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University of Ottawa
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VIE
DE
MÈEE GAMELI]^
xMERE GAMELIN,
Fondatrice de l'Institut des Sœurs de Charité
de la Providence.
VIE
DE
MÈRE GAMELIN
FONDATRICE ET PREMIERE SUPERIEURE
SŒURS DE LA CHARITE DE LA PROVIDENCE
Une Religieuse de son Institut.
Elle a considéré un champ et l'a
acheté du fruit de ses mains ; elle
a planté une vigne.
Prov. 31. 16.
MONTREAL
EUSÈBE SÉNÉGAL c- CIE, Imprimeurs-Éditeurs
20 rue Saint-Vincent
1900
f i^H 91970
i*/TY
i^y/
Enregistré conformément h l'acte du parlement du Canada: en l'année
mil neuf cent, par les Sœurs de Charité de la Providence- au
bureau du ministre de l'agriculture à Ottawa.
HOMMAGE
S. G. MOXSEIGXEUR PAUL BRUCHESI
ARCHEVÊQUE DE MONTRÉAL.
Mouseigneur.
Notre institut est redevable, après Dieu, de sa fonda-
tion à vos deux illustres prédécesseurs, Mgr Lartigue
et Mgr Bourget.
Le premier a favorisé le charitable dessein de notre
vénérée fondatrice et béni ses premiers efforts. Le se-
cond a donné l'érection canonique à notre communauté
naissante, dont il avait conçu le projet ; il a présidé,
par une direction attentive et un rare dévouement, à
sa formation et à ses premiers développements.
A l'exemple de ces deux saints prélats, Mgr Fabre
nous a constamment favorisées de sa bienveillance et
de sa sollicitude paternelles.
En lui succédant, Monseigneur, vous avez semblé
prendre à cœur de nous consoler de son absence par
des témoignages multipliés d'affectueuse bonté et d'in-
térêt vigilant.
Nous vous prions donc de vouloir bien agréer l'hom-
mage de cette Vie de notre fondatrice, comme une
preuve respectueuse de notre profonde gratitude et de
notre filial attachement.
Siî. Maiîie Antoinette,
Supérieure générale.
Montréal,
Maison mère de la Providence,
10 février 1900.
VI LETTRE DE MGK BRUCHESI
LETTRE DE SA GRANDEUR Mgr PAUL BRUCHESI
ARCHEVÊQUE DE MONTRÉAL.
A LA RÉVÉRENDE MÈRE MaRIE-AxTOINETTE.
Supérieure générale des Sœurs de la charité de la Providence,
ù Montréal.
Ma révérende Mère.
La vie de la Vénérable mère d'Youville vient à peine
de paraître, que vous m'offrez celle de la pieuse fonda-
trice de votre Institut, la mère Gamelin. Il est juste
que .ie vous en exprime ma gratitude et ma ,ioie.
Ce livre, dont vous voulez bien me faire bommage. sort
de votre monastère. A chaque page, il s'en exhale
comme un doux parfum du cloître. Celle qui l'a écrit
s'est peu inquiétée do le signer. Elle a travaillé au nom
de toutes ses sœurs, inspirée et soutenue, je le sais, par
l'obéissance, apportant à la tâche difficile qui lui était
confiée le dévouemenut apporté .iadis au soulagement des
malades et des pauvres ; et son œuvre se présente au-
.iourd'hui au public comme l'œuvre de votre famille reli-
gieuse tout entière, comme un hommage sincère de re-
connaissance et de piété filiales.
Je me réjouis de voir louer si dignement et simultané-
ment ces deux femmes, choisies par Dieu, à des époques
différentes, pour accomplir de si grandes choses, hum-
bles toutes deux par leur origine, toutes deux sœurs par
la piété, l'esprit de sacrifice et l'amour des indigents,
fondatrices d'instituts qui sont un inappréciable bienfait
pour la souffrance sous toutes ses formes, en même
temps qu'une gloire insigne pour l'Eglise et le Canada,
mère d'Youville et mère Gamelin.
LETTEE DE 3IGE BErCHESI VII
J'aime à réunir ici leurs noms vénérés. Elles sont
Tune et l'autre les filles privilégiées de notre sol. Notre
patriotisme les acclame en même temps que notre reli-
gion, et pour moi, j'applaudis de tout cœur à la publica-
tion des livres qui célèbrent leurs œuvres et leurs vertus.
Il n'y a pas de longues années que mère Gamelin est
morte. Dans le monde et dans sa communauté plu-
sieurs de ses amies lui survivent : elles, surtout, trouve-
ront dans la lecture de sa vie un charme particulier.
Elles pourront en vérifier les moindres détails et rendre
témoignage à la scrtipuleuse exactitude de l'auteur.
Terrons-nous, un jour, comme nous avons eu le bon-
heur de le voir pour la vénérable mère d'Youville. l'in-
troduction de la cause de béatification de votre fonda-
trice ? Je sais, ma révérende Mère, que c'est votre es-
poir et celui de toutes vos filles. Dieu, sans aucun
doute, ne manquera point de nous manifester ses des-
seins à cet égard. Déjà, la confiance des religieuses et
des fidèles dans le pouvoir de Mère Gamelin s'est mani-
festée par des signes non équivoques, et l'on mentionne
plusieurs guérisons obtenues par son intercession. Sans
vouloir prévenir le jugement de la sainte Eglise, nous
pouvons dire que déjà le tombeau de cette humble ser-
vante des pauvres est entouré de gloire, comme il l'est
de vénération et d'amour.
Quoi qu'il en soit, les œuvres de Mère Gamelin sont
vivantes sous nos yeux : elles prospèrent, grandissent,
se multiplient d'une façou merveilleuse, et font sentir
leur infiuence jusque dans les contrées les plus lointaines
de l'Amérique du Xord ; c'en est assez pour nous per-
mettre de reconnaître dans cette femme si charitable
l'instrument des volontés miséricordieuses de Dieu.
Ceux qui, depuis longtemps, admirent le zèle et l'acti-
vité de sa famille religieuse aimeront à savoir ce que
fut la mère. Le livre que vous allez publier les satis-
fera pleinement. Ce livre arrive à sou heure : notre
peuple, j'en suis assuré, lui fera, comme il a fait récem-
TIII LETTRE DE MGE BEUCHESI
ment au beau travail de madame Jette, le plus sympa-
thique accueil, et de ces deux ouvrages il devra, ce me-
semble, tirer une conclusion : Dieu, qui nous a aimés en
nous donnant pour ancêtres ce que la France avait de
plus généreux et de plus pur, a montré qu'il nous aimait
toujours, par le choix qu'il a fait de ses apôtres, pour
continuer les œuvres si belles de nos origines sur les
bords du Saint-Laurent.
Recevez, ma révérende Mère, l'expression de mes bien
dévoués sentiments en N.-S.
t PAUL, Archevêque de Mouiréal.
Archevêché de Montréal,
le 19 février 1900, centième anniversaire
de la naissance de Mère Gamelin.
PREFACE
Nous présentons aujourd'hui au public la Vie de
Mère Gafnelin, fondatrice et première supérieure
des Sceurs de la charité de la Providence.
Le nom et la vie de mère Gamelin sont, jusqu'à un
certain point, connus du grand nombre de ceux qui ont
pu, grâce à des relations plus ou moins étroites avec sa
communauté, apprendre quelque chose de ses origines
et de sa fondation.
Mais nous croyons que beaucoup de nos compatriotes,
et même plusieurs amis de sa congrégation ignorent jus-
qu'au nom de la pieuse fondatrice, à plus forte raison
l'ensemble et les principaux actes de sa vie.
Ce livre leur révélera les humbles et laborieux com-
mencements d'une communauté qui a pris, en un demi-
siécle, un rang important parmi les institutions chari-
tables de notre pays, en même temps qu'il évoquera à
leurs yeux, dominant les faits qu'il raconte, une belle
et noble figure qui mérite tout leur respect et toute leur
sympathie.
Les amis et les bienfaiteurs de la congrégation éprou-
veront sans doute une satisfaction sensible à faire con-
naissance avec la fondatrice d'une œuvre qui leur doit,
après Dieu et ses filles, une large part de son dévelop-
pement et de ses fruits.
X PREFACE.
Mais que dire de ses filles elles-mêmes, pour qui la vie
de mère Gamelin a été spécialement écrite?
Ne sont-elles pas, avant tous les autres, intéressées à
bien connaître les traits de sa physionomie morale, son
âme, son caractère, son esprit, les actions qui en ont reçu
la douce et forte empreinte, et qui ont fait de son exis-
tence une haute leçon de vie religieuse?
Elles ne sauraient oublier que les fondateurs et les
fondatrices sont, par une disposition providentielle de
Dieu, les modèles immédiats et spéciaux de leurs familles
religieuses, et que celles-ci doivent leur emprunter, en
même temps qu'un vaste et fécond exemple de sainteté,
l'esprit propre qui différenciera leurs familles respec-
tives de toutes les autres, même de celles qui ont avec
elles une fin et une observance communes.
C'est par là que l'Esprit de Dieu, si riche en ses
dons et si multiple en ses manifestations, classe, en les
marquant du sceau de l'originalité, tes âmes et les
groupes d'âmes qu'il applique aux œuvres variées
dont l'harmonie constitue l'admirable unité de la société
chrétienne.
Il importe donc à la réalisation du plan divin, non
moins qu'à l'accomplissement de sa mission particu-
lière, que chacune de ces familles étudie attentivement
la figure et les traits caractéristiques de l'auteur de son
existence, pour y conformer sa physionomie morale et
les lignes essentielles de sa vie collective.
Les filles de mère Gamelin avaient été privées jusqu'à
ce jour d'un portrait fidèle de leur mère, qui présentât
sans cesse à leurs regards l'image pure et suggestive des
vertus que la grâce de Jésus-Christ et l'enseignement
traditionnel de l'Église les invitent et les aident à
pratiquer.
PREFACE. XI
Quelques brochures, forcément incomplètes, des sou-
venirs, religieusement entretenus et transmis aux plus
jeunes sœurs par ses premières compagnes et par les reli-
gieuses entrées de son vivant dans la communauté
voilà tout ce qui leur restait, — en dehors de son esprit et
de sa tradition, dont elles sont les dépositaires, — d'une
femme qui sut inspirer un vif attachement, une vénéra-
tion profonde aux personnes de son intimité et de son
commerce familier, et faire sentir à tous ceux qui l'ap-
prochaient l'ascendant de son aimable et franche vertu.
Cette lacune eût été difficile à combler plus tard,
après la disparition complète des aînées de la famille.
Les supérieures de l'institut ont compris le danger et
les inconvénients d'une plus longue attente et, pour y
obvier, elles ont demandé au dévouement et au. talent
d'une de ces aînées de peindre pour ses soeurs le por-
trait de la mère et le tableau de sa vie.
Son humilité et son inexpérience, qu'effrayaient la
noblesse et l'âpreté de la tâche, ont trouvé dans l'amour
et dans l'obéissance la force de l'accomplir. Une main
amie a retouché et complété son œuvre, en respectant
scrupuleusement la fidélité des traits et des contours,
le ton général du coloris et l'exactitude des détails.
Pour faire une peinture aussi fidèle que possible, on a
recouru au témoignage vivant des personnes, — parents,
amis, religieuses ou autres, — qui avaient connu la fonda-
trice ou recueilli les souvenirs des témoins ou des con-
fidentes de sa vie, et on a consulté le témoignage écrit
des archives de la maison mère, des succursales et de
l'archevêché de Montréal.
Le tout, au demeurant, formait un appoint assez
médiocre.
On ne saurait trop déplorer que mère Gamelin n'ait
XII PEEFACE.
pas laissé un plus grand nombre de lettres. Elles eussent
été d'un précieux secours pour nous révéler l'intime de
son âme.
Mais cette femme de bien, qui n'était pas une lettrée,
n'a pas été non plus une épistolière. Elle n'a guère eu
le temps d'écrire, et peut-être aussi le goût lui en faisait-
il défaut.
C'était avant tout une femme d'action, et d'action
rapide et constante. Sa vie n'est qu'une action
continue, que les nuits et le sommeil seulement sus-
pendent, en la retrempant. La prière même ne semble
avoir été chez elle qu'un aiguillon et un élan à l'activité
persévérante et diversifiée. Elle n'avait ni le tempé-
rament ni les tendances d'esprit d'une contemplative ;
lesépanchements de son journal spirituel en font foi.
On remarquera, dans le cours de son existence, un
singulier caractère d'unité et de fidélité à elle-même.
Elle aurait pu, à l'égal de certains hommes d'un grand
caractère, la résumer tout entière par cette devise :
Qualis ab incepto, "Telle qu'au commencement".
Sa maturité a réalisé les promesses de son printemps,
et développé, en les fortifiant, les inclinations dominan-
tes de son enfance et de sa jeunesse. Entre toutes, la
charité brille au premier rang, la charité surtout pour
les pauvres et pour les malheureux. Son âme, à peine
ouverte aux lumières et aux élans de la vie naturelle et
de la vie chrétienne, fut tout de suite et grandement
celle d'une sœur de charité. Rien n'est si expressif et
si touchant, lorsqu'on cherche le fil mystérieux qui
unit la trame pleine et serrée de son existence, que de
relever, à ses extrémités, deux traits révélateurs qui
nous livrent le fond de son âme.
PEEFACE. XIII
Tendre enfant, chargée de dispenser aux pauvres les
aumônes domestiques, elle s'attendrit et fond tout son
cœur dans un torrent de larmes, à la vue de la vaste
besace d'un mendiant, dans laquelle son modeste don
s'engloutit comme dans un gouffre, et elle s'empresse
de lui abandonner toute la réserve de ses goûters et de
ses largesses. Et cinquante ans plus tard, mourante
et pouvant à peine remuer ses lèvres glacées, lorsqu'elle
veut donner à ses filles son testament spirituel, elle
exhale son dernier souffle à travers les syllabes entre-
coupées du nom divin qu'a chanté sa vie sanctifiée :
" Charité ! "
La vie de mère Gamelin est donc une vivifiante leçon
de charité. A ce titre seul, elle sollicite l'intérêt, non
seulement des lecteurs chrétiens, mais encore de tous
ceux qu'une compassion noblement et sincèrement hu-
maine incline affectueusement sur les plaies et les mi-
sères des éprouvés de ce monde, pour les panser et les
guérir.
Ils y verront quelle force merveilleuse un cœur affec-
tueux et bon, une âme généreuse et ardente trouvent
dans les lumières et les inspirations, de la foi, pour dé-
penser au service des malheureux les trésors d'un dé-
vouement qui ignore la mesure et l'épuisement. Ils
seront à même d'éprouver si la bienfaisance purement
naturelle, la philanthropie, Yaltrtiisme, — comme l'in-
croyance contemporaine se plaît à décorer de mots
pédantesques une vertu inférieure à celle qu'engendre
et alimente la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, —
peut enfanter les actes d'abnégation et d'oubli de soi,
que le croyant d'esprit simple puise dans son amour
de l'Homme-Dieu et dans la contemplation assidue
des mystères de Bethléem et du Calvaire.
XIV PREFACE.
A ce point de vue, le journal de retraites de mère
Garaelin, — que l'auteur a cru devoir, pour l'édification
des lecteurs, donner presque intégralement en appendice
à son volume, —nous ouvre un jour lumineux sur sa vie
intérieure et nous fait assister aux luttes dramatiques et
aux sanglants efforts qu'elle livrait incessamment à sa
nature, pour en dompter les mouvements imparfaits et
accroître la conformité de son âme avec le divin
modèle.
Ces épanchements ingénus et spontanés de son cœur,
en des moments de profond recueillement et d'attention
aiguë, nous disent à quel point elle a été tourmentée
de ce noble et surnaturel désir de la perfection chré-
tienne, qui caractérise les âmes les plus saintes.
La lecture de ces pages, nous n'en doutons point,
sera d'un vif encouragement et d'un puissant réconfort
aux âmes religieuses qu'embrasent la sincérité et la
force du même désir, et qui rencontrent en elles-mêmes
une volonté aussi droite, éclairée par une conscience
aussi sévère que les siennes.
Il nous a été rarement donné, au cours de notre
expérience et de nos lectures, de rencontrer une âme
aussi parfaitement droite que celle-là ; cetle admirable
droiture, autant, nous oserions presque dire plus que
l'extrême bonté, est le trait le plus remarquable et le
plus attachant de ce beau caractère.
Quelques lecteurs seront peut-être tentés de repro-
cher à cette Vie l'extrême simplicité, nous allions dire la
médiocrité, des faits qui la composent. Nous leur ré-
pondrons que les faits ne s'inventent pas, mais qu'ils
se racontent, et que leur nature ne permet pas tou-
jours, ordinairement même, de les dramatiser pour les
rendre séduisants.
PREFACE. XV
La fondation d'une maison de charité, d'une com-
munauté religieuse est en soi une chose relativement
simple, ne fût-elle pas d'accomplissement facile, et
s'exécutant au milieu de circonstances exceptionnelles.
L'ensemble des faits qui la constituent ne comporte
aucune manifestation extraordinaire de l'action divine.
Ils naissent et s'enchaînent sous l'empire des lois et des
forces surnaturelles, mais avec des éléments et des
collaborations purement naturels, et une telle apparence
de simplicité et de régularité, qu'on serait tenté, après
une obser-vation superficielle, de les trouver empreints
d'une certaine banalité.
L'action providentielle de Dieu se révèle clairement,
il est vrai, dans la fondation de mère Gamelin et dans
les débuts de sa communauté. Elle éclate même parfois
en des traits extraordinaires, qui revêtent le caractère
du merveilleux.
Mais ces traits sont rares, ce sont comme des éclairs,
qui traversent parfois la nuée dont s'enveloppe le bras
tout puissant du divin auteur de l'œuvre naissante.
Soutenus par sa grâce, éclairés par leur foi, les ouvriers
et les ouvrières, souvent de petites gens, entreprennent,
travaillent, peinent, parlent et prient comme le commun
des chrétiens fervents, qui se sanctifient dans le monde
par l'accomplissement journalier et modeste de leur
devoir d'état. Ils ne font pas de miracles, ni de beaux
discours, ni d'actions d'éclat ; mais ils s'appliquent à
faire tous les jours, simplement et fortement, cette
chose très grande : accomplir des actions modestes,
vulgaires, souvent pénibles, dans un vif esprit de foi,
en dépit des répugnances qu'elles comportent et des
sacrifices qu'elles imposent.
C'est là tout l'intérêt et toute la valeur de ce récit et
XVI PEEFACE.
de narrations semblables. Dans la simplicité des faits
qu'il relate, il est vrai, il est fidèle : et comme ces faits sont
souvent des actes de haute vertu, il forme la matière
d'une lecture édifiante, qui élève l'âme, fortifie la
volonté, avive au cœur l'amour de Jésus-Christ, l'Époux
sanglant des vierges, le Maître austère et fort des
chrétiens.
Cette Vie est donc avant tout un livre d'édification ; en
cette qualité, il plaira surtout aux âmes vouées à la vie
religieuse et, entre toutes, aux filles spirituelles de la
vénérable fondatrice.
Celle qui l'a écrit avec son cœur ne pouvait oublier
que la maison maternelle est aussi chère à la piété fi-
liale que la mère, aimée et dévouée, qui l'a construite et
habitée ; que les murs qui ont abrité et contemplé de
longues années d'amour, de travail, de souffrance et de
prière, sont sacrés comme les murailles et le parvis d'un
temple, et qu'ils retiennent dans leurs pierres et dans
leurs lambris, et jusque dans leur poussière, des par-
celles de vie précieuses, que le souvenir respecte comme
des reliques, et qu'il tient à cœur de maintenir au patri-
moine familial, pour la vénération et l'amour d'une
longue postérité.
On ne devra donc pas s'étonner, si on relève dans ce
livre, et jusque dans la description minutieuse de la mai-
son dont il retrace l'histoire, certains détails qui sem-
bleront insignifiants et superflus aux gens du dehors, et
même aux amis qui ne seraient pas des assidus ou des
intimes.
Ces détails ont été notés et consignés au profit de la
famille, qui attache un prix infini aux moindres choses
qu'immortalise un contact cher et vénérable.
Ils ne manqueront pourtant pas d'intérêt pour les
PREFACE. XVII
«sprits soucieux d'exactitude et épris d'érudition histo-
rique, qui attribuent aux minuties du passé, aux miettes
de l'histoire,— qu'elle soit celle d'une vie humaine ou
d"un édifice, — une valeur inappréciable.
Nous offrons donc en toute confiance, et en la recom-
mandant de cœur, cette œuvre estimable à tous ceux
•qu'elle mérite d'intéresser à des titres divers.
La foi et la charité des chrétiens s'y retremperont à
la flamme d'une vertu plus ardente. Le courage des
âmes vouées aux renoncements de la vie religieuse y
retrouvera un regain d'énergie et de constance. Le
patriotisme des Canadiens-Français, qui sommeille
parfois et fléchit aisément, faute de s'alimenter à des
sources élevées et pures et dans la conscience d'une
haute destinée religieuse et sociale, y puisera des motifs
de fidélité et des gages d'espérance.
Et peut-être, après avoir lu ces pages, les concitoyens
<ie mère Gamelin viendront s'agenouiller, avec l'émo-
tion d'un espoir et d'une vigueur rajeunis, auprès d'une
tombe qui chante la promesse de la résurrection et de
la gloire, dans le souvenir et la leçon d'une vie forte
et grande. Inclinés dans son ombre vénérable, ils
songeront qu'ils ont au cœur le sang qui brûlait la
poitrine d'un Vincent de Paul et d'une Legras, d'un
Maisonneuve et d'une Bourgeoys, et rougissant à la
pensée qu'ils pourraient déroger et déchoir, ils crain-
dront de démériter du nom chrétien et français.
A Montréal,
•en la fête de S. François de Sales,
ce 29 janvier 1900.
Gustave Bourassa,
PRETEE.
DECLARATION DE L'AUTEUR
Si nous avons, au cours de cet ouvrage, employé le
titre de sainte ou de vénérable, et reproduit le récit
de faveurs obtenues par l'entremise de notre vénérée
mère Gamelin, nous affirmons n'avoir pas voulu en
cela prévenir la décision du Saint-Siège, et nous dé-
clarons nous conformer en tout aux décrets de S. S.
le pape Urbain YIII.
■VIE
MÈRE GAMELIN
FONDATRICK KT PREMIÈRE SUPÉRIEURE DKS SŒURS DE LA CHARITÉ
DE LA PROVIDENCE.
CHAPITEE I
1800-1815
EXFANCE. — CHARITÉ PRÉCOCE. — PREMIÈRE ÉDUCATION.
Au pied du Mont-Roj^al s'étendait, au commence-
ment de ce siècle, un vaste domaine appelé Fief de
la Providence. Il comprenait une partie de la pro-
priété oîi les Sœurs hospitalières de Saint-Joseph
ont élevé l'Hôtel-Dieu actuel.
A cette époque, la ville de Montréal formait une
sorte de rectangle, horné par le fleuve Saint-Laurent,
la rue de Montigny, la rue Saint-Huhert et la rue
Bleury, et dont le côté sud-ouest se prolongeait, par
les rues Xotre-Dame et Saint-Paul, dans une double
rangée de maisons largement espacées, qui formaient
2 VIE DE
le faubourg Saint -Joseph. En dehors de ces limites,
on ne rencontrait guère que des maisons isolées, sans
trace de rues régulières, et presque toutes habitées
par de pauvres familles, sauf les environs de la mon-
tagne, que parsemaient ça et là des villas aisées ou des
maisons rustiques, entourées de jardins et de vergers.
Vers le milieu du Fief de la Providence, sur un
point de l'espace occupé aujourd'hui par le terrain
de l'exposition provinciale, en haut de l'avenue du
Mont-Royal, s'élevait une modeste maison en bois, à
deux étages, ombragée d'arbres et entourée d'un jar-
din. C'est là que naquit notre vénérée Mère Gamelin,
le 19 février 1800.
Son père était Antoine Tavernier. ^ Il avait long-
temps exercé le métier de voiturier. et il jouissait
d'une réputation de parfait homme de bien, pieux,
charitable, probe et loyal dans tous les actes de sa
^ Julien Tavernier, grand-père de Mmes Xolan, Cuvil-
lier et Gamelin, est le chef de la branche montréalaise des
Tavernier. II était fils de François Tavernier. marchand de
laine, et de Marie Marchand, de la paroisse Saint-Jacques,
de la ville et du diocèse d'Amiens. Il vint en qualité de
colon h Monti'éal. il une date inconnue, et fut sergent dans
la compagnie d'infanterie du chevalier de la Corne. Il
épousa a ^lontréal. le 1.5 mai 1749, ^Marianne Girouard, née
à Montréal, le 18 novembre 172.5, du mariage d'Antoine
Girouard et de !Marie-Anne Ban-é. Antoine Girouaid, né
i1 Mont-Lugon, en Bourbonnais, était le fils de Jean Girouard,
contrôleur du dépôt de Riom en Angleterre, et do Pétronille
Georgeau, aussi de Mont-Luçon. Julien Tavernier fut tué
au mois de juillet 1756. près du lac Champlain. dans une des
expéditions dirigées de Carillon, par M]\I. de St-Luc et de
Contre-Cœur, contre les postes anglais des environs.
MERE GAMELIN 3
vie. Son épouse, Josephte Maurice, était une femme
d'une complexion frêle et délicate, mais d'une âme
énergique et vaillante, qui apportait aux travaux
du ménage et à l'éducation de ses enfants un zèle et
une ardeur qui ne comptaient pas avec ses forces.
Dieu bénit le mariage de ces époux chrétiens. Six
enfants vinrent tour à tour accroître leur bonheur :
Antoine, Josephte. Joseph, Julien, François et
Emmélie, dont nous écrivons la vie.
Il semble que le ciel ait voulu manifester à l'avance
la destinéa de cette enfant. Le lieu de sa naissance,
■ce Fief de la Providence, ne présageait-il pas cette
autre Providence, dont Dieu devait plus tard atta-
cher le nom à l'œuvre de notre vénérée mère ? Et ce
nom d"Emmélie, qui lui fut donné au baptême, ne
contenait-il pas en abrégé le programme de sa future
existence ? Sainte Emmélie fut comme elle engagée
•dans les liens du mariage, avant d'entrer dans la vie
religieuse. Mais notre mère n'eut pas, comme sa
glorieuse patronne, le bonheur d'élever ses enfants
et de les préparer, par ses exemples et ses leçons, à
prendre place à ses côtés sur les autels de l'Eglise. ^
L'enfant fut baptisé, le lendemain de sa naissance.
à l'église de ISTotre-Dame, sous les noms de Marie-
^ Sainte Emmélie fut la mère de saint Basile le Grand,
■qui eut pour frères saint Grégoire de Nysse et saint Pierre
•de Sébaste, et pour sœur sainte Macrine.
4 VIE DE
Emilie-Eugène/ par M. Hiimbert, prêtre du sémi-
naire de Saint-Sulpice. Elle fut tenue sur les fonts-
par Antoine Tavernier, son frère aîné, et Marie-
Claire Perrault, sa cousine germaine, — qui devait
épouser plus tard M. Augustin Cuvillier, marcliand
de Montréal, intimement mêlé aux événements politi-
ques du pays, de 1820 à 1840.
Madame Tavernier, qui s'était entièrement donnée
à la première éducation de ses aînés, sembla accorder
encore plus de soins et d'affection à la petite Em-
mélie. Sa clairvoyance maternelle discernait-elle
déjà, dans cette tendre enfant, les qualités précieuses-
dont le ciel l'avait ornée, ou iin pressentiment dé-
licat prévenait-il son cœur que ce dernier fruit de
son amour allait être, plus jeune et plus frêle, privé
des douceurs de l'affection maternelle et des joies du
foyer domestique ?
L'enfant répondait par de douces caresses et par
des attentions touchantes à la sollicitude et à la pré-
dilection de sa mère. Dès l'âge de quatre ans, elle
essayait déjà de l'aider en ?on travail. "' Va te
reposer, lui disait-elle, je vais te remplacer," et
s'emparant d'un long plumeau, elle le promenait
1 Elle porta dans la suite le deuxième de ces noms.
Nous avons maintenu l'orthographe Emmclle qui est celle
du ^lartyrologe et des Bollandistes, bien que Facte de
son baptême, celui de son mariage et du baptistère de ses-
trois enfants portent l'orthographe Emilie.
MERE GAMELIN i>
gravement sur les meubles de chaque chambre. La
mère, du reste, favorisait chez elle ce penchant et
s'efforçait de lui incidquer, dès son bas âge, le goût
des occupations domestiques, que l'Esprit-Saint a
louées dans son portrait de la femme forte : " Elle
est comme le soleil qui se lève sur les hauteurs et
qui projette sa lumière sur toute la maison.'' ^
Elle Tassociait aussi aux œuvres de sa charité et
développait dans son cœur un grand amour des pau-
vres. Nous en citerons un trait charmant.
La petite Emmélie était chargée de remettre, à la
porte, les aumônes qu'on distribuait aux mendiants.
Elle avait à cet usage un panier dans lequel, bien
souvent, elle glissait secrètement les fruits ou les
friandises dont elle se })rivait volontiers en faveur
de ses chers clients. Vn jotir, elle voit venir, par le
chemin montant qui conduit à la maison pater-
nelle, un pauvre vieillard qui s'avance péniblement,
appuyé sur son bâton. Saisissant son panier, elle
s'empresse au devant de lui . Le vieillard se découvre,
dépose la poche qui pend à son épaule et l'ouvre
toute grande à l'aumône qu'on lui apporte. L'enfant,,
joyeuse, y verse le contenu de son panier ; mais en
voyant son léger paquet s'abîmer, si petit, dans le
gouffre immense et presque vide, elle ne peut rete-
nir ses larmes et revient désolée vers sa mère, en
1 Eecl., 26. 21.
6 VIE DE
lui criant : " Maman, maman, la poche n'est pas
pleine ! " La mère veut lui faire entendre, pour la
■consoler, que la poche du mendiant n'est si grande
que pour recevoir beaucoup d'aumônes, et qu'elle se
remplira certainement avant le soir, pour fournir à
la subsistance de toute sa famille. Mais les larmes de
Tenfant coulent toujours, cette sage raison ne vaut
rien pour son petit cœur, et le sac du mendiant lui
paraîtra toujours trop grand, tant qu'elle n'y aura
pas mis elle-même tout ce qu'elle possède. Alors,
elle songe à sa cachette, à son trésor, à cette grande
boîte en bois blanc dans laquelle elle amasse les cenel-
les qu'elle a cueillies dans la montagne. C'est la ma-
tière de ses goûters et de quelque régal qu'elle ré-
serve à ses frères, à sa sœur et à ses petites amies.
Elle l'abandonnera au pauvre vieillard ! Elle le con-
duit elle-même à sa cachette, lui fait tirer la grande
boîte, en décharge tout le contenu dans son sac, et
l'aimable enfant est à demi consolée ; le sac lui sem-
ble moins vide, puisqu'elle n'a rien gardé pour elle,
et ses larmes se sèchent au doux soleil de la charité
qui vient d'illuminer son cœur.
Cette charité précoce devait être la vertu maî-
tresse de notre vénérée mère. Elle fut l'inspiration
de toute sa vie, de ses œuvres et de la fondation qui
immortalisera son nom.
MERE GAMELIX 7
Si les leçons et les exemples de sa pieuse mère favo-
risèrent le développement de cette vertu dans son
cœur d'enfant, les épreuves précoces de sa vie la dis-
posèrent aussi à compatir aux souffrances du pro-
chain et à les soulager. La douleur, acceptée et sanc-
tifiée par la foi chrétienne, est une source de vertus :
elle engendre la force, le courage, la patience, l'esprit
■de sacrifice et la soumission à la volonté d'un Père
juste et bon. qui ne châtie que pour purifier et n'é-
prouve que pour sanctifier : elle développe la foi en
sa providence, qui réserve un lendemain plus doux à
l'épreuve d'aujourd'hui, et recommande à ses enfants
■de ne pas s'inquiéter à l'avance des maux et des
peines à venir.
A une vocation plu? haute, à une existence plus
féconde en œuvres de vie. Dieu réserve toujours des
•épreuves plus fortes et souvent précoces. Notre vé-
nérée mère, ne pouvait donc échapper à cette loi, et
la croix marqua, toute jeune, sa vie, destinée à une
grande fécondité spirituelle.
Sa première douleur fut de perdre, à l'âge de six
ans, son père et sa mère qui moururent à très peu de
temps l'un de l'autre.
Avant de mourir, sa mère la confia à sa belle-sœur,
madame Joseph Perrault, qui était veuve et possé-
dait de l'aisance. Ses quatre enfants reçurent letir
■cousine comme une sœur que le Ciel leur donnait.
8 VI K DE
et ils s'efforcèrent, par leurs attentions et leurs soin&
affectueux, de faire retrouver à l'orpheline les dou-
ceurs du foA'er paternel. Sa tante était une femme
de sens et de caractère, d'un esprit profondément
chrétien. Elle n'avait, pour continuer l'éducation
maternelle, qu'à élever sa nièce comme elle élevait
ses propres enfants. Elle trouvait du reste, dans
l'heureux naturel et la docilité d'Emmélie, une
facile correspondance à ses efforts, et elle se plai-
sait à nommer sa jeime nièce l'ange de la famille.
Quelques années plus tard. Eiumélie fut confiée
aux Sœurs de la Congrégation de Xotre-Dame, dont
le pensionnat, le seul qui existât alors à Montréal,
était situé sur la rue Saint-Jean-Baptiste. Elle y
continua les études qu'elle avait commencées à la
maison. jSTous n'avons pu nous procurer aucune date
ni aucun détail relatifs à son séjour au pensionnat ;
nous savons seulement qu'elle y fit sa première com-
munion et qu'elle stit se concilier l'affection de ses
maîtresses.
L'éducation des jeunes filles du monde n'était pas
alors ce qu'elle est aujourd'hui. Les études n'é-
taient ni très étendues ni très compliquées, et le
temps du couvent ne se prolongeait pas au delà d'un
petit nombre d'années. Cette instruction n'était
peut-être pas conforme à toutes les exigences d'itne
MÈRE GAMELIX 9
•éducation accomplie, mais elle était proportionnée
•aux besoins de la société canadienne de l'époque.
Elle excluait à bon droit du programme des études
et du régime des pensionnats toute superfluité pré-
tentieuse ou dispendieuse. Les jeunes filles étaient
surtout élevées en vue de faire d'excellentes chré-
tiennes et des femmes de ménage accomplies. Notre
vénérée fondatrice ne reçut pas d'autre éducation que
•ceile-là ; et si le cours ordinaire des études fut abrégé
pour elle par la volonté de sa tante, qui la rappela
bientôt auprès d'elle, la formation de son caractère
et de son jugement n'en souffrirent aucunement.
Xous ignorons quelle fut au juste la durée de son
séjour au pensionnat de Notre-Dame. Elle conserva
toujours un souvenir affectueux à ses maîtresses,
qu'elle appelait habituellement "ses mères". Celles-
ci ne cessèrent pas, de leur côté, de lui témoigner
un attachement dont notre connnunauté naissante a
reçu de touchants témoignages.
10 VIE DE
CHAPITRE 1[
1815-1823
JEUNESSE DE MLLE TAVERNIER.— SON CARACTÈRE.— SON
ATTACHEMENT À SA FAMILLE. — SON AMOtJR
DES PAITV'RES.
De retour auprès de sa tante, Mlle Tavernier s'ef-
força, par sa docilité, son dévouement et ses atten-
tions affectueuses, d'acquitter la dette de reconnais-
sance qu'elle avait contractée envers cette seconde
mère de son enfance.
Elle ne cessa de lui rendre tous les soins d'une
véritable piété filiale ; et si parfois elle s'éloigna
d'elle pour quelque temps, ce fut pour aller remplir
auprès d'autres personnes de sa famille des devoirs
plus urgents de dévouement et de charité. C'est
ainsi qu'à l'âge de dix-huit ans, elle prit la direction
de la maison de son frère aîné, M. Antoine Tavernier,
qui avait perdu sa femme. Elle s'acquitta de ses
fonctions, pendant près d'une année, avec beau-
coup de zèle et de savoir-faire, déployant ces vertus
domestiques et ces qualités pratiques auxquel-
les l'avait formée sa première éducation. Le deuil
de son frère, en lui interdisant les fêtes mondaines,
lui permettait de con.^acrer tous ses loisirs au soin et
MÈRE GAMELIX 11
à la visite des pauvres, auxquels elle coutinuait à
s'intéresser tendrement.
Chaque matin, après avoir assisté à la sainte messe,
elle allait visiter quelques malades ; et vers le soir
elle repartait, un panier au bras, pour distribuer des
provisions à ses pauvres, accompagnant toutes ses
aumônes de ces bonnes et aimables paroles qui récon-
fortent le cœur des affligés.
Sa réputation de charité eut vite fait de franchir
le cercle de ses premiers clients, et elle lui attira de
nouveaux nécessiteux, qu'elle recevait toujours avec
une grâce parfaite et une délicate bonté.
Pour mieux pourvoir à leur service, elle aménagea
une pitite pièce attenante à sa cuisine, qu'elle nom-
mait son " cabinet particulier ". Elle en fit une
salle à manger à leur usage exclusif ; ils s'y as-
seyaient autour d'une grande table, qu'elle avait sur-
nommée " la table du roi", et où elle les servait avec
une respectueuse tendresse. Elle se réserva tout
l'entretien de cette pièce, la balayant elle-même et
lavant la vaisselle qui servait à ses "amis privilégiés",
dont les fréquentes visites ne laissaient pas d'impor-
tuner parfois sa domestique.
La prière reconnaissante de ces malheureux lui
a sans doute obtenu une large part des grâces qui ont
développé et mûri sa vocation.
12 VIE DE
Son frère s'étant remarié, Emmélie revint chez sa
tante, auprès de laquelle elle retrouva l'aînée de ses
■cousines, madame Xolan, devenue veuve depuis une
couple d'années. ^ Comme elle était plus âgée
qu'Emmélie de plusieurs années, madame Perrault,
devenue vieille et infirme, s'en remit désormais à elle
du soin et de la direction de sa nièce.
A dix-neuf ans. ]\Ille Tavernier fit son début dans
le monde. Vn portrait de cette époque nouà la
monU'e avec de beaux traits, un air distingué, une
taille élancée, un teint chaud et des yeux grands et
vifs. Ses manières étaient engageantes ; elle avait
Ijeaucoup de naturel et de simplicité, l'humeur en-
jouée, une grande franchise et une amabilité faite
d'obligeance et de cordialité. Elle plut dans le
monde et s'y fit beaucoup d'ami.-.
Peu de temps après son retour chez sa tante, elle
fut invitée à faire un long séjour auprès de l'une de
ses cousines, orpheline comme elle, qui avait trouvé,
■elle aussi, dans le cœur compatissant et affectueux de
madame Perrault, une providence pour ses années
d'enfance et de jeunesse. C'était Mlle Julie Perrault,
qui venait d'épouser M. Joseph Leblond, marchand
^ Son mari, le major Maurice Nolan. avait été tué à
rattaque de Sacket's Harbour, pendant la guerre de 1812.
Madame Nolan a été l'une des coopératrices les plus dévouées
de notre vénérée fondatrice et une des plus fidèles amies de
notre communauté.
MÈRE GAMELIN 13
à Québec. La jeune femme s'ennuyait fort dans
cette ville éloignée, où l'hospitalité et les qualités
aimables d'une société restée fidèle aux meilleures
traditions françaises ne pouvaient la consoler d'être
séparée des siens.
Mme Perrault et Mme Nolan cédèrent aux instan-
ces de l'aimable exilée, et Mlle Tavernier s'éloigna
une seconde fois et non sans regret de sa bonne tante,
pour remplir ce nouveau devoir de charité.
Elle fut bien dédommagée de son sacrifice par Ta-
mitié de sa cousine et l'agrément que peuvent offrir
les plaisirs de la société à une jeune fille de son
âge, d'uue humeur enjouée et d'une âme encore
neuve, lorsqu'elle n'y cherche qu'un divertissement
honnête et ne sacrifie pas les droits et les devoirs de la
vertu aux entraînements d'une dissipation désor-
donnée.
La vie du monde est toujours un écueil pour les
âmes chrétiennes. Plus d'une y reçoit des blessures
mortelles. Un plus grand nombre y voient s'altérer
la fidélité et la délicatesse de leurs rapports intimes
avec Dieu. Mais celles qui veulent délibérément et
fortement être à lui, gardent leur cœur, même au
milieu des plaisirs qui le troublent et l'ébranlent pas-
sagèrement, et elles ne lui font ni longues ni graves
infidélités.
14 VIE DE
Saint François de Sales a exprimé cette vérité dans
une peinture charmante de son hitrodudion à la via
dévote, dont nous ne prétendons pas, du reste, recom-
mander l'exactitude au point de vue de l'histoire
naturelle : " Comme les mères perles, dit-il, vivent
dans la mer sans prendre aucune goutte d'eau ma-
rine ; et vers les îles Chélidoines, il y a des fontaines
d'eau bien douce au milieu de la mer ; et les piraus-
tes volent dans les flammes sans brûler leurs ailés,
ainsi peut une âme vigoureuse et constante vivre au
monde, sans recevoir aucune humeur mondaine, trou-
ver des sources d'une douce piété au milieu des ondes
amères de ce siècle, et voler entre les flammes des con-
voitises terrestres sans brûler les ailes des saints dé-
sirs de la vie dévote." ^
Mlle Tavernier vécut dans le monde de cette façon-
là, et les plaisirs mondains, auxquels elle ne prit ja-
mais une part exagérée, ne semblent pas avoir altéré
ses sentiments de vive et solide piété.
On peut en juger par quelques extraits de la cor-
respondance assidue qu'elle entretenait de Québec
avec son excellente cousine, Mme Nolan, chargée par
sa tante de surveiller sa conduite et de régler ses dé-
penses.
Ce ne sont pas là les lettres d'une mondaine. Elle
prend aux divertissements de la famille et de la
* Introduction à la vie dévote.
MÈKE GAMELIX 1^
société au milieu desquelles elle vit Tintérêt que
toute jeune fille a coutume d'y prendre. Et si elle
a parfois à se justifier de quelque reproche un peu
sévère, qu'elle a reçu de son austère cousine, elle le
fait de manière à la rassurer pleinement sur les cxtra-
yagances qu'une sollicitude omlDrageuse lui avait at-
tribuées.
Ces lettres, où elle raconte les faits très ordinaires
de sa vie journalière, nous révèlent la simplicité et la
candeur de son âme. En nous mettant au courant
des innocents plaisirs auxquels elle prenait part, elles
nous font voir en même temps sa fidélité à ses habi-
tudes pieuses et les sacrifices généreux qu'elle savait
s'imposer à l'occasion.
Xous donnons ces extraits, malgré leur peu d"im-
2)ortauce réelle, pour faire voir quel genre de vie elle
menait alors et quel était le fond de ses sentiments.
'•'Québec, 14 janvier 1820. — Yoilà longtemps, chère
cousine, que je remets le plaisir de vous écrire. Vous
me tenez lieu de mère, et c'est à vous que je dois
maintenant m'adresser. Croyez cependant que la
soumission que je vous porte vient du cœur, et qu'elle
n'est pas seulement l'effet de l'amitié que j'ai pour
vous. . .
'• Point de nouvelles à vous apprendre. M. X.
n'est point ici ; voilà six semaines qti'il est parti,
mais il doit revenir bientôt. Je vous en donnerai des
16 A'IE DE
nouvelles dans ma prochaine lettre. On me marie
partout avec lui. Je ne sais qui peut avoir fait cou-
rir ces bruits-là. Je voudrais pouvoir les détourner,
j'en suis incapable."'
'' Québec. 18 janvier 1820. — Xous avons tiré le
gâteau chez l'avocat Leblond. M. Perrault a été roi,
et l'une des demoiselles X. a été reine. Il n'a pas
voulu lui faire des politesses, et il a laissé la pauvre
demoiselle dans la confusion. Il n"est pas galant,
mon pauvre cousin ! On Ta badiné sur sa reine ... Il
était fâché de se trouver dans les honneurs !"'. . .
" Québec, 12 juillet 1820. — J'ai reçu votre lettre
avec plaisir, malgré les sévères leçons qu'elle conte-
nait. Je sais que vous êtes ma meilleure amie, et la
plus capable de me donner des conseils . . . Cependant
il ne faut pas croire tout ce que l'on dit à mon sujet.
Pour la messe sur semaine, c'est bien rare que je l'aie
manquée. Quelquefois, quand je passais la nuit pres-
que entière auprès du bébé, pour faire reposer Julie,
je ne pouvais me lever assez matin pour la messe.
L'une des servantes est bien malade, et vous pouvez
penser que, n'ayant qu'une seule fille, j'avais besoin
d'aider. Il est vrai que je suis sortie souvent.
Comme j'étais en promenade, tout le monde m'invi-
tait. ;Mais à cette saison les soirées ne sont pas aussi
fréquentes. Cependant, il y a eu une grande réunion
chez l'avocat Leblond. pour fêter le? nouveaux mariés.
Il y avait bien cinquante personnes. Xous avons eu
MÈEE GAMELIX 17
beaucoup de plaisir. Plusieurs autres se proposent
de les fêter, et Julie doit aussi les inviter. C'est bien
difficile pour moi de n'y point aller, quand Julie et
les autres de la famille y vont. Cependajit, j'ai fait
la promesse de ne point danser, et j'espère la tenir
tout l'biver. . .
■■' L'on me dit que M. Lartigue sera fait évêque
sous peu et qu'il résidera probablement à Québec.
Ça me ferait beaucoup plaisir, car M. Dufresne doit
partir pour aller en cure ; je prendrai M. Lartigue
pour mon directeur, et vous ne serez plus en peine de
moi sous sa direction.''
" Québec, 31 août 1820. — Je vous dirai que j'ai
été de cérémonie avec un monsieur de la basse-ville.
C'est ce monsieur dont Julie vous a parlé. M. Le-
blond et Julie hti font beaucoup de politesses. N'allez
pas croire, cependant, à un mariage avec moi, de
crainte d'être trompée comme l'hiver dernier "...
" Québec, 19 février 1821.^11 y a longtemps que
je remets le plaisir de vous écrire, faute d'occasion, —
elles sont si rares en cette saison. Julie se prépare à
donner une grande soirée pour fêter ma naissance.
Quand je pense que je vais avoir vingt et un ans,
cela me démonte de tant vieillir 1 Savez-vous qu'à
Québec je passe pour une parfaite cuisinière ? Il n'y
en a pas de pareille à moi pour les pâtisseries, surtout
la pâte feuilletée. Voyez comme j'ai fait des pro-
18 VIE DE
grès depuis que je suis à Québec ! Plusieurs grandes
soirées s'annoncent pour la fin du carnaval. On ne
parle que de plaisir "...
Mlle Tavernier revint vraisemblablement auprès
de sa tante et de sa cousine durant cette année.
Au mois d'avril 1821, elle eut la douleur de perdre
cette excellente tante, qui avait si maternellement
remplacé auprès d'elle sa véritable mère. Elle lui
garda toute sa vie un pieux et tendre souvenir.
Elle reprit sans doute auprès de sa cousine la vie
calme, laborieuse, dévouée aux pauvres, qu'elle avait
menée chez son frère avant son séjour à Québec. Ses
petites dissipations mondaines de naguère ne sem-
blent pas avoir laissé de trace profonde dans son
cœur, si l'on en juge par le passage suivant d'une let-
tre écrite à son aimable cousine de Québec ; même,
la pensée de la vie religieuse et une première révéla-
tion de sa vocation s'y affirment ouvertement.
" Montréal, 18 juin 1822. — Vous me parlez,
chère cousine, des messieurs de Québec : sachez que
je ne m'en soucie plus du tout. J'ai passé la jour-
née d'hier chez les Sœurs grises, à l'occasion de la
prise d'habit d'Eulalie, ^ et je me suis très bien
amusée. Toutes les religieuses nou.s ont reçues avec
' IMelle Eulalie Lagrave, qui prit fhabit le 17 juin 1S22
et fit profession le 23 décembre de l'année suivante. Elle fut
Tune des quatre fondatrices de la mission de la Kivière
Rouge, — Saint-Boniface.-^-où elle mourut le 4 août 1859.
(Archives de rHOpital-Général de Montréal.)
JIÈKE GAMELIX 19
beaucoup de bonté et de politesse. Aussi vous dirai-
]e tout bas que je me ?eus beaucoup de vocation, de-
puis ce temps. J'espère que cela va continuer et
que je finirai par vous surprendre une bonne fois.
Xe parlez de cela à personne, quoique ce soit l'exacte
vérité. Oui, Je renonce pour jamais à vos messieurs
ainsi qu'au monde. Je me ferai religieuse à l'au-
tomne "...
Mais l'automne de 1823 n'était pas l'époque fixée
par la divine Providence pour son entrée dans cette
terre promise, dont elle venait d'entrevoir les pures
et saintes joies. Dieu voulait la conduire par une
voie beaucoup plus longue et plus détournée à l'œuvre
à laquelle il la destinait. Une expérience plus com-
plète et plus diverse de la vie, des épreuves plus nom-
breuses et plus pénibles devaient la préparer de lon-
g-ue main et plus parfaitement à la fondation de sa
■communauté.
A l'exemple d'autres saintes fondatrices, elle con-
nut d'abord les joies, les douleurs et les devoirs de la
vie conjugale. Et dans cet état, comme dans sa
viduité et sa vie religieuse, elle ne cessa de donner
l'exemple des vertus les plus pures. Elle y puisa
aussi, dans des épreuves particulières, le secret d'une
compassion plus grande à des soutïrances qu'elle avait
■elle-même connues, et le don de les consoler avec plus
■de tendresse et d'efficacité.
20 VIE DE
CHAPITEE III
1823-1828
MABIAGE DE MÈRE GAJIELIN. — MORT DE SES EXFAXTS-
ET DE SON MARI.
Mlle Tavernier ayait vingt-trois ans, lorsqu'elle
épousa à l'église Xotre-Dame, le 4 juin 1823, M.
Jean-Baptiste Gamelin, ^' bourgeois "' de Montréal,
— c'est le titre que lui donne l'acte de mariage.
Un " bourgeois ", dans le langage du temps, c'était
un propriétaire vivant de ses rentes.
M. Gamelin avait alors cinquante ans. Il s'était
déjà fiancé deux fois, sans pouvoir se décider au ma-
riage. La seconde fois, c'est au pied même de l'autel.,
avant de prononcer le oui définitif, qu'il avait dégagé
sa parole. Fut-ce indécision naturelle de son carac-
tère, une bizarrerie d'humeur ou quelque motif secret
qui détermina cette double reculade ? La tradition
ne le dit pas. Mais il est hors de doute que, s'il
éprouva quelque hésitation à lier sa vie à celle de
Mlle Tavernier, il n'eut pas à regretter sa détermina-
tion, car leur mariage leur apporta à tous deux un
parfait bonheur.
On pourrait s'étonner que Mlle Tavernier ait ac-
cordé sa main à un homme de cet âge, que ne distin-
guait d'ailleurs ni son éducation ni aucune qualité
Mlle EMMELIE TAVERXIER.
à l'âi^e de 22 ans.
MÈHE GAMELIN 21
personnelle trè^ remarquable. Elle avait eu, paraît-
il, Toccasion de refuser d'autres partis. 11 est à sup-
poser que ces prétendants manquaient de quelqu'une
des qualités essentielles qu'elle désirait chez un mari,
ou que son cœur ne fût pas assez vivement touché
pour engager sa vie à aucun d'entre eux. Peut-être
aussi fut-elle incliné à gréer cette dernière demande
par le désir de se faire un chez soi, une vie plus libre
et plus indépendante que celle que lui permettaient
l'austérité et la surveillance un peu rigoristes de sa
cousine, madame Xolan. ]\I. Gamelin était d'ailleurs
un très brave homme et un excellent chrétien. Mlle
Tavernier, en unissant sa vie à la sienne, était sûre
de voir partager par son époux ses sentiments et ses
pratiques de piété, et surtout sa tendre charité et
son dévouement aux pauvres, pour qui il était d'une
grande bonté.
Elle trouva dans sa nouvelle demeure la satisfac-
tion d'un goût très vif pour la solitude et les beau-
tés de la nature. Enfant, sa grande'joie était de par-
courir les sentiers ombreux qui entouraient la pro-
priété de son père. Chez sa cousine, elle avait re-
trouvé la fraîcheur des grands bois et le charme de la
campagne, dans un vaste jardin planté d'arbres, situé
eu arrière de sa maison, dont l'opulente verdure,
prolongée par les ondulations verdoyantes d'autres
22 YIE DE
jardins et cVaiitres parcs, allait se fondre dans le
massif toutïu du Mont-Royal.
La maison de madame Xolan se voyait encore, il y
a à peine quinze ans^ sur le terrain formant le coin
nord-ouest de la rue Sainte-Catherine et de la rue
Saint-Urbain, à l'endroit où s'est élevée, pendant
quelques années, la rotonde en briques où Ton allait
admirer le cyclorauia de Jérusalem peint irav Philip-
poteaux. D'humble apparence, avec ses grosses pierres
à peine équarries et sa petite galerie de façade, elle
était, de ce côté de la rue Sainte-Catherine, une des
dernières maisons du faubourg Saint-Laurent. La
campagne commençait tout près de là, parsemée d'ha-
bitations rustiques ou de villas modestes, qui, n'a-
vaient rien de l'élégance et de la somptuosité des ri-
ches habitations qui ornent aujourd'hui les abords
de la montagne.
M. Gamelin habitait, à l'entrée de la rue Saint-
Antoine, une maison de bois, basse et double, qui
porte actuellement le numéro 2G. Son caractère
tranché d'ancienneté marque sur l'apparence mo-
derne, d'ailleurs très modeste, des maisons voisines.
Elle s'élevait alors, isolée au milieu d'un beau
jardin, presque en face d'une vaste propriété dont un
verger couvrait la plus grande partie, et qui s'éten-
dait Jusqu'au sommet de la colline traversée aujour-
d'hui par la rue Sainte-Catherine.
MÈRE GAMELIX 33
M. Gamelin tirait le plus clair de ses revenus du
produit de ce verger, planté des pommiers qui portent
nos excellentes " fameuses ", dont le prix était alors
plus élevé qu'aujourd'hui et dont on faisait une
grande exportation en Angleterre.
La jeune femme prenait beaucoup de plaisir, du-
rant la belle saison, à se promener et à travailler sous
les ombrages de ce beau domaine.
Elle goûta quelques années d'un ^x\v bonheur dans
cette demi-retraite de la rue Saint-Antoine, parta-
geant son temps entre son mari, ses tout jeunes en-
fants, la société toujours chère de sa famille et de ses
.amies d'enfance, et ses bien aimés pauvres qui eurent
vite fait d'aller frapper à la porte de sa nouvelle de-
meure et d'y solliciter des largesses que la charité et
l'aisance de son mari lui ^permettaient de faire en
plus grande abondance.
Son bonheur fut pourtant assombri par la mort
successive de deux de ses enfants.' qui lui furent en-
levés trois mois après leur naissance. Son mari lui-
même succomba à une longue maladie, le 1er octobre
1827, un peu. plus de quatre ans après leur mariage.
La jeune femme, qui lui avait prodigué les soins
du plus tendre dévouement, le pleura amèrement. Il
n'avait eu pour elle que bontés et délicatesses. L^n an
24 VIE DE
plus tard, elle perdait son troisième enfant, né quel-
ques mois après la mort de son père.
Son bonheur domestique était anéanti.
Elle demeurait seule, à Tâge de vingt-huit ans, sé-
parée de ces êtres chers qui avaient pris tout son
cœur, et dont la pensée, toute sa vie, lit couler de ses
yeux des larmes brûlantes. Xous la verrons plus
tard, sous riiabit religieux, immoler, avec d'inexpri-
mables angoisses, à la suggestion de son directeur,
les derniers souvenirs sensibles de ces affections si
légitimes.
Ces pertes douloureuses furent le principe de sa
vocation. Elle demanda désormais aux œuvres de
charité la consolation do sa douleur et l'emploi des
trésors d'affection et de dévouement de son cœur.
Ce fut son directeur, il. Bréguier Saint-Pierre, qui
la dirigea dans cette voie. Il lui ouvrit aussi dans la
dévotion à Notre-Dame des Sept-Douleurs une source
de consolation et de piété, qui ne fit cpie se déve-
lopper avec les années, et qui devint plus tard une
des principales dévotions de son institut.
"■ Dans cette même année (1828), écrit-elle dans
son journal de 1850, M. Saint-Pierre me fit présent
d'une image de ISTotre-Dame des Sept-Douleurs. et
tous les jours j'allais prier an pied de cette image. Je
lui demandais du courage, pour supporter à son
MERE GAMELIX ^0
exemple les croix et les sacrifices que le bon Dieu
m'envoyait dans le monde.
'• Le plus grand, dans ce temps-là. était la perte
d'un époux et d'un enfant chéris, que je pleurais tous
les jours. J'avais le cœur percé d'ttn glaive de dou-
leur, et je ne trouvais d'autre consolation que celle
de méditer sur les douleurs de ma Mère, auprès de
cette gravure."
CHAPITRE IV
1828-1835
VEl'VAGE DE ilÈRE GAMELIX. — COMMEXCEME:XT DE L"ŒU-
TKE DE LA PROVIDENCE. — LA MAISOX DE LA EtTE
SAIXT-LAUREXT ET CELLE DE LA EUE SAIXT-PHI-
LIPPE.— DIFFICULTÉS ET ÉPREUVES ; SECOURS PROTI-
DEXTIELS. — MGR LARTIGUE. — LES DAMES AUXILIAI-
RES.— MLLE MADELEINE DURAND.
M. Gamelin avait légué tous ses biens à sa femme.
Dans ce legs universel, il avait compris un don singu-
lier.
Quelques années avant son mariage, il avait pris
sous ses soins un pauvre idiot, du nom de Dodais.
Dans ses derniers jours, l'avenir de cet infortuné le
préoccupait : '" Prends soin de lui, en souvenir de moi
26 YIE DE
et de mon amour,"' dit-il un jour à sa jeune femme.
Elje le lui promit et tint parole.
" Ceux qui ont vu ce pauvre idiot,"' dit la Chroni-
que, " attestent combien il était rebutant aux yeux de
la nature. Impuissant à se rendre le moindre soin, ne
pouvant que marmoter des sous confus et inintelligi-
bles, il n'avait pas même conscience de son existence. "^
Madame Gamelin accepta ce legs comme un présent
de Dieu. Elle logea convenablement le pauvre idiot
dans une petite maison attenante à son jardin, et
pour s'assurer que rien ne manquerait à ses besoins,
elle appela auprès de lui 'sa mère, dont elle abritait
du même coup l'indigence. N'était-ce pas là comme
l'humble et lointain commencement d'une œuvre
qui devait prendre plus tard un si grand développe-
ment dans la communauté qu'elle allait fonder ?
Madame Gamelin visitait souvent son pensionnaire
et lui prodiguait les soins de la charité la plus
délicate. ^
Le ciel voulut récompenser un si touchant dé-
vouement. Avant de mourir, Tidiot recouvra un ins-
tant assez de lucidité pour acquitter sa dette de re-
connaissance envers sa bienfaitrice. Il lui dit d'une
voix parfaitement intelligible : " Madame, je vous
' A la maison mère, un tableau, peint par une de nos
sœurs, représente cette scène touchante.
MÈRE GAMELIX 37
remercie de toutes vos bontés pour moi. Je vais mou-
rir, je m'en vais au ciel ; je prierai pour vous." Puis,
montrant de sa main débile sa mère qui était à
ses côtés, il ajouta, comme pour la lui recommander :
'' C'est ma mère ! " Il expira quelques instants plus
tard, âgé de trente ans.
Madame Gamelin ne révéla à personne ce fait
extraordinaire, si ce n"est à son confesseur, M. Bré-
guier Saint-Pierre, et plus tard à Mgr Prince. Ce
dernier ne le raconta qu'après la mort de sa péni-
tente.
La charité de madame Gamelin la portait particu-
lièrement vers les vieillards, surtout les femmes âgées
et infirmes. Dans ses fréquentes visites aux indigents,
elle avait pu voir souvent ces pauvres vieilles relé-
guées dans un coin de la maison, oubliées, incapa-
bles de se donner aucun soin, et passant de longues
journées seules, sans que l'on songeât même à leur
porter un peu de nourriture. Son cœur sensible en
avait été profondément affligé, et elle méditait dans
son esprit le moyen d'alléger tant de souffrance. La
Providence ne tarda pas à le lui procurer.
