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Full text of "Vie de mère Gamelin, fondatrice et première supérieure des Soeurs de la Charité de la Providence"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/viedemregameliOOuner 


VIE 


DE 


MÈEE  GAMELI]^ 


xMERE  GAMELIN, 

Fondatrice  de  l'Institut  des  Sœurs  de  Charité 
de  la  Providence. 


VIE 


DE 


MÈRE  GAMELIN 


FONDATRICE  ET  PREMIERE  SUPERIEURE 


SŒURS  DE  LA  CHARITE  DE  LA  PROVIDENCE 


Une  Religieuse  de  son  Institut. 


Elle  a  considéré  un  champ  et  l'a 
acheté  du  fruit  de  ses  mains  ;  elle 
a  planté  une  vigne. 

Prov.  31. 16. 


MONTREAL 

EUSÈBE  SÉNÉGAL  c-  CIE,  Imprimeurs-Éditeurs 
20  rue  Saint-Vincent 

1900 


f      i^H    91970 


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Enregistré  conformément  h  l'acte  du  parlement  du  Canada:  en  l'année 
mil  neuf  cent,  par  les  Sœurs  de  Charité  de  la  Providence-  au 
bureau  du  ministre  de  l'agriculture  à  Ottawa. 


HOMMAGE 


S.  G.  MOXSEIGXEUR  PAUL  BRUCHESI 

ARCHEVÊQUE  DE  MONTRÉAL. 

Mouseigneur. 

Notre  institut  est  redevable,  après  Dieu,  de  sa  fonda- 
tion à  vos  deux  illustres  prédécesseurs,  Mgr  Lartigue 
et  Mgr  Bourget. 

Le  premier  a  favorisé  le  charitable  dessein  de  notre 
vénérée  fondatrice  et  béni  ses  premiers  efforts.  Le  se- 
cond a  donné  l'érection  canonique  à  notre  communauté 
naissante,  dont  il  avait  conçu  le  projet  ;  il  a  présidé, 
par  une  direction  attentive  et  un  rare  dévouement,  à 
sa  formation  et  à  ses  premiers  développements. 

A  l'exemple  de  ces  deux  saints  prélats,  Mgr  Fabre 
nous  a  constamment  favorisées  de  sa  bienveillance  et 
de  sa  sollicitude  paternelles. 

En  lui  succédant,  Monseigneur,  vous  avez  semblé 
prendre  à  cœur  de  nous  consoler  de  son  absence  par 
des  témoignages  multipliés  d'affectueuse  bonté  et  d'in- 
térêt vigilant. 

Nous  vous  prions  donc  de  vouloir  bien  agréer  l'hom- 
mage de  cette  Vie  de  notre  fondatrice,  comme  une 
preuve  respectueuse  de  notre  profonde  gratitude  et  de 
notre  filial  attachement. 

Siî.  Maiîie  Antoinette, 

Supérieure  générale. 
Montréal, 
Maison  mère  de  la  Providence, 
10  février  1900. 


VI  LETTRE    DE    MGK    BRUCHESI 

LETTRE  DE  SA  GRANDEUR  Mgr  PAUL  BRUCHESI 

ARCHEVÊQUE    DE    MONTRÉAL. 
A    LA    RÉVÉRENDE    MÈRE    MaRIE-AxTOINETTE. 

Supérieure  générale  des  Sœurs  de  la  charité  de  la  Providence, 

ù  Montréal. 
Ma  révérende  Mère. 

La  vie  de  la  Vénérable  mère  d'Youville  vient  à  peine 
de  paraître,  que  vous  m'offrez  celle  de  la  pieuse  fonda- 
trice de  votre  Institut,  la  mère  Gamelin.  Il  est  juste 
que  .ie  vous  en  exprime  ma  gratitude  et  ma  ,ioie. 

Ce  livre,  dont  vous  voulez  bien  me  faire  bommage.  sort 
de  votre  monastère.  A  chaque  page,  il  s'en  exhale 
comme  un  doux  parfum  du  cloître.  Celle  qui  l'a  écrit 
s'est  peu  inquiétée  do  le  signer.  Elle  a  travaillé  au  nom 
de  toutes  ses  sœurs,  inspirée  et  soutenue,  je  le  sais,  par 
l'obéissance,  apportant  à  la  tâche  difficile  qui  lui  était 
confiée  le  dévouemenut  apporté  .iadis  au  soulagement  des 
malades  et  des  pauvres  ;  et  son  œuvre  se  présente  au- 
.iourd'hui  au  public  comme  l'œuvre  de  votre  famille  reli- 
gieuse tout  entière,  comme  un  hommage  sincère  de  re- 
connaissance et  de  piété  filiales. 

Je  me  réjouis  de  voir  louer  si  dignement  et  simultané- 
ment ces  deux  femmes,  choisies  par  Dieu,  à  des  époques 
différentes,  pour  accomplir  de  si  grandes  choses,  hum- 
bles toutes  deux  par  leur  origine,  toutes  deux  sœurs  par 
la  piété,  l'esprit  de  sacrifice  et  l'amour  des  indigents, 
fondatrices  d'instituts  qui  sont  un  inappréciable  bienfait 
pour  la  souffrance  sous  toutes  ses  formes,  en  même 
temps  qu'une  gloire  insigne  pour  l'Eglise  et  le  Canada, 
mère  d'Youville  et  mère  Gamelin. 


LETTEE    DE  3IGE    BErCHESI  VII 

J'aime  à  réunir  ici  leurs  noms  vénérés.  Elles  sont 
Tune  et  l'autre  les  filles  privilégiées  de  notre  sol.  Notre 
patriotisme  les  acclame  en  même  temps  que  notre  reli- 
gion, et  pour  moi,  j'applaudis  de  tout  cœur  à  la  publica- 
tion des  livres  qui  célèbrent  leurs  œuvres  et  leurs  vertus. 

Il  n'y  a  pas  de  longues  années  que  mère  Gamelin  est 
morte.  Dans  le  monde  et  dans  sa  communauté  plu- 
sieurs de  ses  amies  lui  survivent  :  elles,  surtout,  trouve- 
ront dans  la  lecture  de  sa  vie  un  charme  particulier. 
Elles  pourront  en  vérifier  les  moindres  détails  et  rendre 
témoignage  à  la  scrtipuleuse  exactitude  de  l'auteur. 

Terrons-nous,  un  jour,  comme  nous  avons  eu  le  bon- 
heur de  le  voir  pour  la  vénérable  mère  d'Youville.  l'in- 
troduction de  la  cause  de  béatification  de  votre  fonda- 
trice ?  Je  sais,  ma  révérende  Mère,  que  c'est  votre  es- 
poir et  celui  de  toutes  vos  filles.  Dieu,  sans  aucun 
doute,  ne  manquera  point  de  nous  manifester  ses  des- 
seins à  cet  égard.  Déjà,  la  confiance  des  religieuses  et 
des  fidèles  dans  le  pouvoir  de  Mère  Gamelin  s'est  mani- 
festée par  des  signes  non  équivoques,  et  l'on  mentionne 
plusieurs  guérisons  obtenues  par  son  intercession.  Sans 
vouloir  prévenir  le  jugement  de  la  sainte  Eglise,  nous 
pouvons  dire  que  déjà  le  tombeau  de  cette  humble  ser- 
vante des  pauvres  est  entouré  de  gloire,  comme  il  l'est 
de  vénération  et  d'amour. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  œuvres  de  Mère  Gamelin  sont 
vivantes  sous  nos  yeux  :  elles  prospèrent,  grandissent, 
se  multiplient  d'une  façou  merveilleuse,  et  font  sentir 
leur  infiuence  jusque  dans  les  contrées  les  plus  lointaines 
de  l'Amérique  du  Xord  ;  c'en  est  assez  pour  nous  per- 
mettre de  reconnaître  dans  cette  femme  si  charitable 
l'instrument  des  volontés  miséricordieuses  de  Dieu. 
Ceux  qui,  depuis  longtemps,  admirent  le  zèle  et  l'acti- 
vité de  sa  famille  religieuse  aimeront  à  savoir  ce  que 
fut  la  mère.  Le  livre  que  vous  allez  publier  les  satis- 
fera pleinement.  Ce  livre  arrive  à  sou  heure  :  notre 
peuple,  j'en  suis  assuré,  lui  fera,  comme  il  a  fait  récem- 


TIII  LETTRE    DE    MGE    BEUCHESI 

ment  au  beau  travail  de  madame  Jette,  le  plus  sympa- 
thique accueil,  et  de  ces  deux  ouvrages  il  devra,  ce  me- 
semble,  tirer  une  conclusion  :  Dieu,  qui  nous  a  aimés  en 
nous  donnant  pour  ancêtres  ce  que  la  France  avait  de 
plus  généreux  et  de  plus  pur,  a  montré  qu'il  nous  aimait 
toujours,  par  le  choix  qu'il  a  fait  de  ses  apôtres,  pour 
continuer  les  œuvres  si  belles  de  nos  origines  sur  les 
bords  du  Saint-Laurent. 

Recevez,  ma  révérende  Mère,  l'expression  de  mes  bien 
dévoués  sentiments  en  N.-S. 

t  PAUL,  Archevêque  de  Mouiréal. 

Archevêché  de  Montréal, 
le  19  février  1900,  centième  anniversaire 
de  la  naissance  de  Mère  Gamelin. 


PREFACE 


Nous  présentons  aujourd'hui  au  public  la  Vie  de 
Mère  Gafnelin,  fondatrice  et  première  supérieure 
des  Sceurs  de  la  charité  de  la  Providence. 

Le  nom  et  la  vie  de  mère  Gamelin  sont,  jusqu'à  un 
certain  point,  connus  du  grand  nombre  de  ceux  qui  ont 
pu,  grâce  à  des  relations  plus  ou  moins  étroites  avec  sa 
communauté,  apprendre  quelque  chose  de  ses  origines 
et  de  sa  fondation. 

Mais  nous  croyons  que  beaucoup  de  nos  compatriotes, 
et  même  plusieurs  amis  de  sa  congrégation  ignorent  jus- 
qu'au nom  de  la  pieuse  fondatrice,  à  plus  forte  raison 
l'ensemble  et  les  principaux  actes  de  sa  vie. 

Ce  livre  leur  révélera  les  humbles  et  laborieux  com- 
mencements d'une  communauté  qui  a  pris,  en  un  demi- 
siécle,  un  rang  important  parmi  les  institutions  chari- 
tables de  notre  pays,  en  même  temps  qu'il  évoquera  à 
leurs  yeux,  dominant  les  faits  qu'il  raconte,  une  belle 
et  noble  figure  qui  mérite  tout  leur  respect  et  toute  leur 
sympathie. 

Les  amis  et  les  bienfaiteurs  de  la  congrégation  éprou- 
veront sans  doute  une  satisfaction  sensible  à  faire  con- 
naissance avec  la  fondatrice  d'une  œuvre  qui  leur  doit, 
après  Dieu  et  ses  filles,  une  large  part  de  son  dévelop- 
pement et  de  ses  fruits. 


X  PREFACE. 

Mais  que  dire  de  ses  filles  elles-mêmes,  pour  qui  la  vie 
de  mère  Gamelin  a  été  spécialement  écrite? 

Ne  sont-elles  pas,  avant  tous  les  autres,  intéressées  à 
bien  connaître  les  traits  de  sa  physionomie  morale,  son 
âme,  son  caractère,  son  esprit,  les  actions  qui  en  ont  reçu 
la  douce  et  forte  empreinte,  et  qui  ont  fait  de  son  exis- 
tence une  haute  leçon  de  vie  religieuse? 

Elles  ne  sauraient  oublier  que  les  fondateurs  et  les 
fondatrices  sont,  par  une  disposition  providentielle  de 
Dieu,  les  modèles  immédiats  et  spéciaux  de  leurs  familles 
religieuses,  et  que  celles-ci  doivent  leur  emprunter,  en 
même  temps  qu'un  vaste  et  fécond  exemple  de  sainteté, 
l'esprit  propre  qui  différenciera  leurs  familles  respec- 
tives de  toutes  les  autres,  même  de  celles  qui  ont  avec 
elles  une  fin  et  une  observance  communes. 

C'est  par  là  que  l'Esprit  de  Dieu,  si  riche  en  ses 
dons  et  si  multiple  en  ses  manifestations,  classe,  en  les 
marquant  du  sceau  de  l'originalité,  tes  âmes  et  les 
groupes  d'âmes  qu'il  applique  aux  œuvres  variées 
dont  l'harmonie  constitue  l'admirable  unité  de  la  société 
chrétienne. 

Il  importe  donc  à  la  réalisation  du  plan  divin,  non 
moins  qu'à  l'accomplissement  de  sa  mission  particu- 
lière, que  chacune  de  ces  familles  étudie  attentivement 
la  figure  et  les  traits  caractéristiques  de  l'auteur  de  son 
existence,  pour  y  conformer  sa  physionomie  morale  et 
les  lignes  essentielles  de  sa  vie  collective. 

Les  filles  de  mère  Gamelin  avaient  été  privées  jusqu'à 
ce  jour  d'un  portrait  fidèle  de  leur  mère,  qui  présentât 
sans  cesse  à  leurs  regards  l'image  pure  et  suggestive  des 
vertus  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  et  l'enseignement 
traditionnel  de  l'Église  les  invitent  et  les  aident  à 
pratiquer. 


PREFACE.  XI 

Quelques  brochures,  forcément  incomplètes,  des  sou- 
venirs, religieusement  entretenus  et  transmis  aux  plus 
jeunes  sœurs  par  ses  premières  compagnes  et  par  les  reli- 
gieuses entrées  de  son  vivant  dans  la  communauté 
voilà  tout  ce  qui  leur  restait, — en  dehors  de  son  esprit  et 
de  sa  tradition,  dont  elles  sont  les  dépositaires, — d'une 
femme  qui  sut  inspirer  un  vif  attachement,  une  vénéra- 
tion profonde  aux  personnes  de  son  intimité  et  de  son 
commerce  familier,  et  faire  sentir  à  tous  ceux  qui  l'ap- 
prochaient l'ascendant  de  son  aimable  et  franche  vertu. 

Cette  lacune  eût  été  difficile  à  combler  plus  tard, 
après  la  disparition  complète  des  aînées  de  la  famille. 
Les  supérieures  de  l'institut  ont  compris  le  danger  et 
les  inconvénients  d'une  plus  longue  attente  et,  pour  y 
obvier,  elles  ont  demandé  au  dévouement  et  au.  talent 
d'une  de  ces  aînées  de  peindre  pour  ses  soeurs  le  por- 
trait de  la  mère  et  le  tableau  de  sa  vie. 

Son  humilité  et  son  inexpérience,  qu'effrayaient  la 
noblesse  et  l'âpreté  de  la  tâche,  ont  trouvé  dans  l'amour 
et  dans  l'obéissance  la  force  de  l'accomplir.  Une  main 
amie  a  retouché  et  complété  son  œuvre,  en  respectant 
scrupuleusement  la  fidélité  des  traits  et  des  contours, 
le  ton  général  du  coloris  et  l'exactitude  des  détails. 

Pour  faire  une  peinture  aussi  fidèle  que  possible,  on  a 
recouru  au  témoignage  vivant  des  personnes, — parents, 
amis,  religieuses  ou  autres, — qui  avaient  connu  la  fonda- 
trice ou  recueilli  les  souvenirs  des  témoins  ou  des  con- 
fidentes de  sa  vie,  et  on  a  consulté  le  témoignage  écrit 
des  archives  de  la  maison  mère,  des  succursales  et  de 
l'archevêché  de  Montréal. 

Le  tout,  au  demeurant,  formait  un  appoint  assez 
médiocre. 

On  ne  saurait  trop  déplorer  que  mère   Gamelin  n'ait 


XII  PEEFACE. 

pas  laissé  un  plus  grand  nombre  de  lettres.  Elles  eussent 
été  d'un  précieux  secours  pour  nous  révéler  l'intime  de 
son  âme. 

Mais  cette  femme  de  bien,  qui  n'était  pas  une  lettrée, 
n'a  pas  été  non  plus  une  épistolière.  Elle  n'a  guère  eu 
le  temps  d'écrire,  et  peut-être  aussi  le  goût  lui  en  faisait- 
il  défaut. 

C'était  avant  tout  une  femme  d'action,  et  d'action 
rapide  et  constante.  Sa  vie  n'est  qu'une  action 
continue,  que  les  nuits  et  le  sommeil  seulement  sus- 
pendent, en  la  retrempant.  La  prière  même  ne  semble 
avoir  été  chez  elle  qu'un  aiguillon  et  un  élan  à  l'activité 
persévérante  et  diversifiée.  Elle  n'avait  ni  le  tempé- 
rament ni  les  tendances  d'esprit  d'une  contemplative  ; 
lesépanchements  de  son  journal  spirituel  en  font  foi. 

On  remarquera,  dans  le  cours  de  son  existence,  un 
singulier  caractère  d'unité  et  de  fidélité  à  elle-même. 
Elle  aurait  pu,  à  l'égal  de  certains  hommes  d'un  grand 
caractère,  la  résumer  tout  entière  par  cette  devise  : 
Qualis  ab  incepto,    "Telle  qu'au  commencement". 

Sa  maturité  a  réalisé  les  promesses  de  son  printemps, 
et  développé,  en  les  fortifiant,  les  inclinations  dominan- 
tes de  son  enfance  et  de  sa  jeunesse.  Entre  toutes,  la 
charité  brille  au  premier  rang,  la  charité  surtout  pour 
les  pauvres  et  pour  les  malheureux.  Son  âme,  à  peine 
ouverte  aux  lumières  et  aux  élans  de  la  vie  naturelle  et 
de  la  vie  chrétienne,  fut  tout  de  suite  et  grandement 
celle  d'une  sœur  de  charité.  Rien  n'est  si  expressif  et 
si  touchant,  lorsqu'on  cherche  le  fil  mystérieux  qui 
unit  la  trame  pleine  et  serrée  de  son  existence,  que  de 
relever,  à  ses  extrémités,  deux  traits  révélateurs  qui 
nous  livrent  le  fond  de  son  âme. 


PEEFACE.  XIII 

Tendre  enfant,  chargée  de  dispenser  aux  pauvres  les 
aumônes  domestiques,  elle  s'attendrit  et  fond  tout  son 
cœur  dans  un  torrent  de  larmes,  à  la  vue  de  la  vaste 
besace  d'un  mendiant,  dans  laquelle  son  modeste  don 
s'engloutit  comme  dans  un  gouffre,  et  elle  s'empresse 
de  lui  abandonner  toute  la  réserve  de  ses  goûters  et  de 
ses  largesses.  Et  cinquante  ans  plus  tard,  mourante 
et  pouvant  à  peine  remuer  ses  lèvres  glacées,  lorsqu'elle 
veut  donner  à  ses  filles  son  testament  spirituel,  elle 
exhale  son  dernier  souffle  à  travers  les  syllabes  entre- 
coupées du  nom  divin  qu'a  chanté  sa  vie  sanctifiée  : 
"  Charité  !  " 

La  vie  de  mère  Gamelin  est  donc  une  vivifiante  leçon 
de  charité.  A  ce  titre  seul,  elle  sollicite  l'intérêt,  non 
seulement  des  lecteurs  chrétiens,  mais  encore  de  tous 
ceux  qu'une  compassion  noblement  et  sincèrement  hu- 
maine incline  affectueusement  sur  les  plaies  et  les  mi- 
sères des  éprouvés  de  ce  monde,  pour  les  panser  et  les 
guérir. 

Ils  y  verront  quelle  force  merveilleuse  un  cœur  affec- 
tueux et  bon,  une  âme  généreuse  et  ardente  trouvent 
dans  les  lumières  et  les  inspirations,  de  la  foi,  pour  dé- 
penser au  service  des  malheureux  les  trésors  d'un  dé- 
vouement qui  ignore  la  mesure  et  l'épuisement.  Ils 
seront  à  même  d'éprouver  si  la  bienfaisance  purement 
naturelle,  la  philanthropie,  Yaltrtiisme, —  comme  l'in- 
croyance contemporaine  se  plaît  à  décorer  de  mots 
pédantesques  une  vertu  inférieure  à  celle  qu'engendre 
et  alimente  la  grâce  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, — 
peut  enfanter  les  actes  d'abnégation  et  d'oubli  de  soi, 
que  le  croyant  d'esprit  simple  puise  dans  son  amour 
de  l'Homme-Dieu  et  dans  la  contemplation  assidue 
des    mystères    de  Bethléem  et  du  Calvaire. 


XIV  PREFACE. 

A  ce  point  de  vue,  le  journal  de  retraites  de  mère 
Garaelin, — que  l'auteur  a  cru  devoir,  pour  l'édification 
des  lecteurs,  donner  presque  intégralement  en  appendice 
à  son  volume, —nous  ouvre  un  jour  lumineux  sur  sa  vie 
intérieure  et  nous  fait  assister  aux  luttes  dramatiques  et 
aux  sanglants  efforts  qu'elle  livrait  incessamment  à  sa 
nature,  pour  en  dompter  les  mouvements  imparfaits  et 
accroître  la  conformité  de  son  âme  avec  le  divin 
modèle. 

Ces  épanchements  ingénus  et  spontanés  de  son  cœur, 
en  des  moments  de  profond  recueillement  et  d'attention 
aiguë,  nous  disent  à  quel  point  elle  a  été  tourmentée 
de  ce  noble  et  surnaturel  désir  de  la  perfection  chré- 
tienne, qui  caractérise  les  âmes  les  plus  saintes. 

La  lecture  de  ces  pages,  nous  n'en  doutons  point, 
sera  d'un  vif  encouragement  et  d'un  puissant  réconfort 
aux  âmes  religieuses  qu'embrasent  la  sincérité  et  la 
force  du  même  désir,  et  qui  rencontrent  en  elles-mêmes 
une  volonté  aussi  droite,  éclairée  par  une  conscience 
aussi  sévère  que  les  siennes. 

Il  nous  a  été  rarement  donné,  au  cours  de  notre 
expérience  et  de  nos  lectures,  de  rencontrer  une  âme 
aussi  parfaitement  droite  que  celle-là  ;  cetle  admirable 
droiture,  autant,  nous  oserions  presque  dire  plus  que 
l'extrême  bonté,  est  le  trait  le  plus  remarquable  et  le 
plus  attachant  de  ce  beau  caractère. 

Quelques  lecteurs  seront  peut-être  tentés  de  repro- 
cher à  cette  Vie  l'extrême  simplicité,  nous  allions  dire  la 
médiocrité,  des  faits  qui  la  composent.  Nous  leur  ré- 
pondrons que  les  faits  ne  s'inventent  pas,  mais  qu'ils 
se  racontent,  et  que  leur  nature  ne  permet  pas  tou- 
jours, ordinairement  même,  de  les  dramatiser  pour  les 
rendre  séduisants. 


PREFACE.  XV 

La  fondation  d'une  maison  de  charité,  d'une  com- 
munauté religieuse  est  en  soi  une  chose  relativement 
simple,  ne  fût-elle  pas  d'accomplissement  facile,  et 
s'exécutant  au  milieu  de  circonstances  exceptionnelles. 

L'ensemble  des  faits  qui  la  constituent  ne  comporte 
aucune  manifestation  extraordinaire  de  l'action  divine. 
Ils  naissent  et  s'enchaînent  sous  l'empire  des  lois  et  des 
forces  surnaturelles,  mais  avec  des  éléments  et  des 
collaborations  purement  naturels,  et  une  telle  apparence 
de  simplicité  et  de  régularité,  qu'on  serait  tenté,  après 
une  obser-vation  superficielle,  de  les  trouver  empreints 
d'une  certaine  banalité. 

L'action  providentielle  de  Dieu  se  révèle  clairement, 
il  est  vrai,  dans  la  fondation  de  mère  Gamelin  et  dans 
les  débuts  de  sa  communauté.  Elle  éclate  même  parfois 
en  des  traits  extraordinaires,  qui  revêtent  le  caractère 
du  merveilleux. 

Mais  ces  traits  sont  rares,  ce  sont  comme  des  éclairs, 
qui  traversent  parfois  la  nuée  dont  s'enveloppe  le  bras 
tout  puissant  du  divin  auteur  de  l'œuvre  naissante. 
Soutenus  par  sa  grâce,  éclairés  par  leur  foi,  les  ouvriers 
et  les  ouvrières,  souvent  de  petites  gens,  entreprennent, 
travaillent,  peinent,  parlent  et  prient  comme  le  commun 
des  chrétiens  fervents,  qui  se  sanctifient  dans  le  monde 
par  l'accomplissement  journalier  et  modeste  de  leur 
devoir  d'état.  Ils  ne  font  pas  de  miracles,  ni  de  beaux 
discours,  ni  d'actions  d'éclat  ;  mais  ils  s'appliquent  à 
faire  tous  les  jours,  simplement  et  fortement,  cette 
chose  très  grande  :  accomplir  des  actions  modestes, 
vulgaires,  souvent  pénibles,  dans  un  vif  esprit  de  foi, 
en  dépit  des  répugnances  qu'elles  comportent  et  des 
sacrifices  qu'elles  imposent. 

C'est  là  tout  l'intérêt  et  toute  la  valeur  de  ce  récit  et 


XVI  PEEFACE. 

de  narrations  semblables.  Dans  la  simplicité  des  faits 
qu'il  relate,  il  est  vrai,  il  est  fidèle  :  et  comme  ces  faits  sont 
souvent  des  actes  de  haute  vertu,  il  forme  la  matière 
d'une  lecture  édifiante,  qui  élève  l'âme,  fortifie  la 
volonté,  avive  au  cœur  l'amour  de  Jésus-Christ,  l'Époux 
sanglant  des  vierges,  le  Maître  austère  et  fort  des 
chrétiens. 

Cette  Vie  est  donc  avant  tout  un  livre  d'édification  ;  en 
cette  qualité,  il  plaira  surtout  aux  âmes  vouées  à  la  vie 
religieuse  et,  entre  toutes,  aux  filles  spirituelles  de  la 
vénérable  fondatrice. 

Celle  qui  l'a  écrit  avec  son  cœur  ne  pouvait  oublier 
que  la  maison  maternelle  est  aussi  chère  à  la  piété  fi- 
liale que  la  mère,  aimée  et  dévouée,  qui  l'a  construite  et 
habitée  ;  que  les  murs  qui  ont  abrité  et  contemplé  de 
longues  années  d'amour,  de  travail,  de  souffrance  et  de 
prière,  sont  sacrés  comme  les  murailles  et  le  parvis  d'un 
temple,  et  qu'ils  retiennent  dans  leurs  pierres  et  dans 
leurs  lambris,  et  jusque  dans  leur  poussière,  des  par- 
celles de  vie  précieuses,  que  le  souvenir  respecte  comme 
des  reliques,  et  qu'il  tient  à  cœur  de  maintenir  au  patri- 
moine familial,  pour  la  vénération  et  l'amour  d'une 
longue  postérité. 

On  ne  devra  donc  pas  s'étonner,  si  on  relève  dans  ce 
livre,  et  jusque  dans  la  description  minutieuse  de  la  mai- 
son dont  il  retrace  l'histoire,  certains  détails  qui  sem- 
bleront insignifiants  et  superflus  aux  gens  du  dehors,  et 
même  aux  amis  qui  ne  seraient  pas  des  assidus  ou  des 
intimes. 

Ces  détails  ont  été  notés  et  consignés  au  profit  de  la 
famille,  qui  attache  un  prix  infini  aux  moindres  choses 
qu'immortalise  un  contact  cher  et  vénérable. 

Ils    ne  manqueront  pourtant  pas  d'intérêt  pour  les 


PREFACE.  XVII 

«sprits  soucieux  d'exactitude  et  épris  d'érudition  histo- 
rique, qui  attribuent  aux  minuties  du  passé,  aux  miettes 
de  l'histoire,— qu'elle  soit  celle  d'une  vie  humaine  ou 
d"un  édifice, — une  valeur  inappréciable. 

Nous  offrons  donc  en  toute  confiance,  et  en  la  recom- 
mandant de  cœur,  cette  œuvre  estimable  à  tous  ceux 
•qu'elle  mérite  d'intéresser  à  des  titres  divers. 

La  foi  et  la  charité  des  chrétiens  s'y  retremperont  à 
la  flamme  d'une  vertu  plus  ardente.  Le  courage  des 
âmes  vouées  aux  renoncements  de  la  vie  religieuse  y 
retrouvera  un  regain  d'énergie  et  de  constance.  Le 
patriotisme  des  Canadiens-Français,  qui  sommeille 
parfois  et  fléchit  aisément,  faute  de  s'alimenter  à  des 
sources  élevées  et  pures  et  dans  la  conscience  d'une 
haute  destinée  religieuse  et  sociale,  y  puisera  des  motifs 
de  fidélité  et  des  gages  d'espérance. 

Et  peut-être,  après  avoir  lu  ces  pages,  les  concitoyens 
<ie  mère  Gamelin  viendront  s'agenouiller,  avec  l'émo- 
tion d'un  espoir  et  d'une  vigueur  rajeunis,  auprès  d'une 
tombe  qui  chante  la  promesse  de  la  résurrection  et  de 
la  gloire,  dans  le  souvenir  et  la  leçon  d'une  vie  forte 
et  grande.  Inclinés  dans  son  ombre  vénérable,  ils 
songeront  qu'ils  ont  au  cœur  le  sang  qui  brûlait  la 
poitrine  d'un  Vincent  de  Paul  et  d'une  Legras,  d'un 
Maisonneuve  et  d'une  Bourgeoys,  et  rougissant  à  la 
pensée  qu'ils  pourraient  déroger  et  déchoir,  ils  crain- 
dront de  démériter  du  nom  chrétien  et  français. 

A  Montréal, 

•en  la  fête  de  S.  François  de  Sales, 

ce   29  janvier  1900. 

Gustave  Bourassa, 

PRETEE. 


DECLARATION  DE  L'AUTEUR 


Si  nous  avons,  au  cours  de  cet  ouvrage,  employé  le 
titre  de  sainte  ou  de  vénérable,  et  reproduit  le  récit 
de  faveurs  obtenues  par  l'entremise  de  notre  vénérée 
mère  Gamelin,  nous  affirmons  n'avoir  pas  voulu  en 
cela  prévenir  la  décision  du  Saint-Siège,  et  nous  dé- 
clarons nous  conformer  en  tout  aux  décrets  de  S.  S. 
le  pape  Urbain  YIII. 


■VIE 


MÈRE    GAMELIN 

FONDATRICK  KT  PREMIÈRE  SUPÉRIEURE  DKS  SŒURS  DE  LA  CHARITÉ 
DE  LA  PROVIDENCE. 


CHAPITEE  I 
1800-1815 

EXFANCE.  —  CHARITÉ  PRÉCOCE.  —  PREMIÈRE  ÉDUCATION. 

Au  pied  du  Mont-Roj^al  s'étendait,  au  commence- 
ment de  ce  siècle,  un  vaste  domaine  appelé  Fief  de 
la  Providence.     Il  comprenait  une  partie  de  la  pro- 
priété oîi  les  Sœurs  hospitalières  de  Saint-Joseph 
ont  élevé  l'Hôtel-Dieu  actuel. 

A  cette  époque,  la  ville  de  Montréal  formait  une 
sorte  de  rectangle,  horné  par  le  fleuve  Saint-Laurent, 
la  rue  de  Montigny,  la  rue  Saint-Huhert  et  la  rue 
Bleury,  et  dont  le  côté  sud-ouest  se  prolongeait,  par 
les  rues  Xotre-Dame  et  Saint-Paul,  dans  une  double 
rangée  de  maisons  largement  espacées,  qui  formaient 


2  VIE    DE 

le  faubourg  Saint -Joseph.  En  dehors  de  ces  limites, 
on  ne  rencontrait  guère  que  des  maisons  isolées,  sans 
trace  de  rues  régulières,  et  presque  toutes  habitées 
par  de  pauvres  familles,  sauf  les  environs  de  la  mon- 
tagne, que  parsemaient  ça  et  là  des  villas  aisées  ou  des 
maisons  rustiques,  entourées  de  jardins  et  de  vergers. 

Vers  le  milieu  du  Fief  de  la  Providence,  sur  un 
point  de  l'espace  occupé  aujourd'hui  par  le  terrain 
de  l'exposition  provinciale,  en  haut  de  l'avenue  du 
Mont-Royal,  s'élevait  une  modeste  maison  en  bois,  à 
deux  étages,  ombragée  d'arbres  et  entourée  d'un  jar- 
din. C'est  là  que  naquit  notre  vénérée  Mère  Gamelin, 
le  19  février  1800. 

Son  père  était  Antoine  Tavernier.  ^  Il  avait  long- 
temps exercé  le  métier  de  voiturier.  et  il  jouissait 
d'une  réputation  de  parfait  homme  de  bien,  pieux, 
charitable,  probe  et  loyal  dans  tous  les  actes  de  sa 

^  Julien  Tavernier,  grand-père  de  Mmes  Xolan,  Cuvil- 
lier  et  Gamelin,  est  le  chef  de  la  branche  montréalaise  des 
Tavernier.  II  était  fils  de  François  Tavernier.  marchand  de 
laine,  et  de  Marie  Marchand,  de  la  paroisse  Saint-Jacques, 
de  la  ville  et  du  diocèse  d'Amiens.  Il  vint  en  qualité  de 
colon  h  Monti'éal.  il  une  date  inconnue,  et  fut  sergent  dans 
la  compagnie  d'infanterie  du  chevalier  de  la  Corne.  Il 
épousa  a  ^lontréal.  le  1.5  mai  1749,  ^Marianne  Girouard,  née 
à  Montréal,  le  18  novembre  172.5,  du  mariage  d'Antoine 
Girouard  et  de  !Marie-Anne  Ban-é.  Antoine  Girouaid,  né 
i1  Mont-Lugon,  en  Bourbonnais,  était  le  fils  de  Jean  Girouard, 
contrôleur  du  dépôt  de  Riom  en  Angleterre,  et  do  Pétronille 
Georgeau,  aussi  de  Mont-Luçon.  Julien  Tavernier  fut  tué 
au  mois  de  juillet  1756.  près  du  lac  Champlain.  dans  une  des 
expéditions  dirigées  de  Carillon,  par  M]\I.  de  St-Luc  et  de 
Contre-Cœur,  contre  les  postes  anglais  des  environs. 


MERE    GAMELIN  3 

vie.  Son  épouse,  Josephte  Maurice,  était  une  femme 
d'une  complexion  frêle  et  délicate,  mais  d'une  âme 
énergique  et  vaillante,  qui  apportait  aux  travaux 
du  ménage  et  à  l'éducation  de  ses  enfants  un  zèle  et 
une  ardeur  qui  ne  comptaient  pas  avec  ses  forces. 

Dieu  bénit  le  mariage  de  ces  époux  chrétiens.  Six 
enfants  vinrent  tour  à  tour  accroître  leur  bonheur  : 
Antoine,  Josephte.  Joseph,  Julien,  François  et 
Emmélie,  dont  nous  écrivons  la  vie. 

Il  semble  que  le  ciel  ait  voulu  manifester  à  l'avance 
la  destinéa  de  cette  enfant.  Le  lieu  de  sa  naissance, 
■ce  Fief  de  la  Providence,  ne  présageait-il  pas  cette 
autre  Providence,  dont  Dieu  devait  plus  tard  atta- 
cher le  nom  à  l'œuvre  de  notre  vénérée  mère  ?  Et  ce 
nom  d"Emmélie,  qui  lui  fut  donné  au  baptême,  ne 
contenait-il  pas  en  abrégé  le  programme  de  sa  future 
existence  ?  Sainte  Emmélie  fut  comme  elle  engagée 
•dans  les  liens  du  mariage,  avant  d'entrer  dans  la  vie 
religieuse.  Mais  notre  mère  n'eut  pas,  comme  sa 
glorieuse  patronne,  le  bonheur  d'élever  ses  enfants 
et  de  les  préparer,  par  ses  exemples  et  ses  leçons,  à 
prendre  place  à  ses  côtés  sur  les  autels  de  l'Eglise.  ^ 

L'enfant  fut  baptisé,  le  lendemain  de  sa  naissance. 
à  l'église  de  ISTotre-Dame,  sous  les  noms  de  Marie- 

^  Sainte  Emmélie  fut  la  mère  de  saint  Basile  le  Grand, 
■qui  eut  pour  frères  saint  Grégoire  de  Nysse  et  saint  Pierre 
•de  Sébaste,  et  pour  sœur  sainte  Macrine. 


4  VIE    DE 

Emilie-Eugène/  par  M.  Hiimbert,  prêtre  du  sémi- 
naire de  Saint-Sulpice.  Elle  fut  tenue  sur  les  fonts- 
par  Antoine  Tavernier,  son  frère  aîné,  et  Marie- 
Claire  Perrault,  sa  cousine  germaine, — qui  devait 
épouser  plus  tard  M.  Augustin  Cuvillier,  marcliand 
de  Montréal,  intimement  mêlé  aux  événements  politi- 
ques du  pays,  de  1820  à  1840. 

Madame  Tavernier,  qui  s'était  entièrement  donnée 
à  la  première  éducation  de  ses  aînés,  sembla  accorder 
encore  plus  de  soins  et  d'affection  à  la  petite  Em- 
mélie.  Sa  clairvoyance  maternelle  discernait-elle 
déjà,  dans  cette  tendre  enfant,  les  qualités  précieuses- 
dont  le  ciel  l'avait  ornée,  ou  iin  pressentiment  dé- 
licat prévenait-il  son  cœur  que  ce  dernier  fruit  de 
son  amour  allait  être,  plus  jeune  et  plus  frêle,  privé 
des  douceurs  de  l'affection  maternelle  et  des  joies  du 
foyer  domestique  ? 

L'enfant  répondait  par  de  douces  caresses  et  par 
des  attentions  touchantes  à  la  sollicitude  et  à  la  pré- 
dilection de  sa  mère.  Dès  l'âge  de  quatre  ans,  elle 
essayait  déjà  de  l'aider  en  ?on  travail.  "'  Va  te 
reposer,  lui  disait-elle,  je  vais  te  remplacer,"  et 
s'emparant   d'un    long    plumeau,  elle   le    promenait 


1  Elle  porta  dans  la  suite  le  deuxième  de  ces  noms. 
Nous  avons  maintenu  l'orthographe  Emmclle  qui  est  celle 
du  ^lartyrologe  et  des  Bollandistes,  bien  que  Facte  de 
son  baptême,  celui  de  son  mariage  et  du  baptistère  de  ses- 
trois  enfants  portent  l'orthographe  Emilie. 


MERE    GAMELIN  i> 

gravement  sur  les  meubles  de  chaque  chambre.  La 
mère,  du  reste,  favorisait  chez  elle  ce  penchant  et 
s'efforçait  de  lui  incidquer,  dès  son  bas  âge,  le  goût 
des  occupations  domestiques,  que  l'Esprit-Saint  a 
louées  dans  son  portrait  de  la  femme  forte  :  "  Elle 
est  comme  le  soleil  qui  se  lève  sur  les  hauteurs  et 
qui  projette  sa  lumière  sur  toute  la  maison.''  ^ 

Elle  Tassociait  aussi  aux  œuvres  de  sa  charité  et 
développait  dans  son  cœur  un  grand  amour  des  pau- 
vres.    Nous  en  citerons  un  trait  charmant. 

La  petite  Emmélie  était  chargée  de  remettre,  à  la 
porte,  les  aumônes  qu'on  distribuait  aux  mendiants. 
Elle  avait  à  cet  usage  un  panier  dans  lequel,  bien 
souvent,  elle  glissait  secrètement  les  fruits  ou  les 
friandises  dont  elle  se  })rivait  volontiers  en  faveur 
de  ses  chers  clients.  Vn  jotir,  elle  voit  venir,  par  le 
chemin  montant  qui  conduit  à  la  maison  pater- 
nelle, un  pauvre  vieillard  qui  s'avance  péniblement, 
appuyé  sur  son  bâton.  Saisissant  son  panier,  elle 
s'empresse  au  devant  de  lui .  Le  vieillard  se  découvre, 
dépose  la  poche  qui  pend  à  son  épaule  et  l'ouvre 
toute  grande  à  l'aumône  qu'on  lui  apporte.  L'enfant,, 
joyeuse,  y  verse  le  contenu  de  son  panier  ;  mais  en 
voyant  son  léger  paquet  s'abîmer,  si  petit,  dans  le 
gouffre  immense  et  presque  vide,  elle  ne  peut  rete- 
nir ses  larmes    et  revient    désolée  vers  sa  mère,  en 

1  Eecl.,  26.  21. 


6  VIE    DE 

lui  criant  :  "  Maman,  maman,  la  poche  n'est  pas 
pleine  !  "  La  mère  veut  lui  faire  entendre,  pour  la 
■consoler,  que  la  poche  du  mendiant  n'est  si  grande 
que  pour  recevoir  beaucoup  d'aumônes,  et  qu'elle  se 
remplira  certainement  avant  le  soir,  pour  fournir  à 
la  subsistance  de  toute  sa  famille.  Mais  les  larmes  de 
Tenfant  coulent  toujours,  cette  sage  raison  ne  vaut 
rien  pour  son  petit  cœur,  et  le  sac  du  mendiant  lui 
paraîtra  toujours  trop  grand,  tant  qu'elle  n'y  aura 
pas  mis  elle-même  tout  ce  qu'elle  possède.  Alors, 
elle  songe  à  sa  cachette,  à  son  trésor,  à  cette  grande 
boîte  en  bois  blanc  dans  laquelle  elle  amasse  les  cenel- 
les  qu'elle  a  cueillies  dans  la  montagne.  C'est  la  ma- 
tière de  ses  goûters  et  de  quelque  régal  qu'elle  ré- 
serve à  ses  frères,  à  sa  sœur  et  à  ses  petites  amies. 
Elle  l'abandonnera  au  pauvre  vieillard  !  Elle  le  con- 
duit elle-même  à  sa  cachette,  lui  fait  tirer  la  grande 
boîte,  en  décharge  tout  le  contenu  dans  son  sac,  et 
l'aimable  enfant  est  à  demi  consolée  ;  le  sac  lui  sem- 
ble moins  vide,  puisqu'elle  n'a  rien  gardé  pour  elle, 
et  ses  larmes  se  sèchent  au  doux  soleil  de  la  charité 
qui  vient  d'illuminer  son  cœur. 

Cette  charité  précoce  devait  être  la  vertu  maî- 
tresse de  notre  vénérée  mère.  Elle  fut  l'inspiration 
de  toute  sa  vie,  de  ses  œuvres  et  de  la  fondation  qui 
immortalisera  son  nom. 


MERE    GAMELIX  7 

Si  les  leçons  et  les  exemples  de  sa  pieuse  mère  favo- 
risèrent le  développement  de  cette  vertu  dans  son 
cœur  d'enfant,  les  épreuves  précoces  de  sa  vie  la  dis- 
posèrent aussi  à  compatir  aux  souffrances  du  pro- 
chain et  à  les  soulager.  La  douleur,  acceptée  et  sanc- 
tifiée par  la  foi  chrétienne,  est  une  source  de  vertus  : 
elle  engendre  la  force,  le  courage,  la  patience,  l'esprit 
■de  sacrifice  et  la  soumission  à  la  volonté  d'un  Père 
juste  et  bon.  qui  ne  châtie  que  pour  purifier  et  n'é- 
prouve que  pour  sanctifier  :  elle  développe  la  foi  en 
sa  providence,  qui  réserve  un  lendemain  plus  doux  à 
l'épreuve  d'aujourd'hui,  et  recommande  à  ses  enfants 
■de  ne  pas  s'inquiéter  à  l'avance  des  maux  et  des 
peines  à  venir. 

A  une  vocation  plu?  haute,  à  une  existence  plus 
féconde  en  œuvres  de  vie.  Dieu  réserve  toujours  des 
•épreuves  plus  fortes  et  souvent  précoces.  Notre  vé- 
nérée mère,  ne  pouvait  donc  échapper  à  cette  loi,  et 
la  croix  marqua,  toute  jeune,  sa  vie,  destinée  à  une 
grande  fécondité  spirituelle. 

Sa  première  douleur  fut  de  perdre,  à  l'âge  de  six 
ans,  son  père  et  sa  mère  qui  moururent  à  très  peu  de 
temps  l'un  de  l'autre. 

Avant  de  mourir,  sa  mère  la  confia  à  sa  belle-sœur, 
madame  Joseph  Perrault,  qui  était  veuve  et  possé- 
dait de  l'aisance.  Ses  quatre  enfants  reçurent  letir 
■cousine  comme  une  sœur  que  le  Ciel  leur  donnait. 


8  VI K    DE 

et  ils  s'efforcèrent,  par  leurs  attentions  et  leurs  soin& 
affectueux,  de  faire  retrouver  à  l'orpheline  les  dou- 
ceurs du  foA'er  paternel.  Sa  tante  était  une  femme 
de  sens  et  de  caractère,  d'un  esprit  profondément 
chrétien.  Elle  n'avait,  pour  continuer  l'éducation 
maternelle,  qu'à  élever  sa  nièce  comme  elle  élevait 
ses  propres  enfants.  Elle  trouvait  du  reste,  dans 
l'heureux  naturel  et  la  docilité  d'Emmélie,  une 
facile  correspondance  à  ses  efforts,  et  elle  se  plai- 
sait à  nommer  sa  jeime  nièce  l'ange  de  la  famille. 

Quelques  années  plus  tard.  Eiumélie  fut  confiée 
aux  Sœurs  de  la  Congrégation  de  Xotre-Dame,  dont 
le  pensionnat,  le  seul  qui  existât  alors  à  Montréal, 
était  situé  sur  la  rue  Saint-Jean-Baptiste.  Elle  y 
continua  les  études  qu'elle  avait  commencées  à  la 
maison.  jSTous  n'avons  pu  nous  procurer  aucune  date 
ni  aucun  détail  relatifs  à  son  séjour  au  pensionnat  ; 
nous  savons  seulement  qu'elle  y  fit  sa  première  com- 
munion et  qu'elle  stit  se  concilier  l'affection  de  ses 
maîtresses. 

L'éducation  des  jeunes  filles  du  monde  n'était  pas 
alors  ce  qu'elle  est  aujourd'hui.  Les  études  n'é- 
taient ni  très  étendues  ni  très  compliquées,  et  le 
temps  du  couvent  ne  se  prolongeait  pas  au  delà  d'un 
petit  nombre  d'années.  Cette  instruction  n'était 
peut-être  pas  conforme  à  toutes  les  exigences  d'itne 


MÈRE    GAMELIX  9 

•éducation  accomplie,  mais  elle  était  proportionnée 
•aux  besoins  de  la  société  canadienne  de  l'époque. 
Elle  excluait  à  bon  droit  du  programme  des  études 
et  du  régime  des  pensionnats  toute  superfluité  pré- 
tentieuse ou  dispendieuse.  Les  jeunes  filles  étaient 
surtout  élevées  en  vue  de  faire  d'excellentes  chré- 
tiennes et  des  femmes  de  ménage  accomplies.  Notre 
vénérée  fondatrice  ne  reçut  pas  d'autre  éducation  que 
•ceile-là  ;  et  si  le  cours  ordinaire  des  études  fut  abrégé 
pour  elle  par  la  volonté  de  sa  tante,  qui  la  rappela 
bientôt  auprès  d'elle,  la  formation  de  son  caractère 
et  de  son  jugement  n'en  souffrirent  aucunement. 

Xous  ignorons  quelle  fut  au  juste  la  durée  de  son 
séjour  au  pensionnat  de  Notre-Dame.  Elle  conserva 
toujours  un  souvenir  affectueux  à  ses  maîtresses, 
qu'elle  appelait  habituellement  "ses  mères".  Celles- 
ci  ne  cessèrent  pas,  de  leur  côté,  de  lui  témoigner 
un  attachement  dont  notre  connnunauté  naissante  a 
reçu  de  touchants  témoignages. 


10  VIE    DE 

CHAPITRE  1[ 
1815-1823 

JEUNESSE     DE     MLLE    TAVERNIER.— SON     CARACTÈRE.— SON 

ATTACHEMENT   À   SA    FAMILLE. — SON  AMOtJR 

DES    PAITV'RES. 

De  retour  auprès  de  sa  tante,  Mlle  Tavernier  s'ef- 
força, par  sa  docilité,  son  dévouement  et  ses  atten- 
tions affectueuses,  d'acquitter  la  dette  de  reconnais- 
sance qu'elle  avait  contractée  envers  cette  seconde 
mère  de  son  enfance. 

Elle  ne  cessa  de  lui  rendre  tous  les  soins  d'une 
véritable  piété  filiale  ;  et  si  parfois  elle  s'éloigna 
d'elle  pour  quelque  temps,  ce  fut  pour  aller  remplir 
auprès  d'autres  personnes  de  sa  famille  des  devoirs 
plus  urgents  de  dévouement  et  de  charité.  C'est 
ainsi  qu'à  l'âge  de  dix-huit  ans,  elle  prit  la  direction 
de  la  maison  de  son  frère  aîné,  M.  Antoine  Tavernier, 
qui  avait  perdu  sa  femme.  Elle  s'acquitta  de  ses 
fonctions,  pendant  près  d'une  année,  avec  beau- 
coup de  zèle  et  de  savoir-faire,  déployant  ces  vertus 
domestiques  et  ces  qualités  pratiques  auxquel- 
les l'avait  formée  sa  première  éducation.  Le  deuil 
de  son  frère,  en  lui  interdisant  les  fêtes  mondaines, 
lui  permettait  de  con.^acrer  tous  ses  loisirs  au  soin  et 


MÈRE    GAMELIX  11 

à  la  visite    des    pauvres,   auxquels  elle   coutinuait  à 
s'intéresser  tendrement. 

Chaque  matin,  après  avoir  assisté  à  la  sainte  messe, 
elle  allait  visiter  quelques  malades  ;  et  vers  le  soir 
elle  repartait,  un  panier  au  bras,  pour  distribuer  des 
provisions  à  ses  pauvres,  accompagnant  toutes  ses 
aumônes  de  ces  bonnes  et  aimables  paroles  qui  récon- 
fortent le  cœur  des  affligés. 

Sa  réputation  de  charité  eut  vite  fait  de  franchir 
le  cercle  de  ses  premiers  clients,  et  elle  lui  attira  de 
nouveaux  nécessiteux,  qu'elle  recevait  toujours  avec 
une  grâce  parfaite  et  une  délicate  bonté. 

Pour  mieux  pourvoir  à  leur  service,  elle  aménagea 
une  pitite  pièce  attenante  à  sa  cuisine,  qu'elle  nom- 
mait son  "  cabinet  particulier  ".  Elle  en  fit  une 
salle  à  manger  à  leur  usage  exclusif  ;  ils  s'y  as- 
seyaient autour  d'une  grande  table,  qu'elle  avait  sur- 
nommée "  la  table  du  roi",  et  où  elle  les  servait  avec 
une  respectueuse  tendresse.  Elle  se  réserva  tout 
l'entretien  de  cette  pièce,  la  balayant  elle-même  et 
lavant  la  vaisselle  qui  servait  à  ses  "amis  privilégiés", 
dont  les  fréquentes  visites  ne  laissaient  pas  d'impor- 
tuner parfois  sa  domestique. 

La  prière  reconnaissante  de  ces  malheureux  lui 
a  sans  doute  obtenu  une  large  part  des  grâces  qui  ont 
développé  et  mûri  sa  vocation. 


12  VIE    DE 

Son  frère  s'étant  remarié,  Emmélie  revint  chez  sa 
tante,  auprès  de  laquelle  elle  retrouva  l'aînée  de  ses 
■cousines,  madame  Xolan,  devenue  veuve  depuis  une 
couple  d'années.  ^  Comme  elle  était  plus  âgée 
qu'Emmélie  de  plusieurs  années,  madame  Perrault, 
devenue  vieille  et  infirme,  s'en  remit  désormais  à  elle 
du  soin  et  de  la  direction  de  sa  nièce. 

A  dix-neuf  ans.  ]\Ille  Tavernier  fit  son  début  dans 
le  monde.  Vn  portrait  de  cette  époque  nouà  la 
monU'e  avec  de  beaux  traits,  un  air  distingué,  une 
taille  élancée,  un  teint  chaud  et  des  yeux  grands  et 
vifs.  Ses  manières  étaient  engageantes  ;  elle  avait 
Ijeaucoup  de  naturel  et  de  simplicité,  l'humeur  en- 
jouée, une  grande  franchise  et  une  amabilité  faite 
d'obligeance  et  de  cordialité.  Elle  plut  dans  le 
monde  et  s'y  fit  beaucoup  d'ami.-. 

Peu  de  temps  après  son  retour  chez  sa  tante,  elle 
fut  invitée  à  faire  un  long  séjour  auprès  de  l'une  de 
ses  cousines,  orpheline  comme  elle,  qui  avait  trouvé, 
■elle  aussi,  dans  le  cœur  compatissant  et  affectueux  de 
madame  Perrault,  une  providence  pour  ses  années 
d'enfance  et  de  jeunesse.  C'était  Mlle  Julie  Perrault, 
qui  venait  d'épouser  M.  Joseph  Leblond,  marchand 

^  Son  mari,  le  major  Maurice  Nolan.  avait  été  tué  à 
rattaque  de  Sacket's  Harbour,  pendant  la  guerre  de  1812. 
Madame  Nolan  a  été  l'une  des  coopératrices  les  plus  dévouées 
de  notre  vénérée  fondatrice  et  une  des  plus  fidèles  amies  de 
notre  communauté. 


MÈRE    GAMELIN  13 

à  Québec.  La  jeune  femme  s'ennuyait  fort  dans 
cette  ville  éloignée,  où  l'hospitalité  et  les  qualités 
aimables  d'une  société  restée  fidèle  aux  meilleures 
traditions  françaises  ne  pouvaient  la  consoler  d'être 
séparée  des  siens. 

Mme  Perrault  et  Mme  Nolan  cédèrent  aux  instan- 
ces de  l'aimable  exilée,  et  Mlle  Tavernier  s'éloigna 
une  seconde  fois  et  non  sans  regret  de  sa  bonne  tante, 
pour  remplir  ce  nouveau  devoir  de  charité. 

Elle  fut  bien  dédommagée  de  son  sacrifice  par  Ta- 
mitié  de  sa  cousine  et  l'agrément  que  peuvent  offrir 
les  plaisirs  de  la  société  à  une  jeune  fille  de  son 
âge,  d'uue  humeur  enjouée  et  d'une  âme  encore 
neuve,  lorsqu'elle  n'y  cherche  qu'un  divertissement 
honnête  et  ne  sacrifie  pas  les  droits  et  les  devoirs  de  la 
vertu  aux  entraînements  d'une  dissipation  désor- 
donnée. 

La  vie  du  monde  est  toujours  un  écueil  pour  les 
âmes  chrétiennes.  Plus  d'une  y  reçoit  des  blessures 
mortelles.  Un  plus  grand  nombre  y  voient  s'altérer 
la  fidélité  et  la  délicatesse  de  leurs  rapports  intimes 
avec  Dieu.  Mais  celles  qui  veulent  délibérément  et 
fortement  être  à  lui,  gardent  leur  cœur,  même  au 
milieu  des  plaisirs  qui  le  troublent  et  l'ébranlent  pas- 
sagèrement, et  elles  ne  lui  font  ni  longues  ni  graves 
infidélités. 


14  VIE    DE 

Saint  François  de  Sales  a  exprimé  cette  vérité  dans 
une  peinture  charmante  de  son  hitrodudion  à  la  via 
dévote,  dont  nous  ne  prétendons  pas,  du  reste,  recom- 
mander l'exactitude  au  point  de  vue  de  l'histoire 
naturelle  :  "  Comme  les  mères  perles,  dit-il,  vivent 
dans  la  mer  sans  prendre  aucune  goutte  d'eau  ma- 
rine ;  et  vers  les  îles  Chélidoines,  il  y  a  des  fontaines 
d'eau  bien  douce  au  milieu  de  la  mer  ;  et  les  piraus- 
tes  volent  dans  les  flammes  sans  brûler  leurs  ailés, 
ainsi  peut  une  âme  vigoureuse  et  constante  vivre  au 
monde,  sans  recevoir  aucune  humeur  mondaine,  trou- 
ver des  sources  d'une  douce  piété  au  milieu  des  ondes 
amères  de  ce  siècle,  et  voler  entre  les  flammes  des  con- 
voitises terrestres  sans  brûler  les  ailes  des  saints  dé- 
sirs de  la  vie  dévote."  ^ 

Mlle  Tavernier  vécut  dans  le  monde  de  cette  façon- 
là,  et  les  plaisirs  mondains,  auxquels  elle  ne  prit  ja- 
mais une  part  exagérée,  ne  semblent  pas  avoir  altéré 
ses  sentiments  de  vive  et  solide  piété. 

On  peut  en  juger  par  quelques  extraits  de  la  cor- 
respondance assidue  qu'elle  entretenait  de  Québec 
avec  son  excellente  cousine,  Mme  Nolan,  chargée  par 
sa  tante  de  surveiller  sa  conduite  et  de  régler  ses  dé- 
penses. 

Ce  ne  sont  pas  là  les  lettres  d'une  mondaine.  Elle 
prend   aux    divertissements    de  la   famille  et  de  la 

*  Introduction  à  la  vie  dévote. 


MÈKE    GAMELIX  1^ 

société  au  milieu  desquelles  elle  vit  Tintérêt  que 
toute  jeune  fille  a  coutume  d'y  prendre.  Et  si  elle 
a  parfois  à  se  justifier  de  quelque  reproche  un  peu 
sévère,  qu'elle  a  reçu  de  son  austère  cousine,  elle  le 
fait  de  manière  à  la  rassurer  pleinement  sur  les  cxtra- 
yagances  qu'une  sollicitude  omlDrageuse  lui  avait  at- 
tribuées. 

Ces  lettres,  où  elle  raconte  les  faits  très  ordinaires 
de  sa  vie  journalière,  nous  révèlent  la  simplicité  et  la 
candeur  de  son  âme.  En  nous  mettant  au  courant 
des  innocents  plaisirs  auxquels  elle  prenait  part,  elles 
nous  font  voir  en  même  temps  sa  fidélité  à  ses  habi- 
tudes pieuses  et  les  sacrifices  généreux  qu'elle  savait 
s'imposer  à  l'occasion. 

Xous  donnons  ces  extraits,  malgré  leur  peu  d"im- 
2)ortauce  réelle,  pour  faire  voir  quel  genre  de  vie  elle 
menait  alors  et  quel  était  le  fond  de  ses  sentiments. 

'•'Québec,  14  janvier  1820. — Yoilà  longtemps,  chère 
cousine,  que  je  remets  le  plaisir  de  vous  écrire.  Vous 
me  tenez  lieu  de  mère,  et  c'est  à  vous  que  je  dois 
maintenant  m'adresser.  Croyez  cependant  que  la 
soumission  que  je  vous  porte  vient  du  cœur,  et  qu'elle 
n'est  pas  seulement  l'effet  de  l'amitié  que  j'ai  pour 
vous. . . 

'•  Point  de  nouvelles  à  vous  apprendre.  M.  X. 
n'est  point  ici  ;  voilà  six  semaines  qti'il  est  parti, 
mais  il  doit  revenir  bientôt.    Je  vous  en  donnerai  des 


16  A'IE    DE 

nouvelles  dans  ma  prochaine  lettre.  On  me  marie 
partout  avec  lui.  Je  ne  sais  qui  peut  avoir  fait  cou- 
rir ces  bruits-là.  Je  voudrais  pouvoir  les  détourner, 
j'en  suis  incapable."' 

''  Québec.  18  janvier  1820. — Xous  avons  tiré  le 
gâteau  chez  l'avocat  Leblond.  M.  Perrault  a  été  roi, 
et  l'une  des  demoiselles  X.  a  été  reine.  Il  n'a  pas 
voulu  lui  faire  des  politesses,  et  il  a  laissé  la  pauvre 
demoiselle  dans  la  confusion.  Il  n"est  pas  galant, 
mon  pauvre  cousin  !  On  Ta  badiné  sur  sa  reine ...  Il 
était  fâché  de  se  trouver  dans  les  honneurs  !"'.  .  . 

"  Québec,  12  juillet  1820. — J'ai  reçu  votre  lettre 
avec  plaisir,  malgré  les  sévères  leçons  qu'elle  conte- 
nait. Je  sais  que  vous  êtes  ma  meilleure  amie,  et  la 
plus  capable  de  me  donner  des  conseils .  .  .  Cependant 
il  ne  faut  pas  croire  tout  ce  que  l'on  dit  à  mon  sujet. 
Pour  la  messe  sur  semaine,  c'est  bien  rare  que  je  l'aie 
manquée.  Quelquefois,  quand  je  passais  la  nuit  pres- 
que entière  auprès  du  bébé,  pour  faire  reposer  Julie, 
je  ne  pouvais  me  lever  assez  matin  pour  la  messe. 
L'une  des  servantes  est  bien  malade,  et  vous  pouvez 
penser  que,  n'ayant  qu'une  seule  fille,  j'avais  besoin 
d'aider.  Il  est  vrai  que  je  suis  sortie  souvent. 
Comme  j'étais  en  promenade,  tout  le  monde  m'invi- 
tait. ;Mais  à  cette  saison  les  soirées  ne  sont  pas  aussi 
fréquentes.  Cependant,  il  y  a  eu  une  grande  réunion 
chez  l'avocat  Leblond.  pour  fêter  le?  nouveaux  mariés. 
Il  y  avait  bien  cinquante  personnes.    Xous  avons  eu 


MÈEE    GAMELIX  17 

beaucoup  de  plaisir.  Plusieurs  autres  se  proposent 
de  les  fêter,  et  Julie  doit  aussi  les  inviter.  C'est  bien 
difficile  pour  moi  de  n'y  point  aller,  quand  Julie  et 
les  autres  de  la  famille  y  vont.  Cependajit,  j'ai  fait 
la  promesse  de  ne  point  danser,  et  j'espère  la  tenir 
tout  l'biver.  .  . 

■■'  L'on  me  dit  que  M.  Lartigue  sera  fait  évêque 
sous  peu  et  qu'il  résidera  probablement  à  Québec. 
Ça  me  ferait  beaucoup  plaisir,  car  M.  Dufresne  doit 
partir  pour  aller  en  cure  ;  je  prendrai  M.  Lartigue 
pour  mon  directeur,  et  vous  ne  serez  plus  en  peine  de 
moi  sous  sa  direction.'' 

"  Québec,  31  août  1820. — Je  vous  dirai  que  j'ai 
été  de  cérémonie  avec  un  monsieur  de  la  basse-ville. 
C'est  ce  monsieur  dont  Julie  vous  a  parlé.  M.  Le- 
blond  et  Julie  hti  font  beaucoup  de  politesses.  N'allez 
pas  croire,  cependant,  à  un  mariage  avec  moi,  de 
crainte  d'être  trompée  comme  l'hiver  dernier  "... 

"  Québec,  19  février  1821.^11  y  a  longtemps  que 
je  remets  le  plaisir  de  vous  écrire,  faute  d'occasion, — 
elles  sont  si  rares  en  cette  saison.  Julie  se  prépare  à 
donner  une  grande  soirée  pour  fêter  ma  naissance. 
Quand  je  pense  que  je  vais  avoir  vingt  et  un  ans, 
cela  me  démonte  de  tant  vieillir  1  Savez-vous  qu'à 
Québec  je  passe  pour  une  parfaite  cuisinière  ?  Il  n'y 
en  a  pas  de  pareille  à  moi  pour  les  pâtisseries,  surtout 
la  pâte  feuilletée.     Voyez  comme  j'ai  fait  des  pro- 


18  VIE    DE 

grès  depuis  que  je  suis  à  Québec  !  Plusieurs  grandes 
soirées  s'annoncent  pour  la  fin  du  carnaval.  On  ne 
parle  que  de  plaisir  "... 

Mlle  Tavernier  revint  vraisemblablement  auprès 
de  sa  tante  et  de  sa  cousine  durant  cette  année. 

Au  mois  d'avril  1821,  elle  eut  la  douleur  de  perdre 
cette  excellente  tante,  qui  avait  si  maternellement 
remplacé  auprès  d'elle  sa  véritable  mère.  Elle  lui 
garda  toute  sa  vie  un  pieux  et  tendre  souvenir. 

Elle  reprit  sans  doute  auprès  de  sa  cousine  la  vie 
calme,  laborieuse,  dévouée  aux  pauvres,  qu'elle  avait 
menée  chez  son  frère  avant  son  séjour  à  Québec.  Ses 
petites  dissipations  mondaines  de  naguère  ne  sem- 
blent pas  avoir  laissé  de  trace  profonde  dans  son 
cœur,  si  l'on  en  juge  par  le  passage  suivant  d'une  let- 
tre écrite  à  son  aimable  cousine  de  Québec  ;  même, 
la  pensée  de  la  vie  religieuse  et  une  première  révéla- 
tion de  sa  vocation  s'y  affirment  ouvertement. 

"  Montréal,  18  juin  1822.  —  Vous  me  parlez, 
chère  cousine,  des  messieurs  de  Québec  :  sachez  que 
je  ne  m'en  soucie  plus  du  tout.  J'ai  passé  la  jour- 
née d'hier  chez  les  Sœurs  grises,  à  l'occasion  de  la 
prise  d'habit  d'Eulalie,  ^  et  je  me  suis  très  bien 
amusée.     Toutes  les  religieuses  nou.s  ont  reçues  avec 

'  IMelle  Eulalie  Lagrave,  qui  prit  fhabit  le  17  juin  1S22 
et  fit  profession  le  23  décembre  de  l'année  suivante.  Elle  fut 
Tune  des  quatre  fondatrices  de  la  mission  de  la  Kivière 
Rouge, — Saint-Boniface.-^-où  elle  mourut  le  4  août  1859. 
(Archives  de  rHOpital-Général  de  Montréal.) 


JIÈKE    GAMELIX  19 

beaucoup  de  bonté  et  de  politesse.  Aussi  vous  dirai- 
]e  tout  bas  que  je  me  ?eus  beaucoup  de  vocation,  de- 
puis ce  temps.  J'espère  que  cela  va  continuer  et 
que  je  finirai  par  vous  surprendre  une  bonne  fois. 
Xe  parlez  de  cela  à  personne,  quoique  ce  soit  l'exacte 
vérité.  Oui,  Je  renonce  pour  jamais  à  vos  messieurs 
ainsi  qu'au  monde.  Je  me  ferai  religieuse  à  l'au- 
tomne "... 

Mais  l'automne  de  1823  n'était  pas  l'époque  fixée 
par  la  divine  Providence  pour  son  entrée  dans  cette 
terre  promise,  dont  elle  venait  d'entrevoir  les  pures 
et  saintes  joies.  Dieu  voulait  la  conduire  par  une 
voie  beaucoup  plus  longue  et  plus  détournée  à  l'œuvre 
à  laquelle  il  la  destinait.  Une  expérience  plus  com- 
plète et  plus  diverse  de  la  vie,  des  épreuves  plus  nom- 
breuses et  plus  pénibles  devaient  la  préparer  de  lon- 
g-ue  main  et  plus  parfaitement  à  la  fondation  de  sa 
■communauté. 

A  l'exemple  d'autres  saintes  fondatrices,  elle  con- 
nut d'abord  les  joies,  les  douleurs  et  les  devoirs  de  la 
vie  conjugale.  Et  dans  cet  état,  comme  dans  sa 
viduité  et  sa  vie  religieuse,  elle  ne  cessa  de  donner 
l'exemple  des  vertus  les  plus  pures.  Elle  y  puisa 
aussi,  dans  des  épreuves  particulières,  le  secret  d'une 
compassion  plus  grande  à  des  soutïrances  qu'elle  avait 
■elle-même  connues,  et  le  don  de  les  consoler  avec  plus 
■de  tendresse  et  d'efficacité. 


20  VIE    DE 

CHAPITEE  III 
1823-1828 

MABIAGE     DE     MÈRE      GAJIELIN. — MORT      DE      SES     EXFAXTS- 
ET    DE    SON     MARI. 

Mlle  Tavernier  ayait  vingt-trois  ans,  lorsqu'elle 
épousa  à  l'église  Xotre-Dame,  le  4  juin  1823,  M. 
Jean-Baptiste  Gamelin,  ^'  bourgeois  "'  de  Montréal, 
— c'est  le  titre  que  lui  donne  l'acte  de  mariage. 

Un  "  bourgeois  ",  dans  le  langage  du  temps,  c'était 
un  propriétaire  vivant  de  ses  rentes. 

M.  Gamelin  avait  alors  cinquante  ans.  Il  s'était 
déjà  fiancé  deux  fois,  sans  pouvoir  se  décider  au  ma- 
riage. La  seconde  fois,  c'est  au  pied  même  de  l'autel., 
avant  de  prononcer  le  oui  définitif,  qu'il  avait  dégagé 
sa  parole.  Fut-ce  indécision  naturelle  de  son  carac- 
tère, une  bizarrerie  d'humeur  ou  quelque  motif  secret 
qui  détermina  cette  double  reculade  ?  La  tradition 
ne  le  dit  pas.  Mais  il  est  hors  de  doute  que,  s'il 
éprouva  quelque  hésitation  à  lier  sa  vie  à  celle  de 
Mlle  Tavernier,  il  n'eut  pas  à  regretter  sa  détermina- 
tion, car  leur  mariage  leur  apporta  à  tous  deux  un 
parfait  bonheur. 

On  pourrait  s'étonner  que  Mlle  Tavernier  ait  ac- 
cordé sa  main  à  un  homme  de  cet  âge,  que  ne  distin- 
guait d'ailleurs  ni  son  éducation    ni  aucune  qualité 


Mlle  EMMELIE  TAVERXIER. 
à  l'âi^e  de  22  ans. 


MÈHE    GAMELIN  21 

personnelle  trè^  remarquable.  Elle  avait  eu,  paraît- 
il,  Toccasion  de  refuser  d'autres  partis.  11  est  à  sup- 
poser que  ces  prétendants  manquaient  de  quelqu'une 
des  qualités  essentielles  qu'elle  désirait  chez  un  mari, 
ou  que  son  cœur  ne  fût  pas  assez  vivement  touché 
pour  engager  sa  vie  à  aucun  d'entre  eux.  Peut-être 
aussi  fut-elle  incliné  à  gréer  cette  dernière  demande 
par  le  désir  de  se  faire  un  chez  soi,  une  vie  plus  libre 
et  plus  indépendante  que  celle  que  lui  permettaient 
l'austérité  et  la  surveillance  un  peu  rigoristes  de  sa 
cousine,  madame  Xolan.  ]\I.  Gamelin  était  d'ailleurs 
un  très  brave  homme  et  un  excellent  chrétien.  Mlle 
Tavernier,  en  unissant  sa  vie  à  la  sienne,  était  sûre 
de  voir  partager  par  son  époux  ses  sentiments  et  ses 
pratiques  de  piété,  et  surtout  sa  tendre  charité  et 
son  dévouement  aux  pauvres,  pour  qui  il  était  d'une 
grande  bonté. 

Elle  trouva  dans  sa  nouvelle  demeure  la  satisfac- 
tion d'un  goût  très  vif  pour  la  solitude  et  les  beau- 
tés de  la  nature.  Enfant,  sa  grande'joie  était  de  par- 
courir les  sentiers  ombreux  qui  entouraient  la  pro- 
priété de  son  père.  Chez  sa  cousine,  elle  avait  re- 
trouvé la  fraîcheur  des  grands  bois  et  le  charme  de  la 
campagne,  dans  un  vaste  jardin  planté  d'arbres,  situé 
eu  arrière  de  sa  maison,  dont  l'opulente  verdure, 
prolongée  par  les  ondulations  verdoyantes  d'autres 


22  YIE    DE 

jardins  et  cVaiitres  parcs,  allait  se  fondre  dans  le 
massif  toutïu  du  Mont-Royal. 

La  maison  de  madame  Xolan  se  voyait  encore,  il  y 
a  à  peine  quinze  ans^  sur  le  terrain  formant  le  coin 
nord-ouest  de  la  rue  Sainte-Catherine  et  de  la  rue 
Saint-Urbain,  à  l'endroit  où  s'est  élevée,  pendant 
quelques  années,  la  rotonde  en  briques  où  Ton  allait 
admirer  le  cyclorauia  de  Jérusalem  peint  irav  Philip- 
poteaux.  D'humble  apparence,  avec  ses  grosses  pierres 
à  peine  équarries  et  sa  petite  galerie  de  façade,  elle 
était,  de  ce  côté  de  la  rue  Sainte-Catherine,  une  des 
dernières  maisons  du  faubourg  Saint-Laurent.  La 
campagne  commençait  tout  près  de  là,  parsemée  d'ha- 
bitations rustiques  ou  de  villas  modestes,  qui,  n'a- 
vaient rien  de  l'élégance  et  de  la  somptuosité  des  ri- 
ches habitations  qui  ornent  aujourd'hui  les  abords 
de  la  montagne. 

M.  Gamelin  habitait,  à  l'entrée  de  la  rue  Saint- 
Antoine,  une  maison  de  bois,  basse  et  double,  qui 
porte  actuellement  le  numéro  2G.  Son  caractère 
tranché  d'ancienneté  marque  sur  l'apparence  mo- 
derne, d'ailleurs  très  modeste,  des  maisons  voisines. 
Elle  s'élevait  alors,  isolée  au  milieu  d'un  beau 
jardin,  presque  en  face  d'une  vaste  propriété  dont  un 
verger  couvrait  la  plus  grande  partie,  et  qui  s'éten- 
dait Jusqu'au  sommet  de  la  colline  traversée  aujour- 
d'hui par  la  rue  Sainte-Catherine. 


MÈRE    GAMELIX  33 

M.  Gamelin  tirait  le  plus  clair  de  ses  revenus  du 
produit  de  ce  verger,  planté  des  pommiers  qui  portent 
nos  excellentes  "  fameuses  ",  dont  le  prix  était  alors 
plus  élevé  qu'aujourd'hui  et  dont  on  faisait  une 
grande  exportation  en  Angleterre. 

La  jeune  femme  prenait  beaucoup  de  plaisir,  du- 
rant la  belle  saison,  à  se  promener  et  à  travailler  sous 
les  ombrages  de  ce  beau  domaine. 

Elle  goûta  quelques  années  d'un  ^x\v  bonheur  dans 
cette  demi-retraite  de  la  rue  Saint-Antoine,  parta- 
geant son  temps  entre  son  mari,  ses  tout  jeunes  en- 
fants, la  société  toujours  chère  de  sa  famille  et  de  ses 
.amies  d'enfance,  et  ses  bien  aimés  pauvres  qui  eurent 
vite  fait  d'aller  frapper  à  la  porte  de  sa  nouvelle  de- 
meure et  d'y  solliciter  des  largesses  que  la  charité  et 
l'aisance  de  son  mari  lui  ^permettaient  de  faire  en 
plus  grande  abondance. 

Son  bonheur  fut  pourtant  assombri  par  la  mort 
successive  de  deux  de  ses  enfants.'  qui  lui  furent  en- 
levés trois  mois  après  leur  naissance.  Son  mari  lui- 
même  succomba  à  une  longue  maladie,  le  1er  octobre 
1827,  un  peu. plus  de  quatre  ans  après  leur  mariage. 
La  jeune  femme,  qui  lui  avait  prodigué  les  soins 
du  plus  tendre  dévouement,  le  pleura  amèrement.  Il 
n'avait  eu  pour  elle  que  bontés  et  délicatesses.  L^n  an 


24  VIE    DE 

plus  tard,  elle  perdait  son  troisième  enfant,  né  quel- 
ques mois  après  la  mort  de  son  père. 

Son  bonheur  domestique  était  anéanti. 

Elle  demeurait  seule,  à  Tâge  de  vingt-huit  ans,  sé- 
parée de  ces  êtres  chers  qui  avaient  pris  tout  son 
cœur,  et  dont  la  pensée,  toute  sa  vie,  lit  couler  de  ses 
yeux  des  larmes  brûlantes.  Xous  la  verrons  plus 
tard,  sous  riiabit  religieux,  immoler,  avec  d'inexpri- 
mables angoisses,  à  la  suggestion  de  son  directeur, 
les  derniers  souvenirs  sensibles  de  ces  affections  si 
légitimes. 

Ces  pertes  douloureuses  furent  le  principe  de  sa 
vocation.  Elle  demanda  désormais  aux  œuvres  de 
charité  la  consolation  do  sa  douleur  et  l'emploi  des 
trésors  d'affection  et  de  dévouement  de  son  cœur. 

Ce  fut  son  directeur,  il.  Bréguier  Saint-Pierre,  qui 
la  dirigea  dans  cette  voie.  Il  lui  ouvrit  aussi  dans  la 
dévotion  à  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs  une  source 
de  consolation  et  de  piété,  qui  ne  fit  cpie  se  déve- 
lopper avec  les  années,  et  qui  devint  plus  tard  une 
des  principales  dévotions  de  son  institut. 

"■  Dans  cette  même  année  (1828),  écrit-elle  dans 
son  journal  de  1850,  M.  Saint-Pierre  me  fit  présent 
d'une  image  de  ISTotre-Dame  des  Sept-Douleurs.  et 
tous  les  jours  j'allais  prier  an  pied  de  cette  image.  Je 
lui  demandais    du  courage,    pour    supporter    à    son 


MERE    GAMELIX  ^0 

exemple  les  croix  et    les    sacrifices  que  le  bon  Dieu 
m'envoyait  dans  le  monde. 

'•  Le  plus  grand,  dans  ce  temps-là.  était  la  perte 
d'un  époux  et  d'un  enfant  chéris,  que  je  pleurais  tous 
les  jours.  J'avais  le  cœur  percé  d'ttn  glaive  de  dou- 
leur, et  je  ne  trouvais  d'autre  consolation  que  celle 
de  méditer  sur  les  douleurs  de  ma  Mère,  auprès  de 
cette  gravure." 


CHAPITRE  IV 
1828-1835 

VEl'VAGE  DE  ilÈRE  GAMELIX. — COMMEXCEME:XT  DE  L"ŒU- 
TKE     DE      LA     PROVIDENCE. — LA     MAISOX     DE     LA     EtTE 

SAIXT-LAUREXT  ET  CELLE  DE  LA  EUE  SAIXT-PHI- 
LIPPE.— DIFFICULTÉS     ET    ÉPREUVES  ;      SECOURS    PROTI- 

DEXTIELS. — MGR  LARTIGUE. — LES  DAMES  AUXILIAI- 
RES.— MLLE    MADELEINE    DURAND. 

M.  Gamelin  avait  légué  tous  ses  biens  à  sa  femme. 
Dans  ce  legs  universel,  il  avait  compris  un  don  singu- 
lier. 

Quelques  années  avant  son  mariage,  il  avait  pris 
sous  ses  soins  un  pauvre  idiot,  du  nom  de  Dodais. 
Dans  ses  derniers  jours,  l'avenir  de  cet  infortuné  le 
préoccupait  :  '"  Prends  soin  de  lui,  en  souvenir  de  moi 


26  YIE    DE 

et  de  mon  amour,"'  dit-il  un  jour  à  sa  jeune  femme. 
Elje  le  lui  promit  et  tint  parole. 

"  Ceux  qui  ont  vu  ce  pauvre  idiot,"'  dit  la  Chroni- 
que, "  attestent  combien  il  était  rebutant  aux  yeux  de 
la  nature.  Impuissant  à  se  rendre  le  moindre  soin,  ne 
pouvant  que  marmoter  des  sous  confus  et  inintelligi- 
bles, il  n'avait  pas  même  conscience  de  son  existence. "^ 
Madame  Gamelin  accepta  ce  legs  comme  un  présent 
de  Dieu.  Elle  logea  convenablement  le  pauvre  idiot 
dans  une  petite  maison  attenante  à  son  jardin,  et 
pour  s'assurer  que  rien  ne  manquerait  à  ses  besoins, 
elle  appela  auprès  de  lui  'sa  mère,  dont  elle  abritait 
du  même  coup  l'indigence.  N'était-ce  pas  là  comme 
l'humble  et  lointain  commencement  d'une  œuvre 
qui  devait  prendre  plus  tard  un  si  grand  développe- 
ment dans  la  communauté  qu'elle  allait  fonder  ? 
Madame  Gamelin  visitait  souvent  son  pensionnaire 
et  lui  prodiguait  les  soins  de  la  charité  la  plus 
délicate.  ^ 

Le  ciel  voulut  récompenser  un  si  touchant  dé- 
vouement. Avant  de  mourir,  Tidiot  recouvra  un  ins- 
tant assez  de  lucidité  pour  acquitter  sa  dette  de  re- 
connaissance envers  sa  bienfaitrice.  Il  lui  dit  d'une 
voix  parfaitement    intelligible  :     "  Madame,  je  vous 


'  A  la    maison  mère,  un    tableau,    peint    par  une  de  nos 
sœurs,  représente  cette  scène  touchante. 


MÈRE    GAMELIX  37 

remercie  de  toutes  vos  bontés  pour  moi.  Je  vais  mou- 
rir, je  m'en  vais  au  ciel  ;  je  prierai  pour  vous."  Puis, 
montrant  de  sa  main  débile  sa  mère  qui  était  à 
ses  côtés,  il  ajouta,  comme  pour  la  lui  recommander  : 
''  C'est  ma  mère  !  "  Il  expira  quelques  instants  plus 
tard,  âgé  de  trente  ans. 

Madame  Gamelin  ne  révéla  à  personne  ce  fait 
extraordinaire,  si  ce  n"est  à  son  confesseur,  M.  Bré- 
guier  Saint-Pierre,  et  plus  tard  à  Mgr  Prince.  Ce 
dernier  ne  le  raconta  qu'après  la  mort  de  sa  péni- 
tente. 

La  charité  de  madame  Gamelin  la  portait  particu- 
lièrement vers  les  vieillards,  surtout  les  femmes  âgées 
et  infirmes.  Dans  ses  fréquentes  visites  aux  indigents, 
elle  avait  pu  voir  souvent  ces  pauvres  vieilles  relé- 
guées dans  un  coin  de  la  maison,  oubliées,  incapa- 
bles de  se  donner  aucun  soin,  et  passant  de  longues 
journées  seules,  sans  que  l'on  songeât  même  à  leur 
porter  un  peu  de  nourriture.  Son  cœur  sensible  en 
avait  été  profondément  affligé,  et  elle  méditait  dans 
son  esprit  le  moyen  d'alléger  tant  de  souffrance.  La 
Providence  ne  tarda  pas  à  le  lui  procurer. 

