f£J
•■ dra»?*
**H j
j*m >
VILLEROY
SECRÉTAIRE D'ÉTAT ET MINISTRE
CHARLES IX. HENRI III ET HENRI IV
(1543-1610)
Villeroy
DU MÊME AUTEUR
Les Croquants du Limousin. Une insurrection paysanne en
1594. Tulle, Crauffon, 1906, in-8.
Un envoyé hollandais à la cour de Henri IV. — Lettres iné-
dites de François d'Aerssen à Jacques Valcke, trésorier
de Zélande (1599-1603). Paris, Honoré Champion, 1908.
Un volume in-8.
I.Ml'. DA11ANTIERI
BIBLIOTHÈQUE DE LA FONDATION THIERS
VILLEROY
SECRÉTAIRE D'ÉTAT ET MINISTRE
DE
CHARLES IX, HENRI III & HENRI IV
(154S-1610)
PAR
J. NOUAILLAC
Ancien élève de l'Ecole .Normale supérieure,
Docteur ès-lettres.
PARIS
Libkatiue Ancienne Honoré CHAMPION. Édîteim<
T5. quai Mnlaquais, 5
1909
A MON MAITRE GABRIEL MONOD
BIBLIOGRAPHIE
I. - LES OEUVRES DE VILLEROY
Les œuvres de Villeroy peuvent se distribuer
en 3 groupes : 1° les apologies ; 2° les discours,
avis, harangues et lettres-manifestes; 3° la corres-
pondance. Les apologies ont été entièrement pu-
bliées, ainsi que la plus grande partie des dis-
cours et autres petites œuvres : la plus grosse part
de la correspondance reste inédite.
l°Les Apologies.
La première, datée du 8 avril 1589, raconte
« les choses qui sont advenues » au ministre de-
puis le commencement de sa carrière politique
jusqu'au moment où il se retira auprès de
Mayenne, chef de la Ligue, après sa disgrâce. La
seconde, adressée à son ami Bellièvre, montre « la
peine qu'il a prise de faire la paix entre le Roi et
M, de Mayenne et sa continuelle poursuite à la
Vin BIBLIOGRAPHIE
pacification de nos misérables troubles ». C'est le
récil détaillé de sa conduite à la fin de la Ligue, de
1589 à 1594.
L'une ou l'autre ou toutes deux ensemble sont
contenues dans plusieurs manuscrits de l'ancien
fonds français, sous des titres différents. La plu-
part ont été copiées au xvne siècle et proviennent
des fonds Saint-Germain. Une autre copie se trouve
dans les Cinq-Cents Colbert. Ces manuscrits ne
diffèrent que par des erreurs de copistes faciles à
rectifier.
4806. (Recueil de copies de pièces concernant l'histoire
de France de 1589 à 1599 et contenant les 2 apologies.)
5170. « Apologie de M. N. de Neufville, contenant les
causes qui le contraignirent à se ranger an parti de la
Ligue où l'on peut voir comme en gros ce qui s'y est
passé. »
17292. « Apologie de M. de Villeroy. » (8 avril 1589.)
174G4 « Mémoires de M. de NeulVille-Villeroy, secrétaire
d'Etat, 1574-1617 » (lre apologie).
17465. « Mémoires d'Etat de M. de Neufville, seigneur
de Villeroy » (1574-1605). (Les 2 apologies) (1).
17466. « Mémoires de M. de Villeroy. » (Les 2 apologie-.)
17467. « Mémoires de M. de Neufville. » (Les 2 apolo-
gies.)
17468. « Lettres de M. de Villeroy à M. de Bellièvre et autres
écrits de l'un et de l'autre durant et sur les occasions des
troubles de la Ligue. <> (Les 2 apologies.)
17469. « Apologie de M. de Villeroy » (La 2e apologie).
(1) Le ms. 17465 (anc. Saint-Germain, 1550) contient un beau por-
traii de Villeroy8 gravé par Lasne en tète du volume.
BIBLI0GRA1
19586. « Apologie de M. de Villeroy contenant, etc. »
(Les 2 apologies.)
23331. « Apologie de M. de Neufville.
23342. >< Mémoirede M. de Neufville-Villeroy, contenant
les raisons qu'il a eues de se joindre à M. de Mayenne. »
La première, édition «les mémoires de Villeroy a
été donnée en 1 <>22, à Paris, par du Mesnil Basire,
avocat du roi en sa chambre des comptes de
Rouen. Elle a paru, en un volume in-4, sous le
titre de Mémoires servant à l'histoire de notre
temps par Messire Nicolas de Neufville, srir/neur
de Villeroy, conseille)' d'estat et secrétaire des
rois Charles IX, Henri III, Henri IV et de
Louis XIII à présent régnant, à Paris, chez P. Che-
valier. L'auteur, au moment où s'achevait cette
édition, publia une suite en 3 volumes in-8 aux
apologies, avec toute sorte de pièces curieuses
relatives à l'histoire du temps. Cette nouvelle édi-
tion fut publiée de 1623 à 1026. Le premier volume
était intitulé Mémoires d'Estat par M. de Ville-
roy, conseiller d'Estat, etc., les trois autres Mé-
moires d'Estat recueillis de divers manuscrits
ensuite de ceux de M. de Villeroy. Ils parurent à
Paris et à Sedan, jouxte lacopie imprimée à Paris.
Quelques années après, Dumesnil Bazire donna
au public une autre édition des mémoires de Vil-
leroy, en v ajoutant un grand nombre de pièces
empruntées aux recueils du temps (Paris, 1634-
1636, 4 vol. in-8). En KiC)."», parurent à Paris,
\ UIBUOGHAPHIE
chez la compagnie des libraires du Palais, 4 vo-
lumes de mémoires d'Estat, in-12.
Au début du xviuc siècle, on put lire les œuvres
de Villeroy dans deux éditions nouvelles d'Ams-
terdam, très incorrectes, et accompagnées de l'or-
dinaire pêle-mêle des pièces accessoires (Amster-
dam, 1723 et 172:i, 7 vol. in-12). Au xixe, les deux
apologies débarrassées de leur entourage de docu-
ments inutiles, ont été insérées dans les collec-
tions de mémoires qui ont vu le jour de 1806 à
1836:
Collection universelle des mémoires particuliers relatifs
à l'histoire de France... recueillis par Roucher, Perrin, etc.
et publiés par Duchesnay, Paris, 1806-1807, in-8, t. LXI-
LXII.
Collection complète des mémoires relatifs à l'histoire de
France, publiée par Petitot. Paris, 1819-1826, in-8, t.
XLIV.
Choix de chroniques et mémoires sur l'histoire de France
avec notices biographiques, par Buchon (Panthéon litté-
raire), Paris, 1836.
Nouvelle collection des mémoires relatifs à l'histoire de
France... par Michaud et Poujoulat, Paris, 1838, in-8, lre
série, t. XI.
Cette dernière édition, la plus soignée, est en-
core parfois incorrecte. C'est d'elle que nous nous
sommes servis, en la rapprochant de l'édition de
1622, et du mss. F. IV. 17466, qui nous a paru le
plus correct.
IBLICHJKAFMIIK
Petites œuvres. »
Nous grouperons sous ce titre quelques dis-
cours, harangues et avis, et des lettres écrites dans
de graves circonstances et destinées à une demi-
publicité, soit pour justifier le rôle du ministre,
soit pour exposer un programme politique. Elles
se retrouvent dans un grand nombre de manus-
crits. Une partie a été publiée dans les diverses
éditions des apologies.
« Discours sur la bataille donnée le 3 octobre 1569, proche
de Moncontour, Paris, Dallier, 1569.
Le même discours avec le siège de Saint-Jean-d'Angéli,
en 1569, Poitiers, 1621, in-12. — Ce discours est signé de
Neufville et nous est signalé par le P. Lelong, t. II, p. 254,
(n° 18.078) (1). Aucun indice certain ne nous autorise à ac-
cepter ou à combattre son authenticité.
Lettre de Villeroy au Roi de Navarre, 12 mai 1588, pour
l'exhorter à se faire catholique. (F. fr. 3426, 3430, 4028,
4743, 17359, Brienne 291, F. Dup. 3, Nouv. acq. fr. 7260,
Bibl. Arsenal 5427.) Elle a été publiée pour la première fois
dans le Recueil de plusieurs harangues, Remonstrances, dis-
cours et advis d'affaires d' Estât, par Jean de Lannel, Paris,
1622.
Avis de Villeroy au duc de Mayenne (décembre 1589).
(F. fr. 4743, 4806, 17468). Il a été publié dans presque tous
les recueils de Mémoires d'estat de Villeroy depuis 1622.
« Discours sur la bataille d'Ivry, le 14 mars 1590, fait par
M. de Neufville, sieur de Villeroy .» D'après le P. Lelong,
t II, p. 334, n° 19239, « ce discours est cité àlap.474duca-
(1) Bibliothèque historique de la France, revue et complétée par
Fevret de Fontette, 1768-1778, 5 vol. in-fol.
XII WBUOGRAPHIE
talogue de la bibliothèque de M. de Thou. » Nous n'avons
trouvé aucun documenl qui nous permette d'attribuer sû-
rement cel ouvrage à Villeroy.
« Harangue faite par M. Villeroy pour être prononcée
en l'assemblée des prétendus Etats de Paris en 1593. »
(F. IV. 4743, 4806, 17478, 17874.)
Lettre de Villeroy au duc de Mayenne, du 2 janvier 1594,
appelée souvent « RemonstrancesfaitesaM.de Mayenne »
(F. IV. 474:;. 1806, F. Dup. 770). Cette lettre, ainsi que la
harangue, et l'avis cité plus haut, a été presque toujours
jointe aux deux apologie-.
Lettre de Villeroy à du Vair « sur le sujet d'un livre inti-
tulé la Satire Ménippée ». 10 août 1594 (F. fr. 4028, 17359,
17466, Nouv. acq. IV. 7260, F. Dup. 3, Bibl. Arsenal 5427).
Elle a été publiée par Sapey, Etudes biographiques pour
servir à l'histoire de l'ancienne magistrature française,
Paris, 1858, in-8, p. 429 et suiv. (Cette lettre est suivie de
la réponse de du Vair, p. 457 et suiv.)
Mémoire sur la guerre d'Espagne (1595-1598) placé en
tète du registre des dépêches de Villeroy, F. fr. 3456,
publié parPoirson dans le petit recueil intitulé Mémoires de
Villeroy et de Sancy, documents divers. ..Paris, 1863, in-8.
Manifeste de Villeroy « sur l'évasion de l'Hoste, son com-
mis », 3 mai 1604 (F. IV. 17465). Il a été publié presque
partout dans les pièces diverses à la suite des apologies,
bien qu'il n'ait aucun rapport avec les événements de la
Ligue.
« Discours de Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy,
sur le rang et séance qui s'observe entre les grands, au
jour des cérémonies. » Le P. Lelong signale le mss. delà
bibliothèque du Roi sans indiquer son exacte provenance.
Il a été imprimé dans les Curiosités historiques, Amster-
dam, 1759, in-12(l).
(l)On attribue à Villeroy un « Discours de la vraie et légitime consti-
BIBLIOGRAPHIE XIII
Lettre de Villeroy à Isaac Casaubon, 1er décembre 1611.
(F. IV. 4028, 17359, nouv. acq. fr. 5130, F. Dup. 3, Bibl.
Arsenal, 5427.) Elle n'a pas été publiée.
« Lettre concernant les écrits sur l'autorité temporelle
des papes » adressée à un ami de Rome (F. IV. 4028, 4785,
17334, nouv. acq. IV. 7260, F. Dup. 3, Bibl. Arsenal 5427).
Elle a été publiée par Perrens, VEgliseet VEtat sous Henri
IV, Paris, 1872, in-8, t. II, p. 10-12.
Avisa la Reine-Mère, 1611 (Cinq-Cents Colbert, 19).
Avis à la Reine-Mère, sur la demande de Quillebœuf faite
par M. le comte de Soissons, 10 octobre 1612. (F. fr. 4028,
17334, 17359, nouv. acq. fr. 7260, F. Dup. 3, Bibl. Arsenal
5427).
Avis à la Reine-Mère sur les différends de Mantoue, 8
novembre 1613 (mêmes sources manuscrites).
Avis à la Reine-Mère sur la paix, 10 mars 1614 (mêmes
sources, plus une copie conservée dans le F. IV. 18141).
Ces quatre avis écrits par Villeroy sous la régence sont
restés inédits. Xous avons commencé leur publication.
L'avis de 1614 a paru dans la Revue Henri IV, Paris, 1008,
t. II, n° 2, avril-mai, p. 79 et suiv. L'avis de 1613 paraîtra
prochainement dans la Revue Historique.
3° La correspondance.
Villeroy a écrit, durant sa très longue carrière,
un nombre considérable de lettres aux rois, ses
maîtres, aux grands personnages du royaume, aux
tution de l'Etat » qui a été publié à Paris, chez Samuel Thiboust,
en 1623, in-8, dans le premier des 3 volumes de mémoires qui l'ont
suite aux apologies. Il est reproduit dans l'édition de 1665, in-12.
Poirson le date soil de 1601, soi! de Pin;. Xi 1,. style, ni les idées ne
semblent appartenir à Villeroy.
XIV BIBLIOGRAPHIE
ministres, ses collègues, aux ambassadeurs du
roi, ses surbordonnés, avec lesquels il correspon-
dit régulièrement, quand Henri IV en 1594, eut
l'ait, de lui le principal directeur de ses affaires à
l'extérieur. Ces correspondances se trouvent à la
Bibliothèque Nationale. Une petite partie a été
mise au jour dans le courant du xvne siècle. Mais
ce genre de publication fourmille le plus souvent
d'incorrections. Les erreurs de date y sont innom-
brables et le nombre des lettres importantes ou-
bliées clans les manuscrits est très grand. Nous
n'avons point la prétention défaire unerecension
complète de ces lettres. Nous indiquerons seule-
ment les principaux recueils où nous avons pui-
se (1).
Lettres à Henri III. — F. fr. 3383 (9 lettres de l'an 1582) ;
Lettres à Henri IV, — F. fr. 4028 (une trentaine de 1598 à
1608).
Lettres au connétable de Montmorency. — F. fr. 3565,
3568, 3572, 3579, 3580-81, 3599-3606 ; —au duc de Nevers,
F. fr. 3372, 3976, 3992-3994, la plupart écrites sous le règne
d'Henri IV à partir de l'an 1595 ; — au duc de Nemours,
F. fr. 3650-3654 (années 1608-1610) ; — au cardinal de
Joyeuse, nouv. acq. fr. 2750.
Lettres à Sully : on les trouve insérées dans les Economies
royales, à partir du chapitre LXXVI (éd. Michaud, t. I, p.
256) ; les premières sont datées de 1597, les plus nom-
breuses sont de l'année 1604.
(i) Nous ne signalons poinl les lettres qui sont isolées dans les re-
cueils. Nous les indiquons dans le cours du livre.
BIBLIOGRAPHIE XV
Lettres au maréchal de Matignon, F. IV. 3351, 3354.
Un certain nombre de ces lettres ont été publiées : Lettres
de N. de Neuf ville, seigneur de Villeroy, ministre et secré-
taire d'Etat, écrites à Jacques de Matignon, maréchal de
France, depuis Vannée 1581 jusqu'en l'année 1596, Montô-
limart, 1749, in- 12.
Lettres à Bellièvre. — Elles se trouvent en grande quan-
tité dans les Papiers de Bellièvre, F. fr. 15890-15911, à
partir du n° 15903. (Les plus intéressantes, écrites de 1588
à 1592. sont contenues dans le n° 15909.) Elles sont inédites,
à l'exception de deux d'entre elles, écrites en 1594 : la pre-
mière, sans date précise, a été insérée dans le t. I des Mé-
moires d'Estal faisant suite à ceux de M. de Villeroy, chez
S. Thiboult, Paris, 1623, in-8, p. '299-310, et dans le t. III
de l'édition d'Amsterdam, 1725, in 12, p. 203-213. La se-
conde, du 17 mars 1594, est dans l'édition de Sedan, de
1622, et a été reproduite par Petitot, et par Michaud
(p. 255).
Lettres à Duplessis-Mornay et à M. de Fleury, beau-
frère de Villeroy. — Elles sont insérées dans les Mémoires
et correspondance de Duplessis-Mornay, Paris, 1824-25,
12 vol. in-8, et sont assez nombreuses pour la période 1592-
1596, t. V, p. 236 et suiv.
Lettres à de Thou et Schomberg. — Un petit nombre
écrites en 1596 et 1597 sont renfermées dans le F. fr. 4047.
Lettres aux ambassadeurs et représentants du roi à l'é-
tranger. — L'ancien fonds français contient une grande
partie de cette correspondance. Les lettres écrites par
Villeroy à Jeannin, durant les négociations pour la trêve
des Pays-Bas (avril 1607-mai 1609), F. fr. 3516-3521, ont
été publiées dans le Panthéon littéraire, Négociations diplo-
matiques et politiques du président Jeannin, et dans la col-
lection Michaud, Négociations du président Jeannin. Vu
certain nombre de lettres envoyées à La Boderie, ambas-
XVI BIBLIOGRAPHIE
sadeur de France en Angleterre (1606-1611), ont été pu-
bliées sous le titre de Lettres de Henry 17, roi de France
et de Navarre et de MM. de Villeroy et de Puisieuxà M. An-
toine Le Fèvre de la Boderie... Amsterdam, 1733, 2 vol.in-8.
Les autres correspondances soûl manuscrites. Les princi-
pales sont : les lettres à Béthune, ambassadeur à Rome
(1601-1605), F. fr. 3487-3488, les lettres à Boissise, ambas-
sadeur à Londres (1598-1601), F. fr. 4128, les lettres à
Beaumont, successeur de Boissise (1602-1605), F. IV. 3499-
3513, les lettres à La Rochepot, ambassadeur en Fspagne
en 1600, F. fr. 16137, les lettres à J. Bongars envoyé du
roi en Allemagne. F. IV. 7126, et à Villiers-Holmann, rési-
dent a Glèvcs (1610), F. fr. 4030.
IL — LES DOCUMENTS ANCIENS BELATIFS
A L'HISTOIRE DE VILLEROY
1" Lettres ou écrits adressés à Villeroy.
C'est l'une des sources les plus importantes de
son histoire. Les lettres de ses souverains, de ses
amis, les réponses des ambassadeurs du roi nous
font connaître la vie privée, la pensée et la politique
du ministre. Presque toutes sont inédites. Nous
ne pouvons songer à l'aire ici un dépouillement
complet de cette correspondance. Une partie des
recueils du Fonds français énumérés plus haut,
contient les réponses des ambassadeurs et autres
correspondants du ministre. Certains autres fonds
possèdenl de nombreuses lettres de divers person-
nages confusément assemblées; telle la collection
BIBLIOGRAPHIE
Godefroy, à la Bibliothèque de l'Institut, ncS 258
à 2G6 (Lettres de Bellièvre, Gheverny, T'assis, Né-
restang-, de Vie, Sillery, Jeannin, etc.) ; tel le
Fonds Dupuy, nos 46, 88, 89, 212. On trouve des
lettres de Sully dans les Economies Royales, des
lettres de d'Ossat dans les Lettres du cardinal
d'Ossat (avec des notes d'Amelot de la Houssaye),
Amsterdam, 1732, 5 vol. in-12 ; des lettres du cardi-
nal Du Perron dans les Ambassades et négociations
de V illustre et révérend cardinal du Perron, Paris,
1(322, 3 vol. in-fol. ; des lettres de Catherine de
Médicis dans la grande édition de la correspon-
dance de cette reine publiée par H. de la Ferrière
dans la Collection des documents inédits.
Parmi les documents manuscrits signalons deux
correspondances d'un intérêt particulier : les
lettres d'Henri III et ses billets sans date copiés à
la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg- (nouv. acq.
fr. 1243-1250) et les lettres de Bellièvre contenues
dans les Papiers du chancelier (F. fr. 15890-
15911).
2° Etudes biographiques.
Aucune biographie de notre personnage n'a été
écrite au xvir3 siècle. On ne trouve qu'une brève et
vague notice dans le Mémoire de rétablissement des
secrétaires d'Etat, avec la suite des secrétaires d Es-
tât... F. fr. 4591. P. Matthieu, historiographe
d'Henri IV et ami de Villeroy, a écrit après la mort
Villeroy. n
XVIII BIBLIOGRAPHIE
du ministre quelques pages pleines de détails cu-
rieux sur sa vie privée, ses vertus, ses talents, les
services rendus à son pays. Ce sont les Remarques
d'Estatet cV histoire sur la vie et les services de
Monsieur de Villeroy, Lyon, 1618, in-8 (1). A coté
de ces Remarques, plaçons une Oraison funèbre
sur le trespas de M. de Villeroy faite et récitée à
Lyon, le 2e jour de la présente année 1618, par
le P. Pierre Coton de la Compagnie de Jésus, qui
était un ami du défunt (Paris, 1618, in-8) (2).
3° Mémoires des contemporains et correspondances
des ambassadeurs étrangers.
Presque tous les mémoires des contemporains
sont à consulter. Ceux qui nous parlent le plus
abondamment de Villeroy sont l'Estoile et Sully.
Certains nous font connaîtreplus particulièrement
son rôle sous la Régence de Marie de Médicis
(d'Estrées, Fontenay-Mareuil, Pontchartrain, Ri-
chelieu). Voici la liste de ces auteurs :
L'Estoile, Mémoires-Journaux, éd. Brunet et collabo-
rateurs, Paris, 1875-1883, 11 vol. in-8 (3).
(1) Ils ont été réimprimés par Cimber et Daujou, dans les Archives
curieuses de l'histoire de France, Paris, 1834-1840, t. IV.
(2) Nous avons trois autres oraisons ou discours funèbres de Villeroy.
qui sont insignifiantes comme sourcr de documentation: Discours fu-
nèbre sur la vie et trespas de M de Villeroy, Paris, 1617, in-8, Discours
funèbre sur la mort de feu M. de Villeroy, par Pelletier, Rouen, 1017,
in-8, Oratio in funere elarissimi riri D.Nic. a Novavilla, Rom;e,1618.
(3) Nous nous sommes servi le plus souvent de cette édition. Nous
avons dû parfois recourir à l'édition Michaudet Poujoulat, car l'édition
de luxe donnée par Brunet est coûteuse et assez difficile à trouver dans
les bibliothèques.
BIBLIOGRAPHIE MX
Sully, Mémoires des sages et royales Economies d'Eslat,
éd. Michaud, 2e série, t. II et III.
Mémoires de Ph. Hurault, comte de Cheverny, éd. Mi-
chaud, l1"' série, t. X.
Mémoires de De Thou, éd. Michaud, lre série, t. XI.
Bassompierre, Journal de ma vie, publié pour la Soc.
de rHist. de France par le marquis de Ghanterac, Paris,
1870, 4 vol. in-8.
Pontchartraiu, Mémoires concernant les affaires de
France sous la régence de la reine Marie de Médicis... Ed.
Michaud, 2e série, t. V.
D'Estrées, Mémoires de la régence de Marie de Médicis,
Ibid.,L VI.
Fontenay-Mareuil, Mémoires, Ibid., t. V.
De Rohan, Mémoires, lbid., t. V.
Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Michaud, 2e série,
t. VII.
Les relations et dépêches des ambassadeurs et
envoyés étrangers sont parmi les sources les plus
précieuses pour l'histoire de notre personnage.
Ennuierons ces documents manuscrits ou impri-
més d'après les pays de leurs auteurs.
Sources italiennes. — Alberi, Le relazioni degli ambas-
ciatori veneti al Senato nel secolo xvi, t. XV, 1862, in-8 ; Ba-
rozzi et Berchet, Relazioni degli Stati europei lette al Se-
nato dagli ambasciatori veneti nel secolo xvn, t. I, Fran-
cia, 1857. in-8. — Copies des dépêches des ambassadeurs vé-
niliens,Bibl. nat. Fonds Italien, 1723-1 728 (Règne deCharles
IX», 1728-1737 (Règne de Henri 111). 1737-1761 (Règne de
Henri IV). Négociations diplomatiques de la France avec la
Toscane, documents recueillis par Canestrini et publiés par
Desjardins, 185U-1875, in-l'ob, t. IV et V. — Copies des dépê-
BIBLIOGRAPHIE
ches du nonce Ubaldini, Bibl. Nat. F. Ital. 30-38 (années
1608-1609). — Lettres des nonces Morosini et Gaetano, du
cardinal Sega, du cardinal Aldobrandini, des nonces Silin-
gardi, Bufalo, Barberini, etc. Archivio Segreto du Vatican,
dans le fonds des Nunziature, nos 20 à 54.
Sources espagnoles. — Archives nationales, Papiers de
Simancas : K. 1563-1613 (Ambassade de Mendoza, années
1589-1590, correspondance des agents espagnols pendant
la Ligue, ambassades de J.-B. de Tassis et deD. Balthasar
de Çuniga, années 1598-1606, documents divers concernant
les négociations entre la France et l'Espagne de 1607 à 1620).
Sources flamandes. — Archives royales de Bruxelles,
Papiers d'Etat et de l'Audience, n° 421, Négociations de
France, n° 3 ; Correspondance de Pecquius, 1602-1608. —
Duc d'Aumale, Histoire des princes de Condé, Paris, 1889,
t, II, appendice, correspondance de Pecquius (1610).
Sources hollandaises. — Archives royales de la Haye,
« Archieven van Holland » (Papiers du grand pensionnaire
Oldenbarnevelt), n° 2632. « Legatie Archief », Frankrijk,
610-751. Un certain nombre de lettres de F. d'Aerssen, agent
des Etats des Provinces-Unies en France ont été publiées
dans les recueils de Deventer, Gedenkstukken vanl. van
Oldenbarnevelt, La Haye, 1865, 3 vol. in-8, de M. Piller,
Briefe und Acten zur geschichte des Dreissigjuhrigen Krie-
ges, Mûnchen, 1874, in 8°, t. II (Die Union undHeinrich IV),
et de J. Nouaillac, Un envoyé hollandais à la cour de
Henri IV. Lettres inédites de François d'Aerssen à Jacques
Valcke (1599-1003), Paris, 1908, in-8.
Sources anglaises. — Memorials ofaffairsof state in the
reigns of Q. Elisabeth and K. James I... from the original
papers ofsir Ralph Winwood, Londres, 1725, 3 vol. in -fol.
—A relation of the state of France... bgsir G. Careiv, publié
dans An historical view of the negotiations between the
courts of England, France and Brussels from the year 1592
to 1611, par Th. Birch, Londres, 1749.
BIBLIOGRAPHIE
4° Histoires générales.
Les histoires générales ne contiennent pas beau-
coup de renseignements sur Villeroy. Il convient
néanmoins de consulter YHi.rtoire universelle de
d'Aubigné, éd. de Ruble, Paris, 1891, 9 vol. in-8,
{'Histoire universelle de De Thou, éd. franc.,
Amsterdam, 1734 (1589-1598), 16 vol. in-4, la
Chronologie novenaire et la Chronologie septé-
naire de Palma-Cayet (1598-1604), éd. Michaud,
lre série, t. XII, \ Histoire des derniers troubles,
de P. Matthieu (Lyon, 1597) etVHistoire de Henri
IV, du même auteur, Paris, 1631. Il faut ajouter
à cette liste deux ouvrages importants, publiés
dans le courant du xvne siècle, YHistoria délie
guerre civili de Francia de Davila, Venise, 1630-
1636, in-4, trad. franc, en 1642) et les Memorie re-
condite de V. Siri, 1676, in-4, t. I et II. On
trouvera enfin d'intéressants détails sur l'origine
et les progrès de la charge remplie par Villeroy
dans Fauvelet du Toc, Histoire des secrétaires
d'Etat, contenant l'origine, le progrès et rétablis-
sement de leurs charges, avec les éloges, les armes,
blasons et généalogies de tous ceux qui les ont
possédées jusqu'à présent, Paris, 1668, in-4.
BIBLIOGRAPHIE
III. -LES OUVRAGES CONTEMPORAINS
Aucune étude spéciale n'a été consacrée à Ville-
roy. Nous n'avons à signaler qu'une très courte
notice de Potiquet dans une brochure sur Les Sei-
gneurs de la ville de Magny-en-Veocin, Magny,
1877, 75 p. in-8 (1). La personne de Villeroy n'a
attiré l'attention d'aucun historien du xixe siècle.
Mais la plupart de ceux qui ont écrit sur l'époque
de Charles IX, d'Henri III, d'Henri IV et de
Louis XIII jeune, doivent être consultés, car Vil-
leroy, qui a servi sous ces quatre rois, a pris part
aux principaux événements de son temps. On
trouvera en particulier des renseignements sur les
actes politiques de sa vie dans les historiens de
la Ligue, de la politique extérieure d'Henri IV, et
de la régence de Marie de Médicis. 11 faudrait ici
presque tout citer et dresser la listedes principaux
ouvrages qui traitent de l'histoire de France du-
rant la seconde moitié du xvie siècle et les vingt
premières années du xvn°. On nous excusera si
nous renvoyons le lecteur aux différents chapitres
de ce livre. Qu'on nous permettedeciter une biblio-
graphie du règne de Henri IV que nous avons pu-
bliée dans la Reçue d'histoire moderne et contem-
(]) Notons aussi, pour être complet, quelques pages dans Feuilloley,
Notice sur le canton de Magny-en-Vexin, L884, in-8 et une notice de
slyle oratoire el de documentation assez vague publiée par Vingtrinier,
Le dernier des Villeroy et sa famille, Lyon, 1888, in-8.
BIBLIOGRAPHIE XXIII
poraine, 1907-1908, t. XI, p. 104-123, 348-303.
Le Règne de Henri IV (1589-1610), sources, tra-
vaux et questions à traite)'. On trouvera l'énumé-
ration des ouvrages relatifs aux autres règnes dans
la Bibliographie de V Histoire de France de G.
Monod et dans l'excellente histoire de La Réfor-
me et la Ligue, Henri IV et Louis XIII, publiée
par. J. Mariéjol (E. Lavisse, Histoire de France,
l. VI, 1904-1905, 2 vol. in-8).
J. NOUAILLAC.
PREMIERE PARTIE
LES DÉBUTS. — LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX
CHAPITRE UNIQUE
La famille: les marchands de marée, les officiers de finances. —
II. Première jeunesse. Instruction. Villeroy, secrétaire des
finances (1559). Mariage (1561). Vie de bureau. — III. Villeroy,
secrétaire d'Etat (1567). Apprentissage politique. Ses deux maî-
tres, Jean de Morvilliers et Sébastien de l'Aubespine. — IV.
Villeroy, la Reine-Mère, Charles IX Villeroy à la Cour. Ma-
dame de Villeroy. Villeroy et Ronsard. — V. Rôle politique :
la mission de Languedoc et l'affaire Damville.
Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, qui fut secré-
taire d'Etat et ministre des rois Charles IX, Henri III,
Henri IV et Louis XIII, et l'un des plus remarquables
hommes d'Etat de la monarchie française, sortait d'une
famille de marchands de marée anoblis par les charges
publiques.
Le plus ancien que nous connaissions est Richard de
Neufville, vendeur de poisson de mer es halles de Paris, un
Dieppois qui s'établit dans la capitale et y épousa la fille
Villeroy 1
d'un bourgeois, Simonne de Gisors. Il mourut le 18 février
1401, et fut enterré au cimetière des Innocents, où son épi-
taphe se lisait encore en 1645 (1). Son fds Nicolas fit comme
lui le commerce de la marée. En 1419, il était qualifié de
marchand bourgeois de Paris. Il fut receveur pour le roi
des aides et du taillon en l'élection de Paris, puis maître
d'hôtel de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Nous le
trouvons échevin de la ville en 1429, en 1436 et en 1412.
D'après une ordonnance de Charles V, cette fonction con-
férait la noblesse transmissible. Il avait épousé Catherine
Le Gras, en 1447. Il mourut le 4 août 1471. Il eut pour fils
Simon de Neuf ville .qui vendit aussi du poisson et fut élu
échevin en 1479 et en 1481, puis conseiller de la ville en l'an
1500. Le frère de Simon, Nicolas, fut marchand de poisson
de mer (2). Sa sœur Jeanne épousa « honorable homme »
Laurent de Larche, bourgeois de Paris, et fut mère de
Henri de Larche, notaire au Châtelet de Paris, l'an 1520.
Voilà ce que nous savons des trois premiers Neufville et
de leur famille d'après les Registres du Châtelet, que dé-
pouillèrent d'Hozier et d'autres généalogistes (3). Les bio-
graphies officielles et les dictionnaires de la noblesse font
(1) Voir F. fr. 8217, f° 570. — Ces renseignements sur les trois
premiers Neufville nous sont fournis par quelques rares pièces et des
notes de d'Hozier et d'autres généalogistes conservées dans les Pièces
originales, nos 2100, 2101, 2102 et dans les Dossiers Bleus, n" 48).
D'Hozier a rédigé en 1707 des mémoires sur les ducs el pairs, pour le
roi ei pour-Mme deMaintenon (Mss Clairambault, n° 71'J). L'extrait con-
cernant les Neufville-Villeroy a été publié par Boislisle dans son édition
des Mémoires de Saint-Simon, in-So 1888, t. VI, pp. 500-599 (append.
XXI II.
(2) Pièces orig. 2102. Voir aux dossiers bleus, n» 487, fo 13 et sui-
vants, les extraits des registres des audiences du Châtelet de Paris de
l'an 1467 à l'an 1500 où l'on relève les noms de Neufville.
(3) Mentionnons en passant un Nicolas de Neufville, clerc île la cui-
sine de Philippe le Long, employé en cette qualité dans une ordon-
pour la maison d< prince faite à Loris en Gàtinais le 17 no-
vembre 1317. On ne sait comment rattacher à lui les Neufville connus.
On ne sait môme pas s'il est un de leurs ascendants (Voir Pièces orig.
21(12, p. 50).
LES DEBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX à
le silence sur cette origine roturière (1). Villeroy n'en a
jamais dit un mot, à notre connaissance, et il est curieux de
constater qu'aucun de ses contemporains, pas même Sully,
son ennemi, ne fait la moindre allusion au métier de Richard,
de Simon et de Nicolas. Cependant, on connaissait une
partie de cette modeste histoire, carl'Estoile, en notant dans
son journal la mort du père de Villeroy advenue en 1598,
ajoutait : « Son grand-père, selon le bruit commun, était
vendeur de marée (2). »
De tels souvenirs ne pouvaient que devenir de plus en
plus désagréables à mesure que grandissait la famille. Saint-
Simon raconte le « trait cruel » qu'un perfide ami, le duc
de Gesvres, fit en 1699 au maréchal de Villeroy, l'arrière-
petit-filsdu ministre d'Henri IV. Impatienté des grands airs
du maréchal qui se pavanait derrière le fauteuil du roi, il
lui rappela, sur un ton de charmant persiflage, que tous
deux devaient s'estimer bien heureux; les Villeroy et les
Gesvres avaient accumulé des charges, des gouvernements,
des dignités, des biens sans nombre et leurs pères étaient
des secrétaires d'Etat. « Arrêtons-nous là, monsieur le
Maréchal, s'écria-t-il, n'allons pas plus loin ; car qui étaient
leurs pères à ces deux secrétaires d'Etat ? De petits commis,
et commis eux-mêmes; et de qui venaient-ils? Le vôtre
d'un vendeur de marée aux halles, et le mien d'un porte-
balle, et peut-être de pis... » Saint-Simon ajoute que le ma-
réchal « eût voulu être mort, beaucoup mieux encore l'étran-
gler » (3). L'orgueil des Villeroy ne subit pas une moins
rude épreuve quand parut, sous la Régence, le fameux pam-
(1) Le père Anselme n'a pas établi la généalogie des premiers Neuf-
ville. On ne la trouve que dans les ouvrages plus récents, dansLaisnë,
Dictionnaire véridiqw tien //taisons nobles ou anoblies, 1819, t. II, p.
272 et dans Courcelles, Histoire généalogique des pairs de France,
1825, t. V.
(2) L'Estoile, VII, loi.
(3) Mémoires de Saint-Simon, éd. Boislisle, VI, 413-415.
4 VILLEROY
phlet du président de Novion : « Requête anonyme de
MM. <lu parlementa S.A. R. M. le duc d'Orléans, régent, au
sujet des prétentions des ducs » (1). L'origine marchande
des Neufville y était étalée sans ménagement, et on y fai-
sait remarquer que « la morgue du maréchal de Villeroy a
de la peine à s'accommoder d'une si basse extraction ». Il
est vrai que, par compensation, les flatteurs rattachaient
cette famille à l'ancienne maison des De Neufville d'Angle-
terre (2).
Celui des Neufville qu'on désigne comme « premier du
nom » est Nicolas, le fils du marchand et échevin Simon
et le chef de cette lignée de secrétaires du roi, les seuls
qu'avouaient les ducs et pairs, en amplifiant un peu leur
rôle. Car, disait ironiquement un triolet de l'an 1695,
De père en fils les Villeroys
Ont tous été des gens de plume ;
Ils n'ont point eu d'autres emplois,
De père en fils les Villeroys 'v3).
Nicolas de Neufville, seigneur de l'Equipée, des Tuileries
et de Chanteloup, en 1500, était en 150(5 receveur des aides
et tailles à Beauvais, en 1507, notaire et secrétaire du roi.
En janvier 1515, il reçut une commission de secrétaire des
finances du roi François Ier qui lui octroya, quelques jours
après, « en récompense des bons et agréables services
qu'il en avait reçus avant son avènement à la couronne», les
droits de bourse dus à S. M. dans toutes les chancelleries de
France. Trois ans après, il était pourvu de l'office d'audien-
(1) Lîibl. de l'Arsenal, recueil de pièces curieuses de 1715 à 1733,
Cette requêleaété imprimée dans la Reçue rétrospective, 2e série, t. VI,
98-112.
(2) Voir une de ces généalogies dans les pièces orig., 2102, p. 66.
(3) Voir I'. Fr. L2691, fo 605. Publié dans l'édition Boislisle, t. VI,
p. 414, n.
LES DÉBUTS — LE SECRETAIRE DE CHAULES IX O
cier de France. En 1524, il était trésorier de France et général
des finances. Le 6 janvier 1539, il résigna son office de secré-
taire du roi à son fils Nicolas et mourut en 154(.), étant con-
seiller au conseil privé. Il avait épousé Geneviève le Gendre,
fille de Jean le Gendre, qui s'était enrichi comme son père
dans le commerce des vins et des draps avant d'être tréso-
rier des guerres (1474) et d'être ennobli (14%). Jean le
Gendre avait du bien. Il était seigneur de Villeroy, de Har-
deville, de la Chapelle-la-Reine, dliallaincourt, de Magny et
de Conflans (1). Ces terres passèrent à son fils Pierre le
Gendre, conseiller du roi et trésorier de ses guerres, tréso-
rier de France en 1505, et prévôt des marchands de la ville
de Paris en 1508. Pierre le Gendre fit son testament le 15
novembre 1524 en faveur de son neveu Nicolas de Neufville,
deuxième du nom, sous la condition expresse que le fils
aîné de celui-ci porterait le nom et les armes des Le Gendre.
C'est ainsi que les biens des Le Gendre vinrent grossir
le petit domaine des Neufville. Ils étaient formés de la sei-
gneurie de Villeroy qui devait donner son nom à notre
ministre, de la maison de Conflans, près Charenton, «les
terres de la Chapelle-la-Reine, Hardeville, Hallincourt et
de la belle seigneurie de Magny, dans la région la plus
fertile du Vexin français. Ce dernier domaine avait été
acheté par Pierre le Gendre, en 1498, et pour être le sei-
gneur et maître de tout le pays alentour, il avait acquis
de François 1er, le 10 août 1521 , la haute justice de Magny,
Hallaincourt, Chaudry, Pierrepont, Pallemont, Saint-Ger-
vais, Estrées, Archemont, Bouconvillers et Hardeville (2).
(1) Villeroy est situé dans la commune actuelle tle Mennecy, arron-
dissement de Corbeil(Seine-et-Oise). La Chapelle-la-Reine est un chef-
lieu de canton de l'arrondissement de Fontainebleau. Conllans était au
confluent de la Marne et de la Seine, près de Charenton. Hardeville fai-
sait partie de la paroisse de Nucourt. Magny-en-Vexin est un chef-lieu
de l'arrondissement de Mantes. Hallaincourt, autrefois Alincourt, est à
une lieue N.-O. de Magny.
(2) Chaudry est un hameau de la commune de Parnes, et du canton
(, Mil KROl
Quelque temps auparavant, son beau-frère, Nicolas de
Neuville, avait l'ail avec le roi un échange qu'il importe do
mentionner: il lui avait cédé, le 12 février IMS. sa maison
des ruileries pour la petite seigneurie de Chanteloup, près
Chastes. Sur ce terrain des Neufvilleoù était uneancienne
fabrique de tuiles, François Ier projeta de bâtir un palais
pour sa mère et Catherine de Médicis construisit la demeure
royale qui lut brûlée sous la Commune.
Nicolas de Neufville, W du nom. que l'on connaît aussi
mal que son père, se distingua dans les mômes offices de
finances et fut un bon serviteur de François 1'. 11 fut
nommé, en 1539, secrétaire du roi, par la résignation de
son père, ol en l'an 1544, secrétaire des commandements,
[lavait suivi François!** dans les guerres d'Italie: à la ba-
taille de Pavie, il avait fait le vœu de bâtir un monastère
en l'honneur de la Vierge : il tint >a promesse et construisit
le petit couvent de l'Annonciade àChanteloup, que son fils
et son petit-fils entretinrent pieusement. Ce Neufville est
le premier, semble-t-il, auquel le roi ait confié des missions
diplomatiques, en Flandre et en Angleterre.
Nicolas de Neufville fut le premier maître du jeune Ma-
rot qui fut son page avant de passer au service de Margue-
rite d'Angoulème et du roi François. Le poète qui en avait
gardé un excellent souvenir lui dédia, eu 1538, une œuvre
de sa jeu: — C'est bien raison.
écrivait-il. que l'œuvre soit à Ion dédiée qui la commandas» à
to\ mon premier maistre. et celluj seul (hormis les PrincesJ
que jamais je servy. Soit doncques consacré ce petit livre
à ta prudence, noble seigneur de Neufville, à fin qu'en
npense de certain temps que Marot a vescu avecques
3 S
S
tenant.
LES DÉRUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX t
toy en ceste vie, tu vives ça bas, après la mort, avecques
lu y, tant que ses œuvres dureront (1). »
Nicolas de Neufville avail épousé Denise du Museau,
fille de Marc du Museau, maître d'hôtel du roi et ambassa-
deur auprès des Suisses, et de Marie Briçonnet, nièce de
Robert Briçonnet, archevêque «le Reims el chancelier. Il
eu eul deux (ils, Nicolas, 111° dunom, etJeande Neufville,
sieur de Chanleloup, de Bouconvillers et de Hardeville,
secrétaire de la maison du roi, en 1549. Cet oncle de noire
Villeroy, qui vécut assez obscurément, eut. de sa femme,
Geneviève Allard, fille d'un conseiller au Parlement, un
(ils (|tii ne se maria pas, et deux: tilles dont il importe de
mentionner les mariages, pour l'aire connaître les familles
alliées à celle «le Villeroy, l«v milieu social où il vécut.
Madeleine épousa Jean Bochard, sieur de Champigny,
premier Président au Parlement de Paris, conseiller d'Etat
el ambassadeur à Venise ; Anne fut mariée à Christophe de
Thon, premier Président au Parlement de Paris, le père de
l'historien.
Nicolas d«v Neufville, III" «lu uom, né eu 1526, est qua-
litié de seigneur «le Villeroy, d'Hallaincourt, «l«> Magny, de
Bouconvilliers, «lu Plessis, «l<- Bautheleu, «le Hardeville el
baron «le la Ghapelle-la-Reine. Il l'ut secrétaire du roi,
signant en finance, trésorier de France, [mis trésorier de
l'Ordre «le Saint-Michel. Après la morl <l<> sou père, il prit
le nom et les armes de Le Gendre, par lettres de mutation
(l) Celle dédicace Fut placée en tête 'lu Temple de Cupido, dans
l'édition des Œuvres, publiées par Dolet, en 1538. Elle est datée de
Lyon « ce quinsiesme jour de may 1538 » et commence ainsi : « En
revoianl les escriptz <le ma jeunesse, pour les remettre pins clerz «pie
devanl en lumière, il m'est entré en mémoire que estant encores page,
et a toy, liés honoré seigneur, je composay par ton commandemenl la
queste de Ferme Amour, laquelle je trouvay au meilleur émirent du
Temple de Cupido, en le visitant comme l'aage lors le requéroit. »
Œuvres complètes de Clément Murât, Ed. Janet, 1883, in-12, t. I,
p. 7.
ViLT.EROY
datées de mai 1554 (1). Le nom ne demeura pas : après une
trentaine d'années, Nicolas préféra reprendre celui de
Neufville. Il fut élu prévôt des marchands de la ville de
Paris en 1566 et exerça ces fonctions jusqu'à la fin de 1570.
Deux après, Charles IX le créa chevalier de Tordre de
Saint-Michel. Il le pourvut de l'importante charge de
gouverneur de Melun, Mantes et Meulan, et du titre de
lieutenant de roi en l'Ile de France, qu'il conserva jusqu'à
sa mort, en 1598. C'étaitun bon serviteur des rois, un excel-
lent homme qui, nous dit le P. Coton, « se fit aimer d'un
chacun par le moyen de quatre belles qualités naturelles :
car il était affable, officieux, libéral et nullement médi-
sant » (2). Il travailla à agrandir et à bien administrer sa
fortune. Il acquit, en 1581, des héritiers de Guy l'Arbaleste,
vicomte de Melun, président en la Chambre des Comptes
de Paris, le domaine de Corbeil qui leur avait été engagé
par les commissaires du roi en 1552, c'est-à-dire l'ancienne
vicomte de Corbeil, avec les droits de justice. Magny fut
sa terre de prédilection. Il se plut à embellir le vaste châ-
teau Renaissance dont il ne subsiste que les caves et une
pierre gravée aux armes de la famille qu'on a scellée dans
une maison voisine, après la destruction du monument par
la bande noire en 1821 . Il refit à ses frais les murailles de la
ville, en 1563, et obtint du roi Charles IX l'établissement
d'un juge particulier connaissant de toutes les matières
civileset criminelles et dont les jugements ressortiraienten
appel au Parlement de Paris (3). La petite ville fut pourvue
jusqu'à la fin de l'ancien régime d'un nombreux personnel
(1) Ces armes étaient d'azur à un chevron d'or accompagné de trois
croix ancrées du même, deux en chef et une en pointe.
(2) P. Coton, Oraison funèbre sur le trespas de M. de Villeroi. ..1618,
p. 23.
(3) Feuilloley, Notice surle canton de Magnij-en-Vexin, in-8°, 1884,
p. 56 et suiv. — Voir aussi quelques renseignements dans Potiquet,
Recherches sur Magnyen-Vexin, in-8°, 1877.
LES DÉBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 9
judiciaire, lieutenant général, procureur du roi, procureurs,
greffier, sergents et huissiers. Il veilla soigneusement à
empêcher la Réforme d'envahir la ville et ses environs, que
menaçait le château de Buhy, dont la famille Duplessis-
Mornay avait fait un dangereux foyer de propagande, tout
près d'Hazeville, où Calvin s'était réfugié et avait médité
l'Institution chrétienne (1). A l'autre extrémité de l'Ile de
France, sur les bords de l'Essonne, à deux lieues de Cor-
beil, il avait agrandi et orné le château de Villeroy, où
travaillèrent Jean Goujon et Germain Pilon. «Comme il
avait l'àrnebien composée et toute harmonique », nous dit
encore le P. Coton, il se plaisait grandement à la musique,
aux bâtiments et à vivre splendidement. »
Nicolas de Neufville avait épousé, en 15.°>'2, une bour-
geoise, Jeanne Prudhomme, fillede Guillaume Prudhomme,
seigneur de Fontenay-en-Brie, qui fut trésorier de l'épar-
gne, puis trésorier de France. Il en eut deux enfants, un
lils qui naquit en 1543, Nicolas de Neufville, IVe du nom,
l'homme d'Etat que nous étudions, et une fille, Denise, qui
épousa, en 1568, Henri Gausse; seigneur de Fleury et de
Marehaumont, grand maître des eaux et forets de France.
Il eut aussi une fdle naturelle qui l'ut abbesse de Malnoue
et vivait encore en 1611.
II
La première jeunesse de Villeroy nous est à peu près
inconnue. Ses contemporains, qui sont si prodigues d'anec-
dotes sur l'éducation des grands et des princes, ne sem-
blent pas s'être préoccupés des débuts de ce secrétaire
(1) Dans les campagnes voisines existent encore quelques dénomi-
nations qui rappellent ce temps de prosélytisme huguenot, le chemin
du Prêche, la sente des Huguenots.
10 VILLEROY
d'Etat ; ils ne s'intéressent qu'à ses actes politiques d'homme
adulte. Villeroy lui-même est muet sur ses premières an-
nées. Sans aucun doute, il a estimé inutile de recueillir
dans ses souvenirs des anecdotes qui n'auraient pas servi
directement la seule fin qu'il se proposait, l'apologie de sa
vie d'homme d'Etat.
Il a été élevé au collège de Navarre, avec les fils de ses
plus illustres contemporains, dans cet établissement que
l'historien Mézerai appelait « le berceau de la noblesse
française et l'honneur de l'Université de Paris ». Comment
il y étudia, ce qu'il valut comme élève, comment il com-
pléta son instruction, au sortir de l'école nousl'ignorons(l).
Il est certain que son éducation littéraire fut médiocre-
ment soignée. Sully, grand amateur d'éloquents discours,
de beau style et de traits érudits, ne dissimule pas l'im-
pression lâcheuse que lui a causée la lecture du livre de
Villeroy, « tout en assez mauvais termes et pauvre style ».
Il traite son collègue de « mauvais harangueur » qui n'a
jamais appris à parler en public ni osé entreprendre d'opi-
ner au Conseil (2). Richelieu a porté sur Villeroy un juge-
ment aussi sévère, d'un ton plus calme. Il reconnaît qu' «il
fut homme de grand jugement, mais non aidé d'aucunes
lettres ». « Il ne les aimait, parce qu'il ne les connaissait
pas et présumait beaucoup de soi. ne considérant pas qu'il
n'avait atteint que par une longue expérience la connais-
sance qu'il avait, que les lettres, par un chemin abrégé,
lui eussent donné et plus parfaite et plus facilement (3). »
(1) La Huguerye, dans ses Mémoires, rappelle qu'il a connu Villeroy
au collège de Navarre (Ed. de Ruble, I. p. 5). — Voir sur le collège de
Navarre J. Launoy, Regii Navarrse gymnasii Parisiensis historia,
in-4, 1677, I, p. 341 et suiv. Henri de Navarre, le duc d'Anjou, le duc
de Guise furent élèves du collège de Navarre.
(2) Ec. Roy., Il, p. 4 0!) et p. 454 (observations sur les Mémoires de
Villeroy).
(3) Mémoires du cardinal de Richelieu, Ed. Miehaud, 2e série, VII,
p. 178. Plus loin, parlant de l'historien de Thou, Richelieu constate que
LES DÉBUTS — LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 11
Les réticences des apologistes de Villeroy nous rensei-
gnent autant que les critiques positives des adversaires. Le
P. Coton et l'historiographe Pierre Matthieu, qui ont vécu
dans l'intimité du ministre, ont rappelé des souvenirs per-
sonnels et Font loué avec tact, l'un dans son oraison funè-
bre, l'autre dans ses Remarques d' Estât. Ni l'un ni l'autre
n'ont exalté les qualités dont il était dépourvu. Le P. Coton,
faisant allusion à ses débuts, ne vante que son éducation
dans la« royale science de l'Etat » (1). Matthieu rapporte
qu'Henri IV « s'étonnaitqu'une telle tète sût tant de choses,
sans y avoir rien mis en sa jeunesse de ce qui s'apprend
par l'étude ou de ce qui se tire des livres », et il ajoute
sentencieusement que « si cet entendement si fort et si vif
eût été cultivé par l'art et la science, il fût réussi encore à
plus grande perfection » (2).
Il suffit d'avoir lu la correspondance et les mémoires de
Villeroy pour constater que ce ministre n'a pas de lettres.
Son style n'est ni fleuri d'expressions savantes, ni émaillé
de ces citations d'auteurs anciens ou chrétiens qui plai-
saient tant aux hommes du xvi1' siècle. Il est simple, fami-
lier, parfois négligé et lent, parfois imagé par de savou-
reuses locutions populaires ou de bons vieux proverbes.
C'est le langage courant d'un homme d'affaires qui n'a
d'autre souci que de s'expliquer clairement et de faire bien
comprendre ses instructions, d'un administrateur qui a
« savoir est toute autre chose qu'agir... M. de Villeroy sans science,
s'y étant trouvé aussi propre que lui inhabile avec toute son étude ».
Ibid.. p. 179.
A ces témoignages, il faut ajouter celui des ambassadeurs étrangers.
L'Anglais Carew, en 1609, écrit: « Ornaments of learning lie hath few
or none at ail, but a strong natural judgment, polished and perfected
with a long expérience. » [A Relation of the State of France... bij sir
George Carew, appendice à An Historical view of the negotiations
bethireen the courts of England, France and Brussels from the year
1592 to 1617... by Th.Birch, London, 1749, p. 491.
(1) P. Coton, Oraison funèbre..., p. 23.
(2) P. Matthieu, Remarques d'Estat, p. 271.
12 VILLEROY
débuté de bonne heure au service de l'Etat et n'a eu le temps
d'achever son éducation ni aux Universités, ni dans les
doctes compagnies, ni dans le commerce des bons auteurs.
A quel moment aurait-il trouvé les loisirs nécessaires pour
perfectionner ses études? Dès l'âge de seize ans, il travaille
sous les ordres d'un secrétaire des commandements du roi ;
à dix-huit ans, il se marie, à vingt-quatre ans il commence à
exercer la charge de secrétaire d'Etat qui devait rester entre
ses mains pendant près d'un demi-siècle.
Sa carrière, nous l'avons vu, était toute tracée. Il n'avait
qu'à suivre la voie marquée d'avance par son grand-père et
son père, qui avaient été, l'un, conseiller au conseil privé,
l'autre secrétaire des finances. Aussi, en considération de
leurs services et par la faveur de son père, homme très
estimé, fut-il nommé secrétaire des finances, à sa survi-
vance, le 16 juin 1559. Il fut aussi reçu, le même mois, con-
seiller notaire et secrétaire du roi (1). Il serait très difficile
de dire avec précision à quoi, s'employa l'activité de débu-
tant du jeune Villeroy. Xi lui, ni aucun de ses contempo-
rains n'en ont parlé. Il fit modestement le métier de commis,
chiffrant et déchiffrant les dépêches, transcrivant les lettres
patentes, ordres et mandements royaux, accomplissant de
menues missions auprès des hommes d'état ou des princes
de la Cour. Nous savons qu'un des secrétaires d'Etat, Bour-
din, un brave homme de mœurs très simples qui en dix-huit
ans de vie publique n'éleva ses revenus que de 200 livres,
s'intéressa particulièrement à lui. Il prit soin de le façonner
aux affaires, en même temps que son propre neveu le jeune
Brulart (2).
(1) F. Fr. 4591, fo 85-91.
(2) Fauvelet du Tac, Histoire des secrétaires d' 'Estât contenant l'ori-
gine, le progrès et l'établissement de leurs charges... in-4°, J668,
p. 103.
LES DÉBUTS LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX' 13
A dix-huit ans, Villeroy se maria (1561). II épousa une
jeune fille gracieuse et spirituelle, Madeleine de l'Aubes-
pine, dont le père était secrétaire d'Etat et ministre très en
faveur auprès de Charles IX }et de Catherine de Médicis.
Claude de l'Aubespine, seigneur deHauterive, baron de Châ-
teauneuf, était entré lui aussi 1res jeune dans la carrière,
comme notaire et secrétaire du roi du nombre des six-vingt.
Par l'appui de son beau-père, Guillaume Bochetel, un des
plus intelligents secrétaires des commandements et finances
de François Ier, il avait, en 1543, succédé à Breton de Vil-
landrv comme secrétaire des finances. Il [fut maintenu au
pouvoir parla confiance d'Henri II, quand ce prince, par
les célèbres règlements du 1er avril et du 14 septembre 1547,
réduisit à quatre le nombre des secrétaires des finances,
fixa à chacun un département à administrer et les admit
comme assistants au Conseil du roi. C'est lui qui mit les
secrétaires d'Etat « hors de page ». selon le mot de Saint-
Simon (1). Délégué au Cateau-Cambrôsis pour traiter delà
paix, il y obtint le titre de secrétaire d'Etat pour ne point
paraître inférieur en dignité aux ministres espagnols dési-
gnés de ce nom. Claude de l'Aubespine était un grand per-
sonnage en cour. La reine-mère, qui avait pour lui la plus
haute estime, aimait à lui confier de délicates missions.
Elle l'envoya à l'assemblée de Fontainebleau en 15(30, au
prince de Condé et aux chefs protestants réunis en confé-
rence pour la paix en 1562, aux mêmes qui menaçaient la
capitale en 1567, au village de la Chapelle (2).
(1) Saint-Simon, IX, p. 442. a Les ministres... ne faisaient qu'éclorc
du bas état qui les avait jusqu'alors tenus en disproportion si marquée
en toutes choses des gens de qualité... »
(2) Fauvelet du Toc, p. 77 et suiv. Voir Décrue, Anne, duc de Mont-
morency, in-8o, 1 889, p. 458 et suiv. L'auteur montre que L'Aubespine
était le principal secrétaire d'Etat et jouait un rôle considérable dans le
gouvernement, uni au connétable de Montmorency. La correspondance
de Catherine de Médicis est un document de premier ordre pour l'étude
du rôle de L'Aubespine.
14 VILLEROY
Après son mariage, Villeroy continua modestement, pen-
dant cinq ans, à travailler dans les bureaux. Cette période
de sa vie est restée fort obscure. Son beau-père et le secré-
taire d'Etat Bourdin de Villeines (le secondgendre de Guil-
laume Bochetel) le dirigeaient.
Villeroy raconta plus tard à P. Matthieu qu'il avait été
employé à faire l'édit de pacification des premiers troubles
en Tan 1563 (1). Il était sans doute attaché à Claude del'Au-
bespine qui joua un rôle important dans les négociations
préliminaires, sous la haute direction de Catherine de Mé-
dicis. La reine-mère, après la paix d'Amboise, étant entrée
dans Orléans et ayant rétabli l'ordredans la ville foulée par
les gens de guerre, fit annoncer cette heureuse nouvelle à
son Parlement par « le jeune Villeroy présent porteur » (2).
C'est, durant cette période, la seule mention qui soit faite,
dans la correspondance de Catherine, de la part prise par
Villeroy aux affaires intérieures. La reine-mère lui confia
aussi quelques petites missions dans les pays étrangers. II
fut envoyé en Espagne pour l'exécution de quelques articles
de la paix de Cateau-Cambrésis, puis à Rome, auprès du
pape Pie IV, pour le différend de la préséance entre la
France et l'Espagne. Ce sont des missions dont il n'a point
parlé et qui n'étaient point très importantes. On choisissait
souvent quelques secrétaires de bonne maison pour porter
des instructions aux ambassadeurs: ils avaient une mission
bien définie, étaient présentés au souverain, faisaient un
voyage agréable, étaient complimentés à leur retour en
cour, sans avoir eu l'occasion de faire œuvre de grands
diplomates (3).
(1) P. Matthieu, Démarques d'Estat, p. 259.
(2) H. de la Ferrière, Lettres de Catherine de Médicis, II, p 5. Col-
lection de Doc. inéd. sur l'IIist. de Franco; P. 1880. Lettre du 1er
avril 1563.
(3) Aussi ne convient-il point d'exagérer l'importance de ces mis-
sions, comme l'ont fait les apologistes habituels de Villeroy. Nous
n'avons aucun détail sur ces voyages. C'est un voyage de ce genre,
LES DÉBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 15
III
A vingt-quatre ans. Villeroy devint secrétaire d'Etat. La
charge de son beau-père ne lui avait tout d'abord pas été
destinée. Claude de l'Aubespine avait un fils auquel il l'avait
fait accorder en survivance, le 26 mars 1560. Mais, au mois
de juillet 1567, mourut le vieux Jacques Bourdin ; L'Aubes-
pine, qui voulait faire avancer son gendre à l'égal de
son fds, s'empressa de faire nommer ce dernier secrétaire
d'Etat, à la place qu'avait occupée son beau-frère pendant
neuf ans, et obtint sans peine du roi la permission de
transférer au jeune Villeroy sa survivance. Les lettres furent
données à Paris, le 25 octobre 1567. Le chancelier l'Hôpital
les scella et le jour suivant, Villeroy prêta serment entre
ses mains. Cependant, l'Aubespine était tombé malade en
son logement du Louvre ; le 11 novembre, il mourut après
17 jours de souffrances, le lendemain de la bataille de Saint-
Denis où le connétable de Montmorency fut blessé à mort.
Le 12, Villeroy commençait à exercer l'office de secrétaire
d'Etat (1).
Pour connaître la situation nouvelle de Villeroy, il faut
se rappeler les progrès réalisés par cette charge depuis ses
lointains débuts.
En 1567, un secrétaire d'État était bien supérieur à l'un
des clercs du secré de Philippe le Bel; mais il n'avait encore
tout de parade et de cérémonie qu'accomplit le jeune l'Aubespine en
1566, en Espagne, avec Saint-Sulpice. Voir E. Cabié, Ambassade en
Espagne de J. Ebrard, sieur de Saint-Sulpice, de 1562 a 1565, et
Mission de ce diplomate dans le même pays en 15(>i>, 1904.
(1) Mémoires d' Estât, p. 105. Voir aussi F. Fr. 4591, « Mémoire de
rétablissement des secrétaires d'Etat... avec la suite des secrétaires
d'Estat, selon la datte de leurs provisions et réceptions depuis ladite
année 1547 jusques à présent 1647, f. 85-89.
1(> YILLEROY
atteintni la fixité ni l'étendue des pouvoirs des ministres
de la monarchie absolue de Louis XIV.
A vrai dire, le plus ancien des secrétaires du roi avait été
le chancelier sous les Capétiens. Ce personnage, un lettré,
d'abord chargé d'authentiquer les diplômes royaux, était
devenu petit à petit le chef de la justice et des Conseils du
roi. Il pouvait présider les Parlements et cours souveraines
et était auprès d'elles l'interprète de la volonté royale. Il
présentait au roi les candidats aux différents offices et
après son approbation nommait aux fonctions de judicature
et de finances et aux charges relevant de la couronne. Ce
puissant chef d'administration, le plus important en France
après le roi, avait pris sous ses ordres une troupe de clercs-
notaires et de secrétaires. Sous Philippe le Bel, un petit
nombre de ces commis forma une élite qui prit le nom de
clercs du secré ; en 1309, on en comptait trois auprès du
roi supérieurs en dignité et autorité à 27 clercs ordinaires.
Ils acquirent bientôt la faculté de signer en finances. Vers
le milieu du siècle, ilsétaientdéjà qualifiés de secrétaires des
finances. SousCharles VIII, Louis XII et François Ier, un de
ces secrétaires'remarquablemeni intelligent, instruit, labo-
rieux et habile, Florimond Robertet, fut un des hommes
les plus influents du royaume et dirigea avec la con-
fiance absolue de ses maîtres les finances et les affaires
étrangères. Il sut choisir des secrétaires des finances
et les former ; après lui, quelques-uns se montrèrent
d'excellents serviteurs de l'État et la fonction garda le pres-
tige que lui avait donné le grand ministre Robertet. En
avril et en octobre 1547, Henri II fixa à quatre le nombre
des secrétaires, les admit comme simples assistants à ses
Conseils, et établit un département de leurs affaires par
provinces et par pays. Après le traité du Cateau-Cambrai-
sis, à l'imitation des Espagnols, ils prirent le titre de secré-
taires d'Etal. Les progrès de cette charge au xvi" siècle
avaient dune été rapides et sûrs. Saint-Simon, très mépri-
LES DEBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 1 /
sant pour ces humbles débuts, acte forcé de constater que
ces hommes venaient à ce moment d'« éclore du bas état
qui les avait jusqu'alors tenus en disproportion si marquée
en toute chose des gens de qualité » (1).
Le secrétaire d'Etat recevait les paquets et dépêches des
gouverneurs de province et des ambassadeurs à l'étranger,
les résumait ou les lisait intégralement au roi ou au Con-
seil. Le Conseil où se traitaient les affaires les plus impor-
tantes et qui était le plus restreint, se nommait, communé-
ment sous Charles IX le Conseil des Affaires). Il dressait
des rôles contenant en substance ce qui était porté sur
les requêtes etplacets présentés à S. M. Il enregistrait les
décisions du Conseil, expédiait les lettres patentes, ordres
et mandements. Il avait le pouvoir, dont il était très fier, de
signer en finances. On devait bientôt, sous le règne de
Charles IX, lui laisser signer toutes sortes d'expéditions.
Les secrétaires étaient donc en quelque sorte les greffiers
du Conseil, les intermédiaires entre le roi et les fonction-
naires administrant le royaume ou envoyés à l'étranger,
et quelquefois les intermédiaires entre le roi etson Conseil.
La décision appartenait au roi conseillé par les grands ou
les favoris qu'il admettait dans son conseil. Les secrétaires
d'Etat étaient leurs commis, mais c'étaient les premiers
commis du royaume.
Chacun d'eux s'occupait de toutes les affaires de son dé-
partement. Il n'y avait pas entre eux partage d'attributions,
mais répartition géographique de provinces et de pays.
Villeroy eut, dès le début, l'Espagne, le Portugal, les Flan-
dres, la Picardie, la Guyenne, le Poitou et la Rochelle,
l'Anjou et le Berry (2). Ses trois collègues se divisaient le
reste. L'Aubespine avait la Suisse, l'Empire, l'Allemagne,
(1) Saint-Simon, loc. rit.
(2) Nouv. Acq. Fr., 722&, f. 182 {Recueil de règlements, t. II).
« Extraict d'un ancien registre qui s'est trouvé parmi les papiers du feu
sieur Gassot, secrétaire du roi et de ses finances. »
Vilieroy 2
18 VILI.EROY
Metz, la Lorraine, la Champagne, la Brie, la Bourgogne.
Simon Fizes, baron de Sauves qui, en octobre 1567, avait
succédé à Florimond Robertet, seigneur de Fresnes, avait
l'Angleterre, l'Ecosse, le Danemark, la Normandie, la Bre-
tagne, Paris, l'Ile de France, Orléans, le Maine et la Tou-
raine. F. Robertet, baron d'Alluye, le doyen des secrétaires
d'Etat, en fonction depuis 1559, s'occupait de l'Italie et du
Levant, du Piémont, du Dauphiné, de la Provence, du
Languedoc, du Lyonnais et de l'Auvergne (1). Deux ans
après Allyeu mourut et Brûlait lui succéda. Puis, un an
plus tard, PAubespine ayant succombé, Pinart fut nommé
secrétaire d'Etat. Il y eut alors un nouveau départemml .
En septembre 70, Fizes eut le Levant, l'Italie, le Dauphiné,
la Provence, le Languedoc. l'Auvergne : on y ajouta la
gendarmerie et la maison du roi. Brulart obtint la Suisse
et toute l'ancienne part de l'Aubespine, Pinart l'Angleterre
et les provinces et pays qu'avait eus Fizes. Quanta Villeroy,
il garda le même département qu'en 1567. Il n'en changea
jamais.
Xous avons énuméré les attributions les plus précises de
Villeroy et de ses collègues. Leur titre les résume parfai-
tement, car jamais nom ne fut mieux adapté à une fonc-
tion : ils étaient les secrétaires. Dans cetle charge, la plu-
part remplirent un rôle très honorable de bons et dévoués
serviteurs en sous-ordre : tels Pinart et Brulart.
Mais, en dehors de ces attributions déterminées, une
puissance moins définie et incomparablement plus étendue
pouvait rehausser cette profession de commis, suivant l'é-
poque et le titulaire, s'il était un secrétaire très intelligent,
1res souple et très protégé. Tenu à l'écart des intrigues et
des conspirations des grands par sa modeste origine, atta-
ché par tradition et par intérêt au pouvoir monarchique,
jl inspirait naturellement confiance au roi et devenait le
(1) Voir Fauvelet du Toc, p. 111 et suiv.
LES DÉBUTS LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX 19
secrétaire dépositaire de secrets. On lui confiait des mis-
sions délicates et difficiles à l'étranger et dans le royaume.
On le déléguait pour rétablir la paix et conclure des traités
mettant fin aux guerres civiles. C'est ainsi qu'il mettait en
valeur ses talents ; un Florimond Robertet déployait ses
aptitudes financières, un Villeroy ses qualités de diplomate,
plus tard, sous Henri IV, un Fresnes son habileté à traiter
des questions religieuses. Le secrétaire se changeait peu à
peu en conseiller. Il devenait celui que le roi écoute avec quel-
ques intimes et avec lequel il décide de tout, en dehors du
Conseil « de mine et de faste » (1) des princes du sang et
des hauts dignitaires. Ce pouvoir d'abord occulte finissait
par s'affirmer publiquement et s'imposer à l'opinion ; le
modeste secrétaire vieilli au service de l'Etat était enfin le
conseiller très écouté et l'un des ministres principaux du
roi, que les ambassadeurs vénitiens très prompts à saisir
les nuances de l'autorité appellent ministro principalis-
simo. Celui qui avait commencé par rédiger des expédi-
tions était appelé, tout en conservant son premier titre, à
diriger les affaires de la France. Telle est, très en raccourci,
l'histoire de Villeroy. Resté secrétaire d'Etat, au même
niveau que ses collègues, il semble bien qu'il n'eût mérité
que la courte monographie due à un bon fonctionnaire.
Mais son rôle est celui d'un grand homme d'Etat qui a im-
primé sa marque personnelle au gouvernement des affaires
de son temps.
Les premières années du secrétariat de Villeroy sous
Charles IX ont été des années d'apprentissage. Ce jeune
homme de 24 ans qui voulait, non pas arriver par l'intrigue,
mais s'imposer par son savoir, se mit à l'école de deux
hommes d'Etat, ses parents, Jean de Morvilliers et Sébas-
tien de l'Aubespine. Plus tard, Villeroy aimait à rappeler
cette éducation politique qui était toute à son honneur. Il
( 1) Selon l'expression île Sully, à propos d'un des conseils de Régence,
Ec. Roy., t. II, p. 386.
20 VILLEROY
en a parlé à la première page de ses Mémoires « étant cer-
tain, dit-il, que tout le bien que je faisais lors au service de
S. M. ne procédait de mon industrie, mais de l'instruction
et des bons records que je tirais journellement de feux
MM. de Morvilliers et de Limoges, lesquels avaient très
grande expérience et connaissance des affaires du inonde
et ne pensaient jour et nuit qu'à procurer le bien du roi
et du royaume » (1).
Jean de Morvilliers (2), protégé dans sa jeunesse par le
cardinal de Lorraine, devenu conseiller du roi, puis maître
des requêtes ordinaires de l'hôtel, s'était distingué dans la
diplomatie à Venise où il était resté quatre ans comme
ambassadeur, après Guillaume Pellicier (1546-1550), aux
dernières sessions du Concile de Trente où il avait accom-
pagné le cardinal de Lorraine (1562-64), à Troyes, où il
avait été délégué comme plénipotentiaire pour faire con-
clure un traité avec l'Angleterre (1564). Il était évêque
d'Orléans depuis son retour de Venise, mais il séjourna
presque toujours au conseil du roi dont il était un membre
des plus dévoués et des plus influents. Il prit part aux
principales affaires de son temps, à l'assemblée de Moulins,
puis à diverses négociations avec les huguenots pendant
la première guerre civile. Aussi, quand le chancelier de
l'Hôpital tomba en disgrâce, reçut-il les sceaux (1568). Il
n'avait pas recherché cet honneur qui ne le changea pas.
Il resta, comme avant, très simplement l'ami du chancelier.
(1) Mém., p. 106. — Du Vair, dans sa lettre à Villeroy, écrit: « On
tient, Monsieur, que vous avez été introduit aux affaires par feu M. de
Morvilliers, avec lequel comme vous étiez noué d'alliance, ainsi vous
êtes-vous lié de desseins et de conseils. Personne de ceux qui l'ont
connu n'a nié que ce n'ait été un des plus suffisants et plus prudhommes
qui aient approché les rois de notre temps. Et croit-on que si toutes
choses eussent été à sa disposition et à la vôtre, vous eussiez choisi les
conseils les plus propres pour assurer et affermir l'Etat menacé de
long temps. »
(2) Sur Morvilliers, voir Baguenault de Puchesse, Jean de Morvil-
liers, évèque d'Orléans, garde des sceaux de France, 1870, in-8.
LES DÉBUTS LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX 21
C'était, comme l'Hôpital, un homme droit, modéré et tolé-
rant, mais sans fermeté de caractère. Les grandes respon-
sabilité^ L'effrayaient. Il se tint à l'écart, expédiant cons-
ciencieusement les affaires courantes et présidant le Conseil
sans prendre aucune initiative. Au bout de trois ans, il
trouva un prétexte honnête pour donner sa démission.
Mais au Conseil, il conserva sa grande autorité d'homme
« habile, modéré, aimant la justice » (1). Le Vénitien Con-
tarini le considérait à cette époque comme le plus apte, au
jugement de tous, à bien conseiller par son âge, sa vertu
et sa forte expérience des choses du monde (2). L'évèque
d'Orléans était aussi un de ces lettrés que savaient appré-
cier les Italiens. Il pouvait réciter par cœur tout son Ho-
race, savait le grec et l'hébreu, correspondait avec Amyot
et Muret et faisait du bien aux gens de lettres.
Il aimait beaucoup son « cher neveu » Villeroy. En termes
émus et délicats il a rappelé dans son testament la « cor-
diale amilié » qui les unissait. S'il ne lui laissa pas de
grands biens matériels, il lui donna d'utiles leçons de poli-
tique. Il y a des ressemblances frappantes entre l'élève de-
venu homme d'Etat et son maître. Nous trouverons chez
Villeroy l'habileté à traiter les questions diplomatiques, la
modération habituelle des vues, le parfait bon sens qui ca-
ractérisent Morvilliers. Villeroy lui sera supérieur par l'éner-
gie ; il gardera ses meilleures qualités de prudence, mais
n'aura pas l'indécision et la timidité de L'ancien garde des
sceaux qualifié par d'Aubigné d'« ennemi de toute nou-
veauté et qui faisait prudence de crainte... (3). Il ne serait
(1) De Thon, VI, p. 418.
(2) Relazione di Frauda di Alcise Gontarini, 1572. Alberi et
Berchet, Ser. I, IV, 1860, p. 253.
(3) « Quant à MM. de l'Aubespine et de Villeroy, mes très chois
neveux, je ne les saurais assez dignement reconnaître selon l'obligation
que je dois à eux et à leurs prédécesseurs et à la cordiale amitié qu'ils
m'ont toujours portée. Mais Dieu leur a donné tant de biens et à moi
si peu, que je n'ai rien digne de les reconnaître; partant, les priant
pas étonnant que l'éducateur politique de Villeroy lui ait
aussi donné des conseils sur la manière d'exprimer sapensée.
On trouve en effet de grandes analogies de style, de com-
position, comme d'idées, entre certains avis ou discours de
Villeroy et des écrits de Morvilliers tels que « l'advis... fait
par le commandement du Roy le 2 janvier 1577 » (1).
Le second patron de Villeroy fut l'oncle de sa femme,
Sébastien de L'Aubespine, dont nous connaissons peu le
caractère et les idées. Il avait une existence très remplie de
diplomate et de conseiller du roi. On lui avait confié de
nombreuses et importantes missions en Suisse, où il avait
eu à combattre l'influence des impériaux (1543), à la diète
de Wormsdel545, à Strasbourg, en 1548, en Flandre, puis
dans les cantons helvétiques, et enfin en Espagne, à la cour
de Philippe II où il avait longtemps représenté la France.
Depuis l'année 1558, il était évêque du diocèse de Limoges
où il possédait la belle abbaye de Saint-Martial. Il ren-
tra en France sous le règne de François II (2). Il fut le con-
seiller très fidèle, très habile, très écouté de Catherine de
Médicis qui avait la plus grande confiance en lui et en son
frère Claude, le secrétaire d'Etat. Il jouissait à la cour d'un
grand crédit qu'il conserva jusqu'au moment où le roi
Henri III, très méconlcnl d'avoir subi les conditions d'une
paix humiliante avec les Huguenots, en 1576, s'en prit à
L'Aubespine qui avait aidé à la négocier et le disgracia. Il
se retira alors dans son diocèse, y reçut les ordres et se con-
sacra à des œuvres pieuses jusqu'à la lin de sa vie (1582).
Nous ne savons, faute de documents, quelles leçons l'oncle
d'avoir égard à ma volonté, je leur donne ma maison de Paris avec les
meubles étanl dedans, hors ma vaisselle d'argent ; je leur donne ma mai-
son 'le Fontainebleau et celle de Saint-Germain. Ils sont si bons frères
qu'ils " sauronl bien accommoder. » (Baguenault de Puchesse, p. o.'iT. )
(1) Cet avis si' trouve dans les Mém. de Nevérs, l. I, p. 262 etsuiv.
(2) Ses négociations sous le règne de François II ont été publiées
par L. Paris dans les Négociations, Le/Ires et pièces relatives au règne
de François IL Cuil. doc. inéd., 1841.
LES DÉBUTS — LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 23
donna au neveu. Il est permis de supposer que ce furent
des leçons de diplomatie. Car Villeroy, nous le verrons, se
distingua plus tard par son art de négocier avec les enne-
mis et les amis du roi, soit à l'intérieur du royaume, soit à
l'extérieur.
IV
Grâce à ces deux puissants patrons, le nouveau secré-
taire d'Etat fut très bien accueilli en cour par la reine-
mère et le roi.
Catherine de Médicis protégea dès le début le jeune Ville-
roy et lui continua sa faveur jusqu'au jour où elle tomba
elle-même en disgrâce. Elle appréciait en lui un serviteur
prudent, souple et zélé. Nous ne pourrons bien juger de
cette confiance que lorsque Villeroy deviendra l'un des
conseillers les plus influents d'Henri III. A partir de ce
moment, il ne sera plus seulement pour elle un bon com-
mis. Dans sa vie errante de perpétuelle pacificatrice sur
tous les points du territoire, chez les Bourbons comme chez
les Guises, Villeroy la renseignera tous les jours, et parfois
p à toutes les heures » sur ce qui se passe à la cour, et lui
transmettra exactement des nouvelles du roi (1). Elle lui
soumettra ses projets, le priera de résoudre Henri III à
faire ce qu'elle désire pour le bien de l'Etat et parfois lui
exprimera, pour lui seul, des réflexions qu'elle le priera de
jeter au feu s'il ne les agrée point (-2). Connaissant bien
son ministre elle lui laissera volontiers la plus grande
liberté d'action « Vous êtes si sage, lui disait-elle un jour,
(1) Voir particulièrement les lettres de Catherine à Villeroi du
20 juillet 1572 (t. IV. p. 10S). du 2 juillet 77 (t. V, p. 261), du 7 octobre
78 il. VI, p. 59|, des 26 août,ler octobre et23 novembre 79, etc. (t.
Vil, p. L023 147, 200, etc.).
(2) Lettre du 7 octobre 1578 (t, VII, p. 59).
2-4 VILLEROY
qu'il ne vous faul point de plus ample avertissement sur
cela el sur toutes autres circonstances » (1).
Le roi Charles IX avait beaucoup d'affection pour Ville-
roy. Il l'appelait, dit-on, « son secrétaire » (2). Mais ce
n'est pas, semble-t-il, pour sa sagesse politique qu'il l'ap-
précia tout d'abord. Jusque vers 1570, il s'intéressa peu aux
affaires d'Etat, bien qu'il fût avide de gloire. C'était une
nature passionnée, qui dépensait ses forces à la chasse ou
dans de violents exercices physiques ; c'était une àme d'ar-
tiste raffiné et nerveux qui se plaisait singulièrement dans
la compagnie de Ronsard, son favori, et des poètes et qui
était poète lui-même. Il avait composé un beau livre de
chasse el de vénerie dans lequel, nous dit Brantôme, « il y a
des avis cl secrets que jamais veneur n'a su ni pu attein-
dre » (3). 11 choisit Villeroy pour l'écrire sous sa dictée.
Quand Ronsard écrivit son « Elégie sur le livre de chasse
du feu roy Charles IX recueilli et ramassé par la diligence
de M. de Villeroy » (4), il chanta le grand roi qui s'est
« acquis louange par la plume » et n'oublia pas le fidèle
secrétaire.
Ta peine toutesfois par ton livre semée
Se fust en l'air perdue, ainsi qu'une fumée,
Si le tien Villeroy, des muses le support,
N'eust arraché ton fils des griffes de la mort,
Et ravy de ta cendre.
Villeroy ne quittait guère son maître. Avec quelques au-
(1) Catherine à Villeroy, 12 janvier 15S1 {Lettres, t. VII, p. 319).
(2) Matthieu, Remarques d'Estat,\>. 260; Fauveletdu Toc, p. 133.
(3) Brantôme, OEuvres complètes, Soc. de l'Ilist. de France, Ed. La-
lanne, t. V, p. 285.
(i) Ce livre, qui n"a jamais été achevé, fut publié en 1625. à. Paris,
chez Nie. Rousset et GervaisAlliot, au Palais, sous le titre de : La Chasse
royale, composée pur le Moi Charles IX, et dédire au Roi très chrestien
de France et île Navarre Louys XIII, très utile aux curieux et ama-
teurs de chasse (in-12 de 138 p.).
LES DEBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX SO
très familiers, Amyot, de Retz, l'Aubespine, il était parmi
ceux qui connaissaient le mieux les sentiments et la vie de
Charles IX. Brantôme, admirateur du jeune roi, regrettait
profondément que Villeroy ou ses anus n'aient été curieux
« de faire une recherche après sa mort de tous ses beaux
faits, mots et dits, et en composer un grand livre et le dé-
dier à la postérité » (1).
Malgré l'amitié d'un roi jeune et les tentations d'une
cour où l'on s'amusait beaucoup, Villeroy semble avoir
mené une vie régulière et sérieuse. L'évèque d'Orléans
n'eut jamais aie sermonner comme son beau-frère l'Au-
bespine (2). Ce dernier était l'enfant terrible de la famille,
grand chasseur et grand joueur, ami particulier de Char-
les IX, choyé des poètes et des seigneurs, charmant, riche
et ardent au plaisir. Il mourut prématurément en 1573 ;
Ronsard composa une longue épitaphe « en forme de com-
plainte contre la mort » (3). Desportes écrivit de beaux
vers émus et graves à la louange de cet ami « mourant aux
beaux jours de son âge » (4).
Le nom de l'Aubespine fut particulièrement cher aux
(1) Brantôme, Ibid.
(2) Fauvelet du Toc, p. 119. « Comme son âge, son humeur et les
charmes que l'on trouve dans les plaisirs et dans la familiarité de son Roi
le faisaient assez penchera s'y abandonner, il en recevait des répriman-
desdu garde des sceaux de MorviHiers, son oncle ; et ce grand homme,
par un principe de morale contraire aux maximes de la cour, lui di-
sait souvent que, nonobstant cette faveur, il était plus obligé à sa
charge qu'à son plaisir. »
(3) Ronsard, Œuvres, Ed. Blanchemain, VII, 227.
(4) Les Œuvres de Philippe Desportes, in-8°, Rouen, 1611 (Epita-
phes, p. 659 etsuiv.). 3 longues pièces sont consacrées à Claudette l'Au-
bespine. La première commence ainsi :
Tout ce que la nature et le ciel favorable
Pouvaient pour rendre un homme heureux parfaitement
L'Aubespine l'avoit, l'Aubespine ornement
De ce siècle maudit, ingrat et misérable.
Il estoit grand et beau, dispos, jeune, amiable.
Riche en biens, aux honneurs avancé justement,
Pur, sans ambition, qui marchait droitement...
poètes, dispensateurs de la gloire. C'était celui de Mme de
Villeroy. une des femmes les plus distinguées et les plus
savantes de son temps.
Elle avait de l'esprit et du jugement et une heureuse
facilité pour composer en vers et en prose. « Elle se rendit
admirable à tous ceux qui eurent l'honneur de la voir, y
ayant été attirés par le bruit de tant de dons du ciel (1). »
Elle fut un des ornements de cette société qui, à la cour, à
la ville, en province, comptait nombre de femmes instruites
et aimables. C'était le temps où une maréchale de Retz qui
parlait à la perfection le grec, le latin et l'italien, discutait
éloquemment à l'Académie du Palais sur l'excellence des
vertus intellectuelles et morales, et était « choyée et bien
voulue de tous nos rois qui prenaient un singulier plaisir
en sa compagnie, pour les bons propos et les beaux dis-
cours dont elle les entretenait » (2).
Mme de Simier écrivait en prose des Stances et des Elégies
que Desporles mettait en vers (3). M"ie de Rohan compo-
sait des Elégies. Mmede Lignerolles, qui avait été attachée
à Catherine de Médicis, et qui, nous dit Brantôme, était
«• très habile fille, belle, honnête et qui disait bien le
mot » (4), prenait part aux tournois d'éloquence de l'Aca-
démie. Les duchesses d'Uzès et de Nevers, Mme de Senne-
terre étaient renommées pour leur esprit. On vantait les
talents poétiques, la grâce et les vertus de Madeleine Des-
champs, une Vendômoise et de deux Poitevines les clames
des Roches.
(1) La Croix du Maine-, Bibliothèque française, nouvelle éd. 177:!,
t. II, p. 70. — Le R. P. Hilarion de Costc, Les Eloges et vies des
reynes, princesses, dames et demoiselles illustres... In-4", 1G30. p.
588.
(2) La Croix du Maine, Ibid., I. II. — Voir aussi Frémy, L'Académie
des derniers \'alois, 1887, in-8, p. 1;>1 et suiv.
(3) Tallemanl des Réaux, Historiettes, Desportes, I, I. p. 133.
(4) Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne, t. X, p. 408.
LES DÉBUTS LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX 27
Comme la plupart de ces dames, Madeleine de l'Aubes-
pine savait le latin et connaissait ses auteurs anciens. Elle
avait traduit les Epîtres d'Ovide. Elle avait aussi composé
des poèmes qui ne furent point publiés. Ronsard a célébré
ses talents :
Magdeleine, ostez moy ce nom de L'Aubespine
Et prenez en sa place et palmes et lauriers
Oui croissent sur Parnasse en verdeur les premiers,
Dignes de prendre en vous et tiges et racines.
Chef couronné d'honneur, rare et chaste poitrine,
Où naissent les vertus et les arts à milliers
Et les dons d'Apollon qui vous sont familiers,
Si bien que rien de vous, que vous mesme, n'est digne.
Je suis en vous voyant heureux et malheureux :
Heureux de voir vos vers, ouvrages généreux,
Et malheureux devoir ma Muse qui se couche
Dessous vostre Orient ! O sainct germe nouveau
De Pallas, prenez cœur ; les Sœurs n'ont assez d'eau
Sur le mont Hélicon pour laver vostre bouche (1).
Elle était aussi belle que savante. Unfront pur, des yeux
intelligents et calmes, un profil régulier, voilà ce que nous
révèle un portrait au crayon attribué à François Clouet ('?).
Et elle était aussi gracieuse et accueillante que belle. Elle
goûtait les entretiens doctes ou plaisants ou les jeux poé-
tiques à la mode. Quand elle eut la douleur de perdre sa
11) Ronsard, Œuvres, éd. Blanchemain, t. V, p. 338 (Les Sonnets
divers . »
(2) C'est un portrait en buste de 3/4 à gauche. Elle est coiffée à la
mode du temps en arcelets.Le col et le corsage -nul à peine esquissés.
Sur la feuille est écrit : il/me de Villeroy, feme du secrétaire d'Estat.
Bouchot l'attribue à François Clouet. Ce portrait se trouvait à l'exposi-
tion organisée à la Bibliothèque Nationale en 1907.
28 VILLEROY
chienne Barbiche qu'elle adorait, Ronsard et Desportes
composèrent chacun une Epitaphe à la louange de la
pauvre bête, le premier en vers faciles et jolis, le second en
rimes fort plates (1). Elle a laissé la réputation d'une
femme vertueuse, malgré certain pasquil grossier qui, cou-
vrant de boue la plupart des personnages de la cour, n'épar-
gna pas la femme du secrétaire d'Etat et lui prêta un
amant (2). Il est impossible de connaître mieux la vie de
cette femme, et de contrôler ces méchants bruits. Elle
reste pour nous celle qui fut magnifiquement louée par le
poète Bertaut :
Celle qui dort ici fut richement parée
De toutes les vertus qu'on impètre des cieux.
Aussi son âme au ciel s."est-elle retirée
Quand la mort s'est permis de lui clorre les yeux.
Nul amour que devin ne l'a jamais ravie ;
Bien vivre et bien mourir fut son plus grand soucy ;
Et peut-on justement témoigner de sa vie,
Que pour mourir heureuse il fallait vivre ainsi.
Nous pleurerions sa mort de mille et mille plaintes,
S'il nous estoit permis de plorer son bonheur ;
Mais elle estant au ciel entre les âmes saintes.
Nos pleurs lui feroient tort en luy faisant honneur (3).
Madeleine de l'Aubespine aimait à habiter la charmante
retraite de Villeroy, non loin de Mennecy, sur les bords
sinueux et verts de l'Essonne. C'était un des beaux ché-
(1) Ronsard, Ibid,, t. VII, p. 237 (Epitaphes, 15S4). Desportes,
Epitaphes, p. 649.
(2) « Pasquil du temps des noces de Mgr de Joyeuse sur toute la
cour. » F. fr. 15590, f" 157. C'est une revue obscène de toute la cour,
îles mignons, desdames, des seigneurs, des ministres où l'on n'épargne
personne (Toutefois il n'y est pas question des mœurs de Villeroy).
Les accusations les plus grotesques sont écrites en vers très plats. Par
exemple, on fait de Montigny et de Pinartles amants de la reine.
(3) Œuvres poétiques de Jean Bertaut, 1633, in-8, p. 269.
LES DÉBUTS LE SECRÉTAIRE DE CHAULES IX 29
teaux de la Renaissance française que Nicolas de Neuf-
ville, IIIe du nom, avait achevé de construire en 15f>0. 11
l'avait orné avec magnificence et garni de bons livres, car
le vieux père de Villeroy employa la dernière partie de sa
vie à « recevoir honorablement ses amis, bâtir plaisants et
superbes édifices, dresser bibliothèques... chérir les hom-
mes lettrés et pieux ecclésiastiques (1)...
La maison de Conflans, bâtie à la rencontre de la Marne
et de la Seine, n'était pas moins hospitalière aux poètes,
comme l'atteste un sonnet écrit par Ronsard, le 8 septembre
1570, dans cette même campagne, « l'honneur de Seine et
de vostre maison », disait-il à Villeroy, auquel il dédiait les
vers (2). Conflans était célèbre par ses beaux jardins.
(1) Oraison funèbre sur le trespas de messire Nicolas de Neufville,
sieur de- Villeroy, qui fut prononcée dans l'église de Magny, en pré-
sence de Villeroy, son (ils, et publiée dans les Oraisons funèbres et
tombeaux composés par messire Claude de Morenne, évèque de Séec,
1605, in-8. — Nous avons une description du château dans le Voyage
de Cassiano del Pocso (1625). « S'entra a essa per un gran cortile (da
fianco perô) clie termina un portone, dal quai nasce un allro cortile, i
due bracci di cui il mandritto forma una galleria o loggia, nella quale
sono 3 o 4 statue moderne, ed il manco lia alcune stanzo per servizio
di cucina e per habitatione per gente bassa. In l'ronte l'appartamento
del padrone, fatto al solito di Francia; si sale a esso per alquanti gra-
dini, entrandosi per una porta sulfrontespicio délie quale sono trebusti
di bronzo alla mandritta la regina Caterina de Medici, alla man manca
Arrigo 2o suo marito ed in mezzo Francesco 2°. L'habitazione e assai
commoda, ed in oltre Vi e un altra galleria, che fa un ala del giardino
che segue immediatamente. » (Cité par Palustre, La Renaissance en
France, in-fol. 1881, t. II, p. 46). Le Louvre possède une admirable
cheminée de ce château, qui, d'après Palustre, serait une des premières
œuvres de Germain Pilon,
(2) Ronsard, Ibid., t. VIII, p. 127.
À propos de Conflans, il convient de rappeler les beaux vers écrits
par Ronsard, en tête des Amours diverses qu'il dédiait à son ami, en
1584 (éd. Blanchemain, I, p. 367-372):
Reçois donc mon présent, s'il te plaist, et le garde
En ta belle maison de Conflans qui regarde
Paris, séjour des roys, dont le front spacieux
Ne voit rien de pareil sous la voûte des cieux ;
Attendant qu'Apollon m'eschauffe le courage
De chanter tes jardins, ton clos et ton bocage,
Ton bel air, ta rivière et les champs alentours
Qui sont toute l'année eschaui'fez d'un beau jour,
30 VILLEHOY
Arnold van Buchel, d'Utrecht, qui visita Paris et ses en-
virons en 1585 et 1586, nous en a laissé une description
enthousiaste et quelques dessins. « Il y a, dit-il, de larges
promenades sablées, des arbres, des vergers, des pelouses,
des fleurs et j'en passe: il y a aussi un bassin circulaire
analogue aux piscines, où les anciens empereurs romains
donnaient des combats navals, tels qu'on les voit sur les
monuments antiques. On y voit aussi un jardin en forme
de cella, en contre-bas avec le reste du sol : il est en pleine
verdure ; au milieu une fort belle fontaine et des chalets
d'été, sur la façade desquels on a placé des statues de
Tibère et de Germanicus: tout autour des treilles, des
haies de laurier, de cyprès et de plantes vivifiantes et odo-
riférantes, toujours vertes (1)... »
On désirerait entrer plus avant dans la vie de Yilleroy,
connaître quelques anecdotes piquantes sur son attitude
dans cette société mondaine et lettrée. Aucun souvenir
n'en est demeuré. Nous savons qu'il n'avait pas reçu une
grande culture littéraire, mais qu'il était poli, aimable et
de relations très sures. Il serait très exagéré d'appeler Ville-
roy un Mécène, si l'on réserve ce nom au seigneur lettré
qui protège les artistes et les écrivains, avec l'amour de
l'art et la passion de la gloire. Il aima, comme ses autres
amis, les hommes de lettres, ses amis, et les obligea comme
il put. îl ne faut pas prendre à la lettre les gentillesses de
Ronsard lorsqu'il appelle le jeune ministre un soutien d'A-
pollon (2), ni donner aux remerciements dupoète la valeur
Ta forest d'orangers, dont la perruque verte
De cheveux éternels en tout temps est couverte.
Et toujours sou fruict d'or de ses feuilles défend,
Comme une mère fait de ses bras son enfant.
(1) Description de Paris par Arnold van Buchel, d'Utrecht (1585-
!586). Mém. Soc. de l'histoire de Paris, 1SD9, t. XXVI, f. Ho-116.
(2) Ronsard, Ed. Banchemain, t. V, p. 347 (Les Sonnets divers).
' A Monseigneur deVilleroy [1573].
Chacun cognoist ta grandeur et combien
Tu tiens en France une authorité grande;
LES DÉBUTS LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX 31
d'un hommage rendu au puissant personnage à qui l'on
doit en partie sa faveur à la Cour. Ronsard, par la grâce
de son génie, régna sur la Cour des Valois, admiré et aimé
de Charles IX, le roi-poète, choyé par les dames, les sei-
gneurs et les artistes. Sous Henri III, il cessa de vivre en
courtisan, non parce que sa faveur avait décru, mais parce
qu'il se sentait un peu las, au seuil de la vieillesse et avait
pris goût à la solitude. Mais Henri III savait par creur des
vers du poète ; il aimait à l'entendre disserter à l'Académie
du Palais. Ronsard parut quelquefois à la Cour: il écrivit
des vers pour les mascarades et les tournois des noces de
Joyeuse et des sonnets pour Hélène de Surgères, fille d'hon-
neur de Catherine. Villeroy n'eut donc pas besoin de pro-
téger Ronsard. Mais par ses fonctions administratives il put
lui rendre beaucoup de menus services. Ronsard reçut des
dons et des pensions. On fut généreux pour sa gloire. Mais
sous le règne des Valois, les finances étaient dans un dé-
plorable état: un secrétaire des commandements du roi pou-
vait obtenir pour un ami pensionné une bonne assignation,
hâter le payement d'une somme qui pour d'autres aurait
subi d'infinis retards. C'est sans doute ce genre de service
que Villeroy rendit à Ronsard. Il se peut aussi qu'il lui ait
prêté de l'argent, comme paraissent le témoigner les vers
de spirituelle gratitude qui terminent la longue épître limi-
naire des Amours diverses. Le poète, après y avoir mélan-
coliquement rappelé ses cinquante-six hivers, et évoqué la
mort qui est au bout du chemin, constate avec « une amère
tristesse » qu'il faudra « déloger » avant de payer Villeroy
auquel il offre son livre comme gage (1).
Mais d'Apollon qui l'homme recommande
Chacun ne scait que tu es le soutien.
(1) Ronsard, Ibid., I, p. 367-372. Les Amours diverses. A très ver-
tueux seigneur Nicolas de Neufcille, seigneur de Villeroy. secrétaire
d Estât de sa Majesté. Cette longue épitre est une des plus émouvantes
de l'œuvre de Ronsard, par la gravité sereine des idées et la beauté des
images.
32 VILLEROY
Pour être un véritable Mécène à la Cour des Valois, Vil-
leroy aurait dû être un mondain. Or il ne l'était pas. Il
mena une vie de bourgeois très travailleur et très régulier,
se reposant des fatigues de sa charge à la campagne, dans
sa famille et au milieu de ses amis. On ne lui connaît pas
d'aventure galante (1).
Ronsard, qui savait louer avec tact, n'a jamais doué Vil-
leroy des qualités qu'il n'avait pas. Il le dépeint toujours
comme le ministre absolument dévoué au roi et à l'Etat,
L'Hercule chasse-mal des bons esprits françois (2),
travaillant nuit et jour en sa charge. Il envoie de la cire
« des liqueurs en clarté la première » pour ses yeux « ac-
coustumez à veiller » (3). En 1584, quand déjà l'on pouvait
estimer les services rendus par Villeroy, il loue ses vertus
qui resplendissent « entre les validez, la paresse et le
vice », sa simplicité, sa modération, sa jeunesse occupée
au service du public et il compare son ami à Ulysse.
Il fut, comme tu es, amoureux de sa charge
(Dont le roy se despouille et sur toy se descharge),
Car tu n'as point en l'âme un plus ardent désir
Que faire ton estât, seul but de ton plaisir (4).
Et même, il lui reprocha un jour, affectueusement, sa
vie trop sérieuse. Quand il lui dédia ses Mascarades, combats
et cartels, pour retirer son esprit « du soing laborieux », il
(1) Nulle part, ni dans les pamphlets, ni dans les lettres, ni dans les
mémoires du temps, nous n'avons trouvé la moindre allusion à une
aventure quelconque de Villeroy.
(2) Ronsard, Ibid., II, p. 372. A Villeroy,donnantsaFranciade[t578].
(3) Ronsard, Ibid., III, p. 373 [1584].
(4) Ronsard, Ibid.,\, p. 370.
LES DÉBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 33
Il ne faut pas tousjours, l'un des Atlas de France,
Soustenir le grand faix des choses d'importance;
Il faut, mon Villeroy, se donner du plaisir.
Les abeilles ne sont toujours en leurs ruchettes
A faire le doux miel ; mais vont à leur désir
Ramasser quelquefois la douceur des fleurettes (1).
Représentons-nous Villeroy, à cette époque de sa vie,
avec une figure un peu plus jeune que le portrait du
Louvre qui date vraisemblablement des premières années
du règne d'Henri III. Une figure mince, allongée, un nez
fin, des lèvres minces, un regard réfléchi, doux, un
peu rêveur et indécis. Ce portrait révèle un corps assez
frêle, qui n'est pas endurci à la vie au grand air, une per-
sonnalité discrète, qui doit être très timide en public. —
Ses amis ne lui ont jamais accordé le don de l'éloquence, et
les malveillants ont affirmé qu'il ne savait pas dire deux
mots dans une assemblée (2). — En un mot, c'est déjà
un homme de bureau et un diplomate, exercé à réfléchir
à loisir dans un cabinet, à se battre « avec des mains de
papier, des peaux de parchemin, des coups de ganivet, dv>
traits de plume... des sceaux et de la cire », comme Sully
le lui reprocha un jour méchamment devant Henri IV (3),
ou à discuter affaires, froidement, posément, avec un ou
deux personnages, dont on puisse étudier l'âme à leur
insu. Villeroy parait avoir été de complexion peu robuste,
mais il n'eut pas de maladie sérieuse avant la cinquan-
taine. Il veillait très soigneusement à sa santé, suivait
avec minutie l'étrange régime médical du temps qui
consistait en saignées périodiques, en purgations fré-
quentes, en absorption considérable d'eaux de Spa. Dès
(1) Ronsard, Ibid., IV, p. 120 [1573 .
(2] Sully. Ec. Roy., II, p. 409 et p. 484. — Mémoires du Cardinal
de Richelieu, p. 178.
(3) Sully, Ec. Roy., I, p. 309.
Villeroy. 3
34 VILLEROY
qu'il se sentait fatigué et que les affaires le lui permet-
taient, il allait, comme il disait, « tenir les champs dedans
les allées de Conflans » (1). Mais nous ne voyons pas qu'il
ait interrompu son service pour raison de santé aussi sou-
vent qu'il le fit plus tard sous Henri IV.
Revenons à l'homme public qui. sous Morvilliers et l'Au-
bespine, apprenait le métier de ministre. Il se tint patiem-
ment à sa place, sans prétendre exercer une action dispro-
portionnée à son âge et à son expérience. Durant les sept
premières années de son secrétariat, son rôle fut tout à fait
modeste. Aussi n'en a-t-il point parlé dans ses Mémoires.
Les ambassadeurs vénitiens ne le nomment point parmi les
personnages importants (?;. Même silence sur sa personne
dans les autres documents contemporains. Il n'eut pas à
prendre la moindre part aux conseils qui précédèrent la
Saint-Barthélémy. La politique de violences si tragiquement
inaugurée en 1572 contre les huguenots fut l'œuvre de la
reine-mère qui prépara le meurtre de l'amiral et les mas-
sacres qui suivirent, dans le secret, avec le duc d'Anjou,
les dues de Nevers et de Guise, Tavannes et le garde des
sceaux Birague. Quels furent les sentiments intimes de
Villeroy ? Xous l'ignorons. Cependant, d'après son carac-
tère, on peut conjecturer qu'ils ne différèrent guère de
(1) Lettre? d'Henri IV et de Villeroy à LaBoderie, Amst., 1733, in-8,
t. I, p. 69. Villeroy à La Boderie, Ie'' septembre 1606. Nous avons
des nouvelles de sa santé par la correspondance des ambassadeurs
(Lettres a la Boderie, lettres à Boissise. F. Fr. 4128, passim) et par les
relations des étrangers.
(2) 11 n'est pas question de Villeroy dans les relations d'Alvise Con-
tarini (1572), deSigismonde Cavalli (1574), de Giovanni Michiel (1575),
publiées par Alberi dans lasérie I, t. IV de ses Relazioni du wr siècle.
LES DÉBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 35
ceux de son maître Morvilliers. Lrévêque d'Orléans n'était
pas assez énergique pour blâmer tout haut la violence :
cependant on savait qu'il la désapprouvait in petto et Bi-
rague ne tarda pas à le supplanter au Conseil (1). Quand,
deux ans plus tard, au début du règne d'Henri III, on
demanda au vieux conseiller son avis sur la question reli-
gieuse, il demanda nettement qu'on mit fin à tous les trou-
bles « par une amiable réconciliation » (2). L'historien
Matthieu, à qui Villeroy avait conté le récit de ses premières
années, affirme, en désignant, par un heureuxeuphémisme,
la Saint-Barthélémy que « si ce prince [Charles IX] eut des
conseils extrêmes, Villeroy ne les lui donna pas » (3).
L'année suivante, quand l'armée catholique, sous les
ordres du due d'Anjou, alla faire le siège de la Rochelle,
une mission dont nous ignorons les détails fut confiée à
Villeroy. La reine-mère et le roi l'envoyèrent au duc d'An-
jou et au duc d'Aleneon. L'attitude de ce dernier et des
catholiques modérés inquiétait la cour. (Tes! à ce mo-
ment quese formait secrètement l'union des amis de Mont-
morency et du duc d'Aleneon, le troisième fils ambitieux
et aigri de Catherine, avec les huguenots, sous le nom de
« Parti des politiques ». Cette mission fut sans doute peu
importante, car elle passa inaperçueaux yeux des contem-
porains, et Villeroy lui-même a jugé inutile d'en parler. Vn
événement imprévu fit lever le siège de la Rochelle et con-
clure la paix au mois de juillet 1573 : l'élection du duc
d'Anjou au trône de Pologne. Le duc d'Anjou revint rapi-
dement à la cour. On dit que Charles IX, avant le départ
de son frère pour son nouveau royaume, lui parla très favo-
(1) Relation de S. Cavalli, 1574, Alberi, t. IV, p. 323.
(2) Discours pour savoir s'il est expédient d'arrêter par les armes
lecours de la nouvelle religion enee royaume, dans les Mémoires d' Estât
de Morvilliers, F. Fr. 5172. édité par Baguenault de l'uchesse, dans son
livre sur Pévêque d'Orléans, p 322.
(3) Matthieu, Remarques d' Estât, p. 261.
36 VILLEROY
rablement de Villeroy et que le futur Henri III ne l'oublia
pas (1).
En 1574, une mission beaucoup plus délicate fut confiée
à Villeroy. Les circonstances furent telles qu'elle n'eut au-
cun résultat politique, mais donna lieu d'accuser Villeroy
d'avoir voulu faire tuer Damville, le gouverneur du Langue-
doc, auquel il avait été délégué pour offrir la paix. Ville-
roy s'est longuement justifié, au début de ses mémoires.
C'est le premier de ses actes qu'il décrive avec détails et
qui exige d'aussi amples explications. Nous devons, en
effet, le considérer comme le début de sa vie politique.
Pour la première fois, Villeroy se trouve engagé comme
négociateur, avec une certaine responsabilité, au cœur des
difficultés soulevées par le problème religieux et politique
de la fin du xvi'' siècle. Pour la première fois aussi son atti-
tude parut équivoque, et fut critiquée. Blâme ou louange,
c'étail le commencement de la notoriété. Aussi devons-
nous entrer avec lui dans le récit détaillé de cette af-
faire (2).
La province du Languedoc n'avait pas été pacifiée à la
suite de l'édit de Boulogne (juillet 1573). Les huguenots
de Montauban et de Nîmes ne voulurent pas désarmer (3).
La guerre avait d'ailleurs été mollement conduite par Dam-
ville, frère de Cossé et de Montmorency, gouverneur du
Languedoc, qui ne recevait pas d'argent de la cour et com-
mençait déjà à ménager les huguenots avant de s'unir à eux.
(1) Mathieu, Ibirt. — Il n'est question du rôle particulier de Ville-
roy ni dans les mémoires du temps, ni dans les ouvrages récents de
Décrue, Le parti des politiques au lendemain de la Saint-Barthé-
lémy, in-8°, 1892, et de Hauser, François de la Noue, in-S°, 1892.
(2) Mém., pp. 107-108.
(3) Sur ces affaires du Languedoc en général, voir les mémoires du
temps que nous citons plus loin, les principaux historiens, notam-
ment de Thou, t. VII, la correspondance de Catherine de Médicis, t. IV,
p. 285 et suiv.. et surtout D. Vaissète, Histoire du Languedoc, édit.
nouvelle, XI et XII, Toulon, 1889, avec ses abondantes preuves.
LES DÉBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 37
Ceux-ci, très forts par leurs propres ressources et la compli-
cité tacite du maréchal, rédigèrent une requête au roi
demandant en termes énergiques justice pour le passé et
solides garanties pour l'avenir . Ces exigences parurent exces-
sives au roi qui néanmoins dissimula son mécontentement
et en réponse aux articles présentés envoya dans le Midi,
pour traiter de la pacification, le ducd'Uzès, les sieurs d'A-
cier et de Caylus. Damville reçut la députation à la fin de
novembre et désigna la ville de Pézenas pour tenir la con-
férence entre les envoyés royaux et ceux de la religion. Les
négociations n'eurent aucun succès (1). Caylus à quatre
lieues de Toulouse tomba dans quatre embuscades et per-
dit tous ses bagages. Le duc d'Uzès, malgré la trêve, fut
dépouillé de deux de ses places prises d'assaut par les Hu-
guenots. Les députés étaient mal choisis. Leur chef (qui
était lejiluc d'Uzès avait trop d'intérêts engagés dansla
province pour être un négociateur impartial accepté de
bon gré par les protestants.
La reine-mère et son fils le comprirent, car ils jetèrent
les yeux sur Villeroy qu'ils savaient assez fidèle pour exé-
cuter tous leurs ordres et assez petit personnage pour ne
pas exciter la défiance des protestants. On le chargea donc
d'achever la négociation malheureusement commencée par
d'Uzès, d'Acier et Caylus. On lui adjoignit Saint-Sulpiee,
superintendant de la maison du duc d'Aleneon, sans doute
afin d'être agréable au maréchal dont on connaissait les
relations avec le frère du roi.
Yillerov reçut, le 26 février 1374, des instructions « pour
regarder de faire en sorte que l'on puisse conférer avec
lesdits de la nouvelle opinion et traiter s'il est possible une
bonne paix » (2). Il devait démontrer au maréchal combien
(1) Histoire du Languedoc, t. XII, pp. 1 002-1063.
(2) La copie est dans le Fonds Biienne, 207, pp. 83 et 126. — Voir
Histoire du Languedoc, t. XII, p. 1001 et Lettres de Catherine de
Médicis, t. IV, p. 283.
38 VILLEROY
cette paix était nécessaire et le prier de s'employer à assou-
pir les troubles. Il devait assurer ceux de la religion qu'ils
ne seraient plus molestés au sujet de leurs croyances. Des
instructions que Villeroy ne devait pas montrer conte-
naient les concessions qu'on n'accorderait qu'à la dernière
extrémité. Dictées par Catherine, elles révèlent quelques
traits de la politique dont Villeroy se souviendra lorsqu'il
agira avec plus d'initiative durant la Ligue. Paraître céder
devant l'éloquence de l'adversaire des conditions qu'on
était résolu à accorder à la dernière extrémité ; compter
sur l'effet bienfaisant des trêves qui rapprochent les enne-
mis, renouent les amitiés, l'ont reprendre les bonnes habi-
tudes de la paix, seront deux des moyens employés par
Villeroy.
Il partit à la fin de février, quelques jours après Saint-
Sulpice et arriva à Avignon le 22 avril (1). Les deux dépu-
tés ne purent pas aller plus loin, malgré leur bonne volonté.
Les chemins du Bas-Languedoc étaient barrés par les gar-
nisons protestantes. D'Avignon, Villeroy écrivit au maré-
chal. Mais quelque effort qu'il fit, il lui fut impossible de
le voir (2).
Bientôt, il reçut d étranges nouvelles. Les « malcontenls »
avaient ourdi un complot pour faire sortir de cour et s'en-
fuir à Sedan le duc d'Alençon et le roi de Navarre. La cons-
piration découverte, deux malheureux complices, La Molle
et Goconat, payèrent pour les grands. Les maréchaux de
Cossé et de Montmorency, très compromis, furent jetés à
la Bastille. Restait Damville, leur frère, le plus redoutable
chef du Tiers-Parti, à la tète d'une grande province et
prêt à s'unir aux troupes protestantes. Il y eut à la cour un
(1) Faurin, Guerres du Cointat-Venaissin, Mss., p. 629.
(2) Mém.j p. 106. — De leur côté, le roi et la reine-mère avaient
fait tout leur possible pour décider Damville à venir en cour, cher-
chant à l'amadouer et à lui persuader que toutes ses requêtes lui
seraient accordées par Villeroy et Saint-Sulpice.
LES DÉBUTS LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 30
moment d'affolement. Le 4 mai, le jour même de l'empri-
sonnement de Cossé et Montmorency, le roi enleva à Dam-
ville son commandement et le donna au prince Dauphin,
fils de Montpensier. L'argent et les troupes manquaient
pour réduire Damville. En toute hâte on expédia à Villeroy
par commission scellée du grand sceau et par lettre écrite
de la propre main de Charles IX l'ordre de se saisir de la
personne du duc et d'avertir les gouverneurs et capitaines,
consuls et habitants des villes de ne plus le reconnaître
pour gouverneur ni lui rendre obéissance (1). Cet ordre,
porté par un capitaine d'aventures Martinengo, ne prescri-
vait pas à la lettre de tuer le maréchal, mais son impréci-
sion redoutable et la solennité des termes du déliemenl
d'obéissance autorisaient tous les excès. Il est certain que
la reine-mère n'aurait pasété mécontente d'un dénouement
violent.
On laissait donc à Villeroy toute liberté d'agir. Mais il
comprit qu'il était impossible de s'emparer du maréchal
dans son gouvernement au milieu de ses forces. Il aurait
été arrêté et exécuté par le duc avant de pouvoir approcher.
L'entreprise eût-elle été possible, Villeroy était-il l'agent
propre à la faire réussir? On en doute quand on connaît
son aversion à l'égard des moyens violents. L'aurait-il
accomplie avec zèle? On peut pareillement en douter, car
Villeroy devait commencer à connaître l'instabilité et la
faiblesse de la politique royale et se soucier très peu de
s'attirer la haine d'un parti qui pouvait triompher après la
mort de Charles IX. On peut donc croire Villeroy lorsqu'il
dit qu'il fut bien aise « de ce que ledit .Martinengo l'avait
trouvé encore en ladite ville d'Avignon ».
Ses contemporains ont-ils cru qu'il avait réellement
attenté à la vie du maréchal ?
Une « déclaration et protestation faite par M. le maré-
(1) Histoire du Languedoc. Preuves, t. XII, p. 1098, n° 331.
40 VILLEROY
chai Damville sur l'occasion pour laquelle il prit les armes
pendant l'Union » (1) n'accuse pas la personne de Villeroy
directement. Elle met en cause la Cour et le groupe des
députés royaux. Ils ont fait, dit-elle, tout ce qu'ils ont pu
« pour nous faire tuer par le comte de Martinengo et plu-
sieurs autres envoyés exprès, pour nous faire emprisonner
et massacrer par une élévation populaire en celle ville de
Montpellier, chose si vulgaire que chacun peut en dépo-
ser ». Mais cette apologie est suspecte, car, pour justifier
une rébellion, elle tend naturellement à grossir les torts
de la Cour. Damville était cependant de bonne foi, s'il
est vrai que Thoré, son frère, lui écrivit de sa prison pour
l'engager à se défier (?). Il lui aurait dit de songer à sa
sûreté, « car la Cour lui avait envoyé le duc d'Uzès, Saint"
Sulpice et Villeroy pour le tromper » et Martinengo était allé
en Languedoc apparemment pour lui ôter la vie.
Un Gascon qui racontait au jour le jour l'histoire de son
temps et de sa région, Faurin, marchand chaussetier à
Castres, dit dans son Jou mal que « le maréchal avait des
avis de plusieurs endroits que Villeroy et Saint-Sulpice...
n'étaient venus que pour se saisir de lui » (3). Damville,
paraît-il, fut si effrayé qu'il tomba malade et si courroucé
qu'il fit pendre un capitaine suspect, Girardon. Enfin l'au-
teur du « Discours merveilleux de la vie, actions et dépor-
tements de la reine Catherine de Médicis », composé en
1574, accuse formellement la reine-mère d'avoir donné
l'ordre de se saisir du maréchal Damville, mort ou vif (4).
De ces témoignages d'ennemis passionnés de Catherine
et des autres documents il résulte que la Cour forma le
(1) Histoire du Languedoc. Preuves, t. XII, no 336.
(2) DeThou, Hist., t. VII, p. 61.
(3) Faurin, Guerres du Comtal-Venaissin, Ibid., p. 629 et suiv.
Voir aussi Brantôme, Œuvres, t. 111, p. 366.
(4) Cimber et Danjou, Archives Curieuses de l'histoire de Fiance,
t. IX, p. 110.
LES DÉBUTS — LE SECRETAIRE DE CHARLES IX 41
projet de s'emparer deDamville « mort ou vif », que peut-
être des agents subalternes, hommes à tout faire, tels que
ce Sciarra Martinengo, entreprirent à eux seuls l'exécution
de cette tâche. Mais ils ne prouvent pas que Yilleroy ni ses
amis aient essayé d'accomplir ce projet. Les raisons que
Villeroy donne de son abstention ne perdent donc rien de
leur valeur.
Villeroy et ses collègues n'ayant pas jugé bon de pour-
suivre leur mission partirent le 28 mai d'Avignon avec le
duc d'Uzès, Caylus et Maugiron. pour aller retrouver le
prince Dauphin qui avait été nommé gouverneur du Lan-
guedoc.
DEUXIEME PARTIE
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III
(1574-1589)
CHAPITRE Pr
I. Premiers rapports de Villeroy et d'Henri III. Le règlement du
17 septembre 1574. — II. L'activité diplomatique de Villeroy
de 1577 à 1582. Les négociations avec les protestants. (Paix de
Bergerac et paix de Fleix). Les affaires du duc d'Anjou. — III.
L'affaire Salcède. Villeroy calomnié (1582). — IV. Villeroy et
son « bonmaistre ». L'homme de confiance d'Henri III.
(1574-1584)
Le 30 mai 1574, Charles IX mourut. La reine-mère
exerça la Régence en attendant le retour du roi de Pologne,
l'héritier du trône. Cependant le due d'Anjou abandonnait
précipitamment sa couronne et s'enfuyait hors du pays des
Sarmates avec la joie d'un prisonnier quon délivre. Par
r Autriche, il gagnait Venise et après une semaine de fêtes
splendides rentrait dans son royaume de France par Fer-
rare, Mantoue et le Piémont, très lentement, malgré les
44 VILLEROY
supplications de Catherine impatiente de le revoir dans sa
capitale.
La reine-mère, aussitôt après \e décès de Charles IX,
avait envoyé à Villeroy [l'ordre de se rendre au-devant
d'Henri III avec Chevernyet le secrétaire d'Etat de Sauve.
Les ministres rencontrèrent leur nouveau roi à Turin où il
était arrivé le 12 août. « Il nous reçut, dit Villeroy, très
humainement et me fit en particulier certainement plus
d'honneur et de bonne chère qu'aucun n'espéraient ni dési-
raient » (1).
Il ne faudrait pas croire, d'après ces paroles, que Villeroy
fut spécialement remarqué par le souverain entre les autres
ministres. Le personnage principal de la mission envoyé à
Turin, Cheverny, fut accueilli par le prince avec beaucoup
plus « de caresse et faveur ». Il raconte lui-même qu'il
mena avec lui MM. de Sauve et de Villeroy désignés par la
reine-mère et que dès le 5 septembre, Leurs Majestés lui
firent « cet honneur très grand et très particulier » de l'ap-
peler « seul avec elles clans le cabinet » (2). Cheverny pos-
sédait, en effet une autorité beaucoup plus considérable
que Villeroy, par son âge — il avait quinze ans de plus — et
par les services rendus. Cet ancien maître des requêtes de
l'Hôtel du Roi était devenu le chancelier du duc d'Anjou
et son serviteur favori. Il n'avait cessé de correspondre
avec le roi de Pologne, lui avait envoyé de l'argent et avait
(1) Mém., p. 107. — ■ Il n'y a aucun détail sur la réception des mi-
nistres, ni dans l'ouvrage du duc de Noailles, Henri de Valois et la Po-
logne en 1572, in-8", 1867, 3„vol., ni dans le livre deNolhac et Solerti,
// Yiaggio in ïtaïia di Enrico III, in-S<\ Turin, J 890.
Nous n'avons trouvé qu'une lettre de Villeroy relative au change-
ment de règne. Elle est adressée à Bellièvre, le 17 juin 1574 (F. fr.
15903, f° 75). « Si j'ai été marri de n'avoir pu faire en Languedoc et
Dauphiné la paix,, je l'ai été encore plus beaucoup d'avoir trouvé à mon
retour mon maître mort, car j'en ai quelque spéciale occasion plus que
les autres. »
(2) Mémoires de Philippe Hurault , comte de Cheverny, Ed. Michaud
etPoujoulat, ire série, X, p. 475.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 45
pris avec Catherine toutes les mesures pour qu'il succédât
sans difficultés à son frère. Villeroy fut incontestablement
bien reçu d'Henri III; mais il eut la faveur qu'il méritait
et rien de plus. Un des caractères les plus remarquables
de la carrière politique de Villeroy est la croissance régu-
lière et sûre de sa fortune et de son influence. Or, en 1574,
Villeroy était encore loin du premier rang.
Il parut même un moment à Villeroy que l'importance
de sa fonction allait singulièrement diminuer. Dès son arri-
vée à Lyon, Henri III. par un règlement daté du 17 sep-
tembre, détermina l'ordre qu'il voulait « désormais être
gardé en ses Conseils » (1). La première partie ne touchait
pas directement les pouvoirs des secrétaires d'Etat. C'était
une réorganisation du Conseil qui était divisé en trois
sections : Conseil d'Etat, Conseil privé, Conseil des finan-
ces. On fixait les jours des séances et la qualité des per-
sonnes qui y avaient entrée, séance et voixdélibérative. Les
sociétaires d'Etat avaient, comme par le passé, entrée,
séance et voix délibérative au Conseil d'Etat et privé, et
entrée au Conseil des finances. Mais leur pouvoir était
limité dans la seconde partie du règlement par « l'ordre
que le roy veut estre gardé en ce qui dépend de sa grâce
et libéralité ». C'était un changement radical de la forme
ancienne des expéditions de dons et bienfaits.
Auparavant, les mémoires des particuliers qui avaient
des grâces à demander étaient présentés par les grands ou
les favoris. On avait pris l'habitude de les renvoyer aux se-
crétaires d'Etat, — en lesquels Charles IX avait entière con-
fiance — pour être examinés. Et ceux-ci, s'ils trouvaient la
(l) « L'ordre que le roy veult désormais estrc gardé en ses Con-
seils », fait à Lyon, le 17 septembre 1374. La copie est dans le t. II
du Recueil de réglemens faits pour la Maison du roi... intitulé Des
secrétaires d'Estat et des finances (ancienne Coll. Brienne, Nouv. acq.
Fr. qo 1-2'2(i, fos 53 et suiv.). — Voir aussi les mémoires de Villeroy,
p. 108 et de Cheverny, p. 476 et les historiens.
46 VILLEROY
demande contraire aux règlements et usages anciens, reje-
taient le mémoire sans le rapporter. Jugeaient-ils qu'on
pouvait accorder sans inconvénient la demande, ils l'enre-
o-istraient sur un rôle qui était lu au roi en présence de
son Conseil et discuté, article par article. Le roi apostillait
de sa main ceux qui étaient accordés ; les autres étaient
rayés. On transcrivait les articles concédés sur un nouveau
rôle, appelé contre-rôle ou contrôle. Le chancelier y appo-
sait le sceau et les secrétaires d'Etat faisaient ensuite leurs
expéditions. Cette habitude ancienne conférait à ces
derniers une part importante de responsabilité. Ils avaient
un pouvoir de contrôle dont ils usaient pour faire respec-
ter les ordonnances du royaume et les bonnes coutumes
établies, pour empêcher le gaspillage des deniers publics
et gérer avec ordre et régularité les finances de l'Etat.
Il y avait des abus : Villeroy le reconnaît. Des secrétaires
se faisaient payer par les quémandeurs leur approbation
ou refusaient l'examen d'un placet aux personnes qui
leur déplaisaient. Mais aux yeux de Villeroy, les abus
engendrés par la nouvelle forme des expéditions furent
plus funestes à l'Etat.
Henri III ordonna en effet que chaque particulier lui pré-
senterait directement son mémoire et que lorsqu'il l'aurait
lu et apostille, les expéditions en seraient faites par les
secrétaires sans autre examen.
Voici le détail du règlement qui est inédit : « Tous ceux
qui prétendront faire requestes se présenteront au jour de
samedi incontinant après le dîner de S. M. lors qu'elle
voudra recevoir les requestes et placetz pour les présenter.
Lors, elle les fera prendre par celuy des secrétaires d'Estat
qui sera en mois qui se trouvera près d'elle... » Les requê-
tes devaient être déposées dans un sac de velours qui serait
remis entre les mains de ceux que le roi ordonnait pour les
rédiger, « lesquels feront un mémoire abrégé de toutes
lesdites requestes et placetz présentés qu'ils montreront
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 47
après à Sa dite Majesté pour estre par elle vu le nombre
d'iceux qu'elle certifiera de sa propre main au bout du dict
mémoire ». Sur ce mémoire abrégé, le secrétaire d'Etat
« fera dresser des rolles contenant en substance ce qui sera
porté par les requestes et placetz ». Puis, lesamedisuivant
il rapportera le rôle à S. M. pour être lu « et sera par elle
cotté sur chacun des articles d'icelui ce qui sera de sa vo-
lonté dont il y aura trois copies, l'une pour S. M., l'autre
pour M. le Chancelier, l'autre pour ledit secrétaire, sur la-
quelle dernière copie S. M. mettra les réponses de sa main,
en vertu de quoi les expéditions seront dressées ». Le se-
crétaire d'Etat « ne pourra faire aucune expédition de chose
accordée par Sa dite Majesté que selon ce qui sera par elle
mis sur ledit roolle qu'elle signera de sa main. »
Cette réforme mécontenta les princes et seigneurs de
qualité à qui il ne fut plus permis de parler au roi pour
d'autres que pour eux et fut, au dire de Villeroy, une cause
de troubles. Le mal ne fut peut-être pas aussi grand que
Villeroy l'affirme. Si les grands ne présentèrent plus direc-
tement les requêtes pour leurs clients et ne les défendirent
plus au Conseil du roi, ils ne manquèrent pas d'autres
moyens pour Jes [recommander. Une supplique appuyée
par les favoris, désormais seuls dispensateurs des dons, fut
parfois aussi efficace que l'ancienne forme de recomman-
dation. D'ailleurs, Villeroy reconnaît ensuite que les grands,
après ce changement, ne perdirent pas la clientèle des
gens qu'ils obligeaient, mais la virent grossir pendant les
guerres civiles.
Une conséquence plus grave de la réforme fut d'exposer
désormais le roi au mécontentement de ses sujets s'il n'ac-
cédait pas à leurs demandes, ou au gaspillage des finances
s'il se montrait trop faible. Sous le régime précédent, on
procédait beaucoup plus habilement. Charles IX ne répon-
dait jamais non aux quémandeurs. Le solliciteur éconduit
ne pouvait rendre responsables du refus que les secrétaires
48 VILLEROY
du roi qui eux-mêmes se retranchaient derrière l'observa-
tion des lois et ordonnances royales. Henri III avait encore
aggravé cette mesure en décidant qu'il prendrait désor-
mais entre ses mains les acquits des deniers comptants, ce
qui engendra, dit Villeroy, toute sorte de confusions (1).
Le secrétaire d'Etat déplore ces abus nouveaux parce
qu'il aime, dit-il, sincèrement le bien public. Il cite, dans
ses mémoires, un fait caractéristique. Un jour le comfedes
Cars lui porte un place t signé du roi par lequel S. M. lui
permet de lever sur les habitants de ses terres des soldats
pour la garde de ses châteaux. Villeroy lui objecte qu'il
n'est pas d'usage de faire garder, les maisons des particu-
liers aux dépens du peuple. Le comte va se plaindre. Vil-
leroy est réprimandé pour avoir osé contrôler les volontés
du roi (2). Villeroy déplorait aussi ce changement, parce
qu'il diminuait le pouvoir des secrétaires. Il avait le goût
du pouvoir personnel. Ses ennemis sont unanimes à rele-
ver ce qu'ils appellent un défaut. Nous verrons souvent
combien il souffrait d'être contredit et de ne pas faire préva-
loir son avis. Use sentit donc très humilié de se voir tout à
coup réduit au rôle d'expéditionnaire.
On conçoit sa rancune contre ceux qui avaient fait en-
tendre au roi « qu'il n'était pas raisonnable que ses offi-
ciers contrôlassent ses volontés ».
(i) Mém., p. 108.
(2) « On lui fit entendre qu'il n'était pas raisonnable que ses oi'fî-
- "ntrôlassent ses volontés et commandements, comme ils faisaient
du temps du feu roi son frère, lequel à la vérité se reposait grande-
nt sur leur devoir et fidélité, pour l'administration de ses finances
et exécution de ses commandements, dont aussi ils étaient responsables
du tout, ce qui était cause qu'ils y versaient plus religieusement et
loyalement, comme l'on a mieux connu et expérimenté depuis, car la
facilité et couverture des dits comptables a engendré tant de sortes de
concussions, larcins, dons immenses et dépenses mal employées qu'il
n'y a chose qui ait tant fait de tort au roi ni détruit le royaume que
cela, comme a fait aussi la nouvelle forme de présenter et expédier
lesdits dons... »
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 49
Peut-être y avait-il parmi eux des ennemis particuliers
qu'il avait mécontentés sous le défunt roi par des refus de
faveurs illégales. (Il fait une allusion à des gens qui « n'es-
péraient ni ne désiraient » la faveur dont Henri III l'hono-
ra.) Il y avait aussi parmi eux des amis de Villeroy dont il
ne cite pas les noms et qui suivaient une politique person-
nelle. Il est curieux de voir en effet que Cheverny ne dé-
sapprouve pas le changement qui trouble tant Villeroy.
« Je reçus dit-il, commandement de recevoir tous lesdits
placets qui furent présentés au roi pour les faire voir et
résoudre à part, les secrétaires présents pour en recevoir
les commandements et en faire et dépêcher les expédi-
tions (1). » Peut-être ne fut-il pas étranger à une mesure
qui accroissait son influence. Il était allé trouver le roi à
Turin avec un mémoire de la reine-mère qui, impatiente
de voir son fils bien inaugurer son règne, lui conseilla les
pratiques nécessaires pour se faire bien servir et aimer de
ses peuples (2).
Quels que fussent les instigateurs de cette mesure, le mo-
tif principal de ce changement ne fut pas le désir d'affran-
chir la royauté du contrôle des secrétaires ; ceux-ci étaient
en général de bons serviteurs et leurs petites clientèles
étaient inoffensives. Mais Henri III était un prince pénétré
de l'idée de la grandeur royale, et passionnément désireux
de la rendre sensible à tous ses sujets : c'était aussi une
nature très généreuse qui ne savait rien refuser. On lui fit
sentir facilement, — ou il compritde lui-même — qu'il n'était
pas décent de voir des secrétaires d'Etat arrêter les effets
de sa munificence. Un grand roi devait faire, sans inter-
médiaire ni contrôle, ses libéralités. D'autre part, il prit,
dès le début de son règne, l'habitude de s'isoler avec quel-
(1) Cheverny, Mémoires, p. 67.
(2) Lettres de Catherine de Médias, t. V, p. 73. Mémoire pour mon-
trer à M. le Boy mon fils, 8 août 1574.
Villeroy 4
50 VILLEROY
ques favoris. — Les premiers furent Villequier, dont il fit
le premier gentilhomme de la Chambre, et Bellegarde qu'il
créa maréchal de France. — Il lui parut intolérable que
n'importe quel grand seigneur vînt, comme avant, discu-
ter au Conseil, plus ou moins familièrement, pour favori-
ser ses protégés, chaque article du rôle dressé par les se-
crétaires et le chancelier.
Ce changement entraîna-t-il longtemps pour les secré-
taires d'Etat l'amoindrissement d'influence que Villeroy
avait redouté ?
En se réservant la faculté de lire le premier et d'apos-
tiller les mémoires, Henri III s'était imposé une tâche très
lourde qu'il accomplit avec bonne volonté d'abord, puis
dont il fut forcé de se dispenser très souvent, surtout quand
son temps était absorbé par les plaisirs ou les exercices de
dévotion. Les historiens sont assez sceptiques sur les ré-
sultats des nombreux et minutieux règlements d'adminis-
tration promulgués sous Henri III (1). Le règlement du 17
septembre 1574 fut probablement mal appliqué ou appliqué
par intermittences. Mais il nous est impossible de rien pré-
ciser pour cette époque d'incohérence gouvernementale.
Nous pouvons toutefois assurer, en ce qui concerne
Villeroy, que si d'après la lettre du règlement, il vit ses
pouvoirs diminuer comme secrétaire d'Etat, après quel-
ques années de bons services il les retrouva et les accrut
considérablement comme conseiller et ami d'Henri III.
M
Durant les premières années du règne, les affaires furent
conduites, sous la haute direction de la reine-mère et du
roi. par les conseils de trois anciens ministres de Charles IX,
(1) Gaillard, Histoire du Conseil du Roy, in-8<>, 1718, p. 40. .
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 51
Birague, Morvilliers et FAubespinè, et de deux hommes
nouveaux, Cheverny et Bellièvre. Le Milanais Birague,
Chancelier, était un catholique ardent et audacieux très en
faveur auprès de Catherine depuis la Saint-Barthélémy. L'é-
vêque d'Orléans était toujours consulté avec beaucoup de
déférence : mais il plaisait moins, parce qu'il devenait de
plus en plus timoré, mécontent du mauvais maniement des
finances, et ami de la conciliation. L'évêque de Limoges
restait le serviteur zélé et habile de Catherine. Cheverny
s'imposait par les services rendus à Henri III, quand il
était duc d'Anjou et roi de Pologne, par la souplesse de son
attitude et ses qualités de bon fonctionnaire. Pomponne
de Bellièvre, qui était conseiller au Parlement de Paris
quand Villeroy fut nommé secrétaire d'Etat, avait accom-
pagné Henri d'Anjou en Pologne comme ambassadeur de
Charles IX et à son retour avait négocié le passage du roi
sur les terres de l'Empire. Henri III en fit un surintendant
des finances en 1575etunprésidentauParlementun an après.
Sans avoir les idées originales d'un homme d'Etal, il était
remarquable comme administrateur et comme diplomate.
Il avait déjà accompli six importantes missions en Suisse
et au pays des Grisons (1). Villeroy devint un grand ami de
cet homme qui était d'une simplicité et d'une douceur pro-
verbiales et qui parcourut sans fracas, jusqu'en 1G07, une
belle carrière, « honoré des rois de grandes et belles
charges dont il s'était toujours dignement et vertu eusc-
menl ae quitté » (2).
La politique qui prévalut au début du règne d'Henri III
(1)E. Rott, Les Missions diplomatiques de Pomponne de Bellièvre
en Suisse et aux 'irisons (1560-74). Rev. d'hist. diplom., t. XIV, 1900.
(2) L'Estoile, t. VIII, p. 339. — Quelques anecdotes sur sa douceur
et sa simplicité sont rapportées par Tallemant des Réaux, Historiettes.
Aucune étude spéciale n'a été consacrée ni à Cheverny, ni à Bellièvre
qui est beaucoup plus intéressant et a laissé une masse considérable
île lettres et documents par lui écrits ou ù lui adressés) conservés dans
les Papiers de Bellièvre, V. Fr., 13890-1 5911.
52 VILLEROY
fut entièrement inspirée par Catherine de Médicis. Elle
voulut la continuation de la guerre qu'elle croyait facile.
On se battit avec acharnement dans l'Ouest, autour de
la Rochelle, dans les provinces du Sud-Est et dans le Midi,
où Damville était entré en révolte ouverte contre l'autorité
royale. La situation devint assez grave quand le duc
d'Alençon, chef des mécontents, parvint à s'enfuir de la
Cour et à rejoindre les huguenots (septembre 1575), et
quand l'armée allemande de l'Electeur Palatin, renforçant
les troupes de Condé, marcha sur Paris. Henri III dut, la
rage au cœur, laisser son frère, qu'il détestait, s'entremettre
pour la paix. Il promulgua ledit de Beaulieu qui réhabili-
tait les victimes de la Saint-Barthélémy, rétablissait dans
leurs charges les chefs politiques, et accordait aux protes-
tants les plus larges concessions : huit places de sûreté,
des chambres mi-parties et le libre exercice du culte dans
tout le royaume sauf à Paris et dans les lieux où résidait
la Cour (6 mai 1576).
Villeroy ne joua aucun rôle dans ces événements. C'est
l'évêque de Limoges, son oncle, qui assista la reine-mère
dans les négociations qui précédèrent la paix. Ce fut l'oc-
casion de sa disgrâce. Henri III, profondément humilié de
ce traité désastreux, ne le lui pardonna pas, et ne voulut
plus, à partir de ce moment, se servir de ses conseils. On
ne peut préciser davantage les circonstances de cette dis-
grâce. De Thou l'attribue au ressentiment du cardinal de
Guise qui soupçonnait l'Aubespine de n'être pas favorable
au parti qu'il soutenait (1). Villeroy laisse entendre qu'il
avait trop bien assisté la reine-mère en la paix, mais il af-
firme qu1 « il avait servi en homme de bien » (2).
La paix ne fut pas de longue durée. Des ligues catho-
liques se constituaient en Picardie et dans différentes pro-
(1) De Thou, ffist., t. XV, p. 644.
(2) Mém., p. 109.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 53
vinces pour défendre la religion menacée par la tolérance
excessive accordée aux Huguenots. Le roi ne tarda pas à
préparer secrètement la guerre pour rétablir l'unité de foi.
Nous ignorons quels furent les sentiments de Villeroy :
mais nous savons que Bellièvre et quelques conseillers mo-
dérés étaient hostiles à la lutte à outrance. Les Etats-géné-
raux réunis à Blois en novembre 1576 se prononcèrent pour
la guerre qui reprit à la fin de l'année. Les catholiques
remportèrent quelques succès dans l'ouest au début de
1577. Mais les Etats-généraux, effrayés devant l'immensité
des dépenses, se ressaisirent et refusèrent d'accorder des
subsides et des hommes. Le Tiers-Etat demanda que le roi
réunît, sans guerre, tous ses sujets dans la même foi (jan-
vier 1577). Il se produisit alors un brusque revirement à
la Cour. Catherine de Médicis revint aux idées pacifiques.
Le roi se résigna à abandonner ses projets belliqueux, et
à traiter. II songea pour les négociations de paix à Vil-
leroy, qui, rendu prudent par la disgrâce de l'évèque de
Limoges, chercha d'abord à s'excuser.
La situation était en effet difficile pour Villeroy qui vou-
lait se maintenir au pouvoir sans mécontenter la Cour.
Le roi avait promis solennellement aux Etats de n'accor-
der la paix aux protestants que s'ils consentaient à ne pas
jouir de l'exercice de leur religion. Villeroy connaissait
l'opiniâtreté des huguenots. Les négociateurs, quels qu'ils
fussent, seraient obligés de leur faire des concessions. Ne
risquerait-on pas d'irriter Henri III? Villeroy se montrait
d'autant plus hésitant que, le 15 janvier, il y eut un conflit
entre le roi aidé de Monsieur et la reine-mère sur le
choix des conseillers à envoyer au roi de Navarre. La reine-
mère soutenait les conseillers qui avaient fait avec elle la
dernière paix, l'évèque de Limoges, Bellièvre, M. de Va-
lence, M. de Foix. Villeroy était désigné par Henri III. Or
à cette époque la reine était disposée à la conciliation et le
roi à la rigueur. On voit donc qu'Henri III aurait eu l'in-
54 VILLEROY
tention de charger son secrétaire de la mission difficile
d'offrir aux Huguenots une paix désavantageuse pour eux.
Villeroy dut néanmoins accepter et partir au mois de mois
1577 pour Bergerac. D'accord avec les Etats de Blois, la
•Cour avait déjà envoyé d'autres ambassadeurs vers les trois
chefs des protestants et catholiques associés, Navarre, Condé
et Dam ville. Les principaux avaient été les ducs de Monl-
pensieret de Biron qui avec les députés des Etats essayèrent
de convaincre le roi de Navarre de la nécessité de la paix,
mais n'en rapportèrent que de bonnes paroles (janvier-fé-
vrier). Villeroy était porteur de concessions plus étendues,
ce qui facilitait sa tâche ; et il avait la chance d'être envoyé au
moment où un concours de circonstances heureuses ren-
dait le roi désireux de conciliation : les Etats ne voulaient
accorder ni subsides ni hommes pour la guerre qu'Henri III
avait solennellement jurée aux hérétiques.
D'avril à septembre, l'activité de Villeroy fut très grande.
Les deux chefs de l'ambassade, Biron et Montpensier,
avaient été surtout désignés, l'un pour mettre en avant un
projet de mariage entre la sœur du roi de Navarre et le
duc d'Alençon, l'autre « pour être prince tel qu'il est de la
maison de Bourbon et d'âge » (1). (Il avait o4 ans.) Il fut
malade durant une partie des négociations (2). La corres-
pondance de Catherine, les lettres des Toscans et des Véni-
tiens font allusion aux allées et venues de Biron et de Vil-
leroy entre Bergerac et Poitiers où la Cour résida en août
<i septembre, à leurs démarches auprès du roi de Navarre,
à leurs entrevues secrètes avec la reine-mère et le roi de
France (3).
(1) « Avis donné au roi par certains de son Conseil suivant son com-
mandement le 2 janvier 1577. » Mémoires du duc de Nevérs.
(2) F. Fr. 3400, fo 17.
(3) Lettres de Catherine de Mèdicis. t. Y, p. 261 et suiv. — Des-
jardins, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane,
Coll. Doc. Inéd. Lettrés de Saracini au grand duc, 10 juillet et le'- sep-
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 55
Après les conférences de Bergerac, la paix fut signée le
17 septembre 1577 et confirmée par l'édit de Poitiers qui
accordait aux prolestants la libre pratique de leur culte
dans les faubourgs d'une ville par bailliage, et dans les en-
droits où ils en jouissaient avant la dernière prise d'armes.
Le roi fut satisfait de cette paix qu'il appelait sa paix.
Yilleroy nous dit qu'on fut content de lui. Sa conduite fut
en effet approuvée, puisqu'on lui confia aussitôt après
d'autres missions non moins délicates.
Yilleroy n'a signalé dans ses mémoires que son rôle dans
la paix de Fleix (1580) qui mit fin à la guerre des amoureux,
mais entre les deux paix, de 1577 à 1580, ses conseils ou
ses actes servirent la royauté dans toutes les questions im-
portantes de la politique intérieure et son influence gran-
dit rapidement.
Pendant ces trois années, Catherine et son fils n'eurent
guère que deux grandes préoccupations : pacifier le
royaume, et assurer l'avenir de ce turbulent et perfide duc
d'Anjou dont on voulait se débarrasser en rétablissant
royalement en Europe sans troubler la paix générale.
Le premier but fut poursuivi, — mais manqué — par le
voyage de Catherine dans le Midi (août 1578-février 1570 .
Sous le prétexte de conduire sa fille au roi de Navarre, elle
alla conférer avec les Huguenots, intrigua beaucoup et ne
fit qu'exciter leurs défiances en essayant de faire rétro-
céder avant le temps les places de sûreté accordées par le
roi.
. Yilleroy ne fut pas emmené par Catherine, mais il lui
rendit de loin d'importants services. La reine-mère, qui
tembre 1577, t. IV, p 121 et iï!4. — F. Ital. 1730, fo 96. Dép. de
Jérôme Lippomano à la Seigneurie, Poitiers, 22 juillet 1577. — Voir
aussi, sur le traité de Bergerac, F. Fr. 10297, Coll. Dupuy 322, Cinq-
Cents Colbert 399, .et l'Histoire du Languedoc, t. V, 305."
56 VILLEROY
craignait sans cesse que l'éloignement ne diminuât son
pouvoir sur son fils et redoutait l'influence occulte des
nouveaux favoris, les mignons, employait ses bons servi-
teurs et amis Cheverny, Brulart, Villeroy comme inter-
médiaires entre elle et le roi. Entre tous les confidents
de Catherine, c'est Villeroy qui recevait les lettres les
plus aimables et les plus familières, car elle le savait de plus
en plus consulté par le roi. Aussi le traitait-t-elle comme
un bon conseiller, ami de son fils et non comme un subor-
donné auquel on donne des ordres. « Monsieur de Villeroy,
écrivait-elle de Marmande le 7 octobre 1578, j'ai lu vos
lettres et les deux mémoires et loue Dieu de l'inspiration
qui me fit vous prier d'aller trouver le roi et que le roi
trouvât bon ce que j'avais pensé pour son service, de quoi
les choses en ont réussi si heureusement... Voilà mon avis ;
s'il est mauvais, jetez-le au feu : s'il est bon, montrez-le
au roi... Mandez-moi toujours de ses nouvelles et de toutes
autres choses... (1).»
Villeroy n'était pas seulement à cette époque l'homme
d'affaires de Catherine, son intermédiaire auprès du roi et
le correspondant obligeant qui la renseignait sur toutes les
affaires de la Cour. Il joua un rôle très actif auprès du duc
d'Anjou dans les affaires qui, après la question religieuse,
inquiétaient le plus la reine-mère et le roi.
Le duc d'Anjou rêvait de se tailler une souveraineté dans
les Pays-Bas révoltés contre le roi d'Espagne. 11 offrit ses
services aux Etats qui cherchaient partout des alliés et parti-
culièrement en France parmi les huguenots et les malcon-
tents enclins à reprendre les grands projets de Coligny. Le
roi et la reine-mère, craignant que cette entreprise n'entraî-
nât une guerre avec Philippe II et que le royaume dégarni
de sa noblesse catholique ne tombât à la merci des hu-
guenots, firent les derniers efforts pour l'en détourner. On
(1) Lettres de Catherine de Médicis, t. VI, p. 59.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 57
essaya de faire agir auprès de lui des personnes influentes,
telles que le maréchal de Montmorency et Marguerite de
Valois. Catherine elle-même, avant de se rendre dans le
midi, fit plusieurs voyages auprès du duc, à Alençon, à
Bourgueil, au Lude, pour le persuader de refuser les offres
des sujets révoltés de Philippe II. Villeroy luifutenvoyé,on
ne sait exactement à quelle date. Nous constatons sa pré-
sence auprès du duc en mai et à la fin.de juin 1578 (1). Ac-
compagnait-il la reine-mère ou était-il envoyé en mission
spéciale ? On ne trouve pas de lettres adressées à cette
époque par Catherine à Villeroy, ce qui nous autoriserait
à croire qu'il était avec elle. On lui avait désigné comme
collègue l'évoque de Mende, Regnault de Beaune, chan-
celier du duc, qui jusqu'en mars 1580 posséda la confiance
de son maître (2).
Henri III avait envoyé à Villeroy des instructions très
détaillées. Il devait faire miroiter aux yeux de Monsieur
l'espérance d'un établissement dansle marquisatde Saluées,
dans le Comtat-Venaissin que le pape céderait, et dans le
marquisat de Montferrat qu'il pourrait acquérir par un
mariage avec la princesse de Mantoue (3). Villeroy séjourna
auprès de Monsieur durant les premiers jours de juillet (4).
Il dut déployer beaucoup d'habileté pour lui cacher l'inco-
hérence des desseins de son maître : car le roi lui avait
recommandé de parler de trois ou quatre projets de mariage
ou d'établissement. Mais nul ne put décider le duc à aban-
(1) Desjardins, t. IV, p. 168. Saracini au Grarul-Duc, 25 mai 1578.
— La lettre d'Henri III à Villeroy, datée du 2 juillet, lui donne des
instructions comme s'il était déjà depuis quelque temps chez le frère
du roi.
(2) L'Estoile, 1,219, 318, 355.
(3) Henri III à Villeroy, 2 juillet 1578, lettre publiée en appendice
dans le t. VI, p. 386, de la correspondance de Catherine.
(4) F. Ital. 1730, f°s 390-394. Dép. de Lippomani à la Seigneurie,
7 et 8 juillet 78.
58 VlLLEROY
donner sa chimère. Il partit secrètement pour la Flandre à
la fin de juillet.
La reine-mère était dans le Midi. Villeroy l'informa ré-
gulièrement des allées et venues du duc. Il avait adopté
les sentiments de ses maîtres sur cette équipée dange-
reuse. Dans quelques lettres à Bellièvre, Villeroy fait savoir
ce qu'il pense. Le 15 mars 1581, il lui écrit qu'il n'approuve
pas les entreprises du duc d'Anjou, car il ne retirera que
« honte sur honte et dommage sur dommage au service du
roi » (1). Nous retrouverons plus tard l'influence de ces
événements sur ses idées en matière de politique étrangère,
pendant et après la Ligue, dans son attention scrupuleuse
à ménager l'Espagne, à éviter tout prétexte de querelle
sur ses frontières.
Quand le duc d'Anjou, privé de toutes ressources, gêné
par la diplomatie française, rentra dans son pays (janvier
1579) pour gagner son frère à ses idées, Villeroy eut sans
doute de nouvelles entrevues avec lui et recommença pa-
tiemment son œuvre de conseiller pacifique (2). Il contri-
bua à ramener de meilleurs rapports entre les deux frères.
Il n'était pas de ceux qui attisaient les discordes dans la
famille royale. Au contraire, il prêchait toujours la con-
ciliation. Matthieu qui loue cette attitude ajoute que « c'est
un grand bonheur à un serviteur quand il est employé à
faire l'accord des enfants de la maison » (3). Pendant le reste
de l'année 1579, il ne cessa de tenir Catherine au courant
de tout ce qui se passait en Flandre. Les questions dont il
s'occupa furent sans doute très délicates, car plusieurs fois
la reine-mère lui demanda de ne communiquer ses lettres
à personne et de les brûler après les avoir lues (4). Il y
. (1) F. Fr. 15906, fo 163.
(2) D'après une lettie de Catherine à Henri III, du 5 janvier 1579
(t. VI, p. 204) on voitqueYilleroyétaitchargé parle roi d'écrire à s'on -frère.
(3) Mathieu, Remarques d'Éstat, p. 262.
(4) Lettres des 8 octobre 79 et 14 avril 80, t. VII, p. 161 et 237.
LE SECRÉTAIRE DE HENIU III 59
avait parfois une exception en faveur de Cheverny et de
Brulart(l).
A la fin de 1579, une nouvelle guerre civile — la sep-
tième — éclata en France. Elle fut provoquée par les in-
trigues de la reine de Navarre et des amoureux de la Cour
de Nérac irrités des méchants propos d'Henri III. Condé,
le roi de Navarre et les chefs huguenots du Midi partirent
en guerre pour se dispenser de rendre les places de sûreté
que Catherine leur avait fait promettre de restituerau traité
de Nérac, le 28 février précédent. La prise de Cahors, des
escarmouches confuses et de nombreux actes de brigan-
dage dans les provinces du Midi furent les principaux in-
cidents de cette guerre qui avait été suscitée sans motifs
sérieux et dont tout le monde était las au bout de quelques
mois. Le duc d'Anjou qui voulait tourner toutes les forces
de son pays contre l'Espagne aux Pays-Bas s'offrit pour
rétablir la paix. La reine-mère et le roi acceptèrent avec
empressement cette médiation. Villeroy se trouva désigné
pour l'assister. Il s'était avantageusement fait connaître des
deux partis, du duc d'Anjou, par ses négociations]des deux
années précédentes, du roi de Navarre, lors de la paix de
Bergerac après laquelle Henri avait voulu lui offrir une
pension de 2000 écus (2).
Il fut envoyé auprès de Monsieur en compagnie de Mont-
pensieretdeCossé. Nous connaissons déjà le rôle décoratif
de ces grands personnages dans les ambassades de ce
genre. Le travail diplomatique fut conlié à Villeroy et à
son ami Bellièvre. Celui-ci l'année précédente avait été en-
voyé aux Pays-Bas et avait proposé aux Etats réunis à An-
vers la médiation du roi de France pour les . réconcilier
avec l'Espagne. Ils se rendirent au mois d'octobre à Cognac
en Saintonge où commencèrent les conférences avec le roi
(1) Lettre du 23 novembre 79, t. VII, p. 200.
(2) Mém., p. 134.
60 VILLEROV
de Navarre. Elles se continuèrent à Fleix où la paix fut si-
gnée le 26 novembre 1580. Elle confirmait le traité précédent
de Nérac et abandonnait pour six ans aux réformés leurs
places de sûreté.
Les causes de la guerre avaient été mesquines, sa durée
courte, et ses résultats médiocres pour les deux partis.
Aussi, dans l'histoire traditionnelle des luttes de religion,
passe-t-on assez rapidement sur cet incident. Villeroy lui-
même paraîtrait attacher peu d'importance à ce moment de
sa vie diplomatique, qu'il mentionne en quatre lignes.
Il rappelle que S. M. se montra très contente de la paix
de Bergerac, « comme elle fit aussi de l'autre traité que
Monsieur de Beliièvre et moi finies auprès de feu mondit
sieur (le duc d'Anjou), avec le Boi de Navarre au lieu de
Flex, où S. M. fut aussi très fidèlement servie, comme il
me sera toujours très facile de faire paraître par écrit ou
autrement à qui en doutera (1). »
Mais si le résultat fut petit, l'activité du ministre fut
très grande, la tâche pénible et ingrate, comme l'attestent
les lettres de Beliièvre. L'œuvre des envoyés fut plus dif-
ficile encore que la précédente par la complication des
intrigues et la mesquinerie même des intérêts. [Il fallait
ménager le duc d'Anjou, ruser avec lui, empêcher « ce
vent de traverse qui vient des Pays-Bas » (2), de dé-
truire le fragile édifice de la paix (3). On devait sauvegarder
les intérêts du roi de Navarre et composer avec les reven-
dications innombrables des huguenots méridionaux dont
le ton rogue et les criailleries faisaient sortir Villeroy
et Beliièvre de leur naturel tranquille et courtois. Il serait
curieux de connaître les sentiments de Villeroy à leur
(1) Mém., p. 109.
(2) Beliièvre à Catherine, G février 1851. Lettres de Catherine de Mé-
dias, t. VII, p. 464.
(3) Beliièvre à Catherine, 30 octobre 1580, Ibid., p. 451. « Il serait
très mal à propos de mettre mondit seigneur en désespoir, qui est si
ulcéré de cette passion de la guerre de Flandre. »
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 61
égard. Nous savons au moins ceux de son ami Bellièvre qui,
le 22 novembre, dans une lettre à la reine-mère, traitait les
prolestants de «cerveaux farouches et égarés pour la licence
qu'ils ont pris et qui s'est accrue en ce renouvellement de
troubles, qui est une très dangereuse école pour le regard
de l'obéissance qui est due aux rois et sans laquelle les
royaumes ne peuvent subsister» (1). Il ajoutait que pour
obéir et n'outrepasser ce qui avait été commandé parle roi
Villeroy et lui avaient supporté « ce que peuvent servi-
teurs ». Le 3 février, Villeroy écrit à Bellièvre : «Monsieur,
je suis échappé de Bordeaux le plustôt que j'ai pu... Je
voudrais, s'il était possible, que ceux-là ne se mêlassent
jamais d'affaires publiques qui se laissent transporter au
torrent de leurs intérêts particuliers ; mais si c'est chose
qui n'a jamais été, je connais bien qu'il la faut moins espé-
rer en cette maudite saison » (2).
Tous ces problèmes étaient compliqués par l'âpreté des
intérêts particuliers et les susceptibilités de l'esprit de clo-
cher, qui se manifestaient dès que la question des places
de sûreté entrait en jeu. Elles furent néanmoins résolues
à l'entière satisfaction de la Cour. L'honnête Bellièvre
rend hommage, sans la moindre jalousie, à Villeroy auquel
il semble attribuer le premier rôle dans la négociation.
« M. de Villeroy a vu très clair en cette négociation et a
grandement et bien servi le roi... »... « Je sais, Madame,
écrivait-il unautrejour, quemondit sieur de Villeroy porte
beaucoup avec soi pour la grande nourriture qu'il a prise
aux affaires et que celles de ce pays lui sont connues autant
que à nul autre (3). »
(1) Bellièvre à Catherine, 22 novembre 1580, Ibid., p. 452.
(2) F. fr. 15906, f° 74. Le 26 février (Ibid., fo 192). Villeroy écrit de
Blois,dans la même note pessimiste : « chacun a abandonné le timon du
vaisseau pour pousser à ses affaires vivant au jour la journée et s'en
graissant du travail d'autrui. »
(3) Bellièvre à Catherine, 20 décembre 1580, Ibid., p. 415. La phrase
précédente est de la lettre du 22 novembre.
62 VILLEROY
Après la paix, Villeroy et Bellièvre séjournèrent quelque
temps dans le sud-ouest pour l'exécution du traité. Nous
trouvons Villeroy, à Bordeaux, au mois de janvier 1581, à
Cadillac en février, à Bordeaux et dans d'autres villes de
la Garonne (1). Il a des entrevues avec le roi de Navarre,
avec Condé, avec le vicomte de Turenne. Il s'occupe de
remédier aux contraventions à la paix, de faire licencier
les troupes armées, d'opérer les échanges de places. ( l'est
une besogne très longue et très pénible. « Cette exécution
de la paix est merveilleusement traversée, écrit Bellièvre ;
et si je ne suis trompé, c'est l'une des plus difficiles affaires
qui ait encore été traitée en ce royaume (2). » Catherine
était extrêmement satisfaite de ses négociateurs. « Mon-
sieur de Villeroy, écrivait-elle, il ne serait possible de pou-
voir mieux faire que vous avez fait... Vous êtes si sage
qu'il ne vous faut point de plus amples avertissements sur
cela et sur toutes autres circonstances (3). » Villeroy, nue
fois les affaires du Midi résolues, revint en Cour, à Blois,
le 24 février 1581 (4).
(1) Voir dans les lettres de Catherine, t. VU, une letlrede Villeroy à
Catherine du 10 lévrier, p. 4SÛ. de Bellièvre à la même du G février,
p. 464, — Voir aussi pour l'exécution du traité comme pôurles négocia-
tions préliminaires quelques détails sur les.allées et venues deVilleroy et,
sur l'importance que la Cour attachait à ses voyages, dans 1rs dépêches
des ambassadeurs vénitiens, F. liai. 1731 (dép. de Lorenzo Priuli, 20
octobre et 11 février, f»s 41G et 488) dans les Papiers deSimancas aux
Archives nationales. (Lettres de Diego Maldonado à Philippe II, 23 oc-
tobre, 6 et 10 décembre 15S0, K. 1558, 174, 193, 195.)
(2) Bellièvre à Catherine, 6 février 1581, Ibid., p. 464.
(3) Catherine à Villeroy, 12 janvier 1581, Ibid., p. 318.
(4) D'après une lettre de Catherine au duc de Nevers, du 25 février
1581, Ibid., p. 302.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 6.5
III
Les deux traités avec les protestants et le rôle de Villeroy
dans les affaires de Flandre avaient contribué à lui donner
la réputation d'un homme qui avait « grandement et bien
servi » son roi. Sa situation grandissait à la cour, discrète-
ment et sûrement. Jusqu'à l'époque des troubles de la
Ligue, il n'eut à lutter contre aucune entrave sérieuse, ca-
lomnie ou intrigue de cour. Il fut bien accusé de trahison
l'année qui suivit la conclusion de la paix de Fleix ; mais
nul n'y crut à ce moment, et nous n'insisterions pas sur
ce minime incident de la vie du ministre, s'il n'avait tenu
tant de place dans son imagination.
Au mois d'août 158?, on découvrit à Bruges un complot
formé par des Espagnols contre la vie du duc d'Anjou.
L'un des complices, Salcède, né en France d'un Espagnol,
fut jugé parle Parlement, mis à la torture et exécuté en
place de Grève. En Flandre et à Paris, dans ses premières
dépositions, il déclara qu'il n'avait été qu'un instrumentaux
mains des Guises, de la maison de Lorraine et de quelques
autres seigneurs de la Cour, de leurs amis. L'un d'entre
eux, affirma-t-il, était Villeroy. Dans une visite secrète aux
ducs de Guise et de Mayenne, il avait rencontré le secrétaire
Villeroy seul avec les deux frères. On lui avait demandé
quelles nouvelles il rapportait de Flandre. « Et lors, dit-il,
me laissèrent auprès du sieur de Villeroy, lequel me fit une
infinité de discours pour toujours m'inciter au service du roi
d'Espagne. Et cependant les sieurs de Guise et du Maine
se promenaient ensemble et d'aucunes fois demandaient au
sieur de Villeroy des mémoires qu'il avait en sa main et
quand ils les lui rebaillaient, il m'en montrait en me disant :
Voyez si nous ferons bien nos affaires ; beaucoup de la no-
blesse est pour nous... » Suit une longue énumération îles
préparatifs du complot qui est mise dans la bouche de
64 VILLEROY
Villeroy. « Et lors les sieurs de Guise et du Maine appro.
chèrent et dirent à Villeroy : allez parachever cette lettre
et faites le paquet. Ce qu'il fît et s'en alla en une chambre...
Lorsque Villeroy fut de retour, on lui bailla un paquet où
étaient toutes les copies de ce qu'ils devaient envoyer au
roi d'Espagne... (1). »
Angenoust, conseiller au Parlement, qui avait été chargé
d'interroger le coupable, rapporta ces aveux au roi qui parut
effrayé de ces révélations. Toutefois, il douta de leur véra-
cité, car on lui dit que le matin même, le chancelier, en pré-
sence de la reine-mère, avait interrogé Salcèdeà Vincennes
et qu'il avait parlé tout autrement. Henri III assista à la
torture de Salcède caché derrière une tapisserie. L'Espagnol
répéta avec de grands serments ses premiers dires, puis
remis à la torture, il les rétracta. Sur l'échafaud, il se fit
délier les mains pour signer une confession déchargeant
ceux qu'il avait accusés (2).
Aucun historien ou chroniqueur de l'époque ne semble
avoir fait état de cette invraisemblable déposition. Chever-
ny, de Thou et l'Estoile font un récit sommaire de l'af-
faire sans citer même le nom de Villeroy (3). Les ambassa-
deurs de Venise, de Toscane et d'Espagne racontent
simplement le fait, qui n'émut pas l'opinion publique, et
montrent qu'ils méprisent ces calomnies (4).
(1) « Discours sur la mort de M. de Salcède dressé par le sieur An-
genoust de Sens », réédité par la Revue Rétrospective, t. VII, 359 et
suiv. — Voir aussi F. fr. 3283. Interrogatoire de Salcède. — Ibid.
20 lo;i, Relation du procès fait à Salcède.