Afin de donner plus largement cours à son pieux
attrait pour le service des pauvres, elle vendit une
partie des vergers qu'elle possédait au faubourg
Saint-Antoine, et elle vint s'installer de nouveau
28 VIE DE
chez sa cousine, madame Xolan. Sur Tavis de M.
Saint-Pierre, qui lui assura que c'était bien là la
volonté de Dieu, elle s'adressa à M. Claude Fay,
prêtre du séminaire et curé de Xotre-Daane, — seule
paroisse qui existât alors à Montréal, — pour se pro-
curer, dans le voisinage de sa demeure, un local
propice à l'accomplissement de son charitable des-
sein. Celui-ci s'empressa de mettre à sa disposition le
rez-de-chaussée d"uuc petite école paroissiale, dirigée
par les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, et
située au coin des rues Saint-Laurent et Sainte-
Catherine.
Le -1 mars 1838, le modeste refuge s'ouvrit aux
protégées de la charitable veuve. Et pour qu'il fût
bien évident qu'il s'agissait d'une œuvre en faveur de
la vieillesse, la première personne admise fut une
veuve âgée de cent deux ans, la femme Saint-Onge.
Bientôt une quinzaine d'autres vieilles, totttes au
moins sexagénaires, furent admises après elle.
Madame Gamelin les visitait chaque jour ; elle
voyait à tous leurs besoins, leur faisait une courte lec-
ture de piété et apaisait par une parole douce mais
ferme, souvent par un simple sourire, les petits diffé-
rends qui s'élevaient parfois entre elles.
C'était un spectacle touchant que celui de cette
jeune femme, douée de tout le charme que la vertu
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JlÈltE GA.MELIX 29
ajoute aux dons de la nature, et se faisant, sans crain-
dre les railleries ni les critiques, la servante des pau-
vres, leur rendant les services les plus pénibles et de-
mandant l'aumône en. leur nom pour l'amour de
Jésus-Christ.
Que de fois l'on chercha à la détourner de ce genre
de vie, que l'on taxait d'extravagant ! Que d'objec-
tions l'on opposa aux entreprises de son zèle ! Que
d'épreuves et de contradictions de tout genre elle eut
à essuyer ! Mais rien ne réussit à la détourner de sa
généreuse entreprise ni à ébranler sa constance. Il ne
faut pas croire cependant qu'elle demeurât toujours
indifférente aux représentations qu'on lui faisait, ni
que son zèle et sa charité ne lui imposassent parfois
de pénibles répugnances et de rudes combats inté-
rieurs. A ce moment, elle n'avait pas encore entière-
ment brisé avec le monde. Il ne lui était pas plus fa-
cile de l'oublier que de s'en faire oublier. Elle conti-
nuait d'entretenir des relations de société. Son cœur
était indécis et partagé. Mais quand venait le mo-
ment décisif de la lutte, une force irrésistible entraî-
nait sa volonté. La grâce triomphait, ne lui permet-
tant pas de sacrifier au monde une vie que Dieu récla-
mait entièrement pour ses œuvres. " Sans douleur,
point d'amour," dit l'Imitation. Ce caractère du vé-
ritable amour de Dieu, elle le manifestait déjà, et il
30 VIE DE
devait l'accompagner toute sa vie. Elle refusa,
vers ce temps-là, une seconde alliance, qui lui eût
assuré, en même temps qu'une belle fortune, une
situation enviable dans le monde. Ce fut le triomphe
décisif de la grâce. A partir de ce moment, elle vit
beaucoup plus clairement les desseins de la divine
Providence et s'y abandonna sans réserve.
Elle puisait sa force et son courage dans la prière et
surtout dans la méditation de la passion de Kotre-
Seigneur et des douleurs de sa Mère, qui furent, toute
sa vie, ses dévotions favorites. "Je ne comprends pas,
disait-elle, que l'on puisse hésiter devant un sacrifice,
après avoir contemplé les souffrances d'un Homme-
Dieu, et les douleurs d'une mère vierge." Chaque
jour, elle faisait le chemin de la croix avec ses vieilles.
Après le crucifix, la première image qui orna les pau-
vres murs du petit asile de la rue Saint-Philippe fut
celle de Notre-Dame des Sept-Douleurs, que lui avait
donnée son confesseur, M. Saint-Pierre.
Mgr Lartigue, qui avait connu madame Gamelin
dans son enfance et ne l'avait Jamais perdue de vue,
la tenait en singulière estime. Il visitait souvent son
petit asile, et prévoA'ant sans doute la destinée que
Dieu lui réservait, il s'intéressait à ses progrès dans
la vertu. Le caractère de sa direction se peint dans
les traits suivants.
MÈRE C4AMELIX 31
Counaissaut la vivacité naturelle de son amie,
il lui dit un jour avec sa rude franchise, en la tu-
toyant, comme il faisait à peu près avec tout le
monde : '" Lorsqu'on est, comme toi, vive et impa-
tiente, on apprend à mettre de l'eau dans son vin."
La leçon ne fut pas perdue.
Un autre jour, le prélat, se rappelant peut-être un
mot analogue de saint François de Sales à sainte
Jeanne de Chantai, vit à son doigt une bague pré-
cieuse, à laquelle elle tenait beaucoup, en souvenir
de son mari.
" Est-ce que tu songes à te remarier ? " lui deman-
da-t-il froidement. — "Ohl non, monseigneur," répon-
dit la jeune femme, quelque peu surprise de la ques-
tion.— "Eh ! bien alors, lui dit-il, pourquoi portes-tu
ce bijou à ta main ? " Sans hésiter, elle ôta la bague
et, la remettant à l'une des dames : '"' Vous la rafle-
rez," lui dit-elle, " au profit des pauvres."
Ce fait peut paraître insignifiant à côté de certains
actes de générosité éclatante, qui signalent la vie de
notre vénérée mère; mais ce sont pourtant de petits
sacrifices qui ont fait une partie du mérite des saints,
perles modestes mêlées aux riches diamants qui étin-
cellent à leur couronne. Ce trait, du reste, ne
peint-il pas vivement la générosité de cœur et la
32 VIE DE
promptitude d'obéissance de madame Gamelin, qui
reculait rarement devant un sacrifice ?
Cependant l'œuvre des vieilles infirmes continuait
à se développer. Le rez-de-chaussée de l'école de la
rue Saint-Laurent était devenu trop petit pour abri-
ter convenablement la grande famille qui s'y pressait
déjà. Madame Gamelin sentait aussi le besoin d'une
surveillance plus immédiate et plus suivie.
Eu égard à ses faibles ressources, elle permettait
parfois à quelques-unes de ses vieilles de solliciter des
aumônes au dehors, chez les dames qu'elles avaient
servies autrefois. Ces sorties présentaient des incon-
vénients, créaient des susceptibilités ; chacune se pré-
tendait m:Utresse des aumônes qu'elle avait recueil-
lies, et madame Gamelin était souvent obligée d'in-
tervenir pour rétablir la paix.
Afin de veiller de plus près au bon ordre de sa
maison, elle se résigna à faire le sacrifice de son chez
elle et à s'installer auprès de ses protégées. Dans ce
but, elle loua deux maisons contiguës sur la rue Saint-
Philippe, près de la rue Sainte-Catherine. Elle ins-
talla ses vieilles d'un côté et réserva l'autre à son
usage ; une porte de communication lui permettait
d'intervenir à propos pour rétablir l'ordre et exercer
sa surveillance. Elle aggravait par là sa tâche et aug-
mentait ses charges.
51ÈRE GAME LIN 33
Son refuge, qui compta bientôt trente internes,
constituait déjà, pour ses ressources, une œuvre con-
sidérable. Elle avait à pourvoir à toutes les dépen-
ses du loyer, du chauffage, de la nourriture et du
vêtement. Que de fois, ne sachant où aller tendre la
main, le cœur gros d'inquiétude, voyant ses pauvres
sur le point de manquer de nourriture, elle s'était
demandé si elle n"avait pas trop présumé de ses forces
et tenté la divine Providence, en s'aventuraiit dans
une œuvre dont le lendemain demeurait incertain.
Mais Dieu, qui nourrit les oiseaux du ciel et pare le
lys des champs, ne l'avait jamais laissée sans secours.
Un jour d'hiver, entre autres, où elle venait d'ache-
ter quelques cordons de bois, il ne lui restait pas un
sou pour se procurer le dîner de sa maisonnée, (|ui
avait mangé le matin même son dernier morceau de
pain. En proie à la plus vive inquiétude, elle entra
dans l'église Xotre-Dame et, se prosternant au pied
du tabernacle, elle versa des larmes abondantes: '^•'Sei-
gneur, disait-elle, ne savez-vous pas que vos pauvres
n'ont plus rien à manger ? " Puis elle se releva pleine
de courage, sûre que le Dieu de l'Eucharistie avait
entendu sa plainte. Essuyant ses larmes, elle allait se
rendre au marché pour y tendre la main, quand un
vieillard vénérable s'approcha d'elle et lui dit :
"N'êtes-vous pas cette dame Gamelin qui s'occupe des
34 VIE DE
pauvres ? "* Et sur sa réponse affirmative, il lui remit
un billet de vingt-cinq louis. Elle n'eut pas le temps
de le remercier, il s'était déjà éloigné. ^
Qui se refuserait à voir dans ce fait une interven-
tion extraordinaire de Dieu ?
Madame Gamelin conçut alors le projet de former
une société de dames qui l'aideraient dans la visite
des pauvres à domicile et dans les quêtes journalières
que nécessitait le soutien de son asile. Elle jouissait
de la confiance générale. A ce moment, les critiques
qui avaient accueilli le commencement de son œuvre
étaient tombées devant sa persévérance et son succès.
On sentait qu'elle avait une mission providentielle à
remplir. A trente ans, elle était devenue la conseil-
lère et l'amie de tous les âges. On recourait volontiers
à ses lumières, et on écoutait sa parole avec respect et
confiance. Plus tard, au milieu des sollicitudes et
des occupations d'une \ie très laborieuse, rien ne
prouvera mieux la grande justesse de son esprit et de
son sens éminemment pratique, que la déférence que
l'on témoignera toujours aux vues et aux avis qu'elle
exprime avec une modestie parfaite, et qui ne man-
quent jamais, après mûre délibération, de rallier toi;=
les suffrages.
^ Ce fait a été attesté par plusieurs personnes du monde
et plusieurs de nos sœurs, qui le tenaient de notre vénérée
fondatrice elle-même.
MÈRE GAMELIX 35
La société fut bientôt formée. Xeuf clames la com-
posaient, ses parentes ou ses amies. C'étaient mes-
dames François Tayemier, E.-E. Fabre, Maurice
IS^olan, Augustin Tullock. R. Saint-Jean, Paul-Joseph
Lacroix, Joseph Gauvin, Simon Delorme et Julien
Tavernier. Grâce à leur concours, madame Gamelin
put améliorer sensiblement le sort de ses pauvres
infirmes.
Le temps n'a pas détruit cette société des premières
auxiliaires de notre fondatrice. Leur association,
croissant avec les années, a traversé plus d'un demi-
siècle. Elle subsiste encore, plus forte et plus floris-
sante que jamais, dans la personne de nos Dames de
charité. Puissent ces beaux exemples se perpétuer
de génération en génération, jusqu'au jour où nos
auxiliaires et nos bienfaitrices de tous les temps se
réuniront à jamais avec nous dans le séjour de l'é-
ternelle félicité !
Un fait touchant nous montre les attentions déli-
cates que ces dames savaient témoigner à leurs hum-
bles protégées, et la part de joie qu'elles aimaient à
leur assurer dans leurs fêtes de famille.
Mme Julien Tavernier, belle-sœur de madame Ga-
melin. célébrait les noces de sa fille unique. Après les
réunions intimes de la famille et des amis, voulant
donner un caractère de charité religieuse au souvenir
36 TIE DE
de ces jours de bonheiar, elle offrit un banquet aux
pauvres de l'asile en l'honneur des jeunes époux,
l'oute la famille y fut conviée, et les nouveaux mariés
se firent un bonheur de servir de leurs mains les
hôtes de la charité. Saintes agapes, qui rappelaient
les pieux repas de^ premiers chrétiens, où l'indigent
et le riche mangeaient à la même table le pain de la
charité fraternelle ! Pieuse pensée, qui associait la
reconnaissance et la prière des membres souffrants-
de Jésus-Christ aux espérances et aux promesses d'un
nouveau foyer chrétien !
L'épidémie du choléra causa, en 1833 et en 1834,
de terrible* ravages, décimant des familles entières^
et faisant des centaines de veuves et d'orphelins» La
ville était plongée dans la consternation et dans le
deuil. Les riches trouvaient un refuge dans les
campagnes ou dans les villes éloignées ; mais les
pauvres, forcés de demeurer dans leurs misérables
réduits, succombaient en grand nombre. Ce fut un
beau champ pour la charité de madame Gamelin, qui
se multiplia pour leur porter des secours et des con-
solations.
Un jour qu'elle venait de recueillir, dans une pau-
vre mansarde, le dernier soupir d'une femme dont le
mari gisait déjà mort à ses côtés, im officier public
entra et enleva les deux cadavres. Six petits enfants-
M. OIJVIKR BERTHELET,
MÈRE GAMELIN 37
entouraient la couche funèbre, d'où venaient de dispa-
raître leur père et leur mère, et poussaient des cris
déchirants. Madame Gamelin mêla ses larmes à leurs
sanglots, puis elle les emmena à son asile, où elle les
garda jusqu'à ce qu'ils fussent en âge d'être placés.
On pourrait citer, de cette époque, cent autres
traits de sa charité. La mémoire de nombre de braves
gens du peuple en a conservé le souvenir, qui revient
encore souvent dans leurs conversations, avec un tou-
chant accent de gratitude et d'émotion.
Madame Gamelin poursuivait depuis quatre ans, à
l'asile de la rue Saint-Philippe, sa généreuse entre-
prise. Sa famille do pauvres s'était accrue ; le loge-
gement était devenu beaucoup trop petit, et le loyer
absorbait une partie de ses minces revenus. Pleine
de confiance dans la divine Providence, elle priait et
faisait prier ses vieilles, pour obtenir qu'une per-
sonne charitable voulût bien lui donner une maison
qui répondît mieux aux besoins de i-on œuvre.
Sa foi et sa confiance étaient trop grandes pour
n'être pas exaucées, et ce fut Dieu sans doute qui lui
inspira l'heureuse pensée de s'adresser à M. Olivier
Berthelet, dont la charité a immortalisé le nom dans
les communautés de cette ville et notamment dans
celle de la Providence, dont il a été l'un des insignes
bienfaiteurs.
38 VIE DE
Madame Gamelin invita M. Berthelet à venir visi-
ter ses vieilles. Il se rendit à sa demande, et l'une
d'entre elles implora son assistance dan^ un naïf et
touchant langage qui trouva le chemin de son cœur.
Sans tarder, il fit don à madame Gamelin d'une mai-
son plus spacieuse, située sur la rue Sainte-Catherine,
tout près de révêehé.
A considérer les choses d'un point de vue purement
humain, on pourrait s'étonner cjue madame Gamelin
ait pu songer à agrandir sa maison et accroître le
nombre de ses pauvres, dans un moment où elle dis-
posait de si minces ressources. Mais sa foi en la Provi-
dence était d'autant plus grande cpie les moyens hu-
mains lui manquaient davantage ; elle se tenait tou-
jours assurée cpie Dieu lui enverrait du secours à
l'heure propice.
Le vénérable Mgr Bourget rappelait ces faits, dans
une allocution aux dames de charité, le 18 février
1867. '' Cette femme admirable/' disait-il, " avait
le cœur trop large pour que ses mains pussent
suffire aux largesses c[ui en découlaient, comme la
myrrhe, dans le sein des pauvres. Aussi avait-elle le
singulier talent de s'associer des cœurs généreux com-
me le sien, et ce fut par cet excellent moye:i cpi'avec
peu de ressources personnelles elle put entreprendre
et faire de si grandes choses.
MÈRE GAMELIX 39
" Ainsi, elle avait formé une association de per-
sonnes charitables, dont chacune s'engageait à payer
une petite pension pour quelques pauvres infirmes.
" Par ce moyen, le nombre de ses bonnes vieilles
augmenta insensiblement, au point que sa maison
était insuffisante pour les contenir. Ce fut alors qu'elle
fit appel au cœur généreux d'"un riche citoyen, qui lui
donna de bon cœur une maison plus spacieuse qui,
après avoir été une maison de désordres, est devenue
nne salle de charité et le berceau d'une nouvelle com-
munauté.
" Au reste, elle faisait si bien valoir au profit des
pauvres les ressources que l'on mettait à sa disposi-
tion, que l'on se plaisait à dire : " Ça ne coûte pas de
donner à madame Gamelin, car avec elle tout est mis à
profit."
Vers ce temps, madame Gamelin s'assura les pré-
cieux services de Mlle Madeleine Durand, qui avait
déjà donné des preuves nombreuses de sou intérêt et
de son dévouement à l'asile. ]\Ille' Durand ne la quitta
plus et devint plus tard une de ses premières compa-
gnes en religion.
40 VIE DE
CHAPITEE Y
1835-1838
LA " MAISOX JAUJSTE "'. — I.E SÉilIXAIKE CO^^FIE À MADAME
GAMELIX LA DISTRIBUTION d'UXE PARTIE DE SES
AUMONES.— TROUBLES POLITIQUES DE 1837 ET DE
ISûS. — TISITES À LA PRISON. — GRAVE MALADIE DE
MADAME GAMELIN. — MORT DE MGR LARTIGUE.
La '• liaison jaune '"', ainsi désignée, à cause de sa
couleur, dans les souvenirs de notre communauté, oc-
cupait le coin des rues Sainte-Catherine et Saint-
Hubert. C'était une modeste construction en bois, à
deux étages, de soixante pieds de long sur quaraiite
de profondeur. Elle était située tout près de la cathé-
drale Saint-Jacques et du palais épiscopal, et grâce
à ce voisinage, l'œuvre des vieilles femmes infirmes
allait recevoir de la sollicitude plus assidue de l'évê-
que uce fcrte et bienfaiîante imj ulsit n, à laquelle el e
devra de devenir bientôt le berceau de notre institut.
Madame Gamelin y fit faire immédiatement les ré-
parations urgentes, auxquelles le généreux donateur
contribua largement. Les préparatifs d'installation
terminés, elle se transporta dans son nouveau logis,
en compagnie de Mlle Durand et de vingt-quatre
vieilles du refuge de la rue Saint-Philippe. C'était
le 3 mai 1836.
MÈRE GAMELIX 41
Dès le lendemain, madame Gamelin pria Mgr Lar-
tigue de vouloir bien bénir lui-même sa maison et sa
petite famille. Le prélat se rendit avec empresse-
ment à sa demande. Il l'encouragea avec une pater-
nelle bonté, la bénit affectueusement et lui donna
l'assurance que son ceuvre ne périrait pas. Il lui
accorda l'érection du chemin de la croix, dévotion si
chère à la pieuse veuve, et à jDartir de ce moment il
honora souvent la maison de sa visite, de même que
les prêtres de son évêché. L'œuvre prit dès lors un es-.
sor décisif, une importance croissante, avec un carac-
tère tout nouveau de régularité et de stabilité.
Madame Gamelin se préoccupa sans retard de don-
ner un règlement à sa petite communauté, fixant
l'heure du travail, des repas, de la lecture spirituelle
et des différents exercices de piété. Pour accroître ses
ressources, elle appliqua ses vieilles à divers travaux,
proportionnés à leur force et à leur adresse. Les
unes niaient, d'autres cousaient ou découpaient des
bandes d'étoffe pour faire la catalogue, d'autres fabri-
quaient des sacs en toile ou des objets du même
genre.
Le produit de ces travaux ne constituait pas une
bien grosse recette, et il fallait encore recourir aux
secours du dehors. Madame Gamelin fit recueillir par
ses vieilles les restes de table des hôtels de la ville.
42 VIE DE
Elle invita ses amis à venir visiter sa maison ; des
étrangers les suivaient par sympathie pour l'œuvre, et
ces visites n'allaient jamais sans quelque aumône.
Le Séminaire vint aussi à son aide. Par Tentremise
de M. Saint-Pierre, qui ne cessa de maintenir à ma-
dame Gamelin et à son asile sa sympathie et son dé-
vouement le plus actif, elle obtint la distribution des
aumônes que le Séminaire faisait aux pauvres de cette
partie de la ville, avec le privilège d'en garder une
partie pour sa maison. Ainsi se développait peu à peu
son œuvre, vérifiant par la lenteur de ses progrès
cette parole du E. P. Lacordaire : '' Le grain, même
en le supposant de bonne nature, a besoin d'être re-
tardé dans sa germination et de dormir tout un hiver
sous terre."
Toujours prête du reste à soulager des infortunes
et des douleurs nouvelles, madame Gamelin ne con-
finait pas son dévouement et son zèle au service des
pauvres de son asile et de son quartier. L'insurrection
de 1837 lui fournit l'occasion d'en donner la preuve.
La prison de Montréal regorgeait de détenus poli-
tiques, de la ville et de la campagne, dont un grand
nombre appartenaient à de bonnes familles. Beau-
coup d'entre eux avaient une femme et des enfants,
avec lesquels il leur était rigoureusement défendu de
communiquer. C'était pour tous une cruelle souf-
MÈRE GAMELIX 43
france, qui venait aggraver Fincertitiule et Tangoisse
de leur situation.
Madame Gamelin s'émut de leur infortune et s'oc-
cupa d'y porter secours. A ce motif de compassion
s'ajoutait le désir de faire quelcjue bien à leur âme,
en ranimant en eux les sentiments de la foi et de la
piété chrétienne. ^
Elle sollicita des autorités et obtint sans peine,
grâce à l'estime et au prestige dont elle jouissait, un
permis général pour pénétrer auprès des détenus, cha-
que fois qu'elle le désirait, et pour leur porter tous
les secours qu'elle jugerait à propos.
Elle profita largement de l'autorisation, et on la
vit chaque jour, ayant au bras un panier rempli de
provisions et accompagnée d'une dame, qui était le
plus souvent madame Gauvin, franchir le seuil du
triste édifice, saluée au passage par les factionnaires
anglais qui lui présentaient les armes.
La nouvelle de la faveur accordée à madame Game-
lin se répandit rapidement dans le pays, et elle ne
tarda pas à recevoir une foule de visites ou de lettres
des parents et des amis des captifs, qui lui confiaient
leurs messages et leurs dons pour les prisonniers. Elle
s'en chargeait avec bonheur, ajoutant ainsi un ser-
' La visite des prisonniers se fait encore par les filles de
madame Gamelin. Nos sœurs accompagnent même les
condamnés au pied de l'échafaud.
44 VIE DE
vice et une douceur de plus à son ministère de conso-
lation et d'édification, et conquérant tous les coeurs
par son affectueuse bonté, qui préparait la con-
version de plus d'une âme. En ville, on l'avait sur-
nommée l'ange des prisonniers.
Nous rapporterons une anecdote de ce ministère de
charité, qui appartient en même temps à la jeu-
nesse d'une de nos compagnes en religion, sœiir
Jean-Baptiste, alors enfant de dix ans. Son père,
Jacques Longtin, cultivateur de Saint-Constant,
était au nombre des détenus.
Le 8 novembre 1838, elle vint à Montréal avec sa
mère, pour tenter de pénétrer auprès du captif. La
permission leur en fut refusée, et leur douleur fut
d'autant plus grande que la loi martiale avait été
proclamée la veille même, et que des rumeurs sinis-
tres circulaient sur le sort réservé aux infortunés
détenus. Dans son affliction, la pauvre femme se ren-
dit chez madame Gamelin pour lui demander conseil
et assistance.
" Celle-ci, raconte sœur Jean-Baptiste, ne pouvant
amener ma mère à la prison, à cause du refus qu'elle
venait d'essuyer, eut la délicatesse de me prendre avec
elle pour sa visite quotidienne. Je partis donc avec
madame Gamelin, l'aidant à porter ses provisions,
dont une part était destinée à mon pauvre père. J'a-
MÈKE GAMELIX 45
vais le cœur bien gros, et des larmes brûlantes cou-
laient le long de mes joue?, en songeant que j'allais
voir mon père bien aimé, prisonnier dans cet affreux
donjon, lui si bon et que nous aimions tant !
" Xous traversâmes la cour de la prison entre deux
rangées de soldats armés. Le guiclietier ouvrit une
immense porte en fer et la referma sur nous. Je trem-
blais de tous mes membres, mais madame Gamclin me
rassura avec une bonté toute maternelle.
" Bientôt nous fûmes dans la salle des détenus. En
l'apercevant, les prisonniers allèrent au devant d'elle
comme au devant d'une mère. Elle les salua en leur
disant : " Je viens voir comment se portent mes en-
fants aujourd'hui ! '" Pendant qu'elle leur distribuait
les messages de leurs familles et ses provisions, parmi
lesquelles il y avait du tabac et des friandises, je pus
voir mon bon père. Je ne sais ce que je lui dis, mes
sanglots m'étouffaient ; mais cette entrevue est
restée pour toujours gravée dans mon esprit." ^
Durant cette longue visite, madame Gamelin fit à
ses chers prisonniers une courte lecture de piété,
■comme elle le faisait toujours ; elle récita le chapelet
avec eux et, sur le point de partir, leur dit en sou-
riant : '•' Si vous voulez bien, avant que je me retire,
^ ;M. Jacques Longtin fut condamné à mort, puis exilé
dans une colonie pénale d'Australie.
46 YIE DE
nous allons faire ensemble notre prière du soir." Et
tous ces braves gens, s'agenouillant sur les dalles,
mêlèrent une dernière fois dans la prière leur voix
à celle de leur ange consolateur/
Que d'autres scènes touchantes ces murailles n'ont-
elles pas contemplées en ces jours d'infortune ! Que
de larmes amères ont coulé, que de cœurs se sont
brisés, lorsque les condamnés à mort recevaient la
dernière visite de leurs familles et de leurs amis, don-
naient la dernière étreinte et disaient le suprême
adieu à leurs compagnons, qu'enveloppait déjà l'om-
bre du même échafaud ! Et quel rôle bienfaisant de
compassion, de forte et délicate charité un cœur ai-
mant, une âme croyante comme celle de madame
Gamelin pouvait remplir auprès de ces grandes dou-
leurs !
Le souvenir de son dévouement n'a pas été perdu
pour l'histoire. Plusieurs ouvrages, publiés depuis
cette époque, en font mention : " Il est deux noms
surtout, dit M. L.-O. David, ^ qui méritent une
mention spéciale, et que les prisonniers de 1838 n'ont
jamais oubliés : madame Gamelin, qui devint plus
1 Cent douze patriotes subirent leur procès devant la
Cour martiale, du mois de novembre 1837 au mois d'avril
1838; quatre-vingt-dix-huit furent condamnés à mort; douze
furent exécutés ; douze, mis hors de cause ou acquittés;
trente, libérés sous caution, et cinquante-huit, exilés.
2 Les Patriotes de 1837-1838, p. 194.
:nÈEE ga:melix 47
tard fondatrice de la Providence, et madame Gauvin,
mère du Dr Gauvin, qui prit part aux événements de
1837/'
"Mesdames Gamelin et Gauvin, dit M. F.-X.
Prieur, ont fait preuve d'une charité et d'un dé-
vouement que ni le froid, ni la fatigue, ni les contra-
riétés, ni les embarras n'ont pu ébranler. Je voudrais
ici pouvoir les remercier dignement, tant en mon
nom qu'au nom de mes compagnons ; mais les paroles
sont impuissantes en pareille occurrence : Dieu seul
s'est réservé le pouvoir de récompenser de telles ac-
tions." ^
A ces témoignages nous ajouterons celui d'un au-
tre contemporain de ces tristes événements, très acti-
vement mêlé aux luttes politiques de l'époque, et qui
écrivait, quelques années plus tard, à un ami la lettre
suivante, publiée par un journal du temps. Xous la
reproduisons presque en entier.
Une femme distinguée.
Nous recevons de M. Jean Giroiiard, ex-M. P. P., une
lettre bien précieuse, que nous sommes extrêmement heu-
reux de reproduire. C'est le récit d'une visite faite par cet
homme remarquable à l'établissement de madame Gamelin,
" l'ange des prisonniers politiques de 1S37-1838," et la fon-
datrice de la Providence. Mille remerciements à M.
Girouard.
1 Notes (Vun condamné politique, p. 48.
48 VIE DE
" Il y avait longtemps que je désirais aller voir madame
Gamelin. La reconnaissance m'en faisait un devoir; car je
vous ai souvent entretenu de toutes les peines que cette
bonne dame s'était données pour secourir les pauvies pri-
sonniers, et cela dans un temps où un pouvoir farouche fai-
sait, pour ainsi dire, ini crime de l'humanité et de la bien-
faisance. Dans ces temps malheureux, les femmes seules se
montrèrent au-dessus des circonstances et soutinrent un
courage que le sombre despotisme votilait entièrement
abattre.
" L'excellente femme dont je viens de parler ne
trouvait j^lus, dans les donjons de l'inquisition politique, de
malheureux compatriotes à secourir et à consoler, mais ses
entrailles de chrétienne lui ont fait découvrir d'autres objets
non moins dignes de sa sollicitude. Jetez donc de côté
Legouvé et tous les pompeux et élégants éloges du môme
genre publiés dans les livres, et venez avec moi chez ma-
dame Gamelin voir la charité en action.
" J'avais vu la charité chrétienne prendre sous sa protec-
tion l'infortune dès son entrée dans le monde; j'avais vu le
jjauvre petit innocent, enfant de la faiblesse, du crime ou de
l'extrême misère, recueilli dès sa naissance par les mains de
la religion et sauvé d'une fin prématurée. Il me restait à voir
l'iiumanité trouver les mêmes secours au bout de sa course.
Mais ici ce ne sont plus des soins à donner à d'innocentes
petites créatures, soins souvent payés par le doux sourire
de l'enfance, c'est l'humanité dans sa décrépitude, dans son
état le plus déplorable, dans ses formes les plus repoussantes.
" Bon Dieu ! pourquoi ne pas mourir dans l'âge de la
santé et de la force? Faut-il attendre que nous soyons cruel-
lement abandonnés par les sens qui nous mettent en rapport
avec tout ce qui nous entoure et surtout avec nos sembla-
bles? Pourquoi donc attendre que nous soyons assaillis par
toutes les infirmités et les douleurs qu'amène la vétusté de
la machine coi-porelle, et lorsqu'il ne nous reste plus qu'une
espèce de vie végétative et que le sentiment de la souf-
france. Eh bien ! c'est lorsque, pour comble d'infortune,
ces maux sont joints à la misère et au démlment, que la
vertu d'une femme est venue au secours de tous ces mal-
lieurs. Sans grandes richesses, sans pouvoir, sans moyens
apparents, elle est venue à bout de mettre son plan à exé-
cution. Encore un peu de temps et elle aura bâti, avec l'aide
de quelques dames charitables de Montréal, et sur un ter-
rain qu'elle a acheté auprès de l'évêché, un hospice spacieux
et bien approprié â son objet. Pour le présent, madame
Gamelin se trouve resserrée dans lui bien ])etit local. Ce-
MÈRE GAMKLIN 49
pendant entrez-j', et vous serez étonné de l'oidie et de
la propieté qui y régnent.
" Une trentaine de vieilles, qui seraient peut-être mortes
de misère ou faute de soins, ont trouvé là un refuge contre
la pauvreté, un asile de paix et de consolation, oil elles re-
çoivent continuellement tous les secours qu'exige la caducité
jointe à la cécité, à la siu'dité, à la paralysie et à toutes les
autres infirnrités de la vieillesse. Ce sont presque toutes des
sexagénaires, des octogénaires; on y trouve même des cen-
tenaires.
■' Celles de ces pauvres femmes qui ne sont pas entière-
n-.ent impotentes s'occupent à divers ouvrages. Les unes
filent, les autres échiffent des morceaux d'étofife avec les
seuls doigts qui leur restent, les autres coupent et lient des
lanières pour fabriquer des catalogues; celles-ci tricotent,
celles-là font des poches et autres ouvrages appropriés à
leur capacité.' Celles qui ne peuvent travailler prient, et j'en
vis trois en adoration dans la petite chapelle où un prêtre
vient tous les jours dire la messe. Au reste, elles sont toutes
mises proprement et presque entièrement avec des étoffes
fabriquées dans la maison.
" Madame Gamelin est seule à la tête de cette maison, sans
autre aide qu'une bonne fille qui s'est vouée comme elle
aux soins de la vieillesse infirme et pauvre. Elles n'ont guère
d'assistance parmi leurs commensales, si ce n'est qu'une jeune
fille aveugle, qui peut laver la vaisselle et balayer.
" J'avoue que je n'ai pu laisser cet asile sans un sentiment
d'admiration pour le zèle de l'excellente madame Gamelin, et
pour la source où elle a pu puiser la pensée et la force d'âme
nécessaires pour accomplir une si belle œuvie. Qu'elle est
donc belle, cette religion qui inspire d'aussi beaux, d'aussi
touchants dévouements : laisser toutes les jouissances du
monde, toutes les douceurs et les aisances de la vie pour se
consacrer exclusivement au soulagement de la misère !
"Et quelle misère, bon Dieu! celle. de la décrépitude la
plus extrême. A peine trouve-t-on chez un parent, chez un
ami assez d'attachement et de courage pour surmonter
toutes ces répugnances et prodiguer tous ces soins... Oui,
c'est dans ces institutions de la plus pure charité qu'il faut
étudier la religion catholique pour la connaîti'e, la com-
prendre, la chérir et l'admirer. La foi, c'est l'amour. Je ne
veux plus entrer dans de vaines disputes avec certains beaux
esprits que je rencontre assez souvent; je les enverrai où j'ai
retrouvé tout ce qu'il fallait pour renouveler chez moi de
consolantes convictions et ces sentiments qui font le bon-
heur de l'homme.
J. GIROUARD.
fi novembre 1S41.
50 VIE DE
Les nombreuses visites de madame Gamelin aux
prisonniers, jointes aux travaux incessants que lui
imposait le soutien de son refuge, avaient épuisé ses
forces physiques. Au cours de l'année 1839, elle tomba
gravement malade. Aux premiers symptômes, le mé-
decin reconnut la fièvre typhoïde, et la malade fut
bientôt à l'extrémité. Que de prières s'élevèrent vers
le ciel pour sa guérisoii ! Que de larmes coulèrent,
par la crainte de perdre une mère si aimante et si dé-
vouée ! Des veuves désolées, des pauvres inonso-
iables se succédaient sans cesse dans le petit ora-
toire de l'asile, où il leur semblait que le Dieu des
affligés entendrait plus favorablement leurs prières
et leurs gémissements. Le 1-i ssptembre. elle eut
une défaillance qui la fit croire à l'agonie. Son
confesseur, M. Saint-Pierre, récita les prières de 5
agonisants. Ses plus intimes amies et quelques
pauvres, agenouillées au pied de son lit, atten-
daient à chaque instant son dernier soupir. Ce fut
durant cette apparente agonie que la sainte Vierge
lui apparut. Elle lui montra la place qui lui était ré-
servée au ciel. " Mais ma couronne, écrivait-elle plus
tard, n'avait presque pas de diamants, et ma bonne
Mère me renvoya en me disant que J'avais à me cor-
riger de mes impatiences... J'ai vu mes enfants,
qui semblaient vouloir m'attirer à eux : j'ai vu aussi
HÈRE GAMELIN 51
mon époux au nombre des bienheureux "' ^ . Reve-
nue de cette syncope, et regardant avec bonté ceux
qui l'entouraient, elle leur dit en souriant : '' Ne
pleurez plus, je ne mourrai pas maintenant." En
effet, à partir de ce moment, ses forces revinrent gra-
duellement ; elle fut bientôt guérie et en état de re-
prendre ses devoirs de charité.
Un événement douloureux signala le commence-
ment de l'année 1840 : la mort de Mgr Larti-
gue, qui s'endormit dans le Seigneur, à l'Hôtol-Dieu,
le 19 avril, jour de Pâques, entre les bras de son co-
adjuteur, Mgr Bourget, et de M. Quiblier, supérieur
du Séminaire.
Madame Gamelin pleura longtemps ce saint prélat,
son ami personnel et celui de sa maison, le protecteur
dévoué de son œuvre naissante, à laquelle il n'avait
■cessé de porter le plus actif intérêt. Mgr Lartigue ai-
mait tendrement les pauvres. '' Tant qu'il fut au sé-
minaire, on le vit traverser la ville, portant lui-même
la nourriture du pauvre ou les vêtements dont il allait
couvrir les membres de Jésus-Christ, vendant secrète-
ment les objets dont il pouvait disposer, afin de satis-
faire ce penchant (|u'il goûtait à faire du Ijicn."" -
' Nous avons le témoignage autographe de cette vision,
rapportée par mère Gamelin elle-même, dans le journal de
«a retraite de 1848.
- Mélanges Religieux. 30 avril 1841.
53 VIE DE
CHAPITEE YI
1838-1843
l'I.rSIEUlîS ÉVÊQt'E.S VISITENT L'ASILE DE MADAME GAME-
LIX.— LA l'REMIÈRE MESSE EST DITE DAXS L'ORA-
TOIRE.—TÉMOIGNAGES DE SYMPATHIE DES COMMUNAU-
TÉS DE LA VILLE. — INCORPORATION DE L' ASILE. — MGR
ROURGET ET LES FILLES DE SAINT-VINCENT DE PAUL.
A la mort de Mgr Lartigue, l'asile de madame Ga-
melin était en possession de la sympathie et de l'ad-
miration publiques. Les citoyens les plus influents de
la ville l'avaient honoré de leur visite. Mgr de Forhin-
Janson, évêque de Nancy, était venu bénir l'humble
demeure et assurer la pieuse fondatrice que son œu-
vre, commencée dans une pauvreté et un dénument si
grands, subsisterait toujours. Quelques mois plus tard,
madame Gamelin avait la consolation de recevoir
trois autres évêques, que lui amenait Mgr Bourget.
C'étaient Mgr Fenwick, évêque de Boston, Mgr Tur-
geon, coadjuteur de Québec, et' Mgr Gaulin, évêque-
de Kingston. Cette bienveillante faveur, témoignée
par l'épiscopat à son œuvre naissante, fut pour elle
rm précieux encouragement, dont elle garda un sou-
venir de gratitude.
Une autre joie bien vive lui fut accordée la même
année, celle de voir célébrer la sainte messe tous les-
Msr JEAN-JACOUKS I.ARTIOUE,
l'rfiiiier c'\ê(jue de Montréal.
MÈKE GA.MKLI.N 53
jours à l'asile, et d'avoir Iv Saint-Sacrement au
tabernacle, au temps des neuvaines, du mois de ^larie
et dans plusieurs occasions solennelles. Cette faveur
fut demandée à Mgr Bourget par deux infirmes, l'une
aveugle et l'autre boiteuse, qui. se jetant à genoux
aux pieds de l'évêque, lui représentèrent qu'un bon
nombre d'entre elles étaient privées à cause de leurs
infirmités de se rendre à l'église, même le dimanche.
Le prélat acquiesça avec bonheur à leur prière et
promit qu'un prêtre de son évêché irait chaque jour
leur donner la messe. Madame Gamelin s'occupa .sans
plus tarder à se procurer les choses nécessaires au
culte. Le petit refuge ne pouvant en faire les frais,
elle s'adressa aux différentes communautés de la ville,
pour solliciter leur assistance. Partout elle reçut une
réponse empressée. Les religieuses de l'Hôtel-Dieu,
de la Congrégation de Notre-Dame et de l'Hôpital-
Général lui donnèrent les ornements et le linge né-
cessaires au saint sacrifice. La messe fut célébrée pour
la première fois le 13 décembre 1841, sur un petit
autel en bois offert par les sœurs de l'Hôpital-Grénéral,
qui se voit encore aujourd'hui dans la grande salle
des vieilles, à l'asile de la Providence. En même
temps, M. Prince fut nommé chapelain de la maison,
M. Saint-Pierre conservant ses fonctions de confes-
seur.
54 VIE DE
Madame Gamelin témoigna sa reconnaissance au
ciel en organisant une garde d'honneur de jour et de
nuit, chaque fois qu'elle eut le bonheur de garder le
divin Maître sous son toit. Heureuse destinée de cette
pauvre demeure qui, après avoir été un lieu de désor-
dres et de péchés, devenait l'asile de la prière, de la
charité et du recueillement, le tabernacle du Dieu
trois fois saint I
Cette faveur fut pour la pieuse veuve un puis-
sant encouragement pour ses travaux et ses entre-
prises charitables. Elle ne sortait jamais de la maison
sans aller baiser le parquet du petit oratoire oîi s'était,
le matin, célébré le saint sacrifice. Le ciel se plut à
récompenser sa foi ardente, et la faveur extraordi-
naire qu'elle avait un Jour obtenue dans l'église
Xotre-Dame se renouvela à la Maison jaune.
Un jour qu'elle allait partir pour le marché sans
un sou dans sa bourse, elle alla se prosterner, suivant
son habitude, au pied du tabernacle ; puis, frappant
légèrement sur la balustrade du chœur, elle dit à
Xotre-Seigneur : '' Jlon Dieu, je pars faire le marché
de vos pauvres, et ma bourse est vide ! " A peine sor-
tie de la maison, une personne inconnue se présenta
à elle et lui dit : " J'apprends que vous n'avez plus
rien dans votre bourse ; voici pour vous aider," et, lui
remettant vingt-cinq schellings. elle se retira sans lui
dire son nom.
MÈRE GAMELIX 55
Un événement important pour le diocèse eut une
influence heureuse sur l'œuvre de madame Gamelin.
Ce fut la création du chapitre de la cathédrale, érigé
le 21 janvier 1841.
Xotre communauté a eu dès l'origine avec ce cha-
pitre des liens étroits, puisque ses aumôniers pen-
dant longtemps, et ses supérieurs ecclésiastiques jus-
qu'aujourd'hui ont été pris dans ses rangs. Ces
messieurs n'ont cessé de nous témoigner une bienveil-
lance que nous ne saurions assez reconnaître ; aussi
les regardons-nous comme nos pères et nos insignes
protecteurs.
L'asile trouvait aussi dans le dévouement des
dames de charité un précieux secours. La plupart
d'entre elles adoptaient une vieille, pour laquelle elles
payaient douze ou quinze schellings par mois.
Pleine de reconnaissance pour ces attentions de la
Providence, madame Gamelin se sentit portée à s'at-
tacher d'une façon plus étroite à l'œuvre qui prenait
déjà tout son cœur et la plus grande partie de son
temps. Le 2 février 18-12, avec l'agrément de son di-
recteur, elle prononçait secrètement le vœu suivant,
qui l'engageait pour toujours à l'œuA're qu'elle avait
établie :
" Je promets de grand cœur et avec joie de vivre
le reste de ma vie dans une continence parfaite,
56 VIE DE
d'être la servante des pauvres dans la mesure de mes
forces, d'exercer sur mes conversations une vigilance
plus sévère^ et de retrancher de mes habits tout ce qui
sentirait le luxe et la parure. Je veux me donner à
mon Dieu ; qu'il fasse ce qu"Il voudra de moi, je m'y
soumets avec résignation. Aidez-moi, ô ma bonne
Mère, à garder les promesses que je vous fais aujour-
d'hui." 1
EjIilÉLIE GaîIELIN .
2 février 1842.
C'était un acheminement inconscient vers l'engage-
ment décisif et solennel de la vie religieuse, à la-
quelle la grâce divine l'inclinait peu à peu. Elle
y songeait alors sérieusement. Son directeur, M. le
chanoine Prince, ne semblait pas favoriser cette in-
clination, soit quil ne fût pas pleinement convain-
cu de sa vocation, ou qu'il voulût l'éprouver et s'as-
surer de la solidité de ses dispositions, avant de l'en-
courager dans cette voie. On rapporte à ce sujet un
mot d'un de ses collègues du chapitre, M. le chanoine
Blanchet, qui disait un jour, en plaisantant, à la
future fondatrice de la Providence : " A'ous, vous
faire religieuse ! vous n'êtes pas plus faite pour cela
que moi pour être évêque ! " Il n'avait manifeste-
ment pas le don prophétique, puisqu'il fut lui-même,
^ L'autographe de ce vœu est conservé dans les archives-
de rarchevêché de Montréal.
MEKE (iAMELIX o7
qiielquas années plus tard, nommé an nouveau siège
épiscopal de AYalla-Walla, où il devait appeler
plus tard, pour le service des pauvres et des malades
de son diocèse, les filles de l'institut dont madame
Gamelin était devenue la première supérieure.
Au printemps de 1841, Mgr Bourget fit son pre-
mier voyage ad limina. Durant son absence, l'asile de
madame Gamelin obtint de la législature lïncorpo-
ration civile. La loi, passée le 18 septembre 1841.
avait été présentée par l'honorable D.-B. Yiger et
l'honorable J. Quesnel. M. Alfred Larocque s'était
emploj'é activement à assurer le succès des démar-
ches et des mesures préliminaires. La nouvelle asso-
ciation portait le nom de " Corporation de l'Asile des
femmes âgées et infirmes de Montréal."
Elle se composait des douze dames suivantes : ma-
dame Gamelin, directrice ; Mlle Madeleine Durand,
sous-directrice ; Mme François Tavernier, née Ca-
dieux, secrétaire ; Mme Maurice jSTolan, née Perrault,
trésorière ; Mme Paul-Joseph Lacroix, née Lacroix ;
Mme Augustin Cuvillier, née Perrault ; Mme Alex-
andre-Maurice Delisle, née Cuvillier ; Mme Edouard-
Eapnond Fabre, née Perrault ; Mme Denis-Benja-
min Viger, née Portier ; Mme Julien Perrault, née
Lamontagne ; Mme Simon Delorme. née Dufresne, et
Mlle Thérèse Berthelet.
58 VIE DE
L'une des principales clauses de ce bill portait que
'' ces dames et toutes autres personnes choisies par
elles pour les assister ou leur succéder, formeront un
corps politique, ayant plein pouvoir d'acquérir, de
posséder, de vendre,. . . en un mot de transiger de
quelque façon légale que ce soit, pour elles ou leurs
successeurs, toute sorte de biens, meubles et immeu-
bles, aux fins de créer et soutenir, agrandir et perpé-
tuer un asile pour les femmes âgées et infirmes."
Jusque-là, ces dames s'étaient bornées à aider ma-
dame Gamelin dans son œuvre, sans former entre elles
d'association régulière. Cependant elles Tisitaient as-
sidûment les pauvres et les malades à domicile et leur
portaient les secours qu'elles pouvaient reciteillir.
Peu de temps après son retour d'Europe, le 16 octo-
bre 1841, Mgr Bourget réunit dans le petit oratoire
de l'asile les dames de la nouvelle association, pour
bénir et encourager leurs travaux. Après quelques
chants pieux, le saint évêque adressa à la petite as-
semblée une de ces allocutions pleines de chaleur et
d'émotion, dont il trouvait le secret dans son cœur
rempli de charité. Eappelant la belle parole de saint
Laurent au proconsul romain, il leur fit voir le véri-
table trésor de l'Eglise dans ces pauvres, ces infirmes
et ces malades qu'elles assistaient et dont elles se
constituaient les gardiennes, dans ces membres souf-
MÈKE GAMELIN 51>
frants de Jésus-Christ, dont elles pansaient les plaies
et adoucissaient la misère.
Saint Vincent de Paul, sans doute, parlait sur ce
ton aux dames de Paris, qu'il avait associées aux
œuvres de sa charité; et comme elles, après une allo-
cution vibrante de ]\I. Vincent, les dames de Mont-
réal, touchées par la parole de leur saint évêque, se
sentaient animées à poursuivre avec ardeur et cou-
rage leur généreuse entreprise.
Mgr Bourget du reste, en cette rencontre, ouvrit
à leurs espérances des horizons nouveaux sur l'avenir
de l'humble refuge qu'elles avaient pris sous leur pa-
tronage. Dans la réunion régulière qu'il présida,,
après la cérémonie religieuse de l'oratoire, il leur fît
part de son projet d'appeler dans sa ville épiscopale,
pour prendre la direction de l'asile, les Pilles de la
charité de Saint-Vincent de Paul, dont la supérieure
générale avait agréé sa demande, lors de son récent
passage à Paris.
Cette nouvelle fut accueillie avec la plus grande
joie par les dames : c'était l'avenir assuré à leur œu-
vre. Madame Gamelin partagea la joie de ses com-
pagnes. Une âme moins désintéressée que la sienne
eût pu éprouver quelque mécontentement ou du
moins quelque tristesse, à la pensée de voir passer en
d'autres mains l'œuvre qu'elle avait fondée et dirigée-
jusque-là avec tant de sagesse et de dévouement.
€0 VIE DE
Mais comme elle n'avait jamais cherché dans cette
œuvre que le bien des pauvres et la volonté de Dieu,
elle ne pouvait qu'approuver et embrasser avec un
plein contentement la décision de son évêque, où
elle voyait à la fois la divine volonté et un gage de
stabilité pour l'avenir de son œuvre.
Les associées, que l"on désignait dans le public
sous le beau nom de dames de la Providence, dé-
cidèrent, séance tenante, sur la proposition de ma-
dame Xolan, de donner à la maison qu'elles confie-
raient a.ux Filles de la Charité le nom d'Asile de la
Providence, et sans retard elles se mirent en frais de
préparer la fondation.
Cette assemblée marquait une date insigne dans
l'histoire de l'œuvre ; et c'est en toute vérité que les
Mélanges religieux, dirigés alors par M. le chanoine
Prince, pouvaient écrire, quelques jours plus tard :
'•' Tout ceci ne paraîtra d'abord qu'un bien petit évé-
nement, dans cette minime réunion d'une douzaine
de personnes, escortées d'une trentaine de pauvres et
d'infirmes, priant ensemble avec un pasteur. On croi-
rait, ce semble, qu'il y a là tout simplement le fait
ordinaire d'un acte de dévotion. jSTe vous y trompez
pas : il y a plus que cela. Il y a là tout l'avenir d'un
grand événement ; il y a le berceau d'une œuvre ad-
mirable, l'ébauche d'un grand plan ; il y a là le fon-
MÈRE GAMELIX 61
•dément d'im édifice immense. Tout, dans la religion,
commence ainsi par la prière et l'humilité, tout ce
qui est grand et saint ! Voyez à Bethléem, voyez dans
le cénacle ! " ^
Dès le lendemain de l'assemblée, les dames déci-
daient d'acheter un terrain pour la construction
du nouvel asile ; et grâce à la libéralité du mari de
l'une d'entre elles, M. Paul-Joseph Lacroix, et de sa
sœur, Mlle Louise Lacroix, qui avancèrent les fonds
nécessaires, elles étaient maîtresses, au bout de quel-
ques jours, d'un superbe terrain, planté de vignes et
d'arbres fruitiers, qui mesurait 56,000 pieds de super-
ficie. Il touchait à la propriété de l'évêché et s'éten-
dait en face même de la Maison jaune.
Les dames le payèrent douze cents louis, à rente
■constituée ; mais M. et Mlle Lacroix leur firent re-
mise immédiatement de la moitié de la rente de six
années, en leur laissant espérer pour la suite d'autres
remises considérables.
Le 6 novembre suivant, Mgr Bourget adressait aux
dames de l'association, réunies en assemblée géné-
rale, le décret suivant, qui leur conférait l'érection
canonique :
" Ignace Bourget, par la miséricorde de Dieu et la
grâce du Saint-Siège apostolique, évêque de Mont-
réal, etc., etc.
^ Mélanges religieux, 22 octobre 1841.
62 VIE DE
" Si naguère l'asile appelé Maison de la Provi-
dence, lorsqu'il n'était encore que l'œuvre d'une
seule personne, attirait déjà notre attention et notre
suffrage, combien plus, aujourd'hui qu'il devient une
œuvre commune et générale, ne doit-il pas être pour
nous l'objet de notre sollicitude paternelle et de
toute notre affection. Aussi, nos très chères dames
et sœurs en Jésus-Christ, c'est avec une consolation
bien grande que nous vous adressons ici ce mande-
ment qui doit affermir de plus en plus votre courage
et lui donner en même temps cette sanction salutaire
que votre piété vous fait sans doute désirer bien
ardemment.
" En conséquence, après avoir considéré devant
Dieu le bien véritable que pourrait produire dans
notre chère ville de Montréal et même, par la suite,
dans tout notre diocèse, la permanence de l'œuvre
chrétienne que notre fidèle sœur, Emmélie Gamelin,
a depuis longtemps commencée sous les yeux de notre
illustre prédécesseur, par la présente nous venons la
confirmer et la bénir, et voulons qu'elle soit Institu-
tion diocésaine et régulière, aux fins d'y introduire
plus tard le service admirable des sœurs de la charité,
filles de l'immortel saint Vincent de Paul.
" C'est dans cette pensée que nos regards se tour-
nant d'abord vers les établissements de charité qui
existent à Ville-Marie, nous y voyons avec consola-
MÈEE GAMELIX 63
tiou des hospices nombreux, ouverts pour les malades
et les infirmes, pour la vieillesse et l'enfance délais-
sées ; mais nous sommes obligé de reconnaître que,
par leur nombre ou leur objet, ils ne répondent pas
encore à tous les genres de besoins, ni à toutes les
classes de malheurs et d'infortunes, i^ous songeons
donc spécialement aujourd'hui à fonder parmi vous
et par vous un établissement stable et pieux, qui soit
un asile assuré pour toutes les personnes atteintes
d'infirmité ou de souffrance, d'ignorance ou de pau-
vreté, et qui attendront de la religion leur soulage-
ment et leur confort. C'est dans ce dessein, N. T.
C. S., et en nous modelant sur des institutions sem-
blables, formées dans la ville si hospitalière de Mar-
seille, que, connaissant vos vues et votre empresse-
ment, manifestés dans deux réunions précédentes,
nous avons résolu de vous constituer, ce jour même,
en société charitable ; et nous donnons, conformé-
ment à vos désirs, pour base à votre institut les arti-
cles suivants :
" lo Une association dite " Asile des Dames de-
la Providence pour les femmes âgées et infirmes ""
est établie à Ville-Marie, sous les auspices de la reli-
gion catholique et au nom de la charité chrétienne.
" 3o Cette association est composée des dames et
demoiselles de Montréal qui auront été agrégées à
64 TIE DE
cette œuvre en vertu d'uu bill sanctionné à cet effet
dans la dernière session du parlement provincial, et
aussi conformément au règlement de l'association.
" 3o Le but de l'association est de recevoir dans
une maison spéciale, d'y entretenir, instruire et soi-
gner toutes les personnes indigentes qui ne pourront
être admises dans les autres établissements.
" 4o L'association est placée sous notre juridiction
immédiate et sera régie par un règlement que nous
lui donnerons ; un de nos vicaires-généraux ou un
des chanoines de notre cathédrale en prendra la direc-
tion et sera chargé de la présider en notre absence.
'' Il y aura des prêtres, en nombre graduellement
nécessaire, qui seront à la nomination de M. le supé-
rieur du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal, et
qui serviront d'aumôniers à l'association, eii même
temps qu'ils prendront part à toutes les délibérations,
avec le titre de sous-directeurs.
" 5o Un conseil d'administration, composé des
dames et demoiselles sociétaires, élues à cet effet par
l'assemblée générale de l'association, aura la gestion
de tous les intérêts de l'œuvre et surveillera l'exécu-
tion des règles régissant l'établissement ; ce conseil,
élu pour un an. aura pour membres une ou pltt-
sieurs trésorières et huit conseillères, avant toutes
MÈKE GAMELIX 65
voix délibérative, et la directrice, yoix prépondé-
rante.
'' Ces articles constitutifs, X. T. C. S., vous ayant
été communiqués verbalement dans nos assemblées
précédentes et ayant été par vous formellement ac-
ceptés, dès ce moment l'association des Dames de la
Pro^àdence pour l'asile des femmes âgées et infirmes
est par nous établie et constituée, et nous lui don-
nons pour premier titulaire Xotre-Dame de Pitié,
dont la fête tombe le vendredi de la semaine de la
Passion, et pour second titulaire, sainte Elizabeth,
veuve, dont la fête se célèbre le dix-neuf de novem-
bre ; pour premier patron saint Vincent de Paul,
confesseur, dont la fête se trouve le dix-neuf juillet ;
enfin, pour seconde patronne sainte Geneviève,
vierge, dont la fête est fixée au trois janvier.
'" Puissiez-vous, X. T. C. S., sous ces heureux aus-
pices, faire réussir complètement votre nouveau et
sublime ministère, en remplissant avec gloire pour
la religion, les conditions de piété qui distinguent
une dame vraiment chrétienne et dévouée par prin-
cipe de charité au soulagement de l'infortune. C'est
dans cette espérance que nous bénissons de grand
cœur tous vos efforts pour le bien et que nous vous
donnons, par les présentes, notre bénédiction pas-
torale.
Q6 VIE DE
" Fait à Montréal, dans notre Palais épiscopal,
sous notre seing, le sceau de nos armes et le contre-
seing de l'un de nos chanoines, pour cette œuvre
notre secrétaire, aujourd'hui, six novembre 1841."
f Ignace, évêque de Montréal.
Pour Monseigneur,
J.-C. Prixce,
Chan. sec.
Deux jours plus tard, le S novembre, Tévêque
adressait une lettre pastorale au clergé et aux fidèles
de sa ville épiscopale, pour leur faire part des événe-
ments que nous venons de raconter, et solliciter leur
charitable concours à la fondation de l'asile, eu fa-
veur duquel les dames allaient bientôt leur demander
leur aumône. " Déjà, leur disait-il, un terrain a été
acquis, et la résolution a été prise de jeter les fonde-
ments d'une maison assez spacieuse pour mettre ces
filles de la charité en état de remplir leur mission.
Nous avons doue prié les douze dames qui forment
la corporation de l'Asile des femmes âgées et infirmes
de faire circuler une souscription chez tous les ci-
toyens de cette ville. En les envoyant vers vous,
]^. T. C. F., nous empruntons encore les paroles de
l'Apôtre pour dire à chacun de vous : "Aidez-les, ces
dames toutes dévouées à une œuvre si belle, qui tra-
MÈRE GAMELIX 67
vaillent avec nous pour que la charité qui nous est
tant recommandée dan? l'Evangile soit pratiquée
<3ans sa perfection, Adjuva illas qiiœ meciim laborave-
runt in evangelio. Nous espérons qu'elles vous trou-
veront préparés, lorsqu'elles iront solliciter votre se-
cours, et que nous n'aurons pas à rougir de vous les
avoir envoyées en vain."
Les dames, dont le nombre s'était accru depuis les
puissants encouragements de leur évêque, se mirent
à l'œuvre incessamment. Partageant, pour leur pieux
projet, la ville en six sections, elles allèrent de mai-
son en maison implorer la charité des citoyens. Leur
zèle et leur peine ne furent pas stériles : elles par-
vinrent à réaliser la somme de 1,015 louis.
Le printemps suivant, une vente de charité, ou-
verte deux jours durant, les IG et 17 mai, à l'hôtel
Easco, rue Saint-Paul, donna une recette de 500
louis. Ce fut le premier hazar tenu dans notre
ville ; le premier aussi de la longue série des ventes
de charité annuelles de l'asile de la Providence, qui
•ont réuni si régulièrement, pendant plus d'un demi-
siècle, les amis de notre œuvre et de notre commu-
nauté.
Ce hazar eut pour directrices mesdames Gamelin,
Gauvin, Saint-Jean, Fabre, Lévesque, Boyer, Moreau
«t Lafontaine. Ces noms ont figuré, durant de lon-
gues années, à la tête de toutes les œuvres de charité
68 VIE DE
de Montréal ; ils méritent d'illustrer à Jamais les an-
nales de son histoire religieuse.
La. préparation de ce bazar avait coûté six mois de
travail et d'organisation. Il fut sttivi, au cours de-
l'année, de deux ventes moins importantes, pour écou-
ler les objets qui étaient restés de ,1a première vente..
Elles eurent lieu à l'école Saint-Jacques, de l'évêché,,
où s'imprimaient alors les Mélanges religieux. ^
Mgr Botirget voulut apporter lui-même sa part
de collaboration personnelle à la quête de l'asile.
" Le plus pauvre entre vos pauvres, disait-il à ma-
dame Gamelin, je n'ai pas un sou à mettre dans votre
bourse. ]\Iais comme les pauvres ne doivent pas roti-
gir de leur état, moi aussi je me ferai mendiant, pour
le bonheur d'apporter ma quote-part à ttne œttvre
que j'ai tant à cœur."' Et au cours de l'hiver suivant
(1842), accompagné d'un citoyen, il fit la visite de-
toutes les maisons de la ville, tendant la main à son
tour en faveur de l'œuvre qu'il avait si hautement
recommandée.