Afin  de  donner  plus  largement  cours  à  son  pieux 
attrait  pour  le  service  des  pauvres,  elle  vendit  une 
partie  des  vergers  qu'elle  possédait  au  faubourg 
Saint-Antoine,   et   elle  vint  s'installer   de   nouveau 


28  VIE    DE 

chez  sa  cousine,  madame  Xolan.  Sur  Tavis  de  M. 
Saint-Pierre,  qui  lui  assura  que  c'était  bien  là  la 
volonté  de  Dieu,  elle  s'adressa  à  M.  Claude  Fay, 
prêtre  du  séminaire  et  curé  de  Xotre-Daane, — seule 
paroisse  qui  existât  alors  à  Montréal, — pour  se  pro- 
curer, dans  le  voisinage  de  sa  demeure,  un  local 
propice  à  l'accomplissement  de  son  charitable  des- 
sein. Celui-ci  s'empressa  de  mettre  à  sa  disposition  le 
rez-de-chaussée  d"uuc  petite  école  paroissiale,  dirigée 
par  les  Sœurs  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame,  et 
située  au  coin  des  rues  Saint-Laurent  et  Sainte- 
Catherine. 

Le  -1  mars  1838,  le  modeste  refuge  s'ouvrit  aux 
protégées  de  la  charitable  veuve.  Et  pour  qu'il  fût 
bien  évident  qu'il  s'agissait  d'une  œuvre  en  faveur  de 
la  vieillesse,  la  première  personne  admise  fut  une 
veuve  âgée  de  cent  deux  ans,  la  femme  Saint-Onge. 
Bientôt  une  quinzaine  d'autres  vieilles,  totttes  au 
moins  sexagénaires,  furent  admises  après  elle. 

Madame  Gamelin  les  visitait  chaque  jour  ;  elle 
voyait  à  tous  leurs  besoins,  leur  faisait  une  courte  lec- 
ture de  piété  et  apaisait  par  une  parole  douce  mais 
ferme,  souvent  par  un  simple  sourire,  les  petits  diffé- 
rends qui  s'élevaient  parfois  entre  elles. 

C'était  un  spectacle  touchant  que  celui  de  cette 
jeune  femme,  douée  de  tout  le  charme  que  la  vertu 


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JlÈltE    GA.MELIX  29 

ajoute  aux  dons  de  la  nature,  et  se  faisant,  sans  crain- 
dre les  railleries  ni  les  critiques,  la  servante  des  pau- 
vres, leur  rendant  les  services  les  plus  pénibles  et  de- 
mandant l'aumône  en.  leur  nom  pour  l'amour  de 
Jésus-Christ. 

Que  de  fois  l'on  chercha  à  la  détourner  de  ce  genre 
de  vie,  que  l'on  taxait  d'extravagant  !  Que  d'objec- 
tions l'on  opposa  aux  entreprises  de  son  zèle  !  Que 
d'épreuves  et  de  contradictions  de  tout  genre  elle  eut 
à  essuyer  !  Mais  rien  ne  réussit  à  la  détourner  de  sa 
généreuse  entreprise  ni  à  ébranler  sa  constance.  Il  ne 
faut  pas  croire  cependant  qu'elle  demeurât  toujours 
indifférente  aux  représentations  qu'on  lui  faisait,  ni 
que  son  zèle  et  sa  charité  ne  lui  imposassent  parfois 
de  pénibles  répugnances  et  de  rudes  combats  inté- 
rieurs. A  ce  moment,  elle  n'avait  pas  encore  entière- 
ment brisé  avec  le  monde.  Il  ne  lui  était  pas  plus  fa- 
cile de  l'oublier  que  de  s'en  faire  oublier.  Elle  conti- 
nuait d'entretenir  des  relations  de  société.  Son  cœur 
était  indécis  et  partagé.  Mais  quand  venait  le  mo- 
ment décisif  de  la  lutte,  une  force  irrésistible  entraî- 
nait sa  volonté.  La  grâce  triomphait,  ne  lui  permet- 
tant pas  de  sacrifier  au  monde  une  vie  que  Dieu  récla- 
mait entièrement  pour  ses  œuvres.  "  Sans  douleur, 
point  d'amour,"  dit  l'Imitation.  Ce  caractère  du  vé- 
ritable amour  de  Dieu,  elle  le  manifestait  déjà,  et  il 


30  VIE    DE 

devait  l'accompagner  toute  sa  vie.  Elle  refusa, 
vers  ce  temps-là,  une  seconde  alliance,  qui  lui  eût 
assuré,  en  même  temps  qu'une  belle  fortune,  une 
situation  enviable  dans  le  monde.  Ce  fut  le  triomphe 
décisif  de  la  grâce.  A  partir  de  ce  moment,  elle  vit 
beaucoup  plus  clairement  les  desseins  de  la  divine 
Providence  et  s'y  abandonna  sans  réserve. 

Elle  puisait  sa  force  et  son  courage  dans  la  prière  et 
surtout  dans  la  méditation  de  la  passion  de  Kotre- 
Seigneur  et  des  douleurs  de  sa  Mère,  qui  furent,  toute 
sa  vie,  ses  dévotions  favorites.  "Je  ne  comprends  pas, 
disait-elle,  que  l'on  puisse  hésiter  devant  un  sacrifice, 
après  avoir  contemplé  les  souffrances  d'un  Homme- 
Dieu,  et  les  douleurs  d'une  mère  vierge."  Chaque 
jour,  elle  faisait  le  chemin  de  la  croix  avec  ses  vieilles. 
Après  le  crucifix,  la  première  image  qui  orna  les  pau- 
vres murs  du  petit  asile  de  la  rue  Saint-Philippe  fut 
celle  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs,  que  lui  avait 
donnée  son  confesseur,  M.  Saint-Pierre. 

Mgr  Lartigue,  qui  avait  connu  madame  Gamelin 
dans  son  enfance  et  ne  l'avait  Jamais  perdue  de  vue, 
la  tenait  en  singulière  estime.  Il  visitait  souvent  son 
petit  asile,  et  prévoA'ant  sans  doute  la  destinée  que 
Dieu  lui  réservait,  il  s'intéressait  à  ses  progrès  dans 
la  vertu.  Le  caractère  de  sa  direction  se  peint  dans 
les  traits  suivants. 


MÈRE    C4AMELIX  31 

Counaissaut  la  vivacité  naturelle  de  son  amie, 
il  lui  dit  un  jour  avec  sa  rude  franchise,  en  la  tu- 
toyant, comme  il  faisait  à  peu  près  avec  tout  le 
monde  :  '"  Lorsqu'on  est,  comme  toi,  vive  et  impa- 
tiente, on  apprend  à  mettre  de  l'eau  dans  son  vin." 
La  leçon  ne  fut  pas  perdue. 

Un  autre  jour,  le  prélat,  se  rappelant  peut-être  un 
mot  analogue  de  saint  François  de  Sales  à  sainte 
Jeanne  de  Chantai,  vit  à  son  doigt  une  bague  pré- 
cieuse, à  laquelle  elle  tenait  beaucoup,  en  souvenir 
de  son  mari. 

"  Est-ce  que  tu  songes  à  te  remarier  ?  "  lui  deman- 
da-t-il  froidement. — "Ohl  non,  monseigneur,"  répon- 
dit la  jeune  femme,  quelque  peu  surprise  de  la  ques- 
tion.— "Eh  !  bien  alors,  lui  dit-il,  pourquoi  portes-tu 
ce  bijou  à  ta  main  ?  "  Sans  hésiter,  elle  ôta  la  bague 
et,  la  remettant  à  l'une  des  dames  :  '"'  Vous  la  rafle- 
rez," lui  dit-elle,   "  au  profit  des  pauvres." 

Ce  fait  peut  paraître  insignifiant  à  côté  de  certains 
actes  de  générosité  éclatante,  qui  signalent  la  vie  de 
notre  vénérée  mère;  mais  ce  sont  pourtant  de  petits 
sacrifices  qui  ont  fait  une  partie  du  mérite  des  saints, 
perles  modestes  mêlées  aux  riches  diamants  qui  étin- 
cellent  à  leur  couronne.  Ce  trait,  du  reste,  ne 
peint-il  pas  vivement  la  générosité  de  cœur  et  la 


32  VIE    DE 

promptitude  d'obéissance  de  madame  Gamelin,  qui 
reculait  rarement  devant  un  sacrifice  ? 

Cependant  l'œuvre  des  vieilles  infirmes  continuait 
à  se  développer.  Le  rez-de-chaussée  de  l'école  de  la 
rue  Saint-Laurent  était  devenu  trop  petit  pour  abri- 
ter convenablement  la  grande  famille  qui  s'y  pressait 
déjà.  Madame  Gamelin  sentait  aussi  le  besoin  d'une 
surveillance  plus  immédiate  et  plus  suivie. 

Eu  égard  à  ses  faibles  ressources,  elle  permettait 
parfois  à  quelques-unes  de  ses  vieilles  de  solliciter  des 
aumônes  au  dehors,  chez  les  dames  qu'elles  avaient 
servies  autrefois.  Ces  sorties  présentaient  des  incon- 
vénients, créaient  des  susceptibilités  ;  chacune  se  pré- 
tendait m:Utresse  des  aumônes  qu'elle  avait  recueil- 
lies, et  madame  Gamelin  était  souvent  obligée  d'in- 
tervenir pour  rétablir  la  paix. 

Afin  de  veiller  de  plus  près  au  bon  ordre  de  sa 
maison,  elle  se  résigna  à  faire  le  sacrifice  de  son  chez 
elle  et  à  s'installer  auprès  de  ses  protégées.  Dans  ce 
but,  elle  loua  deux  maisons  contiguës  sur  la  rue  Saint- 
Philippe,  près  de  la  rue  Sainte-Catherine.  Elle  ins- 
talla ses  vieilles  d'un  côté  et  réserva  l'autre  à  son 
usage  ;  une  porte  de  communication  lui  permettait 
d'intervenir  à  propos  pour  rétablir  l'ordre  et  exercer 
sa  surveillance.  Elle  aggravait  par  là  sa  tâche  et  aug- 
mentait ses  charges. 


51ÈRE    GAME  LIN  33 

Son  refuge,  qui  compta  bientôt  trente  internes, 
constituait  déjà,  pour  ses  ressources,  une  œuvre  con- 
sidérable. Elle  avait  à  pourvoir  à  toutes  les  dépen- 
ses du  loyer,  du  chauffage,  de  la  nourriture  et  du 
vêtement.  Que  de  fois,  ne  sachant  où  aller  tendre  la 
main,  le  cœur  gros  d'inquiétude,  voyant  ses  pauvres 
sur  le  point  de  manquer  de  nourriture,  elle  s'était 
demandé  si  elle  n"avait  pas  trop  présumé  de  ses  forces 
et  tenté  la  divine  Providence,  en  s'aventuraiit  dans 
une  œuvre  dont  le  lendemain  demeurait  incertain. 
Mais  Dieu,  qui  nourrit  les  oiseaux  du  ciel  et  pare  le 
lys  des  champs,  ne  l'avait  jamais  laissée  sans  secours. 

Un  jour  d'hiver,  entre  autres,  où  elle  venait  d'ache- 
ter quelques  cordons  de  bois,  il  ne  lui  restait  pas  un 
sou  pour  se  procurer  le  dîner  de  sa  maisonnée,  (|ui 
avait  mangé  le  matin  même  son  dernier  morceau  de 
pain.  En  proie  à  la  plus  vive  inquiétude,  elle  entra 
dans  l'église  Xotre-Dame  et,  se  prosternant  au  pied 
du  tabernacle,  elle  versa  des  larmes  abondantes:  '^•'Sei- 
gneur, disait-elle,  ne  savez-vous  pas  que  vos  pauvres 
n'ont  plus  rien  à  manger  ?  "  Puis  elle  se  releva  pleine 
de  courage,  sûre  que  le  Dieu  de  l'Eucharistie  avait 
entendu  sa  plainte.  Essuyant  ses  larmes,  elle  allait  se 
rendre  au  marché  pour  y  tendre  la  main,  quand  un 
vieillard  vénérable  s'approcha  d'elle  et  lui  dit  : 
"N'êtes-vous  pas  cette  dame  Gamelin  qui  s'occupe  des 


34  VIE    DE 

pauvres  ?  "*  Et  sur  sa  réponse  affirmative,  il  lui  remit 
un  billet  de  vingt-cinq  louis.  Elle  n'eut  pas  le  temps 
de  le  remercier,  il  s'était  déjà  éloigné.  ^ 

Qui  se  refuserait  à  voir  dans  ce  fait  une  interven- 
tion extraordinaire  de  Dieu  ? 

Madame  Gamelin  conçut  alors  le  projet  de  former 
une  société  de  dames  qui  l'aideraient  dans  la  visite 
des  pauvres  à  domicile  et  dans  les  quêtes  journalières 
que  nécessitait  le  soutien  de  son  asile.  Elle  jouissait 
de  la  confiance  générale.  A  ce  moment,  les  critiques 
qui  avaient  accueilli  le  commencement  de  son  œuvre 
étaient  tombées  devant  sa  persévérance  et  son  succès. 
On  sentait  qu'elle  avait  une  mission  providentielle  à 
remplir.  A  trente  ans,  elle  était  devenue  la  conseil- 
lère et  l'amie  de  tous  les  âges.  On  recourait  volontiers 
à  ses  lumières,  et  on  écoutait  sa  parole  avec  respect  et 
confiance.  Plus  tard,  au  milieu  des  sollicitudes  et 
des  occupations  d'une  \ie  très  laborieuse,  rien  ne 
prouvera  mieux  la  grande  justesse  de  son  esprit  et  de 
son  sens  éminemment  pratique,  que  la  déférence  que 
l'on  témoignera  toujours  aux  vues  et  aux  avis  qu'elle 
exprime  avec  une  modestie  parfaite,  et  qui  ne  man- 
quent jamais,  après  mûre  délibération,  de  rallier  toi;= 
les  suffrages. 


^  Ce  fait  a  été  attesté  par  plusieurs  personnes  du  monde 
et  plusieurs  de  nos  sœurs,  qui  le  tenaient  de  notre  vénérée 
fondatrice  elle-même. 


MÈRE    GAMELIX  35 

La  société  fut  bientôt  formée.  Xeuf  clames  la  com- 
posaient, ses  parentes  ou  ses  amies.  C'étaient  mes- 
dames François  Tayemier,  E.-E.  Fabre,  Maurice 
IS^olan,  Augustin  Tullock.  R.  Saint-Jean,  Paul-Joseph 
Lacroix,  Joseph  Gauvin,  Simon  Delorme  et  Julien 
Tavernier.  Grâce  à  leur  concours,  madame  Gamelin 
put  améliorer  sensiblement  le  sort  de  ses  pauvres 
infirmes. 

Le  temps  n'a  pas  détruit  cette  société  des  premières 
auxiliaires  de  notre  fondatrice.  Leur  association, 
croissant  avec  les  années,  a  traversé  plus  d'un  demi- 
siècle.  Elle  subsiste  encore,  plus  forte  et  plus  floris- 
sante que  jamais,  dans  la  personne  de  nos  Dames  de 
charité.  Puissent  ces  beaux  exemples  se  perpétuer 
de  génération  en  génération,  jusqu'au  jour  où  nos 
auxiliaires  et  nos  bienfaitrices  de  tous  les  temps  se 
réuniront  à  jamais  avec  nous  dans  le  séjour  de  l'é- 
ternelle félicité  ! 

Un  fait  touchant  nous  montre  les  attentions  déli- 
cates que  ces  dames  savaient  témoigner  à  leurs  hum- 
bles protégées,  et  la  part  de  joie  qu'elles  aimaient  à 
leur  assurer  dans  leurs  fêtes  de  famille. 

Mme  Julien  Tavernier,  belle-sœur  de  madame  Ga- 
melin. célébrait  les  noces  de  sa  fille  unique.  Après  les 
réunions  intimes  de  la  famille  et  des  amis,  voulant 
donner  un  caractère  de  charité  religieuse  au  souvenir 


36  TIE    DE 

de  ces  jours  de  bonheiar,  elle  offrit  un  banquet  aux 
pauvres  de  l'asile  en  l'honneur  des  jeunes  époux, 
l'oute  la  famille  y  fut  conviée,  et  les  nouveaux  mariés 
se  firent  un  bonheur  de  servir  de  leurs  mains  les 
hôtes  de  la  charité.  Saintes  agapes,  qui  rappelaient 
les  pieux  repas  de^  premiers  chrétiens,  où  l'indigent 
et  le  riche  mangeaient  à  la  même  table  le  pain  de  la 
charité  fraternelle  !  Pieuse  pensée,  qui  associait  la 
reconnaissance  et  la  prière  des  membres  souffrants- 
de  Jésus-Christ  aux  espérances  et  aux  promesses  d'un 
nouveau  foyer  chrétien  ! 

L'épidémie  du  choléra  causa,  en  1833  et  en  1834, 
de  terrible*  ravages,  décimant  des  familles  entières^ 
et  faisant  des  centaines  de  veuves  et  d'orphelins»  La 
ville  était  plongée  dans  la  consternation  et  dans  le 
deuil.  Les  riches  trouvaient  un  refuge  dans  les 
campagnes  ou  dans  les  villes  éloignées  ;  mais  les 
pauvres,  forcés  de  demeurer  dans  leurs  misérables 
réduits,  succombaient  en  grand  nombre.  Ce  fut  un 
beau  champ  pour  la  charité  de  madame  Gamelin,  qui 
se  multiplia  pour  leur  porter  des  secours  et  des  con- 
solations. 

Un  jour  qu'elle  venait  de  recueillir,  dans  une  pau- 
vre mansarde,  le  dernier  soupir  d'une  femme  dont  le 
mari  gisait  déjà  mort  à  ses  côtés,  im  officier  public 
entra  et  enleva  les  deux  cadavres.  Six  petits  enfants- 


M.  OIJVIKR  BERTHELET, 


MÈRE    GAMELIN  37 

entouraient  la  couche  funèbre,  d'où  venaient  de  dispa- 
raître leur  père  et  leur  mère,  et  poussaient  des  cris 
déchirants.  Madame  Gamelin  mêla  ses  larmes  à  leurs 
sanglots,  puis  elle  les  emmena  à  son  asile,  où  elle  les 
garda  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  en  âge  d'être  placés. 

On  pourrait  citer,  de  cette  époque,  cent  autres 
traits  de  sa  charité.  La  mémoire  de  nombre  de  braves 
gens  du  peuple  en  a  conservé  le  souvenir,  qui  revient 
encore  souvent  dans  leurs  conversations,  avec  un  tou- 
chant accent  de  gratitude  et  d'émotion. 

Madame  Gamelin  poursuivait  depuis  quatre  ans,  à 
l'asile  de  la  rue  Saint-Philippe,  sa  généreuse  entre- 
prise. Sa  famille  do  pauvres  s'était  accrue  ;  le  loge- 
gement  était  devenu  beaucoup  trop  petit,  et  le  loyer 
absorbait  une  partie  de  ses  minces  revenus.  Pleine 
de  confiance  dans  la  divine  Providence,  elle  priait  et 
faisait  prier  ses  vieilles,  pour  obtenir  qu'une  per- 
sonne charitable  voulût  bien  lui  donner  une  maison 
qui  répondît  mieux  aux  besoins  de  i-on  œuvre. 

Sa  foi  et  sa  confiance  étaient  trop  grandes  pour 
n'être  pas  exaucées,  et  ce  fut  Dieu  sans  doute  qui  lui 
inspira  l'heureuse  pensée  de  s'adresser  à  M.  Olivier 
Berthelet,  dont  la  charité  a  immortalisé  le  nom  dans 
les  communautés  de  cette  ville  et  notamment  dans 
celle  de  la  Providence,  dont  il  a  été  l'un  des  insignes 
bienfaiteurs. 


38  VIE    DE 

Madame  Gamelin  invita  M.  Berthelet  à  venir  visi- 
ter ses  vieilles.  Il  se  rendit  à  sa  demande,  et  l'une 
d'entre  elles  implora  son  assistance  dan^  un  naïf  et 
touchant  langage  qui  trouva  le  chemin  de  son  cœur. 
Sans  tarder,  il  fit  don  à  madame  Gamelin  d'une  mai- 
son plus  spacieuse,  située  sur  la  rue  Sainte-Catherine, 
tout  près  de  révêehé. 

A  considérer  les  choses  d'un  point  de  vue  purement 
humain,  on  pourrait  s'étonner  cjue  madame  Gamelin 
ait  pu  songer  à  agrandir  sa  maison  et  accroître  le 
nombre  de  ses  pauvres,  dans  un  moment  où  elle  dis- 
posait de  si  minces  ressources.  Mais  sa  foi  en  la  Provi- 
dence était  d'autant  plus  grande  cpie  les  moyens  hu- 
mains lui  manquaient  davantage  ;  elle  se  tenait  tou- 
jours assurée  cpie  Dieu  lui  enverrait  du  secours  à 
l'heure  propice. 

Le  vénérable  Mgr  Bourget  rappelait  ces  faits,  dans 
une  allocution  aux  dames  de  charité,  le  18  février 
1867.  ''  Cette  femme  admirable/'  disait-il,  "  avait 
le  cœur  trop  large  pour  que  ses  mains  pussent 
suffire  aux  largesses  c[ui  en  découlaient,  comme  la 
myrrhe,  dans  le  sein  des  pauvres.  Aussi  avait-elle  le 
singulier  talent  de  s'associer  des  cœurs  généreux  com- 
me le  sien,  et  ce  fut  par  cet  excellent  moye:i  cpi'avec 
peu  de  ressources  personnelles  elle  put  entreprendre 
et  faire  de  si  grandes  choses. 


MÈRE    GAMELIX  39 

"  Ainsi,  elle  avait  formé  une  association  de  per- 
sonnes charitables,  dont  chacune  s'engageait  à  payer 
une  petite  pension  pour  quelques  pauvres  infirmes. 

"  Par  ce  moyen,  le  nombre  de  ses  bonnes  vieilles 
augmenta  insensiblement,  au  point  que  sa  maison 
était  insuffisante  pour  les  contenir.  Ce  fut  alors  qu'elle 
fit  appel  au  cœur  généreux  d'"un  riche  citoyen,  qui  lui 
donna  de  bon  cœur  une  maison  plus  spacieuse  qui, 
après  avoir  été  une  maison  de  désordres,  est  devenue 
nne  salle  de  charité  et  le  berceau  d'une  nouvelle  com- 
munauté. 

"  Au  reste,  elle  faisait  si  bien  valoir  au  profit  des 
pauvres  les  ressources  que  l'on  mettait  à  sa  disposi- 
tion, que  l'on  se  plaisait  à  dire  :  "  Ça  ne  coûte  pas  de 
donner  à  madame  Gamelin,  car  avec  elle  tout  est  mis  à 
profit." 

Vers  ce  temps,  madame  Gamelin  s'assura  les  pré- 
cieux services  de  Mlle  Madeleine  Durand,  qui  avait 
déjà  donné  des  preuves  nombreuses  de  sou  intérêt  et 
de  son  dévouement  à  l'asile.  ]\Ille' Durand  ne  la  quitta 
plus  et  devint  plus  tard  une  de  ses  premières  compa- 
gnes en  religion. 


40  VIE    DE 

CHAPITEE  Y 
1835-1838 

LA  "  MAISOX  JAUJSTE  "'. — I.E  SÉilIXAIKE  CO^^FIE  À  MADAME 
GAMELIX  LA  DISTRIBUTION  d'UXE  PARTIE  DE  SES 
AUMONES.— TROUBLES  POLITIQUES  DE  1837  ET  DE 
ISûS.  —  TISITES  À  LA  PRISON.  —  GRAVE  MALADIE  DE 
MADAME    GAMELIN. — MORT   DE    MGR    LARTIGUE. 

La  '•  liaison  jaune  '"',  ainsi  désignée,  à  cause  de  sa 
couleur,  dans  les  souvenirs  de  notre  communauté,  oc- 
cupait le  coin  des  rues  Sainte-Catherine  et  Saint- 
Hubert.  C'était  une  modeste  construction  en  bois,  à 
deux  étages,  de  soixante  pieds  de  long  sur  quaraiite 
de  profondeur.  Elle  était  située  tout  près  de  la  cathé- 
drale Saint-Jacques  et  du  palais  épiscopal,  et  grâce 
à  ce  voisinage,  l'œuvre  des  vieilles  femmes  infirmes 
allait  recevoir  de  la  sollicitude  plus  assidue  de  l'évê- 
que  uce  fcrte  et  bienfaiîante  imj  ulsit  n,  à  laquelle  el  e 
devra  de  devenir  bientôt  le  berceau  de  notre  institut. 

Madame  Gamelin  y  fit  faire  immédiatement  les  ré- 
parations urgentes,  auxquelles  le  généreux  donateur 
contribua  largement.  Les  préparatifs  d'installation 
terminés,  elle  se  transporta  dans  son  nouveau  logis, 
en  compagnie  de  Mlle  Durand  et  de  vingt-quatre 
vieilles  du  refuge  de  la  rue  Saint-Philippe.  C'était 
le  3  mai  1836. 


MÈRE    GAMELIX  41 

Dès  le  lendemain,  madame  Gamelin  pria  Mgr  Lar- 
tigue  de  vouloir  bien  bénir  lui-même  sa  maison  et  sa 
petite  famille.  Le  prélat  se  rendit  avec  empresse- 
ment à  sa  demande.  Il  l'encouragea  avec  une  pater- 
nelle bonté,  la  bénit  affectueusement  et  lui  donna 
l'assurance  que  son  ceuvre  ne  périrait  pas.  Il  lui 
accorda  l'érection  du  chemin  de  la  croix,  dévotion  si 
chère  à  la  pieuse  veuve,  et  à  jDartir  de  ce  moment  il 
honora  souvent  la  maison  de  sa  visite,  de  même  que 
les  prêtres  de  son  évêché.  L'œuvre  prit  dès  lors  un  es-. 
sor  décisif,  une  importance  croissante,  avec  un  carac- 
tère tout  nouveau  de  régularité  et  de  stabilité. 

Madame  Gamelin  se  préoccupa  sans  retard  de  don- 
ner un  règlement  à  sa  petite  communauté,  fixant 
l'heure  du  travail,  des  repas,  de  la  lecture  spirituelle 
et  des  différents  exercices  de  piété.  Pour  accroître  ses 
ressources,  elle  appliqua  ses  vieilles  à  divers  travaux, 
proportionnés  à  leur  force  et  à  leur  adresse.  Les 
unes  niaient,  d'autres  cousaient  ou  découpaient  des 
bandes  d'étoffe  pour  faire  la  catalogue,  d'autres  fabri- 
quaient des  sacs  en  toile  ou  des  objets  du  même 
genre. 

Le  produit  de  ces  travaux  ne  constituait  pas  une 
bien  grosse  recette,  et  il  fallait  encore  recourir  aux 
secours  du  dehors.  Madame  Gamelin  fit  recueillir  par 
ses  vieilles  les  restes  de  table  des   hôtels  de  la  ville. 


42  VIE    DE 

Elle  invita  ses  amis  à  venir  visiter  sa  maison  ;  des 
étrangers  les  suivaient  par  sympathie  pour  l'œuvre,  et 
ces  visites  n'allaient  jamais  sans  quelque  aumône. 

Le  Séminaire  vint  aussi  à  son  aide.  Par  Tentremise 
de  M.  Saint-Pierre,  qui  ne  cessa  de  maintenir  à  ma- 
dame Gamelin  et  à  son  asile  sa  sympathie  et  son  dé- 
vouement le  plus  actif,  elle  obtint  la  distribution  des 
aumônes  que  le  Séminaire  faisait  aux  pauvres  de  cette 
partie  de  la  ville,  avec  le  privilège  d'en  garder  une 
partie  pour  sa  maison.  Ainsi  se  développait  peu  à  peu 
son  œuvre,  vérifiant  par  la  lenteur  de  ses  progrès 
cette  parole  du  E.  P.  Lacordaire  :  ''  Le  grain,  même 
en  le  supposant  de  bonne  nature,  a  besoin  d'être  re- 
tardé dans  sa  germination  et  de  dormir  tout  un  hiver 
sous  terre." 

Toujours  prête  du  reste  à  soulager  des  infortunes 
et  des  douleurs  nouvelles,  madame  Gamelin  ne  con- 
finait pas  son  dévouement  et  son  zèle  au  service  des 
pauvres  de  son  asile  et  de  son  quartier.  L'insurrection 
de  1837  lui  fournit  l'occasion  d'en  donner  la  preuve. 

La  prison  de  Montréal  regorgeait  de  détenus  poli- 
tiques, de  la  ville  et  de  la  campagne,  dont  un  grand 
nombre  appartenaient  à  de  bonnes  familles.  Beau- 
coup d'entre  eux  avaient  une  femme  et  des  enfants, 
avec  lesquels  il  leur  était  rigoureusement  défendu  de 
communiquer.     C'était   pour  tous  une   cruelle  souf- 


MÈRE    GAMELIX  43 

france,  qui  venait  aggraver  Fincertitiule  et  Tangoisse 
de  leur  situation. 

Madame  Gamelin  s'émut  de  leur  infortune  et  s'oc- 
cupa d'y  porter  secours.  A  ce  motif  de  compassion 
s'ajoutait  le  désir  de  faire  quelcjue  bien  à  leur  âme, 
en  ranimant  en  eux  les  sentiments  de  la  foi  et  de  la 
piété  chrétienne.  ^ 

Elle  sollicita  des  autorités  et  obtint  sans  peine, 
grâce  à  l'estime  et  au  prestige  dont  elle  jouissait,  un 
permis  général  pour  pénétrer  auprès  des  détenus,  cha- 
que fois  qu'elle  le  désirait,  et  pour  leur  porter  tous 
les  secours  qu'elle  jugerait  à  propos. 

Elle  profita  largement  de  l'autorisation,  et  on  la 
vit  chaque  jour,  ayant  au  bras  un  panier  rempli  de 
provisions  et  accompagnée  d'une  dame,  qui  était  le 
plus  souvent  madame  Gauvin,  franchir  le  seuil  du 
triste  édifice,  saluée  au  passage  par  les  factionnaires 
anglais  qui  lui  présentaient  les  armes. 

La  nouvelle  de  la  faveur  accordée  à  madame  Game- 
lin  se  répandit  rapidement  dans  le  pays,  et  elle  ne 
tarda  pas  à  recevoir  une  foule  de  visites  ou  de  lettres 
des  parents  et  des  amis  des  captifs,  qui  lui  confiaient 
leurs  messages  et  leurs  dons  pour  les  prisonniers.  Elle 
s'en  chargeait  avec  bonheur,  ajoutant  ainsi  un  ser- 


'  La  visite  des  prisonniers  se  fait  encore  par  les  filles  de 
madame  Gamelin.  Nos  sœurs  accompagnent  même  les 
condamnés  au  pied  de  l'échafaud. 


44  VIE    DE 

vice  et  une  douceur  de  plus  à  son  ministère  de  conso- 
lation et  d'édification,  et  conquérant  tous  les  coeurs 
par  son  affectueuse  bonté,  qui  préparait  la  con- 
version de  plus  d'une  âme.  En  ville,  on  l'avait  sur- 
nommée l'ange  des  prisonniers. 

Nous  rapporterons  une  anecdote  de  ce  ministère  de 
charité,  qui  appartient  en  même  temps  à  la  jeu- 
nesse d'une  de  nos  compagnes  en  religion,  sœiir 
Jean-Baptiste,  alors  enfant  de  dix  ans.  Son  père, 
Jacques  Longtin,  cultivateur  de  Saint-Constant, 
était  au  nombre  des  détenus. 

Le  8  novembre  1838,  elle  vint  à  Montréal  avec  sa 
mère,  pour  tenter  de  pénétrer  auprès  du  captif.  La 
permission  leur  en  fut  refusée,  et  leur  douleur  fut 
d'autant  plus  grande  que  la  loi  martiale  avait  été 
proclamée  la  veille  même,  et  que  des  rumeurs  sinis- 
tres circulaient  sur  le  sort  réservé  aux  infortunés 
détenus.  Dans  son  affliction,  la  pauvre  femme  se  ren- 
dit chez  madame  Gamelin  pour  lui  demander  conseil 
et  assistance. 

"  Celle-ci,  raconte  sœur  Jean-Baptiste,  ne  pouvant 
amener  ma  mère  à  la  prison,  à  cause  du  refus  qu'elle 
venait  d'essuyer,  eut  la  délicatesse  de  me  prendre  avec 
elle  pour  sa  visite  quotidienne.  Je  partis  donc  avec 
madame  Gamelin,  l'aidant  à  porter  ses  provisions, 
dont  une  part  était  destinée  à  mon  pauvre  père.  J'a- 


MÈKE    GAMELIX  45 

vais  le  cœur  bien  gros,  et  des  larmes  brûlantes  cou- 
laient le  long  de  mes  joue?,  en  songeant  que  j'allais 
voir  mon  père  bien  aimé,  prisonnier  dans  cet  affreux 
donjon,  lui  si  bon  et  que  nous  aimions  tant  ! 

"  Xous  traversâmes  la  cour  de  la  prison  entre  deux 
rangées  de  soldats  armés.  Le  guiclietier  ouvrit  une 
immense  porte  en  fer  et  la  referma  sur  nous.  Je  trem- 
blais de  tous  mes  membres,  mais  madame  Gamclin  me 
rassura  avec  une  bonté  toute  maternelle. 

"  Bientôt  nous  fûmes  dans  la  salle  des  détenus.  En 
l'apercevant,  les  prisonniers  allèrent  au  devant  d'elle 
comme  au  devant  d'une  mère.  Elle  les  salua  en  leur 
disant  :  "  Je  viens  voir  comment  se  portent  mes  en- 
fants aujourd'hui  !  '"  Pendant  qu'elle  leur  distribuait 
les  messages  de  leurs  familles  et  ses  provisions,  parmi 
lesquelles  il  y  avait  du  tabac  et  des  friandises,  je  pus 
voir  mon  bon  père.  Je  ne  sais  ce  que  je  lui  dis,  mes 
sanglots  m'étouffaient  ;  mais  cette  entrevue  est 
restée  pour  toujours  gravée  dans  mon  esprit."  ^ 

Durant  cette  longue  visite,  madame  Gamelin  fit  à 
ses  chers  prisonniers  une  courte  lecture  de  piété, 
■comme  elle  le  faisait  toujours  ;  elle  récita  le  chapelet 
avec  eux  et,  sur  le  point  de  partir,  leur  dit  en  sou- 
riant :  '•'  Si  vous  voulez  bien,  avant  que  je  me  retire, 


^  ;M.   Jacques   Longtin  fut   condamné  à   mort,   puis  exilé 
dans  une  colonie  pénale  d'Australie. 


46  YIE    DE 

nous  allons  faire  ensemble  notre  prière  du  soir."  Et 
tous  ces  braves  gens,  s'agenouillant  sur  les  dalles, 
mêlèrent  une  dernière  fois  dans  la  prière  leur  voix 
à  celle  de  leur  ange  consolateur/ 

Que  d'autres  scènes  touchantes  ces  murailles  n'ont- 
elles  pas  contemplées  en  ces  jours  d'infortune  !  Que 
de  larmes  amères  ont  coulé,  que  de  cœurs  se  sont 
brisés,  lorsque  les  condamnés  à  mort  recevaient  la 
dernière  visite  de  leurs  familles  et  de  leurs  amis,  don- 
naient la  dernière  étreinte  et  disaient  le  suprême 
adieu  à  leurs  compagnons,  qu'enveloppait  déjà  l'om- 
bre du  même  échafaud  !  Et  quel  rôle  bienfaisant  de 
compassion,  de  forte  et  délicate  charité  un  cœur  ai- 
mant, une  âme  croyante  comme  celle  de  madame 
Gamelin  pouvait  remplir  auprès  de  ces  grandes  dou- 
leurs ! 

Le  souvenir  de  son  dévouement  n'a  pas  été  perdu 
pour  l'histoire.  Plusieurs  ouvrages,  publiés  depuis 
cette  époque,  en  font  mention  :  "  Il  est  deux  noms 
surtout,  dit  M.  L.-O.  David,  ^  qui  méritent  une 
mention  spéciale,  et  que  les  prisonniers  de  1838  n'ont 
jamais   oubliés  :    madame  Gamelin,  qui  devint   plus 


1  Cent  douze  patriotes  subirent  leur  procès  devant  la 
Cour  martiale,  du  mois  de  novembre  1837  au  mois  d'avril 
1838;  quatre-vingt-dix-huit  furent  condamnés  à  mort;  douze 
furent  exécutés  ;  douze,  mis  hors  de  cause  ou  acquittés; 
trente,  libérés  sous  caution,  et  cinquante-huit,  exilés. 

2  Les  Patriotes  de  1837-1838,  p.  194. 


:nÈEE  ga:melix  47 

tard  fondatrice  de  la  Providence,  et  madame  Gauvin, 
mère  du  Dr  Gauvin,  qui  prit  part  aux  événements  de 
1837/' 

"Mesdames  Gamelin  et  Gauvin,  dit  M.  F.-X. 
Prieur,  ont  fait  preuve  d'une  charité  et  d'un  dé- 
vouement que  ni  le  froid,  ni  la  fatigue,  ni  les  contra- 
riétés, ni  les  embarras  n'ont  pu  ébranler.  Je  voudrais 
ici  pouvoir  les  remercier  dignement,  tant  en  mon 
nom  qu'au  nom  de  mes  compagnons  ;  mais  les  paroles 
sont  impuissantes  en  pareille  occurrence  :  Dieu  seul 
s'est  réservé  le  pouvoir  de  récompenser  de  telles  ac- 
tions." ^ 

A  ces  témoignages  nous  ajouterons  celui  d'un  au- 
tre contemporain  de  ces  tristes  événements,  très  acti- 
vement mêlé  aux  luttes  politiques  de  l'époque,  et  qui 
écrivait,  quelques  années  plus  tard,  à  un  ami  la  lettre 
suivante,  publiée  par  un  journal  du  temps.  Xous  la 
reproduisons  presque  en  entier. 

Une  femme  distinguée. 


Nous  recevons  de  M.  Jean  Giroiiard,  ex-M.  P.  P.,  une 
lettre  bien  précieuse,  que  nous  sommes  extrêmement  heu- 
reux de  reproduire.  C'est  le  récit  d'une  visite  faite  par  cet 
homme  remarquable  à  l'établissement  de  madame  Gamelin, 
"  l'ange  des  prisonniers  politiques  de  1S37-1838,"  et  la  fon- 
datrice de  la  Providence.  Mille  remerciements  à  M. 
Girouard. 


1  Notes  (Vun  condamné  politique,  p.  48. 


48  VIE    DE 


"  Il  y  avait  longtemps  que  je  désirais  aller  voir  madame 
Gamelin.  La  reconnaissance  m'en  faisait  un  devoir;  car  je 
vous  ai  souvent  entretenu  de  toutes  les  peines  que  cette 
bonne  dame  s'était  données  pour  secourir  les  pauvies  pri- 
sonniers, et  cela  dans  un  temps  où  un  pouvoir  farouche  fai- 
sait, pour  ainsi  dire,  ini  crime  de  l'humanité  et  de  la  bien- 
faisance. Dans  ces  temps  malheureux,  les  femmes  seules  se 
montrèrent  au-dessus  des  circonstances  et  soutinrent  un 
courage  que  le  sombre  despotisme  votilait  entièrement 
abattre. 

"  L'excellente  femme  dont  je  viens  de  parler  ne 
trouvait  j^lus,  dans  les  donjons  de  l'inquisition  politique,  de 
malheureux  compatriotes  à  secourir  et  à  consoler,  mais  ses 
entrailles  de  chrétienne  lui  ont  fait  découvrir  d'autres  objets 
non  moins  dignes  de  sa  sollicitude.  Jetez  donc  de  côté 
Legouvé  et  tous  les  pompeux  et  élégants  éloges  du  môme 
genre  publiés  dans  les  livres,  et  venez  avec  moi  chez  ma- 
dame Gamelin  voir  la  charité  en  action. 

"  J'avais  vu  la  charité  chrétienne  prendre  sous  sa  protec- 
tion l'infortune  dès  son  entrée  dans  le  monde;  j'avais  vu  le 
jjauvre  petit  innocent,  enfant  de  la  faiblesse,  du  crime  ou  de 
l'extrême  misère,  recueilli  dès  sa  naissance  par  les  mains  de 
la  religion  et  sauvé  d'une  fin  prématurée.  Il  me  restait  à  voir 
l'iiumanité  trouver  les  mêmes  secours  au  bout  de  sa  course. 
Mais  ici  ce  ne  sont  plus  des  soins  à  donner  à  d'innocentes 
petites  créatures,  soins  souvent  payés  par  le  doux  sourire 
de  l'enfance,  c'est  l'humanité  dans  sa  décrépitude,  dans  son 
état  le  plus  déplorable,  dans  ses  formes  les  plus  repoussantes. 

"  Bon  Dieu  !  pourquoi  ne  pas  mourir  dans  l'âge  de  la 
santé  et  de  la  force?  Faut-il  attendre  que  nous  soyons  cruel- 
lement abandonnés  par  les  sens  qui  nous  mettent  en  rapport 
avec  tout  ce  qui  nous  entoure  et  surtout  avec  nos  sembla- 
bles? Pourquoi  donc  attendre  que  nous  soyons  assaillis  par 
toutes  les  infirmités  et  les  douleurs  qu'amène  la  vétusté  de 
la  machine  coi-porelle,  et  lorsqu'il  ne  nous  reste  plus  qu'une 
espèce  de  vie  végétative  et  que  le  sentiment  de  la  souf- 
france. Eh  bien  !  c'est  lorsque,  pour  comble  d'infortune, 
ces  maux  sont  joints  à  la  misère  et  au  démlment,  que  la 
vertu  d'une  femme  est  venue  au  secours  de  tous  ces  mal- 
lieurs.  Sans  grandes  richesses,  sans  pouvoir,  sans  moyens 
apparents,  elle  est  venue  à  bout  de  mettre  son  plan  à  exé- 
cution. Encore  un  peu  de  temps  et  elle  aura  bâti,  avec  l'aide 
de  quelques  dames  charitables  de  Montréal,  et  sur  un  ter- 
rain qu'elle  a  acheté  auprès  de  l'évêché,  un  hospice  spacieux 
et  bien  approprié  â  son  objet.  Pour  le  présent,  madame 
Gamelin  se  trouve  resserrée  dans  lui   bien   ])etit  local.     Ce- 


MÈRE    GAMKLIN  49 


pendant  entrez-j',    et     vous    serez    étonné    de    l'oidie    et  de 
la  propieté  qui  y  régnent. 

"  Une  trentaine  de  vieilles,  qui  seraient  peut-être  mortes 
de  misère  ou  faute  de  soins,  ont  trouvé  là  un  refuge  contre 
la  pauvreté,  un  asile  de  paix  et  de  consolation,  oil  elles  re- 
çoivent continuellement  tous  les  secours  qu'exige  la  caducité 
jointe  à  la  cécité,  à  la  siu'dité,  à  la  paralysie  et  à  toutes  les 
autres  infirnrités  de  la  vieillesse.  Ce  sont  presque  toutes  des 
sexagénaires,  des  octogénaires;  on  y  trouve  même  des  cen- 
tenaires. 

■'  Celles  de  ces  pauvres  femmes  qui  ne  sont  pas  entière- 
n-.ent  impotentes  s'occupent  à  divers  ouvrages.  Les  unes 
filent,  les  autres  échiffent  des  morceaux  d'étofife  avec  les 
seuls  doigts  qui  leur  restent,  les  autres  coupent  et  lient  des 
lanières  pour  fabriquer  des  catalogues;  celles-ci  tricotent, 
celles-là  font  des  poches  et  autres  ouvrages  appropriés  à 
leur  capacité.'  Celles  qui  ne  peuvent  travailler  prient,  et  j'en 
vis  trois  en  adoration  dans  la  petite  chapelle  où  un  prêtre 
vient  tous  les  jours  dire  la  messe.  Au  reste,  elles  sont  toutes 
mises  proprement  et  presque  entièrement  avec  des  étoffes 
fabriquées  dans  la  maison. 

"  Madame  Gamelin  est  seule  à  la  tête  de  cette  maison,  sans 
autre  aide  qu'une  bonne  fille  qui  s'est  vouée  comme  elle 
aux  soins  de  la  vieillesse  infirme  et  pauvre.  Elles  n'ont  guère 
d'assistance  parmi  leurs  commensales,  si  ce  n'est  qu'une  jeune 
fille  aveugle,  qui  peut  laver  la  vaisselle  et  balayer. 

"  J'avoue  que  je  n'ai  pu  laisser  cet  asile  sans  un  sentiment 
d'admiration  pour  le  zèle  de  l'excellente  madame  Gamelin,  et 
pour  la  source  où  elle  a  pu  puiser  la  pensée  et  la  force  d'âme 
nécessaires  pour  accomplir  une  si  belle  œuvie.  Qu'elle  est 
donc  belle,  cette  religion  qui  inspire  d'aussi  beaux,  d'aussi 
touchants  dévouements  :  laisser  toutes  les  jouissances  du 
monde,  toutes  les  douceurs  et  les  aisances  de  la  vie  pour  se 
consacrer  exclusivement   au   soulagement  de  la  misère  ! 

"Et  quelle  misère,  bon  Dieu!  celle. de  la  décrépitude  la 
plus  extrême.  A  peine  trouve-t-on  chez  un  parent,  chez  un 
ami  assez  d'attachement  et  de  courage  pour  surmonter 
toutes  ces  répugnances  et  prodiguer  tous  ces  soins...  Oui, 
c'est  dans  ces  institutions  de  la  plus  pure  charité  qu'il  faut 
étudier  la  religion  catholique  pour  la  connaîti'e,  la  com- 
prendre, la  chérir  et  l'admirer.  La  foi,  c'est  l'amour.  Je  ne 
veux  plus  entrer  dans  de  vaines  disputes  avec  certains  beaux 
esprits  que  je  rencontre  assez  souvent;  je  les  enverrai  où  j'ai 
retrouvé  tout  ce  qu'il  fallait  pour  renouveler  chez  moi  de 
consolantes  convictions  et  ces  sentiments  qui  font  le  bon- 
heur de  l'homme. 

J.  GIROUARD. 

fi  novembre  1S41. 


50  VIE    DE 

Les  nombreuses  visites  de  madame  Gamelin  aux 
prisonniers,  jointes  aux  travaux  incessants  que  lui 
imposait  le  soutien  de  son  refuge,  avaient  épuisé  ses 
forces  physiques.  Au  cours  de  l'année  1839,  elle  tomba 
gravement  malade.  Aux  premiers  symptômes,  le  mé- 
decin reconnut  la  fièvre  typhoïde,  et  la  malade  fut 
bientôt  à  l'extrémité.  Que  de  prières  s'élevèrent  vers 
le  ciel  pour  sa  guérisoii  !  Que  de  larmes  coulèrent, 
par  la  crainte  de  perdre  une  mère  si  aimante  et  si  dé- 
vouée !  Des  veuves  désolées,  des  pauvres  inonso- 
iables  se  succédaient  sans  cesse  dans  le  petit  ora- 
toire de  l'asile,  où  il  leur  semblait  que  le  Dieu  des 
affligés  entendrait  plus  favorablement  leurs  prières 
et  leurs  gémissements.  Le  1-i  ssptembre.  elle  eut 
une  défaillance  qui  la  fit  croire  à  l'agonie.  Son 
confesseur,  M.  Saint-Pierre,  récita  les  prières  de  5 
agonisants.  Ses  plus  intimes  amies  et  quelques 
pauvres,  agenouillées  au  pied  de  son  lit,  atten- 
daient à  chaque  instant  son  dernier  soupir.  Ce  fut 
durant  cette  apparente  agonie  que  la  sainte  Vierge 
lui  apparut.  Elle  lui  montra  la  place  qui  lui  était  ré- 
servée au  ciel.  "  Mais  ma  couronne,  écrivait-elle  plus 
tard,  n'avait  presque  pas  de  diamants,  et  ma  bonne 
Mère  me  renvoya  en  me  disant  que  J'avais  à  me  cor- 
riger de  mes  impatiences...  J'ai  vu  mes  enfants, 
qui  semblaient  vouloir  m'attirer  à  eux  :  j'ai  vu  aussi 


HÈRE    GAMELIN  51 

mon  époux  au  nombre  des  bienheureux  "'  ^ .  Reve- 
nue de  cette  syncope,  et  regardant  avec  bonté  ceux 
qui  l'entouraient,  elle  leur  dit  en  souriant  :  ''  Ne 
pleurez  plus,  je  ne  mourrai  pas  maintenant."  En 
effet,  à  partir  de  ce  moment,  ses  forces  revinrent  gra- 
duellement ;  elle  fut  bientôt  guérie  et  en  état  de  re- 
prendre ses  devoirs  de  charité. 

Un  événement  douloureux  signala  le  commence- 
ment de  l'année  1840  :  la  mort  de  Mgr  Larti- 
gue,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur,  à  l'Hôtol-Dieu, 
le  19  avril,  jour  de  Pâques,  entre  les  bras  de  son  co- 
adjuteur,  Mgr  Bourget,  et  de  M.  Quiblier,  supérieur 
du  Séminaire. 

Madame  Gamelin  pleura  longtemps  ce  saint  prélat, 
son  ami  personnel  et  celui  de  sa  maison,  le  protecteur 
dévoué  de  son  œuvre  naissante,  à  laquelle  il  n'avait 
■cessé  de  porter  le  plus  actif  intérêt.  Mgr  Lartigue  ai- 
mait tendrement  les  pauvres.  ''  Tant  qu'il  fut  au  sé- 
minaire, on  le  vit  traverser  la  ville,  portant  lui-même 
la  nourriture  du  pauvre  ou  les  vêtements  dont  il  allait 
couvrir  les  membres  de  Jésus-Christ,  vendant  secrète- 
ment les  objets  dont  il  pouvait  disposer,  afin  de  satis- 
faire ce  penchant  (|u'il  goûtait  à  faire  du  Ijicn.""  - 


'  Nous  avons  le  témoignage  autographe  de  cette  vision, 
rapportée  par  mère  Gamelin  elle-même,  dans  le  journal  de 
«a  retraite  de  1848. 

-  Mélanges  Religieux.  30  avril  1841. 


53  VIE    DE 

CHAPITEE  YI 
1838-1843 

l'I.rSIEUlîS  ÉVÊQt'E.S  VISITENT  L'ASILE  DE  MADAME  GAME- 
LIX.— LA  l'REMIÈRE  MESSE  EST  DITE  DAXS  L'ORA- 
TOIRE.—TÉMOIGNAGES  DE  SYMPATHIE  DES  COMMUNAU- 
TÉS DE  LA  VILLE. — INCORPORATION  DE  L' ASILE. — MGR 
ROURGET  ET  LES   FILLES   DE  SAINT-VINCENT  DE   PAUL. 

A  la  mort  de  Mgr  Lartigue,  l'asile  de  madame  Ga- 
melin  était  en  possession  de  la  sympathie  et  de  l'ad- 
miration publiques.  Les  citoyens  les  plus  influents  de 
la  ville  l'avaient  honoré  de  leur  visite.  Mgr  de  Forhin- 
Janson,  évêque  de  Nancy,  était  venu  bénir  l'humble 
demeure  et  assurer  la  pieuse  fondatrice  que  son  œu- 
vre, commencée  dans  une  pauvreté  et  un  dénument  si 
grands,  subsisterait  toujours.  Quelques  mois  plus  tard, 
madame  Gamelin  avait  la  consolation  de  recevoir 
trois  autres  évêques,  que  lui  amenait  Mgr  Bourget. 
C'étaient  Mgr  Fenwick,  évêque  de  Boston,  Mgr  Tur- 
geon,  coadjuteur  de  Québec,  et' Mgr  Gaulin,  évêque- 
de  Kingston.  Cette  bienveillante  faveur,  témoignée 
par  l'épiscopat  à  son  œuvre  naissante,  fut  pour  elle 
rm  précieux  encouragement,  dont  elle  garda  un  sou- 
venir de  gratitude. 

Une  autre  joie  bien  vive  lui  fut  accordée  la  même 
année,  celle  de  voir  célébrer  la  sainte  messe  tous  les- 


Msr  JEAN-JACOUKS  I.ARTIOUE, 
l'rfiiiier  c'\ê(jue  de  Montréal. 


MÈKE    GA.MKLI.N  53 

jours  à  l'asile,  et  d'avoir  Iv  Saint-Sacrement  au 
tabernacle,  au  temps  des  neuvaines,  du  mois  de  ^larie 
et  dans  plusieurs  occasions  solennelles.  Cette  faveur 
fut  demandée  à  Mgr  Bourget  par  deux  infirmes,  l'une 
aveugle  et  l'autre  boiteuse,  qui.  se  jetant  à  genoux 
aux  pieds  de  l'évêque,  lui  représentèrent  qu'un  bon 
nombre  d'entre  elles  étaient  privées  à  cause  de  leurs 
infirmités  de  se  rendre  à  l'église,  même  le  dimanche. 
Le  prélat  acquiesça  avec  bonheur  à  leur  prière  et 
promit  qu'un  prêtre  de  son  évêché  irait  chaque  jour 
leur  donner  la  messe.  Madame  Gamelin  s'occupa  .sans 
plus  tarder  à  se  procurer  les  choses  nécessaires  au 
culte.  Le  petit  refuge  ne  pouvant  en  faire  les  frais, 
elle  s'adressa  aux  différentes  communautés  de  la  ville, 
pour  solliciter  leur  assistance.  Partout  elle  reçut  une 
réponse  empressée.  Les  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu, 
de  la  Congrégation  de  Notre-Dame  et  de  l'Hôpital- 
Général  lui  donnèrent  les  ornements  et  le  linge  né- 
cessaires au  saint  sacrifice.  La  messe  fut  célébrée  pour 
la  première  fois  le  13  décembre  1841,  sur  un  petit 
autel  en  bois  offert  par  les  sœurs  de  l'Hôpital-Grénéral, 
qui  se  voit  encore  aujourd'hui  dans  la  grande  salle 
des  vieilles,  à  l'asile  de  la  Providence.  En  même 
temps,  M.  Prince  fut  nommé  chapelain  de  la  maison, 
M.  Saint-Pierre  conservant  ses  fonctions  de  confes- 
seur. 


54  VIE    DE 

Madame  Gamelin  témoigna  sa  reconnaissance  au 
ciel  en  organisant  une  garde  d'honneur  de  jour  et  de 
nuit,  chaque  fois  qu'elle  eut  le  bonheur  de  garder  le 
divin  Maître  sous  son  toit.  Heureuse  destinée  de  cette 
pauvre  demeure  qui,  après  avoir  été  un  lieu  de  désor- 
dres et  de  péchés,  devenait  l'asile  de  la  prière,  de  la 
charité  et  du  recueillement,  le  tabernacle  du  Dieu 
trois  fois  saint  I 

Cette  faveur  fut  pour  la  pieuse  veuve  un  puis- 
sant encouragement  pour  ses  travaux  et  ses  entre- 
prises charitables.  Elle  ne  sortait  jamais  de  la  maison 
sans  aller  baiser  le  parquet  du  petit  oratoire  oîi  s'était, 
le  matin,  célébré  le  saint  sacrifice.  Le  ciel  se  plut  à 
récompenser  sa  foi  ardente,  et  la  faveur  extraordi- 
naire qu'elle  avait  un  Jour  obtenue  dans  l'église 
Xotre-Dame  se  renouvela  à  la  Maison  jaune. 

Un  jour  qu'elle  allait  partir  pour  le  marché  sans 
un  sou  dans  sa  bourse,  elle  alla  se  prosterner,  suivant 
son  habitude,  au  pied  du  tabernacle  ;  puis,  frappant 
légèrement  sur  la  balustrade  du  chœur,  elle  dit  à 
Xotre-Seigneur  :  ''  Jlon  Dieu,  je  pars  faire  le  marché 
de  vos  pauvres,  et  ma  bourse  est  vide  !  "  A  peine  sor- 
tie de  la  maison,  une  personne  inconnue  se  présenta 
à  elle  et  lui  dit  :  "  J'apprends  que  vous  n'avez  plus 
rien  dans  votre  bourse  ;  voici  pour  vous  aider,"  et,  lui 
remettant  vingt-cinq  schellings.  elle  se  retira  sans  lui 
dire  son  nom. 


MÈRE    GAMELIX  55 

Un  événement  important  pour  le  diocèse  eut  une 
influence  heureuse  sur  l'œuvre  de  madame  Gamelin. 
Ce  fut  la  création  du  chapitre  de  la  cathédrale,  érigé 
le  21  janvier  1841. 

Xotre  communauté  a  eu  dès  l'origine  avec  ce  cha- 
pitre des  liens  étroits,  puisque  ses  aumôniers  pen- 
dant longtemps,  et  ses  supérieurs  ecclésiastiques  jus- 
qu'aujourd'hui ont  été  pris  dans  ses  rangs.  Ces 
messieurs  n'ont  cessé  de  nous  témoigner  une  bienveil- 
lance que  nous  ne  saurions  assez  reconnaître  ;  aussi 
les  regardons-nous  comme  nos  pères  et  nos  insignes 
protecteurs. 

L'asile  trouvait  aussi  dans  le  dévouement  des 
dames  de  charité  un  précieux  secours.  La  plupart 
d'entre  elles  adoptaient  une  vieille,  pour  laquelle  elles 
payaient  douze  ou  quinze  schellings  par  mois. 

Pleine  de  reconnaissance  pour  ces  attentions  de  la 
Providence,  madame  Gamelin  se  sentit  portée  à  s'at- 
tacher d'une  façon  plus  étroite  à  l'œuvre  qui  prenait 
déjà  tout  son  cœur  et  la  plus  grande  partie  de  son 
temps.  Le  2  février  18-12,  avec  l'agrément  de  son  di- 
recteur, elle  prononçait  secrètement  le  vœu  suivant, 
qui  l'engageait  pour  toujours  à  l'œuA're  qu'elle  avait 
établie  : 

"  Je  promets  de  grand  cœur  et  avec  joie  de  vivre 
le  reste  de  ma  vie  dans   une  continence  parfaite, 


56  VIE    DE 

d'être  la  servante  des  pauvres  dans  la  mesure  de  mes 
forces,  d'exercer  sur  mes  conversations  une  vigilance 
plus  sévère^  et  de  retrancher  de  mes  habits  tout  ce  qui 
sentirait  le  luxe  et  la  parure.  Je  veux  me  donner  à 
mon  Dieu  ;  qu'il  fasse  ce  qu"Il  voudra  de  moi,  je  m'y 
soumets  avec  résignation.  Aidez-moi,  ô  ma  bonne 
Mère,  à  garder  les  promesses  que  je  vous  fais  aujour- 
d'hui." 1 

EjIilÉLIE    GaîIELIN  . 

2  février  1842. 

C'était  un  acheminement  inconscient  vers  l'engage- 
ment décisif  et  solennel  de  la  vie  religieuse,  à  la- 
quelle la  grâce  divine  l'inclinait  peu  à  peu.  Elle 
y  songeait  alors  sérieusement.  Son  directeur,  M.  le 
chanoine  Prince,  ne  semblait  pas  favoriser  cette  in- 
clination, soit  quil  ne  fût  pas  pleinement  convain- 
cu de  sa  vocation,  ou  qu'il  voulût  l'éprouver  et  s'as- 
surer de  la  solidité  de  ses  dispositions,  avant  de  l'en- 
courager dans  cette  voie.  On  rapporte  à  ce  sujet  un 
mot  d'un  de  ses  collègues  du  chapitre,  M.  le  chanoine 
Blanchet,  qui  disait  un  jour,  en  plaisantant,  à  la 
future  fondatrice  de  la  Providence  :  "  A'ous,  vous 
faire  religieuse  !  vous  n'êtes  pas  plus  faite  pour  cela 
que  moi  pour  être  évêque  !  "  Il  n'avait  manifeste- 
ment pas  le  don  prophétique,  puisqu'il  fut  lui-même, 

^  L'autographe  de  ce  vœu  est  conservé  dans  les  archives- 
de   rarchevêché  de  Montréal. 


MEKE    (iAMELIX  o7 

qiielquas  années  plus  tard,  nommé  an  nouveau  siège 
épiscopal  de  AYalla-Walla,  où  il  devait  appeler 
plus  tard,  pour  le  service  des  pauvres  et  des  malades 
de  son  diocèse,  les  filles  de  l'institut  dont  madame 
Gamelin  était  devenue  la  première  supérieure. 

Au  printemps  de  1841,  Mgr  Bourget  fit  son  pre- 
mier voyage  ad  limina.  Durant  son  absence,  l'asile  de 
madame  Gamelin  obtint  de  la  législature  lïncorpo- 
ration  civile.  La  loi,  passée  le  18  septembre  1841. 
avait  été  présentée  par  l'honorable  D.-B.  Yiger  et 
l'honorable  J.  Quesnel.  M.  Alfred  Larocque  s'était 
emploj'é  activement  à  assurer  le  succès  des  démar- 
ches et  des  mesures  préliminaires.  La  nouvelle  asso- 
ciation portait  le  nom  de  "  Corporation  de  l'Asile  des 
femmes  âgées  et  infirmes  de  Montréal." 

Elle  se  composait  des  douze  dames  suivantes  :  ma- 
dame Gamelin,  directrice  ;  Mlle  Madeleine  Durand, 
sous-directrice  ;  Mme  François  Tavernier,  née  Ca- 
dieux,  secrétaire  ;  Mme  Maurice  jSTolan,  née  Perrault, 
trésorière  ;  Mme  Paul-Joseph  Lacroix,  née  Lacroix  ; 
Mme  Augustin  Cuvillier,  née  Perrault  ;  Mme  Alex- 
andre-Maurice Delisle,  née  Cuvillier  ;  Mme  Edouard- 
Eapnond  Fabre,  née  Perrault  ;  Mme  Denis-Benja- 
min Viger,  née  Portier  ;  Mme  Julien  Perrault,  née 
Lamontagne  ;  Mme  Simon  Delorme.  née  Dufresne,  et 
Mlle  Thérèse  Berthelet. 


58  VIE    DE 

L'une  des  principales  clauses  de  ce  bill  portait  que 
''  ces  dames  et  toutes  autres  personnes  choisies  par 
elles  pour  les  assister  ou  leur  succéder,  formeront  un 
corps  politique,  ayant  plein  pouvoir  d'acquérir,  de 
posséder,  de  vendre,.  .  .  en  un  mot  de  transiger  de 
quelque  façon  légale  que  ce  soit,  pour  elles  ou  leurs 
successeurs,  toute  sorte  de  biens,  meubles  et  immeu- 
bles, aux  fins  de  créer  et  soutenir,  agrandir  et  perpé- 
tuer un  asile  pour  les  femmes  âgées  et  infirmes." 

Jusque-là,  ces  dames  s'étaient  bornées  à  aider  ma- 
dame Gamelin  dans  son  œuvre,  sans  former  entre  elles 
d'association  régulière.  Cependant  elles  Tisitaient  as- 
sidûment les  pauvres  et  les  malades  à  domicile  et  leur 
portaient  les  secours  qu'elles  pouvaient  reciteillir. 

Peu  de  temps  après  son  retour  d'Europe,  le  16  octo- 
bre 1841,  Mgr  Bourget  réunit  dans  le  petit  oratoire 
de  l'asile  les  dames  de  la  nouvelle  association,  pour 
bénir  et  encourager  leurs  travaux.  Après  quelques 
chants  pieux,  le  saint  évêque  adressa  à  la  petite  as- 
semblée une  de  ces  allocutions  pleines  de  chaleur  et 
d'émotion,  dont  il  trouvait  le  secret  dans  son  cœur 
rempli  de  charité.  Eappelant  la  belle  parole  de  saint 
Laurent  au  proconsul  romain,  il  leur  fit  voir  le  véri- 
table trésor  de  l'Eglise  dans  ces  pauvres,  ces  infirmes 
et  ces  malades  qu'elles  assistaient  et  dont  elles  se 
constituaient  les  gardiennes,  dans  ces  membres  souf- 


MÈKE    GAMELIN  51> 

frants  de  Jésus-Christ,  dont  elles  pansaient  les  plaies 
et  adoucissaient  la  misère. 

Saint  Vincent  de  Paul,  sans  doute,  parlait  sur  ce 
ton  aux  dames  de  Paris,  qu'il  avait  associées  aux 
œuvres  de  sa  charité;  et  comme  elles,  après  une  allo- 
cution vibrante  de  ]\I.  Vincent,  les  dames  de  Mont- 
réal, touchées  par  la  parole  de  leur  saint  évêque,  se 
sentaient  animées  à  poursuivre  avec  ardeur  et  cou- 
rage leur  généreuse  entreprise. 

Mgr  Bourget  du  reste,  en  cette  rencontre,  ouvrit 
à  leurs  espérances  des  horizons  nouveaux  sur  l'avenir 
de  l'humble  refuge  qu'elles  avaient  pris  sous  leur  pa- 
tronage. Dans  la  réunion  régulière  qu'il  présida,, 
après  la  cérémonie  religieuse  de  l'oratoire,  il  leur  fît 
part  de  son  projet  d'appeler  dans  sa  ville  épiscopale, 
pour  prendre  la  direction  de  l'asile,  les  Pilles  de  la 
charité  de  Saint-Vincent  de  Paul,  dont  la  supérieure 
générale  avait  agréé  sa  demande,  lors  de  son  récent 
passage  à  Paris. 

Cette  nouvelle  fut  accueillie  avec  la  plus  grande 
joie  par  les  dames  :  c'était  l'avenir  assuré  à  leur  œu- 
vre. Madame  Gamelin  partagea  la  joie  de  ses  com- 
pagnes. Une  âme  moins  désintéressée  que  la  sienne 
eût  pu  éprouver  quelque  mécontentement  ou  du 
moins  quelque  tristesse,  à  la  pensée  de  voir  passer  en 
d'autres  mains  l'œuvre  qu'elle  avait  fondée  et  dirigée- 
jusque-là   avec  tant  de  sagesse  et   de   dévouement. 


€0  VIE    DE 

Mais  comme  elle  n'avait  jamais  cherché  dans  cette 
œuvre  que  le  bien  des  pauvres  et  la  volonté  de  Dieu, 
elle  ne  pouvait  qu'approuver  et  embrasser  avec  un 
plein  contentement  la  décision  de  son  évêque,  où 
elle  voyait  à  la  fois  la  divine  volonté  et  un  gage  de 
stabilité  pour  l'avenir  de  son  œuvre. 

Les  associées,  que  l"on  désignait  dans  le  public 
sous  le  beau  nom  de  dames  de  la  Providence,  dé- 
cidèrent, séance  tenante,  sur  la  proposition  de  ma- 
dame Xolan,  de  donner  à  la  maison  qu'elles  confie- 
raient a.ux  Filles  de  la  Charité  le  nom  d'Asile  de  la 
Providence,  et  sans  retard  elles  se  mirent  en  frais  de 
préparer  la  fondation. 

Cette  assemblée  marquait  une  date  insigne  dans 
l'histoire  de  l'œuvre  ;  et  c'est  en  toute  vérité  que  les 
Mélanges  religieux,  dirigés  alors  par  M.  le  chanoine 
Prince,  pouvaient  écrire,  quelques  jours  plus  tard  : 
'•'  Tout  ceci  ne  paraîtra  d'abord  qu'un  bien  petit  évé- 
nement, dans  cette  minime  réunion  d'une  douzaine 
de  personnes,  escortées  d'une  trentaine  de  pauvres  et 
d'infirmes,  priant  ensemble  avec  un  pasteur.  On  croi- 
rait, ce  semble,  qu'il  y  a  là  tout  simplement  le  fait 
ordinaire  d'un  acte  de  dévotion.  jSTe  vous  y  trompez 
pas  :  il  y  a  plus  que  cela.  Il  y  a  là  tout  l'avenir  d'un 
grand  événement  ;  il  y  a  le  berceau  d'une  œuvre  ad- 
mirable, l'ébauche  d'un  grand  plan  ;  il  y  a  là  le  fon- 


MÈRE    GAMELIX  61 

•dément  d'im  édifice  immense.  Tout,  dans  la  religion, 
commence  ainsi  par  la  prière  et  l'humilité,  tout  ce 
qui  est  grand  et  saint  !  Voyez  à  Bethléem,  voyez  dans 
le  cénacle  !  "  ^ 

Dès  le  lendemain  de  l'assemblée,  les  dames  déci- 
daient d'acheter  un  terrain  pour  la  construction 
du  nouvel  asile  ;  et  grâce  à  la  libéralité  du  mari  de 
l'une  d'entre  elles,  M.  Paul-Joseph  Lacroix,  et  de  sa 
sœur,  Mlle  Louise  Lacroix,  qui  avancèrent  les  fonds 
nécessaires,  elles  étaient  maîtresses,  au  bout  de  quel- 
ques jours,  d'un  superbe  terrain,  planté  de  vignes  et 
d'arbres  fruitiers,  qui  mesurait  56,000  pieds  de  super- 
ficie. Il  touchait  à  la  propriété  de  l'évêché  et  s'éten- 
dait en  face  même  de  la  Maison  jaune. 

Les  dames  le  payèrent  douze  cents  louis,  à  rente 
■constituée  ;  mais  M.  et  Mlle  Lacroix  leur  firent  re- 
mise immédiatement  de  la  moitié  de  la  rente  de  six 
années,  en  leur  laissant  espérer  pour  la  suite  d'autres 
remises  considérables. 

Le  6  novembre  suivant,  Mgr  Bourget  adressait  aux 
dames  de  l'association,  réunies  en  assemblée  géné- 
rale, le  décret  suivant,  qui  leur  conférait  l'érection 
canonique  : 

"  Ignace  Bourget,  par  la  miséricorde  de  Dieu  et  la 
grâce  du  Saint-Siège  apostolique,  évêque  de  Mont- 
réal, etc.,  etc. 

^  Mélanges  religieux,  22  octobre  1841. 


62  VIE    DE 

"  Si  naguère  l'asile  appelé  Maison  de  la  Provi- 
dence, lorsqu'il  n'était  encore  que  l'œuvre  d'une 
seule  personne,  attirait  déjà  notre  attention  et  notre 
suffrage,  combien  plus,  aujourd'hui  qu'il  devient  une 
œuvre  commune  et  générale,  ne  doit-il  pas  être  pour 
nous  l'objet  de  notre  sollicitude  paternelle  et  de 
toute  notre  affection.  Aussi,  nos  très  chères  dames 
et  sœurs  en  Jésus-Christ,  c'est  avec  une  consolation 
bien  grande  que  nous  vous  adressons  ici  ce  mande- 
ment qui  doit  affermir  de  plus  en  plus  votre  courage 
et  lui  donner  en  même  temps  cette  sanction  salutaire 
que  votre  piété  vous  fait  sans  doute  désirer  bien 
ardemment. 

"  En  conséquence,  après  avoir  considéré  devant 
Dieu  le  bien  véritable  que  pourrait  produire  dans 
notre  chère  ville  de  Montréal  et  même,  par  la  suite, 
dans  tout  notre  diocèse,  la  permanence  de  l'œuvre 
chrétienne  que  notre  fidèle  sœur,  Emmélie  Gamelin, 
a  depuis  longtemps  commencée  sous  les  yeux  de  notre 
illustre  prédécesseur,  par  la  présente  nous  venons  la 
confirmer  et  la  bénir,  et  voulons  qu'elle  soit  Institu- 
tion diocésaine  et  régulière,  aux  fins  d'y  introduire 
plus  tard  le  service  admirable  des  sœurs  de  la  charité, 
filles  de  l'immortel  saint  Vincent  de  Paul. 

"  C'est  dans  cette  pensée  que  nos  regards  se  tour- 
nant d'abord  vers  les  établissements  de  charité  qui 
existent  à  Ville-Marie,  nous  y  voyons  avec  consola- 


MÈEE    GAMELIX  63 

tiou  des  hospices  nombreux,  ouverts  pour  les  malades 
et  les  infirmes,  pour  la  vieillesse  et  l'enfance  délais- 
sées ;  mais  nous  sommes  obligé  de  reconnaître  que, 
par  leur  nombre  ou  leur  objet,  ils  ne  répondent  pas 
encore  à  tous  les  genres  de  besoins,  ni  à  toutes  les 
classes  de  malheurs  et  d'infortunes,  i^ous  songeons 
donc  spécialement  aujourd'hui  à  fonder  parmi  vous 
et  par  vous  un  établissement  stable  et  pieux,  qui  soit 
un  asile  assuré  pour  toutes  les  personnes  atteintes 
d'infirmité  ou  de  souffrance,  d'ignorance  ou  de  pau- 
vreté, et  qui  attendront  de  la  religion  leur  soulage- 
ment et  leur  confort.  C'est  dans  ce  dessein,  N.  T. 
C.  S.,  et  en  nous  modelant  sur  des  institutions  sem- 
blables, formées  dans  la  ville  si  hospitalière  de  Mar- 
seille, que,  connaissant  vos  vues  et  votre  empresse- 
ment, manifestés  dans  deux  réunions  précédentes, 
nous  avons  résolu  de  vous  constituer,  ce  jour  même, 
en  société  charitable  ;  et  nous  donnons,  conformé- 
ment à  vos  désirs,  pour  base  à  votre  institut  les  arti- 
cles suivants  : 

"  lo  Une  association  dite  "  Asile  des  Dames  de- 
la  Providence  pour  les  femmes  âgées  et  infirmes  "" 
est  établie  à  Ville-Marie,  sous  les  auspices  de  la  reli- 
gion catholique  et  au  nom  de  la  charité  chrétienne. 

"  3o  Cette  association  est  composée  des  dames  et 
demoiselles  de  Montréal  qui  auront  été  agrégées  à 


64  TIE    DE 

cette  œuvre  en  vertu  d'uu  bill  sanctionné  à  cet  effet 
dans  la  dernière  session  du  parlement  provincial,  et 
aussi  conformément  au  règlement  de  l'association. 

"  3o  Le  but  de  l'association  est  de  recevoir  dans 
une  maison  spéciale,  d'y  entretenir,  instruire  et  soi- 
gner toutes  les  personnes  indigentes  qui  ne  pourront 
être  admises  dans  les  autres  établissements. 

"  4o  L'association  est  placée  sous  notre  juridiction 
immédiate  et  sera  régie  par  un  règlement  que  nous 
lui  donnerons  ;  un  de  nos  vicaires-généraux  ou  un 
des  chanoines  de  notre  cathédrale  en  prendra  la  direc- 
tion et  sera  chargé  de  la  présider  en  notre  absence. 

''  Il  y  aura  des  prêtres,  en  nombre  graduellement 
nécessaire,  qui  seront  à  la  nomination  de  M.  le  supé- 
rieur du  séminaire  de  Saint-Sulpice  à  Montréal,  et 
qui  serviront  d'aumôniers  à  l'association,  eii  même 
temps  qu'ils  prendront  part  à  toutes  les  délibérations, 
avec  le  titre  de  sous-directeurs. 

"  5o  Un  conseil  d'administration,  composé  des 
dames  et  demoiselles  sociétaires,  élues  à  cet  effet  par 
l'assemblée  générale  de  l'association,  aura  la  gestion 
de  tous  les  intérêts  de  l'œuvre  et  surveillera  l'exécu- 
tion des  règles  régissant  l'établissement  ;  ce  conseil, 
élu  pour  un  an.  aura  pour  membres  une  ou  pltt- 
sieurs    trésorières  et  huit    conseillères,  avant  toutes 


MÈKE    GAMELIX  65 

voix   délibérative,  et  la   directrice,  yoix    prépondé- 
rante. 

''  Ces  articles  constitutifs,  X.  T.  C.  S.,  vous  ayant 
été  communiqués  verbalement  dans  nos  assemblées 
précédentes  et  ayant  été  par  vous  formellement  ac- 
ceptés, dès  ce  moment  l'association  des  Dames  de  la 
Pro^àdence  pour  l'asile  des  femmes  âgées  et  infirmes 
est  par  nous  établie  et  constituée,  et  nous  lui  don- 
nons pour  premier  titulaire  Xotre-Dame  de  Pitié, 
dont  la  fête  tombe  le  vendredi  de  la  semaine  de  la 
Passion,  et  pour  second  titulaire,  sainte  Elizabeth, 
veuve,  dont  la  fête  se  célèbre  le  dix-neuf  de  novem- 
bre ;  pour  premier  patron  saint  Vincent  de  Paul, 
confesseur,  dont  la  fête  se  trouve  le  dix-neuf  juillet  ; 
enfin,  pour  seconde  patronne  sainte  Geneviève, 
vierge,  dont  la  fête  est  fixée  au  trois  janvier. 

'"  Puissiez-vous,  X.  T.  C.  S.,  sous  ces  heureux  aus- 
pices, faire  réussir  complètement  votre  nouveau  et 
sublime  ministère,  en  remplissant  avec  gloire  pour 
la  religion,  les  conditions  de  piété  qui  distinguent 
une  dame  vraiment  chrétienne  et  dévouée  par  prin- 
cipe de  charité  au  soulagement  de  l'infortune.  C'est 
dans  cette  espérance  que  nous  bénissons  de  grand 
cœur  tous  vos  efforts  pour  le  bien  et  que  nous  vous 
donnons,  par  les  présentes,  notre  bénédiction  pas- 
torale. 


Q6  VIE    DE 

"  Fait  à  Montréal,  dans  notre  Palais  épiscopal, 
sous  notre  seing,  le  sceau  de  nos  armes  et  le  contre- 
seing de  l'un  de  nos  chanoines,  pour  cette  œuvre 
notre  secrétaire,  aujourd'hui,  six  novembre  1841." 

f  Ignace,  évêque  de  Montréal. 
Pour  Monseigneur, 

J.-C.  Prixce, 

Chan.  sec. 

Deux  jours  plus  tard,  le  S  novembre,  Tévêque 
adressait  une  lettre  pastorale  au  clergé  et  aux  fidèles 
de  sa  ville  épiscopale,  pour  leur  faire  part  des  événe- 
ments que  nous  venons  de  raconter,  et  solliciter  leur 
charitable  concours  à  la  fondation  de  l'asile,  eu  fa- 
veur duquel  les  dames  allaient  bientôt  leur  demander 
leur  aumône.  "  Déjà,  leur  disait-il,  un  terrain  a  été 
acquis,  et  la  résolution  a  été  prise  de  jeter  les  fonde- 
ments d'une  maison  assez  spacieuse  pour  mettre  ces 
filles  de  la  charité  en  état  de  remplir  leur  mission. 
Nous  avons  doue  prié  les  douze  dames  qui  forment 
la  corporation  de  l'Asile  des  femmes  âgées  et  infirmes 
de  faire  circuler  une  souscription  chez  tous  les  ci- 
toyens de  cette  ville.  En  les  envoyant  vers  vous, 
]^.  T.  C.  F.,  nous  empruntons  encore  les  paroles  de 
l'Apôtre  pour  dire  à  chacun  de  vous  :  "Aidez-les,  ces 
dames  toutes  dévouées  à  une  œuvre  si  belle,  qui  tra- 


MÈRE    GAMELIX  67 

vaillent  avec  nous  pour  que  la  charité  qui  nous  est 
tant  recommandée  dan?  l'Evangile  soit  pratiquée 
<3ans  sa  perfection,  Adjuva  illas  qiiœ  meciim  laborave- 
runt  in  evangelio.  Nous  espérons  qu'elles  vous  trou- 
veront préparés,  lorsqu'elles  iront  solliciter  votre  se- 
cours, et  que  nous  n'aurons  pas  à  rougir  de  vous  les 
avoir  envoyées  en  vain." 

Les  dames,  dont  le  nombre  s'était  accru  depuis  les 
puissants  encouragements  de  leur  évêque,  se  mirent 
à  l'œuvre  incessamment.  Partageant,  pour  leur  pieux 
projet,  la  ville  en  six  sections,  elles  allèrent  de  mai- 
son en  maison  implorer  la  charité  des  citoyens.  Leur 
zèle  et  leur  peine  ne  furent  pas  stériles  :  elles  par- 
vinrent à  réaliser  la  somme  de  1,015  louis. 

Le  printemps  suivant,  une  vente  de  charité,  ou- 
verte deux  jours  durant,  les  IG  et  17  mai,  à  l'hôtel 
Easco,  rue  Saint-Paul,  donna  une  recette  de  500 
louis.  Ce  fut  le  premier  hazar  tenu  dans  notre 
ville  ;  le  premier  aussi  de  la  longue  série  des  ventes 
de  charité  annuelles  de  l'asile  de  la  Providence,  qui 
•ont  réuni  si  régulièrement,  pendant  plus  d'un  demi- 
siècle,  les  amis  de  notre  œuvre  et  de  notre  commu- 
nauté. 

Ce  hazar  eut  pour  directrices  mesdames  Gamelin, 
Gauvin,  Saint-Jean,  Fabre,  Lévesque,  Boyer,  Moreau 
«t  Lafontaine.  Ces  noms  ont  figuré,  durant  de  lon- 
gues années,  à  la  tête  de  toutes  les  œuvres  de  charité 


68  VIE    DE 

de  Montréal  ;  ils  méritent  d'illustrer  à  Jamais  les  an- 
nales de  son  histoire  religieuse. 

La.  préparation  de  ce  bazar  avait  coûté  six  mois  de 
travail  et  d'organisation.  Il  fut  sttivi,  au  cours  de- 
l'année,  de  deux  ventes  moins  importantes,  pour  écou- 
ler les  objets  qui  étaient  restés  de  ,1a  première  vente.. 
Elles  eurent  lieu  à  l'école  Saint-Jacques,  de  l'évêché,, 
où  s'imprimaient  alors  les  Mélanges  religieux.  ^ 

Mgr  Botirget  voulut  apporter  lui-même  sa  part 
de  collaboration  personnelle  à  la  quête  de  l'asile. 
"  Le  plus  pauvre  entre  vos  pauvres,  disait-il  à  ma- 
dame Gamelin,  je  n'ai  pas  un  sou  à  mettre  dans  votre 
bourse.  ]\Iais  comme  les  pauvres  ne  doivent  pas  roti- 
gir  de  leur  état,  moi  aussi  je  me  ferai  mendiant,  pour 
le  bonheur  d'apporter  ma  quote-part  à  ttne  œttvre 
que  j'ai  tant  à  cœur."'  Et  au  cours  de  l'hiver  suivant 
(1842),  accompagné  d'un  citoyen,  il  fit  la  visite  de- 
toutes  les  maisons  de  la  ville,  tendant  la  main  à  son 
tour  en  faveur  de  l'œuvre  qu'il  avait  si  hautement 
recommandée. 