(2) Villeroy, dans sa Lettre à du Vair, dit qu'il n'a jamais su au
juste ce que Salcède avait confessé Toutefois il a ouï dire à certains que
Salcède l'avait seul déchargé, à d'autres qu'il l'avait seul chargé. Il
ajoute spirituellement : «L'un m'est croyable et l'autre incroyable voire
impossible, car une si grande conspiration se pouvait bien faire sans
moi, mais je ne la pouvais pas seul entreprendre ni exécuter et me
semble sous correction qu'il n'y a que dire à cela. »
(3) Mémoires de Cheverny, p. 480. — De Thou, Hist. — L'Estoile.
(4) Giovanni Moro à la Seigneurie, 7 septembre 1582, F. Ital. 1732,
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 65
Cependant il advint quelques années après qu'on se rap-
pela dans le public cette affaire Salcède. Les Guises étaient
entrés en rébellion ouverte contre le roi de France. On se
demanda s'ils n'avaient pas déjà en 158'2 formé réellement
le complot dont les accusait l'Espagnol, avec les complices
qu'il avait nommés. Villeroy fut-il désigné ou craignit-il
de l'être ? Nous ne pourrions l'affirmer. Nous savons qu'il
était sensible aux plus petites injures, et très désireux de
conserver devant l'opinion sa réputation d'intégrité. Lors-
qu'en 1589, il écrivit sa première apologie, après son éloi-
gnement du pouvoir, il inséra dans les premières pages une
justification de sa conduite en 1582 (1). Cinq ans plus tard,
soumis à Henri IV et près de rentrer en faveur, il eut l'a-
mertume de lire dans la première édition de la Satire Mé-
nippée qu'il avait vendu sa patrie pour de l'or : il écrivit
alors une longue lettre à Du Vair pour justifier son rôle
pendant la Ligue, et de nouveau se défendit d'avoir pris
part à la conspiration de Salcède. Dans ces deux écrits,
il proteste de son innocence en déclarant que Salcède s'est
rétracté et que le roi a été tellement convaincu de la faus-
seté de cette accusation qu'il a jugé inutile une confron-
tation qu'il réclamait avec le coupable. Puis il appelle
« Dieu et ses anges à témoin », « suppliant sa divine jus-
tice que son ire tombe sur lui » (2), s'il ne dit pas vrai, et
il décrit longuement Tunique entrevue qu'il eut avec Sal-
cède dans une circonstance tout à fait étrangère au fameux
complot.
fo 380. — Renieri à Vinta, septembre-décembre 1582, Desjardins, t.
IV, 423-431. — Tassisà Philippell, le* septembre 1582, Arch. Nat. Pap.
Simanc. K. 1560, f° 87. Tassis ajoute que Salcède, ayant juré de dire
la vérité, a affirmé que sa première déposition était fausse et que trois
créatures du duc d'Anjou lui avaient fait faire cette déclaration, en lui pro-
mettant qu'il serait sauvé. — Aucune étude spéciale n'a été consacrée
à cette atfaire Salcède qui est restée un peu mystérieuse.
(1) Mèm., p. Un.
(2) Mèm., p. 110.
Villeroy 5
66 VILLEROY
Les preuves morales sont beaucoup plus solides que les
arguments crue le ministre a pris la peine d'énumérer. Lais-
sons de côté le serment solennel bien qu'il ait une valeur
insigne, prononcé par un homme pieux et fier comme Vil-
leroy(l ). Les rétractations de Salcède ne sauraient être four-
nies comme arguments sérieux de la fausseté de ses pre-
miers dires. Henri III lui-même le sentait bien, et il était le
premier à reconnaître les imperfections delà procédure cri-
minelle de son temps quand il dit à Villeroy qu'il avait vu
Salcède souffrir tant « et pour cela changer si souvent de
langage qu'il n'ajouterait jamais foi à déposition extorquée
par tels tourments » (2). Henri III certainement ne crut pas
un instant à la culpabilité de Villeroy. Mais ce n'est pas son
attitude extérieure qui le prouve. Il ne voulut pas mettre
en présence de Salcède les personnes accusées, s'empressa
de châtier le calomniateur et de faire l'oubli autour de cette
affaire. Ne pourrait-on pas dire, sans la moindre invrai-
semblance, que telle est la conduite d'un homme faible, à
demi découragé, effrayé par l'effort nécessaire pour pour-
suivre les Guises et tant de hauts coupables? Il n'y a en
réalité qu'une seule preuve de l'innocence de Villeroy, la
prodigieuse absurdité d'une trahison que rien n'explique-
rait. C'est un acte qui serait absolument étranger à sa per-
sonnalité. Nous établirons plus loin combien ses intentions
lurent honnêtes durant les troubles de la Ligue. Nous ver-
rons aussi que, du vivant d'Henri III, s'il favorisa les Guises,
ce fut pour faire l'alliance des catholiques et fortifier l'au-
(lj Notons la critique malveillante et amusante de la défense de
Villeroy dans les Observations sur les mémoires de Villeroy contenues
dans 1rs Ec. Roy., t. II, p. 455. « Il dit. page 20, qu'il fui accusé par
Salcède d'intelligence avec M. de Guise, pour troubler l'Etat : de quoi
il fail tout ce qu'il peut pour se justifier; et iinalement, s'étant assez
mal défendu, appelle Dieu et les anges pour témoins de son innocence,
desquels l'on n'a point nouvelles qu'ils soient encore arrivés. »
(i) Lettre à du Vair, Jl/id.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 67
torité royale. Comment admettre qu'un homme qui sera
bientôt le plus anti-espagnol de son parti et le plus acharné
défenseur de l'autorité royale ait été en 1582 l'agent d'un
complot formé pour appeler en France Philippe II? DuVair,
dans sa réponse, en reprochant doucement à Villeroy sa sus-
ceptibilité, lui montre qu'il était bien inutile de se discul-
per si longuement : « Quelle apparence y eut-il eu que ce-
lui qui ne peut rien profiter au changement le désire, et
conspire la ruine du maître duquel dépendait sa grandeur,
et du pays où il a tant de biens et de richesses acquises ? »
Dans cette lettre, Du Yair dit en parlant des honnêtes
gens : « Je n'en ai jamais vu qui fissent grand état de la
déposition de Salcède, je dis lorsque ce bruit était tout
récent, qui est lorsqu'il prend force et vigueur de la nou-
veauté et s'imprime avant qu'on ait loisir de le dissiper par
la vérité. »
IV
On ne peut donc dire que l'affaire Salcède ait altéré les
rapports entre Henri III et son secrétaire. Ces relations
étaient depuis longtemps bonnes. Villeroy accueilli « très
humainement » à Turin, dès les premières semaines du
règne, devint petit à petit un serviteur de confiance. Il est
difficile de marquer avec précision les progrès de cette
faveur. Nous possédons un certain nombre de billets et de
lettres intimes écrits par le roi à son ministre ; mais ils ne
sont pas datés. Cependant, quelques allusions aux événe-
ments contemporains permettent de placer cette corres-
pondance dans la période qui s'étend de 1582à 1588 (1) .Ces
six années sont celles où, dégagé désormais des besognes
(1) N. acq. fr. 1243-1246.
68 VILLEROY
subalternes, il fut un des principaux directeurs de la poli-
tique française. Aussi convient-il d'examiner dès main-
tenant quel fut le caractère des relations entre le roi et
son ministre.
Henri III appréciait très sûrement les services que ren-
dait Villeroy et savait lui témoigner avec une grâce par-
faite sa satisfaction. « Mes yeux, lui écrivait-il un jour, ont
eu le plaisir d'avoir vu votre mémoire très bien fait. Il ne
sort rien de votre boutique qu'il ne soit bien livré... (1). »
Plusieurs lettres nous montrent à quel point le roi estimait
les qualités de son ministre. Lui confie-t-il une négociation
auprès des huguenots, « j'ai toute espérance sur vous, lui
écrit-il, et crois fermement que si vous n'y êtes, mes af-
faires iront très mal » (2).
Il aimait beaucoup Villeroy qui le servait avec un profond
dévouement. Ce prince, qui méprisait son frère, détestait
les Guises et parfois redoutait un peu sa « bonne mère »,
avait trouvé un secrétaire désintéressé, libre de toute attache
avec les partis et qui avait pour seul idéal de faire respec-
ter et de fortifier l'autorité royale. « Je connais certes, lui
écrivait-il, que vous m'êtes bon et fidèle serviteur et que
vous en faites l'habitude qui faut pour l'homme de bien et
bon serviteur de son maître et qui mérite d'en être aimé
comme je vous aime, que je fais très fort... (3). » Villeroy
éprouvait une sincère affection pour ce maître qui avait une
grande bonté d'âme, d'excellentes intentions avec une dé-
plorable faiblesse de caractère, et qui possédait l'art de
charmer ceux dont il voulait faire des amis. Henri III était
touché de cette affection: « Aimez-moi toujours, car je serai
vrai ment toujours le bon maître. Ils m'ont montré votre
(1) Ibid., 1243, f° 145.
(2) 1244, fo 154.
(3) 1245, f° 25. Dans un autre billet {Ibid., f° 2) Henri III lui écrit:
« Vous n'êtes jamais rétif, aussi vous avez un maître bon et qui vous
aime et se fie en vous. »
LE SECRETAIRE DE HENRI III 69
lettre où vous m'appelez ainsi ; vous n'y serez jamais
trompé (1). » Il avait donné à Villeroy le bizarre surnom de
Bidon et il aimait à terminer ses courts billets par une
formule d'une familière cordialité. « Adieu, Bidon, Bido-
net (2). »« Adieu, Bydon, je t'aime, car tu me sers selon ma
volonté. » Un jour, il écrit quatre fois ADIEU en grandes
lettres romaines (3).
Villeroy fut — les mignons exceptés — un des rares con-
fidents d'Henri III. Cet étrange personnage, si violemment
décrié dans les pamphlets et les mémoires du temps, si
mal connu dans ses vices comme dans ses qualités, se ré-
vèle à nous, par ses lettres à Villeroy, comme il se fit con-
naître à son ministre et à quelques amis, à l'insu de ses con-
temporains. Il joignait à une étonnante faiblesse de volonté
une intelligence très vive et la passion de l'autorité. Aucun
roi ne fut plus méprisé ni outragé que lui, aucun n'en souf-
frit davantage. Il entrait dans des colères terribles contre
ceux qui, grands ou petits, désobéissaient au roi et rui-
naient l'Etat. Il jurait de se venger et d'être le mailiv à
l'avenir. « Il faut désormais faire le roi, s'écriait-il, car nous
avons trop fait le valet (4). » Il regrettait amèrement de
n'avoir point été assez énergique, assez constant, et don-
nait à Villeroy l'assurance qu'il changerait dorénavant de
conduite, car disait-il : « Je veux conserver mon état » (5).
« Bâton porte paix et de montrer les dents vertement fait
penser et songer à sa conscience (6). » Quand, à la veille
des barricades, il voulut empêcher le duc de Guise de venir
à Paris, il signifia sa volonté à son secrétaire, et ajouta ce
post-scriptum menaçant : « La passion à la fin blessée se
(1) 1243, fo 149.
(2) 1244, fo 66.
(3) 1244, fo92.
(4) 1246, fo 23.
(5) 1244, fo 148.
(G; 1246, fo 23.
70 VILLEROY
tourne en fureur : qu'ils ne m'y mettent point (1)! » Trop
rarement, ces résolutions étaient suivies d'effet. Pour être
fort, il fallait de bonnes finances. Or les prodigalités insen-
sées de ce prince qui ne savait rien refuser à ses compa-
gnons de plaisir mettaient sans cesse le trésor à sec. Pour
faire bien son métier de roi et détruire lui-même les abus
qu'il constatait, il était besoin d'une constante application.
Or Henri III était incapable de fournir un effort prolongé.
Après quelques journées de travail, il retournait vite à
ses plaisirs favoris ou à ses dévotions. En temps de paix,
avec de bons ministres, la machine administrative eût peut-
être pu fonctionner : le gouvernement n'eût été ni excel-
lent ni mauvais, mais quelle volonté ne fallait-il pas pour
lutter contre tant de causes de désorganisation : les dé-
sordres de la Ligue, la ruine et le mécontentement des
populations, les formidables ambitions qui conspiraient
autour d'un roi sans héritier, la supériorité physique, intel-
lectuelle et morale des Guises, tout s'acharnait contre le
dernier et le plus faible des Valois (2).
Villeroy connaissait parfaitement l'âme de son maître,
parce que ce maître lui parlait « librement (3). » Mais on com-
f1) 1246, fo27.
(2) Dans la lettre à Du Vair, Villeroy a caractérisé, en termes très
modérés, dans un langage retenu, mais avec beaucoup de justesse, le
gouvernement d'Henri III. Parlant de quelques mesures énergiques
qu'il conseillait, il ajoute : « Et dirai que c'était le but et la volonté du
l'eu roi, j'en parle de science; mais ce prince était si bon et facile à
démouvoir que rarement il exécutait ce qu'il avait résolu, de manière
que les conseils que l'on lui donnait et ses résolutions, pour bonnes
qu'elles fussent, souvent lui apportaient plus de mal que de bien. A
quoi j'ajouterai que ce malbeur procédait quelquefois de la faute de ses
serviteurs autant que de la sienne... » Plus loin, il écrit, — avec quel-
que optimisme : « Le feu roi avait très bien commencé à rétablir la
justice et à soulager le peuple, et crois fermement que sans la guerre
de la Ligue, il eût encore mieux achevé. »
(3) Groen van Prinsterer, Archives de la maison de Nassau, lre sé-
rie, suppl. p. 230. « Villeroy, parlerai -je librement? oui, car c'est à
un mien serviteur très affectionné et obligé... »
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 71
mettrait une grave erreur en se représentant le ministre
comme un plat valet habile à flatter son prince et à exécuter
sans discussion ses moindres ordres. Il ne faut point pren-
dre à la lettre des témoignages de satisfaction, tels que la for-
mule : « Je t'aime, car tu me sers selon ma volonté. » Cette
volonté, dont parlait Henri III, c'était la volonté bonne, la
volonté supérieure du prince, quand il se décidait à faire
le roi. Le ministre l'y encourageait autant qu'il était en son
pouvoir. Pierre Matthieu, pour montrer comment ce dernier
savait dire la vérité aux princes, nous rapporte une anec-
dote qu'il avait apprise de la bouche du ministre (1). Henri
III voulait que Villeroy fît avec lui sa retraite au couvent
du bois de Vincennes et prît l'habit comme ses autres com-
pagnons. Comme dans ces retraites, on ne réservait que
certaines heures pour recevoir au parloir les courriers
porteurs de paquets, Villeroy lui montra que ces retards
étaient nuisibles aux affaires d'Etat : « Vous avez été roi
de France, premier que chef de cette compagnie, votre
conscience vous oblige rendre à la royauté ce que vous lui
devez, premier qu'à la Congrégation ce que vous lui avez
promis. » Un flatteur aurait excité les colères et servi les
haines de ce maître impulsif. Mais Villeroy cherche toujours
à calmer cette âme rancunière, à le réconcilier avec son
frère d'Anjou, le « magot)) qu'il ne pouvait souffrir (2), à
l'unir au parti catholique, à établir un accord loyal entre
la royauté et les Guises, et quand en septembre 1588, il fut
chassé de la cour, c'est parce que le roi avait prévu qu'il
(1) P. Matthieu, Remarques d'Estat... p. 264. Dans un des billets,
Henri III annonce à Villeroy qu'il vafaire une retraite de trois jours au
Bois de Vincennes. (Il profitait de ces exercices religieux pour se pur-
ger.) 11 recommande de ne pas lui envoyer de dépêches, sauf si elles
sont très pressées (N acq. fr. 1263, i'° 29).
(2) P. Matthieu, Remarques d'Estat... p. 261, remarque que « c'est
un o-rand bonheur à un serviteur quand il est employé à faire l'accord
des enfants de la maison ».
72 VILLEROY
s'opposerait à une politique de violences à l'égard des
Guises.
Villeroy savait conseiller avec une habile discrétion et
sur un ton modeste qui charmait Henri III. Il était très
adroit à lui suggérer des résolutions dont le roi s'attribuait
ensuite le mérite. Le roi goûtait fort cette manière douce (1).
Cette tactique du secrétaire contribua pour une grande
part à fortifier son crédit et à lui donner une demi-indépen-
dance dans sa charge. Une curieuse lettre non datée nous
révèle l'habileté de Villeroy dans ses rapports d'affaires
avec le souverain. « Sire, écrit-il, je vous envoie la dépêche
de Rome et la réponse que j'y ai faite, afin qu'il vous plaise
voir l'une et l'autre et signer la dernière si vous la trouvez
bonne, parce qu'il faut l'envoyer aujourd'hui par l'ordinaire
qui ne peut retarder davantage. » Après l'avoir entre-
tenu d'une autre question, il ajoute : « A quoi il me semble
que V. M. pourra faire la réponse que j'ai dressée et lui
envoie, suppliant très humblement V. M. de prendre le tout
en bonne partcomme je fais... (2). » Cette lettre et beaucoup
d'autres nous montrent comment Henri III laissasses mi-
nistres diriger les affaires de leur département. Nous voyons
aussi par divers indices que les beaux et longs règlements
d'administration qu'aimait à préparer le roi étaient rare-
ment appliqués. Villeroy eut-il toujours à regretter l'an-
cienne forme des expéditions et le temps où les secrétaires
patronnaient des solliciteurs? Peut-on croire que la situation
fût bien changée quand nous trouvons des billets tels que
celui-ci : « Vous voyez le rôle que j'ai signé, accordant bien
volontiers à votre homme cela que me mandez, car je vous
veux tant de mal que je suis bien aise lorsqu'en quelque
chose je puis vous gratifier » (3) ?
(1) 1245, f° 138 — « doucement, comme vous le savez bien faii
(2| 1240, f» 18.
(3) 1246, fo 43.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 73
Henri III se servait donc de Villeroy très « confidem-
ment », selon l'expression du ministre. Villeroy n'abusa pas
de cette confiance pour faire fortune aux dépens du trésor.
Il se contenta des modestes revenus de sa charge et de
quelques libéralités (1). Ni lui, ni aucun membre de sa fa-
mille ne reçut de gouvernement ou d'autre charge. La seule
faveur importante fut la survivance du gouvernement de
Lyon accordée à d'Alincourt, le fils de Villeroy, en 1587.
Au reste, nul n'accusa jamais sérieusement Villeroy de
cupidité. Mais on peut affirmer qu'il était ambitieux et avide
non d'honneurs, mais de pouvoir effectif. Il aimait passion-
nément son métier politique. Administrer, conseiller,
exercer une influence réelle sur le gouvernement du royau-
me, garder la faveur du prince était son suprême désir. Il
(Mit la faveur d'Henri III et lui en garda toute sa vie une
sincère reconnaissance. Jamais il ne dit le moindre mal de
son ancien « bon maître », même au temps de sa disgrâce.
Quand il eut à le juger, il loua son intelligence et sa bonté,
blâma sévèrement les actes d'indiscipline de ses serviteurs,
les excès de la Ligue, et démontra que ce malheureux
prince avait été trahi par les siens, qu'il était la victime de
son caractère débonnaire. Un jour d'Inteville ayant dit que
nul plus que Villeroy n'était capable d'écrire l'histoire de
ce temps-là, le ministre répondit : « Je suis trop obligé à
la mémoire de Henri III pour l'entreprendre (2). »
(1) Les Pièces originales, n° 2101, contiennent 2 pièces relatives à
des libéralités d'Henri III. L'une est le don de l'abbaye de Soigny en
Picardie transmise à Villeroy après la mort de .1. de Morvilliers (2o
octobre 1577), l'autre est un reçu, daté du 31 décembre 1581, signé
de Neufville pour la somme de 1000 écus sol. dont S. M. lui fait don.
< Je me suis contenté, dit Villeroy dans la Lettre à Du Vair, de parti-
ciper doucement à ses libéralités que j'ai certes éprouvées encore trop
largement, mais je puis prouver aussi les avoir quasi toutes mises à le
servir... »
(2) Matthieu qui rapporte cette anecdote ajoute un autre trait qui
prouve la discrétion et la gratitude de Villeroy. Henri IV disait à son
74 VILLEROY
historiographe de ne pas oublier de coûter « la résolution étrange »
prise par Henri III contre son frère d'Alençon. « J'en dressai le dis-
cours, dit Matthieu, et le montrai à Villeroy pour le soumettre à son
jugement. Il me dit n'avoir jamais ouï parler de cela. » Henri IV ré-
pondit à Matthieu qui lui rapportait cette parole: « Vous me devez
croire parce que je dis la vérité et devez louer M. de Villeroy qui ne
l'a voulu dire au préjudice de l'honneur de son maître. »
CHAPITRE II
I. Les débuts de la Ligue. Les négociations avec les Guises à Ne-
mours et l'Edit du 18 juillet 1385. Yilleroy et la Ligue. — IL
Les démêlés du « bon serviteur » et du favori. Villeroy et
d'Epernon. — III. Les tentatives de rapprochement avec le roi
de Navarre. L'union forcée avec la Ligue. Villeroy et les Guises
à Meaux en juillet 1587. — IV. Rôle de Villeroy avant l'insurrec-
tion parisienne. La journée des Barricades (12 et 13 mai 1588).
(1584-1588)
La Ligue constituée par l'Acte de Péronne en 1576 avait
paru frappée à mort Tannée suivante par le refus des Etats
Généraux de faire la guerre aux protestants et par les in-
tentions très conciliantes du roi et de la reine-mère. On
peut donc dire que Villeroy, à Bergerac et à Fleix, avait
été employé à enterrer la Ligue (1).
La période d'accalmie qui dura depuis la paix de Ber-
gerac (septembre 77) jusqu'à la mort du duc d'Anjou (juin
84) aurait été funeste à la constitution de toute association
(1) Sur toute la période qui suit, on consultera, pour les faits géné-
raux, outre les histoires du temps déjà sigualées, Bouille, Histoire des
ducs de Guise, 1849, t. III; Forneron, Les Guises et leur époque, 1X77.
t. II; La Ferrière, Le JTF/e siècle et les Valois, 1879: L'Epinois, la
Ligue et les papes, 1886. Est-il besoin de signaler le t. VI, Ire partie,
de Y Histoire de France, de Lavisse, publié en 1904 par M. Mariéjol ?
(La Réforme et la Ligue. — L'Èdit de Nantes) (loo9-lo98).
76 VILLEROY
catholique illégale, si Henri III s'était montré énergique
et n'avait pas mécontenté ses sujets par son détestable
gouvernement. Mais après la mort du duc d'Anjou, quand
le roi de Navarre se trouva héritier présomptif de la Cou-
ronne, il y eut, dans la nation, un formidable déchaînement
des passions catholiques, dans la famille et la clientèle des
Guises.
Henri III et sa mère se montrèrent d'abord hésitants. Le
roi reconnaissait au fond de son cœur Henri de Bourbon
comme son héritier légitime. Il essaya vainement par l'in-
termédiaire de d'Epernon de le ramener à la religion catho-
lique. Le 11 novembre 1584, il publia à Saint-Germain une
« déclaration contre ceux qui font ligues, enrollements et
pratiques contrel'état de ce royaume ». Dès lors, les Guises
ne gardèrent plus aucun ménagement. Ils décidèrent le
vieux cardinal de Bourbon à se déclarer héritier du trône.
Le 31 décembre 84, les ducs de Guise et de Mayenne, les
cardinaux de Bourbon et de Guise, les ducs d'Aumale et
d'Elbeuf conclurent à Joinville un traité secret avec TEs-
pagne. Les deux partis s'engageaient à défendre la religion
catholique, à extirper l'hérésie, à exclure du trône les
Bourbons huguenots. Philippe II accordait un subside de
50.000 écus par mois. Puis, ils engagèrent des négociations
avec le pape.
Cependant, à Paris, s'était formé spontanément une
association secrète de petits bourgeois catholiques (mar-
chands, avocats, notaires, procureurs) et de curés qui fit
une active propagande dans la bourgeoisie et dans le peuple.
Ce parti fut très vite grossi d'une masse de mécontents et
de fanatiques. Il s'allia aux Guises très populaires dans la
capitale par leur bravoure, leurs belles qualités, elles ser-
vices rendus par le grand François à la religion. Unis au
peuple de Paris, les princes lancèrent de Péronne, le 31
mars 1585, la « Déclaration des causes qui ont meu M§r le
cardinal de Bourbon et les Pairs, Princes,
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 77
et communautés catholiques de ce royaume de France de
s'opposer à ceux qui par tous moyens s'efforcent de sub-
vertir la religion catholique et l'Estat » (1).
A ce manifeste un peu vague et assez hautain, d'une op-
position, mi-seigneuriale, mi-démocratique, la cour répon-
dit au mois d'avril par une « Déclaration de la volonté du
roy sur les nouveaux troubles de ce royaume », qu'on disait
à Paris dressé par Villeroy (2).
Villeroy était resté à la campagne malade pendant huit
mois. Il avait souffert d'une fièvre double-quarte et de vives
douleurs intestinales qui l'avaient obligé à abandonner les
affaires (3). Ses collègues Brulart et Pinart l'avaient rem-
placé. Quand commencèrent les remuements de la Ligue,
Henri III et Catherine le pressèrent de rentrer, sans attendre
sa guérison complète. On avait un tel besoin de ses services,
(1) Mémoires de la Ligue... (1576-1598), nouv. éd. Amsterdam, 1758,
t. I, p. 50. Il n'est pas besoin, croyons-nous, d'indiquer la bibliogra-
phie très connue de l'histoire de la Ligue. Pour le récit des événements
généraux, nous avons puisé aux principaux ouvrages historiques du
temps et aux études récentes. On trouvera un excellent résumé de toute
cette période dans le t. VI, l'epart., p. 238 et suiv. de l'Histoire de
France de Lavisse, par M. Mariéjol.
(2) L'Estoile, t. II, p. 190.
Le texte de la déclaration qui est contresignée de Neufville est repro-
duit dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 63. Il parut la même année
à Paris, in-8o.
(3) Mém., p. 110. — Les premières éditions dos Mémoires d'Estat
ont reproduit une erreur de copiste et transcrit : « J'estois aux champs
malade, il y avoit huicl jours... » .Vous avons une leltre de Villeroy à
Matignon, datée du 8 novembre 1584, où il se dit « atteint d'une fièvre
double quarte. » La correspondance de Villeroy avec de Maisse, am-
bassadeur de France à Venise, est interrompue pendant sept mois.
Brulart le remplace pour cette partie de sa tâche du 2 septembre 1584
au 25 mars 1585 (F. Fr. 16092, l'o* 273-352). La première lettre de
Villeroy est datée du 30 mars 1585 (Ibid., f° 353). Catherine de Médicis
écrit le 4 mai une lettre à Villeroy où elle lui dit combien elle est marrie
de sa maladie (Lettres, t. VIII, p. 273). Il y avait eu rechute au début
de mai. Le 13 de ce mois, Giovanni Dollin écrit à la seigneurie que
Villeroy a été assailli « di dolori di fiancoche lo moles/ano da alcuni
mesi in qua. » (F. Ital., 1734, fo 91.)
78 VILLEROY
« parmi tant de grandes affaires », qu'il se hâta de se re-
mettre au travail au début du mois d'avril (1).
La déclaration que Villeroy a dressée est d'un ton extrê-
mement modéré. C'est une apologie de la conduite du roi,
qui vante le dévouement d'Henri III à la religion et sa bonté
envers les princes catholiques. C'est une condamnation élo-
quente de la guerre qui remplit le royaume « de forces
étrangères, de partialités et discordes immortelles, de sang,
de meurtres et brigandages infinis. » De Thou trouve ce
plaidoyer composé avec art et habileté, mais « indigne de
la majesté royale qui s'abaisse jusqu'à se justifier devant
ses sujets » (2).
Le roi pouvait-il parler haut quand il était le plus faible ?
Les Guises enrôlaient des troupes à l'étranger : 4000reitres,
6000 Suisses. Ils amassaient des armes et faisaient de vastes
approvisionnements autour de Paris, en Champagne, et à
Ghâlons-sur-Marne où le Balafré avait établi son quartier
général. La Champagne, la Picardie, les trois-quarts de la
Normandie, de la Bourgogne, du Berry, de l'Orléanais et
de la Bretagne se déclaraient pour la Ligue. Henri III
n'avait ni argent ni troupes. La capitale était à la merci
d'un coup de main, sa personne à la merci d'un fanatique.
Il se fit garder par des cadets de Gascogne d'un dévouement
à toute épreuve, les quarante-cinq.
Le ton modéré et courtois de la Déclaration d'avril ne
doit point nous dissimuler les sentiments d'inquiétude et
de colère du roi, delà reine-mère, et de ses ministres. Vil-
leroy était indigné de cet affront jeté par les Guises au
visage du roi. En annonçant à Matignon son arrivée en
Cour, il lui écrivait, le 3avril:« Je suis si confus et perplexe
(4) Catherine de Médicis à Villeroy, 4 mai 1583 (Ibid., t. VIII, p. 273).
— Le Florentin Busini écrit à Vinta, le 5 avril : « M. di Villeroi fu
chiamato da S. M. e con tutta la quartana ehe ancora ha, è del conti-
nuo con il Rè. » Desjardins, t. IV, p. 558.
(2) De Thou, Hist., t. IX, p. 287.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 79
ès affaires qui se présentent que je ne sais que vous en
dire sinon que je suis de ceux qui ont résolu de crever plu-
tôt que de faire une lâcheté. » Il voit l'avenir très
sombre. Le 30 mars, il raconte à de Maisse le remuement
d'armes et prévoit qu'il s'ensuivra « entière ruine et sub-
version de l'Etat si Dieu ne prend en sa protection les af-
faires du Roi » (1). Les huguenots et les catholiques se sou-
lèvent, « de sorte que le Roi aura maintenant à se garder
des uns et des autres ». Il déclare « la larme à l'œil » que
c'est « le plus rude coup qu'ait jamais reçu roi de France
alors qu'il cuidait être en pleine prospérité ».
La déclaration modérée du mois d'avril n'apaisa pas,
comme on le pensait bien, les passions ligueuses. Les ar-
mements continuèrent. De nouvelles villes se rangeaient
du parti de la Ligue. Il fallait, à tout prix, suivant, le mot
de Villeroy, « essayer à éteindre ce feu... qui s'allume da-
vantage » (2). On négocia (3).
Catherine de Médicis se fit porter au-devant des princes
catholiques à Epernay, où elle les attendit jusqu'au 22 avril,
durant trois longues semaines. Elle était partie avec Lan-
sac. Brulart et Epinac, archevêque de Lyon. Elle avait eu
le dessein, d'après de Thou, d'emmener Villeroy. « C'était,
(1) Villeroy àdeMaisse,30 mars 85. F. Fr.16092, fo 3 53. — Citons un
passage de cette importante Lettre qui est inédite. « Le fondement et
prétexte est d'exterminer du tout les hérétiques en ce royaume, faire
déclarerau roi un successeur qui fasse de tout temps profession de la
religion catholique, faire distribuer les laveurs et charges du royaume
aux princes et seigneurs qui en sont dignes et soulager le peuple. L'on
dit que cette détermination est autorisée du pape et secourue des
deniers d'Espagne. Ils ont 4000 reitres prêts à marcher. »
(2) Villeroy à de Maisse, Ibid.
(3) Sur les négociations qui suivent, lire avant tout les lettres de
Catherine du 4 avril au H juillet (Lettres, t. VIII,, p. 244-341). Voir
aussi Barthélémy, Le Traité de. Nemours, Rev. des quest. hist. avril
1880, et du même Catherine de Médicis à Epernay, pour la négocia-
tion de la paix de Nemours, in-12, 1884. D'intéressants documents
mss. sont contenus dans les papiers de Belliévre, F. Fr. 15891, fo 3'JO
et suiv. (quelques-uns sont publiés en appendice au t. VIII tes Lettres),
80 VILLEROY
ajoute l'historien, un homme prudent, mais défiant qui, par
son adresse et l'heureux talent qu'il avait, était venu à bout
de faire croire que lui seul gouvernait tout le royaume.
Mais soit qu'il se défiât de cette princesse, soit que con-
naissant toute la délicatesse de cette négociation, il ap-
préhendât qu'elle n'eût un succès dont le roi pourrait se
repentir dans la suite, il trouva le moyen de se faire dispen-
ser de faire le voyage » (1). Villeroy, qui a toujours mani-
festé un respect extrême pour la reine-mère et n'a jamais
dénigré sa politique, ne fait dans ses mémoires aucune allu-
sion au rôle joué par elle à Epernay ni au rôle qu'elle vou-
lait lui faire jouer. Il ne dit même pas qu'elle eut l'intention
de le mener avec elle. Si vraiment il s'est fait dispenser de
cette mission, c'est peut-être parce qu'il jugeait la partie
perdue d'avance. Ses lettres d'avril et mai nous le montrent
très pessimiste. Il trouve les cartes « fort brouillées » (2).
Sans doute estima-t-il qu'il ne pourrait faire grand chose
pour le service du roi et qu'il risquait de recevoir lui-
même un mauvais coup. Peut-être son abstention s'ex-
plique-t-elle tout simplement par la maladie. Rappelons-
nous qu'il était rentré en Cour souffrant encore de la
fièvre et que le 4 mai Catherine s'informait avec sollicitude
de l'état de sa santé.
Villeroy resta auprès d'Henri III en avril et en mai. Il
écrivait très souvent à la reine-mère, l'informant de toutes
les nouvelles concernant sa charge, et des principaux évé-
nements de la Cour. Catherine, dans ses lettres, lui expli-
quait sa politique : elle connaissait l'influence du ministre
sur le roi ; elle savait avec quelle force Henri III haïssait
les Guises; aussi engageait-elle Villeroy à bien faire com-
prendre à son maître qu'il devait, pour avoir la paix, faire
,'1) DeThou,Hist., t. IX, p. 296.
(2) Villeroy à de Maissc, 12 avril 1585, F. Fr. 16092, fo 361. —
Voir aussi 1rs lettres des 4 avril, 11 et 26 mai, 8 juin. Ibid., fos 358,
371, 38!, 386,
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 81
des concessions, contenter le duc de Guise et le cardinal
de Bourbon (1).
Cependant, elle avait commencé à négocier. Bien que les
princes aient eu l'air, clans leur manifeste, de faire appel à
sa médiation, ils témoignèrent de la mauvaise grâce et de
l'arrogance dans les premières entrevues. Ils voulaient un
édit de proscription des hérétiques, la guerre à outrance
contre les Huguenots. Ils exigeaient pour eux-mêmes et
leurs partisans des places de sûreté, des gouvernements,
et toutes sortes de faveurs. Le cardinal de Bourbon récla-
mait la ville et le château de Rouen, la ville et le château
de Dieppe ; le duc de Guise, des châteaux de Champagne,
la ville et citadelle de Metz; Mercœur des places de sûreté
et des ports en Bretagne; Mayenne, Dijon et Chalon-sur-
Saône ; d'Aumale, quatre ou cinq villes de Picardie ; d'El-
beuf, les places du Dauphiné. La reine-mère se voyait
contrainte, pour sauvegarder l'autorité royale sur les ca-
tholiques, de déclarer la guerre à l'hérésie : mais elle ne
pouvait se résoudre à remettre le pouvoir aux mains de la
Ligue. Ils usèrent alors d'une manœuvre d'intimidation
qui réussit. Dans une sorte d'ultimatum qu'ils lancèrent le
10 juin sous le nom de Requeste au Roy et dernière réso-
lution, ils affichèrent un beau désintéressement. Ils décla-
rèrent qu'ils n'étaient unis que par l'intérêt de la religion
el du royaume, qu'ils ne voulaient pas être accusés par les
peuples catholiques de poursuivre des intérêts particuliers.
Ils se départaient donc de « toutes autres sûretés que
celles qui dépendent de sa bonne grâce [celle du roi . de
leur innocence et de la bienveillance des gens de bien ».
Une dernière fois, ils réclamaient du roi un édit contre les
hérétiques. En même temps, ils faisaient mine de se retirer
dans leur quartier général pour commencer tout de suite
(i) Lettres de Catherine de Médicis, t. VIN, p. 259 et suiv.
Villeroy
82 VILLEROY
C'est alors qu'Henri III envoya Villeroy à Epernay. La
situation était grave. La Reine-Mère allait rentrer sans
avoir traité. La Ligue allait faire la guerre, sans s'être ac-
cordée avec le roi. Henri III pouvait-il assister les bras
croisés à des luttes civiles non autorisées par lui? Villeroy
conseilla de céder et partit pour la Champagne, le 13 juin.
Il alla trouver les princes à Châlons, les fit consentir à re-
nouer la négociation, et à exposer nettement leurs deman-
des. On recommença à discuter le 19. Le 20, on était d'ac-
cord sur les points principaux. Les Guises avaient cédé sur
un petit nombre de leurs prétentions, la Cour avait fait
d'énormes concessions (1). Quand Villeroy revint auprès
du roi, à la fin de juin, la paix était faite. La reine-mère
demeura quelques jours encore pour régler la question de
l'enrôlement et du payement des Suisses et d'autres points
de moindre importance. Le traité fut signé par elle à Ne-
mours le 7 juillet, l'Édit promulgué par le roi le 18 (2).
Tous les Édits de pacification antérieurs étaient révoqués,
le culte réformé interdit, les ministres exilés, les fidèles
sommés de se convertir ou de vider le royaume dans six
mois. Le roi de Navarre était déchu de tous ses droits.
Le roi de France prenait à sa charge les forces levées par
la Ligue, accordait pour cinq ans Soissons au cardinal
de Bourbon, la ville de Beaune et le château de Dijon à
Mayenne, Verdun, Saint-Dizier, Châlons et Toul à Henri
(i) Voir les lettres de Catherine, à partir du 14 juin (t. VIII. p. 318
et suiv.). Le 15, elle écrivait à Bellièvre : « Je vous dirai que je suis
bien aise que Villeroy soit venu ; car il pourra rapporter au roi comme
les choses sont ici, et qu'il est plus malaisé qu'il ne pense et que l'on
ne saurait penser à négocier avec ces messieurs pour leur grande in-
constance et irrésolution ; car ils ne demeurent en nulle chose qu'ils
dient fermes, et ont leur dit et dédit, comme les Normands; qui me
fait quasi désespérer que puissions rien faire de bien, si Villeroy n'y a
meilleure main. » (Ibid., p. 319.)
(2) Le texte de l'Edit est dans Dumont, Corps diplomatique, t. V,
p. 453.
,
LE SECRETAIRE DE HENRI III 83
de Guise, des places en Picardie à Aumale, en Bretagne à
Mercceur. Le duc de Guise avait le commandement des
troupes royales, la nomination aux grades, le droit de faire
des « monstres ». C'était le triomphe complet des Guises,
et c'était la guerre. On a souvent cité le mot de Henri III
au cardinal de Bourbon lorsqu'il fit enregistrer l'Édit: « Je
vais faire publier l'édit de révocation... selon ma cons-
cience, mais mal volontiers, pour ce que de la publication
d'icelui dépend la ruine de mon Estât et de mon peu-
ple. » Bapprochons de ces paroles quelques impressions
de Villeroy : « Nous ressemblons maintenant à ceux qui
sont hors de fièvre... car nous sentons nos forces plus dé-
biles que nous ne faisions durant notre mal et n'attendons
moindre mal de la résolution que nous avons prise pour
sortir du premier... Nous reconnaissons tous les jours da-
vantage combien sera difficile et hasardeuse l'exécution de
l'Édit que le Boi a fait pour infinies raisons que je remets
à votre meilleur jugement. Toutefois la pierre en est jetée
et vous dirai qu'il a fallu en user ainsi pour le mieux,
comme je pourrais faire toucher au doigt (1). »
Villeroy n'a pas voulu faire connaître la part qu'il avait
prise au traité de Nemours. « Je n'en dirai l'occasion, écrit-
il dans ses Mémoires, parce que ce ne sont choses à divul-
guer, moins par moi que par un autre (2). » Il semble
même qu'il ait désiré atténuer l'importance de son rôle, en
déclarant qu'il fut envoyé, contre son avis, « lorsque l'on
était quasi sur la conclusion du traité de la dite paix ».
Mais par la correspondance de Catherine et par les dé-
pèches des ambassadeurs étrangers, nous avons appris et
les circonstances graves qui motivèrent sa mission, — les
princes et la reine-mère avaient presque rompu — et les
résultats de son voyage.
(1) Villeroy à de Maisse,4 août 1585, F. i'r. 16.092. « La guerre va
remplir le royaume d'infinis malheurs, » ajoutait-il.
(2) Mèm., p. 110.
84 VILLEROY
S'il est difficile de suivre Villeroy dans toutes ses dé-
marches, il est aisé de pénétrer les sentiments qu'il éprou-
vait, en cette année 1585, au début de la guerre de la Ligue,
qui dura plus de dix ans et faillit ruiner le royaume de
France. L'état d'âme du ministre n'a été compris ni de ses
adversaires ni des historiens qui n'ont pas étudié de prés
ses écrits et ses actes et ont, par routine, reproduit des ju-
gements tout faits. Il est absolument incompréhensible
pour celui qui croit que les Français de l'an 1585 se sont
divisés en deux camps ennemis, les Ligueurs et les anti-
ligueurs. La réalité n*a pas de ces grandes lignes simpli-
fiées. Entre les deux camps il y eut de larges frontières un
peu vagues et des hommes qui ne pouvaient être ni tout à
fait de la Ligue ni tout à fait contre elle. Ils ont eu une
attitude indécise en apparence et des sentiments com-
plexes. Parmi ces Français, Villeroy est le plus intéressant
à étudier, et celui qui a joué le rôle le plus considé-
rable.
Villeroy ne pouvait pas être anti-ligueur. C'était un
catholique, de foi très sûre, qui n'avait jamais branlé,
même au temps de sa première jeunesse, à l'époque où
Catherine semblait pencher vers la réforme et où tant de
seigneurs à la cour passaient à la religion nouvelle. Il sou-
haitait ardemment le rétablissement d'une foi unique dans
le royaume. Les huguenots qu'il avait connus à la cour ou
dan- ses négociations del'ouest et du midi ne lui inspiraient,
au point de vue religieux, qu'une médiocre estime. Il avait
vu de près trop d'ambitions, d'hypocrisies et de convoitises.
Sous prétexte de religion, pensait-il, « quelles villes n'ont-
il^ pillées? quelles églises n'ont-ils abattues ? Combien de
fois ont-ils combattu contre le roi même, mis la discorde
en la maison royale, logé les Anglais et autres étrangers
en ce royaume ? Enfin, quels maux n'ont-ils fait depuis ce
temps-là ? Il ne faut que lire les édits de paix que l'on a
faits aveceux, l'on verra de quelle eau ils ont besoin d'être
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 85
lavés » (1). Cetle insurmontable méfiance, il retendait des
chefs à tout le corps des protestants. Il considérait évidem-
ment comme un immense malheur l'avènement d'unroi
huguenot. Pouvait-il se déclarer ennemi des catholiques
qui adhéraient en masse à la Ligue pour défendre leur re-
ligion ?
Il ne pouvait être ligueur. La Ligue, c'était la rébellion
contre l'autorité royale. En parfait serviteur du roi, il sen-
tait vivement l'outrage fait à son maître par les princes
catholiques. Il annonça à Matignon, avec une tristesse
amère, la conclusion du traité de juillet. « Il nous coûtera
bien cher : de quoi je crève de dépit et de douleur ; encore
ne perdrais-je courage, si je pensais que ce coup d'él ri-
vières nous pût faire devenir sages et nous ouvrir les
yeux (2). » Il sentait dès lors ce qu'il écrivait deux ans
plus tard à son ami : « Je suis bon catholique et affectionné
à ma religion autant qu'homme de ma sorte, mais non
pour supporter que l'on gourmande le roi et que l'on le
prive d'autorité sous prétexte de piété (3). » La Ligue.
c'était aussi la guerre, et Yilleroy avait en horreur toutes
les luttes civiles. « Croyez que voici une misérable
guerre », écrivait-il à de Maisse, le 1*2 avril (4). « Il est
temps que les Français pleurent leurs péchés à bon escient
et se résolvent d'épouser pour jamais un corps de cuirasse
et une perpétuelle et très sanglante guerre », disait-il un
autre jour (5). Il estimait que cette guerre serait difficile
et hasardeuse, car les huguenots étaient forts par eux-
mêmes, par l'appui de certains catholiques et par l'alliance
(1) Mém., p. 135.
(2) Villeroy à Matignon, 4 juillet 1587, p. 133.
(3) Ibid., ij juillet 1587, p. 191.
(4) Villeroy à de Maisse, 12 avril 1585, F. Fr. 16092, f° 301.
(5) Villeroy à de Maisse, 11 mai 1585, Ibid., 1° 371. « Ceux qui
ont pris les armes, ajoutait-il, estiment qu'ils auront bientôt la raison
des Huguenots, mais je pense qu'ils se sont trompés. »
86 VILLEROY
de nations étrangères. Aux optimistes il répondait, en
hochant la tête, qu'il était plein d'appréhensions, « pour
la mémoire et connaissance » qu'il avait du passé, du pré-
sent, et « de ce qui peut advenir ». Il ne croyaitmême pas,
comme d'autres, qu'une guerre étrangère pourrait faire
une diversion utile à nos dissensions. La France seule
n'était pas assez forte pour lutter contre l'Espagne. Quand
elle avait attaqué le Roi catholique en Flandre et en Por-
tugal, qui l'avait secourue (1) ?
Villeroy, qui ne voulait pas être de la Ligue et ne pouvait
la combattre, était avec Henri III, et voulait faire respecter
des Français l'autorité royale. Mais il savait mieux que tout
autre la profonde faiblesse du pouvoir légitime, et cette
pensée était une de celles qui le faisaient « crever de
dépit ». Il conseillait toutes les mesures qui pouvaient aider
à fortifier la monarchie, entre autres les levées d'hommes
d'armes en France et en Suisse qui eussent permis à Henri
III de parler haut. Ces mesures étaient insuffisantes dans
la crise actuelle : Villeroy le comprenait aussi. Entre les
protestants et les catholiques sur le point de se battre, il
fallait prendre un parti. Villeroy ne pouvait hésiter. Son
rêve fut une alliance sérieuse du roi et du grand parti
catholique que dirigeaient les Guises, afin de faire une
(1) Villeroy à de Maisse, i août 1585, Ibid., fo 402. Dans la même
lettre, il écrit: « La guerre va remplir le royaume d'infinis malheurs. »
Puis il exprime les appréhensions qu'il éprouve « pour la mémoire et
connaissance » qu'il a du passé, du présent et de « ce qui peut advenir. »
« Je vous dirai que je n'approuve l'opinion de ceux qui désirent que
nous en entreprenions une étrangère pour nous garantir de l'autre ; car
c'est se tromper que de penser que celle-là se puisse entreprendre à
présent ayant l'espérance d'un tel bien. Je vous prie de croire, « Monsieur,
que ceux qui font ce jugement ne connaissent la nature et l'état de nos
affaires et se veulent plus de bien qu'à nous-mêmes. Ils redoutent plus
la puissance et grandeur espagnole qu'ils ne portent d'affection à la
France. Nous ne l'avons que trop éprouvée lorsque nous avons fait
démonstration de nous vouloir attaquer au Roi Catholique en Flandre
comme en Portugal ; carde qui n'avons-nous été délaissés? »
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 87
France forte et unie soumise à l'autorité monarchique et
capable, par sa cohésion disciplinée, d'extirper l'hérésie.
C'était un idéal que cette union d'un roi puissant et respecté
avec un parti de catholiques soumis et de princes désinté-
ressés. Le ministre ne s'abusait pas. Il sentait la difficulté
du problème consistant à unir un pouvoir chancelant à un
parti très fort. Pour empêcher l'allié le plus fort de dévorer
le plus faible, il comptait beaucoup sur les « temporisements,
la patience et les erreurs d'autrui ». Il avait foi dans la di-
plomatie qui divise par des concessions habilement équi-
librées les ennemis en apparence les plus unis. Il pensai!
qu'une prudence extrême, une attitude franchement catho-
lique, ferait cesser toute équivoque, donnerait satisfaction
à l'opinion populaire qu'on détacherait des Guises, et apai-
serait à la longue certaines ambitions trop Apres. Il est
certain qu'on devait commencer par éprouver beaucoup
de mécomptes. Au temps de la Ligue, jamais de négociateur
ou de ministre ne se fit moins d'illusions, ne se soumit plus
tristement à la nécessité.
Villeroy avait un réel mrrile à défendre ces idées auprès
du roi. Car il s'attirait l'inimitié du premier favori d'Henri III,
d'Epernon, l'ennemi mortel des Guises. Cette hostilité s'est
manifestée principalement à partir de l'an 1585. Villeroy
l'a considérée comme un événement si grave dans sa vie
que, négligeant de raconter « plusieurs voyages, affaires,
traités et négociations », il a estimé « être à propos d'éclair-
cir ses amis de tout ce qui s'est passé » entre M. d'Eper-
non et lui, parce que, ajoute-t-il, « l'on m'a dit que son ini-
mitié avait plus avancé ma disgrâce que toute autre chose ;
88 VILLEROY
quoi étant, s'il y avait eu de ma faute, Ton aurait eu occa-
sion de m'en blâmer » (1).
Il importe donc d'expliquer les origines de cette querelle
avant d'arriver à l'époque critique de la carrière de Vil-
leroy.
Le duc d'Epernon, à son arrivée à Paris, avait été un des
protégés de Villeroy qui témoignait une grande amitié à
son père Jean de Nogaret, seigneur de La Vallette, dont il
estimait « la vertu en toutes choses et la fidélité au service
du roi » (2). Quand il mourut, le 18 novembre 1575, il re-
commanda ses enfants à Villeroy (3). Les deux fils du lieu-
tenant-général de Guyenne, Bernard et Jean-Louis, furent
envoyés par leur mère au collège de Navarre, avec ordre
de voir et d'observer particulièrement M. de Villeroy « fort
considéré dans son emploi ». M. de La Valette avait cru
« procurera ses enfants, dès leur jeune âge, une amitié qui
leur serait profitable ». La faveur du cadet commença
en 1570, à Blois, où le roi remarqua sa bonne mine. Il de-
vint un favori d'Henri III, en 1579, et parut bientôt en
public avec J03eu.se, Saint-Luc et d'O, revêtu des mêmes
livrées que son maître. Dès 1580, il dépassa Joyeuse. Il ne
craignait pas, nous dit Villeroy, de témoigner publique-
ment au premier auteur de sa fortune sa reconnaissance
et son amitié. Tout le monde à la Cour les croyait très
unis et certains en étaient jaloux.
Cette entente dura peu. La première question qui les
divisa fut un conllit d'intérêt et d'amour-propre. Villeroy
voulait marier son fils à la riche héritière de la Maison de
Maure (4). Le roi et la reine-mère avaient promis leur
(1) Mém., p. 112.
(2) Mém., p. 112. — Villeroy ajoute qu'il peut prouver « par lettres
oins, gens de bien, qui vivent encore », que La Valette n'avait
personne à la Cour de qui l'amitié lui lui si assurée et si vraie que la
sienne.
(3) Girard, Histoire de la vie du duc d'Epernon, in-8, 1665.
(4) Mém., p. 113.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 89
faveur et assistance. Le duc d'Epernon s'y opposa, disant
que le roi lui avait promis de la donner en mariage à son
cousin, le fils de M. de Termes. Il n'avait sans doute pas
tout d'abord l'intention d'offenser Villeroy. Ce jeune
homme autoritaire et violent, désireux d'obliger un parent
et de faire entrer une grande fortune dans sa famille, s'ir-
rita des résistances qu'il rencontrait, et puisque la famille
de Maure n'agréait pas son cousin, il décida que d'Alin-
court n'aurait pas l'héritière. Villeroy céda pour ne pas
mettre le roi dans une position embarrassante.
« Depuis ce temps-là, dit Villeroy, ledit duc croyant que
je fusse de ceux qui ne pardonnent volontiers une offense,
a toujours eu défiance de moi et de tout ce que je fai-
sais (1). » Il serait difficile de déterminer lequel des deux
témoigna le premier à l'autre de la défiance après cet inci-
dent. Villeroy prouva plus d'une fois dans sa vie qu'il était
peu porté au pardon des injures ; avec une douceur plus
souple, il était aussi volontaire que l'arrogant favori. Le
ministre qui s'était élevé lentement à sa haute situation dut
éprouver un vif ressentiment contre le Gascon parvenu,
son ancien protégé, qui avait conquis si vile la faveur royale
et menaçait d'être bienlùt le seul maître à la Cour. Ce pro-
blème psychologique est insoluble, car nous n'avons que
le témoignage de Villeroy. Quoi qu'il en soit leurs relations
changèrent à partir de ce jour.
La défiance de d'Epernon s'accrut lorsque le duc de
Joyeuse honora d'Alincourt du guidon de sa compagnie de
cent hommes d'armes. Ces deux favoris, malgré les efforts
du roi pour maintenir l'égalité entre eux, se haïssaient
mortellement : ils étaient si jaloux l'un de l'autre, que cha-
cun détestait les serviteurs de son rival. Villeroy, pour faire
arriver son fils en cour, l'avait mis auprès de Joyeuse (2).
(l)Mém., p. 113.
(2) Mém.} p. 113. — Villeroy tenait beaucoup à laisser son fils au-
90 VILLEROY
Il était lui-même en excellentes relations avec le favori au-
quel il rendait tous les services qu'il pouvait. Nous avons
retrouvé un billet non daté d'Henri III à son ministre en
faveur de Joyeuse : « Villeroy, je sais que vous l'aimez :
ayez-en soin autant que vous m'aimez (1). »
Ces conflits d'intérêts et de caractères précédèrent-ils
ou suivirent-ils le désaccord dans les idées politiques? Il
est dificile de suivre de près les progrès de leurs dissenti-
ments. Il est certain que Villeroy ne fut pas rejeté dans le
parti favorable à la Ligue par la seule raison qu'il ne pou-
vait s'entendre avec Epernon. L'attitude de Villeroy est
trop conforme à son caractère et à ses idées pour avoir été
inspirée par un motif accidentel. D'autre part, on ne peut
dire que le dissentiment politique fut Tunique cause des
querelles du favori et du ministre. Les questions person-
nelles ont aggravé le dissentiment politique et celui-ci a
envenimé celles-là.
Il y eut pourtant dans l'année 1586 une certaine accalmie.
D'Epernon reçut d'Henri III le gouvernement de Provence.
Quand il alla prendre possession de ce pays lointain, il crai-
gnit de laisser derrière lui un ennemi déclaré. Il fit taire
son ressentiment et, nous disent les Mémoires, assura Vil-
leroy de son amitié, en présence de Bellièvre (2). Peut-être
Bellièvre s'était-il entremis pour amener une conciliation.
C'était un homme très doux, ami de tout le monde et parti-
culièrement lié avec Villeroy. Il dut saisir avec empresse-
ment l'occasion d'apaiser une querelle.
Cette entente fut de courte durée. Les événements qui se
près de Joyeuse et à ménager la susceptibilité de ce dernier. Il refusa
l'offre que lui faisait Matignon d'une partie de sa compagnie pour d'A-
lincourt. « M. de Joyeuse, écrivait-il le 8 juin 15SG, qui lui fait cet
honneur que de l'aimer, m'a prié de l'envoyer avec lui. » {Lettres à
Matignon, p. 140.)
(1) N. acq. fr. 1244, fo 180.
(2) Me m., p. 113.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 91
passèrent à Lyon et dans le Sud-Est accusèrent de plus en
plus la divergence de leurs intérêts et de leurs vues poli-
tiques.
Yilleroy avait formé le projet de marier son fils avec la
fille aînée de François de Mandelot, gouverneur de Lyon,
un ancien protégé du duc de Nemours, un bon administra-
teur, qui n'avait pas adhéré à la Ligue. 11 sut démontrer à
Henri III que, dans l'intérêt de la monarchie, il devait favo-
riser cette union. Il fallait empêcher en effet que Mandelot
ne donnât sa fille au marquis de Villars, fils de la duchesse
de Mayenne, c'est-à-dire la ville de Lyon à la Ligue. Le roi
y consentit avec empressement et pour s'assurer « la dite
ville de Lyon avec tout le gouvernement et la personne
dudit sieur de Mandelot », promit la survivance du gou-
vernement pour Alincourt(l).
Or, c'était à un ennemi de d'Epernon que Villeroy s'al-
liait. Mandelot et le duc 's'étaient brouillés à propos de la
citadelle établie par Charles IX pour défendre et surveiller
la ville. En 1585, d'Epernon y préposa comme commandant
une de ses créatures, le sieur Du Passage. Mandelot crai-
gnil que cet homme ne s'emparât ensuite du gouvernement
de toute la province. Les Lyonnais réclamaient depuis
longtemps la démolition d'une citadelle qui menaçait leurs
franchises. Le gouverneur et ses administrés s'allièrent
contre le commandant de la citadelle et son protecteur. Le
2 mai, Mandelot, de concert avec le consulat, s'empara du
château et bientôt après le fit démolir (2). En août 86,
quand d'Epernon passa à Lyon pour prendre possession
du gouvernement de Provence, les bourgeois firent des
(1) Mém., p. 113. C'est sans doute de cette époque que date un
billet où Henri III écrit à Villeroy à propos de Mandelot : « Je crois que
plus j'aurai de serviteurs et mieux ce sera. >• N. acq. fr. 1245, f° 60.
(-2) Mém., p. 114. Giovanni Doliin à la Seigneurie, 10 mai 1585,
F. Ital. 1734, fo 80.
92 YILLEROY
préparatifs de défense. On ne le laissa traverser la ville
qu'avec une petite escorte. Les mêmes défiances avaient
accueilli son frère la Valette, à la fin de l'année précédente,
quand il s'était rendu dans sa province du Dauphiné.
Le 31 octobre, le bruit ayant couru que les Lyonnais vou-
laient se mettre sous la protection du pape, le consulat
écrivit au roi pour démentir cette nouvelle et dénonça
d'Épernon comme Fauteur des calomnies. Ils écrivirent en
même temps à Yilleroy et à Bellièvre (1). Villeroy, qui avait
déjà travaillé à faire accepter du roi la démolition de la ci-
tadelle, calma les inquiétudes de la cour au sujet de l'atti-
tude des Lyonnais et le 17 novembre, il put [répondre aux
habitants : « Le roi a pris en très bonne part vos lettres.. .
et vous prie croire qu'il ne lui demeure aucune mauvaise
opinion du fait duquel il est question (2). »
Intermédiaire obligeant entre le pouvoir royal et la ville
de Lyon dont il s'était constitué le patron, Villeroy pour-
suivait habilement son intrigue, appuyé surun petit groupe
de catholiques afin d'arracher la ville à d'Epernon.
Les menées du duc avaient pour objet la possession d'une
ville qui aurait assuré les communications du Dauphiné et
de la Provence avec le nord et le centre de la France, et
enlevé à la Ligue une base cfopérations dans ces régions.
En même temps, les deux frères établissaient leur domi-
nation dans le Sud-Est en occupant Valence par surprise,
et essayaient de mettre la main sur Vienne. Ces deux cita-
delles, qui dépendaient du duc de Mayenne, commandaient
le cours du Rhône et les communications des Lyonnais avec
la mer.
Là encore, ils rencontrèrent unis contre eux les Lyon-
(1) Péricaud, Notes et documents pour servir à l'histoire de Lyon
soirs le règne de Henri III, Lyon, in-8°, 1843, p. 118 (30 octobre
1586).
(i1) Ibid.,?. 118.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 93
nais et Villeroy. Villeroy écrivit à Henri III que la prise
de Valence entraînerait de nouveaux troubles ; les Guises
voudraient se venger et s'empareraient d'autres places.
L'événement confirma les prévisions du ministre; peu
après, le duc d'Aumale s'emparait de Dourlans etduCrotoy
en Picardie. Vienne fut protégée parMandelot qui demanda
des secours en argent de Guise et la mit en défense. Il fut
encore aidé par Villeroy qui, sollicité par M. de Servières,
un échevin envoyé par la municipalité lyonnaise, transmit
à Henri III les doléances des habitants : il réfuta une nou-
velle calomnie de d'Épernon qui se plaignait qu'on eût
conspiré contre sa vie, aux enviions de Vienne.
Au milieu de ces intrigues embrouillées, Villeroy et
Mandelot savaient manœuvrer avec adresse pour empê-
cher la ville disputée entre la Ligue et d'Epernon de tom-
ber aux mains des Guises. Mandelot, homme actif, modéré
et conciliant, semble n'avoir eu d'autre but que de conser-
ver son gouvernement, objectif des deux partis. Il s'ap-
puyait sur la partie modérée de la bourgeoisie, les Grolier,
les Servières et autres familles dévouées au service du roi.
C'est pour empêcher le duc de le déposséder, tout en don-
nant satisfaction aux tendances démocratiques de la popu-
lation, qu'il avait fait démolir la citadelle ; mais le jour
même de l'événement, il convoqua les échevins dans son
hôtel et leur fit jurer de ne suivre d'autre parti que le parti
du roi. Deux mois après il informait le roi des menées de
Mayenne dans la région, et Henri III le remerciait de son
dévouement (1). Plus tard, au début de 1587, forcé par les
circonstances, il commit l'imprudence d'accepter 1"200 écus
du duc de Guise, pour défendre sa ville (2), mais il refusa
toujours de prêter le serment de la Sainte Union. Il résista
(1) Giovanni Dolfin à la Seigneurie, 7 juin 1585, F. Ital. 1734, f»
121.
(2) Mendoza à Philippe II, 7 août, Pap. Simanc, K. 1564, p. 145.
94 VILLEROY
au ligueur Epinac, son archevêque, et même, dit-on, con-
seilla à Henri III de l'arrêter et de se saisir de ses papiers.
Avec l'appui de Villeroy, il conserva à la Ligue lyonnaise
un caractère indécis. Elle ne fut pas inféodée aux Guises,
et tout en repoussant d'Epernon, Mandelot s'efforça de
se rattacher directement au pouvoir royal, par l'intermé-
diaire du ministre, qui avait promis à Henri III de lui
conserver sa bonne ville de Lyon.
Tout en préservant Lyon des Guises et de d'Epernon,
Villeroy avait réussi à atteindre son but primitif: le ma-
riage de son fils. Le "28 février 88, d'Alincourt épousa la
fille de Mandelot, et, dans le contrat de mariage, avec la
permission du roi, on stipula la survivance du gouverne-
ment de Lyon en sa faveur (1). Le duc se résigna à ne pas
faire d'opposition. « Il remit entre les mains de S. M., tant
pour lui que pour son frère, la réserve dudit gouvernement
dont S. M. lui avait donné promesse (2). » Il approuvait
sans doute ce qu'il ne pouvait empêcher. Peut-être aussi
le favori qui ne manquait pas de sens politique, comprit-il
qu'il fallait sacrifier ses rancunes pour éviter un plus grand
mal : la perte complète de Lyon tombant aux mains des
Guises.
Malgré cette concession, les rapports du ministre et
du favori ne s'améliorèrent pas, comme nous le verrons
bientôt.
Longtemps auparavant, leur dissentiment avait éclaté.
Un des plus acharnés adversaires de d'Epernon avait été
d'Epinac, plus zélé guisard que le gouverneur et les prin-
cipaux bourgeois. Il avait quitté la Cour à la suite de sa
rupture avec d'Epernon en février 86. Villeroy profita du
déclin passager de d'Epernon (pendant son séjour en
(1) Voir la description des noces à Lyon dans Péricand, Notices et
documents, p. 123.
(2) Mém., p. 114.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 95
Provence), pour demander au roi le rappel de l'arche-
vêque. Il supplia Henri III de « lui faire une lettre et
aviser de composer le différend qui était entre ledit duc
et lui pour retenir et conserver ledit archevêque à son
service » (1). Il espérait fortifier à la Cour le parti des
ennemis du favori. On peut s'étonner qu'il ait tant insisté
pour rendre à la vie politique l'homme qui était un
des meilleurs appuis des Guises. Mais il faut noter que
l'alliance d'Epinac avec le parti lorrain ne s'est con-
sommée qu'au début de 1588 (2), et que la fermeté de
conduite et la continuité de vues n'étant pas les qualités
maîtresses de l'archevêque, Villeroy espérait exercer sur
lui une certaine influence (3), et l'empêcher de se jeter
tout à fait dans les bras des Guises. Avec l'aide de Bel-
lièvre, il avait déjà fait à l'archevêque certaines avances.
L'archevêque avait refusé tout rapprochement avec le
duc (4), les « mauvais offices» que lui avaitfaits d'Epernon
étant trop considérables. Mais, malgré les protestations
solennelles de ce dévouement à la cause royale, Villeroy
n'était pas satisfait de la neutralité de l'archevêque. Pour
avoir son concours actif, il tenta auprès d'Henri III une
démarche directe, qui fut pour d'Epernon « l'occasion de
fonder une nouvelle querelle et plainte » au sujet du mi-
nistre (5).
(1| Mém., p. Id4.
(2) Voir Richard, Pierre d' Epinac, archevêque de Lyon (1573-1599),
1901, p. 273.
(3) On verra plus loin combien cette influence fut grande après la
mort d'Henri 111.
(4) Lettre à Villeroy 1er mars 87 (Bibliothèque municipale de Lyon),
citée par Richard, p. 629.
(5) Epinac affirme à Villeroy qu'il a eu « un très juste sujet » de se
retirer de l'amitié de M. d'Epernon pour les mauvais offices qu'il lui a
faits qui « sont si communs entre les honnêtes hommes de la Cour »
que tous les jours il en apprend de nouveaux Villeroy avait supplié
Epinac de rester fidèle au roi. Epinac lui jure qu'il n'a aucun mécon-
tentement à l'égard de son maître. « Four conclusion, Monsieur, je
96
III
L'édit de juillet 1585 avait proclamé l'union des forces
catholiques contre l'hérésie et provoqué une guerre qui
traînait lentement sans résultats notables pour chacun des
partis. Condé se défendait contre Mercœur en Bretagne,
contre Joyeuse dans l'ouest, tantôtbattu, tantôt victorieux.
Du côté des catholiques, la guerre était entravée par les
conflits qui éclataient entre les chefs de la Ligue et les com-
mandants des troupes royales ou les gouverneurs loyalistes.
Henri III ne voulait pas voir les Lorrains briller au pre-
mier rang et était enchanté de tout ce qui leur arrivait de
désagréable. Matignon et Biron ne pouvaient s'entendre
avec le duc de Mayenne qui dirigeaitl'armée de Guyenne :
ils ménageaient le roi de Navarre. Bironméme signait une
trêve avec lui, au mois d'août 1586. D'autre part, les
Huguenots longtemps isolés et faibles étaient sur le point
de recevoir d'importants renforts de l'étranger. Après de
longues instances, Henri de Navarre avait reçu des subsides
d'Elisabeth et des princes allemands. Un ardent calviniste,
le Palatin Jean Casimir, levait en Allemagne une armée de
14.000 fantassins et de 8.000 reîtres et se préparait à mar-
cher au secours de ses frères de France.
La situation paraissait très sombre aux « bons servi-
teurs » du roi. Villeroy n'avait que des sujets de défiance
et de mécontentement. Sans aucun doute, l'attitude du roi
à l'égard des Guise l'inquiétait : il ne pouvait comprendre
qu'après avoir juré l'union avec eux, il s'appliquât à les
irriter par des mesquineries. Le ministre n'a pas osé le
ijue vous croyez et s'il vous plaît que S. M. entende par vous
que je n'ai ni ne puis avoir aucun mécontentement et serais très marri
que l'on crut que j'en eusse aucun... Je m'adresse à von-, Monsieur,
comme à celui que je sais être le refugedes gens de bien et d'honneur... »
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 07
dire ouvertement. Mais nous voyons, par un passage des
Mémoires, qu'il regrettait qu'on eût imprimé à Henri III
« une telle jalousie du due » (1) ; et d'autre part, nous sa-
vons qu'il insistait beaucoup pour qu'on donnât à Mayenne
de sérieux renforts, pour lui permettre de lutter efficace-
ment en Guyenne contre les huguenots, comme il était
convenu (?). Il continuait à déplorer le déchaînement des
passions ligueuses, les menées et pratiques de ■• ceux qui
veulent pescher en eau trouble (3) », la « malice des fac-
tieux », les appels aux puissances étrangères, o Les pas-
sions privées nous emportent et commandent tellement,
écrivait-il 4 . que l'honneur de Dieu, la révérence que
nous devons au roi et l'amour de notre patrie n'ont force
ni puissance aucune envers nous. Les partis ont leur but
et leurs fins toutes contraire-, appuyée- et fomentées d'in-
telligences étrangère- 5 . •'.'■qui lui parut le plus dange-
reux, à lui comme à la cour, au milieu de l'année 1586, ce
fut la menace d'une invasion allemande. Faudrait-il se
« résoudre à boire ce calice qui sera très amer à ce pauvre
royaume qui est déjà -i défiguré, qu'il n'est pas reconnais-
sablé 6) ? »
Aussi le ministre approuva-t-il chaleureusement ridée
d'une conférence avec le roi de Navarre. La reine-mére,
toujours infatigable, se rendit dans l'ouest auprès de son
gendre. Elle le vit au début de décembre, au château de
Saint-Brice. près de Cognac et le supplia de se convertir.
ou au moins de signer une trêve d'un an et de suspendre
pendant ce temps l'exercice du culte réformé dan- ses
1 1 M>-m.. p.118.
(2) Catherine de Médicis h Villeroy, 3 août 1586. Lettres, t. IX,
. 24.
(3) Villeroy à de Maisse, 28 février 1587. F. Fr., 16093, f 142.
(4) ihul., 29 août 1585. F. Fr. 16092, f 411.
(5) l'nd.. 14 mars L586, fr 35.
(6) Ibid., 5 juillet 1
Villeroy 7
98 VILLEROY
places. Tous ses efforts furent vains. Le roi de Navarre
refusa de rompre avec sa noblesse protestante, et la reine-
mère rentra à Paris, au début de mars 1587, après huit mois
perdus en allées et venues et en négociations stériles (1).
Il semble qu'Henri III se soit montré assez sceptique à
l'égard de la politique de sa mère et un peu inquiet de
l'émotion qu'elle soulevait parmi les ligueurs. Villeroy,
Bellièvre et le chancelier de Birague furent les meilleurs
alliés de Catherine. Villeroy était convaincu que le salut
du royaume était dans la conversion du roi de Navarre. La
réalisation de cette idée, en cette année 1586, nous paraît
maintenant chimérique. Nous apprécions mieux les motifs
de conscience et d'honneur qui retenaient Henri de Navarre
au camp des réformés et nous sommes moins disposés à
croire à l'efficacité souveraine des négociations en pareille
matière.
Villeroy se représentait mal l'état d'âme des hugue-
nots ; il croyait qu'Henri IV persévérait dans sa reli-
gion parce qu'il était « assisté de personnes plus opiniâtres
et passionnées qu'affectionnées à son bien et au public (2) ».
Comme il l'écrivait un jour au duc de Nevers, il estimait
que « la vérité, la raison et le temps sont trois grands et
puissants ouvriers entre les hommes et les actions hu-
maines (3) ». Il avait foi en la bonté de la cause catholique
qui avec l'aide de la Providence devait finir par triompher;
il croyait dans l'excellence de la raison qui finirait par dé-
montrer à l'intelligent Bourbon que sa conversion était
(1) Voir G. de Brémond d'Ars, Conférences de Saint-Brice, Rev.
des quest hist. XXXVI, octobre 1884. p. 496. Voir les lettres de Ca-
therine du 30 octobre 1586 au 13 mars 1587, t. IX, p. 17-192 et les
diverses pièces publiées en appendice, p. 402 et suiv.
(2) Villeroy à de Maisse, 4 janvier 1586, F. Fr. 16093, f° 5. Sacon-
versinn, disait-il, « est chose qu'il pourrait faire avec son honneur, car
l'on lui en donnerait les moyens et de laquelle dépend son salut en
toutes sortes, ce que l'on lui a fait dire. »
(3) Villeroy à Nevers. 18 décembre 1585, F. Fr. 3364, f° 38.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 99
l'acte le plus conforme à son intérêt personnel et au bien
public, et en diplomate patient, il comptait beaucoup sur
l'action du temps. Cette pensée le consolait dans les mo-
ments où le sentiment de l'impuissance des « gens de bien »
l'envahissait; elle l'empêchait, comme il aimait à le dire,
de « jeter le manche après la cognée (1). Ajoutons qu'il
étaii de l'école de Catherine, et avait adopté comme elle
pour maxime qu'il fallait négocier, négocier toujours,
discuter, raisonner avec l'ennemi ; si cela ne pouvait faire
de bien, cela ne pouvait pas faire de mal.
Pendant les négociations de Saint-Brice, il resta en par-
faite communauté d'idées avec la reine-mère qui lui écri-
vait tous les jours, le tenait au courant des moindres dé-
tails de ses actes, lui demandait des avis, et le chargeait de
défendre sa politique au sein du Conseil (2). D'Epernon,
que Catherine ne nomme jamais, était un de ses plus re-
doutables adversaires et c'est cette influence qui l'in-
quiétait quand elle priait instamment Villeroy el ses amis
de l'aider (3). Peut-être est-ce de l'entourage de d'E-
pernon que partirent des calomnies dirigées contre le mi-
nistre au mois d'octobre. Cet incident ne nous est pas
connu, mais nous savons, par une lettre de la reine-mère,
avec quelle chaleur elle s'indigna contre le méchant men-
teur, et quelles bonnes paroles elle sut trouver pour con-
soler son ministre. « Il me déplaît que ne suis de sexe et
de qualité pour faire mon démentir valable avec l'épée ;
mais sachant qui c'est, je lui ferai avouer par un bourreau,
car il mérite la corde, étant plus que crime de vouloir brû-
ler tous ceux qui sont les meilleurs et plus assurés servi-
teurs de cette couronne... Si vous voulez que je croie que
(1) Villeroy b. Nevers, Ibid.
(2) Voir Lettres, t. IX, p. 83 et suiv. (lettres adressées le 18 no-
vembre et les jours suivants, de Saintes, Saint-Mexant, Saint-Brice, etc.).
(3) Catherine à Villeroy, 20 décembre 1586, Ibid., p. 123.
100 VILLEROY
toutes ces menteries ne vous ont chargé, il faut que me les
prouviez. Si c'est homme, j'ai ce qu'il y faut; si c'est
femme, je lui en dirai deux mots, de quoi il lui en souvien-
dra toute sa vie, fut-elle de cent ans (1). »
Les négociations avec les protestants avaient complète-
ment échoué. L'armée allemande se préparait à envahir le
royaume. Et cependant, les catholiques se divisaient de
plus en plus. Entre la Cour et les Guises, les défiances s'ac-
cumulaient. Ceux-ci agrandissaient petit à petit le réseau
de leurs places fortes : le duc d'Annale voulait être le maître
en Picardie et mettait la main sur Doullens ; Henri de Guise
s'emparait d'Auxonne et bâtissait une citadelle à Vitry-le-
François. Malgré les défenses du roi, il mettait le siège
devant les places de Sedan et de Jametz qui appartenaient
au duc de Bouillon. « Toutes les villes du royaume sont
pratiquées et divisées, écrivait Villeroy le 28 mars 1587. Le
peuple est mangé de tous côtés (2). » Henri III ne pouvait
ni faire la paix avec les protestants à cause d'eux, ni con-
tinuer la guerre pour défendre son royaume, sans s'être
concerté de nouveau avec eux. Aussi Villeroy, d'accord
avec la reine-mère, conseilla-t-il fermement au roi de con-
férer avec les Guises pour « composer les altercations (3). »
Catherine de Médicis se rendit à Reims, le 26 mai 1587,
avec Bellièvre, Lansac, Villequier et Pinart et y resta près
d'un mois (4). Elle essaya d'y débrouiller les questions épi-
neuses qui divisaient les catholiques et de préparer une
entrevue entre le roi et le duc de Guise. Malgré l'optimisme
officiel des lettres de la Reine-Mère qui écrivait à son fils :
« la raison demeure toujours de notre côté » (5), il fallut
(1) Lettre sans indication de jour d'octobre 1586, Ibid., p. 67-68.
(2) Villeroy à de Maisse, 28 mars 1587, F. Fr. 16093, fo 150.
(3) Villeroy à de Maisse, 11 avril 1587, F. Fr. 16.093, f° 150.
(4) Voir Lettres, t. IX, p. 203 et suiv. (Voir, entre autres, une lettre
au roi du 29 mai, p. 211, et deux lettres à Villeroy, du 16 mai, p. 203,
et du 11 juin, p. 219).
15) Ibid., p. 211.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 101
ou bien laisser aux Lorrains quelques-unes des places con-
quises, ou bien les donner à des gouverneurs qui, sans être
de la Ligue, n'étaient pas de leurs ennemis. Ces moyens
termes etces concessions étaient humiliants pour la royauté.
Villeroy était écœuré. « Le masque de la religion est levé,
écrivait-il à Matignon, c'est l'ambition qui nous régente et
l'irrésolution qui nous ruine (1). » Et cependant il conti-
nuait à faire de nécessité vertu. Il cherchait toujours l'idéal
rapprochement avec le parti catholique. Il conseillait au
roi de voir le duc, et travaillait à diminuer la jalousie que
certains conseillers entretenaient dans l'âme d'Henri III. Il
en était arrivé à considérer que cette haine fomentée par
d'Epernon était la première cause du mal. Car, a-t-il écrit
dans les Mémoires, « plus le roi se déclarait jaloux et mal
content dndit Duc, plus ledit Duc regardait à se fortifier,
tant pour se faire rechercher et rendre plus nécessaire, que
pour mieux résister à ses ennemis (2). » Villeroy ne se fai-
sait-il pas illusion ? N'était-il pas trop tard pour changer le
naturel du roi et du duc ? S'il avait pu'connaître la corres-
pondance qu'échangeaient Henri de Guise et l'ambassadeur
d'Espagne Mendoza, il aurait certainement eu moins de
confiance en l'avenir : les lettres de Guise ne sont que d'a-
mères récriminations sur les « apparences trop évidentes
des mauvaises intentions du roi», «les négligences trop
suspectes de S. M. pour fortifier le prince de Béarn (3) »,
et «les longueurs et dilacions dont jusqu'ici le Roi a usé
« pour nous amuser (4) » .
Le 19 juin, le roi Henri III partit de Paris pour aller
touverla reine-mère à Monceaux. Il emmenait d'Epernon,
(1) Villeroy à Matignon, 24 mai 1587, Lettres, p. 180.
(2) Mém., p. 116.
(3) Guise à Mendoza, 25 juin 1 o S 7 , Arch. nat.,Pap. Sinianc. K. 1565,
fo 5.
(4) Ibid.y 4 juillet 1587, fo 14. Voir aussi les lettres de Mendoza à
Philippe II de la même année.
-102 VILLEROY
Villeroyetle Chancelier. Il avait demandé à deux échevins
de la municipalité et à trois magistrats du Parlement de le
rejoindre. Mais le duc de Guise ne répondit pas à l'appel
du roi qui dut rentrer à Paris le 27 juin (1). La reine-mère
calma de nouveau les défiances et négocia l'entrevue. Le 2
juillet, Henri III retourna à Meaux, fit bon visage au chef
de la Ligue qui vint le trouver le lendemain et conféra
longuement avec lui. Le duc se montra aussi exigeant avec
le roi qu'avec la reine-mère, se plaignit des difficultés de
toute sorte qu'on avait apportées à l'exécution de l'Édit,
remit en question de nouveau les places de sûreté. Villeroy
défendit de son mieux les places de Picardie (2). Puis on
aborda l'essentiel. Le roi essaya vainement d'obtenir qu'on
fît la paix avec le roi de Navarre, moyennant quelques
concessions, pour éviter l'invasion allemande. Guise exigea
la guerre à tout prix. 11 n'y avait aucun moyen de lui ré-
sister. Le roi plia. La guerre fut décidée. Joyeuse devait
prendre en Poitou le commandement des troupes contre
le roi de Navarre ; le duc de Guise devait diriger la guerre
en Champagne contre les Allemands : le roi se réservait le
commandement d'une troisième armée sur la Loire pour
empêcher le passage des reîtres au cas où Guise ne par-
viendrai! pas à les arrêter.
Dans une lettre du 5 juillet à Matignon, Villeroy exprimait
énergiquement combien il ressentait la dureté des condi-
tions d'une telle alliance. « Il semble que le roi et tous ses
serviteurs endurent toutes les nasardes et opprobres du
monde sans s'en revancher : je ne pense pas que cela puisse
durer... Je suis bon catholique et affectionné à ma religion
(1) L'Estoile, III. p. 49.
(2) « Nos cartes sont plus brouillées que jamais. M. de Guise fait
instance qu'on laisse aux Picards la garde de la ville de Dourlens...
J'ai dit ii ceux qui l'ont prise que le roi ne le veut pas faire, car elle a été
prise sur .les serviteurs bons catholiques et sans reproche. » (Villeroy
à Matignon, 14 juin).
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 103
autant qu'homme de ma sorte, mais non pour supporter
que l'on gourmande le roi et que Ton le prive d'autorité
sous prétexte de pitié. Je ne sais à quoi pensent ces princes
de Guise ; je crois qu'ils sont aveuglés, que Dieu nous veut
punir avec eux de tous nos péchés passés. Votre meunier
en crève de dépit. »
Villeroy ne perdait pourtant pas tout espoir de raffermir
le prestige de son pauvre prince et de calmer les rancunes
des Guises. Il travailla, avec le duc de Nevers, « à avancerle
partement de Paris de S. M. et son acheminement en sonar-
mée » (1). C'était une habile tactique. En voyant le roi à la
tête de ses troupes, les ligueurs perdraient le droit de se
dire trahis par Henri III. Le duc de Guise ne pourrait plus
se proclamer l'unique défeaseur de la religion. En même
temps, aux yeux des huguenots qui fondaient certaines
espérances sur l'attitude équivoque du roi, Henri III serait
tout à fait compromis.
Villeroy essayait de grouper autour du roi les grands
seigneurs catholiques, pour renforcer le parti catholique-
royaliste. 11 chercha à attirer le plus ondoyant et le plus
énigmalique de tous, le duc de Nevers, dont nul ne connais-
sait la pensée intime. Après avoir paru se donner fougueu-
sement à la Ligue, il avait été pris de scrupules politiques
et religieux, en môme temps que d'inquiétudes sur son inté-
rêt personnel. En 1587, il avait reçu le gouvernement de
la Picardie et gardait une attitude équivoque, correspondant
secrètement avec les Gurses, sans rompre avec Henri III.
La reine-mère et son fils, directement ou par l'intermé-
diaire de Villeroy, appliquèrent tous leurs soins à le retenir
dans l'obéissance, en calmant sa susceptibilité qui était très
vive, car il se plaignait toujours de n'être pas assez bien
traité. Pendant les années 1586 et 1587, Villeroy écrivit au
duc d'éloquentes lettrés où il exposait la situation politique
(1) Mêm., p. 113.
104 VILLEROY
avec une certaine franchise, flattait et promettait avec
beaucoup de tact. « Je vous supplie, lui écrivait-il, le
12 juillet, de vous résoudre à demeurer ce que vous avez
toujours été de fait et de réputation... Nous ne pouvons
éviter notre entière ruine que si nous nous réunissons
avec S. M. et lui aidons à se maintenir et conserver son
autorité. Vous y voyez plus clair que nul autre » (1)...
Il lui rappelait sans cesse le besoin qu'avait le roi de bons
serviteurs, lui promettait de le servir de tout son pouvoir
et de lui faire obtenir tout ce qu'il désirait pour sa satisfac-
tion particulière. Le duc de Nevers était très sensible aux
bons offices de Villeroy. Le ton modéré, raisonnable et
parfois émouvant des lettres du ministre dut le faire réflé-
chir. On peut attribuer en partie aux efforts du ministre
le succès que le roi remporta dans les négociations avec
le duc qui, tout en se montrant fort réservé à l'égard du
roi, ne se livra pas à la Ligue (2).
Un des plus grands obstacles qui s'opposaient à l'union
des seigneurs catholiques était la haine qu'inspirait d'Eper-
non par son avidité insatiable, son humeur altière etla bru-
talité de ses manières. Villeroy, le 1er d'octobre, fut la vic-
time de ces détestables procédés, au moment où il croyait
que des relations correctes étaient rétablies pour longtemps
entre le favori et lui. « Un malheur ou pour mieux dire un
(1) Villeroy à Nevers, 12 juillet 1586, F. Fr. 3372, f 24. De nom-,
breuses lettres écrites pendant ces deux années au duc de Nevers sont
dispersées dans le F. Fr. 3372 et 3398. Voir la lettre du 13 février
1587, F. Fr. 3398, f* 57.
(2) Sur cette affaire du duc de Nevers, voir les Mémoires de Nevers,
les Lettres de Catherine de Médicis, t. VIII et t. IX, passim, avec l'in-
troduction au t. VIII par Baguenault de Puchesse, et l'appendice au
t.. IX (p. 472 et suiv.), qui contient des Lettres de Nevers. — D'autres
recueils du F. Fr. contiennent des Lettres de Villeroy à Nevers, le
n0 3364 contient deux longues et intéressantes lettres du 17 novembre
et du 18 décembre 1585 (fos 28 et37), le n° 3350 plusieurs lettres de
l'année 1583, le n° 3336 une lettre du 5 octobre 1588 (f° 101).
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 105
coup de tonnerre m'est tombé sur la tète qu'un plus habile
homme que moi n'eût pu éviter. » C'est en ces termes qu'il
désignait, le lendemain, dans une lettre à Bellièvre, l'af-
front qu'il subit à Saint-Aignan, en plein conseil du Roi (1).
Le prétexte fut des plus futiles. Henri III, qui était arrivé
dans cette petite ville, entre Orléans et Blois, avec son ar-
mée, y tint conseil le 2 octobre, avec d'Epernon, Biron,
La Guiche, Retz, d'O, Brulart et Yilleroy. On avait reçu
un paquet de Pinart contenant un résultat du conseil tenu
à Paris par Bellièvre et quelques autres qui y étaient de-
meurés. Villeroy lut un rapport sur certains deniers qui
restaient à toucher de la vente du domaine du douaire de
Marie Stuart, en Poitou, que l'on conseillait au roi de don-
ner au Grand Prévôt pour lui permettre de conduire ses
archers à l'armée. Yilleroy accomplissait le plus régulière-
ment du monde sa charge de secrétaire d'Etat II trans-
mettait l'avis détaillé et bien expliqué de Bellièvre, et il
apostillait les articles pour que le roi puisse en ordonner.
Henri III ayant entendu cette proposition la trouva
bonne.
Alors intervint d'Epernon qui affirma que les deniers
avaient été donnés à son frère pour les frais de l'armée qu'il
(1) Villeroy à Bellièvre, 2 octobre 1587, F. Fr. 15008, f" 477. Nous
avons suivi le récit contenu clans cette longue lettre qui débute ainsi :
« Je vous écris outré de douleur autant que le peut être un homme de
bien. » Villeroy a résumé l'incident dans ses Mémoires. L'Estoile ra-
conte ainsi la dispute: «. Au commencement du mois d'octobre, le duc
d'Epernon, en la présence du roi, fit un rude affront ;'t M. 1 1 « - Villeroy,
secrétaire d'Etat, l'appelant petit coquin en le menaçant de lui donner
cent coups d'éperon, comme à un clieval rétif, même lui reproebant
certaine intelligence qu'il disait avoir avec la Ligue et le roi d'Es-
pagne, auquel il révélait tous les secrets du roi, sous ombre des
(limiers et d'une pension de doubles pistoles qu'il en tirait. Ce qu'on
trouva fort étrange et encore plus de ce que l'affront lui avait été fait
en présence du roi, tellement qu'on eut opinion que S. M. l'avait fait
faire, et que san- cela d'Epernon ne l'eût voulu ni osé entreprendre. >•>
Le bruit dont l'Estoile s'est fait l'écho diffère, comme on le voit, de la
réalité, telle que la raconte Villeroy.
106 VILLEROY
conduisait en Dauphiné et qu'on ne pouvait les lui enlever
sans lui l'aire tort. D'Epernon s'adressait au roi. Personne
ne soufflait mot. Le due se tourna vers le secrétaire et lui
dit qu'il savait bien comment cela s'était passé. Yilleroy
répondit qu'il ne faisait rien sans commandemenl de S. M.
D'Epernon, déplus en plus irrité, éleva la voix, et lui dit en
jurant qu'il avait fait et faisait tous les jours plusieurs
choses sans le commandement du roi et qu'il en pourrait
compter plus décent. Henri IHvoyanl alors Yilleroy ému,
prêt à répondre, le pria de se taire. Mais d'Epernon ne
s'arrêta pas : il affirma encore plus fort qu'il disait vrai et
ajouta que Yilleroy était « un petit galant à qui il fallait
apprendre à parler ». Sur cela, le roi se leva, très ennuyé,
ei rentra dans son cabinet. Cependant, M. delà Guiche
avait abordé d'Epernon, qui était rouge de colère, et essayai!
de le calmer. Le favori lui répondit que sans la présence et
le respec! du roi, il aurai! donné cenl coups d'épée à \ ille-
roy. Un moment après, Henri 111 fit appeler d'Epernon et
Brulart. Yilleroy n'entendit par leur conversation, mais il
sut dans la suite que le roi avait admonesté le duc el l'avait
prié de cesser ses attaques. La salle du Conseil s'était vidée.
Villeroj vitbientôl arriver d'Epernon qui lui répéta que
sans la présence du roi il l'eût traité d'une autre façon.
Yilleroy garda le silence.
Le lendemain malin, le roi en\o\ ;i chercher son ministre.
lui dit combien il était fâché de ce qui étail arrivé la veille.
mais que « la saison ne portail pasqueses serviteurs fussent
désunis », qu'il voulait qu'il oubliât ce qui s'était passé et
fît sa charge comme de coutume. Yilleroy assura S. M. de
son dévouement, mais la supplia de lui faire justice de cette
injure. « 11 se retirerai! plutôt au bout du monde si le roi
voulait lui commander d'oublier ce qui s'était passé. » Le
roi lui ordonna de lui obéir en l'assurant qu'il ne souffri-
rait jamais qu'on lui fit le moindre déplaisir, el en le priant
de ne point l'abandonner au plus fort des affaires.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 107
Yilleroy dompta son r<-'-=enliment et dissimula sa peine.
Il eut bientôt la consolation de voir qu'il avait de nombreux
amis à la Cour. Plusieurs gens de bien lui offrirent
leur assistance et cherchèrent à mettre son esprit en re-
pos . Parmi eux étaient X ise, Biron, d'Aumont
et Retz. D'Epernon ne tarda pas a se calmer. La jalousie
que lui inspirait la faveur de Joyeuse avait i ner-
vosité. Il en voulait particulièrement à Villeroy de l'amitié
qui l'unissait au favori. Après la mort de Joyeuse l'altitude
de d'Epernon changea. Quand on connut la nouvelle de la
mort tragique du favori à la bataille d d'Epernon
accorda spontanément à Villeroy une s<jrk- de réparation.
Il lui tint « un trè= honnête langage sur ce qui s'était
audit Saint-Aiirnan. de façon, ajoute Villeroy, que j'eus
certainement toute occasion d'en demeurer très satisfait --.
Le conflit était termina. Villeroy oublia bientôt ^e coup
de bâton ' 1 - »ngea plu- qu'aux affaires publi
La situation était inquiétante le danger grand et prochain :
Quand j'y pense, écrivait Yilleroy le 7 octobre, les che-
veux me dressent en la tête ' Pour être victorie
serviteur- du roi devaient être unis. Ce fut le principal -
du ministre à la fin de l'année l.~>v7. i .Mon opinion, disait-il,
e>t que chacun se mette à la raison et que nous appointions
le- querelles qui divisent les catholiques >-l que nous cher-
chions nprés les moyens de composer le- générales
Si trois ou quatre per-onnes le veulent, nous pouvons
tout l
Il semble que, d'accord avec la reine-m>'re, il ait eu
un moment l'espoir de réconcilier d'Epernon et les Cui-
(\ i Villeroy à Bellièvre, 4 octobre 1 " :-. le coup de bâton
qui m'a été donné sur les oreilles m'a tellement étourdi que je :.
plus ce que je fais ni dois faire. -> F. fr. 15908, :'• 483.
-
(3) Ibéd.j 10 léeembre 1587, i° 529. « Si chacun voulait ce qu'il
doit, ce serait bientôt fait; sinon Dieu nous punira. L a peut-
plus. >
108 VILLEROY
ses. Les circonstances paraissaient favorables. Des deux
grands adversaires du favori, l'un, Joyeuse, était mort
à la bataille de Coutras, le 20 octobre, l'autre Villeroy s'é-
tait déclaré satisfait des excuses reçues après l'affront de
Saint-Aignan. [Pendant l'entrevue de Meaux, Guise et d'E-
pernon s'étaient embrassés par ordre du roi, et depuis ce
temps, ils paraissaient coopérer à une même œuvre, la dé-
fense de la religion et du royaume. Le moment n'était-il
pas propice à une intervention qui, si elle ne devait dissiper
entre les ennemis toute équivoque, pourrait du moins éta-
blir entre eux un « modus vivendi » analogue à celui qui
avait existé entre Joyeuse et d'Epernon? Nous n'avons con-
servé aucune trace certaine de cette action de Villeroy.
Nous avons le témoignage précis des Mémoires et nous sa-
vons que la reine-mère à ce moment faisait taire sa vieille
rancune contre d'Epernon pour essayer de le réconcilier
tout à fait avec le duc de Guise. Mais d'Epernon, nous
disent les Mémoires, se défiait de Villeroy et « mettait le
roi en soupçon » à son égard. Les deux ducs, possédés cha-
cun du démon de l'ambition, étaient irréconciliables. Au-
cune tentative ne pouvait réussir (1).
IV
Malgré les efforts de la reine-mère et des conseillers du
roi, le fossé se creusait de plus en plus entre le roi et le
duc de Guise. Quand on partit en guerre, après les entre-
vues de Meaux, Henri III avait espéré que son orgueilleux
(1) Cette tentative est restée mystérieuse. Voir les Mém., p. 115 et
une lettre de Mendoza à Philippe il, du 9 janvier 1588, où l'ambassa-
deur parle du vain essai de conciliation entrepris par la reine-mère,
et de la n pi ose de d'Epernon (qu'il voulait jouir seul de la faveur du
roi, laquelle il étail sûr de perdre du jour où le duc de Guise viendrait
en Cour). Pap. Simone, K. 15G7,f° 4.
LE SECRETAIRE DE HENRI III 109
rival serait battu par les Allemands et profondement hu-
milié, tandis que le duc de Joyeuse pourrait tenir le roi de
Navarre en échec dans l'ouest. Le contraire advint. Joyeuse
attaqua avec une folle bravoure l'armée protestante à Cou-
tras, y perdit presque toute sa noblesse catholique et s'y
fit tuer (20 octobre 1587). Un mois après, Guise mettait en
déroute les Allemands dans les glorieux combats de Vi-
mory et d'Auneau. Le duc fut exalté partout comme le
sauveur du royaume, et le roi rendu furieux contre lui par
cette louange universelle.
Ce malheureux Henri III devenait, quoi qu'il fit, de plus
en plus impopulaire. La Ligue, « refuge des mécontents »,
avait fait d'immenses progrès pendant Tannée 1587 parmi
les gentilshommes, les ecclésiastiques, les bourgeois, les
artisans des grandes villes et même chez les paysans. Ceux
de Paris correspondaient régulièrement avec les membres
de l'Union des grandes villes. Les hommes d'action com-
mençaient à régenter la masse catholique ; des aspirations
nouvelles se faisaient jour : on ne demandait plus seule-
ment l'extermination des hérétiques mais des réformes
financières et sociales. Le sens de la discipline disparaissait.
Le roi était traité en suspect. Le ton des prédicateurs sédi-
tieux s'exaspérait chaque jour davantage. Les mesures
prises par Henri III pour lutter contre le débordement des
passions ligueuses étaient insuffisantes ou maladroites :
celaient tantôt des réprimandes aux théologiens, tantôt le
laisser-aller, tantôt des exécutions rapides, comme celles
de l'avocat Le Breton. Mais en général, leur audace
croissait par l'impunité.
Le roi se montrait aussi imprudent dans sa conduite à
l'égard des princes. Guise avait vaincu ; c'est d'Epernon qui
fut récompensé. Le duc de Guise avait demandé l'amirauté
de France, autrefois possédée par Joyeuse, pour le comte
de Brissac. Cette charge fut donnée avec le gouvernement
de Normandie à d'Epernon. Celui-ci n'avait jamais éTé-prHS
|10 VILLEROY
puissant ni plus impopulaire. « D'Épernon est seul au
monde, écrit l'envoyé florentin, le 4 janvier 1588 ; il jouit,
gouverne et domine (1). » Toute la Ligue l'accusait ouver-
tement d'avoir trahi les intérêts de la foi en accordant aux
reitres une capitulation honorable, et d'être, dans toutes
ses actions, de connivence avec le Béarnais. Et lui s'accro-
chait au pouvoir et se montrait plus insolent que jamais.
Nous ne pouvons suivre au jour le jour l'aclion qu'exerça
Villeroy au Conseil à la fin de cette année 1587 et au début
de 1588. Les documents sont assez rares. On peut affirmer
cependant qu'il donna des conseils d'énergie à l'égard de
la Ligue populaire dont les excès le révoltaient. Il blâma
l'élévation de d'Épernon qui faisait croître les « défiances
et inimitiés (2) », mais il est peu probable qu'il ait osé s'y
opposer ouvertement. En tous cas, il continua, comme par
le passé, à essayer de calmer la haine du roi à l'égard du
duc de Guise. La vieille reine-mère prêchait toujours la
conciliation ; mais elle voyait bien qu'elle était moins écou-
tée, et elle le reconnaissait tristement dans une curieuse
lettre où elle priait Villeroy de démontrer au roi qu'il fallait
être indulgent et fermer les yeux sur une nouvelle incar-
tade des Lorrains (3). « Monsieur de Villeroy, je n'ai voulu
rien mander de ceci au Roi, mais }e vous ai voulu écrire ;
ou quelquefois le Roi ne prend pas comme est mon inten-
tion et pense que je le fasse pour vouloir toute chose pal-
lier ou pour les aimer, ou pour être trop bonne, qui est au-
(1) Desjardins, t. IV, p. 712. « Epernon è solo al mondo ; gode go-
verna e domina ; e se continua in la grandezza, e miracolo. »
(2) Mém., p. 116.
(3) Le duc de Lorraine n'avait pu, comme il l'avait offert, porter se-
cours à Henri 111. 11 se mit en campagne en novembre 1587 et rejoignit
le duc de Guise sans avoir fait prêter sonnent au roi par ses troupes.
La reine-mère explique a Villeroy qu'on ne doit pas par trop de rigueur
s'exposera perdre un ami qui nous a rendu de réels services en luttant
contre les Suisses et les alliés des huguenots {Lettres, 12 novembre
1587, t. IX, p. 279).
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 111
tant à dire que j'aime quelque chose plus que lui qui m'est
très cher à jamais ou que je sois une pauvre créature que
la bonté mène et aussi que j'ai peur de l'ennuyer. »
Villeroy aussi parlait inutilement. Il n'y avait rien au
monded'assez puissant pour arracher aucœurd'Henri III sa
haine des Guises et son désir de vengeance. Les conseils de
ceux que Villeroy appelait les « gens sages » étaient donc
hors de saison. Ceux-ci étaient d'autant plus réduits à l'im-
puissance qu'ils étaient obligés de se maintenir sur le terrain
équivoque où reposait leur sagesse depuis le début de la
Ligue. Il leur fallait blâmer les actes de ceux avec qui ils
préconisaient une bonne entente ! Au début de 1588, le duc
d'Aumale renouvelait ses entreprises sur les places de Pi-
cardie. Villeroy était violemment irrité, il dit un jour à
Morosini : « Il y a deux moyens d'apaiser ces troubles : la
raison ou la force... La force reste seule au roi pour con-
server son royaume et son honneur... Que doit faire le roi,
car il ne peut se voir enlever le royaume et rester les mains
dans ses poches (1) ? »
Les « deffiances et inimitiés » finirent par amener le duc
de Guise à commettre un acte très grave de désobéissance ;
il entra dans Paris malgré les ordres du roi ; la population
de la capitale se souleva contre Henri III et le força à fuir,
au lendemain d'une journée de « barricades ».
La reine-mère avait essayé, selon sa méthode habituelle,
de détourner l'orage par des négociations. Le duc d'Au-
male avait envoyé des troupes en Picardie, bien que le roi
eût donné cette province à Nevers, et s'emparait des villes
une à une, prêt à mettre les ports à la disposition de l'ar-
mada espagnole qui se préparait contre l'Angleterre. A
Paris, les ligueurs étaient de plus en plus insolents et
audacieux : il se réunissaient secrètement et conspiraient
pour introduire dans la ville des troupes guisardes pour les
(1) L'Epinois, La Ligue et les Papes.
112 VILLEROY
défendre. Bellièvre fut envoyé à Soissons auprès des princes
lorrains à la fin de mars. Son habileté, sa modération,
l'estime qu'il inspirait dans tous les partis (il n'avait aucun
ennemi) ne servirent à rien. Le duc d'Aumale fut intrai-
table. Il ne voulut même pas admettre que l'on discutât
la question des places picardes. Les négociations se pro-
longèrent tout le mois d'avril et n'avancèrent pas (1). Pen-
dant ce temps, l'effervescence augmentait dans Paris.
Henri III fut avisé le 24 avril d'une entreprise qui devait
s'exécuter le jour de la Saint-Marc. Il renforça les gardes
du Louvre et logea au faubourg Saint-Denis les 4000 Suisses
qui étaient à Lagny. Les ligueurs sollicitaient le duc de
Guise de les sauver et le sommaient même d'entrer dans
Paris, s'il ne voulait pas perdre ses partisans. Le roi en-
voya au duc par Bellièvre l'ordre de rester loin de la ville.
Bellièvre, le 5 mai, ne rapporta à Henri III que ré-
ponses ambiguës et paroles de mécontentement. Le roi
lui enjoignit de nouveau de ne pas se présenter à Paris,
s'il ne voulait pas être tenu pour responsable des « émo-
tions » quipourraientnaître. Leduc hésita, puis passa outre ;
le 8 mai il monta à cheval avec quelques gentilshommes et
le 9, à une heure de l'après-midi, franchit la porte Saint-
Denis.
On sait ce qui advint. Il se présenta chez la reine-mère
qui le conduisit chez le roi, où il tenta de s'excuser. Cepen-
dant les ligueurs affluaient à Paris. Des soldats pénétraient
par toutes les portes. Presque toute la ville était complice.
[\) Voir les lettres de Catherine du 5 mars et des jours suivants, t.
IX, p. 330 et suiv. Voiries dépêches des ambassadeurs étrangers, de
<;. Mocenigo à la Seigneurie, H mars 1588 et jours suivants, F. Ital.,
1737, f° 3 et suiv., les dépêches de Mendoza à Philippe II, dans les
Pap. Simone. K. 1568, et entre autres une Relaçion de lo Subredido
en Paris desde los que hasta 13 de mayo 1588, p. 31. et une lettre de
Guise à Mendoça, du 9 mars (p. 15), où il parle de Bellièvre et de la
Guiche, qui sont venus « avec un monde d'offres extraordinaires qui
donnenl plus do lumières à leurs artifices, lesquels je compare à la
tenta l/on que le diable fit à Notre Seigneur sur la montagne ».
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 1 L5
Henri III, pour surveiller ses adversaires, se résolut alors
à faire entrer dans la capitale, contrairement à ses privilè-
ges, les Suisses et les gardes-françaises. Les Parisiens re-
doutèrent une Saint-Barthélémy de catholiques. Dans la
journée du 1*2 mai, ils dressèrent des barricades, bloquèrent
les troupes françaises et suisses. Mais par l'intervention du
duc de Guise, des massacres furent évités. Les soldats
battirent en retraite. Le roi les concentra autour du Louvre.
Comme la population commençait à élever les barricades
vers Saint-Germain-l'Auxerrois et se préparait à investir
le château, Henri III sortit par les Tuileries et la Porte-
Neuve et s'éloigna de sa capitale (13 mai) (1).
Pendant les événements de mai, Villeroy était resté
dans la coulisse. Le principal intermédiaire entre la Cour
'et les Guises avait été Bellièvre qui avait négocié à Soissons
et qui assista à Paris la reine-mère, dans ses entrevues avec
le duc. Il parait même que sa vie aurait été en danger pen-
dant l'émeute (2). Villeroy resta auprès du roi. Il désap-
prouva l'emploi de la force, ne fut pas d'avis qu'on fît entrer
dans Paris les Suisses et les gardes-françaises. « Certaine-
ment, dit-il dans les Mémoires, j'appréhendais fort le danger
qu'il y avait d"y remédier par la force, étant les choses si pré-
parées et avancées qu'elles étaient à une soulévation, mais
la facilité de l'exécuter que l'on en promit au roi l'y embar-
qua ; toutefois il me fit cet honneur que de me dire le matin
que les dites forces entrèrent en la ville qu'il eût désiré
être à l'ordonner, ayant la nuit pesé et appréhendé le mal
qui en pouvait arriver (3). » Les conseils de résistance
furent donnés par Villequier, son gendre François d'O, gou-
verneur de Paris, détesté des Parisiens et Alphonse Corse,
(1) Voir Zeller, Le Mouvement guisard en 158S. Catherine de Mé-
dias et la journée des Barricades. Rev. Iiist.,t. XLI, novembre 1881).
(i) « Amplification des particularités qui se passèrent à Paris,
lorsque le roi en sortit. » Mém. de la Ligue, t. II, p. 315 et suiv,
(3) Mém., p. 116.
Villeroy. 8
114 VILLEROY
le dévoué serviteur qui avait proposé à Henri III de lui
porter la tête de son ennemi. Le 13 mai, Villeroy partit
précipitamment de Paris avec son maître. Il était de la
petite suite de fidèles et de conseillers qui, à cheval ou en
coche, prirent le chemin de Saint-Cloud, allèrent coucher
à Rambouillet, et s'installèrent le lendemain à Chartres
avec un roi qui avait perdu sa capitale (1).
(1) D'après l'envoyé toscan, le roi sortit avec trois personnes encoche,
commandant à ses gardes de le suivre, et chemina le soir dix grandes
lieues. Ces trois personnes étaient Villeroy, Bellièvre et le Grand Prieur
de France, bâtard de Charles IX.
CHAPITRE III
La réconciliation du roi et des Guises. Les négociations de
Villeroy à Paris. L'Edit d'Union (21 juillet 1588). Les affaires
d'Orléans. — IL Villeroy contre d'Epernon. L'affaire d'Angou-
lème. — III. La disgrâce de Villeroy (8 septembre 1588). — IV.
Après la disgrâce. Ses tentatives pour rester neutre, sous la
protection royale. Sa retraite à Paris auprès de Mayenne, chef
de la Liççue.
(Mai 1588-Aoùt 1589)
Qu'allait faire le roi chassé de sa capitale par l'insurrec-
tion? Maintenant qu'il avait mis sa personne en sûreté,
pouvait-il essayer de reprendre par la force cette ville
que, dans sa fuite le long du chemin de Saint-Cloud, il avait
maudite comme une maîtresse perfide ?
« J'entrepris des premiers, nous dit Villeroy, de remontrer
à S. M. les maux et accidents que celte guerre engendrerait
et de lui donner conseil de penser à y remédier plutôt par
la douceur que par la force, lui cottant par le menu les
raisons qui fortifiaient telle opinion, que S. M. savait et en-
tendait encore mieux que nul autre de ses serviteurs (1). »
La douceur était donc, pour Villeroy , imposée parles circons-
(1) Mém.,p. 116.
116 V1LLER0Y
tances. Quel autre procédé pouvait-il conseiller ? La force,
c'était Navarre, l'ennemi huguenot, ou d'Epernon, le dan-
gereux ami, soupçonné de complicité avec les protestants,
peu sûr, et profondément détesté des plus fidèles serviteurs
du roi qui menaçaient de quitter la Cour si le favori y ren-
trait. Il fallait donc maintenir l'alliance avec Guise et pour
cela lui pardonner. De Thou a parfaitement caractérisé
l'attitude du ministre. « Il étaitpersuadé, dit-il, que quelque
risque que pût courir l'autorité du roi, il n'y avait rien que
ce prince ne dût faire et endurer pour avoir la paix avec la
Ligue et pour entretenir la concorde et l'union entre les
catholiques. C'est sur ce principe qu'il réglait toutes les
affaires qui lui passaient par les mains (1). »
Après les Barricades, le roi proclama dans des circulaires
aux gouverneurs des villes la loyauté de sa conduite en un
langage que beaucoup jugèrent trop modéré. Pendant ce
temps, Guise agissait en vrai roi de Paris. Il avait fait occu-
per la Bastille, l'Arsenal et Vincennes. Le 18 mai, une mu-
nicipalité ligueuse fut élue. Le prévôt et les échevins en-
trèrent en correspondance avec les communautés catho-
liques des principales villes, blâmant, louant, conseillant,
essayant de régenter au nom du bien public. Guise était
adoré par le peuple. Mais cet homme prudent, qui ne per-
dait jamais son sang-froid, gardait un ton respectueux en-
vers le roi et cherchait à paraître demeurer dans la légalité.
Il prétendait dominer Henri III, mais ne voulait point agir
contre lui ou sans lui. La reine-mère était restée à Paris,
sans cesser un seul instant de travailler à la réconciliation
du roi et du duc. Le 15 mai, elle écrivait à Villeroy : « J'es-
père que Dieu m'a fait la grâce de faire un bon service au
roi, puisqu'il lui plaît que je lui serve en ceci, vu qu'il y
.veut accommoder les affaires par les voies douces, chose
(1) De Thou, X,p. 319.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 417
accoutumée eh tels agréments et que les plus grands rois
et les plus sages ont fait (1). »
La reine-môre chercha d'abord à faire déclarer par les
Guises quels étaient leurs griefs précis et ce qu'ils exi-
geaient, et à obtenir l'envoi de deux députations à Chartres,
Tune composée de représentants de Paris qui feraient au
roi leur soumission et désavoueraient les mesures révolu-
tionnaires, l'autre qui présenterait les requêtes des princes
et attendrait le bon vouloir de S. M.
Les négociations allèrent lentement. Les Guises étaient
très exigeants: le duc voulait la lieutenance générale du
royaume, la première place dans l'Etat après le roi, et la
convocation des États-Généraux : la Reine mère se montrait
très réservée sur le premier point, et adhérait volontiers
' à la seconde des demandes, espérant qu'on pourrait faire
des élections favorables au roi. De plus, tout en protes-
tant de leur soumission au roi, ils ne consentaient pas
à reconnaître qu'ils s'étaient mal conduits. Ils voulurent
déléguer auprès du roi un de leurs amis fidèles, Maine-
ville, pour lui présenter leurs demandes. Catherine avait
trouvé comme allié à Paris un excellent homme, le
nonce Morosini, qui prêchait à tous la paix et s'opposait
aux intransigeances des Ligueurs exaltés comme d'Épinac
et aux prétentions de l'ambassadeur d'Espagne. D'un autre
côté, les Parisiens faisaient tous leurs efforts pour ramener
leur roi : le Parlement, la Cour des Aides, le clergé en-
voyaient à Chartres des délégations. La municipalité elle-
même, n'osant se présenter devant Henri III, lui écrivait,
protestant de sa fidélité et lui posant en même temps ses
conditions.
(1) Lettres, t. IX, p. 339. Sur le rôle de Catherine à Paris après les
Barricades, voir Baguenault de Puchesse, Les Négociations de Cathe-
rine de Médicis à Paris après la journée des Barricades, Séances et
Trav. del'Acad. des Se. raor. et pol. Nouv. série, 1903, t. LIX, p. 697.
Voir surtout un certain nombre de lettres d'elle dans le t. IX, pp.
339-368.
118 VILLEROY
Supplié par ses sujets, sollicité par sa mère, invité par
les Guises, conseillé parBellièvre et par Villcroy qui voulait
« étouffer ce feu avant qu'il soit flambé davantage (1) », le
roi, de nature débonnaire, promit d'oublier et accepta de
négocier, à la fin de mai. Il envoya à Paris, le 28 de ce
mois, son premier médecin MarcMiron, en qui il avait une
grande confiance depuis qu'il l'avait attaché à son service,
étant encore duc d'Anjou, et qu'il aimait à consulter parfois
dons les affaires de l'État. Il avait voulu d'abord y envoyer
Villeroy, mais celui-ci s'était excusé. Le ministre agis-
sait, nous dit-il, par prudence. Il se rappelait la jalousie
de d'Epernon et ne tenait pas à ce que le favori s'en prît
à lui de tout ce qui serait Conclu à son désavantage. Juste-
ment, d'Epernon venait de rendre visite à Henri III à
Chartres. Sans attaquer directement Villeroy (il l'assura
même de son amitié), il avait blâmé tout haut ceux qui
Conseillaient la paix et poussé le roi aux résolutions éner-
giques : ce voyage avait produit une telle impression à la
Cour qui le détestait et aux Parisiens qui craignaient ses
conseils d'hostilité, que le roi avait dû le renvoyer bien
vite dans son gouvernement de Normandie, en lui accor-
dant tout ce qu'il lui demandait.
Miron fit à Paris deux voyages et n'en rapporta rien qui
satisfit le roi: on ne pouvait tirer des Guises que des « pa-
roles générales qui tenaient S. M. en grand suspens et in-
certitude entre la guerre et la paix » (2). Catherine écrivait
à Bellièvre : « Ils se moquent de ce qu 'apporte le médecin
et disent que c'est ce que vous et moi leur avons offert à
Epernay et à Reims (3). » Or, depuis que le roi s'était dé-
(1) .l/em.,p 1 1G.
(2) Mém., p. 116-117. Voir aussi \a.lettreà Du Voir.
(3) Catherine à Bellièvre, 12 juin 1588, t. IX, p. 368. Elle ajoutait en
parlant ilu roi : « Je sais bien que, ayant le cœur qu'il a, que c'est une
dure médecine à avaler, mais il est encore plus dur de se perdre de
toute l'autorité et obéissance. >>
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 119
cidé à la paix, il voulait la conclure le plus rapidement pos-
sible. Les mauvaises nouvelles qu'il recevait le rendaient
impatient d'en finir. Château-Thierry et Meaux étaient
tombés aux mains des Guises. Quelques places de l'Ile-de-
France étaient menacées. L'ambassadeur d'Espagne, reçu
en audience le 2 juin par Catherine, avait parlé d'un ton si
menaçant que la reine, fort impressionnée, écrivait le même
jour à Villeroy: « Je vous assure que c'est un mauvais
homme (1). » La négociation s'annonçait donc comme
devant être très difieile. Il fallait un ministre de plus d'au-
torité et d'expérience politique que le médecin Miron, qui
à ce moment, nous apprend une lettre de Catherine (2),
était si enroué qu'on ne l'entendait quasi point parler.
Le jour de la Pentecôte, Villeroy venait de la communion,
à Vernon, où la Cour s'était transportée et le roi y allait.
Henri III appela son ministre, et, en présence de Miron
qui était revenu le matin même de Paris sans apporter de
réponse satisfaisante, lui commanda de prendre en main
la négociation. Il lui fit écrire sur le champ une instruc-
tion qu'il lui dicta, lui donnant pouvoir d'offrir et d'accor-
der en son nom au duc de Guise, entre autres choses, la
charge de lieutenant-général de son royaume. Il avait
appris en effet par sa mère et par Miron qu'il était néces-
saire de faire cette concession si l'on voulait avoir une paix
sérieuse. Villeroy partit le matin même et arriva à Paris le
lendemain, accompagné, sur sa demande expresse, du mé-
decin (3).
Pendant la route, il réfléchit beaucoup à la tactique
qu'il allait employer. Il résolut de « n'étaler d'abordée »
sa marchandise, et de se contenter de « reconnaître le
(1) Catherine à Villeroy, 2 juin 1588, Ibid., p. 3G9.
(2) Catherine au roi. 2 juin 1588. Ibid., p. 365.
(3) Mém., p. 117. Les circonstances dans lesquelles la mission fut
confiée à Villeroy sont un peu plus détaillées dans la Lettre à du Vair.
120 VILLEROY
cours du marché (1) », c'est-à-dire de ne pas découvrir les
intenlions de son maître avant de savoir parfaitement celles
des Guises et de ne céder que progressivement devant
leurs exigences. Il se présenta donc tout d'abord aux
princes comme envoyé par le roi sans charge ni pouvoir
quelconque, mais seulement pour savoir s'ils voulaient la
paix ou la guerre, et s'ils désiraient la paix, ce qu'ils de-
manderaient pour cet effet. Dans cette première entrevue,
qui eut lieu le 5 ou le 6 juin, le duc se montra très froid,
très réservé et ne put répondre franchement à Villeroy qui
lui demandait s'il accepterait d'aller commander en
( ruyenne. Villeroy avait eu grand soin de ne pas proposer
la lieutenance générale du royaume. Il eut lieu de se féli-
citer de sa prudence, car il apprit que la reine-mère avait
su, par l'intermédiaire de Schomberg, que le duc était dis-
posé à se contenter d'un pouvoir général sur les armées
du royaume qu'on ajouterait à son état de grand-maître
de France. Aussi garda-t-il ce secret, et le duc ne sut
jamais rien de la charge que le roi lui avait donnée. Il finit
par obtenir des princes la liste de leurs demandes qui fut
envoyée au roi pour être soumise au conseil (2),
Tout en traitant avec les Guises, Villeroy poursuivait
une autre négociation qui se rattache étroitement à la pre-
mière, et dont l'insuccès devait être une des causes de sa
disgrâce. Le récit doit en être placé entre le premier et le
second voyage du ministre à Paris. C'est un épisode cu-
rieux et peu connu de l'histoire de la Ligue en province (3).
(1 ) Lettre à du Vain.
(2) Voir, outre les Mémoires et la Lettre à du Voir, des détails sur
les allées et venues et les impressions de la cour et du public dans les
dépêches des ambassadeurs étrangers, vénitiens (F. Ital., 1737, f" 81
et suiv.), espagnols \Pap. Simanc. K. 1568, 1" 53 et suiv.), toscans,
t. IV, p. 771 et suiv.
(3) Les Mémoires contiennent un récit très détaillé de toute cette
affaire (p. 118-122). Voir aussi un passage très bref dans la Lettre à
du Vair.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 121
La ville d'Orléans était disputée depuis le commence-
ment de la Ligue entre les Guises et le roi. Entre les deux
partis manœuvrait la famille des d'Entragues, réputée
pour affiliée à la Sainte Union (1), mais sans autre principe
que l'intérêt personnel et toute prête à se déclarer pour le
parti qui lui garantirait la possession d'Orléans. François
de Balzac d'Entraigues, aidé de son frère le sieur de Dunes,
dit Antraguet, « le coq de la Ligue » (2), essaya, au début
de l'année 1588, d'obtenir du roi le gouvernement de la
ville dont il n'avait que lalieutenance. Par l'intermédiaire
d'un sieur de Chemerault, Yilleroy s'aboucha avec Dunes
qui promit de rallier son frère et la ville d'Orléans à la
cause royale, à deux conditions: on lui ferait raison de l'af-
front infligé à son fils, Charles do Marcoussis, par le duc
xl'Epernon à Nevers, l'année précédente et on lui donnerait
en chef le gouvernement de la ville possédé par le Chan-
celier avec qui les d'Entragues ne pouvaient s'entendre.
Le roi prit en très bonne part ce que lui dit Yilleroy. Les
deux conditions étaient assez délicates à remplir, mais on
espéra qu'avec de l'argent on calmerait l'irritation des
d'Entragues à l'égard du favori, sans obliger ce dernier à
faire des excuses, et que Cheverny, déjà comblé de bien-
faits par le roi, voudrait bien transiger avec lui au sujet
d'un de ses gouvernements.
Après les Barricades, le roi et son ministre comprirent
la nécessité de s'assurer d'une ville qui était une excellente
retraite pour la royauté chassée de Paris et les négocia-
tions devinrent plus actives.
Mais l'affaire d'Orléans était encore plus épineuse que
celle de Lyon. Il fallait traiter sans irriter la défiance des
Orléanais, catholiques exaltés à qui leur lieutenant était
(1) En avril 158o, d'Entragues avait salué à coups de canon le duc
de Montpensier envoyé par le roi pour s'assurer de la ville (L'Estoile,
t. II. p. 189).
(2) L'Estoile, t. II, p. 227.
122 VILLEROY
suspect. L'envoi d'un certain Desbarreaux à Orléans pour
« pratiquer d'Entragues par le moyen de sa femme » retarda
les négociations (1). Quand Villeroy eut réparé cette mala-
dresse, il envoya Chemerault et Schomberg au sieur de
Dunes avec la promesse royale de donner le gouvernement
à d'Entragues et la lieutenance à son fils avec une compa-
gnie de 50 hommes d'armes, s'ils s'obligeaient, par pro-
messe signée de leur main, de se départir de « toutes ligues,
associations et pratiques qui seraient désagréables à
S. M. »
Le jour où Villeroy partait de Vernon (4 juin), étant
déjà à cheval, il reçut la réponse des deux frères : ils ac-
ceptaient la faveur que S. M. voulait leur faire, mais sup-
pliaient le roi de ne pas entrer dans la ville avec des forces
armées, et de les dispenser d'une promesse écrite relative
à leur engagement dans la Ligue.
Villeroy, sachant combien ces deux restrictions déplai-
raient au roi, et désirant voir lui-même Dunes à Paris
pour les faire changer, jugea inutile d'en informer le roi
et partit pour Paris. Les ennemis de Villeroy ont expliqué
la chose par un motif plus machiavélique. « Ils prétendaient,
dit de Thou, que Villeroy qui avait la paix fort à cœur sa-
vait que pour être maître d'Orléans le roi en passerait par
tout ce qu'on voudrait, et que s'il se voyait une fois en
possession de cette ville, il se rendrait plus difficile à traiter
avec les ligueurs, et qu'ainsi ce sage ministre, par un effet
de sa prudence ordinaire, s'était déterminé à lui cacher la
réponse d'Entragues jusqu'à ce qu'il eût conduit la négo-
ciation de la paix au point de ne pouvoir plus être rom-
pue (2). »
(1) Mém., p. 119.
(1) De Thou, t. X, p. 319. — Il faut ajouter aux documents concer-
nant l'affaire d'Orléans un Mémoire justificatif de Villeroy de ce qui
s'était jia^sé « entre le Roy, le sieur a" Antragues » et lui-même
ci touchant la ville d'Orléans » dont l'original se trouve F. Fr. 15909,
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 123
L'explication donnée par Villeroy est beaucoup plus
vraisemblable. L'examen de ses intentions et de ses actes
nous a prouvé qu'il voulait fortifier la royauté et abaisser les
Guises du rang de dominateurs au rang d'alliés. Comment
en juin 88, aurait-il cherché à priver le roi d'une importante
base d'opération qui eût tenu la Ligue en respect ? La len-
teur de la négociation et l'initiative prise par Villeroy à
Vernon ont fait supposer « qu'il interrompait artificielle-
ment le traité d'Orléans et interposait des délais et difficul-
tés à la résolution de d'Entragues » (1).
Mais cette lenteur n'étonne point quand on connaît l'ex-
trême circonspection qu'apportait en toutes choses le méti-
culeux Villeroy. Elle était plus nécessaire que jamais dans
cette intrigue où les d'Entragues jouaient un double jeu,
essayant de prendre au roi sans rien enlèvera la Ligue.
Ils le prouvèrent bientôt en émettant une prétention plus
extraordinaire que les précédentes : quand Villeroy ren-
contra Dunes à Paris, il apprit que d'Entragues voulait
être pourvu non seulement du gouvernement d'Orléans,
mais du pays Char train, de Blois, Amboise et du Loudu-
nois. Villeroy fut très étonné, dit qu'il ne comprenait pas
cette ambition nouvelle de gouverner un pays qui n'était
pas rattaché à l'Orléanais. Dunes répondit évasivement,
dit qu'il n'avait pas de charge pour conclure, et promit de
faire rencontrer son frère avec Villeroy à Paris, quand le
ministre serait revenu de la Cour.
Cependant, Villeroy continuait à négocier avec les Guises.
Il avait apporté au roi, qui se trouvait à Rouen, les de-
mandes des princes. Après avoir dit sommairement à
fo 257. Villeroy l'écrivait au mois de juin I 589 àlademande de Bellièvre
et l'envoyaà son ami le 19 juin. Il commence ainsi : « Poursatisfaire au
désir que vous me dites ces jours passés en votre maison que vous
aviez d'être informé au vrai de ce qui s'est passé entre le Roi et le
sieur d'Antragues et moi touchant la ville d'Orléans... »
(1) Davila, Historia délie guerre civili di Francia... p. 357.
124 VILLEROY
Henri III, à part, ce qu'il avait négocié à Paris, il lui en
avait rendu compte de nouveau devant les princes, officiers
de la couronne et autres membres du conseil et le roi lui
avait publiquement déclaré ses volontés que Brulart avait
mises par écrit, fait signer et contresignées lui-même.
Yilleroy, qui commençait à s'inquiéter des mauvais bruits
qui circulaient sur son compte, tenait beaucoup à ce que
1rs choses s'accomplissent très régulièrement, à ce que tout
fût traité par écrit ; et dans ses apologies, il insiste sur
cette procédure pour prouver qu'il n'a pas outrepassé ses
instructions afin de favoriser les Guises. Même lorsque le
roi traitait avec lui en particulier sur des questions qui de-
vaient être ignorées du Conseil, Villeroy demandait un écrit
signé de sa main (1).
A Paris il procédait de même. Il voulait donner à sa né-
gociation le plus de publicité possible. Toutes choses y
étaient traitées par écrit, auprès de la reine-mère, en pré-
sence de personnages du Conseil délégués auprès de Ca-
therine pour l'assister. Il fit même appeler dans ce Conseil
les présidents de la Cour et alla trouver le Premier Prési-
dent pour invoquer son assistance. Il espérait ainsi rendre
le roi plus populaire parmi les royalistes, et en imposer
davantage aux Ligueurs. Mais les Parlementaires ne purent
venir qu'une fois. Cela déplaisait au duc de Guise qui se
rappelait peut-être le mot prononcé par le premier prési-
dent Harlay après les barricades : « C'est grand pitié quand
le valet chasse le maître. »
Dans ces séances, sans engager davantage le roi, on con-
vint qu'Henri III « approcherait le duc de sa personne et
se servirait de lui dignement ». Mais dès ce second voyage
commença à se poser la délicate question des garanties.
Le duc, qui était instruit de ce qui se passait entre les d'En-
tragues et Villeroy, exigea que le roi accordât pour places
(1) Lettre à du Voir.
LE SECnÉÏAIRE DE HENRI III 125
de sûreté à la Ligue Orléans et Bourges. Dès lors la pra-
tique qu'il avait avec d'Entragues «s'en allait en fumée » (1).
La résistance de Villeroy irritait profondément le duc de
Guise. Il se doutait que Villeroy jouait serré et ces finas-
series le mettaient hors de lui. Si nous en croyons l'envoyé
florentin, un grand de la Cour lui avait écrit pour lui recom-
mander de ne rien céder de ses demandes, parce que le roi
avait peur, voulait la paix à tout prix, et accorderait tout.
Aussi se laissa-t-il emporter jusqu'à lui dire : « Mort dieu !
je sais bien ce que vous avez eu en charge d'accorder;
par quoi, si vous ne le faites, vous vous repentirez ('2). »
Villeroy revint à Rouen une seconde fois sans avoir rien
conclu ni avec les Guises, ni avec d'Entragues, à qui il
offrait pourtant 20.000 écus du roi pour abandonner ses
dernières exigences. On attendait partout avec impatience
le résultat de ses négociations. On les commentait en termes
plus ou moins bienveillants. Pierre de l'Estoile, dans le
courant du mois de juin, acheta un petit libelle qui avait
paru à ce sujet à Rouen. Il le jugeait « lorf plaisant, illustré
de gloses et annotations convenables », mais trouvait qu'il
était « peu séant à un chrétien d'abuser de la parole de
Dieu à telles folies et vanités » (3). C'était Le Miserere mei
Deus, Donné par 'pénitence par M. de Saint-Germain,
pénilentier du Roy, à ceux de la Ligue, quand ils se vou-
dront confesser et repentir. Les personnages notables de la
Ligue, Guise, Mayenne, Nemours, Aumale, Brissac, Épi-
nac, etc., débitaient chacun leur verset. La peine-mère
disait : Amplius lava me ab iniquitate mea, et a peccatis
{\)Mém., p 121.
(2) Lettre de Cavriana au grand duc, juin 1588, Desjardins, t. IV,
p. 793. L'envoyé nous dépeint Villeroy « il quale voleva pure avère
qualche vantaggio per il Re nel tenuinare l'accordo, e pero non si al-
largava fino là dove avea avuto commissione di distendersi perli eapi-
toli ehe si proponevano ».
(3) L'Estoile, t. III, p. 160 et suiv.
126 VILLEROY
mets munda me (1). Yilleroy prononçait le Gloria Patri et
Filio et Spiritui sancto, « Pour ce qu'il a négocié la paix,
qu'il en sera loué du Père, qui est la Reine-mère du Roi,
du Fils qui est le Roi, du Saint-Esprit qui est l'Eglise ca-
tholique. »
Le troisième voyage de Yilleroy aboutit à la conclusion
de la paix et à la perte d'Orléans. Le roi dut se soumettre
sur presque tous les points. Le terrain avait été pourtant
bien défendu par le ministre. Il apportait à Paris les patentes
de la charge de lieutenant général corrigées et signées par
le roi. Au sujet d'Orléans, il avait reçu le pouvoir de céder
aux Guises s'ils en faisaient un casus belli (2). Battu sur
tout le reste, il essaya au moins de sauver Orléans. Il pré-
tendit prouver au duc qu'on ne pouvait accorder aux Li-
gueurs deux villes dont l'une était le siège d'un évêché et
l'autre d'un archevêché, « que cela ne s'était jamais vu et
serait d'un dangereux exemple » (3). Puis, il proposa que
le roi donnât à d'Entragues, avec lequel on s'était enfin
mis d'accord, età La Châtre la survivance de leurs charges
et gouvernements pour leurs enfants. Il engagea les d'En-
tragues à pousser les habitants d'Orléans à s'opposer aux
prétentions des Ligueurs, mais les d'Entragues n'avaient
pas assez de crédit sur la population. Il voulut les amener
à protester eux-mêmes. Mais après réflexion on abandonna
ce dernier projet. Sans doute les d'Entragues ne voulurent
pas entrer en conflit avec les Guise et Villeroy dut craindre
que ce conflit ne fût un obstacle à la paix. Guise obtint les
trois places d'Orléans, Bourges et Montreuil. Villeroy,
aidé par le nonce, ne réussit à transiger avec le duc que
pour la ville du Havre. Encore cette petite victoire fut-elle
(1) Ibid. « Pour ce qu'elle a plus grièvement failli, et qu'elle est
■ le tout le mal, elle demande d'être plus amplement lavée »,
ajoute le commentaire.
(2) Mèrn., p. 121.
(3) DeThou, X,p. 320.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 427
illusoire, car peu de temps après, Villars, gouverneur de
la ville, se déclara ouvertement pour la Ligue.
Enfin on signa la paix. Le 21 juillet fut enregistré l'Edit
du roi sur l'union de ses sujets catholiques. Henri III jurait
de nouveau de bannir l'hérésie du royaume et ordonnait à
ses sujets de jurer qu'ils ne recevraient jamais pour roi un
prince hérétique. Il accordait l'amnistie pour les événe-
ments du 12 et du 13 mai, confirmait toutes les concessions
du traité de Nemours par des articles particuliers, s'enga-
geait à entretenir quelques régiments et les garnisons de
Toul, Verdun, Marsal et Metz. Les concessions les plus
importantes de villes étaient consignées dans des articles
secrets qui ne furent communiqués à personne en dehors
de quelques membres du Conseil (1).
Henri III était de nouveau étroitement lié à la Ligue et
les Guise triomphaient. Ils reparurent en Cour où ils fu-
rent accueillis avec de grandes démonstrations d'amitié
parle roi qui dissimulait parfaitement sa rancune. Le duc
obtint par lettres patentes du 4 août le titre de lieutenant-
général et un pouvoir suprême sur les armées. Le cardinal
de Bourbon était honoré comme l'héritier présomptif de la
couronne. Oh promettait au duc de Nemours le gouverne-
ment du Lyonnais, à d'Épinac les sceaux, au cardinal de
Guise la légation d'Avignon. Cet embrassement général
n'attendrissait pas Villeroy au point de lui inspirer l'illu-
sion que l'ère des difficultés fût à jamais close. Le 22
juillet,, il écrivait à de Maisse : « Si nous nous endormons
au son de cette réconciliation, tenez pour certain qu'elle
nous fera plus de mal que de bien (2). »
(1) Le texte de l'Edit est publié dans lus Mémoires de la Ligue, t. II,
p. 368 : « Edit du Roi sur l'union de ses sujets catholiques, avec les
articles accordés au nom du Roi, entre la Reine sa mère, et Monsieur
le Cardinal de Bourbon, Monsieur le duc de Guise... »
(2) Villeroy à de Maisse, 22 juillet 1588. F. Fr. 16093, f° 226. La
correspondance de Villeroy avec de Maisse cesse à partir de cette date.
428
VILLEROY
II
Les intérêts particuliers de cTEpernon n'avaient pas été
touchés par l'Edit. Malgré les récriminations des Ligueurs
sur la personne, l'autorité etles charges du favori, Villeroy
avait pu obtenir des princes qu'il ne fût pas fait mention
de lui dans les conventions écrites. Le roi le lui avait expres-
sément recommandé. On se contenta donc, grâce aux efforts
du ministre, de s'en remettre au roi qui avait promis d'y
pourvoir lui-même (1). D'Epernon prit congé du roi au
début du mois d'août et se retira dans l'Ouest. 11 avait
charge de commander en Anjou, Touraine, Poitou, Angou-
mois et Saintonge. Aussitôt arrivé dans ses provinces, il
entreprit de se rendre maître de la ville d'Angoulème qui
était remuée parles Ligueurs. Mais il rencontra dans la per-
sonne de Villeroy un adversaire résolu à profiter de son
éloignement et de ses fautes pour diminuer sa puissance.
Ce fut le dernier épisode delà lutte du favori et du ministre.
Villeroy raconte qu'Henri III, ayant été avisé que le duc
voulait se jeter dans Angoulème, lui ordonna d'écrire aux
habitants de la ville et au lieutenant général de ne recevoir
personne « sans un commandement de lui postérieur aux
dites lettres ». Le duc était entré dans la ville lorsque le
courrier y arriva. Il ne s'était d'ailleurs pas conduit en grand
seigneur factieux comme on l'avait fait craindre au roi. Il
(1) Mém .. p. 123. — D'Epernon écrivait à Bellièvre, le 11 juillet.une
lettre très amicale, « étant très aise que la paix comme l'on m'a assuré
soit faite, qui, à mon avis ne peut être qu'avantageuse et honorable
au roi, puisque M. de Villeroy l'a négociée. On me veut persuader
qu elle m'est fort honteuse et dommageable et à mes amis, ce que je
nepuis croire, me ressouvenant des assurances que M. de Villeroy me
donna de son amiti-é à mon partement de Chartres et sachant que cela
ne se peut faire qu'au préjudice des affaires du royaume et du repos
'I- cet état. » (F. Fr. 15'J09, P 120).
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 129
avait publié l'Edit de réunion, s'apprêtait ostensiblement à
faire la guerre aux huguenots el s'attachait à gagner les
habitants par sa bienveillance et son urbanité. On conçoit
son irritation à la lecture des lettres arrivées le 13 août. Il
s'en prit à Villeroy et se plaignit à son prince qui « lui man-
da les avoir commandées et les raisons qui l'avaient nui à
ce faire » (1).
Cependant, une conspiration se formai! secrètement
contre le due à Angoulème. Le maire Normand s'entendit
avec les bourgeois ligueurs et les gentilshommes* du plat
pays. M envoya à Chartres son beau-frère Souchet qui vint
trouver Villeroy, << parce que, nous explique le ministre,
ladite ville d'Angoulême était de mon département, que les
lettres dernières que le roi leur avait écrites étaient contre-
' signées de moi, aussi qu'ils avaient quelque créance en
moi pour m'avoir toujours reconnu très affectionné à leur
bien etauservicede S. M.»(2). Ils exposèrent qu'ils n'avaient
pu empêcher le duc de pénétrer dansla ville conformément
à la volonté du roi, mais qu'ils pourraient encore réparer
leur faute en fermant les portes de la ville, lorsque le duc
sortirait pour aller courre la bague, et en s'emparant du
capitaine delà citadelle. Villeroy transmit à Henri III la
demande des habitants. Le roi était très mécontent de la
désobéissance de d'Epernon : il jura de « faire paraître et
sentir au dit duc et à tous autres, combien un roi a les bras
longs » (3). Il fit introduire secrètement dans son cabinet
Souche!, en la compagnie de Villeroy, lui dit qu'il était très
content des habitants d'Angoulême, et qu'il les priait de
se saisir de d'Epernon, sans toutefois Caire malàsa personne ;
ils lui rendraient ainsi un grand service, car d'Epernon pris,
il pourrait recouvrer ses villes de Metz et de Boulogne «pie
(1) Mém., p. 123.
(2) Mém., p. 124.
(3) Ibid.
Villeroy.
130 VILLEROY
le favori ne voulait pas rendre. 11 pourrait aussi forcer ce
dernier à se contenter du gouvernement de Provence qu'il
avait l'intention de lui laisser. Souchet, en quittant le roi,
demanda à son ministre des renseignements plus précis sur
la conduite qu'auraient à tenir les habitants d'Angoulème.
Villeroy lui recommanda de ne faire aucun mal à la personne
du duc(l).
Or, quelques jours après, le maire Normand, avec quel-
ques hommes armés, pénétrait par surprise dans la cita-
delle et entrait, le pistolet au poing-, dans le cabinet du
duc. D'Epernon eut le temps de donner l'alarme : avec
linéiques fidèles serviteurs, il attaqua ses agresseurs et
les refoula dans une tour. Normand fut tué. Mais les habi-
tants d'Angmilème prirent les armes et assiégèrent le duc
pendant deux jours dans le château. Il ne dut son salut
qu'à l'effroi jeté dans les habitants par l'annonce de l'arri-
vée de renforts conduits par le sieur de Tagent et de
troupes de secours envoyées par le roi de Navarre (10 août).
Une amnistie termina l'affaire.
Villeroy fut considéré par tout le monde comme l'insti-
gateur de cette révolte. On dit, écrivait l'Estoile le 26 août,
que l'entreprise a été « conduite sous main par la reine-
mère et Villeroy, tous deuv ennemis du duc d'Eper-
non » (2). D'Epernon le crut fermement. Il lui parut impos-
sible qu'Henri III eût pris seul la résolution de le faire ar-
rêter et dans les lettres qu'il écrivit après sa délivrance, il
accusa tout haut le ministre. Nous avons une de ces lettres
écrite à Bellièvre : « Je vous vois trop homme de bien et
mon ami pour approuver telles méchancetés. On me dit
que le sieur de Villeroy a dressé la partie. C'est mal servir
le roi, monsieur, d'user de telles méchancetés. Dieu m'en a
préservé 3). » Celte action du ministre lui paraissait d'au-
(1) Mém., p. 124.
(2) L'Estoile, t. III, p. 177.
(3) D"Kpernon à Bellièvre, 18 août lo8S, F. Fr. 15909, f° 134.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 131
tant plus indigne que très sincèrement il ne croyait pas
avoir mérité une telle haine. D'abord, il était enclin à ou-
blier les injures qu'il adressait aux autres, tandis que Vil-
leroy était vindicatif. Puis il s'était produit un singulier
changement dans l'attitude et les manières du duc qui
savait admirablement modérer la violence de son tempéra-
ment quand son intérêt l'exigeait. Loin de la cour, il était
devenu moins arrogant ; il essayait de fortifier les sympa-
thies de Bellièvre et des autres amis du roi en faveur du
« pauvre champêtre » qu'il était (1) ; il croyait aux assu-
rances d'amitié que Villeroy lui avait données à son dé-
part de Chartres. On admit facilement les accusations de
d'Epernon.Le maire Normand, disait-on, avait avoué avant
de mourir que la conjuration était l'œuvre du ministre (2).
'Celui-ci avait assuré aux Angoumois qu'il serait agréable
au roi de voir d'Epernon tué ou prisonnier. Le bruit cou-
rut aussi que Villeroy avait fait travestir un homme pour
représenter Henri III et donner l'ordre à Souchet de
prendre le due mort ou vif. C'est de Thou qui nous le rap-
porte, en notant que c'était une pure légende (3). On ra-
contait enfin que les bourgeois révoltés étaient revenus
une seconde fois à l'assaut de la citadelle, lorsque de Méré,
un des conjurés, leur avait annoncé l'arrivée des troupes du
baron d'Aubeterre envoyées par M. de Villeroy (4).
Villeroy s'est défendu très énergiquement. Il a rejeté la
responsabilité des ordres donnés pour s'emparer du duc
(1) D'Epernon à Bellièvre, Loches, 11 juillet 1588, F. Fr. 15909,
fo liO.
(2) Desjardins, t. IV, p. 817. — Dép. de Mocenigo, 8 septembre,
F. Ital. 1737, i'o 129. — Dép. de Mendoza à Philippe II, 8 septembre,
Pap. Simone. K. 15G8, l'o 105.
(3) De Thou, t. X. — Voir aussi D'Aubigné, ffist. unir.
(4) « Advertissement sur les exploits d'armes faits par le roi de Na-
varre avec ceux de la Ligue au Bas-I'oitou... et sur la conspiration de
ceux d'Angoulème contre M. d'Epernon et ses suites. » Ciniber et Dan-
jou, t. XII, p. 25.
132 VILLEROY
sur le roi, el de l'entreprise sur les habitants de la ville,
bons catholiques et sujets dévoués qui auraient appli-
qué les instructions avec trop de zèle et de violence. Il
se serait borné à contresigner les lettres royales et à
transmettre à Henri III les désirs de ses sujets. Leduc
d'Epernon a depuis reconnu suffisamment, nous dit Ville-
roy, que « la malveillance que le roi lui portait ne procé-
dait ni de moi ni de mon invention et persuasion, dont
aussi j'appelle Dieu à témoin » (1). Nous savons que plus
tard ils s'expliquèrent sur ce sujet et que d'Epernon recon-
nut l'innocence de Villeroy. D'ailleurs, peu après l'événe-
ment. Villeroy se plaignait lui-même de n'avoir pas été com-
pris 2 . En renvoyant à Bellièvre la lettre de d'Epernon, il
lui écrivait assez fièrement : « Quand M. d'Epernon rendra
le roi routent, je serai son serviteur, s'il le trouve bon.
Voilà en quoi consiste ma malveillance et méchanceté » (3).
Il faut pour! a ni reconnaître que l'inconstance d'Henri III,
sa fureur de se voir désobéi, sa haine des huguenots n'au-
raient pas suffi à déterminer la résolution d'empêcher le
(1) Mém., p. 125.
(2) Villeroy à Matignon, 21 août 1588, Lettres. « Je suis averti
que l'on m'a découpé étrangement à Angoulême, niais quand l'on
saura au vrai toutes choses, l'on connaîtra que le roi et ses serviteurs
n'ont eu l'intention telle que l'on l'a publiée. »
(3) Villeroy à Bellièvre, 27 août 1588, F. Fr. 15909, fo 132.
D'Epernon avait écrit le 18 août à Bellièvre : « Monsieur, je vous
vois trop homme de bien et mon ami pour approuver telles méchan-
tes et outre cela vous avez trop de jugement pour ne connaître le
mal qui en peut arriver plus grand que beaucoup ne pensent. On me
dit que le sieur de Villeroy a dressé la partie. C'est mal servir le roi,
Monsieur, d'user de telles méchancetés. Dieu m'en a préservé. » (F.
Fr. Ibid., f° 13G). Bellièvre communiqua cette lettre a Villeroy qui
répondit : « J'en ai bien considéré l'apostille. S'il n'était affligé et en
colère comme il est, je supporterais peut-être plus impatiemment la
façon de laquelle il parle de moi... Plût à Dieu que chacun eût Pâme
' n pareil repos qu'est grâce à Dieu la mienne de mes actions passées.
J'ai vu les propos qu'il vous a plu en tenir à S. M. et la réponse
qu'elle rous a faite, de quoi je lui ai grande obligation et à vous aussi
du soin que vous avez de moi. »
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 133
favori de rester maître d'Angoulême. Le roi subit l'influence
de tout le parti qui préparait la ruine de cel homme depuis la
paix de juillet. Quand on travaillait lentement, par des insi-
nuations journalières, à détacher le roi du favori, se peut-il
que l'ancien ennemi de d'Epernon, qui gardait bonne mé-
moire des injures, soit demeuré neutre ? 11 a certainement
dit son mot et participé à la campagne qui devait perdre le
duc. Il est bien sûr, aussi, qu'il ne voulait pas la tête de son
ennemi et qu'il attachait une grande importance à la con-
dition expresse imposée par le roi aux habitants d'Angou-
lême : sans faire de mal à sapersonne. Les passions popu-
laires, non retenues, firent le reste.
[Il
Au mois d'août 1588, à ne consulter que les apparences,
Villeroy était en grande faveur à la Cour. Sa politique
d'union avec les catholiques avait triomphé. 11 avail fait
conclure l'édit de réconciliation avec la Ligue qui sem-
blait ouvrir une ère nouvelle.
Le roi parut lui donner à cette époque une preuve
de sa satisfaction. Le ministre, qui ne jouissait pas d'une
santé très sûre depuis sa dernière « lièvre quarte » et se
voyait accablé d'une multitude croissante d'affaires, dé-
sirait fortement être déchargé, sinon du tout, au moins
d'une partie de son travail ordinaire. Il pria la reine-mère
d'en parler au roi, dès le mois de juin. Elle lit auprès de son
fils une première démarche qui fut infructueuse, puis elle
sollicita de nouveau à Chartres, à la fin de juillet, et obtint
ce que Villeroy désirait (1). Il fut donc permis au ministre
(1) Mém., p. 1-5 et suiv. — Voir dans les Lettres de Catherine,
t. IX, p. 372, une lettre non datée de la reine-mère à son fils à ce su-
jet. « Vous savez, disait-elle, comment il vous sert et est utile servi-
134 VILLEROY
d'associer à sa charge son jeune cousin Claude del'Aubes-
pine, sieur de Verderonne, secrétaire de la reine-mère,
qui possédait déjà sa survivance. L'Aubespine avait le pou-
voir de signer et d'expédier les commandements du roi, et
Villeroy soulagé d'une partie de cette lourde besogne
pouvait de temps à autre « s'aller rafraîchir un quinze
jours ou un mois chez lui » (1). En lui octroyant cette
laveur, Henri III l'avait prié de continuer à le servir; il
avait plus que jamais besoin de sa présence en sa charge,
et « même en ces Etats qu'il allait tenir, où l'on traiteraitdes
affaires très importantes à sa personne et à son Etat » -)
Il y avait pourtant quelque chose de changé dans les sen-
timents du roi. La journée des Barricades avait produit
sur lui une impression ineffaçable. Il n'était plus possible
de guérir la blessure faite à sa dignité. Il éprouvait à
l'égard des Guises une terrible haine qu'il était contraint
de dissimuler. Il se déliait maintenant de tous ses anciens
conseillers. Il ne consultait plus sa mère (3). On observait
qu'il cachait soigneusement sa pensée et commençait à
prendre tout seul des décisions, enfermé dans son cabinet.
Villeroy remarquait que son maître était plus « réservé »
«pie de coutume à son égard (4). .Mais il était très loin de
teur et qu'avec raison l'occupez plus que nul autre: aussi vous sup-
plié-je que pour le soulager, quand il aurait quelquefois permission
de s'aller rafraîchir un quinze jours ou un mois chez lui, que celui
qu'il vous présentera et pour qui je vous fais la requête, qui est l'Au-
bespine, qui est à moi, vous serve. »
(1) Ibid., t. IX, p. 373.
(2) Menu, p. 127.
(3) Elle s'occupait de moins en moins des affaires. Aussi écrivait-elle
très peu les derniers mois. On n'a pu recueillir que cinq lettres d'elle
pour tout le mois d'août.
(4) Villeroy à Bellièvre, 28 septembre 1588, F. Fr. 15.909, fo 188.
« L'on dit maintenant que c'est une partie faite du su et consentement
du Roi, mais à la vérité, c'est chose que je ne puis aucunement me
persuader encore que je me fusse aperçu que depuis le retour de M. de
Nevers à la cour et le conseil qui fut tenu à Monceaux avant l'arrivée
de M de Guise à Meaux. S. M. était plus réservée en mon endroit que
de coutume. »
LE SECRETAIRE DE HENRI
135
prévoir qu'il allait brusquement le chasser, avec ses col-
lègues.
Il se reposait depuis une quinzaine de jours dans sa
maison de Villeroy, en attendant l'ouverture des Etats-Gé-
néraux, quand il reçut, le S septembre, la lettre et le com-
mandement du roi le déchargeant de son office (1). La
même dépèche avait été envoyée au Chancelier, à Belliè-
vre, à Brulart et à Pinart. Cette brusque disgrâce frappa
les ministres comme un coup de foudre. Bellièvre versa
d'abondantes larmes. Pinart soupira en disant : « Si j'avais
servi Dieu aussi bien que le roi, je me trouverais le plus
fidèle homme du monde. » Le chancelier voulut aller parler
tout de suite au roi : le roi refusa de le recevoir. Villeroy
demanda à Benoise, le porteur de la lettre, si le roi ne
prétendait point faire de différence entre ceux qui avaient
bien servi et les autres. « Et m'ayant demandé réponse,
nous dit-il dans ses Mémoires, je l'écrivis et la lui baillai
sur le champ, telle que la devait faire un serviteur très
fidèle et obéissant à son maître ; ajoutant seulement de
bouche que s'il eût plu à S. M. me sortir de la Cour, par la
porte à laquelle j'avais tant heurté devant que d'en partir,
sans me faire sauter par les fenêtres, qu'elle eut mis mon
esprit en grand repos, comme 'j'espérais, moyennant la
grâce de Dieu et le congé qu'elle me donnait, d'y mettre le
corps (2). »
\ illeroy ne se décourageait pas facilement. Il résolut de
savoir si tout n'était pas perdu et osa accomplir une dé-
marche assez audacieuse, afin d'atténuer le mal de sa dis-
grâce. Son fils Alincourt, avant d'aller servir contre les hu-
guenots dans l'armée de Dauphiné, était venu se présenter
au roi pour recevoir ses commandements. Cela se passait
le jour ou le lendemain de la disgrâce de son père. Le roi
(1) Mém., p. 128.
(ÎJ Mem., p. 1 :>'.).
J 36 VILLEROY
lui fit fort bon visage, lui dit qu'il était fils d'un père qui
l'avait bien servi et l'engagea à imiter son exemple. "Sille-
roy fui un peu consolé par ces bonnes paroles que lui
rapporta son fils. Il se crut autorisé à envoyer un de ses
gens au roi pour lui montrer la perte qu'il faisait par la
privation de son office, le peu de bien qu'il avait acquis au
service de S. M. et solliciter quelque récompense ou la
continuation de ses gages et pensions. Il suppliait Henri III,
s'il voulait employer en son office « des personnes nou-
velles et de moindre étoffe et qualité », de choisir son
commis Pasquier formé et instruit par lui. Il écrivit aussi
à la Reine-mère, sa vieille protectrice, pour la prier d'in-
tercéder auprès du roi.
S'il avait réussi, il aurait repris pied au ministère et con-
tinué à administrer sous le nom de son ancien commis.
Cette démarche était hardie, mais non maladroite. Villeroy,
nous le savons, avait été frappé par surprise.' Il soupçonnait
les motifs de sa disgrâce, mais il ignorait les intentions
d'Henri III à son égard. Encouragé par le mot d'éloge
adressé à d'Alincourt, il avait résolu de savoir si tout
n'était pas perdu. Si sa disgrâce était complète, la réponse
du roi l'éclaircirait. Si elle n'était pas définitive, peut-être
l'appui de Catherine etleton ferme de Villeroy — qui avait
parfois aussi réussi auprès d'Henri III — réparerait le mal
en partie.
Mais la résolution du roi était inébranlable et l'influence
de la reine à son déclin était impuissante. La réponse
d'Henri III lui rendit toutes ses inquiétudes (1).
L'élonnement du public avait été aussi profond que
celui des ministres disgraciés. Nul ne s'attendait à cet
événement. La reine-mère n'avait rien su (2). Quand elle
(1) Mém., Ibid.
(2) D'Epinac exprimant à Bellièvre, le 8 septembre, son étonnemenf
au sujet de la mesure « étrange » prise par le roi, écrit qu'il a dit ce
LE SECRÉTAIRE DE HENRI lit 137
Tapprit, raconte l'ambassadeur d'Espagne, elle dit à son fils
qu'il avait fait de grands changements parmi ses officiers.
Il répondit que c'était vrai : il l'avait fait parce que le chan-
celier s'entendait avec les fournisseurs, parce que Bellièvre
était un huguenot, M. de Villeroy un glorieux qui ne con-
sentait à laisser personne traiter avec le roi sinon lui seul,
Brulart un homme de rien, Pinartune canaille qui vendrait
son père et sa mère pour de l'argent (1). Henri III, qui avait
répondu à Catherine en brocardant grossièrement ses an-
ciens serviteurs, expliqua sa conduite au nonce sur un ton
plus digne, mais sans donner des raisons plus précises.
Morosini avait fait observer au roi qu'il se privait de per-
sonnes d'expérience, d'hommes supérieurs et demandait si
les secrétaires renvoyés ne pourraient pas faire de mal.
-Henri III dit qu'il ne les croyait pas d'un naturel si mau-
vais : tous étaient riches et voudraient jouir en paix de leur
fortune. Il ajouta que s'il ne les avait pas renvoyés, les
Etats auraient demandé leur éloignement, car ils avaient
mis en avant des combinaisons dont le royaume avait eu
beaucoup à souffrir et le peuple beaucoup à se plaindre (2).
Quant aux Guises, ils avaient tout ignoré : ils surent dissi-
muler leur étonnement, ne firent aucune observation au
roi (3). Les lettres que reçurent les ministres disgraciés de
qu'il en pensait à la reine-mère qui en est « aussi étonnée ». F. i'r.
15909, fo 140.
(1) Mendoza à Philippe !I, 24 septembre (2« lettre) Pap'. Simanc.,
K. 1568, fo 113. Villeroy est qualifié de « glorioso y vano que no con-
sentia que nadie venne esto a négociai* con el sino el solo ». L'ambas-
sadeur dit aussi qu'on a envoyé un commis pour demandera Villeroy
les papiers qu'il avait, avec défense de paraître devant le roi et même
de lui écrire pour se disculper.
(2) L'tipinois, La Ligue et les papes, p. 212-214. Avant de raconter
son entrevue avec le roi, Morosini décrit l'étonnement universel causé
par cet événement « di che la Corte tutta ha presa gran meraviglia e
specialmente di M. di Villeroy per il gran favore e autorita che haveva
presso S. M. eper la maniera dolce e dexterita grande clic usava ne!
trattare il servitio del suo Re ».
(3) Pap. Simanc., K. 15(i8,fo 113. — Guise, le 8 septembre, annon-
138 V1LLEK0Y
leurs amis et connaissances nous montrent que la surprise
fut vive et générale. Jacques Faye cTEspesses écrivait le 18
à son parent Bellièvre une lettre qui résume l'impression du
public: « Je vois, lui disait-il dans son langage contourné,
infinies personnes passant de par deçà variis varia, mais je
ne vois personne qui ne soit ébahi de M. de Villeroy et de
vous comme fondeurs de cloches et qui en puisse rendre ou
donner une seule raison. J'avais envoyé M. du Lys exprès en
Cour; il parla fort longtemps à M. Clermont d'Entragues
qui lui en parla (semblait-il) à cœur ouvert. Nullam altérant
causam dat que le propre mouvement du roi. Sed unde <c
mouvement? Nullumverbum. M. Revol idem dixit... (1). »
L'envoyé florentin, en annonçant la nouvelle à son gou-
vernement, raconte qu'on faisait à la cour toutes sortes de
suppositions sur les causes de ce renvoi : les uns disaient
que les ministres trahissaient leur maître, traversaient ses
desseins, favorisant le mal et supposant au bien, les autres
prétendaient qu'ils s'entendaient avec les factions (ma di-
versamente e con diversi pretesti, observe-t-il) : beaucoup
pensaient que le roi voulait désormais être seul le chef, le
conseiller et le secrétaire de ses affaires (2).
Cependant, Villeroy dans sa retraite examinait sa con-
duite passée, interrogeait ses amis, « conférant avec un
chacun pour découvrir les causes duditmécontentement ».
« Les uns disaient, nous rapporte-t-il, que le roi s'était
laissé entendre que j'avais trop d'autorité et de crédit en
çait à Mendoza la nouvelle sans la commenter. Il paraissait à ce mo-
ment préoccupé surtout des Etats généraux et des avertissements qu'il
recevait de partout d'avoir à défendre sa vie. Ibid., f° loi.
(1) Faye d'Espesse à Bellièvre. 18 septembre, F. Fr 15909, f° 154.
Li 9 octobre, il lui écrivait de nouveau qu'il avait cherché à savoir les
causes de la disgrâce : « Addwi t qu"\\ y a en cela un peu de soudai-
neté et de dessein de faire omnia nova, j'entends un conseil nouveau... »
Ibid., r 199.
(2) Desjardins, t. IV, p. 822 et suiv. Dép. de Gavriana du 13 sep-
tembre.
LE SECRETAIRE DE HENRI III 439
ma charge; les autres qu'il trouvait mauvais que ses se-
crétaires ouvrissent ses paquets ailleurs qu'en sa présence
et qu'ils écrivissent des lettres particulières aux gouver-
neurs des provinces, à des ambassadeurs et autres qui le
servaient, et en reçussent aussi d'eux concernant ses affai-
res ; aucuns que S. M. avait découvert que quelques-uns
de mes gens... donnaient avis à ceux de la Ligue des af-
faires de S. M. qui passaient par mes mains et même que je
m'entendais avec eux... Plusieurs me taxaient aussi de ce
pouvoir accordé à feu M. de Guise et de la négociation de
la paix en laquelleon disait même que la reine-mère du roi
était entrée en jalousie de moi ; et ceux qui estimaient être
plus clairvoyants disaient que le roi avait aussi éloigné de
lui ses vieux serviteurs et ministres, pour le seul respect
de ladite dame reine mère du roi avec laquelle ils avaient
tropgrande communication... » (1).
Ces divers motifs que Villeroy place dans la bouche des
uns et des autres se ramènent à deux : Villeroy avait
acquis trop de pouvoir personnel ; Villeroy était trop favo-
rable à la Ligue :
1° A ceux qui l'accusaient d'avoir trop d'autorité en sa
charge, Villeroy arépondu qu'elle procédait entièrement de
celle que le roi lui donnait. Le roi qui lui donnait sa con-
fiance ne pouvait-il pas lui retirer une partie de ses pou-
voirs sans le chasser de la Cour? D'ailleurs cette faveur
était méritée ; le secrétaire n'avait-il pas toujours agi con-
formément aux volontés du maître?
On pouvait répondre à Villeroy (ce qu'il savait bien sans
aucun doute, mais ne pouvait dire dans une apologie) :
Peut-on retirer facilement une partie de son autorité à un
homme d'état depuis longtemps investi d'un grand pouvoir
personnel, très attaché à ce pouvoir et jaloux de le conser-
ver? Les demi-mesures sont-elles possibles en pareil cas?
(1) Mém., p. 130.
140 VILLEROY
Villeroy avait toujours agi officiellement selon les volontés
du roi. Mais qu'était-ce que la volonté hésitante et capri-
cieuse d'un Henri III disputé entre des influences oppo-
sées, réduit à s'allier aux Guises qu'il détestait, à éloigner
d'Épernon qu'il aimait ? Villeroy avait souvent réussi à
fixer la volonté de ce faible; mais ne devait-il pascraindre
d'être sacrifié le jour où le roi voudrait agir selon ses ran-
cunes et ses sympathies personnelles ?
A ceux qui reprochaient à Villeroy d'ouvrir les paquets
avant le roi et de correspondre directement avec les gou-
verneurs et les ambassadeurs, le ministre répond en invo-
quant l'usage et l'intérêt public. Depuis huit ou dix ans on
avait cessé d'appliquer les prescriptions qui avaient ému
Villeroy à Lyon en 1574. Il semblait admis que l'impossi-
bilité de voir le roi à toute heure, l'obligation de régler
promptement certaines affaires urgentes, la confiance qui
régnait entre ministres et officiers royaux rendaient néces-
saire une certaine initiative ministérielle. Cette responsa-
bilité était bien légitime pour toutes les bonnes raisons
que Villeroy allègue, maisle jour où le ministre devint sus-
pect, elle devait nécessairement être une cause de disgrâce.
2° La véritable cause du renvoi de Villeroy fut sa poli-
tique à l'égard des Guises. Il conseillait l'union des catho-
liques avec le roi : on fit de lui un « fauteur » de la Ligue.
Cette accusation fut sa perte. Onn'avaitaucuneassurancede
sa complicité, mais descoïncidences malheureuses, desdé-
marches équivoques, des relations compromettantes formè-
rent des probabilités qui réunies en faisceau furentacceptées
comme une preuve par des hommes prévenus et passionnés.
Quelques-uns des gens de Villeroy étaient soupçonnés
d'intelligence avec la Ligue. Les Guisards et les Espagnols
firent certainement des tentatives pour connaître ce qui
passait par les mains de Villeroy (1). Réussirent-elles?
(1) L'ambassadeur de Venise envoyait à la seigneurie, au début de
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 141
Nous ne le savons. Le ministre affirme qu'il ne s'est jamais
aperçu de rien. 11 se tenait sur ses gardes. Il écrivait de sa
main les choses les plus importantes et ne les confiait, pas
toutes à un seul. Il ne les taisait même pas écrire sur un
registre, suivant la coutume. On ne pouvait donc repro-
cher à Villeroy d'être négligent. Il étail le premier à re-
connaître qu'il faut se métier des hommes en un siècle de
i ice et de corruption (1).