A cette occasion, l'honorable Charles-Séraphin
Rodier exprima, par une lettre au pieux évêque, les-
sentiments de reconnaissance qu'il partageait avec
tous ses concitoyens, '' de ce que Sa Grandeur avait
bien voulu les faire participer aux prières et aux
' Cet édifice, deux fois détruit par le feu. est aujourdhur
remplacé par l'orphelinat Saint- Alexis.
3IÈRE GAMELI]Sr 69
bénédictions que cette heureuse maison répanclrait
parmi eux."
La quête du charitable préhit iDroduisil 1100 louis,
qui vinrent grossir le fonds de construction.
Les sommes déjà réalisées et l'espérance que l'on
fondait sur les bazars projetés pour les années sui-
vantes, permettaient d'entreprendre la construction
sans retard. On fit donc choix d'un architecte, qui
fut M. John Ostell, et d'un entrepreneur, M. Au-
gustin Laberge.
La surveillance des travaux fut confiée à un comité
nommé par les dames, qui comprenait MM. John
Ostell, P.-J. Lacroix, Augustin Tullock, 0. Berthelet
et François Tavernier, tous bienfaiteurs de l'œuvre.
Le plan comportait un corps de logis de 96 pieds
de longueur sur 60 de largeur, flanqué de deux ailes,
longues de 90 pieds et larges de 30, le tout compre-
nant trois étages et présentant une façade de 156
pieds.
La bénédiction de la première pierre eut lieu le
10 mai 1842, avec un éclat extraordinaire. Une
foule nombretise, venue de toutes les j^arties de la
ville, se pressait autour de la cathédrale et du terrain
sur lequel devait s'élever le nouvel édifice. Une
messe solennelle fut célébrée à la cathédrale par Mgr
Power, récemment nommé à l'évêché de Toronto.
70 TIE DE
Les évêques de Montréal,, de Kingston et de Sidyme ^
y assistaient, entourés d'un nombreux clergé de la
ville et de la campagne.
M. Bilaudèle, directeur du grand séminaire, pro-
nonça après la messe le discours de circonstance.
Prenant pour texte de son sermon ces paroles de nos
saints Livres : '" L'œuvre que le Seigneur a com-
mencée, il l'achèvera '*, il s'attacha à démontrer que
l'asile de la Providence était l'œuvre de Dieu, en
lui-même, dans sou hut et dans les personnes qui en
entreprenaient l'établissement. Il eut un beau
mouvement d'éloquence lorsque, rappelant que
les œuvres de Dieu sont toujours accompagnées
d'obstacles, il s'écria : " Mais il faut des richesses
pour élever ce monument : où sont-elles ? Il faut
des mères pour soigner ces pauvres : où sont-elles ?
Il faut des vierges de la charité, des Filles de Saint-
Vincent de Paul : où sont-elles ? " . . . Puis, louant le
dévouement des dames et la charité inépuisable de la
ville : " 0 Eeligion catholique, s'écria-t-il, que vous
êtes admirable ! Béni soyez-vous, Seigneur, qui avez
fait revivre au milieu de cette ville de Marie les mer-
veilles de charité et de dévouement des premiers siè-
cles de l'Eglise ! . . . Ovii, c'est l'œuvre de Dieu, car
nous allons élever un temple au Dieu des pau-
^ Mgr Bourget. !Mgr Gaulin, et ^Igi' Tuigeon, coadju-
teur de Québec.
MÈRE GAMELIN 71
Très. • C'est là, dans ces asiles, qu'il a faim ; c'est
là qu'il a soif ; c'est là qu'il est malade ; c'est là
qu'il souffre ; c'est là qu'il est prisonnier ; et c'est
â ceux qui l'auront soulagé dans ses pauvres, qu'il
promet les éternelles récompenses. . . Bénissez-nous,
Seigneur, par votre main, par la main de votre Mère,
par la main de vos pontifes, et en particulier de celui
qui, se glorifiant d'être le premier pauvre de son
•diocèse, consacre les prémices de son pontificat à
la divine charité." ^
L'enthousiasme de l'auditoire était à son comble.
On se rendit en procession au lieu préparé. Au-
dessus des estrades, dressées pour les spectateurs,
flottaient des drapeaux et des bannières, dominant
les arcs de triomphe. La foule contemplait avec
-émotion, marchant à la suite de la bannière de saint
Vincent de Paul, les vieilles infirmes de l'asile, sui-
vies de madame Gamelin et des dames de charité.
Après la bénédiction de la pierre angulaire, qui fut
faite par Mgr Power, les assistants, à la suite des
quatre prélats, vinrent suivant l'usage donner le coup
de truelle sur la pierre et déposer leur offrande.
Vers le milieu de juin de la même année, le
P. P. Timon. '^ supérieure des lazaristes du Mis-
^ Mélanges religieux, 13 mai 1842.
- Le R. P. John Timon, supérieur des lazaristes du Mis-
souri, né dans cet Etat, premier évêque de Buflfalo le 17
octobre 1847, décédé le 16 a-\Til 1867.
73 VIE DE
souri, arrivait à Montréal. Il venait au nom de son
supérieur général, qui était aussi celui des Filles de
la Charité, pour voir l'édifice en construction et s'en-
tendre avec l'évêque sur les mesures à prendre pour
hâter l'arrivée des sœurs de France. Le père se
montra parfaitement satisfait de tout ce qui avait été
fait et décidé jusque-là.
Il visita la maison de madame Gamelin, adressa à
la dévouée fondatrice ses félicitations les plus cor-
diales et l'assura qu'il écrirait aux Filles de Saint-
Vincent de Paul, qu'elles pouvaient s'attendre à trou-
ver au Canada une autre Mlle Legras, qui s'appliquait
à faire fleurir en ce pays le véritable esprit d'humilité
et de charité de leur bienheureux père.
Ces encouragements, dans lesquels les dames vi-
rent une manifestation sensible de la Providence di-
vine, les animèrent à redoubler de zèle et de charité
au service des pauvres, pour attirer sur leurs œuvres
une plus ample bénédiction. Elles résolurent d'é-
tendre leur association à la visite des pauvres et des
malades à domicile.
Mgr Bourget, qui assistait à la séance dans laquelle-
elles prirent cette décision, leur envoya dès le lende-
main, pour les guider dans leurs visites, un règlement
calqué sur celui que saint Vincent de Paid avait ré-
digé pour une société de dames de Paris, qui se con-
sacraient aux mêmes soins. Une belle lettre, dans
MÈRE GAMELIX 73
laquelle le saint évoque avait laissé déborder toute la
piété et la charité de son cœur, accompagnait cet
envoi. Nous la donnons en entier.
Aux Dames de la charité,
A l'Hospice de la Providence, Montréal.
Mesdames,
" Je fus hier merveilleusement consolé et édifié de
la résolution que vous prîtes de- vous dévouer tout
entières au service des pauvres, en allant les visiter
pour leur porter tous les secours dont ils ont besoin.
A^ous vous déterminâtes, avec un dévouement digne
de vos bons cœurs, à une œuvre si pénible et si révol-
tante pour la nature ; et vous prouvâtes par là que
Montréal a le bonheur de posséder de ces âmes géné-
reuses et compatissantes, telles qu'étaient celles qui,
en secondant les vues charitables de saint Vincent de
Paul, l'homme aux grandes œuvres pour le secours de
riiumanité soufïrante, faisaient couler par toute la
terre des fleuves de charité. En vous constituant, à
l'exemple de ces héroïnes de la charité, les humbles
servantes des pauvres, vous prouvez que vous possédez
les trésors de la charité chrétienne et que vous avez
découvert le secret de vous procurer un vrai et solide
bonheur, celui de rendre vos semblables heureux.
En vous assujettissant à visiter les pauvres, je sens
74 VIE DE
que vous allez dérober aux soins de vos ménages un
temps bien précieux pour vous et vos familles. Je-
comprends que vous allez vous priver du plaisir que
vous pourriez en beaucoup de rencontres vous accor-
der, de visiter plus assidûment les personnes qui vous
sont unies par les liens du sang et de Famitié. Mais la
pensée que vous quittez la compagnie de vos proches
pour vous procurer celle de Jésus-Christ, sera pour
vous une bien grande récompense qui équivaudra
sans doute à ce centuple promis par l'Evangile à
ceux qui renoncent à tout pour suivre ce bon Maître.
La joie intérieure, qui est la compagne fidèle de la
charité, vous fera goûter cette douce onction qui fait
bientôt oublier les plaisirs du monde. La foi vive,
qui vous fait entreprendre une œuvre si belle, et qui
vous enivre continuellement dans l'accomplissement
des devoirs sacrés que vous vous imposez de si bon
cœur, ne manquera pas de vous faire voir Jésus souf-
frant dans la personne de ses amis, de ses confidents,
de ses frères, c'est-à-dire, dans la personne des pau-
vres.
" Je vous offre aujourd'hui le règlement que je
vous promis hier et que j'ai dressé sur celui que donna
saint Vincent de Paul aux vertueuses dames qui vou-
lurent s'associer aux travaux de sa charité, pour rem-
plir une œuvre exactement semblable à celle dont
vous voulez bien vous charger. Je ne pouvais suivre
JIÈRE GAMELIX 75
un plus beau modèle, ni puiser à une meilleure source.
Si j'y ui fait quelques changements et additions, ce
n'a été que pour me prêter aux besoins et aux circons-
tances où nous nous trouvons. Ainsi, mesdames, ce
n'est pas de ma main que vous recevrez ce règlement,
mais de celle de ce grand saint, évidemment suscité
par la Providence pour présider, non seulement à
toutes les œuvres de charité qui se firent de son
temps, mais encore à toutes celles qui se feront dans
la suite des siècles, et dans tous les pa5's du monde.
" En vous donnant ce règlement, je crois vous don-
ner l'esprit et le cœur de ce saint admirable. Il vous
sera facile d'y puiser ces lumières qui imprimèrent à
toutes ses œuvres le caractère des œuvres divines,
c'est-à-dire la discrétion et la prudence qui ne peu-
vent venir que d'en haut, et cette charité universelle
qui le fit compatir à toutes les misères humaines.
" Guidées par ce sage directeur et soutenues de sa
puissante protection, vous pouvez espérer que le Sei-
gneur présidera à la distribution . de vos aumônes,,
qu'il bénira vos généreux efforts et multipliera les
fonds que vous amassez pour ses membres souffrants.
Croyez, mesdames, que vous avez pris le moyen le
plus sûr et le plus efficace pour assurer le succès de
l'établissement des Filles de la Charité en cette ville,
en vous chargeant de faire leur œuvre d'avance. . .Vos
soins empressés auprès des pauvres vont être des voix
7G YIE DE
éloquentes poiir annoncer leur venue en cette ville.
Votre charité industrieuse va vous ouvrir tous les
cœurs et toutes les bourses, afin de vous mettre en
état d'élever rapidement le magnifique monument
que vous voulez consacrer à la gloire de notre. religion
et ériger à l'honneur de son auguste Mère, patronne
de notre ville. En vous chargeant de cette belle mis-
sion, vous allez faire briller d'un nouvel éclat notre
sainte religion, qui sait inspirer un pareil dévoue-
ment ; vous allez alléger de beaucoup le fardeau de
vos pasteurs, qui trouveront en vous des dépositaires
zélées et industrieuses de leurs aumônes ; vous allez
faciliter aux riches l'accomplissement fidèle du grand
précepte de l'aumône, qui oblige si strictement ceux
à qui le Seigneur donne les biens de ce monde ; vous
allez contribuer grandement à la gloire de votre ville,
sur laquelle vous attirerez les plus abondantes béné-
dictions du ciel ; enfin, vous allez faire la joie et la
consolation de votre évêque, qui trouvera dans les
travaux de votre charité un motif bien puissant d'es-
pérer son salut et celui de son troupeau.
" C'est en bénissant votre glorieuse entreprise que
je suis de tout cœur,
" Mesdames,
" Votre très humble et obéissant serviteur,
'' f Ig., Evêque de Montréal."
MÈEK GAMELIX 77
Ces paroles étaient un précieux encourage-
ment pour des cœurs déjà si bien disposés. La
visite des pauvres et des malades fut vite et intelli-
gemment organisée. La société se partagea en six
groupes, correspondant à six arrondissements de la
ville et des faubourgs, avec deux dépôts généraux, en
argent et en nature, l'un à l'asile et l'autre au fau-
bourg Saint- Antoine. Tous les jours, aux deux
endroits, on servait la soupe à cinquante ou soixante
pauvres. M. Berthelet et ^I. Tidlock, qui prenaient
un vif intérêt au développement de l'œuvre, voulant
encourager les pauvres et leur enlever toute fausse
Tionte, venaient souvent s'asseoir et manger avec eux
la soupe, qu'ils déclaraient excellente.
Madame Gamelin avait la direction générale de
l'œuvre. Ses compagnes s'employaient alternative-
ment à distribuer aux pauvres les secours et les au-
mônes, et à recueillir les offrandes qu'elles allaient de-
mander indistinctement à tous les cœurs charitables,
dans les maisons comme dans les boutiques, profitant
surtout des fêtes et des banquets de famille, dans
lesquels leur voix compatissante faisait entendre
la plainte et la prière du pauvre, au milieu des joyeux
■éclats de la gaieté et du luxe des heureux de la terre.
Plusieurs d'entre elles s'imposaient même de gé-
néreux sacrifices sur le superflu de leur maison et de
7« VIE DE
leur toilette, pour subvenir à la nécessité des veuves-
et des orphelins ; et l'on en vit plus d'une déposer un
de ses bijoux dans la bourse des pauvres, à l'exemple
inoubliable de ces dames de la cour de Louis XIII^
qui se dépouillèrent spontanément de leurs joyaux
pour secourir les enfants abandonnés dont saint Vin-
cent de Paul venait de leur révéler éloquemment la
détresse.
Madame Gamelin elle-même avait renoncé, à cette
époque, à tout ce qui pouvait sentir la vanité ou la
mondanité dans sa mise et dans sa tenue, aux orne-
ments de tête, aux bijoux, aux parfums, toutes choses
auxquelles elle attachait naguère un certain prix.
Les travaux et les occupations nouvelles que lui
créait cette multiplication d'activité charitable ne
l'empêchaient pas de donner à ses vieilles le même
temps et les mêmes soins affectueux et assidus qu'au-
paravant. Elle s'y appliquait d'autant plus que le
moment approchait où elle aurait à se séparer de ses
chères protégées. Elle se consolait cependant à
la pensée que les sœurs de charité auxquelles ses
chères vieilles allaient être confiées, seraient, pour
celles qu'elle aimait tant, de vraies mères, telles
qu'elle l'était elle-même, sans vouloir, dans son humi-
lité, en accepter le nom. Elle continuait de les servir
à table, de présider à leurs exercices de piété, de leur
prodiguer ses attentions délicates et tendres.
MÈRE GAMELIN 79
Son âme généreuse trouvait une autre consolation
à voir son zèle et son initiative multiplier au loin les
fruits de charité que suscitait son exemple et celui
de ses associées. Les paroisses de la campagne et des
petites villes environnantes ne tardèrent pas, à
l'exemple de Montréal, à organiser à leur tour des
associations de dames de charité. Il s'en forma à
Longueuil, à Terrebonne, à Laprairie, à Saint-
Hyacinthe. Les femmes les plus distinguées de ces
différentes localités tinrent à honneur d'en accepter
la présidence, telles, la baronne de Longueuil, Mme
Masson, Mme Dessaulles : touchant exemple de la
contagion du bien et de l'émulation chrétienne.
Les enfants eux-mêmes étaient gagnés par cette ar-
deur de zèle. On se plaît à rappeler le fait d'un futur
archevêque de Montréal, le jeune Edouard-Charles
Fabre, alors âgé de douze ans ; sa mère déployait
beaucoup d'activité pour les bazars de l'asile, et l'en-
fant lui apportait avec empressement les services et
le dévouement de son âge.
Et que dire de ce joli trait de quatre fillettes de
Montréal, qui organisèrent à elles seules un bazar
en faveur de l'asile ? Leurs noms méritent d'être
cités : c'étaient Mlles Alida Bourret. Eléonore Simp-
son, Virginie Eoy et Marie-Louise Leprohon.
L'aînée d'entre elles avait neuf ans, et la plus
80 VIE DE
jeune, sept. Etant en vacances^ ces charmantes en-
fants demandèrent à leurs mères de leur permettre
d'employer leur temps à travailler pour leurs pauvres.
Il va sans dire que les mamans consentirent. Sans
retard elles se mirent à confectionner des vêtements
de poupées, et au bout de trois semaines elles deman-
daient à madame Bourret, mère de l'une d'entre elles,
dont le mari était maire de Montréal, de vouloir bien
mettre son salon à leur disposition, pour y tenir leur
petit bazar sous son patronage. Ce fut l'affaire d'une
soirée. Inutile de dire qiie les gentilles vendeuses
eurent grand succès, et que tous leurs objets furent
enlevés. Le lendemain, ces bons petits cœurs, pré-
sentés à leur évéque par madame la mairesse, remet-
taient entre ses mains une dizaine de louis, en lui
adressant ces paroles d'une naïveté touchante :
" Monseigneur, nous avons fait un grand bazar. Nous
vous en apportons le produit, que vous donnerez, s'il
vous plaît, à l'asile de la Providence, que vous faites
bâtir pour les pauvres de madame Gamelin."
Ce trait charmant prouve le vif intérêt et la popu-
larité que le zèle du prélat et de ses collabora-
trices avait su créer en faveur de son projet. Il y
avait donc lieu de compter sur un succès assuré, et
tout le faisait présager, lorsque survint un contre-
temps qui sembla devoir un instant renverser toute
espérance et compromettre à jamais les fruits de tant
MÈEE GAMELIX 81
d'efforts et de travail. 11 n'y eut pourtant là qu'un
de ces éyénemeuts providentiels qui, en déconcertant
pour un moment les plans et le travail des hommes,
manifestent tout à cou}) un plan caché de Dieu,
à une heure qu"il n'a pas révélée d'avance à ceux
mêmes qu'il a employés jusque-là à travailler incons-
ciemment à son dessein.
Du contre-temps et de la déception que nous allons
raconter est née véritablement notre humble commu-
nauté.
Si les filles de Saint- Vin cent de Paul étaient venues
prendre possession de l'asile qu'on bâtissait pour
elles, les Sœnrs de la charité de la Providence n'exis-
teraient peut-être pas aujourd'hui. Or l'Esprit de
Dieu, qui gouverne et anime en tout temps son Eglise,
avait décidé de susciter à cette heure même, à côté
des sœurs de Jeanne Mance et des filles de Margue-
rite Bourgeois et de Marguerite-Marie Dufrost de la
Jemmerais, une nouvelle communauté de vierges, ap-
appelée à subvenir à de nouvelles nécessités, à sou-
lager d'autres souffrances et à compléter ainsi l'orga-
nisation de la vie relio-icuse dans notre cité.
82 VIE DE
CHAPITEE VII
1843-1844
VSE LETTRE DU K. P. TIMON. — DÉCEPTIOX. — FONDATION
d'une nouvelle communauté. — LES PEEitIÈRES POS-
TULANTES.— LES SEPT CHAPELETS DE NOTRE-DAME DE
LA COMPASSION.— PRISE DE POSSESSION DE L'ASILE.—
BÉNÉDICTION DE LA CHAPELLE. — VOYAGE DE MADAME
GAMELIN AUX ETATS-UNIS. — SON ENTRÉE EN RELI-
GION.
Au cours du mois de février 1843, Mgr Bourget
convoqua les dames en assemblée extraordinaire pour
leur faire part d'un événement inattendu, qui devait
donner à leur œuvre une direction nouvelle et modi-
fier profondément l'existence de madame Gamelin.
Le prélat venait de recevoir une lettre du E. P.
Timon, supérieur des Filles de Saint- Vincent de
Paul aux Etats-Unis, l'informant, au nom de son
supérieur général, que la fondation presque simul-
tanée de deux nouvelles maisons de la communauté,
en Algérie et à Eome, rendait pour le moment impos-
sible, faute de sujets, l'acceptation de l'asile de Mont-
réal. C'était un rude coup porté aux espérances des
dames, et une épreuve bien propre à dérouter et à
ralentir l'activité et l'ardeur de leur zèle.
Il n'y avait pourtant pas là de quoi décourager la
constance du pieux évêque et sa confiance dans la
.A[ERE GAMELIX bo
Providence, qui ne pouvait lui faire défaut, dans une
•entreprise dont les promesses avaient été si brillantes
■et les débuts si heureux.
Il lui était difficile de faire des ouvertures à une
autre communauté française. Le choix de cette
communauté, lïncertitude de sa réponse, le temps
que prendraient les démarches et les correspondan-
ces, constituaient un obstacle sérieux, au moment où
l'enthousiasme pour l'œuvre battait son plein, et où
l'asile, dont la construction avançait rapidement, de-
vait pouvoir compter, dès qu'il serait terminé, sur
son personnel d'hospitalières.
Toute incertitude et tout atermoiement devenaient
donc un danger sérieux pour le succès de l'entreprise.
L'évêque, après avoir beaucoup réfléchi et prié,
s'arrêta à un parti qui offrait bien ses risques et ses
inconvénients, mais qui, dans les circonstances,
paraissait être le plus sage et le plus sûr. Il résolut
de fonder une congrégation de sœurs de charité dio-
césaines.
Les dames, à qui il fit part de son projet, l'agré-
èrent avec empressement, et elles se mirent aussitôt
•en frais de sollicitations et de largesses, pour assurer
aux premières religieuses de la future communauté
les objets qui allaient leur être indispensables.
Dans l'intervalle, cinq jeunes filles, répondant à
84 VIK DE
l'appel de leur pasteur, vinrent solliciter l'honneur
de se consacrer à N^otre-Seigneur dans le service des
pauvres et des infirmes. C'étaient Mlles Marguerite-
Thibodeau et Agathe Séné, de Montréal, Emmélie
Caron, de la Eivière-du-Loup, Victoire Laroque, de
Chamblv, et Delphine Payement, de Sainte-Gene-
viève. La plupart d'entre elles avaient peu d'ins-
truction, mais elles appartenaient à ces familles pro-
fondément chrétiennes, dont l'esprit de foi et de
fortes habitudes de piété, contractées dès l'enfance,
constituent une excellente préparation à la vie reli-
gieuse. Mlle Durand, attachée depuis son origine à
l'asile, où elle rendait de précieux services, joignit
sa demande à celles de ces jeunes filles. Monseigneur
les ayant agréées, elles furent considérées dès ce mo-
ment comme postulantes et revêtirent un costume-
provisoire, consistant en un fichu noir et un petit
bonnet blanc.
Le 1-4 mars au soir, l'évêque leur fit commencer,
sous la direction de M. Ginguet, prêtre français de-
meurant à l'évêché, les exercices d'une neuvaine qui
devait les préparer à la prise d'habit, fixée au 25 mars,,
fête de l'Annonciation. Les trois derniers jours fu-
rent consacrés à une retraite, dont M. le chanoine
Prince fut le prédicateur. Or. le soir du premier-
jour, avant l'ouverture de la neuvaine. une septième-
MÈRE GAMELIX 85
postulante se présenta, Mlle Justine Michon. L'é-
vêque faisant lui-même sa retraite à l'évêclié, m;ij-
dame Gamelin, au lieu de lui adresser la nouvelle
venue, prit sur elle de l'admettre aux exercices de la
neuvaine, en lui promettant d'appuyer sa demande
auprès du prélat, pour qu'elle fût admise à la vôture
avec les six autres, ce que Monseigneur lui accorda
avec bonheur.
Une circonstance qui pourrait sembler de prime
abord insignifiante, mais qui est assez remarquable,
si on la rapproche d'un fait précédent, marqua l'ad-
mission de cette septième postulante. An cours de
la neuvaine, et avant que l'on eût demandé l'autorisa-
tion de l'évêque, il se trouva que les six premiers cos-
tumes une fois taillés dans la pièce d'étoffe que l'on
avait achetée en vue de ce nombre de personnes, il
en resta juste as^«ez pour en faire un septième.^ Or,
^ Nos mères fondatrices, conformément au but de leur
institution, s'étaient inspirées, dans le choix de leur cos-
tume, d'une gravure représentant une novice des Filles de
Saint-Vincent de Paul, favorisée d'une apparition de la sainte
Vierge. Voici comment elles reproduisirent ce costume.
Une robe de mérinos gris ardoise, avec jupon de say noir ;
une collerette de toile blanche à mi-bras; une garniture de
mousseline blanche, de deux pouces et demi de large, plissée
sur une bande de coton et pliée au fer à plis creux et plats;
on l'ajustait au besoin siu- un bonnet d'indienne. Le domino
était le même qu'aujourd'hui; on y fixait avec des épingles
deux fanons de toile blanche, larges de quatre pouces, qui
tombaient en arrière sous le domino et sur la collerette
qu'ils dépassaient de quelques pouces; ime ceinture noire
complétait le costume. Pour sortir, l'on adopta le collet ac-
tuel. Le chapeau était gris, plus grand que celui d'aujour-
d'hui, et plissé en arrière il peu près comme le domino.
86 VIE DE
Tannée précédente, un jour que Mgr Bourget.
après avoir célébré la sainte messe dans la cathé-
drale de Chartres, en France, priait avec larmes
pour l'établissement des Filles de la Charité dans sa
ville épiscopale, une inconnue s'approcha de lui et
le pria d'accepter ^ept chapelets de Xotre-Dame
des Sept-Douleurs. Or ces sept chapelets furent don-
nés plus tard par Mgr Bourget aux sept premières
professes de la communauté; et parmi ces sept reli-
gieuses figurait Mère Gamelin elle-même, qui avait
pris, au cours de l'année, la place d'une des sept pos-
tulantes, retournée dans sa famille. Dieu' ne sem-
blait-il pas vouloir sanctionner par là dune façon
mystérieuse le culte que la nouvelle communauté
avait voué aux souffrances sacrées de la Mère de son
divin Fils ?
La première vêture eut lieu dans l'humble ora-
toire de la Maison jaune, le 25 mars 1843. Les S2pt
postulantes reçurent l'habit des mains de Mgr Bour-
get qui, s'inspirant du mystère du jour, leur adressa
avec une vive émotion les paroles suivantes :
" Comme l'archange Gabriel annonça à Marie le
mystère de l'Incarnation, de même je vous annonce,
au nom de l'Eglise, que vous êtes chargées du soin des
pauvres et d'être pour eux de véritables mères. Et
comme l'ange invita Marie à ne point craindre, je
MÈRE GAMELIX 87
VOUS dis aussi : Xe craignez pas, petit troupeau ;
vous aurez des croix, vous devez vous y attendre ;
mais la grâce ne vous fera pas défaut. Comme vous
n'avez pas encore de maîtresse, je vous remets aux
soins de la sainte Vierge. Elle voudra bien, je l'es-
père, vous servir elle-même de maîtresse. Dans vos
peines, dans vos chagrins, dans vos inquiétudes, allez
à cette bonne Mère ; je ne crains pas de vous laisser
seules avec cette auguste Maîtresse."
Le lendemain, il leur donnait leur règlement quo-
tidien et leur annonçait que M. le chanoine Prince
était chargé de leur direction spirituelle et de leur
formation religieuse. Dès ce moment, M. Prince
présida à tous les exercices ; il assigna à chacune
d'elles son office et leur traça leur ligne de conduite
dans les moindres détails. Sa direction était aus-
tère. Il ne leur épargnait ni les pénitences ni les
épreuves. En dehors de sa direction, elles devaient
obéir en tout à madame Gamelin comme à leur supé-
rieure. Celle-ci d'ailleurs était- sur le point de s'i-
dentifier plus que jamais à son œuvre, en venant elle-
même, en qualité de novice, partager la vie de ses jeu-
nes compagnes.
La cérémonie de la vêture avait produit sur elle
une profonde impression. Ses aspirations à la vie
religieuse et les désirs qui travaillaient son âme
depuis quelque temps prirent une nouvelle force, à
88 VIE DE
la vue de ces Jeunes filles, accourues au premier appel
pour se consacrer au service des pauvres, dans cette
maison qu'elle avait ouverte, et qui avait déjà reçu la
l^lus grande part de son cœur et de sa vie. Il lui
semblait que -sa place était marquée la première
aux rangs de ces filles dévouées qui allaient con-
sacrer leurs forces et leur existence entière à l'avenir
de sa fondation, et la fécondité et la valeur de
leur vie à la pratique des vœux de religion.
Elle voyait aussi là le meilleur moyen de demeurer
étroitement attachée à ses vieilles infirmes et d'assu-
rer à la nouvelle communauté, par l'autorité de son
âge et de son expérience et l'avantage de ses relations,
un secours précieux pour des débuts qui seraient
inévitablement difficiles et pénibles, dans la pénurie
où ils allaient s'accomplir.
La grâce inclinait son âme vers une résolution
conforme à ces vues et à ces réflexions. Mais, d'autre
part, que de répugnances et d'objections ne trouvait-
elle pas en elle-même, pour l'exécution d'un pareil
dessein !
A son âge, avec l'indépendance de son caractère
et la liberté relative de vie et de relations qu'elle
conservait encore, et qu'elle pouvait accroître à
l'avenir, une fois déchargée sur la nouvelle com-
munauté d'une partie des soins et des responsabilités
MÈRE GAMELIX S9
de l'heure présente, entrer en religion, se soumettre
aux épreuves d'im noyieiat, à l'assujettissement per-
pétuel d'une règie^ à la direction de supérieures
beaucoup plus jeunes qu'elle ; se condamner à par-
tager toutes les privations et toutes les épreuves de
ses nouvelles sœurs, sans la perspective de pouvoir
s'y soustraire jamais, en se faisant iine existence
plus libre et plus aisée : il y avait là une grosse
somme de renoncements et de sacrifices, qu'une
âme, même aussi forte et aussi généreuse que la
sienne, ne pouvait embrasser sans un vigoureux élan
et une assistance soutenue de la grâce. Mais Dieu lui
accorda cette grâce, car il la voulait toute à lui, dans
le renoncement absolu.
Le 8 juillet 1843, l'une des novices ayant quitté
l'habit pour retourner dans sa famille, madame Ga-
melin n'y put tenir davantage. Elle alla se jeter aux
pieds de son directeur et le supplia avec larmes de lui
permettre de prendre la place de celle qui venait de
partir. ]\I. Prince accueillit froidement sa demande,
et lui conseilla d'écarter ces idées de vie religieuse, où
il ne voyait pas encore la volonté de Dieu. Comme
toujours, elle se soumit sans réplique: ce seul mot de
volonté de Dieu la faisait tressaillir. Elle continua ce-
pendant de prier, et bientôt après ses dernières hési-
tations tombèrent, et sa décision fut prise.
90 VIE DE
Mgr Bourget Ty aida grandement.
Un jour qu'elle lui faisait part de sou désir, et
en même temps de ses hésitations et de ses répugnan-
ces, le saint évêque, obéissant à un de ces mouvements
de foi vive qui lui étaient familiers, l'invita à s'age-
nouiller avec lui pour implorer la lumière divine.
Pendant une heure, ils unirent leurs prières et leurs
supplications au pied du tabernacle; puis ils se rele-
vèrent éclairés et convaincus de la volonté divine :
madame Gamelin prendrait l'humble habit des ser-
vantes des pauvres et consommerait son oblation par
l'émission des trois vœux de religion.
M. Prince ne pouvait mettre obstacle à une déter-
mination aussi sérieusement mûrie, et éprouvée par
une lutte opiniâtre. Il admit donc la fervente pos-
tulante à prendre la place de la jeune novice dont le
départ avait affligé la petite famille.
Ces longues hésitations, tranchées par des voix au-
torisées et dissipées par l'obéissance, donnèrent plus
tard à mère Gamelin une grande sécurité dans la
conscience de sa vocation. L'année qui précéda sa
mort, elle écrivait dans son journal de retraite, en
parlant de l'élection à un état de vie : " Elle est toute
faite pour moi, ô mon Dieu! Je vous remercie de ma
vocation à la vie religieuse. Vous l'avez décidée par
vos ministres. Trois ont examiné ma vocation ; ainsi.
m
m
m
È
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Aïs
MÈRE GAMELIN 91
je suis persuadée de votre volonté. Je ne me suis
jamais repentie d'avoir suivi leurs conseils."
Toutefois, avant d'effectuer son dessein et de com-
mencer son noviciat, il fut décidé par Mgr Bourget et
M. Prince, que madame Gamelin, afin d'être d'un
plus grand secours à la communauté dont elle allait
faire partie, et dont elle était toute désignée pour
être la supérieure, ferait un voyage aux Etats-Unis,
dans le but d'y étudier quelques maisons de charité,
notamment celles des Filles de Saint- Vincent de
Paul, à New-York et à Baltimore.
Quelques mois avant son départ, elle avait présidé
à l'installation du personnel de l'hospice dans le nou-
vel asile, qui se composait alors de la chapelle et des
deux ailes latérales. Le 18 mai, Mgr Bourget bénit
les salles, dont les vieilles infirmes venaient de pren-
dre possession, et le 24, fête de Notre-Dame de Bon-
secours, madame Gamelin et les novices quittèrent la
Maison jaune, qui avait abrité tant d'actes de charité,
de dévouement et d'abnégation. C'était l'adieu au
berceau de notre communauté, dont le souvenir nous
est resté si cher.
La bénédiction de la chapelle et de l'autel eurent
lieu le 21 août. ^ La cérémonie fut présidée par
^ L'autel fut donné par M. Gédéon Leclerc, sculpteur
en bois, de la ville de Montréal.
92 VIE DE
Mgr Plielan, coadjuteur de Kingston. Mgr Bour-
geL Mgr Signay, évêque de Québec, Mgr Gaulin,
évêqiie de Kingston, et Mgr Power, évêque de
Toronto, y assistaient. Ce concours de prélats té-
moignait éloquemment de la faveur que l'épiscopat
du pays accordait à la nouvelle fondation.
Avant la lin du mois, la maison reçut de M. le
chanoine Hudon, vicaire général, alors en Europe, un
cadeau qui venait fort à propos orner la chapelle de
l'asile, encore bien nue. C'était une statue de Notre-
Dame des Sept-Douleurs, que le bon chanoine en-
voyait à madame Gameliu. Elle prit, dans la niche de
Fabside, la place d'une statue de l'Immaculée Concep-
tion, qu'on y avait d'abord installée et qui figure au-
jourd'hui sur la façade. C'est devant cette image de
JSTotre-Dame des Sept-Douleurs, que nos mères fon-
datrices et tant de nos sœiurs, après elles, ont pro-
noncé leur profession religieuse.
Le 11 septembre, madame Gamelin partit pour les
Etats-Unis, en compagnie de M. Paul-Joseph La-
croix ^ et de ses amies, madame Nolan et madame
Gauvin. La veille du départ, Mgr Bourget lui adressa
^ ]\I. Lacroix, insigne bienfaiteur de notre communauté,
est le même qui avait fait une forte remise sur le prix de
vente du terrain de l'asile. Son fils, ]\I. Charles Lacroix, imi-
ta sa générosité. Son premier acte légal, à sa majorité, fut
de donner ù, l'asileJ de la Providence le terrain de l'hospice
Saint- Joseph, rue Mignonne, évalué à £500.
MÈRE GAMELIX 93
les deux lettres suivantes, où se manifestent la pru-
dence et la piété du saint évêque.
Evêché de Montréal,
10 septembre, 1843.
" Madame, comme vous partez pour un voyage
qui a pour unique objet l'avantage de l'asile de la Pro-
vidence, que le bon Dieu vous a fait la grâce de fon-
der avec tant de bonheur, je crois devoir vous donner,
•dans la présente, quelques règles propres à vous diri-
ger.
" 1** D'abord, avant tout, proposez-vous unique-
ment de procurer la gloire de Dieu pendant ce long
voyage, et de n'y chercher que les intérêts de la reli-
gion et le bien spirituel et temporel des pauvres. Crai-
gnez souverainement la dissipation qui suit presque
toujours les voyageurs. Pour cela, évitez autant que
vous le pourrez de satisfaire votre' curiosité, vous sou-
venant continuellement que votre voyage n'est pas
une pai'tie de plaisir, mais un pèlerinage saint et
sanctifiant pour vous et pour ceux et celles en faveur
de qui vous le faites. Vous devez, à l'exemple de
saint Antoine, le père des solitaires, visiter tout ce
c^u'il y a d'intéressant pour la charité dans le pays
•que vous allez parcourir, afin de le mettre en pratique
94 VIE DE
et de perfectionner ainsi de plus en plus votre
œuvre, déjà comblée de bénédictions, et qui recevra
de jour en jour de nouvelles faveurs, si vous n'y
mettez pas d'obstacles. Autant que faire se pourra,
sans pourtant manquer aux convenances, vaquez
à vos exercices ordinaires de piété ; confessions, com-
munions, lectures, chapelets, etc., que tout aille
son train comme si vous étiez chez vous. Faites-
vous surtout une pratique habituelle de la pré-
sence de Dieu. Eeprésentez-vous continuellement
les différents voyages de la sainte Famille, dont
vous connaissez toutes les circonstances, l'objet et
la fin. Que le monsieur qui doit vous protéger
vous rappelle sans cesse le bon saint Joseph qui,
sur les avis que lui en donnaient les saints anges,,
transportait cette auguste famille dans les lieux où il
lui fallait aller pour se conformer aux décrets de la
divine Providence. Que vos vénérables compagnes de
voyage soient à vos yeux comme la personne sacrée
de la Bienheureuse Yierge. N^'oubliez pas que votre
ange gardien, ainsi que celui de la maison de la Pro-
vidence, vous accompagnent en tous lieux et qu'ils
s'en vont régler eux-mêmes, avec les anges titulaires
des personnes et des maisons que vous avez besoin de
voir, les affaires que vous avez à y traiter. Enfin, priez
le Seigneur avec beaucoup d'humilité et de confiance
MÈRE GAMELIN 95
qu'il daigne vous faire connaître sa sainte et adorable
volonté, en vous donnant la grâce de Taccomplir en
toutes choses.
" 2" Visitez dans le plus grand détail les établisse-
ments de Sœurs de Charité, dans tous les lieux où
vous en rencontrerez. Tâchez de les voir faire toutes
leurs œuvres et. s'il est possible, faites-les avec elles.
Entrez dans les plus petites particularités, sans néan-
moins manquer aux règles de la discrétion. Prenez
des informations sur leurs écoles, leurs pauvres, leurs
orphelins, etc. Eemarquez avec soin la distribution
de leurs établissements, les dimensions de leurs salles
et autres appartements, le nombre des sœurs en cha-
que maison, etc. Demandez comme une grâce une co-
pie de leurs règles, constitutions et coutumier. Sur-
tout, tâchez d'avoir la Eègle de saint Vincent à ses
Sœurs de Charité, du moins par emprunt, si on ne
veut ni vous la vendre ni vous la donner. Procurez-
vous les livres dont se servent ces bonnes sœurs pour
arriver à la perfection de leur saint état. Au moins
prenez-en une liste, pour les faire venir d'ailleurs.
Faites- vous conter l'histoire abrégée de chacune de
ces fondations. Faites ou faites faire des poupées
des sœurs postulante.*, novices et professes. Ecri-
vez des notes sur tout ce que vous remarquerez
d'important, afin de ne rien oublier de ce qui peut
96 VIE DE
rendre votre voyage intéressant. Visitez, si vous le
pouvez, quelques prisons, pénitenciers, hôpitaux, mai-
sons de refuge, etc., et, si vous en avez l'occasion,
faites avec les sœurs quelques visites à domicile. Il
serait bon de vous mettre avec ces saintes filles en
société de prières, convenant de dire chaque Jour les
unes pour les autres quelque prière, comme seraient
un Pater et un Ave, ou d'entendre quelque messe de
temps en temps.
" 3" Vous remarquerez, dans les différentes com-
munautés que vous allez visiter aux Etats-Unis, des
usages qui s'éloignent un peu des habitudes de nos
communautés, il ne faudra pas vous en formaliser,
parce que cela est dû aux exigences des lieux où elles
sont établies. Je n'ai pas besoin de vous recommander
d'user de beaucoup de prudence et de discrétion, afin
que les personnes qui vous accompagnent ne puissent
apercevoir les petites misères qui régnent quelquefois
dans les plus ferventes communautés. Abstenez-vous,
autant que vous le pourrez, de parler de la maison de
la Providence, pour ne pas vous exposer au danger de
blesser les règles de la modestie, qui ne permettent
pas de parler de ce que l'on fait pour la gloire de
Dieu,
'' Je prie Dieu de vous envoyer, pour vous assister
en tous lieux, son saint ange. Que cet ange fidèle vous
MÈRE GAMELIN 97
conduise et vous ramène en vous prodiguant ses soins,
comme fit autrefois l'ange Eaphaël pour le Jeune
Tobie. Votre petite communauté, vos bonnes vieilles
et nous aussi, serons en prières jusqu'à votre retour,
afin qu'il plaise au Seigneur de vous prendre en sa
sainte protection. Xous serons toujours en union des
saints noms de Jésus et de Marie, en quelque lieu que
vous soyez."
Je suis bien sincèrement. Madame,
Votre très humble et obéissant serviteur,
t Ig. Evêque de Montréal.
Evêché de Montréal,
10 septembre 1843.
Madame,
" Outre la recommandation comriiune à vous et à
votre digne compagnie, je crois devoir vous adresser
la présente pour vous seule. Comme le bon Dieu a
voulu que vous fussiez fondatrice de la maison de la
Providence de cette ville, vous avez plus d'intérêt
que personne à en promouvoir le bien spirituel et tem-
porel, et pour cela même il vous faut entrer dans plus
98 VIE DE
de détails que vos compagnes de voyage, en visitant
les asiles qu'offre la charité chrétienne à la misère
dans les Etats-Unis. Vous avez donc besoin d'une re-
commandation spéciale auprès de Nos Seigneurs les
évêques et de leurs vicaires-généraux. J'ai la ferme
confiance qu'en leur communiquant la présente, vous
obtiendrez de leur indulgente bienveillance la protec-
tion dont vous avez besoin.
" Je suis bien sincèrement, ]\Iadame,
" Votre très humble et très obéissant serviteur,
t Ig. Evêque de Montréal.
Le voyage de madame Gamelin aux Etats-Unis fut
couronné de succès. Sa réputation l'avait devancée
dans ce pays, où Ton connaissait déjà son dévouement
aux prisonniers et sa charité pour les pauvres. Quel-
ques-uns des évêques avaient même visité son petit
hospice. Aussi reçut-elle de tous le pins bienveillant
accueil. Le 18 septembre, elle écrivait de New- York à
M. Prince : " Nous sommes arrivés ici hier, très fati-
gués de notre voyage. Il est six heures, et je suis à
l'hospice des Sœurs de Charité. Elles m'ont reçue chez
elles avec beaucoup d'égards. J'ai parcouru les rues de
New- York avec deux d'entre elles, qui ont eu l'obli-
geance de m'accompagner et de me conduire à leurs
MÈRE GAMELIX 99
■différentes maisons. Elles en ont cinq dans cette ville
•et ses environs. A leur orphelinat Saint-Patrice, se
trouvent deux cent cinquante orphelins, filles et gar-
çons, tous de pauvres enfants. Leur maison de Saint-
Joseph abrite cent trente-six filles. Les autres mai-
sons sous leur charge sont remplies en proportion.
J'ai aussi visité l'établissement des dames du Sacré-
Cœur, qui est très riche. J'ai communié ce matin à
l'église Saint-Pierre. Je m'étais confessée à Boston,
•à Mgr Fenwick. Je pense à moi et à ma pauvre âme,
quoique éloignée.
" A Boston, j'ai aussi visité tous les hospices de cha-
rité et la prison d'Etat ou pénitencier qui m'a beau-
•coup intéressée. Ces pauvres prisonniers m'ont fait de
la peine. Ils sont trois cents en ce moment: ils ne par-
lent jamais et travaillent beaucoup. Il y a des Cana-
diens, entre autres trois de Montréal. J'ai connu l'un
•d'eux; il m'a reconnue aussi, le pauvre homme, mais
il ne pouvait me parler. Il était à la cuisine, et il me
suivait partout des yeux. J'ai souhaité pouvoir faire
quelque chose pour lui, le pauvre malheureux !
" Les Sœurs de Charité m'ont partout accueillie à
bras ouverts. Elles me conseillent de me rendre à leur
Motlier House, où se trouvent en ce moment deux
cents professes, cent dix novices et quatre-vingts pos-
tulantes. Cette maison mère est située à vingt lieues
100 VIE DE
de Baltimore. ^ C'est bien loin, mais l'on me fait es-
pérer que l'on me donnera une copie des Eègles de
Saint Vincent de Paul. Elles me disent, ces bonnes
' Madame Seton fonda, en 1809. une communauté de sœurs-
de charité à Emmitsburg, dans le Maryland. S'étant déter-
minée, avec l'avis de ses supérieurs ecclésiastiques, à mode-
ler son institut sur celui des Sœurs de charité de Saint-Vin-
cent de Paul, elle se mit immédiatement en mesure de se
procurer les constitutions et les règles de cette congrégation,,
avec l'espoir que quelques-uns de ses sujets viendraient ap-
porter à la communauté naissante le secours de leur exem-
ple et de leur propre expérience. Mgr Flaget. évêque nommé
de Bardstown, qui était à la veille de sembarquer pour la.
France, fut prié d'y porter cette double demande. Mais la
Providence ne permit pas la réalisation de ce pieux désir.
Le gouvernement impérial mit obstacle au départ des reli-
gieuses, et les choses en demeurèrent là. Cependant, par une
faveur exceptionnelle, Mgr Flaget put obtenir une copie de
leurs règles, qu il remit à la fondatrice. ^Madame Seton mou-
rut le 14 janvier 1821, dans sa quarante-septième année. Le
2-5 du même mois, les élections donnaient pour supérieure à
la communauté Sœur Rose White qui, après avoir occupé-
cette charge pendant deux termes consécutifs, fut remplacée-
par SœxiY M. Augustine Count. La Mère Xavier Clark gou-
verna la Congrégation de 1839 à 1845. La Mère M. Etienne
Hall lui succéda. Elles furent Tune et l'autre les amies cons-
tantes et dévouées de Mère Gamelin et de notre communauté.
Depuis la fondation de la maison d'Emmitsburg, on avait fait
des démarches multipliées pour obtenir son affiliation à
l'Institut des Filles de Charité de France, mais toujours
sans succès. Enfin, en 1849, la demande fut accueillie, et
le 25 mars 1850 le plus grand nombre des sœurs de mada-
me Seton renouvelèrent leurs vœux suivant la formule des
Filles de Saint Vincent de Paul. Elles passèrent, de ce jour,,
sous la juridiction de la supérieure générale de Paris. Le
8 décembre de l'année suivante, fête de l'Immaculée Concep-
tion, les Sœius d'Emmitsburg revêtirent l'habit des Sœurs
de Charité de France.
L'ne partie d'entre elles, toutefois, n'ayant pas accepté-
l'affiliation îl la communauté de Paris, formèrent une bran-
che séparée et établiront leur maison mère à New-York, air
Mont Saint-"\'incent. s\u- l'Hudsou. Ces dernières gardèrent.
le costume primitif donné par Madame Seton.
MÈEE GAMELIX 101
sœurs, qu'il me faudrait y résider au moins un mois,
pour tout voir, surtout la manière dont on dirige le
noviciat. Ce n'est pas beaucoup possible pour moi de
rester aussi longtemps. Je pense à ma chère maison do
la Providence jour et nuit. Ici, à New- York, l'on m'a
accordé la faveur de suivre les exercices de la commu-
nauté. Je suis bien édifiée de la régularité de ces
saintes filles.
" Je crois que nous aurons de grandes actions de
grâces à rendre an bon Dieu de ce vo3^age, pendant
lequel j'ai déjà pris de grandes connaissances. J'ai
soin de prendre chaque soir des notes sur ce que je
vois dans la journée. Priez, bon Père, ainsi que mes
chères filles et mes bonnes vieilles, pour que je sois
bien accueillie à la maison mère d'Emmitsburg. J'at-
tribue jusqu'ici le bon succès de mon voyage aux
prières que l'on fait pour moi.
" Je ne sais quand je pourrai être de retour. Si l'on
veut bien m'écrire, que l'on m'adresse mes lettres au
jeune Bossange; l'on aura son adressé chez M. Fabre.
Je serais bien heureuse d'avoir des nouvelles, car je
n'oublie pas le bon monde de mon pays, le plus beau
après tout.
" Eecevez, mon révérend Père, mes plus profonds
respects, ainsi que ceux de M. Lacroix et de nos
dames. Veuillez aussi les présenter à notre bien aimé
103 VIE DE
père et évêque, Mgr Bourget. Dites-lui, s'il vous plaît,
que je repasse chaque jour les saints avis qu'il m'a
donnés la veille de mon départ, tâchant de les mettre
en pratique. . . '"'
Madame Gamelin rentra à Montréal le G octobre
1843, après une absence de vingt jours. Elle rappor-
tait à Mgr Bourget ces règles, si vivement désirées,
des filles de Saint- Vincent de Paul ; M. Deluol,
vicaire-général de Baltimore et supérieur des Sœurs
de Charité, lui en avait remis une copie authentique,
grâce à l'entremise de la Mère Xavier Clark, supé-
rieure générale de l'Institut. C'était celle-là même
que Mgr Flaget avait obtenue en 1810 du supérieur
général des lazaristes. Le précieux document fut
transcrit pour notre communauté par M. le chanoine
Blanchet et renvoyé à ^I. Deluol. On ne saurait dire
avec quel bonheur et quelles actions de grâces ces
saintes constitutions furent reçues par les novices.
Elles 3' voyaient le guide le plus sûr de leur future
vie religieuse et une source de force pour leur com-
munauté.
Deux jours après son arrivée, le 8 octobre, madame
Gamelin quittait enfin Thabit du monde pour revêtir
rhumble et pauvre livrée des Sœurs de la charité de
la Providence. M. Prince tint à présider lui-même la
cérémonie: ce privilège lui revenait à plus d'un titre.
MÈRE GAMELIX 103
I] voulut donner à cette prise d'habit une solennité
marquée. Avant la messe de communauté, il entonna
le Veni Creator, repris par les novices ; et après
l'évangile, avec quelle allégresse il adressa à la postu-
lante, au moment de lui imposer le saint liabit, une
touchante allocution ! Après un bref commentaire du
passage de l'épître de saint Paul à Timothée, où
Tapôtre énumère les qualités de la veuve selon Dieu,
s'adressant à la nouvelle élue, il lui rappela avec des
accents émus les récompenses que Dieu réserve aux
âmes qui se donnent complètement à lui par la pro-
fession religieuse. Le soir, il y eut chant du Te Deum
et bénédiction du Très Saint-Sacrement.
Le sacrifice était consommé. Madame Gamelin
l'avait fait généreusement et vaillamment, comme
une âme de sa trempe pouvait le faire : mais ce n'a-
vait pas été sans ressentir la blessure faite à son cœur
par la rupture des relations étroites qu'elle n'avait
pas cessé d'entretenir avec ses parents et ses amies, et
que la vie religieuse allait forcément relâcher.
Une lettre à sa cousine, madame Fabre, écrite le
soir même de ce jour, nous livre le secret de ses émo-
tions intimes :
" Je suis arrivée, le six courant, des Etats-Unis,
■avec l'intention de me consacrer entièrement au ser-
vice des pauvres. Je suis heureuse de vous appren-
104 VIE DE
dre que j'ai pris le saint habit de la religion ce matin,
et que j'espère faire des vœiux sous peu.
" ISTe m'en voulez pas, ma bonne amie, d'avoir ainsi
agi à votre insu. ÎIl m'aurait fallu faire des adieux,
et je me trouvais trop lâche. Il a bien fallu un peu de
courage pour en venir à cette détermination: j'aimais
tant mes chers parents et amis ; . . , mais enfin tous
ces sacrifices se sont faits de bon cœur ce matin.
" J'espère, ma chère amie, que vous prierez le Sei-
gneur pour moi, et m'aiderez à le remercier de vouloir
bien accepter le reste de ma vie, en ayant donné ime
si grande partie au monde.
" Mes sincères amitiés à la bonne mère Perrault, à
M. et Mme Lévesque et à toute la famille. Pour vous,
chère amie, recevez mes plus vifs remerciements pour
les bontés que vous m'avez toujours témoignées. Priez,
pour moi, qui serai jusqu'à la mort,
" Votre sincère amie,
" Emmélie Gamelin, sœur de charité.
Madame Gamelin aimait passionnément les siens.
Eenoncer à la pleine liberté de ses relations avec eux,
cette joie et ce repos de sa vie si laborieuse et si ac-
tive, c'était pour elle une chose douloureuse à l'ex-
trême. L'amour de Dieu sut triompher de ces résis-
MÈRE GAMELIK 105
tances de son cœur ; mais en faisant ce sacrifice à
son divin Maître, elle ne diminuait rien de ses affec-
tions et de ses amitiés. Elle leur assurait au con-
traire une force nouvelle, en leur donnant la sanction
d'une charité plus ardente et plus dévouée. " Quand
vous montez du monde à la vie religieuse, a dit un
écrivain ascétique, n'aimez moins qui que ce soit. Ne
supprimez aucune de vos affections légitimes ; seu-
lement, transformez-les toutes. Vous aimiez vos
parents comme on aime sur la terre ; aimez-les dé-
sormais comme on aime dans le Ciel." ^
Madame Gamelin partageait ce sentiment et le met-
tait en pratique. Toujours prête à prodiguer, dans
tous leurs besoins, son dévouement à ses proches et à
ses amis, elle s'intéressait surtout au bien de leur âme
et les assistait surtout de ses prières et de ses conseils.
On trouvera la trace de cette préoccupation dans son
journal de retraites. Eu retour, elle rencontra tou-
jours de leur part la plus sincère affection, et son
souvenir demeura pour eux, après sa mort, l'objet
d'un culte pieux et tendre.
' Mgr Gay.
106 VIE DE
CHAPITEE YIII
1844-1845
LE NOVICIAT.— VISITE DES PAXJTKES ET DES MALADES.—
PROFESSION DE NOS PREMIÈRES MÈRES. — MANDEMENT
d'institution. — ÉLECTION DES PREMIÈRES OFFI-
CIÈRES.— FONDATION DE L'ŒUVRE DES ORPHELINES ET
DE CELLE DES DAMES PENSIONNAIRES.
Le noviciat, ouvert le "2 5 mars 1843, par la prise
d'habit des sept premières postulantes, en reçut
bientôt quatre autres. C'étaient Mlles Edesse Mar-
chesseau, Ursule Leblanc, Clémence Kobert et Em-
mélie Séné .^ Entrées à la ^Maison jaune le 8 sep-
tembre 1813, elles prirent le saint habit dans le
nouvel asile, le 8 décembre suivant. Le 23 du même
mois, jVnies Herménégilde Choquet et Esther Pari-
seau - obtenaient aussi leur entrée.
A la fin de l'année 1843, le noviciat comprenait
donc onze novices et deux postulantes. Dès cette
époque, les novices commencèrent à visiter les pau-
vres. Chaque matin, deux ou trois d'entre elles,
souvent accompagnées d'une dame de charité, par-
taient, le panier au bras, comme cela se fait encore
^ Sœurs Geneviève, Marie du Crucifix, Marie de la Xati-
vitê et Eramélie.
' Sœur Elisabeth et sœur Joseph du Sacré-Cœur.
MÈKE GAMELIN 107
aujourd'hui, pour aller mendier, dans les ditïérents
quartiers de la ville, des aliments et des aumônes pour
leurs infirmes et leurs pauvres. Mère Gamelin, —
ainsi l'appelait-ou déjà. — était souvent de la partie.
Sa longue expérience des œuvres de charité lui per-
mettait de guider ses compagnes dans ce pénible et
laborieux ministère, tout nouveau pour elles. Elle
les initiait avec une bonté maternelle aux diverses
tâches dont la divine Providence allait bientôt char-
ger sa communauté naissante.
Outre cette partie de la formation des novices,
elle continuait à s'occuper de l'administration de
l'asile, qui comptait déjà un personnel de plus de
cinquante personnes. Elle recevait les personnes qui
se présentaient au parloir et intéressait à l'œuvre les
âmes charitables, sans cesser de suivre très exacte-
ment les exercices de piété de l'asile et ceux du no-
viciat.
M. Prince, tout en témoignant à ses filles une bonté
et un dévouement qui ne se démentaient jamais, était
ferme et austère dans sa direction, et il ne leur mé-
nageait pas les épreuves. Les ancieimes religieuses
racontent encore avec émotion les pénitences et les
humiliations nombreuses, les renoncements conti-
nuels que l'inflexible directeur exigeait surtout
de sa " novice aînée,"' sœur Gamelin. Dieu seul
108 YIE DE
compta les sacrifices de son âme généreuse. Elle
avait été, depuis son veuvage, sa propre maîtresse ;
son état de fortune lui avait permis d'adopter un
genre de vie relativement doux, et même au milieu
de sa vie de dévouement, elle avait toujours eu le
contrôle de sa liberté. Dès son entrée au noviciat,
■elle se vit soumise à une règle étroite, qui lui en-
levait sa liberté du matin au soir et la pliait à des
exigences étrangères à ses précédentes habitudes.
Elle dut vivre de la vie commune, sévère et pauvre,
sans adoucissements et sans exemptions. Elle dut
se faire enfant, supporter les oppositions de goûts
et de caractères, pratiquer la charité et la douceur
au milieu des contradictions ; en un mot, elle
eut à pratiquer chaque Jour des renoncements
■et des mortifications dont Dieu seul connaît le
nombre et le mérite. A la longue, et par suite
d'un travail assidu qui ne finit qu'avec sa vie, elle
ne garda de sa ^dvacité que ce qu'il fallait pour ac-
tiver son zèle ; sa fierté naturelle devint une dignité
grave et sans affectation ; sa sensibilité se mani-
festa surtout en une tendre compassion pour les
malheureux, en une dévotion affectueuse à la Mère
des Douleurs, dans le sein de laquelle elle aimait à
répandre les larmes et les gémissements de son cœur.
Notre communauté lui doit l'exemple et la pratique
des grandes dévotions qui sont devenues son héritage
MÈRE GAMELIN 109
distinctif : Jésus mourant sur la croix, la Vierge
•au cœur transpercé des sept glaives, et saint Vincent
de Paul, l'apôtre de la charité. A force d'efforts
généreux et d'une constante vigilance sur elle-
même, elle parvint graduellement à être la religieuse
qu'exigeait l'austère directeur et que réclamait son
propre idéal de la vie religieuse.
Mgr Bourget partageait avec M. Prince la tâche
difficile et délicate de former les novices à l'esprit et
■aux vertus de leur état. En outre des exercices spi-
rituels que leur donnait chaque jour leur dévoué-
-directeur, le saint évêque présidait lui-même à leur
lecture de piété, pour leur expliquer la règle de saint
Vincent de Paul, qui devait être celle de leur com-
munauté. Dès cinq heures du matin, il présidait à
leur méditation, afin de les initier à la méthode d'o-
raison de saint Ignace ; il leur donnait aussi de fré-
quentes conférences spirituelles. Profondément con-
vaincu de l'importance d'asseoir sur des bases solides
l'édifice de leur perfection, il ne s'épargnait aucune
peine pour les former aux vertus essentielles de leur
■état : l'amour de Dieu, le zèle de sa gloire, le dévoue-
ment au prochain, Thumilité, le renoncement. Ses
-avis, ses lettres familières ou officielles, que nous
voudrions reproduire en entier, sont autant de monu-
ments de son dévouement et de son zèle, en même
110 VIE DE
temps que des modèles de cette direction, tout à la
fois suave et forte, par laquelle il savait incliner
efficacement les âmes à la pratique de la perfection.
Sous sa bienfaisante influence, les no^'ices, de
plus en plus affermies dans leur sainte vocation, sou-
piraient après le moment de leur profession reli-
gieuse. ]\Ig"r Bom-get se chargea de la retraite pré-
paratoire à ce grand jour, voulant en quelque sorte
présenter lui-même à TEpoux céleste ses mystiques
fiancées.
La cérémonie eut lieu le 29 mars 1844. C'est une
date mémorable pour notre Institut, puisqu'elle con-
sacre le souvenir d'un fait qui assurait pour toujours
sa stabilité. Que d'espérances réalisées en ce jour !
Que de doutes résolus ! Que de craintes dissipées !
Que de prétendues folies, changées en sages concep-
tions ! Les difficultés et les angoisses du début
étaient oubliées. L'œuvre de la Providence se mani-
festait. Le dessein de la bonté et de la miséricorde
divines triomphait.
