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Full text of "Villeroy, secrétaire d'état et ministre de Charles 9, Henri 3 & Henri 4 (1543-1610)"

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VILLEROY 

SECRÉTAIRE  D'ÉTAT  ET  MINISTRE 


CHARLES  IX.  HENRI  III  ET  HENRI  IV 
(1543-1610) 


Villeroy 


DU  MÊME  AUTEUR 


Les  Croquants  du  Limousin.  Une  insurrection  paysanne  en 
1594.  Tulle,  Crauffon,  1906,  in-8. 

Un  envoyé  hollandais  à  la  cour  de  Henri  IV.  —  Lettres  iné- 
dites de  François  d'Aerssen  à  Jacques  Valcke,  trésorier 
de  Zélande  (1599-1603).  Paris,  Honoré  Champion,  1908. 
Un  volume  in-8. 


I.Ml'.    DA11ANTIERI 


BIBLIOTHÈQUE  DE  LA  FONDATION  THIERS 


VILLEROY 

SECRÉTAIRE  D'ÉTAT  ET  MINISTRE 

DE 

CHARLES  IX,  HENRI  III  &  HENRI  IV 
(154S-1610) 

PAR 

J.  NOUAILLAC 

Ancien  élève  de  l'Ecole  .Normale  supérieure, 
Docteur  ès-lettres. 


PARIS 
Libkatiue  Ancienne  Honoré  CHAMPION.  Édîteim< 

T5.  quai  Mnlaquais,  5 

1909 


A  MON  MAITRE  GABRIEL  MONOD 


BIBLIOGRAPHIE 


I.  -  LES  OEUVRES    DE  VILLEROY 

Les  œuvres  de  Villeroy  peuvent  se  distribuer 
en  3  groupes  :  1°  les  apologies  ;  2°  les  discours, 
avis,  harangues  et  lettres-manifestes;  3° la  corres- 
pondance. Les  apologies  ont  été  entièrement  pu- 
bliées, ainsi  que  la  plus  grande  partie  des  dis- 
cours et  autres  petites  œuvres  :  la  plus  grosse  part 
de  la  correspondance  reste  inédite. 

l°Les  Apologies. 

La  première,  datée  du  8  avril  1589,  raconte 
«  les  choses  qui  sont  advenues  »  au  ministre  de- 
puis le  commencement  de  sa  carrière  politique 
jusqu'au  moment  où  il  se  retira  auprès  de 
Mayenne,  chef  de  la  Ligue,  après  sa  disgrâce.  La 
seconde,  adressée  à  son  ami  Bellièvre,  montre  «  la 
peine  qu'il  a  prise  de  faire  la  paix  entre  le  Roi  et 
M,  de  Mayenne  et  sa  continuelle  poursuite  à  la 


Vin  BIBLIOGRAPHIE 

pacification  de  nos  misérables  troubles  ».  C'est  le 
récil  détaillé  de  sa  conduite  à  la  fin  de  la  Ligue,  de 
1589  à  1594. 

L'une  ou  l'autre  ou  toutes  deux  ensemble  sont 
contenues  dans  plusieurs  manuscrits  de  l'ancien 
fonds  français,  sous  des  titres  différents.  La  plu- 
part ont  été  copiées  au  xvne  siècle  et  proviennent 
des  fonds  Saint-Germain.  Une  autre  copie  se  trouve 
dans  les  Cinq-Cents  Colbert.  Ces  manuscrits  ne 
diffèrent  que  par  des  erreurs  de  copistes  faciles  à 
rectifier. 

4806.  (Recueil  de  copies  de  pièces  concernant  l'histoire 
de  France  de  1589  à  1599  et  contenant  les  2  apologies.) 

5170.  «  Apologie  de  M.  N.  de  Neufville,  contenant  les 
causes  qui  le  contraignirent  à  se  ranger  an  parti  de  la 
Ligue  où  l'on  peut  voir  comme  en  gros  ce  qui  s'y  est 
passé.  » 

17292.  «  Apologie  de  M.  de  Villeroy.  »  (8  avril  1589.) 

174G4  «  Mémoires  de  M.  de  NeulVille-Villeroy,  secrétaire 
d'Etat,  1574-1617  »  (lre  apologie). 

17465.  «  Mémoires  d'Etat  de  M.  de  Neufville,  seigneur 
de  Villeroy  »  (1574-1605).  (Les  2  apologies)  (1). 

17466.  «  Mémoires  de  M.  de  Villeroy.  »  (Les  2  apologie-.) 

17467.  «  Mémoires  de  M.  de  Neufville.  »  (Les  2  apolo- 
gies.) 

17468.  «  Lettres  de  M. de  Villeroy  à  M.  de  Bellièvre  et  autres 
écrits  de  l'un  et  de  l'autre  durant  et  sur  les  occasions  des 
troubles  de  la  Ligue.    <>  (Les  2  apologies.) 

17469.  «  Apologie  de  M.  de  Villeroy  »  (La  2e  apologie). 


(1)  Le  ms.  17465  (anc.  Saint-Germain,  1550)  contient  un  beau  por- 
traii  de  Villeroy8  gravé  par  Lasne  en  tète  du  volume. 


BIBLI0GRA1 


19586.  «  Apologie  de  M.  de  Villeroy  contenant,  etc.  » 
(Les  2  apologies.) 

23331.  «  Apologie  de  M.  de  Neufville. 

23342.  ><  Mémoirede  M.  de  Neufville-Villeroy,  contenant 
les  raisons  qu'il  a  eues  de  se  joindre  à  M.  de  Mayenne.  » 

La  première,  édition  «les  mémoires  de  Villeroy  a 
été  donnée  en  1  <>22,  à  Paris,  par  du  Mesnil  Basire, 
avocat  du  roi  en  sa  chambre  des  comptes  de 
Rouen.  Elle  a  paru,  en  un  volume  in-4,  sous  le 
titre  de  Mémoires  servant  à  l'histoire  de  notre 
temps  par  Messire  Nicolas  de  Neufville,  srir/neur 
de  Villeroy,  conseille)'  d'estat  et  secrétaire  des 
rois  Charles  IX,  Henri  III,  Henri  IV  et  de 
Louis  XIII  à  présent  régnant,  à  Paris,  chez  P.  Che- 
valier. L'auteur,  au  moment  où  s'achevait  cette 
édition,  publia  une  suite  en  3  volumes  in-8  aux 
apologies,  avec  toute  sorte  de  pièces  curieuses 
relatives  à  l'histoire  du  temps.  Cette  nouvelle  édi- 
tion fut  publiée  de  1623  à  1026.  Le  premier  volume 
était  intitulé  Mémoires  d'Estat  par  M.  de  Ville- 
roy, conseiller  d'Estat,  etc.,  les  trois  autres  Mé- 
moires d'Estat  recueillis  de  divers  manuscrits 
ensuite  de  ceux  de  M.  de  Villeroy.  Ils  parurent  à 
Paris  et  à  Sedan,  jouxte lacopie  imprimée  à  Paris. 

Quelques  années  après,  Dumesnil  Bazire  donna 
au  public  une  autre  édition  des  mémoires  de  Vil- 
leroy, en  v  ajoutant  un  grand  nombre  de  pièces 
empruntées  aux  recueils  du  temps  (Paris,  1634- 
1636,    4   vol.    in-8).    En    KiC)."»,    parurent    à    Paris, 


\  UIBUOGHAPHIE 

chez  la  compagnie  des  libraires  du  Palais,  4  vo- 
lumes de  mémoires  d'Estat,  in-12. 

Au  début  du  xviuc  siècle,  on  put  lire  les  œuvres 
de  Villeroy  dans  deux  éditions  nouvelles  d'Ams- 
terdam, très  incorrectes,  et  accompagnées  de  l'or- 
dinaire pêle-mêle  des  pièces  accessoires  (Amster- 
dam, 1723  et  172:i,  7  vol.  in-12).  Au  xixe,  les  deux 
apologies  débarrassées  de  leur  entourage  de  docu- 
ments inutiles,  ont  été  insérées  dans  les  collec- 
tions de  mémoires  qui  ont  vu  le  jour  de  1806  à 
1836: 

Collection  universelle  des  mémoires  particuliers  relatifs 
à  l'histoire  de  France...  recueillis  par  Roucher,  Perrin,  etc. 
et  publiés  par  Duchesnay,  Paris,  1806-1807,  in-8,  t.  LXI- 
LXII. 

Collection  complète  des  mémoires  relatifs  à  l'histoire  de 
France,  publiée  par  Petitot.  Paris,  1819-1826,  in-8,  t. 
XLIV. 

Choix  de  chroniques  et  mémoires  sur  l'histoire  de  France 
avec  notices  biographiques,  par  Buchon  (Panthéon  litté- 
raire), Paris,  1836. 

Nouvelle  collection  des  mémoires  relatifs  à  l'histoire  de 
France...  par  Michaud  et  Poujoulat,  Paris,  1838,  in-8,  lre 
série,  t.  XI. 

Cette  dernière  édition,  la  plus  soignée,  est  en- 
core parfois  incorrecte.  C'est  d'elle  que  nous  nous 
sommes  servis,  en  la  rapprochant  de  l'édition  de 
1622,  et  du  mss.  F.  IV.  17466,  qui  nous  a  paru  le 
plus  correct. 


IBLICHJKAFMIIK 


Petites   œuvres.  » 


Nous  grouperons  sous  ce  titre  quelques  dis- 
cours, harangues  et  avis,  et  des  lettres  écrites  dans 
de  graves  circonstances  et  destinées  à  une  demi- 
publicité,  soit  pour  justifier  le  rôle  du  ministre, 
soit  pour  exposer  un  programme  politique.  Elles 
se  retrouvent  dans  un  grand  nombre  de  manus- 
crits. Une  partie  a  été  publiée  dans  les  diverses 
éditions  des  apologies. 

«  Discours  sur  la  bataille  donnée  le  3  octobre  1569,  proche 
de  Moncontour,  Paris,  Dallier,  1569. 

Le  même  discours  avec  le  siège  de  Saint-Jean-d'Angéli, 
en  1569,  Poitiers,  1621,  in-12.  —  Ce  discours  est  signé  de 
Neufville  et  nous  est  signalé  par  le  P.  Lelong,  t.  II,  p.  254, 
(n°  18.078)  (1).  Aucun  indice  certain  ne  nous  autorise  à  ac- 
cepter ou  à  combattre  son  authenticité. 

Lettre  de  Villeroy  au  Roi  de  Navarre,  12  mai  1588,  pour 
l'exhorter  à  se  faire  catholique.  (F.  fr.  3426,  3430,  4028, 
4743,  17359,  Brienne  291,  F.  Dup.  3,  Nouv.  acq.  fr.  7260, 
Bibl.  Arsenal  5427.)  Elle  a  été  publiée  pour  la  première  fois 
dans  le  Recueil  de  plusieurs  harangues, Remonstrances,  dis- 
cours et  advis  d'affaires  d' Estât,  par  Jean  de  Lannel,  Paris, 
1622. 

Avis  de  Villeroy  au  duc  de  Mayenne  (décembre  1589). 
(F.  fr.  4743,  4806,  17468).  Il  a  été  publié  dans  presque  tous 
les  recueils  de  Mémoires  d'estat  de  Villeroy  depuis  1622. 

«  Discours  sur  la  bataille  d'Ivry,  le  14  mars  1590,  fait  par 
M.  de  Neufville,  sieur  de  Villeroy  .»  D'après  le  P.  Lelong, 
t  II,  p.  334,  n°  19239,  «  ce  discours  est  cité  àlap.474duca- 

(1)  Bibliothèque  historique  de  la  France,  revue  et  complétée  par 
Fevret  de  Fontette,  1768-1778,  5  vol.  in-fol. 


XII  WBUOGRAPHIE 

talogue  de  la  bibliothèque  de  M.  de  Thou.  »  Nous  n'avons 
trouvé  aucun  documenl  qui  nous  permette  d'attribuer  sû- 
rement cel  ouvrage  à  Villeroy. 

«  Harangue  faite  par  M.  Villeroy  pour  être  prononcée 
en  l'assemblée  des  prétendus  Etats  de  Paris  en  1593.  » 
(F.  IV.  4743,  4806,  17478,  17874.) 

Lettre  de  Villeroy  au  duc  de  Mayenne,  du  2  janvier  1594, 
appelée  souvent  «  RemonstrancesfaitesaM.de  Mayenne  » 
(F.  IV.  474:;.  1806,  F.  Dup.  770).  Cette  lettre,  ainsi  que  la 
harangue,  et  l'avis  cité  plus  haut,  a  été  presque  toujours 
jointe  aux  deux  apologie-. 

Lettre  de  Villeroy  à  du  Vair  «  sur  le  sujet  d'un  livre  inti- 
tulé la  Satire  Ménippée  ».  10  août  1594  (F.  fr.  4028,  17359, 
17466,  Nouv.  acq.  IV.  7260,  F.  Dup.  3,  Bibl.  Arsenal  5427). 
Elle  a  été  publiée  par  Sapey,  Etudes  biographiques  pour 
servir  à  l'histoire  de  l'ancienne  magistrature  française, 
Paris,  1858,  in-8,  p.  429  et  suiv.  (Cette  lettre  est  suivie  de 
la  réponse  de  du  Vair,  p.  457  et  suiv.) 

Mémoire  sur  la  guerre  d'Espagne  (1595-1598)  placé  en 
tète  du  registre  des  dépêches  de  Villeroy,  F.  fr.  3456, 
publié  parPoirson  dans  le  petit  recueil  intitulé  Mémoires  de 
Villeroy  et  de  Sancy,  documents  divers. ..Paris,  1863,  in-8. 
Manifeste  de  Villeroy  «  sur  l'évasion  de  l'Hoste,  son  com- 
mis »,  3  mai  1604  (F.  IV.  17465).  Il  a  été  publié  presque 
partout  dans  les  pièces  diverses  à  la  suite  des  apologies, 
bien  qu'il  n'ait  aucun  rapport  avec  les  événements  de  la 
Ligue. 

«  Discours  de  Nicolas  de  Neufville,  seigneur  de  Villeroy, 
sur  le  rang  et  séance  qui  s'observe  entre  les  grands,  au 
jour  des  cérémonies.  »  Le  P.  Lelong  signale  le  mss.  delà 
bibliothèque  du  Roi  sans  indiquer  son  exacte  provenance. 
Il  a  été  imprimé  dans  les  Curiosités  historiques,  Amster- 
dam, 1759,  in-12(l). 

(l)On  attribue  à  Villeroy  un  «  Discours  de  la  vraie  et  légitime  consti- 


BIBLIOGRAPHIE  XIII 

Lettre  de  Villeroy  à  Isaac  Casaubon,  1er  décembre  1611. 

(F.  IV.  4028,  17359,  nouv.  acq.  fr.  5130,  F.  Dup.  3,  Bibl. 
Arsenal,  5427.)  Elle  n'a  pas  été  publiée. 

«  Lettre  concernant  les  écrits  sur  l'autorité  temporelle 
des  papes  »  adressée  à  un  ami  de  Rome  (F.  IV.  4028,  4785, 
17334,  nouv.  acq.  IV.  7260,  F.  Dup.  3,  Bibl.  Arsenal  5427). 
Elle  a  été  publiée  par  Perrens,  VEgliseet  VEtat  sous  Henri 
IV,  Paris,  1872,  in-8,  t.  II,  p.  10-12. 

Avisa  la  Reine-Mère,  1611  (Cinq-Cents  Colbert,  19). 

Avis  à  la  Reine-Mère,  sur  la  demande  de  Quillebœuf  faite 
par  M.  le  comte  de  Soissons,  10  octobre  1612.  (F.  fr.  4028, 
17334,  17359,  nouv.  acq.  fr.  7260,  F.  Dup.  3,  Bibl.  Arsenal 
5427). 

Avis  à  la  Reine-Mère  sur  les  différends  de  Mantoue,  8 
novembre  1613  (mêmes  sources  manuscrites). 

Avis  à  la  Reine-Mère  sur  la  paix,  10  mars  1614  (mêmes 
sources,  plus  une  copie  conservée  dans  le  F.  IV.  18141). 

Ces  quatre  avis  écrits  par  Villeroy  sous  la  régence  sont 
restés  inédits.  Xous  avons  commencé  leur  publication. 
L'avis  de  1614  a  paru  dans  la  Revue  Henri  IV,  Paris,  1008, 
t.  II,  n°  2,  avril-mai,  p.  79  et  suiv.  L'avis  de  1613  paraîtra 
prochainement  dans  la  Revue  Historique. 


3°  La  correspondance. 

Villeroy  a  écrit,  durant  sa  très  longue  carrière, 
un  nombre  considérable  de  lettres  aux  rois,  ses 
maîtres,  aux  grands  personnages  du  royaume,  aux 


tution  de  l'Etat  »  qui  a  été  publié  à  Paris,  chez  Samuel  Thiboust, 
en  1623,  in-8,  dans  le  premier  des  3  volumes  de  mémoires  qui  l'ont 
suite  aux  apologies.  Il  est  reproduit  dans  l'édition  de  1665,  in-12. 
Poirson  le  date  soil  de  1601,  soi!  de  Pin;.  Xi  1,.  style,  ni  les  idées  ne 
semblent  appartenir  à  Villeroy. 


XIV  BIBLIOGRAPHIE 

ministres,  ses  collègues,  aux  ambassadeurs  du 
roi,  ses  surbordonnés,  avec  lesquels  il  correspon- 
dit régulièrement,  quand  Henri  IV  en  1594,  eut 
l'ait,  de  lui  le  principal  directeur  de  ses  affaires  à 
l'extérieur.  Ces  correspondances  se  trouvent  à  la 
Bibliothèque  Nationale.  Une  petite  partie  a  été 
mise  au  jour  dans  le  courant  du  xvne  siècle.  Mais 
ce  genre  de  publication  fourmille  le  plus  souvent 
d'incorrections.  Les  erreurs  de  date  y  sont  innom- 
brables et  le  nombre  des  lettres  importantes  ou- 
bliées clans  les  manuscrits  est  très  grand.  Nous 
n'avons  point  la  prétention  défaire  unerecension 
complète  de  ces  lettres.  Nous  indiquerons  seule- 
ment les  principaux  recueils  où  nous  avons  pui- 
se  (1). 

Lettres  à  Henri  III.  —  F.  fr.  3383  (9  lettres  de  l'an  1582)  ; 
Lettres  à  Henri  IV, —  F.  fr.  4028  (une  trentaine  de  1598  à 
1608). 

Lettres  au  connétable  de  Montmorency.  —  F.  fr.  3565, 
3568,  3572,  3579,  3580-81,  3599-3606  ;  —au  duc  de  Nevers, 
F.  fr.  3372,  3976,  3992-3994,  la  plupart  écrites  sous  le  règne 
d'Henri  IV  à  partir  de  l'an  1595  ;  —  au  duc  de  Nemours, 
F.  fr.  3650-3654  (années  1608-1610)  ;  —  au  cardinal  de 
Joyeuse,  nouv.  acq.  fr.  2750. 

Lettres  à  Sully  :  on  les  trouve  insérées  dans  les  Economies 
royales,  à  partir  du  chapitre  LXXVI  (éd.  Michaud,  t.  I,  p. 
256)  ;  les  premières  sont  datées  de  1597,  les  plus  nom- 
breuses sont  de  l'année  1604. 


(i)  Nous  ne  signalons  poinl  les  lettres  qui  sont   isolées  dans  les   re- 
cueils. Nous  les  indiquons  dans  le  cours  du  livre. 


BIBLIOGRAPHIE  XV 

Lettres  au  maréchal  de  Matignon,  F.  IV.  3351,  3354. 
Un  certain  nombre  de  ces  lettres  ont  été  publiées  :  Lettres 
de  N.  de  Neuf  ville,  seigneur  de  Villeroy,  ministre  et  secré- 
taire d'Etat,  écrites  à  Jacques  de  Matignon,  maréchal  de 
France,  depuis  Vannée  1581  jusqu'en  l'année  1596,  Montô- 
limart,  1749,  in- 12. 

Lettres  à  Bellièvre.  —  Elles  se  trouvent  en  grande  quan- 
tité dans  les  Papiers  de  Bellièvre,  F.  fr.  15890-15911,  à 
partir  du  n°  15903.  (Les  plus  intéressantes,  écrites  de  1588 
à  1592.  sont  contenues  dans  le  n°  15909.)  Elles  sont  inédites, 
à  l'exception  de  deux  d'entre  elles,  écrites  en  1594  :  la  pre- 
mière, sans  date  précise,  a  été  insérée  dans  le  t.  I  des  Mé- 
moires d'Estal  faisant  suite  à  ceux  de  M.  de  Villeroy,  chez 
S.  Thiboult,  Paris,  1623,  in-8,  p.  '299-310,  et  dans  le  t.  III 
de  l'édition  d'Amsterdam,  1725,  in  12,  p.  203-213.  La  se- 
conde, du  17  mars  1594,  est  dans  l'édition  de  Sedan,  de 
1622,  et  a  été  reproduite  par  Petitot,  et  par  Michaud 
(p.  255). 

Lettres  à  Duplessis-Mornay  et  à  M.  de  Fleury,  beau- 
frère  de  Villeroy.  —  Elles  sont  insérées  dans  les  Mémoires 
et  correspondance  de  Duplessis-Mornay,  Paris,  1824-25, 
12  vol.  in-8,  et  sont  assez  nombreuses  pour  la  période  1592- 
1596,  t.  V,  p.  236  et  suiv. 

Lettres  à  de  Thou  et  Schomberg.  —  Un  petit  nombre 
écrites  en  1596  et  1597  sont  renfermées  dans  le  F.  fr.  4047. 

Lettres  aux  ambassadeurs  et  représentants  du  roi  à  l'é- 
tranger. —  L'ancien  fonds  français  contient  une  grande 
partie  de  cette  correspondance.  Les  lettres  écrites  par 
Villeroy  à  Jeannin,  durant  les  négociations  pour  la  trêve 
des  Pays-Bas  (avril  1607-mai  1609),  F.  fr.  3516-3521,  ont 
été  publiées  dans  le  Panthéon  littéraire,  Négociations  diplo- 
matiques et  politiques  du  président  Jeannin,  et  dans  la  col- 
lection Michaud,  Négociations  du  président  Jeannin.  Vu 
certain  nombre  de  lettres  envoyées  à  La    Boderie,  ambas- 


XVI  BIBLIOGRAPHIE 

sadeur  de  France  en  Angleterre  (1606-1611),  ont  été  pu- 
bliées sous  le  titre  de  Lettres  de  Henry  17,  roi  de  France 
et  de  Navarre  et  de  MM.  de  Villeroy  et  de  Puisieuxà  M.  An- 
toine Le  Fèvre  de  la  Boderie...  Amsterdam,  1733,  2  vol.in-8. 
Les  autres  correspondances  soûl  manuscrites.  Les  princi- 
pales sont  :  les  lettres  à  Béthune,  ambassadeur  à  Rome 
(1601-1605),  F.  fr.  3487-3488,  les  lettres  à  Boissise,  ambas- 
sadeur à  Londres  (1598-1601),  F.  fr.  4128,  les  lettres  à 
Beaumont,  successeur  de  Boissise  (1602-1605),  F.  IV.  3499- 
3513,  les  lettres  à  La  Rochepot,  ambassadeur  en  Fspagne 
en  1600,  F.  fr.  16137,  les  lettres  à  J.  Bongars  envoyé  du 
roi  en  Allemagne.  F.  IV.  7126,  et  à  Villiers-Holmann,  rési- 
dent a  Glèvcs  (1610),  F.  fr.  4030. 


IL  —  LES  DOCUMENTS  ANCIENS  BELATIFS 
A  L'HISTOIRE  DE  VILLEROY 

1"  Lettres  ou  écrits  adressés  à  Villeroy. 

C'est  l'une  des  sources  les  plus  importantes  de 
son  histoire.  Les  lettres  de  ses  souverains,  de  ses 
amis,  les  réponses  des  ambassadeurs  du  roi  nous 
font  connaître  la  vie  privée,  la  pensée  et  la  politique 
du  ministre.  Presque  toutes  sont  inédites.  Nous 
ne  pouvons  songer  à  l'aire  ici  un  dépouillement 
complet  de  cette  correspondance.  Une  partie  des 
recueils  du  Fonds  français  énumérés  plus  haut, 
contient  les  réponses  des  ambassadeurs  et  autres 
correspondants  du  ministre.  Certains  autres  fonds 
possèdenl  de  nombreuses  lettres  de  divers  person- 
nages confusément  assemblées;  telle  la  collection 


BIBLIOGRAPHIE 


Godefroy,  à  la  Bibliothèque  de  l'Institut,  ncS  258 
à  2G6  (Lettres  de  Bellièvre,  Gheverny,  T'assis,  Né- 
restang-,  de  Vie,  Sillery,  Jeannin,  etc.)  ;  tel  le 
Fonds  Dupuy,  nos  46,  88,  89,  212.  On  trouve  des 
lettres  de  Sully  dans  les  Economies  Royales,  des 
lettres  de  d'Ossat  dans  les  Lettres  du  cardinal 
d'Ossat  (avec  des  notes  d'Amelot  de  la  Houssaye), 
Amsterdam,  1732,  5  vol.  in-12  ;  des  lettres  du  cardi- 
nal Du  Perron  dans  les  Ambassades  et  négociations 
de  V illustre  et  révérend  cardinal  du  Perron,  Paris, 
1(322,  3  vol.  in-fol.  ;  des  lettres  de  Catherine  de 
Médicis  dans  la  grande  édition  de  la  correspon- 
dance de  cette  reine  publiée  par  H.  de  la  Ferrière 
dans  la  Collection  des  documents  inédits. 

Parmi  les  documents  manuscrits  signalons  deux 
correspondances  d'un  intérêt  particulier  :  les 
lettres  d'Henri  III  et  ses  billets  sans  date  copiés  à 
la  Bibliothèque  de  Saint-Pétersbourg- (nouv.  acq. 
fr.  1243-1250)  et  les  lettres  de  Bellièvre  contenues 
dans  les  Papiers  du  chancelier  (F.  fr.  15890- 
15911). 

2°  Etudes  biographiques. 

Aucune  biographie  de  notre  personnage  n'a  été 
écrite  au  xvir3  siècle.  On  ne  trouve  qu'une  brève  et 
vague  notice  dans  le  Mémoire  de  rétablissement  des 
secrétaires  d'Etat,  avec  la  suite  des  secrétaires  d Es- 
tât... F.  fr.  4591.  P.  Matthieu,  historiographe 
d'Henri  IV  et  ami  de  Villeroy,  a  écrit  après  la  mort 

Villeroy.  n 


XVIII  BIBLIOGRAPHIE 

du  ministre  quelques  pages  pleines  de  détails  cu- 
rieux sur  sa  vie  privée,  ses  vertus,  ses  talents,  les 
services  rendus  à  son  pays.  Ce  sont  les  Remarques 
d'Estatet  cV histoire  sur  la  vie  et  les  services  de 
Monsieur  de  Villeroy,  Lyon,  1618,  in-8  (1).  A  coté 
de  ces  Remarques,  plaçons  une  Oraison  funèbre 
sur  le  trespas  de  M.  de  Villeroy  faite  et  récitée  à 
Lyon,  le  2e  jour  de  la  présente  année  1618,  par 
le  P.  Pierre  Coton  de  la  Compagnie  de  Jésus,  qui 
était  un  ami  du  défunt  (Paris,  1618,  in-8)  (2). 

3°  Mémoires  des  contemporains  et  correspondances 
des  ambassadeurs  étrangers. 

Presque  tous  les  mémoires  des  contemporains 
sont  à  consulter.  Ceux  qui  nous  parlent  le  plus 
abondamment  de  Villeroy  sont  l'Estoile  et  Sully. 
Certains  nous  font  connaîtreplus  particulièrement 
son  rôle  sous  la  Régence  de  Marie  de  Médicis 
(d'Estrées,  Fontenay-Mareuil,  Pontchartrain,  Ri- 
chelieu). Voici  la  liste  de  ces  auteurs  : 

L'Estoile,  Mémoires-Journaux,  éd.  Brunet  et  collabo- 
rateurs, Paris,  1875-1883,  11  vol.  in-8  (3). 

(1)  Ils  ont  été  réimprimés  par  Cimber  et  Daujou,  dans  les  Archives 
curieuses  de  l'histoire  de  France,  Paris,  1834-1840,  t.   IV. 

(2)  Nous  avons  trois  autres  oraisons  ou  discours  funèbres  de  Villeroy. 
qui  sont  insignifiantes  comme  sourcr  de  documentation:  Discours  fu- 
nèbre sur  la  vie  et  trespas  de  M  de  Villeroy,  Paris, 1617,  in-8,  Discours 
funèbre  sur  la  mort  de  feu  M.  de  Villeroy,  par  Pelletier,  Rouen,  1017, 
in-8,  Oratio  in  funere  elarissimi  riri  D.Nic.  a  Novavilla,  Rom;e,1618. 

(3)  Nous  nous  sommes  servi  le  plus  souvent  de  cette  édition.  Nous 
avons  dû  parfois  recourir  à  l'édition  Michaudet  Poujoulat,  car  l'édition 
de  luxe  donnée  par  Brunet  est  coûteuse  et  assez  difficile  à  trouver  dans 
les  bibliothèques. 


BIBLIOGRAPHIE  MX 

Sully,  Mémoires  des  sages  et  royales  Economies  d'Eslat, 
éd.  Michaud,  2e  série,  t.  II  et III. 

Mémoires  de   Ph.   Hurault,  comte  de  Cheverny,  éd.  Mi- 
chaud,  l1"'  série,  t.  X. 
Mémoires  de  De  Thou,  éd.  Michaud,  lre  série,  t.  XI. 

Bassompierre,  Journal  de  ma  vie,  publié  pour  la  Soc. 
de  rHist.  de  France  par  le  marquis  de  Ghanterac,  Paris, 
1870,  4  vol.  in-8. 

Pontchartraiu,  Mémoires  concernant  les  affaires  de 
France  sous  la  régence  de  la  reine  Marie  de  Médicis...  Ed. 
Michaud,  2e  série,  t.  V. 

D'Estrées,  Mémoires  de  la  régence  de  Marie  de  Médicis, 
Ibid.,L  VI. 

Fontenay-Mareuil,  Mémoires,  Ibid.,  t.  V. 

De  Rohan,  Mémoires,  lbid.,  t.  V. 

Mémoires  du  Cardinal  de  Richelieu,  éd.  Michaud,  2e  série, 
t.  VII. 

Les  relations  et  dépêches  des  ambassadeurs  et 
envoyés  étrangers  sont  parmi  les  sources  les  plus 
précieuses  pour  l'histoire  de  notre  personnage. 
Ennuierons  ces  documents  manuscrits  ou  impri- 
més d'après  les  pays  de  leurs  auteurs. 

Sources  italiennes.  —  Alberi,  Le  relazioni  degli  ambas- 
ciatori  veneti  al  Senato  nel secolo  xvi,  t.  XV,  1862,  in-8  ;  Ba- 
rozzi  et  Berchet,  Relazioni  degli  Stati  europei  lette  al  Se- 
nato dagli  ambasciatori  veneti  nel  secolo  xvn,  t.  I,  Fran- 
cia,  1857.  in-8.  —  Copies  des  dépêches  des  ambassadeurs  vé- 
niliens,Bibl.  nat.  Fonds  Italien,  1723-1 728 (Règne  deCharles 
IX»,  1728-1737  (Règne de  Henri  111).  1737-1761  (Règne  de 
Henri  IV).  Négociations  diplomatiques  de  la  France  avec  la 
Toscane,  documents  recueillis  par  Canestrini  et  publiés  par 
Desjardins,  185U-1875,  in-l'ob,  t.  IV  et  V.  —  Copies  des  dépê- 


BIBLIOGRAPHIE 


ches  du  nonce  Ubaldini,  Bibl.  Nat.  F.  Ital.  30-38  (années 
1608-1609).  —  Lettres  des  nonces  Morosini  et  Gaetano,  du 
cardinal  Sega,  du  cardinal  Aldobrandini,  des  nonces  Silin- 
gardi,  Bufalo,  Barberini,  etc.  Archivio  Segreto  du  Vatican, 
dans  le  fonds  des  Nunziature,  nos  20  à  54. 

Sources  espagnoles.  —  Archives  nationales,  Papiers  de 
Simancas  :  K.  1563-1613  (Ambassade  de  Mendoza,  années 
1589-1590,  correspondance  des  agents  espagnols  pendant 
la  Ligue,  ambassades  de  J.-B.  de  Tassis  et  deD.  Balthasar 
de  Çuniga,  années  1598-1606,  documents  divers  concernant 
les  négociations  entre  la  France  et  l'Espagne  de  1607  à  1620). 

Sources  flamandes.  —  Archives  royales  de  Bruxelles, 
Papiers  d'Etat  et  de  l'Audience,  n°  421,  Négociations  de 
France,  n°  3  ;  Correspondance  de  Pecquius,  1602-1608.  — 
Duc  d'Aumale,  Histoire  des  princes  de  Condé,  Paris,  1889, 
t,  II,  appendice,  correspondance  de  Pecquius  (1610). 

Sources  hollandaises.  —  Archives  royales  de  la  Haye, 
«  Archieven  van  Holland  »  (Papiers  du  grand  pensionnaire 
Oldenbarnevelt),  n°  2632.  «  Legatie  Archief  »,  Frankrijk, 
610-751. Un  certain  nombre  de  lettres  de  F.  d'Aerssen,  agent 
des  Etats  des  Provinces-Unies  en  France  ont  été  publiées 
dans  les  recueils  de  Deventer,  Gedenkstukken  vanl.  van 
Oldenbarnevelt,  La  Haye,  1865,  3  vol.  in-8,  de  M.  Piller, 
Briefe  und  Acten  zur  geschichte  des  Dreissigjuhrigen  Krie- 
ges,  Mûnchen,  1874,  in  8°,  t.  II  (Die  Union  undHeinrich  IV), 
et  de  J.  Nouaillac,  Un  envoyé  hollandais  à  la  cour  de 
Henri  IV.  Lettres  inédites  de  François  d'Aerssen  à  Jacques 
Valcke  (1599-1003),  Paris,  1908,  in-8. 

Sources  anglaises.  —  Memorials  ofaffairsof  state  in  the 
reigns  of  Q.  Elisabeth  and  K.  James  I...  from  the  original 
papers  ofsir  Ralph  Winwood,  Londres,  1725,  3  vol.  in -fol. 
—A  relation  of  the  state  of  France...  bgsir  G.  Careiv,  publié 
dans  An  historical  view  of  the  negotiations  between  the 
courts  of  England,  France  and  Brussels  from  the  year  1592 
to  1611,  par  Th.  Birch,  Londres,  1749. 


BIBLIOGRAPHIE 


4°  Histoires  générales. 


Les  histoires  générales  ne  contiennent  pas  beau- 
coup de  renseignements  sur  Villeroy.  Il  convient 
néanmoins  de  consulter  YHi.rtoire  universelle  de 
d'Aubigné,  éd.  de  Ruble,  Paris,  1891,  9  vol.  in-8, 
{'Histoire  universelle  de  De  Thou,  éd.  franc., 
Amsterdam,  1734  (1589-1598),  16  vol.  in-4,  la 
Chronologie  novenaire  et  la  Chronologie  septé- 
naire de  Palma-Cayet  (1598-1604),  éd.  Michaud, 
lre  série,  t.  XII,  \  Histoire  des  derniers  troubles, 
de  P.  Matthieu  (Lyon,  1597)  etVHistoire  de  Henri 
IV,  du  même  auteur,  Paris,  1631.  Il  faut  ajouter 
à  cette  liste  deux  ouvrages  importants,  publiés 
dans  le  courant  du  xvne  siècle,  YHistoria  délie 
guerre  civili  de  Francia  de  Davila,  Venise,  1630- 
1636,  in-4,  trad.  franc,  en  1642)  et  les  Memorie  re- 
condite  de  V.  Siri,  1676,  in-4,  t.  I  et  II.  On 
trouvera  enfin  d'intéressants  détails  sur  l'origine 
et  les  progrès  de  la  charge  remplie  par  Villeroy 
dans  Fauvelet  du  Toc,  Histoire  des  secrétaires 
d'Etat,  contenant  l'origine,  le  progrès  et  rétablis- 
sement de  leurs  charges,  avec  les  éloges,  les  armes, 
blasons  et  généalogies  de  tous  ceux  qui  les  ont 
possédées  jusqu'à  présent,  Paris,  1668,  in-4. 


BIBLIOGRAPHIE 


III.  -LES  OUVRAGES   CONTEMPORAINS 

Aucune  étude  spéciale  n'a  été  consacrée  à  Ville- 
roy. Nous  n'avons  à  signaler  qu'une  très  courte 
notice  de  Potiquet  dans  une  brochure  sur  Les  Sei- 
gneurs de  la  ville  de  Magny-en-Veocin,  Magny, 
1877,  75  p.  in-8  (1).  La  personne  de  Villeroy  n'a 
attiré  l'attention  d'aucun  historien  du  xixe  siècle. 
Mais  la  plupart  de  ceux  qui  ont  écrit  sur  l'époque 
de  Charles  IX,  d'Henri  III,  d'Henri  IV  et  de 
Louis  XIII  jeune,  doivent  être  consultés,  car  Vil- 
leroy, qui  a  servi  sous  ces  quatre  rois,  a  pris  part 
aux  principaux  événements  de  son  temps.  On 
trouvera  en  particulier  des  renseignements  sur  les 
actes  politiques  de  sa  vie  dans  les  historiens  de 
la  Ligue,  de  la  politique  extérieure  d'Henri  IV,  et 
de  la  régence  de  Marie  de  Médicis.  11  faudrait  ici 
presque  tout  citer  et  dresser  la  listedes  principaux 
ouvrages  qui  traitent  de  l'histoire  de  France  du- 
rant la  seconde  moitié  du  xvie  siècle  et  les  vingt 
premières  années  du  xvn°.  On  nous  excusera  si 
nous  renvoyons  le  lecteur  aux  différents  chapitres 
de  ce  livre.  Qu'on  nous  permettedeciter  une  biblio- 
graphie du  règne  de  Henri  IV  que  nous  avons  pu- 
bliée dans  la  Reçue  d'histoire  moderne  et  contem- 

(])  Notons  aussi,  pour  être  complet,  quelques  pages  dans  Feuilloley, 
Notice  sur  le  canton  de  Magny-en-Vexin,  L884,  in-8  et  une  notice  de 
slyle  oratoire  el  de  documentation  assez  vague  publiée  par  Vingtrinier, 
Le  dernier  des  Villeroy  et  sa  famille,  Lyon,  1888,  in-8. 


BIBLIOGRAPHIE  XXIII 

poraine,  1907-1908,  t.  XI,  p.  104-123,  348-303. 
Le  Règne  de  Henri  IV  (1589-1610),  sources,  tra- 
vaux et  questions  à  traite)'.  On  trouvera  l'énumé- 
ration  des  ouvrages  relatifs  aux  autres  règnes  dans 
la  Bibliographie  de  V Histoire  de  France  de  G. 
Monod  et  dans  l'excellente  histoire  de  La  Réfor- 
me et  la  Ligue,  Henri  IV et  Louis  XIII,  publiée 
par.  J.  Mariéjol  (E.  Lavisse,  Histoire  de  France, 
l.  VI,  1904-1905,  2  vol.  in-8). 

J.    NOUAILLAC. 


PREMIERE  PARTIE 

LES  DÉBUTS.  —  LE  SECRÉTAIRE  DE  CHARLES  IX 


CHAPITRE  UNIQUE 

La  famille:  les  marchands  de  marée,  les  officiers  de  finances.  — 
II.  Première  jeunesse.  Instruction.  Villeroy,  secrétaire  des 
finances  (1559).  Mariage  (1561).  Vie  de  bureau.  —  III.  Villeroy, 
secrétaire  d'Etat  (1567).  Apprentissage  politique.  Ses  deux  maî- 
tres, Jean  de  Morvilliers  et  Sébastien  de  l'Aubespine.  —  IV. 
Villeroy,  la  Reine-Mère,  Charles  IX  Villeroy  à  la  Cour.  Ma- 
dame de  Villeroy.  Villeroy  et  Ronsard.  —  V.  Rôle  politique  : 
la  mission  de  Languedoc  et  l'affaire  Damville. 


Nicolas  de  Neufville,  seigneur  de  Villeroy,  qui  fut  secré- 
taire d'Etat  et  ministre  des  rois  Charles  IX,  Henri  III, 
Henri  IV  et  Louis  XIII,  et  l'un  des  plus  remarquables 
hommes  d'Etat  de  la  monarchie  française,  sortait  d'une 
famille  de  marchands  de  marée  anoblis  par  les  charges 
publiques. 

Le  plus  ancien  que  nous  connaissions  est  Richard  de 
Neufville,  vendeur  de  poisson  de  mer  es  halles  de  Paris,  un 
Dieppois  qui  s'établit  dans  la  capitale  et  y  épousa  la  fille 
Villeroy  1 


d'un  bourgeois,  Simonne  de  Gisors.  Il  mourut  le  18  février 
1401,  et  fut  enterré  au  cimetière  des  Innocents,  où  son  épi- 
taphe  se  lisait  encore  en  1645  (1).  Son  fds  Nicolas  fit  comme 
lui  le  commerce  de  la  marée.  En  1419,  il  était  qualifié  de 
marchand  bourgeois  de  Paris.  Il  fut  receveur  pour  le  roi 
des  aides  et  du  taillon  en  l'élection  de  Paris,  puis  maître 
d'hôtel  de  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne.  Nous  le 
trouvons  échevin  de  la  ville  en  1429,  en  1436  et  en  1412. 
D'après  une  ordonnance  de  Charles  V,  cette  fonction  con- 
férait la  noblesse  transmissible.  Il  avait  épousé  Catherine 
Le  Gras,  en  1447.  Il  mourut  le  4  août  1471.  Il  eut  pour  fils 
Simon  de  Neuf  ville  .qui  vendit  aussi  du  poisson  et  fut  élu 
échevin  en  1479  et  en  1481,  puis  conseiller  de  la  ville  en  l'an 
1500.  Le  frère  de  Simon,  Nicolas,  fut  marchand  de  poisson 
de  mer  (2).  Sa  sœur  Jeanne  épousa  «  honorable  homme  » 
Laurent  de  Larche,  bourgeois  de  Paris,  et  fut  mère  de 
Henri  de  Larche,  notaire  au  Châtelet  de  Paris,  l'an  1520. 
Voilà  ce  que  nous  savons  des  trois  premiers  Neufville  et 
de  leur  famille  d'après  les  Registres  du  Châtelet,  que  dé- 
pouillèrent d'Hozier  et  d'autres  généalogistes  (3).  Les  bio- 
graphies officielles  et  les  dictionnaires  de  la  noblesse  font 

(1)  Voir  F.  fr.  8217,  f°  570.  —  Ces  renseignements  sur  les  trois 
premiers  Neufville  nous  sont  fournis  par  quelques  rares  pièces  et  des 
notes  de  d'Hozier  et  d'autres  généalogistes  conservées  dans  les  Pièces 
originales,  nos  2100,  2101,  2102  et  dans  les  Dossiers  Bleus,  n"  48). 
D'Hozier  a  rédigé  en  1707  des  mémoires  sur  les  ducs  el  pairs,  pour  le 
roi  ei  pour-Mme  deMaintenon  (Mss  Clairambault,  n°  71'J).  L'extrait  con- 
cernant les  Neufville-Villeroy  a  été  publié  par  Boislisle  dans  son  édition 
des  Mémoires  de  Saint-Simon,  in-So  1888,  t.  VI,  pp.  500-599  (append. 
XXI II. 

(2)  Pièces  orig.  2102.  Voir  aux  dossiers  bleus,  n»  487,  fo  13  et  sui- 
vants, les  extraits  des  registres  des  audiences  du  Châtelet  de  Paris  de 
l'an  1467  à  l'an  1500  où  l'on  relève  les  noms  de  Neufville. 

(3)  Mentionnons  en  passant  un  Nicolas  de  Neufville,  clerc  île  la  cui- 
sine de   Philippe   le    Long,   employé  en   cette  qualité  dans  une  ordon- 

pour  la  maison  d< prince  faite  à  Loris  en  Gàtinais  le  17  no- 
vembre 1317.  On  ne  sait  comment  rattacher  à  lui  les  Neufville  connus. 
On  ne  sait  môme  pas  s'il  est  un  de  leurs  ascendants  (Voir  Pièces  orig. 
21(12,  p.  50). 


LES    DEBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  à 

le  silence  sur  cette  origine  roturière  (1).  Villeroy  n'en  a 
jamais  dit  un  mot,  à  notre  connaissance,  et  il  est  curieux  de 
constater  qu'aucun  de  ses  contemporains,  pas  même  Sully, 
son  ennemi,  ne  fait  la  moindre  allusion  au  métier  de  Richard, 
de  Simon  et  de  Nicolas.  Cependant,  on  connaissait  une 
partie  de  cette  modeste  histoire,  carl'Estoile,  en  notant  dans 
son  journal  la  mort  du  père  de  Villeroy  advenue  en  1598, 
ajoutait  :  «  Son  grand-père,  selon  le  bruit  commun,  était 
vendeur  de  marée  (2).  » 

De  tels  souvenirs  ne  pouvaient  que  devenir  de  plus  en 
plus  désagréables  à  mesure  que  grandissait  la  famille.  Saint- 
Simon  raconte  le  «  trait  cruel  »  qu'un  perfide  ami,  le  duc 
de  Gesvres,  fit  en  1699  au  maréchal  de  Villeroy,  l'arrière- 
petit-filsdu  ministre  d'Henri  IV.  Impatienté  des  grands  airs 
du  maréchal  qui  se  pavanait  derrière  le  fauteuil  du  roi,  il 
lui  rappela,  sur  un  ton  de  charmant  persiflage,  que  tous 
deux  devaient  s'estimer  bien  heureux;  les  Villeroy  et  les 
Gesvres  avaient  accumulé  des  charges,  des  gouvernements, 
des  dignités,  des  biens  sans  nombre  et  leurs  pères  étaient 
des  secrétaires  d'Etat.  «  Arrêtons-nous  là,  monsieur  le 
Maréchal,  s'écria-t-il,  n'allons  pas  plus  loin  ;  car  qui  étaient 
leurs  pères  à  ces  deux  secrétaires  d'Etat  ?  De  petits  commis, 
et  commis  eux-mêmes;  et  de  qui  venaient-ils?  Le  vôtre 
d'un  vendeur  de  marée  aux  halles,  et  le  mien  d'un  porte- 
balle,  et  peut-être  de  pis...  »  Saint-Simon  ajoute  que  le  ma- 
réchal «  eût  voulu  être  mort,  beaucoup  mieux  encore  l'étran- 
gler »  (3).  L'orgueil  des  Villeroy  ne  subit  pas  une  moins 
rude  épreuve  quand  parut,  sous  la  Régence,  le  fameux  pam- 


(1)  Le  père  Anselme  n'a  pas  établi  la  généalogie  des  premiers  Neuf- 
ville.  On  ne  la  trouve  que  dans  les  ouvrages  plus  récents,  dansLaisnë, 
Dictionnaire  véridiqw  tien  //taisons  nobles  ou  anoblies,  1819,  t.  II,  p. 
272  et  dans  Courcelles,  Histoire  généalogique  des  pairs  de  France, 
1825,  t.  V. 

(2)  L'Estoile,  VII,  loi. 

(3)  Mémoires  de  Saint-Simon,  éd.  Boislisle,    VI,  413-415. 


4  VILLEROY 

phlet  du  président  de  Novion  :  «  Requête  anonyme  de 
MM.  <lu  parlementa  S.A.  R.  M.  le  duc  d'Orléans,  régent,  au 
sujet  des  prétentions  des  ducs  »  (1).  L'origine  marchande 
des  Neufville  y  était  étalée  sans  ménagement,  et  on  y  fai- 
sait remarquer  que  «  la  morgue  du  maréchal  de  Villeroy  a 
de  la  peine  à  s'accommoder  d'une  si  basse  extraction  ».  Il 
est  vrai  que,  par  compensation,  les  flatteurs  rattachaient 
cette  famille  à  l'ancienne  maison  des  De  Neufville  d'Angle- 
terre (2). 

Celui  des  Neufville  qu'on  désigne  comme  «  premier  du 
nom  »  est  Nicolas,  le  fils  du  marchand  et  échevin  Simon 
et  le  chef  de  cette  lignée  de  secrétaires  du  roi,  les  seuls 
qu'avouaient  les  ducs  et  pairs,  en  amplifiant  un  peu  leur 
rôle.  Car,  disait  ironiquement  un  triolet  de  l'an  1695, 

De  père  en  fils  les  Villeroys 
Ont  tous  été  des  gens  de  plume  ; 
Ils  n'ont  point  eu  d'autres  emplois, 
De  père  en  fils  les  Villeroys  'v3). 

Nicolas  de  Neufville,  seigneur  de  l'Equipée,  des  Tuileries 
et  de  Chanteloup,  en  1500,  était  en  150(5  receveur  des  aides 
et  tailles  à  Beauvais,  en  1507,  notaire  et  secrétaire  du  roi. 
En  janvier  1515,  il  reçut  une  commission  de  secrétaire  des 
finances  du  roi  François  Ier  qui  lui  octroya,  quelques  jours 
après,  «  en  récompense  des  bons  et  agréables  services 
qu'il  en  avait  reçus  avant  son  avènement  à  la  couronne»,  les 
droits  de  bourse  dus  à  S.  M.  dans  toutes  les  chancelleries  de 
France.  Trois  ans  après,  il  était  pourvu  de  l'office  d'audien- 


(1)  Lîibl.  de  l'Arsenal,  recueil  de  pièces  curieuses  de  1715  à  1733, 
Cette  requêleaété  imprimée  dans  la  Reçue  rétrospective,  2e série,  t.  VI, 
98-112. 

(2)  Voir  une  de  ces  généalogies  dans  les  pièces  orig.,  2102,  p.  66. 

(3)  Voir  I'.  Fr.  L2691,  fo  605.  Publié  dans  l'édition  Boislisle,  t.  VI, 
p.  414,  n. 


LES    DÉBUTS    —    LE    SECRETAIRE    DE    CHAULES    IX  O 

cier  de  France.  En  1524,  il  était  trésorier  de  France  et  général 
des  finances.  Le  6  janvier  1539,  il  résigna  son  office  de  secré- 
taire du  roi  à  son  fils  Nicolas  et  mourut  en  154(.),  étant  con- 
seiller au  conseil  privé.  Il  avait  épousé  Geneviève  le  Gendre, 
fille  de  Jean  le  Gendre,  qui  s'était  enrichi  comme  son  père 
dans  le  commerce  des  vins  et  des  draps  avant  d'être  tréso- 
rier des  guerres  (1474)  et  d'être  ennobli  (14%).  Jean  le 
Gendre  avait  du  bien.  Il  était  seigneur  de  Villeroy,  de  Har- 
deville,  de  la  Chapelle-la-Reine,  dliallaincourt,  de  Magny  et 
de  Conflans  (1).  Ces  terres  passèrent  à  son  fils  Pierre  le 
Gendre,  conseiller  du  roi  et  trésorier  de  ses  guerres,  tréso- 
rier de  France  en  1505,  et  prévôt  des  marchands  de  la  ville 
de  Paris  en  1508.  Pierre  le  Gendre  fit  son  testament  le  15 
novembre  1524  en  faveur  de  son  neveu  Nicolas  de  Neufville, 
deuxième  du  nom,  sous  la  condition  expresse  que  le  fils 
aîné  de  celui-ci  porterait  le  nom  et  les  armes  des  Le  Gendre. 
C'est  ainsi  que  les  biens  des  Le  Gendre  vinrent  grossir 
le  petit  domaine  des  Neufville.  Ils  étaient  formés  de  la  sei- 
gneurie de  Villeroy  qui  devait  donner  son  nom  à  notre 
ministre,  de  la  maison  de  Conflans,  près  Charenton,  «les 
terres  de  la  Chapelle-la-Reine,  Hardeville,  Hallincourt  et 
de  la  belle  seigneurie  de  Magny,  dans  la  région  la  plus 
fertile  du  Vexin  français.  Ce  dernier  domaine  avait  été 
acheté  par  Pierre  le  Gendre,  en  1498,  et  pour  être  le  sei- 
gneur et  maître  de  tout  le  pays  alentour,  il  avait  acquis 
de  François  1er,  le  10  août  1521 ,  la  haute  justice  de  Magny, 
Hallaincourt,  Chaudry,  Pierrepont,  Pallemont,  Saint-Ger- 
vais,  Estrées,  Archemont,  Bouconvillers  et  Hardeville  (2). 


(1)  Villeroy  est  situé  dans  la  commune  actuelle  tle  Mennecy,  arron- 
dissement de  Corbeil(Seine-et-Oise).  La  Chapelle-la-Reine  est  un  chef- 
lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Fontainebleau.  Conllans  était  au 
confluent  de  la  Marne  et  de  la  Seine,  près  de  Charenton.  Hardeville  fai- 
sait partie  de  la  paroisse  de  Nucourt.  Magny-en-Vexin  est  un  chef-lieu 
de  l'arrondissement  de  Mantes.  Hallaincourt,  autrefois  Alincourt,  est  à 
une  lieue  N.-O.  de  Magny. 

(2)  Chaudry  est  un  hameau  de  la  commune  de  Parnes,  et  du  canton 


(,  Mil  KROl 

Quelque  temps  auparavant,  son  beau-frère,  Nicolas  de 
Neuville,  avait  l'ail  avec  le  roi  un  échange  qu'il  importe  do 
mentionner:  il  lui  avait  cédé,  le  12  février  IMS.  sa  maison 
des  ruileries  pour  la  petite  seigneurie  de  Chanteloup,  près 
Chastes.  Sur  ce  terrain  des  Neufvilleoù  était  uneancienne 
fabrique  de  tuiles,  François  Ier  projeta  de  bâtir  un  palais 
pour  sa  mère  et  Catherine  de Médicis  construisit  la  demeure 
royale  qui  lut  brûlée  sous  la  Commune. 

Nicolas  de  Neufville,  W  du  nom.  que  l'on  connaît  aussi 
mal  que  son  père,  se  distingua  dans  les  mômes  offices  de 
finances  et  fut  un  bon  serviteur  de  François  1'.  11  fut 
nommé,  en  1539,  secrétaire  du  roi,  par  la  résignation  de 
son  père,  ol  en  l'an  1544,  secrétaire  des  commandements, 
[lavait  suivi  François!**  dans  les  guerres  d'Italie:  à  la  ba- 
taille de  Pavie,  il  avait  fait  le  vœu  de  bâtir  un  monastère 
en  l'honneur  de  la  Vierge  :  il  tint  >a  promesse  et  construisit 
le  petit  couvent  de  l'Annonciade  àChanteloup,  que  son  fils 
et  son  petit-fils  entretinrent  pieusement.  Ce  Neufville  est 
le  premier,  semble-t-il,  auquel  le  roi  ait  confié  des  missions 
diplomatiques,  en  Flandre  et  en  Angleterre. 

Nicolas  de  Neufville  fut  le  premier  maître  du  jeune  Ma- 
rot  qui  fut  son  page  avant  de  passer  au  service  de  Margue- 
rite d'Angoulème  et  du  roi  François.  Le  poète  qui  en  avait 
gardé  un  excellent  souvenir  lui  dédia,  eu  1538,  une  œuvre 
de  sa  jeu:    —  C'est  bien  raison. 

écrivait-il.  que  l'œuvre  soit  à  Ion  dédiée  qui  la  commandas»  à 
to\  mon  premier  maistre.  et  celluj  seul  (hormis  les  PrincesJ 
que  jamais  je  servy.  Soit  doncques  consacré  ce  petit  livre 
à  ta  prudence,  noble  seigneur  de  Neufville,  à  fin  qu'en 
npense  de  certain  temps  que  Marot  a  vescu  avecques 


3     S 

S 
tenant. 


LES   DÉRUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  t 

toy  en  ceste  vie,  tu  vives  ça  bas,  après  la  mort,  avecques 
lu  y,  tant  que  ses  œuvres  dureront  (1).  » 

Nicolas  de  Neufville  avail  épousé  Denise  du  Museau, 
fille  de  Marc  du  Museau,  maître  d'hôtel  du  roi  et  ambassa- 
deur auprès  des  Suisses,  et  de  Marie  Briçonnet,  nièce  de 
Robert  Briçonnet,  archevêque  «le  Reims  el  chancelier.  Il 
eu  eul  deux  (ils,  Nicolas,  111°  dunom,  etJeande  Neufville, 
sieur  de  Chanleloup,  de  Bouconvillers  et  de  Hardeville, 
secrétaire  de  la  maison  du  roi,  en  1549.  Cet  oncle  de  noire 
Villeroy,  qui  vécut  assez  obscurément,  eut.  de  sa  femme, 
Geneviève  Allard,  fille  d'un  conseiller  au  Parlement,  un 
(ils  (|tii  ne  se  maria  pas,  et  deux:  tilles  dont  il  importe  de 
mentionner  les  mariages,  pour  l'aire  connaître  les  familles 
alliées  à  celle  «le  Villeroy,  l«v  milieu  social  où  il  vécut. 
Madeleine  épousa  Jean  Bochard,  sieur  de  Champigny, 
premier  Président  au  Parlement  de  Paris,  conseiller  d'Etat 
el  ambassadeur  à  Venise  ;  Anne  fut  mariée  à  Christophe  de 
Thon,  premier  Président  au  Parlement  de  Paris,  le  père  de 
l'historien. 

Nicolas  d«v  Neufville,  III"  «lu  uom,  né  eu  1526,  est  qua- 
litié  de  seigneur  «le  Villeroy,  d'Hallaincourt,  «l«>  Magny,  de 
Bouconvilliers,  «lu  Plessis,  «l<-  Bautheleu,  «le  Hardeville  el 
baron  «le  la  Ghapelle-la-Reine.  Il  l'ut  secrétaire  du  roi, 
signant  en  finance,  trésorier  de  France,  [mis  trésorier  de 
l'Ordre  «le  Saint-Michel.  Après  la  morl  <l<>  sou  père,  il  prit 
le  nom  et  les  armes  de  Le  Gendre,  par  lettres  de  mutation 


(l)  Celle  dédicace  Fut  placée  en  tête  'lu  Temple  de  Cupido,  dans 
l'édition  des  Œuvres,  publiées  par  Dolet,  en  1538.  Elle  est  datée  de 
Lyon  «  ce  quinsiesme  jour  de  may  1538  »  et  commence  ainsi  :  «  En 
revoianl  les  escriptz  <le  ma  jeunesse,  pour  les  remettre  pins  clerz  «pie 
devanl  en  lumière,  il  m'est  entré  en  mémoire  que  estant  encores  page, 
et  a  toy,  liés  honoré  seigneur,  je  composay  par  ton  commandemenl  la 
queste  de  Ferme  Amour,  laquelle  je  trouvay  au  meilleur  émirent  du 
Temple  de  Cupido,  en  le  visitant  comme  l'aage  lors  le  requéroit.  » 
Œuvres  complètes  de  Clément  Murât,  Ed.  Janet,  1883,  in-12,  t.  I, 
p.  7. 


ViLT.EROY 


datées  de  mai  1554  (1).  Le  nom  ne  demeura  pas  :  après  une 
trentaine  d'années,  Nicolas  préféra  reprendre  celui  de 
Neufville.  Il  fut  élu  prévôt  des  marchands  de  la  ville  de 
Paris  en  1566  et  exerça  ces  fonctions  jusqu'à  la  fin  de  1570. 
Deux  après,  Charles  IX  le  créa  chevalier  de  Tordre  de 
Saint-Michel.  Il  le  pourvut  de  l'importante  charge  de 
gouverneur  de  Melun,  Mantes  et  Meulan,  et  du  titre  de 
lieutenant  de  roi  en  l'Ile  de  France,  qu'il  conserva  jusqu'à 
sa  mort,  en  1598.  C'étaitun  bon  serviteur  des  rois,  un  excel- 
lent homme  qui,  nous  dit  le  P.  Coton,  «  se  fit  aimer  d'un 
chacun  par  le  moyen  de  quatre  belles  qualités  naturelles  : 
car  il  était  affable,  officieux,  libéral  et  nullement  médi- 
sant »  (2).  Il  travailla  à  agrandir  et  à  bien  administrer  sa 
fortune.  Il  acquit,  en  1581,  des  héritiers  de  Guy  l'Arbaleste, 
vicomte  de  Melun,  président  en  la  Chambre  des  Comptes 
de  Paris,  le  domaine  de  Corbeil  qui  leur  avait  été  engagé 
par  les  commissaires  du  roi  en  1552,  c'est-à-dire  l'ancienne 
vicomte  de  Corbeil,  avec  les  droits  de  justice.  Magny  fut 
sa  terre  de  prédilection.  Il  se  plut  à  embellir  le  vaste  châ- 
teau Renaissance  dont  il  ne  subsiste  que  les  caves  et  une 
pierre  gravée  aux  armes  de  la  famille  qu'on  a  scellée  dans 
une  maison  voisine,  après  la  destruction  du  monument  par 
la  bande  noire  en  1821 .  Il  refit  à  ses  frais  les  murailles  de  la 
ville,  en  1563,  et  obtint  du  roi  Charles  IX  l'établissement 
d'un  juge  particulier  connaissant  de  toutes  les  matières 
civileset  criminelles  et  dont  les  jugements  ressortiraienten 
appel  au  Parlement  de  Paris  (3).  La  petite  ville  fut  pourvue 
jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime  d'un  nombreux  personnel 


(1)  Ces  armes  étaient  d'azur  à  un  chevron  d'or  accompagné  de  trois 
croix  ancrées  du  même,  deux  en  chef  et  une  en  pointe. 

(2)  P.  Coton,  Oraison  funèbre  sur  le  trespas  de  M.  de  Villeroi.  ..1618, 
p.  23. 

(3)  Feuilloley,  Notice  surle  canton  de  Magnij-en-Vexin,  in-8°,  1884, 
p.  56  et  suiv.  —  Voir  aussi  quelques  renseignements  dans  Potiquet, 
Recherches  sur    Magnyen-Vexin,  in-8°,  1877. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  9 

judiciaire,  lieutenant  général,  procureur  du  roi,  procureurs, 
greffier,  sergents  et  huissiers.  Il  veilla  soigneusement  à 
empêcher  la  Réforme  d'envahir  la  ville  et  ses  environs,  que 
menaçait  le  château  de  Buhy,  dont  la  famille  Duplessis- 
Mornay  avait  fait  un  dangereux  foyer  de  propagande,  tout 
près  d'Hazeville,  où  Calvin  s'était  réfugié  et  avait  médité 
l'Institution  chrétienne  (1).  A  l'autre  extrémité  de  l'Ile  de 
France,  sur  les  bords  de  l'Essonne,  à  deux  lieues  de  Cor- 
beil,  il  avait  agrandi  et  orné  le  château  de  Villeroy,  où 
travaillèrent  Jean  Goujon  et  Germain  Pilon.  «Comme  il 
avait  l'àrnebien  composée  et  toute  harmonique  »,  nous  dit 
encore  le  P.  Coton,  il  se  plaisait  grandement  à  la  musique, 
aux  bâtiments  et  à  vivre  splendidement.  » 

Nicolas  de  Neufville  avait  épousé,  en  15.°>'2,  une  bour- 
geoise, Jeanne  Prudhomme,  fillede  Guillaume  Prudhomme, 
seigneur  de  Fontenay-en-Brie,  qui  fut  trésorier  de  l'épar- 
gne, puis  trésorier  de  France.  Il  en  eut  deux  enfants,  un 
lils  qui  naquit  en  1543,  Nicolas  de  Neufville,  IVe  du  nom, 
l'homme  d'Etat  que  nous  étudions,  et  une  fille,  Denise,  qui 
épousa,  en  1568,  Henri  Gausse;  seigneur  de  Fleury  et  de 
Marehaumont,  grand  maître  des  eaux  et  forets  de  France. 
Il  eut  aussi  une  fdle  naturelle  qui  l'ut  abbesse  de  Malnoue 
et  vivait  encore  en  1611. 


II 


La  première  jeunesse  de  Villeroy  nous  est  à  peu  près 
inconnue.  Ses  contemporains, qui  sont  si  prodigues  d'anec- 
dotes sur  l'éducation  des  grands  et  des  princes,  ne  sem- 
blent pas  s'être   préoccupés  des  débuts  de  ce   secrétaire 


(1)  Dans  les  campagnes  voisines  existent  encore  quelques  dénomi- 
nations qui  rappellent  ce  temps  de  prosélytisme  huguenot,  le  chemin 
du  Prêche,  la  sente  des  Huguenots. 


10  VILLEROY 

d'Etat  ;  ils  ne  s'intéressent  qu'à  ses  actes  politiques  d'homme 
adulte.  Villeroy  lui-même  est  muet  sur  ses  premières  an- 
nées. Sans  aucun  doute,  il  a  estimé  inutile  de  recueillir 
dans  ses  souvenirs  des  anecdotes  qui  n'auraient  pas  servi 
directement  la  seule  fin  qu'il  se  proposait,  l'apologie  de  sa 
vie  d'homme  d'Etat. 

Il  a  été  élevé  au  collège  de  Navarre,  avec  les  fils  de  ses 
plus  illustres  contemporains,  dans  cet  établissement  que 
l'historien  Mézerai  appelait  «  le  berceau  de  la  noblesse 
française  et  l'honneur  de  l'Université  de  Paris  ».  Comment 
il  y  étudia,  ce  qu'il  valut  comme  élève,  comment  il  com- 
pléta son  instruction,  au  sortir  de  l'école  nousl'ignorons(l). 

Il  est  certain  que  son  éducation  littéraire  fut  médiocre- 
ment soignée.  Sully,  grand  amateur  d'éloquents  discours, 
de  beau  style  et  de  traits  érudits,  ne  dissimule  pas  l'im- 
pression lâcheuse  que  lui  a  causée  la  lecture  du  livre  de 
Villeroy,  «  tout  en  assez  mauvais  termes  et  pauvre  style  ». 
Il  traite  son  collègue  de  «  mauvais  harangueur  »  qui  n'a 
jamais  appris  à  parler  en  public  ni  osé  entreprendre  d'opi- 
ner au  Conseil  (2).  Richelieu  a  porté  sur  Villeroy  un  juge- 
ment aussi  sévère,  d'un  ton  plus  calme.  Il  reconnaît  qu'  «il 
fut  homme  de  grand  jugement,  mais  non  aidé  d'aucunes 
lettres  ».  «  Il  ne  les  aimait,  parce  qu'il  ne  les  connaissait 
pas  et  présumait  beaucoup  de  soi.  ne  considérant  pas  qu'il 
n'avait  atteint  que  par  une  longue  expérience  la  connais- 
sance qu'il  avait,  que  les  lettres,  par  un  chemin  abrégé, 
lui  eussent  donné  et  plus  parfaite  et  plus  facilement  (3).  » 

(1)  La  Huguerye,  dans  ses  Mémoires,  rappelle  qu'il  a  connu  Villeroy 
au  collège  de  Navarre  (Ed.  de  Ruble,  I.  p.  5).  —  Voir  sur  le  collège  de 
Navarre  J.  Launoy,  Regii  Navarrse  gymnasii  Parisiensis  historia, 
in-4,  1677,  I,  p.  341  et  suiv.  Henri  de  Navarre,  le  duc  d'Anjou,  le  duc 
de  Guise  furent  élèves  du  collège  de  Navarre. 

(2)  Ec.  Roy.,  Il,  p.  4  0!)  et  p.  454  (observations  sur  les  Mémoires  de 
Villeroy). 

(3)  Mémoires  du  cardinal  de  Richelieu,  Ed.  Miehaud,  2e  série,  VII, 
p.  178.  Plus  loin,  parlant  de  l'historien  de  Thou,  Richelieu  constate  que 


LES    DÉBUTS    —    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  11 

Les  réticences  des  apologistes  de  Villeroy  nous  rensei- 
gnent autant  que  les  critiques  positives  des  adversaires.  Le 
P.  Coton  et  l'historiographe  Pierre  Matthieu,  qui  ont  vécu 
dans  l'intimité  du  ministre,  ont  rappelé  des  souvenirs  per- 
sonnels et  Font  loué  avec  tact,  l'un  dans  son  oraison  funè- 
bre, l'autre  dans  ses  Remarques  d' Estât.  Ni  l'un  ni  l'autre 
n'ont  exalté  les  qualités  dont  il  était  dépourvu.  Le  P.  Coton, 
faisant  allusion  à  ses  débuts,  ne  vante  que  son  éducation 
dans  la«  royale  science  de  l'Etat  »  (1).  Matthieu  rapporte 
qu'Henri  IV  «  s'étonnaitqu'une  telle  tète  sût  tant  de  choses, 
sans  y  avoir  rien  mis  en  sa  jeunesse  de  ce  qui  s'apprend 
par  l'étude  ou  de  ce  qui  se  tire  des  livres  »,  et  il  ajoute 
sentencieusement  que  «  si  cet  entendement  si  fort  et  si  vif 
eût  été  cultivé  par  l'art  et  la  science,  il  fût  réussi  encore  à 
plus  grande  perfection  »  (2). 

Il  suffit  d'avoir  lu  la  correspondance  et  les  mémoires  de 
Villeroy  pour  constater  que  ce  ministre  n'a  pas  de  lettres. 
Son  style  n'est  ni  fleuri  d'expressions  savantes,  ni  émaillé 
de  ces  citations  d'auteurs  anciens  ou  chrétiens  qui  plai- 
saient tant  aux  hommes  du  xvi1'  siècle.  Il  est  simple,  fami- 
lier, parfois  négligé  et  lent,  parfois  imagé  par  de  savou- 
reuses locutions  populaires  ou  de  bons  vieux  proverbes. 
C'est  le  langage  courant  d'un  homme  d'affaires  qui  n'a 
d'autre  souci  que  de  s'expliquer  clairement  et  de  faire  bien 
comprendre  ses  instructions,   d'un   administrateur  qui  a 

«  savoir  est  toute  autre  chose  qu'agir...  M.  de  Villeroy  sans  science, 
s'y  étant  trouvé  aussi  propre  que  lui  inhabile  avec  toute  son  étude  ». 
Ibid..  p.  179. 

A  ces  témoignages,  il  faut  ajouter  celui  des  ambassadeurs  étrangers. 
L'Anglais  Carew,  en  1609,  écrit:  «  Ornaments  of  learning  lie  hath  few 
or  none  at  ail,  but  a  strong  natural  judgment,  polished  and  perfected 
with  a  long  expérience.  »  [A  Relation  of  the  State  of  France...  bij  sir 
George  Carew,  appendice  à  An  Historical  view  of  the  negotiations 
bethireen  the  courts  of  England,  France  and  Brussels  from  the  year 
1592  to  1617...  by  Th.Birch,  London,  1749,  p.  491. 

(1)  P.  Coton,  Oraison  funèbre...,  p.  23. 

(2)  P.  Matthieu,  Remarques d'Estat,  p.  271. 


12  VILLEROY 

débuté  de  bonne  heure  au  service  de  l'Etat  et  n'a  eu  le  temps 
d'achever  son  éducation  ni  aux  Universités,  ni  dans  les 
doctes  compagnies,  ni  dans  le  commerce  des  bons  auteurs. 
A  quel  moment  aurait-il  trouvé  les  loisirs  nécessaires  pour 
perfectionner  ses  études?  Dès  l'âge  de  seize  ans,  il  travaille 
sous  les  ordres  d'un  secrétaire  des  commandements  du  roi  ; 
à  dix-huit  ans,  il  se  marie,  à  vingt-quatre  ans  il  commence  à 
exercer  la  charge  de  secrétaire  d'Etat  qui  devait  rester  entre 
ses  mains  pendant  près  d'un  demi-siècle. 

Sa  carrière,  nous  l'avons  vu,  était  toute  tracée.  Il  n'avait 
qu'à  suivre  la  voie  marquée  d'avance  par  son  grand-père  et 
son  père,  qui  avaient  été,  l'un,  conseiller  au  conseil  privé, 
l'autre  secrétaire  des  finances.  Aussi,  en  considération  de 
leurs  services  et  par  la  faveur  de  son  père,  homme  très 
estimé,  fut-il  nommé  secrétaire  des  finances,  à  sa  survi- 
vance, le  16 juin  1559.  Il  fut  aussi  reçu,  le  même  mois,  con- 
seiller notaire  et  secrétaire  du  roi  (1).  Il  serait  très  difficile 
de  dire  avec  précision  à  quoi,  s'employa  l'activité  de  débu- 
tant du  jeune  Villeroy.  Xi  lui,  ni  aucun  de  ses  contempo- 
rains n'en  ont  parlé.  Il  fit  modestement  le  métier  de  commis, 
chiffrant  et  déchiffrant  les  dépêches,  transcrivant  les  lettres 
patentes,  ordres  et  mandements  royaux,  accomplissant  de 
menues  missions  auprès  des  hommes  d'état  ou  des  princes 
de  la  Cour.  Nous  savons  qu'un  des  secrétaires  d'Etat,  Bour- 
din,  un  brave  homme  de  mœurs  très  simples  qui  en  dix-huit 
ans  de  vie  publique  n'éleva  ses  revenus  que  de  200  livres, 
s'intéressa  particulièrement  à  lui.  Il  prit  soin  de  le  façonner 
aux  affaires,  en  même  temps  que  son  propre  neveu  le  jeune 
Brulart  (2). 


(1)  F.  Fr.  4591,  fo  85-91. 

(2)  Fauvelet  du  Tac,  Histoire  des  secrétaires  d' 'Estât  contenant  l'ori- 
gine, le  progrès  et  l'établissement  de  leurs  charges...  in-4°,  J668, 
p.  103. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRÉTAIRE    DE    CHARLES    IX'  13 

A  dix-huit  ans,  Villeroy  se  maria  (1561).  II  épousa  une 
jeune  fille  gracieuse  et  spirituelle,  Madeleine  de  l'Aubes- 
pine,  dont  le  père  était  secrétaire  d'Etat  et  ministre  très  en 
faveur  auprès  de  Charles  IX }et  de  Catherine  de  Médicis. 
Claude  de  l'Aubespine,  seigneur  deHauterive,  baron  de  Châ- 
teauneuf,  était  entré  lui  aussi  1res  jeune  dans  la  carrière, 
comme  notaire  et  secrétaire  du  roi  du  nombre  des  six-vingt. 
Par  l'appui  de  son  beau-père,  Guillaume  Bochetel,  un  des 
plus  intelligents  secrétaires  des  commandements  et  finances 
de  François  Ier,  il  avait,  en  1543,  succédé  à  Breton  de  Vil- 
landrv  comme  secrétaire  des  finances.  Il  [fut  maintenu  au 
pouvoir  parla  confiance  d'Henri  II,  quand  ce  prince,  par 
les  célèbres  règlements  du  1er  avril  et  du  14  septembre  1547, 
réduisit  à  quatre  le  nombre  des  secrétaires  des  finances, 
fixa  à  chacun  un  département  à  administrer  et  les  admit 
comme  assistants  au  Conseil  du  roi.  C'est  lui  qui  mit  les 
secrétaires  d'Etat  «  hors  de  page  ».  selon  le  mot  de  Saint- 
Simon  (1).  Délégué  au Cateau-Cambrôsis  pour  traiter  delà 
paix,  il  y  obtint  le  titre  de  secrétaire  d'Etat  pour  ne  point 
paraître  inférieur  en  dignité  aux  ministres  espagnols  dési- 
gnés de  ce  nom.  Claude  de  l'Aubespine  était  un  grand  per- 
sonnage en  cour.  La  reine-mère,  qui  avait  pour  lui  la  plus 
haute  estime,  aimait  à  lui  confier  de  délicates  missions. 
Elle  l'envoya  à  l'assemblée  de  Fontainebleau  en  15(30,  au 
prince  de  Condé  et  aux  chefs  protestants  réunis  en  confé- 
rence pour  la  paix  en  1562,  aux  mêmes  qui  menaçaient  la 
capitale  en  1567,  au  village  de  la  Chapelle  (2). 


(1)  Saint-Simon,  IX,  p.  442.  a  Les  ministres...  ne  faisaient  qu'éclorc 
du  bas  état  qui  les  avait  jusqu'alors  tenus  en  disproportion  si  marquée 
en  toutes  choses  des  gens  de  qualité...  » 

(2)  Fauvelet  du  Toc,  p.  77  et  suiv.  Voir  Décrue,  Anne,  duc  de  Mont- 
morency, in-8o,  1 889,  p.  458  et  suiv.  L'auteur  montre  que  L'Aubespine 
était  le  principal  secrétaire  d'Etat  et  jouait  un  rôle  considérable  dans  le 
gouvernement,  uni  au  connétable  de  Montmorency.  La  correspondance 
de  Catherine  de  Médicis  est  un  document  de  premier  ordre  pour  l'étude 
du  rôle  de  L'Aubespine. 


14  VILLEROY 

Après  son  mariage,  Villeroy  continua  modestement,  pen- 
dant cinq  ans,  à  travailler  dans  les  bureaux.  Cette  période 
de  sa  vie  est  restée  fort  obscure.  Son  beau-père  et  le  secré- 
taire d'Etat  Bourdin  de  Villeines  (le  secondgendre  de  Guil- 
laume Bochetel)  le  dirigeaient. 

Villeroy  raconta  plus  tard  à  P.  Matthieu  qu'il  avait  été 
employé  à  faire  l'édit  de  pacification  des  premiers  troubles 
en  Tan  1563  (1).  Il  était  sans  doute  attaché  à  Claude  del'Au- 
bespine  qui  joua  un  rôle  important  dans  les  négociations 
préliminaires,  sous  la  haute  direction  de  Catherine  de  Mé- 
dicis.  La  reine-mère,  après  la  paix  d'Amboise,  étant  entrée 
dans  Orléans  et  ayant  rétabli  l'ordredans  la  ville  foulée  par 
les  gens  de  guerre,  fit  annoncer  cette  heureuse  nouvelle  à 
son  Parlement  par  «  le  jeune  Villeroy  présent  porteur  »  (2). 
C'est,  durant  cette  période,  la  seule  mention  qui  soit  faite, 
dans  la  correspondance  de  Catherine,  de  la  part  prise  par 
Villeroy  aux  affaires  intérieures.  La  reine-mère  lui  confia 
aussi  quelques  petites  missions  dans  les  pays  étrangers.  II 
fut  envoyé  en  Espagne  pour  l'exécution  de  quelques  articles 
de  la  paix  de  Cateau-Cambrésis,  puis  à  Rome,  auprès  du 
pape  Pie  IV,  pour  le  différend  de  la  préséance  entre  la 
France  et  l'Espagne.  Ce  sont  des  missions  dont  il  n'a  point 
parlé  et  qui  n'étaient  point  très  importantes.  On  choisissait 
souvent  quelques  secrétaires  de  bonne  maison  pour  porter 
des  instructions  aux  ambassadeurs:  ils  avaient  une  mission 
bien  définie,  étaient  présentés  au  souverain,  faisaient  un 
voyage  agréable,  étaient  complimentés  à  leur  retour  en 
cour,  sans  avoir  eu  l'occasion  de  faire  œuvre  de  grands 
diplomates  (3). 

(1)  P.  Matthieu,  Démarques  d'Estat,  p.  259. 

(2)  H.  de  la  Ferrière,  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  II,  p  5.  Col- 
lection de  Doc.  inéd.  sur  l'IIist.  de  Franco;  P.  1880.  Lettre  du  1er 
avril  1563. 

(3)  Aussi  ne  convient-il  point  d'exagérer  l'importance  de  ces  mis- 
sions, comme  l'ont  fait  les  apologistes  habituels  de  Villeroy.  Nous 
n'avons  aucun  détail  sur   ces  voyages.  C'est  un  voyage  de  ce  genre, 


LES    DÉBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  15 


III 


A  vingt-quatre  ans.  Villeroy  devint  secrétaire  d'Etat.  La 
charge  de  son  beau-père  ne  lui  avait  tout  d'abord  pas  été 
destinée.  Claude  de l'Aubespine  avait  un  fils  auquel  il  l'avait 
fait  accorder  en  survivance,  le  26  mars  1560.  Mais,  au  mois 
de  juillet  1567,  mourut  le  vieux  Jacques  Bourdin  ;  L'Aubes- 
pine, qui  voulait  faire  avancer  son  gendre  à  l'égal  de 
son  fds,  s'empressa  de  faire  nommer  ce  dernier  secrétaire 
d'Etat,  à  la  place  qu'avait  occupée  son  beau-frère  pendant 
neuf  ans,  et  obtint  sans  peine  du  roi  la  permission  de 
transférer  au  jeune  Villeroy  sa  survivance.  Les  lettres  furent 
données  à  Paris,  le  25  octobre  1567.  Le  chancelier  l'Hôpital 
les  scella  et  le  jour  suivant,  Villeroy  prêta  serment  entre 
ses  mains.  Cependant,  l'Aubespine  était  tombé  malade  en 
son  logement  du  Louvre  ;  le  11  novembre,  il  mourut  après 
17  jours  de  souffrances,  le  lendemain  de  la  bataille  de  Saint- 
Denis  où  le  connétable  de  Montmorency  fut  blessé  à  mort. 
Le  12,  Villeroy  commençait  à  exercer  l'office  de  secrétaire 
d'Etat  (1). 

Pour  connaître  la  situation  nouvelle  de  Villeroy,  il  faut 
se  rappeler  les  progrès  réalisés  par  cette  charge  depuis  ses 
lointains  débuts. 

En  1567,  un  secrétaire  d'État  était  bien  supérieur  à  l'un 
des  clercs  du  secré  de  Philippe  le  Bel;  mais  il  n'avait  encore 


tout  de  parade  et  de  cérémonie  qu'accomplit  le  jeune  l'Aubespine  en 
1566,  en  Espagne,  avec  Saint-Sulpice.  Voir  E.  Cabié,  Ambassade  en 
Espagne  de  J.  Ebrard,  sieur  de  Saint-Sulpice,  de  1562  a  1565,  et 
Mission  de  ce  diplomate  dans  le  même  pays  en  15(>i>,  1904. 

(1)  Mémoires  d' Estât,  p.  105.  Voir  aussi  F.  Fr.  4591,  «  Mémoire  de 
rétablissement  des  secrétaires  d'Etat...  avec  la  suite  des  secrétaires 
d'Estat,  selon  la  datte  de  leurs  provisions  et  réceptions  depuis  ladite 
année  1547  jusques  à  présent  1647,  f.  85-89. 


1(>  YILLEROY 

atteintni  la  fixité  ni  l'étendue  des  pouvoirs  des   ministres 
de  la  monarchie  absolue  de  Louis  XIV. 

A  vrai  dire,  le  plus  ancien  des  secrétaires  du  roi  avait  été 
le  chancelier  sous  les  Capétiens.  Ce  personnage,  un  lettré, 
d'abord  chargé  d'authentiquer  les  diplômes  royaux,  était 
devenu  petit  à  petit  le  chef  de  la  justice  et  des  Conseils  du 
roi.  Il  pouvait  présider  les  Parlements  et  cours  souveraines 
et  était  auprès  d'elles  l'interprète  de  la  volonté  royale.  Il 
présentait  au  roi  les  candidats  aux  différents  offices  et 
après  son  approbation  nommait  aux  fonctions  de  judicature 
et  de  finances  et  aux  charges  relevant  de  la  couronne.  Ce 
puissant  chef  d'administration,  le  plus  important  en  France 
après  le  roi,  avait  pris  sous  ses  ordres  une  troupe  de  clercs- 
notaires  et  de  secrétaires.  Sous  Philippe  le  Bel,  un  petit 
nombre  de  ces  commis  forma  une  élite  qui  prit  le  nom  de 
clercs  du  secré  ;  en  1309,  on  en  comptait  trois  auprès  du 
roi  supérieurs  en  dignité  et  autorité  à  27  clercs  ordinaires. 
Ils  acquirent  bientôt  la  faculté  de  signer  en  finances.  Vers 
le  milieu  du  siècle,  ilsétaientdéjà  qualifiés  de  secrétaires  des 
finances.  SousCharles  VIII,  Louis  XII  et  François  Ier,  un  de 
ces  secrétaires'remarquablemeni  intelligent,  instruit,  labo- 
rieux et  habile,  Florimond  Robertet,  fut  un  des  hommes 
les  plus  influents  du  royaume  et  dirigea  avec  la  con- 
fiance absolue  de  ses  maîtres  les  finances  et  les  affaires 
étrangères.  Il  sut  choisir  des  secrétaires  des  finances 
et  les  former  ;  après  lui,  quelques-uns  se  montrèrent 
d'excellents  serviteurs  de  l'État  et  la  fonction  garda  le  pres- 
tige que  lui  avait  donné  le  grand  ministre  Robertet.  En 
avril  et  en  octobre  1547,  Henri  II  fixa  à  quatre  le  nombre 
des  secrétaires,  les  admit  comme  simples  assistants  à  ses 
Conseils,  et  établit  un  département  de  leurs  affaires  par 
provinces  et  par  pays.  Après  le  traité  du  Cateau-Cambrai- 
sis,  à  l'imitation  des  Espagnols,  ils  prirent  le  titre  de  secré- 
taires d'Etal.  Les  progrès  de  cette  charge  au  xvi"  siècle 
avaient  dune  été  rapides  et  sûrs.  Saint-Simon,  très  mépri- 


LES    DEBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  1 / 

sant  pour  ces  humbles  débuts,  acte  forcé  de  constater  que 
ces  hommes  venaient  à  ce  moment  d'«  éclore  du  bas  état 
qui  les  avait  jusqu'alors  tenus  en  disproportion  si  marquée 
en  toute  chose  des  gens  de  qualité  »  (1). 

Le  secrétaire  d'Etat  recevait  les  paquets  et  dépêches  des 
gouverneurs  de  province  et  des  ambassadeurs  à  l'étranger, 
les  résumait  ou  les  lisait  intégralement  au  roi  ou  au  Con- 
seil. Le  Conseil  où  se  traitaient  les  affaires  les  plus  impor- 
tantes et  qui  était  le  plus  restreint,  se  nommait,  communé- 
ment sous  Charles  IX  le  Conseil  des  Affaires).  Il  dressait 
des  rôles  contenant  en  substance  ce  qui  était  porté  sur 
les  requêtes  etplacets  présentés  à  S.  M.  Il  enregistrait  les 
décisions  du  Conseil,  expédiait  les  lettres  patentes,  ordres 
et  mandements.  Il  avait  le  pouvoir,  dont  il  était  très  fier,  de 
signer  en  finances.  On  devait  bientôt,  sous  le  règne  de 
Charles  IX,  lui  laisser  signer  toutes  sortes  d'expéditions. 
Les  secrétaires  étaient  donc  en  quelque  sorte  les  greffiers 
du  Conseil,  les  intermédiaires  entre  le  roi  et  les  fonction- 
naires administrant  le  royaume  ou  envoyés  à  l'étranger, 
et  quelquefois  les  intermédiaires  entre  le  roi  etson  Conseil. 
La  décision  appartenait  au  roi  conseillé  par  les  grands  ou 
les  favoris  qu'il  admettait  dans  son  conseil.  Les  secrétaires 
d'Etat  étaient  leurs  commis,  mais  c'étaient  les  premiers 
commis  du  royaume. 

Chacun  d'eux  s'occupait  de  toutes  les  affaires  de  son  dé- 
partement. Il  n'y  avait  pas  entre  eux  partage  d'attributions, 
mais  répartition  géographique  de  provinces  et  de  pays. 
Villeroy  eut,  dès  le  début,  l'Espagne,  le  Portugal,  les  Flan- 
dres, la  Picardie,  la  Guyenne,  le  Poitou  et  la  Rochelle, 
l'Anjou  et  le  Berry  (2).  Ses  trois  collègues  se  divisaient  le 
reste.  L'Aubespine  avait  la  Suisse,  l'Empire,  l'Allemagne, 

(1)  Saint-Simon,  loc.  rit. 

(2)  Nouv.  Acq.  Fr.,  722&,  f.  182  {Recueil  de  règlements,  t.  II). 
«  Extraict  d'un  ancien  registre  qui  s'est  trouvé  parmi  les  papiers  du  feu 
sieur  Gassot,  secrétaire  du  roi  et  de  ses  finances.  » 

Vilieroy  2 


18  VILI.EROY 

Metz,  la  Lorraine,  la  Champagne,  la  Brie,  la  Bourgogne. 
Simon  Fizes,  baron  de  Sauves  qui,  en  octobre  1567,  avait 
succédé  à  Florimond  Robertet,  seigneur  de  Fresnes,  avait 
l'Angleterre,  l'Ecosse,  le  Danemark,  la  Normandie,  la  Bre- 
tagne, Paris,  l'Ile  de  France,  Orléans,  le  Maine  et  la  Tou- 
raine.  F.  Robertet,  baron  d'Alluye,  le  doyen  des  secrétaires 
d'Etat,  en  fonction  depuis  1559,  s'occupait  de  l'Italie  et  du 
Levant,  du  Piémont,  du  Dauphiné,  de  la  Provence,  du 
Languedoc,  du  Lyonnais  et  de  l'Auvergne  (1).  Deux  ans 
après  Allyeu  mourut  et  Brûlait  lui  succéda.  Puis,  un  an 
plus  tard,  PAubespine  ayant  succombé,  Pinart  fut  nommé 
secrétaire  d'Etat.  Il  y  eut  alors  un  nouveau  départemml . 
En  septembre  70,  Fizes  eut  le  Levant,  l'Italie,  le  Dauphiné, 
la  Provence,  le  Languedoc.  l'Auvergne  :  on  y  ajouta  la 
gendarmerie  et  la  maison  du  roi.  Brulart  obtint  la  Suisse 
et  toute  l'ancienne  part  de  l'Aubespine,  Pinart  l'Angleterre 
et  les  provinces  et  pays  qu'avait  eus  Fizes.  Quanta  Villeroy, 
il  garda  le  même  département  qu'en  1567.  Il  n'en  changea 
jamais. 

Xous  avons  énuméré  les  attributions  les  plus  précises  de 
Villeroy  et  de  ses  collègues.  Leur  titre  les  résume  parfai- 
tement, car  jamais  nom  ne  fut  mieux  adapté  à  une  fonc- 
tion :  ils  étaient  les  secrétaires.  Dans  cetle  charge,  la  plu- 
part remplirent  un  rôle  très  honorable  de  bons  et  dévoués 
serviteurs  en  sous-ordre  :  tels  Pinart  et  Brulart. 

Mais,  en  dehors  de  ces  attributions  déterminées,  une 
puissance  moins  définie  et  incomparablement  plus  étendue 
pouvait  rehausser  cette  profession  de  commis,  suivant  l'é- 
poque et  le  titulaire,  s'il  était  un  secrétaire  très  intelligent, 
1res  souple  et  très  protégé.  Tenu  à  l'écart  des  intrigues  et 
des  conspirations  des  grands  par  sa  modeste  origine,  atta- 
ché par  tradition  et  par  intérêt  au  pouvoir  monarchique, 
jl  inspirait  naturellement  confiance  au  roi  et  devenait  le 

(1)  Voir  Fauvelet   du  Toc,    p.  111  et  suiv. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRÉTAIRE    DE    CHARLES    IX  19 

secrétaire  dépositaire  de  secrets.    On  lui  confiait  des  mis- 
sions délicates  et  difficiles  à  l'étranger  et  dans  le  royaume. 
On  le  déléguait  pour  rétablir  la  paix  et  conclure  des  traités 
mettant  fin  aux  guerres  civiles.  C'est  ainsi  qu'il  mettait  en 
valeur  ses  talents  ;  un   Florimond  Robertet  déployait   ses 
aptitudes  financières,  un  Villeroy  ses  qualités  de  diplomate, 
plus  tard,  sous  Henri  IV,  un  Fresnes  son  habileté  à  traiter 
des  questions  religieuses.  Le  secrétaire  se  changeait  peu  à 
peu  en  conseiller.  Il  devenait  celui  que  le  roi  écoute  avec  quel- 
ques intimes  et  avec  lequel  il  décide  de  tout,  en  dehors  du 
Conseil  «  de  mine  et  de  faste    »  (1)  des  princes  du  sang  et 
des  hauts  dignitaires.  Ce  pouvoir  d'abord  occulte  finissait 
par  s'affirmer  publiquement  et  s'imposer  à  l'opinion  ;  le 
modeste  secrétaire  vieilli  au  service  de  l'Etat  était  enfin  le 
conseiller  très  écouté  et  l'un  des  ministres  principaux  du 
roi,  que  les  ambassadeurs  vénitiens  très   prompts  à  saisir 
les  nuances  de  l'autorité   appellent  ministro  principalis- 
simo.  Celui  qui  avait  commencé  par   rédiger   des  expédi- 
tions était  appelé,  tout  en  conservant  son  premier  titre,  à 
diriger  les  affaires  de  la  France.  Telle  est,  très  en  raccourci, 
l'histoire  de  Villeroy.   Resté  secrétaire  d'Etat,  au    même 
niveau  que  ses  collègues,  il  semble  bien  qu'il  n'eût  mérité 
que  la  courte  monographie  due  à  un  bon  fonctionnaire. 
Mais  son  rôle  est  celui  d'un  grand  homme  d'Etat  qui  a  im- 
primé sa  marque  personnelle  au  gouvernement  des  affaires 
de  son  temps. 

Les  premières  années  du  secrétariat  de  Villeroy  sous 
Charles  IX  ont  été  des  années  d'apprentissage.  Ce  jeune 
homme  de  24  ans  qui  voulait,  non  pas  arriver  par  l'intrigue, 
mais  s'imposer  par  son  savoir,  se  mit  à  l'école  de  deux 
hommes  d'Etat,  ses  parents,  Jean  de  Morvilliers  et  Sébas- 
tien de  l'Aubespine.  Plus  tard,  Villeroy  aimait  à  rappeler 
cette  éducation  politique  qui  était  toute  à  son  honneur.  Il 

(  1)  Selon  l'expression  île  Sully,  à  propos  d'un  des  conseils  de  Régence, 
Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  386. 


20  VILLEROY 

en  a  parlé  à  la  première  page  de  ses  Mémoires  «  étant  cer- 
tain, dit-il,  que  tout  le  bien  que  je  faisais  lors  au  service  de 
S.  M.  ne  procédait  de  mon  industrie,  mais  de  l'instruction 
et  des  bons  records  que  je  tirais  journellement  de  feux 
MM.  de  Morvilliers  et  de  Limoges,  lesquels  avaient  très 
grande  expérience  et  connaissance  des  affaires  du  inonde 
et  ne  pensaient  jour  et  nuit  qu'à  procurer  le  bien  du  roi 
et  du  royaume  »  (1). 

Jean  de  Morvilliers  (2),  protégé  dans  sa  jeunesse  par  le 
cardinal  de  Lorraine,  devenu  conseiller  du  roi,  puis  maître 
des  requêtes  ordinaires  de  l'hôtel,  s'était  distingué  dans  la 
diplomatie  à  Venise  où  il  était  resté  quatre  ans  comme 
ambassadeur,  après  Guillaume  Pellicier  (1546-1550),  aux 
dernières  sessions  du  Concile  de  Trente  où  il  avait  accom- 
pagné le  cardinal  de  Lorraine  (1562-64),  à  Troyes,  où  il 
avait  été  délégué  comme  plénipotentiaire  pour  faire  con- 
clure un  traité  avec  l'Angleterre  (1564).  Il  était  évêque 
d'Orléans  depuis  son  retour  de  Venise,  mais  il  séjourna 
presque  toujours  au  conseil  du  roi  dont  il  était  un  membre 
des  plus  dévoués  et  des  plus  influents.  Il  prit  part  aux 
principales  affaires  de  son  temps,  à  l'assemblée  de  Moulins, 
puis  à  diverses  négociations  avec  les  huguenots  pendant 
la  première  guerre  civile.  Aussi,  quand  le  chancelier  de 
l'Hôpital  tomba  en  disgrâce,  reçut-il  les  sceaux  (1568).  Il 
n'avait  pas  recherché  cet  honneur  qui  ne  le  changea  pas. 
Il  resta,  comme  avant,  très  simplement  l'ami  du  chancelier. 

(1)  Mém.,  p.  106.  —  Du  Vair,  dans  sa  lettre  à  Villeroy,  écrit:  «  On 
tient,  Monsieur,  que  vous  avez  été  introduit  aux  affaires  par  feu  M.  de 
Morvilliers,  avec  lequel  comme  vous  étiez  noué  d'alliance,  ainsi  vous 
êtes-vous  lié  de  desseins  et  de  conseils.  Personne  de  ceux  qui  l'ont 
connu  n'a  nié  que  ce  n'ait  été  un  des  plus  suffisants  et  plus  prudhommes 
qui  aient  approché  les  rois  de  notre  temps.  Et  croit-on  que  si  toutes 
choses  eussent  été  à  sa  disposition  et  à  la  vôtre,  vous  eussiez  choisi  les 
conseils  les  plus  propres  pour  assurer  et  affermir  l'Etat  menacé  de 
long  temps.  » 

(2)  Sur  Morvilliers,  voir  Baguenault  de  Puchesse,  Jean  de  Morvil- 
liers, évèque  d'Orléans,  garde  des  sceaux  de  France,  1870,  in-8. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRÉTAIRE    DE    CHARLES    IX  21 

C'était,  comme  l'Hôpital,  un  homme  droit,  modéré  et  tolé- 
rant, mais  sans  fermeté  de  caractère.  Les  grandes  respon- 
sabilité^ L'effrayaient.  Il  se  tint  à  l'écart,  expédiant  cons- 
ciencieusement les  affaires  courantes  et  présidant  le  Conseil 
sans  prendre  aucune  initiative.  Au  bout  de  trois  ans,  il 
trouva  un  prétexte  honnête  pour  donner  sa  démission. 
Mais  au  Conseil,  il  conserva  sa  grande  autorité  d'homme 
«  habile,  modéré,  aimant  la  justice  »  (1).  Le  Vénitien  Con- 
tarini  le  considérait  à  cette  époque  comme  le  plus  apte,  au 
jugement  de  tous,  à  bien  conseiller  par  son  âge,  sa  vertu 
et  sa  forte  expérience  des  choses  du  monde  (2).  L'évèque 
d'Orléans  était  aussi  un  de  ces  lettrés  que  savaient  appré- 
cier les  Italiens.  Il  pouvait  réciter  par  cœur  tout  son  Ho- 
race, savait  le  grec  et  l'hébreu,  correspondait  avec  Amyot 
et  Muret  et  faisait  du  bien  aux  gens  de  lettres. 

Il  aimait  beaucoup  son  «  cher  neveu  »  Villeroy.  En  termes 
émus  et  délicats  il  a  rappelé  dans  son  testament  la  «  cor- 
diale amilié  »  qui  les  unissait.  S'il  ne  lui  laissa  pas  de 
grands  biens  matériels,  il  lui  donna  d'utiles  leçons  de  poli- 
tique. Il  y  a  des  ressemblances  frappantes  entre  l'élève  de- 
venu homme  d'Etat  et  son  maître.  Nous  trouverons  chez 
Villeroy  l'habileté  à  traiter  les  questions  diplomatiques,  la 
modération  habituelle  des  vues,  le  parfait  bon  sens  qui  ca- 
ractérisent Morvilliers.  Villeroy  lui  sera  supérieur  par  l'éner- 
gie ;  il  gardera  ses  meilleures  qualités  de  prudence,  mais 
n'aura  pas  l'indécision  et  la  timidité  de  L'ancien  garde  des 
sceaux  qualifié  par  d'Aubigné  d'«  ennemi  de  toute  nou- 
veauté et  qui  faisait  prudence  de  crainte...  (3).  Il  ne  serait 

(1)  De  Thon,  VI,  p.  418. 

(2)  Relazione  di  Frauda  di  Alcise  Gontarini,  1572.  Alberi  et 
Berchet,  Ser.  I,   IV,  1860,  p.  253. 

(3)  «  Quant  à  MM.  de  l'Aubespine  et  de  Villeroy,  mes  très  chois 
neveux,  je  ne  les  saurais  assez  dignement  reconnaître  selon  l'obligation 
que  je  dois  à  eux  et  à  leurs  prédécesseurs  et  à  la  cordiale  amitié  qu'ils 
m'ont  toujours  portée.  Mais  Dieu  leur  a  donné  tant  de  biens  et  à  moi 
si  peu,  que  je  n'ai    rien  digne  de  les   reconnaître;  partant,   les  priant 


pas  étonnant  que  l'éducateur  politique  de  Villeroy  lui  ait 
aussi  donné  des  conseils  sur  la  manière  d'exprimer  sapensée. 
On  trouve  en  effet  de  grandes  analogies  de  style,  de  com- 
position, comme  d'idées,  entre  certains  avis  ou  discours  de 
Villeroy  et  des  écrits  de  Morvilliers  tels  que  «  l'advis...  fait 
par  le  commandement  du  Roy  le  2  janvier  1577  »  (1). 

Le  second  patron  de  Villeroy  fut  l'oncle  de  sa  femme, 
Sébastien  de  L'Aubespine,  dont  nous  connaissons  peu  le 
caractère  et  les  idées.  Il  avait  une  existence  très  remplie  de 
diplomate  et  de  conseiller  du  roi.  On  lui  avait  confié  de 
nombreuses  et  importantes  missions  en  Suisse,  où  il  avait 
eu  à  combattre  l'influence  des  impériaux  (1543),  à  la  diète 
de  Wormsdel545,  à  Strasbourg,  en  1548,  en  Flandre,  puis 
dans  les  cantons  helvétiques,  et  enfin  en  Espagne,  à  la  cour 
de  Philippe  II  où  il  avait  longtemps  représenté  la  France. 
Depuis  l'année  1558,  il  était  évêque  du  diocèse  de  Limoges 
où  il  possédait  la  belle  abbaye  de  Saint-Martial.  Il  ren- 
tra en  France  sous  le  règne  de  François  II  (2).  Il  fut  le  con- 
seiller très  fidèle,  très  habile,  très  écouté  de  Catherine  de 
Médicis  qui  avait  la  plus  grande  confiance  en  lui  et  en  son 
frère  Claude,  le  secrétaire  d'Etat.  Il  jouissait  à  la  cour  d'un 
grand  crédit  qu'il  conserva  jusqu'au  moment  où  le  roi 
Henri  III,  très  méconlcnl  d'avoir  subi  les  conditions  d'une 
paix  humiliante  avec  les  Huguenots,  en  1576,  s'en  prit  à 
L'Aubespine  qui  avait  aidé  à  la  négocier  et  le  disgracia.  Il 
se  retira  alors  dans  son  diocèse,  y  reçut  les  ordres  et  se  con- 
sacra à  des  œuvres  pieuses  jusqu'à  la  lin  de  sa  vie  (1582). 
Nous  ne  savons,  faute  de  documents,  quelles  leçons  l'oncle 

d'avoir  égard  à  ma  volonté,  je  leur  donne  ma  maison  de  Paris  avec  les 
meubles  étanl  dedans,  hors  ma  vaisselle  d'argent  ;  je  leur  donne  ma  mai- 
son 'le  Fontainebleau  et  celle  de  Saint-Germain.  Ils  sont  si  bons  frères 
qu'ils  "  sauronl  bien  accommoder.  »  (Baguenault  de  Puchesse,  p.  o.'iT.  ) 

(1)  Cet  avis  si'  trouve  dans  les  Mém.  de  Nevérs,  l.  I,  p.  262  etsuiv. 

(2)  Ses  négociations  sous  le  règne  de  François  II  ont  été  publiées 
par  L.  Paris  dans  les  Négociations,  Le/Ires  et  pièces  relatives  au  règne 
de  François  IL  Cuil.  doc.  inéd.,  1841. 


LES    DÉBUTS    —    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  23 

donna  au  neveu.  Il  est  permis  de  supposer  que  ce  furent 
des  leçons  de  diplomatie.  Car  Villeroy,  nous  le  verrons,  se 
distingua  plus  tard  par  son  art  de  négocier  avec  les  enne- 
mis et  les  amis  du  roi,  soit  à  l'intérieur  du  royaume,  soit  à 
l'extérieur. 


IV 


Grâce  à  ces  deux  puissants  patrons,  le  nouveau  secré- 
taire d'Etat  fut  très  bien  accueilli  en  cour  par  la  reine- 
mère  et  le  roi. 

Catherine  de  Médicis  protégea  dès  le  début  le  jeune  Ville- 
roy et  lui  continua  sa  faveur  jusqu'au  jour  où  elle  tomba 
elle-même  en  disgrâce.  Elle  appréciait  en  lui  un  serviteur 
prudent,  souple  et  zélé.  Nous  ne  pourrons  bien  juger  de 
cette  confiance  que  lorsque  Villeroy  deviendra  l'un  des 
conseillers  les  plus  influents  d'Henri  III.  A  partir  de  ce 
moment,  il  ne  sera  plus  seulement  pour  elle  un  bon  com- 
mis. Dans  sa  vie  errante  de  perpétuelle  pacificatrice  sur 
tous  les  points  du  territoire,  chez  les  Bourbons  comme  chez 
les  Guises,  Villeroy  la  renseignera  tous  les  jours,  et  parfois 
p  à  toutes  les  heures  »  sur  ce  qui  se  passe  à  la  cour,  et  lui 
transmettra  exactement  des  nouvelles  du  roi  (1).  Elle  lui 
soumettra  ses  projets,  le  priera  de  résoudre  Henri  III  à 
faire  ce  qu'elle  désire  pour  le  bien  de  l'Etat  et  parfois  lui 
exprimera,  pour  lui  seul,  des  réflexions  qu'elle  le  priera  de 
jeter  au  feu  s'il  ne  les  agrée  point  (-2).  Connaissant  bien 
son  ministre  elle  lui  laissera  volontiers  la  plus  grande 
liberté  d'action   «  Vous  êtes  si  sage,  lui  disait-elle  un  jour, 

(1)  Voir  particulièrement  les  lettres  de  Catherine  à  Villeroi  du 
20  juillet  1572  (t.  IV.  p.  10S).  du  2  juillet  77  (t.  V,  p.  261), du  7  octobre 
78  il.  VI,  p.  59|,  des  26  août,ler  octobre  et23  novembre  79,  etc.  (t. 
Vil,  p.  L023  147,  200,  etc.). 

(2)  Lettre  du  7  octobre  1578  (t,  VII,  p.  59). 


2-4  VILLEROY 

qu'il  ne  vous  faul  point  de  plus  ample  avertissement  sur 
cela  el  sur  toutes  autres  circonstances  »  (1). 

Le  roi  Charles  IX  avait  beaucoup  d'affection  pour  Ville- 
roy.  Il  l'appelait,  dit-on,  «  son  secrétaire  »  (2).  Mais  ce 
n'est  pas,  semble-t-il,  pour  sa  sagesse  politique  qu'il  l'ap- 
précia tout  d'abord.  Jusque  vers  1570,  il  s'intéressa  peu  aux 
affaires  d'Etat,  bien  qu'il  fût  avide  de  gloire.  C'était  une 
nature  passionnée,  qui  dépensait  ses  forces  à  la  chasse  ou 
dans  de  violents  exercices  physiques  ;  c'était  une  àme  d'ar- 
tiste raffiné  et  nerveux  qui  se  plaisait  singulièrement  dans 
la  compagnie  de  Ronsard,  son  favori,  et  des  poètes  et  qui 
était  poète  lui-même.  Il  avait  composé  un  beau  livre  de 
chasse  el  de  vénerie  dans  lequel,  nous  dit  Brantôme,  «  il  y  a 
des  avis  cl  secrets  que  jamais  veneur  n'a  su  ni  pu  attein- 
dre »  (3).  11  choisit  Villeroy  pour  l'écrire  sous  sa  dictée. 
Quand  Ronsard  écrivit  son  «  Elégie  sur  le  livre  de  chasse 
du  feu  roy  Charles  IX  recueilli  et  ramassé  par  la  diligence 
de  M.  de  Villeroy  »  (4),  il  chanta  le  grand  roi  qui  s'est 
«  acquis  louange  par  la  plume  »  et  n'oublia  pas  le  fidèle 
secrétaire. 

Ta  peine  toutesfois  par  ton    livre  semée 
Se  fust  en  l'air  perdue,  ainsi  qu'une  fumée, 
Si  le  tien  Villeroy,  des   muses  le  support, 
N'eust  arraché  ton  fils  des  griffes  de  la  mort, 
Et  ravy  de  ta  cendre. 

Villeroy  ne  quittait  guère  son  maître.  Avec  quelques  au- 

(1)  Catherine  à  Villeroy,  12  janvier  15S1  {Lettres,  t.  VII,  p.  319). 

(2)  Matthieu, Remarques  d'Estat,\>.  260;  Fauveletdu  Toc,  p.  133. 

(3)  Brantôme,  OEuvres  complètes,  Soc.  de  l'Ilist.  de  France,  Ed.  La- 
lanne,  t.  V,  p.  285. 

(i)  Ce  livre,  qui  n"a  jamais  été  achevé,  fut  publié  en  1625.  à.  Paris, 
chez  Nie.  Rousset  et  GervaisAlliot,  au  Palais,  sous  le  titre  de  :  La  Chasse 
royale,  composée  pur  le  Moi  Charles IX,  et  dédire  au  Roi  très  chrestien 
de  France  et  île  Navarre  Louys  XIII,  très  utile  aux  curieux  et  ama- 
teurs de  chasse  (in-12  de  138  p.). 


LES    DEBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  SO 

très  familiers,  Amyot,  de  Retz,  l'Aubespine,  il  était  parmi 
ceux  qui  connaissaient  le  mieux  les  sentiments  et  la  vie  de 
Charles  IX.  Brantôme,  admirateur  du  jeune  roi,  regrettait 
profondément  que  Villeroy  ou  ses  anus  n'aient  été  curieux 
«  de  faire  une  recherche  après  sa  mort  de  tous  ses  beaux 
faits,  mots  et  dits,  et  en  composer  un  grand  livre  et  le  dé- 
dier à  la  postérité  »  (1). 

Malgré  l'amitié  d'un  roi  jeune  et  les  tentations  d'une 
cour  où  l'on  s'amusait  beaucoup,  Villeroy  semble  avoir 
mené  une  vie  régulière  et  sérieuse.  L'évèque  d'Orléans 
n'eut  jamais  aie  sermonner  comme  son  beau-frère  l'Au- 
bespine (2).  Ce  dernier  était  l'enfant  terrible  de  la  famille, 
grand  chasseur  et  grand  joueur,  ami  particulier  de  Char- 
les IX,  choyé  des  poètes  et  des  seigneurs,  charmant,  riche 
et  ardent  au  plaisir.  Il  mourut  prématurément  en  1573  ; 
Ronsard  composa  une  longue  épitaphe  «  en  forme  de  com- 
plainte contre  la  mort  »  (3).  Desportes  écrivit  de  beaux 
vers  émus  et  graves  à  la  louange  de  cet  ami  «  mourant  aux 
beaux  jours  de  son  âge  »  (4). 

Le  nom  de  l'Aubespine   fut  particulièrement   cher  aux 


(1)  Brantôme,  Ibid. 

(2)  Fauvelet  du  Toc,  p.  119.  «  Comme  son  âge,  son  humeur  et  les 
charmes  que  l'on  trouve  dans  les  plaisirs  et  dans  la  familiarité  de  son  Roi 
le  faisaient  assez  penchera  s'y  abandonner,  il  en  recevait  des  répriman- 
desdu  garde  des  sceaux  de  MorviHiers,  son  oncle  ;  et  ce  grand  homme, 
par  un  principe  de  morale  contraire  aux  maximes  de  la  cour,  lui  di- 
sait souvent  que,  nonobstant  cette  faveur,  il  était  plus  obligé  à  sa 
charge  qu'à  son  plaisir.  » 

(3)  Ronsard,  Œuvres,  Ed.  Blanchemain,  VII,  227. 

(4)  Les  Œuvres  de  Philippe  Desportes,  in-8°,  Rouen,  1611  (Epita- 
phes,  p.  659  etsuiv.).  3  longues  pièces  sont  consacrées  à  Claudette  l'Au- 
bespine. La  première  commence  ainsi  : 

Tout  ce  que  la  nature  et  le  ciel    favorable 

Pouvaient  pour  rendre  un  homme  heureux  parfaitement 

L'Aubespine  l'avoit,  l'Aubespine  ornement 

De  ce  siècle  maudit,   ingrat  et  misérable. 

Il  estoit  grand  et  beau,  dispos,  jeune,  amiable. 

Riche  en  biens,  aux  honneurs  avancé  justement, 

Pur,  sans  ambition,  qui  marchait  droitement... 


poètes,  dispensateurs  de  la  gloire.  C'était  celui  de  Mme  de 
Villeroy.  une  des  femmes  les  plus  distinguées  et  les  plus 
savantes  de  son  temps. 

Elle  avait  de  l'esprit  et  du  jugement  et  une  heureuse 
facilité  pour  composer  en  vers  et  en  prose.  «  Elle  se  rendit 
admirable  à  tous  ceux  qui  eurent  l'honneur  de  la  voir,  y 
ayant  été  attirés  par  le  bruit  de  tant  de  dons  du  ciel  (1).  » 
Elle  fut  un  des  ornements  de  cette  société  qui,  à  la  cour,  à 
la  ville,  en  province,  comptait  nombre  de  femmes  instruites 
et  aimables.  C'était  le  temps  où  une  maréchale  de  Retz  qui 
parlait  à  la  perfection  le  grec,  le  latin  et  l'italien,  discutait 
éloquemment  à  l'Académie  du  Palais  sur  l'excellence  des 
vertus  intellectuelles  et  morales,  et  était  «  choyée  et  bien 
voulue  de  tous  nos  rois  qui  prenaient  un  singulier  plaisir 
en  sa  compagnie,  pour  les  bons  propos  et  les  beaux  dis- 
cours dont  elle  les  entretenait  »  (2). 

Mme  de  Simier  écrivait  en  prose  des  Stances  et  des  Elégies 
que  Desporles  mettait  en  vers  (3).  M"ie  de  Rohan  compo- 
sait des  Elégies.  Mmede  Lignerolles,  qui  avait  été  attachée 
à  Catherine  de  Médicis,  et  qui,  nous  dit  Brantôme,  était 
«•  très  habile  fille,  belle,  honnête  et  qui  disait  bien  le 
mot  »  (4),  prenait  part  aux  tournois  d'éloquence  de  l'Aca- 
démie. Les  duchesses  d'Uzès  et  de  Nevers,  Mme  de  Senne- 
terre  étaient  renommées  pour  leur  esprit.  On  vantait  les 
talents  poétiques,  la  grâce  et  les  vertus  de  Madeleine  Des- 
champs, une  Vendômoise  et  de  deux  Poitevines  les  clames 
des  Roches. 


(1)  La  Croix  du  Maine-,  Bibliothèque  française,  nouvelle  éd.  177:!, 
t.  II,  p.  70.  —  Le  R.  P.  Hilarion  de  Costc,  Les  Eloges  et  vies  des 
reynes,  princesses,  dames  et  demoiselles  illustres...  In-4",  1G30.  p. 
588. 

(2)  La  Croix  du  Maine,  Ibid.,  I.  II.  —  Voir  aussi  Frémy,  L'Académie 
des  derniers  \'alois,  1887,  in-8,  p.  1;>1  et  suiv. 

(3)  Tallemanl  des  Réaux,  Historiettes,  Desportes,   I,  I.  p.  133. 

(4)  Brantôme,  Œuvres,  éd.  Lalanne,  t.  X,  p.  408. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRÉTAIRE    DE    CHARLES    IX  27 

Comme  la  plupart  de  ces  dames,  Madeleine  de  l'Aubes- 
pine  savait  le  latin  et  connaissait  ses  auteurs  anciens.  Elle 
avait  traduit  les  Epîtres  d'Ovide.  Elle  avait  aussi  composé 
des  poèmes  qui  ne  furent  point  publiés.  Ronsard  a  célébré 
ses  talents  : 

Magdeleine,  ostez  moy  ce  nom  de  L'Aubespine 
Et  prenez  en  sa  place  et  palmes  et  lauriers 
Oui  croissent  sur  Parnasse  en  verdeur  les  premiers, 
Dignes  de  prendre  en  vous  et  tiges  et  racines. 

Chef  couronné  d'honneur,  rare  et  chaste  poitrine, 

Où  naissent  les  vertus  et  les  arts  à  milliers 

Et  les  dons  d'Apollon  qui  vous  sont  familiers, 

Si  bien  que  rien  de  vous,  que  vous  mesme,  n'est  digne. 

Je  suis  en  vous  voyant  heureux  et  malheureux  : 
Heureux  de  voir  vos  vers,  ouvrages  généreux, 
Et  malheureux  devoir  ma  Muse  qui  se  couche 

Dessous  vostre  Orient  !  O  sainct  germe  nouveau 

De  Pallas,  prenez  cœur  ;  les  Sœurs  n'ont  assez  d'eau 

Sur  le  mont  Hélicon  pour  laver  vostre  bouche  (1). 

Elle  était  aussi  belle  que  savante.  Unfront  pur,  des  yeux 
intelligents  et  calmes,  un  profil  régulier,  voilà  ce  que  nous 
révèle  un  portrait  au  crayon  attribué  à  François  Clouet  ('?). 
Et  elle  était  aussi  gracieuse  et  accueillante  que  belle.  Elle 
goûtait  les  entretiens  doctes  ou  plaisants  ou  les  jeux  poé- 
tiques à  la  mode.  Quand  elle  eut  la  douleur  de  perdre  sa 


11)  Ronsard,  Œuvres,  éd.  Blanchemain,  t.  V,  p.  338  (Les  Sonnets 
divers  .  » 

(2)  C'est  un  portrait  en  buste  de  3/4  à  gauche.  Elle  est  coiffée  à  la 
mode  du  temps  en  arcelets.Le  col  et  le  corsage  -nul  à  peine  esquissés. 
Sur  la  feuille  est  écrit  :  il/me  de  Villeroy,  feme  du  secrétaire  d'Estat. 
Bouchot  l'attribue  à  François  Clouet.  Ce  portrait  se  trouvait  à  l'exposi- 
tion organisée  à  la  Bibliothèque  Nationale  en  1907. 


28  VILLEROY 

chienne  Barbiche  qu'elle  adorait,  Ronsard  et  Desportes 
composèrent  chacun  une  Epitaphe  à  la  louange  de  la 
pauvre  bête,  le  premier  en  vers  faciles  et  jolis,  le  second  en 
rimes  fort  plates  (1).  Elle  a  laissé  la  réputation  d'une 
femme  vertueuse,  malgré  certain  pasquil  grossier  qui,  cou- 
vrant de  boue  la  plupart  des  personnages  de  la  cour,  n'épar- 
gna pas  la  femme  du  secrétaire  d'Etat  et  lui  prêta  un 
amant  (2).  Il  est  impossible  de  connaître  mieux  la  vie  de 
cette  femme,  et  de  contrôler  ces  méchants  bruits.  Elle 
reste  pour  nous  celle  qui  fut  magnifiquement  louée  par  le 
poète  Bertaut  : 

Celle  qui  dort  ici  fut  richement  parée 

De  toutes  les  vertus  qu'on  impètre  des  cieux. 

Aussi  son  âme  au  ciel  s."est-elle  retirée 

Quand  la  mort  s'est  permis  de  lui  clorre  les  yeux. 

Nul  amour  que  devin  ne  l'a  jamais  ravie  ; 

Bien  vivre  et  bien  mourir  fut  son  plus  grand  soucy  ; 

Et  peut-on  justement  témoigner  de  sa  vie, 

Que  pour  mourir  heureuse  il  fallait  vivre  ainsi. 

Nous  pleurerions  sa  mort  de  mille  et  mille  plaintes, 

S'il  nous  estoit  permis  de  plorer  son  bonheur  ; 

Mais  elle  estant  au  ciel  entre  les  âmes  saintes. 

Nos  pleurs  lui  feroient  tort  en  luy  faisant  honneur  (3). 

Madeleine  de  l'Aubespine  aimait  à  habiter  la  charmante 
retraite  de  Villeroy,  non  loin  de  Mennecy,  sur  les  bords 
sinueux  et  verts  de  l'Essonne.  C'était  un  des  beaux  ché- 


(1)  Ronsard,  Ibid,,  t.  VII,  p.  237  (Epitaphes,  15S4).  Desportes, 
Epitaphes,  p.  649. 

(2)  «  Pasquil  du  temps  des  noces  de  Mgr  de  Joyeuse  sur  toute  la 
cour.  »  F.  fr.  15590,  f"  157.  C'est  une  revue  obscène  de  toute  la  cour, 
îles  mignons,  desdames,  des  seigneurs,  des  ministres  où  l'on  n'épargne 
personne  (Toutefois  il  n'y  est  pas  question  des  mœurs  de  Villeroy). 
Les  accusations  les  plus  grotesques  sont  écrites  en  vers  très  plats.  Par 
exemple,  on  fait  de  Montigny  et  de  Pinartles  amants  de  la  reine. 

(3)  Œuvres  poétiques  de  Jean  Bertaut,  1633,  in-8,  p.  269. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRÉTAIRE    DE    CHAULES     IX  29 

teaux  de  la  Renaissance  française  que  Nicolas  de  Neuf- 
ville,  IIIe  du  nom,  avait  achevé  de  construire  en  15f>0.  11 
l'avait  orné  avec  magnificence  et  garni  de  bons  livres,  car 
le  vieux  père  de  Villeroy  employa  la  dernière  partie  de  sa 
vie  à  «  recevoir  honorablement  ses  amis,  bâtir  plaisants  et 
superbes  édifices,  dresser  bibliothèques...  chérir  les  hom- 
mes lettrés  et  pieux  ecclésiastiques  (1)... 

La  maison  de  Conflans,  bâtie  à  la  rencontre  de  la  Marne 
et  de  la  Seine,  n'était  pas  moins  hospitalière  aux  poètes, 
comme  l'atteste  un  sonnet  écrit  par  Ronsard,  le  8  septembre 
1570,  dans  cette  même  campagne,  «  l'honneur  de  Seine  et 
de  vostre  maison  »,  disait-il  à  Villeroy,  auquel  il  dédiait  les 
vers  (2).  Conflans  était   célèbre   par    ses  beaux   jardins. 

(1)  Oraison  funèbre  sur  le  trespas  de  messire  Nicolas  de  Neufville, 
sieur  de- Villeroy,  qui  fut  prononcée  dans  l'église  de  Magny,  en  pré- 
sence de  Villeroy,  son  (ils,  et  publiée  dans  les  Oraisons  funèbres  et 
tombeaux  composés  par  messire  Claude  de  Morenne,  évèque  de  Séec, 
1605,  in-8.  —  Nous  avons  une  description  du  château  dans  le  Voyage 
de  Cassiano  del  Pocso  (1625).  «  S'entra  a  essa  per  un  gran  cortile  (da 
fianco  perô)  clie  termina  un  portone,  dal  quai  nasce  un  allro  cortile,  i 
due  bracci  di  cui  il  mandritto  forma  una  galleria  o  loggia,  nella  quale 
sono  3  o  4  statue  moderne,  ed  il  manco  lia  alcune  stanzo  per  servizio 
di  cucina  e  per  habitatione  per  gente  bassa.  In  l'ronte  l'appartamento 
del  padrone,  fatto  al  solito  di  Francia;  si  sale  a  esso  per  alquanti  gra- 
dini,  entrandosi  per  una  porta  sulfrontespicio  délie  quale  sono  trebusti 
di  bronzo  alla  mandritta  la  regina  Caterina  de  Medici,  alla  man  manca 
Arrigo  2o  suo  marito  ed  in  mezzo  Francesco  2°.  L'habitazione  e  assai 
commoda,  ed  in  oltre  Vi  e  un  altra  galleria,  che  fa  un  ala  del  giardino 
che  segue  immediatamente.  »  (Cité  par  Palustre,  La  Renaissance  en 
France,  in-fol.  1881,  t.  II,  p.  46).  Le  Louvre  possède  une  admirable 
cheminée  de  ce  château,  qui,  d'après  Palustre,  serait  une  des  premières 
œuvres  de  Germain  Pilon, 

(2)  Ronsard,  Ibid.,  t.  VIII,  p.  127. 

À  propos  de  Conflans,  il  convient  de  rappeler  les  beaux  vers  écrits 
par  Ronsard,  en  tête  des  Amours  diverses  qu'il  dédiait  à  son  ami,  en 
1584  (éd.  Blanchemain,  I,  p.  367-372): 

Reçois  donc  mon  présent,  s'il  te  plaist,  et  le  garde 
En  ta  belle  maison  de  Conflans  qui  regarde 
Paris,  séjour  des  roys,  dont  le  front  spacieux 
Ne  voit  rien  de  pareil  sous  la  voûte  des  cieux  ; 
Attendant  qu'Apollon  m'eschauffe  le  courage 
De  chanter  tes  jardins,  ton  clos  et  ton  bocage, 
Ton  bel  air,  ta  rivière  et  les  champs  alentours 
Qui  sont  toute  l'année  eschaui'fez  d'un  beau  jour, 


30  VILLEHOY 

Arnold  van  Buchel,  d'Utrecht,  qui  visita  Paris  et  ses  en- 
virons en  1585  et  1586,  nous  en  a  laissé  une  description 
enthousiaste  et  quelques  dessins.  «  Il  y  a,  dit-il,  de  larges 
promenades  sablées,  des  arbres,  des  vergers,  des  pelouses, 
des  fleurs  et  j'en  passe:  il  y  a  aussi  un  bassin  circulaire 
analogue  aux  piscines,  où  les  anciens  empereurs  romains 
donnaient  des  combats  navals,  tels  qu'on  les  voit  sur  les 
monuments  antiques.  On  y  voit  aussi  un  jardin  en  forme 
de  cella,  en  contre-bas  avec  le  reste  du  sol  :  il  est  en  pleine 
verdure  ;  au  milieu  une  fort  belle  fontaine  et  des  chalets 
d'été,  sur  la  façade  desquels  on  a  placé  des  statues  de 
Tibère  et  de  Germanicus:  tout  autour  des  treilles,  des 
haies  de  laurier,  de  cyprès  et  de  plantes  vivifiantes  et  odo- 
riférantes, toujours  vertes  (1)...  » 

On  désirerait  entrer  plus  avant  dans  la  vie  de  Yilleroy, 
connaître  quelques  anecdotes  piquantes  sur  son  attitude 
dans  cette  société  mondaine  et  lettrée.  Aucun  souvenir 
n'en  est  demeuré.  Nous  savons  qu'il  n'avait  pas  reçu  une 
grande  culture  littéraire,  mais  qu'il  était  poli,  aimable  et 
de  relations  très  sures.  Il  serait  très  exagéré  d'appeler  Ville- 
roy  un  Mécène,  si  l'on  réserve  ce  nom  au  seigneur  lettré 
qui  protège  les  artistes  et  les  écrivains,  avec  l'amour  de 
l'art  et  la  passion  de  la  gloire.  Il  aima,  comme  ses  autres 
amis,  les  hommes  de  lettres,  ses  amis,  et  les  obligea  comme 
il  put.  îl  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  les  gentillesses  de 
Ronsard  lorsqu'il  appelle  le  jeune  ministre  un  soutien  d'A- 
pollon (2),  ni  donner  aux  remerciements  dupoète  la  valeur 

Ta  forest  d'orangers,  dont  la  perruque  verte 
De  cheveux  éternels  en  tout  temps  est  couverte. 
Et  toujours  sou  fruict  d'or  de  ses  feuilles  défend, 
Comme  une  mère  fait  de  ses  bras  son  enfant. 

(1)  Description  de  Paris  par  Arnold  van  Buchel,  d'Utrecht  (1585- 
!586).  Mém.   Soc.  de  l'histoire  de  Paris,  1SD9,  t.  XXVI,  f.  Ho-116. 

(2)  Ronsard,  Ed.  Banchemain,  t.  V,  p.  347  (Les Sonnets  divers). 

'  A  Monseigneur  deVilleroy  [1573]. 
Chacun  cognoist  ta  grandeur  et  combien 
Tu  tiens  en   France  une  authorité grande; 


LES    DÉBUTS    LE    SECRÉTAIRE    DE    CHARLES    IX  31 

d'un  hommage  rendu  au  puissant  personnage  à  qui  l'on 
doit  en  partie  sa  faveur  à  la  Cour.  Ronsard,  par  la  grâce 
de  son  génie,  régna  sur  la  Cour  des  Valois,  admiré  et  aimé 
de  Charles  IX,  le  roi-poète,  choyé  par  les  dames,  les  sei- 
gneurs et  les  artistes.  Sous  Henri  III,  il  cessa  de  vivre  en 
courtisan,  non  parce  que  sa  faveur  avait  décru,  mais  parce 
qu'il  se  sentait  un  peu  las,  au  seuil  de  la  vieillesse  et  avait 
pris  goût  à  la  solitude.  Mais  Henri  III  savait  par  creur  des 
vers  du  poète  ;  il  aimait  à  l'entendre  disserter  à  l'Académie 
du  Palais.  Ronsard  parut  quelquefois  à  la  Cour:  il  écrivit 
des  vers  pour  les  mascarades  et  les  tournois  des  noces  de 
Joyeuse  et  des  sonnets  pour  Hélène  de  Surgères,  fille  d'hon- 
neur de  Catherine.  Villeroy  n'eut  donc  pas  besoin  de  pro- 
téger Ronsard.  Mais  par  ses  fonctions  administratives  il  put 
lui  rendre  beaucoup  de  menus  services.  Ronsard  reçut  des 
dons  et  des  pensions.  On  fut  généreux  pour  sa  gloire.  Mais 
sous  le  règne  des  Valois,  les  finances  étaient  dans  un  dé- 
plorable état:  un  secrétaire  des  commandements  du  roi  pou- 
vait obtenir  pour  un  ami  pensionné  une  bonne  assignation, 
hâter  le  payement  d'une  somme  qui  pour  d'autres  aurait 
subi  d'infinis  retards.  C'est  sans  doute  ce  genre  de  service 
que  Villeroy  rendit  à  Ronsard.  Il  se  peut  aussi  qu'il  lui  ait 
prêté  de  l'argent,  comme  paraissent  le  témoigner  les  vers 
de  spirituelle  gratitude  qui  terminent  la  longue  épître limi- 
naire des  Amours  diverses.  Le  poète,  après  y  avoir  mélan- 
coliquement rappelé  ses  cinquante-six  hivers,  et  évoqué  la 
mort  qui  est  au  bout  du  chemin,  constate  avec  «  une  amère 
tristesse  »  qu'il  faudra  «  déloger  »  avant  de  payer  Villeroy 
auquel  il   offre  son  livre  comme  gage  (1). 

Mais  d'Apollon  qui  l'homme  recommande 
Chacun  ne  scait  que  tu  es  le  soutien. 

(1)  Ronsard,  Ibid.,  I,  p.  367-372.  Les  Amours  diverses.  A  très  ver- 
tueux seigneur  Nicolas  de  Neufcille,  seigneur  de  Villeroy.  secrétaire 
d Estât  de  sa  Majesté.  Cette  longue  épitre  est  une  des  plus  émouvantes 
de  l'œuvre  de  Ronsard,  par  la  gravité  sereine  des  idées  et  la  beauté  des 
images. 


32  VILLEROY 

Pour  être  un  véritable  Mécène  à  la  Cour  des  Valois,  Vil- 
leroy  aurait  dû  être  un  mondain.  Or  il  ne  l'était  pas.  Il 
mena  une  vie  de  bourgeois  très  travailleur  et  très  régulier, 
se  reposant  des  fatigues  de  sa  charge  à  la  campagne,  dans 
sa  famille  et  au  milieu  de  ses  amis.  On  ne  lui  connaît  pas 
d'aventure  galante  (1). 

Ronsard,  qui  savait  louer  avec  tact,  n'a  jamais  doué  Vil- 
leroy  des  qualités  qu'il  n'avait  pas.  Il  le  dépeint  toujours 
comme  le  ministre  absolument  dévoué  au  roi  et  à  l'Etat, 

L'Hercule  chasse-mal  des  bons  esprits  françois  (2), 

travaillant  nuit  et  jour  en  sa  charge.  Il  envoie  de  la  cire 
«  des  liqueurs  en  clarté  la  première  »  pour  ses  yeux  «  ac- 
coustumez  à  veiller  »  (3).  En  1584,  quand  déjà  l'on  pouvait 
estimer  les  services  rendus  par  Villeroy,  il  loue  ses  vertus 
qui  resplendissent  «  entre  les  validez,  la  paresse  et  le 
vice  »,  sa  simplicité,  sa  modération,  sa  jeunesse  occupée 
au  service  du  public  et  il  compare  son  ami  à  Ulysse. 

Il  fut,  comme  tu  es,  amoureux  de  sa  charge 
(Dont  le  roy  se  despouille  et  sur  toy  se  descharge), 
Car  tu  n'as  point  en  l'âme  un  plus  ardent  désir 
Que  faire  ton  estât,  seul  but  de  ton  plaisir  (4). 

Et  même,  il  lui  reprocha  un  jour,  affectueusement,  sa 
vie  trop  sérieuse.  Quand  il  lui  dédia  ses  Mascarades, combats 
et  cartels,  pour  retirer  son  esprit  «  du  soing  laborieux  »,  il 


(1)  Nulle  part,  ni  dans  les  pamphlets,  ni  dans  les  lettres,  ni  dans  les 
mémoires  du  temps,  nous  n'avons  trouvé  la  moindre  allusion  à  une 
aventure  quelconque  de  Villeroy. 

(2)  Ronsard,  Ibid.,  II,  p.  372.  A  Villeroy,donnantsaFranciade[t578]. 

(3)  Ronsard,  Ibid.,  III,  p.  373  [1584]. 

(4)  Ronsard,  Ibid.,\,  p.  370. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  33 

Il  ne  faut  pas  tousjours,  l'un  des  Atlas  de  France, 
Soustenir  le  grand  faix  des  choses  d'importance; 
Il  faut,  mon  Villeroy,  se  donner  du  plaisir. 
Les  abeilles  ne  sont  toujours  en  leurs  ruchettes 
A  faire  le  doux  miel  ;  mais  vont  à  leur  désir 
Ramasser  quelquefois  la  douceur  des  fleurettes  (1). 

Représentons-nous  Villeroy,  à  cette  époque  de  sa  vie, 
avec  une  figure  un  peu  plus  jeune  que  le  portrait  du 
Louvre  qui  date  vraisemblablement  des  premières  années 
du  règne  d'Henri  III.  Une  figure  mince,  allongée,  un  nez 
fin,  des  lèvres  minces,  un  regard  réfléchi,  doux,  un 
peu  rêveur  et  indécis.  Ce  portrait  révèle  un  corps  assez 
frêle,  qui  n'est  pas  endurci  à  la  vie  au  grand  air,  une  per- 
sonnalité discrète,  qui  doit  être  très  timide  en  public. — 
Ses  amis  ne  lui  ont  jamais  accordé  le  don  de  l'éloquence,  et 
les  malveillants  ont  affirmé  qu'il  ne  savait  pas  dire  deux 
mots  dans  une  assemblée  (2).  —  En  un  mot,  c'est  déjà 
un  homme  de  bureau  et  un  diplomate,  exercé  à  réfléchir 
à  loisir  dans  un  cabinet,  à  se  battre  «  avec  des  mains  de 
papier,  des  peaux  de  parchemin,  des  coups  de  ganivet,  dv> 
traits  de  plume...  des  sceaux  et  de  la  cire  »,  comme  Sully 
le  lui  reprocha  un  jour  méchamment  devant  Henri  IV  (3), 
ou  à  discuter  affaires,  froidement,  posément,  avec  un  ou 
deux  personnages,  dont  on  puisse  étudier  l'âme  à  leur 
insu.  Villeroy  parait  avoir  été  de  complexion  peu  robuste, 
mais  il  n'eut  pas  de  maladie  sérieuse  avant  la  cinquan- 
taine. Il  veillait  très  soigneusement  à  sa  santé,  suivait 
avec  minutie  l'étrange  régime  médical  du  temps  qui 
consistait  en  saignées  périodiques,  en  purgations  fré- 
quentes, en  absorption  considérable   d'eaux  de  Spa.  Dès 


(1)   Ronsard,  Ibid.,  IV,  p.  120  [1573  . 

(2]   Sully.  Ec.    Roy.,  II,  p.  409  et  p.  484.  — Mémoires  du  Cardinal 
de  Richelieu,  p.  178. 

(3)  Sully,  Ec.  Roy.,  I,  p.  309. 

Villeroy.  3 


34  VILLEROY 

qu'il  se  sentait  fatigué  et  que  les  affaires  le  lui  permet- 
taient, il  allait,  comme  il  disait,  «  tenir  les  champs  dedans 
les  allées  de  Conflans  »  (1).  Mais  nous  ne  voyons  pas  qu'il 
ait  interrompu  son  service  pour  raison  de  santé  aussi  sou- 
vent qu'il  le  fit  plus  tard  sous  Henri  IV. 


Revenons  à  l'homme  public  qui.  sous  Morvilliers  et  l'Au- 
bespine,  apprenait  le  métier  de  ministre.  Il  se  tint  patiem- 
ment à  sa  place,  sans  prétendre  exercer  une  action  dispro- 
portionnée à  son  âge  et  à  son  expérience.  Durant  les  sept 
premières  années  de  son  secrétariat,  son  rôle  fut  tout  à  fait 
modeste.  Aussi  n'en  a-t-il  point  parlé  dans  ses  Mémoires. 
Les  ambassadeurs  vénitiens  ne  le  nomment  point  parmi  les 
personnages  importants  (?;.  Même  silence  sur  sa  personne 
dans  les  autres  documents  contemporains.  Il  n'eut  pas  à 
prendre  la  moindre  part  aux  conseils  qui  précédèrent  la 
Saint-Barthélémy.  La  politique  de  violences  si  tragiquement 
inaugurée  en  1572  contre  les  huguenots  fut  l'œuvre  de  la 
reine-mère  qui  prépara  le  meurtre  de  l'amiral  et  les  mas- 
sacres qui  suivirent,  dans  le  secret,  avec  le  duc  d'Anjou, 
les  dues  de  Nevers  et  de  Guise,  Tavannes  et  le  garde  des 
sceaux  Birague.  Quels  furent  les  sentiments  intimes  de 
Villeroy  ?  Xous  l'ignorons.  Cependant,  d'après  son  carac- 
tère,  on  peut    conjecturer   qu'ils  ne  différèrent  guère  de 


(1)  Lettre?  d'Henri  IV  et  de  Villeroy  à  LaBoderie,  Amst.,  1733,  in-8, 
t.  I,  p.  69.  Villeroy  à  La  Boderie,  Ie''  septembre  1606.  Nous  avons 
des  nouvelles  de  sa  santé  par  la  correspondance  des  ambassadeurs 
(Lettres  a  la  Boderie,  lettres  à  Boissise.  F.  Fr.  4128,  passim)  et  par  les 
relations  des  étrangers. 

