n'a jamais été sous les soins d'un
médecin. ».
Après avoir dit que dès le commencement de la
première neuvaine à la Mère de l'Incarnation, faite
à la fin de février 1867, la malade éprouva du mieux
et recouvra assez d'intelligence pour se joindre à la
seconde neuvaine qui fut faite le mois suivant, et où
elle se trouva tout à fait délivrée de son mal, M. le
curé de Saint-Modeste termine ainsi sa lettre :
« C'est une guérison bien extraordinaire, faite sans
secours humain, dans un temps où l'on priait pour
l'obtenir.
» F. -M. FouRNiER, prêtre, curé. »
Plusieurs mois après sa guérison, la jeune fille
éprouva quelques indispositions qui firent craindre le
retour de son horrible mal, mais ces indispositions
n'eurent pas de suites. En décembre 1868, on nous
écrivait qu'elle continuait à se bien porter, travaillant
comme à l'ordinaire, se faisant seulement remarquer
par une plus profonde piété. Nous avons vu des lettres
de ses parents qui témoignent de la plus vive recon-
naissance pour la grâce qu'ils ont reçue dans la gué-
rison de leur enfant, faisant des vœux pour la canoni-
sation de leur bienfaitrice, la vénérable Mère Marie
de l'Incarnation.
M. Honoré Dugay, de Saint-Roch de Québec, venu
à notre parloir au mois de décembre 1868, a confirmé
470 MARIE DE L INCARNATION.
les détails suivants sur sa guérison, arrivée dans l'été
de 1867.
Depuis quinze jours il souffrait violemment d'une
maladie inflammatoire dont le médecin n'avait pu le
soulager en rien. Il se trouvait extrêmement affaibli par
la douleur et la perte du sommeil. Ayant pris trois
gouttes de l'eau du tombeau, et s'unissant à la prière :
Cest parle Cœur de mon Jésus, etc., que l'on récitait à
côté de lui, il se trouva soudain délivré de ses atroces
douleurs, « comme si on me les eût ôtées avec la
main, « dit-il. Il n'en a rien éprouvé depuis.
Aujourd'hui, 5 décembre 1868, est venue de Leeds,
seize lieues de Québec, madame James M*^ Cormic,
remercier des prières faites pour son enfant, et donner
les détails suivants sur sa guérison.
Michel M'^ Cormic était âgé de cinq ans et demi,
quand il tomba malade au commencement de l'été
de 1868. Il y eut perte d'appétit et douleurs internes,
surtout dans les entrailles. L'enfant dépérissait, conti-
nuant néanmoins de se lever et d'aller et venir pendant
quatre semaines. Après ce temps il fut saisi de douleurs
aiguës dans le côté droit, principalement à la hanche
et au genou. Les nerfs de la jambe se crispaient; le
jarret surtout était extrêmement raidi. On remarquait
à la hanche quelque chose qui ressemblait à un déplace-
ment d'os, laissant une cavité ass^ez considérable. Il
fallait un secours étranger pour redresser la jambe
qui, laissée à elle-même, réprenait aussitôt sa position
anormale. On ne tarda pas à remarquer que cette
jambe se raccourcissait.
CHAPITRE XX. 471
Le médecin qui le soignait avait guéri les douleurs
d'entrailles, mais il ne put rien à l'égard du membre
malade. Il avait dit du remède qu'il prescrivit en der-
nier lieu : " S'il est inefficace, ne dépensez pas un sou
de plus. " Il paraissait craindre de dire à la mère toute
la vérité, savoir, qu'il jugeait le mal incurable. « Jamais
il ne sera comme ceux-ci, » dit-il un jour, en regardant
les autres membres de la famille.
Le malade était dans cet état depuis trois mois, sans
que ni frictions ni remèdes quelconques pussent le
soulager. On ne pouvait le lever qu'avec précaution
et sur des oreillers. Ce fut alors que madame M^ Cor-
mic entendit parler par des personnes du Mont-
Carmel, à trente lieues de Québec, des effets extraor-
dinaires d'une eau miraculeuse que l'on se procurait
aux Ursulines de cette dernière ville. Elle en fit
demander par sa belle-mère, qui venait à Québec à la
Toussaint. L'eau lui fut envoyée et elle la reçut un
soir très-tard. Elle attendit au lendemain pour s'en
servir, afin de commencer la neuvaine avec plus de
solennité. En effet, le lendemain, vers neuf heures,
après qu'on eut mis la maison dans un ordre convena-
ble, la famille se réunit autour du lit du petit malade. On
fit l'application de l'eau miraculeuse sur les nerfs crispés,
et l'on récita en anglais la prière : C'est par le Cœur de
mon doux Jésus, etc.
Quinze minutes, peut-être, après cet exercice, une
parente de madame M*^ Cormic alla pour frictionner
le genou de l'enfant, comme on avait la fréquente
habitude de faire. Ne rencontrant pas la raideur accou-
tumée , elle croit se tromper de jambe et appelle
madame M^ Cormic. Celle-ci, à son tour, a peine
à croire ce qu'elle voit, et elle appelle sa sœur qui
472 MARIE DE l'incarnation.
venait de sortir. Quel ne fut pas Tétonnement de tous
en voyant l'enfant se dresser lui-même sur son lit!
On le met par terre et il continue à se tenir debout;
il marche en s'appuyant aux meubles comme un enfant
qui, marchant pour la première fois, ne sait pas encore
tenir l'équilibre. La neuvaine finie, il marchait parfaite-
ment, ayant les nerfs de cette jambe entièrement sou-
ples et flexibles. Il est maintenant revenu à son
embonpoint, croissant tous les jours en vigueur et
en force.
Témoignage de M. Joseph Verret, touchant sa maladie
et sa guérison.
M. Joseph Verret a déclaré ce qui suit, le 14 jan-
vier 1868.
« Depuis six semaines je souffrais à la hanche d'une
douleur qui se répandait dans toute la cuisse et jusqu'à
l'extrémité du pied. Elle devenait parfois intolérable.
Durant ces six semaines, je n'avais pas eu une heure
de sommeil. Les remèdes me soulageaient quelque peu,
mais l'affaiblissement moral, qui en était la suite me
faisait craindre d'en user. Mon estomac se refusait
à toute nourriture solide; tous les essais de ce genre
étaient suivis de vomissements.
« J'avais cru d'abord que mes douleurs étaient rhuma-
tismales, et bien des frictions me furent faites. Le siège
du mal était toujours à la hanche droite, mais il n'y
avait à l'extérieur ni enflure ni rougeur
y^ J'étais soigné par un médecin depuis quinze jours,
sans éprouver un soulagement quelconque, lorsque,
le 2 janvier au soir, je cemmençai une neuvaine à Ja
CHAPITRE XX. 473
vénérable Mère de l'Incarnation. Je mis de côté tous
les moyens humains, ne voulant pas même prendre un
calmant qu'on me donnait d'ordinaire le soir pour
engourdir un peu mon mal.
» Je pris donc trois gouttes d'eau du tombeau de la
Mère de l'Incarnation et fis la prière : Cest par le Cœur de
mon Jésus, etc. J'éprouvai aussitôt du soulagement et je
dormis cette nuit même pendant plusieurs heures.
Cependant je continuai de souffrir le jour suivant. Une
chose néanmoins frappait tout le monde, c'est que, du
moment que l'on priait la Mère de l'Incarnation, mes
crises s'affaiblissaient. Le troisième jour de la neuvaine,
toutes mes douleurs s'étaient graduellement affaiblies; et,
le neuvième, j'allais terminer à l'église, par la sainte
communion , les prières de la neuvaine , n'ayant plus
aucun mal, et je n'en ai plus eu depuis. »
Madame Verret, présente à la déclaration qni pré-
cède, dit que son mari était tellement affaibli par les
souffrances, la perte d'appétit et l'insomnie, que le
moindre bruit, le plus léger choc lui occasionnaient
des crises redoublées, qui faisaient de lui un véritable
martyr.
M. Joseph Verret, boulanger à Saint-Ambroise de la
Jeune-Lorette, à trois lieues de Québec, est âgé de
trente ans.
« Je soussigné, prêtre, curé de Saint-Ambroise de la
Jeune-Lorette, ayant visité deux fois le dit Joseph
Verret pendant sa maladie, suis positif à certifier que
le témoignage ci-dessus est en tout conforme à la vérité.
"\ Saint-Ambroise de la Jeune-Lorette, 9 février 1868.
» François Boucher, prêtre, curé. «
474 MARIE DE l'incarnation.
Madame François Auchu, de Saint-Roch de Québec,
venue aujourd'hui 25 avril à notre parloir, nous dit
qu'elle a été guérie pendant une neuvaine à la Mère
Marie de rincarnation, avec application de l'eau du
tombeau, d'un mal extraordinaire qu'elle éprouvait,
depuis quatre ans, dans la tête et dans les oreilles.
Plusieurs médecins lui avaient donné des soins, mais
sans améliorer son état. Ayant entendu parler de l'eau
miraculeuse, elle voulut y avoir recours. Dès le com-
mencement de sa neuvaine à la vénérable Mère, elle
éprouva un soulagement très-sensible; puis l'amélio-
ration fit de tels progrès, qu'à la fin de cette neuvaine
toute douleur avait disparu. La guérison, qui dure
depuis plusieurs semaines, lui semble si certaine, qu'elle
ne pense pas à se précautionner contre le froid ou
l'humidité. Auparavant, elle ne pouvait ni sortir ni
s'occuper du soin de sa maison.
Guérison de Marguerite Foley, afî'ectée de surdité
depuis quatre ans et demi, 30 avril 1868.
Marguerite Foley était dans sa quatorzième année
lorsqu'elle fut amenée à notre externat en septem-
bre 1867. On demandait instamment qu'elle fût pré-
parée à sa première communion, sa surdité ayant mis
jusque-là obstacle à son instruction. La jeune fille fut
acceptée : mais plusieurs maîtresses ayant inutilement
essayé de se faire entendre, même en la prenant dans
une chambre à part, on fit dire à madame Foley que
nous ne voyions aucun moyen d'instruire sa fille, et
que comme elle ne gagnait absolument rien à suivre
les classes, il était inutile de l'y envoyer plus longtemps.
CHAPITRE XX. 475
C'était la troisième fois qu'elle sortait d'une école pour
la même cause. Eu dernier lieu elle était venue des
Sœurs de la Charité ici.
Avant le carême dernier (1868), comme on allait
commencer les instructions de la première communion,
quelques élèves parlèrent de Marguerite Foley. On la
fit venir, dans l'espérance que son état se serait amé-
lioré, mais il n'en était malheureusement rien. Comme
elle avait appris un peu à lire avant sa surdité, elle
avait quelque connaissance de la lettre du catéchisme,
et c'était tout.
Cependant l'époque de la première communion appro-
chait. Dans l'embarras où l'on se trouvait au sujet de
cette enfant, une des maîtresses proposa une neuvaine
à la vénérable Mère Marie de l'Incarnation. Il restait
juste neuf jours avant la première communion, qui,
par une heureuse coïncidence, avait lieu, cette année,
le 30 avril, jour anniversaire de la mort de nôtre
sainte Mère. On donna à l'enfant un peu de l'eau mira-
culeuse, lui faisant comprendre qu'elle s'en mît chaque
jour une goutte dans les oreilles.
Toute la classe commença la neuvaine avec beau-
9
coup de ferveur, ainsi que la petite infirme. On la
recommanda, de plus, aux prières de la communauté
et du pensionnat. Ce sera à coup sûr un miracle, dit-on
de toutes parts, si la pauvre enfant vient à entendre.
Le vendredi 24 avril, devait avoir lieu l'examen des
premières communiantes. Avant de s'y rendre, l'enfant
se jette à genoux devant une image de notre vénérable
Mère, que nous lui avions donnée, et prie avec .ferveur.
Sa pauvre mère était triste; elle pensait que, cette
année encore son enfant serait privée du bonheur de
la sainte communion. Elle attendait son retour avec
476 MARIE DE l'incarnation.
anxiété, quand elle entend monter l'escalier avec rapi-
dité, puis voit sa fille tenant l'image de la Mère de
l'Incarnation et la baisant avec transport. L'enfant lui
dit qu'elle a entendu tout ce qu'a dit le prêtre à l'exa-
men, et qu'elle espère participer au divin banquet!
Le lendemain, grande agitation à l'externat; on
entend crier de tous côtés : Miracle ! Miracle ! Les élèves
vont tour à tour adresser la parole à leur compagne,
pour démontrer à leurs maîtresses qu'elle est bien
réellement guérie. Déjà, en effet, son attitude et sa
physionomie étaient tout autres. Elle dit que, dès le
second jour de la neuvaine, un bourdonnement qu'elle
éprouvait depuis si longtemps dans la tête, avait cessé.
Le mercredi suivant, elle se confessa au confession-
nal comme ses compagnes.
Le jeudi 30, dernier jour de la neuvaine et jour de
la première communion, plusieurs religieuses, celles
surtout qui avaient connu la petite infirme, se rendi-
rent à l'externat, et toutes constatèrent une parfaite
guérison.
Madame Foley assure que, depuis quatre ans et
demi, elle n'avait pu se faire comprendre de sa fille
autrement que par signes. Elle ne sait à quelle cause
attribuer cette infirmité. Le seul fait qu'elle ait remar-
qué, c'est que l'enfant s'étant fait percer les oreilles
dans l'automne de 1863, elle y eut beaucoup d'inflam-
mation. Bientôt après, on s'aperçut qu'elle perdait l'ouïe
rapidement. Comme elle avait continué d'aller à l'école,
on pense qu'elle aura pris du froid.
Marguerite ayant été porter aux Sœurs de Charité,
dont elle avait essayé de fréquenter l'école, une copie
du témoignage ci-dessus, nous reçûmes en réponse la
lettre suivante, à la date du 22 mai 1868,
CHAPITRE XX. 477
- Ma chère et vénérée Mère,
" Je suis vraiment heureuse de pouvoir certifier que
Marguerite Foley était très-sourde lorsqu'elle fut admise
à nos classes. Je la reçus plutôt pour faire plaisir à
sa pauvre mère affligée, que dans aucun espoir de
réussir à l'instruire pour sa première communion. Peu
de jours après, la sœur à qui je l'avais confiée vint me
dire qu'elle avait essayé en vain de se faire comprendre.
Je fis donc venir madame Foley et lui dis qu'il était
inutile d'envoyer sa fille à l'école.
" Ce matin, j'ai amené l'enfant devant la sœur qui
avait reconnu sa tâche impossible, et tontes deux nous
sommes convaincues du miracle, ce qui me réjouit
véritablement le cœur.
" Agréez, ma révérende Mère, etc.
" Sœur Saint-bernard, Sœur de la Chanté. »
M. Louis Robin, de Saint-Roch de Québec, âgé de
trente-huit ans, charpentier de navires, ayant reçu
au commencement de cette année, 1868, un coup de
hache à la tête, se trouva dans un état presque déses-
péré ; le médecin jugeait la blessure extrêmement grave.
Elle se cicatrisa néanmoins, mais les douleurs de tête
et la débilité continuèrent; on redoutait l'aliénation
mentale. Une neuvaine à la vénérable Mère de l'Incar-
nation fut commencée, avec application de l'eau sur
le siège du mal. Le septième jour, le malade était
extraordinairement mal; la famille n'en pria qu'avec
478 MARIE DE l'incarnation.
plus de confiance, et ce ne fut pas en vain. La neu-
vaine finie, le malade se trouva en état d'aller commu-
nier à l'église. On remarqua que la cavité faite par le
coup s'effaçait, cette partie du crâne revenant à sa
forme primitive. Le malade se trouvait si bien rétabli,
qu'il ne craignait point de se rendre à la Pointe-aux-
Trembles, à huit lieues de, Québec, pour reprendre son
travail.
Au mois de décembre de la même année, environ
cinq mois après sa guérison, époque des dernières nou-
velles que l'on a eues de lui avant de clore ce récit,
M. Robin n'avait pas interrompu son travail par un
seul jour de maladie.
Dans les derniers jours de mai 1868, à Saint-Ambroise
de la Jeune-Lorette, trois lieues de Québec, un petit
garçon âgé de six ans, le fils de M. François Garneau,
souffrait depuis environ un an d'un grand mal d'yeux.
Très-souvent l'enfant ne voyait pas assez pour manger
et se conduire. Mademoiselle Marie Lagacé, institutrice
de l'endroit, ayant proposé une neuvaine à notre véné-
rable Mère, on la commença avec foi et confiance.