Les dames de charité eurent une large part aux
joies de cette fête. Pendant la retraite des novices,,
elles les avaient remplacées dans les offices de la
maison et dans la visite des pauvres au dehors. Elles
avaient fait la parure de la chapelle et organisé un
chœur de jeunes filles, pour exécuter les chants de
la cérémonie. Plusieurs d'entre elles, même, en-
MÈRE GAMELIN 111
vo3'èrent leurs servantes au couvent, pour préparer
les repas et surtout le dîner du jour de la profession,
qui pût être, grâce à leur générosité, un dîner de
gala.
Pendant la touchante cérémonie, de douces larmes
coulèrent de bien des yeux. Pour les dames aussi,
c'était le jour de l'espoir réalisé, d'une récompense
et d'une compensation abondantes aux peines qu'el-
les s'étaient données et aux travaux qu'elles s'étaient
imposés.
Nous empruntons aux Mélanges religieux, du 22
avril 1844, le récit de ce joyeux événement.
" Vendredi dernier, eut lieu, dans la chapelle delà
Providence, la profession des sept premières novices
canadiennes qui se sont consacrées au service des pau-
vres et des malades selon la Eègle de saint Vincent
de Paul. Cette cérémonie, nouvelle pour le pays,
avait attiré un concours considérable de personnes
intéressées à l'œiuvre, et les pieux parents de celles
qui renonçaient à leurs propres familles pour adop-
ter la grande famille des pauvres. La petite église
de l'établissement avait été complètement décorée à
neuf par la générosité des Dames de la Corporation
et des membres de l'Association de Charité. La céré-
monie commença par l'invocation des lumières de
l'Esprit-Saint. Après le chant du Veni Creator et
112 VIE UE
la célébration de la première partie de la messe,
un des assistants du prélat se rendit à l'avant-chœur
pour annoncer aux Sœurs, par le chant de l'an-
tienne : Prudentes virgines. aptate v est ras lampades
ecce sponsus venit exite obviam ei. l'invitation que le
Seigneur leur faisait de venir lui consacrer leur vir-
ginité. Aussitôt cette petite troupe de vierges s'est
levée et, tenant des flambeaux allumés, elles s'avan-
cèrent processionnellement vers la balustrade, en
chantant le psaume de la bonne nouvelle : Lœtaius
smn in liis quœ dicta sunt mihi. Précédées de sept
jeunes enfants qui portaient sur des plateaux les insi-
gnes de la profession et représent-aient autant d'or-
phelines, les novices marchaient eu chantant, soute-
nues à leur droite par une dame de charité, et sou-
tenant elles-mêmes à leur gauche autant de vieilles
infirmes, prises parmi les quarante pauvres de leur;
salles.
" Cette réunion de pauvres, de riches, d'orphelines
et de pauvres volontaires prit place devant la balus-
trade, en face de Tévêque. A ce spectacle, une émo-
tion générale parut se faire sentir dans toute l'as-
semblée. Alors le pontife, adressant la parole à ses
filles, leur demande ce qu'elles viennent solliciter de
l'Eglise de Dieu. Elles répondent que c'est Jésus-
Christ qu'elles recherchent, et que c'est le service de
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Deuxième évêque de Montréal.
MÈRE GAMELIN" 113
ses pauvres qu'elles ambitionnent. Après une se-
conde et une troisième admonition, auxquelles elles
répondirent avec une égale persévérance, l'évêque les
reçut à l'oblation volontaire, qu'elles firent chacune
à haute voix et prosternées. Ceci n'était pas encore
la formule des vœux proprement dits : car, avant
leur engagement, il fallait l'érection régulière d'une
nouvelle communauté ; c'est ce que fit Mgr Bourget
par un mandement spécial d'institution, qui fut lu
publiquement par le chapelain de l'asile, et dont voici
la teneur :
" Ignace Bourget, par la miséricorde de Dieu et la
grâce du Saint-Siège apostolique évêque de Montréal,
etc., etc.
" A nos très chères Filles, les sœurs Emmélie Ga-
melin, Madeleine Durand, Emmélie Caron, Agathe
Séné, Marguerite Thibodeau, Justine Michon et
Victoire Larocque, novices à la Maison de la Provi-
dence de cette ville, salut et bénédiction en Xotre-
Seigneur.
"' La charité pastorale, X. T. C. S., a toujours com-
pris que c'était à elle qu'était dévolu le soin des
veuves et des orphelins, et qu'il lui fallait compatir
à toutes les misères publiques et particulières. Aussi
tout pasteur regarde-t-il comme un des plus stricts
devoirs attachés à sa charge, qui est toute de charité,
d'être VœU de l' aveugle, le pied du boiteux, le père des
114 VIE DE
pauvres, ^ comme l'assurait le saint homme Job de
lui-même. Mais comme la multitude des devoirs at-
tachés à cette charge redoutable ne lui permet pas
d'entrer dans tous les détails qu'exigerait l'accom-
plissement de ce devoir sacré et si consolant d'ail-
leurs, il lui faut se décharger en partie sur des âmes
charitables et compatissantes de ce soin indispen-
sable . . .
" C'est ce que nous fîmes sous les auspices de la
glorieuse Mère de Dieu, au jour heureux de son
Annonciation, en vous permettant, à vous, Xos Très
Chères Filles, qui êtes ici décidées à vous consacrer à
Dieu, de vous réunir pour vivre ensemble et éprouver
votre vocation.
" Plus d'une année s'est écoulée dans l'exercice et
la pratique des devoirs de la vie religieuse. L'on ne
vous a pas caché les peines et les souffrances de cette
vie vraiment pénible à la nature, que vous désirez
mener. Vous avez eu, nous le croyons, toutes les
épreuves que le Seigneur a coutume de ménager à
celles qu'il veut consacrer à son service. Vous n'en
avez pas été effrayées, N. T. C. S. ; et la grâce qui
vous avait appelées a soutenu évidemment votre cou-
rage, au milieu des tentations sans nombre qui sont
venues vous assaillir. Par la miséricorde de Dieu,
' Job. 29. 15.
MÈRE GAMELIX 115
A'ous êtes tellement affermies dans cet état, que tous
nous demandez de vous y fixer aujourd'hui irrévoca-
blement et pour toute votre vie. Oui. pour toute
votre vie, vous voulez renoncer au monde et à toutes
ses joies, pour devenir les épouses de Jésus-Christ et
les servantes de ses pauvres. Ce n'est pas aveuglé-
ment que vous faites ce choix : car vous avez appris
par votre expérience personnelle, que désormais vous
ne serez plus dans le monde pour assister à ses fêtes
et à ses spectacles, mais pour entendre les gémisse-
ments des malheureux, pour essuyer les pleurs des
veuves et des orphelins, pour donner à manger à
«eux qui ont faim, pour soigner les malades, recueillir
les derniers soupirs des mourants, ensevelir les morts,
en un mot, faire toutes les œuvres de miséricorde
spirituelles et corporelles.
" Telle est la sublime vocation à laquelle vous
vous sentez appelées et que vous voulez suivre avec la
grâce de Dieu. Dans la ferme confiance oii vous
êtes que vous ne faites qu'accomplir la sainte volonté
■de Dieu, en vous offrant à sa divine ^lajesté pour de-
venir les servantes des pauvres, vous nous demandez
de vous donner les bénédictions que l'Eglise a cou-
tume de répandre sur les vierges, la portion choisie
-de Xotre-Seigneur Jésus-Christ : et comme il est du
•devoir de notre chargre de seconder de tout notre pou-
voir tout ce qui peut contribuer à la gloire de Dieu
116 VIE DE
et au salut du prochain, nous avons approuvé et ap-
prouvons hautement votre pieux dessein. Non seu-
lement nous l'approuvons, mais encore nous voulons
bien le confirmer et le consacrer au nom du Seigneur
et de la sainte Eglise.
" A ces causes, le saint nom de Dieu invoqué, et
de l'avis de nos vénérables Frères les chanoines de
notre cathédrale, nous avons statué, réglé et or-
donné, réglons, statuons et ordonnons ce qui suit :
" 1° Xous érigeons canoniquement l'Asile de Mont-
réal pour les femmes âgées et infirmes, ouvert dans,
la maison de la Providence, et déjà reconnu par
un statut du parlement provincial, en date du dix-
huit septembre mil huit cent quarante-un. Xous
établissons aussi canoniquement les sœurs de charité,,
servantes des pauvres, pour en être les administra-
trices, pour avoir soin des dites femmes âgées et infir-
mes et, en même temps, pour visiter les pauvres et
soigner les malades à domicile, et faire d'autres œu-
vres de charité, selon qu'il plaira à Dieu de leur ins-
pirer.
" 2° Nous permettons aux sœurs novices sus-men-
tionnées, et à toutes celles que le Seigneur appellera
à imiter leur genre de vie, de faire pour leur vie les
vœux simples de pauvreté, chasteté, obéissance, et de
servir les pauvres.
MÈRE GAMELIX 117
" 3° ISTous donnons à la nouvelit communauté, pour
son bon gouvernement, premièrement, les Eègles
communes des Filles de la Charité, servantes des pau-
vres et des malades, instituées en France par saint
Vincent de Paul : secondement les constitutions
particulières que nous jugeons devoir contribuer au
plus grand bien de ce nouvel institut ; troisième-
ment un cérémonial propre à cette congrégation. . .
'•' Telles sont, X. T. C. S., les dispositions que nous
avons jugé à propos de faire pour que votre consécra-
tion à Dieu fût stable et permanente. Daigne le Sei-
gneur Jésus, qui s'est fait pauvre pour nous enrichir
de ses biens, avoir pour agréable le sacrifice que vous
êtes prêtes à lui faire de vos personnes et de tout ce
qui vous appartient.
" Qu'il bénisse le généreux dessein que voiis avez
formé et qu'aujourd'hui vous voulez exécuter aux
pieds de ses autels ; qu'il vous fasse la grâce de l'ac-
complir heureusement, malgré les difficultés sans
nombre qui vous attendent ; qu'il vous donne à
toutes des cœurs de mères pour vos pauvres, et que
votre caractère distinctif soit la compassion pour tous
les malheureux. Que votre joie se multiplie en
voyant multiplier votre famille, la grande famille
des pauvres. Que, pour subvenir à leurs nombreux
besoins, le Seigneur vous ouvre le trésor de sa Provi-
118 YIE DE
dence. Qu'il envoie de généreuses compagnes qui,
quittant courageusement le monde avec tous ses plai-
sirs, trouvent comme vous leur bonheur à être les
humbles servantes des pauvres.
"Enfin, que ce Dieu tout bon et tout miséricor-
dieux vous protège et vous garde au milieu des périls
sans nombre auxquels a'ous pourriez être exposées, et
qu'il vous fasse entendre, au dernier de vos jours,
ces consolantes paroles de J.-C. N.-S : " Venez, les
bénis de mon Père, posséder le rovaimie qui vous a
été préparé dès l'origine du monde ; car j'ai eu faim,
et vous m'avez donné à manger ; j'ai été étranger, et
vous m'avez recueilli ; j'ai été nu, et vous m'avez
revêtu ; j'ai été malade, et vous m'avez visité ; j'ai
été en prison, et vous êtes venus à moi."
'•'Donné à Montréal, ce vingt-neuvième jour de
mars mil huit cent quarante-quatre, sous notre seing
et sceau et le contre-seing de l'un de nos chanoines,
pour cette œuvre notre secrétaire.
f Ig., Evêque de Montréal.
Pour Monseigneur,
J.-C. Peince, Chan.
" Ce fut après la lecture de ce document important,
continuent les Mélanges religieux, et une nou-
velle interpellation de la part de l'évêque. que les sept
MÈRE GAMELIX 119
noYices, examinées et appelées à la profession, firent
chacune distinctement leurs vœux dans Tlustitut,
et en déposèrent l'acte entre les mains du prélat, qui
le plaça sur l'autel. De suite, l'évêque bénit les
vêtements des professes et. les leur ayant remis, elles
les baisèrent avec joie et se retirèrent, accompagnées
des dames d'honneur, dans un appartement voisin,
pour s'en revêtir.
" Cependant on récitait au chœur les litanies des
Saints. A la fin de ces prières, les professes, sous
leur nouveau costume, revinrent se prosterner de-
vant l'autel, pour y recevoir les bénédictions pres-
crites au pontifical et prendre l'anneau et la croix
qu'elles doivent porter. Ce qu'il y eut de particulier
dans cette cérémonie fut que l'évêque fit mettre l'an-
neau au doigt de la professe par la pauvre infirme,
que la sœur avait auprès d'elle, et que celle-ci lui dit
en même temps : "Souvenez-vous, ma sœur, que vous
devenez aujourd'hui la servante des pauvres." De
même, ce fut la dame d'honneur qui présenta et
plaça la croix sur la poitrine de la sœur, dont elle
devenait alors la mère et la protectrice, en s'enga-
geant à assister les pauvres en esprit d'union et de
charité : puis l'évêque confirma cette pieuse alliance
par des prières et des bénédictions. Par un senti-
ment spontané de générosité et de tendresse, les
120 VIE DE
dames d'honneur saisirent ce moment pour passer
une abondante aumône à leurs filles adoptives, qui de
leur côté se hâtèrent de reverser cette offrande dans
le sein des pauvres infirmes, placées tout auprès d'el-
les. Admirable union de la richesse et de la pau-
vreté, qui, dans la religion, se tiennent comme par la
main, et qui se retrouvent encore plus divinement
unies, en se plaçant l'une à côté de l'autre à la table
sainte, pour s'y nourrir ensemble du même pain de
vie !
" Le reste de la cérémonie consista en un acte de
consécration, qui se fit au pied de l'autel de Marie, où
l'on remarquait une superbe statue de la Vierge, pré-
sentée par les jeunes demoiselles réputées orphelines.
Enfin, après la célébration de la messe, l'on chanta le
Te Deum : puis la petite communauté se retira pro-
cessionnellement dans ses salles, en chantant le
psaume Hcce quam honum.
" Yoilà donc où en est heureusement arrivée l'œu-
vre de madame Gamelin, aidée et soutenue par le zèle
infatigable des dames de charité. Ces dames reçoi-
vent aujourd'hui la récompense de leurs courageux
efforts, en les voyant favorisés par une communauté
qui prendra sur elle tout ce qu'il y aura de sacrifices
et de dévouement. Aussi, depuis son origine, cette
œuvre a été tellement coûtée de tous les citovens de
3IÈEE GAMELIX l'31
Montréal, qu"on a vu, par leurs dons, un superbe édi-
fice, de cent pieds sur soixante, s'élever comme par
enchantement en moins de douze mois, et fournir
déjà un asile à plus de quarante infirmes, pauvres et
âgés. En vérité, on ne peut que féliciter notre ville de
ce zèle admirable et si bien soutenu, qui lui donne un
rang bien marqué parmi les cités de l'Europe les plus
vantées pour leurs aumônes et leurs établissements
religieux."' ^
Le lendemain, 30 mars, Mgr Bourget, accompagné
de MM. les chanoines Prince et Plamondon, réunit les
nouvelles professes. 31. Prince leur fit signer l'acte
d'acceptation des règles de Saint Vincent de Paul ;
puis l'évêque, leur ayant lu la règle concernant l'é-
lection d'une supérieure, et donné les dispenses néces-
saires, procéda à l'élection des premières officières,
qui donna le résultat suivant : sœur Gamelin, supé-
rieure ; sœur Vincent de Paul, assistante ; sœur Thi-
bodeau, maîtresse des novices ; sœur Caron, déposi-
taire.
La communauté était organisée, et le but de l'insti-
tut, officiellement défini. Outre les œuvres extérieu-
res, quarante-deux infirmes se partageaient les soins
de nos premières mères, c|ui devaient se multiplier
pour répondre aux besoins de leurs pattvres. Mère
' Mélanges religieux, 22 a^Til 1844.
122 VIE DE
Gamelin ne se donnait pas un instant de repos. Son
cher asile n'était pas encore pourvu de tout Tameuble-
ment nécessaire. C'est à peine si chacune avait une
chaise pour se reposer après les fatigues de la journée;
durant le jour, on ne songeait guère à s'asseoir, bien
que le lever se fît dès quatre heures et demie.
La pauvreté était grande ; la nourriture, d'une ex-
trême frugalité. On a peine à comprendre comment,
au milieu de leurs privations, nos mères ont pu exécu-
ter sans défaillir la somme de travail qu'elles s'impo-
saient.
Les survivantes de cette époque, — et nous pouvons
dire des quinze ou vingt années suivantes, — nous tra-
cent un tableau émouvant des privations pénibles
qu'elles devaient s'imposer, et qu'elles supportaient
avec patience et avec joie. La nourriture se compo-
sait de têtes de mouton, bouillies dans l'eau. Chaque
jour étant jeûne de règle, le pain sec faisait tous les
frais du déjeuner, arrosé d'une sorte de café artificiel,
sans sucre ni lait, composé soit d'orge moulée et
grillée, soit de croiites de pain grillées, recueillies
dans les hôtels de la ville. Au souper, on faisait diver-
sion, pour le breuvage, avec du thé dont les feuilles
avaient déjà subi une première infusion dans les mai-
sons de pension du voisinage. Le beurre était un
luxe rare, réservé aux jours d'abstinence, où il rem-
MÈKE GAMELIX 123
plaçait la graisse de jambon, ou toute autre que l'on
recevait de la charité. Si d'aventure il apparaissait sur
la table un morceau de fromage, autre offrande de la
charité, on devait choisir entre le beurre et ce régal
extraordinaire, l'usage des deux ensemble étant inter-
dit. " Xous étions pauvres, dira plus tard l'une de
ces généreuses servantes des pauvres, comme pas une
des familles indigentes que nous visitions."
Et malgré cela elles étaient heureuses, parce
qu'elles avaient la consolation de se dire qu'elles re-
produisaient en elles la divine pauvreté du Maître
dont elles s'étaient vouées à secourir les membres
nus et souffrants, et qu'elles avaient conscience d'ac-
complir une œuvre marquée au sceau de la croix,
par l'humilité, le dénûment et la charité.
Xotre vénérée mère puisait dans son inaltérable foi
en la Providence la confiance dont elle avait besoin
au sein des embarras et des exigences d'une admi-
nistration qui allait se compliquant. Elle avait
mille moyens ingénieux pour calmer les inquié-
tudes et ranimer la confiance. Un jour, la sœur cui-
sinière vint l'avertir qu'il n'y avait rien pour le dîner:
"Ne craignez pas, ma fille, lui dit-elle paisiblement,
la Providence ne saurait manquer de nous envoyer
notre dîner. Venez avec moi, nous irons chanter,
pour prouver que nous ne sommes nullement inquiè-
124 VIE DE
tes," et elles se rendirent à la salle des vieilles; celles-
ci, en voyant arriver la mère, vinrent se grouper au-
tour d'elle, à leur habitude : "J'ai une faveur à
obtenir tout de suite de la divine Providence, leur
dit-elle, voulez-vous ni"aider à chanter notre beau
cantique ?" Et aussitôt les bonnes vieilles, se recueil-
lant, mêlèrent leur voix chevrotante à celles de la
mère et de sa compagne, qui chantaient à pleine voix
le cantique suivant :
O douce Providence,
Dont les divines mains
Sur nous en abondance
Képandent tous les biens!
Qui povu'rait méconnaître
L'auteur de ces présents,
Et ne pas se remettre
Entre ses bras puissants?
S'il verse ses richesses
Sur la fleur du printemps,
S'il étend ses largesses
Jusqu'à l'herbe des champs.
Que fera sa tendresse
Pour l'homme qu'il chérit,
Pour l'être où sa sagesse
Imprima son esprit?
Si ce Dieu qui nous aime
Accorde sou secours
Au passereau lui-même,
Dont il soutient les jours,
Auteur de la nature,
Mettra-t-il en oubli
L'homme, sa créature
La plus digne de lui?
MÈRE GAMELIX 125
Oui, sa sollicitude
Veille à tous nos besoins;
Sans nulle inquiétude
Jetons sur lui nos soins;
î^'otie Dieu, c'est un père
Qui nous porte en son cœur.
Et la plus tendre mère
N'eut jamais sa douceur.
En quittant la salle, mère Gainelin se rendit à la
c-uisine. Elle y trouva quelques restes du dîner de la
veille, à peine suffisants pour le repas de cinq ou six
personnes : " Faites les réchauffer, dit-elle en sou-
riant à la sœur cuisinière, et vous verrez que vous
pourrez servir votre dîner." En effet, le repas de toute
la maison fut servi; les plats de chaque table furent
remplis ; et il en resta après le dîner. La dépositaire
•de l'époque, et celles qui l'ont suivie assurent que ce
miracle de la Providence s'est renouvelé plusieurs
fois, et que des provisions, qui auraient dû s'épuiser
en une semaine, durèrent des mois entiers, sans pa-
raître diminuer.
Le chant était une des ressources spirituelles de
mère Gamelin. Se trouvait-elle en quelque embarras
d'argent, elle chantait et faisait chanter aux sœurs son
cantique favori " 0 douce Providence ". Un nuage
de tristesse planait-il, pendant la récréation, sur la
petite communauté, aussitôt elle entonnait gaiement:
Goûtez, âmes ferventes,
Goûtez votre bonheur.
136 VIE DE
Les autres reprenaient avec entrain, et la tristesse
était vite dissipée. Xotre vénérée fondatrice aimait
beaucoup le chant et la musique, et elle dirigea
longtemps elle-même le chœur de la maison. L'asile
ne possédait alors aucun instrument de musique; nos
mères chantaient dans le premier jubé de la chapelle,
souvent à genoux, ou encore, comme sainte Thérèse
et ses compagnes, assises sur leurs talons. Comme la
communauté n'était pas nombreuse, chacune prêtait
le concours de sa voix. Mgr Bourget encourageait
leur pieuse émulation : " Chantez, leur disait-il,,
chantez, soyez les colombes gémissantes du sanc-
tuaire. Que votre hymne favorite soit le Stabat
Mater. Votre chant simple, vos pieux cantiques
convertiront peut-être des âmes que les meilleurs
sermons n'auront pu toucher."
Le mois de mai IS-l-i fut pour la petite commu-
nauté un mois de bénédiction. La A'ierge Imma-
culée s'y montra prodigue de ses faveurs. Aussi, ses
filles redoublèrent-elles à son égard les hommages de
leur respect et de leur reconnaissance. Mère Game-
lin voulait que chaque jour les plus belles fleurs du
jardin ornassent son autel. " Puisse, disait-elle, le
parfnin de ces fleurs cicatriser les blessures de son
cœur maternel, percé de tant de glaives de dou-
leur !" Le coir, la petite famille se réunissait dans
MÈEE GAMELIN 127
l'humble chapelle et y chantait ses plus beaux
cantiques. Mais l'ofCrande la plus riche qu'elle pré-
senta à la Mère de Dieu fut l'œuvre des orphelines,^
inaugurée le premier jour du mois de mai.
Le cœur compatissant de mère Gamelin ne pou-
vait voir sans douleur le grand nombre de pauvres-
orphelines qui demeuraient sans asile et sans protec-
tion, par suite de la mort de leurs parents, exposées,
dama leur isolement, à toutes sortes de dangers. Les
ressources restreintes de l'asile ne semblaient pas lui
permettre d'entreprendre l'œuvre d'un orphelinat. Ce-
pendant son zèle mdustrieux lui en fit trouver bien-
tôt le moyen. Elle convoqua les dames de charité à
une assemblée extraordinaire, et elle leur parla avec
tant d'onction et de chaleur de ces pauvres enfants,
dont les mères, plus d'une fois, avaient expiré entre
ses bras, que les dames, dont Mme Nolan était alors-
présidente, décidèrent sans hésitation d'affecter à cet
usage une salle de l'asile et d'y recevoir immédiate-
ment douze orphelines, pour lesquelles elles s'enga-
geaient à payer une pension de dix à quinze schel-
lings par mois.
Non seulement le principe de l'œuvre était ac-
cepté, mais l'œuvre même était fondée, et ce fut
une grande joie pour le cœur de notre bonne mère.
128 VIE DE
Douze mois plus tard, on comptait dans la même salle
cinquante orphelines.
On s'appliquait à leur donner Tinstruction élémen-
taire et une forte éducation chrétienne ; on les for-
mait aux soins du ménage et aux travaux manuels,
pour les mettre à même de gagner leur vie.
Ce fut pour assurer des ressources à ces œuvres
nouvelles, que mère Gamelin établit, le 10 septembre
1844, l'œuvre des dames pensionnaires. ^ A cette
ressource l'on ajouta celle d'un travail rémunérateur:
diverses salles furent consacrées à la confection des
soutanes et des ornements d'églises, des cierges et des
hosties, à la fabrication du savon et du tissage. Les
jours n'étaient pas assez longs pour accomplir tous
ces travaux ; on y consacrait une partie des nuits, et
souvent, après de longues veilles passées au chevet
des malades pauvres, dans une atmosphère sur-
chauffée et viciée, les sœurs, le matin, se remettaient
allègrement à l'ouvrage, sans avoir pris un instant de
repos. N'est-il pas permis de penser que c'est à ce
travail ardu de nos premières mères, arrosé de tant
de sueurs et si vaillamment supporté, que nous de-
vons les bénédictions et la prospérité dont jouit au-
jourd'hui notre humble institut ?
^ Les premières dames admises furent ]\llles Louise
Lacroix, \Vhite, Burrouglis, Malo. Duluth. Masson. ]Morand,
McCord et Mme Asselin.
MÈIÎE GAMELIX 139
Le 26 mai fut un jour de pieuse réjouissance pour
Tasile, qui vit bénir sa cloche extérieure. î^'ous em-
pruntons encore aux Mélanges religieux le récit de
cette fête imposante.
" Dimanche après-midi, eut lieu à la cathédrale
la bénédiction solennelle d'une cloche, donnée à l'é-
glise de la Providence par M. Ls de Lagrave, com-
merçant de cette ville. Mgr l'évêque de Montréal fit
lui-même cette cérémonie, à laquelle prenait part
Messire Quiblier, supérieur du Séminaire de Saint-
Sulpice, avec quelques messieurs de sa maison. Le
concours des fidèles remplissait la nef et les galeries.
Le discours de circonstance fut prononcé par M. Por-
lier, curé de Terrebonne, qui, tout en développant à
son nombreux auditoire les pieuses significations de
cette cérémonie, sut encore intéresser la générosité
du public en faveur de l'œuvre providentielle de nos
Sœurs de Charité.
'•' Son Honneur J. Viger, premier et ancien maire
de Montréal, faisait, avec Mme' D.-B. Viger, les
honneurs de parrain et de marraine à la nouvelle
cloche. M. Olivier Berthelet, un des premiers bien-
faiteurs de la maison de la Providence, et Mme J.
Bourret, épouse du maire actuel de la cité, M. C.-S.
Cherrier et Mme Ls de Lagrave, M. Antoine Léves-
que et Mme C. Breault recueillaient les offrandes des
fidèles.
130 • VIE DE
" La cloche qui vient d'être bénite est du poids de
cent dix-huit livres et répond parfaitement à la note
la ; le son est plein et très agréable. Elle a été nom-
mée ]\Iarie-Elizabeth-Geneviève ; et l'insertion de
ces noms, gravés sur les parois, porte aussi que c'est
l'offrande que fait madame Geneviève de Lagrave,
née Î^Tormandeau, à l'asile de la Providence, avec la
date et le lieu.
" La collecte, en sus des étoffes et ornements dé-
posés sur la cloche, et qui ont dû coûter au moins
cent écus, la collecte, disons-nous, s'est montée ce
jour-là à £78. Cette abondante aumône fournira pro-
bablement aux administratrices de l'asile le moyeu
de faire construire un clocher, qui sera en harmonie
avec le reste de l'édifice. Il n'y aurait plus alors que
l'extrémité du fronton, qu'il ne leur serait point en-
core possible de parachever maintenant . . . Nous som-
mes persuadés que la générosité de quelque charitable
citoyen fera bientôt disparaître cette petite discor-
dance, et complétera le splendide bâtiment dont la
charité catholique a voulu doter notre ville. Le
passé nous répond de l'avenir. D'ailleurs, les dons
se continuent, et la nouvelle baptisée attendra en-
core pendant quelques jours, sous son élégant pavil-
lon, qu'une pieuse curiosité vienne faire vibrer les
accents de sa voix charitable.
MÈRE GAMELIX 131
" Nous ajouteron's un mot pour révéler les secrets
-de la reconnaissance et soutenir les efforts de la vraie
<;harité. On nous informe que cette cloche, aussitôt
qu'elle sera placée dans son beffroi, sera régulière-
ment sonnée tous les soirs, au jour tombant, pour
avertir la communauté et inviter les fidèles à prier
pour les bienfaiteurs défunts. Il y aura même une
indulgence attachée à la récitation du De profiindis
ou de quelqu'autre prière pour le soulagement des
âmes du purgatoire. ^ ''
Aujourd'hui encore, dans ce même clocher, élevé
il y a plus d'un demi-siècle par la charité mont-
réalaise, lorsque la journée s'achève dans les der-
niers feux du soir, la petite cloche tinte mélancoli-
quement la prière des morts, et à la même heure,
dans toutes nos maisons, des centaines de pau-
vres, d'infirmes et d'orphelins, agenouillés avec nos
sœurs, murmurent, pour les bienfaiteurs qui ne sont
plus, les versets du De profundis :■ "Seigneur, écoutez
ma voix. Que vos oreilles deviennent attentives à
la voix de ma supplication. Seigneur, donnez-leur le
repos éternel ! "
Mère Gamelin gardait une profonde reconnais-
sance à tous les bienfaiteurs de sa maison. Elle n'en
parlait jamais qu'avec les termes de la vénération,
^ Mélanges religieux, 28 mai 1844.
132 VIE DE
mêlée à la plus affectueuse gratitude. Elle faisait
chaque jour prier à leur intention, et voulait qu'on
fût fidèle à leur souvenir. Elle recommandait sou-
vent avec instance à ses sœiurs de remercier toujours
avec beaucoup de cordialité les personnes dont elles
recevaient la moindre offrande, la plus légère obole.
Les dames de charité, qui l'avaient si puissam-
ment aidée dans la fondation de son œuvre, étaient
surtout l'objet de son affection et de sa sollicitude la
plus délicate. Dès le 15 novembre 1843, elle leur
avait procuré l'avantage d'une retraite de trois jours,,
qui fut prêchée dans la nouvelle chapelle par Mgr
Bourget lui-même. L'année suivante, au mois de
septembre, une seconde retraite fut donnée par les
EE. PP. Léonard, Lagier et Guigues, de la congré-
gation des Oblats de Marie Immaculée. Le très
grand ascendant que mère Gamelin exerçait dans le
monde attirait à ces retraites un certain nombre de-
dames et de demoiselles. Plusieurs d'entre elles pre-
naient durant ces jours leur pension à l'asile, afin
de jouir d'un recueillement plus parfait. C'était
pour elles un souvenir et un renouvellement très-
doux des heures do prière et de solitude qu'elles
avaient goûtées autrefois durant leurs retraites du
pensionnat.
Le jour de la clôture de la retraite, c'était fête pour
MÈRE GAilELIX 133
les hôtes de la charité. Les dames servaient elles-
mêmes aux rieilles et aux orphelines un dîner de
gala ; elles passaient au milieu d'elles la plus grande
partie de la journée et s'ingéniaient à les intéresser et
les amuser de la meilleure grâce du monde. Elles se
retiraient le soir, après la bénédiction du Saint-Sacre-
ment, laissant la douceur et la joie dans tous ces
cœurs,, privés des alïections et de l'intimité du foyer,
après avoir retrempé dans la ferveur de l'amour de
Dieu leur tendresse et leur dévouement pour le pro-
chain.
Ces fêtes données à nos pauvres causaient au cœur
si bon de notre vénérée mère un bonheur indicible.
Elle jouissait de l'allégresse qui rayonnait sur la
figure de ses chères vieilles, qu'elle aimait tant.
Ces dîners, inaugurés par elle, se sont perpétués
jusqu'à nos jours. ^
Ils constituent une des plus touchantes manifes-
tations de l'affectueux intérêt que ,nos dames de cha-
rité ont hérité de leurs aînéets.
Deux épreuves affligèrent la communauté au cours
de cette année 1845.
La première fut le départ de M. Prince comme
^ Depuis 1850, la famille Cuvillier donne chaque année
un dînei- aux pauvres infirmes de l"asile de la Providence.
;Mlle Luce Cuvillier et ilme F.-A. Routh, née Cuvillier, se
font une douce jouissance de venir elles-mêmes servir ce re-
pas offert par leur charité.
134 VIE DE
chapelain de l'asile. Xommé, le 5 juillet, coadjuteur
de Mgr Bourget, il dut se désister de ses fonctions de
chapelain, le 10 novembre suivant. Mais devenu su-
périeur de la maison, il put maintenir avec elle des
liens que son dévouement et ses lumières avaient
rendus très forts et très précieux. Il fut remplacé
comme chapelain par M. le chanoine Truteau. ^
La seconde épreuve fut l'incendie de la Maison
jaune, au mois d'octobre. Xos mères eurent la dou-
leur de voir disparaître sous leurs A'eux, dévoré par
les flammes, ce premier abri de leur ferveur et de
leurs travaux, ce berceau de la communauté.'- Elles
ne purent s'empêcher de verser des larmes sur
la perte de cette maison, qui avait accueilli les
premiers jours de leur vie religieuse, de ces murs
qui avaient renfermé les espérances et les prémices
de l'œuvre de notre bien aimée fondatrice, alors
' M. Alexis-Frédéric Truteau. chanoine de la cathédrale
de Montréal, eut à s'occuper de notre communauté, soit
comme confesseur ou comme supérieur, pendant vingt et un
ans. Il mourut le 28 décembre 1872, à l'âge de 6é ans. et fut
enterré dans le caveau de l'église de la Pi"ovidence. Sa
grande bienveillance, son affection paternelle, son dévoue-
ment aux intérêts spirituels et temporels de notre Institut
le placent au premier rang de nos bienfaiteurs.
Il s'intéressait très particulièrement à l'œuvre des orphe-
lines. Afin de leur assurer une demeure plus spacieuse, il fit
reconstruire à ses frais l'école St-Jacques incendiée eu 1852.
C'est pour perpétuer le souvenir de cette généreuse libéra-
lité que la maison porta, depuis lors, le nom d'orphelinat
Saint-Alexis.
- Après l'entrée de la communauté dans le nouvel édi-
fice, la Maison jaune avait été mise en location.
MÈRE GAMELIX 135
si faible et si précaire. Mais elles se consolèrent
peut-être à la pensée que ce sanctuaire de si pré-
cieux souvenir aurait pu, un jour, être profané par
d'indignes usages, et que la petite chambre qui avait
été longtemps l'asile du Dieu des tabernacles serait
à jamais protégée de toute souillure.
Au mois suivant, le 21 novembre, fête de la Pré-
sentation de la sainte Vierge, trois nouvelles com-
pagnes venaient grossir le nombre des professes ;
-c'étaient nos sœurs Geneviève, Marie du Crucifix et
Marie de la Nativité.
Nos jeunes sœurs aimeront peut-être à se rendre
compte des divisions et de l'aspect de Fasile, à l'é-
poque où nos premières mères y ont prononcé leurs
vœux. Plusieurs changements y ont été faits depuis.
Qu'elles nous suivent donc à travers les salles et les
corridors actuels, et nous leur signalerons les modi-
fications successives qui ont quelque peu transformé
l'intérieur de l'édifice primitif.
Nous prendrons la chapelle pour point de départ
de notre promenade. Ici, rien n'est changé, si ce n'est
qu'une modeste décoration est venue revêtir la nudité
des murailles. Le nef. le sanctuaire. Tautel sont les
mêmes qui ont entendu les prières de nos premières
mères et le chant de leurs pieux cantiques. La même
aussi, cette statue de Notre-Dame des Sept-Douleurs,
136 VIE DE
qui a présidé aux engagements sacrés des premières-
professes et, à leur suite, de près de sept cents de nos
sœurs.
En laissant la chapelle et nous dirigeant vers la.
partie ouest de la maison, nous rencontrons, à droite
du corridor, la sacristie, remplacée aujourd'hui par
l'avant-chœur et le réfectoire des prêtres. A gauche,
était la salle de communauté, transformée depuis en
parloirs. A l'extrémité de cette salle, se trouvait une
toute petite chambre, éclairée par la porte vitrée
qu'on }• voit encore : c'est là que couchait, avec sa
compagne, notre vénérée mère.
A l'est de la chapelle, nous trouvons la même divi-
sion qu'autrefois, mais les différentes pièces ont
changé de destination. Le parloir de la pharmacie
était alors un parloir commun ; la grande pharmacie,
un parloir privé, où le prêtre qui avait dit la messe
prenait ordinairement son déjeuner. La petite
pharmacie, attenante à cette pièce, servait alors tout
à la fois de procure et de pharmacie. L'autre côté
du corridor était occupé par le noviciat.
Au second étage, dans le département des dames-
pensionnaires, la division est demeurée la même ;
mais du côté ouest, la grande salle des infirmes et
celle des orphelines sont occupées aujourd'hui par-
l'infirmerie des sœurs.
MÈRE GAMELIX 137
Au sous-sol, au dessous de la communauté, se
trouvait la buanderie, avec une très petite chambre à
repasser ; puis venait le réfectoire des sœurs, une
chambre à tout mettre et le dépôt des pauvres du de-
hors. Dans l'espace qui contient aujourd'hui les
fournaises, se trouvaient la cuisine, la dépense et les
caves.
Telle était la maison mère en 1844. Elle comp-
tait alors un personnel de cent vingt personnes.
CHAPITRE IX
1845-1846
AGRANDISSEMENT DE L'ASILE. — MÈRE GAMELIN AUPRÈS
DES VIEILLES ET DES MALADES. — PREMIÈRE VISITE
CANONIQUE DE MGR BOURGET.— SES INSTRUCTIONS SUR
LES VERTUS DE L'ÉTAT RELIGIEUX.
Notre vénérée fondatrice avait a se préoccuper des
embarras d'argent qu'entraînaient les œuvres qu'elle
dut entreprendre.
Les pauvres affluaient de tous côtés. On ne songe
pas toujoiirs que les maisons de charité, une fois cons-
truites, ne subsistent point toutes seules. Il faut les
chauffer, les entretenir, les réparer. Il faut nourrir
les pauvres qu'elles abritent, les vêtir, les soigner,
138 VIE DE
lorsqu'ils sont malades ; d'où une série de dépenses
qui réclament des ressources continuelles.
L'asile que les citoyens de Montréal venaient d'édi-
fier par leur généreuse libéralité;, était à peine rempli
que de nouvelles demandes affluaient de différentes
paroisse du diocèse et même des diocèses voisins.
En face de cette situation, Mgr Bourget crut devoir
autoriser la publication de l'article suivant dans les
Mélanges religieux.
" Depuis quelque temps, une foule de demandes
sont faites à l'asile de la Providence, pour l'admis-
sion de pauvres infirmes ou de pauvres femmes âgées,
de toutes les parties du diocèse. Plusieurs de ces in-
fortunées sont venues de très loin, avec beaucoup de
peines et de fatigues, solliciter une place dans cette
maison, envoj'ée^, disaient-elles, avec l'assurance
qu'on leur donnerait un refuge. jSTous croyons donc
urgent de prévenir que cet asile, déjà rempli, ne
pourra, d'ici à quelques mois, recevoir aucune autre
infirme que celles déjà admises. Il est aisé de com-
prendre qu'un établissement qui commence ne peut
suffire à tous les besoins. Nous serions même éton-
né que les personnes déjà reçues puissent être soute-
nues, si nous ne connaissions le miracle perpétuel
qu'opère la charité en faveur de cet utile établisse-
ment. Ainsi, nous nous permettrons de prier MM. les
o ^
MÈKE GAMELIN 139
curés d^informer les pauvres de leurs paroisses, qui
se disposeraient à faire de nouvelles demandes à Fa-
sile de la Providence, de les en détourner, afin de leur
épargner des démarches et un voyage malheureuse-
ment inutiles." ^
■ Cependant le cœur compatissant de mère Gamelin
souffrait de se voir forcée de fermer la porte de sa
maison à tant de pauvres vieilles, forcément négli-
gées par leurs familles indigentes, sans un foyer con-
venable ni les soins les plus élémentaires, dans les
derniers jours d'une vie déjà remplie de privations
et de pénibles travaux. Elle s'ouvrit de sa peine et
de sa préoccupation à ses compagnes et aux dames de
charité, leur représentant qu'il fallait à tout prix et
sans retard agrandir la maison. L'évêque approuva
son projet.
Les annales de la communauté mentionnent ce fait
important en quelques lignes d'une expressive conci-
sion. " Mai 1845. — Agrandissement de l'asile de la
Providence par l'aile qui longe la rue Sainte-Cathe-
rine. Dimensions: 100 pieds sur 28 pieds. Coût:
£2000. Eessources : les trésors de la divine Provi-
dence." Xotre sainte fondatrice comptait sans me-
sure sur ce divin trésor, où elle avait largement puisé,
durant des années, sans le voir jamais s'amoindrir.
^ Mélanges religieux, 13 juin 1843.
140 VIE DE
On se mit promptement à l'œuvre, les travaux fu-
rent poussés avec vigueur, et dès Tautomne de l'an-
née suivante, les vieilles et les orphelines purent pren-
dre possession de leurs nouvelles salles, vastes et bien
éclairées.
Mère Gamelin se réjouissait de tout ce qui venait
accroître le bien-être de ses vieilles et de ses infirmes,
qu'elle enveloppait d'une véritable tendresse mater-
nelle. Sa foi lui faisait voir en elles des membre? souf-
frants de Xotre-Seigneur, et lui inspirait à leur égard
un profond et pieux respect. Elle leur témoignait ce
sentiment même après leur mort. Un cierge allumé à
la main, elle ne manquait jamais d'accompagner leur
dépouille mortelle jusqu'à la porte de l'asile, qu'elles
franchissaient pour aller à leur dernière demeure.
Ce respect, elle l'exigeait de toutes les personnes
de sa maison. Un jour, elle reprit sévèrement une
novice qui, en sa présence, avait appelé une des in-
firmes " la vieille une telle ''. '" Xe pouvez-vous pas,
lui fit-elle observer, dire madame une telle." Et la
novice s'étant agenouillée pour demander une péni-
tence: "Allez à la chapelle, lui dit-elle, demander
pardon à ISTotre-SeigTieur, ' car c'est lui que vous avez
offensé dans la personne de cette pauvre."
Chaque jour, quelles que fussent ses occupations
et ses fatio'ues, elle visitait les salles des infirmes.
MÈRE GAMELIN 141
•calmant leurs petits mécontentements, et les exhor-
tant à supporter leurs peines avec patience, dans l'at-
tente de cet heureux séjour que leur vieillesse leur
faisait entrevoir de si près. C'était surtout dans ses
rapports intimes avec elles que l'on pouvait admirer
■&& bonté et son extrême charité pour la souffrance
et l'infortune. Elle se plaisait à leur donner les soins
les plus bas et les plus répugnants, avec une joie et
un contentement qui se peignaient dans toute sa per-
sonne. On aurait vraiment cru voir une mère au-
près du plus aimé de ses enfants.
Elle aimait beaucoup à prier avec elles, et à pren-
dre part, dans leurs salles, à l'exercice du chemin de la
croix. Le dimanche, elle réunissait toutes les per-
sonnes de sa maison pour leur expliquer le caté-
chisme. Elle avait habituellement une grande aisance
de langage, mais surtout pour parler des choses spi-
rituelles. On aurait dit alors que sa bouche ne pou-
vait isuftire à traduire les effusions et les élans de son
cœur. Aussi l'heure de l'instruction était-elle tou-
jours impatiemment attendue et vivement goûtée.
Elle leur exposait leurs devoirs, leur donnait des
avis maternels, et signalait les infractions à la règle,
commises au cours de la semaine; puis elle distri-
buait de petites récompenses aux orphelines. Ses
images et ses médailles étaient-elles épuisées, elle
142 YIE DE
leur donnait quelque friandise^ un morceau de su-
cre ; et ce morceau de sucre, remis parfois dans une
enveloppe adressée à la bonne mère, semblait em-
prunter au nom chéri et vénéré une saveur parti-
culière.
Que dirons-nous du don merveilleux qu'elle possé-
dait pour assister les mourants ? Les malades s'assu-
raient à l'avance de sa présence à cette heure su-
prême. Elle leur semblait tenir entre ses mains la
clef du paradis, et pouvoir leur en ouvrir la porte
toute grande, tellement elle savait raviver leur foi
et leur confiance dans les fruits de la passion de
Notre-Seigneur. Aussi comme il était touchant, au
dire des anciennes sœurs, de l'entendre parler aux
mourants de la miséricorde infinie de Dieu, réciter
la prière liturgique de la recommandation de l'âme
à Dieu, remettre en quelque sorte à leur Créateur et
à leur Sauveur ces âmes dont sa providence l'avait
chargée, et pour lesquelles elle ne cessait de prier.
Ce sont là des souvenirs bénis, que les générations
religieuses aiment à se transmettre pieusement, pour
s'entretenir dans la vénération d'une pieuse fonda-
trice et dans l'imitation de son zèle.
Le jeudi saint, mère Gamelin lavait les pieds à
douze vieilles, en souvenir du grand acte d'humilité
du Sauveur. Elle les essuyait de ses mains et les
MÈRE GAMELIN 143
baisait avec respect. Cet usage s'est maintenu dans
notre communauté, renouvelant, pour l'édification
de nos sœurs, la grande leçon que ISTotre-Seigneur a
donnée à ses apôtres sur le véritable caractère et les
devoirs de l'autorité chrétienne.
La charité de mère Gamelin ne s'arrêtait pas aux
pauvres de son asile; elle continuait à se dévouer
comme autrefois à ceux du dehors. î^ous avons vu,
dans le chapitre précédent, les premières novices, à
peine revêtues du saint habit, l'accompagner dans les
visites qu'elle faisait depuis longtemps aux pauvres
de la ville. Depuis 1828 surtout, mère Gamelin n'a-
vait pas laissé passer vm seul jour sans en visiter quel-
ques-uns; elle se montrait aussi empressée à consoler
leurs peines et à pourvoir à leurs nécessités spirituel-
les qu'à leur procurer des secours temporels.
Le dépôt ^ était un autre théâtre de son active
charité. Dès l'ouverture du petit refuge de la Maison
jaune, on y distribuait de la soupe et d'autres ali-
ments à tous ceux qui se présentaient. Cette œuvre
subsiste encore. Du pain, de la soupe et diverses pro-
visions sont encore distribuées aux indigents; cette
œuvre n'est pas près de cesser, la parole de Kotre-
^ Nous appelons ainsi le département de la maison ovi
se distribuent les aumônes aux pauvres du dehors.
144 VIE DE
Seigneur nous le garantit : '' Il y aura toujours des
pauvres parmi vous."
Cependant, le saint évêque de Montréal veillait à
ce que l'activité de la communauté naissante, intéres-
sée à des occupations aussi variées, ne s'exerçât point
au détriment de son recueillement et de son avance-
ment spirituel.
Dans cette préoccupation, il voulut initier lui-
même ses tilles à la méthode d'oraison de S. Ignace
de Loyola. Il consacra tout le mois de février de
cette année à faire, à la communauté et au novi-
ciat réunis, la série mensuelle des exercices, faisant
lui-même à haute voix la méditation devant les
sœurs, chaque matin et chaque soir.
Ces jours de prière fervente et de saint recueille-
ment furent bientôt suivis de la retraite annuelle,
prêchée par le E. P. Martin, de la Compagnie de
Jésus. I.e jour de la clôture, dix sœurs renouvelè-
rent leurs vœux, consolant motif d'espoir pour l'a-
venir de l'asile et de la communauté.
Le 1er avril, Mgr Bourget faisait à la maison sa
première visite canonique. Il l'annonça en ces ter-
mes d'une paternelle atïection : '' ISTous allons donc
à vous, qui êtes la portion chérie de notre troupeau,
pour vous connaître encore mieux, et nous assurer
si vous êtes animées, comme vous devez l'être, d'un
MÈRE GAMELIX 145
véritable esprit de charité ; si vous aimez les pau-
vres, si vous soignez les malades, si vous enseve-
lissez les morts, si vous recueillez avec empressement
les veuves et les orphelins, si, en un mot, votre carac-
tère distinctif est la compassion pour tous les mal-
heureux : car telle est votre vocation." ^
Cette visite importante se termina le 3 mai. Mon-
seigneur donna tous les jours deux instructions et
présida aux méditations.
Que de soins et de travail a coûtés au saint évêque
la formation de notre communauté 1 II lui prodi-
guait les avis paternels, les conseils opportuns, les
sages instructions. Xos annales en gardent le sou-
venir comme un de nos plus chers trésors. On ne peut
trop admirer, dans ces témoignages de sa sagesse et
de son zèle, cet esprit de simplicité, d'humilité et de
charité, qu'il avait à cœur de nous inculquer, comme
devant caractériser notre communauté, et dont il
était lui-même un édifiant et illustre exemple.
'•' Xous commençons par vous recommander, écri-
vait-il dans un de ses mandements, les salutaires
pratiques de la simplicité, vertu si chère au cœur de
Xotre-Seigneur, et que saint Vincent de Paul vous
propose dans le premier chapitre de vos saintes
Règles. ^
' Mandement de la visite pastorale. 28 mars 1845.
^ Mandement du 19 mai 1846.
146 YIE DE
'•'. . .Lorsque j'ai commencé votre communauté,, je
ne pouvais que vous donner ma bénédiction et mes
avis. Un pauvre évêque, dans la position où je me
trouvais, ne pouvait rien vous faire pour le temporel.
Mes plans ne s'élevaient pas bien haut, car, voyez-
vous, je sais par expérience que, lorsqu'on se tient
toujours en bas, la tête ne tourne pas. C'est ce que
pensait votre père, saint A'incent de Paul, quand il
disait que ses œuvres étaient petites. Plus il pensait
et disait cela, plus le bon Dieu les augmentait et les
faisait paraître aux yeux des hommes. De même,
plus vous aurez de bas sentiments de vous-mêmes,
plus vous vous tiendrez petites aux j'eux de Dieu,
plus il se plaira à faire croître vos œuvres. Puisse
l'expérience, mes chères filles, vous faire acquérir
l'humilité, la simplicité et la charité ; c'est ce que
je voudrais vous laisser pour dot." ^
" Filles de la Charité, leur dit-il ailleurs, les traits
de votre physionomie religieuse doivent être ceux de
la reine des vertus, car des filles bien nées doivent
ressembler à leur mère."
Plus tard, il leur donne ce sage conseil : " Obli-
gées par devoir de vocation d'être toujours dans le
monde, soyez-y comme des roses au milieu des épines.
Si vous n'y paraissez, mes filles, que pour les œuvres
' Instruction fl la comniiinautô. 25 mars 1868.
MÈRE GAMELIX 147
■de charité, votre père saint Vincent vous promet
toute la protection de Dieu."
Il leur recommandait un abandon absolu à la di-
vine Providence : '" C'est dans un asile de la Provi-
dence, comme dans un berceau, que vous avez été
reçues, N. T. C. S., lorsque vous êtes entrées en reli-
gion, par la profession de vos vœux.
"Aussi est-ce sous le nom de Sœurs de la Provi-
dence que vous êtes vulgairement connues. Là se
révèle encore l'esprit propre de votre saint état, qui
doit être un esprit de parfait abandon aux disposi-
tions de l'adorable Providence. Car, dénuées de
toutes ressources humaines et obligées cependant de
secourir toutes les misères, vous avez à exploiter, par
votre confiance toute filiale, les inépuisables trésors
de cette aimable Providence, qui ne vous a jamais fait
•défaut et qui ne vous manquera jamais, si vous savez
recourir à elle pour vos propres- besoins et ceux de
vos pauvres. . .
" Or, pour que vous ayez toujours sous les yeux le
bonheur qui vous attend, même sur la terre, si vous
faites les saintes œnvres dont vous charge la divine
Providence, avec toutes les dispositions requises, nous
reproduisons ici le beau passage du prophète Isaïe
•qui, dans son langage sublime, nous découvre les
148 VIE DE
abondantes bénédictions que Dieu se plaît à répandre
dans les maisons charitables. Ecoutez, N. T. C. S.,
avec une attention sérieuse les touchantes paroles
que vous adresse le Seigneur par la bouche de ce
grand prophète :
'' Faites part de votre pain à celui qui a faim, et
" faites entrer dans votre maison les pauvres et ceux
" qui ne savent oii se retirer. Lorsque vous verrez
"un homme nu, revêtez-le, et ne méprisez pas votre-
" chair. Alors votre lumière éclatera comme l'au-
" rore, vous recouvrerez bientôt votre santé, votre-
" justice marchera devant vous, et la gloire du Sei-
" gneur vous protégera... Si vous assistez les pau-
" vres avec effusion de cœur, et si vous remplissez de-
" consolations l'âme affligée, votre lumière se lèvera
" dans les ténèbres, et vos ténèbres deviendront
'' comme le midi. Le Seigneur vous tiendra tou-
" jours dans le repos ; il remplira votre âme de ses
" splendeurs, et il engraissera vos os : vous devien-
'" drez comme un jardin toujours arrosé, et comme
" une fontaine dont les eaux ne tarissent jamais.
" Les lieux qui avaient été déserts depuis plusieurs-
" siècles, seront par vous remplis d'édifices ; vous
••'relèverez les fondements abandonnés pendant une
'' longue suite d'années ; et on dira de vous que vous-
" réparez les haies détruites, et que vous faites une-
MÈRE GAMELIX 149
'' demeure paisible des cheiTiins passants." (Isaïe,
ch. 58). 1
Il les encourageait avec force et onction, non seu-
lement à bien supporter leurs croix, mais à les aimer
et à les unir à celles de Notre-Seigneur.
" Nous n'ignorons pas, leur écrivait-il, les dures
épreuves par lesquelles il a plu au Seigneur de vous
faire passer. Î^Tous ne vous les avions pas dissi-
mulées, ]Sr. T. C. S., lorsque nous reçûmes votre sa-
crifice. D'ailleurs, votre institution, au jour con-
sacré à honorer les souffrances de Marie, votre con-
ception dans le cœur de cette Mère affligée, votre
naissance sur le Calvaire, aux pieds d'un Dieu mou-
rant d'amour, votre mission qui a pour but de ré-
pandre la dévotion à Xotre-Dame des Sept-Douleurs,
tout vous prédisait des peines et des croix ; et le
Seigneur, dont les desseins sont toujours adorables,
ne vous les a pas épargnées." -
Une autre fois, il leur parlait ,de l'amour de la
croix : " Mes chères Filles, IsTotre-Seigneur vous a
légué ce qu'il avait de plus précieux, en vous donnant
la croix. C'est ce qu'il a choisi lui-même, et c'est le
trésor qu'il veut vous faire partager. Eecevez-le
avec bonheur. La croix de Jésus vous fortifiera dans
vos peines et vos souffrances ; elle vous enrichira de
^ Mandement du 2 février 1858.
' Mandement du 28 mars 1845.
150 YIE DE
grâces et vous détachera de plus en plus du monde,
en vous attachant davantage aux choses du Ciel." ^
" Votre père, saint Vincent de Paul, leur disait-il
un autre jour, répétait souvent : " Toute œuvre qui
n'a pas de difficultés, de peines, de croix ne peut sub-
sister. Quand donc il y a des souffrances, tant mieux,
c'est l'œuvre de Dieu."
Dès l'origine, il avait placé notre institut sous la
protection très spéciale de Notre-Dame des Sept-
Douleurs. Il revenait souvent, dans ses instructions
écrites, sur l'importance et le prix de cette dévotion,
de même que de celle à la passion de Notre-Seigneur.
" Il est, ]Sr. T. C. S., une dévotion essentielle à
votre saint institut, c'est la dévotion à Xotre-Dame
des Sept-Douleurs.
" Le Seigneur, dans sa miséricorde, a daigné vous
réunir en communauté sous le drapeau lugubre de
Marie désolée. C'est pour cela que, dans son admi-
rable Providence, il a voulu que les sept fondatrices
de cette nouvelle communauté prissent le saint habit
de religion le 25 mars, qui est le jour ovi Notre-Sei-
gneur s'incarna dans le sein de cette glorieuse Vierge,
et où encore, selon de graves autorités, il mourut
sur le Calvaire, sous les yeux de sa divine Mère.
" Ainsi, vous avez été engendrées à la religion sur
* Instruction A la communauté. 1846.
MÈRE GAMELIX 151
le Calvaire, près de la croix, aux pieds de Jésus-
Christ mourant, dans le cœur de Marie, percé de sept
glaives de douleurs, et dans le moment où toute la
nature était dans le deuil pour pleurer la mort de son
auteur. Vous êtes donc filles des douleurs de Marie,
et en cette qualité obligées de compatir vous-mêmes
à ses cruelles angoisses et de répandre de toutes vos
forces cette salutaire dévotion, qui est comme la
pierre sur laquelle repose l'édifice de votre commu-
nauté." ^
Et dans un vif désir d'implanter de plus en plus
dans le cœur de ses filles cette belle dévotion, il leur
en écrit encore en ces termes:
" Pénétrez-vous bien de cette vérité, que c'est au
pied de la croix et dans le cœur de Xotre-Dame des
Sept-Douleurs que vous êtes nées à la vie religieuse,
et que c'est le sang précieux de Jésus et les larmes
amères de Marie, qui vous ont donné l'étonnant ac-
croissement que vous avez pris en si peu de temps.
Que la passion de Xotre-Seigneur Jésus-Christ soit
pour vous toutes une force toute divine, qui vous
serve de rempart, vous protège et vous défende. Que
ses plaies sacrées et son sang divin soient l'aliment
délicieux et le breuvage mystérieux qui vous nourris-
• IMandenient du 3 avril 1846.
153 YIE DE
sent, vous enivrent et vous rassasient. Que l'aspersion
de son sang adorable vous lave et vous purifie de tous
vos péchés. Que sa mort vous procure une gloire éter-
nelle et vous fasse vivre, en attendant, dans la pra-
tique fidèle de toutes les vertus religieuses.
" Que la divine croix sauve cette communauté,
aujourd'hui établie pour célébrer les mystères du Cal-
vaire et consoler la Mère des Douleurs, en soulageant
tontes les misères qui affligent notre pauvre huma-
nité." ^
Il va même jusqu'à leur écrire : '' La dévotion à
Xotre-Dame des Sept-Douleurs est la dévotion pro-
pre de votre humble institut. Elle est née et a grandi
avec lui; elle a toujours été, et elle fait encore toute
sa force. Si elle disparaît, il disparaît avec elle." ^
Tout ce que nous avons vu jusqu'ici de mère Ga-
melin nous a fait voir à quel point elle manifestait
en elle cet esprit et ces vertus dont le pieux évêque
s'appliquait avec tant de persévérance à pénétrer le
cœur de ses filles. Elle était digne à cet égard de leur
servir de modèle, et l'on peut affirmer qu'elle avait
pratiquement commencé, longtemps à l'avance, son
noviciat à la vie religieuse, lorsqu'elle en revêtit les
livrées.
Elle se réjouissait vivement de tout ce qu'elle
* Mandement du 1.3 mars 1850.
=' Lettre du 21 juin 1878.
MÈRE GAMELIX 153
voj'ait entrei^rendre en dehors de son institut pour
le soulagement des malheureux. Aussi accueillit-elle
avec une grande Joie la nouvelle de la fondation de
la première maison des Sœurs Grises à la Eivière-
Kouge. ^ " Ces pauvres sauvages, disait-elle, vont
donc enfin avoir des mères pour les instruire et les
soigner." Malgré l'extrême pauvreté de sa propre
maison, alors à son début, elle voulut contribuer
d'une légère aumône à cette fondation d'une com-
munauté amie. En remettant son obole à la
mère Valade, qui s'en allait prendre la direction de
cette lointaine mission, elle lui dit : " En retour, vous
offrirez pour moi un petit quart d'heure de vos soins
charitables auprès des pauvres sauvages. J'aime beau-
coup cette monnaie, gagnée auprès des malheureux ;
c'est avec elle que j'espère payer mon billet d'entrée
au ciel ! "
La révérende mère Yalade, profondément touchée
de cette générosité, lui adressait, quelque temps plus
tard, de sa nouvelle résidence, la lettre suivante:
" Eivière-Eouge, 23 juillet 1845.
'' ^la chère Mère,
" Vous ne pouvez concevoir le plaisir que j'éprouve
de pouvoir enfin vous témoigner ma profonde grati-
^ Aujourcriiui Saint-Boniface.
154: YIE DE
tude pour la cordiale charité que vous nous avez té-
moignée, lors de notre départ de Montréal pour nos
lointaines missions. J'espère que vous m'avez par-
donné de ne vous avoir pas écrit plus tôt. Mes nom-
breuses occupations et la difficulté d'avoir une occa-
sion pour envoyer nos lettres en ont été la cause.