L'attitude publique de Guise envers le ministre compro-
mit ce dernier autant que les relations entre le duc et les
commis. « Feu M. de Guise, dit Villeroy. me l'aisail cet
honneur que d'estimer et rechercher mon amitié, se louer
de moi et même en l'aire étal. Tels arguments sont-ils suf-
fisants pour me condamner ('2)? » Ils nous paraissent comme
a Villeroy insuffisants quand nous connaissons les allures
caressantes, insinuantes et dissimulées du duc de Guise, cet
adroit recruteur de partisans, lorsqu'il flattait les serviteurs
favoris du roi pour acquérir, avec leur concours, les lionnes
grâces du maître. Depuis la paix de Juillet qui l'avait établi
solidement à la cour, il pratiquait mieux que jamais cette
tactique qui était celle de tout son parti. L'archevêque de
Lyon, dans un « advis » célèbre, après avoir recommandé
158G, les chapitres d'un conseil tenu par les Ligueurs, où il avait été
décidé d'organiser l'espionnage particulièrement auprès de Villeroy,
« veder di corromper qualche secretario di Villeroi poiche per le sué
main passano le piu important ispeditioni, per scoprir s'è possibile i
secreti del Re ». (F. ltal. 1734, l'° 413). Nous n'avons trouvé dans les
papiers île Simancas aucune preuve certaine île la trahison d'un commis
île Villeroy.
(!) Mém.} p. 132.
(2) Ibid. — Le 9 octobre, Fays écrivait à. Bellièvre : ■• Les plus avi-
sés et clairvoyants concluent et l'un d'eux pense le bien savoir que lu
laboras morbo alieno et que la trop grande amitié que vous portiez à
un petit seigneur votre voisin par derrière a l'ait que Diespiter iratus
incesto addidit integrum, n'ayant que très bonne opinion de vous et
de vos services fidèles, mais que de lui il a découvert je ne sais quoi
et que il a craint quelque contagion en vous...» F. Fr. 15909, fo 199.
142 VILLEROY
au duc de ne plus s'éloigner de la cour, de ménagerla sus-
ceptibilité du roi, d'avoir << des ménagements infinis pour
la reine», l'engageait à rechercher Villeroy (1). Après Ca-
therine le ministre avait donc la première place dans la
sollicitude des Ligueurs ; et Ton considérai! son appui éven-
tuel comme si important que, dans le cours de l'avis, on
revenait à deux reprises sur son compte.
Dans l'entourage du roi, on ne voulut pas voir le but de
ces démonstrations intéressées d'amitié. On les considéra
comme les marques d'une véritable entente. Villeroy, dit-
on, avait voulu établir Guise à la Cour « pour en tirer sup-
port », et « pour se venger de M. d'Epernon » (2). Villeroy
n'a pas de peine à démontrer que dans l'un et l'autre cas il
aurait fait un détestable calcul. Il n'avait pas besoin d'un
tel appui « pour plumer l'oie du roi avec lui », puisque le
roi ne lui refusait rien. L'intérêt de Villeroy était bien d'ac-
cord avec ses principes politiques pour l'engager à ne pas
accroître démesurément la puissance du duc. Il comprenait
aussi que son influence personnelle disparaîtrait le jour où
Guise serait le maître, et remplacerait les alliés incertains
comme Villeroy par des amis éprouvés tels que d'Epinac.
Villeroy ne pouvait rester un personnage à la Cour qu'en
demeurant dans une position intermédiaire entre les enne-
mis acharnés de Guise et ses amis dévoués.
11 n'avait pas besoin non plus de l'appui de (mise « pour
se fortifier contre Epernon ». « Il était trop savant courti-
san pour choisir cette voie-là (3) ». Il lui fallait compter
avec l'amitié profonde du roi pour son favori, comme il
(1) Voir VAdvis de M d'Epinac. archevêque de Lyon, durant lu Ligue,
<i feu M. de Guise . F. Fr. 3975, fo 214-217. Il a été édite dans les
Mém. d'Estat de Villeroy, Ed. de 1622, t. II, p. 1GG-174, sous le titre
suivant : Instruction a M. de Guise retourné en Cour après la paix de
Juillet.
(2) Mém., i». 133.
(3) Mém., \> 133.
LE SECKETAIUE DE HENRI 111 143
avait compté avec la haine invétérée d'Henri III contre
Guise. [1 savait très bien que l'inimitié de (luise ne pour-
rait nuire au duc d'Epernon. D'ailleurs, il était assuré
contre le favori par son éloignemenl (1).
Il est naturel qu'en interprétant si faussement les inten-
tions de Villeroy, on soit arrivé à voir en lui un pension-
naire du duc de Guise et du roi d'Espagne. ('.'(Hait une
accusation liés courante en France à la fin du xvie siècle et
fréquemment justifiée. Trois sortes de personnes ne la mé-
ritaient pas: les caractères profondément honnêtes que
leur eonscience préservait de la vénalité; ceux que de
fortes haines ou des passions politiques rejetaient dans le
parti adverse, et ceux qu'inspirait le sentiment de leur
intérêt bien entendu. Villeroy n'eut pas besoin de se vendre;
il vivait honnêtement mais sans faire aucune dépense exa-
gérée. Les libéralités du roi lui suffisaient. « J'ai servi des
maîtres qui me faisaient assez de bien sans en aller cher-
cher ailleurs. Celui qui prend s'engage ; ce que ne* doivent
faire ceux qui sont constitués aux charges publiques pour
quelque cause que ce soit. » La modération de ses désirs
et la prudence de Villeroy sont donc les meilleurs garants
de son honnêteté. Aucun indice dans la correspondance du
duc de Guise ni dans les lettres des ambassadeurs espa-
gnols ne permet de supposer que Villeroy fut vendu au
parti lorrain ou à l'Espagne. Le ministre d'Henri III était
pour les Ligueurs et les Espagnols un personnage énigma-
tique et inquiétant que l'on courtisait sans être assuré de
son appui. Si l'on en croit Nevers dans son « Manifeste des
causes de la prise d'armes de janvier 1589 » ('2), les chefs
(I) Il ajoute que l'inimitié même de Guise a longtemps servi à
d'Epernon de protection : « Ledîtsieur d'Epernon avait à la Courdes en-
nemis et envieux plus dangereux et puissants que ledit duc et moi en-
sèmble : je les connaissais bien, jejureavoir plutôt détourné que pro-
curé le mal que j'ai connu que l'on lui voulait faire ; aussi ma fortune
n'avait rien de commun avec la sienne, il volait d'une autre aile. »
(-2) Cimber et Danjou, t. XII, p. 100.
444 VILLEKOY
du parti vainqueur après FEdit d'Union auraient résolu
d'occuper les hautes charges. Peut-être auraient-ils vu
sans trop de déplaisir le remplacement de Villeroy par une
personne plus dévouée à leurs intérêts.
Il semble bien d'ailleurs que dans l'entourage du roi les
soupçons de vénalité n'aient pas pris consistance. Dans
toutes les paroles prononcées par Henri III après le renvoi
des ministres et rapportées par les ambassadeurs, ne se
trouve aucune allusion de ce genre. Du Vair répondit à
Villeroy en raillant doucement sa susceptibilité et en lui
faisant entendre que personne parmi les gens de bien ou
les personnages l'ayant connu n'avait admis un moment
cette accusation. Henri III connaissait trop le désintéres-
sement du ministre pour y croire. Villeroy ne thésaurisait
pas. Il vivait « honnêtement » sans faire une grande dé-
pense, n'ayant aucun vice coûteux, n'étant ni joueur ni
banqueteur, ni prodigue. Ce qui lui coûta le plus d'argent
ce fut l'éducation très soignée qu'il fit donner à son fils
unique H quelques constructions. Il n'avait pas tiré ces
sommes de son patrimoine puisqu'il était encore « fils de
famille », mais du bien de sa femme qu'il avait en partie
engagé, du produit de son office et des libéralités du roi.
Il n'avait acquis en 21 ans que 4.000 livres de rente en
fonds de terre qu'il ne possédait pas entièrement puis-
qu'il devait encore 3.000 écus. Tout le monde le savait et
il ne craignait pas de le répéter tout haut (1).
En réalité, c'est seulement la conduite politique de Ville-
roy qui parut suspect eau roi et causale renvoi du ministre.
Quelques-uns se rappelèrent les dénonciations de Salcède et
quand ils virent la plupart de ceux qu'il avait nommés com-
promis dans la Ligue crurent que Villeroy avait été lui aussi
le complice des Guises depuis 158?. Mais ce fut le petit
nombre. Le roi Henri II! le rendil responsable de la paix de
(1) Mon. p. 134. — Lettre à du Voir.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 1-45
Juillet etde ses honteuses conséquences. Il s'imagina après
coup qu'il aurait pu résister aux Guises, que Bellièvre au-
raitpu le prévenir de l'arrivée du duc à Paris, que Villeroy
aurait pu obtenir. des concessions plus favorables pour la
royauté. C'estla véritable raison que Jacques Faye, l'excel-
lent parent de Bellièvre, avait fini par découvrir ( 1 ). « On dit
que les articles de l'Edit de réunion furent portés ou en-
voyés à M. de Guise moins avantageux pour le roi qu'il
n'espérait et précipitamment devant que à peine il les eut
bien résolus et arrêtés dont S. M. montra être l'orl altérée
contre ledit sieur de Villeroy, la cause duquel fut soutenue
par MM. du Conseil qui dirent que negolium utiliter et jus-
tum erat ab Ul<> vu le danger où était la France, et que cela
altissime insedit animo régis et y a eu do souffleurs qui
ont ajouté qu'ils s'étonnent de quoi ceux qui axaient été si
souvent à Chalons et à Soissons n'avaient pu découvrir
l'entreprise de Paris et la venu*1 de M. de Guise. » Villeroy
le comprenait très bien, quand il écrivait fièrement à Bel-
lièvre : « Nous n'avons jamais été ni huguenols, ni ligueurs,
nous avons fait ce que le Roi nous a commandé cl l'avons
servi... ainsi qu'il a voulu... Sien plusieurs choses, nous
avons eu des avis et avons donné des conseils contraires
quelquefois à l'opinion de quelques autres, nous avons eu
pour guide notre conscience fortifiée de plusieurs raisons
que nous avons représentées et exposéesà la censure et au
bon jugement de S. M . laquelle en a usé ainsi qu'il lui a
plu (2). » Henri III, à la veille de prendre de graves réso-
lutions, pour se débarrasser des Guises et être enfin le
maître, renvoya les ministres qui n'auraient pas approuvé
son acte. Le changement de politique entraîna un ehange-
menl de ministère.
Henri III appela auprès de lui des homme- nouveaux,
(1) Faye ù Bellièvre, 18 octobre, F. Fr. 1590!), fo 203.
{'2) Villeroy à Bellièvre, 6 janvier 1889, F. Fr. 15909, fo 2!
Villeroy. 10
146 MLLEROY
honnêtes mais obscurs et sans expérience politique. Il don-
na les sceaux à François de Montholon, un simple avocat
du Parlement de Paris, docte, intègre, bon catholique, mais
peu versé dans les affaires d'Etat et dans les finances. Il
choisit pour secrétaires d'Etat deux commis de l'ancien
secrétaire Fizes, Migeon et Révol. Migeon s'excusa et fut
remplacé par Beaulieu. Louis Révol était un Dauphinois
protégé par le duc d'Epernon qui l'avait employé en Pro-
vence comme intendant de justice, police et finances do son
armée. Il avait une excellente réputation : c'était le type
du bon serviteur fidèle et désintéressé (1). Martin Ruzé,
seigneur de Beaulieu était un ancien secrétaire du duc
d'Anjou qui avait suivi son maître en Pologne. Au début
du règne, il avait été nommé secrétaire des finances avec
entrée au Conseil et avait fidèlement servi comme secré-
taire des commandements de la reine-mère. Henri III avait
offert une charge de secrétaire d'Etat à l'abbé 'd'Ossat, un
jeune diplomate qui s'était distingué à Rome comme secré-
taire de l'ambassadeur Paul de Foix, puis du protecteur
des affaires de France, le cardinal d'Esté, et enfin du cardi-
nal de Joyeuse qui le considérait plutôt comme un conseiller
et un guide. D'Ossat s'était excusé prétextant l'incompati-
bilité des fonctions ecclésiastiques et de la charge dont le
roi voulait l'honorer. Mais on disait qu'il avait refusé par
reconnaissance pour Villeroy, qui l'avait pris en grande
affection et protégé auprès d'Henri III (2).
Les fonctions des deux secrétaires furent d'abord mal
définies. On les considérait comme de simples commis,
sans autorité personnelle. Le 22 février 1589, Henri III leur
adjoignit deux nouveaux collègues pour rétablir le chiffre
(1) Sur ce personnage et les suivants voir ce que nous disons plus
loin. — Voir aussi Pap. Simancas, K. 1569, fo 113 Mendoza à Phi-
lippe II, 24 septembre 1588. — Desjardins, t. IV, p. S24. — F. Ital.
1737, fo 237 (Dép. de Mocenigo, 23 sept ).
(2) Degert, Le Cardinal d'Ossat, in-8«, 1894. p. 40.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 147
traditionnel de quatre secrétaires d'Etat, Louis Potier,
sieur de Gesvres, qui avait travaillé dans les bureaux de
Villeroy et était devenu secrétaire des finances, puis secré-
taire du Conseil, et Pierre Forget, sieur de Fresnes, se-
crétaire des finances, qui avait été dans sa jeunesse secré-
taire du roi de Navarre. Tant que les deux premiers secré-
taires nommés restèrent seuls en charge, ils eurent chacun
des attributions spécialisées comme les ministres de nos
jours. Ruzé eut les états de la guerre et la correspondance
avec les provinces. Revol eut les étrangers. Quand ils furent
quatre, Ruzé conserva la guerre et eut de plus la corres-
pondance avec Paris, Pile de France et le Berry. Revol
garda les pays étrangers. Potier et Forget se partagèrent
de reste des provinces françaises (1).
Henri III avait pris les plus grandes précautions pour
que ''es secrétaires restassent de simples commis, détachés
de tout lien avec les partis, et entièrement dominés par lui.
Dans le règlement qu'il fitdresseràBlois, le 1er janvier 1589,
il commençait par exiger que ses secrétaires a posl posent
toutes affections particulières ne reconnaissant que S. M.
el n'embrassent que ses seules volontés et non de quelque
autre que ce soit » (?). Ils devaient être très bons catho-
liques, avoir trente-cinq ans passés, prêter le serment entre
ses mains — et non plus entre les mains du chancelier.
Ils ne pouvaient recevoir eux-mêmes les paquets et les dé-
pêches. Tout cela serait porté tous les matins à cinq heures
au roi, car « S. M. veut plus que jamais embrasser l'intelli-
gence et conduite de ses affaires ». Les quatre titulaires des
charges choisis par lui étaient gratifiés de 4000 écus par
(1) Voir les ambassadeurs étrangers cités plus haut. — De Luçay,
Les Secrétaires d'Etat..., p. 31.
(2) « Règlement ijue le roi a fait dresser pour être suivi et observé
de point en point par les secrétaires d'Estal en la forme et manière qui
en suit. A Blois, le 1er janvier 1589. » P. Fr. 4591, f 205. Ce règle-
ment n'a été publié ni par Fauvelet du Toc ni par de Luçay.
448 VILLEROY
an et (lovaient suivre partout le roi. Ils n'auraient qu'un
commis et six clercs parfaitement sûrs. Un article de ce
minutieux règlement montre combien le roi tenaifà les iso-
ler, contrairement à ce qui se passait du temps de Ville-
roy :« Les dits secrétaires ne hanteront ne fréquenteront
ni iront boire ni manger chez quelques princes, sei-
gneurs ni avec personnes que ce soit que chez S. M. et la
Reine sa mère ou chez eux et entre eux, ce que sa dite Ma-
jesté leur défend très expressément ni auront pratiques,
communications ou intelligences avec aucun des susdits ne
prendront ni accepteront gages, pensions ni bienfaits que
de S. M. ne recevront commandement en chose qui regarde
le service de S. M. que de sa propre bouche ouparécrit de
sa main et signé d'elle ou de la Reine-mère (1). »
IV
Après sa disgrâce, Villeroy avait gardé une altitude très
digne et très réservée. Dans sa campagne des bords de l'Es-
sonne, d'où il écrivait à Bellièvre : « Plus je jouis de ma
maison, plus j'y trouve de douceur » (2), il recevait des vi-
sites, des offres d'amitié, et de nombreuses lettres de con-
solation (3). Entre autres, le duc de Guise lui fit proposer
deux ou trois fois ses bons offices. Villeroy le remercia pru-
demment, le priant seulement, s'il voulait l'obliger, de ra-
conter au roi comment il s'était comporté dans ses der-
(1) Règlement... Ibid., f° 212.
(2) Villeroy à Bellièvre, 28 septembre. F. Fr. 15909, f° 188.
(3) 11 a serré ces lettres dans une boite, nous dit-il (lettre à Bellièvre,
6 janvier 1389, f° 226). Nous ne les avons pas. Nous possédons les
nombreuses lettres envoyées dans la même circonstance à Bellièvre par
d'Epinac, Potier, Schomberg, Mayenne, Brulart, Chevernv, Gondi.
d'Alincourt, d'Elbène, etc. F. Fr. 1509, passim.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 149
nières négociations (1). Aux Etats qui s'ouvrirent à Rlois le
lôoctobre, Villeroy comptait de bons amis qui, joints à des
députés des provinces de son département, voulaient l'aire
instance auprèsd'Henri Illpourqu'il rappelât son ministre.
Il craignit que cette démarche ne déplût et les pria de n'en
rien faire (2).
A la fin de novembre, Mandelot mourut et la Iieutenance
du gouvernement du Lyonnais devint vacante (3). Villeroy
écrivit au roi pour lui rappeler la promesse écrite de sa main
le "2 juillet 1587 et qui accordait à Alincourt la survivance de
sa charge. Les députés de la ville de Lyon aux Etats parlèrent
dans le même sens à Henri III. Mais celui-ci répondit qu'il
s'était depuis longtemps engagé en faveur du duc de Ne-
mours. Il refusa au fils de Villeroy la lieutenance-générale
du Lyonnais. Il ne voulut même pas lui donner le bailliage
de Mâcon qu'il avait donné six mois auparavant à Mandelot.
Quand M"1" de Mandelot fit supplier le roi d'avoir pitié
d'elle et de sa famille, il lui fut dit qu'avec le temps on
pourrait faire quelque chose pour elle et ses filles, en con-
sidération des services de M. de Mandelot, mais rien pour
le fils de Villeroy ni pour Villeroy (4).
Villeroy, dans sa retraite, ne se désintéressait pas des af-
faires publiques. Il communiquait par lettres à Bellièvre ce
qu'il pensait des événements. Il critiquait la conduite hési-
tante du roi qui au début des Etats « déclama contre la
Ligue)) (5), puis jura solennellement l'édit d'Union. Il jugea
(1) Mém., p. 135. — Nous n'avons qu'une lettre de Mayenne à Bel-
lièvre, du 9 octobre 1588 [Ibid., f» 195) se rapportant aux bons offices
des Guises. « Vous avez de si gens de bien, compagnons en votre dis-
grâce que cela fait connaître qu'elle n!esl pas arrivée pour vous être
éloigné du devoir que vous avez au service du roi. »
(2) Ibid. Voir aussi la lettre à Bellièvre, citée plus haut (fo 220).
(3) Voir Péricaud, Notes et documents, p. 128.
(4) Mém., p. 13b.
(o| Villeroy à Bellièvre, 20 octobre 1588, ibid., fo 205. — « Le roi a
bien harangué. Ce n'a été sans frapper sur les absents qu'il a chargés
150 VILLEROY
l'assassinat des Guises une faute déplorable à tous égards.
A ce moment, il espéra que dans le désarroi qui suivit la
tragédie le roi serait peut-être bien aise d'être assisté de
ses anciens serviteurs. Il n'osait croire qu'on le rappellerait
en < !our. 11 considérait comme absurdes certains bruits qui
couraient à ce sujet. Mais il avait conservé quelques charges
où il pouvait rendre service au roi. 11 était capitaine de la
Aille de Corbeil. Après les événements de décembre, il avait
l'ail prêter serment de fidélité au roi par les officiers et ha-
bitants de la ville. Quand Corbeil se fut donnée, malgré
lui, à la Ligue, il retira l'officier à qui il avait confié la
garde du château et quitta la place. A la même époque, le
père de Villeroy se retirait de Paris en sa maison d'Hallain-
court pour n'être pas obligé d'adhérer à la Ligue. Et ce-
pendant, Villeroy avait écrit à ses amis de Cour pour les
prier d'assurer le roi de sa fidélité el lui demander ce qu'il
pouvait faire pour son service et le roi ne répondait pas (]).
Après le meurtre des Guises, la Ligue entra en révolte
ouverte contre le roi. Le fanatisme n'eut plus aucune
borne : les prédicateurs maudirent l'assassin, fauteur d'hé-
résie et ennemi de Dieu. Paris organisa le nouveau gou-
vernement insurrectionnel : des comités furent placés à la
tète des seize quartiers de la capitale; le Parlement fut
('■pure : la Sorbonne délia le peuple du serment d'obéissance
au roi. Mayenne, élu lieutenant général de l'État el Cou-
ronne de France, entra dans Paris le \'2 février en triom-
phateur, prit le pouvoir et le commandement des armées
el assura à ses partisans et amis la prépondérance sur
de négligence et d'autres défauts. Il est le maître qui a toute puissance.
Il peut dire et taire ce qui lui plaira. Mais il ne saurait nous l'aire être
pires mi meilleurs que nous sommes. Voilà à quoi je me résouds et de
\ ivre toujours son sujet et serviteur tant qu'il sera mon roi. » A la fin
il résume ainsi son impression : « Voilà comment nous montrons en
toute chose notre impuissance. »
;i) Mém., p. 136.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 151
l'élément démagogique dans le nouveau Conseil Général
de l'Union.
Les grandes villes entrèrent dans la Ligue. L'une des
premières fut Lyon. Le ?4 février, les habitants se décla-
rèrent pour l'Union (1). D'Alincourt n'essaya pas de résister
au courant populaire. Il le suivit pour regagner sa popu-
larité compromise par différentes intrigues et conserver
sa position. Il en fut récompensé par Mayenne qui le 12
mars lui conféra la lieutenance. Le duc de Nemours était
gouverneur. D'Alincourt avait agi sans prendre l'avis de
son père, « comme jeune et très mal conseillé » (2). Ville-
roy, qui avait appris par la poste cet événement, protesta
toujours qu'il n'était pour rien dans cette décision (3).
"Néanmoins on ne voulut point le- croire à la Cour. Il en fut
rendu responsable et considéré comme un traître.
Quelque temps avant, Villeroy avait fait demander à
Henri II! un passeport pour sortir du royaume. A la fin
de février il n'avait reçu aucune réponse. Il avait appris
l'indignation que le roi éprouvait au sujet de sa prétendue
trahison. « Je fus, dit-il, dans sa lettre à Du Vair, si étourdi
et intimidé de ce coup, que, ne sachant plus à qui recourir,
je me retirai à l'heure même en la dite ville de Paris. »
C'était le seul endroit où il put vivre en sûreté. *< Le
roi ne voulait point ouir parler de moi à la cour ni ail-
leurs. » Ilétait réputé pour traître. Trois mois après l'assas-
sinai des Guises et l'emprisonnement de leurs complices,
pouvait-il vivre ensûreté dans les villes royalistes? Le pre-
mier capitaine venu se serait emparé de lui, sur d'avoir
(1) VoirMorin, Histoire de Lyon, 1837, t. V, p. îil9 et suiv. — Pé-
ricaud, Notes et documents pour servir à l'histoire de Lyon pendant la
Ligue, in-8u. 1814, p. 1.
(2) Lettre a Du Vair.
(3) Mém., p. 137. — Villeroy à Bellièvre. 1" mars 1589, F. Fr.
lo'JOO, fo 239. « J'ai toute ma vie conduit la fortune de mon fils et n'y
ai rien épargné. 11 semble maintenant qu'il veuille conduire la mienne
avec la sienne. »
452 VILLEROY
l'impunité. Les villes de la Ligue ne lui offraient pas un
refuge plus sur. A Paris le Parlement avait été épuré. On
parlait de faire saisir les biens de ceux qui n'entreraient
pas dans l'Union. Quel traitement aurait subi l'ancien mi-
nistre d'Henri III s'il avait voulu garder sa neutralité dans
la capitale ? Villeroy avait aussi sa famille à sauver : son
père n'était pas en sûreté dans la maison d'Ilallaincourt. Il ne
pouvait non plus laisser ruiner la situation de son fils qui à
cette époque quitta Lyon, où il n'avait pu s'entendre avec
Nemours pour Pontoisc. dont il recutle gouvernement (1).
« Comme mon père et mon fils étaient plongés dedans
l'abîme de ma misérable fortune, quand je n'eusse été trans-
porté du péril de moi-même, encore n'eut-il été honteux
de les abandonner en celui qu'ils couraient pour ma consi-
dération (2). »
La nécessité de défendre sa vie, sa famille et sa fortune
avait donc poussé Villeroy à « franchir ce saut ». C'est la
raison essentielle qu'il invoqua toujours pour expliquer sa
conduite, très franchement, sans aucune fausse honte, car
il avait conscience qu'aucun de ses contemporains n'avait
vraiment le droit de lui reprocher de n'avoir point été un
héros. Il était un homme comme les autres, sentant qu'il
avait agi, autant qu'homme de bien pouvait le faire, et qu'il
lui était impossible de lutter davantage. « C'est la tour-
mente qui nous jette où il plaît à Dieu qui connaît l'intérêt
de notre cœur », écrivait-il à Bellièvre.
Son ami du Vair, conseiller au Parlement, qui pourtant
I t'nait « quelque chose du philosophe stoïcien », était resté
a Paris, dans la capitale révolutionnaire qui avait rompu
avec le roi. Les motifs de sa conduite, qu'il explique dans
le. traité de la Constance, ne sont pas plus héroïques que
ceux qui inspirèrent Villeroy (3). Il considère en effet
(1) Lettre a Du Vair.
(2) Villeroy à Bellièvre, 26 mars, F. Fr. 15900. f° 247.
(3) Du Vair, La Constance, livre III, p. 882 et suiv. (Les Œuvres du
LE SECRÉTAIRE DE HtNKI III 1 5)i
comme parfaitement excusables ceux qui ne pouvaient fuir
parce qu'ils étaient surveillés de près, ceux qui étaient
exposés à perdre tous leurs biens, ceux qui restaient « au-
près des pères et mères vieux, ou valétudinaires »,et qui
en demeurant espéraient secourir leur pays qu'ils ne pou-
vaient aider autrement. Des raisons analogues avaient re-
tenu d'autres magistrats du Parlement. Les esprits pra-
tiques et modérés du temps paraissent bien avoir trouvé
cette attitude honorable. L'historien de Thon excusa ceux
qui avaient agi comme Villeroy (1). Henri IV en rétablis-
sant le Parlement témoigna la plus grande indulgence à
, cette «infinité de citoyens » qui étaient restés à Paris, « les
uns pour crainte de perdre leurs biens, autres pour ne
pouvoir abandonner les personnes à la conservai ion des-
quelles le devoir de nature les obligeait, autres pour
n'avoir moyenne commodité de vivre ailleurs, aucuns pour
le désir qu'ils avaient de nous y pouvoir faire service et à
la chose publique de ce dit royaume (2). » Il parlait, il est
vrai, des particuliers et non des magistrats ou des fonc-
tionnaires. .Mais Villeroy, dépouillé de ses charges par
Henri III, n'était-il pas redevenu une personne privée ?
Cependant, il ne s'était pas abandonné, les yeux fermés,
à la tourmente. Il savait qu'il s'alliait indirectement à un
parti révolutionnaire et cette pensée le rendait très mal-
heureux. Mayenne et son entourage l'avaient comblé de
prévenances : on lui prodiguait les témoignages d'amitié
et d'estime, et bien qu'il en fût très louché, il ne voulait
pas tout d'abord se livrer à ce parti. Il crut avoir trouvé,
au mois de mars, quelques jours après être arrivé à Paris,
l'occasion de demeurer neutre en toute sécurité. Il reçut
sieur Du Vair, garde des sceaux de France, Rouen, 1622, in-S°). Voir
Railouant, Guillaume du Vair, p. 194 et suiv.
(1) De Thou, Hisl., t. XV, p. 533.
(2) Lettres patentes... Mém. de la Ligue, t. VI, p. 92.
154 VILLEROY
enfin, par l'intermédiaire de Revol, le passeport qu'il avait
demandé et s'empressa deregagner la campagne (1).
Il avait quelque mérite à vouloir séjourner dans ses
terres. Ses lettres, comme les doléances des contempo-
rains, nous peignent les chemins dangereux, les cam-
pagnes infestées de gens de guerre. Il se gardait le mieux
qu'il pouvait à Villerov. Il craignait d'y être attaqué. A la
fin d'avril, on l'avertissait que d'Épernon avait résolu de
l'avoir « à quelque prix que ce soit » (2). Henri III avait
uni ses forces, le .°> avril, à celles d'Henri de Navarre et les
deux rois, partis de Touraine, avaient pénétré dans l'Ile de
France. A partir du mois de mai on se battit à Senlis, à
Etampes, autour de Pontoise (qui capitula le 26 juillet). Peu
à peu, Paris fut cerné. Villerov faisait les plus sérieux
efforts pour rester en sécurité chez lui. Quand son fils,
chassé de Lyon par le duc de Nemours, revint dans l'Ile
de France, il crut habile de faire parler au roi, pour lui
montrer que d'Alincourt avait été la victime des circons-
(1) Mém., p. 137. — Lettre à Du Vaiv.
(2) Villeroy à Bellièvre, 29 avril 1589, F. Fr. 13909, f°252. — Cette
lettre nous dépeint les hésitations du ministre qui désira rester neutre
le plus longtemps possible. « Je m'en retourne en ma maison la semaine
qui vient pour faire Pâques avec mon curé et pourvoir à mes affaires,
estimant que quand les étrangers entreront en ce royaume comme ils
feront bientôt que rien ne sera en sûreté aux champs. M. du Maine me
presse fort de ne l'abandonner point. Je le supplie de me permettre de
demeurer en ma maison pour les raisons que vous pouvez vous repré-
senter. A quoi je ne sais s'il aura égard. » Le 12 mars, il écrivait :
« Il faut que je vous die que M. du Maine m'a fait promettre de le
voir, de sorte que je fais compte d'en chercher l'opportunité soudaine
que les compagnies de gens de guerre qui sont en ces quartiers en
seront éloignées, ayant envie de savoir de lui ce que nous devons
espérer de ces affaires. Il m'a longtemps montré beaucoup d'amitié et
vous assure aussi que je l'ai toujours grandement honoré et affec-
tionné. » Les deux lettres du 26 février et du 1er mars contiennent
des plaintes sur l'état des chemins. Villerov dit dans la première qu'il
ïtrême désir de voir Bellièvre : « Mais il y a tant de voleurs par
les chemins qu'il est difficile d'échapper. » Dans la seconde: « Je ne
vous écrire ce que j'ai sur le cœur à cause du danger des chemins. »
(/bit/., f°s 230-239).
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 155
tances, en se laissant entraîner la première fois par la
désobéissance des habitants, et il sollicita de nouveau la
protection du roi. Il s'était fait recommander auprès de
lui par le roi de Navarre, à la prière de M. do Châtillon.
Cette grâce lui fut refusée (1). La vie à la campagne deve-
nait intenable.
Un autre sentiment envahissait peu à peu Villeroy. Cet
homme très actif, qui avait passé vingt ans de sa vie au ser-
vice de l'Etat, s'ennuyait dans l'oisiveté. Il souffrait de se
sentir inutile au fond de sa retraite, alors que le pays, si
profondément troublé, avait le plus grand besoin du con-
cours des hommes de paix et des honnêtes gens. « Il me
semble, écrivait-il à Bellièvre, que si nous attendons que
tout soit perdu à faire ce que nous devons pour le bien
général que nous en répondrons devant Dieu et qu'il nous
sera aussi reproché des hommes, outre ce que nous parti-
ciperons au mal lequel n'épargnera ceux qui se contien-
dront en patience en leurs maisons non plus et peut-être
moins que les autres. Du moins devons-nous nous mettre
en devoir de voir si nous pouvons aider à empêcher que le
mal ne soit si grand et préjudiciable à l'Etal comme il se
prépare, afin de nous y employer si c'est chose qui nous
soit et permise et possible, sinon nous résoudre à vivre ou
languir en nos maisons et y attendre le coup qui sera iné-
vitable à la longue (2). »
Villeroy résolut donc de travailler à la conservation de
la religion et du bien public et au rétablissement de la paix.
Comment? Il n'en savait encore rien. La situation était si
(1) Lettre à Du Vair. C'est après le 8 avril qu'il a demandé cette
protection, car il n'en parle pas dans ses Mémoires. « Coite grâce me
fut refusée tout à plat, encore que le roi qui est de présenl eut pris la
peine d'en parler à S. M. à la recommandation de fen M. de Châtillon
au bon naturel duquel je devais., comme je fais à sa mémoire, ce bon
office. "
(2) Villeroy à Bellièvre, 12 mars 1589, F. Fr. 15909, 1° -2 il.
156 VILLEROY
troubléeau mois dejuilletl589querancien ministre, malgré
son expérience, ne pouvait prévoir comment et quand elle
prendrait fin, ni quel rôle il serait appelé à jouer. Ce qu'il
savait sûrement, c'est qu'il ne pouvait remplir ce rôle utile
qu'auprès de Mayenne.
Dans sa retraite, il avait écrit un long mémoire pour jus-
tifier sa conduite. 11 était extrêmement soucieux de conserver
sa bonne réputation, et le déclarait dès la première page:
« Le plus grand contentement que puisse avoir un homme
de bien après celui que lui rend sa conscience, lequel ne lui
peut être ôté, est d'être tenu pour tel qu'il est, et principa-
lement de ceux auxquels il a voué amitié et service. » Il
tenait à garder les amis du camp qu'il avait quitté, et à
maintenir intacte son autorité morale au moment où il
allait entreprendre de travailler à la cause de la paix. Il
pensait avec raison qu'il devait faire connaître les motifs
qui l'avaient poussé à « changer de route » afin de ne pas
donner occasion de « changer la bonne opinion » qu'on
avait conçue de lui. Dans cette apologie, il insistait particu-
lièrement sur les motifs de sa disgrâce et sa conduite dans
les derniers mois: maispourl'éclaircir, il racontait ses prin-
cipaux actes depuis le commencement de la Ligue. Il était
conduit tout naturellement à remonter plus haut, pour
expliquer ses relations avec le roi, la reine-mère, la con-
fiance qu'on avait en lui et dont témoignaient tant de mis-
sions importantes à lui confiées. Il était ainsi obligé de
faire connaître sommairement les débuts de sa vie politique.
C'est pourquoi il nous a laissé une biographie tantôt très
succincte, tantôtdétaillée, qui est le document essentiel de
s«»n histoire. C'est pourquoi aussi elle est si insuffisante ;
car malheureusement, il a considéré comme une chose
« trop tédieuse » de raconter toutes ses actions et s'est con-
tenté de représenter celles qui ont servi d'argument à
quelques-uns de le calomnier. Le mémoire était achevé à
Villerov le 8 avril.
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III 157
Vers le milieu de juillet, Villeroy se décida enfin à rentrer
à Paris auprès de Mayenne « abandonnant le reste à la for-
tune » (1). Le 1er août, Henri III était assassiné à Saint-
Cloud.
(1) Lettre à Du Vaii
TROISIÈME PARTIE
-E NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES
(1589-1594)
CHAPITRE Ier
I. Les premières tentatives de conciliation entre la Ligue et le
roi (août-septembre 1589). Villeroy négociateur de la Ligue. —
IL Villeroy et le péril espagnol. L' « Advis » à Mayenne (dé-
cembre 1589). — III. Les pourparlers de Villeroy et Duplessis-
Mornay à Mantes (mars 1590). L'entrevue avec Henri IV (avril).
IV. —Villeroy auprès de Mayenne. Le siège de Paris (mai-sep-
tembre). — V. Reprise des négociations, à Buchy, en octobre.
Efforts de Villeroy pour obtenir la liberté du labourage et du
commerce, la trêve, la convocation des Etats.
(Août 1589-déccmbre 1590)
Après l'assassinat d'Henri III, le roi de Navarre fut pro-
clamé par ses troupes roi de France sons le nom de Henri
IV. Dans un manifeste aux villes du royaume (4 août 1589)
il promit de ne rien innoverdu faitde la religion catholique,
d'en rétablir l'exercice dans tous les lieux où elle était pro-
hibéeetde se faire instruire dans six mois. Les ducs d'Eper-
non et de Xevers se retirèrent ; mais la plus grande partie
de la noblesse, avec les princes du sang-, suivit la fortune
160 VILLEROY
du nouveau roi. Les catholiques ligueurs reconnurent
comme leur souverain, sous le nom de Charles X, le
vieux cardinal de Bourbon, prisonnier de son neveu depuis
la fin de Tannée 1588. En attendant sa délivrance, ils se
groupèrent autour de Mayenne, le « lieutenant général de
l'Etat royal et Couronne de France ». La plupart des Par-
lements, presque toutes les grandes villes et Paris, la capi-
tale, tenaient pour lui.
Le royaume de France se trouvait donc divisé en deux
grands partis, celui du Roi et celui de l'Union catholique,
qui allaient entamer une longue et sanglante guerre. Les
batailles d'Arqués et d'Ivry, les sièges de Paris, de Chart res,
de Rouen, deLaon, d'innombrables luttes sur tous les points
du territoire, formeraient la matière d'un livre qui, selon
l'expression de d'Aubigné, serait « plus hérissé de combats
qu'aucun autre » (1). Et cependant, jamais, pendant toute
la durée d'une guerre civile, on ne négocia de part et
d'autre avec une plus inlassable persévérance. Jamais les
intermédiaires pacifiques n'eurent un plus beau rôle ni de
plus grands succès, puisqu'ils mirent fin à une lutte qu'il
était impossible déterminer par la voie des armes, les forces
matérielles s'équilibrant parfaitement, et aucun des deux
partis ne le cédant à l'autre en force morale.
Ce succès fut dû au parti politique qui comprenait, avec
des timides et <\e^ habiles, une majorité de bons citoyens
d'esprit modéré, amis de l'ordre, estimant que l'intérêt de
l'état devait passer avant toute cause religieuse ou tout
intérêt particulier. Ils trouvèrent la vraie solution qu'exi-
geait le repos de la France : un roi légitime et fort, Henr
de Navarre, converti à la religion catholique. Tous les po-
litiques n'avaient pas eu la même attitude : les uns s'étaient
ralliés à Mayenne ; quelques-uns, comme Cheverny, étaient
restés neutres. La première catégorie de ces modérés servit,
(1) D'Aubigné, ffist r,ùv., XIII, I, p. 147.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 161
dans le parti si bigarré des Navarristes,de contrepoids aux
protestants exaltés et aux grands seigneurs ambitieux,
ennemis des Lorrains ; la seconde classe, la plus nom-
breuse, la plus active, à qui s'applique plus spécialement
le nom de « Politiques », s'opposa de toutes ses forces, au
sein de l'Union, à tous les éléments exaltés, fanatiques,
démagogues encadrés par les Seize, dirigés par les curés
ligueurs, payés par les Espagnols et qui pour le salut de
la religion, auraient jeté à bas tout l'édifice monarchique
et l'unité nationale. Les Politiques acceptaient l'appui mo-
mentané de l'étranger, mais ne voulaient pas lui livrer la
France. Ils voulaient un roi catholique, mais un souverain
légitime, restaurateur de Tordre. Ils croyaient que les né-
gociations, autant que la force des armes, finiraient par
amener, entre la Ligue et le roi, un accord qui donnerait
satisfaction à l'immense majorité de ses sujets sur le point
de la religion.
Le plus original et le plus actif de ces Politiques fut Vil-
Leroy qui en se retirant auprès de Mayenne s'était bien ré-
solu à conserver sa pleine indépendance d'esprit, à exécu-
ter ce qu'il considérait comme son devoir « de servir de
tout son pouvoir à la conservation de la religion et au bien
public du royaume ». Nous verrons bientôt comment ce
devoir se précisera et lui apparaîtra en décembre 1589
comme l'œuvre de la réconciliation entre la Ligue et Hen-
ri IV, à condition qu'il se convertisse. Celui que Tévêque
de Senlis appelait V « arfihipolitique ». sans s'occuper des
accusations d'hypocrisie, de duplicité, de cupidité, lancées
par les violents des deux camps, poursuivit patiemment
son œuvre pacificatrice, et lorsqu'il se relira, au début de
1594, elle s'acheva d'elle-même comme il l'avait prévue et
préparée.
Les négociations commencèrent dès les premiers jours
du nouveau règne.
Villcrov 11
162 V1LLER0Y
Quelques jours après son avènement, le roi de Navarre,
étant à Saint-Cloud, écrivit de sa main à Villeroy et lui
manda de se trouver le lendemain dans le parc de Bou-
logne où il désirait lui parler. Il lui disait « qu'il se voulait
servir de lui pour faire la paix, à laquelle il était très dis-
posé et de faire pour y parvenir tout ce qui y serait jugé rai-
sonnable et utile, même de contenter M. de Mayenne »(1).
Villeroy comprit que le roi de Navarre désirait lui parler
« plus pour faire connaître aux catholiques de son armée
vouloir traiter et par ce moyen les garder de se débander,
que pour envie qu'il eût de faire autre chose » (2). Beau-
coup de seigneurs catholiques, en effet, menaçaient de se
retirer si le roi ne se faisait pas immédiatement catholique
et malgré la déclaration du 4 août, plusieurs défections se
produisirent. La situation du Béarnais fut donc pendant
quelques semaines assez précaire. Il lui fallut beaucoup de
bonne humeur, de tact et d'esprit de conciliation pour sur-
monter les épreuves du début.
L'ouverture de négociations avec la Ligue fut une des
principales mesures qu'il prit pour « apprivoiser » ses
gens (3). Avant d'attaquer la grande ville catholique, il
voulait montrera ses partisans que l'ennemi, par son opi-
niâtreté, l'obligeait à faire la guerre, car sans doute il se
faisait peu d'illusions sur le résultat de ses démarches.
Ghâtillon, le fds aîné de l'amiral, colonel-général de l'in-
fanterie française, lui conseilla de s'adresser à Villeroy. Ce
jeune homme, aussi brave et sage que son père, était,
? I Mém., p. 1 3 'J .
(2) Mém. Nous ne connaissons que par Villeroy ces tentative- de
négociations de 1589. Aucun historien ne les a notées.
(3) « Chacun sait, écrivait-il à Mornay le 7 nov. 1589, les brouille-
riez et difficultés que j'ai eues à mon avènement, et que j'ai encore,
combien de personnes farouches j'ai eu a apprivoiser, en leur ôtant
'le la fantaisie que je ne tâchais qu'à m'établir, pour après renverser
leur religion. » [Lettres miss., III, p. 72.)
LE NEGOCIATEUR DES POLITIOUES
163
parmi les amis protestants du roi de Navarre, vin des moins
hostiles aux idées de conciliation. Villeroy fut naturelle-
ment choisi à cause de sa position particulière auprès de
Mayenne et de ses anciennes relations avec le roi de Na-
varre. Ce dernier avait déjà discuté avec lui à Bergerac, à
Fleix, et avait cherché à se l'attacher dès 1577 en lui offrant
une pension. En mai 1588, Villeroy lui avait écrit une lon-
gue lettre pour l'induire à « rechercher la bonne grâce du
roi et penser à sa conversion à la religion (1). Le Béarnais
connaissait le désir qu'avait eu Villeroy de demeurer neutre.
Il pensa donc que nul dans l'entourage de Mayenne n'était
plus propre que l'ancien ministre de Henri III à traiter
avec lui.
Villeroy avertit Mayenne qui lui refusa l'entrevue de-
mandée. Il craignait qu'elle ne pût rester secrète, et, devant
ses partisans, il ne voulait pas paraître indécis entre la paix
et la guerre, au début d'une lutte à outrance entre l'Eglise
et l'hérésie. Cette crainte n'était pas l'effet de sa seule
timidité. Son intérêt lui commandait d'agir à rencontre du
Béarnais. Celui-ci, pour conquérir son royaume, devait
tendre les bras à ses adversaires. La faction ligueuse, fon-
dée sur le fanatisme, ne pouvait se maintenir qu'en refu-
sant toute concession à l'hérétique. Villeroy ne devait
pas rencontrer de plus grande difficulté que cette obliga-
tion de traiter secrètement pour ne pas exciter la défiance
des catholiques. Fort heureusement pour lui, Mayenne était
d'une extraordinaire faiblesse de caractère. Avec un peu de
patience et de sang-froid — et Villeroy en avait beaucoup
— il était assez facile de changer en demi-mesures les ré-
solutions extrêmes de ce gros homme si souvent affaibli
par la maladie. Mayenne finit par permettre à l'ancien se-
crétaire d'Etat de recevoir dans sa maison, portes closes,
un envoyé du roi.
(L) Lettre élu 12 mai 1588. F. Fr., 4028, f» 1.
164 VILLEROY
Deux jours après, Villeroy eut une entrevue avec La
Marsillière, secrétaire de Henri, qui lui représenta « com-
bien la paix était nécessaire ». Il insista sur la situation des
gentilshommes catholiques qui avaient prêté serment au
Roi et approuvé la déclaration du 4 août. Que le duc se
ralliât au Roi; le passé étant oublié, il vivrait auprès de
lui. comme sa qualité le requérait (1). Villeroy voulut
mettre l'envoyé du Roi en rapport avec Mayenne. Mayenne
refusa. Il fit répondre que sa religion, le respect dû au car-
dinal de Bourbon et à la mémoire de ses frères, le serment
prêté à la Sainte- Union ne lui permettaient pas d'accueillir
ces ouvertures. Il ne poserait pas les armes tant que le car-
dinal serait prisonnier et que le roi persévérerait en sa re-
ligion détestable. Le Béarnais ne se découragea pas. Peut-
être n'avait-on pas parlé librement à La Marsillière qui
étail de la religion. Il résolut de confier la suite de la né-
gociation a un catholique. M. de Liancoun, son premier
écuyer, eut charge d'inviter Villeroy à se rendre dans ses
terres du Beauvaisis pour conférer sur la paix. La négocia-
tion devait s'amorcer sérieusement, puisqu'il avait été dé-
cidé que le ministre y rencontrerait le roi de Navarre. Mais
Mayenne s'y refusa obstinément, cette fois sans hésitation.
Villeroy dut se résigner à répondre à Liancourt en lui fai-
sanl espérer que les hasards de la campagne commencée
par Mayenne, les rapprocheraient tôt ou tard et qu'alors
il serait plus facile de causer. Il ne voulait pas décourager
d<-- adversaires qui étaient de futurs amis. Lui-même ne se
décourageait pas, comptant sur sa volonté patiente et le
cours des événements pour vaincre peuà peu l'obstination
des hommes (2).
t ) Mém., p. 139-140.
(i) Il esl impossible de déterminer la <l;i te précise de ces trois ten-
de Henri IV. Les papiers de Simancas ne fournissent aucune
indication. Nous croyons que ces négociations sont restées secrètes.
La première eul lieu « quelques jours après le 2 août », la deuxième
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 165
II
Ainsi, malgré les efforts de Villeroy, ces trois tentatives
de Henri IV avaient échoué, « toutes choses étant encore
trop émues ». Et, cependant, tout n'était pas perdu pour la
cause de la paix. Dans une de ces entrevues, Villeroy avait
appris la promesse du 4 août qui bientôt eut un grand re-
tentissement dans le public. La solennité de cet engage-
ment et les tentatives répétées du roi pour obtenir la paix
lui firent comprendre que Henri voulait fermement être roi
et qu'on ne devait pas désespérer de sa conversion. On
peut dire que, dès ce moment, Villeroy écarta les projets
chimériques de la Ligue et que dans son esprit se forma la
conviction qu'il devait exprimer trois mois après dans son
avertissement : le premier moyen, par lequel on peut re-
médier aux désordres du royaume est de composer avec le
roi de Navarre catholique.
Mais avant de formuler son programme anti-espagnol, il
fallait que Villeroy fût bien édifié sur les desseins de Phi-
lippe IL Or, l'occasion s'en présenta bientôt. Notons rapi-
dement les incidents qui, durant celte période d'accalmie
diplomatique, achevèrent l'évolution des sentiments de Vil-
« deux jours après » la première, la troisième se place entre le 12 et
le 19 août, car c'est pendant ce temps que le roi séjourna dans la ré-
gion de Clermont-en-Ileauvaisis.
-M. Poirsoo y fait une allusion vague et inexacte : « Henri IV ne
quitta pas Saint-Llloud sans essayer de nouer des négociations avec
.May.nne, par l'intermédiaire de Villeroy, pour arrêter l'effusion du
sang français et prévenir la totale subversion du royaume. Mais il offrit
vainement au chef de la Ligue, avec les garanties pour le maintien du
catholicisme, les gages d'un grand établissement et les concessions
compatibles avec la loi suprême de la monarchie qui l'appelait au
trône. Le duc persista dans ses projets d'usurpation, et n'accueillit
que par des faux-fuyants les patriotiques propositions et les franches
ouvertures du roi. Dès lors il ne fallait plus songer qu'à la guerre. »
{Histoire du règne de Henri IV, I, p. 41).
166 VILLEROY
leroy et déterminèrent la seconde tentative de négociations.
A la fin du mois d'août, les Espagnols, qui avaient an-
noncé de grands secours à la Ligue, commencèrent à faire
hardiment le siège de Mayenne et de son entourage. Jean-
nin était en Lorraine. Villeroy était le plus fort des con-
seillers du duc, et s'était montré si prudent jusqu'alors
qu'il n'était pas suspect à l'ambassadeur Mendoza. Celui-ci,
accoutumé à acheter des consciences dans le parti Lorrain,
crut sans doute qu'il séduirait facilement cet homme dis-
cret dont il connaissait la faiblesse pour les Guises. Men-
doza était plus porté qu'aucun autre à commettre une telle
erreur. C'était une nature ardente et impatiente qui man-
quait souvent son but, faute de tact et de prudence. Si nous
en croyons Villeroy, il brusqua les choses et découvrit à
son interlocuteur les desseins de son maître « plus claire-
ment qu'il n'avait fait au dit duc ni à autre » (1). Il est pro-
bable qu'il lui parla des prétentions du roi d'Espagne sur
les duchés de Bourgogne et de Bretagne (2). Cette révéla-
tion scandalisa le ministre qui, depuislongtemps,seméfiait
des Espagnols et exprimait à mots couverts, à ses corres-
pondants, ses inquiétudes sur les menées étrangères (3). Il
écrivait au duc de Nevers: « Si tous les catholiques étaient
bien unis, ils n'auraient pas besoin des forces étrangères.
Etant divisés ils deviendront la proie de leurs adversaires
tôt ou tard. » En août-septembre 1589, le danger lui parut
plus menaçant que jamais. Une cessa dès lors de le signaler
hautement : l'Espagnol était l'ennemi.
(1) Mém., p 140. Jusqu'en décembre, Mendoza ne se défiait pas
trop de Villeroy. Il se plaignait seulement de le trouver retors, dési-
reux d'obtenir pour la Ligue l'argent de l'Espagne sans donner de
compensation et accueillait avec scepticisme l'affirmation d'un Jésuite
sur la conduite « diabolique » de Villeroy qui aurait incliné à une
Mendoza à Philippe II. 30 octobre et 7 novembre, Pap. Simanc,
K. 1569, p. 144-152).
(2) Voïvl'Advis à Mayenne, Ed. Miel)., p. 229.
13) Villeroy à Nevers, 25 octobre 1589, F. Fr. 2997, i'° 312.
LE NEGOCIATEUR DES POLITIQUES
un
Villeroy commença par révéler le péril à Mayenne et le
supplia de lui permettre de se retirer. Le duc lui jura qu'il
ne consentirait jamais au démembrement du royaume, il
lui affirma (pie les intentions de Philippe* II n'étaient pas
celles que Mendoza lui avait rapportées, et lui prodigua
toutes sortes de bonnes paroles que Villeroy ne crut qu'à
moitié. Il resta néanmoins et consentit à suivre son chef
quand il partit pour la Normandie à la poursuite de ce roi
de Navarre qu'il promettait de ramener enchaîné (l"r sep-
tembre (1). Il avait une arrière-pensée: les hasards de la
guerre le rapprocheraient peut-être du sieur de Liancouri.
Quelques jours après, au siège de Gournay, il eut une
entrevue avec le commandeur Moreo nouvellement envoyé
d'Espagne. Comme ce dernier avait quitté l'Escurial avant
la mort de Henri III, il ne put que parler « en termes gé-
néraux » de l'intention de son maître. Villeroy néanmoins
s'aperçut vite qu'il « n'avait pas moins de fureur » que
Mendoza pour le roi d'Espagne (2).
Quand Mayenne arriva devant Dieppe, Villeroy obtint la
permission de voir M. de Liancourt, après avoir fortement
insisté auprès de Mayenne, qui, sûr de vaincre avec une
armée trois fois supérieure à celle du roi, ne voulait pas
entendre parler de paix. Quelle ne fut pas la déception de
\ illeroy quand, après avoir gagné sa cause avec peine dans
son parti, il se vit poliment éconduit par les royalistes! Un
obstacle non prévu arrêtait tout : la défiance soudaine de
Henri de Navarre, qui venait d'être prévenu contre Villeroy
par des lettres interceptées de Mendoza. L'ambassadeur
espagnol, soit qu'il voulut compromettre Villeroy, soit qu'il
fi) Le roi n'ayant pas assez de forces pour attaquer Paris, se retira
en Normandie, à portée de la place de Dieppe et des secours anglais
(8 août). Mayenne l'y suivit, le L« septembre, s'avança lentement par
Gournay et Neufchàtel et se logea entre Arques et Dieppe. Il battit en
retraite après les combats d'Arqués (21-26 sept.).
(2) Mém... p. 143.
168 VILLEROY
eût été trompé par son langage poli, parlait sans cesse à
son maître de l'ancien ministre de Henri III comme d'un
allié probable (1). Les antiligueurs acharnés du camp de
Henri IV s'empressèrent de renchérir et n'eurent pas de
peine à faire croire au roi que Villeroy était un bon Espa-
gnol. Une lettre du ministre à Mendoza mal interprétée
acheva de tout gâter. Villeroy se plaignait de ce que
La Mothe n'était venu de Gravelines, au secours de la
Ligue qui l'attendait. En dépit des apparences, ce n'était
pas la lettre d'un traître. Les Espagnols, au mois de
septembre, au dieu de secourir Mayenne, essayaient de
surprendre, avec les forces commandées par La Mothe, la
ville de Cambrai sur Balagny. En essayant de les faire venir
auprèsde Mayenne, Villeroy empêchait ses dangereux alliés
de « dissiper l'Etat, » il conjurait ainsi un plus grand mal.
Telle est l'explication qu'il nous donne dans son Apologie.
On conçoit donc que, dans les négociations qui recom-
mencèrent à la fin de septembre, Villeroy ne fut pas choisi
comme intermédiaire. Henri IV, après les combats victo-
rieux d'Arqués (21-26 septembre), envoya un ligueur pri-
sonnier, le sieur de Belin, auprès de Mayenne pour lui
proposer la paix. Une telle tentative nous étonne au pre-
mier abord, car, dans ces luttes compliquées de la fin de
la Ligue, nous verrons presque toujours le vaincu parler
le premier de conciliation. En réalité, l'initiative venait des
royaux catholiques, de plus en plus mécontents de leurs
alliés les huguenots. Ils avaient la bonne fortune de ren-
contrer parmi leurs prisonniers l'ancien gouverneur de
Calais, le futur gouverneur de Paris pour Mayenne, un
ligueur très peu convaincu qui devait être un des plus
utiles alliés des politiques. Ils chargèrent Belin de prier
(1 i Voir Recueil sommaire des principaux points contenus en plu-
sieurs lettres écrites en chiffre par les ennemis du roi en septembre et
octobre (Cinq-cents Colbert, 33, p. 296). Ce recueil contient 12 points,
le cinquième concerne Villeroy.
I
LE NÉGOCIATEUR DES POL1TIOUES 169
Mayenne de se joindre à eux, pour engager le roi à se con-
vertir et pour traiter avec lui. Le roi dut autoriser ces dé-
marches. Dans le conseil du duc, on délibéra sur cette
proposition, que Villeroy défendit naturellement avec éner-
gie. Mais il ne put triompher des arguments qu'on devait
leur opposer si souvent dans la suite : le lieutenant-général,
chef de parti, ne pouvait rien décider sans le consentement
du pape, des prélats, des villes et communautés et des prin-
ces étrangers qui le secouraient. Belin dut repartir pour le
camp royal, porteur d'un refus courtois. Six semaines après,
Henri IV le renvoya de nouveau à Mayenne : cette fois la
situation était changée. Après la tentative de la Toussaint
sur Paris qui faillit être surpris, le roi de Navarre avait dû
se replier vers la Touraine pour y prendre ses quartiers
d'hiver (1). C'est dans les premiers jours de sa retraite
qu'il fit parler de paix à Mayenne, qui, sous la surveillance
de la Ligue, et clans l'exaltation générale du succès, re-
poussa toute avance.
Ainsi échouèrent, malgré Villeroy, les missions confiées
à Belin. Aucun historien du temps ne les a notées. Elles ne
furent d'aucune efficacité immédiate pour la paix. Mais, par
elle, se fortifièrent les relations entre catholiques royaux
et politiques ligueurs. On sait combien fut décisive, dans
l'œuvre de conciliation générale, l'union de ces deux forces.
Les deux missions de Belin (septembre 89) terminent
une première période de négociations que les trois tenta-
tives de conversations entre la Marsillière, puis Liancourt,
et Villeroy, avaient inaugurée au mois d'août. Les deux
(1) Le roi, pendant la retraite de Mayenne, voulut emporter Paris
par un coup de force. Le 1er novembre, il attaqua les faubourgs de la
rive gauche. L'arrivée de Mayenne l'obligea à décamper le 3 novembre.
11 alla reprendre Etampes, puis renvoya Longueville en Picardie, Givry
dans la Brie et emmena le reste de ses troupes en Touraine.
170 VILLEROY
adversaires se sont tâtés d'abord sans intention sérieuse.
Les choses sont encore « trop émues ». Le roi de Navarre
a agi surtout par condescendance forcée pour les catho-
liques de son année, et Mayenne pour céder aux sollicita-
tions de Villeroy. Jusqu'au mois de mars de l'année sui-
vante, tous rapports diplomatiques furent suspendus entre
les deux partis. Mais ce ne fut point du temps perdu pour
les amis de la paix, les « bons Français » qui étaient au
camp de l'Union. Ils luttèrent victorieusement contre les
prétentions espagnoles au « protectorat catholique ». J.-B.
de Tassis, conseiller de Philippe II aux Pays-Bas, était arrivé
en décembre auprès de Mayenne, avec Moreo, porteur de
grosses sommes et chargé de régler définitivement la na-
ture du concours que les Français attendaient du roi
d'Espagne. Ils venaient proposer de le faire nommer pro-
tecteur du royaume, tandis que le cardinal de Bourbon en
restait le souverain légitime. Philippe II accepterait des
conditions garantissant certaines franchises nationales.
Une conférence s'ouvrit entre Français et Espagnols.
Mayenne choisit comme ses représentants à la conférence
trois ligueurs exaltés : le président Vêtus, La Chapelle-
Marteau et Christophe de Bassompierre, ambassadeur du
duc de Lorraine, «l'Escouffle delaLigue », et trois modérés,
Jeannin, Villeroy et d'Epinac, nouvellement délivré de sa
prison, personnage intéressé et indécis, mais qui commen-
çait à subir l'influence de Villeroy. C'étaient, dit P. Cayet,
« les âmes françaises qui étaient encore dans le parti de
l'Union » (1). Elles jugèrent que tout cela n'était qu'une
dangereuse intrigue espagnole. Philippe II ne respecterait
certainement pas sa foi. De simple protecteur, il ne tarderait
pas à devenir, par ses armées, le maître absolu du pays.
(1) P. Cayet, Chron. nov., p. 189 et suiv. P. Cayet a emprunté son
récit à la Suite du Manant dont une partie a été insérée par l'Estoile
dans son Registre-Journal. Voir aussi le résumé de la discussion dans
Richard, Pierre d'Epinac, p. 368-369.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 171
Jeannin et Villeroy adopté reni pour tactique de ne rien pro-
mettre, elde ne rienrefuserpositivement. Ils firent d'abord
observer que le Parlement n'approuverait jamais une con-
vention avec un prince étranger et qu'il fallait attendre les
Elals convoqués par Mayenne pour le 1er février. Sur de
nouvelles instances, ils acceptèrent, en principe, le protec-
torat, à condition que le roi d'Espagne garantirait l'inté-
grité territoriale de la monarchie. Ils eurent la bonne idé e
de chercher à mettre le pape de leur côté en demandant
qu'il fût proclamé conjointement avec Philippe II protec-
teur des catholiques. Cette condition entraînait la nécessité
d'attendre le légat que le pape Sixte V devait envoyer.
Mais à son arrivée à Paris le légat Gaetano mis au courant
de la situation déclara aux Espagnols que la prétention de
leur maître causerait la perte du royaume. Les Français,
disait-il, préféraient traiter avec le roi de Navarre que se sou-
mettre à l'Espagne. Il ajouta que ce n'était pas le moment
de lui susciter des difficultés il). Malgré sa sympathie
pour le roi catholique, Gaetano ne pouvait faire autrement
qu'appuyer des Français si déférents pour l'autorité
pontificale. Ainsi il inaugura par cet acte de sagesse la
mission à lui confiée par un pape qu'on a appelé politique
et qui était un pape religieux d'une grande intelligence,
ayant en politique le souci de la légitimité. Ce pontife avait
bien reçu le duc de Luxembourg envoyé par les catholiques
royaux, il se préoccupait de ne pas mécontenter ceux qui
avaient reconnu le roi de Navarre, et de ne pas froisser le
sentiment national des Français.
Ainsi au début de 1590, le danger fut écarté par l'habileté
de Villeroy, de Jeannin et de leurs amis qui avaient su
temporiser et faire servir à leurs fins la diplomatie du
légat. Villeroy fut considéré par les ambassadeurs de Phi-
lippe II et les Français de la Ligue Espagnole comme le
(1) L"Epinois, La Ligue et les papes, p. 382.
172 VILLEROY
véritable auteur de leur défaite. D"Epinac avait présidé les
débats sans trop se compromettre, selon son habitude.
Jeannin s'était montré timide en paroles. Villeroy seul avait
témoigné une fermeté persévérante (1).
Pour les Espagnols furieux de leur échec il fut le bouc
émissaire. Ils entamèrent contre lui une campagne de dé-
nonciations. Ils le représentèrent comme un mauvais catho-
lique et poussèrent Mayenne à se défaire de lui (2). Ils
furent aidés par les Seize, les prédicateurs et les jésuites.
Un jour même, le provincial des Jésuites, Odet Pigenat,
« porta la parole au duc de Mayenne » au nom des enne-
mis coalisés de son conseiller, « et lui dit beaucoup de
choses contre M. de Villeroy qu'il traita de courtisan sans
religion ». Le duc lui aurait répondu : « Mon père, je ne
crois pas cela, je me fie en lui » ; selon d'autres : « Il m'a
promis courre ma fortune ». «Le Jésuite, ajoute P. Cayet,
étonné de cette réponse, se retira assez mécontent (3). »
Cette grave question du protectorat espagnol avait eu dans
le public un grand retentissement. De nombreux libelles
pour et contre parurent à la fin de 89 et au commencement
de 90(4). Le plus célèbre deces écrits futl' «Advis deM. de
(1) Pap. Simanc, K. 1569, i'o 201. Dép. de Mendoza, 30 déc. 1589.
Dép. de Moreo, Ie1' janvier 90.
(2) Déjà dans la lettre de Mendoza du 7 novembre on voit que l'am-
bassadeur recommande à son gouvernement de faire changer le chiffre
des correspondances, car Villeroy faisait déchiffrer les lettres du duc
de Parme (K. 1569, p. 153). Le 20 janvier 90, Epinac, Villeroy et
Gondi sont soupçonnés de négocier secrètement (Ibid.,K. 1571, p. 11).
(3) La Suite du Manant ajoute : « La Ligue depuis a voulu inter-
préter ce mot: // m'a promis de courre ?na fortune, comme s'il eût
été d'une double entente, et que le sieur de Villeroy n'entendait courir
même fortune que M de Mayenne, mais courir contre la fortune dudit
duc et le ruiner ; et que l'entente en était au diseur. »
(i) Les arguments des Espagnols et des anti-espagnols sont résumés
dans une brochure qui se trouve dans les Pap. Simanc. (K.1569. fo 26).
« Incommodités que certains disent pouvoir advenir si on appelle l'Es-
pagnol comme protecteur de notre Roy et royaume avec les responses
aux dictes incommodités. »
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 173
Villeroy à M. le duc de Mayenne, publié à Paris aprèsla mort
du roi, sur la fin de l'an 1589 ». Il fut composé au moment
où l'on ignorait encore comment serait résolu le problème
du protectorat. On attendait le légat et l'on se demandait
avec angoisse s'il serait ami des Espagnols et fauteur de
troubles, ou représentant impartial du père commun des
chrétiens. Villeroy faisait appel à tous les modérés, à son
ami Bellièvre, qui voulait rester neutre dans sa maison de
Grignon, au cardinal de Gondi, évêque de Paris, qui rési-
dait à Noisy parce qu'il était suspect aux Seize (1). 11 leur
taisait part de ses craintes, suppliait révoque de se rendre
à Paris et de parler au Légat, afin de le disposer à recher-
cher les moyens de pacifier le royaume. Il eut même, dans
un moment de découragement, l'intention de se retirer
dans sa maison.
C'est dans ces circonstances difficiles qu'il composa son
avis, l'envoya à Mayenne qui se trouvait au siège de Pon-
loise (2) et le répandit secrètement dans Paris, sans le faire
imprimer. Pierre de l'Estoile, bourgeois sensé, ami de
l'ordre, détestant mortellement ces assassins de Seize, ces
enragés de prédicateurs et ces « chiens d'Espagnols »,
trouva le discours « beau, digne d'être recueilli et qui sent
bien l'esprit de M. de Villeroy » (3).
Le conseiller de Mayenne commençait par exposer nette-
ment les trois moyens par lesquels « on pouvait remédier
aux désordres du royaume » : 1° « Composer avec le roi de
Navarre » ; 2° « réunir tous les catholiques pour s'opposer
(1) Voir F. Fr. 15.909. fo 282, deux billets de Villeroy et de Gondi à
Bellièvre pour solliciter de lui une entrevue afin de s'entretenir des af-
faires publiques.
(2) Les Parisiens avaient prié le duc de leur « tirer trois espines
qu'il- avaient aux pieds » : Vincennes, Pontoise et Meulan. Il pritYin-
cennes, puis Pontoise après 17 jours de siège (a janvier), et échoua à
Meulan d'où le roi le délogea le 3 mars.
(3) L'Estoile, t. V, p. 13.
174 V ILLEROY
ensemble à son établissement, sous 1 reconnaissance et
obéissance d'un prince du sang nommé et élu régent du
royaume durant la prison de M. le cardinal de Bourbon...»;
3° « se jeter entre les bras du roi d'Espagne et lui donner
telle part et autorité en ce royaume qu'il ait occasion de ne
rien épargner pour nous protéger et garantir » (1).
Il est évident que la voie la plus utile au public, la plus
courte et la plus sûre est de traiter avec le roi de Navarre,
s'il se fait catholique. C'est l'article essentiel du programme
des bons Français. Villeroy s'étend complaisamment sur
les avantages de paix, d'honneur et de bonheur public
qui en résulteraient pour la France. C'est le rêve, l'idée
fixe commune à tous ses discours, à toutes ses lettres durant
ces années troublées. Ah ! si le roi de Navarre acceptait de
se réconcilier avec l'Eglise ! Ce serait le salut du royaume,
le bien de la chrétienté, l'avantage particulier du duc de
Mayenne. Le ministre prévoyant a composé d'avance tout
le plan d'action méthodique qui ramènerait l'ordre.
1° Il sera d'abord nécessaire d'avertir le pape qui seul peut
ouvrir les portes de l'Eglise au roi de Navarre ; il sera raison-
nable aussi d'avertir le roi d'Espagne quia obligé les catho-
liques et, pour obtenir sa bienveillance, on lui fera quelques
concessions peu coûteuses, en Navarre ou aux Pays-Bas,
on s'engagera à ne pas soutenir son ennemie la reine d'An-
gleterre.
2° « Les devoirs accomplis » on enverra quelque per-
sonne de qualité vers le roi de Navarre et cette ambas-
sade ne devra pas rester secrète. On obtiendra une cessa-
tion d'armes pour six mois, et la convocation des Etats
avec promesse de suivre leurs résolutions.
3° On fera jurer au roi de Navarre d'accorder aux catho-
lique s certaines garanties. Eux seuls seront nommés aux
H) Mém., p. 223.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 173
offices de la couronne ; le? villes de l'Union ne recevront
pas de garnisons; le Concile de Trente sera observé.
4° La conduite à tenir à l'égard des huguenots n'est pas
nettement indiquée : mais nous devinons que Villerov, peu
fanatique, est disposé à leur accorder une manière de petit
Edit de Nantes, sans faveurs exagérées : d'ailleurs ne pré-
voil-il pas, à la fin de tout, ce qui fut le mirage des hommes
du xvi" siècle : le Concile universel qui réunira à l'Eglise
ceux qui en sont séparés ?
.Mais si le roi refuse de se convertir? — Alors on recourra
au second moyen, car donner à la France un roi protes-
tant serait outrager Dieu. Il faudra faire un grand effort,
gagner les catholiques royalistes en donnant conten-
tement au cardinal de Vendôme, au comte de Soissons,
gagner les catholiques hésitants et les opposer, sous la
direction de Mayenne, au Béarnais, huguenot. Mais, cette
fois, nul enthousiasme chez Villerov pour ce ralliement
des catholiques. Les difficultés qu'il prévoit sont presque
insurmontables. Deux surtout l'effrayent: les terribles ja-
lousies des princes catholiques à l'égard des Lorrains, et
l'opposition du roi d'Espagne. Vendôme, Soissons et les
autres princes catholiques voudront-ils abandonner le roi
de Navarre ? Le roi d'Espagne ne nous fera-t-il pas payer
une assistance nécessaire par un changement d'Etat ou un
démembrement, du royaume ?
Nous arrivons ainsi au troisième moyen : se jeter dans
lf- bras du roi d'Espagne. La conscience de Villeroy se
révolte contre un tel abaissement de notre honneur fran-
çais. Il abandonne les longs développements : c'est en
quelques lignes fermes et cinglantes qu'il flétrit cette
honte. « Ce serait ouvertement enfreindre nos lois, et
par trop offenser notre honneur et devoir ». Ce serait
nous précipiter « sous la puissance d'une nation très con-
traire à la nôtre en mœurs et façons de vivre ... < > serait
compter sur un peuple « dont les ressources ne sont pas
170 YILLEROY
infinies », et entrer en conflit avec le pape et les antres
princes qui sont jaloux de l'Espagne. Ce serait lutter contre
la nation française elle-même, car ni la noblesse, ni les ec-
clésiastiques, ni les Etats, n'accepteraient la domination
étrangère. « Si la France a résisté autrefois à toutes les
puissances et forces de toute la chrétienté ensemble,
comme elle a fait, sans qu'elle ait rien gagné sur icelle. à
présent qu'elle regorge de gens de guerre, qu'elle serait
assistée cle ses voisins, qu'il n'y a bon Français qui ne
voulût avoir acheté chèrement une guerre étrangère, pour
se délivrer de l'intestine. Je vous laisse à penser si nous
aurions le moyen de nous défendre desdits Princes [de
Savoie et de Lorraine joints audit roi d'Espagne. »
Et Villeroy terminait ainsi son avis : « Au moyen de quoi
je conclus qu'il serait plus expédient et utile de traiter avec
le dit roi de Navarre aux conditions susdites, pourvu que
le Pape et le Saint-Siège s'y accordent, que de suivre toute
autre voie, puisque par un tel moyen vous délivreriez du
tout le royaume de la guerre avec moins de hasard et péril
pour la religion catholique, laquelle je prie Dieu vous faire
la grâce de défendre et conserver à son honneur et gloire,
et au salut du royaume ».
Tel était, à la fin de cette année tragique de 1589,1e pro-
gramme tles « hommes de paix » (1) formulé par Villeroy
avec une admirable netteté. Le conseiller de Mayenne se
sentait soutenuparun fort parti d'honnêtes gens, bourgeois
intelligents, parlementaires, officiers royaux. Il essayait de
rallier tous les modérés, faisait appel à son ami Bellièvre.
l'ancien surintendant des finances disgracié comme lui et à
qui l'apologie est dédiée, au cardinal de Gondi, évèque de
Paris, qui résidait à Noisy parce qu'il était suspect aux
Sei/e.
D'autres personnages, après Villeroy, prirent la plume
(1) Suivant l'expression usuelle de l'Estoïle.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 177
pour exhorter les Français à rétablir une autorité souve-
raine et pacificatrice. Au milieu de 1590, le duc de Nevers
écrivit son Traité de la prise d'armes qu'il fit tirer à trente
exemplaires pour le roi et son entourage (1). Comme Ville-
roy, il déclarait que le salut du pays était dans la conversion
du roi. Gui Coquille publia en février 1590 un Dialogue sur
les causes des misères de la France, qui, par des voies plus
entortillées et sous des formules plus prudentes, exprimait
en conclusion une idée analogue (2). Un des morceaux po-
litiques les plus retentissants de l'époque fut la Considéra-
tion destroubles elle juste moyende les apaiser, d'un certain
Pierre Ayrault, juge au présidial d'Angers, qui en un langage
énergique et émouvant, suppliait la nation de reconnaître
son roi sans condition, et le roi de se soumettre au vœu de
son peuple en se faisant catholique. Cette œuvre eut tant
de succèsque le huguenot DuFay, qui avail déjà publîéaprès
les Barricades un excellent discours sur l'état présent de la
France, en écrivit un second pour empêcher les factums de
Pierre Ayrault et autres d' « esmouvoir les peuples » (3).
Cependant, Mayenne avait reçu Yadvis et répondu poli-
ment à Yilleroy : « Le dit Duc, nous dit le ministre, m'écrivit
avoir pris en bonne part mon écrit... néanmoins le dit Duc
prit autre conseil (4). » Le légat, qui l'avait lu aussi, n'en
tint aucun compte, et bientôt parut favoriser les Espagnols.
Celle attitude sembla décourager un moment Yilleroy qui
(li Mémoires de Nevers, t. Il, p. 85 et suiv. 11 a été rédigé après la
bataille d'ivry.
(2) Œuvres posthumes excellens et curieux de M. Gui Coquille,
1650, i ni .
(3) Quatre excellents discours sur l'estat présent de la Fiance, s. I.
1593. Ce discours a été en partie reproduit dans les Mém. de la Ligue,
t. IV, p. 700 et suiv. — Les Considérations dé P Ayrault, qui ont
paru en 1591 à Angers se trouvent dans un certain n bre de mss.de
la Bibl. Nat. (F. Fr. 3997, 15.591, etc.). Voir Radouant, Guillaume du
Voir, p. 292-295.
(4) Mem., p. 147.
Villeroy 12
478 VILLEROY
songea à se retirer des affaires. Il n'accepta pas la provision
de Conseiller du duc qu'on lui envoya et refusa de prêter
le serment que d'Epinac demandait aux membres du
Conseil. Cependant il ne faudrait pas croire à des découra-
gements complets chez un homme de sang-froid comme
Villeroy. Les projets de retraite — que nous verrons se
renouveler — lui étaient un peu imposés par le rôle de né-
gociateur qu'il s'était fixé. Pour conserver la sympathie des
royaux, il devait s'abstenir de servir la Ligue quand elle
s'éloignait trop ouvertement de la voie de conciliation qu'il
lui avait tracée. Il n'avait d'ailleurs nullement l'intention de
« jeter le manche après la cognée ». Il savait très bien que
le duc, comme tous les indécis, ne pouvait se passer de
l'assistance d'aucun de ses amis. Et puis, il comptait bien
ne pas rester inactif dans sa retraite. Il avait demandé à
Gondi de lui procurerun passeportdu roi qui lui permettrait
au besoin « d'attacher » comme de lui-même, une négo-
ciation.
Mais, en ce moisdejanvier 90, il dut, nous dit-il, retarder
l'exécution de ses projets de retraite, pour secourir à Paris
un ami en danger. Le président Potier de Blancmesnil, un
de ces hommes que l'Estoile appelle « bons bourgeois, bons
chrétiens et bons serviteurs du roi » (1), depuis longtemps
surveillé par les Seize comme suspect d'attachement au
Béarnais, fut emprisonné au mois de novembre 8'J parce
(1) L'Estoile, V, -48. Le président était le frère de Louis Potier,
sieur de Gesvres, qui avait travaillé dans les bureaux de Villeroy et avait
:té fait secrétaire d'Etat en l-'i8'J. Du Vair s'est attribué le mérite
d'avoir sauvé Blancmesnil. Il « lui lit office de bon parrain, car sans
lui, il était perdu ». nous disent les Anecdotes de l'histoire de France
■il 1rs wi1, et xvne siècles tirées de la bouche de M. le (larde des
• Du Vair et autres (p.p. Lud. Lalanne.à la suite des Mémoires
de Marguerite de Valois, 1858, in-8, p. 240). Machault, l'un des Seize
qui avait eu l'initiative de la poursuite, finit par abandonner l'instruc-
tion et s'excusa devant le Parlement. Voir la relation de Brulart, F. IV.
173). Sur le rôle de du Vair, voir Radouant, Guillaume du
Vair, p. 217.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 179
que durant l'assaut des faubourgs « ou avait vu sou visage
plus riant que de coutume ». Il avait aussi dit en parlant
du Béarnais : leRoi sans ajouter de Navarre. Des bourgeois
modérés comme lui, les sires Blanchet et Leroux, un huis-
sier des comptes, Rafelin furent pendus et étranglés. Ville-
roy resta près de Mayenne et, après deux ou trois mois d'ef-
forts, parvint à empêcher les Seize d'exécuter un homme qui
était au Parlement un des auxiliaires de sa politique. Le
président délivré, Villeroy songea de nouveau à la retraite.
Mayenne avait reçu des renforts de Flandre. La guerre
seule était à l'ordre du jour. Un négociateur était inutile.
Il allait monter à cheval, le 15 mars au matin, quand
d'Epinac le manda chez lui pour lui apprendre la perte de
la bataille d'Ivry (14 mars 90) (1). Il resta par un sentiment
d'honneur bien naturel, pour ne point paraître abandonner
son parti malheureux. 11 resta aussi, parce que le< défaites
assagissent les chefs de parti, et qu'il crut l'occasion venue
de faire en faveur de la paix une nouvelle tentative.
III
Les négociations ne furent point engagées parla volonté
d'un lieutenant-général découragé. Bien au contraire, à
cette heure critique, la Ligue manifesta une grande acti-
vité belliqueuse. Quand Mayenne, après sa défaite, vint à
Saint-Denis, les notabilités du parti résolurent de conti-
nuer la lutte et concertèrent un plan de résistance I lhacun
eut son rôle déterminé. Mayenne resta le chef militaire,
(1) Pendant l'hiver, le roi avait chassé les ligueurs de laTouraine et
de toute la Normandie où ils ne gardèrent que Rouen. Le 28 février il
vint mettre le siège devant Dreux. Mayenne, qui avait reçu les renforts
du due de Parme, marcha à sa rencontre au début de mars, accepta la
bataille en face d'Ivry avec des forces supérieures et fut battu (14
mais).
180 VILLEROY
organisateur do la revanche ; Mendoza fut chargé de deman-
der des secours à Philippe II ; Epinac aida à la défense
de Paris sous les ordres du gouverneur Nemours; Villeroy
n'eut aucune mission spéciale. Il resta près du duc, guet-
tant l'occasion favorable pour parler de paix.
Elle ne se fit pas attendre. Les négociations commen-
cèrent bientôt d'une manière fortuite et pour des motifs
complexes. Cinq jours après le départ de Mayenne pour
Soissons, Villeroy recul de Gondi un passeport du roi
pour aller à Noisy et à Mantes. C'était le passeport que le
cardinal avait obtenu avant la bataille pour son ami et
qu'il jugeait à propos de lui envoyer pour qu'il vît ce qu'on
pouvait faire pour la paix. Villeroy estima que s'il parlait
au roi de paix, contrairement aux intentions de Mayenne,
il se ferait « moquer de lui <> (1 1. îl promit cependant au
cardinal de voir un des amis du roi.Duplessis-Mornay, dont
le frère, le sieur de Buhy, possédait des terres dans le
Vexin français, et même avait des prétentions sur Pontoise
qu'il avait déjà commandée pour le service du roi (2). Les
apparences étaient ainsi sauvées. En cas d'insuccès, Ville-
roy pouvait répondre : j'ai conféré avec un voisin et ami de
mes affaires particulières ; nous avons beaucoup d'intérêts
communs dans la région: j'ai profilé de cette circonstance
pour causer avec lui des affaires publiques et pour sonder
les intentions du parti royaliste. Cela n'engage aucun des
deux partis.
Ces précautions prises, Villeroy alla trouver Duplessis à
Soindres, près de Mantes, le 26 mars. Le roi avaitaccordé
assez facilement à son ami huguenot la permission de voir
le conseiller de Mayenne. Celle condescendance s'explique
par les deux raisons qui, plus d'une l'ois, inclinèrent le Béar-
nais aux négociations. La première était la pénurie où le roi
(1) Mém., p. 149.
(2) Voir Le Charpentier : La Ligue à Pontoise. Paris., 1879, in 8°.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 181
se trouvait malgré sa victoire ; il n'y avait plus d'argent. Les
Suisses qui n'étaient pas payés se soulevaient. Les hugue-
nots accusaient les catholiques de susciter au roi des obs-
tacles pour l'empêcher de profiter de sa victoire (1). Le roi
dut rester quinze jours à Mantes dans l'inaction, pour
trouver quelques milliers déçus (2). La seconde était l'op-
position sourde des catholiques royaux. Ce que Sully qua-
lifie t< la malice de telles gens » était l'attitude inquiète et
hargneuse d'un parti qui ne s'était soumis au Navarrais, qu'à
condition qu'il se ferait instruire dans l'intervalle de six
mois : ils le lui rappelaient le plus souvent possible, et ne
voulaient point perdre tout contact avec les catholiques de
l'autre parti. Voilà pourquoi le roi dut permettre l'entrevue
de Biron et du légat (26 mars), et l'entrevue de Villeroy et
de Duplessis (3).
Villeroy allait se mesurer avec un des ennemis irrécon-
ciliables de l'Union catholique. A cet homme profondément
sincère et désintéressé, Villeroy devait dire, sans détours,
la vérité. Aussi, dès le début, très franchement, il lui exposa
le péril espagnol et l'impossibilité pour le roi de Navarre
d'être maître de la France divisée et à demi ruinée, s'il ne se
faisait pas catholique. La réponse de Mornay fut aussi caté-
gorique. Avant de traiter la question de la conversion, il fallait
dit-il, se soumettre au roi légitime des Français. Il enga-
gea le ministre à suivre l'exemple de tant de catholiques
qui se fiaient en ce roi loyal, vaillant et bon, à se séparer
du duc et de son parti, et enfin, à prier son filsd'Alincourt,
gouverneur de Pontoise, de remettre cette ville au roi. Ces
derniers mots firent bondir Villeroy. Il répondit qu'il ferait
(1) Sully, Ec. Roy., p. 80.
(2) Lettres missives. U\. p. 184.
(3) Mémoires de M,ne de Mornay, I, p. 1 ï» 4 et suiv. Les Mémoires et
correspondances de Duplessis-Mornay, si précieux pour l'histoire des
négociations de mars 1592, ne contiennent aucune lettre relative aux
entrevues de mars 1590.
\ 82 VILLEROV
volontiers pari au due des intentions conciliantes du roi,
mais qu'il lui était impossible d'inviter son fil- à céder une
ville qui lui avait été donnée en garde. Ce serait une for-
faiture.
Quelles étaient les intentions réelles de Mornay en
réclamant Pontoise avec celle insistance qui choquait Vil-
leroy ? Agissait-il — comme Villeroyest disposé à le croire
— dans l'intérêt de son frère Buhy qui convoitait cette
place ? Cela ne nous étonnerait pas beaucoup à cette
époque de la Ligue où, dans les âmes les plus fières. les
intérêts particuliers s'enchevêtraient avec les plus hautes
questions de principes. Il est cependant plus probable que
le caractère droit, ferme et entier de celui qui fut appelé
le pape des huguenots, et n'avait de commun avec Yilleroy
que la haine de l'Espagne et le culte de l'autorité royale,
ne put goûter les apparences équivoques de la politique
souple et réaliste de ce dernier.
Villeroy, malgré sa déception, résolut de s'acquitter de
son devoir. Mais avant de s'adresser à Mayenne, il de-
mandal'avis de Gondi, le premier auteur delà négociation,
des trois princesses de Lorraine et de l'archevêque de
Lyon, qui auraient pu combattre son influence auprès '/lu
lieutenant-général. Heureusement ils se montrèrent bien
disposés. Entre la bataille d'Ivry et le blocus de Paris, il
s écoula quelques semaines où le vent fut aux négocia-
tions. L'ondoyant Epinac était alors dans un accès de
mauvaise humeur contre les Espagnols. La duchesse
de Nemours disait qu'elle ne voulait pas que ses fils
allassent mendier leur pain en Espagne. On criait :
\ ive le Pioi ! » sur la place Maubert. Italiens et Espa-
gnols étaient inquiets de ce retour d'opinion, qu'ils signa-
laient à leurs gouvernements comme une maladie dont les
plus notables personnages étaient infestés.
Ce n'est point une maladie de ce genre qui avait frappé
le légat, malgré le blâme dont il fut l'objet de la part de
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 183
ses amis les ligueurs exailés, quand il demanda une entre-
vue à Biron. Gaetano était arrivé en France, porteur d'ins-
tructions modérées, pour représenter un pape à qui les
ligueurs exaltés étaient peu sympathiques, parce qu'ils
cachaient sous leur fanatisme trop d'arrièreqx'iisées poli-
tiques, et contestaient le principe de légitimité pour lequel
Sixte<)uint professait tant de respect. Mais au lieu de
suivre une voie prudente, le légat s'était fait vite circon-
venir par les Espagnols, et il n'allait pas tarder à se mon-
trer l'ennemi acharné du Béarnais. Quand il demanda à
voir, dans la maison du cardinal de Gondi, le capitaine ca-
tholique qui partageait avec tant de gloire la fortune de
son maître huguenot, c'était pour tenter solennellement
de le détacher, lui et ses compagnons, du parti protestant.
Se fit-il quelque illusion sur la réussite de son entreprise ?
Jugea-t-il quand même qu'il était de son devoir de rappeler
à l'idée de leur salut éternel des gens qui se perdaient en
compagnie de l'hérétique ? Quoi qu'il en soit, Biron, avec
son entêtement respectueux, sut lui répondre que ni lui,
ni ses amis ne se sépareraient de leur roi légitime (1). Au
sujet de la conversion du roi, il mit en avant les arguments
ordinaires : Henri avait promis de se faire instruire ; il ne
fallait pas le pousser l'épée dans les reins, etc. Après beau-
coup de politesses réciproques, on se quitta, sans aucun
résultat pour la cause de la paix (2).
Villeroy, avec Gondi et les prélats italiens de la suite «lu
Légat, avait assisté, comme simple témoin, à l'entrevue de
Noisy qu'il jugea dans ses Mémoires absolument inutile. Il
alla trouver Mayenne au commencement d'avril. !1 lui lit sur
sa négociation avec Duplessis un rapport qu'il" dora » le
(1) Dép. de Mocenigo, 7 avril 1590, F. Ital. 1739, I" 11.
(2) Voir dans l'Epinois, /.'/ Ligue, et les papes, les détails de cette
entrevue. Voir aussi Manfroni, La legacione del cardinale Gaetani in
Fronda, 1589-1590, in-8°. L893.
184 VILLEB.OY
plus possible. Leduc, qui était l'incertitude même, hésita
d'abord, toujours par crainte des Espagnols. Puis il se dit
qu'en somme il était préférable, sans les offenser, de les
inquiéter assez pour qu'ils donnassent les secours promis.
Et comme il voyait le roi, déjà maître de Corbeil, Mantes et
Melun, hâter l'investissement de Paris, il pensa que laisser
commencer un semblant de négociation serait peut-être un
moyen « d'endormir le roi de l'espérance d'un accord » (1).
A la même époque, il écrivait à Mendoza de ne pas prendre
ombrage de quelques propos tenus par Villeroysur la paix
et d'être assuré qu'il ne traiterait pas avec le roi de Navarre.
« Monsieur, lui écrivait-il, je vous ai dit plusieurs fois... que
je n'entrerai jamais en aucun traité avec le roi de Navarre
que ce ne fut par avis et commandement du roi d'Espagne...
Ce serait lâcheté d'y entendre et le vrai moyen de ruiner
les affaires de la religion. Néanmoins, je veux bien vous
avertir, Monsieur, de quelques propos que M. de Villeroy
m'a tenu à ce sujet pour que vous n'en preniez nul ombrage
el que vous croyez que je suis homme de bien qui, pour
chose du monde, ne ferai jamais rien qui soit contraire à
la promesse que j'ai donnée... (2): »
Cette nouvelle négociation était donc condamnée à un
échec certain. Mayenne avait imaginé un expédient pour
inquiéter les Espagnols et amuser le roi. Les termes très
\ agues dans lesquels était conçue la mission de Villeroy et
l'obligation de la tenir secrète prouvaient son manque de
sincérité. On ne fera de bons progrès dans la voie des ac-
commodements que lorsque les deux adversaires précise-
ront les conditions de paix et traiteront au grand jour. Vil-
leroy ne se taisait pas d'illusion sur les desseins de Mayenne;
mais il se prêtait volontiers à ce rôle de demi-dupe, espé-
rant qu'un peu de bien sortirait de ces intrigues.
(1) Mém., p. 152.
(2) Mayenne à Mendoza, 3 avril 1590, Pap. Simanc, K. 1571, p 70.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 185
11 n'avait pas tort de croire que parler beaucoup de paix
mène à la paix. La preuve en était dans la suspicion de plus
en plus grande dont il était l'objet. Le 6 avril, Mendoza enga-
geait Mayenne à confier le soin des négociations à sa mère
et à l'archevêque de Lyon (1). Des villes s'étaient émues. Les
habitants d'Amiens, apprenant que Villeroy traitait de la
paix, envoyaient au lieutenant général des délégués pour
lui dire publiquement que s'il faisait accord ou trêve avec
le Béarnais, eux-mêmes livreraient leur ville au roi d'Es-
pagne, et qu'on agirait ainsi dans la Picardie entière (2).
C'est le 13 avril (3) que Villeroy alla trouver le roi de
Navarre dans les faubourgs de Melun, et l'exhorta à sauver
le royaume en contentant les catholiques. Sans appuyer
trop fort sur les arguments sentimentaux, il lui fit entendre,
en bon politique réaliste, qu'aucune ville ne « s'était ébran-
lée du parti ; ce qui procédait seulement de la force et
puissance que la religion a sur les hommes » (4). Henri IV
affirma, comme Biron l'avait fait en son nom, sa volonté
d'être roi de France en fait comme en droit. Use ferait ins-
truire avec le temps et non à coups d'épée. Il demanda à la
fin — c'est la première fois qu'on en parlait— que Mayenne
envoyât des députés munis de pouvoirs suffisants pour
traiter. Villeroy, conformément au programme exposé
dans son avis de décembre, fit remarquer au roi que
Mayenne étant chef de parti, ne pouvait rien faire sans le
consentement commun et que, pour réunir les députés, une
trêve et des passeports étaient nécessaires. C'était aussi la
première fois que l'on formulait nettement ces deux pro-
positions qui allaient faire la base des conversations sui-
vantes. C'était trop tôt, sans doute, car le roi craignit un
(1) Pap. Simanc, ibid., p. 97.
(2) Pap. Simone., ibid., p. H 5.
(3) De Thou, dont la chronologie est parfois vague, place à tort cette
entrevue le 11, le jour de la prise de Melun.
(4) Mftrn., p. 154.
486 VILLEROY
piège et refusa net d'accorder la cessation d'armes et les
passeports pour ne point donner moyen au duc de « mieux
dresser sa faction » (1).
Villeroy retourna à Soissons, rendit compte de tout à
Mayenne, en dorant son rapport, comme au mois de mars.
Le duc ne parut pas très content du retour de son con-
seiller. En l'absence de Villeroy, la Ligue Espagnole avait
intrigué contre lui, et le faible Mayenne avait dû pour la
calmer, écrire des lettres de désaveu. Villeroy eut donc
à regagner auprès de Mayenne le terrain perdu.
Il finit par le décider à assembler ceux du parti. Mais,
comme d'habitude, on ne fit à Villeroy qu'une demi-con-
cession avec l'arrière-peilsée d'en dénaturer plus tard la
portée. On écrivit d'envoyer des députés, sans parler de la
paix, « mais seulement pour donner ordre par leurs avis
aux affaires de la cause ». 11 fallut la patience inlassable de
Villeroy pour tirer le meilleur parti de ces résolutions ac-
compagnées de tant de restrictions.
Il suivit Mayenne dans le voyag-e qu'il fit à la fin d'avril
aux frontières de Picardie, pour retenir les villes de la
Somme dans l'obéissance qu'elles devaient au lieutenant
général et pour solliciter les secours promis par le prince
«le Parme. Il resta en relations suivies avec les royalistes
par l'intermédiaire de La Verrière.
iV
Cependant, le roi de Navarre, oubliant vite cet incident
diplomatique, poursuivait la conquête des places fortes aux
abords de Paris. Au commencement du mois de mai, la
grande ville était investie, et pendant que Mayenne
(i) Mém., p. 155.
LE NEGOCIATEUR DES POLITIQUES 187
opérait aux frontières de Picardie pour retenir dans
l'obéissance les villes de la Somme et attendre les secours
du prince de Parme, Henri était décidé à vaincre coûte que
coûte et à dicter lui-même les conditions de la paix.
Avec un admirable entrain, la résistance fut organisée.
Le 12 mai, les troupes Navarristes attaquèrent à l'im-
proviste le faubourg Saint-Martin mais durent battre en
retraite. L'enthousiasme des Parisiens, fanatisés par les
processions belliqueuses et les prédications incendiaires,
leur rendit faciles les premiers sacrifices du blocus. La
Sorbonne avait, par décret, le 7 mai, lancé l'anathème sur
les partisans de la paix et le peuple jetail à l'eau les bour-
geois suspects de modération. Le grand organisateur
étranger de la lutte à outrance était, avec Mendoza, le car-
dinal Gaetano, cet étrange légat dont le fanatisme croissait
à mesure que les sentiments du pape Sixte-Ouint, dont il
ne respectait pas les instructions, devenaient plus modérés
et plus conciliants. Aussi ne devons-nous point croire ins-
pirée par une pensée de modération politique la démarche
qu'il tenta auprès des royalistes au début de juillet. Nous
savons qu'il invita le marquis de Pisani à venir le trouver
le 7 juillet au faubourg Saint-Germain, dans la maison de
Jérôme de Gondi. II sollicita instamment la conversion du
roi. Pisani lui répondit qu'avant de se convertir, le roi
devait être maître de Paris et prier le légat de hâter la red-
dition de la capitale, proposition qui fut accueillie, bien
entendu, par un refus formel (1). II est évident que Gae-
tano ne s'était forgé aucune illusion et qu'il voulait sim-
plement démontrer aux politiques de Paris que le roi n'en-
tendait point se faire catholique.
(1) Archives secrètes du Vatican. Nunziatura di Francia. Les
t. XXVII et XXX contiennent des lettres de Gaetano à Montalto, le
premier du 10 novembre i589 au 23 juillet 1590. le second du 2 jan-
vier 1 • < 9 0 au 14 septembre de la même année. Voiren particulier dans
le t. XXVII, la lettre du '■> juillet. Voir aussi : A. Franklin, Journal du
Siège de Paris (Mém. de la Soc. de l'hisl. do France, t. Vil, p. 213).
188 VILLEROY
La lutte continua donc avec acharnement. Les Parisiens
accueillirent avec dédain le manifeste où le roi de Navarre
promettait, le 16 juillet, de conserver la religion catholique,
et In sommation qu'il lançait bientôt après à Nemours, gou-
verneur de la ville, afin de le reconnaître pour roi. Le 27
juillet, Tannée du roi, grossie de renforts, occupa tous les
faubourgs de la rive gauche. Le blocus se resserrait. Les
vivres devenaient de plus en plus rares. Bientôt sévit la
famine et son cortège accoutumé d'horreurs. La mortalité
était effrayante. L'armée de secours de Mayenne et- de
Parme, tant de fois annoncée, n'arrivait pas. Les politiques
reprenaient de l'audace et commençaient à provoquer des
manifestations pacifistes, d'accord avec les royaux catho-
liques, avec qui ils entretenaient de continuelles intelli-
gences (1).
Il fallait qu'on fût bien bas pour qu'au début du mois
d'août les organisateurs eux-mêmes de la résistance son-
geassent à la paix. Le 2, se réunit un conseil composé de
Nemours, Gondi, Epinac, des Présidents et Conseillers de
la Cour du Parlement, des échevins et autres principaux
bourgeois de la ville. Après une discussion passionnée, les
avis modérés l'emportèrent. « La nécessité fit condescendre
en l'opinion plus douce en apparence et fut arrêté que Mon-
sieur de Paris et Monsieur de Lyon iraient trouver le Roi
de Navarre pour voir s'il se pourrait faire quelque paix
universelle pour tout le royaume (2). » C'était une démar-
che extrêmement grave, qui suscitait bien plus de cas de
conscience et de formalités diverses, que lorsqu'il s'agissait
des négociations souples, discrètes et relativement aisées
d'un Yilleroy avec les royalistes. Quatre théologiens furent
(1) Voir l'Estoile, t. IV, passim, et Corneio. Histoire du siège de
Paris, Mém. de la soc. de l'Hist. de Paris, t. VII. 1880.
(2) Discours brief et véritable des choses plus notables arrivées au
siège... de lu ville de Paris... par P. Corneio. ligueur (Mémoires de
la Ligue, t. IV, p. 293, et Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris, loc. cit.)
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 189
consultés par le légat pour savoir si on encourrait les cen-
sures en traitant dans les circonstances actuelles avec un
hérétique. Ils répondirent que c'était permis puisqu'on y
était contraint par la famine (1). Le 6 août, Gondi et Epi-
nac se rendirent près du roi à l'abbaye de Saint-Antoine.
Le roi les reçut assez froidement. Il demanda que la ville
se rendît à lui à miséricorde, ne voulut point promettre de
se convertir et ne permit point que les députés communi-
cassent avec le duc de Mayenne (2). Cette entrevue pour la
paix n'eut d'autre résultat que de pousser à la guerre. Henri
IV, convaincu de l'extrême misère où se trouvaient les Pa-
risiens, tenta de nouveaux efforts pour emporter la capitale.
Les souffrances des assiégés devinrent bientôt intolérables
et la ville allait être obligéede se rendre, quand, le 30 août,
un grand espoir vint relever les plus découragés : l'armée
de secours marchait vers Paris. Le duede Parme avait enfui
franchi la frontière, rejoint Mayenne à Meaux, refusé la
bataille au Navarrais, pris Lagny sous ses yeux (7 sep-
tembre), et maître des deux rives de la Marne, assuré le
ravitaillement de la capitale. Le 1(.> septembre, Mayenne
entra dans Paris.
Avec lui y entrait Yilleroy, qui, depuis cinq mois, avait
suivi la fortune de son duc, sans perdre de vue un seul
instant le rôle de conciliateur national qu'il s'était imposé.
Quand il avait vu les Espagnols sur le poinl de s'unir à
Mayenne, il avait essayé à nouveau de sa lactique de
retraite pour conserver la confiance des royaux. Le 1 1 mai,
il avait obtenu, par une lettre de La Verrière, la promesse
qu'on lui accorderait une sauvegarde, sans l'obligera faire
(1) F. Fr. 3996, f° 157. Résolution des prélats théologiens sur la
question a eux proposée par le cardinal Gaetani, etc., août 1590.
(2j Fonds Franc., 3996, l'° 158. Extrait des registres du Parlement
contenant la réponse faite par le roi Henri IV aux députés de Paris...
etc. Voir aussi une dépêche de L'ambassadeur vénitien du 6 août,
F. Ital. 1739, fo 63, et une lettre très détaillée de Paye a Bellièvre, du
7 août. F. fr. 15.909, fo 313-316.
190 VILLEROY
rendre Pontoise par son fils. Mais décidément, il avait le
vent contraire. Le roi de Navarre, qui, à Melun, avait paru
croire à sa sincérité (1), se crut berné par cet homme qui
parlait de cessation d'armes juste au moment où on allait
se battre plus fort que jamais. Une lettre, où Villeroj
annonçait, sans aucune perfidie, à sa femme la prochaine
arrivée du duc de Parme, fut aussi très mal interprétée. La
question irritante de Pontoise, dont la possession eût été
utile au roi dans son œuvre d'investissement de Paris,
acheva de l'aigrir contre le père de d'Alincourt (2). On avait
promis de ne point en parler tant que l'on s'était fié en\ iP
leroy. Mais si on croyait véritablement à la duplicité du
ministre, ne pouvait-on pas craindre qu'il ne livrât la place
aux Espagnols?Or, sa possession était plus que jamais néces-
saire à Henri pour achever l'investissement de Paris. Elle
menaçait Meulan, Mantes, Vernon, Beaumont et Poissy, les
nouvelles conquêtes du roi. Elle immobilisait une partie de
ses troupes qui étaient obligées de combattre incessam-
ment entre l'Oise, la Seine et l'Epte, pour empêcher que
Paris ne fût ravitaillé par cette porte.
Quand, au début de juin, Villeroy, désespérant presque
de la paix, sollicita le passeport promis, il se vit éconduit.
On lui posa pour condition première la reddition de Pon-
toise. Il refusa :: . Mais l'obstination de Villeroy parvenait
(1) Sommaire discours de ce qui est advenu en l'armée du Roi
depuis que le duc de Parme s'est joint à '-Aie des ennemis... (Corbeil,
1590). Mém. de la Ligue, t. IV, p. 324.
« S. M. fut avertie que cette légation n'était que toute tromperie el
que l'ambassadeur y pouvait être trompé le premier... Ledit sieur de
Villeroy demeura si surpris de la franchise el ingénuité du Roi qu'il
avoua à demi cette sienne conversion el protesta de s'y vouloir em-
ployer oins courageusemenl et fidèlement qu'il n'avait t'ait aupara-
vant... o
(2) Pour comprendre le prix qu'il attachait à la possession de cette
ville, voir une lettre d'Henri IV au duc de Longueville {Lettres missives,
l. III, p. 169, 14 mars 1590).
(3) 11 faut noter qu'a la fin de mai, on révoqua un passeport accordé
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 191
souvent à dissoudre les volontés opposées. Un mois après
le premier refus, il recevait le passeport désiré. Il est vrai
qu'il contenait de fortes restrictions. On lui permettait
seulement d'aller à Hallaincourt ou à Pontoise avec son train
ordinaire. On lui apprenait en même temps la découverte
delà lettre qui avait indisposé le roi contre lui. Ce n'est
qu'au mois d'août que ce fameux passeport, refusé en juin,
à demi concédé en juillet, fut envoyé à Villeroy, sur les
instances de son père, et tel qu'il le désirait (1).
Nous avons insisté sur ces détails de passeports, moins
mesquins qu'ils ne paraissent, parce qu'ils sont un trait
curieux de l'histoire de la Ligue. C'est sous le couvert de
ces passeports que s'entretenaient les relations entre
royaux, politiques etligueurs. Ils étaient assez libéralement
accordés de part et d'autre. Il y avait cependant des abus
qui parfois étaient durement réprimés. Un secrétaire de
à Epinac, qui après avoir obtenu la permission d'aller voir Mayenne
fut arrêté au Bourget par le Grand Prieur et le comte de la Guiche.
Villeroy avait attendu quelque heureux résultat de cette ambassade qui
s'adressait à Mayenne, à un moment où il était mécontenl des lenteurs
du dur de Parme, et où la population de Paris commençait à souffrir
de la disette. Villeroy espérait aussi reprendre auprès du duc son rôle
habituel de conseiller, fortifié de l'appui de la mission parisienne et de
son chef Epinac (Journal de M. Brulard, F. Fr. 5315, fo 180-182).
Villeroy estima que le roi avait commis une grande faute. A Paris,
les partisans de la guerre reprirent le dessus et persuadèrent la popu-
lation qu'onn'avait rien à espérer du Béarnais. Quand à la fin de juillet,
d'Epinac et Gondi obtinrent enfin l'autorisation de voir Mayenne, il
était trop tard. Le duc de Parme était à une journée de Meaux et
Mayenne ne songeait qua la guerre.
(1) Mém., p. 158-159. Nous ne connaissons ces détails que par les
mémoires de Villeroy. Nous n'avons retrouvé aucune des lettres écrites
par Villeroy à ce sujet durant l'année 1590. Révol écrivait a liedièvre,
le 2 août : «Je suis très marri de la difficulté qu'il y a eu au passeporl
que M. de Villeroy désirait, augmenté par l'interprétation qu'on a faite
de quelques siennes lettres qu'on a vue-, dont l'on a pris le s ms en la
plus mauvaise part... J'ai toujours cru et dit que c'était le service du
roi de lui donner moyen de sortir d'où il est, e1 pour L'importance de
sa personne aux affaires et pour l'exemple que l'opinion contraire a
été la [dus forte. » F. fr. 15.909, fo 307.
192 VILLEROY
Moyenne, Loys Perron, avait obtenu un passeport pour
faire quelques affaires pour le parti du sel. A Tours, on
trouva sur lui des lettres chiffrées adressées par le duc à
Mercœur. Il fut pendu le jour même. Mais, sauf accident,
ces relations privées entretenaient en général, un air favo-
rable aux négociations officielles. Ce fut le principal auxi-
liaire de la pacification.
Quand Villeroy eut reçu son passeport, il ne pouvait plus
partir. Car s'il avait à ménager les royaux, il avait aussi à
ménager les ligueurs et en particulier son maître. « J'avais
promis, dit-il, au duc de Mayenne, après tant de refus que
l'on m'avait faits, de ne me retirer que je n'eusse vu ce qui
adviendrait du secours de la ville de Paris (1). » Voilà pour-
quoi nous l'avons trouvé, à la suite de Mayenne, entrant
dans la capitale le 19 septembre.
Ces mois d'été de 1590, et cette journée du B> septembre,
où l'activité du négociateur de la Ligue était restée sans
emploi, ne furent pas complètement perdus pour la cause
de la paix. Villeroy avait assisté, impuissant à empêcher le
mal. aux ravages des Espagnols, qui pillaient les maisons
de campagne (dont quelques-unes étaient à ses amis) et
n'épargnaient même pas les églises que le Béarnais héré-
tique protégeait. Ces faits le révoltèrent. Quand il entra
(la i\- Paris, il remarqua au premier abord, derrière la joie
factice et les acclamations populaires, la trace des souf-
frances du siège. « Ils étaient, dit-il, si combattus de la
faim et des maux qu'ils avaient soufferts qu'ils regardaient
d'un œil plus pitoyable qu'allégé... Ils ne pouvaient nous
regarder, ni nous, eux, sans soupirer 2). »
Cel apitoiement des esprits modérés et des cœurs bien
français sur les misères du peuple, ressenties plus Ibrle-
menl que jamais en celle année 1590, est désormais la
(1 -'A-///., p. 100.
(-) Mém.,Y>. 161. Voir l'Esfoile, t V, p. 288 et suiv. (suppl ).
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 193
marque profonde de la période qui commence dans l'his-
toire de la pacification. Ce sentiment de pitié domine toutes
les discussions politiques et religieuses. En attendant que
le grand parti de la paix, dont Villeroy est le plus actif né-
gociateur, ait réussi à terminer la guerre civile, il va diri-
ger son effort vers l'acquisition de trois avantages essen-
tiels : 1° la liberté du labourage et du commerce, qui
diminuera la souffrance générale ; 2U la trêve, qui fera
apprécier à la France les bienfaits d'une paix dont les
brouillons ne pourront plus lui faire perdre le goût; 3° la
convocation des Etats, qui feront entendre victorieusement
la voix pacifique de la partie saine et modérée du peuple
français.
Villeroy ne resta que deux jours à Paris. Il se retira dans
sa maison de Villeroy, le 21 ou 22 septembre. Il y reçut
bientôt la visite de deux membres de sa famille, l'abbé de
Chésy, son fils naturel, et le sieur de Fleury, son beau-
frère, conseiller à la Cour de Paris, un des vingt-quatre
Politiques du Parlement suspects aux Seize qui, en 1593,
devaient être désignés à la fureur de la populace par les
prédicateurs. Il avait de nombreuses relations dans le parti
royaliste, était un ami intime de Duplessis, et on le disait
« indifférent pour toutes les religions » (1), ce qui le ren-
dait tout à fait apte au rôle d'intermédiaire obligeant entre
les catholiques et les protestants, entre les modérés et les
exaltés de chacune de ces sectes. Le cardinal de Gondi,
toujours ardemment dévoué au Béarnais, et le chancelier
Cheverny.qui s'était jusqu'alors tenu prudemment à l'écart
et se décidait à entrer en scène, priaient Villeroy « de
11) L'Estoile, t. V, p. 329.
Villeroy 13
194 VILLEROY
reprendre les erres de sa première poursuite ». Ils ras-
suraient que le roi était « maintenant plus disposé que
jamais d'y entendre » et qu'on se fiait en lui « sans qu'il
lut plus au pouvoir de personne de le traverser » (1).
Les avances étaient faites cette fois par des catholiques
ralliés au roi. On constate qu'à ce moment leur influence
paraissait dominer dans le conseil (2). Ils avaient été ren-
forcés au mois d'octobre par l'arrivée du duc de Nevers
qui se joignit au Béarnais avec des troupes. Rosny, voyant
avec dépit que les vieux serviteurs du prince paraissaient
oubliés, s'était retiré dans les terres de sa femme. Un l'ait
caractéristique montre combien le roi de Navarre était à
ce moment désireux de faire des concessions à ses catho-
liques (3). Un édit que Mornay avait obtenu en faveur de
ses coreligionnaires allait être enregistré à Tours quand il
fui contremandé par lettre du roi au chancelier. Tou^ ces
catholiques se battaient bravement, retenus par l'honneur
au camp royal, mais après une action importante, succès
mi revers, ils menaçaient de se retirer si le roi n'abjurait :
cl le roi se résignait à leur permettre d'entamer des négo-
ciations. Sa position était doncanalogueà celle de Mayenne.
Tous deux jouaient la comédie de la paix, pour retenir, l'un,
les catholiques, l'autre, les ligueurs patriotes.
Villeroy, instruit par l'expérience, et fidèle à son pro-
gramme, ne voulut point s'engager dans une négociation
nouvelle — la troisième depuis le début de la guerre —
sans être assuré qu'elle serait sérieuse. Il posa deux con-
ditions : la première qu'on députerait « cinq ou six person-
nages d'honneur pour traiter ensemble, sans plus faire
manier les affaires par un seul et en cachette », la seconde,
que le roi accorderait « une surséance d'armes, pour un
(I i Mém., 161.
(2) Sully, /■:,-. Roy., t. I, p. 352. Dupl. Mornay, pp. 194, 195.
(3) Dupl. Mornay, ibid.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 195
certain temps, pour faciliter ladite assemblée» (1). Il fal-
lait faire accepter ces deux conditions par Mayenne. Con-
sulté, le duc approuva le projet de cessation d'armes,
approuva le voyage de Villeroy, mais ne voulut pas lui
adjoindre des personnes autorisées. Mayenne était appuyé
par tous ses conseillers, môme par Epinac et par Jeannin,
qui ne jugeaient pas le moment propice pour négocier
publiquement.
Les conférences pour la paix commencèrent à Buchy,
près Alincourt, le 15 octobre (2). Le roi avait adjoint au
maréchal de Biron Duplessis et Turenne, qui devait,
quelques semaines après, aller recruter des renforts mili-
taires en Allemagne. Buhy et Fleury assistaient aux entre-
vues. On convint, avant toutes choses, qu'il fallait com-
mencer par une cessation d'armes et chacun donna son avis
sur la forme et les conditions de cette trêve bienfaisante
« qui devait adoucir les humeurs »(3). Les conférences
se tinrent ensuite à Vaux près Gisors. On y discuta sur les
termes de l'avis que présenta Villeroy. Puis l'on jugea que
c'était s'avancer beaucoup, et, avant de continuer, on vou-
lut savoir l'opinion des chefs des deux partis. Ce fut un
refus net d'accorder la cessation d'armes, au grand regrel
de Villeroy, qui voyait « que de part et d'autre l'un ne -'ac-
cordait que trop à rejeter les moyens d'acheminer et faci-
liter la paix » (4).
Encore une fois, l'éternelle question espagnole était la
cause de ce revirement. Le duc de Parme, après avoir ravi-
taillé Paris et poussé quelques semaines le siège de Cor-
beil avec Mayenne, se retira en Flandre, le 1" novembre,
en promettant de revenir avec d<- uouvelles forces au prin-
(1) Mém., p. 4 62.
(-2) Mém. de M"* de Marnai/, p. 200. Cette négociation n'est indi-
quée ni dans de Thou, ni dans Palma-Cavet, ni dans Mézeray.
(3) Ibid.
(4) Mém., p. 165.
196 VILLEROY
temps prochain. Or, le roi de Navarre avait envoyé Turenne
en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, et cette mis-
sion devait aboutir àl'envoi d'importants secours d'hommes
et d'argent. La diminution des forces ennemies et la certi-
tude de l'augmentation prochainede ses propres ressources,
l'encouragèrent naturellement à refuser une cessation
d'armes qui eût tourné à l'avantage de la Ligue. Il offrit
seulement pour les députés des passeports qui devaient
être expédiés en la forme qu'on établirait avec Ville -
roy. Il écrivait à cette époque : « Les affaires de mes
ennemis sont en tel état que pour peu que je les abandonne
et leur donne patience, ils achèveront d'usurper tout le
reste de l'Etat... et pour peu que je continue aussi de les
presser et de leur faire une guerre un peu forte, je les puis
ruiner et détruire > (1).
Mayenne, pour d'autres raisons, était aussi mal disposé
qu'Henri IV en faveur de la suspension d'armes. Les Seize,
la Sorbonne et les curés de Paris, redoublaient de fureur
à l'annonce d'une trêve avec les chiens d'hérétiques. Le
légat ne l'approuvait pas. Le duc de Parme, avant son dé-
part, l'avait déconseillée. Cette unanime opposition montre
quelle eût été l'efficacité des moyens proposés par Ville-
roy. Après avoir goûté la paix, les Français n'auraient
peut-être plus voulu se remettre en guerre (2,. De plus, à
la faveur de la trêve, les gouverneurs des villes auraient
pu traiter avec le roi et commencer la désagrégation de la
Ligue. Mais Mayenne, tout en refusant la suspension
d'armes, tenait à continuer les négociations. Ce n'était pas
seulement pour faire passer l'e temps jusqu'à la belle saison
où Alexandre Farnèse lui ramènerait une armée des Pays-
Bas, mais pour assurer le ravitaillement delà capitale, qu'il
(!) Lettre ù Matignon, fin 1590. Lettres Miss., t. III, p. 316.
(-) Voirune intéressante lettre de Mendoza à Philippe II, 4 novembre
1590, Pap. Simanc, K. 1571, p. 145.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 197
chargea Villeroy d'obtenir doux conditions très précises: la
liberté du commerce et la sûreté du labourage. Il ne voulait
pas autre chose pour le moment. Il expliquait ainsi ses
intentions à Epinac, dans une lettre du 11 novembre:
« Nous n'avons pas laissé d'envoyer M. de Villeroy vers
le Roi de Navarre pour traiter de la liberté de commerce et
du labour : à quoi même se sont disposés nos Messieurs et
l'évêque de Plaisance, quelque difficulté qu'ils en fissent
du commencement, vaincus de la nécessité qui nous y force
tous. L'ennemi voulait entrer en cherche d'autre chose et
passer plus avant, à quoi je n'ai pu me disposer d'entendre
que je n'y voie plus de lumière et que ce ne soit de l'avis
général de nos amis (1). »
Villeroy se rendit à Manies où il trouva Biron, Duplessis
et le chancelier. On convint de la forme des passeports qui
furent accordés pour deux mois. Des deux demandes de Ville-
roy, une seule fut accordée. Les royaux refusèrent la liberté
du commerce qui eût été trop avantageuse aux Parisiens, et
ne consentirent qu'à un règlement pour la sûreté du labou-
rage (2). C'était, certes, un grand progrès dont tous les
amis de la paix et du pauvre peuple des campagnes eurent
lieu de se réjouir. Au moins la récolte prochaine allait être
(1) Correspondance du duc de Mayenne, p. p. Henry et Loriquet,
Travaux de l'Académie de Reims, t. XXIX, p. 109 et suiv.
(2) On trouve l'écho de ces discussions dans une lettre de Mayenne.,
du 20 novembre 1590. au prévôt des marchands de la ville de Paris
(publiée par Henry et Loriquet). Mayenne, comme représentant des in-
térèls de la capitale, tenait beaucoup à la liberté du commerce : « J'ai
vu. dit-il, ce que m'écrit M. de Villeroy pour le fait du commerce, ri ce
que le roi île Navarre en a proposé : à quoi je ne puis aucunement
accorder que le blé n'y soit compris et que ce ne soit autant pour le
haut que pour le bas de la rivière... » Ibid., t. XXIX, p. 165).
Le roi 1 avait bien compris et s'il avait trouvé des dispositions plus
conciliantes dans Mayenne, il aurait lait la concession du libre com-
merce sur la rivière de Seine. L'ambassadeur vénitien nous montre
(2(> octobre) combien cette question du ravitaillement de Paris préoc-
cupait 1'' roi: « Havendo per fine S. M. que quella cita non sia in modo
alcuno sollevata » (F. Ital. 1739, fo 94).
198 VILLEROY
assurée. C'était une satisfaction accordée aux doléances
anonymes des paysans qui, dans la Complainte des pauvres
laboureurs, se plaignent amèrement de ces malandrins qui
... Viennent dans nos granges,
Aussi dans nos maisons,
En prenant (chose étrange !)
Chevaux, bœufs et moutons.
Encor n'estant contens
D'avoir nos biens et bestes
Nous lie, et nous mattans,
Nous bandant yeux et testes,
Nous battent, nous moleste (1) !
C'est alors qu'une grande faute commise dans l'entou-
ra g-e de Mayenne arrêta pour un temps les négociations si
laborieusement amorcées. Les lettres envoyées aux pro-
vinces pour la convocation des députés parlaient d'une as-
semblée d'Etats généraux (Yilleroy n'en avait jamais fait
mention, ni à Noisy, ni à Mantes) et faisaient comprendre
que le duc voulait assembler son parti pour élire un roi.
Par cet acte, la Ligue regagnait une partie du terrain
perdu. C'était la cinquième tentative de convocation des
Etats que les péripéties de la campagne avaient jusqu'alors
retardée (2). Il semblait (piécette fois leur réunion fût plus
(1) L'Esloile, t. IV, p. 261.
(2) Il faut se rappeler que le Conseil de l'Union qui, le 4 mars 1589,
avait nommé Mayenne lieutenant général, en attendu»/ l'assemblée
des Etats, avait l'ait décréter la convocation de ces Etats pour le 15
juillet de la même année. Le 29 novembre, le Parlement avait rendu
un arrêt ordonnant, sous l'autorité du duc, l'assemblée des Etats au
lendemain de la Chandeleur (3 février 1590), à Melun. et le 6 décembre
le lieutenant général signait les lettres patentes, qui fuient renouvelées
le 15 janvier, pour l'assemblée qui, n'ayant pu se tenir en février,
devait se réunir le 20 mars. Melun étant tombée au pouvoir du roi, île
nouvelles lettres furent écrites le 9 mars pour la convocation des Etats
à Orléans, le dernier d'avril ; elle fut empêchée parla défaite B'Ivryet
le siège de Paris. Les lettres patentes qui, à la fin de 1590, convoquèrent
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 199
urgente que jamais, Charles X, le roi de la Ligue, étant
mort (1), et que la fortune leur fût plus favorable, puis-
qu'un peu de calme était revenu dans la situation des
ligueurs depuis la fin du siège.
Cet acte qui, aux yeux des politiques, élail une faute
commise plus par malice que par ignorance ("2), révélait
l'ambition de Mayenne, qui jouait au plus fin avec tout le
monde, pour arriver à réaliserson rêve inavoué de royauté.
Il trompait les Espagnols pour avoir des troupes; il trom-
pait les royalistes pour obtenir un adoucissement aux ri-
gueurs de la guerre el des passeports pour ses députés. Par
l'altération de la forme des passeports, il préparait la der-
nière manœuvre qui devait le porter à son but : l'élection
par le consentement de la nation. Magnifique sans-gène
que de vouloir tranquillement réunir, sous le couvert de
passeports royaux, les ligueurs français qui détruiraient
la royauté d'Henri IV! Yilleroy se plaignit aussitôt aux du-
chesses, à Jeannin et au duc, de ce procédé grossier. Les
duchesses ordonnèrent la rétention des lettres ; Jeannin
promit de pourvoir à ce qu'il appelait une inadvertance.
Près de deux mois s'écoulèrent en allées et venues et
récriminations de toute sorte. Yilleroy eut beaucoup de
peine à faire cesser le malentendu. Il obtint du roi à Senlis
la promesse que les passeports, une fois changés, seraient
prolongés. Il défendit devant lui Mayenne accusé de s'être
lié aux Espagnols de manière à ne pouvoir plus traiter
sans eux avec le roi de Navarre. Il vit enfin à Soissons, le
'24 décembre, le duc de Mayenne qui l'assura que la faute
avait été commise par négligence. Les passeports furent
réformés. Yilleroy, dans son Apologie, a voulu paraître
pour la cinquième fois les députés, étaient datées du -2\> novembre et
fixaient rassemblée à Orléans, le 20 janvier 1591.
(1) Il mourut le 8 mai 1590.
(S) Sfém.,f. 166. .
200 ViLJ.EROT
beaucoup plus surpris qu'il ne l'a été. 11 semble rejeter la
faute sur « ceux auxquels ledit duc donna charge de dres-
ser les lettres », mais il connaissait très bien les tentatives
antérieures et l'état d'esprit de son chef. N'oublions pas
que VApologie a été écrite avant la réconciliation de
Mayenne et d'Henri IV, et que Villeroy a voulu y servir
encore la cause de la paix, en atténuant la responsabilité
du lieutenant général (1).
(1) Mém., p. 168. Il faut lire le texte de VApologie pour se rendre
compte de la complexité de cette question de passeports. 11 y eut. a la
fin de décembre, de nouvelles difficultés soulevées par Mayenne qui
voulait qu'on laissât aux provinces la liberté d'imposer à leurs députés
le mandat qu'elles voudraient. 11 fallut de nombreux pourparlers avant
de régler la question. Voir aussi 2 lettres de Mendoza à Philippe II, des
13 novembre et 19 décembre, Pap. Simone . K. 1S71, p. 140 et 156,
sur les allées et venues do Villeroy, la question des passeports et le
mécontentement qu'en éprouvaient les Espagnols.
CHAPITRE II
I. Ralentissement des négociations en 1591. La question des
passeports pour les députés aux Etats. Défiances réciproques.
Villeroy auprès de Mayenne. La lutte contre Rome, contre
l'Espagne, contre la démagogie. — II. Les négociations de
Villeroy et Duplessis-Mornay à Mantes (mars-mai 1592). La
conclusion de la trêve de sept mois pour le Vexin Français. —
III. Les Etats de la Ligue. Le discours de Villeroy. La confé-
rence de Suresne. La conversion du roi (janvier-août 1593). —
IV. Les négociations de Villeroy pour la trêve générale.
Conférences d'Andrésy et de Milly (août-septembre). La re-
montrance à Mayenne (2 janvier 94). — V. La soumission de
Villeroy (mars 94). L'apologie.
(1591-septembre 1594).
La négociation qu'avait attachée Villeroy se traîna péni-
blement pendant les six premiers mois en 1591. Il avait
obtenu des royaux l'adoption d'une des bases les plus im-
portantes de son advis, la réunion de députés du parti et
des passeports. Mais quand ou fut sur le point d'exécuter
ce programme, d'innombrables difficultés surgirent de la
mauvaise volonté des deux partis. Une lutte persévérante
contre ces divers obstacles occupa le négociateur des poli-
tiques de janvier à mai.
202 ViLLEROY
L'accalmie dont avait bénéficié Villeroy n'avait duré que
deux mois (octobre et novembre). Henri IV avait reconsti-
tué ses forces en Allemagne et possédait depuis décembre
10.000 fantassins et 1.000 chevaux. Rendu confiant par
l'échec des ligueursde la capitale à Saint-Denis (3 janvier ,
de Mayenne à Saint-Gobin (12 janvier), il recommença à
presser les Parisiens, puis brusquement, après la Journée
des Farines, il dirigea toutes ses forces contre Chartres el
entama le siège du grenier à blé des Parisiens. Henri IV,
plus confiant en lui-même, était plus disposé à ralentir les
négociations. Mayenne se sentait moins fort, mais, malgré
quelques accès de découragement (1), il s'obstinait à
diriger la guerre sans trop de désavantage (2). Il avait en-
voyé Jeannin à Madrid pour demander des secours; il fai-
sait appel au Pape et aux Espagnols. S'il ne. pouvait secou-
rir Chartres (pris le 19 avril;, il atténuait dans une certaine
mesure cet échec parla prise de Château-Thierry (16 avril).
Nous comprenons ainsi pourquoi le roi cherchaità susciter
à Mayenne et à son conseiller tant de difficultés dans les
négociations et pourquoi le lieutenant-général n'y paraît
qu'avec une certaine molles-»'.
On continua à ergoter autour des passeports. Un des
prétextes trouvé par Henri IV pour les refuser fut la dé-
couverte de lettres témoignant que Mayenne voulait réunir
une assemblée pour faire non la paix mais ses propres af-
faires. Ce fut un nouveau sujet d'interminables discussions.
Fleury porta les lettres à Mayenne. Mayenne répondit assez
piteusement qu'il était parfois contraint, pour contenir
chacun en office et conserver son crédit, « d'écrire et parler
(1) Archives du Vatican, citées par l'Epinois, p. 462.
(2) Une lettre de la fin de 1590 montre sa ténacité : « Nos ennemis,
dit-il, ont un mois de temps devant nous qui peut apporter du mal
duquel nous nous garantissons au mieux qu'il sera possible, et après
essayerons .le prendre l'avantage. » (Saint-Minier, date illisible, 1590,
Pap. Sim. K. 1578.)
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 203
des choses qui se présentaient diversement » (1). Puis il
prétendit prouver que la copie de ces lettres n'était pas
semblable à l'original. Bien d'autres chicanes devaient,
encore être soulevées de part et d'autre (2).
On était sur le point de s'entendre quand la question de
la liberté commerciale suscita de nouveaux retards. Le roi
désirait réunir à Chartres une commission spéciale où les
représentants du duc auraient été VideVille, « l'âme du car-
dinal de Gondi » (3) et Yilleroy. C'était probablement une
manœuvre pour éviter l'assemblée des députés des villes
ligueuses. En tous cas, dans la pensée des royaux, ce ne
devait être qu'un acheminement vers la paix générale (4).
Mayenne, qui vit le piège, répondit qu'il ne pouvait s'enga-
ger trop loin sans l'assistance de ses amis, mais qu'il per-
mettrait le départ de Videville et de Yilleroy, pour traiter
seulement du commerce pour Paris, et à condition qu'on
ne négociât pas trop ouvertement. Sa lettre du 23 avril à
l'évêque de Plaisance nous le montre très préoccupé de
prévenir l'opinion que sa conduite ne soit pas mal inter-
prétée. A ce moment, il paraissait résigné à se passer des
fameux passeports (5).
(1) Mêm., p. 169.
(2) Mayenne à Jeannin (23 janvier 1591). « Notre assemblée, dit-il,
n'a pu encore être avancée pour ce que le roi de Navarre s'est formé
certains ombrages que l'intention de nos députés lui sérail entièrement
contraire et en a fait arrêter un à Mantes. M. de Villeroy s'est essayé
de rhabiller cela... »
(3) Selon l'expression de l'évêque île Plaisance dans une lettre de
février citée par l'Epinois, p. 451.
(4) « Villeroy, qui s'aboucha à Dourdan avec le grand chancelier et
le maréchal de Biron, s'en retourna sans aucun fruit de sa négocia-
tion, s'étant découvert qu'il avait eu pour but de traiter plutôt sur le
libre commerce de la ville que sur l'établissement de la paix. » Moce-
nigo à la seigneurie, 13 mai 1591, F. Ital. 1740, fo 23.
(5) « Je continue aussi l'assemblée qui avait été arrêtée pour pour-
voir au général des affaires e1 écris à tous les gouverneurs des pro-
vinces d'assister de bonnes escortes à cet effet les députés pour les
faire passer sûrement sans nous arrêter plus aux passeports du roi de
Navarre. »
204 VILLEROY
L'intervention d'un nouveau négociateur, ck Rosne, vint
brouiller encore plus les cartes. Dès 1591 , on observe l'entre-
mise de plus en plus fréquente de personnages secondaires
dans les négociations. Sully a bien noté cette manie qui
sévit principalement en 1592 : « Parmi tant d'allées et
venues, diverses sortes de personnes s'entremirent de né-
gocier, les unes avec sincérité, les autres avec artifice ;
d'autres pour se faire de fête et tâcher d'y faire leurs af-
faires ; d'autres pour se bien entretenir avec les deux par-
tis et d'autres avec affection pour rechercher les moyens
de parvenir à une bonne paix »(1).
Ce de Rosne semble avoir été une de ces personnes inté-
ressées qui « par leurs divers dessins et leurs envie> <-t
jalousies », pour parler comme Sully, contrarièrent les
plans des intermédiaires sérieux tels que Villeroy. Au mois
d'août, il fit proposer au roi par Fleury de faire une
assemblée particulière sous prétexte de parler de la déli-
vrance du duc de Guise, toujours prisonnier des royaux
et là entamer une bonne négociation avec des per-
sonnes affectionnant « l'avantage particulier de Paris »(2).
Le roi lui envoya un passeport. Villeroy ne voulut pas que
ce personnage, qu'il ne croyait pas désintéressé, entravât
ses desseins et peut-être le supplantât, et réussît àl'écarter.
Ouelque temps après, le chancelier et Riron mandèrent
à Villeroy de se rendre à Etampes, puis à Dourdan. Les
conférences durèrent deux jours et furent inutiles. Ville-
roy comprit que Cheverny et Riron attendaient autre chose,
que de Rosne leur avait fait sans doute espérer à la légère.
Mayenne au contraire voulait s'en tenir à la liberté du
commerce. Les deux partis se défiaient maintenant l'un de
l'autre. On était aux premiers jours de mai. Ils se séparèrent
il) Sully, Ec. Roy., I, p. 115-116.
(2) Mém., p. 170.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 205
« remettant à consulter de toutes choses avec ceux qui les
avaient envoyés » (1).
Durant toute cette période, Villeroy, sans se décourager
absolument, fut très pessimiste. « Les choses empirent
tous les jours, je le sais bien, je le dis les larmes aux
yeux. )> — « Le royaume, écrivait-il encore à Bellièvre, est
près de succomber et périr tout à fait cette année, si Dieu
ne fait quelque miracle, dont je ne veux désespérer. »
Au début de mai il lui disail : « Je tile la toile de Péné-
lope, car plus je travaille à l'œuvre que j'ai entreprise,
moins j'y avance et plus j'y rencontre des difficultés » (?).
Le ralentissement des négociations avec les royalistes
lui avait permis de rendre à son parti des services d'un
autre genre. Pendant qu'il était à Soissons, attendant
la réponse du roi au sujet de la liberté du commerce (fin
février) le duc le fit venir auprès de lui. Il assiégeait Châ-
teau-Thierry commandé par le vicomte de Comblizy, fils
de Pinart, l'ancien collègue de Villeroy. Le prudent
Mayenne voulait enlever la place rapidement, sans grandes
pertes et comptait y être aidé par l'influence de Villeroy
sur son ami. Il fit dire à Pinart que Villeroy désirait lui par-
ler, sans prévenir ce dernier. Ils eurent une première entre-
vue toute de courtoisie où Villeroy ne parla pas de capitu-
lation, ce conseil étant, dit-il, « indigne d'un homme d'hon-
neur » (3).
(1) Mêm., p. 173. — Pour toute la période précédente, voir F. Fr.
15901) (Lettres adressées à Bellièvre, de 1588 à 1592), notamment
Villeroy à Bellièvre, 23 nov. 1590, fo 338, 14 janvier 1591, f° 354,
19 janvier, f° 355, 13 février, fo 366, 12 mai, fo 382, Chevemy à Bel-
lièvre, S avril 1591, f° 379. Dans cette dernière lettre Gheverny écri-
vait: « M. de Fleury m'a écrit ces jours-ci qu'il est en quelque espé-
rance que Mrs de Villeroy et de Videville pourraient approcher d'ici.
Je leur ai envoyé des passeports s'ils en veulent user, encore que je
ne puisse pas prendre grande espérance qu'il ne puisse rien réussir de
bon. »
(2) Lettres des 19 et 28 janvier et 12 mai.
(3) Mém., p, 171.
206 VILLEROY
Quelque temps après la ville fut emportée par surprise.
Quand le duc se disposa à dresser sa batterie contre le
château, les Pinart, dans une seconde entrevue avec Ville -
rov, demandèrent une capitulation très avantageuse dont
la clause principale était la conservation du commande-
ment de la place ; après le refus de Mayenne, ils s'en re-
mirent à Villeroy qui obtint pour eux des conditions qui
n'étaient point trop dures (1). Pinart et son fils furent con-
damnés à mort par le parlement royaliste de Châlons, puis
leur peine fut commuée en une amende de 30.000 écus.
Ils avaient été accusés de trahison et on avait prétendu
prouver cette trahison par leur intelligence avec Villeroy.
Les explications données par Villeroy paraissent pour-
tant les plus vraisemblables. Il est prouvé qu'il n'arriva
sous les murs de Château-Thierry que dans les derniers
jours du siège ci que l'initiative de la capitulation fut prise
par les Pinart. Il semble bien qu'ils n'aient commis que
des fautes de stratégie (2). Ils eurent le tort au début de
refuser les gens de guerre qu'on leur offrait. Villeroy en
donne une raison acceptable : ils craignaient que les chefs
de ces troupes ne s'emparassent du gouvernement de Châ-
teau-Thierry. Les exemples de ces rivalités ne sont pa-
rafes au temps de la Ligue.
Le rôle qu'on attribua à Villeroy dans cette capitulation
fut sans doute un nouveau motif de suspicion auprès du
roi qui retarda les négociations.
La seconde partie de l'année 1591 fut stérile en résultats
diplomatiques pour la mission pacificatrice que Villeroy
s'était donnée. L'occasion favorable à de nouvelles dé-
marches ne se présenta qu'à la fin de décembre.
(1) F. Fr. 3980, f° 202. Acte de capitulation, f° 318, apologie du
gouverneur.
(2) D'Aubigné, VIII, 221, le seul historien qui en parle n'accuse pas
les Pinart de trahison.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 207
De mai à décembre, Yilleroy cul à lutter contre de sé-
rieuses difficultés suscitées par son propre parti (1). Dans
cette Ligue incohérente, de passions et de principes divers,
l'Italie, l'Espagne, les princes lorrains, les Seize poursui-
vaient chacun leur but particulier ; et pour peu que l'ac-
tion militaire se ralentît, l'anarchie augmentait. Cela fai-
sait les affaires du roi de Navarre ; car l'excès du désordre
devait provoquer une réaction en faveur de la paix. Mais
celacontrariaitla politique de Yilleroy qui aurait voulu une
Ligne française, respectueuse de la légalité, unie et forte,
traitant d'égal à égal avec le roi de Navarre et l'obligeant
à se convertir avant de le reconnaître comme roi de France.
Il eut d'abord à lutter contre la politique romaine qui,
dès l'avènement de Grégoire XIV 'qui fut pape du ?4 sep-
tembre 1590 au 15 octobre 1591), s'était départie de la
souplesse et de la longanimité du précédeni pontificat. Le
nouveau pape envoya en France son nonce Landriano avec
un monitoire qui exhortait les catholiques et principa-
lement les ecclésiastiques à abandonner le roi de Navarre,
sous peine d'excommunication. La Chambre du Parlement
royaliste transféré à Ghâlons déclara le 6 juin les bulles
nulles, comme d'abus, et somma le nonce de comparaître
devant lui. Le Parlement de Tours déclara le pape e schis-
matique, hérétique, ennemi de la paix et de l'Eglise...
fauteur de rebelles ».
Yilleroy s'efforça d'empêcher la publication de ce moni-
toire trop rigoureux qui, non seulement ne détachait aucun
catholique du parti royaliste, mais encore servait tous les
irréconciliables en excitant l'indignation du roi el eudi -es-
pérant chacun de la paix. Villeroy, eu blâmant la politique
romaine, n'adoptait pourtant pas tous les arguments vio-
lents ou aigredoux du Chapelet, de laiMaintenue et défende
(1) Voir dans te F. Fr. 15909, f° 379 et suiv., un certain nombre
île Lettres écrites d'avrii à novembre.
des princes souverains, et autres pasquils et pamphlets qui
parurent contre la bulle. Bien qu'il trouvât mauvaise la
manière romaine, il n'était pas hostile au principe de l'in-
gérence pontificale. Mais, en politique réaliste, il eût voulu
qu'elle se produisît utilement, pour les besoins de sa cause.
La faiblesse de Mayenne n'inquiétait pas moins les Poli-
tiques que les violences de Rome. Le marquis de Menelay,
gouverneur de la Fère-sur l'Oise, fut soupçonné, au mois
de juin, de traiter secrètement avec Henri IV et le duc de
Longueville pour leur livrer la place. Mayenne envoya un
deses meilleurs partisans, Colas, Vice-Sénéchal de Montéli-
mar, pour faire ce qu'il jugerait nécessaire afin de conserver
la ville. Ce dernier tua le marquis et reçut de Mayenne le
gouvernement de la place.
Villeroy a défendu la mémoire du ligueur Menelay ac-
cusé de trahison, comme il avait défendu le royaliste Pinart,
accusé aussi de trahison. D'après la lecture des documents
concernant l'affaire, il avait compris que le jeune gouver-
neur avait voulu simplement faire peur au duc en lui lais-
sant croire qu'il traitait et obtenir de lui une charge. Il
estima que son assassinat avait été une grande faute non
seulement parce qu'il avait horreur des moyens violents,
mais encore parce qu'il redoutait les conséquences de cet
acte sur sa propre politique. Villeroy aurait-il pu compter
absolument sur l'appui de Mayenne qui, après avoir permis
au marquis de conférer avec le duc de Longueville, accueil-
lait si facilement les soupçons sur Menelay, donnait si im-
prudemment à un capitaine de ses gardes pleins pouvoirs
pour faire une enquête, versait des larmes sur la fin de
Menelay et cependant n'hésitait pas à donner la succession
de sa charge à l'assassin ?
Ce pauvre duc, déjà si discrédité dans son parti que l'é-
voque de Plaisance l'appelait « le roi des grenouilles » (1).
(1) D'après une lettre citée par.l'Epinois, p. 452.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 20(.)
eut à lutter, à partir <lu mois d'août contre un rival de sa
propre maison, le pet it duc de Guise, fils du Balafré, qui
s'évada, le 15 août, des mains des royaux. Ce jeune homme
n'allait pas tarder à devenir l'enfant chéri des Seize et de
l'Espagne. Villeroy déplora cette délivrance qui réjouissait
les étrangers, car il y avait un double danger à redouter:
si le jeune duc supplantait Mayenne, la Ligue, ayant enfin
une tête, deviendrait très forte et les Espagnols seraient
les maîtres ; si d'autre part il ne réalisait pas 1rs espérances
des ligueurs, la lutte d'influence entre les deux membres
de la famille de Guise désagrégerait le parti et livrerait la
Ligue au Béarnais.
Cet événement était survenu presque au moment où
Jeannin rapportait au duc la réponse de Philippe IL On
l'avait envoyé à la fin d'avril à Madrid pour « recrocher des
secours ». 11 devait en même temps découvrir les sentiments
du roi d'Espagne, au sujet de la position suprême que
Mayenne pouvait espérer, et le détourner du projet de
conquérir le royaume pour lui et sa fille. Mai- Jeannin
avait compris que la volonté de Philippe II était inflexible.
Voyant qu'on se défiait de lui, il n'avait pas insisté sur
cette partie délicate de sa mission et ne s'était préoccupe
que du moyen de faire entrer en France les secours pro-
mis. Sur ce point, il avait réussi. Deux armées devaient
lutter contre le Navarrais, l'une sous le commandement du
duc de Parme, l'autre sous le duc de Mayenne.
Si les politiques n'avaient pas été de force à ruiner l'in-
trigue romaine et l'intrigue espagnole, ils eurent plus de
succès dans leur lutte contre les Seize. Lue double cons-
piration s'était formée dans les assemblées des « enragés -,
l'une contre Mayenne, l'autre contre le Parlement pour
dépouiller Mayenne et les modéré- de leur autorité. Ils
envoyèrent à Rethel une mission spéciale pour demander
le rétablissement du Conseil général de l'Union, et se
Villeroy. 14
210 VILLEROY
plaindre des conseillers du duc, particulieremc.it de
Jeannin et de Villeroy dont l'influence néfaste retardait
la guerre à outrance contre l'hérétique. Ils demandèrent
au duc « sur toutes choses qu'il lui plaise l'aire la guerre
contre le roi de Navarre hérétique, relaps et excommunié,
et ne point traiter, composer ni même conférer avec lui ni
ses agents » (1).
On ignore les détails de cette affaire. Mais on devine que
Villeroy, très maître de lui, n'eut pas comme Jeannin « de
grandes paroles avec eux » (2). Il ne voulut pas, par un
éclat public, rompre avec les députés des Seize. Il tint à
discuter el grâce à son habileté, les trois envoyés ne rap-
portèrent à Paris que « des paroles générales », leurs de-
mandes étant, suivant P. Cayet, « une source de désordre
et de confusion » fin septembre) (3).
Peu de temps après, à Paris, ils tentèrent, par des procé-
dés révolutionnaires, de « parachever la purgation du Par-
lement » (4). Après l'acquittement de Brigart, procureur
du roi en l'Hôtel de ville, accusé d'avoir correspondu avec
les royalistes, les Seize avaient juré de châtier la trahison
du Parlement. Ils arrêtèrent le premier président Brisson,
Larchcr, conseiller en la Grand-Chambre et Tardif, con-
seiller au Ghâtelel el les firent pendre, le 15 novembre.
« Cette tragédie, dit l'Estoile, n'était que le commence-
ment d'une plus sanglante qui se devait jouer, où ils
avaient résolu faire jouer un piteux rôle sur un échafaud,
à un bon nombre des plus apparents de Paris » (5). Mais
pour une fois, Mayenne fut énergique et impitoyable. Il
revint précipitamment à Paris el, le 4 décembre, fil pendre
dans la salle basse du Louvre quatre des assassins. Le
(1) P. Cayet, p. 271 et suiv.
(2) Mém., p. 176.
Ci) P. Cayet, ibid.
(4) P. Cajet, p. 279 et suiv.
(5] Voir l'Estoile, t. V, p. 124 et suiv.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 211
plus grand nombre des bourgeois politiques de Paris, me-
nacés dans leur existence, applaudit à cette exécution.
Villeroy n'approuva pas ce châtiment sommaire qui était
illégal. Depuis la mort d'Henri III il avait défendu cons-
tamment la légalité (1) et le Parlement, seul gordien
ferme des anciennes lois, en face des étrangers qui s'en
moquaient, des révolutionnaires qui les détruisaient, et
du lieutenant-général qui ne savait pas les faire appliquer.
Il lui parut que Mayenne usait d'un procédé révolution-
naire en faisant exécuter sans jugement les assassins des
Parlementaires.
L'intérêt du parti politique exigeait d'ailleurs Tapplica-
tionstricte des lois dans ce cas particulier. Le procès public
contre les Seize aurait fait découvrir un plus grand nombre
de coupables. — et Villeroy regrettait qu'on eût sauvé la
vie de plusieurs malfaiteurs. — II aurait accru le prestige
duParlement de Paris qui eût été plus redouté des fanatiques
quand on l'aurait vu* se faire justice contre ses ennemis (2).
Après cette exécution qui contenait pour un temps la
Ligue parisienne, et après la proclamation d'une amnistie,
Villeroy se relira à Pontoise. Mayenne avait quitté Paris le
13 décembre pour aller au-devant du duc de Parme.
Le roi de Navarre, avec toutes ses forces, s'était établi, le
24 novembre, à Darnetal d'où il assiégeait Rouen investi
quelques jours plus tôt par Biron. Comme au mois de sep-
tembre de l'année précédente, Villeroy jugea la présence
d'un homme de paix inutile auprès du duc.
(11 Au départ do Gaetano, il protesta contre la vice-légalioD de l'évê-
que de Plaisance, exercée « sans pouvoir préalable, contre les formes
ilu royaume » et sans autorisation du Parlement.il/iem., p. 163.
(2) Mémoires de Cheverny, p. 514. « En cette courageuse exécution
ledit sieur du Mayne se servit du sieur de Villeroy qui estoil lors de
ladite Ligue. »
212
II
Villeroy passa l'hiver à Pontoise « entre les brigands »
désolé et impuissant devant les déprédations commises par
les gens de guerre dans l'Ile de France, souffrant terrible-
ment de son inaction forcée. « Quand j'ai parlé de la paix,
écrivait-il alors, et que j'ai demandé que l'on fît d'un côté
ce que Ton n'a voulu faire, et que j'ai dit que l'on ne ferait
de l'autre ce que l'on voulait que l'on fît, pour ce que en
vérité, je le savais très bien et le croyais ainsi, l'on a dit que
je Taisais le fin et que j'étais un bon trompeur (1). » Le 7
janvier il disait à Bellièvre : « Je suis ici entre les brigands
car toute cette garnison ne vit et s'entretient que de proie ».
Ce qui l'afflige le plus est de voir les siens faire « cette
vie-là ». Pour lui il n'y participe pas. Ce qui l'afflige aussi
est de voir que cela se passe « au mitan de mes amis et
voisins et dedans mon pays lequel j'ai toute ma vie mis
peine de chérir, soulager et conserver lorsque j'avais quel-
que voix au chapitre ».
11 fut tiré de sa retaite, au début de mars, pour une
nouvelle négociation avec les royalistes. D'après l'apo-
logie, c'est Duplessis qui en aurait eu l'initiative. Il aurait
mandé Fleury à Mantes et l'aurait exhorté à engager
son beau-frère à obtenir de Mayenne la permission de
traiter (2). Mais M"10 de Mornay affirme que Fleury vint
trouver son mari et le pria « de donner lieu au dit
sieur de Villeroy pour le voir et conférer ensemble des
moyens d'une paix » (3). Les lettres de Duplessis attribuent
aussi la démarche initiale aux politiques (4). La corres-
(1) F. Fr., 15909, fo 430.
(2) Mém., p. 180.
(3) Mém. de Mme de Mornay, I, p. 215.
(4) Mém. etcorresp. de Duplessis-Mornay , V, p. 224. «M. de Fleury
LE NEGOCIATEUR DES POLITIQUES 213
pondance de Fleury ne nous renseigne pas sur ce point
avec précision. Elle nous montre le beau-frère de Villeroy
allant et venant entre les deux partis, ayant deux ou trois
conférences préliminaires avec les frères Mornay, puis in-
sistant fortement auprès de Villeroy pour le décider à né-
gocier. Il résulte, à notre avis, que ni Villeroy ni Duplessis
ne doivent être soupçonnés d'avoir par amour-propre altéré
la vérité. Ni l'un ni l'autre ne parla le premier de négocia-
tions. C'est Fleury qui en prit l'initiative et qui, peut-être,
pour exciter le zèle de Villeroy, usant d'un mensonge inof-
fensif, lui affirme que Duplessis et les royalistes le re-
cherchaient.
Quoi qu'il en fût, Villeroy trouva Duplessis bien disposé
à la paix. L'ami du roi de Navarre avail écrit à Revol,
le 13 mars : « En faisant nos petites affaires, je tâche de
trouver voie pour les publiques... J'ai pensé qu'il était à
propos qu'il Villeroy nous put mieux éclaircir des inten-
tions de delà afin de ne conférer point inutilement... Je n'y
omettrai rien, car je sais que c'est le salut du roi et du
royaume (1). »
Ces dispositions conciliantes du roi provenaient de ses
insuccès militaires et des intrigues catholiques de son
camp, tout comme en octobre 1590. La résistance de
Rouen, sous Yillars, était très forte. L'armée de secours
franco-hispano-romaine s'était mise en marche au début
de février, chassant devant elle le roi de Navarre. La déli-
vrance de la ville était imminente. Le '20 janvier, les
troupes d'Henri IV avaient donné l'assaut et avaient été
repoussées. Le '20 février, deux brillantes sorties des Rouen-
nais causèrent beaucoup de mal à l'armée royale. Le 5
nous est venu voir et son beau-frère a eu pareille envie. » — Voir
pour toute cette négociation de mars, plusieurs lettres de Duplessis
au roi, à Fleury, à Révol. à Bouillon, de Fleury à Duplessis, à Buhy,
à Villeroy, de Villeroy à Fleury, etc. Mém. et corresp., p. 216 et suiv.
(1) Mém. et Corresp. de Duplessis, p. 223.
214 VILLEROY
février, le roi fut chassé d'Aumale par l'armée étrangère,
le 7 de Buchy. Le roi manquait d'argent. Les catholiques
le pressaient plus vivement que jamais de se convertir. Les
conflits entre huguenots et papistes se multipliaient: « Il n'y
avail point de labyrinthe pareil à celte complication d'in-
térêts qui divisait les différentes parties dont était com-
posée l'armée du roi (1). » On allait, jusqu'à accuser les
catholiques d'avoir empêché le roi de pousser le siège de la
ville, et d'avoir ainsi provoqué les succès de Villars (fin
février). Le roi, comme il avait fait dans de semblables
circonstances, songea à négocier, non par « prudence et
bonne volonté » , mais par « impuissance et nécessité » (1).
Or, Mayenne, malgré ses succès militaires, était lui
aussi disposé à traiter, car il se débattait au milieu de dif-
ficultés aussi graves que celles de son rival. Il lui était dé-
cidément impossible de s'entendre avec les princes de sa
maison, avec les Espagnols, avec la Ligue entière. Le fds
du Balafré se plaignait amèrement de ce que Je duc ne
lui avait laissé le premier rang auquel il croyait avoir droit,
et il intriguait auprès des villes pour supplanter son oncle.
Les ministres espagnols et le duc de Parme tourmentaient
continuellement le lieutenant-général, pour qu'il leur cédât
des places de sûreté et réunit les Etats Généraux afin
d'élire un souverain catholique : et ils faisaient entendre
que ce souverain ne serait pas Mayenne. Ils ne cachaient
plus les projets de Philippe II relatifs à l'établissement de
l'Infante. Don Diego d'Ibarra les avait l'ail connaître au duc
à Verdun, dès le mois d'octobre 1591. Le duc de Parme en
avail parlé ouvertement au mois de janvier suivant à Guise
et à la Fère. Ne comptant plus sur Mayenne, les Espagnols
agirent avec une franchise qu'on ne leur connaissait pas.
Ils commencèrent à distribuer directement l'argent aux
Seize, aux gouverneurs de villes, et au peuple sans l'inter-
(1) Mèm., p. 181.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 215
médiaire des chefs français. Aussi Mayenne, voyant se souder
peu à peu l'alliance entre l'élément étranger, l'élément po-
pulaire et son rival de la maison de Lorraine, commençait-
il à être las. Ce découragement devait l'amener à prêter
une oreille favorable aux propositions de paix du Béarnais.
C'était une conséquence prévuedetoutlemonde. Alexandre
Farnèse avait déjà jugé Mayenne, au mois de janvier, « un
peu différent de ce qu'il l'avait trouvé par le passé » (1).
Les ministres écrivaient à Philippe II qu' «il était difficile
de sortir d'affaire avec le lieutenant-général et qu'il ferait
probablement la paix par défaut de contentement » (2).L'é-
vêque Matteuci, commissaire général près Tannée du pape,
avait les mêmes appréhensions (3).
Ils avaient raison de ne pas se fier en Mayenne. Jeannin,
qui connaissait sa lassitude, écrivit le premier à Villeroy
(avant même d'être informé des entrevues de Duplessis et
de Fleury) et lui dit que leur chef était disposé à recon-
naître le roi et à traiter avec lui s'il voulait être catholique.
Il posait deux conditions préliminaires : les négociations
resteraient secrètes, et les princes catholiques qui étaient
auprès du Béarnais s'emploieraient à faire celle pour-
suite. La première condition était imposée, comme tou-
jours, par la crainte des Espagnols ; la seconde cachait
une arrière-pensée de. Jeannin el de Mayenne, le désir d'in-
quiéter le roi par la menace de l'abandon des catholiques,
el de l'adhésion du duc au Tiers-Parti.
Duplessis et Villeroy. avant d'entamer les négociations,
voulurent avoir une autorisation formelle de leurs chefs.
Duplessis se fit autoriser le premier. Le 18 mars, il reçut
une lettre du roi qui « trouvait bon qu'il entrât en confé-
(i; Lettre du 15 janvier 92. F. Fr. 3982, fo 33.
(2) Pap. Simanc., cités par Bouille, t. IV, p. 76.
(3) Ce mémoire envoyé à la Cour fie Rome au commencement de
92 expose avec une étonnante impartialité la situation en France au
début de cette année (voir L'Fpinois, p. 524-532).
216 VILLEROY
rence avec Villeroy sur les moyens de la paix » (1). Ville-
roy envoya un trompette à Mayenne pour lui demander
ses intentions au sujet du point essentiel que Mornay avait
mis en avant dès les premiers jours, le point de la religion.
c( Jamais négociation ne fut plus difficile à enfourner
que celle-ci de la paix. » Les difficultés ne consistèrent pas
seulement dans la complexité des problèmes à résoudre et
dans le grand nombre des intermédiaires entre les deux
partis, avec la confusion qui en résultait. Villeroy fut vic-
time des mêmes défiances que par le passé. Lorsqu'un ma-
lentendu provoquait un retard dans les négociations, il était
blâmé « comme s'il en eût été cause ». Mais, avec sa téna-
cité habituelle, il poursuivait son but.
Il voulut d'abord, tout en négociant avec Duplessis, en-
tamer une négociation parallèle avec les catholiques roya-
listes. Il craignait en etfet que la religion de Duplessis ne
fût un obstacle assez redoutable : Mayenne et son entou-
rage n'en seraient-ils pas effarouchés? Duplessis lui-même,
dont on connaissait l'attachement au protestantisme, serait-
il disposé à faire toutes les concessions nécessaires ? Puis
pour être plus fort auprès du roi de Navarre, l'appui d'un
ami et confident huguenot n'était pas suffisant : il fallait la
pression opérée par tout le parti catholique sur la volonté
de son chef. Enfin, pour résoudre certaines questions dé-
licates, telles que la réconciliation avec le pape, l'aide de
Gondi et de Nevers, parents du duc de Florence, ami de
Clément VIII, était nécessaire. Aussi Villeroy pria-t-il le
sieurdeLoménie, un royaliste emmené prisonnier à Pontoise,
d'avertir le roi de Navarre de son désir de parler à Ne-
vers et à ( îondi. Le roi envoya le *25 mars à Duplessis l'ordre
de tenir tout en surséance pendant qu'il envoyait La Ver-
rière à Gondi pour le prier de se mettre en relations avec Vil-
leroy. Ce dernier vit le cardinal à Noisy. Là ils convinrent
(1) Mém. et Corresp. de Duplessis, p. 232.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 217
qu'on proposerait au roi « d'assurer son intention à la reli-
gion devant un temps préfix », « de permettre aux catho-
liques qui l'assistaient d'envoyer devers le pape pour être
secouru de son bon conseil et autorité en la dite instruc-
tion, et cependant d'aviser secrètement aux moyens d'assu-
rer la religion catholique et les communautés du parti de
la Ligue pour en user... par une surséance d'armes ou au-
trement » (1).
Cette démarche auprès descatholiques suscita la défiance
de Duplessis à l'égard de Villeroy. Il crut que le conseiller
de Mayenne ne voulait pas entrer en relations avec lui. Et
cependant Villeroy, qui avait reçu enfin l'autorisation de
son chef, savait combien « il importait de négocier avec
des personnes confidentes » (2). Il se disculpa dansune
lettre à Fleury qui s'élait entremis de nouveau pour répa-
rer le malentendu. « Si je n'eusse voulu traiter avec M.
Duplessis, disait-il, je n'eusse obtenu permission de M. de
Mayenne de le faire, comme il est porté par la lettre ; aussi
me semble qu'il l'a pris assez crûment sur cette lettre (3). »
La première entrevue entre Duplessis et Villeroy eut lieu
à Buchy, le 3 avril et fut tenue secrète, selon les désirs de
Mayenne. Villeroy parla très franchement de ce qui
s'était passé les jours précédents pour ôter les inquiétudes
de Duplessis — il réussit parfaitement — et lui communi-
qua les instructions de Jeannin et de Mayenne. Mayenne
voulait traiter avec le roi lorsque celui-ci « aurait donné
l'assurance de changer de religion après son instruction ».
Duplessis objecta que ce mode de conversion était indigne
du roi de Navarre, qui pouvait promettre son instruc-
tion, mais non le retour à son ancienne religion. Il pro-
posa une rédaction qui s'éloignait beaucoup de la pensée
|1) Mém , p. 182.
(2) Mém., ibid.
(3) Lettre de Villeroy à Fleury, 27 mars (Mém. et Corresp., p. 269).
218 VILLEROY
de Mayenne, qui ne correspondait peut-être pas encore aux
intentions de Villeroy, mais qui différait sensiblement de la
conception première de l'ami huguenot d'Henri IV. « Le
roi promettra son instruction dans un temps préfix, avec
désir et intention de s'unir et joindre à l'Eglise catholique,
moyennant la dite instruction laite comme il convient à sa
dignité » (4 avril). C'était un premier succès de la diplo-
matie de Villeroy (1).
Villeroy voulut en même temps voir le duc de Nevers et
s'assurer son appui. Ce prince déplaisait à tous les protes-
tants et à nombre de catholiques par ses perpétuelles exi-
gences, sa réserve hautaine, sa volonté obstinée de ne pas
secourir le roi à la guerre, mais de rester à la tête de son
gouvernement de Champagne qu'il disait vouloir conserver
à la couronne. Ce personnage énigmatique était en réalité
un politique, très catholique, anti-espagnol et trop pratique
pour croire à l'avènement d'un autre roi qu'Henri IV con-
verti. Après la bataille d'Ivry il avait écrit un Traité de la
prise d'armes qu'il avait l'ait tirer à trente exemplaires et
distribuer au roi et à son entourage. Il y déclarait qu'il ne
reconnaîtrait le roi que catholique et appelait de tous ses
vœux le jour de l'abjurai ion qui rendrait à la France le
bonheur perdu (2). Depuis longtemps Villeroy le suppliait
de s'employer plus activement « à empêcher la chute de
celte Couronne» (3). Après son entrevue avec Duplessis, il
alla le trouver à Montfort, et tous deux se mirent vite d'ac-
cord sur le point de la conversion « faite toutefois digne-
ment » (4). Bellièvre avait servi d'intermédiaire. Il avait
(1) «... que S. M. promettra de rechercher tous moyens convenables
pour être instruite en la religion, ne pouvant avoir plus grand conten-
tement, comme elle en prie Dieu journellement, que de se voir uni,
la paix de sa conscience, à l'Eglise catholique. » (Mémoire au roi,
du 28 mars, dans Mém. et Corresp., ï.d., p. 246.)
(2) Mém. de Nevers, t. II, p. 83 et suiv.
(3) Mém. du duc de Nevers, p. 391.
(4) Mém., p. 184.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 219
informé Villeroy du désir qu'avait Nevers de le voir et
l'avait assuré que le désir ce prince était « bon et
saint » (1).
Villeroy informa Mayenne de ces trois démarches, et lui
demanda de modifier ses premières conditions, afin de ne
pas paraître violenter la conscience du prince (9 ou 10
avril). Quinze jours se passèrent avant que Mayenne, très
absorbé par les opérations militaires qui précédèrent la
délivrance de Rouen, ne se décidât à répondre. Cette len-
teur, comme il fallait s'y attendre, rendit à Mornay tous
ses soupçons, à Villeroy toutes ses inquiétudes. Ce dernier
s'énervait, jugeait Mayenne un « mal habile homme... qui
en portera seul la folle enchère de quelque côté que le vent
vente ». Il recommençait à parler de sa retraite prochaine.
Enfin, le 25 avril, arriva une réponse (2). Elle parlait de
tout, du pape, des Espagnols, des Etats-Généraux, du Béar-
nais : on comprenait que Mayenne était toujours dans ses
irrésolutions. Beaucoup d'initiative était laissée à Villeroy.
Une certaine ligne de conduite lui était indiquée ; on lui
recommandait d'aviser surtout « aux moyens des sûretés
pour la religion, pour le parti et pour la maison » du lieu-
tenant-général. Ce programme, tout imprécis qu'il lut,
donnait l'impression que la politique des marchandages
commençait, et que chacun, suivant le mot de Mateucci,
" lirait l'eau à son moulin » (3).
Sans attendre des instructions plus précises, Villeroy,
désireux de ne pas perdre de temps, suivant sa lactique
familière, essaya d'engager les princes dans la négociation,
en mettant en avant des articles rédigés par lui-même. Ici
se place un petit incident que nous rapporte Villeroy. Les
(1) Bellièvre à Villeroy, 26 mars 1592, P. Fr. L5893, 1- 20.
(2) C'était la copie d'une lettre iln 14 avril, écrite par Jeannin, au
nom de Mayenne, et accompagnée d'une missive de Jeannin, datée du
22. Elles sont longuement résumées dans les Mém., p. 186-188.
(3) Mémoire de Mateucci, cité par l'Epinois. p. o33.
220 VILLEROY
royalistes n'avaient pas su garder le secret des conférences.