Tous les enfants de l'école y prirent part. Une goutte
d'eau du tombeau ayant été appliquée, le premier jour,
sur les yeux de l'enfant, il y eut un soulagement si-
sensible que les parents en furent tout surpris. Le
troisième jour, le petit malade avait les yeux dans un
état parfait.
28 décembre 1868. M. Charles Dumontier, venu
aujourd'hui à notre parloir, a certifié les détails suivants
touchant la guérison de son enfant.
CHAPITRE XX. 479
Emilie Dumontier, âgée de quatre ans, s'était déplacé
un OS' du talon droit en sautant d'une chaise. Pendant
quatre mois, elle marcha plus ou moins, mais toujours
péniblement. Au commencement de novembre 1866,
elle fui arrêtée complètement. Il se déclara, au côté du
talon, une plaie qui se creusa jusqu'à laisser voir les
os. L'ouverture en était de la grandeur d'une pièce de
trente sous. Du sang, des matières purulentes, de l'eau
rousse en sortaient avec abondance. L'enfant était
devenue une véritable martyre par la vivacité de ses
souffrances.
*
La famille résidait alors à Ottawa. Cinq médecins,
appelés en consultation, voulurent faire l'amputation
du pied ; mais les parents ne purent y consentir.
Dans l'automne de 1867, ils vinrent demeurer à Qué-
bec; la petite malade continua à souffrir tout l'hiver
et l'été qui suivirent. Au mois d'août 1868, elle se traî-
nait encore sur ses genoux. Ce fut alors seulement que
les parents ayant appris les faveurs obtenues par le
recours à l'intercession de la Mère de l'Incarnation,
se sentirent pressés de lui recommander leur enfant,
et demandèrent de l'eau miraculeuse. Une première
neuvaine n'eut aucun résultat sensible. Une seconde
fut recommencée avec un redoublement de ferveur;
on faisait la prière matin et soir, avec application de
l'eau sur la plaie. A la grande joie de tous, on remarqua
que la suppuration avait cessé. Puis, pendant une
troisième neuvaine, la plaie se cicatrisa entièrement, et
l'enfant marcha. La cavité qui existe encore au talon
atteste la gravité du mal.
Il n'est pas inutile de dire que, dès la première neu-
vaine, on avait mis de côté toute espèce d'onguents et
de remèdes.
480 MARIE DE l'incarnation.
Ile aux Grues, douze lieues de Québec. Célina Pain-
chaud, âgée d'environ quatre ans, enfant de M. Eugène
Painchaud, n'avait pas encore marché, et, suivant
l'opinion du médecin, cette débilité des jambes devait
être longue, ainsi qu'il en avait été pour sa sœur aînée.
Pendant une neuvaine à la vénérable Mère Marie de
l'Incarnation, avec application de l'eau miraculeuse,
l'enfant commença â marcher; elle ne tarda pas à le
faire parfaitement et elle a toujours continué depuis.
Ce témoignage rendu en septembre 1868, plusieurs
semaines après la guérison, a été confirmé par écrit
au mois de décembre suivant.
II janvier 1869. Joséphine Trudel, âgée de trois ans
et demi, enfant de M. Antoine Trudel, de Saint-Sau-
veur à Québec, avait des humeurs au bras, à la jambe
et surtout au pied droit. La moitié du pied était dans
un état pitoyable, l'inflammation s'étendant à la jambe
jusqu'au genou. Depuis trois semaines l'enfant n'avait
pas fermé l'œil par suite de ses grandes et continuelles
souffrances. La plaie était de mauvaise apparence, et
le mal allait toujours croissant. On eut alors recours
à l'eau miraculeuse. Dès la première application qui
en fut faite, la plaie changea d'aspect; au bout de
quelques jours, l'enfant marchait. Six jours après la fin
de la neuvaine, le père rendait ce témoignage et affir-
mait que l'enfant était très-bien.
20 mars 1869. Madame veuve Félix Richard, du
faubourg Saint- Louis ^ Québec, venue au parloir des
CHAPITRE XX. 481
Ursulines, dit que sa petite fille Alesima, âgée de trois
ans, souffrait beaucoup d'un mal d'yeux, lorsqu'on
s'aperçut qu'une taie traversait perpendiculairement
un œil. Les remèdes ayant été inutiles, on eut recours
à l'eau du tombeau. Dès la première application, l'en-
fant éprouva un mieux sensible; les douleurs disparu-
rent promptement, et, à la fin de la neuvaine, l'œil était
parfaitement clair.
29 mars 1869. Madame Joseph Chamberland dit que
son mari (journalier au faubourg Saint-Jean à Québec)
souffrait depuis huit ans au moins d'une oppression
et d'une toux qui le mettait souvent hors d'état de
vaquer à ses travaux. Depuis un an il était beaucoup
plus mal. Il avait dû cesser entièrement son travail;
il passait des nuits cruelles, toussait sans répit, ce qui
le réduisait à un état de prostration complète. Il en
était là, au commencement de février dernier, lorsqu'on
eut la pensée de recourir à la vénérable Mère Marie
de l'Incarnation, en faisant usage de l'eau miraculeuse.
Le premier jour de la neuvaine, il prit une goutte de
cette eau le soir. Il dormit paisiblement toute cette
nuit, et, à partir de ce moment, son état se trouva com-
plètement changé. Les forces lui reviennent et il a pu
reprendre son travail qu'il n'a pas discontinué depuis.
Il est âgé de quarante-cinq ans.
12 avril 1869. Aujourd'hui, madame Jean Brisson,
demeurant au Foulon à Québec, a amené au parloir
son petit garçon Jacques, âgé de onze ans, attribuant
M. DE l'iNC. ' 31
482 MARIE DE l'incarnation.
à la Mère de l'Incarnation son retour à la santé. Sur
la fin de mai, l'année dernière, cet enfant était tombé
d'un quai. A la suite de cet accident, il éprouva des
étouffements dont les remèdes parurent d'abord le sou-
lager; mais il ne fut pas guéri. Loin de là, les jointures
se gonflèrent par tout le corps. Aux poignets, aux
chevilles des pieds se déclarèrent des plaies. L'enfant
souffrait extraordinairement; il avait entièrement perdu
l'appétit et maigrissait à vue d'œil. Un médecin très-
habile l'avait déclaré incurable. Environ un mois après
l'accident, sa mère ayant entendu parler des guérisons
obtenues par la Mère de l'Incarnation, se procura de
l'eau miraculeuse et commença une neuvaine. Dès la
première application de l'eau, les douleurs s'évanoui-
rent, les plaies cessèrent de suppurer, puis elles se
cicatrisèrent à vue d'œil. L'appétit était revenu ; les
forces et l'embonpoint revinrent également. Enfin, dit
la mère, l'enfant est mieux qu'il n'était auparavant.
Les cavités et les cicatrices qui se voient aux poi-
gnets de l'enfant attestent la vérité de la déposition
ci-dessus.
18 avril 1869. Madame J.-B. Marois, du faubourg
Saint-Jean à Québec, déclare qu'elle attribue entière-
ment à la Mère de l'Incarnation le bon état de sa vue.
Cette dame, qui est âgée de soixante ans, avait toujours
eu la vue très-faible. (Un de ses frères est devenu tout
à fait aveugle, il y a plus de quinze ans.) Depuis cinq
ou six mois, l'inflammation était devenue extrêmement
douloureuse, et la malade ne pouvait plus s'occuper
de travail manuel, lorsqu'elle eut la pensée de s'adresser
à la vénérable Mère. Dès la première application de
CHAPITRE XX. 483
l'eau, elle éprouva un soulagement marqué. Vers le
milieu de la neuvaine, elle était très-bien. Cette guéri-
son avait eu lieu dans l'été de 1868, vers le mois de
juillet. Madame Marois a toujours été bien depuis. Les
accidents qui avaient coutume de lui affecter la vue,
ne l'incommodent en aucune manière.
29 avril 1869. Aujourd'hui, veille de l'anniversaire
de la mort de notre chère et sainte Mère Marie de
l'Incarnation, nous avons appris une guérison remar-
quable, arrivée à Vaudreuil, à soixante-quinze lieues
de Québec, dans les premières semaines de ce même
mois. Cette guérison a eu lieu dans la personne de
M. Joseph-Guillaume Meloche, employé au télégraphe
sûr la ligne de Montréal. Il y avait plus de dix mois
que ce jeune homme (il est âgé de vingt-quatre ans)
souffrait d'un mal d'yeux extraordinaire dont nul remède
n'avait pu le soulager. Il ne pouvait vaquer à aucune
occupation. L'inflammation était parfois excessive; les
yeux étaient dans un état affreux. Le malade avait
été soigné par un oculiste remarquable, mais sans
résultat. Il avait ainsi, dépensé plus de cent soixante
piastres (plus de huit cents francs), lorsque son frère,
M. Antoine Meloche, qui se trouvait à Québec, vint
demander de l'eau miraculeuse. C'était le P^ avril.
H expédia cette eau à Montréal, avec les prières et
une image de la sainte Mère. La neuvaine devait
commencer le mardi suivant. Ce même jour, M. Antoine
Meloche recevait une lettre qui lui annonçait que son
frère était toujours dans un plus triste état. Il lui
répondit en l'encourageant à prendre courage et à faire
484 MARIE DE l'incarnation.
sa neuvaine avec ferveur, ajoutaut qu'il avait confiance
que l'eau sainte aurait plus d'effet que les moyens
humains.
Le pauvre jeune homme, qui avait épuisé ses épar-
gnes pour se faire traiter, était presque découragé à la
pensée de l'avenir dont il était menacé. Mais, ô puis-
sance de la foi et de la prière! La neuvaine n'était pas
terminée, que le malade écrivait à son frère qu'il était
guéri.
Ce témoignage a été rendu par M. Antoine Meloche.
Il venait demander de nouveau de l'eau du tombeau
pour une autre personne de Montréal, un ami de son
frère, également affligé d'un grand mal d'yeux et qui
avait conçu une vive espérance, par suite de la guérison
obtenue.
Témoignage de M. le docteur M.-D.-S. Martel, tou-
chant la guérison de Benjamin L..., arrivée à Chambly
en mars 1869.
Dans le cas de Benjamin L..., cas de hernie ingui-
nale étranglée, médicalement parlant, le patient devait
mourir.
Appelé une première fois, je pus réduire la hernie,
mais cette réduction ne fut pas de longue durée. Le
soir même, la hernie s'étrangla de nouveau , et le
patient fut atteint de douleurs plus fortes que la pre-
mière fois. Comme il faisait une véritable tempête
d'hiver, accompagnée d'un froid de vingt-huit à trente
degrés, on n'osa pas se mettre en chemin pour venir
me chercher. Le patient souffrit toute la nuit horri-
blement. Vers le matin seulement les douleurs se
calmèrent, et le malade, ignorant sa position véritable,
CHAPITRE XX. 485
s'écria tout joyeux qu'il était guéri. C'était justement
au moment oii la gangrène commençait son travail de
destruction et où la mort était plus prochaine.
Malgré cette prétendue guérison, le malade changeait
à vue d'œil, et, vers les neuf heures du matin, on crut
prudent de venir chez moi.
Après un court exposé de l'état du patient, redoutant
avec trop juste raison ce mieux subit, je partis immé-
diatement, me dirigeant en toute hâte vers sa demeure.
Le malheureux qui n'avait plus conscience de sa' posi-
tion, se croyait mieux, mais tous les symptômes pré-
curseurs de la mort se déroulèrent en un instant devant
mes yeux : le malade n'avait plus de pouls, sinon
parfois un pouls intermittent ; ses yeux étaient hagards,
sa figure inquiète et exaspérée, sa langue sèche et
couverte d'un enduit brun foncé. Il y avait tympanite,
vomissements de matières fécales, froideur des extré-
mités, sueurs froides et abondantes, etc.
Il était trop tard pour tenter une opération, le débri-
dement de la hernie. Néanmoins je passai quatre à
cinq heures auprès du malade, espérant en vain quel-
que changement. Voyant que la médecine était impuis-
sante, je fis appeler le prêtre et lui remis mon patient,
lui disant que tout était fini, puis je m'acheminai vers
ma demeure. Ma femme me demanda aussitôt des nou-
velles du pauvre Benjamin. Je lui répondis que c'en était
fait, qu'il allait mourir. Ma femme me proposa alors une
neuvaine en l'honneur de la vénérable Mère Marie de
l'Incarnation, pour obtenir la guérison du pauvre mal-
heureux. Je m'y associai de grand cœur, et nous la .
commençâmes le' soir même.
Le lendemain, il y avait, chez le malade, une ouver-
ture dans les parois de l'abdomen : c'était un anus
ISC) MARIK DE l'incarnation.
artificiel qui donnait passage à des matières excré-
mentielles abondantes. Les autres symptômes n'étaient
point changés ; le vomissement et Je hoquet paraissaient
l'exaspérer. Le troisième jour, il y avait un peu de
mieux; le quatrième, l'anus artificiel avait presque
entièrement disparu. Il y eut alors disparition des
symptômes alarmants. Les jours suivants le mieux
devient de plus en plus sensible, et à la fin de la
neuvaine, mon patient était en parfaite convalescence.
C'était au mois de mars 1869; et, au mois de mai
suivant. Benjamin L... travaillait avec son père à faire
les semailles. Depuis ce temps, il a toujours joui d'une
bonne santé; il est parfaitement guéri de sa hernie.
Tel ebt le résumé du cas de maladie que j'ai eu à
traiter moi-mê'me, et dont j'attribue la guérison à la
vénérable Mère Marie de l'Incarnation.
Chambly, 30 janvier 1871.
M.-D.-S. Martel, docteur en médecine.
9 mai 1873. Aujourd'hui, mademoiselle Elisabeth-
M" Donald a confirmé de vive voix, comme en ayant
été témoin oculaire, la guérison de madame Duncan
M*^ Rac, arrivée à Saint-Raphaël, comté de Glengarcy,
Haut-Canada (plus de cent lieues de Québec) au prin-
temps de 1869.
Cette dame, âgée d'environ quarante ans, était depuis
longtemps malade; mais les trois dernières années, elle
avait été comme clouée à son lit de douleurs par une
complication de maux, dont le principal était la maladie
de l'épine dorsale. La pauvre infirme ne pouvait s'aider
CHAPITRE XX. 4SI
en rien et souffrait extrêmement. Elle était abandonnée
des médecins et avait reçu les derniers sacrements
quand on écrivit pour demander une neuvaine à la
vénérable Mère Marie de l'Incarnation, en disant qu'un
miracle seul pouvait la sauver. Bon nombre de familles
de l'endroit s'unirent à la neuvaine et la malade fit
usage de l'eau du tombeau. La grâce sollicitée fut
complète. A partir de cette neuvaine, madame Mac
Rac s'est toujours bien portée, assistant régulièrement
aux offices de l'Eglise et vaquant à tous les travaux
domestiques. Le village entier en est dans l'admiration
et dit hautement que Dieu seul a pu opérer ce prodige.
7 janvier 1870. Mademoiselle Félicité Motte, venue
à notre parloir, dit que sa petite nièce, Emma Motte,
âgée de douze ans, souffrait depuis un an d'un mal
extraordinaire à un doigt; le médecin n'avait pu y
apporter aucun remède efficace. On commença une
neuvaine à notre vénérable Mère, avec application
de l'eau. Un matin durant la neuvaine, l'enfant se lève
en criant qu'elle est guérie, et elle l'était en effet. Cette
guérison a eu lieu l'année dernière au Cap-Santé (douze
lieues de Québec). C'est le propre père de l'enfant qui en
a donné les détails à mademoiselle F. Motte.
10 janvier 1870. Clément Chaillé, du Cap-Santé,
venu à notre «rille, déclare que sa mère, madame
Urbain Chaillé, avec qui il demeure, et qui est âgée
de soixante treize ans, souffrait depuis plus de douze
488 MARIE DE l'incarnation.
ans d'une tumeur au nez qu'aucun remède n'avait pu
guérir, et que l'on regardait comme dégénérée en chan-
cre, quand, vers le mois d'août 1869, on commença une
neu vaine avec application de l'eau du tombeau. Le mal
disparut pendant cette neuvaine.