" J'ai appris avec une grande satisfaction l'accrois-
sement que prend votre belle œuvre. J'ai été plus
d'une fois édifiée du grand bien qui se faisait par vo-
tre entremise dans votre petit refuge. Mais je vois
maintenant avec admiration et bonheur votre œuvre
augmenter de jour en jour, pour le soulagement des
pauvres. Si le Seigneur exauce les vœux que je forme
pour vous, Il continuera de bénir votre intéressant
Institut. . .
" Veuillez aussi prier pour nous, afin que nous fas-
sions, dans notre lointain pays d'adoption, le bien que
le Seigneur attend de nous. Les pauvres sont nom-
breux et misérables; les enfants ne demandent pas
moins notre vigilance. Nous en avons quatre-vingt-
dix à notre petite école. De plus, nous allons chaque
jour, à trois lieues d'ici, enseigner les prières et le ca-
téchisme à cent vingt personnes des deux sexes, qui
n'ont pas encore fait leur première communion. Ils
sont tous on ne peut plus ignorants. Je vous donne
ces petits détails, parce que je sais qu'ils intéresseront
MÈRE GAMELIX 155
votre cœur compatissant . . . Les sauvages sont très
bons pour nous; ils aiment surtout à nous voir faire
la classe aux enfants; ils passent quelquefois beau-
coup de temps devant nos fenêtres pour nous exa-
miner, et ils ne peuvent alors nous cacher leur sur-
prise et leur admiration. Ils appellent les Sœurs
Meckateonayé ih Kwewoh, femmes prêtres.
" Le pays est très beau et très fertile; la terre rend
au centuple ce qu'on lui confie. Quant au climat, le
froid n'a pas été, cet hiver, plus élevé qu'à Montréal;
mais les chaleurs, au mois de juillet, ont été, je
crois, plus grandes qu'au Canada; cependant, il vente
beaucoup, et dans les orages le tonnerre est très
fort...
" Veuillez, ma chère Mère, agréer de nouveau l'ex-
pression de notre reconnaissance. Priez pour nous,
pauvres missionnaires sauvages, et cro3^ez-moi, chère
"Mère,
Votre toute dévouée,
Sœuk Valade,
Supérieure.
Mère Gamelin avait singulièrement à cœur l'œuvre
des missions lointaines. On peut croire que si, dès
l'année qui suivit sa mort, une colonie de sœurs fut
156 VIE DE
dirigée sur l'Orégon, ses pieux désirs et ses ardentes
prières ne furent pas étrangers à leur départ.
Les Sœurs de la Charité des Etats-Unis gardaient
aussi à mère Gamelin un affectueux souvenir. Depuis
son passage parmi elles, une correspondance active
s'était engagée entre leur communauté et la nôtre.
Elles nous portaient le plus cordial intérêt. Aussi,
durant nombre d'années, quand nos sœurs mission-
naires de rOrégon étaient obligées de séjourner, en
passant, à New- York, les filles de mère Gamelin,
3îot]ier Gamelin's daughters, comme elles nous appe-
laient, étaient sûres de recevoir d'elles le plus affec-
tueux accueil. Outre le manuscrit authentique des
Eègles de saint Vincent de Paul, qu'elles furent
si heureuses de mettre à la disposition de mère
Gamelin, lors de sa visite à Emmitsburg, nous leur
devons les Conférences inédites de saint Vincent et
le livre des Retraites du mois, qui nous furent prêtés
par la révérende Mère Jérôme, supérieure de leur
maison mère de Nev-York. Ces précieux ouvrages
furent copiés par nos sœurs, et le livre des Retraites
fut imprimé à notre communauté.
On nous permettra de reproduire ici une lettre de
la révérende Mère Valentina, supérieure de leur mai-
son de Baltimore, adressée à Mère Gamelin:
MÈRE GAMELIX 157
" Orphelinat Sainte-Mane,
"Baltimore. 13 Juillet 1815.
^■' Eévérende Mère,
" Quelles excuses vous ferai-Je de mon long silence.
Votre lettre a été trois fois bienvenue et nous a causé
un extrême plaisir. . .
" Xos orphelines sont beaucoup plus nombreuses
cme lors de votre passage parmi nous. Xous sommes
en frais d'ajouter une nouvelle bâtisse à l'asile, et
nous espérons la voir complètement terminée avant
les temps froids.
" J'ai été très heureuse d'apprendre les progrès de
votre nouvelle communauté. Je désire sincèrement
■que le Tout-Puissant la favorise de ses abondantes
bénédictions et j)énètre chacun de ses membres du
véritable esprit des vraies Sœurs de Charité.
" J'ai eu le bonheur de revoir dernièrement notre
maison mère d'Emmitsburg. Elle a subi beaucoup
d'améliorations, depuis Cjue vous l'avez vue. La mai-
son qui y a été ajoutée pour les sœurs est beaucoup
plus spacieuse que l'ancienne. Xotre bien aimée mère
Xavier m'a dit qu'elle avait reçu une lettre de vous;
elle est très heureuse d'apprendre que vos œuvres
vont si bien. La santé de cette bonne Mère est très
■délicate.
158 VIE DE
" J'ai éprouvé un bien sensible plaisir en appre-
nant que vous avez un si bon et si dévoué père dan&
la personne de votre digne évêque. Que Dieu le con-
serve encore des années et des années, et qu'il ait
le bonheur de voir votre communauté étendre ses
branches en autant d'endroits que la nôtre. J'aime le
Canada; je ne sais trop pourquoi, si ce n'est qu'il est
très cher à notre père Deluol. Il y eut un temps où
les bruits couraient que nous devions y avoir une mis-
sion. J'espérais beaucoup alors, si telle eût été la vo-
lonté de Dieu, d'être choisie une des premières.
" Xos sœurs vous saluent très affectueusement,
quoiqu'elles n'aient pas toutes le plaisir de vous con-
naître personnellement; il leur suijRt de savoir que
vous êtes sœur de charité pour vous faire chérir de
toutes.
" S'il vous plaît, ma chère Mère, rappelez-moi au
souvenir de toutes vos sœurs, et leur demandez de
prier pour celle qui s'intéresse si vivement à leur
bonheur.
Votre très affectionnée,
Sœur A^^^lentina,
Supérieure.
MÈRE GAMELIN 15^
CHAPITEE X
1846
fondation de la mission de la longue-pointe. —
moht subite de sœur madeleine. — lettre de mère
gamelin. — œuvre des prêtres âgés ou infibmes.
— fondation de la mission de la prairie de la
madeleine. — incendie du village.^pauvreté de
l'hospice.
Ce fut dans le village de la Longue-Pointe, situé
sur les bords du Saint -Laurent, à quelques milles de
Montréal, que mère Gramelin fonda sa première mis-
sion. Prévit-elle, dès ce moment, l'avantage que
pourrait offrir cette situation dans l'avenir, pour
quelqu'une des œuvres que sa communauté serait
appelée à fonder plus tard ? îTous n'en savons rien ;
mais ses prévisions, si elles les a eues, ont été jus-
tifiées par l'événement, puisque deux de nos œuvres
les plus considérables ont pris naissance en ce lieu,
celle des sourdes-muettes et celle des aliénés.
Au printemps de l'année 1846, mère Gamelin
allait installer deux de ses filles dans la petite maison
de la ferme Saint-Isidore, pour y ouvrir une école
élémentaire. '" Le lendemain, dit la Chronique, M. le
chanoine Blanchet, ^ chapelain de la maison mère,
^ M. le chanoine A.-M. Blancliet naquit à Saint-Pierre,
Ile d'Orléans, le 22 août 1797. Il fut ordonné prêtre
le 21 juin 1821, consacré évêque de Walla-Walla, Wasli.,
E.-U., le 27 septembre 1846, et transféré au diocèse de N'es-
160 A'IE DE
alla bénir la chapelle et y célébrer la première messe.
Un peu plus tard, Mgr Prince, supérieur ecclésias-
tique, y érigea canoniquement le chemin de la crois.
La première année, la classe compta trente élèves
externes. On leur enseignait la lecture, l'écriture,
la grammaire, l'arithmétique et surtout le caté-
chisme."'
Les sœurs exercèrent dans cette mission toutes les
œuvres propres à l'institut : l'hospitalité des orphe-
lines et des infirmes, la visite des malades, etc.
Pour s'assurer des ressources, elles prirent, dès la
première année, des élèves en pension, ce qu'elles
firent jusqu'en 1870.
En 1847, mère Gamelin lit ajouter une allonge
considérable à la maison, devenue trop petite.
Une grande épreuve affligea nos sœurs de la ferme
Saint-Isidore, durant la quatrième année de leur sé-
jour. L'tme d'entre elles, sœur Madeleine, née Ma-
thilde Davignon, mourut d'une attaque d'apoplexie
qualy, le 30 mai 1850; évêque démissiouuaire. sous le titre
d'évêque d'Ibora in partibus, le 14 février 1S79 ; décédé
à Vancouver, le 2.5 fé\Tier 1887.
Fondateur de nos missions de Touest américain, dans
Washington, l'Orégon et le Montana. 'Slgv Blanchet mourut à
l'âge de 89 ans. dans notre hospice Saint-Joseph, à Van-
couver, Wash., où il passa ses dernières années. Ce fut i)our
nos sœurs une grande consolation de pouvoir prendre soin
de la vieillesse de celui envers qui elles avaient de si
grandes obligations.
Le vénérable prélat se montra, jusqu'à la fin de sa vie.
le protecteur dévoué de ses chères filles de la Providence.
MÈRE GAMELIX IGl
fouclroyante.le 14 décembre 1850, à l'âge de trente-
quatre ans. Elle était dans la mission depuis trois
ans, et elle y exerçait la charge de maîtresse des clas-
ses. Son dévouement, son habileté, son talent potir
l'enseignement et son solide esprit religieux en fai-
saient un sujet précieux. Elle exerçait sur ses élè-
ves un grand ascendant, ayant le secret de se faire
tout à la fois aimer et respecter d'elles.
Elle avait une tendre dévotion au très Saint Sacre-
ment et à la passion de Xotre- Seigneur, et passait
au pied du tabernacle presque tous ses moments li-
bres. Le matin de sa mort, elle avait reçu la sainte
communion, et dans l'après-midi, après sa classe,
comme poussée par un pressentiment, elle avait in-
vité ses élèves à faire avec elle le chemin de la croix,
à l'intention de celle des sœurs de la mission, qui
mourrait la première. "'•' Jamais," dira plus tard l'une
d'entre elles, ""nous n'oublierons ce chemin de croix,
qu'elle fit à haute voix, en méditant la passion du
Sauveur : et cela avec une telle onction et une piété
si vive que nous ne pouvions nous empêcher de mêler
nos larmes aux siennes." Yers les sept heures du
soir, elle demanda la permission d'aller se reposer,
disant qu'elle souffrait d'un violent mal de tête.
Quelques heures plus tard, elle avait cessé de vivre, et
le prêtre, mandé en hâte, se trouva en face d'un ca-
davre.
162 VIE DE
La stupeur et la peine des religieuses et des en-
fants furent extrêmes ; elles perdaient en elle, les
unes une sœur ou une amie, les autres, une véritable
mère.
Mgr Bourget et mère Gamelin rendirent hommage
à son mérite et déplorèrent vivement sa mort.
Dès le lendemain, l'évêque écrivait au curé de la
Longue-Pointe, qui lui avait fait part de la triste
nouvelle : " C'est une vraie perte pour la paroisse
comme pour la communauté. Je la déplore plu? que
tout autre, mais j'adore et je me résigne. C'est Dieu
qui le veut. Espérons que déjà elle a pris sa place
clans le chœur des vierges."
Mère Gamelin faisait part de ses impressions sur
cette perte douloureuse, dans ime lettre à ses sœurs
de Laprairie, écrite quelques jours plus tard.
Maison de la Providence,
17 décemlDre 1850.
A la Très-Honorée Sœur Larocque, Sœur ser-
vante, à La Prairie. ^
^ Sœur Larocque. l'une des sept fondatrices, fut la pre-
mière supérieure de l'hospice de la Providence à La-
prairie. Elle fonda, en 1853. une maison à Santiago du
Chili. Son humilité, sa grande bonté, son extrême défé-
rence pour tout le monde, la rendaient chère à tous
ceux qui la connaissaient. Elle mourut dans cette mission
lointaine, le 21 février 1857. âgée de 38 ans. Son corps fut
inhumé sur le terrain de la mission qu'elle avait établie
trois ans auparavant, et où reposent encore aujourd'hui ses
restes mortels.
MÈiŒ gamj:lin' 163
"'^ Mes chères filles,
"Vouà avez appris, sans aucun doute, la mort de
notre chère sœur Madeleine, par la lettre que sœur
E^zaheth vous a écrite de ma part. C'est samedi,
à deux heures du matin, que notre pauvre sœur a
rendu le dernier soupir, et je ne l'ai su qu'à six
lieures. Elle n'a été malade que sept heures ; le Dr
Archamhault ne la trouvait nullement en danger.
Les sœurs me disent que l'on ne peut dépeindre la
scène qui s'est passée cette nuit-là. La pauvre sœur
Praxède était sans connaissance. Je suis arrivée à
la ferme à sept heures, et je suis restée jusqu'au
dimanche après vêpres pour les consoler un peu.
]S[otre pauvre sœur a eu un Libéra à la Longue-Pointe
avant le départ du corps. Les funérailles ont été
magnifiques ; cinquante à soixante voitures sui-
vaient.
" Voyez, mes pauvres filles, combien le Seigneur
nous visite dans sa grande miséricorde ; j'ai bien
pensé à mes bonnes missionnaires ; je vous ai dési-
rées près de moi. En priant pour notre pauvre
sœur, ne soj^ons pas insensibles à ces coups qui nous
frappent ; il faut en faire notre profit spirituel, car
nous voyons par là comme il faut être toujours prêt
à rendre ses comptes et à paraître à l'heure qu'on y
pense le moins. Eéfléchissons un peu, et voyons que
164 VIE DE
le bon Dieu nous aime, car il nous châtie en père.
Comme vous le savez, la mort de sœur Madeleine est
une vraie perte pour la communauté. Je ne sais qui
l'on va mettre à sa place.
" Mettons toutes ces tribulations et croix amx
pieds de notre Mère, et souvenons-nous que nous-
sommes ses filles et que nous devons partager ses dou-
leurs."
Votre Mère,
Sr Gamelin, supérieure.
On voit par cette lettre l'affection dont la Mère en-
tourait toutes ses filles, et à quel point elle se préoc-
cupait de les consoler dans les peines et les épreuves^
qui pouvaient atteindre la communauté.
Deux ans plus tard, en 1852, nos sœurs ouvrirent
à la Longue-Pointe un hospice d'aliénés, dans la
ferme Saint-Isidore, qu'elles abandonnaient avec
leurs élèves pour s'installer dans une maison en
pierre, de quarante pieds de long sur trente de large,,
achetée avec toutes ses dépendances et un terrain
assez étendu, ^ près de l'église paroissiale.
A la ferme Saint-Isidore, les classes furent conver-
ties en cellules, et dix-sept aliénés en prirent posses-
^ Sur ce terrain se trouve encore aujourd'hui, outre cette
maison qui a subi d'importantes améliorations, le cimetière-
des religieuses et celui des sœurs tertiaires.
MÈRE GAMELIX 165
sion. Sur ce nombre, huit Tenaient de l'Asile, où
mère Gamelin, depuis 1844, les recevait dans une pe-
tite maison enclose dans l'enceinte du jardin. De-
puis l'adoption qu'elle avait faite, à la mort de son
mari, du pauvre idiot Dodais, elle avait toujours
porté un singulier intérêt à ces infortunés.
Dieu bénit cette œuvre, comme toutes celles qu'elle
a entreprises. Le petit hospice de Saint-Jean de
Dieu, qui comprenait, au moment de son ouverture,
dix-sept patients, en compte aujourd'hui dix-sept
cents.
Cette même année, la ferme Saint-Isidore donna
l'hospitalité aux prêtres âgés ou malades, à qui l'in-
fatigable charité de mère Gamelin avait ouvert, dès
1846, une maison de retraite dans une maison appar-
tenant au juge Pike, tout près de l'Asile, au eom des
rues Mignonne et Saint-Hubert. Elle l'avait achetée
à cette intention ; ce fut l'hospice Saint-Joseph.
Or, le S juillet 1852, un désastreux incendie rédui-
sit en cendre le faubourg Saint-Laurent et une partie
du faubourg de Québec. L'asile de la Providence et
l'hospice Saint-Joseph, bien que celui-ci fût en bois,
échappèrent au désastre par une protection signalée
du Ciel. Tout à côté, la cathédrale et Tévêché étaient
anéantis. Quatorze cents maisons avaient été dé-
truites ; neuf mille personnes étaient sans abri.
166 VIE DE
L'Asile ouvrit ses portes à ime foule de ces malheu-
reux, et toutes ses pièces, sans excepter la chapelle,
furent converties en dortoirs, où l'on n'entendait C[ue
des gémissements et des sanglots.
Les prêtres de l'hospice Saint-Joseph, touchés de
la triste situation de leur évoque et des prêtres de son
évêclié, leur offrirent spontanément leur demeure, et
s'en remirent aux sœurs de la Providence du soin de
leur assurer une autre résidence.
On leur aménagea un logement à la ferme Saint-
Isidore, où ils passèrent trois années, jusqu'à ce que
la cathédrale provisoire et l'archevêché actuel fus-
sent construits au faubourg Saint-Antoine.
Dans l'intervalle, la chapelle de l'asile servit aux
offices publics du quartier, et l'évêque y célébra toutes
les cérémonies pontificales.
Presque en même temps qu'elle établissait à la
Longue-Pointe la maison Saint-Isidore, Mère Ga-
melin ouvrait un hospice à Laprairie. à la demande
du curé, le E. P. Tellier, S. J., et sur les vives instan-
ces de la société des dames de charité, organisée dans
cette paroisse depuis l'année ISl"?. ^
^ Dans un des vieux livres de comptes de la fabrique de
Laprairie. un item attire l'attention. Dans un compte de
marfïuillier. de 1()92. il est question d"une somme pavée aux
■" Sœurs de la Providence "' pour 1 Ib. de cire jaune.
Quelles étaient ces sœurs de la Providence ? Xous croyons
que c'étaient ces filles pauvres, reçues par la Mère Bourgeois,
<in 1681, sous le nom de filles de la Providence, dans le
MÈRE GAMELIN 167
Mère Gamelin devait se sentir d'autant plus in-
clinée à répondre à cet appel, que cette fondation se
j)réseutait en quelque sorte dans les mêmes circons-
tances qui avaient entouré la fondation de l'asile de
Montréal.
Là aussi une société de dames avait pris Tini-
tiative de la visite et du soin des pauvres. Elles
avaient même loué une maison pour y recevoir ceux
d'entre eux qui n'avaient pas de demeure convenable.
C'est cette maison que les dames remirent à mère
Gameliu, le 15 mai 1846. Elle abritait à ce moment
huit vieilles infirmes, dont la garde était confiée à
une pieuse fille, Mlle Emmélie Denaud. ^
La maison, solidement construite en pierre, n'a
pas subi depuis de modifications notables, et elle sert
encore d'habitation à nos sœurs.
L'arrivée des religieuses causa ime grande joie
parmi les familles pauvres du village. Xotre bonne
but de les former au travail. La vénérable ^Mère avait ou-
vert ù cette intention un ouvroir appelé la " Providence ".
Quelques sœurs étaient chargées de ces filles, qu'elles s'effor-
çaient de mettre en état de vivre du produit de leur tra-
vail.
Cette association fut supprimée en 1694.
Voir Vie de la Sœur Bourgeois, par M. l'abbé Faillon.
t. I, page 186, et t. II, page 19.
^ Cette demoiselle demeura à la mission jusqu'à sa mort,
arrivée le 24 décembre 186.5. Elle rendit il nos sœurs
d'inappréciables services.
168 VIE DE
mère passa quelques jours au milieu de ses filles, pour
leur faciliter les commencements de leur nouvelle
existence. Elle s'occupa avec une sollicitude parti-
culière à préparer le petit oratoire qui allait bientôt
recevoir Xotre-Seigneur, dont la présence sacra-
mentelle est toujours le grand soutien et la grande
consolation de la vie religieuse.
Les sœurs eurent la joie d'entendre la première
messe dans leur oratoire, le 26 du même mois. Mgr
Prince, qui l'avait célébrée, réunit ensuite les dames
de charité ; et après les avoir félicitées du travail
qu'elles avaient accompli jusque-là, il les exhorta
fortement à donner aux sœurs tout l'appui de leur
zèle et de leur dévouement.
Quelques jours plus tard, Mgr Bourget venait
lui-même apporter aux sœurs et aux dames le puis-
sant encouragement de sa présence et de sa parole,
et promettait à ces dernières Tavantage d'une messe
dite à leur intention, le lundi de chaque semaine,
et d'une instruction donnée par un des pères jé-
suites de la paroisse.
Malgré le peu de ressources de cette maison, qui
dépendait uniquement de la charité publique, la fon-
dation s'annonçait sou-s les plus heureux auspices,
quand une terrible épreuve menaça d'anéantir ces
beaux commencements.
MÈRE GAMELIN 169
Daus la nuit du 5 août^ un incendie détruisit une
partie du village. Plus de trois cents maisons, le
presbytère et une portion de l'hospice devinrent la
proie des flammes. Le feu s'arrêta à l'église.
Les sœurs et les pauvres infirmes, au nombre de
quatorze, se réfugièrent au bord du fleuve. C'est là
que notre vénérable mère, accourue dès le matin à
la triste nouvelle, les trouva au milieu de centaines
de malheureux sans asile, groupés autour des quel-
ques meubles et des quelques habits qu'on avait pu
sauver du désastre.
x\près avoir distribué autour d'elle, avec sa bonté
et sa cordialité accoutumées, des consolations et des
encouragements, la bonne mère repartit immédiate-
ment pour la ville, ramenant à l'Asile avec elle les
quatorze vieilles de l'hospice, pendant que les reli-
gieuses trouvaient un refuge chez les sœurs de la Con-
grégation de Notre-Dame.
Elle revint incessamment, accompagnée de sœur
Caron, pour distribuer les secours les plus urgents à
ces familles en détresse. Dans l'intervalle, des co-
mités de secours s'organisèrent à la ville et dans les
campagnes voisines, pour venir en aide aux incen-
diés. Nos sœurs furent chargées de distribuer les
dons en argent, en aliments et en vêtements, et mère
170 VIE DE
Gamelin, assistée de sœur Caron, présida dès le len-
demain à la première distribution.
Les sœurs purent rentrer dans leur maison après
les premières réparations^ dès le 24 septembre; leurs
pauvres les y suivirent au mois de novembre.
Cependant, la pauvreté de la maison ne cessait pas
d'être extrême ; on y manquait parfois du nécessaire.
Mère Gamelin fut sur le point de rappeler ses reli-
gieuses. Elle dut céder à leurs propres instances, car
elles ne pouvaient se résoudre à abandonner leurs
pauvres. Le E. P. Tellier et les dames de charité
joignirent leurs prières aux leurs, et se mirent à l'œu-
vre, par des quêtes et des bazars, pour payer non seu-
lement les frais de réparation nécessités par l'incen-
die, mais même pour assurer aux sœurs la propriété
de la maison, qui leur coûtait un loyer annuel de 19
louis. Les dames réussirent à obtenir du comité
de l'incendie un don de 50 louis ; le E. P. Tel-
lier eut la bonté de descendre lui-même à Québec
pour solliciter des aumônes. Ses démarches réussi-
rent ; il rapporta la somme de 147 louis. Grâce à ces
secours, on put faire l'acquisition de l'immeuble. II
restait une dette de 400 louis.
Ce fut le dernier acte de zèle et de dévouement du
père Tellier en faveur de cette fondation, à laquelle il
avait pris une part si grande. Le 7 décembre de cette
-MÈRE GAMELIX 171
année, il quittait la cure de Laprairie, ponr y être
remplacé par le R. P. Mainguy.
Moins d'un an plus tard, le 16 octobre 1847, mère
Gameliu était forcée d'ouvrir dans cette mission une
salle d'orphelines. Plusieurs de ces pauvres enfants
abandonnées ne pouvaient que très difficilement
trouver place dans d'autres établissements de charité.
Pour subvenir aux besoins de ces nouvelles pension-
naires, les sœurs s'imposèrent un surcroît de travail
et les plus grandes privations, jusqu'à se contenter,
pour leur nourriture, des restes de leurs pauvres.
C'était un nouveau trait de ressemblance avec la fon-
dation de la maison mère.
Qu'on nous pemiette de citer quelques lignes de la
chronique de l'époque : " Xous ne mangions du pain
qu'une fois par Jour. Notre nourriture ordinaire était
de la soupe aux pois, du lard et des patates. En ca-
rême, notre dîner consistait, comme aux Jours mai-
gres, en une soupe aux pois, et ordinairement en un
pâté aux pommes, sans pain ni beurre. Xous n'ache-
tions Jamais ni thé ni café, mais nous envoyions
chercher dans le village les feuilles de thé déjà in-
fusées. Un Jour, un monsieur donna aux orphelines
50 sous pour faire de la tire. La sœur servante,
qui n'avait plus de pain à leur donner, leur de-
manda ce qu'elles aimaient le mieux, du pain ou de la
173 VIE DE
tire. "Du pain! du pain!'' crièrent ensemble les en-
fants, car le pain était pour elles ce qu'est un gâteau
aux enfants des riches. Une année, nous fîmes tout un
carême d'une tinette de beurre de cinquante livres,
et cela avec un personnel de trente-sept personnes."
Bien que la Clironique ne le dise pas, il y a lieu de
croire que le pain fut plus souvent mangé sec qu'au-
trement.
Des interventions manifestes de la divine Provi-
dence vinrent plusieurs fois récompenser ce touchant
esprit de sacrifice.
Un jour, le curé prévint la supérieure qu'il ne
pourrait plus laisser le Saint-Sacrement dans l'ora-
toire, parce que la porte du tabernacle n'était pas
recouverte d'un pavillon, conformément à la règle
liturgicjue. Il n'y avait que quinze schellings dans la
maison, pour faire le marché de la semaine. La
sœiur ser\aute, vivement affligée, en conféra avec
ses sœurs, et toutes, unanimement, décidèrent de se
priver de viande pendant huit jours, plutôt que de
perdre leur précieux trésor. Or, pendant que la supé-
rieure était à la ville, pour l'acliat du pavillon, une
jeune fille se présenta au parloir et dit à la sœur qui
la reçut : '' J'ai fait une promesse, pour une grâce
que j'ai obtenue hier, et je viens m'en acquitter tout
de suite, en donnant 15 schellings pour les pauvres.''
MÈRE GAMELIX 1T3
Qu'on juge de la reconnaissance qui éclata, quand, à
l'arrivée de la supérieure, on lui remit la somme
qu'elle venait de dépenser pour le divin Prisonnier !
L"n autre jour, il n"v avait que cj[uelques sou'S
dans la caisse; les sœurs et les pauvres entendirent la
sainte messe en l'honneur de saint Joseph, le priant
de venir à leur secours. Or. vers les neuf heures, un
inconnu sonna à la porte du parloir: ""' Je suis voya-
^•eur, dit-il; j'ai manqué périr, et j'ai promis, si j'é-
chappais au danger, de donner une aumône aux pau-
vres. Je suis heureux d'accomplir ma promesse en
faveur de votre maison." Et il remit à la religieuse
la somme de deux louis.
Xous pourrions multiplier ces traits d'intervention
providentielle, mais le cadre de notre livre ne nous
le permet pas. Aujourd'hui, la mission de Laprairie
est pauvre encore, mais elle prospère. Outre les œti-
vres de charité extérieures, elle entretient quarante
pauvres infirmes. La société des, dames de charité,
qui assiste nos sœurs dans leurs œuvres, compte un
demi-siècle d'existence et comprend actuellement
cent-vingt membres.
174 VIE DE
CHAPITEE XI
1846-1847
DEUXIÈME VISITE ÉPISCOPALE.— VERTUS ET DÉVOTIONS
DE MÈRE GAilELIX. — SOX ESPRIT D' ABNÉGATION ET
DE SACRIFICE.— QUALITÉS DE SA DIRECTION.— SA SOL-
LICITUDE POUR LE NOVICIAT.— SES ÉPREUVES INTÉ-
RIEURES.
Le 16 avril 1846, Mgr Bourget fit à l'asile de la
Providence sa seconde visite pastorale. Mère Game-
lin sollicitait toujours cette faveur avec instance, à
cause des grands avantages qui en résultaient pour
sa communauté. Chargée déjà de la direction de
plusieurs œuvres de charité, elle redoutait le poids
de sa responsabilité et sentait plus que personne le
besoin de l'assistance de son évêque. " Là seulement,
disait-elle, je me sens en paix, comme un enfant près
d"un bon père.'' Une des résolutions de sa première
retraite avait été celle-ci : " Obéissance aveugle à
l'égard de mes supérieurs en toutes choses." {Jour-
nal, 1846.) Elle tenait non seulement à déférer en-
tièrement à leurs avis et à leur direction, mais même
à témoigner un véritable contentement du sacrifice
qu'elle avait parfoi^^ à leur faire de ses idées et de
ses sentiments personnels, non moins que des frois-
sements d'amour-propre qu'elle pouvait ressentir à
leurs observations.
3IÈRE GAMELIN 175
Elle nourrissait à son propre endroit les plus hum-
bles sentiments. " Je ne puis rien par moi-même,"
répétait-elle souvent à ses sœurs, " ni par mes ta-
lents, ni par mes moyens, mais je compte sur la di-
vine Providence, qui vous inspirera ce que vous devez
faire pour soulager les membres souffrants de Xotre-
Seigneur ; puis votre exemple engagera d'autres per-
sonnes à donner leur superflu pour vous aider."' —
■•'Je n'ai pas la prétention de croire, mes chères filles.'^
disait-elle dans une autre occasion, ''que nous ferons
de grandes choses, comme les autres communautés,
mais nous ferons le peu que les autres communautés
ne peuvent faire, et le bon Dieu aura ce peu pour
agréable, puisque nous ne pouvons faire plus."
Son humilité ne se bornait pas à des paroles, elle
se traduisait dans tous ses actes.
Durant les retraites, elle baisait les pieds de ses
sœurs et les suppliait de prier Dieu pour elle. Elle
savait réparer humblement, même, auprès de ses infé-
rieures, les fautes qui échappaient à sa vivacité.
Avant im jour fait de la peine à une jeune sœur, elle
se jeta à ses genoux pour lui en demander pardon.
C'était là un des points principaux de ses examens
et de ses résolutions. '' Beaucoup de douceur et de
charité envers mes inférieures," écrit-elle dans son
journal de retraite ; " oublier leurs défauts les plus
176 VIE DE
saillants, et ne voir que ceux qui me regardent per-
sonnellement."' {Journal, 184G).
Elle accueillait les pauvres au parloir avec tant de
cordialité, qu'on aurait cru qu'ils étaient ses parents
ou ses plus chers amis. Elle témoignait un vif re-
gret de ne pouvoir satisfaire à toutes leurs demandes,
et ces pauvres gens ne se retiraient jamais sans em-
porter au moins l'aumône inappréciable d'une affec-
tueuse compassion. Elle veillait à ce que la visite
des pauvres à domicile se fît régulièrement. En
dépit du petit nombre des sœurs, elle trouvait tou-
jours le moyen d'en envoyer auprès des malades qui
en faisaient la demande, la nuit comme le jour. Les
sœurs devaient lui rendre compte de la manière dont
elles s'acquittaient de cet office, et elle leur donnait
sur ce point d'excellents avis.
Ce fut le 21 avril 18-i6 que Mgr Bourget inaugura
dans notre chapelle les quarante-heures de Marie dé-
solée. Cette touchante dévotion, si chère au cœur
de notre vénérée fondatrice, s'est perpétuée jusqu'à
nos jours. Chaque année, le vendredi-samt, à cinq
heures du soir, les religieuses et tout le personnel de
la maison se réunissent à la chapelle. Après le chant
du Stabat Mater, on entend un sermon, puis on récite
quelques prières, entre lesquelles la suivante, pres-
crite par le cérémonial : " Ma tendre Mère, que je
MÈKE GAMELIN 1T7
vois plongée dans la plus profonde affliction, je ne
veux point vous laisser seule répandre des torrents
de larmes dans votre solitude. 'Non, Je ne vous
abandonnerai pas ; je veux mêler mes larmes avec
les vôtres, je veux partager vos douleurs et celles
de mon Rédempteur.''
Sept cierges brûlent constamment pendant les
quarante-heures de Marie désolée ; quelques sœurs
demeurent toujours en prière, se succédant, le jour,
de demi-heure en demi-heure, et la nuit, de deux
heures en deux heures.
^Igr Bourget fit don des sept premiers cierges qui
furent allumés aux pieds de la Mère des Douleurs,
à l'inauguration de ces pieux exercices: "Je désire,"
avait-il dit à mère Gamelin, •' que les sept premiers
cierges qui brûleront à cette occasion soient payés
par un pauvre ; et comme je crois être à bon droit
le premier pauvre du diocèse, je vous en remets le
prix."
Ces exercices se terminent le jour de Pâques, à
cinq heures du matin. En présence de la commu-
nauté, réunie à la chapelle, la supérieure récite la
prière suivante : " Cessez, ô Vierge glorieuse, mère
très-aimable, cessez de vous livrer à la tristesse et à
l'affliction. Vous avez assez pleuré, il est temps
d'essuver vos larmes. Voire divin Fils est ressus-
178 VIE DE
cité. Le voilà, contcmplcz-le ; son visage, ses plaies,
sa sainte âme, son corps sacré, tout en lui est rempli
de majesté, de lumière, d'éclat et de beauté : il a
triomphé de la mort, subjugué l'enfer, détruit le pé-
ché. Agréez, ô ma tendre Mère, agréez les senti-
ments de mon cœur, qui vient partager avec vous sa
joie et son allégresse."
Cette prière achevée, le chœur des religieuses pro-
clame joyeusement la résurrection du Sauveur par le
chant solennel dit lîegina Cœli, qui est suivi de la
prière dti matin et de la méditation.
Ce fut aitssi notre vénérée mère qui, malgré les ob-
jections provoqttées par la nouveauté de cette dévo-
tion, parvint à faire imprimer pour la première fois
dans notre ville l'effigie du scapulaire de Xotre-
Dame des Sept-Doulcurs. ^ Par totts les moyens en
son pouvoir, elle cherchait à répandre cette dévotion.
Elle en avait fait la promesse, et elle sut la tenir.
Tout ce qui touchait du reste au culte des dou-
leurs de Mfirie lui était cher. Cette dévotion, où elle
avait puisé une si grande consolation durant les
épreuves de son veuvage, elle avait à cœur de l'in-
culquer à ses filles et d'en faire une des dévotions
caractéristiques de sa communauté. Son journal de
' Voir Soiirciiir du 25tme anniversaire de la mort de
mère Ganieliii. p. 21.
MÈRE GAMELIX 179
retraites, ses exhortations fréquentes révèlent cette
préoccupation profonde et constante de son cœur.
" Faire en sorte," écrit-elle sous forme de résolu-
tion, durant une de ses premières retraites, " que la
dévotion à Notre-Dame des Sept-Douleurs se pro-
page, surtout dans notre maison, ainsi que celle du
chemin de la croix, a3'ant connu qu'au pied du Cal-
vaire Ton peut puiser à une source intarissable, et
qu'avec un peu de courage l'on obtiendra la perfec-
tion que notre saint état demande de nous."
Dans son journal de 1849. elle écrit : " Je vais
faire le chemin de la croix pour la conversion des pé-
cheurs ; c'est ma pratique de tous les jours. J'ai
formé la résolution de le faire tous les jour.s de l'an-
née, si mes occupations le permettent. J'éprouve
tant de consolation, dans ces méditations sur la pas-
sion de mon Sauveur." {Journal, 1849).
Dans une retraite précédente, après avoir pris la
résolution de le faire souvent, elle demande par-
don à Dieu "' de sa négligence et de sa paresse à
remettre souvent de faire cet exercice qu'il semble
-exiger d'elle." et elle prend " la résolution de ne
pas passer un jour sans invoquer le nom de Marie.
Mère des Douleurs, par quelques invocations picii-
ses." {Journal, 1846). Et quatre ans plus tard, dans
sa dernière retraite, fidèle au même sentiment et
180 VIE DE
au même devoir, elle termine un passage relatif à
ses épreuves par ces lignes, qui montrent avec quelle
constance elle pratiquait les dévotions qui lui te-
naient au cœur : " Pour être l'enfant de la Mère
des Douleurs, il faut s'attendre à porter la croix en
ce monde. Je viendrai doiic souvent prier aux pieds
de cette bonne Mère. Je lui demanderai d'avoir pitié-
de moi dans les épreuves et les tribulations dont je
suis sans cesse agitée. Je penserai qu'elle m'a parti-
culièrement choisie pour sa fille, que je suis obligée
de la consoler et de l'honorer, de propager sa dévo-
tion autant que j)0ssible. partout où il y aura des
sœurs de charité. Xous lui en avons fait la pro-
ïnesse, si nous obtenions par son intercession une
statue semblable à celle qu'avaient le bonheur dé-
posséder, dans les Etats-Unis, les bonnes religieuses
d'Emmit-burg." [Ji.iinial. 1850).
Elle troitvait un attrait irrésistible à la méditation
de la passion de Notre-Seigneur et des douleurs de
sa Mère, qu'elle ne séparait jamais de sa pensée. Son
cœur se fondait ati souvenir des peines de la fuite en
Egypte, de la perte de Jésus au retour de Jérusalem,
des angoisses de Gethsémani, de la rencontre du
divin condamné avec sa mère, de sa montée au Cal-
vaire. •' Sa mère," disait-elle avec larmes, '' sa mère
était là. debout près de sa croix !"'
MÈRK CAMEI.IX 181
Sa foi et sa piété lui faisaient vivement ressentir
toutes ces grandes souffrances, et riIomme-Dieu, qui
l'appelait à le suivre dans la voie laborieuse de sa
passion, l'admit de bonne heure à partager son ca-
lice, en la dépouillant, dès son enfance et sa jeunesse,
de ses affections les plus légitimes, en la soumettant,
dans sa maturité, à un âge où les habitudes de l'es-
prit et du caractère sont fortement prises, aux épreu-
ves et aux difficultés de l'obéissance et de la vie com-
mune, en lui infligeant ces peines intérieures, ces dé-
laissements sensibles de la divine présence, qui lui
causaient de "si vives anxiétés et des tristesses si pro-
fondes.
Son courage et sa force, au milieu de ses peines,
elle les puisait uniquement dans une union intime
avec Jésus souffrant. ''■ J'ai formé,*' écrit-elle dans
la même retraite. " la résolution de faire de nou-
veaux efforts sur moi-même, et je me suis dit : Je
veux. Seigneur, vous suivre souvent au Calvaire.
C'est là que j'irai chaque jour m'encourager à souf-
frir les peines et les épreuves inséparables de mon
état. Cette journée s'est passée à méditer sur la pas-
sion et les douleurs de la sainte Vierge. Que de sé-
rieuses et profondes méditations, (j,ui condamnent
toute ma conduite ! " (Journal, lS.-)0).
Ce qui semble dominer dans la vie intérieure de
182 TIE DE
mère Gamelin. c'est un travail incessant de la grâce
pour l'amener à un grand détachement d'elle-même
et de toutes choses, et une disposition constante de
sa Yolonté à correspondre à cet attrait surnaturel, en
dépit des sacrifices f)arfois cruels qu'il demandait :
" Il me semble," écrirait-elle en 1848, " que le bon
Dieu va m'accorder ce que Je lui ai demandé avec tant
d'instances pendant ma l'otraite. l'esprit de sacri-
fice et d'abnégation en toutes choses. J'ai vu que le
grand défaut qui règne en moi est la recherche de
moi-même en toutes mes actions." Et elle ter-
minait son journal de retraite par ces réso-
lutions : " Pour pénitences journalières, je ferai
plusieurs fois par jour des actes de renoncement dans
mes actions, mes pensées, mes paroles, mon jugement,
ma volonté, dans ma nourriture et dans les aises que
je pourrais me procurer, en un mot, en toutes choses.
Je m'impoîserai une pénitence, chaque fois que j'y
manquerai. Mon sujet d'examen particulier, — donné
par Mgr Prince, — sera le renoncement. Vertu d'ab-
négation, à laquelle je devrai m'exercer toute l'année,
(Journal 1848).
Ses sacrifices étaient continuels. Elle n'a jamais
cessé de souffrir, soit de ses peines intérieures, soit
des épreuves et des contradictions qui lui venaient
du dehors, des exigences du devoir quotidien et d'oc-
MÈRE GA5IELIX 183
casions nouvelles ; son journal de retraites en fait
foi : " J'accepte."" écrit-elle. '' les croix, les humili-
ations, les sacrifices, pour l'expiation de ces péchés de
ma vie qui vous ont contristé. Je ne veux plus me
plaindre, quand il faudra souffrir quelque chose pour
vous,. . . heureuse si je puis souffrir sur cette terre
l>our acquérir le ciel." {Journal, 1S49). ''' Les sacri-
fices qu'il me faut faire tous les jours me sont en-
voyés pour me faire mourir à moi-même et pour
sauver mon âme." Et elle prend la résolution d'im-
plorer le secours de la Mère des Douleurs, " dans les
épreuves et les tribulations dont elle est sans cesse
agitée." {Journal, 1850.)
Bien que sa vie dans le monde n'eût été ni coupa-
ble ni même légère, elle regrettait vivement et se
reprochait avec amertume la jouissance qu'elle avait
pu prendre à certains plaisirs frivoles et les satisfac-
tions d'amour-propre auxquelles elle s'était parfois
abandonnée. Son journal trahit fréquemment ce re-
gret sans cesse renaissant, qui était pour elle l'occa-
sion de profonds actes d'humilité. Dans sa retraite de
1846, faite au moment du second renouvellement an-
nuel de ses vœ;ux et la première sur laquelle elle ait
laissé des notes, — d'autant plus intéressantes qu'elles
nous révèlent ses véritables dispositions et son état
spirituel dans les premières années de sa vie reli-
184 VIE DE
gieuse. — elle écrivait les lignes suivantes: '"L'oraison
m"a vivement touchée; l'énormité de mes fautes, tous
les i^échés de ma vie se sont présentés à mon esprit, et
j'ai médité dans le silence sur les divers états de ma
vie ; partout, j'ai eu horreur de moi-même. Que de
péchés, C|ue d'imperfections, que de légèretés dans
toute ma conduite, pour plaire au monde 1 0 mon
Dieu ! comment faire pour réparer tout cela, après
tajit de grâces perdues ? Que faire à présent, moi
ver de terre, cendre et poussière, à la tête d'une com-
munauté naissante, et si peu capal^le de la con-
duire, et où il faut tant de vertus et de bons exem-
ples à donner ! (Journal, 1846).
L'année suivante, sous l'empire de ce sentiment,
qui n'a rien perdu de sa vivacité, elle écrit avec
le même accent de sincérité et d'humilité tou-
chante : " J'ai repassé dans le silence ma vie entière,
et j'ai trouvé un grand nombre de défauts saillants.
J'ai réfléchi qu'il me fallait faire pénitence, et qu'il
est bien juste que je souffre dans cette vie. pour ex-
pier les péchés de ma vie passée. Je me suis trouvée
indigne d'être à la tête d'une communauté de vierges
qui n'ont jamais connu le mal qui règne dans le
monde, étant toutes pures aux jeux du Seigneur, en
comparaison d'une femme du monde, qui a joui de
tous ses divertissements et qui mérite à bon droit-
d'être punie et humiliée." {Journal, 1847).
MÈKE GAMELIX 185
Et sur la fin de sa vie, repassant dans sa mémoire
les voies par lequelles le Seigneur l'avait conduite,
elle lui adresse cette fervente action de grâces :
" 0 mon Dieu, que vous êtes bon et miséricordieux
envers moi ! Vous m'avez conduite par la main en
tant d'époques pénibles de ma vie. et moi, je vous ai
trahi tnni de fois ! Que de promesses auxquelles je
n'ai pas été lidèle ! Et malgré cela vous n'avez cessé
de me poursuivre, pour me faire arriver à la place
que vous me destiniez de toute éternité. Que de re-
connaissance ne vous dois-je pas, 0 mon Dieu, pour
tant de bienfaits ! Je me serais peut-être perdue dans
le monde, car je recevais tous les jours la récompense
des œuvres que vous m'aviez pourtant inspiré de
faire, en écoutant avec trop de complaisance les lou-
anges que l'on faisait de mon hospice de vieilles in-
firmes." {Journal, 1850).
La vivacité de ces regrets et de ces reproches, pour
des sentiments qui paraissent inûocents au point,
de vue naturel, peuvent sembler excessifs et dérai-
sonnables à des esprits mondains, qui n'ont jamais
compris la profondeur et la portée de cette parole
austère de Kotre-Seigneur à ses disciples : " Si quel-
qu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même,
qu'il porte sa croix et qu'il me suive." Plus l'âme
veut répondre entièrement à cette invitation, et plus
186 YIE DE
elle doit se renoucer. '' se perdre." suivant une autre
expression du divin Maître, pour développer en elle
la vie chrétienne.
Xotre vénérée mère a ressenti toute la rigueur de
l'âpre travail que le disciple du Christ est obligé d'ac-
complir incessamment sur lui-même, pour arriver à
perdre ainsi son âme afin de la sauver, et pour for-
mer en lui, dans les gémissements et les luttes de la
nature, cet homme nouveau que le divin ]\Iaître veut
créer en lui.
C'est une grande erreur, et une erreur que trop
de vies de saints et de chrétiens illustres tendent à
entretenir, par la façon exclusivement élogieuse dont
elles sont écrites, de croire que ces grandes âmes
n'ont fait qu'obéir doucement, et presque passive-
ment à un attrait irrésistible de la grâce, auquel elles
cédaient constamment et sans effort. Leur sainteté,
qui est certainement le triomphe de la grâce et le
chef-d'œuvre du divin auteur de " tout don parfait,"
est également le triomphe de leur volonté, corres-
pondant à cette grâce, mais non pas sans lutte, sans
résistance, ni même sans défaillance. Ce qui carac-
térise les saints, c'est qu'ils se relevaient et se repre-
naient après chaque chute et chaque infidélité ;
c'est que leur propos de perfection n'était pas une
simple velléité, comme il arrive pour beaucoup
MÈRE GAMELIX 187
d'âme élevées, il est vrai, mais faibles, que séduit la
beauté de la vertu, mais qui ne trouvent pas dans
une foi assez forte l'impulsion nécessaire à la per-
sévérance dans cette voie longue et raboteuse. Le
désir des saints est ferme et constant, et il puise
dans une foi vive, que l'humilité et la prière entre-
tiennent, une force que la nature débile ot
corrompue ne saurait donner. Tout le secret de
leur persévérance et de leur progrès est dans cette
double parole de l'Apôtre : '' Je puis tout en celui
qui me fortifie," ^ et : " Mon juste vit de la foi." -
Xotre mère a rencontré, comme tous les saints, les
difficultés et les obstacles de la vie chrétienne. Elle
en souffrait, elle en gémissait fréquemment. '' Faible
et misérable créature, s'écriait-elle, je tremble, quand
il me faut faire quelque «acrifice." {■Journal, 1848).
Quelques années avant sa mort, et durant sa dernière
retraite, elle écrivait : " Sécheresse, aridité, peine à
me supporter moi-même. Mon Diexi, mon cœur est
dur, qu'il lui faut de combats pour arriver à sa fin !
Qu'il est lâche et paresseux, ce cœur plus dur que la
pierre ! Fait-es-le, s'il vous plaît, sortir de sa léthar-
gie.'' {Journal, 1850).
Elle analysait bien nettement, à la lumière de
' Philip, 4, 13.
= Hebr., 10, 38.
188 VIE DE
Dieu, les obstacles et les difficultés particulières
qu'elle rencontrait en elle-même et dans son état de
vie pour l'œuvre de sa perfection : " La responsabi-
lité de ma charge de supérieure." écrivait-elle, " mon
manque de soumission dans les sacrifices journaliers,
la difficulté que j'éprouve à corriger les manque-
ments à la règle, mon caractère trop prompt et quel-
quefois trop lâche, les omissions à mes devoirs, qui
sont si étendus, tout cela m'a troublée dans mon
oraison et a même troublé mon sommeil." (Même
retraite).
Elle était soutenue dans la lutte par un désir véhé-
ment ; sans cesse, l'amour de Dieu Fincitait à. gravir
ces rudes sentiers qui conduisent à la cime rayon-
nante que les violents seuls emportent de haute lutte.
Elle adresse un jour à Dieu cette ardente prière :
" Je veux profiter de cette retraite pour mettre la
main à l'œuvre tout de bon. C'est pour vous, Sei-
gneur, que je travaille à me défaire de mes imperfec-
tions ; vous voj'^ez le fond de mon cœur, et vous savez
que je vous aime. 0 mon Dieu, donnez-moi la force
de marcher à grands pas dans le chemin de la perfec-
tion.'' {Journal. 184T).
Elle remercie quelque part Dieu " de lui avoir
donné une conscience qui lui reproche sans cesse les
imperfections de sa vie,"' et dans une heure de fer-
MÈRE GAMELIX 189
veur, elle s'écrie: *'•' Oh ! que je désire travailler à ma
perfection ! '" (Journal. 1849).
Ce désir ne s'est affaibli chez elle ni avec les an-
nées ni avec les échecs que la fail)lesse de la nature
faisait essuyer à ses efforts ; elle termine sa dernière
retraite par une résolution généreuse, qui répond au
désir constant de son cœur : "Ah ! je reviens à vous.
Seigneur, vous aurez pitié de moi, vous m'aiderez à
porter mon joug, et il deviendra doux et léger. Je
redoute l'avenir : j'ai déjà tant fait de promesses de
fidélité ; mais j'espère, et je ne serai pas confondue
dans mon espérance. Avec votre secours, ô ! mon
Dieu, et la volonté ferme que j'ai de me corriger, je
remporterai la victoire." (Journal, 1850).
Quelques lignes plus haut, elle écrivait des paroles
semblables : " Vous le voyez, ô ! mon Dieu, je vous
donne mon cœur pour toujours et sans réserve.
Quoi qu'il m'en coûte, je travaillerai à ma perfection :
la pensée du ciel, la récompense des sacrifices de la
vie m'encourage." (Journal, 1850).
C'était là tout le secret de son courage : l'amour de
Jésus-Christ, l'espérance en ses éternelles récompen-
ses, les lumières de la foi et la force que donne l'ac-
ceptation réfléchie et résignée de la croix.
On ne voit pas qu'elle ait éprouvé beaucoup de ces
consolations sensibles par lesquelles Dieu aide la fai-
190 TIE DE
blesse et entretient l'amour de certains âmes, qu'il
désire moins détachées d'elles-mêmes et moins unies
à sa passion douloureuse. Son journal n'en contient
pas beaucoup de traces. Dieu lui faisait habituelle-
ment sentir le poids de la croix^, sans autre réconfort
que les vues de la foi. '' Mes croix/'" écrit-elle, ''' que
je trouve si grandes, ne sont rien en comparaison des
grâces que vous me faites tous les jours.'" {Journal^
1847).
Lorsque son cœur est atteint par une de ces
joies sensibles, qui sont comme une caresse de la
grâce, elle la signale comme une chose rare et digne
de remarque, comme un secours exceptionnel accordé
à sa faiblesse : "' Aujourd'hui, écrit-elle dans un de
ces moments, j'éprouve une douce joie et un grand
calme. Je vous remercie, ô mon Dieu, d'avoir eu pitié
de moi, qui vous ai tant offensé... Merci de me donner
ce jour de consolation. Vous savez combien je suis
faible, et vous m'aidez à me relever."
Le bonheur de la vie religieuse lui apparaissait sur-
tout au point de vue de ses avantages et de ses bien-
faits spirituels, mais elle avait besoin de s'en con-
vaincre psir l'oraison. Elle écrivait un jour, après des
méditations sur la naissance de Notre-Seigneur, son
obéissance et sa pauvreté : "Ce qui m'a le plus frappée
dans ces méditations, c'est le bonheur de la vie reli-
MÈRE GAMELTX 191
gieuse. J'ai demandé pardon de mes murmures inté-
rieurs et extérieurs sur les privations de tous les
jours, par rapport au vœu de pauvreté. . . J'ai re-
mercié le bon Dieu de me faire ressentir peut-être
plus qu'une autre les privations de la pauvreté."
{Journal, 1848.)
Elle en souffrait cependant peut-être moins que
d'être obligée d'accepter par obéissance, eu égard à la
délicatesse de son estomac, certaines dispenses de la
nourriture commune. Elle parle ainsi du refus que
Mgr Prince lui fit, à la fin d'une retraite, de repren-
dre le régime de ses sœurs : " Encore une épreuve
nouvelle ; il m'a fallu encore obéir en cela." {Jour-
nal, 1847).
Le renoncement à ses opinions et à ses. vues person-
nelles, l'obéissance aveugle, oiî elle trouvait un si
grand repos d'âme, ne laissaient pas de lui coûter de
durs efforts. Elle l'avoue à maintes reprises. Elle sent
le besoin de se fortifier sur ce point par une résolu-
tion spéciale. " L'obéissance de mon Dieu dans toute
sa vie, écrit-elle, et pendant sa passion, m'a encou-
ragée à obéir aveuglément à mes supérieurs en tout,
et à la règle. Je surmonterai mes répugnances."
(Même retraite.)
Elle est très sensible aux reproches de ses supé-
rieurs, avouant sa crainte, toujours, d'être reprise par
192 VIE DE
eus. Elle souffre et elle se trouble, si son directeur la
reprend rudement : mais les pensées de foi, le senti-
ment de l'obéissance reprennent vite le dessus : "J'ai
eu une grosse peine," écrit-elle un jour, '"' que m"a
faite mon directeur. Eéfléchissant ensuite, devant le
Saint Sacrement, que Dieu me Fa donné pour guide,
qu'il tient sa place, que c"est lui-même qui Ta choisi
pour me faire arriver à la perfection que Dieu de-
mande de moi, j"ai prié avec instance le Seigneur de
l'éclairer. Pour moi, obéir est tout ce que j'ai à faire ;
peu importe la manière, douce ou rigoureuse, avec la-
quelle il me traitera. Après ces réflexions, la paix est
revenue dans mon âme, qui déjà était fort tro-ublée
par cette petite épreuve." {Journal . 1848.)
Ses combats contre elle-même, on le voit, étaient
incessants. Elle voulait, coûte que coûte, sous l'ins-
piration de la grâce, planter partout dans son âme
l'étendard victorieux de la croix, lui soumettre toutes
ses puissances et toutes ses passions, et chaque effort
était violent et sanglant. La répugnance se renouve-
lait, constante ; la nature ne se soumettait qu'en gé-
missant, et après un fervent appel au secours de Dieu,
un noiivel élan d'espoir en cette éternelle récompense
qui n'est pas, après tout, si lointaine : '' Pourquoi tant
avoir peur de se renoncer.'" s'écriait-elle, "la vie est
:\[KHK (iAilELIX 193
si courte ! Un jour, nous jouirons de la présence de
Dieu.'"'
Elle ne craignait pas, lorsque la grâce de Dieu la
sollicitait d'une façon plus pressante au sacrifice, de
trancher au plus vif de son cœur et de s'imposer elle-
même les renoncements les plus douloureux, au plus
intime de ses affections.
Son journal nous en révèle un, qui lui fut particu-
lièrement sensible, et dont nous reproduisons le récit
en entier. Elle Ta écrit avec le sang de son cœur, cou-
lant tout chaud de la plaie qu'elle venait d'y ouvrir
de ses propres mains.
"Méditation profonde... Que voulez-vous. Sei-
gneur, de moi ? encore quelque sacrifice ? Et il m'est
venu la pensée que j'étais encore attachée à quelque
chose. J'ai fait connaître à Mgr Prince qu'il m'en
coûterait beaucoup de me séparer d'une chose que j'ai-
mais à baiser et à considérer. C'étaient les cheveux de
mes petits enfants, que je vénérais comme des reli-
ques bien précieuses pour moi. Il a exigé de moi,après
vingt-cinq ans, de m'en séparer et de les mettre dans
la cave, là où je serai enterrée, sous un soliveau, et
qu'ils seraient mis dans mon cercueil après ma mort.
Oh! que ce sacrifice m'a coûté de larmes en présence
de mon Dieu ! Il m'a fallu obéir à celui qui me l'or-
donnait, pour me punir peut-être d'une trop grande
194 VIE DE
envie et satisfaction trop naturelle de les regarder et
de les baiser avec complaisance sur la terre, pour ne
les revoir que dans le ciel, pensée qui m'a fait plain-
dre et gémir intérieurement toute la nuit.
" Ne sachant que faire pour avoir le courage de
descendre dans ce caveau, j'ai prié sœur Séné de
venir avec moi, et lui ai confié mes peines à ce sujet.
Dans la cave, j'ai considéré la place où je serai en-
terrée ; j'"ai commandé à mes chers petits enfants
d'avoir pitié de leur pauvre mère et de prier pour elle,
eux qui, du haut du ciel, voient mes misères ; qu'ils
m'obtiennent l'esprit de sacrifice pour porter les croix
et les peines attachées à mon état. Ce qui semblait me
consoler de leur part, c'est de penser qu'ils habitent
le ciel et qu'ils peuvent m'être utiles sur la terre.
Aussi, dans les jours orageux, j'aurai recours à eux ;
ils me consoleront et m'aideront dans mes épreuves
de tous les jours. Priez, mes bons petits anges, pour
votre pauvre mère, qui vous commande bien de ne pas
l'oublier devant le trône du Dieu éternel." (Journal,
1847.)
C'est par ees élans vigoureux de générosité, que
notre vénérée fondatrice réussissait à se rapprocher
de Dieu, à se donner entièrement à lui et à répondre à
ses desseins de perfection sur elle.
Cependant, malgré ces luttes intérieures conti-
MÈRE GAMELIN 195
nuelles, elle conservait habituellement dans sa pliv-
sionomie et dans tout son extérieur un grand calme ;
son visage trahissait rarement les souffrances de son
cœur. Elle était arrivée, à force d'efforts répétés et
d'une constante vigilance sur elle-même, à maîtriser
son humeur et ces saillies par lesquelles se traduisait
d'abord la vivacité de son tempérament. On la voyait
toujours égale à elle-même, aimable, empressée à don-
ner, suivant les besoins et les circonstances, un bon
conseil, une consolation efficace.
Ses conseils et ses consolations ne se bornaient pas
à ses religieus-es. Les œuvres de charité et de nom-
breuses relations lui apportaient fréquemment la
confidence de misères et de difficultés i^ersonnelles
ou domestiques, auxquelles la droiture naturelle de
son jugement et les inspirations de sa foi lui permet-
taient d'offrir d'heureuses solutions. Elle parve-
nait presque toujours à les faire accepter. "' Der-
nièrement," écrit-elle un jour, '' plusieurs personnes
sont venues me voir pour mettre la paix dans leur
famille, et Dieu, dans sa grande miséricorde, a voulu
se servir de moi pour détruire plusieurs défauts af-
freux." La réflexion qui suit immédiatement prouve
en même temps à quel point elle se défiait de son
propre jugement et tenait à s'assurer, sur ce point,
du sentiment de ses supérieurs : " J'étais inquiète de
196 VIE DE
connaître la volonté de Dieu à ce sujet. J'ai con-
sulté, et je me suis bien instruite comment m'y pren-
dre par la suite." (Journal, 184T.)
Comment cette humilité n'aurait-elle pas attiré les
bénédictions de Dieu sur son zèle et sur sa charité ?
Sa piété très vive s'alimentait surtout dans l'Eu-
charistie et l'oraison, ces deux sources profondes de
la vie intérieure; elle y trouvait parfois de véritables
délices, de même que dans la communion spirituelle.
'•' J'ai éprouvé," écrit-elle un jour, "un désir ardent
de communier, ce matin, mais je n'ai pu le faire que
spirituellement.'' — "■■ Beaucoup de consolations dans
l'oraison," dit-elle un peu plus loin ; " il me semblait
être au ciel, par le bonheur que je ressentais de m'en-
tretenir avec mon Dieu si facilement. J'ai éprouvé
une ivresse que je ne puis définir. Il faut l'éprouver
pour connaître cet état de l'âme avec Dieu, que j'ai
goûté quelquefois dans mes communions." {Journal
1848.)