A  cette  occasion,  l'honorable  Charles-Séraphin 
Rodier  exprima,  par  une  lettre  au  pieux  évêque,  les- 
sentiments  de  reconnaissance  qu'il  partageait  avec 
tous  ses  concitoyens,  ''  de  ce  que  Sa  Grandeur  avait 
bien  voulu    les  faire  participer    aux  prières  et  aux 


'  Cet  édifice,  deux  fois  détruit  par  le  feu.  est  aujourdhur 
remplacé  par  l'orphelinat   Saint- Alexis. 


3IÈRE    GAMELI]Sr  69 

bénédictions  que  cette  heureuse  maison  répanclrait 
parmi  eux." 

La  quête  du  charitable  préhit  iDroduisil  1100  louis, 
qui  vinrent  grossir  le  fonds  de  construction. 

Les  sommes  déjà  réalisées  et  l'espérance  que  l'on 
fondait  sur  les  bazars  projetés  pour  les  années  sui- 
vantes, permettaient  d'entreprendre  la  construction 
sans  retard.  On  fit  donc  choix  d'un  architecte,  qui 
fut  M.  John  Ostell,  et  d'un  entrepreneur,  M.  Au- 
gustin Laberge. 

La  surveillance  des  travaux  fut  confiée  à  un  comité 
nommé  par  les  dames,  qui  comprenait  MM.  John 
Ostell,  P.-J.  Lacroix,  Augustin  Tullock,  0.  Berthelet 
et  François  Tavernier,  tous  bienfaiteurs  de  l'œuvre. 

Le  plan  comportait  un  corps  de  logis  de  96  pieds 
de  longueur  sur  60  de  largeur,  flanqué  de  deux  ailes, 
longues  de  90  pieds  et  larges  de  30,  le  tout  compre- 
nant trois  étages  et  présentant  une  façade  de  156 
pieds. 

La  bénédiction  de  la  première  pierre  eut  lieu  le 
10  mai  1842,  avec  un  éclat  extraordinaire.  Une 
foule  nombretise,  venue  de  toutes  les  j^arties  de  la 
ville,  se  pressait  autour  de  la  cathédrale  et  du  terrain 
sur  lequel  devait  s'élever  le  nouvel  édifice.  Une 
messe  solennelle  fut  célébrée  à  la  cathédrale  par  Mgr 
Power,  récemment    nommé    à  l'évêché  de  Toronto. 


70  TIE    DE 

Les  évêques  de  Montréal,,  de  Kingston  et  de  Sidyme  ^ 
y  assistaient,  entourés  d'un  nombreux  clergé  de  la 
ville  et  de  la  campagne. 

M.  Bilaudèle,  directeur  du  grand  séminaire,  pro- 
nonça après  la  messe  le  discours  de  circonstance. 
Prenant  pour  texte  de  son  sermon  ces  paroles  de  nos 
saints  Livres  :  '"  L'œuvre  que  le  Seigneur  a  com- 
mencée, il  l'achèvera  '*,  il  s'attacha  à  démontrer  que 
l'asile  de  la  Providence  était  l'œuvre  de  Dieu,  en 
lui-même,  dans  sou  hut  et  dans  les  personnes  qui  en 
entreprenaient  l'établissement.  Il  eut  un  beau 
mouvement  d'éloquence  lorsque,  rappelant  que 
les  œuvres  de  Dieu  sont  toujours  accompagnées 
d'obstacles,  il  s'écria  :  "  Mais  il  faut  des  richesses 
pour  élever  ce  monument  :  où  sont-elles  ?  Il  faut 
des  mères  pour  soigner  ces  pauvres  :  où  sont-elles  ? 
Il  faut  des  vierges  de  la  charité,  des  Filles  de  Saint- 
Vincent  de  Paul  :  où  sont-elles  ?  " . .  .  Puis,  louant  le 
dévouement  des  dames  et  la  charité  inépuisable  de  la 
ville  :  "  0  Eeligion  catholique,  s'écria-t-il,  que  vous 
êtes  admirable  !  Béni  soyez-vous,  Seigneur,  qui  avez 
fait  revivre  au  milieu  de  cette  ville  de  Marie  les  mer- 
veilles de  charité  et  de  dévouement  des  premiers  siè- 
cles de  l'Eglise  ! .  .  .  Ovii,  c'est  l'œuvre  de  Dieu,  car 
nous    allons   élever    un  temple    au  Dieu    des    pau- 

^  Mgr  Bourget.  !Mgr  Gaulin,  et  ^Igi'  Tuigeon,  coadju- 
teur  de  Québec. 


MÈRE    GAMELIN  71 

Très.  •  C'est  là,  dans  ces  asiles,  qu'il  a  faim  ;  c'est 
là  qu'il  a  soif  ;  c'est  là  qu'il  est  malade  ;  c'est  là 
qu'il  souffre  ;  c'est  là  qu'il  est  prisonnier  ;  et  c'est 
â  ceux  qui  l'auront  soulagé  dans  ses  pauvres,  qu'il 
promet  les  éternelles  récompenses.  .  .  Bénissez-nous, 
Seigneur,  par  votre  main,  par  la  main  de  votre  Mère, 
par  la  main  de  vos  pontifes,  et  en  particulier  de  celui 
qui,  se  glorifiant  d'être  le  premier  pauvre  de  son 
•diocèse,  consacre  les  prémices  de  son  pontificat  à 
la  divine  charité."  ^ 

L'enthousiasme  de  l'auditoire  était  à  son  comble. 
On  se  rendit  en  procession  au  lieu  préparé.  Au- 
dessus  des  estrades,  dressées  pour  les  spectateurs, 
flottaient  des  drapeaux  et  des  bannières,  dominant 
les  arcs  de  triomphe.  La  foule  contemplait  avec 
-émotion,  marchant  à  la  suite  de  la  bannière  de  saint 
Vincent  de  Paul,  les  vieilles  infirmes  de  l'asile,  sui- 
vies de  madame  Gamelin  et  des  dames  de  charité. 
Après  la  bénédiction  de  la  pierre  angulaire,  qui  fut 
faite  par  Mgr  Power,  les  assistants,  à  la  suite  des 
quatre  prélats,  vinrent  suivant  l'usage  donner  le  coup 
de  truelle  sur  la  pierre  et  déposer  leur  offrande. 

Vers  le  milieu  de  juin  de  la  même  année,  le 
P.  P.  Timon.  '^    supérieure    des   lazaristes    du    Mis- 


^  Mélanges  religieux,  13  mai  1842. 

-  Le  R.  P.  John  Timon,  supérieur  des  lazaristes  du  Mis- 
souri, né  dans  cet  Etat,  premier  évêque  de  Buflfalo  le  17 
octobre   1847,  décédé  le   16  a-\Til   1867. 


73  VIE    DE 

souri,  arrivait  à  Montréal.  Il  venait  au  nom  de  son 
supérieur  général,  qui  était  aussi  celui  des  Filles  de 
la  Charité,  pour  voir  l'édifice  en  construction  et  s'en- 
tendre avec  l'évêque  sur  les  mesures  à  prendre  pour 
hâter  l'arrivée  des  sœurs  de  France.  Le  père  se 
montra  parfaitement  satisfait  de  tout  ce  qui  avait  été 
fait  et  décidé  jusque-là. 

Il  visita  la  maison  de  madame  Gamelin,  adressa  à 
la  dévouée  fondatrice  ses  félicitations  les  plus  cor- 
diales et  l'assura  qu'il  écrirait  aux  Filles  de  Saint- 
Vincent  de  Paul,  qu'elles  pouvaient  s'attendre  à  trou- 
ver au  Canada  une  autre  Mlle  Legras,  qui  s'appliquait 
à  faire  fleurir  en  ce  pays  le  véritable  esprit  d'humilité 
et  de  charité  de  leur  bienheureux  père. 

Ces  encouragements,  dans  lesquels  les  dames  vi- 
rent une  manifestation  sensible  de  la  Providence  di- 
vine, les  animèrent  à  redoubler  de  zèle  et  de  charité 
au  service  des  pauvres,  pour  attirer  sur  leurs  œuvres 
une  plus  ample  bénédiction.  Elles  résolurent  d'é- 
tendre leur  association  à  la  visite  des  pauvres  et  des 
malades  à  domicile. 

Mgr  Bourget,  qui  assistait  à  la  séance  dans  laquelle- 
elles  prirent  cette  décision,  leur  envoya  dès  le  lende- 
main, pour  les  guider  dans  leurs  visites,  un  règlement 
calqué  sur  celui  que  saint  Vincent  de  Paid  avait  ré- 
digé pour  une  société  de  dames  de  Paris,  qui  se  con- 
sacraient aux  mêmes  soins.     Une  belle  lettre,  dans 


MÈRE    GAMELIX  73 

laquelle  le  saint  évoque  avait  laissé  déborder  toute  la 
piété  et  la  charité  de  son  cœur,  accompagnait  cet 
envoi.    Nous  la  donnons  en  entier. 

Aux  Dames  de  la  charité, 

A  l'Hospice  de  la  Providence,  Montréal. 

Mesdames, 

"  Je  fus  hier  merveilleusement  consolé  et  édifié  de 
la  résolution  que  vous  prîtes  de-  vous  dévouer  tout 
entières  au  service  des  pauvres,  en  allant  les  visiter 
pour  leur  porter  tous  les  secours  dont  ils  ont  besoin. 
A^ous  vous  déterminâtes,  avec  un  dévouement  digne 
de  vos  bons  cœurs,  à  une  œuvre  si  pénible  et  si  révol- 
tante pour  la  nature  ;  et  vous  prouvâtes  par  là  que 
Montréal  a  le  bonheur  de  posséder  de  ces  âmes  géné- 
reuses et  compatissantes,  telles  qu'étaient  celles  qui, 
en  secondant  les  vues  charitables  de  saint  Vincent  de 
Paul,  l'homme  aux  grandes  œuvres  pour  le  secours  de 
riiumanité  soufïrante,  faisaient  couler  par  toute  la 
terre  des  fleuves  de  charité.  En  vous  constituant,  à 
l'exemple  de  ces  héroïnes  de  la  charité,  les  humbles 
servantes  des  pauvres,  vous  prouvez  que  vous  possédez 
les  trésors  de  la  charité  chrétienne  et  que  vous  avez 
découvert  le  secret  de  vous  procurer  un  vrai  et  solide 
bonheur,  celui  de  rendre  vos  semblables  heureux. 
En  vous  assujettissant  à  visiter  les  pauvres,  je  sens 


74  VIE    DE 

que  vous  allez  dérober  aux  soins  de  vos  ménages  un 
temps  bien  précieux  pour  vous  et  vos  familles.  Je- 
comprends  que  vous  allez  vous  priver  du  plaisir  que 
vous  pourriez  en  beaucoup  de  rencontres  vous  accor- 
der, de  visiter  plus  assidûment  les  personnes  qui  vous 
sont  unies  par  les  liens  du  sang  et  de  Famitié.  Mais  la 
pensée  que  vous  quittez  la  compagnie  de  vos  proches 
pour  vous  procurer  celle  de  Jésus-Christ,  sera  pour 
vous  une  bien  grande  récompense  qui  équivaudra 
sans  doute  à  ce  centuple  promis  par  l'Evangile  à 
ceux  qui  renoncent  à  tout  pour  suivre  ce  bon  Maître. 
La  joie  intérieure,  qui  est  la  compagne  fidèle  de  la 
charité,  vous  fera  goûter  cette  douce  onction  qui  fait 
bientôt  oublier  les  plaisirs  du  monde.  La  foi  vive, 
qui  vous  fait  entreprendre  une  œuvre  si  belle,  et  qui 
vous  enivre  continuellement  dans  l'accomplissement 
des  devoirs  sacrés  que  vous  vous  imposez  de  si  bon 
cœur,  ne  manquera  pas  de  vous  faire  voir  Jésus  souf- 
frant dans  la  personne  de  ses  amis,  de  ses  confidents, 
de  ses  frères,  c'est-à-dire,  dans  la  personne  des  pau- 
vres. 

"  Je  vous  offre  aujourd'hui  le  règlement  que  je 
vous  promis  hier  et  que  j'ai  dressé  sur  celui  que  donna 
saint  Vincent  de  Paul  aux  vertueuses  dames  qui  vou- 
lurent s'associer  aux  travaux  de  sa  charité,  pour  rem- 
plir une  œuvre  exactement  semblable  à  celle  dont 
vous  voulez  bien  vous  charger.     Je  ne  pouvais  suivre 


JIÈRE    GAMELIX  75 

un  plus  beau  modèle,  ni  puiser  à  une  meilleure  source. 
Si  j'y  ui  fait  quelques  changements  et  additions,  ce 
n'a  été  que  pour  me  prêter  aux  besoins  et  aux  circons- 
tances où  nous  nous  trouvons.  Ainsi,  mesdames,  ce 
n'est  pas  de  ma  main  que  vous  recevrez  ce  règlement, 
mais  de  celle  de  ce  grand  saint,  évidemment  suscité 
par  la  Providence  pour  présider,  non  seulement  à 
toutes  les  œuvres  de  charité  qui  se  firent  de  son 
temps,  mais  encore  à  toutes  celles  qui  se  feront  dans 
la  suite  des  siècles,  et  dans  tous  les  pa5's  du  monde. 

"  En  vous  donnant  ce  règlement,  je  crois  vous  don- 
ner l'esprit  et  le  cœur  de  ce  saint  admirable.  Il  vous 
sera  facile  d'y  puiser  ces  lumières  qui  imprimèrent  à 
toutes  ses  œuvres  le  caractère  des  œuvres  divines, 
c'est-à-dire  la  discrétion  et  la  prudence  qui  ne  peu- 
vent venir  que  d'en  haut,  et  cette  charité  universelle 
qui  le  fit  compatir  à  toutes  les  misères  humaines. 

"  Guidées  par  ce  sage  directeur  et  soutenues  de  sa 
puissante  protection,  vous  pouvez  espérer  que  le  Sei- 
gneur présidera  à  la  distribution .  de  vos  aumônes,, 
qu'il  bénira  vos  généreux  efforts  et  multipliera  les 
fonds  que  vous  amassez  pour  ses  membres  souffrants. 
Croyez,  mesdames,  que  vous  avez  pris  le  moyen  le 
plus  sûr  et  le  plus  efficace  pour  assurer  le  succès  de 
l'établissement  des  Filles  de  la  Charité  en  cette  ville, 
en  vous  chargeant  de  faire  leur  œuvre  d'avance. .  .Vos 
soins  empressés  auprès  des  pauvres  vont  être  des  voix 


7G  YIE    DE 

éloquentes  poiir  annoncer  leur  venue  en  cette  ville. 
Votre  charité  industrieuse  va  vous  ouvrir  tous  les 
cœurs  et  toutes  les  bourses,  afin  de  vous  mettre  en 
état  d'élever  rapidement  le  magnifique  monument 
que  vous  voulez  consacrer  à  la  gloire  de  notre. religion 
et  ériger  à  l'honneur  de  son  auguste  Mère,  patronne 
de  notre  ville.  En  vous  chargeant  de  cette  belle  mis- 
sion, vous  allez  faire  briller  d'un  nouvel  éclat  notre 
sainte  religion,  qui  sait  inspirer  un  pareil  dévoue- 
ment ;  vous  allez  alléger  de  beaucoup  le  fardeau  de 
vos  pasteurs,  qui  trouveront  en  vous  des  dépositaires 
zélées  et  industrieuses  de  leurs  aumônes  ;  vous  allez 
faciliter  aux  riches  l'accomplissement  fidèle  du  grand 
précepte  de  l'aumône,  qui  oblige  si  strictement  ceux 
à  qui  le  Seigneur  donne  les  biens  de  ce  monde  ;  vous 
allez  contribuer  grandement  à  la  gloire  de  votre  ville, 
sur  laquelle  vous  attirerez  les  plus  abondantes  béné- 
dictions du  ciel  ;  enfin,  vous  allez  faire  la  joie  et  la 
consolation  de  votre  évêque,  qui  trouvera  dans  les 
travaux  de  votre  charité  un  motif  bien  puissant  d'es- 
pérer son  salut  et  celui  de  son  troupeau. 

"  C'est  en  bénissant  votre  glorieuse  entreprise  que 
je  suis  de  tout  cœur, 

"  Mesdames, 
"  Votre  très  humble  et  obéissant  serviteur, 

''  f  Ig.,  Evêque  de  Montréal." 


MÈEK    GAMELIX  77 

Ces  paroles  étaient  un  précieux  encourage- 
ment pour  des  cœurs  déjà  si  bien  disposés.  La 
visite  des  pauvres  et  des  malades  fut  vite  et  intelli- 
gemment organisée.  La  société  se  partagea  en  six 
groupes,  correspondant  à  six  arrondissements  de  la 
ville  et  des  faubourgs,  avec  deux  dépôts  généraux,  en 
argent  et  en  nature,  l'un  à  l'asile  et  l'autre  au  fau- 
bourg Saint- Antoine.  Tous  les  jours,  aux  deux 
endroits,  on  servait  la  soupe  à  cinquante  ou  soixante 
pauvres.  M.  Berthelet  et  ^I.  Tidlock,  qui  prenaient 
un  vif  intérêt  au  développement  de  l'œuvre,  voulant 
encourager  les  pauvres  et  leur  enlever  toute  fausse 
Tionte,  venaient  souvent  s'asseoir  et  manger  avec  eux 
la  soupe,  qu'ils  déclaraient  excellente. 

Madame  Gamelin  avait  la  direction  générale  de 
l'œuvre.  Ses  compagnes  s'employaient  alternative- 
ment à  distribuer  aux  pauvres  les  secours  et  les  au- 
mônes, et  à  recueillir  les  offrandes  qu'elles  allaient  de- 
mander indistinctement  à  tous  les  cœurs  charitables, 
dans  les  maisons  comme  dans  les  boutiques,  profitant 
surtout  des  fêtes  et  des  banquets  de  famille,  dans 
lesquels  leur  voix  compatissante  faisait  entendre 
la  plainte  et  la  prière  du  pauvre,  au  milieu  des  joyeux 
■éclats  de  la  gaieté  et  du  luxe  des  heureux  de  la  terre. 

Plusieurs  d'entre  elles  s'imposaient  même  de  gé- 
néreux sacrifices  sur  le  superflu  de  leur  maison  et  de 


7«  VIE    DE 

leur  toilette,  pour  subvenir  à  la  nécessité  des  veuves- 
et  des  orphelins  ;  et  l'on  en  vit  plus  d'une  déposer  un 
de  ses  bijoux  dans  la  bourse  des  pauvres,  à  l'exemple 
inoubliable  de  ces  dames  de  la  cour  de  Louis  XIII^ 
qui  se  dépouillèrent  spontanément  de  leurs  joyaux 
pour  secourir  les  enfants  abandonnés  dont  saint  Vin- 
cent de  Paul  venait  de  leur  révéler  éloquemment  la 
détresse. 

Madame  Gamelin  elle-même  avait  renoncé,  à  cette 
époque,  à  tout  ce  qui  pouvait  sentir  la  vanité  ou  la 
mondanité  dans  sa  mise  et  dans  sa  tenue,  aux  orne- 
ments de  tête,  aux  bijoux,  aux  parfums,  toutes  choses 
auxquelles  elle  attachait  naguère  un  certain  prix. 

Les  travaux  et  les  occupations  nouvelles  que  lui 
créait  cette  multiplication  d'activité  charitable  ne 
l'empêchaient  pas  de  donner  à  ses  vieilles  le  même 
temps  et  les  mêmes  soins  affectueux  et  assidus  qu'au- 
paravant. Elle  s'y  appliquait  d'autant  plus  que  le 
moment  approchait  où  elle  aurait  à  se  séparer  de  ses 
chères  protégées.  Elle  se  consolait  cependant  à 
la  pensée  que  les  sœurs  de  charité  auxquelles  ses 
chères  vieilles  allaient  être  confiées,  seraient,  pour 
celles  qu'elle  aimait  tant,  de  vraies  mères,  telles 
qu'elle  l'était  elle-même,  sans  vouloir,  dans  son  humi- 
lité, en  accepter  le  nom.  Elle  continuait  de  les  servir 
à  table,  de  présider  à  leurs  exercices  de  piété,  de  leur 
prodiguer  ses  attentions  délicates  et  tendres. 


MÈRE    GAMELIN  79 

Son  âme  généreuse  trouvait  une  autre  consolation 
à  voir  son  zèle  et  son  initiative  multiplier  au  loin  les 
fruits  de  charité  que  suscitait  son  exemple  et  celui 
de  ses  associées.  Les  paroisses  de  la  campagne  et  des 
petites  villes  environnantes  ne  tardèrent  pas,  à 
l'exemple  de  Montréal,  à  organiser  à  leur  tour  des 
associations  de  dames  de  charité.  Il  s'en  forma  à 
Longueuil,  à  Terrebonne,  à  Laprairie,  à  Saint- 
Hyacinthe.  Les  femmes  les  plus  distinguées  de  ces 
différentes  localités  tinrent  à  honneur  d'en  accepter 
la  présidence,  telles,  la  baronne  de  Longueuil,  Mme 
Masson,  Mme  Dessaulles  :  touchant  exemple  de  la 
contagion  du  bien  et  de  l'émulation  chrétienne. 

Les  enfants  eux-mêmes  étaient  gagnés  par  cette  ar- 
deur de  zèle.  On  se  plaît  à  rappeler  le  fait  d'un  futur 
archevêque  de  Montréal,  le  jeune  Edouard-Charles 
Fabre,  alors  âgé  de  douze  ans  ;  sa  mère  déployait 
beaucoup  d'activité  pour  les  bazars  de  l'asile,  et  l'en- 
fant lui  apportait  avec  empressement  les  services  et 
le  dévouement  de  son  âge. 

Et  que  dire  de  ce  joli  trait  de  quatre  fillettes  de 
Montréal,  qui  organisèrent  à  elles  seules  un  bazar 
en  faveur  de  l'asile  ?  Leurs  noms  méritent  d'être 
cités  :  c'étaient  Mlles  Alida  Bourret.  Eléonore  Simp- 
son, Virginie  Eoy  et  Marie-Louise  Leprohon. 

L'aînée    d'entre  elles    avait  neuf   ans,  et  la  plus 


80  VIE    DE 

jeune,  sept.  Etant  en  vacances^  ces  charmantes  en- 
fants demandèrent  à  leurs  mères  de  leur  permettre 
d'employer  leur  temps  à  travailler  pour  leurs  pauvres. 
Il  va  sans  dire  que  les  mamans  consentirent.  Sans 
retard  elles  se  mirent  à  confectionner  des  vêtements 
de  poupées,  et  au  bout  de  trois  semaines  elles  deman- 
daient à  madame  Bourret,  mère  de  l'une  d'entre  elles, 
dont  le  mari  était  maire  de  Montréal,  de  vouloir  bien 
mettre  son  salon  à  leur  disposition,  pour  y  tenir  leur 
petit  bazar  sous  son  patronage.  Ce  fut  l'affaire  d'une 
soirée.  Inutile  de  dire  qiie  les  gentilles  vendeuses 
eurent  grand  succès,  et  que  tous  leurs  objets  furent 
enlevés.  Le  lendemain,  ces  bons  petits  cœurs,  pré- 
sentés à  leur  évéque  par  madame  la  mairesse,  remet- 
taient entre  ses  mains  une  dizaine  de  louis,  en  lui 
adressant  ces  paroles  d'une  naïveté  touchante  : 
"  Monseigneur,  nous  avons  fait  un  grand  bazar.  Nous 
vous  en  apportons  le  produit,  que  vous  donnerez,  s'il 
vous  plaît,  à  l'asile  de  la  Providence,  que  vous  faites 
bâtir  pour  les  pauvres  de  madame  Gamelin." 

Ce  trait  charmant  prouve  le  vif  intérêt  et  la  popu- 
larité que  le  zèle  du  prélat  et  de  ses  collabora- 
trices avait  su  créer  en  faveur  de  son  projet.  Il  y 
avait  donc  lieu  de  compter  sur  un  succès  assuré,  et 
tout  le  faisait  présager,  lorsque  survint  un  contre- 
temps qui  sembla  devoir  un  instant  renverser  toute 
espérance  et  compromettre  à  jamais  les  fruits  de  tant 


MÈEE    GAMELIX  81 

d'efforts  et  de  travail.  11  n'y  eut  pourtant  là  qu'un 
de  ces  éyénemeuts  providentiels  qui,  en  déconcertant 
pour  un  moment  les  plans  et  le  travail  des  hommes, 
manifestent  tout  à  cou})  un  plan  caché  de  Dieu, 
à  une  heure  qu"il  n'a  pas  révélée  d'avance  à  ceux 
mêmes  qu'il  a  employés  jusque-là  à  travailler  incons- 
ciemment à  son  dessein. 

Du  contre-temps  et  de  la  déception  que  nous  allons 
raconter  est  née  véritablement  notre  humble  commu- 
nauté. 

Si  les  filles  de  Saint- Vin  cent  de  Paul  étaient  venues 
prendre  possession  de  l'asile  qu'on  bâtissait  pour 
elles,  les  Sœnrs  de  la  charité  de  la  Providence  n'exis- 
teraient peut-être  pas  aujourd'hui.  Or  l'Esprit  de 
Dieu,  qui  gouverne  et  anime  en  tout  temps  son  Eglise, 
avait  décidé  de  susciter  à  cette  heure  même,  à  côté 
des  sœurs  de  Jeanne  Mance  et  des  filles  de  Margue- 
rite Bourgeois  et  de  Marguerite-Marie  Dufrost  de  la 
Jemmerais,  une  nouvelle  communauté  de  vierges,  ap- 
appelée  à  subvenir  à  de  nouvelles  nécessités,  à  sou- 
lager d'autres  souffrances  et  à  compléter  ainsi  l'orga- 
nisation de  la  vie  relio-icuse  dans  notre  cité. 


82  VIE    DE 

CHAPITEE  VII 
1843-1844 

VSE  LETTRE  DU  K.  P.  TIMON.  —  DÉCEPTIOX.  —  FONDATION 
d'une  nouvelle  communauté. — LES  PEEitIÈRES  POS- 
TULANTES.— LES  SEPT  CHAPELETS  DE  NOTRE-DAME  DE 
LA  COMPASSION.— PRISE  DE  POSSESSION  DE  L'ASILE.— 
BÉNÉDICTION  DE  LA  CHAPELLE. — VOYAGE  DE  MADAME 
GAMELIN  AUX  ETATS-UNIS.  —  SON  ENTRÉE  EN  RELI- 
GION. 

Au  cours  du  mois  de  février  1843,  Mgr  Bourget 
convoqua  les  dames  en  assemblée  extraordinaire  pour 
leur  faire  part  d'un  événement  inattendu,  qui  devait 
donner  à  leur  œuvre  une  direction  nouvelle  et  modi- 
fier profondément  l'existence  de  madame  Gamelin. 

Le  prélat  venait  de  recevoir  une  lettre  du  E.  P. 
Timon,  supérieur  des  Filles  de  Saint- Vincent  de 
Paul  aux  Etats-Unis,  l'informant,  au  nom  de  son 
supérieur  général,  que  la  fondation  presque  simul- 
tanée de  deux  nouvelles  maisons  de  la  communauté, 
en  Algérie  et  à  Eome,  rendait  pour  le  moment  impos- 
sible, faute  de  sujets,  l'acceptation  de  l'asile  de  Mont- 
réal. C'était  un  rude  coup  porté  aux  espérances  des 
dames,  et  une  épreuve  bien  propre  à  dérouter  et  à 
ralentir  l'activité  et  l'ardeur  de  leur  zèle. 

Il  n'y  avait  pourtant  pas  là  de  quoi  décourager  la 
constance  du  pieux  évêque  et  sa  confiance  dans  la 


.A[ERE    GAMELIX  bo 

Providence,  qui  ne  pouvait  lui  faire  défaut,  dans  une 
•entreprise  dont  les  promesses  avaient  été  si  brillantes 
■et  les  débuts  si  heureux. 

Il  lui  était  difficile  de  faire  des  ouvertures  à  une 
autre  communauté  française.  Le  choix  de  cette 
communauté,  lïncertitude  de  sa  réponse,  le  temps 
que  prendraient  les  démarches  et  les  correspondan- 
ces, constituaient  un  obstacle  sérieux,  au  moment  où 
l'enthousiasme  pour  l'œuvre  battait  son  plein,  et  où 
l'asile,  dont  la  construction  avançait  rapidement,  de- 
vait pouvoir  compter,  dès  qu'il  serait  terminé,  sur 
son  personnel  d'hospitalières. 

Toute  incertitude  et  tout  atermoiement  devenaient 
donc  un  danger  sérieux  pour  le  succès  de  l'entreprise. 

L'évêque,  après  avoir  beaucoup  réfléchi  et  prié, 
s'arrêta  à  un  parti  qui  offrait  bien  ses  risques  et  ses 
inconvénients,  mais  qui,  dans  les  circonstances, 
paraissait  être  le  plus  sage  et  le  plus  sûr.  Il  résolut 
de  fonder  une  congrégation  de  sœurs  de  charité  dio- 
césaines. 

Les  dames,  à  qui  il  fit  part  de  son  projet,  l'agré- 
èrent avec  empressement,  et  elles  se  mirent  aussitôt 
•en  frais  de  sollicitations  et  de  largesses,  pour  assurer 
aux  premières  religieuses  de  la  future  communauté 
les  objets  qui  allaient  leur  être  indispensables. 

Dans  l'intervalle,  cinq  jeunes  filles,  répondant  à 


84  VIK    DE 

l'appel  de  leur  pasteur,  vinrent  solliciter  l'honneur 
de  se  consacrer  à  N^otre-Seigneur  dans  le  service  des 
pauvres  et  des  infirmes.  C'étaient  Mlles  Marguerite- 
Thibodeau  et  Agathe  Séné,  de  Montréal,  Emmélie 
Caron,  de  la  Eivière-du-Loup,  Victoire  Laroque,  de 
Chamblv,  et  Delphine  Payement,  de  Sainte-Gene- 
viève. La  plupart  d'entre  elles  avaient  peu  d'ins- 
truction, mais  elles  appartenaient  à  ces  familles  pro- 
fondément chrétiennes,  dont  l'esprit  de  foi  et  de 
fortes  habitudes  de  piété,  contractées  dès  l'enfance, 
constituent  une  excellente  préparation  à  la  vie  reli- 
gieuse. Mlle  Durand,  attachée  depuis  son  origine  à 
l'asile,  où  elle  rendait  de  précieux  services,  joignit 
sa  demande  à  celles  de  ces  jeunes  filles.  Monseigneur 
les  ayant  agréées,  elles  furent  considérées  dès  ce  mo- 
ment comme  postulantes  et  revêtirent  un  costume- 
provisoire,  consistant  en  un  fichu  noir  et  un  petit 
bonnet  blanc. 

Le  1-4  mars  au  soir,  l'évêque  leur  fit  commencer, 
sous  la  direction  de  M.  Ginguet,  prêtre  français  de- 
meurant à  l'évêché,  les  exercices  d'une  neuvaine  qui 
devait  les  préparer  à  la  prise  d'habit,  fixée  au  25  mars,, 
fête  de  l'Annonciation.  Les  trois  derniers  jours  fu- 
rent consacrés  à  une  retraite,  dont  M.  le  chanoine 
Prince  fut  le  prédicateur.  Or.  le  soir  du  premier- 
jour,  avant  l'ouverture  de  la  neuvaine.  une  septième- 


MÈRE    GAMELIX  85 

postulante  se  présenta,  Mlle  Justine  Michon.  L'é- 
vêque  faisant  lui-même  sa  retraite  à  l'évêclié,  m;ij- 
dame  Gamelin,  au  lieu  de  lui  adresser  la  nouvelle 
venue,  prit  sur  elle  de  l'admettre  aux  exercices  de  la 
neuvaine,  en  lui  promettant  d'appuyer  sa  demande 
auprès  du  prélat,  pour  qu'elle  fût  admise  à  la  vôture 
avec  les  six  autres,  ce  que  Monseigneur  lui  accorda 
avec  bonheur. 

Une  circonstance  qui  pourrait  sembler  de  prime 
abord  insignifiante,  mais  qui  est  assez  remarquable, 
si  on  la  rapproche  d'un  fait  précédent,  marqua  l'ad- 
mission de  cette  septième  postulante.  An  cours  de 
la  neuvaine,  et  avant  que  l'on  eût  demandé  l'autorisa- 
tion de  l'évêque,  il  se  trouva  que  les  six  premiers  cos- 
tumes une  fois  taillés  dans  la  pièce  d'étoffe  que  l'on 
avait  achetée  en  vue  de  ce  nombre  de  personnes,  il 
en  resta  juste  as^«ez  pour  en  faire  un  septième.^     Or, 

^  Nos  mères  fondatrices,  conformément  au  but  de  leur 
institution,  s'étaient  inspirées,  dans  le  choix  de  leur  cos- 
tume, d'une  gravure  représentant  une  novice  des  Filles  de 
Saint-Vincent  de  Paul,  favorisée  d'une  apparition  de  la  sainte 
Vierge.  Voici  comment  elles  reproduisirent  ce  costume. 
Une  robe  de  mérinos  gris  ardoise,  avec  jupon  de  say  noir  ; 
une  collerette  de  toile  blanche  à  mi-bras;  une  garniture  de 
mousseline  blanche,  de  deux  pouces  et  demi  de  large,  plissée 
sur  une  bande  de  coton  et  pliée  au  fer  à  plis  creux  et  plats; 
on  l'ajustait  au  besoin  siu-  un  bonnet  d'indienne.  Le  domino 
était  le  même  qu'aujourd'hui;  on  y  fixait  avec  des  épingles 
deux  fanons  de  toile  blanche,  larges  de  quatre  pouces,  qui 
tombaient  en  arrière  sous  le  domino  et  sur  la  collerette 
qu'ils  dépassaient  de  quelques  pouces;  ime  ceinture  noire 
complétait  le  costume.  Pour  sortir,  l'on  adopta  le  collet  ac- 
tuel. Le  chapeau  était  gris,  plus  grand  que  celui  d'aujour- 
d'hui, et  plissé  en  arrière  il  peu  près  comme  le  domino. 


86  VIE    DE 

Tannée  précédente,  un  jour  que  Mgr  Bourget. 
après  avoir  célébré  la  sainte  messe  dans  la  cathé- 
drale de  Chartres,  en  France,  priait  avec  larmes 
pour  l'établissement  des  Filles  de  la  Charité  dans  sa 
ville  épiscopale,  une  inconnue  s'approcha  de  lui  et 
le  pria  d'accepter  ^ept  chapelets  de  Xotre-Dame 
des  Sept-Douleurs.  Or  ces  sept  chapelets  furent  don- 
nés plus  tard  par  Mgr  Bourget  aux  sept  premières 
professes  de  la  communauté;  et  parmi  ces  sept  reli- 
gieuses figurait  Mère  Gamelin  elle-même,  qui  avait 
pris,  au  cours  de  l'année,  la  place  d'une  des  sept  pos- 
tulantes, retournée  dans  sa  famille.  Dieu'  ne  sem- 
blait-il pas  vouloir  sanctionner  par  là  dune  façon 
mystérieuse  le  culte  que  la  nouvelle  communauté 
avait  voué  aux  souffrances  sacrées  de  la  Mère  de  son 
divin  Fils  ? 

La  première  vêture  eut  lieu  dans  l'humble  ora- 
toire de  la  Maison  jaune,  le  25  mars  1843.  Les  S2pt 
postulantes  reçurent  l'habit  des  mains  de  Mgr  Bour- 
get qui,  s'inspirant  du  mystère  du  jour,  leur  adressa 
avec  une  vive  émotion  les  paroles  suivantes  : 

"  Comme  l'archange  Gabriel  annonça  à  Marie  le 
mystère  de  l'Incarnation,  de  même  je  vous  annonce, 
au  nom  de  l'Eglise,  que  vous  êtes  chargées  du  soin  des 
pauvres  et  d'être  pour  eux  de  véritables  mères.  Et 
comme  l'ange  invita  Marie  à  ne   point   craindre,  je 


MÈRE    GAMELIX  87 

VOUS  dis  aussi  :  Xe  craignez  pas,  petit  troupeau  ; 
vous  aurez  des  croix,  vous  devez  vous  y  attendre  ; 
mais  la  grâce  ne  vous  fera  pas  défaut.  Comme  vous 
n'avez  pas  encore  de  maîtresse,  je  vous  remets  aux 
soins  de  la  sainte  Vierge.  Elle  voudra  bien,  je  l'es- 
père, vous  servir  elle-même  de  maîtresse.  Dans  vos 
peines,  dans  vos  chagrins,  dans  vos  inquiétudes,  allez 
à  cette  bonne  Mère  ;  je  ne  crains  pas  de  vous  laisser 
seules  avec  cette  auguste  Maîtresse." 

Le  lendemain,  il  leur  donnait  leur  règlement  quo- 
tidien et  leur  annonçait  que  M.  le  chanoine  Prince 
était  chargé  de  leur  direction  spirituelle  et  de  leur 
formation  religieuse.  Dès  ce  moment,  M.  Prince 
présida  à  tous  les  exercices  ;  il  assigna  à  chacune 
d'elles  son  office  et  leur  traça  leur  ligne  de  conduite 
dans  les  moindres  détails.  Sa  direction  était  aus- 
tère. Il  ne  leur  épargnait  ni  les  pénitences  ni  les 
épreuves.  En  dehors  de  sa  direction,  elles  devaient 
obéir  en  tout  à  madame  Gamelin  comme  à  leur  supé- 
rieure. Celle-ci  d'ailleurs  était-  sur  le  point  de  s'i- 
dentifier plus  que  jamais  à  son  œuvre,  en  venant  elle- 
même,  en  qualité  de  novice,  partager  la  vie  de  ses  jeu- 
nes compagnes. 

La  cérémonie  de  la  vêture  avait  produit  sur  elle 
une  profonde  impression.  Ses  aspirations  à  la  vie 
religieuse  et  les  désirs  qui  travaillaient  son  âme 
depuis  quelque  temps  prirent  une  nouvelle  force,  à 


88  VIE    DE 

la  vue  de  ces  Jeunes  filles,  accourues  au  premier  appel 
pour  se  consacrer  au  service  des  pauvres,  dans  cette 
maison  qu'elle  avait  ouverte,  et  qui  avait  déjà  reçu  la 
l^lus  grande  part  de  son  cœur  et  de  sa  vie.  Il  lui 
semblait  que  -sa  place  était  marquée  la  première 
aux  rangs  de  ces  filles  dévouées  qui  allaient  con- 
sacrer leurs  forces  et  leur  existence  entière  à  l'avenir 
de  sa  fondation,  et  la  fécondité  et  la  valeur  de 
leur  vie  à  la  pratique  des  vœux  de  religion. 
Elle  voyait  aussi  là  le  meilleur  moyen  de  demeurer 
étroitement  attachée  à  ses  vieilles  infirmes  et  d'assu- 
rer à  la  nouvelle  communauté,  par  l'autorité  de  son 
âge  et  de  son  expérience  et  l'avantage  de  ses  relations, 
un  secours  précieux  pour  des  débuts  qui  seraient 
inévitablement  difficiles  et  pénibles,  dans  la  pénurie 
où  ils  allaient  s'accomplir. 

La  grâce  inclinait  son  âme  vers  une  résolution 
conforme  à  ces  vues  et  à  ces  réflexions.  Mais,  d'autre 
part,  que  de  répugnances  et  d'objections  ne  trouvait- 
elle  pas  en  elle-même,  pour  l'exécution  d'un  pareil 
dessein  ! 

A  son  âge,  avec  l'indépendance  de  son  caractère 
et  la  liberté  relative  de  vie  et  de  relations  qu'elle 
conservait  encore,  et  qu'elle  pouvait  accroître  à 
l'avenir,  une  fois  déchargée  sur  la  nouvelle  com- 
munauté d'une  partie  des  soins  et  des  responsabilités 


MÈRE    GAMELIX  S9 

de  l'heure  présente,  entrer  en  religion,  se  soumettre 
aux  épreuves  d'im  noyieiat,  à  l'assujettissement  per- 
pétuel d'une  règie^  à  la  direction  de  supérieures 
beaucoup  plus  jeunes  qu'elle  ;  se  condamner  à  par- 
tager toutes  les  privations  et  toutes  les  épreuves  de 
ses  nouvelles  sœurs,  sans  la  perspective  de  pouvoir 
s'y  soustraire  jamais,  en  se  faisant  iine  existence 
plus  libre  et  plus  aisée  :  il  y  avait  là  une  grosse 
somme  de  renoncements  et  de  sacrifices,  qu'une 
âme,  même  aussi  forte  et  aussi  généreuse  que  la 
sienne,  ne  pouvait  embrasser  sans  un  vigoureux  élan 
et  une  assistance  soutenue  de  la  grâce.  Mais  Dieu  lui 
accorda  cette  grâce,  car  il  la  voulait  toute  à  lui,  dans 
le  renoncement  absolu. 

Le  8  juillet  1843,  l'une  des  novices  ayant  quitté 
l'habit  pour  retourner  dans  sa  famille,  madame  Ga- 
melin  n'y  put  tenir  davantage.  Elle  alla  se  jeter  aux 
pieds  de  son  directeur  et  le  supplia  avec  larmes  de  lui 
permettre  de  prendre  la  place  de  celle  qui  venait  de 
partir.  ]\I.  Prince  accueillit  froidement  sa  demande, 
et  lui  conseilla  d'écarter  ces  idées  de  vie  religieuse,  où 
il  ne  voyait  pas  encore  la  volonté  de  Dieu.  Comme 
toujours,  elle  se  soumit  sans  réplique:  ce  seul  mot  de 
volonté  de  Dieu  la  faisait  tressaillir.  Elle  continua  ce- 
pendant de  prier,  et  bientôt  après  ses  dernières  hési- 
tations tombèrent,  et  sa  décision  fut  prise. 


90  VIE    DE 

Mgr  Bourget  Ty  aida  grandement. 

Un  jour  qu'elle  lui  faisait  part  de  sou  désir,  et 
en  même  temps  de  ses  hésitations  et  de  ses  répugnan- 
ces, le  saint  évêque,  obéissant  à  un  de  ces  mouvements 
de  foi  vive  qui  lui  étaient  familiers,  l'invita  à  s'age- 
nouiller avec  lui  pour  implorer  la  lumière  divine. 
Pendant  une  heure,  ils  unirent  leurs  prières  et  leurs 
supplications  au  pied  du  tabernacle;  puis  ils  se  rele- 
vèrent éclairés  et  convaincus  de  la  volonté  divine  : 
madame  Gamelin  prendrait  l'humble  habit  des  ser- 
vantes des  pauvres  et  consommerait  son  oblation  par 
l'émission  des  trois  vœux  de  religion. 

M.  Prince  ne  pouvait  mettre  obstacle  à  une  déter- 
mination aussi  sérieusement  mûrie,  et  éprouvée  par 
une  lutte  opiniâtre.  Il  admit  donc  la  fervente  pos- 
tulante à  prendre  la  place  de  la  jeune  novice  dont  le 
départ  avait  affligé  la  petite  famille. 

Ces  longues  hésitations,  tranchées  par  des  voix  au- 
torisées et  dissipées  par  l'obéissance,  donnèrent  plus 
tard  à  mère  Gamelin  une  grande  sécurité  dans  la 
conscience  de  sa  vocation.  L'année  qui  précéda  sa 
mort,  elle  écrivait  dans  son  journal  de  retraite,  en 
parlant  de  l'élection  à  un  état  de  vie  :  "  Elle  est  toute 
faite  pour  moi,  ô  mon  Dieu!  Je  vous  remercie  de  ma 
vocation  à  la  vie  religieuse.  Vous  l'avez  décidée  par 
vos  ministres.  Trois  ont  examiné  ma  vocation  ;  ainsi. 


m 
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Aïs 


MÈRE    GAMELIN  91 

je  suis  persuadée  de  votre  volonté.  Je  ne  me  suis 
jamais  repentie  d'avoir  suivi  leurs  conseils." 

Toutefois,  avant  d'effectuer  son  dessein  et  de  com- 
mencer son  noviciat,  il  fut  décidé  par  Mgr  Bourget  et 
M.  Prince,  que  madame  Gamelin,  afin  d'être  d'un 
plus  grand  secours  à  la  communauté  dont  elle  allait 
faire  partie,  et  dont  elle  était  toute  désignée  pour 
être  la  supérieure,  ferait  un  voyage  aux  Etats-Unis, 
dans  le  but  d'y  étudier  quelques  maisons  de  charité, 
notamment  celles  des  Filles  de  Saint- Vincent  de 
Paul,  à  New-York  et  à  Baltimore. 

Quelques  mois  avant  son  départ,  elle  avait  présidé 
à  l'installation  du  personnel  de  l'hospice  dans  le  nou- 
vel asile,  qui  se  composait  alors  de  la  chapelle  et  des 
deux  ailes  latérales.  Le  18  mai,  Mgr  Bourget  bénit 
les  salles,  dont  les  vieilles  infirmes  venaient  de  pren- 
dre possession,  et  le  24,  fête  de  Notre-Dame  de  Bon- 
secours,  madame  Gamelin  et  les  novices  quittèrent  la 
Maison  jaune,  qui  avait  abrité  tant  d'actes  de  charité, 
de  dévouement  et  d'abnégation.  C'était  l'adieu  au 
berceau  de  notre  communauté,  dont  le  souvenir  nous 
est  resté  si  cher. 

La  bénédiction  de  la  chapelle  et  de  l'autel  eurent 
lieu  le   21    août.  ^     La   cérémonie  fut   présidée  par 


^  L'autel    fut    donné  par    M.  Gédéon    Leclerc,    sculpteur 
en  bois,  de  la  ville  de  Montréal. 


92  VIE    DE 

Mgr  Plielan,  coadjuteur  de  Kingston.  Mgr  Bour- 
geL  Mgr  Signay,  évêque  de  Québec,  Mgr  Gaulin, 
évêqiie  de  Kingston,  et  Mgr  Power,  évêque  de 
Toronto,  y  assistaient.  Ce  concours  de  prélats  té- 
moignait éloquemment  de  la  faveur  que  l'épiscopat 
du  pays  accordait  à  la  nouvelle  fondation. 

Avant  la  lin  du  mois,  la  maison  reçut  de  M.  le 
chanoine  Hudon,  vicaire  général,  alors  en  Europe,  un 
cadeau  qui  venait  fort  à  propos  orner  la  chapelle  de 
l'asile,  encore  bien  nue.  C'était  une  statue  de  Notre- 
Dame  des  Sept-Douleurs,  que  le  bon  chanoine  en- 
voyait à  madame  Gameliu.  Elle  prit,  dans  la  niche  de 
Fabside,  la  place  d'une  statue  de  l'Immaculée  Concep- 
tion, qu'on  y  avait  d'abord  installée  et  qui  figure  au- 
jourd'hui sur  la  façade.  C'est  devant  cette  image  de 
JSTotre-Dame  des  Sept-Douleurs,  que  nos  mères  fon- 
datrices et  tant  de  nos  sœiurs,  après  elles,  ont  pro- 
noncé leur  profession  religieuse. 

Le  11  septembre,  madame  Gamelin  partit  pour  les 
Etats-Unis,  en  compagnie  de  M.  Paul-Joseph  La- 
croix ^  et  de  ses  amies,  madame  Nolan  et  madame 
Gauvin.  La  veille  du  départ,  Mgr  Bourget  lui  adressa 


^  ]\I.  Lacroix,  insigne  bienfaiteur  de  notre  communauté, 
est  le  même  qui  avait  fait  une  forte  remise  sur  le  prix  de 
vente  du  terrain  de  l'asile.  Son  fils,  ]\I.  Charles  Lacroix,  imi- 
ta sa  générosité.  Son  premier  acte  légal,  à  sa  majorité,  fut 
de  donner  ù,  l'asileJ  de  la  Providence  le  terrain  de  l'hospice 
Saint- Joseph,  rue  Mignonne,  évalué  à   £500. 


MÈRE    GAMELIX  93 

les  deux  lettres  suivantes,  où  se  manifestent  la  pru- 
dence et  la  piété  du  saint  évêque. 

Evêché  de  Montréal, 

10  septembre,  1843. 

"  Madame,  comme  vous  partez  pour  un  voyage 
qui  a  pour  unique  objet  l'avantage  de  l'asile  de  la  Pro- 
vidence, que  le  bon  Dieu  vous  a  fait  la  grâce  de  fon- 
der avec  tant  de  bonheur,  je  crois  devoir  vous  donner, 
•dans  la  présente,  quelques  règles  propres  à  vous  diri- 
ger. 

"  1**  D'abord,  avant  tout,  proposez-vous  unique- 
ment de  procurer  la  gloire  de  Dieu  pendant  ce  long 
voyage,  et  de  n'y  chercher  que  les  intérêts  de  la  reli- 
gion et  le  bien  spirituel  et  temporel  des  pauvres.  Crai- 
gnez souverainement  la  dissipation  qui  suit  presque 
toujours  les  voyageurs.  Pour  cela,  évitez  autant  que 
vous  le  pourrez  de  satisfaire  votre'  curiosité,  vous  sou- 
venant continuellement  que  votre  voyage  n'est  pas 
une  pai'tie  de  plaisir,  mais  un  pèlerinage  saint  et 
sanctifiant  pour  vous  et  pour  ceux  et  celles  en  faveur 
de  qui  vous  le  faites.  Vous  devez,  à  l'exemple  de 
saint  Antoine,  le  père  des  solitaires,  visiter  tout  ce 
c^u'il  y  a  d'intéressant  pour  la  charité  dans  le  pays 
•que  vous  allez  parcourir,  afin  de  le  mettre  en  pratique 


94  VIE    DE 

et  de  perfectionner  ainsi  de  plus  en  plus  votre 
œuvre,  déjà  comblée  de  bénédictions,  et  qui  recevra 
de  jour  en  jour  de  nouvelles  faveurs,  si  vous  n'y 
mettez  pas  d'obstacles.  Autant  que  faire  se  pourra, 
sans  pourtant  manquer  aux  convenances,  vaquez 
à  vos  exercices  ordinaires  de  piété  ;  confessions,  com- 
munions, lectures,  chapelets,  etc.,  que  tout  aille 
son  train  comme  si  vous  étiez  chez  vous.  Faites- 
vous  surtout  une  pratique  habituelle  de  la  pré- 
sence de  Dieu.  Eeprésentez-vous  continuellement 
les  différents  voyages  de  la  sainte  Famille,  dont 
vous  connaissez  toutes  les  circonstances,  l'objet  et 
la  fin.  Que  le  monsieur  qui  doit  vous  protéger 
vous  rappelle  sans  cesse  le  bon  saint  Joseph  qui, 
sur  les  avis  que  lui  en  donnaient  les  saints  anges,, 
transportait  cette  auguste  famille  dans  les  lieux  où  il 
lui  fallait  aller  pour  se  conformer  aux  décrets  de  la 
divine  Providence.  Que  vos  vénérables  compagnes  de 
voyage  soient  à  vos  yeux  comme  la  personne  sacrée 
de  la  Bienheureuse  Yierge.  N^'oubliez  pas  que  votre 
ange  gardien,  ainsi  que  celui  de  la  maison  de  la  Pro- 
vidence, vous  accompagnent  en  tous  lieux  et  qu'ils 
s'en  vont  régler  eux-mêmes,  avec  les  anges  titulaires 
des  personnes  et  des  maisons  que  vous  avez  besoin  de 
voir,  les  affaires  que  vous  avez  à  y  traiter.  Enfin,  priez 
le  Seigneur  avec  beaucoup  d'humilité  et  de  confiance 


MÈRE    GAMELIN  95 

qu'il  daigne  vous  faire  connaître  sa  sainte  et  adorable 
volonté,  en  vous  donnant  la  grâce  de  Taccomplir  en 
toutes  choses. 

"  2"  Visitez  dans  le  plus  grand  détail  les  établisse- 
ments de  Sœurs  de  Charité,  dans  tous  les  lieux  où 
vous  en  rencontrerez.  Tâchez  de  les  voir  faire  toutes 
leurs  œuvres  et.  s'il  est  possible,  faites-les  avec  elles. 
Entrez  dans  les  plus  petites  particularités,  sans  néan- 
moins manquer  aux  règles  de  la  discrétion.  Prenez 
des  informations  sur  leurs  écoles,  leurs  pauvres,  leurs 
orphelins,  etc.  Eemarquez  avec  soin  la  distribution 
de  leurs  établissements,  les  dimensions  de  leurs  salles 
et  autres  appartements,  le  nombre  des  sœurs  en  cha- 
que maison,  etc.  Demandez  comme  une  grâce  une  co- 
pie de  leurs  règles,  constitutions  et  coutumier.  Sur- 
tout, tâchez  d'avoir  la  Eègle  de  saint  Vincent  à  ses 
Sœurs  de  Charité,  du  moins  par  emprunt,  si  on  ne 
veut  ni  vous  la  vendre  ni  vous  la  donner.  Procurez- 
vous  les  livres  dont  se  servent  ces  bonnes  sœurs  pour 
arriver  à  la  perfection  de  leur  saint  état.  Au  moins 
prenez-en  une  liste,  pour  les  faire  venir  d'ailleurs. 
Faites- vous  conter  l'histoire  abrégée  de  chacune  de 
ces  fondations.  Faites  ou  faites  faire  des  poupées 
des  sœurs  postulante.*,  novices  et  professes.  Ecri- 
vez des  notes  sur  tout  ce  que  vous  remarquerez 
d'important,  afin  de  ne  rien  oublier  de  ce  qui  peut 


96  VIE    DE 

rendre  votre  voyage  intéressant.  Visitez,  si  vous  le 
pouvez,  quelques  prisons,  pénitenciers,  hôpitaux,  mai- 
sons de  refuge,  etc.,  et,  si  vous  en  avez  l'occasion, 
faites  avec  les  sœurs  quelques  visites  à  domicile.  Il 
serait  bon  de  vous  mettre  avec  ces  saintes  filles  en 
société  de  prières,  convenant  de  dire  chaque  Jour  les 
unes  pour  les  autres  quelque  prière,  comme  seraient 
un  Pater  et  un  Ave,  ou  d'entendre  quelque  messe  de 
temps  en  temps. 

"  3"  Vous  remarquerez,  dans  les  différentes  com- 
munautés que  vous  allez  visiter  aux  Etats-Unis,  des 
usages  qui  s'éloignent  un  peu  des  habitudes  de  nos 
communautés,  il  ne  faudra  pas  vous  en  formaliser, 
parce  que  cela  est  dû  aux  exigences  des  lieux  où  elles 
sont  établies.  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  recommander 
d'user  de  beaucoup  de  prudence  et  de  discrétion,  afin 
que  les  personnes  qui  vous  accompagnent  ne  puissent 
apercevoir  les  petites  misères  qui  régnent  quelquefois 
dans  les  plus  ferventes  communautés.  Abstenez-vous, 
autant  que  vous  le  pourrez,  de  parler  de  la  maison  de 
la  Providence,  pour  ne  pas  vous  exposer  au  danger  de 
blesser  les  règles  de  la  modestie,  qui  ne  permettent 
pas  de  parler  de  ce  que  l'on  fait  pour  la  gloire  de 
Dieu, 

''  Je  prie  Dieu  de  vous  envoyer,  pour  vous  assister 
en  tous  lieux,  son  saint  ange.  Que  cet  ange  fidèle  vous 


MÈRE    GAMELIN  97 

conduise  et  vous  ramène  en  vous  prodiguant  ses  soins, 
comme  fit  autrefois  l'ange  Eaphaël  pour  le  Jeune 
Tobie.  Votre  petite  communauté,  vos  bonnes  vieilles 
et  nous  aussi,  serons  en  prières  jusqu'à  votre  retour, 
afin  qu'il  plaise  au  Seigneur  de  vous  prendre  en  sa 
sainte  protection.  Xous  serons  toujours  en  union  des 
saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  en  quelque  lieu  que 
vous  soyez." 

Je  suis  bien  sincèrement.  Madame, 

Votre  très  humble  et  obéissant  serviteur, 

t  Ig.  Evêque  de  Montréal. 


Evêché  de  Montréal, 

10  septembre  1843. 


Madame, 


"  Outre  la  recommandation  comriiune  à  vous  et  à 
votre  digne  compagnie,  je  crois  devoir  vous  adresser 
la  présente  pour  vous  seule.  Comme  le  bon  Dieu  a 
voulu  que  vous  fussiez  fondatrice  de  la  maison  de  la 
Providence  de  cette  ville,  vous  avez  plus  d'intérêt 
que  personne  à  en  promouvoir  le  bien  spirituel  et  tem- 
porel, et  pour  cela  même  il  vous  faut  entrer  dans  plus 


98  VIE    DE 

de  détails  que  vos  compagnes  de  voyage,  en  visitant 
les  asiles  qu'offre  la  charité  chrétienne  à  la  misère 
dans  les  Etats-Unis.  Vous  avez  donc  besoin  d'une  re- 
commandation spéciale  auprès  de  Nos  Seigneurs  les 
évêques  et  de  leurs  vicaires-généraux.  J'ai  la  ferme 
confiance  qu'en  leur  communiquant  la  présente,  vous 
obtiendrez  de  leur  indulgente  bienveillance  la  protec- 
tion dont  vous  avez  besoin. 

"  Je  suis  bien  sincèrement,  ]\Iadame, 
"  Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

t  Ig.  Evêque  de  Montréal. 

Le  voyage  de  madame  Gamelin  aux  Etats-Unis  fut 
couronné  de  succès.  Sa  réputation  l'avait  devancée 
dans  ce  pays,  où  Ton  connaissait  déjà  son  dévouement 
aux  prisonniers  et  sa  charité  pour  les  pauvres.  Quel- 
ques-uns des  évêques  avaient  même  visité  son  petit 
hospice.  Aussi  reçut-elle  de  tous  le  pins  bienveillant 
accueil.  Le  18  septembre,  elle  écrivait  de  New- York  à 
M.  Prince  :  "  Nous  sommes  arrivés  ici  hier,  très  fati- 
gués de  notre  voyage.  Il  est  six  heures,  et  je  suis  à 
l'hospice  des  Sœurs  de  Charité.  Elles  m'ont  reçue  chez 
elles  avec  beaucoup  d'égards.  J'ai  parcouru  les  rues  de 
New- York  avec  deux  d'entre  elles,  qui  ont  eu  l'obli- 
geance de  m'accompagner  et  de  me  conduire  à  leurs 


MÈRE    GAMELIX  99 

■différentes  maisons.  Elles  en  ont  cinq  dans  cette  ville 
•et  ses  environs.  A  leur  orphelinat  Saint-Patrice,  se 
trouvent  deux  cent  cinquante  orphelins,  filles  et  gar- 
çons, tous  de  pauvres  enfants.  Leur  maison  de  Saint- 
Joseph  abrite  cent  trente-six  filles.  Les  autres  mai- 
sons sous  leur  charge  sont  remplies  en  proportion. 
J'ai  aussi  visité  l'établissement  des  dames  du  Sacré- 
Cœur,  qui  est  très  riche.  J'ai  communié  ce  matin  à 
l'église  Saint-Pierre.  Je  m'étais  confessée  à  Boston, 
•à  Mgr  Fenwick.  Je  pense  à  moi  et  à  ma  pauvre  âme, 
quoique  éloignée. 

"  A  Boston,  j'ai  aussi  visité  tous  les  hospices  de  cha- 
rité et  la  prison  d'Etat  ou  pénitencier  qui  m'a  beau- 
•coup  intéressée.  Ces  pauvres  prisonniers  m'ont  fait  de 
la  peine.  Ils  sont  trois  cents  en  ce  moment:  ils  ne  par- 
lent jamais  et  travaillent  beaucoup.  Il  y  a  des  Cana- 
diens, entre  autres  trois  de  Montréal.  J'ai  connu  l'un 
•d'eux;  il  m'a  reconnue  aussi,  le  pauvre  homme,  mais 
il  ne  pouvait  me  parler.  Il  était  à  la  cuisine,  et  il  me 
suivait  partout  des  yeux.  J'ai  souhaité  pouvoir  faire 
quelque  chose  pour  lui,  le  pauvre  malheureux  ! 

"  Les  Sœurs  de  Charité  m'ont  partout  accueillie  à 
bras  ouverts.  Elles  me  conseillent  de  me  rendre  à  leur 
Motlier  House,  où  se  trouvent  en  ce  moment  deux 
cents  professes,  cent  dix  novices  et  quatre-vingts  pos- 
tulantes.   Cette  maison  mère  est  située  à  vingt  lieues 


100  VIE    DE 

de  Baltimore.  ^  C'est  bien  loin,  mais  l'on  me  fait  es- 
pérer que  l'on  me  donnera  une  copie  des  Eègles  de 
Saint  Vincent  de  Paul.    Elles  me  disent,  ces  bonnes 


'  Madame  Seton  fonda,  en  1809.  une  communauté  de  sœurs- 
de  charité  à  Emmitsburg,  dans  le  Maryland.  S'étant  déter- 
minée, avec  l'avis  de  ses  supérieurs  ecclésiastiques,  à  mode- 
ler son  institut  sur  celui  des  Sœurs  de  charité  de  Saint-Vin- 
cent de  Paul,  elle  se  mit  immédiatement  en  mesure  de  se 
procurer  les  constitutions  et  les  règles  de  cette  congrégation,, 
avec  l'espoir  que  quelques-uns  de  ses  sujets  viendraient  ap- 
porter à  la  communauté  naissante  le  secours  de  leur  exem- 
ple et  de  leur  propre  expérience.  Mgr  Flaget.  évêque  nommé 
de  Bardstown,  qui  était  à  la  veille  de  sembarquer  pour  la. 
France,  fut  prié  d'y  porter  cette  double  demande.  Mais  la 
Providence  ne  permit  pas  la  réalisation  de  ce  pieux  désir. 
Le  gouvernement  impérial  mit  obstacle  au  départ  des  reli- 
gieuses, et  les  choses  en  demeurèrent  là.  Cependant,  par  une 
faveur  exceptionnelle,  Mgr  Flaget  put  obtenir  une  copie  de 
leurs  règles,  qu  il  remit  à  la  fondatrice.  ^Madame  Seton  mou- 
rut le  14  janvier  1821,  dans  sa  quarante-septième  année.  Le 
2-5  du  même  mois,  les  élections  donnaient  pour  supérieure  à 
la  communauté  Sœur  Rose  White  qui,  après  avoir  occupé- 
cette  charge  pendant  deux  termes  consécutifs,  fut  remplacée- 
par  SœxiY  M.  Augustine  Count.  La  Mère  Xavier  Clark  gou- 
verna la  Congrégation  de  1839  à  1845.  La  Mère  M.  Etienne 
Hall  lui  succéda.  Elles  furent  Tune  et  l'autre  les  amies  cons- 
tantes et  dévouées  de  Mère  Gamelin  et  de  notre  communauté. 
Depuis  la  fondation  de  la  maison  d'Emmitsburg,  on  avait  fait 
des  démarches  multipliées  pour  obtenir  son  affiliation  à 
l'Institut  des  Filles  de  Charité  de  France,  mais  toujours 
sans  succès.  Enfin,  en  1849,  la  demande  fut  accueillie,  et 
le  25  mars  1850  le  plus  grand  nombre  des  sœurs  de  mada- 
me Seton  renouvelèrent  leurs  vœux  suivant  la  formule  des 
Filles  de  Saint  Vincent  de  Paul.  Elles  passèrent,  de  ce  jour,, 
sous  la  juridiction  de  la  supérieure  générale  de  Paris.  Le 
8  décembre  de  l'année  suivante,  fête  de  l'Immaculée  Concep- 
tion, les  Sœius  d'Emmitsburg  revêtirent  l'habit  des  Sœurs 
de  Charité  de  France. 

L'ne  partie  d'entre  elles,  toutefois,  n'ayant  pas  accepté- 
l'affiliation  îl  la  communauté  de  Paris,  formèrent  une  bran- 
che séparée  et  établiront  leur  maison  mère  à  New-York,  air 
Mont  Saint-"\'incent.  s\u-  l'Hudsou.  Ces  dernières  gardèrent. 
le  costume  primitif  donné  par  Madame  Seton. 


MÈEE    GAMELIX  101 

sœurs,  qu'il  me  faudrait  y  résider  au  moins  un  mois, 
pour  tout  voir,  surtout  la  manière  dont  on  dirige  le 
noviciat.  Ce  n'est  pas  beaucoup  possible  pour  moi  de 
rester  aussi  longtemps.  Je  pense  à  ma  chère  maison  do 
la  Providence  jour  et  nuit.  Ici,  à  New- York,  l'on  m'a 
accordé  la  faveur  de  suivre  les  exercices  de  la  commu- 
nauté. Je  suis  bien  édifiée  de  la  régularité  de  ces 
saintes  filles. 

"  Je  crois  que  nous  aurons  de  grandes  actions  de 
grâces  à  rendre  an  bon  Dieu  de  ce  vo3^age,  pendant 
lequel  j'ai  déjà  pris  de  grandes  connaissances.  J'ai 
soin  de  prendre  chaque  soir  des  notes  sur  ce  que  je 
vois  dans  la  journée.  Priez,  bon  Père,  ainsi  que  mes 
chères  filles  et  mes  bonnes  vieilles,  pour  que  je  sois 
bien  accueillie  à  la  maison  mère  d'Emmitsburg.  J'at- 
tribue jusqu'ici  le  bon  succès  de  mon  voyage  aux 
prières  que  l'on  fait  pour  moi. 

"  Je  ne  sais  quand  je  pourrai  être  de  retour.  Si  l'on 
veut  bien  m'écrire,  que  l'on  m'adresse  mes  lettres  au 
jeune  Bossange;  l'on  aura  son  adressé  chez  M.  Fabre. 
Je  serais  bien  heureuse  d'avoir  des  nouvelles,  car  je 
n'oublie  pas  le  bon  monde  de  mon  pays,  le  plus  beau 
après  tout. 

"  Eecevez,  mon  révérend  Père,  mes  plus  profonds 
respects,  ainsi  que  ceux  de  M.  Lacroix  et  de  nos 
dames.  Veuillez  aussi  les  présenter  à  notre  bien  aimé 


103  VIE    DE 

père  et  évêque,  Mgr  Bourget.  Dites-lui,  s'il  vous  plaît, 
que  je  repasse  chaque  jour  les  saints  avis  qu'il  m'a 
donnés  la  veille  de  mon  départ,  tâchant  de  les  mettre 

en  pratique.  .  .  '"' 

Madame  Gamelin  rentra  à  Montréal  le  G  octobre 
1843,  après  une  absence  de  vingt  jours.  Elle  rappor- 
tait à  Mgr  Bourget  ces  règles,  si  vivement  désirées, 
des  filles  de  Saint- Vincent  de  Paul  ;  M.  Deluol, 
vicaire-général  de  Baltimore  et  supérieur  des  Sœurs 
de  Charité,  lui  en  avait  remis  une  copie  authentique, 
grâce  à  l'entremise  de  la  Mère  Xavier  Clark,  supé- 
rieure générale  de  l'Institut.  C'était  celle-là  même 
que  Mgr  Flaget  avait  obtenue  en  1810  du  supérieur 
général  des  lazaristes.  Le  précieux  document  fut 
transcrit  pour  notre  communauté  par  M.  le  chanoine 
Blanchet  et  renvoyé  à  ^I.  Deluol.  On  ne  saurait  dire 
avec  quel  bonheur  et  quelles  actions  de  grâces  ces 
saintes  constitutions  furent  reçues  par  les  novices. 
Elles  3'  voyaient  le  guide  le  plus  sûr  de  leur  future 
vie  religieuse  et  une  source  de  force  pour  leur  com- 
munauté. 

Deux  jours  après  son  arrivée,  le  8  octobre,  madame 
Gamelin  quittait  enfin  Thabit  du  monde  pour  revêtir 
rhumble  et  pauvre  livrée  des  Sœurs  de  la  charité  de 
la  Providence.  M.  Prince  tint  à  présider  lui-même  la 
cérémonie:  ce  privilège  lui  revenait  à  plus  d'un  titre. 


MÈRE    GAMELIX  103 

I]  voulut  donner  à  cette  prise  d'habit  une  solennité 
marquée.  Avant  la  messe  de  communauté,  il  entonna 
le  Veni  Creator,  repris  par  les  novices  ;  et  après 
l'évangile,  avec  quelle  allégresse  il  adressa  à  la  postu- 
lante, au  moment  de  lui  imposer  le  saint  liabit,  une 
touchante  allocution  !  Après  un  bref  commentaire  du 
passage  de  l'épître  de  saint  Paul  à  Timothée,  où 
Tapôtre  énumère  les  qualités  de  la  veuve  selon  Dieu, 
s'adressant  à  la  nouvelle  élue,  il  lui  rappela  avec  des 
accents  émus  les  récompenses  que  Dieu  réserve  aux 
âmes  qui  se  donnent  complètement  à  lui  par  la  pro- 
fession religieuse.  Le  soir,  il  y  eut  chant  du  Te  Deum 
et  bénédiction  du  Très  Saint-Sacrement. 

Le  sacrifice  était  consommé.  Madame  Gamelin 
l'avait  fait  généreusement  et  vaillamment,  comme 
une  âme  de  sa  trempe  pouvait  le  faire  :  mais  ce  n'a- 
vait pas  été  sans  ressentir  la  blessure  faite  à  son  cœur 
par  la  rupture  des  relations  étroites  qu'elle  n'avait 
pas  cessé  d'entretenir  avec  ses  parents  et  ses  amies,  et 
que  la  vie  religieuse  allait  forcément  relâcher. 

Une  lettre  à  sa  cousine,  madame  Fabre,  écrite  le 
soir  même  de  ce  jour,  nous  livre  le  secret  de  ses  émo- 
tions intimes  : 

"  Je  suis  arrivée,  le  six  courant,  des  Etats-Unis, 
■avec  l'intention  de  me  consacrer  entièrement  au  ser- 
vice des  pauvres.    Je  suis  heureuse  de  vous  appren- 


104  VIE    DE 

dre  que  j'ai  pris  le  saint  habit  de  la  religion  ce  matin, 
et  que  j'espère  faire  des  vœiux  sous  peu. 

"  ISTe  m'en  voulez  pas,  ma  bonne  amie,  d'avoir  ainsi 
agi  à  votre  insu.  ÎIl  m'aurait  fallu  faire  des  adieux, 
et  je  me  trouvais  trop  lâche.  Il  a  bien  fallu  un  peu  de 
courage  pour  en  venir  à  cette  détermination:  j'aimais 
tant  mes  chers  parents  et  amis  ; .  . ,  mais  enfin  tous 
ces  sacrifices  se  sont  faits  de  bon  cœur  ce  matin. 

"  J'espère,  ma  chère  amie,  que  vous  prierez  le  Sei- 
gneur pour  moi,  et  m'aiderez  à  le  remercier  de  vouloir 
bien  accepter  le  reste  de  ma  vie,  en  ayant  donné  ime 
si  grande  partie  au  monde. 

"  Mes  sincères  amitiés  à  la  bonne  mère  Perrault,  à 
M.  et  Mme  Lévesque  et  à  toute  la  famille.  Pour  vous, 
chère  amie,  recevez  mes  plus  vifs  remerciements  pour 
les  bontés  que  vous  m'avez  toujours  témoignées.  Priez, 
pour  moi,  qui  serai  jusqu'à  la  mort, 

"  Votre  sincère  amie, 

"  Emmélie  Gamelin,  sœur  de  charité. 

Madame  Gamelin  aimait  passionnément  les  siens. 
Eenoncer  à  la  pleine  liberté  de  ses  relations  avec  eux, 
cette  joie  et  ce  repos  de  sa  vie  si  laborieuse  et  si  ac- 
tive, c'était  pour  elle  une  chose  douloureuse  à  l'ex- 
trême.   L'amour  de  Dieu  sut  triompher  de  ces  résis- 


MÈRE    GAMELIK  105 

tances  de  son  cœur  ;  mais  en  faisant  ce  sacrifice  à 
son  divin  Maître,  elle  ne  diminuait  rien  de  ses  affec- 
tions et  de  ses  amitiés.  Elle  leur  assurait  au  con- 
traire une  force  nouvelle,  en  leur  donnant  la  sanction 
d'une  charité  plus  ardente  et  plus  dévouée.  "  Quand 
vous  montez  du  monde  à  la  vie  religieuse,  a  dit  un 
écrivain  ascétique,  n'aimez  moins  qui  que  ce  soit.  Ne 
supprimez  aucune  de  vos  affections  légitimes  ;  seu- 
lement, transformez-les  toutes.  Vous  aimiez  vos 
parents  comme  on  aime  sur  la  terre  ;  aimez-les  dé- 
sormais comme  on  aime  dans  le  Ciel."  ^ 

Madame  Gamelin  partageait  ce  sentiment  et  le  met- 
tait en  pratique.  Toujours  prête  à  prodiguer,  dans 
tous  leurs  besoins,  son  dévouement  à  ses  proches  et  à 
ses  amis,  elle  s'intéressait  surtout  au  bien  de  leur  âme 
et  les  assistait  surtout  de  ses  prières  et  de  ses  conseils. 
On  trouvera  la  trace  de  cette  préoccupation  dans  son 
journal  de  retraites.  Eu  retour,  elle  rencontra  tou- 
jours de  leur  part  la  plus  sincère  affection,  et  son 
souvenir  demeura  pour  eux,  après  sa  mort,  l'objet 
d'un  culte  pieux  et  tendre. 

'     Mgr  Gay. 


106  VIE    DE 

CHAPITEE  YIII 
1844-1845 

LE  NOVICIAT.— VISITE  DES  PAXJTKES  ET  DES  MALADES.— 
PROFESSION  DE  NOS  PREMIÈRES  MÈRES. — MANDEMENT 
d'institution.  —  ÉLECTION  DES  PREMIÈRES  OFFI- 
CIÈRES.— FONDATION  DE  L'ŒUVRE  DES  ORPHELINES  ET 
DE    CELLE    DES    DAMES    PENSIONNAIRES. 

Le  noviciat,  ouvert  le  "2 5  mars  1843,  par  la  prise 
d'habit  des  sept  premières  postulantes,  en  reçut 
bientôt  quatre  autres.  C'étaient  Mlles  Edesse  Mar- 
chesseau,  Ursule  Leblanc,  Clémence  Kobert  et  Em- 
mélie  Séné  .^  Entrées  à  la  ^Maison  jaune  le  8  sep- 
tembre 1813,  elles  prirent  le  saint  habit  dans  le 
nouvel  asile,  le  8  décembre  suivant.  Le  23  du  même 
mois,  jVnies  Herménégilde  Choquet  et  Esther  Pari- 
seau  -  obtenaient  aussi  leur  entrée. 

A  la  fin  de  l'année  1843,  le  noviciat  comprenait 
donc  onze  novices  et  deux  postulantes.  Dès  cette 
époque,  les  novices  commencèrent  à  visiter  les  pau- 
vres. Chaque  matin,  deux  ou  trois  d'entre  elles, 
souvent  accompagnées  d'une  dame  de  charité,  par- 
taient, le  panier  au  bras,  comme  cela  se  fait  encore 


^  Sœurs  Geneviève,  Marie  du  Crucifix,  Marie  de  la  Xati- 
vitê  et  Eramélie. 

'  Sœur  Elisabeth  et   sœur  Joseph  du  Sacré-Cœur. 


MÈKE    GAMELIN  107 

aujourd'hui,  pour  aller  mendier,  dans  les  ditïérents 
quartiers  de  la  ville,  des  aliments  et  des  aumônes  pour 
leurs  infirmes  et  leurs  pauvres.  Mère  Gamelin, — 
ainsi  l'appelait-ou  déjà.  —  était  souvent  de  la  partie. 
Sa  longue  expérience  des  œuvres  de  charité  lui  per- 
mettait de  guider  ses  compagnes  dans  ce  pénible  et 
laborieux  ministère,  tout  nouveau  pour  elles.  Elle 
les  initiait  avec  une  bonté  maternelle  aux  diverses 
tâches  dont  la  divine  Providence  allait  bientôt  char- 
ger sa  communauté  naissante. 

Outre  cette  partie  de  la  formation  des  novices, 
elle  continuait  à  s'occuper  de  l'administration  de 
l'asile,  qui  comptait  déjà  un  personnel  de  plus  de 
cinquante  personnes.  Elle  recevait  les  personnes  qui 
se  présentaient  au  parloir  et  intéressait  à  l'œuvre  les 
âmes  charitables,  sans  cesser  de  suivre  très  exacte- 
ment les  exercices  de  piété  de  l'asile  et  ceux  du  no- 
viciat. 

M.  Prince,  tout  en  témoignant  à  ses  filles  une  bonté 
et  un  dévouement  qui  ne  se  démentaient  jamais,  était 
ferme  et  austère  dans  sa  direction,  et  il  ne  leur  mé- 
nageait pas  les  épreuves.  Les  ancieimes  religieuses 
racontent  encore  avec  émotion  les  pénitences  et  les 
humiliations  nombreuses,  les  renoncements  conti- 
nuels que  l'inflexible  directeur  exigeait  surtout 
de  sa    "  novice  aînée,"'    sœur    Gamelin.     Dieu    seul 


108  YIE    DE 

compta  les  sacrifices  de  son  âme  généreuse.  Elle 
avait  été,  depuis  son  veuvage,  sa  propre  maîtresse  ; 
son  état  de  fortune  lui  avait  permis  d'adopter  un 
genre  de  vie  relativement  doux,  et  même  au  milieu 
de  sa  vie  de  dévouement,  elle  avait  toujours  eu  le 
contrôle  de  sa  liberté.  Dès  son  entrée  au  noviciat, 
■elle  se  vit  soumise  à  une  règle  étroite,  qui  lui  en- 
levait sa  liberté  du  matin  au  soir  et  la  pliait  à  des 
exigences  étrangères  à  ses  précédentes  habitudes. 
Elle  dut  vivre  de  la  vie  commune,  sévère  et  pauvre, 
sans  adoucissements  et  sans  exemptions.  Elle  dut 
se  faire  enfant,  supporter  les  oppositions  de  goûts 
et  de  caractères,  pratiquer  la  charité  et  la  douceur 
au  milieu  des  contradictions  ;  en  un  mot,  elle 
eut  à  pratiquer  chaque  Jour  des  renoncements 
■et  des  mortifications  dont  Dieu  seul  connaît  le 
nombre  et  le  mérite.  A  la  longue,  et  par  suite 
d'un  travail  assidu  qui  ne  finit  qu'avec  sa  vie,  elle 
ne  garda  de  sa  ^dvacité  que  ce  qu'il  fallait  pour  ac- 
tiver son  zèle  ;  sa  fierté  naturelle  devint  une  dignité 
grave  et  sans  affectation  ;  sa  sensibilité  se  mani- 
festa surtout  en  une  tendre  compassion  pour  les 
malheureux,  en  une  dévotion  affectueuse  à  la  Mère 
des  Douleurs,  dans  le  sein  de  laquelle  elle  aimait  à 
répandre  les  larmes  et  les  gémissements  de  son  cœur. 
Notre  communauté  lui  doit  l'exemple  et  la  pratique 
des  grandes  dévotions  qui  sont  devenues  son  héritage 


MÈRE    GAMELIN  109 

distinctif  :  Jésus  mourant  sur  la  croix,  la  Vierge 
•au  cœur  transpercé  des  sept  glaives,  et  saint  Vincent 
de  Paul,  l'apôtre  de  la  charité.  A  force  d'efforts 
généreux  et  d'une  constante  vigilance  sur  elle- 
même,  elle  parvint  graduellement  à  être  la  religieuse 
qu'exigeait  l'austère  directeur  et  que  réclamait  son 
propre  idéal  de  la  vie  religieuse. 

Mgr  Bourget  partageait  avec  M.  Prince  la  tâche 
difficile  et  délicate  de  former  les  novices  à  l'esprit  et 
■aux  vertus  de  leur  état.  En  outre  des  exercices  spi- 
rituels que  leur  donnait  chaque  jour  leur  dévoué- 
-directeur,  le  saint  évêque  présidait  lui-même  à  leur 
lecture  de  piété,  pour  leur  expliquer  la  règle  de  saint 
Vincent  de  Paul,  qui  devait  être  celle  de  leur  com- 
munauté. Dès  cinq  heures  du  matin,  il  présidait  à 
leur  méditation,  afin  de  les  initier  à  la  méthode  d'o- 
raison de  saint  Ignace  ;  il  leur  donnait  aussi  de  fré- 
quentes conférences  spirituelles.  Profondément  con- 
vaincu de  l'importance  d'asseoir  sur  des  bases  solides 
l'édifice  de  leur  perfection,  il  ne  s'épargnait  aucune 
peine  pour  les  former  aux  vertus  essentielles  de  leur 
■état  :  l'amour  de  Dieu,  le  zèle  de  sa  gloire,  le  dévoue- 
ment au  prochain,  Thumilité,  le  renoncement.  Ses 
-avis,  ses  lettres  familières  ou  officielles,  que  nous 
voudrions  reproduire  en  entier,  sont  autant  de  monu- 
ments de  son   dévouement  et  de  son  zèle,  en  même 


110  VIE    DE 

temps  que  des  modèles  de  cette  direction,  tout  à  la 
fois  suave  et  forte,  par  laquelle  il  savait  incliner 
efficacement  les  âmes  à  la  pratique  de  la  perfection. 

Sous  sa  bienfaisante  influence,  les  no^'ices,  de 
plus  en  plus  affermies  dans  leur  sainte  vocation,  sou- 
piraient après  le  moment  de  leur  profession  reli- 
gieuse. ]\Ig"r  Bom-get  se  chargea  de  la  retraite  pré- 
paratoire à  ce  grand  jour,  voulant  en  quelque  sorte 
présenter  lui-même  à  TEpoux  céleste  ses  mystiques 
fiancées. 