On l'avait appris par une lettre de d'Entragues tombée aux
mains de la duchesse de Guise qui s'était empressée de la
transmettre à Farnèse pour nuire à Mayenne. Villeroy,
quand il revit Duplessis, commença, sans lui conter tout
au long l'incident, par lui demander instamment le secret
de la négociation et voulut même en être assuré par la pa-
role royale (1). La question des assurances, sur la conver-
sion, resta dans le vague. Indécis sur une question qui
louchait la conscience personnelle du roi, il fut très net
sur tout le reste qui était du domaine de la politique, de
l'administration, des intérêts particuliers et généraux. Il
demanda le rétablissement de la religion catholique et des
droits, franchises et biens ecclésiastiques. Il traita la ques-
tion de la liberté du culte, de l'amnistie. Il soutint tout ce
qu'il y avait de juste clans les revendications ligueuses : les
franchises municipales, l'exemption des garnisons, la réu-
nion des Etats tous les six ans, la répression des abus
financiers. Pour le « particulier » de Mayenne, il énuméra
approximativement les concessions à faire : la Bourgogne
et le Lyonnais à Mayenne, la survivance pour ses enfants,
le payement de ses dettes, un gouvernement à Nemours,
la Champagne à Guise, la Picardie à Aumale,laNormandie
à Villars, l'Ile-de-France à Rosne, le Berry et l'Orléanais à
La Châtre.
Villeroy et Duplessis ne voulaient pas s'éterniser dans
des discussions platoniques. Un dernier effort de Villeroy
arracha enfin une réponse à Mayenne (8 mai). Villeroy
écrivit le 30 avril et ne reçut la réponse que le 10 mai. Il
nous raconte que pendant ces dix jours d'attente, il éprouva
les mêmes craintes et le même découragement qu'entre le
14 et le '25 avril. Le duc avait toujours « l'esprit bandé et
occupé à la guerre sans intermission ». Jeannin voyait tout
(1) Mém., p. 180.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 221
en noir : à l'entendre, le roi ne se convertirait jamais, le
pape ne l'approuverait pas (1). Pour la première l'ois depuis
trois ans, le lieutenant-général formulait ses intentions
d'une manière précise. Ses exigences étaient 1res grandes.
Le nombre des gouvernements et places à donner aux
Lorrains était considérablement augmenté, et les condi-
tions de leur cession aggravées. Puis, tandis que Villeroy
sacrifiait à la nécessité les questions d'amour-propre, le
chef des ligueurs français et Jeannin s'attachaient de plus
en plus à sortir de la lutte avec honneur. Leurs armes
étaient justes, aussi ne voulaient-ils point d'édit d'abolition,
mais un traité en forme avec le roi. « L'édit d'abolition
ou oubliance des choses passées » était interprété comme
une marque de désapprobation pour les actes de la Ligue.
La paix devait être un traité par lequel ils reconnaîtraient
Henri pour roi à certaines conditions.
Villeroy nous dit qu'il ne put « achever de lire ladite
lettre sans soupirer ». « M. Duplessis, d'après les Mémoires
de M"1'' de Mornay, se montra fort offensé et tout prêt à
rompre. » De telles conditions entraînaient presqu'un dé-
membrement delà France. « A la vérité, M. de Villeroy
était honteux de proposer ces articles (2). »
Villeroy avait prié Duplessis de tenir tout secret et Du-
plessis l'avait promis. Il apprit bientôt qu'à Buchy, en pré-
sence du roi et d'une partie du conseil, il avait tout révélé
en se plaignant de la dureté des conditions demandées. Il
avait même supplié leroideneplustraiter avec les ligueurs.
Duplessis a été défendu contre les allégations de Villeroy
dans un écrit anonyme publié à la suite de ses mémoires.
Le plaidoyer est très habile : il montre l'incertitude des
dires de Villeroy, la contradiction des propos attribués à
(1) Mém., p. 190. La lettre du 8 mai est résumée dans les Mém., p.
190-193.
(2) Mémoires de Mme de Mornay, p. 219.
222 VILLEROY
Duplessis (d'après d'O et Beaulieu, il aurait parlé à Gisors,
d'après le (ordinal de Bourbon à Vernon, d'après Fauteur
des Mémoires à Buchy . l'absence de toule trace, dan- 1rs
registres, papiers el mémoires de Duplessis, des propos
qu'il tint au roi, et même de son désespoir au sujet de
l'issue des négociations. Puis, on t'ait remarquer queVille-
roy ne fit aucun reproche à Duplessis, et même après cet
incident, s'adressa deux fois à lui pour parler au roi. Le
roi lui dit qu'il avait du déplaisir des bruits qui couraient
de sa négociât ion . mais qu'il ne savait à qui s'en prendre, que
cette faute n'était venue ni de lui ni de ceux qu'il avait
employés. Enfin, Duplessis lui-même protesta contre cette
accusation quelques mois avant sa mort, quand il entendit
lire les mémoires de Yilleroy. — L'auteur du mémoire plai-
doyer ne croit pas à une imposture deVilleroy, mais à une
erreur dont il ne serait pas tout à fait responsable. Car on
(Hait jaloux de Duplessis. Deuxhommesparticulièrementle
haïssaient, Biron et d'Aumont et tâchaient de lui ôter des
mains la négociation, parce qu'ils savaient bien que Du-
plessis encourageait le roi à rester fidèle à sa religion (1).
Après un tel scandale qui menaçait de détruire son œuvre,
le devoir de Yilleroy était de s'adresser directement au roi,
à son entourage, à Mayenne, pour connaître leurs inten-
tions, dissiper leurs soupçons, en un mot, pour réparer le
mal déjà fait, et savoir ce qui restait à faire. Ces démarches
l'occupèrent durant le mois de mai et une partie de juin.
Les circonstances le servirent bien. Malgré la susceptibi-
lité excessive des deux partis, ni les uns ni les autres ne
voulaient rompre définitivement. On chercha donc autant
à voir Villeroy qu'il cherchait à voir les autres.
Il apprit d'abord que le roi désirait lui parler. Il allait se
(1) Mém. '7 corresp., t. V, p. 326-328. « Et ici, es mémoires de
M. Duplessis est écrit par apostille ce qui suit... » — Voir aussi Sully,
Ec. Roy., i. l. p. 1 14 et suiv.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 223
rendre auprès de lui, quand il sut qu'il était parti de Bu-
chy « un jour plus tôt qu'on ne le lui avait mandé ». Biron,
Bouillon etd'O, qui étaient à Gisors, le prièrent d'aller les
voir : il hésita, car il aurait voulu parler d'abord à Mayenne ;
mais il se rendit à Gisors, après de nouvelles instances. Il
leur parla de la nécessité de faire des concessions même
coûteuses. Mais eux ne discoururent qu'avec incertitude
au sujet de la conversion du roi. Ils ne paraissaient pas d'ac-
cord sur la question de l'intervention pontificale (1). Après
ces entrevues, Villeroy se rendit à Rouen et trouva le duc
en meilleure santé, circonstance heureuse, car sa maladie
avait été une des causes du retard des négociations. Il fit
tout ce qu'il put pour dissiper les préventions du duc à
l'égard du roi et de son entourage. Avec adresse il « dora »
la situation, et revenant à une vieille question qu'il consi-
dérait toujours comme actuelle, il le mit de nouveau en
défiance des Espagnols, des ligueurs exaltés et de son
neveu et rival le duc de Guise (2).
Il n'obtint pas le succès qu'il aurait souhaité. Le duc
était « fiché » à « son but » « et il n'y avait plus de moyen
de l'en faire départir » (3). Son intention nette était de ne
pas traiter avec le roi avant sa conversion. Il chargea Ville-
roy de lui dire qu'il voulait savoir, avant de continuer,
« l'intention du pape sur l'instruction et conversion de
S. M. » et « communiquer avec ceux du parti lesquels il
espérait assembler bientôt pour prendre avec eux une ré-
solution sur le général ».
Villeroy se rendit ensuite à Gisors, et le 16 juin (4) y eut
une entrevue avec le roi de Navarre, qui se montra 1res
conciliant. Il évita de traiter avec précision les deux points
(i) Mém., p. 193.
(•2) Mém., p. 1 97.
(3) Mém., p. 198.
(4) La date est indiquée flans le Journal d'un bourgeois de Gisors,
p. Si, cité par Tlipinois, p. 568.
224 VILLEROY
particulièrement délicats de la conversion et du particu-
lier de Mayenne, bien qu'il promît de contenter ce der-
nier « d'honneurs et de biens plus qu'il n'en tirerait ja-
mais d'autres etmême desdits Espagnols »(1). Mais il s'en-
gagea à faire partir au plus tôt Gondi etPisanipour Rome,
et à attendre que Mayenne eût convoqué ses partisans. Il
fit seulement remarquer que le duc « devrait prendre garde
que l'assemblée qu'il prétendait faire fût composée prin-
cipalement de personnes de qualité et d'honneur ».
Puisque, d'un commun accord, on voulait attendre la
décision du pape et des Etats généraux, avant de continuer
à négocier, la tâche de Villeroy était terminée. Il le com-
prit et demanda au roi un passeport pour se retirer en sa
maison. Henri IV le lui accorda sans difficultés.
lue des raisons qui avaient poussé Villeroy à se retirer
àlIallaincourtetnonàParis était la crainte d'être obligé « de
rendre compte de ce qu'il avait négocié à autre qu'audit
duc du Mayne » ; car le « bruit de sa négociation avait ému
tout le monde » ('2). Depuis le mois de mars, les prédica-
teurs tonnaient contre ceux qui demandaient la paix. « Le
15 mars, raconte l'Etoile, M. Rose les maudit en son ser-
mon des fièvres quartaines... Feu-Ardent cria fort contre la
paix qu'on voulait faire (3). » « Le 17 mars, sur le bruit...
que la paix était faite, fondé sur les allées et venues que
faisait M. de Villeroy en l'armée du roi qui était devant
Rouen », il fallut que M. Belin allât « à la cour du Parle-
ment et les assurât, quelque chose qu'ils ouïssent dire et
les prédicateurs se formaliser et prêcher qu'il n'y avait
point de paix (4)... » L'ignorance de nouvelles précises et
la longueur de ces négociations exaspéraient à tel point
des prédicateurs qu'ils excitèrent parfois la populace « à
<H Mém., p. 199.
(2) Mèm., p. 200.
(3) L'Estoil.', t. V, p. 162.
(4) Ibid.
LE NEGOCIATEIJK DES POLITIQUES ZZ.)
prendre les armes et à tuer les politiques » (1). On com-
prend que Villeroy n'éprouvât guère le désir de séjourner
à Paris, quand le curé de Saint-Jacques criait en chaire
que « tous les politiques de Paris étaient damnés comme
Judas » et voulait massacrer ceux « qui parlaient de rece-
voir ce petit teigneux et fils de p... de roi de Navarre en
revenant à la messe et se faisant catholique ».
La nouvelle des négociations de Villeroy eut une autre
conséquence que le ministre n'avait pas prévue. Elle
accrut la désagrégation de la famille de Mayenne. Les
duchesses qui « portaient culottes » (2) et par leur vanité,
leurs ambitions, leurs jalousies, avaient toujours l'ait la plus
détestable des politiques, apprenant que Villeroy traitait,
lui recommandèrent les intérêts des membres de la famille
qu'elles soutenaient particulièrement. A la fin de juin,
Mmes de Montpensier et de Guise le prièrent de proposer
au roi le mariage du duc de Guise avec Madame, sœur du
roi. Il est inutile de dire que Villeroy ne tint aucun compte
de cette demande.
Sien ce temps-là les négociations n'aboutissaient pas à
des résultats positifs, au moins ces parlottes, ou ces bou-
tades, comme les appelaient certains grands seigneurs
sceptiques delà Ligue, énervaient la résistance des partis.
empêchaient la guerre de tourner à une lutte à outrance
et avançaient sensiblement l'heure de la réconciliation na-
tionale (3). Il ne faut pas négliger non plus quelques petits
(1) Mém., p. 200.
(2) Selon le mot de Matteucci dans s<m Mémoire (L'Epinois, p. 533).
(3) « Vous savez, écrivait La Châtre à un ami. que ces boutades-lù
se t'ont toujours au printemps une fois, et une autre en automne :
après ei, après là, l'on apporte toujours quelque difficulté aux réso-
lutions. » l'apiers des Pot de Rhodes publiés par le président Hiver,
p. 124. L'ambassadeur vénitien exprime le même scepticisme : t Non
si. sa ehe sperare da queste trattazioni tante volte incominciato, tante
si sono sempre use infrutuose. » (Dép. du '■> avril 92. F. Ital., 17 il,
f° 22.)
Villeroy lo
226 VILLEROY
profits que certains coins du territoire reçurent de ces
négociations. Villeroy trouva moyen de rendre service à la
cause publique tout en sauvegardant les intérêts de sa fa-
mille. Le 1er septembre, en effet, fut conclue, sousses aus-
pices, à Meulan, une trêve de sept mois, pour la région
avoisinant Pontoise, qui fut ratifiée par le roi le 30 de ce
même mois (1).
Le moment était bien choisi pour conclure un armistice
dans le Vexin Français: la population était absolument
('puisée (2). De plus le Yexin Français n'était plus le théâ-
tre principal delà guerre, qui, à la fin de cette année 1592,
s'éternisait en Normandie, en Dauphiné, en Champagne,
mais épargnait la région parisienne. Villeroy ne faisait
donc aucun tort à son parti en obtenant une suspension
d'armes pour rétendue du gouvernement de son fils, et
il atteignait son but, qui était d'éviter de fournir des
armes contre lui à ses adversaires royalistes, et de hâter
la pacification générale en donnant l'exemple à ceux qui
seraient tentés de conclure des trêves particulières. Telle
esl la portée qu'on doit donnera l'acte de Villeroy, si on le
compare à la conduite qu'il tint au mois d'avril, pendant
la maladie de son fils.
Au milieu d'avril, le duc de Mayenne avait mandé tous
les secours qu'il avait pu trouver pour le siège de Rouen,
notamment les troupes d'Alincourt. Son intention était si
nette, qu'il s'était empressé, on se le rappelle, de renvoyer
Gastelnau, lieutenant de son fils à Pontoise, sans lui don-
ner de réponse pour Villeroy, craignant que son absence
ne retînt d'Alincourt dans la ville. Or, Duplessis écrivait,
le 15 avril, au roi : (3) « Ledit sieur de Halincourt, soit à
(1) Archives de la ville de Pontoise. Le texte est reproduit dans les
pièces justificatives de Le Charpentier, n° IX, p. xi.iv.
(2) De très nombreux faits cités par Le Charpentier prouvent la
dévastation de ce pays de 1589 à 1592.
(3) Mém. et corresp., t. V, p. 286.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 227
feinte ou à bon escient, se mit hier au lit et ne se hâte pas
fort d'y aller. » Villeroy avait craint sans doute que cela
n'entravât ses négociations. C'était peut-être aussi une ma-
nière de témoigner à Mayenne son mécontentement au
sujet de la continuation de la guerre.
Quoi qu'il en fût, Villeroy affirmait sérieusement que son
fils était malade : ainsi le 16, il avait eu trois accès de fièvre
el avait pris médecine; le 18, il avait été saigné, etc. Coïn-
cidence étrange, « le pauvre M. de Castelnau, écrivait-il le
16 avril, n'a bougé du lit depuis son retour et se porte très
mal • (1). Il arriva donc que ni le gouverneur ni son lieu-
tenant ne purent aller au secours de Mayenne. C'était l'é-
poque où Villeroy se lamentait sur la folie de Mayenne
qui s'obstinait à la guerre, et disait : « Ceux qui l'assistent
ont grand tort » (2).
III
La fin de l'an 1592 et le début de l'année suivante appor-
tèrent quelques déceptions aux politiques. Le « voyage »
de Rome et les préliminaires de la réunion des Etats n'an-
noncèrent pas un acheminement vers la paix générale.
Les royalistes avaient pourtant agi avec la prudence et
la bonne foi que Villeroy avait désirées. A la lin du mois
d'août, le duc de Nevers avait écrit à Rome pour supplier
le pape et les cardinaux de ne pas « se laisser aller aux
passions des ambitieux qui gâteraient tout sans remède» (3).
Le cardinal de Rourbon, d'O, Cheverny, Montmorency
avaient envoyé un autre mémoire pour disposer le pape en
faveur du roi de Navarre. Le cardinal de Gondi partit au
(1) Villeroy à Fleury, 18 avril 1592, Mém. et corresp., t. V, p. 301.
(2) Ibid., p. 300.
(3) Lettre du 27 août 1592, F. Fr. 3982, fo 22.
228 VILLEROY
début d'octobre, porteur d'une lettre d'Henri IV. Il dut
s'arrêter à Florence. Le pape lui défendait d'entrer dans les
États de l'Église. A ce moment, Clément VIII accueillait
honorablement Anne des Cars, évêque de Lisieux, Givry
et Desportes, envoyés par Mayenne pour lui démontrer que
le roi de Navarre ne se convertirait pas ou mentirait en se
convertissant, et qu'il serait nécessaire de faire élire un
prince lorrain. Mais Clément VIII était fort embarrassé. Il
ne manifestait pas un grand enthousiasme pour les Lor-
rains, avait très peu de sympathie pour les Bourbons et
disait : « Il y a tant d'intérêts particuliers que j'en déses-
père » 1). Villeroy était informé de tout ce qui se passait
à Home par le représentant de Mayenne, le commandeur
de Diou, qui ne lui cachait rien, bien qu'il fut un ennemi
acharné du roi de Navarre.
La réunion des États fut pour Villeroy un autre sujet
d'inquiétudes non moins graves. Il semblait que ces États,
convoqués le lendemain de la mort des Guises, pour le 15
juillet 1589, promis par Henri IV à son avènement, convo-
qués par Mayenne pour le 3février90à Melun, ajournés par
le siège de cette ville et la victoire d'Ivry, convoqués de
nouveau en janvier 91, puis en juillet, et acceptés par le
roi de Navarre lui-même, allaient cette fois se tenir irré-
vocablement. Il y eut pourtant un intervalle de' six mois
entre leur convocation et leur réunion. Mayenne hésita
jusqu'au dernier moment. A la fin de novembre 1592, il
fallut les instances de toute la Ligue française, italienne et
espag-nole pour le décider à lancer le décret de convoca-
tion. Et quand il fut lancé, le lieutenant-général fit publier
(5 janvier 1593) un manifeste qui était un factum violent
contre le roi de Navarre et ses adhérents. Il établissait que
(!) Lettre d'Anne des Cars, 27 octobre 92, F. Fr. 3*J82, fo 129.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 229
la Ligue avait légitimement combattu contre un prince
qui s'était placé en dehors de la loi du royaume, et prédi-
sait la subversion totale de la religion, si on lui prêtait
obéissance (1). Cette exhortation dut paraître une grave
imprudence à Villeroy qui craignait toujours que le roi de
Navarre ne fût poussé à bout, et que les États ne subissent
l'influence des Espagnols ou « des ambitieux ».
Ainsi les deux partis que Villeroy avait cru rapprocher,
après trois mois de négociations en 159?, paraissaient s'é-
loigner an moment où commençait la consultation natio-
nale, qu'il avait réclamée dès le début de la guerre,
comme un des principaux remèdes à la situation.
Pourtant, il ne désespéra pas, car sa politique était ap-
puyée par une partie de l'opinion, qui se fortifiait tous les
jours. A Paris, le nombre des politiques augmentait et de-
venait de plus en plus actif. L'Estoile note ce mouvement
dès le début d'octobre. « On commença, dit-il, des assem-
blées à Paris... où il fut proposé par beaucoup de bons
bourgeois et en grand nombre d'envoyer vers le Roi le
semondre de se faire catholique (2). » On les appela les
Semonneux, pour les distinguer de ceux qui voulaient re-
connaître le roi même hérétique. Semonneux et non se-
monneux faisaient perdre aux Seize beaucoup de ter-
(1) Cette exhortation « abrégée de tous les libelles séditieux et
harangues vomies contre le feu roi et le roi à présent régnant » (sui-
vant l'auteur de la Fleur de Lys, cité par P. Gayet) — est résumée dans
de Bouille, IV, p. 126-129.
(2) L'Etoile, t. Y, p. 182. — Une lettre de Bellièvre à Villeroy, du 30
décembre 1592, constate cet universel besoin de paix. « Hésiode dit que
le fol devient sage quand il a senti le mal. Soyons au moins de ceux-
là. » Il appréhende la venue d'une armée étrangère: « Tout ce qui peut
demeurer de maisons et commodités aux envions de Paris... sera
exposé au sac et au feu. Il ne demeurera une seule grange où l'on
puisse conserver les fruits que les uns et les autres espèrent recueillir
de leurs terres. J'estime fort ignorants ceux qui pensent le contraire et
«le très mauvaise volonté ceux lesquels prévoyant le mal y consentent
et n'y remédient de tout ce qui est en leur pouvoir ». F. Fr. 15895,
P» 240.
230 VILLEROY
rain (1) et facilitaient considérablement la tâche que
s'élail imposée « l'archipolitique » Villeroy (2).
Au milieu de toutes ces difficultés, Villeroy compta sur-
tout sur lui-même. 11 comprit, dès le début, que la nouvelle
assemblée, composée exclusivement de Ligueurs, serait
travaillée par les Espagnols pour leur roi, par Mayenne
pour lui-même et que, pour arriver à la reconnaissance du
roi de Navarre, il fallait faire disparaître le schisme qui
existait entre catholiques. Il s'avisa donc « de proposer et
moyenner » que les catholiques serviteurs de S. M. recher-
cheraient ceux de la dite assemblée, à l'ouverture d'icelle,
d'une conférence pour ensemble aviser aux moyens plus
propres pour conserver la religion catholique et le royaume.
Après avoir obtenu l'approbation de Jeannin et d'Épinac, il
écrivit à Fleury, son beau-frère, pour qu'il proposât ce
moyeu au duc de Ne.vers ou à un autre grand catholique
de l'entourage du roi (3).
Villeroy est le seul à s'attribuer l'honneur d'une telle
initiative : ni Sully, ni Mornay ne parlent de lui (4). Il faut
reconnaître qu'ils ne s'entendent pas non plus sur la dési-
gnation de la personne qui décida le roi. Peut-être Nevers,
ou ceux des ligueurs catholiques consultés par Fleury,
laissèrent-ils ignorer que l'idée venait de Villeroy. Il est
plus vraisemblable de dire que cette idée n'appartient pas
en propre ni à Villeroy ni à aucun autre: le projet de con-
férence était le seul parti indiqué par le bon sens à tous les
esprits désireux de conciliation, et en premier lieu à Henri
IV lui-même. Ces réserves faites, il faut reconnaître que
cette idée s'adaptait parfaitement à toute la conception po-
(1) I'iilma-Cayet, p. 394-401.
(2) Ainsi le qualifia l'évêque de Senlis dans une lettre du 31 octobre
citée par Bouille, Hist. des ducs de Guise, t. IV, p. 114.
(3) Mém., p. 202.
(4) Sully, AV. Roy., I, p. 115, parle brièvement de la résolution qui
fut prise d'une conférence, sans nommer personne.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 231
litique de Villeroy. Réunir la conférence, c'était mettre au
premier plan la négociation entre les représentants du roi
et «eux de la Ligue et rendre secondaires les débats des
Etats: c'était par conséquent s'opposer aux tendances es-
pagnoles ou autres qui ne manqueraient pas de se mani-
fester dans cette masse anarchique. Par là aussi, Villeroy
se préparait un rôle beaucoup plus actif et plus utile, car
il était plus apte à faire prévaloir son avis dans un petit
cercle de négociateurs de choix que dans une grande as-
semblée incohérente.
Les royalistes adressèrent doue, avec l'agrément d'Hen-
ri IV, une demande aux Etats, afin de « chercher les moyens
d'assoupir les troubles et de conserver la religion catho-
lique » il) (29 janvier). « Villeroy assista au conseil où il fut
décidé que la proposition des catholiques royalistes serait
transmise aux Etats. Les plus acharnés opposants étaientle
cardinal de Pellevé, le cardinal de Plaisance et D. Diego
d'Ibarra. Les « gens de bien », qui étaient d'Epinac, Jeannin.
Belin et de Rosne, firent triompher l'avis modéré. Les deux
premiers surtout se montrèrent énergiques. L'archevêque
de Lyon était beau parleur et présidait en second les Etats ;
Jeannin était de longue date accoutumé à discuter avec les
Espagnols (2).
Les politiques ne bornèrent pas là leurs efforts. Ils ten-
tèrent de mettre la main sur les Etats dont la composition
les inquiétait, et d'y faire triompher leurs projets de conci-
liation. Il fut résolu dans le Conseil du duc, à l'instigation
(1) Doc. inéd. sur l'hist. de France. Bernard, Procès-verbaux des
Etats de 1593, p. 40 et suivantes P. Cayct, p. 424.
(2) Voir te récit du secrétaire de Jeannin (F. Fr. 17282, f° 81), les
Pap. Sim. K. 1569, f° 214.11 faut noter que pendant tout le mois de
janvier, il y eut entre les principaux; politiques des assemblées secrètes
qui intriguèrent vivement les Espagnols. I barra les signale au roi
d'Espagne. Pap. Sim. K. 1538, 39. Seul PEstoile, t. V,p. 216, a noté le
rôle de Villeroy dans le conseil. Il parle des prétentions de Pellevé et
ajoute « à quoi contredit fort M. de Villeroy ».
232 VILLEROY
de Jeannin, d'Epinac et de Villeroy, que les membres du
Parlement et des Comptes, ceux du conseil de Mayenne,
les officiers de la Couronne et les gouverneurs des pro-
vinces assisteraient aux séances et que « chaque corps
ferait sa voix à part » (1). Les politiques espéraient ainsi
contrecarrer les voix des trois ordres, « lesquels étaient
pour la plupart factieux, nécessiteux et ennemis du repos
public» (2). L'ordre ecclésiastique se composait en effet
principalement des prédicateurs de Paris et autres ligueurs,
la noblesse figurait à peine dans les Etats : il n'y avait pas
de grands noms, mais quelques gentilshommes de second
ordre avec des intentions diverses. Le Tiers était formé de
trois groupes : les exaltés, les ligueurs français et les poli-
tiques (dont les principaux étaient le président Le Maistrè
et Etienne Bernard). La situation des partis était donc la
suivante : dans les deux ordres privilégiés, les ligueurs
dominaient ; dans le Tiers, les ligueurs français unis aux
politiques auraient pu contrebalancer l'influence des Es-
pagnols ; mais savait-on si à la suite d'événements nou-
veaux, les exaltés ne s'uniraient pas aux ligueurs français
pour soutenir la candidature de Mayenne ou d'un Lorrain ?
Or, la résolution prise dans le conseil de Mayenne renfor-
çait l'élément politique dans le Tiers, par l'adjonction des
politiques parlementaires et des politiques de l'entourage
du duc, et fortifiait Tordre nobiliaire ; c'était un gain pour
la politique de Villeroy, car la grande masse de cette no-
blesse se serait plutôt « donnée au grand diable qu'au roi
d'Espagne », et parmi les gouverneurs de province, les
uns étaient jaloux de Mayenne, les autres disposés à con-
clure des marchés avantageux avec le roi de Navarre.
Ce projet n'aboutit pas. On permit bien aux « compa-
il) Mém., 203.
(2;. Mém., 203. Cette tentative des politiques n'a pas attiré l'attention
des historiens.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 233
gnies » d'assister aux séances, mais leurs voix ne furent
pas comptées.
Aussi Yilleroy jugea-t-il inutile de paraître aux Etats,
qui s'ouvrirent le 26 janvier 1593. Il assista à la séance
d'apparat où Mayenne et Pellevé prononcèrent les
laineux discours ridiculisés par la Satire Ménippée. Mais à
partir de ce jour il n'y revint plus (1). 11 esl probable d'ail-
leurs qu'il ne s'y serait point senti à sa place. Cet homme
silencieux, timide, sans prestige extérieur, « nourri au
conseil du roi » où l'on cause poliment, froidement, dans
un cabinet, n'était pas apte à faire figure dans les réunions
nombreuses et tumultueuses, pleines de « brigues et de
partialités » « lesquelles sont ordinairement accompagnées
de reproches, aigreurs et violences insupportables » (2).
Il avait pourtant espéré y aider « les gens de bien » et à cet
effet avait composé une belle harangue.
L'exorde en est modeste, insinuant, habile : « Messieurs,
si jamais il a dû être permis, et fut onques nécessaire de par-
ler librement en une délibération, c'est en celle qui se pré-
sente, en laquelle il s'agit de la défense de notre religion
et de la disposition du royaume et de nos personnes... »
Après avoir invoqué la « divine Majesté » il supplie l'as-
semblée de lui permettre d'user « de la liberté et franchise
d'un homme de bien » . Il ne prend point l'attitude hautaine
(1) Pendant son séjour à Pontoise, Yilleroy écrivit à Bellièvre une
longue lettre datée du 26 décembre 1592 « sur le sujet de la pacifica-
tion des troubles du royaume, de la conversion du roi de Navarre et de
la tenue des états pour l'élection d'un roi catholique ». 11 rappelle en
détail tout ee qu'il a fait pour la paix, à son grand regret < plus lidèle-
menl qu'utilement ». C'est comme une première esquisse de l'apologie.
F. Fr. i:;S'J5, l'o 231-239. Bellièvre lui répondit le 30 décembre de
Grignon (Ibid., f° 240-24 5), approuvant le « très sage discours » de
celui qu'il qualifie un homme de bien et d'honneur; mais exprimant
franchement une insurmontable défiance à l'égard de Mayenne, de son
parti et des Etats qui ont appelé une armée étrangère et délibèrent
« les couteaux d'une armée puissante » sur la tète.
(2) Mém., p. 203.
234 VILLKROY
d'un donneur de leçons. Il constate tout simplement que
les affaires vont mal, sans invectiver les ligueurs. 11 dit :
notre cause, nos fautes, nos adversaires, et indique avec
beaucoup de tact qu'on a commis des excès. « Messieurs,
personne ne peut nier que la cause que nous défendons ne
soit juste, ayant pour fondement l'honneur de Dieu et le
soulagement du peuple; néanmoins pour avoir été entre-
prise et commencée avec plus d'ardeur que de prudence, et
depuis avec plus d'espérance que d'ordre, non seulement
nous y avons plus perdu que gagné, mais aussi nous avons
donné matière à nos adversaires de la blâmer, dont ils n'ont
tiré peu de profit à notre dommage dedans et dehors le
royaume, tant a de force et de puissance sur les hommes ce
qui est juste, mais aussi ce qu'ils estiment l'être... » Il est
difficile de trouver un langage plus correct, plus poli et plus
prudent pou:' blâmer les excès de son parti.
« Pour bien délibérer de nos affaires » et trouver le re-
mède à nos maux, il faut nous représenter, dit-il, ce que
nous avons gagné à la guerre pour le parti catholique et
dans quel état se trouve maintenant le royaume. Puis il
démontre que la guerre a plus affaibli que fortifié la religion
et le pays, et il esquisse un tableau du royaume, en quatre
panneaux où il peint les différentes classes de la société :
l'ordre ecclésiastique, la bourgeoisie des villes, le peuple
des campagnes, la noblesse. C'est une énumération précise
et détaillée des différents maux dont souffrent les citoyens:
le clergé est ruiné, une foule de paroisses sont abandon-
nées, les églises sont saccagées, la licence s'est introduite
dans les couvents : les villes, « remplies de partialités »,
chargées d'impositions, privées des bénéfices du commerce
et de l'industrie, sont « très misérables et nécessiteuses »;
le plat pays est « en tout et par tout en proie et à l'aban-
don » ; la noblesse catholique est divisée, affaiblie, appau-
vrie. \ illeroy n'a pas écrit un morceau de littérature, avec
des saillies, des citations, des mouvements oratoires. Il n'a
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 235
pas non plus retracé le tableaubanal des maux de la France
trop vague ou trop général qu'on retrouve chez tant d'é-
crivains de la Ligue. Il a analysé, comme un témoin d'es-
prit positif et précis, les résultats des guerres civiles. Malgré
des périodes un peu longues et parfois diffuses, il évoque
une image saisissante des malheurs publics ; et dans cette
description, comme dans tout le reste du discours, circule
un souffle puissant de patriotisme qui est t'ait de deux sen-
timents intimement liés : la pitié pour le peuple et l'idée
de la grandeur française. Citons le passage le plus remar-
quable qui est relatif au plat pays: « ... Il semble que de
part et d'autre nous en ayons entrepris et conjuré par envie
l'entière ruine et vexation : ces pauves peuples payent
double et triple taille partout sans compter les autres sub-
sides, contributions et corvées que l'on exige de lui à dis-
crétion, qui excèdent de trop toutes les dites tailles, outre
iniinies autres sortes d'outrages, excès et violences que
l'on lui fait souffrir, dont rien ne le peut garantir que la
seule mort, car toute espèce de refuge, aide, consolation et
justice lui est déniée : c'est quasi honte que d'en avoir com-
passion, c'est peine perdue que d'intercéder et parler pour
lui et crime que d'en demander et poursuivre le soula-
gement. Nos villages en sont déserts et la face de la terre
hideuse, et en friche en plusieurs endroits; et toutefois,
Messieurs, c'étaient les vrais trésors de la France, nos
minières et nos Indes que ces bonnes gens lorsqu'ils culti-
vaient nos terres en toute liberté et sûreté...» (1).
Il faut trouver un remède à ces maux. Or les Français ne
peux eut conserver leur religion que par trois moyens :
1° Par la grâce de Dieu. Villeroy ne s'étend pas sur ce
(1) On y trouve parfois des développements banals, niais ils ont un
but. L'éloge de la Qoble ville de Paris, « la capitale «lu royaume, le
vrai trône de nos rois, le premier siège de leur justice, etc. », est un
petit morceau à effet, destiné a. gagner la sympathie des Ligueurs
parisiens qui formaient la majorité.
236 VILLEROY
premier moyen, mais fait observer que si nous voulons que
Dieu ait soin de nous, il faut devenir « plus charitables,
moins vicieux » et meilleurs chrétiens, qu'il ne faut pas
tenter Dieu et abuser de sa grâce par témérité ou pré-
somption, comme nous ferions si nous choisissions des
remèdes impossibles. C'est un coup droit porté aux Seize
et aux prédicateurs de la Ligue qui mettaient Dieu au ser-
vice de leurs passions.
*?" Par eux-mêmes. Or, malgré la valeur des chefs, le zèle
des villes, nos propres forces sont insuffisantes.
3° Par l'aide de nos amis, le pape, le roi d'Espagne, les
ducs de Savoie et de Lorraine qui les ont assistés.
Il nous fautun roi, continuait Yilleroy. Or, s'il est prouvé
que l'assistance du roi d'Espagne, le plus puissant de nos
amis, nous est nécessaire et s'il faut violer nos lois et choi-
sir un prince non légitime, il faut le choisir au gré de l'Es-
pagne, et plutôt nous lier à la personne du roi d'Espagne
et à son Empire.
Aux raisons très fortes de ceux qui soutiennent le roi
d'Espagne Yilleroy répond : 1° la domination de ce roi en
France sera la perpétuité de la guerre et non l'établisse-
ment de la paix, car la noblesse s'y assujettira difficile-
ment ; le nombre de ceux qui voudront dissiper l'Etat
se multipliera après ce premier attentat commis contre les
lois publiques : le nouveau roi devra accorder des avan-
tages extraordinaires aux grands, qui seront préjudiciables
aux droits de la couronne ; nos divisions fortifieront les
huguenots ; les villes mécontentes de la persistance de
leurs maux se soulèveront; 2° Le roi d'Espagne ne sera pas
assez fort pour rétablir l'ordre : il ne sera plus assisté du
pape, de la Lorraine et de la Savoie. La preuve de sa fai-
blesse éclate dans les retards apportés aux envois d'argent
et d'hommes. S'il a été si impuissant pendant quatre ans,
que sera-ce à l'avenir ? Il est âgé : ses états sont très vastes
et se révoltent.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 237
Donc nous ne pouvons élire le roi d'Espagne ni aucun
autre et nous ne pouvons continuer la guerre par nos
propres ressources : Il faut la paix. La conférence et la
cessation d'armes nous y achemineront.
Faut-il donc obéir à un roi faisant profession de la reli-
gion contraire à la nôtre ?
Villeroy n'ose pas affirmer, comme les purs royalistes, qu'il
faut se soumettre au roi légitime, quelle que soit sa reli-
gion. La réalité actuelle le préoccupe plus que les questions
de principe. Or les peuples sont si las de la guerre que si
le roi de Navarre « leur donnait occasion d'espérer sa con-
version », ousi« après quelque forme d'instruction, il allait
à la messe », ils n'attendraient pas le consentement du
pape pour le reconnaître. Il ne faut donc pas continuer à
user de rigueur à l'endroit du roi de Navarre : c'est la con-
clusion du discours (1).
Le point de vue pratique y domine. On n'y trouve point
de discussions théoriques et érudites sur la loi salique, ni
sur la légitimité royale, point d'ergotage théologique sur
la valeur de la conversion royale. Villeroy montre simple-
ment les désastres qui fondraient sur le pays si l'on trans-
gressait ces trois principes. C'est une discussion serrée
d'homme d'affaires, très modéré, très claivoyant, qui sait
qu'il faut s'accommoder au temps et tirer le meilleur parti
des eirconstances en apparence défavorables. Le dévelop-
pement est dune rigoureuse logique. Parmi les parties les
mieux traitées, il faut placer le réquisitoire dressé contre
les prétentions des Espagnols. Jamais on n'a exprimé plus
solidement et plus complètement ce qu'il y avait de dange-
(1) (i II est du tout besoin que nous justifions tellement nos inten-
tions par notre présente résolution et notre conduite en icelle que ceux
qui sont avec nos dits adversaires n'aient occasion de croire comme
ils ont fait jusqu'à présent que notre guerre est plutôt ambitieuse que
religieuse, à quoi peut grandement servir ladite conféience, pourvu
qu'elle soit faite en sûreté et dilection vraiment chrétienne et avec telle
patience qu'il convient. »
238 VILLEROY
reux, d'absurbe et de chimérique dans le projet d établisse-
ment d'une dynastie espagnole en France. Jamais Villeroy
lui-même ne 1 avait dit avec tant de force et tant de modé-
ration à la fois. La force résidait dans la solidité de l'argu-
mentation, et dans une conviction affermie par cinq années
où il avait fait comme ces gens dont il parle dans son dis-
cours, « devenus savants à leurs dépens, enseignés de l'ex-
périence, leur maîtresse ordinaire ». La modération lui était
imposée par les circonstances et par la composition spé-
ciale de l'assemblée où il devait parler : il était le conseiller
de Mayenne allié des Espagnols, et il écrivait son discours
pour convaincre des ligueurs très religieux, amis de l'Es-
pagne, et pour la plupart achetés par l'ambassadeur du Roi
Catholique. Aussi n'adresse-t-il aucune injure à l'Espagne.
Il fait appel à la raison de ses auditeurs. Il cherche à leur
démontrer doucement que le projet espagnol est irréali-
sable. On croirait même entendre par moment un ami
raisonnable et froid de l'Espagne essayant de prouver que
les desseins de cette nation sont aussi nuisibles à ses inté-
rêts véritables qu'à ceux de la France.
Il n'entre point dans notre plan de décrire la tenue des
Etats de la Ligue, auxquels n'assista point Villeroy.
Tandis que son chef, Mayenne, quittant Paris le 8 février,
allait recevoir l'armée espagnole de Mansfeld et les dépu-
tés envoyés par Philippe II, le duc de Féria, Inigo de Men-
doza, et J.-B. de Tassis, Villeroy s'était retiré à Pontoise,
et attendait, dans l'inaction, la résolution que les Etats
devaient prendre au sujet delà conférence. La conférence,
qui seule doit nous occuper, ne fut adoptée par les Etats
qu'après deux mois de délibération, le 5 avril. Mayenne
s'était décidé à la laisser se réunir pour contrarier les
Espagnols et « avoir plusieurscordes à son arc » (l).Ily eut
(1) Mém., p. 204.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 231)
néanmoins quelque retard, par l'inévitable longueur du
temps qu'employèrent les députés pour se réunir, par la
durée des discussions, par l'impression que produisirent
la prise de Xoyon et quelques opérations heureuses de
.Mayenne (1). Les politiques et ligueurs français eurent
beaucoup de peine à convaincre Pellevé et les Espagnols.
On leur cacha, comme d'ordinaire, les véritables motifs de
cette réunion ; on leur démontra que « le parti en sérail
plutôt fortifié qu'affaibli » (2).
Enfin, après deux mois de délibérations, l'assemblée
approuva, le 5 avril, l'envoi de « douze personnes d'honneur
et de qualité, intègres et expérimentées, très désireuses de
voir la religion catholique en sûreté et le royaume en
repos » (3). Le 21 avril, les députés furent désignés et la
première séance de la conférence eut lieu le ? mai (4).
Cette date est très importante dans l'histoire des négo-
ciations de Villeroy. « Dès lors, dit-il, nous commençâmes
non seulement à mieux espérer des affaires, mais aussi à
y voir un meilleur acheminement que devant;... la raison
surmonta bientôt la passion, et fut le voile levé qui cou-
vrait les artifices et déguisements avec lesquels le public
et les particuliers avaient été abusés de part et d'autre jus-
qu'alors : à quoi si on eût pourvu plus tôt, nos maux
n'eussent pas tant duré (5). » Le 17 mars, il avait écrit à
Bejlièvre : « J'ai été des premiers à désirer et peut-être à
proposer cette conférence des catholiques comme un moyen
11) Mayenne avait engagé quelques opérations militaires pour occu-
per l'armée espagnole et accroître son prestige aux dépens de son ne-
veu. La prise de Noyon (28 mars) exalta les étrangers et leurs parti-
5 ans.
(2) Mém., p. 204-205.
(3) Discours et rapport véritable de la Conférence... par Honoré du
Laurens, Paris, 1593.
(4) Discours et rapport véritable de la Conférence... (par Honoré du
Laurens), Paris 1593 (2 mai ou 29 avril d'après d'autres témoignages,
notamment eelui de Villeroy).
(5) Mém., p. 205.
240 VILLEROY
très propre pour faire parler les uns et les autres à cœur
ouvert, et pour arrêter le cours à plusieurs desseins extra-
vagants qui se font partout Elle fit peur à beaucoup
de monde et néanmoins elle n'a pu être rejetée, parce
qu'un tel refus condamnerait les auteurs d'icelui et chacun
craint ce jugement public... Il n'en peut mal advenir qu'à
ri'iix qui y procéderont de mauvaise foi et qui n'auront l'in-
tention bonne, et peut-être qu'elle produira plus de fruil
que nous n'espérons (1). »
Villeroy n'assista pas à l'ouverture de la conférence de
Suresne. Il n'avait pas été compris dans la liste des « per-
sonnes d'honneur et de qualité, intégres et expérimentées >
représentant le parti de la Ligue. Mayenne l'avait désigné.
mais pour complaire aux Espagnols et aux zélés, qui trou-
vaient ce personnage trop compromettant, il le remplaça
par Belin. Ce n'était qu'une concession apparente aux exal-
tés, car Belin, moins compromis était presque aussi dange-
reux que Villeroy : « C'est une personne peu sûre et affec-
tionnée à l'autre parti », disaient les rapports des Espa-
gnols (2). D'ailleurs quelques jours après, Villeroy fut ad-
joint aux autres députés ; nous ne savons si cela fut décidé
sur ses instances ou sur celles de Jeannin. Ses principaux
collègues, choisis les uns par les Etats, les autres par
Mayenne, étaientle président Le Maistre, l'avocat Bernard,
de Dijon, du Laurent, avocat général au parlement d'Aix,
Villars, Belin, Jeannin. Péricart et Epinac, qui présidait
les débats. Les députés du parti adverse avaient pour chef
l'archevêque de Bourges. Trois d'entre eux au moins avaient
été fréquemment en relations avec Villeroy : Rambouillet,
(1) F. Fr. 3947, fo 321. Lettre à Bellièvre (15 mars) reproduite dans
l'édition des mémoires de 1725 (t. IV. p. 297 et suiv.), etdans l'édition
Michaud, p. 255-25G. Elle est faussement datée dans cette dernière édi-
tion du 17 mars 1594. Il faut lire 93.
(2) Pap. Sim., K. 1413, p, 234.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 241
Schomberg et Revol. Deux étaient ses amis : De Thou et
Bellièvre.
Villeroy ne fut pas un des protagonistes de la conférence.
Honoré du Laurent, délégué des Etats, ne parle de lui que
pour citer son nom dans la liste des députés. Il ne paraît
remarquer ni sa présence ni son absence aux séances (1).
Villeroy nous dit que la. raison principale de son absten-
tion fut « que Ton n'y marchait de bon pied » (2). L'attitude
des députés de Paris et surtout le rôle de l'archevêque de
Lyon durent lui déplaire considérablement: ceux-ci com-
mencèrent par faire (Tanières récriminations sur le choix de
certains députés comme Rambouillet : on avait besoin
d'oubli et ils se montraient intraitables. Les moindres
événements étaient dénaturés et formaient dos griefs qu'on
se lançait mutuellement à la tête. Ainsi, au mois de juin,
on se reprocha le siège de Dreux, les criailleries des prédi-
cateurs royalistes, les promesses faites aux protestants, et
même la publication des comptes-rendus de la conférence.
Quand on ne s'injuriait pas, on discourait savamment.
Les séances prirent dès le début la tournure de joutes ora-
toires faites à grand renfort de textes bibliques entre
l'archevêque de Bourges et celui de Lyon, le premier sou-
tenant le droit héréditaire, le second le droit religieux.
Tout cela est très connu. Ce qui Test moins, ce sont les
négociations qui eurent lieu dans les coulisses et servirent
beaucoup la cause de la paix, tout en frappant moins l'opi-
nion publique. On serait tenté de croire, d'après le texte
des Mémoires, que Villeroy s'abstint de paraître aux
séances de la conférence. Il n'en est rien. Il dut assister —
irrégulièrement — à certaines réunions, surtout à la fin de
(1) Il n'est pas sur que le discours et rapport véritable de la confé-
rence soit de du Laurent. — Il faut noter en passant que les autres
députés ne jouèrent pas un rôle plus brillant que Villeroy (à part les
deux archevêques).
(2) Mem.. p. 206.
Villerov lf>
242 VILLEKOY
juin. Mais il agit surtout suivant sa tactique habituelle
dans des conférences particulières avec ses amis royalistes.
Une note écrite en marge du registre du Tiers-Etat fait
allusion aux nombreuses entrevues de Bassompierre et
Zamet avec Villeroy,à Chaillot, de ce dernier avec Schom-
berg, Bellièvre et Revol, à Saint-Denis et Glignancourt (1).
Les papiers de Bellièvre contiennent quelques lettres rela-
tives à ces entrevues (2).
Il voulut surtout agir auprès de Mayenne, et dès le mois
de mai, il reprit son rôle de diplomate mi-officiel, mi-offi-
cieux, intermédiaire entre le lieutenant général et les po-
litiques des Etats, du Parlement, et de la conférence. Ileut
une très grande liberté d'action. Il agit comme il put, dans
tous les sens, partout où il fallait lutter pour la paix.
Il semble qu'il se soit principalement attaché à combattre
les ambitions espagnoles et les visées de ceux qui vou-
laient ressusciter le Tiers-Parti. Quand les Espagnols, après
plusieurs tentatives malheureuses commencées dès le 28
mai, proposèrent l'élection de l'infante avec un prince de
la maison de Lorraine, ils voulurent que l'élection fût faite
immédiatement, avant même que le mariage lut accompli,
Villeroy fit des remontrances à Mayenne. Elles furent très
énergiques, car un jour, il fut si scandalisé qu'il « prit
congé du, duc » (3).
Il traversa de même un projet d'entente entre le cardinal
(1) « M. do Villeroy qui avec M. de Bassompierre et Zamet s'était
souvent trouvé à Chaillot pendant que les députés du parti du roi étaient
à Suresne et depuis qu'ils s'étaient trouvés à Saint-Denis, s'était trouvé
à Clignancourt avec MM. de Schomberg, Bellièvre et Revol pour con-
férer particulièrement, desquelles conférences l'on espérait beaucoup
pour le bien public, s'en alla à 4 heures du matin, le lundi 28 dudit
li juin, el comme on disait sans dire adieu, qui donna à pen-
ser qu'il se faisait quelque chose contre les lois fondamentales du
1"\ ,1111110... »
'(2) F. Fr. 15893, fo 123-128.
(3) Mém., p. 207.
LE NEGOCIATEUR DES POLITIQUES 243
de Bourbon et Mayenne, pour la non-reconnaissance
d'Henri IV et la séparation des catholiques. Les articles
furent même signés par le duc pour être portés au cardi-
nal. On n'en avait pas parlé à Villeroy. Il l'apprit cepen-
dant, s'en plaignit à un « gentilhomme serviteur du cardi-
nal », se plaignit aussi peut-rire à Mayenne, qui n'était
d'ailleurs pas tout à fait décidé et qui, par « prudence et
conseil », arrêta tout(l).
Mais pendant que négociaient les politiques, deux événe-
ments décisifs s'accomplissaient qui hâtèrent singulière-
ment la réalisation de leurs espérâmes.
Le premier fut le célèbre arrêt du 28 juin rendu par le
Parlement « de lui-même, mu de son honneur et devoir » (2),
pour déclarer que « la conservation de l'Etat royal de
France dépendait entièrement de l'observation des lois
fondamentales du royaume » et pour supplier Mayenne
de veillera ce qu'aucun traité ne se fasse, pour transmettre
la couronne en la main de prince ou princesse étran-
gère » (3). Cette protestation retentissante, à laquelle Du
Vair contribua tant par son éloquence, enhardit Mayenne,
fortifia le parti national, intimida les ligueurs exaltés et
arrêta net les entreprises contre la patrie.
Le second fut l'abjuration d'Henri IV, annoncée, dès le
17 mai, par l'archevêque de Bourges et prononcée solen-
nellement à Saint-Denis, le ?4 juillet 1593. « Dieu, dit Ville-
roy, avait eu compassion de la France et de nous... C'était
le seul remède à nos maux qui nous restait (4). »
(1) Mém., p. 207.
(2) Mém., p. 208.
(3) A. Bernard, p. 739 et suiv.
(4 Mém., p. 208.
244
[V
Et pourtant, les maux du royaume ne furent pas guéris
comme par enchantement. La conversion du roi fut un
coup mortel porté à la Ligue, mais l'agonie fut encore très
longue. La religion, qui avait été un prétexte aux « remue-
ments », servit aussi de prétexte à une partie des Ligueurs
pour ne pas désarmer. Tandis que l'opinion publique, ne
s'embarrassant pas d'arguments théologiques, revenait à
Henri IV, les chefs du parti prétendirent que sa conver-
sion n'était pas régulière et qu'on ne le reconnaîtrait pas,
tant que le pape ne se serait pas prononcé. N'avait-il pas
été absous par des évêques excommuniés et sans l'auto-
risation du Saint-Père ?
Ceci était le langage officiel. Mais les chefs du parti, au
lieu d'attendre l'impartiale décision de Clément VIII, con-
tinuèrent leurs intrigues, avec l'appui de l'Espagne, pour
persuader au pape que l'abjuration du roi était « feinte et
fausse, trompeuse, fauduleuse, pleine de dol etd'impiété ».
Les agents des princes lorrains à Rome reçurent de Paris,
pour mot d'ordre, de représenter à la cour romaine la
fausseté des promesses royales, « la comédie de la conver-
sion », suivant l'expression de l'abbé d'Orbais.
La force seule semblait devoir trancher ce conflit entre
le parti national d'Henri IV et le parti factieux. La situa-
tion ne paraissait plus prêter à l'équivoque. La plupart
des politiques s'étaient franchement ralliés. Bellièvre,
qui avait vécu « renfermé dans sa maison » (1) de Gri-
gnon, s'était empressé de rentrer à la cour de son roi
légitime aussitôt après la conversion. Dans sa retraite, il
avait écrit beaucoup et, comme Villeroy, fait appel àl'opi-
(1) Bellièvre à, Villeroy, 9 mai 1592, F. Fr. 15893, f° 29.
LE NEGOCIATEUR DES POLITIQUES 240
nion publique. On a de lui un discours « sur la déclaration
de M. le duc de Mayenne faite au mois de décembre 1592
et publiée le 5 janvier 1593 pour l'assemblée des Etats à
Paris. » On lui attribue un « Advis aux Français sur la
déclaration faite par le roy en l'église Saint-Denis (1).
Mayenne et la Ligue reprirent la lutte à la fin de îr.'.i.'i.
Affaiblis peu à peu par les défections des gouverneurs et
des villes, ils finirent par se soumettre deux années après
(octobre 1595). Ces deux dernières années d'histoire de
nos guerres civiles sont remplies par les négociations diri-
gées à Rome pour l'absolution, par les capitulations des
villes, par la guerre contre les derniers partisans de
.Mayenne. C'est une histoire très connue que nous n'avons
pas à écrire ici.
Ce qui est resté plus obscur et plus discuté, c'est la con-
duite de Villeroy depuis l'abjuration royale jusqua la ren-
trée du ministre au Conseil du roi (août 1593-septembre
1591). Revenons à notre personnage et cherchons d'abord
à pénétrer ses sentiments au début de cette période nou-
velle.
Il fut très mécontent de son parti. Il regretta que
Mayenne n'eût pas fait sa soumission, malgré ses promesses
réitérées. Il comprit qu'on ne mettait en avant la nécessité
de consulter le pape, que parce qu'on espérait empêcher le
roi d'être reconnu. Il dut soupçonner tous les chefs et les
conseillers du parti, y compris l'ambitieux et obstiné
Mayenne, à l'exception de Jeannin dont il était sûr. Dès
lors, il n'eut plus confiance que dans la sagesse du roi « qui
n'avait point franchi ce saut pour après refuser ce devoir
et respect envers Sa Sainteté et. le Saint-Siège » (2). Il
espéra donc que le roi ferait au pape toutes les concessions
qu'on voudrait, et que la Ligue n'ayant plus aucun prétexte
(1) F. Fr. 15895, fo 247-304 ; Ibid., 15803, fo 36, impr.
(2) Mém., p. 209.
246 VILLEROY
de rébellion, tomberait toute seule, à jamais discréditée.
Cependant, malgré la conversion d'Henri IV, il demeura
auprès de Mayenne. Il avait reconnu intérieurement le roi,
sans attendre l'absolution pontificale. Mais il considérait
que son œuvre n'était pas encore terminée. Il va continuer
à être le négociateur de la Ligue pour la réconcilier avec
le roi légitime. Il restera auprès le Mayenne tant qu'il lui
sera utile. Le jour où ses conseils ne seront plus suivis, il
se retirera.
Son rôle comprendra donc quatre parties essentiel-
le- : 1° conseiller Mayenne, l'engager à marcher loyale-
ment dans les négociations romaines, lutter contre les
Espagnols et leurs adhérents ; 2° conclure et maintenir la
I lève qui sera le moyen le plus efficace pour arrêter le
cours des misères publiques (1) ; 3° veiller aux intérêts
particuliers de Mayenne et de ses amis, afin qu'ils ne soient
point sacrifiés aux royalistes, à la conclusion de la paix
générale ; 4° veiller à ses propres intérêts, se concilier par
ses services la faveur royale, afin d'obtenir d'avantageux
établissements pour lui et pour son fils.
La trêve générale fut le premier acte auquel s'employa
Villeroy. Dès l'ouverture de la conférence de Suresnes, une
surséance d'armes avait été convenue le '2 mai, qui devaii
s'étendre sur un rayon de quatre lieues autour de Paris.
Les Parisiens désiraient plus ardemment que jamais la
tranquillité des environs de leur ville (2). Jusqu'au 28 juin,
Villeroy participa à l'élaboration de ce traité où les princi-
paux ligueurs, les négociateurs et les gens de guerre étaient
(1) Mém., p. 209. - Le 24 août, Villeroy écrivait à Bellièvre (F.
Fr. 15910, io 4G) que le quart de son pays n'avait été labouré cette
année, et que chacun y mourait de faim.
1 lés nombreux et pittoresques sont les récits des manifestations
populaires dans l'Es.toile, t. VI, 19, 30. Voir aussi les ambassadeurs
italiens et les papiers de Bellièvre.
LE NEGOCIATEUK DES POLITIQUES 247
consultés (1). Aussitôt après la conversion, les deux partis
s'accordèrent pour signer une cessation d'armes de trois
mois, « durant laquelle on enverrait vers S. S., de part et
d'autre, pour savoir son intention » (2) (31 juillet). La
trêve fut proclamée le lPr août pour tout le royaume. Vil-
leroy avait été employé à ce I raité avec La Châtre, de Rosne,
Bassompierre, Darapierre el Jeannin, et le roi s'était mon-
tré très conciliant.
La trêve touchait à des intérêts si complexes qu'elle n'a-
vait pu être parfaitement formulée dans un acte définitif.
11 fallut donc que dans la suite les négociateurs se réunis-
sent à nouveau pour l'interpréter, la corriger ou l'étendre.
D'autre part, la suspension d'armes permettant des rela-
tions faciles entre les amis des deux camps, il était naturel
que les pacificateurs ordinaires se rassemblassent plus sou-
vent que jamais pour aviser aux moyens de pacifier le
royaume. Henri IV favorisait ces conférences et Mayenne
les tolérait avec son désir habituel d'avoir plusieurs cordes
à son arc, et parce qu'il savait qu'il pourrait les arrêter
quand elles le gêneraient.
La première de ces conférences eut lieu à Andrésy, du
11 au 14 août 1593, et n'eut aucun résultat positif (3). Bel-
lièvre. Villeroy, Jeannin, Zamet et Revol avaient l'inten-
tion de « conclure et parfaire le marché ». La tentation était
forte de terminer d'un coup la guerre civile. Mais ils crai-
gnirent un désaveu.
De nouvelles démarches furent tentées auprès de
Mayenne. On s'attacha à lui peindre sous les couleurs les
plus agréables les avantages exceptionnels qu'il gagnerait
à la réconciliation. Quelle magnifique situation n'aurait-il
pas, auprès d'Henri IV, comme protecteur des catholiques.
• (1) De Thou, t. XI, p. 170 et suiv.
(-2) Mém., p. 209.
|3) Journal delà Ligue du 17 mai au 6 nov. 1533, Revue rétrospec-
tive, 2e série 11, p. 104 et suiv.
248 VILLEROY
comme ami du pape et du roi d'Espagne qui le recher-
cheraient d'autant plus qu'il n'aurait pas besoin d'eux? Il
fallait mettre ceux-ci en présence du fait accompli ; ils tra-
verseraient la paix tant qu'elle ne serait pas conclue : une
fois publiée, ils s'y accommoderaient. Mais Mayenne de-
meura inflexible. 11 répondit que le salut public dépen-
dait de sa bonne intelligence avec le pape et le roi
d'Espagne, et qu'il ne pouvait sans eux conclure de
traité (1).
La conférence de Milly suivit celle d'Andrésy et ne servit
pas mieux la paix générale. On se contenta de discourir
« assez franchement et rondement » (2). On attendait tou-
jours la volonté du pape. La conférence fut pourtant moins
inutile que la précédente, car elle pourvut à certaines con-
traventions de la trêve (3) (10 septembre 1593).
Au retour du voyage de Milly, Villeroyse rendit, sur l'in-
vitation de Mayenne, à Fontainebleau, pour voir le roi et lui
demander une prolongation de la trêve qui était nécessaire,
disait le lieutenant général, pour permettre l'envoi du car-
dinal de Joyeuse à Rome. C'était la première entrevue
d'Henri IV et de Villeroy depuis la conversion. Il reçut le
conseiller de Mayenne « de sa grâce 1res humaine » (4), et
n'eut pas de peine à lui prouver que Mayenne le trompait.
Des dépêches interceptées contenaient le serment solennel
fait à Paris le 23 juillet, par le chef de la Ligue, pour
maintenir l'union, avec l'appui de l'Espagne, malgré la
conversion du roi. Villeroy fut si « scandalisé » qu'il réso-
lut de prendre congé du duc et de se retirer des affaires.
(1) 3Iém., p. 210.
(2) Mém„ p. 212.
(3) Les maires et échevins d*Orléans, Amiens, Abbeville, avaient ré-
clamé la modification d'un certain article V, préjudiciable à leurs in-
térêts. Voir les Articles traités et accordés en la Conférence.,, tenue à
Milly... Tours, 1593.
(4) Mém., p. 212.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 249
Mais Bellièvre l'engagea à resteret à tenter encore quelque
chose pour la paix (1).
Villeroy adressa donc de nouvelles remontrances à
Mayenne. Il lui reprocha en termes très vifs d'abuser de sa
crédulité, lui démontra que le légat et les Espagnols le
haïssaient, et qu'il n'osait pas se tirer de leurs mains. Il lui
demanda enfin d'agir plus sincèrement s'il voulait que le
roi prolongeât la trêve d'un mois ou deux.
Mayenne répondit, comme d'habitude, en ergotant et en
s'humiliant, et finit par charger son conseiller de demander
une prolongation de la trêve pour quatre mois. Villeroy,
« in î ne voulait pas rompre, rapporta la réponse à Bellièvre,
et le 13 octobre convint avec ce dernier et Revol d'une pro-
longation pour deux mois (novembre et décembre) (2).
Jamais la politique de Mayenne n'avait été si confuse.
Méprisé de sa famille, du Légat, des Espagnols, injurié par
les prédicateurs qui demandaient un Aod pour Y homme au
gros ventre, il ne se contentait pas de retenir le plus pos-
sible son autorité, il poursuivait encore le rêve de la mo-
narchie et intriguait avec tout le monde. Il comblait en
même temps le roi d'assurances pacifiques afin de l'empê-
cher de se porter vers la Picardie, aussitôt que l'archiduc
Ernest paraîtrait vouloir entrer dans le royaume. Il trom-
pait tout le monde, même ses conseillers politiques dont il
cherchait à utiliser les relations pour obtenir la prolonga-
tion tant désirée. Ce n'est pas sans raison que les auteurs
de la Ménippée lui font dire, dans sa harangue : « Quant à
la foi publique, j'ai toujours estimé que le rang que je tiens
m'en dispensait assez... Je ne parlerai point des voyages
que j'ai fait faire vers le Béarnais pour l'assurer d'un accord
où je ne pensais jamais ; les plus fins de mon parti y ont été
embarqués et n'en ont senti que la fraîcheur du rasoir et cela
(1) Mém., p. 213.
(2) Mém., p. 216.
250 VILLEROY
ne doit déplaire à Villeroy, qui n'y est allé qu'à bonne
foi. »
Henri IV commençait à perdre patience. A la fin de no-
vembre il envoya Bellièvre à Mayenne pour le forcer à se
découvrir. Bellièvre reprocha au duc de n'avoir pas l'ait
partir plus tôt ses ambassadeurs pour Rome, tandis que
Xevers était déjà auprès du pape ("21 novembre). Quatre
mois s'étaient écoulés depuis la conclusion de la trêve el
les choses n'étaient pas plus avancées qu'au premier jour.
Le duc se déroba, comme de coutume, quand on lui parla
de paix, mais il réclama avec insistance la prolongation de-
là trêve jusqu'en mars 1594. Villeroy consentit à se rendre
à Pontoise, auprès de Bellièvre, et à demander une prolon-
gation d'un mois m pour lever toute excuse du duc » (1 l.
On n'eut pas de peine à lui démontrer la duplicité de
Mayenne qui avait repris les négociations avec les Espa-
gnols pendant qu'il retenait en France Sennecé, Jeanninet
Joyeuse.
Villeroy se rendit à Paris pour annoncer à Mayenne la
résolution définitive du roi de ne pas accorder la prolonga-
tion, et pour le sommer de ne plus retarder la paix,
le menaçant presque ouvertement de le quitter à l'ex-
piration de la trêve. Après la fin de non recevoir donnée à
Belin le 13 décembre (Mayenne avait persisté jusque-là
dans son espoir), Villeroy prit congé de Mayenne el se
retira à Pontoise avec les siens « pour les disposer à recon-
naître S. M. avec lui » (2). Cela se passait le 23 décembre
1593, quatre jours avant que le roi, dans sa déclaration de
Mantes, ne fît connaître sa résolution inflexible de ne pas
prolonger la trêve (27 décembre).
Avant de se retirer, il avait écrit à Mayenne pour l'exhor-
ter à faire la paix (3). Dans sa retraite, il n'interrompit pas
[i)Mém.3 p. 218.
(2) Me,,,., p. 219.
(Z)Mem., p. 219-220.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 251
toute relation avec lui. Après la soumission de Vilry, il lui
adressa plusieurs remontrances dont Tune fut « rendue
publique » (1). Cette lettre du '2 janvier 1594 commençait
par un aveu d'impuissance : « Monseigneur, je vous écri-
rais souvent, si je le pouvais faire utilement pour le public
el pour votre service... Nous avons perdu toute créance et
espérance des uns aux autres, de sorte que nous attri-
buons à art et tromperie les ouvertures que nous faisons
<le part et d'autre. » Il avait abandonné l'espoir d'exercer
une influence quelconque sur les décisions de Mayenne ;
au-sj lui dit-il de très dures vérités. Il lui reproche d'avoir
sans cesse rejeté les offres pacifiques « pour diverses
considérations qui regardent plus les intérêts privés que
la cause politique », d'avoir sans cesse craint d'offenser
les étrangers et lui affirme qu'il a perdu la bienveillance
du peuple (2). C'était une véritable lettre de rupture.
Il la répandit dans le public pour s'imposer à l'attention
des rovalistes, à la veille de sa soumission.
Quelques jours après avoir quitté Mayenne, Villeroy
avait fait prolonger pour trois mois la trêve particulière
conclue pour Pontoise, puis avait fait ratifier par le lieute-
nanl-général cette prolongation. Au début de février, il
entra en accord avec le roi pour lui et pour son fils. On
lui promit la restitution de sa charge de secrétaire d'Etat, à
la première vacance. D'AlinCourt resta gouverneur de Pon-
toise. On accorda au père et au fils ainsi qu'à divers parti-
al) LEstoile, t. VI, p. 320.
(2) La lettre a été publiée dans toutes les éditions à la suite des apo-
logies. Voir dans l'éd. Micliauil. p. 2o4-2oo.
252 VILLEROY
culiers de leur entourage une indemnité de 476.5941ivres (1).
Bien qu'ils promissent d'être désormais de bons serviteurs
du roi, il fut convenu qu'ils ne se déclareraient pas, avant
quelques semaines, officiellement. Villeroy n'agissait pas
ainsi, comme le dit Sully, pour « nager tant qu'il pourrait
entre deux eaux » (2), puisqu'il était de cœur soumis au roi
et n'avait rien à attendre de Mayenne, mais par un dernier
scrupule de courtoisie et un dernier espoir de conciliation. Il
voulait paraître attendre, pour se soumettre définitivement,
l'expiration de la trêve conclue avec l'assentiment du lieute-
nant-général ; il espéraitaussi tenter auprès du duc un nou-
vel effort, pour l'amener à reconnaître Henri IV (3). Juste-
ment une lettre interceptée de Mayenne montrait, quelques
jours après, le prix qu'il attachait à la possession de Pon-
ioise : le lieutenant-général se déclarait ruiné tout à fait,
si Bourges, Orléans et Pontoise se rendaient au roi (4). Vil-
leroy n'a pas dit dans ses Mémoires ce qu'il advint de cette
tentative de persuasion. Il a été muet aussi sur les négo-
ciations qui précédèrent la soumission. Le 21 ou le 22
mars (5), Pontoise rentra définitivement au pouvoir du roi.
Villeroy était, nous l'avons vu, depuis longtemps, soumis au
fond de son cœur. Ce jour-là il rompait à jamais tout* lien
avec Mayenne et la Ligue.
(1) Nous avons trois états des sommes payées par le roi aux chefs
de la Ligue. Celui de Cl. Groulart indique pour d'Alincourt 124.200 écus
(Voyages en Cour, Ed. Michaud, ire série, t. XI, p. 569), ceux de Sully
[Ec. Roy., t. II, p. 29) et de Dupuy (Mss fr. Dupuy 549, no 87 et 88)
relevés sur la même pièce donnent 476594 livres. Poirson explique
cette différence, en disant que Groulart dressant son état d'après les
communications faites aux Notables de 1597, a ignoré les promesses
secrètes et les libéralités accordées à l'entourage des chefs ligueurs.
(T. I, Doc. Hist., p. 660 et suiv.)
(2) Sully, Èc. Roy., t. I,p. 125.
(3) De Thou, t. XII, p. 116. — Dép. de Mocenigo, 7 fév. 94, F.
Ital. 1742, fo 123.
|4) D'après une confidence du roi à Mocenigo (Dép. de Mocenigo, 26
février 94, F. Ital. 1742, P» 141).
(o'j Le roi à de Brèves, 20 mars 1594 {Lettres Miss., t. IV, 119) : « La
ville de Pontoise se doit déclarer dans deux ou trois jours. »
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 253
Sully affirme que Villeroy et son fils se firent acheter
« bien chèrement », pour une place qui ne valait « que fort
peu de chose ». Il faut considérer qu'ils avaient fait tous
deux de grandes pertes durant les guerres civiles. La ville
de Pontoise avait subi deux sièges très onéreux pour les
habitants et le gouverneur. Les terres de Villeroy étaient
presque entièrement ruinées. Le pays ravagé ne pouvant
plus payer d'impôts, d'Alincourt avait dû de ses propres
deniers subvenir à l'entretien de la garnison. Henri IV recon-
naissait lui-même que Pontoise était une importante acqui-
sition (1). « C'était, dit-il, le seul passage qui demeurait
ouvert sur les rivières et ladite ville de Paris, lequel lui
étant ôlé, cela aidera beaucoup à la faire venir à la raison. »
Sully n'est pas plus juste lorsqu'il prétend que Villeroy
n'aurait rompu avec la Ligue que lorsqu'il considéra la perte
de ce parti comme certaine, et après la reddition des villes
les plus importantes, Beauvais, Amiens, Abbeville, Paris,
Rouen. En réalité, il fut bien un des premiers à se ranger
au devoir. Boisrosé avait donné l'exemple, en juillet 93,
en rendant Fécamp et Lillebonne ; Balagny en novembre
avait restitué Cambrai. En novembre aussi, Vitry, gouver-
neur de Meaux, avait averti Mayenne qu'il ne voulait plus
le servir, le roi s'étant converti, et il s'était soumis le '24 dé-
cembre, publiant peu après son éloquent Appel à la no-
blesse (2). Les négociations de Villeroy commencèrent bien-
tôt et frappèrent l'opinion publique, car un quatrain circula
dans Paris qui fut imprimé à la suite de la Ménippée.
L'union s'en va désunie
Témoins Vitry et Villeroy,
A Dieu en soit gloire infinie,
Louante à Dieu, honneur au roi.
(1) Ibid. (Lettres Miss, t. IV, 119).
(2| Mém. de la Ligue, t. VI, p. 15 et suiv.
254 VILLEROY
C'est à la même époque, en février 94, que Lyon ouvrait
ses portes à Ornano, et que le maréchal La Châtre se sou-
met tait avec Orléans et Bourges. Le retentissement de ces
faits provoqua en peu de mois de nombreuses soumissions
dans toutes les régions de la Franco.
Pendant son séjour à Pontoise, Villeroy eut l'occasion
de rendre un service à la cause royale. Le légat, très inquiet
du mouvement qui portait les catholiques vers Henri IV,
lança le 27 janvier 1594 une lettre retentissante pour leur
détendre de reconnaître un roi qui n'était pas absous par le
Saint-Siège (R Henri IV voulut que l'on répondît à cette
lettre. Villeroy désigna-t-il du Vair? Nous ne saurions le
dire. De Pontoise, il écrivit à son ami pour lui faire con-
naître le désir du roi. Du Vair se mit aussitôt à l'œuvre et
écrivit sa belle lettre d'un « bourgeois de Paris »(2). Guil-
laume du Vair. conseiller au Parlement de Paris, était un
esprit très cultivé, un excellent orateur, un caractère ferme
et sévère, professant la doctrine des stoïciens. Il était en
tout cela infiniment supérieur à Villeroy. Mais tous deux
professaient la même foi royaliste, patriotique et chrétienne,
et depuis quelques années ils collaboraient à lamême
œuvre, l'un au sein du Parlement, l'autre dans le conseil
de Mayenne. Du Vair avait écrit en octobre 1592 une
Exhortation à la paix qui rappelait d'une manière saisis-
sante les idées — et parfois la forme — de VAdvis à
(1) Lettre de Monseigneur l'illustrissime et reverendissime Cardinal
de Plaisance Légat de N. S. /'... à toi/s les catholiques du mesme
royaume par laquelle est déclarée l'intention de S. S. touchant ce ijui
s'est n'aguères passé à Rome, Paris, L594.
(2) Response d'un bourgeois de Paris à la lettre de Monseigneur le
Légat du vingt-septiesme janvier, mil cinq cens nouante quatre, à
Paris, 1594. On lit dans l'avertissement : « Monsieur de Villeroy (per-
' à l'excellente prudence duquel la France doit une bonne par-
tie de sa restauration) m'écrivit de Pontoise où il s'était retiré que le
rail que j'y tisse une réponse. > — Voir Radouant, Guillaume
du Vair, p.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 255
Mayenne (1). La conclusion des deux discours étail iden-
tique. Du Vair demandait, pour sauver la nation, de « faire
le roi de Navarre catholique et roi de France ». L'année
suivante, durant les étals de la Ligue, du Vair avait écrit
le discours pour la Loi Salique, dont nous avons vu Les
graves conséquences, el qui avait été l'œuvre la plus cou-
rageuse cl la plus retentissante de l'ami de Yilleroy.
Pendant son séjour à Pontoise, Villeroj écrivit beaucoup:
11 rédigea une longue apologie pour montrer la peine qu'il
a i>rise de faire la paix, entre le Roy et M. de Mayenne, et
de sa continuelle poursuite à la pacification de nos misé-
rables troubles. Il y racontait minutieusement l'histoire de
ses négociations depuis la mort d'Henri 111, dans une
claire et simple dissertation qui a été la source principale de
notre élude pour les précédents chapitres (2). Ce copieux mé-
moire était dédié a Bellièvre qui s'était soumis avant Yille-
roy et avait été envoyé par Henri IV dans le Lyonnais,
comme intendant, afin de hâter la pacification du Sud-Est.
Yilleroy affirmait l'avoir écrit plus pour lui-même « que
pour le communiquer à personne » (3) ; mais il savait bien
que Bellièvre ne manquerait pas de le faire circuler dans
l'entourage du roi. Il espérait certainement que cette lec-
ture dissiperait les derniers soupçons sur sa conduite, et
lui rendrait, à la veille de son retour au pouvoir, l'auto-
rité nécessaire pour exercer sa charge. Nous avons con-
(1; Exhortation a la paix adressée à ceux de la Ligue, dans les
Œuvres de Messire Guillaume du Vair... Paris, 1625, infol., \>. 034
et suiv. A la suite de l'exhortation est publié le discours pour la Loi
Salique. Sur Guillaume du Vair, voir la thèse de M. Radouant, Guil-
laume du Vair, l'homme et l'orateur jusqu'à la fin des troubles de la
Ligue (1856-1596), Paris, 1907, in-8u.
(-) 11 faudrait rapprocher de cette apologie quelques lettres où Yille-
roy résumait sa conduite antérieure. Voir entre autres la lettre du 26
décembre 1592 à Bellièvre, P. Fr. 15895, f° 231-239, et la réponse de
Bellièvre, du 30 décembre, Wid., [> ^40-^45.
(3) Mém., p. 138.
256 VILLEROY
serve de la même époque une lettre apologétique àd'Ossat,
qui était resté toujours fidèle au roi de Navarre, écrite aussi,
semble-t-il, pour être lue par d'autres. Car, disait Villeroy,
« la vérité n'a jamais eu tant besoin d'être appuyée du
témoignage d'un homme de bien qu'elle a maintenant que
chacun l'a déguisée comme il lui plaît ». Il y expliquait
l'origine des troubles et « la nécessité qui le contraignit à
faire ce saut avec tous les regrets du monde ».
Villeroy avait en même temps un souci très vif de dé-
fendre sa réputation contre la calomnie. En avril ou en mai,
il lut un livre récemment publié à Tours, puis à Paris,
dont parurent en peu de temps quatre éditions auxquelles
on courut « comme au feu|» (1). C'était le fameux pamphlet
de la Satire Ménippée qui vouait au ridicule tous les char-
latans de la Ligue. Mayenne, les membres de la famille de
Guise, les Espagnols, le légat, l'archevêque de Lyon, le car-
dinal de Pellevé, le recteur Rose, le sieur de Rieux étaient
les protagonistes de cette tragi-comédie. A côté d'eux,
Villeroy ne figurait qu'en une très petite place, mais il était
odieusement caricaturé. On pouvait le reconnaître dans la
harangue de M. de Lyon qui contenait une allusion inju-
rieuse à sa personne sous forme de remerciement à « ceux
qui, ayant reçu quelque escorne ou dommage du tyran ou
des siens, se sont, par indignation et esprit de vengeance,
tournés vers nous et ont préféré leur injure particulière à
tout autre devoir » (2). Il se soucia assez peu de ce coup de
griffe. Ce qui provoqua son indignation ce fut la grossière
et minutieuse description de sa personne et de son rôle
politique dans la série des Tableaux de V escalier de la salle
îles États. On lui avait fait les honneurs d'un panneau entier
où on le dépeignait sous la figure du parfait traître. Le
morceau est à citer :
(1) La Satyre Ménippée. suivant l'édition princeps de 1594, Ed.
Ch. Read, Librairie des Bibliophiles, 1876. Voir la préface du libraire.
(2) Satyre Ménippée, Ibid., p. 125.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 257
« A la suite de ce tableau, y en avoit un autre de non
moindre artifice et plaisir, où estoit painct un petit homme
meslé de blanc et rouge (1), habillé à l'Espagnole et néan-
moins, portant la chère françoise, qui avait deux noms (2).
A son costé droit, avoit une escritoire pendue, et au gauche
une espée, qui tenoit au bout, dont le pommeau estoit
couronné d'un chapeau de fleurs, comme les pucelles qu'on
enterre. Sa contenance estoit double et son chapeau dou-
blé, et sa gibecière quadruplée et dessus sa teste, du costé
d'entre le soleil de midy et le couchant, pleuvoit une petite
pluie d'or qui luy faisoit trahir son Maistre ; et avoit en sa
main une couronne de papier qu'il présentoit à une jeune
dame, muette et bazannée, laquelle sembloit l'accepter in
solidum, avec un petit mary de beurre fondu au soleil (3).
Je ne pouvoy comprendre que vouloit dire la figure,
sinon par l'inscription que je vy au dessoubs, en ces mots:
Vendidit hic auro patriam., dominumque potentem
Imposuit.
Et au-dessus d'iceluy tableau, y avoit cest autre vers :
Eheu ! Ne tibi sit privata injuria tanti.
Qui me fit douter que c'estoit une des personnes de la
Trinité, encore qu'il eust quitté le Saint-Esprit (4). »
Villeroy qui eût méprisé d'obscurs pamphlets se dérida
à protester hautement. Une telle attaque en 1594 était très
dangereuse, car elle pouvait renforcer l'opposition île ceux
qui voulaient à tout prix l'écarter du conseil : Madame,
(1) Le blanc, couleur française, le rouge, couleur espagnole.
(2) On a proposé de lire chair, c'est-à-dire ayant le visage français.
— Ici, les anciennes notes indiquaient ces noms par les initiales N. V.
(3) L'archiduc Ernest des Pays-Bas qu'on appelait pays de beurre.
(4) On se rappelle que Villeroy était officier de l'Ordre du Saint-
Esprit dont il avait quitté le cordon après sa disgrâce.
Villeroy. 17
258 VILLEROY
sœur du roi, et Mme de Chatellerault avaient donné comme
argument contre son rappel sa qualité de mauvais Fran-
çais el de vrai Espagnol. Les auteurs de la Ménippée
avaient pris les plus grandes précautions pour rester incon-
nus. Villeroy ne les connaissait pas tous, mais soupçonnait
quelques-uns d'entre eux. Il désigne le Palais comme l'of-
ficine d'où cette œuvre est sortie et se plaint avec amer-
tume du « bouffon de taverne » qui l'a calomnié avec
tant d'ingratitude : et il semble bien qu'il désigne sous ce
nom celui qui a fait le plan de l'ouvrage, Pierre le Roy,
chanoine de Rouen, qui était devenu, par sa protection,
aumônier du cardinal de Bourbon.
Il n'adressa sa protestation à aucun de ces auteurs qu'il
ne pouvait désigner avec sûreté et qui étaient trop obscurs.
Pour qu'elle fût plus éclatante, il l'envoya à Du Vair, l'émi-
nent orateur du Parlement, qui sans doute connaissait les
auteurs de la Ménippée et avait sur eux quelque influen-
ce (1).
Cette lettre est une apologie où il se défend longue-
ment contre l'accusation d'avoir vendu son maître et son
pays aux Espagnols. Il entreprend de prouver qu'il a tou-
jours vécu « les mains nettes », quelque fortune qu'il ait
couru. Les hommes n'entreprennent rien que pour une fin
honorable ou utile : « Mais si je vériffie qu'au lieu d'une
gibecière dorée, je n'ai rapporté de tous mes travaux et
longs services, ni de toutes ces supposées trahisons, qu'un
sac plein de debtes, sans toutesfois avoir esté subjet à ma
bouche ni aux autres appétits et despenses qui appau-
(1) Nous connaissons six copies manuscrites de la lettre. L'une est
à l'Arsenal (n° 5427), les cinq autres à la Bibliothèque nationale : F.
Dupuy, 3 ; F. Fr. 4028 ; F. Fr. 17359 ; F. Fr. 17466 ; N. Acq. Fr. 7260.
La copie la plus parfaite est celle du mss. Dupuy. Sapey a publié cette
lettre dans l'appendice de ses Etudes biographiques pour servir à
l'histoire de l'ancienne magistrature française, Paris, 1858, in-8°.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 259
vrissent les hommes, sera-ce assez pour convaincre l'im-
posture de Tailleur? »
Il répond d'abord à l'accusation générale. Après la Ligue
il est demeuré si endetté que sans les libéralités d'Henri IV,
il n'aurait pas de quoi vivre. Il montre que jamais, même
au temps de son infortune, personne ne l'a accusé d'avoir
reçu de présents. On ne lui a jamais donné un grade ou
une charge par dessus ses compagnons d'office ; les rois
ne lui ont jamais payé de leurs deniers un gouvernement
ou quelque autre charge. Il s'est contenté des bonnes
grâces des rois « et des offices et bénéfices qui ont vaqué »
et lui ont été donnés par la résignation ou la mort de ses
parents.
Il examine ensuite « les pièces particulières » dont ses
calomniateurs pourraient se prévaloir. Il y en a trois : la
première fondée sur la déposition de Salcède, la seconde
sur son éloignement de la cour, la dernière sur sa retraite
au parti de la Ligue. Il reproduit, en un style plus nerveux,
les arguments et les faits que nous connaissons déjà par la
première Apologie, il démontre vigoureusement qu'il a tou-
jours bien servi le roi et la France, et que, s'il s'est rangé
dans le parti de Mayenne, nul plus que lui et d'une manière
plus désintéressée n'a travaillé au rétablissement de la
paix. « J'y ai contribué en homme de bien, tout ce qui a
esté en ma puissance, depuis le premier jour jusqu'au der-
nier, devant et depuis la conversion de S. M. sans avoir
jamais varié ni changé de dessein et de conseil, quoi que
l'on ait dit de moi de part et d'autre et me soit advenu. »
II termine en montrant tout le mal que les bouffons de
la Satire l'ont au roi et au public, et en priant du Vair de
leur faire reconnaître leurs torts (1). « Car quel courage
(1) « Si, dit Villeroy en terminant, tout ainsi qui; S. M. travaille sans
cesse et sans épargne avec sa noblesse au recouvrement et rétablisse-
ment de son autorité royale, les autres commençaient aussi, ne pou-
vant mieux faire, à disposer et préparer en leurs charges les moyens
260 VILLEROY
donnent -ils de poser les armes et recognoistre le Roi à
ceux qui ne l'ont encore fait, de leur faire veoir par ce livre
qui se vend publiquement au Palais, où Ton dit qu'il a esté
forgé, les autres qui leur ont tracé ce chemin servir main-
tenant de jouet à tels bouffons, estre tenus et chantez pour
bons traistres, sans avoir esgard à leurs services et mé-
rites? » Ils ne font qu1 « altérer et aigrir » les choses,
alors qu'un bon régime est nécessaire à ce royaume « pour
recouvrer sa première santé ».
La lettre à du Vair est une sorte d'abrégé des apologies,
elle a les mômes qualités et les mêmes défauts littéraires ;
c'est un exposé en général clair et bien ordonné de ses
actes publics, mais sans aucun apprêt. C'est un plaidoyer
plus condensé que les deux longues défenses de 1589
et de 1594 et pourtant l'ensemble est traînant et mono-
tone (1). Les développements les plus neufs sont amenés
par les circonstances qui ont contraint Fauteur à écrire la
lettre du 1er août. Quand il parle, au début et à la fin, des
accusations odieuses contenues dans la Ménippée, il té-
moigne une vigoureuse indignation contre 1' « ingrate ma-
lice » des calomniateurs, qu'il méprise (2), mais qu'il re-
d'affermir et assurer ses victoires par une générale réconciliation et
réunion de tous ses sujets avec la règle de la justice en toutes choses
en servant d'exemple déquanimité, bonté et prudence à un chacun, ils
emploieraient le temps plus honorablement et utilement qu'aucun ne
font à se partialiser et exercer leurs passions si publiquement et hon-
teusement qu'ils font au grand scandale d'un chacun et aux dépens du
service du roi, de la vie et personne duquel ils feraient par effet paraître
avoir plus de soin et de crainte qu'ils ne publient parleurs écrits; car
c'est le vrai moyen de détruire la Ligue tout à fait et tirer S. M. des
ordinaires dangers de la guerre., en laquelle il semble qu'ils la veuillent
perpétuer. Je prie Dieu, Monsieur, qu'il vous conserve en parfaite
santé. »
(1) La lettre ne nous apprend rien de nouveau sur la vie de Villeroy,
tant elle contient sur l'affaire Salcède, et sur les négociations
d'Epernay, quelques détails intéressants qui ne sont point dans les
apologies. L'auteur parle aussi plus abondamment de sa situation de
fortune sous la Ligue.
(2) Deux ou trois fois il prend directement à partie quelques-uns
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 26 1
doute et qui lui font éprouver une inquiétude qu'il ne peut
parvenir à cacher. Il prend du Vair à témoin de la pureté di-
ses intentions, et il a l'habileté, en plaidant sa cause devant
l'honnête parlementaire, d'employer les arguments mêmes
de du Vair. Sans doute, il n'aurait point dû se compromettre
dans la Ligue ; mais du Vair n'a-t-il pas reconnu, dans son
traité de la Constance, qu'il y a des cas où il faut faire flé-
chir les principes les plus rigoureux : « Votre même livre
nous avertit certes très justement, que les intérêts particu-
liers ne peuvent excuser ceux qui adhèrent aux auteurs de
la calamité publique ; toutefois après, comme expérimenté,
il nous pose des cas qu'il estime dignes de quelque consi-
dération et excuse, entre lequels si celui que je vous pré-
sente ici m'avoir forcé de franchir le saut mérite d'être
compris, je vous en remets le jugement et vous supplie
m'en mander votre avis. »
Du Vair fit à Villeroy une longue et belle réponse (1). Il
lui dit la profonde estime que tous les honnêtes gens avaient
pour son caractère et sa vie. Parmi eux, nul n'avait cru sé-
rieusement aux accusations de Salcède : on savait aussi
qu'Henri III l'avait renvoyé avec ses autres serviteurs parce
qu'il avait changé de politique à l'égard des Guises. « Il a
pensé de changer de médecins pour avoir plus tost guari-
son, car en tels accidens le changement semble remède. »
Quant à son adhésion à la Ligue, du Vair eût souhaité,
malgré toutes les circonstances atténuantes, que Villeroy
des auteurs (qu'il ne nomme pas) : « Combien que j'aie peut-être plus
veillé et travaillé... pour servir le public et moins joué ou taverne
que ce censeur et ses compagnons »... « Tel me gronde maintenant
qui l'a peut-être éprouvée [mon assistance] à son avantage plus d'une
fois dont il devrait pâlir ou noircir de honte plus que je ne dois être
dépité de son ingrate malice. » 11 parle plus loin du « pinceau envieux
de ce détracteur », des « traits hardis de son outrecuidance » et dit
qu'il sèche ou crève de dépit de la bonté de S. M. dont il s'efforce de
la dégoûter, tant sa passion le transporte. »
(1) Elle a été publiée aussi par Sapey, dans l'appendice de ses Eludes
biographiques.
VILLEROY
n'eût point fait ce saut. Mais « Dieu a montré depuis que
c'estoit un des principaux moiens par lesquels il voulait
sauver cet estât. » Il lui prouvait aussi que lui-même n'avait
pas été épargné par l'envie, malgré les services rendus au
public pendant la Ligue (1). Mais tout en rendant justice
à son ami, du Vair ne pouvait s'empêcher de blâmer dou-
cement sa susceptibilité. Villeroy étaitbien peu philosophe :
devait-on « s'offenser des injures qui sont jettées en public,
sans auteur..., mesmes de celles qui sont générales et par
forme de bouffonneries » ? N'était-ce pas « chose indivi-
sible que le gouvernement et la calomnie » ? El Villeroy
avait-il si peu « proffité en l'expérience du monde » pour
trouver étrange de « sentir la détraction » ? A-t-il perdu
déjà le souvenir des temps de licence effrénée dont nous
sortons et ne devrait-il pas être endurci contre la médi-
sance? N'a-t-il pas pour lui une « saine et entière cons-
cience ? » « Vous l'avez, Monsieur, ajoutait du Vair et outre
le témoignage que l'intérieur de votre âme vous en rend,
vous avez celui de tous les gens d'honneur qui vous le con-
firment ; c'est de ce jugement là que vous devez faire cas,
tout le reste n'est rien. »
On a remarqué ce qu'avait de piquant cet échange de pa-
roles louangeuses et consolatrices. « On ne peut se défendre
de sourire, dit M. Radouant,... quand on voit celui-là [Du
Vair] dont on aurait pu instruire le procès, renvoyer ab-
sous son ami, non sans l'avoir toutefois admonesté (2). »
(1) Après avoir énuraéré ses propres services, du Vair ajoutait :
« Ils disent que je suis un finet, que tout ce que j'ai fait ça été pour me
conserver et sans aucun hasard, tâchant de plaire à tous les deux
côtés. C'est pour vous dire que si moi qui ne suis qu'un écolier cou-
vert de ma solitude et de l'ombre de mon étude et dont la fortune me-
nte plutôt pitié qu'envie ne puis néanmoins éviter les traits venimeux
de la calomnie et malignité, comment vous en pourriez-vous exempter,
vous, <lis-je, Monsieur, qui avez eu parle passé une fortune si éclatante
que le lustre en peut faire mal aux yeux des envieux... »
(2) Radouant, Guillaume du Vair, p. 395.
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES 263
Evidemment, Du Vair a eu lorl d'insister un peu trop, au
cours de sa lettre, sur le regret qu'il avait éprouvé avoir
Villeroy « franchir le saut », alors que lui-même était cou-
pable d'avoir désobéi formellementau roi en restant à Paris
au Parlement après les Barricades. Mais il écrivait une
profession de foi royaliste destinée à être lue par d'au Ires
que Villeroy, comme Villeroy avait écrit pour d'autres que
du Vair. Et Ton comprend aisément que tous deux aient
glissé sur leur faute initiale et n'aient raconté que leurs
actes de patriotisme.
Du Vair n'avait pas attendu la lettre de Villeroy pour
estimer que son ami avait été injustement traité dans la
Satire. Il en parla aux auteurs qui alléguèrent que l'ou-
vrage avait été imprimé à Tours, avant la réduction de
Pari-. « auquel temps on pensoit tout estre licite contre
ceux qu'on tenoit pour ennemis » il). Sur sa seule remon-
trance, il y fut mis ordre. Le tableau fut supprimé et rem-
placé dans les éditions suivantes par l'inoffensif H bizarre
tableau de la Loi Salique, « une vieille dame habillée à
l'antique Gauloise » contre laquelle s'escrimait Inigo de
Mendoza vêtu en « Docteur fourré d'hermine avec un ca-
puchon rouge». La substitution fut faite dans la IV édition
de la Satire qui parut à la fin de 1594 à Paris. L'impri-
meur, dans son deuxième advis, dit que l'auteur était bien
marri d'avoir laissé certains passages pouvant « offenser
des personnes de qualité qui y sont nommées ou désignées,
car ceux qui ont reconnu et amande leurs fautes méritent
qu'on en supprime et ensevelisse la mémoire plutôt que la
rafraîchir et perpétuer par des écrits piquants et facétieux».
Il ajoute qu'il continuera à démasquer les traîtres, à appe-
(1) Du Vair nous apprend au début de sa lettre que sa démarche ne
rencontra pas la moindre résistance : « Enfin, je les voyais tous d'ac-
cord qu'il fallait supprimer cela, et sur ma seule remontrance il y fut
mis ordre. » Et plus haut : » Jr n'ai trouvé personne qui ne l'ait reçue
[ma plainte] avec regret de vous voir si indignement traité. »
264 VILLEROY
1er le pain pain et les figues figues, mais qu'il effacera « les
noms de ceux qui se sont rendus bons serviteurs du roi» (1).
Ainsi se termina cet incident, à l'entière satisfaction de
Villeroy. En cette occasion il n'avait pas imité la sereine
indifférence de son ami Jeannin qui avait été lui aussi inju-
rié mais jamais ne se soucia de voir son nom effacé du cé-
lèbre pamphlet.
(1) C'est l'édition de 159 pages in-8°. — Une courte note de Dupuy
nous a appris que les plaintes de Villeroy avaient fait supprimer son
tableau.
QUATRIEME PARTIE
LE MINISTRE D'HENRI IV
(1594-1610)
CHAPITRE Ier
V1LLEROY AU POUVOIR
Villeroy rappelé dans sa charge de secrétaire d'Etat (25 sep-
tembre 1594). Ses rapports avec Henri IV. « Le bon serviteur. »
— II. Villeroy conseiller. Le conseil des affaires sous Henri IV.
Les ministres : Bellièvre, Jeannin, Sillery, Sully, Villeroy. —
III. Les deux chefs de la politique : Sully et Villeroy. Diffé-
rences de condition sociale, de religion, de tempérament. Con-
flits, querelles et ententes. — IV. L'autorité suprême d'Henri IV.
Le roi gouverne sans premier ministre et « fait la loi à tout son
royaume. »
Le 25 septembre 1594, Villeroy reprit la charge de secré-
taire d'Etat qu'il avait exercée pendant près de vingt et
un ans, du 12 novembre 1567 au 8 septembre 1588, et qu'il
allait conserver, sans interruption, vingt-deux autres
années, jusqu'au mois d'août 1616.
266 VILLEROY
Son prédécesseur, Louis Revol, avait été un honnête et
fidèle serviteur d'Henri III et d'Henri IV. On avait apprécié
son zèle dans les préparatifs de l'exécution des Guises, et,
tout récemment, dans les conférences de Suresnes où il
avait utilement servi d'intermédiaire entre les députés et le
roi. C'était le type du bon employé, intelligent, mais
« homme de peu de monstre » et qui n'avait pas eu l'occa-
sion, ni peut-être le désir de jouer un rôle original, au-
dessus de sa charge. Henri IV le regretta beaucoup. Il avait
apprécié en lui un extraordinaire désintéressement, car
Revol « craignait Dieu et avait l'âme droite, outre l'ordi-
naire des courtisans de sa profession. On ne lui trouva
d'argent que vingt-six écus » (1). Rien ne fut changé aux
attributions de l'office. Villeroy eut dans son département
tous les pays étrangers, comme il était spécifié dans le règle-
ment du 1er janvier 1589. Aucune province française ne
dépendait de lui et il pouvait se consacrer entièrement à la
correspondance avec les ambassadeurs et aux relations
avec les représentants des puissances (*2). C'était le plus
spécialisé des secrétariats et le plus semblable aux minis-
tères modernes. Les autres secrétaires se partageaient la
correspondance avec les différentes parties du royaume.
L'un avait Paris, l'Ile-de-France et le Rerry, un second la
Guyenne et la Gascogne, le Périgord, l' Auvergne et le
Rourbonnais, le Nivernais, la Rourgogne, la Champagne,
la Rrie, la Picardie, la Normandie et la Rretagne. un
troisième le Languedoc et la Provence, le Dauphiné. le
Lyonnais, Forez et Reaujolais, Metz, Orléans, le Maine,
la Touraine, l'Anjou, le Poitou, la Saintonge et l'Angou-
mois. De plus celui qui correspondait avec Paris, l'Ile-de-
France et le Rerry avait à s'occuper particulièrement des
états de la maison du roi et des états de la guerre. Cesecré-
(1) L'Estoile, t. VI, p. 22S-230.
(2) F. Fr. 1S.243, fo 55.
LE MINISTRE D HENIU IV
267
tariat aurait pu passer pour une première forme du minis-
tère de la maison du roi et de la guerre, si chacun des
autres secrétaires n'eût conservé le pouvoir de faire toutes
les expéditions nécessaires aux mouvements de troupes,
aux garnisons, etc. dans les pays de son département.
Les trois collègues de Villeroy furent d'excellents secré-
taires qui remplissaient consciencieusement leur tûche,
sans témoigner, semble-t-il, d'exceptionnelles qualités et
sans cherchera conquérir d'influence personnelle en dehors
de leurs attributions.
Martin Ruzé, sieur de Beaulieu, avait été attaché comme
secrétaire à la personne du duc d'Anjou qui le conserva
près de lui quand il fut roi de Pologne, puis roi de France.
Il avait élé créé secrétaire des finances, au retour de la
Pologne, avec entrée au conseil, et après le coup d'état
ministériel de septembre 88, secrétaire d'Etal. Il reçut
aussi des dépouilles de Villeroy, la charge de grand-tréso-
rier de l'Ordre du Saint-Esprit, qui lui assura la préémi-
nence parmi ses collègues, et il la conserva sous Henri IV
qui permit cependant à Villeroy, par une dérogation aux
usages, de reprendre le cordon bleu ; ce fut, dit Saint-
Simon, « le premier exemple d'un cordon bleu sans
charge (1) ». Jusqu'à sa mort, en 1613, il administra avec
fidélité son département qui comprenait les états de la
maison du roi et ceux de la reine, Paris. l'Ile-de-France et
le Berry. Il était riche et passait pour honnête et se conten-
tait de remplir scrupuleusement les devoirs de sa tâche (2).
Louis Potier, seigneur de Gesvres. était un ancien ami
de Villeroy, qui l'avait introduit dans l'administration sous
(1) Saint-Simon, Mémoires, TA. Boislile, t. XI, p. 198. Voir aussi
l'appendice, p. 439 et suiv. L'ordre du Saint-Esprit et ses grands
officiers (Fragments inédits de Saint-Simon).
(2) P. Duodo, Relazione di Francia, 1598, dans Alberi, Le relazioni
degliambasciatori veneti alsenato durante il secolo decimosesto... in-8,
1863, t. XV ^appendice), p. 193.
268 VII.LEROY
Charles IX et l'avait fait travailler dans ses bureaux. Il
était devenu secrétaire des finances en 1567, puis secré-
laire du conseil en 1578, et enfin secrétaire d'Etat, quand
Henri III, qui n'avait d'abord nommé que Ruzé et Revol,
rétablit les deux autres charges (23 février 1589). Il fut,
comme Beaulieu, un bon commis, chargé de corres-
pondre avec les provinces méridionales de la France. Il
était instruit et très riche. Il exerça sa charge jusqu'en
1606, après s'être signalé dans quelques missions délicates,
telles que les négociations entre Mercœur et le roi à la fin
de la Ligue et l'instruction du procès de Biron.
Le plus remarquable des secrétaires d'Etat après Vil-
leroy était Pierre Forget, sieur de Fresnes, ancien
secrétaire du roi de Navarre et ancien secrétaire des
finances d'Henri III, qui reçut, en 1589, la correspondance
des provinces septentrionales du royaume. Lorsque le roi,
à la mort de François d'O, créa un conseil de neuf membres
chargés de remplacer le surintendant, il y fit entrer seul
parmi les secrétaires d'Etat, de Fresnes, protégé par Ga-
brielled'Estrées,qui était la cousine germaine de sa femme.
Il le mit aussi au nombre des membres du Conseil de di-
rection des affaires et finances, qui travailla si utilement
à Paris, pendant que le roi faisait campagne contre les
Epagnols en Bourgogne (mai-octobre 1595). Il continua à
faire partie de ce conseil qui dura jusqu'à la fin du règne,
mais très effacé, sous la domination absolue de Sully (1).
On a attribué à Pierre Forget, qui avait une certaine com-
pétence en matière de finances, un plan de restauration
financière du royaume en 1596 (2). Il semble avoir lutté
contre Sully pour faire triompher ses idées personnelles.
Les Economies nous le représentent comme « aigre et
(1) N. Vdluis, Inventaire des arrêts du Conseil d'Etat (régne de
Henri IV). Introduction, pp. lxx-lxxvi.
\. Chamberland, Un plan de restauration financière en 1596
attribué a P. Forget de Ft^esne, in-8, 1904, p. 4.
LE MINISTRE d'hENUI IV 269
contredisant » et comme un de ceux qui faisaient les
« subtils, intelligents et transcendants en matière de
finances plus que tous les autres » (1). Il avait aussi des
qualités très appréciées de négociateur. Il était habile et
souple et on aimait à traiter avec lui, parce qu'il était
agréable causeur, modeste, affable, et doué d'une char-
mante courtoisie (2). Il avait négocié en 95 raccommode-
ment du roi avec d'Epernon ; en 98, il travailla à la rédac-
tion de l'Éditde Nantes et pendant tout le règne, s'occupa
avec beaucoup de succès des affaires de la religion préten-
due réformée (3).
Le titulaire du secrétariat, qui correspondait avec les
pays étrangers, n'était pas appelé à être un fonctionnaire
plus considérable que ses collègues par la seule nature de
sa fonction, bien qu'elle eût plus d'unité que les autres. Le
pouvoir qu'exerça Yilleroy fut infiniment supérieur à sa
charge. Par la faveur d'Henri IV il fut un des conseillers
les plu> influents du royaume et pendant tout le règne, un
des trois ou quatre personnages qui, sous la souveraine
autorité du roi, dirigèrent les affaires de la France.
C'est à tort qu'on parle d'indulgence, d'oubli du passé,
pour caractériser les sentiments du roi à l'égard de son mi-
nistre. Sans doute, Henri IV avait un de ces heureux: ca-
ractères à qui les longues rancunes, la rigueur continue
pour des fautes anciennes sont insupportables. Il accor-
dait facilement le pardon sollicité. Tout entier au présent
(1) Ec. Roy., t. I, p. 192.
(2) P. Duodo, Relasione, Ibid., p. 192.
(3) De Luçay, Les Secrétaires d'Etat... p. 33.— Il n'y a pas d'études
spéciales consacrées aux personnages dont nous avons parlé. Les notices
les plus étendues sont dans la relation de Pietro Duodo. Il faut con-
sulter aussi Fauvelet du Toc, Histoire des secrétaires d'Etat... et trois
mss. du F.Fr. : le n<> 4591 «. Mémoire de rétablissement des secrétaires
d'Etat » et les nos 7225 et 722C des Nouv. Acq. fr. « Recueil de règle-
ments faits pour la maison du roi ».
270 VILLEROY
et à l'avenir, il ne songeait plus qu'aux services que pou-
vait rendre le nouveau venu dans sa grâce, et il le cares-
sait parfois de manière à rendre jaloux les vieux et fidèles
serviteurs. Ainsi agit-il avec les anciens chefs et gouver-
neurs de la Ligue. Mais il était trop intelligent pour consi-
dérer comme un ancien ennemi repentant et rallié ce Yil-
leroy qui pendant cinq ans avait négocié d'un camp à
l'autre, haï des ligueurs et des Espagnols, cet homme
d'Etat si profondément royaliste qui avait vu triompher sa
politique avec la conversion de son roi. Est-ce un senti-
ment de reconnaissance qui lia le roi à son ministre ? Pas
davantage, semble-t-il, car Henri IV, sans avoir toute
Tingratitude quedes contemporains lui ont reprochée, ou-
bliait presque aussi facilement les services que les injures
quand on ne lulrappelait pas avec insistance, et se montrait
alors assez disposé à les payer en caresses, en bonnes pa-
roles, voire en gasconnades.
Dans ses rapports avec Villeroy, Henri IV se gouverna
par la raison. Il le rappela aux affaires et ne cessa de lui
témoigner confiance et estime, parce qu'il le considérait
comme très utile au service de l'Etat. L'historiographe de
Henri IV, P. Matthieu, qui vécut dans la familiarité de Vil-
leroy, nous a rapporté un certain nombre de mots du roi
sur son ministre. « Les princes, disait-il, ont des serviteurs
à tout prix et de toute façon ; les uns font leurs affaires
premier que celles de leurs maîtres, les autres font celles
du maître et n'oublient les leurs ; mais Villeroy croit que
celles de son maître sont les siennes et y apporte la même
passion qu'un autre en sollicitant son procès ou travaillant
à sa vigne (1). » Après le retour du ministre au pouvoir,
le roi aimait à répéter : « J'ai fait aujourd'hui plus d'af-
faires avec M. de Villeroy que je n'en avais fait avec les
autres en six mois » (2), et, après la solution d'une impor-
(1) Matthieu, Remarques (V Estai.. ., p. 278.
(2) Ibid., p. 271.
LE MINISTRE d'hENRI IV 271
tante affaire : « Yilleroy me l'avait bien dit ; cela s'est fait
tout comme Villeroy l'avait prévu » (1). Un jour, nous dit
Sully, Henri IV traça lui-même, devant une partie de la
Cour, le portrait de ses trois ministres favoris et après avoir
dit les raisons de son attachement à Sully et à Sillery, dit,
en parlant de Villeroy : « Quant au troisième, il a une grande
routine aux affaires et connaissance entière de celles qui
ont passé de son temps, èsquelles il a été employé dès sa
première jeunesse : plus que nul des deux autres, tient un
grand ordre en l'administration de sa charge, et en la por-
tion et distribution des expéditions qui ont à passer par
ses mains, a le cœur généreux, n'est nullement adonné à
l'avarice et fait paraître son habileté en son silence et
grande retenue à parler en public... » (2). Le désintéresse-
ment n'était pas la qualité essentielle qu'appréciait Hen-
ri IV ; il comprenait fort bien qu'on fit ses affaires en fai-
sant celles de l'Etat. Au moins cette modération était-elle
une preuve nouvelle de la sincérité du ralliement de Ville-
roy revenu à son roi, par principe, et non par cupidité.
Dans les portraits de Villeroy esquissés par les ambassa-
deurs vénitiens, ceux-ci ont insisté sur les qualités du mi-
nistre qui plaisaient au roi. Angelo Badoer, en 1605, parle
de son expérience des choses passées (esperienza délie cose
passate), de sa vieille prudence (invecchiataprudenza) (3) ;
Pietro Priuli, en 1608, vanta l'étendue de son esprit (vas-
tita del suo ingenio) (4) ; l'Anglais Carew montre combien
(1) Ibid., p. 281.
(2) Ec. Roy., II, pp. 289-290. Ces trois portraits insérés dans les
Economies Royales sont très remarquables. On sait que Sully asouvent
exagéré les éloges que le roi lui adressait et n'a pas toujours résisté à
la tentation de dénigrer ses adversaires. C'est la seule fois que l'on
trouve dans l'œuvre de Sully un réel éloge de Villeroy et une réelle
critique des défauts de Sully que le roi dépeint comme d'humeur rude,
présomptueux, avide d'argent el d'honneurs.
(3) Iîerchet, série II, t. I, p. 119.
(4) /OicL, p. 231.
Henri IV appréciait l'intelligence vigoureuse et la longue
expérience de celui qui était le doyen au chapitre de tous
les hommes d'Etat de la Chrétienté (the dean in chapter
of ail the statesmen in Christendom (1). L'admiration pour
la vieille expérience de Villeroy et son intelligence poli-
tique suffit donc à expliquer rattachement de raison
d'Henri IV pour son ministre.
Il faut ajouter que tout en se rendant utile à son maître,
Villeroy savait lui être agréable. Ce ministre fier et suscep-
tible avec tout le monde, se montrait extrêmement souple,
doux et insinuant, quand il travaillait avec le roi. Nous ver-
rons plus d'une fois comment, dans le domaine de la poli-
tique étrangère, il sut faire triompher ses opinions person-
nelles, en les suggérant avec dextérité au roi. Il ne heurtait
pas de front les opinions d'Henri IV. Quand il n'approuvait
pas, il gardait le silence; et ce silence disait beaucoup de
choses, de l'aveu même du roi. Quand ce dernier avait
souverainement décidé, le ministre se soumettait avec bonne
grâce, sans arrière-pensée, non en courtisan, mais en
homme de gouvernement. « Il est certain, écrivait-il à La
Boderie, que souvent l'on muse après une chose que l'on a
méprisée, principalement à la conduite desaffaires du mon-
de, mais un serviteur en est quitte quand après ses raisons
et remontrances, il obéit à son souverain (2). y> « Il faut que
nous servions nos maîtres comme il leur plaît et croire que
Dieu inspire eu eux les conseils qu'ils prennent et préfèrent
à ceux de leurs serviteurs (3). » Cette soumission était celle
d'une intelligence à une autre intelligence ; car Villeroy,
comme Sully et les plus raisonnables de ses contemporains,
(1) Carew, A relation of the stale of France... 1609, appendice a
Th. Birch, An historical view of the negotiations between the courts
of England, France and, Brussels from the year 1592 to 1617,
London, in-8o, 1749, p. 489).
(2) Villeroy à La Boderie, 22 février 1610, Lettres à La Boderie, t.
II, p. 79.
(3) Ibid., 20 mars 1610, t. II, p. 124.
LE MINISTRE d'hENRI IV 273
éprouvait une sincère admiration pour la sagesse "de son
prince (1). Il n'est donc pas étonnant que le roi, enchanté
de ces façons, aimât à redire : « Il faut avouer que M. de
Villeroy est un bon serviteur et bien agréable » (2).
Ces relations invariablement bonnes entre le roi et son
ministre n'allèrent jamais, semble-t-il, jusqu'à une très
grande familiarité. Il n'exista jamais entreeux cette nuance
d'intimité qui marqua l'amitié du roi et de Sully. Ils n'eu-
rent jamais non plus de ces disputes de vieux amis qui
toujours se querellent et sont inséparables. Sully était
pour Henri IV un vieux compagnon d'armes qui avait vécu
une partie de sa jeunesse avec lui, dans la même foi reli-
gieuse : c'était 1' « ami », le confident aux façons souvent
brusques, et au ton rogue qu'il aimait malgré tous ses dé-
fauts, à cause de sa fidélité passionnée. Nous ne sachons
pas que Villeroy ait reçu de ces confidences que le roi ai-
mait à faire à Sully dans ses moments de découragement,
ni qu'il ait été consulté avec autant d'assiduité dans les
affaires relatives à la vie privée du maître. Villeroy n'avait
vécu qu'avec Henri III dans une telle intimité, à certaines
époques. Il ne fut pas le « favori » d'Henri IV ; mais ce-
pendant, le roi eut toujours pour lui une grande estime,
une affection réelle et durable, une amitié qui se gouver-
nait aussi par la raison (3).
(1) Citons quelques lignes d'une lettre où Sully disait à Villeroy en
octobre 1608, à propos des négociations aux Pays-Bas : « Ces délibé-
rations doivent venir du maître qui en juge plus certainement que nul
autre et qui en cette matière peut faire la loi à tout son royaume. »
— (Ec. Boy., t. II, p. 255.)
(2) Matthieu, Remarques d'Estat, p. -2~-2.
(3) Sully a exagéré la note de son intimité avec le roi. Il se fait
souvent appeler mon amy dans des lettres qui commencent simplement
par « Monsieur de Rosny ». Il a aussi dramatisé quelques confidences.
Ce ne sont que des exagérations (Voir Ptister, Les Economies royales et
le Grand Dessein de Henri IV, Rev. Hist.. 1894>. Il y eut entre eux
une réelle intimité prouvée par des faits indiscutables et les témoi-
gnages contemporains. En 1608, Priuli écrivait : « M. di Rosni
Villeroy 18
274 V1LLER0Y
II
Cette « raison » du prince qui fit de Villeroy un ministre
puissant limita ce pouvoir. Henri IV ne voulut jamais se
confier à un seul homme. Comme il le dit lui-même, il sut
se servir des conseils de ses bons serviteurs « les tempérant
comme il appartient et modérant l'excès de leurs diverses
passions » (1). Si nous voulons mesurer avec précision l'in-
fluence exercée par Villeroy, nous devons d'abord connaître
les autres conseillers du roi.
Le conseil des affaires qui dirigeait la politique intérieure
et extérieure du royaume se composa sous Henri IV d'un
petit nombre de personnages soigneusement choisis par le
roi dans une élite de « gens consommés dans la connais-
sance de toutes sortes d'affaires par l'âge et les emplois
qu'ils avaient eus »(2),etqui, à l'exception de Sully, étaient
de petite naissance. On comptait parmi eux en 1605 d'ex-
cellents serviteurs qui s'étaient d istingués dans des missions
de confiance à l'intérieur du royaume ou dans des ambas-
sades (3) : Guillaume de L'Aubespine, baron de Chateau-
neuf, le fils du secrétaire d'état Claude de L'Aubespine, et
le beau-frère de Villeroy était le Chancelier de la Reine, et
le doyen du Conseil.
Les princes du sang, les hommes d'Eglise, les grands
vienedal re piu di ogni altro amato... » (Berchet, sér. II, t. I, p. 229).
Le roi disait en 1603 à l'envoyé toscan : « Que payerait le Grand-Duc
pour avoir un tel ministre ? » (Desjardins, V, p. 508).
(1) Ec. Roy., t. II, p. 290.
(2) Suivant l'expression de Fontenay-Mareuil, Mém. Ed. Mien., p. 19.
(3) Voir les mémoires inédits d'André Lelevre d'Ormesson cités par
Chéruel dans son Histoire de l'administration en France, 1855, in-S,
t. II, p. 357 et suiv.
LE MINISTRE d'hENHI IV 275
seigneurs n'entraient pas clans ce Conseil. Fontenay-Mareuil
nous apprend que si quelque grand venait trouver le roi
pendant qu'il tenait conseil avec ses confidents, il devait at-
tendre à l'écart que la séance fût achevée (1). Toutefois
Henri IV aimait à l'occasion à parler de ses affaires avec
des princes ou des seigneurs, et à leur demander des avis.
Il consultait parfois le connétable de Montmorency, son
« compère » pour qui il témoigna une grande estime jus-
qu'au jour où l'attitude du vieillard dans les complots de
Biron et des d'Entragues parut équivoque. Après sa
réconciliation avec Mayenne, le roi montra beaucoup
de déférence pour les avis de l'ancien lieutenant-géné-
ral pour la Ligue, mais celui-ci vieilli, malade et désa-
busé, ne voulut plus prendre aucune part sérieuse aux af-
faires. Le roi appréciait aussi beaucoup le comte de Sois-
sons, qui, malgré son esprit brouillon, avait une certaine
intelligence des affaires ; mais Soissons perdit tout crédit
après sa querelle avec Sully (1603). Henri IV, en s'adressant
de temps en temps à des grands, en dehors de son conseil
ordinaire, avait quelques arrière-pensées. Il agissait ainsi
non par besoin de leurs lumières, mais pour leur « montrer
confiance » et « les obliger » (2), et aussi pour apprendre
d'eux ce quepensait le public, car Henri IV avait conservé
de son dur apprentissage du métier de roi de la mé-
fiance à l'égard des hommes : il voulait être un prince
1res bien renseigné et avait en horreur ce que nous avons
appelé les camarilla qui isolent les rois du reste de leurs
sujets.
Henri IV prenait conseil ordinairement d'une douzaine
de bons conseillers. Mais parmi ces douze, il y en eut cinq
qu'il estima tout particulièrement, et dont il s'inspira dans
tous les actes importants de son règne. Bellièvre, Jeannin,
(1) Fontenay-Mareuil, Mémoires, p. 1.
(2J Fontenay-Mareuil, Mém.. p. 19 et suiv,
276 VILLEROY
Sillery, Villeroy et Sully formèrent une sorte de Conseil
étroit qui dirigea la politique française.
Pomponne de Bellièvre, qui était devenu Chancelier de
France en 1599, à soixante-dix ans, avait été l'irréprochable
serviteur de cinq rois. C'était un vieux sage universelle-
ment respecté pour sa modération, son honnêteté, la sim-
plicité de sa vie et l'inaltérable douceur de son caractère (1).
En 1598, il joua un rôle très actif comme plénipotentiaire
dans les négociations qui précédèrent le traité de Vervins,
et au lendemain de la paix, il fut envoyé avec Biron et Sil-
lery auprès de l'Archiduc Albert pour la ratification du
traité. Ce fut la dernière des missions de ce vénérable
diplomate qui avait été en Pologne (1573-74), aux Pays-Bas
(1578-83), en Angleterre (1586), et six fois en Suisse et au
pays des Grisons (2). Ce fut l'apogée de sa carrière. L'âge
l'alourdit peu à peu. Tout en restant l'objet d'un apparent
respect, il vit grandir près de lui l'influence de ministres
plus jeunes et plus ambitieux qui finirent par le reléguer
dans une demi-retraite. En 1605, il remit les sceaux à
Sillery et s'en alla cultiver son jardin d'Artenay, estimant
que « un chancelier sans sceaux est un apothicaire sans
sucre » (3). Il mourut deux ans après, sans être tout à fait
consolé, mais sans oser se plaindre trop haut (4).
(1) Voiries Historiettes de Tallemant des Réaux, t. I, qui contien-
nent «le curieuses anecdotes sur Bellièvre.
(2)8-15 novembre 1500, août 1562, avril-septembre 1564, janvier
1506, 1570, fin 1572,, août 1574. Voir E. Rott, Les Missions diploma-
tiques de Pomponne de Bellièvre en Suisse et aux Grisons (1560-74).
Rev. d'Hist. diplom.,t. XIV, 1900.
(3) Bassompierre, Journal de ma vie, Ed. Chanterac, Soc. Hist. de-
France, in-8o, 1870, t. I, p. 172.
(4) « Chancelier sans sceaux, desquels le roy l'avait déchargé quel-
que temps auparavant, à cause de son âge : ne lui ayant rien ôté que
l'exercice et la peine et laissé le profit, dont toutefois le bonhomme ne
se pouvait contenter, l'ambition étant ordinairement le dernier qui
meurt en un vieil courtisan comme lui, honoré des rois de belles et
grandes charges, dont il s'est toujours dignement et vertueusement
acquitté. » L'Estoile, t. VIII, p. 339.
LE MINISTRE d'hENRI IV 277
Le président Jeannin qui, après la Ligue, s'était retiré
dans une petite maison de campagne en Bourgogne, fut
vite rappelé par Henri IV qui estimait son intégrité et son
expérience politique. Il fut gratifié de la charge de Premier
Président au Parlement de Bourgogne, à condition d'en
traiter et de servir le roi au Conseil. Ce fut l'homme des
missions de confiance, plein de tact, de dextérité, de bon-
homie et d'un dévouement inébranlable àla monarchie. A
l'intérieur, le roi l'envoya auprès de Biron lors de la conju-
ration de 1602, puis l'employa à régler les affaires de Metz
et de d'Epernon. Dans les affaires extérieures, il lui fit trai-
ter la paix de Savoie, et en 1607 l'envoya en Hollande, où
il travailla pendant près de trois ans aux admirables né-
gociations qui aboutirent à la Trêve des Pays-Bas. Il semble
que Jeannin ait surtout consacré son activité à ces missions
spéciales où il déployait une habileté extrême. Les ambas-
sadeurs vénitiens affirment que le roi l'employait moins
assiduement à la direction des grandes affaires extérieures
qui restaient le domaine de Villeroy (1).
Celui qui succéda à Bellièvre comme garde des sceaux,
en octobre 1605, puis comme chancelier en 1607, l'ut Méd-
ias Brulart de Sillery. Cet ancien maître des requêtes, de-
venu en 1595 président à mortier avait eu une belle carrière
diplomatique.il avait été délégué deux fois comme ambas-
sadeur aux Cantons Suisses et il avait pris avec Bellièvre
une part importante à la négociation du traité de Ver-
vins. C'était un esprit juste et clair, assez instruit, mais
sans profondeur, un caractère doux et souple, beau parleur,
(1) Nous ne pouvons parler plus longuement de ce personnage im-
portant du règne qui mériterait une monographie spéciale. Le F. Fr.
et les papiers de Bellièvre contiennent un grand nombre de lettres iné-
dites de lui. On a publié dans les collections Buchon et Michaud ses
négociations pour la trêve de L609, deux avis au roi sur la politique
extérieure (l'un sur l'affaire de Saluées, l'autre sur la paix avec l'Es-
pagne) et un « discours apologétique » de sa conduite durant les
troubles de la Ligue, sous Henri IV et sous Louis XIII jusqu'en 1622.
278 VILLEROY
bon courtisan, affable et complaisant avec tout le monde,
extrêmement attentif au soin de sa fortune et connaissant
à merveille l'art de s'insinuer dans la faveur du roi (1).
Ces! Villeroy qui l'avait poussé et qui peut-être lui avai!
inspiré le désir de succéder à Bellièvre comme chef de la
justice. Il le soutint très énergiquement quand le grand
âge et les fatigues de Bellièvre firent considérer sa succes-
sion comme virtuellement ouverte. Une première intrigue
aurait échoué en décembre 1603, si nous en croyons l'en-
voyé toscan (2). Bellièvre était pourtant un vieil ami de ■
Villeroy qu'il avait assisté de ses conseils, de ses encoura-
gements, et de son influence auprès du roi, à la fin de la
Ligue. Il s'attendait, nous dit-on, à être traité plus affec-
tueusement par son ami qu'il accusa in petto de trahison.
Sillery devenu garde des sceaux resserra son union avec
Villerov par une alliance de famille. Son fils Pierre Brulail,
marquis de Sillery et de Puisieux, épousa en 16061a petite-
fille de Villeroy, Madeleine de Neufville, fille aînée de
d'Alincourt, et la même année, le 4 mars, reçut la survi-
vance de la charge de secrétaire d'Etat de son beau-père
qu'il exerça conjointement avec lui (3). Le fils de Sillery
travailla avec Villeroy comme un collaborateur qui rédi-
ge;! il et signait les dépêches quand Villeroy était malade,
( 1 ) Garew dit qu'on l'appelait « le trésorier des promesses » . 11 trace
un portrait de ce ministre beau parleur, grand prometteur, prudent,
patient et affable, avide d'argent, très uni avec Villeroy contre Sully.
L'anglais George Garew, au retour de son ambassade en 1609, a publié
.1 relation of the State of France... adressée au roi Jacques I1"'. Elle
a été publiée en appendice à An historial mur of the négociations bet-
ween the courts of England, France and Brussels from the Year 1592
to 1617, par Th. Birch, Londres 1749. C'est un document étranger
us à ajouter aux relations de F. Vendramin (1600), d'Angelo Ba-
i.ii.'i).' de Pietro Priuli (1608), aux dépèches des toscans, de F.
d'Aerssen, de Pecquius, etc., que nous citons au cours de cette étude.
(2) Desjardins, t. V, p. 525.
(3) Fauvelet du Toc, p. 135 et suiv. Voir aussi F. Fr. 4591, fo 115
et suiv.
LE MINISTRE d'hENRI IV 279
ou empêché par d'autres affaires et qui resta modestement
à sa place dans la dépendance du vieux ministre, avec la
conscience de son inexpérience. Il donnait cependant l'im-
pression d'un jeune homme vain et vide. Villeroy paraît
1 avoir surveillé d'assez près; il continua à rédiger les dé-
pêches les plus importantes, et probablement il inspirait ou
approuvait les autres (1).
Cette union d'intérêts renforça singulièrement la puis-
sance de ces deux hommes dont l'un dirigeait la diplomatie
du royaume et l'autre était chef de la justice et chef du
conseil. Ils avaient les mêmes croyances religieuses et les
mêmes idées politiques et se ressemblaient aussi par de
nombreux traits de caractère. Toutefois ils ne poursuivaient
pas le même but : le garde des sceaux était avide d'argent
et d'avantages matériels, Villeroy était ambitieux de pouvoir
personnel. Sillery avait subi de bonne heure l'ascendant de
Villeroy. Au Conseil il était to ujours de son avis ; quand
Villeroy parlait, Sillery opinait immédiatement dans le
même sens. Quand Sillery disait autre chose que Villeroy,
ce n'était que pour compléter sa pensée ou pour la nuancer.
Chaque fois qu'un ambassadeur étranger décrit une séance
du Conseil, nous trouvons leurs deux noms accolés: Ville-
roy et Sillery sont d'avis que, Villeroy et Sillery disent...
Sillery, écrit Angelo Ba'doer en 1605, « a toujours été porté
par M. de Villeroy comme une créature dépendante de lui»,
quoique plus avancé en dignité que Villeroy, il ne s'op-
pose jamais aux opinions et aux desseins de ce dernier, « si
bien qu'il parle toujours avec l'esprit de Villeroy » (2).
Tels étaient les personnages qui, avec Sully et Villeroy,
sous l'autorité d'Henri IV, gouvernèrent la France. Sinous
voulions déterminer en quelque sorte]des zones d'influence,
(1) C'est ce que nous apprend le dépouillement des diverses corres-
pondances diplomatiques. Sur Brulart de Siliery entre autres témoi-
gnages d'étrangers voir celui de Carew, p. 484.
(2) Berchet, Relazioni, Ibid., p. 120.
280 VILLEROY
il faudrait faire la moindre part à Jeannin qui s'acquitta de
missions déterminées et ne fut pas consulté sur toutes les
grandes affaires. Le chancelier Bellièvre, vieux et timide,
vit son influence personnelle décroître de 1598 à 1605. Il
était d'ailleurs en communauté d'idées avec Villeroy.
Sillery, qui grandit dans le même temps et prit la place
du chancelier, resta volontairement une doublure de
Villeroy.
Il faut conclure que deux hommes dirigèrent princi-
palement les affaires sous Henri IV, Sully et Villeroy. Les
faits nous le prouveront. Les témoignages des contem-
porains sont unanimes à ce sujet. Citons-en quelques-uns
entre cent. Trois mois après le retour du ministre Villeroy
au pouvoir, Bonciani, l'envoyé toscan, écrit au grand-duc :
« Je ne laisserai pas de représenter comment Villeroy est
maintenant plus favori qu'aucun de cette cour » (1). En juin
1598, après la paix de Vervins, Francesco Contarini va fé-
liciter les plus hauts personnages de la Cour et commence,
dit-il, par les consiglieri 'principalissimi Villeroy, Bel-
lièvre, Sillery, Bosny (2). En avril 1602, nous apprend l'a-
gent des Provinces-Unies d'Aerssen, on se plaint qu'il n'y
ait plus en France que deux fonctionnaires tout-puissants,
Rosny et Villeroy ; Damville, le frère du connétable, est
chargé de faire parvenir au roi l'expression du méconten-
tement des grands (3). Au mois de mars 1603, quand le roi
gravement malade crut sa fin prochaine, c'est Villeroy,
Rosny et Sillery qu'il fit appeler les premiers pour leur
faire d'importantes recommandations (4). A la fin de sa
légation, en 1605, Angelo Badoer décrivant le royaume et
parlant des principaux ministres, trace quatre portraits,
(1) 28 décembre 1594, Desjardins, t. V, p. 299.
(2) Dép. de Contarini, 26 juin 1595, F. Ital. 1747, fo 49.
(3) Aerssen à Oldenbarnevelt, 19 avril 1602, Arch. de la Haye,
Holl. 2632.
(4) Desjardins, t. V, p. 511, 25 mai 1603.
LE MINISTRE d'hENRI IV 281
ceux de Sully, du chancelier, de Yilleroy et de Bellièvre(l).
En 1608, Pietro Priuli,dans sa relation, trace trois portraits
qu'il fait précéder du préambule suivant : « Le conseil que
le roi reçoit dans les choses les plus graves et importantes
de ses ministres est fondé sur M. de Sillery, M. de Rosny
et M. de Villeroy; et d'autres n'ont part aux grâces et aux im-
portantes délibérations qu'accidentellement » (2). Pendant
tout le règne, François d'Aerssen ne considère après le roi
que deux personnages puissants en France, Sully et Villeroy
qu'il se représente comme les agents de deux politiques
opposées — ce qui est contestable, nous le verrons, — et
presque toutes ses lettres à Oldenbarnevelt ou à Jacques
Valcke, trésorier de Zélande, contiennent une mention de
cette double puissance et de cet antagonisme (3).
III
Nous trouvons donc, à la tète du gouvernement de la
France, pendant la plus grande partie du règne, deux mi-
nistres principaux, Sully et Villeroy. Ce que fut leur poli-
tique, comment ils collaborèrent ou se combattirent, fera
l'objet des chapitres suivants. Mais dès à présent, nous
devons indiquer ce qui dans la nature de ces deux hommes
fut la raison profonde de leurs conflitsou de leurs ententes.
Il existait entre Sully et Villeroy de grandes différences
de condition sociale, de religion et de caractère.
Ils n'étaient pas de même race. Maximilien de Béthune,
marquis de Rosny, duc de Sully, était d'une famille de no-
blesse très antique et très illustre. Il descendait de Robert,
(1) Berehet, Relasioni... p. 126 et suiv.
(2) Ibid., p. 228.
(3) Voir notre publication des Lettres inédites de François d'Aerssen
à Jacques Valcke... Paris, l'JOS, in-8.
282 VILLEKOY
dit Faisseux, seigneur de la ville de Béthune et avoué de
Saint- Vaast d'Arras, qui vivait avant Tan 1000 sous le règne
de Hugues Capet (1). Certains même rattachaient cette
famille auxOthons, empereurs d'Allemagne, ou à l'ancienne
.Maison d'Autriche. Mais la tradition la mieux établie était
qu'il descendait des anciens comtes d'Artois. Cette famille
avait contracté des alliances avec tout ce qu'il y avait de plus
fameux dans la chrétienté. Elle était apparentée à presque
toutes les maisons régnantes. On ouvre au hasard la Généa-
logie de la Maison de Béthune et on trouve au xiue siècle
une Mahaut, héritière de Béthune et de Terremonde, alliée
à Guy, comte de Flandre, tous deux ancêtres do quatre
comtes de Flandre, quatre ducs de Bourgogne, sept archi-
ducs d'Autriche, de plusieurs empereurs, des rois de
France, de Navarre, de-Hongrie, de Pologne, de Bohême.
Au xiv" siècle, une Jeanne de Béthune, fille aînée de Bo-
bert, vicomte de Meaux. épouse Bobert de Bar', comte de
Marie et de Soissons, petit-fils de Bobert, duc de Bar et
de Marie de France, sœur du roi Charles V, et a de lui une
fille, Jeanne, conjointe avec Louis de Luxembourg, comte
de Saint-Pol, d'où est issue une splendide descendance (2).
Aussi, Sully avait-il un immense orgueil de race, qui perce
à chaque instant dans ses Mémoires. 11 l'étalait assez naïve-
ment. Il disait un jour à l'ambassadeur d'Angleterre : « S'il
y a beaucoup d'hommes plus riches que nous en France,
il en existe peu de plus noble maison ou de meilleur sang
que nous, qui descendons d'un roi de France » (3).
Un homme d'une telle race ne pouvait embrasser que la
plus noble des professions, la guerre. Il a débuté en 1576,
(1) Duchesnc, Généalogie de la Maison de Béthune, Paris, 1639,
in-fol.
(2) Duchesne, Ibid., p. 56 et suiv.
(3) Neville à Cecil, 26 janvier 1599, Winwood, Memorials, t. I,
p. 149. — Voir aussi sur les prétentions de Sully les Remai-qnes de
Marhault, et le portrait de Sully dans les Historiettes de Tallemant des
Reaux (Ed. Moninerqué, in-8«, 1854, t. I, p. 108 et suiv.).
LE MINISTRE d'iIENIU IV 283
comme un simple soldai, auprès du roi de Navarre et a
suivi, pendant vingt ans, la fortune du premier capitaine de
son temps. Il s'est battu à Eauzë, à Fleurance, à Cahors,
en Flandre avec le duc d'Anjou, à Arques, à Ivry, au siège
de Paris et au siège de Rouen, où il a reçu de glorieuses
blessures, au siège de Dreux, dont le château a sauté par
la fameuse « mine de M. de Rosuv » . Une partie des charges
qu'il reçoit d'Henri IV sont d'importantes charges militai-
res. En 99, il est créé superintendant des fortifications et
bâtiments et grand-maître de l'artillerie, et ses canons
font merveilles pendant la campagne de Savoie. Il est ca-
pitaine-lieutenant de la compagnie des gens d'armes de la
Reine, gouverneur de la Bastille en 1602, et deux ans plus
tard, gouverneur du Poitou. Ce soldat est aussi le super-
intendant des finances du royaume. Est-ce une profes-
sion noble ? A («'Ile question douteuse, — tant de bourgeois
ont été les argentiers du roi. — Sully répond hardiment
oui, car les financiers sont « obligés à produire des réalités,
des substances et des effets qui ne dépendent pas de leur
vouloir (1) ». El en effet, depuis ses tournée- de 1596 dans
les généralités, son entrée au Conseil des finances et sa
prise de possession delà surintendance 1598), Sully pour
vait considérer son administration comme une série de
belles campagnes, où il fallait se battre contre tout le
monde pour prendre l'argent du roi, contre les gouver-
neurs de province, contre les trésoriers, contre' les grands
seigneurs, contre le peuple et parfois contre le roi lui-
même. Il est de plus grand voyer de France 1599) <•' voyer
de Paris. Ces hautes fonctions rapportent à Sully en grande
abondance argent et honneurs : 60.000 livres de dons
royaux par an, de fréquents cadeaux, le litre de duc et pair
(1606). Ses revenus, médiocres au début, montent rapide-
ment à plus de '200.000 livres. Il achète des terres, Dour-
(1) Éc. Roy., t. I. p. 370.
dan, Sully, Villebon,Is-en-Beauce, La Chapelle, LeChâtelet,
Henrichemont, où il est prince. Il fait bâtir des châteaux
et dessiner des parcs et mène un train de vie magni-
fique.
Villeroy était issu d'une famille de bourgeois qui par des
fonctions d'échevins, de secrétaires-notaires, de trésoriers
de France, de secrétaires des finances, s'étaient élevée à la
noblesse de robe. Ses ancêtres ne s'étaient pas battus en
Artois ou en Flandre, mais avaient vendu du poisson à
Dieppe et aux halles de Paris. Si Sully ne lui reprocha pas
les marchands de marée, — on n'y trouve aucune allusion
dans les Économies Royales — il dut plus d'une fois lui
faire sentir qu'il n'était qu'un homme « de robe longue et
d'écriloire ». La seule charge de Villeroy était celle de se-
crétaire d'Etat que Sully méprisait profondément, parce
que son titulaire ne pouvait que « faire ce qui lui était
commandé » et que son métier ne consistait qu'à « prôner,
caqueter, faire la mine, écrire et sceller ». Le gentilhomme
recevait des blessures, versait son sang; Villeroy taillait
des plumes, remplissait d'encre son écritoire ; ses armes
étaient « des mains de papier, des peaux de parchemin, des
coups de ganivet, des traits de plumes, des paroles vaines,
des sceaux et de la cire » (1). Au service de son prince,
Villeroy acquit peu de revenus et d'honneurs. Il avait hé-
rité d'une assez bonne fortune, qui fut très endommagée
sous la Ligue (2), mais qu'il rétablit petit à petit sous le
règne d'Henri IV par une gestion économe ; il la transmit
à son fils à peu près telle qu'il l'avait eue de son père. Elle
se composait des terres de Villeroy, de Magny, d'Hallain-
court, et de la baronnie de Bury, la seule acquisition qu'il
(1) Ee. Roy., t. I, p. 370.
(2) « J'étais demeuré si endetté que si le roi me recevant à son ser-
vice ne m'eût secouru de sa libéralité je n'aurais quasi maintenant de
quoi vivre, encore que Dieu m'ait fait naître d'une maison en laquelle
il y avait du bien... » — Villeroy à du Vair, 1er août 1594.
LE MINISTRE D'HENRI IV 285
fit (17 août 1604) (1). Si on y ajoute le gouvernement de
Pontoise, Mantes et Meulan, et la lieutenance du Vexin
Français qu'avait eue son père, cela produisait 80.000 livres
de revenus dont il employa une partie à payer des dettes.
Sa charge de secrétaire lui rapportait 4000 écus par an, et
il recevait 2000 livres de gages, comme conseiller au Con-
seil d'Etat (2). Il ne rechercha pas les honneurs. En per-
dant sa charge de secrétaire d'Etat en 1588, il avait perdu
aussi celle de grand trésorier de l'Ordre du Saint-Esprit
que le roi donna à Beaulieu. Henri IV la laissa à ce dernier,
mais permit de vive voix à Villeroy de reprendre le cordon
bleu. C'est une faveur que nul contemporain ne paraît
avoir remarquée. Il a fallu tout le formalisme de Saint-
Simon pour trouver si étrange ce « premier exemple d'un
cordon bleu sans charge » (3). Il reçut du roi très peu de
cadeaux. Il fut évidemment l'auteur de la fortune de son
fils. Mais sous le règne d'Henri IV cette fortune n'eut rien
de nouveau ni de scandaleux. Nous avons vu quelles étaient
les prétentions de Charles d'Alincourt sur le Lyonnais.
Henri IV ne fit que remettre le fils de Villeroy dans le cou-
(1) Dans la commune actuelle de Saint-Second in (Loir-et-Cher). La
baronnie de Bury fut érigée en comté par Henri IV en laveur de Ville-
roy. Mais la vérification de l'érection ne fut jamais faite et les lettres
patentes ne s'en retrouvèrent même pas. Louis XIII en donna une ra-
tification le 1er décembre 1633, mais le fils de Villeroy vendit le 2 dé-
cembre le comté de Bury au marquis Charles de Rostaing. — Ajoutons
que la terre et seigneurie de Villeroy fut érigée en chàtellenie en faveur
de Villeroy par lettres données à Paris en septembre 1610. Elles furent
enregistrées le 22 novembre au Parlement, le 4 mars 1611 à la Chambre
des Comptes.
(2) On trouve diverses quittances dans les Pièces originales, 2101,
fo 92 (Ie1' avril 1596), p. 189 (24 octobre 1602).
(3) Saint-Simon, Ed. Boislisle, t. XI, p. 198. Villeroy fit créer son fils
chevalier du Saint-Esprit en 1597, à Rouen, et cela aussi scandalise
Saint-Simon. « Quelque nouvelle que fut cette grâce, Villeroy en obtint
une bien plus étrange : ce fut de faire faire Alaincourt, chevalier du
Saint-Esprit, le dernier de la promotion qu'Henri IV fit le 5 janvier
1597... et pour comble n'ayant que trente ans. Avec un tel crédit,
on fait aisément de porter l'ordre sans charge. »
286 V1LLER0Y
rant de sa fortune. Après sa soumission, d'Alincourt s'était
distingué à la guerre, au siège de Laon et au siège de la
Fère. Henri IV lui donna, le 5 janvier, 1597, le collier dos
ordres du roi, il l'envoya à Rome comme ambassadeur
sous Paul V, en 1600, et le nomma son lieutenant à Lyon,
Deux ans après la mort d'Henri IV, il devint gouverneur
du Lyonnais, Forez, Beaujolais. D'Alincourt avait fait une
1res belle fortune, et assez facilement, malgré sa devise pré-
tentieuse : per ardua sur go ; mais elle n'avait rien d'anor-
mal ni de scandaleux (1).
Aussi c'est vraiment avec raison que Villeroy pouvait
dire dans le testament qu'il rédigea le 20 août 1009 : «Nous
avons acquis peu de biens au long et assiduel service que
nous avons fait aux rois Charles IX, Henri III et au roi
Henri IV qui règne à présent... non par faute d'avoir été
aimé et favorisé.d'eux ou de ne les avoir fidèlement servis
et à leur [contentement, mais pour avoir été plus diligent
et soigneux d'acquérir honneur en servant que des riche--. -.
c'est pourquoi nous ne pouvons rémunérer nos serviteurs
et leur bien faire comme nous désirerionset leur affection
mérite (2). »
Pendant le règne d'Henri IV, Villeroy continua à mener
la vie de bon bourgeois que nous connaissons. Son train
de maison était assez simple. En 1009, il avait un chapelain,
Duneau, qui avait servi son père, un maître d'hôtel, Jérôme
Dalquin, un courrier pour communiquer avec le roi, un
concierge nommé Saint-Pé pour la maison de Villeroy. un
autre, Boulart, à Conflans, deux valets de chambre, un
(1) Il avait perdu sa première femme Marguerite de Mandelot et
épousé, le 11 février 1596, Jacqueline de Harlay.
(2) Nous avons trouvé la copie inédite de ce testament dans le F. Fr.
17864, f'J 252-257, sous le titre de « Testament de feu Monsieur de
Villeroy, secrétaire d 'Estât. » Use termine par : « fait, escrit et signé
de notre propre main, étant en notre maison de Villeroy le 26e jour
du mois d'août 1609 ». C'est lui qui nous a fourni de précieux rensei-
gnements sur le train de maison de Villeroy.
LE MINISTRE d'hENRI IV 287
cuisinier, un sommelier, Jacques, un cocher, Jean, un pa-
lefrenier, .Marin, un muletier, des garçons d'étable, un la-
quais basque et un laquais bourguignon et quelques autres
serviteurs et servantes résidant en ses maisons.
Villeroy vivait d'autant plus simplement qu'il était seul.
Sa femme, Madeleine l'Aubespine, était morte le 17 mai
1596 ; son fils était retenu la plus grande partie de l'année
dans le Lyonnais. Il eut à payer des dettes contractées
pendant la Ligue, à rebâtir son château de Villeroy ravag-é
par les bandes espagnoles pendant les troubles. Une recher-
chait point les occasions de dépenses. Il eut quelquefois à
traiter le roi, ou des grands seigneurs qui aimaient à s'ar-
rêter à Villeroy, en allant de Paris à Fontainebleau (1). Il
aimait à bàtiretàembellirsespropriétés, mais modérément,
comme il faisait en toutes choses. Nous connaissons
quelques-unes de ses acquisitions à l'étranger par les
lettres aux ambassadeurs, qu'il chargeait parfois de certains
achats. D'Italie il fit venirquelquesmarbres(2), de Hollande,
des tapisseries, des peintures, un instrument pour vider
l'eau d'un canal. Tout cela n'était pas ruineux; (3).
([) Voir notamment une lettre de Villeroy à Montmorency, du 29
mai 1599, F. Fr. 3588, fo 56. « Le roi a dîné aujourd'hui en cette mai-
son où il est arrivé que je ne l'attendais pas », une lettre de Villeroy à
Henri IV, du 21 octobre 1599, F. Fr 4028, fo 56, une autre de Villeroy
à... du 6 juin 1608, 3605, fo 9. L*Estoile rapporte que le 14 octobre
1602, les députés des cantons suisses furent traités magnifiquement à
Conllans par Villeroy.
(2) Villeroy à Boissise, 2 juillet 1600, F. Fr. 4128, fo 187.
(3) Villeroy à Jeannin, 5 septembre et 2-9 décembre 1607, Négoc. du
prés. Jeannin, Ed. Michaud, p. 137 el 256.
D. Guillaume Morin, en 1630, décrivait ainsi Villeroy : « Villeroy
est un des plus beaux lieux de tout le Gastinois à deux lieues de Cor-
beil : il y a deux grands corps de logis, l*un appelé la basse-cour où
sont les offices et écuries, puis le château qui est composé de belles
salles, galeries et chambres richemenl garnies, entre lesquelles sont les
chambres du roi et de la reine. S'y voit aussi une très belle chapelle;
au delà du château sont les jardins de plaisance, où se voient de
belles fontaines, puis un bois fait en allées, dans lesquelles se voient
288 VILLEROY
Ainsi vivait le bourgeois assez simple qui s'opposait au
grand seigneur Sully. La religion renforçait le contraste
que faisaient ces deux hommes de condition si diverse.
Sully était un huguenot de bonne souche qui avait fait les
guerres de religion et était demeuré très attaché à sa foi.
Il ne la quitta pas à la conversion du roi, il ne la quitta
pas à la fin du règne, malgré les savantes sollicitations dont
il fut l'objet, bien qu'il parût faire gracieuse mineauxcatho-
liques qui le voyaient assister parfois au sermon. Villeroy
était — nous le verrons plus loin — un catholique très atta-
ché à la religion de ses pères et très sincèrement pieux. Ils
étaient devenus tous deux tolérants par raison d'état et ne
méritaient pas de passer, l'un pour un de ces « hypocrites
huguenots excités par quelques ministres factieux », l'autre
pour un de ces « bigots catholiques fomentés des Jésui-
tes » (1). Sully poussait même la complaisance jusqu'à
donner de l'argent aux quêtes dans sa paroisse de Saint-
Paul et à favoriser les catholiques dans la distribution des
honneurs et des charges. Villeroy n'allait pas au prêche,
mais était l'ami des plus notables huguenots, de Duplessis-
Mornay et de Bouillon, entre autres, qui rendaient hom-
mage à son esprit de modération.
Il n'en est pas moins vrai que, malgré leur raison et leur
volonté, ces deux ministres n'avaient pas entièrement dé-
pouillé le vieil homme. Malgré leurs efforts sérieux pour
ne considérer dans les affaires importantes que la raison
d'Etat, leur religion agissait, peut-être à leur insu, au fond
d'eux-mêmes et se mêlait parfois à leur politique. Dans les
relations avec les puissances étrangères, les ministres
d'Henri IV s'inspiraient avant tout de l'intérêt du pays,
de beaux cabinets de verre et des peintures excellentes, un très beau
pallemaille et une longue garenne. » (Histoire générale des pays de
Gastinois, Senonois et Hwpois, 1630, in-4°.)
(1) Selon l'expression de Sully, Éc. Roy., t. I, p. 519.
LE MINISTRE d'hENRI IV 289
qui commandait à ce royaume « mi-partie » (1), d'avoir
comme alliés des protestants et comme ennemie une nation
catholique. Villeroy et Sully étaient d'accord en prin-
cipe sur ce point. Mais il y avait deux manières diffé-
rentes d'appliquer ce principe : on pouvait rester séparé de
l'Espagne, se défier d'elle, se tenirdans une stricte défensive,
sans se battre avec cette ennemie. On pouvait l'attaquer
violemment ou la ruiner. Quand Villeroi recommandait le
premier parti, c'était sans doute dans l'intérêt du royaume.
Mais n'obéissait-il pas aussi à des scrupules de catholique
qui redoute d'entrer en guerre avec le pape et de favoriser
trop ouvertement des ennemis de sa religion? Quand Sully
poussait si vaillamment à la destruction de la monarchie
de Philippe II, c'était aussi dans l'intérêt du pays, mais n'était-
il pas entraîné par des rancunes de vieux huguenot contre
la terrible adversaire du protestantisme et par des sympa-
thies innées pour les peuples affranchisdu joug romain ? Les
contemporains ont exagéré ridiculement cette opposition.
Quand Villeroi fait quelques difficultés pour accorder des
subsides aux Pays-Bas (comme le faisait d'ailleurs Sully lui-
même) les huguenots crient immédiatement au papiste.
Quand Sully se montre peu condescendant à quelque in-
trigue italienne, les catholiques se plaignent aussitôt de la
haine du ministre à l'égard de la religion romaine. Mais
s'il convient de réduire à leur juste valeur ces appréciations
passionnées, il ne faut pas supprimer cet élément dedissem*-
blance entre les deuxmmistres qui s'ajoute au contraste de
leur condition sociale et de leur caractère.
Ces deux hommes étaient doués, en effet, de caractères
très différents. Ton- deux possédaienl une belle intelli-
gence, un jugement pénétranl el sûr, et une prodigieuse
puissance de travail. Mais l'un étail surtout un imaginatif,
(i) Selon une expression de Fram ois ri' lerssen, dans la lettre du l'O
juillet 1602 à .1. Valcke (voir notre édition, p. 165).
Villeroy. m
290 VILLEROY
l'autre un esprit pratique Sully aimait les rêves grandioses,
les vastes projets. Il a échafaudé de toutes pièces le Grand
Dessein qu'il attribue à son maître el qui est un rema-
niement total du monde civilisé 1 1). Dans les Economies
Royales, les « vaines cogitations », o fantaisies », «imagi-
nations », abondent. Facilement il altèreles chosesdu passé :
ii défigure ses ennemis particuliers au gré de sa passion : il
voit l'avenir selon ses rêves. La plupart des calomnies con-
tenues dans ses mémoires viennent de cet excès d'imagi-
nation. Il se trompe plus qu'il ne ment. Très sincèrement,
à la longue, il finit par voir en sombre certaines choses et
certains personnages. Dans certaines délibérations graves
sur la paix ou la guerre, nous verrons quels conseil- hardis
il donnait parfois, frasant bon marché des difficultés de
toute sorte qui retenaient les autres membres du conseil.
I lette imagination lui inspira tantôt des rêves chimériques,
tantôt quelques-unes des plus belles œuvres de son minis-
tère. Ses grandes vues sur l'avenir autant que son amour
de Tordre l'ont rendu économe des deniers publics, l'ont
poussé à restaurer les finances du royaume.
Villeroy avait un sens plus positif delà réalité. Très ré-
fléchi, très prudent, il s'appliquait patiemment à dénouer
les difficultés présentes, sans faire de beaux projets, comp-
tant beaucoup sur le temps, un peu sur lé hasard et sur les
fautes d'autrui. « !1 faut conduire les affaires du monde par
degrés », disait-il (2). Dans les négociations les plus héris-
sées d'entraves, il procéda toujours avec calme, avec per-
sévérance. Il aimait à dire, comme à Bellièvre et à Sillery
en r>98 : « J'estime que toutes choses pourront s'accommo-
der avec le temps les conduisant par degrés sans les préci-
il) Voir Pfister, Les Economies royales et le Grand Dessein de Hen-
ri IV, Rev. hist., 1894.
(2) Villeroy à Jeannin, 24 août 1607, Négociations du président
Jeannin, p. 1 &3.
LE MINISTRE d'hENIU IV — ' ► 1
piter » (1). Par L'exposé de ses négociations pendant la
Ligue, on a vu la prestesse silencieuse et la ténacité froide
avec laquelle il accomplit cel ingrat travail de diplomatie
toujours détruitet toujours recommencé. On pourrait aisé-
ment extraire «les lettres de Villeroy un certainnombre de
sentences et maximes dont la collection sérail appelée « la
sagesse » de Villeroy. La même justesse et simplicité de
vues se traduit dan- son style exempt des hautes « cogita-
tions », des exubérances, des boursouflures, du pédantisme,
comme aussi de l'ardeur communicative qui remplissent le
style imaginatif d'un Sully. Quand vieillireni ces hommes
et quand s'accentuèrent leurs défauts, on vit un Sullj se
repaissant à Villebon de ses chimères, et un Villeroy an
pouvoir, devenu trop prnden!, trop lent, trop hésitant, tai-
sant déplus en pins de la politique au jour le jour.
Les mêmes dissemblances existaienl dans leur sensibi-
lité. Sully était un passionné, Villeroy un homme de sang-
froid. Tous deux étaient très orgueilleux, maisl'orgueil de
Sully se traduisait par des manières hautaine-, cassantes',
par des prétentions de naissance, le goût de l'étiquette et
de la représentation. Villeroy dissimulait cet orgueil sous
des dehors polis et froids. On blessait aussi facilemenl son
amour-propre que celui de Sully, car lui aussi endurait
mal d'être contredit dans ses opinion- ou contrecarré dans
son influence. >< 11 savait le grand avantage que l'expérience
lui donnait sur les autres et était fort soigneux de le garder...
fort sensible et délicat à tous les traits qui portaient contre
son jugement ('2). » Cette susceptibilité bien connue s'atta-
chait moins que celle de Sully à des questions de formes.
Il se contentait de la réalité solide du pouvoir. Nous ne
sachons pas qu'il ait jamais agi comme le surintendant
(1) Villeroy à Bellièvre et Sillery, i 6 février 1598; F. Fr. 15911,
fo 205.
(■2) Matthieu, Remarques d 'Estât..., p . 285.
292 VILLEROY
qui en 1608 s obstina pendant plusieurs mois à refuser
aux Hollandais leurs subsides parce que le prince Mau-
rice de Nassau l'avait offensé en tardant à répondre à une
de ses lettres (1). Sully était incapable de dissimuler. Les
ambassadeurs étrangers trouvaient cette franchise ad-
mirable quand leur politique s'accordait avec celle du
ministre et n'avaient alors que des éloges pour cet esprit si
sincère et si ingénu (2). Si leurs demandes de secours ou
d'intervention diplomatique ou bien la conduite de leurs
souverains déplaisait au ministre, il leur disait tout ce qu'il
pensait avec une brusquerie qui déconcertait ses familiers
et indignait les autres. Aussi Aerssen, son coreligionnaire
et son admirateur, trouvait-il plus d*une fois inégal et
«'■guïsle cet homme qui, disait-il, « rapporte toutes choses
à son particulier » (3). Dans des lettres, les envoyés toscans
l'appellent quello animale, questa bestia di Rosny (4); lui
faire des politesses, c'est « laver la tète à l'âne » (5). Cette
spontanéité de Sully lui laisait parfois commettre les
•plus graves incorrections. On admettrait difficilement
qu'un ministre maltraitât ses collèg-ues dans ses propos
devant des étrangers. Aerssen rapporte de nombreuses
confidences où Sully traite injurieusement Villeroy et
Sillrry d'Espagnols et de Jésuites (6). Nous n'avons pas
(1) Aerssen à Oldenbarnevelt, 10 mai 160S; Archives de la Haye,
Holland, 2632.
(2) Giovannini au Grand-Duc, 18 juin 1000, Desjardins, t. V, p. 424.
(3) Aerssen ù Oldenbarnevelt, 16 mai 1008, Archives de la Haye,
Holland, 2632.
Giovannini au Grand-Duc, 20 janvier et 17 février 1601, Desjar-
dins, t V. p 453 et \>. 102.
lavare il capo all'asino », 16 novembre 1001, Ibid., p. 470.
oir les lettres d'Aersse'n a Oldenbarnevelt du 11 février et du
- i, archives de la Haye, Legatie, 613. Dans cette dernière,
Rosnj dil nettemenl a l'envoyé dis Etals que le roi a près de lui des
ilers qui ne travaillenl qu'à la grandeur de l'Espagne. Le 11 i'é-
vrier A. rssen écrit : « M. de Rosny médit plus que pendant mon absence
il avail disposé s. M. à la guerre, mais M. de Villeroy et de Sillery se
LE MINISTRE d'hENRI IV 293
trouvé dans les lettres des ambassadeurs un seul passage
attestant de tels écarts de langage chez Villeroy (1). Sully
commit même de graves incorrections dans des moments
de colère. En mai 1605, il révéla à l'envoyé hollandais
que les Espagnols avaient proposé au roi un mariage de
l'infante et du dauphin qui permettait de placer tous les
Pays-Bas sous la domination de la France. Cet avis secret
fut donné aux Hollandais, dit Aerssen, à la suite d'une
« grande traverse » que Sully avait eue à la Cour (2). De
tels faits sont rares : mais, en général, quand on voulait
savoir ce qui s'était passé au conseil, on allait visiter les
deux ministres l'un après l'autre: on apprenait toujours
plus de Sully que de Villeroy.
Au contraire tout ce que disait Villeroy était calculé. Il
savait admirablement dissimuler ou parler en termes
vagues, suivant la nécessité, et se montrer d'humeur égale
et d'une affabilité habilement nuancée. Il parlait très poli-
ment, on pouvait le quitter mécontent de sa diplomatie,
mais jamais froissé par le moindre écart de langage. Il
procède, disait P. Duodo en 1598, « avec une grande cir-
conspection et prudence, de manière qu'il ne lui sort jamais
de la bouche une parole qui puisse, étant douteusement
proférée, lui porter aucun préjudice... Il est grand dissi-
mulateur, et dans les choses d'état, pour savoir feindre et
fortifiaut dos inclinations de S. M. avaient le plus qu'ils avaient pu
traversé ses raisons... Il conseillerait toujours le roi en faveur de l'Etat
et de la religion, mais craignait que ces gens eussent un conseil con-
traire. Pour ce était-il marri que j'avais vu le roi et M. de Villeroy
avant lui... »
(1) Aerssen écrit à Barnevelt, le 9 décembre 1605, que l'ambassadeur
d'Espagne et celui de l'archiduc se sont plaints à Villeroy qui leur a
conseillé « de s'arrêter plutôt aux propos du roi qu'à l'humeur de M. de
Rosny lequel parlait ainsi par passion et affection, mais que le maître
faisait ce que bon lui semblait » {Legatie, 613). C'est un des très rares
passages contenant un jugement de Villeroy sur Sully.
(2) Ibid., 26 mai 1605.
294 VILLEROY
donner à entendre une chose pour une autre, il n'y a per-
sonne de meilleur que lui » (1).
De telles oppositions de caractères amenaient de fré-
quents conflits entre Villeroy et Sully. Nous connaissons
par Sully lui-même, par les auteurs de mémoires et par
les cl rangers, quelques-unes de ces querelles sur lesquelles
Villeroy est toujours demeuré muet. En octobre 1600, ils
se disputèrent en plein conseil au sujet des conditions de
paix proposées par le roi au duc de Savoie. Villeroy, nous
dil Aerssen, reprit vivement Sully « comme parlant trop
haut et avec ignorance d'affaires, et eut pour vive repartie,
que ceux qui avaient loyamment servi avaient ce privilège
de parler haut, mais à qui la Ligue était encore au ventre
comme lui ne l'avaient pas de même » ("?). Dans ces querelles
Snll , étail assurément le plus insolent des deux, et repro-
chait à son adversaire son passé ligueur, qui, pourtant, de
son propre aveu, était oublié de tout le monde (3). En 1001,
quand, malgré l'opposition de Villeroy et de Sillery, Sully
fil nommer son frère Béthune, ambassadeur à Rome, il eut
l'imprudence, pour le recommander, de vanter ses propres
services et l'ancienneté de sa maison. Sillery et Villeroy
répliquèrent que leurs services valaient bien ceux de Sully.
Ce dernier, « demi en colère », répondit qu'une telle com-
paraison était odieuse. « eu égard à la diversité de naissan-
ces, professions, qualitéet quantité de services » (4), vanta
ses campagnes et ses aïeux,traita Villeroy d'homme déplume
et d'écriloire. Villeroy, si calme d'habitude, entra dans une
(1) Alberi, t. XV, p. 191. — Comparer avec le jugement de Carew^
'''•rit en 1609. « In lu- negotiating, Villeroy is nol so open as Sully nor
so close us the chancellor, but aller a very good fashion, short and
pertinenl : yet still standing ùpon his advantages, pour faire parler,
i-meth il, liim, who treateth with him. » (Th. Birch, .4// histo-
rical view... appendice, p. 49.0.)
12) Verssenà Valcke, 6 octobre 1G00. (Voir notre édition, p. SS.)
^:;! Sullj n'a pas parlé de cette dispute. •
(4) /:.<■. Roy., l. II. p. i.'ii .
LE MINISTRE d'hENRI IV 295
violente colère, si nous en croyons les Economies royales
«|iii le dépeignent « lier comme un aspic, ayant les joues
bouffies et les yeux rouges de dépit » (1).
Chacun d'eux essaya plus d'une fois de faire déchoir
l'autre de la confiance royale. Nous avons trouvé, dans les
papiers de Bellièvre, la trace d'une attaque dirigée, en
1602, par Sully contre Vjlleroy, à propos d'une médiocre
affaire de passeports, où Sully accusait devant Henri IV
Villeroy absent d'abuser et de trafiquer de sa charge. Il
fallut l'intervention énergique du chancelier <>n laveur du
secrétaire d'Etat pour arrêter l'affaire (2). Nous ignorons
si Sully attaqua d'autres fois Villeroy. Nous savons très
bien, en revanche, que Villeroy prit part à quelques vio-
lentes campagnes dirigées contre son rival. Il ne se mit
pas. semble-t-il, au premier rang des assaillants. C'eût été
contraire à sa prudence habituelle, el ce n'étail pas néces-
saire, car Sully s'était fait d'assez nombreux el puissants
ennemis par ses manières hautaines, par sa gestion sévère
des finances et son accaparement des grandes charges.
Au mois de mai 1605, il fut violemment accusé devanl le
roi de malversations par MM. de Souvray et de Monligny,
qui citaient des chiffres : 250.000 écus dérobés dans la
ferme des sels, 50.000 écus de pots de vin, touchés par la
femme du surintendant et ils menaçaient de fournir <\c-
(1) Ec. Roy., t. I. p. 369.
(2J Villeroy à Bellièvre, 29 mai L602, F. Fr. 15896, fo :;:;,. — L'ad-
ministrateur de Strasbourg avait vendu à un marchand un passeport
contresigné d'un secrétaire d'Etal el scellé par le chancelier. Un doua-
nier maltraita le marchand el l'administrateur. Villeroy (il châtier le
îoutinl el se livra .;i de violentes attaques contré Vil-
'■ i que défendit Bellièvre. Nous connaissons cette liistoire par les
lettres de remerciements de Villeroj où celui-ci se plainl àmèremenl
du surintendant. « J'espère que Dieu me fera grâce de répondre de
ma charge aussi nettement qu'il fera de la sienne. » (La lettre suivante,
du 8 décembre 1602, Ibid., fo 377, montre qu'une série d'incidents
éclatèrent à cette époqui où Sullj essaya d'amoindrir le crédil du
chancelier el de Villeroy.)
296 VILLEROY
preuves écrites. Derrière Souvray et Montigny marchait une
partie du conseil avec Villeroy. Le roi fut un moment
ébranlé et Sully parut près de sa ruine (1). A l'envoyé
hollandais à qui il exprimait sa rancœur il dit : « C'est un
malheur de servir un vieux roi. Il est toujours défiant,
soupçonneux et qui craint même que ses plus fidèles ser-
viteurs ne le trahissent pour avoir appelé à son service les
traîtres de son prédécesseur » (2). Mais Sully ne se décou-
ragea pas. Il démontra au roi qu'il n'avait commis aucune
concussion, qu'il était la victime d'une coalition de finan-
ciers et de grands seigneurs acharnés à sa perte, parce
qu'il faisait trop bien le service du roi et il obtint gain de
cause (3) La même année, pendant son voyage en Poitou,
on essaya de le désarçonner et de faire donner les finances
au cardinal de Joyeuse (4). On soupçonna Villeroy d'avoir
favorisé cette cabale, car il était grand ami du cardinal,
de sa famille et de ses alliés.