(2)  11  n'est  pas  question  de  Villeroy  dans  les  relations  d'Alvise  Con- 
tarini  (1572),  deSigismonde  Cavalli  (1574),  de  Giovanni  Michiel  (1575), 
publiées  par  Alberi  dans  lasérie  I,  t.  IV  de  ses  Relazioni  du  wr  siècle. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  35 

ceux  de  son  maître  Morvilliers.  Lrévêque  d'Orléans  n'était 
pas  assez  énergique  pour  blâmer  tout  haut  la  violence  : 
cependant  on  savait  qu'il  la  désapprouvait  in  petto  et  Bi- 
rague  ne  tarda  pas  à  le  supplanter  au  Conseil  (1).  Quand, 
deux  ans  plus  tard,  au  début  du  règne  d'Henri  III,  on 
demanda  au  vieux  conseiller  son  avis  sur  la  question  reli- 
gieuse, il  demanda  nettement  qu'on  mit  fin  à  tous  les  trou- 
bles «  par  une  amiable  réconciliation  »  (2).  L'historien 
Matthieu,  à  qui  Villeroy  avait  conté  le  récit  de  ses  premières 
années,  affirme,  en  désignant,  par  un  heureuxeuphémisme, 
la  Saint-Barthélémy  que  «  si  ce  prince  [Charles  IX]  eut  des 
conseils  extrêmes,  Villeroy  ne  les  lui  donna  pas  »  (3). 

L'année  suivante,  quand  l'armée  catholique,  sous  les 
ordres  du  due  d'Anjou,  alla  faire  le  siège  de  la  Rochelle, 
une  mission  dont  nous  ignorons  les  détails  fut  confiée  à 
Villeroy.  La  reine-mère  et  le  roi  l'envoyèrent  au  duc  d'An- 
jou et  au  duc  d'Aleneon.  L'attitude  de  ce  dernier  et  des 
catholiques  modérés  inquiétait  la  cour.  (Tes!  à  ce  mo- 
ment quese  formait  secrètement  l'union  des  amis  de  Mont- 
morency et  du  duc  d'Aleneon,  le  troisième  fils  ambitieux 
et  aigri  de  Catherine,  avec  les  huguenots,  sous  le  nom  de 
«  Parti  des  politiques  ».  Cette  mission  fut  sans  doute  peu 
importante,  car  elle  passa  inaperçueaux  yeux  des  contem- 
porains, et  Villeroy  lui-même  a  jugé  inutile  d'en  parler.  Vn 
événement  imprévu  fit  lever  le  siège  de  la  Rochelle  et  con- 
clure la  paix  au  mois  de  juillet  1573  :  l'élection  du  duc 
d'Anjou  au  trône  de  Pologne.  Le  duc  d'Anjou  revint  rapi- 
dement à  la  cour.  On  dit  que  Charles  IX,  avant  le  départ 
de  son  frère  pour  son  nouveau  royaume,  lui  parla  très  favo- 


(1)  Relation  de  S.  Cavalli,  1574,  Alberi,  t.  IV,  p.   323. 

(2)  Discours  pour  savoir  s'il  est  expédient  d'arrêter  par  les  armes 
lecours  de  la  nouvelle  religion  enee  royaume,  dans  les  Mémoires d' Estât 
de  Morvilliers,  F.  Fr.  5172.  édité  par  Baguenault  de  l'uchesse,  dans  son 
livre  sur  Pévêque d'Orléans,  p    322. 

(3)  Matthieu,  Remarques  d' Estât,  p.  261. 


36  VILLEROY 

rablement  de  Villeroy  et  que  le  futur  Henri  III  ne  l'oublia 
pas  (1). 

En  1574,  une  mission  beaucoup  plus  délicate  fut  confiée 
à  Villeroy.  Les  circonstances  furent  telles  qu'elle  n'eut  au- 
cun résultat  politique,  mais  donna  lieu  d'accuser  Villeroy 
d'avoir  voulu  faire  tuer  Damville,  le  gouverneur  du  Langue- 
doc, auquel  il  avait  été  délégué  pour  offrir  la  paix.  Ville- 
roy s'est  longuement  justifié,  au  début  de  ses  mémoires. 
C'est  le  premier  de  ses  actes  qu'il  décrive  avec  détails  et 
qui  exige  d'aussi  amples  explications.  Nous  devons,  en 
effet,  le  considérer  comme  le  début  de  sa  vie  politique. 
Pour  la  première  fois,  Villeroy  se  trouve  engagé  comme 
négociateur,  avec  une  certaine  responsabilité,  au  cœur  des 
difficultés  soulevées  par  le  problème  religieux  et  politique 
de  la  fin  du  xvi''  siècle.  Pour  la  première  fois  aussi  son  atti- 
tude parut  équivoque,  et  fut  critiquée.  Blâme  ou  louange, 
c'étail  le  commencement  de  la  notoriété.  Aussi  devons- 
nous  entrer  avec  lui  dans  le  récit  détaillé  de  cette  af- 
faire (2). 

La  province  du  Languedoc  n'avait  pas  été  pacifiée  à  la 
suite  de  l'édit  de  Boulogne  (juillet  1573).  Les  huguenots 
de  Montauban  et  de  Nîmes  ne  voulurent  pas  désarmer  (3). 
La  guerre  avait  d'ailleurs  été  mollement  conduite  par  Dam- 
ville, frère  de  Cossé  et  de  Montmorency,  gouverneur  du 
Languedoc,  qui  ne  recevait  pas  d'argent  de  la  cour  et  com- 
mençait déjà  à  ménager  les  huguenots  avant  de  s'unir  à  eux. 


(1)  Mathieu,  Ibirt.  —  Il  n'est  question  du  rôle  particulier  de  Ville- 
roy ni  dans  les  mémoires  du  temps,  ni  dans  les  ouvrages  récents  de 
Décrue,  Le  parti  des  politiques  au  lendemain  de  la  Saint-Barthé- 
lémy, in-8°,  1892,  et  de  Hauser,  François  de  la  Noue,  in-S°,  1892. 

(2)  Mém.,  pp.  107-108. 

(3)  Sur  ces  affaires  du  Languedoc  en  général,  voir  les  mémoires  du 
temps  que  nous  citons  plus  loin,  les  principaux  historiens,  notam- 
ment de  Thou,  t.  VII,  la  correspondance  de  Catherine  de  Médicis,  t.  IV, 
p.  285  et  suiv..  et  surtout  D.  Vaissète,  Histoire  du  Languedoc,  édit. 
nouvelle,  XI  et  XII,  Toulon,  1889,  avec  ses  abondantes  preuves. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  37 

Ceux-ci,  très  forts  par  leurs  propres  ressources  et  la  compli- 
cité tacite  du  maréchal,  rédigèrent  une  requête  au  roi 
demandant  en  termes  énergiques  justice  pour  le  passé  et 
solides  garanties  pour  l'avenir .  Ces  exigences  parurent  exces- 
sives au  roi  qui  néanmoins  dissimula  son  mécontentement 
et  en  réponse  aux  articles  présentés  envoya  dans  le  Midi, 
pour  traiter  de  la  pacification,  le  ducd'Uzès,  les  sieurs  d'A- 
cier et  de  Caylus.  Damville  reçut  la  députation  à  la  fin  de 
novembre  et  désigna  la  ville  de  Pézenas  pour  tenir  la  con- 
férence entre  les  envoyés  royaux  et  ceux  de  la  religion.  Les 
négociations  n'eurent  aucun  succès  (1).  Caylus  à  quatre 
lieues  de  Toulouse  tomba  dans  quatre  embuscades  et  per- 
dit tous  ses  bagages.  Le  duc  d'Uzès,  malgré  la  trêve,  fut 
dépouillé  de  deux  de  ses  places  prises  d'assaut  par  les  Hu- 
guenots. Les  députés  étaient  mal  choisis.  Leur  chef  (qui 
était  lejiluc  d'Uzès  avait  trop  d'intérêts  engagés  dansla 
province  pour  être  un  négociateur  impartial  accepté  de 
bon  gré  par   les  protestants. 

La  reine-mère  et  son  fils  le  comprirent,  car  ils  jetèrent 
les  yeux  sur  Villeroy  qu'ils  savaient  assez  fidèle  pour  exé- 
cuter tous  leurs  ordres  et  assez  petit  personnage  pour  ne 
pas  exciter  la  défiance  des  protestants.  On  le  chargea  donc 
d'achever  la  négociation  malheureusement  commencée  par 
d'Uzès,  d'Acier  et  Caylus.  On  lui  adjoignit  Saint-Sulpiee, 
superintendant  de  la  maison  du  duc  d'Aleneon,  sans  doute 
afin  d'être  agréable  au  maréchal  dont  on  connaissait  les 
relations  avec  le  frère  du  roi. 

Yillerov  reçut,  le  26  février  1374,  des  instructions  «  pour 
regarder  de  faire  en  sorte  que  l'on  puisse  conférer  avec 
lesdits  de  la  nouvelle  opinion  et  traiter  s'il  est  possible  une 
bonne  paix  »  (2).  Il  devait  démontrer  au  maréchal  combien 

(1)  Histoire  du  Languedoc,  t.  XII,  pp.  1 002-1063. 

(2)  La  copie  est  dans  le  Fonds  Biienne,  207,  pp.  83  et  126.  —  Voir 
Histoire  du  Languedoc,  t.  XII,  p.  1001  et  Lettres  de  Catherine  de 
Médicis,  t.  IV,  p.  283. 


38  VILLEROY 

cette  paix  était  nécessaire  et  le  prier  de  s'employer  à  assou- 
pir les  troubles.  Il  devait  assurer  ceux  de  la  religion  qu'ils 
ne  seraient  plus  molestés  au  sujet  de  leurs  croyances.  Des 
instructions  que  Villeroy  ne  devait  pas  montrer  conte- 
naient les  concessions  qu'on  n'accorderait  qu'à  la  dernière 
extrémité.  Dictées  par  Catherine,  elles  révèlent  quelques 
traits  de  la  politique  dont  Villeroy  se  souviendra  lorsqu'il 
agira  avec  plus  d'initiative  durant  la  Ligue.  Paraître  céder 
devant  l'éloquence  de  l'adversaire  des  conditions  qu'on 
était  résolu  à  accorder  à  la  dernière  extrémité  ;  compter 
sur  l'effet  bienfaisant  des  trêves  qui  rapprochent  les  enne- 
mis, renouent  les  amitiés,  l'ont  reprendre  les  bonnes  habi- 
tudes de  la  paix,  seront  deux  des  moyens  employés  par 
Villeroy. 

Il  partit  à  la  fin  de  février,  quelques  jours  après  Saint- 
Sulpice  et  arriva  à  Avignon  le  22  avril  (1).  Les  deux  dépu- 
tés ne  purent  pas  aller  plus  loin,  malgré  leur  bonne  volonté. 
Les  chemins  du  Bas-Languedoc  étaient  barrés  par  les  gar- 
nisons protestantes.  D'Avignon,  Villeroy  écrivit  au  maré- 
chal. Mais  quelque  effort  qu'il  fit,  il  lui  fut  impossible  de 
le  voir  (2). 

Bientôt,  il  reçut  d  étranges  nouvelles.  Les  «  malcontenls  » 
avaient  ourdi  un  complot  pour  faire  sortir  de  cour  et  s'en- 
fuir à  Sedan  le  duc  d'Alençon  et  le  roi  de  Navarre.  La  cons- 
piration découverte,  deux  malheureux  complices,  La  Molle 
et  Goconat,  payèrent  pour  les  grands.  Les  maréchaux  de 
Cossé  et  de  Montmorency,  très  compromis,  furent  jetés  à 
la  Bastille.  Restait  Damville,  leur  frère,  le  plus  redoutable 
chef  du  Tiers-Parti,  à  la  tète  d'une  grande  province  et 
prêt  à  s'unir  aux  troupes  protestantes.  Il  y  eut  à  la  cour  un 


(1)  Faurin,  Guerres  du  Cointat-Venaissin,  Mss.,  p.  629. 

(2)  Mém.j  p.  106.  —  De  leur  côté,  le  roi  et  la  reine-mère  avaient 
fait  tout  leur  possible  pour  décider  Damville  à  venir  en  cour,  cher- 
chant à  l'amadouer  et  à  lui  persuader  que  toutes  ses  requêtes  lui 
seraient  accordées  par  Villeroy  et  Saint-Sulpice. 


LES    DÉBUTS    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  30 

moment  d'affolement.  Le  4  mai,  le  jour  même  de  l'empri- 
sonnement de  Cossé  et  Montmorency,  le  roi  enleva  à  Dam- 
ville  son  commandement  et  le  donna  au  prince  Dauphin, 
fils  de  Montpensier.  L'argent  et  les  troupes  manquaient 
pour  réduire  Damville.  En  toute  hâte  on  expédia  à  Villeroy 
par  commission  scellée  du  grand  sceau  et  par  lettre  écrite 
de  la  propre  main  de  Charles  IX  l'ordre  de  se  saisir  de  la 
personne  du  duc  et  d'avertir  les  gouverneurs  et  capitaines, 
consuls  et  habitants  des  villes  de  ne  plus  le  reconnaître 
pour  gouverneur  ni  lui  rendre  obéissance  (1).  Cet  ordre, 
porté  par  un  capitaine  d'aventures  Martinengo,  ne  prescri- 
vait pas  à  la  lettre  de  tuer  le  maréchal,  mais  son  impréci- 
sion redoutable  et  la  solennité  des  termes  du  déliemenl 
d'obéissance  autorisaient  tous  les  excès.  Il  est  certain  que 
la  reine-mère  n'aurait  pasété  mécontente  d'un  dénouement 
violent. 

On  laissait  donc  à  Villeroy  toute  liberté  d'agir.  Mais  il 
comprit  qu'il  était  impossible  de  s'emparer  du  maréchal 
dans  son  gouvernement  au  milieu  de  ses  forces.  Il  aurait 
été  arrêté  et  exécuté  par  le  duc  avant  de  pouvoir  approcher. 
L'entreprise  eût-elle  été  possible,  Villeroy  était-il  l'agent 
propre  à  la  faire  réussir?  On  en  doute  quand  on  connaît 
son  aversion  à  l'égard  des  moyens  violents.  L'aurait-il 
accomplie  avec  zèle?  On  peut  pareillement  en  douter,  car 
Villeroy  devait  commencer  à  connaître  l'instabilité  et  la 
faiblesse  de  la  politique  royale  et  se  soucier  très  peu  de 
s'attirer  la  haine  d'un  parti  qui  pouvait  triompher  après  la 
mort  de  Charles  IX.  On  peut  donc  croire  Villeroy  lorsqu'il 
dit  qu'il  fut  bien  aise  «  de  ce  que  ledit  .Martinengo  l'avait 
trouvé  encore  en  ladite  ville  d'Avignon  ». 

Ses  contemporains  ont-ils  cru  qu'il  avait  réellement 
attenté  à  la  vie  du  maréchal  ? 

Une  «  déclaration  et  protestation  faite  par  M.  le  maré- 

(1)  Histoire  du  Languedoc.  Preuves,  t.  XII,  p.  1098,  n°  331. 


40  VILLEROY 

chai  Damville  sur  l'occasion  pour  laquelle  il  prit  les  armes 
pendant  l'Union  »  (1)  n'accuse  pas  la  personne  de  Villeroy 
directement.  Elle  met  en  cause  la  Cour  et  le  groupe  des 
députés  royaux.  Ils  ont  fait,  dit-elle,  tout  ce  qu'ils  ont  pu 
«  pour  nous  faire  tuer  par  le  comte  de  Martinengo  et  plu- 
sieurs autres  envoyés  exprès,  pour  nous  faire  emprisonner 
et  massacrer  par  une  élévation  populaire  en  celle  ville  de 
Montpellier,  chose  si  vulgaire  que  chacun  peut  en  dépo- 
ser ».  Mais  cette  apologie  est  suspecte,  car,  pour  justifier 
une  rébellion,  elle  tend  naturellement  à  grossir  les  torts 
de  la  Cour.  Damville  était  cependant  de  bonne  foi,  s'il 
est  vrai  que  Thoré,  son  frère,  lui  écrivit  de  sa  prison  pour 
l'engager  à  se  défier  (?).  Il  lui  aurait  dit  de  songer  à  sa 
sûreté,  «  car  la  Cour  lui  avait  envoyé  le  duc  d'Uzès,  Saint" 
Sulpice  et  Villeroy  pour  le  tromper  »  et  Martinengo  était  allé 
en  Languedoc  apparemment  pour  lui  ôter  la  vie. 

Un  Gascon  qui  racontait  au  jour  le  jour  l'histoire  de  son 
temps  et  de  sa  région,  Faurin,  marchand  chaussetier  à 
Castres,  dit  dans  son  Jou mal  que  «  le  maréchal  avait  des 
avis  de  plusieurs  endroits  que  Villeroy  et  Saint-Sulpice... 
n'étaient  venus  que  pour  se  saisir  de  lui  »  (3).  Damville, 
paraît-il,  fut  si  effrayé  qu'il  tomba  malade  et  si  courroucé 
qu'il  fit  pendre  un  capitaine  suspect,  Girardon.  Enfin  l'au- 
teur du  «  Discours  merveilleux  de  la  vie,  actions  et  dépor- 
tements de  la  reine  Catherine  de  Médicis  »,  composé  en 
1574,  accuse  formellement  la  reine-mère  d'avoir  donné 
l'ordre  de  se  saisir  du  maréchal  Damville,  mort  ou  vif  (4). 

De  ces  témoignages  d'ennemis  passionnés  de  Catherine 
et  des  autres  documents  il   résulte  que  la  Cour  forma  le 


(1)  Histoire  du  Languedoc.  Preuves,  t.  XII,  no  336. 

(2)  DeThou,  Hist.,  t.  VII,  p.  61. 

(3)  Faurin,   Guerres  du  Comtal-Venaissin,  Ibid.,  p.  629  et  suiv. 
Voir  aussi  Brantôme,  Œuvres,  t.  111,  p.  366. 

(4)  Cimber  et  Danjou,  Archives  Curieuses  de  l'histoire  de   Fiance, 
t.  IX,  p.  110. 


LES    DÉBUTS    —    LE    SECRETAIRE    DE    CHARLES    IX  41 

projet  de  s'emparer  deDamville  «  mort  ou  vif  »,  que  peut- 
être  des  agents  subalternes,  hommes  à  tout  faire,  tels  que 
ce  Sciarra  Martinengo,  entreprirent  à  eux  seuls  l'exécution 
de  cette  tâche.  Mais  ils  ne  prouvent  pas  que  Yilleroy  ni  ses 
amis  aient  essayé  d'accomplir  ce  projet.  Les  raisons  que 
Villeroy  donne  de  son  abstention  ne  perdent  donc  rien  de 
leur  valeur. 

Villeroy  et  ses  collègues  n'ayant  pas  jugé  bon  de  pour- 
suivre leur  mission  partirent  le  28  mai  d'Avignon  avec  le 
duc  d'Uzès,  Caylus  et  Maugiron.  pour  aller  retrouver  le 
prince  Dauphin  qui  avait  été  nommé  gouverneur  du  Lan- 
guedoc. 


DEUXIEME  PARTIE 

LE  SECRÉTAIRE  DE  HENRI  III 

(1574-1589) 


CHAPITRE  Pr 

I.  Premiers  rapports  de  Villeroy  et  d'Henri  III.  Le  règlement  du 
17  septembre  1574.  —  II.  L'activité  diplomatique  de  Villeroy 
de  1577  à  1582.  Les  négociations  avec  les  protestants.  (Paix  de 
Bergerac  et  paix  de  Fleix).  Les  affaires  du  duc  d'Anjou.  —  III. 
L'affaire  Salcède.  Villeroy  calomnié  (1582).  —  IV.  Villeroy  et 
son  «  bonmaistre  ».  L'homme  de  confiance  d'Henri  III. 
(1574-1584) 


Le  30  mai  1574,  Charles  IX  mourut.  La  reine-mère 
exerça  la  Régence  en  attendant  le  retour  du  roi  de  Pologne, 
l'héritier  du  trône.  Cependant  le  due  d'Anjou  abandonnait 
précipitamment  sa  couronne  et  s'enfuyait  hors  du  pays  des 
Sarmates  avec  la  joie  d'un  prisonnier  quon  délivre.  Par 
r  Autriche,  il  gagnait  Venise  et  après  une  semaine  de  fêtes 
splendides  rentrait  dans  son  royaume  de  France  par  Fer- 
rare,  Mantoue  et  le  Piémont,  très  lentement,  malgré  les 


44  VILLEROY 

supplications  de  Catherine  impatiente  de  le  revoir  dans  sa 
capitale. 

La  reine-mère,  aussitôt  après  \e  décès  de  Charles  IX, 
avait  envoyé  à  Villeroy  [l'ordre  de  se  rendre  au-devant 
d'Henri  III  avec  Chevernyet  le  secrétaire  d'Etat  de  Sauve. 
Les  ministres  rencontrèrent  leur  nouveau  roi  à  Turin  où  il 
était  arrivé  le  12  août.  «  Il  nous  reçut,  dit  Villeroy,  très 
humainement  et  me  fit  en  particulier  certainement  plus 
d'honneur  et  de  bonne  chère  qu'aucun  n'espéraient  ni  dési- 
raient »  (1). 

Il  ne  faudrait  pas  croire,  d'après  ces  paroles,  que  Villeroy 
fut  spécialement  remarqué  par  le  souverain  entre  les  autres 
ministres.  Le  personnage  principal  de  la  mission  envoyé  à 
Turin,  Cheverny,  fut  accueilli  par  le  prince  avec  beaucoup 
plus  «  de  caresse  et  faveur  ».  Il  raconte  lui-même  qu'il 
mena  avec  lui  MM.  de  Sauve  et  de  Villeroy  désignés  par  la 
reine-mère  et  que  dès  le  5  septembre,  Leurs  Majestés  lui 
firent  «  cet  honneur  très  grand  et  très  particulier  »  de  l'ap- 
peler «  seul  avec  elles  clans  le  cabinet  »  (2).  Cheverny  pos- 
sédait, en  effet  une  autorité  beaucoup  plus  considérable 
que  Villeroy,  par  son  âge  —  il  avait  quinze  ans  de  plus  —  et 
par  les  services  rendus.  Cet  ancien  maître  des  requêtes  de 
l'Hôtel  du  Roi  était  devenu  le  chancelier  du  duc  d'Anjou 
et  son  serviteur  favori.  Il  n'avait  cessé  de  correspondre 
avec  le  roi  de  Pologne,  lui  avait  envoyé  de  l'argent  et  avait 


(1)  Mém.,  p.  107.  — ■  Il  n'y  a  aucun  détail  sur  la  réception  des  mi- 
nistres, ni  dans  l'ouvrage  du  duc  de  Noailles,  Henri  de  Valois  et  la  Po- 
logne en  1572,  in-8",  1867,  3„vol.,  ni  dans  le  livre  deNolhac  et  Solerti, 
//  Yiaggio  in  ïtaïia  di  Enrico  III,  in-S<\  Turin,  J  890. 

Nous  n'avons  trouvé  qu'une  lettre  de  Villeroy  relative  au  change- 
ment de  règne.  Elle  est  adressée  à  Bellièvre,  le  17  juin  1574  (F.  fr. 
15903,  f°  75).  «  Si  j'ai  été  marri  de  n'avoir  pu  faire  en  Languedoc  et 
Dauphiné  la  paix,,  je  l'ai  été  encore  plus  beaucoup  d'avoir  trouvé  à  mon 
retour  mon  maître  mort,  car  j'en  ai  quelque  spéciale  occasion  plus  que 
les  autres.  » 

(2)  Mémoires  de  Philippe  Hurault ,  comte  de  Cheverny,  Ed.  Michaud 
etPoujoulat,  ire  série,  X,  p.  475. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  45 

pris  avec  Catherine  toutes  les  mesures  pour  qu'il  succédât 
sans  difficultés  à  son  frère.  Villeroy  fut  incontestablement 
bien  reçu  d'Henri  III;  mais  il  eut  la  faveur  qu'il  méritait 
et  rien  de  plus.  Un  des  caractères  les  plus  remarquables 
de  la  carrière  politique  de  Villeroy  est  la  croissance  régu- 
lière et  sûre  de  sa  fortune  et  de  son  influence.  Or,  en  1574, 
Villeroy  était  encore  loin  du  premier  rang. 

Il  parut  même  un  moment  à  Villeroy  que  l'importance 
de  sa  fonction  allait  singulièrement  diminuer.  Dès  son  arri- 
vée à  Lyon,  Henri  III.  par  un  règlement  daté  du  17  sep- 
tembre, détermina  l'ordre  qu'il  voulait  «  désormais  être 
gardé  en  ses  Conseils  »  (1).  La  première  partie  ne  touchait 
pas  directement  les  pouvoirs  des  secrétaires  d'Etat.  C'était 
une  réorganisation  du  Conseil  qui  était  divisé  en  trois 
sections  :  Conseil  d'Etat,  Conseil  privé,  Conseil  des  finan- 
ces. On  fixait  les  jours  des  séances  et  la  qualité  des  per- 
sonnes qui  y  avaient  entrée,  séance  et  voixdélibérative.  Les 
sociétaires  d'Etat  avaient,  comme  par  le  passé,  entrée, 
séance  et  voix  délibérative  au  Conseil  d'Etat  et  privé,  et 
entrée  au  Conseil  des  finances.  Mais  leur  pouvoir  était 
limité  dans  la  seconde  partie  du  règlement  par  «  l'ordre 
que  le  roy  veut  estre  gardé  en  ce  qui  dépend  de  sa  grâce 
et  libéralité  ».  C'était  un  changement  radical  de  la  forme 
ancienne  des  expéditions  de  dons  et  bienfaits. 

Auparavant,  les  mémoires  des  particuliers  qui  avaient 
des  grâces  à  demander  étaient  présentés  par  les  grands  ou 
les  favoris.  On  avait  pris  l'habitude  de  les  renvoyer  aux  se- 
crétaires d'Etat,  —  en  lesquels  Charles  IX  avait  entière  con- 
fiance —  pour  être  examinés.  Et  ceux-ci,  s'ils  trouvaient  la 


(l)  «  L'ordre  que  le  roy  veult  désormais  estrc  gardé  en  ses  Con- 
seils »,  fait  à  Lyon,  le  17  septembre  1374.  La  copie  est  dans  le  t.  II 
du  Recueil  de  réglemens  faits  pour  la  Maison  du  roi...  intitulé  Des 
secrétaires  d'Estat  et  des  finances  (ancienne  Coll.  Brienne,  Nouv.  acq. 
Fr.  qo  1-2'2(i,  fos  53  et  suiv.).  —  Voir  aussi  les  mémoires  de  Villeroy, 
p.  108  et  de  Cheverny,  p.  476  et  les  historiens. 


46  VILLEROY 

demande  contraire  aux  règlements  et  usages  anciens,  reje- 
taient le  mémoire  sans  le  rapporter.  Jugeaient-ils  qu'on 
pouvait  accorder  sans  inconvénient  la  demande,  ils  l'enre- 
o-istraient  sur  un  rôle  qui  était  lu  au  roi  en  présence  de 
son  Conseil  et  discuté,  article  par  article.  Le  roi  apostillait 
de  sa  main  ceux  qui  étaient  accordés  ;  les  autres  étaient 
rayés.  On  transcrivait  les  articles  concédés  sur  un  nouveau 
rôle,  appelé  contre-rôle  ou  contrôle.  Le  chancelier  y  appo- 
sait le  sceau  et  les  secrétaires  d'Etat  faisaient  ensuite  leurs 
expéditions.  Cette  habitude  ancienne  conférait  à  ces 
derniers  une  part  importante  de  responsabilité.  Ils  avaient 
un  pouvoir  de  contrôle  dont  ils  usaient  pour  faire  respec- 
ter les  ordonnances  du  royaume  et  les  bonnes  coutumes 
établies,  pour  empêcher  le  gaspillage  des  deniers  publics 
et  gérer  avec  ordre  et  régularité  les  finances  de  l'Etat. 
Il  y  avait  des  abus  :  Villeroy  le  reconnaît.  Des  secrétaires 
se  faisaient  payer  par  les  quémandeurs  leur  approbation 
ou  refusaient  l'examen  d'un  placet  aux  personnes  qui 
leur  déplaisaient.  Mais  aux  yeux  de  Villeroy,  les  abus 
engendrés  par  la  nouvelle  forme  des  expéditions  furent 
plus  funestes  à  l'Etat. 

Henri  III  ordonna  en  effet  que  chaque  particulier  lui  pré- 
senterait directement  son  mémoire  et  que  lorsqu'il  l'aurait 
lu  et  apostille,  les  expéditions  en  seraient  faites  par  les 
secrétaires  sans  autre  examen. 

Voici  le  détail  du  règlement  qui  est  inédit  :  «  Tous  ceux 
qui  prétendront  faire  requestes  se  présenteront  au  jour  de 
samedi  incontinant  après  le  dîner  de  S.  M.  lors  qu'elle 
voudra  recevoir  les  requestes  et  placetz  pour  les  présenter. 
Lors,  elle  les  fera  prendre  par  celuy  des  secrétaires  d'Estat 
qui  sera  en  mois  qui  se  trouvera  près  d'elle...  »  Les  requê- 
tes devaient  être  déposées  dans  un  sac  de  velours  qui  serait 
remis  entre  les  mains  de  ceux  que  le  roi  ordonnait  pour  les 
rédiger,  «  lesquels  feront  un  mémoire  abrégé  de  toutes 
lesdites   requestes  et  placetz  présentés  qu'ils  montreront 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  47 

après  à  Sa  dite  Majesté  pour  estre  par  elle  vu  le  nombre 
d'iceux  qu'elle  certifiera  de  sa  propre  main  au  bout  du  dict 
mémoire  ».  Sur  ce  mémoire  abrégé,  le  secrétaire  d'Etat 
«  fera  dresser  des  rolles  contenant  en  substance  ce  qui  sera 
porté  par  les  requestes  et  placetz  ».  Puis,  lesamedisuivant 
il  rapportera  le  rôle  à  S.  M.  pour  être  lu  «  et  sera  par  elle 
cotté  sur  chacun  des  articles  d'icelui  ce  qui  sera  de  sa  vo- 
lonté dont  il  y  aura  trois  copies,  l'une  pour  S.  M.,  l'autre 
pour  M.  le  Chancelier,  l'autre  pour  ledit  secrétaire,  sur  la- 
quelle dernière  copie  S.  M.  mettra  les  réponses  de  sa  main, 
en  vertu  de  quoi  les  expéditions  seront  dressées  ».  Le  se- 
crétaire d'Etat  «  ne  pourra  faire  aucune  expédition  de  chose 
accordée  par  Sa  dite  Majesté  que  selon  ce  qui  sera  par  elle 
mis  sur  ledit  roolle  qu'elle  signera  de  sa  main.  » 

Cette  réforme  mécontenta  les  princes  et  seigneurs  de 
qualité  à  qui  il  ne  fut  plus  permis  de  parler  au  roi  pour 
d'autres  que  pour  eux  et  fut,  au  dire  de  Villeroy,  une  cause 
de  troubles.  Le  mal  ne  fut  peut-être  pas  aussi  grand  que 
Villeroy  l'affirme.  Si  les  grands  ne  présentèrent  plus  direc- 
tement les  requêtes  pour  leurs  clients  et  ne  les  défendirent 
plus  au  Conseil  du  roi,  ils  ne  manquèrent  pas  d'autres 
moyens  pour  Jes  [recommander.  Une  supplique  appuyée 
par  les  favoris,  désormais  seuls  dispensateurs  des  dons,  fut 
parfois  aussi  efficace  que  l'ancienne  forme  de  recomman- 
dation. D'ailleurs,  Villeroy  reconnaît  ensuite  que  les  grands, 
après  ce  changement,  ne  perdirent  pas  la  clientèle  des 
gens  qu'ils  obligeaient,  mais  la  virent  grossir  pendant  les 
guerres  civiles. 

Une  conséquence  plus  grave  de  la  réforme  fut  d'exposer 
désormais  le  roi  au  mécontentement  de  ses  sujets  s'il  n'ac- 
cédait pas  à  leurs  demandes,  ou  au  gaspillage  des  finances 
s'il  se  montrait  trop  faible.  Sous  le  régime  précédent,  on 
procédait  beaucoup  plus  habilement.  Charles  IX  ne  répon- 
dait jamais  non  aux  quémandeurs.  Le  solliciteur  éconduit 
ne  pouvait  rendre  responsables  du  refus  que  les  secrétaires 


48  VILLEROY 

du  roi  qui  eux-mêmes  se  retranchaient  derrière  l'observa- 
tion des  lois  et  ordonnances  royales.  Henri  III  avait  encore 
aggravé  cette  mesure  en  décidant  qu'il  prendrait  désor- 
mais entre  ses  mains  les  acquits  des  deniers  comptants,  ce 
qui  engendra,  dit  Villeroy,  toute  sorte  de  confusions  (1). 

Le  secrétaire  d'Etat  déplore  ces  abus  nouveaux  parce 
qu'il  aime,  dit-il,  sincèrement  le  bien  public.  Il  cite,  dans 
ses  mémoires,  un  fait  caractéristique.  Un  jour  le  comfedes 
Cars  lui  porte  un  place t  signé  du  roi  par  lequel  S.  M.  lui 
permet  de  lever  sur  les  habitants  de  ses  terres  des  soldats 
pour  la  garde  de  ses  châteaux.  Villeroy  lui  objecte  qu'il 
n'est  pas  d'usage  de  faire  garder,  les  maisons  des  particu- 
liers aux  dépens  du  peuple.  Le  comte  va  se  plaindre.  Vil- 
leroy est  réprimandé  pour  avoir  osé  contrôler  les  volontés 
du  roi  (2).  Villeroy  déplorait  aussi  ce  changement,  parce 
qu'il  diminuait  le  pouvoir  des  secrétaires.  Il  avait  le  goût 
du  pouvoir  personnel.  Ses  ennemis  sont  unanimes  à  rele- 
ver ce  qu'ils  appellent  un  défaut.  Nous  verrons  souvent 
combien  il  souffrait  d'être  contredit  et  de  ne  pas  faire  préva- 
loir son  avis.  Use  sentit  donc  très  humilié  de  se  voir  tout  à 
coup  réduit  au  rôle  d'expéditionnaire. 

On  conçoit  sa  rancune  contre  ceux  qui  avaient  fait  en- 
tendre au  roi  «  qu'il  n'était  pas  raisonnable  que  ses  offi- 
ciers contrôlassent  ses  volontés  ». 


(i)  Mém.,  p.  108. 

(2)  «  On  lui  fit  entendre  qu'il  n'était  pas    raisonnable  que  ses  oi'fî- 

-  "ntrôlassent  ses  volontés  et  commandements,  comme  ils  faisaient 

du  temps  du  feu   roi  son   frère,  lequel  à  la  vérité  se  reposait  grande- 

nt  sur  leur  devoir  et  fidélité,  pour  l'administration  de  ses  finances 

et  exécution  de  ses  commandements,  dont  aussi  ils  étaient  responsables 
du  tout,  ce  qui  était  cause  qu'ils  y  versaient  plus  religieusement  et 
loyalement,  comme  l'on  a  mieux  connu  et  expérimenté  depuis,  car  la 
facilité  et  couverture  des  dits  comptables  a  engendré  tant  de  sortes  de 
concussions,  larcins,  dons  immenses  et  dépenses  mal  employées  qu'il 
n'y  a  chose  qui  ait  tant  fait  de  tort  au  roi  ni  détruit  le  royaume  que 
cela,  comme  a  fait  aussi  la  nouvelle  forme  de  présenter  et  expédier 
lesdits  dons...  » 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  49 

Peut-être  y  avait-il  parmi  eux  des  ennemis  particuliers 
qu'il  avait  mécontentés  sous  le  défunt  roi  par  des  refus  de 
faveurs  illégales.  (Il  fait  une  allusion  à  des  gens  qui  «  n'es- 
péraient ni  ne  désiraient  »  la  faveur  dont  Henri  III  l'hono- 
ra.) Il  y  avait  aussi  parmi  eux  des  amis  de  Villeroy  dont  il 
ne  cite  pas  les  noms  et  qui  suivaient  une  politique  person- 
nelle. Il  est  curieux  de  voir  en  effet  que  Cheverny  ne  dé- 
sapprouve pas  le  changement  qui  trouble  tant  Villeroy. 
«  Je  reçus  dit-il,  commandement  de  recevoir  tous  lesdits 
placets  qui  furent  présentés  au  roi  pour  les  faire  voir  et 
résoudre  à  part,  les  secrétaires  présents  pour  en  recevoir 
les  commandements  et  en  faire  et  dépêcher  les  expédi- 
tions (1).  »  Peut-être  ne  fut-il  pas  étranger  à  une  mesure 
qui  accroissait  son  influence.  Il  était  allé  trouver  le  roi  à 
Turin  avec  un  mémoire  de  la  reine-mère  qui,  impatiente 
de  voir  son  fils  bien  inaugurer  son  règne,  lui  conseilla  les 
pratiques  nécessaires  pour  se  faire  bien  servir  et  aimer  de 
ses  peuples  (2). 

Quels  que  fussent  les  instigateurs  de  cette  mesure,  le  mo- 
tif principal  de  ce  changement  ne  fut  pas  le  désir  d'affran- 
chir la  royauté  du  contrôle  des  secrétaires  ;  ceux-ci  étaient 
en  général  de  bons  serviteurs  et  leurs  petites  clientèles 
étaient  inoffensives.  Mais  Henri  III  était  un  prince  pénétré 
de  l'idée  de  la  grandeur  royale,  et  passionnément  désireux 
de  la  rendre  sensible  à  tous  ses  sujets  :  c'était  aussi  une 
nature  très  généreuse  qui  ne  savait  rien  refuser.  On  lui  fit 
sentir  facilement, —  ou  il  compritde  lui-même  — qu'il  n'était 
pas  décent  de  voir  des  secrétaires  d'Etat  arrêter  les  effets 
de  sa  munificence.  Un  grand  roi  devait  faire,  sans  inter- 
médiaire ni  contrôle,  ses  libéralités.  D'autre  part,  il  prit, 
dès  le  début  de  son  règne,  l'habitude  de  s'isoler  avec  quel- 


(1)  Cheverny,  Mémoires,  p.  67. 

(2)  Lettres  de  Catherine  de  Médias,  t.  V,  p.  73.  Mémoire  pour  mon- 
trer à  M.  le  Boy  mon  fils,  8  août  1574. 

Villeroy  4 


50  VILLEROY 

ques  favoris.  —  Les  premiers  furent  Villequier,  dont  il  fit 
le  premier  gentilhomme  de  la  Chambre,  et  Bellegarde  qu'il 
créa  maréchal  de  France.  —  Il  lui  parut  intolérable  que 
n'importe  quel  grand  seigneur  vînt,  comme  avant,  discu- 
ter au  Conseil,  plus  ou  moins  familièrement,  pour  favori- 
ser ses  protégés,  chaque  article  du  rôle  dressé  par  les  se- 
crétaires et  le  chancelier. 

Ce  changement  entraîna-t-il  longtemps  pour  les  secré- 
taires d'Etat  l'amoindrissement  d'influence  que  Villeroy 
avait  redouté  ? 

En  se  réservant  la  faculté  de  lire  le  premier  et  d'apos- 
tiller  les  mémoires,  Henri  III  s'était  imposé  une  tâche  très 
lourde  qu'il  accomplit  avec  bonne  volonté  d'abord,  puis 
dont  il  fut  forcé  de  se  dispenser  très  souvent,  surtout  quand 
son  temps  était  absorbé  par  les  plaisirs  ou  les  exercices  de 
dévotion.  Les  historiens  sont  assez  sceptiques  sur  les  ré- 
sultats des  nombreux  et  minutieux  règlements  d'adminis- 
tration promulgués  sous  Henri  III  (1).  Le  règlement  du  17 
septembre  1574  fut  probablement  mal  appliqué  ou  appliqué 
par  intermittences.  Mais  il  nous  est  impossible  de  rien  pré- 
ciser pour  cette  époque  d'incohérence  gouvernementale. 
Nous  pouvons  toutefois  assurer,  en  ce  qui  concerne 
Villeroy,  que  si  d'après  la  lettre  du  règlement,  il  vit  ses 
pouvoirs  diminuer  comme  secrétaire  d'Etat,  après  quel- 
ques années  de  bons  services  il  les  retrouva  et  les  accrut 
considérablement  comme  conseiller  et  ami  d'Henri  III. 


M 


Durant  les  premières  années  du  règne,  les  affaires  furent 
conduites,  sous  la  haute  direction  de  la  reine-mère  et  du 
roi.  par  les  conseils  de  trois  anciens  ministres  de  Charles  IX, 

(1)   Gaillard,    Histoire    du  Conseil  du   Roy,    in-8<>,    1718,  p.  40.     . 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  51 

Birague,  Morvilliers  et  FAubespinè,  et  de  deux  hommes 
nouveaux,  Cheverny  et  Bellièvre.  Le  Milanais  Birague, 
Chancelier,  était  un  catholique  ardent  et  audacieux  très  en 
faveur  auprès  de  Catherine  depuis  la  Saint-Barthélémy.  L'é- 
vêque  d'Orléans  était  toujours  consulté  avec  beaucoup  de 
déférence  :  mais  il  plaisait  moins,  parce  qu'il  devenait  de 
plus  en  plus  timoré,  mécontent  du  mauvais  maniement  des 
finances,  et  ami  de  la  conciliation.  L'évêque  de  Limoges 
restait  le  serviteur  zélé  et  habile  de  Catherine.  Cheverny 
s'imposait  par  les  services  rendus  à  Henri  III,  quand  il 
était  duc  d'Anjou  et  roi  de  Pologne,  par  la  souplesse  de  son 
attitude  et  ses  qualités  de  bon  fonctionnaire.  Pomponne 
de  Bellièvre,  qui  était  conseiller  au  Parlement  de  Paris 
quand  Villeroy  fut  nommé  secrétaire  d'Etat,  avait  accom- 
pagné Henri  d'Anjou  en  Pologne  comme  ambassadeur  de 
Charles  IX  et  à  son  retour  avait  négocié  le  passage  du  roi 
sur  les  terres  de  l'Empire.  Henri  III  en  fit  un  surintendant 
des  finances  en  1575etunprésidentauParlementun  an  après. 
Sans  avoir  les  idées  originales  d'un  homme  d'Etal,  il  était 
remarquable  comme  administrateur  et  comme  diplomate. 
Il  avait  déjà  accompli  six  importantes  missions  en  Suisse 
et  au  pays  des  Grisons  (1).  Villeroy  devint  un  grand  ami  de 
cet  homme  qui  était  d'une  simplicité  et  d'une  douceur  pro- 
verbiales et  qui  parcourut  sans  fracas,  jusqu'en  1G07,  une 
belle  carrière,  «  honoré  des  rois  de  grandes  et  belles 
charges  dont  il  s'était  toujours  dignement  et  vertu eusc- 
menl  ae quitté  »  (2). 

La  politique  qui  prévalut  au  début  du  règne  d'Henri  III 


(1)E.  Rott,  Les  Missions  diplomatiques  de  Pomponne  de  Bellièvre 

en  Suisse  et  aux  'irisons  (1560-74).  Rev.  d'hist.  diplom.,  t.  XIV,  1900. 

(2)  L'Estoile,  t.  VIII,  p.  339.  —  Quelques  anecdotes  sur  sa  douceur 
et  sa  simplicité  sont  rapportées  par  Tallemant  des  Réaux,  Historiettes. 

Aucune  étude  spéciale  n'a  été  consacrée  ni  à  Cheverny,  ni  à  Bellièvre 
qui  est  beaucoup  plus  intéressant  et  a  laissé  une  masse  considérable 
île  lettres  et  documents  par  lui  écrits  ou  ù  lui  adressés)  conservés  dans 
les  Papiers  de  Bellièvre,  V.  Fr.,  13890-1 5911. 


52  VILLEROY 

fut  entièrement  inspirée  par  Catherine  de  Médicis.  Elle 
voulut  la  continuation  de  la  guerre  qu'elle  croyait  facile. 

On  se  battit  avec  acharnement  dans  l'Ouest,  autour  de 
la  Rochelle,  dans  les  provinces  du  Sud-Est  et  dans  le  Midi, 
où  Damville  était  entré  en  révolte  ouverte  contre  l'autorité 
royale.  La  situation  devint  assez  grave  quand  le  duc 
d'Alençon,  chef  des  mécontents,  parvint  à  s'enfuir  de  la 
Cour  et  à  rejoindre  les  huguenots  (septembre  1575),  et 
quand  l'armée  allemande  de  l'Electeur  Palatin,  renforçant 
les  troupes  de  Condé,  marcha  sur  Paris.  Henri  III  dut,  la 
rage  au  cœur,  laisser  son  frère,  qu'il  détestait,  s'entremettre 
pour  la  paix.  Il  promulgua  ledit  de  Beaulieu  qui  réhabili- 
tait les  victimes  de  la  Saint-Barthélémy,  rétablissait  dans 
leurs  charges  les  chefs  politiques,  et  accordait  aux  protes- 
tants les  plus  larges  concessions  :  huit  places  de  sûreté, 
des  chambres  mi-parties  et  le  libre  exercice  du  culte  dans 
tout  le  royaume  sauf  à  Paris  et  dans  les  lieux  où  résidait 
la  Cour  (6  mai  1576). 

Villeroy  ne  joua  aucun  rôle  dans  ces  événements.  C'est 
l'évêque  de  Limoges,  son  oncle,  qui  assista  la  reine-mère 
dans  les  négociations  qui  précédèrent  la  paix.  Ce  fut  l'oc- 
casion de  sa  disgrâce.  Henri  III,  profondément  humilié  de 
ce  traité  désastreux,  ne  le  lui  pardonna  pas,  et  ne  voulut 
plus,  à  partir  de  ce  moment,  se  servir  de  ses  conseils.  On 
ne  peut  préciser  davantage  les  circonstances  de  cette  dis- 
grâce.  De  Thou  l'attribue  au  ressentiment  du  cardinal  de 
Guise  qui  soupçonnait  l'Aubespine  de  n'être  pas  favorable 
au  parti  qu'il  soutenait  (1).  Villeroy  laisse  entendre  qu'il 
avait  trop  bien  assisté  la  reine-mère  en  la  paix,  mais  il  af- 
firme qu1  «  il  avait  servi  en  homme  de  bien  »  (2). 

La  paix  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Des  ligues  catho- 
liques se  constituaient  en  Picardie  et  dans  différentes  pro- 

(1)  De  Thou,  ffist.,  t.  XV,  p.  644. 

(2)  Mém.,  p.  109. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  53 

vinces  pour  défendre  la  religion  menacée  par  la  tolérance 
excessive  accordée  aux  Huguenots.  Le  roi  ne  tarda  pas  à 
préparer  secrètement  la  guerre  pour  rétablir  l'unité  de  foi. 
Nous  ignorons  quels  furent  les  sentiments  de  Villeroy  : 
mais  nous  savons  que  Bellièvre  et  quelques  conseillers  mo- 
dérés étaient  hostiles  à  la  lutte  à  outrance.  Les  Etats-géné- 
raux réunis  à  Blois  en  novembre  1576  se  prononcèrent  pour 
la  guerre  qui  reprit  à  la  fin  de  l'année.  Les  catholiques 
remportèrent  quelques  succès  dans  l'ouest  au  début  de 
1577.  Mais  les  Etats-généraux,  effrayés  devant  l'immensité 
des  dépenses,  se  ressaisirent  et  refusèrent  d'accorder  des 
subsides  et  des  hommes.  Le  Tiers-Etat  demanda  que  le  roi 
réunît,  sans  guerre,  tous  ses  sujets  dans  la  même  foi  (jan- 
vier 1577).  Il  se  produisit  alors  un  brusque  revirement  à 
la  Cour.  Catherine  de  Médicis  revint  aux  idées  pacifiques. 
Le  roi  se  résigna  à  abandonner  ses  projets  belliqueux,  et 
à  traiter.  II  songea  pour  les  négociations  de  paix  à  Vil- 
leroy, qui,  rendu  prudent  par  la  disgrâce  de  l'évèque  de 
Limoges,  chercha  d'abord  à  s'excuser. 

La  situation  était  en  effet  difficile  pour  Villeroy  qui  vou- 
lait se  maintenir  au  pouvoir  sans  mécontenter  la  Cour. 
Le  roi  avait  promis  solennellement  aux  Etats  de  n'accor- 
der la  paix  aux  protestants  que  s'ils  consentaient  à  ne  pas 
jouir  de  l'exercice  de  leur  religion.  Villeroy  connaissait 
l'opiniâtreté  des  huguenots.  Les  négociateurs,  quels  qu'ils 
fussent,  seraient  obligés  de  leur  faire  des  concessions.  Ne 
risquerait-on  pas  d'irriter  Henri  III?  Villeroy  se  montrait 
d'autant  plus  hésitant  que,  le  15  janvier,  il  y  eut  un  conflit 
entre  le  roi  aidé  de  Monsieur  et  la  reine-mère  sur  le 
choix  des  conseillers  à  envoyer  au  roi  de  Navarre.  La  reine- 
mère  soutenait  les  conseillers  qui  avaient  fait  avec  elle  la 
dernière  paix,  l'évèque  de  Limoges,  Bellièvre,  M.  de  Va- 
lence, M.  de  Foix.  Villeroy  était  désigné  par  Henri  III.  Or 
à  cette  époque  la  reine  était  disposée  à  la  conciliation  et  le 
roi  à  la  rigueur.  On  voit  donc  qu'Henri  III  aurait  eu  l'in- 


54  VILLEROY 

tention  de  charger  son  secrétaire  de  la  mission  difficile 
d'offrir  aux  Huguenots  une  paix  désavantageuse  pour  eux. 

Villeroy  dut  néanmoins  accepter  et  partir  au  mois  de  mois 
1577  pour  Bergerac.  D'accord  avec  les  Etats  de  Blois,  la 
•Cour  avait  déjà  envoyé  d'autres  ambassadeurs  vers  les  trois 
chefs  des  protestants  et  catholiques  associés,  Navarre, Condé 
et  Dam  ville.  Les  principaux  avaient  été  les  ducs  de  Monl- 
pensieret  de  Biron  qui  avec  les  députés  des  Etats  essayèrent 
de  convaincre  le  roi  de  Navarre  de  la  nécessité  de  la  paix, 
mais  n'en  rapportèrent  que  de  bonnes  paroles  (janvier-fé- 
vrier). Villeroy  était  porteur  de  concessions  plus  étendues, 
ce  qui  facilitait  sa  tâche  ;  et  il  avait  la  chance  d'être  envoyé  au 
moment  où  un  concours  de  circonstances  heureuses  ren- 
dait le  roi  désireux  de  conciliation  :  les  Etats  ne  voulaient 
accorder  ni  subsides  ni  hommes  pour  la  guerre  qu'Henri  III 
avait  solennellement  jurée  aux  hérétiques. 

D'avril  à  septembre,  l'activité  de  Villeroy  fut  très  grande. 
Les  deux  chefs  de  l'ambassade,  Biron  et  Montpensier, 
avaient  été  surtout  désignés,  l'un  pour  mettre  en  avant  un 
projet  de  mariage  entre  la  sœur  du  roi  de  Navarre  et  le 
duc  d'Alençon,  l'autre  «  pour  être  prince  tel  qu'il  est  de  la 
maison  de  Bourbon  et  d'âge  »  (1).  (Il  avait  o4  ans.)  Il  fut 
malade  durant  une  partie  des  négociations  (2).  La  corres- 
pondance de  Catherine,  les  lettres  des  Toscans  et  des  Véni- 
tiens font  allusion  aux  allées  et  venues  de  Biron  et  de  Vil- 
leroy entre  Bergerac  et  Poitiers  où  la  Cour  résida  en  août 
<i  septembre,  à  leurs  démarches  auprès  du  roi  de  Navarre, 
à  leurs  entrevues  secrètes  avec  la  reine-mère  et  le  roi  de 
France  (3). 


(1)  «  Avis  donné  au  roi  par  certains  de  son  Conseil  suivant  son  com- 
mandement le  2  janvier  1577.  »  Mémoires  du  duc  de  Nevérs. 

(2)  F.  Fr.  3400,  fo  17. 

(3)  Lettres  de  Catherine  de  Mèdicis.  t.  Y,  p.  261  et  suiv.  —  Des- 
jardins, Négociations  diplomatiques  de  la  France  avec  la  Toscane, 
Coll.  Doc.  Inéd.  Lettrés  de  Saracini  au  grand  duc,  10  juillet  et  le'-  sep- 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  55 

Après  les  conférences  de  Bergerac,  la  paix  fut  signée  le 
17  septembre  1577  et  confirmée  par  l'édit  de  Poitiers  qui 
accordait  aux  prolestants  la  libre  pratique  de  leur  culte 
dans  les  faubourgs  d'une  ville  par  bailliage,  et  dans  les  en- 
droits où  ils  en  jouissaient  avant  la  dernière  prise  d'armes. 
Le  roi  fut  satisfait  de  cette  paix  qu'il  appelait  sa  paix. 
Yilleroy  nous  dit  qu'on  fut  content  de  lui.  Sa  conduite  fut 
en  effet  approuvée,  puisqu'on  lui  confia  aussitôt  après 
d'autres  missions  non  moins  délicates. 


Yilleroy  n'a  signalé  dans  ses  mémoires  que  son  rôle  dans 
la  paix  de  Fleix  (1580)  qui  mit  fin  à  la  guerre  des  amoureux, 
mais  entre  les  deux  paix,  de  1577  à  1580,  ses  conseils  ou 
ses  actes  servirent  la  royauté  dans  toutes  les  questions  im- 
portantes de  la  politique  intérieure  et  son  influence  gran- 
dit rapidement. 

Pendant  ces  trois  années,  Catherine  et  son  fils  n'eurent 
guère  que  deux  grandes  préoccupations  :  pacifier  le 
royaume,  et  assurer  l'avenir  de  ce  turbulent  et  perfide  duc 
d'Anjou  dont  on  voulait  se  débarrasser  en  rétablissant 
royalement  en  Europe  sans  troubler  la  paix  générale. 

Le  premier  but  fut  poursuivi,  —  mais  manqué  —  par  le 
voyage  de  Catherine  dans  le  Midi  (août  1578-février  1570  . 
Sous  le  prétexte  de  conduire  sa  fille  au  roi  de  Navarre,  elle 
alla  conférer  avec  les  Huguenots,  intrigua  beaucoup  et  ne 
fit  qu'exciter  leurs  défiances  en  essayant  de  faire  rétro- 
céder avant  le  temps  les  places  de  sûreté  accordées  par  le 
roi. 

.    Yilleroy  ne  fut  pas  emmené  par  Catherine,  mais  il  lui 
rendit  de   loin   d'importants   services.  La  reine-mère,  qui 


tembre  1577,  t.  IV,  p  121  et  iï!4.  —  F.  Ital.  1730,  fo  96.  Dép.  de 
Jérôme  Lippomano  à  la  Seigneurie,  Poitiers,  22  juillet  1577.  —  Voir 
aussi,  sur  le  traité  de  Bergerac,  F.  Fr.  10297,  Coll.  Dupuy  322,  Cinq- 
Cents  Colbert  399, .et  l'Histoire  du  Languedoc,  t.  V,  305." 


56  VILLEROY 

craignait  sans  cesse  que  l'éloignement  ne  diminuât  son 
pouvoir  sur  son  fils  et  redoutait  l'influence  occulte  des 
nouveaux  favoris,  les  mignons,  employait  ses  bons  servi- 
teurs et  amis  Cheverny,  Brulart,  Villeroy  comme  inter- 
médiaires entre  elle  et  le  roi.  Entre  tous  les  confidents 
de  Catherine,  c'est  Villeroy  qui  recevait  les  lettres  les 
plus  aimables  et  les  plus  familières,  car  elle  le  savait  de  plus 
en  plus  consulté  par  le  roi.  Aussi  le  traitait-t-elle  comme 
un  bon  conseiller,  ami  de  son  fils  et  non  comme  un  subor- 
donné auquel  on  donne  des  ordres.  «  Monsieur  de  Villeroy, 
écrivait-elle  de  Marmande  le  7  octobre  1578,  j'ai  lu  vos 
lettres  et  les  deux  mémoires  et  loue  Dieu  de  l'inspiration 
qui  me  fit  vous  prier  d'aller  trouver  le  roi  et  que  le  roi 
trouvât  bon  ce  que  j'avais  pensé  pour  son  service,  de  quoi 
les  choses  en  ont  réussi  si  heureusement...  Voilà  mon  avis  ; 
s'il  est  mauvais,  jetez-le  au  feu  :  s'il  est  bon,  montrez-le 
au  roi...  Mandez-moi  toujours  de  ses  nouvelles  et  de  toutes 
autres  choses...   (1).» 

Villeroy  n'était  pas  seulement  à  cette  époque  l'homme 
d'affaires  de  Catherine,  son  intermédiaire  auprès  du  roi  et 
le  correspondant  obligeant  qui  la  renseignait  sur  toutes  les 
affaires  de  la  Cour.  Il  joua  un  rôle  très  actif  auprès  du  duc 
d'Anjou  dans  les  affaires  qui,  après  la  question  religieuse, 
inquiétaient  le  plus  la  reine-mère  et  le  roi. 

Le  duc  d'Anjou  rêvait  de  se  tailler  une  souveraineté  dans 
les  Pays-Bas  révoltés  contre  le  roi  d'Espagne.  11  offrit  ses 
services  aux  Etats  qui  cherchaient  partout  des  alliés  et  parti- 
culièrement en  France  parmi  les  huguenots  et  les  malcon- 
tents enclins  à  reprendre  les  grands  projets  de  Coligny.  Le 
roi  et  la  reine-mère,  craignant  que  cette  entreprise  n'entraî- 
nât une  guerre  avec  Philippe  II  et  que  le  royaume  dégarni 
de  sa  noblesse  catholique  ne  tombât  à  la  merci  des  hu- 
guenots, firent  les  derniers  efforts  pour  l'en  détourner.  On 

(1)  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  VI,  p.  59. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  57 

essaya  de  faire  agir  auprès  de  lui  des  personnes  influentes, 
telles  que  le  maréchal  de  Montmorency  et  Marguerite  de 
Valois.  Catherine  elle-même,  avant  de  se  rendre  dans  le 
midi,  fit  plusieurs  voyages  auprès  du  duc,  à  Alençon,  à 
Bourgueil,  au  Lude,  pour  le  persuader  de  refuser  les  offres 
des  sujets  révoltés  de  Philippe  II.  Villeroy  luifutenvoyé,on 
ne  sait  exactement  à  quelle  date.  Nous  constatons  sa  pré- 
sence auprès  du  duc  en  mai  et  à  la  fin.de  juin  1578  (1).  Ac- 
compagnait-il la  reine-mère  ou  était-il  envoyé  en  mission 
spéciale  ?  On  ne  trouve  pas  de  lettres  adressées  à  cette 
époque  par  Catherine  à  Villeroy,  ce  qui  nous  autoriserait 
à  croire  qu'il  était  avec  elle.  On  lui  avait  désigné  comme 
collègue  l'évoque  de  Mende,  Regnault  de  Beaune,  chan- 
celier du  duc,  qui  jusqu'en  mars  1580  posséda  la  confiance 
de  son  maître  (2). 

Henri  III  avait  envoyé  à  Villeroy  des  instructions  très 
détaillées.  Il  devait  faire  miroiter  aux  yeux  de  Monsieur 
l'espérance  d'un  établissement  dansle  marquisatde  Saluées, 
dans  le  Comtat-Venaissin  que  le  pape  céderait,  et  dans  le 
marquisat  de  Montferrat  qu'il  pourrait  acquérir  par  un 
mariage  avec  la  princesse  de  Mantoue  (3).  Villeroy  séjourna 
auprès  de  Monsieur  durant  les  premiers  jours  de  juillet  (4). 
Il  dut  déployer  beaucoup  d'habileté  pour  lui  cacher  l'inco- 
hérence des  desseins  de  son  maître  :  car  le  roi  lui  avait 
recommandé  de  parler  de  trois  ou  quatre  projets  de  mariage 
ou  d'établissement.  Mais  nul  ne  put  décider  le  duc  à  aban- 


(1)  Desjardins,  t.  IV,  p.  168.  Saracini  au  Grarul-Duc,  25  mai  1578. 
—  La  lettre  d'Henri  III  à  Villeroy,  datée  du  2  juillet,  lui  donne  des 
instructions  comme  s'il  était  déjà  depuis  quelque  temps  chez  le  frère 
du  roi. 

(2)  L'Estoile,  1,219,  318,  355. 

(3)  Henri  III  à  Villeroy,  2  juillet  1578,  lettre  publiée  en  appendice 
dans  le  t.  VI,  p.  386,  de  la  correspondance  de  Catherine. 

(4)  F.  Ital.  1730,  f°s  390-394.  Dép.  de  Lippomani  à  la  Seigneurie, 
7  et  8  juillet  78. 


58  VlLLEROY 

donner  sa  chimère.  Il  partit  secrètement  pour  la  Flandre  à 
la  fin  de  juillet. 

La  reine-mère  était  dans  le  Midi.  Villeroy  l'informa  ré- 
gulièrement des  allées  et  venues  du  duc.  Il  avait  adopté 
les  sentiments  de  ses  maîtres  sur  cette  équipée  dange- 
reuse. Dans  quelques  lettres  à  Bellièvre,  Villeroy  fait  savoir 
ce  qu'il  pense.  Le  15  mars  1581,  il  lui  écrit  qu'il  n'approuve 
pas  les  entreprises  du  duc  d'Anjou,  car  il  ne  retirera  que 
«  honte  sur  honte  et  dommage  sur  dommage  au  service  du 
roi  »  (1).  Nous  retrouverons  plus  tard  l'influence  de  ces 
événements  sur  ses  idées  en  matière  de  politique  étrangère, 
pendant  et  après  la  Ligue,  dans  son  attention  scrupuleuse 
à  ménager  l'Espagne,  à  éviter  tout  prétexte  de  querelle 
sur  ses  frontières. 

Quand  le  duc  d'Anjou,  privé  de  toutes  ressources,  gêné 
par  la  diplomatie  française,  rentra  dans  son  pays  (janvier 
1579)  pour  gagner  son  frère  à  ses  idées,  Villeroy  eut  sans 
doute  de  nouvelles  entrevues  avec  lui  et  recommença  pa- 
tiemment son  œuvre  de  conseiller  pacifique  (2).  Il  contri- 
bua à  ramener  de  meilleurs  rapports  entre  les  deux  frères. 
Il  n'était  pas  de  ceux  qui  attisaient  les  discordes  dans  la 
famille  royale.  Au  contraire,  il  prêchait  toujours  la  con- 
ciliation. Matthieu  qui  loue  cette  attitude  ajoute  que  «  c'est 
un  grand  bonheur  à  un  serviteur  quand  il  est  employé  à 
faire  l'accord  des  enfants  de  la  maison  »  (3).  Pendant  le  reste 
de  l'année  1579,  il  ne  cessa  de  tenir  Catherine  au  courant 
de  tout  ce  qui  se  passait  en  Flandre.  Les  questions  dont  il 
s'occupa  furent  sans  doute  très  délicates,  car  plusieurs  fois 
la  reine-mère  lui  demanda  de  ne  communiquer  ses  lettres 
à  personne  et  de  les  brûler  après  les  avoir  lues  (4).  Il  y 


.  (1)  F.  Fr.  15906,  fo  163. 

(2)  D'après  une  lettie  de  Catherine  à  Henri  III,  du  5  janvier  1579 
(t.  VI, p.  204)  on  voitqueYilleroyétaitchargé  parle  roi  d'écrire  à  s'on -frère. 

(3)  Mathieu,  Remarques  d'Éstat,  p.  262. 

(4)  Lettres  des  8  octobre  79  et  14  avril  80,  t.  VII,  p.  161  et  237. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENIU    III  59 

avait  parfois  une  exception  en  faveur  de  Cheverny  et  de 
Brulart(l). 

A  la  fin  de  1579,  une  nouvelle  guerre  civile  —  la  sep- 
tième —  éclata  en  France.  Elle  fut  provoquée  par  les  in- 
trigues de  la  reine  de  Navarre  et  des  amoureux  de  la  Cour 
de  Nérac  irrités  des  méchants  propos  d'Henri  III.  Condé, 
le  roi  de  Navarre  et  les  chefs  huguenots  du  Midi  partirent 
en  guerre  pour  se  dispenser  de  rendre  les  places  de  sûreté 
que  Catherine  leur  avait  fait  promettre  de  restituerau  traité 
de  Nérac,  le  28  février  précédent.  La  prise  de  Cahors,  des 
escarmouches  confuses  et  de  nombreux  actes  de  brigan- 
dage dans  les  provinces  du  Midi  furent  les  principaux  in- 
cidents de  cette  guerre  qui  avait  été  suscitée  sans  motifs 
sérieux  et  dont  tout  le  monde  était  las  au  bout  de  quelques 
mois.  Le  duc  d'Anjou  qui  voulait  tourner  toutes  les  forces 
de  son  pays  contre  l'Espagne  aux  Pays-Bas  s'offrit  pour 
rétablir  la  paix.  La  reine-mère  et  le  roi  acceptèrent  avec 
empressement  cette  médiation.  Villeroy  se  trouva  désigné 
pour  l'assister.  Il  s'était  avantageusement  fait  connaître  des 
deux  partis,  du  duc  d'Anjou,  par  ses  négociations]des  deux 
années  précédentes,  du  roi  de  Navarre,  lors  de  la  paix  de 
Bergerac  après  laquelle  Henri  avait  voulu  lui  offrir  une 
pension  de  2000  écus  (2). 

Il  fut  envoyé  auprès  de  Monsieur  en  compagnie  de  Mont- 
pensieretdeCossé.  Nous  connaissons  déjà  le  rôle  décoratif 
de  ces  grands  personnages  dans  les  ambassades  de  ce 
genre.  Le  travail  diplomatique  fut  conlié  à  Villeroy  et  à 
son  ami  Bellièvre.  Celui-ci  l'année  précédente  avait  été  en- 
voyé aux  Pays-Bas  et  avait  proposé  aux  Etats  réunis  à  An- 
vers la  médiation  du  roi  de  France  pour  les .  réconcilier 
avec  l'Espagne.  Ils  se  rendirent  au  mois  d'octobre  à  Cognac 
en  Saintonge  où  commencèrent  les  conférences  avec  le  roi 


(1)  Lettre  du  23  novembre  79,  t.  VII,  p.  200. 

(2)  Mém.,  p.  134. 


60  VILLEROV 

de  Navarre.  Elles  se  continuèrent  à  Fleix  où  la  paix  fut  si- 
gnée le  26  novembre  1580.  Elle  confirmait  le  traité  précédent 
de  Nérac  et  abandonnait  pour  six  ans  aux  réformés  leurs 
places  de  sûreté. 

Les  causes  de  la  guerre  avaient  été  mesquines,  sa  durée 
courte,  et  ses  résultats  médiocres  pour  les  deux  partis. 
Aussi,  dans  l'histoire  traditionnelle  des  luttes  de  religion, 
passe-t-on  assez  rapidement  sur  cet  incident.  Villeroy  lui- 
même  paraîtrait  attacher  peu  d'importance  à  ce  moment  de 
sa  vie  diplomatique,  qu'il  mentionne  en  quatre  lignes. 
Il  rappelle  que  S.  M.  se  montra  très  contente  de  la  paix 
de  Bergerac,  «  comme  elle  fit  aussi  de  l'autre  traité  que 
Monsieur  de  Beliièvre  et  moi  finies  auprès  de  feu  mondit 
sieur  (le  duc  d'Anjou),  avec  le  Boi  de  Navarre  au  lieu  de 
Flex,  où  S.  M.  fut  aussi  très  fidèlement  servie,  comme  il 
me  sera  toujours  très  facile  de  faire  paraître  par  écrit  ou 
autrement  à  qui  en  doutera  (1).  » 

Mais  si  le  résultat  fut  petit,  l'activité  du  ministre  fut 
très  grande,  la  tâche  pénible  et  ingrate,  comme  l'attestent 
les  lettres  de  Beliièvre.  L'œuvre  des  envoyés  fut  plus  dif- 
ficile encore  que  la  précédente  par  la  complication  des 
intrigues  et  la  mesquinerie  même  des  intérêts.  [Il  fallait 
ménager  le  duc  d'Anjou,  ruser  avec  lui,  empêcher  «  ce 
vent  de  traverse  qui  vient  des  Pays-Bas  »  (2),  de  dé- 
truire le  fragile  édifice  de  la  paix  (3).  On  devait  sauvegarder 
les  intérêts  du  roi  de  Navarre  et  composer  avec  les  reven- 
dications innombrables  des  huguenots  méridionaux  dont 
le  ton  rogue  et  les  criailleries  faisaient  sortir  Villeroy 
et  Beliièvre  de  leur  naturel  tranquille  et  courtois.  Il  serait 
curieux  de  connaître  les    sentiments   de  Villeroy  à  leur 

(1)  Mém.,  p.  109. 

(2)  Beliièvre  à  Catherine,  G  février  1851.  Lettres  de  Catherine  de  Mé- 
dias, t.  VII,  p.  464. 

(3)  Beliièvre  à  Catherine,  30  octobre  1580,  Ibid.,  p.  451.  «  Il  serait 
très  mal  à  propos  de  mettre  mondit  seigneur  en  désespoir,  qui  est  si 
ulcéré  de  cette  passion  de  la  guerre  de  Flandre.  » 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  61 

égard.  Nous  savons  au  moins  ceux  de  son  ami  Bellièvre  qui, 
le  22  novembre,  dans  une  lettre  à  la  reine-mère,  traitait  les 
prolestants  de  «cerveaux  farouches  et  égarés  pour  la  licence 
qu'ils  ont  pris  et  qui  s'est  accrue  en  ce  renouvellement  de 
troubles,  qui  est  une  très  dangereuse  école  pour  le  regard 
de  l'obéissance  qui  est  due  aux  rois  et  sans  laquelle  les 
royaumes  ne  peuvent  subsister»  (1).  Il  ajoutait  que  pour 
obéir  et  n'outrepasser  ce  qui  avait  été  commandé  parle  roi 
Villeroy  et  lui  avaient  supporté  «  ce  que  peuvent  servi- 
teurs ».  Le  3  février,  Villeroy  écrit  à  Bellièvre  :  «Monsieur, 
je  suis  échappé  de  Bordeaux  le  plustôt  que  j'ai  pu...  Je 
voudrais,  s'il  était  possible,  que  ceux-là  ne  se  mêlassent 
jamais  d'affaires  publiques  qui  se  laissent  transporter  au 
torrent  de  leurs  intérêts  particuliers  ;  mais  si  c'est  chose 
qui  n'a  jamais  été,  je  connais  bien  qu'il  la  faut  moins  espé- 
rer en  cette  maudite  saison  »  (2). 

Tous  ces  problèmes  étaient  compliqués  par  l'âpreté  des 
intérêts  particuliers  et  les  susceptibilités  de  l'esprit  de  clo- 
cher, qui  se  manifestaient  dès  que  la  question  des  places 
de  sûreté  entrait  en  jeu.  Elles  furent  néanmoins  résolues 
à  l'entière  satisfaction  de  la  Cour.  L'honnête  Bellièvre 
rend  hommage,  sans  la  moindre  jalousie,  à  Villeroy  auquel 
il  semble  attribuer  le  premier  rôle  dans  la  négociation. 
«  M.  de  Villeroy  a  vu  très  clair  en  cette  négociation  et  a 
grandement  et  bien  servi  le  roi...  »...  «  Je  sais,  Madame, 
écrivait-il  unautrejour,  quemondit  sieur  de  Villeroy  porte 
beaucoup  avec  soi  pour  la  grande  nourriture  qu'il  a  prise 
aux  affaires  et  que  celles  de  ce  pays  lui  sont  connues  autant 
que  à  nul  autre  (3).  » 

(1)  Bellièvre  à  Catherine,  22  novembre  1580,  Ibid.,  p.   452. 

(2)  F.  fr.  15906,  f°  74.  Le  26  février  (Ibid.,  fo  192).  Villeroy  écrit  de 
Blois,dans  la  même  note  pessimiste  :  «  chacun  a  abandonné  le  timon  du 
vaisseau  pour  pousser  à  ses  affaires  vivant  au  jour  la  journée  et  s'en 
graissant  du  travail  d'autrui.  » 

(3)  Bellièvre  à  Catherine,  20  décembre  1580,  Ibid.,  p.  415.  La  phrase 
précédente  est  de  la  lettre  du  22  novembre. 


62  VILLEROY 

Après  la  paix,  Villeroy  et  Bellièvre  séjournèrent  quelque 
temps  dans  le  sud-ouest  pour  l'exécution  du  traité.  Nous 
trouvons  Villeroy,  à  Bordeaux,  au  mois  de  janvier  1581,  à 
Cadillac  en  février,  à  Bordeaux  et  dans  d'autres  villes  de 
la  Garonne  (1).  Il  a  des  entrevues  avec  le  roi  de  Navarre, 
avec  Condé,  avec  le  vicomte  de  Turenne.  Il  s'occupe  de 
remédier  aux  contraventions  à  la  paix,  de  faire  licencier 
les  troupes  armées,  d'opérer  les  échanges  de  places.  (  l'est 
une  besogne  très  longue  et  très  pénible.  «  Cette  exécution 
de  la  paix  est  merveilleusement  traversée,  écrit  Bellièvre  ; 
et  si  je  ne  suis  trompé,  c'est  l'une  des  plus  difficiles  affaires 
qui  ait  encore  été  traitée  en  ce  royaume  (2).  »  Catherine 
était  extrêmement  satisfaite  de  ses  négociateurs.  «  Mon- 
sieur de  Villeroy,  écrivait-elle,  il  ne  serait  possible  de  pou- 
voir mieux  faire  que  vous  avez  fait...  Vous  êtes  si  sage 
qu'il  ne  vous  faut  point  de  plus  amples  avertissements  sur 
cela  et  sur  toutes  autres  circonstances  (3).  »  Villeroy,  nue 
fois  les  affaires  du  Midi  résolues,  revint  en  Cour,  à  Blois, 
le  24  février  1581  (4). 


(1)  Voir  dans  les  lettres  de  Catherine,  t.  VU,  une  letlrede  Villeroy  à 
Catherine  du  10  lévrier,  p.  4SÛ.  de  Bellièvre  à  la  même  du  G  février, 
p.  464,  —  Voir  aussi  pour  l'exécution  du  traité  comme  pôurles  négocia- 
tions préliminaires  quelques  détails  sur  les.allées  et  venues  deVilleroy  et, 
sur  l'importance  que  la  Cour  attachait  à  ses  voyages,  dans  1rs  dépêches 
des  ambassadeurs  vénitiens,  F.  liai.  1731  (dép.  de  Lorenzo  Priuli,  20 
octobre  et  11  février,  f»s  41G  et  488)  dans  les  Papiers  deSimancas  aux 
Archives  nationales.  (Lettres  de  Diego  Maldonado  à  Philippe  II,  23  oc- 
tobre, 6  et  10  décembre  15S0,  K.  1558,  174,  193,  195.) 

(2)  Bellièvre  à  Catherine,   6  février  1581,  Ibid.,  p.  464. 

(3)  Catherine  à  Villeroy,  12  janvier  1581,  Ibid.,  p.  318. 

(4)  D'après  une  lettre  de  Catherine  au  duc  de  Nevers,  du  25  février 
1581,  Ibid.,  p.  302. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  6.5 


III 


Les  deux  traités  avec  les  protestants  et  le  rôle  de  Villeroy 
dans  les  affaires  de  Flandre  avaient  contribué  à  lui  donner 
la  réputation  d'un  homme  qui  avait  «  grandement  et  bien 
servi  »  son  roi.  Sa  situation  grandissait  à  la  cour,  discrète- 
ment et  sûrement.  Jusqu'à  l'époque  des  troubles  de  la 
Ligue,  il  n'eut  à  lutter  contre  aucune  entrave  sérieuse,  ca- 
lomnie ou  intrigue  de  cour.  Il  fut  bien  accusé  de  trahison 
l'année  qui  suivit  la  conclusion  de  la  paix  de  Fleix  ;  mais 
nul  n'y  crut  à  ce  moment,  et  nous  n'insisterions  pas  sur 
ce  minime  incident  de  la  vie  du  ministre,  s'il  n'avait  tenu 
tant  de  place  dans  son  imagination. 

Au  mois  d'août  158?,  on  découvrit  à  Bruges  un  complot 
formé  par  des  Espagnols  contre  la  vie  du  duc  d'Anjou. 
L'un  des  complices,  Salcède,  né  en  France  d'un  Espagnol, 
fut  jugé  parle  Parlement,  mis  à  la  torture  et  exécuté  en 
place  de  Grève.  En  Flandre  et  à  Paris,  dans  ses  premières 
dépositions,  il  déclara  qu'il  n'avait  été  qu'un  instrumentaux 
mains  des  Guises,  de  la  maison  de  Lorraine  et  de  quelques 
autres  seigneurs  de  la  Cour,  de  leurs  amis.  L'un  d'entre 
eux,  affirma-t-il,  était  Villeroy.  Dans  une  visite  secrète  aux 
ducs  de  Guise  et  de  Mayenne,  il  avait  rencontré  le  secrétaire 
Villeroy  seul  avec  les  deux  frères.  On  lui  avait  demandé 
quelles  nouvelles  il  rapportait  de  Flandre.  «  Et  lors,  dit-il, 
me  laissèrent  auprès  du  sieur  de  Villeroy,  lequel  me  fit  une 
infinité  de  discours  pour  toujours  m'inciter  au  service  du  roi 
d'Espagne.  Et  cependant  les  sieurs  de  Guise  et  du  Maine 
se  promenaient  ensemble  et  d'aucunes  fois  demandaient  au 
sieur  de  Villeroy  des  mémoires  qu'il  avait  en  sa  main  et 
quand  ils  les  lui  rebaillaient,  il  m'en  montrait  en  me  disant  : 
Voyez  si  nous  ferons  bien  nos  affaires  ;  beaucoup  de  la  no- 
blesse est  pour  nous...  »  Suit  une  longue  énumération  îles 
préparatifs  du  complot  qui  est  mise  dans  la  bouche  de 


64  VILLEROY 

Villeroy.  «  Et  lors  les  sieurs  de  Guise  et  du  Maine  appro. 
chèrent  et  dirent  à  Villeroy  :  allez  parachever  cette  lettre 
et  faites  le  paquet.  Ce  qu'il  fît  et  s'en  alla  en  une  chambre... 
Lorsque  Villeroy  fut  de  retour,  on  lui  bailla  un  paquet  où 
étaient  toutes  les  copies  de  ce  qu'ils  devaient  envoyer  au 
roi  d'Espagne...  (1).  » 

Angenoust,  conseiller  au  Parlement,  qui  avait  été  chargé 
d'interroger  le  coupable,  rapporta  ces  aveux  au  roi  qui  parut 
effrayé  de  ces  révélations.  Toutefois,  il  douta  de  leur  véra- 
cité, car  on  lui  dit  que  le  matin  même,  le  chancelier,  en  pré- 
sence de  la  reine-mère,  avait  interrogé  Salcèdeà  Vincennes 
et  qu'il  avait  parlé  tout  autrement.  Henri  III  assista  à  la 
torture  de  Salcède  caché  derrière  une  tapisserie.  L'Espagnol 
répéta  avec  de  grands  serments  ses  premiers  dires,  puis 
remis  à  la  torture,  il  les  rétracta.  Sur  l'échafaud,  il  se  fit 
délier  les  mains  pour  signer  une  confession  déchargeant 
ceux  qu'il  avait  accusés  (2). 

Aucun  historien  ou  chroniqueur  de  l'époque  ne  semble 
avoir  fait  état  de  cette  invraisemblable  déposition.  Chever- 
ny,  de  Thou  et  l'Estoile  font  un  récit  sommaire  de  l'af- 
faire sans  citer  même  le  nom  de  Villeroy  (3).  Les  ambassa- 
deurs de  Venise,  de  Toscane  et  d'Espagne  racontent 
simplement  le  fait,  qui  n'émut  pas  l'opinion  publique,  et 
montrent  qu'ils  méprisent  ces  calomnies  (4). 


(1)  «  Discours  sur  la  mort  de  M.  de  Salcède  dressé  par  le  sieur  An- 
genoust de  Sens  »,  réédité  par  la  Revue  Rétrospective,  t.  VII,  359  et 
suiv.  —  Voir  aussi  F.  fr.  3283.  Interrogatoire  de  Salcède.  —  Ibid. 
20 lo;i,  Relation  du  procès  fait  à   Salcède. 

(2)  Villeroy,  dans  sa  Lettre  à  du  Vair,  dit  qu'il  n'a  jamais  su  au 
juste  ce  que  Salcède  avait  confessé  Toutefois  il  a  ouï  dire  à  certains  que 
Salcède  l'avait  seul  déchargé,  à  d'autres  qu'il  l'avait  seul  chargé.  Il 
ajoute  spirituellement  :  «L'un  m'est  croyable  et  l'autre  incroyable  voire 
impossible,  car  une  si  grande  conspiration  se  pouvait  bien  faire  sans 
moi,  mais  je  ne  la  pouvais  pas  seul  entreprendre  ni  exécuter  et  me 
semble  sous  correction  qu'il  n'y  a  que  dire  à  cela.  » 

(3)  Mémoires  de  Cheverny,  p.  480.  —  De  Thou,  Hist.  —  L'Estoile. 

(4)  Giovanni  Moro  à  la  Seigneurie,  7  septembre  1582,  F.  Ital.   1732, 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  65 

Cependant  il  advint  quelques  années  après  qu'on  se  rap- 
pela dans  le  public  cette  affaire  Salcède.  Les  Guises  étaient 
entrés  en  rébellion  ouverte  contre  le  roi  de  France.  On  se 
demanda  s'ils  n'avaient  pas  déjà  en  158'2  formé  réellement 
le  complot  dont  les  accusait  l'Espagnol,  avec  les  complices 
qu'il  avait  nommés.  Villeroy  fut-il  désigné  ou  craignit-il 
de  l'être  ?  Nous  ne  pourrions  l'affirmer.  Nous  savons  qu'il 
était  sensible  aux  plus  petites  injures,  et  très  désireux  de 
conserver  devant  l'opinion  sa  réputation  d'intégrité.  Lors- 
qu'en  1589,  il  écrivit  sa  première  apologie,  après  son  éloi- 
gnement  du  pouvoir,  il  inséra  dans  les  premières  pages  une 
justification  de  sa  conduite  en  1582  (1).  Cinq  ans  plus  tard, 
soumis  à  Henri  IV  et  près  de  rentrer  en  faveur,  il  eut  l'a- 
mertume de  lire  dans  la  première  édition  de  la  Satire  Mé- 
nippée  qu'il  avait  vendu  sa  patrie  pour  de  l'or  :  il  écrivit 
alors  une  longue  lettre  à  Du  Vair  pour  justifier  son  rôle 
pendant  la  Ligue,  et  de  nouveau  se  défendit  d'avoir  pris 
part  à  la  conspiration  de  Salcède.  Dans  ces  deux  écrits, 
il  proteste  de  son  innocence  en  déclarant  que  Salcède  s'est 
rétracté  et  que  le  roi  a  été  tellement  convaincu  de  la  faus- 
seté de  cette  accusation  qu'il  a  jugé  inutile  une  confron- 
tation qu'il  réclamait  avec  le  coupable.  Puis  il  appelle 
«  Dieu  et  ses  anges  à  témoin  »,  «  suppliant  sa  divine  jus- 
tice que  son  ire  tombe  sur  lui  »  (2),  s'il  ne  dit  pas  vrai,  et 
il  décrit  longuement  Tunique  entrevue  qu'il  eut  avec  Sal- 
cède dans  une  circonstance  tout  à  fait  étrangère  au  fameux 
complot. 


fo  380.  —  Renieri  à  Vinta,  septembre-décembre  1582,  Desjardins,  t. 
IV,  423-431.  —  Tassisà  Philippell,  le* septembre  1582,  Arch.  Nat.  Pap. 
Simanc.  K.  1560,  f°  87.  Tassis  ajoute  que  Salcède,  ayant  juré  de  dire 
la  vérité,  a  affirmé  que  sa  première  déposition  était  fausse  et  que  trois 
créatures  du  duc  d'Anjou  lui  avaient  fait  faire  cette  déclaration,  en  lui  pro- 
mettant qu'il  serait  sauvé.  —  Aucune  étude  spéciale  n'a  été  consacrée 
à  cette  atfaire  Salcède  qui  est  restée  un  peu  mystérieuse. 

(1)  Mèm.,  p.   Un. 

(2)  Mèm.,  p.  110. 

Villeroy  5 


66  VILLEROY 

Les  preuves  morales  sont  beaucoup  plus  solides  que  les 
arguments  crue  le  ministre  a  pris  la  peine  d'énumérer.  Lais- 
sons de  côté  le  serment  solennel  bien  qu'il  ait  une  valeur 
insigne,  prononcé  par  un  homme  pieux  et  fier  comme  Vil- 
leroy(l  ).  Les  rétractations  de  Salcède  ne  sauraient  être  four- 
nies comme  arguments  sérieux  de  la  fausseté  de  ses  pre- 
miers dires.  Henri  III  lui-même  le  sentait  bien,  et  il  était  le 
premier  à  reconnaître  les  imperfections  delà  procédure  cri- 
minelle de  son  temps  quand  il  dit  à  Villeroy  qu'il  avait  vu 
Salcède  souffrir  tant  «  et  pour  cela  changer  si  souvent  de 
langage  qu'il  n'ajouterait  jamais  foi  à  déposition  extorquée 
par  tels  tourments  »  (2).  Henri  III  certainement  ne  crut  pas 
un  instant  à  la  culpabilité  de  Villeroy.  Mais  ce  n'est  pas  son 
attitude  extérieure  qui  le  prouve.  Il  ne  voulut  pas  mettre 
en  présence  de  Salcède  les  personnes  accusées,  s'empressa 
de  châtier  le  calomniateur  et  de  faire  l'oubli  autour  de  cette 
affaire.  Ne  pourrait-on  pas  dire,  sans  la  moindre  invrai- 
semblance, que  telle  est  la  conduite  d'un  homme  faible,  à 
demi  découragé,  effrayé  par  l'effort  nécessaire  pour  pour- 
suivre les  Guises  et  tant  de  hauts  coupables?  Il  n'y  a  en 
réalité  qu'une  seule  preuve  de  l'innocence  de  Villeroy,  la 
prodigieuse  absurdité  d'une  trahison  que  rien  n'explique- 
rait. C'est  un  acte  qui  serait  absolument  étranger  à  sa  per- 
sonnalité. Nous  établirons  plus  loin  combien  ses  intentions 
lurent  honnêtes  durant  les  troubles  de  la  Ligue.  Nous  ver- 
rons aussi  que,  du  vivant  d'Henri  III,  s'il  favorisa  les  Guises, 
ce  fut  pour  faire  l'alliance  des  catholiques  et  fortifier  l'au- 


(lj  Notons  la  critique  malveillante  et  amusante  de  la  défense  de 
Villeroy  dans  les  Observations  sur  les  mémoires  de  Villeroy  contenues 
dans  1rs  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  455.  «  Il  dit.  page  20,  qu'il  fui  accusé  par 
Salcède  d'intelligence  avec  M.  de  Guise,  pour  troubler  l'Etat  :  de  quoi 
il  fail  tout  ce  qu'il  peut  pour  se  justifier;  et  iinalement,  s'étant  assez 
mal  défendu,  appelle  Dieu  et  les  anges  pour  témoins  de  son  innocence, 
desquels  l'on  n'a  point  nouvelles  qu'ils  soient  encore  arrivés.  » 

(i)  Lettre  à  du  Vair,  Jl/id. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI   III  67 

torité  royale.  Comment  admettre  qu'un  homme  qui  sera 
bientôt  le  plus  anti-espagnol  de  son  parti  et  le  plus  acharné 
défenseur  de  l'autorité  royale  ait  été  en  1582  l'agent  d'un 
complot  formé  pour  appeler  en  France  Philippe  II?  DuVair, 
dans  sa  réponse,  en  reprochant  doucement  à  Villeroy  sa  sus- 
ceptibilité, lui  montre  qu'il  était  bien  inutile  de  se  discul- 
per si  longuement  :  «  Quelle  apparence  y  eut-il  eu  que  ce- 
lui qui  ne  peut  rien  profiter  au  changement  le  désire,  et 
conspire  la  ruine  du  maître  duquel  dépendait  sa  grandeur, 
et  du  pays  où  il  a  tant  de  biens  et  de  richesses  acquises  ?  » 

Dans  cette  lettre,  Du  Yair  dit  en  parlant  des  honnêtes 
gens  :  «  Je  n'en  ai  jamais  vu  qui  fissent  grand  état  de  la 
déposition  de  Salcède,  je  dis  lorsque  ce  bruit  était  tout 
récent,  qui  est  lorsqu'il  prend  force  et  vigueur  de  la  nou- 
veauté et  s'imprime  avant  qu'on  ait  loisir  de  le  dissiper  par 
la  vérité.  » 


IV 


On  ne  peut  donc  dire  que  l'affaire  Salcède  ait  altéré  les 
rapports  entre  Henri  III  et  son  secrétaire.  Ces  relations 
étaient  depuis  longtemps  bonnes.  Villeroy  accueilli  «  très 
humainement  »  à  Turin,  dès  les  premières  semaines  du 
règne,  devint  petit  à  petit  un  serviteur  de  confiance.  Il  est 
difficile  de  marquer  avec  précision  les  progrès  de  cette 
faveur.  Nous  possédons  un  certain  nombre  de  billets  et  de 
lettres  intimes  écrits  par  le  roi  à  son  ministre  ;  mais  ils  ne 
sont  pas  datés.  Cependant,  quelques  allusions  aux  événe- 
ments contemporains  permettent  de  placer  cette  corres- 
pondance dans  la  période  qui  s'étend  de  1582à  1588  (1)  .Ces 
six  années  sont  celles  où,  dégagé  désormais  des  besognes 

(1)  N.  acq.  fr.  1243-1246. 


68  VILLEROY 

subalternes,  il  fut  un  des  principaux  directeurs  de  la  poli- 
tique française.  Aussi  convient-il  d'examiner  dès  main- 
tenant quel  fut  le  caractère  des  relations  entre  le  roi  et 
son  ministre. 

Henri  III  appréciait  très  sûrement  les  services  que  ren- 
dait Villeroy  et  savait  lui  témoigner  avec  une  grâce  par- 
faite sa  satisfaction.  «  Mes  yeux,  lui  écrivait-il  un  jour,  ont 
eu  le  plaisir  d'avoir  vu  votre  mémoire  très  bien  fait.  Il  ne 
sort  rien  de  votre  boutique  qu'il  ne  soit  bien  livré...  (1).  » 
Plusieurs  lettres  nous  montrent  à  quel  point  le  roi  estimait 
les  qualités  de  son  ministre.  Lui  confie-t-il  une  négociation 
auprès  des  huguenots,  «  j'ai  toute  espérance  sur  vous,  lui 
écrit-il,  et  crois  fermement  que  si  vous  n'y  êtes,  mes  af- 
faires iront  très  mal  »  (2). 

Il  aimait  beaucoup  Villeroy  qui  le  servait  avec  un  profond 
dévouement.  Ce  prince,  qui  méprisait  son  frère,  détestait 
les  Guises  et  parfois  redoutait  un  peu  sa  «  bonne  mère  », 
avait  trouvé  un  secrétaire  désintéressé,  libre  de  toute  attache 
avec  les  partis  et  qui  avait  pour  seul  idéal  de  faire  respec- 
ter et  de  fortifier  l'autorité  royale.  «  Je  connais  certes,  lui 
écrivait-il,  que  vous  m'êtes  bon  et  fidèle  serviteur  et  que 
vous  en  faites  l'habitude  qui  faut  pour  l'homme  de  bien  et 
bon  serviteur  de  son  maître  et  qui  mérite  d'en  être  aimé 
comme  je  vous  aime,  que  je  fais  très  fort...  (3).  »  Villeroy 
éprouvait  une  sincère  affection  pour  ce  maître  qui  avait  une 
grande  bonté  d'âme,  d'excellentes  intentions  avec  une  dé- 
plorable faiblesse  de  caractère,  et  qui  possédait  l'art  de 
charmer  ceux  dont  il  voulait  faire  des  amis.  Henri  III  était 
touché  de  cette  affection:  «  Aimez-moi  toujours,  car  je  serai 
vrai  ment  toujours  le  bon  maître.  Ils  m'ont  montré  votre 


(1)  Ibid.,  1243,  f°  145. 

(2)  1244,  fo   154. 

(3)  1245,  f°  25.  Dans  un  autre  billet  {Ibid.,  f°  2)  Henri  III  lui  écrit: 
«  Vous  n'êtes  jamais  rétif,  aussi  vous  avez  un  maître  bon  et  qui  vous 
aime  et  se  fie  en  vous.  » 


LE    SECRETAIRE    DE    HENRI    III  69 

lettre  où  vous  m'appelez  ainsi  ;  vous  n'y  serez  jamais 
trompé  (1).  »  Il  avait  donné  à  Villeroy  le  bizarre  surnom  de 
Bidon  et  il  aimait  à  terminer  ses  courts  billets  par  une 
formule  d'une  familière  cordialité.  «  Adieu,  Bidon,  Bido- 
net  (2).  »«  Adieu,  Bydon,  je  t'aime,  car  tu  me  sers  selon  ma 
volonté.  »  Un  jour,  il  écrit  quatre  fois  ADIEU  en  grandes 
lettres  romaines  (3). 

Villeroy  fut  —  les  mignons  exceptés  —  un  des  rares  con- 
fidents d'Henri  III.  Cet  étrange  personnage,  si  violemment 
décrié  dans  les  pamphlets  et  les  mémoires  du  temps,  si 
mal  connu  dans  ses  vices  comme  dans  ses  qualités,  se  ré- 
vèle à  nous,  par  ses  lettres  à  Villeroy,  comme  il  se  fit  con- 
naître à  son  ministre  et  à  quelques  amis,  à  l'insu  de  ses  con- 
temporains. Il  joignait  à  une  étonnante  faiblesse  de  volonté 
une  intelligence  très  vive  et  la  passion  de  l'autorité.  Aucun 
roi  ne  fut  plus  méprisé  ni  outragé  que  lui,  aucun  n'en  souf- 
frit davantage.  Il  entrait  dans  des  colères  terribles  contre 
ceux  qui,  grands  ou  petits,  désobéissaient  au  roi  et  rui- 
naient l'Etat.  Il  jurait  de  se  venger  et  d'être  le  mailiv  à 
l'avenir.  «  Il  faut  désormais  faire  le  roi,  s'écriait-il,  car  nous 
avons  trop  fait  le  valet  (4).  »  Il  regrettait  amèrement  de 
n'avoir  point  été  assez  énergique,  assez  constant,  et  don- 
nait à  Villeroy  l'assurance  qu'il  changerait  dorénavant  de 
conduite,  car  disait-il  :  «  Je  veux  conserver  mon  état  »  (5). 
«  Bâton  porte  paix  et  de  montrer  les  dents  vertement  fait 
penser  et  songer  à  sa  conscience  (6).  »  Quand,  à  la  veille 
des  barricades,  il  voulut  empêcher  le  duc  de  Guise  de  venir 
à  Paris,  il  signifia  sa  volonté  à  son  secrétaire,  et  ajouta  ce 
post-scriptum  menaçant  :   «  La  passion  à  la  fin  blessée  se 


(1)  1243,  fo  149. 

(2)  1244,  fo  66. 

(3)  1244,  fo92. 

(4)  1246,  fo  23. 

(5)  1244,  fo  148. 
(G;  1246,  fo  23. 


70  VILLEROY 

tourne  en  fureur  :  qu'ils  ne  m'y  mettent  point  (1)!  »  Trop 
rarement,  ces  résolutions  étaient  suivies  d'effet.  Pour  être 
fort,  il  fallait  de  bonnes  finances.  Or  les  prodigalités  insen- 
sées de  ce  prince  qui  ne  savait  rien  refuser  à  ses  compa- 
gnons de  plaisir  mettaient  sans  cesse  le  trésor  à  sec.  Pour 
faire  bien  son  métier  de  roi  et  détruire  lui-même  les  abus 
qu'il  constatait,  il  était  besoin  d'une  constante  application. 
Or  Henri  III  était  incapable  de  fournir  un  effort  prolongé. 
Après  quelques  journées  de  travail,  il  retournait  vite  à 
ses  plaisirs  favoris  ou  à  ses  dévotions.  En  temps  de  paix, 
avec  de  bons  ministres,  la  machine  administrative  eût  peut- 
être  pu  fonctionner  :  le  gouvernement  n'eût  été  ni  excel- 
lent ni  mauvais,  mais  quelle  volonté  ne  fallait-il  pas  pour 
lutter  contre  tant  de  causes  de  désorganisation  :  les  dé- 
sordres de  la  Ligue,  la  ruine  et  le  mécontentement  des 
populations,  les  formidables  ambitions  qui  conspiraient 
autour  d'un  roi  sans  héritier,  la  supériorité  physique,  intel- 
lectuelle et  morale  des  Guises,  tout  s'acharnait  contre  le 
dernier  et  le  plus  faible  des  Valois  (2). 

Villeroy  connaissait  parfaitement  l'âme  de  son  maître, 
parce  que  ce  maître  lui  parlait  «  librement  (3).  »  Mais  on  com- 


f1) 1246,  fo27. 

(2)  Dans  la  lettre  à  Du  Vair,  Villeroy  a  caractérisé,  en  termes  très 
modérés,  dans  un  langage  retenu,  mais  avec  beaucoup  de  justesse,  le 
gouvernement  d'Henri  III.  Parlant  de  quelques  mesures  énergiques 
qu'il  conseillait,  il  ajoute  :  «  Et  dirai  que  c'était  le  but  et  la  volonté  du 
l'eu  roi,  j'en  parle  de  science;  mais  ce  prince  était  si  bon  et  facile  à 
démouvoir  que  rarement  il  exécutait  ce  qu'il  avait  résolu,  de  manière 
que  les  conseils  que  l'on  lui  donnait  et  ses  résolutions,  pour  bonnes 
qu'elles  fussent,  souvent  lui  apportaient  plus  de  mal  que  de  bien.  A 
quoi  j'ajouterai  que  ce  malbeur  procédait  quelquefois  de  la  faute  de  ses 
serviteurs  autant  que  de  la  sienne...  »  Plus  loin,  il  écrit,  —  avec  quel- 
que optimisme  :  «  Le  feu  roi  avait  très  bien  commencé  à  rétablir  la 
justice  et  à  soulager  le  peuple,  et  crois  fermement  que  sans  la  guerre 
de  la  Ligue,  il  eût  encore  mieux  achevé.  » 

(3)  Groen  van  Prinsterer,  Archives  de  la  maison  de  Nassau,  lre  sé- 
rie, suppl.  p.  230.  «  Villeroy,  parlerai -je  librement?  oui,  car  c'est  à 
un  mien  serviteur  très  affectionné  et  obligé...  » 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  71 

mettrait  une  grave  erreur  en  se  représentant  le  ministre 
comme  un  plat  valet  habile  à  flatter  son  prince  et  à  exécuter 
sans  discussion  ses  moindres  ordres.  Il  ne  faut  point  pren- 
dre à  la  lettre  des  témoignages  de  satisfaction,  tels  que  la  for- 
mule :  «  Je  t'aime,  car  tu  me  sers  selon  ma  volonté.  »  Cette 
volonté,  dont  parlait  Henri  III,  c'était  la  volonté  bonne,  la 
volonté  supérieure  du  prince,  quand  il  se  décidait  à  faire 
le  roi.  Le  ministre  l'y  encourageait  autant  qu'il  était  en  son 
pouvoir.  Pierre  Matthieu,  pour  montrer  comment  ce  dernier 
savait  dire  la  vérité  aux  princes,  nous  rapporte  une  anec- 
dote qu'il  avait  apprise  de  la  bouche  du  ministre  (1).  Henri 
III  voulait  que  Villeroy  fît  avec  lui  sa  retraite  au  couvent 
du  bois  de  Vincennes  et  prît  l'habit  comme  ses  autres  com- 
pagnons. Comme  dans  ces  retraites,  on  ne  réservait  que 
certaines  heures  pour  recevoir  au  parloir  les  courriers 
porteurs  de  paquets,  Villeroy  lui  montra  que  ces  retards 
étaient  nuisibles  aux  affaires  d'Etat  :  «  Vous  avez  été  roi 
de  France,  premier  que  chef  de  cette  compagnie,  votre 
conscience  vous  oblige  rendre  à  la  royauté  ce  que  vous  lui 
devez,  premier  qu'à  la  Congrégation  ce  que  vous  lui  avez 
promis.  »  Un  flatteur  aurait  excité  les  colères  et  servi  les 
haines  de  ce  maître  impulsif.  Mais  Villeroy  cherche  toujours 
à  calmer  cette  âme  rancunière,  à  le  réconcilier  avec  son 
frère  d'Anjou,  le  «  magot))  qu'il  ne  pouvait  souffrir  (2),  à 
l'unir  au  parti  catholique,  à  établir  un  accord  loyal  entre 
la  royauté  et  les  Guises,  et  quand  en  septembre  1588,  il  fut 
chassé  de  la  cour,  c'est  parce  que  le  roi  avait  prévu  qu'il 


(1)  P.  Matthieu,  Remarques  d'Estat...  p.  264.  Dans  un  des  billets, 
Henri  III  annonce  à  Villeroy  qu'il  vafaire  une  retraite  de  trois  jours  au 
Bois  de  Vincennes.  (Il  profitait  de  ces  exercices  religieux  pour  se  pur- 
ger.) 11  recommande  de  ne  pas  lui  envoyer  de  dépêches,  sauf  si  elles 
sont  très  pressées  (N   acq.  fr.  1263,  i'°  29). 

(2)  P.  Matthieu,  Remarques  d'Estat...  p.  261,  remarque  que  «  c'est 
un  o-rand  bonheur  à  un  serviteur  quand  il  est  employé  à  faire  l'accord 
des  enfants  de  la  maison  ». 


72  VILLEROY 

s'opposerait  à   une  politique   de  violences   à  l'égard  des 
Guises. 

Villeroy  savait  conseiller  avec  une  habile  discrétion  et 
sur  un  ton  modeste  qui  charmait  Henri  III.  Il  était  très 
adroit  à  lui  suggérer  des  résolutions  dont  le  roi  s'attribuait 
ensuite  le  mérite.  Le  roi  goûtait  fort  cette  manière  douce  (1). 
Cette  tactique  du  secrétaire  contribua  pour  une  grande 
part  à  fortifier  son  crédit  et  à  lui  donner  une  demi-indépen- 
dance dans  sa  charge.  Une  curieuse  lettre  non  datée  nous 
révèle  l'habileté  de  Villeroy  dans  ses  rapports  d'affaires 
avec  le  souverain.  «  Sire,  écrit-il,  je  vous  envoie  la  dépêche 
de  Rome  et  la  réponse  que  j'y  ai  faite,  afin  qu'il  vous  plaise 
voir  l'une  et  l'autre  et  signer  la  dernière  si  vous  la  trouvez 
bonne,  parce  qu'il  faut  l'envoyer  aujourd'hui  par  l'ordinaire 
qui  ne  peut  retarder  davantage.  »  Après  l'avoir  entre- 
tenu d'une  autre  question,  il  ajoute  :  «  A  quoi  il  me  semble 
que  V.  M.  pourra  faire  la  réponse  que  j'ai  dressée  et  lui 
envoie,  suppliant  très  humblement  V.  M.  de  prendre  le  tout 
en  bonne  partcomme  je  fais...  (2).  »  Cette  lettre  et  beaucoup 
d'autres  nous  montrent  comment  Henri  III  laissasses  mi- 
nistres diriger  les  affaires  de  leur  département.  Nous  voyons 
aussi  par  divers  indices  que  les  beaux  et  longs  règlements 
d'administration  qu'aimait  à  préparer  le  roi  étaient  rare- 
ment appliqués.  Villeroy  eut-il  toujours  à  regretter  l'an- 
cienne forme  des  expéditions  et  le  temps  où  les  secrétaires 
patronnaient  des  solliciteurs?  Peut-on  croire  que  la  situation 
fût  bien  changée  quand  nous  trouvons  des  billets  tels  que 
celui-ci  :  «  Vous  voyez  le  rôle  que  j'ai  signé,  accordant  bien 
volontiers  à  votre  homme  cela  que  me  mandez,  car  je  vous 
veux  tant  de  mal  que  je  suis  bien  aise  lorsqu'en  quelque 
chose  je  puis  vous  gratifier  »  (3)  ? 


(1)   1245,  f°  138  — «  doucement,  comme  vous  le  savez  bien  faii 
(2|    1240,  f»  18. 
(3)   1246,  fo  43. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  73 

Henri  III  se  servait  donc  de  Villeroy  très  «  confidem- 
ment  »,  selon  l'expression  du  ministre.  Villeroy  n'abusa  pas 
de  cette  confiance  pour  faire  fortune  aux  dépens  du  trésor. 
Il  se  contenta  des  modestes  revenus  de  sa  charge  et  de 
quelques  libéralités  (1).  Ni  lui,  ni  aucun  membre  de  sa  fa- 
mille ne  reçut  de  gouvernement  ou  d'autre  charge.  La  seule 
faveur  importante  fut  la  survivance  du  gouvernement  de 
Lyon  accordée  à  d'Alincourt,  le  fils  de  Villeroy,  en  1587. 
Au  reste,  nul  n'accusa  jamais  sérieusement  Villeroy  de 
cupidité.  Mais  on  peut  affirmer  qu'il  était  ambitieux  et  avide 
non  d'honneurs,  mais  de  pouvoir  effectif.  Il  aimait  passion- 
nément son  métier  politique.  Administrer,  conseiller, 
exercer  une  influence  réelle  sur  le  gouvernement  du  royau- 
me, garder  la  faveur  du  prince  était  son  suprême  désir.  Il 
(Mit  la  faveur  d'Henri  III  et  lui  en  garda  toute  sa  vie  une 
sincère  reconnaissance.  Jamais  il  ne  dit  le  moindre  mal  de 
son  ancien  «  bon  maître  »,  même  au  temps  de  sa  disgrâce. 
Quand  il  eut  à  le  juger,  il  loua  son  intelligence  et  sa  bonté, 
blâma  sévèrement  les  actes  d'indiscipline  de  ses  serviteurs, 
les  excès  de  la  Ligue,  et  démontra  que  ce  malheureux 
prince  avait  été  trahi  par  les  siens,  qu'il  était  la  victime  de 
son  caractère  débonnaire.  Un  jour  d'Inteville  ayant  dit  que 
nul  plus  que  Villeroy  n'était  capable  d'écrire  l'histoire  de 
ce  temps-là,  le  ministre  répondit  :  «  Je  suis  trop  obligé  à 
la  mémoire  de  Henri  III  pour  l'entreprendre  (2).  » 


(1)  Les  Pièces  originales,  n°  2101,  contiennent  2  pièces  relatives  à 
des  libéralités  d'Henri  III.  L'une  est  le  don  de  l'abbaye  de  Soigny  en 
Picardie  transmise  à  Villeroy  après  la  mort  de  .1.  de  Morvilliers  (2o 
octobre  1577),  l'autre  est  un  reçu,  daté  du  31  décembre  1581,  signé 
de  Neufville  pour  la  somme  de  1000  écus  sol.  dont  S.  M.  lui  fait  don. 

<  Je  me  suis  contenté,  dit  Villeroy  dans  la  Lettre  à  Du  Vair,  de  parti- 
ciper doucement  à  ses  libéralités  que  j'ai  certes  éprouvées  encore  trop 
largement,  mais  je  puis  prouver  aussi  les  avoir  quasi  toutes  mises  à  le 
servir...  » 

(2)  Matthieu  qui  rapporte  cette  anecdote  ajoute  un  autre  trait  qui 
prouve  la  discrétion  et  la  gratitude  de  Villeroy.  Henri  IV  disait  à  son 


74  VILLEROY 

historiographe  de  ne  pas  oublier  de  coûter  «  la  résolution  étrange  » 
prise  par  Henri  III  contre  son  frère  d'Alençon.  «  J'en  dressai  le  dis- 
cours, dit  Matthieu,  et  le  montrai  à  Villeroy  pour  le  soumettre  à  son 
jugement.  Il  me  dit  n'avoir  jamais  ouï  parler  de  cela.  »  Henri  IV  ré- 
pondit à  Matthieu  qui  lui  rapportait  cette  parole:  «  Vous  me  devez 
croire  parce  que  je  dis  la  vérité  et  devez  louer  M.  de  Villeroy  qui  ne 
l'a  voulu  dire  au  préjudice  de  l'honneur  de  son  maître.  » 


CHAPITRE  II 

I.  Les  débuts  de  la  Ligue.  Les  négociations  avec  les  Guises  à  Ne- 
mours et  l'Edit  du  18  juillet  1385.  Yilleroy  et  la  Ligue.  —  IL 
Les  démêlés  du  «  bon  serviteur  »  et  du  favori.  Villeroy  et 
d'Epernon.  —  III.  Les  tentatives  de  rapprochement  avec  le  roi 
de  Navarre.  L'union  forcée  avec  la  Ligue.  Villeroy  et  les  Guises 
à  Meaux  en  juillet  1587.  —  IV.  Rôle  de  Villeroy  avant  l'insurrec- 
tion parisienne.  La  journée  des  Barricades  (12  et  13  mai  1588). 

(1584-1588) 


La  Ligue  constituée  par  l'Acte  de  Péronne  en  1576  avait 
paru  frappée  à  mort  Tannée  suivante  par  le  refus  des  Etats 
Généraux  de  faire  la  guerre  aux  protestants  et  par  les  in- 
tentions très  conciliantes  du  roi  et  de  la  reine-mère.  On 
peut  donc  dire  que  Villeroy,  à  Bergerac  et  à  Fleix,  avait 
été  employé  à  enterrer  la  Ligue  (1). 

La  période  d'accalmie  qui  dura  depuis  la  paix  de  Ber- 
gerac (septembre  77)  jusqu'à  la  mort  du  duc  d'Anjou  (juin 
84)  aurait  été  funeste  à  la  constitution  de  toute  association 


(1)  Sur  toute  la  période  qui  suit,  on  consultera,  pour  les  faits  géné- 
raux, outre  les  histoires  du  temps  déjà  sigualées,  Bouille,  Histoire  des 
ducs  de  Guise,  1849,  t.  III;  Forneron,  Les  Guises  et  leur  époque,  1X77. 
t.  II;  La  Ferrière,  Le  JTF/e  siècle  et  les  Valois,  1879:  L'Epinois,  la 
Ligue  et  les  papes,  1886.  Est-il  besoin  de  signaler  le  t.  VI,  Ire  partie, 
de  Y  Histoire  de  France,  de  Lavisse,  publié  en  1904  par  M.  Mariéjol  ? 
(La  Réforme  et  la  Ligue.  —  L'Èdit  de  Nantes)  (loo9-lo98). 


76  VILLEROY 

catholique  illégale,  si  Henri  III  s'était  montré  énergique 
et  n'avait  pas  mécontenté  ses  sujets  par  son  détestable 
gouvernement.  Mais  après  la  mort  du  duc  d'Anjou,  quand 
le  roi  de  Navarre  se  trouva  héritier  présomptif  de  la  Cou- 
ronne, il  y  eut,  dans  la  nation,  un  formidable  déchaînement 
des  passions  catholiques,  dans  la  famille  et  la  clientèle  des 
Guises. 

Henri  III  et  sa  mère  se  montrèrent  d'abord  hésitants.  Le 
roi  reconnaissait  au  fond  de  son  cœur  Henri  de  Bourbon 
comme  son  héritier  légitime.  Il  essaya  vainement  par  l'in- 
termédiaire de  d'Epernon  de  le  ramener  à  la  religion  catho- 
lique. Le  11  novembre  1584,  il  publia  à  Saint-Germain  une 
«  déclaration  contre  ceux  qui  font  ligues,  enrollements  et 
pratiques  contrel'état  de  ce  royaume  ».  Dès  lors,  les  Guises 
ne  gardèrent  plus  aucun  ménagement.  Ils  décidèrent  le 
vieux  cardinal  de  Bourbon  à  se  déclarer  héritier  du  trône. 
Le  31  décembre  84,  les  ducs  de  Guise  et  de  Mayenne,  les 
cardinaux  de  Bourbon  et  de  Guise,  les  ducs  d'Aumale  et 
d'Elbeuf  conclurent  à  Joinville  un  traité  secret  avec  TEs- 
pagne.  Les  deux  partis  s'engageaient  à  défendre  la  religion 
catholique,  à  extirper  l'hérésie,  à  exclure  du  trône  les 
Bourbons  huguenots.  Philippe  II  accordait  un  subside  de 
50.000  écus  par  mois.  Puis,  ils  engagèrent  des  négociations 
avec  le  pape. 

Cependant,  à  Paris,  s'était  formé  spontanément  une 
association  secrète  de  petits  bourgeois  catholiques  (mar- 
chands, avocats,  notaires,  procureurs)  et  de  curés  qui  fit 
une  active  propagande  dans  la  bourgeoisie  et  dans  le  peuple. 
Ce  parti  fut  très  vite  grossi  d'une  masse  de  mécontents  et 
de  fanatiques.  Il  s'allia  aux  Guises  très  populaires  dans  la 
capitale  par  leur  bravoure,  leurs  belles  qualités,  elles  ser- 
vices rendus  par  le  grand  François  à  la  religion.  Unis  au 
peuple  de  Paris,  les  princes  lancèrent  de  Péronne,  le  31 
mars  1585,  la  «  Déclaration  des  causes  qui  ont  meu  M§r  le 
cardinal  de  Bourbon  et  les  Pairs,  Princes, 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  77 

et  communautés  catholiques  de  ce  royaume  de  France  de 
s'opposer  à  ceux  qui  par  tous  moyens  s'efforcent  de  sub- 
vertir  la  religion  catholique  et  l'Estat  »  (1). 

A  ce  manifeste  un  peu  vague  et  assez  hautain,  d'une  op- 
position, mi-seigneuriale,  mi-démocratique,  la  cour  répon- 
dit au  mois  d'avril  par  une  «  Déclaration  de  la  volonté  du 
roy  sur  les  nouveaux  troubles  de  ce  royaume  »,  qu'on  disait 
à  Paris  dressé  par  Villeroy  (2). 

Villeroy  était  resté  à  la  campagne  malade  pendant  huit 
mois.  Il  avait  souffert  d'une  fièvre  double-quarte  et  de  vives 
douleurs  intestinales  qui  l'avaient  obligé  à  abandonner  les 
affaires  (3).  Ses  collègues  Brulart  et  Pinart  l'avaient  rem- 
placé. Quand  commencèrent  les  remuements  de  la  Ligue, 
Henri  III  et  Catherine  le  pressèrent  de  rentrer,  sans  attendre 
sa  guérison  complète.  On  avait  un  tel  besoin  de  ses  services, 


(1)  Mémoires  de  la  Ligue...  (1576-1598),  nouv.  éd.  Amsterdam,  1758, 
t.  I,  p.  50.  Il  n'est  pas  besoin,  croyons-nous,  d'indiquer  la  bibliogra- 
phie très  connue  de  l'histoire  de  la  Ligue.  Pour  le  récit  des  événements 
généraux,  nous  avons  puisé  aux  principaux  ouvrages  historiques  du 
temps  et  aux  études  récentes.  On  trouvera  un  excellent  résumé  de  toute 
cette  période  dans  le  t.  VI,  l'epart.,  p.  238  et  suiv.  de  l'Histoire  de 
France  de  Lavisse,  par  M.  Mariéjol. 

(2)  L'Estoile,  t.  II,  p.  190. 

Le  texte  de  la  déclaration  qui  est  contresignée  de  Neufville  est  repro- 
duit dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  63.  Il  parut  la  même  année 
à  Paris,  in-8o. 

(3)  Mém.,  p.  110.  —  Les  premières  éditions  dos  Mémoires  d'Estat 
ont  reproduit  une  erreur  de  copiste  et  transcrit  :  «  J'estois  aux  champs 
malade,  il  y  avoit  huicl  jours...  »  .Vous  avons  une  leltre  de  Villeroy  à 
Matignon,  datée  du  8  novembre  1584,  où  il  se  dit  «  atteint  d'une  fièvre 
double  quarte.  »  La  correspondance  de  Villeroy  avec  de  Maisse,  am- 
bassadeur de  France  à  Venise,  est  interrompue  pendant  sept  mois. 
Brulart  le  remplace  pour  cette  partie  de  sa  tâche  du  2  septembre  1584 
au  25  mars  1585  (F.  Fr.  16092,  l'o*  273-352).  La  première  lettre  de 
Villeroy  est  datée  du  30  mars  1585  (Ibid.,  f°  353).  Catherine  de  Médicis 
écrit  le  4  mai  une  lettre  à  Villeroy  où  elle  lui  dit  combien  elle  est  marrie 
de  sa  maladie  (Lettres,  t.  VIII,  p.  273).  Il  y  avait  eu  rechute  au  début 
de  mai.  Le  13  de  ce  mois,  Giovanni  Dollin  écrit  à  la  seigneurie  que 
Villeroy  a  été  assailli  «  di  dolori  di  fiancoche  lo  moles/ano  da  alcuni 
mesi  in  qua.  »  (F.  Ital.,  1734,  fo  91.) 


78  VILLEROY 

«  parmi  tant  de  grandes  affaires  »,  qu'il  se  hâta  de  se  re- 
mettre au  travail  au  début  du  mois  d'avril  (1). 

La  déclaration  que  Villeroy  a  dressée  est  d'un  ton  extrê- 
mement modéré.  C'est  une  apologie  de  la  conduite  du  roi, 
qui  vante  le  dévouement  d'Henri  III  à  la  religion  et  sa  bonté 
envers  les  princes  catholiques.  C'est  une  condamnation  élo- 
quente de  la  guerre  qui  remplit  le  royaume  «  de  forces 
étrangères,  de  partialités  et  discordes  immortelles,  de  sang, 
de  meurtres  et  brigandages  infinis.  »  De  Thou  trouve  ce 
plaidoyer  composé  avec  art  et  habileté,  mais  «  indigne  de 
la  majesté  royale  qui  s'abaisse  jusqu'à  se  justifier  devant 
ses  sujets  »  (2). 

Le  roi  pouvait-il  parler  haut  quand  il  était  le  plus  faible  ? 
Les  Guises  enrôlaient  des  troupes  à  l'étranger  :  4000reitres, 
6000  Suisses.  Ils  amassaient  des  armes  et  faisaient  de  vastes 
approvisionnements  autour  de  Paris,  en  Champagne,  et  à 
Ghâlons-sur-Marne  où  le  Balafré  avait  établi  son  quartier 
général.  La  Champagne,  la  Picardie,  les  trois-quarts  de  la 
Normandie,  de  la  Bourgogne,  du  Berry,  de  l'Orléanais  et 
de  la  Bretagne  se  déclaraient  pour  la  Ligue.  Henri  III 
n'avait  ni  argent  ni  troupes.  La  capitale  était  à  la  merci 
d'un  coup  de  main,  sa  personne  à  la  merci  d'un  fanatique. 
Il  se  fit  garder  par  des  cadets  de  Gascogne  d'un  dévouement 
à  toute  épreuve,  les  quarante-cinq. 

Le  ton  modéré  et  courtois  de  la  Déclaration  d'avril  ne 
doit  point  nous  dissimuler  les  sentiments  d'inquiétude  et 
de  colère  du  roi,  delà  reine-mère,  et  de  ses  ministres.  Vil- 
leroy était  indigné  de  cet  affront  jeté  par  les  Guises  au 
visage  du  roi.  En  annonçant  à  Matignon  son  arrivée  en 
Cour,  il  lui  écrivait,  le  3avril:«  Je  suis  si  confus  et  perplexe 

(4)  Catherine  de  Médicis  à  Villeroy,  4  mai  1583  (Ibid.,  t.  VIII,  p.  273). 
—  Le  Florentin  Busini  écrit  à  Vinta,  le  5  avril  :  «  M.  di  Villeroi  fu 
chiamato  da  S.  M.  e  con  tutta  la  quartana  ehe  ancora  ha,  è  del  conti- 
nuo  con  il  Rè.  »  Desjardins,  t.  IV,  p.   558. 

(2)  De  Thou,  Hist.,  t.  IX,  p.  287. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  79 

ès  affaires  qui  se  présentent  que  je  ne  sais  que  vous  en 
dire  sinon  que  je  suis  de  ceux  qui  ont  résolu  de  crever  plu- 
tôt que  de  faire  une  lâcheté.  »  Il  voit  l'avenir  très 
sombre.  Le  30  mars,  il  raconte  à  de  Maisse  le  remuement 
d'armes  et  prévoit  qu'il  s'ensuivra  «  entière  ruine  et  sub- 
version de  l'Etat  si  Dieu  ne  prend  en  sa  protection  les  af- 
faires du  Roi  »  (1).  Les  huguenots  et  les  catholiques  se  sou- 
lèvent, «  de  sorte  que  le  Roi  aura  maintenant  à  se  garder 
des  uns  et  des  autres  ».  Il  déclare  «  la  larme  à  l'œil  »  que 
c'est  «  le  plus  rude  coup  qu'ait  jamais  reçu  roi  de  France 
alors  qu'il  cuidait  être  en  pleine  prospérité  ». 

La  déclaration  modérée  du  mois  d'avril  n'apaisa  pas, 
comme  on  le  pensait  bien,  les  passions  ligueuses.  Les  ar- 
mements continuèrent.  De  nouvelles  villes  se  rangeaient 
du  parti  de  la  Ligue.  Il  fallait,  à  tout  prix,  suivant,  le  mot 
de  Villeroy,  «  essayer  à  éteindre  ce  feu...  qui  s'allume  da- 
vantage »  (2).  On  négocia  (3). 

Catherine  de  Médicis  se  fit  porter  au-devant  des  princes 
catholiques  à  Epernay,  où  elle  les  attendit  jusqu'au  22  avril, 
durant  trois  longues  semaines.  Elle  était  partie  avec  Lan- 
sac.  Brulart  et  Epinac,  archevêque  de  Lyon.  Elle  avait  eu 
le  dessein,  d'après  de  Thou,  d'emmener  Villeroy.  «  C'était, 


(1)  Villeroy  àdeMaisse,30  mars  85.  F.  Fr.16092,  fo  3  53.  —  Citons  un 
passage  de  cette  importante  Lettre  qui  est  inédite.  «  Le  fondement  et 
prétexte  est  d'exterminer  du  tout  les  hérétiques  en  ce  royaume,  faire 
déclarerau  roi  un  successeur  qui  fasse  de  tout  temps  profession  de  la 
religion  catholique,  faire  distribuer  les  laveurs  et  charges  du  royaume 
aux  princes  et  seigneurs  qui  en  sont  dignes  et  soulager  le  peuple.  L'on 
dit  que  cette  détermination  est  autorisée  du  pape  et  secourue  des 
deniers  d'Espagne.  Ils  ont  4000  reitres  prêts  à  marcher.  » 

(2)  Villeroy  à  de  Maisse,  Ibid. 

(3)  Sur  les  négociations  qui  suivent,  lire  avant  tout  les  lettres  de 
Catherine  du  4  avril  au  H  juillet  (Lettres,  t.  VIII,,  p.  244-341).  Voir 
aussi  Barthélémy,  Le  Traité  de.  Nemours,  Rev.  des  quest.  hist.  avril 
1880,  et  du  même  Catherine  de  Médicis  à  Epernay,  pour  la  négocia- 
tion de  la  paix  de  Nemours,  in-12,  1884.  D'intéressants  documents 
mss.  sont  contenus  dans  les  papiers  de  Belliévre,  F.  Fr.  15891,  fo  3'JO 
et  suiv.  (quelques-uns  sont  publiés  en  appendice  au  t.  VIII  tes  Lettres), 


80  VILLEROY 

ajoute  l'historien,  un  homme  prudent,  mais  défiant  qui,  par 
son  adresse  et  l'heureux  talent  qu'il  avait,  était  venu  à  bout 
de  faire  croire  que  lui  seul  gouvernait  tout  le  royaume. 
Mais  soit  qu'il  se  défiât  de  cette  princesse,  soit  que  con- 
naissant toute  la  délicatesse  de  cette  négociation,  il  ap- 
préhendât qu'elle  n'eût  un  succès  dont  le  roi  pourrait  se 
repentir  dans  la  suite,  il  trouva  le  moyen  de  se  faire  dispen- 
ser de  faire  le  voyage  »  (1).  Villeroy,  qui  a  toujours  mani- 
festé un  respect  extrême  pour  la  reine-mère  et  n'a  jamais 
dénigré  sa  politique,  ne  fait  dans  ses  mémoires  aucune  allu- 
sion au  rôle  joué  par  elle  à  Epernay  ni  au  rôle  qu'elle  vou- 
lait lui  faire  jouer.  Il  ne  dit  même  pas  qu'elle  eut  l'intention 
de  le  mener  avec  elle.  Si  vraiment  il  s'est  fait  dispenser  de 
cette  mission,  c'est  peut-être  parce  qu'il  jugeait  la  partie 
perdue  d'avance.  Ses  lettres  d'avril  et  mai  nous  le  montrent 
très  pessimiste.  Il  trouve  les  cartes  «  fort  brouillées  »  (2). 
Sans  doute  estima-t-il  qu'il  ne  pourrait  faire  grand  chose 
pour  le  service  du  roi  et  qu'il  risquait  de  recevoir  lui- 
même  un  mauvais  coup.  Peut-être  son  abstention  s'ex- 
plique-t-elle  tout  simplement  par  la  maladie.  Rappelons- 
nous  qu'il  était  rentré  en  Cour  souffrant  encore  de  la 
fièvre  et  que  le  4  mai  Catherine  s'informait  avec  sollicitude 
de  l'état  de  sa  santé. 

Villeroy  resta  auprès  d'Henri  III  en  avril  et  en  mai.  Il 
écrivait  très  souvent  à  la  reine-mère,  l'informant  de  toutes 
les  nouvelles  concernant  sa  charge,  et  des  principaux  évé- 
nements de  la  Cour.  Catherine,  dans  ses  lettres,  lui  expli- 
quait sa  politique  :  elle  connaissait  l'influence  du  ministre 
sur  le  roi  ;  elle  savait  avec  quelle  force  Henri  III  haïssait 
les  Guises;  aussi  engageait-elle  Villeroy  à  bien  faire  com- 
prendre à  son  maître  qu'il  devait,  pour  avoir  la  paix,  faire 

,'1)  DeThou,Hist.,  t.  IX,  p.  296. 

(2)  Villeroy  à  de  Maissc,  12  avril  1585,  F.  Fr.  16092,  fo  361.  — 
Voir  aussi  1rs  lettres  des  4  avril,  11  et  26  mai,  8  juin.  Ibid.,  fos  358, 
371,  38!,  386, 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  81 

des  concessions,  contenter  le  duc  de  Guise  et  le  cardinal 
de  Bourbon  (1). 

Cependant,  elle  avait  commencé  à  négocier.  Bien  que  les 
princes  aient  eu  l'air,  clans  leur  manifeste,  de  faire  appel  à 
sa  médiation,  ils  témoignèrent  de  la  mauvaise  grâce  et  de 
l'arrogance  dans  les  premières  entrevues.  Ils  voulaient  un 
édit  de  proscription  des  hérétiques,  la  guerre  à  outrance 
contre  les  Huguenots.  Ils  exigeaient  pour  eux-mêmes  et 
leurs  partisans  des  places  de  sûreté,  des  gouvernements, 
et  toutes  sortes  de  faveurs.  Le  cardinal  de  Bourbon  récla- 
mait la  ville  et  le  château  de  Rouen,  la  ville  et  le  château 
de  Dieppe  ;  le  duc  de  Guise,  des  châteaux  de  Champagne, 
la  ville  et  citadelle  de  Metz;  Mercœur  des  places  de  sûreté 
et  des  ports  en  Bretagne;  Mayenne,  Dijon  et  Chalon-sur- 
Saône  ;  d'Aumale,  quatre  ou  cinq  villes  de  Picardie  ;  d'El- 
beuf,  les  places  du  Dauphiné.  La  reine-mère  se  voyait 
contrainte,  pour  sauvegarder  l'autorité  royale  sur  les  ca- 
tholiques, de  déclarer  la  guerre  à  l'hérésie  :  mais  elle  ne 
pouvait  se  résoudre  à  remettre  le  pouvoir  aux  mains  de  la 
Ligue.  Ils  usèrent  alors  d'une  manœuvre  d'intimidation 
qui  réussit.  Dans  une  sorte  d'ultimatum  qu'ils  lancèrent  le 
10  juin  sous  le  nom  de  Requeste  au  Roy  et  dernière  réso- 
lution, ils  affichèrent  un  beau  désintéressement.  Ils  décla- 
rèrent qu'ils  n'étaient  unis  que  par  l'intérêt  de  la  religion 
el  du  royaume,  qu'ils  ne  voulaient  pas  être  accusés  par  les 
peuples  catholiques  de  poursuivre  des  intérêts  particuliers. 
Ils  se  départaient  donc  de  «  toutes  autres  sûretés  que 
celles  qui  dépendent  de  sa  bonne  grâce  [celle  du  roi  .  de 
leur  innocence  et  de  la  bienveillance  des  gens  de  bien  ». 
Une  dernière  fois,  ils  réclamaient  du  roi  un  édit  contre  les 
hérétiques.  En  même  temps,  ils  faisaient  mine  de  se  retirer 
dans  leur  quartier  général  pour  commencer  tout  de  suite 


(i)  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  VIN,  p.  259  et  suiv. 

Villeroy 


82  VILLEROY 

C'est  alors  qu'Henri  III  envoya  Villeroy  à  Epernay.  La 
situation  était  grave.  La  Reine-Mère  allait  rentrer  sans 
avoir  traité.  La  Ligue  allait  faire  la  guerre,  sans  s'être  ac- 
cordée avec  le  roi.  Henri  III  pouvait-il  assister  les  bras 
croisés  à  des  luttes  civiles  non  autorisées  par  lui?  Villeroy 
conseilla  de  céder  et  partit  pour  la  Champagne,  le  13  juin. 
Il  alla  trouver  les  princes  à  Châlons,  les  fit  consentir  à  re- 
nouer la  négociation,  et  à  exposer  nettement  leurs  deman- 
des. On  recommença  à  discuter  le  19.  Le  20,  on  était  d'ac- 
cord sur  les  points  principaux.  Les  Guises  avaient  cédé  sur 
un  petit  nombre  de  leurs  prétentions,  la  Cour  avait  fait 
d'énormes  concessions  (1).  Quand  Villeroy  revint  auprès 
du  roi,  à  la  fin  de  juin,  la  paix  était  faite.  La  reine-mère 
demeura  quelques  jours  encore  pour  régler  la  question  de 
l'enrôlement  et  du  payement  des  Suisses  et  d'autres  points 
de  moindre  importance.  Le  traité  fut  signé  par  elle  à  Ne- 
mours le  7  juillet,  l'Édit  promulgué  par  le  roi  le  18  (2). 
Tous  les  Édits  de  pacification  antérieurs  étaient  révoqués, 
le  culte  réformé  interdit,  les  ministres  exilés,  les  fidèles 
sommés  de  se  convertir  ou  de  vider  le  royaume  dans  six 
mois.  Le  roi  de  Navarre  était  déchu  de  tous  ses  droits. 
Le  roi  de  France  prenait  à  sa  charge  les  forces  levées  par 
la  Ligue,  accordait  pour  cinq  ans  Soissons  au  cardinal 
de  Bourbon,  la  ville  de  Beaune  et  le  château  de  Dijon  à 
Mayenne,  Verdun,  Saint-Dizier,  Châlons  et  Toul  à  Henri 


(i)  Voir  les  lettres  de  Catherine,  à  partir  du  14  juin  (t.  VIII.  p.  318 
et  suiv.).  Le  15,  elle  écrivait  à  Bellièvre  :  «  Je  vous  dirai  que  je  suis 
bien  aise  que  Villeroy  soit  venu  ;  car  il  pourra  rapporter  au  roi  comme 
les  choses  sont  ici,  et  qu'il  est  plus  malaisé  qu'il  ne  pense  et  que  l'on 
ne  saurait  penser  à  négocier  avec  ces  messieurs  pour  leur  grande  in- 
constance et  irrésolution  ;  car  ils  ne  demeurent  en  nulle  chose  qu'ils 
dient  fermes,  et  ont  leur  dit  et  dédit,  comme  les  Normands;  qui  me 
fait  quasi  désespérer  que  puissions  rien  faire  de  bien,  si  Villeroy  n'y  a 
meilleure  main.  »  (Ibid.,  p.  319.) 

(2)  Le  texte  de  l'Edit  est  dans  Dumont,  Corps  diplomatique,  t.  V, 
p.  453. 


, 


LE    SECRETAIRE    DE    HENRI    III  83 

de  Guise,  des  places  en  Picardie  à  Aumale,  en  Bretagne  à 
Mercceur.  Le  duc  de  Guise  avait  le  commandement  des 
troupes  royales,  la  nomination  aux  grades,  le  droit  de  faire 
des  «  monstres  ».  C'était  le  triomphe  complet  des  Guises, 
et  c'était  la  guerre.  On  a  souvent  cité  le  mot  de  Henri  III 
au  cardinal  de  Bourbon  lorsqu'il  fit  enregistrer  l'Édit:  «  Je 
vais  faire  publier  l'édit  de  révocation...  selon  ma  cons- 
cience, mais  mal  volontiers,  pour  ce  que  de  la  publication 
d'icelui  dépend  la  ruine  de  mon  Estât  et  de  mon  peu- 
ple. »  Bapprochons  de  ces  paroles  quelques  impressions 
de  Villeroy  :  «  Nous  ressemblons  maintenant  à  ceux  qui 
sont  hors  de  fièvre...  car  nous  sentons  nos  forces  plus  dé- 
biles que  nous  ne  faisions  durant  notre  mal  et  n'attendons 
moindre  mal  de  la  résolution  que  nous  avons  prise  pour 
sortir  du  premier...  Nous  reconnaissons  tous  les  jours  da- 
vantage combien  sera  difficile  et  hasardeuse  l'exécution  de 
l'Édit  que  le  Boi  a  fait  pour  infinies  raisons  que  je  remets 
à  votre  meilleur  jugement.  Toutefois  la  pierre  en  est  jetée 
et  vous  dirai  qu'il  a  fallu  en  user  ainsi  pour  le  mieux, 
comme  je  pourrais  faire  toucher  au  doigt  (1).  » 

Villeroy  n'a  pas  voulu  faire  connaître  la  part  qu'il  avait 
prise  au  traité  de  Nemours.  «  Je  n'en  dirai  l'occasion,  écrit- 
il  dans  ses  Mémoires,  parce  que  ce  ne  sont  choses  à  divul- 
guer, moins  par  moi  que  par  un  autre  (2).  »  Il  semble 
même  qu'il  ait  désiré  atténuer  l'importance  de  son  rôle,  en 
déclarant  qu'il  fut  envoyé,  contre  son  avis,  «  lorsque  l'on 
était  quasi  sur  la  conclusion  du  traité  de  la  dite  paix  ». 
Mais  par  la  correspondance  de  Catherine  et  par  les  dé- 
pèches des  ambassadeurs  étrangers,  nous  avons  appris  et 
les  circonstances  graves  qui  motivèrent  sa  mission,  — les 
princes  et  la  reine-mère  avaient  presque  rompu  —  et  les 
résultats  de  son  voyage. 

(1)  Villeroy  à  de  Maisse,4  août  1585,  F.  i'r.  16.092.  «  La  guerre  va 
remplir  le  royaume  d'infinis  malheurs,  »  ajoutait-il. 

(2)  Mèm.,  p.  110. 


84  VILLEROY 

S'il  est  difficile  de  suivre  Villeroy  dans  toutes  ses  dé- 
marches, il  est  aisé  de  pénétrer  les  sentiments  qu'il  éprou- 
vait, en  cette  année  1585,  au  début  de  la  guerre  de  la  Ligue, 
qui  dura  plus  de  dix  ans  et  faillit  ruiner  le  royaume  de 
France.  L'état  d'âme  du  ministre  n'a  été  compris  ni  de  ses 
adversaires  ni  des  historiens  qui  n'ont  pas  étudié  de  prés 
ses  écrits  et  ses  actes  et  ont,  par  routine,  reproduit  des  ju- 
gements tout  faits.  Il  est  absolument  incompréhensible 
pour  celui  qui  croit  que  les  Français  de  l'an  1585  se  sont 
divisés  en  deux  camps  ennemis,  les  Ligueurs  et  les  anti- 
ligueurs.  La  réalité  n*a  pas  de  ces  grandes  lignes  simpli- 
fiées.  Entre  les  deux  camps  il  y  eut  de  larges  frontières  un 
peu  vagues  et  des  hommes  qui  ne  pouvaient  être  ni  tout  à 
fait  de  la  Ligue  ni  tout  à  fait  contre  elle.  Ils  ont  eu  une 
attitude  indécise  en  apparence  et  des  sentiments  com- 
plexes. Parmi  ces  Français,  Villeroy  est  le  plus  intéressant 
à  étudier,  et  celui  qui  a  joué  le  rôle  le  plus  considé- 
rable. 

Villeroy  ne  pouvait  pas  être  anti-ligueur.  C'était  un 
catholique,  de  foi  très  sûre,  qui  n'avait  jamais  branlé, 
même  au  temps  de  sa  première  jeunesse,  à  l'époque  où 
Catherine  semblait  pencher  vers  la  réforme  et  où  tant  de 
seigneurs  à  la  cour  passaient  à  la  religion  nouvelle.  Il  sou- 
haitait ardemment  le  rétablissement  d'une  foi  unique  dans 
le  royaume.  Les  huguenots  qu'il  avait  connus  à  la  cour  ou 
dan-  ses  négociations  del'ouest  et  du  midi  ne  lui  inspiraient, 
au  point  de  vue  religieux,  qu'une  médiocre  estime.  Il  avait 
vu  de  près  trop  d'ambitions, d'hypocrisies  et  de  convoitises. 
Sous  prétexte  de  religion,  pensait-il,  «  quelles  villes  n'ont- 
il^  pillées?  quelles  églises  n'ont-ils  abattues  ?  Combien  de 
fois  ont-ils  combattu  contre  le  roi  même,  mis  la  discorde 
en  la  maison  royale,  logé  les  Anglais  et  autres  étrangers 
en  ce  royaume  ?  Enfin,  quels  maux  n'ont-ils  fait  depuis  ce 
temps-là  ?  Il  ne  faut  que  lire  les  édits  de  paix  que  l'on  a 
faits  aveceux,  l'on  verra  de  quelle  eau  ils  ont  besoin  d'être 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  85 

lavés  »  (1).  Cetle  insurmontable  méfiance,  il  retendait  des 
chefs  à  tout  le  corps  des  protestants.  Il  considérait  évidem- 
ment comme  un  immense  malheur  l'avènement  d'unroi 
huguenot.  Pouvait-il  se  déclarer  ennemi  des  catholiques 
qui  adhéraient  en  masse  à  la  Ligue  pour  défendre  leur  re- 
ligion ? 