10 mai 1870. Aujourd'hui, le sieur Thomas Dooley,
fermier à Sainte-Agathe de Lotbinière (cinq lieues de
Québec), est venu témoigner de sa guérison et remer-
cier des prières faites pour lui. Il y avait six ans qu'il
s'était trouvé atteint d'un rhumatisme inflammatoire,
et aucun traitement n'avait pu le guérir. Il avait même
pas?é six semaines à l'Hôtel-Dieu de Québec, où plu-
sieurs médecins habiles l'avaient soigné sans résultat.
On lui conseilla d'aller séjourner dans le Sud; il en
revint aussi souffrant et aussi incapable de travailler
qu'auparavant. Vers le milieu du mois de mars dernier,
il commença une neuvaine à la vénérable Mère Marie
de l'Incarnation, avec application de l'eau miraculeuse.
Il sentit presque aussitôt un grand soulagement dans
les épaules et dans les bras. Son état changea tellement
que vers la fin de la neuvaine il était complètement
guéri. Il a fait à pied un long chemin pour prendre
ensuite la voiture et venir rendre compte de sa guérison.
9 mai 1873. Mademoiselle Hélène Pelletier, demeu-
rant au faubourg Saint-Jean à Québec,«ayant demandé
de l'eau miraculeuse, déclare que sa sœur Joséphine,
âgée de onze ans, résidant à Sainte-Hélène de Kamou-
CHAPITRE XX. 489
raka, a été guérie d'une surdité très-considérable qui
durait depuis deux ans et à laquelle la médecine n'avait
pu remédier. Depuis la neuvaine faite en juillet dernier
à la vénérable Mère de l'Incarnation, la jeune fille
entend parfaitement.
Ce n'est pas seulement dans le Nouveau-Monde que
la vénérable Mère a fait sentir son crédit auprès de
Dieu : partout où o^ l'a invoquée, elle a donné des
marques de sa protection. Nous ne citerons que quelques
faits.
La supérieure des Ursulines de l'Arbresle (Rhône)
nous écrivait, le 20 septembre 1867 : « Je ne puis
résister au désir de vous faire connaître l'entière et
prompte guérison d'une de mes religieuses, qui vient
de recouvrer la santé par l'entremise de la vénérable
Mère Marie de l'Incarnation. Cette chère sœur était
atteinte, depuis plusieurs années, d'une violente douleur
au^cœur et d'une toux opiniâtre, qui l'avaient réduite
à un tel point de faiblesse et de maigreur, que nous
appréhendions pour ses jours. Elle était habituellement
accablée d'une tristesse et d'un abattement qui lui
paraissaient insurmontables. Le médecin avait peu
d'espoir et les remèdes étaient sans effet. Je m'adressai
alors avec confiance à notre future bienheureuse : le
dimanche de la sainte Trinité, je commençai en son
honneur une neuvaine à l'insu de la malade. Quelques
heures s'étaient à peine écoulées, que nous fûmes
surprises du changement qui venait de s'opérer. La
malade, sentant diminuer son mal, dit à l'infirmière
qu'assurément on avait prié pour elle. Avant la fin de
la neuvaine , les souffrances physiques et morales
490 MARIE dp: I, incarnation,
avaient entièrement disparu. Aujourd'hui, sa santé est
parfaite. »
Ursulines de Mons (Belgique), 27 mai 1869.
« C'est pour accomplir une promesse faite à la
vénérée Mère Marie de l'Incarnation, que je viens
vous faire part d'une guérison tout à fait inattendue,
que cette bonne Mère nous a obtenue dans le mois
d'août dernier. Notre digne et bien-aimée supérieure
était atteinte d'une inflammation d'entrailles tellement
violente qu'aucun remède ne pouvait y apporter de
soulagement. Le mal allait toujours en augmentant;
le médecin n'avait plus d'espoir, lorsque Dieu inspira
à une religieuse de la communauté l'heureuse idée de
faire avaler à la malade une parcelle d'une lettre
autographe de Marie de l'Incarnation, ce qu'elle fit
à deux reprises diflérentes, promettant de vous faire
connaître la guérison si elle était obtenue. Dès lors
un mieux sensible s'opéra chez la malade, qui, malgré
son grand âge (soixante-dix-neuf ans), est maintenant
au milieu de nous, édifiant la communauté par ses
exemples de vertus. «
Ursulines de Quimperlé (Finistère), 16 mars 1870.
« Au commencement de février, une de nos élèves,
âgée de douze ans, fut atteinte d'un rhumatisme géné-
rai; le mal augmenta et nous donna de l'inquiétude
pour la vie de cette jeune fille. La famille ayant été
instruite du triste état de Louise, le père accourut
promptement laissant sa femme malade d'une fluxion
de poitrine. Son affliction était extrême : il était me-
CHAPITRE XX. 491
nacé de perdre à la fois et sa femme et son unique
enfant.
y Le 12 février, nous crûmes qu'il faudrait adminis-
trer notre pauvre petite; mais notre révérende Mère
supérieure eut la pensée de commencer une neuvaine
à notre sainte Mère du Canada. Le jour même, le mieux
se fit sentir; la malade est maintenant rétablie; elle est
allée passer quelque temps dans la famille pour achever
de se remettre.
» Une de nos grandes élèves avait, depuis quinze
jours, une fièvre muqueuse sans gravité; vendredi, son
état devint plus alarmant, et nous avons encore eu
recours à notre Mère de l'Incarnation au moyen d'une
neuvaine. Depuis, les vomissements ont complètement
cessé et notre chère _ malade est en pleine voie de
guérison. »»
Carhaix (Finistère), 30 avril 1870.
« Notre dévotion pour notre vénérable Mère Marie
de l'Incarnation s'accroît de toute la reconnaissance
dont nos cœurs sont remplis pour les faveurs dont elle
ne cesse de nous combler. Sans parler de l'augmentation
considérable du nombre de nos enfants, que nous
croyons lui devoir, voici un fait que je veux vous faire
connaître :
» Une charmante jeune fille de quatorze ans fut
atteinte, dans les premiers jours de ce mois, d'une
maladie qui nous inspirait une véritable épouvante,
à cause des cris que lui arrachaient ses cruelles dou-
leurs. Dans le jour, on voyait des religieuses fuir, les
unes d'un côté les autres de l'autre, pour ne pas entendre
49^ MARIE DE L INCARNATION.
les hurlements de la pauvre enfant; mais, la nuit, on
ne pouvait les éviter, car il avait fallu transporter la
malade à l'infirmerie des religieuses. Le 5 courant,
je dis à notre chère enfant, en lui donnant le portrait
de notre bien-aimée Mère Marie de l'Incarnation :
« Recommandez- vous à cette bonne Mère, nous allons
commencer une neuvaine pour vous ce soir. — A la
condition, dit la malade, que je sois guérie demain matin
à six heures. Ah ! je ne puis plus tant souffrir! — Rési-
gnez-vous, mon enfant, et patientez jusqu'à la fin delà
neuvaine, si telle est la volonté de Dieu. — Non, demain
à six heures, il faut que je sois guérie. »»
y> Nous commençons la neuvaine le soir. Pendant la
nuit les douleurs furent atroces. A partir de minuit,
l'enfant ne cessa de crier qu'elle allait mourir. Nous
étions trois religieuses près d'elle, épuisant toutes les
prières, tous les raisonnements pour la faire consentir
à essayer un remède : « J'aime mieux mourir, répon-
dait-elle. « A cinq heures, les maîtresses vinrent la' voir
et s'en allèrent avec une profonde tristesse dans le
cœur.
y Six heures sonnent à la communauté : 0 prodige!
la pauvre petite se sent guérie; elle fait des mouve-
ments, sa figure change d'expression, ses yeux rede-
viennent clairs et animés. Elle couvre de baisers le
portrait de la Mère Marie l'Incarnation. C'est elle
qui m'a guérie , répète-elle à toutes les personnes
qui entrent dans sa chambre, et elle montre le portrait
avec bonheur. Elle voulait se lever à l'instant et repren-
dre les exercices de ses compagnes. Quand elle vit
entrer le docteur, elle lui cria de loin : « La voyez-vous.
Monsieur, c'est elle qui m'a guérie, et juste à l'heure
que je le lui avais demandé! »
CHAPITRE XX. 493
Nous terminerons par le récit d'une guérison obtenue
aux Ursulines de Blois, le 2 avril 1873. La religieuse
en faveur de laquelle elle fut opérée se trouvait dans
un état tel que l'on attendait sa mort à bref délai.
Elle n'avait pas prononcé une parole à voix ordinaire
depuis seize mois, et il y avait six ou sept semaines
au moins que, ne pouvant pas même se faire entendre
à voix basse, elle se confessait par écrit. Sa maigreur
était extrême; elle souffrait continuellement d'une dou-
leur au côté, outre une grosseur sensible et douloureuse
qu'elle avait à la gorge.
Il y avait bientôt deux mois que l'on ne faisait plus
aucun remède , le médecin ayant déclaré que tous
seraient inutiles, lorsque nous proposâmes de faire
une neuvaine à la Mère Marie de' l'Incarnation, aux
conditions suivantes : P que la malade porterait à son
cou, pendant toute la durée de la neuvaine, la relique
de la vénérable Mère ; 2° que si elle était guérie, elle
ferait son portrait à l'huile (Sœur Saint-Dominique est
maîtresse de peinture et de dessin), et que ce portrait
serait mis dans le vestibule du tour de la communauté.
La supérieure dit qu'elle acceptait ces conditions et
sœur Saint-Dominique donna son assentiment par une
inclination de tête.
Voici maintenant comment elle raconte elle-même
sa guérison :
« Monastère de Saint-Ursule de Blois, 20 avril 1873.
« Le 4 décembre 1871, à la suite d'un rhume de
poitrine, je perdis complètement la voix; j'étais sujette
à ces extinctions, qui revenaient plusieurs fois chaque
hiver depuis plus de dix ans; rien donc ne semblait
494 MARIK DK l'incarnation.
d'abord inquiétant. Mais j'éprouvai bientôt une fatigue
plus grande que celle qui avait jusqu'alors accom-
pagné ces fréquentes aphonies, et, durant tout le mois
de décembre, la toux fut presque continuelle pendant
la nuit. On essaya diverses calmants, qui firent céder
la toux, mais n'exercèrent aucune influence sur la voix,
et dès lors j'éprouvai tant de peine à parler, que j'eus la
crainte d'être tout à fait privée de la parole. A la fin
de mars, on tenta une cautérisation, qui, dans d'autres
circonstances, avait réussi à ramener la voix ; cette
fois, ce fut 'inutilement. Les injections d'alun dissous
dans de l'eau très-chaude n'eurent pas plus de succès.
» On espéra que des douches par un temps très-froid
rendraient au larynx sa sonorité; il n'en fut rien. On
dit qu'il fallait attendre la saison chaude, et je suivis
jusque-là un régime fortifiant. Les chaleurs venues
n'apportèrent aucun changement. Je sentais qu'au con-
traire mes souffrances augmentaient. J'étais facilement
ojipressée, et l'appétit me faisait complètement défaut.
« Au commencement de l'été, on avait appliqué suc-
cessivement deux vésicatoires de chaque côté du larynx,
et déjà on craignait pour cet organe une paralysie,
laquelle parut inévitable après l'inutilité des vésicatoires.
j» Dans le courant du mois d'aotitun second médecin
désira une nouvelle application de vésicatoires, cou-
vrant, cette fois, tout le devant du cou. On en mit
ainsi deux à dix jours d'intervalle; puis il fallut s'ar-
rêter à cause de l'état dans lequel me mettait ce traite-
ment, qui produisait, avec la fièvre, un accroissement
de faiblesse, et de longues insomnies. Ce fut alors que
le médecin voulut en venir à un traitement plus éner-
gique, qui lui donnait de l'espérance, mais dont l'in-
succès serait la preuve qu'il n'y avait plus à compter
CHAPITRE XX. 495
sur le retour de la voix. Eq ce cas, les ettorts devraient
se borner à localiser le mal. Il appliqua donc deux
cautères, qu'il fallut entretenir pendant deux mois,
et qui n'amenèrent aucun soulagement. Tous ces soins
étaient accompagnés de fumigations de goudron, renou-
velées trois fois chaque jour avec d'autres médicaments
que l'on croyait devoir exercer sur l'organe malade une
influence salutaire. Tout fut inutile, et je sentais que
mon état empirait. Parfois c'était à peine si je pouvais
me soutenir. Il me semblait impossible qu'un tel état
pût durer longtemps, surtout lorsqu'au mois de janvier
de cette année je ressentais un si grand épuisement que
je dus faire usage du crayon et de l'ardoise pour exprimer
mes pensées, puis me confesser uniquement par écrit.
" J'en étais là lorsque M. notre aumônier proposa
une neu vaine à la Mère Marie de l'Incarnation. Cette
pensée me souriait peu ; je ne me sentais aucune dévo-
tion spéciale à cette sainte religieuse. Je fis donc quel-
ques difficultés; mais pourtant je m'unis par obéissance
à cette neuvaine, qui commença le 16 mars. Peu à peu
cependant la confiance se fît sentir; pensant à la relique
que je portais sur moi, je finis par être persuadée que
la sainte TJrsuline du Canada ferait quelque chose en
ma faveur. Puis tout espoir s'évanouit quand je vis
que, le 24 mars, jour de la clôture de la neuvaine,
le seul changement opéré était une augmentation de
souffrance et une faiblesse générale. Du reste, j'avais
tant supplié Notre-Seigceur, tout en désirant beaucoup
ma guérison, de ne me la pas accorder s'il prévoyait
que je dusse en abuser et me servir de ma voix pour
l'offenser tant soit peu, que je me regardais désormais
comme certaine de la volonté de Dieu à mon égard.
Je crus donc qu'il était inutile de continuer des prières
496 MARIE DE l'incarnation.
auxquelles Dieu ne refusait de se rendre que par
miséricorde.
» Cependant notre bonne Mère supérieure et M. l'au-
mônier étaient résolus d'insister auprès de la Mère
Marie de l'Incarnation jusqu'à ce qu'elle eût donné
à la communauté un gage certain de son crédit auprès
de Dieu; et le lendemain, 25 mars, on commençait une
seconde neuvaine. On priait malgré moi, eu quelque
sorte, et si je m'unis à cette seconde neuvaine, ce fut
uniquement par obéissance et par un sentiment profond
de reconnaissance pour la charité dont on me donnait
tant.de preuves. Je demeurais d'ailleurs convaincue
que nous n'obtiendrions rien, et je ne demandais plus
moi-même au bon Dieu que de faire tourner tant de
prières au profit de mon âme.
« Telles étaient mes dispositions lorsque, le 2 avril à
six heures du matin, commençant à prier, je voulus,
ainsi que j'en avais l'habitude, juger de l'état de ma
pauvre voix, et j'essayai de parler en faisant sur moi
le signe de la croix. Quelle est alors ma surprise quand
je m'entends articuler hautement les mots : Au nom du!
Ma voix s'éteignit alors; mais je fus si frappée de ces
premiers sons, que me rappelant seulement alors que
ce jour était le dernier de la seconde neuvaine, je ne
doutai plus que la Mère Marie de l'Incarnation se fût
occupée de moi. Immédiatement j'essaye un second
signe de croix, mais cette fois avec une ferme con-
fiance : Au nom du Père et du Fils. Ce fut encore tout ce
que je pus dire. Mais ce progrès doublait ma confiance
et j'étais convaincue que la Sainte Trinité ferait le
reste. En eflet je fais mon signe de croix tout entier
à haute voix et je continue ma prière sur le même ton
sans faire aucun efTort ni éprouver de fatigue. Je com-
CHAPITRE XX. ^ 49Î
pris que jetais guérie, et, pleine d'émotion, je baise
à genoux la relique de la vénérable Mère, qui se ven-
geait de mon peu de confiance par un prodige de bonté.
" Depuis, je continue à parler sans fatigue. Je n'ai
éprouvé dans cette journée de ma guérison, qu'un bour-
donnement extraordinaire dans les oreilles, qui ne s'est
reproduit ensuite que le dernier jour de la neuvaine
d'action de grâces. Je sens d'ailleurs un changement
réel dans l'ensemble de ma santé; la douleur de côté
que j'avais habituellement et la grosseur à la gorge,
qualifiée par le médecin de gonflement d'un anneau du
larynx, ont entièrement disparu. Je n'ai plus ressenti
de temps en temps qu'une légère oppression, que j'at-
tribue à la faiblesse qui m'est restée, quoique incom-
parablement moins grande qu'auparavant. »
Cette déclaration, écrite trois semaines après la gué-
rison, est maintenue dans son intégrité au moment
d'être mise sous presse, 21 juillet 1873.