Dans les partis qui s'ébauchaient à la cour, mais qui
furent peu dangereux parce que le roi était fort, Sully et
Villeroy se trouvaient presque toujours dans des camps
adverses. Au début de 1603, Soissons et d'Epernon avaient
lié partie ensemble : Sully s'appuyait sur le connétable de
Montmorency etsur les huguenots, Bouillon, Lesdiguières,
la Trémoille (5). Villeroy favorisait les premiers, mais
sans se compromettre : aussi n'est-il nulle part désigné
comme ayant joué un rôle quelconque dans la grave que-
(1) L'incident nous est connu par des lettres inédites d'Aerssen à
Oldenbarnevelt. Voir aux archives de la Haye, Legatie, G 13, les lettres
du 24 mai et du 25 juin 1605.
(2) Ibid., M mai 1605.
(3) Ibid., 25 juin 1605. « Les directeurs de cette affaire pour la plu-
part demandent pardon à M. de Rosny lequel s'est purgé de malversa-
tion et a fait voir au roi le dessein contre sa personne pour indirecte-
ment nuire à son service. »
(4) Giovannini au Grand-Duc, 24 juillet 1605. Desjardins, t. V, p. 556.
(5) Ibid., 19 octobre 1603, Desjardins, t. V, p. 518.
LE MINISTRE D HENRI IV
297
relie qui éclata entre Sully et Soissons à propos d'une im-
position sur la toile que le surintendant refusait au
comte (1). Au début de 1604, une grande amitié règne entre
le duc de Guise, Gondi, Brissac et Villeroy (2). Sully n'en
est pas. L'année suivante, Sully et les Guises sont unis
pour s'opposer au comte de Soissons et aux princes du
sang. Villeroy est avec ces derniers. C'est alors qu'aurait
été ourdie l'intrigue pour pousser Joyeuse au pouvoir.
C'est alors aussi que Sully et les Guises auraient essayé
d'accaparer Marie de Médicis, pour s'assurer un appui dans
l'avenir, tandis que Villeroy et Silleryqui savaient combien
le roi tenait à écarter la reine du gouvernement, et qui
voulaient avant tout plaire à leur maître, témoignaient à
sa femme une extrême froideur (3).
IV
De cette énumération de conflits, il ne faudrait pas con-
clure à une opposition perpétuelle et irréductible de Sully
et de Villeroy. L'histoire est moins simple. Nous avons vu
que leur condition, leur caractère, leur religion et leur
politique les rendirent quelquefois ennemis, mais il faut
constater que leur propre raison et l'autorité royale les
mirent souvent d'accord.
Henri IV les considérait tous deux comme très utiles à
son état. Il eut toujours pour principe fixe de conduite de
les employer en « tempérant » leurs conseils et en « modé-
(\)Èc. Roy -, t. I, p. 511 et suiv.
(2) Giovanni au Grand-Duc, 20 février 1604, Desjardins, t. V, p. 520.
(3) Ibid., 24 juillet 1505, Desjardins, t. Y, p. 554 et suiv. —
Aerssen écrit le 3 juillet à Oldenbarnevelt que Sully s'efforce de démon-
trer à la reine que pour conserver la régence après la mort du roi,
elle doit être appuyée par un fort parti « lui désignant celui de Lor-
raine entre les bras duquel il s'est jeté ».
298 VILLEROY
ranl l'excès de leurs diverses passions »(1). Il apaisait leurs
querelles d'un ton mélangé d'autorité et de bonhomie et
les ministres s'inclinaient devant un prince qu'ils res-
pectaient profondément. Il faut ajouter, à la louange de
ces deux hommes, qu'en dehors de leurs crises violentes
d'inimitié, la raison l'emportait. Ils entretenaient générale-
ment des relations correctes, pas très affectueuses, mais
parfois presque cordiales. Dans ce qui nous reste de leur
correspondance, nous ne trouvons pas un mot déplacé.
Une seule fois, Sully a voulu nous faire croire qu'il avait
écrit une lettre injurieuse à Yillerov : la lettre qu'il nous
cite est altérée (2). Dans la correspondance des envoyés
étrangers, on trouve de nombreux témoignages de leur
fréquente entente dans les affaires publiques. En dehors
des périodes d'hostilité que nous avons spécifiées plus haut,
il ne faut pas que la rudesse et la liberté de langage de
Sully nous fassent croire qu'à ce moment précis ils étaient
en guerre l'un contre l'autre. C'est ainsi qu'au mois de juin
1600, dans une conversation avec l'envoyé du grand-duc,
Sully critique Villeroy tout en reconnaissant à la fin qu'ils
sont bons amis pour le moment (3). La correspondance
d'Aerssen nous les montre très souvent unis dans la poli-
tique étrangère sur le terrain des affaires hollandaises.
Nous constaterons fréquemment celle union en étudiantla
politique extérieure, et nous verrons qu'ils collaborèrent
étroitement à quelques-unes des plus grandes actions du
règne.
Le véritable maître du pouvoir, ce fut Henri IV qui ne
se contenta pas de régner comme son prédécesseur, mais
qui gouverna. Ilavait.au prix de fatigues et de travaux sans
nombre, conquis son royaume et, parvenu au but, n'était
(1) Ec. Roy., t. II, p. 290.
•ir pins loin.
(3) Desjardins, t. V, p. 425 (28 juin 1600).
LE MINISTRE D HENRI IV ^'JU
pas homme à l'abandonner à des ministres, si remarquables
lussent-ils. Il avait une haute idée de son droit royal et pour
accomplir son métier, une activité prodigieuse, une intel-
ligence extraordinairement vive, souple et sûre. Il décidait
loul en maître, « voulant savoir toutes choses pour en
ordonner, et n'y ayant point, d'heures où on ne lui en pût
parler, même quand il était dans ses plaisirs si c'était chose
importante » (l). Il tenait conseil chaque malin, pendant
deux heures, en se promenant, soil dans ses jardins, soit
dans unegalerie. Il interrogeait, écoulait, comprenait avec
une extrême facilité, et décidait avec une présence d'esprit
el une sagesse qui faisaient l'admiration des ambassadeurs
é! rangers et des ministres eux-mêmes. Ceux-ci reconnais-
saient, sans esprit de flatterie, que le maître pouvait en
remontrer aux plus sages. C'est la pensée qu'exprimait
Bellièvre dans une curieuse lettre adressées Villeroj le
15 mars 1596 : « Es choses d'importance; il faut que le
maître soit averti du tond... Le maître a connaissance de
beaucoup de choses que je puis ignorer : il faut que en Ce
qui concerne son état, notre jugement dépende du sien,,
suivant lequel je vous prie d'ôter et d'ajouter aux dits ar-
ticles ce que vous jugerez être pour le mieux (2). »
Aussi Henri IV a-l-il été, parmi les souverains des temps
modernes, un de ceux qui ont le plus approché de l'idéal
du gouvernement à la fois personnel et bien renseigné. Il
ne s'est pas laissé diriger par un premier ministre. Il n'a
pas confié l'autorité successivement à différents favoris. Il
a toujours gouverné avec le même petit groupe d'hommes
de confiance, doués de talents, d'aptitudes diverses, mais
('•gaiement utiles à son État. Il les afail beaucoup travailler,
car lui-même en temps ordinaire entendait consacrer une
(1) Fontenay-Mareuil, Mém., p. 18.
(2) F. Fr. 15893, i'° 327. Cette Lettre est écriteà propos
dations avec l'assemblée du clergé.
300 VILLEROY
partie de ses journées à la chasse, aux exercices physiques,
aux jeux et au plaisir. Il leur laissait résoudre d'eux-mêmes
un grand nombre de petites affaires et leur faisait préparer
en détail les affaires d'importance sur lesquelles il réservait
sa décision.
Voilà pourquoi nous devons nous représenter Villeroy
et ses collègues sous un double aspect. Dans toutes les af-
faires ordinaires, peu importantes, ils administrent, sous
la haute surveillance du roi qui ne s'occupe point des dé-
tails de leurs charges : ainsi le chancelier fait son métier
courant de chef de la justice, Sully son métier de finan-
cier, Villeroy son métier de ministre des affaires étrangères.
Mais toutes les fois qu'une affaire d'importance est à ré-
soudre à l'intérieur ou au dehors du royaume, ils conseil-
lent Henri IV qui seul décide. Tous les grands actes du
règne ont été raisonnes par le roi, et portent sa marque
personnelle. Mais on y retrouve aussi l'esprit, les tendances
et le travail d'un ministre, de Sully ou de Villeroy en gé-
néral, qui a été assez fort pour persuader le roi. Voilà
pourquoi nous aurons à rechercher dans les principales
actions du règne comment s'est exercée l'influence person-
nelle d'un Villeroy (1).
(1) Rappelons en terminant ce que Sully fait dire à Henri IV, Jurant
un séjour à Rennes en 1598 : « Je viendrai aux travaux qu'il me faudra
supporter parmi les négoces et affaires politiques, et en l'établissement
des ordres, lois, règlements et disciplines, tant civiles que militaires,
esquelles j'appréhende qu'il me conviendra vaquer assiduellement,
n'ayant jamais eu l'humeur bien propre aux choses sédentaires, et me
plaisant beaucoup plus à vêtir un harnais, piquer un cheval et donner
un coup d'épée, qu'à faire des loix, tenir la main à l'observation d'icelles,
•'tre toujours assis dans un conseil à signer des arrêts, ou voir exami-
ner des états de finance : et n'était que je m'attends d'être en cela
secouru de Bellièvre, de vous, de Villeroy, deSillery et de deux ou trois
autres de mes serviteurs que j'ai en fantaisie, je m'estimerais plus
malheureux en temps de paix qu'en temps de guerre... »
CHAPITRE II
LA FIN DE LA LIGUE. - AFFAIRES INTÉRIEURES.
AFFAIRES RELIGIEUSES DU RÈGNE.
I. Les dernières négociations avec les Ligueurs ^1594-1598). Les
principes politiques de Villeroy. La restauration du royaume.
— IL Conseils et négociations. La conspiration de Biron. —
III. La trahison du commis L'Hoste (1604). — IV. Conseils et
négociations (suite). Les complots des d'Entragues. Les affaires
du duc de Bouillon. — V. La religion de Villeroy. Piété, mo-
dération, tolérance. — VI. Villeroy et les protestants. — VII.
La politique catholique. Villeroy et les Jésuites. Le Concile de
Trente et l'ultramontanisme.
(1594-1610)
Quand Villeroy fut rappelé au gouvernement, la ligue
qu'il avait abandonnée dix mois auparavant n'était pas en-
core morte. La conversion du roi avait fait des miracles.
Les gouverneurs et les villes, les seigneurs et les peuples
se portaient en un élan irrésistible vers la soumis-
sion; en une année le champ d'action de la Sainte-Ligue
diminua de moitié. Henri IV avait rétabli son autorité
dans neuf provinces : la Champagne, la Picardie, l'Ile
de Usance, la Normandie, l'Orléanais, le Berry, le Poitou,
l'Auvergne et une partie de la Provence. L'Anjou, le .Maine
302 VILLEROY
et la Guyenne étaient fortement entamés. Cependant, Ne-
mours dans le Lyonnais, Mayenne en Bourgogne, Joyeuse,
en Gascogne, Boisdauphin, dans certaines places de l'An-
jou et du Maine, Mercœur en Bretagne, résistaient encore
avec l'appui des Espagnols.
La destruction de ce reste important de la Ligue fut avant
tout l'œuvre personnelle du roi avec la collaboration ano-
nyme de tout un peuple las de la guerre civile depuis qu'on
ne se battait, plus pour la cause religieuse. L'offensive har-
die du roi en Bourgogne (mai-août 1595) et de ses généraux
dansl'Est, dans le Midi, en Bretagne, ses libéralités àl'égard
des chefs ligueurs, le succès de sa diplomatie à Borne et
l'absolution pontificale qui supprima définitivement le pré-
texte religieux, achevèrent la Ligue en trois ans.
Le rôle de Villèroy, si grand quand la Ligue étail forte,
fut limité dans cette période où elle se désorganisa si faci-
lement. L'œuvre du négociateur patriote était accomplie.
Il n'y avait plus personne à convaincre. Il ne restait que
quelques grands seigneurs qui s'attardaient à lutter pour
sauver l'honneur ou se faire acheter plus chèrement, et qui
l'un après l'autre se soumettaient : Bois-Dauphin en aoûl
95, Mayenne en septembre, puis Joyeuse, puis d'Epernon
qui, s'étant révolté en Provence, avait traité avec les Espa-
gnols et, repentant, promit obéissance au roi dès le début
de l'an 96. Aussi les lettres qu'écrit Yilleroy à cette époque
ne révèlent plus ni inquiétude, ni découragement. Il a con-
fiance dans l'avenir, dans la fortune du roi. « Dieu aide le
roi partout, écrit-il à Nevers le 17 juin 95. Le seul fait de
Provence me met en peine; toutefois j'ai des lettres qui
me promettent quelque remède, à quoi nos prospérités ici
ne nuiront pas à mon avis (1). » Les lettres envoyées au
connétable pendant le voyage dans l'ouest qui prépara la
reddition de Mercœur, le dernier ligueur, sont particu-
(1) Villèroy à Nevers, de Dijon, 17 juin lo'Jo.
LE MINISTRE d'iIENRI IV 303
fièrement joyeuses : « Nous avons meilleure èspéraricèque
jamais » (1)... « Tout nous rit et nous favorise jusqu'à pré-
sent : en ce voyage, Ancenis et Rochefort ont fait le
saut (2). »
De plus, l'activité de Villeroy, jadis absorbée par cette
question unique était maintenant dispersée vers des objets
très divers. La rédaction des lettres aux ambassadeurs, l'ex-
pédition des affaires courantes dépendant de son secréta-
riat, les négociations qui précédèrentla paix avec l'Espagne,
d'importantes fonctions d'intendant militaire occupent la
[dus grande partie de son temps durant ces années de vie
errante qu'il mena avec le roi, en Bourgogne, aux; fron-
tières de Picardie, à Amiens, à Rouen, et dans les pro-
vinces de la Loire. Le Vénitien Pietro Duodo écrivait dans
sa relation de 1598: « On peut dire que tout passe par ses
mains... Il vit sous le poids d'une fatigue insuppor-
table » (3).
Malgré ces occupations absorbantes, il prit une part
assez importante aux négociations qui précédèrent la sou-
mission de Mayenne. Des pourparlers, qu'on connaît peu,
avaient été entamés dans le courant de l'année 95, sans que
le chef de la Ligue eût attendu l'absolution pontificale. Les
premières tentatives sérieuses débutèrent, semble-t-il, au
mois de mars. Le 12, il y eut dans la maison de Zamet une
réunion des députés du duc avec Bouillon, Sancy et Ville-
roy. < '.eux du camp royal n'étaient pas d'accord entre eux au
(1) Villeroy à Montmorency, de Tours, 3 mars 1598. F. Fr. 3568,
l'o 23.
{■2) Ibid., des Ponts-de-Cé, 6 mars 98, Ibid., fo '.:'..
(3) Albert, fïèlazioni, t. XV, p. 190. « Sopra di esso si appoggiano,
corne segretario, tutti gli affari piu important] di quella corona, ed a
lui e al'fiilata la cura di tutte le cose fuori del regno, e anco di quelle
che concernono la guerra dentro di esso ; si che si puo dire che tutto
passa per le suemani. Da questo nasce che non puo far tanlo, e vorria
pur liberarsene, ma il re non vuole, e cosi vive sotto il peso di una
fatica insopportabile. »
304 VILLEROY
sujet de la paix. Les plus accommodants étaient Schomberg
etVilleroy (1). Onfit un nouveau pas à lafinde juin.Villeroy
fut envoyé avec Roquelaure et Sancy auprès de Mayenne
à Chalon, avec mission d'écouter (2). Mayenne lui parut
regretter le passé et désirer servir fidèlement Henri IV, si
on lui donnait les moyens de le faire avec honneur, c'est-à-
dire en lui laissant au moins son gouvernement de Bour-
gogne. Villeroy estima qu'on pourrait s'accorder facilement
hormis cette question épineuse, car le roi, qui avait donné
la Bourgogne à Biron, ne pouvait revenir sur sa décision.
Henri IV,en effet, lui signifia nettement de rompre si Mayenne
persistait dans des demandes qui tendaient à le maintenir
dans sa situation de chef de parti (3). Villeroy avait tou-
jours eu la même opinion qu'Henri IV. Il fallait obliger
Mayenne à rentrer dans le devoir tout en lui consentant,
pour son particulier, de belles concessions. Sancy pensait
comme lui. Mayenne finit par revenir à des prétentions
plus raisonnables et à accepter, en échange de la Bour-
gogne, le gouvernement de l'Ile-de-France, moins Paris,
plus trois places de sûreté et une grosse indemnité d'argent.
Le traité avec les députés de Mayenne fut achevé le
29 août et bientôt accepté par l'ancien lieutenant-général
du royaume qui devint, dès ce jour, un sujet fidèle (4).
Villeroy fut sans doute employé à d'autres négociations
dont nous ignorons le menu détail. Il approuva toujours
la politique de libéralités du roi. Quand on rappela le
(Il F. Ital. 1744, fo 18.
(2) Villeroy à Nevers, 29 juin 95. Voir aussi les dépèches de l'am-
bassadeur vénitien des 8 et 22 juillet et du G septembre, F. Ital. 1744,
fos 122, 129, 160.
(3/ Lettres Vis*., t. IV, p. 3.S4. Le roi a Messes... 20 juillet 95. Les
destinataires que Berger de Xivrey n'identifie pas sont sans doute
\ illeroy, Roquelaure et Sancy,
(-'() Ibid., p. 397. Le roi a la duchesse de Nevers-, 29 août 95. — ■
L'acte officiel de la soumission est l'édit de FolepJbray du 31 janvier
ii avait envoyé Villeroy auprès de Mayenne dans le courant de
novembre pour recevoir son serment.
LE MINISTRE I>'heNRI IV 305
comte d'Auvergne à la cour, il écrivit à Bellièvre : « L'ar-
gent que l'on emploiera à contenter ledit comte sera très
bien employé pour le service du roi et le soulagement du
pays d'Auvergne » (1). Il prit une certaine part aux négo-
ciations qui préparèrent la soumission du duc de Mercœur
qui avait prolongé la résistance en Bretagne jusqu'au com-
mencement de 1598 (2).
Les guerres civiles étaient terminées. Mais la France de
1598 était dans une situation très misérable. Etienne Pas-
quier disait que le dormeur qui s'éveillerait après un som-
meil de quarante ans croirait voir « non la France, mais
un cadaver de la France ».Le royaume était à demi ruiné,
les champs dévastés, les routes coupées, des milliers de
villages incendiés, les campagnes infestées de brigands.
Toutes les classes de la société souffraient et la plus mal-
heureuse, celle des paysans, se révoltait. Les gouverneurs
de provinces faisaient les rois chez eux ; l'administration
financière fourmillait d'abus et le trésor était vide. Le mé-
contentement était général. Il s'était exprimé ouvertement
en 1 597 par l'organe du Parlement de Paris, qui, après la
clôture de l'assemblée des Notables de Rouen, avait fait au
roi de vives remontrances sur les désordres de l'adminis-
tration. Aussi Henri IV, quand il eut reconquis son royaume,
eut-il à coeur d'y ramener l'ordre et la prospérité. Avec sa
belle énergie et sa vive intelligence, il travailla, suivant les
mots que Sully lui prèle, au ci rétablissement de ce royaume
en son ancienne grandeur el splendeur, ;i I;. décharge &\
soulagement des peuple- •">'.
(1) Villeroy à Bellièvre, i.;> novembre 1595, F. !•>. 15910, i" 272.
(2) il accompagna le roi dans ce voyage armé en Bretagne qui dura
do février a avril 1 598. Ceux qui traitèrenl avec les envoyés <\u
«lue de Mercœur à Nantes, .m mois de mars, furenl Schomberg, de
Tliou, Calignon, de Gesvres, le président Jeannin (De Thou, Hist.,
t. V. p. 723).
(3) Sully, AV. Roy., t. I. p. 275.
Villeroy. 20
306 VILLEROY
Dans cette restauration du pays, où Sully joua un si
grand rôle, comme surintendant des finances, Villeroy n'eut
pas de mission déterminée à remplir. La politique étrangère
absorba la pins grande partie de son activité. Cependant,
dans une certaine mesure, il collabora à l'œuvre de réorga-
nisation intérieure de l'Etat, car toutes les décisions im-
portantes furent prises dans le conseil étroit où sa parole,
nous l'avons vu, était d'un si grand poids. Ces délibéra-
tions demeuraient secrètes. Les envoyés étrangers, dont
les dépêches forment comme un journal de ce temps, ac-
cordaient peu d'attention aux pures questions administra-
tives. Après les affaires étrangères, ils nous renseignent
seulement sur les questions religieuses, les troubles cl 1rs
conspirations, les faits divers de la cour, et généralement
sur tous les événements qui peuvent influer sur la politique
extérieure. Aussi est-il impossible île distinguer, faute de
documents, l'action de Villeroy de celle de Sully, de Bel-
lièvre, de Sillery ou de Jeannin.
Au moins est-il aisé de nous représenter les principes
dont s'inspirèrent ses conseils. Nous les connaissons suffi-
samment par sa conduite passée, les déclarations conte-
nues dans ses deux Apologies, les lettres des années delà
Ligue. Ce sont les principes d'un homme d'ordre qui a
vécu au temps d'affreuses guerres civiles et qui voit le
royaume « encore si débile et atténué qu'il a tout besoin
de repos et d'un bon régime pour recouvrer sa première
santé » (1). C'est l'anarchie qui a causé les malheurs du
pays. Villeroy ne voit le salut de la France que dans le res-
pect de l'autorité monarchique. Il ne cessera de proclamer
cette vérité jusqu'à la veille de sa mort : « Ne vous lassez,
écrivait-il à Du Plessis, le 29 janvier 1617, d'employer
votre prudence et créance pour aider à rétablir cette auto-
(1) Lettre à du Yair.
LE MINISTRE D'HENRI IV 307
rite et puissance royale sans laquelle nous vivrons en con-
fusion et discorde perpétuelle » (1).
Dans un avis écrit au début de la régence, il définissait
ainsi le pouvoir monarchique : « L'autorité est celle qui
maintient les Etals. L'anéantissement de l'autorité royale
cause le mépris des lois et les lois méprisées causent la
licence et désobéissance, la désobéissance la conspiration,
les cabales et ligues, lesquelles ont leurs prétextes spé-
cieux ou la religion et le bien public ou service du souve-
rain... »(2).
Villeroy n'a jamais formulé de théories originales sur
l'autorité monarchique ou sur les institutions politiques
et sociales du royaume. Son idéal était un pouvoir très
fort se faisant respecter et aimer de tous les citoyens, une
monarchie absolue en droit et en fait, mais sachant se mo-
dérer elle-même suivant les circonstances, capable de cé-
der, souple, conciliante, opportuniste. Henri IV fut un roi
selon son cœur. Villeroy ne semble pas non plus avoir
appliqué son attention à l'étude spéciale des réformes qui
auraient pu améliorer les institutions. Dans l'avis adressé
à la reine-mère en 1614, il exposait, en conclusion, un
court programme : il demandait la réforme des conseils, la
suppression du droit annuel, la réglementation des pen-
sions. C'étaient des questions d'actualité, discutées dans
le public et à l'assemblée des Etats de 1614, sur lesquelles
Villeroy dans sa longue lettre tint à dire un mot, indiquant
ce qui paraissait juste et modéré aux sages de la cour,
sans prendre part aux querelles des partis, et se bornanl
à exprimer des souhaits. Il ne s'est pas occupé des ques-
tions financières : il n'avait aucune compétence sur ce
sujet. Nous en avons trouvé l'aveu dans une lettre écrite à
Bellièvre, le 2 octobre 1587 : « Vous savez que je ne suis
(1) Lettres et Mém..., t. p. 1051.
(2) Avis de 1611, Y1- Colbert, 17, fo 4 0 et suiv.
308 VILLEROY
pas grand clerc en matière de finances (1). » Il a souhaité
d'une manière générale le soulagement du peuple, la dimi-
nution des dépenses, l'honnêteté dans l'administration,
mais n'a jamais exposé la moindre idée personnelle sur
les moyens propres à réaliser ces fins.
\i les Economies royales ni les autres documents du
règne ne nous révèlent de désaccord entre Villeroy et
ses compagnons sur les grandes mesures qui préparèrent
la restauration du royaume. Il semble d'ailleurs qu'il ait
abandonné aux autres très volontiers le soin des affaires
sur lesquelles il ne se sentait aucune compétence spéciale,
se réservant pour lui-même le domaine des affaires étran-
gères. Sur ce point, il se montrait intraitable. Il se croyait
le plus fort, le plus expérimenté, le plus habile et ne
permettait pas que Ton contestât sa supériorité. Tout le
inonde le savait. Son panégyriste lui-même, P. Matthieu,
étaii obligé dé noter ce qu'il appelait « quelque excès de
gravité » (2). « Il savait, nous dit-il, le grand avantage que
l'expérience lui donnait sur les autres et était fort soi-
gneux de le garder, traitant avec les plus habiles de haut
en bas, fort sensible et délicat à tous les traits qui portaient
contre son jugement, prenait plaisir de voir couronner ses
opinions, et ne les bazardait qu'il ne fut assuré qu'elles
trouveraient de la créance ou de la suite » (3).
Il semble bien pourtant que dans certaines affaires finan-
cières et politiques, il se soit quelquefois séparé de ses col-
lègues pour conseiller plus de douceur et de modération,
Matthieu nous raconte qu' « il ne louait point cette véhé-
mente passion à rechercher ni à corriger le passé » (4). Au
début des poursuites qui furent dirigées contre les financiers
pendant la guerre contre les Espagnols, il ne dit rien, mais
\rilleroj à Bellièvre, F. Fr. 15908, fo 477.
ttre h du Vair, loc. cit.
P. Matthieu, Remarques d Estât... p. 285.
(4) P. Matthieu, Ibid., p. 280.
LE MINISTRE d'hENRI IV 309
« après que la première ardeur lut ralentie, il frappa
dextrement son coup pour l'étourdir, et dit au roi qu'il
avait toujours remarqué plus de trouble que de fruit en
telles recherches, qui, pour être trop générales, enve-
loppent souvent l'innocent et le coupable ... (1). «Peut-rire
aussi chercha-t-il à s'opposer à quelques opérations finan-
cières qui entraînèrent des troubles, car, nous apprend en-
core Matthieu, « il souhaitait que le peuple eût moyen de
respirer, et nos rois si riches et puissants que tous les
moyens extraordinaires pour avoir de l'argent fussent
abolis » (2).
II
Il est une partie de son œuvre politique qui a frappé da-
vantage les contemporains et que nous connaissons mieux.
C'est celle où il apparaît comme conseiller ou comme négo-
ciateur, dans les moments où la royauté fut menacée par
des conspirations. Durant cette période qui s'étend de 1602
à 1606, nous retrouvons le défenseur de l'autorité monar-
chique d'Henri III, et nous pressentons le défenseur de
l'autorité de la régente.
Parmi les résistances, les plus dangereuses vinrent des
grands seigneurs qui jusqu'en 1603 conspirèrent contre la
vie du roi et la sûreté de l'Etat.
Au mois de mars 1602, le roi apprit par La Fin le Nocle
tous les détails de la conspiration formée par Biron, maré-
chal de France, gouverneur de Bourgogne, duc cl pair,
avec l'appui de la Savoie et de l'Espagne, la complicité du
(1) Matthieu, Ibid. Pour ces opérations contre les financiers, voir
Sully, Ec. Roy., t. I, p. 228 etsuiv. (Il n'y est pas question de Villcroy).
Nous n'avons aucun document sur L'attitude de Villeroy dans ers cir-
constances, nous ne possédons que le texte de Pierre Matthieu.
(2) Matthieu, Ibid. E<t-ce une allusion à la pancarte qui fut suppri-
mée en 1602, ou au projet de revision de la dette qui entraîna en 1605
une petite émeute des rentiers de l'Hôtel de Ville 1
310 VILLEROY
comle d'Auvergne et du maréchal de Bouillon (1). Aussitôt
il appela Villeroy, Sully et Bellièvre qui examinèrent à
Fontainebleau les papiers, lettres et preuves diverses que
leur fournit l'ancien secrétaire et ami de Biron. Les trois
ministres décidèrent de tenir la chose secrète jusqu'à ce
que l'on eût fait venir Biron en cour et de hâter le voyage
du roi en Touraine et en Poitou, pour calmer l'agitation
produite dans les peuples du sud-ouest par les agents des
grands rebelles. A Blois, durant le voyage, se tint un con-
seil étroit où le roi appela avec ses conseillers ordinaires le
comte de Soissons. On délibéra si on devait faire arrêter
d'Epernonet Bouillon qui se trouvaient à la cour. Le Con-
seil se rallia à l'opinion de Sully qui ne trouvait pas le
crime de ces deux personnages suffisamment prouvé et
craignait « d'effaroucher » les vrais coupables (2). On décida
de frapper à la tète et d'agir avec rapidité et dissimula-
tion. On attira Biron à Fontainebleau sans exciter trop sa
méfiance. Jeannin, premier président au Parlement de
Bourgogne, avait été mandé près de lui. « Il fut le dernier
messager qui lui parla de sa faute, de la clémence du
roi (3). » Henri IV lui avait écrit des lettres fort aima-
Ides, et lui avait fait écrire par ses ministres, en leur nom
personnel. Villeroy avait témoigné à Biron la joie qu'é-
prouvaient les bons serviteurs du roi de sa prompte arri-
vée. Il avait ajouté ces mots terriblement équivoques:
< Aussi elle est nécessaire pour son service et contente-
ment plus que je ne puis vous écrire et me semble que le
retardement d'icelle retardera à mesure les effets qui vous
peuvent contenter... (4). »
(1) Sur la conspiration de Biron, voir Philippson, Heinrich IV un//
Philippe III, in-8o, 1870, t. 1, et en appendice une élude critique sur
les sources de la conspiration.
(2) Ec. Roi/., t. I, p. 395.
(3) DAubigné, t. IX, p. 366.
(4) Villeroy à Biron, 30 niai 1002, dans les Mémoires du duc de Ne-
vers, t. il, p. s:>7.
LE MINISTRE d'uENKI IV #11
Arrivé à Fontainebleau, Biron exaspéra par son attitude
orgueilleuse, ses dénégations méprisantes, le roi qui était
au début disposé à la clémence. Après de vaines tentatives
pour le sauver, le roi et les ministres prirent la résolution
de le faire arrêter ainsi que le comte d'Auvergne et de le
l'aire juger par le Parlement, non par une commission ex-
traordinaire. (Test une résolution que Villeroy trouva par-
faitement «généreuse » (1).
Les conseillers du roi continuèrent à s'occuper jusqu'à
la fin de cette affaire avec un soin extrême. « Le fait de
M. de Biron nous occupe tellement, écrivait Villeroy à Bé-
thune, le 10 juillet, que nous ne pouvons vaquer à autre
chose (2). » Dans une lettre adressée le 17 juillet à Belliè-
vre, Villeroy approuve énergiquement la conduite du roi.
11 trouve que Biron est jugé « sans animosité par la plus
célèbre et honorable compagnie déjuges et de la chrétien-
lé. qui aura grand regret de le condamner, je veux dire
d'avoir juste sujet de le faire, comme à S. M. laquelle serait
à bon droit accusée de cruauté extrême et de manquement
de son devoir envers ses sujets et sa postérité si elle empê-
chait le cours de la justice... »(3). Villeroy, Sully et Sillerj
examinaient et discutaient avec le chancelier les pièces
à conviction qui étaient transmises à la commission du
Parlement chargée d'instruire le procès. (Cette commis-
sion comprenait, avec le premier président de Harlay, le
président Potier, frère du secrétaire d'Etat et le conseiller
Fleury, beau-frèrede Villeroy.) A l'unanimité des suffrages.
le Parlement condamna à la peine de mort le maréchal
de Biron, qui fut exécuté le 31 juillet à la Bastille.
On peut s'étonner au premier abord que Villeroy qui
d'ordinaire préconisait les méthodes les moins violentes ait
conseillé la rigueur dans l'affaire Biron. Cette énergie était
(1) Villeroy à Béthunè, 19 juin 1(102, F. Vr. 3487, f°ui.
(2) Ibid., 16 juillet 1602, Ibid., 1° 59.
(;;) F. Fr. 15896, fo 324.
312 VILLEROY
absolument nécessaire dans ce moment qui fut le plus pé-
rilleux de tous pour la monarchie d'Henri IV. Ce n'était
pas un de ces complots de mécontents intriguant pour ob-
tenir des places ou de l'argent, et que Villeroy devait trai-
ter sous la régence avec une certaine douceur. C'était une
conspiration savamment préparée qui voulait aboutir à
l'assassinat du roi et du dauphin, au démembrement de la
France que devaient se partager certains grands rebelles
et certaines puissances étrangères. Le salut du roi et de
l'Etat exigeait ce châtiment exemplaire contre lequel pro-
testèrent seulement les puissances catholiques intéressées
ànotre ruine, les gentilshommes clients de Biron, les grands
mécontents d'Henri IV, qui s'étaient abstenus de paraître
à la cour des pairs, et la partie ignorante et fanatique de
la foule qui avait stupidement transformé Biron en un mar-
tyr de la religion. Tout ce qui défendait en France le prin-
cipe d'ordre et d'autorité approuva la conduite ferme
d'Henri IV et de son conseil et le jugement rendu par la
noblesse de robe du Parlement. On aurait été au contraire
disposé à critiquer la clémence du roi qui avait pardonné
une fois déjà à Biron, avait longtemps hésité à le punir et
avait cherché au débuta lui faciliter le pardon. Cependant,
si Villeroy s'associa sans réserve à cette mesure de sévère
justice, il n'en passa point pour le principal conseiller.
L'imagination populaire crut que des haines privées avaient
causé l'exécution du maréchal. Comme on avait fait de
lui le chef des catholiques mécontents, des voix anonymes
accusèrent l'ami huguenot du roi, Rosny (1).
(l)L'Estoile, Ed. Mich. p. 337.
Si pour avoir trop de courage
On a bien fait mourir Biron,
Rosni, crois que le même orage
Peut bien tomber sur un larron :
Car déjà le peuple en babille,
Et vous appelle, ce dit-on,
Lui cardinal de la Bastille
Et toi prélat de Montfaucon.
LE MINISTRE D HENRI IV
313
Ajoutons que l'intérêt personnel de Yilleroy et des mi-
nistres se confondait avec l'intérêt du roi et de l'Etat. A au-
cun moment du règne les ministres ne furent plus impopu-
laires. Au mois d'avril 1602, les gouverneurs de provinces,
les grands officiers et certains seigneurs mécontents de la
cour qui depuis longtemps murmuraient contre l'autorité
souveraine de Yilleroy et de Sully trouvèrent un inter-
prète en Damville, frère du connétable de Montmorency.
Celui-ci se plaignit au roi de ce que personne en France
ne pouvait plus remplir son office, que Rosny et Yille-
roy faisaient tout. Il disait aussi que si quelque désor-
dre éclatait, le pouvoir de ces deux hommes serait rui-
né (1). L'envoyé des États, Aerssen, rapporte les paroles
suivantes qu'il aurait prononcées : « Comment se peut bien
gouverner cet état où il n'y a que Rosny et Yilleroy qui
font tout, comme estime le roi que Dieu a mis toute la pru-
dence humaine en leurs cervelles ? Tant que cela sera, les
confusions et désordres naîtront de toute part » (2). La plus
grande partie de la noblesse était mécontente. Les gen-
tilshommes avaientpris goût pendant les guerres à une vie
d'aventures, de rapines et de grosses dépenses. La paix les
avait réduits aux revenus de leurs terres qui avaient
baissé considérablement à la fin du xvi" siècle, tandis que le
prix de toutes choses augmentait. Comme on le fait d'ha-
bitude, ils accusaient le gouvernement d'être la cause de
leur mal, et comme il est naturel aussi, ils murmuraient
contre le roi et les deux personnages qui avaient le plusd'in-
fluence dans son Conseil. Mais, ce qui était plus inquiétant,
(1) Giovannini au Grand-Duc, 10 mai 1002. Desjardins, t. V, p. 496.
(2) Aerssen à Oldenbarnevelt, 19 avril 1602. Arch. de la Haye, Hol-
land, 2632. Voir aussi la lettre du même jour d'Aerssen à Valcke.dans
notre édition, p. 147. Dans cettr dernière, Aerssen ajoutait ces mots de
Damville : « Pour y remédier esl nécessaire d'establir un bon Conseil
et les gouverneurs en leur dignité, autrement ces menées ne cesseront
jamais. Qui le pourra souffrir ? Nous sommes dépouillés île toute dignité
et ne nous reste que le nom seulement. »
314 VILLEROY
les grand- n'étaient pas seuls à se plaindre. Le peuple criait
contre les charges croissantes qui pesaient sur lui. Cette
agitation était adroitement entretenue en Poitou, Périgord,
Saintonge et Limousin par les émissaires de la conspi ra-
tion Biron et leurs chefs, d'Auvergne, Bouillon, qui répétaient
partout que'le roi allait établir la gabelle et la pancarte, éle-
ver des citadelles et y mettre des garnisons. Les habitants de
Limoges prirent les armes quand on établit dans la ville
l'impôt du sou pour livre. Les conspirateurs avaient « pris
leur prétexte à l'endroit du peuple contre le gouvernement
de MM. de Rosny et de Villeroy. Nécessairement l'un des
trois se devait perdre : le Roi et l'Etat, les conspirateurs
ou le conseil » (1). On comprend donc que, sans le moindre
désaccord, les ministres se soient groupés autour de leur
roi pour étouffer cette conspiration qui menaçait de devenir
une nouvelle ligue du bien public dirigée contre leur ad-
ministration.
III
Moins de deux ans après la conspiration de Biron fut dé-
couverte une grave affaire de trahison fomentée parles Es-
pagnols. On surprit un commis de Villeroy, Nicolas l'Hoste,
qui depuis quelques années livrait à l'ambassadeur du roi
catholique les copies des dépêches échangées entre
Henri IV et ses ambassadeurs. Les ennemis du ministre ne
manquèrent pas de murmurer : il fut accusé de négli-
gence, et peut-être d'un plus grand crime. Mais il ne per-
dit pas un seul moment la contiance du roi : cet incident
ne lui nuisit en aucune manière. Cependant il en fut pro-
fondément affecté. Ce fut un des plus pénibles événements
(1) Àerssen à Oldenbarnevelt, Ibid... Voir les lettres écrites par
Aerssen à Valcke du 4 juin au 6 août 1602.
LE MINISTRE D HENRI IV 315
de sa vie. Il souffrit d'avoir été trompé ; il souffrit à la vue
•du scandale qui éclata après la découvert? de la trahison ;
il ressentit une vive affliction à la pensée de tout le mal
que le traître avait fait au royaume et à sa douleur se mêla
le sentiment d'avoir été humilié, lui qui avait été jugé jus-
qu'alors un impeccable fonctionnaire. Voilà pourquoi nous
devons conter en détail cette dramatique affaire.
Xicolas L'Hoste était né en 1581 dans la domesticité de
Yilleroy et avait été porté sur les fonts baptismaux par le
ministre (1). 11 était le fils d'un vieil Orléanais qui avait
servi quarante ans la famille des Neufville. Yilleroy. qui ai-
mail beaucoup l'enfant, veilla à son éducation. Quand celui-
ci eut dix-neuf ans, en 1599, M. de La Rochepot, qui partait
pourrEspagneafinderatifier le traité de Vervins, le reçutau
nombre de ses secrétaires à la prière du ministre. L'ambas-
sadeur fut gratifié par le roi d'Espagne, selon l'usage, de
colliers de pierres et de chaînes d'or pour lui et ses Fran-
çais, et soit négligence, soit économie, oublia l'Hoste dans
la distribution des cadeaux. Celui-ci se crut méprisé et
se mit à haïr l'ambassadeur de toute son Ame. Bientôt, il
devint passionnément amoureux d'une Castillane belle et
exigeante. Il avait de grands besoins d'argent ; les ministres
d'Espagne payaient bien les services des Français. L'idée
de la trahison se glissa petit à petit dans son cerveau, où
elle n'eut à lutter contre aucun scrupule sérieux. Le jeune
homme avait une nature vicieuse, un caractère sournois,
une haine profonde contre son maître, et une dévotion exces-
sive qui aida puissamment à tranquilliser sa conscience.
Henri IV trop récemment converti, trop tolérant, trop ami
des réformés, était un mauvais berger du troupeau catho-
(1) Les détails île la trahison de l'Hoste nous sont donnés principale-
ment par P. Cayet, Chron. Sept , Ed. Michaud, p. 2'J3-300. Voir aussi
les autres historiens, de Thon, Matthieu, t. Il, 310, le manifeste de Yil-
leroy (.Mémoires d'Estat, Ed. Michaud, p. -36), les récits des amt
denrs et les sources manuscrites qui seront signalées plus loin.
316 V1LLER0Y
tique ; servir le roi d'Espagne, n'était-ce pas servir Dieu
dans la personne du plus loyal, du plus ardent, du plus im-
peccable de ses défenseurs ?
L'Espagne était alors le refuge de quelques anciens li-
gueurs impénitents exceptés des amnisties royales et de
nombreux espions à gage ou'des traîtres condamnés à une
existence méprisée et médiocre. Dans ce milieu louche,
Nicolas L'Hoste trouva vite un complice, un Gascon nom-
mé Jean Blas qui le mit en relations avec un prêtre espa-
gnol, cousin de don Juan Ydiaguez, secrétaire d'Etat du
roi d'Espagne. L'Hoste fut très bien accueilli par le ministre
qui lui donna immédiatement douze cents écus et lui en
promit cent par mois. L'Hoste s'acquitta à la perfection
de ses fonctions de traître et communiqua au conseil
d'Espagne les dépêches importantes qui venaient de France.
Quand La Rochepot fut rappelé, l'Hoste reprit son poste
de commis dans les bureaux de Villeroy, en compagnie de
quelques jeunes gens de bonne maison qu'on formait à la
diplomatie en les employant à transcrire les dépêches. Il se
montrait le plus zélé au travail ; le premier arrivé, le der-
nier parti, non seulement il accomplissait sa tâche régu-
lière, mais il aidait volontiers les autres. Nul ne le soup-
çonnait : le jour, on le voyait travailler, le soir, on savait
qu'il courait les tavernes et menait joyeuse vie avec des
drôlesses. Ce qu'on ignorait, c'est que, chaque matin, au
point du jour il se rendait chez l'ambassadeur d'Espagne.
Il prenait toute sorte de précautions : il allait à cheval jus-
qu'au cimetière Saint-Jean, et s'arrêtait en route, chez un
maréchal-ferrant de ses amis.
Ce jeu dangereux dura longtemps (1). Rien, semble-t-il,
(1) Nous n'avons trouvé dans les papiers de Simaneas aucun rensei-
gnement important sur l'affaire L'Hoste, au moment de la découverte
«le la trahison. Dansles dépêches de 1602 et de 1603, il est parfois ques-
tion d'un personnage mystérieux qu'on nomme l'Andalous et quitrans-
LE MINISTRE D HENRI IV 317
ne serait venu troubler la sécurité du commis infidèle sans
la mystérieuse justice qui fait dénoncer par des traîtres
les crimes des traîtres. En 1604, vivait en Espagne, dans le
groupe des réfugiés français, un certain Raffis, un aven-
turier gascon qui avait trempé dans les troubles qui sui-
virent la conjuration de Biron, et végétait assez misérable-
ment en compagnie de Jean Blas (1). Ce Gascon, dégoûté
du métier, voulut redevenir honnête homme et rentrer
dans les bonnes grâces du roi de France. Il fit dire à l'am-
bassadeur Barraut qu'il désirait rendre à son roi, à son
pays, à la chrétienté un très important service dont il ne
pouvait s'acquitter qu'après l'entière abolition de tout ce
qu'il avait entrepris contre S. M. La cour accorda à l'am-
bassadeur pleins pouvoirs pour la grâce de Raffis. Alors
celui-ci révéla à Barraut toute l'histoire de la trahison de
L'Hoste en lui montrant des lettres du commis trouvées
chez Jean Blas, puis redoutant la vengeance des Espa-
gnols, s'enfuit précipitamment en France, accompagné de
Descartes, un secrétaire de l'ambassadeur.
Ils arrivèrent dans l'Ile de France et se séparèrent à Fon-
tainebleau. Descartes rencontra près de Juvisy Villeroy
qui se rendait à sa maison de campagne et lui révéla toute
l'affaire, avec preuves à l'appui. Le ministre fui atterré en
apprenant « l'insigne et détestable perfidie » de celui qui
trahissait son maître « autant de fois qu'il jetait les yeux
sur lui et mangeait son pain ». Il se rendità Fontainebleau
le lendemain de bonne heure et raconta au roi l'événement.
Après dîner, Descartes et Raffis furent introduits dans la
galerie de la basse cour et révélèrent la trahison. Henri IV
uni aux Espagnols les lettres écrites par Villeroy aux ambassadeurs.
C'est assurément Nicolas l'Hoste. Voir particulièrement les lettres du
i:; mai, L9 juillet, 17 aoùl 1602. K. 1605, p. 70, 99, 112.
( l i In trouve dans les Pap. Simanc. deux mémoires écrits par Raffis
sur la conspiration de Biron, contenant les noms des gentilshommes
complices (année 1602, K. 1605, p. 65 66).
318 VILLEROY
délibéra ensuite longuement avec son ministre. Peu après
le coupable arrivait à Fontainebleau à l'improviste, et ren-
contrait deux courriers espagnols qui lui annonçaient le
voyage de Raffis et de Descartes et le danger qui le me-
naçait. Descartes, à sa sortie du château, trouva sur la place
L'Hoste. tout tremblant. Il l'accompagna jusqu'au logis
de Villeroy. à la cuisine, où le commis prétendait qu'il al-
lait manger, puis monta rapidement dans la chambre du
ministre pour le prévenir que le traître était là. Un retard
imprévu compromit tout. Villeroy était en conférence avec
l'évêque de Chartres et le père Coton pour organiser la
l'été de la Saint-Georges. Descartes ne voulut pas les dé-
ranger et il attendit longtemps à la porte. Pendant ce temps
L'Hoste prenait la fuite (1).
Quand on sut la disparition du traître, le roi donna l'ordre
de le poursuivre. On mobilisa tous les courriers dispo-
nibles et on les envoya dans toutes les directions. Par des
lettres de Villeroy, le chancelier Bellièvre et le garde des
sceaux Sillery connurent les premiers à Paris la trahison
et la fuite de l'Hoste (2 . Le lendemain, Villeroy communi-
quait à Bellièvre la volonté du roi d'instruire le procès et
suppliait le chancelier pour que ce -fait fût « épluché et
éclairci... pour la décharge et consolation de ceux qui y
(i) Quand Descartes put enfin parler à Villeroy, le ministre organisa
aussitôt un plan d'arrestation. Il alla prendre M. de Loménie pour l'as-
sister et envoya chercher le lieutenant du grand prévôt auquel on donna
l'ordre d'arrêter la personne qu'il verrait dans la cour en compagnie
d'un laquais. Un domestique fut envoyé à la recherche de l'Hoste et
Villeroy avec Loménie se mit à la fenêtre de la grande galerie pour as-
sisterà la capture du traître. Ils virent bientôt le laquais revenir seul.
L'Hoste avait disparu.
{-2, Villeroy à Bellièvre, 24 avril 1604, F. Fr. 15896, fo 443 : « J'ai
découvert la plus insigne déloyauté d'un de mes gens et de celui de
tous lequel était plus obligé à me servir plus fidèlement. Ils vous di-
ront aussi la disgrâce qui m'est advenue par sa fuite étant entre mes
mains dont je suis si affligé qu'il sera difficile que je m'en puisse
remettre el consoler. »
LE MINISTRE d'hENRI IV 310
ont intérêt » (1). Sillery se transporta au logis de l'Hoste.
Il n'y trouva qu'un laquais malade. Le commis de Villeroy
avait couru chez l'ambassadeur d'Espagne, pour lui de-
mander protection. Celui-ci l'avait habille à l'espagnole,
lui avait donné de l'argent, un domestique, lui avait dit de
gagner Meaux à pied pour ne pas éveiller les soupçons et
de partir de là, à la nuit, sur un cheval de poste pour les
Pays-Bas où il trouverait asile.
L'Hoste put arriver à Meaux vers midi sans être reconnu.
Mais au moment où il montait à cheval, un valet qui
l'avait vu chez M. de Villeroy le reconnut. Le prévôt des
maréchaux, informé le matin même qu'un commis du mi-
nistre avait tenté d'assassiner le roi, partit aussitôt à bride
abattue avec tous ses archers. Il arriva la nuit, au bord de
la Marne, au moment où le bac portant le traître, son com-
pagnon espagnol et leur postillon, se détachait de la rive.
Le prévôt cria au batelier de retourner : il portait les assas-
sins du roi. Le batelier qui avait l'épée de l'Hoste à la
gorge continua à ramer. Mais l'Hoste avait irrémédiable-
ment perdu dans cette traversée le peu de courage qui
l'avait soutenu jusqu'alors. Affolé, il sauta sur le bord
opposé et s'enfuit à travers la nuit le long de la rivière.
L'eau profonde attira -t-elle le misérable démoralisé ou
fut-il, malgré lui, emporté par le courant? Le lendemain
on trouva son corps noyé. Il fut conduit à Paris le 27 avril
et exposé au Châtclet. Cette fin dramatique du traître pas-
sionna la capitale. L'Estoile alla voir comme les autres le
corps et nota les détails de ce dramatique événement Quel
bruit ne faisait-on pas courir sur cette mort? Des chirur-
giens prétendaient que l'Hoste avait été étouffé, puis jeté
(1) F. Fr. 15896. fo 445. Voir aussi les lettres des 30 avril et 2 mai,
fo 449 et 451, pleines de détails sur cette affaire. Voir une lettre de
Bellièvre adressée au roi le 26 avril, Bibl. de l'Institut, Coll. Godefrov
264, f« 91.
320 VILLEROY
à l'eau parce qu'on l'avait trouvé, nous dit l'Estoile, les
mains jointes, les jambes molles, le corps sans une goutte
d'eau (1). Le cadavre dut payer sa dette à la justice royale.
Villeroy voulait donner le plus de solennité possible au
jugement, pour qu'on ne l'accusât pas de faiblesse envers
son ancien commis (2). Le procès fut jugé parle Parlement
et l'arrêt rendu le 15 mai. Le corps fut traîné sur une claie
en place de Grève puis tiré à quatre chevaux, et les quar-
tiers mis sur quatre roues, aux principales portes de la
ville.
Ainsi s'acheva ce dramatique fait divers, qui pendant
quelques semaines inquiéta les diplomates français et
troubla la vie de Villeroy. Les correspondances des am-
bassadeurs étrangers et les lettres des ministres nous per-
mettent de mesurer les conséquences politiques de cette
affaire de haute trahison. Par Nicolas L'Hoste, les Espa-
gnols avaient pu connaître depuis quatre ans les secrets
les plus importants de notre diplomatie. L'inquiétude fut
vive dans certaines cours italiennes. Le nonce, l'envoyé
du grand-duc, voulurent savoir si Philippe III avait, pu
apprendre quelque chose de compromettant pour leurs
maîtres. On les rassura comme ou put en leur disant que
(1) L'Estoile, Ed. Miehaïul, p. 367. — Après avoir conté la mort du
traître, l'Estoile ajoute : « Le peuple, moins retenu que le courtisan,
passait bien plus outre ; car par ses discours il attachait au gibet avec
Villeroy plusieurs autres qui à l'aventure n'en pouvaient mais, non
plus que lui, étant aussi peu en la puissance de toute la faculté ter-
rienne d'engarder le peuple français de parler, que d'enfouir le soleil
en terre, ou l'enfermer dedans un trou. »
(2) Villeroy à Bellièvre, 2 mai 1604, F. Fr. 15896, fo 451 : « Peut-
être eut-il été à propos que Messieurs du Parlement eussent jugé ce
procès pour la qualité du crime et la décharge de tous les innocents
d'icelui. Je vous supplie d'y penser afin que l'on ne die à l'avenir que
pour ma considération et pour me favoriser l'on a ôté à la cour la con-
naissance d'icelui car vous savez jusqu'où passent les calomnies. » —
Voir aussi une lettre de Villeroy du même jour « à M. le Procureur
il -. F. Fr. 4028, 1° 72.
LE MINISTRE d'hENRI IV 321
L'Hoste ne savait pas l'italien (1). Cette trahison avait
aussi entravé l'action du roi de France aux Pays-Bas, car
le roi d'Espagne connaissait tous les secours qu'on en-
voyait secrètement aux rebelles. Un moment on fut inquiet
à la pensée d'une rupture avec les Espagnols. La guerre
île tarifs, qui avait commencé depuis deux ans, reprit de
plus belle entre les deux pays. On craignit que ce ne fût
le prélude d'une autre lutte. Heureusement les conseils
pacifiques l'emportèrent.
Cet événement aurait pu ébranler la position si solide de
Villeroy, s'il avait eu un autre maître qu'Henri IV. Le mi-
nistre avait à la cour des ennemis qui l'accusèrent, les plus
violents d'infidélité, les autres de négligence. Son infor-
tune lui en suscita d'autres, qui entamèrent une campagne
d'insinuation contre l'impardonnable incurie du protecteur
de L'Hoste, car le premier grief, trop absurde, ne pouvait
tenir. Villeroy que cette trahison avait profondément affligé
se défendit avec son inlassable patience, faisant de grandes
démonstrations de sa douleur dans des entrevues avec les
ambassadeurs, dans des dépêches aux représentants de la
France à l'étranger ("3). Il répandit dans le public un court
manifeste, qui relatait les circonstances de la découverte
de la trahison et de la fuite de l'Hoste (3). Il réclama haute-
ment qu'on fît toute la lumière sur cette affaire devant le
(1) Giovannini au Grand-Duc. S mai 1604. Desjardins, t. V, p. 530.
— Dép. de Badoer des 27 avril et 11 mai 1604, F. Ital. 1753, fo 22 et
suiv. Voir une lettre de Parry à Gecil, 15 mai 1604, dans Laffleur de
Kermaingant, Mission de Mariai/..., p. 186-187.
(2) Voir entre autres la lettre de Villeroy à Bétliune, du 6 mai, F.
Fr. 34 88, fo 42. qui contient d'intéressants détails utilisés par nous sur
l'enfance de Nicolas l'Hoste.
(3) « Manifeste de M. de Villeroy sur l'évasion de l'Hoste, son com-
mis. » Ed. Michaud, p. 256-257. — Le public s'était passionné pour
cette histoire. On trouve dans les Variétés historiques et littéraires.
t. X, p. 17 : « L'Ombre de Mignon de Fortune, avec l'Enfer des ambi-
tieux mondains, sur les dernières conspirations, ou est traité de lu
chute de l'Hôte », dédié au roi par J. I). Laffemas, sieur de llumont.
Villeroy 21
322 VILLEROY
Parlement de Paris, « et s'il est besoin, écrivait il à Bel-
lièvre, j7y comparaîtrai d'aussi bon cœur qu'aux noces du
son meilleur de mes amis » (1). Le roi touché de la douleur
de ministre lui témoigna une grande bonté ("2). Il alla le
voir, lui prodigua les mots encourageants et familiers dont
il avait le secret ; bientôt les affaires reprirent leur train
accoutumé et Villeroy consolé regagna toute son influence,
au grand dépit de ceuxqui ne pouvaient croire qu'Henri IV
serait un si « bon maître ».
Parmi ces ennemis déçus de Villeroy, devons-nous comp-
ter Sully? Si nous en croyons les Economies roi/alcs, le roi
se serait plaint au surintendant « de la faute ou pour le
moins de la nonchalance » de M. de Villeroy et aurait hésité
deux ou trois jours sur la façon dont il le devait traiter.
Sullv, loin de défendre son collègue, aurait attisé plutôt le
ressentiment du roi, et à la fin. pour clore l'incident d'une
manière humiliante pour Villeroy, il lui aurait écrit une
lettre de consolation « assaisonnée de telle sorte qu'elle pût
servir en même temps d'admonition » et il l'aurait exhorté
à la tolérance envers les réformés pour qu'il évitât « les
blâmes des langues médisantes... »(3). On a déjà démon-
tré combien était peu vraisemblables chez le roi de tels
soupçons, et chez Sully cette attitude si arrogante de don-
neur de leçons (4). Sully a parfois, comme les auteurs de
à Paris, 1G04. On y lit quelques vers consolateurs adressés à Villeroy:
Revivez, personnage où la France s'appuie,
Ne vous contristez plus d'un si frêle sujet,
Mais cherchez les moyens d'égayer votre vie,
Si vous voulez bannir des Français le regret.
(1) Villeroy à Bellièvre, 2 mai 1604, F. Fr. 15896, f- 451.
(2) Voir Desjardins, t. V, p. 530 et les dépèches de l'ambassadeur
vénitien citées plus haut qui témoignenl de la douleur de Villeroy et
do la bonté du roi qui chercha à le consoler, et à lui prouver qu'il ne
doutait nullement de sa bonne foi.
(3) Ec. Roy., t. I, p. 541 à 548.
(4) Marbault a critiqué vigoureusement tout ce passage de Sully,
Ed. Mien., t. Il, p. 74. 11 a justifié Villeroy et s'est moqué de cette
LE MINISTRE D'HENRI IV 323
mémoires de ce temps, altéré des documents pour noircir
ses adversaires. Nous avons retrouvé à l'Arsenal, deux
lettres envoyées par Sully à Villeroy, les 26 et 30 avril 1(>04.
Ce sont de longues épîtres consolatoires, écrites sur un ton
irréprochable de sympathie, de déférence et d'affection. Si
Sully murmura un peu, avec les autres adversaires de
Villeroy (que nous ne connaissons pas), il se montra beau-
coup plus courtois et beaucoup moins méchant que ne
veut nous le faire croire le Sully vieilli, qui du fond de sa
retraite ne pardonna jamais à Villeroy son éloignement du
pouvoir après la mort d'Henri IV (1).
Cette affaire n'eut donc aucune suite grave pour le mi-
nistre responsable, grâce à la bonté du roi et grâce à l'a-
charnement avec lequel Villeroy se défendit. Petit à petit
tout le bruit qu'avait soulevé cette trahison s'apaisa. On eut
le sentiment qu'on avait échappé à un grand péril. D'autres
dangers vinrent détourner l'attention du roi et des ministres.
Trois mois après la mort de L'Hoste, l'Anglais Morgan,
incarcéré à la Bastille, révélait la trahison nouvelle dont
il était le complice : la maîtresse du roi, la marquise de
Verneuil, son père d'Entragues et son frère le comte
d'Auvergne travaillaient à réaliser le projet infernal de
faire reconnaître par l'Espagne le fils de la maîtresse, après
qu'on aurait assassiné le roi et le dauphin.
lettre d'admonition dont il trouva plaisante la conclusion relative à la
tolérance religieuse : « Et si M. de Villeroy en eut usé ainsi, jamais
l'Hoste n'eut fait cette infidélité. Mais s'il suit cet avis à l'avenir, tous
les commis seront gens de bien. » — Voir aussi la note de Philippson,
Heinrich IV und Philipp III. t. I, p. 325-326. — Desclozeaux, sans
connaître les lettres de l'Arsenal, croit à la fausseté entière de cette
pièce qui calomnie un honnête homme. {Habvielle d'Estrées et Sully,
Revue historique, t. XXXIII, 1887, p. 249.)
(1) Bibl. de l'Arsenal, no 6G13, f°> 31-32.
324 VILLEROY
IV
Au lendemain de l'exécution de Biron, Villeroy avait
écrit: « Il faut louer Dieu... implorer son assistance divine
en la conduite de ce qui nous reste à faire pour achever de
déraciner et éteindre la conspiration, en quoi je suiscertain
que S. M. n'apportera aucune animosité ni rancune parti-
culière ni trop de sévérité, car son âme est toute pleine de
clémence et débonnaireté et néanmoins j'espère qu'elle ne
manquera aussi de diligence ni de forces... » (1). Villeroy,
d'accord avec Sillery et Sully, aurait voulu que le roi punît
le comte d'Auvergne qui était presque aussi coupable que
Biron. Mais Henri ne voulut pas écouter ces conseils de
fermeté. « Le respect du sang de Valois et les pleurs de la
marquise de Verneuil » (2), sœur du coupable, sauvèrent le
comte qui fut remis en liberté le 2 octobre.
Il en profita pour tramer contre le roi une nouvelle cons-
piration qui fut découverte deux ans après celle de Biron,
au mois de juin 1604. D'Entragues, père de la marquise,
avait comploté avec les Espagnols pour leur remettre la
promesse de mariage écrite imprudemment par Henri IV
à Henriette, et faire reconnaître et protéger par eux le fils
de la marquise comme le successeur légitime du roi de
France, tandis que le comte d'Auvergne tuerait Henri IV.
Villeroy, Bellièvre et Sillery furent impitoyables. Ils con-
seillèrent au roi de punir les coupables avec la dernière
rigueur. Jeannin dit hardiment à Henri IV que si S. M. lui
avait fait l'honneur de lui confier cette affaire, il aurait fait
(1) Villeroy à Béthune, 1er aout 1602, F. Fr. 3487, f» 60.
(2) D'Aubigné, Hist, unir., t. IX, p. 372. Voir sur les complots des
d'Entrague, 15. Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, in-8<>, 1877. —
Les Economies Royales contiennent un certain nombre de lettres
adressées par Villeroy à Sully sur la conjuration, t. I, p. 575 et suiv.
LE MINISTRE D'HENRI IV 325
couper la tête à tous les coupables, et que le roi avec son
indulgence mettait en grande crainte tous les hommes de
bien et tous ses bons serviteurs. Sully était alors dans son
gouvernement de Poitou. Villeroy qui le tenait au courant
de tous les événements de la cour lui demandait d'user de
son influence pour pousser le roi à la rigueur : « Vous avez
raison, lui disait-il, de désirer et conseiller au roi qu'il fasse
justice de toutes ces trahisons et conspirations qui se
brassent et qu'il découvre journellement contre sa cou-
ronne, pour en arrêter le cours qui est devenu trop com-
mun et ordinaire, pour avoir trop souvent et indifféremment
appliqué le remède de sa clémence aux occasions qui s'en
sont offertes... (1). » Ces conseils n'eurent pas grande effi-
cacité. Le roi était devenu irrémédiablement faible pour
sa méchante maîtresse. A force d'insister, les ministres
obtinrent qu'il forçât d'Entragues à restituer la promesse de
mariage, puis qu'il ordonnât l'arrestation du comte. Celui-
ci fut enfermé avec d'Entragues à la Bastille, tandis que la
marquise était gardée à vue. D'Auvergne, qui avait en vain
supplié Villeroy d'être son protecteur auprès d'Henri IV (1),
fut jugé par le Parlement et condamné à mort le lerfévrier
1605 avec d'Entragues, tandis qu'on ordonnait pour la mar-
quise un plus ample informé. Le roi remit d'Entragues en
liberté et commua pour d'Auvergne la peine de mort en
prison perpétuelle.
Aux complots de Biron et du comte d'Auvergne avait
été mêlé un chef protestant ambitieux et toujours mécon-
tent, le duc de Bouillon qui avait eu la prudence de ne pas
se mettre au premier plan, mais que tous ses complices
accusaient d'avoir favorablement écouté les propositions
de démembrement du royaume. Le roi l'invita, en novem-
(1) F. Dupuy, 32. « Procès criminel fait par la cour de Parlement à
M. le comte d'Auvergne .» 1604-1605. — (Voir le 2° interrogatoire du
comte d'Auvergne, 15 décembre 1604, fos 37 et suiv.)
326 VILLEROY
bre 1602, à venir se justifier. Le duc, redoutant la justice
du Parlement, se présenta devant la chambre mi-partie de
Castres. Henri IV ayant défendu à ce tribunal de s'occuper
de l'affaire, Bouillon sortit de France et se retira à Heidel-
berg, chez son beau-frère l'Electeur Palatin. Il passa aussi-
tôt pour un persécuté et son malheur émut l'Angleterre et
l'Allemagne. L'Electeur Palatin (mai 1603), le landgrave
de Hesse, le duc de Wurtemberg envoyèrent à Henri IV
des ambassades pour solliciter le rappel du duc de Bouillon
qui voulait rentrer en cour la tête haute, sans se soumettre
à la moindre formalité judiciaire.
Le roi, dès le début, avait été violemment irrité contre
ce sujet rebelle et hypocritement insolent. Tous les mi-
nistres étaient convaincus de sa culpabilité. Mais nul ne
songeait à user de mesures rigoureuses à son égard. Son
cas était moins grave que celui de Biron, chef de la cons-
piration. De plus, il avait intéressé à son infortune les pro-
testants de France et de l'étranger. Il fallait être assez pru-
dent pour ne pas mécontenter les alliés du roi et les popu-
lations huguenotes du midi. Villeroy qui avait conservé
l'horreur des guerres religieuses et qui était ministre des
affaires extérieures sentit plus que tout autre la nécessité
de la modération. Les protestants rendirent hommage à sa
sagesse et le roi d'Angleterre Jacques Ier tint à exprimer à
l'ambassadeur Beaumont son contentement de la « sincé-
rité » du ministre en cette affaire (1). Villeroy essayait
alors de faire agir auprès de Bouillon des amis personnels.
Il avait pris l'initiative d'une démarche auprès de François
(1) Villeroy à Beaumont, 25 août 4603. F. Fr. 159S3, f" Gl. « Je
suis très obligé au roi d'Angleterre de la bonne opinion qu'il a de ma
fidélité au service de notre maître et de ma sincérité mèmement en
l'affaire de M. de Bouillon, auquel je vous jure en homme de bien que
je n'eusse pu faire plus de service ni meilleurs ofiices que j'ai pris
peine de lui faire en sa disgrâce, s'il eût été mon propre et plus cher
fils ou frère... » .
LE MINISTRE D'HENRI IV 327
d'Aerssen, agent des Etats et ami du prince Maurice, qui
était le beau-frère de Bouillon. Il lui avait demandé d'in-
tervenir auprès du duc pour le décider à se retirer en un
lieu où il n'inquiéterait pas le roi (1).
Cependant, la modération de Villeroy n'allait pas jusqu'à
la faiblesse : il voulait bien aider le duc, mais il entendait
qu'il s'aidât lui-même. Bouillon devaitse justifier devant la
justice régulière de son pays ou demander son pardon au
roi qui le lui accorderait. « Il faut qu'il s'humilie, disait-il,
il est seul cause du mal qu'il a duquel il ne sortira de long-
temps, s'il ne change de conseil et de procédure (2). » Or
la conduite de Bouillon devenait de plus en plus maladroite.
Les fréquentes interventions des princes allemands mé-
contentaient le roi. Quand le duc, à la fin de 1603, vint s'en-
fermer dans Sedan, contre la volonté du roi, Henri IV re-
procha à Villeroy et à ses collègues de lui avoir conseillé
l'indulgence (3). « Le mécontentement de M. de Bouillon
dure trop, écrivait Villeroy, le "2 février 1004, le corps de
nos huguenots en est ému. Cela me met en peine, sachant
que les Espagnols ne feront conscience d'attiser ce feu
pour en profiler (4). »
Le roi aurait toutefois fini par céder aux conseils de mo-
dération et accueillir Bouillon sans trop l'humilier, si à la
suite de la conspiration du comte d'Auvergne, on n'avait
(1) Mémoire justificatif ou exposé de sa conduite dans l'a /faire du
duc de Bouillon, adressée par F. d*Aerssen aux Etats généraux. Paris,
16 mars 1603, dansVreede, Lettres et négociations de P. Choart. sieur
de Bueanval, in-8o, 1846, append. n° vm, p. 391-424. — Voir pour la
môme période un certain nombre de lettres de F. d'Aerssen à Olden-
barnevelt aux archives de la Haye. Legatie, 613 (surtout la lettre du
5 avril). Quelques-unes ont été publiées dans Deventer, Gedenkstukken
van J. van Oldenbnrnevelt, La Haye, 1862, in-8°, t. 111, p. 41 et suiv.
Voir aussi notre édition des lettres de F. d'Aerssen à J. Valckfi, p. 190
et suiv.
(2) Villeroy à Beaumont, 25 août 1603, F. Fr. 15983, f" 61 .
(3) Villeroy à Beaumont, 7 décembre 1603, F. Fr. 15983, fo 126.
(4) IhuL, 2 février 1604, Ibid., P 176.
'.>~2H VILLEKOY
découvert qu'il avait fait armer ses châteaux de la vicomte
de Turenne et fomenté des troubles dans ses domaines du
centre de la France. C'est alors qu'Henri IV, furieux contre
ce sujet rebelle qui cherchait à le brouiller avec ses sujets
protestants et ses amis d'Allemagne, se décida à « mettre
M. de Bouillon à la raison » et prépara une expédition
contre Sedan. Cette entreprise fut décidée dans un conseil
qui réunit le comte de Soissons, le duc de Montpensier, Vil-
leroy, Sillery et Sully (1). Sully s'était montré le partisan
le plus énergique de la répression. Il voulait que Ton mar-
chât droit à Bouillon, s'il refusait de se soumettre et qu'a-
près l'avoir fait passer par toutes les rigueurs de la guerre
on joignît Sedan et la vicomte de Turenne à la couronne 1 2 .
11 mit sous les yeux du roi un plan de Sedan, lui expliqua
la facilité de l'opération, en lui remontrant combien il
serait indigne de lui d'abandonner l'entreprise après « une
grande levée de boucliers et beaucoup de bruit et de
dépense ». Sully parut à ses contemporains animé d'une
haine personnelle contre le duc de Bouillon (3). Tous deux
se disputaient la direction du parti huguenot que Sully
voulait dominer dans l'intérêt de la paix publique et que
Bouillon essayait de soulever contre l'autorité royale.
Bouillon avait plus de richesses, plus d'alliances prin-
cières, plus de puissance que Sully. Mais le marquis de
Bosny qui venait d'être créé duc et pair, qui avait tant de
prétentions à d'illustres parentés étrangères, qui cherchait
même une principauté, ne serait-il pas le plus fort, le jour
où Bouillon, discrédité comme sujet rebelle ayant porté les
armes contre son roi, perdrait son titre de prince souve-
(1) Priuli à la Seigneurie, 14 février 1606, F. Ital. 1754, fo 148.
(2) Éc. Roy., t. II, p. 134 et suiv.
(3) Marbault, Remarques, p. 74. — Voir aussi une dépêche de Priuli
'lu 25 avril 1606, F. Ital. 1755, fo 15, une lettre de Diego de Irarraga
à Philippe III. Pap. Simane., 17 avril 1606, K. 1460, p. 76, une
lettre de Villeroy à Sillery, 22 mars 1606, Ec. Roy., t. II, p. 142.
LE MINISTRE d'hENRI IV 329
rain ? Un tel motif explique l'attitude de Sully et il n'est
pas besoin de le soupçonner d'avoir seulement voulu acqué-
rir gloire et profit, par une belle opération de siège où son
artillerie aurait fait merveille (1) ; s'il eut cette pensée, elle
fut certainement combattue par le regret amer de faire une
grosse dépense de 800.000 écus (2).
Et cependant la manière forte de Sully ne l'emporta pas
complètement. Henri IV partit le 15 mars de Paris, avec
16.000 soldats et cinquante canons. Bouillon ne songea
pas sérieusement à se défendre. Il fit faire une première
démarche par Du Maurier, son secrétaire, qui offrit de
recevoir dans la place un gentilhomme du roi, à la condi-
tion que la garnison de Sedan y demeurerait. Puis, sans
s'attarder à de vagues préliminaires, le 28 mars, quand
l'armée fut à quatre lieues de Sedan, il demanda au roi de
traiter par l'intermédiaire de Villeroy (3). Villeroy accom-
pagné de Dinteville, lieutenant-général du roi en Cham-
pagne, eut une conférence de trois heures avec Bouillon
dans le petit village de Torcy (4). Il trouva le duc « assez
irrésolu et rempli d'une merveilleuse défiance », volontiers
disposé à traîner les choses en longueur, malgré son désir
de se mettre à la raison (5). Le ministre pressa les négocia-
tions avec une extraordinaire activité et son ton résolu en
imposa à Bouillon. Le lendemain, dans une seconde entre-
vue, au château de Sedan, tout était résolu (6). Le 2 avril
les articles étaient signés par le duc et Henri IV pouvait
(1) Marbault, Remarques (Ibid.).
(S) Ec, Roy., t. II, p. 136.
(3) Le roi à Sully, 26 mars 1606, Éc. Roy., t. II. p. 145. — Le roi
il M. de La Force, 5 avril, Lettres Miss., t VI, p. 60.
(4) Le roi à M. de La Force, 5 avril 1606, Lettres Miss., t. IV,
p. 601.
(5) Villeroy à Sully, 30 mars 1606, Èc. Roy., t. II. p. 146.
(6) La Varenne à Sully, 3 mars 1606. Ec. Roy., t. II. p. 147. Voir
aussi une longue lettre d'Aerssenà Oldenbarnevelt, du 5 avril, aux Ar-
chives de la Haye, Legatie, 613.
330 VILLEHOY
écrire à la princesse d'Orange : « Ma cousine, je dirai
comme fit César : Veni, vidi, vici, ou comme la chanson :
Trois jours durèrent mes amours
Et se finirent en trois jours
Tant j'étais amoureux...
de Sedan » (1). Le traité contentait entièrement le roi qui
recevait Bouillon en sa grâce et devenait maître de placer
dans Sedan et les autres places du duc des garnisons avec
des commandants à sa dévotion.
Cette conquête si rapide de Sedan, sans effusion de sang,
surprit tout le monde et causa du dépit à Sully. Celui-ci
était demeuré à Paris pour achever les préparatifs de ce
siège qui devait durer trois mois. L'ambassadeur vénitien
nous rapporte que Sully lui annonça la reddition de Sedan
con qualche poco di mortificatione (2). Dans ses Economies
royales, Sully accuse Villeroy d'avoir pressé les choses
« pour l'envie qu'il lui portait». Son adversaire voulait
empêcher que Bouillon reconnaissant ne s'unît à son core-
ligionnaire. Ce ministre n'avait-il pas pour artifice de « tenir
toujours mal les uns avec les autres tous les plus qualifiés
de la religion» ? Et pour prouver son dire, Sully raconte une
histoire de lettre volontairement retardée par Villeroy.
Après les premières ouvertures de Bouillon, le roi avait
fait mander Sully près de lui. Villeroy donna les lettres à
un laquais et l'envoya passer par Reims, Saint-Quentin
et Amiens. Le roi, ne voyant pas arriver Sully, conclut sans
attendre plus longtemps. Il est impossible de vérifier
l'authenticité de cette petite histoire (3). Le surintendant
avait raison d'être un peu « mortifié ». Toute la gloire de
la négociation revint à Villeroy. La reddition de Sedan fut
(1) Lettres Miss , t. VI, p. 596.
(2) Priuli à la Seigneurie, 25 avril 1606, F. Ital. 1755, fo 15.
(3) Ec. Roy., t. II, p. 147.
LE MINISTRE d'hENRI IV 331
citée comme « un grand coup de l'esprit à M. de Villeroy ».
On répéta le mot du roi pendant la conférence au sujet de
Bouillon: « Je lui ai envoyé un rude lévrier » (1).
Ce fut, sous le règne d'Henri IV, la dernière des négo-
ciations pour la paix intérieure à laquelle il prit part. Après
la reddition de Sedan, les complots cessèrent. Il faut at-
tendre la régence de Marie de Médicis pour voir les grands
occupés à susciter de nouveaux troubles et Villeroy em-
ployé de nouveau à les composer.
Parmi les affaires intérieures du règne qui sollicitèrent
l'attention de Villeroy et dans lesquelles le ministre cher-
cha à faire prévaloir ses idées, il faut faire une place à part
aux affaires religieuses. Dans quel esprit conseilla-t-il le
roi?
Villeroy était un excellent catholique profondément at-
taché à la religion de ses pères. Tout jeune, il était demeuré
« ferme au train de l'antiquité » (2) dans une cour où la
religion réformée progressait grâce au régime de tolérance
du chancelier de THospital, en un temps où Catherine de
Médicis elle-même paraissait incliner vers les doctrines
nouvelles (3). Toute sa vie, il accomplit avec une parfaite
(1) Matthieu, Remarques d' Estât, p. 277. Voir aussi >lans le même
tomedeCimber et Danjou, 1|V série, XIV, « Histoire de l'année 1606 »,
p. 302. Le P. Coton, dans son oraison funèbre, p. 29, rapporte que
quelqu'un représenta au roi que l'esprit de M «le Bouillon était dif-
ficile à manier. « A quoi S. M. répondit : Il a affaire à M. de Villeroy
qui est un rude lancier, parole que j'ouïs de sa bouche. » — Le roi
a-t-il dit lancier ou lévrier ï Y a-t-il une faute de l'imprimeur dans
l'un ou l'autre de ces deux textes?
(2) Matthieu, Remarques d'Estat. p, 2o7.
(3) Vers 1562, année où fut rendu l'Edit de janvier qui était assez
favorable aux protestants.
332 VILLEROY
régularité ses .devoirs religieux. Chaque matin, il assistait
à la messe. Chaque soir il récitait son office que lui disait
son chapelain, Jehan Duneau, un prêtre qui après avoir servi
son vieux père, servit le fils jusqu'à la mort (1). Aux grandes
fêtes, il se retirait dans un monastère, le plus souvent chez
les Minimes du Bois de Vincennes où il avait sa chambre.
C'étaient des journées de silence et de prière où il suivait
les exercices des religieux aux heures de nuit comme aux
heures de jour. Il protégeait un petit couvent de filles de
l'ordre de l'Annonciade, ou comme on disait communé-
ment de l'Ave Maria de Sainte-Claire que son grand-père
avait fondé à Saint-Eulrope, près de Chanteloup, en l'hon-
neur de la Conception Bienheureuse de la Vierge. Il veil-
lait à l'observation stricte des règles de Tordre, comme le
prouvent les exhortations contenues dans son testament (2).
Il demandait un jour à l'ambassadeur de France à Borne
d'obtenir « un commandement très exprès du général ou
même du pape au provincial ou gardien dudit couvent »
pour empêcher que ce couvent ne tombât « en la dé-
bauche des autres », car il avait la tristesse de constater
qu'il était impossible, là comme ailleurs, de faire tenir
la porte fermée depuis les derniers troubles (3). Il souffrait
de voir tant de religieux se dire touchés du zèle de la reli-
gion prétendue réformée et jeter le froc aux orties. Il
était d'avis qu'on ne pouvait remédier à cette situation
qu'en établissant de sages gardiens et de bons provinciaux
« qui contiennent leurs religieux en discipline et règle au-
(1 i Nous le connaissons par le Testament de feu M. de Vïlleroy ré-
digé en 1609, dont la copie manuscrite est dans le F. Fr. 17864, 1° 252
et suiv., et par le codicille de 1617 qu'a publié Potiquet dans sa pla-
quette sur Les Seigneurs de la ville de Magny-en-Vexin, in-8°, 1877.
11 donnait à cet aumônier 200 livres de gages par an qu'il lui continua
par testament. Le codicille les porta à 600 livres.
(2) Voir le Testament, 1° 253. Il donna à ces religieuses une rente de
1000 livres.
(3) Villeroy à Béthune, 6 mai 1603, F. Fr. 3487, f°132.
LE MINISTRE d'hENRI IV 333
tant par prudence et douceur que par rigueur, s'étudiant
à les réformer plus par l'exemple de leurs bonnes et reli-
gieuses mœurs que par leur autorité et la puissance qu'ils
ont sur eux », car souvent, ajoutait-il, « lesdits gardiens
sont ceux qui sont les plus débauchés ». Il s'intéressait à la
cause de la réforme des couvents, et c'est à lui que s'adres-
sait, comme à son meilleur appui en cour, d'Ossat qui fa-
vorisait de tout son pouvoir ce mouvement de réforme (1).
Villerôy accomplissait avec la même conscience les bonnes
œuvres ordonnées par l'Eglise et entre autres les aumônes
aux pauvres qu'il faisait distribuer tous les jours après son
dîner.
Sa religion ne se bornait pas à des pratiques. Elle péné-
trait toute sa vie morale. Quand on étudie un homme d'E-
tat de l'ancien régime, on oublie trop facilement le chré-
tien. On ne comprendrait pas Villerôy si on négligeait ses
croyances. Quand il parle si souvent de Dieu qui nous pu-
nit de nos péchés, mais qui n'abandonne pas ce misérable
royaume, il n'emploie pas de vaines formules. Il met réel-
lement toute sa confiance en la Providence, et à aucun
moment il ne désespère de son aide, ni aux heures sombres
de la Ligue ni durant les troubles de la Régence. La pa-
tience de Villerôy, son optimisme inlassable, son inclina-
tion à « céder aux orages et à se laisser conduire aux
affaires (2) », sont en grande partie les vertus du chrétien.
Cette foi sérieuse n'a rien de mystique ni de supersti-
tieux. Elle est celle d'un tempérament bien équilibré de
bourgeois français. Il n'approuvait pas les dévotions bizarres
qu'Henri III s'imposait et ordonnait à sa compagnie de pé-
nitents. Quand il vit qu'elles nuisaient aux affaires de l'étal ,
il sut dire à son maître, nous rapporte Matthieu, qu'il avait
été roi de France avant d'être le chef de cette compagnie (3).
(1) D'Ossat à Villerôy. Lettres, t. V, p. 338.
(2) Suivant l'expression de Richelieu, Mémoires, t. I. p. 127.
(3) Matthieu, Remorquée d' Estât, p. 265.
334 VILLEROY
Il est à remarquer que dans aucun pamphlet connu on ne
trouve le reproche de bigoterie. Les catholiques zélés ne
voient en lui au temps de la Ligue qu'un de ces politiques
hypocrites, à la foi inconstante, « n'ayant souci de rien que
de la chose humaine » (1). L'autre parti l'accuse d'avoir de
l'Espagnol et du ligueur au ventre, mais point d'être un
croyant fanatique. Il est très clairvoyant. Il voit les abus
dont souffre l'Eglise et les signale très librement en em-
ployant parfois un ton gouailleur qui rappelle les anciennes
plaisanteries contre les moines et les ecclésiastiques.
Comme certains demandaient une réforme du mode de
distribution des bénéfices, il répondit : « Nos ecclésiastiques
s'y opposeraient formellement tant ils craignent que l'on
mette la main en leur plat et que l'on retranche leur pitance,
au moyen de quoi nous estimons qu'il faut remettre à une
saison plus opportune cette poursuite » (2).
Villeroy est un catholique tolérant. On ne peut dire qu'il
ait eu dans sa jeunesse cette vertu si rare. Mais les guerres
civiles l'ont instruit. lia gardé de cette époque une horreur
profonde de tous les abus de la force, de toutes les « inno-
vations et altérations apportées à la concorde et paix pu-
blique » (3), et il sait que la cause principale de ce qu'il
appelle « les maladies secrètes de notre état » (4) réside
dans le fanatisme religieux. Il n'osait pas affirmer haute-
ment qu'une guerre pour la religion est mauvaise dans son
essence, mais il y mettait de telles conditions qu'il la ren-
dait pratiquement impossible. « C'est véritablement mourir
(1) « Le Pourlraicl et description du politique de ce temps... 1589.
Les Belles figures et drôleries de la Ligue, l'Estoile, t. IV.
Sa plus grande vertu est d'un chacun flatter
Et des plus forts le cœur et le courage ôter.
(2, Villeroy à Béthune, 19 niai 1603, F. Fr. 3487, f° 135.
(3) Instruction rédigée par Villeroy pour le cardinal de Joyeuse en
1611, dans Aubery, Histoire du cardinal de Joyeuse, 1054, in-8, p. 418.
(4) Villeroy à Béthune, 11 janvier 1603, F. Fr. 3487, f 101.
LE MINISTRE d'hENIU IV 335
glorieusement que de finir ses jours pour défendre sa reli-
gion, mais aussi c'est offenser Dieu que de s'y précipiter
inconsidérément et témérairement, car il faut que l'inten-
tion soit accompagnée de charité et de raison et qu'elle
profite à l'effet qui la conduit (1). » Il faut peser les res-
trictions soulignées dans cette phrase de la harangue qu'il
devait prononcer aux Etats de 93 et se demander quelle
guerre de religion a pu passer pour légitime aux yeux du
ministre. Quelle fut la guerre idéale entreprise pour Dieu,
non pas inconsidérément et témérairement, mais dans un
but de charité et de raison, et qui a réellement profité à la
cause delà foi?Les luttes religieuses profitent aux victimes
enexaltantleurzèle, en les rendant sympathiques, et nuisent
à l'Eglise catholique qu'elles appauvrissent, qu'elles dé-
peuplent, qu'elles dépravent. L'Eglise a besoin de paix pour
croître en richesse et en puissance et faire fleurir les vertus
apostoliques. C'est une de ses idées chères qu'il a déve-
loppées avec éloquence dans l'Avis de 1589 adressé à
Mayenne et dans la harangue qu'il avait écrite pour les
Etats de 1593 (2). La raison, la charité, l'intérêt bien entendu
de la cause divine commandent de ne travailler au bien de
la religion que « par degrés et sans faire violence à per-
sonne » et « par les moyens licites (3). » Dans une lettre
(1) Mèm., p. 247.
(2) Mèm., p. 23;>. « Quand nos mouvements ont commencé, l'ordre
ecclésiastique en ce royaume était très florissant et puissant : il était
révéré et supporté et bien uni... Les curés administraient leurs cures
aux villes aux champs en toute sûreté, lesquels contentaient leurs pa-
roissiens en la foi de l'Eglise. Mais depuis la guerre, la misère et la pau-
vreté ont tellement persécuté lesdits pasteurs, que les uns ont été con-
traints d'abandonner leurs troupeaux ; les autres n'en peuvent quasi
plus vivre. Il y aaussi infinies paroisses oùle peuple est privé tout à fait
de l'exercice de religion et de la consolation des saints sacrements*
Davantage, combien d'églises ont été saccagées et dépouillées de leurs
reliques et joyaux, même abattues depuis la guerre:'... »
(3) Villeroy à Béthune, 8 octobre 1602, F. Fr 3487, f» 75. « S. M.
désire favoriser les Cordeliers de la réforme contre les opposants qu'ils
rencontrent en leur établissement, mais il faut que ces choses-là s'effec-
336 VILLEROY
écrite au temps où Ton commençait à apprécierles résultats
du régime inauguré par l'Edit de Nantes, Villeroy consta-
tait avec « une grande consolation » que la piété du peuple
faisait des progrès et il ajoutait cette belle parole de tolé-
rance : « Il me semble qu'il faut favoriser cette ardeur
pourvu quelle n'outrepasse les bornes du service de Dieu
qui est tellement conforme avec le bien public que j'estime
qiïil est difficile de séparer l'un d'avec Vautre » (1).
Faut-il ajouter que la tolérance de Villeroy était aussi
un fruit de son expérience en matière de politique étran-
gère ? Il connaissait très bien les mœurs des autres nations :
il savait qu'une des causes de faiblesse des Espagnols était
la violence de leur fanatisme contre laquelle protestaient
la liberté et la douceur de nos mœurs (2). 11 importait au
royaume, obligé de s'allier à des puissances protestantes,
de respecter les croyances de ceux qui étaient les coreli-
gionnaires des Anglais, des Hollandais, des Allemands.
C'était aussi l'intérêt bien entendu du catholicisme, car en
ménageantles protestants français, nous avions l'autorité
morale nécessaire pour demander aux princes et aux répu-
bliques réformées de ménager leurs sujets catholiques.
Ainsi a-t-on pu intervenir discrètement en faveur des catho-
liques hollandais et anglais. La politique d'Henri IV a fait
rayonner un peu de sa tolérance hors des frontières et con-
tribué, selon le mot de Jeannin, à « arrêter les violences
tuent par degrés et sans faire violence à personne. Jamais je ne vois
faire plus de dévotion parmi nos peuples qua présent. C'est une grande
consolation et il me semble qu'il faut favoriser cette ardeur pourvu qu'elle
n'outrepasse les bornes du service de Dieu qui est tellement conforme
avec le bien public que j'estime qu'il est difficile de séparer l'un d'avec
l'autre. »
(1) Villeroy à Béthune, 8 octobre 1602, F. Fr. 3487, f° 73.
(2) Dans une lettre du 26 janvier 1605 à Béthune (F. Fr. 3488.
f° 128) il blâme l'inquisition espagnole qui a « plus fait d'hérétiques
qu'elle n'a converti de Morisques ».
LE MINISTRE d'bENRI IV 337
dont les plus forts usent à présent partout pour contraindre
les plus faibles à suivre leur religion » (1).
VI
Nous connaissons assez Villeroy pour expliquer son atti-
tude tolérante à l'égard des protestants durant le règne
d'HenrilV.
Dès son retour au pouvoir, il fut un des plus fermes con-
seillers de ledit de Nantes. Henri IV Ta nommé dans son
discours du 7 janvier 1599 aux parlementaires qui refu-
saient d'enregistrer l'Edit : « J'en appelle à témoin ceux
de mon conseil qui ont trouvé ledit bon et nécessaire pour
l'état de mes affaires : M. le connestable, MM. de Bellièvre,
de Sancy, de Sillery et de Villeroy. Je l'ay faict par leur
advis et des ducs et pairs de mon royaume » (2). D'accord
avec l'entourage catholique du roi, — y compris Mayenne
— il trouvait nécessaire d'assurer par la tolérance la tran-
quillité publique. Il était alors très uni avec deux conseil-
lers huguenots très influents auprès du roi, Schomberg et
Sancy, etil avait l'estime de Duplessis-Mornay qui, en appre-
nant son rappel au ministère, avait dit : « Si bene nemo
melius. Il se sent si obligé au roi qu'il est à croire qu'il
le servira fidèlement et selon son gré (3). » Ces amitiés e-
la modération de Villeroy le rendirent parfois suspect
quelques catholiques ombrageux, tels que l'envoyé
grand-duc de Toscane, le chanoine Ronciani qui le trout
vait trop favorable aux huguenots (4). Villeroy semblait
es e-N
ect àV
e du
(1) Jeannin à Villeroy, n nov. 1607, Négociations, \>. 202
(2) Lettres Miss., t. V. p. 91.
(3) Duplessis-Mornay, Mèm. ri Corresp., t. VI, p. 92; Duplessis à
Bozanval, 28 septembre 1594.
(i) Desjardins, V. p. 307... « Villeroi, peressere in grado per favore
di Sancy, il quale non è credibile che desideri l*auyuinenlu délia reli-
Villeroy 22
338 VILLEROY
répondre à leurs insinuations quand il écrivait à Matignon,
après lui avoir expliqué ses idées de tolérance : « Je vous
prie de ne croire pour cela que je sois devenu huguenot
ni moins affectionné à ma religion que de coutume (1).4»
Nous ne connaissons que l'attitude générale de Villeroy.
Nous ne pouvons donner de détails précis sur son rôle au
conseil dans les négociations qui de 95 à 98 préparèrent la
charte de liberté des protestants. Le roi avait offert aux hu-
guenots l'édit de 1567. L'assemblée réunie à Saumur au
début de 1595 le trouva insuffisant. Une nouvelle assem-
blée se réunit à Loudun au mois d'avril et siégea presque
en permanence jusqu'à la paix définitive, tout en se trans-
portant à Vendôme, puis à Saumur, puis à Ghatellerault.
1 ,es représentants des églises et les chefs du parti exigeaient
des concessions que le roi et son conseil trouvaient exa-
gérées. Ils excitaient par leur méfiance un peu arrogante
la colère d'Henri IV irrité d'être abandonné au siège de la
Fère et de voir les caisses publiques pillées par les hugue-
nots pour le payement des garnisons de leurs places. A de
Vie et Calignon qui représentèrent le roi à Loudun à partir
de juillet 96 et reconnurent la nécessité de faire un nouvel
édit, on adjoignit Schomberg et de Thou quelques mois
plus tard. Nous savons par les Mémoires de ce dernier la
part que Villeroy eut à sa nomination. De Thou voulait
s'excuser, mais, dit-il, « Villeroy s'y opposa avec chaleur et
pressa Schomberg de le faire partir incessamment, allé-
guant pour toutes raisons que le service du roi demandait
gione cattolica, io va secondando anche nelle cose che non sono ragio-
nevoli. » (Bonciani au Grand-duc, 17 janvier 159b.)
(Il Villeroy à Matignon, 31 mars 1596. Lettres, p. 235. Villeroy
disail dans cette lettre : « Ils sont sujets du Roi et font partie du
royaume, nous avons éprouvé leurs forces trop longtemps, et ont
autant d'amis dedans et dehors le royaume que jamais ; ménageons-
les, je vous prie, c'est le service du Roi et le bien du royaume, et si
j'ose dire l'avantage de notre religion, les choses étant eu l'état où elles
sont... »
LE MINISTRE d'hENRI IV 339
que ce fût lui qui ménageât cette affaire puisqu'il s'en était
déjà mêlé » (1). Le choix de ce catholique modéré, poli-
tique et gallican, était très heureux. L'assemblée en
fut satisfaite, car elle loua « la sincérité et intégrité » de
de Thou (2). L'habileté de ces deux nouveaux négociateurs,
la reprise d'Amiens, la préparation de la paix d'Espagne
rendirent les huguenots moins exigeants et le roi plus con-
ciliant. Le 13 avril 1598 fut signé l'Edit que le Parlement
de Paris ne vérifia qu'après de nombreuses démarches des
membres du conseil (3) et une vigoureuse et patriotique
allocution d'Henri IV.
Les idées d'équité qui avaient inspiré la conclusion de
l'Edit de Nantes dirigèrentla politique religieuse d'Henri IV
jusqu'à la fin de son règne. Par la volonté du roi et de son
conseil, l'édit de paix fut scrupuleusement observé. Les
menues infractions qui çà et là se commettaient dans les
provinces étaient signalées par les assemblées des Eglises
ou la députation protestante au roi qui y remédiait de son
mieux.
Sur cette question il n'y eut aucun désaccord grave entre
les membres du gouvernement. Tous s'entendirent dans
une seule pensée de justice pour maintenir leslibertés accor-
dées aux dissidents, pour favoriser « les amateurs de paix
et du repos public » (4) et réprimer les « brouillons » de
(1) Mémoires de Jacques- Auguste de Thou, depuis 1553 jusqu'en
1601, Ed. Michaud, Ire série, t. XI, p. 365. — Nous avons retrouvé
dans le F. Fr. 4047, fo 258, une lettre de Villeroy écrite d'Abbeville le
13 juin 1590 dans laquelle il exhorte de Thou à partir sans hésitation.
De Thou, dans une lettre non datée de 1596, exprime à Villeroy son
étonnement d'avoir été choisi pour traiter avec les réformés, loi qui
est attaché « au sac et au palais » (F. Fr. 4047, 1° 259).
(2) « Lettre de l'assemblée de ceux de la religion au roy, faite par
M. Dap/essis », 4 mai 1597, Duplessis-Mornay, Mém. et Corresp.,
t. VII, p. 191.
(3) Deux lettres de Villeroy à Béthune font allusion à c^s démarches
auxquelles Villeroy semble avoir participé (27 nov. 98 et 12 janv. 99,
F. Fr. 4128, fo» 8 et 24).
(4) Sillery à Villeroy, 17 mars 1606., F. Fr. 15579, f° 3.
340 VILLEROY
l'une et de l'autre religion. La correspondance deVilleroy
avec Mornay montre la parfaite cordialité des rapports du
ministre avec l'homme qui exerçait la plus haute autorité
intellectuelle et morale parmi les réformés. Ces relations
devinrent de plus en plus affectueuses. Le 14 novembre 1603,
dans une lettre où il rend hommage à la franchise et à l'in-
tégrité de Villeroy, Mornay se plaint du refus de quelques
menues faveurs à son fils et ajoute : « Ce que je vous dis
parce que c'est partie de guérison que de se plaindre au
sein d'un ami, parce qu'aussi votre amitié en saura trou-
ver le remède si aucun y en a » (1). Nous savons par Mar-
bault, secrétaire de Duplessis-Mornay, que celui-ci s'adressa
à Villeroy « pour le maintien de son innocence » contre les
calomnies de Sully pondant l'assemblée de Chatellerault
(juillet 1606). L'Anglais Carew dans sa relation constatait
cette amitié et en concluait que la grandeur de Villeroy
venait de la sottise de Duplessis (2), qui au début l'avait
protégé auprès du roi.
Même accord entre Sully et Villeroy sur la conduite à
tenir envers ceux de la religion. Deux ou trois faits, entre
cent, le prouvent. En 1605, pendant l'assemblée de Chatel-
lerault, où Sully avait été délégué pour représenter le roi,
Villeroy se plaignait vivement à lui des brouillons qui veu-
lent former un état dans l'Etat (3) et Sully, en présence de
ces brouillons, leur faisait « toucher au doigt et à l'œil l'im-
pertinence de ce dessein » (4) L'année suivante, les Roche-
(1) Marbault, Remarques..., Ec. Roy., t. II, p. 74.
l2) Carew, loc. cit., p. 490.
(3) Ec. Roy., U, p. 62. Villeroy à Sully, 3 août 1605 : « Rien en
vérité ne nous retient et doit tant émouvoir et retenir que la jalousie
en laquelle nous tiennent ces brouillons du royaume et surtout ceux
qui veulent former un état dans notre monarchie, étant, comme vous
savez, très dangereux d'avoir soupçon d'être assailli par derrière, cepen-
dant que l'on a un puissant ennemi en tête. »
i i i Response de M. de Rosny à M. de Villeroy, 8 août 1605, Ec. Roy.,
t. Il, p. 63.
LE MINISTRE D HENRI IV
341
lois réclamèrent directement au roi d'Angleterre la mise en
liberté d'un ministre écossais enfermé à la Tour de Lon-
dres, qu'ils voulaient retirer en leur ville. Cette démarche
hardie offensa Henri IV. Villeroy dénonça le fait à Sully
qui demanda sévèrement une justification à ces « esprits
turbulents et disposés à la brouillerie » (1).
S'il y eut quelque dissentiment entre Sully et Villeroy,
ce dut être non sur le but de leur politique, mais sur
les moyens. Peut-être Villeroy était-il plus disposé que
son collègue à accueillir les nouvelles alarmistes sur les
fauteurs de troubles et à prendre contre eux de plus
rigoureuses précautions. Quand on découvrit en 1608 une
entreprise de gentilshommes huguenots du Poitou contre
quelques châteaux, Villeroy effrayé montra l'imprudence
qu'il y aurait à laisser allumer un grand l'eu (2). Le roi vou-
lait lancer contre eux des forces considérables. Sully ra-
conte dans ses Economies qu'il se moqua du ministre ca-
tholique et se fit fort d'étouffer cette fermentatiorvavec vingt
archers. Si le récit est conforme à la réalité, il montre non
pas une divergence politique entre Sully et Villeroy, mais
une simple différence d'appréciation sur l'importance de
ces troubles et peut-être chez Sully le désir assez naturel
de se distinguer en terminant l'affaire à lui tout seul.
L'attitude tolérante de Villeroy étanl ainsi démontrée par
le témoignage même des Economies Royales, ne devons-
nous point nous étonner, si -nous rencontrons au cours de
<-es mêmes Economies une accusation formelle d'intolé-
rance ? Cette accusation unique se trouve dans une lettre
que Sully prétend avoir écrite à Villeroy après la décou-
vertede la trahison du commis Lhoste qui livrai! àl'Espagne
les documents des bureaux du secrétaire d'Etal. Sully,
(1) Ec.Roy., t. II, p. 202-203 Villeroy à Sully, 11 nov. I iin7, Sully ,,
ceux de la Rochelle, 13 nov. 1607.
(2) Ec. Roy., t. II, p. 239.
342 VILLEROY
après avoir quelque temps attisé le ressentiment du roi
contre son ministre, aurait voulu clore l'incident d'une
manière humiliante pour Villeroy et lui aurait écrit une
lettre de consolation « assaisonnée de telle sorte qu'elle pût
servir en même temps d'admonition » (1). Il l'exhortait à
être désormais tolérant envers 1rs réformés, s'il voulait
éviter les médisances, à « n'avoir plus de haine ni d'aver-
sion contre leurs vies ni leurs fortunes ». Nous avons vu à
quelles proportions il faut réduire cette trahison de Lhoste
qui fut très grave, mais n'attira aucun soupçon sur Villeroy,
qui n'en était pas responsable, et ne put justifier chez Sully
cette attitude si arrogante de donneur de leçons. Cette vio-
lente sortie est invraisemblable : on l'a déjà démontré 2 .
Aux arguments de convenance donnés, nous pouvons ajou-
ter le témoignag-e des deux lettres écrites le 26 et le 30 avril
1604, à la date même où Sully prétend avoir si vivement
reproché à Villeroy son fanatisme. Ce sont deux longues
épîtres consolatoires, d'un ton irréprochable de sympathie,
de déférence et d'affeclion. Le surintendant se montra donc
beaucoup plus courtois que ne veut nous le faire croire le
Sully vieilli qui du fond de sa retraite ne pardonna jamais
;'i Villeroy de l'avoir éloigné du pouvoir, huit mois après la
mort d'Henri IV. Ainsi tombe l'unique accusation d'mtolé-
rance lancée par Sully contre Villeroy.
VII.
La raison d'état avait déterminé l'attitude de Villeroy à
l'égard des protestants. La raison d'état l'inspira dans la
(1) Ec. Roy., I, p. 546. Lettre non datée.
(H) Marbault, p. 74. — Desdozeaux, Gabrielle d'Estrées et Sully .
Rev. hist., XXXIII, 1887, p. 249.
LE MINISTRE d'hENRI IV 343
direction qu'il contribua à donner à la politique catholique
d'Henri IV.
Un des principaux actes de cette politique fut le rétablis-
sement de la Compagnie de .lésus, expulsée par arrêt du
Parlement, le 29 décembre 1594,après l'attentat de Châtel,
et réinstallée dans le royaume par l'édit deseptembre 1603.
Quand le Parlement les chassa, il ne semble pas que
Villeroy lil le moindre effort pour les défendre. L'envoyé
toscan qui essaya d'intervenir pour eux reçu! de Villeroy
la même réponse qu'il avait eue du roi : les Jésuites
étaient des thésauriseurs, des ambitieux avides de s'empa-
rer du gouvernement .les étals et ils se montraient partout
les serviteurs de l'Espagne 1 i. A cette époque les Jésuites
étaienl réellement impopulaires: leur rôle bien connu sous
la Ligue, la théorie du régicide qui, imprudemment déve-
loppée par quelques pères, avait inspiré Châtel, les ren-
daient suspects même aux modérés et aux royalistes .pu
par tempérament n'étaient pas disposés à embrasser les hai-
nes vigoureuses des parlementaires ni les jalousies de 1 l di-
versité. Villeroy éprouva certainement cette défiance à l'épo-
que où les bons Français s'irritaient contre tout ce qui
retardait l'absolution pontificale, et prolongeait les guerres
civile-, au grand avantage de l'Espagnol.
Mais peu à peu les sentiments de Villeroy changent,
comme ceux du roi et de son conseil, et il en arrive à favo-
riser, de tout son pouvoir, le retour de la compagnie, dans
l'intérêt de l'Etat. Les Jésuites s'assagissent; dans l'Est et
dan- le Midi où ils se sont réfugiés, hors des limite- du
Parlement de Paris, ils se font humbles, s'abstiennent de
tous propos compromettants. On ne les trouve mêlés à au-
cun des attentats qui de 96à99 menacèrent les jours du roi ;
une fois même ceux qui résidaient à Rome firent informer
(1) Bonciaui au Cirand-Duc, 2S décembre 94, Desjaniins, V, p. 29U.
344 V1LLER0Y
le roi d'un complot ourdi contre lui (1). On ne trouve plus
que des Jésuites étrangers pour commettre des impruden-
ces. La Ligue et la guerre espagnole finies, les vieilles
haines s'atténuent. En considérant le danger qu'ils ont l'ait
courir à la monarchie, on se demande s'il ne serait pas bon
d'utiliser cette puissante milice pour le service du roi et de
se servir d'une Compagnie française de Jésus qui serait
aussi dévouée à Henri IV que ceux d'Espagne et de la Ligue
l'étaient à Philippe IL Ils peuvent encore rendre à l'Etat,
un grand service en instruisant les jeunes Français. L'en-
seignement universitaire est tombé dans une lamentable'
dégradation depuis les guerres civiles. Les Jésuites ont
fondé des collèges qui prospèrent rapidement. Les esprits
les plus prévenus contre eux sont obligés de reconnaître
leur supériorité dans les choses de l'éducation. Le 25 oc-
tobre 1(503, M. de Refuges, intendant à Dijon, hostile aux
jésuites, écrit à Villeroy qu'ils sont utiles pour l'insl ruction
parce qu'on manque d'éducateurs et qu'il ne faut pas lais-
ser les jeunes Bourguignons s'instruire à Dole ou à Avi-
gnon (2). Le 25 janvier 1610,, Du Vair, opposé à rétablisse-
ment des jésuites à Marseille, dit combien il le regrette
pour son particulier. Il en recevrait « plus de consolation
que personne, car ce sont gens de lettres avec lesquels on
se peut entretenir avec plaisir en ce pays où il n'y en a point
<mi fort pende cettequalilé » (3). Villeroy écrivait un jour
à Béthune que les sujets du roi « ont besoin en vérité que
les collèges desdils Jésuites soient remis pour instruire la
jeunesse à la piété et aux bonnes lettres, car nos Univer-
sités sont de présent fort débauchées et mal remplies de
(1) D'Ossat à Villeroy, 8 novembre 1596, Lettres du cardinal d'Os-
sal, Amsterdam, 1732, in-12, t. I, p. 345.
(-2) Bibl. de l'Institut, coll. Godefroy, no 15, l'o 9. Cette collection
comprend de nombreuses et intéressantes lettres sur les Jésuites au
début du xvne siècle. Ces documents ont été peu utilisés.
(3) Du Vair à Villeroy, 25 janvier 1010, Bibl.de l'Arsenal, no 6013,
fo 80.
LE MINISTRE D HENRI IV
345
gens qui s'en acquittent bien...» (1). Enfin, il faut consi-
dérer que le pape aime et protège sa milice dévouée et
que Ton ne peut espérer avoir d'excellentes relations avec
lui si l'on s'obstine à tenir rigueur à ses meilleurs servi-
teurs. Or, Villeroy, dans toutes les entreprises extérieures,
s'efforce d'avoir sinon l'alliance, du moins la neutralité
bienveillante de Rome et les plus intelligents de ses agents
diplomatiques comme d'Ossat lui l'ont comprendre la
nécessité de cette concession à faire au Saint-Siège pour
rapprocher tout à fait le roi du pape et combattre effica-
cement l'influence espagnole. Telles sont les raisons uti-
litaires qui ont déterminé l'attitude de Villeroy à l'égard
des Jésuites (2).
Dès la fin de 1599, des conférences avaient été tenues pour
le rétablissement des Jésuites, à l'arrivée du P. Lorenzo
Maggio envoyé en cour par le général de l'Ordre. Le
1"' janvier 1600, Bellièvre avait réuni chez lui, avec Villeroy,
les présidents du Parlement et quelques parlementaires (3).
Ces conférences n'eurent point de suite. Le P. Maggio
continua à solliciter le roi. Il dit dans une lettre du 15 fé-
vrier 1601 au P. Aquaviva qu'il a chargé Villeroy de parler
en son nom à S. M. (4). Durant le voyage du roi à Melz, le
P. Provincial de France et trois Jésuites vinrent deman-
der officiellement le rappel de leur ordre (avril 1603) ; le
(1) Villeroy à Béthune, 17 janvier 1603. F. fr. 3487, fo 103.
(2) Voir dans la correspondance de d'Ossat particulièrement les
lettres des 5 novembre 1595, 23 octobre 1597, 5 mais et 31 octobre
1598.
(3) Cretineau-Joly, Histoire de la Compagnie de Jésus, t. III. p. 28.
— Le P. Prat, Recherches historiques et critiques sur la Compagnie
de Jésus en France dutempsdu /'. Colon, 1876, in-8o, t. II. \>. 27. —
Douarche, L'Université de Paris et les Jésuites, în-S", 1888, p. 161 el
suiv.
(4) Lettre traduite parle P. Prat, t. IL p. 42. Voir une autre lettre
du P. Maggio adressée a Villeroy ru août 1601 el où il le prie de
a réserver une oreille pour la vérité « parce qu'il ne manquera pas de
gens pour faire de sinistres rapports, t. II, p. 51.
346 VILLEROY
roi leur fit un assez gracieux accueil et les ramena à Paris
avec lui. Yilleroy eut une certaine part à ce premier succès
de la Compagnie. Le P. Coton ne l'oublia pas (1).
Quand le roi se résolut enfin à conclure l'affaire, il fit
soumettre, par la Varenne, les requêtes de la Compagnie
à une assemblée qui se tint chez le Connétable le 10 juillet
1603. Elle comprenait les ducs de Montpensier et d'Eper-
non, le chancelier Bellièvre, Yilleroy, Rosny, Pontcarré,
Chateauneuf, de Maisse, Sillery, Caumartin, de Yic,
de Thou et Jeannin. La première séance, si nous en croyons
Sully, fut un peu orageuse et indécise (2). Sully, invité
par Sillery à parler le premier refusa. Le connétable, tou-
jours prudent, proposa de prier le roi d'assister aux délibé-
rations. Yilleroy fut d'avis contraire: le roi serait bien aise
de ne pas paraître prendre l'initiative de la révocation d'un
arrêt du Parlement. De Thou proposa de renvoyer l'affaire
au Parlement. Bellièvre fit décider qu'on délibérerait
devant S. M. Il est faux de parler, à propos de cette séance,
de divisions profondes régnant entre des esprits aigris par
des questions religieuses (3). On n'a pas assez remarqué que
les principaux membres du conseil étaient résolus à régler,
comme le roi, la question dans un sens favorable aux Jé-
suites. Au su de tout le monde, Villeroy, le chancelier etde
Maisse s'occupaient de l'affaire depuis plus d'une année ;
un projet de décret avait été rédigé et envoyé au pape ; les
articles du projet avec les observations du général des
Jésuites avaient été le sujet de discussions, d'objections,
de répliques par voie diplomatique. Il n'y eut dans cette
(1) Oraison funèbre, p. 28.
(2) Ec. Roy., I, p. 527.
(3) Perrens, L'Eglise et l'Etal en France sous le règne de Henri IV
et la régence de Marie de Médicis, 1872, in-8o, t. I, p. 231. Perrens
n'a pas compris que les conseillers qui délibéraient à cette séance
étaient quelques-uns des esprits les plus modérés du royaume, les
moins « aigris » par les questions religieuses.
LE MINISTRE 1) 1IENHI IV
347
séance qu'une discussion de procédure, un désir chez cer-
tains d'éviter les responsabilités et chez d'autres, comme
de Thou, l'espoir de transporter l'affaire au Parlement pour
qu'il diminuât les concessions faites aux Jésuites. Ce n'était
qu'une question de réglementation. Trois jours après, le
conseil se réunit et adopta sans difficultés le rétablis-
sement des Jésuites qui fut ordonné par lettres patentes
du 2 septembre 1G03.
Sully, qui plus tard accusa la « malice » de Yilleroy et de
Jeannin d'avoir fait rappeler les Jésuites, n'opposa aucune
objection au projet de rétablissement. Constatons-le pour
détruire la légende d'un Sully qui aurait été l'ennemi mor-
tel de la Compagnie de Jésus. Une fois déjà, en septembre
94, quand les ennemis des pères demandèrent au conseil
de prononcer leur expulsion, malgré le premier arrêt du
Parlement qui avait ajourné indéfiniment leur procès,
Sully, sous l'influence du cardinal de Bourbon, avait dé-
claré au conseil que le roi ne jugeait pas assez, graves les
griefs dont on les chargeait, qu'il observerait leur conduite
avenir et, défendait, en attendant, toute procédure violente
contre eux (1). En 1603, il opina pour leur rétablissement,
parce que « les temps et la disposition présente «les affaires
ei des esprits le requéraient ainsi » (2). Sully tolérait donc
les Jésuites parnécessité politique, mais il était naturel qu'à
cause de sa religion il se tînt dans une certaine réserve,
qu'il laissât parler et agir les autres « dans une affaire tant
scabreuse ». C'est pour cette raison qu'il ne voulut pas,
dans la première séance, opiner le premier, craignant que
Sillery ne lui tendit un piège, ni dans la seconde, pro-
noncer de longs discours (3).
(1) L'arrêt est du 6 septembre 1594.
(2) fbid.,y>. 530.
(3) Ec. Roy., I, p. 527. — Nous .loutons de l'authenticité de la con-
versation tenue' entre Sully ei le roi entre les deux séances. Sully dit
348 VILLEROY
Au reste, de grandes précautions avaient été prises
pour que la puissance des Jésuites ne devînt pas nuisible
à l'Etat. Ils devaient être Français, ne pouvaient prêcher
hors de leurs maisons sans l'autorisation des évêques et ils
étaient obligés de prêter devant les officiers du roi un ser-
ment par lequel ils s'engageaient à ne rien faire contre le
service du roi, la paix publique et le repos du royaume.
Villeroy n'avait cessé d'insister dans ses négociations avec
Rome sur ces obligations auxquelles il fallait assujettir
les pères pour qu'ils fissent, croyait-il, cesser les anciennes
défiances et fussent désormais de bons et loyaux sujets (1).
avoir. expose au roi les sept inconvénients qui résulteraient du rappel
.1rs Jésuites, puis s'être incliné devant la volonté d'Henri IV.
Or: lo 11 nous parait étonnant que Sully ait attendu pour exposer ces
objections le moment où le rétablissement était devenu inévitable, et
qu'il les ait exposées si fortement pour se laisser ensuite si vite con-
vaincre par le roi, au nom de l'intérêt de l'Etat. Sully, ordinairement si
tenace dans la discussion, semble faire ici une pure dissertation acadé-
mique ; 2û Parmi les raisons exposées, il en est deux que Sully n'a pu
donner alors, à cause des erreurs manifestes qu'elles contiennent. En
exposant la quatrième (obéissance aveugle des Jésuites au pape), H
rappelle que le pape ne se « dépêtrera » des liens de l'Espagne que
lorsque les Espagnols seront expulsés d'Italie, suivant le projet qu'il a,
lui, Sully., exposé à Jacques 1er dans son ambassade. Or il est démontré
que ce grand dessein de 1 603 est une invention postérieure de Sully.
La septième raison contient une violente accusation contre le> membres
du conseil alliés aux Espagnols. Sully n'a pu la donner. Il savait trop
bien que c'était faux et qu'Henri IV était attaché à Villeroy, Jeannin et
Bellièvre qu'il estimait très bons Français.
Il faut conclure que cette conversation est une invention de Sully qui
lorsqu'il écrivit ses mémoires voulut dégager sa responsabilité dans
le rétablissement des Jésuites pour garder auprès de ses coreligion-
naires le renom de défenseur indéfectible de la religion.
Cette digression n'est pas inutile si elle. démontre que, malgré les
apparences, l'attitude de Villeroy ne fut pas blâmée par Sully et que le
rappel des Jésuites approuvé par ces deux ministres avec le reste du
conseil fut décidé non par fanatisme religieux mais dans un sentiment
d'intérêt politique.
(1) Villeroy à Béthune. 3 nov. 1603, F. Fr. 3487, fo 180. — Il estime
que si les Jésuites refusent le serment, il n'y aura « personne qui
conseille a S. M. de les admettre en ce royaume. » Le 18 novembre
(Ibid., f« 185), il écrit: « Nous n'avons aussi perdu encore la mémoire
LE MINISIRE D'HENRI IV 349
Ni les instances du nonce, ni celles du P. Coton ne
purent le fléchir. Il ne voulut même pas qu'on s'adressât
au roi pour solliciter de lui celte modification (1).
Villcroy demeura bienveillant envers les Jésuites sans
leur témoigner une aveuglante atïection. Le P. Coton qui,
dans un mouvement oratoire, affirme que la Société de
Jésus est « l'une de ses progénitures spirituelles après Dieu
et la bienveillance de nos rois », cite comme unique marque
de l'amitié du ministre son intervention pour faire obtenir
au collège de La Flèche 100 000 écus (2). Le minisire ad-
mirait beaucoup l'éducation donnée par les pères : il leur
avait confié son petit-fils (3;. Il ne paraît s'être occupé des
affaires des Jésuites qu'avec beaucoup de circonspection,
en demandant des renseignements minutieux aux princi-
paux intéressés. Ainsi, en octobre 1(503, il demandait à
Refuges, intendant de Dijon, de lui dire librement son
avis sur les Jésuites et celui-ci lui écrivait en toute fran-
chise qu'il les estimait utiles pour la prédication et l'ins-
truction, mais qu'il fallait prendre les plus grandes précau-
tions, si on voulait les admettre (4). De même, du Vair
qui à Marseille s'opposait aux tentatives que faisaient les
Jésuites pour se fixer dans la ville, priait Yilleroy d'inter-
venir au conseil pour empêcher cet établissement (5), et
des attentats faits contre nos rois en ce royaume, sous la permission et
autorité des papes... »
(1) Lettre du IV Coton à, Buffalo. 30 octobre 1 603, p. p. P. Prat, II,
17;;. _ Le P. Coton au 1'. Âquaviva, 28 nov. 1003, Ibid., p. 180.
(21 Oraison funèbre, p. 34.
(3) Le t. XV de la collection Godefroy contient une curieuse lettre
.l'un jésuite a Yilleroy à l'occasion du départ île son lils qui avait fait
ses études à La Flèche (le1' mai L612, XV, fo 221). L'auteur du recueil
a écril en marge: « On comprend bien </u>> les louanges pour le père
ne sont pas épargnées et (/ne le fils est un prodige. » Or la lettre ne
eontient rien de tel. L'enfant est simplement qualiGé de <■ vertueux et
diligent écolier » qui n'a jamais fourni aucun - sujel de mécontente-
ment ». Il n'y a non plus aucun éloge spécial du peu'.
!4) Bibl. de l'Institut, Coll. Godefroy, mss. n<> XV. fo 9.
(5) Du Vair à Villeroy, 25 janvier 1610, Arsenal, mss. n° 6613,1° 80.
350 VILLEROY
Villeroy ne faisait rien pour contrecarrer, en faveur des
Jésuites, l'opinion de du Vair (1).
Il est une question religieuse qui passionna les contem-
porains" d'Henri IV presque autant que le rétablissement
des Jésuites. Ce fut la réception du Concile de Trente qui
fut instamment réclamée par Rome à partir de 1595 et que
le roi n'avait pas encore accordée à sa mort, malgré les ef-
forts de d'Ossat et de du Perron et les demandes de l'as-
semblée du clergé de 1605. Le Concile avait contre lui
presque toute la sociélé laïque de France qui le rejetait à
cause de certains articles préjudiciables à l'autorité du roi
et aux libellés de l'Eglise Gallicane (2). Son introduction
était réclamée par un certain nombre de grands prélats,
une partie du clergé et certains laïques très catholiques.
Villeroy fut au conseil le porte-parole de ce parti, après
1598. Il était mû avant tout par des raisons d'intérêt poli-
tique. Il savait par Du Perron et d'Ossat l'ardeur extraor-
dinaire avec laquelle le pape recherchait cette publication
qui lui avait été promise formellement au moment de l'ab-
solution. Il était convaincu que le pape pouvait faire beau-
coup de bien ou beaucoup de mal à la France. Pour ga-
gner son amitié, il fallait lui céder sur ce point. En 97
et en 98, D'Ossat était particulièrement pressant : il écri-
(1) Coll. Godefroy, XV, f° 54. Le 25 octobre 1611, le P. Coton écri-
vait à Du Vair, à propos du projet d'établissement d'une maison pro-
fesse de Jésuites à Marseille : « M. le Chancelier et M. de Villeroy ont
estimé qu'il fallait vous en écrire au préalable encore que M. le duc de
Guise en eut parlé. Par quoi, l'affaire dépend de vous entièrement et
de l'avis qu'il vous plaira d'en donner... »
(2) C'étaient entre autres les articles qui attribuaient au siège ecclé-
siastique une autorité sans limite en supprimant les appels comme
d'abus, qui soumettaient les adultères et les clercs tonsurés mariés à la
juridiction des évêqnes, donnaient aux évêques, comme délégués du
pape, un droit de visite sur les hôpitaux et collèges, et excommuniaient
les rois qui prenaient les fruits des bénéfices. La littérature de l'époque
est très abondante sur ce sujet. Voir particulièrement Etienne Pas-
quier, Les Hechei'ches de la France, Paris, 1621, in-fol.
LE MINISTRE d'hëNRI ÏV 351
vait à Villeroy qu'une faute qui était vénielle chez tout
autre pouvait être mortelle chez le roi, qu'il fallait effacer
la mauvaise impression produite à Rome par les mesures
prises contre les Jésuites et l'édil qu'on établissait en la-
veur des huguenots (1).
Villeroy estimait que la publication du Concile était une
concession de pure forme, presque une formalité. On
pouvait rendre le Concile absolument inoffensif par des
réserves comme celle qui était contenue dans l'article 7
de l'absolution (2). Un sauf remédierait à tous les incon-
vénients.
En politique réaliste, il était peu sensible à la valeur des
formules vieillottes dont usaient les théologiens et les
hommes de loi ; il ne pouvait se passsionner pour les inter-
minables discussions théologico-politiques où se complai-
saient les parlementaires et la société instruite de l'ancien
régime. De Thou a rapporté dans ses Mémoires comment le
ministre, « un des plus zélés sur cet article », appuyé de ses
amis, put persuader au roi la nécessité de la publication,
et essaya de gagner en particulier les membres du Parle-
ment (3). Il avait rédigé, fait sceller et signer les lettres
patentes ; il ne restait plus qu'à les envoyer au Parlement
« pour consommer cette a (Taire sans bruit ». L'énergique
intervention de de Thou empêcha, nousdit-il, la défaite des
Gallicans. On parla encore l'année suivante, en 1600, du
Concile ainsi que du rétablissement des Jésuites, mais
comme on était dans l'incertitude de la paix ou de la
guerre, à propos du marquisat de Saluées, le roi renvoya
ces deux affaires à un autre temps, bien que Villeroy et
(1) D'Ossat à Villeroy, 19 nov. 06, 19 février 97, Lettres. ... t. I,
p. 349 et 419.
(1) « Que le roi fera publier et observer le concile de Trente, excepté
aux choses qui ne se pourront exécuter sans troubler la tranquillité du
royaume s'il s'y en trouve de telles. »
(2) Mémoires, Ed. Michaud, p. 371-372.
352 VILLEROY
le chancelier eussent voulu les résoudre le plus prompte-
ment possible.
A partir de ce moment, nous n'entendons plus parler
d'une' intervention de Villeroy en faveur du concile. Le
pape continuait à le réclamer de temps en temps : le roi ne
se souciait pas de déplaire aux huguenots et aux gallicans,
tant qu'il pouvait s'en dispenser. La diplomatie française
prodiguait à Rome les belles paroles, et Villeroy, qui ne
tenait à cette publication qu'autant que Rome y subor-
donnait son amitié, n'était pas fâché de laisser l'affaire en
suspens. Comme il n'avait pas agi par principe religieux, il
avait adopté lui-même la méthode romaine que d'Ossat
appelait « une certainelougueur passée en nature ».
Il pratiqua celte méthode toutes les fois que parut un
livre à scandale, gallican ou anti-gallican. Assez indifférent
au fond dos questions, il se préoccupait surtout d'apaiser
les querelles religieuses et de couper court à tout conflit
entre la France et le Saint-Siège. La correspondance du
nonce Ubaldini nous fait très bien connaître l'attitude du
ministre auquel le représentant du pape s'adre -sait toujours
dans ce cas-là. Villeroy avait l'art de lui répondre en tenues
généraux, par des promesses de vague satisfaction et quand
il fallait absolument agir, de trouver des moyens conci-
liants. C'est ainsi qu'il résolut le conflit qui éclata lorsque
l'Inquisition rendit, le 14 novembre 1609, un édit prohibant
l'histoire de de Thou, le discours d'Antoine Arnauld pour
l'Université et l'arrêt du Parlement contre Châtel que le
cardinal Bellarmin avait autrefois fait mettre à l'index.
Le Parlement voulait faire brûler cet édit et le roi se
montrait très mécontent des embarras suscités parla cour
de Rome. Le nonce refusait de céder. Villeroy trouva les
termes d'un accommodement qui finit par satisfaire tout le
monde. Il fit accepter au représentant de Rome que l'Inqui-
sition imprimât un nouvel édit qui condamnerait avec L'his-
toire de de Thou quelques ouvrages obscurs, sans faire
LE MINISTRE d'iIENRI IV 353
mention ni du discours d'Arnault, ni de l'arrêt contre Châ-
tel dont la censure avait provoqué dans le parlement une
si vive émotion. Ainsi fut éteint un foyer d'incendie (1).,
Villeroy, dans ses opinions concernant le pouvoir ponti-
fical, se tenait dans un juste milieu que peu d'hommes
surent garder au xvne siècle. Il n'était pas ultramontain.
Il blâmait ceux qui « entreprennent journellement d'ampli-
fier et faire valoir par leurs conseils l'autorité et puissance
souveraine temporelle despapes, offensant les rois et princes
souverains. » Il désapprouvait la cour de Rome de favoriser
le développement de celte doctrine, et de se laisser
abuser peu intelligemment par des écrivains qui batail-
laient moins pour accroître la puissance du Saint-Siège que
« pour flatter Sa Sainteté et parvenir au cardinalat » (2).
Son attitude sur ce point était irréductible. Il était disposé
à faire au pape toutes les concessions compatibles avec
l'amour-propre national : mais il y avait des limites que Ton
ne pouvait franchir, des doctrines que l'on ne pouvait sou-
tenir (3 ":. II jugeait assez sévèrement les abus qui s'étaient
introduits dans l'Eglise et que la papauté ne cherchait pas
à déraciner. Dans sa lettre écrite à un gentilhomme de la
(1) Voir les dépêches du nonce Ubaldini, dont les copies sont dans
le F. Ital. ; et particulièrement pour l'affaire de l'arrêt, la lettre du 5
janvier 1600. — Voir aussi Perrens, L'Eglise et l'Etat sous le règne de
'Henri IV..., t. 1, p. 341.
(2) Lettre de Villeroy à l'ambassadeur résidant à Home sur le sujet
de quelques livres écrits en faveur des papes... F. Fr. 17334, fo 113.
bile a ete publiée par Perrens, t. Il, p. lit- 12.
(3) « Ces docteurs et religieux... donnent beau jeu aux ennemis du
Saint-Siège, lesquels aussi savenl très bien s'en prévaloir et avantager
et qui pis est il faut qu'ils soient en cela secondés de ceux qui sont
obligés de défendre et soutenir l'autorité de leurs princes; de quoi il
advient souvent que les catholiques qui sont les plus affectionnés à
leur religion el plus jaloux de défendre l'honneur dû à S. S. sont con-
traints de joindre leurs suffraue> aux autre- pour arrêter le cours de
telles entreprises, au grand désavantage et mépris çtes Saints p^res.
tellement que les dits écrivains font tout le rebours de ce qu'ils pré-
tendent... » [Ibid.).
Villeroy. 23
354 VILLEROY
suite du roi de Navarre, il reconnaissait que dans cette ins-
titution divine s'étaient « coulés » « quelques abus aux
moeurs et en la pratique » (1). Très souvent, il fit allusion,
sans le-s préciser, à ces imperfections. Il en faisait retomber
la responsabilité sur l'apathie de la cour de Rome. « Je ne
m'attends pas, disait-il, que pour tout cela le pape ni les
cardinaux s'en éveillent plus matin, c'est-à-dire qu'ils
changent de façon de vivre et néanmoins il est certain que
s'ils ne touchent cette corde comme il faut et d'eux-mêmes,
tous leurs conseils ne serviront qu'à établir et accroître le
pouvoir de leurs adversaires à leur désavantage (2). »
Dans ses lettres à nos ambassadeurs à Rome, il n'épargnait
pas les critiques et parfois les mots gouailleurs à l'adresse
des cardinaux de la sainte Eglise.
On ne peut toutefois appeler notre ministre un vrai gal-
lican. Il déteste l'ingérence de la cour de Rome dans les
affaires intérieures du royaume, il signale les abus dont
souffre l'Eglise, mais il en parle en fils respectueux et sou-
mis. Il n'a pas l'âpreté de ton et le dogmatisme un peu in-
solent des Parlementaires. Il ne menace ni ne provoque. Il
espère que les abus seront retranchés doucement. Il veut
éviter le scandale. S'il blâme les livres trop ultramontains,
il n'approuve point positivement ceux qui attaquent avec
trop de violence les droits du Saint-Siège. Dans le domaine
théologique comme dans le domaine politique, il est un
pacifique. Il est aussi un diplomate qui aie sens des véri-
tables intérêts du royaume : il a l'habitude de traiter la Pa-
pauté comme une puissance étrangère qui peut être utile
ou nuisible à la France : il faut lui faire des concessions si
on veut la garder comme alliée du roi.
Telle fut l'action exercée par Villeroy dans les prin-
cipales questions religieuses qu'Henri IV eut à résoudre.
(1) Lettre écrite après ta mort du feu roi...
(2) Lettre à l'ambassadeur résidant à Rome. F. fr. 4028.
LE MINISTRE d'hENRI IV 355
Les contemporains ont su reconnaître cette grande in-
fluence. Carew écrivait que le roi de France se reposait
sur Villeroy non seulement dans les affaires d'Etat mais
encore dans les affaires de religion (1). Notre ministre con-
tribua à donner à la politique religieuse du règne son ca-
ractère pacifique, tolérant, raisonnable. On commettrait une
grande erreur en se représentant cette dernière comme une
politique d'équilibre pratiquée par un roi quelque peu scep-
tique entre deux sectes ennemies, soutenues au Conseil
par deux groupes d'hommes dirigés l'un par Villeroy,
champion du catholicisme, l'autre par Sully, défenseur des
huguenots. Ce fut au contraire une politique d'entente pra-
tiquée par Henri IV d'accord avec les protestants modérés
dont le plus influent fut Sully et des catholiques de tem-
pérament modéré et tolérant, dont le plus éminent fut Vil-
leroy. Cette politique eut pour but la paix du royaume,
l'intérêt de l'Etat français. Ces considérations nous aide-
ront à comprendre comment furent traitées par le gouver-
nement d'Henri IV les grandes questions de politique exté-
rieure qui au début du xvne siècle se trouvaient encore si
pénétrées d'idées religieuses et d'intérêts de secte.
(1) Carew, loc. cit., p. 490.
CHAPITRE III
V1LLER0Y, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
LA GUERRE DESPAGNE
ET LA GUERRE DE SAVOIE
(1595-1601).
I. Villeroy, ministre des affaires étrangères. La guerre nationale
contre l'Espagne. Villeroy à l'armée. — IL Les négociations
préliminaires de la paix de Vervins (mai 1596 -mai 1598).
Villeroy « un des pères de la paix d'Espagne ». La question
des alliances : Villeroy, les Anglais, les Hollandais. —III. L'af-
faire du marquisat de Saluces : les négociations de mai 1598
à juillet 1600. — IV. La guerre de Savoie. Villeroy à l'armée.
La Bresse ou Saluces ? Villeroy conseille la restitution. La
paix de Lyon (janvier 1601). — V. Villeroy et les négociations
pour le mariage du roi.
Pendant le règne d'Henri IV, les affaires politiques et
religieuses n'occupèrent qu'une faible partie du temps
de Villeroy. Sans doute, il donna son avis dans toutes les
questions importantes et prit une grande part à certaines
négociations, mais il se consacra principalement aux devoirs
de sa charge de secrétaire d'Etat. Il fut, sans en posséder
le titre, le ministre des affaires étrangères d'Henri IV.
LE MINISTRE D HENRI IV
357
Il est toute une partie de son métier sur laquelle les his-
toriens doivent passer, sans insister. Le ministre avait à
transmettre aux ambassadeurs les instructions qui avaient
été arrêtées en conseil devant le roi. Il recevait les représen-
tants des princes et républiques étrangères, négociait avec
eux, leur expliquait les intentions du roi, leur demandait
celles de leurs gouvernements. Il accomplit les devoirs de
sa profession en parfait fonctionnaire, exact, diligent, et qui,
disait le roi, « tient un grand ordre en l'administration de
sa charge et en la portion et distribution des expéditions
qui ont à passer par ses mains » (1). Dans l'entourage de
Henri IV il n'y eut pas, Sully excepté, de travailleur plus
acharné et plus régulier que lui. Pour se représenter cette
activité, il faut avoir parcouru les recueils des correspon-
dances échangées entre le ministre et les représentants du
roi à l'étranger. Il rédigeait lui-même, avec un soin ex-
trême, presque toutes les lettres écrites au nom du roi et
signées par lui pour ses ambassadeurs (2). Il accompagnait
d'ordinaire ces lettres de caractère officiel de lettres parti-
culières, d'allure plus intime et plus négligée, où il expli-
quait les volontés de son maître, développait certaines
questions complexes, etparfois exprimait des avis person-
nels différents de ceux du « maître ». Ces lettres-là étaient
écrites au courant de la plume, en un style familier four-
millant de savoureuses locutions proverbiales. Les ambas-
sadeurs aimaient beaucoup à recevoir de ces lettres qui con-
tenaient souvent des choses qui ne devaient point être expri-
mées dans la dépêche royale. « Monsieur, écrivait Jeannin
(1) Sully. Ec. Roy., t. Il, p. 285.
(2) Certaines sont surchargées de ratures comme celle du roi aux
sieurs Jeannin et de Russy, du 19 mars 1608, du 8 janvier 1009, F. Fr.
15952, fos 1H, 206. Berger de Xivrey et les éditeurs de lettres
d'Henri IV ont le tort de ne pas signaler que la plupart de ces lettres
sont entièrement composées par Villeroy. Le ministre les lisait au roi
qui approuvait ou faisait retoucher puis signait.
358
VILLEROV
le 27 juin 1607, vos lettres m'ont donné plus de lumière et
de connaissance de la volonté du roi que les siennes : aussi
sont-elles plus expresses et particulières (1). » Une des
meilleures qualités de Villeroy était la clarté ; nous savons
déjà qu'il ne se piquait point de littérature, qu'il était sou-
vent long-, traînant, terne ; mais il avait le mérite de se
faire très bien comprendre et de développer ses idées avec
un grand luxe de détails utiles. « J'apprends plus en une
de vos lignes qu'aux longs discours d'infinis autres, lui
écrivait Fresne-Canaye de Venise (2). » Du Perron, de
Rome, le complimentait sur « la matière, les concep-
tions, le style » de ses dépèches et admirait la «lumière »
de son clair jugement » (3). Tout ce travail de rédaction
était fait par Villeroy seul. Ce que nous appellerions le
ministère des affaires étrangères de ce temps était un or-
ganisme très rudimentaire. Villeroy n'avaitavec lui qu'une
demi-douzaine de commis qui étaient employés à trans-
crire des dépêches, à remettre les paquets aux courriers ou
à en recevoir d'eux. A partir de 1606, Puisieux fut adjoint
à Villeroy et le déchargea d'une partie de sa besogne.
Mais Villeroy était trop scrupuleux pour se reposer sur le
zèle de ce jeune homme sans expérience. Ils semblent
avoir divisé entre eux le travail. Villeroy garda le plus
difficile et le plus original et ne laissa à Puisieux que le
soin de rédiger les lettres les plus faciles.
Un ministre des relations extérieures doit employer une
grande partie de son temps à donner audience. 11 converse
avec les envoyés étrangers et traite avec eux les affaires
communes entre leur gouvernement et le royaume de
France. Sulh appelait cela dédaigneusement « prôner, ca-
(1) Jeannin à Villeroy, 27 juin 1607, Négociations,?. 96.
(2) Fresne-Canaye à Villeroy, 7 février 1607, Lettres et ambassades
de Philippe Canaye, sieur de Fresne (1601-1607) 1645, in-fo, t. I,
p. 437.
(3) Du Perron à Villeroy, novembre 1595, Ambassades, p. 20.
LE MINISTRE d'hENRI IV 359
quêter, faire la mine » (1). Tout ce côté de la profession de
Villeroy nous est connu par les relations et dépêches des
Vénitiens, des Florentins, des nonces, des Espagnols, des
Anglais, des Hollandais. D'après le témoignage des étrangers
il remplissait sa fonction avec un zèle et un talent remar-
quables. 11 était toujours parfaitement maître de lui, avait
l'art d'interroger, d'écouter, et ne disait que ce qu'il vou-
lait. « Il donnait audience sans trouble, sans confusion, sans
impatience » (2), dit P. Matthieu. On le trouvait toujours
calme et courtois, et l'on admirait l'exactitude minutieuse
avec laquelle il accomplissait tous les devoirs de sa charge (3).
Il savait aussi bien dissimuler la vérité, tout en conservant
un visage égal et ouvert.
Nous ne nous sommes point proposé d'étudier dans tous
les détails de sa vie publique cet excellent fonctionnaire.
Une telle monographie ne serait qu'une sèche et inutile
énumération des actes principaux de la diplomatie d'Hen-
ri IV que le ministre fit exécuter avec talent. Nous avons
essayé de rechercher ce qu'il y eutd'original dans le rôle de
Villeroy. Il fut, nous l'avons vu, non seulement un simple
secrétaire d'état enregistrant les ordres reçus, mais une per-
sonnalité influente et écoutée, un des conseillers les plus
puissantsdu règne. Eut-il des tendances et des conceptions
particulières en matière de politique extérieure ? Cher-
cha-t-il aies faire triompher? Dans la série des traités, des
guerres, des alliances, des événements heureux ou malheu-
reux pour le royaume, de 1595 à 1610, quels sont les faits où
nous pouvons saisir l'activité originale et la responsabilité
de Villeroy ?
(1) Sully, Ec. Roy., t. 1, p. 370.
(2) Matthieu, Remarques d' estât..., p. 272.
(3) Ibid. « Il lisait tout ce qu'on lui présentait, ne remettait les
affaires au lendemain, nettoyait tous les jours le tapis et les jours et
les nuits ne sont pas plus égaux sous l'équinoxe que ses paroles et ses
actions. »
360 VILLEROY
Avant d'étudier dans le détail les dépêches diplomatiques
et les correspondances étrangères qui nous feront connaître
sa pensée et ses actes, nous remarquerons qu'au début du
xvne siècle les circonstances étaient particulièrement favo-
rables au développement des personnalités ministérielles.
Henri IV qui fut véritablement un des esprits les plus
vifs et les plus fins qui aient gouverné la France, a été aussi
un des souverains qui ont su le mieux raisonner leurs actes :
nul ne fut moins entêté, moins inflexiblement attaché à ses
opinions personnelles. Le plus souvent, il discutait, il
cherchait consciencieusement à s'instruire, et se décidait,
quand il jugeait son action utile à l'Etat.
Aussi ce prince raisonnable et tolérant ne songea-t-il ja-
mais à établir autour de lui l'uniformité des pensées. Il était
entouré d'hommes d'origine, de tempérament et d'idées
très différentes, les laissait exprimer librement leur opinion
et tirait même parti « de leurs contestations et contrarié-
tés », car, disait-il, « par le moyen d'icelles toutes les af-
faires sont si bien épluchées et approfondies qu'il m'est fa-
cile de choisir la meilleure résolution » (1).
Villeroy put donc, sous ce régime exceptionnel, conseil-
ler librement son maître, l'approuver, le blâmer, et cher-
cher sans contrainte à faire triompher ses conceptions. Il
écrivait un jour à Bellièvre une phrase qui exprime très
simplement son attitude : « J'en dirai à S. M. ce qui m'en
semble, et celle-ci en ordonnera ce qui lui plaira » (2).
La situation extérieure du pays n'était pas absolument
nette et pendant presque tout le règne provoqua la discus-
sion dans le conseil des ministres. Il y a desmoments où le
problème delà politique étrangère ne comporte qu'une
seule solution sur laquelle les esprits raisonnables chargés
de gouverner une nation sont parfaitement d'accord. Sous
(1) Sully, Ec. Roy., t. II, p. 289.
(2) Villeroy à Bellièvre, 18 novembre 1601, F. Fr. 15S9G, f" 341,
LE MINISTRE DHENRI IV 361
Henri IV, au contraire, on put concevoir des façons très
diverses d'assurer la grandeur du pays. Depuis près d'un
siècle, la France était en lutte contre la maison d'Autriche
qui cernait notre frontière sur les Pyrénées, en Franche-
Comté, au Luxembourg, aux Pays-Bas, dominait l'Alle-
magne et Tltalie, ces deux grands pays morcelés et faibles
qui semblaient un magnifique champ d'expansion pour
l'influence française. La guerre ouverte qui commença
à la fin de la Ligue dura jusqu'en 1598. A cette époque, un
traité équitable fit restituer aux deux pays ce qu'ils avaient
conquis l'un sur l'autre pendant les troubles. Jusqu'à Ver-
vins on se battit vigoureusement. 11 y eut peu d'incerti-
tude clans la politique française. Mais au rétablissement (h;
la paix, plusieurs voies s'offrirent à la diplomatie d'Henri IV
et chacune eut ses partisans convaincus. Pour les uns, la
paix de Venins ne pouvait être qu'une courte trêve : il fal-
lait déclarer la guerre à outrance à l'Espagne, ennemie
acharnée de la grandeur française et soulever contre elle
l'Europe protestante. Pour les autres, la guerre ouverte
était trop périlleuse : on pouvait, tout en jouissant des
avantages de la paix, faire beaucoup de mal à l'Espagne,
lui enlever ses alliés, lui disputer par la diplomatie les ter-
rains qu'elle avait acquis en Italie, en Allemagne, aux Pays-
Bas, etsurtout l'affaiblir en soutenant sous main les peuples
révoltés contre elle. D'autres enfin estimaient que l'Espagne
et la France accomplissaient une œuvre néfaste en cher-
chant à « s'entremal'faire (1) », et souhaitaient une entière
réconciliation entre les deux couronnes, l'oubli des injures
passées et l'établissement d'une sincère amitié franco-es-
pagnole.
Jusqu'à Vervins, ces questions ne se posèrent pas. Quel-
ques mois après le rappel de Villeroy, la guerre fut déclarée
(1) D'Ossat à Villeroy, 10 février 1003, Lettres, t. II, p. 589.
362 VILLEROY
aux Espagnols, et nul ne signala la moindre divergence
d'opinion à ce sujet dans l'entourage du roi.
La guerre qu'Henri IV déclara solennellement à l'Es-
pagne le 17 janvier 1595 fut une lutte nationale, une guerre
de revanche engagée pour l'honneur du roi et du pays.
Villeroy, dans un court Mémoire, en a expliqué les trois
raisons principales (1). « La déclaration, dit-il, devait lever
le masque de religion duquel les ennemis de S. M. conti-
nuaient à couvrir leurs injustes armes, nonobstant sa réu-
nion en l'Eglise catholique, et en ce faisant réduire tant
plutôt sous son obéissance lespeuples etvilles qui en étaient
encore distraits, et aggraver le crime d'aucuns de ses sujets
qui les entretenaient toujours en leur rébellion. » Il fallait
ensuite « se revancher sur les sujets et pays dudit roi des
maux que lui et les siens faisaient à la France, dont ils
n'avaient encore senti aucune incommodité ». Il fallait en-
fin venir en aide aux alliés et voisins qui luttaient contre
l'Espagne et auraient pu douter du roi maintenant qu'il était
converti. C'était une preuve nécessaire de solidarité à don-
ner aux Hollandais et aux Anglais qui avaient soutenu
Henri IV dans la conquête de son royaume, et se seraient
crus trahis si le roi s'était retiré delà lutte. Alors que toutes
les autres entreprises du règne furent plusou moins discu-
(!) « Mémoire placé en tête du volume des dépêches de Villeroy »
(1595-1598), publié par Poirson dans le recueil intitulé : Mémoires de
Villeroy et de Sancy, documents divers... Paris, 1868,, in-8°. Ce mé-
moire se trouve au début d'un volume du F. Fr. no 3456 intitulé :
c Registre des dépèches faites par M. de Villeroy >>. Poirson expose
qu'il a été dicté, peut-être même rédigé par Villeroy. C'est l'histoire
de la guerre contre l'Espagne depuis la déclaration (16 janvier 1595)
jusqu'aux dernières négociations précédant Vervins. -Cette histoire est
surtout précieuse par le récit des négociations avec les alliés et surtout
parles renseignements donnés sur les deux traités de 1596 avec l'An-
gleterre. .Matthieu s'en est servi et cette source lui a permis d'être plus
exact que de Thou. C'est un excellent exposé écrit avec vigueur et con-
cision.
LE MINISTRE D'HENRI IV 363
tées, cette guerre s'imposa à tous comme la conclusion
obligatoire de nos guerres civiles. « Ces trois raisons, dit
Villeroy, étaient lors si pregnantes que qui eût conseillé à
S. M. de différer ladite déclaration, eût fait tort à son ser-
vice et à sa réputation (1). »
On commença donc par se battre vigoureusement. Les
armées du roi prennent l'offensive sur les frontières. Bouil-
lon attaque l'ennemi dans le Luxembourg. Les troupes
lorraines au service d'Henri IV pénètrent dans la Franche-
Comté. Biron fait la petite guerre contre Mayenne en Bour-
gogne et Montmorency contre Nemours dans le Lyonnais.
Quand Vélasco, gouverneur du Milanais, passe les Alpes
pour secourir la Comté et se joindre à Mayenne, Henri IV
en personne vient lui barrer le chemin à Fontaine-Fran-
çaise ^5 juin (J5), pendant qu'au Nord de la France ses
troupes conquièrent Ham. Mais Fuentès et les Espagnols des
Pays-Bas prennent bientôt au nord une revanche éclatante
en s'emparant de Doullens et de Cambrai (24 juillet et
7 octobre 95). L'année suivante, la guerre se traîne en escar-
mouches, en sièges. Henri défend péniblement sa frontière
picarde. Il prend la Fère après six mois de siège (novem-
bre 95-mai 9(5). Mais l'archiduc Albert s'installe dans Calais
et le roi, sans argent, mal secouru de ses alliés, doit renoncer
à reprendre l'offensive. Les derniers mois de 9(3 et les pre-
miers de 97 sont employés à négocier avec l'Angleterre et
les princes protestants pour des secours, à discuter avec les
notables assemblés à Rouen rétablissement de taxes nou-
velles et à lutter avec le Parlement de Paris opposé à toute
création d'office. Brusquement, le 11 mars, les Espagnols
s'emparent d'Amiens parjsurpriseetla capitale est menacée.
Henri IV, sans se laisser abattre, monte à cheval le même
jour et, résigné à « faire le roi de Navarre », entreprend de
reconquérir sa ville (mars 97 .
(1) Mémoire..., p. o.
364 VILLEROY
Durant cette période, Villeroy suit partout Henri IV. Il
mène avec lui la vie errante des camps, sur les grands che-
mins de Bourgogne et de Picardie, et malgré sa fragile
constitution il supporte vaillamment les fatigues et les in-
tempéries. Le 22 mars 97, il écrit d'Amiens à Nevers :
« Nous sommes ici logés au plus mauvais lieu du monde...
et si le froid eut duré, nous y fussions morts de froid, car
chacun y est logé à découvert ou peu s'en faut » (1). Il
déploie dans des tâches très diverses une grande activité.
Il négocie avec les représentants de Mayenne la soumission
du chef de la Ligue (juin-septembre 95). Il sert d'inter-
médiaire entre le roi et les membres du Conseil qui
séjournent à Paris, entre le roi et les chefs de l'armée.
Nous avons conservé un certain nombre de ses lettres
adressées au duc de Nevers et au connétable de Mont-
morency (2). Villeroy y transmet les ordres du roi non
comme un simple commis, mais comme l'homme de con-
fiance d'Henri IV. Il explique les plans du maître, y joint
un commentaire personnel. Il tient ses correspondants
au courant des événements de la guerre. Quand surgit
quelque difficulté entre ces personnages et le Conseil, il les
aplanit de son mieux (3). Ces lettres forment un véritable
journal de campagne qui serait une source riche en ren-
seignements pour un historien de la guerre franco-espa-
gnole.
On a confié aussi à Villeroy à certains moments des
(1N. F. Fr. 7784, f» 295.
(2) Voir F. Fr. 35G8, fo» 15 et 23, Villeroy à Montmorency, 26 fé-
vrier et 3 mars 1598, fos 43 à 80, diverses lettres de mars à mai 1598.
Voir aussi F. Fr. 7784, lettres diverses de Villeroy à Nevers durant
innées 1595-1597.
(3) Le 17 juin 1595, il écrit à Nevers qu'il a fait tout son possible
auprès des membres du Conseil pour l'achat des chevaux d'artillerie du
duc. Le 4 juillet, il lui offre de pourvoir seul à ce que les trésoriers de
France à Moulins lui restituent ce qu'ils lui ont pris à Nevers.
LE MINISTRE d'hENRI IV 365
fonctions administratives. Après le siège de La Fère,
quand le roi, faute d'argent, dut licencier une partie de ses
troupes, il répartit ce qui restait dans les villes picardes.
Villeroy s'établit à Amiens et fit distribuer aux différentes
garnisons l'argent qui arrivait pour leur payement. Ce n'é-
tait pas une besogne aisée, car l'argent était rare, ne par-
venait pas régulièrement et les troupes menaçaient de se
retirer. Il fallait parlementer avec les capitaines pour qu'ils
se contentassent de peu et pour leur faire prendre patience
en attendant davantage (1). Pendant les deux mois de juil-
let et d'août 96, le roi qui se reposait à Monceaux avait laissé
à son secrétaire des fonctions de haute surveillance sur les
troupes. Il était par lui minutieusement informé de tout
ce qui se passait, môme des mouvements de troupes enne-
mies que Villeroy apprenait par des espions (2). Pendant
le siège d'Amiens, de mars à octobre 07, Villeroy exerça la
même mission, sous les yeux du roi. Déplus, il fut chargé
de payer aux hommes leur solde à chaque revue, «de peur,
nous dit de Thou, qu'il n'y eût de la fraude (3). » Grâce au
zèle de Rosny l'argent arrivait mieux. Mais Villeroy eut à
lutter plus d'une fois contre l'impatience des soldats et la
lenteur des financiers (4). Il dirigea aussi les services sani-
(1) Lettre de Villeroy à Henri IV, Amiens, 4or août 96. F. Fr. 15910,
f 349. Il annonce au roi l'envoi d'un état de la distribution de l'argent
apporté par d'incarville et lui exprime les inquiétudes que lui causent
les Suisses qui menacent d'aller trouver le roi et de se retirer définiti-
vement.
(2| fbid. — Le Recueil des Lettres missives (t. IV, p. 624 et suiv.)
contient 10 lettres écrites par le roi à Villeroy entre le 25 juillet el le
13 août. Beaucoup d'autres sont sans doute perdues. 3 lettres sont
datées du même jour (25 juillet, p. 624-625). Villeroy écrivait aussi
souvent à Henri IV, car celui-ci lui disait, le 25 juillet : « Vous un;
faites plaisir de m'écrire à toutes occasions. »
(3) De Thou. t. XIII, p. 114.
(4) Sully, Ec. Roy., I, p. 203. Voir la curieuse lettre de Villeroy à
Rosny, 14 septembre 1597.
366 VILLEROY
taires de l'armée, si l'on en croit Marbault qui enlève cet
honneur à Sully. Ces services furent si bien organisés que
la mortalité fut très faible et quele renom de l'hôpital atti-
rait dés malades de Paris (1). C'est là, semble-t-il, que se
bornèrent ses fonctions d'administrateur. Il serait exagéré
de faire de Villeroy, avec M. Poirson, un véritable ministre
delà guerre (2). Ce titre conviendrait plutôt au Connétable
de Montmorency qui, durant cette campagne, demeura à
Paris, pour rassembler les hommes, les vivres, les muni
tions et l'argent, d'accord avec Rosny et les membres du
Conseil d'Etat et des finances et les dirigea vers la Picar-
die (3). Avec le Connétable, Rosny fut le plus actif auxi-
liaire du roi : entré au Conseil des Finances en août 96, il
y avait peu à peu élargi sa place au détriment du surin-
tendant Sancy et il était devenu tout-puissant parmi les con-
seillers qu'il empêchait de « manger le cochon ensemble » :
il fut durant la guerre d'Espagne le grand pourvoyeur d'ar-
gent du roi (4).
Il semblait donc que dans cette lutte nationale tous les
efforts des serviteurs du roi fussent tendus uniquement
(1) Marbault, Remarques sur les mémoires. Ed. Mien., t. II, p. 37.
« Pour cet hôpital où les gens de qualité se faisaient porter, c'est une
fable : il est vrai qu'il y eut quelque ordre, n'y en ayant point eu aupa-
ravant à nos autres sièges. Mais c'est M. de Villeroy qui en avait le
soin, comme de faire payer les soldats à la banque. »
(2) Poirson, t. II, p. 320.
(3) Le roi et Villeroy lui écrivaient chacun tous les jours. Voir Let-
tres Miss., t. IV, p. 698 et suiv.
(4) N. Valois, Inv. des arrêts du Conseil d'Etat sous Henri IV,
Jntrod., p. Lxxni et suiv. — Sully, Ec. Roy., t. I, p. 224 et suiv.
LE MINISTRE d'hENRI IV 367
vers la préparation delà défense. Il vint pourtant un mo-
ment où il fallut préparer la paix.
Une première tentative avait été faite par le pape, dès le
mois de mai 96, pour réconcilier les deux nations catho-
liques. Le cardinal de Florence choisi comme légat vint en
France, fut reçu solennellement à Paris, le 21 juillet, à
Rouen, le 13 décembre. Mais ses démarches n'aboutirent
même pas à faire autoriser par le roi une entrevue de dépu-
tés des doux partis. C'était trop tôt ; après la perte de Ca-
lais, c'eût été acheter une honte plutôt qu'un repos (1).
Villeroy ne paraît pas avoir été d'un avis différent. Il
écrivait à Gondi le 12 janvier 96: « Nous n'avons aucune
envie de paix avec l'Espagne (2;. » Et depuis ce jour pas
un mot de sa correspondance ne peut faire supposer qu'il
ait envisagé plus favorablement des tentatives pour la paix.
Mais il voulait qu'on accueillît le Légat avec déférence et
empressement, sans s'engager avec lui de manière à réveil-
ler le zèle des alliés protestants, surtout des Anglais, trop
lents à secourir la France (3). Il réussissait si bien dans ce
jeu que les Anglais étaient réellement inquiets et accusaient
Villeroy de donnera Henri IV de mauvais conseils. Cette
méfiance avait d'ailleurs été excitée bien avant l'arrivée du
légat. Dès novembre 95, l'entourage d'Elisabeth se plai-
gnait hautement du ministre qui poussait le roi à menacer
la reine d'Angleterre de traiter avec l'Espagne si elle ne
l'assistait efficacement. Ils répandaient même le bruit que
Philippe II avait envoyé 200.000 écus en France pour les
distribuer aux personnages influents parmi lesquels Ville-
roy et Bellièvre ne devaient pas être oubliés. « Je ris de
telles inventions, disait Villeroy... C'est le principal d'avoir
M) Lettres Miss.. VIII, p. 685. Henri IV à Sillery, 13 déc. 97.
(ù) Villeroy à Gondi, 12 janvier 96, N. acq. fr. 5129. fo 8.
(3) Villeroy à Bellièvre, 27 juillet '.Ml, F. Fr. 15910, fo 347.
368 VILLEROY
l'âme netle et que le roi n'en doute point (1). » Après l'arri-
vée du légat, la reine d'Angleterre de plus en plus inquiète
mais affectant un air assuré, chargeait son représentant,
sir Mildmay, de dire à Villeroy qu'elle n'était nullement
étonnée d'apprendre que des personnages de l'entourage
du roi, préférant à tout leur intérêt, inclinaient vers l'idée
de traiter avec l'Espagnol, mais que Villeroy, grâce à sa
longue expérience des affaires, ne saurait céder à de tels
entraînements pas plus que son maître en la loyauté duquel
elle avait placé sa confiance (2).
Cette attitude un peu troublante de Villeroy avait donné
à réfléchir aux Anglais et contribué à les rendre plus con-
ciliants. Car jamais alliés ne s'étaient montrés plus revê-
ches et plus égoïstes à l'égard d'une nation amie, qui d'ail-
leurs le leur rendait. Elisabeth qui, de 1589 à 1594, avait
fourni sans trop marchander de nombreux secours à son
bon frère le roi de Navarre, avait changé de politique
depuis la conversion d'Henri IV et la résurrection miracu-
leuse de la France. Sous l'influence de son grand-trésorier
Cecil, elle était revenue à des calculs étroits d'intérêt; elle
redoutait maintenant la croissance du royaume et souhai-
(1) Villeroy à Bellièvre, 29 nov. 95, F. Fr. 15910, fo 274.
M. de Loménie a rapporté d'Angleterre des plaintes '< fondées sur
ceux qui sont cause que S. M. la menace [la reine] de traiter avec le
roi d'Espagne si elle ne nous assiste et semble qu'elle me fait auteur
de ce conseil parce que j'ai quelquefois écrit par delà que l'on donne-
rait un mauvais conseil à la reine de nous abandonner au besoin et
laisser prospérer notre ennemi. » Il raconte la fable des 200.000 écus
et ajoute : « Votre vertu et probité étant sans tache et mon malheur
m'ayant transporté hors de mon devoir comme il est advenu, Monsieur,
je voudrais de tout cœur que les auteurs de semblables avis eussent
la bouche aussi nette que nous avons les mains et fussent aussi jaloux
et déplaisants de la prospérité du roi d'Espagne que nous sommes. »
(2) Elizabeth à Sir Mildmay, 8 décembre 1596, tiré du Publ. Rec. off.
(State papers France, 117). cité par Lafileur de Kermaingant, L' Ambas-
sade française en Angleterre : Mission de J. de Thumery, sieur de
Boissisè, Paris, 18S6, 2 vol. in-8o, p. 75. Consulter cet ouvrage pour
l'étude des relations d'Henri IV avec l'Angleterre.
LE MINISTRE L>'hENRI IV 369
tait, sans oser l'avouer, que les forces vives de France et
d'Espagne s'épuisassent dans une lutte dont l'Angleterre
retirerait tous les bénéfices. Les Anglais commençaient
alors à développer magnifiquement leur puissance com-
merciale et maritime. Les guerres continentales étaient
une belle occasion pour établir leur domination sur la mer
du Nord, écarter des ports importants leurs rivaux français
ou espagnols, y acquérir des positions avantageuses. Les
deux pays rapprochés par un intérêt politique, la nécessité
de se défendre contre l'Espagne, par des sympathies reli-
gieuses, un lien traditionnel d'amitié entre le peuple an-
glais et les réformés de France, étaient profondément divi-
sés par des intérêts économiques. Aussi, après la déclara-
tion de guerre d'Henri IV à Philippe II, avait- on vu Elisa-
beth retirer, sous un prétexte honnête, les soldats qu'elle
avait envoyés en Bretagne. Henri IV avait patienté, mais
après la prise de Cambrai par Fuentès (octobre 95). avait
envoyé Loménie réclamer des secours. Le secrétaire avait
été très mal accueilli. En avril 1)6, après la prise d'un fau-
bourg de Calais par les Espagnols, Sancy était allé deman-
der à la reine l'appui des forces concentrées à Douvres.
Mais la reine voulait Calais ; elle offrit du secours à condi-
tion qu'on lui laissât mettre une garnison dans la ville. Le
roi refusa énergiquement. Mais pendant qu'on négociait,
les Espagnols s'étaient emparés de la ville. Le roi envoya
alors en Angleterre le duc de Bouillon pour se joindre à
Sancy et proposer à Elisabeth une ligue offensive et défen-
sive. La reine hésitait; la menace du danger espagnol,
la fermeté d'Henri IV et de son ministre des affaires
extérieures, finirent par fléchir à demi sa mauvaise volonté.
C'est alors qu'elle accorda une ligue par le double traité
de Greenwich (24 et '26 mai dont les conditions étaient,
de l'avis même de Villeroy, « incertaines et peu avanta-
geuses à la France » (1), mais qui était néanmoins un
(1) Mémoire, p. 8.
Villeroy. 24
370 VILLEROY
succès pour la diplomatie française. Le traité public pro-
mettait beaucoup. Le traité secret réduisait les secours à
2000 hommes de troupe et à '20.000 éeus de prêt. Le roi
s'engageait à ne pas faire la paix avec l'Espagne sans le
consentement de l'Angleterre et des Provinces-Unies. Les
Etats généraux des Pays-Bas qui s'étaient liés semblable-
ment à Henri IV lui prêtèrent peu après 450.000 florins.
Après le désastre d'Amiens, la cause de la paix parut faire
quelques progrès. Tout en faisant bravement le roi de Na-
varre, Henri IV fut plus disposé à écouter des propositions
pacifiques. Il laissa la diplomatie de Villeroy agir à Rome
dans ce sens. Luxembourg et d'Ossat encouragèrent Clé-
ment VIII à presser le roi d'Espagne d'offrir à la Erance
des conditions honorables. Quand le général des Corde-
liers que le pape avait adjoint à son légat vint en Erance,
le roi ordonna au connétable et à Bellièvre d'entrer en con-
versation avec lui (1). Il lui accorda même une audience ;
mais lorsque celui-ci lui eut exposé les conditions espa-
gnoles, la cession des villes picardes conquises par l'en-
nemi, l'abandon des alliés protestants, il refusa tout net
ce qui était contraire à l'honneur (mai 1597). Ce refus ne
signifiait pas une rupture. Villeroy pas plus qu'Henri IV
ne voulait qu'on cédât Amiens au roi d'Espagne. Mais il
estimait qu'on ne devait pas décourager les intermédiaires
obligeants envoyés par le pape et qu'il fallait trouver un
autre moyen d'entretenir la négociation (2).
En même temps, Villeroy continuait à pratiquer habile-
ment sa tactique accoutumée avec l'Angleterre. Sans rien
dire des entrevues avec le général des Cordeliers, il ne fai-
sait pas désavouer les bruits qui couraient sur la paix, es-
sayant d'obtenir par ce moyen des secours d'Angleterre.
(11 Henri IV au connétable, 29 avril 1397, Lettres Missives, t. IV,
p. 756.
(2) Villeroy à Bellièvre, 20 aoùi 1597, F. Fr. 13911, fo 100.
LE MINISTRE d'hKNKI IV 'M 1
Cette politique avait d'ailleurs peu de succès. Elisabeth
était redevenue jalouse, redoutait une victoire française,
et s'obstinait à engager très loin de France, sur les côtes
d'Espagne, les forces anglaises. C'est à grand peine qu'on
obtint d'elle de laisser en Picardie les "2000 hommes au delà
du terme de six mois spécifié par le traité de Greenwich.