Il  ne  pouvait  être  ligueur.  La  Ligue,  c'était  la  rébellion 
contre  l'autorité  royale.  En  parfait  serviteur  du  roi,  il  sen- 
tait vivement  l'outrage  fait  à  son  maître  par  les  princes 
catholiques.  Il  annonça  à  Matignon,  avec  une  tristesse 
amère,  la  conclusion  du  traité  de  juillet.  «  Il  nous  coûtera 
bien  cher  :  de  quoi  je  crève  de  dépit  et  de  douleur  ;  encore 
ne  perdrais-je  courage,  si  je  pensais  que  ce  coup  d'él ri- 
vières nous  pût  faire  devenir  sages  et  nous  ouvrir  les 
yeux  (2).  »  Il  sentait  dès  lors  ce  qu'il  écrivait  deux  ans 
plus  tard  à  son  ami  :  «  Je  suis  bon  catholique  et  affectionné 
à  ma  religion  autant  qu'homme  de  ma  sorte,  mais  non 
pour  supporter  que  l'on  gourmande  le  roi  et  que  l'on  le 
prive  d'autorité  sous  prétexte  de  piété  (3).  »  La  Ligue. 
c'était  aussi  la  guerre,  et  Yilleroy  avait  en  horreur  toutes 
les  luttes  civiles.  «  Croyez  que  voici  une  misérable 
guerre  »,  écrivait-il  à  de  Maisse,  le  1*2  avril  (4).  «  Il  est 
temps  que  les  Français  pleurent  leurs  péchés  à  bon  escient 
et  se  résolvent  d'épouser  pour  jamais  un  corps  de  cuirasse 
et  une  perpétuelle  et  très  sanglante  guerre  »,  disait-il  un 
autre  jour  (5).  Il  estimait  que  cette  guerre  serait  difficile 
et  hasardeuse,  car  les  huguenots  étaient  forts  par  eux- 
mêmes,  par  l'appui  de  certains  catholiques  et  par  l'alliance 


(1)  Mém.,  p.  135. 

(2)  Villeroy  à  Matignon,   4  juillet  1587,  p.  133. 

(3)  Ibid.,  ij  juillet  1587,  p.  191. 

(4)  Villeroy  à  de  Maisse,  12  avril  1585,  F.  Fr.  16092,  f°  301. 

(5)  Villeroy  à  de  Maisse,  11  mai  1585,  Ibid.,  1°  371.  «  Ceux  qui 
ont  pris  les  armes,  ajoutait-il,  estiment  qu'ils  auront  bientôt  la  raison 
des  Huguenots,  mais  je  pense  qu'ils  se  sont  trompés.   » 


86  VILLEROY 

de  nations  étrangères.  Aux  optimistes  il  répondait,  en 
hochant  la  tête,  qu'il  était  plein  d'appréhensions,  «  pour 
la  mémoire  et  connaissance  »  qu'il  avait  du  passé,  du  pré- 
sent, et  «  de  ce  qui  peut  advenir  ».  Il  ne  croyaitmême  pas, 
comme  d'autres,  qu'une  guerre  étrangère  pourrait  faire 
une  diversion  utile  à  nos  dissensions.  La  France  seule 
n'était  pas  assez  forte  pour  lutter  contre  l'Espagne.  Quand 
elle  avait  attaqué  le  Roi  catholique  en  Flandre  et  en  Por- 
tugal, qui  l'avait  secourue  (1)  ? 

Villeroy,  qui  ne  voulait  pas  être  de  la  Ligue  et  ne  pouvait 
la  combattre,  était  avec  Henri  III,  et  voulait  faire  respecter 
des  Français  l'autorité  royale.  Mais  il  savait  mieux  que  tout 
autre  la  profonde  faiblesse  du  pouvoir  légitime,  et  cette 
pensée  était  une  de  celles  qui  le  faisaient  «  crever  de 
dépit  ».  Il  conseillait  toutes  les  mesures  qui  pouvaient  aider 
à  fortifier  la  monarchie,  entre  autres  les  levées  d'hommes 
d'armes  en  France  et  en  Suisse  qui  eussent  permis  à  Henri 
III  de  parler  haut.  Ces  mesures  étaient  insuffisantes  dans 
la  crise  actuelle  :  Villeroy  le  comprenait  aussi.  Entre  les 
protestants  et  les  catholiques  sur  le  point  de  se  battre,  il 
fallait  prendre  un  parti.  Villeroy  ne  pouvait  hésiter.  Son 
rêve  fut  une  alliance  sérieuse  du  roi  et  du  grand  parti 
catholique  que  dirigeaient  les  Guises,  afin  de  faire  une 


(1)  Villeroy  à  de  Maisse,  i  août  1585,  Ibid.,  fo  402.  Dans  la  même 
lettre,  il  écrit:  «  La  guerre  va  remplir  le  royaume  d'infinis  malheurs.  » 
Puis  il  exprime  les  appréhensions  qu'il  éprouve  «  pour  la  mémoire  et 
connaissance  »  qu'il  a  du  passé,  du  présent  et  de  «  ce  qui  peut  advenir.  » 
«  Je  vous  dirai  que  je  n'approuve  l'opinion  de  ceux  qui  désirent  que 
nous  en  entreprenions  une  étrangère  pour  nous  garantir  de  l'autre  ;  car 
c'est  se  tromper  que  de  penser  que  celle-là  se  puisse  entreprendre  à 
présent  ayant  l'espérance  d'un  tel  bien.  Je  vous  prie  de  croire,  «  Monsieur, 
que  ceux  qui  font  ce  jugement  ne  connaissent  la  nature  et  l'état  de  nos 
affaires  et  se  veulent  plus  de  bien  qu'à  nous-mêmes.  Ils  redoutent  plus 
la  puissance  et  grandeur  espagnole  qu'ils  ne  portent  d'affection  à  la 
France.  Nous  ne  l'avons  que  trop  éprouvée  lorsque  nous  avons  fait 
démonstration  de  nous  vouloir  attaquer  au  Roi  Catholique  en  Flandre 
comme  en  Portugal  ;  carde  qui  n'avons-nous  été  délaissés?  » 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  87 

France  forte  et  unie  soumise  à  l'autorité  monarchique  et 
capable,  par  sa  cohésion  disciplinée,  d'extirper  l'hérésie. 
C'était  un  idéal  que  cette  union  d'un  roi  puissant  et  respecté 
avec  un  parti  de  catholiques  soumis  et  de  princes  désinté- 
ressés. Le  ministre  ne  s'abusait  pas.  Il  sentait  la  difficulté 
du  problème  consistant  à  unir  un  pouvoir  chancelant  à  un 
parti  très  fort.  Pour  empêcher  l'allié  le  plus  fort  de  dévorer 
le  plus  faible,  il  comptait  beaucoup  sur  les  «  temporisements, 
la  patience  et  les  erreurs  d'autrui  ».  Il  avait  foi  dans  la  di- 
plomatie qui  divise  par  des  concessions  habilement  équi- 
librées les  ennemis  en  apparence  les  plus  unis.  Il  pensai! 
qu'une  prudence  extrême,  une  attitude  franchement  catho- 
lique, ferait  cesser  toute  équivoque,  donnerait  satisfaction 
à  l'opinion  populaire  qu'on  détacherait  des  Guises,  et  apai- 
serait à  la  longue  certaines  ambitions  trop  Apres.  Il  est 
certain  qu'on  devait  commencer  par  éprouver  beaucoup 
de  mécomptes.  Au  temps  de  la  Ligue,  jamais  de  négociateur 
ou  de  ministre  ne  se  fit  moins  d'illusions,  ne  se  soumit  plus 
tristement  à  la  nécessité. 


Villeroy  avait  un  réel  mrrile  à  défendre  ces  idées  auprès 
du  roi.  Car  il  s'attirait  l'inimitié  du  premier  favori  d'Henri  III, 
d'Epernon,  l'ennemi  mortel  des  Guises.  Cette  hostilité  s'est 
manifestée  principalement  à  partir  de  l'an  1585.  Villeroy 
l'a  considérée  comme  un  événement  si  grave  dans  sa  vie 
que,  négligeant  de  raconter  «  plusieurs  voyages,  affaires, 
traités  et  négociations  »,  il  a  estimé  «  être  à  propos  d'éclair- 
cir  ses  amis  de  tout  ce  qui  s'est  passé  »  entre  M.  d'Eper- 
non et  lui,  parce  que,  ajoute-t-il,  «  l'on  m'a  dit  que  son  ini- 
mitié avait  plus  avancé  ma  disgrâce  que  toute  autre  chose  ; 


88  VILLEROY 

quoi  étant,  s'il  y  avait  eu  de  ma  faute,  Ton  aurait  eu  occa- 
sion de  m'en  blâmer  »  (1). 

Il  importe  donc  d'expliquer  les  origines  de  cette  querelle 
avant  d'arriver  à  l'époque  critique  de  la  carrière  de  Vil- 
leroy. 

Le  duc  d'Epernon,  à  son  arrivée  à  Paris,  avait  été  un  des 
protégés  de  Villeroy  qui  témoignait  une  grande  amitié  à 
son  père  Jean  de  Nogaret,  seigneur  de  La  Vallette,  dont  il 
estimait  «  la  vertu  en  toutes  choses  et  la  fidélité  au  service 
du  roi  »  (2).  Quand  il  mourut,  le  18  novembre  1575,  il  re- 
commanda ses  enfants  à  Villeroy  (3).  Les  deux  fils  du  lieu- 
tenant-général de  Guyenne,  Bernard  et  Jean-Louis,  furent 
envoyés  par  leur  mère  au  collège  de  Navarre,  avec  ordre 
de  voir  et  d'observer  particulièrement  M.  de  Villeroy  «  fort 
considéré  dans  son  emploi  ».  M.  de  La  Valette  avait  cru 
«  procurera  ses  enfants,  dès  leur  jeune  âge,  une  amitié  qui 
leur  serait  profitable  ».  La  faveur  du  cadet  commença 
en  1570,  à  Blois,  où  le  roi  remarqua  sa  bonne  mine.  Il  de- 
vint un  favori  d'Henri  III,  en  1579,  et  parut  bientôt  en 
public  avec  J03eu.se,  Saint-Luc  et  d'O,  revêtu  des  mêmes 
livrées  que  son  maître.  Dès  1580,  il  dépassa  Joyeuse.  Il  ne 
craignait  pas,  nous  dit  Villeroy,  de  témoigner  publique- 
ment au  premier  auteur  de  sa  fortune  sa  reconnaissance 
et  son  amitié.  Tout  le  monde  à  la  Cour  les  croyait  très 
unis  et  certains  en  étaient  jaloux. 

Cette  entente  dura  peu.  La  première  question  qui  les 
divisa  fut  un  conllit  d'intérêt  et  d'amour-propre.  Villeroy 
voulait  marier  son  fils  à  la  riche  héritière  de  la  Maison  de 
Maure  (4).    Le  roi  et  la  reine-mère    avaient  promis  leur 

(1)  Mém.,  p.  112. 

(2)  Mém.,  p.  112.   —  Villeroy  ajoute  qu'il  peut  prouver  «  par  lettres 

oins,  gens  de  bien,  qui  vivent  encore  »,  que  La  Valette  n'avait 
personne  à  la  Cour  de  qui  l'amitié  lui  lui  si  assurée  et  si  vraie  que  la 
sienne. 

(3)  Girard,  Histoire  de  la  vie  du  duc  d'Epernon,  in-8,  1665. 

(4)  Mém.,  p.  113. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  89 

faveur  et  assistance.  Le  duc  d'Epernon  s'y  opposa,  disant 
que  le  roi  lui  avait  promis  de  la  donner  en  mariage  à  son 
cousin,  le  fils  de  M.  de  Termes.  Il  n'avait  sans  doute  pas 
tout  d'abord  l'intention  d'offenser  Villeroy.  Ce  jeune 
homme  autoritaire  et  violent,  désireux  d'obliger  un  parent 
et  de  faire  entrer  une  grande  fortune  dans  sa  famille,  s'ir- 
rita des  résistances  qu'il  rencontrait,  et  puisque  la  famille 
de  Maure  n'agréait  pas  son  cousin,  il  décida  que  d'Alin- 
court  n'aurait  pas  l'héritière.  Villeroy  céda  pour  ne  pas 
mettre  le  roi  dans  une  position  embarrassante. 

«  Depuis  ce  temps-là,  dit  Villeroy,  ledit  duc  croyant  que 
je  fusse  de  ceux  qui  ne  pardonnent  volontiers  une  offense, 
a  toujours  eu  défiance  de  moi  et  de  tout  ce  que  je  fai- 
sais (1).  »  Il  serait  difficile  de  déterminer  lequel  des  deux 
témoigna  le  premier  à  l'autre  de  la  défiance  après  cet  inci- 
dent. Villeroy  prouva  plus  d'une  fois  dans  sa  vie  qu'il  était 
peu  porté  au  pardon  des  injures  ;  avec  une  douceur  plus 
souple,  il  était  aussi  volontaire  que  l'arrogant  favori.  Le 
ministre  qui  s'était  élevé  lentement  à  sa  haute  situation  dut 
éprouver  un  vif  ressentiment  contre  le  Gascon  parvenu, 
son  ancien  protégé,  qui  avait  conquis  si  vile  la  faveur  royale 
et  menaçait  d'être  bienlùt  le  seul  maître  à  la  Cour.  Ce  pro- 
blème psychologique  est  insoluble,  car  nous  n'avons  que 
le  témoignage  de  Villeroy.  Quoi  qu'il  en  soit  leurs  relations 
changèrent  à  partir  de  ce  jour. 

La  défiance  de  d'Epernon  s'accrut  lorsque  le  duc  de 
Joyeuse  honora  d'Alincourt  du  guidon  de  sa  compagnie  de 
cent  hommes  d'armes.  Ces  deux  favoris,  malgré  les  efforts 
du  roi  pour  maintenir  l'égalité  entre  eux,  se  haïssaient 
mortellement  :  ils  étaient  si  jaloux  l'un  de  l'autre,  que  cha- 
cun détestait  les  serviteurs  de  son  rival.  Villeroy,  pour  faire 
arriver  son  fils  en  cour,  l'avait  mis  auprès  de  Joyeuse  (2). 


(l)Mém.,  p.  113. 

(2)  Mém.}  p.  113.  —  Villeroy  tenait  beaucoup  à  laisser  son  fils  au- 


90  VILLEROY 

Il  était  lui-même  en  excellentes  relations  avec  le  favori  au- 
quel il  rendait  tous  les  services  qu'il  pouvait.  Nous  avons 
retrouvé  un  billet  non  daté  d'Henri  III  à  son  ministre  en 
faveur  de  Joyeuse  :  «  Villeroy,  je  sais  que  vous  l'aimez  : 
ayez-en  soin  autant  que  vous  m'aimez  (1).  » 

Ces  conflits  d'intérêts  et  de  caractères  précédèrent-ils 
ou  suivirent-ils  le  désaccord  dans  les  idées  politiques?  Il 
est  dificile  de  suivre  de  près  les  progrès  de  leurs  dissenti- 
ments. Il  est  certain  que  Villeroy  ne  fut  pas  rejeté  dans  le 
parti  favorable  à  la  Ligue  par  la  seule  raison  qu'il  ne  pou- 
vait s'entendre  avec  Epernon.  L'attitude  de  Villeroy  est 
trop  conforme  à  son  caractère  et  à  ses  idées  pour  avoir  été 
inspirée  par  un  motif  accidentel.  D'autre  part,  on  ne  peut 
dire  que  le  dissentiment  politique  fut  Tunique  cause  des 
querelles  du  favori  et  du  ministre.  Les  questions  person- 
nelles ont  aggravé  le  dissentiment  politique  et  celui-ci  a 
envenimé  celles-là. 

Il  y  eut  pourtant  dans  l'année  1586  une  certaine  accalmie. 
D'Epernon  reçut  d'Henri  III  le  gouvernement  de  Provence. 
Quand  il  alla  prendre  possession  de  ce  pays  lointain,  il  crai- 
gnit de  laisser  derrière  lui  un  ennemi  déclaré.  Il  fit  taire 
son  ressentiment  et,  nous  disent  les  Mémoires,  assura  Vil- 
leroy de  son  amitié,  en  présence  de  Bellièvre  (2).  Peut-être 
Bellièvre  s'était-il  entremis  pour  amener  une  conciliation. 
C'était  un  homme  très  doux,  ami  de  tout  le  monde  et  parti- 
culièrement lié  avec  Villeroy.  Il  dut  saisir  avec  empresse- 
ment l'occasion  d'apaiser  une  querelle. 

Cette  entente  fut  de  courte  durée.  Les  événements  qui  se 


près  de  Joyeuse  et  à  ménager  la  susceptibilité  de  ce  dernier.  Il  refusa 
l'offre  que  lui  faisait  Matignon  d'une  partie  de  sa  compagnie  pour  d'A- 
lincourt.  «  M.  de  Joyeuse,  écrivait-il  le  8  juin  15SG,  qui  lui  fait  cet 
honneur  que  de  l'aimer,  m'a  prié  de  l'envoyer  avec  lui.  »  {Lettres  à 
Matignon,  p.  140.) 

(1)  N.  acq.  fr.  1244,  fo  180. 

(2)  Me  m.,  p.  113. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  91 

passèrent  à  Lyon  et  dans  le  Sud-Est  accusèrent  de  plus  en 
plus  la  divergence  de  leurs  intérêts  et  de  leurs  vues  poli- 
tiques. 

Yilleroy  avait  formé  le  projet  de  marier  son  fils  avec  la 
fille  aînée  de  François  de  Mandelot,  gouverneur  de  Lyon, 
un  ancien  protégé  du  duc  de  Nemours,  un  bon  administra- 
teur, qui  n'avait  pas  adhéré  à  la  Ligue.  11  sut  démontrer  à 
Henri  III  que,  dans  l'intérêt  de  la  monarchie,  il  devait  favo- 
riser cette  union.  Il  fallait  empêcher  en  effet  que  Mandelot 
ne  donnât  sa  fille  au  marquis  de  Villars,  fils  de  la  duchesse 
de  Mayenne,  c'est-à-dire  la  ville  de  Lyon  à  la  Ligue.  Le  roi 
y  consentit  avec  empressement  et  pour  s'assurer  «  la  dite 
ville  de  Lyon  avec  tout  le  gouvernement  et  la  personne 
dudit  sieur  de  Mandelot  »,  promit  la  survivance  du  gou- 
vernement pour  Alincourt(l). 

Or,  c'était  à  un  ennemi  de  d'Epernon  que  Villeroy  s'al- 
liait. Mandelot  et  le  duc  's'étaient  brouillés  à  propos  de  la 
citadelle  établie  par  Charles  IX  pour  défendre  et  surveiller 
la  ville.  En  1585,  d'Epernon  y  préposa  comme  commandant 
une  de  ses  créatures,  le  sieur  Du  Passage.  Mandelot  crai- 
gnil  que  cet  homme  ne  s'emparât  ensuite  du  gouvernement 
de  toute  la  province.  Les  Lyonnais  réclamaient  depuis 
longtemps  la  démolition  d'une  citadelle  qui  menaçait  leurs 
franchises.  Le  gouverneur  et  ses  administrés  s'allièrent 
contre  le  commandant  de  la  citadelle  et  son  protecteur.  Le 
2  mai,  Mandelot,  de  concert  avec  le  consulat,  s'empara  du 
château  et  bientôt  après  le  fit  démolir  (2).  En  août  86, 
quand  d'Epernon  passa  à  Lyon  pour  prendre  possession 
du  gouvernement  de  Provence,  les  bourgeois  firent  des 


(1)  Mém.,  p.  113.  C'est  sans  doute  de  cette  époque  que  date  un 
billet  où  Henri  III  écrit  à  Villeroy  à  propos  de  Mandelot  :  «  Je  crois  que 
plus  j'aurai  de    serviteurs  et  mieux  ce  sera.  >•  N.  acq.  fr.  1245,  f°  60. 

(-2)  Mém.,  p.  114.  Giovanni  Doliin  à  la  Seigneurie,  10  mai  1585, 
F.  Ital.  1734,  fo  80. 


92  YILLEROY 

préparatifs  de  défense.  On  ne  le  laissa  traverser  la  ville 
qu'avec  une  petite  escorte.  Les  mêmes  défiances  avaient 
accueilli  son  frère  la  Valette,  à  la  fin  de  l'année  précédente, 
quand  il  s'était  rendu  dans  sa  province  du  Dauphiné. 

Le  31  octobre,  le  bruit  ayant  couru  que  les  Lyonnais  vou- 
laient se  mettre  sous  la  protection  du  pape,  le  consulat 
écrivit  au  roi  pour  démentir  cette  nouvelle  et  dénonça 
d'Épernon  comme  Fauteur  des  calomnies.  Ils  écrivirent  en 
même  temps  à  Yilleroy  et  à  Bellièvre  (1).  Villeroy,  qui  avait 
déjà  travaillé  à  faire  accepter  du  roi  la  démolition  de  la  ci- 
tadelle, calma  les  inquiétudes  de  la  cour  au  sujet  de  l'atti- 
tude des  Lyonnais  et  le  17  novembre,  il  put  [répondre  aux 
habitants  :  «  Le  roi  a  pris  en  très  bonne  part  vos  lettres.. . 
et  vous  prie  croire  qu'il  ne  lui  demeure  aucune  mauvaise 
opinion  du  fait  duquel  il  est  question  (2).  » 

Intermédiaire  obligeant  entre  le  pouvoir  royal  et  la  ville 
de  Lyon  dont  il  s'était  constitué  le  patron,  Villeroy  pour- 
suivait habilement  son  intrigue,  appuyé  surun  petit  groupe 
de  catholiques  afin  d'arracher  la  ville  à  d'Epernon. 

Les  menées  du  duc  avaient  pour  objet  la  possession  d'une 
ville  qui  aurait  assuré  les  communications  du  Dauphiné  et 
de  la  Provence  avec  le  nord  et  le  centre  de  la  France,  et 
enlevé  à  la  Ligue  une  base  cfopérations  dans  ces  régions. 
En  même  temps,  les  deux  frères  établissaient  leur  domi- 
nation dans  le  Sud-Est  en  occupant  Valence  par  surprise, 
et  essayaient  de  mettre  la  main  sur  Vienne.  Ces  deux  cita- 
delles, qui  dépendaient  du  duc  de  Mayenne,  commandaient 
le  cours  du  Rhône  et  les  communications  des  Lyonnais  avec 
la  mer. 

Là  encore,  ils  rencontrèrent  unis  contre  eux  les  Lyon- 

(1)  Péricaud,  Notes  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  de  Lyon 
soirs  le  règne  de  Henri  III,  Lyon,  in-8°,  1843,  p.  118  (30  octobre 
1586). 

(i1)  Ibid.,?.  118. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  93 

nais  et  Villeroy.  Villeroy  écrivit  à  Henri  III  que  la  prise 
de  Valence  entraînerait  de  nouveaux  troubles  ;  les  Guises 
voudraient  se  venger  et  s'empareraient  d'autres  places. 
L'événement  confirma  les  prévisions  du  ministre;  peu 
après,  le  duc  d'Aumale  s'emparait  de  Dourlans  etduCrotoy 
en  Picardie.  Vienne  fut  protégée  parMandelot  qui  demanda 
des  secours  en  argent  de  Guise  et  la  mit  en  défense.  Il  fut 
encore  aidé  par  Villeroy  qui,  sollicité  par  M.  de  Servières, 
un  échevin  envoyé  par  la  municipalité  lyonnaise,  transmit 
à  Henri  III  les  doléances  des  habitants  :  il  réfuta  une  nou- 
velle calomnie  de  d'Épernon  qui  se  plaignait  qu'on  eût 
conspiré  contre  sa  vie,  aux  enviions  de  Vienne. 

Au  milieu  de  ces  intrigues  embrouillées,  Villeroy  et 
Mandelot  savaient  manœuvrer  avec  adresse  pour  empê- 
cher la  ville  disputée  entre  la  Ligue  et  d'Epernon  de  tom- 
ber aux  mains  des  Guises.  Mandelot,  homme  actif,  modéré 
et  conciliant,  semble  n'avoir  eu  d'autre  but  que  de  conser- 
ver son  gouvernement,  objectif  des  deux  partis.  Il  s'ap- 
puyait sur  la  partie  modérée  de  la  bourgeoisie,  les  Grolier, 
les  Servières  et  autres  familles  dévouées  au  service  du  roi. 
C'est  pour  empêcher  le  duc  de  le  déposséder,  tout  en  don- 
nant satisfaction  aux  tendances  démocratiques  de  la  popu- 
lation, qu'il  avait  fait  démolir  la  citadelle  ;  mais  le  jour 
même  de  l'événement,  il  convoqua  les  échevins  dans  son 
hôtel  et  leur  fit  jurer  de  ne  suivre  d'autre  parti  que  le  parti 
du  roi.  Deux  mois  après  il  informait  le  roi  des  menées  de 
Mayenne  dans  la  région,  et  Henri  III  le  remerciait  de  son 
dévouement  (1).  Plus  tard,  au  début  de  1587,  forcé  par  les 
circonstances,  il  commit  l'imprudence  d'accepter  1"200  écus 
du  duc  de  Guise,  pour  défendre  sa  ville  (2),  mais  il  refusa 
toujours  de  prêter  le  serment  de  la  Sainte  Union.  Il  résista 


(1)  Giovanni  Dolfin  à   la  Seigneurie,   7  juin  1585,  F.  Ital.  1734,  f» 
121. 

(2)  Mendoza  à  Philippe  II,  7  août,  Pap.  Simanc,  K.  1564,  p.  145. 


94  VILLEROY 

au  ligueur  Epinac,  son  archevêque,  et  même,  dit-on,  con- 
seilla à  Henri  III  de  l'arrêter  et  de  se  saisir  de  ses  papiers. 
Avec  l'appui  de  Villeroy,  il  conserva  à  la  Ligue  lyonnaise 
un  caractère  indécis.  Elle  ne  fut  pas  inféodée  aux  Guises, 
et  tout  en  repoussant  d'Epernon,  Mandelot  s'efforça  de 
se  rattacher  directement  au  pouvoir  royal,  par  l'intermé- 
diaire du  ministre,  qui  avait  promis  à  Henri  III  de  lui 
conserver  sa  bonne  ville  de  Lyon. 

Tout  en  préservant  Lyon  des  Guises  et  de  d'Epernon, 
Villeroy  avait  réussi  à  atteindre  son  but  primitif:  le  ma- 
riage de  son  fils.  Le  "28  février  88,  d'Alincourt  épousa  la 
fille  de  Mandelot,  et,  dans  le  contrat  de  mariage,  avec  la 
permission  du  roi,  on  stipula  la  survivance  du  gouverne- 
ment de  Lyon  en  sa  faveur  (1).  Le  duc  se  résigna  à  ne  pas 
faire  d'opposition.  «  Il  remit  entre  les  mains  de  S.  M.,  tant 
pour  lui  que  pour  son  frère,  la  réserve  dudit  gouvernement 
dont  S.  M.  lui  avait  donné  promesse  (2).  »  Il  approuvait 
sans  doute  ce  qu'il  ne  pouvait  empêcher.  Peut-être  aussi 
le  favori  qui  ne  manquait  pas  de  sens  politique,  comprit-il 
qu'il  fallait  sacrifier  ses  rancunes  pour  éviter  un  plus  grand 
mal  :  la  perte  complète  de  Lyon  tombant  aux  mains  des 
Guises. 

Malgré  cette  concession,  les  rapports  du  ministre  et 
du  favori  ne  s'améliorèrent  pas,  comme  nous  le  verrons 
bientôt. 

Longtemps  auparavant,  leur  dissentiment  avait  éclaté. 
Un  des  plus  acharnés  adversaires  de  d'Epernon  avait  été 
d'Epinac,  plus  zélé  guisard  que  le  gouverneur  et  les  prin- 
cipaux bourgeois.  Il  avait  quitté  la  Cour  à  la  suite  de  sa 
rupture  avec  d'Epernon  en  février  86.  Villeroy  profita  du 
déclin   passager   de   d'Epernon    (pendant   son   séjour   en 


(1)  Voir  la  description  des  noces  à  Lyon  dans  Péricand,  Notices  et 
documents,  p.  123. 

(2)  Mém.,  p.  114. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  95 

Provence),  pour  demander  au  roi  le  rappel  de  l'arche- 
vêque. Il  supplia  Henri  III  de  «  lui  faire  une  lettre  et 
aviser  de  composer  le  différend  qui  était  entre  ledit  duc 
et  lui  pour  retenir  et  conserver  ledit  archevêque  à  son 
service  »  (1).  Il  espérait  fortifier  à  la  Cour  le  parti  des 
ennemis  du  favori.  On  peut  s'étonner  qu'il  ait  tant  insisté 
pour  rendre  à  la  vie  politique  l'homme  qui  était  un 
des  meilleurs  appuis  des  Guises.  Mais  il  faut  noter  que 
l'alliance  d'Epinac  avec  le  parti  lorrain  ne  s'est  con- 
sommée qu'au  début  de  1588  (2),  et  que  la  fermeté  de 
conduite  et  la  continuité  de  vues  n'étant  pas  les  qualités 
maîtresses  de  l'archevêque,  Villeroy  espérait  exercer  sur 
lui  une  certaine  influence  (3),  et  l'empêcher  de  se  jeter 
tout  à  fait  dans  les  bras  des  Guises.  Avec  l'aide  de  Bel- 
lièvre,  il  avait  déjà  fait  à  l'archevêque  certaines  avances. 
L'archevêque  avait  refusé  tout  rapprochement  avec  le 
duc  (4),  les  «  mauvais  offices»  que  lui  avaitfaits  d'Epernon 
étant  trop  considérables.  Mais,  malgré  les  protestations 
solennelles  de  ce  dévouement  à  la  cause  royale,  Villeroy 
n'était  pas  satisfait  de  la  neutralité  de  l'archevêque.  Pour 
avoir  son  concours  actif,  il  tenta  auprès  d'Henri  III  une 
démarche  directe,  qui  fut  pour  d'Epernon  «  l'occasion  de 
fonder  une  nouvelle  querelle  et  plainte  »  au  sujet  du  mi- 
nistre (5). 


(1|  Mém.,  p.  Id4. 

(2)  Voir  Richard,  Pierre  d' Epinac,  archevêque  de  Lyon  (1573-1599), 
1901,  p.  273. 

(3)  On  verra  plus  loin  combien  cette  influence  fut  grande  après  la 
mort  d'Henri  111. 

(4)  Lettre  à  Villeroy  1er  mars  87  (Bibliothèque  municipale  de  Lyon), 
citée  par  Richard,  p.  629. 

(5)  Epinac  affirme  à  Villeroy  qu'il  a  eu  «  un  très  juste  sujet  »  de  se 
retirer  de  l'amitié  de  M.  d'Epernon  pour  les  mauvais  offices  qu'il  lui  a 
faits  qui  «  sont  si  communs  entre  les  honnêtes  hommes  de  la  Cour  » 
que  tous  les  jours  il  en  apprend  de  nouveaux  Villeroy  avait  supplié 
Epinac  de  rester  fidèle  au  roi.  Epinac  lui  jure  qu'il  n'a  aucun  mécon- 
tentement à  l'égard  de  son   maître.   «  Four  conclusion,  Monsieur,  je 


96 


III 


L'édit  de  juillet  1585  avait  proclamé  l'union  des  forces 
catholiques  contre  l'hérésie  et  provoqué  une  guerre  qui 
traînait  lentement  sans  résultats  notables  pour  chacun  des 
partis.  Condé  se  défendait  contre  Mercœur  en  Bretagne, 
contre  Joyeuse  dans  l'ouest,  tantôtbattu,  tantôt  victorieux. 
Du  côté  des  catholiques,  la  guerre  était  entravée  par  les 
conflits  qui  éclataient  entre  les  chefs  de  la  Ligue  et  les  com- 
mandants des  troupes  royales  ou  les  gouverneurs  loyalistes. 
Henri  III  ne  voulait  pas  voir  les  Lorrains  briller  au  pre- 
mier rang  et  était  enchanté  de  tout  ce  qui  leur  arrivait  de 
désagréable.  Matignon  et  Biron  ne  pouvaient  s'entendre 
avec  le  duc  de  Mayenne  qui  dirigeaitl'armée  de  Guyenne  : 
ils  ménageaient  le  roi  de  Navarre.  Bironméme  signait  une 
trêve  avec  lui,  au  mois  d'août  1586.  D'autre  part,  les 
Huguenots  longtemps  isolés  et  faibles  étaient  sur  le  point 
de  recevoir  d'importants  renforts  de  l'étranger.  Après  de 
longues  instances,  Henri  de  Navarre  avait  reçu  des  subsides 
d'Elisabeth  et  des  princes  allemands.  Un  ardent  calviniste, 
le  Palatin  Jean  Casimir,  levait  en  Allemagne  une  armée  de 
14.000  fantassins  et  de  8.000  reîtres  et  se  préparait  à  mar- 
cher au  secours  de  ses  frères  de  France. 

La  situation  paraissait  très  sombre  aux  «  bons  servi- 
teurs »  du  roi.  Villeroy  n'avait  que  des  sujets  de  défiance 
et  de  mécontentement.  Sans  aucun  doute,  l'attitude  du  roi 
à  l'égard  des  Guise  l'inquiétait  :  il  ne  pouvait  comprendre 
qu'après  avoir  juré  l'union  avec  eux,  il  s'appliquât  à  les 
irriter  par  des  mesquineries.  Le  ministre  n'a  pas  osé  le 


ijue  vous  croyez  et  s'il  vous  plaît  que  S.  M.  entende  par  vous 
que  je  n'ai  ni  ne  puis  avoir  aucun  mécontentement  et  serais  très  marri 
que  l'on  crut  que  j'en  eusse  aucun...  Je  m'adresse  à  von-,  Monsieur, 
comme  à  celui  que  je  sais  être  le  refugedes  gens  de  bien  et  d'honneur...  » 


LE    SECRÉTAIRE    DE     HENRI    III  07 

dire  ouvertement.  Mais  nous  voyons,  par  un  passage  des 
Mémoires,  qu'il  regrettait  qu'on  eût  imprimé  à  Henri  III 
«  une  telle  jalousie  du  due  »  (1)  ;  et  d'autre  part,  nous  sa- 
vons qu'il  insistait  beaucoup  pour  qu'on  donnât  à  Mayenne 
de  sérieux  renforts,  pour  lui  permettre  de  lutter  efficace- 
ment en  Guyenne  contre  les  huguenots,  comme  il  était 
convenu  (?).  Il  continuait  à  déplorer  le  déchaînement  des 
passions  ligueuses,  les  menées  et  pratiques  de  ■•  ceux  qui 
veulent  pescher  en  eau  trouble  (3)  »,  la  «  malice  des  fac- 
tieux »,  les  appels  aux  puissances  étrangères,  o  Les  pas- 
sions privées  nous  emportent  et  commandent  tellement, 
écrivait-il  4  .  que  l'honneur  de  Dieu,  la  révérence  que 
nous  devons  au  roi  et  l'amour  de  notre  patrie  n'ont  force 
ni  puissance  aucune  envers  nous.  Les  partis  ont  leur  but 
et  leurs  fins  toutes  contraire-,  appuyée-  et  fomentées  d'in- 
telligences étrangère-  5  .  •'.'■qui  lui  parut  le  plus  dange- 
reux, à  lui  comme  à  la  cour,  au  milieu  de  l'année  1586,  ce 
fut  la  menace  d'une  invasion  allemande.  Faudrait-il  se 
«  résoudre  à  boire  ce  calice  qui  sera  très  amer  à  ce  pauvre 
royaume  qui  est  déjà  -i  défiguré,  qu'il  n'est  pas  reconnais- 
sablé    6)  ?  » 

Aussi  le  ministre  approuva-t-il  chaleureusement  ridée 
d'une  conférence  avec  le  roi  de  Navarre.  La  reine-mére, 
toujours  infatigable,  se  rendit  dans  l'ouest  auprès  de  son 
gendre.  Elle  le  vit  au  début  de  décembre,  au  château  de 
Saint-Brice.  près  de  Cognac  et  le  supplia  de  se  convertir. 
ou  au  moins  de  signer  une  trêve  d'un  an  et  de  suspendre 
pendant  ce  temps  l'exercice    du  culte  réformé  dan-    ses 


1 1    M>-m..  p.118. 

(2)  Catherine  de  Médicis  h  Villeroy,   3   août   1586.  Lettres,  t.  IX, 
.  24. 

(3)  Villeroy  à  de  Maisse,  28  février  1587.  F.  Fr.,  16093,  f   142. 

(4)  ihul.,  29  août  1585.  F.  Fr.   16092,  f  411. 

(5)  l'nd..  14  mars  L586,  fr  35. 

(6)  Ibid.,  5  juillet  1 

Villeroy  7 


98  VILLEROY 

places.  Tous  ses  efforts  furent  vains.  Le  roi  de  Navarre 
refusa  de  rompre  avec  sa  noblesse  protestante,  et  la  reine- 
mère  rentra  à  Paris,  au  début  de  mars  1587,  après  huit  mois 
perdus  en  allées  et  venues  et  en  négociations  stériles  (1). 

Il  semble  qu'Henri  III  se  soit  montré  assez  sceptique  à 
l'égard  de  la  politique  de  sa  mère  et  un  peu  inquiet  de 
l'émotion  qu'elle  soulevait  parmi  les  ligueurs.  Villeroy, 
Bellièvre  et  le  chancelier  de  Birague  furent  les  meilleurs 
alliés  de  Catherine.  Villeroy  était  convaincu  que  le  salut 
du  royaume  était  dans  la  conversion  du  roi  de  Navarre.  La 
réalisation  de  cette  idée,  en  cette  année  1586,  nous  paraît 
maintenant  chimérique.  Nous  apprécions  mieux  les  motifs 
de  conscience  et  d'honneur  qui  retenaient  Henri  de  Navarre 
au  camp  des  réformés  et  nous  sommes  moins  disposés  à 
croire  à  l'efficacité  souveraine  des  négociations  en  pareille 
matière. 

Villeroy  se  représentait  mal  l'état  d'âme  des  hugue- 
nots ;  il  croyait  qu'Henri  IV  persévérait  dans  sa  reli- 
gion parce  qu'il  était  «  assisté  de  personnes  plus  opiniâtres 
et  passionnées  qu'affectionnées  à  son  bien  et  au  public  (2)  ». 
Comme  il  l'écrivait  un  jour  au  duc  de  Nevers,  il  estimait 
que  «  la  vérité,  la  raison  et  le  temps  sont  trois  grands  et 
puissants  ouvriers  entre  les  hommes  et  les  actions  hu- 
maines (3)  ».  Il  avait  foi  en  la  bonté  de  la  cause  catholique 
qui  avec  l'aide  de  la  Providence  devait  finir  par  triompher; 
il  croyait  dans  l'excellence  de  la  raison  qui  finirait  par  dé- 
montrer à  l'intelligent   Bourbon   que  sa   conversion  était 


(1)  Voir  G.  de  Brémond  d'Ars,  Conférences  de  Saint-Brice,  Rev. 
des  quest  hist.  XXXVI,  octobre  1884.  p.  496.  Voir  les  lettres  de  Ca- 
therine du  30  octobre  1586  au  13  mars  1587,  t.  IX,  p.  17-192  et  les 
diverses  pièces  publiées  en  appendice,  p.  402  et  suiv. 

(2)  Villeroy  à  de  Maisse,  4  janvier  1586,  F.  Fr.  16093,  f°  5.  Sacon- 
versinn,  disait-il,  «  est  chose  qu'il  pourrait  faire  avec  son  honneur,  car 
l'on  lui  en  donnerait  les  moyens  et  de  laquelle  dépend  son  salut  en 
toutes  sortes,  ce  que  l'on  lui  a  fait  dire.  » 

(3)  Villeroy  à  Nevers.  18  décembre  1585,  F.  Fr.  3364,  f°  38. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  99 

l'acte  le  plus  conforme  à  son  intérêt  personnel  et  au  bien 
public,  et  en  diplomate  patient,  il  comptait  beaucoup  sur 
l'action  du  temps.  Cette  pensée  le  consolait  dans  les  mo- 
ments où  le  sentiment  de  l'impuissance  des  «  gens  de  bien  » 
l'envahissait;  elle  l'empêchait,  comme  il  aimait  à  le  dire, 
de  «  jeter  le  manche  après  la  cognée  (1).  Ajoutons  qu'il 
étaii  de  l'école  de  Catherine,  et  avait  adopté  comme  elle 
pour  maxime  qu'il  fallait  négocier,  négocier  toujours, 
discuter,  raisonner  avec  l'ennemi  ;  si  cela  ne  pouvait  faire 
de  bien,  cela  ne  pouvait  pas  faire  de  mal. 

Pendant  les  négociations  de  Saint-Brice,  il  resta  en  par- 
faite communauté  d'idées  avec  la  reine-mère  qui  lui  écri- 
vait tous  les  jours,  le  tenait  au  courant  des  moindres  dé- 
tails de  ses  actes,  lui  demandait  des  avis,  et  le  chargeait  de 
défendre  sa  politique  au  sein  du  Conseil  (2).  D'Epernon, 
que  Catherine  ne  nomme  jamais,  était  un  de  ses  plus  re- 
doutables adversaires  et  c'est  cette  influence  qui  l'in- 
quiétait quand  elle  priait  instamment  Villeroy  el  ses  amis 
de  l'aider  (3).  Peut-être  est-ce  de  l'entourage  de  d'E- 
pernon  que  partirent  des  calomnies  dirigées  contre  le  mi- 
nistre au  mois  d'octobre.  Cet  incident  ne  nous  est  pas 
connu,  mais  nous  savons,  par  une  lettre  de  la  reine-mère, 
avec  quelle  chaleur  elle  s'indigna  contre  le  méchant  men- 
teur, et  quelles  bonnes  paroles  elle  sut  trouver  pour  con- 
soler son  ministre.  «  Il  me  déplaît  que  ne  suis  de  sexe  et 
de  qualité  pour  faire  mon  démentir  valable  avec  l'épée  ; 
mais  sachant  qui  c'est,  je  lui  ferai  avouer  par  un  bourreau, 
car  il  mérite  la  corde,  étant  plus  que  crime  de  vouloir  brû- 
ler tous  ceux  qui  sont  les  meilleurs  et  plus  assurés  servi- 
teurs de  cette  couronne...  Si  vous  voulez  que  je  croie  que 


(1)  Villeroy  b.  Nevers,  Ibid. 

(2)  Voir   Lettres,  t.   IX,  p.  83    et  suiv.    (lettres  adressées  le   18  no- 
vembre et  les  jours  suivants,  de  Saintes,  Saint-Mexant,  Saint-Brice,  etc.). 

(3)  Catherine  à  Villeroy,  20  décembre  1586,  Ibid.,  p.  123. 


100  VILLEROY 

toutes  ces  menteries  ne  vous  ont  chargé,  il  faut  que  me  les 
prouviez.  Si  c'est  homme,  j'ai  ce  qu'il  y  faut;  si  c'est 
femme,  je  lui  en  dirai  deux  mots,  de  quoi  il  lui  en  souvien- 
dra toute  sa  vie,  fut-elle  de  cent  ans  (1).  » 

Les  négociations  avec  les  protestants  avaient  complète- 
ment échoué.  L'armée  allemande  se  préparait  à  envahir  le 
royaume.  Et  cependant,  les  catholiques  se  divisaient  de 
plus  en  plus.  Entre  la  Cour  et  les  Guises,  les  défiances  s'ac- 
cumulaient. Ceux-ci  agrandissaient  petit  à  petit  le  réseau 
de  leurs  places  fortes  :  le  duc  d'Annale  voulait  être  le  maître 
en  Picardie  et  mettait  la  main  sur  Doullens  ;  Henri  de  Guise 
s'emparait  d'Auxonne  et  bâtissait  une  citadelle  à  Vitry-le- 
François.  Malgré  les  défenses  du  roi,  il  mettait  le  siège 
devant  les  places  de  Sedan  et  de  Jametz  qui  appartenaient 
au  duc  de  Bouillon.  «  Toutes  les  villes  du  royaume  sont 
pratiquées  et  divisées,  écrivait  Villeroy  le  28  mars  1587.  Le 
peuple  est  mangé  de  tous  côtés  (2).  »  Henri  III  ne  pouvait 
ni  faire  la  paix  avec  les  protestants  à  cause  d'eux,  ni  con- 
tinuer la  guerre  pour  défendre  son  royaume,  sans  s'être 
concerté  de  nouveau  avec  eux.  Aussi  Villeroy,  d'accord 
avec  la  reine-mère,  conseilla-t-il  fermement  au  roi  de  con- 
férer avec  les  Guises  pour  «  composer  les  altercations  (3).  » 

Catherine  de  Médicis  se  rendit  à  Reims,  le  26  mai  1587, 
avec  Bellièvre,  Lansac,  Villequier  et  Pinart  et  y  resta  près 
d'un  mois  (4).  Elle  essaya  d'y  débrouiller  les  questions  épi- 
neuses qui  divisaient  les  catholiques  et  de  préparer  une 
entrevue  entre  le  roi  et  le  duc  de  Guise.  Malgré  l'optimisme 
officiel  des  lettres  de  la  Reine-Mère  qui  écrivait  à  son  fils  : 
«  la  raison  demeure  toujours  de  notre  côté  »  (5),  il  fallut 

(1)  Lettre  sans  indication  de  jour  d'octobre  1586,  Ibid.,  p.  67-68. 

(2)  Villeroy  à  de  Maisse,  28  mars  1587,  F.  Fr.  16093,  fo  150. 

(3)  Villeroy  à  de  Maisse,  11  avril  1587,  F.  Fr.  16.093,  f°  150. 

(4)  Voir  Lettres,  t.  IX,  p.  203  et  suiv.  (Voir,  entre  autres,  une  lettre 
au  roi  du  29  mai,  p.  211,  et  deux  lettres  à  Villeroy,  du  16  mai,  p.  203, 
et  du  11  juin,  p.  219). 

15)  Ibid.,  p.  211. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  101 

ou  bien  laisser  aux  Lorrains  quelques-unes  des  places  con- 
quises, ou  bien  les  donner  à  des  gouverneurs  qui,  sans  être 
de  la  Ligue,  n'étaient  pas  de  leurs  ennemis.  Ces  moyens 
termes  etces  concessions  étaient  humiliants  pour  la  royauté. 
Villeroy  était  écœuré.  «  Le  masque  de  la  religion  est  levé, 
écrivait-il  à  Matignon,  c'est  l'ambition  qui  nous  régente  et 
l'irrésolution  qui  nous  ruine  (1).  »  Et  cependant  il  conti- 
nuait à  faire  de  nécessité  vertu.  Il  cherchait  toujours  l'idéal 
rapprochement  avec  le  parti  catholique.  Il  conseillait  au 
roi  de  voir  le  duc,  et  travaillait  à  diminuer  la  jalousie  que 
certains  conseillers  entretenaient  dans  l'âme  d'Henri  III.  Il 
en  était  arrivé  à  considérer  que  cette  haine  fomentée  par 
d'Epernon  était  la  première  cause  du  mal.  Car,  a-t-il  écrit 
dans  les  Mémoires,  «  plus  le  roi  se  déclarait  jaloux  et  mal 
content  dndit  Duc,  plus  ledit  Duc  regardait  à  se  fortifier, 
tant  pour  se  faire  rechercher  et  rendre  plus  nécessaire,  que 
pour  mieux  résister  à  ses  ennemis  (2).  »  Villeroy  ne  se  fai- 
sait-il pas  illusion  ?  N'était-il  pas  trop  tard  pour  changer  le 
naturel  du  roi  et  du  duc  ?  S'il  avait  pu'connaître  la  corres- 
pondance qu'échangeaient  Henri  de  Guise  et  l'ambassadeur 
d'Espagne  Mendoza,  il  aurait  certainement  eu  moins  de 
confiance  en  l'avenir  :  les  lettres  de  Guise  ne  sont  que  d'a- 
mères  récriminations  sur  les  «  apparences  trop  évidentes 
des  mauvaises  intentions  du  roi»,  «les  négligences  trop 
suspectes  de  S.  M.  pour  fortifier  le  prince  de  Béarn  (3)  », 
et  «les  longueurs  et  dilacions  dont  jusqu'ici  le  Roi  a  usé 
«  pour  nous  amuser  (4)  » . 

Le  19  juin,  le  roi  Henri  III   partit  de   Paris   pour   aller 
touverla  reine-mère  à  Monceaux.  Il  emmenait  d'Epernon, 


(1)  Villeroy  à  Matignon,  24  mai  1587,  Lettres,  p.  180. 

(2)  Mém.,  p.  116. 

(3)  Guise   à  Mendoza,  25  juin  1  o S 7 ,  Arch.  nat.,Pap.  Sinianc.  K.  1565, 
fo  5. 

(4)  Ibid.y  4  juillet  1587,  fo  14.  Voir  aussi  les  lettres  de    Mendoza  à 
Philippe  II  de  la  même  année. 


-102  VILLEROY 

Villeroyetle  Chancelier.  Il  avait  demandé  à  deux  échevins 
de  la  municipalité  et  à  trois  magistrats  du  Parlement  de  le 
rejoindre.  Mais  le  duc  de  Guise  ne  répondit  pas  à  l'appel 
du  roi  qui  dut  rentrer  à  Paris  le  27  juin  (1).  La  reine-mère 
calma  de  nouveau  les  défiances  et  négocia  l'entrevue.  Le  2 
juillet,  Henri  III  retourna  à  Meaux,  fit  bon  visage  au  chef 
de  la  Ligue  qui  vint  le  trouver  le  lendemain  et  conféra 
longuement  avec  lui.  Le  duc  se  montra  aussi  exigeant  avec 
le  roi  qu'avec  la  reine-mère,  se  plaignit  des  difficultés  de 
toute  sorte  qu'on  avait  apportées  à  l'exécution  de  l'Édit, 
remit  en  question  de  nouveau  les  places  de  sûreté.  Villeroy 
défendit  de  son  mieux  les  places  de  Picardie  (2).  Puis  on 
aborda  l'essentiel.  Le  roi  essaya  vainement  d'obtenir  qu'on 
fît  la  paix  avec  le  roi  de  Navarre,  moyennant  quelques 
concessions,  pour  éviter  l'invasion  allemande.  Guise  exigea 
la  guerre  à  tout  prix.  11  n'y  avait  aucun  moyen  de  lui  ré- 
sister. Le  roi  plia.  La  guerre  fut  décidée.  Joyeuse  devait 
prendre  en  Poitou  le  commandement  des  troupes  contre 
le  roi  de  Navarre  ;  le  duc  de  Guise  devait  diriger  la  guerre 
en  Champagne  contre  les  Allemands  :  le  roi  se  réservait  le 
commandement  d'une  troisième  armée  sur  la  Loire  pour 
empêcher  le  passage  des  reîtres  au  cas  où  Guise  ne  par- 
viendrai! pas  à  les  arrêter. 

Dans  une  lettre  du  5  juillet  à  Matignon,  Villeroy  exprimait 
énergiquement  combien  il  ressentait  la  dureté  des  condi- 
tions d'une  telle  alliance.  «  Il  semble  que  le  roi  et  tous  ses 
serviteurs  endurent  toutes  les  nasardes  et  opprobres  du 
monde  sans  s'en  revancher  :  je  ne  pense  pas  que  cela  puisse 
durer...  Je  suis  bon  catholique  et  affectionné  à  ma  religion 


(1)  L'Estoile,  III.  p.  49. 

(2)  «  Nos  cartes  sont  plus  brouillées  que  jamais.  M.  de  Guise  fait 
instance  qu'on  laisse  aux  Picards  la  garde  de  la  ville  de  Dourlens... 
J'ai  dit  ii  ceux  qui  l'ont  prise  que  le  roi  ne  le  veut  pas  faire,  car  elle  a  été 
prise  sur  .les  serviteurs  bons  catholiques  et  sans  reproche.  »  (Villeroy 
à  Matignon,  14  juin). 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  103 

autant  qu'homme  de  ma  sorte,  mais  non  pour  supporter 
que  l'on  gourmande  le  roi  et  que  Ton  le  prive  d'autorité 
sous  prétexte  de  pitié.  Je  ne  sais  à  quoi  pensent  ces  princes 
de  Guise  ;  je  crois  qu'ils  sont  aveuglés,  que  Dieu  nous  veut 
punir  avec  eux  de  tous  nos  péchés  passés.  Votre  meunier 
en  crève  de  dépit.  » 

Villeroy  ne  perdait  pourtant  pas  tout  espoir  de  raffermir 
le  prestige  de  son  pauvre  prince  et  de  calmer  les  rancunes 
des  Guises.  Il  travailla,  avec  le  duc  de  Nevers,  «  à  avancerle 
partement  de  Paris  de  S.  M.  et  son  acheminement  en  sonar- 
mée  »  (1).  C'était  une  habile  tactique.  En  voyant  le  roi  à  la 
tête  de  ses  troupes,  les  ligueurs  perdraient  le  droit  de  se 
dire  trahis  par  Henri  III.  Le  duc  de  Guise  ne  pourrait  plus 
se  proclamer  l'unique  défeaseur  de  la  religion.  En  même 
temps,  aux  yeux  des  huguenots  qui  fondaient  certaines 
espérances  sur  l'attitude  équivoque  du  roi,  Henri  III  serait 
tout  à  fait  compromis. 

Villeroy  essayait  de  grouper  autour  du  roi  les  grands 
seigneurs  catholiques,  pour  renforcer  le  parti  catholique- 
royaliste.  11  chercha  à  attirer  le  plus  ondoyant  et  le  plus 
énigmalique  de  tous,  le  duc  de  Nevers,  dont  nul  ne  connais- 
sait la  pensée  intime.  Après  avoir  paru  se  donner  fougueu- 
sement à  la  Ligue,  il  avait  été  pris  de  scrupules  politiques 
et  religieux,  en  môme  temps  que  d'inquiétudes  sur  son  inté- 
rêt personnel.  En  1587,  il  avait  reçu  le  gouvernement  de 
la  Picardie  et  gardait  une  attitude  équivoque,  correspondant 
secrètement  avec  les  Gurses,  sans  rompre  avec  Henri  III. 
La  reine-mère  et  son  fils,  directement  ou  par  l'intermé- 
diaire de  Villeroy,  appliquèrent  tous  leurs  soins  à  le  retenir 
dans  l'obéissance,  en  calmant  sa  susceptibilité  qui  était  très 
vive,  car  il  se  plaignait  toujours  de  n'être  pas  assez  bien 
traité.  Pendant  les  années  1586  et  1587,  Villeroy  écrivit  au 
duc  d'éloquentes  lettrés  où  il  exposait  la  situation  politique 

(1)  Mêm.,  p.  113. 


104  VILLEROY 

avec  une  certaine  franchise,  flattait  et  promettait  avec 
beaucoup  de  tact.  «  Je  vous  supplie,  lui  écrivait-il,  le 
12  juillet,  de  vous  résoudre  à  demeurer  ce  que  vous  avez 
toujours  été  de  fait  et  de  réputation...  Nous  ne  pouvons 
éviter  notre  entière  ruine  que  si  nous  nous  réunissons 
avec  S.  M.  et  lui  aidons  à  se  maintenir  et  conserver  son 
autorité.  Vous  y  voyez  plus  clair  que  nul  autre  »  (1)... 
Il  lui  rappelait  sans  cesse  le  besoin  qu'avait  le  roi  de  bons 
serviteurs,  lui  promettait  de  le  servir  de  tout  son  pouvoir 
et  de  lui  faire  obtenir  tout  ce  qu'il  désirait  pour  sa  satisfac- 
tion particulière.  Le  duc  de  Nevers  était  très  sensible  aux 
bons  offices  de  Villeroy.  Le  ton  modéré,  raisonnable  et 
parfois  émouvant  des  lettres  du  ministre  dut  le  faire  réflé- 
chir. On  peut  attribuer  en  partie  aux  efforts  du  ministre 
le  succès  que  le  roi  remporta  dans  les  négociations  avec 
le  duc  qui,  tout  en  se  montrant  fort  réservé  à  l'égard  du 
roi,  ne  se  livra  pas  à  la  Ligue  (2). 

Un  des  plus  grands  obstacles  qui  s'opposaient  à  l'union 
des  seigneurs  catholiques  était  la  haine  qu'inspirait  d'Eper- 
non  par  son  avidité  insatiable,  son  humeur  altière  etla  bru- 
talité de  ses  manières.  Villeroy,  le  1er  d'octobre,  fut  la  vic- 
time de  ces  détestables  procédés,  au  moment  où  il  croyait 
que  des  relations  correctes  étaient  rétablies  pour  longtemps 
entre  le  favori  et  lui.  «  Un  malheur  ou  pour  mieux  dire  un 


(1)  Villeroy  à  Nevers,  12  juillet  1586,  F.  Fr.  3372,  f  24.  De  nom-, 
breuses  lettres  écrites  pendant  ces  deux  années  au  duc  de  Nevers  sont 
dispersées  dans  le  F.  Fr.  3372  et  3398.  Voir  la  lettre  du  13  février 
1587,  F.  Fr.   3398,  f*  57. 

(2)  Sur  cette  affaire  du  duc  de  Nevers,  voir  les  Mémoires  de  Nevers, 
les  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  VIII  et  t.  IX,  passim,  avec  l'in- 
troduction au  t.  VIII  par  Baguenault  de  Puchesse,  et  l'appendice  au 
t..  IX  (p.  472  et  suiv.),  qui  contient  des  Lettres  de  Nevers.  —  D'autres 
recueils  du  F.  Fr.  contiennent  des  Lettres  de  Villeroy  à  Nevers,  le 
n0  3364  contient  deux  longues  et  intéressantes  lettres  du  17  novembre 
et  du  18  décembre  1585  (fos  28  et37),  le  n°  3350  plusieurs  lettres  de 
l'année  1583,  le  n°  3336  une  lettre  du  5  octobre  1588  (f°  101). 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  105 

coup  de  tonnerre  m'est  tombé  sur  la  tète  qu'un  plus  habile 
homme  que  moi  n'eût  pu  éviter.  »  C'est  en  ces  termes  qu'il 
désignait,  le  lendemain,  dans  une  lettre  à  Bellièvre,  l'af- 
front qu'il  subit  à  Saint-Aignan,  en  plein  conseil  du  Roi  (1). 
Le  prétexte  fut  des  plus  futiles.  Henri  III,  qui  était  arrivé 
dans  cette  petite  ville,  entre  Orléans  et  Blois,  avec  son  ar- 
mée, y  tint  conseil  le  2  octobre,  avec  d'Epernon,  Biron, 
La  Guiche,  Retz,  d'O,  Brulart  et  Yilleroy.  On  avait  reçu 
un  paquet  de  Pinart  contenant  un  résultat  du  conseil  tenu 
à  Paris  par  Bellièvre  et  quelques  autres  qui  y  étaient  de- 
meurés. Villeroy  lut  un  rapport  sur  certains  deniers  qui 
restaient  à  toucher  de  la  vente  du  domaine  du  douaire  de 
Marie  Stuart,  en  Poitou,  que  l'on  conseillait  au  roi  de  don- 
ner au  Grand  Prévôt  pour  lui  permettre  de  conduire  ses 
archers  à  l'armée.  Yilleroy  accomplissait  le  plus  régulière- 
ment du  monde  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat  II  trans- 
mettait l'avis  détaillé  et  bien  expliqué  de  Bellièvre,  et  il 
apostillait  les  articles  pour  que  le  roi  puisse  en  ordonner. 
Henri  III  ayant  entendu  cette  proposition  la  trouva 
bonne. 

Alors  intervint  d'Epernon  qui  affirma  que  les  deniers 
avaient  été  donnés  à  son  frère  pour  les  frais  de  l'armée  qu'il 

(1)  Villeroy  à  Bellièvre,  2  octobre  1587,  F.  Fr.  15008,  f"  477.  Nous 
avons  suivi  le  récit  contenu  clans  cette  longue  lettre  qui  débute  ainsi  : 
«  Je  vous  écris  outré  de  douleur  autant  que  le  peut  être  un  homme  de 
bien.  »  Villeroy  a  résumé  l'incident  dans  ses  Mémoires.  L'Estoile  ra- 
conte ainsi  la  dispute:  «.  Au  commencement  du  mois  d'octobre,  le  duc 
d'Epernon,  en  la  présence  du  roi,  fit  un  rude  affront  ;'t  M.  1 1  «  -  Villeroy, 
secrétaire  d'Etat,  l'appelant  petit  coquin  en  le  menaçant  de  lui  donner 
cent  coups  d'éperon,  comme  à  un  clieval  rétif,  même  lui  reproebant 
certaine  intelligence  qu'il  disait  avoir  avec  la  Ligue  et  le  roi  d'Es- 
pagne, auquel  il  révélait  tous  les  secrets  du  roi,  sous  ombre  des 
(limiers  et  d'une  pension  de  doubles  pistoles  qu'il  en  tirait.  Ce  qu'on 
trouva  fort  étrange  et  encore  plus  de  ce  que  l'affront  lui  avait  été  fait 
en  présence  du  roi,  tellement  qu'on  eut  opinion  que  S.  M.  l'avait  fait 
faire,  et  que  san-  cela  d'Epernon  ne  l'eût  voulu  ni  osé  entreprendre.  >•> 
Le  bruit  dont  l'Estoile  s'est  fait  l'écho  diffère,  comme  on  le  voit,  de  la 
réalité,  telle  que  la  raconte  Villeroy. 


106  VILLEROY 

conduisait  en  Dauphiné  et  qu'on  ne  pouvait  les  lui  enlever 
sans  lui  l'aire  tort.  D'Epernon  s'adressait  au  roi.  Personne 
ne  soufflait  mot.  Le  due  se  tourna  vers  le  secrétaire  et  lui 
dit  qu'il  savait  bien  comment  cela  s'était  passé.  Yilleroy 
répondit  qu'il  ne  faisait  rien  sans  commandemenl  de  S.  M. 
D'Epernon,  déplus  en  plus  irrité,  éleva  la  voix,  et  lui  dit  en 
jurant  qu'il  avait  fait  et  faisait  tous  les  jours  plusieurs 
choses  sans  le  commandement  du  roi  et  qu'il  en  pourrait 
compter  plus  décent.  Henri  IHvoyanl  alors  Yilleroy  ému, 
prêt  à  répondre,  le  pria  de  se  taire.  Mais  d'Epernon  ne 
s'arrêta  pas  :  il  affirma  encore  plus  fort  qu'il  disait  vrai  et 
ajouta  que  Yilleroy  était  «  un  petit  galant  à  qui  il  fallait 
apprendre  à  parler  ».  Sur  cela,  le  roi  se  leva,  très  ennuyé, 
ei  rentra  dans  son  cabinet.  Cependant,  M.  delà  Guiche 
avait  abordé  d'Epernon, qui  était  rouge  de  colère,  et  essayai! 
de  le  calmer.  Le  favori  lui  répondit  que  sans  la  présence  et 
le  respec!  du  roi,  il  aurai!  donné  cenl  coups  d'épée  à  \  ille- 
roy.  Un  moment  après,  Henri  111  fit  appeler  d'Epernon  et 
Brulart.  Yilleroy  n'entendit  par  leur  conversation,  mais  il 
sut  dans  la  suite  que  le  roi  avait  admonesté  le  duc  el  l'avait 
prié  de  cesser  ses  attaques.  La  salle  du  Conseil  s'était  vidée. 
Villeroj  vitbientôl  arriver  d'Epernon  qui  lui  répéta  que 
sans  la  présence  du  roi  il  l'eût  traité  d'une  autre  façon. 
Yilleroy  garda  le  silence. 

Le  lendemain  malin,  le  roi  en\o\  ;i  chercher  son  ministre. 
lui  dit  combien  il  était  fâché  de  ce  qui  étail  arrivé  la  veille. 
mais  que  «  la  saison  ne  portail  pasqueses  serviteurs  fussent 
désunis  »,  qu'il  voulait  qu'il  oubliât  ce  qui  s'était  passé  et 
fît  sa  charge  comme  de  coutume.  Yilleroy  assura  S.  M.  de 
son  dévouement,  mais  la  supplia  de  lui  faire  justice  de  cette 
injure.  «  11  se  retirerai!  plutôt  au  bout  du  monde  si  le  roi 
voulait  lui  commander  d'oublier  ce  qui  s'était  passé.  »  Le 
roi  lui  ordonna  de  lui  obéir  en  l'assurant  qu'il  ne  souffri- 
rait jamais  qu'on  lui  fit  le  moindre  déplaisir,  el  en  le  priant 
de  ne   point   l'abandonner  au  plus  fort  des  affaires. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  107 

Yilleroy  dompta  son  r<-'-=enliment  et  dissimula  sa  peine. 
Il  eut  bientôt  la  consolation  de  voir  qu'il  avait  de  nombreux 
amis  à  la  Cour.  Plusieurs  gens  de  bien  lui  offrirent 
leur  assistance  et  cherchèrent  à  mettre  son  esprit  en  re- 
pos    .  Parmi  eux  étaient  X  ise,  Biron,  d'Aumont 

et  Retz.  D'Epernon  ne  tarda  pas  a  se  calmer.  La  jalousie 
que  lui  inspirait  la  faveur  de  Joyeuse  avait  i  ner- 

vosité.  Il  en  voulait  particulièrement  à  Villeroy  de  l'amitié 
qui  l'unissait  au  favori.  Après  la  mort  de  Joyeuse  l'altitude 
de  d'Epernon  changea.  Quand  on  connut  la  nouvelle  de  la 
mort  tragique  du  favori  à  la  bataille  d  d'Epernon 

accorda  spontanément  à  Villeroy  une  s<jrk-  de  réparation. 
Il  lui  tint  «  un  trè=  honnête  langage  sur  ce  qui  s'était 
audit  Saint-Aiirnan.  de  façon,  ajoute  Villeroy,  que  j'eus 
certainement  toute  occasion  d'en  demeurer  très  satisfait  --. 

Le  conflit  était  termina.  Villeroy  oublia  bientôt  ^e  coup 
de  bâton  '  1  -  »ngea  plu-  qu'aux  affaires  publi 

La  situation  était  inquiétante  le  danger  grand  et  prochain  : 

Quand  j'y  pense,  écrivait  Yilleroy  le  7  octobre,  les  che- 
veux me  dressent  en  la  tête  '  Pour  être  victorie 
serviteur- du  roi  devaient  être  unis.  Ce  fut  le  principal  - 
du  ministre  à  la  fin  de  l'année  l.~>v7.  i  .Mon  opinion,  disait-il, 
e>t  que  chacun  se  mette  à  la  raison  et  que  nous  appointions 
le-  querelles  qui  divisent  les  catholiques  >-l  que  nous  cher- 
chions nprés  les  moyens   de  composer  le-  générales 

Si  trois  ou  quatre  per-onnes  le  veulent,  nous  pouvons 
tout  l 

Il  semble  que,  d'accord  avec  la  reine-m>'re,  il  ait  eu 
un  moment  l'espoir  de  réconcilier  d'Epernon  et  les   Cui- 

(\  i  Villeroy  à  Bellièvre,  4  octobre  1      "  :-.  le  coup  de  bâton 

qui  m'a  été   donné  sur  les  oreilles  m'a  tellement  étourdi  que  je  :. 
plus  ce  que  je  fais  ni  dois  faire.  ->   F.  fr.  15908,  :'•  483. 
- 

(3)  Ibéd.j  10  léeembre  1587,  i°  529.  «  Si  chacun  voulait  ce  qu'il 
doit,  ce  serait  bientôt  fait;  sinon  Dieu  nous  punira.  L  a  peut- 

plus.   > 


108  VILLEROY 

ses.  Les  circonstances  paraissaient  favorables.  Des  deux 
grands  adversaires  du  favori,  l'un,  Joyeuse,  était  mort 
à  la  bataille  de  Coutras,  le  20  octobre,  l'autre  Villeroy  s'é- 
tait déclaré  satisfait  des  excuses  reçues  après  l'affront  de 
Saint-Aignan.  [Pendant  l'entrevue  de  Meaux,  Guise  et  d'E- 
pernon  s'étaient  embrassés  par  ordre  du  roi,  et  depuis  ce 
temps,  ils  paraissaient  coopérer  à  une  même  œuvre,  la  dé- 
fense de  la  religion  et  du  royaume.  Le  moment  n'était-il 
pas  propice  à  une  intervention  qui,  si  elle  ne  devait  dissiper 
entre  les  ennemis  toute  équivoque,  pourrait  du  moins  éta- 
blir entre  eux  un  «  modus  vivendi  »  analogue  à  celui  qui 
avait  existé  entre  Joyeuse  et  d'Epernon?  Nous  n'avons  con- 
servé aucune  trace  certaine  de  cette  action  de  Villeroy. 
Nous  avons  le  témoignage  précis  des  Mémoires  et  nous  sa- 
vons que  la  reine-mère  à  ce  moment  faisait  taire  sa  vieille 
rancune  contre  d'Epernon  pour  essayer  de  le  réconcilier 
tout  à  fait  avec  le  duc  de  Guise.  Mais  d'Epernon,  nous 
disent  les  Mémoires,  se  défiait  de  Villeroy  et  «  mettait  le 
roi  en  soupçon  »  à  son  égard.  Les  deux  ducs,  possédés  cha- 
cun du  démon  de  l'ambition,  étaient  irréconciliables.  Au- 
cune tentative  ne  pouvait  réussir  (1). 


IV 


Malgré  les  efforts  de  la  reine-mère  et  des  conseillers  du 
roi,  le  fossé  se  creusait  de  plus  en  plus  entre  le  roi  et  le 
duc  de  Guise.  Quand  on  partit  en  guerre,  après  les  entre- 
vues de  Meaux,  Henri  III  avait  espéré  que  son  orgueilleux 

(1)  Cette  tentative  est  restée  mystérieuse.  Voir  les  Mém.,  p.  115  et 
une  lettre  de  Mendoza  à  Philippe  il,  du  9  janvier  1588,  où  l'ambassa- 
deur parle  du  vain  essai  de  conciliation  entrepris  par  la  reine-mère, 
et  de  la  n  pi  ose  de  d'Epernon  (qu'il  voulait  jouir  seul  de  la  faveur  du 
roi,  laquelle  il  étail  sûr  de  perdre  du  jour  où  le  duc  de  Guise  viendrait 
en  Cour).  Pap.  Simone,  K.  15G7,f°  4. 


LE    SECRETAIRE    DE    HENRI    III  109 

rival  serait  battu  par  les  Allemands  et  profondement  hu- 
milié, tandis  que  le  duc  de  Joyeuse  pourrait  tenir  le  roi  de 
Navarre  en  échec  dans  l'ouest.  Le  contraire  advint.  Joyeuse 
attaqua  avec  une  folle  bravoure  l'armée  protestante  à  Cou- 
tras,  y  perdit  presque  toute  sa  noblesse  catholique  et  s'y 
fit  tuer  (20  octobre  1587).  Un  mois  après,  Guise  mettait  en 
déroute  les  Allemands  dans  les  glorieux  combats  de  Vi- 
mory  et  d'Auneau.  Le  duc  fut  exalté  partout  comme  le 
sauveur  du  royaume,  et  le  roi  rendu  furieux  contre  lui  par 
cette  louange  universelle. 

Ce  malheureux  Henri  III  devenait,  quoi  qu'il  fit,  de  plus 
en  plus  impopulaire.  La  Ligue,  «  refuge  des  mécontents  », 
avait  fait  d'immenses  progrès  pendant  Tannée  1587  parmi 
les  gentilshommes,  les  ecclésiastiques,  les  bourgeois,  les 
artisans  des  grandes  villes  et  même  chez  les  paysans.  Ceux 
de  Paris  correspondaient  régulièrement  avec  les  membres 
de  l'Union  des  grandes  villes.  Les  hommes  d'action  com- 
mençaient à  régenter  la  masse  catholique  ;  des  aspirations 
nouvelles  se  faisaient  jour  :  on  ne  demandait  plus  seule- 
ment l'extermination  des  hérétiques  mais  des  réformes 
financières  et  sociales.  Le  sens  de  la  discipline  disparaissait. 
Le  roi  était  traité  en  suspect.  Le  ton  des  prédicateurs  sédi- 
tieux s'exaspérait  chaque  jour  davantage.  Les  mesures 
prises  par  Henri  III  pour  lutter  contre  le  débordement  des 
passions  ligueuses  étaient  insuffisantes  ou  maladroites  : 
celaient  tantôt  des  réprimandes  aux  théologiens,  tantôt  le 
laisser-aller,  tantôt  des  exécutions  rapides,  comme  celles 
de  l'avocat  Le  Breton.  Mais  en  général,  leur  audace 
croissait  par  l'impunité. 

Le  roi  se  montrait  aussi  imprudent  dans  sa  conduite  à 
l'égard  des  princes.  Guise  avait  vaincu  ;  c'est  d'Epernon  qui 
fut  récompensé.  Le  duc  de  Guise  avait  demandé  l'amirauté 
de  France,  autrefois  possédée  par  Joyeuse,  pour  le  comte 
de  Brissac.  Cette  charge  fut  donnée  avec  le  gouvernement 
de  Normandie  à  d'Epernon.  Celui-ci  n'avait  jamais  éTé-prHS 


|10  VILLEROY 

puissant  ni  plus  impopulaire.  «  D'Épernon  est  seul  au 
monde,  écrit  l'envoyé  florentin,  le  4  janvier  1588  ;  il  jouit, 
gouverne  et  domine  (1).  »  Toute  la  Ligue  l'accusait  ouver- 
tement d'avoir  trahi  les  intérêts  de  la  foi  en  accordant  aux 
reitres  une  capitulation  honorable,  et  d'être,  dans  toutes 
ses  actions,  de  connivence  avec  le  Béarnais.  Et  lui  s'accro- 
chait au  pouvoir  et  se  montrait  plus  insolent  que  jamais. 
Nous  ne  pouvons  suivre  au  jour  le  jour  l'aclion  qu'exerça 
Villeroy  au  Conseil  à  la  fin  de  cette  année  1587  et  au  début 
de  1588.  Les  documents  sont  assez  rares.  On  peut  affirmer 
cependant  qu'il  donna  des  conseils  d'énergie  à  l'égard  de 
la  Ligue  populaire  dont  les  excès  le  révoltaient.  Il  blâma 
l'élévation  de  d'Épernon  qui  faisait  croître  les  «  défiances 
et  inimitiés  (2)  »,  mais  il  est  peu  probable  qu'il  ait  osé  s'y 
opposer  ouvertement.  En  tous  cas,  il  continua,  comme  par 
le  passé,  à  essayer  de  calmer  la  haine  du  roi  à  l'égard  du 
duc  de  Guise.  La  vieille  reine-mère  prêchait  toujours  la 
conciliation  ;  mais  elle  voyait  bien  qu'elle  était  moins  écou- 
tée, et  elle  le  reconnaissait  tristement  dans  une  curieuse 
lettre  où  elle  priait  Villeroy  de  démontrer  au  roi  qu'il  fallait 
être  indulgent  et  fermer  les  yeux  sur  une  nouvelle  incar- 
tade des  Lorrains  (3).  «  Monsieur  de  Villeroy,  je  n'ai  voulu 
rien  mander  de  ceci  au  Roi,  mais  }e  vous  ai  voulu  écrire  ; 
ou  quelquefois  le  Roi  ne  prend  pas  comme  est  mon  inten- 
tion et  pense  que  je  le  fasse  pour  vouloir  toute  chose  pal- 
lier ou  pour  les  aimer,  ou  pour  être  trop  bonne,  qui  est  au- 


(1)  Desjardins,  t.  IV,  p.  712.  «  Epernon  è  solo  al  mondo  ;  gode  go- 
verna  e  domina  ;  e  se  continua  in  la  grandezza,  e  miracolo.  » 

(2)  Mém.,  p.  116. 

(3)  Le  duc  de  Lorraine  n'avait  pu,  comme  il  l'avait  offert,  porter  se- 
cours à  Henri  111. 11  se  mit  en  campagne  en  novembre  1587  et  rejoignit 
le  duc  de  Guise  sans  avoir  fait  prêter  sonnent  au  roi  par  ses  troupes. 
La  reine-mère  explique  a  Villeroy  qu'on  ne  doit  pas  par  trop  de  rigueur 
s'exposera  perdre  un  ami  qui  nous  a  rendu  de  réels  services  en  luttant 
contre  les  Suisses  et  les  alliés  des  huguenots  {Lettres,  12  novembre 
1587,  t.  IX,  p.  279). 


LE    SECRÉTAIRE   DE    HENRI    III  111 

tant  à  dire  que  j'aime  quelque  chose  plus  que  lui  qui  m'est 
très  cher  à  jamais  ou  que  je  sois  une  pauvre  créature  que 
la  bonté  mène  et  aussi  que  j'ai  peur  de  l'ennuyer.  » 

Villeroy  aussi  parlait  inutilement.  Il  n'y  avait  rien  au 
monded'assez  puissant  pour  arracher  aucœurd'Henri  III  sa 
haine  des  Guises  et  son  désir  de  vengeance.  Les  conseils  de 
ceux  que  Villeroy  appelait  les  «  gens  sages  »  étaient  donc 
hors  de  saison.  Ceux-ci  étaient  d'autant  plus  réduits  à  l'im- 
puissance qu'ils  étaient  obligés  de  se  maintenir  sur  le  terrain 
équivoque  où  reposait  leur  sagesse  depuis  le  début  de  la 
Ligue.  Il  leur  fallait  blâmer  les  actes  de  ceux  avec  qui  ils 
préconisaient  une  bonne  entente  !  Au  début  de  1588,  le  duc 
d'Aumale  renouvelait  ses  entreprises  sur  les  places  de  Pi- 
cardie. Villeroy  était  violemment  irrité,  il  dit  un  jour  à 
Morosini  :  «  Il  y  a  deux  moyens  d'apaiser  ces  troubles  :  la 
raison  ou  la  force...  La  force  reste  seule  au  roi  pour  con- 
server son  royaume  et  son  honneur...  Que  doit  faire  le  roi, 
car  il  ne  peut  se  voir  enlever  le  royaume  et  rester  les  mains 
dans  ses  poches  (1)  ?  » 

Les  «  deffiances  et  inimitiés  »  finirent  par  amener  le  duc 
de  Guise  à  commettre  un  acte  très  grave  de  désobéissance  ; 
il  entra  dans  Paris  malgré  les  ordres  du  roi  ;  la  population 
de  la  capitale  se  souleva  contre  Henri  III  et  le  força  à  fuir, 
au  lendemain  d'une  journée  de  «  barricades  ». 

La  reine-mère  avait  essayé,  selon  sa  méthode  habituelle, 
de  détourner  l'orage  par  des  négociations.  Le  duc  d'Au- 
male  avait  envoyé  des  troupes  en  Picardie,  bien  que  le  roi 
eût  donné  cette  province  à  Nevers,  et  s'emparait  des  villes 
une  à  une,  prêt  à  mettre  les  ports  à  la  disposition  de  l'ar- 
mada espagnole  qui  se  préparait  contre  l'Angleterre.  A 
Paris,  les  ligueurs  étaient  de  plus  en  plus  insolents  et 
audacieux  :  il  se  réunissaient  secrètement  et  conspiraient 
pour  introduire  dans  la  ville  des  troupes  guisardes  pour  les 

(1)   L'Epinois,  La  Ligue  et  les  Papes. 


112  VILLEROY 

défendre.  Bellièvre  fut  envoyé  à  Soissons  auprès  des  princes 
lorrains  à  la  fin  de  mars.  Son  habileté,  sa  modération, 
l'estime  qu'il  inspirait  dans  tous  les  partis  (il  n'avait  aucun 
ennemi)  ne  servirent  à  rien.  Le  duc  d'Aumale  fut  intrai- 
table. Il  ne  voulut  même  pas  admettre  que  l'on  discutât 
la  question  des  places  picardes.  Les  négociations  se  pro- 
longèrent tout  le  mois  d'avril  et  n'avancèrent  pas  (1).  Pen- 
dant ce  temps,  l'effervescence  augmentait  dans  Paris. 
Henri  III  fut  avisé  le  24  avril  d'une  entreprise  qui  devait 
s'exécuter  le  jour  de  la  Saint-Marc.  Il  renforça  les  gardes 
du  Louvre  et  logea  au  faubourg  Saint-Denis  les  4000  Suisses 
qui  étaient  à  Lagny.  Les  ligueurs  sollicitaient  le  duc  de 
Guise  de  les  sauver  et  le  sommaient  même  d'entrer  dans 
Paris,  s'il  ne  voulait  pas  perdre  ses  partisans.  Le  roi  en- 
voya au  duc  par  Bellièvre  l'ordre  de  rester  loin  de  la  ville. 
Bellièvre,  le  5  mai,  ne  rapporta  à  Henri  III  que  ré- 
ponses ambiguës  et  paroles  de  mécontentement.  Le  roi 
lui  enjoignit  de  nouveau  de  ne  pas  se  présenter  à  Paris, 
s'il  ne  voulait  pas  être  tenu  pour  responsable  des  «  émo- 
tions »  quipourraientnaître.  Leduc  hésita,  puis  passa  outre  ; 
le  8  mai  il  monta  à  cheval  avec  quelques  gentilshommes  et 
le  9,  à  une  heure  de  l'après-midi,  franchit  la  porte  Saint- 
Denis. 

On  sait  ce  qui  advint.  Il  se  présenta  chez  la  reine-mère 
qui  le  conduisit  chez  le  roi,  où  il  tenta  de  s'excuser.  Cepen- 
dant les  ligueurs  affluaient  à  Paris.  Des  soldats  pénétraient 
par  toutes  les  portes.  Presque  toute  la  ville  était  complice. 

[\)  Voir  les  lettres  de  Catherine  du  5  mars  et  des  jours  suivants,  t. 
IX,  p.  330  et  suiv.  Voiries  dépêches  des  ambassadeurs  étrangers,  de 
<;.  Mocenigo  à  la  Seigneurie,  H  mars  1588  et  jours  suivants,  F.  Ital., 
1737,  f°  3  et  suiv.,  les  dépêches  de  Mendoza  à  Philippe  II,  dans  les 
Pap.  Simone.  K.  1568,  et  entre  autres  une  Relaçion  de  lo  Subredido 
en  Paris  desde  los  que  hasta  13  de  mayo  1588,  p.  31.  et  une  lettre  de 
Guise  à  Mendoça,  du  9  mars  (p.  15),  où  il  parle  de  Bellièvre  et  de  la 
Guiche,  qui  sont  venus  «  avec  un  monde  d'offres  extraordinaires  qui 
donnenl  plus  do  lumières  à  leurs  artifices,  lesquels  je  compare  à  la 
tenta l/on  que  le  diable  fit  à  Notre  Seigneur  sur  la  montagne  ». 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  1  L5 

Henri  III,  pour  surveiller  ses  adversaires,  se  résolut  alors 
à  faire  entrer  dans  la  capitale,  contrairement  à  ses  privilè- 
ges, les  Suisses  et  les  gardes-françaises.  Les  Parisiens  re- 
doutèrent une  Saint-Barthélémy  de  catholiques.  Dans  la 
journée  du  1*2  mai,  ils  dressèrent  des  barricades,  bloquèrent 
les  troupes  françaises  et  suisses.  Mais  par  l'intervention  du 
duc  de  Guise,  des  massacres  furent  évités.  Les  soldats 
battirent  en  retraite.  Le  roi  les  concentra  autour  du  Louvre. 
Comme  la  population  commençait  à  élever  les  barricades 
vers  Saint-Germain-l'Auxerrois  et  se  préparait  à  investir 
le  château,  Henri  III  sortit  par  les  Tuileries  et  la  Porte- 
Neuve  et  s'éloigna  de  sa  capitale  (13  mai)  (1). 

Pendant  les  événements  de  mai,  Villeroy  était  resté 
dans  la  coulisse.  Le  principal  intermédiaire  entre  la  Cour 
'et  les  Guises  avait  été  Bellièvre  qui  avait  négocié  à  Soissons 
et  qui  assista  à  Paris  la  reine-mère,  dans  ses  entrevues  avec 
le  duc.  Il  parait  même  que  sa  vie  aurait  été  en  danger  pen- 
dant l'émeute  (2).  Villeroy  resta  auprès  du  roi.  Il  désap- 
prouva l'emploi  de  la  force,  ne  fut  pas  d'avis  qu'on  fît  entrer 
dans  Paris  les  Suisses  et  les  gardes-françaises.  «  Certaine- 
ment, dit-il  dans  les  Mémoires,  j'appréhendais  fort  le  danger 
qu'il  y  avait  d"y  remédier  par  la  force,  étant  les  choses  si  pré- 
parées et  avancées  qu'elles  étaient  à  une  soulévation,  mais 
la  facilité  de  l'exécuter  que  l'on  en  promit  au  roi  l'y  embar- 
qua ;  toutefois  il  me  fit  cet  honneur  que  de  me  dire  le  matin 
que  les  dites  forces  entrèrent  en  la  ville  qu'il  eût  désiré 
être  à  l'ordonner,  ayant  la  nuit  pesé  et  appréhendé  le  mal 
qui  en  pouvait  arriver  (3).  »  Les  conseils  de  résistance 
furent  donnés  par  Villequier,  son  gendre  François  d'O,  gou- 
verneur de  Paris,  détesté  des  Parisiens  et  Alphonse  Corse, 


(1)  Voir  Zeller,  Le  Mouvement  guisard  en  158S.  Catherine  de  Mé- 
dias et  la  journée  des  Barricades.   Rev.  Iiist.,t.  XLI,  novembre  1881). 

(i)  «  Amplification  des    particularités    qui    se    passèrent    à  Paris, 
lorsque  le  roi  en  sortit.  »  Mém.  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  315  et  suiv, 

(3)   Mém.,  p.  116. 

Villeroy.  8 


114  VILLEROY 

le  dévoué  serviteur  qui  avait  proposé  à  Henri  III  de  lui 
porter  la  tête  de  son  ennemi.  Le  13  mai,  Villeroy  partit 
précipitamment  de  Paris  avec  son  maître.  Il  était  de  la 
petite  suite  de  fidèles  et  de  conseillers  qui,  à  cheval  ou  en 
coche,  prirent  le  chemin  de  Saint-Cloud,  allèrent  coucher 
à  Rambouillet,  et  s'installèrent  le  lendemain  à  Chartres 
avec  un  roi  qui  avait  perdu  sa  capitale  (1). 

(1)  D'après  l'envoyé  toscan,  le  roi  sortit  avec  trois  personnes  encoche, 
commandant  à  ses  gardes  de  le  suivre,  et  chemina  le  soir  dix  grandes 
lieues.  Ces  trois  personnes  étaient  Villeroy,  Bellièvre  et  le  Grand  Prieur 
de  France,  bâtard  de  Charles  IX. 


CHAPITRE  III 


La  réconciliation  du  roi  et  des  Guises.  Les  négociations  de 
Villeroy  à  Paris.  L'Edit  d'Union  (21  juillet  1588).  Les  affaires 
d'Orléans.  —  IL  Villeroy  contre  d'Epernon.  L'affaire  d'Angou- 
lème.  —  III.  La  disgrâce  de  Villeroy  (8  septembre  1588).  —  IV. 
Après  la  disgrâce.  Ses  tentatives  pour  rester  neutre,  sous  la 
protection  royale.  Sa  retraite  à  Paris  auprès  de  Mayenne,  chef 
de  la  Liççue. 

(Mai   1588-Aoùt  1589) 


Qu'allait  faire  le  roi  chassé  de  sa  capitale  par  l'insurrec- 
tion? Maintenant  qu'il  avait  mis  sa  personne  en  sûreté, 
pouvait-il  essayer  de  reprendre  par  la  force  cette  ville 
que,  dans  sa  fuite  le  long  du  chemin  de  Saint-Cloud,  il  avait 
maudite  comme  une  maîtresse  perfide  ? 

«  J'entrepris  des  premiers,  nous  dit  Villeroy,  de  remontrer 
à  S.  M.  les  maux  et  accidents  que  celte  guerre  engendrerait 
et  de  lui  donner  conseil  de  penser  à  y  remédier  plutôt  par 
la  douceur  que  par  la  force,  lui  cottant  par  le  menu  les 
raisons  qui  fortifiaient  telle  opinion,  que  S.  M.  savait  et  en- 
tendait encore  mieux  que  nul  autre  de  ses  serviteurs  (1).  » 
La  douceur  était  donc,  pour  Villeroy ,  imposée  parles  circons- 

(1)  Mém.,p.  116. 


116  V1LLER0Y 

tances.  Quel  autre  procédé  pouvait-il  conseiller  ?  La  force, 
c'était  Navarre,  l'ennemi  huguenot,  ou  d'Epernon,  le  dan- 
gereux ami,  soupçonné  de  complicité  avec  les  protestants, 
peu  sûr,  et  profondément  détesté  des  plus  fidèles  serviteurs 
du  roi  qui  menaçaient  de  quitter  la  Cour  si  le  favori  y  ren- 
trait.  Il  fallait  donc  maintenir  l'alliance  avec  Guise  et  pour 
cela  lui  pardonner.  De  Thou  a  parfaitement  caractérisé 
l'attitude  du  ministre.  «  Il  étaitpersuadé,  dit-il,  que  quelque 
risque  que  pût  courir  l'autorité  du  roi,  il  n'y  avait  rien  que 
ce  prince  ne  dût  faire  et  endurer  pour  avoir  la  paix  avec  la 
Ligue  et  pour  entretenir  la  concorde  et  l'union  entre  les 
catholiques.  C'est  sur  ce  principe  qu'il  réglait  toutes  les 
affaires  qui  lui  passaient  par  les  mains  (1).  » 

Après  les  Barricades,  le  roi  proclama  dans  des  circulaires 
aux  gouverneurs  des  villes  la  loyauté  de  sa  conduite  en  un 
langage  que  beaucoup  jugèrent  trop  modéré.  Pendant  ce 
temps,  Guise  agissait  en  vrai  roi  de  Paris.  Il  avait  fait  occu- 
per la  Bastille,  l'Arsenal  et  Vincennes.  Le  18  mai,  une  mu- 
nicipalité ligueuse  fut  élue.  Le  prévôt  et  les  échevins  en- 
trèrent en  correspondance  avec  les  communautés  catho- 
liques des  principales  villes,  blâmant,  louant,  conseillant, 
essayant  de  régenter  au  nom  du  bien  public.  Guise  était 
adoré  par  le  peuple.  Mais  cet  homme  prudent,  qui  ne  per- 
dait jamais  son  sang-froid,  gardait  un  ton  respectueux  en- 
vers le  roi  et  cherchait  à  paraître  demeurer  dans  la  légalité. 
Il  prétendait  dominer  Henri  III,  mais  ne  voulait  point  agir 
contre  lui  ou  sans  lui.  La  reine-mère  était  restée  à  Paris, 
sans  cesser  un  seul  instant  de  travailler  à  la  réconciliation 
du  roi  et  du  duc.  Le  15  mai,  elle  écrivait  à  Villeroy  :  «  J'es- 
père que  Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  faire  un  bon  service  au 
roi,  puisqu'il  lui  plaît  que  je  lui  serve  en  ceci,  vu  qu'il  y 
.veut  accommoder  les  affaires  par  les  voies  douces,  chose 


(1)  De  Thou,  X,p.  319. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  417 

accoutumée  eh  tels  agréments  et  que  les  plus  grands  rois 
et  les  plus  sages  ont  fait  (1).  » 

La  reine-môre  chercha  d'abord  à  faire  déclarer  par  les 
Guises  quels  étaient  leurs  griefs  précis  et  ce  qu'ils  exi- 
geaient, et  à  obtenir  l'envoi  de  deux  députations  à  Chartres, 
Tune  composée  de  représentants  de  Paris  qui  feraient  au 
roi  leur  soumission  et  désavoueraient  les  mesures  révolu- 
tionnaires, l'autre  qui  présenterait  les  requêtes  des  princes 
et  attendrait  le  bon  vouloir  de  S.  M. 

Les  négociations  allèrent  lentement.  Les  Guises  étaient 
très  exigeants:  le  duc  voulait  la  lieutenance  générale  du 
royaume,  la  première  place  dans  l'Etat  après  le  roi,  et  la 
convocation  des  États-Généraux  :  la  Reine  mère  se  montrait 
très  réservée  sur  le  premier  point,  et  adhérait  volontiers 
'  à  la  seconde  des  demandes,  espérant  qu'on  pourrait  faire 
des  élections  favorables  au  roi.  De  plus,  tout  en  protes- 
tant de  leur  soumission  au  roi,  ils  ne  consentaient  pas 
à  reconnaître  qu'ils  s'étaient  mal  conduits.  Ils  voulurent 
déléguer  auprès  du  roi  un  de  leurs  amis  fidèles,  Maine- 
ville,  pour  lui  présenter  leurs  demandes.  Catherine  avait 
trouvé  comme  allié  à  Paris  un  excellent  homme,  le 
nonce  Morosini,  qui  prêchait  à  tous  la  paix  et  s'opposait 
aux  intransigeances  des  Ligueurs  exaltés  comme  d'Épinac 
et  aux  prétentions  de  l'ambassadeur  d'Espagne.  D'un  autre 
côté,  les  Parisiens  faisaient  tous  leurs  efforts  pour  ramener 
leur  roi  :  le  Parlement,  la  Cour  des  Aides,  le  clergé  en- 
voyaient à  Chartres  des  délégations.  La  municipalité  elle- 
même,  n'osant  se  présenter  devant  Henri  III,  lui  écrivait, 
protestant  de  sa  fidélité  et  lui  posant  en  même  temps  ses 
conditions. 

(1)  Lettres,  t.  IX,  p.  339.  Sur  le  rôle  de  Catherine  à  Paris  après  les 
Barricades,  voir  Baguenault  de  Puchesse,  Les  Négociations  de  Cathe- 
rine de  Médicis  à  Paris  après  la  journée  des  Barricades,  Séances  et 
Trav.  del'Acad.  des  Se.  raor.  et  pol.  Nouv.  série,  1903,  t.  LIX,  p.  697. 
Voir  surtout  un  certain  nombre  de  lettres  d'elle  dans  le  t.  IX,  pp. 
339-368. 


118  VILLEROY 

Supplié  par  ses  sujets,  sollicité  par  sa  mère,  invité  par 
les  Guises,  conseillé  parBellièvre  et  par  Villcroy  qui  voulait 
«  étouffer  ce  feu  avant  qu'il  soit  flambé  davantage  (1)  »,  le 
roi,  de  nature  débonnaire,  promit  d'oublier  et  accepta  de 
négocier,  à  la  fin  de  mai.  Il  envoya  à  Paris,  le  28  de  ce 
mois,  son  premier  médecin  MarcMiron,  en  qui  il  avait  une 
grande  confiance  depuis  qu'il  l'avait  attaché  à  son  service, 
étant  encore  duc  d'Anjou,  et  qu'il  aimait  à  consulter  parfois 
dons  les  affaires  de  l'État.  Il  avait  voulu  d'abord  y  envoyer 
Villeroy,  mais  celui-ci  s'était  excusé.  Le  ministre  agis- 
sait, nous  dit-il,  par  prudence.  Il  se  rappelait  la  jalousie 
de  d'Epernon  et  ne  tenait  pas  à  ce  que  le  favori  s'en  prît 
à  lui  de  tout  ce  qui  serait  Conclu  à  son  désavantage.  Juste- 
ment, d'Epernon  venait  de  rendre  visite  à  Henri  III  à 
Chartres.  Sans  attaquer  directement  Villeroy  (il  l'assura 
même  de  son  amitié),  il  avait  blâmé  tout  haut  ceux  qui 
Conseillaient  la  paix  et  poussé  le  roi  aux  résolutions  éner- 
giques :  ce  voyage  avait  produit  une  telle  impression  à  la 
Cour  qui  le  détestait  et  aux  Parisiens  qui  craignaient  ses 
conseils  d'hostilité,  que  le  roi  avait  dû  le  renvoyer  bien 
vite  dans  son  gouvernement  de  Normandie,  en  lui  accor- 
dant  tout  ce  qu'il  lui  demandait. 

Miron  fit  à  Paris  deux  voyages  et  n'en  rapporta  rien  qui 
satisfit  le  roi:  on  ne  pouvait  tirer  des  Guises  que  des  «  pa- 
roles générales  qui  tenaient  S.  M.  en  grand  suspens  et  in- 
certitude entre  la  guerre  et  la  paix  »  (2).  Catherine  écrivait 
à  Bellièvre  :  «  Ils  se  moquent  de  ce  qu 'apporte  le  médecin 
et  disent  que  c'est  ce  que  vous  et  moi  leur  avons  offert  à 
Epernay  et  à  Reims  (3).  »   Or,  depuis  que  le  roi  s'était  dé- 


(1)  .l/em.,p    1 1G. 

(2)  Mém.,  p.  116-117.  Voir  aussi  \a.lettreà  Du  Voir. 

(3)  Catherine  à  Bellièvre,  12  juin  1588,  t.  IX,  p.  368.  Elle  ajoutait  en 
parlant  ilu  roi  :  «  Je  sais  bien  que,  ayant  le  cœur  qu'il  a,  que  c'est  une 
dure  médecine  à  avaler,  mais  il  est  encore  plus  dur  de  se  perdre  de 
toute  l'autorité  et  obéissance.  >> 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  119 

cidé  à  la  paix,  il  voulait  la  conclure  le  plus  rapidement  pos- 
sible. Les  mauvaises  nouvelles  qu'il  recevait  le  rendaient 
impatient  d'en  finir.  Château-Thierry  et  Meaux  étaient 
tombés  aux  mains  des  Guises.  Quelques  places  de  l'Ile-de- 
France  étaient  menacées.  L'ambassadeur  d'Espagne,  reçu 
en  audience  le  2  juin  par  Catherine,  avait  parlé  d'un  ton  si 
menaçant  que  la  reine,  fort  impressionnée,  écrivait  le  même 
jour  à  Villeroy:  «  Je  vous  assure  que  c'est  un  mauvais 
homme  (1).  »  La  négociation  s'annonçait  donc  comme 
devant  être  très  difieile.  Il  fallait  un  ministre  de  plus  d'au- 
torité et  d'expérience  politique  que  le  médecin  Miron,  qui 
à  ce  moment,  nous  apprend  une  lettre  de  Catherine  (2), 
était  si  enroué  qu'on  ne  l'entendait  quasi  point  parler. 

Le  jour  de  la  Pentecôte,  Villeroy  venait  de  la  communion, 
à  Vernon,  où  la  Cour  s'était  transportée  et  le  roi  y  allait. 
Henri  III  appela  son  ministre,  et,  en  présence  de  Miron 
qui  était  revenu  le  matin  même  de  Paris  sans  apporter  de 
réponse  satisfaisante,  lui  commanda  de  prendre  en  main 
la  négociation.  Il  lui  fit  écrire  sur  le  champ  une  instruc- 
tion qu'il  lui  dicta,  lui  donnant  pouvoir  d'offrir  et  d'accor- 
der en  son  nom  au  duc  de  Guise,  entre  autres  choses,  la 
charge  de  lieutenant-général  de  son  royaume.  Il  avait 
appris  en  effet  par  sa  mère  et  par  Miron  qu'il  était  néces- 
saire de  faire  cette  concession  si  l'on  voulait  avoir  une  paix 
sérieuse.  Villeroy  partit  le  matin  même  et  arriva  à  Paris  le 
lendemain,  accompagné,  sur  sa  demande  expresse,  du  mé- 
decin (3). 

Pendant  la  route,  il  réfléchit  beaucoup  à  la  tactique 
qu'il  allait  employer.  Il  résolut  de  «  n'étaler  d'abordée  » 
sa  marchandise,   et  de  se  contenter  de  «  reconnaître  le 


(1)  Catherine  à  Villeroy,  2  juin  1588,  Ibid.,  p.  3G9. 

(2)  Catherine  au  roi.  2  juin  1588.  Ibid.,  p.  365. 

(3)  Mém.,  p.   117.   Les  circonstances  dans  lesquelles  la  mission  fut 
confiée  à  Villeroy  sont  un  peu  plus  détaillées  dans  la  Lettre  à  du  Vair. 


120  VILLEROY 

cours  du  marché  (1)  »,  c'est-à-dire  de  ne  pas  découvrir  les 
intenlions  de  son  maître  avant  de  savoir  parfaitement  celles 
des  Guises  et  de  ne  céder  que  progressivement  devant 
leurs  exigences.  Il  se  présenta  donc  tout  d'abord  aux 
princes  comme  envoyé  par  le  roi  sans  charge  ni  pouvoir 
quelconque,  mais  seulement  pour  savoir  s'ils  voulaient  la 
paix  ou  la  guerre,  et  s'ils  désiraient  la  paix,  ce  qu'ils  de- 
manderaient pour  cet  effet.  Dans  cette  première  entrevue, 
qui  eut  lieu  le  5  ou  le  6  juin,  le  duc  se  montra  très  froid, 
très  réservé  et  ne  put  répondre  franchement  à  Villeroy  qui 
lui  demandait  s'il  accepterait  d'aller  commander  en 
(  ruyenne.  Villeroy  avait  eu  grand  soin  de  ne  pas  proposer 
la  lieutenance  générale  du  royaume.  Il  eut  lieu  de  se  féli- 
citer de  sa  prudence,  car  il  apprit  que  la  reine-mère  avait 
su,  par  l'intermédiaire  de  Schomberg,  que  le  duc  était  dis- 
posé à  se  contenter  d'un  pouvoir  général  sur  les  armées 
du  royaume  qu'on  ajouterait  à  son  état  de  grand-maître 
de  France.  Aussi  garda-t-il  ce  secret,  et  le  duc  ne  sut 
jamais  rien  de  la  charge  que  le  roi  lui  avait  donnée.  Il  finit 
par  obtenir  des  princes  la  liste  de  leurs  demandes  qui  fut 
envoyée  au  roi  pour  être  soumise  au  conseil  (2), 

Tout  en  traitant  avec  les  Guises,  Villeroy  poursuivait 
une  autre  négociation  qui  se  rattache  étroitement  à  la  pre- 
mière, et  dont  l'insuccès  devait  être  une  des  causes  de  sa 
disgrâce.  Le  récit  doit  en  être  placé  entre  le  premier  et  le 
second  voyage  du  ministre  à  Paris.  C'est  un  épisode  cu- 
rieux et  peu  connu  de  l'histoire  de  la  Ligue  en  province  (3). 


(1  )  Lettre  à  du  Vain. 

(2)  Voir,  outre  les  Mémoires  et  la  Lettre  à  du  Voir,  des  détails  sur 
les  allées  et  venues  et  les  impressions  de  la  cour  et  du  public  dans  les 
dépêches  des  ambassadeurs  étrangers,  vénitiens  (F.  Ital.,  1737,  f"  81 
et  suiv.),  espagnols  \Pap.  Simanc.  K.  1568,  1"  53  et  suiv.),  toscans, 
t.  IV,  p.  771    et  suiv. 

(3)  Les  Mémoires  contiennent  un  récit  très  détaillé  de  toute  cette 
affaire  (p.  118-122).  Voir  aussi  un  passage  très  bref  dans  la  Lettre  à 
du  Vair. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  121 

La  ville  d'Orléans  était  disputée  depuis  le  commence- 
ment de  la  Ligue  entre  les  Guises  et  le  roi.  Entre  les  deux 
partis  manœuvrait  la  famille  des  d'Entragues,  réputée 
pour  affiliée  à  la  Sainte  Union  (1),  mais  sans  autre  principe 
que  l'intérêt  personnel  et  toute  prête  à  se  déclarer  pour  le 
parti  qui  lui  garantirait  la  possession  d'Orléans.  François 
de  Balzac  d'Entraigues,  aidé  de  son  frère  le  sieur  de  Dunes, 
dit  Antraguet,  «  le  coq  de  la  Ligue  »  (2),  essaya,  au  début 
de  l'année  1588,  d'obtenir  du  roi  le  gouvernement  de  la 
ville  dont  il  n'avait  que  lalieutenance.  Par  l'intermédiaire 
d'un  sieur  de  Chemerault,  Yilleroy  s'aboucha  avec  Dunes 
qui  promit  de  rallier  son  frère  et  la  ville  d'Orléans  à  la 
cause  royale,  à  deux  conditions:  on  lui  ferait  raison  de  l'af- 
front infligé  à  son  fils,  Charles  do  Marcoussis,  par  le  duc 
xl'Epernon  à  Nevers,  l'année  précédente  et  on  lui  donnerait 
en  chef  le  gouvernement  de  la  ville  possédé  par  le  Chan- 
celier avec  qui  les  d'Entragues  ne  pouvaient  s'entendre. 

Le  roi  prit  en  très  bonne  part  ce  que  lui  dit  Yilleroy.  Les 
deux  conditions  étaient  assez  délicates  à  remplir,  mais  on 
espéra  qu'avec  de  l'argent  on  calmerait  l'irritation  des 
d'Entragues  à  l'égard  du  favori,  sans  obliger  ce  dernier  à 
faire  des  excuses,  et  que  Cheverny,  déjà  comblé  de  bien- 
faits par  le  roi,  voudrait  bien  transiger  avec  lui  au  sujet 
d'un  de  ses  gouvernements. 

Après  les  Barricades,  le  roi  et  son  ministre  comprirent 
la  nécessité  de  s'assurer  d'une  ville  qui  était  une  excellente 
retraite  pour  la  royauté  chassée  de  Paris  et  les  négocia- 
tions  devinrent  plus  actives. 

Mais  l'affaire  d'Orléans  était  encore  plus  épineuse  que 
celle  de  Lyon.  Il  fallait  traiter  sans  irriter  la  défiance  des 
Orléanais,  catholiques  exaltés  à  qui   leur  lieutenant  était 


(1)  En  avril  158o,  d'Entragues  avait  salué  à  coups  de  canon  le  duc 
de  Montpensier  envoyé  par  le  roi  pour  s'assurer  de  la  ville  (L'Estoile, 
t.  II.  p.  189). 

(2)  L'Estoile,  t.  II,  p.  227. 


122  VILLEROY 

suspect.  L'envoi  d'un  certain  Desbarreaux  à  Orléans  pour 
«  pratiquer  d'Entragues  par  le  moyen  de  sa  femme  »  retarda 
les  négociations  (1).  Quand  Villeroy  eut  réparé  cette  mala- 
dresse, il  envoya  Chemerault  et  Schomberg  au  sieur  de 
Dunes  avec  la  promesse  royale  de  donner  le  gouvernement 
à  d'Entragues  et  la  lieutenance  à  son  fils  avec  une  compa- 
gnie de  50  hommes  d'armes,  s'ils  s'obligeaient,  par  pro- 
messe signée  de  leur  main,  de  se  départir  de  «  toutes  ligues, 
associations  et  pratiques  qui  seraient  désagréables  à 
S.  M.  » 

Le  jour  où  Villeroy  partait  de  Vernon  (4  juin),  étant 
déjà  à  cheval,  il  reçut  la  réponse  des  deux  frères  :  ils  ac- 
ceptaient la  faveur  que  S.  M.  voulait  leur  faire,  mais  sup- 
pliaient le  roi  de  ne  pas  entrer  dans  la  ville  avec  des  forces 
armées,  et  de  les  dispenser  d'une  promesse  écrite  relative 
à  leur  engagement  dans  la  Ligue. 

Villeroy,  sachant  combien  ces  deux  restrictions  déplai- 
raient au  roi,  et  désirant  voir  lui-même  Dunes  à  Paris 
pour  les  faire  changer,  jugea  inutile  d'en  informer  le  roi 
et  partit  pour  Paris.  Les  ennemis  de  Villeroy  ont  expliqué 
la  chose  par  un  motif  plus  machiavélique.  «  Ils  prétendaient, 
dit  de  Thou,  que  Villeroy  qui  avait  la  paix  fort  à  cœur  sa- 
vait que  pour  être  maître  d'Orléans  le  roi  en  passerait  par 
tout  ce  qu'on  voudrait,  et  que  s'il  se  voyait  une  fois  en 
possession  de  cette  ville,  il  se  rendrait  plus  difficile  à  traiter 
avec  les  ligueurs,  et  qu'ainsi  ce  sage  ministre,  par  un  effet 
de  sa  prudence  ordinaire,  s'était  déterminé  à  lui  cacher  la 
réponse  d'Entragues  jusqu'à  ce  qu'il  eût  conduit  la  négo- 
ciation de  la  paix  au  point  de  ne  pouvoir  plus  être  rom- 
pue (2).  » 


(1)  Mém.,  p.  119. 

(1)  De  Thou,  t.  X,  p.  319.  —  Il  faut  ajouter  aux  documents  concer- 
nant l'affaire  d'Orléans  un  Mémoire  justificatif  de  Villeroy  de  ce  qui 
s'était  jia^sé  «  entre  le  Roy,  le  sieur  a" Antragues  »  et  lui-même 
ci  touchant  la  ville  d'Orléans  »  dont  l'original  se  trouve  F.  Fr.  15909, 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI   III  123 

L'explication  donnée  par  Villeroy  est  beaucoup  plus 
vraisemblable.  L'examen  de  ses  intentions  et  de  ses  actes 
nous  a  prouvé  qu'il  voulait  fortifier  la  royauté  et  abaisser  les 
Guises  du  rang  de  dominateurs  au  rang  d'alliés.  Comment 
en  juin  88,  aurait-il  cherché  à  priver  le  roi  d'une  importante 
base  d'opération  qui  eût  tenu  la  Ligue  en  respect  ?  La  len- 
teur de  la  négociation  et  l'initiative  prise  par  Villeroy  à 
Vernon  ont  fait  supposer  «  qu'il  interrompait  artificielle- 
ment le  traité  d'Orléans  et  interposait  des  délais  et  difficul- 
tés à  la  résolution  de  d'Entragues  »  (1). 

Mais  cette  lenteur  n'étonne  point  quand  on  connaît  l'ex- 
trême circonspection  qu'apportait  en  toutes  choses  le  méti- 
culeux Villeroy.  Elle  était  plus  nécessaire  que  jamais  dans 
cette  intrigue  où  les  d'Entragues  jouaient  un  double  jeu, 
essayant  de  prendre  au  roi  sans  rien  enlèvera  la  Ligue. 

Ils  le  prouvèrent  bientôt  en  émettant  une  prétention  plus 
extraordinaire  que  les  précédentes  :  quand  Villeroy  ren- 
contra Dunes  à  Paris,  il  apprit  que  d'Entragues  voulait 
être  pourvu  non  seulement  du  gouvernement  d'Orléans, 
mais  du  pays  Char  train,  de  Blois,  Amboise  et  du  Loudu- 
nois.  Villeroy  fut  très  étonné,  dit  qu'il  ne  comprenait  pas 
cette  ambition  nouvelle  de  gouverner  un  pays  qui  n'était 
pas  rattaché  à  l'Orléanais.  Dunes  répondit  évasivement, 
dit  qu'il  n'avait  pas  de  charge  pour  conclure,  et  promit  de 
faire  rencontrer  son  frère  avec  Villeroy  à  Paris,  quand  le 
ministre  serait  revenu  de  la  Cour. 

Cependant,  Villeroy  continuait  à  négocier  avec  les  Guises. 
Il  avait  apporté  au  roi,  qui  se  trouvait  à  Rouen,  les  de- 
mandes  des  princes.   Après    avoir  dit    sommairement  à 


fo  257.  Villeroy  l'écrivait  au  mois  de  juin  I  589  àlademande  de  Bellièvre 
et  l'envoyaà  son  ami  le  19  juin.  Il  commence  ainsi  :  «  Poursatisfaire  au 
désir  que  vous  me  dites  ces  jours  passés  en  votre  maison  que  vous 
aviez  d'être  informé  au  vrai  de  ce  qui  s'est  passé  entre  le  Roi  et  le 
sieur  d'Antragues  et  moi  touchant  la  ville  d'Orléans...  » 

(1)  Davila,  Historia  délie  guerre  civili  di  Francia...  p.  357. 


124  VILLEROY 

Henri  III,  à  part,  ce  qu'il  avait  négocié  à  Paris,  il  lui  en 
avait  rendu  compte  de  nouveau  devant  les  princes,  officiers 
de  la  couronne  et  autres  membres  du  conseil  et  le  roi  lui 
avait  publiquement  déclaré  ses  volontés  que  Brulart  avait 
mises  par  écrit,  fait  signer  et  contresignées  lui-même. 
Yilleroy,  qui  commençait  à  s'inquiéter  des  mauvais  bruits 
qui  circulaient  sur  son  compte,  tenait  beaucoup  à  ce  que 
1rs  choses  s'accomplissent  très  régulièrement,  à  ce  que  tout 
fût  traité  par  écrit  ;  et  dans  ses  apologies,  il  insiste  sur 
cette  procédure  pour  prouver  qu'il  n'a  pas  outrepassé  ses 
instructions  afin  de  favoriser  les  Guises.  Même  lorsque  le 
roi  traitait  avec  lui  en  particulier  sur  des  questions  qui  de- 
vaient être  ignorées  du  Conseil,  Villeroy  demandait  un  écrit 
signé  de  sa  main  (1). 

A  Paris  il  procédait  de  même.  Il  voulait  donner  à  sa  né- 
gociation le  plus  de  publicité  possible.  Toutes  choses  y 
étaient  traitées  par  écrit,  auprès  de  la  reine-mère,  en  pré- 
sence de  personnages  du  Conseil  délégués  auprès  de  Ca- 
therine pour  l'assister.  Il  fit  même  appeler  dans  ce  Conseil 
les  présidents  de  la  Cour  et  alla  trouver  le  Premier  Prési- 
dent pour  invoquer  son  assistance.  Il  espérait  ainsi  rendre 
le  roi  plus  populaire  parmi  les  royalistes,  et  en  imposer 
davantage  aux  Ligueurs.  Mais  les  Parlementaires  ne  purent 
venir  qu'une  fois.  Cela  déplaisait  au  duc  de  Guise  qui  se 
rappelait  peut-être  le  mot  prononcé  par  le  premier  prési- 
dent Harlay  après  les  barricades  :  «  C'est  grand  pitié  quand 
le  valet  chasse  le  maître.  » 

Dans  ces  séances,  sans  engager  davantage  le  roi,  on  con- 
vint qu'Henri  III  «  approcherait  le  duc  de  sa  personne  et 
se  servirait  de  lui  dignement  ».  Mais  dès  ce  second  voyage 
commença  à  se  poser  la  délicate  question  des  garanties. 
Le  duc,  qui  était  instruit  de  ce  qui  se  passait  entre  les  d'En- 
tragues  et  Villeroy,  exigea  que  le  roi  accordât  pour  places 

(1)  Lettre  à  du  Voir. 


LE    SECnÉÏAIRE    DE    HENRI    III  125 

de  sûreté  à  la  Ligue  Orléans  et  Bourges.  Dès  lors  la  pra- 
tique qu'il  avait  avec  d'Entragues  «s'en  allait  en  fumée  »  (1). 
La  résistance  de  Villeroy  irritait  profondément  le  duc  de 
Guise.  Il  se  doutait  que  Villeroy  jouait  serré  et  ces  finas- 
series le  mettaient  hors  de  lui.  Si  nous  en  croyons  l'envoyé 
florentin, un  grand  de  la  Cour  lui  avait  écrit  pour  lui  recom- 
mander de  ne  rien  céder  de  ses  demandes,  parce  que  le  roi 
avait  peur,  voulait  la  paix  à  tout  prix,  et  accorderait  tout. 
Aussi  se  laissa-t-il  emporter  jusqu'à  lui  dire  :  «  Mort  dieu  ! 
je  sais  bien  ce  que  vous  avez  eu  en  charge  d'accorder; 
par  quoi,  si  vous  ne  le  faites,  vous  vous  repentirez  ('2).  » 

Villeroy  revint  à  Rouen  une  seconde  fois  sans  avoir  rien 
conclu  ni  avec  les  Guises,  ni  avec  d'Entragues,  à  qui  il 
offrait  pourtant  20.000  écus  du  roi  pour  abandonner  ses 
dernières  exigences.  On  attendait  partout  avec  impatience 
le  résultat  de  ses  négociations.  On  les  commentait  en  termes 
plus  ou  moins  bienveillants.  Pierre  de  l'Estoile,  dans  le 
courant  du  mois  de  juin,  acheta  un  petit  libelle  qui  avait 
paru  à  ce  sujet  à  Rouen.  Il  le  jugeait  «  lorf  plaisant,  illustré 
de  gloses  et  annotations  convenables  »,  mais  trouvait  qu'il 
était  «  peu  séant  à  un  chrétien  d'abuser  de  la  parole  de 
Dieu  à  telles  folies  et  vanités  »  (3).  C'était  Le  Miserere  mei 
Deus,  Donné  par  'pénitence  par  M.  de  Saint-Germain, 
pénilentier  du  Roy,  à  ceux  de  la  Ligue,  quand  ils  se  vou- 
dront confesser  et  repentir.  Les  personnages  notables  de  la 
Ligue,  Guise,  Mayenne,  Nemours,  Aumale,  Brissac,  Épi- 
nac,  etc.,  débitaient  chacun  leur  verset.  La  peine-mère 
disait  :  Amplius  lava  me  ab   iniquitate  mea,  et  a  peccatis 


{\)Mém.,  p    121. 

(2)  Lettre  de  Cavriana  au  grand  duc,  juin  1588,  Desjardins,  t.  IV, 
p.  793.  L'envoyé  nous  dépeint  Villeroy  «  il  quale  voleva  pure  avère 
qualche  vantaggio  per  il  Re  nel  tenuinare  l'accordo,  e  pero  non  si  al- 
largava  fino  là  dove  avea  avuto  commissione  di  distendersi  perli  eapi- 
toli  ehe  si  proponevano  ». 

(3)  L'Estoile,  t.  III,  p.  160  et  suiv. 


126  VILLEROY 

mets  munda  me  (1).  Yilleroy  prononçait  le  Gloria  Patri  et 
Filio  et  Spiritui  sancto,  «  Pour  ce  qu'il  a  négocié  la  paix, 
qu'il  en  sera  loué  du  Père,  qui  est  la  Reine-mère  du  Roi, 
du  Fils  qui  est  le  Roi,  du  Saint-Esprit  qui  est  l'Eglise  ca- 
tholique. » 

Le  troisième  voyage  de  Yilleroy  aboutit  à  la  conclusion 
de  la  paix  et  à  la  perte  d'Orléans.  Le  roi  dut  se  soumettre 
sur  presque  tous  les  points.  Le  terrain  avait  été  pourtant 
bien  défendu  par  le  ministre.  Il  apportait  à  Paris  les  patentes 
de  la  charge  de  lieutenant  général  corrigées  et  signées  par 
le  roi.  Au  sujet  d'Orléans,  il  avait  reçu  le  pouvoir  de  céder 
aux  Guises  s'ils  en  faisaient  un  casus  belli  (2).  Battu  sur 
tout  le  reste,  il  essaya  au  moins  de  sauver  Orléans.  Il  pré- 
tendit prouver  au  duc  qu'on  ne  pouvait  accorder  aux  Li- 
gueurs deux  villes  dont  l'une  était  le  siège  d'un  évêché  et 
l'autre  d'un  archevêché,  «  que  cela  ne  s'était  jamais  vu  et 
serait  d'un  dangereux  exemple  »  (3).  Puis,  il  proposa  que 
le  roi  donnât  à  d'Entragues,  avec  lequel  on  s'était  enfin 
mis  d'accord,  età  La  Châtre  la  survivance  de  leurs  charges 
et  gouvernements  pour  leurs  enfants.  Il  engagea  les  d'En- 
tragues à  pousser  les  habitants  d'Orléans  à  s'opposer  aux 
prétentions  des  Ligueurs,  mais  les  d'Entragues  n'avaient 
pas  assez  de  crédit  sur  la  population.  Il  voulut  les  amener 
à  protester  eux-mêmes.  Mais  après  réflexion  on  abandonna 
ce  dernier  projet.  Sans  doute  les  d'Entragues  ne  voulurent 
pas  entrer  en  conflit  avec  les  Guise  et  Villeroy  dut  craindre 
que  ce  conflit  ne  fût  un  obstacle  à  la  paix.  Guise  obtint  les 
trois  places  d'Orléans,  Bourges  et  Montreuil.  Villeroy, 
aidé  par  le  nonce,  ne  réussit  à  transiger  avec  le  duc  que 
pour  la  ville  du  Havre.  Encore  cette  petite  victoire  fut-elle 


(1)  Ibid.  «    Pour  ce  qu'elle  a  plus  grièvement  failli,  et  qu'elle  est 
■  le    tout  le   mal,  elle  demande  d'être  plus  amplement  lavée  », 

ajoute  le  commentaire. 

(2)  Mèrn.,  p.    121. 

(3)  DeThou,  X,p.  320. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  427 

illusoire,  car  peu  de  temps  après,  Villars,  gouverneur  de 
la  ville,  se  déclara  ouvertement  pour  la  Ligue. 

Enfin  on  signa  la  paix.  Le  21  juillet  fut  enregistré  l'Edit 
du  roi  sur  l'union  de  ses  sujets  catholiques.  Henri  III  jurait 
de  nouveau  de  bannir  l'hérésie  du  royaume  et  ordonnait  à 
ses  sujets  de  jurer  qu'ils  ne  recevraient  jamais  pour  roi  un 
prince  hérétique.  Il  accordait  l'amnistie  pour  les  événe- 
ments du  12  et  du  13  mai,  confirmait  toutes  les  concessions 
du  traité  de  Nemours  par  des  articles  particuliers,  s'enga- 
geait à  entretenir  quelques  régiments  et  les  garnisons  de 
Toul,  Verdun,  Marsal  et  Metz.  Les  concessions  les  plus 
importantes  de  villes  étaient  consignées  dans  des  articles 
secrets  qui  ne  furent  communiqués  à  personne  en  dehors 
de  quelques  membres  du  Conseil  (1). 

Henri  III  était  de  nouveau  étroitement  lié  à  la  Ligue  et 
les  Guise  triomphaient.  Ils  reparurent  en  Cour  où  ils  fu- 
rent accueillis  avec  de  grandes  démonstrations  d'amitié 
parle  roi  qui  dissimulait  parfaitement  sa  rancune.  Le  duc 
obtint  par  lettres  patentes  du  4  août  le  titre  de  lieutenant- 
général  et  un  pouvoir  suprême  sur  les  armées.  Le  cardinal 
de  Bourbon  était  honoré  comme  l'héritier  présomptif  de  la 
couronne.  Oh  promettait  au  duc  de  Nemours  le  gouverne- 
ment du  Lyonnais,  à  d'Épinac  les  sceaux,  au  cardinal  de 
Guise  la  légation  d'Avignon.  Cet  embrassement  général 
n'attendrissait  pas  Villeroy  au  point  de  lui  inspirer  l'illu- 
sion que  l'ère  des  difficultés  fût  à  jamais  close.  Le  22 
juillet,,  il  écrivait  à  de  Maisse  :  «  Si  nous  nous  endormons 
au  son  de  cette  réconciliation,  tenez  pour  certain  qu'elle 
nous  fera  plus  de  mal  que  de  bien  (2).  » 


(1)  Le  texte  de  l'Edit  est  publié  dans  lus  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II, 
p.  368  :  «  Edit  du  Roi  sur  l'union  de  ses  sujets  catholiques,  avec  les 
articles  accordés  au  nom  du  Roi,  entre  la  Reine  sa  mère,  et  Monsieur 
le  Cardinal  de  Bourbon,  Monsieur  le  duc  de  Guise...  » 

(2)  Villeroy  à  de  Maisse,  22  juillet  1588.  F.  Fr.  16093,  f°  226.  La 
correspondance  de  Villeroy  avec  de  Maisse  cesse  à  partir  de  cette  date. 


428 


VILLEROY 


II 


Les  intérêts  particuliers  de  cTEpernon  n'avaient  pas  été 
touchés  par  l'Edit.  Malgré  les  récriminations  des  Ligueurs 
sur  la  personne,  l'autorité  etles  charges  du  favori,  Villeroy 
avait  pu  obtenir  des  princes  qu'il  ne  fût  pas  fait  mention 
de  lui  dans  les  conventions  écrites.  Le  roi  le  lui  avait  expres- 
sément recommandé.  On  se  contenta  donc,  grâce  aux  efforts 
du  ministre,  de  s'en  remettre  au  roi  qui  avait  promis  d'y 
pourvoir  lui-même  (1).  D'Epernon  prit  congé  du  roi  au 
début  du  mois  d'août  et  se  retira  dans  l'Ouest.  11  avait 
charge  de  commander  en  Anjou,  Touraine,  Poitou,  Angou- 
mois  et  Saintonge.  Aussitôt  arrivé  dans  ses  provinces,  il 
entreprit  de  se  rendre  maître  de  la  ville  d'Angoulème  qui 
était  remuée  parles  Ligueurs.  Mais  il  rencontra  dans  la  per- 
sonne de  Villeroy  un  adversaire  résolu  à  profiter  de  son 
éloignement  et  de  ses  fautes  pour  diminuer  sa  puissance. 
Ce  fut  le  dernier  épisode  delà  lutte  du  favori  et  du  ministre. 

Villeroy  raconte  qu'Henri  III,  ayant  été  avisé  que  le  duc 
voulait  se  jeter  dans  Angoulème,  lui  ordonna  d'écrire  aux 
habitants  de  la  ville  et  au  lieutenant  général  de  ne  recevoir 
personne  «  sans  un  commandement  de  lui  postérieur  aux 
dites  lettres  ».  Le  duc  était  entré  dans  la  ville  lorsque  le 
courrier  y  arriva.  Il  ne  s'était  d'ailleurs  pas  conduit  en  grand 
seigneur  factieux  comme  on  l'avait  fait  craindre  au  roi.  Il 


(1)  Mém ..  p.  123.  —  D'Epernon  écrivait  à  Bellièvre,  le  11  juillet.une 
lettre  très  amicale,  «  étant  très  aise  que  la  paix  comme  l'on  m'a  assuré 
soit  faite,  qui,  à  mon  avis  ne  peut  être  qu'avantageuse  et  honorable 
au  roi,  puisque  M.  de  Villeroy  l'a  négociée.  On  me  veut  persuader 
qu  elle  m'est  fort  honteuse  et  dommageable  et  à  mes  amis,  ce  que  je 
nepuis  croire,  me  ressouvenant  des  assurances  que  M.  de  Villeroy  me 
donna  de  son  amiti-é  à  mon  partement  de  Chartres  et  sachant  que  cela 
ne  se  peut  faire  qu'au  préjudice  des  affaires  du  royaume  et  du  repos 
'I-  cet  état.  »  (F.  Fr.  15'J09,  P  120). 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  129 

avait  publié  l'Edit  de  réunion,  s'apprêtait  ostensiblement  à 
faire  la  guerre  aux  huguenots  el  s'attachait  à  gagner  les 
habitants  par  sa  bienveillance  et  son  urbanité.  On  conçoit 
son  irritation  à  la  lecture  des  lettres  arrivées  le  13  août.  Il 
s'en  prit  à  Villeroy  et  se  plaignit  à  son  prince  qui  «  lui  man- 
da les  avoir  commandées  et  les  raisons  qui  l'avaient  nui  à 
ce  faire  »  (1). 

Cependant,  une  conspiration  se  formai!  secrètement 
contre  le  due  à  Angoulème.  Le  maire  Normand  s'entendit 
avec  les  bourgeois  ligueurs  et  les  gentilshommes*  du  plat 
pays.  M  envoya  à  Chartres  son  beau-frère  Souchet  qui  vint 
trouver  Villeroy,  <<  parce  que,  nous  explique  le  ministre, 
ladite  ville  d'Angoulême  était  de  mon  département,  que  les 
lettres  dernières  que  le  roi  leur  avait  écrites  étaient  contre- 
' signées  de  moi,  aussi  qu'ils  avaient  quelque  créance  en 
moi  pour  m'avoir  toujours  reconnu  très  affectionné  à  leur 
bien  etauservicede  S.  M.»(2).  Ils  exposèrent  qu'ils  n'avaient 
pu  empêcher  le  duc  de  pénétrer  dansla  ville  conformément 
à  la  volonté  du  roi,  mais  qu'ils  pourraient  encore  réparer 
leur  faute  en  fermant  les  portes  de  la  ville,  lorsque  le  duc 
sortirait  pour  aller  courre  la  bague,  et  en  s'emparant  du 
capitaine  delà  citadelle.  Villeroy  transmit  à  Henri  III  la 
demande  des  habitants.  Le  roi  était  très  mécontent  de  la 
désobéissance  de  d'Epernon  :  il  jura  de  «  faire  paraître  et 
sentir  au  dit  duc  et  à  tous  autres,  combien  un  roi  a  les  bras 
longs  »  (3).  Il  fit  introduire  secrètement  dans  son  cabinet 
Souche!,  en  la  compagnie  de  Villeroy,  lui  dit  qu'il  était  très 
content  des  habitants  d'Angoulême,  et  qu'il  les  priait  de 
se  saisir  de  d'Epernon,  sans  toutefois  Caire  malàsa  personne  ; 
ils  lui  rendraient  ainsi  un  grand  service,  car  d'Epernon  pris, 
il  pourrait  recouvrer  ses  villes  de  Metz  et  de  Boulogne  «pie 


(1)  Mém.,  p.  123. 

(2)  Mém.,  p.  124. 

(3)  Ibid. 
Villeroy. 


130  VILLEROY 

le  favori  ne  voulait  pas  rendre.  11  pourrait  aussi  forcer  ce 
dernier  à  se  contenter  du  gouvernement  de  Provence  qu'il 
avait  l'intention  de  lui  laisser.  Souchet,  en  quittant  le  roi, 
demanda  à  son  ministre  des  renseignements  plus  précis  sur 
la  conduite  qu'auraient  à  tenir  les  habitants  d'Angoulème. 
Villeroy  lui  recommanda  de  ne  faire  aucun  mal  à  la  personne 
du  duc(l). 

Or,  quelques  jours  après,  le  maire  Normand,  avec  quel- 
ques hommes  armés,  pénétrait  par  surprise  dans  la  cita- 
delle et  entrait,  le  pistolet  au  poing-,  dans  le  cabinet  du 
duc.  D'Epernon  eut  le  temps  de  donner  l'alarme  :  avec 
linéiques  fidèles  serviteurs,  il  attaqua  ses  agresseurs  et 
les  refoula  dans  une  tour.  Normand  fut  tué.  Mais  les  habi- 
tants d'Angmilème  prirent  les  armes  et  assiégèrent  le  duc 
pendant  deux  jours  dans  le  château.  Il  ne  dut  son  salut 
qu'à  l'effroi  jeté  dans  les  habitants  par  l'annonce  de  l'arri- 
vée de  renforts  conduits  par  le  sieur  de  Tagent  et  de 
troupes  de  secours  envoyées  par  le  roi  de  Navarre  (10  août). 
Une  amnistie  termina  l'affaire. 

Villeroy  fut  considéré  par  tout  le  monde  comme  l'insti- 
gateur de  cette  révolte.  On  dit,  écrivait l'Estoile  le  26  août, 
que  l'entreprise  a  été  «  conduite  sous  main  par  la  reine- 
mère  et  Villeroy,  tous  deuv  ennemis  du  duc  d'Eper- 
non  »  (2).  D'Epernon  le  crut  fermement.  Il  lui  parut  impos- 
sible qu'Henri  III  eût  pris  seul  la  résolution  de  le  faire  ar- 
rêter et  dans  les  lettres  qu'il  écrivit  après  sa  délivrance,  il 
accusa  tout  haut  le  ministre.  Nous  avons  une  de  ces  lettres 
écrite  à  Bellièvre  :  «  Je  vous  vois  trop  homme  de  bien  et 
mon  ami  pour  approuver  telles  méchancetés.  On  me  dit 
que  le  sieur  de  Villeroy  a  dressé  la  partie.  C'est  mal  servir 
le  roi,  monsieur,  d'user  de  telles  méchancetés.  Dieu  m'en  a 
préservé    3).  »  Celte  action  du  ministre  lui  paraissait  d'au- 

(1)  Mém.,  p.   124. 

(2)  L'Estoile,  t.  III,  p.  177. 

(3)  D"Kpernon  à  Bellièvre,  18  août  lo8S,  F.  Fr.  15909,  f°  134. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  131 

tant  plus  indigne  que  très  sincèrement  il  ne  croyait  pas 
avoir  mérité  une  telle  haine.  D'abord,  il  était  enclin  à  ou- 
blier les  injures  qu'il  adressait  aux  autres,  tandis  que  Vil- 
leroy  était  vindicatif.  Puis  il  s'était  produit  un  singulier 
changement  dans  l'attitude  et  les  manières  du  duc  qui 
savait  admirablement  modérer  la  violence  de  son  tempéra- 
ment quand  son  intérêt  l'exigeait.  Loin  de  la  cour,  il  était 
devenu  moins  arrogant  ;  il  essayait  de  fortifier  les  sympa- 
thies de  Bellièvre  et  des  autres  amis  du  roi  en  faveur  du 
«  pauvre  champêtre  »  qu'il  était  (1)  ;  il  croyait  aux  assu- 
rances d'amitié  que  Villeroy  lui  avait  données  à  son  dé- 
part de  Chartres.  On  admit  facilement  les  accusations  de 
d'Epernon.Le  maire  Normand,  disait-on,  avait  avoué  avant 
de  mourir  que  la  conjuration  était  l'œuvre  du  ministre  (2). 
'Celui-ci  avait  assuré  aux  Angoumois  qu'il  serait  agréable 
au  roi  de  voir  d'Epernon  tué  ou  prisonnier.  Le  bruit  cou- 
rut aussi  que  Villeroy  avait  fait  travestir  un  homme  pour 
représenter  Henri  III  et  donner  l'ordre  à  Souchet  de 
prendre  le  due  mort  ou  vif.  C'est  de  Thou  qui  nous  le  rap- 
porte, en  notant  que  c'était  une  pure  légende  (3).  On  ra- 
contait enfin  que  les  bourgeois  révoltés  étaient  revenus 
une  seconde  fois  à  l'assaut  de  la  citadelle,  lorsque  de  Méré, 
un  des  conjurés,  leur  avait  annoncé  l'arrivée  des  troupes  du 
baron  d'Aubeterre  envoyées  par  M.  de  Villeroy  (4). 

Villeroy  s'est  défendu  très  énergiquement.  Il  a  rejeté  la 
responsabilité  des  ordres  donnés  pour  s'emparer   du  duc 


(1)  D'Epernon  à  Bellièvre,  Loches,  11  juillet  1588,  F.  Fr.  15909, 
fo  liO. 

(2)  Desjardins,  t.  IV,  p.  817.  —  Dép.  de  Mocenigo,  8  septembre, 
F.  Ital.  1737,  i'o  129.  —  Dép.  de  Mendoza  à  Philippe  II,  8  septembre, 
Pap.  Simone.  K.  15G8,  l'o  105. 

(3)  De  Thou,  t.  X.  —  Voir  aussi  D'Aubigné,  ffist.  unir. 

(4)  «  Advertissement  sur  les  exploits  d'armes  faits  par  le  roi  de  Na- 
varre avec  ceux  de  la  Ligue  au  Bas-I'oitou...  et  sur  la  conspiration  de 
ceux  d'Angoulème  contre  M.  d'Epernon  et  ses  suites.  »  Ciniber  et  Dan- 
jou,  t.  XII,  p.  25. 


132  VILLEROY 

sur  le  roi,  el  de  l'entreprise  sur  les  habitants  de  la  ville, 
bons  catholiques  et  sujets  dévoués  qui  auraient  appli- 
qué les  instructions  avec  trop  de  zèle  et  de  violence.  Il 
se  serait  borné  à  contresigner  les  lettres  royales  et  à 
transmettre  à  Henri  III  les  désirs  de  ses  sujets.  Leduc 
d'Epernon  a  depuis  reconnu  suffisamment,  nous  dit  Ville- 
roy,  que  «  la  malveillance  que  le  roi  lui  portait  ne  procé- 
dait ni  de  moi  ni  de  mon  invention  et  persuasion,  dont 
aussi  j'appelle  Dieu  à  témoin  »  (1).  Nous  savons  que  plus 
tard  ils  s'expliquèrent  sur  ce  sujet  et  que  d'Epernon  recon- 
nut l'innocence  de  Villeroy.  D'ailleurs,  peu  après  l'événe- 
ment. Villeroy  se  plaignait  lui-même  de  n'avoir  pas  été  com- 
pris 2  .  En  renvoyant  à  Bellièvre  la  lettre  de  d'Epernon,  il 
lui  écrivait  assez  fièrement  :  «  Quand  M.  d'Epernon  rendra 
le  roi  routent,  je  serai  son  serviteur,  s'il  le  trouve  bon. 
Voilà  en  quoi  consiste  ma  malveillance  et  méchanceté  »  (3). 
Il  faut  pour!  a  ni  reconnaître  que  l'inconstance  d'Henri  III, 
sa  fureur  de  se  voir  désobéi,  sa  haine  des  huguenots  n'au- 
raient pas  suffi  à  déterminer  la  résolution  d'empêcher  le 


(1)  Mém.,  p.  125. 

(2)  Villeroy  à  Matignon,  21  août  1588,  Lettres.  «  Je  suis  averti 
que  l'on  m'a  découpé  étrangement  à  Angoulême,  niais  quand  l'on 
saura  au  vrai  toutes  choses,  l'on  connaîtra  que  le  roi  et  ses  serviteurs 
n'ont  eu  l'intention  telle  que  l'on  l'a  publiée.  » 

(3)  Villeroy  à  Bellièvre,  27  août  1588,  F.  Fr.  15909,   fo   132. 
D'Epernon  avait  écrit  le  18  août  à   Bellièvre  :    «  Monsieur,  je  vous 

vois  trop  homme  de  bien  et  mon  ami  pour  approuver  telles  méchan- 
tes et  outre  cela  vous  avez  trop  de  jugement  pour  ne  connaître  le 
mal  qui  en  peut  arriver  plus  grand  que  beaucoup  ne  pensent.  On  me 
dit  que  le  sieur  de  Villeroy  a  dressé  la  partie.  C'est  mal  servir  le  roi, 
Monsieur,  d'user  de  telles  méchancetés.  Dieu  m'en  a  préservé.  »  (F. 
Fr.  Ibid.,  f°  13G).  Bellièvre  communiqua  cette  lettre  a  Villeroy  qui 
répondit  :  «  J'en  ai  bien  considéré  l'apostille.  S'il  n'était  affligé  et  en 
colère  comme  il  est,  je  supporterais  peut-être  plus  impatiemment  la 
façon  de  laquelle  il  parle  de  moi...  Plût  à  Dieu  que  chacun  eût  Pâme 
'  n  pareil  repos  qu'est  grâce  à  Dieu  la  mienne  de  mes  actions  passées. 
J'ai  vu  les  propos  qu'il  vous  a  plu  en  tenir  à  S.  M.  et  la  réponse 
qu'elle  rous  a  faite,  de  quoi  je  lui  ai  grande  obligation  et  à  vous  aussi 
du  soin  que  vous  avez  de  moi.  » 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  133 

favori  de  rester  maître  d'Angoulême.  Le  roi  subit  l'influence 

de  tout  le  parti  qui  préparait  la  ruine  de  cel  homme  depuis  la 
paix  de  juillet.  Quand  on  travaillait  lentement,  par  des  insi- 
nuations journalières,  à  détacher  le  roi  du  favori,  se  peut-il 
que  l'ancien  ennemi  de  d'Epernon,  qui  gardait  bonne  mé- 
moire des  injures,  soit  demeuré  neutre  ?  11  a  certainement 
dit  son  mot  et  participé  à  la  campagne  qui  devait  perdre  le 
duc.  Il  est  bien  sûr,  aussi,  qu'il  ne  voulait  pas  la  tête  de  son 
ennemi  et  qu'il  attachait  une  grande  importance  à  la  con- 
dition expresse  imposée  par  le  roi  aux  habitants  d'Angou- 
lême :  sans  faire  de  mal  à  sapersonne.  Les  passions  popu- 
laires, non  retenues,  firent  le  reste. 


[Il 


Au  mois  d'août  1588,  à  ne  consulter  que  les  apparences, 
Villeroy  était  en  grande  faveur  à  la  Cour.  Sa  politique 
d'union  avec  les  catholiques  avait  triomphé.  11  avail  fait 
conclure  l'édit  de  réconciliation  avec  la  Ligue  qui  sem- 
blait ouvrir  une  ère  nouvelle. 