FAVEURS DUN AUTRE GENRE.
Quoiqu'il ne nous soit pas permis de nommer les per-
sonnes, ni d'entrer dans des détails qui les feraient
connaître, nous écrivait la révérende Mère supérieure
des Ursulines de Québec, il est à notre connaissance,
et nous pouvons le dire, que des ménages brouillés ont
été ramenés à la concorde par suite de prières à notre
vénérable Mère, et que des pécheurs endurcis ont été
réconciliés avec Dieu. Bien souvent, nous avons entendu
dire à ceux qui n'avaient pas obtenu la guérison objet
de leurs vœux, que la vénérable Mère leur avait obtenu
des grâces incomparablement plus précieuses.
M. D. LINC.
32
498 MARIE DE L INCARNATION.
Une paroisse allait très-mal au point de vue reli-
gieux; une institutrice se mit en devoir d'y établir
la dévotion à la Mère de l'Incarnation, répandant dans
les deux langues (le français et l'anglais) les prières
aux Cœurs de Jésus et de Marie dont nous avons si
souvent parlé; elle demandait à la sainte Mère de guérir
les corps, afin de pouvoir, par ce moyen, atteindre et
guérir les âmes. Sa prière fut exaucée ; quelques guéri-
sons obtenues ramenèrent à Dieu des familles entières;
des protestants même furent frappés de ce qui se
passait sous leurs yeux. Le missionnaire qui adminis-
trait cette localité dit publiquement en chaire que
depuis que la dévotion à la Mère de l'Incarnation était
entrée dans l'endroit, il s'y était fait un changement
"admirable.
Nous connaissons aussi des personnes qui, s'étant
adressées à la Mère de l'Incarnation dans de grands
embarras d'affaires temporelles, ont obtenu des résul-
tats tels que l'on est comme forcé d'y reconnaître une
intervention céleste.
Nous savons en particulier une famille dont la con-
fiance en cette sainte Mère était illimitée. Avait-on
besoin d'argent, fallait-il négocier quelque acquisition
importante? on en référait à celle qui avait su traiter
tant d'affaires épineuses sans jamais porter atteinte
aux grands intérêts de son âme. Tout était remis entre
ses mains; c'était la Mère de l'Incarnation qui négo-
ciait tout, tantôt avec saint Joseph, tantôt avec la
Sainte Vierge, tantôt par des suffrages offerts pour les
âmes du purgatoire. Quelques personnes qui d'abord
avaient voulu s'amuser de cette confiance naïve, fini-
CHAPITRE XX. 499
vent par la partager, en voyant les heureux fruits qui
en résultaient.
Nous savons encore que des personnes qui portent
l'image ou quelque relique de la sainte Mère ont eu
plusieurs fois lieu de s'en féliciter. Un employé d'une
certaine administration avait à remplir une mission
difiScile, ceux avec qui il avait à traiter ayant juré
sa mort. Il se munit d'une image de celle en qui il
met sa confiance, sûr qu'avec cela il n'éprouvera pas
de malheur. Il part donc avec confiance; mais à peine
a-t-il paru qu'on s'ameute contre lui; il est renversé
par terre et horriblement traité. On le croyait mort
sous les coups. Lui-même dit qu'il lui semblait que
chaque coup était de nature à lui ôter la vie. Cependant
il invoquait toujours sa sainte protectrice. Enfin ses
agresseurs le laissent, pensant en avoir fini avec
lui. Mais grande fut ensuite la surprise lorsque, après
qu'il se fut un peu reposé, on le vit s'en retourner chez
lui en aussi bon état de forces et de santé qu'avant de
recevoir ces affreux traitements.
Une jeune personne qui dirigeait une école composée
d'enfants des deux sexes se trouvait en butte à des
difiScultés de tout genre; elle mettait tout entre les
mains de la Mère de l'Incarnation, et elle s'en trouvait
bien. Tracasseries du côté des parents, mutineries de
la part des grands garçons de seize à dix-sept ans,
embarras de problèmes qui étaient au-dessus de sa
capacité, tout cela arrivait toujours à une heureuse
solution. Elle était si habituée à cette bienveillante
assistance, qu'elle s'y reposait entièrement. Nous n'en
500 MARIK DE l'incarnation.
citerons qu'un exemple. Un de ses grands écoliers lui
demande un jour la solution d'un problème d'arith-
métique très-difficile. Cette solution devait être donnée
le lendemain matin. Or, la pauvre maîtresse, qui d'ail-
leurs n'avait qu'une médiocre aptitude pour l'arith-
métique, n'avait jamais vu les règles sur lesquelles
reposait l'explication qu'elle avait à donner, et nulle
ouverture ne se faisait à ce sujet dans son esprit. Elle
a recours à son refuge ordinaire; elle représente à la
Mère de l'Incarnation que si elle ne lui vient en aide,
elle va perdre son crédit et se trouver dans l'impossi-
bilité de faire autant de bien à ses élèves. 11 s'agit de
son œuvre, de l'éducation des enfants.... Là-dessus
elle prend son repos comme d'ordinaire, sûre que
d'une manière ou de l'autre la difficulté s'aplanira.
Le matin, à son réveil, par quel prodige? elle ne le
sait; mais le problème est aussi clairement résolu dans
son esprit que si elle le voyait chiffré devant elle.
Prenant une ardoise et un crayon, elle en écrit la
formule avec autant de facilité que si elle eût eu sim-
plement à copier une solution donnée par un habile
mathématicien.
Bien des fois, après avoir demandé des neuvaines
à la sainte Mère pour des pécheurs endurcis qui, même
à l'article de la mort, refusaient de revenir à Dieu,
ou pour des personnes adonnées au vice de l'ivrognerie,
on est venu au monastère remercier la communauté,
en disant que la conversion avait été complète. Parmi
cos miracles dans l'ordre moral, nous en citerons un
qui a eu lieu il y a quelques années, et dont on nous
garantit tous les détails.
CHAPITRE XX. 501
Un homme de bonne condition s'étant irrité contre
une de ses parentes, protesta qu'il ne mettrait jamais
le pied chez elle. Cependant cette parente, qui était
veuve, était tombée dans la plus profonde misère et
ne savait que devenir. Malade, exténuée et privée de
toute ressource, elle fut recueillie dans un hôpital. Elle
y avait été cinq mois sans que son parent voulût revenir
de ses sentiments d'aversion. En vain les Sœurs de la
Charité avaient-elles essayé de le fléchir; il répondait
que l'Evêque même ne le ferait pas changer de résolu-
tion. Une dame charitable ayant été voir la pauvre
infortunée, celle-ci la conjura d'aller elle-même supplier
son parent de lui permettre au moins de venir mourir
auprès de sa mère qui demeurait avec lui. Il ne pourra
pas vous refuser, ajouta-t-elle.
Madame L. fit la démarche, mais elle ne fut pas
mieux reçue que les autres. Elle essuya même un refus
qui était plus que sec. Alors une idée la frappa.... Elle
va soudain au monastère des Ursulines, demande de
l'eau du tombeau et supplie les religieuses de com-
mencer une neuvaine. Puis, sans perdre de temps et
malgré la fatigue quelle éprouve, elle retourne à l'hô-
pital, donne de Veau sainte à sa malheureuse amie et
lui recommande de prier avec ferveur, lui disant que
la sainte Mère l'exaucera certainement.
La grâce demandée ne se fit pas attendre. Dès le
lendemain, M. N. inquiet, troublé, ordonne d'aller
chercher la malade et fait donner une voiture des plus
convenables pour la transporter. Il lui prodigua tous
les soins les plus affectueux pendant les huit jours
qu'elle vécut encore. Il lui fit faire à ses frais un enter-
rement solennel, et il adopta ses deux enfants, qu'il
élève comme les siens propres.
502 MARIE DE L INCARNATION.
« Qui aurait pu changer ce cœur obstiné, disait
madame L. en donnant ces détails, sinon la puissante
intercession de la sainte Mère que l'on avait invoquée? »
Au mois d'avril 1867, nous avions engagé toutes les
maisons d'Ursulines à préparer des ressources pour les
frais de la future béatification de la vénérable Mère;
nous proposions de demander, dans ce but, des élèves
de plus. Or les résultats de ce simple conseil furent
très -remarquables partout où on le suivit. Voici quel-
ques courtes indications à ce sujet.
Ursulines de Hoogstraeten (Belgique), 10 septem-
1867. « Après deux neuvaines faites avec intention
de consacrer aux frais de la béatification le quart de
la pension des élèves Anglaises ou Allemandes qui nous
seraient procurées par la vénérable Mère, on nous offrit
deux jeunes Anglaises catholiques. «
Cannobio (Italie), 23 septembre 1867. « Commençant,
il y a peu de jours, une neuvaine pour remercier le
bon Dieu des grâces qu'il a faites à la Mère de l'Incar-
nation, je lui demandai une pensionnaire et une maî-
tresse des classes supérieures. — Le troisième jour
de la neuvaine, voilà qu'on me présente une élève. De
plus, nous voyons naître l'espoir d'avoir une maîtresse. "
22 novembre suivant : « Je viens vous dire avec un
cœur rempli de la plus humble et de la plus ardente
reconnaissance, que notre neuvaine a eu son entière
efficacité. Tlne jeune fille, notre ancienne élève, qui a
son diplôme au degré supérieur, nous pria tout à coup
de vouloir bien l'accepter.... La petite nouvelle élève
est maintenant une de celles auxquelles elle donne des
leçons, w
CHAPITRE XX. 503
Samt-Cyr-au-Mont-Dor (Rhône), 14 septembre 1867.
« Le noviciat a commencé une neuvaine pour avoir
une prétendante : le cinquième jour, il s'en est présenté
une, qui entrera le dernier jour de la neuvaine. »
Uden (Hollande), 26 octobre 1867. « Nous étions
convenues que si la vénérable Mère de l'Incarnation
nous obtenait pour le P"" octobre une rentrée de cin-
quante élèves, la pension de la cinquantième serait
pour les frais de la béatification.... De quarante-quatre
élèves, à la fin de l'année scolaire, une dizaine ne
revenaient pas, de sorte qu'il n'y avait guère de chance,
humainement parlant. Et pourtant, la semaine d'avant
la rentrée, on demandait place pour la cinquantième. «
Chatam (Haut-Canada), 13 avril. 1868. « Nous avions
fait une neuvaine en l'honneur de la Mère Marie de
l'Incarnation, pour qu'elle nous obtînt vingt-cinq pen-
sionnaires pendant toute l'année : c'est six de plus que
nous n'en avons jamais eu; nous avons été exaucées. »
Saluzzo (Italie), 17 avril 1868. « Lisant dans votre
circulaire les effets de la protection de notre vénérée
Mère Marie de l'Incarnation, je fis cette prière ; - 0
vénérable Mère, si vous m'envoyez une élève, je vous
donnerai une partie de sa pension pour les frais de
votre béatification. » Or, le lendemain, on nous présenta
pour pensionnaire une enfant de dix ans. "
Vienne (Autriche), 14 avril 1868. « Comme les évé-
nements de notre malheureuse patrie diminuent de
plus en plus le nombre de nos élèves, nous avons
commencé une neuvaine à Marie de l'Incarnation; et,
dès le second jour, une dame accompagnée de quatre
charmantes petites filles nous pria de les recevoir comme
, pensionnaires, et elle a été heureuse de trouver tant
de places vides. »
504 MARIE DE l'incarnation.
La même supérieure nous écrivait, le 18 avril 1869....
« Notre chère Mère de l'Incarnation, à la suite d'une
autre neuvaine, nous a envoyé plus de vingt pension-
naires et demi- pensionnaires à la fois. "
Ursulines d'Evreux (Eure), 5 mai 1869. « Une famille
de Thiberville à laquelle vous avez envoyé, il y a quel-
ques mois, le portrait de la vénérée Mère de l'Incar-
nation, croit lui devoir la santé et la vie d'une de ses
enfants, que cinq médecins avaient condamnée, n'at-
tendant plus que son dernier soupir. Mais ce qu'il y a
de plus heureux, c'est que je lui avais demandé la con-
version du père de cette jeune fille, qui depuis trente
ans ne s'était pas confessé. Or, gloire à Dieu et à notre
vénérable Mère! ce cher Monsieur a fait ses pâques
et a communié plusieurs fois depuis. »
Ces derniers faits ne peuvent être, pour la plupart,
qualifiés de miracles, il est vrai; mais quand on fait
attention à leur nombre, ainsi qu'à la coïncidence qu'ils
ont eue en tant de lieux différents et en faveur de
personnes qui priaient à l'insu les unes des autres,
il n'est pas possible de les regarder comme l'efïet du
hasard. Un hasard pareil serait plus étonnant et plus
merveilleux que l'intervention favorable d'une âme
sainte auprès de Dieu.
Arrivé à l'accomplissement de notre tâche, nous nous
estimerons heureux si ce travail n'est pas trop indigne
de l'admirable religieuse à laquelle nous avons voué
autant de vénération, de confiance et d'amour qu'il est
permis d'en avoir pour les personnages auxquels l'Eglise
n'a pas encore décerné les honneurs des autels. Bien
des fois nous l'avons invoquée, en jetant les yeux sur
V
CHAPITRE XX. 505
sa relique placée sur notre table de travail, et il nous
a toujours semblé que notre prière était exaucée. Puis-
sent nos lecteurs partager notre conflance en la protec-
tion de la vénérable Mère Marie de l'Incarnation,
Ursuline; qu'ils l'invoquent, à défaut de relique, devant
l'image qui est au frontispice de ce volume, et nous
espérons que leur foi sera récompensée.
On ne doit pas oublier toutefois que, pour obtenir
la protection des amis de Dieu, il ne faut pas se tenir
trop éloigné des dispositions où ils étaient pendant
leur vie mortelle. Certaines personnes, tout en se
croyant suffisamment pénétrées du sentiment chrétien,
sont peu bienveillantes, pour ne rien dire de plus, à
l'égard des communautés : ce n'est pas le moyen d'ob-
tenir la protection des saints religieux et religieuses,
auxquels l'Esprit divin lui-même avait donné tant
d'aniour pour leur vocation et une si grande estime
pour l'état où ils se sont sanctifiés.
Aux pages 417 et suivantes, nous avons indiqué un
certain nombre d'homm^es éminents qui à foutes les
époques, ont rendu hommage aux vertus et à la sainteté
de la Mère de l'Incarnation ; mais nous n'avons pas tout
recueilli. L'on a bien voulu nous en signaler plusieurs
autres que nous croyons utile de faire connaître ,
afin de prouver que la mémoire de la vénérable Mère
n'est jamais tombée dans un complet oubli, même hors
du Canada.