Mais ces '*' ivresses " étaient passagères, comme un
avant-goût que Dieu donne parfois à ses élus de l'inef-
fable communion de son être, qu'il leur réserve pour
les fêtes éternelles. D'habitude, comme à tous ses
amis, Dieu ne lui communiquait, dans la prière et
dan3 la communion, que le réconfort qu'il y a ménagé-
pour notre soutien. Il n'a voulu faire du Thabor
MÈRE GAiLKLIN 197
qu'mie étape glorieuse sur la route du Calvaire. La
froideur, les sécheresses, les distractions sont le pain
quotidien des âmes les plus ferventes, dans leurs
efforts pour se rapprocher de Dieu. Elles en souf-
frent, elles s'en humilient et elles disent, comme
notre sainte fondatrice : "J'ai fait la communion
spirituelle ; j'ai beaucoup désiré conununier sacra-
mentellemcnt : j'étais pressée de demander cette fa-
veur, mais j'ai pensé que je méritais bien d'en être
privée, en réparation de tant de communions tièdes."
{Journal, 1848.)
"Notre chère mère,"' raconte une de ses compagnes
survivantes, "faisait souvent elle-même à haute voix
le quart d'heure de préparation à la méditation du
lendemain, et cela avec une onction et une sagesse at-
tendrissantes, qui rendaient à toutes la méditation at-
trayante et facile. On eût dit en même temps qu'elle
profitait de cette occasion pour donner ses avis à la
communauté, lesquels coulaient alors dans nos âmes
comme une huile odorante. Ces douces impressions
restaient gravées dans nos cœurs, et nous les médi-
tions. Xotre mère s'exprimait avec grande aisance ;
ses paroles respiraient le bon sens et la droiture. Elle
rendait la méditation pratique et l'appliquait à nos
besoins présents."
Chaque fois que l'heure sonnait à la pendule, elle
198 VIE DE
se levait pour se rappeler son oraison du matin et
en renouveler les résolutions. Elle disait en même
temps la prière suivante, qu'elle nous a léguée et
qui figure aujourd'hui dans notre coutumier : '"' A
cette heure et à toutes les heures du jour et de la
nuit, que le bon Jésus soit dans mon cœur. Béni soit
le moment dans lequel mon Sauveur s"est incarné, est
mort et est ressuscité pour sauver les âmes. Ave,
Maria."
Depuis plus d'un demi-siècle, à chaque heure du
jour, cette prière se murmure par des centaines de
voix dans toutes nos maisons. Puisse-t-elle nous ob-
tenir à toutes la tendre piété de notre sainte fonda-
trice !
ISTotre vénérée mère, comme tous les saints, avait
une haute estime de la mortification et elle la prati-
quait assidûment. Dans les deux premières années de
■sa vie religieuse, elle se faisait donner la discipline
par la sœur qui couchait dans sa chambre ; mais elle
lui dit un jour ; " Ma sœur, je vous remercie de votre
charité. Jusqu'ici, j'étais trop lâche pour m'infiiger
moi-même ce châtiment : maintenant, je suis plus
aguerrie, le cliquetis de cette arme ne m'effraie plus,
et je puis la manier seule." Et elle prouva, en effet, en
maintes circonstances, que cette pratique lui était de-
venue familière.
MÈRE GAMELIX 199
Ses résolutions de retraites portent fréquemment
sur la bonté, la douceur et l'humilité qu'elle doit té-
moigner à ses sœurs, sur la charité à supporter leurs
défauts. Elle se préoccupait vivement de leur avance-
ment spirituel. A la suite d'une médi1:ation sur la vie
intérieure, elle écrit : " Je suis toujours plus occupée
du temporel que du spirituel ; j'ai formé la résolution
de prendre à tâche de conserver le recueillement et, à
l'avenir, de m'intéresser plus au spirituel pour moi-
même et pour les autres." (Journal, 1848.)
Elle avait une crainte délicate de les malédifier par
ses défauts et ses imperfections, ou de ne pas leur
donner assez de bons exemples. Ce sentiment revient
très souvent sous sa plume : " Que faire à présent,
s"écrie-t-elle un jour, moi, ver de terre, cendre et
poussière, à la tête d'une communauté naissante, et si
peu capable de la conduire, oii il faut tant de vertus
et de bons exemples à donner ? Dites, ô mon Dieu, ce
que vous désirez de ,moi, votre servante écoute."
(Journal, 1846.)
"Seigneur, vous voyez le fond de mon cœur," écrit-
elle l'année suivante, "ayez pitié de moi. Faites-moi
la grâce de travailler avec un nouveau courage à me
corriger de tant de défauts qui sont de mauvaise édi-
fication pour mes sœurs." (Journal, 1847.)
IsTous savons avec quel courage et quelle fidélité
200 YIE DE
elle s'appliqua à ce travail, et comment elle y réussit.
Les nombreux témoignages de ses compagnes en font
foi et corroborent sur ce point l'aveu de ses propres
confidences.
Mais après l'exemple, cette première et cette plus
fructueuse des leçons, elle apportait à la direction de
ses sœurs et au gouvernement spirituel de sa commu-
nauté toutes les ressources d'un zèle ardent et d'une
persévérante énergie, tempérée par la prudence et
réglée par la douceur et la patience.
Son extrême bonté et sa grande délicates^se lui fai-
saient éviter toute parole qui pouvait froisser les per-
sonnes à qui elle avait à donner des ordres, à adres-
ser des avis ou des réprimandes. Elle prenait sur ce
point des résolutions précises : " Je pèserai les com-
mandements que je ferai," écrit-elle, "désirant faire
aux autres ce que je voudrais que l'on me fît à moi-
même. J'ai demandé pardon au bon Dieu de ce que
j"ai pu faire souffrir à mes sœurs avant de décider
quelque chose." Et elle fait un peu plus loin cet hum-
ble aveu : "J'ai vu aujourd'hui plus que jamais que
je manque de prudence dans mes paroles et de sagesse
dans mes actions. Je demanderai ces deux vertus à
Xotre-Dame des Sept-Douleurs, tous les jours de
Tannée." (Journal, 1849.)
Cette sincérité envers elle-même et cette droiture
MÈKK GAME LIN 201
d'intention ne ponvaient manquer de lui obtenir de
Dieu les qualités et l'autorité d'une bonne direction.
Aussi, ses religieuses ne manquaient pas de le recon-
naître et d'y rendre hommage. " Il n'y aA^ait rien de
petit en elle/" dit l'une de ses premières compa-
gnes. " Elle était vraiment maternelle, mais elle
n'avait pas non plus de lâche timidité ; lorsqu'il
fallait reprendre, elle y allait franchement et tout
droit.*'
Avec des sentiments et des dispositions pareils, elle
devait attacher une importance capitale à la forma-
tion des novices. Sa sollicitude et son affection se por-
taient d'instinct vers ce berceau des espérances
de sa communauté naissante. Elle comprenait parfai-
tement que d'un bon noviciat dépend la formation de
l'esprit et des vertus religieuses qui devront animer
et féconder toute la vie. Elle s'inspirait, pour la di-
rection des novices, de ces paroles de Mgr Bourget,
envisageant dans la vie des vierges 'consacrées à Dieu
un perpétuel noviciat à leur vie céleste dans la gloire
éternelle. "Vos communautés," écrivait le saint évê-
que, "sont à proprement parler les noviciats de cette
communauté de vierges dont Jésus-Christ aime à
s'entourer au ciel. C'est dans ces divers noviciats de
la terre que s'apprend le cantique virginal qui doit
se chanter éternellement dans les cieux, et c'est
203 VIE DE
quand leur cœur et leur bouche sont jugés assez purs
pour le chanter, que les vierges de l'exil sont appe-
lées à la patrie, la communauté des communautés. Et
voilà encore ce qui nous fait trembler, nos très chères
filles. Hélas ! y en aura-t-il parmi vous quelques-unes
qui, après avoir fait le long et dur noviciat de la terre,
ne seraient pas jugées dignes de faire profession dans
la sainte et heureuse communauté du ciel ? " ^
Mère Gamelin avait une vive conscience de la
responsabilité qui lui incombait dans la direction
des novices. Depuis la nomination officielle de leur
maîtresse, le 30 mars 1844, outre les instructions de
chaque semaine que leur donnait Mgr Prince, et les
exercices journaliers présidés par la maîtresse, notre
vénérée mère leur adressait de fréquentes exhorta-
tions sur les vertus religieuses, surtout celles auxquel-
les doivent s'exercer les sœurs de notre institut, l'hu-
milité, la simplicité et la charité. Souvent elle leur
faisait à haute voix la méditation, d'après la méthode
de saint Ignace, dont elle avait su se rendre maîtresse.
Elle leur donnait de précieux conseils sur le soin
des malades et des infirmes, la visite des pauvres et
les autres œuvres de la communauté, s'appliquant à
développer en elles une énergie et un dévouement à la
hauteur de tous les sacrifices. Mais elle savait donner
^ Mandement du 8 décembre 1850.
MÈRE GAMELIX 203
à ses leçons l'attrait d'une bonté et d'une tendresse
qui les rendaient irrésistibles. " Comme la meilleure
des mères," dit l'une d'entre elles, "elle prodiguait
aux jeunes sœurs les soins les plus tendres et les plus
affectueux. Aussi comme nous Faimions, notre bonne
mère. Cependant elle ne nous épargnait pas les
épreuves et les actes de renoncement, mais elle com-
prenait trop ce que coûtent les sacrifices pour ne pas
les partager avec nous. En toutes circonstances, on la
voyait pleurer ou se réjouir avec nous."
Elle témoignait surtout aux postulantes une
bonté affectueuse et délicate, s'ingéniant à les dis-
traire et à les consoler, quand elle les voyait accablées
par l'ennui et la peine que leur causaient l'éloigne-
ment de leur famille et le souvenir d'une séparation
douloureuse.
Mais sa bonté et sa tendresse n'affaiblissaient ja-
mais en elle la fermeté nécessaire à la formation
d'âmes appelées à une vie de renoncement et de sa-
crifice ; elle ne leur ménageait pas les pénitences,
lorsqu'elle les jugeait utiles à leur correction et à
leur progrès spirituel. Xous en citerons quelques
exemples.
Un jour, rencontrant une novice qui descendait
un escalier avec trop de précipitation, elle l'aborda
doucement et lui dit : " jMa petite fille, vous viendrez
204 VIE DE
ce soir à ma chambre, et je vous donnerai quelque
cliose." La jeune sœur, tout heureuse, crut qu'on vou-
lait récompenser son ardeur au travail ou son empres-
sement aux exercices. Mais qu'allait-elle lui donner ?
songeait-elle en elle-même. Peut-être une image de
jSIotre-Dame des Sept-Douleurs ou de saint Vincent
de Paul, qu'elle garderait précieusement toute sa vie,
en souvenir de la bonne et bien aimée mère ? Enfin
arrive l'heure si impatiemment attendue. Après la
prière du soir, la novice frappe doucement à la cham-
bre de la supérieure. " Mon enfant, lui dit la mère,
je vais vous prêter quelque chose. J'aimerais à
vous en faire cadeau pour votre usage personnel,
mais je m'en sers souvent moi-même. Voici ma disci-
pline, ma chère enfant, vous vous en donnerez sept
bons coups ce soir et autant demain matin, avant de
me la rapporter. Cet exercice ralentira un peu vos
courses dans les escaliers. Vous arriverez j)eut-être
à votre but quelques secondes plus tard, mais vous
serez plug religieuse dans votre démarche, et Notre-
Seigneur vous en aimera davantage."
La novice comprit la leçon : elle ne fut pas tentée
de garder ce cadeau toute sa vie, mais elle en retint
le souvenir et se corrigea une fois pour toutes de sa
précipitation.
Une autre fois, notre mère discotirait au noviciat
MÈRE GAMELIX" 205
sur des sujets spirituels. Ses enfants l'entouraient et,
comme autrefois les disciples d'Emmaiïs, elles sen-
taient leur cœur s'enflammer au souffle des aspira-
tions pieuses et de l'ardente charité de leur mère.
Au milieu de ces douces et pieuses jouissances,
la cloche vint à sonner pour l'oraison, et mère Game-
lin de se lever aussitôt pour se retirer : " Oh ! de-
meurez donc avec nous, lui demandèrent avec ins-
tance les novices.'' — ''Mais l'oraison vient de sonner,"
répondit la mère. — " Oh ! ca ne fait rien," repartit,
vivement l'une des plus ardentes, '" restez, mère, s'il
vous plaît."' — " Eh l)ien ! c'est hon, je resterai, mais
comme je ne veux pas vous faire manquer à un de-
voir envers Xotre-Seigneur, c'est vous, sœur Alexis.
qui allez faire l'oraison à haute voix." Et durant une
demi-heure, la pauvre enfant fut obligée, à sa grande
confusion, d'exécuter sa pénitence, toutes compre-
nant à cette leçon combien il importe d'obéir au son
de la cloche et de savoir quitter hiême Dieu pour
Dieu.
Nous pourrions citer un grand nombre de faits du
même genre, qui donneraient une juste idée de la di-
rection de notre vénérable mère, mélange de bonté,
de tendresse et de fermeté, qui imposait l'obéissance
tout en la faisant aimer, et inspirait le respect de .son
autorité, sans affaiblir l'affection pour sa personne.
206 VIE DE
On éprouvait, en retour, un véritable plaisir à l'obli-
ger : elle savait si bien agréer et apprécier un bien-
fait. "•' J'ai reçu votre cadeau, disait-elle à une dame
qui lui avait envoyé un paquet de vieux habits, j'en
ai habillé troi3 de nos vieilles; venez voir comme elles
sont jolies et toutes rajeunies dans leur nouveau cos-
tume."
"Quand on vieillit," disait-elle un jour à M. Jean
Bruneau, **' on devient frileuse. J'ai été voir nos
bonnes vieilles cette nuit, et j'en ai trouvé plusieurs
qui avaient froid ! " L'excellent homme comprit sa
pensée, et le même jour il lui envoj-a quelques dou-
zaines de bonnes couvertures de laine.
Sa bonté pour les sœurs malades était extrême.
Elle dont le cœur se sentait ému à la vue de n'im-
porte quelle souffrance, pouvait-elle rester indiffé-
rente à ses chères filles, succombant sous le poids de
la fatigue et d"un dévouement sans relâche ? Deux
fois par jour, elle les visitait à l'infirmerie, s'infor-
mait de leur santé et leur faisait donner tous les soins
que réclamait leur état. Dans un temps où la pau-
vreté de la maison ne permettait pas de leiu' pro-
curer ces petites douceurs dont ont souvent besoin
les malades, on Va vue quelquefois partir, un panier
au bras, pour aller quêter des fruits ou quelque fri-
andise à l'intention de ses chères éprouvées.
MÈRE GAMELIN 307
Mais ce fut surtout à l'époque de l'immigration
irlandaise, dont nous parlerons dans le chapitre sui-
vant, alors que vingt-sept de ses sœurs furent attein-
tes du typhus, que sa sollicitude ne connut plus de
bornes. Les survivantes de ces tristes jours gardent
le plus doux souvenir de ses soins délicats, que la plus
tendre mère n'aurait pu surpasser.
Elle aurait voulu alléger le travail ardu auquel la
multiplicité des œuvres astreignait ses premières com-
pagnes, leur assurer au moins une alimentation suffi-
sante pour réparer leurs forces, qui s'épuisaient dans
ces rudes labeurs. Que de fois ses yeux s'emplirent de
larmes, en leur voyant servir la maigre pitance que
plus d'un pauvre n'aurait pas acceptée pour apaiser sa
faim. Aussi s'ingéniait-elle à leur procurer quelque
soulagement. Le dimanche, elle se chargeait habi-
tuellement de la garde des salles, du parloir et de la
cuisine. C'était ce dernier office qu'elle affectionnait
le plus, car il lui permettait de ménager de légères
surprises et des attentions délicates à ses chères filles.
Souvent, la veille, elle adressait un billet à l'une de
ses parentes ou de ses amies, la priant de vouloir bien
lui envoyer quelques œuis pour la confection d'un
dessert, ou bien du thé ou du café ; et elle pouvait
ainsi leur servir un petit régal.
Nos mères acceptaient généreusement les rigueurs
208 VIE DE
de Ja pauvreté. Elles savaient que la sainteté com-
porte la mortification des sens, et elles n'oubliaient
pas cette pensée de sainte Thérèse, qui dit, en parlant
des saints : '' Il en arrive d'eux comme des enfants
qui travaillent dans le jardin de leur père ; ils ne sont
pas payés à la journée, comme les autres, mais ils re-
çoivent leur récompense tout à la fois."'
Elles savaient aussi que la vie religieuse se résume
dans ces paroles de Vlmitation : " Xul n'arrivera au
royaume céleste, s'il n'a vaillamment souffert. Dans
la croix est la force de l'âme, dans la croix, la joie de
l'esprit, la consommation de la vertu, la perfection de
la sainteté."
C'est au prix de ces renoncement:?, que le disciple,
ayant tout quitté pour s'attacher aux pas de Jésus
dans la voie étroite des conseils, obtient ces grâces de
choix, cette liberté spirituelle et cette paix intérieure
que le maître lui a promis comme le centuple des
biens de ce monde, qu'il a quittés, pour le suivre.
Mgr Bourget s'attachait à développer dans l'âme de
nos premières sœurs cet esprit de sacrifice et cet
amour de la croix. II y revenait fréquemment dans
ses instructions orales ou écrites. Il n'a jamais cessé
d'entretenir notre communauté dans cet esprit, com-
me le témoigne cette lettre qu'il écrivait un jour de
3IÈRE GAMELIX 209
Rome à nos sœurs, quelques aimées après la mort de
notre vénérée mère :
" Ce martyre de la vie religieuse est chez vous le
combat de tous les jours, et par conséquent c'est
chose parfaitement connue et pratiquée dans vos
saintes maisons. Car, en y entrant, on prend la croix,
pour ne la quitter qu'à la mort. Toute la vie, il faut
marcher à la suite de Jésus-Christ, qui est vraiment
pour toutes ses vierges un époux de sang. La route
par laquelle il les fait passer est, d'un bout à l'autre,
semée de ronces et d'épines, et elle aboutit au Cal-
vaire.
•'■' Dieu se cache au fond des âmes ainsi éprouvées,
pour les laisser en proie à toutes sortes de peines d'es-
prit et aux souffrances intérieures et extérieures les
plus cruelles. Ce sont d'épaisses ténèbres qui leur ca-
chent la route du ciel, tellement qu'elles ne savent
plus où elles en sont, et qu'elles se croient perdues.
Et alors, ce ne sont plus que dégoûts horribles dans
les exercices spirituels, sécheresses désolantes dans
l'oraison, fantômes dans l'imagination, ennui insup-
portable dans les peines de la vie. Ce n'est là toutefois
que le tableau abrégé de vos souffrances, de vos épreu-
ves et de vos combats. Votre expérience de tous les
jours vous en fait connaître bien davantage.
''' La vie religieuse est donc un vrai martyre, et
210 VIE DE
c'est ainsi que la qualifie S. Bernard. On peut même
la comparer au tonneau d'huile bouillante dans le-
quel fut plongé le disciple bien aimé, et d'où il sortit,
dit S. Jérôme, plus fort et plus sain qu'il n'y était
entré. Ce fut après ce généreux combat pour la foi.
qu'il reçut, dans l'île de Pathmos. les admirables lu-
mières qu'il a laissées à l'Eglise dans le livre de son
Apocalypse. Et n'est-ce pas aussi après toutes leurs
terribles épreuves que les âmes religieuses se trou-
vent singulièrement éclairées dans les voies de Dieu ?
Et pourquoi ? C'est qu'elles s y sont purifiées en
mourant à elles-mêmes, pour ne plus vivre que de
Dieu." 1
Dans les lignes qui précèdent, se trouvent dépein-
tes les sept années de vie religieuse de notre vénérée
mère. Peines d'esprit, obscurités, sécheresses, crain-
tes, délaissements, aucune de ces épreuves inté-
rieures ne lui a manqué, et Dieu ne pouvait les lui
épargner, voulant l'élever à un haut degré de sain-
teté. C'est par ces souffrances qu'il forme les âmes
de son choix, comme le sculpteur fait sortir à coups
de ciseaux une statue parfaite du bloc de marbre in-
forme qu'il a sous la main.
Sans doute, mère Gamelin ne pouvait s'empêcher
de voir le succès dont Dieu couronnait les œuvres
'■ Lettre du 12 mars 1855.
MÈRE GAMELTX 211
nombreuses qu'elle entreprenait pour sa gloire :
comme le laboureur penché sur son sillon, elle en-
treToyait en espérance les fruits abondants que don-
nerait la moisson. Mais Dieu ne permet pas toujours
que ses saints jouissent du. bien qu'ils font ici-bas.
Il n'a pas voulu que sa fidèle servante ressentît de
joie ni de consolation à la vue de l'heureux déve-
loppement de son œuvre ni dans la conscience du
bien qu'elle accomplissait ; elle ne sentait, d'ordi-
naire, que l'amertume des contradictions, des renon-
cements, des humiliations, des doutes et des angois-
ses d'esprit, qui lui arrachaient de continuels gémis-
sements.
En lisant le journal autographe de ses retraites
finnuelles. de 1846 à 1851, que nous reproduisons
presque en entier dans l'appendice de ce volume,
et dont nous venons de donner de si nombreux ex-
traits, quelques personnes s'étonneront peut-être
de ces luttes intérieures ; elles seront tentées de trai-
ter d'exagérations ou de chimères ces peines, ces in-
quiétudes de conscience qui, en lui faisant redouter
jusqu'à l'ombre du péché, torturaient son cœur et le
remplissaient de trouble et de crainte. Mais ces cho-
ses no surprendront pas les âmes religieuses, qui con-
naissent les difficultés et les épreuves de la vie inté-
rieure et du rude et persévérant effort qu'exige la
poursuite de la perfection chrétienne.
'4 ri VIE DE
• Ces page^ intimes, qui nous révèlent la vie et les
combats de notre vénérée mère, seront pour sa fa-
mille religieuse un précieux document, qui lui ensei-
gnera comment, au service du céleste Epoux, on doit
se vaincre, s'humilier et s'oublier soi-même. Elles
seront peut-être aussi, ^jour certaines âmes vivant
dans le monde, un encouragement au bien et un
salutaire exemple. En voyant quel humble senti-
ment professait envers elle-même cette grande ser-
vante de Dieu, qui avait tout quitté pour le suivre,,
et combien, malgré ses vertus et ses généreux sacri-
fices, elle redoutait le dernier jugement, elles com-
prendront que la voie du ciel n'est pas semé de fleurs,,
mais couverte de ronces et d'épines, et que pour être
parfait, il faut, selon la leçon du Maître, se renoncer,,
prendre sa croix et monter au Calvaire.
CHAPITRE XII
1847-1848
l'immigration IRLAN'DAISE ET LE TYPHUS. — LES ABRIS DE
LA POINTE SAINT-CHARLES. — LES ORPHELINS IRLAN-
DAIS ET l'hospice SAINT-JÉROME-EMILIEN.
Xous touchons à une époque tristement célèbre
dans les annales de l'histoire de notre ville. Xotre
communauté a eu le bonheur de jouer, dans ce drame
MÈRE GAMELIX 213
lugubre, un rôle consolateur que les années ne pour-
ront jamais faire oublier.
En 1847, l'Irlande était décimée par deux terribles
fléaux, le typhus et la famine. Ses infortunés habi-
tants succombaient par milliers. On voyait des mai-
sons, devenues désertes, qui n'abritaient plus que
des cadavres en putréfaction. Beaucoup essayaient
de fuir et mouraient le long des chemins, où. leurs
cadavres devenaient la pâture des animaux sauvages.
Dans cet excès de misère, un grand nombre d'Ir-
landais songèrent à venir chercher en Amérique une
seconde }iatrie, où ils trouveraient, avec des moyens
de subsistance, le libre exercice de leur religion.
L'Angleterre favorisa leur immigration au Canada.
On fréta un grand nombre de navires, sur lesquels
des centaines d'infortunés, affaiblis par la misère,
ou même secrètement atteints par le mal, se préci-
pitaient, s'entassaient pêle-mêle, dans l'espoir d'y
trouver la vie. Mais, hélas ! la terrible maladie
éclata bientôt au sein des vaisseaux, qui furent
transformés en hôpitaux ; la mort y promenait
librement 'ses ravages, séparant l'époux de l'épouse
et la mère de l'enfant. Les gémissements des
mourants, auxquels il était impossible de porter
secours, les lamentations des mères, les cris des en-
fants, devenus orphelins sur le vaste océan, for-
214 VIE DE
maient un douloureux concert. De temps à autre, on
jetait à la mer un cadavre, qui flottait quelques ins-
tants à la surface et disparaissait pour toujours dans
l'abîme de ses eaux.
En mettant le pied sur le sol canadien après ce
lugubre Toyage, ces infortunés se trouvèrent en face
de la mort, qui mettait fin à leur misère, ou de la
maladie qui frappait le petit nombre de ceux qu'elle
avait épargnés Jusqu'alors. Mais ils rencontrèrent en
même temps la charité des religieuses, qui soignè-
rent et soulagèrent leurs corps, et le zèle et la piété
des prêtres, qui consolèrent leur âme et la préparè-
rent à retourner à Dieu.
La Grosse-Ile, en aval de Québec, lieu de la qua-
rantaine, et l'Hôpital de marine, de cette ville, regor-
geaient de malades. ^ A Montréal, le gouvernement
fit construire sur les bords da fleuve, à la Pointe
Saint-Charles, trois abris ou hôpitaux provisoires, de
100 à 150 pieds de longueur, sur une largeur de
40 à 50 pieds. Mais ils devinrent ])ientôt in-
suffisants pour le nombre toujours croissant des ma-
lades qu'apportaient de nouveaux navires. On éva-
lue à 11 ou 12,000 le nombre des infortunés qui fu-
rent débarqués à la Pointe Saint-Charles. Onze abris
' On estime à plus de 25,000 le nombre des émigiés ir-
landais arrivés durant l'été de 1S47.
MÈRE GAMELIN 215
lurent bientôt remplis de malades. Toute la ville était
dans la consternation. Les riches fuyaient à la cam-
pagne; les autres s'entouraient de mille précautions,
pour échapper à la contagion. Cependant la plus
vive sympathie fut témoignée aux pauvres irlandais
et des secours abondants leur furent envoyés, en
linge, en vêtements et en aliments.
Les Sœurs grises furent les premières religieuses
appelées à leur secours. Au bout de quelques se-
maines, trente d'entre elles étaient atteintes de la
terrible maladie, et sept allaient recevoir au ciel la
récompense de leur généreitx dévouement.
Il fallait, pour les remplacer, recourir à une autre
communauté.
Mgr Bourget pensa à nos sœurs, et il vint lui-même
à l'Asile pour faire appel à leur dévouement. C'était
le 24 juin. Il réunit la communauté, qui comprenait
à cette époque dix-neuf professes, dix-neuf novices
et quatorze postulantes. Il leur exposa l'état pitoya-
ble des malades et leur demanda qui d'entre elles
voulaient se sacrifier et aller exposer sa vie en don-
nant ses soins à ces infortunés. A cette question,
toutes se levèrent et de la même voix répondirent
ensemble : " Moi ! je suis prête 1 . . . " Le len-
demain matin, ù sept heures et demie, munies de la
sainte communion et de la bénédiction de leur
21G VIE DE
évêque, douze de ces vaillantes, désignées par leur
supérieure, montaient en voiture et se rendaient
aux abris de la Pointe Saint-Charles, oii les atten-
dait le plus triste spectacle.
Des centaines de malades, couchés sur la paille,
dans les angoisses de l'agonie, faisaient entendre de
douloureux gémissements; des petits enfants, encore
enlacés dans les bras de leurs mères, mortes durant
la nuit, pleuraient et criaient : des cadavres gi-
saient ça et là, exhalant déjà l'odeur de la mort ;
des femmes, se traînant à peine, cherchaient au mi-
lieu de cet affreux chaos un époux, des enfants, dont
elles ignoraient encore le sort. Tel était le légubre
tableau que présentait ce champ de douleur !
Les sœurs se mirent immédiatement à Toeuvre ;
elles firent d'abord enlever les cadavres et prodiguè-
rent ensuite leurs soins aux malades, l'our les aider
dans leur laborieux ministère elles ne pouvait comp-
ter que sur quelques convalescents, (pli leur portaient
secours auprès des mourants.
Les religieuses de flIôtel-Dieu, à leur tour, quittè-
rent leur cloître avec la permission de l'évêque et
vinrent, durant quelques jours, j^artager avec nos
sœurs leur office de charité. Au milieu de ces dévouées
infiiinières, Mgr Bourget lui-même, plusieurs de ses
chanoines et des prêtres de son évêché. des sulpi-
MÈRE GAMELIX 217
ciens, des jésuites, des prêtres séculiers passaient le
jour et la nuit parmi les malades; ils entendaient leur
confession, leur administraient les derniers sacre-
ments et leur prodiguaient les encouragements et
les consolations. Il en mourait cinquante à soixante
par jour, dont les corps, en attendant la sépulture,
étaient immédiatement déposés dans un immense
charnier, élevé au bord du fleuve.
On put enfin classer les malades, grâce à la cons-
truction de nouveaux abris. Les hommes et les
femmes, les enfants et les convalescents furent sépa-
rés et distribués en différentes sections. Mgr Bour-
get jjroposa à mère Gamelin de prendre en soin
les orphelins qui, au nombre de plus de six
cents, occupaient deux des hôpitaux provisoires.
Profondément émue du sort de ces petits aban-
donnés, elle accepta l'offre avec bonheur. Elle
s'assura immédiatement l'usage de la maison
de madame îs"olan, sur la rue - Sainte-Catherine,
et envoya deux sœurs pour y recevoir les petits
garçons. La maison n'étant pas meublée, on acheta
vingt bottes de paille, qu'on étendit sur le plancher,
pour y coucher les pauvres petits, à peine couverts
de quelques haillons. Les filles furent confiées aux re-
ligieuses du Bon Pasteur, en attendant qu'on pût les
réunir dans un local plus spacieux.
218 VIE DE
Le transport de ces pauvres orplielins fut des plus
touchants. Deux sœurs étaient assises dans chaque
voiture, tenant sur leurs genoux les plus petits en-
fants, dont quelques-uns comptaient à peine quel-
ques jours d'existence. Mgr Bourget occupait lui-
même la première voiture, voulant, par son exemple,
encourager l'intérêt charitable qu'il désirait inspirer
à ses diocésains à l'endroit de ces pauvres créatures,
si dignes de compassion. Il leur rappelait plus tard,
dans une lettre oii débordait son grand cœur, la dou-
ceur et l'angoisse du souvenir qu'il avait gardé de
cet événement. " Nous devons vous le dire, l'un
des plus doux moments de notre vie fut celui oit, à la
tête de cette nombreuse famille d'orphelins, nous
traversions les rues de cette ville, pour les conduire
aux hospices qui leur étaient préparés. Le spectacle
de ces centaines d'enfants, décharnés par la faim,
couverts de haillons et succombant aux attaques de
la terrible maladie qui les avait privés de leurs pa-
rents, était trop poignant pour que nous puissions
jamais l'oublier." ^
Nos sœurs continuèrent de soigner les malades à
la Pointe Saint-Charles, jusqu'au commencement
d'octobre. Durant près de trois mois, les Sœurs de la
Congrégation de Notre-Dame eurent l'obligeance de
' Lettre pastorale du 9 mars 1848.
MÈRE GAMELIX 219
les faire conduire chaque matin aux abris et rame-
ner le soir à l'Asile, dans de grandes voitures qu'elles
louaient à cet effet ; les Sœurs grises leur donnaient
à dîner dans leur maison de la l'ointe Saint-Charles.
La retraite annuelle du mois de juillet se fit, pour
les religieuses employées à ce ministère, au milieu
même de leurs malades, et certes, saint Vincent de
Paul, l'auteur de leur règle, n'y eût pas trouvé à re-
dire. Parmi les retraitantes, se trouvaient sept no-
vices admises à la profession prochaine. ''- Où au-
raient-elles pu, mieux que sur ce théâtre du dévoue-
ment et du sacrifice, méditer sur le genre de vie et
les devoirs d'une sœur de charité ? En tonte con-
fiance, elles pouvaient prononcer leurs vœux de reli-
gion ; leur vocation était éprouvée ; elles étaient
déjà, en action, de vraies sœnrs de charité.
Le matin même de leur profession, à l'heure ordi-
naire du départ, après avoir embrassé leurs parents,
elles retournaient aux abris, pour .y reprendre leur
ministère de dévouement.
Vingt-sept de nos sœnrs furent atteintes du fléau ;
sur ce nombre, neuf reçurent les derniers sacrements,
et trois moururent. Sœur Marie de l'Assomption, née
Catherine Brady, fut la première victime. Elle comp-
' Sr Jean-Baptiste, Sr Brigitte, Sr Wilson, Sr Augustin,
Sr Philomène, Sr Patrice et Sr Praxêde de la Providence.
220 VIE DE
tait à peine un an de profession, et n'était âgée que
de vingt-quatre ans. Sa mort donna au ciel les pré-
mices de notre communauté, car c'était la première
de nos sœurs qui mourait. Ce fut un grand bonheur
pour elle et un gage de la bénédiction de Dieu sur
notre institut, que le divin Maître la rappelât à lui
dans l'exercice d'un des plus purs actes de la charité
chrétienne. Quatre jours plus tard, aussi durant l'oc-
tave de l'Assomption, comme la première, une postu-
lante, sœur Angélique Blouin, expirait après avoir
eu la consolation de prononcer ses vœux. Elle fut
bientôt suivie par une novice, sœur Antoine, née
Olympe Guy, qui eut le même bonheur avant de
quitter la vie. Elle était depuis dix-huit mois en
communauté.
En face de la maladie et de la mort qui abattaient
les vaillantes infirmières, Mgr Bourget s'émut du
danger qui menaçait notre Jeune institut. Il réunit
toutes les sœurs à l'oratoire et fit à haute voix, au
nom des professes, le vœu de faire brûler à perpé-
tuité, tous les vendredis, sept cierges en l'honneur de
Notre-Dame des Sept-Douleure, pour la conserva-
tion de notre institut, menacé de s'éteindre par la
disparition des religieuses atteintes du typhus. La
douce Vierge entendit sa prière; les sœurs malades se
rétablirent; et, après une convalescence plus ou moins
longue, elles purent reprendre leurs travaux.
Mgr KDOl'ARD-CHARLKS FABRK.
Troisième évêque et premier archevêque de ^Montréal, j
MÈKE GAMELIN 221
Ce fut le 1er octobre qiie les orphelins, provisoi-
Tnent installés dans la maison de madame ISTolan, pu-
rent prendre possession de l'ancien couvent du Bon
Pasteur, situé sur la rue Beaudry, alors rue du Che-
val noir. Le nouvel hospice fut placé sous le vo-
cable de saint Jérôme-Emilien. Il était assez grand
pour recevoir aussi, dans un appartement distinct,
les oi'phelines que les religieuses du Bon Pasteur
avaient acceptées provisoirement. Mère Elisabeth fut
la première supérieure du nouvel hospice, ayant pour
compagnes les sœurs Brigitte et Catherine. Un prê-
tre irlandais, M. Fitzhenry, fut chargé de l'instruc-
tion religieuse de tous ces enfants; mais n'ayant pu
continuer longtemps ce ministère, il fut bientôt rem-
placé par M. Fabre, alors séminariste, qui faisait ses
études théologiques à l'évêché. Le Jeune ecclésiasti-
que trouva là un champ intéressant pour son zèle.
Il s'appliqua avec beaucoup de dévouement à son
ministère, et il eut la consolation de présenter, quel-
ques mois plus tard, soixante de ces enfants à la pre-
mière communion et à la confirmation.
Depuis le 11 juillet, mère Gamelin reçut à l'hos-
pice Saint-Jérôme-Emilien 650 orphelins. Sur ce
nombre, 332 moururent et 188 furent placés ou ré-
clamés. Il en restait 130, au mois de mars 1848,
outre 99 qui étaient demeurés sous les abris de la
222 VIE DE
Pointe Saint-Charles. A ce moment, l'hospice ne pou-
vait compter que sur les ressources de la charité^ car
le gouvernement venait de lui retirer la modeste allo-
cation qu'il lui avait temporairement accordée.
Mgr B'ourget s'émut de la situation et de l'avenir
de ces malheureux enfants, et il fit eu leur faveur
un chaleureux appel à ses diocésains, dans une lettre
pastorale dont nous extrayons les passages suivants:
''Plein de la grande confiance que nous inspire votre
charité passée, nous nous adressons aujourd'hui à
votre bonté accoutumée, et nous vous prions d'en
faire sentir les effets à ces pauvres orphelins qui sont
si chers à notre cœur.
" Oui, N. T. C. F., recevez-les, sans nullement con-
sidérer que, selon la chair, ils sont d'une origine
étrangère à la nôtre, car unis co.mme ils le sont à
Jésus-Christ par la foi, ils ne font avec nous qu'un
seul et même peuple.
" Recevez-les sans considérer non plus qu'ils pour-
raient vous être à charge; car vous savez très bien
que la charité, pour être méritoire, doit s'exercer gra-
tuitement et pour l'amour de Jésus-Christ. Au reste,
avec Dieu il n'y a rien de perdu, et tout est récom-
pensé au centuple en ce monde, avec promesse de la
vie éternelle dans l'autre. Philémon en est ici une
preuve frappante, car pour avoir fait grâce à Oné-
HÈRE GAMELIX 223
sime, pour lequel le grand apôtre avait déployé toutes
les richesses de son éloquence, en faisant parler tou-
tes les entrailles de sa charité, il eut le bonheur d'en
faire un compagnon fidèle de saint Paul, un évêque
embrasé de zèle, un glorieux martyr de Jésus-Christ.
'•' Il en sera de même de vous tous ; et il faut l'es-
pérer, en adoptant ces pauvres enfants, nous en fe-
rons des compagnons de notre foi, de bons prêtres,
de ferventes religieuses, d'excellents concitoyens, qui,
élevés parmi nous, feront cause commune avec
nous."
Après s'être spécialement adressé au clergé, au
séminaire et aux communautés religieuses d'hommes
et de femmes, le saint évêque fait appel aux laïques:
" Eecevez, pieux et charitables laïques, et adoptez
ces tendres enfants, avec cette joie cordiale qui carac-
térise la vraie charité. Ayez pour eux toute la ten-
dresse que vous aimeriez à voir chez ceux qui rece-
vraient vos propres enfants, s'ils avaient le malheur
de vous perdre, et si, relégués sur une terre étrangère,
sans parents et sans amis, ils étaient réduits à une
aussi affreuse misère. X'est-ce pas le temps, s'il en
fut Jamais, d'accomplir ces touchantes paroles du
Seigneur : " Faites aux autres ce que vous voudriez
qu'on vous fît." (S. Luc, 6, 3,3.)
" Animés de ces sentiments, vous accueillerez ces
224 VIE DE
enfants, vous les élèverez avec soin, vous les corri-
gerez avec bonté, vous les aimerez avec tendresse.
Oh ! qu'ils vous paraîtront intéressants et aimables,
ces enfants. Si vous saviez comme ils sentent vive-
ment le bien qu'on leur fait: comme ils sont recon-
naissants pour ceux qui en prennent soin; comme
ils prient avec foi le Père des miséricordes pour ceux
qui les assistent; comme ils s'embrassent avec de
vifs transports de joie, quand ils se rencontrent
après s'être crus morts: comme ils sont émus, quand
il leur faut se séparer les uns des autres, pour peut-
être ne plus se revoir; comme ils pleurent, quand on
leur rappelle le souvenir de leurs chers parents ou
de quelques-unes des personnes charitables qui ont
sacrifié leur vie pour les soulager dans leur malheur;
comme ils regardent avec attendrissement ceux qui
les viennent voir pour les adopter, dans l'espoir d'être
assez heureux pour fixer leur choix; comme ils sont
fermes et décidés, quand il leur faut rejeter les offres
flatteuses de ceux qu'ils connaissent être les ennemis
de leur foi : comme elles sont sincères et abondantes,
les larmes qu'ils versent, quand il est question de
dire adieu aux tendres mères que la religion leur a
préparées dans leur malheur." ^
Comment résister à des paroles d'une aussi ardente
^ Lettre pastorale du 9 mars 184S.
MÈRE GAMELIX 235
charité? Collèges, communautés religieuses, laïques,
tous s'empressèrent dy répondre. Sur les 229 enfants
qui restaient à placer, 1G9 furent adoptés par les ins-
titutions et les familles catholiques du diocèse, et 60
demeurèrent le partage de nos sœurs. Ces derniers
furent plus tard distribués dans nos différentes mai-
sons, ou placés en apprentissage, pour apprendre
un métier et gagner honorablement leur vie. Xous
pouvons affirmer que la plupart de ces enfants ont
répondu au dévouement et aux soins qu'ils avaient
reçus. Ce vœu de Mgr Bourget s'est réalisé. " En
adoptant ces pauvres enfants, nous en ferons des
compagnons de notre foi, de bons prêtres, de fer-
ventes religieuses, d'excellents concitoyens." ^ Plu-
sieurs, devenus prêtres, ont été et sont encore l'hon-
neur du clergé ; d'autres sont allés grossir les rangs
de nos communautés religieuses de femmes ; un plus
grand nombre ont donné dans le monde l'exemple
d'un attachement inviolable à leur foi, que ni les souf-
frances ni même les persécutions n'ont pu ébranler. -
^ Lettre pastorale du 9 mars 1S4S.
- On estime à G.OOO le nombre des immigrants irlandais
qui moururent du typhus dans les abris de la Pointe Saint-
Charles. Pour perpétuer la mémoire de ce lugubre évé-
nement, on a placé sur la t«rre qui reçut les restes mortels
226 VIE DE
CHAPITRE XIII
1848-1849
PÈLERINAGE À KOTEE-BAME DE BOXSECOURS. — LŒUVEE
DES FILLES DE SAINTE-BLANDIXE. — L'ÉCOLE SAINT-
JACQUES. — FONDATION DE LA MISSION DE SAINTE-ELISA-
BETH.—NOS ÉCOLES ET NOS PENSIONNATS.— LES EXER-
CICES DU CARNAVAL SANCTIFIÉ.— LE CHOLÉRA ET
L'HOPITAL SAINT-CAMILLE.— MORT DE SŒUR JEAN-DE-
DIEU ET DE SŒUR AUGUSTIN.— LE TIERS-ORDRE DES
SERVITES DE MARIE. — ROSE GRANDPRÉ.
Après avoir pris imo part iuiportaute aux soins
donnés aux malheureuses victimes du typhus, la
communauté devait s'associer aux actions de grâces
solennelles que Mgr Bourget demanda à tout son
troupeau, après la cessation du fléau. Il avait fait
vœu à la sainte Vierge, pour obtenir d'elle la fin de
de ces infortunés un énorme bloc de pierre, avec l'inscription
suivante, qiie nous traduisons de l'anglais :
Pour préserver de la profanation
les restes de 6000 émigrants
morts du typhus
en 1847-48,
cette pierre a été érigée
par les ouvriers de MJI. Peto, Brassey et Betes,
employés à la construction
du pont Victoria,
A. D. 18.59.
MÈRE GAMELIX 227
la terrible maladie et la protection de son peuple con-
tre ses ravages, de rétablir au sanctuaire de Notre-
Dame de Bonsecours le concours de pèlerinages et
la ferveur de dévotion qui l'avaient autrefois carac-
térisé, et qui avaient presque entièrement cessé
50US TefEet de l'indifférence générale.
Lui-même, au mois d"août 184T, au milieu d'une
énorme affluence de fidèles, avait installé dans
l'église de Bonsecours ime statue en bronze doré,
qu'il avait fait bénir à Paris dans l'église de Notre-
Dame de? Victoires, pour remplacer l'antique statue
en bois, donnée par la Vénérable ]\Ière Bourgeoys,
qu'im vol sacrilège avait fait disparaître, durant l'hi-
ver de 1831. ^ Il avait aussi suspendu dans ce sanc-
tuaire un tableau représentant la sainte Vierge
Arrêtant le tléau aux portes de la ville de Montréal.
Le premier jour de mai de l'année suivante,
il inausfurait lui-même, au milieu d'un grand nombre
' Cette statuette, en bois brun, d'à peu prèà sept
pouces de hauteur, et d'un travail remarquable, avait été
offerte à la mère Bourgeoy?, durant un de ses voyages en
France, par les seigneurs de Fleury, les messieurs Le Prêtre,
dans le château desquels elle était honorée d'une particu-
lière vénération depuis plus d'un siècle. Ils en avaient
fait cadeau à la fondatrice de la Congiégation, dans la
pieuse pensée de favoriser le culte de la Mère de Dieu
dans ime ville qui lui était consacrée. En 1754. l'édifice
ayant été entièrement détruit par les flammes, la statue
fut retrouvée intacte dans ses ruines. Cette préservation,
considérée comme miraculeuse, ajouta encore à la véné-
ration dont elle était l'objet.
228 VIE DE
de ses prêtres, la série des pèlerinages solennels dont
le mouvement ne devait plus s'arrêter jusqu'à
nos jours. ^ Chaque communauté, chaque confrérie
pieuse eut le sien. Mère Gamelin vint à son tour
avec toute sa famille. Les vieillards, les vieilles et
les orphelins de l'asile, ceux de l'hospice Saint-Jé-
rôme, les dames de charité, les religieuses se rendi-
rent, bannière en tête, en rangs de procession, jus-
qu'à la pieuse église, chantant des cantiques ou réci-
tant à haute voix le rosaire. A cette occasion, notre
vénérée mère fit don au sanctuaire d'un beau scapu-
laire eu velours rouge brodé d"or, qui orna longtemps
la statue de la Vierge.
Durant la période de calme qui suivit ces jours
d'épreuve, notre infatigable fondatrice conçut de
]iouveaux projets charitables.
Une classe de personnes attirait spécialement son
intérêt, celle des servantes sans situation, privées
d'asile et de protection, et exposées au découragement
et aux mille dangers de l'isolement au sein d'une
grande ville. Xotre bonne mère ouvrit d'abord une
salle pour les recevoir, et bientôt elle les forma en
^ Ses successeurs ont conservé fidèlement cet usage, et
tous les ans, le dei'nier jour d'avril, l'archevêque de Mont-
réal au milieu du clergé de sa ville épiscopale. ouvre solen-
nellement le mois de Marie dans le vénérable sanctuaire.
MÈRE GAJ[ELIN 229
association, sous le patronage de sainte Blandine.
Elles étaient soumises à un petit règlement, devaient
s'interdire tout luxe dans leurs habits et même adop-
ter un eostmne séant à leur état. On les formait
aux travaux domestiques et à l'art culinaire ; on
les exhortait à supporter avec patience les épreuves
de leur situation et à remplir avec conscience et
dévouement les devoirs de leur état. Ces filles
trouvaient sans peine à se placer avantageusement.
Quand elles sortaient de service, l'association les
recevait jusqu'à ce qu'elles fussent placées de nou-
veau. Cette œuvre produisit un grand bien, pendant
les années qu'elle subsista. Ces servantes étaient
recherchées des familles aisées, à qui elles donnaient
presque toujours satisfaction. Mère Gamelin leur
témoignait un affectueux intérêt; et elles, de leur
côté, lui donnaient en retour beaucoup d'affection et
de confiance.
L'école Saint-Jacques fut une autre œuvre dont
mère Gamelin se chargea vers cette époque, à la de-
mande de Mgr Bourget. Cette école gratuite, fondée
en 1827 par Mgr Lartigue, pour les enfants pauvres
du quartier, se tenait dans une maison occupée en
partie par l'imprimerie des Méla-nges rsUgieux. Elle
était confiée à des institutrices laïques, sous la direc-
tion des prêtres de l'évêché. N'être communauté en
230 YIE DE
est encore chargée, sons le contrôle de la commission
scolaire catholique de la ville.
Au mois de juillet, notre yénérée mère se rendait,
en compagnie de sœur Caron, ^ au joli village de
Sainte-Elisabeth, dans le comté de Joliette, pour y
concerter avec le curé, M. Quevillon, la fondation
d'un couvent. Cette nuùson devait unir l'instruc-
tion élémentaire des filles à l'hospitalité des vieil-
lards et des orphelins, et à la visite des pauvres et des
malades.
Sœur Caron. nommée supérieure de la nouvelle
fondation, vint le 15 août suivant, avec nos sœurs
de l'Immaculée Conception et François de Sales, et
une orpheline de l'asile, prendre possession de la
maison provisoire que M. le curé mettait à leur dis-
position dans le voisinage de l'église, en attendant
'■ Mère Caron, l'une des six premières compagnes de
notre vénérée fondatrice, lui succéda comme supérieure gé-
nérale. Douée de belles qualités d'esprit et de cœur, elle se
fit estimer pour ses vertus religieuses notamment pour sa
grande charité envers les pauvres. Elle les aimait tendre-
ment ; la vue d'un malheureux l'attendrissait jusqu'aux lar-
mes. "Je ne conçois pas, disait-elle, que l'on puisse aimer Dieu
sans aimer les pauvres." Modèle parfait d'une vraie sœur
de charité, elle était bien digne de succéder Ti notre véné-
rée mère.
Elle mourut le 13 août 1888, à l'âge de quatre-vingts
ans. Quelques jours après sa mort, Mgr de Goësbriand,
évêque de Burlington, écrivait k la communauté: "La
Mère Caron était certainement une des personnes les plus
aimables et les plus aimées que j'ai connues, précisément
parce qu'elle s'oubliait clle-niéme pour obliger et servir les
autres.''
MÈra: ga:\[Elix 231
que le coiiveut qu'il faisait construire fût prêt à les
recevoir.
Elles commencèrent leur œuvre en recevant six
vieilles femmes et cinq orj^helines. Les membres de
la commission scolaire de la paroisse, par suite de
quelques difficultés survenues entre eux et le curé, re-
fusèrent d'abord d'attribuer à nos sœurs l'allocation
du gouvernement. Quelques paroissiens même vou-
laient maintenir l'école laïque, établie dans le village.
Mais les sœurs eurent bientôt fait de se concilier
l'estime et la confiance de la population, et cette
opposition fut à peine de quelques semaines.
Le soir même de son arrivée, sœur de l'Immaculée
Conception alla veiller une mourante dans itne des
familles les plus hostiles à l'école des religieuses. Sa
charité et sa piété gagnèrent le cœur des parents, et
dès le lendemain matin ils iûscrivaient leurs enfants
au couvent comme élèves. Les sœurs eurent bientôt
sous leurs soins toits ceux du village.
Dans l'intervalle s'achevait rapidement la cons-
truction du couvent. Le 7 novembre, la cloche fut
bénite à l'église paroissiale, et le 12 du même mois
Mgr Prince venait bénir le couvent et célébrer la
loremière messe dans son modeste oratoire.
Mère Gamelin, venue pour la circonstance, passa
quelcjues jours auprès de ses filles. Elle profita de
232 VIE DE
son séjour pour convoquer une assemblée générale
des femmes de la paroisse et former une association
de dames de charité, dont les premières dignitaires
furent madame Gonzague Gadoury, madame Olivier
Drolet et madame Maurice Beaulieu, Tout s'annon-
çait donc sous les plus heureux auspices, et Mère Ga-
melin quitta la nouvelle mission, pleine d'espérance
en son avenir, après avoir fortifié le cœur de ses filles
par de pieuses exhortations. '"Xotre bonne mère nous
quitta, dit la Chronique locale, après avoir bien re-
commandé Tamour des pauvres et la dévotion à la
patronne de notre mission, sainte Elisabeth de Hon-
grie."
Les paroissiens ne furent pas longtemps sans cons-
tater que les sœurs se dévouaient sans réserve à leurs
enfants et à leurs pauvres. Au commencement de
Tannée suivante, Técole comptait 65 pensionnaires
et un plus grand nombre d'externes. Le prix mo-
dique de la pension permettait à la plupart des fa-
milles de procurer à leurs enfants les avantages que
leur offrait la nouvelle maison, au point de vue de
l'instruction et de la piété ; les maîtresses, de leur
côté, avaient à se féliciter des bonnes dispositions de
leurs élèves.
Le pensionnat de Sainte-Elisabeth, comme ceux
que notre communauté a ouverts plus tard dans d'au-
MÈRE GAMELIX 233
très localités, a mis l'instruction élémentaire à la
portée d'un grand nombre de familles auxquelles
leurs revenus ne permettaient pas l'accès de maisons
dont les prix étaient plus élevés. Xotre programme
d'études répond aux besoins des enfants de condition
modeste, à qui l'on ne doit pas songer à enseigner
autre cbose que les éléments de la religion, un peu
d'histoire et de géographie, une connaissance du
français et de l'arithmétique qui leur permettent de
parler et d'écrire correctement et de tenir les comptes
usuels d'une maison. Ce programme prépare au
diplôme d'institutrice pour les écoles élémentaires et
modèles, et un bon nombre de nos élèves l'obtiennent
chaque année.
Xos pensionnats ont été de véritables pépinières
de novices pour les maisons religieuses, surtout pour
notre communauté. Là se sont formées, par une ado-
lescence pieuse et studieuse, un grand nombre de
nos sœurs. Cette première éducation a dévelQppé en
elles ces vertus solides qui sont la meilleure dot des
aspirantes à la vie parfaite, et dont sainte Jeanne de
Chantai entendait parler, lorsqu'elle faisait cette re-
commandation à celles de ses filles qu'elle envoyait
à de nouvelles fondations : " N'oubliez pas que les
filles d'argent ont rarement fait des religieuses d'or."
En moins de six ans. le seul pensionnat de Sainte-
234 VIE DE
Elisabeth a donné quatorze sujets à notre Institut.
En 1854, voulant rendre un public hommage au
grand nombre et à la valeur de ces vocations reli-
gieuses, Mgr Joseph Larocque, alors notre supérieur
ecclésiastique, se transporta un Jour à Sainte-Elisa-
beth, pour y recevoir les vœux de trois novices de
cette paroisse. Leur profession religieuse se fit so-
lennellement à l'église paroissiale, en présence d'un
grand nombre de fidèles.
Mère Gamelin se plaisait à attribuer à la protec-
tion de Xotre-Dame des Sept-Douleurs le succès de
ses fondations. Xous avons déjà vu sa tendre dévotion
à la passion de 2^otre-Seigneur et aux douleurs de sa
sainte Mère. Elle ne se lassait pas de l'inculquer à ses
compagnes et à ses novices. '' Demeurons volontiers
au pied de la croix avec notre ^lère de Douleurs, di-
sait-elle souvent, c'est là notre place. Xe cherchons
pas ailleurs d'autres dévotions ni d'autres jouissances
spirituelles. Soyons assurées que si, toute notre vie,
nous nous tenons sur le Calvaire, le sang de Jésus
nous abreuvera; et tout enivrées de ce sang divin,
nous pourrons sans crainte nous présenter devant le
tribunal du souverain Juge. Xe quittons le Calvaire
que pour monter au ciel ! "
Aussi l'institution de tout nouvel exercice de ces
dévotions dans sa maison remplissait-elle son âme
MÈRE (iAMELIX 235
d'une pieuse joie. C'est dans ce sentiment qu'elle
accueillit l'inauguration qui fut faite, dans notre cha-
pelle, du carnaval sanctifié en l'honneur de iSTotre-
Dame des Sept-Douleurs. Il a pour but de répa-
rer les péchés qui se commettent durant les fêtes
mondaines de ce temps de l'année, et il se fait pen-
dant les trente Jours qui précèdent le mercredi des
Cendres. Il consiste en quelques prières à la Mère
des Douleurs, qui se récitent après la messe de com-
munauté et que suit lui petit salut du Saint- Sacre-
ment.
En cette même année 184:9, le fléau qui avait déjà
répandu, en 1832 et en 1834, la terreur et la mort au
milieu de notre population, menaça de nouveau
notre ville. Le choléra, après avoir fait d'affreux ra-
vages dans le vieux monde, envahit l'Amérique. Ce
fut bientôt une consternation générale. Dès le
mois d'avril, l'épidémie avait fait plusieurs victimes
à Montréal. Ceux qui fuyaient la ville portaient sou-
vent dans les campagnes le germe de la contagion,
que la terreur contribuait à propager.
Dès l'apparition de l'épidémie, mère Gamelin alla
solliciter de Mgr Bourget la faveur de soigner
elle-même les malades ; mais il refusa d'acquiescer
à une demande qui mettait en péril une existence
si précieuse à la communauté. La nuit suivante.
236 VIE DE
un homme frappa à la porte de l'Asile, deman-
dant à grands cris des sœurs pour sa femme et ses
deux enfants, qui se mouraient du choléra. Une
angoisse étreignit le cœur de notre bonne mère : "Qui
nommer ? " se demandait-elle ; " e«s pauvres enfants,
c'est à la mort que je les envoie ! " Profondément
émue et les yeus pleins de larmes, elle monte au dor-
toir, sonne une clochette pour éveiller les sœurs, et
dit à haute voix: '• Mes chères filles, on demande des
sœurs pour les cholériques; quelles seront les pre-
mières ? '" — •■• Moi ! moi ! " s'écrièrent ensemble plu-
sieurs d'entre elles, en se levant précipitamment.
Quelques minutes plus tard, au milieu d'une nuit
sombre, deux d'entre elles s'en allaient gaiement
braver la mort. Elles eurent le temps de faire ad-
ministrer leurs malades et de déposer, le matin, les
trois cadavres dans un même cercueil.
Le maire de la ville, M. EajTUond Fabre, déploya
beaucoup de zèle et d'activité pour réduire les foyers
de contagion. Il proposa à mère Gamelin d'ouvrir
un hôpital aux frais de la ville. Elle accepta avec em-
pressement et obtint de nouveau de la charité de sa
cousine, madame Xolan, l'usage de sa maison de la
rue Sainte-Catherine, qui demeura ouverte, sous le
nom d'hôpital Saint-Camille, du 1er Juillet à la fin
de septembre. La direction médicale en fut confiée
MÈRE G AMELIE' 237
au Dr Beaubieii, qui y déploya un zèle et un dévoue-
ment au-dessus de tout éloge. Cent vingt-sept mala-
des y furent reçus, parmi lesquels soixante-dix suc-
combèrent.
L'hôpital étant ouvert à tous les cholériques, sans
distinction de races ni de croyances, quarante-quatre
protestants y furent admis, et les sœurs eurent la con-
solation de voir plusieurs d'entre eux embrasser la
Traie foi.
Le ciel ne réclama de notre communauté qu'une
«eule victime, sœur Jean de Dieu, née Marguerite
Lefebvre. Elle comptait huit jours de profession re-
ligieuse. Envoyée le soir à Laprairie, pour y soigner
■deux sœurs atteintes de l'épidémie, elle en fut elle-
même frappée durant la traversée et mourut la nuit
suivante. D'une piété angélique, d'une douceur et
d'ime docilité parfaites, elle affectionnait tous les
-exercices spirituels et ne songeai-t qu'à se dévouer
■en s'oubliant elle-même. Depuis le commencement
•de l'épidémie, elle s'était offerte comme victime pour
sauver les prêtres de la contagion. Le ciel accepta
cette offrande de sa pureté virginale. Son corps fut
inhumé, le jour même de sa mort, dans le cimetière
de Laprairie, et transporté plus tard dans celui
de la communauté, à la Longue-Pointe. Qu'elle
238 VIE DE
y repose en paix, et que sa prière nous obtienne d'i-
miter son généreux dévouement !
La maison de Laprairie avait été témoin, l'année
précédente, de la mort édifiante de sœur Augustin^
née Suzanne Ladouceur, qui succomba, après quel-
ques jours de maladie, à une inflammation d'intes-
tins. " Un télégramme, dit sœur Joseph du Sacré-
Cœur, annonça à mère Gamelin que notre chère
sœur Augustin était mourante. Bien que la traver-
sée du fleuve fût alors très dangereuse à cause des
glaces qui commençaient à s'ébranler, nous partîmes,
notre mère et moi, pour aller consoler cette chère
sœur dans ses derniers moments. La vue de notre
bonne mère causa à la chère agonisante la plus douce
émotion. Xotre mère l'encouragea et lui recom-
manda les intérêts de la communauté, lorsqu'elle se-
rait au ciel. La malade lui répondit en ces termes:
'' Dites, s'il vous plaît, à nos chères sœurs que Je les
aime toutes et que je prierai pour elles. Qu'elles n'ou-
blient pas que nous sommes filles de la Mère des
Douleurs et que, pour lui ressembler, il nous faut
souffrir sur la terre.'^ ^
Sœur Joseph du Sacré-Cœur ajoutait : " Xous
avons failli périr dans ce voyage; la glace se brisait
^ 'Nécrologe, p. 146.