La  cérémonie  eut  lieu  le  29  mars  1844.  C'est  une 
date  mémorable  pour  notre  Institut,  puisqu'elle  con- 
sacre le  souvenir  d'un  fait  qui  assurait  pour  toujours 
sa  stabilité.  Que  d'espérances  réalisées  en  ce  jour  ! 
Que  de  doutes  résolus  !  Que  de  craintes  dissipées  ! 
Que  de  prétendues  folies,  changées  en  sages  concep- 
tions !  Les  difficultés  et  les  angoisses  du  début 
étaient  oubliées.  L'œuvre  de  la  Providence  se  mani- 
festait. Le  dessein  de  la  bonté  et  de  la  miséricorde 
divines  triomphait. 

Les  dames  de  charité  eurent  une  large  part  aux 
joies  de  cette  fête.  Pendant  la  retraite  des  novices,, 
elles  les  avaient  remplacées  dans  les  offices  de  la 
maison  et  dans  la  visite  des  pauvres  au  dehors.  Elles 
avaient  fait  la  parure  de  la  chapelle  et  organisé  un 
chœur  de  jeunes  filles,  pour  exécuter  les  chants  de 
la    cérémonie.     Plusieurs  d'entre  elles,  même,    en- 


MÈRE    GAMELIN  111 

vo3'èrent  leurs  servantes  au  couvent,  pour  préparer 
les  repas  et  surtout  le  dîner  du  jour  de  la  profession, 
qui  pût  être,  grâce  à  leur  générosité,  un  dîner  de 
gala. 

Pendant  la  touchante  cérémonie,  de  douces  larmes 
coulèrent  de  bien  des  yeux.  Pour  les  dames  aussi, 
c'était  le  jour  de  l'espoir  réalisé,  d'une  récompense 
et  d'une  compensation  abondantes  aux  peines  qu'el- 
les s'étaient  données  et  aux  travaux  qu'elles  s'étaient 
imposés. 

Nous  empruntons  aux  Mélanges  religieux,  du  22 
avril  1844,  le  récit  de  ce  joyeux  événement. 

"  Vendredi  dernier,  eut  lieu,  dans  la  chapelle  delà 
Providence,  la  profession  des  sept  premières  novices 
canadiennes  qui  se  sont  consacrées  au  service  des  pau- 
vres et  des  malades  selon  la  Eègle  de  saint  Vincent 
de  Paul.  Cette  cérémonie,  nouvelle  pour  le  pays, 
avait  attiré  un  concours  considérable  de  personnes 
intéressées  à  l'œiuvre,  et  les  pieux  parents  de  celles 
qui  renonçaient  à  leurs  propres  familles  pour  adop- 
ter la  grande  famille  des  pauvres.  La  petite  église 
de  l'établissement  avait  été  complètement  décorée  à 
neuf  par  la  générosité  des  Dames  de  la  Corporation 
et  des  membres  de  l'Association  de  Charité.  La  céré- 
monie commença  par  l'invocation  des  lumières  de 
l'Esprit-Saint.     Après  le  chant  du  Veni  Creator  et 


112  VIE    UE 

la  célébration  de  la  première  partie  de  la  messe, 
un  des  assistants  du  prélat  se  rendit  à  l'avant-chœur 
pour  annoncer  aux  Sœurs,  par  le  chant  de  l'an- 
tienne :  Prudentes  virgines.  aptate  v  est  ras  lampades 
ecce  sponsus  venit  exite  obviam  ei.  l'invitation  que  le 
Seigneur  leur  faisait  de  venir  lui  consacrer  leur  vir- 
ginité. Aussitôt  cette  petite  troupe  de  vierges  s'est 
levée  et,  tenant  des  flambeaux  allumés,  elles  s'avan- 
cèrent processionnellement  vers  la  balustrade,  en 
chantant  le  psaume  de  la  bonne  nouvelle  :  Lœtaius 
smn  in  liis  quœ  dicta  sunt  mihi.  Précédées  de  sept 
jeunes  enfants  qui  portaient  sur  des  plateaux  les  insi- 
gnes de  la  profession  et  représent-aient  autant  d'or- 
phelines, les  novices  marchaient  eu  chantant,  soute- 
nues à  leur  droite  par  une  dame  de  charité,  et  sou- 
tenant elles-mêmes  à  leur  gauche  autant  de  vieilles 
infirmes,  prises  parmi  les  quarante  pauvres  de  leur; 
salles. 

"  Cette  réunion  de  pauvres,  de  riches,  d'orphelines 
et  de  pauvres  volontaires  prit  place  devant  la  balus- 
trade, en  face  de  Tévêque.  A  ce  spectacle,  une  émo- 
tion générale  parut  se  faire  sentir  dans  toute  l'as- 
semblée. Alors  le  pontife,  adressant  la  parole  à  ses 
filles,  leur  demande  ce  qu'elles  viennent  solliciter  de 
l'Eglise  de  Dieu.  Elles  répondent  que  c'est  Jésus- 
Christ  qu'elles  recherchent,  et  que  c'est  le  service  de 


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:\Igr  IGNACE  BOURGKT, 
Deuxième  évêque  de  Montréal. 


MÈRE    GAMELIN"  113 

ses  pauvres  qu'elles  ambitionnent.  Après  une  se- 
conde et  une  troisième  admonition,  auxquelles  elles 
répondirent  avec  une  égale  persévérance,  l'évêque  les 
reçut  à  l'oblation  volontaire,  qu'elles  firent  chacune 
à  haute  voix  et  prosternées.  Ceci  n'était  pas  encore 
la  formule  des  vœux  proprement  dits  :  car,  avant 
leur  engagement,  il  fallait  l'érection  régulière  d'une 
nouvelle  communauté  ;  c'est  ce  que  fit  Mgr  Bourget 
par  un  mandement  spécial  d'institution,  qui  fut  lu 
publiquement  par  le  chapelain  de  l'asile,  et  dont  voici 
la  teneur  : 

"  Ignace  Bourget,  par  la  miséricorde  de  Dieu  et  la 
grâce  du  Saint-Siège  apostolique  évêque  de  Montréal, 
etc.,  etc. 

"  A  nos  très  chères  Filles,  les  sœurs  Emmélie  Ga- 
melin,  Madeleine  Durand,  Emmélie  Caron,  Agathe 
Séné,  Marguerite  Thibodeau,  Justine  Michon  et 
Victoire  Larocque,  novices  à  la  Maison  de  la  Provi- 
dence de  cette  ville,  salut  et  bénédiction  en  Xotre- 
Seigneur. 

"'  La  charité  pastorale,  X.  T.  C.  S.,  a  toujours  com- 
pris que  c'était  à  elle  qu'était  dévolu  le  soin  des 
veuves  et  des  orphelins,  et  qu'il  lui  fallait  compatir 
à  toutes  les  misères  publiques  et  particulières.  Aussi 
tout  pasteur  regarde-t-il  comme  un  des  plus  stricts 
devoirs  attachés  à  sa  charge,  qui  est  toute  de  charité, 
d'être  VœU  de  l' aveugle,  le  pied  du  boiteux,  le  père  des 


114  VIE    DE 

pauvres,  ^  comme  l'assurait  le  saint  homme  Job  de 
lui-même.  Mais  comme  la  multitude  des  devoirs  at- 
tachés à  cette  charge  redoutable  ne  lui  permet  pas 
d'entrer  dans  tous  les  détails  qu'exigerait  l'accom- 
plissement de  ce  devoir  sacré  et  si  consolant  d'ail- 
leurs, il  lui  faut  se  décharger  en  partie  sur  des  âmes 
charitables  et  compatissantes  de  ce  soin  indispen- 
sable .  .  . 

"  C'est  ce  que  nous  fîmes  sous  les  auspices  de  la 
glorieuse  Mère  de  Dieu,  au  jour  heureux  de  son 
Annonciation,  en  vous  permettant,  à  vous,  Xos  Très 
Chères  Filles,  qui  êtes  ici  décidées  à  vous  consacrer  à 
Dieu,  de  vous  réunir  pour  vivre  ensemble  et  éprouver 
votre  vocation. 

"  Plus  d'une  année  s'est  écoulée  dans  l'exercice  et 
la  pratique  des  devoirs  de  la  vie  religieuse.  L'on  ne 
vous  a  pas  caché  les  peines  et  les  souffrances  de  cette 
vie  vraiment  pénible  à  la  nature,  que  vous  désirez 
mener.  Vous  avez  eu,  nous  le  croyons,  toutes  les 
épreuves  que  le  Seigneur  a  coutume  de  ménager  à 
celles  qu'il  veut  consacrer  à  son  service.  Vous  n'en 
avez  pas  été  effrayées,  N.  T.  C.  S.  ;  et  la  grâce  qui 
vous  avait  appelées  a  soutenu  évidemment  votre  cou- 
rage, au  milieu  des  tentations  sans  nombre  qui  sont 
venues  vous  assaillir.     Par  la  miséricorde  de  Dieu, 

'  Job.  29.  15. 


MÈRE    GAMELIX  115 

A'ous  êtes  tellement  affermies  dans  cet  état,  que  tous 
nous  demandez  de  vous  y  fixer  aujourd'hui  irrévoca- 
blement et  pour  toute  votre  vie.  Oui.  pour  toute 
votre  vie,  vous  voulez  renoncer  au  monde  et  à  toutes 
ses  joies,  pour  devenir  les  épouses  de  Jésus-Christ  et 
les  servantes  de  ses  pauvres.  Ce  n'est  pas  aveuglé- 
ment que  vous  faites  ce  choix  :  car  vous  avez  appris 
par  votre  expérience  personnelle,  que  désormais  vous 
ne  serez  plus  dans  le  monde  pour  assister  à  ses  fêtes 
et  à  ses  spectacles,  mais  pour  entendre  les  gémisse- 
ments des  malheureux,  pour  essuyer  les  pleurs  des 
veuves  et  des  orphelins,  pour  donner  à  manger  à 
«eux  qui  ont  faim,  pour  soigner  les  malades,  recueillir 
les  derniers  soupirs  des  mourants,  ensevelir  les  morts, 
en  un  mot,  faire  toutes  les  œuvres  de  miséricorde 
spirituelles  et  corporelles. 

"  Telle  est  la  sublime  vocation  à  laquelle  vous 
vous  sentez  appelées  et  que  vous  voulez  suivre  avec  la 
grâce  de  Dieu.  Dans  la  ferme  confiance  oii  vous 
êtes  que  vous  ne  faites  qu'accomplir  la  sainte  volonté 
■de  Dieu,  en  vous  offrant  à  sa  divine  ^lajesté  pour  de- 
venir les  servantes  des  pauvres,  vous  nous  demandez 
de  vous  donner  les  bénédictions  que  l'Eglise  a  cou- 
tume de  répandre  sur  les  vierges,  la  portion  choisie 
-de  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ  :  et  comme  il  est  du 
•devoir  de  notre  chargre  de  seconder  de  tout  notre  pou- 
voir tout  ce  qui  peut  contribuer  à  la  gloire  de  Dieu 


116  VIE    DE 

et  au  salut  du  prochain,  nous  avons  approuvé  et  ap- 
prouvons hautement  votre  pieux  dessein.  Non  seu- 
lement nous  l'approuvons,  mais  encore  nous  voulons 
bien  le  confirmer  et  le  consacrer  au  nom  du  Seigneur 
et  de  la  sainte  Eglise. 

"  A  ces  causes,  le  saint  nom  de  Dieu  invoqué,  et 
de  l'avis  de  nos  vénérables  Frères  les  chanoines  de 
notre  cathédrale,  nous  avons  statué,  réglé  et  or- 
donné, réglons,  statuons  et  ordonnons  ce  qui  suit  : 

"  1°  Xous  érigeons  canoniquement  l'Asile  de  Mont- 
réal pour  les  femmes  âgées  et  infirmes,  ouvert  dans, 
la  maison  de  la  Providence,  et  déjà  reconnu  par 
un  statut  du  parlement  provincial,  en  date  du  dix- 
huit  septembre  mil  huit  cent  quarante-un.  Xous 
établissons  aussi  canoniquement  les  sœurs  de  charité,, 
servantes  des  pauvres,  pour  en  être  les  administra- 
trices, pour  avoir  soin  des  dites  femmes  âgées  et  infir- 
mes et,  en  même  temps,  pour  visiter  les  pauvres  et 
soigner  les  malades  à  domicile,  et  faire  d'autres  œu- 
vres de  charité,  selon  qu'il  plaira  à  Dieu  de  leur  ins- 
pirer. 

"  2°  Nous  permettons  aux  sœurs  novices  sus-men- 
tionnées,  et  à  toutes  celles  que  le  Seigneur  appellera 
à  imiter  leur  genre  de  vie,  de  faire  pour  leur  vie  les 
vœux  simples  de  pauvreté,  chasteté,  obéissance,  et  de 
servir  les  pauvres. 


MÈRE    GAMELIX  117 

"  3°  ISTous  donnons  à  la  nouvelit  communauté,  pour 
son  bon  gouvernement,  premièrement,  les  Eègles 
communes  des  Filles  de  la  Charité,  servantes  des  pau- 
vres et  des  malades,  instituées  en  France  par  saint 
Vincent  de  Paul  :  secondement  les  constitutions 
particulières  que  nous  jugeons  devoir  contribuer  au 
plus  grand  bien  de  ce  nouvel  institut  ;  troisième- 
ment  un  cérémonial  propre  à  cette  congrégation.  .  . 

'•'  Telles  sont,  X.  T.  C.  S.,  les  dispositions  que  nous 
avons  jugé  à  propos  de  faire  pour  que  votre  consécra- 
tion à  Dieu  fût  stable  et  permanente.  Daigne  le  Sei- 
gneur Jésus,  qui  s'est  fait  pauvre  pour  nous  enrichir 
de  ses  biens,  avoir  pour  agréable  le  sacrifice  que  vous 
êtes  prêtes  à  lui  faire  de  vos  personnes  et  de  tout  ce 
qui  vous  appartient. 

"  Qu'il  bénisse  le  généreux  dessein  que  voiis  avez 
formé  et  qu'aujourd'hui  vous  voulez  exécuter  aux 
pieds  de  ses  autels  ;  qu'il  vous  fasse  la  grâce  de  l'ac- 
complir heureusement,  malgré  les  difficultés  sans 
nombre  qui  vous  attendent  ;  qu'il  vous  donne  à 
toutes  des  cœurs  de  mères  pour  vos  pauvres,  et  que 
votre  caractère  distinctif  soit  la  compassion  pour  tous 
les  malheureux.  Que  votre  joie  se  multiplie  en 
voyant  multiplier  votre  famille,  la  grande  famille 
des  pauvres.  Que,  pour  subvenir  à  leurs  nombreux 
besoins,  le  Seigneur  vous  ouvre  le  trésor  de  sa  Provi- 


118  YIE    DE 

dence.  Qu'il  envoie  de  généreuses  compagnes  qui, 
quittant  courageusement  le  monde  avec  tous  ses  plai- 
sirs, trouvent  comme  vous  leur  bonheur  à  être  les 
humbles  servantes  des  pauvres. 

"Enfin,  que  ce  Dieu  tout  bon  et  tout  miséricor- 
dieux vous  protège  et  vous  garde  au  milieu  des  périls 
sans  nombre  auxquels  a'ous  pourriez  être  exposées,  et 
qu'il  vous  fasse  entendre,  au  dernier  de  vos  jours, 
ces  consolantes  paroles  de  J.-C.  N.-S  :  "  Venez,  les 
bénis  de  mon  Père,  posséder  le  rovaimie  qui  vous  a 
été  préparé  dès  l'origine  du  monde  ;  car  j'ai  eu  faim, 
et  vous  m'avez  donné  à  manger  ;  j'ai  été  étranger,  et 
vous  m'avez  recueilli  ;  j'ai  été  nu,  et  vous  m'avez 
revêtu  ;  j'ai  été  malade,  et  vous  m'avez  visité  ;  j'ai 
été  en  prison,  et  vous  êtes  venus  à  moi." 

'•'Donné  à  Montréal,  ce  vingt-neuvième  jour  de 
mars  mil  huit  cent  quarante-quatre,  sous  notre  seing 
et  sceau  et  le  contre-seing  de  l'un  de  nos  chanoines, 
pour  cette  œuvre  notre  secrétaire. 

f  Ig.,  Evêque  de  Montréal. 

Pour  Monseigneur, 

J.-C.  Peince,  Chan. 

"  Ce  fut  après  la  lecture  de  ce  document  important, 
continuent  les  Mélanges  religieux,  et  une  nou- 
velle interpellation  de  la  part  de  l'évêque.  que  les  sept 


MÈRE    GAMELIX  119 

noYices,  examinées  et  appelées  à  la  profession,  firent 
chacune  distinctement  leurs  vœux  dans  Tlustitut, 
et  en  déposèrent  l'acte  entre  les  mains  du  prélat,  qui 
le  plaça  sur  l'autel.  De  suite,  l'évêque  bénit  les 
vêtements  des  professes  et.  les  leur  ayant  remis,  elles 
les  baisèrent  avec  joie  et  se  retirèrent,  accompagnées 
des  dames  d'honneur,  dans  un  appartement  voisin, 
pour  s'en  revêtir. 

"  Cependant  on  récitait  au  chœur  les  litanies  des 
Saints.  A  la  fin  de  ces  prières,  les  professes,  sous 
leur  nouveau  costume,  revinrent  se  prosterner  de- 
vant l'autel,  pour  y  recevoir  les  bénédictions  pres- 
crites au  pontifical  et  prendre  l'anneau  et  la  croix 
qu'elles  doivent  porter.  Ce  qu'il  y  eut  de  particulier 
dans  cette  cérémonie  fut  que  l'évêque  fit  mettre  l'an- 
neau au  doigt  de  la  professe  par  la  pauvre  infirme, 
que  la  sœur  avait  auprès  d'elle,  et  que  celle-ci  lui  dit 
en  même  temps  :  "Souvenez-vous,  ma  sœur,  que  vous 
devenez  aujourd'hui  la  servante  des  pauvres."  De 
même,  ce  fut  la  dame  d'honneur  qui  présenta  et 
plaça  la  croix  sur  la  poitrine  de  la  sœur,  dont  elle 
devenait  alors  la  mère  et  la  protectrice,  en  s'enga- 
geant  à  assister  les  pauvres  en  esprit  d'union  et  de 
charité  :  puis  l'évêque  confirma  cette  pieuse  alliance 
par  des  prières  et  des  bénédictions.  Par  un  senti- 
ment   spontané    de  générosité    et  de  tendresse,  les 


120  VIE    DE 

dames  d'honneur  saisirent  ce  moment  pour  passer 
une  abondante  aumône  à  leurs  filles  adoptives,  qui  de 
leur  côté  se  hâtèrent  de  reverser  cette  offrande  dans 
le  sein  des  pauvres  infirmes,  placées  tout  auprès  d'el- 
les. Admirable  union  de  la  richesse  et  de  la  pau- 
vreté, qui,  dans  la  religion,  se  tiennent  comme  par  la 
main,  et  qui  se  retrouvent  encore  plus  divinement 
unies,  en  se  plaçant  l'une  à  côté  de  l'autre  à  la  table 
sainte,  pour  s'y  nourrir  ensemble  du  même  pain  de 
vie  ! 

"  Le  reste  de  la  cérémonie  consista  en  un  acte  de 
consécration,  qui  se  fit  au  pied  de  l'autel  de  Marie,  où 
l'on  remarquait  une  superbe  statue  de  la  Vierge,  pré- 
sentée par  les  jeunes  demoiselles  réputées  orphelines. 
Enfin,  après  la  célébration  de  la  messe,  l'on  chanta  le 
Te  Deum  :  puis  la  petite  communauté  se  retira  pro- 
cessionnellement  dans  ses  salles,  en  chantant  le 
psaume   Hcce  quam  honum. 

"  Yoilà  donc  où  en  est  heureusement  arrivée  l'œu- 
vre de  madame  Gamelin,  aidée  et  soutenue  par  le  zèle 
infatigable  des  dames  de  charité.  Ces  dames  reçoi- 
vent aujourd'hui  la  récompense  de  leurs  courageux 
efforts,  en  les  voyant  favorisés  par  une  communauté 
qui  prendra  sur  elle  tout  ce  qu'il  y  aura  de  sacrifices 
et  de  dévouement.  Aussi,  depuis  son  origine,  cette 
œuvre  a  été  tellement  coûtée  de  tous  les  citovens  de 


3IÈEE    GAMELIX  l'31 

Montréal,  qu"on  a  vu,  par  leurs  dons,  un  superbe  édi- 
fice, de  cent  pieds  sur  soixante,  s'élever  comme  par 
enchantement  en  moins  de  douze  mois,  et  fournir 
déjà  un  asile  à  plus  de  quarante  infirmes,  pauvres  et 
âgés.  En  vérité,  on  ne  peut  que  féliciter  notre  ville  de 
ce  zèle  admirable  et  si  bien  soutenu,  qui  lui  donne  un 
rang  bien  marqué  parmi  les  cités  de  l'Europe  les  plus 
vantées  pour  leurs  aumônes  et  leurs  établissements 
religieux."'  ^ 

Le  lendemain,  30  mars,  Mgr  Bourget,  accompagné 
de  MM.  les  chanoines  Prince  et  Plamondon,  réunit  les 
nouvelles  professes.  31.  Prince  leur  fit  signer  l'acte 
d'acceptation  des  règles  de  Saint  Vincent  de  Paul  ; 
puis  l'évêque,  leur  ayant  lu  la  règle  concernant  l'é- 
lection d'une  supérieure,  et  donné  les  dispenses  néces- 
saires, procéda  à  l'élection  des  premières  officières, 
qui  donna  le  résultat  suivant  :  sœur  Gamelin,  supé- 
rieure ;  sœur  Vincent  de  Paul,  assistante  ;  sœur  Thi- 
bodeau,  maîtresse  des  novices  ;  sœur  Caron,  déposi- 
taire. 

La  communauté  était  organisée,  et  le  but  de  l'insti- 
tut, officiellement  défini.  Outre  les  œuvres  extérieu- 
res, quarante-deux  infirmes  se  partageaient  les  soins 
de  nos  premières  mères,  c|ui  devaient  se  multiplier 
pour  répondre  aux  besoins  de  leurs  pattvres.     Mère 

'  Mélanges  religieux,  22  a^Til  1844. 


122  VIE    DE 

Gamelin  ne  se  donnait  pas  un  instant  de  repos.  Son 
cher  asile  n'était  pas  encore  pourvu  de  tout  Tameuble- 
ment  nécessaire.  C'est  à  peine  si  chacune  avait  une 
chaise  pour  se  reposer  après  les  fatigues  de  la  journée; 
durant  le  jour,  on  ne  songeait  guère  à  s'asseoir,  bien 
que  le  lever  se  fît  dès  quatre  heures  et  demie. 

La  pauvreté  était  grande  ;  la  nourriture,  d'une  ex- 
trême frugalité.  On  a  peine  à  comprendre  comment, 
au  milieu  de  leurs  privations,  nos  mères  ont  pu  exécu- 
ter sans  défaillir  la  somme  de  travail  qu'elles  s'impo- 
saient. 

Les  survivantes  de  cette  époque, — et  nous  pouvons 
dire  des  quinze  ou  vingt  années  suivantes, — nous  tra- 
cent un  tableau  émouvant  des  privations  pénibles 
qu'elles  devaient  s'imposer,  et  qu'elles  supportaient 
avec  patience  et  avec  joie.  La  nourriture  se  compo- 
sait de  têtes  de  mouton,  bouillies  dans  l'eau.  Chaque 
jour  étant  jeûne  de  règle,  le  pain  sec  faisait  tous  les 
frais  du  déjeuner,  arrosé  d'une  sorte  de  café  artificiel, 
sans  sucre  ni  lait,  composé  soit  d'orge  moulée  et 
grillée,  soit  de  croiites  de  pain  grillées,  recueillies 
dans  les  hôtels  de  la  ville.  Au  souper,  on  faisait  diver- 
sion, pour  le  breuvage,  avec  du  thé  dont  les  feuilles 
avaient  déjà  subi  une  première  infusion  dans  les  mai- 
sons de  pension  du  voisinage.  Le  beurre  était  un 
luxe  rare,  réservé  aux  jours  d'abstinence,  où  il  rem- 


MÈKE    GAMELIX  123 

plaçait  la  graisse  de  jambon,  ou  toute  autre  que  l'on 
recevait  de  la  charité.  Si  d'aventure  il  apparaissait  sur 
la  table  un  morceau  de  fromage,  autre  offrande  de  la 
charité,  on  devait  choisir  entre  le  beurre  et  ce  régal 
extraordinaire,  l'usage  des  deux  ensemble  étant  inter- 
dit. "  Xous  étions  pauvres,  dira  plus  tard  l'une  de 
ces  généreuses  servantes  des  pauvres,  comme  pas  une 
des  familles  indigentes  que  nous  visitions." 

Et  malgré  cela  elles  étaient  heureuses,  parce 
qu'elles  avaient  la  consolation  de  se  dire  qu'elles  re- 
produisaient en  elles  la  divine  pauvreté  du  Maître 
dont  elles  s'étaient  vouées  à  secourir  les  membres 
nus  et  souffrants,  et  qu'elles  avaient  conscience  d'ac- 
complir une  œuvre  marquée  au  sceau  de  la  croix, 
par  l'humilité,  le  dénûment  et  la  charité. 

Xotre  vénérée  mère  puisait  dans  son  inaltérable  foi 
en  la  Providence  la  confiance  dont  elle  avait  besoin 
au  sein  des  embarras  et  des  exigences  d'une  admi- 
nistration qui  allait  se  compliquant.  Elle  avait 
mille  moyens  ingénieux  pour  calmer  les  inquié- 
tudes et  ranimer  la  confiance.  Un  jour,  la  sœur  cui- 
sinière vint  l'avertir  qu'il  n'y  avait  rien  pour  le  dîner: 
"Ne  craignez  pas,  ma  fille,  lui  dit-elle  paisiblement, 
la  Providence  ne  saurait  manquer  de  nous  envoyer 
notre  dîner.  Venez  avec  moi,  nous  irons  chanter, 
pour  prouver  que  nous  ne  sommes  nullement  inquiè- 


124  VIE    DE 

tes,"  et  elles  se  rendirent  à  la  salle  des  vieilles;  celles- 
ci,  en  voyant  arriver  la  mère,  vinrent  se  grouper  au- 
tour d'elle,  à  leur  habitude  :  "J'ai  une  faveur  à 
obtenir  tout  de  suite  de  la  divine  Providence,  leur 
dit-elle,  voulez-vous  ni"aider  à  chanter  notre  beau 
cantique  ?"  Et  aussitôt  les  bonnes  vieilles,  se  recueil- 
lant, mêlèrent  leur  voix  chevrotante  à  celles  de  la 
mère  et  de  sa  compagne,  qui  chantaient  à  pleine  voix 
le  cantique  suivant  : 


O   douce  Providence, 
Dont  les  divines  mains 
Sur  nous  en  abondance 
Képandent  tous   les  biens! 
Qui  povu'rait  méconnaître 
L'auteur  de  ces  présents, 
Et  ne  pas  se  remettre 
Entre  ses  bras  puissants? 


S'il  verse  ses  richesses 
Sur  la   fleur  du  printemps, 
S'il  étend  ses  largesses 
Jusqu'à  l'herbe  des  champs. 
Que  fera  sa  tendresse 
Pour  l'homme  qu'il  chérit, 
Pour  l'être  où  sa  sagesse 
Imprima   son  esprit? 


Si  ce  Dieu  qui  nous  aime 
Accorde  sou  secours 
Au  passereau  lui-même, 
Dont  il  soutient  les  jours, 
Auteur  de  la  nature, 
Mettra-t-il  en  oubli 
L'homme,  sa  créature 
La  plus  digne  de  lui? 


MÈRE    GAMELIX  125 


Oui,  sa  sollicitude 
Veille  à  tous  nos  besoins; 
Sans  nulle  inquiétude 
Jetons  sur  lui  nos  soins; 
î^'otie   Dieu,  c'est  un  père 
Qui  nous  porte  en  son  cœur. 
Et   la  plus  tendre  mère 
N'eut  jamais  sa  douceur. 


En  quittant  la  salle,  mère  Gainelin  se  rendit  à  la 
c-uisine.  Elle  y  trouva  quelques  restes  du  dîner  de  la 
veille,  à  peine  suffisants  pour  le  repas  de  cinq  ou  six 
personnes  :  "  Faites  les  réchauffer,  dit-elle  en  sou- 
riant à  la  sœur  cuisinière,  et  vous  verrez  que  vous 
pourrez  servir  votre  dîner."  En  effet,  le  repas  de  toute 
la  maison  fut  servi;  les  plats  de  chaque  table  furent 
remplis  ;  et  il  en  resta  après  le  dîner.  La  dépositaire 
•de  l'époque,  et  celles  qui  l'ont  suivie  assurent  que  ce 
miracle  de  la  Providence  s'est  renouvelé  plusieurs 
fois,  et  que  des  provisions,  qui  auraient  dû  s'épuiser 
en  une  semaine,  durèrent  des  mois  entiers,  sans  pa- 
raître diminuer. 

Le  chant  était  une  des  ressources  spirituelles  de 
mère  Gamelin.  Se  trouvait-elle  en  quelque  embarras 
d'argent,  elle  chantait  et  faisait  chanter  aux  sœurs  son 
cantique  favori  "  0  douce  Providence  ".  Un  nuage 
de  tristesse  planait-il,  pendant  la  récréation,  sur  la 
petite  communauté,  aussitôt  elle  entonnait  gaiement: 


Goûtez,  âmes  ferventes, 
Goûtez  votre  bonheur. 


136  VIE    DE 

Les  autres  reprenaient  avec  entrain,  et  la  tristesse 
était  vite  dissipée.  Xotre  vénérée  fondatrice  aimait 
beaucoup  le  chant  et  la  musique,  et  elle  dirigea 
longtemps  elle-même  le  chœur  de  la  maison.  L'asile 
ne  possédait  alors  aucun  instrument  de  musique;  nos 
mères  chantaient  dans  le  premier  jubé  de  la  chapelle, 
souvent  à  genoux,  ou  encore,  comme  sainte  Thérèse 
et  ses  compagnes,  assises  sur  leurs  talons.  Comme  la 
communauté  n'était  pas  nombreuse,  chacune  prêtait 
le  concours  de  sa  voix.  Mgr  Bourget  encourageait 
leur  pieuse  émulation  :  "  Chantez,  leur  disait-il,, 
chantez,  soyez  les  colombes  gémissantes  du  sanc- 
tuaire. Que  votre  hymne  favorite  soit  le  Stabat 
Mater.  Votre  chant  simple,  vos  pieux  cantiques 
convertiront  peut-être  des  âmes  que  les  meilleurs 
sermons  n'auront  pu  toucher." 

Le  mois  de  mai  IS-l-i  fut  pour  la  petite  commu- 
nauté un  mois  de  bénédiction.  La  A'ierge  Imma- 
culée s'y  montra  prodigue  de  ses  faveurs.  Aussi,  ses 
filles  redoublèrent-elles  à  son  égard  les  hommages  de 
leur  respect  et  de  leur  reconnaissance.  Mère  Game- 
lin  voulait  que  chaque  jour  les  plus  belles  fleurs  du 
jardin  ornassent  son  autel.  "  Puisse,  disait-elle,  le 
parfnin  de  ces  fleurs  cicatriser  les  blessures  de  son 
cœur  maternel,  percé  de  tant  de  glaives  de  dou- 
leur !"     Le  coir,  la  petite  famille  se  réunissait  dans 


MÈEE    GAMELIN  127 

l'humble  chapelle  et  y  chantait  ses  plus  beaux 
cantiques.  Mais  l'ofCrande  la  plus  riche  qu'elle  pré- 
senta à  la  Mère  de  Dieu  fut  l'œuvre  des  orphelines,^ 
inaugurée  le  premier  jour  du  mois  de  mai. 

Le  cœur  compatissant  de  mère  Gamelin  ne  pou- 
vait voir  sans  douleur  le  grand  nombre  de  pauvres- 
orphelines  qui  demeuraient  sans  asile  et  sans  protec- 
tion, par  suite  de  la  mort  de  leurs  parents,  exposées, 
dama  leur  isolement,  à  toutes  sortes  de  dangers.  Les 
ressources  restreintes  de  l'asile  ne  semblaient  pas  lui 
permettre  d'entreprendre  l'œuvre  d'un  orphelinat.  Ce- 
pendant son  zèle  mdustrieux  lui  en  fit  trouver  bien- 
tôt le  moyen.  Elle  convoqua  les  dames  de  charité  à 
une  assemblée  extraordinaire,  et  elle  leur  parla  avec 
tant  d'onction  et  de  chaleur  de  ces  pauvres  enfants, 
dont  les  mères,  plus  d'une  fois,  avaient  expiré  entre 
ses  bras,  que  les  dames,  dont  Mme  Nolan  était  alors- 
présidente,  décidèrent  sans  hésitation  d'affecter  à  cet 
usage  une  salle  de  l'asile  et  d'y  recevoir  immédiate- 
ment douze  orphelines,  pour  lesquelles  elles  s'enga- 
geaient à  payer  une  pension  de  dix  à  quinze  schel- 
lings  par  mois. 

Non  seulement  le  principe  de  l'œuvre  était  ac- 
cepté, mais  l'œuvre  même  était  fondée,  et  ce  fut 
une  grande  joie  pour  le  cœur  de  notre  bonne  mère. 


128  VIE    DE 

Douze  mois  plus  tard,  on  comptait  dans  la  même  salle 
cinquante  orphelines. 

On  s'appliquait  à  leur  donner  Tinstruction  élémen- 
taire et  une  forte  éducation  chrétienne  ;  on  les  for- 
mait aux  soins  du  ménage  et  aux  travaux  manuels, 
pour  les  mettre  à  même  de  gagner  leur  vie. 

Ce  fut  pour  assurer  des  ressources  à  ces  œuvres 
nouvelles,  que  mère  Gamelin  établit,  le  10  septembre 
1844,  l'œuvre  des  dames  pensionnaires.  ^  A  cette 
ressource  l'on  ajouta  celle  d'un  travail  rémunérateur: 
diverses  salles  furent  consacrées  à  la  confection  des 
soutanes  et  des  ornements  d'églises,  des  cierges  et  des 
hosties,  à  la  fabrication  du  savon  et  du  tissage.  Les 
jours  n'étaient  pas  assez  longs  pour  accomplir  tous 
ces  travaux  ;  on  y  consacrait  une  partie  des  nuits,  et 
souvent,  après  de  longues  veilles  passées  au  chevet 
des  malades  pauvres,  dans  une  atmosphère  sur- 
chauffée et  viciée,  les  sœurs,  le  matin,  se  remettaient 
allègrement  à  l'ouvrage,  sans  avoir  pris  un  instant  de 
repos.  N'est-il  pas  permis  de  penser  que  c'est  à  ce 
travail  ardu  de  nos  premières  mères,  arrosé  de  tant 
de  sueurs  et  si  vaillamment  supporté,  que  nous  de- 
vons les  bénédictions  et  la  prospérité  dont  jouit  au- 
jourd'hui notre  humble  institut  ? 


^  Les  premières  dames  admises  furent  ]\llles  Louise 
Lacroix,  \Vhite,  Burrouglis,  Malo.  Duluth.  Masson.  ]Morand, 
McCord  et  Mme  Asselin. 


MÈIÎE    GAMELIX  139 

Le  26  mai  fut  un  jour  de  pieuse  réjouissance  pour 
Tasile,  qui  vit  bénir  sa  cloche  extérieure.  î^'ous  em- 
pruntons encore  aux  Mélanges  religieux  le  récit  de 
cette  fête  imposante. 

"  Dimanche  après-midi,  eut  lieu  à  la  cathédrale 
la  bénédiction  solennelle  d'une  cloche,  donnée  à  l'é- 
glise de  la  Providence  par  M.  Ls  de  Lagrave,  com- 
merçant de  cette  ville.  Mgr  l'évêque  de  Montréal  fit 
lui-même  cette  cérémonie,  à  laquelle  prenait  part 
Messire  Quiblier,  supérieur  du  Séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  avec  quelques  messieurs  de  sa  maison.  Le 
concours  des  fidèles  remplissait  la  nef  et  les  galeries. 
Le  discours  de  circonstance  fut  prononcé  par  M.  Por- 
lier,  curé  de  Terrebonne,  qui,  tout  en  développant  à 
son  nombreux  auditoire  les  pieuses  significations  de 
cette  cérémonie,  sut  encore  intéresser  la  générosité 
du  public  en  faveur  de  l'œuvre  providentielle  de  nos 
Sœurs  de  Charité. 

'•'  Son  Honneur  J.  Viger,  premier  et  ancien  maire 
de  Montréal,  faisait,  avec  Mme'  D.-B.  Viger,  les 
honneurs  de  parrain  et  de  marraine  à  la  nouvelle 
cloche.  M.  Olivier  Berthelet,  un  des  premiers  bien- 
faiteurs de  la  maison  de  la  Providence,  et  Mme  J. 
Bourret,  épouse  du  maire  actuel  de  la  cité,  M.  C.-S. 
Cherrier  et  Mme  Ls  de  Lagrave,  M.  Antoine  Léves- 
que  et  Mme  C.  Breault  recueillaient  les  offrandes  des 
fidèles. 


130    •  VIE    DE 

"  La  cloche  qui  vient  d'être  bénite  est  du  poids  de 
cent  dix-huit  livres  et  répond  parfaitement  à  la  note 
la  ;  le  son  est  plein  et  très  agréable.  Elle  a  été  nom- 
mée ]\Iarie-Elizabeth-Geneviève  ;  et  l'insertion  de 
ces  noms,  gravés  sur  les  parois,  porte  aussi  que  c'est 
l'offrande  que  fait  madame  Geneviève  de  Lagrave, 
née  Î^Tormandeau,  à  l'asile  de  la  Providence,  avec  la 

date  et  le  lieu. 

"  La  collecte,  en  sus  des  étoffes  et  ornements  dé- 
posés sur  la  cloche,  et  qui  ont  dû  coûter  au  moins 
cent  écus,  la  collecte,  disons-nous,  s'est  montée  ce 
jour-là  à  £78.  Cette  abondante  aumône  fournira  pro- 
bablement aux  administratrices  de  l'asile  le  moyeu 
de  faire  construire  un  clocher,  qui  sera  en  harmonie 
avec  le  reste  de  l'édifice.  Il  n'y  aurait  plus  alors  que 
l'extrémité  du  fronton,  qu'il  ne  leur  serait  point  en- 
core possible  de  parachever  maintenant .  .  .  Nous  som- 
mes persuadés  que  la  générosité  de  quelque  charitable 
citoyen  fera  bientôt  disparaître  cette  petite  discor- 
dance, et  complétera  le  splendide  bâtiment  dont  la 
charité  catholique  a  voulu  doter  notre  ville.  Le 
passé  nous  répond  de  l'avenir.  D'ailleurs,  les  dons 
se  continuent,  et  la  nouvelle  baptisée  attendra  en- 
core pendant  quelques  jours,  sous  son  élégant  pavil- 
lon, qu'une  pieuse  curiosité  vienne  faire  vibrer  les 
accents  de  sa  voix  charitable. 


MÈRE    GAMELIX  131 

"  Nous  ajouteron's  un  mot  pour  révéler  les  secrets 
-de  la  reconnaissance  et  soutenir  les  efforts  de  la  vraie 
<;harité.  On  nous  informe  que  cette  cloche,  aussitôt 
qu'elle  sera  placée  dans  son  beffroi,  sera  régulière- 
ment sonnée  tous  les  soirs,  au  jour  tombant,  pour 
avertir  la  communauté  et  inviter  les  fidèles  à  prier 
pour  les  bienfaiteurs  défunts.  Il  y  aura  même  une 
indulgence  attachée  à  la  récitation  du  De  profiindis 
ou  de  quelqu'autre  prière  pour  le  soulagement  des 
âmes  du  purgatoire.  ^  '' 

Aujourd'hui  encore,  dans  ce  même  clocher,  élevé 
il  y  a  plus  d'un  demi-siècle  par  la  charité  mont- 
réalaise, lorsque  la  journée  s'achève  dans  les  der- 
niers feux  du  soir,  la  petite  cloche  tinte  mélancoli- 
quement la  prière  des  morts,  et  à  la  même  heure, 
dans  toutes  nos  maisons,  des  centaines  de  pau- 
vres, d'infirmes  et  d'orphelins,  agenouillés  avec  nos 
sœurs,  murmurent,  pour  les  bienfaiteurs  qui  ne  sont 
plus,  les  versets  du  De  profundis  :■  "Seigneur,  écoutez 
ma  voix.  Que  vos  oreilles  deviennent  attentives  à 
la  voix  de  ma  supplication.  Seigneur,  donnez-leur  le 
repos  éternel  !  " 

Mère  Gamelin  gardait  une  profonde  reconnais- 
sance à  tous  les  bienfaiteurs  de  sa  maison.  Elle  n'en 
parlait  jamais  qu'avec  les  termes  de  la  vénération, 

^  Mélanges  religieux,  28  mai  1844. 


132  VIE    DE 

mêlée  à  la  plus  affectueuse  gratitude.  Elle  faisait 
chaque  jour  prier  à  leur  intention,  et  voulait  qu'on 
fût  fidèle  à  leur  souvenir.  Elle  recommandait  sou- 
vent avec  instance  à  ses  sœiurs  de  remercier  toujours 
avec  beaucoup  de  cordialité  les  personnes  dont  elles 
recevaient  la  moindre  offrande,  la  plus  légère  obole. 

Les  dames  de  charité,  qui  l'avaient  si  puissam- 
ment aidée  dans  la  fondation  de  son  œuvre,  étaient 
surtout  l'objet  de  son  affection  et  de  sa  sollicitude  la 
plus  délicate.  Dès  le  15  novembre  1843,  elle  leur 
avait  procuré  l'avantage  d'une  retraite  de  trois  jours,, 
qui  fut  prêchée  dans  la  nouvelle  chapelle  par  Mgr 
Bourget  lui-même.  L'année  suivante,  au  mois  de 
septembre,  une  seconde  retraite  fut  donnée  par  les 
EE.  PP.  Léonard,  Lagier  et  Guigues,  de  la  congré- 
gation des  Oblats  de  Marie  Immaculée.  Le  très 
grand  ascendant  que  mère  Gamelin  exerçait  dans  le 
monde  attirait  à  ces  retraites  un  certain  nombre  de- 
dames  et  de  demoiselles.  Plusieurs  d'entre  elles  pre- 
naient durant  ces  jours  leur  pension  à  l'asile,  afin 
de  jouir  d'un  recueillement  plus  parfait.  C'était 
pour  elles  un  souvenir  et  un  renouvellement  très- 
doux  des  heures  do  prière  et  de  solitude  qu'elles 
avaient  goûtées  autrefois  durant  leurs  retraites  du 
pensionnat. 

Le  jour  de  la  clôture  de  la  retraite,  c'était  fête  pour 


MÈRE    GAilELIX  133 

les  hôtes  de  la  charité.  Les  dames  servaient  elles- 
mêmes  aux  rieilles  et  aux  orphelines  un  dîner  de 
gala  ;  elles  passaient  au  milieu  d'elles  la  plus  grande 
partie  de  la  journée  et  s'ingéniaient  à  les  intéresser  et 
les  amuser  de  la  meilleure  grâce  du  monde.  Elles  se 
retiraient  le  soir,  après  la  bénédiction  du  Saint-Sacre- 
ment, laissant  la  douceur  et  la  joie  dans  tous  ces 
cœurs,,  privés  des  alïections  et  de  l'intimité  du  foyer, 
après  avoir  retrempé  dans  la  ferveur  de  l'amour  de 
Dieu  leur  tendresse  et  leur  dévouement  pour  le  pro- 
chain. 

Ces  fêtes  données  à  nos  pauvres  causaient  au  cœur 
si  bon  de  notre  vénérée  mère  un  bonheur  indicible. 
Elle  jouissait  de  l'allégresse  qui  rayonnait  sur  la 
figure  de  ses  chères  vieilles,  qu'elle  aimait  tant. 

Ces  dîners,  inaugurés  par  elle,  se  sont  perpétués 
jusqu'à  nos  jours.  ^ 

Ils  constituent  une  des  plus  touchantes  manifes- 
tations de  l'affectueux  intérêt  que  ,nos  dames  de  cha- 
rité ont  hérité  de  leurs  aînéets. 

Deux  épreuves  affligèrent  la  communauté  au  cours 
de  cette  année  1845. 

La  première  fut   le  départ   de  M.  Prince  comme 

^  Depuis  1850,  la  famille  Cuvillier  donne  chaque  année 
un  dînei-  aux  pauvres  infirmes  de  l"asile  de  la  Providence. 
;Mlle  Luce  Cuvillier  et  ilme  F.-A.  Routh,  née  Cuvillier,  se 
font  une  douce  jouissance  de  venir  elles-mêmes  servir  ce  re- 
pas offert  par  leur  charité. 


134  VIE    DE 

chapelain  de  l'asile.  Xommé,  le  5  juillet,  coadjuteur 
de  Mgr  Bourget,  il  dut  se  désister  de  ses  fonctions  de 
chapelain,  le  10  novembre  suivant.  Mais  devenu  su- 
périeur de  la  maison,  il  put  maintenir  avec  elle  des 
liens  que  son  dévouement  et  ses  lumières  avaient 
rendus  très  forts  et  très  précieux.  Il  fut  remplacé 
comme  chapelain  par  M.  le  chanoine  Truteau.  ^ 

La  seconde  épreuve  fut  l'incendie  de  la  Maison 
jaune,  au  mois  d'octobre.  Xos  mères  eurent  la  dou- 
leur de  voir  disparaître  sous  leurs  A'eux,  dévoré  par 
les  flammes,  ce  premier  abri  de  leur  ferveur  et  de 
leurs  travaux,  ce  berceau  de  la  communauté.'-  Elles 
ne  purent  s'empêcher  de  verser  des  larmes  sur 
la  perte  de  cette  maison,  qui  avait  accueilli  les 
premiers  jours  de  leur  vie  religieuse,  de  ces  murs 
qui  avaient  renfermé  les  espérances  et  les  prémices 
de   l'œuvre   de   notre  bien   aimée   fondatrice,    alors 

'  M.  Alexis-Frédéric  Truteau.  chanoine  de  la  cathédrale 
de  Montréal,  eut  à  s'occuper  de  notre  communauté,  soit 
comme  confesseur  ou  comme  supérieur,  pendant  vingt  et  un 
ans.  Il  mourut  le  28  décembre  1872,  à  l'âge  de  6é  ans.  et  fut 
enterré  dans  le  caveau  de  l'église  de  la  Pi"ovidence.  Sa 
grande  bienveillance,  son  affection  paternelle,  son  dévoue- 
ment aux  intérêts  spirituels  et  temporels  de  notre  Institut 
le  placent  au  premier  rang  de  nos  bienfaiteurs. 

Il  s'intéressait  très  particulièrement  à  l'œuvre  des  orphe- 
lines. Afin  de  leur  assurer  une  demeure  plus  spacieuse,  il  fit 
reconstruire  à  ses  frais  l'école  St-Jacques  incendiée  eu  1852. 
C'est  pour  perpétuer  le  souvenir  de  cette  généreuse  libéra- 
lité que  la  maison  porta,  depuis  lors,  le  nom  d'orphelinat 
Saint-Alexis. 

-  Après  l'entrée  de  la  communauté  dans  le  nouvel  édi- 
fice, la  Maison  jaune  avait  été  mise  en  location. 


MÈRE    GAMELIX  135 

si  faible  et  si  précaire.  Mais  elles  se  consolèrent 
peut-être  à  la  pensée  que  ce  sanctuaire  de  si  pré- 
cieux souvenir  aurait  pu,  un  jour,  être  profané  par 
d'indignes  usages,  et  que  la  petite  chambre  qui  avait 
été  longtemps  l'asile  du  Dieu  des  tabernacles  serait 
à  jamais  protégée  de  toute  souillure. 

Au  mois  suivant,  le  21  novembre,  fête  de  la  Pré- 
sentation de  la  sainte  Vierge,  trois  nouvelles  com- 
pagnes venaient  grossir  le  nombre  des  professes  ; 
-c'étaient  nos  sœurs  Geneviève,  Marie  du  Crucifix  et 
Marie  de  la  Nativité. 

Nos  jeunes  sœurs  aimeront  peut-être  à  se  rendre 
compte  des  divisions  et  de  l'aspect  de  Fasile,  à  l'é- 
poque où  nos  premières  mères  y  ont  prononcé  leurs 
vœux.  Plusieurs  changements  y  ont  été  faits  depuis. 
Qu'elles  nous  suivent  donc  à  travers  les  salles  et  les 
corridors  actuels,  et  nous  leur  signalerons  les  modi- 
fications successives  qui  ont  quelque  peu  transformé 
l'intérieur  de  l'édifice  primitif. 

Nous  prendrons  la  chapelle  pour  point  de  départ 
de  notre  promenade.  Ici,  rien  n'est  changé,  si  ce  n'est 
qu'une  modeste  décoration  est  venue  revêtir  la  nudité 
des  murailles.  Le  nef.  le  sanctuaire.  Tautel  sont  les 
mêmes  qui  ont  entendu  les  prières  de  nos  premières 
mères  et  le  chant  de  leurs  pieux  cantiques.  La  même 
aussi,  cette  statue  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs, 


136  VIE    DE 

qui  a  présidé  aux  engagements  sacrés  des  premières- 
professes  et,  à  leur  suite,  de  près  de  sept  cents  de  nos 
sœurs. 

En  laissant  la  chapelle  et  nous  dirigeant  vers  la. 
partie  ouest  de  la  maison,  nous  rencontrons,  à  droite 
du  corridor,  la  sacristie,  remplacée  aujourd'hui  par 
l'avant-chœur  et  le  réfectoire  des  prêtres.  A  gauche, 
était  la  salle  de  communauté,  transformée  depuis  en 
parloirs.  A  l'extrémité  de  cette  salle,  se  trouvait  une 
toute  petite  chambre,  éclairée  par  la  porte  vitrée 
qu'on  }•  voit  encore  :  c'est  là  que  couchait,  avec  sa 
compagne,  notre  vénérée  mère. 

A  l'est  de  la  chapelle,  nous  trouvons  la  même  divi- 
sion qu'autrefois,  mais  les  différentes  pièces  ont 
changé  de  destination.  Le  parloir  de  la  pharmacie 
était  alors  un  parloir  commun  ;  la  grande  pharmacie, 
un  parloir  privé,  où  le  prêtre  qui  avait  dit  la  messe 
prenait  ordinairement  son  déjeuner.  La  petite 
pharmacie,  attenante  à  cette  pièce,  servait  alors  tout 
à  la  fois  de  procure  et  de  pharmacie.  L'autre  côté 
du  corridor  était  occupé  par  le  noviciat. 

Au  second  étage,  dans  le  département  des  dames- 
pensionnaires,  la  division  est  demeurée  la  même  ; 
mais  du  côté  ouest,  la  grande  salle  des  infirmes  et 
celle  des  orphelines  sont  occupées  aujourd'hui  par- 
l'infirmerie  des  sœurs. 


MÈRE    GAMELIX  137 

Au  sous-sol,  au  dessous  de  la  communauté,  se 
trouvait  la  buanderie,  avec  une  très  petite  chambre  à 
repasser  ;  puis  venait  le  réfectoire  des  sœurs,  une 
chambre  à  tout  mettre  et  le  dépôt  des  pauvres  du  de- 
hors. Dans  l'espace  qui  contient  aujourd'hui  les 
fournaises,  se  trouvaient  la  cuisine,  la  dépense  et  les 
caves. 

Telle  était  la  maison  mère  en  1844.  Elle  comp- 
tait alors  un  personnel  de  cent  vingt  personnes. 


CHAPITRE  IX 
1845-1846 

AGRANDISSEMENT  DE  L'ASILE. — MÈRE  GAMELIN  AUPRÈS 
DES  VIEILLES  ET  DES  MALADES. — PREMIÈRE  VISITE 
CANONIQUE  DE  MGR  BOURGET.— SES  INSTRUCTIONS  SUR 
LES    VERTUS    DE    L'ÉTAT    RELIGIEUX. 

Notre  vénérée  fondatrice  avait  a  se  préoccuper  des 
embarras  d'argent  qu'entraînaient  les  œuvres  qu'elle 
dut  entreprendre. 

Les  pauvres  affluaient  de  tous  côtés.  On  ne  songe 
pas  toujoiirs  que  les  maisons  de  charité,  une  fois  cons- 
truites, ne  subsistent  point  toutes  seules.  Il  faut  les 
chauffer,  les  entretenir,  les  réparer.  Il  faut  nourrir 
les  pauvres  qu'elles  abritent,  les  vêtir,  les  soigner, 


138  VIE    DE 

lorsqu'ils  sont  malades  ;  d'où  une  série  de  dépenses 
qui  réclament  des  ressources  continuelles. 

L'asile  que  les  citoyens  de  Montréal  venaient  d'édi- 
fier par  leur  généreuse  libéralité;,  était  à  peine  rempli 
que  de  nouvelles  demandes  affluaient  de  différentes 
paroisse  du  diocèse  et  même  des  diocèses  voisins. 
En  face  de  cette  situation,  Mgr  Bourget  crut  devoir 
autoriser  la  publication  de  l'article  suivant  dans  les 
Mélanges  religieux. 

"  Depuis  quelque  temps,  une  foule  de  demandes 
sont  faites  à  l'asile  de  la  Providence,  pour  l'admis- 
sion de  pauvres  infirmes  ou  de  pauvres  femmes  âgées, 
de  toutes  les  parties  du  diocèse.  Plusieurs  de  ces  in- 
fortunées sont  venues  de  très  loin,  avec  beaucoup  de 
peines  et  de  fatigues,  solliciter  une  place  dans  cette 
maison,  envoj'ée^,  disaient-elles,  avec  l'assurance 
qu'on  leur  donnerait  un  refuge.  jSTous  croyons  donc 
urgent  de  prévenir  que  cet  asile,  déjà  rempli,  ne 
pourra,  d'ici  à  quelques  mois,  recevoir  aucune  autre 
infirme  que  celles  déjà  admises.  Il  est  aisé  de  com- 
prendre qu'un  établissement  qui  commence  ne  peut 
suffire  à  tous  les  besoins.  Nous  serions  même  éton- 
né que  les  personnes  déjà  reçues  puissent  être  soute- 
nues, si  nous  ne  connaissions  le  miracle  perpétuel 
qu'opère  la  charité  en  faveur  de  cet  utile  établisse- 
ment. Ainsi,  nous  nous  permettrons  de  prier  MM.  les 


o  ^ 


MÈKE    GAMELIN  139 

curés  d^informer  les  pauvres  de  leurs  paroisses,  qui 
se  disposeraient  à  faire  de  nouvelles  demandes  à  Fa- 
sile  de  la  Providence,  de  les  en  détourner,  afin  de  leur 
épargner  des  démarches  et  un  voyage  malheureuse- 
ment inutiles."  ^ 

■  Cependant  le  cœur  compatissant  de  mère  Gamelin 
souffrait  de  se  voir  forcée  de  fermer  la  porte  de  sa 
maison  à  tant  de  pauvres  vieilles,  forcément  négli- 
gées par  leurs  familles  indigentes,  sans  un  foyer  con- 
venable ni  les  soins  les  plus  élémentaires,  dans  les 
derniers  jours  d'une  vie  déjà  remplie  de  privations 
et  de  pénibles  travaux.  Elle  s'ouvrit  de  sa  peine  et 
de  sa  préoccupation  à  ses  compagnes  et  aux  dames  de 
charité,  leur  représentant  qu'il  fallait  à  tout  prix  et 
sans  retard  agrandir  la  maison.  L'évêque  approuva 
son  projet. 

Les  annales  de  la  communauté  mentionnent  ce  fait 
important  en  quelques  lignes  d'une  expressive  conci- 
sion. "  Mai  1845. — Agrandissement  de  l'asile  de  la 
Providence  par  l'aile  qui  longe  la  rue  Sainte-Cathe- 
rine. Dimensions:  100  pieds  sur  28  pieds.  Coût: 
£2000.  Eessources  :  les  trésors  de  la  divine  Provi- 
dence." Xotre  sainte  fondatrice  comptait  sans  me- 
sure sur  ce  divin  trésor,  où  elle  avait  largement  puisé, 
durant  des  années,  sans  le  voir  jamais  s'amoindrir. 

^  Mélanges  religieux,  13  juin  1843. 


140  VIE    DE 

On  se  mit  promptement  à  l'œuvre,  les  travaux  fu- 
rent poussés  avec  vigueur,  et  dès  Tautomne  de  l'an- 
née suivante,  les  vieilles  et  les  orphelines  purent  pren- 
dre possession  de  leurs  nouvelles  salles,  vastes  et  bien 
éclairées. 

Mère  Gamelin  se  réjouissait  de  tout  ce  qui  venait 
accroître  le  bien-être  de  ses  vieilles  et  de  ses  infirmes, 
qu'elle  enveloppait  d'une  véritable  tendresse  mater- 
nelle. Sa  foi  lui  faisait  voir  en  elles  des  membre?  souf- 
frants de  Xotre-Seigneur,  et  lui  inspirait  à  leur  égard 
un  profond  et  pieux  respect.  Elle  leur  témoignait  ce 
sentiment  même  après  leur  mort.  Un  cierge  allumé  à 
la  main,  elle  ne  manquait  jamais  d'accompagner  leur 
dépouille  mortelle  jusqu'à  la  porte  de  l'asile,  qu'elles 
franchissaient  pour  aller  à  leur  dernière  demeure. 

Ce  respect,  elle  l'exigeait  de  toutes  les  personnes 
de  sa  maison.  Un  jour,  elle  reprit  sévèrement  une 
novice  qui,  en  sa  présence,  avait  appelé  une  des  in- 
firmes "  la  vieille  une  telle  ''.  '"  Xe  pouvez-vous  pas, 
lui  fit-elle  observer,  dire  madame  une  telle."  Et  la 
novice  s'étant  agenouillée  pour  demander  une  péni- 
tence: "Allez  à  la  chapelle,  lui  dit-elle,  demander 
pardon  à  ISTotre-SeigTieur,  '  car  c'est  lui  que  vous  avez 
offensé  dans  la  personne  de  cette  pauvre." 

Chaque  jour,  quelles  que  fussent  ses  occupations 
et  ses  fatio'ues,  elle    visitait  les   salles  des  infirmes. 


MÈRE    GAMELIN  141 

•calmant  leurs  petits  mécontentements,  et  les  exhor- 
tant à  supporter  leurs  peines  avec  patience,  dans  l'at- 
tente de  cet  heureux  séjour  que  leur  vieillesse  leur 
faisait  entrevoir  de  si  près.  C'était  surtout  dans  ses 
rapports  intimes  avec  elles  que  l'on  pouvait  admirer 
■&&  bonté  et  son  extrême  charité  pour  la  souffrance 
et  l'infortune.  Elle  se  plaisait  à  leur  donner  les  soins 
les  plus  bas  et  les  plus  répugnants,  avec  une  joie  et 
un  contentement  qui  se  peignaient  dans  toute  sa  per- 
sonne. On  aurait  vraiment  cru  voir  une  mère  au- 
près du  plus  aimé  de  ses  enfants. 

Elle  aimait  beaucoup  à  prier  avec  elles,  et  à  pren- 
dre part,  dans  leurs  salles,  à  l'exercice  du  chemin  de  la 
croix.  Le  dimanche,  elle  réunissait  toutes  les  per- 
sonnes de  sa  maison  pour  leur  expliquer  le  caté- 
chisme. Elle  avait  habituellement  une  grande  aisance 
de  langage,  mais  surtout  pour  parler  des  choses  spi- 
rituelles. On  aurait  dit  alors  que  sa  bouche  ne  pou- 
vait isuftire  à  traduire  les  effusions  et  les  élans  de  son 
cœur.  Aussi  l'heure  de  l'instruction  était-elle  tou- 
jours impatiemment  attendue  et  vivement  goûtée. 
Elle  leur  exposait  leurs  devoirs,  leur  donnait  des 
avis  maternels,  et  signalait  les  infractions  à  la  règle, 
commises  au  cours  de  la  semaine;  puis  elle  distri- 
buait de  petites  récompenses  aux  orphelines.  Ses 
images  et  ses  médailles    étaient-elles  épuisées,    elle 


142  YIE    DE 

leur  donnait  quelque  friandise^  un  morceau  de  su- 
cre ;  et  ce  morceau  de  sucre,  remis  parfois  dans  une 
enveloppe  adressée  à  la  bonne  mère,  semblait  em- 
prunter au  nom  chéri  et  vénéré  une  saveur  parti- 
culière. 

Que  dirons-nous  du  don  merveilleux  qu'elle  possé- 
dait pour  assister  les  mourants  ?  Les  malades  s'assu- 
raient à  l'avance  de  sa  présence  à  cette  heure  su- 
prême. Elle  leur  semblait  tenir  entre  ses  mains  la 
clef  du  paradis,  et  pouvoir  leur  en  ouvrir  la  porte 
toute  grande,  tellement  elle  savait  raviver  leur  foi 
et  leur  confiance  dans  les  fruits  de  la  passion  de 
Notre-Seigneur.  Aussi  comme  il  était  touchant,  au 
dire  des  anciennes  sœurs,  de  l'entendre  parler  aux 
mourants  de  la  miséricorde  infinie  de  Dieu,  réciter 
la  prière  liturgique  de  la  recommandation  de  l'âme 
à  Dieu,  remettre  en  quelque  sorte  à  leur  Créateur  et 
à  leur  Sauveur  ces  âmes  dont  sa  providence  l'avait 
chargée,  et  pour  lesquelles  elle  ne  cessait  de  prier. 
Ce  sont  là  des  souvenirs  bénis,  que  les  générations 
religieuses  aiment  à  se  transmettre  pieusement,  pour 
s'entretenir  dans  la  vénération  d'une  pieuse  fonda- 
trice et  dans  l'imitation  de  son  zèle. 

Le  jeudi  saint,  mère  Gamelin  lavait  les  pieds  à 
douze  vieilles,  en  souvenir  du  grand  acte  d'humilité 
du  Sauveur.     Elle   les  essuyait    de  ses   mains  et  les 


MÈRE    GAMELIN  143 

baisait  avec  respect.  Cet  usage  s'est  maintenu  dans 
notre  communauté,  renouvelant,  pour  l'édification 
de  nos  sœurs,  la  grande  leçon  que  ISTotre-Seigneur  a 
donnée  à  ses  apôtres  sur  le  véritable  caractère  et  les 
devoirs  de  l'autorité  chrétienne. 

La  charité  de  mère  Gamelin  ne  s'arrêtait  pas  aux 
pauvres  de  son  asile;  elle  continuait  à  se  dévouer 
comme  autrefois  à  ceux  du  dehors.  î^ous  avons  vu, 
dans  le  chapitre  précédent,  les  premières  novices,  à 
peine  revêtues  du  saint  habit,  l'accompagner  dans  les 
visites  qu'elle  faisait  depuis  longtemps  aux  pauvres 
de  la  ville.  Depuis  1828  surtout,  mère  Gamelin  n'a- 
vait pas  laissé  passer  vm  seul  jour  sans  en  visiter  quel- 
ques-uns; elle  se  montrait  aussi  empressée  à  consoler 
leurs  peines  et  à  pourvoir  à  leurs  nécessités  spirituel- 
les qu'à  leur  procurer  des  secours  temporels. 

Le  dépôt  ^  était  un  autre  théâtre  de  son  active 
charité.  Dès  l'ouverture  du  petit  refuge  de  la  Maison 
jaune,  on  y  distribuait  de  la  soupe  et  d'autres  ali- 
ments à  tous  ceux  qui  se  présentaient.  Cette  œuvre 
subsiste  encore.  Du  pain,  de  la  soupe  et  diverses  pro- 
visions sont  encore  distribuées  aux  indigents;  cette 
œuvre  n'est  pas  près  de  cesser,  la  parole   de  Kotre- 


^  Nous   appelons  ainsi  le  département  de  la  maison  ovi 
se  distribuent  les  aumônes  aux  pauvres  du  dehors. 


144  VIE    DE 

Seigneur  nous  le  garantit  :    ''  Il  y  aura  toujours  des 
pauvres  parmi  vous." 

Cependant,  le  saint  évêque  de  Montréal  veillait  à 
ce  que  l'activité  de  la  communauté  naissante,  intéres- 
sée à  des  occupations  aussi  variées,  ne  s'exerçât  point 
au  détriment  de  son  recueillement  et  de  son  avance- 
ment spirituel. 

Dans  cette  préoccupation,  il  voulut  initier  lui- 
même  ses  tilles  à  la  méthode  d'oraison  de  S.  Ignace 
de  Loyola.  Il  consacra  tout  le  mois  de  février  de 
cette  année  à  faire,  à  la  communauté  et  au  novi- 
ciat réunis,  la  série  mensuelle  des  exercices,  faisant 
lui-même  à  haute  voix  la  méditation  devant  les 
sœurs,  chaque  matin  et  chaque  soir. 

Ces  jours  de  prière  fervente  et  de  saint  recueille- 
ment furent  bientôt  suivis  de  la  retraite  annuelle, 
prêchée  par  le  E.  P.  Martin,  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  I.e  jour  de  la  clôture,  dix  sœurs  renouvelè- 
rent leurs  vœux,  consolant  motif  d'espoir  pour  l'a- 
venir de  l'asile  et  de  la  communauté. 

Le  1er  avril,  Mgr  Bourget  faisait  à  la  maison  sa 
première  visite  canonique.  Il  l'annonça  en  ces  ter- 
mes d'une  paternelle  atïection  :  ''  ISTous  allons  donc 
à  vous,  qui  êtes  la  portion  chérie  de  notre  troupeau, 
pour  vous  connaître  encore  mieux,  et  nous  assurer 
si  vous  êtes  animées,   comme  vous  devez  l'être,  d'un 


MÈRE    GAMELIX  145 

véritable  esprit  de  charité  ;  si  vous  aimez  les  pau- 
vres, si  vous  soignez  les  malades,  si  vous  enseve- 
lissez les  morts,  si  vous  recueillez  avec  empressement 
les  veuves  et  les  orphelins,  si,  en  un  mot,  votre  carac- 
tère distinctif  est  la  compassion  pour  tous  les  mal- 
heureux :   car  telle  est  votre  vocation."  ^ 

Cette  visite  importante  se  termina  le  3  mai.  Mon- 
seigneur donna  tous  les  jours  deux  instructions  et 
présida  aux  méditations. 

Que  de  soins  et  de  travail  a  coûtés  au  saint  évêque 
la  formation  de  notre  communauté  1  II  lui  prodi- 
guait les  avis  paternels,  les  conseils  opportuns,  les 
sages  instructions.  Xos  annales  en  gardent  le  sou- 
venir comme  un  de  nos  plus  chers  trésors.  On  ne  peut 
trop  admirer,  dans  ces  témoignages  de  sa  sagesse  et 
de  son  zèle,  cet  esprit  de  simplicité,  d'humilité  et  de 
charité,  qu'il  avait  à  cœur  de  nous  inculquer,  comme 
devant  caractériser  notre  communauté,  et  dont  il 
était  lui-même  un  édifiant  et  illustre  exemple. 

'•'  Xous  commençons  par  vous  recommander,  écri- 
vait-il dans  un  de  ses  mandements,  les  salutaires 
pratiques  de  la  simplicité,  vertu  si  chère  au  cœur  de 
Xotre-Seigneur,  et  que  saint  Vincent  de  Paul  vous 
propose  dans  le  premier  chapitre  de  vos  saintes 
Règles.  ^ 

'  Mandement  de  la  visite  pastorale.  28  mars  1845. 
^  Mandement  du  19  mai  1846. 


146  YIE   DE 

'•'.  .  .Lorsque  j'ai  commencé  votre  communauté,,  je 
ne  pouvais  que  vous  donner  ma  bénédiction  et  mes 
avis.  Un  pauvre  évêque,  dans  la  position  où  je  me 
trouvais,  ne  pouvait  rien  vous  faire  pour  le  temporel. 
Mes  plans  ne  s'élevaient  pas  bien  haut,  car,  voyez- 
vous,  je  sais  par  expérience  que,  lorsqu'on  se  tient 
toujours  en  bas,  la  tête  ne  tourne  pas.  C'est  ce  que 
pensait  votre  père,  saint  A'incent  de  Paul,  quand  il 
disait  que  ses  œuvres  étaient  petites.  Plus  il  pensait 
et  disait  cela,  plus  le  bon  Dieu  les  augmentait  et  les 
faisait  paraître  aux  yeux  des  hommes.  De  même, 
plus  vous  aurez  de  bas  sentiments  de  vous-mêmes, 
plus  vous  vous  tiendrez  petites  aux  j'eux  de  Dieu, 
plus  il  se  plaira  à  faire  croître  vos  œuvres.  Puisse 
l'expérience,  mes  chères  filles,  vous  faire  acquérir 
l'humilité,  la  simplicité  et  la  charité  ;  c'est  ce  que 
je  voudrais  vous  laisser  pour  dot."  ^ 

"  Filles  de  la  Charité,  leur  dit-il  ailleurs,  les  traits 
de  votre  physionomie  religieuse  doivent  être  ceux  de 
la  reine  des  vertus,  car  des  filles  bien  nées  doivent 
ressembler  à  leur  mère." 

Plus  tard,  il  leur  donne  ce  sage  conseil  :  "  Obli- 
gées par  devoir  de  vocation  d'être  toujours  dans  le 
monde,  soyez-y  comme  des  roses  au  milieu  des  épines. 
Si  vous  n'y  paraissez,  mes  filles,  que  pour  les  œuvres 

'  Instruction  fl  la  comniiinautô.  25  mars  1868. 


MÈRE    GAMELIX  147 

■de  charité,  votre  père  saint  Vincent  vous  promet 
toute  la  protection  de  Dieu." 

Il  leur  recommandait  un  abandon  absolu  à  la  di- 
vine Providence  :  '"  C'est  dans  un  asile  de  la  Provi- 
dence, comme  dans  un  berceau,  que  vous  avez  été 
reçues,  N.  T.  C.  S.,  lorsque  vous  êtes  entrées  en  reli- 
gion, par  la  profession  de  vos  vœux. 

"Aussi  est-ce  sous  le  nom  de  Sœurs  de  la  Provi- 
dence que  vous  êtes  vulgairement  connues.  Là  se 
révèle  encore  l'esprit  propre  de  votre  saint  état,  qui 
doit  être  un  esprit  de  parfait  abandon  aux  disposi- 
tions de  l'adorable  Providence.  Car,  dénuées  de 
toutes  ressources  humaines  et  obligées  cependant  de 
secourir  toutes  les  misères,  vous  avez  à  exploiter,  par 
votre  confiance  toute  filiale,  les  inépuisables  trésors 
de  cette  aimable  Providence,  qui  ne  vous  a  jamais  fait 
•défaut  et  qui  ne  vous  manquera  jamais,  si  vous  savez 
recourir  à  elle  pour  vos  propres-  besoins  et  ceux  de 
vos  pauvres. . . 

"  Or,  pour  que  vous  ayez  toujours  sous  les  yeux  le 
bonheur  qui  vous  attend,  même  sur  la  terre,  si  vous 
faites  les  saintes  œnvres  dont  vous  charge  la  divine 
Providence,  avec  toutes  les  dispositions  requises,  nous 
reproduisons  ici  le  beau  passage  du  prophète  Isaïe 
•qui,   dans   son  langage  sublime,  nous  découvre   les 


148  VIE    DE 

abondantes  bénédictions  que  Dieu  se  plaît  à  répandre 
dans  les  maisons  charitables.  Ecoutez,  N.  T.  C.  S., 
avec  une  attention  sérieuse  les  touchantes  paroles 
que  vous  adresse  le  Seigneur  par  la  bouche  de  ce 
grand  prophète  : 

''  Faites  part  de  votre  pain  à  celui  qui  a  faim,  et 
"  faites  entrer  dans  votre  maison  les  pauvres  et  ceux 
"  qui  ne  savent  oii  se  retirer.  Lorsque  vous  verrez 
"un  homme  nu,  revêtez-le,  et  ne  méprisez  pas  votre- 
"  chair.  Alors  votre  lumière  éclatera  comme  l'au- 
"  rore,  vous  recouvrerez  bientôt  votre  santé,  votre- 
"  justice  marchera  devant  vous,  et  la  gloire  du  Sei- 
"  gneur  vous  protégera...  Si  vous  assistez  les  pau- 
"  vres  avec  effusion  de  cœur,  et  si  vous  remplissez  de- 
"  consolations  l'âme  affligée,  votre  lumière  se  lèvera 
"  dans  les  ténèbres,  et  vos  ténèbres  deviendront 
''  comme  le  midi.  Le  Seigneur  vous  tiendra  tou- 
"  jours  dans  le  repos  ;  il  remplira  votre  âme  de  ses 
"  splendeurs,  et  il  engraissera  vos  os  :  vous  devien- 
'"  drez  comme  un  jardin  toujours  arrosé,  et  comme 
"  une  fontaine  dont  les  eaux  ne  tarissent  jamais. 
"  Les  lieux  qui  avaient  été  déserts  depuis  plusieurs- 
"  siècles,  seront  par  vous  remplis  d'édifices  ;  vous 
••'relèverez  les  fondements  abandonnés  pendant  une 
''  longue  suite  d'années  ;  et  on  dira  de  vous  que  vous- 
"  réparez  les  haies  détruites,  et  que  vous  faites  une- 


MÈRE    GAMELIX  149 

''  demeure  paisible  des  cheiTiins  passants."  (Isaïe, 
ch.  58).  1 

Il  les  encourageait  avec  force  et  onction,  non  seu- 
lement à  bien  supporter  leurs  croix,  mais  à  les  aimer 
et  à  les  unir  à  celles  de  Notre-Seigneur. 

"  Nous  n'ignorons  pas,  leur  écrivait-il,  les  dures 
épreuves  par  lesquelles  il  a  plu  au  Seigneur  de  vous 
faire  passer.  Î^Tous  ne  vous  les  avions  pas  dissi- 
mulées, ]Sr.  T.  C.  S.,  lorsque  nous  reçûmes  votre  sa- 
crifice. D'ailleurs,  votre  institution,  au  jour  con- 
sacré à  honorer  les  souffrances  de  Marie,  votre  con- 
ception dans  le  cœur  de  cette  Mère  affligée,  votre 
naissance  sur  le  Calvaire,  aux  pieds  d'un  Dieu  mou- 
rant d'amour,  votre  mission  qui  a  pour  but  de  ré- 
pandre la  dévotion  à  Xotre-Dame  des  Sept-Douleurs, 
tout  vous  prédisait  des  peines  et  des  croix  ;  et  le 
Seigneur,  dont  les  desseins  sont  toujours  adorables, 
ne  vous  les  a  pas  épargnées."  - 

Une  autre  fois,  il  leur  parlait  ,de  l'amour  de  la 
croix  :  "  Mes  chères  Filles,  IsTotre-Seigneur  vous  a 
légué  ce  qu'il  avait  de  plus  précieux,  en  vous  donnant 
la  croix.  C'est  ce  qu'il  a  choisi  lui-même,  et  c'est  le 
trésor  qu'il  veut  vous  faire  partager.  Eecevez-le 
avec  bonheur.  La  croix  de  Jésus  vous  fortifiera  dans 
vos  peines  et  vos  souffrances  ;  elle  vous  enrichira  de 

^  Mandement  du  2  février  1858. 
'  Mandement  du  28  mars  1845. 


150  YIE    DE 

grâces  et  vous  détachera  de  plus  en  plus  du  monde, 
en  vous  attachant  davantage  aux  choses  du  Ciel."  ^ 

"  Votre  père,  saint  Vincent  de  Paul,  leur  disait-il 
un  autre  jour,  répétait  souvent  :  "  Toute  œuvre  qui 
n'a  pas  de  difficultés,  de  peines,  de  croix  ne  peut  sub- 
sister. Quand  donc  il  y  a  des  souffrances,  tant  mieux, 
c'est  l'œuvre  de  Dieu." 

Dès  l'origine,  il  avait  placé  notre  institut  sous  la 
protection  très  spéciale  de  Notre-Dame  des  Sept- 
Douleurs.  Il  revenait  souvent,  dans  ses  instructions 
écrites,  sur  l'importance  et  le  prix  de  cette  dévotion, 
de  même  que  de  celle  à  la  passion  de  Notre-Seigneur. 

"  Il  est,  ]Sr.  T.  C.  S.,  une  dévotion  essentielle  à 
votre  saint  institut,  c'est  la  dévotion  à  Xotre-Dame 
des  Sept-Douleurs. 

"  Le  Seigneur,  dans  sa  miséricorde,  a  daigné  vous 
réunir  en  communauté  sous  le  drapeau  lugubre  de 
Marie  désolée.  C'est  pour  cela  que,  dans  son  admi- 
rable Providence,  il  a  voulu  que  les  sept  fondatrices 
de  cette  nouvelle  communauté  prissent  le  saint  habit 
de  religion  le  25  mars,  qui  est  le  jour  ovi  Notre-Sei- 
gneur  s'incarna  dans  le  sein  de  cette  glorieuse  Vierge, 
et  où  encore,  selon  de  graves  autorités,  il  mourut 
sur  le  Calvaire,  sous  les  yeux  de  sa  divine  Mère. 

"  Ainsi,  vous  avez  été  engendrées  à  la  religion  sur 

*  Instruction  A  la  communauté.  1846. 


MÈRE    GAMELIX  151 

le  Calvaire,  près  de  la  croix,  aux  pieds  de  Jésus- 
Christ  mourant,  dans  le  cœur  de  Marie,  percé  de  sept 
glaives  de  douleurs,  et  dans  le  moment  où  toute  la 
nature  était  dans  le  deuil  pour  pleurer  la  mort  de  son 
auteur.  Vous  êtes  donc  filles  des  douleurs  de  Marie, 
et  en  cette  qualité  obligées  de  compatir  vous-mêmes 
à  ses  cruelles  angoisses  et  de  répandre  de  toutes  vos 
forces  cette  salutaire  dévotion,  qui  est  comme  la 
pierre  sur  laquelle  repose  l'édifice  de  votre  commu- 
nauté." ^ 

Et  dans  un  vif  désir  d'implanter  de  plus  en  plus 
dans  le  cœur  de  ses  filles  cette  belle  dévotion,  il  leur 
en  écrit  encore  en  ces  termes: 

"  Pénétrez-vous  bien  de  cette  vérité,  que  c'est  au 
pied  de  la  croix  et  dans  le  cœur  de  Xotre-Dame  des 
Sept-Douleurs  que  vous  êtes  nées  à  la  vie  religieuse, 
et  que  c'est  le  sang  précieux  de  Jésus  et  les  larmes 
amères  de  Marie,  qui  vous  ont  donné  l'étonnant  ac- 
croissement que  vous  avez  pris  en  si  peu  de  temps. 
Que  la  passion  de  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ  soit 
pour  vous  toutes  une  force  toute  divine,  qui  vous 
serve  de  rempart,  vous  protège  et  vous  défende.  Que 
ses  plaies  sacrées  et  son  sang  divin  soient  l'aliment 
délicieux  et  le  breuvage  mystérieux  qui  vous  nourris- 

•  IMandenient  du  3  avril  1846. 


153  YIE    DE 

sent,  vous  enivrent  et  vous  rassasient.  Que  l'aspersion 
de  son  sang  adorable  vous  lave  et  vous  purifie  de  tous 
vos  péchés.  Que  sa  mort  vous  procure  une  gloire  éter- 
nelle et  vous  fasse  vivre,  en  attendant,  dans  la  pra- 
tique fidèle  de  toutes  les  vertus  religieuses. 

"  Que  la  divine  croix  sauve  cette  communauté, 
aujourd'hui  établie  pour  célébrer  les  mystères  du  Cal- 
vaire et  consoler  la  Mère  des  Douleurs,  en  soulageant 
tontes  les  misères  qui  affligent  notre  pauvre  huma- 
nité." ^ 

Il  va  même  jusqu'à  leur  écrire  :  ''  La  dévotion  à 
Xotre-Dame  des  Sept-Douleurs  est  la  dévotion  pro- 
pre de  votre  humble  institut.  Elle  est  née  et  a  grandi 
avec  lui;  elle  a  toujours  été,  et  elle  fait  encore  toute 
sa  force.    Si  elle  disparaît,  il  disparaît  avec  elle."  ^ 

Tout  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici  de  mère  Ga- 
melin  nous  a  fait  voir  à  quel  point  elle  manifestait 
en  elle  cet  esprit  et  ces  vertus  dont  le  pieux  évêque 
s'appliquait  avec  tant  de  persévérance  à  pénétrer  le 
cœur  de  ses  filles.  Elle  était  digne  à  cet  égard  de  leur 
servir  de  modèle,  et  l'on  peut  affirmer  qu'elle  avait 
pratiquement  commencé,  longtemps  à  l'avance,  son 
noviciat  à  la  vie  religieuse,  lorsqu'elle  en  revêtit  les 
livrées. 

Elle  se  réjouissait  vivement    de    tout    ce    qu'elle 

*  Mandement  du  1.3  mars  1850. 
='  Lettre  du  21  juin   1878. 


MÈRE    GAMELIX  153 

voj'ait  entrei^rendre  en  dehors  de  son  institut  pour 
le  soulagement  des  malheureux.  Aussi  accueillit-elle 
avec  une  grande  Joie  la  nouvelle  de  la  fondation  de 
la  première  maison  des  Sœurs  Grises  à  la  Eivière- 
Kouge.  ^  "  Ces  pauvres  sauvages,  disait-elle,  vont 
donc  enfin  avoir  des  mères  pour  les  instruire  et  les 
soigner."  Malgré  l'extrême  pauvreté  de  sa  propre 
maison,  alors  à  son  début,  elle  voulut  contribuer 
d'une  légère  aumône  à  cette  fondation  d'une  com- 
munauté amie.  En  remettant  son  obole  à  la 
mère  Valade,  qui  s'en  allait  prendre  la  direction  de 
cette  lointaine  mission,  elle  lui  dit  :  "  En  retour,  vous 
offrirez  pour  moi  un  petit  quart  d'heure  de  vos  soins 
charitables  auprès  des  pauvres  sauvages.  J'aime  beau- 
coup cette  monnaie,  gagnée  auprès  des  malheureux  ; 
c'est  avec  elle  que  j'espère  payer  mon  billet  d'entrée 
au  ciel  !  " 

La  révérende  mère  Yalade,  profondément  touchée 
de  cette  générosité,  lui  adressait,  quelque  temps  plus 
tard,  de  sa  nouvelle  résidence,  la  lettre  suivante: 

"  Eivière-Eouge,  23  juillet  1845. 
''  ^la  chère  Mère, 

"  Vous  ne  pouvez  concevoir  le  plaisir  que  j'éprouve 
de  pouvoir  enfin  vous  témoigner  ma  profonde  grati- 

^  Aujourcriiui   Saint-Boniface. 