Le  roi  parut  lui  donner  à  cette  époque  une  preuve 
de  sa  satisfaction.  Le  ministre,  qui  ne  jouissait  pas  d'une 
santé  très  sûre  depuis  sa  dernière  «  lièvre  quarte  »  et  se 
voyait  accablé  d'une  multitude  croissante  d'affaires,  dé- 
sirait fortement  être  déchargé,  sinon  du  tout,  au  moins 
d'une  partie  de  son  travail  ordinaire.  Il  pria  la  reine-mère 
d'en  parler  au  roi,  dès  le  mois  de  juin.  Elle  lit  auprès  de  son 
fils  une  première  démarche  qui  fut  infructueuse,  puis  elle 
sollicita  de  nouveau  à  Chartres,  à  la  fin  de  juillet,  et  obtint 
ce  que  Villeroy  désirait  (1).  Il  fut  donc  permis  au  ministre 


(1)  Mém.,  p.  1-5  et  suiv.  —  Voir  dans  les  Lettres  de  Catherine, 
t.  IX,  p.  372,  une  lettre  non  datée  de  la  reine-mère  à  son  fils  à  ce  su- 
jet. «  Vous  savez,  disait-elle,  comment  il    vous  sert  et  est  utile  servi- 


134  VILLEROY 

d'associer  à  sa  charge  son  jeune  cousin  Claude  del'Aubes- 
pine,  sieur  de  Verderonne,  secrétaire  de  la  reine-mère, 
qui  possédait  déjà  sa  survivance.  L'Aubespine  avait  le  pou- 
voir de  signer  et  d'expédier  les  commandements  du  roi,  et 
Villeroy  soulagé  d'une  partie  de  cette  lourde  besogne 
pouvait  de  temps  à  autre  «  s'aller  rafraîchir  un  quinze 
jours  ou  un  mois  chez  lui  »  (1).  En  lui  octroyant  cette 
laveur,  Henri  III  l'avait  prié  de  continuer  à  le  servir;  il 
avait  plus  que  jamais  besoin  de  sa  présence  en  sa  charge, 
et  «  même  en  ces  Etats  qu'il  allait  tenir,  où  l'on  traiteraitdes 
affaires  très  importantes  à  sa  personne  et  à  son  Etat  »    -) 

Il  y  avait  pourtant  quelque  chose  de  changé  dans  les  sen- 
timents du  roi.  La  journée  des  Barricades  avait  produit 
sur  lui  une  impression  ineffaçable.  Il  n'était  plus  possible 
de  guérir  la  blessure  faite  à  sa  dignité.  Il  éprouvait  à 
l'égard  des  Guises  une  terrible  haine  qu'il  était  contraint 
de  dissimuler.  Il  se  déliait  maintenant  de  tous  ses  anciens 
conseillers.  Il  ne  consultait  plus  sa  mère  (3).  On  observait 
qu'il  cachait  soigneusement  sa  pensée  et  commençait  à 
prendre  tout  seul  des  décisions,  enfermé  dans  son  cabinet. 
Villeroy  remarquait  que  son  maître  était  plus  «  réservé  » 
«pie  de  coutume  à  son  égard  (4).  .Mais  il  était  très  loin  de 

teur  et  qu'avec  raison  l'occupez  plus  que  nul  autre:  aussi  vous  sup- 
plié-je  que  pour  le  soulager,  quand  il  aurait  quelquefois  permission 
de  s'aller  rafraîchir  un  quinze  jours  ou  un  mois  chez  lui,  que  celui 
qu'il  vous  présentera  et  pour  qui  je  vous  fais  la  requête,  qui  est  l'Au- 
bespine,  qui  est  à  moi,  vous  serve.  » 

(1)  Ibid.,  t.  IX,  p.  373. 

(2)  Menu,   p.  127. 

(3)  Elle  s'occupait  de  moins  en  moins  des  affaires.  Aussi  écrivait-elle 
très  peu  les  derniers  mois.  On  n'a  pu  recueillir  que  cinq  lettres  d'elle 
pour  tout  le  mois  d'août. 

(4)  Villeroy  à  Bellièvre,  28  septembre  1588,  F.  Fr.  15.909,  fo  188. 
«  L'on  dit  maintenant  que  c'est  une  partie  faite  du  su  et  consentement 
du  Roi,  mais  à  la  vérité,  c'est  chose  que  je  ne  puis  aucunement  me 
persuader  encore  que  je  me  fusse  aperçu  que  depuis  le  retour  de  M.  de 
Nevers  à  la  cour  et  le  conseil  qui  fut  tenu  à  Monceaux  avant  l'arrivée 
de  M  de  Guise  à  Meaux.  S.  M.  était  plus  réservée  en  mon  endroit  que 
de  coutume.  » 


LE    SECRETAIRE   DE    HENRI 


135 


prévoir  qu'il  allait  brusquement  le  chasser,  avec  ses  col- 
lègues. 

Il  se  reposait  depuis  une  quinzaine  de  jours  dans  sa 
maison  de  Villeroy,  en  attendant  l'ouverture  des  Etats-Gé- 
néraux, quand  il  reçut,  le  S  septembre,  la  lettre  et  le  com- 
mandement du  roi  le  déchargeant  de  son  office  (1).  La 
même  dépèche  avait  été  envoyée  au  Chancelier,  à  Belliè- 
vre,  à  Brulart  et  à  Pinart.  Cette  brusque  disgrâce  frappa 
les  ministres  comme  un  coup  de  foudre.  Bellièvre  versa 
d'abondantes  larmes.  Pinart  soupira  en  disant  :  «  Si  j'avais 
servi  Dieu  aussi  bien  que  le  roi,  je  me  trouverais  le  plus 
fidèle  homme  du  monde.  »  Le  chancelier  voulut  aller  parler 
tout  de  suite  au  roi  :  le  roi  refusa  de  le  recevoir.  Villeroy 
demanda  à  Benoise,  le  porteur  de  la  lettre,  si  le  roi  ne 
prétendait  point  faire  de  différence  entre  ceux  qui  avaient 
bien  servi  et  les  autres.  «  Et  m'ayant  demandé  réponse, 
nous  dit-il  dans  ses  Mémoires,  je  l'écrivis  et  la  lui  baillai 
sur  le  champ,  telle  que  la  devait  faire  un  serviteur  très 
fidèle  et  obéissant  à  son  maître  ;  ajoutant  seulement  de 
bouche  que  s'il  eût  plu  à  S.  M.  me  sortir  de  la  Cour,  par  la 
porte  à  laquelle  j'avais  tant  heurté  devant  que  d'en  partir, 
sans  me  faire  sauter  par  les  fenêtres,  qu'elle  eut  mis  mon 
esprit  en  grand  repos,  comme  'j'espérais,  moyennant  la 
grâce  de  Dieu  et  le  congé  qu'elle  me  donnait,  d'y  mettre  le 
corps  (2).  » 

\  illeroy  ne  se  décourageait  pas  facilement.  Il  résolut  de 
savoir  si  tout  n'était  pas  perdu  et  osa  accomplir  une  dé- 
marche assez  audacieuse,  afin  d'atténuer  le  mal  de  sa  dis- 
grâce. Son  fils  Alincourt,  avant  d'aller  servir  contre  les  hu- 
guenots dans  l'armée  de  Dauphiné,  était  venu  se  présenter 
au  roi  pour  recevoir  ses  commandements.  Cela  se  passait 
le  jour  ou  le  lendemain  de  la  disgrâce  de  son  père.  Le  roi 


(1)  Mém.,  p.  128. 
(ÎJ   Mem.,  p.    1  :>'.). 


J  36  VILLEROY 

lui  fit  fort  bon  visage,  lui  dit  qu'il  était  fils  d'un  père  qui 
l'avait  bien  servi  et  l'engagea  à  imiter  son  exemple.  "Sille- 
roy  fui  un  peu  consolé  par  ces  bonnes  paroles  que  lui 
rapporta  son  fils.  Il  se  crut  autorisé  à  envoyer  un  de  ses 
gens  au  roi  pour  lui  montrer  la  perte  qu'il  faisait  par  la 
privation  de  son  office,  le  peu  de  bien  qu'il  avait  acquis  au 
service  de  S.  M.  et  solliciter  quelque  récompense  ou  la 
continuation  de  ses  gages  et  pensions.  Il  suppliait  Henri  III, 
s'il  voulait  employer  en  son  office  «  des  personnes  nou- 
velles et  de  moindre  étoffe  et  qualité  »,  de  choisir  son 
commis  Pasquier  formé  et  instruit  par  lui.  Il  écrivit  aussi 
à  la  Reine-mère,  sa  vieille  protectrice,  pour  la  prier  d'in- 
tercéder auprès  du  roi. 

S'il  avait  réussi,  il  aurait  repris  pied  au  ministère  et  con- 
tinué à  administrer  sous  le  nom  de  son  ancien  commis. 
Cette  démarche  était  hardie,  mais  non  maladroite.  Villeroy, 
nous  le  savons,  avait  été  frappé  par  surprise.'  Il  soupçonnait 
les  motifs  de  sa  disgrâce,  mais  il  ignorait  les  intentions 
d'Henri  III  à  son  égard.  Encouragé  par  le  mot  d'éloge 
adressé  à  d'Alincourt,  il  avait  résolu  de  savoir  si  tout 
n'était  pas  perdu.  Si  sa  disgrâce  était  complète,  la  réponse 
du  roi  l'éclaircirait.  Si  elle  n'était  pas  définitive,  peut-être 
l'appui  de  Catherine  etleton  ferme  de  Villeroy  —  qui  avait 
parfois  aussi  réussi  auprès  d'Henri  III  —  réparerait  le  mal 
en  partie. 

Mais  la  résolution  du  roi  était  inébranlable  et  l'influence 
de  la  reine  à  son  déclin  était  impuissante.  La  réponse 
d'Henri  III  lui  rendit  toutes  ses  inquiétudes  (1). 

L'élonnement  du  public  avait  été  aussi  profond  que 
celui  des  ministres  disgraciés.  Nul  ne  s'attendait  à  cet 
événement.  La  reine-mère  n'avait  rien  su  (2).   Quand  elle 


(1)  Mém.,  Ibid. 

(2)  D'Epinac  exprimant  à  Bellièvre,  le  8  septembre,  son  étonnemenf 
au  sujet  de  la  mesure  «  étrange  »  prise  par  le  roi,  écrit  qu'il  a  dit  ce 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    lit  137 

Tapprit,  raconte  l'ambassadeur  d'Espagne,  elle  dit  à  son  fils 
qu'il  avait  fait  de  grands  changements  parmi  ses  officiers. 
Il  répondit  que  c'était  vrai  :  il  l'avait  fait  parce  que  le  chan- 
celier s'entendait  avec  les  fournisseurs,  parce  que  Bellièvre 
était  un  huguenot,  M.  de  Villeroy  un  glorieux  qui  ne  con- 
sentait à  laisser  personne  traiter  avec  le  roi  sinon  lui  seul, 
Brulart  un  homme  de  rien,  Pinartune  canaille  qui  vendrait 
son  père  et  sa  mère  pour  de  l'argent  (1).  Henri  III, qui  avait 
répondu  à  Catherine  en  brocardant  grossièrement  ses  an- 
ciens serviteurs,  expliqua  sa  conduite  au  nonce  sur  un  ton 
plus  digne,  mais  sans  donner  des  raisons  plus  précises. 
Morosini  avait  fait  observer  au  roi  qu'il  se  privait  de  per- 
sonnes d'expérience,  d'hommes  supérieurs  et  demandait  si 
les  secrétaires  renvoyés  ne  pourraient  pas  faire  de  mal. 
-Henri  III  dit  qu'il  ne  les  croyait  pas  d'un  naturel  si  mau- 
vais :  tous  étaient  riches  et  voudraient  jouir  en  paix  de  leur 
fortune.  Il  ajouta  que  s'il  ne  les  avait  pas  renvoyés,  les 
Etats  auraient  demandé  leur  éloignement,  car  ils  avaient 
mis  en  avant  des  combinaisons  dont  le  royaume  avait  eu 
beaucoup  à  souffrir  et  le  peuple  beaucoup  à  se  plaindre  (2). 
Quant  aux  Guises,  ils  avaient  tout  ignoré  :  ils  surent  dissi- 
muler leur  étonnement,  ne  firent  aucune  observation  au 
roi  (3).  Les  lettres  que  reçurent  les  ministres  disgraciés  de 


qu'il  en  pensait  à  la  reine-mère  qui  en  est   «  aussi  étonnée   ».  F.  i'r. 
15909,  fo  140. 

(1)  Mendoza  à  Philippe  !I,  24  septembre  (2«  lettre)  Pap'.  Simanc., 
K.  1568,  fo  113.  Villeroy  est  qualifié  de  «  glorioso  y  vano  que  no  con- 
sentia  que  nadie  venne  esto  a  négociai*  con  el  sino  el  solo  ».  L'ambas- 
sadeur dit  aussi  qu'on  a  envoyé  un  commis  pour  demandera  Villeroy 
les  papiers  qu'il  avait,  avec  défense  de  paraître  devant  le  roi  et  même 
de  lui  écrire  pour  se  disculper. 

(2)  L'tipinois,  La  Ligue  et  les  papes,  p.  212-214.  Avant  de  raconter 
son  entrevue  avec  le  roi,  Morosini  décrit  l'étonnement  universel  causé 
par  cet  événement  «  di  che  la  Corte  tutta  ha  presa  gran  meraviglia  e 
specialmente  di  M.  di  Villeroy  per  il  gran  favore  e  autorita  che  haveva 
presso  S.  M.  eper  la  maniera  dolce  e  dexterita  grande  clic  usava  ne! 
trattare  il  servitio  del  suo  Re  ». 

(3)  Pap.  Simanc.,  K.  15(i8,fo  113.  —  Guise,  le  8  septembre,  annon- 


138  V1LLEK0Y 

leurs  amis  et  connaissances  nous  montrent  que  la  surprise 
fut  vive  et  générale.  Jacques  Faye  cTEspesses  écrivait  le  18 
à  son  parent  Bellièvre  une  lettre  qui  résume  l'impression  du 
public:  «  Je  vois,  lui  disait-il  dans  son  langage  contourné, 
infinies  personnes  passant  de  par  deçà  variis  varia,  mais  je 
ne  vois  personne  qui  ne  soit  ébahi  de  M.  de  Villeroy  et  de 
vous  comme  fondeurs  de  cloches  et  qui  en  puisse  rendre  ou 
donner  une  seule  raison.  J'avais  envoyé  M.  du  Lys  exprès  en 
Cour;  il  parla  fort  longtemps  à  M.  Clermont  d'Entragues 
qui  lui  en  parla  (semblait-il)  à  cœur  ouvert.  Nullam  altérant 
causam  dat  que  le  propre  mouvement  du  roi.  Sed  unde  <c 
mouvement?  Nullumverbum.  M.  Revol  idem  dixit...  (1).  » 
L'envoyé  florentin,  en  annonçant  la  nouvelle  à  son  gou- 
vernement, raconte  qu'on  faisait  à  la  cour  toutes  sortes  de 
suppositions  sur  les  causes  de  ce  renvoi  :  les  uns  disaient 
que  les  ministres  trahissaient  leur  maître,  traversaient  ses 
desseins,  favorisant  le  mal  et  supposant  au  bien,  les  autres 
prétendaient  qu'ils  s'entendaient  avec  les  factions  (ma  di- 
versamente  e  con  diversi  pretesti,  observe-t-il)  :  beaucoup 
pensaient  que  le  roi  voulait  désormais  être  seul  le  chef,  le 
conseiller  et  le  secrétaire  de  ses  affaires  (2). 

Cependant,  Villeroy  dans  sa  retraite  examinait  sa  con- 
duite passée,  interrogeait  ses  amis,  «  conférant  avec  un 
chacun  pour  découvrir  les  causes  duditmécontentement  ». 
«  Les  uns  disaient,  nous  rapporte-t-il,  que  le  roi  s'était 
laissé  entendre  que  j'avais  trop  d'autorité  et  de  crédit  en 


çait  à  Mendoza  la  nouvelle  sans  la  commenter.  Il  paraissait  à  ce  mo- 
ment préoccupé  surtout  des  Etats  généraux  et  des  avertissements  qu'il 
recevait  de  partout  d'avoir  à  défendre  sa  vie.  Ibid.,  f°  loi. 

(1)  Faye  d'Espesse  à  Bellièvre.  18  septembre,  F.  Fr  15909,  f°  154. 
Li  9  octobre,  il  lui  écrivait  de  nouveau  qu'il  avait  cherché  à  savoir  les 
causes  de  la  disgrâce  :  «  Addwi t  qu"\\  y  a  en  cela  un  peu  de  soudai- 
neté  et  de  dessein  de  faire  omnia  nova,  j'entends  un  conseil  nouveau...  » 
Ibid.,  r  199. 

(2)  Desjardins,  t.  IV,  p.  822  et  suiv.  Dép.  de  Gavriana  du  13  sep- 
tembre. 


LE    SECRETAIRE    DE    HENRI    III  439 

ma  charge;  les  autres  qu'il  trouvait  mauvais  que  ses  se- 
crétaires ouvrissent  ses  paquets  ailleurs  qu'en  sa  présence 
et  qu'ils  écrivissent  des  lettres  particulières  aux  gouver- 
neurs des  provinces,  à  des  ambassadeurs  et  autres  qui  le 
servaient,  et  en  reçussent  aussi  d'eux  concernant  ses  affai- 
res ;  aucuns  que  S.  M.  avait  découvert  que  quelques-uns 
de  mes  gens...  donnaient  avis  à  ceux  de  la  Ligue  des  af- 
faires de  S.  M.  qui  passaient  par  mes  mains  et  même  que  je 
m'entendais  avec  eux...  Plusieurs  me  taxaient  aussi  de  ce 
pouvoir  accordé  à  feu  M.  de  Guise  et  de  la  négociation  de 
la  paix  en  laquelleon  disait  même  que  la  reine-mère  du  roi 
était  entrée  en  jalousie  de  moi  ;  et  ceux  qui  estimaient  être 
plus  clairvoyants  disaient  que  le  roi  avait  aussi  éloigné  de 
lui  ses  vieux  serviteurs  et  ministres,  pour  le  seul  respect 
de  ladite  dame  reine  mère  du  roi  avec  laquelle  ils  avaient 
tropgrande  communication...  »  (1). 

Ces  divers  motifs  que  Villeroy  place  dans  la  bouche  des 
uns  et  des  autres  se  ramènent  à  deux  :  Villeroy  avait 
acquis  trop  de  pouvoir  personnel  ;  Villeroy  était  trop  favo- 
rable à  la  Ligue  : 

1°  A  ceux  qui  l'accusaient  d'avoir  trop  d'autorité  en  sa 
charge,  Villeroy  arépondu  qu'elle  procédait  entièrement  de 
celle  que  le  roi  lui  donnait.  Le  roi  qui  lui  donnait  sa  con- 
fiance ne  pouvait-il  pas  lui  retirer  une  partie  de  ses  pou- 
voirs sans  le  chasser  de  la  Cour?  D'ailleurs  cette  faveur 
était  méritée  ;  le  secrétaire  n'avait-il  pas  toujours  agi  con- 
formément aux  volontés  du  maître? 

On  pouvait  répondre  à  Villeroy  (ce  qu'il  savait  bien  sans 
aucun  doute,  mais  ne  pouvait  dire  dans  une  apologie)  : 
Peut-on  retirer  facilement  une  partie  de  son  autorité  à  un 
homme  d'état  depuis  longtemps  investi  d'un  grand  pouvoir 
personnel,  très  attaché  à  ce  pouvoir  et  jaloux  de  le  conser- 
ver? Les  demi-mesures  sont-elles  possibles  en  pareil  cas? 

(1)  Mém.,  p.  130. 


140  VILLEROY 

Villeroy  avait  toujours  agi  officiellement  selon  les  volontés 
du  roi.  Mais  qu'était-ce  que  la  volonté  hésitante  et  capri- 
cieuse d'un  Henri  III  disputé  entre  des  influences  oppo- 
sées, réduit  à  s'allier  aux  Guises  qu'il  détestait,  à  éloigner 
d'Épernon  qu'il  aimait  ?  Villeroy  avait  souvent  réussi  à 
fixer  la  volonté  de  ce  faible;  mais  ne  devait-il pascraindre 
d'être  sacrifié  le  jour  où  le  roi  voudrait  agir  selon  ses  ran- 
cunes et  ses  sympathies  personnelles  ? 

A  ceux  qui  reprochaient  à  Villeroy  d'ouvrir  les  paquets 
avant  le  roi  et  de  correspondre  directement  avec  les  gou- 
verneurs et  les  ambassadeurs,  le  ministre  répond  en  invo- 
quant l'usage  et  l'intérêt  public.  Depuis  huit  ou  dix  ans  on 
avait  cessé  d'appliquer  les  prescriptions  qui  avaient  ému 
Villeroy  à  Lyon  en  1574.  Il  semblait  admis  que  l'impossi- 
bilité de  voir  le  roi  à  toute  heure,  l'obligation  de  régler 
promptement  certaines  affaires  urgentes,  la  confiance  qui 
régnait  entre  ministres  et  officiers  royaux  rendaient  néces- 
saire une  certaine  initiative  ministérielle.  Cette  responsa- 
bilité était  bien  légitime  pour  toutes  les  bonnes  raisons 
que  Villeroy  allègue,  maisle  jour  où  le  ministre  devint  sus- 
pect, elle  devait  nécessairement  être  une  cause  de  disgrâce. 

2°  La  véritable  cause  du  renvoi  de  Villeroy  fut  sa  poli- 
tique à  l'égard  des  Guises.  Il  conseillait  l'union  des  catho- 
liques avec  le  roi  :  on  fit  de  lui  un  «  fauteur  »  de  la  Ligue. 
Cette  accusation  fut  sa  perte.  Onn'avaitaucuneassurancede 
sa  complicité,  mais  descoïncidences  malheureuses,  desdé- 
marches équivoques,  des  relations  compromettantes  formè- 
rent des  probabilités  qui  réunies  en  faisceau  furentacceptées 
comme  une  preuve  par  des  hommes  prévenus  et  passionnés. 

Quelques-uns  des  gens  de  Villeroy  étaient  soupçonnés 
d'intelligence  avec  la  Ligue.  Les  Guisards  et  les  Espagnols 
firent  certainement  des  tentatives  pour  connaître  ce  qui 
passait    par  les  mains  de  Villeroy  (1).  Réussirent-elles? 

(1)  L'ambassadeur  de  Venise  envoyait  à  la  seigneurie,  au  début  de 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  141 

Nous  ne  le  savons.  Le  ministre  affirme  qu'il  ne  s'est  jamais 
aperçu  de  rien.  11  se  tenait  sur  ses  gardes.  Il  écrivait  de  sa 
main  les  choses  les  plus  importantes  et  ne  les  confiait,  pas 
toutes  à  un  seul.  Il  ne  les  taisait  même  pas  écrire  sur  un 
registre,  suivant  la  coutume.  On  ne  pouvait  donc  repro- 
cher à  Villeroy  d'être  négligent.  Il  étail  le  premier  à  re- 
connaître qu'il  faut  se  métier  des  hommes  en  un  siècle  de 
i  ice  et  de  corruption  (1). 

L'attitude  publique  de  Guise  envers  le  ministre  compro- 
mit ce  dernier  autant  que  les  relations  entre  le  duc  et  les 
commis.  «  Feu  M.  de  Guise,  dit  Villeroy.  me  l'aisail  cet 
honneur  que  d'estimer  et  rechercher  mon  amitié,  se  louer 
de  moi  et  même  en  l'aire  étal.  Tels  arguments  sont-ils  suf- 
fisants pour  me  condamner  ('2)?  »  Ils  nous  paraissent  comme 
a  Villeroy  insuffisants  quand  nous  connaissons  les  allures 
caressantes,  insinuantes  et  dissimulées  du  duc  de  Guise,  cet 
adroit  recruteur  de  partisans,  lorsqu'il  flattait  les  serviteurs 
favoris  du  roi  pour  acquérir,  avec  leur  concours,  les  lionnes 
grâces  du  maître.  Depuis  la  paix  de  Juillet  qui  l'avait  établi 
solidement  à  la  cour,  il  pratiquait  mieux  que  jamais  cette 
tactique  qui  était  celle  de  tout  son  parti.  L'archevêque  de 
Lyon,  dans  un  «  advis  »  célèbre,  après  avoir  recommandé 


158G,  les  chapitres  d'un  conseil  tenu  par  les  Ligueurs,  où  il  avait  été 
décidé  d'organiser  l'espionnage  particulièrement  auprès  de  Villeroy, 
«  veder  di  corromper  qualche  secretario  di  Villeroi  poiche  per  le  sué 
main  passano  le  piu  important  ispeditioni,  per  scoprir  s'è  possibile  i 
secreti  del  Re  ».  (F.  ltal.  1734,  l'°  413).  Nous  n'avons  trouvé  dans  les 
papiers  île  Simancas aucune  preuve  certaine  île  la  trahison  d'un  commis 
île  Villeroy. 

(!)  Mém.}  p.  132. 

(2)  Ibid.  —  Le  9  octobre,  Fays  écrivait  à.  Bellièvre  :  ■•  Les  plus  avi- 
sés et  clairvoyants  concluent  et  l'un  d'eux  pense  le  bien  savoir  que  lu 
laboras  morbo  alieno  et  que  la  trop  grande  amitié  que  vous  portiez  à 
un  petit  seigneur  votre  voisin  par  derrière  a  l'ait  que  Diespiter  iratus 
incesto  addidit  integrum,  n'ayant  que  très  bonne  opinion  de  vous  et 
de  vos  services  fidèles,  mais  que  de  lui  il  a  découvert  je  ne  sais  quoi 
et  que  il  a  craint  quelque  contagion  en  vous...»  F.  Fr.  15909,  fo  199. 


142  VILLEROY 

au  duc  de  ne  plus  s'éloigner  de  la  cour,  de  ménagerla  sus- 
ceptibilité du  roi,  d'avoir  <<  des  ménagements  infinis  pour 
la  reine»,  l'engageait  à  rechercher  Villeroy  (1).  Après  Ca- 
therine le  ministre  avait  donc  la  première  place  dans  la 
sollicitude  des  Ligueurs  ;  et  Ton  considérai!  son  appui  éven- 
tuel  comme  si  important  que,  dans  le  cours  de  l'avis,  on 
revenait  à  deux  reprises  sur  son  compte. 

Dans  l'entourage  du  roi,  on  ne  voulut  pas  voir  le  but  de 
ces  démonstrations  intéressées  d'amitié.  On  les  considéra 
comme  les  marques  d'une  véritable  entente.  Villeroy,  dit- 
on,  avait  voulu  établir  Guise  à  la  Cour  «  pour  en  tirer  sup- 
port »,  et  «  pour  se  venger  de  M.  d'Epernon  »  (2).  Villeroy 
n'a  pas  de  peine  à  démontrer  que  dans  l'un  et  l'autre  cas  il 
aurait  fait  un  détestable  calcul.  Il  n'avait  pas  besoin  d'un 
tel  appui  «  pour  plumer  l'oie  du  roi  avec  lui  »,  puisque  le 
roi  ne  lui  refusait  rien.  L'intérêt  de  Villeroy  était  bien  d'ac- 
cord avec  ses  principes  politiques  pour  l'engager  à  ne  pas 
accroître  démesurément  la  puissance  du  duc.  Il  comprenait 
aussi  que  son  influence  personnelle  disparaîtrait  le  jour  où 
Guise  serait  le  maître,  et  remplacerait  les  alliés  incertains 
comme  Villeroy  par  des  amis  éprouvés  tels  que  d'Epinac. 
Villeroy  ne  pouvait  rester  un  personnage  à  la  Cour  qu'en 
demeurant  dans  une  position  intermédiaire  entre  les  enne- 
mis acharnés  de  Guise  et  ses  amis  dévoués. 

11  n'avait  pas  besoin  non  plus  de  l'appui  de  (mise  «  pour 
se  fortifier  contre  Epernon  ».  «  Il  était  trop  savant  courti- 
san pour  choisir  cette  voie-là  (3)  ».  Il  lui  fallait  compter 
avec  l'amitié  profonde  du   roi  pour  son   favori,  comme  il 


(1)  Voir  VAdvis  de  M  d'Epinac.  archevêque  de  Lyon, durant  lu  Ligue, 
<i  feu  M.  de  Guise  .  F.  Fr.  3975,  fo  214-217.  Il  a  été  édite  dans  les 
Mém.  d'Estat  de  Villeroy,  Ed.  de  1622,  t.  II,  p.  1GG-174,  sous  le  titre 
suivant  :  Instruction  a  M.  de  Guise  retourné  en  Cour  après  la  paix  de 

Juillet. 

(2)  Mém.,  i».  133. 

(3)  Mém.,  \>    133. 


LE    SECKETAIUE    DE    HENRI    111  143 

avait  compté  avec  la  haine  invétérée  d'Henri  III  contre 
Guise.  [1  savait  très  bien  que  l'inimitié  de  (luise  ne  pour- 
rait nuire  au  duc  d'Epernon.  D'ailleurs,  il  était  assuré 
contre  le  favori  par  son  éloignemenl  (1). 

Il  est  naturel  qu'en  interprétant  si  faussement  les  inten- 
tions de  Villeroy,  on  soit  arrivé  à  voir  en  lui  un  pension- 
naire du  duc  de  Guise  et  du  roi  d'Espagne.  ('.'(Hait  une 
accusation  liés  courante  en  France  à  la  fin  du  xvie  siècle  et 
fréquemment  justifiée.  Trois  sortes  de  personnes  ne  la  mé- 
ritaient pas:  les  caractères  profondément  honnêtes  que 
leur  eonscience  préservait  de  la  vénalité;  ceux  que  de 
fortes  haines  ou  des  passions  politiques  rejetaient  dans  le 
parti  adverse,  et  ceux  qu'inspirait  le  sentiment  de  leur 
intérêt  bien  entendu.  Villeroy  n'eut  pas  besoin  de  se  vendre; 
il  vivait  honnêtement  mais  sans  faire  aucune  dépense  exa- 
gérée. Les  libéralités  du  roi  lui  suffisaient.  «  J'ai  servi  des 
maîtres  qui  me  faisaient  assez  de  bien  sans  en  aller  cher- 
cher ailleurs.  Celui  qui  prend  s'engage  ;  ce  que  ne*  doivent 
faire  ceux  qui  sont  constitués  aux  charges  publiques  pour 
quelque  cause  que  ce  soit.  »  La  modération  de  ses  désirs 
et  la  prudence  de  Villeroy  sont  donc  les  meilleurs  garants 
de  son  honnêteté.  Aucun  indice  dans  la  correspondance  du 
duc  de  Guise  ni  dans  les  lettres  des  ambassadeurs  espa- 
gnols ne  permet  de  supposer  que  Villeroy  fut  vendu  au 
parti  lorrain  ou  à  l'Espagne.  Le  ministre  d'Henri  III  était 
pour  les  Ligueurs  et  les  Espagnols  un  personnage  énigma- 
tique  et  inquiétant  que  l'on  courtisait  sans  être  assuré  de 
son  appui.  Si  l'on  en  croit  Nevers  dans  son  «  Manifeste  des 
causes  de  la  prise  d'armes  de  janvier  1589  »  ('2),  les  chefs 

(I)  Il  ajoute  que  l'inimitié  même  de  Guise  a  longtemps  servi  à 
d'Epernon  de  protection  :  «  Ledîtsieur  d'Epernon  avait  à  la  Courdes  en- 
nemis et  envieux  plus  dangereux  et  puissants  que  ledit  duc  et  moi  en- 
sèmble  :  je  les  connaissais  bien,  jejureavoir  plutôt  détourné  que  pro- 
curé  le  mal  que  j'ai  connu  que  l'on  lui  voulait  faire  ;  aussi  ma  fortune 
n'avait  rien  de  commun  avec  la  sienne,  il  volait  d'une  autre  aile.   » 

(-2)  Cimber  et  Danjou,  t.  XII,  p.  100. 


444  VILLEKOY 

du  parti  vainqueur  après  FEdit  d'Union  auraient  résolu 
d'occuper  les  hautes  charges.  Peut-être  auraient-ils  vu 
sans  trop  de  déplaisir  le  remplacement  de  Villeroy  par  une 
personne  plus  dévouée  à  leurs  intérêts. 

Il  semble  bien  d'ailleurs  que  dans  l'entourage  du  roi  les 
soupçons  de  vénalité  n'aient  pas  pris  consistance.  Dans 
toutes  les  paroles  prononcées  par  Henri  III  après  le  renvoi 
des  ministres  et  rapportées  par  les  ambassadeurs,  ne  se 
trouve  aucune  allusion  de  ce  genre.  Du  Vair  répondit  à 
Villeroy  en  raillant  doucement  sa  susceptibilité  et  en  lui 
faisant  entendre  que  personne  parmi  les  gens  de  bien  ou 
les  personnages  l'ayant  connu  n'avait  admis  un  moment 
cette  accusation.  Henri  III  connaissait  trop  le  désintéres- 
sement du  ministre  pour  y  croire.  Villeroy  ne  thésaurisait 
pas.  Il  vivait  «  honnêtement  »  sans  faire  une  grande  dé- 
pense, n'ayant  aucun  vice  coûteux,  n'étant  ni  joueur  ni 
banqueteur, ni  prodigue.  Ce  qui  lui  coûta  le  plus  d'argent 
ce  fut  l'éducation  très  soignée  qu'il  fit  donner  à  son  fils 
unique  H  quelques  constructions.  Il  n'avait  pas  tiré  ces 
sommes  de  son  patrimoine  puisqu'il  était  encore  «  fils  de 
famille  »,  mais  du  bien  de  sa  femme  qu'il  avait  en  partie 
engagé,  du  produit  de  son  office  et  des  libéralités  du  roi. 
Il  n'avait  acquis  en  21  ans  que  4.000  livres  de  rente  en 
fonds  de  terre  qu'il  ne  possédait  pas  entièrement  puis- 
qu'il devait  encore  3.000  écus.  Tout  le  monde  le  savait  et 
il  ne  craignait  pas  de  le  répéter  tout  haut  (1). 

En  réalité,  c'est  seulement  la  conduite  politique  de  Ville- 
roy qui  parut  suspect  eau  roi  et  causale  renvoi  du  ministre. 
Quelques-uns  se  rappelèrent  les  dénonciations  de  Salcède  et 
quand  ils  virent  la  plupart  de  ceux  qu'il  avait  nommés  com- 
promis dans  la  Ligue  crurent  que  Villeroy  avait  été  lui  aussi 
le  complice  des  Guises  depuis  158?.  Mais  ce  fut  le  petit 
nombre.  Le  roi  Henri  II!  le  rendil  responsable  de  la  paix  de 

(1)  Mon.     p.  134.  —  Lettre  à  du  Voir. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  1-45 

Juillet  etde  ses  honteuses  conséquences.  Il  s'imagina  après 
coup  qu'il  aurait  pu  résister  aux  Guises,  que  Bellièvre  au- 
raitpu  le  prévenir  de  l'arrivée  du  duc  à  Paris,  que  Villeroy 
aurait  pu  obtenir. des  concessions  plus  favorables  pour  la 
royauté.  C'estla  véritable  raison  que  Jacques  Faye,  l'excel- 
lent parent  de  Bellièvre,  avait  fini  par  découvrir  (  1  ).  «  On  dit 
que  les  articles  de  l'Edit  de  réunion  furent  portés  ou  en- 
voyés à  M.  de  Guise  moins  avantageux  pour  le  roi  qu'il 
n'espérait  et  précipitamment  devant  que  à  peine  il  les  eut 
bien  résolus  et  arrêtés  dont  S.  M.  montra  être  l'orl  altérée 
contre  ledit  sieur  de  Villeroy,  la  cause  duquel  fut  soutenue 
par  MM.  du  Conseil  qui  dirent  que  negolium  utiliter  et  jus- 
tum  erat  ab  Ul<>  vu  le  danger  où  était  la  France,  et  que  cela 
altissime  insedit  animo  régis  et  y  a  eu  do  souffleurs  qui 
ont  ajouté  qu'ils  s'étonnent  de  quoi  ceux  qui  axaient  été  si 
souvent  à  Chalons  et  à  Soissons  n'avaient  pu  découvrir 
l'entreprise  de  Paris  et  la  venu*1  de  M.  de  Guise.  »  Villeroy 
le  comprenait  très  bien,  quand  il  écrivait  fièrement  à  Bel- 
lièvre :  «  Nous  n'avons  jamais  été  ni  huguenols,  ni  ligueurs, 
nous  avons  fait  ce  que  le  Roi  nous  a  commandé  cl  l'avons 
servi...  ainsi  qu'il  a  voulu...  Sien  plusieurs  choses,  nous 
avons  eu  des  avis  et  avons  donné  des  conseils  contraires 
quelquefois  à  l'opinion  de  quelques  autres,  nous  avons  eu 
pour  guide  notre  conscience  fortifiée  de  plusieurs  raisons 
que  nous  avons  représentées  et  exposéesà  la  censure  et  au 
bon  jugement  de  S.  M  .  laquelle  en  a  usé  ainsi  qu'il  lui  a 
plu  (2).  »  Henri  III,  à  la  veille  de  prendre  de  graves  réso- 
lutions, pour  se  débarrasser  des  Guises  et  être  enfin  le 
maître,  renvoya  les  ministres  qui  n'auraient  pas  approuvé 
son  acte.  Le  changement  de  politique  entraîna  un  ehange- 
menl  de  ministère. 
Henri  III  appela  auprès  de  lui  des  homme-   nouveaux, 


(1)   Faye  ù   Bellièvre,   18  octobre,  F.  Fr.  1590!),    fo  203. 
{'2)  Villeroy  à  Bellièvre,  6  janvier  1889,  F.  Fr.  15909,  fo  2! 
Villeroy.  10 


146  MLLEROY 

honnêtes  mais  obscurs  et  sans  expérience  politique.  Il  don- 
na les  sceaux  à  François  de  Montholon,  un  simple  avocat 
du  Parlement  de  Paris,  docte,  intègre,  bon  catholique,  mais 
peu  versé  dans  les  affaires  d'Etat  et  dans  les  finances.  Il 
choisit  pour  secrétaires  d'Etat  deux  commis  de  l'ancien 
secrétaire  Fizes,  Migeon  et  Révol.  Migeon  s'excusa  et  fut 
remplacé  par  Beaulieu.  Louis  Révol  était  un  Dauphinois 
protégé  par  le  duc  d'Epernon  qui  l'avait  employé  en  Pro- 
vence  comme  intendant  de  justice,  police  et  finances  do  son 
armée.  Il  avait  une  excellente  réputation  :  c'était  le  type 
du  bon  serviteur  fidèle  et  désintéressé  (1).  Martin  Ruzé, 
seigneur  de  Beaulieu  était  un  ancien  secrétaire  du  duc 
d'Anjou  qui  avait  suivi  son  maître  en  Pologne.  Au  début 
du  règne,  il  avait  été  nommé  secrétaire  des  finances  avec 
entrée  au  Conseil  et  avait  fidèlement  servi  comme  secré- 
taire des  commandements  de  la  reine-mère.  Henri  III  avait 
offert  une  charge  de  secrétaire  d'Etat  à  l'abbé  'd'Ossat,  un 
jeune  diplomate  qui  s'était  distingué  à  Rome  comme  secré- 
taire de  l'ambassadeur  Paul  de  Foix,  puis  du  protecteur 
des  affaires  de  France,  le  cardinal  d'Esté,  et  enfin  du  cardi- 
nal de  Joyeuse  qui  le  considérait  plutôt  comme  un  conseiller 
et  un  guide.  D'Ossat  s'était  excusé  prétextant  l'incompati- 
bilité des  fonctions  ecclésiastiques  et  de  la  charge  dont  le 
roi  voulait  l'honorer.  Mais  on  disait  qu'il  avait  refusé  par 
reconnaissance  pour  Villeroy,  qui  l'avait  pris  en  grande 
affection  et  protégé  auprès  d'Henri  III  (2). 

Les  fonctions  des  deux  secrétaires  furent  d'abord  mal 
définies.  On  les  considérait  comme  de  simples  commis, 
sans  autorité  personnelle.  Le  22  février  1589,  Henri  III  leur 
adjoignit  deux  nouveaux  collègues  pour  rétablir  le  chiffre 


(1)  Sur  ce  personnage  et  les  suivants  voir  ce  que  nous  disons  plus 
loin.  — Voir  aussi  Pap.  Simancas,  K.  1569,  fo  113  Mendoza  à  Phi- 
lippe II,  24  septembre  1588.  —  Desjardins,  t.  IV,  p.  S24.  —  F.  Ital. 
1737,  fo  237  (Dép.  de  Mocenigo,  23  sept  ). 

(2)  Degert,  Le  Cardinal  d'Ossat,  in-8«,  1894.  p.  40. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  147 

traditionnel  de  quatre  secrétaires  d'Etat,  Louis  Potier, 
sieur  de  Gesvres,  qui  avait  travaillé  dans  les  bureaux  de 
Villeroy  et  était  devenu  secrétaire  des  finances,  puis  secré- 
taire du  Conseil,  et  Pierre  Forget,  sieur  de  Fresnes,  se- 
crétaire des  finances,  qui  avait  été  dans  sa  jeunesse  secré- 
taire du  roi  de  Navarre.  Tant  que  les  deux  premiers  secré- 
taires nommés  restèrent  seuls  en  charge,  ils  eurent  chacun 
des  attributions  spécialisées  comme  les  ministres  de  nos 
jours.  Ruzé  eut  les  états  de  la  guerre  et  la  correspondance 
avec  les  provinces.  Revol  eut  les  étrangers.  Quand  ils  furent 
quatre,  Ruzé  conserva  la  guerre  et  eut  de  plus  la  corres- 
pondance avec  Paris,  Pile  de  France  et  le  Berry.  Revol 
garda  les  pays  étrangers.  Potier  et  Forget  se  partagèrent 
de  reste  des  provinces  françaises  (1). 

Henri  III  avait  pris  les  plus  grandes  précautions  pour 
que  ''es  secrétaires  restassent  de  simples  commis,  détachés 
de  tout  lien  avec  les  partis,  et  entièrement  dominés  par  lui. 
Dans  le  règlement  qu'il  fitdresseràBlois,  le  1er  janvier  1589, 
il  commençait  par  exiger  que  ses  secrétaires  a  posl posent 
toutes  affections  particulières  ne  reconnaissant  que  S.  M. 
el  n'embrassent  que  ses  seules  volontés  et  non  de  quelque 
autre  que  ce  soit  »  (?).  Ils  devaient  être  très  bons  catho- 
liques, avoir  trente-cinq  ans  passés,  prêter  le  serment  entre 
ses  mains  —  et  non  plus  entre  les  mains  du  chancelier. 
Ils  ne  pouvaient  recevoir  eux-mêmes  les  paquets  et  les  dé- 
pêches. Tout  cela  serait  porté  tous  les  matins  à  cinq  heures 
au  roi,  car  «  S.  M.  veut  plus  que  jamais  embrasser  l'intelli- 
gence et  conduite  de  ses  affaires  ».  Les  quatre  titulaires  des 
charges  choisis   par  lui  étaient  gratifiés  de  4000  écus  par 


(1)  Voir  les  ambassadeurs  étrangers  cités  plus  haut.  —  De  Luçay, 
Les  Secrétaires  d'Etat...,  p.  31. 

(2)  «  Règlement  ijue  le  roi  a  fait  dresser  pour  être  suivi  et  observé 
de  point  en  point  par  les  secrétaires d'Estal  en  la  forme  et  manière  qui 
en  suit.  A  Blois,  le  1er  janvier  1589.  »  P.  Fr.  4591,  f  205.  Ce  règle- 
ment n'a  été  publié  ni  par  Fauvelet  du  Toc  ni  par  de  Luçay. 


448  VILLEROY 

an  et  (lovaient  suivre  partout  le  roi.  Ils  n'auraient  qu'un 
commis  et  six  clercs  parfaitement  sûrs.  Un  article  de  ce 
minutieux  règlement  montre  combien  le  roi  tenaifà  les  iso- 
ler, contrairement  à  ce  qui  se  passait  du  temps  de  Ville- 
roy :«  Les  dits  secrétaires  ne  hanteront  ne  fréquenteront 
ni  iront  boire  ni  manger  chez  quelques  princes,  sei- 
gneurs ni  avec  personnes  que  ce  soit  que  chez  S.  M.  et  la 
Reine  sa  mère  ou  chez  eux  et  entre  eux,  ce  que  sa  dite  Ma- 
jesté leur  défend  très  expressément  ni  auront  pratiques, 
communications  ou  intelligences  avec  aucun  des  susdits  ne 
prendront  ni  accepteront  gages,  pensions  ni  bienfaits  que 
de  S.  M.  ne  recevront  commandement  en  chose  qui  regarde 
le  service  de  S.  M.  que  de  sa  propre  bouche  ouparécrit  de 
sa  main  et  signé  d'elle  ou  de  la  Reine-mère  (1).  » 


IV 


Après  sa  disgrâce,  Villeroy  avait  gardé  une  altitude  très 
digne  et  très  réservée.  Dans  sa  campagne  des  bords  de  l'Es- 
sonne,  d'où  il  écrivait  à  Bellièvre  :  «  Plus  je  jouis  de  ma 
maison,  plus  j'y  trouve  de  douceur  »  (2),  il  recevait  des  vi- 
sites, des  offres  d'amitié,  et  de  nombreuses  lettres  de  con- 
solation (3).  Entre  autres,  le  duc  de  Guise  lui  fit  proposer 
deux  ou  trois  fois  ses  bons  offices.  Villeroy  le  remercia  pru- 
demment, le  priant  seulement,  s'il  voulait  l'obliger,  de  ra- 
conter au   roi  comment  il  s'était  comporté  dans  ses  der- 


(1)  Règlement...  Ibid.,  f°  212. 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  28  septembre.  F.  Fr.  15909,  f°  188. 

(3)  11  a  serré  ces  lettres  dans  une  boite,  nous  dit-il  (lettre  à  Bellièvre, 
6  janvier  1389,  f°  226).  Nous  ne  les  avons  pas.  Nous  possédons  les 
nombreuses  lettres  envoyées  dans  la  même  circonstance  à  Bellièvre  par 
d'Epinac,  Potier,  Schomberg,  Mayenne,  Brulart,  Chevernv,  Gondi. 
d'Alincourt,  d'Elbène,  etc.  F.  Fr.  1509,  passim. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  149 

nières  négociations  (1).  Aux  Etats  qui  s'ouvrirent  à  Rlois  le 
lôoctobre,  Villeroy  comptait  de  bons  amis  qui,  joints  à  des 
députés  des  provinces  de  son  département,  voulaient  l'aire 
instance  auprèsd'Henri  Illpourqu'il  rappelât  son  ministre. 
Il  craignit  que  cette  démarche  ne  déplût  et  les  pria  de  n'en 
rien  faire  (2). 

A  la  fin  de  novembre,  Mandelot  mourut  et  la  Iieutenance 
du  gouvernement  du  Lyonnais  devint  vacante  (3).  Villeroy 
écrivit  au  roi  pour  lui  rappeler  la  promesse  écrite  de  sa  main 
le  "2  juillet  1587  et  qui  accordait  à  Alincourt  la  survivance  de 
sa  charge.  Les  députés  de  la  ville  de  Lyon  aux  Etats  parlèrent 
dans  le  même  sens  à  Henri  III.  Mais  celui-ci  répondit  qu'il 
s'était  depuis  longtemps  engagé  en  faveur  du  duc  de  Ne- 
mours. Il  refusa  au  fils  de  Villeroy  la  lieutenance-générale 
du  Lyonnais.  Il  ne  voulut  même  pas  lui  donner  le  bailliage 
de  Mâcon  qu'il  avait  donné  six  mois  auparavant  à  Mandelot. 
Quand  M"1"  de  Mandelot  fit  supplier  le  roi  d'avoir  pitié 
d'elle  et  de  sa  famille,  il  lui  fut  dit  qu'avec  le  temps  on 
pourrait  faire  quelque  chose  pour  elle  et  ses  filles,  en  con- 
sidération des  services  de  M.  de  Mandelot,  mais  rien  pour 
le  fils  de  Villeroy  ni  pour  Villeroy  (4). 

Villeroy,  dans  sa  retraite,  ne  se  désintéressait  pas  des  af- 
faires publiques.  Il  communiquait  par  lettres  à  Bellièvre  ce 
qu'il  pensait  des  événements.  Il  critiquait  la  conduite  hési- 
tante du  roi  qui  au  début  des  Etats  «  déclama  contre  la 
Ligue))  (5),  puis  jura  solennellement  l'édit  d'Union.  Il  jugea 


(1)  Mém.,  p.  135.  —  Nous  n'avons  qu'une  lettre  de  Mayenne  à  Bel- 
lièvre,  du  9  octobre  1588  [Ibid.,  f»  195)  se  rapportant  aux  bons  offices 
des  Guises.  «  Vous  avez  de  si  gens  de  bien,  compagnons  en  votre  dis- 
grâce que  cela  fait  connaître  qu'elle  n!esl  pas  arrivée  pour  vous  être 
éloigné  du  devoir  que  vous  avez  au  service  du  roi.  » 

(2)  Ibid.  Voir  aussi  la  lettre  à  Bellièvre,  citée  plus  haut  (fo  220). 

(3)  Voir  Péricaud,  Notes  et  documents,  p.   128. 

(4)  Mém.,  p.  13b. 

(o|  Villeroy  à  Bellièvre,  20  octobre  1588,  ibid.,  fo  205.  —  «  Le  roi  a 
bien  harangué.  Ce  n'a  été  sans  frapper  sur  les  absents  qu'il  a  chargés 


150  VILLEROY 

l'assassinat  des  Guises  une  faute  déplorable  à  tous  égards. 
A  ce  moment,  il  espéra  que  dans  le  désarroi  qui  suivit  la 
tragédie  le  roi  serait  peut-être  bien  aise  d'être  assisté  de 
ses  anciens  serviteurs.  Il  n'osait  croire  qu'on  le  rappellerait 
en  <  !our.  11  considérait  comme  absurdes  certains  bruits  qui 
couraient  à  ce  sujet.  Mais  il  avait  conservé  quelques  charges 
où  il  pouvait  rendre  service  au  roi.  11  était  capitaine  de  la 
Aille  de  Corbeil.  Après  les  événements  de  décembre,  il  avait 
l'ail  prêter  serment  de  fidélité  au  roi  par  les  officiers  et  ha- 
bitants de  la  ville.  Quand  Corbeil  se  fut  donnée,  malgré 
lui,  à  la  Ligue,  il  retira  l'officier  à  qui  il  avait  confié  la 
garde  du  château  et  quitta  la  place.  A  la  même  époque,  le 
père  de  Villeroy  se  retirait  de  Paris  en  sa  maison  d'Hallain- 
court  pour  n'être  pas  obligé  d'adhérer  à  la  Ligue.  Et  ce- 
pendant, Villeroy  avait  écrit  à  ses  amis  de  Cour  pour  les 
prier  d'assurer  le  roi  de  sa  fidélité  el  lui  demander  ce  qu'il 
pouvait  faire  pour  son  service  et  le  roi  ne  répondait  pas  (]). 
Après  le  meurtre  des  Guises,  la  Ligue  entra  en  révolte 
ouverte  contre  le  roi.  Le  fanatisme  n'eut  plus  aucune 
borne  :  les  prédicateurs  maudirent  l'assassin,  fauteur  d'hé- 
résie et  ennemi  de  Dieu.  Paris  organisa  le  nouveau  gou- 
vernement insurrectionnel  :  des  comités  furent  placés  à  la 
tète  des  seize  quartiers  de  la  capitale;  le  Parlement  fut 
('■pure  :  la  Sorbonne  délia  le  peuple  du  serment  d'obéissance 
au  roi.  Mayenne,  élu  lieutenant  général  de  l'État  el  Cou- 
ronne de  France,  entra  dans  Paris  le  \'2  février  en  triom- 
phateur,  prit  le  pouvoir  et  le  commandement  des  armées 
el    assura   à  ses   partisans   et   amis  la  prépondérance   sur 

de  négligence  et  d'autres  défauts.  Il  est  le  maître  qui  a  toute  puissance. 
Il  peut  dire  et  taire  ce  qui  lui  plaira.  Mais  il  ne  saurait  nous  l'aire  être 
pires  mi  meilleurs  que  nous  sommes.  Voilà  à  quoi  je  me  résouds  et  de 
\  ivre  toujours  son  sujet  et  serviteur  tant  qu'il  sera  mon  roi.  »  A  la  fin 
il  résume  ainsi  son  impression  :  «  Voilà  comment  nous  montrons  en 
toute  chose  notre  impuissance.  » 
;i)  Mém.,  p.  136. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  151 

l'élément  démagogique  dans  le  nouveau  Conseil  Général 
de  l'Union. 

Les  grandes  villes  entrèrent  dans  la  Ligue.  L'une  des 
premières  fut  Lyon.  Le  ?4  février,  les  habitants  se  décla- 
rèrent  pour  l'Union  (1).  D'Alincourt  n'essaya  pas  de  résister 
au  courant  populaire.  Il  le  suivit  pour  regagner  sa  popu- 
larité compromise  par  différentes  intrigues  et  conserver 
sa  position.  Il  en  fut  récompensé  par  Mayenne  qui  le  12 
mars  lui  conféra  la  lieutenance.  Le  duc  de  Nemours  était 
gouverneur.  D'Alincourt  avait  agi  sans  prendre  l'avis  de 
son  père,  «  comme  jeune  et  très  mal  conseillé  »  (2).  Ville- 
roy,  qui  avait  appris  par  la  poste  cet  événement,  protesta 
toujours  qu'il  n'était  pour  rien  dans  cette  décision  (3). 
"Néanmoins  on  ne  voulut  point  le- croire  à  la  Cour.  Il  en  fut 
rendu  responsable  et  considéré  comme  un  traître. 

Quelque  temps  avant,  Villeroy  avait  fait  demander  à 
Henri  II!  un  passeport  pour  sortir  du  royaume.  A  la  fin 
de  février  il  n'avait  reçu  aucune  réponse.  Il  avait  appris 
l'indignation  que  le  roi  éprouvait  au  sujet  de  sa  prétendue 
trahison.  «  Je  fus,  dit-il,  dans  sa  lettre  à  Du  Vair,  si  étourdi 
et  intimidé  de  ce  coup,  que,  ne  sachant  plus  à  qui  recourir, 
je  me  retirai  à  l'heure  même  en  la  dite  ville  de  Paris.  » 

C'était  le  seul  endroit  où  il  put  vivre  en  sûreté.  *<  Le 
roi  ne  voulait  point  ouir  parler  de  moi  à  la  cour  ni  ail- 
leurs. »  Ilétait  réputé  pour  traître.  Trois  mois  après  l'assas- 
sinai des  Guises  et  l'emprisonnement  de  leurs  complices, 
pouvait-il  vivre  ensûreté  dans  les  villes  royalistes?  Le  pre- 
mier capitaine  venu    se  serait  emparé  de   lui,  sur    d'avoir 


(1)  VoirMorin,  Histoire  de  Lyon,  1837,  t.  V,  p.  îil9  et  suiv.  —  Pé- 
ricaud,  Notes  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  de  Lyon  pendant  la 
Ligue,  in-8u.  1814,  p.  1. 

(2)  Lettre  a  Du  Vair. 

(3)  Mém.,  p.  137.  —  Villeroy  à  Bellièvre.  1"  mars  1589,  F.  Fr. 
lo'JOO,  fo  239.  «  J'ai  toute  ma  vie  conduit  la  fortune  de  mon  fils  et  n'y 
ai  rien  épargné.  11  semble  maintenant  qu'il  veuille  conduire  la  mienne 
avec  la  sienne.  » 


452  VILLEROY 

l'impunité.  Les  villes  de  la  Ligue  ne  lui  offraient  pas  un 
refuge  plus  sur.  A  Paris  le  Parlement  avait  été  épuré.  On 
parlait  de  faire  saisir  les  biens  de  ceux  qui  n'entreraient 
pas  dans  l'Union.  Quel  traitement  aurait  subi  l'ancien  mi- 
nistre d'Henri  III  s'il  avait  voulu  garder  sa  neutralité  dans 
la  capitale  ?  Villeroy  avait  aussi  sa  famille  à  sauver  :  son 
père  n'était  pas  en  sûreté  dans  la  maison  d'Ilallaincourt.  Il  ne 
pouvait  non  plus  laisser  ruiner  la  situation  de  son  fils  qui  à 
cette  époque  quitta  Lyon,  où  il  n'avait  pu  s'entendre  avec 
Nemours  pour  Pontoisc.  dont  il  recutle  gouvernement  (1). 
«  Comme  mon  père  et  mon  fils  étaient  plongés  dedans 
l'abîme  de  ma  misérable  fortune,  quand  je  n'eusse  été  trans- 
porté du  péril  de  moi-même,  encore  n'eut-il  été  honteux 
de  les  abandonner  en  celui  qu'ils  couraient  pour  ma  consi- 
dération (2).  » 

La  nécessité  de  défendre  sa  vie,  sa  famille  et  sa  fortune 
avait  donc  poussé  Villeroy  à  «  franchir  ce  saut  ».  C'est  la 
raison  essentielle  qu'il  invoqua  toujours  pour  expliquer  sa 
conduite,  très  franchement,  sans  aucune  fausse  honte,  car 
il  avait  conscience  qu'aucun  de  ses  contemporains  n'avait 
vraiment  le  droit  de  lui  reprocher  de  n'avoir  point  été  un 
héros.  Il  était  un  homme  comme  les  autres,  sentant  qu'il 
avait  agi,  autant  qu'homme  de  bien  pouvait  le  faire,  et  qu'il 
lui  était  impossible  de  lutter  davantage.  «  C'est  la  tour- 
mente qui  nous  jette  où  il  plaît  à  Dieu  qui  connaît  l'intérêt 
de  notre  cœur  »,  écrivait-il  à  Bellièvre. 

Son  ami  du  Vair,  conseiller  au  Parlement,  qui  pourtant 
I t'nait  «  quelque  chose  du  philosophe  stoïcien  »,  était  resté 
a  Paris,  dans  la  capitale  révolutionnaire  qui  avait  rompu 
avec  le  roi.  Les  motifs  de  sa  conduite,  qu'il  explique  dans 
le.  traité  de  la  Constance,  ne  sont  pas  plus  héroïques  que 
ceux   qui   inspirèrent  Villeroy   (3).  Il   considère    en   effet 

(1)  Lettre  a  Du  Vair. 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  26  mars,  F.  Fr.  15900.  f°  247. 

(3)  Du  Vair,  La  Constance,  livre  III,  p.  882  et  suiv.  (Les  Œuvres  du 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HtNKI    III  1 5)i 

comme  parfaitement  excusables  ceux  qui  ne  pouvaient  fuir 
parce  qu'ils  étaient  surveillés  de  près,  ceux  qui  étaient 
exposés  à  perdre  tous  leurs  biens,  ceux  qui  restaient  «  au- 
près des  pères  et  mères  vieux,  ou  valétudinaires  »,et  qui 
en  demeurant  espéraient  secourir  leur  pays  qu'ils  ne  pou- 
vaient aider  autrement.  Des  raisons  analogues  avaient  re- 
tenu d'autres  magistrats  du  Parlement.  Les  esprits  pra- 
tiques et  modérés  du  temps  paraissent  bien  avoir  trouvé 
cette  attitude  honorable.  L'historien  de  Thon  excusa  ceux 
qui  avaient  agi  comme  Villeroy  (1).  Henri  IV  en  rétablis- 
sant le  Parlement  témoigna  la  plus  grande  indulgence  à 
,  cette  «infinité  de  citoyens  »  qui  étaient  restés  à  Paris,  «  les 
uns  pour  crainte  de  perdre  leurs  biens,  autres  pour  ne 
pouvoir  abandonner  les  personnes  à  la  conservai  ion  des- 
quelles le  devoir  de  nature  les  obligeait,  autres  pour 
n'avoir  moyenne  commodité  de  vivre  ailleurs,  aucuns  pour 
le  désir  qu'ils  avaient  de  nous  y  pouvoir  faire  service  et  à 
la  chose  publique  de  ce  dit  royaume  (2).  »  Il  parlait,  il  est 
vrai,  des  particuliers  et  non  des  magistrats  ou  des  fonc- 
tionnaires. .Mais  Villeroy,  dépouillé  de  ses  charges  par 
Henri   III,  n'était-il  pas  redevenu  une  personne  privée  ? 

Cependant,  il  ne  s'était  pas  abandonné,  les  yeux  fermés, 
à  la  tourmente.  Il  savait  qu'il  s'alliait  indirectement  à  un 
parti  révolutionnaire  et  cette  pensée  le  rendait  très  mal- 
heureux. Mayenne  et  son  entourage  l'avaient  comblé  de 
prévenances  :  on  lui  prodiguait  les  témoignages  d'amitié 
et  d'estime,  et  bien  qu'il  en  fût  très  louché,  il  ne  voulait 
pas  tout  d'abord  se  livrer  à  ce  parti.  Il  crut  avoir  trouvé, 
au  mois  de  mars,  quelques  jours  après  être  arrivé  à  Paris, 
l'occasion  de  demeurer  neutre  en  toute  sécurité.  Il  reçut 


sieur  Du  Vair,  garde  des  sceaux  de  France,  Rouen,  1622,  in-S°).  Voir 
Railouant,  Guillaume  du  Vair,  p.  194  et  suiv. 

(1)  De  Thou,  Hisl.,  t.  XV,  p.  533. 

(2)  Lettres  patentes...  Mém.  de  la  Ligue,  t.  VI,  p.  92. 


154  VILLEROY 

enfin,  par  l'intermédiaire  de  Revol,  le  passeport  qu'il  avait 
demandé  et  s'empressa  deregagner  la  campagne  (1). 

Il  avait  quelque  mérite  à  vouloir  séjourner  dans  ses 
terres.  Ses  lettres,  comme  les  doléances  des  contempo- 
rains, nous  peignent  les  chemins  dangereux,  les  cam- 
pagnes infestées  de  gens  de  guerre.  Il  se  gardait  le  mieux 
qu'il  pouvait  à  Villerov.  Il  craignait  d'y  être  attaqué.  A  la 
fin  d'avril,  on  l'avertissait  que  d'Épernon  avait  résolu  de 
l'avoir  «  à  quelque  prix  que  ce  soit  »  (2).  Henri  III  avait 
uni  ses  forces,  le  .°>  avril,  à  celles  d'Henri  de  Navarre  et  les 
deux  rois,  partis  de  Touraine,  avaient  pénétré  dans  l'Ile  de 
France.  A  partir  du  mois  de  mai  on  se  battit  à  Senlis,  à 
Etampes,  autour  de  Pontoise  (qui  capitula  le  26  juillet).  Peu 
à  peu,  Paris  fut  cerné.  Villerov  faisait  les  plus  sérieux 
efforts  pour  rester  en  sécurité  chez  lui.  Quand  son  fils, 
chassé  de  Lyon  par  le  duc  de  Nemours,  revint  dans  l'Ile 
de  France,  il  crut  habile  de  faire  parler  au  roi,  pour  lui 
montrer  que  d'Alincourt  avait  été  la  victime  des  circons- 

(1)  Mém.,  p.  137.  —  Lettre  à  Du  Vaiv. 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  29  avril  1589,  F.  Fr.  13909,  f°252.  —  Cette 
lettre  nous  dépeint  les  hésitations  du  ministre  qui  désira  rester  neutre 
le  plus  longtemps  possible.  «  Je  m'en  retourne  en  ma  maison  la  semaine 
qui  vient  pour  faire  Pâques  avec  mon  curé  et  pourvoir  à  mes  affaires, 
estimant  que  quand  les  étrangers  entreront  en  ce  royaume  comme  ils 
feront  bientôt  que  rien  ne  sera  en  sûreté  aux  champs.  M.  du  Maine  me 
presse  fort  de  ne  l'abandonner  point.  Je  le  supplie  de  me  permettre  de 
demeurer  en  ma  maison  pour  les  raisons  que  vous  pouvez  vous  repré- 
senter. A  quoi  je  ne  sais  s'il  aura  égard.  »  Le  12  mars,  il  écrivait  : 
«  Il  faut  que  je  vous  die  que  M.  du  Maine  m'a  fait  promettre  de  le 
voir,  de  sorte  que  je  fais  compte  d'en  chercher  l'opportunité  soudaine 
que  les  compagnies  de  gens  de  guerre  qui  sont  en  ces  quartiers  en 
seront  éloignées,  ayant  envie  de  savoir  de  lui  ce  que  nous  devons 
espérer  de  ces  affaires.  Il  m'a  longtemps  montré  beaucoup  d'amitié  et 
vous  assure  aussi  que  je  l'ai  toujours  grandement  honoré  et  affec- 
tionné. »  Les  deux  lettres  du  26  février  et  du  1er  mars  contiennent 
des  plaintes  sur  l'état  des  chemins.  Villerov  dit  dans  la  première  qu'il 

ïtrême  désir  de  voir  Bellièvre  :  «  Mais  il  y  a  tant  de  voleurs  par 
les  chemins  qu'il  est  difficile  d'échapper.  »  Dans  la  seconde:  «  Je  ne 
vous  écrire  ce  que  j'ai  sur  le  cœur  à  cause  du  danger  des  chemins.  » 
(/bit/.,  f°s  230-239). 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  155 

tances,  en  se  laissant  entraîner  la  première  fois  par  la 
désobéissance  des  habitants,  et  il  sollicita  de  nouveau  la 
protection  du  roi.  Il  s'était  fait  recommander  auprès  de 
lui  par  le  roi  de  Navarre,  à  la  prière  de  M.  do  Châtillon. 
Cette  grâce  lui  fut  refusée  (1).  La  vie  à  la  campagne  deve- 
nait intenable. 

Un  autre  sentiment  envahissait  peu  à  peu  Villeroy.  Cet 
homme  très  actif,  qui  avait  passé  vingt  ans  de  sa  vie  au  ser- 
vice de  l'Etat,  s'ennuyait  dans  l'oisiveté.  Il  souffrait  de  se 
sentir  inutile  au  fond  de  sa  retraite,  alors  que  le  pays,  si 
profondément  troublé,  avait  le  plus  grand  besoin  du  con- 
cours des  hommes  de  paix  et  des  honnêtes  gens.  «  Il  me 
semble,  écrivait-il  à  Bellièvre,  que  si  nous  attendons  que 
tout  soit  perdu  à  faire  ce  que  nous  devons  pour  le  bien 
général  que  nous  en  répondrons  devant  Dieu  et  qu'il  nous 
sera  aussi  reproché  des  hommes,  outre  ce  que  nous  parti- 
ciperons au  mal  lequel  n'épargnera  ceux  qui  se  contien- 
dront en  patience  en  leurs  maisons  non  plus  et  peut-être 
moins  que  les  autres.  Du  moins  devons-nous  nous  mettre 
en  devoir  de  voir  si  nous  pouvons  aider  à  empêcher  que  le 
mal  ne  soit  si  grand  et  préjudiciable  à  l'Etal  comme  il  se 
prépare,  afin  de  nous  y  employer  si  c'est  chose  qui  nous 
soit  et  permise  et  possible,  sinon  nous  résoudre  à  vivre  ou 
languir  en  nos  maisons  et  y  attendre  le  coup  qui  sera  iné- 
vitable à  la  longue  (2).  » 

Villeroy  résolut  donc  de  travailler  à  la  conservation  de 
la  religion  et  du  bien  public  et  au  rétablissement  de  la  paix. 
Comment?  Il  n'en  savait  encore  rien.  La  situation  était  si 


(1)  Lettre  à  Du  Vair.  C'est  après  le  8  avril  qu'il  a  demandé  cette 
protection,  car  il  n'en  parle  pas  dans  ses  Mémoires.  «  Coite  grâce  me 
fut  refusée  tout  à  plat,  encore  que  le  roi  qui  est  de  présenl  eut  pris  la 
peine  d'en  parler  à  S.  M.  à  la  recommandation  de  fen  M.  de  Châtillon 
au  bon  naturel  duquel  je  devais.,  comme  je  fais  à  sa  mémoire,  ce  bon 
office.  " 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  12  mars  1589,  F.  Fr.  15909,  1°  -2  il. 


156  VILLEROY 

troubléeau  mois  dejuilletl589querancien  ministre,  malgré 
son  expérience,  ne  pouvait  prévoir  comment  et  quand  elle 
prendrait  fin,  ni  quel  rôle  il  serait  appelé  à  jouer.  Ce  qu'il 
savait  sûrement,  c'est  qu'il  ne  pouvait  remplir  ce  rôle  utile 
qu'auprès  de  Mayenne. 

Dans  sa  retraite,  il  avait  écrit  un  long  mémoire  pour  jus- 
tifier sa  conduite.  11  était  extrêmement  soucieux  de  conserver 
sa  bonne  réputation,  et  le  déclarait  dès  la  première  page: 
«  Le  plus  grand  contentement  que  puisse  avoir  un  homme 
de  bien  après  celui  que  lui  rend  sa  conscience,  lequel  ne  lui 
peut  être  ôté,  est  d'être  tenu  pour  tel  qu'il  est,  et  principa- 
lement de  ceux  auxquels  il  a  voué  amitié  et  service.  »  Il 
tenait  à  garder  les  amis  du  camp  qu'il  avait  quitté,  et  à 
maintenir  intacte  son  autorité  morale  au  moment  où  il 
allait  entreprendre  de  travailler  à  la  cause  de  la  paix.  Il 
pensait  avec  raison  qu'il  devait  faire  connaître  les  motifs 
qui  l'avaient  poussé  à  «  changer  de  route  »  afin  de  ne  pas 
donner  occasion  de  «  changer  la  bonne  opinion  »  qu'on 
avait  conçue  de  lui.  Dans  cette  apologie,  il  insistait  particu- 
lièrement sur  les  motifs  de  sa  disgrâce  et  sa  conduite  dans 
les  derniers  mois:  maispourl'éclaircir,  il  racontait  ses  prin- 
cipaux actes  depuis  le  commencement  de  la  Ligue.  Il  était 
conduit  tout  naturellement  à  remonter  plus  haut,  pour 
expliquer  ses  relations  avec  le  roi,  la  reine-mère,  la  con- 
fiance qu'on  avait  en  lui  et  dont  témoignaient  tant  de  mis- 
sions importantes  à  lui  confiées.  Il  était  ainsi  obligé  de 
faire  connaître  sommairement  les  débuts  de  sa  vie  politique. 
C'est  pourquoi  il  nous  a  laissé  une  biographie  tantôt  très 
succincte,  tantôtdétaillée,  qui  est  le  document  essentiel  de 
s«»n  histoire.  C'est  pourquoi  aussi  elle  est  si  insuffisante  ; 
car  malheureusement,  il  a  considéré  comme  une  chose 
«  trop  tédieuse  »  de  raconter  toutes  ses  actions  et  s'est  con- 
tenté de  représenter  celles  qui  ont  servi  d'argument  à 
quelques-uns  de  le  calomnier.  Le  mémoire  était  achevé  à 
Villerov  le  8  avril. 


LE    SECRÉTAIRE    DE    HENRI    III  157 

Vers  le  milieu  de  juillet,  Villeroy  se  décida  enfin  à  rentrer 
à  Paris  auprès  de  Mayenne  «  abandonnant  le  reste  à  la  for- 
tune »  (1).  Le  1er  août,  Henri  III  était  assassiné  à  Saint- 
Cloud. 


(1)  Lettre  à  Du  Vaii 


TROISIÈME  PARTIE 

-E  NÉGOCIATEUR  DES  POLITIQUES 

(1589-1594) 


CHAPITRE  Ier 

I.  Les  premières  tentatives  de  conciliation  entre  la  Ligue  et  le 
roi  (août-septembre  1589).  Villeroy  négociateur  de  la  Ligue.  — 
IL  Villeroy  et  le  péril  espagnol.  L'  «  Advis  »  à  Mayenne  (dé- 
cembre 1589).  —  III.  Les  pourparlers  de  Villeroy  et  Duplessis- 
Mornay  à  Mantes  (mars  1590).  L'entrevue  avec  Henri  IV  (avril). 
IV.  —Villeroy  auprès  de  Mayenne.  Le  siège  de  Paris  (mai-sep- 
tembre). —  V.  Reprise  des  négociations,  à  Buchy,  en  octobre. 
Efforts  de  Villeroy  pour  obtenir  la  liberté  du  labourage  et  du 
commerce,  la  trêve,  la  convocation  des  Etats. 
(Août  1589-déccmbre  1590) 


Après  l'assassinat  d'Henri  III,  le  roi  de  Navarre  fut  pro- 
clamé par  ses  troupes  roi  de  France  sons  le  nom  de  Henri 
IV.  Dans  un  manifeste  aux  villes  du  royaume  (4  août  1589) 
il  promit  de  ne  rien  innoverdu  faitde  la  religion  catholique, 
d'en  rétablir  l'exercice  dans  tous  les  lieux  où  elle  était  pro- 
hibéeetde  se  faire  instruire  dans  six  mois.  Les  ducs  d'Eper- 
non  et  de  Xevers  se  retirèrent  ;  mais  la  plus  grande  partie 
de  la  noblesse,  avec  les  princes  du  sang-,  suivit  la  fortune 


160  VILLEROY 

du  nouveau  roi.  Les  catholiques  ligueurs  reconnurent 
comme  leur  souverain,  sous  le  nom  de  Charles  X,  le 
vieux  cardinal  de  Bourbon,  prisonnier  de  son  neveu  depuis 
la  fin  de  Tannée  1588.  En  attendant  sa  délivrance,  ils  se 
groupèrent  autour  de  Mayenne,  le  «  lieutenant  général  de 
l'Etat  royal  et  Couronne  de  France  ».  La  plupart  des  Par- 
lements, presque  toutes  les  grandes  villes  et  Paris,  la  capi- 
tale, tenaient  pour  lui. 

Le  royaume  de  France  se  trouvait  donc  divisé  en  deux 
grands  partis,  celui  du  Roi  et  celui  de  l'Union  catholique, 
qui  allaient  entamer  une  longue  et  sanglante  guerre.  Les 
batailles  d'Arqués  et  d'Ivry,  les  sièges  de  Paris,  de  Chart  res, 
de  Rouen,  deLaon,  d'innombrables  luttes  sur  tous  les  points 
du  territoire,  formeraient  la  matière  d'un  livre  qui,  selon 
l'expression  de  d'Aubigné,  serait  «  plus  hérissé  de  combats 
qu'aucun  autre  »  (1).  Et  cependant,  jamais,  pendant  toute 
la  durée  d'une  guerre  civile,  on  ne  négocia  de  part  et 
d'autre  avec  une  plus  inlassable  persévérance.  Jamais  les 
intermédiaires  pacifiques  n'eurent  un  plus  beau  rôle  ni  de 
plus  grands  succès,  puisqu'ils  mirent  fin  à  une  lutte  qu'il 
était  impossible  déterminer  par  la  voie  des  armes,  les  forces 
matérielles  s'équilibrant  parfaitement,  et  aucun  des  deux 
partis  ne  le  cédant  à  l'autre  en  force  morale. 

Ce  succès  fut  dû  au  parti  politique  qui  comprenait,  avec 
des  timides  et  <\e^  habiles,  une  majorité  de  bons  citoyens 
d'esprit  modéré,  amis  de  l'ordre,  estimant  que  l'intérêt  de 
l'état  devait  passer  avant  toute  cause  religieuse  ou  tout 
intérêt  particulier.  Ils  trouvèrent  la  vraie  solution  qu'exi- 
geait le  repos  de  la  France  :  un  roi  légitime  et  fort,  Henr 
de  Navarre,  converti  à  la  religion  catholique.  Tous  les  po- 
litiques n'avaient  pas  eu  la  même  attitude  :  les  uns  s'étaient 
ralliés  à  Mayenne  ;  quelques-uns,  comme  Cheverny,  étaient 
restés  neutres.  La  première  catégorie  de  ces  modérés  servit, 

(1)  D'Aubigné,  ffist    r,ùv.,  XIII,  I,  p.  147. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  161 

dans  le  parti  si  bigarré  des  Navarristes,de  contrepoids  aux 
protestants  exaltés  et  aux  grands  seigneurs  ambitieux, 
ennemis  des  Lorrains  ;  la  seconde  classe,  la  plus  nom- 
breuse, la  plus  active,  à  qui  s'applique  plus  spécialement 
le  nom  de  «  Politiques  »,  s'opposa  de  toutes  ses  forces,  au 
sein  de  l'Union,  à  tous  les  éléments  exaltés,  fanatiques, 
démagogues  encadrés  par  les  Seize,  dirigés  par  les  curés 
ligueurs,  payés  par  les  Espagnols  et  qui  pour  le  salut  de 
la  religion,  auraient  jeté  à  bas  tout  l'édifice  monarchique 
et  l'unité  nationale.  Les  Politiques  acceptaient  l'appui  mo- 
mentané de  l'étranger,  mais  ne  voulaient  pas  lui  livrer  la 
France.  Ils  voulaient  un  roi  catholique,  mais  un  souverain 
légitime,  restaurateur  de  Tordre.  Ils  croyaient  que  les  né- 
gociations, autant  que  la  force  des  armes,  finiraient  par 
amener,  entre  la  Ligue  et  le  roi,  un  accord  qui  donnerait 
satisfaction  à  l'immense  majorité  de  ses  sujets  sur  le  point 
de  la  religion. 

Le  plus  original  et  le  plus  actif  de  ces  Politiques  fut  Vil- 
Leroy  qui  en  se  retirant  auprès  de  Mayenne  s'était  bien  ré- 
solu à  conserver  sa  pleine  indépendance  d'esprit,  à  exécu- 
ter ce  qu'il  considérait  comme  son  devoir  «  de  servir  de 
tout  son  pouvoir  à  la  conservation  de  la  religion  et  au  bien 
public  du  royaume  ».  Nous  verrons  bientôt  comment  ce 
devoir  se  précisera  et  lui  apparaîtra  en  décembre  1589 
comme  l'œuvre  de  la  réconciliation  entre  la  Ligue  et  Hen- 
ri IV,  à  condition  qu'il  se  convertisse.  Celui  que  Tévêque 
de  Senlis  appelait  V  «  arfihipolitique  ».  sans  s'occuper  des 
accusations  d'hypocrisie,  de  duplicité,  de  cupidité,  lancées 
par  les  violents  des  deux  camps,  poursuivit  patiemment 
son  œuvre  pacificatrice,  et  lorsqu'il  se  relira,  au  début  de 
1594,  elle  s'acheva  d'elle-même  comme  il  l'avait  prévue  et 
préparée. 

Les  négociations  commencèrent  dès  les  premiers  jours 
du  nouveau  règne. 

Villcrov  11 


162  V1LLER0Y 

Quelques  jours  après  son  avènement,  le  roi  de  Navarre, 
étant  à  Saint-Cloud,  écrivit  de  sa  main  à  Villeroy  et  lui 
manda  de  se  trouver  le  lendemain  dans  le  parc  de  Bou- 
logne où  il  désirait  lui  parler.  Il  lui  disait  «  qu'il  se  voulait 
servir  de  lui  pour  faire  la  paix,  à  laquelle  il  était  très  dis- 
posé et  de  faire  pour  y  parvenir  tout  ce  qui  y  serait  jugé  rai- 
sonnable et  utile,  même  de  contenter  M.  de  Mayenne  »(1). 

Villeroy  comprit  que  le  roi  de  Navarre  désirait  lui  parler 
«  plus  pour  faire  connaître  aux  catholiques  de  son  armée 
vouloir  traiter  et  par  ce  moyen  les  garder  de  se  débander, 
que  pour  envie  qu'il  eût  de  faire  autre  chose  »  (2).  Beau- 
coup de  seigneurs  catholiques,  en  effet,  menaçaient  de  se 
retirer  si  le  roi  ne  se  faisait  pas  immédiatement  catholique 
et  malgré  la  déclaration  du  4  août,  plusieurs  défections  se 
produisirent.  La  situation  du  Béarnais  fut  donc  pendant 
quelques  semaines  assez  précaire.  Il  lui  fallut  beaucoup  de 
bonne  humeur,  de  tact  et  d'esprit  de  conciliation  pour  sur- 
monter les  épreuves  du  début. 

L'ouverture  de  négociations  avec  la  Ligue  fut  une  des 
principales  mesures  qu'il  prit  pour  «  apprivoiser  »  ses 
gens  (3).  Avant  d'attaquer  la  grande  ville  catholique,  il 
voulait  montrera  ses  partisans  que  l'ennemi,  par  son  opi- 
niâtreté, l'obligeait  à  faire  la  guerre,  car  sans  doute  il  se 
faisait  peu  d'illusions  sur  le  résultat  de  ses  démarches. 
Ghâtillon,  le  fds  aîné  de  l'amiral,  colonel-général  de  l'in- 
fanterie française,  lui  conseilla  de  s'adresser  à  Villeroy.  Ce 
jeune  homme,  aussi  brave   et  sage   que    son   père,  était, 


?  I     Mém.,  p.  1 3 'J . 

(2)  Mém.  Nous  ne  connaissons  que  par  Villeroy  ces  tentative-  de 
négociations  de  1589.  Aucun  historien  ne  les  a  notées. 

(3)  «  Chacun  sait,  écrivait-il  à  Mornay  le  7  nov.  1589,  les  brouille- 
riez et  difficultés  que  j'ai  eues  à  mon  avènement,  et  que  j'ai  encore, 
combien  de  personnes  farouches  j'ai  eu  a  apprivoiser,  en  leur  ôtant 
'le  la  fantaisie  que  je  ne  tâchais  qu'à  m'établir,  pour  après  renverser 
leur  religion.  »  [Lettres  miss.,  III,  p.  72.) 


LE    NEGOCIATEUR    DES    POLITIOUES 


163 


parmi  les  amis  protestants  du  roi  de  Navarre,  vin  des  moins 
hostiles  aux  idées  de  conciliation.  Villeroy  fut  naturelle- 
ment choisi  à  cause  de  sa  position  particulière  auprès  de 
Mayenne  et  de  ses  anciennes  relations  avec  le  roi  de  Na- 
varre. Ce  dernier  avait  déjà  discuté  avec  lui  à  Bergerac,  à 
Fleix,  et  avait  cherché  à  se  l'attacher  dès  1577  en  lui  offrant 
une  pension.  En  mai  1588,  Villeroy  lui  avait  écrit  une  lon- 
gue lettre  pour  l'induire  à  «  rechercher  la  bonne  grâce  du 
roi  et  penser  à  sa  conversion  à  la  religion  (1).  Le  Béarnais 
connaissait  le  désir  qu'avait  eu  Villeroy  de  demeurer  neutre. 
Il  pensa  donc  que  nul  dans  l'entourage  de  Mayenne  n'était 
plus  propre  que  l'ancien  ministre  de  Henri  III  à  traiter 
avec  lui. 

Villeroy  avertit  Mayenne  qui  lui  refusa  l'entrevue  de- 
mandée. Il  craignait  qu'elle  ne  pût  rester  secrète,  et,  devant 
ses  partisans,  il  ne  voulait  pas  paraître  indécis  entre  la  paix 
et  la  guerre,  au  début  d'une  lutte  à  outrance  entre  l'Eglise 
et  l'hérésie.  Cette  crainte  n'était  pas  l'effet  de  sa  seule 
timidité.  Son  intérêt  lui  commandait  d'agir  à  rencontre  du 
Béarnais.  Celui-ci,  pour  conquérir  son  royaume,  devait 
tendre  les  bras  à  ses  adversaires.  La  faction  ligueuse,  fon- 
dée sur  le  fanatisme,  ne  pouvait  se  maintenir  qu'en  refu- 
sant toute  concession  à  l'hérétique.  Villeroy  ne  devait 
pas  rencontrer  de  plus  grande  difficulté  que  cette  obliga- 
tion de  traiter  secrètement  pour  ne  pas  exciter  la  défiance 
des  catholiques.  Fort  heureusement  pour  lui,  Mayenne  était 
d'une  extraordinaire  faiblesse  de  caractère.  Avec  un  peu  de 
patience  et  de  sang-froid  —  et  Villeroy  en  avait  beaucoup 
—  il  était  assez  facile  de  changer  en  demi-mesures  les  ré- 
solutions extrêmes  de  ce  gros  homme  si  souvent  affaibli 
par  la  maladie.  Mayenne  finit  par  permettre  à  l'ancien  se- 
crétaire d'Etat  de  recevoir  dans  sa  maison,  portes  closes, 
un  envoyé  du  roi. 

(L)  Lettre  élu  12  mai  1588.  F.  Fr.,  4028,  f»   1. 


164  VILLEROY 

Deux    jours  après,  Villeroy   eut   une   entrevue  avec  La 
Marsillière,  secrétaire  de   Henri,  qui  lui  représenta  «  com- 
bien la  paix  était  nécessaire  ».  Il  insista  sur  la  situation  des 
gentilshommes  catholiques  qui  avaient  prêté  serment  au 
Roi  et  approuvé  la  déclaration  du  4  août.  Que  le  duc  se 
ralliât  au  Roi;  le    passé  étant  oublié,  il  vivrait  auprès  de 
lui.  comme   sa    qualité    le    requérait   (1).  Villeroy   voulut 
mettre  l'envoyé  du  Roi  en  rapport  avec  Mayenne.  Mayenne 
refusa.  Il  fit  répondre  que  sa  religion,  le  respect  dû  au  car- 
dinal de  Bourbon  et  à  la  mémoire  de  ses  frères,  le  serment 
prêté  à  la  Sainte- Union  ne  lui  permettaient  pas  d'accueillir 
ces  ouvertures.  Il  ne  poserait  pas  les  armes  tant  que  le  car- 
dinal serait  prisonnier  et  que  le  roi  persévérerait  en  sa  re- 
ligion détestable.  Le  Béarnais  ne  se  découragea  pas.  Peut- 
être   n'avait-on  pas  parlé   librement  à  La  Marsillière  qui 
étail  de  la  religion.  Il    résolut  de  confier  la  suite  de  la  né- 
gociation a  un   catholique.  M.  de   Liancoun,  son  premier 
écuyer,  eut  charge  d'inviter  Villeroy  à  se  rendre  dans  ses 
terres  du  Beauvaisis  pour  conférer  sur  la  paix.  La  négocia- 
tion devait  s'amorcer  sérieusement,  puisqu'il  avait  été  dé- 
cidé que  le  ministre  y  rencontrerait  le  roi  de  Navarre.  Mais 
Mayenne  s'y  refusa  obstinément,  cette  fois  sans  hésitation. 
Villeroy  dut  se  résigner  à  répondre  à  Liancourt  en  lui  fai- 
sanl  espérer  que  les  hasards  de  la  campagne  commencée 
par   Mayenne,  les    rapprocheraient  tôt  ou  tard  et  qu'alors 
il  serait  plus  facile  de  causer.  Il  ne  voulait  pas  décourager 
d<--  adversaires  qui  étaient  de  futurs  amis.  Lui-même  ne  se 
décourageait  pas,  comptant  sur  sa  volonté  patiente  et  le 
cours  des  événements  pour  vaincre  peuà  peu  l'obstination 
des  hommes  (2). 


t  )  Mém.,  p.  139-140. 

(i)  Il  esl   impossible  de   déterminer  la  <l;i te  précise  de  ces  trois  ten- 

de    Henri  IV.  Les  papiers  de  Simancas   ne   fournissent  aucune 

indication.  Nous  croyons  que  ces  négociations  sont  restées  secrètes. 

La  première  eul    lieu  «    quelques  jours  après  le  2  août  »,  la  deuxième 


LE   NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  165 


II 

Ainsi,  malgré  les  efforts  de  Villeroy,  ces  trois  tentatives 
de  Henri  IV  avaient  échoué,  «  toutes  choses  étant  encore 
trop  émues  ».  Et,  cependant,  tout  n'était  pas  perdu  pour  la 
cause  de  la  paix.  Dans  une  de  ces  entrevues,  Villeroy  avait 
appris  la  promesse  du  4  août  qui  bientôt  eut  un  grand  re- 
tentissement dans  le  public.  La  solennité  de  cet  engage- 
ment et  les  tentatives  répétées  du  roi  pour  obtenir  la  paix 
lui  firent  comprendre  que  Henri  voulait  fermement  être  roi 
et  qu'on  ne  devait  pas  désespérer  de  sa  conversion.  On 
peut  dire  que,  dès  ce  moment,  Villeroy  écarta  les  projets 
chimériques  de  la  Ligue  et  que  dans  son  esprit  se  forma  la 
conviction  qu'il  devait  exprimer  trois  mois  après  dans  son 
avertissement  :  le  premier  moyen,  par  lequel  on  peut  re- 
médier aux  désordres  du  royaume  est  de  composer  avec  le 
roi  de  Navarre  catholique. 

Mais  avant  de  formuler  son  programme  anti-espagnol,  il 
fallait  que  Villeroy  fût  bien  édifié  sur  les  desseins  de  Phi- 
lippe IL  Or,  l'occasion  s'en  présenta  bientôt.  Notons  rapi- 
dement les  incidents  qui,  durant  celte  période  d'accalmie 
diplomatique,  achevèrent  l'évolution  des  sentiments  de  Vil- 

«  deux  jours  après  »  la  première,  la  troisième  se  place  entre  le  12  et 
le  19  août,  car  c'est  pendant  ce  temps  que  le  roi  séjourna  dans  la  ré- 
gion de  Clermont-en-Ileauvaisis. 

-M.  Poirsoo  y  fait  une  allusion  vague  et  inexacte  :  «  Henri  IV  ne 
quitta  pas  Saint-Llloud  sans  essayer  de  nouer  des  négociations  avec 
.May.nne,  par  l'intermédiaire  de  Villeroy,  pour  arrêter  l'effusion  du 
sang  français  et  prévenir  la  totale  subversion  du  royaume.  Mais  il  offrit 
vainement  au  chef  de  la  Ligue,  avec  les  garanties  pour  le  maintien  du 
catholicisme,  les  gages  d'un  grand  établissement  et  les  concessions 
compatibles  avec  la  loi  suprême  de  la  monarchie  qui  l'appelait  au 
trône.  Le  duc  persista  dans  ses  projets  d'usurpation,  et  n'accueillit 
que  par  des  faux-fuyants  les  patriotiques  propositions  et  les  franches 
ouvertures  du  roi.  Dès  lors  il  ne  fallait  plus  songer  qu'à  la  guerre.  » 
{Histoire  du  règne  de  Henri  IV,  I,  p.  41). 


166  VILLEROY 

leroy  et  déterminèrent  la  seconde  tentative  de  négociations. 
A  la  fin  du  mois  d'août,  les  Espagnols,  qui  avaient  an- 
noncé de  grands  secours  à  la  Ligue,  commencèrent  à  faire 
hardiment  le  siège  de  Mayenne  et  de  son  entourage.  Jean- 
nin  était  en  Lorraine.  Villeroy  était  le  plus  fort  des  con- 
seillers du  duc,  et  s'était  montré  si  prudent  jusqu'alors 
qu'il  n'était  pas  suspect  à  l'ambassadeur  Mendoza.  Celui-ci, 
accoutumé  à  acheter  des  consciences  dans  le  parti  Lorrain, 
crut  sans  doute  qu'il  séduirait  facilement  cet  homme  dis- 
cret  dont  il  connaissait  la  faiblesse  pour  les  Guises.  Men- 
doza était  plus  porté  qu'aucun  autre  à  commettre  une  telle 
erreur.  C'était  une  nature  ardente  et  impatiente  qui  man- 
quait souvent  son  but,  faute  de  tact  et  de  prudence.  Si  nous 
en  croyons  Villeroy,  il  brusqua  les  choses  et  découvrit  à 
son  interlocuteur  les  desseins  de  son  maître  «  plus  claire- 
ment qu'il  n'avait  fait  au  dit  duc  ni  à  autre  »  (1).  Il  est  pro- 
bable qu'il  lui  parla  des  prétentions  du  roi  d'Espagne  sur 
les  duchés  de  Bourgogne  et  de  Bretagne  (2).  Cette  révéla- 
tion scandalisa  le  ministre  qui,  depuislongtemps,seméfiait 
des  Espagnols  et  exprimait  à  mots  couverts,  à  ses  corres- 
pondants, ses  inquiétudes  sur  les  menées  étrangères  (3).  Il 
écrivait  au  duc  de  Nevers:  «  Si  tous  les  catholiques  étaient 
bien  unis,  ils  n'auraient  pas  besoin  des  forces  étrangères. 
Etant  divisés  ils  deviendront  la  proie  de  leurs  adversaires 
tôt  ou  tard.  »  En  août-septembre  1589,  le  danger  lui  parut 
plus  menaçant  que  jamais.  Une  cessa  dès  lors  de  le  signaler 
hautement  :  l'Espagnol  était  l'ennemi. 


(1)  Mém.,  p  140.  Jusqu'en  décembre,  Mendoza  ne  se  défiait  pas 
trop  de  Villeroy.  Il  se  plaignait  seulement  de  le  trouver  retors,  dési- 
reux d'obtenir  pour  la  Ligue  l'argent  de  l'Espagne  sans  donner  de 
compensation  et  accueillait  avec  scepticisme  l'affirmation  d'un  Jésuite 
sur  la  conduite  «    diabolique  »  de    Villeroy  qui   aurait    incliné  à  une 

Mendoza  à  Philippe  II.  30  octobre  et  7  novembre,  Pap.  Simanc, 
K.  1569,  p.  144-152). 

(2)  Voïvl'Advis  à  Mayenne,  Ed.  Miel).,  p.  229. 

13)  Villeroy   à  Nevers,    25   octobre  1589,  F.  Fr.  2997,  i'°  312. 


LE    NEGOCIATEUR    DES    POLITIQUES 


un 


Villeroy  commença  par  révéler  le  péril  à  Mayenne  et  le 
supplia  de  lui  permettre  de  se  retirer.  Le  duc  lui  jura  qu'il 
ne  consentirait  jamais  au  démembrement  du  royaume,  il 
lui  affirma  (pie  les  intentions  de  Philippe*  II  n'étaient  pas 
celles  que  Mendoza  lui  avait  rapportées,  et  lui  prodigua 
toutes  sortes  de  bonnes  paroles  que  Villeroy  ne  crut  qu'à 
moitié.  Il  resta  néanmoins  et  consentit  à  suivre  son  chef 
quand  il  partit  pour  la  Normandie  à  la  poursuite  de  ce  roi 
de  Navarre  qu'il  promettait  de  ramener  enchaîné  (l"r  sep- 
tembre (1).  Il  avait  une  arrière-pensée:  les  hasards  de  la 
guerre  le  rapprocheraient  peut-être  du  sieur  de  Liancouri. 

Quelques  jours  après,  au  siège  de  Gournay,  il  eut  une 
entrevue  avec  le  commandeur  Moreo  nouvellement  envoyé 
d'Espagne.  Comme  ce  dernier  avait  quitté  l'Escurial  avant 
la  mort  de  Henri  III,  il  ne  put  que  parler  «  en  termes  gé- 
néraux »  de  l'intention  de  son  maître.  Villeroy  néanmoins 
s'aperçut  vite  qu'il  «  n'avait  pas  moins  de  fureur  »  que 
Mendoza  pour  le  roi  d'Espagne  (2). 

Quand  Mayenne  arriva  devant  Dieppe,  Villeroy  obtint  la 
permission  de  voir  M.  de  Liancourt,  après  avoir  fortement 
insisté  auprès  de  Mayenne,  qui,  sûr  de  vaincre  avec  une 
armée  trois  fois  supérieure  à  celle  du  roi,  ne  voulait  pas 
entendre  parler  de  paix.  Quelle  ne  fut  pas  la  déception  de 
\  illeroy  quand,  après  avoir  gagné  sa  cause  avec  peine  dans 
son  parti,  il  se  vit  poliment  éconduit  par  les  royalistes!  Un 
obstacle  non  prévu  arrêtait  tout  :  la  défiance  soudaine  de 
Henri  de  Navarre,  qui  venait  d'être  prévenu  contre  Villeroy 
par  des  lettres  interceptées  de  Mendoza.  L'ambassadeur 
espagnol,  soit  qu'il  voulut  compromettre  Villeroy,  soit  qu'il 


fi)  Le  roi  n'ayant  pas  assez  de  forces  pour  attaquer  Paris,  se  retira 
en  Normandie,  à  portée  de  la  place  de  Dieppe  et  des  secours  anglais 
(8  août).  Mayenne  l'y  suivit,  le  L«  septembre,  s'avança  lentement  par 
Gournay  et  Neufchàtel  et  se  logea  entre  Arques  et  Dieppe.  Il  battit  en 
retraite  après  les  combats  d'Arqués  (21-26  sept.). 

(2)  Mém...  p.  143. 


168  VILLEROY 

eût  été  trompé  par  son  langage  poli,  parlait  sans  cesse  à 
son  maître  de  l'ancien  ministre  de  Henri  III  comme  d'un 
allié  probable  (1).  Les  antiligueurs  acharnés  du  camp  de 
Henri  IV  s'empressèrent  de  renchérir  et  n'eurent  pas  de 
peine  à  faire  croire  au  roi  que  Villeroy  était  un  bon  Espa- 
gnol. Une  lettre  du  ministre  à  Mendoza  mal  interprétée 
acheva  de  tout  gâter.  Villeroy  se  plaignait  de  ce  que 
La  Mothe  n'était  venu  de  Gravelines,  au  secours  de  la 
Ligue  qui  l'attendait.  En  dépit  des  apparences,  ce  n'était 
pas  la  lettre  d'un  traître.  Les  Espagnols,  au  mois  de 
septembre,  au  dieu  de  secourir  Mayenne,  essayaient  de 
surprendre,  avec  les  forces  commandées  par  La  Mothe,  la 
ville  de  Cambrai  sur  Balagny.  En  essayant  de  les  faire  venir 
auprèsde  Mayenne,  Villeroy  empêchait  ses  dangereux  alliés 
de  «  dissiper  l'Etat,  »  il  conjurait  ainsi  un  plus  grand  mal. 
Telle  est  l'explication  qu'il  nous  donne  dans  son  Apologie. 
On  conçoit  donc  que,  dans  les  négociations  qui  recom- 
mencèrent à  la  fin  de  septembre,  Villeroy  ne  fut  pas  choisi 
comme  intermédiaire.  Henri  IV,  après  les  combats  victo- 
rieux d'Arqués  (21-26  septembre),  envoya  un  ligueur  pri- 
sonnier, le  sieur  de  Belin,  auprès  de  Mayenne  pour  lui 
proposer  la  paix.  Une  telle  tentative  nous  étonne  au  pre- 
mier abord,  car,  dans  ces  luttes  compliquées  de  la  fin  de 
la  Ligue,  nous  verrons  presque  toujours  le  vaincu  parler 
le  premier  de  conciliation.  En  réalité,  l'initiative  venait  des 
royaux  catholiques,  de  plus  en  plus  mécontents  de  leurs 
alliés  les  huguenots.  Ils  avaient  la  bonne  fortune  de  ren- 
contrer parmi  leurs  prisonniers  l'ancien  gouverneur  de 
Calais,  le  futur  gouverneur  de  Paris  pour  Mayenne,  un 
ligueur  très  peu  convaincu  qui  devait  être  un  des  plus 
utiles  alliés  des  politiques.   Ils  chargèrent  Belin  de  prier 

(1  i   Voir  Recueil  sommaire  des  principaux  points  contenus  en  plu- 
sieurs lettres  écrites  en  chiffre  par  les  ennemis  du  roi  en  septembre  et 
octobre  (Cinq-cents  Colbert,  33,  p.  296).  Ce  recueil  contient  12  points, 
le  cinquième  concerne  Villeroy. 
I 


LE    NÉGOCIATEUR     DES    POL1TIOUES  169 

Mayenne  de  se  joindre  à  eux,  pour  engager  le  roi  à  se  con- 
vertir et  pour  traiter  avec  lui.  Le  roi  dut  autoriser  ces  dé- 
marches. Dans  le  conseil  du  duc,  on  délibéra  sur  cette 
proposition,  que  Villeroy  défendit  naturellement  avec  éner- 
gie. Mais  il  ne  put  triompher  des  arguments  qu'on  devait 
leur  opposer  si  souvent  dans  la  suite  :  le  lieutenant-général, 
chef  de  parti,  ne  pouvait  rien  décider  sans  le  consentement 
du  pape,  des  prélats,  des  villes  et  communautés  et  des  prin- 
ces étrangers  qui  le  secouraient.  Belin  dut  repartir  pour  le 
camp  royal,  porteur  d'un  refus  courtois.  Six  semaines  après, 
Henri  IV  le  renvoya  de  nouveau  à  Mayenne  :  cette  fois  la 
situation  était  changée.  Après  la  tentative  de  la  Toussaint 
sur  Paris  qui  faillit  être  surpris,  le  roi  de  Navarre  avait  dû 
se  replier  vers  la  Touraine  pour  y  prendre  ses  quartiers 
d'hiver  (1).  C'est  dans  les  premiers  jours  de  sa  retraite 
qu'il  fit  parler  de  paix  à  Mayenne,  qui,  sous  la  surveillance 
de  la  Ligue,  et  clans  l'exaltation  générale  du  succès,  re- 
poussa toute  avance. 

Ainsi  échouèrent,  malgré  Villeroy,  les  missions  confiées 
à  Belin.  Aucun  historien  du  temps  ne  les  a  notées.  Elles  ne 
furent  d'aucune  efficacité  immédiate  pour  la  paix.  Mais,  par 
elle,  se  fortifièrent  les  relations  entre  catholiques  royaux 
et  politiques  ligueurs.  On  sait  combien  fut  décisive,  dans 
l'œuvre  de  conciliation  générale,  l'union  de  ces  deux  forces. 


Les  deux  missions  de  Belin  (septembre  89)  terminent 
une  première  période  de  négociations  que  les  trois  tenta- 
tives de  conversations  entre  la  Marsillière,  puis  Liancourt, 
et  Villeroy,  avaient  inaugurée  au  mois  d'août.  Les  deux 

(1)  Le  roi,  pendant  la  retraite  de  Mayenne,  voulut  emporter  Paris 
par  un  coup  de  force.  Le  1er  novembre,  il  attaqua  les  faubourgs  de  la 
rive  gauche.  L'arrivée  de  Mayenne  l'obligea  à  décamper  le  3  novembre. 
11  alla  reprendre  Etampes,  puis  renvoya  Longueville  en  Picardie,  Givry 
dans  la  Brie  et  emmena  le  reste  de  ses  troupes  en  Touraine. 


170  VILLEROY 

adversaires  se  sont  tâtés  d'abord  sans  intention  sérieuse. 
Les  choses  sont  encore  «  trop  émues  ».  Le  roi  de  Navarre 
a  agi  surtout  par  condescendance  forcée  pour  les  catho- 
liques de  son  année,  et  Mayenne  pour  céder  aux  sollicita- 
tions de  Villeroy.  Jusqu'au  mois  de  mars  de  l'année  sui- 
vante, tous  rapports  diplomatiques  furent  suspendus  entre 
les  deux  partis.  Mais  ce  ne  fut  point  du  temps  perdu  pour 
les  amis  de  la  paix,  les  «  bons  Français  »  qui  étaient  au 
camp  de  l'Union.  Ils  luttèrent  victorieusement  contre  les 
prétentions  espagnoles  au  «  protectorat  catholique  ».  J.-B. 
de  Tassis,  conseiller  de  Philippe  II  aux  Pays-Bas,  était  arrivé 
en  décembre  auprès  de  Mayenne,  avec  Moreo,  porteur  de 
grosses  sommes  et  chargé  de  régler  définitivement  la  na- 
ture du  concours  que  les  Français  attendaient  du  roi 
d'Espagne.  Ils  venaient  proposer  de  le  faire  nommer  pro- 
tecteur du  royaume,  tandis  que  le  cardinal  de  Bourbon  en 
restait  le  souverain  légitime.  Philippe  II  accepterait  des 
conditions  garantissant  certaines  franchises  nationales. 

Une  conférence  s'ouvrit  entre  Français  et  Espagnols. 
Mayenne  choisit  comme  ses  représentants  à  la  conférence 
trois  ligueurs  exaltés  :  le  président  Vêtus,  La  Chapelle- 
Marteau  et  Christophe  de  Bassompierre,  ambassadeur  du 
duc  de  Lorraine,  «l'Escouffle  delaLigue  »,  et  trois  modérés, 
Jeannin,  Villeroy  et  d'Epinac,  nouvellement  délivré  de  sa 
prison,  personnage  intéressé  et  indécis,  mais  qui  commen- 
çait à  subir  l'influence  de  Villeroy.  C'étaient,  dit  P.  Cayet, 
«  les  âmes  françaises  qui  étaient  encore  dans  le  parti  de 
l'Union  »  (1).  Elles  jugèrent  que  tout  cela  n'était  qu'une 
dangereuse  intrigue  espagnole.  Philippe  II  ne  respecterait 
certainement  pas  sa  foi.  De  simple  protecteur,  il  ne  tarderait 
pas  à  devenir,  par  ses  armées,  le  maître  absolu  du  pays. 

(1)  P.  Cayet,  Chron.  nov.,  p.  189  et  suiv.  P.  Cayet  a  emprunté  son 
récit  à  la  Suite  du  Manant  dont  une  partie  a  été  insérée  par  l'Estoile 
dans  son  Registre-Journal.  Voir  aussi  le  résumé  de  la  discussion  dans 
Richard,  Pierre  d'Epinac,  p.  368-369. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  171 

Jeannin  et  Villeroy  adopté  reni  pour  tactique  de  ne  rien  pro- 
mettre, elde  ne  rienrefuserpositivement.  Ils  firent  d'abord 
observer  que  le  Parlement  n'approuverait  jamais  une  con- 
vention avec  un  prince  étranger  et  qu'il  fallait  attendre  les 
Elals  convoqués  par  Mayenne  pour  le  1er  février.  Sur  de 
nouvelles  instances,  ils  acceptèrent,  en  principe,  le  protec- 
torat, à  condition  que  le  roi  d'Espagne  garantirait  l'inté- 
grité territoriale  de  la  monarchie.  Ils  eurent  la  bonne  idé  e 
de  chercher  à  mettre  le  pape  de  leur  côté  en  demandant 
qu'il  fût  proclamé  conjointement  avec  Philippe  II  protec- 
teur des  catholiques.  Cette  condition  entraînait  la  nécessité 
d'attendre  le  légat  que  le  pape  Sixte  V  devait  envoyer. 

Mais  à  son  arrivée  à  Paris  le  légat  Gaetano  mis  au  courant 
de  la  situation  déclara  aux  Espagnols  que  la  prétention  de 
leur  maître  causerait  la  perte  du  royaume.  Les  Français, 
disait-il,  préféraient  traiter  avec  le  roi  de  Navarre  que  se  sou- 
mettre à  l'Espagne.  Il  ajouta  que  ce  n'était  pas  le  moment 
de  lui  susciter  des  difficultés  il).  Malgré  sa  sympathie 
pour  le  roi  catholique,  Gaetano  ne  pouvait  faire  autrement 
qu'appuyer  des  Français  si  déférents  pour  l'autorité 
pontificale.  Ainsi  il  inaugura  par  cet  acte  de  sagesse  la 
mission  à  lui  confiée  par  un  pape  qu'on  a  appelé  politique 
et  qui  était  un  pape  religieux  d'une  grande  intelligence, 
ayant  en  politique  le  souci  de  la  légitimité.  Ce  pontife  avait 
bien  reçu  le  duc  de  Luxembourg  envoyé  par  les  catholiques 
royaux,  il  se  préoccupait  de  ne  pas  mécontenter  ceux  qui 
avaient  reconnu  le  roi  de  Navarre,  et  de  ne  pas  froisser  le 
sentiment  national  des  Français. 

Ainsi  au  début  de  1590,  le  danger  fut  écarté  par  l'habileté 
de  Villeroy,  de  Jeannin  et  de  leurs  amis  qui  avaient  su 
temporiser  et  faire  servir  à  leurs  fins  la  diplomatie  du 
légat.  Villeroy  fut  considéré  par  les  ambassadeurs  de  Phi- 
lippe II  et  les  Français  de  la  Ligue  Espagnole  comme   le 

(1)  L"Epinois,  La  Ligue  et  les  papes,  p.  382. 


172  VILLEROY 

véritable  auteur  de  leur  défaite.  D"Epinac  avait  présidé  les 
débats  sans  trop  se  compromettre,  selon  son  habitude. 
Jeannin  s'était  montré  timide  en  paroles.  Villeroy  seul  avait 
témoigné  une  fermeté  persévérante  (1). 

Pour  les  Espagnols  furieux  de  leur  échec  il  fut  le  bouc 
émissaire.  Ils  entamèrent  contre  lui  une  campagne  de  dé- 
nonciations. Ils  le  représentèrent  comme  un  mauvais  catho- 
lique et  poussèrent  Mayenne  à  se  défaire  de  lui  (2).  Ils 
furent  aidés  par  les  Seize,  les  prédicateurs  et  les  jésuites. 
Un  jour  même,  le  provincial  des  Jésuites,  Odet  Pigenat, 
«  porta  la  parole  au  duc  de  Mayenne  »  au  nom  des  enne- 
mis coalisés  de  son  conseiller,  «  et  lui  dit  beaucoup  de 
choses  contre  M.  de  Villeroy  qu'il  traita  de  courtisan  sans 
religion  ».  Le  duc  lui  aurait  répondu  :  «  Mon  père,  je  ne 
crois  pas  cela,  je  me  fie  en  lui  »  ;  selon  d'autres  :  «  Il  m'a 
promis  courre  ma  fortune  ».  «Le  Jésuite,  ajoute  P.  Cayet, 
étonné  de  cette  réponse,  se  retira  assez  mécontent  (3).  » 

Cette  grave  question  du  protectorat  espagnol  avait  eu  dans 
le  public  un  grand  retentissement.  De  nombreux  libelles 
pour  et  contre  parurent  à  la  fin  de  89  et  au  commencement 
de  90(4).  Le  plus  célèbre  deces  écrits  futl'  «Advis  deM.  de 


(1)  Pap.  Simanc,  K.  1569,  i'o  201.  Dép.  de  Mendoza,  30  déc.  1589. 
Dép.  de  Moreo,  Ie1' janvier  90. 

(2)  Déjà  dans  la  lettre  de  Mendoza  du  7  novembre  on  voit  que  l'am- 
bassadeur recommande  à  son  gouvernement  de  faire  changer  le  chiffre 
des  correspondances,  car  Villeroy  faisait  déchiffrer  les  lettres  du  duc 
de  Parme  (K.  1569,  p.  153).  Le  20  janvier  90,  Epinac,  Villeroy  et 
Gondi  sont  soupçonnés  de  négocier  secrètement  (Ibid.,K.  1571,  p.  11). 

(3)  La  Suite  du  Manant  ajoute  :  «  La  Ligue  depuis  a  voulu  inter- 
préter ce  mot:  //  m'a  promis  de  courre  ?na  fortune,  comme  s'il  eût 
été  d'une  double  entente,  et  que  le  sieur  de  Villeroy  n'entendait  courir 
même  fortune  que  M  de  Mayenne,  mais  courir  contre  la  fortune  dudit 
duc  et  le  ruiner  ;  et  que  l'entente  en  était  au  diseur.  » 

(i)  Les  arguments  des  Espagnols  et  des  anti-espagnols  sont  résumés 
dans  une  brochure  qui  se  trouve  dans  les  Pap.  Simanc.  (K.1569.  fo  26). 
«  Incommodités  que  certains  disent  pouvoir  advenir  si  on  appelle  l'Es- 
pagnol comme  protecteur  de  notre  Roy  et  royaume  avec  les  responses 
aux  dictes  incommodités.  » 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  173 

Villeroy  à  M.  le  duc  de  Mayenne, publié  à  Paris  aprèsla  mort 
du  roi,  sur  la  fin  de  l'an  1589  ».  Il  fut  composé  au  moment 
où  l'on  ignorait  encore  comment  serait  résolu  le  problème 
du  protectorat.  On  attendait  le  légat  et  l'on  se  demandait 
avec  angoisse  s'il  serait  ami  des  Espagnols  et  fauteur  de 
troubles,  ou  représentant  impartial  du  père  commun  des 
chrétiens.  Villeroy  faisait  appel  à  tous  les  modérés,  à  son 
ami  Bellièvre,  qui  voulait  rester  neutre  dans  sa  maison  de 
Grignon,  au  cardinal  de  Gondi,  évêque  de  Paris,  qui  rési- 
dait à  Noisy  parce  qu'il  était  suspect  aux  Seize  (1).  11  leur 
taisait  part  de  ses  craintes,  suppliait  révoque  de  se  rendre 
à  Paris  et  de  parler  au  Légat,  afin  de  le  disposer  à  recher- 
cher les  moyens  de  pacifier  le  royaume.  Il  eut  même,  dans 
un  moment  de  découragement,  l'intention  de  se  retirer 
dans  sa  maison. 

C'est  dans  ces  circonstances  difficiles  qu'il  composa  son 
avis,  l'envoya  à  Mayenne  qui  se  trouvait  au  siège  de  Pon- 
loise  (2)  et  le  répandit  secrètement  dans  Paris,  sans  le  faire 
imprimer.  Pierre  de  l'Estoile,  bourgeois  sensé,  ami  de 
l'ordre,  détestant  mortellement  ces  assassins  de  Seize,  ces 
enragés  de  prédicateurs  et  ces  «  chiens  d'Espagnols  », 
trouva  le  discours  «  beau,  digne  d'être  recueilli  et  qui  sent 
bien  l'esprit  de  M.  de  Villeroy  »  (3). 

Le  conseiller  de  Mayenne  commençait  par  exposer  nette- 
ment les  trois  moyens  par  lesquels  «  on  pouvait  remédier 
aux  désordres  du  royaume  »  :  1°  «  Composer  avec  le  roi  de 
Navarre  »  ;  2°  «  réunir  tous  les  catholiques  pour  s'opposer 


(1)  Voir  F.  Fr.  15.909.  fo  282,  deux  billets  de  Villeroy  et  de  Gondi  à 
Bellièvre  pour  solliciter  de  lui  une  entrevue  afin  de  s'entretenir  des  af- 
faires publiques. 

(2)  Les  Parisiens  avaient  prié  le  duc  de  leur  «  tirer  trois  espines 
qu'il-  avaient  aux  pieds  »  :  Vincennes,  Pontoise  et  Meulan.  Il  pritYin- 
cennes,  puis  Pontoise  après  17  jours  de  siège  (a  janvier),  et  échoua  à 
Meulan  d'où  le  roi  le  délogea  le  3  mars. 

(3)  L'Estoile,  t.  V,  p.  13. 


174  V  ILLEROY 

ensemble  à  son  établissement,  sous  1  reconnaissance  et 
obéissance  d'un  prince  du  sang  nommé  et  élu  régent  du 
royaume  durant  la  prison  de  M.  le  cardinal  de  Bourbon...»; 
3°  «  se  jeter  entre  les  bras  du  roi  d'Espagne  et  lui  donner 
telle  part  et  autorité  en  ce  royaume  qu'il  ait  occasion  de  ne 
rien  épargner  pour  nous  protéger  et  garantir  »  (1). 

Il  est  évident  que  la  voie  la  plus  utile  au  public,  la  plus 
courte  et  la  plus  sûre  est  de  traiter  avec  le  roi  de  Navarre, 
s'il  se  fait  catholique.  C'est  l'article  essentiel  du  programme 
des  bons  Français.  Villeroy  s'étend  complaisamment  sur 
les  avantages  de  paix,  d'honneur  et  de  bonheur  public 
qui  en  résulteraient  pour  la  France.  C'est  le  rêve,  l'idée 
fixe  commune  à  tous  ses  discours,  à  toutes  ses  lettres  durant 
ces  années  troublées.  Ah  !  si  le  roi  de  Navarre  acceptait  de 
se  réconcilier  avec  l'Eglise  !  Ce  serait  le  salut  du  royaume, 
le  bien  de  la  chrétienté,  l'avantage  particulier  du  duc  de 
Mayenne.  Le  ministre  prévoyant  a  composé  d'avance  tout 
le  plan  d'action  méthodique  qui  ramènerait  l'ordre. 

1°  Il  sera  d'abord  nécessaire  d'avertir  le  pape  qui  seul  peut 
ouvrir  les  portes  de  l'Eglise  au  roi  de  Navarre  ;  il  sera  raison- 
nable aussi  d'avertir  le  roi  d'Espagne  quia  obligé  les  catho- 
liques et,  pour  obtenir  sa  bienveillance,  on  lui  fera  quelques 
concessions  peu  coûteuses,  en  Navarre  ou  aux  Pays-Bas, 
on  s'engagera  à  ne  pas  soutenir  son  ennemie  la  reine  d'An- 
gleterre. 

2°  «  Les  devoirs  accomplis  »  on  enverra  quelque  per- 
sonne de  qualité  vers  le  roi  de  Navarre  et  cette  ambas- 
sade  ne  devra  pas  rester  secrète.  On  obtiendra  une  cessa- 
tion d'armes  pour  six  mois,  et  la  convocation  des  Etats 
avec  promesse   de  suivre  leurs  résolutions. 

3°  On  fera  jurer  au  roi  de  Navarre  d'accorder  aux  catho- 
lique s  certaines  garanties.  Eux  seuls  seront  nommés  aux 


H)  Mém.,  p.  223. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  173 

offices  de  la  couronne  ;  le?  villes  de  l'Union  ne   recevront 
pas  de  garnisons;  le  Concile  de  Trente  sera  observé. 

4°  La  conduite  à  tenir  à  l'égard  des  huguenots  n'est  pas 
nettement  indiquée  :  mais  nous  devinons  que  Villerov,  peu 
fanatique,  est  disposé  à  leur  accorder  une  manière  de  petit 
Edit  de  Nantes,  sans  faveurs  exagérées  :  d'ailleurs  ne  pré- 
voil-il  pas,  à  la  fin  de  tout,  ce  qui  fut  le  mirage  des  hommes 
du  xvi"  siècle  :  le  Concile  universel  qui  réunira  à  l'Eglise 
ceux  qui  en  sont  séparés  ? 

.Mais  si  le  roi  refuse  de  se  convertir?  — Alors  on  recourra 
au  second  moyen,  car  donner  à  la  France  un  roi  protes- 
tant serait  outrager  Dieu.  Il  faudra  faire  un  grand  effort, 
gagner  les  catholiques  royalistes  en  donnant  conten- 
tement au  cardinal  de  Vendôme,  au  comte  de  Soissons, 
gagner  les  catholiques  hésitants  et  les  opposer,  sous  la 
direction  de  Mayenne,  au  Béarnais,  huguenot.  Mais,  cette 
fois,  nul  enthousiasme  chez  Villerov  pour  ce  ralliement 
des  catholiques.  Les  difficultés  qu'il  prévoit  sont  presque 
insurmontables.  Deux  surtout  l'effrayent:  les  terribles  ja- 
lousies des  princes  catholiques  à  l'égard  des  Lorrains,  et 
l'opposition  du  roi  d'Espagne.  Vendôme,  Soissons  et  les 
autres  princes  catholiques  voudront-ils  abandonner  le  roi 
de  Navarre  ?  Le  roi  d'Espagne  ne  nous  fera-t-il  pas  payer 
une  assistance  nécessaire  par  un  changement  d'Etat  ou  un 
démembrement,  du  royaume  ? 

Nous  arrivons  ainsi  au  troisième  moyen  :  se  jeter  dans 
lf-  bras  du  roi  d'Espagne.  La  conscience  de  Villeroy  se 
révolte  contre  un  tel  abaissement  de  notre  honneur  fran- 
çais. Il  abandonne  les  longs  développements  :  c'est  en 
quelques  lignes  fermes  et  cinglantes  qu'il  flétrit  cette 
honte.  «  Ce  serait  ouvertement  enfreindre  nos  lois,  et 
par  trop  offenser  notre  honneur  et  devoir  ».  Ce  serait 
nous  précipiter  «  sous  la  puissance  d'une  nation  très  con- 
traire à  la  nôtre  en  mœurs  et  façons  de  vivre  ...  <  >  serait 
compter  sur  un  peuple  «  dont  les  ressources  ne  sont  pas 


170  YILLEROY 

infinies  »,  et  entrer  en  conflit  avec  le  pape  et  les  antres 
princes  qui  sont  jaloux  de  l'Espagne.  Ce  serait  lutter  contre 
la  nation  française  elle-même,  car  ni  la  noblesse,  ni  les  ec- 
clésiastiques,  ni  les  Etats,  n'accepteraient  la  domination 
étrangère.  «  Si  la  France  a  résisté  autrefois  à  toutes  les 
puissances  et  forces  de  toute  la  chrétienté  ensemble, 
comme  elle  a  fait,  sans  qu'elle  ait  rien  gagné  sur  icelle.  à 
présent  qu'elle  regorge  de  gens  de  guerre,  qu'elle  serait 
assistée  cle  ses  voisins,  qu'il  n'y  a  bon  Français  qui  ne 
voulût  avoir  acheté  chèrement  une  guerre  étrangère,  pour 
se  délivrer  de  l'intestine.  Je  vous  laisse  à  penser  si  nous 
aurions  le  moyen  de  nous  défendre  desdits  Princes  [de 
Savoie  et  de  Lorraine    joints  audit  roi  d'Espagne.  » 

Et  Villeroy  terminait  ainsi  son  avis  :  «  Au  moyen  de  quoi 
je  conclus  qu'il  serait  plus  expédient  et  utile  de  traiter  avec 
le  dit  roi  de  Navarre  aux  conditions  susdites,  pourvu  que 
le  Pape  et  le  Saint-Siège  s'y  accordent,  que  de  suivre  toute 
autre  voie,  puisque  par  un  tel  moyen  vous  délivreriez  du 
tout  le  royaume  de  la  guerre  avec  moins  de  hasard  et  péril 
pour  la  religion  catholique,  laquelle  je  prie  Dieu  vous  faire 
la  grâce  de  défendre  et  conserver  à  son  honneur  et  gloire, 
et  au  salut  du  royaume  ». 

Tel  était,  à  la  fin  de  cette  année  tragique  de  1589,1e  pro- 
gramme tles  «  hommes  de  paix  »  (1)  formulé  par  Villeroy 
avec  une  admirable  netteté.  Le  conseiller  de  Mayenne  se 
sentait  soutenuparun  fort  parti  d'honnêtes  gens,  bourgeois 
intelligents,  parlementaires,  officiers  royaux.  Il  essayait  de 
rallier  tous  les  modérés,  faisait  appel  à  son  ami  Bellièvre. 
l'ancien  surintendant  des  finances  disgracié  comme  lui  et  à 
qui  l'apologie  est  dédiée,  au  cardinal  de  Gondi,  évèque  de 
Paris,  qui  résidait  à  Noisy  parce  qu'il  était  suspect  aux 
Sei/e. 

D'autres  personnages,   après  Villeroy,  prirent  la  plume 

(1)   Suivant  l'expression  usuelle  de  l'Estoïle. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  177 

pour  exhorter  les  Français  à  rétablir  une  autorité  souve- 
raine et  pacificatrice.  Au  milieu  de  1590,  le  duc  de  Nevers 
écrivit  son  Traité  de  la  prise  d'armes  qu'il  fit  tirer  à  trente 
exemplaires  pour  le  roi  et  son  entourage  (1).  Comme  Ville- 
roy,  il  déclarait  que  le  salut  du  pays  était  dans  la  conversion 
du  roi.  Gui  Coquille  publia  en  février  1590  un  Dialogue  sur 
les  causes  des  misères  de  la  France,  qui,  par  des  voies  plus 
entortillées  et  sous  des  formules  plus  prudentes,  exprimait 
en  conclusion  une  idée  analogue  (2).  Un  des  morceaux  po- 
litiques les  plus  retentissants  de  l'époque  fut  la  Considéra- 
tion destroubles  elle  juste  moyende  les  apaiser,  d'un  certain 
Pierre  Ayrault,  juge  au  présidial  d'Angers,  qui  en  un  langage 
énergique  et  émouvant,  suppliait  la  nation  de  reconnaître 
son  roi  sans  condition,  et  le  roi  de  se  soumettre  au  vœu  de 
son  peuple  en  se  faisant  catholique.  Cette  œuvre  eut  tant 
de  succèsque  le  huguenot  DuFay,  qui  avail  déjà  publîéaprès 
les  Barricades  un  excellent  discours  sur  l'état  présent  de  la 
France,  en  écrivit  un  second  pour  empêcher  les  factums  de 
Pierre  Ayrault  et  autres  d'  «  esmouvoir  les  peuples  »  (3). 

Cependant,  Mayenne  avait  reçu  Yadvis  et  répondu  poli- 
ment à  Yilleroy  :  «  Le  dit  Duc,  nous  dit  le  ministre,  m'écrivit 
avoir  pris  en  bonne  part  mon  écrit...  néanmoins  le  dit  Duc 
prit  autre  conseil  (4).  »  Le  légat,  qui  l'avait  lu  aussi,  n'en 
tint  aucun  compte,  et  bientôt  parut  favoriser  les  Espagnols. 
Celle  attitude  sembla  décourager  un  moment  Yilleroy  qui 


(li  Mémoires  de  Nevers,  t.  Il,  p.  85  et  suiv.  11  a  été  rédigé  après  la 
bataille  d'ivry. 

(2)  Œuvres  posthumes  excellens  et  curieux  de  M.  Gui  Coquille, 
1650,  i ni . 

(3)  Quatre  excellents  discours  sur  l'estat  présent  de  la  Fiance,  s.  I. 
1593.  Ce  discours  a  été  en  partie  reproduit  dans  les  Mém.  de  la  Ligue, 
t.  IV,  p.   700  et    suiv. —  Les  Considérations  dé   P    Ayrault,  qui    ont 

paru  en  1591  à  Angers  se  trouvent  dans  un  certain  n bre  de  mss.de 

la  Bibl.  Nat.  (F.  Fr.  3997,  15.591,  etc.).  Voir  Radouant,  Guillaume  du 
Voir,  p.  292-295. 

(4)  Mem.,  p.  147. 

Villeroy  12 


478  VILLEROY 

songea  à  se  retirer  des  affaires.  Il  n'accepta  pas  la  provision 
de  Conseiller  du  duc  qu'on  lui  envoya  et  refusa  de  prêter 
le  serment  que  d'Epinac  demandait  aux  membres  du 
Conseil.  Cependant  il  ne  faudrait  pas  croire  à  des  découra- 
gements complets  chez  un  homme  de  sang-froid  comme 
Villeroy.  Les  projets  de  retraite  —  que  nous  verrons  se 
renouveler  —  lui  étaient  un  peu  imposés  par  le  rôle  de  né- 
gociateur qu'il  s'était  fixé.  Pour  conserver  la  sympathie  des 
royaux,  il  devait  s'abstenir  de  servir  la  Ligue  quand  elle 
s'éloignait  trop  ouvertement  de  la  voie  de  conciliation  qu'il 
lui  avait  tracée.  Il  n'avait  d'ailleurs  nullement  l'intention  de 
«  jeter  le  manche  après  la  cognée  ».  Il  savait  très  bien  que 
le  duc,  comme  tous  les  indécis,  ne  pouvait  se  passer  de 
l'assistance  d'aucun  de  ses  amis.  Et  puis,  il  comptait  bien 
ne  pas  rester  inactif  dans  sa  retraite.  Il  avait  demandé  à 
Gondi  de  lui  procurerun  passeportdu  roi  qui  lui  permettrait 
au  besoin  «  d'attacher  »  comme  de  lui-même,  une  négo- 
ciation. 

Mais,  en  ce  moisdejanvier  90,  il  dut,  nous  dit-il,  retarder 
l'exécution  de  ses  projets  de  retraite,  pour  secourir  à  Paris 
un  ami  en  danger.  Le  président  Potier  de  Blancmesnil,  un 
de  ces  hommes  que  l'Estoile  appelle  «  bons  bourgeois,  bons 
chrétiens  et  bons  serviteurs  du  roi  »  (1),  depuis  longtemps 
surveillé  par  les  Seize  comme  suspect  d'attachement  au 
Béarnais,  fut  emprisonné  au  mois  de  novembre  8'J  parce 


(1)   L'Estoile,    V,  -48.    Le    président  était  le  frère   de  Louis   Potier, 
sieur  de  Gesvres,  qui  avait  travaillé  dans  les  bureaux  de  Villeroy  et  avait 
:té    fait  secrétaire   d'Etat   en  l-'i8'J.   Du  Vair  s'est   attribué    le   mérite 
d'avoir  sauvé  Blancmesnil.  Il  «  lui  lit  office   de   bon  parrain,  car  sans 
lui,  il  était  perdu  ».  nous  disent  les  Anecdotes  de  l'histoire  de  France 
■il  1rs  wi1,  et  xvne  siècles  tirées  de  la  bouche  de  M.  le  (larde  des 
•   Du  Vair  et  autres  (p.p.  Lud.  Lalanne.à  la  suite  des  Mémoires 
de  Marguerite  de  Valois,  1858,  in-8,  p.   240).  Machault,  l'un  des  Seize 
qui  avait  eu  l'initiative  de  la  poursuite,  finit  par  abandonner  l'instruc- 
tion et  s'excusa  devant  le  Parlement.  Voir  la  relation  de  Brulart,  F.  IV. 
173).  Sur  le    rôle   de  du  Vair,  voir  Radouant,   Guillaume  du 
Vair,  p.  217. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  179 

que  durant  l'assaut  des  faubourgs  «  ou  avait  vu  sou  visage 
plus  riant  que  de  coutume  ».  Il  avait  aussi  dit  en  parlant 
du  Béarnais  :  leRoi  sans  ajouter  de  Navarre.  Des  bourgeois 
modérés  comme  lui,  les  sires  Blanchet  et  Leroux,  un  huis- 
sier des  comptes,  Rafelin  furent  pendus  et  étranglés.  Ville- 
roy  resta  près  de  Mayenne  et,  après  deux  ou  trois  mois  d'ef- 
forts, parvint  à  empêcher  les  Seize  d'exécuter  un  homme  qui 
était  au  Parlement  un  des  auxiliaires  de  sa  politique.  Le 
président  délivré,  Villeroy  songea  de  nouveau  à  la  retraite. 
Mayenne  avait  reçu  des  renforts  de  Flandre.  La  guerre 
seule  était  à  l'ordre  du  jour.  Un  négociateur  était  inutile. 
Il  allait  monter  à  cheval,  le  15  mars  au  matin,  quand 
d'Epinac  le  manda  chez  lui  pour  lui  apprendre  la  perte  de 
la  bataille  d'Ivry  (14  mars 90)  (1).  Il  resta  par  un  sentiment 
d'honneur  bien  naturel,  pour  ne  point  paraître  abandonner 
son  parti  malheureux.  11  resta  aussi,  parce  que  le<  défaites 
assagissent  les  chefs  de  parti,  et  qu'il  crut  l'occasion  venue 
de  faire  en  faveur  de  la  paix  une  nouvelle  tentative. 


III 


Les  négociations  ne  furent  point  engagées  parla  volonté 
d'un  lieutenant-général  découragé.  Bien  au  contraire,  à 
cette  heure  critique,  la  Ligue  manifesta  une  grande  acti- 
vité belliqueuse.  Quand  Mayenne,  après  sa  défaite,  vint  à 
Saint-Denis,  les  notabilités  du  parti  résolurent  de  conti- 
nuer la  lutte  et  concertèrent  un  plan  de  résistance  I  lhacun 
eut  son  rôle  déterminé.    Mayenne  resta  le  chef  militaire, 

(1)  Pendant  l'hiver, le  roi  avait  chassé  les  ligueurs  de  laTouraine  et 
de  toute  la  Normandie  où  ils  ne  gardèrent  que  Rouen.  Le  28  février  il 
vint  mettre  le  siège  devant  Dreux.  Mayenne,  qui  avait  reçu  les  renforts 
du  due  de  Parme,  marcha  à  sa  rencontre  au  début  de  mars,  accepta  la 
bataille  en  face  d'Ivry  avec  des  forces  supérieures  et  fut  battu  (14 
mais). 


180  VILLEROY 

organisateur  do  la  revanche  ;  Mendoza  fut  chargé  de  deman- 
der des  secours  à  Philippe  II  ;  Epinac  aida  à  la  défense 
de  Paris  sous  les  ordres  du  gouverneur  Nemours;  Villeroy 
n'eut  aucune  mission  spéciale.  Il  resta  près  du  duc,  guet- 
tant l'occasion  favorable  pour  parler  de  paix. 

Elle  ne  se  fit  pas  attendre.  Les  négociations  commen- 
cèrent  bientôt  d'une  manière  fortuite  et  pour  des  motifs 
complexes.  Cinq  jours  après  le  départ  de  Mayenne  pour 
Soissons,  Villeroy  recul  de  Gondi  un  passeport  du  roi 
pour  aller  à  Noisy  et  à  Mantes.  C'était  le  passeport  que  le 
cardinal  avait  obtenu  avant  la  bataille  pour  son  ami  et 
qu'il  jugeait  à  propos  de  lui  envoyer  pour  qu'il  vît  ce  qu'on 
pouvait  faire  pour  la  paix.  Villeroy  estima  que  s'il  parlait 
au  roi  de  paix,  contrairement  aux  intentions  de  Mayenne, 
il  se  ferait  «  moquer  de  lui  <>  (1 1.  îl  promit  cependant  au 
cardinal  de  voir  un  des  amis  du  roi.Duplessis-Mornay,  dont 
le  frère,  le  sieur  de  Buhy,  possédait  des  terres  dans  le 
Vexin  français,  et  même  avait  des  prétentions  sur  Pontoise 
qu'il  avait  déjà  commandée  pour  le  service  du  roi  (2).  Les 
apparences  étaient  ainsi  sauvées.  En  cas  d'insuccès,  Ville- 
roy pouvait  répondre  :  j'ai  conféré  avec  un  voisin  et  ami  de 
mes  affaires  particulières  ;  nous  avons  beaucoup  d'intérêts 
communs  dans  la  région:  j'ai  profilé  de  cette  circonstance 
pour  causer  avec  lui  des  affaires  publiques  et  pour  sonder 
les  intentions  du  parti  royaliste.  Cela  n'engage  aucun  des 
deux  partis. 

Ces  précautions  prises,  Villeroy  alla  trouver  Duplessis  à 
Soindres,  près  de  Mantes,  le  26  mars.  Le  roi  avaitaccordé 
assez  facilement  à  son  ami  huguenot  la  permission  de  voir 
le  conseiller  de  Mayenne.  Celle  condescendance  s'explique 
par  les  deux  raisons  qui,  plus  d'une  l'ois,  inclinèrent  le  Béar- 
nais aux  négociations.  La  première  était  la  pénurie  où  le  roi 


(1)  Mém.,  p.  149. 

(2)  Voir  Le  Charpentier  :  La  Ligue  à  Pontoise.  Paris.,  1879,  in  8°. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  181 

se  trouvait  malgré  sa  victoire  ;  il  n'y  avait  plus  d'argent.  Les 
Suisses  qui  n'étaient  pas  payés  se  soulevaient.  Les  hugue- 
nots accusaient  les  catholiques  de  susciter  au  roi  des  obs- 
tacles pour  l'empêcher  de  profiter  de  sa  victoire  (1).  Le  roi 
dut  rester  quinze  jours  à  Mantes  dans  l'inaction,  pour 
trouver  quelques  milliers  déçus  (2).  La  seconde  était  l'op- 
position sourde  des  catholiques  royaux.  Ce  que  Sully  qua- 
lifie t<  la  malice  de  telles  gens  »  était  l'attitude  inquiète  et 
hargneuse  d'un  parti  qui  ne  s'était  soumis  au  Navarrais,  qu'à 
condition  qu'il  se  ferait  instruire  dans  l'intervalle  de  six 
mois  :  ils  le  lui  rappelaient  le  plus  souvent  possible,  et  ne 
voulaient  point  perdre  tout  contact  avec  les  catholiques  de 
l'autre  parti.  Voilà  pourquoi  le  roi  dut  permettre  l'entrevue 
de  Biron  et  du  légat  (26  mars),  et  l'entrevue  de  Villeroy  et 
de  Duplessis  (3). 

Villeroy  allait  se  mesurer  avec  un  des  ennemis  irrécon- 
ciliables de  l'Union  catholique.  A  cet  homme  profondément 
sincère  et  désintéressé,  Villeroy  devait  dire,  sans  détours, 
la  vérité.  Aussi,  dès  le  début,  très  franchement,  il  lui  exposa 
le  péril  espagnol  et  l'impossibilité  pour  le  roi  de  Navarre 
d'être  maître  de  la  France  divisée  et  à  demi  ruinée,  s'il  ne  se 
faisait  pas  catholique.  La  réponse  de  Mornay  fut  aussi  caté- 
gorique. Avant  de  traiter  la  question  de  la  conversion,  il  fallait 
dit-il,  se  soumettre  au  roi  légitime  des  Français.  Il  enga- 
gea le  ministre  à  suivre  l'exemple  de  tant  de  catholiques 
qui  se  fiaient  en  ce  roi  loyal,  vaillant  et  bon,  à  se  séparer 
du  duc  et  de  son  parti,  et  enfin,  à  prier  son  filsd'Alincourt, 
gouverneur  de  Pontoise,  de  remettre  cette  ville  au  roi.  Ces 
derniers  mots  firent  bondir  Villeroy.  Il  répondit  qu'il  ferait 


(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  p.  80. 

(2)  Lettres  missives.  U\.  p.  184. 

(3)  Mémoires  de  M,ne  de  Mornay,  I,  p.  1  ï» 4  et  suiv.  Les  Mémoires  et 
correspondances  de  Duplessis-Mornay,  si  précieux  pour  l'histoire  des 
négociations  de  mars  1592,  ne  contiennent  aucune  lettre  relative  aux 
entrevues  de  mars  1590. 


\  82  VILLEROV 

volontiers  pari  au  due  des  intentions  conciliantes  du  roi, 
mais  qu'il  lui  était  impossible  d'inviter  son  fil-  à  céder  une 
ville  qui  lui  avait  été  donnée  en  garde.  Ce  serait  une  for- 
faiture. 

Quelles  étaient  les  intentions  réelles  de  Mornay  en 
réclamant  Pontoise  avec  celle  insistance  qui  choquait  Vil- 
leroy  ?  Agissait-il  —  comme  Villeroyest  disposé  à  le  croire 
—  dans  l'intérêt  de  son  frère  Buhy  qui  convoitait  cette 
place  ?  Cela  ne  nous  étonnerait  pas  beaucoup  à  cette 
époque  de  la  Ligue  où,  dans  les  âmes  les  plus  fières.  les 
intérêts  particuliers  s'enchevêtraient  avec  les  plus  hautes 
questions  de  principes.  Il  est  cependant  plus  probable  que 
le  caractère  droit,  ferme  et  entier  de  celui  qui  fut  appelé 
le  pape  des  huguenots,  et  n'avait  de  commun  avec  Yilleroy 
que  la  haine  de  l'Espagne  et  le  culte  de  l'autorité  royale, 
ne  put  goûter  les  apparences  équivoques  de  la  politique 
souple  et  réaliste  de  ce  dernier. 