I. Dans la Relation des Missions de la Nouvelle-France
pour 1672, le R. P. Cl. Dablon, directeur du collège de
506 MARIE DE l'incarnation.
Québec et supérieur des Missions, dit que, « cette Révé-
rende Mère était un ouvrage du Saint-Esprit, qui s'est
plu en cette âme, et qui a pris plaisir de l'enrichir
des dons les plus exquis de ses grâces...; qu'elle était
d'une sagesse et d'une prudence qui ne tenait rien de
l'humain. — Au moment de sa mort elle assura qu'elle
offrait continuellement à Dieu le peu de bien qu'elle
faisait, ses douleurs, sa vie et sa mort pour la conver-
sion des pauvres sauvages... Cette âme sainte se sépara
sans violence de sa chère communauté... Elle avait les
yeux arrêtés sur la volonté de Dieu, qui avait toujours
été rol)jet de toutes ses délices, et son paradis en
cette vie. »
II. Dans la Vie de la servante de Dieu par son fils, on
trouve à la page 752 ce témoignage du R. P, Lalemant,
son directeur, et ancien supérieur des Missions de la
Nouvelle-France : « La mémoire de la Mère Marie de
l'Incarnation sera à jamais en bénédiction en ces con-
trées ; et pour mon particulier j'ai beaucoup de confiance
en ses prières : et j'espère qu'elle m'aidera mieux à bien
mourir que je n'ai fait à son égard... Je me suis tou-
jours contenté d'être l'observateur des ouvrages du
Saint-Esprit en elle, sans m'ingérer d'aucune chose, de
crainte de tout arâter. »
III. Le savant bénédictin Dom Martène dit à la page
124 de la Vie de Dom Cl. Martin, son maître et son
ami : « L'an 1672, la vc'nérable Mère Marie de l'Incar-
nation, première supérieure des Ursulines dans la Nou
velle-France, après avoir passé trente-deux ans dans
CHAPITRE XX. 507
le siècle en des pénitences extraordinaires, huit ans au
monastère des Ursulines de Tours dans la pratique
d'une très -exacte observance, et trente -trois ans en
Canada dans un zèle incroyable pour la conversion des
sauvages, mourut à Québec en odeur de sainteté le
trentième d'avril. »
IV. Camus, que Bossuet appelle « un de n.os plus
célèbres docteurs ^ s'exprime ainsi dans son approbation
des Lettres de la Mère de l'Incarnation publiées en 1681 :
« La vénérable Mère Marie de l'Incarnation s'est acquis
ce privilège d'immortalité qui est le partage des pré-
destinés, non-seulement par sa piété extraordinaire et
ses communications avec Dieu, qui ne cesseront jamais
d'être d'un grand exemple et d'une édification admirable
pour tout son Ordre; mais aussi par ses maximes très-
évangéliques et très-chrétiennes. »
Nous avons reproduit les témoignages de Mgr de
Laval, de Bossuet, de Moréry, du P. Charlevoix, de
M. Eméry. En voici d'autres que nous avons omis :
V. Dans la Vie du R. P. Bernard, prêtre du diocèse
de Paris, par le R. P. Lempereur, on lit à la page 141 :
« La Vénérable Mère Marie de l'Incarnation, supérieure
des Ursulines du Canada, cette fille d'une sainteté si
solide et si sublime. »
VI. VEssai historique sur l'influence de la Religion en
France pendant le XVI? siècle, tome 2, page 149, dit •
508 MARIK DE l'incarnation.
<* La Mère Marie de l'Incarnation, Ursuline, vint dans
le Canada avec madame de la Peltrie, pour se livrer
à l'instruction des jeunes filles, tant parmi les Français
que parmi les sauvages... Elle rebâtit le couvent, qui
avait été consumé par un incendie, et fut un modèle
de courage dans les traverses, de patience dans les
infirmités, et de zèle pour faire connaître la religion
parmi les sauvages.*.. Ses écrits donnent une haute idée
des progrès que la Mère de l'Incarnation avait faits
dans l'amour de la perfection et des croix... Cette sainte
femme mourut à Québec le 30 avril 1672 en grande
réputation de piété.
VII. Dans le livre intitulé : Instructions . . . . ' .
Sacré Cœur de Jésus, publié à Paris en 1765, il est dit
à la page 26 que la vénérable Mère Marie de l'Incarna-
tion, fondatrice des Ursulines du Canada, avait une
dévotion extraordinaire pour le Cœur de Jésus-Christ,
dans un temps où cette dévotion était encore inconnue.
L'auteur ajoute : «Elle n'en paraît rien avoir appris
des hommes ; c'est de Dieu même qu'elle l'apprit dans
une révélation céleste. »
VIII. Feller dans son Dictionnaire historique, publié en
1781, dit que " les écrits de cette religieuse respirent
cette onction sublime qu'on ne trouve que dans les
saints. »
IX. Le Dictionnaire historique de l'abbé Ladvocat (édit.
de^ 1799) la qualifie de célèbre, et cite avec éloge les
ouvrages qu'elle a composés.
CHAPITRE XX. 509
X. Dans le livre intitulé : Le bonheur des Maisons Reli-
gieuses, Paris 1842, par M. l'abbé Sarason, l'auteur
appelle Bienheureuse la Mère de l'Incarnation, fondatrice
des Ursulines de Québec, et dit que « comme on a vu
à l'égard de quelques saints dans les derniers siècles,
Dieu a voulu la conduire par la voie des austérités les
plus accablantes pour la nature. »
XI François Pérennès, dans son Dictionnaire de biogra-
phie chrétienne, (édition Migne), et l'auteur du Dictionnaire
d'ascétisme, également publié par Migne, parlent de notre
vénérable Mère avec éloge et répètent les paroles de
Feller au sujet de ses écrits.
Mais c'est surtout au Canada que s'est conservée la
mémoire de cette admirable et sainte religieuse : là son
souvenir est toujours resté vivant dans les familles.
Tous les hommes sérieux qui ont étudié les origines de
leur pays ont été frappés de cette figure resplendissante,
de cette femme tout à la fois sainte, active et énergique,
mais exerçant bien plus d'influence par sa sainteté que
cent autres n'auraient pu faire par le génie. En même
temps un grand nombre de mères chrétiennes et pieuses
n'ont cessé de communiquer à leurs enfants et à leurs
domestiques les sentiments de respect, de vénération
et de confiance qu'elles avaient puisés dans leur éduca-
tion, pour celle que la voix populaire nomme la sainte
du Canada.
.-JÏ*iO«--
510 MARIK DE L'INCARNATION.
DEUX PIÈGES JUSTIFICATIVES.
3Ϋ<0
Nous avons dit que Mgr Baillargeon, Archevêque
de Québec, avait envoyé à Rome des informations
canoniques prises dans le but d'obtenir la béatification
de la Mère Marie de l'Incarnation, et qu'il avait obtenu
du Saint-Père la dispense des dix ans d'attente que
demandent les règles établies par le Saint-Siège. Voici
la lettre du Concile de la province de Québec, sollicitant
cette dispense. ,
« Très-saint Père,
» Il y a déjà près de deux siècles qu'est morte dans
le Seigneur Marie Guyard, appelée en religion Marie
de rincarnation, première supérieure et fondatrice du
monastère des Ursulines de Québec. L'histoire et une
tradition constante nous attestent combien elle a été
remarquable par la pratique des vertus théologiques
et l'observance de la vie religieuse. On montre encore
l'arbre au pied duquel elle s'asseyait pour enseigner
les premiers éléments de la foi aux petites filles sau-,
vages; et parmi ces tribus errantes qui restent encore,
on conserve le souvenir de cette tendre mère, de cette
première religieuse du Canada, qui jadis vint montrer
DEUX PIÈCES JUSTIFICATIVES. 511
aux femmes de ce pays, alors assis dans les ténèbres
et à l'ombre de la mort, un modèle si distingué de la
vie religieuse.
« La renommée de sa sainteté et de ses miracles,
loin de s'affaiblir avec les années, augmente au con-
traire de jour en jour, surtout depuis qu'un grand
nombre de personnes ne cessent de proclamer qu'elles
ont obtenu, par son intercession, d'insignes bienfaits
dans l'ordre temporel ou dans l'ordre spirituel.
» L'ordinaire de cette ville, vers le commencement
de cette année, a fait préparer un procès en forme au
sujet de ces miracles, et une copie de ce procès, authen-
tique et scellée, a été portée à Rome, il n'y a que
quelques semaines, et remise au secrétaire de la Sacrée
Congrégation des Rites par un prêtre délégué spéciale-
ment pour cette fin.
« Nous savons , très-saint Père , que le Saint-Siège
a réglé dans son extrême sagesse que les procès de
cette sorte ne doivent s'ouvrir qu'au bout de dix ans,
et que pendant ce temps l'on ne peut rien faire pour
la béatification et la canonisation de notre vénérée
Mère, que nous espérons et que nous appelons de tous
nos vœux. Aujourd'hui cependant, réunis en Concile
provincial, et tournés avec une très-grande confiance
vers Votre Sainteté, nous ne pouvons nous empêcher
de vous dire avec quelle ardeur nous désirons, nous,
nos diocésains, et toutes les Ursulines répandues dans
le monde catholique, de pouvoir invoquer bientôt
publiquement et solennement celle dont nous implo-
rons souvent déjà le secours privément, mais avec
tant d'efficacité. Ce désir, puisqu'il tourne entièrement
à la gloire de Dieu, qui se montre si admirable dans
ses saints, permettez- nous de vous l'exposer avec le
512 MARIK DE l'incarnation.
plus profond respect, nous qui sonames de Votre
Sainteté les fils soumis et dévoués.
>» f C.-F., Archevêque de Québec.
r> f Ig., Evêque de Montréal.
y> f Jos. Eugène, Evêque d'Ottawa.
r> f Vital G., Evêque de Satala, Coadjuteur et
Procureur de l'Evêque de Saint -Boni face.
y> f L.-F., Evêque d'Anthéodon, Coadjuteur et
Procureur de l'Evêque des Trois -Rivières.
"> f E.-G., Evêque de Kingston.
y> \ Jean-Joseph, Evêque de Toronto.
» f C, Evêque de Saint -Hyacinthe.
r> \ Jean, Evêque de S. G. de Rimouski.
y> f Jean, Evêque de Sandwich. y>
Cette lettre, dont nous n'avons pas la date précise,
fut écrite et envoyée à Sa Sainteté au mois de mai 1868,
époque oii se tint le Concile de la province de Québec.
Or, dix-huit mois plus tard, Mgr Baillargeon étant à
Rome, où il s'était rendu pour le Concile du Vatican,
écrivait dans les termes suivants à la supérieure des
Ursulines de Québec :
« Rome, 25 novembre 1869.
y^ Je me suis empressé d'aller saluer de votre part
vos révérendes Soeurs d'e Rome, dès mon arrivée....
y> Ces bonnes Mères m'ont paru fort zélées pour
l'avancement de la cause de la canonisation de votre
vénérable fondatrice, la Mère de l'Incarnation, i^lles
se sont empressées de faire avertir de mon arrivée
Mgr Persichelli, votre postulateur. Celui-ci est venu
me voir hier, accompagné de l'abbé Taddei, chanoine
DEUX PIÈCES JUSTIFICATIVES. 513
de l'église de Saint-Marie in via lata, qui s'est chargé
de défendre la cause.
" Le signer Persichelli nous a appris qu'il avait eu
plein succès auprès du président de la Congrégation
des Rites, le Cardinal Patrizzi," qui a bien voulu se
charger d'être le Rapporteur de la cause, et que le
procès-verbal de l'enquête faite à Québec allait bientôt
être ouvert; c'est-à-dire que la cause entrera bientôt
en cour de Rome. Ce sera un grand pas de fait....
« Maintenant, il ne me reste plus qu'à vous assurer
que je pense à vous, et que je prie pour vous et pour
votre communauté tous les jours, comptant avec con-
fiance sur vos prières, dont j'ai grand besoin je vous
assure, et vous bénissant de tout mon cœur.
y» Et je demeure en toute affection dans le Cœur de
Notre-Seigneur,
» Votre tout dévoué serviteur,
» C. F., Archevêque de Québec. «
« Samedi 27. Les sceaux du procès-verbal de notre
enquête sur la réputation de sainteté de votre Mère de
l'Incarnation, ont été levés hier. Le cardinal Patrizzi,
rapporteur, va être approuvé par le Saint-Père dans
l'audience de demain, et la cause entrée en cour de
Rome va marcher.
» C. F., Archevêque de Québec. «
Voilà oii en était cette importante affaire à la fin de
l'année 1869. Mais le postulateur et l'avocat de la cause
ayant remarqué, dans les procès-verbaux, quelques
33
M. D. LINC.
514 DEUX PIÈCES JUSTIFICATIVES
irrégularités qui pouvaient nuire au succès, prièrent
le vénérable Archevêque de vouloir bien charger la
commission de rectifier ce qui demandait à l'être. Ce
fut une cause de retard. La mort de Mgr Baillargeon,
qui arriva peu après, occasionna de nouvelles compli-
cations et de nouveaux embarras.
Enfin Mgr Taschereau, le vénérable successeur de
Mgr Baillargeon, a réorganisé la commission, dont le
travail, il faut l'espérer, ne laissera rien à désirer.
— o-oj^o»-
ADDITIONS
Publiées à Q,uébec sous la surveillance de l'Aumônier
des Religieuses Ursulines.
1° Témoignage du vénérable M. Emery, Supérieur du Séminaire de St.
Sulpice à Paris.
Il écrivait en 1800 à Mgr. J. 0. Plessis, évêque de Québec: " J'ai
beaucoup de vénération pour les Ursulines de Québec, qui, sans doute,
ont hérité des vertus éniinentes de la Vénérable Mère Marie de l'Incar-
nation. C'est une sainte que je vénère bien sincèrement et que je mets
dans mon estime à côté de Ste. Thérèse. Dans ma dernière retraite,
sa vie, ses lettres et ses méditations ont seules fourni la matière de
mon oraison et de mes lectures. "
2° Liste des Elèves de la V. M. Marie de l'Incarnation ou des religieuses
formées par elle, de 1639 à 1700, — Leurs alliances.
Le — signifie épousa, = en secondes noces, + en troisièmes noces.
Mlles. M. E. Nicolet, — J. LeBlanc, = Elle DuSault.
" Elizabeth Couillard, — J. Guyon du Buisson.
" Margt. Couillard, — J. Nicolet, =: Nie. Macart.
" Marie Olivier. Jeanne Porchet. Marie M. Badot.
" Marie Marsolet, — Math. Damoui's des Chaufours.
" Marie Couillard, — M. Frs. Bissot, = J. G. de Lalande.
" Marie LeGardeur de Repentigny, — J. P. Godfroy de Linctot.
" M. Cath. Le Gardeur de Repentigny, — C. Daillebout des Musseaux.
" Marie Le Neuf de la Poterie, — Robiueau, baron de Bécancour.
" Margte. Le Gardeur du Tilly, — J. Le Neuf de la Poterie, L. G.
" Gen. Jnchereau de More, — Ch. Le Gardeur du Tilly.
'' Marie Bourdon, Rel. Hosp., Mère Marie Térèse de Jésus.
'^ Margte. Bourdon, M. St. J. Baptiste; une des fondatrices de
l' Hôpital-Général de Québec.
" Gen. Bourdon, R. U., M. St. Joseph.
*' Anne Bourdon, R. U., M. Ste. Agnès: filles de M. Bourdon, P. Gén.
" Marie M. Hayot, — Michel Robert, = Jean l'Archevêque.
" Jeanne Crevier, — Pierre Boucher, Gouv. des Trois-Riviêres.
*' Marie M. de Chavigny, — Jean Lemoine.
" Gen. de Chavigny, — Charles Araiot, = J. B. Couillard, Proc. Royal.
" Margte. de Chavigny, — J. Douaire de Bondy, = Jac. Alexis Fleury
de la Gorgendière.
" Gen. Hayot, — Claude Dorval, Chirurgien.
" Louise Marsolet, — Jean Le Mire.
^' Marie M. Marsolet, — François Guyon du Buisson.
Mlles. Simonne Côté, — Pierre Soumande.
" Marie Séve.stre, — M. Jean Loyer, = M. Louis de Niort, Sieur de la
Noraye.
'' Agnès Morin, — Nie. Gaudry, = Ig. Beaupré.
" Louiçie Racine, — Simon Guyon du Buisson.
" Gen. Marsolet, — Michel Guyon du Buisson.
" Françoise Hébert, — Gnill. Fournier.
" Marie M. Martin, — Nie. Froget, = J. B. Fonteneau.
" Caih. Primot, — Cliarles Lemoine de Longueuil.
" Louise Morin, — Charles Cloutier.
" Marie Morin, — G. Rageot, Not. Royal.
" Françoise Denis, — J. Cailleteau, = Michel Le Neuf de la Poterie.
" Cath. Denis, — P. Dupeiras de Santerre.
*' Marguerite Denis, — Michel Cressé.
" Barbe Denis, — Ant. Pécody de Contrecœur, Capt. Regt. Car. =
Louis de Gannes-Falaise, Officier des troupes.
" Françoise Peltier, — J. Bériau, = S. Liéuard.
" Jeanne Peltier, — N. Jérémie.
" Cath. Boutet de St. Martin, — Charles Philippeau, = Jean Soulard.
" Ursule Proust, fille adoptive de Mme. de la Peltrie. Louise Poisson.
" Margte. Boissel, — Et. Bouchard, chir. à Montréal, = Julien Joyan.
" Charlotte Denis, — P. Dubrahé.
" Marie Morin, Rel. Hosp. à Montréal.
" Marie Chartier, Marie Dodier, Jacqueline Maheu.
" Gen. Peltier, — Vincent Verdon, = Ths. Lefêbvre.
" M. Françoise Denis, — J. Outland, Capt., = N. Chartrain, Officier.
" Margte. Crevier, — J. Fournier, = Michel Gamelin, + François
Renou.
" Elizabeth Moyen, — Lambert Closse, le héros de Montréal.
" Jeanne Brassard, — Jac. Bédouin.