154:  YIE    DE 

tude  pour  la  cordiale  charité  que  vous  nous  avez  té- 
moignée, lors  de  notre  départ  de  Montréal  pour  nos 
lointaines  missions.  J'espère  que  vous  m'avez  par- 
donné de  ne  vous  avoir  pas  écrit  plus  tôt.  Mes  nom- 
breuses occupations  et  la  difficulté  d'avoir  une  occa- 
sion pour  envoyer  nos  lettres  en  ont  été  la  cause. 

"  J'ai  appris  avec  une  grande  satisfaction  l'accrois- 
sement que  prend  votre  belle  œuvre.  J'ai  été  plus 
d'une  fois  édifiée  du  grand  bien  qui  se  faisait  par  vo- 
tre entremise  dans  votre  petit  refuge.  Mais  je  vois 
maintenant  avec  admiration  et  bonheur  votre  œuvre 
augmenter  de  jour  en  jour,  pour  le  soulagement  des 
pauvres.  Si  le  Seigneur  exauce  les  vœux  que  je  forme 
pour  vous,  Il  continuera  de  bénir  votre  intéressant 
Institut. .  . 

"  Veuillez  aussi  prier  pour  nous,  afin  que  nous  fas- 
sions, dans  notre  lointain  pays  d'adoption,  le  bien  que 
le  Seigneur  attend  de  nous.  Les  pauvres  sont  nom- 
breux et  misérables;  les  enfants  ne  demandent  pas 
moins  notre  vigilance.  Nous  en  avons  quatre-vingt- 
dix  à  notre  petite  école.  De  plus,  nous  allons  chaque 
jour,  à  trois  lieues  d'ici,  enseigner  les  prières  et  le  ca- 
téchisme à  cent  vingt  personnes  des  deux  sexes,  qui 
n'ont  pas  encore  fait  leur  première  communion.  Ils 
sont  tous  on  ne  peut  plus  ignorants.  Je  vous  donne 
ces  petits  détails,  parce  que  je  sais  qu'ils  intéresseront 


MÈRE    GAMELIX  155 

votre  cœur  compatissant . .  .  Les  sauvages  sont  très 
bons  pour  nous;  ils  aiment  surtout  à  nous  voir  faire 
la  classe  aux  enfants;  ils  passent  quelquefois  beau- 
coup de  temps  devant  nos  fenêtres  pour  nous  exa- 
miner, et  ils  ne  peuvent  alors  nous  cacher  leur  sur- 
prise et  leur  admiration.  Ils  appellent  les  Sœurs 
Meckateonayé  ih  Kwewoh,  femmes  prêtres. 

"  Le  pays  est  très  beau  et  très  fertile;  la  terre  rend 
au  centuple  ce  qu'on  lui  confie.  Quant  au  climat,  le 
froid  n'a  pas  été,  cet  hiver,  plus  élevé  qu'à  Montréal; 
mais  les  chaleurs,  au  mois  de  juillet,  ont  été,  je 
crois,  plus  grandes  qu'au  Canada;  cependant,  il  vente 
beaucoup,  et  dans  les  orages  le  tonnerre  est  très 
fort... 

"  Veuillez,  ma  chère  Mère,  agréer  de  nouveau  l'ex- 
pression de  notre  reconnaissance.  Priez  pour  nous, 
pauvres  missionnaires  sauvages,  et  cro3^ez-moi,  chère 
"Mère, 

Votre  toute  dévouée, 

Sœuk  Valade, 

Supérieure. 

Mère  Gamelin  avait  singulièrement  à  cœur  l'œuvre 
des  missions  lointaines.  On  peut  croire  que  si,  dès 
l'année  qui  suivit  sa  mort,  une  colonie  de  sœurs  fut 


156  VIE    DE 

dirigée  sur  l'Orégon,  ses  pieux  désirs  et  ses  ardentes 
prières  ne  furent  pas  étrangers  à  leur  départ. 

Les  Sœurs  de  la  Charité  des  Etats-Unis  gardaient 
aussi  à  mère  Gamelin  un  affectueux  souvenir.  Depuis 
son  passage  parmi  elles,  une  correspondance  active 
s'était  engagée  entre  leur  communauté  et  la  nôtre. 
Elles  nous  portaient  le  plus  cordial  intérêt.  Aussi, 
durant  nombre  d'années,  quand  nos  sœurs  mission- 
naires de  rOrégon  étaient  obligées  de  séjourner,  en 
passant,  à  New- York,  les  filles  de  mère  Gamelin, 
3îot]ier  Gamelin's  daughters,  comme  elles  nous  appe- 
laient, étaient  sûres  de  recevoir  d'elles  le  plus  affec- 
tueux accueil.  Outre  le  manuscrit  authentique  des 
Eègles  de  saint  Vincent  de  Paul,  qu'elles  furent 
si  heureuses  de  mettre  à  la  disposition  de  mère 
Gamelin,  lors  de  sa  visite  à  Emmitsburg,  nous  leur 
devons  les  Conférences  inédites  de  saint  Vincent  et 
le  livre  des  Retraites  du  mois,  qui  nous  furent  prêtés 
par  la  révérende  Mère  Jérôme,  supérieure  de  leur 
maison  mère  de  Nev-York.  Ces  précieux  ouvrages 
furent  copiés  par  nos  sœurs,  et  le  livre  des  Retraites 
fut  imprimé  à  notre  communauté. 

On  nous  permettra  de  reproduire  ici  une  lettre  de 
la  révérende  Mère  Valentina,  supérieure  de  leur  mai- 
son de  Baltimore,  adressée  à  Mère  Gamelin: 


MÈRE    GAMELIX  157 

"  Orphelinat  Sainte-Mane, 

"Baltimore.  13  Juillet  1815. 
^■'  Eévérende   Mère, 

"  Quelles  excuses  vous  ferai-Je  de  mon  long  silence. 
Votre  lettre  a  été  trois  fois  bienvenue  et  nous  a  causé 
un  extrême  plaisir. .  . 

"  Xos  orphelines  sont  beaucoup  plus  nombreuses 
cme  lors  de  votre  passage  parmi  nous.  Xous  sommes 
en  frais  d'ajouter  une  nouvelle  bâtisse  à  l'asile,  et 
nous  espérons  la  voir  complètement  terminée  avant 
les  temps  froids. 

"  J'ai  été  très  heureuse  d'apprendre  les  progrès  de 
votre  nouvelle  communauté.  Je  désire  sincèrement 
■que  le  Tout-Puissant  la  favorise  de  ses  abondantes 
bénédictions  et  j)énètre  chacun  de  ses  membres  du 
véritable  esprit  des  vraies  Sœurs  de  Charité. 

"  J'ai  eu  le  bonheur  de  revoir  dernièrement  notre 
maison  mère  d'Emmitsburg.  Elle  a  subi  beaucoup 
d'améliorations,  depuis  Cjue  vous  l'avez  vue.  La  mai- 
son qui  y  a  été  ajoutée  pour  les  sœurs  est  beaucoup 
plus  spacieuse  que  l'ancienne.  Xotre  bien  aimée  mère 
Xavier  m'a  dit  qu'elle  avait  reçu  une  lettre  de  vous; 
elle  est  très  heureuse  d'apprendre  que  vos  œuvres 
vont  si  bien.  La  santé  de  cette  bonne  Mère  est  très 
■délicate. 


158  VIE    DE 

"  J'ai  éprouvé  un  bien  sensible  plaisir  en  appre- 
nant que  vous  avez  un  si  bon  et  si  dévoué  père  dan& 
la  personne  de  votre  digne  évêque.  Que  Dieu  le  con- 
serve encore  des  années  et  des  années,  et  qu'il  ait 
le  bonheur  de  voir  votre  communauté  étendre  ses 
branches  en  autant  d'endroits  que  la  nôtre.  J'aime  le 
Canada;  je  ne  sais  trop  pourquoi,  si  ce  n'est  qu'il  est 
très  cher  à  notre  père  Deluol.  Il  y  eut  un  temps  où 
les  bruits  couraient  que  nous  devions  y  avoir  une  mis- 
sion. J'espérais  beaucoup  alors,  si  telle  eût  été  la  vo- 
lonté de  Dieu,  d'être  choisie  une  des  premières. 

"  Xos  sœurs  vous  saluent  très  affectueusement, 
quoiqu'elles  n'aient  pas  toutes  le  plaisir  de  vous  con- 
naître personnellement;  il  leur  suijRt  de  savoir  que 
vous  êtes  sœur  de  charité  pour  vous  faire  chérir  de 
toutes. 

"  S'il  vous  plaît,  ma  chère  Mère,  rappelez-moi  au 
souvenir  de  toutes  vos  sœurs,  et  leur  demandez  de 
prier  pour  celle  qui  s'intéresse  si  vivement  à  leur 
bonheur. 

Votre  très  affectionnée, 

Sœur  A^^^lentina, 

Supérieure. 


MÈRE    GAMELIN  15^ 

CHAPITEE  X 
1846 

fondation  de  la  mission  de  la  longue-pointe.  — 
moht  subite  de  sœur  madeleine. — lettre  de  mère 
gamelin. — œuvre  des  prêtres  âgés  ou  infibmes. 
— fondation  de  la  mission  de  la  prairie  de  la 
madeleine.  —  incendie  du  village.^pauvreté  de 
l'hospice. 

Ce  fut  dans  le  village  de  la  Longue-Pointe,  situé 
sur  les  bords  du  Saint -Laurent,  à  quelques  milles  de 
Montréal,  que  mère  Gramelin  fonda  sa  première  mis- 
sion. Prévit-elle,  dès  ce  moment,  l'avantage  que 
pourrait  offrir  cette  situation  dans  l'avenir,  pour 
quelqu'une  des  œuvres  que  sa  communauté  serait 
appelée  à  fonder  plus  tard  ?  îTous  n'en  savons  rien  ; 
mais  ses  prévisions,  si  elles  les  a  eues,  ont  été  jus- 
tifiées par  l'événement,  puisque  deux  de  nos  œuvres 
les  plus  considérables  ont  pris  naissance  en  ce  lieu, 
celle  des  sourdes-muettes  et  celle  des  aliénés. 

Au  printemps  de  l'année  1846,  mère  Gamelin 
allait  installer  deux  de  ses  filles  dans  la  petite  maison 
de  la  ferme  Saint-Isidore,  pour  y  ouvrir  une  école 
élémentaire.  '"  Le  lendemain,  dit  la  Chronique,  M.  le 
chanoine  Blanchet,  ^  chapelain  de   la  maison  mère, 

^  M.  le  chanoine  A.-M.  Blancliet  naquit  à  Saint-Pierre, 
Ile  d'Orléans,  le  22  août  1797.  Il  fut  ordonné  prêtre 
le  21  juin  1821,  consacré  évêque  de  Walla-Walla,  Wasli., 
E.-U.,  le  27  septembre  1846,  et  transféré  au  diocèse  de  N'es- 


160  A'IE    DE 

alla  bénir  la  chapelle  et  y  célébrer  la  première  messe. 
Un  peu  plus  tard,  Mgr  Prince,  supérieur  ecclésias- 
tique, y  érigea  canoniquement  le  chemin  de  la  crois. 
La  première  année,  la  classe  compta  trente  élèves 
externes.  On  leur  enseignait  la  lecture,  l'écriture, 
la  grammaire,  l'arithmétique  et  surtout  le  caté- 
chisme."' 

Les  sœurs  exercèrent  dans  cette  mission  toutes  les 
œuvres  propres  à  l'institut  :  l'hospitalité  des  orphe- 
lines et  des  infirmes,  la  visite  des  malades,  etc. 

Pour  s'assurer  des  ressources,  elles  prirent,  dès  la 
première  année,  des  élèves  en  pension,  ce  qu'elles 
firent  jusqu'en  1870. 

En  1847,  mère  Gamelin  lit  ajouter  une  allonge 
considérable  à  la  maison,  devenue  trop  petite. 

Une  grande  épreuve  affligea  nos  sœurs  de  la  ferme 
Saint-Isidore,  durant  la  quatrième  année  de  leur  sé- 
jour. L'tme  d'entre  elles,  sœur  Madeleine,  née  Ma- 
thilde  Davignon,  mourut  d'une  attaque   d'apoplexie 


qualy,  le  30  mai  1850;  évêque  démissiouuaire.  sous  le  titre 
d'évêque  d'Ibora  in  partibus,  le  14  février  1S79  ;  décédé 
à  Vancouver,  le  2.5  fé\Tier  1887. 

Fondateur  de  nos  missions  de  Touest  américain,  dans 
Washington,  l'Orégon  et  le  Montana.  'Slgv  Blanchet  mourut  à 
l'âge  de  89  ans.  dans  notre  hospice  Saint-Joseph,  à  Van- 
couver, Wash.,  où  il  passa  ses  dernières  années.  Ce  fut  i)our 
nos  sœurs  une  grande  consolation  de  pouvoir  prendre  soin 
de  la  vieillesse  de  celui  envers  qui  elles  avaient  de  si 
grandes  obligations. 

Le  vénérable  prélat  se  montra,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie. 
le  protecteur  dévoué  de  ses  chères   filles  de  la  Providence. 


MÈRE    GAMELIX  IGl 

fouclroyante.le  14  décembre  1850,  à  l'âge  de  trente- 
quatre  ans.  Elle  était  dans  la  mission  depuis  trois 
ans,  et  elle  y  exerçait  la  charge  de  maîtresse  des  clas- 
ses. Son  dévouement,  son  habileté,  son  talent  potir 
l'enseignement  et  son  solide  esprit  religieux  en  fai- 
saient un  sujet  précieux.  Elle  exerçait  sur  ses  élè- 
ves un  grand  ascendant,  ayant  le  secret  de  se  faire 
tout  à  la  fois  aimer  et  respecter  d'elles. 

Elle  avait  une  tendre  dévotion  au  très  Saint  Sacre- 
ment et  à  la  passion  de  Xotre- Seigneur,  et  passait 
au  pied  du  tabernacle  presque  tous  ses  moments  li- 
bres. Le  matin  de  sa  mort,  elle  avait  reçu  la  sainte 
communion,  et  dans  l'après-midi,  après  sa  classe, 
comme  poussée  par  un  pressentiment,  elle  avait  in- 
vité ses  élèves  à  faire  avec  elle  le  chemin  de  la  croix, 
à  l'intention  de  celle  des  sœurs  de  la  mission,  qui 
mourrait  la  première.  "'•'  Jamais,"  dira  plus  tard  l'une 
d'entre  elles,  ""nous  n'oublierons  ce  chemin  de  croix, 
qu'elle  fit  à  haute  voix,  en  méditant  la  passion  du 
Sauveur  :  et  cela  avec  une  telle  onction  et  une  piété 
si  vive  que  nous  ne  pouvions  nous  empêcher  de  mêler 
nos  larmes  aux  siennes."  Yers  les  sept  heures  du 
soir,  elle  demanda  la  permission  d'aller  se  reposer, 
disant  qu'elle  souffrait  d'un  violent  mal  de  tête. 
Quelques  heures  plus  tard,  elle  avait  cessé  de  vivre,  et 
le  prêtre,  mandé  en  hâte,  se  trouva  en  face  d'un  ca- 
davre. 


162  VIE    DE 

La  stupeur  et  la  peine  des  religieuses  et  des  en- 
fants furent  extrêmes  ;  elles  perdaient  en  elle,  les 
unes  une  sœur  ou  une  amie,  les  autres,  une  véritable 
mère. 

Mgr  Bourget  et  mère  Gamelin  rendirent  hommage 
à  son  mérite  et  déplorèrent  vivement  sa  mort. 

Dès  le  lendemain,  l'évêque  écrivait  au  curé  de  la 
Longue-Pointe,  qui  lui  avait  fait  part  de  la  triste 
nouvelle  :  "  C'est  une  vraie  perte  pour  la  paroisse 
comme  pour  la  communauté.  Je  la  déplore  plu?  que 
tout  autre,  mais  j'adore  et  je  me  résigne.  C'est  Dieu 
qui  le  veut.  Espérons  que  déjà  elle  a  pris  sa  place 
clans  le  chœur  des  vierges." 

Mère  Gamelin  faisait  part  de  ses  impressions  sur 
cette  perte  douloureuse,  dans  ime  lettre  à  ses  sœurs 
de  Laprairie,  écrite  quelques  jours  plus  tard. 
Maison  de  la  Providence, 
17  décemlDre  1850. 

A  la  Très-Honorée  Sœur  Larocque,  Sœur  ser- 
vante, à  La  Prairie.  ^ 

^  Sœur  Larocque.  l'une  des  sept  fondatrices,  fut  la  pre- 
mière supérieure  de  l'hospice  de  la  Providence  à  La- 
prairie. Elle  fonda,  en  1853.  une  maison  à  Santiago  du 
Chili.  Son  humilité,  sa  grande  bonté,  son  extrême  défé- 
rence pour  tout  le  monde,  la  rendaient  chère  à  tous 
ceux  qui  la  connaissaient.  Elle  mourut  dans  cette  mission 
lointaine,  le  21  février  1857.  âgée  de  38  ans.  Son  corps  fut 
inhumé  sur  le  terrain  de  la  mission  qu'elle  avait  établie 
trois  ans  auparavant,  et  où  reposent  encore  aujourd'hui  ses 
restes  mortels. 


MÈiŒ  gamj:lin'  163 

"'^  Mes  chères  filles, 

"Vouà  avez  appris,  sans  aucun  doute,  la  mort  de 
notre  chère  sœur  Madeleine,  par  la  lettre  que  sœur 
E^zaheth  vous  a  écrite  de  ma  part.  C'est  samedi, 
à  deux  heures  du  matin,  que  notre  pauvre  sœur  a 
rendu  le  dernier  soupir,  et  je  ne  l'ai  su  qu'à  six 
lieures.  Elle  n'a  été  malade  que  sept  heures  ;  le  Dr 
Archamhault  ne  la  trouvait  nullement  en  danger. 
Les  sœurs  me  disent  que  l'on  ne  peut  dépeindre  la 
scène  qui  s'est  passée  cette  nuit-là.  La  pauvre  sœur 
Praxède  était  sans  connaissance.  Je  suis  arrivée  à 
la  ferme  à  sept  heures,  et  je  suis  restée  jusqu'au 
dimanche  après  vêpres  pour  les  consoler  un  peu. 
]S[otre  pauvre  sœur  a  eu  un  Libéra  à  la  Longue-Pointe 
avant  le  départ  du  corps.  Les  funérailles  ont  été 
magnifiques  ;  cinquante  à  soixante  voitures  sui- 
vaient. 

"  Voyez,  mes  pauvres  filles,  combien  le  Seigneur 
nous  visite  dans  sa  grande  miséricorde  ;  j'ai  bien 
pensé  à  mes  bonnes  missionnaires  ;  je  vous  ai  dési- 
rées près  de  moi.  En  priant  pour  notre  pauvre 
sœur,  ne  soj^ons  pas  insensibles  à  ces  coups  qui  nous 
frappent  ;  il  faut  en  faire  notre  profit  spirituel,  car 
nous  voyons  par  là  comme  il  faut  être  toujours  prêt 
à  rendre  ses  comptes  et  à  paraître  à  l'heure  qu'on  y 
pense  le  moins.     Eéfléchissons  un  peu,  et  voyons  que 


164  VIE    DE 

le  bon  Dieu  nous  aime,  car  il  nous  châtie  en  père. 
Comme  vous  le  savez,  la  mort  de  sœur  Madeleine  est 
une  vraie  perte  pour  la  communauté.  Je  ne  sais  qui 
l'on  va  mettre  à  sa  place. 

"  Mettons  toutes  ces  tribulations  et  croix  amx 
pieds  de  notre  Mère,  et  souvenons-nous  que  nous- 
sommes  ses  filles  et  que  nous  devons  partager  ses  dou- 
leurs." 

Votre  Mère, 

Sr  Gamelin,  supérieure. 

On  voit  par  cette  lettre  l'affection  dont  la  Mère  en- 
tourait toutes  ses  filles,  et  à  quel  point  elle  se  préoc- 
cupait de  les  consoler  dans  les  peines  et  les  épreuves^ 
qui  pouvaient  atteindre  la  communauté. 

Deux  ans  plus  tard,  en  1852,  nos  sœurs  ouvrirent 
à  la  Longue-Pointe  un  hospice  d'aliénés,  dans  la 
ferme  Saint-Isidore,  qu'elles  abandonnaient  avec 
leurs  élèves  pour  s'installer  dans  une  maison  en 
pierre,  de  quarante  pieds  de  long  sur  trente  de  large,, 
achetée  avec  toutes  ses  dépendances  et  un  terrain 
assez  étendu,  ^  près  de  l'église  paroissiale. 

A  la  ferme  Saint-Isidore,  les  classes  furent  conver- 
ties en  cellules,  et  dix-sept  aliénés  en  prirent  posses- 

^  Sur  ce  terrain  se  trouve  encore  aujourd'hui,  outre  cette 
maison  qui  a  subi  d'importantes  améliorations,  le  cimetière- 
des  religieuses   et  celui  des  sœurs  tertiaires. 


MÈRE    GAMELIX  165 

sion.  Sur  ce  nombre,  huit  Tenaient  de  l'Asile,  où 
mère  Gamelin,  depuis  1844,  les  recevait  dans  une  pe- 
tite maison  enclose  dans  l'enceinte  du  jardin.  De- 
puis l'adoption  qu'elle  avait  faite,  à  la  mort  de  son 
mari,  du  pauvre  idiot  Dodais,  elle  avait  toujours 
porté  un  singulier  intérêt  à  ces  infortunés. 

Dieu  bénit  cette  œuvre,  comme  toutes  celles  qu'elle 
a  entreprises.  Le  petit  hospice  de  Saint-Jean  de 
Dieu,  qui  comprenait,  au  moment  de  son  ouverture, 
dix-sept  patients,  en  compte  aujourd'hui  dix-sept 
cents. 

Cette  même  année,  la  ferme  Saint-Isidore  donna 
l'hospitalité  aux  prêtres  âgés  ou  malades,  à  qui  l'in- 
fatigable charité  de  mère  Gamelin  avait  ouvert,  dès 
1846,  une  maison  de  retraite  dans  une  maison  appar- 
tenant au  juge  Pike,  tout  près  de  l'Asile,  au  eom  des 
rues  Mignonne  et  Saint-Hubert.  Elle  l'avait  achetée 
à  cette  intention  ;  ce  fut  l'hospice  Saint-Joseph. 

Or,  le  S  juillet  1852,  un  désastreux  incendie  rédui- 
sit en  cendre  le  faubourg  Saint-Laurent  et  une  partie 
du  faubourg  de  Québec.  L'asile  de  la  Providence  et 
l'hospice  Saint-Joseph,  bien  que  celui-ci  fût  en  bois, 
échappèrent  au  désastre  par  une  protection  signalée 
du  Ciel.  Tout  à  côté,  la  cathédrale  et  Tévêché  étaient 
anéantis.  Quatorze  cents  maisons  avaient  été  dé- 
truites ;    neuf  mille    personnes    étaient   sans   abri. 


166  VIE    DE 

L'Asile  ouvrit  ses  portes  à  ime  foule  de  ces  malheu- 
reux, et  toutes  ses  pièces,  sans  excepter  la  chapelle, 
furent  converties  en  dortoirs,  où  l'on  n'entendait  C[ue 
des  gémissements  et  des  sanglots. 

Les  prêtres  de  l'hospice  Saint-Joseph,  touchés  de 
la  triste  situation  de  leur  évoque  et  des  prêtres  de  son 
évêclié,  leur  offrirent  spontanément  leur  demeure,  et 
s'en  remirent  aux  sœurs  de  la  Providence  du  soin  de 
leur  assurer  une  autre  résidence. 

On  leur  aménagea  un  logement  à  la  ferme  Saint- 
Isidore,  où  ils  passèrent  trois  années,  jusqu'à  ce  que 
la  cathédrale  provisoire  et  l'archevêché  actuel  fus- 
sent construits  au  faubourg  Saint-Antoine. 

Dans  l'intervalle,  la  chapelle  de  l'asile  servit  aux 
offices  publics  du  quartier,  et  l'évêque  y  célébra  toutes 
les  cérémonies  pontificales. 

Presque  en  même  temps  qu'elle  établissait  à  la 
Longue-Pointe  la  maison  Saint-Isidore,  Mère  Ga- 
melin  ouvrait  un  hospice  à  Laprairie.  à  la  demande 
du  curé,  le  E.  P.  Tellier,  S.  J.,  et  sur  les  vives  instan- 
ces de  la  société  des  dames  de  charité,  organisée  dans 
cette  paroisse  depuis  l'année  ISl"?.  ^ 

^  Dans  un  des  vieux  livres  de  comptes  de  la  fabrique  de 
Laprairie.  un  item  attire  l'attention.  Dans  un  compte  de 
marfïuillier.  de  1()92.  il  est  question  d"une  somme  pavée  aux 
■"  Sœurs  de  la  Providence  "'  pour  1  Ib.  de  cire  jaune. 
Quelles  étaient  ces  sœurs  de  la  Providence  ?  Xous  croyons 
que  c'étaient  ces  filles  pauvres,  reçues  par  la  Mère  Bourgeois, 
<in  1681,  sous  le    nom    de    filles   de    la    Providence,  dans  le 


MÈRE    GAMELIN  167 

Mère  Gamelin  devait  se  sentir  d'autant  plus  in- 
clinée à  répondre  à  cet  appel,  que  cette  fondation  se 
j)réseutait  en  quelque  sorte  dans  les  mêmes  circons- 
tances qui  avaient  entouré  la  fondation  de  l'asile  de 
Montréal. 

Là  aussi  une  société  de  dames  avait  pris  Tini- 
tiative  de  la  visite  et  du  soin  des  pauvres.  Elles 
avaient  même  loué  une  maison  pour  y  recevoir  ceux 
d'entre  eux  qui  n'avaient  pas  de  demeure  convenable. 

C'est  cette  maison  que  les  dames  remirent  à  mère 
Gameliu,  le  15  mai  1846.  Elle  abritait  à  ce  moment 
huit  vieilles  infirmes,  dont  la  garde  était  confiée  à 
une  pieuse  fille,  Mlle  Emmélie  Denaud.  ^ 

La  maison,  solidement  construite  en  pierre,  n'a 
pas  subi  depuis  de  modifications  notables,  et  elle  sert 
encore  d'habitation  à  nos  sœurs. 

L'arrivée  des  religieuses  causa  ime  grande  joie 
parmi  les  familles  pauvres  du  village.     Xotre  bonne 

but  de  les  former  au  travail.  La  vénérable  ^Mère  avait  ou- 
vert ù  cette  intention  un  ouvroir  appelé  la  "  Providence  ". 
Quelques  sœurs  étaient  chargées  de  ces  filles,  qu'elles  s'effor- 
çaient de  mettre  en  état  de  vivre  du  produit  de  leur  tra- 
vail. 

Cette  association  fut  supprimée  en  1694. 

Voir  Vie  de  la  Sœur  Bourgeois,  par  M.  l'abbé  Faillon. 
t.  I,  page  186,  et  t.  II,  page  19. 

^  Cette  demoiselle  demeura  à  la  mission  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  le  24  décembre  186.5.  Elle  rendit  il  nos  sœurs 
d'inappréciables  services. 


168  VIE    DE 

mère  passa  quelques  jours  au  milieu  de  ses  filles,  pour 
leur  faciliter  les  commencements  de  leur  nouvelle 
existence.  Elle  s'occupa  avec  une  sollicitude  parti- 
culière à  préparer  le  petit  oratoire  qui  allait  bientôt 
recevoir  Xotre-Seigneur,  dont  la  présence  sacra- 
mentelle est  toujours  le  grand  soutien  et  la  grande 
consolation  de  la  vie  religieuse. 

Les  sœurs  eurent  la  joie  d'entendre  la  première 
messe  dans  leur  oratoire,  le  26  du  même  mois.  Mgr 
Prince,  qui  l'avait  célébrée,  réunit  ensuite  les  dames 
de  charité  ;  et  après  les  avoir  félicitées  du  travail 
qu'elles  avaient  accompli  jusque-là,  il  les  exhorta 
fortement  à  donner  aux  sœurs  tout  l'appui  de  leur 
zèle  et  de  leur  dévouement. 

Quelques  jours  plus  tard,  Mgr  Bourget  venait 
lui-même  apporter  aux  sœurs  et  aux  dames  le  puis- 
sant encouragement  de  sa  présence  et  de  sa  parole, 
et  promettait  à  ces  dernières  Tavantage  d'une  messe 
dite  à  leur  intention,  le  lundi  de  chaque  semaine, 
et  d'une  instruction  donnée  par  un  des  pères  jé- 
suites de  la  paroisse. 

Malgré  le  peu  de  ressources  de  cette  maison,  qui 
dépendait  uniquement  de  la  charité  publique,  la  fon- 
dation s'annonçait  sou-s  les  plus  heureux  auspices, 
quand  une  terrible  épreuve  menaça  d'anéantir  ces 
beaux  commencements. 


MÈRE    GAMELIN  169 

Daus  la  nuit  du  5  août^  un  incendie  détruisit  une 
partie  du  village.  Plus  de  trois  cents  maisons,  le 
presbytère  et  une  portion  de  l'hospice  devinrent  la 
proie  des  flammes.    Le  feu  s'arrêta  à  l'église. 

Les  sœurs  et  les  pauvres  infirmes,  au  nombre  de 
quatorze,  se  réfugièrent  au  bord  du  fleuve.  C'est  là 
que  notre  vénérable  mère,  accourue  dès  le  matin  à 
la  triste  nouvelle,  les  trouva  au  milieu  de  centaines 
de  malheureux  sans  asile,  groupés  autour  des  quel- 
ques meubles  et  des  quelques  habits  qu'on  avait  pu 
sauver  du  désastre. 

x\près  avoir  distribué  autour  d'elle,  avec  sa  bonté 
et  sa  cordialité  accoutumées,  des  consolations  et  des 
encouragements,  la  bonne  mère  repartit  immédiate- 
ment pour  la  ville,  ramenant  à  l'Asile  avec  elle  les 
quatorze  vieilles  de  l'hospice,  pendant  que  les  reli- 
gieuses trouvaient  un  refuge  chez  les  sœurs  de  la  Con- 
grégation de  Notre-Dame. 

Elle  revint  incessamment,  accompagnée  de  sœur 
Caron,  pour  distribuer  les  secours  les  plus  urgents  à 
ces  familles  en  détresse.  Dans  l'intervalle,  des  co- 
mités de  secours  s'organisèrent  à  la  ville  et  dans  les 
campagnes  voisines,  pour  venir  en  aide  aux  incen- 
diés. Nos  sœurs  furent  chargées  de  distribuer  les 
dons  en  argent,  en  aliments  et  en  vêtements,  et  mère 


170  VIE    DE 

Gamelin,  assistée  de  sœur  Caron,  présida  dès  le  len- 
demain à  la  première  distribution. 

Les  sœurs  purent  rentrer  dans  leur  maison  après 
les  premières  réparations^  dès  le  24  septembre;  leurs 
pauvres  les  y  suivirent  au  mois  de  novembre. 

Cependant,  la  pauvreté  de  la  maison  ne  cessait  pas 
d'être  extrême  ;  on  y  manquait  parfois  du  nécessaire. 
Mère  Gamelin  fut  sur  le  point  de  rappeler  ses  reli- 
gieuses. Elle  dut  céder  à  leurs  propres  instances,  car 
elles  ne  pouvaient  se  résoudre  à  abandonner  leurs 
pauvres.  Le  E.  P.  Tellier  et  les  dames  de  charité 
joignirent  leurs  prières  aux  leurs,  et  se  mirent  à  l'œu- 
vre, par  des  quêtes  et  des  bazars,  pour  payer  non  seu- 
lement les  frais  de  réparation  nécessités  par  l'incen- 
die, mais  même  pour  assurer  aux  sœurs  la  propriété 
de  la  maison,  qui  leur  coûtait  un  loyer  annuel  de  19 
louis.  Les  dames  réussirent  à  obtenir  du  comité 
de  l'incendie  un  don  de  50  louis  ;  le  E.  P.  Tel- 
lier eut  la  bonté  de  descendre  lui-même  à  Québec 
pour  solliciter  des  aumônes.  Ses  démarches  réussi- 
rent ;  il  rapporta  la  somme  de  147  louis.  Grâce  à  ces 
secours,  on  put  faire  l'acquisition  de  l'immeuble.  II 
restait  une  dette  de  400  louis. 

Ce  fut  le  dernier  acte  de  zèle  et  de  dévouement  du 
père  Tellier  en  faveur  de  cette  fondation,  à  laquelle  il 
avait  pris  une  part  si  grande.  Le  7  décembre  de  cette 


-MÈRE    GAMELIX  171 

année,  il  quittait  la  cure  de  Laprairie,  ponr  y  être 
remplacé  par  le  R.  P.  Mainguy. 

Moins  d'un  an  plus  tard,  le  16  octobre  1847,  mère 
Gameliu  était  forcée  d'ouvrir  dans  cette  mission  une 
salle  d'orphelines.  Plusieurs  de  ces  pauvres  enfants 
abandonnées  ne  pouvaient  que  très  difficilement 
trouver  place  dans  d'autres  établissements  de  charité. 
Pour  subvenir  aux  besoins  de  ces  nouvelles  pension- 
naires, les  sœurs  s'imposèrent  un  surcroît  de  travail 
et  les  plus  grandes  privations,  jusqu'à  se  contenter, 
pour  leur  nourriture,  des  restes  de  leurs  pauvres. 
C'était  un  nouveau  trait  de  ressemblance  avec  la  fon- 
dation de  la  maison  mère. 

Qu'on  nous  pemiette  de  citer  quelques  lignes  de  la 
chronique  de  l'époque  :  "  Xous  ne  mangions  du  pain 
qu'une  fois  par  Jour.  Notre  nourriture  ordinaire  était 
de  la  soupe  aux  pois,  du  lard  et  des  patates.  En  ca- 
rême, notre  dîner  consistait,  comme  aux  Jours  mai- 
gres, en  une  soupe  aux  pois,  et  ordinairement  en  un 
pâté  aux  pommes,  sans  pain  ni  beurre.  Xous  n'ache- 
tions Jamais  ni  thé  ni  café,  mais  nous  envoyions 
chercher  dans  le  village  les  feuilles  de  thé  déjà  in- 
fusées. Un  Jour,  un  monsieur  donna  aux  orphelines 
50  sous  pour  faire  de  la  tire.  La  sœur  servante, 
qui  n'avait  plus  de  pain  à  leur  donner,  leur  de- 
manda ce  qu'elles  aimaient  le  mieux,  du  pain  ou  de  la 


173  VIE    DE 

tire.  "Du  pain!  du  pain!''  crièrent  ensemble  les  en- 
fants, car  le  pain  était  pour  elles  ce  qu'est  un  gâteau 
aux  enfants  des  riches.  Une  année,  nous  fîmes  tout  un 
carême  d'une  tinette  de  beurre  de  cinquante  livres, 
et  cela  avec  un  personnel  de  trente-sept  personnes." 

Bien  que  la  Clironique  ne  le  dise  pas,  il  y  a  lieu  de 
croire  que  le  pain  fut  plus  souvent  mangé  sec  qu'au- 
trement. 

Des  interventions  manifestes  de  la  divine  Provi- 
dence vinrent  plusieurs  fois  récompenser  ce  touchant 
esprit  de  sacrifice. 

Un  jour,  le  curé  prévint  la  supérieure  qu'il  ne 
pourrait  plus  laisser  le  Saint-Sacrement  dans  l'ora- 
toire, parce  que  la  porte  du  tabernacle  n'était  pas 
recouverte  d'un  pavillon,  conformément  à  la  règle 
liturgicjue.  Il  n'y  avait  que  quinze  schellings  dans  la 
maison,  pour  faire  le  marché  de  la  semaine.  La 
sœiur  ser\aute,  vivement  affligée,  en  conféra  avec 
ses  sœurs,  et  toutes,  unanimement,  décidèrent  de  se 
priver  de  viande  pendant  huit  jours,  plutôt  que  de 
perdre  leur  précieux  trésor.  Or,  pendant  que  la  supé- 
rieure était  à  la  ville,  pour  l'acliat  du  pavillon,  une 
jeune  fille  se  présenta  au  parloir  et  dit  à  la  sœur  qui 
la  reçut  :  ''  J'ai  fait  une  promesse,  pour  une  grâce 
que  j'ai  obtenue  hier,  et  je  viens  m'en  acquitter  tout 
de  suite,  en  donnant  15  schellings  pour  les  pauvres.'' 


MÈRE    GAMELIX  1T3 

Qu'on  juge  de  la  reconnaissance  qui  éclata,  quand,  à 
l'arrivée  de  la  supérieure,  on  lui  remit  la  somme 
qu'elle  venait  de  dépenser  pour  le  divin  Prisonnier  ! 

L"n  autre  jour,  il  n"v  avait  que  cj[uelques  sou'S 
dans  la  caisse;  les  sœurs  et  les  pauvres  entendirent  la 
sainte  messe  en  l'honneur  de  saint  Joseph,  le  priant 
de  venir  à  leur  secours.  Or.  vers  les  neuf  heures,  un 
inconnu  sonna  à  la  porte  du  parloir:  ""'  Je  suis  voya- 
^•eur,  dit-il;  j'ai  manqué  périr,  et  j'ai  promis,  si  j'é- 
chappais au  danger,  de  donner  une  aumône  aux  pau- 
vres. Je  suis  heureux  d'accomplir  ma  promesse  en 
faveur  de  votre  maison."  Et  il  remit  à  la  religieuse 
la  somme  de  deux  louis. 

Xous  pourrions  multiplier  ces  traits  d'intervention 
providentielle,  mais  le  cadre  de  notre  livre  ne  nous 
le  permet  pas.  Aujourd'hui,  la  mission  de  Laprairie 
est  pauvre  encore,  mais  elle  prospère.  Outre  les  œti- 
vres  de  charité  extérieures,  elle  entretient  quarante 
pauvres  infirmes.  La  société  des,  dames  de  charité, 
qui  assiste  nos  sœurs  dans  leurs  œuvres,  compte  un 
demi-siècle  d'existence  et  comprend  actuellement 
cent-vingt  membres. 


174  VIE    DE 

CHAPITEE  XI 
1846-1847 

DEUXIÈME  VISITE  ÉPISCOPALE.— VERTUS  ET  DÉVOTIONS 
DE  MÈRE  GAilELIX. — SOX  ESPRIT  D' ABNÉGATION  ET 
DE  SACRIFICE.— QUALITÉS  DE  SA  DIRECTION.— SA  SOL- 
LICITUDE POUR  LE  NOVICIAT.— SES  ÉPREUVES  INTÉ- 
RIEURES. 

Le  16  avril  1846,  Mgr  Bourget  fit  à  l'asile  de  la 
Providence  sa  seconde  visite  pastorale.  Mère  Game- 
lin  sollicitait  toujours  cette  faveur  avec  instance,  à 
cause  des  grands  avantages  qui  en  résultaient  pour 
sa  communauté.  Chargée  déjà  de  la  direction  de 
plusieurs  œuvres  de  charité,  elle  redoutait  le  poids 
de  sa  responsabilité  et  sentait  plus  que  personne  le 
besoin  de  l'assistance  de  son  évêque.  "  Là  seulement, 
disait-elle,  je  me  sens  en  paix,  comme  un  enfant  près 
d"un  bon  père.''  Une  des  résolutions  de  sa  première 
retraite  avait  été  celle-ci  :  "  Obéissance  aveugle  à 
l'égard  de  mes  supérieurs  en  toutes  choses."  {Jour- 
nal, 1846.)  Elle  tenait  non  seulement  à  déférer  en- 
tièrement à  leurs  avis  et  à  leur  direction,  mais  même 
à  témoigner  un  véritable  contentement  du  sacrifice 
qu'elle  avait  parfoi^^  à  leur  faire  de  ses  idées  et  de 
ses  sentiments  personnels,  non  moins  que  des  frois- 
sements d'amour-propre  qu'elle  pouvait  ressentir  à 
leurs  observations. 


3IÈRE    GAMELIN  175 

Elle  nourrissait  à  son  propre  endroit  les  plus  hum- 
bles sentiments.  "  Je  ne  puis  rien  par  moi-même," 
répétait-elle  souvent  à  ses  sœurs,  "  ni  par  mes  ta- 
lents, ni  par  mes  moyens,  mais  je  compte  sur  la  di- 
vine Providence,  qui  vous  inspirera  ce  que  vous  devez 
faire  pour  soulager  les  membres  souffrants  de  Xotre- 
Seigneur  ;  puis  votre  exemple  engagera  d'autres  per- 
sonnes à  donner  leur  superflu  pour  vous  aider."' — 
■•'Je  n'ai  pas  la  prétention  de  croire,  mes  chères  filles.'^ 
disait-elle  dans  une  autre  occasion,  ''que  nous  ferons 
de  grandes  choses,  comme  les  autres  communautés, 
mais  nous  ferons  le  peu  que  les  autres  communautés 
ne  peuvent  faire,  et  le  bon  Dieu  aura  ce  peu  pour 
agréable,  puisque  nous  ne  pouvons  faire  plus." 

Son  humilité  ne  se  bornait  pas  à  des  paroles,  elle 
se  traduisait  dans  tous  ses  actes. 

Durant  les  retraites,  elle  baisait  les  pieds  de  ses 
sœurs  et  les  suppliait  de  prier  Dieu  pour  elle.  Elle 
savait  réparer  humblement,  même,  auprès  de  ses  infé- 
rieures, les  fautes  qui  échappaient  à  sa  vivacité. 
Avant  im  jour  fait  de  la  peine  à  une  jeune  sœur,  elle 
se  jeta  à  ses  genoux  pour  lui  en  demander  pardon. 

C'était  là  un  des  points  principaux  de  ses  examens 
et  de  ses  résolutions.  ''  Beaucoup  de  douceur  et  de 
charité  envers  mes  inférieures,"  écrit-elle  dans  son 
journal  de  retraite  ;   "  oublier  leurs  défauts  les  plus 


176  VIE    DE 

saillants,  et  ne  voir  que  ceux  qui  me  regardent  per- 
sonnellement."'   {Journal,  184G). 

Elle  accueillait  les  pauvres  au  parloir  avec  tant  de 
cordialité,  qu'on  aurait  cru  qu'ils  étaient  ses  parents 
ou  ses  plus  chers  amis.  Elle  témoignait  un  vif  re- 
gret de  ne  pouvoir  satisfaire  à  toutes  leurs  demandes, 
et  ces  pauvres  gens  ne  se  retiraient  jamais  sans  em- 
porter au  moins  l'aumône  inappréciable  d'une  affec- 
tueuse compassion.  Elle  veillait  à  ce  que  la  visite 
des  pauvres  à  domicile  se  fît  régulièrement.  En 
dépit  du  petit  nombre  des  sœurs,  elle  trouvait  tou- 
jours le  moyen  d'en  envoyer  auprès  des  malades  qui 
en  faisaient  la  demande,  la  nuit  comme  le  jour.  Les 
sœurs  devaient  lui  rendre  compte  de  la  manière  dont 
elles  s'acquittaient  de  cet  office,  et  elle  leur  donnait 
sur  ce  point  d'excellents  avis. 

Ce  fut  le  21  avril  18-i6  que  Mgr  Bourget  inaugura 
dans  notre  chapelle  les  quarante-heures  de  Marie  dé- 
solée. Cette  touchante  dévotion,  si  chère  au  cœur 
de  notre  vénérée  fondatrice,  s'est  perpétuée  jusqu'à 
nos  jours.  Chaque  année,  le  vendredi-samt,  à  cinq 
heures  du  soir,  les  religieuses  et  tout  le  personnel  de 
la  maison  se  réunissent  à  la  chapelle.  Après  le  chant 
du  Stabat  Mater,  on  entend  un  sermon,  puis  on  récite 
quelques  prières,  entre  lesquelles  la  suivante,  pres- 
crite par  le  cérémonial  :    "  Ma  tendre  Mère,  que  je 


MÈKE    GAMELIN  1T7 

vois  plongée  dans  la  plus  profonde  affliction,  je  ne 
veux  point  vous  laisser  seule  répandre  des  torrents 
de  larmes  dans  votre  solitude.  'Non,  Je  ne  vous 
abandonnerai  pas  ;  je  veux  mêler  mes  larmes  avec 
les  vôtres,  je  veux  partager  vos  douleurs  et  celles 
de  mon  Rédempteur.'' 

Sept  cierges  brûlent  constamment  pendant  les 
quarante-heures  de  Marie  désolée  ;  quelques  sœurs 
demeurent  toujours  en  prière,  se  succédant,  le  jour, 
de  demi-heure  en  demi-heure,  et  la  nuit,  de  deux 
heures  en  deux  heures. 

^Igr  Bourget  fit  don  des  sept  premiers  cierges  qui 
furent  allumés  aux  pieds  de  la  Mère  des  Douleurs, 
à  l'inauguration  de  ces  pieux  exercices:  "Je  désire," 
avait-il  dit  à  mère  Gamelin,  •'  que  les  sept  premiers 
cierges  qui  brûleront  à  cette  occasion  soient  payés 
par  un  pauvre  ;  et  comme  je  crois  être  à  bon  droit 
le  premier  pauvre  du  diocèse,  je  vous  en  remets  le 
prix." 

Ces  exercices  se  terminent  le  jour  de  Pâques,  à 
cinq  heures  du  matin.  En  présence  de  la  commu- 
nauté, réunie  à  la  chapelle,  la  supérieure  récite  la 
prière  suivante  :  "  Cessez,  ô  Vierge  glorieuse,  mère 
très-aimable,  cessez  de  vous  livrer  à  la  tristesse  et  à 
l'affliction.  Vous  avez  assez  pleuré,  il  est  temps 
d'essuver  vos  larmes.     Voire  divin  Fils  est  ressus- 


178  VIE    DE 

cité.  Le  voilà,  contcmplcz-le  ;  son  visage,  ses  plaies, 
sa  sainte  âme,  son  corps  sacré,  tout  en  lui  est  rempli 
de  majesté,  de  lumière,  d'éclat  et  de  beauté  :  il  a 
triomphé  de  la  mort,  subjugué  l'enfer,  détruit  le  pé- 
ché. Agréez,  ô  ma  tendre  Mère,  agréez  les  senti- 
ments de  mon  cœur,  qui  vient  partager  avec  vous  sa 
joie  et  son  allégresse." 

Cette  prière  achevée,  le  chœur  des  religieuses  pro- 
clame joyeusement  la  résurrection  du  Sauveur  par  le 
chant  solennel  dit  lîegina  Cœli,  qui  est  suivi  de  la 
prière  dti  matin  et  de  la  méditation. 

Ce  fut  aitssi  notre  vénérée  mère  qui,  malgré  les  ob- 
jections provoqttées  par  la  nouveauté  de  cette  dévo- 
tion, parvint  à  faire  imprimer  pour  la  première  fois 
dans  notre  ville  l'effigie  du  scapulaire  de  Xotre- 
Dame  des  Sept-Doulcurs.  ^  Par  totts  les  moyens  en 
son  pouvoir,  elle  cherchait  à  répandre  cette  dévotion. 
Elle  en  avait  fait  la  promesse,  et  elle  sut  la  tenir. 

Tout  ce  qui  touchait  du  reste  au  culte  des  dou- 
leurs de  Mfirie  lui  était  cher.  Cette  dévotion,  où  elle 
avait  puisé  une  si  grande  consolation  durant  les 
épreuves  de  son  veuvage,  elle  avait  à  cœur  de  l'in- 
culquer à  ses  filles  et  d'en  faire  une  des  dévotions 
caractéristiques  de  sa  communauté.    Son  journal  de 

'  Voir  Soiirciiir  du  25tme  anniversaire  de  la  mort  de 
mère  Ganieliii.  p.  21. 


MÈRE    GAMELIX  179 

retraites,  ses  exhortations  fréquentes  révèlent  cette 
préoccupation  profonde  et  constante  de  son  cœur. 

"  Faire  en  sorte,"  écrit-elle  sous  forme  de  résolu- 
tion, durant  une  de  ses  premières  retraites,  "  que  la 
dévotion  à  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs  se  pro- 
page, surtout  dans  notre  maison,  ainsi  que  celle  du 
chemin  de  la  croix,  a3'ant  connu  qu'au  pied  du  Cal- 
vaire Ton  peut  puiser  à  une  source  intarissable,  et 
qu'avec  un  peu  de  courage  l'on  obtiendra  la  perfec- 
tion que  notre  saint  état  demande  de  nous." 

Dans  son  journal  de  1849.  elle  écrit  :  "  Je  vais 
faire  le  chemin  de  la  croix  pour  la  conversion  des  pé- 
cheurs ;  c'est  ma  pratique  de  tous  les  jours.  J'ai 
formé  la  résolution  de  le  faire  tous  les  jour.s  de  l'an- 
née, si  mes  occupations  le  permettent.  J'éprouve 
tant  de  consolation,  dans  ces  méditations  sur  la  pas- 
sion de  mon  Sauveur."  {Journal,  1849). 

Dans  une  retraite  précédente,  après  avoir  pris  la 
résolution  de  le  faire  souvent,  elle  demande  par- 
don à  Dieu  "'  de  sa  négligence  et  de  sa  paresse  à 
remettre  souvent  de  faire  cet  exercice  qu'il  semble 
-exiger  d'elle."  et  elle  prend  "  la  résolution  de  ne 
pas  passer  un  jour  sans  invoquer  le  nom  de  Marie. 
Mère  des  Douleurs,  par  quelques  invocations  picii- 
ses."  {Journal,  1846).  Et  quatre  ans  plus  tard,  dans 
sa  dernière  retraite,    fidèle  au  même    sentiment   et 


180  VIE    DE 

au  même  devoir,  elle  termine  un  passage  relatif  à 
ses  épreuves  par  ces  lignes,  qui  montrent  avec  quelle 
constance  elle  pratiquait  les  dévotions  qui  lui  te- 
naient au  cœur  :  "  Pour  être  l'enfant  de  la  Mère 
des  Douleurs,  il  faut  s'attendre  à  porter  la  croix  en 
ce  monde.  Je  viendrai  doiic  souvent  prier  aux  pieds 
de  cette  bonne  Mère.  Je  lui  demanderai  d'avoir  pitié- 
de  moi  dans  les  épreuves  et  les  tribulations  dont  je 
suis  sans  cesse  agitée.  Je  penserai  qu'elle  m'a  parti- 
culièrement choisie  pour  sa  fille,  que  je  suis  obligée 
de  la  consoler  et  de  l'honorer,  de  propager  sa  dévo- 
tion autant  que  j)0ssible.  partout  où  il  y  aura  des 
sœurs  de  charité.  Xous  lui  en  avons  fait  la  pro- 
ïnesse,  si  nous  obtenions  par  son  intercession  une 
statue  semblable  à  celle  qu'avaient  le  bonheur  dé- 
posséder, dans  les  Etats-Unis,  les  bonnes  religieuses 
d'Emmit-burg."     [Ji.iinial.  1850). 

Elle  troitvait  un  attrait  irrésistible  à  la  méditation 
de  la  passion  de  Notre-Seigneur  et  des  douleurs  de 
sa  Mère,  qu'elle  ne  séparait  jamais  de  sa  pensée.  Son 
cœur  se  fondait  ati  souvenir  des  peines  de  la  fuite  en 
Egypte,  de  la  perte  de  Jésus  au  retour  de  Jérusalem, 
des  angoisses  de  Gethsémani,  de  la  rencontre  du 
divin  condamné  avec  sa  mère,  de  sa  montée  au  Cal- 
vaire. •'  Sa  mère,"  disait-elle  avec  larmes,  ''  sa  mère 
était  là.  debout  près  de  sa  croix  !"' 


MÈRK    CAMEI.IX  181 

Sa  foi  et  sa  piété  lui  faisaient  vivement  ressentir 
toutes  ces  grandes  souffrances,  et  riIomme-Dieu,  qui 
l'appelait  à  le  suivre  dans  la  voie  laborieuse  de  sa 
passion,  l'admit  de  bonne  heure  à  partager  son  ca- 
lice, en  la  dépouillant,  dès  son  enfance  et  sa  jeunesse, 
de  ses  affections  les  plus  légitimes,  en  la  soumettant, 
dans  sa  maturité,  à  un  âge  où  les  habitudes  de  l'es- 
prit et  du  caractère  sont  fortement  prises,  aux  épreu- 
ves et  aux  difficultés  de  l'obéissance  et  de  la  vie  com- 
mune, en  lui  infligeant  ces  peines  intérieures,  ces  dé- 
laissements sensibles  de  la  divine  présence,  qui  lui 
causaient  de  "si  vives  anxiétés  et  des  tristesses  si  pro- 
fondes. 

Son  courage  et  sa  force,  au  milieu  de  ses  peines, 
elle  les  puisait  uniquement  dans  une  union  intime 
avec  Jésus  souffrant.  ''■  J'ai  formé,*'  écrit-elle  dans 
la  même  retraite.  "  la  résolution  de  faire  de  nou- 
veaux efforts  sur  moi-même,  et  je  me  suis  dit  :  Je 
veux.  Seigneur,  vous  suivre  souvent  au  Calvaire. 
C'est  là  que  j'irai  chaque  jour  m'encourager  à  souf- 
frir les  peines  et  les  épreuves  inséparables  de  mon 
état.  Cette  journée  s'est  passée  à  méditer  sur  la  pas- 
sion et  les  douleurs  de  la  sainte  Vierge.  Que  de  sé- 
rieuses et  profondes  méditations,  (j,ui  condamnent 
toute  ma  conduite  !  "     (Journal,  lS.-)0). 

Ce  qui  semble  dominer  dans  la  vie  intérieure  de 


182  TIE    DE 

mère  Gamelin.  c'est  un  travail  incessant  de  la  grâce 
pour  l'amener  à  un  grand  détachement  d'elle-même 
et  de  toutes  choses,  et  une  disposition  constante  de 
sa  Yolonté  à  correspondre  à  cet  attrait  surnaturel,  en 
dépit  des  sacrifices  f)arfois  cruels  qu'il  demandait  : 
"  Il  me  semble,"  écrirait-elle  en  1848,  "  que  le  bon 
Dieu  va  m'accorder  ce  que  Je  lui  ai  demandé  avec  tant 
d'instances  pendant  ma  l'otraite.  l'esprit  de  sacri- 
fice et  d'abnégation  en  toutes  choses.  J'ai  vu  que  le 
grand  défaut  qui  règne  en  moi  est  la  recherche  de 
moi-même  en  toutes  mes  actions."  Et  elle  ter- 
minait son  journal  de  retraite  par  ces  réso- 
lutions :  "  Pour  pénitences  journalières,  je  ferai 
plusieurs  fois  par  jour  des  actes  de  renoncement  dans 
mes  actions,  mes  pensées,  mes  paroles,  mon  jugement, 
ma  volonté,  dans  ma  nourriture  et  dans  les  aises  que 
je  pourrais  me  procurer,  en  un  mot,  en  toutes  choses. 
Je  m'impoîserai  une  pénitence,  chaque  fois  que  j'y 
manquerai.  Mon  sujet  d'examen  particulier, — donné 
par  Mgr  Prince, — sera  le  renoncement.  Vertu  d'ab- 
négation, à  laquelle  je  devrai  m'exercer  toute  l'année, 
(Journal   1848). 

Ses  sacrifices  étaient  continuels.  Elle  n'a  jamais 
cessé  de  souffrir,  soit  de  ses  peines  intérieures,  soit 
des  épreuves  et  des  contradictions  qui  lui  venaient 
du  dehors,  des  exigences  du  devoir  quotidien  et  d'oc- 


MÈRE    GA5IELIX  183 

casions  nouvelles  ;  son  journal  de  retraites  en  fait 
foi  :  "  J'accepte.""  écrit-elle.  ''  les  croix,  les  humili- 
ations, les  sacrifices,  pour  l'expiation  de  ces  péchés  de 
ma  vie  qui  vous  ont  contristé.  Je  ne  veux  plus  me 
plaindre,  quand  il  faudra  souffrir  quelque  chose  pour 
vous,.  .  .  heureuse  si  je  puis  souffrir  sur  cette  terre 
l>our  acquérir  le  ciel."  {Journal,  1S49).  '''  Les  sacri- 
fices qu'il  me  faut  faire  tous  les  jours  me  sont  en- 
voyés pour  me  faire  mourir  à  moi-même  et  pour 
sauver  mon  âme."  Et  elle  prend  la  résolution  d'im- 
plorer le  secours  de  la  Mère  des  Douleurs,  "  dans  les 
épreuves  et  les  tribulations  dont  elle  est  sans  cesse 
agitée."     {Journal,  1850.) 

Bien  que  sa  vie  dans  le  monde  n'eût  été  ni  coupa- 
ble ni  même  légère,  elle  regrettait  vivement  et  se 
reprochait  avec  amertume  la  jouissance  qu'elle  avait 
pu  prendre  à  certains  plaisirs  frivoles  et  les  satisfac- 
tions d'amour-propre  auxquelles  elle  s'était  parfois 
abandonnée.  Son  journal  trahit  fréquemment  ce  re- 
gret sans  cesse  renaissant,  qui  était  pour  elle  l'occa- 
sion de  profonds  actes  d'humilité.  Dans  sa  retraite  de 
1846,  faite  au  moment  du  second  renouvellement  an- 
nuel de  ses  vœ;ux  et  la  première  sur  laquelle  elle  ait 
laissé  des  notes, — d'autant  plus  intéressantes  qu'elles 
nous  révèlent  ses  véritables  dispositions  et  son  état 
spirituel    dans  les   premières    années  de  sa  vie  reli- 


184  VIE    DE 

gieuse. — elle  écrivait  les  lignes  suivantes:  '"L'oraison 
m"a  vivement  touchée;  l'énormité  de  mes  fautes,  tous 
les  i^échés  de  ma  vie  se  sont  présentés  à  mon  esprit,  et 
j'ai  médité  dans  le  silence  sur  les  divers  états  de  ma 
vie  ;  partout,  j'ai  eu  horreur  de  moi-même.  Que  de 
péchés,  C|ue  d'imperfections,  que  de  légèretés  dans 
toute  ma  conduite,  pour  plaire  au  monde  1  0  mon 
Dieu  !  comment  faire  pour  réparer  tout  cela,  après 
tajit  de  grâces  perdues  ?  Que  faire  à  présent,  moi 
ver  de  terre,  cendre  et  poussière,  à  la  tête  d'une  com- 
munauté naissante,  et  si  peu  capal^le  de  la  con- 
duire, et  où  il  faut  tant  de  vertus  et  de  bons  exem- 
ples à  donner  !    (Journal,  1846). 

L'année  suivante,  sous  l'empire  de  ce  sentiment, 
qui  n'a  rien  perdu  de  sa  vivacité,  elle  écrit  avec 
le  même  accent  de  sincérité  et  d'humilité  tou- 
chante :  "  J'ai  repassé  dans  le  silence  ma  vie  entière, 
et  j'ai  trouvé  un  grand  nombre  de  défauts  saillants. 
J'ai  réfléchi  qu'il  me  fallait  faire  pénitence,  et  qu'il 
est  bien  juste  que  je  souffre  dans  cette  vie.  pour  ex- 
pier les  péchés  de  ma  vie  passée.  Je  me  suis  trouvée 
indigne  d'être  à  la  tête  d'une  communauté  de  vierges 
qui  n'ont  jamais  connu  le  mal  qui  règne  dans  le 
monde,  étant  toutes  pures  aux  jeux  du  Seigneur,  en 
comparaison  d'une  femme  du  monde,  qui  a  joui  de 
tous  ses  divertissements  et  qui  mérite  à  bon  droit- 
d'être  punie  et  humiliée."    {Journal,  1847). 


MÈKE    GAMELIX  185 

Et  sur  la  fin  de  sa  vie,  repassant  dans  sa  mémoire 
les  voies  par  lequelles  le  Seigneur  l'avait  conduite, 
elle  lui  adresse  cette  fervente  action  de  grâces  : 
"  0  mon  Dieu,  que  vous  êtes  bon  et  miséricordieux 
envers  moi  !  Vous  m'avez  conduite  par  la  main  en 
tant  d'époques  pénibles  de  ma  vie.  et  moi,  je  vous  ai 
trahi  tnni  de  fois  !  Que  de  promesses  auxquelles  je 
n'ai  pas  été  lidèle  !  Et  malgré  cela  vous  n'avez  cessé 
de  me  poursuivre,  pour  me  faire  arriver  à  la  place 
que  vous  me  destiniez  de  toute  éternité.  Que  de  re- 
connaissance ne  vous  dois-je  pas,  0  mon  Dieu,  pour 
tant  de  bienfaits  !  Je  me  serais  peut-être  perdue  dans 
le  monde,  car  je  recevais  tous  les  jours  la  récompense 
des  œuvres  que  vous  m'aviez  pourtant  inspiré  de 
faire,  en  écoutant  avec  trop  de  complaisance  les  lou- 
anges que  l'on  faisait  de  mon  hospice  de  vieilles  in- 
firmes."    {Journal,  1850). 

La  vivacité  de  ces  regrets  et  de  ces  reproches,  pour 
des  sentiments  qui  paraissent  inûocents  au  point, 
de  vue  naturel,  peuvent  sembler  excessifs  et  dérai- 
sonnables à  des  esprits  mondains,  qui  n'ont  jamais 
compris  la  profondeur  et  la  portée  de  cette  parole 
austère  de  Kotre-Seigneur  à  ses  disciples  :  "  Si  quel- 
qu'un veut  venir  après  moi,  qu'il  renonce  à  lui-même, 
qu'il  porte  sa  croix  et  qu'il  me  suive."  Plus  l'âme 
veut  répondre  entièrement  à  cette  invitation,  et  plus 


186  YIE    DE 

elle  doit  se  renoucer.  ''  se  perdre."  suivant  une  autre 
expression  du  divin  Maître,  pour  développer  en  elle 
la  vie  chrétienne. 

Xotre  vénérée  mère  a  ressenti  toute  la  rigueur  de 
l'âpre  travail  que  le  disciple  du  Christ  est  obligé  d'ac- 
complir incessamment  sur  lui-même,  pour  arriver  à 
perdre  ainsi  son  âme  afin  de  la  sauver,  et  pour  for- 
mer en  lui,  dans  les  gémissements  et  les  luttes  de  la 
nature,  cet  homme  nouveau  que  le  divin  ]\Iaître  veut 
créer  en  lui. 

C'est  une  grande  erreur,  et  une  erreur  que  trop 
de  vies  de  saints  et  de  chrétiens  illustres  tendent  à 
entretenir,  par  la  façon  exclusivement  élogieuse  dont 
elles  sont  écrites,  de  croire  que  ces  grandes  âmes 
n'ont  fait  qu'obéir  doucement,  et  presque  passive- 
ment à  un  attrait  irrésistible  de  la  grâce,  auquel  elles 
cédaient  constamment  et  sans  effort.  Leur  sainteté, 
qui  est  certainement  le  triomphe  de  la  grâce  et  le 
chef-d'œuvre  du  divin  auteur  de  "  tout  don  parfait," 
est  également  le  triomphe  de  leur  volonté,  corres- 
pondant à  cette  grâce,  mais  non  pas  sans  lutte,  sans 
résistance,  ni  même  sans  défaillance.  Ce  qui  carac- 
térise les  saints,  c'est  qu'ils  se  relevaient  et  se  repre- 
naient après  chaque  chute  et  chaque  infidélité  ; 
c'est  que  leur  propos  de  perfection  n'était  pas  une 
simple  velléité,    comme    il    arrive    pour    beaucoup 


MÈRE    GAMELIX  187 

d'âme  élevées,  il  est  vrai,  mais  faibles,  que  séduit  la 
beauté  de  la  vertu,  mais  qui  ne  trouvent  pas  dans 
une  foi  assez  forte  l'impulsion  nécessaire  à  la  per- 
sévérance dans  cette  voie  longue  et  raboteuse.  Le 
désir  des  saints  est  ferme  et  constant,  et  il  puise 
dans  une  foi  vive,  que  l'humilité  et  la  prière  entre- 
tiennent, une  force  que  la  nature  débile  ot 
corrompue  ne  saurait  donner.  Tout  le  secret  de 
leur  persévérance  et  de  leur  progrès  est  dans  cette 
double  parole  de  l'Apôtre  :  ''  Je  puis  tout  en  celui 
qui  me  fortifie,"  ^  et  :  "  Mon  juste  vit  de  la  foi."  - 

Xotre  mère  a  rencontré,  comme  tous  les  saints,  les 
difficultés  et  les  obstacles  de  la  vie  chrétienne.  Elle 
en  souffrait,  elle  en  gémissait  fréquemment.  ''  Faible 
et  misérable  créature,  s'écriait-elle,  je  tremble,  quand 
il  me  faut  faire  quelque  «acrifice."  {■Journal,  1848). 
Quelques  années  avant  sa  mort,  et  durant  sa  dernière 
retraite,  elle  écrivait  :  "  Sécheresse,  aridité,  peine  à 
me  supporter  moi-même.  Mon  Diexi,  mon  cœur  est 
dur,  qu'il  lui  faut  de  combats  pour  arriver  à  sa  fin  ! 
Qu'il  est  lâche  et  paresseux,  ce  cœur  plus  dur  que  la 
pierre  !  Fait-es-le,  s'il  vous  plaît,  sortir  de  sa  léthar- 
gie.''   {Journal,  1850). 

Elle  analysait    bien  nettement,    à  la   lumière    de 

'  Philip,  4,  13. 
=  Hebr.,  10,  38. 


188  VIE    DE 

Dieu,  les  obstacles  et  les  difficultés  particulières 
qu'elle  rencontrait  en  elle-même  et  dans  son  état  de 
vie  pour  l'œuvre  de  sa  perfection  :  "  La  responsabi- 
lité de  ma  charge  de  supérieure."  écrivait-elle,  "  mon 
manque  de  soumission  dans  les  sacrifices  journaliers, 
la  difficulté  que  j'éprouve  à  corriger  les  manque- 
ments à  la  règle,  mon  caractère  trop  prompt  et  quel- 
quefois trop  lâche,  les  omissions  à  mes  devoirs,  qui 
sont  si  étendus,  tout  cela  m'a  troublée  dans  mon 
oraison  et  a  même  troublé  mon  sommeil."  (Même 
retraite). 

Elle  était  soutenue  dans  la  lutte  par  un  désir  véhé- 
ment ;  sans  cesse,  l'amour  de  Dieu  Fincitait  à. gravir 
ces  rudes  sentiers  qui  conduisent  à  la  cime  rayon- 
nante que  les  violents  seuls  emportent  de  haute  lutte. 
Elle  adresse  un  jour  à  Dieu  cette  ardente  prière  : 
"  Je  veux  profiter  de  cette  retraite  pour  mettre  la 
main  à  l'œuvre  tout  de  bon.  C'est  pour  vous,  Sei- 
gneur, que  je  travaille  à  me  défaire  de  mes  imperfec- 
tions ;  vous  voj'^ez  le  fond  de  mon  cœur,  et  vous  savez 
que  je  vous  aime.  0  mon  Dieu,  donnez-moi  la  force 
de  marcher  à  grands  pas  dans  le  chemin  de  la  perfec- 
tion.''   {Journal.  184T). 

Elle  remercie  quelque  part  Dieu  "  de  lui  avoir 
donné  une  conscience  qui  lui  reproche  sans  cesse  les 
imperfections  de  sa  vie,"'   et  dans  une  heure  de  fer- 


MÈRE    GAMELIX  189 

veur,  elle  s'écrie:  *'•'  Oh  !  que  je  désire  travailler  à  ma 
perfection  !  '"    (Journal.  1849). 

Ce  désir  ne  s'est  affaibli  chez  elle  ni  avec  les  an- 
nées ni  avec  les  échecs  que  la  fail)lesse  de  la  nature 
faisait  essuyer  à  ses  efforts  ;  elle  termine  sa  dernière 
retraite  par  une  résolution  généreuse,  qui  répond  au 
désir  constant  de  son  cœur  :  "Ah  !  je  reviens  à  vous. 
Seigneur,  vous  aurez  pitié  de  moi,  vous  m'aiderez  à 
porter  mon  joug,  et  il  deviendra  doux  et  léger.  Je 
redoute  l'avenir  :  j'ai  déjà  tant  fait  de  promesses  de 
fidélité  ;  mais  j'espère,  et  je  ne  serai  pas  confondue 
dans  mon  espérance.  Avec  votre  secours,  ô  !  mon 
Dieu,  et  la  volonté  ferme  que  j'ai  de  me  corriger,  je 
remporterai  la  victoire."    (Journal,  1850). 

Quelques  lignes  plus  haut,  elle  écrivait  des  paroles 
semblables  :  "  Vous  le  voyez,  ô  !  mon  Dieu,  je  vous 
donne  mon  cœur  pour  toujours  et  sans  réserve. 
Quoi  qu'il  m'en  coûte,  je  travaillerai  à  ma  perfection  : 
la  pensée  du  ciel,  la  récompense  des  sacrifices  de  la 
vie  m'encourage."     (Journal,  1850). 

C'était  là  tout  le  secret  de  son  courage  :  l'amour  de 
Jésus-Christ,  l'espérance  en  ses  éternelles  récompen- 
ses, les  lumières  de  la  foi  et  la  force  que  donne  l'ac- 
ceptation réfléchie  et  résignée  de  la  croix. 

On  ne  voit  pas  qu'elle  ait  éprouvé  beaucoup  de  ces 
consolations  sensibles  par  lesquelles  Dieu  aide  la  fai- 


190  TIE    DE 

blesse  et  entretient  l'amour  de  certains  âmes,  qu'il 
désire  moins  détachées  d'elles-mêmes  et  moins  unies 
à  sa  passion  douloureuse.  Son  journal  n'en  contient 
pas  beaucoup  de  traces.  Dieu  lui  faisait  habituelle- 
ment sentir  le  poids  de  la  croix^,  sans  autre  réconfort 
que  les  vues  de  la  foi.  ''  Mes  croix/'"  écrit-elle,  '''  que 
je  trouve  si  grandes,  ne  sont  rien  en  comparaison  des 
grâces  que  vous  me  faites  tous  les  jours.'"  {Journal^ 
1847). 

Lorsque  son  cœur  est  atteint  par  une  de  ces 
joies  sensibles,  qui  sont  comme  une  caresse  de  la 
grâce,  elle  la  signale  comme  une  chose  rare  et  digne 
de  remarque,  comme  un  secours  exceptionnel  accordé 
à  sa  faiblesse  :  "'  Aujourd'hui,  écrit-elle  dans  un  de 
ces  moments,  j'éprouve  une  douce  joie  et  un  grand 
calme.  Je  vous  remercie,  ô  mon  Dieu,  d'avoir  eu  pitié 
de  moi,  qui  vous  ai  tant  offensé... Merci  de  me  donner 
ce  jour  de  consolation.  Vous  savez  combien  je  suis 
faible,  et  vous  m'aidez  à  me  relever." 

Le  bonheur  de  la  vie  religieuse  lui  apparaissait  sur- 
tout au  point  de  vue  de  ses  avantages  et  de  ses  bien- 
faits spirituels,  mais  elle  avait  besoin  de  s'en  con- 
vaincre psir  l'oraison.  Elle  écrivait  un  jour,  après  des 
méditations  sur  la  naissance  de  Notre-Seigneur,  son 
obéissance  et  sa  pauvreté  :  "Ce  qui  m'a  le  plus  frappée 
dans  ces  méditations,  c'est  le  bonheur  de  la  vie  reli- 


MÈRE    GAMELTX  191 

gieuse.  J'ai  demandé  pardon  de  mes  murmures  inté- 
rieurs et  extérieurs  sur  les  privations  de  tous  les 
jours,  par  rapport  au  vœu  de  pauvreté.  .  .  J'ai  re- 
mercié le  bon  Dieu  de  me  faire  ressentir  peut-être 
plus  qu'une  autre  les  privations  de  la  pauvreté." 
{Journal,  1848.) 

Elle  en  souffrait  cependant  peut-être  moins  que 
d'être  obligée  d'accepter  par  obéissance,  eu  égard  à  la 
délicatesse  de  son  estomac,  certaines  dispenses  de  la 
nourriture  commune.  Elle  parle  ainsi  du  refus  que 
Mgr  Prince  lui  fit,  à  la  fin  d'une  retraite,  de  repren- 
dre le  régime  de  ses  sœurs  :  "  Encore  une  épreuve 
nouvelle  ;  il  m'a  fallu  encore  obéir  en  cela."  {Jour- 
nal, 1847). 

Le  renoncement  à  ses  opinions  et  à  ses.  vues  person- 
nelles, l'obéissance  aveugle,  oiî  elle  trouvait  un  si 
grand  repos  d'âme,  ne  laissaient  pas  de  lui  coûter  de 
durs  efforts.  Elle  l'avoue  à  maintes  reprises.  Elle  sent 
le  besoin  de  se  fortifier  sur  ce  point  par  une  résolu- 
tion spéciale.  "  L'obéissance  de  mon  Dieu  dans  toute 
sa  vie,  écrit-elle,  et  pendant  sa  passion,  m'a  encou- 
ragée à  obéir  aveuglément  à  mes  supérieurs  en  tout, 
et  à  la  règle.  Je  surmonterai  mes  répugnances." 
(Même  retraite.) 

Elle  est  très  sensible  aux  reproches  de  ses  supé- 
rieurs, avouant  sa  crainte,  toujours,  d'être  reprise  par 


192  VIE    DE 

eus.  Elle  souffre  et  elle  se  trouble,  si  son  directeur  la 
reprend  rudement  :  mais  les  pensées  de  foi,  le  senti- 
ment de  l'obéissance  reprennent  vite  le  dessus  :  "J'ai 
eu  une  grosse  peine,"  écrit-elle  un  jour,  '"'  que  m"a 
faite  mon  directeur.  Eéfléchissant  ensuite,  devant  le 
Saint  Sacrement,  que  Dieu  me  Fa  donné  pour  guide, 
qu'il  tient  sa  place,  que  c"est  lui-même  qui  Ta  choisi 
pour  me  faire  arriver  à  la  perfection  que  Dieu  de- 
mande de  moi,  j"ai  prié  avec  instance  le  Seigneur  de 
l'éclairer.  Pour  moi,  obéir  est  tout  ce  que  j'ai  à  faire  ; 
peu  importe  la  manière,  douce  ou  rigoureuse,  avec  la- 
quelle il  me  traitera.  Après  ces  réflexions,  la  paix  est 
revenue  dans  mon  âme,  qui  déjà  était  fort  tro-ublée 
par  cette  petite  épreuve."  {Journal .  1848.) 

Ses  combats  contre  elle-même,  on  le  voit,  étaient 
incessants.  Elle  voulait,  coûte  que  coûte,  sous  l'ins- 
piration de  la  grâce,  planter  partout  dans  son  âme 
l'étendard  victorieux  de  la  croix,  lui  soumettre  toutes 
ses  puissances  et  toutes  ses  passions,  et  chaque  effort 
était  violent  et  sanglant.  La  répugnance  se  renouve- 
lait, constante  ;  la  nature  ne  se  soumettait  qu'en  gé- 
missant, et  après  un  fervent  appel  au  secours  de  Dieu, 
un  noiivel  élan  d'espoir  en  cette  éternelle  récompense 
qui  n'est  pas,  après  tout,  si  lointaine  :  ''  Pourquoi  tant 
avoir  peur  de  se  renoncer.'"  s'écriait-elle,  "la  vie  est 


:\[KHK    (iAilELIX  193 

si  courte  !  Un  jour,  nous  jouirons  de  la  présence  de 
Dieu.'"' 

Elle  ne  craignait  pas,  lorsque  la  grâce  de  Dieu  la 
sollicitait  d'une  façon  plus  pressante  au  sacrifice,  de 
trancher  au  plus  vif  de  son  cœur  et  de  s'imposer  elle- 
même  les  renoncements  les  plus  douloureux,  au  plus 
intime  de  ses  affections. 

Son  journal  nous  en  révèle  un,  qui  lui  fut  particu- 
lièrement sensible,  et  dont  nous  reproduisons  le  récit 
en  entier.  Elle  Ta  écrit  avec  le  sang  de  son  cœur,  cou- 
lant tout  chaud  de  la  plaie  qu'elle  venait  d'y  ouvrir 
de  ses  propres  mains. 

"Méditation  profonde...  Que  voulez-vous.  Sei- 
gneur, de  moi  ?  encore  quelque  sacrifice  ?  Et  il  m'est 
venu  la  pensée  que  j'étais  encore  attachée  à  quelque 
chose.  J'ai  fait  connaître  à  Mgr  Prince  qu'il  m'en 
coûterait  beaucoup  de  me  séparer  d'une  chose  que  j'ai- 
mais à  baiser  et  à  considérer.  C'étaient  les  cheveux  de 
mes  petits  enfants,  que  je  vénérais  comme  des  reli- 
ques bien  précieuses  pour  moi.  Il  a  exigé  de  moi,après 
vingt-cinq  ans,  de  m'en  séparer  et  de  les  mettre  dans 
la  cave,  là  où  je  serai  enterrée,  sous  un  soliveau,  et 
qu'ils  seraient  mis  dans  mon  cercueil  après  ma  mort. 
Oh!  que  ce  sacrifice  m'a  coûté  de  larmes  en  présence 
de  mon  Dieu  !  Il  m'a  fallu  obéir  à  celui  qui  me  l'or- 
donnait, pour  me  punir  peut-être  d'une  trop  grande 


194  VIE    DE 

envie  et  satisfaction  trop  naturelle  de  les  regarder  et 
de  les  baiser  avec  complaisance  sur  la  terre,  pour  ne 
les  revoir  que  dans  le  ciel,  pensée  qui  m'a  fait  plain- 
dre et  gémir  intérieurement  toute  la  nuit. 

"  Ne  sachant  que  faire  pour  avoir  le  courage  de 
descendre  dans  ce  caveau,  j'ai  prié  sœur  Séné  de 
venir  avec  moi,  et  lui  ai  confié  mes  peines  à  ce  sujet. 
Dans  la  cave,  j'ai  considéré  la  place  où  je  serai  en- 
terrée ;  j'"ai  commandé  à  mes  chers  petits  enfants 
d'avoir  pitié  de  leur  pauvre  mère  et  de  prier  pour  elle, 
eux  qui,  du  haut  du  ciel,  voient  mes  misères  ;  qu'ils 
m'obtiennent  l'esprit  de  sacrifice  pour  porter  les  croix 
et  les  peines  attachées  à  mon  état.  Ce  qui  semblait  me 
consoler  de  leur  part,  c'est  de  penser  qu'ils  habitent 
le  ciel  et  qu'ils  peuvent  m'être  utiles  sur  la  terre. 
Aussi,  dans  les  jours  orageux,  j'aurai  recours  à  eux  ; 
ils  me  consoleront  et  m'aideront  dans  mes  épreuves 
de  tous  les  jours.  Priez,  mes  bons  petits  anges,  pour 
votre  pauvre  mère,  qui  vous  commande  bien  de  ne  pas 
l'oublier  devant  le  trône  du  Dieu  éternel."  (Journal, 
1847.) 

C'est  par  ees  élans  vigoureux  de  générosité,  que 
notre  vénérée  fondatrice  réussissait  à  se  rapprocher 
de  Dieu,  à  se  donner  entièrement  à  lui  et  à  répondre  à 
ses  desseins  de  perfection  sur  elle. 

Cependant,   malgré   ces   luttes    intérieures   conti- 


MÈRE    GAMELIN  195 

nuelles,  elle  conservait  habituellement  dans  sa  pliv- 
sionomie  et  dans  tout  son  extérieur  un  grand  calme  ; 
son  visage  trahissait  rarement  les  souffrances  de  son 
cœur.  Elle  était  arrivée,  à  force  d'efforts  répétés  et 
d'une  constante  vigilance  sur  elle-même,  à  maîtriser 
son  humeur  et  ces  saillies  par  lesquelles  se  traduisait 
d'abord  la  vivacité  de  son  tempérament.  On  la  voyait 
toujours  égale  à  elle-même,  aimable,  empressée  à  don- 
ner, suivant  les  besoins  et  les  circonstances,  un  bon 
conseil,  une  consolation  efficace. 

Ses  conseils  et  ses  consolations  ne  se  bornaient  pas 
à  ses  religieus-es.  Les  œuvres  de  charité  et  de  nom- 
breuses relations  lui  apportaient  fréquemment  la 
confidence  de  misères  et  de  difficultés  i^ersonnelles 
ou  domestiques,  auxquelles  la  droiture  naturelle  de 
son  jugement  et  les  inspirations  de  sa  foi  lui  permet- 
taient d'offrir  d'heureuses  solutions.  Elle  parve- 
nait presque  toujours  à  les  faire  accepter.  "'  Der- 
nièrement," écrit-elle  un  jour,  ''  plusieurs  personnes 
sont  venues  me  voir  pour  mettre  la  paix  dans  leur 
famille,  et  Dieu,  dans  sa  grande  miséricorde,  a  voulu 
se  servir  de  moi  pour  détruire  plusieurs  défauts  af- 
freux." La  réflexion  qui  suit  immédiatement  prouve 
en  même  temps  à  quel  point  elle  se  défiait  de  son 
propre  jugement  et  tenait  à  s'assurer,  sur  ce  point, 
du  sentiment  de  ses  supérieurs  :   "  J'étais  inquiète  de 


196  VIE    DE 

connaître  la  volonté  de  Dieu  à  ce  sujet.  J'ai  con- 
sulté, et  je  me  suis  bien  instruite  comment  m'y  pren- 
dre par  la  suite."    (Journal,  184T.) 

Comment  cette  humilité  n'aurait-elle  pas  attiré  les 
bénédictions  de  Dieu  sur  son  zèle  et  sur  sa  charité  ? 