Villeroy,  malgré  sa  déception,  résolut  de  s'acquitter  de 
son  devoir.  Mais  avant  de  s'adresser  à  Mayenne,  il  de- 
mandal'avis  de  Gondi,  le  premier  auteur  delà  négociation, 
des  trois  princesses  de  Lorraine  et  de  l'archevêque  de 
Lyon,  qui  auraient  pu  combattre  son  influence  auprès  '/lu 
lieutenant-général.  Heureusement  ils  se  montrèrent  bien 
disposés.  Entre  la  bataille  d'Ivry  et  le  blocus  de  Paris,  il 
s  écoula  quelques  semaines  où  le  vent  fut  aux  négocia- 
tions. L'ondoyant  Epinac  était  alors  dans  un  accès  de 
mauvaise  humeur  contre  les  Espagnols.  La  duchesse 
de  Nemours  disait  qu'elle  ne  voulait  pas  que  ses  fils 
allassent    mendier    leur    pain    en    Espagne.    On    criait  : 

\  ive  le  Pioi  !  »  sur  la  place  Maubert.  Italiens  et  Espa- 
gnols étaient  inquiets  de  ce  retour  d'opinion,  qu'ils  signa- 
laient à  leurs  gouvernements  comme  une  maladie  dont  les 
plus  notables  personnages  étaient  infestés. 

Ce  n'est  point  une  maladie  de  ce  genre  qui  avait  frappé 
le  légat,  malgré  le  blâme   dont  il  fut  l'objet  de  la  part  de 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  183 

ses  amis  les  ligueurs  exailés,  quand  il  demanda  une  entre- 
vue à  Biron.  Gaetano  était  arrivé  en  France,  porteur  d'ins- 
tructions modérées,  pour  représenter  un  pape  à  qui  les 
ligueurs  exaltés  étaient  peu  sympathiques,  parce  qu'ils 
cachaient  sous  leur  fanatisme  trop  d'arrièreqx'iisées  poli- 
tiques, et  contestaient  le  principe  de  légitimité  pour  lequel 
Sixte<)uint  professait  tant  de  respect.  Mais  au  lieu  de 
suivre  une  voie  prudente,  le  légat  s'était  fait  vite  circon- 
venir par  les  Espagnols,  et  il  n'allait  pas  tarder  à  se  mon- 
trer l'ennemi  acharné  du  Béarnais.  Quand  il  demanda  à 
voir,  dans  la  maison  du  cardinal  de  Gondi,  le  capitaine  ca- 
tholique qui  partageait  avec  tant  de  gloire  la  fortune  de 
son  maître  huguenot,  c'était  pour  tenter  solennellement 
de  le  détacher,  lui  et  ses  compagnons,  du  parti  protestant. 
Se  fit-il  quelque  illusion  sur  la  réussite  de  son  entreprise  ? 
Jugea-t-il  quand  même  qu'il  était  de  son  devoir  de  rappeler 
à  l'idée  de  leur  salut  éternel  des  gens  qui  se  perdaient  en 
compagnie  de  l'hérétique  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  Biron,  avec 
son  entêtement  respectueux,  sut  lui  répondre  que  ni  lui, 
ni  ses  amis  ne  se  sépareraient  de  leur  roi  légitime  (1).  Au 
sujet  de  la  conversion  du  roi,  il  mit  en  avant  les  arguments 
ordinaires  :  Henri  avait  promis  de  se  faire  instruire  ;  il  ne 
fallait  pas  le  pousser  l'épée  dans  les  reins,  etc.  Après  beau- 
coup de  politesses  réciproques,  on  se  quitta,  sans  aucun 
résultat  pour  la  cause  de  la  paix  (2). 

Villeroy,  avec  Gondi  et  les  prélats  italiens  de  la  suite  «lu 
Légat,  avait  assisté,  comme  simple  témoin,  à  l'entrevue  de 
Noisy  qu'il  jugea  dans  ses  Mémoires  absolument  inutile.  Il 
alla  trouver  Mayenne  au  commencement  d'avril.  !1  lui  lit  sur 
sa  négociation  avec  Duplessis  un  rapport  qu'il"  dora  »  le 


(1)  Dép.  de  Mocenigo,  7  avril  1590,  F.  Ital.  1739,  I"  11. 

(2)  Voir  dans  l'Epinois,  /.'/  Ligue,  et  les  papes,  les  détails  de  cette 
entrevue.  Voir  aussi  Manfroni,  La  legacione  del  cardinale  Gaetani  in 
Fronda,  1589-1590,  in-8°.  L893. 


184  VILLEB.OY 

plus  possible.  Leduc,  qui  était  l'incertitude  même,  hésita 
d'abord,  toujours  par  crainte  des  Espagnols.  Puis  il  se  dit 
qu'en  somme  il  était  préférable,  sans  les  offenser,  de  les 
inquiéter  assez  pour  qu'ils  donnassent  les  secours  promis. 
Et  comme  il  voyait  le  roi,  déjà  maître  de  Corbeil,  Mantes  et 
Melun,  hâter  l'investissement  de  Paris,  il  pensa  que  laisser 
commencer  un  semblant  de  négociation  serait  peut-être  un 
moyen  «  d'endormir  le  roi  de  l'espérance  d'un  accord  »  (1). 
A  la  même  époque,  il  écrivait  à  Mendoza  de  ne  pas  prendre 
ombrage  de  quelques  propos  tenus  par  Villeroysur  la  paix 
et  d'être  assuré  qu'il  ne  traiterait  pas  avec  le  roi  de  Navarre. 
«  Monsieur,  lui  écrivait-il,  je  vous  ai  dit  plusieurs  fois...  que 
je  n'entrerai  jamais  en  aucun  traité  avec  le  roi  de  Navarre 
que  ce  ne  fut  par  avis  et  commandement  du  roi  d'Espagne... 
Ce  serait  lâcheté  d'y  entendre  et  le  vrai  moyen  de  ruiner 
les  affaires  de  la  religion.  Néanmoins,  je  veux  bien  vous 
avertir,  Monsieur,  de  quelques  propos  que  M.  de  Villeroy 
m'a  tenu  à  ce  sujet  pour  que  vous  n'en  preniez  nul  ombrage 
el  que  vous  croyez  que  je  suis  homme  de  bien  qui,  pour 
chose  du  monde,  ne  ferai  jamais  rien  qui  soit  contraire  à 
la  promesse  que  j'ai  donnée...  (2):  » 

Cette  nouvelle  négociation  était  donc  condamnée  à  un 
échec  certain.  Mayenne  avait  imaginé  un  expédient  pour 
inquiéter  les  Espagnols  et  amuser  le  roi.  Les  termes  très 
\  agues  dans  lesquels  était  conçue  la  mission  de  Villeroy  et 
l'obligation  de  la  tenir  secrète  prouvaient  son  manque  de 
sincérité.  On  ne  fera  de  bons  progrès  dans  la  voie  des  ac- 
commodements que  lorsque  les  deux  adversaires  précise- 
ront les  conditions  de  paix  et  traiteront  au  grand  jour.  Vil- 
leroy ne  se  taisait  pas  d'illusion  sur  les  desseins  de  Mayenne; 
mais  il  se  prêtait  volontiers  à  ce  rôle  de  demi-dupe,  espé- 
rant qu'un  peu  de  bien  sortirait  de  ces  intrigues. 


(1)  Mém.,  p.  152. 

(2)  Mayenne  à  Mendoza,  3  avril  1590,  Pap.  Simanc,  K.  1571,  p    70. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  185 

11  n'avait  pas  tort  de  croire  que  parler  beaucoup  de  paix 
mène  à  la  paix.  La  preuve  en  était  dans  la  suspicion  de  plus 
en  plus  grande  dont  il  était  l'objet.  Le  6  avril,  Mendoza  enga- 
geait Mayenne  à  confier  le  soin  des  négociations  à  sa  mère 
et  à  l'archevêque  de  Lyon  (1).  Des  villes  s'étaient  émues.  Les 
habitants  d'Amiens,  apprenant  que  Villeroy  traitait  de  la 
paix,  envoyaient  au  lieutenant  général  des  délégués  pour 
lui  dire  publiquement  que  s'il  faisait  accord  ou  trêve  avec 
le  Béarnais,  eux-mêmes  livreraient  leur  ville  au  roi  d'Es- 
pagne, et  qu'on  agirait  ainsi  dans  la  Picardie  entière  (2). 

C'est  le  13  avril  (3)  que  Villeroy  alla  trouver  le  roi  de 
Navarre  dans  les  faubourgs  de  Melun,  et  l'exhorta  à  sauver 
le  royaume  en  contentant  les  catholiques.  Sans  appuyer 
trop  fort  sur  les  arguments  sentimentaux,  il  lui  fit  entendre, 
en  bon  politique  réaliste,  qu'aucune  ville  ne  «  s'était  ébran- 
lée du  parti  ;  ce  qui  procédait  seulement  de  la  force  et 
puissance  que  la  religion  a  sur  les  hommes  »  (4).  Henri  IV 
affirma,  comme  Biron  l'avait  fait  en  son  nom,  sa  volonté 
d'être  roi  de  France  en  fait  comme  en  droit.  Use  ferait  ins- 
truire avec  le  temps  et  non  à  coups  d'épée.  Il  demanda  à  la 
fin  —  c'est  la  première  fois  qu'on  en  parlait—  que  Mayenne 
envoyât  des  députés  munis  de  pouvoirs  suffisants  pour 
traiter.  Villeroy,  conformément  au  programme  exposé 
dans  son  avis  de  décembre,  fit  remarquer  au  roi  que 
Mayenne  étant  chef  de  parti,  ne  pouvait  rien  faire  sans  le 
consentement  commun  et  que,  pour  réunir  les  députés,  une 
trêve  et  des  passeports  étaient  nécessaires.  C'était  aussi  la 
première  fois  que  l'on  formulait  nettement  ces  deux  pro- 
positions qui  allaient  faire  la  base  des  conversations  sui- 
vantes. C'était  trop  tôt,  sans  doute,  car  le  roi  craignit  un 


(1)  Pap.  Simanc,  ibid.,  p.  97. 

(2)  Pap.  Simone.,  ibid.,  p.  H 5. 

(3)  De  Thou,  dont  la  chronologie  est  parfois  vague,  place  à  tort  cette 
entrevue  le  11,  le  jour  de  la  prise  de  Melun. 

(4)  Mftrn.,  p.  154. 


486  VILLEROY 

piège  et  refusa  net  d'accorder  la  cessation  d'armes  et  les 
passeports  pour  ne  point  donner  moyen  au  duc  de  «  mieux 
dresser  sa  faction  »  (1). 

Villeroy  retourna  à  Soissons,  rendit  compte  de  tout  à 
Mayenne,  en  dorant  son  rapport,  comme  au  mois  de  mars. 
Le  duc  ne  parut  pas  très  content  du  retour  de  son  con- 
seiller. En  l'absence  de  Villeroy,  la  Ligue  Espagnole  avait 
intrigué  contre  lui,  et  le  faible  Mayenne  avait  dû  pour  la 
calmer,  écrire  des  lettres  de  désaveu.  Villeroy  eut  donc 
à  regagner  auprès  de  Mayenne  le  terrain  perdu. 

Il  finit  par  le  décider  à  assembler  ceux  du  parti.  Mais, 
comme  d'habitude,  on  ne  fit  à  Villeroy  qu'une  demi-con- 
cession avec  l'arrière-peilsée  d'en  dénaturer  plus  tard  la 
portée.  On  écrivit  d'envoyer  des  députés,  sans  parler  de  la 
paix,  «  mais  seulement  pour  donner  ordre  par  leurs  avis 
aux  affaires  de  la  cause  ».  11  fallut  la  patience  inlassable  de 
Villeroy  pour  tirer  le  meilleur  parti  de  ces  résolutions  ac- 
compagnées de  tant  de  restrictions. 

Il  suivit  Mayenne  dans  le  voyag-e  qu'il  fit  à  la  fin  d'avril 
aux  frontières  de  Picardie,  pour  retenir  les  villes  de  la 
Somme  dans  l'obéissance  qu'elles  devaient  au  lieutenant 
général  et  pour  solliciter  les  secours  promis  par  le  prince 
«le  Parme.  Il  resta  en  relations  suivies  avec  les  royalistes 
par  l'intermédiaire  de  La  Verrière. 


iV 


Cependant,  le  roi  de  Navarre,  oubliant  vite  cet  incident 
diplomatique,  poursuivait  la  conquête  des  places  fortes  aux 
abords  de  Paris.  Au  commencement  du  mois  de  mai,  la 
grande    ville    était    investie,    et    pendant    que    Mayenne 

(i)  Mém.,  p.  155. 


LE    NEGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  187 

opérait  aux  frontières  de  Picardie  pour  retenir  dans 
l'obéissance  les  villes  de  la  Somme  et  attendre  les  secours 
du  prince  de  Parme, Henri  était  décidé  à  vaincre  coûte  que 
coûte  et  à  dicter  lui-même  les  conditions  de  la  paix. 
Avec  un  admirable  entrain,  la  résistance  fut  organisée. 
Le  12  mai,  les  troupes  Navarristes  attaquèrent  à  l'im- 
proviste  le  faubourg  Saint-Martin  mais  durent  battre  en 
retraite.  L'enthousiasme  des  Parisiens,  fanatisés  par  les 
processions  belliqueuses  et  les  prédications  incendiaires, 
leur  rendit  faciles  les  premiers  sacrifices  du  blocus.  La 
Sorbonne  avait,  par  décret,  le  7  mai,  lancé  l'anathème  sur 
les  partisans  de  la  paix  et  le  peuple  jetail  à  l'eau  les  bour- 
geois suspects  de  modération.  Le  grand  organisateur 
étranger  de  la  lutte  à  outrance  était, avec  Mendoza,  le  car- 
dinal Gaetano,  cet  étrange  légat  dont  le  fanatisme  croissait 
à  mesure  que  les  sentiments  du  pape  Sixte-Ouint,  dont  il 
ne  respectait  pas  les  instructions,  devenaient  plus  modérés 
et  plus  conciliants.  Aussi  ne  devons-nous  point  croire  ins- 
pirée par  une  pensée  de  modération  politique  la  démarche 
qu'il  tenta  auprès  des  royalistes  au  début  de  juillet.  Nous 
savons  qu'il  invita  le  marquis  de  Pisani  à  venir  le  trouver 
le  7  juillet  au  faubourg  Saint-Germain,  dans  la  maison  de 
Jérôme  de  Gondi.  II  sollicita  instamment  la  conversion  du 
roi.  Pisani  lui  répondit  qu'avant  de  se  convertir,  le  roi 
devait  être  maître  de  Paris  et  prier  le  légat  de  hâter  la  red- 
dition de  la  capitale,  proposition  qui  fut  accueillie,  bien 
entendu,  par  un  refus  formel  (1).  II  est  évident  que  Gae- 
tano ne  s'était  forgé  aucune  illusion  et  qu'il  voulait  sim- 
plement démontrer  aux  politiques  de  Paris  que  le  roi  n'en- 
tendait point  se  faire  catholique. 

(1)  Archives  secrètes  du  Vatican.  Nunziatura  di  Francia.  Les 
t.  XXVII  et  XXX  contiennent  des  lettres  de  Gaetano  à  Montalto,  le 
premier  du  10  novembre  i589  au  23  juillet  1590.  le  second  du  2  jan- 
vier 1  •  < 9 0  au  14  septembre  de  la  même  année.  Voiren  particulier  dans 
le  t.  XXVII,  la  lettre  du  '■>  juillet.  Voir  aussi  :  A.  Franklin,  Journal  du 
Siège  de  Paris  (Mém.  de  la  Soc.  de  l'hisl.  do  France,  t.    Vil,  p.    213). 


188  VILLEROY 

La  lutte  continua  donc  avec  acharnement.  Les  Parisiens 
accueillirent  avec  dédain  le  manifeste  où  le  roi  de  Navarre 
promettait,  le  16  juillet,  de  conserver  la  religion  catholique, 
et  In  sommation  qu'il  lançait  bientôt  après  à  Nemours,  gou- 
verneur de  la  ville,  afin  de  le  reconnaître  pour  roi.  Le  27 
juillet,  Tannée  du  roi,  grossie  de  renforts,  occupa  tous  les 
faubourgs  de  la  rive  gauche.  Le  blocus  se  resserrait.  Les 
vivres  devenaient  de  plus  en  plus  rares.  Bientôt  sévit  la 
famine  et  son  cortège  accoutumé  d'horreurs.  La  mortalité 
était  effrayante.  L'armée  de  secours  de  Mayenne  et-  de 
Parme,  tant  de  fois  annoncée,  n'arrivait  pas.  Les  politiques 
reprenaient  de  l'audace  et  commençaient  à  provoquer  des 
manifestations  pacifistes,  d'accord  avec  les  royaux  catho- 
liques, avec  qui  ils  entretenaient  de  continuelles  intelli- 
gences (1). 

Il  fallait  qu'on  fût  bien  bas  pour  qu'au  début  du  mois 
d'août  les  organisateurs  eux-mêmes  de  la  résistance  son- 
geassent à  la  paix.  Le  2,  se  réunit  un  conseil  composé  de 
Nemours,  Gondi,  Epinac,  des  Présidents  et  Conseillers  de 
la  Cour  du  Parlement,  des  échevins  et  autres  principaux 
bourgeois  de  la  ville.  Après  une  discussion  passionnée,  les 
avis  modérés  l'emportèrent.  «  La  nécessité  fit  condescendre 
en  l'opinion  plus  douce  en  apparence  et  fut  arrêté  que  Mon- 
sieur de  Paris  et  Monsieur  de  Lyon  iraient  trouver  le  Roi 
de  Navarre  pour  voir  s'il  se  pourrait  faire  quelque  paix 
universelle  pour  tout  le  royaume  (2).  »  C'était  une  démar- 
che extrêmement  grave,  qui  suscitait  bien  plus  de  cas  de 
conscience  et  de  formalités  diverses,  que  lorsqu'il  s'agissait 
des  négociations  souples,  discrètes  et  relativement  aisées 
d'un  Yilleroy  avec  les  royalistes.  Quatre  théologiens  furent 


(1)  Voir  l'Estoile,  t.  IV,  passim,  et  Corneio.  Histoire  du  siège  de 
Paris,  Mém.  de  la  soc.  de  l'Hist.  de  Paris,  t.  VII.  1880. 

(2)  Discours  brief  et  véritable  des  choses  plus  notables  arrivées  au 
siège...  de  lu  ville  de  Paris...  par  P.  Corneio.  ligueur  (Mémoires  de 
la  Ligue,  t.  IV,  p.  293,  et  Mém.  de  la  Soc.  de  l'Hist.  de  Paris,  loc.  cit.) 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  189 

consultés  par  le  légat  pour  savoir  si  on  encourrait  les  cen- 
sures en  traitant  dans  les  circonstances  actuelles  avec  un 
hérétique.  Ils  répondirent  que  c'était  permis  puisqu'on  y 
était  contraint  par  la  famine  (1).  Le  6  août,  Gondi  et  Epi- 
nac  se  rendirent  près  du   roi  à  l'abbaye  de  Saint-Antoine. 

Le  roi  les  reçut  assez  froidement.  Il  demanda  que  la  ville 
se  rendît  à  lui  à  miséricorde,  ne  voulut  point  promettre  de 
se  convertir  et  ne  permit  point  que  les  députés  communi- 
cassent  avec  le  duc  de  Mayenne  (2).  Cette  entrevue  pour  la 
paix  n'eut  d'autre  résultat  que  de  pousser  à  la  guerre.  Henri 
IV,  convaincu  de  l'extrême  misère  où  se  trouvaient  les  Pa- 
risiens, tenta  de  nouveaux  efforts  pour  emporter  la  capitale. 
Les  souffrances  des  assiégés  devinrent  bientôt  intolérables 
et  la  ville  allait  être  obligéede  se  rendre,  quand,  le 30 août, 
un  grand  espoir  vint  relever  les  plus  découragés  :  l'armée 
de  secours  marchait  vers  Paris.  Le  duede  Parme  avait  enfui 
franchi  la  frontière,  rejoint  Mayenne  à  Meaux,  refusé  la 
bataille  au  Navarrais,  pris  Lagny  sous  ses  yeux  (7  sep- 
tembre), et  maître  des  deux  rives  de  la  Marne,  assuré  le 
ravitaillement  de  la  capitale.  Le  1(.>  septembre,  Mayenne 
entra  dans  Paris. 

Avec  lui  y  entrait  Yilleroy,  qui,  depuis  cinq  mois,  avait 
suivi  la  fortune  de  son  duc,  sans  perdre  de  vue  un  seul 
instant  le  rôle  de  conciliateur  national  qu'il  s'était  imposé. 
Quand  il  avait  vu  les  Espagnols  sur  le  poinl  de  s'unir  à 
Mayenne,  il  avait  essayé  à  nouveau  de  sa  lactique  de 
retraite  pour  conserver  la  confiance  des  royaux.  Le  1 1  mai, 
il  avait  obtenu,  par  une  lettre  de  La  Verrière,  la  promesse 
qu'on  lui  accorderait  une  sauvegarde,  sans  l'obligera  faire 

(1)  F.  Fr.  3996,  f°  157.  Résolution  des  prélats  théologiens  sur  la 
question  a  eux  proposée  par  le  cardinal  Gaetani,  etc.,  août  1590. 

(2j  Fonds  Franc.,  3996,  l'°  158.  Extrait  des  registres  du  Parlement 
contenant  la  réponse  faite  par  le  roi  Henri  IV  aux  députés  de  Paris... 
etc.  Voir  aussi  une  dépêche  de  L'ambassadeur  vénitien  du  6  août, 
F.  Ital.  1739,  fo  63,  et  une  lettre  très  détaillée  de  Paye  a  Bellièvre,  du 
7  août.  F.  fr.  15.909,  fo  313-316. 


190  VILLEROY 

rendre  Pontoise  par  son  fils.  Mais  décidément,  il  avait  le 
vent  contraire.  Le  roi  de  Navarre,  qui,  à  Melun,  avait  paru 
croire  à  sa  sincérité  (1),  se  crut  berné  par  cet  homme  qui 
parlait  de  cessation  d'armes  juste  au  moment  où  on  allait 
se  battre  plus  fort  que  jamais.  Une  lettre,  où  Villeroj 
annonçait,  sans  aucune  perfidie,  à  sa  femme  la  prochaine 
arrivée  du  duc  de  Parme,  fut  aussi  très  mal  interprétée.  La 
question  irritante  de  Pontoise,  dont  la  possession  eût  été 
utile  au  roi  dans  son  œuvre  d'investissement  de  Paris, 
acheva  de  l'aigrir  contre  le  père  de  d'Alincourt  (2).  On  avait 
promis  de  ne  point  en  parler  tant  que  l'on  s'était  fié  en\  iP 
leroy.  Mais  si  on  croyait  véritablement  à  la  duplicité  du 
ministre,  ne  pouvait-on  pas  craindre  qu'il  ne  livrât  la  place 
aux  Espagnols?Or,  sa  possession  était  plus  que  jamais  néces- 
saire à  Henri  pour  achever  l'investissement  de  Paris.  Elle 
menaçait  Meulan,  Mantes,  Vernon,  Beaumont  et  Poissy,  les 
nouvelles  conquêtes  du  roi.  Elle  immobilisait  une  partie  de 
ses  troupes  qui  étaient  obligées  de  combattre  incessam- 
ment entre  l'Oise,  la  Seine  et  l'Epte,  pour  empêcher  que 
Paris  ne  fût  ravitaillé  par  cette  porte. 

Quand,  au  début  de  juin,  Villeroy,  désespérant  presque 
de  la  paix,  sollicita  le  passeport  promis,  il  se  vit  éconduit. 
On  lui  posa  pour  condition  première  la  reddition  de  Pon- 
toise. Il  refusa   ::  .  Mais  l'obstination  de  Villeroy  parvenait 


(1)  Sommaire  discours  de  ce  qui  est  advenu  en  l'armée  du  Roi 
depuis  que  le  duc  de  Parme  s'est  joint  à  '-Aie  des  ennemis...  (Corbeil, 
1590).  Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  324. 

«  S.  M.  fut  avertie  que  cette  légation  n'était  que  toute  tromperie  el 
que  l'ambassadeur  y  pouvait  être  trompé  le  premier...  Ledit  sieur  de 
Villeroy  demeura  si  surpris  de  la  franchise  el  ingénuité  du  Roi  qu'il 
avoua  à  demi  cette  sienne  conversion  el  protesta  de  s'y  vouloir  em- 
ployer oins  courageusemenl  et  fidèlement  qu'il  n'avait  t'ait  aupara- 
vant... o 

(2)  Pour  comprendre  le  prix  qu'il  attachait  à  la  possession  de  cette 
ville,  voir  une  lettre  d'Henri  IV  au  duc  de  Longueville  {Lettres  missives, 
l.  III,  p.  169,  14  mars  1590). 

(3)  11  faut  noter  qu'a  la  fin  de  mai,  on  révoqua  un  passeport  accordé 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  191 

souvent  à  dissoudre  les  volontés  opposées.  Un  mois  après 
le  premier  refus,  il  recevait  le  passeport  désiré.  Il  est  vrai 
qu'il  contenait  de  fortes  restrictions.  On  lui  permettait 
seulement  d'aller  à  Hallaincourt  ou  à  Pontoise  avec  son  train 
ordinaire.  On  lui  apprenait  en  même  temps  la  découverte 
delà  lettre  qui  avait  indisposé  le  roi  contre  lui.  Ce  n'est 
qu'au  mois  d'août  que  ce  fameux  passeport,  refusé  en  juin, 
à  demi  concédé  en  juillet,  fut  envoyé  à  Villeroy,  sur  les 
instances  de  son  père,  et  tel  qu'il  le  désirait  (1). 

Nous  avons  insisté  sur  ces  détails  de  passeports,  moins 
mesquins  qu'ils  ne  paraissent,  parce  qu'ils  sont  un  trait 
curieux  de  l'histoire  de  la  Ligue.  C'est  sous  le  couvert  de 
ces  passeports  que  s'entretenaient  les  relations  entre 
royaux,  politiques  etligueurs.  Ils  étaient  assez  libéralement 
accordés  de  part  et  d'autre.  Il  y  avait  cependant  des  abus 
qui  parfois  étaient  durement  réprimés.    Un  secrétaire  de 


à  Epinac,  qui  après  avoir  obtenu  la  permission  d'aller  voir  Mayenne 
fut  arrêté  au  Bourget  par  le  Grand  Prieur  et  le  comte  de  la  Guiche. 
Villeroy  avait  attendu  quelque  heureux  résultat  de  cette  ambassade  qui 
s'adressait  à  Mayenne,  à  un  moment  où  il  était  mécontenl  des  lenteurs 
du  dur  de  Parme,  et  où  la  population  de  Paris  commençait  à  souffrir 
de  la  disette.  Villeroy  espérait  aussi  reprendre  auprès  du  duc  son  rôle 
habituel  de  conseiller,  fortifié  de  l'appui  de  la  mission  parisienne  et  de 
son  chef  Epinac  (Journal  de  M.   Brulard,  F.  Fr.  5315,   fo    180-182). 

Villeroy  estima  que  le  roi  avait  commis  une  grande  faute.  A  Paris, 
les  partisans  de  la  guerre  reprirent  le  dessus  et  persuadèrent  la  popu- 
lation qu'onn'avait  rien  à  espérer  du  Béarnais.  Quand  à  la  fin  de  juillet, 
d'Epinac  et  Gondi  obtinrent  enfin  l'autorisation  de  voir  Mayenne,  il 
était  trop  tard.  Le  duc  de  Parme  était  à  une  journée  de  Meaux  et 
Mayenne  ne  songeait  qua  la  guerre. 

(1)  Mém.,  p.  158-159.  Nous  ne  connaissons  ces  détails  que  par  les 
mémoires  de  Villeroy.  Nous  n'avons  retrouvé  aucune  des  lettres  écrites 
par  Villeroy  à  ce  sujet  durant  l'année  1590.  Révol  écrivait  a  liedièvre, 
le  2  août  :  «Je  suis  très  marri  de  la  difficulté  qu'il  y  a  eu  au  passeporl 
que  M.  de  Villeroy  désirait,  augmenté  par  l'interprétation  qu'on  a  faite 
de  quelques  siennes  lettres  qu'on  a  vue-,  dont  l'on  a  pris  le  s  ms  en  la 
plus  mauvaise  part...  J'ai  toujours  cru  et  dit  que  c'était  le  service  du 
roi  de  lui  donner  moyen  de  sortir  d'où  il  est,  e1  pour  L'importance  de 
sa  personne  aux  affaires  et  pour  l'exemple  que  l'opinion  contraire  a 
été  la  [dus  forte.  »  F.  fr.  15.909,  fo  307. 


192  VILLEROY 

Moyenne,  Loys  Perron,  avait  obtenu  un  passeport  pour 
faire  quelques  affaires  pour  le  parti  du  sel.  A  Tours,  on 
trouva  sur  lui  des  lettres  chiffrées  adressées  par  le  duc  à 
Mercœur.  Il  fut  pendu  le  jour  même.  Mais,  sauf  accident, 
ces  relations  privées  entretenaient  en  général,  un  air  favo- 
rable aux  négociations  officielles.  Ce  fut  le  principal  auxi- 
liaire de  la  pacification. 

Quand  Villeroy  eut  reçu  son  passeport,  il  ne  pouvait  plus 
partir.  Car  s'il  avait  à  ménager  les  royaux,  il  avait  aussi  à 
ménager  les  ligueurs  et  en  particulier  son  maître.  «  J'avais 
promis,  dit-il,  au  duc  de  Mayenne,  après  tant  de  refus  que 
l'on  m'avait  faits,  de  ne  me  retirer  que  je  n'eusse  vu  ce  qui 
adviendrait  du  secours  de  la  ville  de  Paris  (1).  »  Voilà  pour- 
quoi nous  l'avons  trouvé,  à  la  suite  de  Mayenne,  entrant 
dans  la  capitale  le  19  septembre. 

Ces  mois  d'été  de  1590,  et  cette  journée  du  B>  septembre, 
où  l'activité  du  négociateur  de  la  Ligue  était  restée  sans 
emploi,  ne  furent  pas  complètement  perdus  pour  la  cause 
de  la  paix.  Villeroy  avait  assisté,  impuissant  à  empêcher  le 
mal.  aux  ravages  des  Espagnols,  qui  pillaient  les  maisons 
de  campagne  (dont  quelques-unes  étaient  à  ses  amis)  et 
n'épargnaient  même  pas  les  églises  que  le  Béarnais  héré- 
tique protégeait.  Ces  faits  le  révoltèrent.  Quand  il  entra 
(la i\-  Paris,  il  remarqua  au  premier  abord,  derrière  la  joie 
factice  et  les  acclamations  populaires,  la  trace  des  souf- 
frances du  siège.  «  Ils  étaient,  dit-il,  si  combattus  de  la 
faim  et  des  maux  qu'ils  avaient  soufferts  qu'ils  regardaient 
d'un  œil  plus  pitoyable  qu'allégé...  Ils  ne  pouvaient  nous 
regarder,  ni  nous,  eux,  sans  soupirer    2).   » 

Cel  apitoiement  des  esprits  modérés  et  des  cœurs  bien 
français  sur  les  misères  du  peuple,  ressenties  plus  Ibrle- 
menl    que  jamais   en  celle  année  1590,  est  désormais  la 


(1      -'A-///.,  p.  100. 

(-)   Mém.,Y>.  161.  Voir  l'Esfoile,  t    V,  p.  288  et  suiv.  (suppl  ). 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  193 

marque  profonde  de  la  période  qui  commence  dans  l'his- 
toire de  la  pacification.  Ce  sentiment  de  pitié  domine  toutes 
les  discussions  politiques  et  religieuses.  En  attendant  que 
le  grand  parti  de  la  paix,  dont  Villeroy  est  le  plus  actif  né- 
gociateur, ait  réussi  à  terminer  la  guerre  civile,  il  va  diri- 
ger son  effort  vers  l'acquisition  de  trois  avantages  essen- 
tiels :  1°  la  liberté  du  labourage  et  du  commerce,  qui 
diminuera  la  souffrance  générale  ;  2U  la  trêve,  qui  fera 
apprécier  à  la  France  les  bienfaits  d'une  paix  dont  les 
brouillons  ne  pourront  plus  lui  faire  perdre  le  goût;  3°  la 
convocation  des  Etats,  qui  feront  entendre  victorieusement 
la  voix  pacifique  de  la  partie  saine  et  modérée  du  peuple 
français. 


Villeroy  ne  resta  que  deux  jours  à  Paris.  Il  se  retira  dans 
sa  maison  de  Villeroy,  le  21  ou  22  septembre.  Il  y  reçut 
bientôt  la  visite  de  deux  membres  de  sa  famille,  l'abbé  de 
Chésy,  son  fils  naturel,  et  le  sieur  de  Fleury,  son  beau- 
frère,  conseiller  à  la  Cour  de  Paris,  un  des  vingt-quatre 
Politiques  du  Parlement  suspects  aux  Seize  qui,  en  1593, 
devaient  être  désignés  à  la  fureur  de  la  populace  par  les 
prédicateurs.  Il  avait  de  nombreuses  relations  dans  le  parti 
royaliste,  était  un  ami  intime  de  Duplessis,  et  on  le  disait 
«  indifférent  pour  toutes  les  religions  »  (1),  ce  qui  le  ren- 
dait tout  à  fait  apte  au  rôle  d'intermédiaire  obligeant  entre 
les  catholiques  et  les  protestants,  entre  les  modérés  et  les 
exaltés  de  chacune  de  ces  sectes.  Le  cardinal  de  Gondi, 
toujours  ardemment  dévoué  au  Béarnais,  et  le  chancelier 
Cheverny.qui  s'était  jusqu'alors  tenu  prudemment  à  l'écart 
et  se  décidait  à  entrer  en  scène,  priaient   Villeroy  «  de 

11)  L'Estoile,  t.  V,  p.  329. 

Villeroy  13 


194  VILLEROY 

reprendre  les  erres  de  sa  première  poursuite  ».  Ils  ras- 
suraient que  le  roi  était  «  maintenant  plus  disposé  que 
jamais  d'y  entendre  »  et  qu'on  se  fiait  en  lui  «  sans  qu'il 
lut  plus  au  pouvoir  de  personne  de  le  traverser  »  (1). 

Les  avances  étaient  faites  cette  fois  par  des  catholiques 
ralliés  au  roi.  On  constate  qu'à  ce  moment  leur  influence 
paraissait  dominer  dans  le  conseil  (2).  Ils  avaient  été  ren- 
forcés au  mois  d'octobre  par  l'arrivée  du  duc  de  Nevers 
qui  se  joignit  au  Béarnais  avec  des  troupes.  Rosny,  voyant 
avec  dépit  que  les  vieux  serviteurs  du  prince  paraissaient 
oubliés,  s'était  retiré  dans  les  terres  de  sa  femme.  Un  l'ait 
caractéristique  montre  combien  le  roi  de  Navarre  était  à 
ce  moment  désireux  de  faire  des  concessions  à  ses  catho- 
liques (3).  Un  édit  que  Mornay  avait  obtenu  en  faveur  de 
ses  coreligionnaires  allait  être  enregistré  à  Tours  quand  il 
fui  contremandé  par  lettre  du  roi  au  chancelier.  Tou^  ces 
catholiques  se  battaient  bravement,  retenus  par  l'honneur 
au  camp  royal,  mais  après  une  action  importante,  succès 
mi  revers,  ils  menaçaient  de  se  retirer  si  le  roi  n'abjurait  : 
cl  le  roi  se  résignait  à  leur  permettre  d'entamer  des  négo- 
ciations. Sa  position  était  doncanalogueà  celle  de  Mayenne. 
Tous  deux  jouaient  la  comédie  de  la  paix,  pour  retenir,  l'un, 
les  catholiques,  l'autre,  les  ligueurs  patriotes. 

Villeroy,  instruit  par  l'expérience,  et  fidèle  à  son  pro- 
gramme, ne  voulut  point  s'engager  dans  une  négociation 
nouvelle  —  la  troisième  depuis  le  début  de  la  guerre  — 
sans  être  assuré  qu'elle  serait  sérieuse.  Il  posa  deux  con- 
ditions :  la  première  qu'on  députerait  «  cinq  ou  six  person- 
nages d'honneur  pour  traiter  ensemble,  sans  plus  faire 
manier  les  affaires  par  un  seul  et  en  cachette  »,  la  seconde, 
que  le  roi  accorderait  «  une  surséance  d'armes,  pour  un 


(I  i  Mém.,  161. 

(2)  Sully,  /■:,-.  Roy.,  t.  I,  p.  352.  Dupl.  Mornay,  pp.  194,  195. 

(3)  Dupl.  Mornay,  ibid. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  195 

certain  temps,  pour  faciliter  ladite  assemblée»  (1).  Il  fal- 
lait faire  accepter  ces  deux  conditions  par  Mayenne.  Con- 
sulté, le  duc  approuva  le  projet  de  cessation  d'armes, 
approuva  le  voyage  de  Villeroy,  mais  ne  voulut  pas  lui 
adjoindre  des  personnes  autorisées.  Mayenne  était  appuyé 
par  tous  ses  conseillers,  môme  par  Epinac  et  par  Jeannin, 
qui  ne  jugeaient  pas  le  moment  propice  pour  négocier 
publiquement. 

Les  conférences  pour  la  paix  commencèrent  à  Buchy, 
près  Alincourt,  le  15  octobre  (2).  Le  roi  avait  adjoint  au 
maréchal  de  Biron  Duplessis  et  Turenne,  qui  devait, 
quelques  semaines  après,  aller  recruter  des  renforts  mili- 
taires en  Allemagne.  Buhy  et  Fleury  assistaient  aux  entre- 
vues. On  convint,  avant  toutes  choses,  qu'il  fallait  com- 
mencer par  une  cessation  d'armes  et  chacun  donna  son  avis 
sur  la  forme  et  les  conditions  de  cette  trêve  bienfaisante 
«  qui  devait  adoucir  les  humeurs  »(3).  Les  conférences 
se  tinrent  ensuite  à  Vaux  près  Gisors.  On  y  discuta  sur  les 
termes  de  l'avis  que  présenta  Villeroy.  Puis  l'on  jugea  que 
c'était  s'avancer  beaucoup,  et,  avant  de  continuer,  on  vou- 
lut savoir  l'opinion  des  chefs  des  deux  partis.  Ce  fut  un 
refus  net  d'accorder  la  cessation  d'armes,  au  grand  regrel 
de  Villeroy,  qui  voyait  «  que  de  part  et  d'autre  l'un  ne  -'ac- 
cordait que  trop  à  rejeter  les  moyens  d'acheminer  et  faci- 
liter la  paix  »  (4). 

Encore  une  fois,  l'éternelle  question  espagnole  était  la 
cause  de  ce  revirement.  Le  duc  de  Parme,  après  avoir  ravi- 
taillé Paris  et  poussé  quelques  semaines  le  siège  de  Cor- 
beil  avec  Mayenne,  se  retira  en  Flandre,  le  1"  novembre, 
en  promettant  de  revenir  avec  d<-  uouvelles  forces  au  prin- 


(1)  Mém.,  p.  4  62. 

(-2)  Mém.  de  M"*  de  Marnai/,  p.  200.  Cette  négociation  n'est  indi- 
quée ni  dans  de  Thou,  ni  dans  Palma-Cavet,  ni  dans  Mézeray. 

(3)  Ibid. 

(4)  Mém.,  p.  165. 


196  VILLEROY 

temps  prochain.  Or,  le  roi  de  Navarre  avait  envoyé Turenne 
en  Angleterre,  en  Hollande  et  en  Allemagne,  et  cette  mis- 
sion devait  aboutir  àl'envoi  d'importants  secours  d'hommes 
et  d'argent.  La  diminution  des  forces  ennemies  et  la  certi- 
tude de  l'augmentation  prochainede  ses  propres  ressources, 
l'encouragèrent  naturellement  à  refuser  une  cessation 
d'armes  qui  eût  tourné  à  l'avantage  de  la  Ligue.  Il  offrit 
seulement  pour  les  députés  des  passeports  qui  devaient 
être  expédiés  en  la  forme  qu'on  établirait  avec  Ville - 
roy.  Il  écrivait  à  cette  époque  :  «  Les  affaires  de  mes 
ennemis  sont  en  tel  état  que  pour  peu  que  je  les  abandonne 
et  leur  donne  patience,  ils  achèveront  d'usurper  tout  le 
reste  de  l'Etat...  et  pour  peu  que  je  continue  aussi  de  les 
presser  et  de  leur  faire  une  guerre  un  peu  forte,  je  les  puis 
ruiner  et  détruire  >  (1). 

Mayenne,  pour  d'autres  raisons,  était  aussi  mal  disposé 
qu'Henri  IV  en  faveur  de  la  suspension  d'armes.  Les  Seize, 
la  Sorbonne  et  les  curés  de  Paris,  redoublaient  de  fureur 
à  l'annonce  d'une  trêve  avec  les  chiens  d'hérétiques.  Le 
légat  ne  l'approuvait  pas.  Le  duc  de  Parme,  avant  son  dé- 
part, l'avait  déconseillée.  Cette  unanime  opposition  montre 
quelle  eût  été  l'efficacité  des  moyens  proposés  par  Ville- 
roy.  Après  avoir  goûté  la  paix,  les  Français  n'auraient 
peut-être  plus  voulu  se  remettre  en  guerre  (2,.  De  plus,  à 
la  faveur  de  la  trêve,  les  gouverneurs  des  villes  auraient 
pu  traiter  avec  le  roi  et  commencer  la  désagrégation  de  la 
Ligue.  Mais  Mayenne,  tout  en  refusant  la  suspension 
d'armes,  tenait  à  continuer  les  négociations.  Ce  n'était  pas 
seulement  pour  faire  passer  l'e  temps  jusqu'à  la  belle  saison 
où  Alexandre  Farnèse  lui  ramènerait  une  armée  des  Pays- 
Bas,  mais  pour  assurer  le  ravitaillement  delà  capitale, qu'il 


(!)  Lettre  ù  Matignon,  fin  1590.  Lettres  Miss.,  t.  III,  p.  316. 
(-)   Voirune  intéressante  lettre  de  Mendoza  à  Philippe  II,  4  novembre 
1590,   Pap.  Simanc,  K.  1571,  p.  145. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  197 

chargea  Villeroy  d'obtenir  doux  conditions  très  précises:  la 
liberté  du  commerce  et  la  sûreté  du  labourage.  Il  ne  voulait 
pas  autre  chose  pour  le  moment.  Il  expliquait  ainsi  ses 
intentions  à  Epinac,  dans  une  lettre  du  11  novembre: 
«  Nous  n'avons  pas  laissé  d'envoyer  M.  de  Villeroy  vers 
le  Roi  de  Navarre  pour  traiter  de  la  liberté  de  commerce  et 
du  labour  :  à  quoi  même  se  sont  disposés  nos  Messieurs  et 
l'évêque  de  Plaisance,  quelque  difficulté  qu'ils  en  fissent 
du  commencement,  vaincus  de  la  nécessité  qui  nous  y  force 
tous.  L'ennemi  voulait  entrer  en  cherche  d'autre  chose  et 
passer  plus  avant,  à  quoi  je  n'ai  pu  me  disposer  d'entendre 
que  je  n'y  voie  plus  de  lumière  et  que  ce  ne  soit  de  l'avis 
général  de  nos  amis  (1).  » 

Villeroy  se  rendit  à  Manies  où  il  trouva  Biron,  Duplessis 
et  le  chancelier.  On  convint  de  la  forme  des  passeports  qui 
furent  accordés  pour  deux  mois.  Des  deux  demandes  de  Ville- 
roy, une  seule  fut  accordée.  Les  royaux  refusèrent  la  liberté 
du  commerce  qui  eût  été  trop  avantageuse  aux  Parisiens,  et 
ne  consentirent  qu'à  un  règlement  pour  la  sûreté  du  labou- 
rage (2).  C'était,  certes,  un  grand  progrès  dont  tous  les 
amis  de  la  paix  et  du  pauvre  peuple  des  campagnes  eurent 
lieu  de  se  réjouir.  Au  moins  la  récolte  prochaine  allait  être 


(1)  Correspondance  du  duc  de  Mayenne,  p.  p.  Henry  et  Loriquet, 
Travaux  de  l'Académie  de  Reims,  t.  XXIX,  p.  109  et  suiv. 

(2)  On  trouve  l'écho  de  ces  discussions  dans  une  lettre  de  Mayenne., 
du  20  novembre  1590.  au  prévôt  des  marchands  de  la  ville  de  Paris 
(publiée  par  Henry  et  Loriquet).  Mayenne,  comme  représentant  des  in- 
térèls  de  la  capitale,  tenait  beaucoup  à  la  liberté  du  commerce  :  «  J'ai 
vu.  dit-il,  ce  que  m'écrit  M.  de  Villeroy  pour  le  fait  du  commerce,  ri  ce 
que  le  roi  île  Navarre  en  a  proposé  :  à  quoi  je  ne  puis  aucunement 
accorder  que  le  blé  n'y  soit  compris  et  que  ce  ne  soit  autant  pour  le 
haut  que  pour  le  bas  de  la  rivière...  »    Ibid.,  t.  XXIX,  p.  165). 

Le  roi  1  avait  bien  compris  et  s'il  avait  trouvé  des  dispositions  plus 
conciliantes  dans  Mayenne,  il  aurait  lait  la  concession  du  libre  com- 
merce sur  la  rivière  de  Seine.  L'ambassadeur  vénitien  nous  montre 
(2(>  octobre)  combien  cette  question  du  ravitaillement  de  Paris  préoc- 
cupait  1''  roi:  «  Havendo  per  fine  S.  M.  que  quella  cita  non  sia  in  modo 
alcuno  sollevata  »  (F.  Ital.  1739,  fo  94). 


198  VILLEROY 

assurée.  C'était  une  satisfaction  accordée  aux  doléances 
anonymes  des  paysans  qui,  dans  la  Complainte  des  pauvres 
laboureurs,  se  plaignent  amèrement  de  ces  malandrins  qui 

...  Viennent  dans  nos  granges, 
Aussi  dans  nos  maisons, 
En  prenant  (chose  étrange  !) 
Chevaux,  bœufs  et  moutons. 
Encor  n'estant  contens 
D'avoir  nos  biens  et  bestes 
Nous  lie,  et  nous  mattans, 
Nous  bandant  yeux  et  testes, 
Nous  battent,  nous  moleste  (1)  ! 

C'est  alors  qu'une  grande  faute  commise  dans  l'entou- 
ra g-e  de  Mayenne  arrêta  pour  un  temps  les  négociations  si 
laborieusement  amorcées.  Les  lettres  envoyées  aux  pro- 
vinces pour  la  convocation  des  députés  parlaient  d'une  as- 
semblée d'Etats  généraux  (Yilleroy  n'en  avait  jamais  fait 
mention,  ni  à  Noisy,  ni  à  Mantes)  et  faisaient  comprendre 
que  le  duc  voulait  assembler  son  parti  pour  élire  un  roi. 
Par  cet  acte,  la  Ligue  regagnait  une  partie  du  terrain 
perdu.  C'était  la  cinquième  tentative  de  convocation  des 
Etats  que  les  péripéties  de  la  campagne  avaient  jusqu'alors 
retardée  (2).  Il  semblait  (piécette  fois  leur  réunion  fût  plus 


(1)  L'Esloile,  t.  IV,  p.  261. 

(2)  Il  faut  se  rappeler  que  le  Conseil  de  l'Union  qui,  le  4  mars  1589, 
avait  nommé  Mayenne  lieutenant  général,  en  attendu»/  l'assemblée 
des  Etats,  avait  l'ait  décréter  la  convocation  de  ces  Etats  pour  le  15 
juillet  de  la  même  année.  Le  29  novembre,  le  Parlement  avait  rendu 
un  arrêt  ordonnant,  sous  l'autorité  du  duc,  l'assemblée  des  Etats  au 
lendemain  de  la  Chandeleur  (3  février  1590),  à  Melun.  et  le  6  décembre 
le  lieutenant  général  signait  les  lettres  patentes,  qui  fuient  renouvelées 
le  15  janvier,  pour  l'assemblée  qui,  n'ayant  pu  se  tenir  en  février, 
devait  se  réunir  le  20  mars.  Melun  étant  tombée  au  pouvoir  du  roi,  île 
nouvelles  lettres  furent  écrites  le  9  mars  pour  la  convocation  des  Etats 
à  Orléans,  le  dernier  d'avril  ;  elle  fut  empêchée  parla  défaite  B'Ivryet 
le  siège  de  Paris.  Les  lettres  patentes  qui,  à  la  fin  de  1590,  convoquèrent 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  199 

urgente  que  jamais,  Charles  X,  le  roi  de  la  Ligue,  étant 
mort  (1),  et  que  la  fortune  leur  fût  plus  favorable,  puis- 
qu'un peu  de  calme  était  revenu  dans  la  situation  des 
ligueurs  depuis  la  fin  du  siège. 

Cet  acte  qui,  aux  yeux  des  politiques,  élail  une  faute 
commise  plus  par  malice  que  par  ignorance  ("2),  révélait 
l'ambition  de  Mayenne,  qui  jouait  au  plus  fin  avec  tout  le 
monde,  pour  arriver  à  réaliserson  rêve  inavoué  de  royauté. 
Il  trompait  les  Espagnols  pour  avoir  des  troupes;  il  trom- 
pait les  royalistes  pour  obtenir  un  adoucissement  aux  ri- 
gueurs de  la  guerre  el  des  passeports  pour  ses  députés.  Par 
l'altération  de  la  forme  des  passeports,  il  préparait  la  der- 
nière manœuvre  qui  devait  le  porter  à  son  but  :  l'élection 
par  le  consentement  de  la  nation.  Magnifique  sans-gène 
que  de  vouloir  tranquillement  réunir,  sous  le  couvert  de 
passeports  royaux,  les  ligueurs  français  qui  détruiraient 
la  royauté  d'Henri  IV!  Yilleroy  se  plaignit  aussitôt  aux  du- 
chesses, à  Jeannin  et  au  duc,  de  ce  procédé  grossier.  Les 
duchesses  ordonnèrent  la  rétention  des  lettres  ;  Jeannin 
promit  de  pourvoir  à  ce  qu'il  appelait  une  inadvertance. 

Près  de  deux  mois  s'écoulèrent  en  allées  et  venues  et 
récriminations  de  toute  sorte.  Yilleroy  eut  beaucoup  de 
peine  à  faire  cesser  le  malentendu.  Il  obtint  du  roi  à  Senlis 
la  promesse  que  les  passeports,  une  fois  changés,  seraient 
prolongés.  Il  défendit  devant  lui  Mayenne  accusé  de  s'être 
lié  aux  Espagnols  de  manière  à  ne  pouvoir  plus  traiter 
sans  eux  avec  le  roi  de  Navarre.  Il  vit  enfin  à  Soissons,  le 
'24  décembre,  le  duc  de  Mayenne  qui  l'assura  que  la  faute 
avait  été  commise  par  négligence.  Les  passeports  furent 
réformés.  Yilleroy,  dans   son    Apologie,  a  voulu    paraître 


pour   la  cinquième  fois  les  députés,  étaient  datées  du  -2\>   novembre  et 
fixaient  rassemblée  à  Orléans,  le  20  janvier  1591. 

(1)   Il  mourut  le  8  mai  1590. 

(S)  Sfém.,f.  166.      . 


200  ViLJ.EROT 

beaucoup  plus  surpris  qu'il  ne  l'a  été.  11  semble  rejeter  la 
faute  sur  «  ceux  auxquels  ledit  duc  donna  charge  de  dres- 
ser les  lettres  »,  mais  il  connaissait  très  bien  les  tentatives 
antérieures  et  l'état  d'esprit  de  son  chef.  N'oublions  pas 
que  VApologie  a  été  écrite  avant  la  réconciliation  de 
Mayenne  et  d'Henri  IV,  et  que  Villeroy  a  voulu  y  servir 
encore  la  cause  de  la  paix,  en  atténuant  la  responsabilité 
du  lieutenant  général  (1). 


(1)  Mém.,  p.  168.  Il  faut  lire  le  texte  de  VApologie  pour  se  rendre 
compte  de  la  complexité  de  cette  question  de  passeports.  11  y  eut.  a  la 
fin  de  décembre,  de  nouvelles  difficultés  soulevées  par  Mayenne  qui 
voulait  qu'on  laissât  aux  provinces  la  liberté  d'imposer  à  leurs  députés 
le  mandat  qu'elles  voudraient.  11  fallut  de  nombreux  pourparlers  avant 
de  régler  la  question.  Voir  aussi  2  lettres  de  Mendoza  à  Philippe  II,  des 
13  novembre  et  19  décembre,  Pap.  Simone .  K.  1S71,  p.  140  et  156, 
sur  les  allées  et  venues  do  Villeroy,  la  question  des  passeports  et  le 
mécontentement  qu'en  éprouvaient  les  Espagnols. 


CHAPITRE  II 


I.  Ralentissement  des  négociations  en  1591.  La  question  des 
passeports  pour  les  députés  aux  Etats.  Défiances  réciproques. 
Villeroy  auprès  de  Mayenne.  La  lutte  contre  Rome,  contre 
l'Espagne,  contre  la  démagogie.  —  II.  Les  négociations  de 
Villeroy  et  Duplessis-Mornay  à  Mantes  (mars-mai  1592).  La 
conclusion  de  la  trêve  de  sept  mois  pour  le  Vexin  Français. — 

III.  Les  Etats  de  la  Ligue.  Le  discours  de  Villeroy.  La  confé- 
rence de  Suresne.  La  conversion  du  roi  (janvier-août   1593).  — 

IV.  Les  négociations  de  Villeroy  pour  la  trêve  générale. 
Conférences  d'Andrésy  et  de  Milly  (août-septembre).  La  re- 
montrance à  Mayenne  (2  janvier  94).  —  V.  La  soumission  de 
Villeroy  (mars  94).  L'apologie. 

(1591-septembre  1594). 


La  négociation  qu'avait  attachée  Villeroy  se  traîna  péni- 
blement pendant  les  six  premiers  mois  en  1591.  Il  avait 
obtenu  des  royaux  l'adoption  d'une  des  bases  les  plus  im- 
portantes de  son  advis,  la  réunion  de  députés  du  parti  et 
des  passeports.  Mais  quand  ou  fut  sur  le  point  d'exécuter 
ce  programme,  d'innombrables  difficultés  surgirent  de  la 
mauvaise  volonté  des  deux  partis.  Une  lutte  persévérante 
contre  ces  divers  obstacles  occupa  le  négociateur  des  poli- 
tiques de  janvier  à  mai. 


202  ViLLEROY 

L'accalmie  dont  avait  bénéficié  Villeroy  n'avait  duré  que 
deux  mois  (octobre  et  novembre).  Henri  IV  avait  reconsti- 
tué ses  forces  en  Allemagne  et  possédait  depuis  décembre 
10.000  fantassins  et  1.000  chevaux.  Rendu  confiant  par 
l'échec  des  ligueursde  la  capitale  à  Saint-Denis  (3  janvier  , 
de  Mayenne  à  Saint-Gobin  (12  janvier),  il  recommença  à 
presser  les  Parisiens,  puis  brusquement,  après  la  Journée 
des  Farines,  il  dirigea  toutes  ses  forces  contre  Chartres  el 
entama  le  siège  du  grenier  à  blé  des  Parisiens.  Henri  IV, 
plus  confiant  en  lui-même,  était  plus  disposé  à  ralentir  les 
négociations.  Mayenne  se  sentait  moins  fort,  mais,  malgré 
quelques  accès  de  découragement  (1),  il  s'obstinait  à 
diriger  la  guerre  sans  trop  de  désavantage  (2).  Il  avait  en- 
voyé Jeannin  à  Madrid  pour  demander  des  secours;  il  fai- 
sait appel  au  Pape  et  aux  Espagnols.  S'il  ne.  pouvait  secou- 
rir Chartres  (pris  le  19  avril;,  il  atténuait  dans  une  certaine 
mesure  cet  échec  parla  prise  de  Château-Thierry (16 avril). 
Nous  comprenons  ainsi  pourquoi  le  roi  cherchaità  susciter 
à  Mayenne  et  à  son  conseiller  tant  de  difficultés  dans  les 
négociations  et  pourquoi  le  lieutenant-général  n'y  paraît 
qu'avec  une  certaine  molles-»'. 

On  continua  à  ergoter  autour  des  passeports.  Un  des 
prétextes  trouvé  par  Henri  IV  pour  les  refuser  fut  la  dé- 
couverte de  lettres  témoignant  que  Mayenne  voulait  réunir 
une  assemblée  pour  faire  non  la  paix  mais  ses  propres  af- 
faires. Ce  fut  un  nouveau  sujet  d'interminables  discussions. 
Fleury  porta  les  lettres  à  Mayenne.  Mayenne  répondit  assez 
piteusement  qu'il  était  parfois  contraint,  pour  contenir 
chacun  en  office  et  conserver  son  crédit,  «  d'écrire  et  parler 


(1)  Archives  du  Vatican,  citées  par  l'Epinois,  p.  462. 

(2)  Une  lettre  de  la  fin  de  1590  montre  sa  ténacité  :  «  Nos  ennemis, 
dit-il,  ont  un  mois  de  temps  devant  nous  qui  peut  apporter  du  mal 
duquel  nous  nous  garantissons  au  mieux  qu'il  sera  possible,  et  après 
essayerons  .le  prendre  l'avantage.  »  (Saint-Minier,  date  illisible,  1590, 
Pap.  Sim.  K.  1578.) 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  203 

des  choses  qui  se  présentaient  diversement  »  (1).  Puis  il 
prétendit  prouver  que  la  copie  de  ces  lettres  n'était  pas 
semblable  à  l'original.  Bien  d'autres  chicanes  devaient, 
encore  être  soulevées  de  part  et  d'autre  (2). 

On  était  sur  le  point  de  s'entendre  quand  la  question  de 
la  liberté  commerciale  suscita  de  nouveaux  retards.  Le  roi 
désirait  réunir  à  Chartres  une  commission  spéciale  où  les 
représentants  du  duc  auraient  été  VideVille,  «  l'âme  du  car- 
dinal de  Gondi  »  (3)  et  Yilleroy.  C'était  probablement  une 
manœuvre  pour  éviter  l'assemblée  des  députés  des  villes 
ligueuses.  En  tous  cas,  dans  la  pensée  des  royaux,  ce  ne 
devait  être  qu'un  acheminement  vers  la  paix  générale  (4). 
Mayenne,  qui  vit  le  piège,  répondit  qu'il  ne  pouvait  s'enga- 
ger trop  loin  sans  l'assistance  de  ses  amis,  mais  qu'il  per- 
mettrait le  départ  de  Videville  et  de  Yilleroy,  pour  traiter 
seulement  du  commerce  pour  Paris,  et  à  condition  qu'on 
ne  négociât  pas  trop  ouvertement.  Sa  lettre  du  23  avril  à 
l'évêque  de  Plaisance  nous  le  montre  très  préoccupé  de 
prévenir  l'opinion  que  sa  conduite  ne  soit  pas  mal  inter- 
prétée. A  ce  moment,  il  paraissait  résigné  à  se  passer  des 
fameux  passeports  (5). 

(1)  Mêm.,  p.  169. 

(2)  Mayenne  à  Jeannin  (23  janvier  1591).  «  Notre  assemblée,  dit-il, 
n'a  pu  encore  être  avancée  pour  ce  que  le  roi  de  Navarre  s'est  formé 
certains  ombrages  que  l'intention  de  nos  députés  lui  sérail  entièrement 
contraire  et  en  a  fait  arrêter  un  à  Mantes.  M.  de  Villeroy  s'est  essayé 
de  rhabiller  cela...  » 

(3)  Selon  l'expression  de  l'évêque  île  Plaisance  dans  une  lettre  de 
février  citée  par  l'Epinois,  p.  451. 

(4)  «  Villeroy,  qui  s'aboucha  à  Dourdan  avec  le  grand  chancelier  et 
le  maréchal  de  Biron,  s'en  retourna  sans  aucun  fruit  de  sa  négocia- 
tion, s'étant  découvert  qu'il  avait  eu  pour  but  de  traiter  plutôt  sur  le 
libre  commerce  de  la  ville  que  sur  l'établissement  de  la  paix.  »  Moce- 
nigo  à  la  seigneurie,  13  mai  1591,  F.  Ital.  1740,  fo  23. 

(5)  «  Je  continue  aussi  l'assemblée  qui  avait  été  arrêtée  pour  pour- 
voir au  général  des  affaires  e1  écris  à  tous  les  gouverneurs  des  pro- 
vinces d'assister  de  bonnes  escortes  à  cet  effet  les  députés  pour  les 
faire  passer  sûrement  sans  nous  arrêter  plus  aux  passeports  du  roi  de 
Navarre.  » 


204  VILLEROY 

L'intervention  d'un  nouveau  négociateur,  ck  Rosne,  vint 
brouiller  encore  plus  les  cartes.  Dès  1591 ,  on  observe  l'entre- 
mise de  plus  en  plus  fréquente  de  personnages  secondaires 
dans  les  négociations.  Sully  a  bien  noté  cette  manie  qui 
sévit  principalement  en  1592  :  «  Parmi  tant  d'allées  et 
venues,  diverses  sortes  de  personnes  s'entremirent  de  né- 
gocier, les  unes  avec  sincérité,  les  autres  avec  artifice  ; 
d'autres  pour  se  faire  de  fête  et  tâcher  d'y  faire  leurs  af- 
faires ;  d'autres  pour  se  bien  entretenir  avec  les  deux  par- 
tis et  d'autres  avec  affection  pour  rechercher  les  moyens 
de  parvenir  à  une  bonne  paix  »(1). 

Ce  de  Rosne  semble  avoir  été  une  de  ces  personnes  inté- 
ressées qui  «  par  leurs  divers  dessins  et  leurs  envie>  <-t 
jalousies  »,  pour  parler  comme  Sully,  contrarièrent  les 
plans  des  intermédiaires  sérieux  tels  que  Villeroy.  Au  mois 
d'août,  il  fit  proposer  au  roi  par  Fleury  de  faire  une 
assemblée  particulière  sous  prétexte  de  parler  de  la  déli- 
vrance du  duc  de  Guise,  toujours  prisonnier  des  royaux 
et  là  entamer  une  bonne  négociation  avec  des  per- 
sonnes affectionnant  «  l'avantage  particulier  de  Paris  »(2). 
Le  roi  lui  envoya  un  passeport.  Villeroy  ne  voulut  pas  que 
ce  personnage,  qu'il  ne  croyait  pas  désintéressé,  entravât 
ses  desseins  et  peut-être  le  supplantât,  et  réussît  àl'écarter. 

Ouelque  temps  après,  le  chancelier  et  Riron  mandèrent 
à  Villeroy  de  se  rendre  à  Etampes,  puis  à  Dourdan.  Les 
conférences  durèrent  deux  jours  et  furent  inutiles.  Ville- 
roy comprit  que  Cheverny  et  Riron  attendaient  autre  chose, 
que  de  Rosne  leur  avait  fait  sans  doute  espérer  à  la  légère. 
Mayenne  au  contraire  voulait  s'en  tenir  à  la  liberté  du 
commerce.  Les  deux  partis  se  défiaient  maintenant  l'un  de 
l'autre.  On  était  aux  premiers  jours  de  mai.  Ils  se  séparèrent 


il)  Sully,  Ec.  Roy.,  I,  p.  115-116. 
(2)  Mém.,  p.  170. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  205 

«  remettant  à  consulter  de  toutes  choses  avec  ceux  qui  les 
avaient  envoyés  »  (1). 

Durant  toute  cette  période,  Villeroy,  sans  se  décourager 
absolument,  fut  très  pessimiste.  «  Les  choses  empirent 
tous  les  jours,  je  le  sais  bien,  je  le  dis  les  larmes  aux 
yeux.  )>  —  «  Le  royaume,  écrivait-il  encore  à  Bellièvre,  est 
près  de  succomber  et  périr  tout  à  fait  cette  année,  si  Dieu 
ne  fait  quelque  miracle,  dont  je  ne  veux  désespérer.  » 
Au  début  de  mai  il  lui  disail  :  «  Je  tile  la  toile  de  Péné- 
lope, car  plus  je  travaille  à  l'œuvre  que  j'ai  entreprise, 
moins  j'y  avance  et  plus  j'y  rencontre  des  difficultés  »  (?). 

Le  ralentissement  des  négociations  avec  les  royalistes 
lui  avait  permis  de  rendre  à  son  parti  des  services  d'un 
autre  genre.  Pendant  qu'il  était  à  Soissons,  attendant 
la  réponse  du  roi  au  sujet  de  la  liberté  du  commerce  (fin 
février)  le  duc  le  fit  venir  auprès  de  lui.  Il  assiégeait  Châ- 
teau-Thierry commandé  par  le  vicomte  de  Comblizy,  fils 
de  Pinart,  l'ancien  collègue  de  Villeroy.  Le  prudent 
Mayenne  voulait  enlever  la  place  rapidement,  sans  grandes 
pertes  et  comptait  y  être  aidé  par  l'influence  de  Villeroy 
sur  son  ami.  Il  fit  dire  à  Pinart  que  Villeroy  désirait  lui  par- 
ler, sans  prévenir  ce  dernier.  Ils  eurent  une  première  entre- 
vue toute  de  courtoisie  où  Villeroy  ne  parla  pas  de  capitu- 
lation, ce  conseil  étant,  dit-il,  «  indigne  d'un  homme  d'hon- 
neur »  (3). 


(1)  Mêm.,  p.  173. — Pour  toute  la  période  précédente,  voir  F.  Fr. 
15901)  (Lettres  adressées  à  Bellièvre,  de  1588  à  1592),  notamment 
Villeroy  à  Bellièvre,  23  nov.  1590,  fo  338,  14  janvier  1591,  f°  354, 
19  janvier,  f°  355,  13  février,  fo  366,  12  mai,  fo  382,  Chevemy  à  Bel- 
lièvre, S  avril  1591,  f°  379.  Dans  cette  dernière  lettre  Gheverny  écri- 
vait: «  M.  de  Fleury  m'a  écrit  ces  jours-ci  qu'il  est  en  quelque  espé- 
rance que  Mrs  de  Villeroy  et  de  Videville  pourraient  approcher  d'ici. 
Je  leur  ai  envoyé  des  passeports  s'ils  en  veulent  user,  encore  que  je 
ne  puisse  pas  prendre  grande  espérance  qu'il  ne  puisse  rien  réussir  de 
bon.  » 

(2)  Lettres  des  19  et  28  janvier  et  12  mai. 

(3)  Mém.,  p,  171. 


206  VILLEROY 

Quelque  temps  après  la  ville  fut  emportée  par  surprise. 
Quand  le  duc  se  disposa  à  dresser  sa  batterie  contre  le 
château,  les  Pinart,  dans  une  seconde  entrevue  avec  Ville - 
rov,  demandèrent  une  capitulation  très  avantageuse  dont 
la  clause  principale  était  la  conservation  du  commande- 
ment de  la  place  ;  après  le  refus  de  Mayenne,  ils  s'en  re- 
mirent à  Villeroy  qui  obtint  pour  eux  des  conditions  qui 
n'étaient  point  trop  dures  (1).  Pinart  et  son  fils  furent  con- 
damnés à  mort  par  le  parlement  royaliste  de  Châlons,  puis 
leur  peine  fut  commuée  en  une  amende  de  30.000  écus. 
Ils  avaient  été  accusés  de  trahison  et  on  avait  prétendu 
prouver  cette  trahison  par  leur  intelligence  avec  Villeroy. 

Les  explications  données  par  Villeroy  paraissent  pour- 
tant les  plus  vraisemblables.  Il  est  prouvé  qu'il  n'arriva 
sous  les  murs  de  Château-Thierry  que  dans  les  derniers 
jours  du  siège  ci  que  l'initiative  de  la  capitulation  fut  prise 
par  les  Pinart.  Il  semble  bien  qu'ils  n'aient  commis  que 
des  fautes  de  stratégie  (2).  Ils  eurent  le  tort  au  début  de 
refuser  les  gens  de  guerre  qu'on  leur  offrait.  Villeroy  en 
donne  une  raison  acceptable  :  ils  craignaient  que  les  chefs 
de  ces  troupes  ne  s'emparassent  du  gouvernement  de  Châ- 
teau-Thierry. Les  exemples  de  ces  rivalités  ne  sont  pa- 
rafes au  temps  de  la  Ligue. 

Le  rôle  qu'on  attribua  à  Villeroy  dans  cette  capitulation 
fut  sans  doute  un  nouveau  motif  de  suspicion  auprès  du 
roi  qui  retarda  les  négociations. 

La  seconde  partie  de  l'année  1591  fut  stérile  en  résultats 
diplomatiques  pour  la  mission  pacificatrice  que  Villeroy 
s'était  donnée.  L'occasion  favorable  à  de  nouvelles  dé- 
marches ne  se  présenta  qu'à  la  fin  de  décembre. 

(1)  F.  Fr.  3980,  f°  202.  Acte  de  capitulation,  f°  318,  apologie  du 
gouverneur. 

(2)  D'Aubigné,  VIII,  221,  le  seul  historien  qui  en  parle  n'accuse  pas 
les  Pinart  de  trahison. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  207 

De  mai  à  décembre,  Yilleroy  cul  à  lutter  contre  de  sé- 
rieuses difficultés  suscitées  par  son  propre  parti  (1).  Dans 
cette  Ligue  incohérente,  de  passions  et  de  principes  divers, 
l'Italie,  l'Espagne,  les  princes  lorrains,  les  Seize  poursui- 
vaient chacun  leur  but  particulier  ;  et  pour  peu  que  l'ac- 
tion militaire  se  ralentît,  l'anarchie  augmentait.  Cela  fai- 
sait les  affaires  du  roi  de  Navarre  ;  car  l'excès  du  désordre 
devait  provoquer  une  réaction  en  faveur  de  la  paix.  Mais 
celacontrariaitla  politique  de  Yilleroy  qui  aurait  voulu  une 
Ligne  française,  respectueuse  de  la  légalité,  unie  et  forte, 
traitant  d'égal  à  égal  avec  le  roi  de  Navarre  et  l'obligeant 
à  se  convertir  avant  de  le  reconnaître  comme  roi  de  France. 

Il  eut  d'abord  à  lutter  contre  la  politique  romaine  qui, 
dès  l'avènement  de  Grégoire  XIV  'qui  fut  pape  du  ?4  sep- 
tembre 1590  au  15  octobre  1591),  s'était  départie  de  la 
souplesse  et  de  la  longanimité  du  précédeni  pontificat.  Le 
nouveau  pape  envoya  en  France  son  nonce  Landriano  avec 
un  monitoire  qui  exhortait  les  catholiques  et  principa- 
lement les  ecclésiastiques  à  abandonner  le  roi  de  Navarre, 
sous  peine  d'excommunication.  La  Chambre  du  Parlement 
royaliste  transféré  à  Ghâlons  déclara  le  6  juin  les  bulles 
nulles,  comme  d'abus,  et  somma  le  nonce  de  comparaître 
devant  lui.  Le  Parlement  de  Tours  déclara  le  pape  e  schis- 
matique,  hérétique,  ennemi  de  la  paix  et  de  l'Eglise... 
fauteur  de  rebelles  ». 

Yilleroy  s'efforça  d'empêcher  la  publication  de  ce  moni- 
toire trop  rigoureux  qui,  non  seulement  ne  détachait  aucun 
catholique  du  parti  royaliste,  mais  encore  servait  tous  les 
irréconciliables  en  excitant  l'indignation  du  roi  el  eudi -es- 
pérant chacun  de  la  paix.  Villeroy,  eu  blâmant  la  politique 
romaine,  n'adoptait  pourtant  pas  tous  les  arguments  vio- 
lents ou  aigredoux  du  Chapelet,  de  laiMaintenue  et  défende 


(1)  Voir  dans  te  F.    Fr.  15909,  f°  379  et  suiv.,  un  certain  nombre 
île   Lettres  écrites  d'avrii  à  novembre. 


des  princes  souverains,  et  autres  pasquils  et  pamphlets  qui 
parurent  contre  la  bulle.  Bien  qu'il  trouvât  mauvaise  la 
manière  romaine,  il  n'était  pas  hostile  au  principe  de  l'in- 
gérence pontificale.  Mais,  en  politique  réaliste,  il  eût  voulu 
qu'elle  se  produisît  utilement,  pour  les  besoins  de  sa  cause. 

La  faiblesse  de  Mayenne  n'inquiétait  pas  moins  les  Poli- 
tiques que  les  violences  de  Rome.  Le  marquis  de  Menelay, 
gouverneur  de  la  Fère-sur  l'Oise,  fut  soupçonné,  au  mois 
de  juin,  de  traiter  secrètement  avec  Henri  IV  et  le  duc  de 
Longueville  pour  leur  livrer  la  place.  Mayenne  envoya  un 
deses  meilleurs  partisans,  Colas,  Vice-Sénéchal  de  Montéli- 
mar,  pour  faire  ce  qu'il  jugerait  nécessaire  afin  de  conserver 
la  ville.  Ce  dernier  tua  le  marquis  et  reçut  de  Mayenne  le 
gouvernement  de  la  place. 

Villeroy  a  défendu  la  mémoire  du  ligueur  Menelay  ac- 
cusé de  trahison,  comme  il  avait  défendu  le  royaliste  Pinart, 
accusé  aussi  de  trahison.  D'après  la  lecture  des  documents 
concernant  l'affaire,  il  avait  compris  que  le  jeune  gouver- 
neur avait  voulu  simplement  faire  peur  au  duc  en  lui  lais- 
sant croire  qu'il  traitait  et  obtenir  de  lui  une  charge.  Il 
estima  que  son  assassinat  avait  été  une  grande  faute  non 
seulement  parce  qu'il  avait  horreur  des  moyens  violents, 
mais  encore  parce  qu'il  redoutait  les  conséquences  de  cet 
acte  sur  sa  propre  politique.  Villeroy  aurait-il  pu  compter 
absolument  sur  l'appui  de  Mayenne  qui,  après  avoir  permis 
au  marquis  de  conférer  avec  le  duc  de  Longueville,  accueil- 
lait si  facilement  les  soupçons  sur  Menelay,  donnait  si  im- 
prudemment à  un  capitaine  de  ses  gardes  pleins  pouvoirs 
pour  faire  une  enquête,  versait  des  larmes  sur  la  fin  de 
Menelay  et  cependant  n'hésitait  pas  à  donner  la  succession 
de  sa  charge  à  l'assassin  ? 

Ce  pauvre  duc,  déjà  si  discrédité  dans  son  parti  que  l'é- 
voque de  Plaisance  l'appelait  «  le  roi  des  grenouilles  »  (1). 

(1)  D'après  une  lettre  citée  par.l'Epinois,  p.  452. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  20(.) 

eut  à  lutter,  à  partir  <lu  mois  d'août  contre  un  rival  de  sa 
propre  maison,  le  pet it  duc  de  Guise,  fils  du  Balafré,  qui 
s'évada,  le  15  août,  des  mains  des  royaux.  Ce  jeune  homme 
n'allait  pas  tarder  à  devenir  l'enfant  chéri  des  Seize  et  de 
l'Espagne.  Villeroy  déplora  cette  délivrance  qui  réjouissait 
les  étrangers,  car  il  y  avait  un  double  danger  à  redouter: 
si  le  jeune  duc  supplantait  Mayenne,  la  Ligue,  ayant  enfin 
une  tête,  deviendrait  très  forte  et  les  Espagnols  seraient 
les  maîtres  ;  si  d'autre  part  il  ne  réalisait  pas  1rs  espérances 
des  ligueurs,  la  lutte  d'influence  entre  les  deux  membres 
de  la  famille  de  Guise  désagrégerait  le  parti  et  livrerait  la 
Ligue  au  Béarnais. 

Cet  événement  était  survenu  presque  au  moment  où 
Jeannin  rapportait  au  duc  la  réponse  de  Philippe  IL  On 
l'avait  envoyé  à  la  fin  d'avril  à  Madrid  pour  «  recrocher  des 
secours  ».  11  devait  en  même  temps  découvrir  les  sentiments 
du  roi  d'Espagne,  au  sujet  de  la  position  suprême  que 
Mayenne  pouvait  espérer,  et  le  détourner  du  projet  de 
conquérir  le  royaume  pour  lui  et  sa  fille.  Mai-  Jeannin 
avait  compris  que  la  volonté  de  Philippe  II  était  inflexible. 
Voyant  qu'on  se  défiait  de  lui,  il  n'avait  pas  insisté  sur 
cette  partie  délicate  de  sa  mission  et  ne  s'était  préoccupe 
que  du  moyen  de  faire  entrer  en  France  les  secours  pro- 
mis. Sur  ce  point,  il  avait  réussi.  Deux  armées  devaient 
lutter  contre  le  Navarrais,  l'une  sous  le  commandement  du 
duc  de  Parme,  l'autre  sous  le  duc  de  Mayenne. 

Si  les  politiques  n'avaient  pas  été  de  force  à  ruiner  l'in- 
trigue romaine  et  l'intrigue  espagnole,  ils  eurent  plus  de 
succès  dans  leur  lutte  contre  les  Seize.  Lue  double  cons- 
piration s'était  formée  dans  les  assemblées  des  «  enragés  -, 
l'une  contre  Mayenne,  l'autre  contre  le  Parlement  pour 
dépouiller  Mayenne  et  les  modéré-  de  leur  autorité.  Ils 
envoyèrent  à  Rethel  une  mission  spéciale  pour  demander 
le  rétablissement  du  Conseil  général  de  l'Union,  et  se 
Villeroy.  14 


210  VILLEROY 

plaindre  des  conseillers  du  duc,  particulieremc.it  de 
Jeannin  et  de  Villeroy  dont  l'influence  néfaste  retardait 
la  guerre  à  outrance  contre  l'hérétique.  Ils  demandèrent 
au  duc  «  sur  toutes  choses  qu'il  lui  plaise  l'aire  la  guerre 
contre  le  roi  de  Navarre  hérétique,  relaps  et  excommunié, 
et  ne  point  traiter,  composer  ni  même  conférer  avec  lui  ni 
ses  agents  »  (1). 

On  ignore  les  détails  de  cette  affaire.  Mais  on  devine  que 
Villeroy,  très  maître  de  lui,  n'eut  pas  comme  Jeannin  «  de 
grandes  paroles  avec  eux  »  (2).  Il  ne  voulut  pas,  par  un 
éclat  public,  rompre  avec  les  députés  des  Seize.  Il  tint  à 
discuter  el  grâce  à  son  habileté,  les  trois  envoyés  ne  rap- 
portèrent à  Paris  que  «  des  paroles  générales  »,  leurs  de- 
mandes étant,  suivant  P.  Cayet,  «  une  source  de  désordre 
et  de  confusion  »    fin  septembre)  (3). 

Peu  de  temps  après,  à  Paris,  ils  tentèrent,  par  des  procé- 
dés révolutionnaires,  de  «  parachever  la  purgation  du  Par- 
lement »  (4).  Après  l'acquittement  de  Brigart,  procureur 
du  roi  en  l'Hôtel  de  ville,  accusé  d'avoir  correspondu  avec 
les  royalistes,  les  Seize  avaient  juré  de  châtier  la  trahison 
du  Parlement.  Ils  arrêtèrent  le  premier  président  Brisson, 
Larchcr,  conseiller  en  la  Grand-Chambre  et  Tardif,  con- 
seiller au  Ghâtelel  el  les  firent  pendre,  le  15  novembre. 
«  Cette  tragédie,  dit  l'Estoile,  n'était  que  le  commence- 
ment d'une  plus  sanglante  qui  se  devait  jouer,  où  ils 
avaient  résolu  faire  jouer  un  piteux  rôle  sur  un  échafaud, 
à  un  bon  nombre  des  plus  apparents  de  Paris  »  (5).  Mais 
pour  une  fois,  Mayenne  fut  énergique  et  impitoyable.  Il 
revint  précipitamment  à  Paris  el,  le  4  décembre,  fil  pendre 
dans  la  salle  basse  du  Louvre    quatre   des  assassins.  Le 


(1)  P.  Cayet,  p.  271  et  suiv. 

(2)  Mém.,  p.  176. 
Ci)  P.  Cayet,  ibid. 

(4)  P.  Cajet,  p.  279  et  suiv. 

(5]  Voir  l'Estoile,  t.  V,  p.  124  et  suiv. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  211 

plus  grand  nombre  des  bourgeois  politiques  de  Paris,  me- 
nacés dans  leur  existence,  applaudit  à  cette  exécution. 
Villeroy  n'approuva  pas  ce  châtiment  sommaire  qui  était 
illégal.  Depuis  la  mort  d'Henri  III  il  avait  défendu  cons- 
tamment la  légalité  (1)  et  le  Parlement,  seul  gordien 
ferme  des  anciennes  lois,  en  face  des  étrangers  qui  s'en 
moquaient,  des  révolutionnaires  qui  les  détruisaient,  et 
du  lieutenant-général  qui  ne  savait  pas  les  faire  appliquer. 
Il  lui  parut  que  Mayenne  usait  d'un  procédé  révolution- 
naire en  faisant  exécuter  sans  jugement  les  assassins  des 
Parlementaires. 

L'intérêt  du  parti  politique  exigeait  d'ailleurs  Tapplica- 
tionstricte  des  lois  dans  ce  cas  particulier.  Le  procès  public 
contre  les  Seize  aurait  fait  découvrir  un  plus  grand  nombre 
de  coupables.  —  et  Villeroy  regrettait  qu'on  eût  sauvé  la 
vie  de  plusieurs  malfaiteurs.  —  II  aurait  accru  le  prestige 
duParlement  de  Paris  qui  eût  été  plus  redouté  des  fanatiques 
quand  on  l'aurait  vu*  se  faire  justice  contre  ses  ennemis  (2). 

Après  cette  exécution  qui  contenait  pour  un  temps  la 
Ligue  parisienne,  et  après  la  proclamation  d'une  amnistie, 
Villeroy  se  relira  à  Pontoise.  Mayenne  avait  quitté  Paris  le 
13  décembre  pour  aller  au-devant  du  duc  de  Parme. 

Le  roi  de  Navarre,  avec  toutes  ses  forces,  s'était  établi,  le 
24  novembre,  à  Darnetal  d'où  il  assiégeait  Rouen  investi 
quelques  jours  plus  tôt  par  Biron.  Comme  au  mois  de  sep- 
tembre de  l'année  précédente,  Villeroy  jugea  la  présence 
d'un  homme  de  paix  inutile  auprès  du  duc. 


(11  Au  départ  do  Gaetano,  il  protesta  contre  la  vice-légalioD  de  l'évê- 
que  de  Plaisance,  exercée  «  sans  pouvoir  préalable,  contre  les  formes 
ilu  royaume  »  et  sans  autorisation  du  Parlement.il/iem.,  p.  163. 

(2)  Mémoires  de  Cheverny,  p.  514.  «  En  cette  courageuse  exécution 
ledit  sieur  du  Mayne  se  servit  du  sieur  de  Villeroy  qui  estoil  lors  de 
ladite  Ligue.  » 


212 


II 


Villeroy  passa  l'hiver  à  Pontoise  «  entre  les  brigands  » 
désolé  et  impuissant  devant  les  déprédations  commises  par 
les  gens  de  guerre  dans  l'Ile  de  France,  souffrant  terrible- 
ment de  son  inaction  forcée.  «  Quand  j'ai  parlé  de  la  paix, 
écrivait-il  alors,  et  que  j'ai  demandé  que  l'on  fît  d'un  côté 
ce  que  Ton  n'a  voulu  faire,  et  que  j'ai  dit  que  l'on  ne  ferait 
de  l'autre  ce  que  l'on  voulait  que  l'on  fît,  pour  ce  que  en 
vérité,  je  le  savais  très  bien  et  le  croyais  ainsi,  l'on  a  dit  que 
je  Taisais  le  fin  et  que  j'étais  un  bon  trompeur  (1).  »  Le  7 
janvier  il  disait  à  Bellièvre  :  «  Je  suis  ici  entre  les  brigands 
car  toute  cette  garnison  ne  vit  et  s'entretient  que  de  proie  ». 
Ce  qui  l'afflige  le  plus  est  de  voir  les  siens  faire  «  cette 
vie-là  ».  Pour  lui  il  n'y  participe  pas.  Ce  qui  l'afflige  aussi 
est  de  voir  que  cela  se  passe  «  au  mitan  de  mes  amis  et 
voisins  et  dedans  mon  pays  lequel  j'ai  toute  ma  vie  mis 
peine  de  chérir,  soulager  et  conserver  lorsque  j'avais  quel- 
que voix  au  chapitre  ». 

11  fut  tiré  de  sa  retaite,  au  début  de  mars,  pour  une 
nouvelle  négociation  avec  les  royalistes.  D'après  l'apo- 
logie, c'est  Duplessis  qui  en  aurait  eu  l'initiative.  Il  aurait 
mandé  Fleury  à  Mantes  et  l'aurait  exhorté  à  engager 
son  beau-frère  à  obtenir  de  Mayenne  la  permission  de 
traiter  (2).  Mais  M"10  de  Mornay  affirme  que  Fleury  vint 
trouver  son  mari  et  le  pria  «  de  donner  lieu  au  dit 
sieur  de  Villeroy  pour  le  voir  et  conférer  ensemble  des 
moyens  d'une  paix  »  (3).  Les  lettres  de  Duplessis  attribuent 
aussi  la  démarche  initiale  aux  politiques  (4).  La  corres- 

(1)  F.  Fr.,  15909,  fo  430. 

(2)  Mém.,  p.  180. 

(3)  Mém.  de  Mme  de  Mornay,  I,  p.  215. 

(4)  Mém.  etcorresp.  de  Duplessis-Mornay ,  V,  p. 224.  «M.  de  Fleury 


LE    NEGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  213 

pondance  de  Fleury  ne  nous  renseigne  pas  sur  ce  point 
avec  précision.  Elle  nous  montre  le  beau-frère  de  Villeroy 
allant  et  venant  entre  les  deux  partis,  ayant  deux  ou  trois 
conférences  préliminaires  avec  les  frères  Mornay,  puis  in- 
sistant fortement  auprès  de  Villeroy  pour  le  décider  à  né- 
gocier. Il  résulte,  à  notre  avis,  que  ni  Villeroy  ni  Duplessis 
ne  doivent  être  soupçonnés  d'avoir  par  amour-propre  altéré 
la  vérité.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  parla  le  premier  de  négocia- 
tions. C'est  Fleury  qui  en  prit  l'initiative  et  qui,  peut-être, 
pour  exciter  le  zèle  de  Villeroy,  usant  d'un  mensonge  inof- 
fensif, lui  affirme  que  Duplessis  et  les  royalistes  le  re- 
cherchaient. 

Quoi  qu'il  en  fût,  Villeroy  trouva  Duplessis  bien  disposé 
à  la  paix.  L'ami  du  roi  de  Navarre  avail  écrit  à  Revol, 
le  13  mars  :  «  En  faisant  nos  petites  affaires,  je  tâche  de 
trouver  voie  pour  les  publiques...  J'ai  pensé  qu'il  était  à 
propos  qu'il  Villeroy  nous  put  mieux  éclaircir  des  inten- 
tions de  delà  afin  de  ne  conférer  point  inutilement...  Je  n'y 
omettrai  rien,  car  je  sais  que  c'est  le  salut  du  roi  et  du 
royaume  (1).  » 

Ces  dispositions  conciliantes  du  roi  provenaient  de  ses 
insuccès  militaires  et  des  intrigues  catholiques  de  son 
camp,  tout  comme  en  octobre  1590.  La  résistance  de 
Rouen,  sous  Yillars,  était  très  forte.  L'armée  de  secours 
franco-hispano-romaine  s'était  mise  en  marche  au  début 
de  février,  chassant  devant  elle  le  roi  de  Navarre.  La  déli- 
vrance de  la  ville  était  imminente.  Le  '20  janvier,  les 
troupes  d'Henri  IV  avaient  donné  l'assaut  et  avaient  été 
repoussées.  Le  '20  février,  deux  brillantes  sorties  des  Rouen- 
nais  causèrent  beaucoup  de  mal  à  l'armée  royale.   Le  5 


nous  est  venu  voir  et  son  beau-frère  a  eu  pareille  envie.  »  —  Voir 
pour  toute  cette  négociation  de  mars,  plusieurs  lettres  de  Duplessis 
au  roi,  à  Fleury,  à  Révol.  à  Bouillon,  de  Fleury  à  Duplessis,  à  Buhy, 
à  Villeroy,  de  Villeroy  à  Fleury,  etc.  Mém.  et  corresp.,  p.  216  et  suiv. 
(1)  Mém.  et  Corresp.  de  Duplessis,  p.  223. 


214  VILLEROY 

février,  le  roi  fut  chassé  d'Aumale  par  l'armée  étrangère, 
le  7  de  Buchy.  Le  roi  manquait  d'argent.  Les  catholiques 
le  pressaient  plus  vivement  que  jamais  de  se  convertir.  Les 
conflits  entre  huguenots  et  papistes  se  multipliaient:  «  Il  n'y 
avail  point  de  labyrinthe  pareil  à  celte  complication  d'in- 
térêts qui  divisait  les  différentes  parties  dont  était  com- 
posée l'armée  du  roi  (1).  »  On   allait,  jusqu'à  accuser  les 
catholiques  d'avoir  empêché  le  roi  de  pousser  le  siège  de  la 
ville,  et  d'avoir  ainsi   provoqué  les  succès  de  Villars  (fin 
février).  Le  roi,  comme  il  avait  fait  dans  de  semblables 
circonstances,  songea  à  négocier,  non  par  «  prudence  et 
bonne  volonté  » ,  mais  par  «  impuissance  et  nécessité  »  (1). 
Or,    Mayenne,   malgré  ses  succès    militaires,    était    lui 
aussi  disposé  à  traiter,  car  il  se  débattait  au  milieu  de  dif- 
ficultés aussi  graves  que  celles  de  son  rival.  Il  lui  était  dé- 
cidément impossible  de  s'entendre  avec  les  princes  de  sa 
maison,   avec   les   Espagnols,  avec  la  Ligue  entière.  Le  fds 
du  Balafré   se    plaignait  amèrement  de  ce  que  Je  duc  ne 
lui  avait  laissé  le  premier  rang  auquel  il  croyait  avoir  droit, 
et  il  intriguait  auprès  des  villes  pour  supplanter  son  oncle. 
Les  ministres  espagnols  et  le  duc  de  Parme  tourmentaient 
continuellement  le  lieutenant-général,  pour  qu'il  leur  cédât 
des  places  de   sûreté   et  réunit   les  Etats  Généraux   afin 
d'élire  un  souverain  catholique  :  et  ils  faisaient  entendre 
que  ce  souverain  ne  serait  pas  Mayenne.  Ils  ne  cachaient 
plus  les  projets  de  Philippe  II  relatifs  à  l'établissement  de 
l'Infante.  Don  Diego  d'Ibarra  les  avait  l'ail  connaître  au  duc 
à  Verdun,  dès  le  mois  d'octobre  1591.  Le  duc  de  Parme  en 
avail  parlé  ouvertement  au  mois  de  janvier  suivant  à  Guise 
et  à  la  Fère.  Ne  comptant  plus  sur  Mayenne,  les  Espagnols 
agirent  avec  une  franchise  qu'on  ne  leur  connaissait  pas. 
Ils  commencèrent   à  distribuer  directement  l'argent  aux 
Seize,  aux  gouverneurs  de  villes,  et  au  peuple  sans l'inter- 

(1)  Mèm.,  p.  181. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  215 

médiaire  des  chefs  français.  Aussi  Mayenne,  voyant  se  souder 
peu  à  peu  l'alliance  entre  l'élément  étranger,  l'élément  po- 
pulaire et  son  rival  de  la  maison  de  Lorraine,  commençait- 
il  à  être  las.  Ce  découragement  devait  l'amener  à  prêter 
une  oreille  favorable  aux  propositions  de  paix  du  Béarnais. 
C'était  une  conséquence  prévuedetoutlemonde.  Alexandre 
Farnèse  avait  déjà  jugé  Mayenne,  au  mois  de  janvier,  «  un 
peu  différent  de  ce  qu'il  l'avait  trouvé  par  le  passé  »  (1). 
Les  ministres  écrivaient  à  Philippe  II  qu'  «il  était  difficile 
de  sortir  d'affaire  avec  le  lieutenant-général  et  qu'il  ferait 
probablement  la  paix  par  défaut  de  contentement  »  (2).L'é- 
vêque  Matteuci,  commissaire  général  près  Tannée  du  pape, 
avait  les  mêmes  appréhensions  (3). 

Ils  avaient  raison  de  ne  pas  se  fier  en  Mayenne.  Jeannin, 
qui  connaissait  sa  lassitude,  écrivit  le  premier  à  Villeroy 
(avant  même  d'être  informé  des  entrevues  de  Duplessis  et 
de  Fleury)  et  lui  dit  que  leur  chef  était  disposé  à  recon- 
naître le  roi  et  à  traiter  avec  lui  s'il  voulait  être  catholique. 
Il  posait  deux  conditions  préliminaires  :  les  négociations 
resteraient  secrètes,  et  les  princes  catholiques  qui  étaient 
auprès  du  Béarnais  s'emploieraient  à  faire  celle  pour- 
suite. La  première  condition  était  imposée,  comme  tou- 
jours, par  la  crainte  des  Espagnols  ;  la  seconde  cachait 
une  arrière-pensée  de. Jeannin  el  de  Mayenne,  le  désir  d'in- 
quiéter le  roi  par  la  menace  de  l'abandon  des  catholiques, 
el  de  l'adhésion  du  duc  au  Tiers-Parti. 

Duplessis  et  Villeroy.  avant  d'entamer  les  négociations, 
voulurent  avoir  une  autorisation  formelle  de  leurs  chefs. 
Duplessis  se  fit  autoriser  le  premier.  Le  18  mars,  il  reçut 
une  lettre  du  roi  qui  «  trouvait  bon  qu'il  entrât  en  confé- 

(i;  Lettre  du  15  janvier  92.  F.   Fr.  3982,  fo  33. 

(2)  Pap.  Simanc.,  cités  par  Bouille,  t.  IV,  p.  76. 

(3)  Ce  mémoire  envoyé  à  la  Cour  fie  Rome  au  commencement  de 
92  expose  avec  une  étonnante  impartialité  la  situation  en  France  au 
début  de  cette  année  (voir  L'Fpinois,  p.  524-532). 


216  VILLEROY 

rence  avec  Villeroy  sur  les  moyens  de  la  paix  »  (1).  Ville- 
roy  envoya  un  trompette  à  Mayenne  pour  lui  demander 
ses  intentions  au  sujet  du  point  essentiel  que  Mornay  avait 
mis  en  avant  dès  les  premiers  jours,  le  point  de  la  religion. 

c(  Jamais  négociation  ne  fut  plus  difficile  à  enfourner 
que  celle-ci  de  la  paix.  »  Les  difficultés  ne  consistèrent  pas 
seulement  dans  la  complexité  des  problèmes  à  résoudre  et 
dans  le  grand  nombre  des  intermédiaires  entre  les  deux 
partis,  avec  la  confusion  qui  en  résultait.  Villeroy  fut  vic- 
time des  mêmes  défiances  que  par  le  passé.  Lorsqu'un  ma- 
lentendu  provoquait  un  retard  dans  les  négociations,  il  était 
blâmé  «  comme  s'il  en  eût  été  cause  ».  Mais,  avec  sa  téna- 
cité habituelle,  il  poursuivait  son  but. 

Il  voulut  d'abord,  tout  en  négociant  avec  Duplessis,  en- 
tamer une  négociation  parallèle  avec  les  catholiques  roya- 
listes. Il  craignait  en  etfet  que  la  religion  de  Duplessis  ne 
fût  un  obstacle  assez  redoutable  :  Mayenne  et  son  entou- 
rage n'en  seraient-ils  pas  effarouchés?  Duplessis  lui-même, 
dont  on  connaissait  l'attachement  au  protestantisme,  serait- 
il  disposé  à  faire  toutes  les  concessions  nécessaires  ?  Puis 
pour  être  plus  fort  auprès  du  roi  de  Navarre,  l'appui  d'un 
ami  et  confident  huguenot  n'était  pas  suffisant  :  il  fallait  la 
pression  opérée  par  tout  le  parti  catholique  sur  la  volonté 
de  son  chef.  Enfin,  pour  résoudre  certaines  questions  dé- 
licates, telles  que  la  réconciliation  avec  le  pape,  l'aide  de 
Gondi  et  de  Nevers,  parents  du  duc  de  Florence,  ami  de 
Clément  VIII,  était  nécessaire.  Aussi  Villeroy  pria-t-il  le 
sieurdeLoménie, un  royaliste  emmené  prisonnier  à  Pontoise, 
d'avertir  le  roi  de  Navarre  de  son  désir  de  parler  à  Ne- 
vers  et  à  (  îondi.  Le  roi  envoya  le  *25  mars  à  Duplessis  l'ordre 
de  tenir  tout  en  surséance  pendant  qu'il  envoyait  La  Ver- 
rière à  Gondi  pour  le  prier  de  se  mettre  en  relations  avec  Vil- 
leroy. Ce  dernier  vit  le  cardinal  à  Noisy.  Là  ils  convinrent 

(1)  Mém.  et  Corresp.  de  Duplessis,  p.  232. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  217 

qu'on  proposerait  au  roi  «  d'assurer  son  intention  à  la  reli- 
gion devant  un  temps  préfix  »,  «  de  permettre  aux  catho- 
liques qui  l'assistaient  d'envoyer  devers  le  pape  pour  être 
secouru  de  son  bon  conseil  et  autorité  en  la  dite  instruc- 
tion, et  cependant  d'aviser  secrètement  aux  moyens  d'assu- 
rer la  religion  catholique  et  les  communautés  du  parti  de 
la  Ligue  pour  en  user...  par  une  surséance  d'armes  ou  au- 
trement »  (1). 

Cette  démarche  auprès  descatholiques  suscita  la  défiance 
de  Duplessis  à  l'égard  de  Villeroy.  Il  crut  que  le  conseiller 
de  Mayenne  ne  voulait  pas  entrer  en  relations  avec  lui.  Et 
cependant  Villeroy,  qui  avait  reçu  enfin  l'autorisation  de 
son  chef,  savait  combien  «  il  importait  de  négocier  avec 
des  personnes  confidentes  »  (2).  Il  se  disculpa  dansune 
lettre  à  Fleury  qui  s'élait  entremis  de  nouveau  pour  répa- 
rer le  malentendu.  «  Si  je  n'eusse  voulu  traiter  avec  M. 
Duplessis,  disait-il,  je  n'eusse  obtenu  permission  de  M.  de 
Mayenne  de  le  faire,  comme  il  est  porté  par  la  lettre  ;  aussi 
me  semble  qu'il  l'a  pris  assez  crûment  sur  cette  lettre  (3).  » 

La  première  entrevue  entre  Duplessis  et  Villeroy  eut  lieu 
à  Buchy,  le  3  avril  et  fut  tenue  secrète,  selon  les  désirs  de 
Mayenne.  Villeroy  parla  très  franchement  de  ce  qui 
s'était  passé  les  jours  précédents  pour  ôter  les  inquiétudes 
de  Duplessis  —  il  réussit  parfaitement  —  et  lui  communi- 
qua les  instructions  de  Jeannin  et  de  Mayenne.  Mayenne 
voulait  traiter  avec  le  roi  lorsque  celui-ci  «  aurait  donné 
l'assurance  de  changer  de  religion  après  son  instruction  ». 
Duplessis  objecta  que  ce  mode  de  conversion  était  indigne 
du  roi  de  Navarre,  qui  pouvait  promettre  son  instruc- 
tion, mais  non  le  retour  à  son  ancienne  religion.  Il  pro- 
posa une  rédaction  qui  s'éloignait  beaucoup  de  la  pensée 

|1)  Mém  ,  p.  182. 

(2)  Mém.,  ibid. 

(3)  Lettre  de  Villeroy  à  Fleury,  27  mars  (Mém.  et  Corresp.,  p.  269). 


218  VILLEROY 

de  Mayenne,  qui  ne  correspondait  peut-être  pas  encore  aux 
intentions  de  Villeroy,  mais  qui  différait  sensiblement  de  la 
conception  première  de  l'ami  huguenot  d'Henri  IV.  «  Le 
roi  promettra  son  instruction  dans  un  temps  préfix,  avec 
désir  et  intention  de  s'unir  et  joindre  à  l'Eglise  catholique, 
moyennant  la  dite  instruction  laite  comme  il  convient  à  sa 
dignité  »  (4  avril).  C'était  un  premier  succès  de  la  diplo- 
matie de  Villeroy  (1). 

Villeroy  voulut  en  même  temps  voir  le  duc  de  Nevers  et 
s'assurer  son  appui.  Ce  prince  déplaisait  à  tous  les  protes- 
tants et  à  nombre  de  catholiques  par  ses  perpétuelles  exi- 
gences, sa  réserve  hautaine,  sa  volonté  obstinée  de  ne  pas 
secourir  le  roi  à  la  guerre,  mais  de  rester  à  la  tête  de  son 
gouvernement  de  Champagne  qu'il  disait  vouloir  conserver 
à  la  couronne.  Ce  personnage  énigmatique  était  en  réalité 
un  politique,  très  catholique,  anti-espagnol  et  trop  pratique 
pour  croire  à  l'avènement  d'un  autre  roi  qu'Henri  IV  con- 
verti. Après  la  bataille  d'Ivry  il  avait  écrit  un  Traité  de  la 
prise  d'armes  qu'il  avait  l'ait  tirer  à  trente  exemplaires  et 
distribuer  au  roi  et  à  son  entourage.  Il  y  déclarait  qu'il  ne 
reconnaîtrait  le  roi  que  catholique  et  appelait  de  tous  ses 
vœux  le  jour  de  l'abjurai  ion  qui  rendrait  à  la  France  le 
bonheur  perdu  (2).  Depuis  longtemps  Villeroy  le  suppliait 
de  s'employer  plus  activement  «  à  empêcher  la  chute  de 
celte  Couronne»  (3).  Après  son  entrevue  avec  Duplessis,  il 
alla  le  trouver  à  Montfort,  et  tous  deux  se  mirent  vite  d'ac- 
cord sur  le  point  de  la  conversion  «  faite  toutefois  digne- 
ment »  (4).  Bellièvre  avait  servi   d'intermédiaire.  Il  avait 


(1)  «...  que  S.  M.  promettra  de  rechercher  tous  moyens  convenables 
pour  être  instruite  en  la  religion,  ne  pouvant  avoir  plus  grand  conten- 
tement, comme  elle  en   prie  Dieu  journellement,  que   de  se  voir  uni, 

la  paix  de  sa  conscience,  à  l'Eglise  catholique.  »  (Mémoire  au  roi, 
du  28  mars,  dans  Mém.  et  Corresp.,  ï.d.,  p.  246.) 

(2)  Mém.  de  Nevers,  t.  II,  p.  83  et  suiv. 

(3)  Mém.  du  duc  de  Nevers,  p.  391. 

(4)  Mém.,  p.  184. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  219 

informé  Villeroy  du  désir  qu'avait  Nevers  de  le  voir  et 
l'avait  assuré  que  le  désir  ce  prince  était  «  bon  et 
saint  »  (1). 

Villeroy  informa  Mayenne  de  ces  trois  démarches,  et  lui 
demanda  de  modifier  ses  premières  conditions,  afin  de  ne 
pas  paraître  violenter  la  conscience  du  prince  (9  ou  10 
avril).  Quinze  jours  se  passèrent  avant  que  Mayenne,  très 
absorbé  par  les  opérations  militaires  qui  précédèrent  la 
délivrance  de  Rouen,  ne  se  décidât  à  répondre.  Cette  len- 
teur, comme  il  fallait  s'y  attendre,  rendit  à  Mornay  tous 
ses  soupçons,  à  Villeroy  toutes  ses  inquiétudes.  Ce  dernier 
s'énervait,  jugeait  Mayenne  un  «  mal  habile  homme...  qui 
en  portera  seul  la  folle  enchère  de  quelque  côté  que  le  vent 
vente  ».  Il  recommençait  à  parler  de  sa  retraite  prochaine. 
Enfin,  le  25  avril,  arriva  une  réponse  (2).  Elle  parlait  de 
tout,  du  pape,  des  Espagnols,  des  Etats-Généraux,  du  Béar- 
nais :  on  comprenait  que  Mayenne  était  toujours  dans  ses 
irrésolutions.  Beaucoup  d'initiative  était  laissée  à  Villeroy. 
Une  certaine  ligne  de  conduite  lui  était  indiquée  ;  on  lui 
recommandait  d'aviser  surtout  «  aux  moyens  des  sûretés 
pour  la  religion,  pour  le  parti  et  pour  la  maison  »  du  lieu- 
tenant-général. Ce  programme,  tout  imprécis  qu'il  lut, 
donnait  l'impression  que  la  politique  des  marchandages 
commençait,  et  que  chacun,  suivant  le  mot  de  Mateucci, 
"  lirait  l'eau  à  son  moulin  »  (3). 

Sans  attendre  des  instructions  plus  précises,  Villeroy, 
désireux  de  ne  pas  perdre  de  temps,  suivant  sa  lactique 
familière,  essaya  d'engager  les  princes  dans  la  négociation, 
en  mettant  en  avant  des  articles  rédigés  par  lui-même.  Ici 
se  place  un  petit  incident  que  nous  rapporte  Villeroy.  Les 

(1)  Bellièvre  à  Villeroy,  26  mars  1592,  P.  Fr.  L5893,  1-  20. 

(2)  C'était  la  copie  d'une  lettre  iln  14  avril,  écrite  par  Jeannin,  au 
nom  de  Mayenne,  et  accompagnée  d'une  missive  de  Jeannin,  datée  du 
22.  Elles  sont  longuement  résumées  dans  les  Mém.,  p.  186-188. 

(3)  Mémoire  de  Mateucci,  cité  par  l'Epinois.  p.  o33. 


220  VILLEROY 

royalistes  n'avaient  pas  su  garder  le  secret  des  conférences. 
On  l'avait  appris  par  une  lettre  de  d'Entragues  tombée  aux 
mains  de  la  duchesse  de  Guise  qui  s'était  empressée  de  la 
transmettre  à  Farnèse  pour  nuire  à  Mayenne.  Villeroy, 
quand  il  revit  Duplessis,  commença,  sans  lui  conter  tout 
au  long  l'incident,  par  lui  demander  instamment  le  secret 
de  la  négociation  et  voulut  même  en  être  assuré  par  la  pa- 
role royale  (1).  La  question  des  assurances,  sur  la  conver- 
sion, resta  dans  le  vague.  Indécis  sur  une  question  qui 
louchait  la  conscience  personnelle  du  roi,  il  fut  très  net 
sur  tout  le  reste  qui  était  du  domaine  de  la  politique,  de 
l'administration,  des  intérêts  particuliers  et  généraux.  Il 
demanda  le  rétablissement  de  la  religion  catholique  et  des 
droits,  franchises  et  biens  ecclésiastiques.  Il  traita  la  ques- 
tion de  la  liberté  du  culte,  de  l'amnistie.  Il  soutint  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  juste  clans  les  revendications  ligueuses  :  les 
franchises  municipales,  l'exemption  des  garnisons,  la  réu- 
nion des  Etats  tous  les  six  ans,  la  répression  des  abus 
financiers.  Pour  le  «  particulier  »  de  Mayenne,  il  énuméra 
approximativement  les  concessions  à  faire  :  la  Bourgogne 
et  le  Lyonnais  à  Mayenne,  la  survivance  pour  ses  enfants, 
le  payement  de  ses  dettes,  un  gouvernement  à  Nemours, 
la  Champagne  à  Guise,  la  Picardie  à  Aumale,laNormandie 
à  Villars,  l'Ile-de-France  à  Rosne,  le  Berry  et  l'Orléanais  à 
La  Châtre. 

Villeroy  et  Duplessis  ne  voulaient  pas  s'éterniser  dans 
des  discussions  platoniques.  Un  dernier  effort  de  Villeroy 
arracha  enfin  une  réponse  à  Mayenne  (8  mai).  Villeroy 
écrivit  le  30  avril  et  ne  reçut  la  réponse  que  le  10  mai.  Il 
nous  raconte  que  pendant  ces  dix  jours  d'attente,  il  éprouva 
les  mêmes  craintes  et  le  même  découragement  qu'entre  le 
14  et  le  '25  avril.  Le  duc  avait  toujours  «  l'esprit  bandé  et 
occupé  à  la  guerre  sans  intermission  ».  Jeannin  voyait  tout 

(1)  Mém.,  p.  180. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  221 

en  noir  :  à  l'entendre,  le  roi  ne  se  convertirait  jamais,  le 
pape  ne  l'approuverait  pas  (1).  Pour  la  première  l'ois  depuis 
trois  ans,  le  lieutenant-général  formulait  ses  intentions 
d'une  manière  précise.  Ses  exigences  étaient  1res  grandes. 
Le  nombre  des  gouvernements  et  places  à  donner  aux 
Lorrains  était  considérablement  augmenté,  et  les  condi- 
tions de  leur  cession  aggravées.  Puis,  tandis  que  Villeroy 
sacrifiait  à  la  nécessité  les  questions  d'amour-propre,  le 
chef  des  ligueurs  français  et  Jeannin  s'attachaient  de  plus 
en  plus  à  sortir  de  la  lutte  avec  honneur.  Leurs  armes 
étaient  justes,  aussi  ne  voulaient-ils  point  d'édit  d'abolition, 
mais  un  traité  en  forme  avec  le  roi.  «  L'édit  d'abolition 
ou  oubliance  des  choses  passées  »  était  interprété  comme 
une  marque  de  désapprobation  pour  les  actes  de  la  Ligue. 
La  paix  devait  être  un  traité  par  lequel  ils  reconnaîtraient 
Henri  pour  roi  à  certaines  conditions. 

Villeroy  nous  dit  qu'il  ne  put  «  achever  de  lire  ladite 
lettre  sans  soupirer  ».  «  M.  Duplessis,  d'après  les  Mémoires 
de  M"1''  de  Mornay,  se  montra  fort  offensé  et  tout  prêt  à 
rompre.  »  De  telles  conditions  entraînaient  presqu'un  dé- 
membrement delà  France.  «  A  la  vérité,  M.  de  Villeroy 
était  honteux  de  proposer  ces  articles  (2).  » 

Villeroy  avait  prié  Duplessis  de  tenir  tout  secret  et  Du- 
plessis l'avait  promis.  Il  apprit  bientôt  qu'à  Buchy,  en  pré- 
sence du  roi  et  d'une  partie  du  conseil,  il  avait  tout  révélé 
en  se  plaignant  de  la  dureté  des  conditions  demandées.  Il 
avait  même  supplié  leroideneplustraiter  avec  les  ligueurs. 

Duplessis  a  été  défendu  contre  les  allégations  de  Villeroy 
dans  un  écrit  anonyme  publié  à  la  suite  de  ses  mémoires. 
Le  plaidoyer  est  très  habile  :  il  montre  l'incertitude  des 
dires  de  Villeroy,  la  contradiction  des  propos  attribués  à 


(1)  Mém.,  p.  190.  La  lettre  du  8  mai   est  résumée  dans  les  Mém.,  p. 
190-193. 

(2)  Mémoires  de  Mme  de  Mornay,  p.  219. 


222  VILLEROY 

Duplessis  (d'après  d'O et  Beaulieu,  il  aurait  parlé  à  Gisors, 
d'après  le  (ordinal  de  Bourbon  à  Vernon,  d'après  Fauteur 
des  Mémoires  à  Buchy  .  l'absence  de  toule  trace,  dan-  1rs 
registres,  papiers  el  mémoires  de  Duplessis,  des  propos 
qu'il  tint  au  roi,  et  même  de  son  désespoir  au  sujet  de 
l'issue  des  négociations.  Puis,  on  t'ait  remarquer  queVille- 
roy  ne  fit  aucun  reproche  à  Duplessis,  et  même  après  cet 
incident,  s'adressa  deux  fois  à  lui  pour  parler  au  roi.  Le 
roi  lui  dit  qu'il  avait  du  déplaisir  des  bruits  qui  couraient 
de  sa  négociât  ion .  mais  qu'il  ne  savait  à  qui  s'en  prendre,  que 
cette  faute  n'était  venue  ni  de  lui  ni  de  ceux  qu'il  avait 
employés.  Enfin,  Duplessis  lui-même  protesta  contre  cette 
accusation  quelques  mois  avant  sa  mort,  quand  il  entendit 
lire  les  mémoires  de  Yilleroy.  —  L'auteur  du  mémoire  plai- 
doyer ne  croit  pas  à  une  imposture  deVilleroy,  mais  à  une 
erreur  dont  il  ne  serait  pas  tout  à  fait  responsable.  Car  on 
(Hait  jaloux  de  Duplessis.  Deuxhommesparticulièrementle 
haïssaient,  Biron  et  d'Aumont  et  tâchaient  de  lui  ôter  des 
mains  la  négociation,  parce  qu'ils  savaient  bien  que  Du- 
plessis encourageait  le  roi  à  rester  fidèle  à  sa  religion  (1). 

Après  un  tel  scandale  qui  menaçait  de  détruire  son  œuvre, 
le  devoir  de  Yilleroy  était  de  s'adresser  directement  au  roi, 
à  son  entourage,  à  Mayenne,  pour  connaître  leurs  inten- 
tions, dissiper  leurs  soupçons,  en  un  mot,  pour  réparer  le 
mal  déjà  fait,  et  savoir  ce  qui  restait  à  faire.  Ces  démarches 
l'occupèrent  durant  le  mois  de  mai  et  une  partie  de  juin. 
Les  circonstances  le  servirent  bien.  Malgré  la  susceptibi- 
lité excessive  des  deux  partis,  ni  les  uns  ni  les  autres  ne 
voulaient  rompre  définitivement.  On  chercha  donc  autant 
à  voir  Villeroy  qu'il  cherchait  à  voir  les  autres. 

Il  apprit  d'abord  que  le  roi  désirait  lui  parler.  Il  allait  se 


(1)  Mém.  '7  corresp.,  t.  V,  p.  326-328.  «  Et  ici,  es  mémoires  de 
M.  Duplessis  est  écrit  par  apostille  ce  qui  suit...  »  — Voir  aussi  Sully, 
Ec.  Roy.,  i.  l.  p.  1 14  et  suiv. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  223 

rendre  auprès  de  lui,  quand  il  sut  qu'il  était  parti  de  Bu- 
chy  «  un  jour  plus  tôt  qu'on  ne  le  lui  avait  mandé  ».  Biron, 
Bouillon  etd'O,  qui  étaient  à  Gisors,  le  prièrent  d'aller  les 
voir  :  il  hésita,  car  il  aurait  voulu  parler  d'abord  à  Mayenne  ; 
mais  il  se  rendit  à  Gisors,  après  de  nouvelles  instances.  Il 
leur  parla  de  la  nécessité  de  faire  des  concessions  même 
coûteuses.  Mais  eux  ne  discoururent  qu'avec  incertitude 
au  sujet  de  la  conversion  du  roi.  Ils  ne  paraissaient  pas  d'ac- 
cord sur  la  question  de  l'intervention  pontificale  (1).  Après 
ces  entrevues,  Villeroy  se  rendit  à  Rouen  et  trouva  le  duc 
en  meilleure  santé,  circonstance  heureuse,  car  sa  maladie 
avait  été  une  des  causes  du  retard  des  négociations.  Il  fit 
tout  ce  qu'il  put  pour  dissiper  les  préventions  du  duc  à 
l'égard  du  roi  et  de  son  entourage.  Avec  adresse  il  «  dora  » 
la  situation,  et  revenant  à  une  vieille  question  qu'il  consi- 
dérait toujours  comme  actuelle,  il  le  mit  de  nouveau  en 
défiance  des  Espagnols,  des  ligueurs  exaltés  et  de  son 
neveu  et  rival  le  duc  de  Guise  (2). 

Il  n'obtint  pas  le  succès  qu'il  aurait  souhaité.  Le  duc 
était  «  fiché  »  à  «  son  but  »  «  et  il  n'y  avait  plus  de  moyen 
de  l'en  faire  départir  »  (3).  Son  intention  nette  était  de  ne 
pas  traiter  avec  le  roi  avant  sa  conversion.  Il  chargea  Ville- 
roy de  lui  dire  qu'il  voulait  savoir,  avant  de  continuer, 
«  l'intention  du  pape  sur  l'instruction  et  conversion  de 
S.  M.  »  et  «  communiquer  avec  ceux  du  parti  lesquels  il 
espérait  assembler  bientôt  pour  prendre  avec  eux  une  ré- 
solution sur  le  général  ». 

Villeroy  se  rendit  ensuite  à  Gisors,  et  le  16  juin  (4)  y  eut 
une  entrevue  avec  le  roi  de  Navarre,  qui  se  montra  1res 
conciliant.  Il  évita  de  traiter  avec  précision  les  deux  points 


(i)  Mém.,  p.  193. 
(•2)   Mém.,  p.  1 97. 

(3)  Mém.,  p.  198. 

(4)  La  date  est  indiquée  flans  le  Journal  d'un  bourgeois  de  Gisors, 
p.  Si,  cité  par  Tlipinois,  p.  568. 


224  VILLEROY 

particulièrement  délicats  de  la  conversion  et  du  particu- 
lier de  Mayenne,  bien  qu'il  promît  de  contenter  ce  der- 
nier «  d'honneurs  et  de  biens  plus  qu'il  n'en  tirerait  ja- 
mais d'autres  etmême  desdits  Espagnols  »(1).  Mais  il  s'en- 
gagea à  faire  partir  au  plus  tôt  Gondi  etPisanipour  Rome, 
et  à  attendre  que  Mayenne  eût  convoqué  ses  partisans.  Il 
fit  seulement  remarquer  que  le  duc  «  devrait  prendre  garde 
que  l'assemblée  qu'il  prétendait  faire  fût  composée  prin- 
cipalement de  personnes  de  qualité  et  d'honneur  ». 

Puisque,  d'un  commun  accord,  on  voulait  attendre  la 
décision  du  pape  et  des  Etats  généraux,  avant  de  continuer 
à  négocier,  la  tâche  de  Villeroy  était  terminée.  Il  le  com- 
prit et  demanda  au  roi  un  passeport  pour  se  retirer  en  sa 
maison.  Henri  IV  le  lui  accorda  sans  difficultés. 

lue  des  raisons  qui  avaient  poussé  Villeroy  à  se  retirer 
àlIallaincourtetnonàParis  était  la  crainte  d'être  obligé  «  de 
rendre  compte  de  ce  qu'il  avait  négocié  à  autre  qu'audit 
duc  du  Mayne  »  ;  car  le  «  bruit  de  sa  négociation  avait  ému 
tout  le  monde  »  ('2).  Depuis  le  mois  de  mars,  les  prédica- 
teurs tonnaient  contre  ceux  qui  demandaient  la  paix.  «  Le 
15  mars,  raconte  l'Etoile,  M.  Rose  les  maudit  en  son  ser- 
mon des  fièvres  quartaines...  Feu-Ardent  cria  fort  contre  la 
paix  qu'on  voulait  faire  (3).  »  «  Le  17  mars,  sur  le  bruit... 
que  la  paix  était  faite,  fondé  sur  les  allées  et  venues  que 
faisait  M.  de  Villeroy  en  l'armée  du  roi  qui  était  devant 
Rouen  »,  il  fallut  que  M.  Belin  allât  «  à  la  cour  du  Parle- 
ment et  les  assurât,  quelque  chose  qu'ils  ouïssent  dire  et 
les  prédicateurs  se  formaliser  et  prêcher  qu'il  n'y  avait 
point  de  paix  (4)...  »  L'ignorance  de  nouvelles  précises  et 
la  longueur  de  ces  négociations  exaspéraient  à  tel  point 
des  prédicateurs  qu'ils  excitèrent  parfois  la  populace  «  à 

<H  Mém.,  p.  199. 

(2)  Mèm.,  p.  200. 

(3)  L'Estoil.',  t.  V,  p.  162. 

(4)  Ibid. 


LE    NEGOCIATEIJK    DES    POLITIQUES  ZZ.) 

prendre  les  armes  et  à  tuer  les  politiques  »  (1).  On  com- 
prend que  Villeroy  n'éprouvât  guère  le  désir  de  séjourner 
à  Paris,  quand  le  curé  de  Saint-Jacques  criait  en  chaire 
que  «  tous  les  politiques  de  Paris  étaient  damnés  comme 
Judas  »  et  voulait  massacrer  ceux  «  qui  parlaient  de  rece- 
voir ce  petit  teigneux  et  fils  de  p...  de  roi  de  Navarre  en 
revenant  à  la  messe  et  se  faisant  catholique  ». 

La  nouvelle  des  négociations  de  Villeroy  eut  une  autre 
conséquence  que  le  ministre  n'avait  pas  prévue.  Elle 
accrut  la  désagrégation  de  la  famille  de  Mayenne.  Les 
duchesses  qui  «  portaient  culottes  »  (2)  et  par  leur  vanité, 
leurs  ambitions,  leurs  jalousies,  avaient  toujours  l'ait  la  plus 
détestable  des  politiques,  apprenant  que  Villeroy  traitait, 
lui  recommandèrent  les  intérêts  des  membres  de  la  famille 
qu'elles  soutenaient  particulièrement.  A  la  fin  de  juin, 
Mmes  de  Montpensier  et  de  Guise  le  prièrent  de  proposer 
au  roi  le  mariage  du  duc  de  Guise  avec  Madame,  sœur  du 
roi.  Il  est  inutile  de  dire  que  Villeroy  ne  tint  aucun  compte 
de  cette  demande. 

Sien  ce  temps-là  les  négociations  n'aboutissaient  pas  à 
des  résultats  positifs,  au  moins  ces  parlottes,  ou  ces  bou- 
tades, comme  les  appelaient  certains  grands  seigneurs 
sceptiques  delà  Ligue,  énervaient  la  résistance  des  partis. 
empêchaient  la  guerre  de  tourner  à  une  lutte  à  outrance 
et  avançaient  sensiblement  l'heure  de  la  réconciliation  na- 
tionale (3).  Il  ne  faut  pas  négliger  non  plus  quelques  petits 

(1)  Mém.,  p.  200. 

(2)  Selon  le  mot  de  Matteucci  dans  s<m  Mémoire  (L'Epinois,  p.  533). 

(3)  «  Vous  savez,  écrivait  La  Châtre  à  un  ami.  que  ces  boutades-lù 
se  t'ont  toujours  au  printemps  une  fois,  et  une  autre  en  automne  : 
après  ei,  après  là,  l'on  apporte  toujours  quelque  difficulté  aux  réso- 
lutions. »  l'apiers  des  Pot  de  Rhodes  publiés  par  le  président  Hiver, 
p.  124.  L'ambassadeur  vénitien  exprime  le  même  scepticisme  :  t  Non 
si.  sa  ehe  sperare  da  queste  trattazioni  tante  volte  incominciato,  tante 
si  sono  sempre  use  infrutuose.  »  (Dép.  du  '■>  avril  92.  F.  Ital.,  17  il, 
f°  22.) 

Villeroy  lo 


226  VILLEROY 

profits  que  certains  coins  du  territoire  reçurent  de  ces 
négociations.  Villeroy  trouva  moyen  de  rendre  service  à  la 
cause  publique  tout  en  sauvegardant  les  intérêts  de  sa  fa- 
mille. Le  1er  septembre,  en  effet,  fut  conclue,  sousses  aus- 
pices, à  Meulan,  une  trêve  de  sept  mois,  pour  la  région 
avoisinant  Pontoise,  qui  fut  ratifiée  par  le  roi  le  30  de  ce 
même  mois  (1). 

Le  moment  était  bien  choisi  pour  conclure  un  armistice 
dans  le  Vexin  Français:  la  population  était  absolument 
('puisée  (2).  De  plus  le  Yexin  Français  n'était  plus  le  théâ- 
tre principal  delà  guerre,  qui,  à  la  fin  de  cette  année  1592, 
s'éternisait  en  Normandie,  en  Dauphiné,  en  Champagne, 
mais  épargnait  la  région  parisienne.  Villeroy  ne  faisait 
donc  aucun  tort  à  son  parti  en  obtenant  une  suspension 
d'armes  pour  rétendue  du  gouvernement  de  son  fils,  et 
il  atteignait  son  but,  qui  était  d'éviter  de  fournir  des 
armes  contre  lui  à  ses  adversaires  royalistes,  et  de  hâter 
la  pacification  générale  en  donnant  l'exemple  à  ceux  qui 
seraient  tentés  de  conclure  des  trêves  particulières.  Telle 
esl  la  portée  qu'on  doit  donnera  l'acte  de  Villeroy,  si  on  le 
compare  à  la  conduite  qu'il  tint  au  mois  d'avril,  pendant 
la  maladie  de  son  fils. 

Au  milieu  d'avril,  le  duc  de  Mayenne  avait  mandé  tous 
les  secours  qu'il  avait  pu  trouver  pour  le  siège  de  Rouen, 
notamment  les  troupes  d'Alincourt.  Son  intention  était  si 
nette,  qu'il  s'était  empressé,  on  se  le  rappelle,  de  renvoyer 
Gastelnau,  lieutenant  de  son  fils  à  Pontoise,  sans  lui  don- 
ner de  réponse  pour  Villeroy,  craignant  que  son  absence 
ne  retînt  d'Alincourt  dans  la  ville.  Or,  Duplessis  écrivait, 
le  15  avril,  au  roi  :  (3)  «   Ledit  sieur  de  Halincourt,  soit  à 


(1)  Archives  de  la  ville  de  Pontoise.  Le  texte  est  reproduit  dans  les 
pièces  justificatives  de  Le  Charpentier,  n°  IX,  p.  xi.iv. 

(2)  De  très   nombreux   faits  cités   par  Le  Charpentier  prouvent  la 
dévastation  de  ce  pays  de  1589  à  1592. 

(3)  Mém.  et  corresp.,  t.  V,  p.  286. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  227 

feinte  ou  à  bon  escient,  se  mit  hier  au  lit  et  ne  se  hâte  pas 
fort  d'y  aller.  »  Villeroy  avait  craint  sans  doute  que  cela 
n'entravât  ses  négociations.  C'était  peut-être  aussi  une  ma- 
nière de  témoigner  à  Mayenne  son  mécontentement  au 
sujet  de  la  continuation  de  la  guerre. 

Quoi  qu'il  en  fût,  Villeroy  affirmait  sérieusement  que  son 
fils  était  malade  :  ainsi  le  16,  il  avait  eu  trois  accès  de  fièvre 
el  avait  pris  médecine;  le  18,  il  avait  été  saigné,  etc.  Coïn- 
cidence étrange,  «  le  pauvre  M.  de  Castelnau,  écrivait-il  le 
16  avril,  n'a  bougé  du  lit  depuis  son  retour  et  se  porte  très 
mal  •  (1).  Il  arriva  donc  que  ni  le  gouverneur  ni  son  lieu- 
tenant ne  purent  aller  au  secours  de  Mayenne.  C'était  l'é- 
poque où  Villeroy  se  lamentait  sur  la  folie  de  Mayenne 
qui  s'obstinait  à  la  guerre,  et  disait  :  «  Ceux  qui  l'assistent 
ont  grand  tort  »  (2). 


III 


La  fin  de  l'an  1592  et  le  début  de  l'année  suivante  appor- 
tèrent quelques  déceptions  aux  politiques.  Le  «  voyage  » 
de  Rome  et  les  préliminaires  de  la  réunion  des  Etats  n'an- 
noncèrent pas  un  acheminement  vers  la  paix  générale. 

Les  royalistes  avaient  pourtant  agi  avec  la  prudence  et 
la  bonne  foi  que  Villeroy  avait  désirées.  A  la  lin  du  mois 
d'août,  le  duc  de  Nevers  avait  écrit  à  Rome  pour  supplier 
le  pape  et  les  cardinaux  de  ne  pas  «  se  laisser  aller  aux 
passions  des  ambitieux  qui  gâteraient  tout  sans  remède»  (3). 
Le  cardinal  de  Rourbon,  d'O,  Cheverny,  Montmorency 
avaient  envoyé  un  autre  mémoire  pour  disposer  le  pape  en 
faveur  du  roi  de  Navarre.  Le  cardinal   de   Gondi  partit  au 


(1)  Villeroy  à  Fleury,  18  avril  1592,  Mém.  et  corresp.,  t.  V,  p.  301. 

(2)  Ibid.,  p.  300. 

(3)  Lettre  du  27  août  1592,  F.  Fr.  3982,  fo  22. 


228  VILLEROY 

début  d'octobre,  porteur  d'une  lettre  d'Henri  IV.  Il  dut 
s'arrêter  à  Florence.  Le  pape  lui  défendait  d'entrer  dans  les 
États  de  l'Église.  A  ce  moment,  Clément  VIII  accueillait 
honorablement  Anne  des  Cars,  évêque  de  Lisieux,  Givry 
et  Desportes,  envoyés  par  Mayenne  pour  lui  démontrer  que 
le  roi  de  Navarre  ne  se  convertirait  pas  ou  mentirait  en  se 
convertissant,  et  qu'il  serait  nécessaire  de  faire  élire  un 
prince  lorrain.  Mais  Clément  VIII  était  fort  embarrassé.  Il 
ne  manifestait  pas  un  grand  enthousiasme  pour  les  Lor- 
rains, avait  très  peu  de  sympathie  pour  les  Bourbons  et 
disait  :  «  Il  y  a  tant  d'intérêts  particuliers  que  j'en  déses- 
père »  1).  Villeroy  était  informé  de  tout  ce  qui  se  passait 
à  Home  par  le  représentant  de  Mayenne,  le  commandeur 
de  Diou,  qui  ne  lui  cachait  rien,  bien  qu'il  fut  un  ennemi 
acharné  du  roi  de  Navarre. 

La  réunion  des  États  fut  pour  Villeroy  un  autre  sujet 
d'inquiétudes  non  moins  graves.  Il  semblait  que  ces  États, 
convoqués  le  lendemain  de  la  mort  des  Guises,  pour  le  15 
juillet  1589,  promis  par  Henri  IV  à  son  avènement,  convo- 
qués par  Mayenne  pour  le  3février90à  Melun,  ajournés  par 
le  siège  de  cette  ville  et  la  victoire  d'Ivry,  convoqués  de 
nouveau  en  janvier  91,  puis  en  juillet,  et  acceptés  par  le 
roi  de  Navarre  lui-même,  allaient  cette  fois  se  tenir  irré- 
vocablement. Il  y  eut  pourtant  un  intervalle  de' six  mois 
entre  leur  convocation  et  leur  réunion.  Mayenne  hésita 
jusqu'au  dernier  moment.  A  la  fin  de  novembre  1592,  il 
fallut  les  instances  de  toute  la  Ligue  française,  italienne  et 
espag-nole  pour  le  décider  à  lancer  le  décret  de  convoca- 
tion. Et  quand  il  fut  lancé,  le  lieutenant-général  fit  publier 
(5  janvier  1593)  un  manifeste  qui  était  un  factum  violent 
contre  le  roi  de  Navarre  et  ses  adhérents.  Il  établissait  que 


(!)   Lettre   d'Anne   des   Cars,   27   octobre    92,    F.  Fr.  3*J82,   fo  129. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  229 

la  Ligue  avait  légitimement  combattu  contre  un  prince 
qui  s'était  placé  en  dehors  de  la  loi  du  royaume,  et  prédi- 
sait la  subversion  totale  de  la  religion,  si  on  lui  prêtait 
obéissance  (1).  Cette  exhortation  dut  paraître  une  grave 
imprudence  à  Villeroy  qui  craignait  toujours  que  le  roi  de 
Navarre  ne  fût  poussé  à  bout,  et  que  les  États  ne  subissent 
l'influence  des  Espagnols  ou  «  des  ambitieux  ». 

Ainsi  les  deux  partis  que  Villeroy  avait  cru  rapprocher, 
après  trois  mois  de  négociations  en  159?,  paraissaient  s'é- 
loigner an  moment  où  commençait  la  consultation  natio- 
nale, qu'il  avait  réclamée  dès  le  début  de  la  guerre, 
comme  un  des  principaux  remèdes  à  la  situation. 

Pourtant,  il  ne  désespéra  pas,  car  sa  politique  était  ap- 
puyée par  une  partie  de  l'opinion,  qui  se  fortifiait  tous  les 
jours.  A  Paris,  le  nombre  des  politiques  augmentait  et  de- 
venait de  plus  en  plus  actif.  L'Estoile  note  ce  mouvement 
dès  le  début  d'octobre.  «  On  commença,  dit-il,  des  assem- 
blées à  Paris...  où  il  fut  proposé  par  beaucoup  de  bons 
bourgeois  et  en  grand  nombre  d'envoyer  vers  le  Roi  le 
semondre  de  se  faire  catholique  (2).  »  On  les  appela  les 
Semonneux,  pour  les  distinguer  de  ceux  qui  voulaient  re- 
connaître le  roi  même  hérétique.  Semonneux  et  non  se- 
monneux   faisaient   perdre    aux    Seize  beaucoup    de  ter- 

(1)  Cette  exhortation  «  abrégée  de  tous  les  libelles  séditieux  et 
harangues  vomies  contre  le  feu  roi  et  le  roi  à  présent  régnant  »  (sui- 
vant l'auteur  de  la  Fleur  de  Lys,  cité  par  P.  Gayet)  —  est  résumée  dans 
de  Bouille,  IV,  p.  126-129. 

(2)  L'Etoile,  t.  Y,  p.  182.  —  Une  lettre  de  Bellièvre  à  Villeroy,  du  30 
décembre  1592,  constate  cet  universel  besoin  de  paix.  «  Hésiode  dit  que 
le  fol  devient  sage  quand  il  a  senti  le  mal.  Soyons  au  moins  de  ceux- 
là.  »  Il  appréhende  la  venue  d'une  armée  étrangère:  «  Tout  ce  qui  peut 
demeurer  de  maisons  et  commodités  aux  envions  de  Paris...  sera 
exposé  au  sac  et  au  feu.  Il  ne  demeurera  une  seule  grange  où  l'on 
puisse  conserver  les  fruits  que  les  uns  et  les  autres  espèrent  recueillir 
de  leurs  terres.  J'estime  fort  ignorants  ceux  qui  pensent  le  contraire  et 
«le  très  mauvaise  volonté  ceux  lesquels  prévoyant  le  mal  y  consentent 
et  n'y  remédient  de  tout  ce  qui  est  en  leur  pouvoir  ».  F.  Fr.  15895, 
P»  240. 


230  VILLEROY 

rain  (1)  et  facilitaient  considérablement  la  tâche  que 
s'élail  imposée  «  l'archipolitique  »  Villeroy  (2). 

Au  milieu  de  toutes  ces  difficultés,  Villeroy  compta  sur- 
tout sur  lui-même.  11  comprit,  dès  le  début,  que  la  nouvelle 
assemblée,  composée  exclusivement  de  Ligueurs,  serait 
travaillée  par  les  Espagnols  pour  leur  roi,  par  Mayenne 
pour  lui-même  et  que,  pour  arriver  à  la  reconnaissance  du 
roi  de  Navarre,  il  fallait  faire  disparaître  le  schisme  qui 
existait  entre  catholiques.  Il  s'avisa  donc  «  de  proposer  et 
moyenner  »  que  les  catholiques  serviteurs  de  S.  M.  recher- 
cheraient ceux  de  la  dite  assemblée,  à  l'ouverture  d'icelle, 
d'une  conférence  pour  ensemble  aviser  aux  moyens  plus 
propres  pour  conserver  la  religion  catholique  et  le  royaume. 
Après  avoir  obtenu  l'approbation  de  Jeannin  et  d'Épinac,  il 
écrivit  à  Fleury,  son  beau-frère,  pour  qu'il  proposât  ce 
moyeu  au  duc  de  Ne.vers  ou  à  un  autre  grand  catholique 
de  l'entourage  du  roi  (3). 

Villeroy  est  le  seul  à  s'attribuer  l'honneur  d'une  telle 
initiative  :  ni  Sully,  ni  Mornay  ne  parlent  de  lui  (4).  Il  faut 
reconnaître  qu'ils  ne  s'entendent  pas  non  plus  sur  la  dési- 
gnation de  la  personne  qui  décida  le  roi.  Peut-être  Nevers, 
ou  ceux  des  ligueurs  catholiques  consultés  par  Fleury, 
laissèrent-ils  ignorer  que  l'idée  venait  de  Villeroy.  Il  est 
plus  vraisemblable  de  dire  que  cette  idée  n'appartient  pas 
en  propre  ni  à  Villeroy  ni  à  aucun  autre:  le  projet  de  con- 
férence était  le  seul  parti  indiqué  par  le  bon  sens  à  tous  les 
esprits  désireux  de  conciliation,  et  en  premier  lieu  à  Henri 
IV  lui-même.  Ces  réserves  faites,  il  faut  reconnaître  que 
cette  idée  s'adaptait  parfaitement  à  toute  la  conception  po- 

(1)  I'iilma-Cayet,  p.  394-401. 

(2)  Ainsi  le  qualifia  l'évêque  de  Senlis  dans  une  lettre  du  31  octobre 
citée  par  Bouille,  Hist.  des  ducs  de  Guise,  t.  IV,  p.  114. 

(3)  Mém.,  p.  202. 

(4)  Sully,  AV.  Roy.,  I,  p.  115,  parle  brièvement  de  la  résolution  qui 
fut  prise  d'une  conférence,  sans  nommer  personne. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  231 

litique  de  Villeroy.  Réunir  la  conférence,  c'était  mettre  au 
premier  plan  la  négociation  entre  les  représentants  du  roi 
et  «eux  de  la  Ligue  et  rendre  secondaires  les  débats  des 
Etats:  c'était  par  conséquent  s'opposer  aux  tendances  es- 
pagnoles ou  autres  qui  ne  manqueraient  pas  de  se  mani- 
fester dans  cette  masse  anarchique.  Par  là  aussi,  Villeroy 
se  préparait  un  rôle  beaucoup  plus  actif  et  plus  utile,  car 
il  était  plus  apte  à  faire  prévaloir  son  avis  dans  un  petit 
cercle  de  négociateurs  de  choix  que  dans  une  grande  as- 
semblée incohérente. 

Les  royalistes  adressèrent  doue,  avec  l'agrément  d'Hen- 
ri IV,  une  demande  aux  Etats,  afin  de  «  chercher  les  moyens 
d'assoupir  les  troubles  et  de  conserver  la  religion  catho- 
lique »  il)  (29  janvier).  «  Villeroy  assista  au  conseil  où  il  fut 
décidé  que  la  proposition  des  catholiques  royalistes  serait 
transmise  aux  Etats.  Les  plus  acharnés  opposants  étaientle 
cardinal  de  Pellevé,  le  cardinal  de  Plaisance  et  D.  Diego 
d'Ibarra.  Les  «  gens  de  bien  »,  qui  étaient  d'Epinac,  Jeannin. 
Belin  et  de  Rosne,  firent  triompher  l'avis  modéré.  Les  deux 
premiers  surtout  se  montrèrent  énergiques.  L'archevêque 
de  Lyon  était  beau  parleur  et  présidait  en  second  les  Etats  ; 
Jeannin  était  de  longue  date  accoutumé  à  discuter  avec  les 
Espagnols  (2). 

Les  politiques  ne  bornèrent  pas  là  leurs  efforts.  Ils  ten- 
tèrent de  mettre  la  main  sur  les  Etats  dont  la  composition 
les  inquiétait,  et  d'y  faire  triompher  leurs  projets  de  conci- 
liation. Il  fut  résolu  dans  le  Conseil  du  duc,  à  l'instigation 


(1)  Doc.  inéd.  sur  l'hist.  de  France.  Bernard,  Procès-verbaux  des 
Etats  de  1593,  p.  40  et  suivantes   P.  Cayct,  p.  424. 