" Marie Moyen, — Sidrac Du Gué de Bois-Briand.
' Marie Sédilot, — Bert. Fafart, = R. Bernard.
" Jeanne Langlois, — René Chevalier.
<' Marie M. de Hertel, — Pinard, médecin, T. Riv.
" Margte. des Chaufours, — Chev. J. T. de Montigny, Capt.
" Margte. Seigneuret, — L. Godfroy de Normandville, = J. Boudor, +
G. Ste. Marguerite de Boyvinet, L. Gén. aux Trois-Riviéres.
" Jacqueline Juchereau de St. Denis, R. U. M. des Séraphins.
" Marie Gen. Guilbaut, — Séb. Gingras, = P. Robin.
" Margte. Guilbaut, — Ant. Pouliot, = J. Rousseau.
" Anne de la Marque, — M. Testard.
" Charlotte Béranger. M. M. Bacon. Françoise de la Haye.
" Marie Chauvin, — Rollin Langlois, = Jean DeNoyan.
" Anne Gauthier de la Chenaye, — G. Feniou, = J. Ragueneau,
" Marie Baudry, — J. Lefêbvre.
— 3 —
Mlles. Claire Tnrgeon, — A. Sagot dit Laforge.
" Margte. Massé-Gravelle, — Noël Jlacine.-
" Elizabeth Massé-Gravelle, — Math. Côté.
" Marie Gloria, — J. Toupin.
" Jeanne F. Millouer ou Milois, — Math. LePrestre, = Jacq. Paradis,
+ François Fellan ou Ferland.
" Jeanne Couillard de l'Espinay, — Paul Dupuis. OfficierRegt.de
Carignan, Lt. civil et crirn. de Québec.
" Gen. Millouer, — Guill. Paradis.
" Barbe Dailiebout, Marie Lemaître, Marie Villeneuve.
" Jeanne Guillet, — Math. Rouillard.
** Françoise Savard, — Robert Jeannès.
" Marie M. Pinguet, R. U. M. de l'Assomption. Marie Boissel.
*' Marie Chesnay de la Gareune, — Jos. Petit.
*' Catherine Biasot, — Etienne Charest.
" Marie Des Moulins.
" Margte. Gloria, R. H., M. du Précieux Sang.
'• Marie Gloria, R. H., M. Marie de l'Assomption.
" M. Margte. Vauvril de Blazon, — L. Boucher de Grand Pré, Major
aux Trois-Riviéres.
" M. Charlotte Charets, — P. Martel, = M. Aug, Le Gardeur du Tilly.
" Claire-Françoise Charets, — René Jean Boucher de Montbrun.
" Cath. Charets, — Pierre Trotier.
<' Marie M. Brassard, — Louis Fontaine, = Jean LeNormand.
" Margte. Brassard, — J. Lemelin.
" Marie Guyon du Buisson, — Adrien Hayot.
" Dorothée Brassard, — Pierre Richer.
" Isabelle Boucher, — Denis Guyon.
" Louise Bissot, — S. Marganne de la Valtrie.
" Marie Poulain, — P. Maufis.
" Charlotte de Chavigny, — René Breton, = J. Giron.
" Marie Boutet de St. Martin, R. U., M. St. Augustin.
" Elizabeth de Chavigny, — Et. Landron.
" Anne Martin, — Jac. Ratté.
" Marie Macart, — Ch. LeGarJeur de Villiers.
" Gen. Macart, — Charles Basire, = Frs. Provost, Lt. du Roi, aux
Trois-Rivières, + Charles D'Alogny, Marquis de la Grois, Capt.
" Anne Macart, — P. Becquart Sieur de Grandville, Capt. des troupes.
" B. Delphine LeTardif, — Jacques Cauchon.
" Cath. Gert. Macart, — J. B. Deschamps.
" Françoise Diiquet, — M. Madry, méd. = Mich. Olivier Morel de la
Durantaye.
" Agnès Duquet, R. U. M. Marie de la Nativité.
'* Anne Duplessis, fille du Gouv. des Trois-Riv. massacré par les
Iroquois, — Octave Zapaglja de Ressan.
— 4 —
Mlles. Gen, Nosse-Messeray, — Et. LeTellier, = F. DuSault.
" Marie Gagnié, — A; Leloutj'e, = Jean Abelin.
" Gertrude Coiiillard, — Charles Aubert <le Gappé.
'< Ang. Puisson, II. U. M. St. Jean l'Evangéliste.
*' Jeanne Poisson, R. H. de Québec, M. Ste. GertruJe.
" Louise Poisson, — Senj. Anceau de IBerry.
" Jeanne Godfroy de Liuctot, R. U. M. St. Frs. Xavier.
" Marie Seve&tre, — Aug. Rouer de Villeray.
" Françoise Chanier de Lotijinière, — P. de Jcybert-Marson.
'.' Catli. Le GarJenr du 'l'illy. — Pierre de Saiirel, Officier, R. C.
" Marie Beaupré, — Jean Nault.
" M. Margte. Gagnon, — Jean Caron.
" Marie Lesseau. !Marie Odin. Marie Lamouche.
" Jeanne Masse, — Guill. Coustaniiu.
" Renée Gagnon, — Jean Uuiniet.
« Marie Le Gardeur du Tiiiy, — Alex. Rertbier, Off. R. C.
" Marie J. Côlé. Mm-le Gnilbaut. M. Paradis.
" Roiralie Dnquet, ■— Charles Auùot.
" Charl. Gaudiu, — P. Fréclielte, = P. La Forest.
'< Barbe Renault, — J. Charpentier, = Nie. Cochart, + M. Arnaud.
" Marie Denis, tille du Gouverneur de l'Acadie.
" Marie Desrosiers, — J. Raoult.
" Margte de Hertel, — J. Crevier de la Meslée.
" M. M. Crevier, — Nie. Gatiueau Duplessis, = Julien de St. Aubin.
" M. Louise Côté, — J. Grignon.
" Barbe Cloutier, — Ch. Bélanger, = Nie. Gagnon.
" Anne Baillargeou, — Jean Polton, = Jacques Duguay.
" M. M. Bourgery, — J. Beaune, = J. Chasle.
'< Cath. Bonhomme dit Beaupré, — G. Bertheaume.
*< Marie Drouin, — Nie. Lebel.
<' Cath. Lefêbvre, — Ant. Trotier.
" Marie Aubert, — Jean Préniont.
<' Marie Cloutier, — François Bélanger.
" Marie Caron, — J. Picard, = Noël Langlois.
" Cath. Caron, — Jae. Dodier, = P. Dupré.
<« Marie Jolliet, — Frs. Fortin.
" Gen. Couillard, — Chevalier Denis de la Ronde.
" de la ]31anchetière, — d'ïïauleville, Lt. Gén. de la Sénéchaussée.
" Anne Aubnchon, — François Chorel.
<' Marie Pépin, — Gilles La Rue.
" Françoise Meunière, — Charles Pouliot, = J. P. Maheu.
" Cath. Drouin, — Michel Roulois, = G. Simon.
" Marie Chalitbur, — Joachim Martin.
" M. Renée Godt'roy, — P. Le Boulanger de St. Pierre.
*' Marie de Bouchefville, — Chevalier René Gauthier de Varennes,
Gouv, des Troie-Rivières.
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— 5 —
Mlles, Gen. de Bouclierville, R. U., M. St. Pierre.
Jacqueline Pin, — J. de la Une, — P. Massé.
Marie F. Jncliereaii de la Ferté, Mère St. Ignace, annaliste de l'Hô-
tel-Dien de Québec.
Louise Jiichereaii de la Ferté, — Charles Aubert de Gaspé.
M. Anne Juchereau de St. Denis, — Frs. PoUet de Lacorabe, Capt.
R. C, = .Frs. d'Antenil.
M. M. on Louise Juchereau de St. Denis, — A. De L'Estringan,
Capt. des troupes.
M. M. Le Blanc, ~ J. Pichet.
Louise Ronssin, — Jacques Asselin.
Marie Toupin, — Pierre Monnet.
Louise El. Lefebre, — Félix ïhunès, =J. Collet.
'' Marie Anne de St. Denis, — Pierre Boucher.
^' Marie de Lauzon, R. U., M. St. Cliarles.
" Ang. de Lançon, R. U., M. du St. Esprit. Anne de Lauzon ; petites
fdles du Gouverneur, M. de Lauzon.
" Charl. Frse. Juchereau de St. Denis, — Viennay-Pachot, = Frs.
de la Forest.
El. Dauiours des Chaufours, — Cl. Charron de la Barre.
M. Jos. Damours des Ciiaufours, — Etienne de Villedonné, Aide.
Major de Québec.
^' Gen. Bissot, — Louis Maheu.
'* Térèse Juchereau de St. Denis, — P. de La Lande.
*' Cath. Juchereau de fc>t. Denis — P. Aubert de Gaspé.
*' Marie Soaniande, — Jos. Mighot.
^* Aune Souiiiande, — François Huzeur.
*' ■ Louise Souniande, M. St. Augustin, Ire Supérieure de l'Hop. Gén.
Québec.
'' Jeanne Souuiaude.
•' Louise M. Etienne, — J. B. Ménard.
" Margte. LeGardeur du Tilly, — Cliev. L. Jos. Le Goues de Grey,
Capt. de la marine = Pierre de St. Ours, + Charles
Lenioine, 1er Baron de Longueuil.
" Marie Ursule Etienne, — Jac. Aubuchon.
'' Margte. Drouin, — J. Gagnon, = Ant. d'Arde.
" Françoise Gobeil, — Philippe Pasquier.
" Marie Creste, — Robert Pépin, = Jean Bridault, + P. Jourdain.
" Marie Lavoye, — Pierre Grenon.
" Elizabeth Aubert, — B. Chesnay, = J. B. Franquelin.
" Margte. Couture, — J. Marsolet de St. Agnan.
^' Isabelle Létourneau, — Math. Tessier.
" Marie M. Peltier, — Nie. Cliché, = P. Millouer.
" Marie Nielle, — Z. Jolliet, = J. de Verueuil.
" Margte. Poulin, — J. Geucien Amiot.
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— 6 —
Mlles. Anne Perrot, — Gab. Tibierge.
" Jeanne-Cécile Lambert-Closse, — J. BizarJ, = Biaise Raymond de
Rigaiulville, Offi.
" Marie M. de St. Luçon. Marie LeDuc.
" Margte. Celles-Duclos, — Jos. Carlier, = Nie. Perthuis.
" .Anne Ang. Artns de Sailly. Marie de Villieux.
" Claude El. Sonart, — Charles Leinoine de Longueuil.
" Marie Massé, — J. Cloutier.
" Gabrielle Monnot. M. de Longcbamp. Françoise Gravelle.
" Marie Le Mire, — Pierre Moreau.
" Jacqueline Boulay, — Pierre Joncas.
" Marie J. Le Normand, — P. Lambert.
" Anne du Fresne, — J. Létourneau.
" Louise Morel, — Guill. Le Tardif.
" Claire-Françoise Bissot, — M. Louis Jolliet, découvreur dn Mississipi.
" Marie Moral de St. Quentin, — Et. Véron de Grand Mesnil.
" Jeanne de St. Quentin, — Jac. Mongras.
" Anne Goupil, — B. Lamothe, =: Aimé Lecompte, + S. Mongeneau.
" Marie Perrot, — Jarret de Verchères.
" Barbe Fortin, — P. Gagnon.
" Jeanne Dandonneau, — Jacques Babie, OflS. R. Car.
Charlotte Godfroy, Rel. Urs, M. du St. Sacrement.
" M. Anceau de Berry. Françoise Capet. Seb. Lognon.
'' M. Anne Durant, — Mathuria Cadau ou Çadot.
" Anne LeMire, — G. de Catalorgne, Lieut. des troupes.
" Marie Cloutier, — François Bélanger.
" Marie Ancelin. Marie Vigner. Marie LaRoche.
" Jeanne-Isabelle LeMire, — P. Gaumont.
" Simonne Chalifour, — Julien Brourfseaa.
" Simonne Bisson, — Nicolas Gauvreau.
*' Margte. Villeneuve, — Jean Joly.
" Marie Fournier, - Pierre Blanchet.
" Marie Lambert, -* Louis T. Chartierde Lotbinière.
'' Anne Aubert, — Gerv. Beaudoiu, méd.
" Marie Bissot, - Claude Porlier, = Jacques Gourdeau de Beaulieu.
*•' Marie-Térèse Montpellier, — Math. Langevin.
" Marie Parant, — David Courbion, = J. Rancour.
" M. Charl. Etienne, — P. Bougret dit Dufort.
<' Jeanne Etienne, — M. Jean Vinet.
<' Gen. Drouin, — R. de Trépagny.
" Ang. Lefêbvre, — J. Gauthier, = P. Brnnet.
" Jeanne St. Amant, — R. Becquet, Not. Royal.
" Marie Vincent. Marie Le Vasseur. Marie Anne des Granges.
" Marie M. Cadieu de Courville, — P. Portier.
^' Jacqueline Fouruier, — Jean Proust.
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— 7 —
Mlles. M. Anne Hayot, — J. Marchand.
" M. Chalut, — Nie. Devé, = J. Girard, + G. Valade.
Jeanne Cadieu de Courville, — Et. Montpellier.
Marie Bauchet, — François Racine.
Louise Cadieu de Courville, — Vincent Vachon.
Marie M. Amiot de Vincelette, R. U., M. de la Conception.
Françoise de Courville, — J. Prévost.
Margte Douaire de Bondy, — P. Allemand, = Nie. Pinau.
M. Anne Pinguet, — Léon. Hazeur, = L. Chambalon, N. R., méd.
M. Térèse Poirier, — Math. Guay.
Margte Pellerin dit St. Amant, R. H., M. de la Nativité.
Cath. Chapeleau, — P. Maufait.
Cath. Gauthier, — P. Cartier, = J. Roy.
M. Anne Pinguet La Glardière, — J. Hervieux.
M. L. Lemaître, — Jac. Passard de la Bretonnière.
Marie F. Pinard, — Martin Giguère.
Marie Poulain. Marie Savard. Marie La Fontaine.
Anne Gauthier. — J. Picard, = Nie. Samus, Chir.
" Gertrude Guyon du Buisson, — D. Belleperche.
<' Jeanne F. Denis, — Guill. Bouthier, = N. Daillebout de Mantet.
" Cath. Denis, R. H., Mère St. Charles.
" Gabrielle Denis, R. H. à Montréal.
" Louise M. Lemelin, — André de Chaume.
" Geu. Sureau, — Martin Lafilé, = Th. Gasse, + J. Maranda.
" Marie M. Paradis, — Robert Choret.
" Marie ilarlin dit La Rivière, — A. Villedieu.
" Margte Renée Denis, — Tho. Tarieu de La Naudière, Off., = Jacq»
Alexis de Fleury d'Eschauibaut.
" Louise F. Paradis, — Tho. Mézéray, = H. Sureau.
" Marie Marsolet. L. Suzanne Migeon.
" Cath. Pinguet, R. U. Mère de l'Incarnation.
" Marie Leiuaître, — P. Lezeau, = Jean Deblois.
" Louise de L'Estre, — Paul Haguenier.
" Barbe de L'Estre, — Ch, Roger, = Armand Dumanceau.
" Marie Racine, R. H. à Montréal.
=' Térèse Miguot dit Chatillon, — Nie. Le Bel, = René Ouellet.
■' Jeanne Mignot, — Ant. Gaboury.
•' Marie Mignot, — Jean Dionne.
■' Jeanne Leber, Sainte recluse à la Cong. N. D., Montréal.
' Marie Anne Anceau de Berry, R. U., Mère St. Térèse.
« Marie Jos. Berthelot, — Jos. Paré, = N. Lessard.
' Barthélémie Maillot, — Jos. de la Croix.
' Marie F. Gaudry, — Jean Pilote.
' M. Charl. Lemoine, — Math. Guillet.
' Margte Lemoine, — Ignace Ganielin.
— 8 —
Mlles. Anne de Lothainville, — Pierre Lemaître.
" Marie Antoinette Cbouart des Groseillers, — M. J. Jalot, = J. B.
Bouchard.
" Marie M. Lenioine, — J. B. Bauvais.
" Marie de Villiers. Françoise Pinel.
" Jeanne Soulard, — Guill. Beaudry.
" M. Catli. Nosse-Mézéray, — J. Auvray, = F. Darveau.
" Françoise Fliilippau, — René Sénat, = lîeué Gascliet.