Sa  piété  très  vive  s'alimentait  surtout  dans  l'Eu- 
charistie et  l'oraison,  ces  deux  sources  profondes  de 
la  vie  intérieure;  elle  y  trouvait  parfois  de  véritables 
délices,  de  même  que  dans  la  communion  spirituelle. 
'•'  J'ai  éprouvé,"  écrit-elle  un  jour,  "un  désir  ardent 
de  communier,  ce  matin,  mais  je  n'ai  pu  le  faire  que 
spirituellement.'' — "■■  Beaucoup  de  consolations  dans 
l'oraison,"  dit-elle  un  peu  plus  loin  ;  "  il  me  semblait 
être  au  ciel,  par  le  bonheur  que  je  ressentais  de  m'en- 
tretenir  avec  mon  Dieu  si  facilement.  J'ai  éprouvé 
une  ivresse  que  je  ne  puis  définir.  Il  faut  l'éprouver 
pour  connaître  cet  état  de  l'âme  avec  Dieu,  que  j'ai 
goûté  quelquefois  dans  mes  communions."  {Journal 
1848.) 

Mais  ces  '*'  ivresses  "  étaient  passagères,  comme  un 
avant-goût  que  Dieu  donne  parfois  à  ses  élus  de  l'inef- 
fable communion  de  son  être,  qu'il  leur  réserve  pour 
les  fêtes  éternelles.  D'habitude,  comme  à  tous  ses 
amis,  Dieu  ne  lui  communiquait,  dans  la  prière  et 
dan3  la  communion,  que  le  réconfort  qu'il  y  a  ménagé- 
pour  notre  soutien.     Il  n'a  voulu  faire    du   Thabor 


MÈRE    GAiLKLIN  197 

qu'mie  étape  glorieuse  sur  la  route  du  Calvaire.  La 
froideur,  les  sécheresses,  les  distractions  sont  le  pain 
quotidien  des  âmes  les  plus  ferventes,  dans  leurs 
efforts  pour  se  rapprocher  de  Dieu.  Elles  en  souf- 
frent, elles  s'en  humilient  et  elles  disent,  comme 
notre  sainte  fondatrice  :  "J'ai  fait  la  communion 
spirituelle  ;  j'ai  beaucoup  désiré  conununier  sacra- 
mentellemcnt  :  j'étais  pressée  de  demander  cette  fa- 
veur, mais  j'ai  pensé  que  je  méritais  bien  d'en  être 
privée,  en  réparation  de  tant  de  communions  tièdes." 
{Journal,  1848.) 

"Notre  chère  mère,"'  raconte  une  de  ses  compagnes 
survivantes,  "faisait  souvent  elle-même  à  haute  voix 
le  quart  d'heure  de  préparation  à  la  méditation  du 
lendemain,  et  cela  avec  une  onction  et  une  sagesse  at- 
tendrissantes, qui  rendaient  à  toutes  la  méditation  at- 
trayante et  facile.  On  eût  dit  en  même  temps  qu'elle 
profitait  de  cette  occasion  pour  donner  ses  avis  à  la 
communauté,  lesquels  coulaient  alors  dans  nos  âmes 
comme  une  huile  odorante.  Ces  douces  impressions 
restaient  gravées  dans  nos  cœurs,  et  nous  les  médi- 
tions. Xotre  mère  s'exprimait  avec  grande  aisance  ; 
ses  paroles  respiraient  le  bon  sens  et  la  droiture.  Elle 
rendait  la  méditation  pratique  et  l'appliquait  à  nos 
besoins  présents." 

Chaque  fois  que  l'heure  sonnait  à  la  pendule,  elle 


198  VIE    DE 

se  levait  pour  se  rappeler  son  oraison  du  matin  et 
en  renouveler  les  résolutions.  Elle  disait  en  même 
temps  la  prière  suivante,  qu'elle  nous  a  léguée  et 
qui  figure  aujourd'hui  dans  notre  coutumier  :  '"'  A 
cette  heure  et  à  toutes  les  heures  du  jour  et  de  la 
nuit,  que  le  bon  Jésus  soit  dans  mon  cœur.  Béni  soit 
le  moment  dans  lequel  mon  Sauveur  s"est  incarné,  est 
mort  et  est  ressuscité  pour  sauver  les  âmes.  Ave, 
Maria." 

Depuis  plus  d'un  demi-siècle,  à  chaque  heure  du 
jour,  cette  prière  se  murmure  par  des  centaines  de 
voix  dans  toutes  nos  maisons.  Puisse-t-elle  nous  ob- 
tenir à  toutes  la  tendre  piété  de  notre  sainte  fonda- 
trice ! 

ISTotre  vénérée  mère,  comme  tous  les  saints,  avait 
une  haute  estime  de  la  mortification  et  elle  la  prati- 
quait assidûment.  Dans  les  deux  premières  années  de 
■sa  vie  religieuse,  elle  se  faisait  donner  la  discipline 
par  la  sœur  qui  couchait  dans  sa  chambre  ;  mais  elle 
lui  dit  un  jour  ;  "  Ma  sœur,  je  vous  remercie  de  votre 
charité.  Jusqu'ici,  j'étais  trop  lâche  pour  m'infiiger 
moi-même  ce  châtiment  :  maintenant,  je  suis  plus 
aguerrie,  le  cliquetis  de  cette  arme  ne  m'effraie  plus, 
et  je  puis  la  manier  seule."  Et  elle  prouva,  en  effet,  en 
maintes  circonstances,  que  cette  pratique  lui  était  de- 
venue familière. 


MÈRE    GAMELIX  199 

Ses  résolutions  de  retraites  portent  fréquemment 
sur  la  bonté,  la  douceur  et  l'humilité  qu'elle  doit  té- 
moigner à  ses  sœurs,  sur  la  charité  à  supporter  leurs 
défauts.  Elle  se  préoccupait  vivement  de  leur  avance- 
ment spirituel.  A  la  suite  d'une  médi1:ation  sur  la  vie 
intérieure,  elle  écrit  :  "  Je  suis  toujours  plus  occupée 
du  temporel  que  du  spirituel  ;  j'ai  formé  la  résolution 
de  prendre  à  tâche  de  conserver  le  recueillement  et,  à 
l'avenir,  de  m'intéresser  plus  au  spirituel  pour  moi- 
même  et  pour  les  autres."     (Journal,  1848.) 

Elle  avait  une  crainte  délicate  de  les  malédifier  par 
ses  défauts  et  ses  imperfections,  ou  de  ne  pas  leur 
donner  assez  de  bons  exemples.  Ce  sentiment  revient 
très  souvent  sous  sa  plume  :  "  Que  faire  à  présent, 
s"écrie-t-elle  un  jour,  moi,  ver  de  terre,  cendre  et 
poussière,  à  la  tête  d'une  communauté  naissante,  et  si 
peu  capable  de  la  conduire,  oii  il  faut  tant  de  vertus 
et  de  bons  exemples  à  donner  ?  Dites,  ô  mon  Dieu,  ce 
que  vous  désirez  de  ,moi,  votre  servante  écoute." 
(Journal,  1846.) 

"Seigneur,  vous  voyez  le  fond  de  mon  cœur,"  écrit- 
elle  l'année  suivante,  "ayez  pitié  de  moi.  Faites-moi 
la  grâce  de  travailler  avec  un  nouveau  courage  à  me 
corriger  de  tant  de  défauts  qui  sont  de  mauvaise  édi- 
fication pour  mes  sœurs."  (Journal,  1847.) 

IsTous  savons  avec  quel  courage   et   quelle  fidélité 


200  YIE    DE 

elle  s'appliqua  à  ce  travail,  et  comment  elle  y  réussit. 
Les  nombreux  témoignages  de  ses  compagnes  en  font 
foi  et  corroborent  sur  ce  point  l'aveu  de  ses  propres 
confidences. 

Mais  après  l'exemple,  cette  première  et  cette  plus 
fructueuse  des  leçons,  elle  apportait  à  la  direction  de 
ses  sœurs  et  au  gouvernement  spirituel  de  sa  commu- 
nauté toutes  les  ressources  d'un  zèle  ardent  et  d'une 
persévérante  énergie,  tempérée  par  la  prudence  et 
réglée  par  la  douceur  et  la  patience. 

Son  extrême  bonté  et  sa  grande  délicates^se  lui  fai- 
saient éviter  toute  parole  qui  pouvait  froisser  les  per- 
sonnes à  qui  elle  avait  à  donner  des  ordres,  à  adres- 
ser des  avis  ou  des  réprimandes.  Elle  prenait  sur  ce 
point  des  résolutions  précises  :  "  Je  pèserai  les  com- 
mandements que  je  ferai,"  écrit-elle,  "désirant  faire 
aux  autres  ce  que  je  voudrais  que  l'on  me  fît  à  moi- 
même.  J'ai  demandé  pardon  au  bon  Dieu  de  ce  que 
j"ai  pu  faire  souffrir  à  mes  sœurs  avant  de  décider 
quelque  chose."  Et  elle  fait  un  peu  plus  loin  cet  hum- 
ble aveu  :  "J'ai  vu  aujourd'hui  plus  que  jamais  que 
je  manque  de  prudence  dans  mes  paroles  et  de  sagesse 
dans  mes  actions.  Je  demanderai  ces  deux  vertus  à 
Xotre-Dame  des  Sept-Douleurs,  tous  les  jours  de 
Tannée."  (Journal,  1849.) 

Cette  sincérité  envers  elle-même  et  cette  droiture 


MÈKK    GAME  LIN  201 

d'intention  ne  ponvaient  manquer  de  lui  obtenir  de 
Dieu  les  qualités  et  l'autorité  d'une  bonne  direction. 
Aussi,  ses  religieuses  ne  manquaient  pas  de  le  recon- 
naître et  d'y  rendre  hommage.  "  Il  n'y  aA^ait  rien  de 
petit  en  elle/"  dit  l'une  de  ses  premières  compa- 
gnes. "  Elle  était  vraiment  maternelle,  mais  elle 
n'avait  pas  non  plus  de  lâche  timidité  ;  lorsqu'il 
fallait  reprendre,  elle  y  allait  franchement  et  tout 
droit.*' 

Avec  des  sentiments  et  des  dispositions  pareils,  elle 
devait  attacher  une  importance  capitale  à  la  forma- 
tion des  novices.  Sa  sollicitude  et  son  affection  se  por- 
taient d'instinct  vers  ce  berceau  des  espérances 
de  sa  communauté  naissante.  Elle  comprenait  parfai- 
tement que  d'un  bon  noviciat  dépend  la  formation  de 
l'esprit  et  des  vertus  religieuses  qui  devront  animer 
et  féconder  toute  la  vie.  Elle  s'inspirait,  pour  la  di- 
rection des  novices,  de  ces  paroles  de  Mgr  Bourget, 
envisageant  dans  la  vie  des  vierges  'consacrées  à  Dieu 
un  perpétuel  noviciat  à  leur  vie  céleste  dans  la  gloire 
éternelle.  "Vos  communautés,"  écrivait  le  saint  évê- 
que,  "sont  à  proprement  parler  les  noviciats  de  cette 
communauté  de  vierges  dont  Jésus-Christ  aime  à 
s'entourer  au  ciel.  C'est  dans  ces  divers  noviciats  de 
la  terre  que  s'apprend  le  cantique  virginal  qui  doit 
se    chanter    éternellement    dans   les   cieux,    et    c'est 


203  VIE    DE 

quand  leur  cœur  et  leur  bouche  sont  jugés  assez  purs 
pour  le  chanter,  que  les  vierges  de  l'exil  sont  appe- 
lées à  la  patrie,  la  communauté  des  communautés.  Et 
voilà  encore  ce  qui  nous  fait  trembler,  nos  très  chères 
filles.  Hélas  !  y  en  aura-t-il  parmi  vous  quelques-unes 
qui,  après  avoir  fait  le  long  et  dur  noviciat  de  la  terre, 
ne  seraient  pas  jugées  dignes  de  faire  profession  dans 
la  sainte  et  heureuse  communauté  du  ciel  ?  "  ^ 

Mère  Gamelin    avait  une  vive    conscience  de    la 

responsabilité  qui  lui  incombait  dans  la  direction 
des  novices.  Depuis  la  nomination  officielle  de  leur 
maîtresse,  le  30  mars  1844,  outre  les  instructions  de 
chaque  semaine  que  leur  donnait  Mgr  Prince,  et  les 
exercices  journaliers  présidés  par  la  maîtresse,  notre 
vénérée  mère  leur  adressait  de  fréquentes  exhorta- 
tions sur  les  vertus  religieuses,  surtout  celles  auxquel- 
les doivent  s'exercer  les  sœurs  de  notre  institut,  l'hu- 
milité, la  simplicité  et  la  charité.  Souvent  elle  leur 
faisait  à  haute  voix  la  méditation,  d'après  la  méthode 
de  saint  Ignace,  dont  elle  avait  su  se  rendre  maîtresse. 
Elle  leur  donnait  de  précieux  conseils  sur  le  soin 
des  malades  et  des  infirmes,  la  visite  des  pauvres  et 
les  autres  œuvres  de  la  communauté,  s'appliquant  à 
développer  en  elles  une  énergie  et  un  dévouement  à  la 
hauteur  de  tous  les  sacrifices.  Mais  elle  savait  donner 

^  Mandement  du  8  décembre  1850. 


MÈRE    GAMELIX  203 

à  ses  leçons  l'attrait  d'une  bonté  et  d'une  tendresse 
qui  les  rendaient  irrésistibles.  "  Comme  la  meilleure 
des  mères,"  dit  l'une  d'entre  elles,  "elle  prodiguait 
aux  jeunes  sœurs  les  soins  les  plus  tendres  et  les  plus 
affectueux.  Aussi  comme  nous  Faimions,  notre  bonne 
mère.  Cependant  elle  ne  nous  épargnait  pas  les 
épreuves  et  les  actes  de  renoncement,  mais  elle  com- 
prenait trop  ce  que  coûtent  les  sacrifices  pour  ne  pas 
les  partager  avec  nous.  En  toutes  circonstances,  on  la 
voyait  pleurer  ou  se  réjouir  avec  nous." 

Elle  témoignait  surtout  aux  postulantes  une 
bonté  affectueuse  et  délicate,  s'ingéniant  à  les  dis- 
traire et  à  les  consoler,  quand  elle  les  voyait  accablées 
par  l'ennui  et  la  peine  que  leur  causaient  l'éloigne- 
ment  de  leur  famille  et  le  souvenir  d'une  séparation 
douloureuse. 

Mais  sa  bonté  et  sa  tendresse  n'affaiblissaient  ja- 
mais en  elle  la  fermeté  nécessaire  à  la  formation 
d'âmes  appelées  à  une  vie  de  renoncement  et  de  sa- 
crifice ;  elle  ne  leur  ménageait  pas  les  pénitences, 
lorsqu'elle  les  jugeait  utiles  à  leur  correction  et  à 
leur  progrès  spirituel.  Xous  en  citerons  quelques 
exemples. 

Un  jour,  rencontrant  une  novice  qui  descendait 
un  escalier  avec  trop  de  précipitation,  elle  l'aborda 
doucement  et  lui  dit  :  "  jMa  petite  fille,  vous  viendrez 


204  VIE    DE 

ce  soir   à  ma  chambre,  et   je  vous  donnerai  quelque 
cliose."  La  jeune  sœur,  tout  heureuse,  crut  qu'on  vou- 
lait récompenser  son  ardeur  au  travail  ou  son  empres- 
sement aux  exercices.   Mais  qu'allait-elle  lui  donner  ? 
songeait-elle  en  elle-même.     Peut-être  une  image  de 
jSIotre-Dame  des  Sept-Douleurs  ou  de  saint  Vincent 
de  Paul,  qu'elle  garderait  précieusement  toute  sa  vie, 
en  souvenir  de  la  bonne  et  bien  aimée  mère  ?    Enfin 
arrive  l'heure  si  impatiemment  attendue.     Après  la 
prière  du  soir,  la  novice  frappe  doucement  à  la  cham- 
bre de  la  supérieure.     "  Mon  enfant,  lui  dit  la  mère, 
je  vais    vous    prêter    quelque    chose.     J'aimerais    à 
vous   en  faire  cadeau  pour   votre   usage   personnel, 
mais  je  m'en  sers  souvent  moi-même.  Voici  ma  disci- 
pline, ma  chère  enfant,  vous  vous  en  donnerez  sept 
bons  coups  ce  soir  et  autant  demain  matin,  avant  de 
me  la  rapporter.     Cet  exercice  ralentira  un  peu  vos 
courses  dans  les  escaliers.     Vous  arriverez  j)eut-être 
à  votre  but  quelques  secondes  plus  tard,  mais  vous 
serez  plug  religieuse  dans  votre  démarche,  et  Notre- 
Seigneur  vous  en  aimera  davantage." 

La  novice  comprit  la  leçon  :  elle  ne  fut  pas  tentée 
de  garder  ce  cadeau  toute  sa  vie,  mais  elle  en  retint 
le  souvenir  et  se  corrigea  une  fois  pour  toutes  de  sa 
précipitation. 

Une  autre  fois,  notre  mère  discotirait  au  noviciat 


MÈRE    GAMELIX"  205 

sur  des  sujets  spirituels.  Ses  enfants  l'entouraient  et, 
comme  autrefois  les  disciples  d'Emmaiïs,  elles  sen- 
taient leur  cœur  s'enflammer  au  souffle  des  aspira- 
tions pieuses  et  de  l'ardente  charité  de  leur  mère. 
Au  milieu  de  ces  douces  et  pieuses  jouissances, 
la  cloche  vint  à  sonner  pour  l'oraison,  et  mère  Game- 
lin  de  se  lever  aussitôt  pour  se  retirer  :  "  Oh  !  de- 
meurez donc  avec  nous,  lui  demandèrent  avec  ins- 
tance les  novices.'' — ''Mais  l'oraison  vient  de  sonner," 
répondit  la  mère. — "  Oh  !  ca  ne  fait  rien,"  repartit, 
vivement  l'une  des  plus  ardentes,  '"  restez,  mère,  s'il 
vous  plaît."'  —  "  Eh  l)ien  !  c'est  hon,  je  resterai,  mais 
comme  je  ne  veux  pas  vous  faire  manquer  à  un  de- 
voir envers  Xotre-Seigneur,  c'est  vous,  sœur  Alexis. 
qui  allez  faire  l'oraison  à  haute  voix."  Et  durant  une 
demi-heure,  la  pauvre  enfant  fut  obligée,  à  sa  grande 
confusion,  d'exécuter  sa  pénitence,  toutes  compre- 
nant à  cette  leçon  combien  il  importe  d'obéir  au  son 
de  la  cloche  et  de  savoir  quitter  hiême  Dieu  pour 
Dieu. 

Nous  pourrions  citer  un  grand  nombre  de  faits  du 
même  genre,  qui  donneraient  une  juste  idée  de  la  di- 
rection de  notre  vénérable  mère,  mélange  de  bonté, 
de  tendresse  et  de  fermeté,  qui  imposait  l'obéissance 
tout  en  la  faisant  aimer,  et  inspirait  le  respect  de  .son 
autorité,  sans  affaiblir  l'affection  pour  sa  personne. 


206  VIE    DE 

On  éprouvait,  en  retour,  un  véritable  plaisir  à  l'obli- 
ger :  elle  savait  si  bien  agréer  et  apprécier  un  bien- 
fait. "•'  J'ai  reçu  votre  cadeau,  disait-elle  à  une  dame 
qui  lui  avait  envoyé  un  paquet  de  vieux  habits,  j'en 
ai  habillé  troi3  de  nos  vieilles;  venez  voir  comme  elles 
sont  jolies  et  toutes  rajeunies  dans  leur  nouveau  cos- 
tume." 

"Quand  on  vieillit,"  disait-elle  un  jour  à  M.  Jean 
Bruneau,  **'  on  devient  frileuse.  J'ai  été  voir  nos 
bonnes  vieilles  cette  nuit,  et  j'en  ai  trouvé  plusieurs 
qui  avaient  froid  !  "  L'excellent  homme  comprit  sa 
pensée,  et  le  même  jour  il  lui  envoj-a  quelques  dou- 
zaines de  bonnes  couvertures  de  laine. 

Sa  bonté  pour  les  sœurs  malades  était  extrême. 
Elle  dont  le  cœur  se  sentait  ému  à  la  vue  de  n'im- 
porte quelle  souffrance,  pouvait-elle  rester  indiffé- 
rente à  ses  chères  filles,  succombant  sous  le  poids  de 
la  fatigue  et  d"un  dévouement  sans  relâche  ?  Deux 
fois  par  jour,  elle  les  visitait  à  l'infirmerie,  s'infor- 
mait de  leur  santé  et  leur  faisait  donner  tous  les  soins 
que  réclamait  leur  état.  Dans  un  temps  où  la  pau- 
vreté de  la  maison  ne  permettait  pas  de  leiu'  pro- 
curer ces  petites  douceurs  dont  ont  souvent  besoin 
les  malades,  on  Va  vue  quelquefois  partir,  un  panier 
au  bras,  pour  aller  quêter  des  fruits  ou  quelque  fri- 
andise à  l'intention  de  ses  chères  éprouvées. 


MÈRE    GAMELIN  307 

Mais  ce  fut  surtout  à  l'époque  de  l'immigration 
irlandaise,  dont  nous  parlerons  dans  le  chapitre  sui- 
vant, alors  que  vingt-sept  de  ses  sœurs  furent  attein- 
tes du  typhus,  que  sa  sollicitude  ne  connut  plus  de 
bornes.  Les  survivantes  de  ces  tristes  jours  gardent 
le  plus  doux  souvenir  de  ses  soins  délicats,  que  la  plus 
tendre  mère  n'aurait  pu  surpasser. 

Elle  aurait  voulu  alléger  le  travail  ardu  auquel  la 
multiplicité  des  œuvres  astreignait  ses  premières  com- 
pagnes, leur  assurer  au  moins  une  alimentation  suffi- 
sante pour  réparer  leurs  forces,  qui  s'épuisaient  dans 
ces  rudes  labeurs.  Que  de  fois  ses  yeux  s'emplirent  de 
larmes,  en  leur  voyant  servir  la  maigre  pitance  que 
plus  d'un  pauvre  n'aurait  pas  acceptée  pour  apaiser  sa 
faim.  Aussi  s'ingéniait-elle  à  leur  procurer  quelque 
soulagement.  Le  dimanche,  elle  se  chargeait  habi- 
tuellement de  la  garde  des  salles,  du  parloir  et  de  la 
cuisine.  C'était  ce  dernier  office  qu'elle  affectionnait 
le  plus,  car  il  lui  permettait  de  ménager  de  légères 
surprises  et  des  attentions  délicates  à  ses  chères  filles. 
Souvent,  la  veille,  elle  adressait  un  billet  à  l'une  de 
ses  parentes  ou  de  ses  amies,  la  priant  de  vouloir  bien 
lui  envoyer  quelques  œuis  pour  la  confection  d'un 
dessert,  ou  bien  du  thé  ou  du  café  ;  et  elle  pouvait 
ainsi  leur  servir  un  petit  régal. 

Nos  mères  acceptaient  généreusement  les  rigueurs 


208  VIE    DE 

de  Ja  pauvreté.  Elles  savaient  que  la  sainteté  com- 
porte la  mortification  des  sens,  et  elles  n'oubliaient 
pas  cette  pensée  de  sainte  Thérèse,  qui  dit,  en  parlant 
des  saints  :  ''  Il  en  arrive  d'eux  comme  des  enfants 
qui  travaillent  dans  le  jardin  de  leur  père  ;  ils  ne  sont 
pas  payés  à  la  journée,  comme  les  autres,  mais  ils  re- 
çoivent leur  récompense  tout  à  la  fois."' 

Elles  savaient  aussi  que  la  vie  religieuse  se  résume 
dans  ces  paroles  de  Vlmitation  :  "  Xul  n'arrivera  au 
royaume  céleste,  s'il  n'a  vaillamment  souffert.  Dans 
la  croix  est  la  force  de  l'âme,  dans  la  croix,  la  joie  de 
l'esprit,  la  consommation  de  la  vertu,  la  perfection  de 
la  sainteté." 

C'est  au  prix  de  ces  renoncement:?,  que  le  disciple, 
ayant  tout  quitté  pour  s'attacher  aux  pas  de  Jésus 
dans  la  voie  étroite  des  conseils,  obtient  ces  grâces  de 
choix,  cette  liberté  spirituelle  et  cette  paix  intérieure 
que  le  maître  lui  a  promis  comme  le  centuple  des 
biens  de  ce  monde,  qu'il  a  quittés,  pour  le  suivre. 

Mgr  Bourget  s'attachait  à  développer  dans  l'âme  de 
nos  premières  sœurs  cet  esprit  de  sacrifice  et  cet 
amour  de  la  croix.  II  y  revenait  fréquemment  dans 
ses  instructions  orales  ou  écrites.  Il  n'a  jamais  cessé 
d'entretenir  notre  communauté  dans  cet  esprit,  com- 
me le  témoigne  cette  lettre  qu'il  écrivait  un  jour  de 


3IÈRE    GAMELIX  209 

Rome  à  nos  sœurs,  quelques  aimées  après  la  mort  de 
notre  vénérée  mère  : 

"  Ce  martyre  de  la  vie  religieuse  est  chez  vous  le 
combat  de  tous  les  jours,  et  par  conséquent  c'est 
chose  parfaitement  connue  et  pratiquée  dans  vos 
saintes  maisons.  Car,  en  y  entrant,  on  prend  la  croix, 
pour  ne  la  quitter  qu'à  la  mort.  Toute  la  vie,  il  faut 
marcher  à  la  suite  de  Jésus-Christ,  qui  est  vraiment 
pour  toutes  ses  vierges  un  époux  de  sang.  La  route 
par  laquelle  il  les  fait  passer  est,  d'un  bout  à  l'autre, 
semée  de  ronces  et  d'épines,  et  elle  aboutit  au  Cal- 
vaire. 

•'■'  Dieu  se  cache  au  fond  des  âmes  ainsi  éprouvées, 
pour  les  laisser  en  proie  à  toutes  sortes  de  peines  d'es- 
prit et  aux  souffrances  intérieures  et  extérieures  les 
plus  cruelles.  Ce  sont  d'épaisses  ténèbres  qui  leur  ca- 
chent la  route  du  ciel,  tellement  qu'elles  ne  savent 
plus  où  elles  en  sont,  et  qu'elles  se  croient  perdues. 
Et  alors,  ce  ne  sont  plus  que  dégoûts  horribles  dans 
les  exercices  spirituels,  sécheresses  désolantes  dans 
l'oraison,  fantômes  dans  l'imagination,  ennui  insup- 
portable dans  les  peines  de  la  vie.  Ce  n'est  là  toutefois 
que  le  tableau  abrégé  de  vos  souffrances,  de  vos  épreu- 
ves et  de  vos  combats.  Votre  expérience  de  tous  les 
jours  vous  en  fait  connaître  bien  davantage. 

'''  La  vie  religieuse  est  donc  un  vrai  martyre,  et 


210  VIE    DE 

c'est  ainsi  que  la  qualifie  S.  Bernard.  On  peut  même 
la  comparer  au  tonneau  d'huile  bouillante  dans  le- 
quel fut  plongé  le  disciple  bien  aimé,  et  d'où  il  sortit, 
dit  S.  Jérôme,  plus  fort  et  plus  sain  qu'il  n'y  était 
entré.  Ce  fut  après  ce  généreux  combat  pour  la  foi. 
qu'il  reçut,  dans  l'île  de  Pathmos.  les  admirables  lu- 
mières qu'il  a  laissées  à  l'Eglise  dans  le  livre  de  son 
Apocalypse.  Et  n'est-ce  pas  aussi  après  toutes  leurs 
terribles  épreuves  que  les  âmes  religieuses  se  trou- 
vent singulièrement  éclairées  dans  les  voies  de  Dieu  ? 
Et  pourquoi  ?  C'est  qu'elles  s  y  sont  purifiées  en 
mourant  à  elles-mêmes,  pour  ne  plus  vivre  que  de 
Dieu."  1 

Dans  les  lignes  qui  précèdent,  se  trouvent  dépein- 
tes les  sept  années  de  vie  religieuse  de  notre  vénérée 
mère.  Peines  d'esprit,  obscurités,  sécheresses,  crain- 
tes, délaissements,  aucune  de  ces  épreuves  inté- 
rieures ne  lui  a  manqué,  et  Dieu  ne  pouvait  les  lui 
épargner,  voulant  l'élever  à  un  haut  degré  de  sain- 
teté. C'est  par  ces  souffrances  qu'il  forme  les  âmes 
de  son  choix,  comme  le  sculpteur  fait  sortir  à  coups 
de  ciseaux  une  statue  parfaite  du  bloc  de  marbre  in- 
forme qu'il  a  sous  la  main. 

Sans  doute,  mère  Gamelin  ne  pouvait  s'empêcher 
de  voir  le  succès  dont  Dieu  couronnait  les  œuvres 

'■  Lettre  du  12  mars  1855. 


MÈRE    GAMELTX  211 

nombreuses  qu'elle  entreprenait  pour  sa  gloire  : 
comme  le  laboureur  penché  sur  son  sillon,  elle  en- 
treToyait  en  espérance  les  fruits  abondants  que  don- 
nerait la  moisson.  Mais  Dieu  ne  permet  pas  toujours 
que  ses  saints  jouissent  du.  bien  qu'ils  font  ici-bas. 
Il  n'a  pas  voulu  que  sa  fidèle  servante  ressentît  de 
joie  ni  de  consolation  à  la  vue  de  l'heureux  déve- 
loppement de  son  œuvre  ni  dans  la  conscience  du 
bien  qu'elle  accomplissait  ;  elle  ne  sentait,  d'ordi- 
naire, que  l'amertume  des  contradictions,  des  renon- 
cements, des  humiliations,  des  doutes  et  des  angois- 
ses d'esprit,  qui  lui  arrachaient  de  continuels  gémis- 
sements. 

En  lisant  le  journal  autographe  de  ses  retraites 
finnuelles.  de  1846  à  1851,  que  nous  reproduisons 
presque  en  entier  dans  l'appendice  de  ce  volume, 
et  dont  nous  venons  de  donner  de  si  nombreux  ex- 
traits, quelques  personnes  s'étonneront  peut-être 
de  ces  luttes  intérieures  ;  elles  seront  tentées  de  trai- 
ter d'exagérations  ou  de  chimères  ces  peines,  ces  in- 
quiétudes de  conscience  qui,  en  lui  faisant  redouter 
jusqu'à  l'ombre  du  péché,  torturaient  son  cœur  et  le 
remplissaient  de  trouble  et  de  crainte.  Mais  ces  cho- 
ses no  surprendront  pas  les  âmes  religieuses,  qui  con- 
naissent les  difficultés  et  les  épreuves  de  la  vie  inté- 
rieure et  du  rude  et  persévérant  effort  qu'exige  la 
poursuite  de  la  perfection  chrétienne. 


'4 ri  VIE    DE 

•  Ces  page^  intimes,  qui  nous  révèlent  la  vie  et  les 
combats  de  notre  vénérée  mère,  seront  pour  sa  fa- 
mille religieuse  un  précieux  document,  qui  lui  ensei- 
gnera comment,  au  service  du  céleste  Epoux,  on  doit 
se  vaincre,  s'humilier  et  s'oublier  soi-même.  Elles 
seront  peut-être  aussi,  ^jour  certaines  âmes  vivant 
dans  le  monde,  un  encouragement  au  bien  et  un 
salutaire  exemple.  En  voyant  quel  humble  senti- 
ment professait  envers  elle-même  cette  grande  ser- 
vante de  Dieu,  qui  avait  tout  quitté  pour  le  suivre,, 
et  combien,  malgré  ses  vertus  et  ses  généreux  sacri- 
fices, elle  redoutait  le  dernier  jugement,  elles  com- 
prendront que  la  voie  du  ciel  n'est  pas  semé  de  fleurs,, 
mais  couverte  de  ronces  et  d'épines,  et  que  pour  être 
parfait,  il  faut,  selon  la  leçon  du  Maître,  se  renoncer,, 
prendre  sa  croix  et  monter  au  Calvaire. 


CHAPITRE  XII 
1847-1848 

l'immigration  IRLAN'DAISE  ET  LE  TYPHUS. — LES  ABRIS  DE 
LA  POINTE  SAINT-CHARLES. — LES  ORPHELINS  IRLAN- 
DAIS   ET    l'hospice   SAINT-JÉROME-EMILIEN. 

Xous  touchons  à  une  époque  tristement  célèbre 
dans  les  annales  de  l'histoire  de  notre  ville.  Xotre 
communauté  a  eu  le  bonheur  de  jouer,  dans  ce  drame 


MÈRE    GAMELIX  213 

lugubre,  un  rôle  consolateur  que  les  années  ne  pour- 
ront jamais  faire  oublier. 

En  1847,  l'Irlande  était  décimée  par  deux  terribles 
fléaux,  le  typhus  et  la  famine.  Ses  infortunés  habi- 
tants succombaient  par  milliers.  On  voyait  des  mai- 
sons, devenues  désertes,  qui  n'abritaient  plus  que 
des  cadavres  en  putréfaction.  Beaucoup  essayaient 
de  fuir  et  mouraient  le  long  des  chemins,  où.  leurs 
cadavres  devenaient  la  pâture  des  animaux  sauvages. 

Dans  cet  excès  de  misère,  un  grand  nombre  d'Ir- 
landais songèrent  à  venir  chercher  en  Amérique  une 
seconde  }iatrie,  où  ils  trouveraient,  avec  des  moyens 
de  subsistance,  le  libre  exercice  de  leur  religion. 

L'Angleterre  favorisa  leur  immigration  au  Canada. 
On  fréta  un  grand  nombre  de  navires,  sur  lesquels 
des  centaines  d'infortunés,  affaiblis  par  la  misère, 
ou  même  secrètement  atteints  par  le  mal,  se  préci- 
pitaient, s'entassaient  pêle-mêle,  dans  l'espoir  d'y 
trouver  la  vie.  Mais,  hélas  !  la  terrible  maladie 
éclata  bientôt  au  sein  des  vaisseaux,  qui  furent 
transformés  en  hôpitaux  ;  la  mort  y  promenait 
librement  'ses  ravages,  séparant  l'époux  de  l'épouse 
et  la  mère  de  l'enfant.  Les  gémissements  des 
mourants,  auxquels  il  était  impossible  de  porter 
secours,  les  lamentations  des  mères,  les  cris  des  en- 
fants,  devenus  orphelins  sur  le   vaste    océan,    for- 


214  VIE    DE 

maient  un  douloureux  concert.  De  temps  à  autre,  on 
jetait  à  la  mer  un  cadavre,  qui  flottait  quelques  ins- 
tants à  la  surface  et  disparaissait  pour  toujours  dans 
l'abîme  de  ses  eaux. 

En  mettant  le  pied  sur  le  sol  canadien  après  ce 
lugubre  Toyage,  ces  infortunés  se  trouvèrent  en  face 
de  la  mort,  qui  mettait  fin  à  leur  misère,  ou  de  la 
maladie  qui  frappait  le  petit  nombre  de  ceux  qu'elle 
avait  épargnés  Jusqu'alors.  Mais  ils  rencontrèrent  en 
même  temps  la  charité  des  religieuses,  qui  soignè- 
rent et  soulagèrent  leurs  corps,  et  le  zèle  et  la  piété 
des  prêtres,  qui  consolèrent  leur  âme  et  la  préparè- 
rent à  retourner  à  Dieu. 

La  Grosse-Ile,  en  aval  de  Québec,  lieu  de  la  qua- 
rantaine, et  l'Hôpital  de  marine,  de  cette  ville,  regor- 
geaient de  malades.  ^  A  Montréal,  le  gouvernement 
fit  construire  sur  les  bords  da  fleuve,  à  la  Pointe 
Saint-Charles,  trois  abris  ou  hôpitaux  provisoires,  de 
100  à  150  pieds  de  longueur,  sur  une  largeur  de 
40  à  50  pieds.  Mais  ils  devinrent  ])ientôt  in- 
suffisants pour  le  nombre  toujours  croissant  des  ma- 
lades qu'apportaient  de  nouveaux  navires.  On  éva- 
lue à  11  ou  12,000  le  nombre  des  infortunés  qui  fu- 
rent débarqués  à  la  Pointe  Saint-Charles.  Onze  abris 


'  On  estime  à  plus  de  25,000  le  nombre  des  émigiés   ir- 
landais arrivés  durant  l'été  de  1S47. 


MÈRE    GAMELIN  215 

lurent  bientôt  remplis  de  malades.  Toute  la  ville  était 
dans  la  consternation.  Les  riches  fuyaient  à  la  cam- 
pagne; les  autres  s'entouraient  de  mille  précautions, 
pour  échapper  à  la  contagion.  Cependant  la  plus 
vive  sympathie  fut  témoignée  aux  pauvres  irlandais 
et  des  secours  abondants  leur  furent  envoyés,  en 
linge,  en  vêtements  et  en  aliments. 

Les  Sœurs  grises  furent  les  premières  religieuses 
appelées  à  leur  secours.  Au  bout  de  quelques  se- 
maines, trente  d'entre  elles  étaient  atteintes  de  la 
terrible  maladie,  et  sept  allaient  recevoir  au  ciel  la 
récompense  de  leur  généreitx  dévouement. 

Il  fallait,  pour  les  remplacer,  recourir  à  une  autre 
communauté. 

Mgr  Bourget  pensa  à  nos  sœurs,  et  il  vint  lui-même 
à  l'Asile  pour  faire  appel  à  leur  dévouement.  C'était 
le  24  juin.  Il  réunit  la  communauté,  qui  comprenait 
à  cette  époque  dix-neuf  professes,  dix-neuf  novices 
et  quatorze  postulantes.  Il  leur  exposa  l'état  pitoya- 
ble des  malades  et  leur  demanda  qui  d'entre  elles 
voulaient  se  sacrifier  et  aller  exposer  sa  vie  en  don- 
nant ses  soins  à  ces  infortunés.  A  cette  question, 
toutes  se  levèrent  et  de  la  même  voix  répondirent 
ensemble  :  "  Moi  !  je  suis  prête  1 .  .  .  "  Le  len- 
demain matin,  ù  sept  heures  et  demie,  munies  de  la 
sainte    communion    et    de    la    bénédiction    de   leur 


21G  VIE    DE 

évêque,  douze  de  ces  vaillantes,  désignées  par  leur 
supérieure,  montaient  en  voiture  et  se  rendaient 
aux  abris  de  la  Pointe  Saint-Charles,  oii  les  atten- 
dait le  plus  triste  spectacle. 

Des  centaines  de  malades,  couchés  sur  la  paille, 
dans  les  angoisses  de  l'agonie,  faisaient  entendre  de 
douloureux  gémissements;  des  petits  enfants,  encore 
enlacés  dans  les  bras  de  leurs  mères,  mortes  durant 
la  nuit,  pleuraient  et  criaient  :  des  cadavres  gi- 
saient ça  et  là,  exhalant  déjà  l'odeur  de  la  mort  ; 
des  femmes,  se  traînant  à  peine,  cherchaient  au  mi- 
lieu de  cet  affreux  chaos  un  époux,  des  enfants,  dont 
elles  ignoraient  encore  le  sort.  Tel  était  le  légubre 
tableau  que  présentait  ce  champ  de  douleur  ! 

Les  sœurs  se  mirent  immédiatement  à  Toeuvre  ; 
elles  firent  d'abord  enlever  les  cadavres  et  prodiguè- 
rent ensuite  leurs  soins  aux  malades,  l'our  les  aider 
dans  leur  laborieux  ministère  elles  ne  pouvait  comp- 
ter que  sur  quelques  convalescents,  (pli  leur  portaient 
secours  auprès  des  mourants. 

Les  religieuses  de  flIôtel-Dieu,  à  leur  tour,  quittè- 
rent leur  cloître  avec  la  permission  de  l'évêque  et 
vinrent,  durant  quelques  jours,  j^artager  avec  nos 
sœurs  leur  office  de  charité.  Au  milieu  de  ces  dévouées 
infiiinières,  Mgr  Bourget  lui-même,  plusieurs  de  ses 
chanoines  et   des  prêtres  de  son  évêché.  des  sulpi- 


MÈRE    GAMELIX  217 

ciens,  des  jésuites,  des  prêtres  séculiers  passaient  le 
jour  et  la  nuit  parmi  les  malades;  ils  entendaient  leur 
confession,  leur  administraient  les  derniers  sacre- 
ments et  leur  prodiguaient  les  encouragements  et 
les  consolations.  Il  en  mourait  cinquante  à  soixante 
par  jour,  dont  les  corps,  en  attendant  la  sépulture, 
étaient  immédiatement  déposés  dans  un  immense 
charnier,  élevé  au  bord  du  fleuve. 

On  put  enfin  classer  les  malades,  grâce  à  la  cons- 
truction de  nouveaux  abris.  Les  hommes  et  les 
femmes,  les  enfants  et  les  convalescents  furent  sépa- 
rés et  distribués  en  différentes  sections.  Mgr  Bour- 
get  jjroposa  à  mère  Gamelin  de  prendre  en  soin 
les  orphelins  qui,  au  nombre  de  plus  de  six 
cents,  occupaient  deux  des  hôpitaux  provisoires. 
Profondément  émue  du  sort  de  ces  petits  aban- 
donnés, elle  accepta  l'offre  avec  bonheur.  Elle 
s'assura  immédiatement  l'usage  de  la  maison 
de  madame  îs"olan,  sur  la  rue  -  Sainte-Catherine, 
et  envoya  deux  sœurs  pour  y  recevoir  les  petits 
garçons.  La  maison  n'étant  pas  meublée,  on  acheta 
vingt  bottes  de  paille,  qu'on  étendit  sur  le  plancher, 
pour  y  coucher  les  pauvres  petits,  à  peine  couverts 
de  quelques  haillons.  Les  filles  furent  confiées  aux  re- 
ligieuses du  Bon  Pasteur,  en  attendant  qu'on  pût  les 
réunir  dans  un  local  plus  spacieux. 


218  VIE    DE 

Le  transport  de  ces  pauvres  orplielins  fut  des  plus 
touchants.  Deux  sœurs  étaient  assises  dans  chaque 
voiture,  tenant  sur  leurs  genoux  les  plus  petits  en- 
fants, dont  quelques-uns  comptaient  à  peine  quel- 
ques jours  d'existence.  Mgr  Bourget  occupait  lui- 
même  la  première  voiture,  voulant,  par  son  exemple, 
encourager  l'intérêt  charitable  qu'il  désirait  inspirer 
à  ses  diocésains  à  l'endroit  de  ces  pauvres  créatures, 
si  dignes  de  compassion.  Il  leur  rappelait  plus  tard, 
dans  une  lettre  oii  débordait  son  grand  cœur,  la  dou- 
ceur et  l'angoisse  du  souvenir  qu'il  avait  gardé  de 
cet  événement.  "  Nous  devons  vous  le  dire,  l'un 
des  plus  doux  moments  de  notre  vie  fut  celui  oit,  à  la 
tête  de  cette  nombreuse  famille  d'orphelins,  nous 
traversions  les  rues  de  cette  ville,  pour  les  conduire 
aux  hospices  qui  leur  étaient  préparés.  Le  spectacle 
de  ces  centaines  d'enfants,  décharnés  par  la  faim, 
couverts  de  haillons  et  succombant  aux  attaques  de 
la  terrible  maladie  qui  les  avait  privés  de  leurs  pa- 
rents, était  trop  poignant  pour  que  nous  puissions 
jamais  l'oublier."  ^ 

Nos  sœurs  continuèrent  de  soigner  les  malades  à 
la  Pointe  Saint-Charles,  jusqu'au  commencement 
d'octobre.  Durant  près  de  trois  mois,  les  Sœurs  de  la 
Congrégation  de  Notre-Dame  eurent  l'obligeance  de 

'  Lettre  pastorale  du  9  mars  1848. 


MÈRE    GAMELIX  219 

les  faire  conduire  chaque  matin  aux  abris  et  rame- 
ner le  soir  à  l'Asile,  dans  de  grandes  voitures  qu'elles 
louaient  à  cet  effet  ;  les  Sœurs  grises  leur  donnaient 
à  dîner  dans  leur  maison  de  la  l'ointe  Saint-Charles. 
La  retraite  annuelle  du  mois  de  juillet  se  fit,  pour 
les  religieuses  employées  à  ce  ministère,  au  milieu 
même  de  leurs  malades,  et  certes,  saint  Vincent  de 
Paul,  l'auteur  de  leur  règle,  n'y  eût  pas  trouvé  à  re- 
dire. Parmi  les  retraitantes,  se  trouvaient  sept  no- 
vices admises  à  la  profession  prochaine.  ''-  Où  au- 
raient-elles pu,  mieux  que  sur  ce  théâtre  du  dévoue- 
ment et  du  sacrifice,  méditer  sur  le  genre  de  vie  et 
les  devoirs  d'une  sœur  de  charité  ?  En  tonte  con- 
fiance, elles  pouvaient  prononcer  leurs  vœux  de  reli- 
gion ;  leur  vocation  était  éprouvée  ;  elles  étaient 
déjà,  en  action,  de  vraies  sœnrs  de  charité. 

Le  matin  même  de  leur  profession,  à  l'heure  ordi- 
naire du  départ,  après  avoir  embrassé  leurs  parents, 
elles  retournaient  aux  abris,  pour  .y  reprendre  leur 
ministère  de  dévouement. 

Vingt-sept  de  nos  sœnrs  furent  atteintes  du  fléau  ; 
sur  ce  nombre,  neuf  reçurent  les  derniers  sacrements, 
et  trois  moururent.  Sœur  Marie  de  l'Assomption,  née 
Catherine  Brady,  fut  la  première  victime.  Elle  comp- 


'  Sr  Jean-Baptiste,  Sr  Brigitte,  Sr  Wilson,  Sr  Augustin, 
Sr  Philomène,  Sr  Patrice  et  Sr  Praxêde  de  la  Providence. 


220  VIE    DE 

tait  à  peine  un  an  de  profession,  et  n'était  âgée  que 
de  vingt-quatre  ans.  Sa  mort  donna  au  ciel  les  pré- 
mices de  notre  communauté,  car  c'était  la  première 
de  nos  sœurs  qui  mourait.  Ce  fut  un  grand  bonheur 
pour  elle  et  un  gage  de  la  bénédiction  de  Dieu  sur 
notre  institut,  que  le  divin  Maître  la  rappelât  à  lui 
dans  l'exercice  d'un  des  plus  purs  actes  de  la  charité 
chrétienne.  Quatre  jours  plus  tard,  aussi  durant  l'oc- 
tave de  l'Assomption,  comme  la  première,  une  postu- 
lante, sœur  Angélique  Blouin,  expirait  après  avoir 
eu  la  consolation  de  prononcer  ses  vœux.  Elle  fut 
bientôt  suivie  par  une  novice,  sœur  Antoine,  née 
Olympe  Guy,  qui  eut  le  même  bonheur  avant  de 
quitter  la  vie.  Elle  était  depuis  dix-huit  mois  en 
communauté. 

En  face  de  la  maladie  et  de  la  mort  qui  abattaient 
les  vaillantes  infirmières,  Mgr  Bourget  s'émut  du 
danger  qui  menaçait  notre  Jeune  institut.  Il  réunit 
toutes  les  sœurs  à  l'oratoire  et  fit  à  haute  voix,  au 
nom  des  professes,  le  vœu  de  faire  brûler  à  perpé- 
tuité, tous  les  vendredis,  sept  cierges  en  l'honneur  de 
Notre-Dame  des  Sept-Douleure,  pour  la  conserva- 
tion de  notre  institut,  menacé  de  s'éteindre  par  la 
disparition  des  religieuses  atteintes  du  typhus.  La 
douce  Vierge  entendit  sa  prière;  les  sœurs  malades  se 
rétablirent;  et,  après  une  convalescence  plus  ou  moins 
longue,  elles  purent  reprendre  leurs  travaux. 


Mgr  KDOl'ARD-CHARLKS  FABRK. 
Troisième  évêque  et  premier  archevêque  de  ^Montréal,  j 


MÈKE    GAMELIN  221 

Ce  fut  le  1er  octobre  qiie  les  orphelins,  provisoi- 
Tnent  installés  dans  la  maison  de  madame  ISTolan,  pu- 
rent prendre  possession  de  l'ancien  couvent  du  Bon 
Pasteur,  situé  sur  la  rue  Beaudry,  alors  rue  du  Che- 
val noir.  Le  nouvel  hospice  fut  placé  sous  le  vo- 
cable de  saint  Jérôme-Emilien.  Il  était  assez  grand 
pour  recevoir  aussi,  dans  un  appartement  distinct, 
les  oi'phelines  que  les  religieuses  du  Bon  Pasteur 
avaient  acceptées  provisoirement.  Mère  Elisabeth  fut 
la  première  supérieure  du  nouvel  hospice,  ayant  pour 
compagnes  les  sœurs  Brigitte  et  Catherine.  Un  prê- 
tre irlandais,  M.  Fitzhenry,  fut  chargé  de  l'instruc- 
tion religieuse  de  tous  ces  enfants;  mais  n'ayant  pu 
continuer  longtemps  ce  ministère,  il  fut  bientôt  rem- 
placé par  M.  Fabre,  alors  séminariste,  qui  faisait  ses 
études  théologiques  à  l'évêché.  Le  Jeune  ecclésiasti- 
que trouva  là  un  champ  intéressant  pour  son  zèle. 
Il  s'appliqua  avec  beaucoup  de  dévouement  à  son 
ministère,  et  il  eut  la  consolation  de  présenter,  quel- 
ques mois  plus  tard,  soixante  de  ces  enfants  à  la  pre- 
mière communion  et  à  la  confirmation. 

Depuis  le  11  juillet,  mère  Gamelin  reçut  à  l'hos- 
pice Saint-Jérôme-Emilien  650  orphelins.  Sur  ce 
nombre,  332  moururent  et  188  furent  placés  ou  ré- 
clamés. Il  en  restait  130,  au  mois  de  mars  1848, 
outre  99  qui  étaient  demeurés  sous  les  abris  de  la 


222  VIE    DE 

Pointe  Saint-Charles.  A  ce  moment,  l'hospice  ne  pou- 
vait compter  que  sur  les  ressources  de  la  charité^  car 
le  gouvernement  venait  de  lui  retirer  la  modeste  allo- 
cation qu'il  lui  avait  temporairement  accordée. 

Mgr  B'ourget  s'émut  de  la  situation  et  de  l'avenir 
de  ces  malheureux  enfants,  et  il  fit  eu  leur  faveur 
un  chaleureux  appel  à  ses  diocésains,  dans  une  lettre 
pastorale  dont  nous  extrayons  les  passages  suivants: 

''Plein  de  la  grande  confiance  que  nous  inspire  votre 
charité  passée,  nous  nous  adressons  aujourd'hui  à 
votre  bonté  accoutumée,  et  nous  vous  prions  d'en 
faire  sentir  les  effets  à  ces  pauvres  orphelins  qui  sont 
si  chers  à  notre  cœur. 

"  Oui,  N.  T.  C.  F.,  recevez-les,  sans  nullement  con- 
sidérer que,  selon  la  chair,  ils  sont  d'une  origine 
étrangère  à  la  nôtre,  car  unis  co.mme  ils  le  sont  à 
Jésus-Christ  par  la  foi,  ils  ne  font  avec  nous  qu'un 
seul  et  même  peuple. 

"  Recevez-les  sans  considérer  non  plus  qu'ils  pour- 
raient vous  être  à  charge;  car  vous  savez  très  bien 
que  la  charité,  pour  être  méritoire,  doit  s'exercer  gra- 
tuitement et  pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Au  reste, 
avec  Dieu  il  n'y  a  rien  de  perdu,  et  tout  est  récom- 
pensé au  centuple  en  ce  monde,  avec  promesse  de  la 
vie  éternelle  dans  l'autre.  Philémon  en  est  ici  une 
preuve  frappante,  car  pour  avoir  fait  grâce  à  Oné- 


HÈRE    GAMELIX  223 

sime,  pour  lequel  le  grand  apôtre  avait  déployé  toutes 
les  richesses  de  son  éloquence,  en  faisant  parler  tou- 
tes les  entrailles  de  sa  charité,  il  eut  le  bonheur  d'en 
faire  un  compagnon  fidèle  de  saint  Paul,  un  évêque 
embrasé  de  zèle,  un  glorieux  martyr  de  Jésus-Christ. 
'•'  Il  en  sera  de  même  de  vous  tous  ;  et  il  faut  l'es- 
pérer, en  adoptant  ces  pauvres  enfants,  nous  en  fe- 
rons des  compagnons  de  notre  foi,  de  bons  prêtres, 
de  ferventes  religieuses,  d'excellents  concitoyens,  qui, 
élevés  parmi  nous,  feront  cause  commune  avec 
nous." 

Après  s'être  spécialement  adressé  au  clergé,  au 
séminaire  et  aux  communautés  religieuses  d'hommes 
et  de  femmes,  le  saint  évêque  fait  appel  aux  laïques: 
"  Eecevez,  pieux  et  charitables  laïques,  et  adoptez 
ces  tendres  enfants,  avec  cette  joie  cordiale  qui  carac- 
térise la  vraie  charité.  Ayez  pour  eux  toute  la  ten- 
dresse que  vous  aimeriez  à  voir  chez  ceux  qui  rece- 
vraient vos  propres  enfants,  s'ils  avaient  le  malheur 
de  vous  perdre,  et  si,  relégués  sur  une  terre  étrangère, 
sans  parents  et  sans  amis,  ils  étaient  réduits  à  une 
aussi  affreuse  misère.  X'est-ce  pas  le  temps,  s'il  en 
fut  Jamais,  d'accomplir  ces  touchantes  paroles  du 
Seigneur  :  "  Faites  aux  autres  ce  que  vous  voudriez 
qu'on  vous  fît."    (S.  Luc,  6,  3,3.) 

"  Animés  de  ces  sentiments,  vous  accueillerez  ces 


224  VIE    DE 

enfants,  vous  les  élèverez  avec  soin,  vous  les  corri- 
gerez avec  bonté,  vous  les  aimerez  avec  tendresse. 
Oh  !  qu'ils  vous  paraîtront  intéressants  et  aimables, 
ces  enfants.  Si  vous  saviez  comme  ils  sentent  vive- 
ment le  bien  qu'on  leur  fait:  comme  ils  sont  recon- 
naissants pour  ceux  qui  en  prennent  soin;  comme 
ils  prient  avec  foi  le  Père  des  miséricordes  pour  ceux 
qui  les  assistent;  comme  ils  s'embrassent  avec  de 
vifs  transports  de  joie,  quand  ils  se  rencontrent 
après  s'être  crus  morts:  comme  ils  sont  émus,  quand 
il  leur  faut  se  séparer  les  uns  des  autres,  pour  peut- 
être  ne  plus  se  revoir;  comme  ils  pleurent,  quand  on 
leur  rappelle  le  souvenir  de  leurs  chers  parents  ou 
de  quelques-unes  des  personnes  charitables  qui  ont 
sacrifié  leur  vie  pour  les  soulager  dans  leur  malheur; 
comme  ils  regardent  avec  attendrissement  ceux  qui 
les  viennent  voir  pour  les  adopter,  dans  l'espoir  d'être 
assez  heureux  pour  fixer  leur  choix;  comme  ils  sont 
fermes  et  décidés,  quand  il  leur  faut  rejeter  les  offres 
flatteuses  de  ceux  qu'ils  connaissent  être  les  ennemis 
de  leur  foi  :  comme  elles  sont  sincères  et  abondantes, 
les  larmes  qu'ils  versent,  quand  il  est  question  de 
dire  adieu  aux  tendres  mères  que  la  religion  leur  a 
préparées  dans  leur  malheur."  ^ 

Comment  résister  à  des  paroles  d'une  aussi  ardente 

^  Lettre  pastorale  du  9  mars  184S. 


MÈRE    GAMELIX  235 

charité?  Collèges,  communautés  religieuses,  laïques, 
tous  s'empressèrent  dy  répondre.  Sur  les  229  enfants 
qui  restaient  à  placer,  1G9  furent  adoptés  par  les  ins- 
titutions et  les  familles  catholiques  du  diocèse,  et  60 
demeurèrent  le  partage  de  nos  sœurs.  Ces  derniers 
furent  plus  tard  distribués  dans  nos  différentes  mai- 
sons, ou  placés  en  apprentissage,  pour  apprendre 
un  métier  et  gagner  honorablement  leur  vie.  Xous 
pouvons  affirmer  que  la  plupart  de  ces  enfants  ont 
répondu  au  dévouement  et  aux  soins  qu'ils  avaient 
reçus.  Ce  vœu  de  Mgr  Bourget  s'est  réalisé.  "  En 
adoptant  ces  pauvres  enfants,  nous  en  ferons  des 
compagnons  de  notre  foi,  de  bons  prêtres,  de  fer- 
ventes religieuses,  d'excellents  concitoyens."  ^  Plu- 
sieurs, devenus  prêtres,  ont  été  et  sont  encore  l'hon- 
neur du  clergé  ;  d'autres  sont  allés  grossir  les  rangs 
de  nos  communautés  religieuses  de  femmes  ;  un  plus 
grand  nombre  ont  donné  dans  le  monde  l'exemple 
d'un  attachement  inviolable  à  leur  foi,  que  ni  les  souf- 
frances ni  même  les  persécutions  n'ont  pu  ébranler.  - 

^  Lettre  pastorale  du  9  mars  1S4S. 

-  On  estime  à  G.OOO  le  nombre  des  immigrants  irlandais 
qui  moururent  du  typhus  dans  les  abris  de  la  Pointe  Saint- 
Charles.  Pour  perpétuer  la  mémoire  de  ce  lugubre  évé- 
nement, on  a  placé  sur  la  t«rre  qui  reçut  les  restes  mortels 


226  VIE    DE 

CHAPITRE  XIII 
1848-1849 

PÈLERINAGE  À  KOTEE-BAME  DE  BOXSECOURS. — LŒUVEE 
DES  FILLES  DE  SAINTE-BLANDIXE.  —  L'ÉCOLE  SAINT- 
JACQUES. — FONDATION  DE  LA  MISSION  DE  SAINTE-ELISA- 
BETH.—NOS  ÉCOLES  ET  NOS  PENSIONNATS.— LES  EXER- 
CICES DU  CARNAVAL  SANCTIFIÉ.— LE  CHOLÉRA  ET 
L'HOPITAL  SAINT-CAMILLE.— MORT  DE  SŒUR  JEAN-DE- 
DIEU  ET  DE  SŒUR  AUGUSTIN.— LE  TIERS-ORDRE  DES 
SERVITES  DE  MARIE. — ROSE  GRANDPRÉ. 

Après  avoir  pris  imo  part  iuiportaute  aux  soins 
donnés  aux  malheureuses  victimes  du  typhus,  la 
communauté  devait  s'associer  aux  actions  de  grâces 
solennelles  que  Mgr  Bourget  demanda  à  tout  son 
troupeau,  après  la  cessation  du  fléau.  Il  avait  fait 
vœu  à  la  sainte  Vierge,  pour  obtenir  d'elle  la  fin  de 


de  ces  infortunés  un  énorme  bloc  de  pierre,  avec  l'inscription 
suivante,  qiie  nous  traduisons  de  l'anglais  : 

Pour   préserver  de   la   profanation 

les  restes  de  6000  émigrants 

morts   du  typhus 

en    1847-48, 

cette   pierre   a   été   érigée 

par  les  ouvriers  de  MJI.  Peto,  Brassey  et  Betes, 

employés   à    la    construction 

du   pont   Victoria, 

A.    D.     18.59. 


MÈRE    GAMELIX  227 

la  terrible  maladie  et  la  protection  de  son  peuple  con- 
tre ses  ravages,  de  rétablir  au  sanctuaire  de  Notre- 
Dame  de  Bonsecours  le  concours  de  pèlerinages  et 
la  ferveur  de  dévotion  qui  l'avaient  autrefois  carac- 
térisé, et  qui  avaient  presque  entièrement  cessé 
50US  TefEet  de  l'indifférence  générale. 

Lui-même,  au  mois  d"août  184T,  au  milieu  d'une 
énorme  affluence  de  fidèles,  avait  installé  dans 
l'église  de  Bonsecours  ime  statue  en  bronze  doré, 
qu'il  avait  fait  bénir  à  Paris  dans  l'église  de  Notre- 
Dame  de?  Victoires,  pour  remplacer  l'antique  statue 
en  bois,  donnée  par  la  Vénérable  ]\Ière  Bourgeoys, 
qu'im  vol  sacrilège  avait  fait  disparaître,  durant  l'hi- 
ver de  1831.  ^  Il  avait  aussi  suspendu  dans  ce  sanc- 
tuaire un  tableau  représentant  la  sainte  Vierge 
Arrêtant  le  tléau  aux  portes  de  la  ville  de  Montréal. 

Le  premier  jour  de  mai  de  l'année  suivante, 
il  inausfurait  lui-même,  au  milieu  d'un  grand  nombre 


'  Cette  statuette,  en  bois  brun,  d'à  peu  prèà  sept 
pouces  de  hauteur,  et  d'un  travail  remarquable,  avait  été 
offerte  à  la  mère  Bourgeoy?,  durant  un  de  ses  voyages  en 
France,  par  les  seigneurs  de  Fleury,  les  messieurs  Le  Prêtre, 
dans  le  château  desquels  elle  était  honorée  d'une  particu- 
lière vénération  depuis  plus  d'un  siècle.  Ils  en  avaient 
fait  cadeau  à  la  fondatrice  de  la  Congiégation,  dans  la 
pieuse  pensée  de  favoriser  le  culte  de  la  Mère  de  Dieu 
dans  ime  ville  qui  lui  était  consacrée.  En  1754.  l'édifice 
ayant  été  entièrement  détruit  par  les  flammes,  la  statue 
fut  retrouvée  intacte  dans  ses  ruines.  Cette  préservation, 
considérée  comme  miraculeuse,  ajouta  encore  à  la  véné- 
ration dont  elle  était  l'objet. 


228  VIE    DE 

de  ses  prêtres,  la  série  des  pèlerinages  solennels  dont 
le  mouvement  ne  devait  plus  s'arrêter  jusqu'à 
nos  jours. ^  Chaque  communauté,  chaque  confrérie 
pieuse  eut  le  sien.  Mère  Gamelin  vint  à  son  tour 
avec  toute  sa  famille.  Les  vieillards,  les  vieilles  et 
les  orphelins  de  l'asile,  ceux  de  l'hospice  Saint-Jé- 
rôme, les  dames  de  charité,  les  religieuses  se  rendi- 
rent, bannière  en  tête,  en  rangs  de  procession,  jus- 
qu'à la  pieuse  église,  chantant  des  cantiques  ou  réci- 
tant à  haute  voix  le  rosaire.  A  cette  occasion,  notre 
vénérée  mère  fit  don  au  sanctuaire  d'un  beau  scapu- 
laire  eu  velours  rouge  brodé  d"or,  qui  orna  longtemps 
la  statue  de  la  Vierge. 

Durant  la  période  de  calme  qui  suivit  ces  jours 
d'épreuve,  notre  infatigable  fondatrice  conçut  de 
]iouveaux  projets  charitables. 

Une  classe  de  personnes  attirait  spécialement  son 
intérêt,  celle  des  servantes  sans  situation,  privées 
d'asile  et  de  protection,  et  exposées  au  découragement 
et  aux  mille  dangers  de  l'isolement  au  sein  d'une 
grande  ville.  Xotre  bonne  mère  ouvrit  d'abord  une 
salle  pour  les  recevoir,  et  bientôt  elle  les  forma  en 


^  Ses  successeurs  ont  conservé  fidèlement  cet  usage,  et 
tous  les  ans,  le  dei'nier  jour  d'avril,  l'archevêque  de  Mont- 
réal au  milieu  du  clergé  de  sa  ville  épiscopale.  ouvre  solen- 
nellement le  mois  de  Marie  dans  le  vénérable  sanctuaire. 


MÈRE    GAJ[ELIN  229 

association,  sous  le  patronage  de  sainte  Blandine. 
Elles  étaient  soumises  à  un  petit  règlement,  devaient 
s'interdire  tout  luxe  dans  leurs  habits  et  même  adop- 
ter un  eostmne  séant  à  leur  état.  On  les  formait 
aux  travaux  domestiques  et  à  l'art  culinaire  ;  on 
les  exhortait  à  supporter  avec  patience  les  épreuves 
de  leur  situation  et  à  remplir  avec  conscience  et 
dévouement  les  devoirs  de  leur  état.  Ces  filles 
trouvaient  sans  peine  à  se  placer  avantageusement. 
Quand  elles  sortaient  de  service,  l'association  les 
recevait  jusqu'à  ce  qu'elles  fussent  placées  de  nou- 
veau. Cette  œuvre  produisit  un  grand  bien,  pendant 
les  années  qu'elle  subsista.  Ces  servantes  étaient 
recherchées  des  familles  aisées,  à  qui  elles  donnaient 
presque  toujours  satisfaction.  Mère  Gamelin  leur 
témoignait  un  affectueux  intérêt;  et  elles,  de  leur 
côté,  lui  donnaient  en  retour  beaucoup  d'affection  et 
de  confiance. 

L'école  Saint-Jacques  fut  une  autre  œuvre  dont 
mère  Gamelin  se  chargea  vers  cette  époque,  à  la  de- 
mande de  Mgr  Bourget.  Cette  école  gratuite,  fondée 
en  1827  par  Mgr  Lartigue,  pour  les  enfants  pauvres 
du  quartier,  se  tenait  dans  une  maison  occupée  en 
partie  par  l'imprimerie  des  Méla-nges  rsUgieux.  Elle 
était  confiée  à  des  institutrices  laïques,  sous  la  direc- 
tion des  prêtres  de  l'évêché.     N'être  communauté  en 


230  YIE    DE 

est  encore  chargée,  sons  le  contrôle  de  la  commission 
scolaire  catholique  de  la  ville. 

Au  mois  de  juillet,  notre  yénérée  mère  se  rendait, 
en  compagnie  de  sœur  Caron,  ^  au  joli  village  de 
Sainte-Elisabeth,  dans  le  comté  de  Joliette,  pour  y 
concerter  avec  le  curé,  M.  Quevillon,  la  fondation 
d'un  couvent.  Cette  nuùson  devait  unir  l'instruc- 
tion élémentaire  des  filles  à  l'hospitalité  des  vieil- 
lards et  des  orphelins,  et  à  la  visite  des  pauvres  et  des 
malades. 

Sœur  Caron.  nommée  supérieure  de  la  nouvelle 
fondation,  vint  le  15  août  suivant,  avec  nos  sœurs 
de  l'Immaculée  Conception  et  François  de  Sales,  et 
une  orpheline  de  l'asile,  prendre  possession  de  la 
maison  provisoire  que  M.  le  curé  mettait  à  leur  dis- 
position dans  le  voisinage  de  l'église,  en  attendant 


'■  Mère  Caron,  l'une  des  six  premières  compagnes  de 
notre  vénérée  fondatrice,  lui  succéda  comme  supérieure  gé- 
nérale. Douée  de  belles  qualités  d'esprit  et  de  cœur,  elle  se 
fit  estimer  pour  ses  vertus  religieuses  notamment  pour  sa 
grande  charité  envers  les  pauvres.  Elle  les  aimait  tendre- 
ment ;  la  vue  d'un  malheureux  l'attendrissait  jusqu'aux  lar- 
mes. "Je  ne  conçois  pas,  disait-elle,  que  l'on  puisse  aimer  Dieu 
sans  aimer  les  pauvres."  Modèle  parfait  d'une  vraie  sœur 
de  charité,  elle  était  bien  digne  de  succéder  Ti  notre  véné- 
rée mère. 

Elle  mourut  le  13  août  1888,  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans.  Quelques  jours  après  sa  mort,  Mgr  de  Goësbriand, 
évêque  de  Burlington,  écrivait  k  la  communauté:  "La 
Mère  Caron  était  certainement  une  des  personnes  les  plus 
aimables  et  les  plus  aimées  que  j'ai  connues,  précisément 
parce  qu'elle  s'oubliait  clle-niéme  pour  obliger  et  servir  les 
autres.'' 


MÈra:  ga:\[Elix  231 

que  le  coiiveut  qu'il  faisait  construire  fût  prêt  à  les 
recevoir. 

Elles  commencèrent  leur  œuvre  en  recevant  six 
vieilles  femmes  et  cinq  orj^helines.  Les  membres  de 
la  commission  scolaire  de  la  paroisse,  par  suite  de 
quelques  difficultés  survenues  entre  eux  et  le  curé,  re- 
fusèrent d'abord  d'attribuer  à  nos  sœurs  l'allocation 
du  gouvernement.  Quelques  paroissiens  même  vou- 
laient maintenir  l'école  laïque,  établie  dans  le  village. 
Mais  les  sœurs  eurent  bientôt  fait  de  se  concilier 
l'estime  et  la  confiance  de  la  population,  et  cette 
opposition  fut  à  peine  de  quelques  semaines. 

Le  soir  même  de  son  arrivée,  sœur  de  l'Immaculée 
Conception  alla  veiller  une  mourante  dans  itne  des 
familles  les  plus  hostiles  à  l'école  des  religieuses.  Sa 
charité  et  sa  piété  gagnèrent  le  cœur  des  parents,  et 
dès  le  lendemain  matin  ils  iûscrivaient  leurs  enfants 
au  couvent  comme  élèves.  Les  sœurs  eurent  bientôt 
sous  leurs  soins  toits  ceux  du  village. 

Dans  l'intervalle  s'achevait  rapidement  la  cons- 
truction du  couvent.  Le  7  novembre,  la  cloche  fut 
bénite  à  l'église  paroissiale,  et  le  12  du  même  mois 
Mgr  Prince  venait  bénir  le  couvent  et  célébrer  la 
loremière  messe  dans  son  modeste  oratoire. 

Mère  Gamelin,  venue  pour  la  circonstance,  passa 
quelcjues  jours  auprès  de  ses  filles.     Elle  profita  de 


232  VIE    DE 

son  séjour  pour  convoquer  une  assemblée  générale 
des  femmes  de  la  paroisse  et  former  une  association 
de  dames  de  charité,  dont  les  premières  dignitaires 
furent  madame  Gonzague  Gadoury,  madame  Olivier 
Drolet  et  madame  Maurice  Beaulieu,  Tout  s'annon- 
çait donc  sous  les  plus  heureux  auspices,  et  Mère  Ga- 
melin  quitta  la  nouvelle  mission,  pleine  d'espérance 
en  son  avenir,  après  avoir  fortifié  le  cœur  de  ses  filles 
par  de  pieuses  exhortations.  '"Xotre  bonne  mère  nous 
quitta,  dit  la  Chronique  locale,  après  avoir  bien  re- 
commandé Tamour  des  pauvres  et  la  dévotion  à  la 
patronne  de  notre  mission,  sainte  Elisabeth  de  Hon- 
grie." 

Les  paroissiens  ne  furent  pas  longtemps  sans  cons- 
tater que  les  sœurs  se  dévouaient  sans  réserve  à  leurs 
enfants  et  à  leurs  pauvres.  Au  commencement  de 
Tannée  suivante,  Técole  comptait  65  pensionnaires 
et  un  plus  grand  nombre  d'externes.  Le  prix  mo- 
dique de  la  pension  permettait  à  la  plupart  des  fa- 
milles de  procurer  à  leurs  enfants  les  avantages  que 
leur  offrait  la  nouvelle  maison,  au  point  de  vue  de 
l'instruction  et  de  la  piété  ;  les  maîtresses,  de  leur 
côté,  avaient  à  se  féliciter  des  bonnes  dispositions  de 
leurs  élèves. 

Le  pensionnat  de  Sainte-Elisabeth,  comme  ceux 
que  notre  communauté  a  ouverts  plus  tard  dans  d'au- 


MÈRE    GAMELIX  233 

très  localités,  a  mis  l'instruction  élémentaire  à  la 
portée  d'un  grand  nombre  de  familles  auxquelles 
leurs  revenus  ne  permettaient  pas  l'accès  de  maisons 
dont  les  prix  étaient  plus  élevés.  Xotre  programme 
d'études  répond  aux  besoins  des  enfants  de  condition 
modeste,  à  qui  l'on  ne  doit  pas  songer  à  enseigner 
autre  cbose  que  les  éléments  de  la  religion,  un  peu 
d'histoire  et  de  géographie,  une  connaissance  du 
français  et  de  l'arithmétique  qui  leur  permettent  de 
parler  et  d'écrire  correctement  et  de  tenir  les  comptes 
usuels  d'une  maison.  Ce  programme  prépare  au 
diplôme  d'institutrice  pour  les  écoles  élémentaires  et 
modèles,  et  un  bon  nombre  de  nos  élèves  l'obtiennent 
chaque  année. 

Xos  pensionnats  ont  été  de  véritables  pépinières 
de  novices  pour  les  maisons  religieuses,  surtout  pour 
notre  communauté.  Là  se  sont  formées,  par  une  ado- 
lescence pieuse  et  studieuse,  un  grand  nombre  de 
nos  sœurs.  Cette  première  éducation  a  dévelQppé  en 
elles  ces  vertus  solides  qui  sont  la  meilleure  dot  des 
aspirantes  à  la  vie  parfaite,  et  dont  sainte  Jeanne  de 
Chantai  entendait  parler,  lorsqu'elle  faisait  cette  re- 
commandation à  celles  de  ses  filles  qu'elle  envoyait 
à  de  nouvelles  fondations  :  "  N'oubliez  pas  que  les 
filles  d'argent  ont  rarement  fait  des  religieuses  d'or." 

En  moins  de  six  ans.  le  seul  pensionnat  de  Sainte- 


234  VIE    DE 

Elisabeth  a  donné  quatorze  sujets  à  notre  Institut. 
En  1854,  voulant  rendre  un  public  hommage  au 
grand  nombre  et  à  la  valeur  de  ces  vocations  reli- 
gieuses, Mgr  Joseph  Larocque,  alors  notre  supérieur 
ecclésiastique,  se  transporta  un  Jour  à  Sainte-Elisa- 
beth, pour  y  recevoir  les  vœux  de  trois  novices  de 
cette  paroisse.  Leur  profession  religieuse  se  fit  so- 
lennellement à  l'église  paroissiale,  en  présence  d'un 
grand  nombre  de  fidèles. 

Mère  Gamelin  se  plaisait  à  attribuer  à  la  protec- 
tion de  Xotre-Dame  des  Sept-Douleurs  le  succès  de 
ses  fondations.  Xous  avons  déjà  vu  sa  tendre  dévotion 
à  la  passion  de  2^otre-Seigneur  et  aux  douleurs  de  sa 
sainte  Mère.  Elle  ne  se  lassait  pas  de  l'inculquer  à  ses 
compagnes  et  à  ses  novices.  ''  Demeurons  volontiers 
au  pied  de  la  croix  avec  notre  ^lère  de  Douleurs,  di- 
sait-elle souvent,  c'est  là  notre  place.  Xe  cherchons 
pas  ailleurs  d'autres  dévotions  ni  d'autres  jouissances 
spirituelles.  Soyons  assurées  que  si,  toute  notre  vie, 
nous  nous  tenons  sur  le  Calvaire,  le  sang  de  Jésus 
nous  abreuvera;  et  tout  enivrées  de  ce  sang  divin, 
nous  pourrons  sans  crainte  nous  présenter  devant  le 
tribunal  du  souverain  Juge.  Xe  quittons  le  Calvaire 
que  pour  monter  au  ciel  !  " 

Aussi  l'institution  de  tout  nouvel  exercice  de  ces 
dévotions  dans  sa  maison  remplissait-elle  son  âme 


MÈRE    (iAMELIX  235 

d'une  pieuse  joie.  C'est  dans  ce  sentiment  qu'elle 
accueillit  l'inauguration  qui  fut  faite,  dans  notre  cha- 
pelle, du  carnaval  sanctifié  en  l'honneur  de  iSTotre- 
Dame  des  Sept-Douleurs.  Il  a  pour  but  de  répa- 
rer les  péchés  qui  se  commettent  durant  les  fêtes 
mondaines  de  ce  temps  de  l'année,  et  il  se  fait  pen- 
dant les  trente  Jours  qui  précèdent  le  mercredi  des 
Cendres.  Il  consiste  en  quelques  prières  à  la  Mère 
des  Douleurs,  qui  se  récitent  après  la  messe  de  com- 
munauté et  que  suit  lui  petit  salut  du  Saint- Sacre- 
ment. 

En  cette  même  année  184:9,  le  fléau  qui  avait  déjà 
répandu,  en  1832  et  en  1834,  la  terreur  et  la  mort  au 
milieu  de  notre  population,  menaça  de  nouveau 
notre  ville.  Le  choléra,  après  avoir  fait  d'affreux  ra- 
vages dans  le  vieux  monde,  envahit  l'Amérique.  Ce 
fut  bientôt  une  consternation  générale.  Dès  le 
mois  d'avril,  l'épidémie  avait  fait  plusieurs  victimes 
à  Montréal.  Ceux  qui  fuyaient  la  ville  portaient  sou- 
vent dans  les  campagnes  le  germe  de  la  contagion, 
que  la  terreur  contribuait  à  propager. 

Dès  l'apparition  de  l'épidémie,  mère  Gamelin  alla 
solliciter  de  Mgr  Bourget  la  faveur  de  soigner 
elle-même  les  malades  ;  mais  il  refusa  d'acquiescer 
à  une  demande  qui  mettait  en  péril  une  existence 
si  précieuse    à  la  communauté.     La  nuit   suivante. 


236  VIE    DE 

un  homme  frappa  à  la  porte  de  l'Asile,  deman- 
dant à  grands  cris  des  sœurs  pour  sa  femme  et  ses 
deux  enfants,  qui  se  mouraient  du  choléra.  Une 
angoisse  étreignit  le  cœur  de  notre  bonne  mère  :  "Qui 
nommer  ?  "  se  demandait-elle  ;  "  e«s  pauvres  enfants, 
c'est  à  la  mort  que  je  les  envoie  !  "  Profondément 
émue  et  les  yeus  pleins  de  larmes,  elle  monte  au  dor- 
toir, sonne  une  clochette  pour  éveiller  les  sœurs,  et 
dit  à  haute  voix:  '•  Mes  chères  filles,  on  demande  des 
sœurs  pour  les  cholériques;  quelles  seront  les  pre- 
mières ?  '" — •■•  Moi  !  moi  !  "  s'écrièrent  ensemble  plu- 
sieurs d'entre  elles,  en  se  levant  précipitamment. 
Quelques  minutes  plus  tard,  au  milieu  d'une  nuit 
sombre,  deux  d'entre  elles  s'en  allaient  gaiement 
braver  la  mort.  Elles  eurent  le  temps  de  faire  ad- 
ministrer leurs  malades  et  de  déposer,  le  matin,  les 
trois  cadavres  dans  un  même  cercueil. 

Le  maire  de  la  ville,  M.  EajTUond  Fabre,  déploya 
beaucoup  de  zèle  et  d'activité  pour  réduire  les  foyers 
de  contagion.  Il  proposa  à  mère  Gamelin  d'ouvrir 
un  hôpital  aux  frais  de  la  ville.  Elle  accepta  avec  em- 
pressement et  obtint  de  nouveau  de  la  charité  de  sa 
cousine,  madame  Xolan,  l'usage  de  sa  maison  de  la 
rue  Sainte-Catherine,  qui  demeura  ouverte,  sous  le 
nom  d'hôpital  Saint-Camille,  du  1er  Juillet  à  la  fin 
de  septembre.  La  direction  médicale  en  fut  confiée 


MÈRE    G  AMELIE'  237 

au  Dr  Beaubieii,  qui  y  déploya  un  zèle  et  un  dévoue- 
ment au-dessus  de  tout  éloge.  Cent  vingt-sept  mala- 
des y  furent  reçus,  parmi  lesquels  soixante-dix  suc- 
combèrent. 

L'hôpital  étant  ouvert  à  tous  les  cholériques,  sans 
distinction  de  races  ni  de  croyances,  quarante-quatre 
protestants  y  furent  admis,  et  les  sœurs  eurent  la  con- 
solation de  voir  plusieurs  d'entre  eux  embrasser  la 
Traie  foi. 

Le  ciel  ne  réclama  de  notre  communauté  qu'une 
«eule  victime,  sœur  Jean  de  Dieu,  née  Marguerite 
Lefebvre.  Elle  comptait  huit  jours  de  profession  re- 
ligieuse. Envoyée  le  soir  à  Laprairie,  pour  y  soigner 
■deux  sœurs  atteintes  de  l'épidémie,  elle  en  fut  elle- 
même  frappée  durant  la  traversée  et  mourut  la  nuit 
suivante.  D'une  piété  angélique,  d'une  douceur  et 
d'ime  docilité  parfaites,  elle  affectionnait  tous  les 
-exercices  spirituels  et  ne  songeai-t  qu'à  se  dévouer 
■en  s'oubliant  elle-même.  Depuis  le  commencement 
•de  l'épidémie,  elle  s'était  offerte  comme  victime  pour 
sauver  les  prêtres  de  la  contagion.  Le  ciel  accepta 
cette  offrande  de  sa  pureté  virginale.  Son  corps  fut 
inhumé,  le  jour  même  de  sa  mort,  dans  le  cimetière 
de  Laprairie,  et  transporté  plus  tard  dans  celui 
de   la   communauté,   à   la    Longue-Pointe.     Qu'elle 


238  VIE    DE 

y  repose  en  paix,  et  que  sa  prière  nous  obtienne  d'i- 
miter son  généreux  dévouement  ! 

La  maison  de  Laprairie  avait  été  témoin,  l'année 
précédente,  de  la  mort  édifiante  de  sœur  Augustin^ 
née  Suzanne  Ladouceur,  qui  succomba,  après  quel- 
ques jours  de  maladie,  à  une  inflammation  d'intes- 
tins. "  Un  télégramme,  dit  sœur  Joseph  du  Sacré- 
Cœur,  annonça  à  mère  Gamelin  que  notre  chère 
sœur  Augustin  était  mourante.  Bien  que  la  traver- 
sée du  fleuve  fût  alors  très  dangereuse  à  cause  des 
glaces  qui  commençaient  à  s'ébranler,  nous  partîmes, 
notre  mère  et  moi,  pour  aller  consoler  cette  chère 
sœur  dans  ses  derniers  moments.  La  vue  de  notre 
bonne  mère  causa  à  la  chère  agonisante  la  plus  douce 
émotion.  Xotre  mère  l'encouragea  et  lui  recom- 
manda les  intérêts  de  la  communauté,  lorsqu'elle  se- 
rait au  ciel.  La  malade  lui  répondit  en  ces  termes: 
''  Dites,  s'il  vous  plaît,  à  nos  chères  sœurs  que  Je  les 
aime  toutes  et  que  je  prierai  pour  elles.  Qu'elles  n'ou- 
blient pas  que  nous  sommes  filles  de  la  Mère  des 
Douleurs  et  que,  pour  lui  ressembler,  il  nous  faut 
souffrir  sur  la  terre.'^  ^ 

Sœur  Joseph    du    Sacré-Cœur  ajoutait  :     "  Xous 
avons  failli  périr  dans  ce  voyage;  la  glace  se  brisait 

^  'Nécrologe,  p.  146. 