MÈRE GAMELIN 339
SOUS les pieds du cheval, et l'eau entrait dans la voi-
ture. Cependant, le cœur si maternel de notre mère
savait toujours braver toutes les difficultés, lorsqu'il
s'agissait d'exercer la charité."
Le 30 novembre 1849, tout le personnel de TAsile
se réunissait dans la grande salle des infirmes, pour
assister à une cérémonie qui constituait un événe-
ment dans l'histoire de la maison. Eose Grandpré,
en présence de Mgr Prince, de M. le grand-vicaire
Truteau et de notre vénérée fondatrice, se consacrait
solennellement au service des pauvres comme auxi-
liaire séculière de l'Institut. Ce fut la première qui
contracta cet engagement ; plus tard, elle revêtit
les livrées du tiers ordre des Servîtes de Marie.
Le tiers ordre des Servîtes de Marie, issu de l'or-
dre des religieux de ce nom, prit naissance en Italie,
vers la fin du treizième siècle. L'on en attribue plus
spécialement la fondation à sainte Julienne de Fal-
conieri, qui fut dirigée par saint Philippe Bénit i.
l'un des fondateurs et l'une des gloires de la famille
des Servîtes.
Instituées, comme les religieuses du premier ordre,
pour honorer d'une manière spéciale les douleurs de
la Mère de Dieu, les filles de sainte Julienne s'appli-
quent aux soins des malades et à des œuvres de cha-
rité analogues à celles qu'exercent les membres de
240 VIE DE
notre institut. Cette communauté de iDut et d'œuvres
inspira à Mgr Bourget le dessein de greffer sur notre
famille religieuse une branche du tiers ordre des ser-
vites. Ce projet rencontrait parfaitement les rues
de mère Gamelin, qui établit, dès 1849, une asso-
ciation de filles séculières, afin d'adjoindre aux reli-
gieuses des auxiliaires aptes à les aider dans leurs
travaux.
Le tiers ordre fut inauguré dans l'Institut le 1er
juin 1863, avec l'autorisation du général des servites.
II prospéra rapidement. Aujourd'hui, au Canada
comme aux Etats-Unis, la plupart de nos maisons
possèdent un certain nombre de sœurs tertiaires, qui
leur rendent de très grands services. Celles-ci }' trou-
vent, en retour, les avantages d'une règle religieuse,
de la vie commune et de la participation aux mérites
et aux biens spirituels de notre institut et de l'ordre
des servites, tout en étant déchargées des responsa-
bilités et des obligations attachées aux charges de la
communauté. Au point de vue temporel, leur vie est
assurée pour le reste de leur existence.
Sensibles à ces avantages, un grand nombre de
filles, bonnes et dévouées, demandent leur entrée
dans cette pieuse association. Leur nombre total est
actuellement de trois cent quatre-vingt-six.
MÈRE GAMEI.IX 241
CHAPITRE XIV
1849-1850
ZÈLE DE MÈRE GAMELIX POUR LA SANCTIFICATION DE SA
COMMUNAUTÉ ; SA CONFIANCE DANS LES SUPÉRIEURS
ECCLÉSIASTIQUES. — SON HOSPITALITÉ. — SECOND VOYAGE
AUX ETATS-UNIS.— VISITE DU PÈRE BOURLADEAU.
Nous avons vu que mère CTaraelin, qui pratiquait
la vertu à un degré supérieur, savait aussi l'ins-
pirer aux autres. Elle n'épargnait rien pour inculquer
à ses filles l'esprit de l'institut qu'elle venait de fon-
der, esprit qui peut se résumer dans ces trois mots :
humilité, simplicité, charité. '" Tant que l'on s'atta-
chera à ces trois fortes racines, disait-elle, notre
petit institut subsistera ; mais si vous essayez d'y
greffer d'autres rameaux, quelque beaux qu'ils vous
paraissent, vous n'aurez que des fruits sauvages, et
les nôtres perdront leur saveur!"
Son humilité et sa défiance d'elle-même la por-
taient à chercher dans la direction constante des
supérieurs ecclésiastiques le principe de sa conduite
et de celle de sa famille spirituelle. Elle y recourait
sans cesse. Sa confiance surtout dans le jugement,
les vues éclairées et l'expérience de Mgr Bourget
était absolue. Elle attachait un prix extrême à ses
243 VIE DE
"dsites jDastorales et ne manquait pas d'en solliciter
chaque année la faveur, comme le témoigne cette let-
tre qu'elle lui écrivait le 9 mars 1850 :
" Monseigneur, voilà tout proche un an que nous
n'avons pas eu le bonheur d'avoir la visite pastorale.
Aujourd'hui, autant que l'année dernière, nous en
sentons le besoin, mes sœurs et moi. Etant encore
nouvelles dans la religion, nous avons besoin de
toutes sortes de grâces, afin de pouvoir accomplir
avec plus de perfection les œuvres dont la divine
Providence nous a chargées. C'est pourquoi, Monsei-
gneur, nous prions Votre Grandeur de vouloir bien
nous l'accorder, soit pendant, soit après notre
retraite, et nous vous en aurons une éternelle recon-
naissance. Xous espérons que, vu nos misères et nos
imperfections, vous ne nous priverez pas cette année
de cette faveur. Peut-être qu'un jour Votre Gran-
deur sera dédommagée des peines et des sollicitudes
qu'elle se donne pour nous former aux vertus reli-
gieuses. Veuillez bien avoir pitié de vos enfants,
qui toutes sont dans la disposition de profiter de vos
paternels et charitables avis.
J'ai l'honneur d'être, etc.,
Sœur Gamelin,
Supérieure.
MÈKE GAMELIX 343
Le pieux prélat se rendit avec bonheur à des ins-
tances aussi louables, et il donna lui-même à ses filles
deux retraites consécutives. Il accédait avec la
plus aimable condescendance aux demandes qu'on
lui faisait parfois d'expliquer des questions de spiri-
tualité et des points de vie religieuse. Un jour,
mère Gamelin lui fit part du désir qu'avait une jeune
religieuse d'obtenir quelques éclaircissements sur la
vertu de simplicité, dont elle entendait, disait-elle,
si souvent parler, sans en avoir une notion bien nette
ni bien précise.
Le saint évêque répondit avec un délicat empresse-
ment à ce louable désir. Le premier de Tan suivant,
«haque religieuse reçut de lui, sous forme d'étrennes
spirituelles, une copie d'une lettre sur la simplicité
chrétiene. Cet écrit, plein d'onction et de piété,
avait été déposé, la veille du premier de Tan. au pied
de la statue de Xotre-Dame des Sept-Douleurs, puis
sur l'autel du saint Cœur de Marie, afin d'assurer à
sa lecture des fruits de grâce.
Notre vénérée mère possédait à un haut degré
cette simplicité chrétienne d'une âme dont la sincé-
rité se révèle telle qu'elle est. sans réticence et sans
détour, et dont l'humilité ne cherche pas à dérober
ses défauts et ses faiblesses, ni à nier ses fautes. Elle
avait vis-à-vis d'elle-même la parfaite loyauté qu'elle
24-i VIE DE
pratiquait à l'égard des autres. Elle la jDortait égale-
ment dans ses examens et dans ses ouvertures de
conscience, faisant voir à ses directeurs son âme jus-
qu'au fond, leur en révélant toutes les dispositions
et tous les sentiments, avec une confiance et une sin-
cérité parfaites, pour s"en remettre ensuite à leur di-
rection avec une simplicité d'enfant. Xous avons pu
en voir plusieurs exemples dans son Journal de re-
traites.
Cette vertu donnait à son langage, à ses manières
et à son commerce familier un charme singulier, qui
entrait pour une grande part dans la sympathie
qu'elle inspirait à tout le monde. Les religieuses des-
communautés étrangères, qu'elle recevait dans sa
maison, appréciaient grandement ses rares qualités-
naturelles et ses vertus religieuses, qu'elles étaient à
même d'observer de près dans les différents actes
de sa vie journalière.
Mère Gamelin se donnait beaucoup de mal pour les
bien recevoir. Elle se plaisait à les servir elle-même
à table; elle les faisait accompagner en ville par ses
sœurs, mettait à leur disposition toutes les choses
de la maison et les entourait de prévenances et de
soins affectueux. Ces visites lui offraient l'occasion
de s'enquérir des œuvres et des travaux accomplis
dans les maisons du même genre que la nôtre, et de
MÈRE GA5IEXIX 245
profiter des lumières de leur expérience. Elle faisait
part en échange à ces religieuses de ses propres vues,
de son expérience personnelle et de celle de ses sœurs,
de sorte que ces visites et ces entretiens tournaient
au profit des unes et des autres.
Ce désir de réunir des notions précises et des con-
naissances pratiques sur l'organisation des institu-
tions de charité étrangères avait inspiré à mère Ga-
melin et à Mgr Bourget ce voyage aux Etats-Unis
et cette visite des maisons des Filles de la Charité,
que notre vénérée fondatrice avait entrepris avec
tant de succès avant son entrée en religion.
La même préoccupation lui fit faire un second
voyage du même genre, au printemps de 1850. Le
développement de son œuvre et la fondation de nou-
Telles maisons la poussaient à recourir de nouveau
à Texpérience des autres pour assurer le succès de ses
entreprises. Dans ce voyage de cinq semaines, qu'elle
fit en compagnie de notre sœur Ignace de Loyola,
elle visita les hospices des Filles de la Charité, à Al-
bany, à Baltimore, à Xew-York et à Emmitsburg,
accueillie partout avec cordialité et retrouvant, dans
quelques-unes de ces maisons, les bons souvenirs et
les connaissances sympathiques de son premier
voyage.
Elle resserra les liens d'amitié qui l'unissaient
246 VIE DE
déjà à la supérieure générale^ la mère Etienne Hall,
avec laquelle elle continua à entretenir un commerce
de lettres et de mutuels services.
Au mois d'août de la même année, notre maison
recevait la visite du E. P. Bourladeau, lazariste,
supérieur de la maison mère d'Emmitsburg. Il prê-
cha dans notre chapelle et imposa à toutes nos sœurs
le scapulaire de la Passion. Quelques douzaines de
cess scapulaires, confectionnés, selon l'usage, avec du
drap rouge, avaient été gracieusement envoyés à nos
sœurs par la supérieure d'Emmitsburg.
Le pieux religieux félicita notre vénérée mère sur
le bon état et le développement de son établissement,
et témoigna son bonheur de voir fleurir au Canada,
par le fait d'événements aussi providentiels, l'esprit
que saint Vincent de Paul avait légué à ses Filles de
la Charité.
Mère Gamelin, en multipliant ses fondations et ses
œuvres, était obligée de multiplier à proportion les
actes de zèle, de vigilance et de dévouement qui ab-
sorbaient de plus en plus son temps, en consumant
ses forces. Sentant le déclin de sa vigueur physique,
elle s'entretenait constamment dans la pensée de la
mort. Le 23 mars 1849, elle écrivait dans son jour-
nal de retraite: " Il me semble que j'ai peu de temps
à vivre sur la terre: il me faut donc une bonne fois
3IÈRE GAMELIX 247
mettre la main à la charrue, sans regarder derrière
moi. J'espère tout de la miséricorde du bon Dieu."
Elle répétait souvent à ses filles : '" C'est un tribut
qu'il faut payer à la justice de Dieu ; mon heure
viendra bientôt. Quand votre pauvre mère sera dis-
parue, n'oubliez pas de prier pour elle."
Elle leur prodiguait ses exhortations à être ferven-
tes, à entretenir l'esprit de leur état, à s'appliquer à
la résignation, à l'amour de la croix, au fidèle accom-
plissement de leur devoir. Elle adressait ces pres-
sants appels de son zèle aux absentes, à ses sœurs des
missions, qu'elle aurait voulu voir plus souvent, sen-
tant le besoin de leur communiquer, au contact de
son propre cœur et de sa parole si persuasive, la
flamme de dévouement et de charité qui brûlait son
âme. Elle écrivait à l'une d'elles, à la fin de l'année
1850: " N'oublions jamais que nous sommes des
filles de la croix, et que nous devons aimer et chérir
la croix. Je n"en demanderai pas pour vous ni pour
moi, mais demandons toutes ensemble de porter avec
résignation celles que le Seigneur nous enverra.
Nous ne savons pas ce que le bon Dieu nous ménage
pendant l'année qui va commencer. . . Courage donc
dans notre sainte vocation! Ayons bien soin de ce
que le Seigneur nous confie dans la personne des
pauvres et des enfants, pour nous aider à le bien ser-
248 VIE DE
vir. Le ciel sera le prix et la récompense de nos tra-
vaux. En attendant, so^'ons fidèles aux grâces que
le Seigneur nous ménage. J'ai grande envie d'aller
vous voir. Si c'est la volonté de Dieu, Je ferai ce
voyage à la fin de janvier, car je sens le besoin de
m'entretenir un peu avec mes chères missionnaires."
L'amour et le dévouement pour les pauvres, forti-
fiés par l'amour des croix et des souftrances, c'était
là pour elle le résumé de la vie religieuse.
CHAPITEE XY
1850-1851
DERNIÈEE FO>'DATIOX DE ilÈI E GAJ.ELIX : LES SOURDES-
MUETTES.— CÉLÉBRATIOX DU SEPTIÈME ANNIVERSAIRE
DE LA PREMIÈRE PROFESSION RELIGIEUSE DANS L'INS-
TITUT. — MGR PRINCE NOMMÉ ÉVÊQUE DE SAINT-
HYACINTHE.— MÈRE GAMELIN VISITE LES MISSIONS
qu'elle A FONDÉES. — ELLE PRÉSIDE POUR LA PRE-
MIÈRE FOIS LE CONSEIL DE LA COMJrUNAUTÉ. — SA
M^VLADIE ET SA MORT.
Le 19 février 1851 voyait se fonder à la Longue-
Pointe une œuvre nouvelle, dernier fleuron de la
glorieuse couronne de notre vénérée mère ici-bas.
C'était l'enseignement des sourdes-muettes, qui prit
naissance au milieu d'oppositions et d'épreuves sans
nombre. Xotre vénérée fondatrice, secondée par
MÈEE GAMELIX 249
sœur Marie de Bonsecours, poursuivit l'entreprise
en dépit des objections et des doutes d'une foule de
personnes, qui la croyaient parfaitement inutile et
n'offrant aucun espoir de succès. C'est qu'on ne com-
prenait pas encore au pays comment l'on pouvait
songer à instruire ces infortunés, considérés alors
comme des êtres inférieurs, absolument dénués d'in-
telligence et incapables de toute culture morale.
Sœur Marie de Bonsecours, née Albina Gadbois, ^
fut l'instrument de Dieu pour cette œuvre impor-
tante. Très activement secondée par mère Gamelin
et Mgr Bourget, et plus tard par notre mère Caron,
elle poursuivit avec une infatigable énergie et une
charité à toute épreuve, en dépit de contrariétés et
d'obstacles de tous genres, la mission que lui avait
confiée notre vénérée fondatrice.
La classe s'ouvrit le 19 février avec deux élèves; à
la fin de l'année scolaire, elle en comptait dix. L'an-
née suivante, leur nombre avait doublé. En 1857, il
^ M. Victor Gadbois, père de nos sœurs Gadbois, et l'un
de nos insignes bienfaiteurs, était un riche et respectable
cultivateur de Belœil. Sept de ses filles se firent relisieuses :
cinq à la Pi'ovidence, une chez les sœurs de l'HOpital-Gé-
néral, une autre chez les sœurs des S. S. N. X. de Jésus et
de Marie. Les cinq religieuses de la Providence, sœur
Ignace de Loyola, sœur Marie de Bonsecours, sœur
Marie Victor, sœur Marie Ildephonse et sœur Philippe de
Jésus, ont successivement gouverné, avec beaucoup de dé-
vouement et de talent, quelques-unes des maisons de notre
institut.
250 VIE DE
s'élevait à trente-deux. L'école, devenue alors trop
petite, fut transportée provisoirement à l'hospice
Saint-Joseph, à Montréal, Après quelques années
d'un long et persévérant travail, ces pauvres enfants
avaient été instruites des premières vérités de la foi.
On leur avait révélé l'existence d'un Dieu bon et
miséricordieux, à qui elles devaient la vie, qui leur
prescrivait leurs devoirs et leur réservait une éter-
nelle récompense.
En 1864, l'institution était définitivement établie
rue Saint-Denis, sur un magnifique terrain, de 500
pieds de longueur par 230 de largeur, donné par M.
Côme-Séraphin Cherrier, à qui notre communauté
est redevable d'autres dons et d'autres services. Plus
tard, ce terrain fut agrandi par l'addition de deux
beaux lopins de terre, offerts par la libéralité d'un
prélat, Mgr Vinet, qui fut l'un des plus dévoués et
des plus insignes bienfaiteurs de l'institution. Ce
nouveau don formait une étendue de huit acres, com-
pris entre les rues St-Denis, Berri, Cherrier et Eoy.
Il serait trop long de tracer ici l'historique de cette
institution, qui exigerait à elle seule un volume. Qu'il
nous suffise d'indiquer sommairement le but et le ca-
ractère de l'œuvre. Nos sœurs s'appliquent à incul-
quer aux sourdes-muettes les éléments de la religion
et à les former aux vertus et aux pratiques de la vie
MÈRE GAMELIX 251
chrétienne. Pour assurer cette éducation à un plus
grand nombre de sujets, on accepte même celles d'un
âge relativement avancé. Nos sœurs s'efforcent de
développer leurs facultés par un enseignement élé-
mentaire à leur portée, et à les former à des travaux
manuels qui leur permettront plus tard de gagner
honnêtement leur vie.
Pour réaliser ce double objet, nos sœurs se sont
efforcées d'assurer à leur enseignement toute la per-
fection possible, même au prix de grands sacrifices.
Après avoir appris, en 1851, les éléments de la
méthode mimique à Joliette, sous M. Fabbé La-
gorce, sœur Marie de Bonsecours et une de ses com-
pagnes allèrent, en 1853, poursuivre leurs études
aux Etats-Unis, sous la direction du célèbre Isaac
Peet, directeur de l'institution des sourds-muets
de N'ew-York, puis à Washington Heights, où
elles suivirent, pendant un an, les cours de l'école
spéciale. Deux années plus tard, elles retournèrent
à New-York, pour se perfectionner dans l'exercice
de cet enseignement difficile. Puis ayant ajouté à
la méthode mimique quelques essais d'articulation,
elles passèrent en Europe en 1870, pour se mettre au
courant de la méthode orale, dont les succès commen-
çaient à s'imposer. A leur retour, elles inaugurèrent
dans le pays l'enseignement régulier de l'articula-
352 VIE DE
tion et de la lecture labiale. Mais ce ne fut qu'en
1879 que la méthode intuitive orale pure, qui sup-
prime dans l'enseignement les signes et la mimique,
fut appliquée dans toute sa rigueur.
A cet efiEet, M. l'abbé Trépanier, que nous devons
considérer comme le véritable père de Tœuvre des
sourdes-muettes, fit en Europe deux voyages succes-
sifs, l'un en 1879 et l'autre en 1884, pour étudier,
dans les établissements de Paris, de Belgique et d'Al-
lemagne, toutes les améliorations nouvelles intro-
duites dans ce genre d'enseignement. Sous l'active
surveillance de cet habile et infatigable directeur,
la méthode orale pure a donné jusqu'ici les plus heu-
reux résultats. ^
Aujourd'hui, l'établissement des Sourdes-muettes,
placé sous le vocable de Î^otre-Dame du Bon Conseil,
compte deux cent soixante élèves et cinquante-quatre
religieuses. Si du haut du ciel notre vénérée mère
voit ses œuvres, ne nous est-il pas permis de penser
que leur développement et leur progrès sont dus à
' M. F.-X. Trépanier, chanoine honoraire de la cathé-
drale de Montréal, est depuis vingt-huit ans attaché à l'ins-
tituticn des Sourdes-muettes. Il y aurait de beaux et tou-
chants rapprochements à faire entre l'abbé de l'Epée, fon-
dateur de l'enseignement des sourds-muets en France, et le
dévoué aumônier des sourdes-muettes à Montréal. ]\Iais
rhumilité de notre bienfaiteur et de notre ami pourrait
en être blessée, et cela amoindrirait peut-être à ses yeux
rhommage de notre gratitude.
MÈRE GAMELIN 253
sa puissante protection auprès de Dieu, comme leur
origine a été le fruit de son inébranlable confiance
en sa Pro"sddence ?
Le 29 mars 1851^ mère Gamelin voulut célébrer
solennellement le septième anniversaire de la fonda-
tion de l'institut. Le souvenir de ce jour inoubliable
inspira des chants vibrants de joie et de reconnais-
sance, mais pour notre bien aimée mère hélas !
c'était déjà le chant du soir. L'année suivante, à
pareil jour, sa voix ne se mêlait pas à ces cantiques
d'allégresse ; elle chantait déjà, pour l'éternité, dans
les chœurs de la cour céleste.
Il semblait que notre petite famille, solidement
fondée, n'avait plus besoin des secours humains
qui avaient assuré et guidé ses commencements, et
que Dieu allait les lui retirer les uns après les autres.
Il devait, au cours de cette année 1851, rappeler
à lui sa pieuse servante; et avant qu'elle ne mourût,
sa providence voulut la priver, de même que ses filles,
du dévouement et des précieux conseils de celui qui
avait été en réalité leur second fondateur, en sa
qualité d'aumônier et de supérieur. Mgr Prince,
au moment d'entreprendre un voyage en Europe,
se désista définitivement de cette seconde charge.
Ce fut une grande peine pour la communauté,
<\m avait contracté avec lui des liens étroits et
254 VIE DE
solides. Il avait témoigné à nos mères un constant
dévouement, un zèle attentif, une très grande cha-
rité. Il avait mis à leur service, pour les former
à la vie religieuse, et à la perfection chrétienne
toutes les lumières de sa sagesse et de son expé-
rience ; et si parfois sa direction avait pu leur
sembler sévère et rigoureuse, elles ne laissaient pas
de comprendre que cette sévérité lui était inspirée
par le désir de tremper fortement leur âme pour les
devoirs et les vertus de leur état, et d'établir l'exis-
tence de notre communauté sur les bases d"une vertu
austère et éprouvée.
Le nom de ce pieux prélat demeurera inséparable-
ment attaché, avec celui de Mgr Bourget, aux origines
de notre famille religieuse. Ils ont été tous les deux
architectes choisis de Dieu pour édifier notre insti-
tut. ]Srotre vénération et notre reconnaissance affec-
tueuses ne sauraient séparer leur mémoire ; toujours
leur souvenir comptera parmi le? plus précieux et
les plus chers de nos origines.
Mgr Prince, devenu évêque de Saint-Hyacinthe,
garda un souvenir paternel et bienveillant à la
communauté dont il avait soutenu et guidé les
premiers pas dans la vie religieuse. Xeuf ans plus
tard, sur son lit de mort, il priait son secrétaire, M.
Mgr JEAN-CHARLEvS PRINCE,
Premier Confesseur de l'Institut.
1S43-1844.
Premier Supérieur ecclésiastique.
1S45-1.S50.
:\[EEE GAMELIN 'do.y
l'abbé Moreau, ^ d'écrire de sa part à notre supé-
rieure générale pour donner à 'sa famille un sou-
venir et un dernier gage de son affection. Voici le
texte de cette lettre :
" Ma révérende Mère, l'affection si tendre que
vous et votre communauté avez toujours portée à Mgr
de Saint-Hj^acinthe me fait un devoir de vous com-
muniquer les sentiments qu'il vient d'exprimer à
votre égard. Voici ce qu'il m'a dit, il y a quelques
instants: "Ecrivez à mes chères filles de la Provi-
dence, pour les remercier bien affectueusement du
filial attachement qu'elles m'ont témoigné, des bons
services qu'elles m'ont rendus ainsi qu'à mon diocèse.
Dites-leur que je leur donne à toutes ma dernière
bénédiction, en demandant au bon Dieu, du plus
profond de mon cœur, qu'il les fasse prospérer dans
toutes leurs saintes entreprises; et que si Dieu, dans
sa miséricorde, me donne une place dans son sein,
je continuerai à m'intéresser à elles." J'ai recueilli
ces paroles avec un grand soin, et je vous les trans-
mets avec bonheur, car elles sont le testament d'un
père à ses filles bien aimées." -
L. Z. MOREAU,
Secrétaire.
* Aujourd'hui Mgr Moreau, évêque de Saint-Hyacinthe.
' Mgr Prince mourut le 5 mai 1860, âgé de 56 ans,
dont quatorze d'épiscopat. A ses funérailles assistaient
256 TIE DE
A la fiu de mai. notre vénérée mère entreprenait
la visite officielle des maisons qu'elle avait fondées et
qui, en outre de la maison mère, étaient déjà au nom-
bre de sept : la Providence de la Longue-Pointe, l'h&s-
pice Saint-Joseph, à Montréal, la Providence de
Laprairie, celle de Sainte-Elisabeth, l'hôpital Saint-
Jérôme-Emilien, la Providence de Sorel ^ et l'école
Saint-Jacques. Partout, elle recommandait aux
sœurs l'amour des pauvres, l'union, la charité mu-
tuelle et la confiance en Dieu. '' Xe craignez rien,
leur répétait-elle souvent, tant c[ue vous serez entou-
rées de pauvres, la Providence sera votre nourrice et
votre fidèle économe : rien, croyez-le, ne vous man-
quera.'^
Au commencement du mois de septembre, visi-
tant la maison de Sainte-Elisabeth, qu'elle affection-
nait particulièrement, à cause de la douce et aimable
sainte dont elle portait le nom, - elle eut comme le
sept évêques, cent cinquante prêtres et un immense con-
cours de fidèles, désireux de rendre un solennel hommage
au prélat qui avait honoré par ses vertus le sacerdoce et
l'épiscopat, et rendu d'éminents services à la sainte Eglise.
' Cette maison fut fondée à Sorel en 1850, pour les
œuvres de charité et l'instruction primaire. Elle fut fer-
mée en 1858.
^ Mère Gamelin professait pour sainte Elisabeth de
Hongrie une dévotion particidière. Elle se plaisait à la
prier et à confier les pau\Tes à sa protection. Elle avait
donné son nom à la première salle qu'elle ouvrit aux
vieilles infirmes dans son asile, en 1844.
MÈRE GAMELIX 257
pressentiment de sa fin prochaine. Le lendemain de
son arrivée, elle fit, en compagnie de sœur Caron
et de deux dames de charité, une visite à une bienfai--
trice du couvent, qui demeurait à quelque distance du
village. Le temps était superbe, bien qu'il fît très
chaud.
Notre mère tint à faire cette visite à pied, pour
mieux goûter les beautés de la campagne, qu'elle
avait toujours passionnément aimées et qui l'ai-
daient à s'élever à Dieu. Au bout d'un quart d'heure
de marche, se sentant quelque peu fatiguée, elle s'as-
sit au pied d'un arbre et prononça, avec un accent de
tristesse, ces singulières paroles : "'" L'atmosphère est
lourde, c'est un temps de choléra !" Quelcpies jours
plus tard, prenant tendrement congé de ses filles,
elle leur adressa ces graves paroles : '' Adieu, mes
chères filles, je vous vois pour la dernière fois. J'ai
prié la bonne Elisabeth pour que vous aimiez tou-
jours les pauvres et que la paix et l'union se con-
servent toujours parmi vous."" C'était le 10 sep-
tembre. Des larmes coulèrent de tous les yeux,
mais on était loin de penser que cette triste prédic-
tion se réaliserait si tôt.
De retour à l'Asile, notre mère s'occupa à régler
toutes les affaires de sa maison. Jusque-là, le supé-
rieur ecclésiastique ou Mgr Bourget avait présidé les
258 VIE DE
conseils de la conuniinauté. Mgr Prince venant de se
démettre de sa charge de supérieur, mère Gamelin
pria Mgr Bourgct de vouloir bien venir présider le
prochain conseil.
L'évêque lui répondit en l'autorisant à présider
elle-même, à l'avenir, tous les conseils, la jugeant
parfaitement apte à bien s'acquitter de cette fonc-
tion. Cette réponse alarma tout d'abord Thumilité
de notre chère mère et de ses conseillères, habituées à
se défier d'elles-mêmes et à recevoir des supérieurs
ecclésiastiques la direction de leurs délibérations ;
mais elles ne firent pas difficulté de se conformer à
une décision où elles voyaient, comme dans tous les
ordres et toutes les suggestions de l'autorité diocé-
saine, la volonté de Dieu.
La décision de l'évêque inaugurait en tout cas une
nouvelle époque dans la vie de notre congrégation. Il
semblait affirmer par là que ses filles avaient acquis
assez de sagesse et d'expérience pour prendre désor-
mais une plus grande initiative dans leurs affaires et
dans leur gouvernement intérieur.
Mère Gamelin présida en conséquence, pour la pre-
mière fois et pour la dernière, ce conseil du 32
septembre, qui fut le dernier jour de sa vie. Ici
encore, il semblait que Dieu voulût signifier à la
petite famille que son avenir était assez assuré pour
MÈRK GAMELIX 259
qu'il piit la priver de sa première mère et l'abandon-
ner plus complètement à la conduite de sa provi-
dence.
Dans cette séance, oii l'on traita de plusieurs ques-
tions importantes, notre vénérée mère parut émue.
Elle fit aux sœurs une pressante exhortation sur leurs
devoirs et les vertus de leur état, en leur recomman-
dant tout spécialement la charité envers les novices. ^
Elle sortit de cette séance, avec une expression de
joie et de contentement très vif empreinte sur sa
figure. Sentait-elle au fond d'elle-même la satisfac-
tion profonde de voir sou œuvre solidement établie,
•échappée aux difficultés et aux pénibles incertitudes
des débuts? Son âme chantait-elle intérieurement le
Nunc dimittis ? Ou Dieu voulait-il faire luire, sur les
dernières heures d'une vie qui touchait mystérieuse-
ment à son terme, les premiers rayons de la vie de
paix et de bonheur qui allaient se lever éternelle-
ment pour elle ?
X'était-ce pas aussi comme une révélation de la
pureté de son âme, que Dieu donnait, à cette dernière
heure, à celles de ses filles qui plus tard pourraient
lire ces lignes, écrites par leur mère dans son journal
de retraites, le IG mars précédent : '' En présence de
^ A ce conseil, les sœurs Marie de la Présentation,
Marie du Saint- Sacrement et François de Borgia furent
•admises à la profession.
260 TIE DE
toute la communauté, pendant mon oraison ce matin,
il m'a semblé que je paraissais devant Dieu: j'ai trem-
blé. J'ai pris la résolution de travailler de toutes
mes forces à me mettre toujours en état de paraître
en présence du souverain Juge. La crainte de la
mort subite m'a glacée d'effroi. Je me suis mise
entre les bras de notre Mère des Sept-Douleurs. Elle
m'aidera à traverser la mer orageuse de cette pau-
vre vie. Elle me soutiendra dans les périls. Cette
pensée m'a rendue calme et confiante." ^
La Mère des Sept-Douleurs, en qui elle avait mis
toute sa confiance, répondait en efïet à son appel.
C'est elle sans doute qui remplissait son âme de cette
paix et de cette douce sérénité qui brillaient en un
éclat de joie sur son visage et mettaient dans ses paro-
les une gaieté, une animation inusitée.
Ses filles purent le constater à la récréation du
soir. Jamais non plus elle ue leur avait paru mieux
portante ni plus dispose. Son air ni son attitude
ne traduisaient aucun signe de souffrance ou de mal-
aise. C'était pourtant sa dernière soirée, et la nuit
qui suivit allait lui révéler les approches et les affres
de la mort.
Sur les quatre heures du matin, elle ressentit les
premières douleurs du mal funeste dont elle connais-
' Journal, 1S50.
3IÈRE GAMELIX 261
sait bien les symptômes, et appelant aussitôt la
sœur qui partageait sa cliambre: '"'Ma chère fille,
lui dit-elle, je Tais mourir. j"ai le choléra. Je désire
monter tout de suite à l'infirmerie, afin de mourir,
comme mes sœurs, à la chambre commune.*'
Quelques sœurs, éveillées en hâte, la transportè-
rent à l'infirmerie, sans se résoudre à partager ses
appréhensions. Personne ne voulait croire ni à la
gravité du mal ni à l'imminence du danger. Mais
hélas! il fallut bien accepter le diagnostic et l'avis
des deux médecins appelés sans retard auprès d'elle.
Le Dr Tavernier, son neveu, et le Dr Descham-
bault constatèrent tous deux la gravité du mal et
avouèrent l'impuissance de leur art à y porter
remède. La malade les remercia et les supplia de
ne lui donner aucun calmant car elle désirait conser-
ver jusqu'à la fin l'usage de ses facultés et toute sa
lucidité d'esprit. La communauté, prévenue du mal-
heur qui la menaçait, était dans la désolation.
Qui dira les supplications ardentes qui furent
alors adressées à Dieu et à la Mère des Douleurs,
pour la conservation d'une vie si précieuse ? Les
pauvres, les religieuses, les dames de charité se suc-
cédaient sans cesse à la chapelle, pleurant, priant,
ofi:rant même leur vie pour celle dont la mort allait
créer une si grande absence. Rien ne fut épargné
263 VIE DE
pour fléchir le ciel, et si nos vœux ne furent pas en-
tendus, C'est que Dieu ne voulait pas différer plus
longtemps la récompense de sa fidèle servante. Sa
couronne l'attendait, et il tardait au Maître juste et
bon de lui adresser ces paroles de sa promesse:
"J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai
été prisonnier, et vous m'avez visité ; j'étais nu, et
vous m'avez vêtu : venez donc posséder mon royau-
me éternel ! "
La pieuse mourante avait toujours, au cours de sa
vie, redouté ce terrible moment. Aussi éprouva-t-
elle d'abord une crainte assez vive, mais elle ne tarda
pas à recouvrer une grande paix, ne voyant plus dans
la mort que la volonté de Dieu et un dernier passage
à franchir pour s'unir à lui. La parole de saint Vin-
cent de Paul se vérifiait en elle : " Celui qui aura
aimé les pauvres jsendant sa \ie n'aura aucune fra-
yeur à la mort."
Elle voulut faire sa dernière confession à Mgr
Prince, qui avait si souvent reçu ses confidences et
ses aveux et rendu la paix à sou âme. Puis elle eut
un long entretien avec Mgr Bourget, qui lui admi-
nistra l'extrême-onction et lui appliqua l'indulgence
plénière. Elle put, chose assez rare dans cette mala-
die, recevoir le saint viatique et conserver sa con-
naissance jusqu'à ses derniers moments.
MÈRE GAMELIX 263
Vers onze heures du matin, lorsque la communauté
fut admise auprès d'elle, les religieuses la trouvè-
rent méconnaissable, le teint livide, les yeux enfon-
cés dans leurs orbites, les lèvres blêmies, mais gar-
dant la pleine possession de son esprit et manifes-
tant la paix la plus profonde.
Elle accueillit chacune de ses filles avec une affec-
tion maternelle ; ne pouvant leur adresser la parole à
cause de sa faiblesse extrême, elle les enveloppait d'un
regard qui leur disait toute sa tendresse.
Ses forces déclinaient sensiblement, et Mgr Bour-
get commença à réciter les prières des agonisants,
auxquelles elle répondit en baisant pieitsement son
ciiicifix. La prière terminée, elle murmura quelques
paroles à l'oreille de l'évêque ; c'était sa suprême
recommandation à ses filles, que le pieux prélat leur
communiqua aussitôt, d'une voix coupée par les
larmes : " Je vous transmets, leur dit-il, le tes-
tament de votre mère ; qu'il soit toujours la base
de votre perfection : humilité, simplicité, charité.'" —
'• Surtout, balbutia la mourante, cha ri...."'.
Elle n'eut pas la force d'achever. Pressant, dans
un dernier mouvement, son crucifix sur sa poitrine,
elle expira en murmurant le mot qui résumait toute
sa vie, comme il résume la religion du Christ.
Il était quatre heures du soir.
264 YIE DE
La scèue qui suivit ne saurait se décrire.
L'étonnement, la douleur, la consternation se
partageaient les âmes. On avait peine à croire à
cette mort aussi imprévue et soudaine, à se faire à la
pensée qu'elle n'était déjà plus, celle qui, la veille
encore, débordante de vie, de force et de gaieté, pré-
sidait le conseil et adressait à ses sœurs des avis
pleins de sagesse et d'autorité.
Quand le glas funèbre attesta la triste vérité, ce fut
une explosion navrante de sanglots et de gémisse-
ments. Les pauvres accouraient de toutes parts, en-
vahissaient l'avenue et le corridor de la chapelle, et
suppliaient qu'on les laissât pénétrer auprès du corps
de leur mère, qu'on leur permît au moins de baiser
ses pieds. Il fallut, hélas ! leur refuser cette der-
nière consolation, car le caractère contagieux de la
maladie commandait la pins grande prudence. On
déposa immédiatement dans un humble cercueil de
bois le corps recouvert de ses habits religieux, on y
étendit une couche de chaux vive, et ses traits dis-
parurent pour toujours aux regards de ceux qui l'a-
vaient aimée.
C'était le mardi. 23 septembre ISol, troisième jour
de l'octave de la fête de Notre-Dame des Sept-
Douleurs.
MÈRE GAMELIN 265
Xotre vénérée mère était âgée de cinquante et un
ans. Elle en avait vécu sept en religion.
Ses funérailles durent être faites très promptement
et sans aucune solennité. La douleur de ses filles,
de ses vieillards et de ses orphelines en fit le seul et
touchant décor. Le service eut lieu dès le lendemain;
Mgr Prince le chanta et présida aux obsèques. Le
cercueil fut descendu dans la crypte de l'église et
placé dans une voûte de brique, sous le chœiur, du
côté de l'évangile.
On y lit cette simple épitaphe :
A la mémoire
De
La Eévérende Mère Gamelin
ISTée
Marie-Eugène-Emmélie Tavernier
Fondatrice et première supérieure de Tlnstitut
Des Sœurs de charité de la Providence
Décédée
Le 23 septembre 1851
Agée de
51 ans, 7 mois et 3 jours.
" Elle a considéré un champ et l'a acheté du fruit de ses
mains; elle a planté une vigne." Prov. 31-16.
266 TIE DE MÈEE GAMELIX
Les restes précieux de notre sainte fondatrice repo-
sent là depuis près d'un demi-siècle, à l'ombre du
monument qu"ont édifié son zèle et sa charité. Auprès
de sa tombe, on se prend à songer à la gloire éter-
nelle d'où elle contemple et protège sa famille reli-
gieuse, à ses œuvres qui s'étendent et progressent
tous les Jours sous le ciel, pour le soulagement des
pauvres et des souffrants de la grande famille hu-
maine, et l'on se rappelle ces paroles du psalmiste :
" Ses rameaux s'étendent, et sa gloire sera sem-
blable à l'olivier, et son parfum comme celui du Li-
ban. Ils retourneront s'asseoir sous son ombre ; ils
vivront de blé. et ils germeront comme la vigne.'- ^
' Ps. 14, 7-8.
FIN.
APPENDICE
APPENDICE.
Extraits du Journal autographe des Retraites de Notre
vénérée Mère Gamelin.
1846-1850.
NOTES
SUR 5IES JOUES DE RETRAITE POUR LA REXOVA-
TIOX DES VŒUX, EX MARS 1846.
La veille a été pleine d'épreuves ; le premier jour et
la nuit, point de repos ; crainte de ne pas bien faire
cette retraite . . .
Ce qui m'a frappée ce matin a été de voir sept sœurs
en oraison, nous qui sommes les filles de Notre-Dame
des Sept-Douleurs, destinées à faire honorer et à pro-
pager sa dévotion. Il m'a semblé que ce qui avait le
plus affligé notre bonne Mère était la quatrième dou-
leur, la rencontre de son divin Fils portant sa croix
au Calvaire. J'ai bien prié cette bonne Mère de m'ai-
der à porter mes croix, moi qui m'effraie à la vue de
celles qui se présentent, et qui ai si peu de courage
pour les accepter avec résignation.
Dans l'après-midi, plus de confiance en la miséricorde
du bon Dieu. J'ai fait le chemin de la croix, et j'ai eu
de l'attrait à méditer sur les souffrances de Notre-Sei-
gneur. J'ai formé la résolution de faire souvent le che-
270 APPENDICE
min de la croix, et j'ai demandé pardon au bon Dieu de
ma négligence et de ma paresse à remettre souvent de
faire cet exercice, qu'il semble exiger de moi. J'ai en-
core, dans cette méditation, formé la résolution de ne
pas passer un jour sans invoquer le nom de Marie,
Mère de Douleurs, par quelques invocations pieuses.
Je vais faire de nouveaux efforts sur moi-même, pour
être, avec la grâce d'en haut, fidèle à mes résolutions.
2me JOUR. — J'ai, en la présence de mon Dieu, formé le
désir de travailler à ma perfection et d'être résignée à
ce que l'on voudra de moi, pensant que mes croix, que je
trouve si pesantes, me sont des échelons pour aller au
ciel. J'ai donc remercié le bon Dieu, qui me semble ne
pas m'épargner dans les épreuves que j'ai eu à subir
depuis que je suis religieuse, et j'ai dit : O mon Dieu,
que votre volonté se fasse et non pas la mienne ! N'im-
porte ce qui m'arrivera, rien ne pourra me nuire sans
votre permission : donc, confiance parfaite en la divine
Providence.
3me JOUR, — Temps orageux pour mon âme; tentations
de diverses manières ; incapable d'avoir une bonne pen-
sée, ni même une inspiration pieuse ; découragement ;
le soir point de repos.
4me JOUR. — L'oraison m'a vivement touchée ; Ténor-
mité de mes fautes, tous les péchés de ma vie se sont
présentés à mon esprit, et j'ai médité dans le silence sur
les divers états de ma vie; partout, j'ai eu horreur de moi-
même. Que de péchés, que d'imperfections, que de légè-
retés dans toute ma conduite, pour plaire au monde. Oh!'
mon Dieu, comment faire pour réparer tout cela, après
tant de grâces perdues ? Ce qui m'a le plus touchée, c'est
l'abus que j'ai fait des dons qui m'ont été donnés par
le bon Dieu, pour travailler d'une manière toute par-
ticulière à ma sanctification ; voyant bien comme j'ai
été ingrate d'avoir abusé de tant de grâces depuis l'usage
de ma raison. Profondes réflexions sur mes misères.
Que faire à présent, moi. ver de terre, cendre et pous-
APPENDICE 271
sière, à la tête d'une communauté naissante, et si peu
capable de la conduire, et où il faut tant de vertus et
de bons exemples à donner. — Dites, G mon Dieu, ce que
vous voulez de moi ; votre servante écoute !
Il m'a semblé que je devais me mettre comme un en-
fant dans les bras de sa mère. Ayez pitié de moi selon
votre grande miséricorde. Je veux de tout mon cœur
expier mes fautes par la pénitence. — Réflexions longues
sur toutes mes misères spirituelles. . .—J'ai vu que les
croix, dont il a plu au Seigneur de me charger, ne sont
rien dans la réalité.
5me JOUR.— Sur l'enfer.— J'ai pensé que le bon Dieu
est trop bon pour me mettre en enfer, après m'avoir ap-
pelée à la vie religieuse. Il avait des vues de miséri-
corde sur moi. L'énormité de mes fautes m'a un peu
troublée, mais le calme est revenu après la tempête.
Je suis plus tranquille.
6me JOUR. — Confiance en Notre-Seigneur. paix au
pied de la croix, sans consolation pourtant; je n'en suis
pas digne... Ah! je me suis reproché mon peu de
zèle et mon indifférence à faire le chemin de la croix et
à réciter le chapelet de Notre-Dame des Sept-Douleurs!
J'ai formé la résolution de faire de nouveaux efforts
sur moi-même, et je me suis dit: Je veux. Seigneur, vous
suivre souvent au Calvaire. C'est là que j'irai chaque
jour m'encourager à souffrir les peines et les épreuves
inséparables de mon état. Cette journée s'est passée
là méditer sur la passion et les douleurs de la sainte
Vierge. Que de sérieuses et profondes méditations qui
condamnent ma conduite.
7me JOUR.— Calme ; pleine de confiance en la misé-
ricorde de mon Dieu ; résignation à supporter les croix
qu'il plaira au Seigneur de m'envoyer. Inquiétude sur
les moyens à prendre de me corriger. Désir bien grand
de communier le lendemain, bonheur qui m'a été permis,
malgré mes imperfections. J'ai cru voir devant le Très
Saint-Sacrement que ma résolution de retraite devait
272 APPENDICE
être de bien gouverner cette maison : beaucoup de
douceur et grande charité à supporter les défauts des
autres, exactitude à l'observance des règles, première-
ment pour moi-même et pour les autres, être ferme
eu ce point ; obéissance aveugle envers mes supérieurs.
J'ai la ferme espérance que le secours d'en haut chan-
gera mes dispositions dans cette retraite, et que je mar-
cherai sans crainte, après ce temps-ci. J'aurai plus de
coui'age à porter mes croix et à me soumettre avec ré-
signation aux épreuves qui me semblent si dures. Le
bonheur de communier le lendemain m'a fait éprouver
un grand calme.
8me JOUR.— J'ai eu la consolation de recevoir mon
Dieu et de m'entretenir avec celui qui seul fait la joie
du cœur. Il me semble que je suis plus courageuse au-
jourd'hui. L'une de mes résolutions est de prier sans
cesse pour être fidèle et persévérante dans tout ce que
l'on voudra de moi pour le bien de cette communauté.
Faire en sorte que la dévotion à Notre-Dame des Sept-
Douleurs se propage, surtout dans notre maison, ainsi
que celle du chemin de la croix, ayant connu qu'au pied
du Calvaire l'on peut puiser à une source intarissable,
et qu'avec un peu de courage l'on obtiendra la perfec-
tion que notre saint état demande de nous. J'espère
cette grâce de vous. 0 mou Dieu, ne me la refusez pas,
s'il vous plaît.
RÉSOLUTIONS DE MA RETRAITE.
28 mars ISiG.
Beaucoup de douceur et de charité envers mes infé-
rieures.—Oublier leurs défauts les plus saillants, et ne
voir que ceux qui me regardent personnellement.— Exac-
titude à l'observance des règles.— Obéissance aveugle à
l'égard de mes supérieurs, en toutes choses.
Daignez, Seigneur, me fortifier dans mes résolutions.
APPENDICE 273
Vous voyez le foud de mon cœur, et vous savez de quel
limon j'ai été formée ; vous savez que je vous aime,
malgré mes grandes imperfections.
NOTES
SUE MA SECONDE RETRAITE, COMMENCEE
LE IS MARS 1S4T.
La veille, souffrante.
Le lendemain, peu de ferveur, causé par cette in-
disposition. Crainte de ne bien faire ma retraite, et
d'être la même après ; voyant tant d'obstacles qui
s'opposent à ma perfection, je me décourage avant
de commencer. Vu que dernièrement plusieurs per-
sonnes sont venues me cbercher pour mettre la paix
dans leurs familles, et que Dieu, dans sa grande
miséricorde, a voulu se servir de moi pour détruire plu-
sieurs défauts affreux, j'étais inquiète de connaître la
volonté de Dieu à ce sujet. J'ai consulté, et je me suis
bien instruite comment m'y prendre par la suite.
2me JOUR. — Plus de courage. J'ai repassé dans le
silence ma vie entière, et j'ai trouvé un grand nombre
de défauts saillants. J'ai réfléclii' qu'il me fallait faire
pénitence et qu'il est bien juste que je souffre dans cette
vie, pour expier les péchés de ma vie passée. Je me
suis trouvée indigne d'être à la tête d'une commu-
nauté de viei'ges qui n'ont jamais connu le mal qui
règne dans ce monde, étant toutes pures aux yeux du
Seigneur, en comparaison d'une femme du monde, qui
a joui de tous ses divertissements, et qui mérite à bon
droit d'être punie et humiliée. J'ai bien prié le Sei-
gneur de ne me pas épargner en ce monde, et de me
donner du courage pour supporter les humiliations qui
semblent si dures à la pauvre nature, et qui blessent
274 APPENDICE
tant mou amour-propre. . . Encore nue nouvelle réso-
lution de travailler à me corriger de cela.
3me JOUR.— Ce qui m'a le plus frappée, c'est la mé-
ditation sur l'enfer. J'ai bien réfléchi, et 'je me suis dit:
Non, l'enfer n'est pas pour cette communauté, dont tous
les membres ont le désir de bien faire, comme je l'ai
en ce moment. Chacune a ses défauts, il est vrai, mais
comme moi, toutes veulent travailler à leur perfection.
A l'avenir, nous aurons plus de courage que par le passé
pour faire les sacrifices que le bon Dieu demande de
nous.
En la présence de mon Dieu, et appuyée sur sa grande
miséricorde, je me suis jetée à ses pieds, lui disant :
Vous êtes trop juste, Seigneur, pour permettre que je
sois du nombre des réprouvés. Vous savez les sacri-
fices qu'il m'a fallu faire pour me faire religieuse et
faire ce que vous vouliez de moi. Cette p3nsée m'a en-
couragée à faire, de jour en jour, de nouveaux efforts
sur moi-même. Je veux profiter de cette retraite pour
mettre la main à l'œuvre tout de bon. C'est pour vous.
Seigneur, que je travaille à me défaire de mes imper-
fections ; vous voyez le fond de mon cœur et vous sa-
vez que je vous aime. O mon Dieu, donnez-moi la force
de marcher à grands pas dans le chemin de la perfec-
tion. Je le désire avec empressement, pour l'édification
de cette communauté. Appelée à donner en toutes
choses l'exemple à mes filles, j'ai besoin de votre se-
cours. Seigneur ; je ne puis rien par moi-même, car je
n'ai pas le courage de faire ce que vous m'inspirez pour
ma perfection. Parlez, Seigneur, votre servante écoute
et je veux obéir.
4me JOUR. — Méditation sur l'eufant prodigue. — Je
me suis trouvée comme l'enfant prodigue, revenue à
mon Dieu après les égarements de ma jeunesse mou-
daine. J'ai médité les bontés de mon Dieu à mon égard,
qui a eu la patience de m'attendre pendant tant d'an-
nées, et qui m'a donné une conscience qui me reproche
APPENDICE Zlù
sans cesse les imperfections de ma vie, dans tous
les états où j'ai passé. Je vous remercie, ô mou Dieu,
de la grâce de ma vocation à la vie religieuse ; il n'y
a que vous seul, ô mon Dieu, qui m'ayez inspiré ce dos-
sein. Mes croix, que je trouve, si grandes, ne sont rien
en comparaison des grâces que vous me faites tous les
jours. Puissent mes peines intérieures me faire profi-
ter des saintes inspirations que vous me faites, à cha-
que affliction que j'éprouve. Dans cette méditation,
j'ai été pressée de faire quelques pénitences le vendredi,
en l'honneur de la passion de Notre-Seigneur et des
douleurs de sa très sainte Mère, pour implorer la misé-
ricorde du bon Dieu pour moi et pour la communauté
•que le Seigneur m'a chargée de conduire, tout indigne
<iue j'en suis. Aussi, pour les pauvres pécheurs dé ma
famille, plus particulièrement que pour d'autres, et pour
moi-même, ô mon Dieu, qui en suis peut-être la cause.
5me JOUR.— Je me suis mise en présence du Seigneur,
à l'oraison, et j'ai mis toute ma confiance en sa grande
miséricorde. J'ai eu im grand désir de me confesser
•ce jour-lâ, mais je n'ai pu le faire. . . Soumission à cette
épreuve pendant cinq jours ... Je l'ai offerte pour me
punir de la consolation que j'aurais eue à me satisfaire
en cela. J'ai fait de sérieuses réflexions et j'ai trouvé
que cette épreuve était pour le plus grand bien de ma
pauvre âme.
6me JOUR.— Bien troublée pour ma confession, ayant
l'esprit agité de différentes pensées, que je ne pouvais
pas finir ma retraite, qu'il était trop tard pour com-
mencer ma revue de l'année ; découragement, grande
«nvie de tout abandonner ; malade aussi, la tête fati-
guée de tout cela ; point de repos toute la nuit. J'ai,
avec la grâce de Dieu, surmonté ces tentations qui me
désolaient tant. J'ai invoqué Marie, Mère des Sept-
Douleui's, je l'ai priée d'avoir pitié de moi et de m'ob-
tenir la grâce de finir ma retraite avec courage.
7me JOUR.— Un peu plus de calme. Je me suis con-
276 APPENDICE
fessée le matin, et je suis revenue de ma faiblesse...
Les avis de Mgr Prince m'ont donné plus de force et
de courage pour faire des efforts sur moi-même, pour
commencer une nouvelle vie ; j'en ai formé la résolu-
tion en présence du Saint-Sacrement. J'ai réfléchi sur
toutes mes misères spirituelles, et j'ai tâché de graver
dans ma mémoire les avis salutaires que l'on venait de
me donner sur toute ma conduite. Oh ! qu'elles sont
grandes, ces misères ! Que d'imperfections dans tout
mon ensemble I Seigneur, qui voyez le fond de mon
cœur, aj-ez pitié de moi, faites-moi la grâce de travail-
ler avec un nouveau courage à me corriger de tant de
défauts, qui sont de mauvaise édification pour mes
sœurs. Sujet de méditation profonde. Que voulez-
vous, Seigneur, de moi ? Encore quelques sacrifices ?
Et il m'est venu en pensée que j'étais encore attachée
à quelque chose. J'ai fait connaître à Mgr Prince qu'il
m'en coûterait beaucoup de me séparer d'une chose que
j'aimais à baiser et à considérer : c'étaient les cheveux
de mes petits enfants, que je vénérais comme des reli-
ques bien précieuses pour moi. Il a exigé que je m'en
sépare, depuis vingt-trois ans que je les garde, et que
je les mette dans le caveau, là où je serai enterrée, pour
qu'ils soient mis dans mon cercueil après ma mort. Oh !
que ce sacrifice m'a coûté de larmes eu la présence de
mon Dieu ! Il m'a fallu obéir à celui qui me l'ordonnait^
pour me punir peut-être d'une trop grande envie et
satisfaction trop sensible de les regarder et baiser avec
complaisance sur la terre.
Ne sachant que faire pour avoir le courage de des-
cendre dans ce caveau, j'ai prié sœur Séné de venir
avec moi, et je lui ai confié mes peines â ce sujet. Dans
la cave, j'ai considéré la place où je serai enterrée,
j'ai commandé â mes chers petits enfants d'avoir pitié
de leur pauvre mère et de prier pour elle; eux. qui du
haut du ciel voient mes misères, qu'ils m'obtiennent
l'esprit de sacrifice, pour porter les croix et les peines-
APPENDICE 277
attachées à mou état. Ce qui me semblait cousolaut,
c'est de peuser qu'ils habitent le ciel, et qu'ils peuvent
m'être utiles sur la terre. Aussi, dans les jours orageux^
j'aurai recours à eux ; ils me consoleront et m'aideront
dans mes épreuves de tous les jours. Priez, mes bons
petits anges, pour votre pauvre mère, qui vous com-
mande bien de ne pas l'oublier devant le trône du Père
éternel.
Sme JOUR.— Crainte de me voir sortir de retraite avec
si peu de courage pour suivre la route qui m'a été tra-
cée. J'ai communié et me suis occupée de mes résolu-
tions. J'ai vil le R. P. Martin, qui a rendu le calme à
mon âme. J'ai remei'cié le bon Dieu de m'avoir souffert
pendant huit jours à m'entretenir avec lui. J'ai deman-
dé la permission de reprendre la nourritvire de la com-
munauté ; on n'a pas jugé bon de me l'accorder, à. cause
de mes faiblesses d'estomac. Encore une épreuve nou-
velle ; il m'a fallu obéir encore eu cela. Dans l'après-
dîner, plus forte. J'ai prié Notre-Dame des Sept-Dou-
leurs d'avoir pitié de la communauté, et de moi surtout,
qui suis la plus imparfaite.
Sujet pratique de méditation, donné par Mgr Prince,
à faire pendant l'année pour ma propre perfection :
" Apprenez de votre divin Maître à être douce et hum-
ble de cœur, et vous trouverez le vrai bonheur ici-bas."
Point d'autres avis à mettre en pratique que ce peu
de mots.
Retraite terminée le 25 mars 1S4T.
NOTES
SUR MA TROISIÈME RETRAITE, COMMENCÉE EE 5
AVRIL 1848, PAR LE PÈRE TELLIER.
La veille, indifférence.
1er JOUR.— Peu de ferveur, beaucoup de combats;
impossible de m' arrêter à quelque pensée fixe. Ce
qui m'a le plus frappée dans l'après-midi, c'est le but",
pou^ lequel je me suis faite religieuse ; c'est pour
278 APPENDICE
sauver mon âme et travailler à ma perfection. J'ai
tâché de me bien persuader que je me serais per-
due dans le monde. Il m'a semblé bien claire-
ment que le bon Dieu voulait plus de générosité et de
sacrifices de moi ; et j'ai dit au Seigneur : " Mou Dieu,
faites de moi ce qu'il vous plaira ; donnez-moi le cou-
rage d'accomplir vos desseins sur moi." Il me semble
que le bon Dieu veut encore me faire passer par bien
d'autres croix, que je crois voir devant moi. Courage,
ô mou âme ! Mou Dieu, résignation à votre sainte vo-
lonté !
2me JOUR. — Méditation sur le péché. Je me suis con-
sidérée à la tête d'une communauté, et bien indigne de
conduire des vierges. Ces filles, dont je suis chargée,
n'ont jamais connu le mal et n'ont point offensé Dieu
comme moi. Que de péchés dans ma vie ! Mon Dieu.
que votre miséricorde à mon égard a été grande ! Je
suis religieuse, engagée par des vœux, et j'ai de grandes
charges; comment est-ce que je m'en acquitte?... Cela
me fait trembler de toutes mes forces, Seigneur ! Jésus,
fils de David, ayez pitié de moi. J'ai si peu de courage
pour supporter mes croix, qui viennent toujours de mes
imperfections, de ma trop grande sensibilité et d'une
grande recherche de moi-même Toujours, la crainte
d'être reprise par mes supérieurs.
Après-midi, méditation sur l'enfer. O mon Dieu, que
de profondes réflexions ! J'ai bien souvent mérité l'en-
fer, et j'y serais tombée, si vous n'aviez eu pitié de moi.
Vous m'avez placée dans cette sainte maison: puis-je
me plaindre encore de ce que je souffre, pensant que
j'ai mérité de souffrir encore davantage.
Je me suis rappelée, dans cette méditation, la vision
que j'ai eue. étant à l'agonie, en 18.38 ; j'ai vu la place
qui m'était préparée dans le ciel ; la sainte Vierge me
l'a montrée et m'a dit que je ne mourrais pas de cette
maladie. Ma couronne n'avait presque pas de dia-
mants, et ma bonne Mère me renvova en disant que
APPENDICE 279
j'avais à me corriger de mes impatiences ; que je man-
quais de charité et de douceur à l'égard de mes vieilles:
qu'il me fallait avoir plus de charité, de douceur et d'hu-
milité dans ma conduite. J'ai vu mes enfants, qui sem-
blaient vouloir m'attirer à eux. J'ai vu aussi mon époux
^u nombre des bienheureux. Ces souvenirs m'ont en-
couragée à travailler avec un nouveau courage à ma
perfection. Oui, mon Dieu, coûte que coûte, je veux me
sauver. La pensée que j'ai une place au ciel me con-
sole. J'ai plus de courage pour accepter avec résigna-
tion ce qu'il plaira à Dieu de m'envoyer. L'enfer, je
l'éviterai par une plus grande vigilance sur moi-même.
3me JOUR. — Ma première pensée a été une pensée de
découragement ; fortes tentations pour me détourner
•de la confession. Méditation sur le jugement. Je me
suis appuyée sur les mérites de mou Sauveur, pleine-
d'espérance qu'il aura pitié de moi selon sa grande mi-
séricorde. La journée s'est passée à préparer ma con-
fession. J'y ai mis deux heures. Grands troubles inté-
rieurs. Crainte que l'absolution ne me soit pas utile.
Mon Dieu, que d'imperfections dans ma vie!... Ma
passion dominante, la trop grande recherche de moi-
même dans toutes mes actions. Je me suis abandonnée
à la grande miséricorde de mon Dieu, qui ne rejette ja-
mais un cœur contrit et humilié. J'ai donc reçu le par-
don des péchés de ma vie entière. Oubliez, Seigneur,
les péchés de ma jeunesse, et ne vous souvenez plus à
mon égard que de votre grande miséricorde.