(2)  Voir  te  récit  du  secrétaire  de  Jeannin  (F.  Fr.  17282,  f°  81),  les 
Pap.  Sim.  K.  1569,  f°  214.11  faut  noter  que  pendant  tout  le  mois  de 
janvier,  il  y  eut  entre  les  principaux;  politiques  des  assemblées  secrètes 
qui  intriguèrent  vivement  les  Espagnols.  I barra  les  signale  au  roi 
d'Espagne.  Pap.  Sim.  K.  1538,  39.  Seul  PEstoile,  t.  V,p.  216,  a  noté  le 
rôle  de  Villeroy  dans  le  conseil.  Il  parle  des  prétentions  de  Pellevé  et 
ajoute  «  à  quoi  contredit  fort  M.  de   Villeroy  ». 


232  VILLEROY 

de  Jeannin,  d'Epinac  et  de  Villeroy,  que  les  membres  du 
Parlement  et  des  Comptes,  ceux  du  conseil  de  Mayenne, 
les  officiers  de  la  Couronne  et  les  gouverneurs  des  pro- 
vinces assisteraient  aux  séances  et  que  «  chaque  corps 
ferait  sa  voix  à  part  »  (1).  Les  politiques  espéraient  ainsi 
contrecarrer  les  voix  des  trois  ordres,  «  lesquels  étaient 
pour  la  plupart  factieux,  nécessiteux  et  ennemis  du  repos 
public»  (2).  L'ordre  ecclésiastique  se  composait  en  effet 
principalement  des  prédicateurs  de  Paris  et  autres  ligueurs, 
la  noblesse  figurait  à  peine  dans  les  Etats  :  il  n'y  avait  pas 
de  grands  noms,  mais  quelques  gentilshommes  de  second 
ordre  avec  des  intentions  diverses.  Le  Tiers  était  formé  de 
trois  groupes  :  les  exaltés,  les  ligueurs  français  et  les  poli- 
tiques (dont  les  principaux  étaient  le  président  Le  Maistrè 
et  Etienne  Bernard).  La  situation  des  partis  était  donc  la 
suivante  :  dans  les  deux  ordres  privilégiés,  les  ligueurs 
dominaient  ;  dans  le  Tiers,  les  ligueurs  français  unis  aux 
politiques  auraient  pu  contrebalancer  l'influence  des  Es- 
pagnols ;  mais  savait-on  si  à  la  suite  d'événements  nou- 
veaux, les  exaltés  ne  s'uniraient  pas  aux  ligueurs  français 
pour  soutenir  la  candidature  de  Mayenne  ou  d'un  Lorrain  ? 
Or,  la  résolution  prise  dans  le  conseil  de  Mayenne  renfor- 
çait l'élément  politique  dans  le  Tiers,  par  l'adjonction  des 
politiques  parlementaires  et  des  politiques  de  l'entourage 
du  duc,  et  fortifiait  Tordre  nobiliaire  ;  c'était  un  gain  pour 
la  politique  de  Villeroy,  car  la  grande  masse  de  cette  no- 
blesse se  serait  plutôt  «  donnée  au  grand  diable  qu'au  roi 
d'Espagne  »,  et  parmi  les  gouverneurs  de  province,  les 
uns  étaient  jaloux  de  Mayenne,  les  autres  disposés  à  con- 
clure des  marchés  avantageux  avec  le  roi  de  Navarre. 
Ce  projet  n'aboutit   pas.    On  permit   bien  aux    «  compa- 


il)  Mém.,  203. 

(2;.  Mém.,  203.  Cette  tentative  des  politiques  n'a  pas  attiré  l'attention 
des  historiens. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  233 

gnies  »  d'assister  aux  séances,  mais  leurs  voix  ne  furent 
pas  comptées. 

Aussi  Yilleroy  jugea-t-il  inutile  de  paraître  aux  Etats, 
qui  s'ouvrirent  le  26  janvier  1593.  Il  assista  à  la  séance 
d'apparat  où  Mayenne  et  Pellevé  prononcèrent  les 
laineux  discours  ridiculisés  par  la  Satire  Ménippée.  Mais  à 
partir  de  ce  jour  il  n'y  revint  plus  (1).  11  esl  probable  d'ail- 
leurs qu'il  ne  s'y  serait  point  senti  à  sa  place.  Cet  homme 
silencieux,  timide,  sans  prestige  extérieur,  «  nourri  au 
conseil  du  roi  »  où  l'on  cause  poliment,  froidement,  dans 
un  cabinet,  n'était  pas  apte  à  faire  figure  dans  les  réunions 
nombreuses  et  tumultueuses,  pleines  de  «  brigues  et  de 
partialités  »  «  lesquelles  sont  ordinairement  accompagnées 
de  reproches,  aigreurs  et  violences  insupportables  »  (2). 
Il  avait  pourtant  espéré  y  aider  «  les  gens  de  bien  »  et  à  cet 
effet  avait  composé  une  belle  harangue. 

L'exorde  en  est  modeste,  insinuant,  habile  :  «  Messieurs, 
si  jamais  il  a  dû  être  permis,  et  fut  onques  nécessaire  de  par- 
ler librement  en  une  délibération,  c'est  en  celle  qui  se  pré- 
sente, en  laquelle  il  s'agit  de  la  défense  de  notre  religion 
et  de  la  disposition  du  royaume  et  de  nos  personnes...  » 
Après  avoir  invoqué  la  «  divine  Majesté  »  il  supplie  l'as- 
semblée de  lui  permettre  d'user  «  de  la  liberté  et  franchise 
d'un  homme  de  bien  »  .  Il  ne  prend  point  l'attitude  hautaine 


(1)  Pendant  son  séjour  à  Pontoise,  Yilleroy  écrivit  à  Bellièvre  une 
longue  lettre  datée  du  26  décembre  1592  «  sur  le  sujet  de  la  pacifica- 
tion des  troubles  du  royaume,  de  la  conversion  du  roi  de  Navarre  et  de 
la  tenue  des  états  pour  l'élection  d'un  roi  catholique  ».  11  rappelle  en 
détail  tout  ee  qu'il  a  fait  pour  la  paix,  à  son  grand  regret  <  plus  lidèle- 
menl  qu'utilement  ».  C'est  comme  une  première  esquisse  de  l'apologie. 
F.  Fr.  i:;S'J5,  l'o  231-239.  Bellièvre  lui  répondit  le  30  décembre  de 
Grignon  (Ibid.,  f°  240-24  5),  approuvant  le  «  très  sage  discours  »  de 
celui  qu'il  qualifie  un  homme  de  bien  et  d'honneur;  mais  exprimant 
franchement  une  insurmontable  défiance  à  l'égard  de  Mayenne,  de  son 
parti  et  des  Etats  qui  ont  appelé  une  armée  étrangère  et  délibèrent 
«  les  couteaux  d'une  armée  puissante  »  sur  la  tète. 

(2)  Mém.,  p.  203. 


234  VILLKROY 

d'un  donneur  de  leçons.  Il  constate  tout  simplement  que 
les  affaires  vont  mal,  sans  invectiver  les  ligueurs.  11  dit  : 
notre  cause,  nos  fautes,  nos  adversaires,  et  indique  avec 
beaucoup  de  tact  qu'on  a  commis  des  excès.  «  Messieurs, 
personne  ne  peut  nier  que  la  cause  que  nous  défendons  ne 
soit  juste,  ayant  pour  fondement  l'honneur  de  Dieu  et  le 
soulagement  du  peuple;  néanmoins  pour  avoir  été  entre- 
prise et  commencée  avec  plus  d'ardeur  que  de  prudence,  et 
depuis  avec  plus  d'espérance  que  d'ordre,  non  seulement 
nous  y  avons  plus  perdu  que  gagné,  mais  aussi  nous  avons 
donné  matière  à  nos  adversaires  de  la  blâmer,  dont  ils  n'ont 
tiré  peu  de  profit  à  notre  dommage  dedans  et  dehors  le 
royaume,  tant  a  de  force  et  de  puissance  sur  les  hommes  ce 
qui  est  juste,  mais  aussi  ce  qu'ils  estiment  l'être...  »  Il  est 
difficile  de  trouver  un  langage  plus  correct,  plus  poli  et  plus 
prudent  pou:'  blâmer  les  excès  de  son  parti. 

«  Pour  bien  délibérer  de  nos  affaires  »  et  trouver  le  re- 
mède à  nos  maux,  il  faut  nous  représenter,  dit-il,  ce  que 
nous  avons  gagné  à  la  guerre  pour  le  parti  catholique  et 
dans  quel  état  se  trouve  maintenant  le  royaume.  Puis  il 
démontre  que  la  guerre  a  plus  affaibli  que  fortifié  la  religion 
et  le  pays,  et  il  esquisse  un  tableau  du  royaume,  en  quatre 
panneaux  où  il  peint  les  différentes  classes  de  la  société  : 
l'ordre  ecclésiastique,  la  bourgeoisie  des  villes,  le  peuple 
des  campagnes,  la  noblesse.  C'est  une  énumération  précise 
et  détaillée  des  différents  maux  dont  souffrent  les  citoyens: 
le  clergé  est  ruiné,  une  foule  de  paroisses  sont  abandon- 
nées, les  églises  sont  saccagées,  la  licence  s'est  introduite 
dans  les  couvents  :  les  villes,  «  remplies  de  partialités  », 
chargées  d'impositions,  privées  des  bénéfices  du  commerce 
et  de  l'industrie,  sont  «  très  misérables  et  nécessiteuses  »; 
le  plat  pays  est  «  en  tout  et  par  tout  en  proie  et  à  l'aban- 
don »  ;  la  noblesse  catholique  est  divisée,  affaiblie,  appau- 
vrie. \  illeroy  n'a  pas  écrit  un  morceau  de  littérature,  avec 
des  saillies,  des  citations,  des  mouvements  oratoires.  Il  n'a 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  235 

pas  non  plus  retracé  le  tableaubanal  des  maux  de  la  France 
trop  vague  ou  trop  général  qu'on  retrouve  chez  tant  d'é- 
crivains de  la  Ligue.  Il  a  analysé,  comme  un  témoin  d'es- 
prit positif  et  précis,  les  résultats  des  guerres  civiles.  Malgré 
des  périodes  un  peu  longues  et  parfois  diffuses,  il  évoque 
une  image  saisissante  des  malheurs  publics  ;  et  dans  cette 
description,  comme  dans  tout  le  reste  du  discours,  circule 
un  souffle  puissant  de  patriotisme  qui  est  t'ait  de  deux  sen- 
timents intimement  liés  :  la  pitié  pour  le  peuple  et  l'idée 
de  la  grandeur  française.  Citons  le  passage  le  plus  remar- 
quable qui  est  relatif  au  plat  pays:  «  ...  Il  semble  que  de 
part  et  d'autre  nous  en  ayons  entrepris  et  conjuré  par  envie 
l'entière  ruine  et  vexation  :  ces  pauves  peuples  payent 
double  et  triple  taille  partout  sans  compter  les  autres  sub- 
sides, contributions  et  corvées  que  l'on  exige  de  lui  à  dis- 
crétion, qui  excèdent  de  trop  toutes  les  dites  tailles,  outre 
iniinies  autres  sortes  d'outrages,  excès  et  violences  que 
l'on  lui  fait  souffrir,  dont  rien  ne  le  peut  garantir  que  la 
seule  mort,  car  toute  espèce  de  refuge,  aide,  consolation  et 
justice  lui  est  déniée  :  c'est  quasi  honte  que  d'en  avoir  com- 
passion, c'est  peine  perdue  que  d'intercéder  et  parler  pour 
lui  et  crime  que  d'en  demander  et  poursuivre  le  soula- 
gement. Nos  villages  en  sont  déserts  et  la  face  de  la  terre 
hideuse,  et  en  friche  en  plusieurs  endroits;  et  toutefois, 
Messieurs,  c'étaient  les  vrais  trésors  de  la  France,  nos 
minières  et  nos  Indes  que  ces  bonnes  gens  lorsqu'ils  culti- 
vaient nos  terres  en  toute  liberté  et  sûreté...»  (1). 

Il  faut  trouver  un  remède  à  ces  maux.  Or  les  Français  ne 
peux  eut  conserver  leur  religion  que  par  trois  moyens  : 

1°  Par  la  grâce  de  Dieu.  Villeroy  ne  s'étend  pas  sur  ce 


(1)  On  y  trouve  parfois  des  développements  banals,  niais  ils  ont  un 
but.  L'éloge  de  la  Qoble  ville  de  Paris,  «  la  capitale  «lu  royaume,  le 
vrai  trône  de  nos  rois,  le  premier  siège  de  leur  justice,  etc.  »,    est  un 

petit    morceau    à  effet,   destiné   a.    gagner  la    sympathie    des   Ligueurs 
parisiens  qui  formaient  la  majorité. 


236  VILLEROY 

premier  moyen,  mais  fait  observer  que  si  nous  voulons  que 
Dieu  ait  soin  de  nous,  il  faut  devenir  «  plus  charitables, 
moins  vicieux  »  et  meilleurs  chrétiens,  qu'il  ne  faut  pas 
tenter  Dieu  et  abuser  de  sa  grâce  par  témérité  ou  pré- 
somption, comme  nous  ferions  si  nous  choisissions  des 
remèdes  impossibles.  C'est  un  coup  droit  porté  aux  Seize 
et  aux  prédicateurs  de  la  Ligue  qui  mettaient  Dieu  au  ser- 
vice de  leurs  passions. 

*?"  Par  eux-mêmes.  Or,  malgré  la  valeur  des  chefs,  le  zèle 
des  villes,  nos  propres  forces  sont  insuffisantes. 

3°  Par  l'aide  de  nos  amis,  le  pape,  le  roi  d'Espagne,  les 
ducs  de  Savoie  et  de  Lorraine  qui  les  ont  assistés. 

Il  nous  fautun  roi,  continuait  Yilleroy.  Or,  s'il  est  prouvé 
que  l'assistance  du  roi  d'Espagne,  le  plus  puissant  de  nos 
amis,  nous  est  nécessaire  et  s'il  faut  violer  nos  lois  et  choi- 
sir un  prince  non  légitime,  il  faut  le  choisir  au  gré  de  l'Es- 
pagne, et  plutôt  nous  lier  à  la  personne  du  roi  d'Espagne 
et  à  son  Empire. 

Aux  raisons  très  fortes  de  ceux  qui  soutiennent  le  roi 
d'Espagne  Yilleroy  répond  :  1°  la  domination  de  ce  roi  en 
France  sera  la  perpétuité  de  la  guerre  et  non  l'établisse- 
ment de  la  paix,  car  la  noblesse  s'y  assujettira  difficile- 
ment ;  le  nombre  de  ceux  qui  voudront  dissiper  l'Etat 
se  multipliera  après  ce  premier  attentat  commis  contre  les 
lois  publiques  :  le  nouveau  roi  devra  accorder  des  avan- 
tages extraordinaires  aux  grands,  qui  seront  préjudiciables 
aux  droits  de  la  couronne  ;  nos  divisions  fortifieront  les 
huguenots  ;  les  villes  mécontentes  de  la  persistance  de 
leurs  maux  se  soulèveront;  2°  Le  roi  d'Espagne  ne  sera  pas 
assez  fort  pour  rétablir  l'ordre  :  il  ne  sera  plus  assisté  du 
pape,  de  la  Lorraine  et  de  la  Savoie.  La  preuve  de  sa  fai- 
blesse éclate  dans  les  retards  apportés  aux  envois  d'argent 
et  d'hommes.  S'il  a  été  si  impuissant  pendant  quatre  ans, 
que  sera-ce  à  l'avenir  ?  Il  est  âgé  :  ses  états  sont  très  vastes 
et  se  révoltent. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  237 

Donc  nous  ne  pouvons  élire  le  roi  d'Espagne  ni  aucun 
autre  et  nous  ne  pouvons  continuer  la  guerre  par  nos 
propres  ressources  :  Il  faut  la  paix.  La  conférence  et  la 
cessation  d'armes  nous  y  achemineront. 

Faut-il  donc  obéir  à  un  roi  faisant  profession  de  la  reli- 
gion contraire  à  la  nôtre  ? 

Villeroy  n'ose  pas  affirmer,  comme  les  purs  royalistes,  qu'il 
faut  se  soumettre  au  roi  légitime,  quelle  que  soit  sa  reli- 
gion. La  réalité  actuelle  le  préoccupe  plus  que  les  questions 
de  principe.  Or  les  peuples  sont  si  las  de  la  guerre  que  si 
le  roi  de  Navarre  «  leur  donnait  occasion  d'espérer  sa  con- 
version »,  ousi«  après  quelque  forme  d'instruction,  il  allait 
à  la  messe  »,  ils  n'attendraient  pas  le  consentement  du 
pape  pour  le  reconnaître.  Il  ne  faut  donc  pas  continuer  à 
user  de  rigueur  à  l'endroit  du  roi  de  Navarre  :  c'est  la  con- 
clusion du  discours  (1). 

Le  point  de  vue  pratique  y  domine.  On  n'y  trouve  point 
de  discussions  théoriques  et  érudites  sur  la  loi  salique,  ni 
sur  la  légitimité  royale,  point  d'ergotage  théologique  sur 
la  valeur  de  la  conversion  royale.  Villeroy  montre  simple- 
ment les  désastres  qui  fondraient  sur  le  pays  si  l'on  trans- 
gressait ces  trois  principes.  C'est  une  discussion  serrée 
d'homme  d'affaires,  très  modéré,  très  claivoyant,  qui  sait 
qu'il  faut  s'accommoder  au  temps  et  tirer  le  meilleur  parti 
des  eirconstances  en  apparence  défavorables.  Le  dévelop- 
pement est  dune  rigoureuse  logique.  Parmi  les  parties  les 
mieux  traitées,  il  faut  placer  le  réquisitoire  dressé  contre 
les  prétentions  des  Espagnols.  Jamais  on  n'a  exprimé  plus 
solidement  et  plus  complètement  ce  qu'il  y  avait  de  dange- 

(1)  (i  II  est  du  tout  besoin  que  nous  justifions  tellement  nos  inten- 
tions par  notre  présente  résolution  et  notre  conduite  en  icelle  que  ceux 
qui  sont  avec  nos  dits  adversaires  n'aient  occasion  de  croire  comme 
ils  ont  fait  jusqu'à  présent  que  notre  guerre  est  plutôt  ambitieuse  que 
religieuse,  à  quoi  peut  grandement  servir  ladite  conféience,  pourvu 
qu'elle  soit  faite  en  sûreté  et  dilection  vraiment  chrétienne  et  avec  telle 
patience  qu'il  convient.  » 


238  VILLEROY 

reux,  d'absurbe  et  de  chimérique  dans  le  projet  d  établisse- 
ment d'une  dynastie  espagnole  en  France.  Jamais  Villeroy 
lui-même  ne  1  avait  dit  avec  tant  de  force  et  tant  de  modé- 
ration à  la  fois.  La  force  résidait  dans  la  solidité  de  l'argu- 
mentation, et  dans  une  conviction  affermie  par  cinq  années 
où  il  avait  fait  comme  ces  gens  dont  il  parle  dans  son  dis- 
cours, «  devenus  savants  à  leurs  dépens,  enseignés  de  l'ex- 
périence, leur  maîtresse  ordinaire  ».  La  modération  lui  était 
imposée  par  les  circonstances  et  par  la  composition  spé- 
ciale de  l'assemblée  où  il  devait  parler  :  il  était  le  conseiller 
de  Mayenne  allié  des  Espagnols,  et  il  écrivait  son  discours 
pour  convaincre  des  ligueurs  très  religieux,  amis  de  l'Es- 
pagne, et  pour  la  plupart  achetés  par  l'ambassadeur  du  Roi 
Catholique.  Aussi  n'adresse-t-il  aucune  injure  à  l'Espagne. 
Il  fait  appel  à  la  raison  de  ses  auditeurs.  Il  cherche  à  leur 
démontrer  doucement  que  le  projet  espagnol  est  irréali- 
sable. On  croirait  même  entendre  par  moment  un  ami 
raisonnable  et  froid  de  l'Espagne  essayant  de  prouver  que 
les  desseins  de  cette  nation  sont  aussi  nuisibles  à  ses  inté- 
rêts véritables  qu'à  ceux  de  la  France. 

Il  n'entre  point  dans  notre  plan  de  décrire  la  tenue  des 
Etats  de  la  Ligue,  auxquels  n'assista  point  Villeroy. 
Tandis  que  son  chef,  Mayenne,  quittant  Paris  le  8  février, 
allait  recevoir  l'armée  espagnole  de  Mansfeld  et  les  dépu- 
tés envoyés  par  Philippe  II,  le  duc  de  Féria,  Inigo  de  Men- 
doza,  et  J.-B.  de  Tassis,  Villeroy  s'était  retiré  à  Pontoise, 
et  attendait,  dans  l'inaction,  la  résolution  que  les  Etats 
devaient  prendre  au  sujet  delà  conférence.  La  conférence, 
qui  seule  doit  nous  occuper,  ne  fut  adoptée  par  les  Etats 
qu'après  deux  mois  de  délibération,  le  5  avril.  Mayenne 
s'était  décidé  à  la  laisser  se  réunir  pour  contrarier  les 
Espagnols  et  «  avoir  plusieurscordes  à  son  arc  »  (l).Ily  eut 

(1)  Mém.,  p.  204. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  231) 

néanmoins  quelque  retard,  par  l'inévitable  longueur  du 
temps  qu'employèrent  les  députés  pour  se  réunir,  par  la 
durée  des  discussions,  par  l'impression  que  produisirent 
la  prise  de  Xoyon  et  quelques  opérations  heureuses  de 
.Mayenne  (1).  Les  politiques  et  ligueurs  français  eurent 
beaucoup  de  peine  à  convaincre  Pellevé  et  les  Espagnols. 
On  leur  cacha,  comme  d'ordinaire,  les  véritables  motifs  de 
cette  réunion  ;  on  leur  démontra  que  «  le  parti  en  sérail 
plutôt  fortifié  qu'affaibli  »    (2). 

Enfin,  après  deux  mois  de  délibérations,  l'assemblée 
approuva,  le  5  avril,  l'envoi  de  «  douze  personnes  d'honneur 
et  de  qualité,  intègres  et  expérimentées,  très  désireuses  de 
voir  la  religion  catholique  en  sûreté  et  le  royaume  en 
repos  »  (3).  Le  21  avril,  les  députés  furent  désignés  et  la 
première  séance  de  la  conférence  eut  lieu  le  ?  mai  (4). 

Cette  date  est  très  importante  dans  l'histoire  des  négo- 
ciations de  Villeroy.  «  Dès  lors,  dit-il,  nous  commençâmes 
non  seulement  à  mieux  espérer  des  affaires,  mais  aussi  à 
y  voir  un  meilleur  acheminement  que  devant;...  la  raison 
surmonta  bientôt  la  passion,  et  fut  le  voile  levé  qui  cou- 
vrait les  artifices  et  déguisements  avec  lesquels  le  public 
et  les  particuliers  avaient  été  abusés  de  part  et  d'autre  jus- 
qu'alors :  à  quoi  si  on  eût  pourvu  plus  tôt,  nos  maux 
n'eussent  pas  tant  duré  (5).  »  Le  17  mars,  il  avait  écrit  à 
Bejlièvre  :  «  J'ai  été  des  premiers  à  désirer  et  peut-être  à 
proposer  cette  conférence  des  catholiques  comme  un  moyen 

11)  Mayenne  avait  engagé  quelques  opérations  militaires  pour  occu- 
per l'armée  espagnole  et  accroître  son  prestige  aux  dépens  de  son  ne- 
veu. La  prise  de  Noyon  (28  mars)  exalta  les  étrangers  et  leurs  parti- 
5  ans. 

(2)  Mém.,  p.  204-205. 

(3)  Discours  et  rapport  véritable  de  la  Conférence...  par  Honoré  du 
Laurens,  Paris,  1593. 

(4)  Discours  et  rapport  véritable  de  la  Conférence...  (par  Honoré  du 
Laurens),  Paris  1593  (2  mai  ou  29  avril  d'après  d'autres  témoignages, 
notamment  eelui  de  Villeroy). 

(5)  Mém.,  p.  205. 


240  VILLEROY 

très  propre  pour  faire  parler  les  uns  et  les  autres  à  cœur 
ouvert,  et  pour  arrêter  le  cours  à  plusieurs  desseins  extra- 
vagants qui  se  font  partout Elle  fit  peur  à  beaucoup 

de  monde  et  néanmoins  elle  n'a  pu  être  rejetée,  parce 
qu'un  tel  refus  condamnerait  les  auteurs  d'icelui  et  chacun 
craint  ce  jugement  public...  Il  n'en  peut  mal  advenir  qu'à 
ri'iix  qui  y  procéderont  de  mauvaise  foi  et  qui  n'auront  l'in- 
tention bonne,  et  peut-être  qu'elle  produira  plus  de  fruil 
que  nous  n'espérons  (1).  » 

Villeroy  n'assista  pas  à  l'ouverture  de  la  conférence  de 
Suresne.  Il  n'avait  pas  été  compris  dans  la  liste  des  «  per- 
sonnes d'honneur  et  de  qualité,  intégres  et  expérimentées  > 
représentant  le  parti  de  la  Ligue.  Mayenne  l'avait  désigné. 
mais  pour  complaire  aux  Espagnols  et  aux  zélés,  qui  trou- 
vaient ce  personnage  trop  compromettant,  il  le  remplaça 
par  Belin.  Ce  n'était  qu'une  concession  apparente  aux  exal- 
tés, car  Belin,  moins  compromis  était  presque  aussi  dange- 
reux que  Villeroy  :  «  C'est  une  personne  peu  sûre  et  affec- 
tionnée à  l'autre  parti  »,  disaient  les  rapports  des  Espa- 
gnols (2).  D'ailleurs  quelques  jours  après,  Villeroy  fut  ad- 
joint aux  autres  députés  ;  nous  ne  savons  si  cela  fut  décidé 
sur  ses  instances  ou  sur  celles  de  Jeannin.  Ses  principaux 
collègues,  choisis  les  uns  par  les  Etats,  les  autres  par 
Mayenne,  étaientle  président  Le  Maistre, l'avocat  Bernard, 
de  Dijon,  du  Laurent,  avocat  général  au  parlement  d'Aix, 
Villars,  Belin,  Jeannin.  Péricart  et  Epinac,  qui  présidait 
les  débats.  Les  députés  du  parti  adverse  avaient  pour  chef 
l'archevêque  de  Bourges. Trois  d'entre  eux  au  moins  avaient 
été  fréquemment  en  relations  avec  Villeroy  :  Rambouillet, 


(1)  F.  Fr.  3947,  fo  321.  Lettre  à  Bellièvre  (15  mars)  reproduite  dans 
l'édition  des  mémoires  de  1725  (t.  IV.  p.  297  et  suiv.),  etdans  l'édition 
Michaud,  p.  255-25G.  Elle  est  faussement  datée  dans  cette  dernière  édi- 
tion du  17    mars  1594.  Il  faut  lire  93. 

(2)  Pap.  Sim.,  K.  1413,  p,  234. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  241 

Schomberg  et  Revol.  Deux  étaient  ses  amis  :  De  Thou  et 
Bellièvre. 

Villeroy  ne  fut  pas  un  des  protagonistes  de  la  conférence. 
Honoré  du  Laurent,  délégué  des  Etats,  ne  parle  de  lui  que 
pour  citer  son  nom  dans  la  liste  des  députés.  Il  ne  paraît 
remarquer  ni  sa  présence  ni  son  absence  aux  séances  (1). 
Villeroy  nous  dit  que  la.  raison  principale  de  son  absten- 
tion fut  «  que  Ton  n'y  marchait  de  bon  pied  »  (2).  L'attitude 
des  députés  de  Paris  et  surtout  le  rôle  de  l'archevêque  de 
Lyon  durent  lui  déplaire  considérablement:  ceux-ci  com- 
mencèrent par  faire  (Tanières  récriminations  sur  le  choix  de 
certains  députés  comme  Rambouillet  :  on  avait  besoin 
d'oubli  et  ils  se  montraient  intraitables.  Les  moindres 
événements  étaient  dénaturés  et  formaient  dos  griefs  qu'on 
se  lançait  mutuellement  à  la  tête.  Ainsi,  au  mois  de  juin, 
on  se  reprocha  le  siège  de  Dreux,  les  criailleries  des  prédi- 
cateurs royalistes,  les  promesses  faites  aux  protestants,  et 
même  la  publication  des  comptes-rendus  de  la  conférence. 
Quand  on  ne  s'injuriait  pas,  on  discourait  savamment. 
Les  séances  prirent  dès  le  début  la  tournure  de  joutes  ora- 
toires faites  à  grand  renfort  de  textes  bibliques  entre 
l'archevêque  de  Bourges  et  celui  de  Lyon,  le  premier  sou- 
tenant le  droit  héréditaire,  le  second  le  droit  religieux. 

Tout  cela  est  très  connu.  Ce  qui  Test  moins,  ce  sont  les 
négociations  qui  eurent  lieu  dans  les  coulisses  et  servirent 
beaucoup  la  cause  de  la  paix,  tout  en  frappant  moins  l'opi- 
nion publique.  On  serait  tenté  de  croire,  d'après  le  texte 
des  Mémoires,  que  Villeroy  s'abstint  de  paraître  aux 
séances  de  la  conférence.  Il  n'en  est  rien.  Il  dut  assister  — 
irrégulièrement  —  à  certaines  réunions,  surtout  à  la  fin  de 

(1)  Il  n'est  pas  sur  que  le  discours  et  rapport  véritable  de  la  confé- 
rence soit  de  du  Laurent.  —  Il  faut  noter  en  passant  que  les  autres 
députés  ne  jouèrent  pas  un  rôle  plus  brillant  que  Villeroy  (à  part  les 
deux  archevêques). 

(2)  Mem..  p.  206. 

Villerov  lf> 


242  VILLEKOY 

juin.  Mais  il  agit  surtout  suivant  sa  tactique  habituelle 
dans  des  conférences  particulières  avec  ses  amis  royalistes. 
Une  note  écrite  en  marge  du  registre  du  Tiers-Etat  fait 
allusion  aux  nombreuses  entrevues  de  Bassompierre  et 
Zamet  avec  Villeroy,à  Chaillot,  de  ce  dernier  avec  Schom- 
berg,  Bellièvre  et  Revol,  à  Saint-Denis  et  Glignancourt  (1). 
Les  papiers  de  Bellièvre  contiennent  quelques  lettres  rela- 
tives à  ces  entrevues  (2). 

Il  voulut  surtout  agir  auprès  de  Mayenne,  et  dès  le  mois 
de  mai,  il  reprit  son  rôle  de  diplomate  mi-officiel,  mi-offi- 
cieux, intermédiaire  entre  le  lieutenant  général  et  les  po- 
litiques des  Etats,  du  Parlement,  et  de  la  conférence.  Ileut 
une  très  grande  liberté  d'action.  Il  agit  comme  il  put,  dans 
tous  les  sens,  partout  où  il  fallait  lutter  pour  la  paix. 

Il  semble  qu'il  se  soit  principalement  attaché  à  combattre 
les  ambitions  espagnoles  et  les  visées  de  ceux  qui  vou- 
laient ressusciter  le  Tiers-Parti.  Quand  les  Espagnols,  après 
plusieurs  tentatives  malheureuses  commencées  dès  le  28 
mai,  proposèrent  l'élection  de  l'infante  avec  un  prince  de 
la  maison  de  Lorraine,  ils  voulurent  que  l'élection  fût  faite 
immédiatement,  avant  même  que  le  mariage  lut  accompli, 
Villeroy  fit  des  remontrances  à  Mayenne.  Elles  furent  très 
énergiques,  car  un  jour,  il  fut  si  scandalisé  qu'il  «  prit 
congé  du,  duc  »  (3). 

Il  traversa  de  même  un  projet  d'entente  entre  le  cardinal 


(1)  «  M.  do  Villeroy  qui  avec  M.  de  Bassompierre  et  Zamet  s'était 
souvent  trouvé  à  Chaillot  pendant  que  les  députés  du  parti  du  roi  étaient 
à  Suresne  et  depuis  qu'ils  s'étaient  trouvés  à  Saint-Denis,  s'était  trouvé 
à  Clignancourt  avec  MM.  de  Schomberg,  Bellièvre  et  Revol  pour  con- 
férer particulièrement,  desquelles  conférences  l'on  espérait  beaucoup 
pour  le  bien  public,  s'en  alla  à  4  heures  du  matin,  le  lundi  28  dudit 
li  juin,  el  comme  on  disait  sans  dire  adieu,  qui  donna  à  pen- 
ser qu'il  se   faisait    quelque    chose   contre  les  lois   fondamentales  du 

1"\  ,1111110...   » 

'(2)  F.  Fr.  15893,  fo  123-128. 
(3)  Mém.,  p.  207. 


LE    NEGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  243 

de  Bourbon  et  Mayenne,  pour  la  non-reconnaissance 
d'Henri  IV  et  la  séparation  des  catholiques.  Les  articles 
furent  même  signés  par  le  duc  pour  être  portés  au  cardi- 
nal. On  n'en  avait  pas  parlé  à  Villeroy.  Il  l'apprit  cepen- 
dant, s'en  plaignit  à  un  «  gentilhomme  serviteur  du  cardi- 
nal »,  se  plaignit  aussi  peut-rire  à  Mayenne,  qui  n'était 
d'ailleurs  pas  tout  à  fait  décidé  et  qui,  par  «  prudence  et 
conseil  »,  arrêta  tout(l). 

Mais  pendant  que  négociaient  les  politiques,  deux  événe- 
ments décisifs  s'accomplissaient  qui  hâtèrent  singulière- 
ment la  réalisation  de  leurs  espérâmes. 

Le  premier  fut  le  célèbre  arrêt  du  28  juin  rendu  par  le 
Parlement  «  de  lui-même,  mu  de  son  honneur  et  devoir  »  (2), 
pour  déclarer  que  «  la  conservation  de  l'Etat  royal  de 
France  dépendait  entièrement  de  l'observation  des  lois 
fondamentales  du  royaume  »  et  pour  supplier  Mayenne 
de  veillera  ce  qu'aucun  traité  ne  se  fasse,  pour  transmettre 
la  couronne  en  la  main  de  prince  ou  princesse  étran- 
gère »  (3).  Cette  protestation  retentissante,  à  laquelle  Du 
Vair  contribua  tant  par  son  éloquence,  enhardit  Mayenne, 
fortifia  le  parti  national,  intimida  les  ligueurs  exaltés  et 
arrêta  net  les  entreprises  contre  la  patrie. 

Le  second  fut  l'abjuration  d'Henri  IV,  annoncée,  dès  le 
17  mai,  par  l'archevêque  de  Bourges  et  prononcée  solen- 
nellement à  Saint-Denis,  le  ?4  juillet  1593.  «  Dieu,  dit  Ville- 
roy, avait  eu  compassion  de  la  France  et  de  nous...  C'était 
le  seul  remède  à  nos  maux  qui  nous  restait  (4).  » 


(1)  Mém.,  p.  207. 

(2)  Mém.,  p.  208. 

(3)  A.  Bernard,  p.  739  et  suiv. 
(4    Mém.,  p.  208. 


244 


[V 


Et  pourtant,  les  maux  du  royaume  ne  furent  pas  guéris 
comme  par  enchantement.  La  conversion  du  roi  fut  un 
coup  mortel  porté  à  la  Ligue,  mais  l'agonie  fut  encore  très 
longue.  La  religion,  qui  avait  été  un  prétexte  aux  «  remue- 
ments »,  servit  aussi  de  prétexte  à  une  partie  des  Ligueurs 
pour  ne  pas  désarmer.  Tandis  que  l'opinion  publique,  ne 
s'embarrassant  pas  d'arguments  théologiques,  revenait  à 
Henri  IV,  les  chefs  du  parti  prétendirent  que  sa  conver- 
sion n'était  pas  régulière  et  qu'on  ne  le  reconnaîtrait  pas, 
tant  que  le  pape  ne  se  serait  pas  prononcé.  N'avait-il  pas 
été  absous  par  des  évêques  excommuniés  et  sans  l'auto- 
risation du  Saint-Père  ? 

Ceci  était  le  langage  officiel.  Mais  les  chefs  du  parti,  au 
lieu  d'attendre  l'impartiale  décision  de  Clément  VIII,  con- 
tinuèrent leurs  intrigues,  avec  l'appui  de  l'Espagne,  pour 
persuader  au  pape  que  l'abjuration  du  roi  était  «  feinte  et 
fausse,  trompeuse,  fauduleuse,  pleine  de  dol  etd'impiété  ». 
Les  agents  des  princes  lorrains  à  Rome  reçurent  de  Paris, 
pour  mot  d'ordre,  de  représenter  à  la  cour  romaine  la 
fausseté  des  promesses  royales,  «  la  comédie  de  la  conver- 
sion »,  suivant  l'expression  de  l'abbé  d'Orbais. 

La  force  seule  semblait  devoir  trancher  ce  conflit  entre 
le  parti  national  d'Henri  IV  et  le  parti  factieux.  La  situa- 
tion ne  paraissait  plus  prêter  à  l'équivoque.  La  plupart 
des  politiques  s'étaient  franchement  ralliés.  Bellièvre, 
qui  avait  vécu  «  renfermé  dans  sa  maison  »  (1)  de  Gri- 
gnon,  s'était  empressé  de  rentrer  à  la  cour  de  son  roi 
légitime  aussitôt  après  la  conversion.  Dans  sa  retraite,  il 
avait  écrit  beaucoup  et,  comme  Villeroy,  fait  appel  àl'opi- 

(1)  Bellièvre  à,  Villeroy,  9  mai  1592,  F.  Fr.  15893,  f°  29. 


LE    NEGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  240 

nion  publique.  On  a  de  lui  un  discours  «  sur  la  déclaration 
de  M.  le  duc  de  Mayenne  faite  au  mois  de  décembre  1592 
et  publiée  le  5  janvier  1593  pour  l'assemblée  des  Etats  à 
Paris.  »  On  lui  attribue  un  «  Advis  aux  Français  sur  la 
déclaration  faite  par  le  roy  en  l'église  Saint-Denis  (1). 

Mayenne  et  la  Ligue  reprirent  la  lutte  à  la  fin  de  îr.'.i.'i. 
Affaiblis  peu  à  peu  par  les  défections  des  gouverneurs  et 
des  villes,  ils  finirent  par  se  soumettre  deux  années  après 
(octobre  1595).  Ces  deux  dernières  années  d'histoire  de 
nos  guerres  civiles  sont  remplies  par  les  négociations  diri- 
gées à  Rome  pour  l'absolution,  par  les  capitulations  des 
villes,  par  la  guerre  contre  les  derniers  partisans  de 
.Mayenne.  C'est  une  histoire  très  connue  que  nous  n'avons 
pas  à  écrire  ici. 

Ce  qui  est  resté  plus  obscur  et  plus  discuté,  c'est  la  con- 
duite de  Villeroy  depuis  l'abjuration  royale  jusqua  la  ren- 
trée du  ministre  au  Conseil  du  roi  (août  1593-septembre 
1591).  Revenons  à  notre  personnage  et  cherchons  d'abord 
à  pénétrer  ses  sentiments  au  début  de  cette  période  nou- 
velle. 

Il  fut  très  mécontent  de  son  parti.  Il  regretta  que 
Mayenne  n'eût  pas  fait  sa  soumission,  malgré  ses  promesses 
réitérées.  Il  comprit  qu'on  ne  mettait  en  avant  la  nécessité 
de  consulter  le  pape,  que  parce  qu'on  espérait  empêcher  le 
roi  d'être  reconnu.  Il  dut  soupçonner  tous  les  chefs  et  les 
conseillers  du  parti,  y  compris  l'ambitieux  et  obstiné 
Mayenne,  à  l'exception  de  Jeannin  dont  il  était  sûr.  Dès 
lors,  il  n'eut  plus  confiance  que  dans  la  sagesse  du  roi  «  qui 
n'avait  point  franchi  ce  saut  pour  après  refuser  ce  devoir 
et  respect  envers  Sa  Sainteté  et.  le  Saint-Siège  »  (2).  Il 
espéra  donc  que  le  roi  ferait  au  pape  toutes  les  concessions 
qu'on  voudrait,  et  que  la  Ligue  n'ayant  plus  aucun  prétexte 


(1)  F.  Fr.  15895,  fo  247-304  ;  Ibid.,   15803,  fo  36,  impr. 

(2)  Mém.,  p.  209. 


246  VILLEROY 

de  rébellion,  tomberait  toute  seule,  à  jamais  discréditée. 
Cependant,  malgré  la  conversion  d'Henri  IV,  il  demeura 
auprès  de  Mayenne.  Il  avait  reconnu  intérieurement  le  roi, 
sans  attendre  l'absolution  pontificale.  Mais  il  considérait 
que  son  œuvre  n'était  pas  encore  terminée.  Il  va  continuer 
à  être  le  négociateur  de  la  Ligue  pour  la  réconcilier  avec 
le  roi  légitime.  Il  restera  auprès  le  Mayenne  tant  qu'il  lui 
sera  utile.  Le  jour  où  ses  conseils  ne  seront  plus  suivis,  il 
se  retirera. 

Son  rôle  comprendra  donc  quatre  parties  essentiel- 
le- :  1°  conseiller  Mayenne,  l'engager  à  marcher  loyale- 
ment dans  les  négociations  romaines,  lutter  contre  les 
Espagnols  et  leurs  adhérents  ;  2°  conclure  et  maintenir  la 
I lève  qui  sera  le  moyen  le  plus  efficace  pour  arrêter  le 
cours  des  misères  publiques  (1)  ;  3°  veiller  aux  intérêts 
particuliers  de  Mayenne  et  de  ses  amis,  afin  qu'ils  ne  soient 
point  sacrifiés  aux  royalistes,  à  la  conclusion  de  la  paix 
générale  ;  4°  veiller  à  ses  propres  intérêts,  se  concilier  par 
ses  services  la  faveur  royale,  afin  d'obtenir  d'avantageux 
établissements  pour  lui  et  pour  son  fils. 

La  trêve   générale  fut  le  premier  acte  auquel  s'employa 

Villeroy.  Dès  l'ouverture  de  la  conférence  de  Suresnes,  une 
surséance  d'armes  avait  été  convenue  le  '2  mai,  qui  devaii 
s'étendre  sur  un  rayon  de  quatre  lieues  autour  de  Paris. 
Les  Parisiens  désiraient  plus  ardemment  que  jamais  la 
tranquillité  des  environs  de  leur  ville  (2).  Jusqu'au  28  juin, 
Villeroy  participa  à  l'élaboration  de  ce  traité  où  les  princi- 
paux ligueurs,  les  négociateurs  et  les  gens  de  guerre  étaient 


(1)  Mém.,  p.  209.  -  Le  24  août,  Villeroy  écrivait  à  Bellièvre  (F. 
Fr.  15910,  io  4G)  que  le  quart  de  son  pays  n'avait  été  labouré  cette 
année,  et  que  chacun  y  mourait  de  faim. 

1  lés  nombreux  et  pittoresques  sont  les  récits  des  manifestations 
populaires  dans  l'Es.toile,  t.  VI,  19,  30.  Voir  aussi  les  ambassadeurs 
italiens  et  les  papiers  de  Bellièvre. 


LE    NEGOCIATEUK    DES    POLITIQUES  247 

consultés  (1).  Aussitôt  après  la  conversion,  les  deux  partis 
s'accordèrent  pour  signer  une  cessation  d'armes  de  trois 
mois,  «  durant  laquelle  on  enverrait  vers  S.  S.,  de  part  et 
d'autre,  pour  savoir  son  intention  »  (2)  (31  juillet).  La 
trêve  fut  proclamée  le  lPr  août  pour  tout  le  royaume.  Vil- 
leroy  avait  été  employé  à  ce  I  raité  avec  La  Châtre,  de  Rosne, 
Bassompierre,  Darapierre  el  Jeannin,  et  le  roi  s'était  mon- 
tré très  conciliant. 

La  trêve  touchait  à  des  intérêts  si  complexes  qu'elle  n'a- 
vait pu  être  parfaitement  formulée  dans  un  acte  définitif. 
11  fallut  donc  que  dans  la  suite  les  négociateurs  se  réunis- 
sent à  nouveau  pour  l'interpréter,  la  corriger  ou  l'étendre. 
D'autre  part,  la  suspension  d'armes  permettant  des  rela- 
tions faciles  entre  les  amis  des  deux  camps,  il  était  naturel 
que  les  pacificateurs  ordinaires  se  rassemblassent  plus  sou- 
vent que  jamais  pour  aviser  aux  moyens  de  pacifier  le 
royaume.  Henri  IV  favorisait  ces  conférences  et  Mayenne 
les  tolérait  avec  son  désir  habituel  d'avoir  plusieurs  cordes 
à  son  arc,  et  parce  qu'il  savait  qu'il  pourrait  les  arrêter 
quand  elles  le  gêneraient. 

La  première  de  ces  conférences  eut  lieu  à  Andrésy,  du 
11  au  14  août  1593,  et  n'eut  aucun  résultat  positif  (3).  Bel- 
lièvre.  Villeroy,  Jeannin,  Zamet  et  Revol  avaient  l'inten- 
tion de  «  conclure  et  parfaire  le  marché  ».  La  tentation  était 
forte  de  terminer  d'un  coup  la  guerre  civile.  Mais  ils  crai- 
gnirent un  désaveu. 

De  nouvelles  démarches  furent  tentées  auprès  de 
Mayenne.  On  s'attacha  à  lui  peindre  sous  les  couleurs  les 
plus  agréables  les  avantages  exceptionnels  qu'il  gagnerait 
à  la  réconciliation.  Quelle  magnifique  situation  n'aurait-il 
pas,  auprès  d'Henri  IV,  comme  protecteur  des  catholiques. 

•   (1)  De  Thou,  t.  XI,  p.  170  et  suiv. 

(-2)  Mém.,  p.  209. 

|3)  Journal  delà  Ligue  du  17  mai  au  6  nov.  1533,  Revue  rétrospec- 
tive, 2e  série  11,  p.  104  et  suiv. 


248  VILLEROY 

comme  ami  du  pape  et  du  roi  d'Espagne  qui  le  recher- 
cheraient d'autant  plus  qu'il  n'aurait  pas  besoin  d'eux?  Il 
fallait  mettre  ceux-ci  en  présence  du  fait  accompli  ;  ils  tra- 
verseraient la  paix  tant  qu'elle  ne  serait  pas  conclue  :  une 
fois  publiée,  ils  s'y  accommoderaient.  Mais  Mayenne  de- 
meura inflexible.  11  répondit  que  le  salut  public  dépen- 
dait de  sa  bonne  intelligence  avec  le  pape  et  le  roi 
d'Espagne,  et  qu'il  ne  pouvait  sans  eux  conclure  de 
traité  (1). 

La  conférence  de  Milly  suivit  celle  d'Andrésy  et  ne  servit 
pas  mieux  la  paix  générale.  On  se  contenta  de  discourir 
«  assez  franchement  et  rondement  »  (2).  On  attendait  tou- 
jours la  volonté  du  pape.  La  conférence  fut  pourtant  moins 
inutile  que  la  précédente,  car  elle  pourvut  à  certaines  con- 
traventions de  la  trêve  (3)  (10 septembre  1593). 

Au  retour  du  voyage  de  Milly,  Villeroyse  rendit,  sur  l'in- 
vitation de  Mayenne,  à  Fontainebleau,  pour  voir  le  roi  et  lui 
demander  une  prolongation  de  la  trêve  qui  était  nécessaire, 
disait  le  lieutenant  général,  pour  permettre  l'envoi  du  car- 
dinal de  Joyeuse  à  Rome.  C'était  la  première  entrevue 
d'Henri  IV  et  de  Villeroy  depuis  la  conversion.  Il  reçut  le 
conseiller  de  Mayenne  «  de  sa  grâce  1res  humaine  »  (4),  et 
n'eut  pas  de  peine  à  lui  prouver  que  Mayenne  le  trompait. 
Des  dépêches  interceptées  contenaient  le  serment  solennel 
fait  à  Paris  le  23  juillet,  par  le  chef  de  la  Ligue,  pour 
maintenir  l'union,  avec  l'appui  de  l'Espagne,  malgré  la 
conversion  du  roi.  Villeroy  fut  si  «  scandalisé  »  qu'il  réso- 
lut de  prendre  congé  du  duc  et  de  se   retirer  des  affaires. 


(1)  3Iém.,  p.  210. 

(2)  Mém„  p.  212. 

(3)  Les  maires  et  échevins  d*Orléans,  Amiens,  Abbeville,  avaient  ré- 
clamé la  modification  d'un  certain  article  V,  préjudiciable  à  leurs  in- 
térêts. Voir  les  Articles  traités  et  accordés  en  la  Conférence.,,  tenue  à 
Milly...  Tours,  1593. 

(4)  Mém.,  p.  212. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  249 

Mais  Bellièvre  l'engagea  à  resteret  à  tenter  encore  quelque 
chose  pour  la  paix  (1). 

Villeroy  adressa  donc  de  nouvelles  remontrances  à 
Mayenne.  Il  lui  reprocha  en  termes  très  vifs  d'abuser  de  sa 
crédulité,  lui  démontra  que  le  légat  et  les  Espagnols  le 
haïssaient,  et  qu'il  n'osait  pas  se  tirer  de  leurs  mains.  Il  lui 
demanda  enfin  d'agir  plus  sincèrement  s'il  voulait  que  le 
roi  prolongeât  la  trêve  d'un  mois  ou  deux. 

Mayenne  répondit,  comme  d'habitude,  en  ergotant  et  en 
s'humiliant,  et  finit  par  charger  son  conseiller  de  demander 
une  prolongation  de  la  trêve  pour  quatre  mois.  Villeroy, 
«  in  î  ne  voulait  pas  rompre,  rapporta  la  réponse  à  Bellièvre, 
et  le  13  octobre  convint  avec  ce  dernier  et  Revol  d'une  pro- 
longation pour  deux  mois  (novembre  et  décembre)  (2). 

Jamais  la  politique  de  Mayenne  n'avait  été  si  confuse. 
Méprisé  de  sa  famille,  du  Légat,  des  Espagnols,  injurié  par 
les  prédicateurs  qui  demandaient  un  Aod  pour  Y  homme  au 
gros  ventre,  il  ne  se  contentait  pas  de  retenir  le  plus  pos- 
sible son  autorité,  il  poursuivait  encore  le  rêve  de  la  mo- 
narchie et  intriguait  avec  tout  le  monde.  Il  comblait  en 
même  temps  le  roi  d'assurances  pacifiques  afin  de  l'empê- 
cher de  se  porter  vers  la  Picardie,  aussitôt  que  l'archiduc 
Ernest  paraîtrait  vouloir  entrer  dans  le  royaume.  Il  trom- 
pait tout  le  monde,  même  ses  conseillers  politiques  dont  il 
cherchait  à  utiliser  les  relations  pour  obtenir  la  prolonga- 
tion tant  désirée.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  les  auteurs 
de  la  Ménippée  lui  font  dire,  dans  sa  harangue  :  «  Quant  à 
la  foi  publique,  j'ai  toujours  estimé  que  le  rang  que  je  tiens 
m'en  dispensait  assez...  Je  ne  parlerai  point  des  voyages 
que  j'ai  fait  faire  vers  le  Béarnais  pour  l'assurer  d'un  accord 
où  je  ne  pensais  jamais  ;  les  plus  fins  de  mon  parti  y  ont  été 
embarqués  et  n'en  ont  senti  que  la  fraîcheur  du  rasoir  et  cela 


(1)  Mém.,  p.  213. 

(2)  Mém.,  p.  216. 


250  VILLEROY 

ne  doit  déplaire  à  Villeroy,  qui  n'y  est  allé  qu'à  bonne 
foi.  » 

Henri  IV  commençait  à  perdre  patience.  A  la  fin  de  no- 
vembre il  envoya  Bellièvre  à  Mayenne  pour  le  forcer  à  se 
découvrir.  Bellièvre  reprocha  au  duc  de  n'avoir  pas  l'ait 
partir  plus  tôt  ses  ambassadeurs  pour  Rome,  tandis  que 
Xevers  était  déjà  auprès  du  pape  ("21  novembre).  Quatre 
mois  s'étaient  écoulés  depuis  la  conclusion  de  la  trêve  el 
les  choses  n'étaient  pas  plus  avancées  qu'au  premier  jour. 

Le  duc  se  déroba,  comme  de  coutume,  quand  on  lui  parla 
de  paix,  mais  il  réclama  avec  insistance  la  prolongation  de- 
là trêve  jusqu'en  mars  1594.  Villeroy  consentit  à  se  rendre 
à  Pontoise,  auprès  de  Bellièvre,  et  à  demander  une  prolon- 
gation d'un  mois  m  pour  lever  toute  excuse  du  duc  »  (1  l. 
On  n'eut  pas  de  peine  à  lui  démontrer  la  duplicité  de 
Mayenne  qui  avait  repris  les  négociations  avec  les  Espa- 
gnols pendant  qu'il  retenait  en  France  Sennecé,  Jeanninet 
Joyeuse. 

Villeroy  se  rendit  à  Paris  pour  annoncer  à  Mayenne  la 
résolution  définitive  du  roi  de  ne  pas  accorder  la  prolonga- 
tion, et  pour  le  sommer  de  ne  plus  retarder  la  paix, 
le  menaçant  presque  ouvertement  de  le  quitter  à  l'ex- 
piration de  la  trêve.  Après  la  fin  de  non  recevoir  donnée  à 
Belin  le  13  décembre  (Mayenne  avait  persisté  jusque-là 
dans  son  espoir),  Villeroy  prit  congé  de  Mayenne  el  se 
retira  à  Pontoise  avec  les  siens  «  pour  les  disposer  à  recon- 
naître S.  M.  avec  lui  »  (2).  Cela  se  passait  le  23  décembre 
1593,  quatre  jours  avant  que  le  roi,  dans  sa  déclaration  de 
Mantes,  ne  fît  connaître  sa  résolution  inflexible  de  ne  pas 
prolonger  la  trêve  (27  décembre). 

Avant  de  se  retirer,  il  avait  écrit  à  Mayenne  pour  l'exhor- 
ter à  faire  la  paix  (3).  Dans  sa  retraite,  il  n'interrompit  pas 

[i)Mém.3  p.  218. 
(2)  Me,,,.,  p.  219. 
(Z)Mem.,  p.  219-220. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  251 

toute  relation  avec  lui.  Après  la  soumission  de  Vilry,  il  lui 
adressa  plusieurs  remontrances  dont  Tune  fut  «  rendue 
publique  »  (1).  Cette  lettre  du  '2  janvier  1594  commençait 
par  un  aveu  d'impuissance  :  «  Monseigneur,  je  vous  écri- 
rais souvent,  si  je  le  pouvais  faire  utilement  pour  le  public 
el  pour  votre  service...  Nous  avons  perdu  toute  créance  et 
espérance  des  uns  aux  autres,  de  sorte  que  nous  attri- 
buons à  art  et  tromperie  les  ouvertures  que  nous  faisons 
<le  part  et  d'autre.  »  Il  avait  abandonné  l'espoir  d'exercer 
une  influence  quelconque  sur  les  décisions  de  Mayenne  ; 
au-sj  lui  dit-il  de  très  dures  vérités.  Il  lui  reproche  d'avoir 
sans  cesse  rejeté  les  offres  pacifiques  «  pour  diverses 
considérations  qui  regardent  plus  les  intérêts  privés  que 
la  cause  politique  »,  d'avoir  sans  cesse  craint  d'offenser 
les  étrangers  et  lui  affirme  qu'il  a  perdu  la  bienveillance 
du  peuple  (2).  C'était  une  véritable  lettre  de  rupture. 
Il  la  répandit  dans  le  public  pour  s'imposer  à  l'attention 
des  rovalistes,  à  la  veille  de  sa  soumission. 


Quelques  jours  après  avoir  quitté  Mayenne,  Villeroy 
avait  fait  prolonger  pour  trois  mois  la  trêve  particulière 
conclue  pour  Pontoise,  puis  avait  fait  ratifier  par  le  lieute- 
nanl-général  cette  prolongation.  Au  début  de  février,  il 
entra  en  accord  avec  le  roi  pour  lui  et  pour  son  fils.  On 
lui  promit  la  restitution  de  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat,  à 
la  première  vacance.  D'AlinCourt  resta  gouverneur  de  Pon- 
toise.  On  accorda  au  père  et  au  fils  ainsi  qu'à  divers  parti- 


al) LEstoile,  t.  VI,  p.  320. 

(2)  La  lettre  a  été  publiée  dans  toutes  les  éditions  à  la  suite  des  apo- 
logies. Voir  dans  l'éd.  Micliauil.  p.  2o4-2oo. 


252  VILLEROY 

culiers  de  leur  entourage  une  indemnité  de  476.5941ivres  (1). 
Bien  qu'ils  promissent  d'être  désormais  de  bons  serviteurs 
du  roi,  il  fut  convenu  qu'ils  ne  se  déclareraient  pas,  avant 
quelques  semaines,  officiellement.  Villeroy  n'agissait  pas 
ainsi,  comme  le  dit  Sully,  pour  «  nager  tant  qu'il  pourrait 
entre  deux  eaux  »  (2),  puisqu'il  était  de  cœur  soumis  au  roi 
et  n'avait  rien  à  attendre  de  Mayenne,  mais  par  un  dernier 
scrupule  de  courtoisie  et  un  dernier  espoir  de  conciliation.  Il 
voulait  paraître  attendre,  pour  se  soumettre  définitivement, 
l'expiration  de  la  trêve  conclue  avec  l'assentiment  du  lieute- 
nant-général ;  il  espéraitaussi  tenter  auprès  du  duc  un  nou- 
vel effort,  pour  l'amener  à  reconnaître  Henri  IV  (3).  Juste- 
ment une  lettre  interceptée  de  Mayenne  montrait,  quelques 
jours  après,  le  prix  qu'il  attachait  à  la  possession  de  Pon- 
ioise  :  le  lieutenant-général  se  déclarait  ruiné  tout  à  fait, 
si  Bourges,  Orléans  et  Pontoise  se  rendaient  au  roi  (4).  Vil- 
leroy n'a  pas  dit  dans  ses  Mémoires  ce  qu'il  advint  de  cette 
tentative  de  persuasion.  Il  a  été  muet  aussi  sur  les  négo- 
ciations qui  précédèrent  la  soumission.  Le  21  ou  le  22 
mars  (5),  Pontoise  rentra  définitivement  au  pouvoir  du  roi. 
Villeroy  était,  nous  l'avons  vu,  depuis  longtemps,  soumis  au 
fond  de  son  cœur.  Ce  jour-là  il  rompait  à  jamais  tout*  lien 
avec  Mayenne  et  la  Ligue. 

(1)  Nous  avons  trois  états  des  sommes  payées  par  le  roi  aux  chefs 
de  la  Ligue.  Celui  de  Cl.  Groulart  indique  pour  d'Alincourt  124.200  écus 
(Voyages  en  Cour,  Ed.  Michaud,  ire  série,  t.  XI,  p.  569),  ceux  de  Sully 
[Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  29)  et  de  Dupuy  (Mss  fr.  Dupuy  549,  no  87  et  88) 
relevés  sur  la  même  pièce  donnent  476594  livres.  Poirson  explique 
cette  différence,  en  disant  que  Groulart  dressant  son  état  d'après  les 
communications  faites  aux  Notables  de  1597,  a  ignoré  les  promesses 
secrètes  et  les  libéralités  accordées  à  l'entourage  des  chefs  ligueurs. 
(T.  I,  Doc.  Hist.,  p.  660  et  suiv.) 

(2)  Sully,  Èc.  Roy., t.  I,p.  125. 

(3)  De  Thou,  t.  XII,  p.  116.  —  Dép.  de  Mocenigo,  7  fév.  94,  F. 
Ital.  1742,  fo  123. 

|4)  D'après  une  confidence  du  roi  à  Mocenigo  (Dép.  de  Mocenigo,  26 
février  94,  F.  Ital.   1742,  P»  141). 

(o'j  Le  roi  à  de  Brèves,  20  mars  1594  {Lettres  Miss., t.  IV,  119)  :  «  La 
ville  de  Pontoise  se  doit  déclarer  dans  deux  ou  trois  jours.  » 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  253 

Sully  affirme  que  Villeroy  et  son  fils  se  firent  acheter 
«  bien  chèrement  »,  pour  une  place  qui  ne  valait  «  que  fort 
peu  de  chose  ».  Il  faut  considérer  qu'ils  avaient  fait  tous 
deux  de  grandes  pertes  durant  les  guerres  civiles.  La  ville 
de  Pontoise  avait  subi  deux  sièges  très  onéreux  pour  les 
habitants  et  le  gouverneur.  Les  terres  de  Villeroy  étaient 
presque  entièrement  ruinées.  Le  pays  ravagé  ne  pouvant 
plus  payer  d'impôts,  d'Alincourt  avait  dû  de  ses  propres 
deniers  subvenir  à  l'entretien  de  la  garnison. Henri  IV  recon- 
naissait lui-même  que  Pontoise  était  une  importante  acqui- 
sition (1).  «  C'était,  dit-il,  le  seul  passage  qui  demeurait 
ouvert  sur  les  rivières  et  ladite  ville  de  Paris,  lequel  lui 
étant  ôlé,  cela  aidera  beaucoup  à  la  faire  venir  à  la  raison.  » 

Sully  n'est  pas  plus  juste  lorsqu'il  prétend  que  Villeroy 
n'aurait  rompu  avec  la  Ligue  que  lorsqu'il  considéra  la  perte 
de  ce  parti  comme  certaine,  et  après  la  reddition  des  villes 
les  plus  importantes,  Beauvais,  Amiens,  Abbeville,  Paris, 
Rouen.  En  réalité,  il  fut  bien  un  des  premiers  à  se  ranger 
au  devoir.  Boisrosé  avait  donné  l'exemple,  en  juillet  93, 
en  rendant  Fécamp  et  Lillebonne  ;  Balagny  en  novembre 
avait  restitué  Cambrai.  En  novembre  aussi,  Vitry,  gouver- 
neur de  Meaux,  avait  averti  Mayenne  qu'il  ne  voulait  plus 
le  servir,  le  roi  s'étant  converti,  et  il  s'était  soumis  le  '24  dé- 
cembre, publiant  peu  après  son  éloquent  Appel  à  la  no- 
blesse (2).  Les  négociations  de  Villeroy  commencèrent  bien- 
tôt et  frappèrent  l'opinion  publique,  car  un  quatrain  circula 
dans  Paris  qui  fut  imprimé  à  la  suite  de  la  Ménippée. 

L'union  s'en  va  désunie 
Témoins  Vitry  et  Villeroy, 
A  Dieu  en  soit  gloire  infinie, 
Louante  à  Dieu,  honneur  au  roi. 


(1)  Ibid.  (Lettres  Miss,  t.  IV,  119). 

(2|  Mém.  de  la  Ligue,  t.  VI,  p.  15  et  suiv. 


254  VILLEROY 

C'est  à  la  même  époque,  en  février  94,  que  Lyon  ouvrait 
ses  portes  à  Ornano,  et  que  le  maréchal  La  Châtre  se  sou- 
met tait  avec  Orléans  et  Bourges.  Le  retentissement  de  ces 
faits  provoqua  en  peu  de  mois  de  nombreuses  soumissions 
dans  toutes  les  régions  de  la  Franco. 

Pendant  son  séjour  à  Pontoise,  Villeroy  eut  l'occasion 
de  rendre  un  service  à  la  cause  royale.  Le  légat,  très  inquiet 
du  mouvement  qui  portait  les  catholiques  vers  Henri  IV, 
lança  le  27  janvier  1594  une  lettre  retentissante  pour  leur 
détendre  de  reconnaître  un  roi  qui  n'était  pas  absous  par  le 
Saint-Siège  (R  Henri  IV  voulut  que  l'on  répondît  à  cette 
lettre.  Villeroy  désigna-t-il  du  Vair?  Nous  ne  saurions  le 
dire.  De  Pontoise,  il  écrivit  à  son  ami  pour  lui  faire  con- 
naître le  désir  du  roi.  Du  Vair  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre  et 
écrivit  sa  belle  lettre  d'un  «  bourgeois  de  Paris  »(2).  Guil- 
laume  du  Vair.  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  était  un 
esprit  très  cultivé,  un  excellent  orateur,  un  caractère  ferme 
et  sévère,  professant  la  doctrine  des  stoïciens.  Il  était  en 
tout  cela  infiniment  supérieur  à  Villeroy.  Mais  tous  deux 
professaient  la  même  foi  royaliste,  patriotique  et  chrétienne, 
et  depuis  quelques  années  ils  collaboraient  à  lamême 
œuvre,  l'un  au  sein  du  Parlement,  l'autre  dans  le  conseil 
de  Mayenne.  Du  Vair  avait  écrit  en  octobre  1592  une 
Exhortation  à  la  paix  qui  rappelait  d'une  manière  saisis- 
sante  les  idées   —  et   parfois   la   forme   —  de  VAdvis  à 


(1)  Lettre  de  Monseigneur  l'illustrissime  et  reverendissime  Cardinal 
de  Plaisance  Légat  de  N.  S.  /'...  à  toi/s  les  catholiques  du  mesme 
royaume  par  laquelle  est  déclarée  l'intention  de  S.  S.  touchant  ce  ijui 
s'est  n'aguères  passé  à  Rome,  Paris,   L594. 

(2)  Response  d'un  bourgeois  de  Paris  à  la  lettre  de  Monseigneur  le 
Légat  du  vingt-septiesme  janvier,  mil  cinq  cens  nouante  quatre,  à 
Paris,  1594.  On  lit  dans  l'avertissement  :  «  Monsieur  de  Villeroy  (per- 

'  à  l'excellente  prudence  duquel  la  France  doit  une  bonne  par- 
tie de  sa  restauration)  m'écrivit  de  Pontoise  où  il  s'était  retiré  que  le 

rail  que  j'y  tisse  une  réponse.  >  —  Voir  Radouant,  Guillaume 
du  Vair,  p. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  255 

Mayenne  (1).  La  conclusion  des  deux  discours  étail  iden- 
tique. Du  Vair  demandait,  pour  sauver  la  nation,  de  «  faire 
le  roi  de  Navarre  catholique  et  roi  de  France  ».  L'année 
suivante,  durant  les  étals  de  la  Ligue,  du  Vair  avait  écrit 
le  discours  pour  la  Loi  Salique,  dont  nous  avons  vu  Les 
graves  conséquences,  el  qui  avait  été  l'œuvre  la  plus  cou- 
rageuse  cl  la  plus  retentissante  de  l'ami  de  Yilleroy. 

Pendant  son  séjour  à  Pontoise,  Villeroj  écrivit  beaucoup: 
11  rédigea  une  longue  apologie  pour  montrer  la  peine  qu'il 
a  i>rise  de  faire  la  paix,  entre  le  Roy  et  M.  de  Mayenne,  et 
de  sa  continuelle  poursuite  à  la  pacification  de  nos  misé- 
rables troubles.  Il  y  racontait  minutieusement  l'histoire  de 
ses  négociations  depuis  la  mort  d'Henri  111,  dans  une 
claire  et  simple  dissertation  qui  a  été  la  source  principale  de 
notre  élude  pour  les  précédents  chapitres  (2).  Ce  copieux  mé- 
moire était  dédié  a  Bellièvre  qui  s'était  soumis  avant  Yille- 
roy et  avait  été  envoyé  par  Henri  IV  dans  le  Lyonnais, 
comme  intendant,  afin  de  hâter  la  pacification  du  Sud-Est. 
Yilleroy  affirmait  l'avoir  écrit  plus  pour  lui-même  «  que 
pour  le  communiquer  à  personne  »  (3)  ;  mais  il  savait  bien 
que  Bellièvre  ne  manquerait  pas  de  le  faire  circuler  dans 
l'entourage  du  roi.  Il  espérait  certainement  que  cette  lec- 
ture dissiperait  les  derniers  soupçons  sur  sa  conduite,  et 
lui  rendrait,  à  la  veille  de  son  retour  au  pouvoir,  l'auto- 
rité nécessaire  pour  exercer  sa  charge.    Nous  avons  con- 


(1;  Exhortation  a  la  paix  adressée  à  ceux  de  la  Ligue,  dans  les 
Œuvres  de  Messire  Guillaume  du  Vair...  Paris,  1625,  infol.,  \>.  034 
et  suiv.  A  la  suite  de  l'exhortation  est  publié  le  discours  pour  la  Loi 
Salique.  Sur  Guillaume  du  Vair,  voir  la  thèse  de  M.  Radouant,  Guil- 
laume du  Vair,  l'homme  et  l'orateur  jusqu'à  la  fin  des  troubles  de  la 
Ligue  (1856-1596),  Paris,  1907,  in-8u. 

(-)  11  faudrait  rapprocher  de  cette  apologie  quelques  lettres  où  Yille- 
roy résumait  sa  conduite  antérieure.  Voir  entre  autres  la  lettre  du  26 
décembre  1592  à  Bellièvre,  P.  Fr.  15895,  f°  231-239,  et  la  réponse  de 
Bellièvre,  du  30  décembre,  Wid.,  [>  ^40-^45. 

(3)  Mém.,  p.  138. 


256  VILLEROY 

serve  de  la  même  époque  une  lettre  apologétique  àd'Ossat, 
qui  était  resté  toujours  fidèle  au  roi  de  Navarre,  écrite  aussi, 
semble-t-il,  pour  être  lue  par  d'autres.  Car,  disait  Villeroy, 
«  la  vérité  n'a  jamais  eu  tant  besoin  d'être  appuyée  du 
témoignage  d'un  homme  de  bien  qu'elle  a  maintenant  que 
chacun  l'a  déguisée  comme  il  lui  plaît  ».  Il  y  expliquait 
l'origine  des  troubles  et  «  la  nécessité  qui  le  contraignit  à 
faire  ce  saut  avec  tous  les  regrets  du  monde  ». 

Villeroy  avait  en  même  temps  un  souci  très  vif  de  dé- 
fendre sa  réputation  contre  la  calomnie.  En  avril  ou  en  mai, 
il  lut  un  livre  récemment  publié  à  Tours,  puis  à  Paris, 
dont  parurent  en  peu  de  temps  quatre  éditions  auxquelles 
on  courut  «  comme  au  feu|»  (1).  C'était  le  fameux  pamphlet 
de  la  Satire  Ménippée  qui  vouait  au  ridicule  tous  les  char- 
latans de  la  Ligue.  Mayenne,  les  membres  de  la  famille  de 
Guise,  les  Espagnols,  le  légat,  l'archevêque  de  Lyon,  le  car- 
dinal de  Pellevé,  le  recteur  Rose,  le  sieur  de  Rieux  étaient 
les  protagonistes  de  cette  tragi-comédie.  A  côté  d'eux, 
Villeroy  ne  figurait  qu'en  une  très  petite  place,  mais  il  était 
odieusement  caricaturé.  On  pouvait  le  reconnaître  dans  la 
harangue  de  M.  de  Lyon  qui  contenait  une  allusion  inju- 
rieuse à  sa  personne  sous  forme  de  remerciement  à  «  ceux 
qui,  ayant  reçu  quelque  escorne  ou  dommage  du  tyran  ou 
des  siens,  se  sont,  par  indignation  et  esprit  de  vengeance, 
tournés  vers  nous  et  ont  préféré  leur  injure  particulière  à 
tout  autre  devoir  »  (2).  Il  se  soucia  assez  peu  de  ce  coup  de 
griffe.  Ce  qui  provoqua  son  indignation  ce  fut  la  grossière 
et  minutieuse  description  de  sa  personne  et  de  son  rôle 
politique  dans  la  série  des  Tableaux  de  V escalier  de  la  salle 
îles  États.  On  lui  avait  fait  les  honneurs  d'un  panneau  entier 
où  on  le  dépeignait  sous  la  figure  du  parfait  traître.  Le 
morceau  est  à  citer  : 

(1)  La  Satyre  Ménippée.  suivant  l'édition  princeps  de  1594,  Ed. 
Ch.  Read,  Librairie  des  Bibliophiles,  1876.    Voir  la  préface  du  libraire. 

(2)  Satyre  Ménippée,  Ibid.,  p.  125. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  257 

«  A  la  suite  de  ce  tableau,  y  en  avoit  un  autre  de  non 
moindre  artifice  et  plaisir,  où  estoit  painct  un  petit  homme 
meslé  de  blanc  et  rouge  (1),  habillé  à  l'Espagnole  et  néan- 
moins, portant  la  chère  françoise,  qui  avait  deux  noms  (2). 
A  son  costé  droit,  avoit  une  escritoire  pendue,  et  au  gauche 
une  espée,  qui  tenoit  au  bout,  dont  le  pommeau  estoit 
couronné  d'un  chapeau  de  fleurs,  comme  les  pucelles  qu'on 
enterre.  Sa  contenance  estoit  double  et  son  chapeau  dou- 
blé, et  sa  gibecière  quadruplée  et  dessus  sa  teste,  du  costé 
d'entre  le  soleil  de  midy  et  le  couchant,  pleuvoit  une  petite 
pluie  d'or  qui  luy  faisoit  trahir  son  Maistre  ;  et  avoit  en  sa 
main  une  couronne  de  papier  qu'il  présentoit  à  une  jeune 
dame,  muette  et  bazannée,  laquelle  sembloit  l'accepter  in 
solidum,  avec  un  petit  mary  de  beurre  fondu  au  soleil  (3). 

Je  ne  pouvoy  comprendre  que  vouloit  dire  la  figure, 
sinon  par  l'inscription  que  je  vy  au  dessoubs,  en  ces  mots: 

Vendidit  hic  auro  patriam.,  dominumque  potentem 
Imposuit. 

Et  au-dessus  d'iceluy  tableau,  y  avoit  cest  autre  vers  : 

Eheu  !  Ne  tibi  sit  privata  injuria  tanti. 

Qui  me  fit  douter  que  c'estoit  une  des  personnes  de  la 
Trinité,  encore  qu'il  eust  quitté  le  Saint-Esprit  (4).  » 

Villeroy  qui  eût  méprisé  d'obscurs  pamphlets  se  dérida 
à  protester  hautement.  Une  telle  attaque  en  1594  était  très 
dangereuse,  car  elle  pouvait  renforcer  l'opposition  île  ceux 
qui  voulaient  à  tout  prix  l'écarter  du  conseil  :  Madame, 


(1)  Le  blanc,  couleur  française,  le  rouge,  couleur  espagnole. 

(2)  On  a  proposé  de  lire  chair,  c'est-à-dire  ayant  le  visage  français. 
—  Ici,  les  anciennes  notes  indiquaient  ces  noms  par  les  initiales  N.  V. 

(3)  L'archiduc  Ernest  des  Pays-Bas  qu'on  appelait  pays  de  beurre. 

(4)  On  se  rappelle   que  Villeroy  était  officier  de  l'Ordre   du    Saint- 
Esprit  dont  il  avait  quitté  le  cordon  après  sa  disgrâce. 

Villeroy.  17 


258  VILLEROY 

sœur  du  roi,  et  Mme  de  Chatellerault  avaient  donné  comme 
argument  contre  son  rappel  sa  qualité  de  mauvais  Fran- 
çais el  de  vrai  Espagnol.  Les  auteurs  de  la  Ménippée 
avaient  pris  les  plus  grandes  précautions  pour  rester  incon- 
nus. Villeroy  ne  les  connaissait  pas  tous,  mais  soupçonnait 
quelques-uns  d'entre  eux.  Il  désigne  le  Palais  comme  l'of- 
ficine d'où  cette  œuvre  est  sortie  et  se  plaint  avec  amer- 
tume du  «  bouffon  de  taverne  »  qui  l'a  calomnié  avec 
tant  d'ingratitude  :  et  il  semble  bien  qu'il  désigne  sous  ce 
nom  celui  qui  a  fait  le  plan  de  l'ouvrage,  Pierre  le  Roy, 
chanoine  de  Rouen,  qui  était  devenu,  par  sa  protection, 
aumônier  du  cardinal  de  Bourbon. 

Il  n'adressa  sa  protestation  à  aucun  de  ces  auteurs  qu'il 
ne  pouvait  désigner  avec  sûreté  et  qui  étaient  trop  obscurs. 
Pour  qu'elle  fût  plus  éclatante,  il  l'envoya  à  Du  Vair,  l'émi- 
nent  orateur  du  Parlement,  qui  sans  doute  connaissait  les 
auteurs  de  la  Ménippée  et  avait  sur  eux  quelque  influen- 
ce (1). 

Cette  lettre  est  une  apologie  où  il  se  défend  longue- 
ment contre  l'accusation  d'avoir  vendu  son  maître  et  son 
pays  aux  Espagnols.  Il  entreprend  de  prouver  qu'il  a  tou- 
jours vécu  «  les  mains  nettes  »,  quelque  fortune  qu'il  ait 
couru.  Les  hommes  n'entreprennent  rien  que  pour  une  fin 
honorable  ou  utile  :  «  Mais  si  je  vériffie  qu'au  lieu  d'une 
gibecière  dorée,  je  n'ai  rapporté  de  tous  mes  travaux  et 
longs  services,  ni  de  toutes  ces  supposées  trahisons,  qu'un 
sac  plein  de  debtes,  sans  toutesfois  avoir  esté  subjet  à  ma 
bouche  ni  aux  autres   appétits  et  despenses  qui  appau- 


(1)  Nous  connaissons  six  copies  manuscrites  de  la  lettre.  L'une  est 
à  l'Arsenal  (n°  5427),  les  cinq  autres  à  la  Bibliothèque  nationale  :  F. 
Dupuy,  3  ;  F.  Fr.  4028  ;  F.  Fr.  17359  ;  F.  Fr.  17466  ;  N.  Acq.  Fr.  7260. 
La  copie  la  plus  parfaite  est  celle  du  mss.  Dupuy.  Sapey  a  publié  cette 
lettre  dans  l'appendice  de  ses  Etudes  biographiques  pour  servir  à 
l'histoire  de  l'ancienne  magistrature  française,  Paris,  1858,  in-8°. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  259 

vrissent  les  hommes,  sera-ce  assez  pour  convaincre  l'im- 
posture de  Tailleur?  » 

Il  répond  d'abord  à  l'accusation  générale.  Après  la  Ligue 
il  est  demeuré  si  endetté  que  sans  les  libéralités  d'Henri  IV, 
il  n'aurait  pas  de  quoi  vivre.  Il  montre  que  jamais,  même 
au  temps  de  son  infortune,  personne  ne  l'a  accusé  d'avoir 
reçu  de  présents.  On  ne  lui  a  jamais  donné  un  grade  ou 
une  charge  par  dessus  ses  compagnons  d'office  ;  les  rois 
ne  lui  ont  jamais  payé  de  leurs  deniers  un  gouvernement 
ou  quelque  autre  charge.  Il  s'est  contenté  des  bonnes 
grâces  des  rois  «  et  des  offices  et  bénéfices  qui  ont  vaqué  » 
et  lui  ont  été  donnés  par  la  résignation  ou  la  mort  de  ses 
parents. 

Il  examine  ensuite  «  les  pièces  particulières  »  dont  ses 
calomniateurs  pourraient  se  prévaloir.  Il  y  en  a  trois  :  la 
première  fondée  sur  la  déposition  de  Salcède,  la  seconde 
sur  son  éloignement  de  la  cour,  la  dernière  sur  sa  retraite 
au  parti  de  la  Ligue.  Il  reproduit,  en  un  style  plus  nerveux, 
les  arguments  et  les  faits  que  nous  connaissons  déjà  par  la 
première  Apologie,  il  démontre  vigoureusement  qu'il  a  tou- 
jours bien  servi  le  roi  et  la  France,  et  que,  s'il  s'est  rangé 
dans  le  parti  de  Mayenne,  nul  plus  que  lui  et  d'une  manière 
plus  désintéressée  n'a  travaillé  au  rétablissement  de  la 
paix.  «  J'y  ai  contribué  en  homme  de  bien,  tout  ce  qui  a 
esté  en  ma  puissance,  depuis  le  premier  jour  jusqu'au  der- 
nier, devant  et  depuis  la  conversion  de  S.  M.  sans  avoir 
jamais  varié  ni  changé  de  dessein  et  de  conseil,  quoi  que 
l'on  ait  dit  de  moi  de  part  et  d'autre  et  me  soit  advenu.  » 

II  termine  en  montrant  tout  le  mal  que  les  bouffons  de 
la  Satire  l'ont  au  roi  et  au  public,  et  en  priant  du  Vair  de 
leur  faire  reconnaître  leurs  torts  (1).  «   Car  quel  courage 

(1)  «  Si,  dit  Villeroy  en  terminant,  tout  ainsi  qui;  S.  M.  travaille  sans 
cesse  et  sans  épargne  avec  sa  noblesse  au  recouvrement  et  rétablisse- 
ment de  son  autorité  royale,  les  autres  commençaient  aussi,  ne  pou- 
vant mieux  faire,  à  disposer  et  préparer   en  leurs  charges  les  moyens 


260  VILLEROY 

donnent -ils  de  poser  les  armes  et  recognoistre  le  Roi  à 
ceux  qui  ne  l'ont  encore  fait,  de  leur  faire  veoir  par  ce  livre 
qui  se  vend  publiquement  au  Palais,  où  Ton  dit  qu'il  a  esté 
forgé,  les  autres  qui  leur  ont  tracé  ce  chemin  servir  main- 
tenant de  jouet  à  tels  bouffons,  estre  tenus  et  chantez  pour 
bons  traistres,  sans  avoir  esgard  à  leurs  services  et  mé- 
rites? »  Ils  ne  font  qu1  «  altérer  et  aigrir  »  les  choses, 
alors  qu'un  bon  régime  est  nécessaire  à  ce  royaume  «  pour 
recouvrer  sa  première  santé  ». 

La  lettre  à  du  Vair  est  une  sorte  d'abrégé  des  apologies, 
elle  a  les  mômes  qualités  et  les  mêmes  défauts  littéraires  ; 
c'est  un  exposé  en  général  clair  et  bien  ordonné  de  ses 
actes  publics,  mais  sans  aucun  apprêt.  C'est  un  plaidoyer 
plus  condensé  que  les  deux  longues  défenses  de  1589 
et  de  1594  et  pourtant  l'ensemble  est  traînant  et  mono- 
tone (1).  Les  développements  les  plus  neufs  sont  amenés 
par  les  circonstances  qui  ont  contraint  Fauteur  à  écrire  la 
lettre  du  1er  août.  Quand  il  parle,  au  début  et  à  la  fin,  des 
accusations  odieuses  contenues  dans  la  Ménippée,  il  té- 
moigne une  vigoureuse  indignation  contre  1'  «  ingrate  ma- 
lice »  des  calomniateurs,  qu'il  méprise   (2),  mais  qu'il  re- 

d'affermir  et  assurer  ses  victoires  par  une  générale  réconciliation  et 
réunion  de  tous  ses  sujets  avec  la  règle  de  la  justice  en  toutes  choses 
en  servant  d'exemple  déquanimité,  bonté  et  prudence  à  un  chacun,  ils 
emploieraient  le  temps  plus  honorablement  et  utilement  qu'aucun  ne 
font  à  se  partialiser  et  exercer  leurs  passions  si  publiquement  et  hon- 
teusement qu'ils  font  au  grand  scandale  d'un  chacun  et  aux  dépens  du 
service  du  roi,  de  la  vie  et  personne  duquel  ils  feraient  par  effet  paraître 
avoir  plus  de  soin  et  de  crainte  qu'ils  ne  publient  parleurs  écrits;  car 
c'est  le  vrai  moyen  de  détruire  la  Ligue  tout  à  fait  et  tirer  S.  M.  des 
ordinaires  dangers  de  la  guerre.,  en  laquelle  il  semble  qu'ils  la  veuillent 
perpétuer.  Je  prie  Dieu,  Monsieur,  qu'il  vous  conserve  en  parfaite 
santé.  » 

(1)  La  lettre  ne  nous  apprend  rien  de  nouveau  sur  la  vie  de  Villeroy, 
tant  elle  contient  sur  l'affaire  Salcède,    et   sur  les   négociations 

d'Epernay,  quelques  détails  intéressants  qui  ne  sont  point  dans  les 
apologies.  L'auteur  parle  aussi  plus  abondamment  de  sa  situation  de 
fortune  sous  la  Ligue. 

(2)  Deux    ou  trois   fois  il  prend  directement  à  partie  quelques-uns 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  26  1 

doute  et  qui  lui  font  éprouver  une  inquiétude  qu'il  ne  peut 
parvenir  à  cacher.  Il  prend  du  Vair  à  témoin  de  la  pureté  di- 
ses intentions,  et  il  a  l'habileté,  en  plaidant  sa  cause  devant 
l'honnête  parlementaire,  d'employer  les  arguments  mêmes 
de  du  Vair.  Sans  doute,  il  n'aurait  point  dû  se  compromettre 
dans  la  Ligue  ;  mais  du  Vair  n'a-t-il  pas  reconnu,  dans  son 
traité  de  la  Constance,  qu'il  y  a  des  cas  où  il  faut  faire  flé- 
chir les  principes  les  plus  rigoureux  :  «  Votre  même  livre 
nous  avertit  certes  très  justement,  que  les  intérêts  particu- 
liers ne  peuvent  excuser  ceux  qui  adhèrent  aux  auteurs  de 
la  calamité  publique  ;  toutefois  après,  comme  expérimenté, 
il  nous  pose  des  cas  qu'il  estime  dignes  de  quelque  consi- 
dération et  excuse,  entre  lequels  si  celui  que  je  vous  pré- 
sente ici  m'avoir  forcé  de  franchir  le  saut  mérite  d'être 
compris,  je  vous  en  remets  le  jugement  et  vous  supplie 
m'en  mander  votre  avis.  » 

Du  Vair  fit  à  Villeroy  une  longue  et  belle  réponse  (1).  Il 
lui  dit  la  profonde  estime  que  tous  les  honnêtes  gens  avaient 
pour  son  caractère  et  sa  vie.  Parmi  eux,  nul  n'avait  cru  sé- 
rieusement aux  accusations  de  Salcède  :  on  savait  aussi 
qu'Henri  III  l'avait  renvoyé  avec  ses  autres  serviteurs  parce 
qu'il  avait  changé  de  politique  à  l'égard  des  Guises.  «  Il  a 
pensé  de  changer  de  médecins  pour  avoir  plus  tost  guari- 
son,  car  en  tels  accidens  le  changement  semble  remède.  » 
Quant  à  son  adhésion  à  la  Ligue,  du  Vair  eût  souhaité, 
malgré  toutes  les  circonstances  atténuantes,  que  Villeroy 

des  auteurs  (qu'il  ne  nomme  pas)  :  «  Combien  que  j'aie  peut-être  plus 
veillé  et  travaillé...  pour  servir  le  public  et  moins  joué  ou  taverne 
que  ce  censeur  et  ses  compagnons  »...  «  Tel  me  gronde  maintenant 
qui  l'a  peut-être  éprouvée  [mon  assistance]  à  son  avantage  plus  d'une 
fois  dont  il  devrait  pâlir  ou  noircir  de  honte  plus  que  je  ne  dois  être 
dépité  de  son  ingrate  malice.  »  11  parle  plus  loin  du  «  pinceau  envieux 
de  ce  détracteur  »,  des  «  traits  hardis  de  son  outrecuidance  »  et  dit 
qu'il  sèche  ou  crève  de  dépit  de  la  bonté  de  S.  M.  dont  il  s'efforce  de 
la  dégoûter,  tant  sa  passion  le  transporte.  » 

(1)  Elle  a  été  publiée  aussi  par  Sapey,  dans  l'appendice  de  ses  Eludes 
biographiques. 


VILLEROY 


n'eût  point  fait  ce  saut.  Mais  «  Dieu  a  montré  depuis  que 
c'estoit  un  des  principaux  moiens  par  lesquels  il  voulait 
sauver  cet  estât.  »  Il  lui  prouvait  aussi  que  lui-même  n'avait 
pas  été  épargné  par  l'envie,  malgré  les  services  rendus  au 
public  pendant  la  Ligue  (1).  Mais  tout  en  rendant  justice 
à  son  ami,  du  Vair  ne  pouvait  s'empêcher  de  blâmer  dou- 
cement sa  susceptibilité.  Villeroy  étaitbien  peu  philosophe  : 
devait-on  «  s'offenser  des  injures  qui  sont  jettées  en  public, 
sans  auteur...,  mesmes  de  celles  qui  sont  générales  et  par 
forme  de  bouffonneries  »  ?  N'était-ce  pas  «  chose  indivi- 
sible que  le  gouvernement  et  la  calomnie  »  ?  El  Villeroy 
avait-il  si  peu  «  proffité  en  l'expérience  du  monde  »  pour 
trouver  étrange  de  «  sentir  la  détraction  »  ?  A-t-il  perdu 
déjà  le  souvenir  des  temps  de  licence  effrénée  dont  nous 
sortons  et  ne  devrait-il  pas  être  endurci  contre  la  médi- 
sance? N'a-t-il  pas  pour  lui  une  «  saine  et  entière  cons- 
cience ?  »  «  Vous  l'avez,  Monsieur,  ajoutait  du  Vair  et  outre 
le  témoignage  que  l'intérieur  de  votre  âme  vous  en  rend, 
vous  avez  celui  de  tous  les  gens  d'honneur  qui  vous  le  con- 
firment ;  c'est  de  ce  jugement  là  que  vous  devez  faire  cas, 
tout  le  reste  n'est  rien.  » 

On  a  remarqué  ce  qu'avait  de  piquant  cet  échange  de  pa- 
roles louangeuses  et  consolatrices.  «  On  ne  peut  se  défendre 
de  sourire,  dit  M.  Radouant,...  quand  on  voit  celui-là  [Du 
Vair]  dont  on  aurait  pu  instruire  le  procès,  renvoyer  ab- 
sous  son  ami,  non  sans  l'avoir  toutefois  admonesté  (2).  » 


(1)  Après  avoir  énuraéré  ses  propres  services,  du  Vair  ajoutait  : 
«  Ils  disent  que  je  suis  un  finet,  que  tout  ce  que  j'ai  fait  ça  été  pour  me 
conserver  et  sans  aucun  hasard,  tâchant  de  plaire  à  tous  les  deux 
côtés.  C'est  pour  vous  dire  que  si  moi  qui  ne  suis  qu'un  écolier  cou- 
vert de  ma  solitude  et  de  l'ombre  de  mon  étude  et  dont  la  fortune  me- 
nte plutôt  pitié  qu'envie  ne  puis  néanmoins  éviter  les  traits  venimeux 
de  la  calomnie  et  malignité,  comment  vous  en  pourriez-vous  exempter, 
vous,  <lis-je,  Monsieur,  qui  avez  eu  parle  passé  une  fortune  si  éclatante 
que  le  lustre  en  peut  faire  mal  aux  yeux  des  envieux...  » 

(2)  Radouant,  Guillaume  du  Vair,  p.  395. 


LE    NÉGOCIATEUR    DES    POLITIQUES  263 

Evidemment,  Du  Vair  a  eu  lorl  d'insister  un  peu  trop,  au 
cours  de  sa  lettre,  sur  le  regret  qu'il  avait  éprouvé  avoir 
Villeroy  «  franchir  le  saut  »,  alors  que  lui-même  était  cou- 
pable d'avoir  désobéi  formellementau  roi  en  restant  à  Paris 
au  Parlement  après  les  Barricades.  Mais  il  écrivait  une 
profession  de  foi  royaliste  destinée  à  être  lue  par  d'au  Ires 
que  Villeroy,  comme  Villeroy  avait  écrit  pour  d'autres  que 
du  Vair.  Et  Ton  comprend  aisément  que  tous  deux  aient 
glissé  sur  leur  faute  initiale  et  n'aient  raconté  que  leurs 
actes  de  patriotisme. 

Du  Vair  n'avait  pas  attendu  la  lettre  de  Villeroy  pour 
estimer  que  son  ami  avait  été  injustement  traité  dans  la 
Satire.  Il  en  parla  aux  auteurs  qui  alléguèrent  que  l'ou- 
vrage avait  été  imprimé  à  Tours,  avant  la  réduction  de 
Pari-.  «  auquel  temps  on  pensoit  tout  estre  licite  contre 
ceux  qu'on  tenoit  pour  ennemis  »  il).  Sur  sa  seule  remon- 
trance, il  y  fut  mis  ordre.  Le  tableau  fut  supprimé  et  rem- 
placé dans  les  éditions  suivantes  par  l'inoffensif  H  bizarre 
tableau  de  la  Loi  Salique,  «  une  vieille  dame  habillée  à 
l'antique  Gauloise  »  contre  laquelle  s'escrimait  Inigo  de 
Mendoza  vêtu  en  «  Docteur  fourré  d'hermine  avec  un  ca- 
puchon rouge».  La  substitution  fut  faite  dans  la  IV  édition 
de  la  Satire  qui  parut  à  la  fin  de  1594  à  Paris.  L'impri- 
meur, dans  son  deuxième  advis,  dit  que  l'auteur  était  bien 
marri  d'avoir  laissé  certains  passages  pouvant  «  offenser 
des  personnes  de  qualité  qui  y  sont  nommées  ou  désignées, 
car  ceux  qui  ont  reconnu  et  amande  leurs  fautes  méritent 
qu'on  en  supprime  et  ensevelisse  la  mémoire  plutôt  que  la 
rafraîchir  et  perpétuer  par  des  écrits  piquants  et  facétieux». 
Il  ajoute  qu'il  continuera  à  démasquer  les  traîtres,  à  appe- 


(1)  Du  Vair  nous  apprend  au  début  de  sa  lettre  que  sa  démarche  ne 
rencontra  pas  la  moindre  résistance  :  «  Enfin,  je  les  voyais  tous  d'ac- 
cord qu'il  fallait  supprimer  cela,  et  sur  ma  seule  remontrance  il  y  fut 
mis  ordre.  »  Et  plus  haut  :  »  Jr  n'ai  trouvé  personne  qui  ne  l'ait  reçue 
[ma  plainte]  avec  regret  de  vous  voir  si  indignement  traité.  » 


264  VILLEROY 

1er  le  pain  pain  et  les  figues  figues,  mais  qu'il  effacera  «  les 
noms  de  ceux  qui  se  sont  rendus  bons  serviteurs  du  roi»  (1). 
Ainsi  se  termina  cet  incident,  à  l'entière  satisfaction  de 
Villeroy.  En  cette  occasion  il  n'avait  pas  imité  la  sereine 
indifférence  de  son  ami  Jeannin  qui  avait  été  lui  aussi  inju- 
rié mais  jamais  ne  se  soucia  de  voir  son  nom  effacé  du  cé- 
lèbre pamphlet. 


(1)  C'est  l'édition  de  159  pages  in-8°.  —  Une  courte  note  de  Dupuy 
nous  a  appris  que  les  plaintes  de  Villeroy  avaient  fait  supprimer  son 
tableau. 


QUATRIEME  PARTIE 

LE  MINISTRE  D'HENRI  IV 

(1594-1610) 


CHAPITRE  Ier 
V1LLEROY  AU  POUVOIR 

Villeroy  rappelé  dans  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat  (25  sep- 
tembre 1594).  Ses  rapports  avec  Henri  IV.  «  Le  bon  serviteur.  » 
—  II.  Villeroy  conseiller.  Le  conseil  des  affaires  sous  Henri  IV. 
Les  ministres  :  Bellièvre,  Jeannin,  Sillery,  Sully,  Villeroy.  — 
III.  Les  deux  chefs  de  la  politique  :  Sully  et  Villeroy.  Diffé- 
rences de  condition  sociale,  de  religion,  de  tempérament.  Con- 
flits, querelles  et  ententes.  —  IV.  L'autorité  suprême  d'Henri  IV. 
Le  roi  gouverne  sans  premier  ministre  et  «  fait  la  loi  à  tout  son 
royaume.  » 


Le  25  septembre  1594,  Villeroy  reprit  la  charge  de  secré- 
taire d'Etat  qu'il  avait  exercée  pendant  près  de  vingt  et 
un  ans,  du  12  novembre  1567  au  8  septembre  1588,  et  qu'il 
allait  conserver,  sans  interruption,  vingt-deux  autres 
années,  jusqu'au  mois  d'août  1616. 


266  VILLEROY 

Son  prédécesseur,  Louis  Revol,  avait  été  un  honnête  et 
fidèle  serviteur  d'Henri  III  et  d'Henri  IV.  On  avait  apprécié 
son  zèle  dans  les  préparatifs  de  l'exécution  des  Guises,  et, 
tout  récemment,  dans  les  conférences  de  Suresnes  où  il 
avait  utilement  servi  d'intermédiaire  entre  les  députés  et  le 
roi.  C'était  le  type  du  bon  employé,  intelligent,  mais 
«  homme  de  peu  de  monstre  »  et  qui  n'avait  pas  eu  l'occa- 
sion, ni  peut-être  le  désir  de  jouer  un  rôle  original,  au- 
dessus  de  sa  charge.  Henri  IV  le  regretta  beaucoup.  Il  avait 
apprécié  en  lui  un  extraordinaire  désintéressement,  car 
Revol  «  craignait  Dieu  et  avait  l'âme  droite,  outre  l'ordi- 
naire des  courtisans  de  sa  profession.  On  ne  lui  trouva 
d'argent  que  vingt-six  écus  »  (1).  Rien  ne  fut  changé  aux 
attributions  de  l'office.  Villeroy  eut  dans  son  département 
tous  les  pays  étrangers,  comme  il  était  spécifié  dans  le  règle- 
ment du  1er  janvier  1589.  Aucune  province  française  ne 
dépendait  de  lui  et  il  pouvait  se  consacrer  entièrement  à  la 
correspondance  avec  les  ambassadeurs  et  aux  relations 
avec  les  représentants  des  puissances  (*2).  C'était  le  plus 
spécialisé  des  secrétariats  et  le  plus  semblable  aux  minis- 
tères modernes.  Les  autres  secrétaires  se  partageaient  la 
correspondance  avec  les  différentes  parties  du  royaume. 
L'un  avait  Paris,  l'Ile-de-France  et  le  Rerry,  un  second  la 
Guyenne  et  la  Gascogne,  le  Périgord,  l' Auvergne  et  le 
Rourbonnais,  le  Nivernais,  la  Rourgogne,  la  Champagne, 
la  Rrie,  la  Picardie,  la  Normandie  et  la  Rretagne.  un 
troisième  le  Languedoc  et  la  Provence,  le  Dauphiné.  le 
Lyonnais,  Forez  et  Reaujolais,  Metz,  Orléans,  le  Maine, 
la  Touraine,  l'Anjou,  le  Poitou,  la  Saintonge  et  l'Angou- 
mois.  De  plus  celui  qui  correspondait  avec  Paris,  l'Ile-de- 
France  et  le  Rerry  avait  à  s'occuper  particulièrement  des 
états  de  la  maison  du  roi  et  des  états  de  la  guerre.  Cesecré- 


(1)  L'Estoile,  t.  VI,  p.  22S-230. 

(2)  F.  Fr.  1S.243,  fo  55. 


LE    MINISTRE    D  HENIU    IV 


267 


tariat  aurait  pu  passer  pour  une  première  forme  du  minis- 
tère de  la  maison  du  roi  et  de  la  guerre,  si  chacun  des 
autres  secrétaires  n'eût  conservé  le  pouvoir  de  faire  toutes 
les  expéditions  nécessaires  aux  mouvements  de  troupes, 
aux  garnisons,  etc.  dans  les  pays  de  son  département. 

Les  trois  collègues  de  Villeroy  furent  d'excellents  secré- 
taires qui  remplissaient  consciencieusement  leur  tûche, 
sans  témoigner,  semble-t-il,  d'exceptionnelles  qualités  et 
sans  cherchera  conquérir  d'influence  personnelle  en  dehors 
de  leurs  attributions. 

Martin  Ruzé,  sieur  de  Beaulieu,  avait  été  attaché  comme 
secrétaire  à  la  personne  du  duc  d'Anjou  qui  le  conserva 
près  de  lui  quand  il  fut  roi  de  Pologne,  puis  roi  de  France. 
Il  avait  élé  créé  secrétaire  des  finances,  au  retour  de  la 
Pologne,  avec  entrée  au  conseil,  et  après  le  coup  d'état 
ministériel  de  septembre  88,  secrétaire  d'Etal.  Il  reçut 
aussi  des  dépouilles  de  Villeroy,  la  charge  de  grand-tréso- 
rier de  l'Ordre  du  Saint-Esprit,  qui  lui  assura  la  préémi- 
nence parmi  ses  collègues,  et  il  la  conserva  sous  Henri  IV 
qui  permit  cependant  à  Villeroy,  par  une  dérogation  aux 
usages,  de  reprendre  le  cordon  bleu  ;  ce  fut,  dit  Saint- 
Simon,  «  le  premier  exemple  d'un  cordon  bleu  sans 
charge  (1)  ».  Jusqu'à  sa  mort,  en  1613,  il  administra  avec 
fidélité  son  département  qui  comprenait  les  états  de  la 
maison  du  roi  et  ceux  de  la  reine,  Paris.  l'Ile-de-France  et 
le  Berry.  Il  était  riche  et  passait  pour  honnête  et  se  conten- 
tait de  remplir  scrupuleusement  les  devoirs  de  sa  tâche  (2). 

Louis  Potier,  seigneur  de  Gesvres.  était  un  ancien  ami 
de  Villeroy,  qui  l'avait  introduit  dans  l'administration  sous 


(1)  Saint-Simon,  Mémoires,  TA.  Boislile,  t.  XI,  p.  198.  Voir  aussi 
l'appendice,  p.  439  et  suiv.  L'ordre  du  Saint-Esprit  et  ses  grands 
officiers  (Fragments  inédits  de  Saint-Simon). 

(2)  P.  Duodo,  Relazione  di  Francia,  1598,  dans  Alberi,  Le  relazioni 
degliambasciatori  veneti  alsenato  durante  il secolo decimosesto...  in-8, 
1863,  t.  XV  ^appendice),  p.   193. 


268  VII.LEROY 

Charles  IX  et  l'avait  fait  travailler  dans  ses  bureaux.  Il 
était  devenu  secrétaire  des  finances  en  1567,  puis  secré- 
laire  du  conseil  en  1578,  et  enfin  secrétaire  d'Etat,  quand 
Henri  III,  qui  n'avait  d'abord  nommé  que  Ruzé  et  Revol, 
rétablit  les  deux  autres  charges  (23  février  1589).  Il  fut, 
comme  Beaulieu,  un  bon  commis,  chargé  de  corres- 
pondre avec  les  provinces  méridionales  de  la  France.  Il 
était  instruit  et  très  riche.  Il  exerça  sa  charge  jusqu'en 
1606,  après  s'être  signalé  dans  quelques  missions  délicates, 
telles  que  les  négociations  entre  Mercœur  et  le  roi  à  la  fin 
de  la  Ligue  et  l'instruction  du  procès  de  Biron. 

Le  plus  remarquable  des  secrétaires  d'Etat  après  Vil- 
leroy  était  Pierre  Forget,  sieur  de  Fresnes,  ancien 
secrétaire  du  roi  de  Navarre  et  ancien  secrétaire  des 
finances  d'Henri  III,  qui  reçut, en  1589,  la  correspondance 
des  provinces  septentrionales  du  royaume.  Lorsque  le  roi, 
à  la  mort  de  François  d'O,  créa  un  conseil  de  neuf  membres 
chargés  de  remplacer  le  surintendant,  il  y  fit  entrer  seul 
parmi  les  secrétaires  d'Etat,  de  Fresnes,  protégé  par  Ga- 
brielled'Estrées,qui  était  la  cousine  germaine  de  sa  femme. 
Il  le  mit  aussi  au  nombre  des  membres  du  Conseil  de  di- 
rection des  affaires  et  finances,  qui  travailla  si  utilement 
à  Paris,  pendant  que  le  roi  faisait  campagne  contre  les 
Epagnols  en  Bourgogne  (mai-octobre  1595).  Il  continua  à 
faire  partie  de  ce  conseil  qui  dura  jusqu'à  la  fin  du  règne, 
mais  très  effacé,  sous  la  domination  absolue  de  Sully  (1). 
On  a  attribué  à  Pierre  Forget,  qui  avait  une  certaine  com- 
pétence en  matière  de  finances,  un  plan  de  restauration 
financière  du  royaume  en  1596  (2).  Il  semble  avoir  lutté 
contre  Sully  pour  faire  triompher  ses  idées  personnelles. 
Les   Economies  nous  le  représentent  comme   «  aigre   et 

(1)  N.  Vdluis,  Inventaire  des  arrêts  du  Conseil  d'Etat  (régne  de 
Henri  IV).  Introduction,  pp.  lxx-lxxvi. 

\.  Chamberland,  Un  plan  de  restauration  financière  en  1596 
attribué  a  P.  Forget  de  Ft^esne,  in-8,  1904,  p.  4. 


LE    MINISTRE    d'hENUI    IV  269 

contredisant  »  et  comme  un  de  ceux  qui  faisaient  les 
«  subtils,  intelligents  et  transcendants  en  matière  de 
finances  plus  que  tous  les  autres  »  (1).  Il  avait  aussi  des 
qualités  très  appréciées  de  négociateur.  Il  était  habile  et 
souple  et  on  aimait  à  traiter  avec  lui,  parce  qu'il  était 
agréable  causeur,  modeste,  affable,  et  doué  d'une  char- 
mante courtoisie  (2).  Il  avait  négocié  en  95  raccommode- 
ment du  roi  avec  d'Epernon  ;  en  98,  il  travailla  à  la  rédac- 
tion de  l'Éditde  Nantes  et  pendant  tout  le  règne,  s'occupa 
avec  beaucoup  de  succès  des  affaires  de  la  religion  préten- 
due réformée  (3). 

Le  titulaire  du  secrétariat,  qui  correspondait  avec  les 
pays  étrangers,  n'était  pas  appelé  à  être  un  fonctionnaire 
plus  considérable  que  ses  collègues  par  la  seule  nature  de 
sa  fonction,  bien  qu'elle  eût  plus  d'unité  que  les  autres.  Le 
pouvoir  qu'exerça  Yilleroy  fut  infiniment  supérieur  à  sa 
charge.  Par  la  faveur  d'Henri  IV  il  fut  un  des  conseillers 
les  plu>  influents  du  royaume  et  pendant  tout  le  règne,  un 
des  trois  ou  quatre  personnages  qui,  sous  la  souveraine 
autorité  du  roi,  dirigèrent  les  affaires  de  la  France. 

C'est  à  tort  qu'on  parle  d'indulgence,  d'oubli  du  passé, 
pour  caractériser  les  sentiments  du  roi  à  l'égard  de  son  mi- 
nistre. Sans  doute,  Henri  IV  avait  un  de  ces  heureux:  ca- 
ractères à  qui  les  longues  rancunes,  la  rigueur  continue 
pour  des  fautes  anciennes  sont  insupportables.  Il  accor- 
dait facilement  le  pardon  sollicité.  Tout  entier  au  présent 


(1)  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  192. 

(2)  P.  Duodo,  Relasione,  Ibid.,  p.  192. 

(3)  De  Luçay,  Les  Secrétaires  d'Etat...  p.  33.— Il  n'y  a  pas  d'études 
spéciales  consacrées  aux  personnages  dont  nous  avons  parlé.  Les  notices 
les  plus  étendues  sont  dans  la  relation  de  Pietro  Duodo.  Il  faut  con- 
sulter aussi  Fauvelet  du  Toc,  Histoire  des  secrétaires  d'Etat...  et  trois 
mss.  du  F.Fr.  :  le  n<>  4591  «.  Mémoire  de  rétablissement  des  secrétaires 
d'Etat  »  et  les  nos  7225  et  722C  des  Nouv.  Acq.  fr.  «  Recueil  de  règle- 
ments faits  pour  la  maison  du  roi  ». 


270  VILLEROY 

et  à  l'avenir,  il  ne  songeait  plus  qu'aux  services  que  pou- 
vait rendre  le  nouveau  venu  dans  sa  grâce,  et  il  le  cares- 
sait parfois  de  manière  à  rendre  jaloux  les  vieux  et  fidèles 
serviteurs.  Ainsi  agit-il  avec  les  anciens  chefs  et  gouver- 
neurs de  la  Ligue.  Mais  il  était  trop  intelligent  pour  consi- 
dérer comme  un  ancien  ennemi  repentant  et  rallié  ce  Yil- 
leroy  qui  pendant  cinq  ans  avait  négocié  d'un  camp  à 
l'autre,  haï  des  ligueurs  et  des  Espagnols,  cet  homme 
d'Etat  si  profondément  royaliste  qui  avait  vu  triompher  sa 
politique  avec  la  conversion  de  son  roi.  Est-ce  un  senti- 
ment de  reconnaissance  qui  lia  le  roi  à  son  ministre  ?  Pas 
davantage,  semble-t-il,  car  Henri  IV,  sans  avoir  toute 
Tingratitude  quedes  contemporains  lui  ont  reprochée,  ou- 
bliait presque  aussi  facilement  les  services  que  les  injures 
quand  on  ne  lulrappelait  pas  avec  insistance,  et  se  montrait 
alors  assez  disposé  à  les  payer  en  caresses,  en  bonnes  pa- 
roles, voire  en  gasconnades. 

Dans  ses  rapports  avec  Villeroy,  Henri  IV  se  gouverna 
par  la  raison.  Il  le  rappela  aux  affaires  et  ne  cessa  de  lui 
témoigner  confiance  et  estime,  parce  qu'il  le  considérait 
comme  très  utile  au  service  de  l'Etat.  L'historiographe  de 
Henri  IV,  P.  Matthieu,  qui  vécut  dans  la  familiarité  de  Vil- 
leroy, nous  a  rapporté  un  certain  nombre  de  mots  du  roi 
sur  son  ministre.  «  Les  princes,  disait-il,  ont  des  serviteurs 
à  tout  prix  et  de  toute  façon  ;  les  uns  font  leurs  affaires 
premier  que  celles  de  leurs  maîtres,  les  autres  font  celles 
du  maître  et  n'oublient  les  leurs  ;  mais  Villeroy  croit  que 
celles  de  son  maître  sont  les  siennes  et  y  apporte  la  même 
passion  qu'un  autre  en  sollicitant  son  procès  ou  travaillant 
à  sa  vigne  (1).  »  Après  le  retour  du  ministre  au  pouvoir, 
le  roi  aimait  à  répéter  :  «  J'ai  fait  aujourd'hui  plus  d'af- 
faires avec  M.  de  Villeroy  que  je  n'en  avais  fait  avec  les 
autres  en  six  mois  »  (2),  et,  après  la  solution  d'une  impor- 

(1)  Matthieu,  Remarques  (V Estai.. .,  p.  278. 

(2)  Ibid.,  p.  271. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  271 

tante  affaire  :  «  Yilleroy  me  l'avait  bien  dit  ;  cela  s'est  fait 
tout  comme  Villeroy  l'avait  prévu  »  (1).  Un  jour,  nous  dit 
Sully,  Henri  IV  traça  lui-même,  devant  une  partie  de  la 
Cour, le  portrait  de  ses  trois  ministres  favoris  et  après  avoir 
dit  les  raisons  de  son  attachement  à  Sully  et  à  Sillery,  dit, 
en  parlant  de  Villeroy  :  «  Quant  au  troisième,  il  a  une  grande 
routine  aux  affaires  et  connaissance  entière  de  celles  qui 
ont  passé  de  son  temps,  èsquelles  il  a  été  employé  dès  sa 
première  jeunesse  :  plus  que  nul  des  deux  autres,  tient  un 
grand  ordre  en  l'administration  de  sa  charge,  et  en  la  por- 
tion et  distribution  des  expéditions  qui  ont  à  passer  par 
ses  mains,  a  le  cœur  généreux,  n'est  nullement  adonné  à 
l'avarice  et  fait  paraître  son  habileté  en  son  silence  et 
grande  retenue  à  parler  en  public...  »  (2).  Le  désintéresse- 
ment n'était  pas  la  qualité  essentielle  qu'appréciait  Hen- 
ri IV  ;  il  comprenait  fort  bien  qu'on  fit  ses  affaires  en  fai- 
sant celles  de  l'Etat.  Au  moins  cette  modération  était-elle 
une  preuve  nouvelle  de  la  sincérité  du  ralliement  de  Ville- 
roy revenu  à  son  roi,  par  principe,  et  non  par  cupidité. 

Dans  les  portraits  de  Villeroy  esquissés  par  les  ambassa- 
deurs vénitiens,  ceux-ci  ont  insisté  sur  les  qualités  du  mi- 
nistre qui  plaisaient  au  roi.  Angelo  Badoer,  en  1605,  parle 
de  son  expérience  des  choses  passées  (esperienza  délie  cose 
passate),  de  sa  vieille  prudence  (invecchiataprudenza)  (3)  ; 
Pietro  Priuli,  en  1608,  vanta  l'étendue  de  son  esprit  (vas- 
tita  del  suo  ingenio)  (4)  ;  l'Anglais  Carew  montre  combien 


(1)  Ibid.,  p.  281. 

(2)  Ec.  Roy.,  II,  pp.  289-290.  Ces  trois  portraits  insérés  dans  les 
Economies  Royales  sont  très  remarquables.  On  sait  que  Sully  asouvent 
exagéré  les  éloges  que  le  roi  lui  adressait  et  n'a  pas  toujours  résisté  à 
la  tentation  de  dénigrer  ses  adversaires.  C'est  la  seule  fois  que  l'on 
trouve  dans  l'œuvre  de  Sully  un  réel  éloge  de  Villeroy  et  une  réelle 
critique  des  défauts  de  Sully  que  le  roi  dépeint  comme  d'humeur  rude, 
présomptueux,  avide  d'argent  el  d'honneurs. 

(3)  Iîerchet,  série  II,  t.  I,  p.  119. 

(4)  /OicL,  p.  231. 


Henri  IV  appréciait  l'intelligence  vigoureuse  et  la  longue 
expérience  de  celui  qui  était  le  doyen  au  chapitre  de  tous 
les  hommes  d'Etat  de  la  Chrétienté  (the  dean  in  chapter 
of  ail  the  statesmen  in  Christendom  (1).  L'admiration  pour 
la  vieille  expérience  de  Villeroy  et  son  intelligence  poli- 
tique suffit  donc  à  expliquer  rattachement  de  raison 
d'Henri  IV  pour  son  ministre. 

Il  faut  ajouter  que  tout  en  se  rendant  utile  à  son  maître, 
Villeroy  savait  lui  être  agréable.  Ce  ministre  fier  et  suscep- 
tible avec  tout  le  monde,  se  montrait  extrêmement  souple, 
doux  et  insinuant,  quand  il  travaillait  avec  le  roi.  Nous  ver- 
rons plus  d'une  fois  comment,  dans  le  domaine  de  la  poli- 
tique étrangère,  il  sut  faire  triompher  ses  opinions  person- 
nelles, en  les  suggérant  avec  dextérité  au  roi.  Il  ne  heurtait 
pas  de  front  les  opinions  d'Henri  IV.  Quand  il  n'approuvait 
pas,  il  gardait  le  silence;  et  ce  silence  disait  beaucoup  de 
choses,  de  l'aveu  même  du  roi.  Quand  ce  dernier  avait 
souverainement  décidé,  le  ministre  se  soumettait  avec  bonne 
grâce,  sans  arrière-pensée,  non  en  courtisan,  mais  en 
homme  de  gouvernement.  «  Il  est  certain,  écrivait-il  à  La 
Boderie,  que  souvent  l'on  muse  après  une  chose  que  l'on  a 
méprisée,  principalement  à  la  conduite  desaffaires  du  mon- 
de, mais  un  serviteur  en  est  quitte  quand  après  ses  raisons 
et  remontrances,  il  obéit  à  son  souverain  (2).  y>  «  Il  faut  que 
nous  servions  nos  maîtres  comme  il  leur  plaît  et  croire  que 
Dieu  inspire  eu  eux  les  conseils  qu'ils  prennent  et  préfèrent 
à  ceux  de  leurs  serviteurs  (3).  »  Cette  soumission  était  celle 
d'une  intelligence  à  une  autre  intelligence  ;  car  Villeroy, 
comme  Sully  et  les  plus  raisonnables  de  ses  contemporains, 

(1)  Carew,  A  relation  of  the  stale  of  France...  1609,  appendice  a 
Th.  Birch,  An  historical  view  of  the  negotiations  between  the  courts 
of  England,  France  and,  Brussels  from  the  year  1592  to  1617, 
London,  in-8o,  1749,  p.  489). 

(2)  Villeroy  à  La  Boderie,  22  février  1610,  Lettres  à  La  Boderie,  t. 
II,  p.  79. 

(3)  Ibid.,  20  mars  1610,  t.  II,  p.  124. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  273 

éprouvait  une  sincère  admiration  pour  la  sagesse  "de  son 
prince  (1).  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  le  roi,  enchanté 
de  ces  façons,  aimât  à  redire  :  «  Il  faut  avouer  que  M.  de 
Villeroy  est  un  bon  serviteur  et  bien  agréable  »  (2). 

Ces  relations  invariablement  bonnes  entre  le  roi  et  son 
ministre  n'allèrent  jamais,  semble-t-il,  jusqu'à  une  très 
grande  familiarité.  Il  n'exista  jamais  entreeux  cette  nuance 
d'intimité  qui  marqua  l'amitié  du  roi  et  de  Sully.  Ils  n'eu- 
rent jamais  non  plus  de  ces  disputes  de  vieux  amis  qui 
toujours  se  querellent  et  sont  inséparables.  Sully  était 
pour  Henri  IV  un  vieux  compagnon  d'armes  qui  avait  vécu 
une  partie  de  sa  jeunesse  avec  lui,  dans  la  même  foi  reli- 
gieuse :  c'était  1'  «  ami  »,  le  confident  aux  façons  souvent 
brusques,  et  au  ton  rogue  qu'il  aimait  malgré  tous  ses  dé- 
fauts, à  cause  de  sa  fidélité  passionnée.  Nous  ne  sachons 
pas  que  Villeroy  ait  reçu  de  ces  confidences  que  le  roi  ai- 
mait à  faire  à  Sully  dans  ses  moments  de  découragement, 
ni  qu'il  ait  été  consulté  avec  autant  d'assiduité  dans  les 
affaires  relatives  à  la  vie  privée  du  maître.  Villeroy  n'avait 
vécu  qu'avec  Henri  III  dans  une  telle  intimité,  à  certaines 
époques.  Il  ne  fut  pas  le  «  favori  »  d'Henri  IV  ;  mais  ce- 
pendant, le  roi  eut  toujours  pour  lui  une  grande  estime, 
une  affection  réelle  et  durable,  une  amitié  qui  se  gouver- 
nait aussi  par  la  raison  (3). 


(1)  Citons  quelques  lignes  d'une  lettre  où  Sully  disait  à  Villeroy  en 
octobre  1608,  à  propos  des  négociations  aux  Pays-Bas  :  «  Ces  délibé- 
rations doivent  venir  du  maître  qui  en  juge  plus  certainement  que  nul 
autre  et  qui  en  cette  matière  peut  faire  la  loi  à  tout  son  royaume.  » 
—  (Ec.  Boy.,  t.  II,  p.  255.) 

(2)  Matthieu,  Remarques  d'Estat,  p.  -2~-2. 

(3)  Sully  a  exagéré  la  note  de  son  intimité  avec  le  roi.  Il  se  fait 
souvent  appeler  mon  amy  dans  des  lettres  qui  commencent  simplement 
par  «  Monsieur  de  Rosny  ».  Il  a  aussi  dramatisé  quelques  confidences. 
Ce  ne  sont  que  des  exagérations  (Voir  Ptister,  Les  Economies  royales  et 
le  Grand  Dessein  de  Henri  IV,  Rev.  Hist..  1894>.  Il  y  eut  entre  eux 
une  réelle  intimité  prouvée  par  des  faits  indiscutables  et  les  témoi- 
gnages   contemporains.   En    1608,     Priuli    écrivait  :    «    M.    di    Rosni 

Villeroy  18 


274  V1LLER0Y 


II 


Cette  «  raison  »  du  prince  qui  fit  de  Villeroy  un  ministre 
puissant  limita  ce  pouvoir.  Henri  IV  ne  voulut  jamais  se 
confier  à  un  seul  homme.  Comme  il  le  dit  lui-même,  il  sut 
se  servir  des  conseils  de  ses  bons  serviteurs  «  les  tempérant 
comme  il  appartient  et  modérant  l'excès  de  leurs  diverses 
passions  »  (1).  Si  nous  voulons  mesurer  avec  précision  l'in- 
fluence exercée  par  Villeroy,  nous  devons  d'abord  connaître 
les  autres  conseillers  du  roi. 

Le  conseil  des  affaires  qui  dirigeait  la  politique  intérieure 
et  extérieure  du  royaume  se  composa  sous  Henri  IV  d'un 
petit  nombre  de  personnages  soigneusement  choisis  par  le 
roi  dans  une  élite  de  «  gens  consommés  dans  la  connais- 
sance de  toutes  sortes  d'affaires  par  l'âge  et  les  emplois 
qu'ils  avaient  eus  »(2),etqui,  à  l'exception  de  Sully,  étaient 
de  petite  naissance.  On  comptait  parmi  eux  en  1605  d'ex- 
cellents serviteurs  qui  s'étaient  d istingués  dans  des  missions 
de  confiance  à  l'intérieur  du  royaume  ou  dans  des  ambas- 
sades (3)  :  Guillaume  de  L'Aubespine,  baron  de  Chateau- 
neuf,  le  fils  du  secrétaire  d'état  Claude  de  L'Aubespine,  et 
le  beau-frère  de  Villeroy  était  le  Chancelier  de  la  Reine,  et 
le  doyen  du  Conseil. 

Les  princes  du  sang,  les  hommes  d'Eglise,  les  grands 


vienedal  re  piu  di  ogni  altro  amato...  »  (Berchet,  sér.  II,  t.  I,  p.  229). 
Le  roi  disait  en  1603  à  l'envoyé  toscan  :  «  Que  payerait  le  Grand-Duc 
pour  avoir  un  tel  ministre  ?  »  (Desjardins,  V,  p.  508). 

(1)  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  290. 

(2)  Suivant  l'expression  de  Fontenay-Mareuil,  Mém.  Ed.  Mien.,  p.  19. 

(3)  Voir  les  mémoires  inédits  d'André  Lelevre  d'Ormesson  cités  par 
Chéruel  dans  son  Histoire  de  l'administration  en  France,  1855,  in-S, 
t.  II,  p.  357  et  suiv. 


LE    MINISTRE    d'hENHI    IV  275 

seigneurs  n'entraient  pas  clans  ce  Conseil.  Fontenay-Mareuil 
nous  apprend  que  si  quelque  grand  venait  trouver  le  roi 
pendant  qu'il  tenait  conseil  avec  ses  confidents,  il  devait  at- 
tendre à  l'écart  que  la  séance  fût  achevée  (1).  Toutefois 
Henri  IV  aimait  à  l'occasion  à  parler  de  ses  affaires  avec 
des  princes  ou  des  seigneurs,  et  à  leur  demander  des  avis. 
Il  consultait  parfois  le  connétable  de  Montmorency,  son 
«  compère  »  pour  qui  il  témoigna  une  grande  estime  jus- 
qu'au jour  où  l'attitude  du  vieillard  dans  les  complots  de 
Biron  et  des  d'Entragues  parut  équivoque.  Après  sa 
réconciliation  avec  Mayenne,  le  roi  montra  beaucoup 
de  déférence  pour  les  avis  de  l'ancien  lieutenant-géné- 
ral pour  la  Ligue,  mais  celui-ci  vieilli,  malade  et  désa- 
busé, ne  voulut  plus  prendre  aucune  part  sérieuse  aux  af- 
faires. Le  roi  appréciait  aussi  beaucoup  le  comte  de  Sois- 
sons,  qui,  malgré  son  esprit  brouillon,  avait  une  certaine 
intelligence  des  affaires  ;  mais  Soissons  perdit  tout  crédit 
après  sa  querelle  avec  Sully  (1603).  Henri  IV,  en  s'adressant 
de  temps  en  temps  à  des  grands,  en  dehors  de  son  conseil 
ordinaire,  avait  quelques  arrière-pensées.  Il  agissait  ainsi 
non  par  besoin  de  leurs  lumières,  mais  pour  leur  «  montrer 
confiance  »  et  «  les  obliger  »  (2),  et  aussi  pour  apprendre 
d'eux  ce  quepensait  le  public,  car  Henri  IV  avait  conservé 
de  son  dur  apprentissage  du  métier  de  roi  de  la  mé- 
fiance à  l'égard  des  hommes  :  il  voulait  être  un  prince 
1res  bien  renseigné  et  avait  en  horreur  ce  que  nous  avons 
appelé  les  camarilla  qui  isolent  les  rois  du  reste  de  leurs 
sujets. 

Henri  IV  prenait  conseil  ordinairement  d'une  douzaine 
de  bons  conseillers.  Mais  parmi  ces  douze,  il  y  en  eut  cinq 
qu'il  estima  tout  particulièrement,  et  dont  il  s'inspira  dans 
tous  les  actes  importants  de  son  règne.  Bellièvre,  Jeannin, 


(1)   Fontenay-Mareuil,  Mémoires,  p.  1. 
(2J  Fontenay-Mareuil,  Mém..  p.  19  et  suiv, 


276  VILLEROY 

Sillery,  Villeroy  et  Sully  formèrent  une  sorte   de  Conseil 
étroit  qui   dirigea  la    politique  française. 

Pomponne  de  Bellièvre,  qui  était  devenu  Chancelier  de 
France  en  1599,  à  soixante-dix  ans,  avait  été  l'irréprochable 
serviteur  de  cinq  rois.  C'était  un  vieux  sage  universelle- 
ment respecté  pour  sa  modération,  son  honnêteté,  la  sim- 
plicité de  sa  vie  et  l'inaltérable  douceur  de  son  caractère  (1). 
En  1598,  il  joua  un  rôle  très  actif  comme  plénipotentiaire 
dans  les  négociations  qui  précédèrent  le  traité  de  Vervins, 
et  au  lendemain  de  la  paix,  il  fut  envoyé  avec  Biron  et  Sil- 
lery  auprès  de  l'Archiduc  Albert  pour  la  ratification  du 
traité.  Ce  fut  la  dernière  des  missions  de  ce  vénérable 
diplomate  qui  avait  été  en  Pologne  (1573-74),  aux  Pays-Bas 
(1578-83),  en  Angleterre  (1586),  et  six  fois  en  Suisse  et  au 
pays  des  Grisons  (2).  Ce  fut  l'apogée  de  sa  carrière.  L'âge 
l'alourdit  peu  à  peu. Tout  en  restant  l'objet  d'un  apparent 
respect,  il  vit  grandir  près  de  lui  l'influence  de  ministres 
plus  jeunes  et  plus  ambitieux  qui  finirent  par  le  reléguer 
dans  une  demi-retraite.  En  1605,  il  remit  les  sceaux  à 
Sillery  et  s'en  alla  cultiver  son  jardin  d'Artenay,  estimant 
que  «  un  chancelier  sans  sceaux  est  un  apothicaire  sans 
sucre  »  (3).  Il  mourut  deux  ans  après,  sans  être  tout  à  fait 
consolé,  mais  sans  oser  se  plaindre  trop  haut  (4). 

(1)  Voiries  Historiettes  de  Tallemant  des  Réaux,  t.  I,  qui  contien- 
nent «le  curieuses  anecdotes  sur  Bellièvre. 

(2)8-15  novembre  1500,  août  1562,  avril-septembre  1564,  janvier 
1506,  1570,  fin  1572,,  août  1574.  Voir  E.  Rott,  Les  Missions  diploma- 
tiques de  Pomponne  de  Bellièvre  en  Suisse  et  aux  Grisons  (1560-74). 
Rev.  d'Hist.  diplom.,t.  XIV,  1900. 

(3)  Bassompierre,  Journal  de  ma  vie,  Ed.  Chanterac,  Soc.  Hist.  de- 
France,  in-8o,  1870,  t.  I,  p.  172. 

(4)  «  Chancelier  sans  sceaux,  desquels  le  roy  l'avait  déchargé  quel- 
que temps  auparavant,  à  cause  de  son  âge  :  ne  lui  ayant  rien  ôté  que 
l'exercice  et  la  peine  et  laissé  le  profit,  dont  toutefois  le  bonhomme  ne 
se  pouvait  contenter,  l'ambition  étant  ordinairement  le  dernier  qui 
meurt  en  un  vieil  courtisan  comme  lui,  honoré  des  rois  de  belles  et 
grandes  charges,  dont  il  s'est  toujours  dignement  et  vertueusement 
acquitté.  »   L'Estoile,  t.  VIII,  p.  339. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  277 

Le  président  Jeannin  qui,  après  la  Ligue,  s'était  retiré 
dans  une  petite  maison  de  campagne  en  Bourgogne,  fut 
vite  rappelé  par  Henri  IV  qui  estimait  son  intégrité  et  son 
expérience  politique.  Il  fut  gratifié  de  la  charge  de  Premier 
Président  au  Parlement  de  Bourgogne,  à  condition  d'en 
traiter  et  de  servir  le  roi  au  Conseil.  Ce  fut  l'homme  des 
missions  de  confiance,  plein  de  tact,  de  dextérité,  de  bon- 
homie et  d'un  dévouement  inébranlable  àla monarchie.  A 
l'intérieur,  le  roi  l'envoya  auprès  de  Biron  lors  de  la  conju- 
ration de  1602,  puis  l'employa  à  régler  les  affaires  de  Metz 
et  de  d'Epernon.  Dans  les  affaires  extérieures,  il  lui  fit  trai- 
ter la  paix  de  Savoie,  et  en  1607  l'envoya  en  Hollande,  où 
il  travailla  pendant  près  de  trois  ans  aux  admirables  né- 
gociations qui  aboutirent  à  la  Trêve  des  Pays-Bas.  Il  semble 
que  Jeannin  ait  surtout  consacré  son  activité  à  ces  missions 
spéciales  où  il  déployait  une  habileté  extrême.  Les  ambas- 
sadeurs vénitiens  affirment  que  le  roi  l'employait  moins 
assiduement  à  la  direction  des  grandes  affaires  extérieures 
qui  restaient  le  domaine  de  Villeroy  (1). 

Celui  qui  succéda  à  Bellièvre  comme  garde  des  sceaux, 
en  octobre  1605,  puis  comme  chancelier  en  1607,  l'ut  Méd- 
ias Brulart  de  Sillery.  Cet  ancien  maître  des  requêtes,  de- 
venu en  1595  président  à  mortier  avait  eu  une  belle  carrière 
diplomatique.il  avait  été  délégué  deux  fois  comme  ambas- 
sadeur aux  Cantons  Suisses  et  il  avait  pris  avec  Bellièvre 
une  part  importante  à  la  négociation  du  traité  de  Ver- 
vins.  C'était  un  esprit  juste  et  clair,  assez  instruit,  mais 
sans  profondeur,  un  caractère  doux  et  souple,  beau  parleur, 


(1)  Nous  ne  pouvons  parler  plus  longuement  de  ce  personnage  im- 
portant du  règne  qui  mériterait  une  monographie  spéciale.  Le  F.  Fr. 
et  les  papiers  de  Bellièvre  contiennent  un  grand  nombre  de  lettres  iné- 
dites de  lui.  On  a  publié  dans  les  collections  Buchon  et  Michaud  ses 
négociations  pour  la  trêve  de  L609,  deux  avis  au  roi  sur  la  politique 
extérieure  (l'un  sur  l'affaire  de  Saluées,  l'autre  sur  la  paix  avec  l'Es- 
pagne) et  un  «  discours  apologétique  »  de  sa  conduite  durant  les 
troubles  de  la  Ligue,  sous  Henri  IV  et  sous  Louis  XIII  jusqu'en  1622. 


278  VILLEROY 

bon  courtisan,  affable  et  complaisant  avec  tout  le  monde, 
extrêmement  attentif  au  soin  de  sa  fortune  et  connaissant 
à  merveille  l'art  de  s'insinuer  dans   la  faveur  du  roi  (1). 
Ces!  Villeroy  qui  l'avait  poussé  et  qui  peut-être  lui  avai! 
inspiré  le  désir  de  succéder  à  Bellièvre  comme  chef  de  la 
justice.  Il   le    soutint  très  énergiquement  quand  le  grand 
âge  et  les  fatigues  de  Bellièvre  firent  considérer  sa  succes- 
sion comme  virtuellement  ouverte.  Une  première  intrigue 
aurait  échoué  en  décembre  1603,  si  nous  en  croyons  l'en- 
voyé toscan  (2).  Bellièvre  était   pourtant  un  vieil  ami  de  ■ 
Villeroy  qu'il  avait  assisté  de  ses  conseils,  de  ses  encoura- 
gements, et  de  son  influence  auprès  du  roi,  à  la  fin  de  la 
Ligue.  Il  s'attendait,  nous  dit-on,  à   être  traité  plus  affec- 
tueusement par  son  ami  qu'il  accusa  in  petto  de  trahison. 
Sillery  devenu  garde  des  sceaux  resserra  son  union  avec 
Villerov  par  une  alliance  de  famille.  Son  fils  Pierre  Brulail, 
marquis  de  Sillery  et  de  Puisieux,  épousa  en  16061a  petite- 
fille  de  Villeroy,    Madeleine  de    Neufville,    fille  aînée  de 
d'Alincourt,  et  la  même  année,  le  4  mars,  reçut  la  survi- 
vance de  la  charge  de  secrétaire  d'Etat  de  son  beau-père 
qu'il  exerça  conjointement  avec  lui  (3).  Le  fils  de  Sillery 
travailla  avec  Villeroy  comme  un  collaborateur  qui  rédi- 
ge;! il  et  signait  les  dépêches  quand  Villeroy  était  malade, 


(  1  )  Garew  dit  qu'on  l'appelait  «  le  trésorier  des  promesses  » .  11  trace 
un  portrait  de  ce  ministre  beau  parleur,  grand  prometteur,  prudent, 
patient  et  affable,  avide  d'argent,  très  uni  avec  Villeroy  contre  Sully. 
L'anglais  George  Garew,  au  retour  de  son  ambassade  en  1609,  a  publié 
.1  relation  of  the  State  of  France...  adressée  au  roi  Jacques  I1"'.  Elle 
a  été  publiée  en  appendice  à  An  historial  mur  of  the  négociations bet- 
ween  the  courts  of  England,  France  and  Brussels  from  the  Year  1592 
to  1617,  par  Th.  Birch,  Londres  1749.  C'est  un  document  étranger 
us  à  ajouter  aux  relations  de  F.  Vendramin  (1600),  d'Angelo  Ba- 
i.ii.'i).'  de  Pietro  Priuli  (1608),  aux  dépèches  des  toscans,  de  F. 
d'Aerssen,  de  Pecquius,  etc.,  que  nous  citons  au  cours  de  cette  étude. 

(2)  Desjardins,  t.  V,  p.  525. 

(3)  Fauvelet  du  Toc,  p.  135  et  suiv.   Voir  aussi  F.  Fr.  4591,  fo  115 
et  suiv. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  279 

ou  empêché  par  d'autres  affaires  et  qui  resta  modestement 
à  sa  place  dans  la  dépendance  du  vieux  ministre,  avec  la 
conscience  de  son  inexpérience.  Il  donnait  cependant  l'im- 
pression d'un  jeune  homme  vain  et  vide.  Villeroy  paraît 
1  avoir  surveillé  d'assez  près;  il  continua  à  rédiger  les  dé- 
pêches les  plus  importantes,  et  probablement  il  inspirait  ou 
approuvait  les  autres  (1). 

Cette  union  d'intérêts  renforça  singulièrement  la  puis- 
sance de  ces  deux  hommes  dont  l'un  dirigeait  la  diplomatie 
du  royaume  et  l'autre  était  chef  de  la  justice  et  chef  du 
conseil.  Ils  avaient  les  mêmes  croyances  religieuses  et  les 
mêmes  idées  politiques  et  se  ressemblaient  aussi  par  de 
nombreux  traits  de  caractère.  Toutefois  ils  ne  poursuivaient 
pas  le  même  but  :  le  garde  des  sceaux  était  avide  d'argent 
et  d'avantages  matériels,  Villeroy  était  ambitieux  de  pouvoir 
personnel.  Sillery  avait  subi  de  bonne  heure  l'ascendant  de 
Villeroy.  Au  Conseil  il  était  to  ujours  de  son  avis  ;  quand 
Villeroy  parlait,  Sillery  opinait  immédiatement  dans  le 
même  sens.  Quand  Sillery  disait  autre  chose  que  Villeroy, 
ce  n'était  que  pour  compléter  sa  pensée  ou  pour  la  nuancer. 
Chaque  fois  qu'un  ambassadeur  étranger  décrit  une  séance 
du  Conseil, nous  trouvons  leurs  deux  noms  accolés:  Ville- 
roy et  Sillery  sont  d'avis  que,  Villeroy  et  Sillery  disent... 
Sillery,  écrit  Angelo  Ba'doer  en  1605,  «  a  toujours  été  porté 
par  M.  de  Villeroy  comme  une  créature  dépendante  de  lui», 
quoique  plus  avancé  en  dignité  que  Villeroy,  il  ne  s'op- 
pose jamais  aux  opinions  et  aux  desseins  de  ce  dernier,  «  si 
bien  qu'il  parle  toujours  avec  l'esprit  de  Villeroy  »  (2). 

Tels  étaient  les  personnages  qui,  avec  Sully  et  Villeroy, 
sous  l'autorité  d'Henri  IV,  gouvernèrent  la  France.  Sinous 
voulions  déterminer  en  quelque  sorte]des  zones  d'influence, 


(1)  C'est  ce  que  nous  apprend  le  dépouillement  des  diverses  corres- 
pondances diplomatiques.  Sur  Brulart  de  Siliery  entre  autres  témoi- 
gnages d'étrangers  voir  celui  de  Carew,  p.  484. 

(2)  Berchet,  Relazioni,  Ibid.,  p.  120. 


280  VILLEROY 

il  faudrait  faire  la  moindre  part  à  Jeannin  qui  s'acquitta  de 
missions  déterminées  et  ne  fut  pas  consulté  sur  toutes  les 
grandes  affaires.  Le  chancelier  Bellièvre,  vieux  et  timide, 
vit  son  influence  personnelle  décroître  de  1598  à  1605.  Il 
était  d'ailleurs  en  communauté  d'idées  avec  Villeroy. 
Sillery,  qui  grandit  dans  le  même  temps  et  prit  la  place 
du  chancelier,  resta  volontairement  une  doublure  de 
Villeroy. 