" Marie M. Le Gardeur du Tilly, R. H., M. Ste. Catherine.
" Jeanne Lenioine, — L. Gatineau Duplessis.
" M. Anne Lemoine, — J. Gias^on.
« M. Anne Le Mire, — L. Tessier, = Chev. P. d'Au-Jolliet, = Antdu
• Rupalley.
" Cath. Delaunay, — Jos. l'Archevêque.
" Gen. Gert. Le Gardeur du Tilly, — J. B. Céloron de Blainville.
" Jeanne Charpentier, — Jean_,Casavan.
" Marie Sédilot des Noyers, — P. Auclair.
" Elizabeth d'Hauteville, R. H., Mère St. Joseph.
" Louise Le Gardeur du Tilly, — Aug. Rouer de Villeray.
" Marie Nolan, — Chev. Louis de la Porte, Sieur deLouvigny, Lient.
Gouv. des Trois-Rivières.
" Denise-Térèse Migeon de Bransac, — Ch. Jiichereau de St. Denis,
Çons. du Roy, Lient. Gén. à Montréal.
" Jeaune-Gabrielle Migeon, R. H., à Montréal.
" Marie-Anne Migeon, R. U., M. de la Nativité.
'' Isabelle Pérat. Jeanne la Vallée. M. le Grand.
" Charlotte Denis de la Ronde, — Chev. Claude de Ramesay, Offi.
Gouverneur de Montréal.
" Cath. Blondeau, — Nicolas Sarrazin.
•' Anne Chalifour, — J. Le Normand.
" Marie de ïrépagny, — ïï. l'Archevêque, = R. Voyer.
" M. Anne Ratté, — Ignace Gosselin.
" Jeanne Coutaucineau, — J. Jourdain.
" Marie Poulain, — Et. de Lessard.
" M. Charl. Bissot. M. Loignon. Marie Gariépj.
" Cath. Perrot, — Et. Jeanneau.
" Claire F. Gert. Couillard, R. H., M. St. Louis.
" Marie du Gué de Bois-Briand, - Chev. Gaspard Piot de l'Angloiserie,
" Elizabeth Le Tellier, - Guill. Page.
" Marie Minette, — Sylvain Duplais.
" Dorothée Dubois, — J. Janvier, = Et. Le Beguet.
" Françoise Le Tellier, — Simon Savard.
" Françoise Dubois, — Jos. Raoult.
« Margte. Dubois, — Michel Carié.
" Margte. Rocher, — Ignace Guay.
— 9 —
Mlles. M. Térèse de Lessard, — Jac. Langlois.
" Margte. I.e Gardenr dit Sans Soiicy. — Et. Dubreiiil, Not. Roy.
" Louise Dubois, — Louis Pliilippeau.
" Gen. Rocher, — Louis Marchand.
" Aimée Giiyoti (ies Prè*, — Ant. Legendre de oelair, = Jean Chevalier.
" Marie Aiig. Denis de la Ronde, — Cû. x\uberi de Gaspé.
■' Jeanne Dnliols, — Chev. J. B. Herlel de Ronviile.
" Marie-Jos. Le Neuf de la Vallière, — J. P. de Rcpeucigny.
" Barbe Le Neuf de la Vallière, — Louis de Gaspé.
" Félicité Le Picard, — Louis Daillebout.
" Aune Le Picard. — J. B. Daillebout.
" Marie Louise Denis, — P. Daillebout d'Argenteuil.
" Cath. Daillebout, — Cuev. Nie. Danneau de Muy, Olïi., Gouv. de
la Nouvelle-Orléans.
" Elizabetii Dailleboaule Mantet, Rel. Urs.. Mère Ste. Croix.
" Marie Mad. Daillebout de Mantet, Re!. Gong. N. D., Sr. de l'Incar.
" Jeanne de Boucherville, — J. Charles de Sabrevois de Bleury, Offi.
" Anne Mars, — Charles de'Couague.
" Marie Mars, — Frs. Rivière, = Paul J3erry.
" Féliciié Le Vasseur, — J. Haniel.
" Jeanne Guyon de La Lande. Véronique Véron de Grandmesnil.
" ïérèse Duquet, — Gabriel Dupvac.
" Miclieile Mars, — M. Raymond Dubocq. = Jos. Rivière.
" M. Bisson. M. Bellelbnds. M. Delisle. M. Gaulin.
« Marie M. Gauthier de Comporté, R. U., M. Ste. Agathe.
" Ang. Gautiiter de Comporté, — Denis Riveiin,
" Anne Gauthier de Comporté, R. U. M. St. Gabriel.
" Marie Anne Gauthier de Comporté, — Alex. Peuvret, Greff. du
Cons. = Claude du Tisné.
" Barbe de Montmaignier, — Jean Mercier.
" Cath. TrefHé, — L. Créquy, = Nie. Bailiy.
" Anne Tibierge, — Martin Cheron.
" M. Ursule Bolduc, — Henri Brault dit Pominville.
" M. Gen. Jolliet,^— J. Gagnou.
" Margte. Véron de Grandmesnil, — P. Petit de Verneui!, = J. B.
Drapeau.
" Agnès Cloutier, — M. Jos. Fortier.
" Scholastique Nosse Mézéray, — J. B. Delisle.
" Cath. Gariépy, — Philippe Trudelle.
" Anne Le Vasseur, — J. Fournel.
« Marie-LTrsiile Denis de la Ronde, — F. Aubert de Gaspé.
" Marie-Anne Dubocq, R. U., M. Ste. Madeleine.
" M. F. de Hertel, R. U., M. St. Exupère.
" Marie M. Damours, — Chev. Testard de Montigny, Capt. de la Mar.
" Louise Maguan. Anne Sou vré. Cath. La Roche.
— 10 —
Mlles. An<^. Rainville, — Rob. Choret.
" M*. Anne Croteau, — J. Daigle, =: N. Cormier.
" M. Anne Mosny, — P. Gauvreau.
*' Susanne Guvon des Près, — Olivier Morel du Houssay.
" M. Gen. Gauvreau, — Cli. Rageot de St. Luc, Not. Roy.
*' Deux jeunes anglaises amenées de T. Rivières par Mgr. St. Vallîér.
" Jeanne M. Brisj-ot. Margte. Le Neuf de la Vallière.
*' Agnès Godfroy de Linctot, — Mich. Fortier.
" Charlotte de Cressé, R. C. N.-D.
" Madeleine de Cressé. M. Anne Catignan. M. Mad. Roussel.
*' Marie Antoinette Denys de Fronsac.
" Françoise Chorel, R. U., M. du Sacré-Cœur.
'< Marie T. Mars, — J. Jolliet, = J. L. Volant.
" Margte. Choret, — J. Boissonnçau dit St. Onge.
♦' Anne Mesnage, — P. Le Vasseur.
" Barbe Godfroy de St. Paul, — Ant. Le Pelé Desmarets.
" Marie Cath. Aubert de Gaspé, — Frs. île Gallifet, Lieut. du Roy.
" Margte. Aubert de Gaspé, R. H., M. Ste. Térèse.
" Marie Boutteville, R. IT., M. Ste. Claire.
" Marie Amiot, — J. B. Thibaut.
" Louise Huot, — J. Garneau.
" Cath. Trottier des Ruisseaux, — J. Cuillerer, = François Picoté de
Belestre.
" Cécile Caron, — François Le Vasseur.
" Gen. Juchereau Duchesnay. Agnès Chesnay de Lothainville.
" Louise Roussel, R. H., M. St. Gabriel.
" Louise Cath. Denys de Fronsac, — Dominique Bergeron, — GuilL
Gaillard.
" Ang. Aubert. Marie Ang. Boulanger. Franc. Senard.
" M. Anne Lezeau, — B. du Mareuil, = J. Caddé.
" M. Agnès Pilote, — P. Hédouin, = N. Laraue.
" Anne de Genaple Bellefonds, — Charles Damours.
" Louise Cath. Dubocq, — Jean Ridday.
" Marie M. Génaple. Louise de Brussy. Cath. de Brussy.
• " Marie Bonnet, — Ant. Martin.
" Anne Picard, — P. Laguerre.
" Cath. Becquet, — Louis Lcvrard.
" Marie Cath. Quatresols, R. C. N. D., Sr. Ste. Roee^
*' El. Du Gué de Bois-Briand. Louise Bizard.
" Margte Du Gué de Bois-Briand, — Ant. Pacaud.
*' El. Denys de Fronsac, — Math. Collet.
" Marie Ang. Denys de Fronsac, R. II., M. St. Hyacinthe.
" Marie Gagnon, — René Lepage.
" Cath. Fournier, — Timothé Roussel, chirurgien.
'< Marie Guyon du Buisson, — Nie. Doyen.
— 11 —
Mlles. Françoise Gen. Morel de la Durantaye, — L. De Cadaran.
" Margte Bounat, — Nie. Pacaud.
" Marie Roussel, — Gabriel Lambert.
" Aune Roberge, — François Giiyou.
" Ang. Roberge, R. U., M. Ste. Marie.
" Gen. Roberge. Marie M. de Lotbinière.
" Renée Bezean, — Laurent Delage, = J. Bergevin.
" Françoise Branche, — Ailrien Legris-Lépine.
" Marie MaJ. Roberge, — Charles Perthuis.
" M. Anne Giroux, — J. B. Provost.
" Margle Durand, — Bernard Rocheron, = Louis Dunière.
" M. Denis de Vitré. Jeanne Peuvret du Menu. M. Cliaillé.
" Margte Gudfroy de Linctot, — Jac. de Hertel.
" Louise de Xaintes, — Bertrand Arnaud.
" Claude de Xaintes, — Charles de Monseignat, OfF.
" Jeanne Toupin, — Guill. Guyon du Buisson.
" Marie Constantin, — Mich. Caddé.
" Marie M. Avisse — Jean Chevalier.
" Margte Langlois. Catherine (anglaise.)
" Judith Dauioursde Clignancour, R. H., M. Ste. Thècle.
" Marie Térèse Pollet de la Combe, — Chev. Pierre Lenioine d'Iber-
ville, = Comte de Bethune, en France.
" Marie-Louise Pollet de la Combe, — Augustin Rouer de la Car-
donnière.
" Ehzabeth de Joybert Marson, — Philippe Rigaud, Marquis de
Vaudreuil, Gouv. de la N. F.
'' Marie-Térèse Chaillê, — François Nault.
" Cath. Gertrude Rose. M. Ursule Riverin. M. F. Le Vasseur.
'* M. Anne La Roche, — Louis Cureux de St. Germain.
" M. Anne Chaillet, — Antoine Defoy.
" Louise Piûguet dit La Glardière, — Gaspard Petit, = Jacq. Cauchoa
dit Laverdière, chirurgien.
" Ang. Pinguet dit La Glardière, — P. Bodin, = François De Rané.
" Françoise Cloutier, — Ant. Doyon, = P. Pasquier.
" Jeanne Lemelin, — Thomas Moore.
" Ang. Boutin, — François Basque.
" AnneDuquet, — J. Thomas = J. Parant, + Louis Jourdain.
*« Marie Roussel,'— Gabriel Benoist.
" Anne Rancin, — Charles Goulet.
" Marie Joly, — Phil. Basquin, = D. Pauperet.
" Marie Launan. Marie Perrot. Cath. Philippe Denis.
" Margte. ToupinDuSault, — Jos. Berthelot.
" El. Marchand, — J. Duprat, = Nie. Aubin.
" Marie Gagnon de La Lande. Jeanne Toupin. Charl. Frérot,
" Margte. Godfroy de Vieux Pont, — J. F. Volant.
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— 12 —
Mlles. Margte. Giiyon, — Louis Damonrp.
'•' Louise Gnyon. — Cli. Tiliaiit, = Malli. Danioiir.'.
" Renée Cliorel (le St. Romain,— Cliev. de Noré du Mesiiil, Major.
" Jeanne Clioiel de St. Romain, R. U., M. Sie. Ursule.
" Marie Jos. Chorel, — Et. Pezard de la Touclie.
" Marie Loni>'e Cliorel, R. H.
Jjoiii^e Fauvel, — Jean Léger de la Grange, médecin du monastère.
Marie 'ïévè.-e Guyon, — .\nt. de Lamothe Cadillac, Gouv. du
Mississipi, fond, de la ville du Détroit.
" El. Chorel, — J.Mail lot.
" Les deux filles de M. Alexandre Bertiiier.
" Marie M. Chorel, — Fi-anç,. Leléiivre Duplessis.
" Marie Rol/ilaille, — Jos. Fanconnet.
" Snsanne Robitaille, — Gnill. J'elleau.
" Gen. Racine, — François Paré.
" Gen. Damonrs. Isabelle La'irec(ine, Susanne St. Germain.
« M. Mad. Doré, — B. du Mareuil.
" Jacqueline (Jliorel, — Ant. Dufresne).
" Margte. Cliorel, — Guill. de Lorimier.
" ïérèse Mesnage, R. H. M. Ste. Marie.
" Louise-Rose de Lanaiidière, R. U., M. Ste. Catherine.
" Charl. Aubert de Gaspé, R. H. M. St. Michel.
" Marie M. Drouard, R. U-, M. St. Micliel.
" Margte. Le G ardeur de St. Pierre, — Henri Hiché.
Marie M. Marquis, — F. (Jhateauvert.
M. ïérèse Lapierre, — M. Dompierre.
Gen. Diipuis. Françoise Le Vasseur. Frs. Dupuis. J. Laudron.
" Louise ïïazeur, R. H., M. Ste. Anne.
" Marie Jeanne Lapierre. Margte. Nafrechon. Louise Lenoir.
*' Marie M. Duchesne dit Lapierre, — Jos. Bouneau.
•' Margte. Boucher, — François Laberge.
" Marie M. Leclerc, — Jean Mathieu.
« Cath. Bertiiier, R. H.
*' Anne Gouin, — François Trotier.
" Marie Perrot, fille du Gouv. de Montréal.
" M. A. Beaudouin. — Chev. J. B. Hertel de Rouville,
" Cath. GodlVoy, — J. Lemaîlre.
" Françoise Vianne^'-Pachot, — A. de Berthier, = Nicolas Desbet-
gères de Rigaudville.
" Anne Mars, — A. JoUiet de Mingan, = J. Taché.
" M. Anne Trotier, — Raymond Martel, = Louis Audet de Pierrecot.
" M. Jos. Boulanger, — Martin Cheron.
*' Suzanne Dupuis, — Jean Petit, Très. Royal.
" Gen. Boutteville, — Alex. Pauvret.
" Ang. Daillcbout. M. Robiueau. M. Amie Neveu.
te
fi
a
— 13 —
Mlles, Marie Dupuis, R. U., M. de l'Enfant-Jésus.
" Marie Cath. Robineau de Bécancoar, R. U., M. de la Trinité.
" Marie Cath. de Brisay, tîlle du Marquis de Denouville, Gouv. Gen.
du Canada, (rel. eu France).
" M. Anne Lenioiiie de Longueuil, — Bouilletde la Cliassaigne, Gouv.
de Montréal.
" Cath. Jeanne Lemoine de Longneuil, — P. de Noyan, Off.
" Louise ^larie de Lotbinière, — Chev. Denis de la Ronde.
" Louise Philippe de Lotbinière, — Chev. Mariaucheau d'Esglis, Off.
" Marie de Contrecœur, — Chev. J. L. de Chapt de la Corne.
" Judith de Lamothe Cadillac. M. Magd. de Laniothe-Cadillac.
" Hélène Margte de Hautmesny. Marie M. Angers.
" Marie Cath. Martin de Lino, — J. F. Hazeur.
« Marie M. Babie, — J. B. Crevier.
" Marg. Le Neuf de la Vallière. M. A. Noiron.
« Margte Trottier, R. C. N. D., M. St. Joseph.
" Margte M. Côté, R. H., Mère St. Paul.
" Claire Catrin, — J. B. Le Roy.
" Anne Catrin, — Nicolas Monssette.
" Marguerite Langlois, — Jean Blonin.
" Marie Delannay. Margte Haniel.
" Marie Aune Hervieux, — Jean Molay.
" Marie Dasilva, — Jean Guilbaut.
" Charlotte Fleury d"Eschaiiibaut. Charlotte Angers.
" Marie Anne Jourdain, — Jo*. de l'Estre.
" M. Bienville-Lenioine. Térèse l'Huillier (anglaise).
" Marie Racine, R. C. N. D., Sr. Ste. Agathe.