4me JOUR.— J'ai eu le bonheur de communier. J'ai
éprouvé de grandes consolations. Il me semble que je
puis mourir, que rien ne me reproche et qu'à ma mort
je ne pourrais être mieux préparée. J'ai fait cette com-
munion en réparation des négligences de toutes celles
de l'année. J'ai bien remercié le bon Dieu de m'avoir
appelée à la vie religieuse. Que les jouissances du
monde sont différentes de celles que l'on éprouve au
service du Seigneur !. . .
280 APPENDICE
Daus la méditation sur la vie intérieure. j"ai gémi de
mou peu de ferveur. Je suis toujotirs plus occupée du
temporel de la maison que du spirituel. J"ai formé la
résolution de prendre à tâche de conserver le recueille-
ment, et, à l'avenir de m'intéresser plus au spirituel,
pour moi-même et pour les autres. J'espère, avec la
grâce de Dieu, y être fidèle. Aujourd'hui, j'éprouve une
douce joie et un grand calme. Je vous remercie, mon
Dieu, d'avoir eu pitié de moi qui vous ai tant offensé.
Merci de me donner ce jour de consolation. Vous sa-
vez combien je suis faible, et vous m'aidez à me rele-
ver.
ûme JOUR. — Méditation sur la naissance de Notre-Sei-
gneur, sa pauvreté, son obéissance.
Ce qui m'a le plus frappée dans ces méditations,
c'est le bonheur de la vie religieuse. J'ai demandé par-
don de mes murmures intérieurs et extérieurs star les
privations de tous les jours, par rapport au vœu de pau-
vreté. Résolutions d'être sur mes gardes à l'avenir.
J'ai remercié le bon Dieu de me faire ressentir peut-
être plus qu'une autre les privations de la pauvreté.
O mon Dieu, que vous avez eu, en tout temps, des
desseins de miséricorde sur moi ! Quand je parcours
ma vie entière, partout je trouve que vous m'avez
tendu la main, comme malgré moi. Faible et mi-
sérable créature, je tremble, quand il me faut faire
quelque sacrifice... La journée a été bien calme.
J'ai eu des consolations... J'ai fait la communion
spirituelle. J'ai beaucoup désiré communier sacra-
mentellement. J'étais pressée de demander cette
faveur, mais j'ai pensé que je méritais bien d'en
être privée, en punition de tant de communions
tièdes... J'ai fait le chemin de la croix pour nos
chères sœurs défuntes, je le ferai tous les jours. Il me
semble, pour ainsi parler, que je suis forcée de le faire.
Toute la journée s'est passée en bons propos. J'ai de-
mandé au bon Dieu de ne jamais oublier ces jours de
APrEXDlCE 281
retraite, où j'ai goûté tant de consolations et où, débar-
rassée des occupations journalières, je puis si bien m'oc-
cuper à converser avec lui, à lui exposer mes besoins
sans nombre, ceux aussi de toute la communauté. J'ai
demandé de diriger cette maison avec douceur, humi-
lité et charité. J'ai demandé que la dévotion à Notre-
Dame des Sept-Douleurs se propage toujours. J'ai re-
mercié le bon Dieu d'avoir inspiré au R. P. ïellier de
uous parler de cette dévotion.
Gme JOUR.— Méditation sur les étendards. Mon Dieu,
vous savez bien qu'il y a longtemps que j'ai choisi votre
côté. Mais, hélas ! qu'ai-je fait pour vous jusqu'à pré-
sent ? Je ressemble à ce paresseux dont il nous a été
parlé dans les instructions. J'ai toujours eu peur d'a-
vancer, tant la pauvre nature se i"évolte et s'effraie à
la moindre peine. J'ai déploré mes fautes sans nombre,
mon peu de courage Ti me faire violence et à me vain-
cre. J'ai encore formé la résolution de travailler une
bonne fois à ma perfection. Il me semble avoir plus
de force. .]'ai tâché de connaître toutes mes imperfec-
tions, les unes après les autres, et j'ai demandé la grâce
■de me bien connaître, dans le calme de cette retraite/
Cette journée s'est passée dans la paix ; j'ai pu prier
dans la paix : j'ai pu prier et méditer avec facilité.
Dans une méditation, j'ai éprouvé un grand désir de
prier pour la conversion des pécheurs, surtout pour quel-
ques personnes qui m'intéressent et dont j'ai le salut à
cœur; aussi pour les pauvres âmes du purgatoire, pour
lesquelles j'ai fait tous les jours le chemin de la croix.
Ma première pensée, en entrant en retraite, a été de ne
pas oublier nos pauvres sœurs qui reposent dans notre
caveau. Il m'a semblé qu'elles demandaient cela de
nous toutes, et que nos prières leur ouvriraient le ciel,
si déjà elles n'y étaient entrées.
7me JOUR. — J'ai éprouvé un désir ardent et un grand
bonheur de communier ce matin, mais je n'ai pu le faire
que spirituellement. Beaucoup de consolations dans
283 APPENDICE
l'oraison. Il me semblait être au ciel, par le bonheur
que je ressentais de m'entretenir avec mon Dieu si fa-
cilement. J'ai éprouvé une ivresse que je ne puis définir.
Il faut l'éprouver pour connaître cet état de l'âme avee
Dieu, que j'ai goûté quelquefois dans mes commu-
nions. Api'ès ces consolations, j'ai eu ime grosse
peine que m'a faite mou directeur. Réfléchissant
ensuite devant le Saint-Sacrement que Dieu me l'a donné
pour guide, qu'il tient sa place, que c'est lui-même
qui l'a choisi pour me faire arriver à la perfec-
tion que Dieu demande de moi, j'ai prié avec ins-
tance le Seigneur de l'éclairer. Pour moi, obéir est
tout ce que j'ai à faire ; peu importe la manière, douce
ou rigoureuse, avec laquelle il me traitera. Après ces
réflexions, la paix est revenue dans mou âme, qui déjà,
était fort troublée par cette petite épreuve.
8me JOUR.— Calme et tranquillité. J'ai pu prier et
former des l'ésolutions pour l'avenir. Il me semble que
le bon Dieu m'accordera ce que je lui ai demandé avec
tant d'instance pendant ma retraite : l'esprit de sacri-
fices et d'abnégation en tontes choses. J'ai vu que le
plus grand défaut qui règne en moi est la recherche de
moi-même en toutes mes actions. L'instruction sur le
ciel m'a encouragée. La vie est si courte : pourquoi
tant avoir peur de se renoncer ? Un jour, nous jouirons
de la présence de Dieu. Grande confusion, pendant mon
oraison, de mon peu de courage à me faire violence.
J'ai demandé pardon, de tout mon cœur, de tant de misè-
res dans ma pauvre nature, si faible pour faire le bien.
Mon Dieu, ayez pitié de moi selon votre grande miséri-
corde. Pardonnez-moi les péchés de ma jeunesse et
ceux du présent.
Résolutions de ma retraite, terminée le 13 avril 184S.
Pour pénitences journalières, je ferai plusieurs fois
par jour des actes de renoncement, dans mes actions,
mes pensées, mes paroles, mon jugement, ma volonté,
dans la nourriture et dans les aises que je pourrais me
APPENDICE 283-
procurei", en un mot, eu toutes choses. Je m'imposerai
une pénitence, chaque fois que j'y manquerai.
Mon sujet d'examen particulier sera le reuoucement.
Vertu d'abnégation, iX laquelle je devrai m'exercer
pour toute l'année. Donné par Mgr Prince.
NOTES
SL'E MA QVATEIÈiXE RETRAITE, COIIJIEXCÉE LE 21 MAKS
1849, PAK M. LE CHAXOIXE TEUTEAU.
La veille, indifférence.
Le jour même, incapable de pouvoir méditer. Avant
la seconde méditation, j'étais comme une bête de
somme ; pourtant, dans cette méditation, Dieu m*a
reproché que je ne travaille pas assez à la con-
version des pécheurs. Je ne leur donne pas assez
d'avis salutaires. Je ne leur parle pas assez sé-
rieusement de l'état de leur âme. Je ne prie pas assez
pour eux. Peut-être que le bon Dieu demande de moi
quelques pénitences ou quelques sacrilices que je n'ai
pas le courage de faire.
J'ai fait le chemin de la croix pour la conversion de.
quelques membres de ma famille, qui eu ont besoin.
J'ai été bien impressionnée à la huitième station. Je
considérais Jésus, disant aux saintes femmes de ne pas
pleurer sur lui, mais sur elles-mêmes. Il m'a semblé
entendre Notre-Seigneur me dire de ne pas tant me la-
menter sur la communauté dont il m'a chargée et sur
les misères et imperfections des autres, mais de pleurer
sur moi-même, et de me corriger de bien des imperfec-
tions, qui peut-être le font pleurer sur moi. Mon Dieu,
aidez-moi donc à me connaître, et obtenez-moi la grâce
de me corriger ; que je prenne dans cette retraite des
résolutions pratiques pour l'avenir.
2me JOUE.— Un peu inquiète sur mon état d'indiffé-
rence, sur mes dispositions présentes. La bonté de mon
284: APPENDICE
Dieu m'a touchée: ce bon Maître veut que je ne m'ap-
puie que sur lui. J'espère avec confiance que je pour-
rai mettre en pratique ce que la grrice m'inspire pour
avancer dans la grande affaire de la perfection.
3me JOUR. — La pensée de la mort et du jugement m'a
frappée. 11 me semble que j'ai peu de temps à vivre
sur la terre ; il me faut donc une bonne fois mettre la
main à la charrue, sans regarder derrière moi. J'es-
père tout de la miséricorde du bon Dieu. Confiance en
la bonté du Seigneur, qui me pardonne mes fautes si
multipliées.
4me JOUR. — Méditation sur l'enfer et instruction sur
le même sujet. Je suis toute pénétrée, et je tremble au
tableau qu'on a fait de l'enfer. Que vous êtes bon. ô
mon Dieu. Vous m'avez pardonné les fautes sans nombre
de ma jeunesse. Maintenant, avec le secours de votre
sainte grâce, je ne veux plus vous offenser. J'accepte
les croix, les humiliations, les sacrifices, pour l'expia-
tion de ces péchés qui vous ont centriste. Je ne veux
plus me plaindre, quand il me faudra souffrir quelque
chose pour vous. Gravez dans mon cœur, ô mon Dieu,
la pensée que j'ai mérité l'enfer : heureuse, si je puis
souffrir sur cette terre pour acquérir le ciel. Conser-
vez dans mon cœur. Seigneur, ces résolutions que je
forme en votre présence ; elles viennent de vous. Je
suis plus tranquille aujourd'hui : j'ai pu faire mes
exercices avec calme, et le reste de la journée s'est pas-
sé dans de grandes consolations spirituelles, surtout le
soir. Il me semblait être plus courageuse pour suppor-
ter les épreuves qu'il plaira au Seigneur de m'envoyer.
Que d'actions de grcâces, ô mon Dieu, pour tant de fa-
veurs reçues de votre part I
5me JOUR.— Je redoute l'avenir pour mes résolutions.
Je sens ma faiblesse, quand il me faudra faire quelque
acte de renoncement à ma manière de voir les choses,
et paraître contente, quand je serai blessée par quelque
humiliation ou par quelque reproche de la part de mes
APPENDICE 285
supérieurs. Vous connaissez mes dispositions, ô mon
Dieu, TOUS voyez le fond de mon cœur. J'offre toute
cette journée pour obtenir la contrition de mes péchés
confessés, de ceux que je ne connais pas et de ceux
qui ont échappé à ma mémoire. Seigneur, ayez pitié de
moi selon votre grande miséricorde.
Mes confessions sont finies ; le calme est revenu dans
mon ame. J'ai passé la soirée devant le Saint-Sacre-
ment. J'ai goûté le bonheur de la vie religieuse. J'ai
fait des colloques avec mon Dieu ; il m'avait promis
qu'il parlerait à mon cœur. Je lui ai fait mes demandes,
je lui ai exposé les besoins urgents de cette commu-
nauté qu'il connaît mieux que moi. Je lui ai demandé
les moyens de pouvoir gouverner cette maison avec
prudence et sagesse, de mettre un sceau sur ma bouche,
pour ne l'ouvrir qu'après avoir pensé à ce que je dois
commander. Je me sens un nouveau courage. Je pour-
rai, ce me semble, tout faire, pour conserver la paix
intérieure que je goûte dans ce moment. Je n'ai jamais,
dans le monde, éprouvé ce calme et ces délices de con-
verser avec vous, ô mon Dieu ! Oh ! que l'on est à,
plaindre, quand on ne vous aime pas ! Que vous com-
blez de bonheur ceux qui travaillent pour vous ! Oui,
qu'il est doux d'être attaché au service d'un si bon
Maître I
6me JOUR.— La pauvreté de mon Sauveur m'a tou-
chée. J'ai eu le bonheur de communier. Oh ! que la
maison de mon cœur est pauvre ! J'ai prié Jésus d'y
venir et d'avoir égard à ma bonne volonté. Les pau-
vres offrent ce qu'ils ont, j'ai offert mon cœur tel qu'il
est, priant la sainte Vierge de vouloir bien venir tenir
compagnie à mon Dieu et de préparer ce qu'il faut
pour recevoir un si grand hôte. Je suis calme et tran-
quille ; la paix est dans mon cœur, car j'ai reçu le
Dieu de paix. Grandes consolations dans mes exer-
cices, aujourd'hui. Je vais faire le chemin de la croix
pour la conversion des pêcheurs, c'est ma pratique de
286 APPENDICE
tous les jours. J'ai formé la résolution de le faire
chaque jour de Taunée, si mes occupations me le per-
mettent : j'éprouve tant de consolation dans ces médi-
tations sur la passion de mon Sauveur.
7me JOUR.— J'ai peine à réunir mes pensées. Je suis
un peu malade et fatiguée, mais, depuis l'instruction
de S laem-es, je suis mieux, et j'ai pu faire mon oraison
assez calme.
L'obéissance de mon Dieu dans toute sa vie et pendant
sa passion m'a encouragée à obéir aveuglement à mes
supérieurs, en tout, et à la règle. Je surmonterai mes
répugnances intérieures, et je pèserai les commande-
ments que je ferai, désirant faire aux autres ce que je
voudrais que l'on me fît à moi-même. J'ai demandé
pardon au bon Dieu de ce que j'ai pu faire souffrir à
mes sœurs, en manquant de réflexion avant de décider
quelque chose. Ferme résolution de veiller sur moi-
même, d'une manière particulière, et sur toute ma con-
duite extérieure. Recevoir les avis de Mgr Prince, et
travailler à les mettre en pratique avec courage.
Sme JOUR. — J'ai eu le bonheur de communier, et j'ai
mis mes résolutions aux pieds de Notre-Dame des Sept-
Douleurs. A cette bonne Mère maintenant de me diri-
ger. Je lui ai promis de mettre, tous les matins, ma
journée et ma charge sous sa protection. .Te lui deman-
derai, chaque matin, de m'inspirer et de me dicter ce
que j'ai à faire ; et le soir, j'irai lui rendre compte de
toutes mes actions, espérant que cela me rendra plus
vigilante à veiller sur moi-même et à me tenir sur mes
gardes. Oh ! que je désire travailler à ma perfection !
Que de lumières dans une grande retraite ! Que de mi-
sères j'ai trouvées en moi ! Je sens toute l'importance
de ma charge. Je suis obligée de donner l'exemple à
toute une communauté. Je vois clairement que je n'ai
rien fait. Sans votre secours, ô mou Dieu, je pourrais
me décourager. Le passé est dans la miséricorde du
ArPENDICE 287
bon Dieu. Courage, mon âme, la fidélité a la grâce
nous fera triompher de tout.
J'ai vu aujourd'hui, plus que jamais, que je manque
de prudence dans mes paroles et de sagesse dans mes
actions. Je demanderai ces deux vertus â Notre-Dame
des Sept-Douleurs, tous les jours de l'année. Fasse
le ciel que je mette en pratique cette résolution, c'est
l'avis de mon très honoré père, Mgr Prince.
Prudence dans mes paroles et sagesse dans mes ac-
tions.
Résolutions prises le 28 mars 1849, à la fin de la re-
traite annuelle.
NOTES
SUR MA CINQUIÈME EETRATTE, PRÊCHÉE PAR S. G. MGR
BOURGET, ÉVÊQUE DE MONTRÉAJL, 15 MARS 1850.
La veille, bien occupée aux affaires de la maison et
indifférente pour toutes choses. Grande confiance en
Dieu et grand désir de bien faire cette retraite ; désir
de réforme, pour moi et pour toute la communauté. De
tout cœur je demande au Saint-Esprit d'éclairer le di-
recteur et les confesseurs qui nous seront donnés pour
nous conduire. Que Dieu nous soit en aide pour le suc-
cès de cette retraite I
La veille, entretien sur nos fins dernières. Le lende-
main, oraison de 9 heures et de 5 heures sur le même
sujet.
Ce qui m'a frappée dans l'oraison, ce sont les sa-
crifices que la Providence m'a ménagés, dans les dif-
férents états de ma vie, surtout celui de la mort de mou
mari, qui, sous la direction de M. Saint-Pierre, m'a fait
renoncer au monde, en 1828, pour me dévouer au service
des pauvres. Tout cela pour me faire arriver à ce que
le bon Dieu voulait de moi, c'est-à-dire à la fin, au but
qu'il me destinait pour sauver mon âme ; et aussi pour
288 APPENDICE
travailler d'une manière spéciale à aimer Marie au pied
de la croix, et à la faire honorer dans ses douleurs.
Dans cette même année, M. Saint-Pierre me fit présent
d'une image de Notre-Dame des Sept-Douleurs ; et tous
les jours j'allais prier au pied de cette image. Je lui
demandais du courage pour supporter, à son exemple,
les croix et les sacrifices que le bon Dieu m'envoyait
dans le monde. Les plus grands, dans ce temps-là,
étaient la perte d'un époux et d'un enfant chéris, que
je pleurais tous les jours. J'avais le cœur percé d'un
glaive de douleur ; et je ne trouvais d'autre consola-
tion que celle de méditer sur les douleurs de ma Mère,
auprès de cette gravure. Plus tard. Mgr Bourget, dé-
sirant que la sainte messe fût dite dans notre maison
pour nos vieilles infirmes, et voulant nous donner
une patronne particulière, nous envoya une image
de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Ce trait de la
Providence me frappa beaucoup. Dans mon premier
voyage aux Etats-Unis, à la maison mère des Sœurs
de Charité, je vis une magnifique statue de Notre-
Dame des Sept-Douleurs, qui arrivait de France. Je de-
mandai l'adresse, et l'année suivante nous avons pu nous
en procurer une semblable, par l'entremise de M. le
grand-vicaire Hudon, qui partait pour l'Europe. Ce bon
Monsieur nous dit quil nous en ferait don, si notre
chapelle était dédiée à Notre-Dame des Sept-Douleurs.
. . .Les sacrifices qu'il me faut faire tous les jours me
sont envoyés pour me faire mourir à moi-même et pour
sauver mon âme. Pour être l'enfant de la Mère des
douleurs, il faut s'attendre à porter la croix en ce
monde. Je viendrai donc souvent prier aux pieds de
cette bonne Mère. Je lui demanderai d'avoir pitié de
moi, dans les épreuves et les tribulations dont je suis
sans cesse agitée. Je penserai qu'elle m'a tout parti-
culièrement choisie pour sa fille ; que je suis obligée
de la consoler et de l'honorer, de propager sa dévotion
autant que possible, partout où il y aura des Sœurs de
APPENDICE 289
Charité de la Providence. Nous lui en avons fait la
promesse, si nous obtenions par son intercession une
statue semblable à celle qu'avaient le bonheur de pos-
sédei", dans les Etats-Unis, les bonnes religieuses d'Em-
mitsburg.
2me JOUR.— Sécheresse, aridité, peine à me suppor-
ter moi-même. Entendre des instructions si touchantes
sur le péché des auges et des hommes, et être si peu
touchée de ces grandes vérités ! Mon Dieu ! que mon
cœur est dur, qu'il lui faut de combats pour arriver à
sa fin ! qu'il est lâche et paresseux, ce cœur plus dur
que la pierre ! Faites-le, s'il vous plaît, sortir de sa lé-
thargie. Ayez pitié de moi, ô mon Dieu, je m'aban-
donne à votre grande miséricorde !
3me JOUR. — Réflexions profondes sur ma vie. Oh !
mon Dieu, que vous êtes bon et miséricordieux envers
moi ! Vous m'avez conduite par la main en tant d'épo-
ques pénibles de ma vie, et moi, je vous ai trahi tant
de fois ! Que de promesses auxquelles je n'ai pas été
fidèle ! Et malgré cela, vous n'avez cessé de me pour-
suivre, pour me faire arriver à la place que vous m'a-
viez destinée de toute éternité. Que de reconnaissance
ne vous dois-je pas. 0 mon Dieu, pour tant de bien-
faits ? Je me serais peut-être perdiie dans le monde,
car je recevais tous les jours la récompense des œuvres
que vous m'aviez pourtant inspiré -de faire, en écoutant
avec trop de complaisance les louanges que l'on faisait
de mon hospice de vieilles infirmes.
4me JOUR.— Méditation sur le jugement. En pré-
sence de toute la communauté, pendant mon oraison,
ce matin, il m'a semblé que je paraissais devant mon
Dieu : j'ai tremblé. J'ai pris la résolution de travailler
de toutes mes forces à me mettre toujours eu état de
paraître en présence du souverain Juge. La crainte de
la mort subite m'a glacée d'effroi. Je me suis mise
entre les bras de notre Mère des Sept-Douleurs. Elle
m'aidera à traverser la mer orageuse de cette pauvre
290 APPENDICE
vie. Elle me soutiendra dans les périls. Cette pensée
m'a rendue calme et confiante.
5me JOUR.— Sur l'enfer. La responsabilité de ma
charge de supérieure, mon manque de soumission dans
les sacrifices journaliers, la diflSculté que j'éprouve à
corriger les manquements à la règle, mon caractère
trop prompt et quelquefois trop lâche, les omissions à
mes devoirs qui sont si étendus, tout cela m'a trou-
blée dans mon oraison et a même troublé mon sommeil.
Vous le voyez, ô mon Dieu, je vous donne mon cœur
sans réserve et pour toujours ! Quoi qu'il m'en coûte,
je travaillerai à ma perfection ; la pensée du ciel, la ré-
compense des sacrifices de la vie m'encouragent.
6me JOUR.— De l'élection. Elle est toute faite pour
moi, ô mon Dieu 1 Je vous remercie de ma vocation à la
vie religieuse. Vous l'avez décidée par vos ministi'es.
Trois ont examiné ma vocation ; ainsi, je suis persua-
dée de votre volonté. Je ne me suis jamais repentie
d'avoir suivi leurs conseils.
7me JOUR.— L'abus des grâces. Je suis toujours con-
fuse, quand je réfléchis combien le Seigneur m'a tou-
jours conduite dans de gras pâturages, et combien j'ai
été ingrate, moi, comblée de tant de bienfaits. Que de
bonnes inspirations, que de saintes pensées, que de fa-
veurs, obtenues au moment où je pensais le moins à vous
suivre dans le chemin royal de la sainte crois. J'ai tant
fait de résistance pour marcher à votre suite, ô mon
Dieu ! Je vous remercie de m'avoir attendue, après tant
d'ingratitude de ma part. Je vais travailler à réparer
le temps perdu, tandis que vous m'en donnez le temps.
J'ai été une brebis infidèle ; je viens avec confiance me
jeter dans vos bras, sûre que vous n'abandonnez jamais
ceux qui s'appuient sur vos promesses.
Sme JOUR.— Contrition, douleur et repentir des fautes
et des imperfections de l'année. Oh ! je reviens à
vous, Seigneur, vous aurez pitié de moi, vous m'aiderez
à porter mon joug, et il deviendra doux et léger. Je
APPENDICE 291
redoute l'avenii', j'ai déjà tant fait de promesses de fi-
délité ; mais j'espère, et je ne serai pas confondue dans
mon espérance. Avec votre secours, 0 mon Dieu, et la
volonté ferme que j'ai de me vaincre, je remporterai
la victoire.
KÉSOLUTIONS DE MA RETRAITE DE 1850, DONNÉES PAR S. G.
MGR BOURGET, LE 23 MARS 1850.
Réformer ce qu'il y a d'irrégulier, chez moi d'abord,
et ensuite chez les autres, sans jamais fermer les yeux
sur aucun défaut, par motifs humains, lâcheté, etc.,
mais travailler à cette réforme avec prudence et dis-
crétion. A Dieu de donner l'autorité, pour faire plier
toutes les volontés. Il faut le lui demander nuit et jour,
par Marie et les saints patrons de la communauté. O
Dieu! confirmez-moi dans cette résolution. Ainsi soit-il!
292 APPENDICE
ACTE DE BAPTÊME DE Meixe EMMÉLIE TAVERNIER.
Extrait du Registre des haptêmes, mariages et sépultures,-
faits dans la paroisse de Montréal, sous le titre du S.
Ifomde Marie, dans File, Comté et District de Mont-
réal, Province de Québec, pour Vannée mil huit cent.
JjQ vingt février mil linit cent, par moi. prêtre sous-
signé, a été baptisée Marie-Emilie-Eugène, née hier du
légitime mariage d'Antoine Tavernier. voiturier, et de
Josette Maurice, ses père et mère de cette paroisse. Le
parrain a été Antoine Tavernier et la marraine Marie-
Claire Perrault.
(Signé) ANTOINE TAVERNIER.
MARIE-CLAIRE PERRAULT.
HUMBERT.
Prêtre^
APPENDICE 293
ACTE DE MARIAGE DE MADAME GAMELIN.
Extrait du Registre des baptêmes, mariages et sépultures,
faits dans la paroisse de Mo^itréal, sous le titre du 8.
Nom de Marie, dans Vile, Comté et District de Mont-
réal, Province de Québec, pour l' année mil huit cent
vingt-trois.
Le quatre juin mil huit cent vingt-trois, après avoir
obtenu dispense de trois bans de mariage de Mgr Jean-
Jacques Lartigue, évêque de Telmesse, vicaire général
de Mgr l'évêque de Québec, je soussigné, prêtre auto-
risé à cet effet, ayant pris le mutuel consentement par
paroles de présent de sieur Jean-Baptiste Gameliu.
bourgeois de cette ville, fils majeur de feu sieur Pierre
Gamelin et de défunte Marie Joseplite Lajeunesse d'une
part, et de demoiselle Emilie Tavernier, fille majeure
de feu sieur Antoine Tavernier, bourgeois de cette ville
et de défunte Josephte Maurice, d'auti-e part, les ai
mariés suivant les lois et coutumes observées en la
sainte Eglise en présence de sieur Auguste Defoj-, de
sieur François Tavernier, frère de l'épouse, de Joseph
Perrault, écuyer, et de sieur Julien, Tavernier.
(Signé) EMILIE TAVERNIER.
JEAN-BAPTISTE GAMELIN.
JOSEPH PERRAULT, AUGUSTE DEFOY,
FRS. TAVERNIER, MARIE-ANNE CUVILLIER,
GENEVIEVE TAVERNIER,
BREGUIER ST-PIERRE.
Ptre.
294: APPENDICE
SECOND APPENDICE
Extrait de La semaine relifjievse de Motitical.
du 8 juin 1895.
GUERISON
OBTENUE PAR L'INTERCESSION DE MÈRE GAMELIN, FONDA-
TRICE ET PREMIÈRE SUPÉRIEURE DES SŒURS
DE LA CHARITÉ DE LA PROVIDENCE.
En 1888, c'est-à-dire un an après ma profession reli-
gieuse, je fus atteinte de fréquents maux de gorge, qui
nécessitèrent plusieurs opérations. Guérie de ce mal en
1893, je ressentis peu après de fortes douleurs dans la
poitrine et les poumons. Une toux opinititre et une fai-
blesse générale me parurent les indices certains de la
consomption. Je demeurai dans cet état de languenr
jusqu'à ce que, la maladie entrant dans une nouvelle
phase, il se produisît, en octobre dernier, une enflure à
la jambe droite, et peu après une plaie à la cheville du
pied. En vain me fit-on suivre un traitement énergique,
la plaie se montra rebelle et allait toujours s'aggravant.
De guerre lasse, le médecin finit par déclarer le mal
incurable.
C'est alors que j'eus l'inspiration de demander à Dieu
ma guérison par l'entremise de notre vénérée Mère
Gamelin. En ayant obtenu l'autorisation de notre Mère
générale, qui me remit une relique de la chère Mère
APPENDICE 395
fondatrice, je commençai une ueuvaine le samedi 29
avril, et abandonnai immédiatement tout remède. Ma
confiance était telle que, malgré les souffrances qui
chaque jour devenaient plus intenses, et malgré les pro-
grès de la plaie qui couvrait dès lors le dessus du pied
et une partie de la jambe, j'étais néanmoins de plus en
plus persuadée de ma guérison.
" Vous faites cela pour éprouver ma foi, bonne Mère
Gamelin, lui disais-je; assurément vous allez me guérir,
car il est impossible qu'une mère n'ait pas pitié de son
enfant. Je ne mérite pas cette faveur, tout de même
faites un beau miracle et ne me laissez pas boiteuse."
Car il est à remarquer que la jambe malade avait rac-
courci.
Mes invocations quotidiennes étaient celles-ci : " Mère
Gamelin, guérissez-moi! Mon Dieu, glorifiez votre ser-
vante!"
Le dimanche matin, 5 mai, dernier jour de la neu-
vaine, mon pied malade était dans le même état, c'est-
à-dire très enflé, et la douleur était si grande que je
dus mettre un linge imbibé de vaseline pour m'aider à
supporter le bandage.
Je fis la sainte communion avant la messe, et employai
le temps de mon action de grâces à répéter les invoca-
tions susdites. Au moment de l'élévation, je sentis une
douleur inexprimable à la cheville du pied, puis un
mouvement intérieur semblable à celui d'un déplace-
ment total dans cette partie. A la communion,
instinctivement, je regarde ma jambe et je vois
le bandage tout à fait desserré. Tremblante d'é-
motion et d'espérance, je l'enlève et trouve cette
pauvre jambe dans son état normal : plus d'en-
flure, plus de plaie suppurante, mais seulement des
cicatrices pour attester le miracle instantané qui venait
de se produire. De suite, je me lève, cours à notre Mère
et lui dis: " Ma Mère, je suis guérie."—" Silence," répond-
elle, pour m' empêcher de troubler le recueillement du
296 APPENDICE
saiut lieu. Mon cœur, gros d'émotion, dut refouler les^
élans de ma reconnaissance, et j'eus grande peine à les
comprimer. La messe terminée, il me fut bien doux de
proclamer la puissante intervention de notre chère Mère
Gamelin, et de montrer aux sœurs accourues pour par-
tager ma joie les preuves de mon entière guérison.
Je repris mes chaussures et me mis à marcher comme
autrefois, au grand étonnement de celles qui m'avaient
vue si longtemps dans une chaise roulante. Je ne sens
plus aucune douleur ; en un mot, je suis parfaitement
guérie.
SOEUR LUCAIN,
Née Jane Morrisson.
Providence, Maison Mère, Montréal, 5 mai 1895.
TÉMOIGNAGE DU MÉDECIX.
Je soussigné, médecin, certifie avoir traité pendant
deux ans la révérende sœur Lucain, professe de l'Insti-
tut des Sœurs de Charité de la Providence de Montréal,
pour diverses affections que je considérais incurables ;
entre autres, pour une plaie rebelle à tout traitement.
Et je déclare, par les présentes, que j'ai constaté que
la susdite sœur Lucain avait été soudainement et com-
plètement guérie, après la communion qu'elle recevait
ce jour-iri, à la fin d'une neuvaiue, faite pour obtenir sa
guérison par l'intercession de la révérende Mère Game-
lin, fondatrice de l'institut des Sœurs de Charité de la
Providence, à Montréal.
J.-A. LEBLANC, M. D.
Montréal, 29 mai 1895.
APPEXDICE 297
Extrait de La semaine religieuse de Montréal,
du 2 novembre 1895.
NOUVELLE GUERIgOX
OBTENUE PAB L'iXTERCESSIOX DE LA EÉTÉREXDE MÈRE
GAMELIX.
Au mois de décembre 1890, je commençai à ressentir
de violents maux de tête, de très vives douleurs dans
les talons et le long de la colonne vertébrale, avec rigi-
dité des muscles du cou, du dos et des jambes. Je vis le
médecin qui, après examen, déclara que j'étais at-
teinte d'une inflammation de la moelle épiuière.
En mai 1891, je dus prendre le lit et suivre un traite-
ment énergique, dont le résultat fut de me rendre capa-
ble de me traîner péniblement, eu m'appuyant sur des
béauilles.
Le 18 mars 1892, l'on me fit adopter des chaussures
ayant des talons de trois pouces d'épaisseur. Mais ces
talons ne servaient qu'à me tenir en équilibre et à
m'empêcher de tomber en arrière. C'est alors que le mé-
decin déclara que la maladie était sans remède, et que
je devais me résigner à demeurer infirme.
Quelle sombre perspective ! . . . A vingt-trois ans, se
voir réduite à l'inaction, aux ennuis d'une vie longue
peut-être, morne et monotone, entre les quatre murs de
l'infirmerie.
Pour éloigner ces sombres pensées et ranimer quelque
espoir de guérison, mes supérieures m'envoyèrent dans
une mission de la campagne, me faisant espérer que le
bon air raviverait mes forces. Je fus envoyée à la
mission de Mascouche, mais ce changement n'améliora
pas du tout mon état. Mes souffrances étaient parfois
si grandes que le médecin de l'endroit dut me prescrire
souvent des cantbarides pour me soulager.
En septembre 1895, j'eus une forte inspiration de sol-
298 APPENDICE
liciter ma guérison par l'entremise de notre vénérée
Mère Gamelin. Xoti'e Mère générale, eu m'encoura-
geant à le faire, me remit une relique de la chère Mère
fondatrice : c'était une petite croix, faite avec des fila-
ments de sa ceinture. Le 15 septembre, je commençai
donc une neuvaine avec le personnel de la mission de
Mascouche, pour la terminer le 23, quarante-quatrième
anniversaire de la mort de Mère Gamelin. Dès lors, je
me sentis animée d"une confiance si grande que ma gué-
rison me parut assurée. " Mère Gamelin, m'écriais-je
bien souvent dans la journée, vous, si remplie de com-
passion pour les plus misérables, ayez pitié de moi, gué-
rissez-moi ! Mon Dieu, glorifiez votre servante ! "
Le lundi, 23 septembre, dernier jour de ma neuvaine,
je fis la sainte communion, et, pour commémorer la dé-
votion spéciale de notre chère Mère fondatrice à Notre-
Dame des Sept-Douleurs, sept sœurs et sept élèves com-
munièrent à mon intention.
Après la communion, je me retirai à la sacristie, afin
de donner libre cours aux sentiments qui m'animaient
et de ne pas troubler l'assistance. J'ôtai mes chaussures
et en fis hommage à Mère Gamelin, en lui disant :
" Bonne Mère, prenez mes souliers comme cadeau de
fête. Vous ne pouvez me refuser, puisqu'un présent ne
se refuse pas." Après cette offrande, je terminai ma
neuvaine, répétant alternativement : " Mon Dieu, je ne
mérite pas un miracle ! Bonne Mère Gamelin. pourriez-
vous ne pas m'exaucer ? "
J'étais si anxieuse de ma guérison que j'essayai de me
lever au SanctJis, mais mes talons refusèrent de me por-
tei", et je dus me rasseoir. " C'est vrai, bonne Mère, mur-
murai-je en soupirant, j'ai devancé l'heure ; car je vous
ai demandé de me guérir à l'élévation." Au moment
de l'élévation, je sentis une pression si forte à l'occiput
que je faillis tomber. " Bonne Mère, m'écriai-je, émue
et tremblante, vous me guérissez ! Merci !" A cet ins-
tant, une transformation subite se fit sentir dans tout
APPENDICE 29&
mon être. Plus de souffrances, plus de raideur, mais
un bien-être que je ne puis définir.
Je me mis à genoux,— ce que je n'avais pu faire de-
puis mai 1S92— , puis je me levai et m'appuyai sans dif-
ficulté sur les talons ; en un mot, j'étais guérie...
La messe terminée, je fis appeler ma supérieure. Eu
la voyant, je me jetai à genoux et lui dit : " Ma sœur,
je suis guérie." Incontinent, l'on m'apporta des chaus-
sures ordinaires, et je me mis à marcher comme autre-
fois, au grand étonnement des soeurs et des élèves qui
avaient tant de fois soutenu et aidé mes pas. Depuis
ce jour, je marche bien, toute trace de maladie a disparu.
iSOEUR MARCIENNE,
Née Vaillancourt,
S. C. S. P.
Providence, Maison-mère,
Montréal, 21 octobre 1895.
CERTIFICAT.
Saint-Henri de Mascouche, 23 septembre 1895.
Je, soussigné, certifie que sœur Marcienne, religieuse
des Sœurs de charité de la Providence, atteinte d'une
inflammation de la moelle épinière, dans la partie cervi-
cale, ne pouvait être guérie que par miracle, les remèdes
ne pouvant êti-e d'aucun efïet dans l'état où elle se
trouvait.
Après une neuvaine faite à la Mère Gamelin, au
saint sacrifice de la messe, au moment de l'élévation,
elle se sentit subitement guérie et put se mettre à ge-
noux et marcher comme tout le monde, ce qu'elle n'a-
vait pu faire depuis près de cinq ans.
JOS. RENAUD, M. D.
300 APPENDICE
CERTIFICAT.
Je, Jacques-Augustin Leblanc, médecin, pratiquant à
Montréal, certifie avoir traité sœur Marcienne, reli-
gieuse de la communauté des Sœurs de la Providence,
pour ataxie locomotrice, pendant plusieurs années, de-
puis 1890.
Malgré tous les soins, la maladie ne put être vaincue.
Une légère amélioration lui permit de marcher difficile-
ment avec l'aide d'une chaussure spéciale. Depuis l'é-
poque susdite, la maladie est toujours restée dans le
même état. Je considérais la maladie incurable, lors-
que, le 23 septembre dernier, sœur Marcienne fut sou-
dainement et complètement guérie, au moment de l'élé-
vation, au dernier jour d'une neuvaine qu'elle faisait
à Mère Gamelin, pour obtenir sa guérisou.
Quelques jours après, j'étais appelé pour constater
cette guérisou, que je n'hésite pas à appeler miracu-
leuse. '
J. A. LEBLANC, M. D.
Montréal, 23 octobre 1S95.
AUTRE GUÉRISON.
Le 11 octobre 1895, Marie Philomène Alfreda. dou-
zième enfant de Ferdinand Trudel. maçon, et d'El-
mina Bernard, résidant en la paroisse de Saint- Vincent
de Paul, à Montréal, était radicalement guérie après
une neuvaine faite à la Mère Gamelin. Voici le fait.
Alfreda, âgée alors de neuf ans, se voyait, depuis
l'âge de six ans, atteinte d'une maladie des os, qui, avec
de grandes souffrances, la réduisit à garder le lit du-
rant une année entière. Ses parents, malgré la médio-
crité de leur fortune, n'épargnèrent rien pour ame-
ner sa guérisou. L'enfant fut donc examinée et trai-
tée par plusieurs spécialistes, qui tous s'accordèrent à
•déclarer le cas incurable. En 1894, l'enfant parvint à
APPENDICE 301
S'asseoir, mais eu se tenant courbée et appuyée sur les
coudes.
C-est en cette posture pénible que la pauvre petite
infirme se tenait sans cesse, n'ayant d'autre perspective
que celle de la souffrance et d'une infirmité qui sem-
blait devoir durer toute sa vie.
D'une intelligence plus développée que les enfants de
son âge, Alfreda comprenait bien le malheur de ^a
position. Elle avait neuf ans, et commençait à s'in-
quiéter de sa première communion. •' Je ne pourrai '"
disait-elle avec larmes à ses bons parents. " me rendre
n la balustrade comme les autres enfants."-'- Je t'y
porterai, ma fille," avait répondu le père ; et la chère
enfant, encouragée par ces paroles, reprit avec une
nouvelle ardeur l'étude du catéchisme, sous la direc-
tion des révérendes sœurs de la Congrégation de Noti-e-
Dame, Académie Sainte-Catherine, où on la conduisait
chaque jour dans une petite voiture, qui lui servait de
siège pendant le temps qu'elle demeurait en classe.
Un jour, c'était le 2 octobre 1895, une personne, tou-
chée de l'état pénible de la petite infirme, lui dit : "Mon
enfant, j'ai connu des personnes qui. comme toi, ne
marchaient pas et qui ont été guéries par l'intercession
de la bonne Mère Gamelin, après une neuvaine à Notre-
Dame des Sept-Douleurs. Je suis sûre que la Mère, qui
avait tant pitié des infirmes, te guérirait aussi." Al-
freda, toute rayonnante d'espoir, se rendit chez elle,
et le soir même la famille, réunie à l'enfant, commen-
çait la neuvaine de prières. La pauvre petite ne se
contentait pas des prières en commun, mais elle les
répétait plusieurs fois par jour en son particulier.
Le cinquième jour de la neuvaine, la petite malade
éprouva un mieux sensible et put se tenir debout. Son
père partait, ce jour-là, pour aller travailler à la Pointe-
aux-Trembles. " Quand vous reviendrez, lui dit Alfreda,
je marcherai et j'irai vous recevoir à la porte." Cette
parole se vérifia. Lorsqu'il revint, l'heureuse enfant
302 APPENDICE
alla au-devaut de son père : elle marcliait parfaitement
bien.
La joie de la famille ne peut s'exprimer, et la chère
Mère Gameliu reçut l'hommage d'une reconnaissance
justement méritée.
CERTIFICAT.
Nous, soussignés, certifions et déclarons par les pré-
sentes, que ce récit, établissant la guérison de notre en-
fant Alfreda, est en tout conforme à la vérité, et que
ces détails sont la fidèle expression du témoignage rendu
aux Sœurs de la Providence, maison mère.
En foi de quoi nous avons apposé nos signatures, à
Montréal, ce dixième jour de février mil huit cent
quatre-vingt-seize.
(Signé) FERDINAND TRUDEL.
ELMINA BERNARD.
AUTKE GUÉRISON
OBTENUE PAR L"IXTERCESSI0X DE LA MÈRE GAilELIN.
Depuis quinze ans, je souffrais d'une dyspepsie opi-
niâtre, qu'aucun remède n'avait pu soulager, et qui oc-
casionna divers désordres dans ma constitution. Je ne
pouvais plus prendre qu'un peu de lait ou de bouillon.
Depuis le 13 novembre 1895, la maladie s'aggrava : je
ne pouvais plus rien digérer ; la faiblesse fut si grande,
les doulei;rs au cœur si vives, que je fus obligée de
garder le lit. Le 11 décembre, j'étais si faible que le
médecin crut prudent de me faire administrer, disant
que, dans l'état où je me trouvais, je pouvais mourir
d'un moment à l'autre.
APPENDICE 303
Le jour que je reçus l'exti-ême-onction, je commençai
une neuvaine è, la bonne Mère Gameliu. La supérieure
me donna une petite relique de cette chère Mère, me
disant de lui demander ma guérison. C'était un mer-
credi. Les jours suivants, je me trouvai plus mal. Dans
la nuit du samedi au dimanche, les douleurs au cœur
furent si atroces que je ne pouvais trouver de position
pour me soulager un peu. Lasse de souffrances, je m'é-
criai : " Mère Gamelin, guérissez-moi, guérissez-moi !
Vous savez que c'est le jour où vous devez me guérir;
faites, s'il vous plaît, que je repose un peu !"
Il était minuit. Peu après je m'endormis et ne m'é-
veillai qu'à quatre heures du matin, parfaitement bien.
Je me levai pour la première messe, qui avait lieu à
51/è heures. Je communiai à la balustrade. Pendant
la messe, je ressentis une faim dévorante ; cependant
j'assistai à une seconde messe, qui se disait à GI/2 heures;
puis j'allai déjeuner, avec l'appétit d'une personne en
santé.— Le lendemain, je fis un assez long trajet en
voiture, sans aucune fatigue. Depuis ce jour, j'ai re-
pris mes occupations ordinaires sans éprouver un ins-
tant de maladie.
Reconnaissance à la vénérée Mère Gamelin.
En foi de quoi j'ai signé,
SOEUR ELMIRE GROLEAU,
Tertiaire.
Maison de la Providence,
Belo^l, 24 janvier 1896.
CERTIFICAT.
Belœil, 24 janvier 1896.
Je certifie avoir traité la sœur Groleau, tertiaire, pour
une dyspepsie rebelle à tout traitement, et avoir cons-
taté, à mon grand étouuemeut, un mieux sensible, après
30-1 APPENDICE
la communion faite à la fin de la neuvaiue pour sa gué-
rison, par l'intercession de la Révde Mère Gamelin,
fondatrice des Sœurs de la charité de la Providence,
de Montréal.
M. PERRAULT, M. D.
GUÉRISON
DE SŒUK ERNEST. NÉE ROSE-ANXA LAXCTOT, RELIGIEUSE
DE LA PROVIDENCE.
Admise au noviciat de la Providence le 28 février
1882, je me voyais, en septembre 1889, atteinte d'un
érésypèle d'une nature si grave, qu'après cinq jours de
maladie j'étais administrée.
Le mal put être contrôlé, mais je demeurai dans un
état de faiblesse et de langueur, avec de fréquents
maux do tête et des douleurs sans relâclie de la colonne
vertébrale.
Le 30 mars 1891, je reprenais le lit, que je gardai
constamment jusqu'au mois de novembre. Alors, je par-
vins à marclier avec des béquilles, que j'échangeais, eu
avril 1892, pour des chaussures à hauts talons (3 pouces).
Je passai deux ans à la mission de Joliette, puis je
retournai à l'Institution des Sourdes-Muettes où je pus
rendre quelques services à la pharmacie.
Au mois d"avril 1895, j'essuyais une forte bronchite,
qui me laissa tellement faible que je craignis d'avoir à
reprendre mes béquilles, tant j'avais peine à marcher.
Je passai un mois à l'infirmerie de la maison mère et
me remis un peu.
A cette époque eut lieu la retraite annuelle du novi-
ciat, que je suivis misérablement, n'ayant pu prendre
part à celle des professes. Cette retraite se termina le
21 novembre.
APPENDICE 305
Le lendemain, notre Mère Marie Godefroy, supérieure
générale, visitant les sœurs malades, me dit vivement :
" Sœur Ernest, il faut que vous guérissiez, pour aller à
rOrégon." Surprise de ce commandement, je ne trou-
vai aucune réponse, et me rendis à la chapelle. Lîi.
agenouillée et toute tremblante, je lis cette prière :
" Mou Dieu, vous voulez donc que je fasse le sacrifice
d'aller dans les missions lointaines." Et m'adressant à
Mère Gamelin. je lui dis : " Il faut, bonne Mère, que
vous me guérissiez; vous voyez l'extrême besoin de nos
sœurs de l'Orégou. Pourriez-vous me refuser, quand
c'est le désir de notre Mère générale. Si vous étiez en-
core sur la terre, n'aimeriez-vous pas que je vous
obéisse."
Cependant, j'éprouvais une grande répugnance à me
faire missionnaire, et je passai une partie de la nuit à
me demander s'il n'y aurait pas d'autres sacrifices qui
pourraient suppléer à celui que l'on me demandait.
Mais, hélas ! vain espoir ; les missions de l'Ouest me re-
venaient toujours en pensée. Alors songeant que je n'é-
tais qu'une pauvre orpheline, que la communauté avait
reçu gratuitement, je compris que je ne devais plus hési-
ter à lui rendre le service que réclamait en ce moment
l'obéissance. Dès lors mon parti fut pris, et le lende-
main matin j'allais m'offrir il notre Mère pour cette loin-
taine expédition. "C'est bien," me ïépondit notre Mère ;
"maintenant que votre sacrifice est fait, Mère Gamelin
va vous guérir. Faites une septaine de prières pour ob-
tenir cette faveur."
.Je repris donc mes prières accoutumées, car j'avais
déjà fait huit neuvaines à la. chère Mère fondatrice,
mais sans succès. Ces prièi-es consistaient à réciter
sept Ave Maria avec l'invocation personnelle " Mère
Gamelin, guérissez-moi." Le 29, dernier jour de la sep-
taine, j'entendis la sainte messe avec l'intime convic-
tion que j'allais être guérie. Pendant le saint sacrifice,
306 APPENDICE
je ressentis une douleur intense et inaccoutumée, qui se
répandit le long de la colonne vertébrale et générale-
ment par tout le corps.
A la communion du prêtre, succéda un bien-être
étrange. Toute douleur avait disparu et je réussis à
m'appuyer sur les talons. Il ne m'était plus permis
d'en douter, j'étais à ce moment guérie, et il me tardait
d'en donner des preuves évidentes.
Après la messe, rien de plus pressé que de me présen-
ter à la chambre de notre Mère générale, tenant dans
mes mains mes pauvres souliers à talons de trois pou-
ces d'épaisseur, et de lui dire avec une émotion impos-
sible à décrire : " Ma Mère, je suis guérie." La bonne
nouvelle fut bientôt répandue dans toute la maison, et
je me vis entourée, acclamée par nos chères sœurs, qui
pleuraient avec moi de joie et de reconnaissance pour
la nouvelle faveur accordée à la médiation de notre
bien aimée Mère fondatrice.
Oui, c'était bien vrai, mes pauvres talons reposaient
enfin, comme autrefois, sur le plancher. .Te pouvais
marcher librement et sans douleur. J'étais, en un mot,
rendue à la santé.
Eu foi de quoi j'ai signé la présente déclaration, ce
deuxième jour de mars, mil huit cent quatre-vingt-seize.
SOEUR ERNEST.
S. C. S. P.
CERTIFICAT DU MÉDECIN.
Je soussigné, médecin, certifie avoir traité sœur
Ernest, de l'Institut des Sœurs de charité de la Provi-
dence, pour une ataxie locomotrice, depuis le 30 mars
1S91 au mois de novembre 1895, et sans succès.
Je considérais la maladie incurable, et mon opinion
était formée depuis longtemps, lorsque, le 1er décembre
1895, je fus étonné de voir sœur Ernest marcliant comme
APPENDICE 307
ses compagnes. Sa giiérisoD, que je considère miracu-
leuse, avait eu lieu soudainement, le 29 novembre,
c'est-à-dire l'avant-veille.
J. A. LEBLANC. M. D.
Montréal, 28 .juillet 1896.
AUTRE FAVEUIÎ.
Une malade, femme d'un soldat, avait subi une opé-
ration avant de nous arriver, mais le médecin la trou-
vait si mal qu'il la fit transporter à noti'e hôpital et dit
à son mari qu'il l'opérerait de nouveau, quoique a\9ec
bien peu de chance de succès. Il n"y avait rien à ris-
quer, puisque, d'après l'opinion des médecins, elle ne
pouvait vivre longtemps dans l'état oîi elle se trouvait.
Au moment de son arrivée à l'hôpital, je venais de
l'ecevoir l'image photographiée de la Mère Gamelin.
J'eus l'inspiration de la placer dans la chambre de la
malade, que je savais être une irlandaise, fervente ca-
tholique. Après lui avoir communiqué les guérisons
attribuées à la puissante intervention, au ciel, de la
chère Mère fondatrice, je lui dis: "Ayez confiance, Ma-
dame, nous allons commencer une neuvaine à Notre-
Dame des Sept-Douleurs. et il faut que la Mère Game-
lin vous obtienne votre guérison; sans que vous recou-
riez à une nouvelle opération.
Notre confiance n'a pas été vaine. La malade ne tarda
pas à prendre un mieux sensible, et le docteur, étonné.
ne savait à quoi attribuer un aussi extraordinaire chan-
gement. A l'heure présente, la malade se porte bien et
ne peut assez remercier sa bienfaitrice.
Gloire et amour à la vénérée Mère Gamelin !
SOEUR BERNARDIN DE SIENNE.
Supérieure.
Hôpital Saint-Joseph.
308 APPENDICE
AUTRE GUÉRISOX.
Depuis ueul" aus, je souffrais d'un mal à la figure, que
les médecins avaient ainsi diagnostiqué : Cancer opi-
niâtre.— Très mauvais cas.
A cause des souffrances et des progrès du mal. je dus
subir deux fortes opérations ; après la dernière, les mé-
decins déclarèrent que si le mal reprenait, il n'y au-
rait plus de guérison possible. A peine cinq semaines
s'étaient écoulées depuis la dernière opération, que le
mal reparut avec plus d'intensité qu'auparavant. Rien
n'apportait de soulagement à mon état, les douleurs
étaient atroces.
Ayant entendu parler des faveurs obtenues par l'in-
tercession de Mère Gamelin. je commençai une neuvaine
il cette bonne Mère, avec toute la ferveur et la con-
fiance dont mon âme était capable. C'était le 18 avril
1896. Cette neuvaine consistait â dire, chaque jour, les
prières suivantes : le Suh Tuum, sept invocations à
Notre-Dame des Sept-Douleurs. et la supplique sui-
vante : " O Dieu Tout- Puissant, glorifiez votre servante
Mère Gamelin, et obtenez-nous la guérison que nous
sollicitons par son intercession.".
Pendant tout le temps de la neuvaine, je souffris plus
que je ne saurais l'exprimer. La plaie était hideuse à
voir, elle couvrait presque toute la joue. Le dernier
jour de la neuvaine, aucun signe de guérison ne se ma-
nifestait encore ; cependant, je ne perdais pas espoir.
Le soir, avant de me mettre au lit, j'ôtai tous mes ban-
dages, persuadée que la bonne Mère Gamelin allait me
guérir pendant la nuit. Ma confiance ne fut pas vaine.
Le lendemain, à mon lever, je vis avec des transports
de joie et de reconnaissance que ma plaie était cicatri-
sée et recouverte d'une petite peau mince. Je ne souf-
frais plus, j'étais radicalement guérie.
Depuis cette époque (6 mai ISBf)), je n'ai jamais senti
aucune atteinte du mal qui, depuis neuf ans, m'avait
causé tant de souffrances. Constamment employée aux
APPENDICE 309
travaux de la maisou. ma sauté est plus forte qu'aupa-
ravant. Il est vrai que cette cicatrice garde toujours,
plus ou moins, une couleur de meurtrissure, causée sans
doute par les applications violentes qui ont si souvent
été faites, mais plus encore, j'en ai la conviction, pour
attester la faveur extraordinaire dont j'ai été l'objet.
Gloire à Dieu, et reconnaissance à la vénérée Mère
Gamelin.
En foi de quoi j'ai signé la présente déclaration.
SOEUR JULIE BOUTIN.
Tertiaire des Servîtes de Marie.
IG décembre 1896.
TABLE DES MATIERES
PAGES.
HoiniAGE À Mgr Bruchési v
Lettre de Mgr Bruchési vi
Préface, par M. Tabbé Bourassa ix
DÉCLARATION DE L' AUTEUR XIX
VIE DE MERE GAMELIN
Fondatrice et première supérieure des Sœurs de la charité
de la Providence.
Chapitre I. — 1800-1815. — Enfance. — Charité pré-
coce. — Première éducation 1
Chapitre 11.-1815-1823. — Jeunesse de Mlle Taver-
nier. — Son caractère. — Son attachement à sa
famille. — Son amour des pauvres 10
Chapitre III. — 1823-1828. — Mariage de mère Ga-
melin. — Mort de ses enfants et de son mari. . . 20
312 TABLE DES MATIÈRES
PAGES.
Chapitre IV. — 1828-1835. — Veuvage de madame
Gameliu. — Commencement de l'œuvre de la
Providence. — La maison de la rue Saint-Laurent
et celle de la rue Saint-Pliilippe. — Diflîcultés et
épreuves ; secours providentiels. — Mgr Lar-
tisue. — Les dames auxiliaires. — Mlle Madeleine
Durand .* 2.5
Chapitre V.— 1S35-1S38. — La "Maison jaune."— Le
Séminaire confie à madame Gamelin la distri-
bution d'une partie de ses aumônes. — Troubles
politiques de 1837 et de 1838. — Visites ù la pri-
son. — Grave maladie de Madame Gameliu. —
Mort de Mur Lartigue 40
Chapitre VI.— 1838-1843. — Plusieurs évêques visi-
tent l'asile de madame Gameliu.— La première ,
messe est dite dans l'oratoire. — Témoignages de
sympathie des communautés de la ville. — Incor-
poration de l'asile. — Mgr Bourget et les filles
de Saint-Vincent de Paul 52
Chapitre VII.— 1S43-1S44. — Une lettre du R. P.
Timon. — Déception. — Foudation d'une nouvelle
communauté. — Les premières postulantes. — Les
sept chapelets de Notre-Dame de la Compas-
sion. — Prise de possession de l'asile. — Béné-
diction de la chapelle. — Voyage de Madame Ga-
melin aux Etats-Unis. — Son entrée eu religion.. 82
Chapitre ^'1II.— 1844-1845. — Le noviciat. — Visi-
te des pauvres et des malades.— Profession de nos
premières mères. — Mandemenr d'institution. —
Election des premières oflicières. — Foudation
de l'œuvre des orphelines et de celle des dames
pensionnaires ICG
TABLE DES MATlÈBES 313
PAGES.
Chapitre IX.— 1845-1846.— Agrandissement de l'a-
sile. — Mère Gamelin auprès des vieilles et des
malades. — Première visite canonique de Mgr
Boiirget. — Ses instructions sur les vertus de
l'état religieux 1.37
Chapitre X.— 1846.— Fondation de la mission de
la Longue-Pointe. — Mort subite de sœur Ma-
deleine. — Lettre de mère Gamelin. — Œuvre
des prêtres âgés et infirmes. — Fondation de la
mission de la Prairie de la Madeleine. — In-
cendie du village. — Pauvreté de l'bospice 159
Chapitre XI. — 1S46-1847. — Deuxième visite épis-
copale. — Vertus et dévotions de mère Game-
lin. — Son esprit d'abnégation et de sacrifice. —
Qualités de sa direction. — Sa sollicitude pour le
noviciat. — Ses épreuves intérieures 174
Chapitre XII.— 1847-1848. — L'immigration irlan-
daise et le typhus. — Les abris de la Pointe Saint-
Charles. — Les orphelins irlaudais et l'hospice
Saint-Jérôme Emilien. . .. ■ 212
Chapitre XIIL— 1848-1849. — Pèlerinage à Xotre-
Dame de Bonsecours. — L'œuvre des filles de
Sainte-Blandine. — L'école Saint- Jacques. — Fon-
dation de la mission de Sainte-Elisabeth. — Nos
écoles et nos pensionnats. — Les exercices du
Carnaval Sahctifié.— Le choléra et l'hôpital Saint-
Camille. — Mort de sœur Jean de Dieu et de sœur
Augustin. — Le tiers-ordre des Servîtes de
Marie. — Kose Grandpré 220
314 TABLE DES 3IAÏIÈRES
PAGES.
Chapitbe XIV.— 1S49-1850.— Zèle de mère Game-
liu pour la sanctification de sa communauté ;
sa confiance dans les supérieurs ecclésiastiques.—
Son hospitalité. — Second voyage aux Etats-
Unis. — Visite du père Bourladeau 241
Chapitre XV. — 1850-1851. — Dernière fondation de
mère Gameliu : les Sourdes-muettes. — Célébra-
tion du septième anniversaire de la première pro-
fession religieuse dans l'Institut.— Mgr Prince
nommé évêque de Saint-Hyacinthe. — Mère Ga-
melin visite les missions qu'elle a fondées. —
Elle préside pour la première fois le conseil de
la communauté. — Sa maladie et sa mort. . - . . 248
Appendice 1 269
Appendice II 294
TABLE DES GRAVURES
Porti'ait de mère Gamelin. fondatrice et première
supérieure des Sœurs de la charité de la Provi-
dence Frontispice
Portrait de mère Gamelin, à l'âge de 22 ans 20
Vue de l'hospice de la rue Saint-Laurent et de celui
de la rue Saint- Philippe 28
Portrait de M. Olivier Berthelet, bienfaiteur insigne
de notre institut 37
Portrait de Mgr Jean Jacques Lartigue, premier évê-
que de Montréal 52
Vue de la Maison jaune, berceau de notre institut,
et de l'asile de la Providence, en 1844 91
Portrait de Mgr Ignace Bourget, deuxième évêque
de Montréal 113
Vue de l'asile de la Providence en 1899 139
Portrait de Mgr Edouard Charles Fatre, troisième
évêque et premier archevêque de Montréal 221
Portrait de Mgr Jean Charles Prince, premier chape-
lain et premier supérieur de notre institut.
évêque de Saint-Hyacinthe 254
Vue de la maison mère actuelle, rue Fullum 267
Vue de l'hospice Gamelin, inauguré en 1894, à l'occa-
sion du premier cinquantenaire de la fondation de
l'institut 294
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Vie de mfere Gamelin
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