MÈRE    GAMELIN  339 

SOUS  les  pieds  du  cheval,  et  l'eau  entrait  dans  la  voi- 
ture. Cependant,  le  cœur  si  maternel  de  notre  mère 
savait  toujours  braver  toutes  les  difficultés,  lorsqu'il 
s'agissait  d'exercer  la  charité." 

Le  30  novembre  1849,  tout  le  personnel  de  TAsile 
se  réunissait  dans  la  grande  salle  des  infirmes,  pour 
assister  à  une  cérémonie  qui  constituait  un  événe- 
ment dans  l'histoire  de  la  maison.  Eose  Grandpré, 
en  présence  de  Mgr  Prince,  de  M.  le  grand-vicaire 
Truteau  et  de  notre  vénérée  fondatrice,  se  consacrait 
solennellement  au  service  des  pauvres  comme  auxi- 
liaire séculière  de  l'Institut.  Ce  fut  la  première  qui 
contracta  cet  engagement  ;  plus  tard,  elle  revêtit 
les  livrées  du  tiers  ordre  des  Servîtes  de  Marie. 

Le  tiers  ordre  des  Servîtes  de  Marie,  issu  de  l'or- 
dre des  religieux  de  ce  nom,  prit  naissance  en  Italie, 
vers  la  fin  du  treizième  siècle.  L'on  en  attribue  plus 
spécialement  la  fondation  à  sainte  Julienne  de  Fal- 
conieri,  qui  fut  dirigée  par  saint  Philippe  Bénit i. 
l'un  des  fondateurs  et  l'une  des  gloires  de  la  famille 
des  Servîtes. 

Instituées,  comme  les  religieuses  du  premier  ordre, 
pour  honorer  d'une  manière  spéciale  les  douleurs  de 
la  Mère  de  Dieu,  les  filles  de  sainte  Julienne  s'appli- 
quent aux  soins  des  malades  et  à  des  œuvres  de  cha- 
rité analogues    à    celles  qu'exercent  les  membres  de 


240  VIE    DE 

notre  institut.  Cette  communauté  de  iDut  et  d'œuvres 
inspira  à  Mgr  Bourget  le  dessein  de  greffer  sur  notre 
famille  religieuse  une  branche  du  tiers  ordre  des  ser- 
vites.  Ce  projet  rencontrait  parfaitement  les  rues 
de  mère  Gamelin,  qui  établit,  dès  1849,  une  asso- 
ciation de  filles  séculières,  afin  d'adjoindre  aux  reli- 
gieuses des  auxiliaires  aptes  à  les  aider  dans  leurs 
travaux. 

Le  tiers  ordre  fut  inauguré  dans  l'Institut  le  1er 
juin  1863,  avec  l'autorisation  du  général  des  servites. 

II  prospéra  rapidement.  Aujourd'hui,  au  Canada 
comme  aux  Etats-Unis,  la  plupart  de  nos  maisons 
possèdent  un  certain  nombre  de  sœurs  tertiaires,  qui 
leur  rendent  de  très  grands  services.  Celles-ci  }'  trou- 
vent, en  retour,  les  avantages  d'une  règle  religieuse, 
de  la  vie  commune  et  de  la  participation  aux  mérites 
et  aux  biens  spirituels  de  notre  institut  et  de  l'ordre 
des  servites,  tout  en  étant  déchargées  des  responsa- 
bilités et  des  obligations  attachées  aux  charges  de  la 
communauté.  Au  point  de  vue  temporel,  leur  vie  est 
assurée  pour  le  reste  de  leur  existence. 

Sensibles  à  ces  avantages,  un  grand  nombre  de 
filles,  bonnes  et  dévouées,  demandent  leur  entrée 
dans  cette  pieuse  association.  Leur  nombre  total  est 
actuellement  de  trois  cent  quatre-vingt-six. 


MÈRE    GAMEI.IX  241 

CHAPITRE  XIV 
1849-1850 

ZÈLE  DE  MÈRE  GAMELIX  POUR  LA  SANCTIFICATION  DE  SA 
COMMUNAUTÉ  ;  SA  CONFIANCE  DANS  LES  SUPÉRIEURS 
ECCLÉSIASTIQUES. — SON  HOSPITALITÉ. — SECOND  VOYAGE 
AUX    ETATS-UNIS.— VISITE    DU    PÈRE   BOURLADEAU. 

Nous  avons  vu  que  mère  CTaraelin,  qui  pratiquait 
la  vertu  à  un  degré  supérieur,  savait  aussi  l'ins- 
pirer aux  autres.  Elle  n'épargnait  rien  pour  inculquer 
à  ses  filles  l'esprit  de  l'institut  qu'elle  venait  de  fon- 
der, esprit  qui  peut  se  résumer  dans  ces  trois  mots  : 
humilité,  simplicité,  charité.  '"  Tant  que  l'on  s'atta- 
chera à  ces  trois  fortes  racines,  disait-elle,  notre 
petit  institut  subsistera  ;  mais  si  vous  essayez  d'y 
greffer  d'autres  rameaux,  quelque  beaux  qu'ils  vous 
paraissent,  vous  n'aurez  que  des  fruits  sauvages,  et 
les  nôtres  perdront  leur  saveur!" 

Son  humilité  et  sa  défiance  d'elle-même  la  por- 
taient à  chercher  dans  la  direction  constante  des 
supérieurs  ecclésiastiques  le  principe  de  sa  conduite 
et  de  celle  de  sa  famille  spirituelle.  Elle  y  recourait 
sans  cesse.  Sa  confiance  surtout  dans  le  jugement, 
les  vues  éclairées  et  l'expérience  de  Mgr  Bourget 
était  absolue.     Elle  attachait  un  prix  extrême  à  ses 


243  VIE    DE 

"dsites  jDastorales  et  ne  manquait  pas  d'en  solliciter 
chaque  année  la  faveur,  comme  le  témoigne  cette  let- 
tre qu'elle  lui  écrivait  le  9  mars  1850  : 

"  Monseigneur,  voilà  tout  proche  un  an  que  nous 
n'avons  pas  eu  le  bonheur  d'avoir  la  visite  pastorale. 
Aujourd'hui,  autant  que  l'année  dernière,  nous  en 
sentons  le  besoin,  mes  sœurs  et  moi.  Etant  encore 
nouvelles  dans  la  religion,  nous  avons  besoin  de 
toutes  sortes  de  grâces,  afin  de  pouvoir  accomplir 
avec  plus  de  perfection  les  œuvres  dont  la  divine 
Providence  nous  a  chargées.  C'est  pourquoi,  Monsei- 
gneur, nous  prions  Votre  Grandeur  de  vouloir  bien 
nous  l'accorder,  soit  pendant,  soit  après  notre 
retraite,  et  nous  vous  en  aurons  une  éternelle  recon- 
naissance. Xous  espérons  que,  vu  nos  misères  et  nos 
imperfections,  vous  ne  nous  priverez  pas  cette  année 
de  cette  faveur.  Peut-être  qu'un  jour  Votre  Gran- 
deur sera  dédommagée  des  peines  et  des  sollicitudes 
qu'elle  se  donne  pour  nous  former  aux  vertus  reli- 
gieuses. Veuillez  bien  avoir  pitié  de  vos  enfants, 
qui  toutes  sont  dans  la  disposition  de  profiter  de  vos 
paternels  et  charitables  avis. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc., 

Sœur   Gamelin, 

Supérieure. 


MÈKE    GAMELIX  343 

Le  pieux  prélat  se  rendit  avec  bonheur  à  des  ins- 
tances aussi  louables,  et  il  donna  lui-même  à  ses  filles 
deux  retraites  consécutives.  Il  accédait  avec  la 
plus  aimable  condescendance  aux  demandes  qu'on 
lui  faisait  parfois  d'expliquer  des  questions  de  spiri- 
tualité et  des  points  de  vie  religieuse.  Un  jour, 
mère  Gamelin  lui  fit  part  du  désir  qu'avait  une  jeune 
religieuse  d'obtenir  quelques  éclaircissements  sur  la 
vertu  de  simplicité,  dont  elle  entendait,  disait-elle, 
si  souvent  parler,  sans  en  avoir  une  notion  bien  nette 
ni  bien  précise. 

Le  saint  évêque  répondit  avec  un  délicat  empresse- 
ment à  ce  louable  désir.  Le  premier  de  Tan  suivant, 
«haque  religieuse  reçut  de  lui,  sous  forme  d'étrennes 
spirituelles,  une  copie  d'une  lettre  sur  la  simplicité 
chrétiene.  Cet  écrit,  plein  d'onction  et  de  piété, 
avait  été  déposé,  la  veille  du  premier  de  Tan.  au  pied 
de  la  statue  de  Xotre-Dame  des  Sept-Douleurs,  puis 
sur  l'autel  du  saint  Cœur  de  Marie,  afin  d'assurer  à 
sa  lecture  des  fruits  de  grâce. 

Notre  vénérée  mère  possédait  à  un  haut  degré 
cette  simplicité  chrétienne  d'une  âme  dont  la  sincé- 
rité se  révèle  telle  qu'elle  est.  sans  réticence  et  sans 
détour,  et  dont  l'humilité  ne  cherche  pas  à  dérober 
ses  défauts  et  ses  faiblesses,  ni  à  nier  ses  fautes.  Elle 
avait  vis-à-vis  d'elle-même  la  parfaite  loyauté  qu'elle 


24-i  VIE    DE 

pratiquait  à  l'égard  des  autres.  Elle  la  jDortait  égale- 
ment dans  ses  examens  et  dans  ses  ouvertures  de 
conscience,  faisant  voir  à  ses  directeurs  son  âme  jus- 
qu'au fond,  leur  en  révélant  toutes  les  dispositions 
et  tous  les  sentiments,  avec  une  confiance  et  une  sin- 
cérité parfaites,  pour  s"en  remettre  ensuite  à  leur  di- 
rection avec  une  simplicité  d'enfant.  Xous  avons  pu 
en  voir  plusieurs  exemples  dans  son  Journal  de  re- 
traites. 

Cette  vertu  donnait  à  son  langage,  à  ses  manières 
et  à  son  commerce  familier  un  charme  singulier,  qui 
entrait  pour  une  grande  part  dans  la  sympathie 
qu'elle  inspirait  à  tout  le  monde.  Les  religieuses  des- 
communautés étrangères,  qu'elle  recevait  dans  sa 
maison,  appréciaient  grandement  ses  rares  qualités- 
naturelles  et  ses  vertus  religieuses,  qu'elles  étaient  à 
même  d'observer  de  près  dans  les  différents  actes 
de  sa  vie  journalière. 

Mère  Gamelin  se  donnait  beaucoup  de  mal  pour  les 
bien  recevoir.  Elle  se  plaisait  à  les  servir  elle-même 
à  table;  elle  les  faisait  accompagner  en  ville  par  ses 
sœurs,  mettait  à  leur  disposition  toutes  les  choses 
de  la  maison  et  les  entourait  de  prévenances  et  de 
soins  affectueux.  Ces  visites  lui  offraient  l'occasion 
de  s'enquérir  des  œuvres  et  des  travaux  accomplis 
dans  les  maisons  du  même  genre  que  la  nôtre,  et  de 


MÈRE    GA5IEXIX  245 

profiter  des  lumières  de  leur  expérience.  Elle  faisait 
part  en  échange  à  ces  religieuses  de  ses  propres  vues, 
de  son  expérience  personnelle  et  de  celle  de  ses  sœurs, 
de  sorte  que  ces  visites  et  ces  entretiens  tournaient 
au  profit  des  unes  et  des  autres. 

Ce  désir  de  réunir  des  notions  précises  et  des  con- 
naissances pratiques  sur  l'organisation  des  institu- 
tions de  charité  étrangères  avait  inspiré  à  mère  Ga- 
melin  et  à  Mgr  Bourget  ce  voyage  aux  Etats-Unis 
et  cette  visite  des  maisons  des  Filles  de  la  Charité, 
que  notre  vénérée  fondatrice  avait  entrepris  avec 
tant  de  succès  avant  son  entrée  en  religion. 

La  même  préoccupation  lui  fit  faire  un  second 
voyage  du  même  genre,  au  printemps  de  1850.  Le 
développement  de  son  œuvre  et  la  fondation  de  nou- 
Telles  maisons  la  poussaient  à  recourir  de  nouveau 
à  Texpérience  des  autres  pour  assurer  le  succès  de  ses 
entreprises.  Dans  ce  voyage  de  cinq  semaines,  qu'elle 
fit  en  compagnie  de  notre  sœur  Ignace  de  Loyola, 
elle  visita  les  hospices  des  Filles  de  la  Charité,  à  Al- 
bany,  à  Baltimore,  à  Xew-York  et  à  Emmitsburg, 
accueillie  partout  avec  cordialité  et  retrouvant,  dans 
quelques-unes  de  ces  maisons,  les  bons  souvenirs  et 
les  connaissances  sympathiques  de  son  premier 
voyage. 

Elle  resserra    les    liens  d'amitié    qui    l'unissaient 


246  VIE    DE 

déjà  à  la  supérieure  générale^  la  mère  Etienne  Hall, 
avec  laquelle  elle  continua  à  entretenir  un  commerce 
de  lettres  et  de  mutuels  services. 

Au  mois  d'août  de  la  même  année,  notre  maison 
recevait  la  visite  du  E.  P.  Bourladeau,  lazariste, 
supérieur  de  la  maison  mère  d'Emmitsburg.  Il  prê- 
cha dans  notre  chapelle  et  imposa  à  toutes  nos  sœurs 
le  scapulaire  de  la  Passion.  Quelques  douzaines  de 
cess  scapulaires,  confectionnés,  selon  l'usage,  avec  du 
drap  rouge,  avaient  été  gracieusement  envoyés  à  nos 
sœurs  par  la  supérieure  d'Emmitsburg. 

Le  pieux  religieux  félicita  notre  vénérée  mère  sur 
le  bon  état  et  le  développement  de  son  établissement, 
et  témoigna  son  bonheur  de  voir  fleurir  au  Canada, 
par  le  fait  d'événements  aussi  providentiels,  l'esprit 
que  saint  Vincent  de  Paul  avait  légué  à  ses  Filles  de 
la  Charité. 

Mère  Gamelin,  en  multipliant  ses  fondations  et  ses 
œuvres,  était  obligée  de  multiplier  à  proportion  les 
actes  de  zèle,  de  vigilance  et  de  dévouement  qui  ab- 
sorbaient de  plus  en  plus  son  temps,  en  consumant 
ses  forces.  Sentant  le  déclin  de  sa  vigueur  physique, 
elle  s'entretenait  constamment  dans  la  pensée  de  la 
mort.  Le  23  mars  1849,  elle  écrivait  dans  son  jour- 
nal de  retraite:  "  Il  me  semble  que  j'ai  peu  de  temps 
à  vivre  sur  la  terre:  il  me  faut  donc  une  bonne  fois 


3IÈRE    GAMELIX  247 

mettre  la  main  à  la  charrue,  sans  regarder  derrière 
moi.  J'espère  tout  de  la  miséricorde  du  bon  Dieu." 
Elle  répétait  souvent  à  ses  filles  :  '"  C'est  un  tribut 
qu'il  faut  payer  à  la  justice  de  Dieu  ;  mon  heure 
viendra  bientôt.  Quand  votre  pauvre  mère  sera  dis- 
parue, n'oubliez  pas  de  prier  pour  elle." 

Elle  leur  prodiguait  ses  exhortations  à  être  ferven- 
tes, à  entretenir  l'esprit  de  leur  état,  à  s'appliquer  à 
la  résignation,  à  l'amour  de  la  croix,  au  fidèle  accom- 
plissement de  leur  devoir.  Elle  adressait  ces  pres- 
sants appels  de  son  zèle  aux  absentes,  à  ses  sœurs  des 
missions,  qu'elle  aurait  voulu  voir  plus  souvent,  sen- 
tant le  besoin  de  leur  communiquer,  au  contact  de 
son  propre  cœur  et  de  sa  parole  si  persuasive,  la 
flamme  de  dévouement  et  de  charité  qui  brûlait  son 
âme.  Elle  écrivait  à  l'une  d'elles,  à  la  fin  de  l'année 
1850:  "  N'oublions  jamais  que  nous  sommes  des 
filles  de  la  croix,  et  que  nous  devons  aimer  et  chérir 
la  croix.  Je  n"en  demanderai  pas  pour  vous  ni  pour 
moi,  mais  demandons  toutes  ensemble  de  porter  avec 
résignation  celles  que  le  Seigneur  nous  enverra. 
Nous  ne  savons  pas  ce  que  le  bon  Dieu  nous  ménage 
pendant  l'année  qui  va  commencer.  .  .  Courage  donc 
dans  notre  sainte  vocation!  Ayons  bien  soin  de  ce 
que  le  Seigneur  nous  confie  dans  la  personne  des 
pauvres  et  des  enfants,  pour  nous  aider  à  le  bien  ser- 


248  VIE    DE 

vir.  Le  ciel  sera  le  prix  et  la  récompense  de  nos  tra- 
vaux. En  attendant,  so^'ons  fidèles  aux  grâces  que 
le  Seigneur  nous  ménage.  J'ai  grande  envie  d'aller 
vous  voir.  Si  c'est  la  volonté  de  Dieu,  Je  ferai  ce 
voyage  à  la  fin  de  janvier,  car  je  sens  le  besoin  de 
m'entretenir  un  peu  avec  mes  chères  missionnaires." 
L'amour  et  le  dévouement  pour  les  pauvres,  forti- 
fiés par  l'amour  des  croix  et  des  souftrances,  c'était 
là  pour  elle  le  résumé  de  la  vie  religieuse. 


CHAPITEE  XY 
1850-1851 

DERNIÈEE  FO>'DATIOX  DE  ilÈI  E  GAJ.ELIX  :  LES  SOURDES- 
MUETTES.— CÉLÉBRATIOX  DU  SEPTIÈME  ANNIVERSAIRE 
DE  LA  PREMIÈRE  PROFESSION  RELIGIEUSE  DANS  L'INS- 
TITUT.  —  MGR  PRINCE  NOMMÉ  ÉVÊQUE  DE  SAINT- 
HYACINTHE.— MÈRE  GAMELIN  VISITE  LES  MISSIONS 
qu'elle  A  FONDÉES.  —  ELLE  PRÉSIDE  POUR  LA  PRE- 
MIÈRE FOIS  LE  CONSEIL  DE  LA  COMJrUNAUTÉ.  —  SA 
M^VLADIE    ET   SA  MORT. 

Le  19  février  1851  voyait  se  fonder  à  la  Longue- 
Pointe  une  œuvre  nouvelle,  dernier  fleuron  de  la 
glorieuse  couronne  de  notre  vénérée  mère  ici-bas. 
C'était  l'enseignement  des  sourdes-muettes,  qui  prit 
naissance  au  milieu  d'oppositions  et  d'épreuves  sans 
nombre.      Xotre    vénérée    fondatrice,    secondée    par 


MÈEE    GAMELIX  249 

sœur  Marie  de  Bonsecours,  poursuivit  l'entreprise 
en  dépit  des  objections  et  des  doutes  d'une  foule  de 
personnes,  qui  la  croyaient  parfaitement  inutile  et 
n'offrant  aucun  espoir  de  succès.  C'est  qu'on  ne  com- 
prenait pas  encore  au  pays  comment  l'on  pouvait 
songer  à  instruire  ces  infortunés,  considérés  alors 
comme  des  êtres  inférieurs,  absolument  dénués  d'in- 
telligence et  incapables  de  toute  culture  morale. 
Sœur  Marie  de  Bonsecours,  née  Albina  Gadbois,  ^ 
fut  l'instrument  de  Dieu  pour  cette  œuvre  impor- 
tante. Très  activement  secondée  par  mère  Gamelin 
et  Mgr  Bourget,  et  plus  tard  par  notre  mère  Caron, 
elle  poursuivit  avec  une  infatigable  énergie  et  une 
charité  à  toute  épreuve,  en  dépit  de  contrariétés  et 
d'obstacles  de  tous  genres,  la  mission  que  lui  avait 
confiée  notre  vénérée  fondatrice. 

La  classe  s'ouvrit  le  19  février  avec  deux  élèves;  à 
la  fin  de  l'année  scolaire,  elle  en  comptait  dix.  L'an- 
née suivante,  leur  nombre  avait  doublé.  En  1857,  il 


^  M.  Victor  Gadbois,  père  de  nos  sœurs  Gadbois,  et  l'un 
de  nos  insignes  bienfaiteurs,  était  un  riche  et  respectable 
cultivateur  de  Belœil.  Sept  de  ses  filles  se  firent  relisieuses  : 
cinq  à  la  Pi'ovidence,  une  chez  les  sœurs  de  l'HOpital-Gé- 
néral,  une  autre  chez  les  sœurs  des  S.  S.  N.  X.  de  Jésus  et 
de  Marie.  Les  cinq  religieuses  de  la  Providence,  sœur 
Ignace  de  Loyola,  sœur  Marie  de  Bonsecours,  sœur 
Marie  Victor,  sœur  Marie  Ildephonse  et  sœur  Philippe  de 
Jésus,  ont  successivement  gouverné,  avec  beaucoup  de  dé- 
vouement et  de  talent,  quelques-unes  des  maisons  de  notre 
institut. 


250  VIE   DE 

s'élevait  à  trente-deux.  L'école,  devenue  alors  trop 
petite,  fut  transportée  provisoirement  à  l'hospice 
Saint-Joseph,  à  Montréal,  Après  quelques  années 
d'un  long  et  persévérant  travail,  ces  pauvres  enfants 
avaient  été  instruites  des  premières  vérités  de  la  foi. 
On  leur  avait  révélé  l'existence  d'un  Dieu  bon  et 
miséricordieux,  à  qui  elles  devaient  la  vie,  qui  leur 
prescrivait  leurs  devoirs  et  leur  réservait  une  éter- 
nelle récompense. 

En  1864,  l'institution  était  définitivement  établie 
rue  Saint-Denis,  sur  un  magnifique  terrain,  de  500 
pieds  de  longueur  par  230  de  largeur,  donné  par  M. 
Côme-Séraphin  Cherrier,  à  qui  notre  communauté 
est  redevable  d'autres  dons  et  d'autres  services.  Plus 
tard,  ce  terrain  fut  agrandi  par  l'addition  de  deux 
beaux  lopins  de  terre,  offerts  par  la  libéralité  d'un 
prélat,  Mgr  Vinet,  qui  fut  l'un  des  plus  dévoués  et 
des  plus  insignes  bienfaiteurs  de  l'institution.  Ce 
nouveau  don  formait  une  étendue  de  huit  acres,  com- 
pris entre  les  rues  St-Denis,  Berri,  Cherrier  et  Eoy. 

Il  serait  trop  long  de  tracer  ici  l'historique  de  cette 
institution,  qui  exigerait  à  elle  seule  un  volume.  Qu'il 
nous  suffise  d'indiquer  sommairement  le  but  et  le  ca- 
ractère de  l'œuvre.  Nos  sœurs  s'appliquent  à  incul- 
quer aux  sourdes-muettes  les  éléments  de  la  religion 
et  à  les  former  aux  vertus  et  aux  pratiques  de  la  vie 


MÈRE    GAMELIX  251 

chrétienne.  Pour  assurer  cette  éducation  à  un  plus 
grand  nombre  de  sujets,  on  accepte  même  celles  d'un 
âge  relativement  avancé.  Nos  sœurs  s'efforcent  de 
développer  leurs  facultés  par  un  enseignement  élé- 
mentaire à  leur  portée,  et  à  les  former  à  des  travaux 
manuels  qui  leur  permettront  plus  tard  de  gagner 
honnêtement  leur  vie. 

Pour  réaliser  ce  double  objet,  nos  sœurs  se  sont 
efforcées  d'assurer  à  leur  enseignement  toute  la  per- 
fection possible,  même  au  prix  de  grands  sacrifices. 
Après  avoir  appris,  en  1851,  les  éléments  de  la 
méthode  mimique  à  Joliette,  sous  M.  Fabbé  La- 
gorce,  sœur  Marie  de  Bonsecours  et  une  de  ses  com- 
pagnes allèrent,  en  1853,  poursuivre  leurs  études 
aux  Etats-Unis,  sous  la  direction  du  célèbre  Isaac 
Peet,  directeur  de  l'institution  des  sourds-muets 
de  N'ew-York,  puis  à  Washington  Heights,  où 
elles  suivirent,  pendant  un  an,  les  cours  de  l'école 
spéciale.  Deux  années  plus  tard,  elles  retournèrent 
à  New-York,  pour  se  perfectionner  dans  l'exercice 
de  cet  enseignement  difficile.  Puis  ayant  ajouté  à 
la  méthode  mimique  quelques  essais  d'articulation, 
elles  passèrent  en  Europe  en  1870,  pour  se  mettre  au 
courant  de  la  méthode  orale,  dont  les  succès  commen- 
çaient à  s'imposer.  A  leur  retour,  elles  inaugurèrent 
dans  le    pays  l'enseignement  régulier  de  l'articula- 


352  VIE    DE 

tion  et  de  la  lecture  labiale.  Mais  ce  ne  fut  qu'en 
1879  que  la  méthode  intuitive  orale  pure,  qui  sup- 
prime dans  l'enseignement  les  signes  et  la  mimique, 
fut  appliquée  dans  toute  sa  rigueur. 

A  cet  efiEet,  M.  l'abbé  Trépanier,  que  nous  devons 
considérer  comme  le  véritable  père  de  Tœuvre  des 
sourdes-muettes,  fit  en  Europe  deux  voyages  succes- 
sifs, l'un  en  1879  et  l'autre  en  1884,  pour  étudier, 
dans  les  établissements  de  Paris,  de  Belgique  et  d'Al- 
lemagne, toutes  les  améliorations  nouvelles  intro- 
duites dans  ce  genre  d'enseignement.  Sous  l'active 
surveillance  de  cet  habile  et  infatigable  directeur, 
la  méthode  orale  pure  a  donné  jusqu'ici  les  plus  heu- 
reux résultats.  ^ 

Aujourd'hui,  l'établissement  des  Sourdes-muettes, 
placé  sous  le  vocable  de  Î^otre-Dame  du  Bon  Conseil, 
compte  deux  cent  soixante  élèves  et  cinquante-quatre 
religieuses.  Si  du  haut  du  ciel  notre  vénérée  mère 
voit  ses  œuvres,  ne  nous  est-il  pas  permis  de  penser 
que  leur  développement   et   leur  progrès  sont  dus  à 


'  M.  F.-X.  Trépanier,  chanoine  honoraire  de  la  cathé- 
drale de  Montréal,  est  depuis  vingt-huit  ans  attaché  à  l'ins- 
tituticn  des  Sourdes-muettes.  Il  y  aurait  de  beaux  et  tou- 
chants rapprochements  à  faire  entre  l'abbé  de  l'Epée,  fon- 
dateur de  l'enseignement  des  sourds-muets  en  France,  et  le 
dévoué  aumônier  des  sourdes-muettes  à  Montréal.  ]\Iais 
rhumilité  de  notre  bienfaiteur  et  de  notre  ami  pourrait 
en  être  blessée,  et  cela  amoindrirait  peut-être  à  ses  yeux 
rhommage  de  notre  gratitude. 


MÈRE    GAMELIN  253 

sa  puissante  protection  auprès  de  Dieu,  comme  leur 
origine  a  été  le  fruit  de  son  inébranlable  confiance 
en  sa  Pro"sddence  ? 

Le  29  mars  1851^  mère  Gamelin  voulut  célébrer 
solennellement  le  septième  anniversaire  de  la  fonda- 
tion de  l'institut.  Le  souvenir  de  ce  jour  inoubliable 
inspira  des  chants  vibrants  de  joie  et  de  reconnais- 
sance, mais  pour  notre  bien  aimée  mère  hélas  ! 
c'était  déjà  le  chant  du  soir.  L'année  suivante,  à 
pareil  jour,  sa  voix  ne  se  mêlait  pas  à  ces  cantiques 
d'allégresse  ;  elle  chantait  déjà,  pour  l'éternité,  dans 
les  chœurs  de  la  cour  céleste. 

Il  semblait  que  notre  petite  famille,  solidement 
fondée,  n'avait  plus  besoin  des  secours  humains 
qui  avaient  assuré  et  guidé  ses  commencements,  et 
que  Dieu  allait  les  lui  retirer  les  uns  après  les  autres. 
Il  devait,  au  cours  de  cette  année  1851,  rappeler 
à  lui  sa  pieuse  servante;  et  avant  qu'elle  ne  mourût, 
sa  providence  voulut  la  priver,  de  même  que  ses  filles, 
du  dévouement  et  des  précieux  conseils  de  celui  qui 
avait  été  en  réalité  leur  second  fondateur,  en  sa 
qualité  d'aumônier  et  de  supérieur.  Mgr  Prince, 
au  moment  d'entreprendre  un  voyage  en  Europe, 
se  désista  définitivement  de  cette  seconde  charge. 
Ce  fut  une  grande  peine  pour  la  communauté, 
<\m    avait   contracté   avec   lui    des   liens    étroits   et 


254  VIE    DE 

solides.  Il  avait  témoigné  à  nos  mères  un  constant 
dévouement,  un  zèle  attentif,  une  très  grande  cha- 
rité. Il  avait  mis  à  leur  service,  pour  les  former 
à  la  vie  religieuse,  et  à  la  perfection  chrétienne 
toutes  les  lumières  de  sa  sagesse  et  de  son  expé- 
rience ;  et  si  parfois  sa  direction  avait  pu  leur 
sembler  sévère  et  rigoureuse,  elles  ne  laissaient  pas 
de  comprendre  que  cette  sévérité  lui  était  inspirée 
par  le  désir  de  tremper  fortement  leur  âme  pour  les 
devoirs  et  les  vertus  de  leur  état,  et  d'établir  l'exis- 
tence de  notre  communauté  sur  les  bases  d"une  vertu 
austère  et  éprouvée. 

Le  nom  de  ce  pieux  prélat  demeurera  inséparable- 
ment attaché,  avec  celui  de  Mgr  Bourget,  aux  origines 
de  notre  famille  religieuse.  Ils  ont  été  tous  les  deux 
architectes  choisis  de  Dieu  pour  édifier  notre  insti- 
tut. ]Srotre  vénération  et  notre  reconnaissance  affec- 
tueuses ne  sauraient  séparer  leur  mémoire  ;  toujours 
leur  souvenir  comptera  parmi  le?  plus  précieux  et 
les  plus  chers  de  nos  origines. 

Mgr  Prince,  devenu  évêque  de  Saint-Hyacinthe, 
garda  un  souvenir  paternel  et  bienveillant  à  la 
communauté  dont  il  avait  soutenu  et  guidé  les 
premiers  pas  dans  la  vie  religieuse.  Xeuf  ans  plus 
tard,  sur  son  lit  de  mort,  il  priait  son  secrétaire,  M. 


Mgr  JEAN-CHARLEvS    PRINCE, 
Premier  Confesseur  de  l'Institut. 

1S43-1844. 

Premier  Supérieur  ecclésiastique. 

1S45-1.S50. 


:\[EEE   GAMELIN  'do.y 

l'abbé  Moreau,  ^  d'écrire  de  sa  part  à  notre  supé- 
rieure générale  pour  donner  à  'sa  famille  un  sou- 
venir et  un  dernier  gage  de  son  affection.  Voici  le 
texte  de  cette  lettre  : 

"  Ma  révérende  Mère,  l'affection  si  tendre  que 
vous  et  votre  communauté  avez  toujours  portée  à  Mgr 
de  Saint-Hj^acinthe  me  fait  un  devoir  de  vous  com- 
muniquer les  sentiments  qu'il  vient  d'exprimer  à 
votre  égard.  Voici  ce  qu'il  m'a  dit,  il  y  a  quelques 
instants:  "Ecrivez  à  mes  chères  filles  de  la  Provi- 
dence, pour  les  remercier  bien  affectueusement  du 
filial  attachement  qu'elles  m'ont  témoigné,  des  bons 
services  qu'elles  m'ont  rendus  ainsi  qu'à  mon  diocèse. 
Dites-leur  que  je  leur  donne  à  toutes  ma  dernière 
bénédiction,  en  demandant  au  bon  Dieu,  du  plus 
profond  de  mon  cœur,  qu'il  les  fasse  prospérer  dans 
toutes  leurs  saintes  entreprises;  et  que  si  Dieu,  dans 
sa  miséricorde,  me  donne  une  place  dans  son  sein, 
je  continuerai  à  m'intéresser  à  elles."  J'ai  recueilli 
ces  paroles  avec  un  grand  soin,  et  je  vous  les  trans- 
mets avec  bonheur,  car  elles  sont  le  testament  d'un 
père  à  ses  filles  bien  aimées."  - 

L.     Z.    MOREAU, 

Secrétaire. 

*  Aujourd'hui  Mgr  Moreau,  évêque  de  Saint-Hyacinthe. 
'  Mgr    Prince    mourut    le  5    mai    1860,    âgé    de    56  ans, 
dont   quatorze    d'épiscopat.      A   ses   funérailles     assistaient 


256  TIE    DE 

A  la  fiu  de  mai.  notre  vénérée  mère  entreprenait 
la  visite  officielle  des  maisons  qu'elle  avait  fondées  et 
qui,  en  outre  de  la  maison  mère,  étaient  déjà  au  nom- 
bre de  sept  :  la  Providence  de  la  Longue-Pointe,  l'h&s- 
pice  Saint-Joseph,  à  Montréal,  la  Providence  de 
Laprairie,  celle  de  Sainte-Elisabeth,  l'hôpital  Saint- 
Jérôme-Emilien,  la  Providence  de  Sorel  ^  et  l'école 
Saint-Jacques.  Partout,  elle  recommandait  aux 
sœurs  l'amour  des  pauvres,  l'union,  la  charité  mu- 
tuelle et  la  confiance  en  Dieu.  ''  Xe  craignez  rien, 
leur  répétait-elle  souvent,  tant  c[ue  vous  serez  entou- 
rées de  pauvres,  la  Providence  sera  votre  nourrice  et 
votre  fidèle  économe  :  rien,  croyez-le,  ne  vous  man- 
quera.'^ 

Au  commencement  du  mois  de  septembre,  visi- 
tant la  maison  de  Sainte-Elisabeth,  qu'elle  affection- 
nait particulièrement,  à  cause  de  la  douce  et  aimable 
sainte  dont  elle  portait  le  nom,  -  elle  eut  comme  le 


sept  évêques,  cent  cinquante  prêtres  et  un  immense  con- 
cours de  fidèles,  désireux  de  rendre  un  solennel  hommage 
au  prélat  qui  avait  honoré  par  ses  vertus  le  sacerdoce  et 
l'épiscopat,  et  rendu  d'éminents  services  à  la  sainte  Eglise. 

'  Cette  maison  fut  fondée  à  Sorel  en  1850,  pour  les 
œuvres  de  charité  et  l'instruction  primaire.  Elle  fut  fer- 
mée  en  1858. 

^  Mère  Gamelin  professait  pour  sainte  Elisabeth  de 
Hongrie  une  dévotion  particidière.  Elle  se  plaisait  à  la 
prier  et  à  confier  les  pau\Tes  à  sa  protection.  Elle  avait 
donné  son  nom  à  la  première  salle  qu'elle  ouvrit  aux 
vieilles  infirmes  dans  son  asile,  en   1844. 


MÈRE    GAMELIX  257 

pressentiment  de  sa  fin  prochaine.  Le  lendemain  de 
son  arrivée,  elle  fit,  en  compagnie  de  sœur  Caron 
et  de  deux  dames  de  charité,  une  visite  à  une  bienfai-- 
trice  du  couvent,  qui  demeurait  à  quelque  distance  du 
village.  Le  temps  était  superbe,  bien  qu'il  fît  très 
chaud. 

Notre  mère  tint  à  faire  cette  visite  à  pied,  pour 
mieux  goûter  les  beautés  de  la  campagne,  qu'elle 
avait  toujours  passionnément  aimées  et  qui  l'ai- 
daient à  s'élever  à  Dieu.  Au  bout  d'un  quart  d'heure 
de  marche,  se  sentant  quelque  peu  fatiguée,  elle  s'as- 
sit au  pied  d'un  arbre  et  prononça,  avec  un  accent  de 
tristesse,  ces  singulières  paroles  :  "'"  L'atmosphère  est 
lourde,  c'est  un  temps  de  choléra  !"  Quelcpies  jours 
plus  tard,  prenant  tendrement  congé  de  ses  filles, 
elle  leur  adressa  ces  graves  paroles  :  ''  Adieu,  mes 
chères  filles,  je  vous  vois  pour  la  dernière  fois.  J'ai 
prié  la  bonne  Elisabeth  pour  que  vous  aimiez  tou- 
jours les  pauvres  et  que  la  paix  et  l'union  se  con- 
servent toujours  parmi  vous.""  C'était  le  10  sep- 
tembre. Des  larmes  coulèrent  de  tous  les  yeux, 
mais  on  était  loin  de  penser  que  cette  triste  prédic- 
tion se  réaliserait  si  tôt. 

De  retour  à  l'Asile,  notre  mère  s'occupa  à  régler 
toutes  les  affaires  de  sa  maison.  Jusque-là,  le  supé- 
rieur ecclésiastique  ou  Mgr  Bourget  avait  présidé  les 


258  VIE    DE 

conseils  de  la  conuniinauté.  Mgr  Prince  venant  de  se 
démettre  de  sa  charge  de  supérieur,  mère  Gamelin 
pria  Mgr  Bourgct  de  vouloir  bien  venir  présider  le 
prochain  conseil. 

L'évêque  lui  répondit  en  l'autorisant  à  présider 
elle-même,  à  l'avenir,  tous  les  conseils,  la  jugeant 
parfaitement  apte  à  bien  s'acquitter  de  cette  fonc- 
tion. Cette  réponse  alarma  tout  d'abord  Thumilité 
de  notre  chère  mère  et  de  ses  conseillères,  habituées  à 
se  défier  d'elles-mêmes  et  à  recevoir  des  supérieurs 
ecclésiastiques  la  direction  de  leurs  délibérations  ; 
mais  elles  ne  firent  pas  difficulté  de  se  conformer  à 
une  décision  où  elles  voyaient,  comme  dans  tous  les 
ordres  et  toutes  les  suggestions  de  l'autorité  diocé- 
saine, la  volonté  de  Dieu. 

La  décision  de  l'évêque  inaugurait  en  tout  cas  une 
nouvelle  époque  dans  la  vie  de  notre  congrégation.  Il 
semblait  affirmer  par  là  que  ses  filles  avaient  acquis 
assez  de  sagesse  et  d'expérience  pour  prendre  désor- 
mais une  plus  grande  initiative  dans  leurs  affaires  et 
dans  leur  gouvernement  intérieur. 

Mère  Gamelin  présida  en  conséquence,  pour  la  pre- 
mière fois  et  pour  la  dernière,  ce  conseil  du  32 
septembre,  qui  fut  le  dernier  jour  de  sa  vie.  Ici 
encore,  il  semblait  que  Dieu  voulût  signifier  à  la 
petite  famille  que  son  avenir  était  assez  assuré  pour 


MÈRK    GAMELIX  259 

qu'il  piit  la  priver  de  sa  première  mère  et  l'abandon- 
ner plus  complètement  à  la  conduite  de  sa  provi- 
dence. 

Dans  cette  séance,  oii  l'on  traita  de  plusieurs  ques- 
tions importantes,  notre  vénérée  mère  parut  émue. 
Elle  fit  aux  sœurs  une  pressante  exhortation  sur  leurs 
devoirs  et  les  vertus  de  leur  état,  en  leur  recomman- 
dant tout  spécialement  la  charité  envers  les  novices.  ^ 

Elle  sortit  de  cette  séance,  avec  une  expression  de 
joie  et  de  contentement  très  vif  empreinte  sur  sa 
figure.  Sentait-elle  au  fond  d'elle-même  la  satisfac- 
tion profonde  de  voir  sou  œuvre  solidement  établie, 
•échappée  aux  difficultés  et  aux  pénibles  incertitudes 
des  débuts?  Son  âme  chantait-elle  intérieurement  le 
Nunc  dimittis  ?  Ou  Dieu  voulait-il  faire  luire,  sur  les 
dernières  heures  d'une  vie  qui  touchait  mystérieuse- 
ment à  son  terme,  les  premiers  rayons  de  la  vie  de 
paix  et  de  bonheur  qui  allaient  se  lever  éternelle- 
ment pour  elle  ? 

X'était-ce  pas  aussi  comme  une  révélation  de  la 
pureté  de  son  âme,  que  Dieu  donnait,  à  cette  dernière 
heure,  à  celles  de  ses  filles  qui  plus  tard  pourraient 
lire  ces  lignes,  écrites  par  leur  mère  dans  son  journal 
de  retraites,  le  IG  mars  précédent  :   ''  En  présence  de 

^  A  ce  conseil,  les  sœurs  Marie  de  la  Présentation, 
Marie  du  Saint- Sacrement  et  François  de  Borgia  furent 
•admises  à   la  profession. 


260  TIE    DE 

toute  la  communauté,  pendant  mon  oraison  ce  matin, 
il  m'a  semblé  que  je  paraissais  devant  Dieu:  j'ai  trem- 
blé. J'ai  pris  la  résolution  de  travailler  de  toutes 
mes  forces  à  me  mettre  toujours  en  état  de  paraître 
en  présence  du  souverain  Juge.  La  crainte  de  la 
mort  subite  m'a  glacée  d'effroi.  Je  me  suis  mise 
entre  les  bras  de  notre  Mère  des  Sept-Douleurs.  Elle 
m'aidera  à  traverser  la  mer  orageuse  de  cette  pau- 
vre vie.  Elle  me  soutiendra  dans  les  périls.  Cette 
pensée  m'a  rendue  calme  et  confiante."  ^ 

La  Mère  des  Sept-Douleurs,  en  qui  elle  avait  mis 
toute  sa  confiance,  répondait  en  efïet  à  son  appel. 
C'est  elle  sans  doute  qui  remplissait  son  âme  de  cette 
paix  et  de  cette  douce  sérénité  qui  brillaient  en  un 
éclat  de  joie  sur  son  visage  et  mettaient  dans  ses  paro- 
les une  gaieté,  une  animation  inusitée. 

Ses  filles  purent  le  constater  à  la  récréation  du 
soir.  Jamais  non  plus  elle  ue  leur  avait  paru  mieux 
portante  ni  plus  dispose.  Son  air  ni  son  attitude 
ne  traduisaient  aucun  signe  de  souffrance  ou  de  mal- 
aise. C'était  pourtant  sa  dernière  soirée,  et  la  nuit 
qui  suivit  allait  lui  révéler  les  approches  et  les  affres 
de  la  mort. 

Sur  les  quatre  heures  du  matin,  elle  ressentit  les 
premières  douleurs  du  mal  funeste  dont  elle  connais- 

'     Journal,    1S50. 


3IÈRE    GAMELIX  261 

sait  bien  les  symptômes,  et  appelant  aussitôt  la 
sœur  qui  partageait  sa  cliambre:  '"'Ma  chère  fille, 
lui  dit-elle,  je  Tais  mourir.  j"ai  le  choléra.  Je  désire 
monter  tout  de  suite  à  l'infirmerie,  afin  de  mourir, 
comme  mes  sœurs,  à  la  chambre  commune.*' 

Quelques  sœurs,  éveillées  en  hâte,  la  transportè- 
rent à  l'infirmerie,  sans  se  résoudre  à  partager  ses 
appréhensions.  Personne  ne  voulait  croire  ni  à  la 
gravité  du  mal  ni  à  l'imminence  du  danger.  Mais 
hélas!  il  fallut  bien  accepter  le  diagnostic  et  l'avis 
des  deux  médecins  appelés  sans  retard  auprès  d'elle. 

Le  Dr  Tavernier,  son  neveu,  et  le  Dr  Descham- 
bault  constatèrent  tous  deux  la  gravité  du  mal  et 
avouèrent  l'impuissance  de  leur  art  à  y  porter 
remède.  La  malade  les  remercia  et  les  supplia  de 
ne  lui  donner  aucun  calmant  car  elle  désirait  conser- 
ver jusqu'à  la  fin  l'usage  de  ses  facultés  et  toute  sa 
lucidité  d'esprit.  La  communauté,  prévenue  du  mal- 
heur qui  la  menaçait,  était  dans  la  désolation. 

Qui  dira  les  supplications  ardentes  qui  furent 
alors  adressées  à  Dieu  et  à  la  Mère  des  Douleurs, 
pour  la  conservation  d'une  vie  si  précieuse  ?  Les 
pauvres,  les  religieuses,  les  dames  de  charité  se  suc- 
cédaient sans  cesse  à  la  chapelle,  pleurant,  priant, 
ofi:rant  même  leur  vie  pour  celle  dont  la  mort  allait 
créer  une  si  grande  absence.     Rien  ne  fut  épargné 


263  VIE   DE 

pour  fléchir  le  ciel,  et  si  nos  vœux  ne  furent  pas  en- 
tendus, C'est  que  Dieu  ne  voulait  pas  différer  plus 
longtemps  la  récompense  de  sa  fidèle  servante.  Sa 
couronne  l'attendait,  et  il  tardait  au  Maître  juste  et 
bon  de  lui  adresser  ces  paroles  de  sa  promesse: 
"J'ai  eu  faim,  et  vous  m'avez  donné  à  manger;  j'ai 
été  prisonnier,  et  vous  m'avez  visité  ;  j'étais  nu,  et 
vous  m'avez  vêtu  :  venez  donc  posséder  mon  royau- 
me éternel  !  " 

La  pieuse  mourante  avait  toujours,  au  cours  de  sa 
vie,  redouté  ce  terrible  moment.  Aussi  éprouva-t- 
elle  d'abord  une  crainte  assez  vive,  mais  elle  ne  tarda 
pas  à  recouvrer  une  grande  paix,  ne  voyant  plus  dans 
la  mort  que  la  volonté  de  Dieu  et  un  dernier  passage 
à  franchir  pour  s'unir  à  lui.  La  parole  de  saint  Vin- 
cent de  Paul  se  vérifiait  en  elle  :  "  Celui  qui  aura 
aimé  les  pauvres  jsendant  sa  \ie  n'aura  aucune  fra- 
yeur à  la  mort." 

Elle  voulut  faire  sa  dernière  confession  à  Mgr 
Prince,  qui  avait  si  souvent  reçu  ses  confidences  et 
ses  aveux  et  rendu  la  paix  à  sou  âme.  Puis  elle  eut 
un  long  entretien  avec  Mgr  Bourget,  qui  lui  admi- 
nistra l'extrême-onction  et  lui  appliqua  l'indulgence 
plénière.  Elle  put,  chose  assez  rare  dans  cette  mala- 
die, recevoir  le  saint  viatique  et  conserver  sa  con- 
naissance jusqu'à  ses  derniers  moments. 


MÈRE    GAMELIX  263 

Vers  onze  heures  du  matin,  lorsque  la  communauté 
fut  admise  auprès  d'elle,  les  religieuses  la  trouvè- 
rent méconnaissable,  le  teint  livide,  les  yeux  enfon- 
cés dans  leurs  orbites,  les  lèvres  blêmies,  mais  gar- 
dant la  pleine  possession  de  son  esprit  et  manifes- 
tant la  paix  la  plus  profonde. 

Elle  accueillit  chacune  de  ses  filles  avec  une  affec- 
tion maternelle  ;  ne  pouvant  leur  adresser  la  parole  à 
cause  de  sa  faiblesse  extrême,  elle  les  enveloppait  d'un 
regard  qui  leur  disait  toute  sa  tendresse. 

Ses  forces  déclinaient  sensiblement,  et  Mgr  Bour- 
get  commença  à  réciter  les  prières  des  agonisants, 
auxquelles  elle  répondit  en  baisant  pieitsement  son 
ciiicifix.  La  prière  terminée,  elle  murmura  quelques 
paroles  à  l'oreille  de  l'évêque  ;  c'était  sa  suprême 
recommandation  à  ses  filles,  que  le  pieux  prélat  leur 
communiqua  aussitôt,  d'une  voix  coupée  par  les 
larmes  :  "  Je  vous  transmets,  leur  dit-il,  le  tes- 
tament de  votre  mère  ;  qu'il  soit  toujours  la  base 
de  votre  perfection  :  humilité,  simplicité,  charité.'" — 
'•  Surtout,  balbutia  la  mourante,  cha ri...."'. 

Elle  n'eut  pas  la  force  d'achever.  Pressant,  dans 
un  dernier  mouvement,  son  crucifix  sur  sa  poitrine, 
elle  expira  en  murmurant  le  mot  qui  résumait  toute 
sa  vie,  comme  il  résume  la  religion  du  Christ. 

Il  était  quatre  heures  du  soir. 


264  YIE    DE 

La  scèue  qui  suivit  ne  saurait  se  décrire. 

L'étonnement,  la  douleur,  la  consternation  se 
partageaient  les  âmes.  On  avait  peine  à  croire  à 
cette  mort  aussi  imprévue  et  soudaine,  à  se  faire  à  la 
pensée  qu'elle  n'était  déjà  plus,  celle  qui,  la  veille 
encore,  débordante  de  vie,  de  force  et  de  gaieté,  pré- 
sidait le  conseil  et  adressait  à  ses  sœurs  des  avis 
pleins  de  sagesse  et  d'autorité. 

Quand  le  glas  funèbre  attesta  la  triste  vérité,  ce  fut 
une  explosion  navrante  de  sanglots  et  de  gémisse- 
ments. Les  pauvres  accouraient  de  toutes  parts,  en- 
vahissaient l'avenue  et  le  corridor  de  la  chapelle,  et 
suppliaient  qu'on  les  laissât  pénétrer  auprès  du  corps 
de  leur  mère,  qu'on  leur  permît  au  moins  de  baiser 
ses  pieds.  Il  fallut,  hélas  !  leur  refuser  cette  der- 
nière consolation,  car  le  caractère  contagieux  de  la 
maladie  commandait  la  pins  grande  prudence.  On 
déposa  immédiatement  dans  un  humble  cercueil  de 
bois  le  corps  recouvert  de  ses  habits  religieux,  on  y 
étendit  une  couche  de  chaux  vive,  et  ses  traits  dis- 
parurent pour  toujours  aux  regards  de  ceux  qui  l'a- 
vaient aimée. 

C'était  le  mardi.  23  septembre  ISol,  troisième  jour 
de  l'octave  de  la  fête  de  Notre-Dame  des  Sept- 
Douleurs. 


MÈRE    GAMELIN  265 

Xotre  vénérée  mère  était  âgée  de  cinquante  et  un 
ans.     Elle  en  avait  vécu  sept  en  religion. 

Ses  funérailles  durent  être  faites  très  promptement 
et  sans  aucune  solennité.  La  douleur  de  ses  filles, 
de  ses  vieillards  et  de  ses  orphelines  en  fit  le  seul  et 
touchant  décor.  Le  service  eut  lieu  dès  le  lendemain; 
Mgr  Prince  le  chanta  et  présida  aux  obsèques.  Le 
cercueil  fut  descendu  dans  la  crypte  de  l'église  et 
placé  dans  une  voûte  de  brique,  sous  le  chœiur,  du 
côté  de  l'évangile. 

On  y  lit  cette  simple  épitaphe  : 

A  la  mémoire 

De 

La  Eévérende  Mère  Gamelin 

ISTée 

Marie-Eugène-Emmélie  Tavernier 

Fondatrice  et  première  supérieure  de  Tlnstitut 

Des  Sœurs  de  charité  de  la  Providence 

Décédée 

Le  23  septembre  1851 

Agée  de 

51  ans,  7  mois  et  3  jours. 

"  Elle  a  considéré  un  champ  et  l'a  acheté  du  fruit  de  ses 
mains;  elle  a  planté  une  vigne."     Prov.  31-16. 


266  TIE    DE    MÈEE    GAMELIX 

Les  restes  précieux  de  notre  sainte  fondatrice  repo- 
sent là  depuis  près  d'un  demi-siècle,  à  l'ombre  du 
monument  qu"ont  édifié  son  zèle  et  sa  charité.  Auprès 
de  sa  tombe,  on  se  prend  à  songer  à  la  gloire  éter- 
nelle d'où  elle  contemple  et  protège  sa  famille  reli- 
gieuse, à  ses  œuvres  qui  s'étendent  et  progressent 
tous  les  Jours  sous  le  ciel,  pour  le  soulagement  des 
pauvres  et  des  souffrants  de  la  grande  famille  hu- 
maine, et  l'on  se  rappelle  ces  paroles  du  psalmiste  : 

"  Ses  rameaux  s'étendent,  et  sa  gloire  sera  sem- 
blable à  l'olivier,  et  son  parfum  comme  celui  du  Li- 
ban. Ils  retourneront  s'asseoir  sous  son  ombre  ;  ils 
vivront  de  blé.  et  ils  germeront  comme  la  vigne.'-  ^ 

'  Ps.  14,  7-8. 


FIN. 


APPENDICE 


APPENDICE. 


Extraits  du  Journal  autographe  des  Retraites  de  Notre 
vénérée  Mère  Gamelin. 

1846-1850. 


NOTES 


SUR    5IES    JOUES     DE     RETRAITE     POUR    LA    REXOVA- 
TIOX  DES   VŒUX,    EX   MARS   1846. 

La  veille  a  été  pleine  d'épreuves  ;  le  premier  jour  et 
la  nuit,  point  de  repos  ;  crainte  de  ne  pas  bien  faire 
cette  retraite . . . 

Ce  qui  m'a  frappée  ce  matin  a  été  de  voir  sept  sœurs 
en  oraison,  nous  qui  sommes  les  filles  de  Notre-Dame 
des  Sept-Douleurs,  destinées  à  faire  honorer  et  à  pro- 
pager sa  dévotion.  Il  m'a  semblé  que  ce  qui  avait  le 
plus  affligé  notre  bonne  Mère  était  la  quatrième  dou- 
leur, la  rencontre  de  son  divin  Fils  portant  sa  croix 
au  Calvaire.  J'ai  bien  prié  cette  bonne  Mère  de  m'ai- 
der  à  porter  mes  croix,  moi  qui  m'effraie  à  la  vue  de 
celles  qui  se  présentent,  et  qui  ai  si  peu  de  courage 
pour  les  accepter  avec  résignation. 

Dans  l'après-midi,  plus  de  confiance  en  la  miséricorde 
du  bon  Dieu.  J'ai  fait  le  chemin  de  la  croix,  et  j'ai  eu 
de  l'attrait  à  méditer  sur  les  souffrances  de  Notre-Sei- 
gneur.    J'ai  formé  la  résolution  de  faire  souvent  le  che- 


270  APPENDICE 

min  de  la  croix,  et  j'ai  demandé  pardon  au  bon  Dieu  de 
ma  négligence  et  de  ma  paresse  à  remettre  souvent  de 
faire  cet  exercice,  qu'il  semble  exiger  de  moi.  J'ai  en- 
core, dans  cette  méditation,  formé  la  résolution  de  ne 
pas  passer  un  jour  sans  invoquer  le  nom  de  Marie, 
Mère  de  Douleurs,  par  quelques  invocations  pieuses. 
Je  vais  faire  de  nouveaux  efforts  sur  moi-même,  pour 
être,  avec  la  grâce  d'en  haut,  fidèle  à  mes  résolutions. 

2me  JOUR. — J'ai,  en  la  présence  de  mon  Dieu,  formé  le 
désir  de  travailler  à  ma  perfection  et  d'être  résignée  à 
ce  que  l'on  voudra  de  moi,  pensant  que  mes  croix,  que  je 
trouve  si  pesantes,  me  sont  des  échelons  pour  aller  au 
ciel.  J'ai  donc  remercié  le  bon  Dieu,  qui  me  semble  ne 
pas  m'épargner  dans  les  épreuves  que  j'ai  eu  à  subir 
depuis  que  je  suis  religieuse,  et  j'ai  dit  :  O  mon  Dieu, 
que  votre  volonté  se  fasse  et  non  pas  la  mienne  !  N'im- 
porte ce  qui  m'arrivera,  rien  ne  pourra  me  nuire  sans 
votre  permission  :  donc,  confiance  parfaite  en  la  divine 
Providence. 

3me  JOUR, — Temps  orageux  pour  mon  âme;  tentations 
de  diverses  manières  ;  incapable  d'avoir  une  bonne  pen- 
sée, ni  même  une  inspiration  pieuse  ;  découragement  ; 
le  soir  point  de  repos. 

4me  JOUR. — L'oraison  m'a  vivement  touchée  ;  Ténor- 
mité  de  mes  fautes,  tous  les  péchés  de  ma  vie  se  sont 
présentés  à  mon  esprit,  et  j'ai  médité  dans  le  silence  sur 
les  divers  états  de  ma  vie;  partout,  j'ai  eu  horreur  de  moi- 
même.  Que  de  péchés,  que  d'imperfections,  que  de  légè- 
retés dans  toute  ma  conduite,  pour  plaire  au  monde.  Oh!' 
mon  Dieu,  comment  faire  pour  réparer  tout  cela,  après 
tant  de  grâces  perdues  ?  Ce  qui  m'a  le  plus  touchée,  c'est 
l'abus  que  j'ai  fait  des  dons  qui  m'ont  été  donnés  par 
le  bon  Dieu,  pour  travailler  d'une  manière  toute  par- 
ticulière à  ma  sanctification  ;  voyant  bien  comme  j'ai 
été  ingrate  d'avoir  abusé  de  tant  de  grâces  depuis  l'usage 
de  ma  raison.  Profondes  réflexions  sur  mes  misères. 
Que  faire  à  présent,  moi.  ver  de  terre,  cendre  et  pous- 


APPENDICE  271 

sière,  à  la  tête  d'une  communauté  naissante,  et  si  peu 
capable  de  la  conduire,  et  où  il  faut  tant  de  vertus  et 
de  bons  exemples  à  donner. — Dites,  G  mon  Dieu,  ce  que 
vous  voulez  de  moi  ;    votre  servante  écoute  ! 

Il  m'a  semblé  que  je  devais  me  mettre  comme  un  en- 
fant dans  les  bras  de  sa  mère.  Ayez  pitié  de  moi  selon 
votre  grande  miséricorde.  Je  veux  de  tout  mon  cœur 
expier  mes  fautes  par  la  pénitence. — Réflexions  longues 
sur  toutes  mes  misères  spirituelles. .  .—J'ai  vu  que  les 
croix,  dont  il  a  plu  au  Seigneur  de  me  charger,  ne  sont 
rien  dans  la  réalité. 

5me  JOUR.— Sur  l'enfer.— J'ai  pensé  que  le  bon  Dieu 
est  trop  bon  pour  me  mettre  en  enfer,  après  m'avoir  ap- 
pelée à  la  vie  religieuse.  Il  avait  des  vues  de  miséri- 
corde sur  moi.  L'énormité  de  mes  fautes  m'a  un  peu 
troublée,  mais  le  calme  est  revenu  après  la  tempête. 
Je  suis  plus  tranquille. 

6me  JOUR. — Confiance  en  Notre-Seigneur.  paix  au 
pied  de  la  croix,  sans  consolation  pourtant;  je  n'en  suis 
pas  digne...  Ah!  je  me  suis  reproché  mon  peu  de 
zèle  et  mon  indifférence  à  faire  le  chemin  de  la  croix  et 
à  réciter  le  chapelet  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs! 

J'ai  formé  la  résolution  de  faire  de  nouveaux  efforts 
sur  moi-même,  et  je  me  suis  dit:  Je  veux.  Seigneur,  vous 
suivre  souvent  au  Calvaire.  C'est  là  que  j'irai  chaque 
jour  m'encourager  à  souffrir  les  peines  et  les  épreuves 
inséparables  de  mon  état.  Cette  journée  s'est  passée 
là  méditer  sur  la  passion  et  les  douleurs  de  la  sainte 
Vierge.  Que  de  sérieuses  et  profondes  méditations  qui 
condamnent   ma  conduite. 

7me  JOUR.— Calme  ;  pleine  de  confiance  en  la  misé- 
ricorde de  mon  Dieu  ;  résignation  à  supporter  les  croix 
qu'il  plaira  au  Seigneur  de  m'envoyer.  Inquiétude  sur 
les  moyens  à  prendre  de  me  corriger.  Désir  bien  grand 
de  communier  le  lendemain,  bonheur  qui  m'a  été  permis, 
malgré  mes  imperfections.  J'ai  cru  voir  devant  le  Très 
Saint-Sacrement  que  ma   résolution   de  retraite   devait 


272  APPENDICE 

être  de  bien  gouverner  cette  maison  :  beaucoup  de 
douceur  et  grande  charité  à  supporter  les  défauts  des 
autres,  exactitude  à  l'observance  des  règles,  première- 
ment pour  moi-même  et  pour  les  autres,  être  ferme 
eu  ce  point  ;  obéissance  aveugle  envers  mes  supérieurs. 
J'ai  la  ferme  espérance  que  le  secours  d'en  haut  chan- 
gera mes  dispositions  dans  cette  retraite,  et  que  je  mar- 
cherai sans  crainte,  après  ce  temps-ci.  J'aurai  plus  de 
coui'age  à  porter  mes  croix  et  à  me  soumettre  avec  ré- 
signation aux  épreuves  qui  me  semblent  si  dures.  Le 
bonheur  de  communier  le  lendemain  m'a  fait  éprouver 
un  grand  calme. 

8me  JOUR.— J'ai  eu  la  consolation  de  recevoir  mon 
Dieu  et  de  m'entretenir  avec  celui  qui  seul  fait  la  joie 
du  cœur.  Il  me  semble  que  je  suis  plus  courageuse  au- 
jourd'hui. L'une  de  mes  résolutions  est  de  prier  sans 
cesse  pour  être  fidèle  et  persévérante  dans  tout  ce  que 
l'on  voudra  de  moi  pour  le  bien  de  cette  communauté. 
Faire  en  sorte  que  la  dévotion  à  Notre-Dame  des  Sept- 
Douleurs  se  propage,  surtout  dans  notre  maison,  ainsi 
que  celle  du  chemin  de  la  croix,  ayant  connu  qu'au  pied 
du  Calvaire  l'on  peut  puiser  à  une  source  intarissable, 
et  qu'avec  un  peu  de  courage  l'on  obtiendra  la  perfec- 
tion que  notre  saint  état  demande  de  nous.  J'espère 
cette  grâce  de  vous.  0  mou  Dieu,  ne  me  la  refusez  pas, 
s'il  vous  plaît. 

RÉSOLUTIONS   DE   MA  RETRAITE. 

28  mars  ISiG. 

Beaucoup  de  douceur  et  de  charité  envers  mes  infé- 
rieures.—Oublier  leurs  défauts  les  plus  saillants,  et  ne 
voir  que  ceux  qui  me  regardent  personnellement.— Exac- 
titude à  l'observance  des  règles.—  Obéissance  aveugle  à 
l'égard  de  mes  supérieurs,  en  toutes  choses. 

Daignez,  Seigneur,  me  fortifier  dans  mes  résolutions. 


APPENDICE  273 

Vous  voyez  le  foud  de  mon  cœur,  et  vous  savez  de  quel 
limon  j'ai  été  formée  ;  vous  savez  que  je  vous  aime, 
malgré  mes  grandes  imperfections. 


NOTES 


SUE    MA    SECONDE     RETRAITE,     COMMENCEE 
LE    IS   MARS    1S4T. 

La  veille,  souffrante. 

Le  lendemain,  peu  de  ferveur,  causé  par  cette  in- 
disposition. Crainte  de  ne  bien  faire  ma  retraite,  et 
d'être  la  même  après  ;  voyant  tant  d'obstacles  qui 
s'opposent  à  ma  perfection,  je  me  décourage  avant 
de  commencer.  Vu  que  dernièrement  plusieurs  per- 
sonnes sont  venues  me  cbercher  pour  mettre  la  paix 
dans  leurs  familles,  et  que  Dieu,  dans  sa  grande 
miséricorde,  a  voulu  se  servir  de  moi  pour  détruire  plu- 
sieurs défauts  affreux,  j'étais  inquiète  de  connaître  la 
volonté  de  Dieu  à  ce  sujet.  J'ai  consulté,  et  je  me  suis 
bien  instruite  comment  m'y  prendre  par  la  suite. 

2me  JOUR. — Plus  de  courage.  J'ai  repassé  dans  le 
silence  ma  vie  entière,  et  j'ai  trouvé  un  grand  nombre 
de  défauts  saillants.  J'ai  réfléclii' qu'il  me  fallait  faire 
pénitence  et  qu'il  est  bien  juste  que  je  souffre  dans  cette 
vie,  pour  expier  les  péchés  de  ma  vie  passée.  Je  me 
suis  trouvée  indigne  d'être  à  la  tête  d'une  commu- 
nauté de  viei'ges  qui  n'ont  jamais  connu  le  mal  qui 
règne  dans  ce  monde,  étant  toutes  pures  aux  yeux  du 
Seigneur,  en  comparaison  d'une  femme  du  monde,  qui 
a  joui  de  tous  ses  divertissements,  et  qui  mérite  à  bon 
droit  d'être  punie  et  humiliée.  J'ai  bien  prié  le  Sei- 
gneur de  ne  me  pas  épargner  en  ce  monde,  et  de  me 
donner  du  courage  pour  supporter  les  humiliations  qui 
semblent  si  dures  à  la  pauvre  nature,  et  qui  blessent 


274  APPENDICE 

tant  mou  amour-propre. . .  Encore  nue  nouvelle  réso- 
lution de  travailler  à  me  corriger  de  cela. 

3me  JOUR.— Ce  qui  m'a  le  plus  frappée,  c'est  la  mé- 
ditation sur  l'enfer.  J'ai  bien  réfléchi,  et  'je  me  suis  dit: 
Non,  l'enfer  n'est  pas  pour  cette  communauté,  dont  tous 
les  membres  ont  le  désir  de  bien  faire,  comme  je  l'ai 
en  ce  moment.  Chacune  a  ses  défauts,  il  est  vrai,  mais 
comme  moi,  toutes  veulent  travailler  à  leur  perfection. 
A  l'avenir,  nous  aurons  plus  de  courage  que  par  le  passé 
pour  faire  les  sacrifices  que  le  bon  Dieu  demande  de 
nous. 

En  la  présence  de  mon  Dieu,  et  appuyée  sur  sa  grande 
miséricorde,  je  me  suis  jetée  à  ses  pieds,  lui  disant  : 
Vous  êtes  trop  juste,  Seigneur,  pour  permettre  que  je 
sois  du  nombre  des  réprouvés.  Vous  savez  les  sacri- 
fices qu'il  m'a  fallu  faire  pour  me  faire  religieuse  et 
faire  ce  que  vous  vouliez  de  moi.  Cette  p3nsée  m'a  en- 
couragée à  faire,  de  jour  en  jour,  de  nouveaux  efforts 
sur  moi-même.  Je  veux  profiter  de  cette  retraite  pour 
mettre  la  main  à  l'œuvre  tout  de  bon.  C'est  pour  vous. 
Seigneur,  que  je  travaille  à  me  défaire  de  mes  imper- 
fections ;  vous  voyez  le  fond  de  mon  cœur  et  vous  sa- 
vez que  je  vous  aime.  O  mon  Dieu,  donnez-moi  la  force 
de  marcher  à  grands  pas  dans  le  chemin  de  la  perfec- 
tion. Je  le  désire  avec  empressement,  pour  l'édification 
de  cette  communauté.  Appelée  à  donner  en  toutes 
choses  l'exemple  à  mes  filles,  j'ai  besoin  de  votre  se- 
cours. Seigneur  ;  je  ne  puis  rien  par  moi-même,  car  je 
n'ai  pas  le  courage  de  faire  ce  que  vous  m'inspirez  pour 
ma  perfection.  Parlez,  Seigneur,  votre  servante  écoute 
et  je  veux  obéir. 

4me  JOUR. —  Méditation  sur  l'eufant  prodigue.  —  Je 
me  suis  trouvée  comme  l'enfant  prodigue,  revenue  à 
mon  Dieu  après  les  égarements  de  ma  jeunesse  mou- 
daine.  J'ai  médité  les  bontés  de  mon  Dieu  à  mon  égard, 
qui  a  eu  la  patience  de  m'attendre  pendant  tant  d'an- 
nées, et  qui  m'a  donné  une  conscience  qui  me  reproche 


APPENDICE  Zlù 

sans  cesse  les  imperfections  de  ma  vie,  dans  tous 
les  états  où  j'ai  passé.  Je  vous  remercie,  ô  mou  Dieu, 
de  la  grâce  de  ma  vocation  à  la  vie  religieuse  ;  il  n'y 
a  que  vous  seul,  ô  mon  Dieu,  qui  m'ayez  inspiré  ce  dos- 
sein.  Mes  croix,  que  je  trouve, si  grandes,  ne  sont  rien 
en  comparaison  des  grâces  que  vous  me  faites  tous  les 
jours.  Puissent  mes  peines  intérieures  me  faire  profi- 
ter des  saintes  inspirations  que  vous  me  faites,  à  cha- 
que affliction  que  j'éprouve.  Dans  cette  méditation, 
j'ai  été  pressée  de  faire  quelques  pénitences  le  vendredi, 
en  l'honneur  de  la  passion  de  Notre-Seigneur  et  des 
douleurs  de  sa  très  sainte  Mère,  pour  implorer  la  misé- 
ricorde du  bon  Dieu  pour  moi  et  pour  la  communauté 
•que  le  Seigneur  m'a  chargée  de  conduire,  tout  indigne 
<iue  j'en  suis.  Aussi,  pour  les  pauvres  pécheurs  dé  ma 
famille,  plus  particulièrement  que  pour  d'autres,  et  pour 
moi-même,  ô  mon  Dieu,  qui  en  suis  peut-être  la  cause. 

5me  JOUR.— Je  me  suis  mise  en  présence  du  Seigneur, 
à  l'oraison,  et  j'ai  mis  toute  ma  confiance  en  sa  grande 
miséricorde.  J'ai  eu  im  grand  désir  de  me  confesser 
•ce  jour-lâ,  mais  je  n'ai  pu  le  faire. . .  Soumission  à  cette 
épreuve  pendant  cinq  jours ...  Je  l'ai  offerte  pour  me 
punir  de  la  consolation  que  j'aurais  eue  à  me  satisfaire 
en  cela.  J'ai  fait  de  sérieuses  réflexions  et  j'ai  trouvé 
que  cette  épreuve  était  pour  le  plus  grand  bien  de  ma 
pauvre  âme. 

6me  JOUR.— Bien  troublée  pour  ma  confession,  ayant 
l'esprit  agité  de  différentes  pensées,  que  je  ne  pouvais 
pas  finir  ma  retraite,  qu'il  était  trop  tard  pour  com- 
mencer ma  revue  de  l'année  ;  découragement,  grande 
«nvie  de  tout  abandonner  ;  malade  aussi,  la  tête  fati- 
guée de  tout  cela  ;  point  de  repos  toute  la  nuit.  J'ai, 
avec  la  grâce  de  Dieu,  surmonté  ces  tentations  qui  me 
désolaient  tant.  J'ai  invoqué  Marie,  Mère  des  Sept- 
Douleui's,  je  l'ai  priée  d'avoir  pitié  de  moi  et  de  m'ob- 
tenir  la  grâce  de  finir  ma  retraite  avec  courage. 

7me  JOUR.— Un  peu  plus  de  calme.     Je  me  suis  con- 


276  APPENDICE 

fessée  le  matin,  et  je  suis  revenue  de  ma  faiblesse... 
Les  avis  de  Mgr  Prince  m'ont  donné  plus  de  force  et 
de  courage  pour  faire  des  efforts  sur  moi-même,  pour 
commencer  une  nouvelle  vie  ;  j'en  ai  formé  la  résolu- 
tion en  présence  du  Saint-Sacrement.  J'ai  réfléchi  sur 
toutes  mes  misères  spirituelles,  et  j'ai  tâché  de  graver 
dans  ma  mémoire  les  avis  salutaires  que  l'on  venait  de 
me  donner  sur  toute  ma  conduite.  Oh  !  qu'elles  sont 
grandes,  ces  misères  !  Que  d'imperfections  dans  tout 
mon  ensemble  I  Seigneur,  qui  voyez  le  fond  de  mon 
cœur,  aj-ez  pitié  de  moi,  faites-moi  la  grâce  de  travail- 
ler avec  un  nouveau  courage  à  me  corriger  de  tant  de 
défauts,  qui  sont  de  mauvaise  édification  pour  mes 
sœurs.  Sujet  de  méditation  profonde.  Que  voulez- 
vous,  Seigneur,  de  moi  ?  Encore  quelques  sacrifices  ? 
Et  il  m'est  venu  en  pensée  que  j'étais  encore  attachée 
à  quelque  chose.  J'ai  fait  connaître  à  Mgr  Prince  qu'il 
m'en  coûterait  beaucoup  de  me  séparer  d'une  chose  que 
j'aimais  à  baiser  et  à  considérer  :  c'étaient  les  cheveux 
de  mes  petits  enfants,  que  je  vénérais  comme  des  reli- 
ques bien  précieuses  pour  moi.  Il  a  exigé  que  je  m'en 
sépare,  depuis  vingt-trois  ans  que  je  les  garde,  et  que 
je  les  mette  dans  le  caveau,  là  où  je  serai  enterrée,  pour 
qu'ils  soient  mis  dans  mon  cercueil  après  ma  mort.  Oh  ! 
que  ce  sacrifice  m'a  coûté  de  larmes  eu  la  présence  de 
mon  Dieu  !  Il  m'a  fallu  obéir  à  celui  qui  me  l'ordonnait^ 
pour  me  punir  peut-être  d'une  trop  grande  envie  et 
satisfaction  trop  sensible  de  les  regarder  et  baiser  avec 
complaisance  sur  la  terre. 

Ne  sachant  que  faire  pour  avoir  le  courage  de  des- 
cendre dans  ce  caveau,  j'ai  prié  sœur  Séné  de  venir 
avec  moi,  et  je  lui  ai  confié  mes  peines  â  ce  sujet.  Dans 
la  cave,  j'ai  considéré  la  place  où  je  serai  enterrée, 
j'ai  commandé  â  mes  chers  petits  enfants  d'avoir  pitié 
de  leur  pauvre  mère  et  de  prier  pour  elle;  eux.  qui  du 
haut  du  ciel  voient  mes  misères,  qu'ils  m'obtiennent 
l'esprit  de  sacrifice,  pour  porter  les  croix  et  les  peines- 


APPENDICE  277 

attachées  à  mou  état.  Ce  qui  me  semblait  cousolaut, 
c'est  de  peuser  qu'ils  habitent  le  ciel,  et  qu'ils  peuvent 
m'être  utiles  sur  la  terre.  Aussi,  dans  les  jours  orageux^ 
j'aurai  recours  à  eux  ;  ils  me  consoleront  et  m'aideront 
dans  mes  épreuves  de  tous  les  jours.  Priez,  mes  bons 
petits  anges,  pour  votre  pauvre  mère,  qui  vous  com- 
mande bien  de  ne  pas  l'oublier  devant  le  trône  du  Père 
éternel. 

Sme  JOUR.— Crainte  de  me  voir  sortir  de  retraite  avec 
si  peu  de  courage  pour  suivre  la  route  qui  m'a  été  tra- 
cée. J'ai  communié  et  me  suis  occupée  de  mes  résolu- 
tions. J'ai  vil  le  R.  P.  Martin,  qui  a  rendu  le  calme  à 
mon  âme.  J'ai  remei'cié  le  bon  Dieu  de  m'avoir  souffert 
pendant  huit  jours  à  m'entretenir  avec  lui.  J'ai  deman- 
dé la  permission  de  reprendre  la  nourritvire  de  la  com- 
munauté ;  on  n'a  pas  jugé  bon  de  me  l'accorder,  à.  cause 
de  mes  faiblesses  d'estomac.  Encore  une  épreuve  nou- 
velle ;  il  m'a  fallu  obéir  encore  eu  cela.  Dans  l'après- 
dîner,  plus  forte.  J'ai  prié  Notre-Dame  des  Sept-Dou- 
leurs  d'avoir  pitié  de  la  communauté,  et  de  moi  surtout, 
qui  suis  la  plus  imparfaite. 

Sujet  pratique  de  méditation,  donné  par  Mgr  Prince, 
à  faire  pendant  l'année  pour  ma  propre  perfection  : 

"  Apprenez  de  votre  divin  Maître  à  être  douce  et  hum- 
ble de  cœur,  et  vous  trouverez  le  vrai  bonheur  ici-bas." 

Point  d'autres  avis  à  mettre  en  pratique  que  ce  peu 
de  mots. 

Retraite  terminée  le  25  mars  1S4T. 

NOTES 

SUR    MA    TROISIÈME     RETRAITE,     COMMENCÉE     EE     5 
AVRIL    1848,    PAR    LE    PÈRE   TELLIER. 

La  veille,  indifférence. 

1er  JOUR.— Peu  de  ferveur,  beaucoup  de  combats; 
impossible  de  m' arrêter  à  quelque  pensée  fixe.  Ce 
qui  m'a  le  plus  frappée  dans  l'après-midi,  c'est  le  but", 
pou^   lequel    je    me    suis   faite    religieuse  ;     c'est    pour 


278  APPENDICE 

sauver  mon  âme  et  travailler  à  ma  perfection.  J'ai 
tâché  de  me  bien  persuader  que  je  me  serais  per- 
due dans  le  monde.  Il  m'a  semblé  bien  claire- 
ment que  le  bon  Dieu  voulait  plus  de  générosité  et  de 
sacrifices  de  moi  ;  et  j'ai  dit  au  Seigneur  :  "  Mou  Dieu, 
faites  de  moi  ce  qu'il  vous  plaira  ;  donnez-moi  le  cou- 
rage d'accomplir  vos  desseins  sur  moi."  Il  me  semble 
que  le  bon  Dieu  veut  encore  me  faire  passer  par  bien 
d'autres  croix,  que  je  crois  voir  devant  moi.  Courage, 
ô  mou  âme  !  Mou  Dieu,  résignation  à  votre  sainte  vo- 
lonté ! 

2me  JOUR. — Méditation  sur  le  péché.  Je  me  suis  con- 
sidérée à  la  tête  d'une  communauté,  et  bien  indigne  de 
conduire  des  vierges.  Ces  filles,  dont  je  suis  chargée, 
n'ont  jamais  connu  le  mal  et  n'ont  point  offensé  Dieu 
comme  moi.  Que  de  péchés  dans  ma  vie  !  Mon  Dieu. 
que  votre  miséricorde  à  mon  égard  a  été  grande  !  Je 
suis  religieuse,  engagée  par  des  vœux,  et  j'ai  de  grandes 
charges;  comment  est-ce  que  je  m'en  acquitte?...  Cela 
me  fait  trembler  de  toutes  mes  forces,  Seigneur  !  Jésus, 
fils  de  David,  ayez  pitié  de  moi.  J'ai  si  peu  de  courage 
pour  supporter  mes  croix,  qui  viennent  toujours  de  mes 
imperfections,  de  ma  trop  grande  sensibilité  et  d'une 
grande  recherche  de  moi-même  Toujours,  la  crainte 
d'être  reprise  par  mes   supérieurs. 

Après-midi,  méditation  sur  l'enfer.  O  mon  Dieu,  que 
de  profondes  réflexions  !  J'ai  bien  souvent  mérité  l'en- 
fer, et  j'y  serais  tombée,  si  vous  n'aviez  eu  pitié  de  moi. 
Vous  m'avez  placée  dans  cette  sainte  maison:  puis-je 
me  plaindre  encore  de  ce  que  je  souffre,  pensant  que 
j'ai  mérité  de  souffrir  encore  davantage. 

Je  me  suis  rappelée,  dans  cette  méditation,  la  vision 
que  j'ai  eue.  étant  à  l'agonie,  en  18.38  ;  j'ai  vu  la  place 
qui  m'était  préparée  dans  le  ciel  ;  la  sainte  Vierge  me 
l'a  montrée  et  m'a  dit  que  je  ne  mourrais  pas  de  cette 
maladie.  Ma  couronne  n'avait  presque  pas  de  dia- 
mants, et  ma  bonne   Mère  me  renvova  en   disant   que 


APPENDICE  279 

j'avais  à  me  corriger  de  mes  impatiences  ;  que  je  man- 
quais de  charité  et  de  douceur  à  l'égard  de  mes  vieilles: 
qu'il  me  fallait  avoir  plus  de  charité,  de  douceur  et  d'hu- 
milité dans  ma  conduite.  J'ai  vu  mes  enfants,  qui  sem- 
blaient vouloir  m'attirer  à  eux.  J'ai  vu  aussi  mon  époux 
^u  nombre  des  bienheureux.  Ces  souvenirs  m'ont  en- 
couragée à  travailler  avec  un  nouveau  courage  à  ma 
perfection.  Oui,  mon  Dieu,  coûte  que  coûte,  je  veux  me 
sauver.  La  pensée  que  j'ai  une  place  au  ciel  me  con- 
sole. J'ai  plus  de  courage  pour  accepter  avec  résigna- 
tion ce  qu'il  plaira  à  Dieu  de  m'envoyer.  L'enfer,  je 
l'éviterai  par  une  plus  grande  vigilance  sur  moi-même. 

3me  JOUR. — Ma  première  pensée  a  été  une  pensée  de 
découragement  ;  fortes  tentations  pour  me  détourner 
•de  la  confession.  Méditation  sur  le  jugement.  Je  me 
suis  appuyée  sur  les  mérites  de  mou  Sauveur,  pleine- 
d'espérance  qu'il  aura  pitié  de  moi  selon  sa  grande  mi- 
séricorde. La  journée  s'est  passée  à  préparer  ma  con- 
fession. J'y  ai  mis  deux  heures.  Grands  troubles  inté- 
rieurs. Crainte  que  l'absolution  ne  me  soit  pas  utile. 
Mon  Dieu,  que  d'imperfections  dans  ma  vie!...  Ma 
passion  dominante,  la  trop  grande  recherche  de  moi- 
même  dans  toutes  mes  actions.  Je  me  suis  abandonnée 
à  la  grande  miséricorde  de  mon  Dieu,  qui  ne  rejette  ja- 
mais un  cœur  contrit  et  humilié.  J'ai  donc  reçu  le  par- 
don des  péchés  de  ma  vie  entière.  Oubliez,  Seigneur, 
les  péchés  de  ma  jeunesse,  et  ne  vous  souvenez  plus  à 
mon  égard  que  de  votre  grande  miséricorde. 