Et de nouveau cette mauvaise volonté des alliés servit
les amis de la paix. Au mois d'août, les conversations re-
prirent avec le général. Pendant que le roi travaillait au
siège, Villeroy causait avec cet excellent homme qu'il
trouvait « affectionné au repos public » (1), assez favo-
rable à la France, et qui faisait de son mieux pour persua-
der à l'archiduc, selon les instructions de Villeroy, de se
mettre à la raison, comme le roi était prêt à le faire, c'est-
à-dire d'abandonner au roi ses villes picardes (2). Le mi-
nistre eut avec lui trois entrevues. Le cordelier propo-
sait de poursuivre l'œuvre de paix par une assemblée de
députés ou par l'entremise d'une personne neutre. Villeroy
inclinait vers ce dernier moyen; mais les négociai ions
furent interrompues par l'expédition du Cardinal-archiduc
qui, comme le roi, se battait pour l'honneur etaimait mieux
perdre Amiens dans une bataille que de la cr<\rv. Il semble
qu'à ce moment Villeroy ait eu sur l'opportunité de l;i lutte
un autre sentiment que le roi. Henri IV voulait la paix,
mais après avoir conquis Amiens. Son ministre estimait
qu'on s'était assez battu. Il redoutait les risques d'une aven-
ture militaire et aurait volontiers adopté une solution pro-
visoire telle que le dépôt d'Amiens aux mains du pape, qui
(1) Villeroy à Bellièvre, 24 août 1597, F. Fr. L5911, f° 102.
(2) Cette action de Villeroy nous est connue parla correspondance
manuscrite avec Bellièvre. Les historiens n'ont pas connu cette conti-
nuité dans les négociations et n'ont décrit que des événements militaires
entre la première entrevue où Henri IV repoussa les conditions 'lu légat
(début de mai) et la reprise définitive des négociations après la con-
quête de la place (octobre).
372 VILLEROY
eût permis de commencer tout de suite les négociations
définitives. Cette pensée intime ressort de la lettre qu'il
écrivit à Bellièvre le 31 août : « Pour moi, disait-il, je fais
plutôt son intention que la mienne; car je voudrais que
non seulement le dit général mais aussi le légat fussent ici
pour se jeter entre nos deux armées quand elles approche-
ront pour nous accorder plutôt que de nous laisser battre,
car vous savez combien sont douteux les événements de la
guerre. Mais il faut... en quelque sorte que ce soit suivre
la volonté de nos maîtres » (1).
Quand l'archiduc eut battu en retraite devant l'armée du
roi, Amiens se rendit ("25 septembre). Alors commencèrent
sérieusement les pourparlers de paix. Les deux nations
étaient épuisées par la guerre, et dans ce duel on avait reçu
et donné autant de coups de part et d'autre. Le 4 octobre,
à deux lieues d'Arras où était l'archiduc, en présence du
général des Cordeliers, eut lieu une première entrevue entre
Villeroy et Richardot. président du Conseil privé des Pays-
Bas (2). Cet homme d'état belge, loyalement dévoué au roj
d'Espagne, bourgeois modéré et clairvoyant, avait un tem-
pérament de politique fort semblable à celui de Villeroy.
Les deux ministres eurent toujours beaucoup d'estime l'un
pour l'autre, et cette sympathie fut un élément important
de conciliation, dans les rapports entre le gouvernement
de la France et celui des Pays-Bas espagnols, avant et
après la paix. Le 4 octobre, ils convinrent que, pour faire
un traité durable, il fallait « bâtir sur le fondement de la
dernière paix faite au Cateau-Cambrésis » . Villeroy recon-
(1) Le roi à Bellièvre, 31 août 1597, publiée par Halphen, Lettres
inédites d'Henri IV au chancelier de Bellièvre (15S1-1G01), 1872,
in-*", p. 221.
(2) Voir les Lettres missives, Henri IV au duc de Luxembourg, 6
octobre 1597, t. VIII, p. 676. — Voir le Mémoire historique concernant
la négociation de la paix traitée à Vervins Van 1598, 10G7, 2 vol.
in-12, et les Mémoires de la Liane, t. VI.
LE MINISTRE d'hENRI IV 373
mit pourtant que les Espagnols voulaient retenir Ardres et
Calais, et il dit à Richardot que l'ennemi conquerrait le
reste du royaume ou que le roi reprendrait ses villes avant
qu'ils ne le fassent consentir à cette cession.
Mais après l'échec de leurs tentatives militaires contre
les Anglais, les Espagnols se résignèrent à abandonner leurs
prétentions sur Calais et ils demandèrent la réunion d'un
congrès de députés. Le roi désigna en janvier Bellièvre et
Sillery comme plénipotentiaires. Après trois mois de dis-
cussions, Français et Espagnols conclurent le traité quimet-
tait fin à leur vieille querelle et rendait à la France son in-
tégrité territoriale. L'Espagne restitua les six villes con-
quises dans le Nord et la place du Blavet en Bretagne. Le
duc de Savoie rendit ce qu'il avait pris en Provence et pro-
mit de remettre à l'arbitrage du pape la solution du diffé-
rend de Saluées dont il s'était emparé en 1588. Le traité
fut conclu à Vervins, le 2 mai 1598.
Nous n'avons pas à entrer dans le détail des négociations
qui, selon les instructions envoyées par Henri IV et Yille-
roy, furent très habilement conduites par Bellièvre el Sil-
lery. Ces deux diplomates, qui devaient l'un après l'autre
devenir chanceliers de France, avaient déjà rempli avec
succèsdes missions en Suisse. C'étaient deux grands amis
de Villeroy, qui traitait le premier, beaucoup plus âgé, avec
plu- de déférence, le second, avec plus de familiarité. Us
n'eurent à faire montre d'aucune initiative importante
dans la conclusion d'un traité où, du côté des Espagnols,
ne fut soulevée aucune difficulté grave.
Henri IV et Villeroy eurent à résoudre la question com-
plexe et délicate des rapports avec les alliés de [a France,
qui retarda jusqu'en mai la conclusion du traité. C'est de
ce côté que se portèrent tous les efforts de notre ministre.
Les trois puissances unies à Greenwich s'étaient enga-
gées à ne pas traiter séparément. Les pourparlers avec le
374 VILLEROY
général des Cordeliers et le président Richardot commen-
cèrent sans que les alliés fussent avertis. Quelques jours
après l'importante conférence du 4 octobre, Yilleroy osait
dire à 'l'Anglais Edmond qu'il ne fallait attribuer aucune
importance aux bruits qui pourraient lui revenir de ses né-
gociations avec les Espagnols, que l'intention du roi était
de s'unir de plus en plus étroitement avec la reine d'Angle-
terre et que son ministre chercherait toujours « pour son
plus grand bien à le confirmer dans son opinion » (1). Yil-
leroy continua quelque temps, pour endormir les Anglais, à
jouer cette comédie, puis petit à petit il avoua la vérité. Il
fit connaître que les Espagnols nous proposaient la paix, mais
qu'on doutait de leur sincérité, et qu'en tous cas on ne fe-
rait rien au préjudice de l'alliance. Cependant la consigne
pour les envoyés du roi, Buzanval en Hollande, de Maisse
en Angleterre, était de poser un dilemme aux alliés : ou bien
aider énergiquement le roi dans une grande guerre faite
en commun contre l'Espagne, ou bien écouter avec lui les
propositions de paix que Philippe II était décidé à faire.
Or, Villeroy n'eut pas de peine à découvrir que les inten-
tions réelles des alliés allaient à l'encontre des intérêts du
royaume. Les Hollandais voulaient continuer la guerre à
l'Espagne, mais isolément, aux Pays-Bas, afin de ruiner le
commerce espagnol à leur profit. Les Anglais poursuivaient
une politique moins cohérente et moins franche; on crut
comprendre que leur principal désir était d'avoir Calais (2).
Toutefois, à ce moment, un ministre 1res bien disposé poul-
ies Anglais et désireux de continuer la guerre, eût pu
peut-être faire incliner le roi à la continuation de la lutte.
Henri IV était plus sensible que Villeroy au point d'hon-
(1) Lettre d'Edmond à Cecil, 19 octobre 1597, citée par Laffleur de
Kermaingant, p. 138.
(2) Lettre de Villeroy à de Maisse, 15 décembre 1597, citée par
Laffleur de Kermaingant, p. 146-147.
LE MINISTRE d'hf.NRI IV 375
neur. Il considérait que l'abandon des alliés aurait entaché
sa réputation; d'autre part j depuis ses succès devant Amiens,
il avait repris goût à la gloire militaire et la perspective
d'une nouvelle et brillante campagne ne lui aurait pas
déplu. Aussi, quand Ceci! fut envoyé en France par Elisa-
beth pendant les négociations de Vervins pour examiner de
prés la situation et voir s'il convenait à l'Angleterre de
faire durer la guerre, il reçut pour instruction de se
méfier des ministres qui conseillaient la paix et d'essayer
de discerner les intentions du roi de celles de son entou-
rage par de fréquentes conversations et des questions inat-
tendues, car on arrivait assez facilement à démêler la vé-
rité de la feinte chez Henri IV (1).
Les ministres anglais n'avaient pas tort de redouter
l'influence de Villeroy. S'il y avait quelque indécision dans
l'esprit du roi, le ministre au contraire était énergiquement
résolu à activer les négociations pour la paix. Il ne nous
fait aucune confidence précise à ce sujet, mais d'après les
lettres des envoyés anglais et sa correspondance diplo-
matique, on sent qu'il considère ces alliés comme des
fâcheux qui entravent celte paix si nécessaire au misé-
rable royaume. « Achevé/, donc voire ouvrage le plus tôt
que vous pourrez, écrivait-il à Bellièvre età Sillery au mois
de mars, sans vous arrêter davantage aux désirs et fantai-
sies de nos voisins auxquels le roi a eu trop d'égard ; car
il est certain qu'ils portent envie à S. M. du dit accord
et qu'ils feront ce qu'ils pourront pour le renverser. » Il
s'irrite presque des innombrables propositions de ces voi-
sins qui tendent à nous « entamer et faire broncher » (2 .
La reine écrivait elle-même à ses agents que comme prin-
cesse souveraine elle ne voulait plus avoir affaire avec les
(1) Voir Lafflcur de Kermaingant, p. 171.
(2) Villeroy à Bellièvre el Sillery, Mè moire..., ... mars 1398, t. 1,
p. lOo.
376 VILLKROY
ministres du roi, mais avec lui-même, et demandait de
quelle manière il entendait réparer les actes déloyaux
de ses négociateurs qu'elle ne croyait pas autorisés à en
user si indignement à son égard (1).
Cependant il étaitnécessaire de ménager lesformesavec
ces fâcheux, car il ne fallait pas pour l'honneur du roi
avoir l'air de les abandonner. Villeroy profita adroitement
de leurs maladresses. Il exploita contre eux la question de
Calais pour démontrer leur insupportable avidité (2). Il in-
sista sur les secours très grands qu'Elisabeth devait donner
au roi pour la continuation de la guerre. Il savait très bien
que Cecil n'avait aucune instruction précise à ce sujet,
que les Anglais voulaient agir séparément sur mer, sans
fournir de subsides aux Français ; et tout en leur grossis-
sant les difficultés de la coopération armée, il leur faisait
ressortir la modération des Espagnols, leur montrait la
paix comme presque conclue, les pressait de se décider (3).
Cecil sortait battu et mécontent de ses entrevues avec Vil-
leroy et s'écriait : « A quoi bon plaider plus longtemps
contre ceux dont la maxime est que l'honneur des princes
git toujours à bien faire leurs affaires (4) ? »
Peut-être les Anglais déroutés par cette ténacité, sentant
la paix inévitable, auraient-ils incliné vers cette dernière-
solution, si les Etats de Hollande n'avaient eu la volonté
ferme de poursuivre la guerre. Eux aussi voulaient la con-
(1) Voir la lettre citée par Laffleur de Kermaingant, p. 193.
(2) Lettre de Villeroy à de Maisse, 15 décembre 1597, citée par Laf-
fleur de Kermaingant, p. 146. Le roi àBellièvre et Sillery, 9 avril 1598.
Bellièvre et Sillery à Villeroy, 13 avril.
(3) Villeroy àBellièvre, mars 1598. Mémoire, t. I, p. 105. Le 12
lévrier, Bellièvre et Sillery avaient écrit au ministre (Ibid , 1, p. 52).
« Si nous nous arrêtons aux conseils de la Reine d'Angleterre et des
Etats, nous aurons dix ans de guerre et jamais de paix : si vous vous
attendez qu'ils fassent nos affaires, vous vous trouverez fort trompés. »
(4) Cecil aux Loxds, 19 avril 1598, Laffleur de Kermaingant, Ibid.,
p. 206.
LE MINISTRE D HENRI IV 377
limier à des conditions dont les pacifiques n'avaient pas de
peine à démontrer l'insuffisance pour la France. Quand ils
se décidèrent à proposer des conditions meilleures, il était
trop tard. En effet, lorsque les négociations commencèrent
à Vervins, ils résolurent d'envoyer à la cour une ambassade
extraordinaire pour détourner le roi de conclure la paix
et l'engager à se lier plus étroitement avec les Hollandais.
L'avocat Oldenbarnevelt, l'amiral de Zélande Justin de
Nassau, François Aerssen, qui devait rester en France
comme chargé d'affaires des Etats, furent reçus à Angers
par le roi avec une grande affabilité, le 5 avril 98, et visités
deux jours après par Villeroy, de Maisse et Buzanval qui
leur démontrèrent qu'il était trop tard pour rompre la paix :
le roi avait reçu des offres satisfaisantes de l'Espagne, et
ne pouvait, mal soutenu par l'Angleterre, continuer seul
la guerre sans ruiner totalement son royaume. Lesenvoyés
firent des offres superbes: 450.000 florins pour l'entretien
de 4000 soldats pour l'année 98 et toutes leurs forces mises
à la disposition du roi où et comme il voudrait. Ils expo-
sèrent sans succès, une dernière fois, leurs revendications
et leurs offres dans une conférence solennelle à laquelle
assistaient avec Villeroy, le Chancelier, d'Epernon, Bouil-
lon, Schomberg, Sancy, Buzanval, de Maisse el Duplessis,
sous la présidence de l'ambassadeur anglais Cecil. Quel-
ques jours après, la paix était signée, sans les Anglais et les
Hollandais qui continuaient la lutte (1).
On avait attribué la nécessité de cette séparation au mi-
sérable état du royaume et au mauvais vouloir des alliés
eux-mêmes qui ne faisaient pas au roi des conditions
raisonnables. On ménagea encore les apparences par un
nouveau témoignage de bonne volonté. On obtint de l'Es-
pagne qu'elle accorderait aux alliés, s'ils le voulaient, une
trêve de deux mois et qu'ils seraient compris dans le
(1) Voir nos Lettres inédites de François d' Aerssen, p. 10.
378 VILLEROY
traité, s'ils le demandaient dans les six mois qui suivraient
la signature de la paix. Malgré quelques accès de mau-
vaise humeur contre Villeroy, Elisabeth ne put donc en
vouloir-sérieusement à la diplomatie française. Nous savons
qu'après le traité, la reine essaya de s'entendre avec les
Etats et chercha à user en faveur de la paix du délai de
six mois accordé à Vervins; mais elle dut céder à l'obsti-
nation des Hollandais.
Ainsi, la suprême habileté de la diplomatie française,
grâce surtout à la souplesse de Villeroy, fut d'arriver à sé-
parer doucement la France de ses alliés pour conclure le
traité de Vervins, engardantpour nous de fortes apparences
de raison, en atténuant rapidement leurs ressentiments et
en ménageant pour la suite la reprise de bons rapports.
Villeroy fut considéré à justetitre comme un des princi-
paux auteurs du traité de Vervins. A la fin du mois de juin,
Francesco Contarini alla lui présenter ses compliments
comme à celui qui avait « en main et en son pouvoir quasi
tout le gouvernement » (1) et qui avait dirigé l'œuvre de
paix à laquelle avaient collaboré Bellièvre et Sillery,
comme de très prudents et très fins auxiliaires.
III
Les auteurs de la paix de Vervins avaient cru régler pour
longtemps nos vieilles querelles avec les puissances qui
avaient soutenu la Ligue. Le roi avait regagné ses villes
picardes et bretonnes prises par l'Espagne. Il allait, croyait-
on, rentrer en possession de Saluées dont le duc de Savoie
s'était emparé brutalement en 1588 et qu'il avait gardé au
(1) Contarini à la Sérénissime République, 26 juin 98. F. Ital. 1747, fo
49. — Âerssen dans une lettre à Valckc (13 septembre 1602) appelait
Villeroy et Sillery « deux pères de la paix d'Espagne ».
LE MINISTRE L) HENHI IV
379
mépris de tout droit pendant les guerres civiles. Charles-
Emmanuel s'était engagé au traité de 98 à soumettre la
question à l'arbitrage du pape étonne doutait point que le
bon droit de la France ne fût bientôt reconnu. Aussi tous
les efforts de Villeroy et de ses diplomates tendirent-ils,
à partir de mai 1598, au recouvrement de Saluées.
Villeroy croyait, comme toute la France d'alors, que l'hon-
neur et l'intérêt clu royaume commandaient impérieuse-
ment cette restitution. On ne pouvait permettre, sans aveu
de déchéance, de laisser entre les mains d'un petit prince
une portion du territoire national dont il s'était injuste-
ment emparé pendant que l'Etat français était faible.
« Notre cause est bonne, disait Villeroy, puisque l'on veut
retenir'le nôtre contre la foi donnée (1). » Ce n'était qu'un
morceau de terre enclavé dans le Piémont, sans lien avec
la frontière des Alpes, mais il permettait aux Français,
comme disait le duc, de « se nicher en Italie ». Ces deux
villes de la vallée du Pô, Carmagnola et Saluzzo, étaient à
moins d'une journée de Turin. Elles tenaient en bride le
duc, surveillaient les Espagnols, rassuraient les princes et
républiques amies de la France, qui savaient qu'en cas de
danger, les Français pouvaient facilement descendre en
Italie à leur secours. On comprend l'acharnement du duc
Charles-Emmanuel III à garder cette position, sans laquelle
il ne pouvait espérer faire figure de grand prince, ni mémo
de prince simplement indépendant. Nous verrons plus
d'une fois à l'œuvre. cet esprit impétueux, brouillon, sans
scrupules et doué d'une formidable ambition. Toutefois il
faut reconnaître qu'en essayant de retenir indûment le
marquisat en 1598, il ne cherchait pas par plaisir une mau-
vaise querelle, il poursuivait une œuvre de salut natio-
nal (2).
(1) Villeroy à La Rochepot, 27 juillet 1600. F. fr. 10137, fo 32.
(2) Les historiens reconnaissent justement en lui un ancêtre des
380 VILLEROY
Ce conflit très grave entre le droit de propriété du roi de
France et l'intérêt vital de l'état savoyard ne put être réglé
par l'intervention du pape qu'avait prévue la diplomatie
française. Clément VIII, caractère timide et irrésolu, qui
n'avait accepté qu'à contre-cœur cette médiation, s'effraya
bientôt des difficultés de sa tâche ; se trouvant en butte
aux sollicitations de l'Espagne et de l'empereur qui, pour
exclure les Français d'Italie, soutenaient les prétentions de
la Savoie, il fit traîner en longueur la négociation. L'année
98 s'acheva sans qu'on eût commencé à discuter. Pour la
première fois, au mois d'avril de l'année suivante, se réu-
nirent les délégués du duc avec ceux d'Henri IV dont le
plus éminent était d'Ossat. Ils ne purent arriver à une
entente. On chercha à prolonger le terme du compromis
qui allait finir. Le roi de France consentit à de nouveaux
délais et demanda que le marquisat fût remis entre les
mains du pape. Clément VIII, effrayé de cette responsa-
bilité nouvelle, se récusa (1).
C'est alors que Charles-Emmanuel résolut d'être son
propre diplomate et de traiter directement avec Henri IV
l'affaire de Saluées. Il arriva en cour, le 17 décembre 1599.
Tout de suite, il essaya d'éblouir le roi par de magnifiques
projets d'entreprises faites en commun par les deux princes
alliés, car il se disait décidé à abandonner l'Espagne, si
Henri IV lui cédait le marquisat. Voulait-il prendre au
piège Henri « comme un oiseau niais » (2) ? On ne savait
jamais si le duc était sincère ou faux ; il se conduisait
comme un brasseur d'affaires plein d'imagination et dénué
fondateurs de l'unité italienne. Carutti dans sa Storia délia diplomazia
délia Corte di Savoia, 18T5, in-S. t. I, p. 493, définit le but du duc:
« Essere padrone in casa, piu non udire dalla regia di Torino il suono
del tamburo francese a Carmagnola. »
(1) Philippson, Heinrich IV und Philipp III, t. I, p. 86 et suiv. —
Voir aussi sur ces négociations les lettres de Tassis, 13 et 20 mai, 26
et 28 juillet 1599. Pap. Simone. K. 1602, p. 44, 65, 69, 74.
(2) Selon le mot du roi à Sully. Voir Sully, Ec. lioij., t. I, p. 321.
LE MINISTRE d'hENRI IV 381
de scrupules, prêt à se donner à qui lui assurerait les plus
beaux bénéfices. Quoi qu'il en fût, le roi ne se laissa pas
circonvenir. Sa prudence habituelle reparut sous ces appa-
rences de bonhomie et de franchise qui parfois donnaient
aux étrangers l'illusion qu'on pouvait facilement le trom-
per. Il se montra un excellent hôte, mais fronça les sour-
cils quand Charles-Emmanuel parla de Saluces et il lui dit
qu'il fallait laisser débrouiller cet écheveau par les minis-
tres (1).
De part et d'autre, on désigna donc les personnes qui se-
raient chargées de régler l'affaire. Le roi nomma, avec Vil-
leroy, le connétable, le chancelier, Biron, Rosny et de
Maisse. Le chancelier de Bely, le marquis de Lullin, Morel,
Jacob, et des Alimes représentèrent le duc. Ils se réunirent
le '24 janvier dans la maison de Montmorency, en présence
du patriarche de Constantinople choisi comme média-
teur (2). Les députés du roi soutinrent que l'affaire ne pou-
vail être conclue que par la restitution de Saluces ou la
guerre. Le duc proposa un moyen terme : un échange de
territoires. Il céderait ses droits sur Genève, sur des terres
tenues par les Bernois et sur une partie de la Bresse, si
on lui laissait Saluces qui serait érigé en fief perpétuel du
roi. On lui répondit qu'il fallait laisser en dehors de l'affairé
les alliés suisses du roi, qu'on voulait avant tout la resti-
tution du marquisat, qu'on consentirait peut-être à donner
satisfaction au duc sur ce point, mais à condition qu'il fit
des offres réellement dignes du roi. Alors les députés sa-
voyards accrurent la portion de la Bresse qu'ils voulaient
donner en échange. C'était encore insuffisant. Les Fran-
çais voulaient toute la Bresse et au delà des monts Pigne-
rol et le Val de Suse. Ainsi, le gouvernement considérai)
comme nécessaire au rovaume la conservation d'une cita-
(1) Carutti, t. I, p. 505.
(2) Tassis au roi, 21 décembre 1599. Pap. Simanç , K. 1002, p. 123.
382 VILLEROY
délie française au delà des monts, quel que fût son nom. Les
ministres français étaient d'accord sur ce point essentiel.
Aucun des contemporains qui les approchèrent à ce
moment n'a remarqué de divergence d'idées entre eux, ni
les ambassadeurs toscans et vénitiens qui s'intéressaient
passionnément à des questions d'où pouvait sortir la guerre
pour leur pays, ni l'envoyé hollandais Aerssen qui souhai-
tait un conflit entre Français et Espagnols. L'envoyé
florentin montre Villeroy, Rosny, Bellièvre et de Maisse
d'accord pour réclamer avec acharnement la restitution du
marquisat et même pour repousser au début les proposi-
tions de ceux qui inclinaient à quelque concession envers
le duc (1). C'était aussi l'opinion de deux personnages en
étroite communion d'idées avec Villeroy : Jeannin écrivait
un Avis au roi (2), et d'Ossat ne cessait d'écrire de Rome
qu'il ne fallait pas céder ce territoire à l'usurpateur qui
avait montré « n'estimer pas une nèfle le roi de France et
toute la France ensemble » (3).
11 n'y aurait point lieu d'insister sur l'accord de Villeroy
avec ses collègues sur ces principes essentiels de la poli-
tique française, si les Économies Royales, mal interpré-
tées, n'avaient favorisé une certaine équivoque. Rosny fut
dès le début le plus acharné à réclamer la restitution du
marquisat. Mais dans son horreur des moyens dilatoires,
il voulait l'exiger avec énergie et, en cas de refus, com-
mencer la guerre le plus tôt possible. Il venait de réunir
les quatre charges de superintendant des finances, de l'ar-
tillerie, des bâtiments et des fortifications et faisait « ron-
(1) Giovannini au grand-duc, 4 janvier 1600. Desjardins, t. V, p. 406.
(2) Négoc. du président Jeannin, Ed. Mich.,p. 673. Nous ne savons
dans quelle circonstance Jeannin fut appelé à donner au roi cet avis
qui porte la date de 1599.
(3) D'Ossat à Villeroy, 2 mai 1599, Lettres, t. Il, p. 62. Voir les
lettres de d'Ossat des 17 février, 23 mars, 2 mai, 22 juillet, etc., t. 11,
j). 22, 34. 62, 191.
LE MINISTRE D HEN11I IV 383
fier » l'Arsenal où Charles-Emmanuel put admirer avec
une certaine inquiétude une quarantaine d'affûts et de
roues, vingt canons nouvellement fondus et du bronze pour
en fondre vingt autres (1). Il dut regretter que le duc de
Savoie fût venu en personne à la cour pour négocier. Il
eût voulu le faire raccompagner par 1500 fantassins, 2000
cavaliers et vingt canons et le sommer, une fois rentré dans
ses états, de rendre Saluées. Une bonne démonstration
militaire aurait fait rendre justice au roi plus promptement
que les écritures et les discours des hommes de plume.
Villeroy et Bellièvre, selon leur méthode habituelle, vou-
laient épuiser tous les moyens de conciliation pour faire
l'économie d'une guerre. Le chancelier allait répétant : « Il
faut agir doucement et y bien penser », et cette parole met-
tait le surintendant hors de lui (2).
Cependant, il y avait autre chose, dans ces manières pru-
dentes, qu'une peur de la guerre et de ses incertitudes. Il
y avait le désir de mettre tout à fait le duc dans son tort, de
le convaincre publiquement de mauvais vouloir, de l'isoler
moralement du reste de la chrétienté. L'événement donna
raison à la politique de Villeroy, puisque les Espagnols
n'osèrent pas soutenir ouvertement le duc, et que le pape
lui donna tort. Mais l'événement donna aussi raison à
Rosny puisqu'il fallut faire la guerre et que celte guerre
fut heureuse parce qu'elle avait été bien préparée par h'
grand-maître de l'artillerie.
Nous ne sachons pas que le duc ait tenté de corrompre
des hommes politiques. D'Aubigné, qui était à ce moment
à la Cour, évalue à 400.000 écus « la jonchée d'or » du Sa-
voyard, mais ilnotequecela s'en allait « en valets de chambre
et de garde-robe, huissiers, bouffons, nains el fournisseurs
de cartes » (3). Ces largesses d'un prince fameux par sa
(1) Sully, Ec. Roy., t. I, p. -323.
(2) Giovannini au grand-duc, s août IGOO, Desjardins, t. V, p. 432.
(3) D'Aubigné, Hist. unie, t. IX, p. 310. 11 ajoute que ces largesses
384 VILLEROY
générosité et son goût de l'ostentation n'étaient pas dan-
gereuses. Il travaillait alors beaucoup plus sérieusement
à ruiner les desseins d'Henri IV en jetant les fondements
de la conspiration de Biron.
Quand Sully dicta ses mémoires, son imagination qui
grossissait tout lui représenta que cette guerre était son
œuvre personnelle. Il lui sembla que la reprise de Saluées
était sa propre politique et que ceux qui voulaient toujours
négocier étaient des gens à qui ce butétait indifférent. C'est
lui que le duc voulait particulièrement séduire lorsqu'il lui
envoya son portrait sur une boîte de diamants de 15000écus.
Sully a insisté complaisamment sur la scène du refus, mais
il ne nous dit pas si ses collègues reçurent de telles offres
et les refusèrent et il ne faudrait point en conclure que sa
conduite ait formé contraste avec celle des autres (1).
Cependant, on était arrivé au milieu de février. Le séjour
prolongé du duc commençait à inspirer quelques soupçons
à la cour. Le roi le fit prier de prendre une décision. Le
17 février, il consentit à signer un traité où il s'engageait
à opter, dans un délai de trois mois, entre la restitution
du marquisat et la cession de la Bresse avec Bourg, de la
vallée de Barcelonnette, du Val de Stura et de Pignerol.
« Nous avons tant tourné à l'entour du pot avec M. de Sa-
voie, qu'enfin nous sommes tombés dedans, écrivait Ville-
roy, c'est-à-dire que nous avons fait l'accord... duquel je
désire que S. M. fasse son profit (2). »
eussent fait du mal, « s'il en eut obligé vingt mestres de camp et cent
capitaines français ».
(1) 11 se produisit un autre incident qu'il ne faut pas interpréter
comme l'a voulu Sully. Au début des séances de la commission franco-
savoyarde, la présence de Rosny provoqua quelques objections, à cause
de la présidence du patriarche auquel il répugnait de siéger avec un
huguenot. Le surintendant a laissé entendre que ce fut un coup monté
par le chancelier et Villeroy pour l'exclure des délibérations. 11 est aussi
peu vraisemblable que le roi qui avait une très grande confiance en
Villeroy et Bellièvre, lui ait dit à l'oreille : « Prenez bien garde à tout,
que l'on ne me trompe pas ». (Ec. Roy., t. I, p 325.)
(2) Villeroy à Boissise, 26 février 1600, F. Fr. 4128, f 168. Voir
LE MINISTRE D'HENRI IV 385
La diplomatie française fut pendant plusieurs mois en-
core, grâce à Villerov et au chancelier, d'une extrême pa-
tience. Le duc obtint au mois de mai un nouveau délai.
Cette lenteur mettait Sully hors de lui. Si on l'avait écouté,
cinq ou six semaines auraient suffi pour conquérir la
Bresse et la Savoie (1). Villerov était-il dupe des bonnes
paroles du duc? Affirmer cela serait mal connaître sa nature
méfiante et sa science des caractères. Nous savons qu'une
foule d'avis lui parvenaient pour le mettre en garde contre
la duplicité du Savoyard (2). Mais il voulait qu'on épuisât
tous les moyens de conciliation jusqu'au momentprécisoù
la dignité du roi exigerait la rupture. Il était surtout très
préoccupé de la conduite qu'adopterait l'Espagne. Il avait
de fortes raisons de croire que le jeune successeur de Phi-
lippe II. moins ambitieux et moins actif, ne romprait pasà
la légère la paix de Yervins pour soutenir un duc de Savoie;
mais il savait que la réalité renverse souvent les plus beaux
échafaudages de prévisions et il n'était pas homme à se
confier au hasard. Le danger pouvait venir de Fuentès, le
nouveau gouverneur du Milanais, qui détestait le roi de
France et perpétuellement complotait contre lui au risque
d'entraîner malgré eux les deux pays dans une guerre (3).
Villerov essayait de s'informer des intentions de l'Espagne
par l'ambassadeur La Rochepot qui cherchait aussi à dé-
montrer à la cour de Madrid la justice delà cause trançaise.
« Notre cause est bonne, écrivait Villerov à la Rochepot,
aussi sur le séjour du duc à Paris, les lettres de Tas<is des 17 janvier,
12, ^T et 28 février 1600, Pap. Simanc. K. 1603, p. 6-18.
(i\ Desjardins, p. 430.
(2) 11 reçut des avis de du Passage et du comte d'Esears (Sully, AV.
Roy., p. 321», de Lesdiguières (Actes et corresp., t. I, p. 352), de
d'Ossat, qui, le 3 août 1600, lui écrivait a propos de Saluées : « Ne vous
attendez pas de l'avoir que par force ».
(3) Le 21 mars 1600, Villerov écrit a Bois.sise que le projet de venue
de Fuentès en Italie, rendra nécessaire le départ du roi pour Lyon
(F. Fr. 4128, i'° 157). '
Villeroy 25
386 VILLEROY
puisque l'on veut retenir le nôtre contre la foi donnée (1). »
A Rome, d'Ossat faisait les mêmes offices. Il fallait avoir
pour soi la neulralitéde l'Espagne et la sympathie du pape.
Yilleroy souhaitait aussi des sympathies plus actives. Par
l'envoyé toscan, nous savons qu'il était d'avis de ménager
une ligue défensive entre le roi, les Florentins et les Véni-
tiens (2).
IV
Telles étaient les causes réelles des lenteurs de la diplo-
matie française. 11 vint pourtant un moment où Henri IV
considéra qu'il avait assez attendu et qu'il fallait user
d'autres procédés. Il se rendit à Lyon au début de juillet
1G00. Villeroy avait conseillé ce voyage comme un moyen
d'intimidation qu'il espérait encore devoir suffire (3), Rosny,
comme le prélude d'une campagne militaire (4). On essaya
encore vainement de la diplomatie. Les députés que le duc
envoya au roi et qui traitèrent avec Villeroy ne firent que
chicaner sur la convention du 17 février pour obtenir des
modifications avantageuses (5). Tout le monde comprit
(1) Villeroy à La Hochepot. 27 .juillet 1600, F. Fr. 10137, fo 32.
Voir aussi sur ces préoccupations de Villeroy, Tassis au roi, 8 août
1000, K. 1603, p. 78-79.
(2) Desjardins, t. V, p. 430.
(3) Villeroy à Boissise, 26 juin 1600, F. Fr. 4128, f° 102. — Ville-
roy écrivait qu'il n'avait pas « bonne opinion de l'intention de M. de
Savoie » et qu'il n'y avait « rien qui pouvait mieux l'amender que la
ce de S. M. »
(4) Rosny eut même, si nous en croyons les Ec. Roy. (I, p. 33"),
une discussion vive avec le chancelier, qui lui reprochait de vouloir
renverser la paix de Vervins. Il lui répondit de faire sa charge et de
laisser faire aux gens de guerre la leur.
(5) Villeroy à Rosny, 31 juillet 1600, Ec. Roy. 1, p. 350. Villeroy
à .Montmorency, 29 juillet 1000, F. Fr.
LE MINISTRE d'hENRI IV 887
qu'il ne voulait pas céder le marquisat et qu'il cherchait à
ajourner les hostilités au début de l'hiver. Les conseillers
les plus pacifiques se rallièrent alors à l'idée d'une expédi-
tion militaire. Le 6 août, le roi. n'ayant reçu aucune ré-
ponse de Charles-Emmanuel à une dernière sommation,
prenait la résolution de commencer la guerre. Le 7. linon
se mettait en marche pour la Bresse, Lesdiguières pour la
Savoie. Le 8, Villeroy écrivait, non sans tristesse, à Mont-
morency: « [Le duc] nous porte par force et par nécessité
à la guerre, de quoi j'en vois plusieurs qui ne sont pas si
marris que j'avoue que je le suis, car il me semble que le
royaume avait besoin de jouir plus longtemps de la paix,
mais c'est un faire le saut que nous n'avons pu éviter en
conservant la réputation du roi (lj... » Jusqu'au dernier
moment, il avait espéré que la menace suffirait. Même au
cours des négociations si peu sérieuses engagées avec les
trois députés de Savoie, il avait un moment espéré que la
venue de Rosny et de son artillerie ferait sur le duc une
impression salutaire (2).
Pendant la guerre de Savoie, Villeroy resta auprès
d'Henri IV. Il séjourna avec lui à Grenoble dans les pre-
miers jours d'août, pendant que Biron prenait Bourget que
Lesdiguières emportait la citadelle de Montmélian. !1 suivit
son maître lorsqu'il entra dans Chambéry et força l'entrée
de la Tarentaise. Quand le roi fit sommer la ville de se
rendre, c'est Villeroy qui conclut la capitulation avec le
gouverneur Jacob qui du haut de la muraille négocia avec
lui (23 août) (3). Il donnait son avis dans les conseils de
guerre que tenait le roi pour décider des opérations les
plus importantes. Il était naturellement du côté des plus
(1) Villeroy à Montmorency, 8 août 1600. Voir aussi une dépêche
de Contarini au Sénat de Venise, du 21 juillet, F. Ital. 1740, fo 73.
(2) Villeroy à Rosny, 31 juillet, Ec. Roy., t. I, p. 350.
(3) Bassompierre, Journal de ma vie, Ed. de Chantérae, 1870, in-So,
t. I, p. 82.
388 ViLLEROY
prudents. Il eut plusieurs fois des « picoteries » avec
Rosny, stratégiste hardi, plein de foi dans 'la puissance
de son artillerie, avide de brillants coups de main et de
succès personnels. Quand Ton songea à s'emparer de
Charbonnières qui commandait la Maurienne, il fut avec
d'Epernon, Guiche et Soissons pour démontrer les difficul-
tés d'une telle entreprise, contre Lesdiguières, Créqui et
Rosny qui promettaient d'enlever la place en huit jours (1).
Les hardis avaient raison. Le roi suivit la volonté ardente
de son grand-maître de l'artillerie. Quand les habitants
de Charbonnières voulurent se rendre, Henri IV laissa
Yilleroy, Lesdiguières et Rosny, discuter les conditions.
Rosny trouvait les demandes des assiégés excessives, hon-
teuses pour le roi. « Monsieur, disait Yilleroy, il fautavoir
la place comment que ce soit ». Rosny persista à vouloir
enlever la position de force. Villeroy inquiet et mécontent
le pria d'arrêter la canonnade. « Monsieur, avisez ce que
vous ferez, car si nous n'avons la place aujourd'hui, nous
serons obligés de dire au roi qu'il n'a tenu qu'à vous. » —
« Or, Monsieur, répondit Rosny, dites ce que vous voudrez,
je m'en vais faire ce que je dois. » Rosny finit par avoir
raison et prit la ville le même jour (2).
Yilleroy n'avait à aucun degré le tempérament d'un mi-
litaire. Il avait horreur des coups aventureux. Il n'était
rassuré sur le sort d'une entreprise que lorsqu'on la com-
mençait avec une incontestable supériorité de forces. De
plus, il tremblait perpétuellement à la pensée qu'un misé-
rable accident pouvait mettre en danger la vie du roi (3). Le
7 septembre, à la nouvelle qu'Albigny arrivait avec 4 ou 5000
hommes pour secourir les assiégés de Montmélian, il écri-
vait: « Quand nous serons ici un peu plus forts, ceux qui
M Sully, Ec. Rny., t. I, p. 336.
(2) Sully, Ec. Roy., t. 1. p. 336.
[l) Villeroy à Montmorency, * septembre 1600, F. Fr. 3591, f'130.
LE MINISTRE D'HENRI IV 389
me ressemblent n'en seront point mécontents, mais nos
guerriers s'en moquent » (1).
Aussi comprend-on qu'il ait accueilli avec joie les pre-
mières tentatives sérieuses pour la paix. Elles vinrent du
pape Clément VIII dont l'unique rêve était de réconcilier les
nations catholiques. Charles-Emmanuel battu, se voyant
privé des secours d'Espagne sur lesquels il comptait, et de
l'aide de Biron, qui ne trahit pas, accepta avec empresse-
ment. Le roi d'Espagne, par l'intermédiaire du duc de
Sessa, son ambassadeur à Rome, inquiet des progrès du
roi de France, avait sollicité sous main cette médiation. Le
cardinal neveu, Pietro Aldobrandini, désigné par le pape,
eut une entrevue à Tortone avec le duc qui lui donna
des pouvoirs pour traiter. Il vit aussi le gouverneur du Mi-
lanais, et acquit en chemin la conviction que les Espagnols
et les Savoyards voulaient enlever Saluées aux Français ;
Saluées au pouvoir de Charles-Emmanuel assurait pour les
premiers la tranquillité de la Lombardie, pour les autres la
sécurité du Piémont. Le légat passa les monts et vint
trouver le roi à Chambéry dans les premiers jours du mois
d'octobre. Henri IV lui parut avoir des prétentions trop
élevées, 'parler trop en vainqueur. Peu de temps après la
première entrevue, Villeroy vint trouver le légal au nom
d'Henri IV afin de jeter les bases d'une négociation régu-
lière. Le légat fut très satisfait du sincère désir de paix que
montrait le ministre, et de la manière agréable et insi-
nuante avec laquelle il savait traiter. Villeroy l'engagea à
faire venir le plus tôt possible en France les députés du
duc de Savoie (2).
(1) Villeroy à Montmorency, 7 septembre 1600, F. Fr. 3591, f° 140.
(2) Bentivoglio, Memorie, t. II, p. 359 et suiv. Sur les négociations
de ia paix de Lyon, voir Ricotti, Storia délia monarchia piemontese,
1865, in-8°, t. III, p. 291 et suiv., Carutti, Storia délia diplomazia délia
Corte di Savoia, t. III, Baux, Histoire de la réunion à la France des
390 VILLEROY
Les négociations tout d'abord avancèrent très lentement.
Les députés de Savoie tardaient à venir. La guerre conti-
nua. Pendant tout le mois de novembre, on fut dans une
grande-incertitude. Le roi hésitait entre la paixet la guerre.
Sully et Lesdiguières qui pressait gaillardement le siège
de la citadelle de Montmélian demandaient au roi la conti-
nuation des opérations. Ils remontraient qu'il n'était point
besoin de témoigner tant de déférence au pape qui « n'a
condescendu aux désirs du roi que quand il n'a pu les tra-
verser », ni tant craindre le roi d'Espagne qui à cette
époque « n'a aucun moyen de traverser les desseins de
S. M. » On commençait à redouter les « esprits inquiets »
en France : le roi recevait des avis l'engageant à se méfier
de Biron et de Bouillon : Sully, nous rapporte encore
«l'Aerssen, expliquait au roi la théorie contre laquelle Yil-
leroy s'opposera toujours, à savoir que « le vrai moyen de
mettre le royaume en repos est d'entretenir une guerre
étrangère vers laquelle on peut faire couler comme par un
égout les humeurs remuantes de cet état » (1).
Sully et Lesdiguières étaient seuls à soutenir cet avis.
Les autres, Villeroy en tète, remontraient au roi les obliga-
tions qu'il avait envers le pape : l'absolution, la paix de
Yervins, le « démariage » et tout ce que l'on pouvait espé-
rer de bien par la bonne entente avec Clément VIII : ils
lui disaient qu'il ne fallait pas s'attirer l'hostilité du roi
d'Espagne et le pousser à entrer en guerre pour soutenir
provinces de Bresse, Bugey et Gex, 1852, in-8. Philippson, Heinrich
IVund Philippin, t. 1, Manfroni, (larlo Emanuele I e il trattato di
Lione, in-8, 1891 ; du même, Nuovi document! intorno alla legazione
del cardinal Aldobrandini in Francia (1600-HiOl), Archivio délia
-Soc. Rom. di Storia patria, t. XIII. Voir aussi notre publication des
lettres de F. d'Aerssen.
(1) Aerssen à Valcke ; voir les lettres adressées par Aerssen à Yaleke
et publiées par nous : elles donnent d'abondants renseignements sur la
guerre de Savoie. (Lettre du 21 novembre et suiv., p. 9d et suiv )
LE MINISTRE D HEN1U IV 391
le duc et que la paix était nécessaire pour combattre les
« esprits ulcérés guettant l'occasion de remuer » (1).
Henri IV finit par pencher du côté des pacifiques. Il est
impossible de se rendre compte exactement comment il
fut amené à cette décision. C'est le point qui est demeuré
le plus obscur dans cette histoire de la guerre de Savoie. A
travers les dépêches des étrangers, les lettres et les mots
du roi, et les Economies elles-mêmes, on sent qu'Henri IV,
après quelques hésitations, fut disposé à la paix, voulut
rester d'accord avec le Pape, continuer les relations assez
bonnes inaugurées avec le roi d'Espagne qui manifestait
l'intention de rester en repos ; en outre il parut fort pré-
occupé des menées du duc de Bouillon et de quelques
avis qu'il avait reçus sur les allures inquiétantes de Biron.
Il est fort probable que les rapides victoires de la cam-
pagne de Savoie l'inclinèrent à traiter, quand il eut vengé
son honneur en infligeant au duc de si éclatantes défaites.
Ce qui acheva de le décider, ce fut l'espoir d'une compen-
sation suffisante. Le roi avait cru d'abord que le légat.
d'accord avec le duc et les Espagnols, avait voulu l'amuser.
Ce soupçon fut en partie la cause du retard des négo-
ciations qui eurent lieu à Chambéry, en novembre et au
début de décembre, conduites du côté français par Bel-
lièvre, Sillery et Jeannin. Mais Aldobrandini, qui avait pris
son rôle très au sérieux, déploya une extraordinaire acti-
vité pour conclure cette paix. Au mois de décembre, il fit
son entrée solennelle à Lyon et reprit avec le roi les négo-
ciations qui avaient traîné à Chambéry.
Nous n'avons pas à énumérer par le détail les négocia-
tions qui aboutirent à la paix. Villeroy ne fut pas appelé à
conduire cette campagne diplomatique. Mais il eut à con-
seiller le roi dans la grande question qui dominâtes débats,
(1) Aerssen à Valcke, 21 novembre 1600, Ibid., p. 91.
392 VILLEROY
et nous devons examiner le parti qu'il prit et les raisons
pour lesquelles il chercha à faire prévaloir son avis.
L'échange du marquisat de Saluées contre des territoires
français fut demandé par Sully et par la plus grande partie
des conseillers du roi (nous ne savons lesquels). Sully qui
s'était franchement rallié à la paix à la fin de décembre, à
la grande joie du légat (1), trouvait dans l'échange un
double avantage. En bon financier, et en économiste sen-
sible aux profits matériels, il apprécia dans la Bresse, les
Dombes, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex, un
groupe étendu de territoires, dont quelques-uns étaient
plantureux et riches, et qui apportaient au royaume
"200.000 écus de revenus et le service de quatre cents
familles de gentilshommes. L'homme de guerre, le poli-
tique qui rêvait la guerre avec les Espagnols aux Pays-Bas,
considéra que la France fortifiait sa frontière du Sud-Est
en l'étendant jusqu'au Rhône; on protégeait aussi plus
efficacement la ville de Lyon, et l'on rendait plus facile
l'offensive en Flandre, puisqu'il serait aisé de couper le
passage aux soldats espagnols qui d'Italie allaient servir
aux Pays-Bas.
Villeroy au contraire estimait que la restitution était plus
honorable et plus avantageuse pour le roi. Le marquisat
était, disait-il « notre ancien patrimoine » et « le sujet de
notre querelle » (2). La guerre de Savoie avait été une
guerre de juste revanche ; les Savoyards et les Espagnols
nous donnaient la loi, car ils gardaient ce qu'ils avaient
pris au détriment de la couronne. Le marquisat nous don-
nait créance et autorité en Italie. Il tenait en bride les
(1) Sully, dit Bentivoglio (t. II, p. 390) « benche fosse eretico era
gran politico e uno di quei consiglieri che piu avevano portato il re
sempre alla pace ». Ce sempre ne désigne, bien entendu, que la période
durant laquelle les négociations marchèrent fermement (décembre). ,
(2) Villeroy à Boissise, 28 janvier 1601, F. Fr. 4128, fo 233.
LE MINISTRE d'hENRI IV 393
Espagnols et les Savoyards. En l'abandonnant, nous per-
drions un des instruments qui nous assuraient le plus
efficacement contre la guerre. Malgré les apparences,
Villeroy préparait la paix, en réclamant une citadelle
hors de nos frontières naturelles, et Sully préparait la
guerre, en demandant des territoires français ; l'un voulait
empêcher nos ennemis de nous nuire et l'autre leur nuire
en coupant en deux leurs possessions et en portant la lutte
aux Pays-Bas. Villeroy entendait aussi réserver l'avenir. Il
était loin de songer à des conquêtes immédiates au delà
des monts, mais il croyait qu'on devait garder son auto-
rité en Italie, « pour avancer les prospérités que le temps
peut offrir et présenter », comme écrivait d'Ossat (1).
Il semble bien que Villeroy, en soutenant ces idées, su-
bissait alors l'influence du cardinal qui défendait si énergi-
quementà Rome la cause française. D'Ossat lui écrivait de
longues et fréquentes lettres où ave»1 sa vive et chaleureuse
éloquence, il suppliait le ministre d'agir pour que le roi ne
cédât pas un pouce du marquisat. Pour enhardir Villeroy
et triompher de ses dernières hésitations, il énumérait les
avantages de la restitution, démontrant qu'avec l'échange,
on pourrait acquérir un peu plus de revenu, mais que le
moindre « faux bond » du duc coûterait infiniment plus
d'argent. Nous ne connàisssons pas les parole- prononcées
par Villeroy pour faire adopter le parti de la restitution.
Nous ne pourrions même pas dire s'il résista beaucoup au
roi et à la majorité des conseillers qui se prononçaient
pour l'échange. Nous ne connaissons ces divergences d'opi-
nion que par l'envoyé du grand duc de Toscane qui, avec
(1) D'Ossat à Villeroy, 15 novembre 1600 : « Quant à l'avis que
vous voulez savoir de moi, je pense vous avoir déjà écrit plus d'une
fois, que mon avis était que vous recouvrassiez le marquisat en toutes
sortes. Je persévère en cela même. » Lettres du ûardinal d'Ossat,
t. II, p. 255. Voir aussi les lettres des 11 et 23 septembre, du 14
octobre, du 16 décembre et du 20 janvier, /bid., p. 207-294.
394 VILLEROY
les nations qui redoutaient la grandeur espagnole, souhai-
tait ardemment qu'Henri IV conservât Saluées (1). Mat-
thieu, dans ses Remarques d'Estat, a rappelé en quelques
mots cette résistance de Villeroy : « Cette louable pas-
sion de la grandeur de la couronne le rendit des plus
difficiles à l'échange du marquisat de Saluées pour
la Bresse, ne pouvant conseiller au roi le raccourcis-
sement de sa frontière » (2). Les lettres écrites par Vil-
leroy au lendemain du traité signé à Lyonle 17janvier 1601
ne marquent pas un grand enthousiasme. Il annonce à
Boissise que « nous avons besogné par échange, en quoi
nous estimons que les parties ont de part et d'autre rencon-
tré et pris ce qui leur était plus commode et utile... Tant
y a que ce partage a été jugé plus utile et plus sûr que
l'autre bien que de plusieurs celui-ci fût estimé plus hono-
rable... Or le temps sera le meilleur juge de l'élection que
nous avons faite du dit échange, et ne vous en dirai davan-
tage... » (3).
Après le traité de Lyon, Villeroy fut chargé par Henri IV
d'une besogne assez ingrate. Tandis que la Cour regagnait
Fontainebleau et Paris, Villeroy, en compagnie de Lesdi-
guières et du Connétable, demeura à Lyon avec les députés
du duc de Savoie pour résoudre les difficultés suscitées par
Charles-Emmanuel qui se refusait à ratifier le traité. Elles
furent telles qu'on redouta un moment la rupture delà paix.
(1) Voir deux lettres du chevalier Vinta au grand-duc, 10 et 11
janvier 1601, Desjardins, t. V, 453. Voir aussi, môme tome, p. 504-
520, diverses allusions laites aux paroles de regret, prononcées par Vil-
leroy au sujet des clauses de la paix (du 11 septembre 1602 au 20 fé-
vrier 1603).
(2) P. Matthieu, Rem. d'Estat, p. 276.
(3) Villeroy à Boissise, 28 janvier 1601, F. Fr. 4128, fo 233. Dans
cette même lettre, il dit avec une certaine ironie : « Ainsi, nous esti-
mons avoir amendé notre condition et nous croyons que ledit duc a la
même opinion de son partage... Les Espagnols n'estiment pas d'y
avoir moins gagné que les autres ; quoi étant, M. le Légat aura-t-il pas
fait un bon œuvre de nous avoir contentés tous? »
LE MINISTRE D HENUI IV 395
Quand le duc apprit ce qu'avaient traité le légat et les dé-
putés, il entra dans une violente fureur, menaça de trancher
la tête à ses envoyés, et jura qu'il ne céderait jamais. Il ne
ratifia le traité, en mars 1601, qu'après une pression éner-
gique exercée par le roi d'Espagne et le pape. Pendant ces
trois mois, Henri IV avait montré beaucoup de patience et
de fermeté. Villeroy, qui se morfondait à Lyon, était très
mécontent de la mauvaise foi et de l'obstination du duc. Il
écrivait au roi : « Il n'y a que l'impuissance et votre provi-
dence qui puissent contenir son esprit... Soit qu'il ratifie
ou refuse la paix il veillera toujours pour vous nuire comme
pour se malfaire àlui-mème(l). » Ilengageait le roietSully
à ne pas désarmer jusqu'à la ratification (2). Quand le duc
eut satisfait Henri IV, Villeroy quitta Lyon et s'achemina
par petites journées à travers la Bourgogne, jusqu'àla Cour
où il arriva le 5 avril, « ayant achevé, écrivait-il, du côté
de Lyon, tout ce que S. M. nous avait commandé de faire
pour son service » (3).
V
A la fin de l'année 1600, Villeroy avait aussi terminé, poul-
ie service de son maître, une longue négociation qui avait
abouti au mariage d'Henri IV et de .Marie de Médicis, la
nièce du grand-duc de Toscane. Bien qu'elle prenne place
entre la fin de la guerre d'Espagne et la fin de la guerre de
(1) Villeroy à Henri IV, 24 février 1601, F. Dupuy, 3, fo 59. Nous
avons conservé un certain nombre de lettres écrites par le ministre au
roi durant son séjour à Lyon (Lettre du 21 février, Bibl. Mazarine,
2105, t'o 352, du 18 et du 24, F. Dupuy, 3, f»« 59 et 92, du 24 lévrier
et du 14 mars, F. Fr., 4028, fos 57 et 58).
(2) Villeroy à Rosny, 9 février, 1601, Ec. Roy., t. I, p 375. Voir
aussi p. 376 et 377, la lettre du 7 mars.
(3) Villeroy à Boissise, 12 avril L60.1, F. Fr. 4128, fo 255.
396 VILLEROY
Savoie, nous n'avons point interrrompu le récit des évé-
nements de la politique extérieure. Aussi devons-nous faire
maintenant un retour vers le passé.
Aussi bien cette négociation fut-elle en quelque sorte
indépendante des autres événements. Dès l'année 1592, le
cardinal de Gondi qui traitait d'un emprunt auprès de la
cour de Florence avait parlé de ce mariage dans l'entou-
rage d'Henri IV et dans celui du grand-duc. Durant l'an-
née 1597, le Légat avait parlé à ce même Gondi de ce
projet d'union et lui avait dit que le pape s'y montrerais
favorable, car il redoutait de nouvelles guerres religieu-
ses à la mort du roi (1). Henri IV désirait extrêmement,
se remarier afin de donner à la France des enfants venant
de lui, comme Sully le lui fait dire dans la conversation
qu'ils tinrent ensemble à Rennes, au début de 1598, pen-
dant l'expédition de Bretagne (2). Ses conseillers le dési-
raient aussi fortement. « Il faut que nous mariions notre
maître ou il se mariera sans conseil », disait Villeroy (3).
Ils travaillèrent à l'empêcher d'épouser Gabrielle d'Estrées,
ce qu'ils considéraient comme un déshonneur et comme
une source d'innombrables difficultés intérieures, à com-
mencer par l'opposition que la reine Marguerite eût mise
à son « démariage ». Parmi les princesses étrangères, le
choix était très restreint. Une lettre de Villeroy à Bongars.
agent du roi en Allemagne, nous montre qu'on songea un
moment à deux princesses « très belles et bien nourries »
de la Germanie (4). Mais les femmes de cette région ne
« revenaient » nullement au roi. C'est la princesse Marie de
(i) Voir sur le mariage du roi, Zeller, Henri IVetMarie de Médieis,
1877, in-8 ; Batiffol, La Vie intime d'une reine de France au xvue
siècle, 1905, in-8.
(2) Ec. Boy., t. I, p. 276.
(3) Villeroy à Bongars, 7 juillet 1599, F. Fr. 7126, f» 316.
(4) Ibid., 14 avril 1599, f° 300. Voir sur ces projets, Anquez, Henri
IV et l'Allemagne, in-8, 1887, p. 85 et suiv.
LE MINISTRE d'hENRI IV 397
Medicis qui parut approcher le plus de l'idéal recherché;
elle n'était pas de très ancienne extraction, mais elle avait
les trois conditions que le roi réclamait « à savoir qu'elle
soit belle, qu'elle soit d'humeur complaisante » et qu'elle
lui fasse des fils (1). De plus elle était catholique et elle
était riche. Ce mariage était une bonne affaire financière,
Henri IV devait au grand-duc 1.174.147 écus d'or. En
épousant la nièce de Ferdinand, il pourrait éteindre ses
dettes, et obtenir de nouvelles provisions d'argent.
La correspondance du chanoine Bonciani nous fait con-
naître avec force détails le rôle joué par Villeroy dans les
négociations pour le mariage. C'est notre ministre dont le
nom revient à toutes les pages de ses lettres, et dont les dé-
marches, les paroles et les réticences sont commentées. On
le voit dès le mois de février 1598 traiter secrètement avec
l'envoyé florentin d'abord en termes généraux et vagues,
comme il était naturel, puis d'une manière plus précise et
plus pressante (2). La mort subite de Gabrielle d'Estrées
(10 avril 1599) délivra les partisans du mariage d'un grand
sujet d'inquiétude. A Rome, les négociations pour l'annu-
lation du mariage marchaient bien. Aussi, dans les der-
niers mois de l'année 1599, les négociations franco-floren-
tines firent-elles de grands progrès. Après le passage de
Sillery à Florence, le grand-duc envoya en France un nou-
veau délégué, Baccio Giovannini pour traiter avec Villeroy
secrètement des conditions du futur mariage. On discuta
beaucoup sur le chiffre de la dot. Le grand duc offrait
500.000 écus. Villeroy demandait un million et ne man-
quait pas d'arguments pour persuader l'envoyé toscan (3).
(1) Ec. Roy., t. I, p. 277.
(2) Bonciani à Vinta, 13 février 1598, Desjardins, t. V, p. 352 et
suiv. Cette correspondance est transcrite ou résumée jusqu'au 27 oc-
tobre 1599 [Ibid., p. 373).
(3) La correspondance de Giovannini commence le 24 novembre
1599, Desjardins, t. V, p. 375 et suiv.
398 YILLEROY
Il savait combien les Toscans désiraient que le roi de
France restât en possession de Saluées. Un jour, il dé-
clara à Giovannini que si le mariage s'accomplissait,
son maître exigerait du duc de Savoie la restitution du
marquisat, sinon, il pourrait traiter sur d'autres bases (1).
Tout se traitait secrètement entre Villeroy et l'envoyé
florentin. Cela faisait naître quelques petites intrigues.
Gondi, furieux de n'être plus employé, cherchait à déni-
grer Villeroy, prétendant qu'il élait froid et peu préparé
à traiter semblable question (2). Giovannini constatait
assez naïvement, après plusieurs mois de discussions, que
Villeroy aurait pu être très utile au grand-duc, mais que le
service de son maître le pressait plus que le service de
Son Altesse (3).
Dès les derniers jours de l'année 1599, on voit apparaître
un nouveau négociateur qui est Rosny (4). Le roi l'avait
prié de se joindre à Bellièvre et Villeroy pour régler ce
différend de la dot. Est-ce lui qui proposa une diminution
du chiffre fixé par Villeroy? Nous ne saurions le dire. Nous
constatons seulement qu'à partir du jour où Sully est em-
ployé, les prétentions françaises baissent. Villeroy ne parle
plus du fameux million (5). Sully demande 800.000 écus,
dont 400.000 comptant. D'autre part, l'envoyé toscan ne
tarit pas d'éloges sur la personne du surintendant qu'il
considère comme un des plus chauds partisans et promo-
teurs du mariage : il vante sa franchise et son dévouement
au grand-duc. Gondi qui élait perpétuellement mécontent
avait remarqué ce changement d'attitude des Florentins
et blâmait louthautle grand-duc d'avoir retiré sa confiance
à Villeroy pour se jeter dans les bras des huguenots. Gio-
(1) Giovannini au grand -duc, 26 novembre, Ibid., p. 377.
(2) Ibid., 30 décembre 1599, p. 381 et suiv.
(3) Giovannini au grand-duc, 31 décembre 1599, p. 398 et suiv.
(41 Ibid., p. 389 et suiv.
(5) Ibid., 4 janvier 1600, p. 399.
LE MINISTRE d'hENRI IV 399
vannini s'en moquait, disant que Rosny tenait les clefs de
l'argent (1).
On finit, dans les premiers jours de mars, par s'arrêter
d'un commun accordai! chiffrede GOO.OOOécus. Le moissui-
vant fut signé le contrat. Il fut décidé que Marie de Médicis
viendrait en France au mois de septembre. Le roi était très
pressé de se marier. Villeroy aussi aurait voulu que le roi
prît femme au plus tôt « pour les raisons qui regardent sa
personne et son état». Il écrivait en mai à Boissise : « Mon-
sieur, si j'en suis cru, on ne perdra une seule heure de
temps » (2). Le mariage fut célébré à Florence le 5octobre.
Un mois après, la galère de la reine abordait à Marseille :
Marie de Médicis faisait son entrée à Lyon le 3 décembre,
et le 10, le mariage était accompli. Le grand duc n'oublia
pas Sully et Villeroy. Avec l'autorisation du roi, ils reçurent
tous deuxuna gentilezza per congratulazione délie nozze{3).
(1) Giovannini au grand-duc, 23 mars 1600, Ibid., p. 4 08.
(2) Villeroy à Boissise, 29 mai 1600. F. Fr. 4128, fo 68.
(3) Giovannini au grand-duc, 28 avril 1601, Ibid., p. 463. Pour
Sully, ce fut un don de 10.000 écus. (Voir les dépèches des jours pré-
cédents.)
CHAPITRE IV
VILLEROY MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (suite)
LES AFFAIRES D'ITALIE
La question d'Italie en 1601. Les passages. Villeroy et les Gri-
sons (1601-1607). — II. La liberté italienne. La France et les
états indépendants. — III. La conquête de Rome. D'Ossat et
Villeroy. Villeroy principal conseiller de la politique romaine
d'Henri IV. — IV. Le différend entre Paul V et la République
de Venise (1603-1607;. Villeroy et l'arbitrage français. — V.
Villeroy et les préliminairesdu rapprochement franco-savoyard.
Au début du xvne siècle, lTlalie était formée de trois
groupes d'états très divers : l'Italie espagnole, l'Italie libre,
l'Italie pontificale.
L'Italie espagnole, c'était tout le midi de la péninsule,
l'ancien royaume de Naples avec la Sicile et la Sardaigne,
et dans le nord, au pied des Alpes, au centre de la plaine
du Pô, le Milanais, pays de petite étendue, mais de grande
valeur stratégique qui fut gouverné, à partir de l'année
1600, par un terrible homme de guerre, Fuentès. Celui-ci,
dès son arrivée, répara les vieilles forteresses branlantes,
leva et exerça des troupes, et se mit à transformer le duché
en un vaste camp retranché. C'était un esprit impétueux,
intrigant, brutal, possédé d'une haine irréfléchie contre
LE MINISTRE d'hENRI IV 401
tout ce qui était français ou ami de la France. Pendant dix
ans, cet homme fut un danger public. Seul, ou d'accord
avec le duc de Savoie, il menaçait la paix de l'Italie et de
l'Europe centrale, même quand Philippe III et son premier
minisire le duc de Lerme la désiraient sincèrement.
Les pays libres d'Italie comprenaient une dizaine d'étals
d'étendue et de richesses très diverses. Le premier élai!
Venise qui était encore très opulente et 1res forteet capable
de se défendre, grâce à une armée de 10.000 hommes et une
flotte de cent galères. Sa diplomatie était un merveilleux
instrument national par lequel la République de Saint-
Marc s'avançait à travers les écueils. Depuis que les Espa-
gnols avaient pris pied en Italie, ces hommes prudents
avaient estimé l'alliance française nécessaire à leur conser-
vation. Les premiers, ils avaient reconnu Henri IV, au
risque de se brouiller avec le pape, et n'avaient cessé de
lui envoyer des subsides pendant la Ligue. Le roi de France
les considérait comme de très grands amis. Il ne voulait et
ne pouvait rien faire en Italie que d'accord avec eux.
Après Venise, le plus important des états était le duché
de Savoie, sur les deux versants des Alpes. Celle position
avait longtemps fait l'incertitude delà politique savoyarde
qui, depuis le traité de 1601 seulement, paraissait détour-
née vers la péninsule. Malgré des ressources non négli-
geables, une position commerciale et stratégique impor-
tante, la Savoie aurait fait médiocre Bgure el aurail été
condamnée à rester neutre entre ses puissants voisins de
France et d'Espagne si elle n'avait été gouvernée par une
race particulièrement vigoureuse et intelligente de ducs.
Leurs qualités et leurs défauts semblaient condensés en
la personne de Charles-Emmanuel, un extraordinaire am-
bitieux qui concevait sans cesse de prodigieux rêves de
grandeur et de conquêtes. Ses rêves se luisaient l'un après
l'autre ; jamais il ne se décourageait. Le- proies ne lui
manquaient pas : Saluées. Genève, le Montferrat, le Mila-
Yillerov 2(J
402 VILLEROY
nais : il voulait conquérir sur tout le monde, sur les héré-
tiques, sur les Italiens, sur les Espagnols. Il intriguait
sans cesse, avec une merveilleuse fertilité d'imagination
et un manque absolu de scrupules. Cette politique aux
apparences folles avait un' fond raisonnable. Si le duc ne
voulait pas rester le chef d'un médiocre état montagnard,
sous la dépendance des étrangers, jl lui fallait adopter une
politique multiforme, ondoyante et presque incohérente,
à cause de sa situation entre deux grandes puissances en
lutte ouverte ou latente. Il lui était difficile d'être neutre,
difficile aussi de s'engager avec l'une ou avec l'autre avant
d'avoir su de quel côté était le principal profit.
Le troisième des états était la Toscane. Le grand-duc
Ferdinand avait toujours entretenu avec la France, comme
les Vénitiens et pour les mêmes raisons, d'excellentes rela-
tions d'amitié. Il avait prêté de l'argent au roi pendant la
Ligue et tout récemment avait donné à Henri IV une
femme et une dot. L'alliance française était nécessaire à la
Toscane menacée par les Savoyards et les Espagnols. Les
autres états italiens étaient Gênes, le duché de Mantoue,
les duchés de Modène, de Parme etPlaisance, la république
deLucques. Le duché de Mantoue qui avait deux places
très fortes était convoité par les Savoyards et les Espagnols
et cherchait la protection de la France. Les autres étaient
des clients de l'Espagne.
Au centre de la péninsule régnait le pape qui était à la
fois un prince italien et le chef de la chrétienté. Son gou-
vernement était patriarcal et il ne développait guère ses
forces militaires. Mais son influence morale était immense.
Il en usait pour intervenir en conciliateur dans les conflits
de la péninsule et dans la querelle qui divisait les deux
grandes puissances catholiques. Avoir le pape avec soi
était une grande force en un siècle de foi très vive. Le roi
île France avait durement éprouvé ce que lui avait coûté
l'hostilité de Rome.
LE MINISTRE d'hENRI IV 403
Telle était l'Italie au lendemain du jour où la France
avait abandonné les derniers territoires qu'elle possédait
au delà des monts. Le roi, nous le verrons, ne voulait pas
encore entrer en guerre, soit pour les reconquérir, soit pour
chasser les Espagnols. Le fondement de sa politique était
la lutte contre la maison d'Autriche à laquelle il voulait
arracher l'hégémonie. L'Italie fut pour les deux puissances
un magnifique terrain de duel. Quatre. objectifs principaux
s'imposèrent à la diplomatie d'Henri IV dans la période
apparemment confuse qui s'étend de 1601 à 1608 : assurer
à la France et à ses alliés des passages libres à travers les
Alpes ; propager l'influence française parmi les petits Etais
indépendants et tenter de les unir contre l'Espagnol ; faire
la conquête morale de Rome pour accroître notre force en
Italie, en Europe, et en France même ; faire du duc de Sa-
voie un allié. Essayons, en esquissant un tableau de cette
politique, de déterminer quelles fnrentles conceptions par-
ticulières et quel fut le rôle du ministre qui dirigea les
affaires extérieures.
En abandonnant Saluées, Henri IV avait perdu une base
d'opérations et de ravitaillement dans la plaine du Pô.
Sans doute, il pouvait descendre au delà des monts par les
cols des Alpes françaises, mais cela n'était pas suffisant (1).
Il existait dans les Alpes centrales des passages d'une im-
portance exceptionnelle dont Henri IV voulut enlever la
jouissance à ses ennemis, afin de la réserver pour lui-même
et ses amis. Le principal conduisait à travers les Alpes
Grisonnes, du Milanais au Tyrol autrichien. Celait la Val-
(1) Sur l'ensemble de cette question, voir E. Rott, Henri IV, les
Suisses et la Haute-Italie. La lutte pour les Alpes (1598-1610). Paris
18(82, in-8o.
404
VILLEROY
teline, un ancien pays milanais appartenant aux Trois
Ligues Grises, qui occupaient la Rhétie des Romains avec
Coire pour capitale et entraient dans le corps helvétique
comme alliés aux Treize cantons et aux peuples confédérés.
Ce passage était convoité par les Espagnols, caril assurait
leur frontière septentrionale et abrégeait de plusieurs jours
le trajet de .Milan à Innsprûck. Par lui ils auraient pu
joindre rapidement leurs forces à celles des Habsbourgs
et couper la meilleure des voies qui faisaient communiquer
les Vénitiens et les peuples indépendants d'Italie avec
l'Europe centrale et la France.
Le premier acte de la politique française en Suisse fut le
renouvellement de l'alliance avec les Cantons. Le traité de
1582 était expiré depuis 1597. Henri IV et ses ministres
voulurent un nouveau traité pour se libérer à moindres
frais de leurs dettes envers les Suisses, s'assurer du recru-
tement des troupes alliées et obtenir la libre disposition
des passages. Méry de Vie et Sillery furent délégués à So-
leure et après de longues négociations obtinrent le renou-
vellement qui fut juré le 29 janvier 1602. L'accord fut com-
plet en France sur cet acte conforme à la tradition qui
correspondait à d'indiscutables nécessités et fut assez faci-
lement accompli. Les Vénitiens qui pendant des années
firent de cette affaire des passages leur préoccupation
essentielle constatèrent que le roi et tous ses ministres,
sans exception, avaient d'autant plus à cœur cet objet
qu'ils trouvaient l'Espagne trop puissante en Italie (1). La
direction des négociations avait été confiée particulière-
ment à Bellièvre. La réception solennelle des députés
suisses fut une des belles cérémonies du règne. Après avoir
juré l'alliance à Paris, ils dînèrent, nous apprend l'Estoile,
à Conflans, au logis de Villeroy où ils furent « récréés
1) Marino Cavalli au Sénat, 7 janvier 1602, F. Ital. 1750, fo 192.
LE MINISTRE D HENRI IV 405
d'une musique singulière et excellente (1). •> Hurault de
Maisse fut, clans cette circonstance, très écouté. 11 avaitété
longtemps ambassadeur à Venise, connaissait très bien les
'besoins de la République à laquelle il était dévoué et qui
sut s'adressera lui lorsqu'elle voulut faire défendre ses in-
térêts au Conseil du roi (2).
L'affaire des passages prit une tournure très grave, à la
fin de 1603, et obligea le Conseil à de sérieuses décisions,
quand elle provoqua un conflit avec les Espagnols. Ceux-
ci redoutaient qu'une ligue secrète ne se conclût entre
les Français, les Grisons, les cantons suisses, les Vénitiens,
pour les chasser de la péninsule. Pour défendre le Milanais
et terroriser les Grisons, Fuenlès construisit un fort sur le
Montecchio, à l'entrée de la Valteline, puis força les en-
voyés des ligues qui étaient venus lui porter leurs doléances
à renouveler avec lui leurs anciennes capitulations : il ne
leur laissait qu'à ce prix la tranquillité. La situation était
extrêmement grave. Les Vénitiens étaient directement
menacés. Les Grisons avaient à choisir entre la perte de
leur passage et l'hostilité déclarée de Fuenlès.
Villeroy fit alors adopter par Henri IV une politique de
résistance à l'Espagne sans guerre directe. Les Grisou-,
hésitants et inquiets, avaient sollicité le roi de leur per-
mettre d'accorder à Fuenlès quelque capitulation qui ne
fût pas au préjudice de la France et de Venise pour que le
gouverneur du Milanais détruisît son fort. Au Conseil, Vil-
lerov fut seul d'avis d'écrire une lettre d'énergique pro-
testation aux Ligues pour les menacer de rompre toute
capitulation avec eux et de ne les aider jamais dans aucune
circonstance, s'ils concluaient avec Fuentès le moindre
accord (3). Le chancelier, Rosny, Sillerv, etde Fresnes, après
(1) LEstoile, Ed. Miehaud, t. XV, p. 339.
(2) Cavalli au Sénat, 10 septembre lOUl (Extrait cité par E. Rott,
p. 224, a° 1).
(3) Badoerau Sénat, 23 janvier 1604, F. Ital. 1752, f° 192.
406 VILLEROY
plusieurs jours de contestations, persuadèrent au roi
d'écrire aux Trois Ligues une lettre en termes plus modé-
rés pour les exhorter à ne rien accorder à Fuentès et leur
offrir toute aide possible, quoi qu'il dût arriver(l). Cette let-
tre, malgré l'atténuation des termes, produisit un grand effet
parmi les Grisons ; ils refusèrent, en mars 1604, de ratifier
les capitulations que leurs envoyés avaient signées pour eux.
Cela ne suffisait pas, car le fort de Fuentès s'achevait. Vil-
leroy soutint fermement qu'il fallait le faire détruire. On
devait pousser les Grisons à l'entreprise et les aider d'abon-
dants secours d'hommes, d'argent et de munitions. Les
Vénitiens devaient s'associer vigoureusement à cette œuvre
et le ministre ne cessa pendant les premiers mois de 1604
de leur conseiller la résistance.
Cette attitude ne doit pas nous étonner de la part d'un
ministre à qui ses adversaires avaientcoutume de reprocher
un goût excessif des transactions. A ce moment, on ne
pouvait songer à négocier avec l'Espagne la démolition du
fort. Les deux nations se livraient depuis février 1603 à une
guerre de tarifs qui avait réveillé de chaque côté des Pyré-
nées les passions belliqueuses. La demande de la France
eût été mal accueillie et l'échec humiliant pour le roi (2).
Il n'était pas sûr d'ailleurs qu'un coup de main des Gri-
sons eût provoqué la guerre. La destruction du fort rapide-
ment accomplie pouvait impressionner la cour d'Espagne et
l'engager à modérer Fuentès que les pacifiques du Conseil
Espagnol trouvaient trop violent et trop compromettant. Si
la guerre avait éclaté, Villeroy semblait bien résolu à con-
seiller le roi de la faire faire par d'autres. C'était la guerre
indirecte contre l'Espagne dirigée comme aux Pays-Bas,
mais avec de plus grandes chances de succès.
Mais le Conseil était très divisé. Pendant que Villeroy et
(1) Badoer au Sénat, 28 janvier 1604, F. Ital. 1752, f^ 195.
(2) Ba.loer au Sénat, 11 mai 1604, F. Ital. 1753, f" 26.
LE MINISTRE d'hENRI IV 407
le chancelier affirmaient qu'on ne pouvait bien combattre
le roi catholique qu'en Italie, Sully conseillait de porter la
guerre en Flandre. II disait que pour un médiocre résultat,
on dépenserait beaucoup dans la péninsule (1). Le chan-
celier ne songeait comme Villeroy qu'à l'Italie, mais il
trouva un moyen de conciliation : il proposa défaire élever
sur le territoire des Grisons un fort qui préserverait la
Valteline et tiendrait en respect la citadelle de Fuentès.
Villeroy se rallia à cette opinion modérée (2).
Ce qui l'avait décidé, c'était le mauvais accueil qu'avaient
fait les Vénitiens à ses projets de guerre. La République
de Saint-Marc redoutait les aventures. Un esprit calcula-
teur et timoré régnait dans le Sénat. Malgré les assurances
prodiguées par Villeroy à Badoeret par Fresne-Canaye au
doge, on se défiait du roi qui pouvait bien lancer les Véni-
tiens contre les Espagnols pour avoir lui-même les mains
libres aux Pays-Bas ; imparti « oriental »poussaitla Bépu-
blique aux entreprises contre les Turcs et voulait la paix-
sur la Terre Ferme. La diplomatie française fut impuis-
sante à triompher de l'inertie de ces gens qui s'attendaient
« de tirerles châtaignesdu feu avec la patte du chat » (3). Or,
les Grisons ne pouvaient rien sans alliés. Fuentès tentait
de corrompre et de diviser les communes des Trois Ligues ;
les cantons catholiques les abandonnaient.
Cette hésitalion des principaux intéressés était un bon
argument pour ceux qui voulaient que le roi se désintéres-
sât des affaires de la Haute Italie. A la tin de 1004, la lutte
(1) Badoer au Sénat, 9 juin 1604, F. Ital. 1753, f* 40.
(2) Badoerau Sénat. 27 mai 16U4.F. Ital. 1753, f° 33. — L'impor-
tant conseil où fut proposé le contrefoit se tint le 24 mai.
(3) Selon l'expression de Fresne-Canaye. dans une lettre du 15 mars
1602, à Aneel. Il appelle énergiquement cette attitude « la coïonnerie
italienne ». Lettres et ambassades de Ph. Canaye, sieur du Fresne
(1601-1007). 1045, t. I, p. 184. Voir la lettre de Fresne-Canaye à de
Vie, 2G juin 1604, sur le rôle de Venise, Ibid., II, 261.
408 VILLEROY
fut très vive entre les représentants des deux politiques.
Sully parut regagner du terrain (1). La paix avait été con-
clue entre l'Angleterre et l'Espagne. Ostende s'était rendue.
Il fallait empocher à tout prix les Hollandais de conclure
une trêve avec leurs ennemis. On parut oublier les Grisons.
Bien plus, Sully faisait des démarches pressantes pour
obtenir des Vénitiens 200.000 écus et des Toscans 100.000
en faveur des Hollandais qui en recevraient du roi 600. 000;?).
Mais il trouva les Italiens mal disposés à payer pour com-
battre le roi catholique en Flandre. D'autre part, le parti
français triompha chez les Grisons au début de 1605. L'idée
du contre-fort fit des progrès. Villeroy la défendait de son
mieux : si imparfait que fût le remède, il n'y en avait pas
d'autre, disait-il. Sully s'y opposait prétextant la dépense.
Le roi hésitait. Villeroy et le chancelier achevèrent de le
persuader en l'absence de Rosny qui se trouvait alors à
l'assemblée de Châtellerault (3). Mais quand Sully fut de
retour, il changea de nouveau la résolution du roi, en sou-
tenant qu'une telle dépense était superflue. A quoi servi-
rait le fort, si Fuentès se tenait sur la défensive? Et s'il
attaquait les Grisons, ne serait-il pas aussi inutile, puis-
qu'on serait obligé d'entrer dans une véritable guerre?
Cet antagonisme des deux ministres qui provoquait quel-
ques incohérences dans la politique italienne fut heureu-
sement sans conséquences graves, puisque la.paix se main-
(1) Il n'y a dans les Ec. Roy. aucune tracede ces divergences. Deux
chapitres sont consacrés aux affaires de la Valteline en 1604 (I, p. 619-
624) et uniquement remplis de documents : deux amples mémoires
envoyés en France « sur lesquels, disent les secrétaires, vous fi tes de
grandes remontrances au roi », deux lettres de Montmartin, ingénieur
huguenot envoyé en Valteline pour lever le plan du fort Fuentès et un
petit discours de ce même Montmartin au roi.
(2) Badoer au Sénat, 23 novembre 1604, F. Ital. 1753. fo 123.
(3) Badoer au Sénat, 11 août 1605, F. Ital. 1753, fo 65. L'ambassa-
deur vénitien dit que les ministres eurent grand soin de ne pas appeler
au Conseil ceux qui étaient d'avis contraire et qu'ils persuadèrent au
roi que bâtir une forteresse c'était devenir le maître du passage.
LE MINISTRE d'hENRI IV 409
tenait en dépit des craintes réciproques, des fausses nou-
velles, des alertes de toute sorte. D'ailleurs, la lutte contre
les idées de Sully était peu de chose pour Yilleroy en com-
paraison des événements qui tenaient sa politique en échec.
Les Grisons étaient disposés à la résistance, mais les can-
tons catholiques acquis à l'Espagne ne cessaient de les
poussera se réconcilier avec Fuentès. D'autre part, les
Vénitiens persistaient à fermer les yeux sur le danger qui
les menaçait. Or, si Villeroy tenait ferme pour son idée,
il ne voulait la réaliser que s'il était sûr de voiries Suisses
et les Vénitiens soutenir les Grisons. Aussi parut-il à la fin
de 160(5 abandonner provisoirement ce malheureux projet
qui avait failli deux fois recevoir un commencement d'exé-
cution. A demi découragés, le roi et ses ministres avaient
donné l'ordre à Paschal, notre représentant à Coire, de
« retenir l'impétuosité des Grisons», parce que la France
ne voulait pas seule a soutenir le faix d'une telle entre-
prise » (1) (octobre 1606). Une affaire infiniment plus grave
avait détourné l'attention des Français des vallées alpines :
la querelle entre Venise et le Saint-Siège que le roi s'ef-
força de pacifier d'avril à mars 1607.
Il
Ainsi, on avait abouti à un demi-échec dans les tentatives
faites pour assurer aux états indépendants d'Italie un pas-
sage à travers les Alpes. La diplomatie française ne fut pas
plus heureuse lorsqu'elle essaya de 1601 à 1607 d'unir ces
états pour la résistance à l'Espagne et le maintien de la li-
berté italienne.
On avait pourtant, au lendemain du traité de Lyon, dressé
(1) Le roi à Paschal, 14 octobre 1606, N. acq. fr. 2749, fo 115 (cité
par E. Rott, p. 365).
410 VILLEROY
habilement des batteries pour fortifier partout l'influence
française. Fresne-Canaye, nommé ambassadeur à Venise
en 1601, avec mission de veiller à toute l'Italie du Nord,
nous fait connaître dans sa correspondance avec Henri IV
et Villeroy les relations qu'il entretenait dans chaque état
avec des personnages dévoués à la France et payés par elle,
soit pour nous renseigner sur les manœuvres des Espa-
gnols, soit pour amener des petits princes à la France (1).
Deux causes contrariaient particulièrement le développe-
ment de l'influence française en Italie : la facilité des petits
princes à se laisser séduire par les Espagnols et les conflits
nombreux et mesquins qui les divisaient. La diplomatie fil
quelques tentatives pour donner au roi une clientèle dé-
vouée : elle chercha à attacher à la couronne la maison
d'Esté par des bienfaits, à faire obtenir à Alexandre, père
du prince de la Mirandole, le chapeau de cardinal (2). Mais
sur ce terrain les Espagnols étaient les plus forts : le duc
de Modène reçut d'eux 12000 écus de pension, et la toison
d'or (3). Parme avait une de ses forteresses occupées par
Fuentès (4). Urbin était espagnol. Les ambassadeurs du roi
(1) Tels étaient le chanoine Soldo à Bergarae, François Martinengo,
ancien ministre disgracié de Charles-Emmanuel passé au service de
Venise et qui rêvait de réconcilier Henri IV et le duc et de devenir le
commandant des forces franco-savoyardes en Italie. Tels étaient cer-
tains confidents de petits princes payés pour leur enseigner l'amour de
la France, un certain Giuseppe Porto auprès de Pic de la Mirandole,
un Carlo Rossi auprès du duc de Mantoue. Nous connaissons très mal
ces agents. Cette diplomatie est restée assez mystérieuse. Voir des
lettres de Fresne-Canaye à Soldo, 6 novembre 1601, à Martinengo, 8
décembre 1601, au roi, 1er juillet 1602, à Villeroy, 19 mai J 604, à
Béthune, 5janvier 1602 (Lettres et ambassades, t.I,p. 27, p. 65et suiv.).
VoirE. Rott,p. 127.
(2) Giovannini au grand-duc, 8 novembre et 9 décembre 1601, Des-
jardins, t. V, p. 469 et 471. Cavalli au Sénat, 7 décembre 1602, F.
Ital. 1751, f°48.
(3) Giovannini au grand-duc, 16 novembre 1601, Ibid., p. 470.
(4) Fresne-Canaye à Villeroy, 14 juillet 1604. Voirdans Siri, Memorie
recondite, t. I, p. 208.
LE MINISTRE D HENKI IV
411
constataient que l'Italie se soumettait de plus en plus à
l'Espagne et qu'à part Venise el Florence, nul ne songeait
plus à « cette belle dame de liberté italienne » (1). Villeroy,
dans ses entretiens avec l'envoyé toscan, était obligé de re-
connaître cette triste vérité (2). 11 déplorait aussi les divi-
sions des princes et cherchait à les faire vivre en bonne
intelligence. « J'ai remarqué, écrivait-il à Béthune, que les
passions présentes des Italiens sont si fortes et si violentes
qu'elles les précipitent souvent en de grands accidents el
périls (3). » Les représentants de la France avaient ordre
de servir de conciliateurs toutes. les foisqu'ils le pourraient,
mais dans aucun document, on ne trouve la trace de quel-
que succès important.
Nous n'avons pas à insister sur les détails de eetle poli-
tique, puisque nous étudions surtout le rôle et les idées
personnelles de Villeroy. Cette diplomatie inspirée par les
intérêts les plus évidents du royaume était celle du roi, de
son secrétaire d'état et de tout le conseil. Toutefois, nous
devons nous demander si cette demi-impuissance des Fran-
çais en Italie n'était pas causée par une série de mesures
ou de procédés que notre ministre aurait désapprouvés.
Les contemporains d'Henri IV attribuaient les échecs du
roi à la perte de Saluées, et à l'avarice d'Henri IV et de
Sully. Il est certain qu'après le traité de 1601, les Italiens
avaient eu le sentiment que le roi les abandonnait pour di-
riger ses vues vers les Flandres et l'Allemagne. Les Espa-
gnols s'appliquèrent par une campagne de faux bruits à
fortifier cette impression. Les Français étaient loin, au delà
des Alpes; les Espagnols étaient retranchés dans leur camp
du Milanais. Cette situation suffit à paralyser toute velléité
(1) Fresne-Canaye au roi. 22 octobre 1602. Le même àBeaumont.
27 janvier 1 002.
(2) Giovannini au grand-duc, 10 novembre 1601, 11 septembre 1602,
5 février 1603. Ibid., p. 470, o04, 552.
(3) Villeroy à Béthune, 20 octobre 1604, F. Fr. 3488, f° 90.
412 VILLEROY
d'indépendance chez les Italiens très prudents de nature.
Villeroy le comprit : plus d'une fois, il regretta tout haut
devant les amis de la France l'abandon du marquisat qu'il
n'avait pas conseillé. En outre, il aurait fallu pour faire
une bonne politique en Italie dépenser de grandes sommes
d'argent. Les Espagnols en répandaient beaucoup plus que
nous. La France, moins riche en or que l'Espagne, avait
une dette énorme à rembourser aux Anglais, aux Allemands,
aux Suisses, des subsides considérables à verser aux Hol-
landais, et c'est précisément entre 1601 et 1607 que fut ac-
compli le principal effort pour liquider ce lourd passé ou
entretenir la guerre indirecte avec l'Espagne. En outre,
c'est à partir de Tan 1600 que Sully commence à économi-
ser (1). Le « petit mesnage » s'accroît lentementà la Bastille :
c'est une réserve à laquelle on ne veut toucher que le jour
où éclatera la grande guerre avec l'Espagne. Or Sully dé-
fendait avec âpreté le trésor royal et accueillait rudement
les étrangers qui venaient lui demander de l'argent quand
il avait peur que cet argent ne fût gaspillé. L'envoyé tos-
can Giovannini qui avait eu à se plaindre des refus de celui
que. les jours de mauvaise humeur, il appelait quello ani-
male, questa bestia le rendait directement responsable
de la disparition de l'influence française en Italie (2).
La véritable raison était dans la volonté du roi de prati-
quer dans la péninsule une politique d'attente et de demi-
réserve. C'était une conception logique très chère à Ville-
roy (3). On ne pouvait intervenir énergïquement pour la
défense de la liberté italienne que par une guerre avec
(1) Giovannini au grand-duc. 11 septembre 1604 et 5 février 1605,
Ibid., p. 504 et 552.
(2) Giovannini au grand-duc, 8 octobre 1602, Ibid., p. 505.
(3.) M. Rott, p. 108, qualifie cette attitude un peu durement : « Les
inconséquences de la politique française durant cette époque, dit-il,
sont manifestes. » Il nous semble au contraire que c"eût été une incon-
séquence de provoquer trop fortement l'Espagne quand. on ne voulait
pas lui faire la guerre.
LE MINI.STHE D'HENRI IV 413
l'Espagne ; puisque l'on estimait n'être pas encore prêt à
faire cette guerre, il était nécessaire de se résigner à une
action lente et prudente. Un exemple frappant de celte
attitude fut l'indifférence apparente des Français quand
les Espagnols occupèrent Final. Par cette acquisition né-
gociée secrètement avec le derniermarquisde Final et effec-
tuée au début de 1G02, Philippe III s'emparait d'un port
de mer qui fortifiait l'occupation du Milanais, neutralisait
Gênes, menaçait la Toscane. Les craintes furent vives en
Italie. Vénitiens et Toscans remontrèrent à Villeroy le dan-
ger qui menaçait la péninsule il). Le ministre leur répon-
dit que ce qu'on pouvait faire était déjà fait. On avait fait
parler au pape et à l'empereur, mais sans espoir de succès.
On ne pouvait agir davantage sans compromettre la répu-
tation du roi ; car si l'on parlait aux Espagnols ce devait être
avec l'intention ferme d'aller plus avant, si les réclamations
de la France étaient inefficaces. Le roi ne pouvail]entrepren-
dre la guerre qu'en toute assurance de succès: c'était au
Grand-duc et à la République de savoir ce qu'ils voulaient
faire. Les Français n'agiraient que lorsque leurs amis ita-
liens seraient unis pour les appeler au delà des monts.
C'était la conclusion de Villeroy toutes les fois qu'il traitait
des affaires de la péninsule (2). En effet, les Italiens, comme
les Hollandais, s'étaient tournés vers le roi de France
comme vers le champion des peuples opprimés par la ty-
rannie espagnole. Ils nepouvaienteomprendre qu'Henri IV
ne tut toujours armé et casqué pour les défendre. Ils con-
sidéraient presque comme une trahison son désir si naturel
de goûter un peu de repos après tant de luttes. Dans leur
impatience excessive, ils poussaienl la France à la lutte
sans s'être liés ni entre eux ni avec elle par des traités défi-
nitifs précisant les conditions de leur coopération et le but
(1) F. Ital 1751, f" 1, i mars 1602.
(2) Villeroy à Béthune, 11 février 100:2, F. Fr. 3487, f° 33.
414 VILLEROY
poursuivi (1). Rien n'irritait plus Villeroy que cette préten-
tion des étrangers à vouloir toujours que son pays entrât
le premier « dans la danse ». Il avait adopté comme règle
invariable d'examiner froidement deux points essentiels :
l'intérêt de l'Etat et la probabilité du succès.
III
Après six ans d'efforts, la politique française n'avait pas
encore réalisé l'union des états indépendants d'Italie contre
l'Espagne. Elle ne put faire non plus entièrement la con-
quête morale de Rome. Toutefois elle gagna sur ce terrain
de très appréciables succès. Ce fut jusqu'en 1607 l'œuvre
la plus originale de notre diplomatie dans la péninsule et
celle qui porta le plus la marque de Villeroy. Les amis et
les ennemis du ministre reconnaissent qu'à la cour de
France, c'est Villeroy qui a « le plus d'inclination » aux
choses d'Italie et en Italie aux affaires de Rome et qu'il a
souvent à lutter pour y attirer l'attention de Henri IV faci-
lement détournée vers d'autres buts (2). Aerssen déplore
perpétuellement les fâcheuses tendances de ce pacifiste
catholique qui a pour maxime que cette couronne ne peut
prospérer que si elle est d'accord avec le pape (3). On sait
(1) Fresne-Canaye écrivait à Caumartin le 1er avril 1605, en parlant
de « la lâche prudence italienne »,quesi nous sommes froids, ils disent
que nous les gelons, si nous montrons de la chaleur, ils s'imaginent
que nous sommes sur le point de « danser tous seuls ». « Cette létar-
gie, ajoutait-il, ne se guérira jamais qu'avec d'étranges coups de barre. »
Ambassades, t. II, p. 542.
(2| Giovannini au grand-duc, 9 décembre 1601, Desjardins, t. V,
p. 473.
(3) Aerssen à Oldenbarnevelt, lfi août 1602, Arch. de la Haye, ffoll.
2632. Le 12 novembre 1601, il écrivait à Valcke : « Il semble que tous
les conseils de l'administration de cet Estât se prennent à Rome». Voir
J. Nouaillac, Lettres inédites de F. d' Aerssen, p. 133.
LE MINISTRE l)'lIENRI IV 415
les allusions blessantes que lancent les Economies royales
à celui que Sully a mis parfois au nombre des « catholiques
Zélés que d'autres nommaient envenimés » (1).
Dans ce domaine romain de la politique française, il
faut faire unegrande place àl'un des plus distingués diplo-
mates de l'ancienne monarchie, le cardinal d'Ossat qui fut
le meilleur collaborateur de Villeroy et qui inspira souvent
la politique de son ministre. Leur amitié datait de l'époque
où d'Ossat était le secrétaire de l'ambassadeur Paul de
Foix ('2). Villeroy qui estimait profondément ce cœur droit,
cet esprit cultivé et fin, le recommanda à Henri III ; celui-ci
lui confia, après la mort de Paul de Foix,la gestion des inté-
rêts français à Rome, en attendant le nouvel ambassadeur,
Jean de Vivonne, qui n'arriva qu'une année après (1585).
D'Ossat fut ensuite secrétaire du protecteur des affaires
de France. Dans cette fonction modeste, il acquit tant d'au-
torité par son intelligence pénétrante des choses romaines
et son dévouement passionné à l'Etat qu'il fut le conseiller
très écoulé des deux grands seigneurs qu'il parut successi-
vement servir, le cardinal d'Esté et le cardinal de Joyeuse.
Quand Henri III chassa Villeroy, il offrit la charge de secré-
taire d'Etat à d'Ossat. Nous avons vu comment celui-ci
avait décliné cet honneur. Villeroy, revenu au pouvoir, sut
faire apprécier par Henri IV les mérites de son ami (3).
C'est à lui que d'Ossat se déclara redevable, après le roi
des faveurs qui firent en 1596 un évêque de Rennes, en 97
(1) Sully, Ec. Roy., I, p. 413.
(2) D'Ossat à Villeroy, 8 janvier 1595, Lettres du cardinal d'Ossat,
Amsterdam, 1732, t. I, p. 355. — Sur d'Ossat, voir Degert, Le Cardi-
nal d'Ossat, 1894, in-8".
(3) D'Ossal écrivait à Villeroy, le 17 septembre 1596 (Lettres...,
t. II, p. 214-215) : « Quant à vous, Monseigneur, je reconnais aussi la
bonne part qu'après S. M. vous avez en tous les biens et honneur- que
j'ai reçus de s. M. pour m'avoir dès le coin ncemenl dépeint au roi
non pour plus Bdèle el dévol mais bien pour plus habile sujel et ser-
viteurque je ne suis. » Voir aussi les lettres de remerciemenl des 20
février 96, 18 octobre 97, 3 mai 99, t. II, p. 37 et 91, t. 111, p. 358.
416 VILLEROY
un conseiller d'Etat, en 99 un cardinal du simple prêtre qui
avait rendu tant de services à Henri IV, depuis son avène-
ment,, sans autre charge officielle que celle de procureur
de la reine Louise pour obtenir des obsèques solennelles à
Henri III. Après avoir négocié avec succès l'absolution du
roi, il demeura jusqu'à sa mort, en 1604, un véritable am-
bassadeur de France à Rome sans le titre. Les représen-
tants officiels du roi avaient ordre de prendre conseil du
cardinal et d'agir de concert avec lui. « Plus vous le fré-
quenterez, écrivait Yilleroy à Béthune, plus vous l'aimerez
et vous vous y confierez (1). »
Les conseils du cardinal étaient très appréciés à la Cour.
Il était convaincu que l'union intime avec Rome pouvait
rendre les plus grands services au roi et qu'il fallait faire
au pape un certain nombre de concessions peu coûteuses,
dans l'intérêt du royaume. Ses arguments déterminèrent
l'attitude de Yilleroy dans les affaires de l'Eglise gallicane
et du concile de Trente (2). Yilleroy fut aussi fortement
impressionné par la haine du cardinal contre le Savoyard
et son opposition vigoureuse à l'abandon de Saluées. Yille-
roy et d'Ossat n'étaient-ils pas deux caractères très sem-
blables ? Un esprit solide, un tempérament souple et patient,
un jugement pénétrant étaient les qualités de ce politique
positif qui dédaignait les vues chimériques et les « paroles
magnifiques » et affirmait à Yilleroy que son seul principe
était de rechercher « la substance et la vérité et réalité du
salut, sûreté et grandeur du Roi et de sa lignée et de l'état
el couronne de France » (3).
(1) Yilleroy à Béthune, 22 novembre 4 G 0 1 , F. Fr. 3487, f° 9. — Les
ambassadeurs d'Henri IV a la cour de Rome furent le duc du Luxem-
bourg jusqu'en 1601 et Philippe de Béthune, frère de Sully, de 1601 à
1605. '
(2) Voir l'importante lettre de d'Ossat à Yilleroy, 16 juillet 1596,
t. II, p. 167.
(3) D'Ossal ;i Villeroy, 16 janvier 1596, t. II, p. 1.
On pourrait l'approcher les maximes politiques de Villeroy et du car-
LE MINISTRE i/hENRI IV 417
Cette entente si étroite de Villeroy et du cardinal inspi-
rait quelque jalousie à Sully. Le surintendant se montrait
vivement froissé de voir que d'Ossat fort de In confiance
d'Henri IV et de Villeroy négligeait de lui faire la cour. Au
milieu de l'année 160.'>, si nous en croyons les Economies
royales, un orage éclata. Sully se crut personnellement at-
taqué dans une lettre où d'Ossat écrivait à Villeroy que le
mécontentement de la noblesse, de l'Eglise et l'oppression
donl souffrait « le pauvre peuple » avait accru l'audace de
ceux qui avaient conspiré avec Biron. Le surintendant se
vengea immédiatement. Il était en train de dresser l'état des
pensions à Rome ; il changea l'assignation du cardinal en
une autre qui ne valait rien. Plus tard, il se vengea dans ses
Economies, en traitant Villeroy et « sa créature » d'ingrats,
d'impudents et de malicieux (1). L'incident, semble-t-il,
n'eut pas de suite grave, car une lettre de Villeroy insérée
dans les Économies royales prouve qu'au mois de novembre
suivant les relations entre Sully et d'Ossat étaient très cor-
diales (2).
dinal d'Ossat. Dans cette même lettre, d'Ossat indique l'objel île la poli-
tique qu'il poursuit à Rome, et ces déclarations rappellent de nom-
breuses paroles du ministre d'Henri IV : « garantir au roi et à ses
enfants leur vie, leur majesté et leur royaume et restituer à la France
son repos, son union et son ancienne force, grandeur, splendeur et
dignité. » Comme Villeroy, il avait coutume de dire qu'il faut s'accom-
moder au temps et à la nécessité. Comme Villeroy, il était déliant :
<( Ht n'y a rien qui soit plus de mon humeur que de prendre toujour*
les choses en pis et de ne commettre à la fortune rien où la prudence
puisse arriver. » (D'Ossat à Villeroy, Lettres, t. I, p 356),
(1] AV. Roy., t.l, p. 413. <• Bien était-il vrai que les catholiques zélés,
tels que ce M. de Villeroy et son cardinal que d'autres nommaient en-
venimés, n'étaient pas contents en leurs petits cœurs île ce que le roi
ne se portait pas aux choses qu'ils désiraient, voulant persuader S. M.
de se joindre aux desseins de la Cour de Rome pour mettre un roi
catholique en Angleterre, et la faire départir des alliances qu'elle avait
avec la reine d'Angleterre, les rois d'Ecosse, le nouveau roi de Suède.
celui de Danemark, et des princes et villes protestantes d'Allemagne et
de Suisse et se résoudre, si tôt qu'ils eussent voulu, au rétablissement
des Jésuites. »
(2) Ec. Roy., t. 1, p. 519. Villeroy à Rosny, 26 novembre 1603. —
Villeroy 27
418 VILLEROY
Ce n'était point la première algarade qui ait eu lieu entre
les Jeux ministres au sujet d'affaires romaines. Le choix
de l'ambassadeur qui remplaça Luxembourg au lendemain
de la paix de Lyon avait déjà provoqué un conflit entre
eux. Au début de 1601, Sully proposait au choix du roi son
frère Philippe de Béthune. Villeroy allié avec Sillery défen-
dait la candidature de son propre fils d'Alincourt. Dans
cette compétition il y avait plus qu'une querelle de per-
sonnes. Sully essayait de gagner une part d'influence dans
les affaires étrangères au poste le plus important de la chré-
tienté. Villeroy voulait un ambassadeur absolument docile
à sa politique romaine. Ils « s'entrepicottèrent », mais le
roi rétablit la paix en décidant que Béthune serait d'abord
nommé ambassadeur et que, sa mission terminée, il serait
remplacé par Alincourt. La rancune des deux ministres ne
subsista pas. Dans la suite, Sully montra le plus cordial
empressement à faire nommer Alincourt, d'après le témoi-
gnage de Villeroy lui-même (1).
En fin de compte, c'est Villeroy qui l'emporta, car Bé-
thune se soumit docilement à son ministre. C'était « un na-
turel grandement retenu et circonspect », au dire de son
Gel incident ne nous est connu que par Sully lEc. Roy., I. p. 4131 et
il nous est impossible de le contrôler. Marbault doute de son authen-
ticité, mais il met en avant un argument défectueux pour prouver son
dire. Cette belle histoire, dit-il, n'a pu être composée que 22 ans après,
quand furent imprimées les lettres de d'Ossat (1624) Mais il est pos-
sible que Sully ait eu connaissance, comme il l'affirme, de l'extrait de
cette lettre dont d'Ossat en voulait nullement faire un mystère. De plus,
nous savons que Sully recourait volontiers à ces procédés de ven-
geance dans ses accès de mauvaise humeur contre ceux qui lui avaient
manqué de respect. Ajoutons que dans ses mémoires, il se fit, suivant
son habitude, plus méchant qu'il n'avait été, accabla d'injures Villeroy
el d'Ossat et leur reprocha d'organiser avec le pape un complot contre
1rs nations protestantes. En 1003, Sully n'aurait certainement pas lancé
avec sérieux ces accusations.
(11 Villeroy à Béthune, 22 octobre 1003, F. Fr. 3487, fo 175. En lui
annonçant la nomination de d'Alincourt, il lui dit: « Votre frère en
a été l'auteur, pour me rendre preuve de son amitié. »
LIS MINISTRE D'HENRI IV 410
propre frère (1), un esprit «capable, judicieux et diligent»,
comme le jugeait d'Ossat et comme le prouve sa corres-
pondance ; c'était aussi un excellent catholique. Alincourt
qui le remplaça fut aussi docile, mais beaucoup moins bon
diplomate. Le fils de Villeroy qui d'après un ambassadeur
toscan « ne valait rien » (2) n'eut pas à faire une grande;
œuvre à Rome. Toutes les épines avaient été écartées de
son chemin par d'Ossat et Béthune. La plus grave affaire
de son ambassade, le conflit romano-vénil,ien„fut résolue
par une mission extraordinaire confiée au cardinal de
Joyeuse.
Depuis l'absolulion du roi, des rapports très amicaux
s'étaient établis entre la France et le Saint-Siège. Us étaient
moins étroits et moins sûrs que Villeroy ne l'eût voulu ; le
parti espagnol se trouvait très fort dans le Sacré-Collège et
le pape ClémentVIII était un vieillard sans malice qui
se laissait souvent diriger par son neveu le cardinal Aldo-
brandini pensionné par l'Espagne (3). LTne lutte incessante
était nécessaire pour maintenir l'influence d'un roi que ses
ennemis s'acharnaient à rendre suspect au pape. On com-
prend combien il importait de donner des preuves de bonne
volonté à l'égard du Saint-Siège. Aussi la diplomatie fran-
çaise fut-elle bien inspirée quand, sur les conseils de d'Os-
sat, à la fin de 1597, elle offrit résolument l'aide du roi de
France à Clément VIII dans son différend avec César d'Esté
qui, succédant à son cousin Alphonse II, se refusait à res-
tituer le fief pontifical de Ferrare. Les Espagnols étaienthos-
tiles aux prétentions de Clément VIII, mais les offres du
roi, autant que l'excommunication papale, décidèrent
(1) Sully, Ec. Roy., I, p. 369.
h) D'Ossat au roi, 10 décembre 1601, t. II, p. 518.
(3) V. « E un d'appoco, un inetto e un ignorante » (Desjardins, t. V,
p. 54G), « Ne pernobilta ne per virtù non vale nulla » {Ibid., p. 549).
420 VILLEROY
César d'Esté à céder Ferrare (1). Un même sentiment de
condescendance à l'égard du Sainl-Siège inspira, nous
l'avons vu, Villeroy et la fraction modérée du conseil quand
ils poussèrent Henri IV à accepter la médiation du pape
pendant les guerres d'Espagne et de Savoie. Plus tard, le
rétablissement des Jésuites, les efforts de Villeroy pourfaire
publier le concile de Trente furent autant de satisfactions
accordées au pape.
De cette altitude souple, respectueuse, où triomphait ce
que les Vénitiens appelaient il modo soave de Villeroy,
on retira de réels avantages. Les conflits avec l'Espagne
perdirent beaucoup de leur acuité par l'intervention du pape
que Villeroy et ses agents sollicitaient discrètement et
tâchaient, non sans succès, de rendre la plus bienveillante
possible. Quand éclatal'incident La Rochepot d'où aurait pu
sortir une guerre (3 août 1601), la diplomatie pontificale
obtint que les Espagnols lui délivrassent directement le
neveu de l'ambassadeur et les gentilshommes français qui
avaient été emprisonnés. Après la découverte de la conspi-
ration de Riron, Villeroy fit agir Réthune pour exciter l'in-
dignation du pape contre les étrangers qui avaient attenté
à la vie du roi ; et dans cette cour hispanophile on entendit
l'honnête Clément VIII qualifier de « très méchant homme»
le duc de Savoie, et charger Réthune d'exprimer au roi «son
déplaisir des artifices d'Espagne ». Quand éclata la guerre
des tarifs entre les deux nations (février 1603) le pape
inquiet fit intervenir son nonce en Espagne et sa diplo-
matie aida considérablement au rétablissement des bons
raports commerciaux (14 octobre 1604) (2).
(1) D'Ossat à Villeroy, 20 décembre 1597, t. I, p. 482, 24 janvier
1598, Ibid., p. 494.
(2) Voir Philippson, t. I, p. 240 et suiv. — Couzard, Une ambassade
à Rome sous Henri IV (septembre 1601-juin 1605) d'api-ès des doc.
inédits, p. 49 et suiv.. p. 147 et suiv., 1900, in-8°. — Sur l'attitude
de Villeroy dans le conflit franco- espagnol et la médiation romaine en
LE MINISTRE d'hENRI IV 421
Vivre en paix avec l'Espagne, grâce à l'intervention pon-
tificale, était assez aisé. Il était beaucoup plus difficile de
conserver au roi sa liberté d'action en Europe, de prati-
quer la politique traditionnelle d'amitiés et d'alliances avec
les nations protestantes, sans perdre la bienveillance du
chef de l'Eglise. Cependant la diplomatie dirigée par Ville-
roy fut si souple et si ingénieuse à prévenir les froissements
graves qu'elle sut presque toujours réaliser ce tour de
force.
L'alliance du roi et des Genevois contrariait beaucoup
les papes. Clément VIII avait approuvé intérieurement
l'Escalade. Quand les hérétiques Genevois allèrent par re-
présailles attaquer Saint-Genys en Savoie, il écrivit une
lettre assez amère au roi, lui reprochant de protéger les
ennemis de l'Eglise. Villeroy recommanda à Béthune et à
d'Ossat de soutenir sans faiblir les intérêts du roi ; Henri IV,
malgré le pape voulait défendre la ville de Genève qui assurait
ses communications avec les Suisses (1). Les mômes argu-
ments servirent à défendre l'attitude du roi à l'égard des
Grisons. Toutefois on aurait voulu obtenir davantage. Après
la construction du fort Fuentès, Henri IV désirait que
Clément VIII intervînt auprès du gouverneur du Milanais
pour qu'il cessât de menacer la paix. Ce ne fut pas pos-
sible, car les Espagnols avaient gagné à leur cause le car-
dinal-neveu (2). La diplomatie de Villeroy sut empêcher
avec une égale souplesse que le pape ne compromît les ré-
sultats de la politique anglaise de son maître. Elle ferma
l'oreille aux propositions de Clément VIII qui rêvait de
donner pour successeur à Elisabeth un prince catho-
1604, voir principalement les dépêches de Tassis des 15 avril, 28 mai,
19 juin, 27 juillet et 10 septembre 1604, Pap. Simone, K. 1606,
p. 142, 152,155, 162, 171.
(1) Villeroy à Béthune, 16 juin 1603, F. Fr. 3487. fo 143. — D'Os-
sat à Villeroy, 14 juillet 1603, Lettres, t. II, p, 629.
(2) Béthune au roi, 2 mars 1604, F. Fr. 3494, fo 13.
422 VILLEROY
lique (1). Elle résista aux efforts que faisait le pape pour
amener les Français à protéger activement les catholiques
d'Angleterre. Le très catholique Villeroy montra en toute
cette affaire une extrême circonspection. « Il est très dan-
gereux, écrivait-il à Béthune, de se mêler des affaires d'An-
gleterre en faveur des catholiques, car ce prince ne les
aime guère et affectionne grandement sa religion (2). » On
ne voulait point mécontenter la reine en critiquant ses
actes et lui donner le droit d'intervenir dans les rapports
de son « bon frère » avec les réformés. Sous Jacques Ier
on fut un peu moins réservé parce que ce roi théologien,
pacitique et indécis montrait naturellement des dispositions
assez libérales à l'égard- de ses sujets catholiques. Dans
son ambassade extraordinaire en Angleterre (1603) Sully
l'avait adroitement sollicité de « faire quelque chose en
faveur des catholiques » (3). L'ambassadeur Beaumont
entretenait ses dispositions conciliantes (4). Villeroy ne
manquaitpasde faire ressortir le plus brillamment possible
cette modeste intervention auprès de la Cour de Borne.
« Vous ferez valoir cette marchandise le mieux que vous
pourrez», écrivait-il à Béthune. Au reste, le ministre n'a-
vait pas le moindre enthousiasme pour ce rôle chevale-
resque et dangereux. Il recommandait à son ambassadeur
de « tirer notre épingle avec le plus de douceur que nous
pourrons, car il m' apparaît bien qu'il y aura plus d'hon-
neur que de profit à gagner de toutes façons ».
Le point le plusdélicatdans les relations du roi très chré-
tien avec les nations protestantes fut sans contredit l'ap-
pui moral et matériel prêté aux Hollandais. Villeroy al'lir-
(1) D'Ossat à Villeroy, 10 février 1603, Lettres..., t. II, p. 589-603.
(2) Villeroy à Béthune, 14 juillet 1603, F. Fr. 3487, folio.
(3) Sully, Ec. Boy., t. 1, p. 461 et suiv. Il obtint du roi de faire
surseoir jusqu a la réunion du Parlement à l'exécution de l'Edit contre
les récusants.
(4) Voir Laffleur de Kennaihgant, Mission de Christophe de Harlay,
comte de Beaumont, 1895, in-8o, p. 135-1 49.
LE MINISTRE d'iIENRI IV 423
mait la nécessité de continuer à secourir -les Hollandais
tant que les Espagnols seraient nos ennemis. Mais il vou-
lait qu'on prît des précautions pour ménager le pape. Nos
représentants eurent pour consigne d'excuser le roi sur la
nécessité où il se trouvait de répondre aux procédés de
« renard » des Espagnols par des procédés analogues, et de
prétendre, — ce qui était taux, — que l'argent envoyé aux
Pays-Bas était le simple remboursement des sommes prê-
tées autrefois par les Etats (1). Nous savons aussi parAers-
sen comment Villeroy s'efforçait d'obtenir des membres du
Conseil et des Hollandais eux-mêmes que ces envois de
subsides restassent secrets.
La diplomatie française eut pareillement à éviter de se
laisser entraîner à des actes d'hostilité contre les Turcs. La
Croisade entreprise par les princes chrétiens réconciliés
était le rêve constant de la Papauté. Au début du xvn"
siècle se poursuivait en Hongrie la lutte entre les Turcs et
l'Empereur assisté de volontaires chrétiens tels que le duc
de Mercœur et le neveu de Clément VIII Jean François Al-
dobrandini. Malgré les efforts du pape, Henri IV ne songea
sérieusement ni à lutter contre les Ottomans, nia favoriser
leurs adversaires, ni même à ménager la paix entre l'empe-
reur et le Sultan. Villerov recommandait à Béthune d'éviter
(1) D'Ossat à Villerov, 10 février !603, Lettres, t. II, p. 589-603. —
Villerov à d'Ossat, 22 mars 1603, Ibid., p. 2. — D'Ossat, dans une
longue lettre, expliquait son opinion particulière qui différait de relie
de Villeroy. 11 disait qu'il fallait agir selon la justice avec les Espagnols
et cesser tout acte d'hostilité déguisée. Il souhaitait qu'une bonne intel-
ligence régnât entre les deux rois, qui consument leur temps et leur
argent à « s'entremalfaire ». Villeroy approuva une partie des raisons
données par d'Ossat. Mais il ajoutait: « Si nos parties adverses étaient
aussi gens de bien que vous nous conseillez d'être, nous serions aussi
imprudents que méchants, si nous ne suivions entièrement et exacte-
ment votre bon avis. Mais comme nos pères et nous les avons éprou-
vées autres, nous sommes contraints aussi de joindre quelquefois la
peau de renard à celle de lion, aux affaires que nous avons à démêler
avec eux, résolus néanmoins de dépouiller la première, toutes etquantes
fois que les autres feront le semblable. »
i24 VILLEROY
toujours « de mettre S. S. en ce propos » (1). Les Turcs
tenaient les Habsbourgs en échec et les Français avaient
dans tout l'Orient depuis les capitulations une belle situa-
tion morale et commerciale qui grandissait tous les jours.
Le plus sûr moyen pour le roi d'avoir la bienveillance
ou la neutralité de Rome était d'y entretenir un fort parti
français capable d'y contrebalancer l'influence des Espa-
gnols. Henri IV ne semble pas y avoir toujours porté la
même attention. Il était sollicité par d'autres affaires,
rebuté par de grosses dépenses pour un intérêt non immé-
diat, et par la médiocrité des intrigues en jeu. Au contraire,
Villeroy passait pour celui qui s'occupaitavec le plus grand
soin des choses de Rome (2).
Il savait que pour acquérir de l'influence à Rome, il fal-
lait acquérir à prix d'argent les cardinaux. Les Espagnols
faisaient sans compter d'abondantes distributions. Le
royaume de France était moins riche, Henri IV et Rosny
moins disposés à donner. Villeroy, résolu à utiliser le mieux
possible des moyens assez faibles, estimait qu'il est meil-
leur d'acquérir moins de serviteurs et les bien traiter (3) et
tenait la main à ce que ce budget des largesses s'accrût
peu à peu (4). En 1601, on ne comptait guère que deux car-
dinaux influents français de cœur : Alexandre de Médicis et
Baronius. On acquit petit à petit Barberini, Visconti, Hip-
polyte d'Esté, duc de Modène, et cousin du cardinal Louis
qui sous Henri III avait été protecteur de France. Henri IV
paraissait assez mal disposé à son égard car il avait pris le
parti des Espagnols. Villeroy qui avait fort aimé le père et
(1) Villeroy à Béthune, 2 juin 1602, F. Fr. 3487, f» 50.
(2) Giovannini au grand-duc, 9 décembre 1601, 22 mars 1602, Des-
jardins, t. V, p. 471-474, p. 480.
(3) D'Ossat à Villeroy, 22 septembre 1603, Lettres, t. II, p. 648:
voir aussi la lettre du 10 mars 1603, Ibid., p. 610.
(4) Villeroy à Béthune, 31 janvier 1602, F. Fr. 3487, fo 25.
LE MINISTRE D'HENRI IV 425
estimait grandement la vertu de ce cardinal (1), changea les
dispositions du roi aussi bien que celles du cardinal [moyen-
nant quelques abbayes et une pension). On entreprit patiem-
ment le siège du cardinal neveu Aldobrandini intéressé et
versatile, et on parvint vers 1605 sinon à le détacher de
l'Espagne, au moins à le rendre plus favorable à la France.
Ce trafic ne scandalisait nullement Villeroy qui aimait à
constater d'un ton goguenard que « en vérité ce métal a
beaucoup de pouvoir en ce siècle comme aux autres » (?)
et recommandait avec un peu d'ironie à son ambassadeur
de « bien arroser et cultiver » ses plantes (3).
Les cardinaux français ne servaient pas moins au relève-
ment du parti anti-espagnol que les Italiens. Villeroy insista
beaucoup pour que la France fût représentée, à Home par
un cardinal de grand nom et de belle fortune. Sur ses con-
seils, le roi envoya Joyeuse en Italie à la fin de 1603. C'était
le frère puiné d'Anne de Joyeuse et Villeroy était très lié
avec lui depuis l'avènement de cette famille à la fortune.
Sous le règne d'Henri III, il avait fait à Rome plusieurs
séjours comme protecteur de France et le ministre avait
apprécié ses qualités diplomatiques. C'était un grand sei-
gneur intelligent, très pacifique, absolument dévoué à
Henri IV, mais un peu indolent. Il devait rester très uni
avec Villeroy dans le conseil de Régence dont il fut un
membre important. Lors de la promotion cardinalice de
1604, Villeroy soutint ses candidats personnels, Villars,
l'archevêque de Vienne et Marquemont, mais il ne put les
(1) Villeroy à Béthune, 22 novembre 1001. Ibid., f° 9.
(2) Villeroy à Béthune, 2 janvier 1C02, Ibid., f« 28. Les termes de
cette amusante lettre sont à citer : « Monsieur, jamais on ne refusa à
Rome non plus qu'ailleurs les épus de France ; partant je ne trouve pas
étrange que les camériers du pape aient si gaiement accepté ceux que
vous leur avez donné au nom du roi... En vérité, ce métal a beaucoup
de pouvoir en ce siècle comme aux autres ».
(3) Villeroy à Béthune, 30 novembre lG04,/fo'rf., fo 100. Dans cette
lettre, la plante en question est le cœur du cardinal Aldobrandini.
426 VILLEROY
faire triompher. Le roi de son propre mouvement voulut
favoriser Serafîno Olivieri, patriarche d'Alexandrie, un des
plus éminents jurisconsultes de son temps, qui lui avait
rendu de grands services lors de sa conversion. Sully dé-
fendit « les mérites et grand savoir de M. du Perron » (1).
Ces deux candidats furent agréés à Rome.
Villeroy voulut-il être lui-même cardinal ? Cet étrange
bruit courut plusieurs fois avec une certaine persistance,
et fut recueilli et colporté par les ambassadeurs étran-
gers qui cherchaient les motifs secrets de la politique ro-
maine du ministre. Le 9 décembre 1601, le florentin Gio-
vannini (2) rapporte qu'on disait que Villeroy voulait être
cardinal, soit pour le service du roi, soit pour être chan-
celier et pour n'avoir pas à se tenir au Conseil en présence
du Roi droit et découvert, lorsque Sully restait assis et
couvert. Aerssen écrit à Rarnevelt le 4 janvier 1602(3)
qu' « il est certain que le pape a offert le chapeau à M. de
Villeroy lequel met encore en doute s'il le doit accepter ».
Il doit même recevoir l'archevêché de Lyon qu'il résignera
à un ecclésiastique. Aerssen croit au mois de juillet 1606
que Villeroy veut aller négocier directement à Rome la
réconciliation du pape et de Venise et qu'ildoitrapporter le
chapeau (4). Il n'y avait aucune impossibilité canonique à ce
qu'un ministre laïque reçût le chapeau. Duprat fut créé car-
dinal en 1527 et reçut en un seul jour tous les ordres ecclésias-
tiques. Ce titre eût procuré à Villeroy un grand prestige et à
(1) Sully, Ec. Roy., t. 1, p. 621. Les secrétaires de Sully, après avoir
fait allusion à ces brigues et aux « merveilleuses instances » de Ville-
roy, ajoutent : « Et quoique M. du Perron sut bien que M. de Villeroy
s'était opiniâtrement bandé contre lui, néanmoins, faisant par votre
conseil plutôt le courtisan que le théologien, il lui en écrivit aussi bien
qu'à vous des lettres de remerciements... »
(2) Giovannini au grand-duc, 9 décembre 1601, Desjardins, t. V,
p. 474.
(3) Aerssen à Barnevelt, 4 janvier 1G02.
(4) Aerssen à Barnevelt, 28 juillet 1606, Arch. de La Haye, Legatie-
Archief, 614.
LE MINISTRE D HENIU IV 427
son pays un accroissement considérable d'influence dans le
Sacré-Collège. Mais une telle nouvelle était sans fondement.
Rien dans les paroles ou les actes de Villeroy ne peut nous
autoriser à la prendre au sérieux. Les Economies Royales
n'en parlent pas, et Rosny n'eût évidemment pas manqué de
s'emparer de la chose pour grossir son réquisitoire. D'ail-
leurs les étrangers qui ont accueilli ce bruit ne parlent
que de vagues « on-dit » et le florentin affirme qu'il n'a pas
voulu le croire, parce que le cardinal Gondiet deux autres
personnes dignes de foi avaient assuré que c'étaient des
fables inventées pardesennemis particuliers du ministre (1).
Les résultats de la prévoyance de Villeroy en affaires
romaines se manifestèrent à la mort du pape Clément VIII
enl605. L'élection du cardinal de Médicis (Léon XI) un vieil
ami de la couronne, fut un triomphe pour la politique fran-
çaise. C'était aussi le résultat de la bonne entente des
Français et des Toscans, constamment recommandée par
Villeroy que le grand duc, un des personnages les plus
avisés de son temps, estimait comme « le plus sage et le
plus grand homme d'état du monde » (?). Léon XI mourut
malheureusement vingt-six jours après son élévation; mais
le parti français était si fortement constitué que le Sacré-
Collège lui donna pour successeur le cardinal Borghèse
qui prit le nom de Paul V. Celui-ci, sans être une créature
française, avait donné de réelles preuves d'indépendance à
l'égard de l'Espagne et dimpartialité entre les deux na-
tions (3).
La France allait-elle cette fois avoir plus de chances de
succès, essayer de resserrer l'union du pape avec les étals
de la péninsule, pour la liberté de l'Italie ?
(1) Giovannini au grand-duc, Desjardins, t. V, p. 474.
(2) Ainsi l'affirma le grand-duc à Du Perron, lorsque le eardinal
passa à Florence. Voir la lettre de Du Perron à Villeroy, 27 décembre
1604, Ambassades..., p. 259.
(3) Voir Philippson, I, p. 346 et suiv. — Couzard, p. 373 et suiv.
428 VILLEROY
IV.
C'est à ce moment que deux des principaux états indé-
pendants de l'Italie faillirent provoquer la guerre. Au mi-
lieu de l'année 1605, éclata un violent conflit entre la Répu-
blique de Venise et le Saint-Siège. Le Sénat avait rendu un
décret pour mettre un terme à l'accroissement indéfini des
biens de main-morte ("26 mars). Le Conseil des Dix, au mé-
pris des droits delà justice ecclésiastique, avait cité devant
lui deux clercs accusés l'un de diffamation l'autre d'homi-
cide. Le pape Paul V, mauvais politique, réclama âprement
en théologien et en canoniste, prétendant maintenir dans
toute leur rigueur les privilèges ecclésiastiques. Peut-être
la diplomatie des deux partis aurait-elle résolu le con-
flit, si les intrigues des Espagnols n'avaient tout brouillé.
Sous leur influence, une partie du Sacré-Collège décida le
pape à lancer deux brefs proclamant impérieusement la
liberté absolue de l'Eglise en matière de biens et exigeant
la remise des prisonniers entre les mains du nonce (10 dé-
cembre). Après une réponse ferme du Sénat défendant les
droits de la République, un consistoire solennel se réunit
à Rome, que les cardinaux espagnols entraînèrent à la rup-
ture. Le 17 avril 1606, Paul V lança l'interdit contre Venise.
La République répondit en intimant au clergé l'ordre de
continuer la célébration du culte et en expulsant les théa-
tins, les jésuites et les capucins qui s'y refusaient. Des deux
côtés on arma (1).
Quel parti le roi de France allait-il prendre? La lutte de
principes, qui passionnaitl'Europe, mettait la guerre entre
(1) Voir Romanin, Storia documentata di Venesia, t. III, p. 1 et
suiv. ; Cornet, Paolo V e la Repùblica Yeneta, Vienne, 1859, in-8°. —
Philippson, t III, p. 1 et suiv.
LE MINISTRE d'hENRI IV 429
protestants et papistes, gallicans et ultramontains, forçait
Jacques 1èr et les Hollandais à se déclarer pour les défen-
seurs du pouvoir civil, étàil certainement le moindre des
soucis du Roi et de ses ministres. Ils se préoccupaient sur-
tout de l'intérêt du royaume. Mais il y avait des manières
opposées de le concevoir. Henri IV, très indécis, consulta
son Conseil qui se divisa en deux partis (1).
Villeroy combattit pour la paix. Il fallait avant tout ré-
concilier les deux adversaires ; leur rupture entraînait le
roi à une guerre dangereuse pour la tranquillité intérieure
et qui serait contraire aux intérêts extérieurs du pays puis-
qu'on serait forcé de se prononcer contre le pape uni aux
Espagnols. On ne pouvait s'attendre à un autre conseil de
lui. L'ambassadeur Priuli reconnaît qu'il parlait parce qu'il
concevait ainsi le service du roi. Mais il cherche à son ordi-
naire les motifs d'intérêt particulier et il découvre que Vil-
leroy avait l'ambition de voir son fils acquérir de la gloire
en participant à la réconciliation de Venise et de Rome. II
croit aussi que Villeroy voulait se concilier L'affection du
pape, qui pourrait faire de lui un cardinal. Le chancelier
Sillery était comme toujours de lavis de Villeroy et solli-
citait Henri IV de prendre le rôle glorieux de pacifica-
teur (2).
Sully étaitau contraire un partisan convaincude laguerre.
Il ne fallait rien faire pour empêcher une rupture qui affai-
blirait les Espagnols en les obligeant à retirer une partie
de leurs troupes de Flandre, pour les engager en Italie.
Pendant qu'on se battrait dans la péninsule, le royaume
(1) Relasione di P. Priuli, Barozzi et Berehet, II. I, p. 269 et suiv.
« Appendice alla relazione di Pietro Priuli relativa alla parte che
piese il re Enrico IV nelle différence tra la Republica ed di Ponte-
fi.ee. »
(2) Villeroy conseille de ne se mêler en aucune manière de cette
affaire sauf a con finedi quiète e di accomodamento ». Laguerre doit
être détestée plus que toute autre chose ; elle est dangereuse « per
quoi rispetti che avevano altre volte travagliata la Francia. »
430 VILLEROY
serait en sécurité ; on pouvait entretenir cette guerre, en
faisant passer sous mains quelques secours aux Vénitiens,
sans rompre avec le pape. L'Italie qui n'avait pas connu la
guerre depuis longtemps et qui était riche saurait résister ;
le danger commun unirait les princes. Si l'affaire traînait
en longueur, il pouvait se présenter une occasion favorable
pour le roi de se tourner vers la Flandre et de s'emparer
de cette province dont la conquête serait facile, grâce à la
sympathie des peuples, et à l'alliance des Hollandais. L'en-
voyé vénitien qui cherchait à pénétrer les caractères recon-
naît d'abord que Sully parlait comme Villeroy par sentiment
de l'intérêt général : puis il se demande s'il ne manifestait
pas là encore sa tendance habituelle à ne pas estimer comme
il conviendrait les choses d'Italie (1), et si sa religion ne le
poussait pas à favoriser particulièrement les Hollandais. Il
aurait pu ajouter que ce programme était l'expression même
du tempérament de Sully: nous y avons reconnu son ima-
gination optimiste et aventureuse qui lui représente l'Italie
riche, disposée à s'unir contre des adversaires appauvris, et
la Flandre prête à se détacher comme un fruit mûr de
l'arbre espagnol ; il croit qu'il sera toujours possible de se
battre contre les alliés de Paul V, et en respectant le pape.
Mais si loin qu'il soit des idées prudentes et conciliantes
de Villeroy, au moins reconnaît-il, comme lui, la nécessité
absolue de ne pas rompre avec Rome. Bassompierre, Les-
diguières et d'autres seigneurs avaient offert leurs services
à Venise ; le programme belliqueux de Sully était celui des
jeunes gentilshommes comme de la vieille noblesse batail-
leuse.
Entre ces opinions extrêmes, le roi hésita longtemps,
puis parut choisir ce qu'il y avait de bon et d'utile dans
chacune d'elles ; il essaierait d'empêcher la guerre entre
(1) L'attitude de Sully, dit Priuli, provient « perquanto ho scoperto
dal non far egli quella stinm che si converrebbe délie cose d'Italia. »
LE MINISTRE d'hENRI IV 431
Venise et Rome et si c'était absolument impossible, il en-
vahirait les Flandres avec toutes ses forces. On recourrait
donc au programme de Sully, si le programme de Villeroy
échouait (1).
On avait tenté tout d'abord d'empêcher le pape de lancer
l'interdit ; mais la lettre par laquelle le roi le priait de
prolonger le délai de la bulle d'excommunication était
arrivée quatre jours trop tard. De nouvelles instances pour
obtenir la suspension de l'interdit furent inutiles. Le roi se
tourna alors vers Venise et voulut lui faire accepter une
transaction qu'il jugeait conciliable avec les exigences du
pape et l'honneur de la République ; les deux prisonniers
seraient donnés au pape par l'intermédiaire du roi de
France qui prierait le pape de lever les censures. La Sei-
gneurie enverrait alors un ambassadeur remercier le pape,
révoquerait son manifeste du ('» mai et rouvrirait les portes
de Venise aux ordres expulsés. Les Vénitiens, tout en ma-
nifestant leur extrême déférence pour le roi qu'ils ne ces-
sèrent jamais de vouloir pour unique arbitre, trouvèrent
quelques-unes de ces propositions humiliantes pour leur
république. Ils demandèrent que le pape révoquât d'abord
les censures.
De son côté, Paul V s'obstinait à ne point céder le pre-
mier. Malgré les bons offices de d'Alincourt et de Fresne-
(1) L'ambassadeur vénitien rapporte les avis des ministres dans sa
lettre du 15 août à la Seigneurie sans fixer les circonstances spéciales
où ils furent émis. Priuli expose ces avis au début de son appendice
avant d'entrer dans le détail des événements et semble dire que le roi
avait pris une résolution dès l'époque où le pape fulmina l'interdit. Il
est certain qu'on n'attendit pas au mois d'août pour se décider. Dès
avril, on comprit clairement que les Espagnols penchaient vers le Saint-
Siège et qu'en cas de guerre ils seraient ses alliés. Henri IV, Villeroy et
Sully durent dès lors songer à l'avenir. Il est impossible de fixer avec
plus de précision la date des délibérations.
Sur les offres des buguenots et de certains gentilshommes aux Véni-
tiens, voir la relation de Priuli, p. 4TJ, et une lettre de Priuli du 15
août, citée par Cornet, p. 125 et suiv.
432 VILLEROY
CanaveJa querelle ne fit que s'envenimer dans les derniers
mois de 160(5. Les Vénitiens avaient bien senti que l'influence
de Villeroy était vite devenue prépondérante ; il dirigeait
toute l'affaire delà conciliation dans un sens favorable à la
papauté ; certes il n'approuvait pas l'imprudence du pape,
mais il blâmait les Vénitiens de l'avoir si gravement offensé
dans leur manifeste et de montrer, plus que lui, de la résis-
tance, de l'animosité, de l'impatience et de l'orgueil. Il
donnait à Fresne-Canaye, qu'il trouvait trop vénitien, l'ordre
de « battre le fer de la fermeté du Sénat » (1). Le roi fut
entraîné, les Vénitiens observèrent que pendant toute
la durée du conflit, il ne se départit pas de la même atti-
tude : « premier fils de l'Eglise » (2) d'abord, ami de la
Sérénissime ensuite. Ses lettres à Fresne-Canaye, rédi-
gées par Villeroy, témoignent quelque irritation contre ses
amis de la République qui ne veulent se mettre à la raison,
et il laisse entendre qu'il ne favorisera leur cause que si elle
est estimée juste. Sully lui-même, tout en regrettant que
la guerre n'éclatât pas, cessa de parler de ses projets et se
rallia bientôt à la conciliation, qu'il voulait surtout favo-
rable aux Vénitiens (3).
Il était très difficile au Roi, arbitre du différend, d'obser-
ver la neutralité : il sut cependant résister aux instances
des Vénitiens qui sollicitaient une alliance plus étroite et
une déclaration plus ferme en leur faveur. Cette prudence
(1) Fresne-Canaye à Villeroy, 20 septembre 1606, Lettres..., t. V,
p. 213. Noter parmi les lettres de l'ambassadeur celle du 2 juin 1606 à
Villeroy : « Monsieur, ce n'est pas sans cause que cette rupture du
pape avec cette République vous donne de la peine, comme il vous
plaît me le témoigner par la vôtre de l'onzième mai, car si vous ne la
rabillez, je la tiens pour désespérée. » Il dit ensuite que le pape est
l'offenseur, que c'est à lui à réparer l'offense, et comme il se doute des
sentiments de Villeroy il ajoute : « Vous m'accuserez, Monsieur, d'être
trop Vénitien, je vous avoue que je vous écris ce que je pense. »
(2) Le roi à Fresne-Ganave, 18 juillet 1606, Lettres missives, t. VI,
p. 641.
(3) Appendice, Ibid., p. 278.
LE MINISTRE d'hENRI IV 433
produisit d'heureux effets, même du côté de l'Espagne.
Malgré les armements inquiétants de Fuentès, la cour de
Madrid témoigna des intentions pacifiques ; elle essaya de
prendre en mains l'arbitrage ; mais la diplomatie française
veillait et sut empêcher que l'ambassade solennelle de don
Francesco de Castro, neveu du duc de Lerme, envoyé à
Venise au mois de décembre, n'enlevât à Henri IV la
gloire de l'arbitrage (1).
Bien qu'en apparence aucun progrès notable n'eût été
réalisé, on sentait, en décembre 1607, que les adversaires
s'adoucissaient un peu parce qu'ils n'étaient pas sûrs d'être
soutenus chacun par leur allié. Ce fut le moment choisi
parle roi pour réaliser ce que Villeroy souhaitait, depuis
le mois de juillet, l'envoi d'un grand personnage en Italie,
chargé officiellement de terminer le différend. On disait
que le ministre voulait se faire confier cette mission et ou
cherchait à ce désir des motifs d'intérêt personnel : « On
parle plus que jamais du voyage de Monsieur de Villeroy
à Rome, écrit d'Aerssen le 28 juillet et que pour sa négo-
ciation, il doit rapporter le chapeau rouge » (2). D'après
l'ambassadeur vénitien, Villeroy craignait que le prestige
de l'ambassadeur son fils qui remplissait honnêtement,
mais sans éclat, sa charge, ne fût trop diminué par l'envoi
d'un autre. Mais à ce moment, Villeroy n'était pas persona
gratissima auprès delà République. Priuli s'adressa à Sully
pour faire échouer ce dessein, et d'après lui, sur les ins-
tances du surintendant, Henri IV fit choix de Joyeuse (3).
Le cardinal de Joyeuse, grand seigneur intelligent, pro-
(1) Philippson, t. III. p. 30 et suiv.
(2) Voir plus haut, p. 426.
(3) Appendice..., p. 272. Nous ne connaissons que par ces deux
sources ce dessein de Villeroy que peut-être, conformément à ses habi-
tudes 'le prudence, il ne formula pas tout haut. Personne n'en parle
après le mois de juillet. Il y renonça sans doute, soit par raison, soit à
cause de sa grave maladie. Joyeuse fut désigné en septembre.
Villeroy. 28
434 VILLEROY
tecteur des affaires de France à Rome, souple et éloquent,
eut une tâche assez aisée à remplir. Il n'eut à prendre au-
cune-initiative importante. Le roi et les ministres conti-
nuèrent à diriger très minutieusement les négociations (1).
Depuis le milieu de novembre. Villeroy avait dû se faire
remplacer par Puysieux au secrétariat : il était tombé si
gravement malade, qu'on avait été quelque temps très in-
quiet sur son sort.
Pendant ce temps se réglait l'affaire de la médiation.
Le cardinal partit de France au mois de novembre, passa
par Ferrare, entra à Venise le 16 février, et quitta cette
ville un mois après, ayant obtenu du Sénat quelques con-
cessions : sans renoncer expressément à ses droits, celui-ci
avait promis au cardinal de ne point faire usage des ré-
cents décrets, de remettre les deux personnes, de révoquer
les ordonnances publiées contre l'interdit et de rappeler
tous les religieux expulsés, à l'exception des Jésuites ex-
trêmement impopulaires, considérés comme espions de
l'Espagne, bannis à perpétuité. A Rome, le cardinal, aidé
de du Perron, supplia le pape, qui exigeaitle rétablissement
des Jésuites, de ne pas compromettre pour cette raison les
grands intérêts de la religion; tous deux surent le convaincre
que l'essentiel était de rétablir à Venise l'autorité romaine
et qu'on négocierait ensuite sur les Jésuites. Paul V finit
par remettre à Joyeuse le bref de révocation. Après avoir
déjoué quelques manœuvres des Espagnols qui voulaient
ou retarder l'accommodement ou s'adjoindre aux négocia-
tions, Joyeuse partit pour Venise, obtint du Sénat la remise
des prisonniers, révoqua l'interdit, et fit annuler les pro-
testations de la République ("21 avril 1607).
Ainsi finit, pacifiquement, suivant les intentions pre-
mières de Villeroy, ce différend qui avait failli mettre en
(1) Le roi au cardinal de Joyeuse, 13 octobre 1606, Lettres missives,
t. VII, p. 15.
LE MINISTRE d'hENRI IV 435
feu Tltalie et la Chrétienté. Celte médiation qui était satis-
faisante pour les deux partis fut très glorieuse pour le roi
de France. Elle miten pleine lumière, aux veux de l'Europe,
deux tendances fermes de la diplomatie française : on sut
désormais nettement que dans ce duel des deux grandes
monarchies, la France, loin de se laisser entraîner par les
événements, voulait choisir son heure pour engager la ba-
taille, et qu'elle chercherait à éviter, comme le plus grand
des malheurs, l'hostilité du pontife romain.
Aucune partie sérieuse ne pouvait en Italie être dres-
sée contre les Espagnols sans l'appui du duc de Savoie.
C'était la conviction de tous les membres du Conseil et du
roi. La politique de la France à l'égard de Charles-Emma-
nuel fut inspirée par des nécessités nationales reconnues
par tous les hommes d*État français. Dans les correspon-
dances diplomatiques écrites de 1001 à 1609, on ne trouve
pas le moindre indice de désaccord entre les personnes à
ce sujet. Tous éprouvent le même désir de lier partie avec
lui, parce qu'il peut faire beaucoup de mal aux Français,
parce qu'il est courageux et ardent ; tous aussi éprouvent
la même crainte d'être dupés parle plus rusé des princes (1).
Aussi est-il impossible de distinguer la part qui revient
à Villeroy dans le rapprochement franco-savoyard. Il con-
vient toutefois de se rappeler que le roi se confiait à la
vieille expérience de son ministre et tout en restant l'au-
teur responsable des grandes vues de sa diplomatie,
(1) D'Ossat écrivait à Villeroy, le 1 G décembre 1600 : « Permettez-moi
de vous dire... possible trop familièrement que je vous aime et prise
grandement de ce que vous vous défiez de l'intention dudit duc à la
paix et n'êtes d'avis qu'on lui croie que sur bons gages. » Lettres,
t. 11, p 277.
436 VILLEROY
abandonnait à Villeroy le soin des détails. Rappelons-nous
aussi avec quel soin jaloux le ministre entendait rester
maître de son département. Si nous songeons que Ton usa
d'une extrême défiance envers le duc, que Ton étudia mi-
nutieusement ses actes, ses paroles, ses intentions, que Ton
négocia avec une très prudente lenteur, quand les circons-
tances étaient réellement favorables, nous avons l'impres-
sion que sous la haute direction du roi la partie était menée
par Villeroy selon sa méthode habituelle.
Il fallut beaucoup de patience. Ce fut un travail de longue
haleine, le plus délicat assurément de la diplomatie
d'Henri IV. Une année à peine après la guerre de Savoie,
Charles-Emmanuel avait attaqué brusquement Genève, la
vieille alliée du roi, et sans la résistance improvisée des
bourgeois il aurait pris la ville par escalade. Le roi de France
soutint fermement 'L'indépendance de Genève, mais sans
montrer trop d'animosité à l'égard du duc. Il chercha au
contraire à le réconcilier avec les Genevois. Il voyait
toujours, clans la personne de Charles-Emmanuel, l'ennemi
présent, un ami futur, auquel il faut pardonner ses coups
de tête (1). Le duc pendant quelques années parut tout
Espagnol : Fuentès avait des garnisons dans quelques places
du Piémont : les fils de Charles vivaient à la cour de Ma-
drid. Cependant il n'éprouvait que des désillusions. Cette
attitude de vassal assez humiliante ne lui procurait aucun
avantage réel. La diplomatie française surveillait les pro-
grès de cette désaffection entre Espagnols et Savoyards.
Des agents secrets, comme Martinengo, qui entretenait une
correspondance suivie avec Fresne-Canaye, cultivaient les
rancunes uVi duc, faisaient miroiter à ses yeux ce qu'il
pourrait obtenir du roi. Charles-Emmanuel ne songea plus
dès lors qu'à se donner au plus offrant (2).
(1) IMiilippson, t. I, p. 236 et suiv.
12) Philippson, t. I, p. 273 et suiv.
LE MINISTRE d'iIENIU IV 437
Quand La Boderie, en juin 1604, après la mort du prince
de Piémont, lui porta les condoléances d'Henri IV, le duc
offrit son alliance contre la rétrocession de la Bresse et du
Bugey, et le mariage de son fils Victor Amédée avec une
fille du roi et il proposa l'invasion du Milanais. Mais à la
Cour on se méfiait trop du duc qui ne donnait pas encore
des gages certains de son bon vouloir. D'ailleurs, le parti
pacifique, nous l'avons vu, ne jugeait pas les circonstances
favorables à une politique belliqueuse en Italie. Au prin-
temps de 1605, Charles-Emmanuel fit une nouvelle tenta-
tive pour se rapprocher de la France. Il se dégageait len-
tement des liens de la tutelle espagnole, réclamait ses fils
àlaCourde Madrid, et ménageait moins Philippe III, de-
puis qu'il avait perdu l'espoir de voir son fils roi d'Espagne.
Mais il mettait toujours pour condition à cette alliance la
restitution des provinces perdues au traité de Lyon. Deux
ans après, pendant le conflit qui divisait Rome et Venise et
rendait particulièrement délicates les relations franco-es-
pagnoles, le roi et ses ministres envoyèrent à Turin Che-
vrières pour savoir si l'on pourrait compter sur le duc en
cas de guerre. L'ambassadeur du duc à Rome avait fait à
d'Alincourt de la part de son maître certaines propositions
et le roi dépêchait vers le duc « principalement pour être
éclairci de la vérité de son intention sur certaines ouver-
tures d'alliance et confédération plus étroites qui ont été
faites » (1) (mars 1607). On ne put pas s'entendre parceque
le duc exigeait la remise des places de la Bresse avant la
consommation du mariage.
Le différend terminé, le duc revint à la charge. Il savait
que le roi de France et ses ministres voulaient profiter du
rétablissement de la paix dans la péninsule pour resserrer
les liens qui l'unissaient aux princes et états indépendants
(1) Instruction au sieur de Chevrières allant en Savoie, au mois
mars 1607, F. Fr. 23518, f« 80 et suiv.
438
VILLEKOY
de Tltalie. Henri IV, ayant réconcilié le pape et les Véni-
tiens et jouissant d'un grand prestige au delà des monts,
crut le moment venu de proposer plus fermement la cons-
titution d'une ligue contre les Espagnols. On voulut con-
naître les dispositions de la République de Saint-Marc.
Sully qui savait mal retenir son langage aborda un jour
l'ambassadeur Priuli et lui dit avec sa brusque franchise :
« Maintenant, nous allons pouvoir nous allier(l) ! » Mais
la prudente république, habituée à temporiser, effrayée à
la pensée d'une guerre trop prochaine, prétexta qu'il fallait
avant tout achever de régler les interminables affaires de
la Valteline. Cependant le duc de Savoie avait envoyé en
France deux ambassadeurs Purpurato et Gattinara pour
proposer de nouveau au roi les mêmes conditions : ma-
riage, conquête du Milanais, rétrocession de la Bresse,
abandon de la protection de Genève. Cette négociation
échoua encore (octobre 1607) (2).
Le duc ne se découragea point. De plus en plus il dési-
rait s'allier au roi de France. Au mois de janvier 1608, il
lit jeter en prison deux de ses principaux confidents, d'Al-
bigny et Roncas, ennemis acharnés de la France et appela
au pouvoir Jacob qui avait des idées directement opposées.
Puis il proposa à la République de Venise une Ligue dé-
fensive et offensive contre l'Espagne. On trouva en France
que le duc allait trop vite. Villeroy dit au Vénitien Fosca-
rini que ces projets étaient des fruits de la vivacitéduduc,
mais qu'il ne savait pas si ce dernier aurait eu assez d'au-
torité pour les accomplir. Le ministre était d'accord avec
les Vénitiens pour estimer à ce moment ce projet imprati-
cable sous la direction d'un tel homme. Quand Foscarini
alla voir le roi, ce dernier lui dit : « M. de Villeroy m'a
rapporté ce qui passe par l'esprit du duc de Savoie... Ce
(1) Lettre de Priuli, citée par Rott, p. 424 (12 avril 1607).
(2) Philippson, t. III, p. 268 et suiv. — Rott, p. 424 et suiv.
LE MINISTRE D HENRI IV
439
prince est facile à se persuader les choses qui lui passent
parla tète. » Villeroy avait résumé en quelques mots la
politique qu'il fallait suivre avec le duc de Savoie : « ré-
chauffer les sentiments du duc pour le tenir le plus pos-
sible loin des Espagnols ». Sa diplomatie patiente voulait
amener le duc à se rapprocher du roi, mais à deux condi-
tions seulement : les Français ne feraient aucune cession de
territoire ; ils ne seraient point entraînés malgré eux à des
conquêtes, à une date que le roi n'aurait pas fixée, par
un prince mégalomane.
Les négociations furent actives durant Tannée 1608, mais
n'amenèrent pas l'entente. L'ambassade de Vaucelas qui fut
envoyé en Piémont au mois d'avril pour complimenter le
duc à l'occasion du mariage de ses deux filles n'apaisa pas
les défiances. Mais le duc, malgré les manœuvres des Es-
pagnols, entre l'Espagne et la France avait fait son choix.
Quand le roi d'Espagne envoya en France don Pedro de
Tolède pour proposer les mariages franco-espagnols, Char-
les-Emmanuel s'empressa de déléguer à la Cour son mi-
nistre Jacob pour demander au roi la main de sa fille Elisa-
beth pour le prince de Piémont, l'alliance offensive et
défensive des deux états et la conquête du Milanais. En
France, on ne découragea pas Jacob, on ne déclina pas
ses offres matrimoniales. Mais le ministre savoyard ren-
contra chez les ministres d'Henri IV une opposition insur-
montable aux projets de guerre de Charles-Emmanuel.
Villeroy lui déclara sans ambages que le roi voulait conser-
ver la paix. Il affirma qu'il désirait de tout cœur que le duc
et son maître fussent d'accord : mais il ne fallait point faire
de propositions déplacées contraires au bon sens ettroubler
le repos de la chrétienté en bâtissant sans cesse des plans
de guerre. Jacob, ému de cette froideur, se montrait sur-
pris de ce qu'on blâmât son maître parce qu'il voulait se
lier indissolublement à la France. Il craignait que Villeroy
ne se fût dans l'âme déclaré tout à fait en faveur de l'Espa-
440 VILLEROY
gne contre le duc. Il écrivait à son maître qu'il ne voyait
dans le Conseil aucune disposition à accorder à S. A. le
moindre avantage : il n'apercevait dans le roi que des appa-
rences d'amitié pour la personne du duc. Il ajoutait que le
chancelier et Villeroy secondaient admirablement l'adresse
de leur maîtie.
Les négociations avec la Savoie et les affaires d'Italie
étaient entièrement subordonnées aux affaires des Pays-
Bas. Les ministres du roi ne voulaient pas que les négocia-
tions si difficiles pour la trêve hollandaise fussent entravées
par des projets de conquête en Italie. Il y eut pourtant un
moment, dans l'année 1608, où le roi parut accéder aux
désirs de Charles-Emmanuel et où il reprit les pourparlers
pour la formation de la Ligue d'Italie. Au début d'octobre,
les Hollandais et les Espagnols faillirent rompre, ces der-
niers ne voulant pas reconnaître la souveraineté des Pays-
Bas. Le roi fermement résolu à soutenir ses alliés se re-
tourna brusquement vers l'Italie. Il entama [des négocia-
tions avec le duc de Mantoue qui se trouvait à Paris, avec
le grand-duc de Florence, avec l'ambassadeur vénitien au-
quel il dit qu'il était prêt à rompre si la seigneurie y con-
sentait. Mais bientôt le roi se calma. Le 16 octobre, les
archiducs prirent sur eux de reconnaître la souveraineté
des états. Le principal des obstacles qui se dressaient contre
la paix était écarté.
Il était encore trop tôt pour parler de Ligue Italienne.
Venise hésitait à rompre une paix qui ne lui était pas défa-
vorable. Elle n'avait aucune confiance dans le duc de Savoie
dont elle ne voulait point faire les affaires. Quant au duc,
il n'était point encore dégagé des liens espagnols. Villeroy
qui surveillait toutes ses démarches ne manqua pas de dé-
noncer au roi, — et même d'exagérer — les intrigues qui
reprirent de plus belle à la fin de l'année et continuèrent
pendant les premiers mois de 1609. Le duc avait envoyé
en Espagne le comte de Verrue, pour offrir son alliance à
LE MINISTRE d'hENRI IV 441
Philippe III. Comme d'habitude, il demandait beaucoup :
il cherchait à marier le prince de Piémont avec l'infante
aînée, qui aurait reçu comme dot Final, Menton et la Sar-
daigne; il sollicitait pour un de ses fils le généralat des
mers, pour lui-même un royaume dans l'Empire Ottoman.
Au début de l'année 1609, il semblait donc que tout fût
à refaire. Le duc paraissait s'engager de nouveau avec l'Es-
pagne. Or le roi ne pouvait tenter sans lui aucune entre-
prise sérieuse en Italie. Mais en quelques mois, tout chan-
gea. Le roi entra en conflit avec la maison d'Autriche au
sujet de la succession de Clèves et de Juliers. Il eut besoin
d'alliés. Le duc, qui ne s'éloignait jamais beaucoup, se rap-
procha très vite. Cette fois, Villeroy changea d'attitude et
devint un des partisans les plus chaleureux de l'alliance sa-
voyarde. Et cependant nous verrons qu'il était resté le
môme homme, éloigné de tout esprit d'aventure, et conseil-
lant, par prudence, l'entente avec un duc qui était bien le
plus aventureux des princes de son temps.
CHAPITRE V
VILLEROY MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES {suite)
LES AFFAIRES 'DES PAYS-BAS
I. Villeroy et la guerre « en renard » aux Pays-Bas. La question
des secours. — IL Villeroy et « les drogues à remède ». Solu-
tion pacifique des conflits entre la France et l'Espagne (1601-
1604). — III. Villeroy et les projets français d'agrandissement
aux Pays-Bas jusqu'en 1606. — IV. Les négociations pour la
paix. Jeannin en Hollande (1607-1609). Villeroy et la question
de la trêve. — V. Villeroy et les négociations matrimoniales
entre la France et l'Espagne (1608).
A la paix de Vervins, le roi de France s'était séparé des
Hollandais pour traiter avec les Espagnols, mais il n'avait
voulu nullement abandonner ses alliés. Ceux-ci, aidés des
Anglais, continuèrent une guerre indécise d'escarmouches
qui, pendant deux ans, ne fut marquée d'aucun brillant
fait d'armes. Le stathouder Maurice de Nassau était le ca-
pitaine-général et l'amiral de la République ; l'avocat 01-
denbarnevelt dirigeait l'administration financière et la di-
plomatie. L'un représentait l'armée, la noblesse et le petit
peuple, l'autre la bourgeoisie. Mais entre les deux partis,
aucun conflit sérieux n'avait encore éclaté, et tous ne son-
geaient qu'à lutter pour l'indépendance. Ils n'eurent
donc tout d'abord à l'égard de la France qu'une seule poli-
LE MINISTRE d'heNIU IV 443
tique : chercher à obtenir d'elle le plus grand nombre de
secours possible.
Or, il y eut durant les premiers mois, après la paix de
Venins, une bonne volonté générale au Conseil du roi en
faveur des Hollandais. Quand leur agent Aerssen sollicita,
au mois d'août 1598, un secours d'argent, il trouva le roi,
Rosny et Villeroy fort bien disposés et particulièrement
Villeroy qui, dit-il, « s'y roidit et embrasse de bon point ce
qui vient de vous » (1).
Mais les Hollandais ne tardèrent pas à éprouver des dé-
ceptions dont Villeroy fut en grande partie responsable.
D'abord, on se .montra moins généreux dans l'envoi dessub-
sides. Les affaires de Savoie absorbèrent de grosses sommes
en un moment où l'argent était particulièrement rare. Les
Etats -généraux en 1599 demandaient 000.000 écus ; leur
agent eut grand peine à obtenir à la fin de décembre la pro-
messe de 150.000 (2). Henri IV dans toutes ces transactions
était extrêmement habile : il se montrait alï'able, prodiguait
les protestations de dévouement, les belles promesses et
atténuait les froissements qu'auraient pu produire les refus
ou les atermoiements de ses ministres. Les esprits les plus
méfiants tels qu'Aerssen ne l'ont jamais accusé de jouer
la comédie quand il donnait de bonnes paroles. Ils savaient
que le roi avait conservé une sincère sympathie pour tous
ceux qui l'avaient aidé à conquérir son trône. De plus il ai-
mait à jouer au tuteur et au grand ami des peuples qui
n'étaient pas gouvernés par des princes héréditaires. Ni
les Vénitiens, ni les Hollandais n'ont jamais douté qu'Hen-
ri IV ne fût en Europe, et même dans son royaume, leur
plus chaleureux ami (3).
(1) Aerssen à Oldenbarnevelt, 5 août 1598, Archives de La Haye,
Holland. 2632.
(2) Aerssen à Valeke, 19 et 31 dée. 1599, Lettres inédites, p. 51-54.
(3) Aerssen à Oldenbarnevelt, 19 dée. 99: <. 5'. .)/. duquel j'espère
444 VILLEROY
Les circonstances obligeaient les Français à restreindre
les secours. La manière de les donner dépendait des con-
ceptions spéciales des ministres. Villeroy exigea le secret,
afin d'éviter toute complication extérieure : en tous temps,
il fallait empêcher que le pape ne fît des reproches au roi,
et à certains moments, quand le ministre jugeait nécessaire
une certaine détente dans les relations avec l'Espagne, il
convenait de ne pas envenimer la querelle par la publicité
donnée à la protection des rebelles. Ainsi, quand les Etats
voulurent féliciter officiellement le roi à l'occasion de son
mariage, Villeroi empêcha cette manifestation qui eût fait
scandale à Rome et en Espagne (1).
Villeroy voulait que l'aide accordée aux Etats se bornât à
des secours discrets mesurés aux ressources du royaume.
Aussi usa-t-il de toute son influence pour empêcher une
intervention armée aux Pays-Bas. Cette intervention aurait
été résolue en novembre 1600, si Rosny et Lesdiguières
avaient pu décider Henri IV (2). Ceux-ci poussaient le roi
à continuer une lutte victorieuse, àenvahir le Piémont après
la Savoie, et à se jeter sur les Flandres où les archiducs
possédaient à peine les forces nécessaires pour résister aux
Hollandais. Cela eût été le vrai moyen d'assurer nos fron-
tières, tout en relevant la fortune des Hollandais et en
empêchant les Anglais de conclure la paix avec l'Espagne.
Mais Villeroy, aidé des autres membres du Conseil, plaida
le plus... » Arch. de la Haye, Holland. 2632. Aerssen à Valcke, 9 fé-
vrier 1601, Lettres inédites, p. 99.
(1) Aerssen à Valcke : « Les affaires du roi (ce me fit-il) ne portent
pas que soyez reçus ni ouïs : contentez-vous de son assistance sans
donner sujet à vos ennemis de renouveler nouvelles instances à ce que
soyez déclarés rebelles...» Le ministre qui semblait redouter qu'Henri IV
ne faiblit sur ce point, recommanda à l'agent des Etats de ne point lui
en parler, lettre du 21 novembre 1600, Ibid., p. 90.
(2) Aerssen à Valcke, 21 nov. 1600. Voir aussi Aerssen à Oldenbar-
nevelt, 31 déc. 1600, Holland. 2632. Nous ne connaissons cette délibé-
ration et ces projets que par Aerssen qui affirme qu'il les tient de Sully
et de Lesdiguières eux-mêmes.
LE MINISTRE d'hENRI IV 445
la cause de la paix nécessaire pour assurer la tranquillité
intérieure du royaume et pour maintenir l'union de la
France avec le Saint-Siège. On sait comment le parti paci-
ficiste l'emporta, à la vive déception des Hollandais. Cette
victoire fut si complète qu'on ne voulut pas croire le roi
lorsqu'il affirma après la conclusion de la paix qu'il était
bien aise d'être libre pour tourner toutes ses forces vers la
Flandre et annexer à la couronne les territoires jadis enle-
vés au roi François Ier. Cela parut « un masque emprunté
pour couvrir la honte de cette paix » (1).
La même politique prévalut les années suivantes. En
1601, en 1602, on continua à « s'efforcer lentement » pour
les Etats (2). Les sommes accordées étaient toujours infé-
rieures aux nécessités des Hollandais et aux promesses
qu'on leur prodiguait. On s'excusait sur la pauvreté de
l'Etatet l'obligation d'accorder quelque chose à ceux qui
réclamaient aussi le payement de leurs dettes, aux Italiens,
aux Allemands, aux Anglais. En même temps, Villeroy
persistait à réclamer le silence.
II
D'autre part, la paix se maintenait avec l'Espagne. Dès
qu'éclatait un incident, les pacifiques y appliquaient
« toutes leurs drogues à remèdes » (3). Au mois d'août
1601, un grave outrage fut fait à l'ambassadeur du roià
Madrid, La Rochepot : son neveu et quelques gentilshommes
de sa suite furent emprisonnés à la suite d'une rixe. Ilen-
(1) Aerssen àOldenbarnevelt, 5 janv. 1601, Holland. 2632.
(2) Selon l'expression d'Aerssen, dans sa lettre à Valcke du 19 avril
4601. Ibid., p. 104.
(3) Selon l'expression d'Aerssen, dans sa lettre à Valcke, 10 août
4601, Ibid., p. 119.
446 VILLEROY
ri IV entra dans une violente colère : il rappela son ambas-
sadeur et prohiba le commerce d'Espagne. Mais aucun de
ses ministres ne lui conseilla la guerre. Rosny lui-même
qui partagea le dépit de son maître ne demanda pas de
rupture immédiate ; la vengeance viendrait plus tard lors-
qu'on aurait remis les affaires en bon ordre (1). Villeroy
allait jusqu'à blâmer ouvertement devant le roi l'insolence
des gentilshommes français contre lesquels les Espagnols
avaient exercé des représailles et « l'indiscrétion » de l'am-
bassadeur qui réclamait des mesures énergiques de répres-
sion. Bientôt, cet incident fut réglé pacifiquement grâce à
l'intervention de Clément VIII qui fit délivrer les prison-
niers entre les mains de son nonce (2).
En 1602, Villeroy eut à combattre plus énergiquement
encore pour la paix. Dès le début de l'année, les Anglais
essayèrent d'entraîner la France à prendre part à la guerre
qu'ils soutenaient avec les Hollandais contre l'Espagne.
L'envoyé anglais Winwood s'adressa d'abord à Villeroy
(18 janvier) et lui dit que la reine pourrait armer une flotte
qui ravagerait au printemps les côtes d'Espagne, si le roi
consentait à rembourser tout de suite une somme très im-
portante qui serait défalquée de la dette. Il montra les
Etats reprenant courage, après ce secours reçu, et les Fla-
mands se donnant à Henri IV. Villeroy répondit en termes
évasifs. [Rosny au contraire fut pris d'un grand enthou-
siasme pour ce plan. Tout en déclarant qu'il ne parlait
qu'en son nom personnel, il approuva une action énergique
des Anglais et des Français contre l'Espagne, à condition
qu'elle ait lieu sur les côtes deFlandre. A Londres, la reine
(1) Sully. Ec. Roy., t. I, p. 302.
(2) Sur cet incident, voir Matthieu, t. II, 37 etsuiv.P. Cayet, Chron.
sept., p. 162, et dans les Pap. de Simancas, les dépêches de Tassis des
4, 7, 8 et 18 août 1601, K. 1604, p. 60, 68, 70, 73. La lettre du 4 août
montre les efforts personnels accomplis par Villeroy d'accord avec
Tassis pour arranger pacifiquement l'incident.
LE MINISTRE d'hENRI IV 447
faisait des ouvertures analogues à l'ambassadeur Beau-
mont. Henri IV ne voulut point froisser Elisabeth par un
refus net et immédiat; mais il recommanda à son ambas-
sadeur de montrer le besoin impérieux de paix qu'avait
son royaume « si pauvre et rempli de si mauvaises hu-
meurs » H).