Il  faut  conclure  que  deux  hommes  dirigèrent  princi- 
palement les  affaires  sous  Henri  IV,  Sully  et  Villeroy.  Les 
faits  nous  le  prouveront.  Les  témoignages  des  contem- 
porains sont  unanimes  à  ce  sujet.  Citons-en  quelques-uns 
entre  cent.  Trois  mois  après  le  retour  du  ministre  Villeroy 
au  pouvoir,  Bonciani,  l'envoyé  toscan,  écrit  au  grand-duc  : 
«  Je  ne  laisserai  pas  de  représenter  comment  Villeroy  est 
maintenant  plus  favori  qu'aucun  de  cette  cour  »  (1).  En  juin 
1598,  après  la  paix  de  Vervins,  Francesco  Contarini  va  fé- 
liciter les  plus  hauts  personnages  de  la  Cour  et  commence, 
dit-il,  par  les  consiglieri  'principalissimi  Villeroy,  Bel- 
lièvre,  Sillery,  Bosny  (2).  En  avril  1602,  nous  apprend  l'a- 
gent des  Provinces-Unies  d'Aerssen,  on  se  plaint  qu'il  n'y 
ait  plus  en  France  que  deux  fonctionnaires  tout-puissants, 
Rosny  et  Villeroy  ;  Damville,  le  frère  du  connétable,  est 
chargé  de  faire  parvenir  au  roi  l'expression  du  méconten- 
tement des  grands  (3).  Au  mois  de  mars  1603,  quand  le  roi 
gravement  malade  crut  sa  fin  prochaine,  c'est  Villeroy, 
Rosny  et  Sillery  qu'il  fit  appeler  les  premiers  pour  leur 
faire  d'importantes  recommandations  (4).  A  la  fin  de  sa 
légation,  en  1605,  Angelo  Badoer  décrivant  le  royaume  et 
parlant  des  principaux  ministres,   trace  quatre  portraits, 


(1)  28  décembre  1594,  Desjardins,  t.  V,  p.  299. 

(2)  Dép.  de  Contarini,  26  juin  1595,  F.  Ital.  1747,  fo  49. 

(3)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,    19   avril   1602,    Arch.    de   la   Haye, 
Holl.  2632. 

(4)  Desjardins,  t.  V,  p.  511,  25  mai  1603. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  281 

ceux  de  Sully,  du  chancelier,  de  Yilleroy  et  de  Bellièvre(l). 
En  1608,  Pietro  Priuli,dans  sa  relation,  trace  trois  portraits 
qu'il  fait  précéder  du  préambule  suivant  :  «  Le  conseil  que 
le  roi  reçoit  dans  les  choses  les  plus  graves  et  importantes 
de  ses  ministres  est  fondé  sur  M.  de  Sillery,  M.  de  Rosny 
et  M.  de  Villeroy;  et  d'autres  n'ont  part  aux  grâces  et  aux  im- 
portantes délibérations  qu'accidentellement  »  (2).  Pendant 
tout  le  règne,  François  d'Aerssen  ne  considère  après  le  roi 
que  deux  personnages  puissants  en  France,  Sully  et  Villeroy 
qu'il  se  représente  comme  les  agents  de  deux  politiques 
opposées  —  ce  qui  est  contestable,  nous  le  verrons,  —  et 
presque  toutes  ses  lettres  à  Oldenbarnevelt  ou  à  Jacques 
Valcke,  trésorier  de  Zélande,  contiennent  une  mention  de 
cette  double  puissance  et  de  cet  antagonisme  (3). 


III 


Nous  trouvons  donc,  à  la  tète  du  gouvernement  de  la 
France,  pendant  la  plus  grande  partie  du  règne,  deux  mi- 
nistres principaux,  Sully  et  Villeroy.  Ce  que  fut  leur  poli- 
tique, comment  ils  collaborèrent  ou  se  combattirent,  fera 
l'objet  des  chapitres  suivants.  Mais  dès  à  présent,  nous 
devons  indiquer  ce  qui  dans  la  nature  de  ces  deux  hommes 
fut  la  raison  profonde  de  leurs  conflitsou  de  leurs  ententes. 

Il  existait  entre  Sully  et  Villeroy  de  grandes  différences 
de  condition  sociale,  de  religion  et  de  caractère. 

Ils  n'étaient  pas  de  même  race.  Maximilien  de  Béthune, 
marquis  de  Rosny,  duc  de  Sully,  était  d'une  famille  de  no- 
blesse très  antique  et  très  illustre.  Il  descendait  de  Robert, 


(1)  Berehet,  Relasioni...  p.  126  et  suiv. 

(2)  Ibid.,  p.  228. 

(3)  Voir  notre  publication  des  Lettres  inédites  de  François  d'Aerssen 
à  Jacques  Valcke...  Paris,  l'JOS,  in-8. 


282  VILLEKOY 

dit  Faisseux,  seigneur  de  la  ville  de  Béthune  et  avoué  de 
Saint- Vaast  d'Arras,  qui  vivait  avant  Tan  1000  sous  le  règne 
de  Hugues  Capet  (1).  Certains  même  rattachaient  cette 
famille  auxOthons,  empereurs  d'Allemagne,  ou  à  l'ancienne 
.Maison  d'Autriche.  Mais  la  tradition  la  mieux  établie  était 
qu'il  descendait  des  anciens  comtes  d'Artois.  Cette  famille 
avait  contracté  des  alliances  avec  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus 
fameux  dans  la  chrétienté.  Elle  était  apparentée  à  presque 
toutes  les  maisons  régnantes.  On  ouvre  au  hasard  la  Généa- 
logie de  la  Maison  de  Béthune  et  on  trouve  au  xiue  siècle 
une  Mahaut,  héritière  de  Béthune  et  de  Terremonde,  alliée 
à  Guy,  comte  de  Flandre,  tous  deux  ancêtres  do  quatre 
comtes  de  Flandre,  quatre  ducs  de  Bourgogne,  sept  archi- 
ducs d'Autriche,  de  plusieurs  empereurs,  des  rois  de 
France,  de  Navarre,  de-Hongrie,  de  Pologne,  de  Bohême. 
Au  xiv"  siècle,  une  Jeanne  de  Béthune,  fille  aînée  de  Bo- 
bert,  vicomte  de  Meaux.  épouse  Bobert  de  Bar',  comte  de 
Marie  et  de  Soissons,  petit-fils  de  Bobert,  duc  de  Bar  et 
de  Marie  de  France,  sœur  du  roi  Charles  V,  et  a  de  lui  une 
fille,  Jeanne,  conjointe  avec  Louis  de  Luxembourg,  comte 
de  Saint-Pol,  d'où  est  issue  une  splendide  descendance  (2). 
Aussi,  Sully  avait-il  un  immense  orgueil  de  race,  qui  perce 
à  chaque  instant  dans  ses  Mémoires.  11  l'étalait  assez  naïve- 
ment. Il  disait  un  jour  à  l'ambassadeur  d'Angleterre  :  «  S'il 
y  a  beaucoup  d'hommes  plus  riches  que  nous  en  France, 
il  en  existe  peu  de  plus  noble  maison  ou  de  meilleur  sang 
que  nous,  qui  descendons  d'un  roi  de  France  »  (3). 

Un  homme  d'une  telle  race  ne  pouvait  embrasser  que  la 
plus  noble  des  professions,  la  guerre.  Il  a  débuté  en  1576, 

(1)  Duchesnc,  Généalogie  de  la  Maison  de  Béthune,  Paris,  1639, 
in-fol. 

(2)  Duchesne,  Ibid.,  p.  56  et  suiv. 

(3)  Neville  à  Cecil,  26  janvier  1599,  Winwood,  Memorials,  t.  I, 
p.  149.  —  Voir  aussi  sur  les  prétentions  de  Sully  les  Remai-qnes  de 
Marhault,  et  le  portrait  de  Sully  dans  les  Historiettes  de  Tallemant  des 
Reaux  (Ed.  Moninerqué,  in-8«,  1854,  t.  I,  p.  108  et  suiv.). 


LE    MINISTRE    d'iIENIU     IV  283 

comme  un  simple  soldai,  auprès  du  roi  de  Navarre  et  a 
suivi,  pendant  vingt  ans,  la  fortune  du  premier  capitaine  de 
son  temps.  Il  s'est  battu  à  Eauzë,  à  Fleurance,  à  Cahors, 
en  Flandre  avec  le  duc  d'Anjou,  à  Arques,  à  Ivry,  au  siège 
de  Paris  et  au  siège  de  Rouen,  où  il  a  reçu  de  glorieuses 
blessures,  au  siège  de  Dreux,  dont  le  château  a  sauté  par 
la  fameuse  «  mine  de  M.  de  Rosuv  » .  Une  partie  des  charges 
qu'il  reçoit  d'Henri  IV  sont  d'importantes  charges  militai- 
res. En  99,  il  est  créé  superintendant  des  fortifications  et 
bâtiments  et  grand-maître  de  l'artillerie,  et  ses  canons 
font  merveilles  pendant  la  campagne  de  Savoie.  Il  est  ca- 
pitaine-lieutenant de  la  compagnie  des  gens  d'armes  de  la 
Reine,  gouverneur  de  la  Bastille  en  1602,  et  deux  ans  plus 
tard,  gouverneur  du  Poitou.  Ce  soldat  est  aussi  le  super- 
intendant des  finances  du  royaume.  Est-ce  une  profes- 
sion noble  ?  A  («'Ile  question  douteuse,  —  tant  de  bourgeois 
ont  été  les  argentiers  du  roi.  —  Sully  répond  hardiment 
oui,  car  les  financiers  sont  «  obligés  à  produire  des  réalités, 
des  substances  et  des  effets  qui  ne  dépendent  pas  de  leur 
vouloir  (1)  ».  El  en  effet,  depuis  ses  tournée-  de  1596  dans 
les  généralités,  son  entrée  au  Conseil  des  finances  et  sa 
prise  de  possession  delà  surintendance  1598),  Sully  pour 
vait  considérer  son  administration  comme  une  série  de 
belles  campagnes,  où  il  fallait  se  battre  contre  tout  le 
monde  pour  prendre  l'argent  du  roi,  contre  les  gouver- 
neurs de  province,  contre  les  trésoriers,  contre'  les  grands 
seigneurs,  contre  le  peuple  et  parfois  contre  le  roi  lui- 
même.  Il  est  de  plus  grand  voyer  de  France  1599)  <•'  voyer 
de  Paris.  Ces  hautes  fonctions  rapportent  à  Sully  en  grande 
abondance  argent  et  honneurs  :  60.000  livres  de  dons 
royaux  par  an,  de  fréquents  cadeaux,  le  litre  de  duc  et  pair 
(1606).  Ses  revenus,  médiocres  au  début,  montent  rapide- 
ment à  plus  de  '200.000  livres.  Il  achète  des  terres,  Dour- 

(1)  Éc.  Roy.,  t.  I.  p.  370. 


dan,  Sully,  Villebon,Is-en-Beauce,  La  Chapelle,  LeChâtelet, 
Henrichemont,  où  il  est  prince.  Il  fait  bâtir  des  châteaux 
et  dessiner  des  parcs  et  mène  un  train  de  vie  magni- 
fique. 

Villeroy  était  issu  d'une  famille  de  bourgeois  qui  par  des 
fonctions  d'échevins,  de  secrétaires-notaires,  de  trésoriers 
de  France,  de  secrétaires  des  finances,  s'étaient  élevée  à  la 
noblesse  de  robe.  Ses  ancêtres  ne  s'étaient  pas  battus  en 
Artois  ou  en  Flandre,  mais  avaient  vendu  du  poisson  à 
Dieppe  et  aux  halles  de  Paris.  Si  Sully  ne  lui  reprocha  pas 
les  marchands  de  marée,  —  on  n'y  trouve  aucune  allusion 
dans  les  Économies  Royales  —  il  dut  plus  d'une  fois  lui 
faire  sentir  qu'il  n'était  qu'un  homme  «  de  robe  longue  et 
d'écriloire  ».  La  seule  charge  de  Villeroy  était  celle  de  se- 
crétaire d'Etat  que  Sully  méprisait  profondément,  parce 
que  son  titulaire  ne  pouvait  que  «  faire  ce  qui  lui  était 
commandé  »  et  que  son  métier  ne  consistait  qu'à  «  prôner, 
caqueter,  faire  la  mine,  écrire  et  sceller  ».  Le  gentilhomme 
recevait  des  blessures,  versait  son  sang;  Villeroy  taillait 
des  plumes,  remplissait  d'encre  son  écritoire  ;  ses  armes 
étaient  «  des  mains  de  papier,  des  peaux  de  parchemin,  des 
coups  de  ganivet,  des  traits  de  plumes,  des  paroles  vaines, 
des  sceaux  et  de  la  cire  »  (1).  Au  service  de  son  prince, 
Villeroy  acquit  peu  de  revenus  et  d'honneurs.  Il  avait  hé- 
rité d'une  assez  bonne  fortune,  qui  fut  très  endommagée 
sous  la  Ligue  (2),  mais  qu'il  rétablit  petit  à  petit  sous  le 
règne  d'Henri  IV  par  une  gestion  économe  ;  il  la  transmit 
à  son  fils  à  peu  près  telle  qu'il  l'avait  eue  de  son  père.  Elle 
se  composait  des  terres  de  Villeroy,  de  Magny,  d'Hallain- 
court,  et  de  la  baronnie  de  Bury,  la  seule  acquisition  qu'il 


(1)  Ee.  Roy.,  t.  I,  p.  370. 

(2)  «  J'étais  demeuré  si  endetté  que  si  le  roi  me  recevant  à  son  ser- 
vice ne  m'eût  secouru  de  sa  libéralité  je  n'aurais  quasi  maintenant  de 
quoi  vivre,  encore  que  Dieu  m'ait  fait  naître  d'une  maison  en  laquelle 
il  y  avait  du  bien...  »  —  Villeroy  à  du  Vair,  1er  août  1594. 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  285 

fit  (17  août  1604)  (1).  Si  on  y  ajoute  le  gouvernement  de 
Pontoise,  Mantes  et  Meulan,  et  la  lieutenance  du  Vexin 
Français  qu'avait  eue  son  père,  cela  produisait  80.000  livres 
de  revenus  dont  il  employa  une  partie  à  payer  des  dettes. 
Sa  charge  de  secrétaire  lui  rapportait  4000  écus  par  an,  et 
il  recevait  2000  livres  de  gages,  comme  conseiller  au  Con- 
seil d'Etat  (2).  Il  ne  rechercha  pas  les  honneurs.  En  per- 
dant sa  charge  de  secrétaire  d'Etat  en  1588,  il  avait  perdu 
aussi  celle  de  grand  trésorier  de  l'Ordre  du  Saint-Esprit 
que  le  roi  donna  à  Beaulieu.  Henri  IV  la  laissa  à  ce  dernier, 
mais  permit  de  vive  voix  à  Villeroy  de  reprendre  le  cordon 
bleu.  C'est  une  faveur  que  nul  contemporain  ne  paraît 
avoir  remarquée.  Il  a  fallu  tout  le  formalisme  de  Saint- 
Simon  pour  trouver  si  étrange  ce  «  premier  exemple  d'un 
cordon  bleu  sans  charge  »  (3).  Il  reçut  du  roi  très  peu  de 
cadeaux.  Il  fut  évidemment  l'auteur  de  la  fortune  de  son 
fils.  Mais  sous  le  règne  d'Henri  IV  cette  fortune  n'eut  rien 
de  nouveau  ni  de  scandaleux.  Nous  avons  vu  quelles  étaient 
les  prétentions  de  Charles  d'Alincourt  sur  le  Lyonnais. 
Henri  IV  ne  fit  que  remettre  le  fils  de  Villeroy  dans  le  cou- 


(1)  Dans  la  commune  actuelle  de  Saint-Second  in  (Loir-et-Cher).  La 
baronnie  de  Bury  fut  érigée  en  comté  par  Henri  IV  en  laveur  de  Ville- 
roy. Mais  la  vérification  de  l'érection  ne  fut  jamais  faite  et  les  lettres 
patentes  ne  s'en  retrouvèrent  même  pas.  Louis  XIII  en  donna  une  ra- 
tification le  1er  décembre  1633,  mais  le  fils  de  Villeroy  vendit  le  2  dé- 
cembre le  comté  de  Bury  au  marquis  Charles  de  Rostaing.  —  Ajoutons 
que  la  terre  et  seigneurie  de  Villeroy  fut  érigée  en  chàtellenie  en  faveur 
de  Villeroy  par  lettres  données  à  Paris  en  septembre  1610.  Elles  furent 
enregistrées  le  22  novembre  au  Parlement,  le  4  mars  1611  à  la  Chambre 
des  Comptes. 

(2)  On  trouve  diverses  quittances  dans  les  Pièces  originales,  2101, 
fo  92  (Ie1'  avril  1596),  p.  189  (24  octobre  1602). 

(3)  Saint-Simon,  Ed.  Boislisle,  t.  XI,  p.  198.  Villeroy  fit  créer  son  fils 
chevalier  du  Saint-Esprit  en  1597,  à  Rouen,  et  cela  aussi  scandalise 
Saint-Simon.  «  Quelque  nouvelle  que  fut  cette  grâce,  Villeroy  en  obtint 
une  bien  plus  étrange  :  ce  fut  de  faire  faire  Alaincourt,  chevalier  du 
Saint-Esprit,  le  dernier  de  la  promotion  qu'Henri  IV  fit  le  5  janvier 
1597...  et  pour  comble  n'ayant  que  trente  ans.  Avec  un  tel  crédit, 
on  fait  aisément  de  porter  l'ordre  sans  charge.  » 


286  V1LLER0Y 

rant  de  sa  fortune.  Après  sa  soumission,  d'Alincourt  s'était 
distingué  à  la  guerre,  au  siège  de  Laon  et  au  siège  de  la 
Fère.  Henri  IV  lui  donna,  le  5  janvier,  1597,  le  collier  dos 
ordres  du  roi,  il  l'envoya  à  Rome  comme  ambassadeur 
sous  Paul  V,  en  1600,  et  le  nomma  son  lieutenant  à  Lyon, 
Deux  ans  après  la  mort  d'Henri  IV,  il  devint  gouverneur 
du  Lyonnais,  Forez,  Beaujolais.  D'Alincourt  avait  fait  une 
1res  belle  fortune,  et  assez  facilement,  malgré  sa  devise  pré- 
tentieuse :  per  ardua  sur  go  ;  mais  elle  n'avait  rien  d'anor- 
mal ni  de  scandaleux  (1). 

Aussi  c'est  vraiment  avec  raison  que  Villeroy  pouvait 
dire  dans  le  testament  qu'il  rédigea  le  20  août  1009  :  «Nous 
avons  acquis  peu  de  biens  au  long  et  assiduel  service  que 
nous  avons  fait  aux  rois  Charles  IX,  Henri  III  et  au  roi 
Henri  IV  qui  règne  à  présent...  non  par  faute  d'avoir  été 
aimé  et  favorisé.d'eux  ou  de  ne  les  avoir  fidèlement  servis 
et  à  leur  [contentement,  mais  pour  avoir  été  plus  diligent 
et  soigneux  d'acquérir  honneur  en  servant  que  des  riche--.  -. 
c'est  pourquoi  nous  ne  pouvons  rémunérer  nos  serviteurs 
et  leur  bien  faire  comme  nous  désirerionset  leur  affection 
mérite  (2).  » 

Pendant  le  règne  d'Henri  IV,  Villeroy  continua  à  mener 
la  vie  de  bon  bourgeois  que  nous  connaissons.  Son  train 
de  maison  était  assez  simple.  En  1009,  il  avait  un  chapelain, 
Duneau,  qui  avait  servi  son  père,  un  maître  d'hôtel,  Jérôme 
Dalquin,  un  courrier  pour  communiquer  avec  le  roi,  un 
concierge  nommé  Saint-Pé  pour  la  maison  de  Villeroy.  un 
autre,    Boulart,  à  Conflans,  deux  valets  de    chambre,  un 


(1)  Il  avait  perdu  sa  première  femme  Marguerite  de  Mandelot  et 
épousé,  le  11  février  1596,  Jacqueline  de  Harlay. 

(2)  Nous  avons  trouvé  la  copie  inédite  de  ce  testament  dans  le  F.  Fr. 
17864,  f'J  252-257,  sous  le  titre  de  «  Testament  de  feu  Monsieur  de 
Villeroy,  secrétaire  d 'Estât.  »  Use  termine  par  :  «  fait,  escrit  et  signé 
de  notre  propre  main,  étant  en  notre  maison  de  Villeroy  le  26e  jour 
du  mois  d'août  1609  ».  C'est  lui  qui  nous  a  fourni  de  précieux  rensei- 
gnements sur  le  train  de  maison  de  Villeroy. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  287 

cuisinier,  un  sommelier,  Jacques,  un  cocher,  Jean,  un  pa- 
lefrenier, .Marin,  un  muletier,  des  garçons  d'étable,  un  la- 
quais basque  et  un  laquais  bourguignon  et  quelques  autres 
serviteurs  et  servantes  résidant  en  ses  maisons. 

Villeroy  vivait  d'autant  plus  simplement  qu'il  était  seul. 
Sa  femme,  Madeleine  l'Aubespine,  était  morte  le  17  mai 
1596  ;  son  fils  était  retenu  la  plus  grande  partie  de  l'année 
dans  le  Lyonnais.  Il  eut  à  payer  des  dettes  contractées 
pendant  la  Ligue,  à  rebâtir  son  château  de  Villeroy  ravag-é 
par  les  bandes  espagnoles  pendant  les  troubles.  Une  recher- 
chait point  les  occasions  de  dépenses.  Il  eut  quelquefois  à 
traiter  le  roi,  ou  des  grands  seigneurs  qui  aimaient  à  s'ar- 
rêter à  Villeroy,  en  allant  de  Paris  à  Fontainebleau  (1).  Il 
aimait  à  bàtiretàembellirsespropriétés,  mais  modérément, 
comme  il  faisait  en  toutes  choses.  Nous  connaissons 
quelques-unes  de  ses  acquisitions  à  l'étranger  par  les 
lettres  aux  ambassadeurs,  qu'il  chargeait  parfois  de  certains 
achats.  D'Italie  il  fit  venirquelquesmarbres(2),  de  Hollande, 
des  tapisseries,  des  peintures,  un  instrument  pour  vider 
l'eau  d'un  canal.  Tout  cela  n'était  pas  ruineux;  (3). 


([)  Voir  notamment  une  lettre  de  Villeroy  à  Montmorency,  du  29 
mai  1599,  F.  Fr.  3588,  fo  56.  «  Le  roi  a  dîné  aujourd'hui  en  cette  mai- 
son où  il  est  arrivé  que  je  ne  l'attendais  pas  »,  une  lettre  de  Villeroy  à 
Henri  IV,  du  21  octobre  1599,  F.  Fr  4028,  fo  56,  une  autre  de  Villeroy 
à...  du  6  juin  1608,  3605,  fo  9.  L*Estoile  rapporte  que  le  14  octobre 
1602,  les  députés  des  cantons  suisses  furent  traités  magnifiquement  à 
Conllans  par  Villeroy. 

(2)  Villeroy  à  Boissise,  2  juillet  1600,  F.  Fr.  4128,  fo  187. 

(3)  Villeroy  à  Jeannin,  5  septembre  et  2-9  décembre  1607,  Négoc.  du 
prés.  Jeannin,  Ed.  Michaud,  p.  137  el  256. 

D.  Guillaume  Morin,  en  1630,  décrivait  ainsi  Villeroy  :  «  Villeroy 
est  un  des  plus  beaux  lieux  de  tout  le  Gastinois  à  deux  lieues  de  Cor- 
beil  :  il  y  a  deux  grands  corps  de  logis,  l*un  appelé  la  basse-cour  où 
sont  les  offices  et  écuries,  puis  le  château  qui  est  composé  de  belles 
salles,  galeries  et  chambres  richemenl  garnies,  entre  lesquelles  sont  les 
chambres  du  roi  et  de  la  reine.  S'y  voit  aussi  une  très  belle  chapelle; 
au  delà  du  château  sont  les  jardins  de  plaisance,  où  se  voient  de 
belles  fontaines,  puis   un  bois  fait  en  allées,  dans  lesquelles  se  voient 


288  VILLEROY 

Ainsi  vivait  le  bourgeois  assez  simple  qui  s'opposait  au 
grand  seigneur  Sully.  La  religion  renforçait  le  contraste 
que  faisaient  ces  deux  hommes  de  condition  si  diverse. 
Sully  était  un  huguenot  de  bonne  souche  qui  avait  fait  les 
guerres  de  religion  et  était  demeuré  très  attaché  à  sa  foi. 
Il  ne  la  quitta  pas  à  la  conversion  du  roi,  il  ne  la  quitta 
pas  à  la  fin  du  règne,  malgré  les  savantes  sollicitations  dont 
il  fut  l'objet,  bien  qu'il  parût  faire  gracieuse  mineauxcatho- 
liques  qui  le  voyaient  assister  parfois  au  sermon.  Villeroy 
était  —  nous  le  verrons  plus  loin  — un  catholique  très  atta- 
ché à  la  religion  de  ses  pères  et  très  sincèrement  pieux.  Ils 
étaient  devenus  tous  deux  tolérants  par  raison  d'état  et  ne 
méritaient  pas  de  passer,  l'un  pour  un  de  ces  «  hypocrites 
huguenots  excités  par  quelques  ministres  factieux  »,  l'autre 
pour  un  de  ces  «  bigots  catholiques  fomentés  des  Jésui- 
tes »  (1).  Sully  poussait  même  la  complaisance  jusqu'à 
donner  de  l'argent  aux  quêtes  dans  sa  paroisse  de  Saint- 
Paul  et  à  favoriser  les  catholiques  dans  la  distribution  des 
honneurs  et  des  charges.  Villeroy  n'allait  pas  au  prêche, 
mais  était  l'ami  des  plus  notables  huguenots,  de  Duplessis- 
Mornay  et  de  Bouillon,  entre  autres,  qui  rendaient  hom- 
mage à  son  esprit  de  modération. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  malgré  leur  raison  et  leur 
volonté,  ces  deux  ministres  n'avaient  pas  entièrement  dé- 
pouillé le  vieil  homme.  Malgré  leurs  efforts  sérieux  pour 
ne  considérer  dans  les  affaires  importantes  que  la  raison 
d'Etat,  leur  religion  agissait,  peut-être  à  leur  insu,  au  fond 
d'eux-mêmes  et  se  mêlait  parfois  à  leur  politique.  Dans  les 
relations  avec  les  puissances  étrangères,  les  ministres 
d'Henri   IV   s'inspiraient  avant  tout  de  l'intérêt  du  pays, 


de  beaux  cabinets  de  verre  et  des  peintures  excellentes,  un  très  beau 
pallemaille  et  une  longue  garenne.  »  (Histoire  générale  des  pays  de 
Gastinois,  Senonois  et  Hwpois,  1630,  in-4°.) 

(1)  Selon  l'expression  de  Sully,  Éc.  Roy.,  t.  I,  p.  519. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  289 

qui  commandait  à  ce  royaume  «  mi-partie  »  (1),  d'avoir 
comme  alliés  des  protestants  et  comme  ennemie  une  nation 
catholique.  Villeroy  et  Sully  étaient  d'accord  en  prin- 
cipe sur  ce  point.  Mais  il  y  avait  deux  manières  diffé- 
rentes d'appliquer  ce  principe  :  on  pouvait  rester  séparé  de 
l'Espagne,  se  défier  d'elle,  se  tenirdans  une  stricte  défensive, 
sans  se  battre  avec  cette  ennemie.  On  pouvait  l'attaquer 
violemment  ou  la  ruiner.  Quand  Villeroi  recommandait  le 
premier  parti,  c'était  sans  doute  dans  l'intérêt  du  royaume. 
Mais  n'obéissait-il  pas  aussi  à  des  scrupules  de  catholique 
qui  redoute  d'entrer  en  guerre  avec  le  pape  et  de  favoriser 
trop  ouvertement  des  ennemis  de  sa  religion?  Quand  Sully 
poussait  si  vaillamment  à  la  destruction  de  la  monarchie 
de  Philippe  II,  c'était  aussi  dans  l'intérêt  du  pays,  mais  n'était- 
il  pas  entraîné  par  des  rancunes  de  vieux  huguenot  contre 
la  terrible  adversaire  du  protestantisme  et  par  des  sympa- 
thies innées  pour  les  peuples  affranchisdu  joug  romain  ?  Les 
contemporains  ont  exagéré  ridiculement  cette  opposition. 
Quand  Villeroi  fait  quelques  difficultés  pour  accorder  des 
subsides  aux  Pays-Bas  (comme  le  faisait  d'ailleurs  Sully  lui- 
même)  les  huguenots  crient  immédiatement  au  papiste. 
Quand  Sully  se  montre  peu  condescendant  à  quelque  in- 
trigue italienne,  les  catholiques  se  plaignent  aussitôt  de  la 
haine  du  ministre  à  l'égard  de  la  religion  romaine.  Mais 
s'il  convient  de  réduire  à  leur  juste  valeur  ces  appréciations 
passionnées,  il  ne  faut  pas  supprimer  cet  élément  dedissem*- 
blance  entre  les  deuxmmistres  qui  s'ajoute  au  contraste  de 
leur  condition  sociale  et  de  leur  caractère. 

Ces  deux  hommes  étaient  doués,  en  effet,  de  caractères 
très  différents.  Ton-  deux  possédaienl  une  belle  intelli- 
gence, un  jugement  pénétranl  el  sûr,  et  une  prodigieuse 
puissance  de  travail.  Mais  l'un  étail  surtout  un  imaginatif, 


(i)  Selon  une  expression  de  Fram  ois  ri'  lerssen,  dans  la  lettre  du  l'O 
juillet  1602  à  .1.  Valcke  (voir  notre  édition,  p.  165). 

Villeroy.  m 


290  VILLEROY 

l'autre  un  esprit  pratique  Sully  aimait  les  rêves  grandioses, 
les  vastes  projets.  Il  a  échafaudé  de  toutes  pièces  le  Grand 
Dessein  qu'il  attribue  à  son  maître  el  qui  est  un  rema- 
niement total  du  monde  civilisé  1 1).  Dans  les  Economies 
Royales,  les  «  vaines  cogitations  »,  o  fantaisies  »,  «imagi- 
nations »,  abondent.  Facilement  il  altèreles  chosesdu  passé  : 
ii  défigure  ses  ennemis  particuliers  au  gré  de  sa  passion  :  il 
voit  l'avenir  selon  ses  rêves.  La  plupart  des  calomnies  con- 
tenues dans  ses  mémoires  viennent  de  cet  excès  d'imagi- 
nation. Il  se  trompe  plus  qu'il  ne  ment.  Très  sincèrement, 
à  la  longue,  il  finit  par  voir  en  sombre  certaines  choses  et 
certains  personnages.  Dans  certaines  délibérations  graves 
sur  la  paix  ou  la  guerre,  nous  verrons  quels  conseil-  hardis 
il  donnait  parfois,  frasant  bon  marché  des  difficultés  de 
toute  sorte  qui  retenaient  les  autres  membres  du  conseil. 
I  lette  imagination  lui  inspira  tantôt  des  rêves  chimériques, 
tantôt  quelques-unes  des  plus  belles  œuvres  de  son  minis- 
tère. Ses  grandes  vues  sur  l'avenir  autant  que  son  amour 
de  Tordre  l'ont  rendu  économe  des  deniers  publics,  l'ont 
poussé  à  restaurer  les  finances  du  royaume. 

Villeroy  avait  un  sens  plus  positif  delà  réalité.  Très  ré- 
fléchi, très  prudent,  il  s'appliquait  patiemment  à  dénouer 
les  difficultés  présentes,  sans  faire  de  beaux  projets,  comp- 
tant beaucoup  sur  le  temps,  un  peu  sur  lé  hasard  et  sur  les 
fautes  d'autrui.  «  !1  faut  conduire  les  affaires  du  monde  par 
degrés  »,  disait-il  (2).  Dans  les  négociations  les  plus  héris- 
sées d'entraves,  il  procéda  toujours  avec  calme,  avec  per- 
sévérance. Il  aimait  à  dire,  comme  à  Bellièvre  et  à  Sillery 
en  r>98  :  «  J'estime  que  toutes  choses  pourront  s'accommo- 
der avec  le  temps  les  conduisant  par  degrés  sans  les  préci- 


il)  Voir  Pfister,  Les  Economies  royales  et  le  Grand  Dessein  de  Hen- 
ri IV,  Rev.  hist.,   1894. 

(2)  Villeroy  à  Jeannin,  24  août  1607,  Négociations  du  président 
Jeannin,  p.   1  &3. 


LE    MINISTRE    d'hENIU    IV  —  '  ►  1 

piter  »  (1).  Par  L'exposé  de  ses  négociations  pendant  la 
Ligue,  on  a  vu  la  prestesse  silencieuse  et  la  ténacité  froide 
avec  laquelle  il  accomplit  cel  ingrat  travail  de  diplomatie 
toujours  détruitet  toujours  recommencé.  On  pourrait  aisé- 
ment extraire  «les  lettres  de  Villeroy  un  certainnombre  de 
sentences  et  maximes  dont  la  collection  sérail  appelée  «  la 
sagesse  »  de  Villeroy.  La  même  justesse  et  simplicité  de 
vues  se  traduit  dan-  son  style  exempt  des  hautes  «  cogita- 
tions »,  des  exubérances,  des  boursouflures,  du  pédantisme, 
comme  aussi  de  l'ardeur  communicative  qui  remplissent  le 
style  imaginatif  d'un  Sully.  Quand  vieillireni  ces  hommes 
et  quand  s'accentuèrent  leurs  défauts,  on  vit  un  Sullj  se 
repaissant  à  Villebon  de  ses  chimères,  et  un  Villeroy  an 
pouvoir,  devenu  trop  prnden!,  trop  lent,  trop  hésitant,  tai- 
sant déplus  en  pins  de  la  politique  au  jour  le  jour. 

Les  mêmes  dissemblances  existaienl  dans  leur  sensibi- 
lité. Sully  était  un  passionné,  Villeroy  un  homme  de  sang- 
froid.  Tous  deux  étaient  très  orgueilleux,  maisl'orgueil  de 
Sully  se  traduisait  par  des  manières  hautaine-,  cassantes', 
par  des  prétentions  de  naissance,  le  goût  de  l'étiquette  et 
de  la  représentation.  Villeroy  dissimulait  cet  orgueil  sous 
des  dehors  polis  et  froids.  On  blessait  aussi  facilemenl  son 
amour-propre  que  celui  de  Sully,  car  lui  aussi  endurait 
mal  d'être  contredit  dans  ses  opinion-  ou  contrecarré  dans 
son  influence.  ><  11  savait  le  grand  avantage  que  l'expérience 
lui  donnait  sur  les  autres  et  était  fort  soigneux  de  le  garder... 
fort  sensible  et  délicat  à  tous  les  traits  qui  portaient  contre 
son  jugement  ('2).  »  Cette  susceptibilité  bien  connue  s'atta- 
chait moins  que  celle  de  Sully  à  des  questions  de  formes. 
Il  se  contentait  de  la  réalité  solide  du  pouvoir.  Nous  ne 
sachons    pas  qu'il    ait  jamais  agi  comme    le    surintendant 


(1)  Villeroy  à  Bellièvre  et  Sillery,    i 6  février  1598;  F.  Fr.  15911, 
fo  205. 

(■2)  Matthieu,  Remarques  d 'Estât..., p  .  285. 


292  VILLEROY 

qui  en  1608  s  obstina  pendant  plusieurs  mois  à  refuser 
aux  Hollandais  leurs  subsides  parce  que  le  prince  Mau- 
rice de  Nassau  l'avait  offensé  en  tardant  à  répondre  à  une 
de  ses  lettres  (1).  Sully  était  incapable  de  dissimuler.  Les 
ambassadeurs  étrangers  trouvaient  cette  franchise  ad- 
mirable quand  leur  politique  s'accordait  avec  celle  du 
ministre  et  n'avaient  alors  que  des  éloges  pour  cet  esprit  si 
sincère  et  si  ingénu  (2).  Si  leurs  demandes  de  secours  ou 
d'intervention  diplomatique  ou  bien  la  conduite  de  leurs 
souverains  déplaisait  au  ministre,  il  leur  disait  tout  ce  qu'il 
pensait  avec  une  brusquerie  qui  déconcertait  ses  familiers 
et  indignait  les  autres.  Aussi  Aerssen,  son  coreligionnaire 
et  son  admirateur,  trouvait-il  plus  d*une  fois  inégal  et 
«'■guïsle  cet  homme  qui,  disait-il,  «  rapporte  toutes  choses 
à  son  particulier  »  (3).  Dans  des  lettres,  les  envoyés  toscans 
l'appellent  quello  animale,  questa  bestia  di  Rosny  (4);  lui 
faire  des  politesses,  c'est  «  laver  la  tète  à  l'âne  »  (5).  Cette 
spontanéité  de  Sully  lui  laisait  parfois  commettre  les 
•plus  graves  incorrections.  On  admettrait  difficilement 
qu'un  ministre  maltraitât  ses  collèg-ues  dans  ses  propos 
devant  des  étrangers.  Aerssen  rapporte  de  nombreuses 
confidences  où  Sully  traite  injurieusement  Villeroy  et 
Sillrry  d'Espagnols  et  de  Jésuites   (6).    Nous  n'avons   pas 


(1)  Aerssen  à   Oldenbarnevelt,   10  mai  160S;   Archives  de  la  Haye, 
Holland,  2632. 

(2)  Giovannini  au  Grand-Duc,  18  juin  1000,  Desjardins,  t.  V,  p.  424. 

(3)  Aerssen  ù   Oldenbarnevelt,    16  mai  1008,   Archives  de  la  Haye, 
Holland,  2632. 

Giovannini  au  Grand-Duc,  20  janvier  et  17  février  1601,  Desjar- 
dins,  t   V.  p    453  et  \>.  102. 

lavare  il  capo  all'asino  »,  16  novembre  1001,  Ibid.,  p.  470. 

oir   les  lettres   d'Aersse'n  a  Oldenbarnevelt  du   11   février  et  du 

-     i,   archives  de  la  Haye,   Legatie,  613.  Dans  cette  dernière, 

Rosnj  dil   nettemenl  a  l'envoyé   dis   Etals  que  le  roi  a  près  de  lui  des 

ilers  qui  ne  travaillenl  qu'à  la  grandeur  de  l'Espagne.  Le  11  i'é- 

vrier  A.  rssen  écrit  :  «  M.  de  Rosny  médit  plus  que  pendant  mon  absence 

il  avail  disposé  s.  M.  à  la  guerre,  mais  M.  de   Villeroy  et  de  Sillery  se 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  293 

trouvé  dans  les  lettres  des  ambassadeurs  un  seul  passage 
attestant  de  tels  écarts  de  langage  chez  Villeroy  (1).  Sully 
commit  même  de  graves  incorrections  dans  des  moments 
de  colère.  En  mai  1605,  il  révéla  à  l'envoyé  hollandais 
que  les  Espagnols  avaient  proposé  au  roi  un  mariage  de 
l'infante  et  du  dauphin  qui  permettait  de  placer  tous  les 
Pays-Bas  sous  la  domination  de  la  France.  Cet  avis  secret 
fut  donné  aux  Hollandais,  dit  Aerssen,  à  la  suite  d'une 
«  grande  traverse  »  que  Sully  avait  eue  à  la  Cour  (2).  De 
tels  faits  sont  rares  :  mais,  en  général,  quand  on  voulait 
savoir  ce  qui  s'était  passé  au  conseil,  on  allait  visiter  les 
deux  ministres  l'un  après  l'autre:  on  apprenait  toujours 
plus  de  Sully  que  de  Villeroy. 

Au  contraire  tout  ce  que  disait  Villeroy  était  calculé.  Il 
savait  admirablement  dissimuler  ou  parler  en  termes 
vagues,  suivant  la  nécessité,  et  se  montrer  d'humeur  égale 
et  d'une  affabilité  habilement  nuancée.  Il  parlait  très  poli- 
ment, on  pouvait  le  quitter  mécontent  de  sa  diplomatie, 
mais  jamais  froissé  par  le  moindre  écart  de  langage.  Il 
procède,  disait  P.  Duodo  en  1598,  «  avec  une  grande  cir- 
conspection et  prudence,  de  manière  qu'il  ne  lui  sort  jamais 
de  la  bouche  une  parole  qui  puisse,  étant  douteusement 
proférée,  lui  porter  aucun  préjudice...  Il  est  grand  dissi- 
mulateur, et  dans  les  choses  d'état,  pour  savoir  feindre  et 


fortifiaut  dos  inclinations  de  S.  M.  avaient  le  plus  qu'ils  avaient  pu 
traversé  ses  raisons...  Il  conseillerait  toujours  le  roi  en  faveur  de  l'Etat 
et  de  la  religion,  mais  craignait  que  ces  gens  eussent  un  conseil  con- 
traire. Pour  ce  était-il  marri  que  j'avais  vu  le  roi  et  M.  de  Villeroy 
avant  lui...  » 

(1)  Aerssen  écrit  à  Barnevelt,  le  9  décembre  1605,  que  l'ambassadeur 
d'Espagne  et  celui  de  l'archiduc  se  sont  plaints  à  Villeroy  qui  leur  a 
conseillé  «  de  s'arrêter  plutôt  aux  propos  du  roi  qu'à  l'humeur  de  M.  de 
Rosny  lequel  parlait  ainsi  par  passion  et  affection,  mais  que  le  maître 
faisait  ce  que  bon  lui  semblait  »  {Legatie,  613).  C'est  un  des  très  rares 
passages  contenant  un  jugement  de  Villeroy  sur  Sully. 

(2)  Ibid.,  26  mai  1605. 


294  VILLEROY 

donner  à  entendre  une  chose  pour  une  autre,  il  n'y  a  per- 
sonne de  meilleur  que  lui  »  (1). 

De  telles  oppositions  de  caractères  amenaient  de  fré- 
quents conflits  entre  Villeroy  et  Sully.  Nous  connaissons 
par  Sully  lui-même,  par  les  auteurs  de  mémoires  et  par 
les  cl  rangers,  quelques-unes  de  ces  querelles  sur  lesquelles 
Villeroy  est  toujours  demeuré  muet.  En  octobre  1600,  ils 
se  disputèrent  en  plein  conseil  au  sujet  des  conditions  de 
paix  proposées  par  le  roi  au  duc  de  Savoie.  Villeroy,  nous 
dil  Aerssen,  reprit  vivement  Sully  «  comme  parlant  trop 
haut  et  avec  ignorance  d'affaires,  et  eut  pour  vive  repartie, 
que  ceux  qui  avaient  loyamment  servi  avaient  ce  privilège 
de  parler  haut,  mais  à  qui  la  Ligue  était  encore  au  ventre 
comme  lui  ne  l'avaient  pas  de  même  »  ("?).  Dans  ces  querelles 
Snll ,  étail  assurément  le  plus  insolent  des  deux,  et  repro- 
chait à  son  adversaire  son  passé  ligueur,  qui,  pourtant,  de 
son  propre  aveu,  était  oublié  de  tout  le  monde (3).  En  1001, 
quand,  malgré  l'opposition  de  Villeroy  et  de  Sillery,  Sully 
fil  nommer  son  frère  Béthune,  ambassadeur  à  Rome,  il  eut 
l'imprudence,  pour  le  recommander,  de  vanter  ses  propres 
services  et  l'ancienneté  de  sa  maison.  Sillery  et  Villeroy 
répliquèrent  que  leurs  services  valaient  bien  ceux  de  Sully. 
Ce  dernier,  «  demi  en  colère  »,  répondit  qu'une  telle  com- 
paraison était  odieuse.  «  eu  égard  à  la  diversité  de  naissan- 
ces, professions,  qualitéet  quantité  de  services  »  (4),  vanta 
ses  campagnes  et  ses  aïeux,traita  Villeroy  d'homme  déplume 
et  d'écriloire.  Villeroy,  si  calme  d'habitude,  entra  dans  une 


(1)  Alberi,  t.  XV,  p.  191.  —  Comparer  avec  le  jugement  de  Carew^ 
'''•rit  en  1609.  «  In  lu-  negotiating,  Villeroy  is  nol  so  open  as  Sully  nor 
so  close  us  the  chancellor,  but  aller  a  very  good  fashion,  short  and 
pertinenl  :  yet  still  standing  ùpon  his  advantages,  pour  faire  parler, 
i-meth  il,  liim,  who  treateth  with  him.  »  (Th.  Birch,  .4//  histo- 
rical  view...  appendice,  p.  49.0.) 

12)  Verssenà  Valcke,  6  octobre  1G00.  (Voir  notre  édition,  p.  SS.) 

^:;!  Sullj  n'a  pas  parlé  de  cette  dispute.      • 

(4)  /:.<■.  Roy.,  l.  II.  p.    i.'ii  . 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  295 

violente  colère,  si  nous  en  croyons  les  Economies  royales 
«|iii  le  dépeignent  «  lier  comme  un  aspic,  ayant  les  joues 
bouffies  et  les  yeux  rouges  de  dépit  »  (1). 

Chacun  d'eux  essaya  plus  d'une  fois  de  faire  déchoir 
l'autre  de  la  confiance  royale.  Nous  avons  trouvé,  dans  les 
papiers  de  Bellièvre,  la  trace  d'une  attaque  dirigée,  en 
1602,  par  Sully  contre  Vjlleroy,  à  propos  d'une  médiocre 
affaire  de  passeports,  où  Sully  accusait  devant  Henri  IV 
Villeroy  absent  d'abuser  et  de  trafiquer  de  sa  charge.  Il 
fallut  l'intervention  énergique  du  chancelier  <>n  laveur  du 
secrétaire  d'Etat  pour  arrêter  l'affaire  (2).  Nous  ignorons 
si  Sully  attaqua  d'autres  fois  Villeroy.  Nous  savons  très 
bien,  en  revanche,  que  Villeroy  prit  part  à  quelques  vio- 
lentes campagnes  dirigées  contre  son  rival.  Il  ne  se  mit 
pas.  semble-t-il,  au  premier  rang  des  assaillants.  C'eût  été 
contraire  à  sa  prudence  habituelle,  el  ce  n'étail  pas  néces- 
saire, car  Sully  s'était  fait  d'assez  nombreux  el  puissants 
ennemis  par  ses  manières  hautaines,  par  sa  gestion  sévère 
des  finances  et  son  accaparement  des  grandes  charges. 
Au  mois  de  mai  1605,  il  fut  violemment  accusé  devanl  le 
roi  de  malversations  par  MM.  de  Souvray  et  de  Monligny, 
qui  citaient  des  chiffres  :  250.000  écus  dérobés  dans  la 
ferme  des  sels,  50.000  écus  de  pots  de  vin,  touchés  par  la 
femme  du  surintendant  et  ils  menaçaient  de    fournir  <\c- 


(1)  Ec.  Roy.,  t.  I.  p.  369. 

(2J  Villeroy  à  Bellièvre,  29  mai  L602,  F.  Fr.  15896,  fo  :;:;,.  —  L'ad- 
ministrateur de  Strasbourg  avait  vendu  à  un  marchand  un  passeport 
contresigné  d'un  secrétaire  d'Etal  el  scellé  par  le  chancelier.  Un  doua- 
nier maltraita  le  marchand  el  l'administrateur.  Villeroy  (il  châtier  le 
îoutinl  el  se  livra  .;i  de  violentes  attaques  contré  Vil- 
'■  i  que  défendit  Bellièvre.  Nous  connaissons  cette  liistoire  par  les 
lettres  de  remerciements  de  Villeroj  où  celui-ci  se  plainl  àmèremenl 
du  surintendant.  «  J'espère  que  Dieu  me  fera  grâce  de  répondre  de 
ma  charge  aussi  nettement  qu'il  fera  de  la  sienne.  »  (La  lettre  suivante, 
du  8  décembre  1602,  Ibid.,  fo  377,  montre  qu'une  série  d'incidents 
éclatèrent  à  cette  époqui  où  Sullj  essaya  d'amoindrir  le  crédil  du 
chancelier  el  de  Villeroy.) 


296  VILLEROY 

preuves  écrites.  Derrière  Souvray  et  Montigny  marchait  une 
partie  du  conseil  avec  Villeroy.  Le  roi  fut  un  moment 
ébranlé  et  Sully  parut  près  de  sa  ruine  (1).  A  l'envoyé 
hollandais  à  qui  il  exprimait  sa  rancœur  il  dit  :  «  C'est  un 
malheur  de  servir  un  vieux  roi.  Il  est  toujours  défiant, 
soupçonneux  et  qui  craint  même  que  ses  plus  fidèles  ser- 
viteurs ne  le  trahissent  pour  avoir  appelé  à  son  service  les 
traîtres  de  son  prédécesseur  »  (2).  Mais  Sully  ne  se  décou- 
ragea pas.  Il  démontra  au  roi  qu'il  n'avait  commis  aucune 
concussion,  qu'il  était  la  victime  d'une  coalition  de  finan- 
ciers et  de  grands  seigneurs  acharnés  à  sa  perte,  parce 
qu'il  faisait  trop  bien  le  service  du  roi  et  il  obtint  gain  de 
cause  (3)  La  même  année,  pendant  son  voyage  en  Poitou, 
on  essaya  de  le  désarçonner  et  de  faire  donner  les  finances 
au  cardinal  de  Joyeuse  (4).  On  soupçonna  Villeroy  d'avoir 
favorisé  cette  cabale,  car  il  était  grand  ami  du  cardinal, 
de  sa  famille  et  de  ses  alliés. 

Dans  les  partis  qui  s'ébauchaient  à  la  cour,  mais  qui 
furent  peu  dangereux  parce  que  le  roi  était  fort,  Sully  et 
Villeroy  se  trouvaient  presque  toujours  dans  des  camps 
adverses.  Au  début  de  1603,  Soissons  et  d'Epernon  avaient 
lié  partie  ensemble  :  Sully  s'appuyait  sur  le  connétable  de 
Montmorency  etsur  les  huguenots,  Bouillon,  Lesdiguières, 
la  Trémoille  (5).  Villeroy  favorisait  les  premiers,  mais 
sans  se  compromettre  :  aussi  n'est-il  nulle  part  désigné 
comme  ayant  joué  un  rôle  quelconque  dans  la  grave  que- 


(1)  L'incident  nous  est  connu  par  des  lettres  inédites  d'Aerssen  à 
Oldenbarnevelt.  Voir  aux  archives  de  la  Haye,  Legatie,  G 13,  les  lettres 
du  24  mai  et  du  25  juin  1605. 

(2)  Ibid., M  mai  1605. 

(3)  Ibid.,  25  juin  1605.  «  Les  directeurs  de  cette  affaire  pour  la  plu- 
part demandent  pardon  à  M.  de  Rosny  lequel  s'est  purgé  de  malversa- 
tion et  a  fait  voir  au  roi  le  dessein  contre  sa  personne  pour  indirecte- 
ment nuire  à  son  service.  » 

(4)  Giovannini  au  Grand-Duc,  24  juillet  1605.  Desjardins,  t.  V,  p.  556. 

(5)  Ibid.,  19  octobre  1603,  Desjardins,  t.  V,  p.  518. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV 


297 


relie  qui  éclata  entre  Sully  et  Soissons  à  propos  d'une  im- 
position sur  la  toile  que  le  surintendant  refusait  au 
comte  (1).  Au  début  de  1604,  une  grande  amitié  règne  entre 
le  duc  de  Guise,  Gondi,  Brissac  et  Villeroy  (2).  Sully  n'en 
est  pas.  L'année  suivante,  Sully  et  les  Guises  sont  unis 
pour  s'opposer  au  comte  de  Soissons  et  aux  princes  du 
sang.  Villeroy  est  avec  ces  derniers.  C'est  alors  qu'aurait 
été  ourdie  l'intrigue  pour  pousser  Joyeuse  au  pouvoir. 
C'est  alors  aussi  que  Sully  et  les  Guises  auraient  essayé 
d'accaparer  Marie  de  Médicis,  pour  s'assurer  un  appui  dans 
l'avenir,  tandis  que  Villeroy  et  Silleryqui  savaient  combien 
le  roi  tenait  à  écarter  la  reine  du  gouvernement,  et  qui 
voulaient  avant  tout  plaire  à  leur  maître,  témoignaient  à 
sa  femme  une  extrême  froideur  (3). 


IV 


De  cette  énumération  de  conflits,  il  ne  faudrait  pas  con- 
clure à  une  opposition  perpétuelle  et  irréductible  de  Sully 
et  de  Villeroy.  L'histoire  est  moins  simple.  Nous  avons  vu 
que  leur  condition,  leur  caractère,  leur  religion  et  leur 
politique  les  rendirent  quelquefois  ennemis,  mais  il  faut 
constater  que  leur  propre  raison  et  l'autorité  royale  les 
mirent  souvent  d'accord. 

Henri  IV  les  considérait  tous  deux  comme  très  utiles  à 
son  état.  Il  eut  toujours  pour  principe  fixe  de  conduite  de 
les  employer  en  «  tempérant  »  leurs  conseils  et  en  «  modé- 


(\)Èc.  Roy  -,  t.  I,  p.  511  et  suiv. 

(2)  Giovanni  au  Grand-Duc,  20  février  1604,  Desjardins,  t.  V,  p.  520. 

(3)  Ibid.,  24  juillet  1505,  Desjardins,  t.  Y,  p.  554  et  suiv.  — 
Aerssen  écrit  le  3  juillet  à  Oldenbarnevelt  que  Sully  s'efforce  de  démon- 
trer à  la  reine  que  pour  conserver  la  régence  après  la  mort  du  roi, 
elle  doit  être  appuyée  par  un  fort  parti  «  lui  désignant  celui  de  Lor- 
raine entre  les  bras  duquel  il  s'est  jeté  ». 


298  VILLEROY 

ranl  l'excès  de  leurs  diverses  passions  »(1).  Il  apaisait  leurs 
querelles  d'un  ton  mélangé  d'autorité  et  de  bonhomie  et 
les  ministres  s'inclinaient  devant  un  prince  qu'ils  res- 
pectaient profondément.  Il  faut  ajouter,  à  la  louange  de 
ces  deux  hommes,  qu'en  dehors  de  leurs  crises  violentes 
d'inimitié,  la  raison  l'emportait.  Ils  entretenaient  générale- 
ment des  relations  correctes,  pas  très  affectueuses,  mais 
parfois  presque  cordiales.  Dans  ce  qui  nous  reste  de  leur 
correspondance,  nous  ne  trouvons  pas  un  mot  déplacé. 
Une  seule  fois,  Sully  a  voulu  nous  faire  croire  qu'il  avait 
écrit  une  lettre  injurieuse  à  Yillerov  :  la  lettre  qu'il  nous 
cite  est  altérée  (2).  Dans  la  correspondance  des  envoyés 
étrangers,  on  trouve  de  nombreux  témoignages  de  leur 
fréquente  entente  dans  les  affaires  publiques.  En  dehors 
des  périodes  d'hostilité  que  nous  avons  spécifiées  plus  haut, 
il  ne  faut  pas  que  la  rudesse  et  la  liberté  de  langage  de 
Sully  nous  fassent  croire  qu'à  ce  moment  précis  ils  étaient 
en  guerre  l'un  contre  l'autre.  C'est  ainsi  qu'au  mois  de  juin 
1600,  dans  une  conversation  avec  l'envoyé  du  grand-duc, 
Sully  critique  Villeroy  tout  en  reconnaissant  à  la  fin  qu'ils 
sont  bons  amis  pour  le  moment  (3).  La  correspondance 
d'Aerssen  nous  les  montre  très  souvent  unis  dans  la  poli- 
tique étrangère  sur  le  terrain  des  affaires  hollandaises. 
Nous  constaterons  fréquemment  celle  union  en  étudiantla 
politique  extérieure,  et  nous  verrons  qu'ils  collaborèrent 
étroitement  à  quelques-unes  des  plus  grandes  actions  du 
règne. 

Le  véritable  maître  du  pouvoir,  ce  fut  Henri  IV  qui  ne 
se  contenta  pas  de  régner  comme  son  prédécesseur,  mais 
qui  gouverna.  Ilavait.au  prix  de  fatigues  et  de  travaux  sans 
nombre,  conquis  son  royaume  et,  parvenu  au  but,  n'était 


(1)  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  290. 

•ir  pins  loin. 
(3)  Desjardins,  t.  V,  p.  425  (28  juin  1600). 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  ^'JU 

pas  homme  à  l'abandonner  à  des  ministres,  si  remarquables 
lussent-ils.  Il  avait  une  haute  idée  de  son  droit  royal  et  pour 
accomplir  son  métier,  une  activité  prodigieuse,  une  intel- 
ligence extraordinairement  vive,  souple  et  sûre.  Il  décidait 
loul  en  maître,  «  voulant  savoir  toutes  choses  pour  en 
ordonner,  et  n'y  ayant  point,  d'heures  où  on  ne  lui  en  pût 
parler,  même  quand  il  était  dans  ses  plaisirs  si  c'était  chose 
importante  »  (l).  Il  tenait  conseil  chaque  malin,  pendant 
deux  heures,  en  se  promenant,  soil  dans  ses  jardins,  soit 
dans  unegalerie.  Il  interrogeait,  écoulait,  comprenait  avec 
une  extrême  facilité,  et  décidait  avec  une  présence  d'esprit 
el  une  sagesse  qui  faisaient  l'admiration  des  ambassadeurs 
é! rangers  et  des  ministres  eux-mêmes.  Ceux-ci  reconnais- 
saient, sans  esprit  de  flatterie,  que  le  maître  pouvait  en 
remontrer  aux  plus  sages.  C'est  la  pensée  qu'exprimait 
Bellièvre  dans  une  curieuse  lettre  adressées  Villeroj  le 
15  mars  1596  :  «  Es  choses  d'importance;  il  faut  que  le 
maître  soit  averti  du  tond...  Le  maître  a  connaissance  de 
beaucoup  de  choses  que  je  puis  ignorer  :  il  faut  que  en  Ce 
qui  concerne  son  état,  notre  jugement  dépende  du  sien,, 
suivant  lequel  je  vous  prie  d'ôter  et  d'ajouter  aux  dits  ar- 
ticles ce  que  vous  jugerez  être  pour  le  mieux  (2).  » 

Aussi  Henri  IV  a-l-il  été,  parmi  les  souverains  des  temps 
modernes,  un  de  ceux  qui  ont  le  plus  approché  de  l'idéal 
du  gouvernement  à  la  fois  personnel  et  bien  renseigné.  Il 
ne  s'est  pas  laissé  diriger  par  un  premier  ministre.  Il  n'a 
pas  confié  l'autorité  successivement  à  différents  favoris.  Il 
a  toujours  gouverné  avec  le  même  petit  groupe  d'hommes 
de  confiance,  doués  de  talents,  d'aptitudes  diverses,  mais 
('•gaiement  utiles  à  son  État.  Il  les  afail  beaucoup  travailler, 
car  lui-même    en  temps  ordinaire  entendait  consacrer  une 


(1)  Fontenay-Mareuil,  Mém.,  p.  18. 

(2)  F.  Fr.  15893,  i'°  327.  Cette  Lettre  est  écriteà  propos 
dations  avec  l'assemblée  du  clergé. 


300  VILLEROY 

partie  de  ses  journées  à  la  chasse,  aux  exercices  physiques, 
aux  jeux  et  au  plaisir.  Il  leur  laissait  résoudre  d'eux-mêmes 
un  grand  nombre  de  petites  affaires  et  leur  faisait  préparer 
en  détail  les  affaires  d'importance  sur  lesquelles  il  réservait 
sa  décision. 

Voilà  pourquoi  nous  devons  nous  représenter  Villeroy 
et  ses  collègues  sous  un  double  aspect.  Dans  toutes  les  af- 
faires ordinaires,  peu  importantes,  ils  administrent,  sous 
la  haute  surveillance  du  roi  qui  ne  s'occupe  point  des  dé- 
tails de  leurs  charges  :  ainsi  le  chancelier  fait  son  métier 
courant  de  chef  de  la  justice,  Sully  son  métier  de  finan- 
cier, Villeroy  son  métier  de  ministre  des  affaires  étrangères. 
Mais  toutes  les  fois  qu'une  affaire  d'importance  est  à  ré- 
soudre à  l'intérieur  ou  au  dehors  du  royaume,  ils  conseil- 
lent Henri  IV  qui  seul  décide.  Tous  les  grands  actes  du 
règne  ont  été  raisonnes  par  le  roi,  et  portent  sa  marque 
personnelle.  Mais  on  y  retrouve  aussi  l'esprit,  les  tendances 
et  le  travail  d'un  ministre,  de  Sully  ou  de  Villeroy  en  gé- 
néral, qui  a  été  assez  fort  pour  persuader  le  roi.  Voilà 
pourquoi  nous  aurons  à  rechercher  dans  les  principales 
actions  du  règne  comment  s'est  exercée  l'influence  person- 
nelle d'un  Villeroy  (1). 

(1)  Rappelons  en  terminant  ce  que  Sully  fait  dire  à  Henri  IV,  Jurant 
un  séjour  à  Rennes  en  1598  :  «  Je  viendrai  aux  travaux  qu'il  me  faudra 
supporter  parmi  les  négoces  et  affaires  politiques,  et  en  l'établissement 
des  ordres,  lois,  règlements  et  disciplines,  tant  civiles  que  militaires, 
esquelles  j'appréhende  qu'il  me  conviendra  vaquer  assiduellement, 
n'ayant  jamais  eu  l'humeur  bien  propre  aux  choses  sédentaires,  et  me 
plaisant  beaucoup  plus  à  vêtir  un  harnais,  piquer  un  cheval  et  donner 
un  coup  d'épée,  qu'à  faire  des  loix,  tenir  la  main  à  l'observation  d'icelles, 
•'tre  toujours  assis  dans  un  conseil  à  signer  des  arrêts,  ou  voir  exami- 
ner des  états  de  finance  :  et  n'était  que  je  m'attends  d'être  en  cela 
secouru  de  Bellièvre,  de  vous,  de  Villeroy,  deSillery  et  de  deux  ou  trois 
autres  de  mes  serviteurs  que  j'ai  en  fantaisie,  je  m'estimerais  plus 
malheureux  en  temps  de  paix  qu'en  temps  de  guerre...  » 


CHAPITRE  II 

LA  FIN  DE  LA  LIGUE.  -  AFFAIRES  INTÉRIEURES. 
AFFAIRES  RELIGIEUSES  DU  RÈGNE. 

I.  Les  dernières  négociations  avec  les  Ligueurs  ^1594-1598).  Les 
principes  politiques  de  Villeroy.  La  restauration  du  royaume. 
—  IL  Conseils  et  négociations.  La  conspiration  de  Biron.  — 
III.  La  trahison  du  commis  L'Hoste  (1604).  —  IV.  Conseils  et 
négociations  (suite).  Les  complots  des  d'Entragues.  Les  affaires 
du  duc  de  Bouillon.  —  V.  La  religion  de  Villeroy. Piété,  mo- 
dération, tolérance.  —  VI.  Villeroy  et  les  protestants.  —  VII. 
La  politique  catholique.  Villeroy  et  les  Jésuites.  Le  Concile  de 
Trente  et  l'ultramontanisme. 

(1594-1610) 


Quand  Villeroy  fut  rappelé  au  gouvernement,  la  ligue 
qu'il  avait  abandonnée  dix  mois  auparavant  n'était  pas  en- 
core morte.  La  conversion  du  roi  avait  fait  des  miracles. 
Les  gouverneurs  et  les  villes,  les  seigneurs  et  les  peuples 
se  portaient  en  un  élan  irrésistible  vers  la  soumis- 
sion; en  une  année  le  champ  d'action  de  la  Sainte-Ligue 
diminua  de  moitié.  Henri  IV  avait  rétabli  son  autorité 
dans  neuf  provinces  :  la  Champagne,  la  Picardie,  l'Ile 
de  Usance,  la  Normandie,  l'Orléanais,  le  Berry,  le  Poitou, 
l'Auvergne  et  une  partie  de  la  Provence.  L'Anjou,  le  .Maine 


302  VILLEROY 

et  la  Guyenne  étaient  fortement  entamés.  Cependant,  Ne- 
mours dans  le  Lyonnais,  Mayenne  en  Bourgogne,  Joyeuse, 
en  Gascogne,  Boisdauphin,  dans  certaines  places  de  l'An- 
jou et  du  Maine,  Mercœur  en  Bretagne,  résistaient  encore 
avec  l'appui  des  Espagnols. 

La  destruction  de  ce  reste  important  de  la  Ligue  fut  avant 
tout  l'œuvre  personnelle  du  roi  avec  la  collaboration  ano- 
nyme de  tout  un  peuple  las  de  la  guerre  civile  depuis  qu'on 
ne  se  battait,  plus  pour  la  cause  religieuse.  L'offensive  har- 
die du  roi  en  Bourgogne  (mai-août  1595)  et  de  ses  généraux 
dansl'Est,  dans  le  Midi,  en  Bretagne, ses  libéralités  àl'égard 
des  chefs  ligueurs,  le  succès  de  sa  diplomatie  à  Borne  et 
l'absolution  pontificale  qui  supprima  définitivement  le  pré- 
texte religieux,  achevèrent  la  Ligue  en  trois  ans. 

Le  rôle  de  Villèroy,  si  grand  quand  la  Ligue  étail  forte, 
fut  limité  dans  cette  période  où  elle  se  désorganisa  si  faci- 
lement. L'œuvre  du  négociateur  patriote  était  accomplie. 
Il  n'y  avait  plus  personne  à  convaincre.  Il  ne  restait  que 
quelques  grands  seigneurs  qui  s'attardaient  à  lutter  pour 
sauver  l'honneur  ou  se  faire  acheter  plus  chèrement,  et  qui 
l'un  après  l'autre  se  soumettaient  :  Bois-Dauphin  en  aoûl 
95,  Mayenne  en  septembre,  puis  Joyeuse,  puis  d'Epernon 
qui,  s'étant  révolté  en  Provence,  avait  traité  avec  les  Espa- 
gnols et,  repentant,  promit  obéissance  au  roi  dès  le  début 
de  l'an  96.  Aussi  les  lettres  qu'écrit  Yilleroy  à  cette  époque 
ne  révèlent  plus  ni  inquiétude,  ni  découragement.  Il  a  con- 
fiance dans  l'avenir,  dans  la  fortune  du  roi.  «  Dieu  aide  le 
roi  partout,  écrit-il  à  Nevers  le  17  juin  95.  Le  seul  fait  de 
Provence  me  met  en  peine;  toutefois  j'ai  des  lettres  qui 
me  promettent  quelque  remède,  à  quoi  nos  prospérités  ici 
ne  nuiront  pas  à  mon  avis  (1).  »  Les  lettres  envoyées  au 
connétable  pendant  le  voyage  dans  l'ouest  qui  prépara  la 
reddition  de  Mercœur,  le  dernier  ligueur,  sont    particu- 

(1)  Villèroy  à  Nevers,  de  Dijon,  17  juin  lo'Jo. 


LE    MINISTRE    d'iIENRI     IV  303 

fièrement  joyeuses  :  «  Nous  avons  meilleure  èspéraricèque 
jamais  »  (1)...  «  Tout  nous  rit  et  nous  favorise  jusqu'à  pré- 
sent :  en  ce  voyage,  Ancenis  et  Rochefort  ont  fait  le 
saut  (2).  » 

De  plus,  l'activité  de  Villeroy,  jadis  absorbée  par  cette 
question  unique  était  maintenant  dispersée  vers  des  objets 
très  divers.  La  rédaction  des  lettres  aux  ambassadeurs,  l'ex- 
pédition des  affaires  courantes  dépendant  de  son  secréta- 
riat, les  négociations  qui  précédèrentla  paix  avec  l'Espagne, 
d'importantes  fonctions  d'intendant  militaire  occupent  la 
[dus  grande  partie  de  son  temps  durant  ces  années  de  vie 
errante  qu'il  mena  avec  le  roi,  en  Bourgogne,  aux;  fron- 
tières de  Picardie,  à  Amiens,  à  Rouen,  et  dans  les  pro- 
vinces de  la  Loire.  Le  Vénitien  Pietro  Duodo  écrivait  dans 
sa  relation  de  1598:  «  On  peut  dire  que  tout  passe  par  ses 
mains...  Il  vit  sous  le  poids  d'une  fatigue  insuppor- 
table »  (3). 

Malgré  ces  occupations  absorbantes,  il  prit  une  part 
assez  importante  aux  négociations  qui  précédèrent  la  sou- 
mission de  Mayenne.  Des  pourparlers,  qu'on  connaît  peu, 
avaient  été  entamés  dans  le  courant  de  l'année  95,  sans  que 
le  chef  de  la  Ligue  eût  attendu  l'absolution  pontificale.  Les 
premières  tentatives  sérieuses  débutèrent,  semble-t-il,  au 
mois  de  mars.  Le  12,  il  y  eut  dans  la  maison  de  Zamet  une 
réunion  des  députés  du  duc  avec  Bouillon,  Sancy  et  Ville- 
roy. <  '.eux  du  camp  royal  n'étaient  pas  d'accord  entre  eux  au 


(1)  Villeroy  à  Montmorency,  de  Tours,  3  mars  1598.  F.  Fr.  3568, 
l'o  23. 

{■2)  Ibid.,  des  Ponts-de-Cé,  6  mars  98,  Ibid.,  fo  '.:'.. 

(3)  Albert,  fïèlazioni,  t.  XV,  p.  190.  «  Sopra  di  esso  si  appoggiano, 
corne  segretario,  tutti  gli  affari  piu  important]  di  quella  corona,  ed  a 
lui  e  al'fiilata  la  cura  di  tutte  le  cose  fuori  del  regno,  e  anco  di  quelle 
che  concernono  la  guerra  dentro  di  esso  ;  si  che  si  puo  dire  che  tutto 
passa  per  le  suemani.  Da  questo  nasce  che  non  puo  far  tanlo,  e  vorria 
pur  liberarsene,  ma  il  re  non  vuole,  e  cosi  vive  sotto  il  peso  di  una 
fatica  insopportabile.  » 


304  VILLEROY 

sujet  de  la  paix.  Les  plus  accommodants  étaient  Schomberg 
etVilleroy  (1).  Onfit  un  nouveau  pas  à  lafinde  juin.Villeroy 
fut  envoyé  avec  Roquelaure  et  Sancy  auprès  de  Mayenne 
à  Chalon,  avec  mission  d'écouter  (2).  Mayenne  lui  parut 
regretter  le  passé  et  désirer  servir  fidèlement  Henri  IV,  si 
on  lui  donnait  les  moyens  de  le  faire  avec  honneur,  c'est-à- 
dire  en  lui  laissant  au  moins  son  gouvernement  de  Bour- 
gogne. Villeroy  estima  qu'on  pourrait  s'accorder  facilement 
hormis  cette  question  épineuse,  car  le  roi,  qui  avait  donné 
la  Bourgogne  à  Biron,  ne  pouvait  revenir  sur  sa  décision. 
Henri  IV,en  effet,  lui  signifia  nettement  de  rompre  si  Mayenne 
persistait  dans  des  demandes  qui  tendaient  à  le  maintenir 
dans  sa  situation  de  chef  de  parti  (3).  Villeroy  avait  tou- 
jours eu  la  même  opinion  qu'Henri  IV.  Il  fallait  obliger 
Mayenne  à  rentrer  dans  le  devoir  tout  en  lui  consentant, 
pour  son  particulier,  de  belles  concessions.  Sancy  pensait 
comme  lui.  Mayenne  finit  par  revenir  à  des  prétentions 
plus  raisonnables  et  à  accepter,  en  échange  de  la  Bour- 
gogne, le  gouvernement  de  l'Ile-de-France,  moins  Paris, 
plus  trois  places  de  sûreté  et  une  grosse  indemnité  d'argent. 
Le  traité  avec  les  députés  de  Mayenne  fut  achevé  le 
29  août  et  bientôt  accepté  par  l'ancien  lieutenant-général 
du  royaume  qui  devint,  dès  ce  jour,  un  sujet  fidèle  (4). 

Villeroy  fut  sans  doute  employé  à  d'autres  négociations 
dont  nous  ignorons  le  menu  détail.  Il  approuva  toujours 
la  politique    de  libéralités  du  roi.   Quand    on  rappela  le 

(Il  F.  Ital.  1744,  fo  18. 

(2)  Villeroy  à  Nevers,  29  juin  95.  Voir  aussi  les  dépèches  de  l'am- 
bassadeur  vénitien  des  8  et  22  juillet  et  du  G  septembre,  F.  Ital.  1744, 
fos    122,   129,   160. 

(3/  Lettres  Vis*.,  t.  IV,  p.  3.S4.  Le  roi  a  Messes...  20  juillet  95.  Les 
destinataires  que  Berger  de  Xivrey  n'identifie  pas  sont  sans  doute 
\  illeroy,  Roquelaure  et  Sancy, 

(-'()  Ibid.,  p.  397.  Le  roi  a  la  duchesse  de  Nevers-,  29  août  95.  — ■ 
L'acte  officiel  de  la  soumission  est  l'édit  de  FolepJbray  du  31  janvier 
ii  avait  envoyé  Villeroy  auprès  de  Mayenne  dans  le  courant  de 
novembre  pour  recevoir  son  serment. 


LE    MINISTRE    I>'heNRI    IV  305 

comte  d'Auvergne  à  la  cour,  il  écrivit  à  Bellièvre  :  «  L'ar- 
gent que  l'on  emploiera  à  contenter  ledit  comte  sera  très 
bien  employé  pour  le  service  du  roi  et  le  soulagement  du 
pays  d'Auvergne  »  (1).  Il  prit  une  certaine  part  aux  négo- 
ciations qui  préparèrent  la  soumission  du  duc  de  Mercœur 
qui  avait  prolongé  la  résistance  en  Bretagne  jusqu'au  com- 
mencement de  1598  (2). 

Les  guerres  civiles  étaient  terminées.  Mais  la  France  de 
1598  était  dans  une  situation  très  misérable.  Etienne  Pas- 
quier  disait  que  le  dormeur  qui  s'éveillerait  après  un  som- 
meil de  quarante  ans  croirait  voir  «  non  la  France,  mais 
un  cadaver  de  la  France  ».Le  royaume  était  à  demi  ruiné, 
les  champs  dévastés,  les  routes  coupées,  des  milliers  de 
villages  incendiés,  les  campagnes  infestées  de  brigands. 
Toutes  les  classes  de  la  société  souffraient  et  la  plus  mal- 
heureuse, celle  des  paysans,  se  révoltait.  Les  gouverneurs 
de  provinces  faisaient  les  rois  chez  eux  ;  l'administration 
financière  fourmillait  d'abus  et  le  trésor  était  vide.  Le  mé- 
contentement était  général.  Il  s'était  exprimé  ouvertement 
en  1 597  par  l'organe  du  Parlement  de  Paris,  qui,  après  la 
clôture  de  l'assemblée  des  Notables  de  Rouen,  avait  fait  au 
roi  de  vives  remontrances  sur  les  désordres  de  l'adminis- 
tration. Aussi  Henri IV,  quand  il  eut  reconquis  son  royaume, 
eut-il  à  coeur  d'y  ramener  l'ordre  et  la  prospérité.  Avec  sa 
belle  énergie  et  sa  vive  intelligence,  il  travailla,  suivant  les 
mots  que  Sully  lui  prèle,  au  ci  rétablissement  de  ce  royaume 
en  son  ancienne  grandeur  el  splendeur,  ;i  I;.  décharge  &\ 
soulagement  des  peuple-       •">'. 

(1)  Villeroy  à  Bellièvre,  i.;>  novembre  1595,  F.  !•>.  15910,  i"  272. 

(2)  il  accompagna  le  roi  dans  ce  voyage  armé  en  Bretagne  qui  dura 
do  février  a  avril  1 598.  Ceux  qui  traitèrenl  avec  les  envoyés  <\u 
«lue  de  Mercœur  à  Nantes,  .m  mois  de  mars,  furenl  Schomberg,  de 
Tliou,  Calignon,  de  Gesvres,  le  président  Jeannin  (De  Thou,  Hist., 
t.  V.   p.  723). 

(3)  Sully,  AV.  Roy.,  t.   I.  p.  275. 

Villeroy.  20 


306  VILLEROY 

Dans  cette  restauration  du  pays,  où  Sully  joua  un  si 
grand  rôle,  comme  surintendant  des  finances,  Villeroy  n'eut 
pas  de  mission  déterminée  à  remplir.  La  politique  étrangère 
absorba  la  pins  grande  partie  de  son  activité.  Cependant, 
dans  une  certaine  mesure,  il  collabora  à  l'œuvre  de  réorga- 
nisation intérieure  de  l'Etat,  car  toutes  les  décisions  im- 
portantes furent  prises  dans  le  conseil  étroit  où  sa  parole, 
nous  l'avons  vu,  était  d'un  si  grand  poids.  Ces  délibéra- 
tions demeuraient  secrètes.  Les  envoyés  étrangers,  dont 
les  dépêches  forment  comme  un  journal  de  ce  temps,  ac- 
cordaient peu  d'attention  aux  pures  questions  administra- 
tives. Après  les  affaires  étrangères,  ils  nous  renseignent 
seulement  sur  les  questions  religieuses,  les  troubles  cl  1rs 
conspirations,  les  faits  divers  de  la  cour,  et  généralement 
sur  tous  les  événements  qui  peuvent  influer  sur  la  politique 
extérieure.  Aussi  est-il  impossible  île  distinguer,  faute  de 
documents,  l'action  de  Villeroy  de  celle  de  Sully,  de  Bel- 
lièvre,  de  Sillery  ou  de  Jeannin. 

Au  moins  est-il  aisé  de  nous  représenter  les  principes 
dont  s'inspirèrent  ses  conseils.  Nous  les  connaissons  suffi- 
samment par  sa  conduite  passée,  les  déclarations  conte- 
nues dans  ses  deux  Apologies,  les  lettres  des  années  delà 
Ligue.  Ce  sont  les  principes  d'un  homme  d'ordre  qui  a 
vécu  au  temps  d'affreuses  guerres  civiles  et  qui  voit  le 
royaume  «  encore  si  débile  et  atténué  qu'il  a  tout  besoin 
de  repos  et  d'un  bon  régime  pour  recouvrer  sa  première 
santé  »  (1).  C'est  l'anarchie  qui  a  causé  les  malheurs  du 
pays.  Villeroy  ne  voit  le  salut  de  la  France  que  dans  le  res- 
pect de  l'autorité  monarchique.  Il  ne  cessera  de  proclamer 
cette  vérité  jusqu'à  la  veille  de  sa  mort  :  «  Ne  vous  lassez, 
écrivait-il  à  Du  Plessis,  le  29  janvier  1617,  d'employer 
votre  prudence  et  créance  pour  aider  à  rétablir  cette  auto- 

(1)  Lettre  à  du  Yair. 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  307 

rite  et  puissance  royale  sans  laquelle  nous  vivrons  en  con- 
fusion et  discorde  perpétuelle  »  (1). 

Dans  un  avis  écrit  au  début  de  la  régence,  il  définissait 
ainsi  le  pouvoir  monarchique  :  «  L'autorité  est  celle  qui 
maintient  les  Etals.  L'anéantissement  de  l'autorité  royale 
cause  le  mépris  des  lois  et  les  lois  méprisées  causent  la 
licence  et  désobéissance,  la  désobéissance  la  conspiration, 
les  cabales  et  ligues,  lesquelles  ont  leurs  prétextes  spé- 
cieux ou  la  religion  et  le  bien  public  ou  service  du  souve- 
rain... »(2). 

Villeroy  n'a  jamais  formulé  de  théories  originales  sur 
l'autorité  monarchique  ou  sur  les  institutions  politiques 
et  sociales  du  royaume.  Son  idéal  était  un  pouvoir  très 
fort  se  faisant  respecter  et  aimer  de  tous  les  citoyens,  une 
monarchie  absolue  en  droit  et  en  fait,  mais  sachant  se  mo- 
dérer elle-même  suivant  les  circonstances,  capable  de  cé- 
der, souple,  conciliante,  opportuniste.  Henri  IV  fut  un  roi 
selon  son  cœur.  Villeroy  ne  semble  pas  non  plus  avoir 
appliqué  son  attention  à  l'étude  spéciale  des  réformes  qui 
auraient  pu  améliorer  les  institutions.  Dans  l'avis  adressé 
à  la  reine-mère  en  1614,  il  exposait,  en  conclusion,  un 
court  programme  :  il  demandait  la  réforme  des  conseils,  la 
suppression  du  droit  annuel,  la  réglementation  des  pen- 
sions. C'étaient  des  questions  d'actualité,  discutées  dans 
le  public  et  à  l'assemblée  des  Etats  de  1614,  sur  lesquelles 
Villeroy  dans  sa  longue  lettre  tint  à  dire  un  mot,  indiquant 
ce  qui  paraissait  juste  et  modéré  aux  sages  de  la  cour, 
sans  prendre  part  aux  querelles  des  partis,  et  se  bornanl 
à  exprimer  des  souhaits.  Il  ne  s'est  pas  occupé  des  ques- 
tions financières  :  il  n'avait  aucune  compétence  sur  ce 
sujet.  Nous  en  avons  trouvé  l'aveu  dans  une  lettre  écrite  à 
Bellièvre,  le  2  octobre  1587  :  «  Vous  savez  que  je  ne  suis 


(1)  Lettres  et  Mém...,  t.  p.  1051. 

(2)  Avis  de  1611,  Y1-  Colbert,  17,  fo  4  0  et   suiv. 


308  VILLEROY 

pas  grand  clerc  en  matière  de  finances  (1).  »  Il  a  souhaité 
d'une  manière  générale  le  soulagement  du  peuple,  la  dimi- 
nution des  dépenses,  l'honnêteté  dans  l'administration, 
mais  n'a  jamais  exposé  la  moindre  idée  personnelle  sur 
les  moyens  propres  à  réaliser  ces  fins. 

\i  les  Economies  royales  ni  les  autres  documents  du 
règne  ne  nous  révèlent  de  désaccord  entre  Villeroy  et 
ses  compagnons  sur  les  grandes  mesures  qui  préparèrent 
la  restauration  du  royaume.  Il  semble  d'ailleurs  qu'il  ait 
abandonné  aux  autres  très  volontiers  le  soin  des  affaires 
sur  lesquelles  il  ne  se  sentait  aucune  compétence  spéciale, 
se  réservant  pour  lui-même  le  domaine  des  affaires  étran- 
gères. Sur  ce  point,  il  se  montrait  intraitable.  Il  se  croyait 
le  plus  fort,  le  plus  expérimenté,  le  plus  habile  et  ne 
permettait  pas  que  Ton  contestât  sa  supériorité.  Tout  le 
inonde  le  savait.  Son  panégyriste  lui-même,  P.  Matthieu, 
étaii  obligé  dé  noter  ce  qu'il  appelait  «  quelque  excès  de 
gravité  »  (2).  «  Il  savait,  nous  dit-il,  le  grand  avantage  que 
l'expérience  lui  donnait  sur  les  autres  et  était  fort  soi- 
gneux de  le  garder,  traitant  avec  les  plus  habiles  de  haut 
en  bas,  fort  sensible  et  délicat  à  tous  les  traits  qui  portaient 
contre  son  jugement,  prenait  plaisir  de  voir  couronner  ses 
opinions,  et  ne  les  bazardait  qu'il  ne  fut  assuré  qu'elles 
trouveraient  de  la  créance  ou  de  la  suite  »  (3). 

Il  semble  bien  pourtant  que  dans  certaines  affaires  finan- 
cières  et  politiques,  il  se  soit  quelquefois  séparé  de  ses  col- 
lègues pour  conseiller  plus  de  douceur  et  de  modération, 
Matthieu  nous  raconte  qu'  «  il  ne  louait  point  cette  véhé- 
mente passion  à  rechercher  ni  à  corriger  le  passé  »  (4).  Au 
début  des  poursuites  qui  furent  dirigées  contre  les  financiers 
pendant  la  guerre  contre  les  Espagnols,  il  ne  dit  rien,  mais 

\rilleroj   à  Bellièvre,  F.  Fr.  15908,  fo  477. 

ttre  h  du  Vair,  loc.  cit. 
P.  Matthieu,  Remarques  d Estât...  p.  285. 
(4)  P.  Matthieu,  Ibid.,  p.  280. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  309 

«  après  que  la  première  ardeur  lut  ralentie,  il  frappa 
dextrement  son  coup  pour  l'étourdir,  et  dit  au  roi  qu'il 
avait  toujours  remarqué  plus  de  trouble  que  de  fruit  en 
telles  recherches,  qui,  pour  être  trop  générales,  enve- 
loppent souvent  l'innocent  et  le  coupable  ...  (1).  «Peut-rire 
aussi  chercha-t-il  à  s'opposer  à  quelques  opérations  finan- 
cières qui  entraînèrent  des  troubles,  car,  nous  apprend  en- 
core Matthieu,  «  il  souhaitait  que  le  peuple  eût  moyen  de 
respirer,  et  nos  rois  si  riches  et  puissants  que  tous  les 
moyens  extraordinaires  pour  avoir  de  l'argent  fussent 
abolis  »  (2). 

II 

Il  est  une  partie  de  son  œuvre  politique  qui  a  frappé  da- 
vantage les  contemporains  et  que  nous  connaissons  mieux. 
C'est  celle  où  il  apparaît  comme  conseiller  ou  comme  négo- 
ciateur, dans  les  moments  où  la  royauté  fut  menacée  par 
des  conspirations.  Durant  cette  période  qui  s'étend  de  1602 
à  1606,  nous  retrouvons  le  défenseur  de  l'autorité  monar- 
chique d'Henri  III,  et  nous  pressentons  le  défenseur  de 
l'autorité  de  la  régente. 

Parmi  les  résistances,  les  plus  dangereuses  vinrent  des 
grands  seigneurs  qui  jusqu'en  1603  conspirèrent  contre  la 
vie  du  roi  et  la  sûreté  de  l'Etat. 

Au  mois  de  mars  1602,  le  roi  apprit  par  La  Fin  le  Nocle 
tous  les  détails  de  la  conspiration  formée  par  Biron,  maré- 
chal de  France,  gouverneur  de  Bourgogne,  duc  cl  pair, 
avec  l'appui  de  la  Savoie  et  de  l'Espagne,  la  complicité  du 

(1)  Matthieu,  Ibid.  Pour  ces  opérations  contre  les  financiers,  voir 
Sully,  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  228  etsuiv.  (Il  n'y  est  pas  question  de  Villcroy). 
Nous  n'avons  aucun  document  sur  L'attitude  de  Villeroy  dans  ers  cir- 
constances, nous  ne  possédons  que  le  texte  de  Pierre  Matthieu. 

(2)  Matthieu,  Ibid.  E<t-ce  une  allusion  à  la  pancarte  qui  fut  suppri- 
mée en  1602,  ou  au  projet  de  revision  de  la  dette  qui  entraîna  en  1605 
une  petite  émeute  des  rentiers  de  l'Hôtel  de  Ville  1 


310  VILLEROY 

comle  d'Auvergne  et  du  maréchal  de  Bouillon  (1).  Aussitôt 
il  appela  Villeroy,  Sully  et  Bellièvre  qui  examinèrent  à 
Fontainebleau  les  papiers,  lettres  et  preuves  diverses  que 
leur  fournit  l'ancien  secrétaire  et  ami  de  Biron.  Les  trois 
ministres  décidèrent  de  tenir  la  chose  secrète  jusqu'à  ce 
que  l'on  eût  fait  venir  Biron  en  cour  et  de  hâter  le  voyage 
du  roi  en  Touraine  et  en  Poitou,  pour  calmer  l'agitation 
produite  dans  les  peuples  du  sud-ouest  par  les  agents  des 
grands  rebelles.  A  Blois,  durant  le  voyage,  se  tint  un  con- 
seil étroit  où  le  roi  appela  avec  ses  conseillers  ordinaires  le 
comte  de  Soissons.  On  délibéra  si  on  devait  faire  arrêter 
d'Epernonet  Bouillon  qui  se  trouvaient  à  la  cour.  Le  Con- 
seil se  rallia  à  l'opinion  de  Sully  qui  ne  trouvait  pas  le 
crime  de  ces  deux  personnages  suffisamment  prouvé  et 
craignait  «  d'effaroucher  »  les  vrais  coupables  (2).  On  décida 
de  frapper  à  la  tète  et  d'agir  avec  rapidité  et  dissimula- 
tion. On  attira  Biron  à  Fontainebleau  sans  exciter  trop  sa 
méfiance.  Jeannin,  premier  président  au  Parlement  de 
Bourgogne,  avait  été  mandé  près  de  lui.  «  Il  fut  le  dernier 
messager  qui  lui  parla  de  sa  faute,  de  la  clémence  du 
roi  (3).  »  Henri  IV  lui  avait  écrit  des  lettres  fort  aima- 
Ides,  et  lui  avait  fait  écrire  par  ses  ministres,  en  leur  nom 
personnel.  Villeroy  avait  témoigné  à  Biron  la  joie  qu'é- 
prouvaient les  bons  serviteurs  du  roi  de  sa  prompte  arri- 
vée. Il  avait  ajouté  ces  mots  terriblement  équivoques: 
<  Aussi  elle  est  nécessaire  pour  son  service  et  contente- 
ment plus  que  je  ne  puis  vous  écrire  et  me  semble  que  le 
retardement  d'icelle  retardera  à  mesure  les  effets  qui  vous 
peuvent  contenter...  (4).  » 

(1)  Sur  la  conspiration  de  Biron,  voir  Philippson,  Heinrich  IV  un// 
Philippe  III,  in-8o,  1870,  t.  1,  et  en  appendice  une  élude  critique  sur 
les  sources  de  la  conspiration. 

(2)  Ec.  Roi/.,  t.  I,  p.  395. 

(3)  DAubigné,  t.  IX,  p.  366. 

(4)  Villeroy  à  Biron,  30  niai  1002,  dans  les  Mémoires  du  duc  de  Ne- 
vers,  t.  il,  p.  s:>7. 


LE    MINISTRE    d'uENKI    IV  #11 

Arrivé  à  Fontainebleau,  Biron  exaspéra  par  son  attitude 

orgueilleuse,  ses  dénégations  méprisantes,  le  roi  qui  était 
au  début  disposé  à  la  clémence.  Après  de  vaines  tentatives 
pour  le  sauver,  le  roi  et  les  ministres  prirent  la  résolution 
de  le  faire  arrêter  ainsi  que  le  comte  d'Auvergne  et  de  le 
l'aire  juger  par  le  Parlement,  non  par  une  commission  ex- 
traordinaire. (Test  une  résolution  que  Villeroy  trouva  par- 
faitement «généreuse  »  (1). 

Les  conseillers  du  roi  continuèrent  à  s'occuper  jusqu'à 
la  fin  de  cette  affaire  avec  un  soin  extrême.  «  Le  fait  de 
M.  de  Biron  nous  occupe  tellement,  écrivait  Villeroy  à  Bé- 
thune,  le  10  juillet,  que  nous  ne  pouvons  vaquer  à  autre 
chose  (2).  »  Dans  une  lettre  adressée  le  17  juillet  à  Belliè- 
vre,  Villeroy  approuve  énergiquement  la  conduite  du  roi. 
11  trouve  que  Biron  est  jugé  «  sans  animosité  par  la  plus 
célèbre  et  honorable  compagnie  déjuges  et  de  la  chrétien- 
lé.  qui  aura  grand  regret  de  le  condamner,  je  veux  dire 
d'avoir  juste  sujet  de  le  faire,  comme  à  S.  M.  laquelle  serait 
à  bon  droit  accusée  de  cruauté  extrême  et  de  manquement 
de  son  devoir  envers  ses  sujets  et  sa  postérité  si  elle  empê- 
chait le  cours  de  la  justice...  »(3).  Villeroy,  Sully  et  Sillerj 
examinaient  et  discutaient  avec  le  chancelier  les  pièces 
à  conviction  qui  étaient  transmises  à  la  commission  du 
Parlement  chargée  d'instruire  le  procès.  (Cette  commis- 
sion comprenait,  avec  le  premier  président  de  Harlay,  le 
président  Potier,  frère  du  secrétaire  d'Etat  et  le  conseiller 
Fleury,  beau-frèrede  Villeroy.)  A  l'unanimité  des  suffrages. 
le  Parlement  condamna  à  la  peine  de  mort  le  maréchal 
de  Biron,  qui  fut  exécuté  le  31  juillet  à  la  Bastille. 

On  peut  s'étonner  au  premier  abord  que  Villeroy  qui 
d'ordinaire  préconisait  les  méthodes  les  moins  violentes  ait 
conseillé  la  rigueur  dans  l'affaire  Biron.  Cette  énergie  était 

(1)  Villeroy  à  Béthunè,  19  juin  1(102,  F.  Vr.  3487,  f°ui. 

(2)  Ibid.,  16  juillet  1602,  Ibid.,  1°  59. 
(;;)  F.  Fr.  15896,  fo  324. 


312  VILLEROY 

absolument  nécessaire  dans  ce  moment  qui  fut  le  plus  pé- 
rilleux de  tous  pour  la  monarchie  d'Henri  IV.  Ce  n'était 
pas  un  de  ces  complots  de  mécontents  intriguant  pour  ob- 
tenir des  places  ou  de  l'argent,  et  que  Villeroy  devait  trai- 
ter sous  la  régence  avec  une  certaine  douceur.  C'était  une 
conspiration  savamment  préparée  qui  voulait  aboutir  à 
l'assassinat  du  roi  et  du  dauphin,  au  démembrement  de  la 
France  que  devaient  se  partager  certains  grands  rebelles 
et  certaines  puissances  étrangères.  Le  salut  du  roi  et  de 
l'Etat  exigeait  ce  châtiment  exemplaire  contre  lequel  pro- 
testèrent seulement  les  puissances  catholiques  intéressées 
ànotre  ruine,  les  gentilshommes  clients  de  Biron,  les  grands 
mécontents  d'Henri  IV,  qui  s'étaient  abstenus  de  paraître 
à  la  cour  des  pairs,  et  la  partie  ignorante  et  fanatique  de 
la  foule  qui  avait  stupidement  transformé  Biron  en  un  mar- 
tyr de  la  religion.  Tout  ce  qui  défendait  en  France  le  prin- 
cipe d'ordre  et  d'autorité  approuva  la  conduite  ferme 
d'Henri  IV  et  de  son  conseil  et  le  jugement  rendu  par  la 
noblesse  de  robe  du  Parlement.  On  aurait  été  au  contraire 
disposé  à  critiquer  la  clémence  du  roi  qui  avait  pardonné 
une  fois  déjà  à  Biron,  avait  longtemps  hésité  à  le  punir  et 
avait  cherché  au  débuta  lui  faciliter  le  pardon.  Cependant, 
si  Villeroy  s'associa  sans  réserve  à  cette  mesure  de  sévère 
justice,  il  n'en  passa  point  pour  le  principal  conseiller. 
L'imagination  populaire  crut  que  des  haines  privées  avaient 
causé  l'exécution  du  maréchal.  Comme  on  avait  fait  de 
lui  le  chef  des  catholiques  mécontents,  des  voix  anonymes 
accusèrent  l'ami  huguenot  du  roi,  Rosny  (1). 

(l)L'Estoile,  Ed.  Mich.  p.  337. 

Si  pour  avoir  trop  de  courage 
On  a  bien  fait  mourir  Biron, 
Rosni,  crois  que  le  même  orage 
Peut  bien  tomber  sur  un  larron  : 
Car  déjà  le  peuple  en  babille, 
Et  vous  appelle,  ce  dit-on, 
Lui  cardinal  de  la  Bastille 
Et  toi  prélat  de  Montfaucon. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV 


313 


Ajoutons  que  l'intérêt  personnel  de  Yilleroy  et  des  mi- 
nistres se  confondait  avec  l'intérêt  du  roi  et  de  l'Etat.  A  au- 
cun moment  du  règne  les  ministres  ne  furent  plus  impopu- 
laires. Au  mois  d'avril  1602,  les  gouverneurs  de  provinces, 
les  grands  officiers  et  certains  seigneurs  mécontents  de  la 
cour  qui  depuis  longtemps  murmuraient  contre  l'autorité 
souveraine  de  Yilleroy  et  de  Sully  trouvèrent  un  inter- 
prète en  Damville,  frère  du  connétable  de  Montmorency. 
Celui-ci  se  plaignit  au  roi  de  ce  que  personne  en  France 
ne  pouvait  plus  remplir  son  office,  que  Rosny  et  Yille- 
roy faisaient  tout.  Il  disait  aussi  que  si  quelque  désor- 
dre éclatait,  le  pouvoir  de  ces  deux  hommes  serait  rui- 
né (1).  L'envoyé  des  États,  Aerssen,  rapporte  les  paroles 
suivantes  qu'il  aurait  prononcées  :  «  Comment  se  peut  bien 
gouverner  cet  état  où  il  n'y  a  que  Rosny  et  Yilleroy  qui 
font  tout,  comme  estime  le  roi  que  Dieu  a  mis  toute  la  pru- 
dence humaine  en  leurs  cervelles  ?  Tant  que  cela  sera,  les 
confusions  et  désordres  naîtront  de  toute  part  »  (2).  La  plus 
grande  partie  de  la  noblesse  était  mécontente.  Les  gen- 
tilshommes avaientpris  goût  pendant  les  guerres  à  une  vie 
d'aventures,  de  rapines  et  de  grosses  dépenses.  La  paix  les 
avait  réduits  aux  revenus  de  leurs  terres  qui  avaient 
baissé  considérablement  à  la  fin  du  xvi"  siècle,  tandis  que  le 
prix  de  toutes  choses  augmentait.  Comme  on  le  fait  d'ha- 
bitude, ils  accusaient  le  gouvernement  d'être  la  cause  de 
leur  mal,  et  comme  il  est  naturel  aussi,  ils  murmuraient 
contre  le  roi  et  les  deux  personnages  qui  avaient  le  plusd'in- 
fluence  dans  son  Conseil.  Mais,  ce  qui  était  plus  inquiétant, 


(1)  Giovannini  au  Grand-Duc,  10  mai  1002.  Desjardins,  t.  V,  p.  496. 

(2)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  19  avril  1602.  Arch.  de  la  Haye,  Hol- 
land,  2632.  Voir  aussi  la  lettre  du  même  jour  d'Aerssen  à  Valcke.dans 
notre  édition,  p.  147.  Dans  cettr  dernière,  Aerssen  ajoutait  ces  mots  de 
Damville  :  «  Pour  y  remédier  esl  nécessaire  d'establir  un  bon  Conseil 
et  les  gouverneurs  en  leur  dignité,  autrement  ces  menées  ne  cesseront 
jamais.  Qui  le  pourra  souffrir  ?  Nous  sommes  dépouillés  île  toute  dignité 
et  ne  nous  reste  que  le  nom  seulement.  » 


314  VILLEROY 

les  grand-  n'étaient  pas  seuls  à  se  plaindre.  Le  peuple  criait 
contre  les  charges  croissantes  qui  pesaient  sur  lui.  Cette 
agitation  était  adroitement  entretenue  en  Poitou,  Périgord, 
Saintonge  et  Limousin  par  les  émissaires  de  la  conspi ra- 
tion Biron  et  leurs  chefs, d'Auvergne,  Bouillon, qui  répétaient 
partout  que'le  roi  allait  établir  la  gabelle  et  la  pancarte,  éle- 
ver des  citadelles  et  y  mettre  des  garnisons.  Les  habitants  de 
Limoges  prirent  les  armes  quand  on  établit  dans  la  ville 
l'impôt  du  sou  pour  livre.  Les  conspirateurs  avaient  «  pris 
leur  prétexte  à  l'endroit  du  peuple  contre  le  gouvernement 
de  MM.  de  Rosny  et  de  Villeroy.  Nécessairement  l'un  des 
trois  se  devait  perdre  :  le  Roi  et  l'Etat,  les  conspirateurs 
ou  le  conseil  »  (1).  On  comprend  donc  que,  sans  le  moindre 
désaccord,  les  ministres  se  soient  groupés  autour  de  leur 
roi  pour  étouffer  cette  conspiration  qui  menaçait  de  devenir 
une  nouvelle  ligue  du  bien  public  dirigée  contre  leur  ad- 
ministration. 


III 

Moins  de  deux  ans  après  la  conspiration  de  Biron  fut  dé- 
couverte une  grave  affaire  de  trahison  fomentée  parles  Es- 
pagnols. On  surprit  un  commis  de  Villeroy,  Nicolas  l'Hoste, 
qui  depuis  quelques  années  livrait  à  l'ambassadeur  du  roi 
catholique  les  copies  des  dépêches  échangées  entre 
Henri  IV  et  ses  ambassadeurs.  Les  ennemis  du  ministre  ne 
manquèrent  pas  de  murmurer  :  il  fut  accusé  de  négli- 
gence, et  peut-être  d'un  plus  grand  crime.  Mais  il  ne  per- 
dit pas  un  seul  moment  la  contiance  du  roi  :  cet  incident 
ne  lui  nuisit  en  aucune  manière.  Cependant  il  en  fut  pro- 
fondément affecté.  Ce  fut  un  des  plus  pénibles  événements 


(1)  Àerssen   à    Oldenbarnevelt,    Ibid...  Voir  les  lettres  écrites  par 
Aerssen  à  Valcke  du  4  juin  au  6  août  1602. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  315 

de  sa  vie.  Il  souffrit  d'avoir  été  trompé  ;  il  souffrit  à  la  vue 
•du  scandale  qui  éclata  après  la  découvert?  de  la  trahison  ; 
il  ressentit  une  vive  affliction  à  la  pensée  de  tout  le  mal 
que  le  traître  avait  fait  au  royaume  et  à  sa  douleur  se  mêla 
le  sentiment  d'avoir  été  humilié,  lui  qui  avait  été  jugé  jus- 
qu'alors un  impeccable  fonctionnaire.  Voilà  pourquoi  nous 
devons  conter  en  détail  cette  dramatique  affaire. 

Xicolas  L'Hoste  était  né  en  1581  dans  la  domesticité  de 
Yilleroy  et  avait  été  porté  sur  les  fonts  baptismaux  par  le 
ministre  (1).  11  était  le  fils  d'un  vieil  Orléanais  qui  avait 
servi  quarante  ans  la  famille  des  Neufville.  Yilleroy.  qui  ai- 
mail  beaucoup  l'enfant,  veilla  à  son  éducation.  Quand  celui- 
ci  eut  dix-neuf  ans,  en  1599,  M.  de  La  Rochepot,  qui  partait 
pourrEspagneafinderatifier  le  traité  de  Vervins,  le  reçutau 
nombre  de  ses  secrétaires  à  la  prière  du  ministre.  L'ambas- 
sadeur fut  gratifié  par  le  roi  d'Espagne,  selon  l'usage,  de 
colliers  de  pierres  et  de  chaînes  d'or  pour  lui  et  ses  Fran- 
çais, et  soit  négligence,  soit  économie,  oublia  l'Hoste  dans 
la  distribution  des  cadeaux.  Celui-ci  se  crut  méprisé  et 
se  mit  à  haïr  l'ambassadeur  de  toute  son  Ame.  Bientôt,  il 
devint  passionnément  amoureux  d'une  Castillane  belle  et 
exigeante.  Il  avait  de  grands  besoins  d'argent  ;  les  ministres 
d'Espagne  payaient  bien  les  services  des  Français.  L'idée 
de  la  trahison  se  glissa  petit  à  petit  dans  son  cerveau,  où 
elle  n'eut  à  lutter  contre  aucun  scrupule  sérieux.  Le  jeune 
homme  avait  une  nature  vicieuse,  un  caractère  sournois, 
une  haine  profonde  contre  son  maître,  et  une  dévotion  exces- 
sive  qui  aida  puissamment  à  tranquilliser  sa  conscience. 
Henri  IV  trop  récemment  converti,  trop  tolérant,  trop  ami 
des  réformés,  était  un  mauvais  berger  du  troupeau  catho- 


(1)  Les  détails  île  la  trahison  de  l'Hoste  nous  sont  donnés  principale- 
ment par  P.  Cayet,  Chron.  Sept  ,  Ed.  Michaud,  p.  2'J3-300.  Voir  aussi 
les  autres  historiens,  de  Thon,  Matthieu,  t.  Il,  310,  le  manifeste  de  Yil- 
leroy (.Mémoires  d'Estat,  Ed.  Michaud,  p.  -36),  les  récits  des  amt 
denrs  et  les  sources  manuscrites  qui  seront  signalées  plus  loin. 


316  V1LLER0Y 

tique  ;  servir  le  roi  d'Espagne,  n'était-ce  pas  servir  Dieu 
dans  la  personne  du  plus  loyal,  du  plus  ardent,  du  plus  im- 
peccable de  ses  défenseurs  ? 

L'Espagne  était  alors  le  refuge  de  quelques  anciens  li- 
gueurs impénitents  exceptés  des  amnisties  royales  et  de 
nombreux  espions  à  gage  ou'des  traîtres  condamnés  à  une 
existence  méprisée  et  médiocre.  Dans  ce  milieu  louche, 
Nicolas  L'Hoste  trouva  vite  un  complice,  un  Gascon  nom- 
mé Jean  Blas  qui  le  mit  en  relations  avec  un  prêtre  espa- 
gnol, cousin  de  don  Juan  Ydiaguez,  secrétaire  d'Etat  du 
roi  d'Espagne.  L'Hoste  fut  très  bien  accueilli  par  le  ministre 
qui  lui  donna  immédiatement  douze  cents  écus  et  lui  en 
promit  cent  par  mois.  L'Hoste  s'acquitta  à  la  perfection 
de  ses  fonctions  de  traître  et  communiqua  au  conseil 
d'Espagne  les  dépêches  importantes  qui  venaient  de  France. 
Quand  La  Rochepot  fut  rappelé,  l'Hoste  reprit  son  poste 
de  commis  dans  les  bureaux  de  Villeroy,  en  compagnie  de 
quelques  jeunes  gens  de  bonne  maison  qu'on  formait  à  la 
diplomatie  en  les  employant  à  transcrire  les  dépêches.  Il  se 
montrait  le  plus  zélé  au  travail  ;  le  premier  arrivé,  le  der- 
nier parti,  non  seulement  il  accomplissait  sa  tâche  régu- 
lière, mais  il  aidait  volontiers  les  autres.  Nul  ne  le  soup- 
çonnait :  le  jour,  on  le  voyait  travailler,  le  soir,  on  savait 
qu'il  courait  les  tavernes  et  menait  joyeuse  vie  avec  des 
drôlesses.  Ce  qu'on  ignorait,  c'est  que,  chaque  matin,  au 
point  du  jour  il  se  rendait  chez  l'ambassadeur  d'Espagne. 
Il  prenait  toute  sorte  de  précautions  :  il  allait  à  cheval  jus- 
qu'au cimetière  Saint-Jean,  et  s'arrêtait  en  route,  chez  un 
maréchal-ferrant  de  ses  amis. 

Ce  jeu  dangereux  dura  longtemps  (1).  Rien,  semble-t-il, 


(1)  Nous  n'avons  trouvé  dans  les  papiers  de  Simaneas  aucun  rensei- 
gnement important  sur  l'affaire  L'Hoste,  au  moment  de  la  découverte 
«le  la  trahison.  Dansles  dépêches  de  1602  et  de  1603,  il  est  parfois  ques- 
tion d'un  personnage  mystérieux  qu'on  nomme  l'Andalous  et  quitrans- 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  317 

ne  serait  venu  troubler  la  sécurité  du  commis  infidèle  sans 
la  mystérieuse  justice  qui  fait  dénoncer  par  des  traîtres 
les  crimes  des  traîtres.  En  1604,  vivait  en  Espagne,  dans  le 
groupe  des  réfugiés  français,  un  certain  Raffis,  un  aven- 
turier gascon  qui  avait  trempé  dans  les  troubles  qui  sui- 
virent la  conjuration  de  Biron,  et  végétait  assez  misérable- 
ment en  compagnie  de  Jean  Blas  (1).  Ce  Gascon,  dégoûté 
du  métier,  voulut  redevenir  honnête  homme  et  rentrer 
dans  les  bonnes  grâces  du  roi  de  France.  Il  fit  dire  à  l'am- 
bassadeur Barraut  qu'il  désirait  rendre  à  son  roi,  à  son 
pays,  à  la  chrétienté  un  très  important  service  dont  il  ne 
pouvait  s'acquitter  qu'après  l'entière  abolition  de  tout  ce 
qu'il  avait  entrepris  contre  S.  M.  La  cour  accorda  à  l'am- 
bassadeur pleins  pouvoirs  pour  la  grâce  de  Raffis.  Alors 
celui-ci  révéla  à  Barraut  toute  l'histoire  de  la  trahison  de 
L'Hoste  en  lui  montrant  des  lettres  du  commis  trouvées 
chez  Jean  Blas,  puis  redoutant  la  vengeance  des  Espa- 
gnols, s'enfuit  précipitamment  en  France,  accompagné  de 
Descartes,  un  secrétaire  de  l'ambassadeur. 

Ils  arrivèrent  dans  l'Ile  de  France  et  se  séparèrent  à  Fon- 
tainebleau. Descartes  rencontra  près  de  Juvisy  Villeroy 
qui  se  rendait  à  sa  maison  de  campagne  et  lui  révéla  toute 
l'affaire,  avec  preuves  à  l'appui.  Le  ministre  fui  atterré  en 
apprenant  «  l'insigne  et  détestable  perfidie  »  de  celui  qui 
trahissait  son  maître  «  autant  de  fois  qu'il  jetait  les  yeux 
sur  lui  et  mangeait  son  pain  ».  Il  se  rendità  Fontainebleau 
le  lendemain  de  bonne  heure  et  raconta  au  roi  l'événement. 
Après  dîner,  Descartes  et  Raffis  furent  introduits  dans  la 
galerie  de  la  basse  cour  et  révélèrent  la  trahison.  Henri  IV 


uni  aux  Espagnols  les  lettres  écrites  par  Villeroy  aux  ambassadeurs. 
C'est  assurément  Nicolas  l'Hoste.  Voir  particulièrement  les  lettres  du 
i:;  mai,  L9 juillet,  17  aoùl  1602.  K.  1605,  p.  70,  99,  112. 

(  l  i  In  trouve  dans  les  Pap.  Simanc.  deux  mémoires  écrits  par  Raffis 
sur  la  conspiration  de  Biron,  contenant  les  noms  des  gentilshommes 
complices  (année  1602,  K.  1605,  p.  65  66). 


318  VILLEROY 

délibéra  ensuite  longuement  avec  son  ministre.  Peu  après 
le  coupable  arrivait  à  Fontainebleau  à  l'improviste,  et  ren- 
contrait deux  courriers  espagnols  qui  lui  annonçaient  le 
voyage  de  Raffis  et  de  Descartes  et  le  danger  qui  le  me- 
naçait. Descartes,  à  sa  sortie  du  château,  trouva  sur  la  place 
L'Hoste.  tout  tremblant.  Il  l'accompagna  jusqu'au  logis 
de  Villeroy.  à  la  cuisine,  où  le  commis  prétendait  qu'il  al- 
lait manger,  puis  monta  rapidement  dans  la  chambre  du 
ministre  pour  le  prévenir  que  le  traître  était  là.  Un  retard 
imprévu  compromit  tout.  Villeroy  était  en  conférence  avec 
l'évêque  de  Chartres  et  le  père  Coton  pour  organiser  la 
l'été  de  la  Saint-Georges.  Descartes  ne  voulut  pas  les  dé- 
ranger et  il  attendit  longtemps  à  la  porte.  Pendant  ce  temps 
L'Hoste  prenait  la  fuite  (1). 

Quand  on  sut  la  disparition  du  traître,  le  roi  donna  l'ordre 
de  le  poursuivre.  On  mobilisa  tous  les  courriers  dispo- 
nibles et  on  les  envoya  dans  toutes  les  directions.  Par  des 
lettres  de  Villeroy,  le  chancelier  Bellièvre  et  le  garde  des 
sceaux  Sillery  connurent  les  premiers  à  Paris  la  trahison 
et  la  fuite  de  l'Hoste  (2  .  Le  lendemain,  Villeroy  communi- 
quait à  Bellièvre  la  volonté  du  roi  d'instruire  le  procès  et 
suppliait  le  chancelier  pour  que  ce  -fait  fût  «  épluché  et 
éclairci...  pour  la  décharge  et  consolation  de  ceux  qui  y 


(i)  Quand  Descartes  put  enfin  parler  à  Villeroy,  le  ministre  organisa 
aussitôt  un  plan  d'arrestation.  Il  alla  prendre  M.  de  Loménie  pour  l'as- 
sister  et  envoya  chercher  le  lieutenant  du  grand  prévôt  auquel  on  donna 
l'ordre  d'arrêter  la  personne  qu'il  verrait  dans  la  cour  en  compagnie 
d'un  laquais.  Un  domestique  fut  envoyé  à  la  recherche  de  l'Hoste  et 
Villeroy  avec  Loménie  se  mit  à  la  fenêtre  de  la  grande  galerie  pour  as- 
sisterà  la  capture  du  traître.  Ils  virent  bientôt  le  laquais  revenir  seul. 
L'Hoste  avait  disparu. 

{-2,  Villeroy  à  Bellièvre,  24  avril  1604,  F.  Fr.  15896,  fo  443  :  «  J'ai 
découvert  la  plus  insigne  déloyauté  d'un  de  mes  gens  et  de  celui  de 
tous  lequel  était  plus  obligé  à  me  servir  plus  fidèlement.  Ils  vous  di- 
ront aussi  la  disgrâce  qui  m'est  advenue  par  sa  fuite  étant  entre  mes 
mains  dont  je  suis  si  affligé  qu'il  sera  difficile  que  je  m'en  puisse 
remettre  el  consoler.  » 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  310 

ont  intérêt  »  (1).  Sillery  se  transporta  au  logis  de  l'Hoste. 
Il  n'y  trouva  qu'un  laquais  malade.  Le  commis  de  Villeroy 
avait  couru  chez  l'ambassadeur  d'Espagne,  pour  lui  de- 
mander protection.  Celui-ci  l'avait  habille  à  l'espagnole, 
lui  avait  donné  de  l'argent,  un  domestique,  lui  avait  dit  de 
gagner  Meaux  à  pied  pour  ne  pas  éveiller  les  soupçons  et 
de  partir  de  là,  à  la  nuit,  sur  un  cheval  de  poste  pour  les 
Pays-Bas  où  il  trouverait  asile. 

L'Hoste  put  arriver  à  Meaux  vers  midi  sans  être  reconnu. 
Mais  au  moment  où  il  montait  à  cheval,  un  valet  qui 
l'avait  vu  chez  M.  de  Villeroy  le  reconnut.  Le  prévôt  des 
maréchaux,  informé  le  matin  même  qu'un  commis  du  mi- 
nistre avait  tenté  d'assassiner  le  roi,  partit  aussitôt  à  bride 
abattue  avec  tous  ses  archers.  Il  arriva  la  nuit,  au  bord  de 
la  Marne,  au  moment  où  le  bac  portant  le  traître,  son  com- 
pagnon espagnol  et  leur  postillon,  se  détachait  de  la  rive. 
Le  prévôt  cria  au  batelier  de  retourner  :  il  portait  les  assas- 
sins du  roi.  Le  batelier  qui  avait  l'épée  de  l'Hoste  à  la 
gorge  continua  à  ramer.  Mais  l'Hoste  avait  irrémédiable- 
ment perdu  dans  cette  traversée  le  peu  de  courage  qui 
l'avait  soutenu  jusqu'alors.  Affolé,  il  sauta  sur  le  bord 
opposé  et  s'enfuit  à  travers  la  nuit  le  long  de  la  rivière. 
L'eau  profonde  attira -t-elle  le  misérable  démoralisé  ou 
fut-il,  malgré  lui,  emporté  par  le  courant?  Le  lendemain 
on  trouva  son  corps  noyé.  Il  fut  conduit  à  Paris  le  27  avril 
et  exposé  au  Châtclet.  Cette  fin  dramatique  du  traître  pas- 
sionna la  capitale.  L'Estoile  alla  voir  comme  les  autres  le 
corps  et  nota  les  détails  de  ce  dramatique  événement  Quel 
bruit  ne  faisait-on  pas  courir  sur  cette  mort?  Des  chirur- 
giens prétendaient  que  l'Hoste  avait  été  étouffé,  puis  jeté 


(1)  F.  Fr.  15896.  fo  445.  Voir  aussi  les  lettres  des  30  avril  et  2  mai, 
fo  449  et  451,  pleines  de  détails  sur  cette  affaire.  Voir  une  lettre  de 
Bellièvre  adressée  au  roi  le  26  avril,  Bibl.  de  l'Institut,  Coll.  Godefrov 
264,  f«  91. 


320  VILLEROY 

à  l'eau  parce  qu'on  l'avait  trouvé,  nous  dit  l'Estoile,  les 
mains  jointes,  les  jambes  molles,  le  corps  sans  une  goutte 
d'eau  (1).  Le  cadavre  dut  payer  sa  dette  à  la  justice  royale. 
Villeroy  voulait  donner  le  plus  de  solennité  possible  au 
jugement,  pour  qu'on  ne  l'accusât  pas  de  faiblesse  envers 
son  ancien  commis  (2).  Le  procès  fut  jugé  parle  Parlement 
et  l'arrêt  rendu  le  15  mai.  Le  corps  fut  traîné  sur  une  claie 
en  place  de  Grève  puis  tiré  à  quatre  chevaux,  et  les  quar- 
tiers mis  sur  quatre  roues,  aux  principales  portes  de  la 
ville. 

Ainsi  s'acheva  ce  dramatique  fait  divers,  qui  pendant 
quelques  semaines  inquiéta  les  diplomates  français  et 
troubla  la  vie  de  Villeroy.  Les  correspondances  des  am- 
bassadeurs étrangers  et  les  lettres  des  ministres  nous  per- 
mettent de  mesurer  les  conséquences  politiques  de  cette 
affaire  de  haute  trahison.  Par  Nicolas  L'Hoste,  les  Espa- 
gnols avaient  pu  connaître  depuis  quatre  ans  les  secrets 
les  plus  importants  de  notre  diplomatie.  L'inquiétude  fut 
vive  dans  certaines  cours  italiennes.  Le  nonce,  l'envoyé 
du  grand-duc,  voulurent  savoir  si  Philippe  III  avait,  pu 
apprendre  quelque  chose  de  compromettant  pour  leurs 
maîtres.  On  les  rassura  comme  ou  put  en  leur  disant  que 


(1)  L'Estoile,  Ed.  Miehaïul,  p.  367.  —  Après  avoir  conté  la  mort  du 
traître,  l'Estoile  ajoute  :  «  Le  peuple,  moins  retenu  que  le  courtisan, 
passait  bien  plus  outre  ;  car  par  ses  discours  il  attachait  au  gibet  avec 
Villeroy  plusieurs  autres  qui  à  l'aventure  n'en  pouvaient  mais,  non 
plus  que  lui,  étant  aussi  peu  en  la  puissance  de  toute  la  faculté  ter- 
rienne d'engarder  le  peuple  français  de  parler,  que  d'enfouir  le  soleil 
en  terre,  ou  l'enfermer  dedans  un  trou.  » 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  2  mai  1604,  F.  Fr.  15896,  fo  451  :  «  Peut- 
être  eut-il  été  à  propos  que  Messieurs  du  Parlement  eussent  jugé  ce 
procès  pour  la  qualité  du  crime  et  la  décharge  de  tous  les  innocents 
d'icelui.  Je  vous  supplie  d'y  penser  afin  que  l'on  ne  die  à  l'avenir  que 
pour  ma  considération  et  pour  me  favoriser  l'on  a  ôté  à  la  cour  la  con- 
naissance d'icelui  car  vous  savez  jusqu'où  passent  les  calomnies.  »  — 
Voir  aussi  une   lettre  de  Villeroy  du  même  jour   «  à  M.   le   Procureur 

il  -.   F.   Fr.  4028,  1°  72. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  321 

L'Hoste  ne  savait  pas  l'italien  (1).  Cette  trahison  avait 
aussi  entravé  l'action  du  roi  de  France  aux  Pays-Bas,  car 
le  roi  d'Espagne  connaissait  tous  les  secours  qu'on  en- 
voyait secrètement  aux  rebelles.  Un  moment  on  fut  inquiet 
à  la  pensée  d'une  rupture  avec  les  Espagnols.  La  guerre 
île  tarifs,  qui  avait  commencé  depuis  deux  ans,  reprit  de 
plus  belle  entre  les  deux  pays.  On  craignit  que  ce  ne  fût 
le  prélude  d'une  autre  lutte.  Heureusement  les  conseils 
pacifiques  l'emportèrent. 

Cet  événement  aurait  pu  ébranler  la  position  si  solide  de 
Villeroy,  s'il  avait  eu  un  autre  maître  qu'Henri  IV.  Le  mi- 
nistre avait  à  la  cour  des  ennemis  qui  l'accusèrent,  les  plus 
violents  d'infidélité,  les  autres  de  négligence.  Son  infor- 
tune lui  en  suscita  d'autres,  qui  entamèrent  une  campagne 
d'insinuation  contre  l'impardonnable  incurie  du  protecteur 
de  L'Hoste,  car  le  premier  grief,  trop  absurde,  ne  pouvait 
tenir.  Villeroy  que  cette  trahison  avait  profondément  affligé 
se  défendit  avec  son  inlassable  patience,  faisant  de  grandes 
démonstrations  de  sa  douleur  dans  des  entrevues  avec  les 
ambassadeurs,  dans  des  dépêches  aux  représentants  de  la 
France  à  l'étranger  ("3).  Il  répandit  dans  le  public  un  court 
manifeste,  qui  relatait  les  circonstances  de  la  découverte 
de  la  trahison  et  de  la  fuite  de  l'Hoste  (3).  Il  réclama  haute- 
ment qu'on  fît  toute  la  lumière  sur  cette  affaire  devant  le 


(1)  Giovannini  au  Grand-Duc.  S  mai  1604.  Desjardins,  t.  V,  p.  530. 
—  Dép.  de  Badoer  des  27  avril  et  11  mai  1604,  F.  Ital.  1753,  fo  22  et 
suiv.  Voir  une  lettre  de  Parry  à  Gecil,  15  mai  1604,  dans  Laffleur  de 
Kermaingant,  Mission  de  Mariai/...,  p.  186-187. 

(2)  Voir  entre  autres  la  lettre  de  Villeroy  à  Bétliune,  du  6  mai,  F. 
Fr.  34  88,  fo  42.  qui  contient  d'intéressants  détails  utilisés  par  nous  sur 
l'enfance  de  Nicolas  l'Hoste. 

(3)  «  Manifeste  de  M.  de  Villeroy  sur  l'évasion  de  l'Hoste,  son  com- 
mis. »  Ed.  Michaud,  p.  256-257.  —  Le  public  s'était  passionné  pour 
cette  histoire.  On  trouve  dans  les  Variétés  historiques  et  littéraires. 
t.  X,  p.  17  :  «  L'Ombre  de  Mignon  de  Fortune,  avec  l'Enfer  des  ambi- 
tieux  mondains,  sur  les  dernières  conspirations,  ou  est  traité  de  lu 
chute  de  l'Hôte  »,  dédié  au  roi  par  J.  I).  Laffemas,  sieur  de  llumont. 

Villeroy  21 


322  VILLEROY 

Parlement  de  Paris,  «  et  s'il  est  besoin,  écrivait  il  à  Bel- 
lièvre,  j7y  comparaîtrai  d'aussi  bon  cœur  qu'aux  noces  du 
son  meilleur  de  mes  amis  »  (1).  Le  roi  touché  de  la  douleur 
de  ministre  lui  témoigna  une  grande  bonté  ("2).  Il  alla  le 
voir,  lui  prodigua  les  mots  encourageants  et  familiers  dont 
il  avait  le  secret  ;  bientôt  les  affaires  reprirent  leur  train 
accoutumé  et  Villeroy  consolé  regagna  toute  son  influence, 
au  grand  dépit  de  ceuxqui  ne  pouvaient  croire  qu'Henri  IV 
serait  un  si  «  bon  maître  ». 

Parmi  ces  ennemis  déçus  de  Villeroy,  devons-nous  comp- 
ter Sully?  Si  nous  en  croyons  les  Economies  roi/alcs,  le  roi 
se  serait  plaint  au  surintendant  «  de  la  faute  ou  pour  le 
moins  de  la  nonchalance  »  de  M.  de  Villeroy  et  aurait  hésité 
deux  ou  trois  jours  sur  la  façon  dont  il  le  devait  traiter. 
Sullv,  loin  de  défendre  son  collègue,  aurait  attisé  plutôt  le 
ressentiment  du  roi,  et  à  la  fin.  pour  clore  l'incident  d'une 
manière  humiliante  pour  Villeroy,  il  lui  aurait  écrit  une 
lettre  de  consolation  «  assaisonnée  de  telle  sorte  qu'elle  pût 
servir  en  même  temps  d'admonition  »  et  il  l'aurait  exhorté 
à  la  tolérance  envers  les  réformés  pour  qu'il  évitât  «  les 
blâmes  des  langues  médisantes...  »(3).  On  a  déjà  démon- 
tré combien  était  peu  vraisemblables  chez  le  roi  de  tels 
soupçons,  et  chez  Sully  cette  attitude  si  arrogante  de  don- 
neur de  leçons  (4).  Sully  a  parfois,  comme  les  auteurs  de 

à  Paris,  1G04.  On  y  lit  quelques  vers  consolateurs  adressés  à  Villeroy: 

Revivez,  personnage  où  la  France  s'appuie, 
Ne  vous  contristez  plus  d'un  si  frêle  sujet, 
Mais  cherchez  les  moyens  d'égayer  votre  vie, 
Si  vous  voulez  bannir  des  Français  le  regret. 

(1)  Villeroy  à  Bellièvre,  2  mai   1604,  F.  Fr.  15896,  f-  451. 

(2)  Voir  Desjardins,  t.  V,  p.  530  et  les  dépèches  de  l'ambassadeur 
vénitien  citées  plus  haut  qui  témoignenl  de  la  douleur  de  Villeroy  et 
do  la  bonté  du  roi  qui  chercha  à  le  consoler,  et  à  lui  prouver  qu'il  ne 
doutait  nullement  de  sa  bonne  foi. 

(3)  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  541  à  548. 

(4)  Marbault  a  critiqué  vigoureusement  tout  ce  passage  de  Sully, 
Ed.   Mien.,  t.  Il,   p.  74.   11  a  justifié  Villeroy  et  s'est  moqué  de  cette 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  323 

mémoires  de  ce  temps,  altéré  des  documents  pour  noircir 
ses  adversaires.  Nous  avons  retrouvé  à  l'Arsenal,  deux 
lettres  envoyées  par  Sully  à  Villeroy,  les  26  et  30  avril  1(>04. 
Ce  sont  de  longues  épîtres  consolatoires,  écrites  sur  un  ton 
irréprochable  de  sympathie,  de  déférence  et  d'affection.  Si 
Sully  murmura  un  peu,  avec  les  autres  adversaires  de 
Villeroy  (que  nous  ne  connaissons  pas),  il  se  montra  beau- 
coup plus  courtois  et  beaucoup  moins  méchant  que  ne 
veut  nous  le  faire  croire  le  Sully  vieilli,  qui  du  fond  de  sa 
retraite  ne  pardonna  jamais  à  Villeroy  son  éloignement  du 
pouvoir  après  la  mort  d'Henri  IV  (1). 

Cette  affaire  n'eut  donc  aucune  suite  grave  pour  le  mi- 
nistre responsable,  grâce  à  la  bonté  du  roi  et  grâce  à  l'a- 
charnement avec  lequel  Villeroy  se  défendit.  Petit  à  petit 
tout  le  bruit  qu'avait  soulevé  cette  trahison  s'apaisa.  On  eut 
le  sentiment  qu'on  avait  échappé  à  un  grand  péril.  D'autres 
dangers  vinrent  détourner  l'attention  du  roi  et  des  ministres. 
Trois  mois  après  la  mort  de  L'Hoste,  l'Anglais  Morgan, 
incarcéré  à  la  Bastille,  révélait  la  trahison  nouvelle  dont 
il  était  le  complice  :  la  maîtresse  du  roi,  la  marquise  de 
Verneuil,  son  père  d'Entragues  et  son  frère  le  comte 
d'Auvergne  travaillaient  à  réaliser  le  projet  infernal  de 
faire  reconnaître  par  l'Espagne  le  fils  de  la  maîtresse,  après 
qu'on  aurait  assassiné  le  roi  et  le  dauphin. 


lettre  d'admonition  dont  il  trouva  plaisante  la  conclusion  relative  à  la 
tolérance  religieuse  :  «  Et  si  M.  de  Villeroy  en  eut  usé  ainsi,  jamais 
l'Hoste  n'eut  fait  cette  infidélité.  Mais  s'il  suit  cet  avis  à  l'avenir,  tous 
les  commis  seront  gens  de  bien.  »  —  Voir  aussi  la  note  de  Philippson, 
Heinrich  IV  und  Philipp  III.  t.  I,  p.  325-326.  —  Desclozeaux,  sans 
connaître  les  lettres  de  l'Arsenal,  croit  à  la  fausseté  entière  de  cette 
pièce  qui  calomnie  un  honnête  homme.  {Habvielle  d'Estrées  et  Sully, 
Revue  historique,  t.  XXXIII,  1887,  p.  249.) 
(1)  Bibl.  de  l'Arsenal,  no  6G13,  f°>  31-32. 


324  VILLEROY 


IV 


Au  lendemain  de  l'exécution  de  Biron,  Villeroy  avait 
écrit:  «  Il  faut  louer  Dieu...  implorer  son  assistance  divine 
en  la  conduite  de  ce  qui  nous  reste  à  faire  pour  achever  de 
déraciner  et  éteindre  la  conspiration,  en  quoi  je  suiscertain 
que  S.  M.  n'apportera  aucune  animosité  ni  rancune  parti- 
culière ni  trop  de  sévérité,  car  son  âme  est  toute  pleine  de 
clémence  et  débonnaireté  et  néanmoins  j'espère  qu'elle  ne 
manquera  aussi  de  diligence  ni  de  forces...  »  (1).  Villeroy, 
d'accord  avec  Sillery  et  Sully,  aurait  voulu  que  le  roi  punît 
le  comte  d'Auvergne  qui  était  presque  aussi  coupable  que 
Biron.  Mais  Henri  ne  voulut  pas  écouter  ces  conseils  de 
fermeté.  «  Le  respect  du  sang  de  Valois  et  les  pleurs  de  la 
marquise  de  Verneuil  »  (2),  sœur  du  coupable,  sauvèrent  le 
comte  qui  fut  remis  en  liberté  le  2  octobre. 

Il  en  profita  pour  tramer  contre  le  roi  une  nouvelle  cons- 
piration qui  fut  découverte  deux  ans  après  celle  de  Biron, 
au  mois  de  juin  1604.  D'Entragues,  père  de  la  marquise, 
avait  comploté  avec  les  Espagnols  pour  leur  remettre  la 
promesse  de  mariage  écrite  imprudemment  par  Henri  IV 
à  Henriette,  et  faire  reconnaître  et  protéger  par  eux  le  fils 
de  la  marquise  comme  le  successeur  légitime  du  roi  de 
France,  tandis  que  le  comte  d'Auvergne  tuerait  Henri  IV. 
Villeroy,  Bellièvre  et  Sillery  furent  impitoyables.  Ils  con- 
seillèrent au  roi  de  punir  les  coupables  avec  la  dernière 
rigueur.  Jeannin  dit  hardiment  à  Henri  IV  que  si  S.  M.  lui 
avait  fait  l'honneur  de  lui  confier  cette  affaire,  il  aurait  fait 


(1)  Villeroy  à  Béthune,  1er  aout  1602,  F.  Fr.  3487,  f»  60. 

(2)  D'Aubigné,  Hist,  unir.,  t.  IX,  p.  372.  Voir  sur  les  complots  des 
d'Entrague,  15.  Zeller,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis,  in-8<>,  1877.  — 
Les  Economies  Royales  contiennent  un  certain  nombre  de  lettres 
adressées  par  Villeroy  à   Sully  sur  la  conjuration,  t.  I,  p.  575  et  suiv. 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  325 

couper  la  tête  à  tous  les  coupables,  et  que  le  roi  avec  son 
indulgence  mettait  en  grande  crainte  tous  les  hommes  de 
bien  et  tous  ses  bons  serviteurs.  Sully  était  alors  dans  son 
gouvernement  de  Poitou.  Villeroy  qui  le  tenait  au  courant 
de  tous  les  événements  de  la  cour  lui  demandait  d'user  de 
son  influence  pour  pousser  le  roi  à  la  rigueur  :  «  Vous  avez 
raison,  lui  disait-il,  de  désirer  et  conseiller  au  roi  qu'il  fasse 
justice  de  toutes  ces  trahisons  et  conspirations  qui  se 
brassent  et  qu'il  découvre  journellement  contre  sa  cou- 
ronne, pour  en  arrêter  le  cours  qui  est  devenu  trop  com- 
mun et  ordinaire,  pour  avoir  trop  souvent  et  indifféremment 
appliqué  le  remède  de  sa  clémence  aux  occasions  qui  s'en 
sont  offertes...  (1).  »  Ces  conseils  n'eurent  pas  grande  effi- 
cacité. Le  roi  était  devenu  irrémédiablement  faible  pour 
sa  méchante  maîtresse.  A  force  d'insister,  les  ministres 
obtinrent  qu'il  forçât  d'Entragues  à  restituer  la  promesse  de 
mariage,  puis  qu'il  ordonnât  l'arrestation  du  comte.  Celui- 
ci  fut  enfermé  avec  d'Entragues  à  la  Bastille,  tandis  que  la 
marquise  était  gardée  à  vue.  D'Auvergne,  qui  avait  en  vain 
supplié  Villeroy  d'être  son  protecteur  auprès  d'Henri  IV  (1), 
fut  jugé  par  le  Parlement  et  condamné  à  mort  le  lerfévrier 
1605  avec  d'Entragues,  tandis  qu'on  ordonnait  pour  la  mar- 
quise un  plus  ample  informé.  Le  roi  remit  d'Entragues  en 
liberté  et  commua  pour  d'Auvergne  la  peine  de  mort  en 
prison  perpétuelle. 

Aux  complots  de  Biron  et  du  comte  d'Auvergne  avait 
été  mêlé  un  chef  protestant  ambitieux  et  toujours  mécon- 
tent, le  duc  de  Bouillon  qui  avait  eu  la  prudence  de  ne  pas 
se  mettre  au  premier  plan,  mais  que  tous  ses  complices 
accusaient  d'avoir  favorablement  écouté  les  propositions 
de  démembrement  du  royaume.  Le  roi  l'invita,  en  novem- 


(1)  F.  Dupuy,  32.  «  Procès  criminel  fait  par  la  cour  de  Parlement  à 

M.  le  comte  d'Auvergne  .»  1604-1605.  —  (Voir  le  2°  interrogatoire  du 
comte  d'Auvergne,  15  décembre  1604,  fos  37  et  suiv.) 


326  VILLEROY 

bre  1602,  à  venir  se  justifier.  Le  duc,  redoutant  la  justice 
du  Parlement,  se  présenta  devant  la  chambre  mi-partie  de 
Castres.  Henri  IV  ayant  défendu  à  ce  tribunal  de  s'occuper 
de  l'affaire,  Bouillon  sortit  de  France  et  se  retira  à  Heidel- 
berg,  chez  son  beau-frère  l'Electeur  Palatin.  Il  passa  aussi- 
tôt pour  un  persécuté  et  son  malheur  émut  l'Angleterre  et 
l'Allemagne.  L'Electeur  Palatin  (mai  1603),  le  landgrave 
de  Hesse,  le  duc  de  Wurtemberg  envoyèrent  à  Henri  IV 
des  ambassades  pour  solliciter  le  rappel  du  duc  de  Bouillon 
qui  voulait  rentrer  en  cour  la  tête  haute,  sans  se  soumettre 
à  la  moindre  formalité  judiciaire. 

Le  roi,  dès  le  début,  avait  été  violemment  irrité  contre 
ce  sujet  rebelle  et  hypocritement  insolent.  Tous  les  mi- 
nistres étaient  convaincus  de  sa  culpabilité.  Mais  nul  ne 
songeait  à  user  de  mesures  rigoureuses  à  son  égard.  Son 
cas  était  moins  grave  que  celui  de  Biron,  chef  de  la  cons- 
piration. De  plus,  il  avait  intéressé  à  son  infortune  les  pro- 
testants de  France  et  de  l'étranger.  Il  fallait  être  assez  pru- 
dent pour  ne  pas  mécontenter  les  alliés  du  roi  et  les  popu- 
lations huguenotes  du  midi.  Villeroy  qui  avait  conservé 
l'horreur  des  guerres  religieuses  et  qui  était  ministre  des 
affaires  extérieures  sentit  plus  que  tout  autre  la  nécessité 
de  la  modération.  Les  protestants  rendirent  hommage  à  sa 
sagesse  et  le  roi  d'Angleterre  Jacques  Ier  tint  à  exprimer  à 
l'ambassadeur  Beaumont  son  contentement  de  la  «  sincé- 
rité »  du  ministre  en  cette  affaire  (1).  Villeroy  essayait 
alors  de  faire  agir  auprès  de  Bouillon  des  amis  personnels. 
Il  avait  pris  l'initiative  d'une  démarche  auprès  de  François 


(1)  Villeroy  à  Beaumont,  25  août  4603.  F.  Fr.  159S3,  f"  Gl.  «  Je 
suis  très  obligé  au  roi  d'Angleterre  de  la  bonne  opinion  qu'il  a  de  ma 
fidélité  au  service  de  notre  maître  et  de  ma  sincérité  mèmement  en 
l'affaire  de  M.  de  Bouillon,  auquel  je  vous  jure  en  homme  de  bien  que 
je  n'eusse  pu  faire  plus  de  service  ni  meilleurs  ofiices  que  j'ai  pris 
peine  de  lui  faire  en  sa  disgrâce,  s'il  eût  été  mon  propre  et  plus  cher 
fils  ou  frère...  »    . 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  327 

d'Aerssen,  agent  des  Etats  et  ami  du  prince  Maurice,  qui 
était  le  beau-frère  de  Bouillon.  Il  lui  avait  demandé  d'in- 
tervenir auprès  du  duc  pour  le  décider  à  se  retirer  en  un 
lieu  où  il  n'inquiéterait  pas  le  roi  (1). 

Cependant,  la  modération  de  Villeroy  n'allait  pas  jusqu'à 
la  faiblesse  :  il  voulait  bien  aider  le  duc,  mais  il  entendait 
qu'il  s'aidât  lui-même.  Bouillon  devaitse  justifier  devant  la 
justice  régulière  de  son  pays  ou  demander  son  pardon  au 
roi  qui  le  lui  accorderait.  «  Il  faut  qu'il  s'humilie,  disait-il, 
il  est  seul  cause  du  mal  qu'il  a  duquel  il  ne  sortira  de  long- 
temps, s'il  ne  change  de  conseil  et  de  procédure  (2).  »  Or 
la  conduite  de  Bouillon  devenait  de  plus  en  plus  maladroite. 
Les  fréquentes  interventions  des  princes  allemands  mé- 
contentaient le  roi.  Quand  le  duc,  à  la  fin  de  1603,  vint  s'en- 
fermer dans  Sedan,  contre  la  volonté  du  roi,  Henri  IV  re- 
procha à  Villeroy  et  à  ses  collègues  de  lui  avoir  conseillé 
l'indulgence  (3).  «  Le  mécontentement  de  M.  de  Bouillon 
dure  trop,  écrivait  Villeroy,  le  "2  février  1004,  le  corps  de 
nos  huguenots  en  est  ému.  Cela  me  met  en  peine,  sachant 
que  les  Espagnols  ne  feront  conscience  d'attiser  ce  feu 
pour  en  profiler  (4).  » 

Le  roi  aurait  toutefois  fini  par  céder  aux  conseils  de  mo- 
dération et  accueillir  Bouillon  sans  trop  l'humilier,  si  à  la 
suite  de  la  conspiration  du  comte  d'Auvergne,  on  n'avait 


(1)  Mémoire  justificatif  ou  exposé  de  sa  conduite  dans  l'a /faire  du 
duc  de  Bouillon,  adressée  par  F.  d*Aerssen  aux  Etats  généraux.  Paris, 
16  mars  1603,  dansVreede,  Lettres  et  négociations  de  P.  Choart.  sieur 
de  Bueanval,  in-8o,  1846,  append.  n°  vm,  p.  391-424. —  Voir  pour  la 
môme  période  un  certain  nombre  de  lettres  de  F.  d'Aerssen  à  Olden- 
barnevelt  aux  archives  de  la  Haye.  Legatie,  613  (surtout  la  lettre  du 
5  avril).  Quelques-unes  ont  été  publiées  dans  Deventer,  Gedenkstukken 
van  J.  van  Oldenbnrnevelt,  La  Haye,  1862,  in-8°,  t.  111,  p.  41  et  suiv. 
Voir  aussi  notre  édition  des  lettres  de  F.  d'Aerssen  à  J.  Valckfi,  p.  190 
et  suiv. 