4me  JOUR.— J'ai  eu  le  bonheur  de  communier.  J'ai 
éprouvé  de  grandes  consolations.  Il  me  semble  que  je 
puis  mourir,  que  rien  ne  me  reproche  et  qu'à  ma  mort 
je  ne  pourrais  être  mieux  préparée.  J'ai  fait  cette  com- 
munion en  réparation  des  négligences  de  toutes  celles 
de  l'année.  J'ai  bien  remercié  le  bon  Dieu  de  m'avoir 
appelée  à  la  vie  religieuse.  Que  les  jouissances  du 
monde  sont  différentes  de  celles  que  l'on  éprouve  au 
service  du  Seigneur  !. . . 


280  APPENDICE 

Daus  la  méditation  sur  la  vie  intérieure.  j"ai  gémi  de 
mou  peu  de  ferveur.  Je  suis  toujotirs  plus  occupée  du 
temporel  de  la  maison  que  du  spirituel.  J"ai  formé  la 
résolution  de  prendre  à  tâche  de  conserver  le  recueille- 
ment, et,  à  l'avenir  de  m'intéresser  plus  au  spirituel, 
pour  moi-même  et  pour  les  autres.  J'espère,  avec  la 
grâce  de  Dieu,  y  être  fidèle.  Aujourd'hui,  j'éprouve  une 
douce  joie  et  un  grand  calme.  Je  vous  remercie,  mon 
Dieu,  d'avoir  eu  pitié  de  moi  qui  vous  ai  tant  offensé. 
Merci  de  me  donner  ce  jour  de  consolation.  Vous  sa- 
vez combien  je  suis  faible,  et  vous  m'aidez  à  me  rele- 
ver. 

ûme  JOUR. — Méditation  sur  la  naissance  de  Notre-Sei- 
gneur,  sa  pauvreté,  son  obéissance. 

Ce  qui  m'a  le  plus  frappée  dans  ces  méditations, 
c'est  le  bonheur  de  la  vie  religieuse.  J'ai  demandé  par- 
don de  mes  murmures  intérieurs  et  extérieurs  star  les 
privations  de  tous  les  jours,  par  rapport  au  vœu  de  pau- 
vreté. Résolutions  d'être  sur  mes  gardes  à  l'avenir. 
J'ai  remercié  le  bon  Dieu  de  me  faire  ressentir  peut- 
être  plus  qu'une  autre  les  privations  de  la  pauvreté. 
O  mon  Dieu,  que  vous  avez  eu,  en  tout  temps,  des 
desseins  de  miséricorde  sur  moi  !  Quand  je  parcours 
ma  vie  entière,  partout  je  trouve  que  vous  m'avez 
tendu  la  main,  comme  malgré  moi.  Faible  et  mi- 
sérable créature,  je  tremble,  quand  il  me  faut  faire 
quelque  sacrifice...  La  journée  a  été  bien  calme. 
J'ai  eu  des  consolations...  J'ai  fait  la  communion 
spirituelle.  J'ai  beaucoup  désiré  communier  sacra- 
mentellement.  J'étais  pressée  de  demander  cette 
faveur,  mais  j'ai  pensé  que  je  méritais  bien  d'en 
être  privée,  en  punition  de  tant  de  communions 
tièdes...  J'ai  fait  le  chemin  de  la  croix  pour  nos 
chères  sœurs  défuntes,  je  le  ferai  tous  les  jours.  Il  me 
semble,  pour  ainsi  parler,  que  je  suis  forcée  de  le  faire. 
Toute  la  journée  s'est  passée  en  bons  propos.  J'ai  de- 
mandé au  bon  Dieu  de  ne  jamais  oublier  ces  jours  de 


APrEXDlCE  281 

retraite,  où  j'ai  goûté  tant  de  consolations  et  où,  débar- 
rassée des  occupations  journalières,  je  puis  si  bien  m'oc- 
cuper  à  converser  avec  lui,  à  lui  exposer  mes  besoins 
sans  nombre,  ceux  aussi  de  toute  la  communauté.  J'ai 
demandé  de  diriger  cette  maison  avec  douceur,  humi- 
lité et  charité.  J'ai  demandé  que  la  dévotion  à  Notre- 
Dame  des  Sept-Douleurs  se  propage  toujours.  J'ai  re- 
mercié le  bon  Dieu  d'avoir  inspiré  au  R.  P.  ïellier  de 
uous  parler  de  cette  dévotion. 

Gme  JOUR.— Méditation  sur  les  étendards.  Mon  Dieu, 
vous  savez  bien  qu'il  y  a  longtemps  que  j'ai  choisi  votre 
côté.  Mais,  hélas  !  qu'ai-je  fait  pour  vous  jusqu'à  pré- 
sent ?  Je  ressemble  à  ce  paresseux  dont  il  nous  a  été 
parlé  dans  les  instructions.  J'ai  toujours  eu  peur  d'a- 
vancer, tant  la  pauvre  nature  se  i"évolte  et  s'effraie  à 
la  moindre  peine.  J'ai  déploré  mes  fautes  sans  nombre, 
mon  peu  de  courage  Ti  me  faire  violence  et  à  me  vain- 
cre. J'ai  encore  formé  la  résolution  de  travailler  une 
bonne  fois  à  ma  perfection.  Il  me  semble  avoir  plus 
de  force.  .]'ai  tâché  de  connaître  toutes  mes  imperfec- 
tions, les  unes  après  les  autres,  et  j'ai  demandé  la  grâce 
■de  me  bien  connaître,  dans  le  calme  de  cette  retraite/ 
Cette  journée  s'est  passée  dans  la  paix  ;  j'ai  pu  prier 
dans  la  paix  :  j'ai  pu  prier  et  méditer  avec  facilité. 
Dans  une  méditation,  j'ai  éprouvé  un  grand  désir  de 
prier  pour  la  conversion  des  pécheurs,  surtout  pour  quel- 
ques personnes  qui  m'intéressent  et  dont  j'ai  le  salut  à 
cœur;  aussi  pour  les  pauvres  âmes  du  purgatoire,  pour 
lesquelles  j'ai  fait  tous  les  jours  le  chemin  de  la  croix. 
Ma  première  pensée,  en  entrant  en  retraite,  a  été  de  ne 
pas  oublier  nos  pauvres  sœurs  qui  reposent  dans  notre 
caveau.  Il  m'a  semblé  qu'elles  demandaient  cela  de 
nous  toutes,  et  que  nos  prières  leur  ouvriraient  le  ciel, 
si  déjà  elles  n'y  étaient  entrées. 

7me  JOUR. — J'ai  éprouvé  un  désir  ardent  et  un  grand 
bonheur  de  communier  ce  matin,  mais  je  n'ai  pu  le  faire 
que   spirituellement.       Beaucoup    de    consolations   dans 


283  APPENDICE 

l'oraison.  Il  me  semblait  être  au  ciel,  par  le  bonheur 
que  je  ressentais  de  m'entretenir  avec  mon  Dieu  si  fa- 
cilement. J'ai  éprouvé  une  ivresse  que  je  ne  puis  définir. 
Il  faut  l'éprouver  pour  connaître  cet  état  de  l'âme  avee 
Dieu,  que  j'ai  goûté  quelquefois  dans  mes  commu- 
nions. Api'ès  ces  consolations,  j'ai  eu  ime  grosse 
peine  que  m'a  faite  mou  directeur.  Réfléchissant 
ensuite  devant  le  Saint-Sacrement  que  Dieu  me  l'a  donné 
pour  guide,  qu'il  tient  sa  place,  que  c'est  lui-même 
qui  l'a  choisi  pour  me  faire  arriver  à  la  perfec- 
tion que  Dieu  demande  de  moi,  j'ai  prié  avec  ins- 
tance le  Seigneur  de  l'éclairer.  Pour  moi,  obéir  est 
tout  ce  que  j'ai  à  faire  ;  peu  importe  la  manière,  douce 
ou  rigoureuse,  avec  laquelle  il  me  traitera.  Après  ces 
réflexions,  la  paix  est  revenue  dans  mou  âme,  qui  déjà, 
était  fort  troublée  par  cette  petite  épreuve. 

8me  JOUR.— Calme  et  tranquillité.  J'ai  pu  prier  et 
former  des  l'ésolutions  pour  l'avenir.  Il  me  semble  que 
le  bon  Dieu  m'accordera  ce  que  je  lui  ai  demandé  avec 
tant  d'instance  pendant  ma  retraite  :  l'esprit  de  sacri- 
fices et  d'abnégation  en  tontes  choses.  J'ai  vu  que  le 
plus  grand  défaut  qui  règne  en  moi  est  la  recherche  de 
moi-même  en  toutes  mes  actions.  L'instruction  sur  le 
ciel  m'a  encouragée.  La  vie  est  si  courte  :  pourquoi 
tant  avoir  peur  de  se  renoncer  ?  Un  jour,  nous  jouirons 
de  la  présence  de  Dieu.  Grande  confusion,  pendant  mon 
oraison,  de  mon  peu  de  courage  à  me  faire  violence. 
J'ai  demandé  pardon,  de  tout  mon  cœur,  de  tant  de  misè- 
res dans  ma  pauvre  nature,  si  faible  pour  faire  le  bien. 
Mon  Dieu,  ayez  pitié  de  moi  selon  votre  grande  miséri- 
corde. Pardonnez-moi  les  péchés  de  ma  jeunesse  et 
ceux  du  présent. 

Résolutions  de  ma  retraite,  terminée  le  13  avril  184S. 

Pour  pénitences  journalières,  je  ferai  plusieurs  fois 
par  jour  des  actes  de  renoncement,  dans  mes  actions, 
mes  pensées,  mes  paroles,  mon  jugement,  ma  volonté, 
dans  la  nourriture  et  dans  les  aises  que  je  pourrais  me 


APPENDICE  283- 

procurei",  en  un  mot,  eu  toutes  choses.  Je  m'imposerai 
une  pénitence,  chaque  fois  que  j'y  manquerai. 

Mon  sujet  d'examen  particulier  sera  le  reuoucement. 

Vertu  d'abnégation,  iX  laquelle  je  devrai  m'exercer 
pour  toute  l'année.     Donné  par  Mgr  Prince. 

NOTES 

SL'E    MA    QVATEIÈiXE    RETRAITE,    COIIJIEXCÉE    LE    21     MAKS 
1849,   PAK  M.  LE   CHAXOIXE    TEUTEAU. 

La  veille,  indifférence. 

Le  jour  même,  incapable  de  pouvoir  méditer.  Avant 
la  seconde  méditation,  j'étais  comme  une  bête  de 
somme  ;  pourtant,  dans  cette  méditation,  Dieu  m*a 
reproché  que  je  ne  travaille  pas  assez  à  la  con- 
version des  pécheurs.  Je  ne  leur  donne  pas  assez 
d'avis  salutaires.  Je  ne  leur  parle  pas  assez  sé- 
rieusement de  l'état  de  leur  âme.  Je  ne  prie  pas  assez 
pour  eux.  Peut-être  que  le  bon  Dieu  demande  de  moi 
quelques  pénitences  ou  quelques  sacrilices  que  je  n'ai 
pas  le  courage  de  faire. 

J'ai  fait  le  chemin  de  la  croix  pour  la  conversion  de. 
quelques  membres  de  ma  famille,  qui  eu  ont  besoin. 
J'ai  été  bien  impressionnée  à  la  huitième  station.  Je 
considérais  Jésus,  disant  aux  saintes  femmes  de  ne  pas 
pleurer  sur  lui,  mais  sur  elles-mêmes.  Il  m'a  semblé 
entendre  Notre-Seigneur  me  dire  de  ne  pas  tant  me  la- 
menter sur  la  communauté  dont  il  m'a  chargée  et  sur 
les  misères  et  imperfections  des  autres,  mais  de  pleurer 
sur  moi-même,  et  de  me  corriger  de  bien  des  imperfec- 
tions, qui  peut-être  le  font  pleurer  sur  moi.  Mon  Dieu, 
aidez-moi  donc  à  me  connaître,  et  obtenez-moi  la  grâce 
de  me  corriger  ;  que  je  prenne  dans  cette  retraite  des 
résolutions  pratiques  pour  l'avenir. 

2me  JOUE.— Un  peu  inquiète  sur  mon  état  d'indiffé- 
rence, sur  mes  dispositions  présentes.    La  bonté  de  mon 


284:  APPENDICE 

Dieu  m'a  touchée:  ce  bon  Maître  veut  que  je  ne  m'ap- 
puie que  sur  lui.  J'espère  avec  confiance  que  je  pour- 
rai mettre  en  pratique  ce  que  la  grrice  m'inspire  pour 
avancer  dans  la  grande  affaire  de  la  perfection. 

3me  JOUR. — La  pensée  de  la  mort  et  du  jugement  m'a 
frappée.  11  me  semble  que  j'ai  peu  de  temps  à  vivre 
sur  la  terre  ;  il  me  faut  donc  une  bonne  fois  mettre  la 
main  à  la  charrue,  sans  regarder  derrière  moi.  J'es- 
père tout  de  la  miséricorde  du  bon  Dieu.  Confiance  en 
la  bonté  du  Seigneur,  qui  me  pardonne  mes  fautes  si 
multipliées. 

4me  JOUR. — Méditation  sur  l'enfer  et  instruction  sur 
le  même  sujet.  Je  suis  toute  pénétrée,  et  je  tremble  au 
tableau  qu'on  a  fait  de  l'enfer.  Que  vous  êtes  bon.  ô 
mon  Dieu.  Vous  m'avez  pardonné  les  fautes  sans  nombre 
de  ma  jeunesse.  Maintenant,  avec  le  secours  de  votre 
sainte  grâce,  je  ne  veux  plus  vous  offenser.  J'accepte 
les  croix,  les  humiliations,  les  sacrifices,  pour  l'expia- 
tion de  ces  péchés  qui  vous  ont  centriste.  Je  ne  veux 
plus  me  plaindre,  quand  il  me  faudra  souffrir  quelque 
chose  pour  vous.  Gravez  dans  mon  cœur,  ô  mon  Dieu, 
la  pensée  que  j'ai  mérité  l'enfer  :  heureuse,  si  je  puis 
souffrir  sur  cette  terre  pour  acquérir  le  ciel.  Conser- 
vez dans  mon  cœur.  Seigneur,  ces  résolutions  que  je 
forme  en  votre  présence  ;  elles  viennent  de  vous.  Je 
suis  plus  tranquille  aujourd'hui  :  j'ai  pu  faire  mes 
exercices  avec  calme,  et  le  reste  de  la  journée  s'est  pas- 
sé dans  de  grandes  consolations  spirituelles,  surtout  le 
soir.  Il  me  semblait  être  plus  courageuse  pour  suppor- 
ter les  épreuves  qu'il  plaira  au  Seigneur  de  m'envoyer. 
Que  d'actions  de  grcâces,  ô  mon  Dieu,  pour  tant  de  fa- 
veurs reçues  de  votre  part  I 

5me  JOUR.— Je  redoute  l'avenir  pour  mes  résolutions. 
Je  sens  ma  faiblesse,  quand  il  me  faudra  faire  quelque 
acte  de  renoncement  à  ma  manière  de  voir  les  choses, 
et  paraître  contente,  quand  je  serai  blessée  par  quelque 
humiliation  ou  par  quelque  reproche  de  la  part  de  mes 


APPENDICE  285 

supérieurs.  Vous  connaissez  mes  dispositions,  ô  mon 
Dieu,  TOUS  voyez  le  fond  de  mon  cœur.  J'offre  toute 
cette  journée  pour  obtenir  la  contrition  de  mes  péchés 
confessés,  de  ceux  que  je  ne  connais  pas  et  de  ceux 
qui  ont  échappé  à  ma  mémoire.  Seigneur,  ayez  pitié  de 
moi  selon  votre  grande  miséricorde. 

Mes  confessions  sont  finies  ;  le  calme  est  revenu  dans 
mon  ame.  J'ai  passé  la  soirée  devant  le  Saint-Sacre- 
ment. J'ai  goûté  le  bonheur  de  la  vie  religieuse.  J'ai 
fait  des  colloques  avec  mon  Dieu  ;  il  m'avait  promis 
qu'il  parlerait  à  mon  cœur.  Je  lui  ai  fait  mes  demandes, 
je  lui  ai  exposé  les  besoins  urgents  de  cette  commu- 
nauté qu'il  connaît  mieux  que  moi.  Je  lui  ai  demandé 
les  moyens  de  pouvoir  gouverner  cette  maison  avec 
prudence  et  sagesse,  de  mettre  un  sceau  sur  ma  bouche, 
pour  ne  l'ouvrir  qu'après  avoir  pensé  à  ce  que  je  dois 
commander.  Je  me  sens  un  nouveau  courage.  Je  pour- 
rai, ce  me  semble,  tout  faire,  pour  conserver  la  paix 
intérieure  que  je  goûte  dans  ce  moment.  Je  n'ai  jamais, 
dans  le  monde,  éprouvé  ce  calme  et  ces  délices  de  con- 
verser avec  vous,  ô  mon  Dieu  !  Oh  !  que  l'on  est  à, 
plaindre,  quand  on  ne  vous  aime  pas  !  Que  vous  com- 
blez de  bonheur  ceux  qui  travaillent  pour  vous  !  Oui, 
qu'il  est  doux  d'être  attaché  au  service  d'un  si  bon 
Maître  I 

6me  JOUR.— La  pauvreté  de  mon  Sauveur  m'a  tou- 
chée. J'ai  eu  le  bonheur  de  communier.  Oh  !  que  la 
maison  de  mon  cœur  est  pauvre  !  J'ai  prié  Jésus  d'y 
venir  et  d'avoir  égard  à  ma  bonne  volonté.  Les  pau- 
vres offrent  ce  qu'ils  ont,  j'ai  offert  mon  cœur  tel  qu'il 
est,  priant  la  sainte  Vierge  de  vouloir  bien  venir  tenir 
compagnie  à  mon  Dieu  et  de  préparer  ce  qu'il  faut 
pour  recevoir  un  si  grand  hôte.  Je  suis  calme  et  tran- 
quille ;  la  paix  est  dans  mon  cœur,  car  j'ai  reçu  le 
Dieu  de  paix.  Grandes  consolations  dans  mes  exer- 
cices, aujourd'hui.  Je  vais  faire  le  chemin  de  la  croix 
pour  la  conversion  des  pêcheurs,  c'est  ma  pratique  de 


286  APPENDICE 

tous  les  jours.  J'ai  formé  la  résolution  de  le  faire 
chaque  jour  de  Taunée,  si  mes  occupations  me  le  per- 
mettent :  j'éprouve  tant  de  consolation  dans  ces  médi- 
tations sur  la  passion  de  mon  Sauveur. 

7me  JOUR.— J'ai  peine  à  réunir  mes  pensées.  Je  suis 
un  peu  malade  et  fatiguée,  mais,  depuis  l'instruction 
de  S  laem-es,  je  suis  mieux,  et  j'ai  pu  faire  mon  oraison 
assez  calme. 

L'obéissance  de  mon  Dieu  dans  toute  sa  vie  et  pendant 
sa  passion  m'a  encouragée  à  obéir  aveuglement  à  mes 
supérieurs,  en  tout,  et  à  la  règle.  Je  surmonterai  mes 
répugnances  intérieures,  et  je  pèserai  les  commande- 
ments que  je  ferai,  désirant  faire  aux  autres  ce  que  je 
voudrais  que  l'on  me  fît  à  moi-même.  J'ai  demandé 
pardon  au  bon  Dieu  de  ce  que  j'ai  pu  faire  souffrir  à 
mes  sœurs,  en  manquant  de  réflexion  avant  de  décider 
quelque  chose.  Ferme  résolution  de  veiller  sur  moi- 
même,  d'une  manière  particulière,  et  sur  toute  ma  con- 
duite extérieure.  Recevoir  les  avis  de  Mgr  Prince,  et 
travailler  à  les  mettre  en  pratique  avec  courage. 

Sme  JOUR. — J'ai  eu  le  bonheur  de  communier,  et  j'ai 
mis  mes  résolutions  aux  pieds  de  Notre-Dame  des  Sept- 
Douleurs.  A  cette  bonne  Mère  maintenant  de  me  diri- 
ger. Je  lui  ai  promis  de  mettre,  tous  les  matins,  ma 
journée  et  ma  charge  sous  sa  protection.  .Te  lui  deman- 
derai, chaque  matin,  de  m'inspirer  et  de  me  dicter  ce 
que  j'ai  à  faire  ;  et  le  soir,  j'irai  lui  rendre  compte  de 
toutes  mes  actions,  espérant  que  cela  me  rendra  plus 
vigilante  à  veiller  sur  moi-même  et  à  me  tenir  sur  mes 
gardes.  Oh  !  que  je  désire  travailler  à  ma  perfection  ! 
Que  de  lumières  dans  une  grande  retraite  !  Que  de  mi- 
sères j'ai  trouvées  en  moi  !  Je  sens  toute  l'importance 
de  ma  charge.  Je  suis  obligée  de  donner  l'exemple  à 
toute  une  communauté.  Je  vois  clairement  que  je  n'ai 
rien  fait.  Sans  votre  secours,  ô  mou  Dieu,  je  pourrais 
me  décourager.     Le  passé  est  dans  la  miséricorde  du 


ArPENDICE  287 

bon  Dieu.  Courage,  mon  âme,  la  fidélité  a  la  grâce 
nous  fera  triompher  de  tout. 

J'ai  vu  aujourd'hui,  plus  que  jamais,  que  je  manque 
de  prudence  dans  mes  paroles  et  de  sagesse  dans  mes 
actions.  Je  demanderai  ces  deux  vertus  â  Notre-Dame 
des  Sept-Douleurs,  tous  les  jours  de  l'année.  Fasse 
le  ciel  que  je  mette  en  pratique  cette  résolution,  c'est 
l'avis  de  mon  très  honoré  père,   Mgr  Prince. 

Prudence  dans  mes  paroles  et  sagesse  dans  mes  ac- 
tions. 

Résolutions  prises  le  28  mars  1849,  à  la  fin  de  la  re- 
traite  annuelle. 

NOTES 

SUR     MA    CINQUIÈME    EETRATTE,     PRÊCHÉE    PAR    S.    G.     MGR 
BOURGET,    ÉVÊQUE   DE   MONTRÉAJL,    15   MARS   1850. 

La  veille,  bien  occupée  aux  affaires  de  la  maison  et 
indifférente  pour  toutes  choses.  Grande  confiance  en 
Dieu  et  grand  désir  de  bien  faire  cette  retraite  ;  désir 
de  réforme,  pour  moi  et  pour  toute  la  communauté.  De 
tout  cœur  je  demande  au  Saint-Esprit  d'éclairer  le  di- 
recteur et  les  confesseurs  qui  nous  seront  donnés  pour 
nous  conduire.  Que  Dieu  nous  soit  en  aide  pour  le  suc- 
cès de  cette  retraite  I 

La  veille,  entretien  sur  nos  fins  dernières.  Le  lende- 
main, oraison  de  9  heures  et  de  5  heures  sur  le  même 
sujet. 

Ce  qui  m'a  frappée  dans  l'oraison,  ce  sont  les  sa- 
crifices que  la  Providence  m'a  ménagés,  dans  les  dif- 
férents états  de  ma  vie,  surtout  celui  de  la  mort  de  mou 
mari,  qui,  sous  la  direction  de  M.  Saint-Pierre,  m'a  fait 
renoncer  au  monde,  en  1828,  pour  me  dévouer  au  service 
des  pauvres.  Tout  cela  pour  me  faire  arriver  à  ce  que 
le  bon  Dieu  voulait  de  moi,  c'est-à-dire  à  la  fin,  au  but 
qu'il  me  destinait  pour  sauver  mon  âme  ;   et  aussi  pour 


288  APPENDICE 

travailler  d'une  manière  spéciale  à  aimer  Marie  au  pied 
de  la  croix,  et  à  la  faire  honorer  dans  ses  douleurs. 
Dans  cette  même  année,  M.  Saint-Pierre  me  fit  présent 
d'une  image  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs  ;  et  tous 
les  jours  j'allais  prier  au  pied  de  cette  image.  Je  lui 
demandais  du  courage  pour  supporter,  à  son  exemple, 
les  croix  et  les  sacrifices  que  le  bon  Dieu  m'envoyait 
dans  le  monde.  Les  plus  grands,  dans  ce  temps-là, 
étaient  la  perte  d'un  époux  et  d'un  enfant  chéris,  que 
je  pleurais  tous  les  jours.  J'avais  le  cœur  percé  d'un 
glaive  de  douleur  ;  et  je  ne  trouvais  d'autre  consola- 
tion que  celle  de  méditer  sur  les  douleurs  de  ma  Mère, 
auprès  de  cette  gravure.  Plus  tard.  Mgr  Bourget,  dé- 
sirant que  la  sainte  messe  fût  dite  dans  notre  maison 
pour  nos  vieilles  infirmes,  et  voulant  nous  donner 
une  patronne  particulière,  nous  envoya  une  image 
de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs.  Ce  trait  de  la 
Providence  me  frappa  beaucoup.  Dans  mon  premier 
voyage  aux  Etats-Unis,  à  la  maison  mère  des  Sœurs 
de  Charité,  je  vis  une  magnifique  statue  de  Notre- 
Dame  des  Sept-Douleurs,  qui  arrivait  de  France.  Je  de- 
mandai l'adresse,  et  l'année  suivante  nous  avons  pu  nous 
en  procurer  une  semblable,  par  l'entremise  de  M.  le 
grand-vicaire  Hudon,  qui  partait  pour  l'Europe.  Ce  bon 
Monsieur  nous  dit  quil  nous  en  ferait  don,  si  notre 
chapelle  était  dédiée  à  Notre-Dame  des   Sept-Douleurs. 

. .  .Les  sacrifices  qu'il  me  faut  faire  tous  les  jours  me 
sont  envoyés  pour  me  faire  mourir  à  moi-même  et  pour 
sauver  mon  âme.  Pour  être  l'enfant  de  la  Mère  des 
douleurs,  il  faut  s'attendre  à  porter  la  croix  en  ce 
monde.  Je  viendrai  donc  souvent  prier  aux  pieds  de 
cette  bonne  Mère.  Je  lui  demanderai  d'avoir  pitié  de 
moi,  dans  les  épreuves  et  les  tribulations  dont  je  suis 
sans  cesse  agitée.  Je  penserai  qu'elle  m'a  tout  parti- 
culièrement choisie  pour  sa  fille  ;  que  je  suis  obligée 
de  la  consoler  et  de  l'honorer,  de  propager  sa  dévotion 
autant  que  possible,  partout  où  il  y  aura  des  Sœurs  de 


APPENDICE  289 

Charité  de  la  Providence.  Nous  lui  en  avons  fait  la 
promesse,  si  nous  obtenions  par  son  intercession  une 
statue  semblable  à  celle  qu'avaient  le  bonheur  de  pos- 
sédei",  dans  les  Etats-Unis,  les  bonnes  religieuses  d'Em- 
mitsburg. 

2me  JOUR.— Sécheresse,  aridité,  peine  à  me  suppor- 
ter moi-même.  Entendre  des  instructions  si  touchantes 
sur  le  péché  des  auges  et  des  hommes,  et  être  si  peu 
touchée  de  ces  grandes  vérités  !  Mon  Dieu  !  que  mon 
cœur  est  dur,  qu'il  lui  faut  de  combats  pour  arriver  à 
sa  fin  !  qu'il  est  lâche  et  paresseux,  ce  cœur  plus  dur 
que  la  pierre  !  Faites-le,  s'il  vous  plaît,  sortir  de  sa  lé- 
thargie. Ayez  pitié  de  moi,  ô  mon  Dieu,  je  m'aban- 
donne à  votre  grande  miséricorde  ! 

3me  JOUR. — Réflexions  profondes  sur  ma  vie.  Oh  ! 
mon  Dieu,  que  vous  êtes  bon  et  miséricordieux  envers 
moi  !  Vous  m'avez  conduite  par  la  main  en  tant  d'épo- 
ques pénibles  de  ma  vie,  et  moi,  je  vous  ai  trahi  tant 
de  fois  !  Que  de  promesses  auxquelles  je  n'ai  pas  été 
fidèle  !  Et  malgré  cela,  vous  n'avez  cessé  de  me  pour- 
suivre, pour  me  faire  arriver  à  la  place  que  vous  m'a- 
viez destinée  de  toute  éternité.  Que  de  reconnaissance 
ne  vous  dois-je  pas.  0  mon  Dieu,  pour  tant  de  bien- 
faits ?  Je  me  serais  peut-être  perdiie  dans  le  monde, 
car  je  recevais  tous  les  jours  la  récompense  des  œuvres 
que  vous  m'aviez  pourtant  inspiré -de  faire,  en  écoutant 
avec  trop  de  complaisance  les  louanges  que  l'on  faisait 
de  mon  hospice  de  vieilles  infirmes. 

4me  JOUR.— Méditation  sur  le  jugement.  En  pré- 
sence de  toute  la  communauté,  pendant  mon  oraison, 
ce  matin,  il  m'a  semblé  que  je  paraissais  devant  mon 
Dieu  :  j'ai  tremblé.  J'ai  pris  la  résolution  de  travailler 
de  toutes  mes  forces  à  me  mettre  toujours  eu  état  de 
paraître  en  présence  du  souverain  Juge.  La  crainte  de 
la  mort  subite  m'a  glacée  d'effroi.  Je  me  suis  mise 
entre  les  bras  de  notre  Mère  des  Sept-Douleurs.  Elle 
m'aidera  à  traverser  la  mer  orageuse  de  cette   pauvre 


290  APPENDICE 

vie.     Elle  me  soutiendra  dans  les  périls.     Cette  pensée 
m'a  rendue  calme  et  confiante. 

5me  JOUR.— Sur  l'enfer.  La  responsabilité  de  ma 
charge  de  supérieure,  mon  manque  de  soumission  dans 
les  sacrifices  journaliers,  la  diflSculté  que  j'éprouve  à 
corriger  les  manquements  à  la  règle,  mon  caractère 
trop  prompt  et  quelquefois  trop  lâche,  les  omissions  à 
mes  devoirs  qui  sont  si  étendus,  tout  cela  m'a  trou- 
blée dans  mon  oraison  et  a  même  troublé  mon  sommeil. 
Vous  le  voyez,  ô  mon  Dieu,  je  vous  donne  mon  cœur 
sans  réserve  et  pour  toujours  !  Quoi  qu'il  m'en  coûte, 
je  travaillerai  à  ma  perfection  ;  la  pensée  du  ciel,  la  ré- 
compense des  sacrifices  de  la  vie  m'encouragent. 

6me  JOUR.— De  l'élection.  Elle  est  toute  faite  pour 
moi,  ô  mon  Dieu  1  Je  vous  remercie  de  ma  vocation  à  la 
vie  religieuse.  Vous  l'avez  décidée  par  vos  ministi'es. 
Trois  ont  examiné  ma  vocation  ;  ainsi,  je  suis  persua- 
dée de  votre  volonté.  Je  ne  me  suis  jamais  repentie 
d'avoir  suivi  leurs  conseils. 

7me  JOUR.— L'abus  des  grâces.  Je  suis  toujours  con- 
fuse, quand  je  réfléchis  combien  le  Seigneur  m'a  tou- 
jours conduite  dans  de  gras  pâturages,  et  combien  j'ai 
été  ingrate,  moi,  comblée  de  tant  de  bienfaits.  Que  de 
bonnes  inspirations,  que  de  saintes  pensées,  que  de  fa- 
veurs, obtenues  au  moment  où  je  pensais  le  moins  à  vous 
suivre  dans  le  chemin  royal  de  la  sainte  crois.  J'ai  tant 
fait  de  résistance  pour  marcher  à  votre  suite,  ô  mon 
Dieu  !  Je  vous  remercie  de  m'avoir  attendue,  après  tant 
d'ingratitude  de  ma  part.  Je  vais  travailler  à  réparer 
le  temps  perdu,  tandis  que  vous  m'en  donnez  le  temps. 
J'ai  été  une  brebis  infidèle  ;  je  viens  avec  confiance  me 
jeter  dans  vos  bras,  sûre  que  vous  n'abandonnez  jamais 
ceux  qui  s'appuient  sur  vos  promesses. 

Sme  JOUR.— Contrition,  douleur  et  repentir  des  fautes 
et  des  imperfections  de  l'année.  Oh  !  je  reviens  à 
vous,  Seigneur,  vous  aurez  pitié  de  moi,  vous  m'aiderez 
à  porter  mon  joug,   et  il  deviendra  doux  et  léger.     Je 


APPENDICE  291 

redoute  l'avenii',  j'ai  déjà  tant  fait  de  promesses  de  fi- 
délité ;  mais  j'espère,  et  je  ne  serai  pas  confondue  dans 
mon  espérance.  Avec  votre  secours,  0  mon  Dieu,  et  la 
volonté  ferme  que  j'ai  de  me  vaincre,  je  remporterai 
la  victoire. 

KÉSOLUTIONS  DE  MA  RETRAITE  DE  1850,  DONNÉES  PAR  S.  G. 
MGR   BOURGET,    LE  23   MARS   1850. 

Réformer  ce  qu'il  y  a  d'irrégulier,  chez  moi  d'abord, 
et  ensuite  chez  les  autres,  sans  jamais  fermer  les  yeux 
sur  aucun  défaut,  par  motifs  humains,  lâcheté,  etc., 
mais  travailler  à  cette  réforme  avec  prudence  et  dis- 
crétion. A  Dieu  de  donner  l'autorité,  pour  faire  plier 
toutes  les  volontés.  Il  faut  le  lui  demander  nuit  et  jour, 
par  Marie  et  les  saints  patrons  de  la  communauté.  O 
Dieu!  confirmez-moi  dans  cette  résolution.     Ainsi  soit-il! 


292  APPENDICE 


ACTE  DE  BAPTÊME  DE  Meixe  EMMÉLIE  TAVERNIER. 


Extrait  du  Registre  des  haptêmes,  mariages  et  sépultures,- 
faits  dans  la  paroisse  de  Montréal,  sous  le  titre  du  S. 
Ifomde  Marie,  dans  File,  Comté  et  District  de  Mont- 
réal,  Province   de  Québec,   pour  Vannée  mil   huit  cent. 

JjQ  vingt  février  mil  linit  cent,  par  moi.  prêtre  sous- 
signé, a  été  baptisée  Marie-Emilie-Eugène,  née  hier  du 
légitime  mariage  d'Antoine  Tavernier.  voiturier,  et  de 
Josette  Maurice,  ses  père  et  mère  de  cette  paroisse.  Le 
parrain  a  été  Antoine  Tavernier  et  la  marraine  Marie- 
Claire   Perrault. 

(Signé)  ANTOINE  TAVERNIER. 

MARIE-CLAIRE   PERRAULT. 

HUMBERT. 

Prêtre^ 


APPENDICE  293 

ACTE  DE  MARIAGE  DE  MADAME  GAMELIN. 


Extrait  du  Registre  des  baptêmes,  mariages  et  sépultures, 
faits  dans  la  paroisse  de  Mo^itréal,  sous  le  titre  du  8. 
Nom  de  Marie,  dans  Vile,  Comté  et  District  de  Mont- 
réal, Province  de  Québec,  pour  l' année  mil  huit  cent 
vingt-trois. 

Le  quatre  juin  mil  huit  cent  vingt-trois,  après  avoir 
obtenu  dispense  de  trois  bans  de  mariage  de  Mgr  Jean- 
Jacques  Lartigue,  évêque  de  Telmesse,  vicaire  général 
de  Mgr  l'évêque  de  Québec,  je  soussigné,  prêtre  auto- 
risé à  cet  effet,  ayant  pris  le  mutuel  consentement  par 
paroles  de  présent  de  sieur  Jean-Baptiste  Gameliu. 
bourgeois  de  cette  ville,  fils  majeur  de  feu  sieur  Pierre 
Gamelin  et  de  défunte  Marie  Joseplite  Lajeunesse  d'une 
part,  et  de  demoiselle  Emilie  Tavernier,  fille  majeure 
de  feu  sieur  Antoine  Tavernier,  bourgeois  de  cette  ville 
et  de  défunte  Josephte  Maurice,  d'auti-e  part,  les  ai 
mariés  suivant  les  lois  et  coutumes  observées  en  la 
sainte  Eglise  en  présence  de  sieur  Auguste  Defoj-,  de 
sieur  François  Tavernier,  frère  de  l'épouse,  de  Joseph 
Perrault,  écuyer,  et  de  sieur  Julien, Tavernier. 

(Signé)  EMILIE   TAVERNIER. 

JEAN-BAPTISTE   GAMELIN. 
JOSEPH  PERRAULT,       AUGUSTE  DEFOY, 
FRS.  TAVERNIER,  MARIE-ANNE  CUVILLIER, 

GENEVIEVE  TAVERNIER, 

BREGUIER  ST-PIERRE. 

Ptre. 


294:  APPENDICE 


SECOND  APPENDICE 


Extrait  de  La  semaine  relifjievse  de  Motitical. 
du  8  juin  1895. 


GUERISON 

OBTENUE  PAR   L'INTERCESSION   DE   MÈRE    GAMELIN,    FONDA- 
TRICE  ET   PREMIÈRE  SUPÉRIEURE  DES   SŒURS 
DE  LA  CHARITÉ  DE  LA  PROVIDENCE. 

En  1888,  c'est-à-dire  un  an  après  ma  profession  reli- 
gieuse, je  fus  atteinte  de  fréquents  maux  de  gorge,  qui 
nécessitèrent  plusieurs  opérations.  Guérie  de  ce  mal  en 
1893,  je  ressentis  peu  après  de  fortes  douleurs  dans  la 
poitrine  et  les  poumons.  Une  toux  opinititre  et  une  fai- 
blesse générale  me  parurent  les  indices  certains  de  la 
consomption.  Je  demeurai  dans  cet  état  de  languenr 
jusqu'à  ce  que,  la  maladie  entrant  dans  une  nouvelle 
phase,  il  se  produisît,  en  octobre  dernier,  une  enflure  à 
la  jambe  droite,  et  peu  après  une  plaie  à  la  cheville  du 
pied.  En  vain  me  fit-on  suivre  un  traitement  énergique, 
la  plaie  se  montra  rebelle  et  allait  toujours  s'aggravant. 

De  guerre  lasse,  le  médecin  finit  par  déclarer  le  mal 
incurable. 

C'est  alors  que  j'eus  l'inspiration  de  demander  à  Dieu 
ma  guérison  par  l'entremise  de  notre  vénérée  Mère 
Gamelin.  En  ayant  obtenu  l'autorisation  de  notre  Mère 
générale,  qui   me   remit  une  relique  de  la  chère  Mère 


APPENDICE  395 

fondatrice,  je  commençai  une  ueuvaine  le  samedi  29 
avril,  et  abandonnai  immédiatement  tout  remède.  Ma 
confiance  était  telle  que,  malgré  les  souffrances  qui 
chaque  jour  devenaient  plus  intenses,  et  malgré  les  pro- 
grès de  la  plaie  qui  couvrait  dès  lors  le  dessus  du  pied 
et  une  partie  de  la  jambe,  j'étais  néanmoins  de  plus  en 
plus  persuadée  de  ma  guérison. 

"  Vous  faites  cela  pour  éprouver  ma  foi,  bonne  Mère 
Gamelin,  lui  disais-je;  assurément  vous  allez  me  guérir, 
car  il  est  impossible  qu'une  mère  n'ait  pas  pitié  de  son 
enfant.  Je  ne  mérite  pas  cette  faveur,  tout  de  même 
faites  un  beau  miracle  et  ne  me  laissez  pas  boiteuse." 
Car  il  est  à  remarquer  que  la  jambe  malade  avait  rac- 
courci. 

Mes  invocations  quotidiennes  étaient  celles-ci  :  "  Mère 
Gamelin,  guérissez-moi!  Mon  Dieu,  glorifiez  votre  ser- 
vante!" 

Le  dimanche  matin,  5  mai,  dernier  jour  de  la  neu- 
vaine,  mon  pied  malade  était  dans  le  même  état,  c'est- 
à-dire  très  enflé,  et  la  douleur  était  si  grande  que  je 
dus  mettre  un  linge  imbibé  de  vaseline  pour  m'aider  à 
supporter  le  bandage. 

Je  fis  la  sainte  communion  avant  la  messe,  et  employai 
le  temps  de  mon  action  de  grâces  à  répéter  les  invoca- 
tions susdites.  Au  moment  de  l'élévation,  je  sentis  une 
douleur  inexprimable  à  la  cheville  du  pied,  puis  un 
mouvement  intérieur  semblable  à  celui  d'un  déplace- 
ment total  dans  cette  partie.  A  la  communion, 
instinctivement,  je  regarde  ma  jambe  et  je  vois 
le  bandage  tout  à  fait  desserré.  Tremblante  d'é- 
motion et  d'espérance,  je  l'enlève  et  trouve  cette 
pauvre  jambe  dans  son  état  normal  :  plus  d'en- 
flure, plus  de  plaie  suppurante,  mais  seulement  des 
cicatrices  pour  attester  le  miracle  instantané  qui  venait 
de  se  produire.  De  suite,  je  me  lève,  cours  à  notre  Mère 
et  lui  dis:  "  Ma  Mère,  je  suis  guérie."—"  Silence,"  répond- 
elle,  pour  m' empêcher  de  troubler  le  recueillement  du 


296  APPENDICE 

saiut  lieu.  Mon  cœur,  gros  d'émotion,  dut  refouler  les^ 
élans  de  ma  reconnaissance,  et  j'eus  grande  peine  à  les 
comprimer.  La  messe  terminée,  il  me  fut  bien  doux  de 
proclamer  la  puissante  intervention  de  notre  chère  Mère 
Gamelin,  et  de  montrer  aux  sœurs  accourues  pour  par- 
tager ma  joie  les  preuves  de  mon  entière  guérison. 

Je  repris  mes  chaussures  et  me  mis  à  marcher  comme 
autrefois,  au  grand  étonnement  de  celles  qui  m'avaient 
vue  si  longtemps  dans  une  chaise  roulante.  Je  ne  sens 
plus  aucune  douleur  ;  en  un  mot,  je  suis  parfaitement 
guérie. 

SOEUR  LUCAIN, 

Née  Jane  Morrisson. 

Providence,  Maison  Mère,  Montréal,  5  mai  1895. 

TÉMOIGNAGE   DU    MÉDECIX. 

Je  soussigné,  médecin,  certifie  avoir  traité  pendant 
deux  ans  la  révérende  sœur  Lucain,  professe  de  l'Insti- 
tut des  Sœurs  de  Charité  de  la  Providence  de  Montréal, 
pour  diverses  affections  que  je  considérais  incurables  ; 
entre  autres,  pour  une  plaie  rebelle  à  tout  traitement. 

Et  je  déclare,  par  les  présentes,  que  j'ai  constaté  que 
la  susdite  sœur  Lucain  avait  été  soudainement  et  com- 
plètement guérie,  après  la  communion  qu'elle  recevait 
ce  jour-iri,  à  la  fin  d'une  neuvaiue,  faite  pour  obtenir  sa 
guérison  par  l'intercession  de  la  révérende  Mère  Game- 
lin,  fondatrice  de  l'institut  des  Sœurs  de  Charité  de  la 
Providence,  à   Montréal. 

J.-A.  LEBLANC,  M.  D. 

Montréal,  29  mai  1895. 


APPEXDICE  297 

Extrait  de  La  semaine  religieuse  de  Montréal, 
du  2  novembre  1895. 

NOUVELLE  GUERIgOX 

OBTENUE    PAB     L'iXTERCESSIOX    DE    LA    EÉTÉREXDE    MÈRE 
GAMELIX. 

Au  mois  de  décembre  1890,  je  commençai  à  ressentir 
de  violents  maux  de  tête,  de  très  vives  douleurs  dans 
les  talons  et  le  long  de  la  colonne  vertébrale,  avec  rigi- 
dité des  muscles  du  cou,  du  dos  et  des  jambes.  Je  vis  le 
médecin  qui,  après  examen,  déclara  que  j'étais  at- 
teinte d'une  inflammation  de  la  moelle  épiuière. 

En  mai  1891,  je  dus  prendre  le  lit  et  suivre  un  traite- 
ment énergique,  dont  le  résultat  fut  de  me  rendre  capa- 
ble de  me  traîner  péniblement,  eu  m'appuyant  sur  des 
béauilles. 

Le  18  mars  1892,  l'on  me  fit  adopter  des  chaussures 
ayant  des  talons  de  trois  pouces  d'épaisseur.  Mais  ces 
talons  ne  servaient  qu'à  me  tenir  en  équilibre  et  à 
m'empêcher  de  tomber  en  arrière.  C'est  alors  que  le  mé- 
decin déclara  que  la  maladie  était  sans  remède,  et  que 
je  devais  me  résigner  à  demeurer  infirme. 

Quelle  sombre  perspective  ! . . .  A  vingt-trois  ans,  se 
voir  réduite  à  l'inaction,  aux  ennuis  d'une  vie  longue 
peut-être,  morne  et  monotone,  entre  les  quatre  murs  de 
l'infirmerie. 

Pour  éloigner  ces  sombres  pensées  et  ranimer  quelque 
espoir  de  guérison,  mes  supérieures  m'envoyèrent  dans 
une  mission  de  la  campagne,  me  faisant  espérer  que  le 
bon  air  raviverait  mes  forces.  Je  fus  envoyée  à  la 
mission  de  Mascouche,  mais  ce  changement  n'améliora 
pas  du  tout  mon  état.  Mes  souffrances  étaient  parfois 
si  grandes  que  le  médecin  de  l'endroit  dut  me  prescrire 
souvent  des  cantbarides  pour  me  soulager. 

En  septembre  1895,  j'eus  une  forte  inspiration  de  sol- 


298  APPENDICE 

liciter  ma  guérison  par  l'entremise  de  notre  vénérée 
Mère  Gamelin.  Xoti'e  Mère  générale,  eu  m'encoura- 
geant  à  le  faire,  me  remit  une  relique  de  la  chère  Mère 
fondatrice  :  c'était  une  petite  croix,  faite  avec  des  fila- 
ments de  sa  ceinture.  Le  15  septembre,  je  commençai 
donc  une  neuvaine  avec  le  personnel  de  la  mission  de 
Mascouche,  pour  la  terminer  le  23,  quarante-quatrième 
anniversaire  de  la  mort  de  Mère  Gamelin.  Dès  lors,  je 
me  sentis  animée  d"une  confiance  si  grande  que  ma  gué- 
rison me  parut  assurée.  "  Mère  Gamelin,  m'écriais-je 
bien  souvent  dans  la  journée,  vous,  si  remplie  de  com- 
passion pour  les  plus  misérables,  ayez  pitié  de  moi,  gué- 
rissez-moi !    Mon  Dieu,  glorifiez  votre  servante  !  " 

Le  lundi,  23  septembre,  dernier  jour  de  ma  neuvaine, 
je  fis  la  sainte  communion,  et,  pour  commémorer  la  dé- 
votion spéciale  de  notre  chère  Mère  fondatrice  à  Notre- 
Dame  des  Sept-Douleurs,  sept  sœurs  et  sept  élèves  com- 
munièrent à  mon  intention. 

Après  la  communion,  je  me  retirai  à  la  sacristie,  afin 
de  donner  libre  cours  aux  sentiments  qui  m'animaient 
et  de  ne  pas  troubler  l'assistance.  J'ôtai  mes  chaussures 
et  en  fis  hommage  à  Mère  Gamelin,  en  lui  disant  : 
"  Bonne  Mère,  prenez  mes  souliers  comme  cadeau  de 
fête.  Vous  ne  pouvez  me  refuser,  puisqu'un  présent  ne 
se  refuse  pas."  Après  cette  offrande,  je  terminai  ma 
neuvaine,  répétant  alternativement  :  "  Mon  Dieu,  je  ne 
mérite  pas  un  miracle  !  Bonne  Mère  Gamelin.  pourriez- 
vous  ne  pas  m'exaucer  ?  " 

J'étais  si  anxieuse  de  ma  guérison  que  j'essayai  de  me 
lever  au  SanctJis,  mais  mes  talons  refusèrent  de  me  por- 
tei",  et  je  dus  me  rasseoir.  "  C'est  vrai,  bonne  Mère,  mur- 
murai-je  en  soupirant,  j'ai  devancé  l'heure  ;  car  je  vous 
ai  demandé  de  me  guérir  à  l'élévation."  Au  moment 
de  l'élévation,  je  sentis  une  pression  si  forte  à  l'occiput 
que  je  faillis  tomber.  "  Bonne  Mère,  m'écriai-je,  émue 
et  tremblante,  vous  me  guérissez  !  Merci  !"  A  cet  ins- 
tant, une  transformation  subite  se  fit  sentir  dans  tout 


APPENDICE  29& 

mon  être.  Plus  de  souffrances,  plus  de  raideur,  mais 
un  bien-être  que  je  ne  puis  définir. 

Je  me  mis  à  genoux,— ce  que  je  n'avais  pu  faire  de- 
puis mai  1S92— ,  puis  je  me  levai  et  m'appuyai  sans  dif- 
ficulté sur  les  talons  ;    en  un  mot,  j'étais  guérie... 

La  messe  terminée,  je  fis  appeler  ma  supérieure.  Eu 
la  voyant,  je  me  jetai  à  genoux  et  lui  dit  :  "  Ma  sœur, 
je  suis  guérie."  Incontinent,  l'on  m'apporta  des  chaus- 
sures ordinaires,  et  je  me  mis  à  marcher  comme  autre- 
fois, au  grand  étonnement  des  soeurs  et  des  élèves  qui 
avaient  tant  de  fois  soutenu  et  aidé  mes  pas.  Depuis 
ce  jour,  je  marche  bien,  toute  trace  de  maladie  a  disparu. 

iSOEUR  MARCIENNE, 

Née  Vaillancourt, 
S.  C.  S.  P. 

Providence,  Maison-mère, 
Montréal,  21  octobre  1895. 


CERTIFICAT. 

Saint-Henri  de  Mascouche,  23  septembre  1895. 

Je,  soussigné,  certifie  que  sœur  Marcienne,  religieuse 
des  Sœurs  de  charité  de  la  Providence,  atteinte  d'une 
inflammation  de  la  moelle  épinière,  dans  la  partie  cervi- 
cale, ne  pouvait  être  guérie  que  par  miracle,  les  remèdes 
ne  pouvant  êti-e  d'aucun  efïet  dans  l'état  où  elle  se 
trouvait. 

Après  une  neuvaine  faite  à  la  Mère  Gamelin,  au 
saint  sacrifice  de  la  messe,  au  moment  de  l'élévation, 
elle  se  sentit  subitement  guérie  et  put  se  mettre  à  ge- 
noux et  marcher  comme  tout  le  monde,  ce  qu'elle  n'a- 
vait pu  faire  depuis  près  de  cinq  ans. 

JOS.  RENAUD,  M.   D. 


300  APPENDICE 

CERTIFICAT. 

Je,  Jacques-Augustin  Leblanc,  médecin,  pratiquant  à 
Montréal,  certifie  avoir  traité  sœur  Marcienne,  reli- 
gieuse de  la  communauté  des  Sœurs  de  la  Providence, 
pour  ataxie  locomotrice,  pendant  plusieurs  années,  de- 
puis 1890. 

Malgré  tous  les  soins,  la  maladie  ne  put  être  vaincue. 
Une  légère  amélioration  lui  permit  de  marcher  difficile- 
ment avec  l'aide  d'une  chaussure  spéciale.  Depuis  l'é- 
poque susdite,  la  maladie  est  toujours  restée  dans  le 
même  état.  Je  considérais  la  maladie  incurable,  lors- 
que, le  23  septembre  dernier,  sœur  Marcienne  fut  sou- 
dainement et  complètement  guérie,  au  moment  de  l'élé- 
vation, au  dernier  jour  d'une  neuvaine  qu'elle  faisait 
à  Mère  Gamelin,  pour  obtenir  sa  guérisou. 

Quelques  jours  après,  j'étais  appelé  pour  constater 
cette  guérisou,  que  je  n'hésite  pas  à  appeler  miracu- 
leuse. ' 

J.  A.  LEBLANC,  M.  D. 

Montréal,  23  octobre  1S95. 

AUTRE    GUÉRISON. 

Le  11  octobre  1895,  Marie  Philomène  Alfreda.  dou- 
zième enfant  de  Ferdinand  Trudel.  maçon,  et  d'El- 
mina  Bernard,  résidant  en  la  paroisse  de  Saint- Vincent 
de  Paul,  à  Montréal,  était  radicalement  guérie  après 
une  neuvaine  faite  à  la  Mère  Gamelin.     Voici  le  fait. 

Alfreda,  âgée  alors  de  neuf  ans,  se  voyait,  depuis 
l'âge  de  six  ans,  atteinte  d'une  maladie  des  os,  qui,  avec 
de  grandes  souffrances,  la  réduisit  à  garder  le  lit  du- 
rant une  année  entière.  Ses  parents,  malgré  la  médio- 
crité de  leur  fortune,  n'épargnèrent  rien  pour  ame- 
ner sa  guérisou.  L'enfant  fut  donc  examinée  et  trai- 
tée par  plusieurs  spécialistes,  qui  tous  s'accordèrent  à 
•déclarer  le  cas  incurable.     En  1894,  l'enfant  parvint  à 


APPENDICE  301 

S'asseoir,  mais  eu  se  tenant  courbée  et  appuyée  sur  les 
coudes. 

C-est  en  cette  posture  pénible  que  la  pauvre  petite 
infirme  se  tenait  sans  cesse,  n'ayant  d'autre  perspective 
que  celle  de  la  souffrance  et  d'une  infirmité  qui  sem- 
blait devoir  durer  toute  sa  vie. 

D'une  intelligence  plus  développée  que  les  enfants  de 
son  âge,  Alfreda  comprenait  bien  le  malheur  de  ^a 
position.  Elle  avait  neuf  ans,  et  commençait  à  s'in- 
quiéter de  sa  première  communion.  •'  Je  ne  pourrai  '" 
disait-elle  avec  larmes  à  ses  bons  parents.  "  me  rendre 
n  la  balustrade  comme  les  autres  enfants."-'- Je  t'y 
porterai,  ma  fille,"  avait  répondu  le  père  ;  et  la  chère 
enfant,  encouragée  par  ces  paroles,  reprit  avec  une 
nouvelle  ardeur  l'étude  du  catéchisme,  sous  la  direc- 
tion des  révérendes  sœurs  de  la  Congrégation  de  Noti-e- 
Dame,  Académie  Sainte-Catherine,  où  on  la  conduisait 
chaque  jour  dans  une  petite  voiture,  qui  lui  servait  de 
siège  pendant  le  temps  qu'elle  demeurait  en  classe. 

Un  jour,  c'était  le  2  octobre  1895,  une  personne,  tou- 
chée de  l'état  pénible  de  la  petite  infirme,  lui  dit  :  "Mon 
enfant,  j'ai  connu  des  personnes  qui.  comme  toi,  ne 
marchaient  pas  et  qui  ont  été  guéries  par  l'intercession 
de  la  bonne  Mère  Gamelin,  après  une  neuvaine  à  Notre- 
Dame  des  Sept-Douleurs.  Je  suis  sûre  que  la  Mère,  qui 
avait  tant  pitié  des  infirmes,  te  guérirait  aussi."  Al- 
freda, toute  rayonnante  d'espoir,  se  rendit  chez  elle, 
et  le  soir  même  la  famille,  réunie  à  l'enfant,  commen- 
çait la  neuvaine  de  prières.  La  pauvre  petite  ne  se 
contentait  pas  des  prières  en  commun,  mais  elle  les 
répétait  plusieurs  fois  par  jour  en  son  particulier. 

Le  cinquième  jour  de  la  neuvaine,  la  petite  malade 
éprouva  un  mieux  sensible  et  put  se  tenir  debout.  Son 
père  partait,  ce  jour-là,  pour  aller  travailler  à  la  Pointe- 
aux-Trembles. "  Quand  vous  reviendrez,  lui  dit  Alfreda, 
je  marcherai  et  j'irai  vous  recevoir  à  la  porte."  Cette 
parole    se  vérifia.      Lorsqu'il    revint,    l'heureuse   enfant 


302  APPENDICE 

alla  au-devaut  de  son  père  :    elle  marcliait  parfaitement 
bien. 

La  joie  de  la  famille  ne  peut  s'exprimer,  et  la  chère 
Mère  Gameliu  reçut  l'hommage  d'une  reconnaissance 
justement  méritée. 

CERTIFICAT. 

Nous,  soussignés,  certifions  et  déclarons  par  les  pré- 
sentes, que  ce  récit,  établissant  la  guérison  de  notre  en- 
fant Alfreda,  est  en  tout  conforme  à  la  vérité,  et  que 
ces  détails  sont  la  fidèle  expression  du  témoignage  rendu 
aux  Sœurs  de  la  Providence,  maison  mère. 

En  foi  de  quoi  nous  avons  apposé  nos  signatures,  à 
Montréal,  ce  dixième  jour  de  février  mil  huit  cent 
quatre-vingt-seize. 

(Signé)    FERDINAND   TRUDEL. 

ELMINA  BERNARD. 


AUTKE  GUÉRISON 

OBTENUE    PAR    L"IXTERCESSI0X    DE    LA    MÈRE    GAilELIN. 

Depuis  quinze  ans,  je  souffrais  d'une  dyspepsie  opi- 
niâtre, qu'aucun  remède  n'avait  pu  soulager,  et  qui  oc- 
casionna divers  désordres  dans  ma  constitution.  Je  ne 
pouvais  plus  prendre  qu'un  peu  de  lait  ou  de  bouillon. 
Depuis  le  13  novembre  1895,  la  maladie  s'aggrava  :  je 
ne  pouvais  plus  rien  digérer  ;  la  faiblesse  fut  si  grande, 
les  doulei;rs  au  cœur  si  vives,  que  je  fus  obligée  de 
garder  le  lit.  Le  11  décembre,  j'étais  si  faible  que  le 
médecin  crut  prudent  de  me  faire  administrer,  disant 
que,  dans  l'état  où  je  me  trouvais,  je  pouvais  mourir 
d'un  moment  à  l'autre. 


APPENDICE  303 

Le  jour  que  je  reçus  l'exti-ême-onction,  je  commençai 
une  neuvaine  è,  la  bonne  Mère  Gameliu.  La  supérieure 
me  donna  une  petite  relique  de  cette  chère  Mère,  me 
disant  de  lui  demander  ma  guérison.  C'était  un  mer- 
credi. Les  jours  suivants,  je  me  trouvai  plus  mal.  Dans 
la  nuit  du  samedi  au  dimanche,  les  douleurs  au  cœur 
furent  si  atroces  que  je  ne  pouvais  trouver  de  position 
pour  me  soulager  un  peu.  Lasse  de  souffrances,  je  m'é- 
criai :  "  Mère  Gamelin,  guérissez-moi,  guérissez-moi  ! 
Vous  savez  que  c'est  le  jour  où  vous  devez  me  guérir; 
faites,  s'il  vous  plaît,  que  je  repose  un  peu  !" 

Il  était  minuit.  Peu  après  je  m'endormis  et  ne  m'é- 
veillai qu'à  quatre  heures  du  matin,  parfaitement  bien. 
Je  me  levai  pour  la  première  messe,  qui  avait  lieu  à 
51/è  heures.  Je  communiai  à  la  balustrade.  Pendant 
la  messe,  je  ressentis  une  faim  dévorante  ;  cependant 
j'assistai  à  une  seconde  messe,  qui  se  disait  à  GI/2  heures; 
puis  j'allai  déjeuner,  avec  l'appétit  d'une  personne  en 
santé.— Le  lendemain,  je  fis  un  assez  long  trajet  en 
voiture,  sans  aucune  fatigue.  Depuis  ce  jour,  j'ai  re- 
pris mes  occupations  ordinaires  sans  éprouver  un  ins- 
tant de  maladie. 

Reconnaissance  à  la  vénérée  Mère  Gamelin. 

En  foi  de  quoi  j'ai  signé, 

SOEUR    ELMIRE   GROLEAU, 
Tertiaire. 
Maison  de  la  Providence, 
Belo^l,  24  janvier   1896. 


CERTIFICAT. 

Belœil,  24  janvier  1896. 

Je  certifie  avoir  traité  la  sœur  Groleau,  tertiaire,  pour 
une  dyspepsie  rebelle  à  tout  traitement,  et  avoir  cons- 
taté, à  mon  grand  étouuemeut,  un  mieux  sensible,  après 


30-1  APPENDICE 

la  communion  faite  à  la  fin  de  la  neuvaiue  pour  sa  gué- 
rison,  par  l'intercession  de  la  Révde  Mère  Gamelin, 
fondatrice  des  Sœurs  de  la  charité  de  la  Providence, 
de  Montréal. 

M.  PERRAULT,  M.  D. 


GUÉRISON 

DE    SŒUK    ERNEST.    NÉE    ROSE-ANXA    LAXCTOT,     RELIGIEUSE 
DE  LA  PROVIDENCE. 

Admise  au  noviciat  de  la  Providence  le  28  février 
1882,  je  me  voyais,  en  septembre  1889,  atteinte  d'un 
érésypèle  d'une  nature  si  grave,  qu'après  cinq  jours  de 
maladie  j'étais  administrée. 

Le  mal  put  être  contrôlé,  mais  je  demeurai  dans  un 
état  de  faiblesse  et  de  langueur,  avec  de  fréquents 
maux  do  tête  et  des  douleurs  sans  relâclie  de  la  colonne 
vertébrale. 

Le  30  mars  1891,  je  reprenais  le  lit,  que  je  gardai 
constamment  jusqu'au  mois  de  novembre.  Alors,  je  par- 
vins à  marclier  avec  des  béquilles,  que  j'échangeais,  eu 
avril  1892,  pour  des  chaussures  à  hauts  talons  (3  pouces). 

Je  passai  deux  ans  à  la  mission  de  Joliette,  puis  je 
retournai  à  l'Institution  des  Sourdes-Muettes  où  je  pus 
rendre  quelques  services  à  la   pharmacie. 

Au  mois  d"avril  1895,   j'essuyais  une  forte  bronchite, 
qui  me  laissa  tellement  faible  que  je  craignis  d'avoir  à 
reprendre  mes  béquilles,  tant  j'avais  peine  à  marcher. 
Je  passai  un  mois  à  l'infirmerie  de  la  maison  mère  et 
me  remis  un  peu. 

A  cette  époque  eut  lieu  la  retraite  annuelle  du  novi- 
ciat, que  je  suivis  misérablement,  n'ayant  pu  prendre 
part  à  celle  des  professes.  Cette  retraite  se  termina  le 
21  novembre. 


APPENDICE  305 

Le  lendemain,  notre  Mère  Marie  Godefroy,  supérieure 
générale,  visitant  les  sœurs  malades,  me  dit  vivement  : 
"  Sœur  Ernest,  il  faut  que  vous  guérissiez,  pour  aller  à 
rOrégon."  Surprise  de  ce  commandement,  je  ne  trou- 
vai aucune  réponse,  et  me  rendis  à  la  chapelle.  Lîi. 
agenouillée  et  toute  tremblante,  je  lis  cette  prière  : 
"  Mou  Dieu,  vous  voulez  donc  que  je  fasse  le  sacrifice 
d'aller  dans  les  missions  lointaines."  Et  m'adressant  à 
Mère  Gamelin.  je  lui  dis  :  "  Il  faut,  bonne  Mère,  que 
vous  me  guérissiez;  vous  voyez  l'extrême  besoin  de  nos 
sœurs  de  l'Orégou.  Pourriez-vous  me  refuser,  quand 
c'est  le  désir  de  notre  Mère  générale.  Si  vous  étiez  en- 
core sur  la  terre,  n'aimeriez-vous  pas  que  je  vous 
obéisse." 

Cependant,  j'éprouvais  une  grande  répugnance  à  me 
faire  missionnaire,  et  je  passai  une  partie  de  la  nuit  à 
me  demander  s'il  n'y  aurait  pas  d'autres  sacrifices  qui 
pourraient  suppléer  à  celui  que  l'on  me  demandait. 
Mais,  hélas  !  vain  espoir  ;  les  missions  de  l'Ouest  me  re- 
venaient toujours  en  pensée.  Alors  songeant  que  je  n'é- 
tais qu'une  pauvre  orpheline,  que  la  communauté  avait 
reçu  gratuitement,  je  compris  que  je  ne  devais  plus  hési- 
ter à  lui  rendre  le  service  que  réclamait  en  ce  moment 
l'obéissance.  Dès  lors  mon  parti  fut  pris,  et  le  lende- 
main matin  j'allais  m'offrir  il  notre  Mère  pour  cette  loin- 
taine expédition.  "C'est  bien,"  me  ïépondit  notre  Mère  ; 
"maintenant  que  votre  sacrifice  est  fait,  Mère  Gamelin 
va  vous  guérir.  Faites  une  septaine  de  prières  pour  ob- 
tenir cette  faveur." 

.Je  repris  donc  mes  prières  accoutumées,  car  j'avais 
déjà  fait  huit  neuvaines  à  la.  chère  Mère  fondatrice, 
mais  sans  succès.  Ces  prièi-es  consistaient  à  réciter 
sept  Ave  Maria  avec  l'invocation  personnelle  "  Mère 
Gamelin,  guérissez-moi."  Le  29,  dernier  jour  de  la  sep- 
taine, j'entendis  la  sainte  messe  avec  l'intime  convic- 
tion que  j'allais  être  guérie.     Pendant  le  saint  sacrifice, 


306  APPENDICE 

je  ressentis  une  douleur  intense  et  inaccoutumée,  qui  se 
répandit  le  long  de  la  colonne  vertébrale  et  générale- 
ment par  tout  le  corps. 

A  la  communion  du  prêtre,  succéda  un  bien-être 
étrange.  Toute  douleur  avait  disparu  et  je  réussis  à 
m'appuyer  sur  les  talons.  Il  ne  m'était  plus  permis 
d'en  douter,  j'étais  à  ce  moment  guérie,  et  il  me  tardait 
d'en  donner  des  preuves  évidentes. 

Après  la  messe,  rien  de  plus  pressé  que  de  me  présen- 
ter à  la  chambre  de  notre  Mère  générale,  tenant  dans 
mes  mains  mes  pauvres  souliers  à  talons  de  trois  pou- 
ces d'épaisseur,  et  de  lui  dire  avec  une  émotion  impos- 
sible à  décrire  :  "  Ma  Mère,  je  suis  guérie."  La  bonne 
nouvelle  fut  bientôt  répandue  dans  toute  la  maison,  et 
je  me  vis  entourée,  acclamée  par  nos  chères  sœurs,  qui 
pleuraient  avec  moi  de  joie  et  de  reconnaissance  pour 
la  nouvelle  faveur  accordée  à  la  médiation  de  notre 
bien  aimée  Mère  fondatrice. 

Oui,  c'était  bien  vrai,  mes  pauvres  talons  reposaient 
enfin,  comme  autrefois,  sur  le  plancher.  .Te  pouvais 
marcher  librement  et  sans  douleur.  J'étais,  en  un  mot, 
rendue  à  la  santé. 

Eu  foi  de  quoi  j'ai  signé  la  présente  déclaration,  ce 
deuxième  jour  de  mars,  mil  huit  cent  quatre-vingt-seize. 

SOEUR  ERNEST. 
S.  C.  S.  P. 

CERTIFICAT    DU    MÉDECIN. 

Je  soussigné,  médecin,  certifie  avoir  traité  sœur 
Ernest,  de  l'Institut  des  Sœurs  de  charité  de  la  Provi- 
dence, pour  une  ataxie  locomotrice,  depuis  le  30  mars 
1S91  au  mois  de  novembre  1895,  et  sans  succès. 

Je  considérais  la  maladie  incurable,  et  mon  opinion 
était  formée  depuis  longtemps,  lorsque,  le  1er  décembre 
1895,  je  fus  étonné  de  voir  sœur  Ernest  marcliant  comme 


APPENDICE  307 

ses  compagnes.  Sa  giiérisoD,  que  je  considère  miracu- 
leuse, avait  eu  lieu  soudainement,  le  29  novembre, 
c'est-à-dire  l'avant-veille. 


J.   A.  LEBLANC.   M.   D. 


Montréal,  28  .juillet  1896. 


AUTRE   FAVEUIÎ. 

Une  malade,  femme  d'un  soldat,  avait  subi  une  opé- 
ration avant  de  nous  arriver,  mais  le  médecin  la  trou- 
vait si  mal  qu'il  la  fit  transporter  à  noti'e  hôpital  et  dit 
à  son  mari  qu'il  l'opérerait  de  nouveau,  quoique  a\9ec 
bien  peu  de  chance  de  succès.  Il  n"y  avait  rien  à  ris- 
quer, puisque,  d'après  l'opinion  des  médecins,  elle  ne 
pouvait  vivre  longtemps  dans  l'état  oîi  elle  se  trouvait. 

Au  moment  de  son  arrivée  à  l'hôpital,  je  venais  de 
l'ecevoir  l'image  photographiée  de  la  Mère  Gamelin. 
J'eus  l'inspiration  de  la  placer  dans  la  chambre  de  la 
malade,  que  je  savais  être  une  irlandaise,  fervente  ca- 
tholique. Après  lui  avoir  communiqué  les  guérisons 
attribuées  à  la  puissante  intervention,  au  ciel,  de  la 
chère  Mère  fondatrice,  je  lui  dis:  "Ayez  confiance,  Ma- 
dame, nous  allons  commencer  une  neuvaine  à  Notre- 
Dame  des  Sept-Douleurs.  et  il  faut  que  la  Mère  Game- 
lin  vous  obtienne  votre  guérison;  sans  que  vous  recou- 
riez à  une  nouvelle  opération. 

Notre  confiance  n'a  pas  été  vaine.  La  malade  ne  tarda 
pas  à  prendre  un  mieux  sensible,  et  le  docteur,  étonné. 
ne  savait  à  quoi  attribuer  un  aussi  extraordinaire  chan- 
gement. A  l'heure  présente,  la  malade  se  porte  bien  et 
ne  peut  assez   remercier  sa  bienfaitrice. 

Gloire  et  amour  à  la  vénérée  Mère  Gamelin  ! 

SOEUR  BERNARDIN  DE  SIENNE. 

Supérieure. 
Hôpital  Saint-Joseph. 


308  APPENDICE 

AUTRE   GUÉRISOX. 

Depuis  ueul"  aus,  je  souffrais  d'un  mal  à  la  figure,  que 
les  médecins  avaient  ainsi  diagnostiqué  :  Cancer  opi- 
niâtre.— Très  mauvais  cas. 

A  cause  des  souffrances  et  des  progrès  du  mal.  je  dus 
subir  deux  fortes  opérations  ;  après  la  dernière,  les  mé- 
decins déclarèrent  que  si  le  mal  reprenait,  il  n'y  au- 
rait plus  de  guérison  possible.  A  peine  cinq  semaines 
s'étaient  écoulées  depuis  la  dernière  opération,  que  le 
mal  reparut  avec  plus  d'intensité  qu'auparavant.  Rien 
n'apportait  de  soulagement  à  mon  état,  les  douleurs 
étaient  atroces. 

Ayant  entendu  parler  des  faveurs  obtenues  par  l'in- 
tercession de  Mère  Gamelin.  je  commençai  une  neuvaine 
il  cette  bonne  Mère,  avec  toute  la  ferveur  et  la  con- 
fiance dont  mon  âme  était  capable.  C'était  le  18  avril 
1896.  Cette  neuvaine  consistait  â  dire,  chaque  jour,  les 
prières  suivantes  :  le  Suh  Tuum,  sept  invocations  à 
Notre-Dame  des  Sept-Douleurs.  et  la  supplique  sui- 
vante :  "  O  Dieu  Tout- Puissant,  glorifiez  votre  servante 
Mère  Gamelin,  et  obtenez-nous  la  guérison  que  nous 
sollicitons  par  son  intercession.". 

Pendant  tout  le  temps  de  la  neuvaine,  je  souffris  plus 
que  je  ne  saurais  l'exprimer.  La  plaie  était  hideuse  à 
voir,  elle  couvrait  presque  toute  la  joue.  Le  dernier 
jour  de  la  neuvaine,  aucun  signe  de  guérison  ne  se  ma- 
nifestait encore  ;  cependant,  je  ne  perdais  pas  espoir. 
Le  soir,  avant  de  me  mettre  au  lit,  j'ôtai  tous  mes  ban- 
dages, persuadée  que  la  bonne  Mère  Gamelin  allait  me 
guérir  pendant  la  nuit.  Ma  confiance  ne  fut  pas  vaine. 
Le  lendemain,  à  mon  lever,  je  vis  avec  des  transports 
de  joie  et  de  reconnaissance  que  ma  plaie  était  cicatri- 
sée et  recouverte  d'une  petite  peau  mince.  Je  ne  souf- 
frais  plus,   j'étais   radicalement  guérie. 

Depuis  cette  époque  (6  mai  ISBf)),  je  n'ai  jamais  senti 
aucune  atteinte  du  mal  qui,  depuis  neuf  ans,  m'avait 
causé  tant  de  souffrances.     Constamment  employée  aux 


APPENDICE  309 

travaux  de  la  maisou.  ma  sauté  est  plus  forte  qu'aupa- 
ravant. Il  est  vrai  que  cette  cicatrice  garde  toujours, 
plus  ou  moins,  une  couleur  de  meurtrissure,  causée  sans 
doute  par  les  applications  violentes  qui  ont  si  souvent 
été  faites,  mais  plus  encore,  j'en  ai  la  conviction,  pour 
attester  la  faveur  extraordinaire  dont  j'ai  été  l'objet. 

Gloire  à   Dieu,   et  reconnaissance  à  la  vénérée    Mère 
Gamelin. 

En  foi  de  quoi  j'ai  signé  la  présente  déclaration. 

SOEUR  JULIE   BOUTIN. 
Tertiaire  des  Servîtes  de  Marie. 

IG  décembre  1896. 


TABLE  DES  MATIERES 


PAGES. 

HoiniAGE  À  Mgr  Bruchési v 

Lettre  de  Mgr  Bruchési vi 

Préface,  par  M.  Tabbé  Bourassa ix 

DÉCLARATION   DE    L' AUTEUR XIX 


VIE  DE  MERE   GAMELIN 

Fondatrice  et  première  supérieure  des  Sœurs  de  la  charité 
de  la  Providence. 


Chapitre  I.  — 1800-1815.  —  Enfance.  —  Charité  pré- 
coce. —  Première  éducation 1 

Chapitre  11.-1815-1823.  —  Jeunesse  de  Mlle  Taver- 
nier.  —  Son  caractère.  —  Son  attachement  à  sa 
famille.  —  Son  amour  des  pauvres 10 

Chapitre  III.  — 1823-1828.  —  Mariage  de  mère  Ga- 
melin.  —  Mort  de  ses  enfants  et  de  son  mari. . .    20 


312  TABLE    DES    MATIÈRES 

PAGES. 
Chapitre  IV.  —  1828-1835.  —  Veuvage  de  madame 
Gameliu.  —  Commencement  de  l'œuvre  de  la 
Providence.  —  La  maison  de  la  rue  Saint-Laurent 
et  celle  de  la  rue  Saint-Pliilippe.  —  Diflîcultés  et 
épreuves  ;  secours  providentiels.  —  Mgr  Lar- 
tisue.  —  Les  dames  auxiliaires.  —  Mlle  Madeleine 
Durand .* 2.5 

Chapitre  V.— 1S35-1S38.  —  La  "Maison  jaune."— Le 
Séminaire  confie  à  madame  Gamelin  la  distri- 
bution d'une  partie  de  ses  aumônes.  —  Troubles 
politiques  de  1837  et  de  1838.  —  Visites  ù  la  pri- 
son. —  Grave  maladie  de  Madame  Gameliu. — 
Mort  de  Mur  Lartigue 40 

Chapitre  VI.— 1838-1843.  —  Plusieurs  évêques  visi- 
tent l'asile  de  madame  Gameliu.— La  première  , 
messe  est  dite  dans  l'oratoire. — Témoignages  de 
sympathie  des  communautés  de  la  ville.  —  Incor- 
poration de  l'asile. — Mgr  Bourget  et  les  filles 
de  Saint-Vincent  de  Paul 52 

Chapitre  VII.— 1S43-1S44.  —  Une  lettre  du  R.  P. 
Timon.  —  Déception.  —  Foudation  d'une  nouvelle 
communauté.  —  Les  premières  postulantes.  —  Les 
sept  chapelets  de  Notre-Dame  de  la  Compas- 
sion. —  Prise  de  possession  de  l'asile.  —  Béné- 
diction de  la  chapelle.  —  Voyage  de  Madame  Ga- 
melin aux  Etats-Unis.  —  Son  entrée  eu  religion..    82 

Chapitre  ^'1II.— 1844-1845.  —  Le  noviciat.  —  Visi- 
te des  pauvres  et  des  malades.— Profession  de  nos 
premières  mères.  —  Mandemenr  d'institution.  — 
Election  des  premières  oflicières.  —  Foudation 
de  l'œuvre  des  orphelines  et  de  celle  des  dames 
pensionnaires ICG 


TABLE    DES  MATlÈBES  313 

PAGES. 
Chapitre  IX.— 1845-1846.— Agrandissement  de  l'a- 
sile. —  Mère  Gamelin  auprès  des  vieilles  et  des 
malades.  —  Première  visite  canonique  de  Mgr 
Boiirget.  —  Ses  instructions  sur  les  vertus  de 
l'état  religieux 1.37 

Chapitre  X.— 1846.— Fondation  de  la  mission  de 
la  Longue-Pointe. — Mort  subite  de  sœur  Ma- 
deleine. —  Lettre  de  mère  Gamelin.  —  Œuvre 
des  prêtres  âgés  et  infirmes.  —  Fondation  de  la 
mission  de  la  Prairie  de  la  Madeleine.  —  In- 
cendie du  village.  —  Pauvreté  de  l'bospice 159 


Chapitre  XI.  —  1S46-1847.  —  Deuxième  visite  épis- 
copale.  —  Vertus  et  dévotions  de  mère  Game- 
lin. —  Son  esprit  d'abnégation  et  de  sacrifice.  — 
Qualités  de  sa  direction.  —  Sa  sollicitude  pour  le 
noviciat.   —  Ses  épreuves   intérieures 174 


Chapitre  XII.— 1847-1848.  —  L'immigration  irlan- 
daise et  le  typhus. — Les  abris  de  la  Pointe  Saint- 
Charles.  —  Les  orphelins  irlaudais  et  l'hospice 
Saint-Jérôme  Emilien. .       ..      ■ 212 


Chapitre  XIIL— 1848-1849.  —  Pèlerinage  à  Xotre- 
Dame  de  Bonsecours.  —  L'œuvre  des  filles  de 
Sainte-Blandine.  —  L'école  Saint- Jacques.  —  Fon- 
dation de  la  mission  de  Sainte-Elisabeth. — Nos 
écoles  et  nos  pensionnats.  —  Les  exercices  du 
Carnaval  Sahctifié.— Le  choléra  et  l'hôpital  Saint- 
Camille. — Mort  de  sœur  Jean  de  Dieu  et  de  sœur 
Augustin.  —  Le  tiers-ordre  des  Servîtes  de 
Marie.  —  Kose  Grandpré 220 


314  TABLE    DES   3IAÏIÈRES 

PAGES. 

Chapitbe  XIV.— 1S49-1850.— Zèle  de  mère  Game- 
liu  pour  la  sanctification  de  sa  communauté  ; 
sa  confiance  dans  les  supérieurs  ecclésiastiques.— 
Son  hospitalité.  —  Second  voyage  aux  Etats- 
Unis.  —  Visite  du  père  Bourladeau 241 

Chapitre  XV. — 1850-1851.  —  Dernière  fondation  de 
mère  Gameliu  :  les  Sourdes-muettes.  —  Célébra- 
tion du  septième  anniversaire  de  la  première  pro- 
fession religieuse  dans  l'Institut.— Mgr  Prince 
nommé  évêque  de  Saint-Hyacinthe.  —  Mère  Ga- 
melin  visite  les  missions  qu'elle  a  fondées.  — 
Elle  préside  pour  la  première  fois  le  conseil  de 
la  communauté.  —  Sa  maladie  et  sa  mort. .  -     . .  248 

Appendice  1 269 

Appendice  II 294 


TABLE  DES  GRAVURES 


Porti'ait  de  mère  Gamelin.  fondatrice  et  première 
supérieure  des  Sœurs  de  la  charité  de  la  Provi- 
dence  Frontispice 

Portrait  de  mère  Gamelin,  à  l'âge  de  22  ans 20 

Vue  de  l'hospice  de  la  rue  Saint-Laurent  et  de  celui 
de  la  rue  Saint- Philippe 28 

Portrait  de  M.  Olivier  Berthelet,  bienfaiteur  insigne 
de  notre  institut 37 

Portrait  de  Mgr  Jean  Jacques  Lartigue,  premier  évê- 
que  de  Montréal 52 

Vue  de  la  Maison  jaune,  berceau  de  notre  institut, 
et  de  l'asile  de  la  Providence,  en  1844 91 

Portrait  de  Mgr  Ignace  Bourget,  deuxième  évêque 
de  Montréal 113 

Vue  de  l'asile  de  la  Providence  en  1899 139 

Portrait  de  Mgr  Edouard  Charles  Fatre,  troisième 
évêque  et  premier  archevêque  de  Montréal 221 

Portrait  de  Mgr  Jean  Charles  Prince,  premier  chape- 
lain et  premier  supérieur  de  notre  institut. 
évêque  de  Saint-Hyacinthe 254 

Vue  de  la  maison  mère  actuelle,  rue  Fullum 267 

Vue  de  l'hospice  Gamelin,  inauguré  en  1894,  à  l'occa- 
sion du  premier  cinquantenaire  de  la  fondation  de 
l'institut 294 


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Vie  de  mfere  Gamelin 


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