Cependant la conspiration de Biron était découverte et
subitement la situation s'aggravait. On avait la preuve cer-
taine quelesEspagnolsavaient tentéde déchirer le royaume
par la guerre civile et d'armer le bras qui devait assassiner
Henri IV. Le roi ordonna de sérieux préparatifs de défense ;
il leva 1*2000 hommes de troupes françaises et 6000 Suisses,
renforça sa garde, massa le reste en Bourgogne et en
Bresse, envoya Lavardin occuper le pont de Grésin et arrê-
ter les 2000 soldats napolitains qui étaient sur le point de
passer en Franche-Comté (juin 1(502). Le roi allait-il décla-
rer la guenc ?
Ceux qui suivirent de près les événements observèrent
une hésitation réelle dans l'esprit d'Henri IV. A certains
moments, les partisans de la guerre crurent avoir gain de
cause. Au début de juin, on parut décidé à répondre aux
provocations de l'ennemi. « La guerre dura trois jours au
bureau et cerveau du roi ("2). » Un mois après, on conti-
nuait à délibérer sans rien décider (3). Il semble bien que
jusqu'au début d'août les Hollandais aient conservé l'espoir
delà rupture.
Sully, comme on s'y attend, s'était prononcé nettement
(1) Voir Philippson,t. I, p. 240 et suiv. — Voir dans les Pap. Simanc.
les dépèches de Tassis des 10 et 1 1 mai, 16 juin, 5, 19, 21, 29 juillet
1602, etc. K. 1605, p. 69 et suiv.
(2) Aerssen àValçke, 4 juin 1602, Ibid., p. 150.
(3) Ibid., 17 juill. « L'on délibère sans rien résoudre. ■> — 29 juill.
« Quel jugement espérez-vous donc de moi, puisque le conseil n'y voit
goutte? Il n'y a ici que doutes, qu'irrésolutions, que passions. » — Voir
aussi la lettre de l'ambassadeur vénitien au Sénat, 14 juill. 1602, F.
Ital. 1751, fo 95.
448 VILLEROY
en faveur de la guerre. Villeroy n'avait cessé de conseiller
la paix. Il répétait qu'on ne pouvait se lancer dans des
aventures extérieures, sans que toutes les racines des dis-
cordes intérieures ne fussent extirpées. Les prétextes ne
manqueraient pas pour entrer en guerre quand le royaume
serait complètement tranquille. Comme d'habitude, il ne
contredisait pas de front les adversaires de ses idées pacifi-
ques. Il ne contestait pas la justice et l'utilité de la guerre,
mais son opportunité. Il laissait entendre à Aerssen, sous
le sceau du secret, que si les affaires des Hollandais pros-
péraient, l'armée du roi assemblée en Bourgogne pour-
rait bien faire volte-face vers la Picardie (1). Aerssen parut
espérer un moment, à défaut de guerre, cette démonstra-
tion armée qui devait faire tant de bien à ses compatriotes.
Mais il revint vite à ses sentiments de défiance à l'égard du
ministre qui, selon lui, faisait semblant de promettre qu'on
partirait en guerre et néanmoins en faisait « couler les oc-
casions, en affaiblissant le désir par longues attentes » (2).
Il n'avait pas tort de soupçonner celte méthode « artifi-
cieuse ■», dont il aurait trouvé une preuve éclatante, s'il
avait pu connaître le texte de la lettre que le ministre écri-
vait en Angleterre, à Harlay de Beaumont, le 18 juillet (3).
Le roi, dans un moment où il inclinait à la vengeance,
parut sur le point d'écouter les conseils belliqueux de la
reine d'Angleterre et pria son ambassadeur d'examiner
avec les ministres d'Elisabeth si l'on pourrait conclure avec
elle une union défensive et offensive. Villeroy lui fit com-
prendre à demi-mot que les décisions de son maître n'é-
taient pas définitives et qu'il fallait être très réservé : « Les
princes changent d'opinion etde conseil selon lesoccasions
et les temps aussi bien que les sages ; notre consolation et
(1) Aerssen à Valcke, 4 juill. 1602, Ibid., p. 160.
(2) Aerssen à Oldenbarnevelt, 17 juill., Holland. 2632.
(3) F. Fr. 15982, fo 132. Voir Laffleur de Kermaingant, p. 46.
LE MINISTRE u'iIENRI IV 449
confiance sont que, L'affaire vous étant commise, vous en
pserez avec prudence, discrétion et fidélité. »
Pour déterminer le roi à la paix, Villeroy usa d'un argu-
ment (jui ne fut pas moins puissant sur son esprit que le
besoin de tranquillité intérieure. Aerssen l'apprit plus tard.
de la bouche du président Jeannin (1). N'était-il pas à
craindre, disait-il, que la reine d'Angleterre, au cours de la
guerre contre l'Espagne, n'abandonnât la France pourcon-
clure la paix ? D'ailleurs, était-il prudent de conclure un
traité avec une princesse au<-i âgée, quand on ignorai! les
dispositions de son successeur ? Cette raison frappa le roi
qui était jaloux de la puissance anglaise et se préoccupait
déjà de l'accroissement de la Grande Bretagne qui après
Elisabeth, allait s'unir sous un seul prince. Cette raison
fut forte aussisur l'espritde Sully. Nous savons par Aerssen
qu'il ne témoignait pas une grande confiance dans l'efficacité
de l'alliance anglaise et qu'il disait qu'Elisabeth tromperait
le roi et ferait une paix séparée (2). Nous ne pouvons dire
quelle part eut Villeroy dans ce revirement de Sully. Nous
constatons qu'au grand mécontentement de l'agent hollan-
dais qui le croyait son allié, ce dernier cessa, après deux
mois de résistance, de s'opposer aux pacifiques.
On était donc résolu en France, au début du mois d'août,
suivant l'expression de Villeroy, à ne faire avec l'Espagne
que la guerre « en biaisant » et sur le seul terrain des
Pays-Bas •'>). Les Espagnols avaient protesté très haut
contre l'occupation du ponl de Crésin qui était une viola-
(1) Aerssen à Valcke, 8 août 1602.
(i'> Aerssen à Valcke. lTjuill. 1602, Ibid., p. 106.
(3) Aerssen à Valcke, 13 août 1602. - Je crois pour lin que l'on ne
fera la guerre d'iei que par force; aussi bien medil hier M. de Villeroy
qu'il y avait plusieurs sortes de guerres comme il y avait plusieurs
chemins pour conduire en même lieu, l'un droit, l'autre d'un biaisant,
plus long, plus près, de même que l'aide qu'on nous donnait en était
une espèce, » Jbiil , p. 166,
Villeroy. 29
450 VILLEROY
tion flagrante du traité de Lyon. Le 11 août, l'ambassadeur
Tassis put annoncer à son gouvernement que le roi avait
levé l'interdiction du passage. L'attitude du roi envers les
Espagnols redevint très conciliante et l'incident fut clos.
Le calme ne dura guère. Il était très malaisé de « conti-
nuer à secourir les Etats et conserver la paix » (1), malgré
l'habileté et même l'hypocrisie de la diplomatie de Villeroy.
Les relations commerciales des Français et les Hollandais
amenèrent entre les deux royaumes une tension extrême-
ment dangereuse. Les sujets d'Henri IV secouraient les
Hollandais en vendant leurs produits dans la péninsule hi-
bérique. Le roi catholique, pour empêcher cet abus, surchar-
gea, en février 1603, d'un droit de 30 pour 100 toutes les mar-
chandises à destination ou en provenance de ses états. Cette
mesure qui lésait tant d'intérêts français surexcita l'opinion
publique dans le royaume. Jamais on ne vit paraître tant
de pamphlets démontrant la nécessité de faire la guerre
en Espagne. Henri IV avait répliqué et par lettres de
déclaration datées du 6 novembre 1603, avait frappé de cette
même taxe de 30 p. 100 les marchandises espagnoles im-
portées en France, puis le 8 février 1604 avait interdit à
ses sujets tout commerce avec l'Espagne et les Pays-Bas
Espagnols. L'irritation était très vive des deux côtés des
Pyrénées au début de 1604 et la situation s'aggrava dans les
mois qui suivirent. Fuentès faisait des préparatifs de guerre
sur la frontière de la Valteline. Au mois de mai on décou-
vrait la trahison du commis l'Hoste qui depuis plusieurs
années livrait aux Espagnols les secrets de notre diplo-
matie.
La guerre commerciale devait-elle être le prélude de la
guerredes soldats? Beaucoup le redoutèrent ou l'espérèrent.
L'ambassadeur d'Espagne envoyait à son roi des avis très
(1) C"est ainsi que Villeroy définit la politique française dans une
lettre écrite ù Beaumont, le 7 décembre 1603, F. Fr. 15983, fo 123.
LE MINISTRE d'hENRI IV 45t
pessimistes sur l'avenir (1). Villerov n'était pas rassuré.
« S. M., écrivait-il à Beaumont, désire éviter la dite guerre,
le plus qu'elle pourra, ses affaires et son royaume ayant
besoin de jouir encore de la paix quelques années, mais je
me deffîe que nous puissions longtemps suivre ce che-
min... » Le ministre estimait que si la guerre devait
éclater, il fallait essayer d'empêcher les Anglais de se récon-
cilier avec les Espagnols, et entrer en guerre d'accord avec
eux (2). « Je crains, disait-il à Beaumont, que si nous tar-
dons, lesdits Anglais, ayant goûté de ladite paix, refuse-
ront après de s'y joindre (3). »
Ils avaient goûté, en effet, de ladite paix et leur altitude
changea totalement la situation vers le milieu de l'année
1604. Avec sa souplesse ordinaire, la diplomatie d'Henri IV
s'adapta à cette situation nouvelle. Le successeur d'Elisabel h,
Jacques Ier, était un esprit pacifique, profondément imbu
du droit divin des rois, et un caractère faible soumis à l'in-
fluence de sa femme et de conseillers hispanophiles. Il ne
voulut pas continuer à secourir les Hollandais qu'il consi-
dérait comme des rebelles. Il conclut la paix avec l'Espagne,
le '28 août 1604, au moment où Ostende tombait entre les
mains des archiducs. Il était impossible à Henri IV de s'op-
poser à ce revirement de la politique anglaise. Tout ce qui
put être fait pour sauvegarder les intérêts de la France et
des Hollandais ses alliés fut fait. Sully fut envoyé en An-
gleterre comme ambassadeur extraordinaire pour saluer le
nouveau roi et le disposer à conclure un traité d'alliance.
11 s'acquitta très bien de sa mission qui aboutit à la con-
clusion du traité d'Hampton-Court, le 9 août 1603.
(1) Çuniga à Philippe III, 23 février 1004, Pap. Simanc., K. 160G,
p. 131-133. — Voir aussi les lettres des 20 janvier, 14 lévrier, 2 9 mars,
15 avril 1004, Ibid., p. 126, 130, 140, 1 42.
(2) Villeroy à Beaumont, 7 décembre 1603. F. Fr. 15983, fo 125. —
Voir aussi Laffleur de Kermaingant, Mission de Christophe de Harlay,
comte de Beaumont, p. 167 et sniv.
(3) Ibid.
452 VILLEROY
Le roi Jacques ne devait jamais respecter son engage-
ment d'assister en secret les Provinces-Unies. Il ne voulait
pas non plus accomplir, par amitié pour Henri IV, d'acte
hostile à l'Espagne. Mais il garda la neutralité entre les
deux pays et entretint des rapports assez cordiaux avec la
France, tant qu'elle ne lui réclama pas son assistance. En
1604, il alla plus loin. Il offrit sa médiation au roi pour
faire cesser le conflit commercial. Henri IV accepta avec
empressement ses offres de service. Le connétable de Cas-
tille et l'ambassadeur Beaumont commencèrent à Londres
à négocier. Le cardinal del Bufalo acheva de traiter à
Paris et la paix fut rétablie, le 12 octobre 1604.
III
Pendant ce temps, le roi de France continuait aux Pays-
Bas la guerre de « renard ». C'était devenu une règle in-
discutée de politique de faire que les Espagnols aient « un
os à ronger », car, disait Villeroy, s'ils « s'étaient tiré cette
épine du pied que Dieu y a plantée et entretenue... avec
quel frein pourrait-on contenir leur insolence (1) ? » Ce-
pendant, petit à petit, une idée s'était fait jour qu'on allait
(1) Villeroy à Beaumont, 30 octobre 1603, F. Fr. 15983, fo 104. —
Cette guerre de renards provoquait fréquemment des explications ora-
geuses entre les deux cours. L'ambassadeur espagnol reprochait vive-
ment au roi, de la part de son maître, les secours accordés aux rebelles :
le roi répondait en reprochant au roi d*Espagne 1 aide prêtée à Biron et
aus conspirateurs français. Voir entre autres les dépêches de Tassis du
3 mai et du 19 juin 1603, dans les Pap. Simanc, K. 1600, p. 32 et
p. 155. Tassis constate dans cette dernière que Villeroy parle avec
moins de vivacité que le roi, ment d'une manière moins effrontée (le
roi niait absolument qu'il fit passer des secours en Hollande), proteste
de son désir de voir établir une bonne entente entre les deux royaumes,
mais trouve le ministre aussi mal disposé que son maître envers l'Es-
pagne, et il qualifie Villeroy de mas refalsado que todos.
LE MINISTRE d'hENRI IV 453
essayer de réaliser pendant les cinq années qui suivirent
1602 (1) : obtenir des avantages positifs de cette lutte, sous
forme de compensations territoriales. Il est malaisé de
suivre le développement de cette idée qui revêtit tant d'as-
pects divers. C'est une des parties les plus délicates à dé-
brouiller de la diplomatie d'Henri IV et sur laquelle les
textes manquent le plus, car le plus souvent ce furent des
projets qu'on avait intérêt à cacher.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est le grand nombre des
plans tour à tour essayés et abandonnés. Ce serait simpli-
fier par trop la réalité que de dire qu'Henri IV a voulu con-
quérir au nord les frontières naturelles de la France. Il a
voulu des villes otagères, il a voulu la Flandre française
ou le pays wallon ou une portion quelconque des Pays-Bas
espagnols, il a voulu aussi à certains moments tous les
Pays-Bas espagnols à la fois ; il a voulu enfin la souverai-
neté sur l'ensemble des pays soumis et rebelles, soit par un
accord avec les Hollandais, soit par un accord avec l'Es-
pagne. Ce qui, vu de loin, paraît de l'incohérence est en
réalité, examiné de près, de la souplesse. La situation était
extrêmement complexe. Les projets de conquête française
provoquaient la jalousie des Anglais, la défiance des Hol-
landais, l'hostilité des Espagnols. Il ne pouvait donc être
question de vues logiques, d'allures droites, de volonté in-
flexible dans une diplomatie qui voulait gagner quelque
chose sans déclarer la guerre aux Espagnols, sans rebuter
les Hollandais, sans rompre avec les Anglais. Cette ques-
tion des Pays-Bas soulevait tant de problèmes que même à
la fin de 1607, Sully donnait son avis au roi sur la conduite
à tenir avec les Provinces-Unies, démontrait qu'on pouvait
(1) Sur la politique d'acquisition d'Henri IV aux Pays-Bas, voir
Philippson, t. III, p. 83 et suiv. Motley, The United Xetherlands.
Ces deux auteurs nous paraissent avoir exagéré les convoitises du
roi de Fiance. Cette politique est moins nette qu'ils ne l'affirment.
454 VILLEROY
faire six diverses propositions ayant chacune leurs avan-
tages et leurs inconvénients et n'osait formuler aucune
conclusion (1).
C'est pourquoi il ne faut point attribuer, en cette ma-
tière, les fluctuations de la politique française à des diver-
sités de tendances chez les ministres qui la dirigeaient. On
pourrait croire qu'une telle divergence existait, si l'on ac-
cordait quelque créance à un passage des Economies
royales qui contient une insinuation malveillante contre
Villeroy et « les catholiques zélés ». Il les accuse d'avoir
poussé le roi à se faire payer ses libéralités aux Provinces-
Unies par des villes otagères, à l'exemple des Anglais,
dans l'espoir qu'un refus des Etats altérerait Henri IV
contre eux. Ils furent trompés dans leurs calculs, puisque les
Etats y consentirent. Et Sully affirme qu'au conseil, devant
Villeroy, Bellièvre, Sillery, Jeannin,Châteauvieux, il n'eut
pas de peine à démontrer l'impertinence de ces chimères,
que l'on abandonna par la suite (2). Il n'est pas besoin de
(1) Sully au roi, 26 décembre 1607, Ec. Roy., t. II, p. 208. La pre-
mière proposition, disait- il au roi., est « que ces peuples se donnent
entièrement à vous », la seconde est « de vous donner quantité de
villes, soit par formes de villes d'ostage ou de propriété ou sujection »,
la troisième est « d'essayer de les mettre en liberté et tirer entièrement
hors de la sujection d'Espagne », la quatrième est « d'augmenter les
moyens dont les avez secourus jusques à maintenant », le cinquième
est « de continuer à les assister comme vous avez fait jusques à pré-
senl », le sixième serait « d'estre moyenneur de la paix ». 11 estimait
que le roi n'était pas encore résolu à ce dernier expédient; il inclinait
de cœur vers le troisième, la guerre ouverte à l'Espagne qui pouvait
se faire en deux ans et pour laquelle il se disait prêt à donner sa vie.
(2) Sully, Ec. Roy., t. II, p. 197... « Lorsqu'il fut question de dire
votre opinion là-dessus, vous fîtes premièrement, en particulier, bien
comprendre au roi pourquoi cette proposition lui avait été faite ; et, en
conseil, où étaient avec S. M. Messieurs le comte de Soissons, chancelier
de Bellièvre, vous, Sillery, Ghàteauneuf, Villeroy, Jeannin et Chateau-
vieux, comme capitaine des gardes, lorsque ce fut à vous à opiner,
vous fîtes reconnaître tant d'ignorance et d'impertinence, voire d'im-
possibilité en ce dessein, si peu d'utilité pour lui quand il se fût pu
faire un accablement de si grande dépense, que pas un ne sut que
répliquer à vos raisons... »
LE MINISTRE d'hENRI IV 455
prouver l'invraisemblance des intentions prêtées à Villeroy
et aux catholiques zélés. Cette appréciation doit être ajou-
tée aux cinq ou six autres jugements suspects que nous
avons eu l'occasion de signaler. Quant au fait, s'il est
exact, il prouve seulement un désaccord momentané à
la fin de 1C>07 sur un point particulier de la politique.
La partie des Economies royales qui concerne les évé-
nements de Hollande ne contient que des résumés his-
toriques sans commentaires et quelques lettres où Sully
expose des vues théoriques, sans indiquer nettement une
préférence personnelle (1 .1. L'histoire nous montrera un
autre Sully s'associant aux rêves de conquêtes de son
maître et des autres ministres. Il ne faut donc point con-
clure du fait isolé cité par les Mémoires à une opposition
systématique du surintendant au principe des acquisitions
territoriales qu'aurait préconisé le ministre des affaires
étrangères.
Tous les hommes d'Etat de l'entourage de Henri IV ont
formé des projets d'agrandissement, qui portent la marque
de leurs tempéraments propres. Le mot de gloire est sur-
tout dans la bouche de Sully. L'entrée du roi en Flandre
lui paraît un dessein héroïque (2). Il veut que le courage
et la sagesse du roi se servent << du temps et des occasions
pour achever d'élever la gloire de ses armes jusques au ciel
et étendre ses limites aussi loin que ses plus généreux an-
cêtres » (3). Villeroy et Jeannin, qui ne sont pas des soldais,
paraissent surtout vouloir faire acte de prévoyance. Ils con-
sidèrent que la domination espagnole s'affaiblit et doit dis-
paraître un jour des Pays-Bas, que l'Angleterre unie gran-
dira et que les Provinces-Unies seront attirées à elle, grâce
à la communauté de foi religieuse, d'intérêts maritimes
(1) Sully, Ec. Itoy.,t. II, p. 208-209, p. 258 et suiv.
h) Winwood à Cecil, 13 fév. 1602; Wïnwood, Mémorial* , t.I, p. 384.
(3) Sully à Villeroy, s. d. ; Sully, Ec. Roy., t. II, p. 256.
456 VILLEROY
et commerciaux. Il faut empêcher ce rapprochement qui
constituerait comme une nouvelle maison de Bourgogne
au nord du royaume. Si l'on ne peut absorber toute la
région, l'établissement des Français dans une portion des
Flandres fortifiera la frontière du royaume et fera con-
trepoids à l'inquiétante puissance des Anglais voisins (1).
Aussi dès la fin de 1602, le roi de France et ses ministres
ne cessèrent de pousser les Hollandais à prendre une vigou-
reuse offensive en Flandre. Villeroy d'accord avec Sully es-
pérait qu'une partie des provinces maritimes avec l'Artois
et le Hainaut s'offrirait ainsi à la France « par révolte, sans
danger ni dépense du roi » (2). Les Hollandais n'eurent
pas confiance. Quand Ostende eut été prise et que les An-
glais eurent définitivement abandonné les Etats, Henri IV
envoya Aersssen à La Haye pour encourager les Hollandais
à la résistance et leur assurer l'élévation du secours an-
nuel. Trois mois après il leur demandait d'assiéger Grave-
line ou, si c'était impossible, Bruges, afin de nettoyer la
côte et de tendre la main au roi de France. Le but du roi
et de tous ses ministres était de faire réserver pour la
France les conquêtes que feraient les Etats. On ne mani-
festait aucune prétention sur les possessions de ceux-ci,
mais seulement sur « la Flandre et les provinces qui parlent
la langue française » (3). Il faut noter que sur la date de
(1) Voir les propos de Jeannin à Aerssen dans la lettre d'Aerssen à
Valcke. 8 août 1602, Ibid., p. 174.
(2) Aerssen à Valcke, 15 novembre 1602.
(3) Aerssen à Oldenbarnevelt, 11 février 1605. Legatie-Archief,C>[3.
« Je veux [dit le roi] que vos exploits se fassent en Flandre approchants
vers moi et comme je vous baille un si notable secours aussi ne sti-
pulez que les conquêtes qu'y ferez me seront gardées pour quand je
viendrai à me déclarer, ne prétendant rien sur ce que vous possédez
ulement la Flandre et les provinces qui parlent la langue fran-
çaise... La côte marine nettoyée je me déclarerai aussitôt et me mettrai
sur la Meuse pour ainsi achever en un an »... « M. de Rosny me dit
plus que pendant mon absence, il avait disposé S. M. à la guerre, mais
LE MINISTRE d'hEx.'RI IV 457
l'entrée en campagne, il y avait eu un petit conflit entre
Sully et Villeroy. Sully avait poussé le roi à la guerre im-
médiate, estimant qu'on était prêt et qu'en deux ans, on
pourrait chasser l'Espagne des Pays-Bas. Villeroy et Sillon,
ennemis des aventures, avaient décidé le roi à remettre la
déclaration de guerre au jour où les Hollandais auraient
achevé de nettoyer la côte. Le roi avait incliné vers ce der-
nier parti et l'accord s'était fait entre les ministres pour
proposer aux Etats avec l'augmentation du secours la con-
quête des ports pour la France, préface de l'intervention
militaire du roi.
Les Hollandais refusèrent ces propositions. Ils se mé-
fiaient de la France et ce manque de confiance était dû
en grande partie auxjugements pessimistes sur le royaume
et ses hommesd'Etat, qu'Aerssen transmettait en Hollande.
Il dépeignait le roi inconstant, adonné aux femmes et à la
chasse, le royaume qui « roulle casuellement » (1) déchiré
par les factions, conduit sans ordre et sans décision,
livré à deux ministres « tout passionnés l'un à Rome, l'autre
qu'à son particulier et sans religion » (2). Tant de lenteurs,
d'incertitudes, de défiances, dans les rapports du roi avec
les Etats proviennent en grande partie des jugements con-
tenus dans les lettres d'Aerssen. La méfiance qu'on éprou-
vait principalement à l'égard de Villeroy empêcha dès la fin
de 1602 les Etats de communiquer au roi les plans de leurs
opérations militaires au grand mécontentement du roi qui
jugeait nécessaire de connaître à l'avance les intentions
précises de ses alliés pour se concerter avec eux. Mais Aers-
sen ne disait-il pas à OMenbarnevelt que faire connaître ces
que MM. de Villeroy et de Sillery se fortifiant des inclinations de S. M.
avaient le plus qu'ils avaient pu traversé ses raisons remettant la dé-
claration de la guerre à quand MM. Les Etats auraient nettoyé la côte
de la mer, pensant par là gagner temps et faire durer leur paix... »
(1) Aerssen à Vakke, 3 septembre 1G02. Ibid., p. 17'J.
(2) Aerssen à Valcke, 11 octobre 1602, Ibid., p. 190.
458 VILLEROY
secrets à certains ministres, c'était les livrera l'ennemi (1)?
Sully de son côté desservait inconsciemment la diploma-
tie de son pays par ses écarts de langage. Il ne savait pas
résister au désir de vanter ses services, de grandir son rôle
de défenseur des Etats et de la religion, en rabaissant le
mérite des autres ministres qui, à l'entendre, ne mon-
traient que mauvais vouloir pour la cause des rebelles.
Quand il avait eu à subir quelque avanie en cour, il s'em-
portait au delà de toute mesure et allait jusqu'à accuser
Villeroy et Sillery de trahison. Ainsi, au mois de mai 1605,
il se plaignit devant Aerssen, « en secret et à regret qu'il
y avait des conseillers près de S. M. qui désirent et tra-
vaillent plus à la grandeur d'Espagne qu'à celle de la
France lesquels empêchent les bons mouvements de S. M.
et les salutaires avis et conseils qu'il lui a proposés sou-
vent » (2). On s'imagine l'effet que produisaient à La Haye
de telles paroles portées par Aerssen qui était lui-même
disposé à les exagérer. On en arrivait à croire que tout
était incohérence et boutades en France et qu'il fallait se
borner à tirer de la cour le plus d'argent possible, sans
avoir confiance en des projets à longue portée qu'un jour
faisait et qu'un autre défaisait.
Cependant l'année 1605 n'était pas favorable aux armes
des Hollandais. Le prince Maurice se faisait battre par Spi-
nola en plusieurs rencontres. Le parti de la guerre faiblis-
sait. Henri IV continuait à reprocher aux Hollandais leur
manque de hardiesse et à les presser d'avancer en Flandre.
[1) Aerssen à Oklenbarnevelt, 11 février 1605, Deventer, Gedenks-
tukken van J. van Oldenbarnevelt, III, 15-24. Rosny lui a dit que pen-
dant son absence il avait disposé S. M. à la guerre, mais que « MM. de
Villeroy et de Sillery se fortifiant des inclinations de S. M. avaient le
plus qu'ils avaient pu traversé ses raisons... »
(2) Aerssen à Oldenbarnevelt, 29 mai 1605. Deventer, III, p. 39.
Aerssen ajoutait, après avoir raconté les confidences de Rosny, que le
ministre lui a donné cet avis secrètement et ne le lui aurait pas donné
sans la grande traverse qu'il a eue à la Cour.
LE MINISTRE d'hKNRI IV 459
Il entra dans une violente colère quand il apprit qu'ils por-
taient la guerre en Frise, au lieu de se rapprocher des fron-
tières du royaume. Il craignit qu'ils ne tendissent à se faire
recevoir sous la protection des princes d'Empire plutôt
que sous la sienne (1). Tout le monde à la cour était alors
convaincu de la mauvaise volonté des Hollandais. Sully
lui-même n'osait les défendre. A vrai dire, ils avaient
quelque raison à se défier des propositions intéressées du
roi, car ils apprenaient au mois de mai de la même année
qu'on avait beaucoup parlé dans l'entourage du roi d'un
projet d'alliance du dauphin avec l'infante d'Espagne à la-
quelle les Provinces-Unies rebelles devaient être données
endot. Au dire de Sully, Villeroy'etSillery croyaient ce pro-
jet faisable, mais demandaient la totalité des Pays-Bas.
Sully en souhaitait la réalisation et disait qu'il se conten-
terait de la proposition des Espagnols « s'ils nous voulaient
dès maintenant ou envoyer la fille ou duement faire ces-
sion et transport de leur offre ». Il demandait à Aerssen
secrètement si les Etats agréeraient cette proposition. Il
prévoyait les difficultés qu'ils élèveraient, mais il espérait
être envoyé par le roi à la Haye « pour voir s'il pourrait
obtenir quelque petite reconnaissance seulement ».
On commençait donc à envisager en France l'hypothèse
de la souveraineté. La question fut nettement posée aux
Etats eux-mêmes par Henri IV qui envoya Aerssen à la
Haye en février 1606. Il avait pour mission de leur deman-
der s'ils étaient disposés à reconnaître la souveraineté du
roi de France et dans quelles conditions s'effectuerait pour
(1) Aerssen à Oldenbarnevelt. -2i déc. 1606, Legatie-Arc/uef, 613.
Aerssen fut reçu le 20 en audience par le roi qui lui fit de grands
reproches sur la lenteur et les hésitations des Etats. « Son désir aurait
été de nous approcher en Flandre pour aux occasions étant joints tirer
quelque secours ou aide réciproque de nous. » Au lieu de contenter
le roi, « nous prenions le contrepied et allions porter notre guerre et
dessein en Frise. »
460
VILLEROY
les deux partis ce transfert de souveraineté (1). Mais les
propositions de la France arrivaient trop tard. Au début
du xvne siècle, le sentiment de. l'indépendance s'était pro-
fondément enraciné au cœur des Hollandais qui, vingt ans
auparavant, auraient accepté le protectorat des étrangers.
Comme ils ne voulaient point, par un refus brutal, offen-
ser leur puissant ami, ils répondirent qu'ils ne pouvaient
prendre de décision sans consulter toutes les villes des
sept provinces. Henri IV eut alors la sagesse de renoncer
momentanément à son projet, comprenant qu'il s'aliène^
rait les Hollandais, provoquerait l'indignation de ses alliés
et peut-être une entente entre l'Espagne et l'Angleterre.
Nous ignorons s'il y eut des discussions au conseil et quelle
attitude prirent les différents ministres. Il est fort probable
qu'ils furent d'accord pour cesser de solliciter d'une ma-
nière pressante les Etats au sujet de la souveraineté.
Ce n'était pourtant pas la renonciation définitive à tout
projet d'agrandissement. Nous voyons dans les mois qui
suivirent la question des villes otagères reparaître au premier
plan. Dans ses entrevues avec Yilleroy ou Sillery, Aerssen
entendait toujours les mêmes paroles : « Que voulez -vous
faire pournous,si nous vous assistons (2)?» Quand Aerssen
montrait que la cession de quelques villes serait impopu-
laire dans tous les Pays-Bas rebelles, Sillery répondait
qu'avec la connivence du prince Maurice on pourrait intro-
duire, sous un prétexte, des troupes dans l'Ecluse ou dans
d'autres places, et petit à petit, faire accepter la chose par
le reste des Etats. A la Haye, Buzanval faisait tous ses
efforts pour persuader Barnevelt de la nécessité de cette
concession. L'homme d'état Hollandais avec une extrême
(1) Voir Memorie van Fr. Aerssen, 24 fév. 1606, dans Deventer, III,
p. 71.
(2) Aerssen à Oldenbarnevelt, 9 août et 7 octobre 1606; Deventer,
t. III, 78, 87-91.
LE MINISTRE 1MIENRI IV 461
habileté prenait soin de ne pas décourager les Français et
trouvait le moyen de se faire augmenter les secours, en
laissant entendre que sans se hâter, en profilant des circons-
tances, le roi de France pourrait arriver à son but. Toutes
ces lenteurs irritaient Sully plus qu'aucun autre. De nou-
veau, il souhaitait la guerre. En août, il avait conseillé aux
Hollandais de hasarder une grande bataille qui, gagnée,
redresserait leurs affaires, perdue, engagerait les voisins
dans la lutte. Villeroy qui, disait A.erssen, « ne va pas si
vite », n'avait pas approuvé qu'on se fiât au hasard d'une
bataille (1). Les mêmes luttes continuèrent sans doute au
conseil. Henri IV reconnaissait tout haut que ses ministres
n'étaient pas d'accord sur les affaires hollandaises. Villeroy
tomba malade gravement à l'automne. Sully paraissait
devoir redevenir tout-puissant. Aerssen espéraitde nouveau
la guerre (2).
IV
Ces incertitudes de la politique française furent bientôt
dissipées par des événements qu'Henri IV et ses ministres
ne purent empêcher. Dès la fin de décembre 1601), les Archi-
ducs firent exprimer aux Etats leur désir de conclure avec
eux une trêve, en reconnaissant provisoirement leur indé-
(1) Aerssen à Oldenbarnevelt, 30 août 1606, Legatie-Archief, 614.
(2) Aerssen à Oldenbarnevelt, 14 novembre 1606, Legatie-Archief,
614. « M. de Villeroy qui a souvent ramené les affaires à la paix est
désormais en tel état qu'il De pourra plus porter ses conseils en Cour.
Le ventre lui est cheu, de sorte qu'il n'en saurait sortir qu'en chaise et
encore non sans péril de la vie pour la gangrène de laquelle cette
partie est menacée. » Sully, ajoute Aerssen, reste tout puissant. « 11
portera toujours toutes les résolutions à son désir. » — Sur cette ma-
ladie de Villeroy, voir les lettres de l'uysieux à La Boderie, d'octobre
à décembre 1606,, et une lettre de du Vair à Villeroy du 26 novembre
1606, F. Fr. 13579, f° 48.
462 VILLEROY
pendance. Ce désir était sincère, car ils ne recevaient plus
d'argent d'Espagne et ils étaient las d'une guerre qui rui-
nait le pays. Il fut accueilli avec joie par le parti de la paix
qui, sous Barnevelt, devenaitde plus en plus puissant, détes-
tait lesaventures, se défiait desamitiésdangereusesetluttait
simplement pour assurer l'indépendance du pays. En appre-
nant ces nouvelles, le roi fut très irrité qu'on voulût traiter
à son insu. Pendant quelque temps, il espéra détourner
les Hollandais de la paix, en leur proposant de nouveaux
secours (janvier 1607). Villeroy, fidèle à sa politique anté-
rieure, avait encore l'illusion qu'on pourraitcontinuer long-
temps la guerre de renards et retenir les Hollandais en
grossissant les subsides. Il semble que Sully ait été plus
clairvoyant dans la circonstance. Sa logique qui lui avait
parfois fait commettre des erreurs était opportune au
moment où la situation tendait à se débrouiller. Lui qui
poussait toujours aux extrêmes dit que le roi devait ou bien
entrer en ligue et guerre d'accord avec les Hollandais ou
bien leur laisser faire la paix(l). Il auraitmême, ainsi qu'il
le dit plus tard à Pecquius, l'envoyé des archiducs, fait
valoir la possibilité d'uneentière réconciliation de la France
et de l'Espagne, grâce à cette paix (2).
Les efforts du roi furent inutiles. Rien ne put entraver
les négociations de l'archiduc et des Etats qui conclurent
le 8 mars 1607 une trêve de huit mois. On fut en France
très mécontent de ce procédé. Villeroy se plaignit vivement
de ces gens qui « ont pris notre argent de la main droite
et ont en même temps conclu le marché et l'ont signé de
la gauche » (3). Le payement des subsides fut arrêté. Mais
bientôt on s'avisa qu'il était inutile et dangereux de protes-
(1) Aerssen à Oldenbarnevelt, 24 avril 1607, Deventer, III, p. 123.
(2) Pecquius aux archiducs, 31 octobre 1607, Papiers d'Etal et de
l'Audience, no 421, f'o 47 (Archives royales de Bruxelles).
(3) Villeroy à La Boderie, 23 avril 1607. Lettres de Henri IV et de
Villeroy a La Boderie, p. 161.
LE MINISTRE D HENHI IV 463
ter contre un fait accompli. On résolut alors de prendre
une part active à la conclusion de celte paix, si elle devait
se réaliser et de faire en sorte qu'elle ne nuisît pas à la
France et fût la plus désavantageuse possible à l'Espagne.
Henri IV reprit donc de lui-même, — sans avoir été appelé
par les intéressés, — et avec le roi d'Angleterre qu'il n'eut
pas de peine à décider à se joindre à lui, le rôle d'arbitre
qu'il venait de remplir si heureusement dans de différend
romano-vénitien. Il désigna comme ambassadeurs auprès
des Etats le président Jeannin, un vieil ami de Villeroy, et
Buzanval, représentant ordinaire de la France à La Haye.
Ils avaient pour mission d'examiner la disposition des af-
faires et des esprits et de se concerter avec les Hollandais
sur les avantages et les inconvénients de la paix. Par ces
deux médecins consultants, on voulait, suivant l'expres-
sion pittoresque de Villeroy «. prendre entière et certaine
connaissance de l'état et dispositions du patient et de la
qualité de son mal pour y appliquer les remèdes conve-
nables » (1). Si Buzanval avait paru quelquefois l'homme
de Villeroy, l'indépendance de Jeannin inspirait une con-
fiance absolue à tous les hommes d'Etat français sans ex-
ception. Villeroy lui-même l'estimait comme un collabo-
rateur dont souvent il prenait conseil avec une franche
modestie : « Nous vous proposons, lui écrivait-il, tout ce
qui nous vient à la fantaisie, non pour vous assujettir à le
suivre ni exécuter, mais pour vous représenter nos concep-
tions et en attendre la censure de vous » (2).
A partir de ce moment, la personnalité de Villeroy s'ef-
(1) Villeroy à La Boderie, 28 avril 1607. Lettres à La Boderie,?. 173.
Voir l'Instruction aux sieurs Jeannin et de Buzanval, allant pour le
service du roi aux Pays-Bas (22 avril JG07) dans les Négociations du
président Jeannin, p. 21 et suiv. et pour l'histoire de toute la négo-
ciation, le t. IV (2e série) de la collection Michaud [Négociations du
Prés. Jeannin) où sont reproduites les lettres qu'échangèrent Jeannin,
Villeroy et Henri IV, depuis mai 1607 jusqu'à la conclusionde la trêve.
(2) Villeroy à Jeannin, 8 octobre 1607 ; Négociations, p. 178.
464 VILLEROY
face un peu. La politique française à l'égard de la Hollande
est le résultat de la collaboration du roi, de Jeannin, de
Villeroy et de Sully. Ils sont d'accord sur le but à poursui-
vre. Ils diffèrent parfois d'opinion sur le choix de certains
moyens, mais le plus souvent Jeannin l'ait triompher son avis.
Sully qui était appelé à toutes les délibérations importantes
avait les mêmes vues sur les intérêts du pays et sur la néces-
sité d'une bonne paix. Cependant, quand les Espagnols
élevaient des difficultés trop grandes ou menaçaient de
rompre les négociations, il reparlait en faveur de la guerre
directe et immédiate. Ainsi, jusqu'au moment où les Espa-
gnols, après bien des hésitations et des menaces d'arme-
ments, eurent ratifié les préliminaires de la trêve offerte
par les archiducs (juillet 1607), il fut du partides pessimistes
de la cour qui parlaient de la guerre comme si elle était
inévitable. Mais il ne faudrait pas croire à des divisions
profondes entre un parti pacifique et un parti belliqueux.
Villeroy aussi, bien que plus volontiers optimiste, estimait
que dans le cas où les Etats seraient contraints à une paix
trop désavantageuse, le plus expédient serait « de les por-
ter tous ensemble à la guerre, voire même d'y faire entrer
S. M. avec eux, la tête baissée, plus tôt que de laisser dres-
ser cette partie sur notre moustache » (1). Jeannin écrivait
de temps en temps à Sully pour lui demander son avis sur
les événements. Sully répondait par des lettres fort cour-
toises contenant des considérations générales, comme il les
aimait, sur la situation réciproque des Hollandais, des Espa-
gnols, des Anglais et leurs humeurs particulières et où il
s'excusait aimablement «craignant, disait-il, qu'il y eût quel-
que chose contraire à ce qui vous serait mandé par ceux qui
ont, charge de vous faire entendre les intentions du roi » (2).
(1) Villeroy à Jeannin, 8 juillet 1607; Négociations, p. 103. Il ajou-
tait : « Toutefois, je vous dis ceci de moi-même et sans charge, partant
vous n'en ferez, s'il vous plaît, mise ni recette. »
(2) Voir entre autres la lettre de Sully à Jeannin, 11 août 1607;
Négociations, p. 1153.
LE MINISTRE 1) HENRI IV
465
• Dès le début, Henri IV poursuivit avec une remar-
quable persévérance un but unique : empêcher les Hollan-
dais de faire ce qu'il appelait une mauvaise paix. D'abord,
il ne voulut pas de la trêve à longues années dont Jean-
nin et Villeroy s'étaient faits les défenseurs (1). Pour lui,
elle obligerait les Etats et leurs alliés (dont l'un, le roi
d'Angleterre, n'était pas sûr) à supporter de lourdes char-
ges, et ramènerait à hasarder perpétuellement « le sien
pour autrui »(2). Jeannin et Villeroy objectaient que les Espa-
gnols parorgueil ne voudraient jamais accorder qu'une trêve,
qu'on pourrait arriver à en rendre les clauses aussi avan-
tageuses que celles d'une paix, et qu'il n'était pas mauvais
que les peuples des Provinces-Unies conservassent de la
défiance à l'égard des Espagnols. L'essentiel était que les
Etats ne fussent pas « par nécessité contraints de consentir
plusieurs choses contre leur volonté et leur propre sûre-
té » (2), car ce jour-là, ils seraient tenus dans une demi-
dépendance par leurs ennemis qui pourraient les détruire
à leur guise, et ce serait le rétablissement de la prépon-
dérance espagnole sur la frontière nord du royaume. Les
révoltés pourraient alors chercher d'autres alliés que les
Français et se jeter dans les bras des Anglais ou des
Allemands. Henri IV avait certainement renoncé à la sou-
veraineté effective des Pays-Bas, mais voulait conserver
une sorte de protectorat moral sur eux (3).
(1) Villeroy à Jeannin, 31 mars 1608 ; Négociations, p. 320.
(2) Ibid , 8 juillet 1607 : Négociations, p. 103. — Villeroy lui avait
écrit le même jour: « Monsieur, enfin vus raisons en faveur de la trêve
nous ont vaincus : nous jugeons aussi qu'elle équipolera à une paix,
étant faite aux conditions que vous avez écrites. » Dans une seconde
lettre, il écrivait : « Il faut craindre que les Etats soient, par nécessité,
contraints de consentir plusieurs choses contre leur volonté et leur
propre sûreté... J'estime avec vous que le plus expédient sera lors de
les porter tous ensemble à la guerre, voire même d'y faire entrer S. M.
avec eux, la tète baissée, plutôt que de laisser dresser cette partie sur
notre moustache. Toutefois je vous dis ceci de moi-même et sans
charge... »
(3) Telle est, selon nous, la vérité sur les projets d'Henri IV. Motley
Villeroy. 30
466 VILLEROY
Voilà pourquoi Jeannin eut pour mission de conclure
une alliance entre les Provinces Unies et la France. On
discuta longtemps sur les clauses de cette alliance qui fut
proposée à la fin d'août et dont les Hollandais se méfièrent
tout d'abord. La politique hésitante et malveillante des Espa-
gnols favorisa les Français en inspirant aux Hollandais des
craintes salutaires. Ils n'avaient ratifié qu'après de longues
tergiversations l'armistice de l'archiducetsans faire mention
de la souveraineté (1er juillet 1607). Les Etats l'exigèrent et
les Espagnols finirent par céder au mois d'octobre. D'autre
part Villeroy semble avoir agi personnellement pour modé-
rer les prétentions d'Henri IV qui pouvaient inquiéter les
Hollandais. Le roi voulait d'abord une alliance défensive
et offensive. Villeroy écrivait confidentiellement à Jean-
nin que si les Etats jugeaient la Ligue offensive nuisible à
leurs relations avec l'Angleterre et les archiducs, il fau-
drait se borner à une Ligue défensive et même se contenter
de demander aux Etats un certain nombre de vaisseaux de
guerre pour le payement de leurs dettes (1) . Villeroy fit apla-
nir par Jeannin quelques autres difficultés que le ton parfois
autoritaire d'Henri IV pouvait grossir et le traité d'alliance
défensive fut signé le 23 janvier 1608 (2).
C'est à ce moment que les envoyés de l'archiduc, Spinola,
Richardot et Verreyken, arrivèrent à la Haye et que com-
nous semble avoir donné des contours trop fixes à ce qui était vague,
et avoir trop facilement recouru aux épithètes d'avidité, de duplicité,
d'égoïsme perfide (Voir notamment ses appréciations, p. 316 et 519
dans son livre The United Netherland. Motley appelle Henri IV, avec
quelque exagération,, « the falsest of mankind » (t. IV, p. 419).
(1) Villeroy à Jeannin, 24 août 1607, Négociations, p. 143. Il ajou-
tait : « 11 ne faut désirer de ceux que nous voulons conserver pour
amis que des conditions tolérables et qui ne leur soient dommageables. . .
Je n'ai encore conféré de ceci avec personne, car il faut conduire les
affaires du monde par degrés, a
(2) Les Hollandais promettaient d'assister le roi de 5000 hommes,
d'une force navale, s'il était attaque après la paix et le roi promettait
un secours de 10.000 hommes
LE MINISTRE d'hENRI IV 467
mencèrent les négociations pour la trêve (février 1608).
Pendant six mois, les deux partis discutèrent sans arriver
à s'entendre sur deux graves questions : la liberté du culte
catholique dans les Provinces-Unies, exigée par les Espa-
gnols et refusée par les Hollandais, et la liberté du com-
merce des Indes, revendiquée par ces derniers et repoussée
par leurs adversaires. Henri [V et Yilleroy trouvaient exces-
sives les convoitises des Hollandais et déploraient une telle
ténacité qui menaçait de rompre le traité (1). Sully pensait
de môme. Il blâmait leur orgueil et disait à Aerssen : « Vous
êtes capables de faire la guerre pour votre défense, mais
vous n'entendez rien aux traités ('2) ». On eût voulu aussi
qu'ils fissent des concessions sur la question religieuse.
Sully lui-même sentait la nécessité pour les Etats d'accor-
der aux catholiques la liberté avec les restrictions obliga-
toires pour leur sûreté et il ajouta que les Pays-Bas Espa-
gnols devaient traiter les protestants de lamême manière (3).
L'attitude de Villeroy déplut aux deux partis. Le huguenot
Aerssen voyait naturellement en lui un papiste, et le catho-
lique Pecquius le trouvait « un peu froid » pour l'Eglise,
parce qu'il n'osait recommander la résistance aux préten-
tions des Hollandais (4). D'après lui, on ne pouvait espérer
(1; Aerssen à Oldenbarnevelt, 7 et 19 mars 1 G 0 8 . Legatie Archief,
614 . — Pecquius aux archiducs, 20 mars 1608, dans Deventer, III,
p. 240. Le roi dit à Pecquius qu'il ne veut pas que les Hollandais s'é-
lèvent trop haut.
{i) Aerssen à Oldenbarnevelt, 5 juin 1608, Legatie Archief, 614. —
Voir aussi Sully à Jeannin, 26 février 1608, Négociations, p. 281.
D'après la lettre dAerssen, Villeroy aurait accable de reproches l'en-
voyé des Etats, et conseillé de faire la paii en abandonnant le fail des
Indes et de la religion. Sully lui lit aussi d'amers reproches sur leur
orgueil. Les Hollandais, lui dit-il, se croient les plus puissants 'lu monde
et s'imaginent à tort que le roi les recherche. Aerssen ajoutait triste-
ment : « On nous tient sans prudence, sans conduite, sans courage,
sans union et sans moyen. »
(3) Pecquius aux archiducs, 31 octobre 1607. Pap. d'Etat et de l'A u-
dience, \v< 121, l'" iT (Arch. roy. de Bruxelles).
(4) Ibid., 9 mars 1608, f° 81. Villeroy dirait qu'on ne pouvait espérer
468 VILLEBOY
faire accorder aux catholiques la liberté par traité, mais
leur faire adopter à la longue par faveur spéciale quelques
mesures de tolérance.
Une question non moins grave était discutée à la Haye
et à Paris : conclurait-on la paix ou une trêve? Nous avons
vu que le roi dès le début avait donné ordre à Jeannin de
travailler pour la paix. Mais Villeroy défendit les concep-
tions de Jeannin et réussit àpersuaderleroi (1). Or, comme
on savait que les archiducs, les Espagnols etle nonce étaient
pour la trêve (2), il était facile d'accuser Villeroy d'être leur
porte-parole. Aerssen n'y manqua point (3). La trêve, étant
du provisoire, excluait, par définition, la concession pleine
et entière de la souveraineté. Villeroy admettait qu'on ne
pouvait raisonnablement demander aux Espagnols plus que
de « traiter avec les Etats en qualité et comme les tenant
libres ». Indifférent aux discussions de mots, il affirmait à
Aerssen qui ergotait sur ce sujet qu'ils seraient traités
par le roi comme libres, même après la trêve, que d'ailleurs
le roi ferait une ligue avec eux pour le maintien de cette
trêve, comme on en avait fait une, le 23 janvier 1608, pour
le cas où la paix eût été conclue. Ainsi, Villeroy, en conseil-
lant aux Hollandais des concessions sur le commerce, la
religion et la trêve, commençait à passer pour suspect de
partialité à l'égard de l'Espagne. C'est à ce moment que
s'implanta la légende d'un Villeroy ami de l'Espagne.
faire accorder aux catholiques la liberté par traité, mais leur faire donner
par grâce un peu plus de liberté qu'ils n'en avaient.
(1) Dép. du nonce Ubaldini, 30 sept. 1608, F. Ital. 30, f» 183.
(2) Pecquiusaux archiducs, 8 août 1608, Pap. d' Etat et de ï Audience,
no 421, fo 168.
(3) Pecquius aux archiducs, 23 septembre 1008, Ibid., f° 193. 11
confirme ce qu'il disait dans la lettre du 8 août : c< il semble à aucuns
des ministres qu'à faute de paix le plus expédient sera de faire une
longue trêve avec lesdits états... » (Lettre du 8 août).
LE MINISTRE D'HENRI IV 469
Ce qui acheva d'enraciner celte réputation, ce fut l'at-
titude du ministre dans la question du mariage franco-
espagnol que les Espagnols avaient posée à nouveau durant
l'année 1608 pour rompre l'union du roi de France et des
Pays-Bas. La politique des mariages était chère au pape
Paul V, comme elle l'avait été à Clément VIII, qui avait rêvé
d'unir dès leur naissance le dauphin et l'infante d'Espagne
pour terminer le différend séculaire des deux nations
(septembre 1601). Leurs nonces s'étaient faits dans les deux
paysles propagateurs zélés de cette idée. La vieille querelle
des Pays-Bas suscita un nouveau projet : faire épouser à
Christine, troisième fille d'Henri IV, l'infant Don Carlos,
second fils du roi d'Espagne, qui recevrait l'investiture des
Pays-Bas. Et même il fut question d'une troisième union,
celle du prince des Asturies avec une autre fille d'Hen-
ri IV (1).
Au début de 1608, l'initiative des pourparlers vint du
nonce Ubaldini et de Pecquius ; le projet romain et belge
fut formellement agréé à la fin de mars parle conseil d'Es-
pagne qui décida de négocier ces alliances matrimoniales
d'accord avec le pape et d'envoyer en France un ambassa-
deur extraordinaire (2). Henri IV avait fait bon accueil
aux propositions de mariage. Il avait alors plus que jamais
la préoccupation d'assurer le repos de son royaume. Les
(1) Sur la question des mariages, voir Perrens, Les Mariages espa-
gnols sous le règne de Henri IV et la régence de Marie de Médicis,
in-8°, 1869. Il s'est servi surtout des dépêches d'Ubaldini et des pa-
piers de Simancas. 11 faut compléter la documentation par l'étude des
lettres de Pecquius et des lettres de François Aerssen.
(2) Perrens, Les Mariages espagnols, p. 70.
470
VILLEROY
alliances lui paraissaient un excellent moyen d'éviter la
guerre. .Mais il ne voulait à aucun prix — c'était une ques-
tion d'honneur et d'intérêt bien entendu — abandonner les
Etats. C'était aussi la pensée intime de Villeroy qui dès le
début affirma aux représentants du pape et des archiducs
ce double principe de la politique française (1).
A la fin de juillet, Don Pedro de Tolède vint en cour, en-
voyé en ambassade solennelle par Philippe III. Villeroy
ne s'était fait aucune illusion sur les desseins des Espa-
gnols. « Tant il y a, écrivait-il à Jeannin, que je reconnais
qu'ils veulent faire un effort pour ranger à leur désir les
Etats et leur suite par une voie ou par une autre (2) ». Mais
il était d'avis qu'il fallait causer. Aussi quand dès les
premières séances l'orgueil maladroit de Don Pedro faillit
tout briser, il répara par des paroles courtoises le mal qu'a-
vaient fait de part et d'autre des paroles trop vives (3). Il
inspira une certaine confiance à l'Espagnol qui se décida
bientôt à faire connaître l'objet de sa mission. Villeroy
et le nonce rétablirent de bons rapports entre Don Pedro
et le roi et les pourparlers commencèrent. Ce fut sur-
tout unjongue conversation entre Villeroy, Don Pedro et
le nonce. Le roi se déchargea sur son ministre de cette
affaire ennuyeuse qui exigeait beaucoup de patience, de
sang-froid et un certain esprit de dissimulation (4).
(1) Pecquius aux archiducs, 6 mars 1608, Papiers d'Etat et de
l'Audience, n° 421 (Négoc. de France), p. 81 et suiv.
(2) Villeroy à Jeannin. 8 juin 1608, Négoc., p. 377. — Voir aussi
Villeroy à La Boderie, 28 juin 1608, Lettres, p. 298.
(3) Don Pedro avait vivement reproché au roi l'aide accordée aux
rebelles et par point d'honneur Castillan n'avait point voulu convenir
qu'il avait mission de parler des mariages. Le roi lui répondit par
des paroles très dures. Villeroy pria Don Pedro de ne point les trans-
mettre à la Cour d'Espagne. Voir la lettre d'Ubaldini du 23 juillet 1608,
citée par Perrens, p. 128.
(4) Quand l'Espagnol voulait une explication sur un point qui l'ein-
iit et où les Français ne voulaient point se prononcer nette-
ment, Villeroy le renvoyait au roi, et le roi d'ordinaire le renvoyait à
LE MINISTRE d'hENRI IV 471
Yilleroy persistait à demander que la trêve se fit d'abord
et que les mariages fussent conclus ensuite. Cependant il
ne pouvait écarter deux questions extrêmement délicates :
1° Si les mariages se concluaient .à la fin de la trêve à
longues années, le roi ne devrait-il pas travailler à réunir
les deux parties séparées des Pays-Bas, dot de son gendre ?
— 2° Si la trêve était rompue, que ferait le roi ? Les Espa-
gnols, le nonce et les archiducs cherchaient à amener les
Français à reconnaître que dans ce cas ils devaient aban-
donner les Etats et faire les mariages. Le roi croyait que
ce délaissement serait son déshonneur. Mais ne serait-il
pas excusé, si les Hollandais se rendaient indignes de la
continuation de sa faveur, en repoussant avec opiniâtreté
les conditions raisonnables d'une trêve?
Sur le premier point, la pensée de Yilleroy n'était pas
précise et ne pouvait l'être. 11 avait, comme la plupart de
ses contemporains, une très mauvaise opinion sur la cons-
titution interne des Provinces-Unies, source d'une incohé-
rence et d'une faiblesse que la paix accroîtrait certaine-
ment (1). Jeannin seul était devenu optimiste après avoir vu
sur les lieux l'étonnante vitalité de ce petit peuple. On ne
peut reprocher aux Français du temps d'Henri IV de n'a-
voir pas prévu le magnifique développement des Pays-Bas
qui allait s'accomplir au xvu" siècle, malgré leur détestable
organisation politique et leurs luttes intestines. En 1G08,
la porte était ouverte à tous les rêves. Un Don Pedro de
Tolède qui était maladroit, mais non dépourvu d'intelli-
gence, n'allait-il pas jusqu'à espérer que la paix amène-
rait un changement du naturel de ces peuples et leur ferai I
Yilleroy. Cette tactique est bien décrite dans la lettre d'Ubaldini du 19
août, F. ltal. 30, f° 154.
(1) Villeroy à Jeannin, 24 août 1607, Négoc, p. 143 et suiv. Nous
« avons aussi mauvaise opinion du succès de leurs affaires, étant dis-
posés et composés comme ils sont de présent. » Dans la même lettre,
il déclare qu'il est « vraisemblable» qu'ils « iront dorénavant déclinant
en toutes choses ».
472 VILLEROY
désirer le retour à leurs princes naturels (1)? Les Français
ne pouvaient-ils imaginer avec quelque apparence de raison
qu'un long travail de séduction pratiqué dans les Pays-Bas
pendant la durée de la trêve pourrait amener un jour la
réunion de toutes ces provinces sous la souveraineté du
gendre et de la fille d'Henri IV? Villeroy ne précisait pas
sa pensée sur ce point. Son esprit positif lui interdisait de
forger des projets à longue échéance, comme aussi de dé-
courager les projets des autres. Il ne pensait qu'à l'intérêt
actuel de son pays qui consistait pour lui à faire conclure
et respecter la trêve, puis à négocier les mariages. Dans
douze à quinze ans, on verrait à régler le sort des Pays-
Bas. Il ne faut pas oublier non plus que les enfants à ma-
rier étaient extrêmement jeunes. Villeroy exprimait avec
une bonhomie ironique ce sentiment quand il écrivait à La
Boderie : « Tout cela ne nous émeut ni interrompt notre
sommeil : nos enfants sont jeunes et les dits mariages ne
nous pressent » (2).
Quant à la seconde question, elle se posa surtout lors-
qu'au début d'octobre les négociations faillirent se rompre.
A la Haye, les Etats repoussèrent avec indignation la pro-
position des archiducs de conclure une trêve de sept ans
avec eux en les traitant « comme s'ils étaient libres ». A
Madrid on se refusait obstinément à reconnaître la souve-
raineté des Pays-Bas. Jamais le nonce ni Pecquius n'ob-
tinrent une réponse satisfaisante de Villeroy. Pecquius
espéra pendant quelques jours que le ministre conseillerait
à Henri IV la neutralité, mais il fut vite détrompé, car Vil-
leroy restait invariablement attaché à son double pro-
gramme. Il l'avait écrit le 25 septembre à Jeannin : « S. M.
est trop prudente et trop bien conseillée... pour danser par
force » au cas où les Etats reviendraient aux armes contre
(1) Pecquius aux archiducs, 8 août 1608, Pap. d'Etat et de l'Au-
dience, Ibid., f° 168.
(2) Villeroy à La Boderie, 14 août 1608, Lettres, p. 324.
LE MINISTRE d'hENRI IV 473
son avis, ou pour les livrer à leurs ennemis et contenter
les Espagnols.
On put croire pendant les quinze premiers jours d'octobre
que la France allait rompre avec l'Espagne. Henri IV re-
prit brusquement, avec une ardeur surprenante, les négo-
ciations pour la Ligue franco-italienne. Il fit négocier avec
Venise, avec Mantoue, avec Florence, avec le duc de Sa-
voie. On causa avec Jacob, le représentant de Charles-
Emmanuel, qui depuis quelques mois se morfondait en
France, où il était venu pour contrecarrer l'œuvre de Don
Pedro et proposer le mariage franco-savoyard, l'alliance et,
la conquête du Milanais. Le parti de la guerre paraissait
de nouveau triompher à la cour. Mais ce triomphe fut très
court, car les' dispositions du roi furent modifiées au milieu
d'octobre par les nouvelles reçues des Pays-Bas. Là,
l'œuvre de la paix avait fait un grand progrès. Jeannin,
qui jamais n'avait désespéré, avait empêché la rupture,
d'accord avec le parti d'OÏdenbarnevelt. L'archiduc Albert,
décidé à terminer la guerre, avait contenté les Hollandais
en prenant une grave initiative: il s'était déclaré prêt à re-
connaître la souveraineté des Pays-Bas, au nom du roi
d'Espagne et sans attendre son consentement. Villeroy
avait, de son côté, travaillé à écarter tous les obstacles
qui s'opposaient à la trêve. Il s'était attaché à montrer
combien il était difficile à ce moment de réaliser le projet
de ligue italienne à cause de la timidité des Vénitiens et de
la versatilité du Savoyard. L'événement lui avait donné
raison. Henri IV put se convaincre dans ses conversations
avec l'ambassadeur vénitien Foscarini que la République
redoutait toujours la guerre et se défiait de Charles-Emma-
nuel. De son côté, le duc, dès qu'il avait vu le roi hésiter
un peu et retarder l'exécution des projets de conquête ita-
lienne, s'était empressé de reprendre ses intrigues à la
cour de Madrid, où il avait délégué le comte de Verrue.
Cette attitude qui donnait raison aux conseils de défiance
474 VILLEROY
donnés par Villeroy avait définitivement incliné le roi vers
les idées de paix (1).
Villeroy avait eu sans doute à combattre Sully en cette
circonstance. Le surintendant estimait alors qu'il fallait
enfin frapper un coup décisif, car la force d'Espagne ne
consistait plus qu'en mines, bravades et réputation du
passé » et il s'opposait absolument aux mariages qui
étaient pour les Espagnols un moyen de rester indéfini-
ment en Flandre. Mais les pacifiques étaient les plus forts.
Sully en convenait d'assez bonne grâce. « Monsieur, écr.i-
vait-il à Jeannin, je reconnais par les procédures de tous
que tous ne cherchent que le repos... » Devant la volonté
formelle du roi, il finit par abandonner ce qu'il appelait
lui-même « ses folles fantaisies » (2).
Villeroy avait aussi redouté un moment, au mois d'oc-
tobre, un retour offensif du parti belliqueux de Hollande.
Maurice de Nassau faisait des efforts désespérés pour empê-
cher le succès des idées de Barnevelt. Il envoya un
homme de confiance, Lambert, à Henri IV pour lui remon-
trer que le parti pacifique était impopulaire aux Pays-
Bas, que Jeannin était un intrigant et que la Zélande s'op-
posait énergiquement à la trêve. Il se plaignait de Villeroy
qui déconseillait la guerreet faisait entendre que le prince
était un mauvais ami de la France (3). Villeroy et Jeannin
(1) Sully à Jeannin, 18 septembre 1608, Négoc, p. 419. — Voir
aussi les lettres d'Ubaldini du 15 septembre et du 22 octobre 1608,
citées par Perrens, p. 165-166. — Voir aussi Siri, Mém. recoud., I,
p. 514, p. 563-567.
(2) Sully à Jeannin, 18 septembre : « Monsieur, je reconnais
par les procédures de tous que tous ne cherchent que le repos. Les uns
y sont portés de la nécessité, les autres de l'inclination et du désir de
vivre en oisiveté. Je ne sais si c'est éviter le mal, mais le temps nous
l'apprendra peut-être lorsque nous ne serons pas si dispos ni si bien
munis pour le supporter, Pour moi, je me laisse aller au courant de
l'eau, après avoir néanmoins dit mon avis fort franchement, suivant ma
coutume. Nous avons laissé passerde belles occasions dont nos succes-
seurs diront ce que nous disons de ceux qui nous ont précédés. »
(3) Villeroy à Jeannin, 11 octobre 1608, Nég., p. 437. «Cetambas-
LE MINISTRE d'hENRI IV 475
firent avorter rapidement cette intrigue. Le roi, très mécon-
tent, écrivit une lettre des plus« vertes » à Maurice. Sully,
dont Villeroy craignait l'opposition, approuva entièrement
son maître « qui en cette matière peut faire la leçon à tout
son royaume » (1), et il écrivit une lettre aussi « verte » à la
princesse d'Orange (novembre 1608),
D'autres incidents firent comprendre à Villeroy l'émotion
qu'avaient soulevée en France et aux Pays-Bas ses pour-
parlers avec Don Pedro. On remit au roi un libelle accu-
sant son ministre d'être Espagnol (2). Les Huguenots as-
semblés à Jargeau menaçaient d'envoyer des secours aux
rebelles si le roi les abandonnait. En Hollande, on consi-
dérait Villeroy comme un ennemi qui complotait la perte
des Etats avec le nonce, le représentant des archiducs, l'en-
voyé de Philippe III et les Jésuites (3). Comme on avait, mal-
sadeur, dit-il, en parlant Je Lambert envoyé par le prince, aussi indis-
cret qu'imprudent, veut que chacun croie que les conseillers de la dite
trêve sont mauvais serviteurs de la Kranee et du roi : il dirait volon-
tiers qu'ils sont aux gages du roi d'Espagne. Il lui a été répondu sur
cela comme il faut. »
(1) Sully à Villeroy, Ec. Roy., p. 25(3. Sully s'.st rangé très vite à
l'opinion du roi et de Villeroy. Villeroy avait pourtant redouté son
opposition. Il écrivait à Jeannin le 16 octobre qu'il attendait Sully, qui
était en Poitou, avec impatience, et qu'il éprouvait quelque appré-
hension « étant certain qu'il butte a la guerre contre l'Espagne, de
façon que je crois qu'il épousera et favorisera les intentions et desseins
du prince Maurice. »
(2) Aerssen à Oldenbarnevelt, 30 septembre 1608, Deventer, Gc lentes-
tukken, t. III, p. 265.
(3) Pecquius aux archiducs, 6 novembre 1608, />«/). d'Etat et île l'au-
dience, Ibid., fo 213. « Quelques-uns de cette Cour disenl d'ailleurs
que les Etats ont pour suspectes toutes les actions du R. T. G. et ne se
fieront jamais à ses avis tant à raison duilil ohangemenl que pour
l'étroite correspondance que tient le nonce de S. S. avec ledit sieur de
Villeroy, estimant qu'il ne se traite rien avec lui que du su et à la
suggestion de don Pedro et de moi, pour ce que l'on nous voit fort
souvent assemblés et il semble au monde que nous ne soyons qu'un et
que même ledit sieur de Villeroy penche de notre côté, signament
depuis la dernière lettre du comte Maurice écrite au R. T. G. où il a
donné une atteinte à icelui de Villeroy comme s'il se laissait du tout
aller a ses persuasions selon que m'a voulu assurer ces jours passés
476 VILLEROY
gré tout, confiance dans le roi, on avait répandu le bruit
qu'Henri IV, s'étant aperçu des sentiments espagnols de
son ministre, avait commencé à employer sous main un
autre secrétaire pour les dépêches les plus importantes et
les plus secrètes (1). On allait même jusqu'à dire, — des
« courtisans italiens » l'avaient répété à Don Pedro — qu'un
jour le chancelier et Yilleroy étaient venus au cabinet du
roi pour le presser de faire l'alliance espagnole avant le
départ de Don Pedro et que le prince avait refusé « non sans
s'échauffer et crier quelquefois bien haut »(2). Aerssen était
en grande partie responsable de ces faux bruits. Il accueil-
lait sans le moindre scrupule les rumeurs les plus invrai-
semblables. Ainsi le 17 juillet il avait écrit à son gouver-
nement que le pape projetait une contre-union des catho-
liques, qu'il n'y avait rien à craindre du roi, mais qu'il fal-
lait être inquiet en pensant à ceux qui l'assistent et qui ne
peuvent que « travailler par les instructions de Rome » (3).
La campagne était bien menée. On faisait parvenir au roi
des avis l'informant que Don Pedro avait corrompu plu-
sieurs personnes de qualité du royaume. Villeroy s'em-
ployait avec zèle à démontrer leur innocence et à étouffer
ces bruits.
Tout cela provoquait un malaise nuisible à la marche des
négociations. Le roi et Villeroy comprirent qu'il fallait
couper courtaux défiances des alliés, hâter la conclusion de
la trêve et suspendre l'affaire des mariages. Villeroy, cons-
l'ambassadeur d'Angleterre... » Voir aussi la lettre de l'ambassadeur
vénitien, F. Ital. 1760, f° 87 (15 août).
(1) Pecquius aux archiducs, 13 novembre 1608, fbid., fo 216. « L'on
ajoute davantage que s'étant aperçu que ledit sieur de Villeroy goûte
l'alliance et amitié d'Espagne, [le roi] commence à employer sous main
un autre secrétaire pour les dépêches plus importantes et secrètes qu'il
envoie en Hollande, mais je veux croire que ce n'est qu'un faux bruit
semé par Aerssen pour charger ledit de Villeroy de soupçon sinistre... »
(2) Pecquius aux archiducs, 29 décembre 1608, Ibid., f° 237.
(3) Aerssen aux Etats, 17 juillet 1608, Lègatie Archief, 617.
LE MINISTRE d'hENRI IV 477
tatant l'inutilité de tant de pourparlers, regretta que Don
Pedro n'eût pas remis son voyage à un autre temps, et,
dans ses lettres à Jeannin, exprima un mécontentement
où perdait le dépit d'avoir subi un échec. Les Espagnols
étaient « des trompeurs et glorieux », et il faisait observer
à son ami combien était exact le reproche de turpitude et
de perfidie adressé par l'évêque de Senlis à nos ennemis
pendant la Ligue (1).
Nous n'avons pas à rappeler les derniers incidents qui
compliquèrent et retardèrent l'achèvement des négocia-
tions, et où Villeroy n'eut à jouer aucun rôle personnel.
Toute l'activité du roi et de son Conseil tendit sans équi-
voque vers un seul but : la conclusion de la trêve. La diplo-
matie de Jeannin brisa aux Pays-Bas les dernières résis-
tances. Le Conseil d'Espagne finit par céder et par ratifier
la reconnaissance de souveraineté qu'avait faite l'archiduc
le 1<> octobre. Une trêve de douze ans fut signée le 9 avril
1609 dans les termes fixés par la diplomatie française ; « fort
honteuse pour eux [les Espagnols et les archiducs], glo-
rieuse pour S. M. qui l'a poursuivie, et qu'on en peut
dire auteur, et avec ce, profitable et assurée pour les
Etats » (2).
(1) Villeroy à Jeannin, S janvier 1609, Xégoc, p. 534. Cette mention
relative à l'évêque de Senlis est une des très rares allusions à la Ligue
que nous ayons trouvées dans les lettres du ministre.
(2) Jeannin à Villeroy, 8 mars 160'J, Xëgoc, p. 590.
CHAPITRE VI
VILLELOY MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
(suite et fin)
LES AFFAIRES D'ALLEMAGNE. LA GUERRE DÉCLARÉE.
Les affaires germaniques jusqu'en 1609. — II. Villeroy et la
succession de Clèves. Les conseils pacifiques. — Négociations
avec la Savoie, avec l'Espagne. — III. La fuite du prince et de la
princesse de Condé (novembre 1609). Efforts suprêmes de Vil-
leroy pour maintenir la paix. — IV. La guerre imminente.
Efforts de Villeroy pour la limiter et pour la transporter en
Italie. Villeroy et l'alliance franco-savoyarde. — V. Dernières
tentatives pour la paix favorisées par Villeroy (avril-mai 1610).
Le conflit avec la maison d'Autriche fut provoqué par
l'ouverture delà succession de Clèves et de Juliers en mars
1609. Cet incident de l'histoire allemande prit tout à coup
les proportions d'un grand événement international et de vint
le souci capital du roi et de ses diplomates.
La guerre de renard avec l'Espagne aux Pays-Bas et en
Italie avait été une des grandes pensées du règne. Sans
doute Henri IV n'avait pas négligé lesatïairesgermaniques,
comme le prouve la correspondance qu'il entretint avec
LE MINISTRE n'HE.NRl IV 479
Maurice le savant, landgrave de Hesse (1), et les missions
confiées à Jacques Bongars (2). Il avait cherché à « être
utile » à ses « voisins, alliés et amis et à la cause qui est
commune entre eux » et lui (3). Il avait travaillé à resserrer
ses alliances avec les princes protestants et à les grouper
contre la Maison d'Autriche. Mais les événements qui
s'étaient déroulés ailleurs avaient accaparé son attention.
Il ne s'était point présenté de circonstance importante pour
l'obliger à agir efficacement au delà du Rhin. Les princes
étaient faibles, divisés, déliants, timides. Le roi de France
(Mail condamné à une extrême prudence D'ailleurs h- danger
étaitmoindre dans cette partie de l'Europe: les Habsbourgs
étaientbeaucoupmoinsàredouter que leurs cousins et alliés
d'Espagne. Leur chef, Rodolphe, était un incapable: dans
ses états héréditaires, les nationalités s'agitaient, les Turcs
menaçaient les frontières. Aussi, dans les années qui sui-
virent la paix de Vervins, la France n'eut-elle en Allemagne
qu'une petite politique peu active, sans grands résultats.
La diplomatie ne s'employa qu'à débrouiller de médiocres
affaires, au mieux des intérêts du royaume et de nos alliés
traditionnels.
On eut à rembourser une partie des emprunts effectués
en Allemagne jusqu'en 1595. On paya lentement, avec très
peu de bonne grâce, près de 4 millions. Puis, à partir de
1605, on chercha les prétextes les plus ingénieux pour s'en
dispenser. Henri IV était mauvais payeur, mais les princes
étaient des créanciers fort importuns. Yilleroy trouvait
toujours de bonnes raisons pour repousser leurs de-
(1) De Romuiel, Correspondance inédite de Henri IV... avec Maurice
le Savant, landgrave de Hesse, 1840, in-8o.
(2) Bongars, Epistolse, trad. par de Brianville, 1095, -2 vol. in-8. —
Anquez, Henri 71 et l'Allemagne d'après /es mémoires et la correspon-
dance de J. Bongars. 1887, in-8°.
(3) De Romniel, p. 307 (Henri IV au landgrave de Hesse, 20 mai
1606).
48U VILLEROY
mandes (1). On régla tant bien que mal après de longues
années d'hésitations et de débats l'affaire de Tévêché de
Strasbourg qui était disputé entre le petit-fils de l'électeur
de Brandebourg et le cardinal Charles de Lorraine, fils du
duc Charles III, qui avait pris comme coadjuteur un archi-
duc autrichien. En 1604, une transaction mit fin aux innom-
brables difficultés soulevées par ce litige et fut un demi-
succès pour la politique française ; car si les protestants
eurent le dépit de voir l'évêché rester aux mains du cardi-
nal, du moins la ville de Strasbourg eut-elle son indépen-
dance assurée : c'était l'essentiel pour le roi qui voulait
cette place libre pour conserver ses communications avec
l'Allemagne. Les intrigues de Bouillon amenèrent entre le
roi et les Allemands un long malentendu. Ceux-ci s'étaient
persuadés qu'on persécutait le duc à cause de sa religion.
On reprocha amèrement à Henri IV de commencer la
guerre contre les Eglises. Bouillon s'était retiré à Heidel-
berg chez son beau-frère l'Electeur Palatin, qui prit hau-
tement sa défense et intervint d'une manière indiscrète en
sa faveur. A partir de 1003, le roi reçut des ambassades du
Palatin, du duc de Wurtemberg, du landgrave de Hesse,
qui lui causèrent une vive irritation. L'issue du conflit, qui
fut pacifique grâce à la capitulation de Sedan, calma les
aigreurs et rétablit les bons rapports.
(1) Villeroy, en juillet 1601, cherchait à empêcher les voyages inté-
ressés des créanciers à la Cour, et disait à Bongars qu'ils ne servaient
« qua ne pas faire plaisir à M. de Rosny ». En décembre 1605, il dit
qu'on ne peut payer les Allemands parce qu'il faut secourir les Etats
et qu'on est à la veille d'une guerre avec l'Espagne. Il constate que
l'argent est ainsi mieux employé et ajoute., non sans malice, que nos
créanciers « avec le temps nous remercieront de notre conduite en ce
fait » (Lettres du 23 juillet 1601 et du 7 décembre 1605 à Bongars,
F. Fr. 7129, f° 127 et 7131, fo 21). Voir aussi Anquez, p. 52 et suiv.
A l'égard des Allemands, comme à l'égard des Anglais, des Suisses,
des Toscans, Villeroy agissait dans le même esprit de ruse mélangé de
bonhomie et servait les intentions de Sully et de son maître, le plus
économe des rois.
LE MINISTRE DIIENRI IV 481
Dans aucune de ces questions nous n'avons à signaler
une opinion spéciale soutenue par Villeroy. La politique
qu'on, suivit envers les Allemands était une politique ra-
tionnelle imposée par les circonstances Villeroy, aussi
bien qu'Henri IV, Sully et les autres membres du conseil
était pénétré de la nécessité de fortifier les alliances avec
les princes ennemis de la Maison d'Autriche. Nous n'avons
trouvé de divergence qu'au sujet d'une question des plus
délicates, qui se posa en l'année 1600.
A cette époque, Henri IV a songé — pendant très peu
de temps —à briguer la succession de l'Empereur Rodolphe.
Pour consolider la Maison d'Autriche en déjouant les pro-
jets de dépossession formés par certains princes protes-
tants, les deux familles régnantes de Madrid et de Vienne
voulaient faire élire un roi des Romains. Nombreux étaient
les candidats. Les principaux étaient les archiducs Ernest,
Albert et Mathias. Vers 1600, les Espagnols essayèrent de
mettre en avant le nom de Philippe III. C'est alors qu'Hen-
ri IV pour empêcherle roi d'Espagne de parvenir à l'Empire
se demanda s'il ne devait pas mettre son propre nom en
jeu. II consulta, nous apprend un manuscrit, ses trois plus
intimes conseillers, Sully, Villerov et Bellièvre (1). Le pre-
mier l'engagea vivement à poser sa candidature; n'aurait-il
pas pour lui les suffrages de l'Allemagne, les vœux des
Italiens ennemis de l'Espagne, et l'appui du pape? Son
élection serait un coup terrible porté à la puissance espa-
gnole et elle ferait de lui le chef glorieux delà croisade
(1) Cette conversation est rapportée dans le F. Fr. 2751, fo 239 et
suiv. « Conférence secrète de Henri IV avec trois conseillers sur les
moyens de parvenir à l'Empire. » Elle est reproduite dans le n° 10674,
f" 1 et suiv. Le F. Dup.,n° 63, contient aussi un avis au feu roi Henry
le Grand sur la prétention qu'il avait à l'Empire Nous reproduisons
l'avis des conseillers d'après les manuscrits, qui sont les sources uniques
de cette conversation. Nous n'avons rien trouvé qui puisse infirmer
ou confirmer cette histoire. H n'y a rien dans Sully, ni dans la corres-
pondante éditée par Rominel.
Villeroy. 31
482 VILLEROY
contre les Turcs. Le vieux Bellièvre trouvait ce projet fort
dangereux : le métier d'empereur et de défenseur de la
chrétienté serait ruineux pour un roi qui n'aurait pas les
vastes domaines des Habsbourgs, mais seulement le
royaume de France. Il s'attirerait en outre toutes les haines
que suscitait actuellement une maison accusée de convoiter
la monarchie universelle.
Yillerov n'éprouvait ni l'enthousiasme de Sully, ni les
craintes excessives du Chancelier. Il examinait seulement
la possibilité de la chose et ne croyait pas que l'élection du
roi fût certaine. Il conseillait, en matière si délicate, d'at-
tendre et d'agir selon les circonstances, puisqu'on avait du
temps. Le plus important pour le royaume était, non de
chasser de l'Empire la maison d'Autriche, mais d'amoin-
drir sa puissance; on pourrait atteindre ce but en poussant
les princes allemands à choisir le plus faible des archiducs.
Henri IV, après avoir écouté ses serviteurs, nous disenl
les manuscrits, ouvrit une fenêtre et les yeux au ciel, s'é-
cria : « Dieu formera et fera naître en moi, s'il lui plaît, la
résolution que je dois prendre sur tous vos discours et les
hommes l'exécuteront. » La résolution adoptée fut celle
qu'avait conseillée Yillerov. Les rapports de Bongars et
d'Ancel montrèrent qu'il n'y avait pas un électeur en qui
l'on put se fier. Les Allemands jalousaient ou redoutaient
la maison de France qui, si elle était parvenue à l'Empire,
aurait, tout comme les Habsbourgs, trouvé en eux des
sujets indisciplinés et malveillants. Nous ne savons ce qui
se passa dans l'âme du roi : l'incident de cette candida-
ture est demeuré assez obscur. Au milieu de novembre
1600, il avait pris une décision irrévocable. Il écrivit à
Bongars qu'il n'enviait pas celle dignité impériale. « L'état
présent de mes affaires et de la chrétienté, disait-il, ne me
permet pas d'y prétendre (1). » Philippe Î1I lui-même y
(1) Le roi à Bongars, 13 novembre 1600, F. Fr. 7129, fo 80.
LE MINISTRE d'hENRI IV 483
renonça bientôt. Henri IV protégea quelque temps le duc
de Bavière, puis voyant que ce candidat n'avait aucune
chance sérieuse de succès et ne voulant point d'un pro-
testant, il se déclara pour l'archiduc Mathias. Ce dernier
devint aussi le candidat des archiducs d'Autriche qui
prononcèrent en 1606 la déchéance de Rodolphe. Mais Ro-
dolphe, qui ne voulait poin! se laisser dépouiller par un
rival, entama contre lui une furieuse lutte. L'anarchie dé-
sola les élats autrichiens jusqu'à la mort de Rodolphe.
Mathias fut alors élu empereur à l'unanimité (3 juin 1612).
Villeroy, sous la régence de Marie de Médicis, avait con-
tinué à appuyer de toutes ses forces cette candidature, re-
poussé les avances de l'archiduc Léopold et engagé les
amis allemands de la France à soutenir Mathias (1).
Cette candidature d'Henri IV qui avait divisé le conseil
ne fut qu'un incident minime dans l'histoire des relations
de la France et de l'Allemagne. Après 1(306, la réconcilia-
tion de Bouillon et de son maître ramena la concorde dans
le royaume el rétablit des rapports cordiaux entre le roi el
les prolestants allemands. Henri IV et ses ministres s'oc-
cupèrent alors avec plus d'ardeur et de constance que
jamais à former une ligue des princes pour organiser la
défense de leurs libertés et la résistance a la maison d'Au-
triche. C'était la grande tradition française. François l"r el
Henri II avaient montré la voie. Le prince qui avait pacifié
et restauré le royaume meurtri par les guerres de religion
la suivait tout naturellement . sans hésiter, sans avoir même
à vaincre autour de lui la moindre hésitation.
Plusieurs fois, les princes, encouragés par le roi, avaient
tenté de se former en un corps discipliné et ferme, mais
n'avaient pu réussir, tant ils étaient désunis el affaiblis par
(1) Voir la correspondance de Villeroy et de Bongars, pendant L'année
1611, F. Fr. 15923.
484 VILLEROY
leurs querelles particulières et les luttes confessionnelles
entre luthériens et calvinistes. Après la reddition de Sedan,
Henri IV chargea Christian d'Anhalt de représenter aux
princes la nécessité de l'union. La succession de Jean-
Guillaume, duc de Clèves et de Juliers, allait s'ouvrir pro-
chainement. Il fallait empêcher la maison d'Autriche de
s'en emparer. Les négociations avancèrent avec une len-
teur désespérante. Les Allemands étaient, comme disait
l'envoyé Bongars, « nés et nourris à la théorique, à dis-
courir, écrire, envoyer, parler » (1). Ils avaient peur d'agir
et voyaient partout des pièges et des dangers imaginaires.
Ils aimaient à user envers le roi de procédés empreints à
la fois de méfiance et de coquetterie; Villeroy les trouvait
« un peu du naturel des femmes qui fuient ceux qui les
recherchent plus que les autres » (2). Toutefois, dans le
courant de l'année 1607, le comte Palatin se réconcilia
avec le duc de Wurtemberg et tous deux travaillèrent à
former l'union. Puis le châtiment infligé à la ville libre de
Donau werth effraya les princes protestants etles rapprocha.
Cette ville avait été mise au ban de l'Empire par Bodolphe
et occupée par le duc de Bavière qui prétextait vouloir pro-
téger les catholiques persécutés. Le 4 mai 1608, le Palatin,
le duc de Wurtemberg, les margraves d'Ansbach et de
Bade-Dourlach, le comte de Neubourg se liguèrent à Ahau-
sen en une Union Évangélique à laquelle adhérèrent bientôt
les villes de Strasbourg, Nuremberg, Ulm, Francfort,
Spire, Worms. Cette union était loin d'être celle que rêvait
Henri IV. Elle n'était pas complète. Le landgrave de Hesse,
le margrave de Brandebourg, le duc de Saxe n'avaient pas
donné leur adhésion. Elle ne s'était pas formée pour être
un instrument docile de domination française en Allema-
gne. Elle fut dès le début timide et réservée, n'osa ouver-
(1) Bongars à Buwinckhausen, 6 septembre 1609. F. Dup. 193,l'o3S.
(2) Villeroy à Bongars, 7 octobre 1S99, F. Fr. 7126, fo 330.
LE MINISTRE d'hENRI IV 485
tement s'allier à L'étranger, attendit que le roi de France
déclarât nettement ses intentions et fît des offres. L'envoyé
du duc de Wurtemberg rendit compte des événements à
Henri IV en termes assez vagues. Henri fut aussi réservé.
Les Allemands pour montrer qu'ils ne voulaient point se
livrer à la France envoyèrent une ambassade au roi d'An-
gleterre qui promit d'entrer dans l'Union (1).
Au mois de mars 1609, survint l'événement depuis long-
temps attendu qui devait mettre fin à cette politique d'in-
certitudes et d'équivoques. Jusqu'alors <>n avait discouru,
intrigué, hésité. Le Roi de France, l'Empereur, les archi-
ducs, les princes allemands, catholiques et huguenots, s'é-
taient surveillés. Désormais, chacun eut à prendre une po-
sition nette.
Un magnifique héritage était devenu vacant par la mort
de Jean-Guillaume, duc de Clèves, de Berg, de Juliers,
comte de la Mark et de Ravensberg, seigneur de Ravens-
tein. C'étaient des terres fertiles, dans de riches bassins
d'alluvions, sur les deux rives du Rhin, sur la Ruhr et
dans le pays entre l'Ems et le Weser. Elles étaient situées
à un important carrefour de routes entre les Pays-Bas hol-
landais, les Pays-lias espagnols, l'évêché de Munster et
l'électorat de Cologne. De nombreux prétendants les con-
voitaient : deux Français, le duc de Xevers et le comte de
la Mark réclamaient le comté de la Mark ; l'électeur de
(1) Voir Anquez, p. 117 et suiv. — Sur les rapports de la France et
de l'Allemagne et sur la formation de l'Union Evangéliqui', voir aussi
Moritz Rilter, Deutsche geschichte im Zeitalter der Gegenreformation
und des Dreissigjiihrigen krieges (I000-I6G8), Stuttgart, 1895, in-8°
t. II.
486 VILLEROY
Brandebourg, le palatin de Neubourg, le duc des Deux-
Ponts, le margrave de Burgau, l'électeur de Saxe deman-
daient le tout. L'empereur était appelé à prononcer entre
eux ; mais au point de vue du droit, la question était ex-
traordinairement embrouillée et Ton prévoyait en France
qu'il garderait l'héritage pour lui-même ou pour l'un de
ses alliés. Or, Clèves et Juliers à la maison d'Autriche,
c'étaient les terres d'Empire ouvertes aux Espagnols, fer-
mées aux Hollandais, qui étaient séparés de leurs amis
d'Allemagne et menacés sur leurs frontières. C'était aussi
un grand danger pour le royaume. C'est pourquoi Henri IV
était absolument décidé à faire écarter toute intervention
autrichienne ou espagnole et à faire adjuger l'héritage aux
protestants, ses amis. L'intérêt incontestable du royaume
l'exigeait (1).
Le roi n'avait de préférence marquée pour aucun des
concurrents. Au début, nous disent les Espagnols, on crut
savoir qu'il soutiendrait le duc de Deux-Ponts dont le frère
était gendre de Sully (2). Au conseil, on discuta pour cha-
cun des prétendants les titres, les chances d'acceptation
par les Etats du pays de Clèves et de Juliers, l'utilité pour
le royaume. En mai, nous dit Aerssen, le roi favorisait da-
vantage l'électeur de Brandebourg, parce qu'on lui avait
fait observer que le Palatin de Neubourg avait recherché
la faveur de l'Autriche. Le chancelier et Sully croyaient
que ce prétendant avait moins de droits que les autres.
Villeroy qui avait étudié spécialement la question juridique
et affirmait tout haut qu'il fallait suivre « le droit chemin
de l'équité » jugeait au contraire l'électeur plus favorisé
(1) Voir Philippson, t. III, p. 327 et suiv. : Der jûlicher Erbfolges-
trcit..., Anquez, p. 156 et suiv. — Moritz Ritter, Deutsche g eschichte...
p. 283 et suiv.
(2) D'après une dépêche «le Pecquius. du 8 avril (Arch. de Vienne),
citée par Philippson, p. 341.
LE MINISTRE d'iIENIU IV 487
par le droit (1). Ces petites discussions, que nous notons en
passant, furent anodines. Il était indifférent à Henri IV que
l'un ou l'autre des deux prétendants protestants fût favo-
risé. Il lui importait, avant tout, d'unir les forces allemandes
contre la maison d'Autriche. Aussi soutint-il l'Electeur et
le Palatin qui se mirent d'accord et s'emparèrent d'une
partie de la succession où ils établirent une administration
provisoire. Yilleroy avait rêvé un moment une autre solu-
tion à ce litige. Dans une lettre à Bongars, il exprimait
une idée qui lui était personnelle et que le roi ignorait :
pourquoi n'aurait-on pas cherché à « arranger tout cela à
l'avantage de l'un des fils ou filles [de S. M.] avec l'une
des maisons prétendantes, et principalement avec la mieux
fondée en justice et en puissance » (2)? Le ministre qui
voulait « veiller » pour le roi et les siens « lorsqu'ils dor-
ment et croissent », s'imaginait-il que l'établissement d'un
fils ou d'une fille du roi très chrétien en Allemagne aurait
été plus agréable au pape et moins difficilement accepté
de l'Empereur?
Au mois de juillet 1603, la maison d'Autriche entra en
scène, en se prononçant énergïquement contre les amis du
roi. L'Empereur affirma qu'il était le juge souverain des
princes : il mit l'héritage sous séquestre et envoya à Ju-
liers l'archiduc Léopold pour y établir une administration
provisoire. Celte décision eut un retenlissement considé-
rable. Le roi déclara très haut que son honneur et la rai-
son d'état l'obligeaient à soutenir la cause des princes me-
nacés et qu'il n'hésiterait pas à marcher à leur secours, à
(1) Aerssen à Barnevelt, 13 mai 1609. Arch. do La Haye, Legatie, 617.
Le roi, disait Aerssen, favorise plus l'électeur qu'aucun autre ayant
toujours observé que Neubourg avait toujours espéré se prévaloir de
cette succession par la faveur de l'Autriche. Le chancelier et Sully
croient que c'est lui qui a le moins de droits. Villcroy a une opinion
contraire.
(2) F. Fr. 7131, î™ 86-91 (cite par Anqucz, p. 159).
•*88 VILLEROY
la têle de son armée. Il l'écrivit à Bongars, le dit à Pec-
quius, à l'envoyé de Rodolphe, à qui voulut l'entendre. La
guerre allait-elle éclater?
Sully la voulait. Dès le début du conflit il eut une atti-
tude résolument belliqueuse. Il nous raconte qu'après avoir
reçu la nouvelle de la mort du duc de Glèves, le roi vint
lui rendre visite à l'Arsenal. « Appuyés sur ce balcon d'où
l'on voit la rivière de Seine et grande partie de Paris » ils
eurent plusieurs discours sur la situation nouvelle (1).
Sully mit par écrit ses sentiments dans une longue lettre
où il examinait tous les accidents qui pouvaient résulter
de l'ouverture de la succession. Ces affaires, disait- il, « sont
de telle nature qu'elles peuvent donner commencement à
une guerre très longue et remplie de divers accidents et en
laquelle se trouveront à la fin enveloppés tous les princes
de la chrétienté, soit directement ou indirectement, ouver-
tement ou couvertement ». II expliquait les trois formes de
guerre qui devaient s'entreprendre : la guerre par les
princes assistés en secret par leurs alliés, la guerre par les
princes soutenus ouvertement en leurs seules provinces,
la guerre générale entre les factions de France et d'Espagne.
Si la dernière éclatait, la France devait se saisir des Pays-
Bas espagnols pour se remettre « en son ancienne splen-
deur ». Il était donc nécessaire de rejeter toutes les dé-
penses de l'Etat « qui ne consistent qu'en plaisir, volupté,
volonté, coutume ou bienséance » et de se préparer sérieu-
sement à combattre (2).
La situation financière du pays était excellente. Sully
avait, depuis dix ans, administré la fortune de l'Etat en in-
tendant sévère qui paye les dettes de la famille, empêche
le gaspillage, et met tous les ans de côté quelque argent.
Il avaitéconomisé, depuis 1600, un million de livres par an
(1) Sully, Ëc. Roy , t. II, p. 317.
{•!) Sully, Ec. Roy., t. II, p. 318. Lettre de M. de Sully au Roy.
LE MINISTRE d'hENRI IV 489
en moyenne. Le royaume était tranquille. Après la sou-
mission de Bouillon, aucun grand seigneur n'avait l'ait le
moindre acte de rébellion. Les passions religieuses parais-
saient endormies. La dernière assemblée des protestants à
Jargeau, en octobre 1G08, à laquelle Sully avait assisté,
avait donné la plus grande satisfaction au roi et à son mi-
nistre. La sécurité avait été rendue aux campagnes. Au
cours de ces dix années, d'intelligentes mesures avaient
développé la richesse agricole, industrielle et commerciale
de la nation. Le royaume à demi ruiné par les guerres de
religion s'était relevé et prospérait avec une vigueur mer-
veilleuse.
Sully avait donc au milieu de l'année 1609 la conviction
que la guerre était inévitable et que le royaume était prêt à
la soutenir. Bassompierre, qui vivait alors dans l'intimité du
roi, montra plus tard dans son Journal comment le ministre
avait « ulcéré et envenimé » son maître contre les enne-
mis traditionnels du royaume (1). Les ambassadeurs étran-
gers le désignent aussi comme le principal auteur des pro-
jets belliqueux. Au début du mois d'août, après la mise
sous séquestre, il fit décider par le roi qu'on conduirait de
l'artillerie et des munitions de guerre près de Mézières.
L'ambassadeur du roi auprès des Treize Canton-; recevait
l'ordre de requérir lesSuissesd'une levée de gens de guerre.
On demandait aux Etats d'envoyer à la frontière les deux
régiments français qui étaient à leur solde. Sully avait for-
mé un double plan. D'accord avec Bongars (i), il voulait
qu'on fit immédiatement une démonstration année; avec
quatre ou cinq mille hommes. 11 voulait aussi, en prévi-
sion de la grande guerre, des préparatifs de longue haleine
qui devaient occuper toute la fin de l'année 1609 et les pre-
(t) Bassompierre, Journal de ma vie, Ed. de ChantéraCj t. I, p. 2G0
?t suiv.
(2) F. Fr. 7131, f« 21 (cité par Anquez, p. 171).
490 VILLEROY
miers mois de l'année suivante, car jusqu'au printemps on
ne pouvait faire aucune action d'importance. Il ne cessa,
après le mois d'août, de parler en faveur de la démonstra-
tion militaire. Au début de septembre, il disait à l'ambas-
sadeur vénitien que si le roi avait suivi son conseil, il au-
rait à cette heure chassé Léopold, mais que de toute façon
la guerre éclaterait (1). Quand l'envoyé de l'archiduc, fai-
sant semblant de croire que Sully avait travaillé pour la
paix, vint lui présenter ses compliments, le ministre lui
répondit assez rudement qu'il avait toujours conseillé au
roi d'aider ses amis et confédérés, qu'il agirait encore ainsi
à l'avenir et qu'il voudrait plutôt avoir un bras coupé
que faire autrement (2). Le 8 novembre, Aerssen écrivait :
Sully « seul ou pour mieux dire le premier de son opinion,
dit que la parole du roi est engagée du dehors et du dedans :
si elle n'est suivie de ses effets qu'il ira trop de sa réputa-
tion et de la sûreté de son royaume » (3). Quelques jours
après le même Sully disait formellement à Aerssen : « Nous
ne faisons rien qui vaille ni les uns ni les autres. Vous
êtes trop mois et nous sommes trop lâches : j'ai opinion que
nous gâterons tout... Nous nous morfondons toujours à la
fin » (4).
On se « morfondait » surtout parce que Villeroy prêchait
la paix. On a vu déjà comment son tempérament le portait
à la recherche des solutions pacifiques. Ce vieillard de
soixante-six ans qui avait gardé un souvenir ineffaçable
des troubles de la Ligue et des dangers que la guerre
étrangère avait fait courir au royaume était convaincu que
la guerre eût été pour la France un malheur. Il redoutait
pour la personne d'Henri IV, sur qui reposait le salut de
(1) Foscarini au Sénat, 9 septembre 1609, F. Ital. 1761, f»116.
(2) Foscarini au Sénat, Ibid., f ° 117.
(3) Aerssen à Barnevelt, 8 novembre 1609, Arch. de La Haye,
Légal ie, 617.
(4) Ibid., 14 novembre 1609, Ibid.
LE MINISTRE d'iIENRI IV 401
l'Etat, les hasards des batailles. Quelle catastrophe, si le
roi, dont l'héritier se trouvait en bas Age, était tué ! Il
craignait aussi qu'à la faveur d'une intrigue espagnole
ou d'une campagne indécise le pays ne lût en proie à
de nouvelles agitations fomentées par des grands mécon-
tents ou parles huguenots. C'était une opinion absolument
opposée à celle de Sully qui croyait qu'une bonne guerre
seule pouvait purger le royaume de ses mauvaises hu-
meurs. Le grave conflit de H>09 lui parut mériter plus
que les précédents ce qu'Aerssen appelait plaisamment les
« drogues » pour la paix, car il allait diviser la chrétienté au
profit des protestants. Sans doute la raison d'état ordonnait
de soutenir les alliés de la France, quelle que fût leur reli-
gion, et Villeroy malgré l'ardeur de sa foi catholique était
assez « bon Français » et assez raisonnable » pour accepter
cette nécessité. Mais ne devait-on pas employer tous les
moyens de conciliation avant d'entamer une lutte qui
pouvait être funeste à la religion? Le roi très chrétien ne
devait-il pas engager ses forces à la dernière extrémité,
seulement quand l'honneur et l'intérêt du pays l'exigeraient
impérieusement? Autant que le catholique, le vieux rou-
tier de la diplomatie hésitait à conseiller un coup de force
immédiat. Il avait mesuré avec plus de clairvoyance que
Sully les difficultés d'une telle action (I). Le roi ne pouvait
marcher seul à la frontière. Les princes allemands parais-
saient singulièrement froids. Ils discouraient, tergiver-
saient, se montraient étonnés du zèle du roi chez lequel
ils soupçonnaient des pensées intéressées. Ils préféraient
de l'argent à des troupes. Le principal intéressé, l'électeur
de Brandebourg, ne faisait môme pas partie de l'Union
(1) « Il m'a dit, écrit Aerssen le 2!) juillet, que tout ce qui en peut
venir à S. M. n'est que la gloire d'avoir protégé le droit: contreba-
lancez cela avec les périls, dépenses et fatigues d'une grande guerre
après un long repos, vous trouverez facilement que ce serait chèrement
acheter cette gloire. » Voir ci-dessous Ritter, p. 310.
492 VILLEROY
Evangélique ; il n'y adhéra qu'au mois de décembre. Une
partie des membres de cette Union ne voulait pas admettre
que la question de Clèves les touchât directement. Les
Anglais et les Hollandais se montraient aussi peu disposés
à « entrer dans la danse » (1).
Aussi dès le début du mois d'août, Villeroy aidé du chan-
celier et du vieux connétable remontra-t-il au roi qu'il ne
pouvait lui conseiller « de se jeter si précipitamment en
une guerre non nécessaire, attendu qu'il est plus à propos
que ceux qui y sont intéressés précèdent et la com-
mencent » (2). Cette opposition provoqua entre Sully et
Villeroy quelques discussions vives. Le 9 septembre, l'am-
bassadeur vénitien apprenait par voie sûre qu'au cours
d'une de ces querelles, le roi avait dû leur imposer à tous
deux le silence et que Villeroy irrité contre Sully s'était
tenu éloigné de la cour pendant quelques jours sous pré-
texte de prendre médecine (3). La politique de Villeroy
n'était pour personne un mystère. Dans ses entrevues avec
les étrangers, tout en parlant très ferme au nom des droits
et des devoirs du roi, il laissait entendre que s'il y avait
grande apparence de guerre, la situation était loin d'être
désespérée (4), et il manifestait à tout propos son vif désir
d'éviter une rupture (5). Une fois, il se plaignit à Aerssen
(1) Voir quelques lettres d'Aerssen à Barnevelt, écrites de juillet à
octobre 1609, dans M. Ritter. Briefe und Acten sur Geschichte des
dreissigjàhrigen Krieges, Mûnchen, 1874, in-8o, t. II, Die Union und
Heinrich IV, p. 311 et suiv.
(2) Aerssen à Barnevelt, 2 août 1609, Arch. de La Haye, Holland
2G32. Dans cette même lettre, Villeroy faisait observer avec raison que
les princes allemands n'étaient pas encore armés, qu'ils craignaient
l'Autriche, se méfiaient de la France, que les Etats ne disaient rien,
voulaient la paix, que les autres rois attendaient que S. M. entreprit
cette guerre pour lui en laisser le fardeau Voir aussi la lettre d'Ubal-
dini du 4 août publiée par M. Ritter, Briefe und Acten... p. 324.
(3) Foscarini au Sénat, 9 septembre 1609, F. Ital. 1761, fo 116.
(4) Foscarini au Sénat, 11 août 1609, Ibid., f° 102.
(5) Ubaldini à Lanfranco, 1er novembre 1609, F. Ital. 30, f 332.
Voir aussi la dépêche du 28 septembre, ibid., fo 294 et suiv.
LE MINISTRE D HENRI IV 493
de celte « mauvaise affaire » où le roi ne pouvait se jeter
seul et lui dit qu'il ne pouvait lui conseiller d'entreprendre
la guerre avant de savoir ce que les princes intéressés vou-
laient faire (1). Quelques jours après, il lui disait encore :
« Nous voyons bien le mal, mais nous en cherchons encore
les remèdes. Ces princes sont trop longs et trop irrésolus ;
ce néanmoins nous ne devons pas négliger nos intérêts pour
l'amour d'eux. Il faut veiller à tout » (2).
Jamais Henri IV ne s'était trouvé dans une telle indéci-
sion. Il y avait sans doute de l'exagération dans le mot
d'Aerssen : « On est fort prompt ici... nous changeons six
fois d'avis en un fait d'importance » (3). Mais il est certain
qu'il « vacillait et balançait tantôt en un conseil, tantôt
en l'autre » (4). Chacun des deux ministres cherchait à
émouvoir quelques-uns des sentiments qui s'agitaient dans
cette nature complexe. Il y avait chez Henri IV un roi guer-
rier, un roi épris de gloire, très sensible au point d'hon-
neur, ambitieux d'être le premier capitaine de la chrétienté;
dans cette Ame, le désir d'une revanche, d'une grande
guerre avec l'Espagne ne s'endormait jamais. II y avait
aussi un roi pacifique qui après tant de travaux croyait
avoir le droit de se reposer un peu et qui se jetait avec une
(1) Aerssen à Barnevelt, 28 septembre 1609. Holland, 2632. (La
lettre a été résumée par M. Ritter, p. 427.) Voir aussi une lettre
rl'Ubaldini à Borghese, F. Ital. 1264, fo 347.
(2) Aerssen à Barnevelt, 1er novembre 1609. Dans cette lettre, Ville-
roy avouait à Aerssen que le roi n'était plus aussi a échauffé » à la
guerre qu*au commencement. Holland, 2632.
(3) Aerssen à Barnevelt, 28 novembre 1609. Holland, 2632.
(4) Sully, Ec. Roy., II, p. 304. « D'une part les partisans
d'Espagne, les mauvais Français, les ennemis de la religion et autres
qui enviaient ou appréhendaient la grandeur suprême du Boi et de
l'Etat, afin de le divertir de rien entreprendre; d'autre côté, le duc de
Savoie, le prince Maurice, les Vénitiens, les princes d'Allemagne, vous
et tous ceux qui étaient de votre humeur en France, l'excitiez à em-
brasser les occasions qui se présentaient pour acquérir plus de gloire
et d'honneur que fit jamais roi de France ; tellement qu'il vacillait et
balançait tantôt en un conseil, tantùt en l'autre. »
494 VILLEROY
extraordinaire jeunesse d'esprit dans ce que Sully appelait
« les plaisirs, l'oisiveté, la nonchalance et les délices ».
Mais les instincts ne dominaient jamais complètement ce
roi. Nul ne chercha plus sincèrement que lui à gouverner
son royaume parla raison. Il calculait, prenait conseil, hé-
sitait quand la situation était obscure et le profit douteux,
cédait quand il croyait avoir tort, ne s'obstinait pas, recher-
chant avant tout l'intérêt de l'Etat.
On peut dire qu'à la fin de l'année 1609, l'apparente
« irrésolution » du roi l'ut le résultat des conseils de Yille-
roy qui lui montra mieux que tout autre les difficultés
d'une situation très complexe. Aussi, malgré Sully, la pru-
dence l'emporta. On négocia pendant cinq mois. Le roi et
les ministres reçurent des ambassades des archiducs de
Flandre, de l'empereur, de divers princes allemands.
Henri IV affirma sans relâche qu'il assisterait ses alliés en
la défense de leur cause ; mais le ton de ces déclarations
était pacifique. C'étaient autant d'invitations indirectes
adressées à la maison d'Autriche pour entrer en négocia-
tions. En Allemagne, on chargea Bongars de plusieurs
voyages à la cour des princes, et bientôt on lui adjoignit
Boissise. Ils devaient démontrer aux Allemands que le roi
de France ne pouvait les aider sans qu'ils s'aidassent eux-
mêmes. Le roi se déclarait prêt à les soutenir s'ils mon-
traient de l'énergie et savaient concerter un plan de dé-
fense il).
Dès le début du conflit, le roi avait cherché des alliés.
(Il Au mois d'août, le roi reçut des envoyés de Léopold et des
archiducs de Flandre, en septembre, le comte de Hohenzollern repré-
i niant de Rodolphe, des électeurs ecclésiastiques et du duc de Saxe.
oya Bongars en Allemagne en novembre (voir ['Instruction du
roi à Bongars, dans le F. Brienne, 292, 1° 18 et suiv.).
LK MINISTRE d'hENIU IV 495
La campagne diplomatique de l'année 1609 avait eu pour
objet de constituer un grand parti anti-espagnol: le pru-
dent ministre qui la dirigeait avail usédetoute son influence
pour qu'aucune alliance n'entraînât le roi malgré lui, pour
qu'il restât maître du temps où il déciderait la guerre. Il
avait suffi de quelques avances au duc de Savoie pour qu'il
se rapprochât de nouveau de la France après avoir paru se
jeter dans les bras des Espagnols. La cour de Madrid l'a-
vait déçu profondément en berçant ses illusions de con-
quêtes sans lui faire aucune promesse sérieuse. Petit à
petit, avec beaucoup d'astuce, il s'était détaché d'elle et au
mois d'avril avait envoyé en France un ambassadeur, Trol-
liouz, pour arrêter les bases d'un accord. A la même épo-
que, le roi envoya à Turin Claude de Bullion sous prétexte
d'accommoder un différend entre Charles-Emmanuel cl le
comte de Soissons. Le duc exposa ses projets à cœur ou-
vert. On parla en détails de la conquête du Milanais.
Charles-Emmanuel qui avait enfin compris qu'une des
causes de la froideur des Français était son dessein d'agran-
dissement audelà du Rhône renonçaità demander la remise
anticipée de la dot promise au prince de Piémont (1).
Au moment où le conflit de Clèves devenait plus aigu, Bul-
lion fut envoyé une seconde fois a Turin, pour arrêter les
dispositions essentielles de l'alliance. D'après ses instruc-
tions datées du 23 octobre (2), il devait promettre d'indem-
(1) Sur ces négociations a\ ec la Savoie, voir Philippsonj III. p. 307*
::ii, p. 372-382. Philippson a interprété les dépêches de Jacob el les
relations de Trolliouz conservées aux archives de Turin {Negoziaeioni
Francia, Lettere Ministrï Francia, etc.). La question il'' l'alliance
savoyarde (d'après les dépêches de Jacob) avait été amplement mais
superficiellement traitée dans Siri, Memorie recondite, II. Voir aussi
comme docu nts essentiels les dépêches de Foscarini, celles 'lu nonce
Qbaldini (F. liai. 1264, et 30), ri celles de Don Inigo de Gardenas
(Arch. Nat. /''//<. Sim. K. 1461). Voir quelques pages d'E. Hott, Henri IV,
les Suisses el lu Haute-Italie, p. 420 el suiv.
(2) F. Dup. o3S, f<J 43 et suiv.
496 VILLEROY
niser le duc des pensions que l'Espagne allait lui retirer.
Il demanderait à Charles-Emmanuel de céder au roi la
Savoie lorsqu'on se serait emparé de Milan, et en attendant,
comme garantie de sa bonne foi, Montmélian ou Pignerol.
Mais le roi ne voulait pas s'engager à fixer la date où
commencerait la guerre. « Quant au temps que l'on pourra
commencer les entreprises, disait-il, c'est chose que l'on ne
peut encore prescrire. » Il fallait connaître les résolutions
des Allemands, des Anglais, des Hollandais avant de partir
en guerre.
Or de ce côté la diplomatie française n'était pas heureuse.
Elle se heurtait partout à de l'indifférence ou à du mauvais
vouloir. Les Vénitiens restaient attachés à la paix qui favo-
risait leur commerce : ils redoutaient les aventures mili-
taires et s'ils détestaient les Espagnols, ils ne souhaitaient
pas de les voir remplacés à Milan par les Savoyards et les
Français. Villeroy ne pouvait rien gagner sur Foscarini.
Jacques I(r d'Angleterre se montrait excessivement méfiant,
malgré les efforts de notre ambassadeur La Boderie. Du
côté des Hollandais qu'on voulait lier aux princes allemands,
on n'avait que des réponses vagues et dilatoires. Le roi
n'avait pour allié que le duc de Savoie. Aucun des autres
amis de la France ne se disposait à la soutenir effectivement.
Voilà pourquoi Villeroy conseillait la paix.
Au mois de novembre, alors qu'on paraissait incliner de
plus en plus vers la paix, le ministre défendit au Conseil un
projet destiné à régler à l'amiable le conflit de la succession
et à réconcilier la France et l'Espagne. Il n'avait jamais
fait aucune objection de principe à un mariage franco-espa-
gnol. Pendant l'ambassade de Don Pedro de Tolède il
n'avait aidé à faire ajourner les négociations matrimoniales
que parce qu'il y avait vu une manœuvre espagnole pour
séparer les Français des Hollandais. L'ambassadeur Car-
denas au milieu de l'année 1609 avait essayé de reprendre
les négociations ; mais le roi et ses ministres avaient soup-
LE MINISTRE d'iIENM IV 497
çonné le conseil d'Espagne de chercher à gagner du temps
pour amener les Français à une attitude plus conciliante.
Henri IV au mois de juin avait, dit au nonce qu'il fallait
attendre le règlement des affaires de Juliers. L'infatiga-
ble Ubaldini ne s'était pas découragé. Il s'était remis à
sa tâche au mois de novembre, ayant cette l'ois pour allié
Villeroy qui jugeait le moment pins favorable pour traiter
ces délicates questions (1).
Le nonce proposait de résoudre l'affaire de ('.lèves d'une
manière satisfaisante pour les deux couronnes. On marie-
rait l'infant Don Carlos à la fille du roi, Christine : le roi
rachèterait les terres de Juliers et de Clèves aux prétendants
et les donnerait en dot à sa fille. Ce projet ne déplaisait pas
à Henri IV qui à la fin de novembre déclarait aimablement
au nonce et à l'ambassadeur d'Espagne son désir de vivre
en bon parent avec Philippe III. Villeroy proposait de faire
régler la question allemande par un grand congrès où dis-
cuteraient les envoyés du roi de France, de l'Empereur, du
roi d'Espagne, des archiducs et des princes de Germanie.
Il semblait qu'à ce moment les bonnes dispositions du roi
trouvassent un écho à la cour de Madrid. L'ambassadeur
Vauoelas offrait les portraits des enfants de France à la
reine d'Espagne qui témoignait autant de désir de ces
mariages que la reine de France Car à la cour, Marie de
Médicis avait toujours clé favorable à ces alliances: elle
avait du sang autrichien dans les veines, elle était très
dévote, et elle adorait les intrigues matrimoniales ; elle fui
pour toutes ces raisons l'alliée constante de Villeroy qui
(1) Voir les dépêches de Cardenas, 27 avril, 30 mai, 30 .septembre,
29 novembre 1009, Aich. Nat. Pap. Sim. K. 1 'cil. p. 28, 37, 74, UT,
les dépêches d'Ubaldini, 16 septembre (F. Ital. 1264, f" 344). 22 no-
vembre (Perrons, p. 239), 2* novembre (F. liai. 30, 1° 337, publiée
par M. Ritter, p. 483-486). Cette dernière nous apprend que Villeroy
affirmait au nonce qu'il aurait été « molto a proposito incaminare
queste cose di Cleves eon fine che non solo non havessero a cagionare
rottara tra Spagna e Francia, ma in contrario amicitia e parentela ».
Villeroy. 32
498 VILLEROY
par raison d'état fit conclure les mariages espagnols sous
la Régence (1).
III
Alors qu'en novembre 1609, la diplomatie française s'ap-
pliquait, suivant un mot cher à Villeroy, à conduire les
affaires du monde « par degrés » (2) et s'acheminait vers
l'accommodement des affaires d'Allemagne, des événements
inattendus arrêtèrent net l'œuvre de paix. Le conflit s'en-
venima brusquement après la fuite du prince et de la prin-
cesse de Condé (29 novembre 1609).
Le vieux roi était tombé éperdument amoureux de Char-
lotte de Montmorency, la fille du connétable. Il la fit don-
ner en mariage au prince de Condé, le premier prince du
sang. Celui-ci qui n'entendait point être un mari complai-
sant s'indigna bientôt des assiduités du roi et emmena sa
femme en son château de Valéry. Puis, comme le roi par-
lait de divorce, il prépara secrètement « l'enlèvement inno-
cent ». Le 29 novembre 1609, il s'enfuit avec sa jeune
femme à Bruxelles afin de s'y mettre sous la protection des
archiducs. On apprit le jour même à la cour sa disparition.
Le roi fut transporté de fureur. îl souffrait terriblement à
la pensée de perdre celle qui, disait-il à Bassompierre,
devait être « la consolation et l'entretien » de sa vieillesse.
Il envoya chercher ses conseillers. Bassompierre nous a
conté en détail la scène où ils donnèrent chacun « un plat
(1) Sur le rôle de Marie de Médicis, voir les dépêches d'Ubaldini et
les ambassadeurs toscans 'Lettres de Guidi au grand-due, et Mission
de Botti en France, Desjardins, t. V, p 5N0 et, suiw, p. 604 et suiv.).
Voir Perrens et BatifTol, op. cit.
(2) « J'estime que toutes choses pourront s'accommoder avec le
temps les conduisant par degrés sans les précipiter », écrivait Villeroy
à Bellièvre et à Sillery, le 10 février 1598 (F. Fr. 15911, f° 205).
LE MINISTRE D HENRI IV 499
de leur métier ou un trait de leur humeur » (1). Le chan-
celier parla le premier et proposa que le roi fît de « bonnes
et fortes déclarations » contre le prince de Coudé. Villeroy
entrait à ce moment. Le roi lui demanda son avis. Le mi-
nistre haussa les épaules, parui très étonné de cette nou-
velle et dit qu'il fallait avertir immédiatement tous les am-
bassadeurs du roi à l'étranger de ce départ précipité du
premier prince du sang qui s'était effectué sans la permis-
sion du roi ; ceux-ci devaient faire aux princes étrangers
les offres nécessaires pour que Condé ne fût point retenu
ou qu'il fût renvoyé en France. Jeannin préconisa les
mesures les plus énergiques: dépêcher un capitaine des
gardes pour ramener Condé de force, puis s'il passe la
frontière, le réclamer instamment au prince chez lequel il
se sera réfugié et qu'on menacera, s'il le faut, d'une guerre.
Sully était absent. Le roi l'envoya chercher, et tout en
se promenant, la tête baissée, les main- derrière le dos,
dans la chambre de la reine, Villeroy, Sillery, Jeannin et
deux ou trois autres se tenant debout sans mot dire contre
la muraille, il lui posalamême question qu'aux précédents.
Sully donna un avis ingénieux et original. Ilproposa de ne
rien faire du tout, de parler de l1 affaire le moins possible,
de faire semblant de la considérer comme sans importance.
Les archiducs croiraient alorsquece voyage s'était fait avec
la connivence du roi et ils chercheraient à se défaire du
prince qui leur serait devenu suspect, ou bien, pensant que
cette affaire était de très mince importance pour Henri IV
ils mépriseraient Condé qui serait forcé de se retirer (2).
(1) Bassompierre, 1. 1, p 257-259. Bassompierre, beau courtisan, très
en faveur auprès d'Henri IV, avait cherché .i épouser Charlotte de Mont-
morency et y avait renoncé sur les instances d'Henri IV.
(2) Bassompierre, I, p. 259. — Sully. Ec. Roy., II, p. 308-309.
Sully ne parle que de l'avis qu'il a donné. Il a conté la scène en un
style très vil'. Notons, dans ce dialogue si inimi . ce mot de Sully qui
rappelle mainte maxime de Villeroy : « Il y a des maladies qui veulent
500 VILLEROY
Henri IV ne suivit pas le conseil de Sully qui nous paraît
le plus sage, ni celui de Villeroy qui était celui d'un diplo-
mate respectueux des formes de la légalité, cherchant à
gagner du temps et trop confiant peut-être dans le succès
des négociations. Il envoya un exempt des gardes, puis le
chevalier du guet à la poursuite du prince ; ensuite il confia
une mission officielle à Praslain, capitaine des gardes, pour
réclamer le prince et la princesse aux archiducs. Ceux-ci
ne voulaient point offenser le roi avec qui ils entretenaient
des relations très cordiales ; ils ne pouvaient non plus violer
les règles de l'hospitalité. Ils cherchèrent à amener un
accommodement entre Henri IV et le premier prince du
sang. D'autres personnes s'y employèrent avec zèle dans
le courant de décembre. Mais Condé se montrait exigeant:
il réclamait une place de sûreté à la frontière. Le roi qu'ir-
ritait de plus en plus cette résistance voulait la soumission
absolue du prince qui devenait un sujet rebelle (1).
Aussitôt après la fuite de Condé, la défiance à l'égard des
Espagnols qui paraissait s'assoupir s'était réveillée dans
l'âme du roi. Il vit Condé se concertant avec les ennemis
de sa couronne et soutenu par eux, la légitimité du dau-
phin contestée, le royaume menacé comme au temps de la
conspiration de Biron. Condé à peine arrivé à Bruxelles,
Henri IVosait dire publiquement en dînant que si l'archiduc
ne donnait pas le prince à Praslain, il irait le chercher en
personne en Flandre avec 50.000 hommes (2). Villeroy ne
perdait pas son sang-froid. Il s'efforçait de calmer les soup-
çons du roi qui, on doit le reconnaître, n'étaient pas encore
plutôt du ivpos que des remèdes, et je tiens celle qui se présente de
nature. » Les ambassadeurs étrangers ont résumé cette scène,
sans donniT de détails nouveaux.
(1) Voir Philippson, 111, p. 3'JS et suiv.; duc d'Aumale, Histoire des
princes de la Maison de Condé, t. III; Henrard, Henri IV et la prin-
cesse de Condé, Bruxelles, 1885, in-8o, p. 117 et suiv.
(2) Foscarini au Sénat, 1er décembre 1609, F. ItaL. 1701, 1" 175.
LE MINISTRE d'hENRI IV 501
justifiés. On avait découvert en Poitou quelques menées
pour troubler le repos public. Le ministre ne croyait pas,
comme le bruit s'en était répandu, que ce fût l'œuvre de
Gondé. Il voulait bien espérer que les archiducs ue cher-
cheraient pas à déplaire au roi (1). Pour calmer les inquié-
tudes que les voyages de Condé allaient faire naître, il
écrivait au duc de Nemours : « L'on dit qu'il a dessein de
laisser Madame sa femme avec Madame sa sœur et après
aller voir le monde à petit train, dessein qu'il professe il y
a plus de deux ans » (2). 11 estimait que le roi devait conti-
nuer sous main de servir au prince sa pension et ne lui
donner aucun prétexte pour recevoir de l'argent du roi ca-
tholique : mais en voyant la colère de leur maître, ni lui,
ni le chancelier n'osaient en parler (3).
Il sentait bien que le roi échappait à son inlluence. Il le
laissait entendre à Nemours dans sa lettre du 3 décembre:
« Je vous assure, monseigneur, que le roi est si absolu
qu'il pourra ordonner et disposer de cela comme il lui
plaira». Le parti de la guerre regagnait au contraire du ter-
rain. Sully poussait maintenant le roi à employer des moyens
violents pour avoir le prince. Il proposait de faire marcher
toute la cavalerie vers la frontière du Luxembourg (4). Il
disaitlibrement tout ce qu'il pensait, au risque de mortifier
11) Villeroy à Nemours, 3 décembre 1009, F. Fr. 3651, f° 40. Il
annonce le départ de Condé d'une manière originale : « Vous saurez
que M. le prince de Condé a fait un trou à la lune étant parti le 29 du
mois passé... »
(2) Villeroy à Nemours, Ibid.
(3) Foscarini au Sénat, 16 décembre L609, F. Ital. 1761, fM8G.
(4) Ibid. — Voir aussi une lettre d'Aerssen à Oldenbarnevclt du
11» décembre {Holland. 2632) : « .... et conclut S. M. avec .M. de Sully
qu'il le [Condé] fallait ravoir en quelque état qu'il soit, le dût-on avoir
par le moyen de la guerre... Et ensuite de ce fut aussi arrêté qu'on
ferait marcher toute la cavalerie vers la frontière de Luxembourg. . Ce
conseil déplut aux trois autres (le chancelier, Villeroy et Jeannin) qui,
le vendredi en suivant, en remontrèrent la suite peu convenable avec
la disposition présente du royaume... »
502 VILLEROY
l'ambassadeur d'Espagne et celui des archiducs qui évi-
taient de traiter avec lui et se plaignirent au roi de son alti-
tude arrogante. Le roi approuvait son ministre au fond
du cœur. La fuite de Condé avait soulevé en lui deux senti-
ments qui l'emportaient impétueusement vers les résolu-
tions extrêmes : le dépit amoureux et la crainte d'une cons-
piration étrangère contre sa couronne.
En Espagne aussi le parti de la guerre parlait haut. La
cour de Madrid, émue par le langage imprudent d'Henri IV,
ne voulait pas chasser Condé de Milan sur les injonctions
du roi très chrétien. Au moment où le conflit devenait plus
aigu, elle se serait bien gardée de perdre une telle arme.
Au delà des Pyrénées et au delà des Alpes les préparatifs
de guerre commençaient.
Au début de l'année 1610, les négociations d'alliance
entamées depuis de longs mois en Allemagne et en Savoie
arrivaient à bon terme. Boissise parvint à se concerter avec
l'Union Evangélique, à Hall, par un traité qui fut signé le
11 février. Les princes s'engagaient enfin à fournir des
secours au comte de Neubourg et à l'électeur de Brande-
bourg, et à aider le roi au moyen de 1000 cavaliers et de
4000 fantassins s'il était attaqué par l'Espagne et s'ils
n'avaient plus eux-mêmes de guerre ouverte dans les duchés.
Le 28 décembre 1609, le traité pour le mariage franco-
savoyard avait été ratifié ; les chiffres de la dot et despensions
étaient fixés. Il ne restait plus qu'à préciser dans les détails
le plan de campagne et à déterminer le chiffre des secours
en hommes et en artillerie que la France donnerait. Le roi
envoyait Lesdiguières en Savoie, le 26 février, avec pleins
pouvoirs pour conclure le traité définitif. Tout le monde
parlait de la guerre qui allait éclater en mai ou en juin.
Sully avait dressé pour 1610 un budget qui réduisait les
travaux utiles, retranchait les intérêts de la dette, créait de
nouveaux et très médiocres expédients. Les plans de la cam-
pagne prochaine étaient prêts dans leurs grandes lignes.
LE MIISMSTRE D'HENRI IV 503
ta Force devait entrer en Navarreavec 10. (XX) hommes, Les-
diguières passer les Alpes avec 15.000 hommes ; 30.000
hommes se réunissaient en Champagne pour marcher sur
Juliers, sousle commandement du roi. On prévoyait l'entrée
en campagne de 55.000 hommes de troupes françaises,
de 10.000 Allemands, de 8.000 Hollandais, de 10.000 Sa-
voyards, en tout 85.000 hommes, une armée extraordinaire
pour ce temps.
IV
Villeroy voyait sans enthousiasme qu'on allait, comme
il aimait à dire, « épouser la cuirassé » (1). Dans les lettres
qu'il écrit durant les premiers mois de 1610, il est aisé de
deviner quelques-uns de ses sentiments, malgré la réserve
officielle que s'imposait toujours le chef de la diplomatie
française. Il ne montre point une animosité violente à re-
gard des Espagnols comme au temps de la Ligue où ils
menaçaient l'indépendance nationale. Point d'invectives
passionnées, point de soupçons injustiliés. Il s'applique à
démêler exactement leur part de responsabilité danslecon-
flit, ne parle quede ce dont il est sûr, des intrigues de Spi-
nola à Bruxelles, de la protection accordée par la cour de
Madrid et le gouverneur du Milanais à Condé (2). Il sait
quel rôle actif ont joué les Français dans les préliminaires
de cette lutte dont les Espagnols ne seront pas seuls respon-
sables. Il ne ditpoint: les Espagnols nous menacent, mais:
« les jalousies entre Français et Espagnols croissent » (3).
Le 20 mars, il écrit à La Boderie au sujel de cette guerre:
(1) Villeroy à Nemours, 17 janvier 1609, F. Fr. 3650,
(2) Villeroy au sieur de Russy, 20 janvier 1610, F. Fr. 15954, f°C:
- Villeroy à La Boderie, 22 février L610, Lettres..., t. II, p. 80.
(3) Villeroy à La Boderie, 22 lévrier 1610, Lettres..., p. 79.
504 VILLEROY
« Nous en sommes fort menacés, non tant de la part des
Espagnols que du soin que nous devons avoir de notre
propre réputation » (1). Il ne semble plus s'associer avec le
consentement de toute sa raison à la politique du roi. Il
dit : notre maître ordonne, notre maître décide (2). Il fait
sans doute allusion à sa situation de ministre préparant
pour « le maître » une guerre qu'il eût souhaité du fond
du cœur d'empêcher par sa diplomatie quand il écrit à La
Boderie : « Il est certain que souvent l'on muse après une
chose que l'on a méprisée, principalement à la conduite
des affaires du monde ; mais un serviteur en est quitte
quand, après ses raisons et remontrances, il obéit à son
souverain (3). » Mais, quels que soient ses sentiments per-
sonnels, Villeroy fait son devoir et considère que l'avenir
est entre les mains de Dieu. Après avoir combattu pour la
paix, il se laisse entraîner lui aussi par le courant et se
résigne en chrétien. A la fin de janvier, il déclare qu' « il
y a des choses que les hommes ne peuvent éviter et sont
voulues de Dieu qui est maître de tout ». Un mois plus tard,
en constatant que la guerre s'échauffe de toutes parts, il
s'écrie : « Que le ciel nous y conduise et Dieu veuille que
ce soit à sa gloire » (4).
Aussi nul homme en France n'a souhaité plus ardem-
ment que Villeroy que la guerre fût courte et limitée. Il
(1) Villeroy à La Boderie, 20 mars 1610, Lettres..., t. II, p. 125.
(2) « Notre maître persiste en la volonté que S. M. a déclaré à votre
départ, mais il ne veut seul endosser cette cuirasse... notre maître dit
que si l'on ne lui renvoie le dit Prince, il ne peut être content, etc .. »
Villeroy à La Boderie, 6 février 1610. Lettres..., t. II, p. 79.
(3) Villeroy à La Boderie, 22 février 1610, Lettres..., t. II. p. 79.
(4) Villeroy à La Boderie, 27 février 1610, Lettres,.., t. II, p. 96-97.—
Villeroy ajoutait dans cette lettre : « M. le Prince est allé en Italie par
terre, a passé en Allemagne, conduit par les ministres d'Espagne qui
in ;i entrepris la protection par actions toutes découvertes. C'est le
sujet le plus véritable et important de notre mécontentement qui nous
portera à des résolutions qui auront suite. «
LE MINISTRE d'hENRI IV 505
exprimait un sentiment sincère quand il écrivait à La Bo-
derie le 27 lévrier : « Plus [nos préparatifs] seront puissants
et prompts, feront aussi leurs effets plus tôt et sûrement ».
Il redoutait un grand conflit entre la faction catholique et
la faction protestante en Europe. Il voyait le danger hors
des frontières. Rien ne nous fait supposer qu'il ait pu
craindre un accroissement du parti protestant en France ;
il n'était pas de ces zélés catholiques qui s'effrayaient de
voir la future guerre conduite par Lesdiguières, Rohan,
Bouillon et Sully. Il savait les huguenots de France très
tranquilles, satisfaits en général de leur situation et peu
désireux de nouveautés.
La correspondance de Pecquius nous fait connaître les
efforts personnels du ministre pour empêcher que la guerre
ne s'étendît aux Pays-Bas espagnols. Dans toutes ses en-
trevues avec le représentant d'Albert, il ne chercha que la
conciliation. Au début de février, il engageait Pecquius
ému de quelques paroles menaçantes du roi à « prudem-
ment supporter les humeurs » d'Henri IV. L'agent des
archiducs n'avait-il pas remarqué déjà que le roi était « bien
prompt de paroles et lent d'effets », et que « pour toutes
les réponses et reparties un peu brusques » qu'il lui avait
faites, il ne fallait pas « délaisser les bons offices commen-
cés pour la réconciliation dudit prince » (1) ? Quand le
prince se fut réfugié à Milan, il n'accusa que les Espagnols
et mit les archiducs hors de cause. Lui et le chancelier dé-
claraient que les procédés des archiducs avaient été cor-
rects. Le 7 avril, il assurait Pecquius que l'on n'aurait pas
la guerre pour la princesse, mais « pour le prince ». « Le
fait dudit prince serait cause de tout le malheur pendant
(1) Pecquius à l'archiduc Albert, 4 février 1610. D'Aumale, t. III,
p. 207. Villeroy ajouta, dit Pecquius. qu'il « nous fallait regarder de
demeurer en paix, à quoi il tiendrait toujours la bonne main, me som-
mant de faire de même ».
506 VILLEROY
sur la chrétienté », et il protestait de son désir d'établir un
bon accord et d'assurer la paix générale (1).
Quelques jours après, Villeroy fit à Pecquius de graves
confidences. « Vous m'avez parlé hier franchement et clai-
rement, lui dit-il, j'en veux faire autant en votre endroit
et vous dis comme de moi-même qu'il y a de la passion et
que si l'on veut remédier au fait de la princesse, il y aura
moyen d'accommoder et apaiser tout le surplus sur le pied
que nous dîmes hier ou autre, mais au cas que ladite prin-
cesse demeure où elle est, nous sommes à la veille d'une
rupture qui pourra mettre le feu aux quatre coins de la
chrétienté. » En agissant ainsi, Villeroy espérait-il amener
les archiducs à renvoyer la princesse en France et empê-
cher la guerre d'éclater (2) ?
Nous ne croyons point (mil se soit forgé une telle illu-
sion. La cause principale du conflit n'était point la cause
passionnelle qu'il voulait supprimer. Sans doute, il n'est
pas possible de résoudre entièrement la question délicate
(1) Pecquius à l'archiduc Albert, 7 avril 1610. D'Aumale, t. III,
p. 509. Villeroy avoua être aussi désireux que Pecquius du maintien
de la paix, « mais que l'on n'en prenait pas le chemin, ains qu'il semble
que nos péchés aient provoqué l'ire divine sur nous. »
(2) Pecquius à l'archiduc Albert, 19 avril 1610. D'Aumale, t. III,
p. 522 et suiv. Villeroy lui dit que « celui qui trouverait un expédient
pour faire renvoyer la dite princesse ferait le plus grand bien qui fut
jamais fait à la chrétienté ». Il semble que M. Mariéjol ait donné une
importance exagérée à ces propos de Villeroy, et qu'il ait pris au sérieux
tout ce que disait le ministre pour convaincre le représentant des archi-
ducs. Il se fonde principalement sur ce document pour dire : « Que la
princesse fut la principale cause des grands armements de la France,
on peut, sans excès d'imagination, le croire. » (Histoire de Finance,
de Lavisse, t. VI, p. 130.)
Le 7 avril, Villeroy a dit à Pecquius le contraire : « Mais quoi qu'il
en fut, il [Villeroy] me dit que nous n'aurions pas la guerre pour la
princesse et que je m'en assurasse, mais pour le prince, y ajoutant
que possible la guerre d'Allemagne ne causerait pas de rupture entre
les deux rois et leurs adhérents, encore que le parti de l'empereur fut
assisté du côté d'Espagne et celui des princes de Brandebourg et de
Neubourg du côté de France, si ce n'était le fait dudit prince qui serait
cause de tout le malheur penchant sur la chrétienté. »
LE MINISTRE d'iIENRI IV 507
des origines de cette guerre qui n'éclata point et il est aussi
malaisé de pénétrer tous les sentiments qui agitaieni rame
du roi quelques mois avant sa lin tragique. Cependant on
peut affirmer qu'Henri IV ne déclarait point la guerre pour
se faire rendre Charlotte de Montmorency. A la date où se
place la conversation entre Yilleroy et Pecquius, on avait
conclu le traité de Hall et on allait conclure celui de Bru-
sol avec le duc de Savoie. D'immenses préparatifs étaient
faits. Le roi était convaincu que son honneur et son inté-
rêt exigeaient qu'il protègent les princes possédants contre
la maison d'Autriche et qu'il empêchât les Espagnols de
se servir de Condé contre sa couronne. Jamais un tel con-
cours de circonstances favorables à une guerre ne s'était
présenté. Toute trace d'irrésolution avait disparu. Le con-
seil royal n'était plus divisé. On était entraîné. Le retour
de Charlotte aurait rendu un peu de calme à l'Ame du
pauvre amoureux souffrant qu'était le roi, et aurait sup-
primé le plus grave des motifs d'hostilité entre lu France et
les Pays-Bas espagnols. Il est peu probable qu'il eût résolu
le conflit.
Parmi tous les ambassadeurs du temps, c'est Pecquius
qui a donné la plus grande importance à la cause passion-
nelle. C'est en effet la principale des affaires qu'il eut à
traiter, comme représentant des archiducs qui avaient
donné l'hospitalité à la princesse de Condé. A force de fixer
toute son attention sur cette histoire, n'est-il pas naturel
qu'il l'ait involontairement grossie et qu'il ait exagéré ce
qu'il appelait « les importunités du vieux muguet qui se
montre échauffé comme s'il étail piqué d'une tarentule.» ?
Devons-nous d'autre part considérer comme rigoureuse-
ment vraies les paroles que Yilleroy prononça le 17 avril ?
Ajouter foi à tout ce qu'il disait aux ambassadeurs serait
s'exposer à méconnaître son habileté diplomatique. Il sa-
vait fort bien altérer la vérité quand il le failail cl parfois
le reconnaissait ingénument. Ecrivant un jour à l'ambas-
508 VILLEROY
sadeur Bcaumont, à propos d'une audience qu'il avait
accordée à un député des catholiques anglais, il lui disait:
« Si les Espagnols découvrent le dit voyage et le mani-
festent malicieusement, l'on pourra toujours le nier et y
contredire avec des raisons qui les confondront » (1). Le
chancelier et Jeannin firent le même jour les mêmes décla-
rations que Villeroy au sujet de la princesse, cause de la
guerre (2). L'un et l'autre savaient aussi bien mentir par
raison d'état. Le premier était renommé pour sa duplicité,
le second pour sa puissance de dissimulation qui formait
un étrange contraste avec son visage honnête et ouvert (3).
Il semble donc que Villeroy voulut par cette confidence
tenter un dernier effort pour obtenir le renvoi de la prin-
cesse. De cette manière l'archiduc pourrait rester neutre
dans la guerre. Il y aurait un catholique de moins dans la
« danse » et le royaume aurait moins d'ennemis. Il est per-
mis de supposer aussi, bien que nulle part Villeroy n'ait
exprimé ce sentiment, que le ministre qui aimaitprofondé-
ment son maître souhaitait, de tout son cœur de lui rendre
la tranquillité d'esprit qu'il avait perdue depuis l'enlève-
ment de Charlotte. Mais toutes les démarches du roi, des
ministres, des parents de la princesse, du connétable de
Montmorency, de la duchesse d'Angoulême, se heurtèrent
à la fermeté correcte et polie de l'archiduc qui répondit au
(1) Villeroy à Beaumont, 11 août 1605, cité parle P. Prat, p. 410.
(2) On n'a pas assez remarqué que le ton de Villeroy n'est pas le
même tout le long de la lettre. Après avoir beaucoup parlé de la prin-
cesse., il reconnaît à la fin de la conversation que les « affaires du
prince » ont une aussi grave importance. « Il est bien vrai, dit-il, à
Pecquius, que le premier dessein du roi de France n'a été que de faire
levée de quelques troupes pour envoyer un secours médiocre aux
princes de Brandebourg et de Neubourg, qui n'ait pu mettre V. A. en
ombrage ; mais que depuis les aigreurs procédées des affaires dudit
prince et de ladite princesse l'ont porté à dresser une forte et puissante
armée pour pis faire. » Voir aussi la lettre du 7 avril citée plus haut.
(3) Grotius, XVI, 740. « Vultus autem sermonisque adeo potens ut
cum maxime abderet sensus apertissimus videretur. »
LE MINISTRE d'hENRI IV 509
mois d'avril qu'il ne consentirait à rendre la princesse à sa
iamille que dans deux cas : si la dissolution du mariage
était prononcée, si le prince de Condé donnait son assen-
timent au départ de sa femme (1).
Limiter cette guerre (Hait le plus grand désir de Yilleroy.
Il n'augurait rien de bon d'un conflit universel entre la
Fiance et la maison d'Autriche. Il aimait à répéter que la
France et l'Espagne après tant de luttes n'avaient jamais
rien pu gagner l'une sur l'autre. Sans partager les appré-
hensions d'une partie de l'opinion catholique qui s'indignait
de voir le roi soutenir des hérétiques, il est évident qu'il
voulait que la guerre fit le moins de mal possible à la reli-
gion romaine, et que la cause française fût soutenue par
des princes catholiques. Voilà pourquoi il agissait si
résolument pour réconcilier les archiducs avec le roi et
pour unir d'une manière étroite Henri IV avec ses alliés
catholiques d'Italie, le duc de Savoie et le duc de M au-
to ue.
Au conseil, il avait demandé, contrairement à Sully, que
l'Italie fût le théâtre principal de la guerre. Au début de
février, quand on délibéra à l'Arsenal sur la résolution finale
à adopter, Villeroy , avec le chancelier Lesdiguières, soutint
qu'il fallait porter la plus grande partie des forces du roi
dans les états du duc de Savoie et en Milanais (2). Les
il) Les archiducs à Peequius, 28 avril 1610. Henrartl, p. 264 et suiv.
(2) Aerssen à Barncvelt, 7 février 1610. Aerssen signale une grande
délibération qui eut lieu à l'Arsenal en présence de la reine, le 3 février^
après qu'on eut reçu de Bruxelles la nouvelle qu'il ne fallait plus s'at-
tendre au retour de Condé. Il montre Sully ne voulant « rien lâcher »
en faveur du duc. — Le 16 février. Aerssen note les délibérations qui
ont eu lieu les jours précédents. Sully a demandé qu'on portât toutes
les forces sur la Meuse. « M. de Villeroy persiste à presser le contraire
el considère principalement en tout ce conseil ei la religion et le pape
avec grandissime apparence de le devoir emporter. » — Le 8, annonce
Foscarini, un conseil fut tenu dans la galerie du Louvre : Villeroy
trouva excellentes toutes les propositions de Lesdiguières. Sully trouva
les chiffres d'hommes demandés par le maréchal trop grands. (Fos-
510 VILLEROY
Espagnols seraient privés de toute espèce de voie pour
transporter des troupes en Allemagne et aux Pays-Bas. La
conquête des plaines lombardes serait des plus aisées. Elle
entraînerait les Etats de l'Italie encore hésitants, rassurerait
le pape et l'empêcherait de se jeter dans les bras des Espa-
gnols. Sully voulait porter la guerre en Luxembourg. Dans
un accès de mauvaise humeur, nous apprend Aerssen, il
s'écria que les « ennemis couverts » des Etats de Hollande
et de la religion voulaient pousser le roi vers la Savoie, le
jeter dans une entreprise où les moyens devaient lui man-
quer, dans une guerre de confusion et de désordre pour
le faire revenir promptement à la paix. Le 13 février
Aerssen écrit à Duplessis-Mornay: « Tous croient que la
guerre générale est bonne, mais le conseil ne se peut
accorder du lieu où la faire avec effort. M. de Villeroy
préfère l'Italie, M. de Sully parle de la Meuse » (1). Sully
avait conservé une grande méfiance au sujet des intentions
de Charles-Emmanuel. Il craignait que les Français ne
fussent dupés par ce trop habile homme. Il trouvait le
chiffre des pensions réclamées par le duc beaucoup trop
élevé. Il chercha toujours à faire diminuer les secours
que son maître destinait au duc, tandis que Villeroy les
faisait augmenter. Son rêve était de faire marcher contre
l'Espagne toutes les forces protestantes, allemandes et
hollandaises (2). Villeroy était soutenu par Lesdiguières
qui s'était lié étroitement à Charles-Emmanuel et espérait
earini au Sénat. 9 février 1610, F. Ital. 1761, fo 225.) — Voir auss
sur les sentiments opposés de Villeroy et de Sully les lettres de Gar-
denas à Philippe II, des 27 janvier, 28 février, 27 mars, Arch. Nat ,
Pap. Sim., K. 1462, p. 5 et suiv., 12 et suiv., 79 et suiv.
(1) Aerssen à Duplessis-Mornay, 13 février 1610., Mémoires et cor-
resp. de Duplessis-Mornay , t. X, p. 544.
(2) Aerssen à Barnevelt, 19 janvier 1610. Aerssen dit que le roi ne
s'ose pas « bonnement fier » au duc. « M. de Villeroy n'y met nul
doute, et M. de Sully tient la foi ou perfidie pour indifférente pourvu
que S. M. se résolve d'attaquer les Pays-Bas conjointement avec MM, les
LE MINISTRE i/lIKNRI IV 511
remporter une grande gloire dans la guerre au delà des
monls.
Villeroy était d'autant plus favorable à la Savoie qu'elle
était avec le duc de JMantoue et l'Union Evangélique notre
seule alliée. Les négociations entreprises par nos ambassa-
deurs pour chercher des alliances avaient partout échoué.
Les Hollandais sur lesquels on avait compté pour prendre à
revers les Pays-Bas ne voulurent pas rompre la trêve. Les
Vénitiens se montrèrent très froids et trouvèrent une infi-
nité d'excuses pour se déclarer neutres. Le roi d'Angle-
terre, bien qu'il eût promis de secourir les princes alle-
mands, refusa de conclure un traité avec Henri IV et de
rompre avec l'Espagne 1). Aussi le roi de France se hâla-
t-il de conclure avec la Savoie. Villeroy pressait les choses
tant qu'il pouvait. Il écrivit au duc une Ici lie pour lui
annoncer queBullion allait être envoyé en Dauphiné avec
de nouvelles instructions et que Lesdiguières serait chargé
de terminer la négociation (2). Le ton de celte lettre était
particulièrement chaleureux. Villeroy affirmait la parfaite
amitié et confiance qui devait régner désormais cuire son
maître et le duc dont l'union ne pourrait être détruite. Il
déclarait à plusieurs reprises qu'il était urgent d'entre-
prendre la guerre contre Milan. Le roi serait prêt au début
de mai à ouvrir les hostilités sur la frontière allemande.
Mais le rusé duc de Savoie avait compris que la situation
avait changé depuis novembre 1609 et que le roi de France
avait maintenant grand besoin de lui. Aussi voyant Hen-
Etats, craignant que M. de Villeroy porte si favorablement M. de Savoie
avec des conditions si onéreuses au roi pour divertir S. M. do l'entre-
prise de la Meuse, par le manquement inopiné de Bes moyens, mais
dit qu'il y pourvoira et détournera tous les efforts de S. M. devers les
Pays-Bas où le péril elle gain sont plus grands... »
(1) Voir Philippson, t. III, p. 436 et suiv.
(2) Villeroy au duc de Savoie, 18 mars 4610. Lettre extraite des
archives de Turin et analysée par Philippson, t. III, p. 401.
512 VILLEROY
ri IV décidé à la guerre se montra-t-il plus exigeant. Le
roi de France abandonna quelques-unesde ses prétentions,
et Charles-Emmanuel obtint des conditions très favorables
qu'il n'eût pas osé espérer six mois plus tôt. Par le traité
conclu à Brusol le 25 avril entre Charles-Emmanuel et
Lesdiguières, une alliance offensive et défensive était éta-
blie entre les deux princes pour la liberté de l'Eglise et de
l'Italie ; la guerre contre l'Espagne devait s'ouvrir au
mois de mai en Allemagne et en Lombardie, Au mois de
juin devait être dressé le contrat de mariage du prince
Victor-Amédée et d'Elisabeth. Le roi envoyait au duc un
secours de 14.000 hommes. On ne parlait plus d'une ces-
sion de la Savoie. Le duc devait seulement démolir les
remparts de Montmélian comme gage de bonne entente.
Le roi ne recevrait pas Pignerol comme place de sûreté ;
il garderait deux villes qu'on enlèverait aux Espagnols (1).
Pendant les mois d'avril et de mai, tandis que les Français
et les Espagnols achevaient leurs préparatifs militaires, se
produisirent quelques tentatives d'intervention pacifique.
Villeroy les favorisa sans se faire d'illusion sur leur succès.
Le pape Paul V, par l'intermédiaire du nonce Ubaldini,
faisait de suprêmes efforts pour empêcher la guerre d'écla-
ter entre les deux puissances catholiques. Le nonce rendait
visite au roi, à Villeroy, à Sully, aux grands, prêchant
l'a paix, proposant des expédients qui pouvaient ménager
l'amour-propre des Français et des Espagnols, et que Vil-
(1) Voir l'hilippson, t. III, p. 461 et suiv. — M. Ritter, Deutsche
Gesehichte, t. II, p. 315 et suiv.
LE MINISTRE u'iIENKI IV 513
leroy acceptait avec joie [), La retraite <lu prince de Gondé
à Rome était un de ces expédients. Villeroy demandait
aussi que la cour pontificale prononçât le divorce du prince
et de sa femme, ce qui permettrait aux archiducs de pou-
voir renvoyer sans scrupules la princesse à ses parents. Le
nonce, vers le 25 avril, vil Henri IV avec l'approbation de
Villeroy, lui lut un bref du pape, et lui propos.) l'expédient
dontil avaitparlé avec le ministre. Mais, nous dit Pecquius,
le roi ne voulut pointen entendre parler : il dit à Ubaldini
que ladite proposition parlait de l'école des Espagnols (2).
Le pape envoya le 31 avril l'archevêque de Nazareth comme
nonce extraordinaire pour proposer sa médiation. Le roi et
son ministre prodiguaientles bonnes paroles. Villeroy savait
bien qu'il était trop tard pour arrêter la guerre. Mais il fal-
lait entretenir de bonnes relations avec le pape, qui, dans
ce conflit, témoignait — comme il était naturel — delà
sympathie pour les Espagnols, l'Empereur et les catholiques
allemands. Il convenait de montrer la plus grande déférence
pour ses avis afin qu'il conservât au moins la neutralité.
Peut-être aussi Villeroy avait-il une arrière-pensée qu'il
n'osait exprimer publiquement. Tout ce que nous savons de
lui nous autorise à faire cette hypothèse. Ne pouvait-il pas
penser in petto que le pape qui allait échouer dans son
arbitrage du mois de mai pouvait réussir un peu plus tard,
el qu'après une courte campagne, les hostilités pourraient
être arrêtées? N'était-il pas conforme aux traditions de la
(1) Ubaldini à Lanfrancq, 18 avril 1G10. F. Ital. 31, fo 85. — Ubal-
dini disait, d'un ton presque découragé : « La rotturaesi prossimache
non lascia spalio a S. S. di procurare di ritenerla con alcun mezzo. »
11 avait la même opinion que Pecquius sur la r,x\\-<- passionnelle du
conflit et disait que « la passione di 8. M. rende vana l'opéra Ion» »
(parlant de Sillery et de Villeroy).
(2) Voir Pecquius à l'archiduc. 26 ri 2S avril 1610, llmrard. p. 2SII
et suiv. — Ubaldini à Borghèse, 29 avril 1610, F. Ital. ;; I . fo 87. —
Cardenas au roi, 27 avril 1610, Aivh. Nat.. Pap. Sim., K. 1462, p. 121.
— Siri, Mém. recond., II. 163 cl suiv., 193 et suiv.
Villeroy 33
514 VILLEROY
diplomatie de Villeroy de solliciter adroitement et d'accep-
ter le concours de Rome pour rétablir la paix entre la
France et l'Espagne? Le ministre exprime assez nettement
ce désir dans sa lettre du 9 mai à La Boderie : « Notre
guerre s'échauffe de plus en plus, notre armée s'assemble
journellement qui pourra être prête à mettre en besogne
à la lin de ce mois.... Que le pape envoie vers nous un
nonce extraordinaire et en Espagne un autre pour faire le
holà et nous accorder; enfin, nous voilà réduits à opter
entre une forte guerre ou une entière réconciliation avec
l'Espagne qui sera poursuivie chaudement par S. S. et
désirée autant des Espagnols que de nous autres. »
Cette même pensée inspira Villeroy dans les entrevues
qu'il eut à la même époque avec Matteo Botti envoyé du
grand-duc de Toscane. Celui-ci était venu à la cour de
France pour reparler des mariages au nom de son maître
qui s'était fermement proposé d'unir les deux cou-
ronnes (1). Pas un mot dans les propos rapportés par Botti
ne pouvait laisser supposer que l'on était à la veille d'une
rupture avec l'Espagne. Villeroy et l'ambassadeur cau-
sèrent des difficultés présentes. Villeroy lui affirma que si
le roi catholique et le roi très chrétien s'entendaient bien
ensemble, ils pourraient faire la loi aux autres, et résoudre
bientôt les différents de Clèves (2). La reine demandait à
Botti de pousser avec ardeur ces négociations matrimo-
niales. Villeroy l'assurait des dispositions bienveillantes
d'Henri IV qui voulait une prompte solution. Le 11 mai,
Botti faisait observer au grand-duc que parlant avec Vil-
leroy il ne l'avait vu douter un seul instant que les prépa-
ratifs de guerre puissent interrompre les négociations de
mariage.
(1) Desjardins, t. V, p. 003 et suiv., lettres de Botti au grand-duc,
écrites le 30 mars, le 27 avril, le 1er et le 11 mai 1610.
(2) Desjardins, t. V, p. 607.
LE MINISTRE d'hENKI IV 515
Sans cloute Villeroy dissimulait quelque peu, faisait bon
visage au toscan, et celui-ci s'exagérait le zèle du ministre.
Mais cette attitude était significative. Elle témoignait qu'il
ne considérait pas la guerre qui allait s'ouvrir comme une
lutte inexpiable. Il pensait déjà au moment qu'il souhaitait
prochain où elle se terminerait par une paix et il espérait
bien par la force de sa diplomatie rendre cette paix solide.
Cependant la date fixée pour l'entrée en campagne ap-
prochait. Henri IV avait désigné Marie de Medicis pour
exercer la régence lant qu'il serait à la tête de ses troupes.
Il avait mis auprès d'elle un conseil de régence qui se com-
posait de quinze personnes, où les résolutions devaient être
prises à la pluralité des voix. Cédant aux sollicitations de
la reine, il la fit couronner et sacrer à Saint-Denis le 13 mai.
Le 8, il avait écrit à l'archiduc Albert pour lui demander
amicalement la permission de traverser une partie des
Pays-Bas. Dans quelques jours, on allait enfin, comme disait
Villeroy, « épouser la cuirasse ». Le 14 mai, dans la rue de
la Ferronnerie, le roi tombait, sous les coups d'un miséra-
ble, frappé au cœur.
(1) Ibid., p. 613.
CONCUSION
— Etablissement de la Régence. Villeroy, ministre principal
de Marie de Médicis. Ses idées sur le gouvernemenl de la mi-
norité. — II. Villeroy el les affaires du dedans ». Les luttes
pour le maintien de son autorité. L;i pacification «les troubles
(1610-1616). — III. Villeroy. et les affaires i du dehors .Les
mariages espagnols. La pacification de la chrétienté. Les der-
niers mois et la fin de Villeroy. — IN". Comment les contem-
porains et la postérité ont jugé Villeroy. Estime générale pour
le vieux serviteur des rois de France. Erreurs sur sa politique.
— V. Villeroy bon bourgeois et excellent fonctionnaire. Qua-
lités et défauts. Son idéal d'ordre et de paix.
« Je meurs de noire commune perle, je n'ai point assez
de larmes pour la pleurer, ni de paroles suffisantes pour
exprimer ma douleur il). »... « Nous avons perdu notre
maître. Il a emporté le bonheur el la gloire de la France !
Ainsi s'exprimait, quelques jours après la catastrophe, la
douleur de Villeroy qui fui sincère, profonde el durable, Lé
ministre qui avail eu seize ans l'amitié el la confiance
d'Henri IV el avait été sans un seul jour de disgrâce un des
trois ou quatre personnages les plus influents «lu royaume
(ressentait plus amèremenl qu'aucun autre rétendue d'une
telle perte, irréparable pour l'Etat, irréparable pour lui-
même.
(1) Lettres à la Boderie, -1 mai 1610, t. II. p, 160.
(2) Villeroy a Du Plessis-Mornay, 22 mai 1610
518 VILLEROY
Cependant, dans sa douleur et dans la désolation géné-
rale, il ne perdit pas son sang-froid. Quelques instants
après la mort du roi, il était au Louvre, en compagnie du
Chancelier et de Jeannin, auprès de la Reine qui pleurait,
étendue sur un lit dans son petit cabinet, et sans s'attarder
à des lamentations, il lui donnait des conseils de fermeté
virile. Bassompierre qui était venu baiser la main de la
reine entendit les paroles du ministre : « Madame, il faut
suspendre ces cris et ces larmes et les réserver lorsque
vous aurez donné la sûreté à messieurs vos enfants et à vous.
Commandez, s'il vous plaît, à M. de Guise d'aller à l'Hôtel
de Aille avec le plus de gens qu'il pourra amasser et faire
que le corps de ville vienne reconnaître le roi et vous ; que
M. de Bassompierre prenne ce qu'il pourra ramasser de
tan! de chevaux-légers qui sont sous sa charge et qui sont
maintenant à Paris et qu'il marche par Ja ville pour apaiser
le tumulte et la sédition. Ne manquez pas à vous-même,
madame, et à ce qui vous doit être si cher qui sont vos
enfants... » (1). Plus tard, la reine mère aimait à répéter à
ses amis les paroles fortes que son ministre lui avait dites.
« Madame, il n'est pas temps de pleurer, mais il faut prendre
courage... Vous avez maintenant à être homme et roi (2) ».
La reine fit trêve à sa douleur, et avec Yilleroy, Sillery
et Jeannin, arrêta sur le champ les mesures propres à assu-
rer la constitution du gouvernement nouveau (3). Le pre-
mier Président et quelques autres membres du Parlement
furent appelés. Toutes les chambres s'assemblèrent aux
(1) Bassompierre, Journal de ma vie, I, 270.
(2) Desjardins, t. Y, p. 634. Cioliau Grand-Duc, 18 juin 1010 : « Ma-
dama, non è tempo ora di piagnere, ma bisogna pigliar coraggio,
perche tutti siamo qui per voi, clie avete ora a esser uomo e re. » Voir
aussi Rerchet, II, Francia, t. I, p. 409 (Relation de Gussoni et Nani,
envoyés extraordinaires de la République). Voir sur la Régence les
études de B. Zeller, La Minorité de Louis XIII. Marie de Medicis et
Sully, 18U2, in-8; Marie de Médiats et Yilleroy, 1897, in-8.
(3) Mem. de Fontenay-Mareuil, Ed. Michaud, p. 10.
CONCLUSION 519
Augustins. D'Epernonvint leur représenter que le roi avait
donné à la reine des lettres de régence, lorsqu'il fixa son
déport pour l'Allemagne, et qu'il était du bien de l'état de
délibérer promptement. Sans aucune discussion, avec le
sentiment de la nécessité politique de cet acte, el la Berté
de jouer, en ce moment décisif, le rôle dévolu autrefois aux
Etats ou aux princes du sang, le Parlement conféra à Marie
de Médicis, pendant la minorité de Louis XIII, l'adminis-
tration du royaume « avec toute-puissance et autorité ».
Le lendemain, 15 mai, le petit roi confirma dans un lit de
justice l'arrêt rendu deux heures après la mort de son père.
Ainsi fut établie la Régence, par une décision rapide de
Yilleroy, de Sillery et de Jeannin, sans la moindre opposi-
tion du Parlement qui la sanctionna aussitôt,ni des grands
seigneurs présents à Paris qui témoignèrent à l'envi leur
zèle au service de la reine et au bien public.
Le gouvernement de la Régence installé, il fallut orga-
niser le Conseil. La plupart des grands et des officiers de
la Couronne prétendaient en faire partie. Yilleroy conseilla
à la reine de leur accorder satisfaction. Elle y appela donc,
avec les anciens ministres, le chancelier et les secrétaires
d'Etat, les trois princes du sang, Conti, Condé, Soissons,
les cardinaux de Joyeuse et du Perron, le connétable, le
grand-écuver, les ducs de Mayenne, de Guise, de NeverSj
de Bouillon, les sept maréchaux La Châtre, Lavardin,
Brissac, Bois-Dauphin, Fervacques, Lesdiguières et le
favori Concini. C'était une assemblée confuse qui se tenait
les matins vers onze heures et quelquefois dans l'après-midi
et qui ne fut, comme les vieux ministres l'avaient prévu,
qu'un conseil « de mine et de faste ». Il- avaient habile-
ment calculé qu'en admettant tant de grands seigneurs;
on diminuait le crédit que quelques-uns seraient tentés
de rechercher à leurs dépens auprès de la reine, on aug-
mentait leurs rivalités, on rendait les affaires impossibles à
traiter dans un tel milieu où ne pouvait subsister le secret.
520 VILLEROY
En réalité, la reine gouverna avec un conseil plus étroit
qui se réunit sous sa présidence à des heures irrégulières.
Les ministres qui avaient eu la confiance d'Henri IV. Vil-
leroy, Sully, le chancelier, Jeannin, continuèrent à y traiter
les plus importantes affaires. En outre, la reine recevait
chacun d'eux, à part, pour les affaires de son propre dépar-
tement. A ce Conseil étroit, Marie do Médicis admettait
aussi habituellement trois grands personnages dont un
seul pouvait gêner les ministres, le comte de Soissons,
avide de pouvoir personnel et toujours mécontent. Les
deux autres étaient le duc de Mayenne, vieilli, impotent et
assagi et le Cardinal de Joyeuse, nonchalant, modéré, con-
ciliant, soumis à l'ascendant de Villeroy.
Il semble donc qu'il n'y ait eu aucun changement profond
dans le nouveau régime. La reine gouverne, comme Hen-
ri IV, avec un conseil étroit composé des mêmes ministres
qui naturellement ne vont songer qu'à soutenir son auto-
rité en maintenant la leur, et il est facile de prévoir que
l'influence de Sully baissant, la principale autorité va
appartenir à Villeroy toujours uni au chancelier. Cepen-
dant, si la barque ministérielle conserve sou personnel,
elle perd sa vieille stabilité. Elle qui voguait si paisible-
ment sous Henri IV naviguera désormais sur une mer
troublée. L'existence du lendemain ne sera plus sûre. Il
faudra se défendre sans répit contre les assauts. En intro-
duisant au Conseilles princes du sang et les grands officiers,
avec l'intention d'annihiler leur influence, on leur a donné
des griefs nouveaux contre les ministres. Les querelles ne
cesseront plus entre ceux qui détiennent réellement le pou-
voir et ceux à qui on n'en a donné que l'ombre. Dans
toutes les agitations et plus tard dans les guerres civiles,
les grands mettront au premier rang de leurs revendica-
tions la volonté de prendre une part légitime au gouverne-
ment.
CONCLUSION 521
Nous ne nous sommes point proposé de décrire par le
menu les actes du gouvernement de la Régence, et la pari
quv prit Yilleroy. L'histoire de* sept dernières années de
la vie du ministre exigerait de longs développements qui
sortiraient du cadre plus restreint de l'étude que nous
avons entreprise. Nous devons toutefois indiquer à grands
traits quelle fut cette histoire et quelle influence notre
personnage exerça jusqu'à sa mort sur les affaires inté-
rieures et extérieures du royaume. Ainsi, nous pourrons
mieux apprécier l'unité de ses conceptions, et essayer de
déterminer ce que furent le caractère el l'œuvre de l'homme
que nous avons suivi pendant plus de quarante ans de sa
vie publique (1).
C'est au moment où Villeroy passe pour diriger « à sa
volonté toutes choses » (2) avec l'entière confiance de la
reine, qu'il convient d'examiner les idées politiques qui
ont inspiré sa conduite, dans le gouvernement intérieur de
la Régence. Nous les trouvons indiquées, par fragments,
au jour le jour, dans ses lettres à des ambassadeurs qui
sont pour la plupart des amis personnels tenus par le
ministre au courant des principaux événements. Déplus,
nous possédons quatre longs avis manuscrits adressés à Là
reine mère en 1611, 16,12, 1613 et 1614. C'est là qu'il faut
chercher une exposition systématique de ses conceptions.
Dès la mort d'Henri IV, Villeroy a eu le sentiment que
c'en était fait pour longtemps du bonheur et de la gloire de
la France et cette impression pessimiste ne l'a pas quitté
jusqu'à sa mort. Il a acquis au cours de sa longue existence
dans ce xvie siècle si individualiste, si indiscipliné el si
fanatique la conviction qu'il fallait à la nation française un
roi très fort. La régence est !<■ gouvernement d'une femme
(1) Cette étude en forme de conclusion étanl très abrégée, nous nous
abstenons d'indiquer les références qui ne conviendraient qu'à des cha-
pitres développés.
(-2) Dép. de Foscarini, 12 lévrier 1611, Bereliet, op. cit., p. 374.