" M. Anne Maufait. M. Anne (anglaise). M. Bertheaume.
'* Térèse Ainiot, — Bernard de la Forçade.
" Anne-Jeanne Le Hardy, — Pierre Simon.
" Aune-Jeanne Sédilot Montreuil. Aug. Léonard de Boisjoli.
" M. Anne Dandonneau du Sal)lé, — P. Gauthier.
" Marie M. Du Pont, — Paul Lemoine de Maricour, Capt.
" M. Anne de Boucherville, R. U.,'M. St. Ignace.
" M. Ang. de Boucherville, R.C. N. D., Sr. ^te. Monique.
'< M. Antoinette de Boucherville. Margte de St. Pierre.
" Marie Turcotte, — i^'rançois Rivard.
" Anne-Jeanne Joitrdain, — P. Perrot.
« M. Charlotte de Boucherville, R. H.
" M. Louise de la Porte de Lonvigny, — D. Mouet de Moras, Off.
" Louise Lalemant, — F. Brousse, = J. B. Charest.
** Françoise Godfroy de St. Paul. Marie M. Le Duc.
" Gen. Catien, — Jean Michelon.
" Marie Joseph Viannay-Pachot, R. H., M. des Séraphins.
" Marie-Auae Viauuay-Pachot, R. H., M. de la Nativité.
_ 14 —
Mlles. Gen. G. du Buisson, — Frs. Chavigny de îa Chevrotière.
" Françoise Fafart, — Baron Frs. Augustin de Joannès, Off.
" M. Claire d'A.uteuii de Monceaux, — Marquis A. de Crisafy, Off.
<' Anjr. Daiilebout. Marie Jos. Cliorel. Henée Gagnon.
" M. Térèse Masse, — M. Jos. Gingras, = A. Mélhot.
" Marie M. Moreau de la Taupine, — Frs. Rolland, = Jean Bonneau.
" Marguerite Bobineau de Bécancour.
" Cath. d'Anbusson du Verger, — F. Raimbault.
" Marie Ant. de St. Simon. Margte. Grevier. El. Prémonneau.
" Margte. des Prés. Marie Gérin-LaJoye. Ang. Danois.
" Marie-Reiiée Gauthier de Varennes, — Christ. Dufrost de la
Gemmerais, = T. O'Sullivan, Gent. Irlandais.
" Anne Margte. G. de Varennes, R. U., M. la Présentation.
" Margte. Philippe Danneau de Muy, — René Robineau, Baron de
Bécancour.
'• Marie Jos. Danneau de Muy.
" Marie Charlotte Danneau de Muy, R. U., M. Ste. Hélène : Anna-
liste des Ursulines, au temps de la conquête du Canada par
les Anglais.
** Ans. Jarret de Verchères, — M. Coulon de Villiers.
<' 'M. Gabrielle J. de Verchères, — Léon de Langy.
" Marie M. J. de Verchères, — P. Tho. Tarieu de Lanaudière.
<' Jeanne Le Borgne de Belisle, — Bern. Damours.
<' Marie F. Le Borgne de Belisle, R. H. M. Ste. Elizabeth.
" Marie Passard, — P. Rochemont.
" Judith Passard de la Bretonnière. Elizabeth Belleperche.
" Gen. Beaudouin, R. U., M. St. Augustin.
«' Elizabeth Beaudouin, R. H., M. Marie de Jésus.
" M. Mercier. Cath. Douville. M. Anne Bertigny.
" M. Térèse Voyer, — Pierre Voyer.
« M. Hubert, — J. B. Brassard.
" Catli. La Bruyère. Gen. Duplessis-Faber. Gen. Couillard.
" Cath. Nosse-Mézéray, — J. B. Faucher.
*' Marie F. Renaud Davanne des Meloises, — Eustache Chartier de
Lotbinière.
« Marie M. Cath. Renaud. D. des Meloises, R. Urs., M. St. Fr. de
Borgia.
« Marie ïérèse Renaud D. des Meloises, R. H., M. St. Gabriel.
" Marie Louise Renaud des Meloises.
" Gabrielle Louise Braquil, (Brakey) baptisée au monastère, ainsi
que sa sœur.
" Marie Louise Braquil (Brakey), — P. Roy.
" Margte. de Repentigny. Agathe de Repentigny.
" Cath. du Lino. Jacqueline Poisson. M. J. Ducliesnay.
" Marie Mad. d'Auteuil, — Frs. de Celles.
— 15 —
Mlles. Françoise Roussel, — Capt. Et. de Villedonné.
" Louise Roussel, R. H., M. St. Gabriel.
" M. Anne Roussel, — Louis Beaudoin, = Henri Dusauty.
*' Hélène Françoise Célorou de Blainville, et Marie A. C. de Blainville,
" Marie Cath. Daillebout de Conlonge, A. Félicité C. D. de Coulonge.
" Marie Louise Célorou de Blainville. Elizabetli Gauthier^
La liste ci-dessus est inévitablement incomplète, à cause des incendies
de 1650 et 1686. — Le Dictionnaire Généalogique publié récemment par
M. l'Abbé C. Tanguay, a été l'heureux et presque unique guide pour
tracer les alliances.
Sans tenir compte des surnoms nombreux mentionnés par M. l'Abbé
Tanguay, nous avons en général donné les noms tels qu'ils se trouvent
dans les Registres des Religieuses Ursulines.
La grande parj,ie de la population actuelle tire son origine de ceux qui
vécurent aux temps héroïques du Canada.
L'émigration, de France en Canada, vers 1713 et dans les années-
suivantes, fut importante, mais non pas nombreuse.
Ursulines de Québec, Mars 1874.
TABLE DES MATIÈRES.
Approbations 5
Introdcction - 15
Déclaration . 36
I. Naissance de Marie Guyard, 1599. — Ses parents, son eufance. —
Elle se donne à Dieu dès l'âge de sept ans. — Son esprit de prière.
— Elle rejette les lectures futiles. — Prémices de zèle et de vocation
religieuse. — Son mariage, 1617. — Peines qui en sont la suite. —
Soin qu'elle prend de sa maison. — Elle puise sa force dans la parole
de Dieu et la communion. — Naissance de son fils. 1619. — Mort de
son mari, 10 octobre 1619 37
II. Dispositions de madame Martin devenue veuve. — Tentation. —
Extase, 1620. — Fidélité à la grâce. — Vie solitaire et pénitente.
— Œuvres de charité. — Humiliations. — Tentations d'orgueil. —
Elle demande à aflBcher sa confession générale à la porte de l'église.
— Vie agitée et néanmoins recueillie. — Double travail de la grâce
dans la servante de Dieu. — Desseins de Dieu à, son égard ... 52
111. Qenre d'oraison de madfime Martin. — Son attention continuelle à la
présence de Dieu. — Pressentiments d'un état plus parfait. — Efforts
pour s'y préparer. — Pénitences rigoureuses. — Elle écrit de nouveau
ses péchés. — Elle connaît qu'elle doit être épouse de Dieu. — Bon-
heur et angoisses. — Nouvelles austérités. — Union de deux cœurs.
— Préliminaires du mariage divin et analogies. — Admirable vision
de la sainte Trinité , 72
516 TABLE DES MATIÈRES.
l\ . Le mariage céleste s'accomplit. — Seconde vision de la Sainte-
Trinité. — Opération divine dans l'àme de la servante de Dieu. —
Réalité du mariage divin. — Nouvelles analogies : abandon de
' tout et de soi-même causé par l'amour ; communauté de biens ;
possession mutuelle. — Familiarité, délire et transports d'amour.
— Union plus parfaite et plus continuelle. — Martyre et extase
d'amour. — L'entrée au couvent des Ursulines de Tours est décidée.
163L — Perte de son fils. — On le retrouve à Blois 88
\'. Entrée au monastère et adieux à son fils, 1632. — Son esprit d'obéis-
sance. — Tourments que lui cause son enfant. — Il est mis au
collège de Rennes. — Conduite de Marie de l'Incarnation au novi-
ciat. — Troisième vision de la sainte Trinité. — Science infuse de
l'Ecriture Sainte et de la langue latine. — Nombreuses et fortes
tentations. — Son fils menacé d'être renvoyé du collège de Rennes
est admis à celui d"Orléans. — Elle fait profession le 25 janvier
1633. — Consolations passagères et retour des épreuves. — Elle
donne par écrit un abrégé de sa vie au Père de la Haye. — Retour
à unfe paix entière. — Elle est nommée sous-maîtresse des novices.
— Belles maximes qu'elle leur inculquait et catéchisme à leur
intention . 108
VI. Vision du Canada. — Ardeurs pour la conversion des infidèles. —
Acceptation de toutes les souffrances pour l'obtenir. — Révélation
de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, 1635. — Dieu fait con-
naître là Marie de l'Incarnation que c'est le Canada qu'il lui a fait
voir. — Extase d'amour. — Paix dans les contrariétés .... 142
\l\. Mademoiselle de Chauvigny. — Elle épouse M. de la Peltrie malgré
ses répugnances pour le mariage. — Elle perd son mari, 1625. —
Notre-Seigueur veut qu'elle aille au Canada. — Surnaturalisme de
Claude Martin. — Madame de la Peltrie malade, puis guérie en
faisant vœu d'aller au Canada. — Persécutions de ses proches. —
Elle est mise en rapport avec la Mère de l'Incarnation. — Elle
va à Tours. — Prières de Quarante heures. — Sœur Marie de
Saint-Bernard. — Vision qu'elle a en songe. — Contre-temps. —
Charlotte Barré. — Orage contre la Mère de l'Incarnation. —
L'archevêque de Tours. — Départ pour Paris. — Départ de Paris
pour Dieppe. — Séjour dans cette ville et adjonction d'une nou-
velle religieuse missionnaire, 1639 159
Vlll. Embarquement pour le Canada, 1639. — Tempête. — Ecueil de
glace. — Le vaisseau échappe au naufrage à la suite d'un vœu. —
TABLE DES MATIERES. 517
Arrivée au terme du voyage. — Réception solennelle à Québec. —
Réflexion sur l'importance de l'élément religieux à l'égard de la
colonie 188
IX. Visite aux sauvages convertis, 1639, — Etude des langues. — Pau-
vreté, petite vérole. — Charité en exercice. — Ses succès, 1641.
— Enfants qui s'échappent. 1643. — La jeune captive huronne. —
Ferveur des petites sauvages. — Anne-Marie, Agnès et Louise,
1640. — Mort d'Agnès, 1643. — Piété des femmes sauvages. —
Autres traits des enfants sauvages. — La Mère de l'Incarnation
apprend le huron, 1649. — Nouvelles œuvres de zèle. — Eff'ort
pour fixer les sauvages, 1644, — Multiplication du pain. — Piété
et zèle apostolique de plusieurs sauvages convertis. — Précocité
d'intelligence des enfants sauviïges. — En France, on ne rend pas
justice aux Ursulines. — Deux écrivains modernes qui ont suivi
cette voie 205
X. Construction du monastère, 1641. — Union des deux Congrégations
d'Ursulines, 1641. — Historique de ces deux Congrégations. —
Heureux résultats de l'union, — Epreuves tei-ribles. — Départ de
Madame de la Peltrie, 1642, ses suites. — Tribulations intérieures
de la Mère de l'Incarnation. — Confession de toute sa vie . . . 250
XI. Cause des épreuves de la Mère Marie de l'Incarnation. — Accord
qu'elle fait avec Dieu. — Claude Martin veut se faire religieux,
1639. — Il est refusé par les Jésuites. — Ses qualités. — Il cherche
une position dans le monde. — Sa vocation se décide. — Il entre
au noviciat des Bénédictins à Vendôme 1641. — Sa mère le félicite,
1641. — Crise au moment de sa profession. — Il prononce ses
vœux le 3 février 1642 ' '-^ôô
XII. Seconde cause des épreuves de Marie de l'Incarnation, sa nièce. — •
Mondanité de cette jeune fille. — Son père meurt. — Elle est
enlevée par un jeune gentilhomme, 1641. — Celui-ci est poursuivi,
condamné, puis gracié. — La jeune fille devient entièrement orphe-
line, — Un magistrat la protège. — Elle se retire aux Ursulines
de Tours, — Intervention de l'archevêque, — Elle entre au noviciat
par dépit et esprit de vengeance. — Elle se convertit. — Elle fait
profession en 1643 ou 1644. — Retour de madame de la Peltrie. 280
XIII. Avantages que la Mère de l'Incarnation retire des épreuves. — • Son
humilité. — Sa défiance d'elle-même. — On lui donne des emplois
humiliants et pénibles. — Elle est soutenue par la dévotion au
518 TABLE DES MATIÈRES.
Sacré-Cœur de Jésus. — Ses lumières nouvelles sur cette dévotion.
— Elle voit la double beauté de Jésus-Christ. — Sa dévotion aux
saints Anges, à saint Joseph, à saint François de Paule. — '- Com-
ment la grâce agissait en tout cela sur elle. — Sachante à l'égard
des sauvages 291
XI\'. Visions anticipées de l'incendie du monastère. — Incendie, 1650.
— Présence d'esprit de la Mère de l'Incarnation. — Sa charité
et son humilité en cette circonstance. — Les Ursulines à l'Hôtel-
Dieu. — Inconvénients et avantages de l'incendie du monastère.
— Harangue des Hurons 318
XV. Les Ursulines quittent l'Hôtel-Dieu. 1650. — Sœur Saint-Joseph,
sa vertu héroïque, sa sainte mort, 1652. — On commence la
reconstruction du monastère. 1651. — Activité de la Mère de
riqcarnation. — Coi'actère miraculeux de l'œuvre qu'elle exécute.
— On s'installe dans le monastère reconstruit 29 mai, 1652. — Les
Ursulines ont repris leur œuvre avant la reconstruction. — Inquié-
tudes causées par les courses et la férocité des Iroquois. — Traité
de paix avec ces barbares, 1654. — Nouveau travail intérieur de
la grâce dans la servante de Dieu. — Traits nouveaux de son
humilité. — Son état de victime 343
XVI. Arrivée d'un évêque à Québec, 1659. — Eloge qu'en fait la Mère
de l'Incarnation. — Vertus du clergé de Québec. — Piété des
sauvages convertis. — Perfidie des Iroquois. — Terreur qu'ils
inspirent de nouveau, 1660. — Les Ursulines quittent leur cou-
vent. — Courage de la Mère de l'Incarnation.. — Etat de défense.
— Héroïsme de Daulac, qui sauve la colonie 369
X\ il. Trafic des boissons enivi-autes. — Prédictions sinistres. — Horrible
tremblement de terre, 1663. — Tranquillité de la vénérable Mère.
— Conversions et renouvellement du Canada. — Prospérité. —
M. de Tracy gouverneur, 1665. — Expéditions contre les Iro-
quois. — Leur soumission. — Ils se révoltent de nouveau vingt
ans après ; mais alors leur puissance est anéantie sans retour. . 378
.WllI. Comment la Mère Marie de l'Incarnation va passer ses dernières
années. — Elle tombe malade, 1664. — Elle est réélue supé-
rieure. — Ses travaux dans les langues sauvages. — Son état de
spiritualité de 1667 à 1672. — Elle reçoit les derniers sacre-
ments, 1672. — Son état s'améliore, joie. Te Deum. — Dernière
maladie. — Elle meurt le 30 avril 1672 396
TABLE DES MATIÈRES. 519
XIX. Témoignages en faveur de la sainteté de Marie de l'Incarnation.
— Traditions de son monastèr-e. — Opinion de personnages re-
commandables : Mgr de Laval , M. l'abbé Ferland , M. l'abbé
Langevin, Camus, docteur de Sorbonne et grand-vicaire de Tours,
Catinat, également docteur de Sorbonne et abbe de Saint-Julien,
l'abbé Ladvocat, Feller, Pereunès, Moréri, M. Emei-y, le Père
Ramière, Jésuite 412
XX. Grâces obtenues à la suite de prières adressées à la Mère Marie de
l'Incarnation. — Guérisons obtenues en Amérique. — Mômes
faveurs obtenues en différentes contrées de l'Europe. — Faveurs
d'un autre genre 425
Supplément aux témoignages du chapitre xix 505
Deux pièces justificatives " ^>^^
-ooïOio.
)
Tournai, typ. Casteriuau.
UNIVERSITY OF ILLINOIS-URBANA
B.M3345R C001
VIE DE LA REVERENDE MERE MARIE DE L'INCA
3 0112 025408003
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