522 VILLEROY
et d'un enfant. Aucune grande entreprise ne peut être
fondée, aucun vaste projet ne peut même être esquissé
durant cette période de transition dangereuse qui ne finira
que le jour où le fils d'Henri IV prendra en mains les des-
tinées de son royaume. Le premier devoir du gouvernement
est donc de « faire couler» doucement le temps de la mino-
rité, c'est-à-dire d'écarter tout ce qui pourrait troubler la
paix du royaume à l'intérieur et à l'extérieur. Une telle
politique requiert non de puissantes volontés, de hardies
conceptions, une action audacieuse et fîère, mais de la pru-
dence, de la souplesse, de la patience, un certain esprit
de résignation devant de petits maux pour éviter pis et le
courage de renoncer à bien des satisfactions d'amour-
propre ou de gloire qui seraient trop chèrement acquises
aux dépens du repos public. Quand il faut prendre une
décision importante, Villeroy juge nécessaire d'examiner
les hasards que l'on court, et il dit ce qu'il écrit à la reine
le 10 octobre 1612 : « Pour mon regard je balancerai et me
rangerai toujours bien plus volontiers du côté qui plus
éloignera de vous la tempête que de celui qui l'avancera.
Car le temps est un grand remède à tous maux, quand il
est ménagé comme il doit être, principalement durant le
bas âge de notre Roi... » Le gouvernement qu'il conseille
est un gouvernement au jour le jour qui veut simplement
vivre en sauvegardant des accidents fâcheux l'autorité
royale qu'un jeune prince exercera, comme son père, avec
force et avec gloire.
Le plus grand danger qui menace cette autorité réside
dans l'esprit d'ambition, d'avarice et de turbulence des
grands qui se coalisent pour affaiblir la force souveraine,
principe nécessaire de la paix, de l'unité et delà grandeur
du royaume de France. Villeroy, qui a vu d'horribles guerres
civiles naître de causes souvent futiles, estime que l'on doit
surveiller avec une attention extrême les moindres foyers
d'incendie. L'histoire recommencerait aisément. Il sait que
CONCLUSION 523
les hommes ne s'arrêtent pas « aune médiocre méchanceté
lorsqu'ils ont l'entière licence de faire mal » il). Cela
débutepardes troubles ordinaires ; cl peu à peu il se cons-
titue une féodalité puissante qui dissipe le royaume par
parcelles; devenu majeur, le roi n'esl ]>lu- le maître : il
« trouve avec le tempsautant de rois et de souverains »(2).
Bien plus, sa vie cesse d'être assurée. Le passé nous apprend
que « l'appétit vient en mangeant », car a lois « la royauté
est si douce que celui qui n'est retenu (pie de la conscience
pouvant par la force s'introduire à la souveraineté diffici-
lement a-t-il le pouvoir de s'empêcher (3 . » Il faut donc
arrêter dès le début ce qui peut produire de si funestes
conséquences et affirmer que « toute confédération, ligue
et société qui se fait dans une monarchie au déçu du sou-
verain principalement entre les grands, soit par écrit, soit
de parole doit être puni comme un crime de lèse-ma-
jesté. »
Est-il'possible d'appliquer danssa rigueur un tel principe?
L'expérience de Villeroy nelui laisse guère d'illusions. Dans
une minorité « le châtiment des grands est chose difficile
et dangereuse ». Il faut trouver des remèdes plus doux
pour combattre le mal. Donc, c'est sans employer la force
qu'on cherchera à tenir les grands divisés et impuissants.
Au premier indice de mécontentement el de coalition,
on les recherchera et on traitera séparémenl avec chacun
d'eux par l'intermédiaire de ministres différents, en sauvant
toujours la dignité royale, en montrant qu'on agit avec eux
comme avec des sujets, non comme avec des compagnons.
On les attachera à la royauté au moyen de pensions et
assignations. Villeroy ne se dissimule pas que ce moyen
vénal peut sembler un peu honteux. .Mais la lin, qui est le
repos public, légitime tout. « La honte en est aux sujets
(1) Avis de 1611.
(2) Ibid.
(3; Ibid.
524 VILLEROY
et non à S. M. laquelle sera plus louée de dépendre For et
l'argent que de répandre le sang de ses parents et princi-
paux officiers (1). » Le vieux ministre, qui connaît son siècle,
sait qu'en toutes nos partialités et méfiances « il faut s'en
prendre plus à notre ambition et convoitise naturelle fomen-
tée d'une avarice extraordinaire qu'à toute autre chose (2). »
Mais il sait aussi qu'une partie de la noblesse est réelle-
ment misérable. De nombreux témoignages nous montrent
combien elle s'était appauvrie, à la fin du xvie siècle et
même pendant le règne réparateur d'Henri IV, car elle avait
contracté des dettes, perdu les habitudes simples et les
goûts économes de la vie rurale. Yilleroy dit en propres
termes qu'il faut contenter non seulement l'avarice des uns,
mais « la misère de ceux qui par le passé ont vu insensi-
blement ruiner leurs maisons plus par leur mauvais ménage
que par manquement » (3). On voit donc que la politique
des largesses n'est pas une simple capitulation devant les
appétits de quelques seigneurs cupides, mais une tentative
sérieuse pour guérir un mal social, l'appauvrissement de la
noblesse, cause de mécontentement et de révolte. Et c'est
pourquoi Yilleroy se préoccupe de cette petite noblesse
provinciale qui forme la clientèle des grands princes, parce
qu'elle est besogneuse. Il veut l'arracher aux turbulents
et l'attacher à la reine qui doit seule dispenser les grâces
et faveurs. Il veut qu'on pensionne « les seigneurs de qua-
lité qui ont charge ou crédit dans les provinces (4) » et
qu'on leur défende de suivre les princes. Il faut qu'ils
entrent dans la domesticité royale par les charges mili-
taires qu'il est facile d'augmenter en accroissant les com-
pagnies de gens de cheval, la maison du roi et des enfants
de France.
(1) Avis de 1611.
(2) Lettres àLa Boderie, t. II, p. 19o, 18 juillet 1610.
(3) Avis de 1611.
(4) Ibid.
CONCLUSION 525
Pensionner les seigneurs ne veut pas dire les attirer à la
Cour. Les théories gouvernementales du règne commen-
çant de Louis XIII ne sonl pas celles qui prévaudront sous
Louis XIV après la Fronde. Villeroy estime au contraire
que l'éloignement des grands «huis leurs gouvernements
peut rire à l'occasion un moyen de les rendre inoffensifs.
Dans les provinces, en effet, tous leurs actes sont surveillés
et parfois même dirigés par les Parlements, les lieutenants
qui dépendent immédiatemehl du roi et informent Je gou-
vernement de tout ce qui se pratique au détriment de l'au-
torité centrale. Villeroy avail pu estimer à ce sujet les inap-
préciables services d'un Du Vair, président du Parlement
d'Aix, qui l'avait admirablement renseigné sur le-- intrigues
des étrangers et les cabales des particuliers en Provence.
L'éloignement des grands a un autre bon résultat : « il ote
la jalousie de gouverner la laveur Au souverain ou les
affaires d'Etat », car l'oisiveté de cour esl mauvaise con-
seillère: c'est là que se l'ail « la première corruption », que
K s'engendre la lièvre de- guerres civiles qui s'épand par
après par les membres de l'Etal » (1 1.. C'est Paris qu'il faut
surveiller particulièrement, le Paris de la Ligue, rendez-
vous de tous les factieux du royaume qui, suivant l'expres-
sion du temps, viennent y « chercher meilleur •> 2).
• Telles sont les principales mesures par lesquelles Ville-
roy estime en 1611 qu'on doit ruiner les coalitions de
grands. Cependant si, malgré ses efforts, le gouvernement
de la reine ne peut empêcher ses ennemis de lui déclarer
la guerre, quelle règle de conduite devra-t-on adopter? Vil-
leroy n'a pas encore eu ce casa examiner: il conseillera sui-
vant l'occasion. Mais dès le début de la régence il est cer-
tainement résolu à s'inspirer des principes généraux qu'il
formulera en 1612, en 1613, en 1614.
Il est convaincu que « la guerre civile est de tous les
(i) Avis de 1611.
(2) Ibid.
526 VILLEROY
maux le plus grand qui puisse affliger un Etat » (1).
Elle hasarde l'autorité souveraine, appauvrit les sujets du
roi, et peut devenir un feu inexting-uible, si les princes
révoltés et leurs adhérents parviennent à soulever le corps
des réformés, à déchaîner les vieilles passions religieuses.
Villeroy croit que la paix doit toujours être préférée à ce
genre odieux de guerre. Il faut faire aux mécontents des
concessions pour éviter de plus grands maux. En effet,
l'ancien chef des politiques sait mieux que tout autre qu'une
guerre civile ne ressemble pas à une guerre étrangère où
l'un des deux adversaires est vaincu et dépouillé. Elle se
termine ordinairement par la réconciliation du prince avec
les sujets rebelles auxquels il accorde son pardon et rend
sa bienveillance en leur concédant par un traité certaines
grâces et faveurs. S'il en est ainsi, pourquoi ne pas traiter
tout de suite ? Pourquoi ne pas éviter les « infinis périls et
malheurs inévitables » d'une guerre entre Français (?) ?
Villeroy a foi en la diplomatie qui dans les négociations
gagne des victoires comme sur un champ de bataille. Il
sent que sur ce terrain les vieux ministres d'Henri IV
lutteront avec une incomparable supériorité contre le
faisceau des appétits féodaux momentanément unis. Il y a
tout un art de » composer les affaires par douceur » (3) que
nous verrons pratiquer par Villeroy pendant les troubles.
On rompt la coalition par des concessions habilement do-
sées suivant les circonstances et selon les personnes :
on leur fait accepter des faveurs inoffensives en échange
des concessions dangereuses qu'ils réclament ; on ajoute
des clauses restrictives à certains articles dont ils pour-
raient abuser (4). Dans toutes ces négociations, il faut
faire respecter la majesté royale, montrer qu'on accorde
(i\ Avis de 1614.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Voir l'Avis de 1012.
conclusion 527
par bienveillance des grâces à des sujets et non qu'on se
soumel devant des égaux. Villeroy croyail avec raison à
l'importance de l'attitude. Il se rappelait comment, sous
Henri III, la dignité royale avait été ravalée. Pendant la
minorité de Louis XIII il contribua pour une grande part
au maintien d'une certaine dignité de ton, d'une majesté
d'allure, qui en imposèrent aux grands et empêchèrent
bien des maux.
Quand on aura paré au danger féodal, on aura fait l'es-
sentiel, d'après Villeroy, pour assurer la tranquillité du
royaume. Le reste ne préoccupe pas gravemeni les mi-
nistres de la reine. « Le mal n'es! point, Dieu merci, ni au
peuple de la campagne ni es villes ni es Parlement ni es
ecclésiastiques ni en toute la noblesse (1). » En fait, le
gouvernement de la Régence n'eut presque rien à redouter
des autres classes ou groupements sociaux. Les huguenots
inspirèrent parfois quelques appréhensions. Villeroy et les
ministres crurent justement que tant qu'on respecterait
l'Edit de Nantes, ils ne se révolteraient pas.
Tel est dans ses grandes lignes le programme politique
de Villeroy sous la Régence: son objet principal esl de
maintenir l'autorité royale menacée par les princes et les
grands, sans avoir recours à de dangereux moyen- de ri-
gueur. A-t-il borné tousses efforts à cesystème de conser-
vation politique au jour le jour ? A-t-il songé à résoudre
quelques-unes des questions administratives, judiciaires,
financières, qui s'imposent à tout gouvernement soucieux
d'accomplir des réformes positive-, de travailler pour l'ave-
nir?
Le gouvernement de la Régence a été trop absorbé par
les soucis de l'existence quotidienne pour fonder une œuvre
durable. Il a simplement cherché à vivre. Mais à défaut de
la reine, esprit futile et médiocre, et de son entourage flo-
(1) Avis >le. 1611.
528 VILLEROY
rentin, Villeroy et les ministres ont eu des conceptions plus
hautes, et ont regretté que la dureté des temps les em-
pêchât de les réaliser. Villeroy a abordé clans quelques
passages de ses avis la question de la réformation de l'Etat.
Il la juge absolument nécessaire pour « relever la répu-
tation des affaires du roi » (1), pour contenter le public,
et se tirer à tout jamais de l'ornière de ces « peines, con-
fusions et désordres très périlleux » (2) où se traîne le
gouvernement. Le problème fiscal est le plus grave. Les
dépenses excèdent les recettes. Villeroy craint qu'à la fin
on ne soit contraint « d'avoir recours à des moyens nou-
veaux, ce qui achèvera de grever et ruiner le peuple déjà
réduit à une nécessité et pauvreté non prévue et appré-
hendée comme elle devrait être ni telle qu'elle est » (3). Il
voudrait que la Reine diminuât ses dépenses « en préférant
celles qui sont nécessaires pour la défense et conservation
du royaume aux volontaires » (4). Comment il concevait
cette politique d'économies, comment il la conciliait avec
sa politique de libéralités, nous l'ignorons et nous ne
sachons pas qu'il ait précisé par écrit sa pensée sur ce point.
!1 a indiqué aussi une réforme judiciaire urgente, dont il
a compris la nécessité à la veille de la réunion des Etats-
Généraux, quand un fort mouvement d'opinion publique
se prononça contre la vénalité et l'hérédité des charges de
judicature. Il a conseillé à la reine de prendre l'initiative
de cette réforme et de supprimer l'usage du droit annuel.
Mais l'allusion contenue dans l'Avis de 1614 est trop brève
pour que nous puissions dire exactement quelle place cette
réforme tenait dans les préoccupations du ministre. Il faut
reconnaître d'ailleurs que les allusions à la réformation
générale de l'Etal sont brèves et vagues. Ce n'est pas parce
(1) Avis de 1614.
(2) Avis de 1012.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
CONCLUSION 529
que ces soucis sont étrangers à ses fonctions spéciales : il
est hors de doute que comme principal ministre il aurait
formulé son opinion même sur les questions intéressant
particulièrement Jeannin et le Conseil des finances. Mais il
sentait que cette réformation du royaume ne pouvait se
faire que sous un gouvernement forl et sur du lendemain.
C'était un de ces projets dont il fallait toujours parler,
pour ne point paraître mépriser l'opinion publique, mais
que l'avenir seul pouvait réaliser. C'était la conviction
intime de l'homme d'Etat qui estimait que toutes choses
devaient s'accommoder avec le temps.
Nous avons vu comment Villeroy a couru le bon gou-
vernement. Il nous reste à décrire 1res sommairement L'ac-
tion qu'il exerça, étant au pouvoir, sur les affaires inté-
rieures et extérieures du royaume. Comment réussit-il à
« conduire les affaires du momie par degrés (1), el à < l'aire
couler doucement » le temps de la minorité?
A l'intérieur l'établissement du nouveau gouvernement
avail élé un coup de maître. Sans celle manœuvre rapide,
les princes du sang- auraient pu aisément imposer leurs con-
ditions. On redoutait surtout Soissons, car Conti était un
pauvre infirme et Condé était à Milan. Soissons demanda
la Iieutenance générale du royaume ; la reine lui donna le
gouvernement de la Normandie et de l'argent. Condé, à
(Il Selon l'expression de Villeroy, dans une lettreà Bellièvre, du 16
février 1598 (F. fr., 1591 1. l'° 205): i J'estime que toutes choses pour-
ront s'accommoder avec le temps., les conduisant par degrés sans les
précipiter » et dans une lettre à Jeannin, du 24 août 1607 [Négoc. du
Prés. Jeannin, p. 143) : « Il faut conduire les affaires du monde par
degrés ».
Villeroy. 34
530 VILLEROY
son retour, se montra assez raisonnable, accepta 50.000
livres de pension, l'hôtel de Gondi et 40.000 écus pour le
meubler. La maison de Lorraine, vieille ennemie des
Bourbons, reçut aussi quelques satisfactions. Villeroy
approuva ces mesures qui étaient assez heureuses. On avait
l'ait aux princes du sang, pour maintenir la paix publique,
des concessions modérées qui n'avaient nui gravement ni
au prestige royal ni aux finances de l'Etat. La fin de Tannée
1610 l'ut très calme : Tordre régna en France, etavec Tordre,
ce fut, selon le mot de Richelieu, la continuation de « la
majesté » du règne d'Henri IV (1).
Ce n'est ni parmi les princes, ni chez les grands du Con-
seil que Villeroy et les minisires devaient trouver de graves
obstacles à leur autorité. Ils se manifestèrent d'abord dans
l'entourage immédiat de la reine que l'Estoile appelait « le
Conseil de la petite escritoire » et où certains personnages
jusqu'alors obscurs acquirent rapidement une inlluence
inquiétante. Dès la mort d'Henri IV, le couple Concini
commença àédifiersa prodigieuse fortune. Parle commerce
des charges et des grâces, la chasse aux pots de vins, les
générosités arrachées à la reine, par la résistance sourde
ou déclarée qu'ils firent aux ministres qui essayaient de
combattre leurs prétentions, parles intrigues de toute sorte
qu'ils nouèrent pour se procurer des alliés chez les princes
et les grands, ils furent véritablement les mauvais génies
de la Régence. Villeroy essaya dès le début d'entraver la
marche de Concini, qui, au mois d'août, avait entamé des
négociations avec Créqui pour lui acheter le gouvernement
de Péronne, Roye et Montdidier et le titre de lieutenant du
Roi en Picardie. Le ministre refusa net de signer un acquit
de 400.000 écus pour le favori et dit à la reine que ce n'était
ni juste ni raisonnable. Pour témoigner son mécontente-
ment, il se retira dans sa maison de Conflans pendant
(i) Richelieu, Mém., \>. 29.
CONCLUSION 531
quelques jours. Il empêcha aussi que le florentin n'eu! le
gouvernement de Calais, et le !it donner au brave d'Ar-
qùien, ancien gouverneur de la citadelle de Metz qui me*
naçait touthautde tuer Goncini. Mais l'énergie de Villeroy
fut brève. Le favori putacheter, au début de septembre, le
marquisat d'Ancre, les gouvernements de Péronne, Roye
et Montdidier et nous ne sachons pas que le ministre s'y
soit opposé. Renonça-t-il à son altitude hostile contre un
favori trop fortement appuyé, accepta-t-il cette fortune avec
l'espoir secret de s'en servir pour fortifier sa propre auto-
rité ? Résignation et calcul à la fois. Nous devons constater
que trois mois après Goncini était l'allié de Villeroy dans
la lutte contre Sully.
Après l'assassinat d'Henri IV, un souffle d'apaisement et
de conciliation avait amolli les cœurs et adouci les an-
ciennes rancunes des serviteurs et amis du défunt. Villeroy
et Sully éprouvèrent celle contagion attendrissante. Le
surintendant avait pris peur un moment et s'étail enfermé
dans la Bastille, mais Villeroy avàil conseillé à la reine de
bien le recevoir. Il fit connaître à Sully par ses amis, que
leur union était nécessaire pour le bien des affaires de l'Etal
et pour leurs intérêts personnels. Pendant plusieurs mois,
Sully demeura encore très puissant <>n ne pouvait le ren-
verser sans jeter l'inquiétude dans le parti huguenot, ni
sans offenser la maison de Lorraine avec laquelle il s'en-
tendait parfaitement. D'ailleurs le surintendant avail l'ail
des concessions à l'esprit du temps : à l'étonnemenl de tous,
il avait adouci certaines aspérités de son caractère. !1
paraissait moins fier qu'autrefois. 11 cherchait de- appui-.
se rapprochait de Coudé et n'était pas en mauvais termes
avec Concini.
Comment Sully, qui parut assez fort jusqu'en décembre,
tomba-t-il en janvier suivant ? Pourquoi Villeroy, qui -'ta-
blait juger son concours utile au gouvernement, fut-il l'au-
teur de sa disgrâce ? L'histoire de cette chut.' retentissante
532 VILLEROY
reste assez obscure, car il nous manque les témoignages de
ceux qui ont renversé le vieux compagnon d'Henri IV. Le
renvoi de Sully ne fut pas préparé de longue main. Au mois
de décembre, on commença à dresser l'état des dépenses
pour l'année suivante. De nombreuses et puissantes con-
voitises se firent jour : doublements de pensions, payement
de dettes, octrois de gabelles d'impôts ou de garnisons.
Sully défendit comme il put l'équilibre de son budget et
l'épargne de la Bastille. Parmi les quémandeurs était d'Alin-
court. Sully, mécontentde ses échecssurlesautresquestions
financières, irrité contre son collègue qui ne l'avait pas
soutenu, voulut prendre sa revanche avec le fils de Villeroy,
et, en refusant à d'Alincourt une levée de trois cents Suisses
pour la garnison de Lyon, prononça des paroles offensantes
pour le père. Les choses se seraient peut-être arrangées
comme tant d'autres fois ; mais dans ces séances du Conseil,
Sully se laissa aller à dire tout ce qu'il avait sur le cœur.
Quand d'Epernon et Villeroy conseillèrent de licencier les
4000 fantassins et les compagnies de cavaliers payés aux'
Etats de Hollande, il protesta vivementcontre les tendances
nouvelles de la politique étrangère, et son dicours fit une
certaine impression sur l'esprit de la reine. Villeroy fit alors
une courte retraite à Conflans et chercha résolument à
renverser son collègue. Il aurait gouverné avec un Sully
se confinant dans un rôle de secrétaire d'Etat aux finances ;
il ne voulut point tolérer un Sully premier ministre impo-
sant ses conceptions dans la direction des affaires étran-
gères.
Aidé de Sillery et de Jeannin, il ruina Sully en s'unissant
aux princes et aux grands qui étaient mécontents du surin-
tendant. Sully avait offensé Soissons en s'opposant au
mariage de son fils et de M"e de Montpensier, Condé n'avait
aucune raison sérieuse de détester Sully mais s'était
depuis peu réconcilié avec Soissons. Concini s'entendait
avec M. le Comte. Bouillon resta neutre, mais déclara que
CONCLUSION 533
« pour M. de Sully il ne lui pouvait rien arriver qu'il ne
méritât ». Villeroy ayant ravivé les anciennes mésintelli-
gences, les princes, vers le milieu de janvier, firent le siège
de la régente qui après quelque hésitation leur céda. Sully
voulut se retirer hautement et non se faire chasser. Le 26,
il remit enlre les mains de la reine ses charges de surin-
tendant des finances et de capitaine de la Bastille.
A partir de ce jour, Villeroy l'ut incontestablement une
sorte de premier ministre, souvent contrarié dan- -mi
action et luttant sans répit pour se maintenir au pouvoir
contre des grands ou des favoris, mais ne rencontrant
aucun rival, parmi les hommes d'affaires, jusqu'au jour de
sa brouille avec le chancelier.
L'année 1611 fut tranquille. On eut à affronter ce qu'un
Vénitien appelait « le plus périlleux écueil de la présente
minorité » (l),mais le danger fut évité, en grande partie par
la tactique habile de Villeroy. Les huguenots étaient 1res
inquiets depuis la mort du roi : les mariages espagnols, la
démission de Sully provoquèrent parmi les Eglises des
murmures, des plaintes, des projets de défense. L'assem-
blée de leurs députés devait se tenir régulièrement au prin-
temps de 1(311 pour renouveler la députation permanente
des trois délégués et rédiger les cahiers de doléances. Les
catholiques aussi étaient troublés: de nouvelles querelles
religieuses allaient-elles ensanglanter le royaume? Oncon-
nait les sentiments de Villeroy : respectueux de la légalité,
il voulut avant tout faire exécuter l'Edit de Nantes : L'as-
semblée fut donc régulièrement convoquée imiis leministre
la rendit inoffensive en exploitant les divisions qui sépa-
raient les chefs, en usant de corruption, en se servant en-
fin de son influence sur les hommes d'ordre du parti. Il
s'entendit avec Bouillon « qui se servait de l'autorité des
(1) Dép. d'Ammirato, du 17 mai 1611, citée par B. Zeller, La Mino-
rité de Louis XIII, Marie de Médicis et Sully, 1892, in-8, p. 279.
534 VILLEROY
autres pour tourner le tout à son profit » (1) et l'opposa à
Sully. Il promit au duc le gouvernement du Poitou et
300.000 livres, et celui-ci, après s'être concerté avec le mi-
nistre, partit pour Saumur, promettant que tout réussirait
à la satisfaction de la reine. L'assemblée avait choisi pour
président Du Plessis-Mornay qui, malgré l'ardeur de ses
convictions religieuses, était en politique un modéré et
un ami de Villeroy. On menaça Sully, qui avait tenté de sou-
lever l'opinion, de l'obligera rendre des comptes. L'assem-
blée surveillée de loin par Villeroy (2) se sépara paisible-
ment en septembre après avoir élu ses députés et rédigé
• les cahiers auquels la cour avait refusé de répondre pour
tout ce qui lui paraissait déraisonnable.
L'alerte de 1011 était passée. Le plus redoutable des
écueils, désormais, ne fut pas la question religieuse, caria
grande majorité du parti comprit que la reine n'était pas
une Catherine de Médicis, ni Villeroy un Birague. Le dan-
ger était dans les « brouilleries » des grands, et.pour Ville-
roy, il était double : à la faveur d'une intrigue, les vieux
ministres d'Henri IV pouvaient être renversés; une brouil-
lerie pouvait dégénérer en guerre civile. Villeroy ne pou-
vait ni ne voulait faire de ^réforme importante ; en dehors
de son œuvre diplomatique, il consacra ses forces à empê-
cher qu'un parti ou une coalition ne le renversAt et qu'une
querelle ne s'aggravât au point de troubler la paix publi-
que.
Au début de 1012, Condé et Soissons firent une violente
sortie contre l'omnipotence des ministres ; on ne leur
avait, communiqué les traités de mariage que lorsque la
reine avait annoncé officiellement la nouvelle ; on avait re-
i i ! Mém. du duc de liohan, p. 495.
(2) Voir la correspondance qu'il entretint avec les commissaires
royaux Boissise et Bullion, F. fr. 4046, et Bibl. de l'Institut, F. Gode-
froy, n° 266.
CONCLUSION 535
usé dé leur faire connaître le compte des dépenses de l'an-
née précédente. Ils sortirent avec fracas de la cour. La
peine s'inquiéta bientôt de leur absence; elle désirait les
voir auprès d'elle pour la cérémonie du contrat de mariage.
Yilleroy, accompagné du maréchal d'Ancre; alla négocier
au début de mai avec les princes qui boudaient à Monli-
gny et menaçaient de ne pas rentrer, si on ue chassait
pas les ministres. Villeroj sul les ramener réconciliés avec
la reine etavec lui-même après les avoir comblés de bonnes
paroles et leur avoir promis de 1rs faire participer désor-
mais aux décisions du Conseil. Ils rentrèrent et rien ne
t'ul changé au gouvernement : l).
Quelques mois après, le comte de Soissons exigeait pour
lui la place de Quillebœuf en Normandie qui appartenait
au maréchal de Fervaques. Celle affaire fut l'origine de
nouvelles intrigues qui passionnèrent la^ Cour e! embar-
rassèrent la reine. Yilleroy rédigea un long Avis, où il dé-
montrait sans parti pris qu'il y avait « moins de hasard et
de péril pour le présent et pour l'avenir de gratifier el
obliger M. le Comte que de faire le contraire >< ; si habile
était son argumentation qu'il était difficile après l'avoir lue
(Je soutenir que la ces-ion de Quillebœuf fût utt acte de fai-
blesse. La mort du comte, survenue à latin d'octobre, mit
lin brusquement à ces complications.
D'autres surgirent bientôt. Il faudrait écrire un volume
pour les couler en détail, el suivre de près la manière dont
Yilleroy se maintint au pouvoir et assura l'ordre. Condé
à la fin de 161? importuna de nouveau la reine; uni à
Nevers, il demanda le Château-Trompette et des place- en
Guyenne. La reine les refusa. Nous trouvonsà ce m ni
Yillerov allié à la faction contraire, aux Cuises et à d'Eper-
(II « Le Conseil secret de c roi est Yilleroy seul, écrivait l'ambassa-
deur vénitien le le septembre, la rejne ne remue pas une feuille sans
lui. » B. Zeller, Ibid., t. 11, p. 65.
536 VILLEROY
non, contre M. le prince qui voulait faire embastiller les
« trois barbons » (1).
Nous le voyons aussi, après quelques mois d'hostilités
avec Concini, accepter les offres d'intermédiaires zélés et
chercher à unir sa fortune à celle du florentin par une
alliance de famille. Jeannin, nous dit Bassompierre (2), eut
Tidée de faire marier la fille du marquis d'Ancre avec le
petit-fils de Villeroy. La reine adopta ce projet avec enthou-
siasme. Le couple Concini voyant son autorité diminuée,
sentant qu'il ne pouvait se fier sûrement aux grands du
royaume, apprécia les avantages d'une alliance avec un
homme de nom modeste, mais de faveur durable et de
grand crédit auprès des cours étrangères. Villeroy en s'as-
sociant aux Concini sut aussi agir en père de famille pré-
voyant : le jeune marquis de Villeroy devait recevoir
200.000 francs de dot, plus 100.000 qu'ajoutait la reine ;
Villeroy demanda en outre que le marquis d'Ancre renon-
çât sur la tête de son gendre à la charge de premier gentil-
homme de la Chambre. Le mariage fut accordé en sep-
tembre ; mais on ne rédigea pas encore le contrat ; l'union
ne pouvait se conclure que dans huit ans. On ne saurait
donc taxer d'imprudence le vieux ministre ; il avait le temps,
durant ce long délai, d'éprouver la fortune du favori et de se
retirer avant une catastrophe.
Il survint à ce moment dans la vie privée de Villeroy un
événement plus important et plus regrettable : il se brouilla
avec le chancelier. Ils avaient vécu jusqu'alors parfaitement
d'accord. La jalousie et la méfiance se glissèrent entre eux
à propos du mariage. Villeroy avait caché le projet à Sil-
lery. Sillery en fut offensé et de plus éprouva du dépit à
cause de cet accroissement de fortune de son collègue.
Condé et ses amis attisèrent les ressentiments. Au mois de
(1) Bassompierre, t. I, p. 338-341,
(2) Ibid., p. 359.
CONCLUSION 537
novembre, Mmp de Puysieux mourut du choléra. Elle avait
beaucoup contribué à la bonne entente des deux beaux-
pères. Le lien de famille qui les tenait encore unis fut brisé :
des questions d'héritage envenimèrent la querelle. Celte
division, nous dit Richelieu,*' futcause de la ruine de tous
deux et de beaucoup de maux pour l'Etat » (1).
L'année 1614 débuta mal. Les brouilleries de cour s'ag-
gravèrent soudain. Condé, Nevers, Mayenne, Longueville,
Bouillon quittèrent Paris et se réunirent à Mézières. Un
manifeste lancé par Condé réunit les griefs des grands
aux revendications du public et réclamales Etats-< Généraux.
Villeroy donna cette fois des conseils hardis. Il demanda à
la reine de courir immédiatement aux princes, sans leur
donner le temps de réunir des gens de guerre. Si elle allait
à Reims avec le régiment des gardes et une partie de la
cavalerie entretenue, les rebelles viendraient se soumettre
sans condition ou se retireraient avec désordre et à leur
confusion hors du royaume qui demeurerait en paix. 11
ajouta que si la reine agissait autrement, on répéterait la
faute commise en la première prise d'armes de la Ligue où
on aurait dû marcher droit, aux Cuises. Villeroy était sou-
tenu par Jeannin et par le cardinal de Joyeuse. Le Chan-
celierau contraire dépeignit la situation comme très sombre
et supplia la reine de contenter les princes. La maréchale
d'Ancre acheva d'incliner Marie de Médicis à la paix. Elle
eut l'art d'interpréter les intentions de Villeroy en insi-
nuant qu'il voulait favoriser Guise en lui faisant donner
le commandement des armées, désobliger Sillery, el ruiner
le maréchal d'Ancre par la guerre. Les conseils timides
prévalurent. Cependant Condé avait rassemblé 2 à 3000 sol-
dats. L'opinion publique était émue et réclamait la paix.
Villeroy lui-même comprit que le moment de frapper un
grand coup était passé et vers le milieu de mars conseilla
(1) Richelieu, Mém., p. G3.
t>38 VILLEROY
à la reinede tenterencore une fois le remède de « son indul-
gence, bonté et libéralité » (1). Le 8 avril, s'ouvrirent à Sois-
sons des conférences pour la paix ; le 15 mai l'on signa le
traité de Sainte-Menehould. La reine promettait de réunir
les Etats et de retarder les mariages jusqu'à la majorité du roi.
('onde, .Mayenne, Longueville, Bouillon recevaient de nou-
velles et considérables pensions. On avait acheté" très chè-
rement l'obéissance et la foi égarée » (2) des sujets ; sans
doute aucune de ces concessions ne diminuait gravement
l'autorité royale, mais ne fallait-il pas beaucoup d'optimisme
pour attribuer à « prudence, bonté et charité envers ce
royaume « ce conseil de faiblesse ?
Villeroy qu'on avait empêché d'agir au début de 1614 prit
bientôt une revanche. Il fit décider par la reine, malgré
l'opposition du chancelier, un grand voyage du roi et de la
cour dans les provinces de l'Ouest. De juillet à septembre,
dans une promenade triomphale par Orléans, Tours, Poi-
tiers, Nantes, le jeune Louis XIII recueillit les hommages
d'un peuple enthousiaste. Condé qui avait fait mine de pro-
lester en Poitou contre le gouvernement qui exécutait mal
le traité de mai fut profondément humilié. Vendôme qui
résistait en Bretagne se soumit. Les protestants prodiguèrent
les témoignages d'obéissance et de respect. Partout se pré-
parèrent des élections pour les Etats favorables à la cause
royale. Le voyage eut d'excellents résultats pour l'autorité
du roi et pour la paix publique. Ce fut une belle manœuvre
dirigée avec un art consommé par le vieux ministre (3).
Mais, ainsi qu'écrivait Malherbe, « la cour a ses flux et
ses reflux comme la mer » ; en ces temps de misérables
(1) Voir l'Avis de 1614.
(2) Ibid.
(3) o H veille à tout avec une extraordinaire application, écrivait l'am-
bassadeur de Venise ; il se donne une peine infinie pour gagner cha-
cun. »(Dép. du 19 août 1614, F. liai. 1767, f9 136.)
CONCLUSION
539
intrigues, Villeroy ne pouvait jàmaisêtre sûrdu lendemain,
malgré l'estime universelle qu'il inspirait. Trois mois après
le retour de la cour, le maréchal d'Ancre rompait avec Yil-
leroy qu'il trouvait trop mal disposé à soutenir ses exorbi-
tantes prétentions contre la maison de Longuevilleen Picar-
die. Villeroy injurié renvoya les paquets à Puysieux et se
retira à Conflans (fin décembre). Mais la reine ne tarda pas
à le rappeler. Sa disgrâce aurail produit un effet déplorable
au moment, où les Etats-Généraux délibéraient sur les
affaires publiques. Au milieu des querelles entre les ordres,
dos discussions sur le concile de Trente, des propositions
de réformes, ungrandnombre de députés critiquaienl aigre-
ment certains personnages en faveur, le couple ambitieux
et cupide des Conciniet leurs amis parmi lesquels on plaçait
le chancelier qui passait pour n'avoir par les mains nettes;
au contraire on n'avait (pie de l'estime pour Villeroy,
homme intègre et dévoué à l'Etat. Néanmoins, l'autorité
du ministre était fortement ébranlée: Larégentese montrait
plus froide à son égard ; elle consultait sur les questions
les plus importantes une sorte de conseil secret composé
du maréchal d'Ancre, du chancelier et de Puysieux : elle
désignait pour une ambassade extraordinaire en Espagne
Sillery, le frère du chancelier, alors que Villeroy avait
demandé cette faveur pour son fils. Villeroy ne Laissait
paraître aucune émotion. Son altitude était une énigme
pour les observateurs habituels de ces petits drames de
cour. Se cramponnait-il au pouvoir? Etait-il réellement las
etdisposé à partir? Certains assuraient qu'il ne restait que
contraint parles supplications de son fils qui craignaitque
la retraite de son père ne ruinât sa fortune. Laissant dire et
laissant faire, Villeroy préparait tranquillement un beau
mariage pour son petit-fils qu'il cherchait à unir avec la
fille de M. de Créqui, le gendre de Lesdiguières.
Peut-être aussi le ministre qui connaissait les hommes
attendait-il en paix la fin de sa demi-disgrâce. Après la
540 VILLEROY
clôture des Etats, et l'agitation parlementaire du printemps
de 1615, lesprinces et les grands, profitant du mécontente-
ment général, voulurent reconstituer leur ligue du bien
public et se faire valoir à nouveau. La Reine se rapprocha
de Thomme qui avait conservé dans tous les partis une
réelle autorité. Au début d'avril, on réconcilia Villeroy et
d'Ancre et la paix régna dans l'entourage de Marie de Mé-
dicis. Cependant ("onde. Bouillon, Longueville, Mayenne,
ayant quitté la capitale, reprenant les griefs des Etats, du
Parlement et des grands, protestaient contre les abus et
réclamaient la réforme du Conseil. La reine-mère qui se
disposait à conclure les mariages et à partir pour Bordeaux
où devait se faire solennellement l'échange des princesses
voulut éteindre cette nouvelle querelle et emmener les
princes avec la cour. En juillet, Villeroy fit deux voyages à
Creil, et un à Coucyoù se tenait Condé etessaya vainement
de le décider à suivre la reine. Condé s'entêta à demander
qu'on réformât le Conseil et qu'on écoutât les remontrances
du Parlement. Il désigna comme les auteurs principaux
des abus, qu'il fallait expulser, le maréchal d'Ancre, le
chancelier et son frère. Bullion et Dolé, deux créatures
du florentin qui avaient acquis depuis peu une certaine in-
fluence. Il n'éprouvait aucune antipathie à l'égard de Ville-
roy et celui-ci de son côté se montrait assez conciliant.
Mais à la cour, la cabale adverse l'accusa de faire traîner
cette négociation. La reine envoya le 29 juillet Pontchar-
trainqui somma les princes de venir en cour et sur leur
refus rompit tout net.
De part et d'autre on arma. La reine partit pour Bor-
deaux, chargeant Bois-Dauphin de contenir les princes. Le
maréchal ne put empêcher Condé de prendre quelques
places clans le Nord, de traverser la Loire, de soulever les
huguenots de la Guyenne, du Languedoc et du Poitou. Le
gouvernement était comme paralysé par ses divisions. Vil-
leroy, la maréchale d'Ancre, le duc de Guise, ne cessaient
CONCLUSION 541
de conseiller la paix ; le chancelier et son frère, d'Epernon,
voulaient qu'on agisse énergiquement contre les rebelles.
Quand le mariage du roi eut été célébré ('28 novembre), la
reine-mère, au comble du bonheur, fut gagnée à la conci-
liation. Elle chassa l'un des principaux instigateurs de la
guerre, le commandeur de Sillery, tout en priant le chan-
celier de continuer à la servir. Puis elle Gt signer une trêve
pour le mois de février, et envoya à Loudun Villeroy avec
le maréchal de Brissac, de Thou, de Vie et Pontchartrain.
Nous ne pouvons suivre, pendant ces dix semaines, Ville-
roy dans ses allées et venues par les mauvais chemins du
Poitou. Aucune négociationne fui plus difficile que celle-là.
Aucune ne fut moins glorieuse pour la royauté. Il fallut
faire des concessions aux protestants, donner à Comlé le
Berry, Chinon et Bourges et 1.500.000 livres, distribuer
d'énormes indemnités à ses amis. Les deux points les plus
délicats furent la faveur particulière accordée à Condé et
l'affront infligé au maréchal d'Ancre. Le premier obtint,
grâce aux instances de Villeroy, une place éminente au
Conseil et le droit de signer les arrêts. La reine s'obstinait
à le lui refuser. Villeroy la supplia de ne pas « faire diffi-
culté de donner la plume à un homme dont elle tiendrait
la main quand il lui plairait » (1). Il fit aussi enlever à
Concini la citadelle d'Amiens <■! répondit aux objections
de la reine en la priant de témoigner «pie ses « créatures
particulières ne lui étaient pas si chères que h' repu- de
l'Etat « (?).
On ne saurait rendre Villeroy seul responsable d'une
paix assez humiliante. Le roi et la reine avaienl donné
l'ordre de traiter. Le repos était ardemment désiré par
l'opinion universelle, émue des premières misères de la
guerre civile. Tous, même le- plus tiers, conseillaient la
(1) Fontenay-Mareuif, Mém., p. MM
{■2) Ibid.
542 VILLEROY
paix. Du Vair écrivait à Villeroy que les commodités parti-
culières •■ pour cher qu'elles coûtent à l'Etat seront bien
employées » (1). Sully lui-même lui disait : « Par quelque
voie qu'un prince parvienne à obtenir la paix, à être re-
connu, à posséder les choses utiles et à étouffer les noms
des partis, souvenez-vors qu'il aura enfin l'honneur et
l'avantage du tout » 2). Mais les deux clauses spéciales
relatives à Gondé et à Concini avaient été défendues avec
une grande force par Villeroy au Conseil : par la seconde, il
cherchait à entamer la formidable puissance d'un favori
détesté; par la première, il semble qu'il ait voulu inaugurer
une autre politique à l'égard du premier prince du sang :
las des récriminations de Coudé et des perpétuelles menaces
de guerre civile, a-t-il voulu essayer de retenir à la Cour
Coudé, si dangereux en province, de le séparer de ses amis
en l'associant au pouvoir? Espérait-il qu'un Gondé comblé
d'argent et d'honneurs, vivant quotidiennement avec des
ministres plus expérimentés, '-'adoucirait par de bons pro-
cédés, subirait inconsciemment l'influence des hommes
d'Etat et deviendrait presque un collaborateur?
Ces deux articles de la paix de Loudun causèrent la perte
de Villeroy. Marie de Médicis qui, depuis quelque temps,
« expliquait sinistrement tout ce qui venait de lui », ne ni
pardonna pas ce double « paquet » qu'il avait gardé pour elle
et pour le maréchal d'Ancre .'! . Eéonora Galigaï eut assez
d'empire sur l'espril de sa maîtresse pour lui l'aire décider
le renvoi des barbons. Le chancelier était parti le premier,
le 2 mai, grâce aux efforts de la maréchale et de Villeroy
qui avaient persuadé à la reine que cet homme détesté par
Condé, et par le peuple, était un obstacle à la pacification.
Du Vair recueillit sa succession. Puis ce fut le tour de
(1) Du Vair a Villeroy, 9 janvier 1616, Bibl. du l'Institut, F. Gode-
i'roy, ii" 268, l'o 62.
. .i\ à Villeroy, 14 octobre 1615, Ibid., f° 44.
(3) Fontenay-Mareuil, Ibid.
CONCLUSION 543
Jeannin, contrôleur général des finances, qui dul échanger
cet office contre une dignité honorifique, et céder la place
à un favori de la maréchale, Barbin, ancien courtier de
banque et surintendant de la maison de la reine-mère. On
n'osait pas s'attaquer directement à Villeroyqui, prévoyant
sa disgrâce, s'était relire à Conflans. Peut-être même
Marie de Médicis ne voulait-elle que lui enlever une par-
tie de sa puissance et le conserver comme conseiller. Elle
l'informa par Barbin qu'elle renvoyai! Puysieuxet donnait
la charge à Mangot, premier président à Bordeaux. La dis-
grâce de Puysieux était indifférente au ministre ; d'autre
part, il sentait qu'il se fatiguait et paraissait Lien résolu à
se ménager à l'avenir. .Mais il voulait faire installer une de
ses créatures à la place de Puysieux. Il céda sur une in-
jonction formelle de la reine. Mais il prétendit que la charge
lui appartenait et il en demanda 500.000 francs. Mangot ne
disposait que de 300.000, Villeroy abaissa ses prétentions
et la reine aida Mangot à payer 400.000. A partir de juillet
1616, Villeroy redevint un simple conseiller d'Etat.
III
Villeroy, comme ministre de l'intérieur, avait fait vivre
au jour le jour le gouvernement de la Régence : on avail
« avalé des brouillards » ; on avait l'ail .i dessujets rebelles
des concessions coûteuses et humiliantes, mai- à ce prix
on avail évité de graves défaites pour l'autorité royale et
de grands malheurs pour le pays. La France aurait-elle été
mieux gouvernée avec des ministres plus jeune-, plu- har-
dis, [ilus énergiques? L'historien n'a point à se poser une
telle question : il doit seulement juger ce qu'a l'ail réelle-
ment la sagesse des barbon^ cl de leur chef Villeroy, et il
544 VILLEROY
peut affirmer sans crainte que cette action, si elle fut sans
gloire, ne fut pas sans profit, que cette œuvre fut bienfai-
sante dans les redoutables périls que la minorité de
Louis XIII eut à affronter.
La politique extérieure eut le même caractère et les
mêmes résultats. Ce fut une politique pacifique et prudente
que les âmes hardies et avides de gloire ont méprisée
comme timorée et sans éclat. Villeroy, avec une remar-
quable persévérance, la dirigea comme un petit bourgeois
ennemi de la spéculation gère honorablement un placement
de tout repos pour le transmettre intact, sans courir aucun
risque, à ceux qui viendront après.
Henri IV était mort, assassiné quelques jours avant la
date fixée par lui pour entrer en campagne. Cette catas-
trophe ruina les grands projets de la politique française.
Le gouvernement d'une femme et d'un enfant avait un im-
périeux besoin de paix, au dehors comme au dedans. Tous
les esprits sensés le comprirent et le plus belliqueux des
conseillers, Sully, proposa lui-même de faire cesser les le-
vées d'hommes qui commençaient à arriver pour la guerre
d'Allemagne. Mais on voulut montrer aux alliés protestants
qu'on ne les abandonnerait pas : une petite armée alla
prendre Juliers dont les princes de Xeubourg et de Bran-
debourg entrèrent en possession. Villeroy avait déclaré
aux ambassadeurs étrangers que son gouvernement n'irait
pas plus loin. Ce premier acte était une indication très
claire pour la politique qu'on allait suivre : on allait essayer
d'unir deux choses qui paraissaient inconciliables sous
Henri IV, entretenir les anciennes alliances, et n'accom-
plir aucun acte d'hostilité contre les anciens ennemis.
Au mois de septembre, on avait désarmé sur la frontière
du Nord ; l'horizon de ce côté était calme ; on avait trouvé
une solution honorable des affaires d'Allemagne, les ar-
chiducs ne demandaient qu'à vivre en paix avec le roi. Le
rétablissement de la tranquillité sur la frontière d'Italie
CONCLUSION 545
fui beaucoup plus long et plus pénible. Henri IV avail
promis à Charles-Emmanuel la main de sa fille aînée poul-
ie prince de Piémont; les forces de Lesdiguières jointes
à celles du duc se disposaient en mai 1610 à envahir le
Milanais. Pendant [quelques semaines on resta en armes,
en Dauphiné, en Savoie et à Milan. Fuentès grondait,
la reine et Villeroy déclaraient hautement au nonce et
à l'ambassadeur d'Espagne qu'on protégerait le duc contre
toute agression. Mais le gouverneur du Milanais mou-
rut au mois d'août, et la régente donna une preuve de
ses dispositions pacifiques en ordonnant à Lesdiguières
de commencer .à désarmer. Cependant, les hommes
d'élal français cherchaient- à calmer le due de Savoie, l'as-
suraient qu'ils trouveraient toujours dans le roi un allié
pour la défense de ses possessions : la reine voulail d'abord
sincèrement marier une de ses filles en Sa\<>ie et l'autre
en Espagne. L'Espagne ne voulut point admettre ce par-
tage : elle ne consentit à entamer les négociations de
mariage qu'après avoir vu les Français renoncer à l'al-
liance matrimoniale avec la Savoie. Charles-Emmanuel se
défendit avec vigueur, il protesta, menaça, pria, réclamant
l'exécution des promesses d'Henri IV; il cherchait des ap-
puis à la Cour, auprès du duc de Nemours, de Soissons;
de Concini, de Villeroy auquel il faisait offrir un comté de
4000 écus de revenus. Le Conseil était partagé : Condé,
Soissons, le connétable, Joyeuse voulaient qu'on cédât au
duc; Villeroy et le chancelier se prononcèrent contre le
mariage savoyard et l'emportèrent, au début de décembre.
Villeroy avait attaqué vivement le prince turbulent el avide
qui ne rêvait que de brouiller le- deux royaumes de France
et d'Espagne, et il n'avait pas craint d'affirmer qu'il fallait
rompre des engagements pris par Henri IV dans des cir-
constances qui étaient alors favorable-, au royaume. Le
duc, qui connut cette opposition, se plaignit de l'influence
de Villeroy qu'il considéra désormais comme son ennemi
Villeroy. 3:»
546 VILLEROY
personnel (1). Il ne se résigna pas aisément. Il fit encore
pendant toute l'année 1611 des efforts désespérés pour re-
nouer les négociations, excitant les défiances des hugue-
nots, poussant Soissons, Condé et les grands à protester
contre les mariages espagnols qui se préparaient, et tou-
jours répandant d'amères récriminations sur la conduite
de Villeroy. Il voulut faire, au mois de mars, une démons-
tration armée du côté de Genève. Immédiatement le gou-
vernement français fit prendre d'importantes mesures mi-
litaires pour défendre la république amie du royaume. Vil-
leroy déclara à l'ambassadeur d'Espagne que la reine et
son fils se transporteraient à Lyon si le duc avançait. Le
baron de Luz arrêta les troupes savoyardes au pont de Gré-
sin. La leçon fut efficace. Des négociations à Paris, entre
Villeroy et Jacob, durant les mois d'avril et de mai, une
ambassade de la Varenne à Turin, amenèrent enfin le duc
à désarmer.
Depuis longtemps, l'on traitait avec l'Espagne pour les
mariages qui furent la grande œuvre diplomatique de Ma-
rie de Médicis et de Villeroy. A aucun moment, Villeroy
n'avait eu le moindre doute au sujet de l'utilité d'une telle
alliance. Elle était pour lui la seule garantie efficace de la
paix. Il était nécessaire, croyait-il, de « regagner l'amitié
dudit roi d'Espagne aucunement ébranlée par les desseins
et préparatifs de guerre que le feu roi était prêt de mettre
en œuvre lors de son décès, afin de détourner les effets de
l'inimitié d'un tel prince contre la France en la minorité du
roi... » (2). C'était aussi l'idée intime de Sillery et de Jean-
nin, et il régna un accord parfait entre ces trois conseillers
et la reine qui de plus éprouvait un sentiment de vanité
maternelle à faire conclure cette brillante alliance. Gepro-
(1) Dép. de Foscarini à la Seigneurie, 14 décembre 1610, F. Ital.
1763, fo 170.
(-2) Voir plus loin l'Avis de 1613.
conclusion 547
jet ne rencontra d'adversaires résolus que dans le parti hu-
guenot qui ne pouvait oublier les persécutions qui avaient
suivi l'entente de Catherine de Médicis avec le roi d'Espa-
gne : on ne soupçonnait pas les intentions de Villeroy :
mais on craignait que. le ministre disparu, la reine ne subît
l'influence de conseillers plus /.(Mes catholiques, et ne se
laissât diriger par le nonce du pape el l'ambassadeur du roi
d'Espagne. C'est Sully qui exprima le plus éloquemment
ces inquiétudes. Condé, Soissons el leurs amis firent aux
projets de la reine une opposition tantôt sournoise, tantôl
ouverte, mais sans s'inspirer d'aucune idée politique sé-
rieuse : ils agissaient ainsi, soit pour ennuyer la Bégente
quand ils étaient brouillés avec elle, soit pour contenter
leurs alliés huguenots, soit pour manifester leur dépil d'être
tenus àl'écartdes plus importanlo délibérations politiques.
Nous ne pouvons étudier en détail ces négociai ions qui
commencèrent secrètement presque au lendemain de la
mort du roi, par l'intermédiaire de Botti, envoyé du grand-
duc, puis du nonce Ubaldini et de don Inigo de Cardenas,
ambassadeur d'Espagne. Le 30 avril 1611, Villeroy et don
Inigo signèrent le traité pour le double mariage de Louis XI U
avec l'infante aînée, et de Madame Elisabeth avec le prince
des Asturies, et la ligue défensive qui devait unir les deux
couronnes. On tint longtemps ces accords cachés par
crainte des huguenots. Le 26 janvier 1612, le Chancelier fit
au Conseil la déclaration des mariages, et nul n'énonça au-
cune objection, sauf Bouillon el Lesdiguières qui affir-
mèrent y adhérer, à la condition qu'on conserverai! les an-
ciennes amitiés. Trois mois après, les mariages étaienl
publiés dans tout le royaume.
Villeroy avait été le principal artisan de la réconciliation
avec l'Espagne. Ce serait méconnaître sa prudence que de
croire qu'il eût uniquement subordonné sa politique étran-
gère à la nécessité de la paix. Jamais il n'entendit conclure
un marché de dupe.
548 VILLEROY
Etre ami de l'Espagne ne signifiait pas rompre les « an-
ciennes amitiés et confédérations ». Le système politique
d'Henri IV ne fut pas abandonné. Louis XIII resta l'ami
des princes et des républiques protestantes et son gouver-
nement sut le prouver en mainte circonstance. On conserva
de bonnes relations avec les Provinces-Unies malgré les
défiances et les rancunes du parti du stathouder. On s'en-
tendit avec les princes allemands pour faire élire Matbias
empereur. Genève fut protégée contre une agression de
Charles- Emmanuel. Enfin, on chercha sincèrement à s'allier
par un mariage avec la maison royale d'Angleterre. C'est
un des desseins que Villeroy poursuivit avec le plus de zèle
sans se laisser détourner par l'indignation du pape et la
jalousie des Espagnols eux-mêmes. Jacques Ier était très
favorable à l'idée de marier le prince de Galles avec la se-
conde princesse de France. Les deux cours n'eurent pas de
peine à s'en tendre une fois passée la période des préliminaires
obligés. La mort soudaine du prince de Galles, en novem-
bre 1612, n'arrêta pas les négociations. Le nouveau prince
de Galles fut destiné à une fille de France, et malgré les
protestations du nonce qui tentait de toutes ses forces d'in-
timider Marie de Médicis, Villeroy continua tranquillement
à préparer le mariage franco-anglais.
Etre ami de l'Espagne ne signifiait pas non plus sacrifier
par faiblesse les intérêts français aux Espagnols en Europe.
Quand on examine de près l'histoire des relations des
deux pays, on ne trouve aucun acte de complaisance grave
à reprocher au ministre. S'il fut à l'intérieur trop souvent
porté à conseiller les concessions, il fut en revanche un mi-
nistre des affaires étrangères très ferme, tout en se mon-
trant conciliant et souple. Les deux nations restèrent sur
leurs positions, sans rien gagner l'une sur l'autre. Quand
!'■- Espagnols avaient des velléités d'avancer, Villeroy, qui
veillait, intervenait : il commençait par déployer toutes les
ressources de sa diplomatie, et si l'honneur ou de graves
CONCLUSION 549
intérêts l'exigeaient, il engageait la régente à parler haut.
On le vit pratiquer celte politique pour régler l'affaire
qui fut, de l'aveu général, la plus périlleuse de la régence,
l'affaire de la succession de Mantoue. Le duc de Mantoue
était mort en 1612; sans héritier mâle. Le cardinal Ferdi-
nand, son frère, prit le pouvoir. Mais Charles-Emmanuel
ne voulut point laisser échapper une occasion d'agrandir
ses états: il revendiqua les droits de sa fille, veuve du duc,
et de sa petite-fille, la princesse Marie, envahit et occupa,
en avril 1613, les villes du Montferral sur lesquelles il avait
des prétentions. Cette agression provoqua en France une
vive émotion : le duc de Mantoue était un vieil allié de la
couronne, et un parent de la reine, et l'honneur obligeait
de le soutenir contre les brigandages du duc On était in-
quiet de l'attitude de l'Espagne qui ne paraissait pas claire :
on disait que le gouverneur de Milan favorisait secrète-
ment les desseinsdu duc. Villeroy se demandait si les Espa-
gnols n'allaient pas reprendre leur marche envahissante ru
Italie, occuper Savone, ruiner Gènes. Cependanl le cardinal-
duc appelait au secours et la noblesse française brûlai! de
partir en guerre. Villeroy estima qu'il ne fallait pas reculer :
c'eût été pour le royaume un déshonneur et la ruine de l'in-
fluence française à l'étranger ; mieux valait risquer la rup-
ture avec l'Espagne. Mais pour conjurer ce péril il employa
une excellente tactique. Il porta la question devant le tri-
bunal de l'opinion européenne, lit affirmer hautement par
ses ambassadeurs le bon droit du duc de Mantoue, fit appel
au pape, à la République de Venise, au grand-duc de Tos-
cane, à l'Empereur, négocia dans toutes les cours, lil me-
nacer à Turin, discuter à Madrid, préparer une démons-
tration armée dans les Alpes. Le duc de Savoie fui mora-
lement isolé. L'Espagne qui voulait peut-être faire un mau-
vais coup à la dérobée fut intimidée, sans avoir lieu d'être
olïensée, car Thabile ministre avait eu soin de ne pas l'ac-
cuser directement. Aussi Philippe III, au mois de juin, dut-
550 VILLEROY
il ordonner au gouverneur de Milan de désarmer et de faire
désarmer le duc. L'affaire parut reprendre à la fin de 1613 :
les Savoyards gardaient des places du Montferrat, des
troupes espagnoles vivaient sur les terres du duc de Man-
toue comme en pays conquis. Villeroy reprit la tactique
qui avait déjà réussi au début de Tannée : il écrivit un Avis
pour conseiller à la reine de rompre plutôt que de céder :
et tout se termina par un accommodement à la satisfaction
de la France.
Le calme était rétabli et dura deux années encore. Les
mariages espagnols s'effectuèrent. L'entente espagnole se
maintint. Aucun incident grave ne troubla l'horizon, jus-
qu'au jour où les brouilleries recommencèrent en Italie. En
1616 le duc de Savoie rompit avec les Espagnols : le gou-
verneur de Milan envahit les états de Charles-Emmanuel
qui appela Lesdiguières à son secours et envahit le Mont-
ferrat, fief du duc de Mantoue allié de l'Espagne et de la
France. Villeroy chercha aussitôt à rétablir Tordre, à em-
pêcher les Espagnols d'écraser les Savoyards, et les Sa-
voyards d'opprimer le duc de Mantoue. On avait déjà choisi
Richelieu pour aller négocier un accord avec les Espagnols
qui manifestaient de bonnes dispositions. Villeroy ne put
diriger longtemps cette affaire, car au mois de juillet, on
le força à vendre sa charge. Pendant sa retraite, Richelieu
chercha en vain à faire régler à Paris le différend hispano-
savoyard. Il avait essayé aussi de s'entremettre pour ré-
concilier les Vénitiens avec l'archiduc Ferdinand de Styrie.
Le conflit italien s'était envenimé depuis que Lesdiguières,
sans prendre l'avis de la reine et de ses ministres, avait
marché de lui-même au secours du duc de Savoie. Villeroy
revenu au pouvoir continua son œuvre pacificatrice, ré-
sista aux Espagnols qui voulaient opprimer la Savoie, aux
ennemis de l'Espagne qui voulaient la rupture entre les
deux couronnes. Les Espagnols ayant pris Verceil et mena-
çant Asti, Louis XIII donna à Lesdiguières Tordre de mar-
conclusion 551
cher. Le gouvernement de Philippe III très impressionné
se montra alors conciliant. Tous les amis de la paix travail-
lèrent avec Yilleroy à éteindre le feu, et après de longues
négociations à Rome, à Madrid, et à Paris, tout rentra dans
l'ordre (août 1617).
Telle fut la politique étrangère dirigée par Yilleroy sous
la Régence. Il serait injuste d'affirmer qu'elle ne fut ni ho-
norable ni profitable au royaume. Il serait difficile aussi de
prétendre qu'en 1610 on abandonna complètement les tra-
ditions qui sous Henri IV avaient rendu la France si forte.
On renonça simplement à faire la guerre, pour ne pas
faire courir de dangers trop graves à un gouvernement
de minorité, et l'on se rapprocha de l'Espagne pour qu'elle
nous laissât en paix. La monarchie d'Henri IV était devenue
le champion des états protestants menacés par la maison
d'Autriche. La monarchie de la Régente conserva ces en-
tentes et y ajouta une alliance avec l'Espagne qui ne coûta
aucun sacrifice grave nia notre honneur ni à notre intérêt.
La France servit d'intermédiaire bienveillant entre la « fac-
tion huguenote » et la « faction catholique ». Elle fut dans
l'Europe chrétienne l'arbitre de la paix.
Il convient ici de citer quelques pages écrites par Yille-
roy lui-même dans un Avis qu'il adressait à la reine-mère
en 1612, au moment où l'on pouvait commencer à apprécier
les résultats de sa diplomatie. Yilleroy commence par dire
« en gros » que le nom de leurs Majestés est « en tous lieux
grandement chéri, honoré et vénéré ». Puis, il caractérise
successivement les relations de sou gouvernement avec les
différents états d'Europe.
« V. M., dit-il, possède encore auprès dû Pape et en la
Cour de Rome la même créance et autorité que S. M. dé-
funte y avait; non toutefois de la manière ni aux condi-
tions et fins qu'aucuns mal informés de la vérité de votre
conduite et bonne foi, ou ennemis de votre bonne intelli-
gence de ce côté-là s'imaginent et osent publier à diverses
552 VILLEUOY
fins. » Je puis affirmer, ajoute Villeroy, que « tant s'en faut
que vous vous soyez laissée aller et conduire en toutes
choses aux conseils et persuasions de Rome au préjudice
de ladite paix et de vos voisins et alliés de contraire reli-
gion, comme publient malicieusement aucuns qui sont à
mon jugement plus ennemis de ladite paix que la même
Cour de Rome ».
« Votre créance n'est moindre à Venise ni envers les au-
tres princes et potentats d'Italie. » Il est survenu entre la
République et la France un malentendu au sujet de l'al-
liance avec les Grisons, mais il disparaîtra vite.
« Vous avez obligé l'Empereur en sa création par lavis
de vos amis et confédérés d'Allemagne : de sorte que je ne
doute point qu'il ne soit très affectionné à V. M. joint qu'il
a autant besoin de votre amitié que vous avez de la sienne.
«Vous avez aussi entretenu sincèrement avec les Electeurs
et princes de l'Empire vos anciens alliés, par toutes sortes
d'offices et vrais effets, toute bonne amitié et correspon-
dance à l'exemple du feu Roi... »
« V. M. a aussi toute occasion de se louer de l'amitié du
dit roi de la Grande Bretagne de laquelle vous avez été
grandement consolée après la mort du feu Roi : aussi avez-
vous depuis conclu et juré une ligue défensive avec lui telle
que le défunt l'avait projetée à votre commun contente-
ment ». On peut affermir cette amitié par le mariage de
Madame Christine avec le prince de Galles, «vos serviteurs
étant d'avis que V. M. pour des considérations très impor-
tantes embrasse cette occasion avec affection et sans re-
mise )>.
« Pareillement, vous avez renouvelé et confirmé le traité
que S. M. avait fait avec les Etats des Provinces-Unies des
Pays-Bas pour la sûreté et garantie de la trêve... »
« Votre réputation et crédit n'est moindre à la Porte du
Grand Seigneur qu'ailleurs.
« Pareillement ceux de Genève se sont ressentis et res-
CONCLUSION 553
sentent journellement du soin que vous avez de leur aider
à conserver avec leur ville leur liberté... »
« V. M. sont aussi autant chéries de Messieurs des Ligues
des Suisses et des Grisons que vos prédécesseurs, recevant
de vous les mêmes traitements desquels ils jouissaient du
temps du feu roi accompagnés d'un égal soin pour mainte-
nir la paix et union entre eux-mêmes. »
« Vous avez encore aj outra loi il es ces amitiés el alliances
celle du Roi d'Espagne, de laquelle quand le feu Roi dé-
céda, il était peu assuré; ce que vous avez exécuté avec
tant de discrétion et de prudence que V. M. pour ce faire
ne se sont engagées en aucune promesse et condition déro-
geant ou contrevenant d'un seul point à la loi et observa-
tion desdites autres considérai ions pour le présent ni pour
l'avenir.
« Monsieur le duc de Savoie est demeuré seul mal satis-
fait desdites alliances, à cause du traité que le l'eu roi avait
fait avec lui pour le mariage de madame votre fille avec
le prince de Piémont, son fds aîné. Mais V. M. a été induite
à cette préférence pour regagner l'amitié dudit roi d'Es-
pagne aucunement ébranlée par le< desseins et préparatifs
de guerre que le feu roi était prêl de mettre en œuvre lors
de son décès, afin de détourner les effets de l'inimitié d'un
tel prince contre la France en la minorité du roi, lesquels
il est notoire que vous ne pouvez éviter parachevant l'al-
liance de Savoie et refusant la sienne; joinl que vous ne
pouviez pour toutes bonnes considérations élire parti pom-
mader le roi plus sortable pour S. M. et propre pour le
bien de cette couronne et de toute la chrétienté que celui
que vous avez heureusement assuré pour S. M. et pour
Madame votre fille; par où vous avez encore affermi de
plus en plus l'amitié et bonne voisinance des archiducs de
Flandre. »
554 VILLERO^
Depuis le mois de juillet 1616, Villeroy vivait en simple
particulier à Conflans, et il avait la sagesse de ne pas cher-
cher à reconquérir l'influence qu'il avait perdue. Il ne se
plaignait de rien et ne témoignait aucun mécontentement
contre la reine ou le nouveau gouvernement. Le coup
d'état du 24 avril 1617 le ramena brusquement au pouvoir.
Quand, après l'assassinat de Concini, Louis XIII put s'é-
crier : « Je suis roi maintenant », son premier acte, sur le
conseil de Luynes, fut de disgracier Barbin, Mangot, Ri-
chelieu et les créatures de sa mère et de rappeler les vieux
conseillers d'Henri IV. Villeroy, Jeannin et Sillery. On se
réjouit autant de ce retour que de la mort du maréchal
d'Ancre, nous dit Fontenay-Mareuil, car chacun croyait
« qu'on suivrait les vieilles maximes » (1). Peu de jours
après, Villeroy cédait à Puysieux l'administration de sa
charge de secrétaire d'Etat, tout en conservant la haute
direction des affaires du dehors (2).
A l'intérieur, il conseilla une politique énergique
pour ramener l'ordre. Le gouvernement précédent avait
fait arrêter, le l''r septembre 1616, Condé qui cabalait à
la Cour et au Conseil et cet acte avait d'abord intimidé les
fauteurs de troubles. Mais peu après, Nevers, Mayenne,
Bouillon, Vendôme avaient pris les armes. Barbin, Man-
got et Richelieu les avaient fait déclarer criminels de
lèse-majestéet avaient levé des troupes pour marcher contre
eux. Après le coup d'état, ils demandèrent au roi à faire
leur soumission. Villeroy avait approuvé du fond de sa
retraite les résolutions des ministres. A son retour, il
(1) Fontenay-Mareuil, Mém., p. 120.
(2| Le traité fut signé le 1er mai. Il fut décidé que Puysieux exer-
cerait la charge, que les appointements demeureraient à Villeroy sa
vie durant et qu'après la mort de ce dernier, Puysieux payerait à'd'A-
lincourt la somme de 180.000 livres.
CONCLUSION 555
soutint avec chaleur qu'il ne fallait rappeler aucun des
princes « qu'il n'eût auparavant donné la démission de
ses charges et de ses gouvernements » (1). Mais Luynes
« rendit ses raisonnements inutiles » et les fit revenir sans
conditions.
Luynes fut le véritable chef <lu nouveau gouvernement,
et malgré son ignorance, il voulut faire office de premier
ministre. Villeroy et ses collègues furent consultés, écoutés
avec déférence, quand leur avis plaisait au favori et au roi,
mais ils n'administrèrent plus le royaume avec la même
autorité que sous la régence. Villeroy commença alors à
penser à la retraite définitive. Ce n'est point le change-
ment de la situation politique qui l'y décida, car s'il n'était
plus l'un des maîtres du gouvernement, il se trouvait en-
core un des grands personnages du royaume. Mais il avait
soixante-quatorze ans et il aspirait au repos. La situation
de son fils était assurée : D'Alincourt avait la faveur du
roi. Au mois de juillet, avait été signé le contrat de ma-
riage unissant Nicolas de Neufville, son fils, qui devait
être le premier duc de Villeroy. avec Madeleine de Gréqui,
petite fille de Lesdiguières. L'avenir s'annonçait très beau
pour la famille du vieux ministre.
LejeuneroiLouisXI.il, qui aimait sincèrement ceuxqu'a-
avait aimés son père, voulut-il lui témoigner son attache-
ment et l'importance qu'il attachai! à ses conseils ? Il l'in-
vita en termes flatteurs à le suivre à l'Assemblée des nota-
bles qu'il avait convoquée à Rouen pour la fin de novembre
afin de délibérer sur les moyens de réformer les abus (2).
Villeroy s'y rendit, en laissant entendre qu'au retour, il
quitterait le monde de la cour. Il assista aux premières
séances. Le vendredi 8 décembre, il sortit par un grand
(1) D'Estrées, Mém., p. 419.
(2) Voir la lettre de Louis XIII à Villeroy, du 17 novembre 1617,
Bibl. de l'Institut, Coll. Godefroy, qo 208.. fo 183.
556 VILLEROY
brouillard pour aller au sermon à Saint-Ouen et eut très
froid en attendant le roi dans la nef qui était glacée. Le di-
manche soir, il se coucha et fut pris d'une violente colique.
« On croyait que ce fut la néphritique, mais elle fut accom-
pagnée d'une descente de boyau dans les bourses avec de
si fortes douleurs qu'aussitôt il se jugea mort et dès lors ne
voulut plus ouïr parler d'affaires; ni publiques, ni domes-
tiques, ains seulement de Dieu (1). » Le roi lui envoya un de
ses gentilshommes. D'après le P. Coton, Villeroy lui dit :
« Excusez-moi, Monsieur, si je ne vous réponds ; je n'ai le
loisir de vous entretenir, j'ai un grand voyage à faire, et le
temps qui me reste pour m'y préparer estfort court. Adieu,
Monsieur. » Les chirurgiens l'avaient condamné. Il accepta
néanmoins les soins d'un opérateur d'occasion qui parvint
à lui remettre heureusement le boyau pendant quelques
heures. Mais le lundi après midi le mal le reprit et vers les
quatre heures il mourut, ayant reçu les derniers sacrements
de l'Eglise.
Nous avons essayé de retracer la vie et les actions de
Villeroy et de déterminer la place qu'il a occupée dans
l'histoire politique de son temps. Ne convient-il point,
maintenant, de rassembler dans ces dernières pages les
traits épars dans tout le livre et d'essayer de reconstituer
la figure de cet homme telle qu'elle nous apparaît, après
l'étude de soixante-sept années de son existence et de
quarante-trois ans de vie politique?
(1) « Mort de M. de Villeroy, 1617, à Rouen. » F. Dup. CCI, f» 123,
426. Voir aussi sur la mort du ministre, F. fr. 23333, fo 73, Matthieu,
Remarques d'Estat... p. 295-296, P. Coton, Oraison funèbre, Pon-
chartrain, Mèm., p. 396-397.
CONCLUSION 5ij7
Il importe d'abord de nous demander comment on a jugé
Villeroy, de son temps et après lui. Nous connaissons déjà
L'estime qu'il inspirait à ses maîtres, el nous savons qu'elle
fut grande et constante. Toul jeune encore, il fut le secré-
taire préféré de Charles IX. Catherine de Médicis l'aima et
le protégea toujours: « Vous savez comment il vous sert et
est utile serviteur et que avec raison l'occupez plus que nul
autre », disait-elle à son fds au mois de juillet 1588, à la veille
de sa propre disgrâce (1). Henri III, qui à son avènement
l'avait accueilli avec une bonne grâce un peu indifférente,
l'apprécia bientôt à sa valeur, et ne tarda pas à le distin-
guer comme « l'homme de bien et bon serviteur de son
maître et qui mérite d'en être aimé ». « Je l'aime, lui disait-
il, car tu me sers selon ma volonté. » Après une dizaine
d'années de parfaite confiance, le ministre fui brusquement
disgracié quand Henri III prit la résolution soudaine de se
défaire des Guises. Mais le roi, qui eut des mots si cruels
pour ses collègues, ne trouva à lui reprocher que son goût
immodéré de l'autorité. Henri IV. le rappela près de lui
après avoir pendant cinq années négocié ou laissé négocier
les royaux avec cet homme qui s'était donné pour mission
de rétablir la paix entre les fiançais. Pendant seize ans,
Villeroy remplit sa charge sansavoirà luttercontre la moin-
dre intrigue, sans avoir à combattre pour reconquérir les
quatre pieds carrés du cabinet du roi. Il travailla dans un
sentiment de sécurité parfaite sous un maître qui avait une
profonde estime pour sa « grande routine aux affaires »,
son « grand ordre en l'administration de sa charge» et son
rare désintéressement. On nousa rapporté trois jugements
d'Henri IV sur son ministre : « Les affairesde France sont
les affaires de M. de Villeroy »; « Il faut avouer que
M. de Villeroy est un bon serviteur el bien agréable. »
(1) Catherine au roi, Corresp., tome IX, page 372.
558 VILLEROY
« J'ai fait aujourd'hui plus d'affaires avec M. de Villeroy
que je n'en avais fait avec les autres en six mois » (1).
La confiance des rois, la longue durée des services
rendus au royaume, les qualités du « bon serviteur », nous
dirions aujourd'hui du « bon fonctionnaire » qui conseilla
et administra sous quatre règnes, voilà ce qui afrappé l'opi-
nion. Villeroy est devenu dans l'imagination générale le
type du parfait secrétaire d'Etat de Charles IX, Henri III,
Henri IV et Louis XIII.
Il fut à la cour cinquante ans.
Il a fort bien servi servi la France,
écrivait l'auteur d'une petite pièce de vers en forme d'épi-
laphe. Un autre poète, dans un sonnet, vantait son « divin
ententement » et sa « prudence claire » et s'écriait :
Héroïques vertus quel sera le salaire
Que servant tant de Roys vous avez mérité?
Je diray seulement que le Grand Villeroy
Tient depuis cinquante ans le frain de cest empire (2),
(1) La première de ces paroles est rapportée par le P. Coton, Or.
l'un., page 29, les deux autres par Matthieu, Rem. d' Estât.
{-) Citons ce sonnet entier que nous avons trouvé dans le F. Du-
puy, n° 843, f° 52, et qui est assez médiocre :
Divin ententement dont la prudence claire
Des plus secrets conseils perce l'obscurité,
Douce langue qui scays aux grands princes complaire
Et ne scays pas pourtant taire la vérité.
Héroîcques vertus quel sera le salaire
Que servant tant de Roys vous avez mérite ?
La richesse et le rang: est loyer ordinaire;
Je ne voys rien pour vous que l'immortalité.
Quelque divine main pour éternelle gloire
A traits d'or et d'azur vous peindra dans l'histoire,
Relevant par surtout la constance et la foy.
Moy dont le vol plus bas à moins d'honneur aspire,
Je diray seulement que le grand Villeroy
Tient depuis cinquante ans le frain de cést empire.
conclusion :;;;,.^
Le P. Coton, dans son oraison funèbre, citail quatre
beaux vers qui exprimaient pittoresquement le sentiment
des Français de son temps sur l'œuvre du ministre :
Les Villeroys sont comme ces gros termes,
Ou forts piliers qui servent d'arcs- boutans
Pour appuyer contre l'effort du temps
Les hauts états et les rendre plus fermes (1).
D'Alincourt, après la mort de son père, fit graver sur le
tombeau une épitaphe latine pour commémorer ces cin-
quante ans de loyaux services qui étaient pour le fils et
pour les contemporains le plus beau titre de gloire du
défunt : « Siste viator, quisquis invictœ virtulis ipsisin aulx
penetralibus slupendam integritatem colis. Villaregiusjacet
hic, orbi chvistiano venerandum nomen. Numen putasti?
fato cessit virtus. Partis hoc licuit nefas ; nec capacis*imi in-
genii vigilantia indefessa, senis supva quinquagenta annis
et pace et bello sublimioribus gallicx rei curis e.rercitata,nec
incorruptve fidei juncla pietas nec incomparabilt* pruden-
tla, civilium tempestalum toties domina et difficillimis qui-
busque temporibus publxcte tranquillitatis asilum. . . .
Plura ne expectes. Virum qui nescit Caroli IX, Hen-
rici III, magni etiam Henrici et Ludovici XIII régna non
novit... » (2).
Après les rois, nousdevous interroger les hommes d'étal
français qui ont connu Villeroy. Quelques-uns ont été des
collègues et des amis intimes du ministre, entre autres
Bellièvre, Jeannin et Sillery ; ils n'ont pas consigné leur
jugement dans des mémoires destinés au public; aussi
ne nous arrêterons-nous point aux témoignages d'affec-
tueuse estime qu'ils ont exprimés pour leur ami dans 'Il-
lettrés privées. Sully n'a pas été bienveillant pour celui
(1) P. Coton, Or. fun., p. 30.
(-1) Cette épitaphe a été publiée par Feuilloley, Les Seigneur» <!•'
Magny-en-Vexin.
560 VILLEROT
qui fut avec lui quatorze ans durant le ministre princi-
pal d'Henri IV. On ne peut pas dire qu'il ait rabaissé le
mérite de Villeroy : il a évité d'en parler. Pour un lecteur
ignorant les causes de rivalité et les rancunes de ces deux
hommes il est surprenant de voir la petite place que tient
notre ministre dans les Economies royales. Quand Sully a
été obligé de nommer son rival, il la désigné sèchement,
sans commentaires, ou bien sans le prendre directement à
parti, il Ta accolé à d'autres noms qu'il faisait suivre d'épi-
thètes désagréables. Il a voulu qu'on crût qu'il était lui, le
compagnon intègre et dévoué du roi, l'ami équitable de la
religion, l'ennemi acharné de l'Espagne, le ministre qui
seul comprenait avec clairvoyance où étaient les vrais in-
térêts de la France. Il a laissé entendre de toutes façons
que Villeroy possédait encore du Ligueur, du Jésuite, et
de l'Espagnol « au ventre ». Nous avons vu qu'il ne fallait
pas exagérer ces petites méchancetés, et que, dans la vie or-
dinaire, dans les intervalles assez longs de leurs querelles,
Sully savait traiter son collègue avec plus de déférence et
de justice. Ajoutons que dans les Economies certains juge-
ments contredisent les témoignages malveillants. Sully n'a
pas tracé lui-même un portrait de Villeroy, mais il a laissé
parler le roi son maître, et par cette voie détournée, a ren-
du hommage aux qualités du ministre. Il nous a dépeint
Henri IV comme un arbitre très fin et très impartial de
leurs querelles, ramenant la paix dans son conseil, en dé-
clarant que, dans l'intérêt de ses affaires, il avait besoin de
voir tous ses bons serviteurs d'accord.
Les ambassadeurs étrangers se sont beaucoup occupés
des faits et gestes de Villeroy, de son caractère et de ses
intentions, à partir du moment où il est devenu un des
conseillers principaux d'Henri III. Une partie de leur
profession consistait à informer leur gouvernement des
desseins et des actes du roi ; ils étaient donc postés pour
surveiller tout spécialement ceux que le prince aimait à
CONCLUSION 564
consulter. D'un autre Côté, dès 1594, ils eurent a entre-
tenir des relations continuelles avec Villeroy qui dirigeait
le département des affaires extérieures. Certains, comme
Aerssen, excessivement hostiles à la politique préconisée
par Villeroy, jugèrent ses intentions avec sévérité : l'agent
calviniste des Etats Généraux eut souvent l'occasion de
s'emporter contre un ministre qu'il croyait tout dévouée
Rome, et obstinément pacifique. L'anglais Carew l'estimait
de même très obstiné et très ignorant en matière de reli-
gion (1).
Laissons de côté ces divergences d'idées et les jugements
particuliers prononcés sur tel ou tel acte politique du mi-
nistre, et considérons l'appréciation générale de ces étran-
gers sur la valeur de Villeroy. Ce qu'ils admirent en lui
avant tout, c'est la vigoureuse intelligence de l'homme
d'état fortifiée par une très longue expérience. « M. de
Villeroy est un sage seigneur pour la forte expérience qu'il
a du gouvernement », écrit le Vénitien Àngelo Badoerà la
fin de son ambassade, en 1605 (2). Trois ans après, Prrôli
le qualifie d' « homme qui en valeur dépasse n'importe
quel autre ministre du roi autant par l'étendue de son yé-
nie que par l'inclination qu'il a toujours eu à pénétrer dans
les intérêts de tous les princes, dont il se trouve si partie
culièrement instruit qu'on est ('•merveille de traiter avec
lui ». Il trouve aussi une raison de l'estime où il est tenu
dans l'autorité que lui confère la possession delà charge
de premier secrétaire d'Etal pendant quarante ans ■> . Gus-
soni et Nani, au début de la Régence, résument en ces
termes l'opinion générale : « E uomo d'invecchiata pn*-
denza, d'intelligenza compita dette cose di Stato (4). >• L'an-
(1) « In matters of religion, very obstinate and very ignorant.
A relation of the state of France, p. 4'Jl.
(2) Bereliet, loc. cit., p. I 19.
(3) Ibid., p. 231.
(4) Ibid., p. fc7.8.
Villerov 36
562 VILLEROY
glais Carew, dans sa relation de 1609, rendait aussi hom-
mage à sa longue expérience, à son esprit vigoureux et
l'appelait « le doyen du chapitre de tous les hommes d'état
de la chrétienté ». Le nonce Bentivoglio envoyé en France
en 1616 n'avait pas revu Villeroy depuis la guerre de Sa-
voie. Il le trouva étonnamment vif et vigoureux malgré
son grand âge. « Villeroy, écrit-il dans ses mémoires, était
premier secrétaire d'Etat et rendait plus grande l'autorité
de sa charge par la réputation même de son nom. Grande
élait son expérience, grande son intégrité et bien qu'il eût
été un des partisans les plus constants de la Ligue, on avait
cependant toujours vu en lui des sentiments de bon Fran-
çais et de bon catholique, et d'homme qui détestait autant
la domination étrangère qu'il aimait la vraie, légitime et
naturelle autorité royale de France. Depuis longtemps, li
exerçait ce ministère et le poids des ans ne faisait qu'ac-
croître l'estime qu'il inspirait (1). » Après avoir fait l'éloge
de sa sagesse, tous les étrangers admirent son habileté en
diplomatie : quelques-uns décrivent par le détail ces qua-
lités spéciales qui faisaient reconnaître en lui un maître
dans l'art de négocier. Tous sans exception achèvent le
portrait du ministre en décrivant son désintéressement,
vertu qui devait être fort rare, si l'on en croit les Véni-
tiens (2). Carew observe que Villeroy n'a nullement l'âme
cupide et ne cherche pas à agrandir sa fortune qui est de
5000 livres sterling de revenu et qu'il tient de son père.
Priuli constate qu'il n'a pas plus de 30.000 écus de rente
qu'il dépense pour son train de vie, et ajoute qu'on ne peut
soupçonner sa bonne foi, car il n'agit qu'inspiré par le sen-
timent des intérêts de son maître. Aerssen, dans un mo-
ment d'humeur, se plaignait qu'on ne pût espérer de lui au-
(1) Bentivoglio, Memorie, t. II, p. 358.
(2) « Gon tutti li ministri indifferentemente l'uonio si fa strada in
Francia eon quei mezzi che ormai mi pare che si usino per tutto il
monde. . » (Relation d'Angelo Badoer, Ibid., p. 121).
CONCLUSION 563
cune faveur pour les Etats, car il était uniquement dévoué
à son maître.
Aux ambassadeurs étrangers, Villeroy apparaît donc
comme le type du bon serviteur de L'Etat, très sage, très
expérimenté, particulièrement habile à diriger les affaires
extérieures du royaume, et désintéressé. Tel aussi il a paru
aux deux seuls auteurs contemporains de mé ires qui
l'aient jugé dans leurs écrits. Brantôme l'appelle « ce très
grand et le non pareil de la chrétienté pour les affaires
d'Etat » (1). Fontenay-Mareuil remarque en lui « un grand
sens commun », une longue expérience, de la modération
dans la conduite de ses affaires particulières H l'estime
comme «t un des premiers hommes de son siècle ». Il ad-
mire le désintéressement d'un homme qui c< n'a laissé d'autre
bien que ceux qu'il avait eus de ses pères à son tils » et
constate que Dieu l'a béni en élevant sa maison, tandis que
d'autres, dont les maîtres en axaient usé autrement, ont été
abattues ou ébranlées.
La postérité fut moins favorable à Villeroy que les con-
temporains. Dans le courant du xvu" siècle, nous trouvons
encore quelques mentions élogieuses sur sa personne et -mi
rôle. Le cardinal de Retz l'appela « le plus habile homme
de son siècle » ; l'historien Vittorio Siri, écrivant 1rs
Mémoires secrets de l'an 1601 à Tan 1640, dépouilla d<-
nombreuses correspondances de Villeroy et des ambas-
sadeurs d'Henri IV etde Louis XIII, etrévéla un diplomate
que l'on ne connaissait pas : comme les contemporains
français ou étrangers du ministre, il tit ressortir les qua-
lités diverses et précieuses déployées par Villeroy au gou-
vernement, et cette rare intégrité qu'il montra toul parti-
culièrement sous la Régence en résistant aux tentatives
(1) Brantôme, « Les Vies des grands capitaines français ». (Ed. L.t-
laune, Œuvres complètes, t. III, p. 116.)
564 VILLEROY
de corruption du duc de Savoie (1). Cependant, à la fin
du siècle, Saint-Simon portait sur Villeroy un jugement
défavorable. Le ministre se présenta à son imagination sous
les traits d'un habile homme, d'assez médiocre extraction,
qui fut ardent ligueur et excella à faire fortune sous la Li-
gue, par l'amitié des Guises et après la Ligue par la fai-
blesse de Henri IV. « Ses propres mémoires, dit-il, et tous
ceux de ce temps montrent son dévouement aux Guises et
à la Ligue et en même temps quand il en désespéra, avec
quel art il sut se retourner et persuader Henri IV qu'il lui
avait rendu de grands services. Sa grande capacité, son
expérience, l'important gouvernement de son fils, tant de
personnes considérables à qui il tenait, tout contribua à
persuader Henri IV, si facile pour ses ennemis, de lui ren-
dre sa charge et sa place dans le Conseil où il cruts'en ser-
vir utilement et dans lesquels ce prince le conserva toute sa
vie avec une grande considération... (2). » Un médiocre
historien, d'Auvigny, dans une biographie sommaire du
ministre, se montre aussi sévère que Saint-Simon sur sa
participation à la Ligue.
Anquetil reprend le vieux reproche d'hispagnolisme, et
montre qu'après la mort de Villeroy, les Espagnols per-
dirent leur crédit. Comment Villeroy les soutenait-il?
o Quand il n'avait pu réussir à rapprocher la délibération
de son sentiment, par lenteur ou par d'autres biais, il met-
tait tant d'obstacles à l'exécution qu'elle échouait totale-
ment ou en partie, manœuvre quelquefois aussi dangereuse
que la trahison, et dont les Espagnols, qui avaient séduit
Villeroy par une ostentation de religion, surent bien pro-
filer. »
Villeroy était tombé pour longtemps dans une sorte de
i !) V Si t-i . Memorie recondite, tome II, page 388 et suiv.
(2) Saint-Simon; Mémoires, Ed. Boislisle, tome XI, page 1!
CONCLUSION 565
défaveur. Pour quelles raisons eut-il à subir ce mauvais
traitement de la postérité ?
■ Avant tout, à cause de l'insuffisance des méthodes cri-
tiques appliquées à l'histoire de son temps. On ignora long-
temps beaucoup de faits importants de la fin du xvr siècle
et du commencement du xvn". Jusqu'à nos jours on connut
fort mal les correspondances des rois, des grands person-
nages, et des ministres, ainsi qm- les dépêches des ambas-
sadeurs étrangers. On accepta sans les contrôler les asser-
tions contenues dans les mémoires. On vécut sur les his-
toires générales, telles que celle «le de Thon, ou sur les
histoires de règnes, qui malgré la conscience el la sagacité
de leurs auteurs, étaient fort incomplète-, car elles ne
narraient que les grands faits, les guerres étrangères, les
traités, les troubles intérieurs, jetaienl la lumière sur
la personne des rois et laissaient dans l'ombre leur- minis-
tres et conseillers. En outre Villeroy n'eul pas les honneurs
d'une biographie comme d'Epernon, le cardinal de Joyeuse
ou le connétable de Lesdiguières, et bien que ses Apologies
aient été plusieurs fois imprimées dans des recueil- factices
• de documents, il ne semble pas qu'ils aient été lus attenti-
vement, critiqués et commentés. Ce n'étail pas un beau
sujet littéraire : la matière en était aride: c'était le récil de
négociations minutieuses el enchevêtrées poursuivies loin
des camps par des ministres pacifiques ou des personnes de
bonne volonté ; le style était sans éclat el dépourvu de tout
trait qui pût frapper l'imagination.
Tandis que Villerov étail éclipsé, Sully régnait dans toute
sa gloire. Les Economies Royales réimprimées en 1649,
en 1652, en 1663, en 1(504, en 17?5, vulgarisées au wm
siècle par l'abrégé de l'abbé des Loges, apparurent comme
le monument élevé à la mémoire d'un grand roi par
un grand minisire. Sully devenait le plus populaire de
nos hommes d'Etat, compagnon associé à la gloire de son
maître,
566
VILLEROY
Le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire.
On accepta sans réserves les récits de ses actes et les ju-
gements qu'il prononçait sur les hommes, sans remarquer
qu'il s'était attribué dans l'œuvre d'Henri IV la part du
lion, et qu'il était trop souvent injuste pour ses adversaires
et ses collègues.
11 est une autre raison qui explique la médiocre estime
où Villeroy fut tenu. Pendant toute la durée de l'ancienne
monarchie, la Ligue eut un détestable renom. Dès le règne
d'Henri IV, par une sorte de convention tacite, il était de bon
ton de ne pas en parler. Les Français étaient réconciliés :
il ne fallait pas rappeler la faute de ceux qui s'étaient en-
gagés dans cette rébellion princière et populaire, et qui
avaient porté une main sacrilège sur l'édifice de la mo-
narchie héréditaire. Cette période resta mal connue et
mal jugée. On n'examina pas impartialement les motifs qui
avaient poussé certains hommes, bons Français et bons
royalistes pourtant, à parler de conciliation avec les Guises
ou à s'abstenir de se rallier immédiatement à Henri IV
protestant.
Ces sentiments ont influé même sur les écrivains mo-
dernes qui au cours d'études sur celte période de notre his-
toire ont eu à juger incidemment Villeroy. Poirson, qui a
si peu parlé de notre ministre dans son histoire d'Henri IV,
a prononcé sur lui un mot que nous croyons trop dur, dans
son introduction au Mémoire de la guerre d'Espagne (1).
Il trouve « mauvaises et insoutenables » les raisons don-
nées par Villeroy pour expliquer son passage au parti de la
Ligue. Bazin le qualifie simplement de « vieux routier d'af-
faires publiques », « souple et adroit courtisan » (2). La
Non celle Biographie générale de Firmin Didot contient sur
(1) Poirson, Mémoires de Villeroy et de Sancy, documents divers...
Introd., p. mv.
(2) Bazin, Histoire de France sous Louis XIII, 1S46, t. I, p. 67.
CONCLUSION 567
Sillery cette appréciation : « Ligué avec Jeannin et Ville-
roy contre Sully et les autres membres du conseil, il se
proposait, d'accord avec la reine, d'amener Henri IV à
s'allier avec l'Espagne et à exterminer les hérétiques » (1).
Perrons parle de la « versatilité de sa conduite o, estime
qu'il s'était « fait acheter très cher », que « les souvenirs
dupasse lui créaient des obstacles • el qu'il avail « horreur
des réformés » (2). Lothrop Motley, l'historien de Barne-
velt et de l'indépendance des Provinces-Unies croit que
Sully était seul grand, seul honnête et pins dévoué à
Henri IV qu'Henri IV lui-même, tandis que Villeroj étail
tout dévoué de cœur à Philippe d'Espagne (3).
Laissons ces appréciations erronées ou incomplètes. Si
nous voulons tracer un portrait exact de Villeroy, il se pré-
sentera à nous sous l'image d'un lion bourgeois qui fui
au service de l'Etat français un excellent fonctionnaire. Ces
deux traits résumeront son caractère privé el sa vie pu-
blique.
Il était doué d'un parfait bon sens, avâil le jugement sûr,
l'esprit pratique, l'horreur des moyens violents el des par-
tis exaltés. Il n'aimait point, à courir de risque, fuyail le
tumulte et détestait la guerre. Très habile el très méfiant,
il n'était jamais la dupe de personne : il tenail peut-être de
ses ancêtres marchands cette disposition à ne poinl se laisser
« rouler », suivant une expression vulgaire qui ne lui eûl
fl) Paris, 1867, t. XLIII.p. 998.
(-) IVrrens, Les Mariages espagnols, p. 168.
(3) Motley, Life ofJ. of Barnevelt, Nouvelle édition, 1900, tome I.
page 51. Lorsqu'il parle des conférences pour la paix de Vervina entre
Villeroy et Richardot, il compare tes deux personnages, montre qu'ils
étaient d'anciens ligueurs <■• comprenant parfaitement, détestanl les
protestants, intrigants, dépourvus de scrupules {Tome III. p. 5G3).
568 VILLEROY
pas déplu, car ses lettres sont pleines de locutions popu-
laires. Comme un bon commerçant, il savait non pas trom-
per grossièrement — c'eût été le comble de la maladressé
— mais « faire l'article » et amener par d'heureux artifices
le client à acheter la marchandise. (Nous n'abusons point
ici d'une métaphore : nous parlons comme Villeroy lui-
même, qui, en contant ses négociations, décrit la manière
dont il a « étalé » sa marchandise et, en écrivant aux ambas-
sadeurs, leur recommande de bien la « vanter ».) Aussi ce
bon diplomate ne se laissait jamais prendre en flagrant
délit de mensonge : il était trop fin pour compromettre
ainsi son autorité ; il savait, suivant le mot d'un Vénitien,
« gentiment » (1) intriguer ou selon Bentivoglio, quand
il fallait tromper, rester à mi-chemin entre la vérité et la
dissimulation (?). Il croyait que les grandes entreprises
comme les fortunes doivent se bâtir sur des fondements
solides et prospérer lentement. Il aurait voulu n'agir qu'à
coup sûr, après avoir tout prévu et dressé, d'avance, dans
les plus minutieux détails ses plans de défense. C'était un
homme d'action méthodique et lent qui conduisait les cho-
ses « par degrés, sans les précipiter » et comptait beau-
coup sur le temps pour les accommoder.
Du bourgeois français il tenait aussi le goût du solide,
du confortable, le dédain du clinquant, des vaincs satisfac-
tions d'orgueil, des succès hâtifs trop souvent suivis de
chutes rapides. Il avait vu tant de fortunes s'édifier à la
cour et s'anéantir en peu d'années! Sa propre fortune et
celle de sa famille sont un bel exemple d'ascension lente
(1) Dép. de Foscarini, 17 février 1611, citée par B Zeller, La Mino-
rité de Louis XIII, Marie de Médicis et Sully, p. 215.
(2) « [Villeroy] parlo sempre con gran prudenza e riserva, e (per
quoi cb'a me parve) con terraini di mezzo tra la verità e la dissimula-
zione. » Lettre du lor février 1617, Bentivoglio, La Nunziatura di
Francia del Gard. G. Bentivoglio. Leltere a Scipione Borghese. Flo-
rence, 1863, in-8, tome I, page 73.
CONCLUSION 569
et ininterrompue. Les premières générations des Neufvilie
ont fait tout doucement leur chemin, accroissant sans
cesse leur fortune et leur situation sociale. Le petit- fils des
marchands de poisson, des officiers de finance et deséche-
vins parisiens, est devenu secrétaire d'Etal el s'esl contenté
toute sa vie de ce titre, et de la fortune matérielle de son
père, ne songeant qu'à augmenter son influence dans le gou-
vernement : le fils de Villeroy est marquis et gouverneur
de la seconde ville de France : le petit-fils est duc et pair ;
l'arrière petit-fils, maréchal de France : la famille garde ses
titres, ses honneurs, ses biens jusqu'au jour où Gabriel-
Louis-François porte sur l'échafaud révolutionnaire la tête
du dernier des Villeroy. Au temps d'Henri IV el de la Ré-
gence, l'ambition effrénée, la cupidité sans bornes sonl des
vices de grands seigneurs, d'un d'Epernon, d'un Soissons,
d'unGondé, d'un Guise, d'un Biron, d'un Bouillon. Lesbour-
geois sont prudents et économes. Villeroy a des goûts mo-
dérés et veille à sa fortune sans chercher à l'accroître dé-
mesurément, et il y a plus de grandeur véritable dans sa
parcimonie bourgeoise que dans les générosités princières,
car il est honnête et désintéressé, de l'aveu unanime de ses
amis et de ses ennemis. Enfin il a horreur des nouveautés
autant que des imprudences: Il est attaché fortement à la
religion de ses pères; il respecte leurs traditions, mais les
suit sans fanatisme.
Ce bourgeois s'est consacré i\>>* l'âge de vingl ans au
service de l'Etal. Il a la foi monarchique, il serl de toute
son àme le roi qui représente l'autorité unique, l'ordre,
la loi, le salut de la nation, carsans la puissance du prince,
on vivrait « en confusion et discorde perpétuelle » (1).
Il fait songer aux vieux domestiques qui passent leur vie
entière dans une maison et Qnissenl par y prendre rang
d'amis et d'indispensables conseillers. Il n'a d'autre idéal
(1) Voir plus haut, p. 307.
570 VILLEROY
que de bien faire son métier, d'accomplir avec zèle la
tâche confiée. Exécuter les devoirs de sa charge de secré-
taire d'Etat, est, on peut l'affirmer, son unique raison
d'être. Il y déploie les meilleures qualités du fonctionnaire;
c'est un travailleur acharné, levé tôt, couché tard, usant
ses yeux dans les écritures, prenant rarement du repos,
n'ayant pour l'aider dans une énorme besogne qu'un per-
sonnel très restreint de commis, rédigeant tous les jours
la correspondance avec les ambassadeurs, et presque tou-
jours l'écrivant lui-même, de sa détestable écriture trop
fine et trop précipitée ; et pour avoir le programme com-
plet de sa journée, il faudrait ajouter les délibérations au
conseil, les entretiens avec le roi, les audiences accordées
aux envoyés étrangers. Il accomplit cette tâche avec une
parfaite régularité, et avec un esprit d'ordre qui provoque
l'admiration universelle.
Il faut bien reconnaître qu'en dehors des affaires du gou-
vernement, Villeroyne savait pas grand chose. Il avait peu
de lettres. Nous ne lui en ferons point un grief. Qu'auraient
ajouté les livres à son bon sens naturel et à son expérience,
dans la pratique de sa charge? Le métier de diplomate et
d'homme d'Etat ne s'enseignait point'dans les ouvrages des
anciens ni aux universités. Un Guillaume du Vair, avec
toute sa science et sa philosophie, réussit médiocrement
comme garde des sceaux en 1617. Vair ha pin del pédante
chedell' uomo di stato, disait le nonce Bentivoglio (1). Ne
nous plaignons point non plus d'une ignorance qui a exempté
son style de tout pédantisme et lui a donné une allure
plus populaire et plus pittoresque. Mais ce qui est plus im-
portant, ses connaissances d'homme d'état étaient limitées:
il était peu versé dans les questions financières et écono-
miques. Il l'avouait lui-même à ses amis. Il n'avait aucun
système original de gouvernement, aucune réforme inté-
(1) Lettre du 16 mai 1617. loc. cit., p. 223.
CONCLUSION ."') i 1
ressante à proposer pour remédier à tel ou tel abus. II sa-
vait bien que l'Etat avait besoin d'être réformé et il le dit
plus d'une fois, mais il ne semble pas qu'il ait cherché à
apporter une solution personnnelle au problème. Sa cu-
riosité n'allait pas jusque-là, ou plutôt il considérait que
cela n'était point son affaire.
On a signalé chez lui d'autres défauts : une certaine suffi-
sance etbeaucoup de susceptibilité. Il admettait mal la con-
tradiclion, voulait diriger seul sa charge sous le seul con-
trôle du prince et ne pardonnail pus aux fâcheux qui com-
battaient ses opinions. Pierre Matthieu, son apologiste, a.
croyons-nous, vanté à tort sa mansuétude. Bien des faits
nous prouvent qu'il était vindicatif et qu'il \m' tolérait pas
les gêneurs. Rappelons-nous l'acharnement un peu sour-
nois avec lequel il lutta contre Epernon, la facilité un peu
ingrate avec laquelle il abandonna le vieux Bellièvre pour
lui substituer Sillery ; n'oublions pas l'exécution sommaire
de Sully, les démêlés mesquinsavec !<■ chancelier: il avait
aussi une crainte irraisonnée cl exagérée des critiques que
pouvait faire l'opinion publique : >>\\ ne peul s'empêcher,
avec Du Vair, de trouver indigne d'un caractère fort ce
« dépit », ce « ressentiment » toujours éprouvé à toute
« injurieuse atteinte «.et l'on sourit en le voyant à toute
occasion s'adresser au public et lui écrire -on apologie.
Devons-nous constater dans le caractère de Yillmy un
défaut plus grave pour un homme d'Etat, une volonté in-
suffisamment ferme et haute".' Advint-il a Villeroj d'être
trop souvent un indécis, un faible, un timoré, un politique
aux idées rampantes el médiocres? L'affirmer, ce sérail
être dupe des apparences, méconnaître ses intentions réelles,
sa situation à la cour et les circonstances. Nous l'avons \ n.
dans l'histoire de tant (\c négociations, hésiter parfois, cé-
der aux hommes et au terni)-, accomplir des besognes qui
lui déplaisaient et qu'il jugeait nuisibles. C'est qu'il n'a ja-
mais été un premier ministre dominantson roi el imposanl
572 VILLEROY
sa volonté, comme, un Richelieu ou un Fleury. C'est un
petit commis qui grandit au service de ses maîtres, gagnant
peu à peu leur confiance, un secrétaire d'Etat et un con-
seiller qu'on a écouté, admiré et approuvé souvent : il a eu
des maîtres qui s'occupaient réellement des affaires de
l'Etat et disaient le dernier mol. bon ou mauvais, Catherine
de Médicis, Henri III, Henri IV : il a dû discuter avec des
collègues, batailler avec des princes, des grands, des favo-
ris ennemis de son pouvoir : il a vécu à l'époque la plus
troublée et la plus misérable de notre histoire au xvie siècle ;
des guerres civiles, des passions terribles, des drames san-
glants, de prodigieux coups de théâtre brisaient sans cesse
la trame la plus serrée des politiques à longue vue. Il eut
d'ingrates besognes à remplir : on l'employa à « la pacifi-
cation de nos misérables troubles » ; il fallait de précieuses
qualités d'intelligence, de sang-froid, de patience et d'ha-
bileté ; les résultats étaient rarement immédiats ou très
brillants, et la gloire n'en revenait pas toujours au bon ou-
vrier. Il employa une partie de sa vie à rétablir l'ordre dans
un temps de désordre. De tels hommes d'état n'ont pas une
bonne presse, dirions-nous aujourd'hui. On retient plus
volontiers le nom de ceux qui ont essayé d'appliquer un
système original de gouvernement ou d'administration,
même si leurs conceptions furent nuisiblesà l'Etat. Mais on
est porté à qualifier de politique terre à terre l'action utile
et modeste des hommes qui dans les temps troublés s'oc-
cupent d'éteindre au jour le jour des foyers d'agitation.
Villeroy ne manqua pourtant ni de hardiesse dans les
idées ni de ténacité. Sous Henri III, il chercha à réaliser
l'union de la royauté avec les forces catholiques de la France,
fortifiant le pouvoir souverain sans lequel le royaume serait
tombé dans l'anarchie, calmant les impatiences, les ambi-
tions, les défiances du jeune parti catholique, essayant de
domestiquer cette force rebelle : cette politique échoua par
la faiblesse et les violences maladroites d'Henri III et de
CONCLUSION 573
son entourage, et par l'ambition effrénée des Cuises ; les
fols, comme le disait Villeroy, eurent raison des sages.
Après la mort d'Henri III, pendant cinq ans, il travailla à
la grande œuvre de la réconciliation nationale, et il eut le
bonheur de voir triompher la cause à laquelle il s'étail pas-
sionnément dévoué : Henri IV, souverain légitime desFran-
çais et converti à leur religion traditionnelle. San- doute
d'autres hommes, et d'antres circonstances préparèrent ce
succès : et il ne faudrait point, par une grossière exagéra-
tion, faire de Villeroy le pacificateur de la Ligne : mais il
fut un des plus zélés, des plus habiles, et des plus utiles
ouvriers qui contribuèrent à édifier cette œuvre. Henri IV
en fit un de ses conseillers les plus influents el le chef de
sa diplomatie. Alors il s'appliqua principalement à l'aire une
politique de paix conciliable avec les intérêts essentiels du
pays ; il voulut maintenir le difficile équilibre entre une
Maison d'Autriche très envahissante el les nations de l'Eu-
rope protestante ou catholique soucieuses de maintenir
leur indépendance : il voulut, en attendant une réconcilia-
tion qu'il souhaitait, avec le règne de la paix dans la « Ré-
publique chrétienne ■>, défendre la France contre l'Espa-
gne, rendre à nos ennemis, par - une guerre de renard ■
coup pour coup, fortifier au dehors l'influence française au
détriment de l'influence espagnole, mais sans 'pierre La
guerre était pour cet homme qui avait tant sou ffe ri de la
Ligue le mal suprême, et sans guerre était comme la l'or-
mule d'un dogme. Pendant la minorité de Louis Mil. il
travailla de toutes ses forces è • l'aire couler » ce temps de
faiblesse sans accidents : à l'intérieur, il apaisa les que-
relles, étoufl a les guerres civiles, dosant habilement, selon
les circonstances, la fermeté el la condescendance, essayanl
tantôt de la force et tantôt des concessions. A ^extérieur,
il put enfin réconcilier les deux ennemis héréditaires, el
conclure les mariages franco-espagnols, gage d'une entente
cordiale. Cette politique fut alors honorable el bonne ; h
574 VILLEROY
France s'entendit avec l'Espagne, sans abandonner ses an-
ciens amis auxquels elle sut rendre des services réels : le
roi de France assura pendant quelque temps la paix euro-
péenne.
Et ainsi, au terme de cette étude, Villeroy nous apparaît
dans l'unité de son caractère et de son action publique,
comme l'homme d'état qui fut quarante ans durant, dans
le royaume de France, le diplomate del'intérieur etde l'ex-
térieur.
Des passions violentes, de puissantes individualités, de
l'intolérance, des instincts belliqueux, un mélange de mœurs
grossières et de goûts raffinés : tel nous apparaît le xvie siè-
cle à sa fin. Villeroy fut un [bourgeois poli, mais ni lettré
ni arliste, éminemment sérieux et raisonnable; il eutlesens
de la discipline, l'amour de la tranquillité; dévoué à ses
rois et à l'Etat, il consacra sa vie à servir deux grandes
causes, Tordre et la paix.
J. Nouaillac.
INDEX
Académie du Palais, 2G n., 31.
Aerssen (François d'), agent des
Etats dos Provinces-Unis, 280 el
n., 281 et n., 2S9 n., 292 et n.,
293 et n., 294 et n., 297 D.,
298, 313 et n., 327 el n., 329
et n., 377 et n., 378 n., 390 et
n ,391 n., 414et n., 426 et n.,
433 et n., 443 et n., 444 n. a
449 n., 456 et n. à 462,467 et
n., 475, 476 et n., 486, 487 n.,
490 et n., 491 et n., 492 n..
493 et n., 509 n., 510 et n.
Aix, 240.
Alberi, 21 n., 35 n., 267 n., 294
n.. 303 n.
Albert, archiduc, gouverneur des
Pays-Bas espagnols, 276, 363,
370, 461, 473,485,502, 505n.,
515, 553.
Albigny (Charles de Simiane, sei-
gneur d'), gouverneur de Savoie,
388, 438.
Aldobrandini (Pietro), cardinal,
neveu de Clément VIII, 389 à
392. 395, 396, 419, 425.
Alençon i François, duc d'), plus
tard duc d'Anjou, 35, 37, 38,
52, 54. 57.
Alençon, 57.
Alincourt (Charles de Neufville,
seigneur d), fils de Villeroy. 73,
89, 91, 94, 135, 136, 148 n.,
loi, 154, 181, 190, 226, 251,
253, 285 el n., 418 el n., 419 et
n., 131, 137, 535, 555.
Alincourt, Seine-et-Oise, arr. de
Mantes (auj. ETallaincourt), 150,
152, 19*, 195, 244, 288.
Allard (Genevièi e), 7.
Allemagne, 17,195, 196, 202
iT't à 515, 544.
Allemands, Î02, 109, 1 12, i ï...
i75 a 515, 503, .'il B.
Amboise, Indre-et-Loire, ch.-l. de
canton, arr. de Tours, 122.
Amboise (paix d'), l i.
Amiens, 185, 248 n., 253, 303,
364, 365 et n., 370 à 373, 5U.
Amyot (Jacques), 21. 25.
Andrésy, Seine-et-Oise, arr. de
Versailles, cant. de Pois
Angenousl (le sieur), 6 i.
Anglais, 84, 363, 374, iu. ;_■_',
141,444 à 447, î:;:;. 4! I
i»;:.. 192, 196.
Angleterre, 6, 18, 20, 196, 276,
369 a 378, 108, I.'-'. 160, 552.
Angoulême, 128, li".» à 133.
Angoumois, 128, 266.
Anball (Christian d'), 184.
Anjou [Henri, duc d'j, plus tard
Henri III. 34, 35, 13, '.4, 51,
118, 1 16.
Anjou, province, 17, 12*, _'•;<;,
301.
Anselme (le P.), 3 n.
Anvers, 59.
176
VILLEROY
Archiduc, archiducs. Voy. Albert.
Arnauld (Antoine), 352.
Arques, Seine-Inférieure, arr. de
Dieppe, 160, 167 n., 168.
Arsenal (Bibliothèque de 1'), 4 n.,
323 et n.
Artois, province. 456.
Aubespine (Claude de 1'), baron de
Châteauneuf, secrétaire d'Etat,
13 et n., 14, 15.
Aubespine (Sébastien de 1'), évê-
que de Limoges, 19, 20 à 22,
34, 51, :r2, 53.
Aubespine (Claude de 1'), seigneur
de Verderonne, 134.
Aubespine (Guillaume de 1'), baron
de Châteauneuf. conseiller d'E-
tat, 234, 346, 454 n.
Aubespine (Madeleine del'), femme
de Villeroy, 13, 26, 27 et n.,
28, 287.
Aubigné (Agrippa d'), 21, 131 n.,
160 et n., 200 n., 310 n., 383
et n.
Aumale (Claude de Lorraine, duc
d'), 76, 81, 83, 100, 112, 125,
220.
Aumont (Jean d'), maréchal de
France. 107, 122.
Autriche (maison d") 478, 481 à
515, 551, 573.
Auvergne, province, 18,260,301,
314.
Auvergne (Charles de Valois, duc
dAngoulème, comte d'), grand-
prieur de France, 323 a 325,
327.
An iinon, 38, 41, 127.
Ayrault (Pierre), avocat, 177 etn.
B
Badoer (Angelo). ambassadeur vé-
nitien, 271 et n., 279 et n.,
280, 321 n., 405n., 406 n . . 4 o 7
et n., 408 n.
Balagny (le sieur de), 168.
Barbin, secrétaire d'Etat,543, 55;. ,
Bassompierre (Christophe de), am-
bassadeur du duc de Lorraine,
170.
Bassompierre (François de), maré-
chal de France, 276 n., 387 n.,
430, 489 et n., 498, 499 et n.,
518 etn.
Bavière (duc de), 484.
Beaulieu (Edit de). 52.
Beaulieu. Voy. Rusé.
Beaumont (Christophe de Harlay,
seigneur de), ambassadeur
d'Henri IV en Angleterre, 326
et n., 327 n.,411 n., 422 et n.,
447., 448, 450 n., 451 et n.,
452 et n., 508 etn.
Beaune, Côte- d'Or, ch.-l. d'arr.,
82.
Beaune (Renault de), archevêque
de Bourges, 57, 243.
Beauvais, 4. 253.
Belin (François, comte de), 168,
169, 224, 231, 240, 250.
Bellarmin (cardinal), 352,
Bellegarde (Roger de Saint- Lary,
duc de), 50.
Bellièvre (Pomponne de;, chance-
lier, 44 n., 51 et n., 53, 58 à
62, 90, 92,95.100, 105,107 n.,
1 12 à 114, 118 et n., 123 n.,
128 n.. 130 et n. à 158 n, 141
n., 1 Vu et n , 148 et n. 149 et
n., 152 et n., 155 et n., 173 et
n., 189 n., 191 n., 205 et n.,
218, 219 n., 233 n., 239 à 244
et n., 246 n , 247, 249, 250,
255, 275, 276 etn. à 28 1 , 290,
295 et n., 299, 300 n., 305 n.,
307, 310, 318 et n., 322 et n.,
337, 345 et n., 346, 360, 370
et n., 371 à 375, 378, 381, 382,
404, 454 et n., 481, 182.
Bentivoglio (Guido), nonce, 389 n.,
392 n.. 562, 568.
Bergerac, Donlogne, ch.-l. d'arr.,
54, 55, 59, 60, 75, 163.
Bernard (Etienne), avocat, député
aux Etals de 1593, 232, 24 0,
Berr//,11, 78, I 17. 226, 266, 301,
541.
Bertaut (Jean), 28 el n.
Béthune 'Philippe de), ambassa-
deur d'Henri IV à Rome, 294,
31 1 et il. 321, 324 n.. 332 a.,
33b n., 336 n., 344 et n., 348,
411 el n., 413 n., 41li et n.,
418 et n., 420. 421 n., 422 et
n., 423 et n.. 425 n.
Birague (lieue île), chancelier, 34,
35, 31, 08, 102, Ht7. 534.
Biron (Armand de Gontaut, duc
de), maréchal de France, gou-
\ erneur de Bourgogne, 94, 96,
405, 107, 181, 183, 18.-;. 195,
107.203 n., 204.21 1,222, 223,
268, 276, 277, 304, 310 à 314,
324 à 320, 381, 387, 389, 390,
4 17. 420, 447. 452 n.
Blois, ville. 62, 82, m:;. 123.
Blois, voy. Etats-Généraux de
1576, de L588.
Bochetel (Guillaume), secrétaire
des finances, 1 :;.
Boissise (Jean de Thumery, sei-
gneur de), ambassadeur d'Hen-
ri IV en Angleterre, 34 n., 287
n., 384 n., 385 n.. 386 n., 394
el n., 397 n.. 399 et n., 502,
53 1 n.
Bonciani, envoyé du Grand-duc
de Toscane, 280 et ,,., 337, 397.
Bongai's (Jacques), envoyé ni sn-
ri IV en Allemagne, 396 el n..
479 et n., 4SI) n.. 182 n., '.n::
n., .87 et n ., 488, 489 et n.,
4'.i4 et n.
Bordeaux, 61, 62.
Botti (Carlo), envoyé du Grand-duc
de Toscane, i 98. 51 i el n., 547.
Bouillon (Henri de la Tour d'Au-
vergne, vicomte de Turenne,
duc de). L0O, 195, 196, 213 n..
223, 288, 296, 303, 310
369, .".77, 390, 391, 480, t83,
505, 533, 547, 554.
Boulogne (Edit de), 36.
Villeroy.
a :)77
Boulogne, Pas-de-Calais, eh.-l,
d'arr., 129.
Boulogne, près Paris iii2.
Bourbon (Maison de) 23, 34, 76,
288, 530.
Bourbon (Cardinal de), 70, 81, 82,
127, H'.o. 164, 170, 174, IO'.i,
227, 243.
Bourdin (Jacques), secrétaire
d'Etat, 12, il. 15.
Bourg, 387.
Bourges, 125, 126,240,241, 232.
231, 541.
Bourgogne, 166, 220, 266, 268,
277, 302, 303, 304, 310, 364,
447, ils.
Brandebourg (Jean -Sigismond,
électeurde), 180, 1M. 186, 187,
40 1, 502, 506 n , 54 i.
Brantôme i Pierre de Bourdeille,
seigneur île), 2'f el n., 26 n.,
40 n.
Bresse, 381, 384, 387, 302, 394,
437, 138, 147.
Bretagne, 18, 78, 81 . s:;. 96, 166,
304, 303 et u., 538.
Brigard (le sieur), 210.
Brissac (Charles de I lossê, comte
de), gouverneur de Paris, I no,
125, 207. 519, 3ll.
Brisson I Barnabe), premier prési-
deni ,hi Parlement, 210.
Bruges, 63, 156.
Brularl ( Pierre), secrétaire d'Etat,
12, 10. 56, 59, " i • u.. 70. 105,
UN). 124, 135, 137 I is n.
Brusol (Traité de .
Bruxelles, 498, 500, 503.
Iîuliv (Pierre de Moi na •• . seigneur
de), 180. is.-. 213 u.
Bullion (Claude de , conseiller
d'Etat, 195, M I
Bury (Baronnie de), dans le Blé-
sois, 2si. 285 n
l'.u :anval (Paul Cho irt, seigneur
de), envoyé d'Henri IV auprès
des Provinces Un 74, 377
160, i'..:.
37
578
VILLEROY
Calais, 168, 363, 374, 530.
Calignon (J. Soffroy de), chance-
lier de Navarre, 305 n., 338.
Cambrai, 168, 303, 369.
Canaye (Philippe), seigneur de
Fresnes, ambassadeur d'Henri IV
à Venise, 358 et n., 410 et n.,
411 et n., 414 n., 432 et n.,
436.
Cardenas (Don Inigo de), ambas-
sadeur du roi d'Espagne, 495
n., 496, 497 n., 547.
Carew, envoyé de Jacques 1er
d'Angleterre, 27 I et n . 272 et
n., 278 n., 279 n., 340 n., 354
et n., 561 et n., 562.
Carlos (Don), fils de Philippe III,
Cars (Comte des), 48, 469, 497.
Gastelnau (le sieur de), 226, 227.
Catalagirone (le P. Bonaventure),
général des Cordeliers, 370,
3 7 2.
Catherine de Médicis, 6, 13 et n.,
14 et n., 22, 23 et n., 24 n.,
26, 31, 36 n., 37 n., 38 à 45,
49 n.. 50 à 62, 68, 77 et n.,
80, 81 à 85 et n., 97 etn., 1 12
n., 1 17 et n., 1 18 et n. à 124,
133 et n., 134 et n., 130, 139,
148, 331, 534.
Cavalli (Sigismond), ambassadeur
vénitien, 35 n., 405 n.
Ceci! (William), ministre d'Elisa-
beth, 324 n., 325, 326 n.,
4.').') n.
Chàlons-sur-Marne, 78, S2, 145,
206, 207.
Chalon-sur-Saône, n 1 .
Chambéry, 387, 391.
Champagne, 18, 78, SI, 82, 218,
220, 22ô, 266, 301, 363, 503.
Charbonnières, Savoie, eomm.,
388.
Charles-Emmanuel III, duc de Sa-
voie, 176, 236, 373, 379 à 395
401, 421, 435 à 441, 473, 495
et n., 496, 507, 509, 510, 511,
512,- 545, 546, 548 à 553, 564.
Chartres, 114, 117, 118, 123,
128 n., 129, 131, 133, 160,
202, 203.
Château-Thierry, 1!9, 202, 205.
C hâte Hérault, 338, 340, 408
Chatillon (François de), comte de
Coligny, 155 et n., 162.
Chésy (abbé de), 193.
Cheverny (Philippe Hurault, sei-
gneur de), chancelier, 44 etn.,
49 et n., 51 et n., 56, 59, 64 et
n., 121, 135, 148 n., 160, 193,
204, 227.
Christine, fille d'Henri IV et de
Marie de Médicis (Madame Chré-
tienne), 409, 497.
Ciniber et Danjou, 40 n., 131 n.,
143 n., 331 n.
Cioli, envoyé du Grand-duc de
Toscane, 518 n.
Clément VIII, pape, 216, 228,244,
380, 389, 390, 419 à 427, 446,
469.
Clèves. Voy. Juliers.
Clignancourt, près Paris, 2 12 et n.
Clouet (François), 27 et n.
Cognac, 59, 97.
Coligny (Gaspard, amiral de), 56.
Comblizy (Vicomte de), 205, 206.
Concini (Goncino), Maréchal
d'Ancre, 519, 530,531.532, 535
à 542, 554.
Condé (Henri I°r de Bourbon,
prince de), 13, 54, 62, 96.
— (Henri II de Bourbon,
prince de), ou Monsieur
le prince, 498,499 à 513,
519, 529, 531 à 542.
Conflans, près Paris, 5 et n., 29.
30 etn., 34, 404,530,538, 554.
Contarini (Alvise), Vénitien. 21
et n.
— (Francesco), Vénitien, 280
et n., 378 et n., 387
n.
Conti (François de Bourbon,
prince de), 519, 529.
Coquille (Gui), jurisconsulte, 177
et n.
Corbeil, 5 n.. 8,9, 150, 184, 195.
Corneio (Pierre), 188 n.
Coton (le P.), Jésuite, confesseur
d'Henri IV, 8 et n., 9, I I etn.,
318, 331 n., 345 et n., 348 et
n., 349 et n., 556 et n., 558,
559 n.
Contras, 107.
Créquy (Charles de), 388, 539.
Çuniga (Balthazar de), 451 n.
Damville (Charles de Montmo-
rency, seigneur de), 3G, 37 à
41, 52, 54, 280, 313.
Danemark, 18,
Dauphiné, 18, 44 n., 81, 135. 226,
266, 545.
Descartes (le sieur), 317, 318 et n.
Desportes (Philippe), 25 el n., 26
n.. 28 et n., 228.
Deux-Ponts (Duc des], 486.
D'Hozier, 2 et n.
Dieppe, 81, 167 et n.
Dieppois, 1.
Dijon, 81, 82, 210.
Donauwert h, ville libre d'Empire,
484.
Dreux, 279 n., 24 1.
Duchesne, 282 n.
Du Fay (Noël), 177 et a.
Duodo (Pietro),ambassadeur véni-
tien, 207 n., 269 n.. 293, 303.
Du Passage (le sieur), 9 l .
Uu Perron (Jacques Davy), cardi-
nal, 350, 358 et n., 426 et n.,
127 n., 434, 519.
Du Vair (Guillaume), 20 n.. 65,
66 u., 07. 70 m.. 7:; n., ' 18 q.,
119 n., 120 n., 124 n.. :
n., 151 et n., 152 et n., 1 53 a.,
157 n., 178 n., 2'.:;, 25 i et n.,
579
255 el u , 259 à 264, 281 n.,
34 1 el n.. 349 el u., 525.
E
Ecosse, 18.
Elbène (abbé d'), 148 n.
Elbeuf, 70, 81.
Elisabeth, reine d'Angleterre, 367,
368, et n. à 121, 147, 148, 449.
Empereur, 485, 487, 494, 497,
513, 519.
Entragues (François de Balzac,
seigneur d'), 121, 123, 323 à
325.
Epernay, 79, 80, 82.
Epernon (Jean-Louis de Nogaret,
de la Valette, duc d'), 76, 87,
88 à 95, 99, 101, 104, L05 et
il, 106 à 110, 1 15, 118, 121,
128 el u.. I29à 133, 1 10, 142,
143 et n., 146, 154, 159, 269,
277, 302, 310, 377, 388, 518,
541.
Epinac (Pierre d'), archevêque de
Lyon, 117. 127. 141, 142 et n.,
148 n., 172 el n.. 17S. 179,
1S0, 182, 185 i... 188, 189, 197,
230, 231, 232, 2 in. 241.
Este (César d'), dur de Modène,
kl 9.
— (Hippolyte d'), 124.
— (Alexandre d'), cardinal,
42 4.
E lampes, 154, 169 a. . 204.
Etats-Généraux de l 576, 53, 54 .
75 ; ■ de 1588, I 17. 135, I i'.';
— de 1593, 198, 219, 228, 231
el n.. 238 ., 243, 294, 335; —
de 1614, 307, 539.
Farnèse(Alezandre), ducdi I
179 n.. 186, 188, 189, 191 n.,
195, 196, 209, -MI. 214, 220.
Fami 11 (Jacques), marchand de
Castres, 38 u„ 10 et n.
580
VII.LKHOY
Fauveletdu Toc, 12 n, -18, 24 n.,
25 n., 147 n., 269 n., 278 n.
Faye" (Jacques), seigneur d'Es-
peisses, avocat du roi, 138etn.,
141 n., 1 15 et n., 189 n.
Ferdinand, Grand-duc de Toscane,
337, 393, 395-399, 402, H3,
440, 549.
Féria (duc de), 238.
Ferrare, duché, 43, 420, 434.
Fizes (Simon), secrétaire d'Etat,
18, 146.
Flandre, 6, 17, 22, 57, 58, 60,
63, 80, 179. 195,392,411, 429,
430, 444 à 461,500.
Fleix (Paix de), 55, 00, 63, 75,
163.
Fleury (Henri Clausse, seigneur
de), 9, 193, 195, 202, 204, 205,
n., 212, 213 et n. à 217 n.,
227 n., 230, 311.
Florence, 228, 399, 402, 408
411. 413, 473.
Fontainebleau, 13, 22 n.. 248,
287, 310, 311.
Fontenay-Mareuil, 27 t et n., 275
n., 299 n., 518 n., 541, 554,
563.
Foscarini (Antonio), Vénitien, 438,
473, 490 n., 492 n., 496, 500
n., 501 n., 521 n.
Franche-Comté, 363.
François I. i, 5, 6, 13, 16.
François II. 22 et n.
(Pierre Forget, seigneur
de), secrétaire d'Etat. 19, 147,
268, 405.
Fresne-Canaye. Voy. Canaye.
Fuentès, gouverneur du Milanais,
369, 385, 100, 405, 406, 408,
433, 430. 150.
G letano (Cardinal), légal du pape,
171, 173, ixi, 183, 187 et n.,
197, 203 ri n., i>08, 211 n.,
231, _'.')! el n.
Gascogne, 78, 266.
Gassot (le sieur), 17 n.
Gènes, 402, 549.
Genève, 401, 421, 436, 546,
552
Gesvrcs (duc de), 3.
Gesvres (Potier de), secrétaire d'E-
tat. Voy. Potier.
Giovannini (liarrio). envoyé tos-
can, 292 n., 296 n., 297 n.,
3J3, 321 n., 383 n,, 397, 398
et n., 399 n., 410 n., 412 et n.,
4 1 i n., 421 n., 420 et n.
Gisors ^Simonne de), 2.
Gisors, Eure, arr. des Andelys,
cant.,223.
Godefroi (Collection), 349 n.
Gondi (Pierre de), évêquede Paris,
172 n., 173, 176, 180, 182,
188, 189, 193, 203, 210, 224,
227, 297, 367 et n., 398.
Grand-duc (de Toscane), Voy. Fer-
dinand.
Gravelines, Nord, arr. de Dun-
kerque, 168, 456.
Greenwich (Traité de), 369.
Grégoire XIV, pape, 207.
Grignon, Seine et-Oise, arr. de
Versailles, 173, 233 n., 244.
Grisons, 51 et n., 403 à 409,421,
552, 553.
Guidi, envoyé toscan, 498 n.
G. lis,. s (les)' 23, 05, 60, 68, 70,
71, 72, 7:. n.. 76, 78, N0, 82,
83, S0, 87, 94 a. 90, 118 à 128,
137, 140 à 145, 150 à 151.
Guise (François de Lorraine, 2e
duc de), 34, 76.
— (Henri de Lorraine, 3e duc
de), 63, 64, 66. 09, 78,
80, 87, 93, 102, 103,
110, 113, 115, 117, 118
à 128, 137 n., 139, 145,
148.
— (Charles de Lorraine, 4e
duc de), 209, 211, 220,
223, 225, 297, 518, .',19,
535, 537.
Guyenne, 17, 96, 97, 120, 266,
539.
H
Hainaut, 456.
Halle (Traité de), 502, 507.
Harlay (Achille de), premier pré-
sident au Parlement, 124, 311.
Henri 11, 13, 16.
Hesse (Maurice le Savant, land-
grave de), 325, 479 et n., 480,
484.
Hollandais, 292, 293, 363, 374,
112, U3, 122, 129, 130, 140,
442 à 477, 192, 503.
Ibarra (Don Diego d'), ambassa-
deur espagnol, 24, 231 et n.
Ile-de-France. 8. 9. L8, 119, 147,
154, 220, 266, 267, 301, 304.
Italie, 6, 18,207, 100 à 141, 140,
478, 552.
Ivry, Eure, arr. d'Evreux, 160,
L79, et n., 182, 198 n., 218,
Jacob [\& sieur de), ambassadeur
du duc de Savoie, 387, 138, 139,
546.
Jacques I1'1', roi d'Angleterre, 326,
422, 129, 152, 163, 196,
Jargeau (Assemblée de), 189.
Jean-Casimir, électeur palatin. 96,
480, 484.
Jean Guillaume, duc de Clèves et
de Juliers, 185, 488.
Jeannin [Pierre , premier président
du Parlement de Bourgogne et
conseiller d'Etat, L70, 17 1 . 199,
202. 209, 215, 217, 219 n.,
22ii, 221, 2:m a 232, 240, 245,
247, 250. 264, 275, 277 et n.,
280, 287 n., 290 n., 305 n.,
;x :;bi
306, 310, 336, 337, 346, 347,
357 n., 382 et n., 391,449, 154
et n., 163 et n. a les. iTii ,,.,
471 et n., 172. 173. 474 et n.,
475 n., i 77 et n.. 199, 508,
517 à 519, 529 n., 546, 554.
Jésuites, 172, 288, 2:12, :; i .
120, 434, 175.
(Anne, duede), 28 n., 31,
88, 89, 90 et n., 96, 102, L08,
109.
— (François, cardinal de),
248, 250,296, 113, il!»,
12:,, I33etn., 134 et n..
519, 520, 537, 545.
Juliers, 441. 478, 485 a 54
La Boderie (Antoine Le Fèvre, sei-
gneurde), ambassadeur d'Henri
IV en Angleterre, i I a., 272 et
n., 15ii. 461 n., 17J, 196, 503
et n., .'.0 1 et 11., 51 i. 517 n.
La Chapelle-Marteau, 170.
La Chapelle, près Paris, 13.
La «'.haii,' ii llaude de), maréchal
de France, 121, 220, 225 a.,
247, 254, 519.
La Fère, Aisne, cant., 36 .
La Fin (le sieur de), 309.
La Flèche, Sarthe, eh.-l. d'an-.,
349 et n.
La Guiche (Philibert de), 105,
lm,, I 12 n.. L91 n.
La Haye. 450, 458, 459, 160,
172.
La Marsillière [le Bieur de), 1H4,
IU il.
Landriano (Nonce), 207.
Languedoc, 36 et 0., 38, 10, 4 1
D.,
Laon, 160.
L'Arbaleste (Gny), 8.
Larcher (le Bieur), 210.
La Rochelle, 17, 32, 85, 34
La Hochepot (Antoine de BUly,
seigneur de), ambassadeur
582
VILLEROY
d'Henri IV en Espagne, 315,
316. 379 n., 385 et n., 386 et
n.. 420, 445.
Lavanlin (Jean de Beaumanoir,
seigneur de), maréchal de
France, 447, 519.
La Verrière (le sieur de), 186,
189 n.
V Ecluse, ville de Zélande, 460.
Le Gendre (Geneviève), 5.
— (Pierre), 5, 7.
— (Jean), 5.
Le Gras (Catherine^, 2.
te Havre, 126.
Le Maistre (Jean), président au
Parlement de Paris, 232, 240.
Léon XI, pape, 427.
Léopold (l'Archiduc), 487, 490,
494 n.
Lesdiguières (François de Bonne,
duc de), lieutenant d'Henri IV
en Dauphiné, 296, 387, 388,
390, 394, 430, 444 et n., 502,
505, 509, 519, 545, 547, 555.
Lestoile (Pierre de), 3 etn., 57 n.,
04 etn., 105. 121 n., 125 etn.,
130 et n., 173 et n., 176 n.,
178, 188 n., 192 n., 193 n.,
210 et n., 224 et n., 229 etn.,
246 n., 251 n., 266 n., 270,
2S7 n., 312 n., 319, 320 et n.,
334 n., 404 et n., 405 n., 530.
Levant, 10.
L'Hôpital (Michel de), 15, 20.
L'Hoste, commis de Villeroy, 314
a 32:;, 341, 342, 450.
Liancourt, 164, 167, 169.
Limoges 20, 22.
Limousin, 314.
Loménie (Antoine de), secrétaire
du cabinet du roi, 3, 8 n.
Lorraine (Maison de), 18, 63, 96,
101, 175, 215, 242, 530.
— (Charles, cardinal de), 20.
— (Charles IV, duc de), 170,
176, 230.
Loudun, Vienne, ch.-l. d'arr.,
338, 541, 542.
Louvre, 112, 113, 210, 517.
Lucques, 402.
Luxembourg, 363, 501 et n. 510.
Luxembourg (François de), duc
de Piney, ambassadeur d'Henri
IV à Borne, 171, 370.
Luynes (Charles d'Albert, duc de),
554, 555.
Lyon, 45 et n., 73, 91, 92 et n ,
94 et n., 121, 140, 149, 151 et
n., 152. 154, 241, 254, 386,
391, 392, 394, 395, 399,546.
Lyonnais, 91, 92, 93, 149, 220,
255, 266, 285, 302.
Magny-en- Vexin, Seine-et-Oise,
arr. de Mantes, 5 n., 284.
Maine, 18. 266, 301.
Maisse (André Hurault, seigneur
de), 77 n., 79 et n., 80 n., 83
n., 85 etn., 86, 97 n.,98n..l00
n., 127 n , 346, 374, 376 n.,
377, 382,405.
Maldonado (Diego), 62 n.
Mandelot (François de), lieutenant
du roi au gouvernement du
Lyonnais, 149 et n.
Mangot, secrétaire d'Etat, 543,
554.
Mantes, 180, 181, 184, 190, 197,
198, 203 n., 212, 285.
Mantoue (duc de), 440, 473, 509,
511, 549, 550.
Marbault, 282 n., 328 n., 329 n.,
340 et n., 342 n., 306 et n.,
418n.
Marguerite de Valois, 57, 59.
Marie de Médicis, 297, 324 n ,
395, 396, 397, 398, 399, 497,
498 n., 515. 517.
Marmande, 56.
Marot (Jean), 0, 7 n.
Marseille, 349 etn., 399.
Matignon (Jacques Goyon, sei-
gneur de), maréchal de France,
583
101 et n., 102 et n., 132 n.,
196 n., 338.
Matteucci, 215, 219 n., 225 n.
Matthias, empereur, 483, 518.
Matthieu (Pierre). 270 et n., 273 et
n., 291 n., 308 et n., 309 et n.,
315 n., 331 n., 333 et n., 359
et n., 446, 571.
.Maurice de Nassau, le prince -Mau-
rice. Voy. Nassau. Maurice le
Savant. Voy. Hesse.
Maurier (Aubéry du), 328.
Mayenne (Charles de Lorraine,
duc de), 63, 64, 76, si, 82, 02,
125,148 n., 150,151, 153., 154
et n., 156, L60, 161, 162 à 263,
302 à 304, 363, 364, 520, 537,
538, 55 i .
Meau.v, 102, 108, 119, 134 n.,
189, -2.\?,.
Me/un. 184, 185 et n., 190, 198
n., 228.
Mendoza (Don Bernardine- de), 93
n., 101 et n., 112 n., 131 n.,
137 et n , 138 n., 14H n.. 166
et n., lt;7. L68, 172, 180, 184
et n., 185 n., 196 n., 200 n.,
238, 2G3.
Menelay (le sieur de), 208.
Mer cœur (Philippe-Emmanuel de
Lorraine, duc de), 81, 83, 96,
208, 302, 305 et n., 423.
Mets, 18, 81, 127, 129, 277.
Meulan, 173 n., 226, 285.
Migeon (le sieur), 146.
Milan, Milanais, 363, 385, 400,
404, 438, 439, 473, 495, 196,
5(12, 503, 505, 5*09, 511, 545.
549, 550.
Mildmay (Sir), ambassadeur an-
glais, 368.
Milly (conférence de), 248 et q,
Miron (Marc), médecin d'Henri III,
118, 119.
Mocenigo, ambassadeur vénitien.
131 n., 146 n., 183 n., 203 n ,
252 n.
Modène (duc de), 4 lu.
Montauban, 36.
Montholon (François de), gardé
des sceaux, 146.
Montmartin (le sieur de), 408 n.,
496.
Montmélian, Savoie, cant., :'.s7,
388, 390, 512.
Montmorency (Anne, due de), 13
el 11., 15,
— [Henri, due île), connétable
de Montmorencv, 227,
287 Q.,303 n., 313, 337,
363,3Hi n.. :;ii(i, :;7(i n.,
381, 386 n., 387, 3nn m ..
394, 519.
— (Charlotte de), 498, 507,
508.
Montpellier, 1".
Montpeasier (François de Bourbon,
duc de), 54, 59, 328.
Moreo (le commandeur), envoyé
du roi d'Espagne, 170, 172 n.
Moriuiy (Philippe du Plessis-),
101, 162 u.. IM). 181 .. 185,
193 à L99, 212 et n., 21 .
288, 306, 337 et n., :;;;<.) e| n.,
340 et n., 377, 510 el n., 517,
534.
Mornay (madame rie), 181 n.,
212 et n.. 221 el n.
Morosini (Antonio), ambassadeur
vénitien, Ml. l 17, 137 n.
Morvilheis (.le.an de), évéque d'i >r-
léans, conseiller d'état, l 9, 20
et n., 21, 22, 34, 35 et n., :, I ,
73 n.
Moulins, 20.
Museau | Denise dm. 7.
— (Marc du), 7.
N
Nantes (édil de), 175. 2(1 ■ .
337 à 339.
Nassau (Maurice de), Btathoudei*
de Hollande, 292, 327.
142, 158, 160, 171. i7..
et n.
584
Nassau (Justin do), 377.
Navarre (Henri, roi de), 38, 53,
55'j 59,60, 62,67, 97, 98,101,
102, 110, 115, 130, 147, J54,
155.
Navarre (collège de), 10 et n.,
88.
Nemours (Traité de), 79 n., 82,
83, 127.
Nemours (Henri de Savoie, duc de),
125, 127, 151, 154, 180, 188,
220, 363, 501 et n., 503 etn.
Nérac, 59, 60.
Neubourg (le Palatin dei, 484, 486,
487, 502,506 n., 544.
Neufville (Richard de), 1, 3.
— (Nicolas de), 2, 3.
— (Simon de), 2. 3.
— (Nicolas de), père de Simon,
2, :;.
— (Nicolas de), 1er du nom, 4.
— (Nicolas de), IIe du nom,
5, 6.
— (Nicolas de), Ille du nom,
7, 29 et n.
Nevers (Charles de Gonzague, duc
de), 22n., 54n., 62 n., 98 etn.,
103, 104 et n., 107, 111, 121,
134 n , 143, 159, 166 n., 177
et n.. 194, 216, 218 et n , 219,
227, 230, 250, 304 n., 308,
364 n., 485, 519, 537, 554.
Nîmes, 30.
Noisy, près Paris, 173, 176, 180,
183, 198, 216.
Normand (le sieur), maire d'An-
goulême, 129, 130, 131.
Normandie, 109, 118, 167, 179 n.,
220, 226, 266, 301, 529.
Novion (le président de), 4.
Noyon, 239 et n.
O (François, marquis d'), surin-
tendant des finances, 88, 105,
i l:;, 222, 223, 227, 268.
Oldenbarnevelt (Jean d'), pension-
naire de Hollande, 377, 426,
457, 460, 462, 473, 474, 475 n.
Olivieri (Serafino), cardinal, 426.
Orléanais, 78, 220, 301.
Orléans, 14, 18, 20, 121 à 126,
198 n., 199 n., 248 n., ±\>'2,
254, 538.
Ossat (Arnauld d'), cardinal, 146
et n., 333 et n., 345. 350, 352,
361 n , 370, 380, 382 et n.,
38G, 393 et n., 415 et n., 416
et n., à 419, 424 n., 435 n.
Os tende, 451, 456.
Palatin (l'électeur), 325.
Palma-Cayet, 170 et n., 172 et n.,
195 n.,"210 et n,, 229 n., 230
n., 231 n., 315 n., 448.
Pape, voy. Sixte-Quint, Clément
VIII, etc.
Parlement de Paris, 8, 14, 63, 64,
I 17, L50, L52, 153, 171, 178,
193, 210, 211, 224, 232, 242,
243, 251, 263, 305, 311, 312,
. 320 et n., 322, 339, 343. 352,
363, 518.
Parme (duché de), 402, 410.
Paschal (le sieur), envoyé du roi
aux Grisons, 409 cl n.
Pasquier (Etienne), 305, 350 n.
Pasquier (le sieur), commis de
Villeroy. 136.
Paul V, pape, 427, 428 à 434,
469, 512.
Pecquius, représentant des archi-
ducs, 462 et n., 467 et n., 469
et n., 470 n., 472 et n., 475 n.,
476 n., 486 n., 48S, 505 et n.,
506 et n., 507 et n., 513 n.
Pellevé (Nicolas de1, cardinal, 9,
231 et n., 233, 239, 256.
Périgord, 260, 314.
Péronne, Somme, eh.-l. d'air., 75,
530, 531.
Perron (Loys), secrétaire de
Mayenne, 192.
Philippe II, roi d'Espagne, 22, 56,
57, 62 n., 63, 07, 70, 93 a.,
101 n., I L2 n., 131 n., 137, n.,
14:5, I io n., h.:., 1.66 o., 167,
170, 17 1, 17 1, 180, 185 n.. 196
n.. 200 n., 209, 21 1. 215, 236,
238, 289.
Philippe III. toi d'Espagnne, 320,
323 n., 328 n., 383, 389, 395,
401, 437, 441, 100 n., 17:,,
481 , 482, 197, 549, 551, 553.
Picardie, 17, 52, 7:; a., 78 à 82,
100, 103, 111, 183, 186, 187,
220, 301, 364, ils.
Piémont, 18, 43, 436, 439, 444,
495.
Pigenat (Odct), Jésuite, 172.
Pinart (Claude), secrétaire d'Etat,
18, 97, 100, 135, 137, 205,
206 et n , 208,
Pisani (marquis de), 187, 224.
Poitiers, 54, 55 et n., 538.
Poitou, 17, 103, 128, 131 n.. 266,
310.314,328,341,501,533,539.
Pontoise, 152, 154, 173 n., 180,
181, 182, 190 el n.. 191, 211,
212, 226 .'t u., 2:1:; q„ 238,
231), 251, 232 et n., 253 à 255,
285.
Portugal, 17, 86 et Q.
Potier (Nicolas), seigneur de Blanc-
mesnil, président au Parlement
de Paris, 178 et n.
Potier(Louis),seigneurdeGesvres,
taire d'Etat, 147, 178 n.,
2ii7, 208. .
Praslain de sieur de), capitaine
des gardes, 500.
Priuli (Pietro), ambassadeur véni-
tien, 62 n., 27 1 et n., 273 n.,
27N n., 32S il. 330 u., 129 et
n., 430 n.. 431 n., 433 et n.,
438 et n.
Provinces-Unies, Paj s-Bas, 56, 59,
60, 70, 74. 196, 270. _■--
370, 392, 393, 106, 123, I 12 .
477, 548,552.
Prudhoiniue (Jeanne), 9.
:x 585
Prudhomme (Guillaume), 9.
Puj sieux (Pierre Brûlart de), se-
crétaire d'Etat, 278, 358, 434,
461 n., 539, 543. 554.
Quillebeuf, Eure, arr. Pont-Au-
de r, cant., 535.
Raffis (le sieur de), 317, 318 etn.
Refuges (le sieur de), intendant en
Bourgogne, 3 1 1 , 349.
Reims, 100, 118.
Rennes, 300 n ., 396.
Rethel, 209.
Revol (Louis), secrétaire d'Etat,
138, l 10, l 17. 154, 191 n.. 213
e1 n., 241, 242, 217, 249,
200, 268.
Revue rétrospective, 6 i n , 247 u,
Richardol (Jean), président du
conseil privé de Bruxelli
373, loo.
Richelieu (Armand du Plessis, rar-
dinalde), lOel o., 33 n., 333 n.,
530 et m., 537, 554.
Rieux (le Bieur de), 256 el n.
Robertet (Plorimond), secrétaire
d'Etat, lo, 18.
Rodolphe II, empereur, l~
184, 194 n.
Rome, l 1. 72, 208, 215 n.. 221,
227, 228, 248, 230, 34
354, 370, 102, iC
13, M 1. 551.
Ronsard (Pierre de), 24, 28 et n.,
n., 30
et n., 31 el n.. 32 el D. .
Roquelaure (le sieur de), 30
Rose, prédicateur de la Ligue,
■21\, 256.
Rosne (le Bieur di i. 204, 220, 231,
217.
586
VILLEKOY
Rouen, SI, 123, 125, 211, 213,
219. 223, 224, 226, 253, 285n.,
303, 305, 350, 363, 367, 414,
555.
Ruzé (Martin), seigneur de Beau-
lieu, secrétaire d'Etat, 146, 147,
222, 267, 268, 285.
Saint-Aignan, Loiret, arr. d'Or-
léans, .105, 108.
Saint-Barthélémy (la), 34, 35, 51,
52.
Saint-Cloud, prés Paris, 114, 115,
157, 162, 165 n.
Saint-Denis, près Paris, 15, 17!»,
202, 242 et n., 243, 245, 515.
Saint-Dizier, -82.
Saint-Germain, 22 n., 76.
Saint-Luc (François d'Espinay,
seigneur de;, 88.
Saintonge, 19, 128, 314.
Saint-Simon (duc de), 3 et n., 16,
17 n., 267 et n., 285 et n.
'Saint-Sulpice (le sieur de), 15 n.
37, 38 n., 40.
Salcède (Nicolas de), 63, 64 et
n., 65 et n.,66etn., 67, 260 n.,
261.
Saluées (Marquisat de) ou Sa-
luzzo, 57, 351, 373, 378 à 384,
392, 394, 398, 401. 403, 4M,
4.16.
Sancy (Nicolas Harlay, seigneur
de), 303, 304 et n., 337, 366,
369, 377.
Satire Ménippée, 65, 233, 253,
266 et n. à 264.
Saumur, 338, 533.
Saxe (Duc de), 484, 486, 494 n.
Schomberg (Gaspard de), 120,
122,.241, 242,304 et n.,305n.,
337, 338, 377.
Sedan, 100, 328 à 331, 480,484.
Seize (les), 161, 172, 173, 176,
. 178, 196, 207, 209, 211, 229,
235.
Sentis, 154, 199.
Sillery (Nicolas Brulard de), chan-
celier, 271, 275 à 281, 290,
306, 311, 318, 324, 328, 337,
373, 375, 378, 391, 397, 404,
405, 429, 454 et n., 456 n ,
458, 486, 499, 508, 517 à 519,
532 à 542, 545, 547, 554.
Simancas (Papiers de), 62 n.. 65
n., 108 n., 112 n., 120 n., 137
n.. 146 n., 164 n., 172 n., 184
n., 185 n., 196 n., 200 n., 202
n., 215 n., 231 n., 240 n., 316
n., 317 n., 328 n., 380 n., 381
n., 421 n., 446 n., 447 n.. 451
n.,452,n.,469n.,495n.,513n.
Sixte V, pape, 171, 183, 187.
Soissons, 82, 112, 113, 145, 180,
186, 199, 205. 538, 546.
Soissons (Charles de Bourbon,
comte de), ou Monsieur leComte,
175, 275, 297, 310, 328, 388,
519, 520, 529, 534, 535, 545.
Sorbonne, 150, 196.
Souchet (le sieur), d'Angoulême,
129, 130.
Spinola (Ambrogio), général au
service de l'Espagne, 458, 466,
503.
Strasbourg, 22, 480, 484.
Suisse, Suisses, 17, 18, 22, 51 et
n., 78, 82, 86, 113, 181, 276,
277, 365 n., 373, 404 à 409,
412, 447, 489, 553.
Sully (Maximilien de Bélhune,
baron de Rosny, duc de), 3, 10
et n., 33 et n., 181 et n., 194
etn., 204 et n , 252 et n.,268,
269 n., 271 et n. à 274, 280 à
308, 322 à 328, 340 à 342, 346,
347 et n., 355, 357 et n., 358
n., 360 et n., 365, 366, 380 n.,
382 à 384 n., 385 à 393, 398,
405 à 409, 422 et n., 424, 426,
427, 430 et n., 443, 444. 446
et n.. 449, 451, 454 à 456, 474
à 480, 486 à 494,495, 497 et
498 n.,499,505,510, 512, 520,
587
531 à 534, 542, 544, 547, 500,
565 à 567.
Suresnes, près Paris, 240, 246,
Tardif (le sieur), conseiller au Par-
lement de Paris, 210.
Tassis (Jean-Baptiste de), ambas-
sadeur espagnol. 65 n., 170,
238, 4^1 D.,446 n.. 450, 452n.
Thou (Jacques-Auguste de), 7, 10
n., 21 n., 30 n., 40, 52 et n.,
64 et n., 78 et n., 70, 80, I L5
et n., 126 n., 131 el a., 153 el
n., 185 n., 195 n.. 241, 247 n.,
252 n., 305 n., 315 n.. 338 el
n., 339, 346, 352, 365, 541.
Tolède (Don Pedro de), envoyé de
Philippe III, 439, 470 et n.,
473, 475, 476, 496.
Tout, 82, 127.
Tourraine, 18, 128. 154, 109,
179 n.. 310.
Tours, 207, 256, 538.
Trente (concile de), 20, 175, 350,
410,420. 539.
Troyes, 20.
Turcs, 407. 423, 424, 482.
Turenne (vicomte de), 328.
Turin, 44, 49, 67,437, 495,5 40,
549.
Ubaldini, Nonce du pape Paul V,
352 et n., 468 etn., 409 el D„
470 n., 472, 494 n., 495 n., 497
et n., :>I2, 513, 547.
Urbin, 4 Ut.
Uzès (Jacques de Crussol, duc d'),
37,40.
■Vaissète (Dom), 36 n.
Valence, 92.
Valteline, 405, 408 n., 438, 450.
Vaucelas (le sieur de), 139.
Venise, 7. 20, 13, 64, 77 a., I fcO
,,., 358, t01, fc05, '.07, 410,
U I à fc34, 137, 473, 549.
Verdun, 127.
Verncuil (Henriette de Balzeu
d'Entragues. marquise de Ver-
aeuil), 323 à 325.
Vernon, Eure, arr. d'Evreux, 119,
122. L23, 190, 222.
Verrej ken (Paudiencier), 466.
Verrue(N. Scaglia, comte de),473.
Vervins (traité de), 315,361, 362,
375, 377, 378, 385, 390, 442,
443, 479.
Vexin, L80j226.
Vie (Méry de), conseiller d'Etat,
loi.
Videville (le sieur de), 203, 205 n.
Vienne, 92.
Villars (Georges de Brancas, duc
de), gouverneur du Havre, 91,
L27, 213 u.,214, 220, 240.
Villeroy (le château de), 5 et n.,
28, 29 et n., 135, 156, 193,
2S7 et n.
Vincennes, 17:'. n.. 332.
Vilrv (Louis de l'Hospital, marquis
de), gouverneur de Meaux, 25 I ,
253.
W
Winwood (sir Ralph), ambassa-
deur anglais, 282 n.. I 16, 155
n.
Wurtemberg (duc de), 480, 484,
Zamet (Sébastien). -'
TABLE DES MATIÈRES
Bibliographie i-xvii
PREMIÈRE PARTIE
LES DÉBUTS. - LE SECRÉTAIRE DE CHARLES IX
CHAPITRE UNIQUE
I. La famille : les marchands de marée, les officiers de finances.,
1-9. — II. Première jeunesse. Instruction. Villeroy, secrétaire
des finances (1559). Mariage (1561). Vie de bureau, 9-15. - III.
• Villeroy, secrétaire d'état (1567). Apprentissage politique. Ses
deux maîtres, Jean de Morvilliers et Sébastien de l'Aubespine,
15-23. - IV. Villeroy, la Reine-Mère, Charles IX. Villeroy à la
cour. Mme de Villeroy. Villeroy et Ronsard, 23-34. — V. Rôle
politique : la mission de Languedoc et raffaire Damville 34-41
DEUXIÈME PARTIE
LE SECRÉTAIRE DE HENRI III
(1574-1589).
CHAPITRE I
I. Premiers rapports de Villeroy et d'Henri III. Le règlement du
17 septembre 1574, 43-50. — IL L'activité diplomatique de Vil-
leroy de 1577 à 1582. Les négociations avec les protestants.
(Paix de Bergerac et paix de Fleix). Les affaires du duc d'An-
TABLE DES MATIERES 589
jou, 50-63). - III. L'affaire Salcède. Villeroy calomnié (1582),
63-67. — IV. Villeroy et son « bon maistre ». L'homme de con-
fiance d'Henri III, 67-74.
(1574-1 38 {).
CHAPITRE II
I. Les débuts de la Ligue. Les négociations avec les Guises à
Nemours et ledit du 18 juillet 1585. Villeroy et la Ligue, 75-
87. — II. Les démêlés du « bon serviteur » et du favori. Ville-
roy et d'Epemou, 87-06. — III. Les tentatives de rapproche-
ment avec le roi de Navarre. L'union forcée avec la Ligne,
Villeroy et les Guises à Meaux en juillet 1587, 96-108. — IV.
Rôle de Villeroy avant l'insurrection parisienne. La journée
des Barricades (12 et 13 mai 1588), L08-114.
(1584-1588).
CHAPITRE III
I. La réconciliation du roi et des Guises. Les négociations de Vil-
leroy à Paris. L'édit d'Union (21 juillet 1588). Les affaires
d'Orléans, 115-128. — Villeroy contre d'Epernon. Laffaire
d'Angoulême, 128-133. — III. La disgrâce de Villeroy (8 sep-
tembre 1588). 133-148. — IV. Après la disgrâce. Ses tentatives
pour rester neutre, sous la protection royale. Sa retraite à
Paris auprès de Mayenne, chef de la Ligue, I É8-157.
TROISIÈME PARTIE
LE NÉGOCIATEUR DES POLITIQUES
ii:,s!i-i:,'.iM.
CHAPITRE I
I. Les premières tentatives <le conciliation entre la Ligue •[ ]<>
roi (août-septembre 1589). Villeroy négociateur de la Ligue,
159-165. — IL Villeroy et le péril espagnol. L' • Advia
Mayenne (décembre 1589), 165-179. — RI. Les pourparlers de
Villeroy et Duplessis-Moruay à Mantes (mars 1590). L'entrevue
590 VILLEROY
avec Henri IV (avril), 479-186. — IV. Villeroy auprès de
Mayenne. Le siège de Paris (mai-septembre), 186-193. — V.
Reprise des négociations à Buchy, en octobre. Efforts de Ville-
roy pour obtenir la liberté du labourage et du commerce, la
trêve, la convocation des Etats, 193-200.
(août 1589-décembre 1590).
CHAPITRE II
I. Ralentissement des négociations en 1591. La question des pas-
seports pour les députés aux Etats. Défiances réciproques.
Villeroy auprès de Mayenne. La lutte contre Rome, contre l'Es-
pagne, contre la démagogie, 200-212. — II. Les négociations de
Villeroy et Duplessis-Mornay à Mantes (mars-mai 1592). La con-
clusion delà trêve de sept mois pour le Vexin Français. 212-227.
III. Les Etats de la Ligue. Les discours de Villeroy. La confé-
rence de Suresnes. La conversion du roi (janvier-août 1593),
227-244. — IV. Les négociations de Villeroy pour la trêve géné-
rale. Conférences d'Andrésy et deMilly (août-septembre). La re-
montrance à Mayenne (2 janvier 1594), 244-251. — La soumis-
sion de Villeroy (mars 1594). L'apologie, 251-264.
(1591 -septembre 1594).
QUATRIÈME PARTIE
LE MINISTRE D'HENRI IV
(1594-1610)
CHAPITRE 1er
VILLEROY AU POUVOIR
I. Villeroy rappelé dans sa charge de secrétaire d'Etat (25 sep-
tembre 1594). Ses rapports avec Henri IV. « Le bon serviteur »,
265-273. — II. Villeroy conseiller. Le conseil des affaires sous
Henri IV. Les ministres : Bellièvre, Jeannin, Sillery, Sully,
Villeroy, 274-281. — III. Les deux chefs de la politique : Sully
TABLE DES MATIERES 591
et Villeroy. Différences de condition sociale, de religion, de
tempérament. Conflits, querellesetententes, 281-297. —IV. L'au-
torité suprême d'Henri IV. Le roi gouverne sans premier minis-
tre et « fait la loi à tout son royaume », 297-300.
CHAPITRE II
LA FIN DE LA. LIGUE. AFFAIRES INTERIEURES,
AFFAIRES RELIGIEUSES DU REGNE.
I. Les dernières négociations avec les Ligueurs (1594-1598). Les
principes politiques de Villeroy. La restauration du royaume,
301-309. — IL Conseils et négociations. La conspiration de Bi-
ron, 309-314. — III. La trahison du commis L'IIoste (160-4),
314-324. — IV. Conseils et négociations (suite). Les complots
des d'Entragues. Les affaires du duc de Bouillon, 324-331. —
V. La religion de Villeroy. Piété, modération, tolérance, 331-
337. _ VI. Villeroy et les protestants, 337-342. — VIL La poli-
tique catholique. Villeroy et les Jésuites. Le concile de Trente
et l'ultramontanisme, 342-355.
(4594-1610).
CHAPITRE III
VILLEROY, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES. — LA GUERRE
D'ESPAGNE ET LA GUERRE DE SAVOIE
(1595-1601).
I. Villeroy, ministre des affaires étrangères. La guerre nationale
contre l'Espagne. Villeroy à l'armée, 356-362. — IL Les négo-
ciations préliminaires delà paixde Vervins. Villeroy « un des
pères de la paix d'Espagne ». La question des alliances : Ville-
roy, les Anglais, les Hollandais. 362-378. — 11L L'affaire du
marquisat de Saluées: les négociations de mai 1595 à juillet
1600, 378-386. —IV. La guerre de Savoie. Villeroy à l'armée.
La Bresse ou Saluées? Villeroy conseille la restitution. La paix
de Lyon (janvier 1601), 386-395. — V. Villeroy et les négocia-
lions pour le mariage du roi, 395-399.
592 VILLEROY
CHAPITRE IV
VILLEROY MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES (suite).
LES AFFAIRES D'iTALIE.
I. La question d'Italie en 1601. Les passages. Villeroy et les Gri.
sons (1601-1607), 400-409. — II. La liberté italienne. La France
et les Etats indépendants, 409-414. — III. La conquête de Rome.
D'Ossat et Villeroy. Villeroy principal conseillerde la politique
romaine d'Henri IV, 414-428. — IV. Le différend entre Paul V et
la République de Venise (1605-1607). Villeroy et l'arbitrage
français, 428-435. — V. Villeroy et les préliminaires du rap-
prochement franco-savoyard, 435-441.
CHAPITRE V
VILLEROY, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES (si/ttc).
LES AFFAIRES DES PAYS-BAS.
I. Villeroy et la guerre « en renard » aux Pays-Bas. La question
des secours, 442-445. — II. Villeroy et « les drogues à remède ».
Solution pacifique des conflits entre la France et l'Espagne
(1601-1604), 445-452. — III. Villeroy et les projets français
d'agrandissement aux Pays-Bas jusqu'en 1606, 452-461. — IV.
Les négociations pour la paix. Jeannin en Hollande (1607-
1609). Villeroy et la question de la trêve, 461-468. — V. Ville-
roy et les négociations matrimoniales entre la France et l'Es-
pagne (1608), 469-477.
CHAPITRE VI
VILLEROY, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES (suite et fin).
LES AFFAIRES D'ALLEMAGNE. LA GUERRE DÉCLARÉE.
I. Les affaires germaniques jusqu'en 1609,478 485. — II. Villeroy
et la succession de Clèves. Les conseils pacifiques. Négocia-
TABLE DES MATIERES .K)93
tions avec la Savoie, avec l'Espagne, 485-498. — III. La Tuile
du prince et de la princesse de Condé (novembre 1609). Efforts
suprêmes de Villeroy pour maintenir la paix, 498-503. — IV.
La guerre imminente. Efforts de Villeroy pour la limiter et
pour la transporter en Italie. Villeroy et l'alliance franco-sa-
voyarde, 503-512. — V. Dernières tentatives pour la paix favo-
risées par Villeroy (avril-mai 1610), 512.
CONCLUSION
I. Etablissement de la Régence. Villeroy, ministre principal de
Marie de Médicis. Ses idées sur le gouvernement de la minorité,
517-529. — IL Villeroy et les affaires « du dedans ». Les luttes
pour le maintien de son autorité. La pacification des troubles
(1610-1616), 529-543. - III. Villeroy et les affaires « du dehors >».
Les mariages espagnols. La pacification de la chrétienté. Les
derniers mois et la fin de Villeroy, 543-556. — IV. Comment
les contemporains et la postérité ont jugé Villeroy. Estime
générale pour le vieux serviteur des rois de France. Erreurs sur
sa politique, 556-567. — V. Villeroy bon bourgeois et excellent
fonctionnaire. Qualités et défauts. Son idéal d'ordre et de paix,
567-574.
MJON. IMP. DARANTIERE
Villeroy 38
ERRATA
Page 1,
lire Hallaincourte/now
Hallincourt,
— 18
— Alluye
-
Allyeu.
— 33
— maigre
—
mince.
— 36
q. — Matthieu
—
Mathieu.
— 100
— changé
—
chargé.
— 289
— Villeroy
—
Yilleroi.
- 478
— Villeroy
—
Villeloy.
— 515
— Quillebeuf
-
Ouillebœuf.
- 537
— Puisieux
—
Puysieux.
- 539
— Puisieux
—
Puysieux.
— 541
— Inigo
—
Inigo.
— 543
— Puisieux
—
Puysieux.
— 559
— invictae
—
inviclœ.
- 563
— Lalanne
—
Lalaune.
f.
Nouaillac, Joseph
112 Villeroy
V75N6
1909
3k A
H
Nt
v
PLEASE DO NOT REMOVE
SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO
LIBRARY
*
V
w^^&ft.
*k*rf*