(2)  Villeroy  à  Beaumont,  25  août  1603,  F.  Fr.  15983,  f"  61 . 

(3)  Villeroy  à  Beaumont,  7  décembre  1603,  F.  Fr.  15983,  fo  126. 

(4)  IhuL,  2  février  1604,  Ibid.,  P  176. 


'.>~2H  VILLEKOY 

découvert  qu'il  avait  fait  armer  ses  châteaux  de  la  vicomte 
de  Turenne  et  fomenté  des  troubles  dans  ses  domaines  du 
centre  de  la  France.  C'est  alors  qu'Henri  IV,  furieux  contre 
ce  sujet  rebelle  qui  cherchait  à  le  brouiller  avec  ses  sujets 
protestants  et  ses  amis  d'Allemagne,  se  décida  à  «  mettre 
M.  de  Bouillon  à  la  raison  »  et  prépara  une  expédition 
contre  Sedan.  Cette  entreprise  fut  décidée  dans  un  conseil 
qui  réunit  le  comte  de  Soissons,  le  duc  de  Montpensier,  Vil- 
leroy,  Sillery  et  Sully  (1).  Sully  s'était  montré  le  partisan 
le  plus  énergique  de  la  répression.  Il  voulait  que  Ton  mar- 
chât droit  à  Bouillon,  s'il  refusait  de  se  soumettre  et  qu'a- 
près l'avoir  fait  passer  par  toutes  les  rigueurs  de  la  guerre 
on  joignît  Sedan  et  la  vicomte  de  Turenne  à  la  couronne  1 2  . 
11  mit  sous  les  yeux  du  roi  un  plan  de  Sedan,  lui  expliqua 
la  facilité  de  l'opération,  en  lui  remontrant  combien  il 
serait  indigne  de  lui  d'abandonner  l'entreprise  après  «  une 
grande  levée  de  boucliers  et  beaucoup  de  bruit  et  de 
dépense  ».  Sully  parut  à  ses  contemporains  animé  d'une 
haine  personnelle  contre  le  duc  de  Bouillon  (3).  Tous  deux 
se  disputaient  la  direction  du  parti  huguenot  que  Sully 
voulait  dominer  dans  l'intérêt  de  la  paix  publique  et  que 
Bouillon  essayait  de  soulever  contre  l'autorité  royale. 
Bouillon  avait  plus  de  richesses,  plus  d'alliances  prin- 
cières,  plus  de  puissance  que  Sully.  Mais  le  marquis  de 
Bosny  qui  venait  d'être  créé  duc  et  pair,  qui  avait  tant  de 
prétentions  à  d'illustres  parentés  étrangères,  qui  cherchait 
même  une  principauté,  ne  serait-il  pas  le  plus  fort,  le  jour 
où  Bouillon,  discrédité  comme  sujet  rebelle  ayant  porté  les 
armes  contre  son  roi,  perdrait  son  titre  de  prince  souve- 


(1)  Priuli  à  la  Seigneurie,  14  février  1606,  F.  Ital.  1754,  fo  148. 

(2)  Éc.  Roy.,  t.  II,  p.  134  et  suiv. 

(3)  Marbault,  Remarques,  p.  74.  —  Voir  aussi  une  dépêche  de  Priuli 
'lu  25  avril  1606,  F.  Ital.  1755,  fo  15,  une  lettre  de  Diego  de  Irarraga 
à  Philippe  III.  Pap.  Simane.,  17  avril  1606,  K.  1460,  p.  76,  une 
lettre  de  Villeroy  à  Sillery,  22  mars  1606,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  142. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  329 

rain  ?  Un  tel  motif  explique  l'attitude  de  Sully  et  il  n'est 
pas  besoin  de  le  soupçonner  d'avoir  seulement  voulu  acqué- 
rir gloire  et  profit,  par  une  belle  opération  de  siège  où  son 
artillerie  aurait  fait  merveille  (1)  ;  s'il  eut  cette  pensée,  elle 
fut  certainement  combattue  par  le  regret  amer  de  faire  une 
grosse  dépense  de  800.000  écus  (2). 

Et  cependant  la  manière  forte  de  Sully  ne  l'emporta  pas 
complètement.  Henri  IV  partit  le  15  mars  de  Paris,  avec 
16.000  soldats  et  cinquante  canons.  Bouillon  ne  songea 
pas  sérieusement  à  se  défendre.  Il  fit  faire  une  première 
démarche  par  Du  Maurier,  son  secrétaire,  qui  offrit  de 
recevoir  dans  la  place  un  gentilhomme  du  roi,  à  la  condi- 
tion que  la  garnison  de  Sedan  y  demeurerait.  Puis,  sans 
s'attarder  à  de  vagues  préliminaires,  le  28  mars,  quand 
l'armée  fut  à  quatre  lieues  de  Sedan,  il  demanda  au  roi  de 
traiter  par  l'intermédiaire  de  Villeroy  (3).  Villeroy  accom- 
pagné de  Dinteville,  lieutenant-général  du  roi  en  Cham- 
pagne, eut  une  conférence  de  trois  heures  avec  Bouillon 
dans  le  petit  village  de  Torcy  (4).  Il  trouva  le  duc  «  assez 
irrésolu  et  rempli  d'une  merveilleuse  défiance  »,  volontiers 
disposé  à  traîner  les  choses  en  longueur,  malgré  son  désir 
de  se  mettre  à  la  raison  (5).  Le  ministre  pressa  les  négocia- 
tions avec  une  extraordinaire  activité  et  son  ton  résolu  en 
imposa  à  Bouillon.  Le  lendemain,  dans  une  seconde  entre- 
vue, au  château  de  Sedan,  tout  était  résolu  (6).  Le  2  avril 
les  articles  étaient  signés  par  le  duc  et  Henri  IV  pouvait 


(1)  Marbault,  Remarques  (Ibid.). 
(S)  Ec,  Roy.,  t.  II,  p.  136. 

(3)  Le  roi  à  Sully,  26  mars  1606,  Éc.  Roy.,  t.  II.  p.  145.  —  Le  roi 
il  M.  de  La  Force,  5  avril,  Lettres  Miss.,  t   VI,  p.  60. 

(4)  Le  roi  à  M.  de  La  Force,  5  avril  1606,  Lettres  Miss.,  t.  IV, 
p.  601. 

(5)  Villeroy  à  Sully,  30   mars   1606,    Èc.    Roy.,  t.  II.  p.  146. 

(6)  La  Varenne  à  Sully,  3  mars  1606.  Ec.  Roy.,  t.  II.  p.  147.  Voir 
aussi  une  longue  lettre  d'Aerssenà  Oldenbarnevelt,  du  5  avril,  aux  Ar- 
chives de  la  Haye,  Legatie,  613. 


330  VILLEHOY 

écrire  à  la  princesse  d'Orange  :  «  Ma  cousine,  je  dirai 
comme  fit  César  :   Veni,  vidi,  vici,  ou  comme  la  chanson  : 

Trois  jours  durèrent  mes  amours 
Et  se  finirent  en  trois  jours 
Tant  j'étais  amoureux... 

de  Sedan  »  (1).  Le  traité  contentait  entièrement  le  roi  qui 
recevait  Bouillon  en  sa  grâce  et  devenait  maître  de  placer 
dans  Sedan  et  les  autres  places  du  duc  des  garnisons  avec 
des  commandants  à  sa  dévotion. 

Cette  conquête  si  rapide  de  Sedan,  sans  effusion  de  sang, 
surprit  tout  le  monde  et  causa  du  dépit  à  Sully.  Celui-ci 
était  demeuré  à  Paris  pour  achever  les  préparatifs  de  ce 
siège  qui  devait  durer  trois  mois.  L'ambassadeur  vénitien 
nous  rapporte  que  Sully  lui  annonça  la  reddition  de  Sedan 
con  qualche  poco  di  mortificatione  (2).  Dans  ses  Economies 
royales,  Sully  accuse  Villeroy  d'avoir  pressé  les  choses 
«  pour  l'envie  qu'il  lui  portait».  Son  adversaire  voulait 
empêcher  que  Bouillon  reconnaissant  ne  s'unît  à  son  core- 
ligionnaire. Ce  ministre  n'avait-il  pas  pour  artifice  de  «  tenir 
toujours  mal  les  uns  avec  les  autres  tous  les  plus  qualifiés 
de  la  religion»  ?  Et  pour  prouver  son  dire,  Sully  raconte  une 
histoire  de  lettre  volontairement  retardée  par  Villeroy. 
Après  les  premières  ouvertures  de  Bouillon,  le  roi  avait 
fait  mander  Sully  près  de  lui.  Villeroy  donna  les  lettres  à 
un  laquais  et  l'envoya  passer  par  Reims,  Saint-Quentin 
et  Amiens.  Le  roi,  ne  voyant  pas  arriver  Sully,  conclut  sans 
attendre  plus  longtemps.  Il  est  impossible  de  vérifier 
l'authenticité  de  cette  petite  histoire  (3).  Le  surintendant 
avait  raison  d'être  un  peu  «  mortifié  ».  Toute  la  gloire  de 
la  négociation  revint  à  Villeroy.  La  reddition  de  Sedan  fut 


(1)  Lettres  Miss  ,  t.  VI,  p.  596. 

(2)  Priuli  à  la  Seigneurie,  25  avril  1606,  F.  Ital.  1755,  fo  15. 

(3)  Ec.   Roy.,  t.  II,  p.  147. 


LE    MINISTRE    d'hENRI     IV  331 

citée  comme  «  un  grand  coup  de  l'esprit  à  M.  de  Villeroy  ». 
On  répéta  le  mot  du  roi  pendant  la  conférence  au  sujet  de 
Bouillon:  «  Je  lui  ai  envoyé  un  rude  lévrier  »  (1). 

Ce  fut,  sous  le  règne  d'Henri  IV,  la  dernière  des  négo- 
ciations pour  la  paix  intérieure  à  laquelle  il  prit  part.  Après 
la  reddition  de  Sedan,  les  complots  cessèrent.  Il  faut  at- 
tendre la  régence  de  Marie  de  Médicis  pour  voir  les  grands 
occupés  à  susciter  de  nouveaux  troubles  et  Villeroy  em- 
ployé de  nouveau  à  les  composer. 


Parmi  les  affaires  intérieures  du  règne  qui  sollicitèrent 
l'attention  de  Villeroy  et  dans  lesquelles  le  ministre  cher- 
cha à  faire  prévaloir  ses  idées,  il  faut  faire  une  place  à  part 
aux  affaires  religieuses.  Dans  quel  esprit  conseilla-t-il  le 
roi? 

Villeroy  était  un  excellent  catholique  profondément  at- 
taché à  la  religion  de  ses  pères.  Tout  jeune,  il  était  demeuré 
«  ferme  au  train  de  l'antiquité  »  (2)  dans  une  cour  où  la 
religion  réformée  progressait  grâce  au  régime  de  tolérance 
du  chancelier  de  THospital,  en  un  temps  où  Catherine  de 
Médicis  elle-même  paraissait  incliner  vers  les  doctrines 
nouvelles  (3).  Toute  sa  vie,  il  accomplit  avec  une  parfaite 


(1)  Matthieu,  Remarques  d' Estât,  p.  277.  Voir  aussi  >lans  le  même 
tomedeCimber  et  Danjou,  1|V  série,  XIV,  «  Histoire  de  l'année  1606  », 
p.  302.  Le  P.  Coton,  dans  son  oraison  funèbre,  p.  29,  rapporte  que 
quelqu'un  représenta  au  roi  que  l'esprit  de  M  «le  Bouillon  était  dif- 
ficile à  manier.  «  A  quoi  S.  M.  répondit  :  Il  a  affaire  à  M.  de  Villeroy 
qui  est  un  rude  lancier,  parole  que  j'ouïs  de  sa  bouche.  »  —  Le  roi 
a-t-il  dit  lancier  ou  lévrier  ï  Y  a-t-il  une  faute  de  l'imprimeur  dans 
l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  textes? 

(2)  Matthieu,  Remarques  d'Estat.  p,  2o7. 

(3)  Vers  1562,  année  où  fut  rendu  l'Edit  de  janvier  qui  était  assez 
favorable  aux  protestants. 


332  VILLEROY 

régularité  ses  .devoirs  religieux.  Chaque  matin,  il  assistait 
à  la  messe.  Chaque  soir  il  récitait  son  office  que  lui  disait 
son  chapelain,  Jehan  Duneau,  un  prêtre  qui  après  avoir  servi 
son  vieux  père,  servit  le  fils  jusqu'à  la  mort  (1).  Aux  grandes 
fêtes,  il  se  retirait  dans  un  monastère,  le  plus  souvent  chez 
les  Minimes  du  Bois  de  Vincennes  où  il  avait  sa  chambre. 
C'étaient  des  journées  de  silence  et  de  prière  où  il  suivait 
les  exercices  des  religieux  aux  heures  de  nuit  comme  aux 
heures  de  jour.  Il  protégeait  un  petit  couvent  de  filles  de 
l'ordre  de  l'Annonciade,  ou  comme  on  disait  communé- 
ment de  l'Ave  Maria  de  Sainte-Claire  que  son  grand-père 
avait  fondé  à  Saint-Eulrope,  près  de  Chanteloup,  en  l'hon- 
neur de  la  Conception  Bienheureuse  de  la  Vierge.  Il  veil- 
lait à  l'observation  stricte  des  règles  de  Tordre,  comme  le 
prouvent  les  exhortations  contenues  dans  son  testament  (2). 
Il  demandait  un  jour  à  l'ambassadeur  de  France  à  Borne 
d'obtenir  «  un  commandement  très  exprès  du  général  ou 
même  du  pape  au  provincial  ou  gardien  dudit  couvent  » 
pour  empêcher  que  ce  couvent  ne  tombât  «  en  la  dé- 
bauche des  autres  »,  car  il  avait  la  tristesse  de  constater 
qu'il  était  impossible,  là  comme  ailleurs,  de  faire  tenir 
la  porte  fermée  depuis  les  derniers  troubles  (3).  Il  souffrait 
de  voir  tant  de  religieux  se  dire  touchés  du  zèle  de  la  reli- 
gion prétendue  réformée  et  jeter  le  froc  aux  orties.  Il 
était  d'avis  qu'on  ne  pouvait  remédier  à  cette  situation 
qu'en  établissant  de  sages  gardiens  et  de  bons  provinciaux 
«  qui  contiennent  leurs  religieux  en  discipline  et  règle  au- 


(1  i  Nous  le  connaissons  par  le  Testament  de  feu  M.  de  Vïlleroy  ré- 
digé en  1609,  dont  la  copie  manuscrite  est  dans  le  F.  Fr.  17864,  1°  252 
et  suiv.,  et  par  le  codicille  de  1617  qu'a  publié  Potiquet  dans  sa  pla- 
quette sur  Les  Seigneurs  de  la  ville  de  Magny-en-Vexin,  in-8°,  1877. 
11  donnait  à  cet  aumônier  200  livres  de  gages  par  an  qu'il  lui  continua 
par  testament.  Le  codicille  les  porta  à  600  livres. 

(2)  Voir  le  Testament,  1°  253.  Il  donna  à  ces  religieuses  une  rente  de 
1000  livres. 

(3)  Villeroy  à  Béthune,  6  mai  1603,  F.  Fr.  3487,  f°132. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  333 

tant  par  prudence  et  douceur  que  par  rigueur,  s'étudiant 
à  les  réformer  plus  par  l'exemple  de  leurs  bonnes  et  reli- 
gieuses mœurs  que  par  leur  autorité  et  la  puissance  qu'ils 
ont  sur  eux  »,  car  souvent,  ajoutait-il,  «  lesdits  gardiens 
sont  ceux  qui  sont  les  plus  débauchés  ».  Il  s'intéressait  à  la 
cause  de  la  réforme  des  couvents,  et  c'est  à  lui  que  s'adres- 
sait, comme  à  son  meilleur  appui  en  cour,  d'Ossat  qui  fa- 
vorisait de  tout  son  pouvoir  ce  mouvement  de  réforme  (1). 
Villerôy  accomplissait  avec  la  même  conscience  les  bonnes 
œuvres  ordonnées  par  l'Eglise  et  entre  autres  les  aumônes 
aux  pauvres  qu'il  faisait  distribuer  tous  les  jours  après  son 
dîner. 

Sa  religion  ne  se  bornait  pas  à  des  pratiques.  Elle  péné- 
trait toute  sa  vie  morale.  Quand  on  étudie  un  homme  d'E- 
tat de  l'ancien  régime,  on  oublie  trop  facilement  le  chré- 
tien. On  ne  comprendrait  pas  Villerôy  si  on  négligeait  ses 
croyances.  Quand  il  parle  si  souvent  de  Dieu  qui  nous  pu- 
nit de  nos  péchés,  mais  qui  n'abandonne  pas  ce  misérable 
royaume,  il  n'emploie  pas  de  vaines  formules.  Il  met  réel- 
lement toute  sa  confiance  en  la  Providence,  et  à  aucun 
moment  il  ne  désespère  de  son  aide,  ni  aux  heures  sombres 
de  la  Ligue  ni  durant  les  troubles  de  la  Régence.  La  pa- 
tience de  Villerôy,  son  optimisme  inlassable,  son  inclina- 
tion à  «  céder  aux  orages  et  à  se  laisser  conduire  aux 
affaires  (2)  »,  sont  en  grande  partie  les  vertus  du  chrétien. 

Cette  foi  sérieuse  n'a  rien  de  mystique  ni  de  supersti- 
tieux. Elle  est  celle  d'un  tempérament  bien  équilibré  de 
bourgeois  français.  Il  n'approuvait  pas  les  dévotions  bizarres 
qu'Henri  III  s'imposait  et  ordonnait  à  sa  compagnie  de  pé- 
nitents. Quand  il  vit  qu'elles  nuisaient  aux  affaires  de  l'étal , 
il  sut  dire  à  son  maître,  nous  rapporte  Matthieu,  qu'il  avait 
été  roi  de  France  avant  d'être  le  chef  de  cette  compagnie  (3). 

(1)  D'Ossat  à  Villerôy.  Lettres,  t.  V,  p.  338. 

(2)  Suivant  l'expression  de  Richelieu,  Mémoires,  t.   I.  p.  127. 

(3)  Matthieu,  Remorquée  d' Estât,  p.  265. 


334  VILLEROY 

Il  est  à  remarquer  que  dans  aucun  pamphlet  connu  on  ne 
trouve  le  reproche  de  bigoterie.  Les  catholiques  zélés  ne 
voient  en  lui  au  temps  de  la  Ligue  qu'un  de  ces  politiques 
hypocrites,  à  la  foi  inconstante,  «  n'ayant  souci  de  rien  que 
de  la  chose  humaine  »  (1).  L'autre  parti  l'accuse  d'avoir  de 
l'Espagnol  et  du  ligueur  au  ventre,  mais  point  d'être  un 
croyant  fanatique.  Il  est  très  clairvoyant.  Il  voit  les  abus 
dont  souffre  l'Eglise  et  les  signale  très  librement  en  em- 
ployant parfois  un  ton  gouailleur  qui  rappelle  les  anciennes 
plaisanteries  contre  les  moines  et  les  ecclésiastiques. 
Comme  certains  demandaient  une  réforme  du  mode  de 
distribution  des  bénéfices,  il  répondit  :  «  Nos  ecclésiastiques 
s'y  opposeraient  formellement  tant  ils  craignent  que  l'on 
mette  la  main  en  leur  plat  et  que  l'on  retranche  leur  pitance, 
au  moyen  de  quoi  nous  estimons  qu'il  faut  remettre  à  une 
saison  plus  opportune  cette  poursuite  »  (2). 

Villeroy  est  un  catholique  tolérant.  On  ne  peut  dire  qu'il 
ait  eu  dans  sa  jeunesse  cette  vertu  si  rare.  Mais  les  guerres 
civiles  l'ont  instruit.  lia  gardé  de  cette  époque  une  horreur 
profonde  de  tous  les  abus  de  la  force,  de  toutes  les  «  inno- 
vations et  altérations  apportées  à  la  concorde  et  paix  pu- 
blique »  (3),  et  il  sait  que  la  cause  principale  de  ce  qu'il 
appelle  «  les  maladies  secrètes  de  notre  état  »  (4)  réside 
dans  le  fanatisme  religieux.  Il  n'osait  pas  affirmer  haute- 
ment qu'une  guerre  pour  la  religion  est  mauvaise  dans  son 
essence,  mais  il  y  mettait  de  telles  conditions  qu'il  la  ren- 
dait pratiquement  impossible.  «  C'est  véritablement  mourir 


(1)  «   Le  Pourlraicl  et  description  du  politique  de  ce  temps...  1589. 
Les  Belles  figures  et  drôleries  de  la  Ligue,  l'Estoile,  t.  IV. 

Sa  plus  grande  vertu  est  d'un  chacun  flatter 
Et  des  plus  forts  le  cœur  et  le  courage  ôter. 

(2,  Villeroy  à  Béthune,  19  niai  1603,  F.  Fr.  3487,  f°  135. 

(3)  Instruction  rédigée  par  Villeroy  pour  le  cardinal  de  Joyeuse  en 
1611,  dans  Aubery,  Histoire  du  cardinal  de  Joyeuse,  1054,  in-8,  p.  418. 

(4)  Villeroy  à  Béthune,  11  janvier  1603,  F.  Fr.  3487,  f  101. 


LE    MINISTRE    d'hENIU    IV  335 

glorieusement  que  de  finir  ses  jours  pour  défendre  sa  reli- 
gion, mais  aussi  c'est  offenser  Dieu  que  de  s'y  précipiter 
inconsidérément  et  témérairement,  car  il  faut  que  l'inten- 
tion soit  accompagnée  de  charité  et  de  raison  et  qu'elle 
profite  à  l'effet  qui  la  conduit  (1).  »  Il  faut  peser  les  res- 
trictions soulignées  dans  cette  phrase  de  la  harangue  qu'il 
devait  prononcer  aux  Etats  de  93  et  se  demander  quelle 
guerre  de  religion  a  pu  passer  pour  légitime  aux  yeux  du 
ministre.  Quelle  fut  la  guerre  idéale  entreprise  pour  Dieu, 
non  pas  inconsidérément  et  témérairement,  mais  dans  un 
but  de  charité  et  de  raison,  et  qui  a  réellement  profité  à  la 
cause  delà  foi?Les  luttes  religieuses  profitent  aux  victimes 
enexaltantleurzèle,  en  les  rendant  sympathiques,  et  nuisent 
à  l'Eglise  catholique  qu'elles  appauvrissent,  qu'elles  dé- 
peuplent, qu'elles  dépravent.  L'Eglise  a  besoin  de  paix  pour 
croître  en  richesse  et  en  puissance  et  faire  fleurir  les  vertus 
apostoliques.  C'est  une  de  ses  idées  chères  qu'il  a  déve- 
loppées avec  éloquence  dans  l'Avis  de  1589  adressé  à 
Mayenne  et  dans  la  harangue  qu'il  avait  écrite  pour  les 
Etats  de  1593  (2).  La  raison,  la  charité,  l'intérêt  bien  entendu 
de  la  cause  divine  commandent  de  ne  travailler  au  bien  de 
la  religion  que  «  par  degrés  et  sans  faire  violence  à  per- 
sonne »  et  «  par  les  moyens  licites  (3).  »  Dans  une  lettre 

(1)  Mèm.,  p.  247. 

(2)  Mèm.,  p.  23;>.  «  Quand  nos  mouvements  ont  commencé,  l'ordre 
ecclésiastique  en  ce  royaume  était  très  florissant  et  puissant  :  il  était 
révéré  et  supporté  et  bien  uni...  Les  curés  administraient  leurs  cures 
aux  villes  aux  champs  en  toute  sûreté,  lesquels  contentaient  leurs  pa- 
roissiens en  la  foi  de  l'Eglise.  Mais  depuis  la  guerre,  la  misère  et  la  pau- 
vreté ont  tellement  persécuté  lesdits  pasteurs,  que  les  uns  ont  été  con- 
traints d'abandonner  leurs  troupeaux  ;  les  autres  n'en  peuvent  quasi 
plus  vivre.  Il  y  aaussi  infinies  paroisses  oùle  peuple  est  privé  tout  à  fait 
de  l'exercice  de  religion  et  de  la  consolation  des  saints  sacrements* 
Davantage,  combien  d'églises  ont  été  saccagées  et  dépouillées  de  leurs 
reliques  et  joyaux,  même  abattues  depuis  la  guerre:'...  » 

(3)  Villeroy  à  Béthune,  8  octobre  1602,  F.  Fr  3487,  f»  75.  «  S.  M. 
désire  favoriser  les  Cordeliers  de  la  réforme  contre  les  opposants  qu'ils 
rencontrent  en  leur  établissement,  mais  il  faut  que  ces  choses-là  s'effec- 


336  VILLEROY 

écrite  au  temps  où  Ton  commençait  à  apprécierles  résultats 
du  régime  inauguré  par  l'Edit  de  Nantes,  Villeroy  consta- 
tait avec  «  une  grande  consolation  »  que  la  piété  du  peuple 
faisait  des  progrès  et  il  ajoutait  cette  belle  parole  de  tolé- 
rance :  «  Il  me  semble  qu'il  faut  favoriser  cette  ardeur 
pourvu  quelle  n'outrepasse  les  bornes  du  service  de  Dieu 
qui  est  tellement  conforme  avec  le  bien  public  que  j'estime 
qiïil  est  difficile  de  séparer  l'un  d'avec  Vautre  »  (1). 

Faut-il  ajouter  que  la  tolérance  de  Villeroy  était  aussi 
un  fruit  de  son  expérience  en  matière  de  politique  étran- 
gère ?  Il  connaissait  très  bien  les  mœurs  des  autres  nations  : 
il  savait  qu'une  des  causes  de  faiblesse  des  Espagnols  était 
la  violence  de  leur  fanatisme  contre  laquelle  protestaient 
la  liberté  et  la  douceur  de  nos  mœurs  (2).  11  importait  au 
royaume,  obligé  de  s'allier  à  des  puissances  protestantes, 
de  respecter  les  croyances  de  ceux  qui  étaient  les  coreli- 
gionnaires des  Anglais,  des  Hollandais,  des  Allemands. 
C'était  aussi  l'intérêt  bien  entendu  du  catholicisme,  car  en 
ménageantles  protestants  français,  nous  avions  l'autorité 
morale  nécessaire  pour  demander  aux  princes  et  aux  répu- 
bliques réformées  de  ménager  leurs  sujets  catholiques. 
Ainsi  a-t-on  pu  intervenir  discrètement  en  faveur  des  catho- 
liques hollandais  et  anglais.  La  politique  d'Henri  IV  a  fait 
rayonner  un  peu  de  sa  tolérance  hors  des  frontières  et  con- 
tribué, selon  le  mot  de  Jeannin,  à  «  arrêter  les  violences 


tuent  par  degrés  et  sans  faire  violence  à  personne.  Jamais  je  ne  vois 
faire  plus  de  dévotion  parmi  nos  peuples  qua  présent.  C'est  une  grande 
consolation  et  il  me  semble  qu'il  faut  favoriser  cette  ardeur  pourvu  qu'elle 
n'outrepasse  les  bornes  du  service  de  Dieu  qui  est  tellement  conforme 
avec  le  bien  public  que  j'estime  qu'il  est  difficile  de  séparer  l'un  d'avec 
l'autre.  » 

(1)  Villeroy  à  Béthune,  8  octobre  1602,  F.  Fr.  3487,  f°  73. 

(2)  Dans  une  lettre  du  26  janvier  1605  à  Béthune  (F.  Fr.  3488. 
f°  128)  il  blâme  l'inquisition  espagnole  qui  a  «  plus  fait  d'hérétiques 
qu'elle  n'a  converti  de  Morisques  ». 


LE    MINISTRE    d'bENRI    IV  337 

dont  les  plus  forts  usent  à  présent  partout  pour  contraindre 
les  plus  faibles  à  suivre  leur  religion  »  (1). 


VI 


Nous  connaissons  assez  Villeroy  pour  expliquer  son  atti- 
tude tolérante  à  l'égard  des  protestants  durant  le  règne 
d'HenrilV. 

Dès  son  retour  au  pouvoir,  il  fut  un  des  plus  fermes  con- 
seillers de  ledit  de  Nantes.  Henri  IV  Ta  nommé  dans  son 
discours  du  7  janvier  1599  aux  parlementaires  qui  refu- 
saient d'enregistrer  l'Edit  :  «  J'en  appelle  à  témoin  ceux 
de  mon  conseil  qui  ont  trouvé  ledit  bon  et  nécessaire  pour 
l'état  de  mes  affaires  :  M.  le  connestable,  MM.  de  Bellièvre, 
de  Sancy,  de  Sillery  et  de  Villeroy.  Je  l'ay  faict  par  leur 
advis  et  des  ducs  et  pairs  de  mon  royaume  »  (2).  D'accord 
avec  l'entourage  catholique  du  roi,  —  y  compris  Mayenne 
—  il  trouvait  nécessaire  d'assurer  par  la  tolérance  la  tran- 
quillité publique.  Il  était  alors  très  uni  avec  deux  conseil- 
lers huguenots  très  influents  auprès  du  roi,  Schomberg  et 
Sancy,  etil  avait  l'estime  de  Duplessis-Mornay  qui,  en  appre- 
nant son  rappel  au  ministère,  avait  dit  :  «  Si  bene  nemo 
melius.  Il  se  sent  si  obligé  au  roi  qu'il  est  à  croire  qu'il 
le  servira  fidèlement  et  selon  son  gré  (3).  »  Ces  amitiés  e- 
la  modération  de  Villeroy  le  rendirent  parfois  suspect 
quelques  catholiques  ombrageux,  tels  que  l'envoyé 
grand-duc  de  Toscane,  le  chanoine  Ronciani  qui  le  trout 
vait  trop  favorable  aux  huguenots  (4).  Villeroy  semblait 


es  e-N 
ect  àV 

e   du 


(1)  Jeannin  à  Villeroy,  n  nov.  1607,  Négociations,  \>.  202 

(2)  Lettres  Miss.,  t.  V.  p.  91. 

(3)  Duplessis-Mornay,   Mèm.   ri  Corresp.,   t.  VI,  p.  92;  Duplessis  à 
Bozanval,  28  septembre  1594. 

(i)  Desjardins,  V.  p.  307...  «  Villeroi,  peressere  in  grado  per  favore 
di  Sancy,  il  quale  non  è  credibile   che  desideri  l*auyuinenlu  délia  reli- 
Villeroy  22 


338  VILLEROY 

répondre  à  leurs  insinuations  quand  il  écrivait  à  Matignon, 
après  lui  avoir  expliqué  ses  idées  de  tolérance  :  «  Je  vous 
prie  de  ne  croire  pour  cela  que  je  sois  devenu  huguenot 
ni  moins  affectionné  à  ma  religion  que  de  coutume  (1).4» 

Nous  ne  connaissons  que  l'attitude  générale  de  Villeroy. 
Nous  ne  pouvons  donner  de  détails  précis  sur  son  rôle  au 
conseil  dans  les  négociations  qui  de  95  à  98  préparèrent  la 
charte  de  liberté  des  protestants.  Le  roi  avait  offert  aux  hu- 
guenots l'édit  de  1567.  L'assemblée  réunie  à  Saumur  au 
début  de  1595  le  trouva  insuffisant.  Une  nouvelle  assem- 
blée se  réunit  à  Loudun  au  mois  d'avril  et  siégea  presque 
en  permanence  jusqu'à  la  paix  définitive,  tout  en  se  trans- 
portant à  Vendôme,  puis  à  Saumur,  puis  à  Ghatellerault. 
1  ,es  représentants  des  églises  et  les  chefs  du  parti  exigeaient 
des  concessions  que  le  roi  et  son  conseil  trouvaient  exa- 
gérées. Ils  excitaient  par  leur  méfiance  un  peu  arrogante 
la  colère  d'Henri  IV  irrité  d'être  abandonné  au  siège  de  la 
Fère  et  de  voir  les  caisses  publiques  pillées  par  les  hugue- 
nots pour  le  payement  des  garnisons  de  leurs  places.  A  de 
Vie  et  Calignon  qui  représentèrent  le  roi  à  Loudun  à  partir 
de  juillet  96  et  reconnurent  la  nécessité  de  faire  un  nouvel 
édit,  on  adjoignit  Schomberg  et  de  Thou  quelques  mois 
plus  tard.  Nous  savons  par  les  Mémoires  de  ce  dernier  la 
part  que  Villeroy  eut  à  sa  nomination.  De  Thou  voulait 
s'excuser,  mais,  dit-il,  «  Villeroy  s'y  opposa  avec  chaleur  et 
pressa  Schomberg  de  le  faire  partir  incessamment,  allé- 
guant pour  toutes  raisons  que  le  service  du  roi  demandait 


gione  cattolica,  io  va  secondando  anche  nelle  cose  che  non  sono  ragio- 
nevoli.  »  (Bonciani  au  Grand-duc,  17  janvier  159b.) 

(Il  Villeroy  à  Matignon,  31  mars  1596.  Lettres,  p.  235.  Villeroy 
disail  dans  cette  lettre  :  «  Ils  sont  sujets  du  Roi  et  font  partie  du 
royaume,  nous  avons  éprouvé  leurs  forces  trop  longtemps,  et  ont 
autant  d'amis  dedans  et  dehors  le  royaume  que  jamais  ;  ménageons- 
les,  je  vous  prie,  c'est  le  service  du  Roi  et  le  bien  du  royaume,  et  si 
j'ose  dire  l'avantage  de  notre  religion,  les  choses  étant  eu  l'état  où  elles 
sont...  » 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  339 

que  ce  fût  lui  qui  ménageât  cette  affaire  puisqu'il  s'en  était 
déjà  mêlé  »  (1).  Le  choix  de  ce  catholique  modéré,  poli- 
tique et  gallican,  était  très  heureux.  L'assemblée  en 
fut  satisfaite,  car  elle  loua  «  la  sincérité  et  intégrité  »  de 
de  Thou  (2).  L'habileté  de  ces  deux  nouveaux  négociateurs, 
la  reprise  d'Amiens,  la  préparation  de  la  paix  d'Espagne 
rendirent  les  huguenots  moins  exigeants  et  le  roi  plus  con- 
ciliant. Le  13  avril  1598  fut  signé  l'Edit  que  le  Parlement 
de  Paris  ne  vérifia  qu'après  de  nombreuses  démarches  des 
membres  du  conseil  (3)  et  une  vigoureuse  et  patriotique 
allocution  d'Henri  IV. 

Les  idées  d'équité  qui  avaient  inspiré  la  conclusion  de 
l'Edit  de  Nantes  dirigèrentla  politique  religieuse  d'Henri  IV 
jusqu'à  la  fin  de  son  règne.  Par  la  volonté  du  roi  et  de  son 
conseil,  l'édit  de  paix  fut  scrupuleusement  observé.  Les 
menues  infractions  qui  çà  et  là  se  commettaient  dans  les 
provinces  étaient  signalées  par  les  assemblées  des  Eglises 
ou  la  députation  protestante  au  roi  qui  y  remédiait  de  son 
mieux. 

Sur  cette  question  il  n'y  eut  aucun  désaccord  grave  entre 
les  membres  du  gouvernement.  Tous  s'entendirent  dans 
une  seule  pensée  de  justice  pour  maintenir  leslibertés  accor- 
dées aux  dissidents,  pour  favoriser  «  les  amateurs  de  paix 
et  du   repos  public  »  (4)  et  réprimer  les  «  brouillons  »  de 

(1)  Mémoires  de  Jacques- Auguste  de  Thou,  depuis  1553  jusqu'en 
1601,  Ed.  Michaud,  Ire  série,  t.  XI,  p.  365.  —  Nous  avons  retrouvé 
dans  le  F.  Fr.  4047,  fo  258,  une  lettre  de  Villeroy  écrite  d'Abbeville  le 
13  juin  1590  dans  laquelle  il  exhorte  de  Thou  à  partir  sans  hésitation. 
De  Thou,  dans  une  lettre  non  datée  de  1596,  exprime  à  Villeroy  son 
étonnement  d'avoir  été  choisi  pour  traiter  avec  les  réformés,  loi  qui 
est  attaché  «  au  sac  et  au  palais  »  (F.  Fr.  4047,  1°  259). 

(2)  «  Lettre  de  l'assemblée  de  ceux  de  la  religion  au  roy,  faite  par 
M.  Dap/essis  »,  4  mai  1597,  Duplessis-Mornay,  Mém.  et  Corresp., 
t.  VII,  p.  191. 

(3)  Deux  lettres  de  Villeroy  à  Béthune  font  allusion  à  c^s  démarches 
auxquelles  Villeroy  semble  avoir  participé  (27  nov.  98  et  12  janv.  99, 
F.  Fr.  4128,  fo»  8  et  24). 

(4)  Sillery  à  Villeroy,  17  mars  1606.,  F.  Fr.  15579,  f°  3. 


340  VILLEROY 

l'une  et  de  l'autre  religion.  La  correspondance  deVilleroy 
avec  Mornay  montre  la  parfaite  cordialité  des  rapports  du 
ministre  avec  l'homme  qui  exerçait  la  plus  haute  autorité 
intellectuelle  et  morale  parmi  les  réformés.  Ces  relations 
devinrent  de  plus  en  plus  affectueuses.  Le  14  novembre  1603, 
dans  une  lettre  où  il  rend  hommage  à  la  franchise  et  à  l'in- 
tégrité de  Villeroy,  Mornay  se  plaint  du  refus  de  quelques 
menues  faveurs  à  son  fils  et  ajoute  :  «  Ce  que  je  vous  dis 
parce  que  c'est  partie  de  guérison  que  de  se  plaindre  au 
sein  d'un  ami,  parce  qu'aussi  votre  amitié  en  saura  trou- 
ver le  remède  si  aucun  y  en  a  »  (1).  Nous  savons  par  Mar- 
bault,  secrétaire  de  Duplessis-Mornay,  que  celui-ci  s'adressa 
à  Villeroy  «  pour  le  maintien  de  son  innocence  »  contre  les 
calomnies  de  Sully  pondant  l'assemblée  de  Chatellerault 
(juillet  1606).  L'Anglais  Carew  dans  sa  relation  constatait 
cette  amitié  et  en  concluait  que  la  grandeur  de  Villeroy 
venait  de  la  sottise  de  Duplessis  (2),  qui  au  début  l'avait 
protégé  auprès  du  roi. 

Même  accord  entre  Sully  et  Villeroy  sur  la  conduite  à 
tenir  envers  ceux  de  la  religion.  Deux  ou  trois  faits,  entre 
cent,  le  prouvent.  En  1605,  pendant  l'assemblée  de  Chatel- 
lerault, où  Sully  avait  été  délégué  pour  représenter  le  roi, 
Villeroy  se  plaignait  vivement  à  lui  des  brouillons  qui  veu- 
lent former  un  état  dans  l'Etat  (3)  et  Sully,  en  présence  de 
ces  brouillons,  leur  faisait  «  toucher  au  doigt  et  à  l'œil  l'im- 
pertinence de  ce  dessein  »  (4)  L'année  suivante,  les  Roche- 


(1)   Marbault,  Remarques...,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  74. 

l2)  Carew,  loc.  cit.,  p.  490. 

(3)  Ec.  Roy.,  U,  p.  62.  Villeroy  à  Sully,  3  août  1605  :  «  Rien  en 
vérité  ne  nous  retient  et  doit  tant  émouvoir  et  retenir  que  la  jalousie 
en  laquelle  nous  tiennent  ces  brouillons  du  royaume  et  surtout  ceux 
qui  veulent  former  un  état  dans  notre  monarchie,  étant,  comme  vous 
savez,  très  dangereux  d'avoir  soupçon  d'être  assailli  par  derrière,  cepen- 
dant que  l'on  a  un  puissant  ennemi  en  tête.  » 

i  i  i  Response  de  M.  de  Rosny  à  M. de  Villeroy, 8 août  1605,  Ec.  Roy., 
t.  Il,  p.  63. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV 


341 


lois  réclamèrent  directement  au  roi  d'Angleterre  la  mise  en 
liberté  d'un  ministre  écossais  enfermé  à  la  Tour  de  Lon- 
dres, qu'ils  voulaient  retirer  en  leur  ville.  Cette  démarche 
hardie  offensa  Henri  IV.  Villeroy  dénonça  le  fait  à  Sully 
qui  demanda  sévèrement  une  justification  à  ces  «  esprits 
turbulents  et  disposés   à   la  brouillerie  »  (1). 

S'il  y  eut  quelque  dissentiment  entre  Sully  et  Villeroy, 
ce  dut  être  non  sur  le  but  de  leur  politique,  mais  sur 
les  moyens.  Peut-être  Villeroy  était-il  plus  disposé  que 
son  collègue  à  accueillir  les  nouvelles  alarmistes  sur  les 
fauteurs  de  troubles  et  à  prendre  contre  eux  de  plus 
rigoureuses  précautions.  Quand  on  découvrit  en  1608  une 
entreprise  de  gentilshommes  huguenots  du  Poitou  contre 
quelques  châteaux,  Villeroy  effrayé  montra  l'imprudence 
qu'il  y  aurait  à  laisser  allumer  un  grand  l'eu  (2).  Le  roi  vou- 
lait lancer  contre  eux  des  forces  considérables.  Sully  ra- 
conte dans  ses  Economies  qu'il  se  moqua  du  ministre  ca- 
tholique et  se  fit  fort  d'étouffer  cette  fermentatiorvavec  vingt 
archers.  Si  le  récit  est  conforme  à  la  réalité,  il  montre  non 
pas  une  divergence  politique  entre  Sully  et  Villeroy,  mais 
une  simple  différence  d'appréciation  sur  l'importance  de 
ces  troubles  et  peut-être  chez  Sully  le  désir  assez  naturel 
de  se  distinguer  en  terminant  l'affaire  à  lui  tout  seul. 

L'attitude  tolérante  de  Villeroy  étanl  ainsi  démontrée  par 
le  témoignage  même  des  Economies  Royales,  ne  devons- 
nous  point  nous  étonner,  si -nous  rencontrons  au  cours  de 
<-es  mêmes  Economies  une  accusation  formelle  d'intolé- 
rance ?  Cette  accusation  unique  se  trouve  dans  une  lettre 
que  Sully  prétend  avoir  écrite  à  Villeroy  après  la  décou- 
vertede  la  trahison  du  commis  Lhoste  qui  livrai!  àl'Espagne 
les  documents  des  bureaux  du  secrétaire  d'Etal.   Sully, 


(1)  Ec.Roy.,  t. II,  p.  202-203   Villeroy  à  Sully,  11  nov.  I  iin7,  Sully ,, 
ceux  de  la  Rochelle,  13  nov.  1607. 

(2)  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  239. 


342  VILLEROY 

après  avoir  quelque  temps  attisé  le  ressentiment  du  roi 
contre  son  ministre,  aurait  voulu  clore  l'incident  d'une 
manière  humiliante  pour  Villeroy  et  lui  aurait  écrit  une 
lettre  de  consolation  «  assaisonnée  de  telle  sorte  qu'elle  pût 
servir  en  même  temps  d'admonition  »  (1).  Il  l'exhortait  à 
être  désormais  tolérant  envers  1rs  réformés,  s'il  voulait 
éviter  les  médisances,  à  «  n'avoir  plus  de  haine  ni  d'aver- 
sion contre  leurs  vies  ni  leurs  fortunes  ».  Nous  avons  vu  à 
quelles  proportions  il  faut  réduire  cette  trahison  de  Lhoste 
qui  fut  très  grave,  mais  n'attira  aucun  soupçon  sur  Villeroy, 
qui  n'en  était  pas  responsable,  et  ne  put  justifier  chez  Sully 
cette  attitude  si  arrogante  de  donneur  de  leçons.  Cette  vio- 
lente sortie  est  invraisemblable  :  on  l'a  déjà  démontré  2  . 
Aux  arguments  de  convenance  donnés,  nous  pouvons  ajou- 
ter le  témoignag-e  des  deux  lettres  écrites  le  26  et  le  30 avril 
1604,  à  la  date  même  où  Sully  prétend  avoir  si  vivement 
reproché  à  Villeroy  son  fanatisme.  Ce  sont  deux  longues 
épîtres  consolatoires,  d'un  ton  irréprochable  de  sympathie, 
de  déférence  et  d'affeclion.  Le  surintendant  se  montra  donc 
beaucoup  plus  courtois  que  ne  veut  nous  le  faire  croire  le 
Sully  vieilli  qui  du  fond  de  sa  retraite  ne  pardonna  jamais 
;'i  Villeroy  de  l'avoir  éloigné  du  pouvoir,  huit  mois  après  la 
mort  d'Henri  IV.  Ainsi  tombe  l'unique  accusation  d'mtolé- 
rance  lancée  par  Sully  contre  Villeroy. 


VII. 


La  raison  d'état  avait  déterminé  l'attitude  de  Villeroy  à 
l'égard  des  protestants.    La  raison  d'état  l'inspira  dans  la 


(1)  Ec.  Roy.,  I,  p.  546.  Lettre  non  datée. 

(H)  Marbault,  p.  74.  —  Desdozeaux,  Gabrielle  d'Estrées  et  Sully . 
Rev.  hist.,  XXXIII,  1887,  p.  249. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  343 

direction  qu'il  contribua  à  donner  à  la  politique  catholique 
d'Henri  IV. 

Un  des  principaux  actes  de  cette  politique  fut  le  rétablis- 
sement de  la  Compagnie  de  .lésus,  expulsée  par  arrêt  du 
Parlement,  le  29  décembre  1594,après  l'attentat  de  Châtel, 
et  réinstallée  dans  le  royaume  par  l'édit  deseptembre  1603. 
Quand  le  Parlement  les  chassa,  il  ne  semble  pas  que 
Villeroy  lil  le  moindre  effort  pour  les  défendre.  L'envoyé 
toscan  qui  essaya  d'intervenir  pour  eux  reçu!  de  Villeroy 
la  même  réponse  qu'il  avait  eue  du  roi  :  les  Jésuites 
étaient  des  thésauriseurs,  des  ambitieux  avides  de  s'empa- 
rer du  gouvernement  .les  étals  et  ils  se  montraient  partout 
les  serviteurs  de  l'Espagne  1  i.  A  cette  époque  les  Jésuites 
étaienl  réellement  impopulaires:  leur  rôle  bien  connu  sous 
la  Ligue,  la  théorie  du  régicide  qui,  imprudemment  déve- 
loppée par  quelques  pères,  avait  inspiré  Châtel,  les  ren- 
daient suspects  même  aux  modérés  et  aux  royalistes  .pu 
par  tempérament  n'étaient  pas  disposés  à  embrasser  les  hai- 
nes vigoureuses  des  parlementaires  ni  les  jalousies  de  1  l  di- 
versité. Villeroy  éprouva  certainement  cette  défiance  à  l'épo- 
que où  les  bons  Français  s'irritaient  contre  tout  ce  qui 
retardait  l'absolution  pontificale,  et  prolongeait  les  guerres 
civile-,  au  grand  avantage  de  l'Espagnol. 

Mais  peu  à  peu  les  sentiments  de  Villeroy  changent, 
comme  ceux  du  roi  et  de  son  conseil,  et  il  en  arrive  à  favo- 
riser, de  tout  son  pouvoir,  le  retour  de  la  compagnie,  dans 
l'intérêt  de  l'Etat.  Les  Jésuites  s'assagissent;  dans  l'Est  et 
dan-  le  Midi  où  ils  se  sont  réfugiés,  hors  des  limite-  du 
Parlement  de  Paris,  ils  se  font  humbles,  s'abstiennent  de 
tous  propos  compromettants.  On  ne  les  trouve  mêlés  à  au- 
cun des  attentats  qui  de  96à99  menacèrent  les  jours  du  roi  ; 
une  fois  même  ceux  qui  résidaient  à  Rome  firent   informer 


(1)  Bonciaui  au  Cirand-Duc,  2S  décembre  94,  Desjaniins,  V,  p.  29U. 


344  V1LLER0Y 

le  roi  d'un  complot  ourdi  contre  lui  (1).  On  ne  trouve  plus 
que  des  Jésuites  étrangers  pour  commettre  des  impruden- 
ces. La  Ligue  et  la  guerre  espagnole  finies,  les  vieilles 
haines  s'atténuent.  En  considérant  le  danger  qu'ils  ont  l'ait 
courir  à  la  monarchie,  on  se  demande  s'il  ne  serait  pas  bon 
d'utiliser  cette  puissante  milice  pour  le  service  du  roi  et  de 
se  servir  d'une  Compagnie  française  de  Jésus  qui  serait 
aussi  dévouée  à  Henri  IV que  ceux  d'Espagne  et  de  la  Ligue 
l'étaient  à  Philippe  IL  Ils  peuvent  encore  rendre  à  l'Etat, 
un  grand  service  en  instruisant  les  jeunes  Français.  L'en- 
seignement universitaire  est  tombé  dans  une  lamentable' 
dégradation  depuis  les  guerres  civiles.  Les  Jésuites  ont 
fondé  des  collèges  qui  prospèrent  rapidement.  Les  esprits 
les  plus  prévenus  contre  eux  sont  obligés  de  reconnaître 
leur  supériorité  dans  les  choses  de  l'éducation.  Le  25  oc- 
tobre 1(503,  M.  de  Refuges,  intendant  à  Dijon,  hostile  aux 
jésuites,  écrit  à  Villeroy  qu'ils  sont  utiles  pour  l'insl  ruction 
parce  qu'on  manque  d'éducateurs  et  qu'il  ne  faut  pas  lais- 
ser les  jeunes  Bourguignons  s'instruire  à  Dole  ou  à  Avi- 
gnon (2).  Le  25  janvier  1610,,  Du  Vair,  opposé  à  rétablisse- 
ment des  jésuites  à  Marseille,  dit  combien  il  le  regrette 
pour  son  particulier.  Il  en  recevrait  «  plus  de  consolation 
que  personne,  car  ce  sont  gens  de  lettres  avec  lesquels  on 
se  peut  entretenir  avec  plaisir  en  ce  pays  où  il  n'y  en  a  point 
<mi  fort  pende  cettequalilé  »  (3).  Villeroy  écrivait  un  jour 
à  Béthune  que  les  sujets  du  roi  «  ont  besoin  en  vérité  que 
les  collèges  desdils  Jésuites  soient  remis  pour  instruire  la 
jeunesse  à  la  piété  et  aux  bonnes  lettres,  car  nos  Univer- 
sités  sont  de  présent  fort  débauchées  et  mal  remplies  de 

(1)  D'Ossat  à  Villeroy,  8  novembre  1596,  Lettres  du  cardinal  d'Os- 
sal,  Amsterdam,  1732,  in-12,  t.  I,  p.  345. 

(-2)  Bibl.  de  l'Institut,  coll.  Godefroy,  no  15,  l'o  9.  Cette  collection 
comprend  de  nombreuses  et  intéressantes  lettres  sur  les  Jésuites  au 
début  du  xvne  siècle.  Ces  documents  ont  été  peu  utilisés. 

(3)  Du  Vair  à  Villeroy,  25  janvier  1010,  Bibl.de  l'Arsenal,  no  6013, 
fo  80. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV 


345 


gens  qui  s'en  acquittent  bien...»  (1).  Enfin,  il  faut  consi- 
dérer que  le  pape  aime  et  protège  sa  milice  dévouée  et 
que  Ton  ne  peut  espérer  avoir  d'excellentes  relations  avec 
lui  si  l'on  s'obstine  à  tenir  rigueur  à  ses  meilleurs  servi- 
teurs. Or,  Villeroy,  dans  toutes  les  entreprises  extérieures, 
s'efforce  d'avoir  sinon  l'alliance,  du  moins  la  neutralité 
bienveillante  de  Rome  et  les  plus  intelligents  de  ses  agents 
diplomatiques  comme  d'Ossat  lui  l'ont  comprendre  la 
nécessité  de  cette  concession  à  faire  au  Saint-Siège  pour 
rapprocher  tout  à  fait  le  roi  du  pape  et  combattre  effica- 
cement l'influence  espagnole.  Telles  sont  les  raisons  uti- 
litaires qui  ont  déterminé  l'attitude  de  Villeroy  à  l'égard 
des  Jésuites  (2). 

Dès  la  fin  de  1599,  des  conférences  avaient  été  tenues  pour 
le  rétablissement  des  Jésuites,  à  l'arrivée  du  P.  Lorenzo 
Maggio  envoyé  en  cour  par  le  général  de  l'Ordre.  Le 
1"' janvier  1600,  Bellièvre avait  réuni  chez  lui,  avec  Villeroy, 
les  présidents  du  Parlement  et  quelques  parlementaires  (3). 
Ces  conférences  n'eurent  point  de  suite.  Le  P.  Maggio 
continua  à  solliciter  le  roi.  Il  dit  dans  une  lettre  du  15  fé- 
vrier 1601  au  P.  Aquaviva  qu'il  a  chargé  Villeroy  de  parler 
en  son  nom  à  S.  M.  (4).  Durant  le  voyage  du  roi  à  Melz,  le 
P.  Provincial  de  France  et  trois  Jésuites  vinrent  deman- 
der officiellement  le  rappel  de  leur  ordre   (avril  1603)  ;  le 


(1)  Villeroy  à  Béthune,  17  janvier  1603.  F.  fr.  3487,  fo  103. 

(2)  Voir  dans  la  correspondance  de  d'Ossat  particulièrement  les 
lettres  des  5  novembre  1595,  23  octobre  1597,  5  mais  et  31  octobre 
1598. 

(3)  Cretineau-Joly,  Histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  III.  p.  28. 
—  Le  P.  Prat,  Recherches  historiques  et  critiques  sur  la  Compagnie 
de  Jésus  en  France  dutempsdu  /'.  Colon,  1876,  in-8o,  t.  II.  \>.  27.  — 
Douarche,  L'Université  de  Paris  et  les  Jésuites,  în-S",  1888,  p.  161  el 
suiv. 

(4)  Lettre  traduite  parle  P.  Prat,  t.  IL  p.  42.  Voir  une  autre  lettre 
du  P.  Maggio  adressée  a  Villeroy  ru  août  1601  el  où  il  le  prie  de 
a  réserver  une  oreille  pour  la  vérité  «  parce  qu'il  ne  manquera  pas  de 
gens  pour  faire  de  sinistres  rapports,  t.  II,  p.  51. 


346  VILLEROY 

roi  leur  fit  un  assez  gracieux  accueil  et  les  ramena  à  Paris 
avec  lui.  Yilleroy  eut  une  certaine  part  à  ce  premier  succès 
de  la  Compagnie.  Le  P.  Coton  ne  l'oublia  pas  (1). 

Quand  le  roi  se  résolut  enfin  à  conclure  l'affaire,  il  fit 
soumettre,  par  la  Varenne,  les  requêtes  de  la  Compagnie 
à  une  assemblée  qui  se  tint  chez  le  Connétable  le  10  juillet 
1603.  Elle  comprenait  les  ducs  de  Montpensier  et  d'Eper- 
non,  le  chancelier  Bellièvre,  Yilleroy,  Rosny,  Pontcarré, 
Chateauneuf,  de  Maisse,  Sillery,  Caumartin,  de  Yic, 
de  Thou  et  Jeannin.  La  première  séance,  si  nous  en  croyons 
Sully,  fut  un  peu  orageuse  et  indécise  (2).  Sully,  invité 
par  Sillery  à  parler  le  premier  refusa.  Le  connétable,  tou- 
jours prudent,  proposa  de  prier  le  roi  d'assister  aux  délibé- 
rations. Yilleroy  fut  d'avis  contraire:  le  roi  serait  bien  aise 
de  ne  pas  paraître  prendre  l'initiative  de  la  révocation  d'un 
arrêt  du  Parlement.  De  Thou  proposa  de  renvoyer  l'affaire 
au  Parlement.  Bellièvre  fit  décider  qu'on  délibérerait 
devant  S.  M.  Il  est  faux  de  parler,  à  propos  de  cette  séance, 
de  divisions  profondes  régnant  entre  des  esprits  aigris  par 
des  questions  religieuses  (3).  On  n'a  pas  assez  remarqué  que 
les  principaux  membres  du  conseil  étaient  résolus  à  régler, 
comme  le  roi,  la  question  dans  un  sens  favorable  aux  Jé- 
suites. Au  su  de  tout  le  monde,  Villeroy,  le  chancelier  etde 
Maisse  s'occupaient  de  l'affaire  depuis  plus  d'une  année  ; 
un  projet  de  décret  avait  été  rédigé  et  envoyé  au  pape  ;  les 
articles  du  projet  avec  les  observations  du  général  des 
Jésuites  avaient  été  le  sujet  de  discussions,  d'objections, 
de  répliques  par  voie  diplomatique.  Il  n'y  eut  dans  cette 


(1)  Oraison  funèbre,  p.  28. 

(2)  Ec.  Roy.,  I,  p.  527. 

(3)  Perrens,  L'Eglise  et  l'Etal  en  France  sous  le  règne  de  Henri  IV 
et  la  régence  de  Marie  de  Médicis,  1872,  in-8o,  t.  I,  p.  231.  Perrens 
n'a  pas  compris  que  les  conseillers  qui  délibéraient  à  cette  séance 
étaient  quelques-uns  des  esprits  les  plus  modérés  du  royaume,  les 
moins  «  aigris  »  par  les  questions  religieuses. 


LE    MINISTRE     1)  1IENHI    IV 


347 


séance  qu'une  discussion  de  procédure,  un  désir  chez  cer- 
tains d'éviter  les  responsabilités  et  chez  d'autres,  comme 
de  Thou,  l'espoir  de  transporter  l'affaire  au  Parlement  pour 
qu'il  diminuât  les  concessions  faites  aux  Jésuites.  Ce  n'était 
qu'une  question  de  réglementation.  Trois  jours  après,  le 
conseil  se  réunit  et  adopta  sans  difficultés  le  rétablis- 
sement des  Jésuites  qui  fut  ordonné  par  lettres  patentes 
du  2  septembre  1G03. 

Sully,  qui  plus  tard  accusa  la  «  malice  »  de  Yilleroy  et  de 
Jeannin  d'avoir  fait  rappeler  les  Jésuites,  n'opposa  aucune 
objection  au  projet  de  rétablissement.  Constatons-le  pour 
détruire  la  légende  d'un  Sully  qui  aurait  été  l'ennemi  mor- 
tel de  la  Compagnie  de  Jésus.  Une  fois  déjà,  en  septembre 
94,  quand  les  ennemis  des  pères  demandèrent  au  conseil 
de  prononcer  leur  expulsion,  malgré  le  premier  arrêt  du 
Parlement  qui  avait  ajourné  indéfiniment  leur  procès, 
Sully,  sous  l'influence  du  cardinal  de  Bourbon,  avait  dé- 
claré au  conseil  que  le  roi  ne  jugeait  pas  assez,  graves  les 
griefs  dont  on  les  chargeait,  qu'il  observerait  leur  conduite 
avenir  et,  défendait,  en  attendant,  toute  procédure  violente 
contre  eux  (1).  En  1603,  il  opina  pour  leur  rétablissement, 
parce  que  «  les  temps  et  la  disposition  présente  «les  affaires 
ei  des  esprits  le  requéraient  ainsi  »  (2).  Sully  tolérait  donc 
les  Jésuites  parnécessité  politique,  mais  il  était  naturel  qu'à 
cause  de  sa  religion  il  se  tînt  dans  une  certaine  réserve, 
qu'il  laissât  parler  et  agir  les  autres  «  dans  une  affaire  tant 
scabreuse  ».  C'est  pour  cette  raison  qu'il  ne  voulut  pas, 
dans  la  première  séance,  opiner  le  premier,  craignant  que 
Sillery  ne  lui  tendit  un  piège,  ni  dans  la  seconde,  pro- 
noncer de  longs  discours  (3). 


(1)  L'arrêt  est  du  6  septembre  1594. 

(2)  fbid.,y>.  530. 

(3)  Ec.  Roy.,  I,  p.  527.  —  Nous  .loutons  de  l'authenticité  de  la  con- 
versation tenue' entre  Sully  ei  le  roi  entre  les  deux  séances.  Sully  dit 


348  VILLEROY 

Au  reste,  de  grandes  précautions  avaient  été  prises 
pour  que  la  puissance  des  Jésuites  ne  devînt  pas  nuisible 
à  l'Etat.  Ils  devaient  être  Français,  ne  pouvaient  prêcher 
hors  de  leurs  maisons  sans  l'autorisation  des  évêques  et  ils 
étaient  obligés  de  prêter  devant  les  officiers  du  roi  un  ser- 
ment par  lequel  ils  s'engageaient  à  ne  rien  faire  contre  le 
service  du  roi,  la  paix  publique  et  le  repos  du  royaume. 
Villeroy  n'avait  cessé  d'insister  dans  ses  négociations  avec 
Rome  sur  ces  obligations  auxquelles  il  fallait  assujettir 
les  pères  pour  qu'ils  fissent,  croyait-il,  cesser  les  anciennes 
défiances  et  fussent  désormais  de  bons  et  loyaux  sujets  (1). 


avoir. expose  au  roi  les  sept  inconvénients  qui  résulteraient  du  rappel 
.1rs  Jésuites,  puis  s'être  incliné  devant  la  volonté  d'Henri  IV. 

Or:  lo  11  nous  parait  étonnant  que  Sully  ait  attendu  pour  exposer  ces 
objections  le  moment  où  le  rétablissement  était  devenu  inévitable,  et 
qu'il  les  ait  exposées  si  fortement  pour  se  laisser  ensuite  si  vite  con- 
vaincre par  le  roi,  au  nom  de  l'intérêt  de  l'Etat.  Sully,  ordinairement  si 
tenace  dans  la  discussion,  semble  faire  ici  une  pure  dissertation  acadé- 
mique ;  2û  Parmi  les  raisons  exposées,  il  en  est  deux  que  Sully  n'a  pu 
donner  alors,  à  cause  des  erreurs  manifestes  qu'elles  contiennent.  En 
exposant  la  quatrième  (obéissance  aveugle  des  Jésuites  au  pape),  H 
rappelle  que  le  pape  ne  se  «  dépêtrera  »  des  liens  de  l'Espagne  que 
lorsque  les  Espagnols  seront  expulsés  d'Italie,  suivant  le  projet  qu'il  a, 
lui,  Sully.,  exposé  à  Jacques  1er  dans  son  ambassade.  Or  il  est  démontré 
que  ce  grand  dessein  de  1  603  est  une  invention  postérieure  de  Sully. 
La  septième  raison  contient  une  violente  accusation  contre  le>  membres 
du  conseil  alliés  aux  Espagnols.  Sully  n'a  pu  la  donner.  Il  savait  trop 
bien  que  c'était  faux  et  qu'Henri  IV  était  attaché  à  Villeroy,  Jeannin  et 
Bellièvre  qu'il  estimait  très  bons  Français. 

Il  faut  conclure  que  cette  conversation  est  une  invention  de  Sully  qui 
lorsqu'il  écrivit  ses  mémoires  voulut  dégager  sa  responsabilité  dans 
le  rétablissement  des  Jésuites  pour  garder  auprès  de  ses  coreligion- 
naires le  renom  de  défenseur  indéfectible  de  la  religion. 

Cette  digression  n'est  pas  inutile  si  elle. démontre  que,  malgré  les 
apparences,  l'attitude  de  Villeroy  ne  fut  pas  blâmée  par  Sully  et  que  le 
rappel  des  Jésuites  approuvé  par  ces  deux  ministres  avec  le  reste  du 
conseil  fut  décidé  non  par  fanatisme  religieux  mais  dans  un  sentiment 
d'intérêt  politique. 

(1)  Villeroy  à  Béthune.  3  nov.  1603,  F.  Fr.  3487,  fo  180.  —  Il  estime 
que  si  les  Jésuites  refusent  le  serment,  il  n'y  aura  «  personne  qui 
conseille  a  S.  M.  de  les  admettre  en  ce  royaume.  »  Le  18  novembre 
(Ibid.,  f«  185),  il  écrit:  «  Nous  n'avons  aussi  perdu  encore  la  mémoire 


LE    MINISIRE    D'HENRI    IV  349 

Ni  les  instances  du  nonce,  ni  celles  du  P.  Coton  ne 
purent  le  fléchir.  Il  ne  voulut  même  pas  qu'on  s'adressât 
au  roi  pour  solliciter  de  lui  celte  modification  (1). 

Villcroy  demeura  bienveillant  envers  les  Jésuites  sans 
leur  témoigner  une  aveuglante  atïection.  Le  P.  Coton  qui, 
dans  un  mouvement  oratoire,  affirme  que  la  Société  de 
Jésus  est  «  l'une  de  ses  progénitures  spirituelles  après  Dieu 
et  la  bienveillance  de  nos  rois  »,  cite  comme  unique  marque 
de  l'amitié  du  ministre  son  intervention  pour  faire  obtenir 
au  collège  de  La  Flèche  100  000  écus  (2).  Le  minisire  ad- 
mirait beaucoup  l'éducation  donnée  par  les  pères  :  il  leur 
avait  confié  son  petit-fils  (3;.  Il  ne  paraît  s'être  occupé  des 
affaires  des  Jésuites  qu'avec  beaucoup  de  circonspection, 
en  demandant  des  renseignements  minutieux  aux  princi- 
paux intéressés.  Ainsi,  en  octobre  1(503,  il  demandait  à 
Refuges,  intendant  de  Dijon,  de  lui  dire  librement  son 
avis  sur  les  Jésuites  et  celui-ci  lui  écrivait  en  toute  fran- 
chise qu'il  les  estimait  utiles  pour  la  prédication  et  l'ins- 
truction, mais  qu'il  fallait  prendre  les  plus  grandes  précau- 
tions, si  on  voulait  les  admettre  (4).  De  même,  du  Vair 
qui  à  Marseille  s'opposait  aux  tentatives  que  faisaient  les 
Jésuites  pour  se  fixer  dans  la  ville,  priait  Yilleroy  d'inter- 
venir au  conseil  pour  empêcher  cet  établissement  (5),  et 

des  attentats  faits  contre  nos  rois  en  ce  royaume,  sous  la  permission  et 
autorité  des  papes...  » 

(1)  Lettre  du  IV  Coton  à,  Buffalo.  30  octobre  1  603,  p.  p.  P.  Prat,  II, 
17;;.  _  Le  P.  Coton  au  1'.  Âquaviva,  28  nov.  1003,  Ibid.,  p.  180. 

(21   Oraison  funèbre,  p.  34. 

(3)  Le  t.  XV  de  la  collection  Godefroy  contient  une  curieuse  lettre 
.l'un  jésuite  a  Yilleroy  à  l'occasion  du  départ  île  son  lils  qui  avait  fait 
ses  études  à  La  Flèche  (le1'  mai  L612,  XV,  fo  221).  L'auteur  du  recueil 
a  écril  en  marge:  «  On  comprend  bien  </u>>  les  louanges  pour  le  père 
ne  sont  pas  épargnées  et  (/ne  le  fils  est  un  prodige.  »  Or  la  lettre  ne 
eontient  rien  de  tel.  L'enfant  est  simplement  qualiGé  de  <■  vertueux  et 
diligent  écolier  »  qui  n'a  jamais  fourni  aucun  -  sujel  de  mécontente- 
ment ».  Il  n'y  a  non  plus  aucun  éloge  spécial  du  peu'. 

!4)  Bibl.  de  l'Institut,  Coll.  Godefroy,  mss.  n<>  XV.  fo  9. 

(5)  Du  Vair  à  Villeroy,  25  janvier  1610,  Arsenal,  mss.  n°  6613,1°  80. 


350  VILLEROY 

Villeroy  ne  faisait  rien  pour  contrecarrer,  en  faveur  des 
Jésuites,  l'opinion  de  du  Vair  (1). 

Il  est  une  question  religieuse  qui  passionna  les  contem- 
porains" d'Henri  IV  presque  autant  que  le  rétablissement 
des  Jésuites.  Ce  fut  la  réception  du  Concile  de  Trente  qui 
fut  instamment  réclamée  par  Rome  à  partir  de  1595  et  que 
le  roi  n'avait  pas  encore  accordée  à  sa  mort,  malgré  les  ef- 
forts de  d'Ossat  et  de  du  Perron  et  les  demandes  de  l'as- 
semblée du  clergé  de  1605.  Le  Concile  avait  contre  lui 
presque  toute  la  sociélé  laïque  de  France  qui  le  rejetait  à 
cause  de  certains  articles  préjudiciables  à  l'autorité  du  roi 
et  aux  libellés  de  l'Eglise  Gallicane  (2).  Son  introduction 
était  réclamée  par  un  certain  nombre  de  grands  prélats, 
une  partie  du  clergé  et  certains  laïques  très  catholiques. 
Villeroy  fut  au  conseil  le  porte-parole  de  ce  parti,  après 
1598.  Il  était  mû  avant  tout  par  des  raisons  d'intérêt  poli- 
tique. Il  savait  par  Du  Perron  et  d'Ossat  l'ardeur  extraor- 
dinaire avec  laquelle  le  pape  recherchait  cette  publication 
qui  lui  avait  été  promise  formellement  au  moment  de  l'ab- 
solution. Il  était  convaincu  que  le  pape  pouvait  faire  beau- 
coup de  bien  ou  beaucoup  de  mal  à  la  France.  Pour  ga- 
gner son  amitié,  il  fallait  lui  céder  sur  ce  point.  En  97 
et  en  98,  D'Ossat  était  particulièrement  pressant  :  il  écri- 


(1)  Coll.  Godefroy,  XV,  f°  54.  Le  25  octobre  1611,  le  P.  Coton  écri- 
vait à  Du  Vair,  à  propos  du  projet  d'établissement  d'une  maison  pro- 
fesse  de  Jésuites  à  Marseille  :  «  M.  le  Chancelier  et  M.  de  Villeroy  ont 
estimé  qu'il  fallait  vous  en  écrire  au  préalable  encore  que  M.  le  duc  de 
Guise  en  eut  parlé.  Par  quoi,  l'affaire  dépend  de  vous  entièrement  et 
de  l'avis  qu'il  vous  plaira  d'en  donner...  » 

(2)  C'étaient  entre  autres  les  articles  qui  attribuaient  au  siège  ecclé- 
siastique une  autorité  sans  limite  en  supprimant  les  appels  comme 
d'abus,  qui  soumettaient  les  adultères  et  les  clercs  tonsurés  mariés  à  la 
juridiction  des  évêqnes,  donnaient  aux  évêques,  comme  délégués  du 
pape,  un  droit  de  visite  sur  les  hôpitaux  et  collèges,  et  excommuniaient 
les  rois  qui  prenaient  les  fruits  des  bénéfices.  La  littérature  de  l'époque 
est  très  abondante  sur  ce  sujet.  Voir  particulièrement  Etienne  Pas- 
quier,  Les  Hechei'ches  de  la  France,  Paris,  1621,  in-fol. 


LE    MINISTRE    d'hëNRI    ÏV  351 

vait  à  Villeroy  qu'une  faute  qui  était  vénielle  chez  tout 
autre  pouvait  être  mortelle  chez  le  roi,  qu'il  fallait  effacer 
la  mauvaise  impression  produite  à  Rome  par  les  mesures 
prises  contre  les  Jésuites  et  l'édil  qu'on  établissait  en  la- 
veur des  huguenots  (1). 

Villeroy  estimait  que  la  publication  du  Concile  était  une 
concession  de  pure  forme,  presque  une  formalité.  On 
pouvait  rendre  le  Concile  absolument  inoffensif  par  des 
réserves  comme  celle  qui  était  contenue  dans  l'article  7 
de  l'absolution  (2).  Un  sauf  remédierait  à  tous  les  incon- 
vénients. 

En  politique  réaliste,  il  était  peu  sensible  à  la  valeur  des 
formules  vieillottes  dont  usaient  les  théologiens  et  les 
hommes  de  loi  ;  il  ne  pouvait  se  passsionner  pour  les  inter- 
minables discussions  théologico-politiques  où  se  complai- 
saient les  parlementaires  et  la  société  instruite  de  l'ancien 
régime.  De  Thou  a  rapporté  dans  ses  Mémoires  comment  le 
ministre,  «  un  des  plus  zélés  sur  cet  article  »,  appuyé  de  ses 
amis,  put  persuader  au  roi  la  nécessité  de  la  publication, 
et  essaya  de  gagner  en  particulier  les  membres  du  Parle- 
ment (3).  Il  avait  rédigé,  fait  sceller  et  signer  les  lettres 
patentes  ;  il  ne  restait  plus  qu'à  les  envoyer  au  Parlement 
«  pour  consommer  cette  a  (Taire  sans  bruit  ».  L'énergique 
intervention  de  de  Thou  empêcha,  nousdit-il,  la  défaite  des 
Gallicans.  On  parla  encore  l'année  suivante,  en  1600,  du 
Concile  ainsi  que  du  rétablissement  des  Jésuites,  mais 
comme  on  était  dans  l'incertitude  de  la  paix  ou  de  la 
guerre,  à  propos  du  marquisat  de  Saluées,  le  roi  renvoya 
ces  deux  affaires  à  un  autre  temps,  bien  que  Villeroy  et 


(1)  D'Ossat  à  Villeroy,  19  nov.  06,  19  février  97,  Lettres. ...  t.  I, 
p.  349  et  419. 

(1)  «  Que  le  roi  fera  publier  et  observer  le  concile  de  Trente,  excepté 
aux  choses  qui  ne  se  pourront  exécuter  sans  troubler  la  tranquillité  du 
royaume  s'il  s'y  en  trouve  de  telles.  » 

(2)  Mémoires,  Ed.  Michaud,  p.  371-372. 


352  VILLEROY 

le  chancelier  eussent  voulu  les  résoudre  le  plus  prompte- 
ment  possible. 

A  partir  de  ce  moment,  nous  n'entendons  plus  parler 
d'une'  intervention  de  Villeroy  en  faveur  du  concile.  Le 
pape  continuait  à  le  réclamer  de  temps  en  temps  :  le  roi  ne 
se  souciait  pas  de  déplaire  aux  huguenots  et  aux  gallicans, 
tant  qu'il  pouvait  s'en  dispenser.  La  diplomatie  française 
prodiguait  à  Rome  les  belles  paroles,  et  Villeroy,  qui  ne 
tenait  à  cette  publication  qu'autant  que  Rome  y  subor- 
donnait son  amitié,  n'était  pas  fâché  de  laisser  l'affaire  en 
suspens.  Comme  il  n'avait  pas  agi  par  principe  religieux,  il 
avait  adopté  lui-même  la  méthode  romaine  que  d'Ossat 
appelait  «  une  certainelougueur  passée  en  nature  ». 

Il  pratiqua  celte  méthode  toutes  les  fois  que  parut  un 
livre  à  scandale,  gallican  ou  anti-gallican.  Assez  indifférent 
au  fond  dos  questions,  il  se  préoccupait  surtout  d'apaiser 
les  querelles  religieuses  et  de  couper  court  à  tout  conflit 
entre  la  France  et  le  Saint-Siège.  La  correspondance  du 
nonce  Ubaldini  nous  fait  très  bien  connaître  l'attitude  du 
ministre  auquel  le  représentant  du  pape  s'adre -sait  toujours 
dans  ce  cas-là.  Villeroy  avait  l'art  de  lui  répondre  en  tenues 
généraux,  par  des  promesses  de  vague  satisfaction  et  quand 
il  fallait  absolument  agir,  de  trouver  des  moyens  conci- 
liants. C'est  ainsi  qu'il  résolut  le  conflit  qui  éclata  lorsque 
l'Inquisition  rendit,  le  14  novembre  1609,  un  édit  prohibant 
l'histoire  de  de  Thou,  le  discours  d'Antoine  Arnauld  pour 
l'Université  et  l'arrêt  du  Parlement  contre  Châtel  que  le 
cardinal  Bellarmin  avait  autrefois  fait  mettre  à  l'index. 
Le  Parlement  voulait  faire  brûler  cet  édit  et  le  roi  se 
montrait  très  mécontent  des  embarras  suscités  parla  cour 
de  Rome.  Le  nonce  refusait  de  céder.  Villeroy  trouva  les 
termes  d'un  accommodement  qui  finit  par  satisfaire  tout  le 
monde.  Il  fit  accepter  au  représentant  de  Rome  que  l'Inqui- 
sition imprimât  un  nouvel  édit  qui  condamnerait  avec  L'his- 
toire de  de   Thou  quelques  ouvrages  obscurs,  sans  faire 


LE    MINISTRE    d'iIENRI    IV  353 

mention  ni  du  discours  d'Arnault,  ni  de  l'arrêt  contre  Châ- 
tel  dont  la  censure  avait  provoqué  dans  le  parlement  une 
si  vive  émotion.  Ainsi  fut  éteint  un  foyer  d'incendie  (1)., 

Villeroy,  dans  ses  opinions  concernant  le  pouvoir  ponti- 
fical, se  tenait  dans  un  juste  milieu  que  peu  d'hommes 
surent  garder  au  xvne  siècle.  Il  n'était  pas  ultramontain. 
Il  blâmait  ceux  qui  «  entreprennent  journellement  d'ampli- 
fier et  faire  valoir  par  leurs  conseils  l'autorité  et  puissance 
souveraine  temporelle  despapes,  offensant  les  rois  et  princes 
souverains.  »  Il  désapprouvait  la  cour  de  Rome  de  favoriser 
le  développement  de  celte  doctrine,  et  de  se  laisser 
abuser  peu  intelligemment  par  des  écrivains  qui  batail- 
laient moins  pour  accroître  la  puissance  du  Saint-Siège  que 
«  pour  flatter  Sa  Sainteté  et  parvenir  au  cardinalat  »  (2). 
Son  attitude  sur  ce  point  était  irréductible.  Il  était  disposé 
à  faire  au  pape  toutes  les  concessions  compatibles  avec 
l'amour-propre  national  :  mais  il  y  avait  des  limites  que  Ton 
ne  pouvait  franchir,  des  doctrines  que  l'on  ne  pouvait  sou- 
tenir (3 ":.  II  jugeait  assez  sévèrement  les  abus  qui  s'étaient 
introduits  dans  l'Eglise  et  que  la  papauté  ne  cherchait  pas 
à  déraciner.  Dans  sa  lettre  écrite  à  un   gentilhomme  de  la 


(1)  Voir  les  dépêches  du  nonce  Ubaldini,  dont  les  copies  sont  dans 
le  F.  Ital.  ;  et  particulièrement  pour  l'affaire  de  l'arrêt,  la  lettre  du  5 
janvier  1600.  —  Voir  aussi  Perrens,  L'Eglise  et  l'Etat  sous  le  règne  de 
'Henri  IV...,  t.  1,  p.  341. 

(2)  Lettre  de  Villeroy  à  l'ambassadeur  résidant  à  Home  sur  le  sujet 
de  quelques  livres  écrits  en  faveur  des  papes...  F.  Fr.  17334,  fo  113. 
bile  a  ete  publiée  par  Perrens,  t.  Il,  p.   lit- 12. 

(3)  «  Ces  docteurs  et  religieux...  donnent  beau  jeu  aux  ennemis  du 
Saint-Siège,  lesquels  aussi  savenl  très  bien  s'en  prévaloir  et  avantager 
et  qui  pis  est  il  faut  qu'ils  soient  en  cela  secondés  de  ceux  qui  sont 
obligés  de  défendre  et  soutenir  l'autorité  de  leurs  princes;  de  quoi  il 
advient  souvent  que  les  catholiques  qui  sont  les  plus  affectionnés  à 
leur  religion  el  plus  jaloux  de  défendre  l'honneur  dû  à  S.  S.  sont  con- 
traints de  joindre  leurs  suffraue>  aux  autre-  pour  arrêter  le  cours  de 
telles  entreprises,  au  grand  désavantage  et  mépris  çtes  Saints  p^res. 
tellement  que  les  dits  écrivains  font  tout  le  rebours  de  ce  qu'ils  pré- 
tendent... »  [Ibid.). 

Villeroy.  23 


354  VILLEROY 

suite  du  roi  de  Navarre,  il  reconnaissait  que  dans  cette  ins- 
titution divine  s'étaient  «  coulés  »  «  quelques  abus  aux 
moeurs  et  en  la  pratique  »  (1).  Très  souvent,  il  fit  allusion, 
sans  le-s  préciser,  à  ces  imperfections.  Il  en  faisait  retomber 
la  responsabilité  sur  l'apathie  de  la  cour  de  Rome.  «  Je  ne 
m'attends  pas,  disait-il,  que  pour  tout  cela  le  pape  ni  les 
cardinaux  s'en  éveillent  plus  matin,  c'est-à-dire  qu'ils 
changent  de  façon  de  vivre  et  néanmoins  il  est  certain  que 
s'ils  ne  touchent  cette  corde  comme  il  faut  et  d'eux-mêmes, 
tous  leurs  conseils  ne  serviront  qu'à  établir  et  accroître  le 
pouvoir  de  leurs  adversaires  à  leur  désavantage  (2).  » 
Dans  ses  lettres  à  nos  ambassadeurs  à  Rome,  il  n'épargnait 
pas  les  critiques  et  parfois  les  mots  gouailleurs  à  l'adresse 
des  cardinaux  de  la  sainte  Eglise. 

On  ne  peut  toutefois  appeler  notre  ministre  un  vrai  gal- 
lican. Il  déteste  l'ingérence  de  la  cour  de  Rome  dans  les 
affaires  intérieures  du  royaume,  il  signale  les  abus  dont 
souffre  l'Eglise,  mais  il  en  parle  en  fils  respectueux  et  sou- 
mis. Il  n'a  pas  l'âpreté  de  ton  et  le  dogmatisme  un  peu  in- 
solent des  Parlementaires.  Il  ne  menace  ni  ne  provoque.  Il 
espère  que  les  abus  seront  retranchés  doucement.  Il  veut 
éviter  le  scandale.  S'il  blâme  les  livres  trop  ultramontains, 
il  n'approuve  point  positivement  ceux  qui  attaquent  avec 
trop  de  violence  les  droits  du  Saint-Siège.  Dans  le  domaine 
théologique  comme  dans  le  domaine  politique,  il  est  un 
pacifique.  Il  est  aussi  un  diplomate  qui  aie  sens  des  véri- 
tables intérêts  du  royaume  :  il  a  l'habitude  de  traiter  la  Pa- 
pauté comme  une  puissance  étrangère  qui  peut  être  utile 
ou  nuisible  à  la  France  :  il  faut  lui  faire  des  concessions  si 
on  veut  la  garder  comme  alliée  du  roi. 

Telle  fut  l'action  exercée  par  Villeroy  dans  les  prin- 
cipales questions  religieuses  qu'Henri  IV  eut  à  résoudre. 


(1)  Lettre  écrite  après  ta  mort  du  feu  roi... 

(2)  Lettre  à  l'ambassadeur  résidant  à  Rome.  F.  fr.  4028. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  355 

Les  contemporains  ont  su  reconnaître  cette  grande  in- 
fluence. Carew  écrivait  que  le  roi  de  France  se  reposait 
sur  Villeroy  non  seulement  dans  les  affaires  d'Etat  mais 
encore  dans  les  affaires  de  religion  (1).  Notre  ministre  con- 
tribua à  donner  à  la  politique  religieuse  du  règne  son  ca- 
ractère pacifique,  tolérant,  raisonnable. On  commettrait  une 
grande  erreur  en  se  représentant  cette  dernière  comme  une 
politique  d'équilibre  pratiquée  par  un  roi  quelque  peu  scep- 
tique entre  deux  sectes  ennemies,  soutenues  au  Conseil 
par  deux  groupes  d'hommes  dirigés  l'un  par  Villeroy, 
champion  du  catholicisme,  l'autre  par  Sully,  défenseur  des 
huguenots.  Ce  fut  au  contraire  une  politique  d'entente  pra- 
tiquée par  Henri  IV  d'accord  avec  les  protestants  modérés 
dont  le  plus  influent  fut  Sully  et  des  catholiques  de  tem- 
pérament modéré  et  tolérant,  dont  le  plus  éminent  fut  Vil- 
leroy. Cette  politique  eut  pour  but  la  paix  du  royaume, 
l'intérêt  de  l'Etat  français.  Ces  considérations  nous  aide- 
ront à  comprendre  comment  furent  traitées  par  le  gouver- 
nement d'Henri  IV  les  grandes  questions  de  politique  exté- 
rieure qui  au  début  du  xvne  siècle  se  trouvaient  encore  si 
pénétrées  d'idées  religieuses  et  d'intérêts  de  secte. 

(1)  Carew,  loc.  cit.,  p.  490. 


CHAPITRE  III 

V1LLER0Y,  MINISTRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES. 

LA  GUERRE  DESPAGNE 

ET  LA  GUERRE  DE  SAVOIE 

(1595-1601). 

I.  Villeroy,  ministre  des  affaires  étrangères.  La  guerre  nationale 
contre  l'Espagne.  Villeroy  à  l'armée.  —  IL  Les  négociations 
préliminaires  de  la  paix  de  Vervins  (mai  1596 -mai  1598). 
Villeroy  «  un  des  pères  de  la  paix  d'Espagne  ».  La  question 
des  alliances  :  Villeroy,  les  Anglais,  les  Hollandais.  —III.  L'af- 
faire du  marquisat  de  Saluces  :  les  négociations  de  mai  1598 
à  juillet  1600.  —  IV.  La  guerre  de  Savoie.  Villeroy  à  l'armée. 
La  Bresse  ou  Saluces  ?  Villeroy  conseille  la  restitution.  La 
paix  de  Lyon  (janvier  1601).  —  V.  Villeroy  et  les  négociations 
pour  le  mariage  du  roi. 


Pendant  le  règne  d'Henri  IV,  les  affaires  politiques  et 
religieuses  n'occupèrent  qu'une  faible  partie  du  temps 
de  Villeroy.  Sans  doute,  il  donna  son  avis  dans  toutes  les 
questions  importantes  et  prit  une  grande  part  à  certaines 
négociations,  mais  il  se  consacra  principalement  aux  devoirs 
de  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat.  Il  fut,  sans  en  posséder 
le  titre,  le  ministre  des  affaires  étrangères  d'Henri  IV. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV 


357 


Il  est  toute  une  partie  de  son  métier  sur  laquelle  les  his- 
toriens doivent  passer,  sans  insister.  Le  ministre  avait  à 
transmettre  aux  ambassadeurs  les  instructions  qui  avaient 
été  arrêtées  en  conseil  devant  le  roi.  Il  recevait  les  représen- 
tants des  princes  et  républiques  étrangères,  négociait  avec 
eux,  leur  expliquait  les  intentions  du  roi,  leur  demandait 
celles  de  leurs  gouvernements.  Il  accomplit  les  devoirs  de 
sa  profession  en  parfait  fonctionnaire,  exact,  diligent,  et  qui, 
disait  le  roi,  «  tient  un  grand  ordre  en  l'administration  de 
sa  charge  et  en  la  portion  et  distribution  des  expéditions 
qui  ont  à  passer  par  ses  mains  »  (1).  Dans  l'entourage  de 
Henri  IV  il  n'y  eut  pas,  Sully  excepté,  de  travailleur  plus 
acharné  et  plus  régulier  que  lui.  Pour  se  représenter  cette 
activité,  il  faut  avoir  parcouru  les  recueils  des  correspon- 
dances échangées  entre  le  ministre  et  les  représentants  du 
roi  à  l'étranger.  Il  rédigeait  lui-même,  avec  un  soin  ex- 
trême, presque  toutes  les  lettres  écrites  au  nom  du  roi  et 
signées  par  lui  pour  ses  ambassadeurs  (2).  Il  accompagnait 
d'ordinaire  ces  lettres  de  caractère  officiel  de  lettres  parti- 
culières, d'allure  plus  intime  et  plus  négligée,  où  il  expli- 
quait les  volontés  de  son  maître,  développait  certaines 
questions  complexes,  etparfois  exprimait  des  avis  person- 
nels différents  de  ceux  du  «  maître  ».  Ces  lettres-là  étaient 
écrites  au  courant  de  la  plume,  en  un  style  familier  four- 
millant de  savoureuses  locutions  proverbiales.  Les  ambas- 
sadeurs aimaient  beaucoup  à  recevoir  de  ces  lettres  qui  con- 
tenaient souvent  des  choses  qui  ne  devaient  point  être  expri- 
mées dans  la  dépêche  royale.  «  Monsieur,  écrivait  Jeannin 


(1)  Sully.  Ec.  Roy.,  t.  Il,  p.  285. 

(2)  Certaines  sont  surchargées  de  ratures  comme  celle  du  roi  aux 
sieurs  Jeannin  et  de  Russy,  du  19  mars  1608,  du  8  janvier  1009,  F.  Fr. 
15952,  fos  1H,  206.  Berger  de  Xivrey  et  les  éditeurs  de  lettres 
d'Henri  IV  ont  le  tort  de  ne  pas  signaler  que  la  plupart  de  ces  lettres 
sont  entièrement  composées  par  Villeroy.  Le  ministre  les  lisait  au  roi 
qui  approuvait  ou  faisait  retoucher  puis  signait. 


358 


VILLEROV 


le  27  juin  1607,  vos  lettres  m'ont  donné  plus  de  lumière  et 
de  connaissance  de  la  volonté  du  roi  que  les  siennes  :  aussi 
sont-elles  plus  expresses  et  particulières  (1).  »  Une  des 
meilleures  qualités  de  Villeroy  était  la  clarté  ;  nous  savons 
déjà  qu'il  ne  se  piquait  point  de  littérature,  qu'il  était  sou- 
vent long-,  traînant,  terne  ;  mais  il  avait  le  mérite  de  se 
faire  très  bien  comprendre  et  de  développer  ses  idées  avec 
un  grand  luxe  de  détails  utiles.  «  J'apprends  plus  en  une 
de  vos  lignes  qu'aux  longs  discours  d'infinis  autres,  lui 
écrivait  Fresne-Canaye  de  Venise  (2).  »  Du  Perron,  de 
Rome,  le  complimentait  sur  «  la  matière,  les  concep- 
tions, le  style  »  de  ses  dépèches  et  admirait  la  «lumière  » 
de  son  clair  jugement  »  (3).  Tout  ce  travail  de  rédaction 
était  fait  par  Villeroy  seul.  Ce  que  nous  appellerions  le 
ministère  des  affaires  étrangères  de  ce  temps  était  un  or- 
ganisme très  rudimentaire.  Villeroy  n'avaitavec  lui  qu'une 
demi-douzaine  de  commis  qui  étaient  employés  à  trans- 
crire des  dépêches,  à  remettre  les  paquets  aux  courriers  ou 
à  en  recevoir  d'eux.  A  partir  de  1606,  Puisieux  fut  adjoint 
à  Villeroy  et  le  déchargea  d'une  partie  de  sa  besogne. 
Mais  Villeroy  était  trop  scrupuleux  pour  se  reposer  sur  le 
zèle  de  ce  jeune  homme  sans  expérience.  Ils  semblent 
avoir  divisé  entre  eux  le  travail.  Villeroy  garda  le  plus 
difficile  et  le  plus  original  et  ne  laissa  à  Puisieux  que  le 
soin  de  rédiger  les  lettres  les  plus  faciles. 

Un  ministre  des  relations  extérieures  doit  employer  une 
grande  partie  de  son  temps  à  donner  audience.  11  converse 
avec  les  envoyés  étrangers  et  traite  avec  eux  les  affaires 
communes  entre  leur  gouvernement  et  le  royaume  de 
France.  Sulh  appelait  cela  dédaigneusement  «  prôner,  ca- 

(1)  Jeannin  à  Villeroy,  27  juin  1607,  Négociations,?.  96. 

(2)  Fresne-Canaye  à  Villeroy,  7  février  1607,  Lettres  et  ambassades 
de  Philippe  Canaye,  sieur  de  Fresne  (1601-1607)  1645,  in-fo,  t.  I, 
p.  437. 

(3)  Du  Perron  à  Villeroy,  novembre  1595,  Ambassades,  p.  20. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  359 

quêter,  faire  la  mine  »  (1).  Tout  ce  côté  de  la  profession  de 
Villeroy  nous  est  connu  par  les  relations  et  dépêches  des 
Vénitiens,  des  Florentins,  des  nonces,  des  Espagnols,  des 
Anglais,  des  Hollandais.  D'après  le  témoignage  des  étrangers 
il  remplissait  sa  fonction  avec  un  zèle  et  un  talent  remar- 
quables. 11  était  toujours  parfaitement  maître  de  lui,  avait 
l'art  d'interroger,  d'écouter,  et  ne  disait  que  ce  qu'il  vou- 
lait. «  Il  donnait  audience  sans  trouble,  sans  confusion,  sans 
impatience  »  (2),  dit  P.  Matthieu.  On  le  trouvait  toujours 
calme  et  courtois,  et  l'on  admirait  l'exactitude  minutieuse 
avec  laquelle  il  accomplissait  tous  les  devoirs  de  sa  charge  (3). 
Il  savait  aussi  bien  dissimuler  la  vérité,  tout  en  conservant 
un  visage  égal  et  ouvert. 

Nous  ne  nous  sommes  point  proposé  d'étudier  dans  tous 
les  détails  de  sa  vie  publique  cet  excellent  fonctionnaire. 
Une  telle  monographie  ne  serait  qu'une  sèche  et  inutile 
énumération  des  actes  principaux  de  la  diplomatie  d'Hen- 
ri IV  que  le  ministre  fit  exécuter  avec  talent.  Nous  avons 
essayé  de  rechercher  ce  qu'il  y  eutd'original  dans  le  rôle  de 
Villeroy.  Il  fut,  nous  l'avons  vu,  non  seulement  un  simple 
secrétaire  d'état  enregistrant  les  ordres  reçus,  mais  une  per- 
sonnalité influente  et  écoutée,  un  des  conseillers  les  plus 
puissantsdu  règne.  Eut-il  des  tendances  et  des  conceptions 
particulières  en  matière  de  politique  extérieure  ?  Cher- 
cha-t-il  aies  faire  triompher?  Dans  la  série  des  traités,  des 
guerres,  des  alliances,  des  événements  heureux  ou  malheu- 
reux pour  le  royaume,  de  1595 à  1610,  quels  sont  les  faits  où 
nous  pouvons  saisir  l'activité  originale  et  la  responsabilité 
de  Villeroy  ? 


(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  1,  p.  370. 

(2)  Matthieu,  Remarques  d' estât...,  p.  272. 

(3)  Ibid.  «  Il  lisait  tout  ce  qu'on  lui  présentait,  ne  remettait  les 
affaires  au  lendemain,  nettoyait  tous  les  jours  le  tapis  et  les  jours  et 
les  nuits  ne  sont  pas  plus  égaux  sous  l'équinoxe  que  ses  paroles  et  ses 
actions.  » 


360  VILLEROY 

Avant  d'étudier  dans  le  détail  les  dépêches  diplomatiques 
et  les  correspondances  étrangères  qui  nous  feront  connaître 
sa  pensée  et  ses  actes,  nous  remarquerons  qu'au  début  du 
xvne  siècle  les  circonstances  étaient  particulièrement  favo- 
rables au  développement  des  personnalités  ministérielles. 

Henri  IV  qui  fut  véritablement  un  des  esprits  les  plus 
vifs  et  les  plus  fins  qui  aient  gouverné  la  France,  a  été  aussi 
un  des  souverains  qui  ont  su  le  mieux  raisonner  leurs  actes  : 
nul  ne  fut  moins  entêté,  moins  inflexiblement  attaché  à  ses 
opinions  personnelles.  Le  plus  souvent,  il  discutait,  il 
cherchait  consciencieusement  à  s'instruire,  et  se  décidait, 
quand  il  jugeait  son  action  utile  à  l'Etat. 

Aussi  ce  prince  raisonnable  et  tolérant  ne  songea-t-il  ja- 
mais à  établir  autour  de  lui  l'uniformité  des  pensées.  Il  était 
entouré  d'hommes  d'origine,  de  tempérament  et  d'idées 
très  différentes,  les  laissait  exprimer  librement  leur  opinion 
et  tirait  même  parti  «  de  leurs  contestations  et  contrarié- 
tés »,  car,  disait-il,  «  par  le  moyen  d'icelles  toutes  les  af- 
faires sont  si  bien  épluchées  et  approfondies  qu'il  m'est  fa- 
cile de  choisir  la  meilleure  résolution  »  (1). 

Villeroy  put  donc,  sous  ce  régime  exceptionnel,  conseil- 
ler librement  son  maître,  l'approuver,  le  blâmer,  et  cher- 
cher sans  contrainte  à  faire  triompher  ses  conceptions.  Il 
écrivait  un  jour  à  Bellièvre  une  phrase  qui  exprime  très 
simplement  son  attitude  :  «  J'en  dirai  à  S.  M.  ce  qui  m'en 
semble,  et  celle-ci  en  ordonnera  ce  qui  lui  plaira  »  (2). 

La  situation  extérieure  du  pays  n'était  pas  absolument 
nette  et  pendant  presque  tout  le  règne  provoqua  la  discus- 
sion dans  le  conseil  des  ministres.  Il  y  a  desmoments  où  le 
problème  delà  politique  étrangère  ne  comporte  qu'une 
seule  solution  sur  laquelle  les  esprits  raisonnables  chargés 
de  gouverner  une  nation  sont  parfaitement  d'accord.  Sous 


(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  289. 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  18  novembre  1601,  F.  Fr.  15S9G,  f"  341, 


LE    MINISTRE    DHENRI    IV  361 

Henri  IV,  au  contraire,  on  put  concevoir  des  façons  très 
diverses  d'assurer  la  grandeur  du  pays.  Depuis  près  d'un 
siècle,  la  France  était  en  lutte  contre  la  maison  d'Autriche 
qui  cernait  notre  frontière  sur  les  Pyrénées,  en  Franche- 
Comté,  au  Luxembourg,  aux  Pays-Bas,  dominait  l'Alle- 
magne et  Tltalie,  ces  deux  grands  pays  morcelés  et  faibles 
qui  semblaient  un  magnifique  champ  d'expansion  pour 
l'influence  française.  La  guerre  ouverte  qui  commença 
à  la  fin  de  la  Ligue  dura  jusqu'en  1598.  A  cette  époque,  un 
traité  équitable  fit  restituer  aux  deux  pays  ce  qu'ils  avaient 
conquis  l'un  sur  l'autre  pendant  les  troubles.  Jusqu'à  Ver- 
vins  on  se  battit  vigoureusement.  11  y  eut  peu  d'incerti- 
tude clans  la  politique  française.  Mais  au  rétablissement  (h; 
la  paix,  plusieurs  voies  s'offrirent  à  la  diplomatie  d'Henri  IV 
et  chacune  eut  ses  partisans  convaincus.  Pour  les  uns,  la 
paix  de  Venins  ne  pouvait  être  qu'une  courte  trêve  :  il  fal- 
lait déclarer  la  guerre  à  outrance  à  l'Espagne,  ennemie 
acharnée  de  la  grandeur  française  et  soulever  contre  elle 
l'Europe  protestante.  Pour  les  autres,  la  guerre  ouverte 
était  trop  périlleuse  :  on  pouvait,  tout  en  jouissant  des 
avantages  de  la  paix,  faire  beaucoup  de  mal  à  l'Espagne, 
lui  enlever  ses  alliés,  lui  disputer  par  la  diplomatie  les  ter- 
rains qu'elle  avait  acquis  en  Italie,  en  Allemagne,  aux  Pays- 
Bas,  etsurtout  l'affaiblir  en  soutenant  sous  main  les  peuples 
révoltés  contre  elle.  D'autres  enfin  estimaient  que  l'Espagne 
et  la  France  accomplissaient  une  œuvre  néfaste  en  cher- 
chant à  «  s'entremal'faire  (1)  »,  et  souhaitaient  une  entière 
réconciliation  entre  les  deux  couronnes,  l'oubli  des  injures 
passées  et  l'établissement  d'une  sincère  amitié  franco-es- 
pagnole. 

Jusqu'à  Vervins,  ces  questions  ne  se  posèrent  pas.  Quel- 
ques mois  après  le  rappel  de  Villeroy,  la  guerre  fut  déclarée 

(1)  D'Ossat  à  Villeroy,  10  février  1003,  Lettres,  t.  II,  p.  589. 


362  VILLEROY 

aux  Espagnols,  et  nul  ne  signala  la  moindre  divergence 
d'opinion  à  ce  sujet  dans  l'entourage  du  roi. 

La  guerre  qu'Henri  IV  déclara  solennellement  à  l'Es- 
pagne le  17  janvier  1595  fut  une  lutte  nationale,  une  guerre 
de  revanche  engagée  pour  l'honneur  du  roi  et  du  pays. 
Villeroy,  dans  un  court  Mémoire,  en  a  expliqué  les  trois 
raisons  principales  (1).  «  La  déclaration,  dit-il,  devait  lever 
le  masque  de  religion  duquel  les  ennemis  de  S.  M.  conti- 
nuaient à  couvrir  leurs  injustes  armes,  nonobstant  sa  réu- 
nion en  l'Eglise  catholique,  et  en  ce  faisant  réduire  tant 
plutôt  sous  son  obéissance  lespeuples  etvilles  qui  en  étaient 
encore  distraits,  et  aggraver  le  crime  d'aucuns  de  ses  sujets 
qui  les  entretenaient  toujours  en  leur  rébellion.  »  Il  fallait 
ensuite  «  se  revancher  sur  les  sujets  et  pays  dudit  roi  des 
maux  que  lui  et  les  siens  faisaient  à  la  France,  dont  ils 
n'avaient  encore  senti  aucune  incommodité  ».  Il  fallait  en- 
fin venir  en  aide  aux  alliés  et  voisins  qui  luttaient  contre 
l'Espagne  et  auraient  pu  douter  du  roi  maintenant  qu'il  était 
converti.  C'était  une  preuve  nécessaire  de  solidarité  à  don- 
ner aux  Hollandais  et  aux  Anglais  qui  avaient  soutenu 
Henri  IV  dans  la  conquête  de  son  royaume,  et  se  seraient 
crus  trahis  si  le  roi  s'était  retiré  delà  lutte.  Alors  que  toutes 
les  autres  entreprises  du  règne  furent  plusou  moins  discu- 


(!)  «  Mémoire  placé  en  tête  du  volume  des  dépêches  de  Villeroy  » 
(1595-1598),  publié  par  Poirson  dans  le  recueil  intitulé  :  Mémoires  de 
Villeroy  et  de  Sancy,  documents  divers...  Paris,  1868,,  in-8°.  Ce  mé- 
moire se  trouve  au  début  d'un  volume  du  F.  Fr.  no  3456  intitulé  : 
c  Registre  des  dépèches  faites  par  M.  de  Villeroy  >>.  Poirson  expose 
qu'il  a  été  dicté,  peut-être  même  rédigé  par  Villeroy.  C'est  l'histoire 
de  la  guerre  contre  l'Espagne  depuis  la  déclaration  (16  janvier  1595) 
jusqu'aux  dernières  négociations  précédant  Vervins.  -Cette  histoire  est 
surtout  précieuse  par  le  récit  des  négociations  avec  les  alliés  et  surtout 
parles  renseignements  donnés  sur  les  deux  traités  de  1596  avec  l'An- 
gleterre. .Matthieu  s'en  est  servi  et  cette  source  lui  a  permis  d'être  plus 
exact  que  de  Thou.  C'est  un  excellent  exposé  écrit  avec  vigueur  et  con- 
cision. 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  363 

tées,  cette  guerre  s'imposa  à  tous  comme  la  conclusion 
obligatoire  de  nos  guerres  civiles.  «  Ces  trois  raisons,  dit 
Villeroy,  étaient  lors  si  pregnantes  que  qui  eût  conseillé  à 
S.  M.  de  différer  ladite  déclaration,  eût  fait  tort  à  son  ser- 
vice et  à  sa  réputation  (1).  » 

On  commença  donc  par  se  battre  vigoureusement.  Les 
armées  du  roi  prennent  l'offensive  sur  les  frontières.  Bouil- 
lon attaque  l'ennemi  dans  le  Luxembourg.  Les  troupes 
lorraines  au  service  d'Henri  IV  pénètrent  dans  la  Franche- 
Comté.  Biron  fait  la  petite  guerre  contre  Mayenne  en  Bour- 
gogne et  Montmorency  contre  Nemours  dans  le  Lyonnais. 
Quand  Vélasco,  gouverneur  du  Milanais,  passe  les  Alpes 
pour  secourir  la  Comté  et  se  joindre  à  Mayenne,  Henri  IV 
en  personne  vient  lui  barrer  le  chemin  à  Fontaine-Fran- 
çaise ^5  juin  (J5),  pendant  qu'au  Nord  de  la  France  ses 
troupes  conquièrent  Ham.  Mais  Fuentès  et  les  Espagnols  des 
Pays-Bas  prennent  bientôt  au  nord  une  revanche  éclatante 
en  s'emparant  de  Doullens  et  de  Cambrai  (24  juillet  et 
7  octobre  95).  L'année  suivante,  la  guerre  se  traîne  en  escar- 
mouches, en  sièges.  Henri  défend  péniblement  sa  frontière 
picarde.  Il  prend  la  Fère  après  six  mois  de  siège  (novem- 
bre 95-mai  9(5).  Mais  l'archiduc  Albert  s'installe  dans  Calais 
et  le  roi,  sans  argent,  mal  secouru  de  ses  alliés, doit  renoncer 
à  reprendre  l'offensive.  Les  derniers  mois  de  9(3  et  les  pre- 
miers de  97  sont  employés  à  négocier  avec  l'Angleterre  et 
les  princes  protestants  pour  des  secours,  à  discuter  avec  les 
notables  assemblés  à  Rouen  rétablissement  de  taxes  nou- 
velles et  à  lutter  avec  le  Parlement  de  Paris  opposé  à  toute 
création  d'office.  Brusquement,  le  11  mars,  les  Espagnols 
s'emparent  d'Amiens  parjsurpriseetla  capitale  est  menacée. 
Henri  IV,  sans  se  laisser  abattre,  monte  à  cheval  le  même 
jour  et,  résigné  à  «  faire  le  roi  de  Navarre  »,  entreprend  de 
reconquérir  sa  ville  (mars  97  . 

(1)  Mémoire...,  p.  o. 


364  VILLEROY 

Durant  cette  période,  Villeroy  suit  partout  Henri  IV.  Il 
mène  avec  lui  la  vie  errante  des  camps,  sur  les  grands  che- 
mins de  Bourgogne  et  de  Picardie,  et  malgré  sa  fragile 
constitution  il  supporte  vaillamment  les  fatigues  et  les  in- 
tempéries. Le  22  mars  97,  il  écrit  d'Amiens  à  Nevers  : 
«  Nous  sommes  ici  logés  au  plus  mauvais  lieu  du  monde... 
et  si  le  froid  eut  duré,  nous  y  fussions  morts  de  froid,  car 
chacun  y  est  logé  à  découvert  ou  peu  s'en  faut  »  (1).  Il 
déploie  dans  des  tâches  très  diverses  une  grande  activité. 
Il  négocie  avec  les  représentants  de  Mayenne  la  soumission 
du  chef  de  la  Ligue  (juin-septembre  95).  Il  sert  d'inter- 
médiaire entre  le  roi  et  les  membres  du  Conseil  qui 
séjournent  à  Paris,  entre  le  roi  et  les  chefs  de  l'armée. 
Nous  avons  conservé  un  certain  nombre  de  ses  lettres 
adressées  au  duc  de  Nevers  et  au  connétable  de  Mont- 
morency (2).  Villeroy  y  transmet  les  ordres  du  roi  non 
comme  un  simple  commis,  mais  comme  l'homme  de  con- 
fiance d'Henri  IV.  Il  explique  les  plans  du  maître,  y  joint 
un  commentaire  personnel.  Il  tient  ses  correspondants 
au  courant  des  événements  de  la  guerre.  Quand  surgit 
quelque  difficulté  entre  ces  personnages  et  le  Conseil,  il  les 
aplanit  de  son  mieux  (3).  Ces  lettres  forment  un  véritable 
journal  de  campagne  qui  serait  une  source  riche  en  ren- 
seignements pour  un  historien  de  la  guerre  franco-espa- 
gnole. 

On  a  confié  aussi  à  Villeroy  à   certains    moments   des 


(1N.  F.  Fr.  7784,  f»  295. 

(2)  Voir  F.  Fr.  35G8,  fo»  15  et  23,  Villeroy  à  Montmorency,  26  fé- 
vrier et  3  mars  1598,  fos  43  à  80,  diverses  lettres  de  mars  à  mai  1598. 
Voir   aussi    F.   Fr.   7784,  lettres  diverses  de  Villeroy  à  Nevers  durant 

innées  1595-1597. 

(3)  Le  17  juin  1595,  il  écrit  à  Nevers  qu'il  a  fait  tout  son  possible 
auprès  des  membres  du  Conseil  pour  l'achat  des  chevaux  d'artillerie  du 
duc.  Le  4  juillet,  il  lui  offre  de  pourvoir  seul  à  ce  que  les  trésoriers  de 
France  à  Moulins  lui  restituent  ce  qu'ils  lui  ont  pris  à  Nevers. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  365 

fonctions  administratives.  Après  le  siège  de  La  Fère, 
quand  le  roi,  faute  d'argent,  dut  licencier  une  partie  de  ses 
troupes,  il  répartit  ce  qui  restait  dans  les  villes  picardes. 
Villeroy  s'établit  à  Amiens  et  fit  distribuer  aux  différentes 
garnisons  l'argent  qui  arrivait  pour  leur  payement.  Ce  n'é- 
tait pas  une  besogne  aisée,  car  l'argent  était  rare,  ne  par- 
venait pas  régulièrement  et  les  troupes  menaçaient  de  se 
retirer.  Il  fallait  parlementer  avec  les  capitaines  pour  qu'ils 
se  contentassent  de  peu  et  pour  leur  faire  prendre  patience 
en  attendant  davantage  (1).  Pendant  les  deux  mois  de  juil- 
let et  d'août  96,  le  roi  qui  se  reposait  à  Monceaux  avait  laissé 
à  son  secrétaire  des  fonctions  de  haute  surveillance  sur  les 
troupes.  Il  était  par  lui  minutieusement  informé  de  tout 
ce  qui  se  passait,  môme  des  mouvements  de  troupes  enne- 
mies que  Villeroy  apprenait  par  des  espions  (2).  Pendant 
le  siège  d'Amiens,  de  mars  à  octobre  07,  Villeroy  exerça  la 
même  mission,  sous  les  yeux  du  roi.  Déplus,  il  fut  chargé 
de  payer  aux  hommes  leur  solde  à  chaque  revue,  «de  peur, 
nous  dit  de  Thou,  qu'il  n'y  eût  de  la  fraude  (3).  »  Grâce  au 
zèle  de  Rosny  l'argent  arrivait  mieux.  Mais  Villeroy  eut  à 
lutter  plus  d'une  fois  contre  l'impatience  des  soldats  et  la 
lenteur  des  financiers  (4).  Il  dirigea  aussi  les  services  sani- 


(1)  Lettre  de  Villeroy  à  Henri  IV,  Amiens,  4or  août  96.  F.  Fr.  15910, 
f  349.  Il  annonce  au  roi  l'envoi  d'un  état  de  la  distribution  de  l'argent 
apporté  par  d'incarville  et  lui  exprime  les  inquiétudes  que  lui  causent 
les  Suisses  qui  menacent  d'aller  trouver  le  roi  et  de  se  retirer  définiti- 
vement. 

(2|  fbid.  —  Le  Recueil  des  Lettres  missives  (t.  IV,  p.  624  et  suiv.) 
contient  10  lettres  écrites  par  le  roi  à  Villeroy  entre  le  25  juillet  el  le 
13  août.  Beaucoup  d'autres  sont  sans  doute  perdues.  3  lettres  sont 
datées  du  même  jour  (25  juillet,  p.  624-625).  Villeroy  écrivait  aussi 
souvent  à  Henri  IV,  car  celui-ci  lui  disait,  le  25  juillet  :  «  Vous  un; 
faites  plaisir  de  m'écrire  à  toutes  occasions.  » 

(3)  De  Thou.  t.  XIII,  p.  114. 

(4)  Sully,  Ec.  Roy.,  I,  p.  203.  Voir  la  curieuse  lettre  de  Villeroy  à 
Rosny,  14  septembre  1597. 


366  VILLEROY 

taires  de  l'armée,  si  l'on  en  croit  Marbault  qui  enlève  cet 
honneur  à  Sully.  Ces  services  furent  si  bien  organisés  que 
la  mortalité  fut  très  faible  et  quele  renom  de  l'hôpital  atti- 
rait dés  malades  de  Paris  (1).  C'est  là,  semble-t-il,  que  se 
bornèrent  ses  fonctions  d'administrateur.  Il  serait  exagéré 
de  faire  de  Villeroy,  avec  M.  Poirson,  un  véritable  ministre 
delà  guerre  (2).  Ce  titre  conviendrait  plutôt  au  Connétable 
de  Montmorency  qui,  durant  cette  campagne,  demeura  à 
Paris,  pour  rassembler  les  hommes,  les  vivres,  les  muni 
tions  et  l'argent,  d'accord  avec  Rosny  et  les  membres  du 
Conseil  d'Etat  et  des  finances  et  les  dirigea  vers  la  Picar- 
die (3).  Avec  le  Connétable,  Rosny  fut  le  plus  actif  auxi- 
liaire du  roi  :  entré  au  Conseil  des  Finances  en  août  96,  il 
y  avait  peu  à  peu  élargi  sa  place  au  détriment  du  surin- 
tendant Sancy  et  il  était  devenu  tout-puissant  parmi  les  con- 
seillers qu'il  empêchait  de  «  manger  le  cochon  ensemble  »  : 
il  fut  durant  la  guerre  d'Espagne  le  grand  pourvoyeur  d'ar- 
gent du  roi  (4). 


Il  semblait  donc  que  dans  cette  lutte   nationale  tous  les 
efforts  des  serviteurs  du  roi  fussent  tendus   uniquement 


(1)  Marbault,  Remarques  sur  les  mémoires.  Ed.  Mien.,  t.  II,  p.  37. 
«  Pour  cet  hôpital  où  les  gens  de  qualité  se  faisaient  porter,  c'est  une 
fable  :  il  est  vrai  qu'il  y  eut  quelque  ordre,  n'y  en  ayant  point  eu  aupa- 
ravant à  nos  autres  sièges.  Mais  c'est  M.  de  Villeroy  qui  en  avait  le 
soin,  comme  de  faire  payer  les  soldats  à  la  banque.  » 

(2)  Poirson,  t.  II,  p.  320. 

(3)  Le  roi  et  Villeroy  lui  écrivaient  chacun  tous  les  jours.  Voir  Let- 
tres Miss.,  t.  IV,  p.  698  et  suiv. 

(4)  N.  Valois,  Inv.  des  arrêts  du  Conseil  d'Etat  sous  Henri  IV, 
Jntrod.,  p.  Lxxni  et  suiv.  —  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  224  et  suiv. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  367 

vers  la  préparation  delà  défense.  Il  vint  pourtant  un  mo- 
ment où  il  fallut  préparer  la  paix. 

Une  première  tentative  avait  été  faite  par  le  pape,  dès  le 
mois  de  mai  96,  pour  réconcilier  les  deux  nations  catho- 
liques. Le  cardinal  de  Florence  choisi  comme  légat  vint  en 
France,  fut  reçu  solennellement  à  Paris,  le  21  juillet,  à 
Rouen,  le  13  décembre.  Mais  ses  démarches  n'aboutirent 
même  pas  à  faire  autoriser  par  le  roi  une  entrevue  de  dépu- 
tés des  doux  partis.  C'était  trop  tôt  ;  après  la  perte  de  Ca- 
lais, c'eût  été  acheter  une  honte  plutôt  qu'un  repos  (1). 
Villeroy  ne  paraît  pas  avoir  été  d'un  avis  différent.  Il 
écrivait  à  Gondi  le  12  janvier  96:  «  Nous  n'avons  aucune 
envie  de  paix  avec  l'Espagne  (2;.  »  Et  depuis  ce  jour  pas 
un  mot  de  sa  correspondance  ne  peut  faire  supposer  qu'il 
ait  envisagé  plus  favorablement  des  tentatives  pour  la  paix. 
Mais  il  voulait  qu'on  accueillît  le  Légat  avec  déférence  et 
empressement,  sans  s'engager  avec  lui  de  manière  à  réveil- 
ler le  zèle  des  alliés  protestants,  surtout  des  Anglais,  trop 
lents  à  secourir  la  France  (3).  Il  réussissait  si  bien  dans  ce 
jeu  que  les  Anglais  étaient  réellement  inquiets  et  accusaient 
Villeroy  de  donnera  Henri  IV  de  mauvais  conseils.  Cette 
méfiance  avait  d'ailleurs  été  excitée  bien  avant  l'arrivée  du 
légat.  Dès  novembre  95,  l'entourage  d'Elisabeth  se  plai- 
gnait hautement  du  ministre  qui  poussait  le  roi  à  menacer 
la  reine  d'Angleterre  de  traiter  avec  l'Espagne  si  elle  ne 
l'assistait  efficacement.  Ils  répandaient  même  le  bruit  que 
Philippe  II  avait  envoyé  200.000  écus  en  France  pour  les 
distribuer  aux  personnages  influents  parmi  lesquels  Ville- 
roy et  Bellièvre  ne  devaient  pas  être  oubliés.  «  Je  ris  de 
telles  inventions,  disait  Villeroy...  C'est  le  principal  d'avoir 


M)  Lettres  Miss..  VIII,  p.  685.  Henri  IV  à  Sillery,  13  déc.  97. 
(ù)  Villeroy  à  Gondi,  12  janvier  96,  N.  acq.  fr.  5129.  fo  8. 
(3)  Villeroy  à  Bellièvre,  27  juillet  '.Ml,  F.   Fr.  15910,  fo  347. 


368  VILLEROY 

l'âme  netle  et  que  le  roi  n'en  doute  point  (1).  »  Après  l'arri- 
vée du  légat,  la  reine  d'Angleterre  de  plus  en  plus  inquiète 
mais  affectant  un  air  assuré,  chargeait  son  représentant, 
sir  Mildmay,  de  dire  à  Villeroy  qu'elle  n'était  nullement 
étonnée  d'apprendre  que  des  personnages  de  l'entourage 
du  roi,  préférant  à  tout  leur  intérêt,  inclinaient  vers  l'idée 
de  traiter  avec  l'Espagnol,  mais  que  Villeroy,  grâce  à  sa 
longue  expérience  des  affaires,  ne  saurait  céder  à  de  tels 
entraînements  pas  plus  que  son  maître  en  la  loyauté  duquel 
elle  avait  placé  sa  confiance  (2). 

Cette  attitude  un  peu  troublante  de  Villeroy  avait  donné 
à  réfléchir  aux  Anglais  et  contribué  à  les  rendre  plus  con- 
ciliants. Car  jamais  alliés  ne  s'étaient  montrés  plus  revê- 
ches  et  plus  égoïstes  à  l'égard  d'une  nation  amie,  qui  d'ail- 
leurs le  leur  rendait.  Elisabeth  qui,  de  1589  à  1594,  avait 
fourni  sans  trop  marchander  de  nombreux  secours  à  son 
bon  frère  le  roi  de  Navarre,  avait  changé  de  politique 
depuis  la  conversion  d'Henri  IV  et  la  résurrection  miracu- 
leuse de  la  France.  Sous  l'influence  de  son  grand-trésorier 
Cecil,  elle  était  revenue  à  des  calculs  étroits  d'intérêt;  elle 
redoutait  maintenant  la  croissance  du  royaume  et  souhai- 


(1)  Villeroy  à  Bellièvre,  29  nov.  95,  F.  Fr.  15910,  fo  274. 

M.  de  Loménie  a  rapporté  d'Angleterre  des  plaintes  '<  fondées  sur 
ceux  qui  sont  cause  que  S.  M.  la  menace  [la  reine]  de  traiter  avec  le 
roi  d'Espagne  si  elle  ne  nous  assiste  et  semble  qu'elle  me  fait  auteur 
de  ce  conseil  parce  que  j'ai  quelquefois  écrit  par  delà  que  l'on  donne- 
rait un  mauvais  conseil  à  la  reine  de  nous  abandonner  au  besoin  et 
laisser  prospérer  notre  ennemi.  »  Il  raconte  la  fable  des  200.000  écus 
et  ajoute  :  «  Votre  vertu  et  probité  étant  sans  tache  et  mon  malheur 
m'ayant  transporté  hors  de  mon  devoir  comme  il  est  advenu,  Monsieur, 
je  voudrais  de  tout  cœur  que  les  auteurs  de  semblables  avis  eussent 
la  bouche  aussi  nette  que  nous  avons  les  mains  et  fussent  aussi  jaloux 
et  déplaisants  de  la  prospérité  du  roi   d'Espagne  que  nous  sommes.  » 

(2)  Elizabeth  à  Sir  Mildmay,  8  décembre  1596,  tiré  du  Publ.  Rec.  off. 
(State  papers  France,  117).  cité  par  Lafileur  de  Kermaingant,  L' Ambas- 
sade française  en  Angleterre  :  Mission  de  J.  de  Thumery,  sieur  de 
Boissisè,  Paris,  18S6,  2  vol.  in-8o,  p.  75.  Consulter  cet  ouvrage  pour 
l'étude  des  relations  d'Henri  IV  avec  l'Angleterre. 


LE    MINISTRE    L>'hENRI    IV  369 

tait,  sans  oser  l'avouer,  que  les  forces  vives  de  France  et 
d'Espagne  s'épuisassent  dans  une  lutte  dont  l'Angleterre 
retirerait  tous  les  bénéfices.  Les  Anglais  commençaient 
alors  à  développer  magnifiquement  leur  puissance  com- 
merciale et  maritime.  Les  guerres  continentales  étaient 
une  belle  occasion  pour  établir  leur  domination  sur  la  mer 
du  Nord,  écarter  des  ports  importants  leurs  rivaux  français 
ou  espagnols,  y  acquérir  des  positions  avantageuses.  Les 
deux  pays  rapprochés  par  un  intérêt  politique,  la  nécessité 
de  se  défendre  contre  l'Espagne,  par  des  sympathies  reli- 
gieuses, un  lien  traditionnel  d'amitié  entre  le  peuple  an- 
glais et  les  réformés  de  France,  étaient  profondément  divi- 
sés par  des  intérêts  économiques.  Aussi,  après  la  déclara- 
tion de  guerre  d'Henri  IV  à  Philippe  II,  avait- on  vu  Elisa- 
beth retirer,  sous  un  prétexte  honnête,  les  soldats  qu'elle 
avait  envoyés  en  Bretagne.  Henri  IV  avait  patienté,  mais 
après  la  prise  de  Cambrai  par  Fuentès  (octobre  95).  avait 
envoyé  Loménie  réclamer  des  secours.  Le  secrétaire  avait 
été  très  mal  accueilli.  En  avril  1)6,  après  la  prise  d'un  fau- 
bourg de  Calais  par  les  Espagnols,  Sancy  était  allé  deman- 
der à  la  reine  l'appui  des  forces  concentrées  à  Douvres. 
Mais  la  reine  voulait  Calais  ;  elle  offrit  du  secours  à  condi- 
tion qu'on  lui  laissât  mettre  une  garnison  dans  la  ville.  Le 
roi  refusa  énergiquement.  Mais  pendant  qu'on  négociait, 
les  Espagnols  s'étaient  emparés  de  la  ville.  Le  roi  envoya 
alors  en  Angleterre  le  duc  de  Bouillon  pour  se  joindre  à 
Sancy  et  proposer  à  Elisabeth  une  ligue  offensive  et  défen- 
sive. La  reine  hésitait;  la  menace  du  danger  espagnol, 
la  fermeté  d'Henri  IV  et  de  son  ministre  des  affaires 
extérieures,  finirent  par  fléchir  à  demi  sa  mauvaise  volonté. 
C'est  alors  qu'elle  accorda  une  ligue  par  le  double  traité 
de  Greenwich  (24  et  '26  mai  dont  les  conditions  étaient, 
de  l'avis  même  de  Villeroy,  «  incertaines  et  peu  avanta- 
geuses à   la  France    »   (1),   mais  qui   était  néanmoins  un 

(1)  Mémoire,  p.  8. 

Villeroy.  24 


370  VILLEROY 

succès  pour  la  diplomatie  française.  Le  traité  public  pro- 
mettait beaucoup.  Le  traité  secret  réduisait  les  secours  à 
2000  hommes  de  troupe  et  à  '20.000  éeus  de  prêt.  Le  roi 
s'engageait  à  ne  pas  faire  la  paix  avec  l'Espagne  sans  le 
consentement  de  l'Angleterre  et  des  Provinces-Unies.  Les 
Etats  généraux  des  Pays-Bas  qui  s'étaient  liés  semblable- 
ment  à  Henri  IV  lui  prêtèrent  peu  après  450.000  florins. 

Après  le  désastre  d'Amiens,  la  cause  de  la  paix  parut  faire 
quelques  progrès.  Tout  en  faisant  bravement  le  roi  de  Na- 
varre, Henri  IV  fut  plus  disposé  à  écouter  des  propositions 
pacifiques.  Il  laissa  la  diplomatie  de  Villeroy  agir  à  Rome 
dans  ce  sens.  Luxembourg  et  d'Ossat  encouragèrent  Clé- 
ment VIII  à  presser  le  roi  d'Espagne  d'offrir  à  la  Erance 
des  conditions  honorables.  Quand  le  général  des  Corde- 
liers  que  le  pape  avait  adjoint  à  son  légat  vint  en  Erance, 
le  roi  ordonna  au  connétable  et  à  Bellièvre  d'entrer  en  con- 
versation avec  lui  (1).  Il  lui  accorda  même  une  audience  ; 
mais  lorsque  celui-ci  lui  eut  exposé  les  conditions  espa- 
gnoles, la  cession  des  villes  picardes  conquises  par  l'en- 
nemi, l'abandon  des  alliés  protestants,  il  refusa  tout  net 
ce  qui  était  contraire  à  l'honneur  (mai  1597).  Ce  refus  ne 
signifiait  pas  une  rupture.  Villeroy  pas  plus  qu'Henri  IV 
ne  voulait  qu'on  cédât  Amiens  au  roi  d'Espagne.  Mais  il 
estimait  qu'on  ne  devait  pas  décourager  les  intermédiaires 
obligeants  envoyés  par  le  pape  et  qu'il  fallait  trouver  un 
autre  moyen  d'entretenir  la  négociation  (2). 

En  même  temps,  Villeroy  continuait  à  pratiquer  habile- 
ment sa  tactique  accoutumée  avec  l'Angleterre.  Sans  rien 
dire  des  entrevues  avec  le  général  des  Cordeliers,  il  ne  fai- 
sait pas  désavouer  les  bruits  qui  couraient  sur  la  paix,  es- 
sayant  d'obtenir  par  ce  moyen  des  secours  d'Angleterre. 


(11   Henri  IV  au   connétable,  29  avril   1397,  Lettres  Missives,  t.  IV, 
p.  756. 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre,  20  aoùi    1597,  F.  Fr.  13911,  fo  100. 


LE    MINISTRE    d'hKNKI    IV  'M  1 

Cette  politique  avait  d'ailleurs  peu  de  succès.  Elisabeth 
était  redevenue  jalouse,  redoutait  une  victoire  française, 
et  s'obstinait  à  engager  très  loin  de  France,  sur  les  côtes 
d'Espagne,  les  forces  anglaises.  C'est  à  grand  peine  qu'on 
obtint  d'elle  de  laisser  en  Picardie  les  "2000  hommes  au  delà 
du  terme  de  six  mois  spécifié  par  le  traité  de  Greenwich. 
Et  de  nouveau  cette  mauvaise  volonté  des  alliés  servit 
les  amis  de  la  paix.  Au  mois  d'août,  les  conversations  re- 
prirent avec  le  général.  Pendant  que  le  roi  travaillait  au 
siège,  Villeroy  causait  avec  cet  excellent  homme  qu'il 
trouvait  «  affectionné  au  repos  public  »  (1),  assez  favo- 
rable à  la  France,  et  qui  faisait  de  son  mieux  pour  persua- 
der à  l'archiduc,  selon  les  instructions  de  Villeroy,  de  se 
mettre  à  la  raison,  comme  le  roi  était  prêt  à  le  faire,  c'est- 
à-dire  d'abandonner  au  roi  ses  villes  picardes  (2).  Le  mi- 
nistre eut  avec  lui  trois  entrevues.  Le  cordelier  propo- 
sait de  poursuivre  l'œuvre  de  paix  par  une  assemblée  de 
députés  ou  par  l'entremise  d'une  personne  neutre.  Villeroy 
inclinait  vers  ce  dernier  moyen;  mais  les  négociai  ions 
furent  interrompues  par  l'expédition  du  Cardinal-archiduc 
qui,  comme  le  roi,  se  battait  pour  l'honneur  etaimait  mieux 
perdre  Amiens  dans  une  bataille  que  de  la  cr<\rv.  Il  semble 
qu'à  ce  moment  Villeroy  ait  eu  sur  l'opportunité  de  l;i  lutte 
un  autre  sentiment  que  le  roi.  Henri  IV  voulait  la  paix, 
mais  après  avoir  conquis  Amiens.  Son  ministre  estimait 
qu'on  s'était  assez  battu.  Il  redoutait  les  risques  d'une  aven- 
ture militaire  et  aurait  volontiers  adopté  une  solution  pro- 
visoire telle  que  le  dépôt  d'Amiens  aux  mains  du  pape,  qui 


(1)  Villeroy  à  Bellièvre,  24  août  1597,  F.  Fr.   L5911,  f°  102. 

(2)  Cette  action  de  Villeroy  nous  est  connue  parla  correspondance 
manuscrite  avec  Bellièvre.  Les  historiens  n'ont  pas  connu  cette  conti- 
nuité dans  les  négociations  et  n'ont  décrit  que  des  événements  militaires 
entre  la  première  entrevue  où  Henri  IV  repoussa  les  conditions  'lu  légat 
(début  de  mai)  et  la  reprise  définitive  des  négociations  après  la  con- 
quête de  la  place  (octobre). 


372  VILLEROY 

eût  permis  de  commencer  tout  de  suite  les  négociations 
définitives.  Cette  pensée  intime  ressort  de  la  lettre  qu'il 
écrivit  à  Bellièvre  le  31  août  :  «  Pour  moi,  disait-il,  je  fais 
plutôt  son  intention  que  la  mienne;  car  je  voudrais  que 
non  seulement  le  dit  général  mais  aussi  le  légat  fussent  ici 
pour  se  jeter  entre  nos  deux  armées  quand  elles  approche- 
ront pour  nous  accorder  plutôt  que  de  nous  laisser  battre, 
car  vous  savez  combien  sont  douteux  les  événements  de  la 
guerre.  Mais  il  faut...  en  quelque  sorte  que  ce  soit  suivre 
la  volonté  de  nos  maîtres  »  (1). 

Quand  l'archiduc  eut  battu  en  retraite  devant  l'armée  du 
roi,  Amiens  se  rendit  ("25  septembre).  Alors  commencèrent 
sérieusement  les  pourparlers  de  paix.  Les  deux  nations 
étaient  épuisées  par  la  guerre,  et  dans  ce  duel  on  avait  reçu 
et  donné  autant  de  coups  de  part  et  d'autre.  Le  4  octobre, 
à  deux  lieues  d'Arras  où  était  l'archiduc,  en  présence  du 
général  des  Cordeliers,  eut  lieu  une  première  entrevue  entre 
Villeroy  et  Richardot.  président  du  Conseil  privé  des  Pays- 
Bas  (2).  Cet  homme  d'état  belge,  loyalement  dévoué  au  roj 
d'Espagne,  bourgeois  modéré  et  clairvoyant,  avait  un  tem- 
pérament de  politique  fort  semblable  à  celui  de  Villeroy. 
Les  deux  ministres  eurent  toujours  beaucoup  d'estime  l'un 
pour  l'autre,  et  cette  sympathie  fut  un  élément  important 
de  conciliation,  dans  les  rapports  entre  le  gouvernement 
de  la  France  et  celui  des  Pays-Bas  espagnols,  avant  et 
après  la  paix.  Le  4  octobre,  ils  convinrent  que,  pour  faire 
un  traité  durable,  il  fallait  «  bâtir  sur  le  fondement  de  la 
dernière  paix  faite  au  Cateau-Cambrésis  » .  Villeroy  recon- 


(1)  Le  roi  à  Bellièvre,  31  août  1597,  publiée  par  Halphen,  Lettres 
inédites  d'Henri  IV  au  chancelier  de  Bellièvre  (15S1-1G01),  1872, 
in-*",  p.  221. 

(2)  Voir  les  Lettres  missives,  Henri  IV  au  duc  de  Luxembourg,  6 
octobre  1597,  t.  VIII,  p.  676.  —  Voir  le  Mémoire  historique  concernant 
la  négociation  de  la  paix  traitée  à  Vervins  Van  1598,  10G7,  2  vol. 
in-12,  et  les  Mémoires  de  la  Liane,  t.  VI. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  373 

mit  pourtant  que  les  Espagnols  voulaient  retenir  Ardres  et 
Calais,  et  il  dit  à  Richardot  que  l'ennemi  conquerrait  le 
reste  du  royaume  ou  que  le  roi  reprendrait  ses  villes  avant 
qu'ils  ne  le  fassent  consentir  à  cette  cession. 

Mais  après  l'échec  de  leurs  tentatives  militaires  contre 
les  Anglais,  les  Espagnols  se  résignèrent  à  abandonner  leurs 
prétentions  sur  Calais  et  ils  demandèrent  la  réunion  d'un 
congrès  de  députés.  Le  roi  désigna  en  janvier  Bellièvre  et 
Sillery  comme  plénipotentiaires.  Après  trois  mois  de  dis- 
cussions, Français  et  Espagnols  conclurent  le  traité  quimet- 
tait  fin  à  leur  vieille  querelle  et  rendait  à  la  France  son  in- 
tégrité territoriale.  L'Espagne  restitua  les  six  villes  con- 
quises dans  le  Nord  et  la  place  du  Blavet  en  Bretagne.  Le 
duc  de  Savoie  rendit  ce  qu'il  avait  pris  en  Provence  et  pro- 
mit de  remettre  à  l'arbitrage  du  pape  la  solution  du  diffé- 
rend de  Saluées  dont  il  s'était  emparé  en  1588.  Le  traité 
fut  conclu  à  Vervins,  le  2  mai  1598. 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  le  détail  des  négociations 
qui,  selon  les  instructions  envoyées  par  Henri  IV  et  Yille- 
roy,  furent  très  habilement  conduites  par  Bellièvre  el  Sil- 
lery. Ces  deux  diplomates,  qui  devaient  l'un  après  l'autre 
devenir  chanceliers  de  France,  avaient  déjà  rempli  avec 
succèsdes  missions  en  Suisse.  C'étaient  deux  grands  amis 
de  Villeroy,  qui  traitait  le  premier,  beaucoup  plus  âgé,  avec 
plu-  de  déférence,  le  second,  avec  plus  de  familiarité.  Us 
n'eurent  à  faire  montre  d'aucune  initiative  importante 
dans  la  conclusion  d'un  traité  où,  du  côté  des  Espagnols, 
ne  fut  soulevée  aucune  difficulté  grave. 

Henri  IV  et  Villeroy  eurent  à  résoudre  la  question  com- 
plexe et  délicate  des  rapports  avec  les  alliés  de  [a  France, 
qui  retarda  jusqu'en  mai  la  conclusion  du  traité.  C'est  de 
ce  côté  que  se  portèrent  tous  les  efforts  de  notre  ministre. 

Les  trois  puissances  unies  à  Greenwich  s'étaient  enga- 
gées à  ne  pas  traiter  séparément.  Les  pourparlers  avec  le 


374  VILLEROY 

général  des  Cordeliers  et  le  président  Richardot  commen- 
cèrent sans  que  les  alliés  fussent  avertis.  Quelques  jours 
après  l'importante  conférence  du  4  octobre,  Yilleroy  osait 
dire  à 'l'Anglais  Edmond  qu'il  ne  fallait  attribuer  aucune 
importance  aux  bruits  qui  pourraient  lui  revenir  de  ses  né- 
gociations avec  les  Espagnols,  que  l'intention  du  roi  était 
de  s'unir  de  plus  en  plus  étroitement  avec  la  reine  d'Angle- 
terre et  que  son  ministre  chercherait  toujours  «  pour  son 
plus  grand  bien  à  le  confirmer  dans  son  opinion  »  (1).  Yil- 
leroy continua  quelque  temps,  pour  endormir  les  Anglais,  à 
jouer  cette  comédie,  puis  petit  à  petit  il  avoua  la  vérité.  Il 
fit  connaître  que  les  Espagnols  nous  proposaient  la  paix,  mais 
qu'on  doutait  de  leur  sincérité,  et  qu'en  tous  cas  on  ne  fe- 
rait rien  au  préjudice  de  l'alliance.  Cependant  la  consigne 
pour  les  envoyés  du  roi,  Buzanval  en  Hollande,  de  Maisse 
en  Angleterre,  était  de  poser  un  dilemme  aux  alliés  :  ou  bien 
aider  énergiquement  le  roi  dans  une  grande  guerre  faite 
en  commun  contre  l'Espagne,  ou  bien  écouter  avec  lui  les 
propositions  de  paix  que  Philippe  II  était  décidé  à  faire. 

Or,  Villeroy  n'eut  pas  de  peine  à  découvrir  que  les  inten- 
tions réelles  des  alliés  allaient  à  l'encontre  des  intérêts  du 
royaume.  Les  Hollandais  voulaient  continuer  la  guerre  à 
l'Espagne,  mais  isolément,  aux  Pays-Bas,  afin  de  ruiner  le 
commerce  espagnol  à  leur  profit.  Les  Anglais  poursuivaient 
une  politique  moins  cohérente  et  moins  franche;  on  crut 
comprendre  que  leur  principal  désir  était  d'avoir  Calais  (2). 
Toutefois,  à  ce  moment,  un  ministre  1res  bien  disposé  poul- 
ies Anglais  et  désireux  de  continuer  la  guerre,  eût  pu 
peut-être  faire  incliner  le  roi  à  la  continuation  de  la  lutte. 
Henri  IV  était  plus  sensible  que  Villeroy  au  point  d'hon- 


(1)  Lettre  d'Edmond  à  Cecil,  19  octobre  1597,  citée  par  Laffleur  de 
Kermaingant,  p.  138. 

(2)  Lettre  de  Villeroy  à  de   Maisse,    15    décembre   1597,    citée   par 
Laffleur  de  Kermaingant,  p.  146-147. 


LE   MINISTRE    d'hf.NRI    IV  375 

neur.  Il  considérait  que  l'abandon  des  alliés  aurait  entaché 
sa  réputation;  d'autre  part  j  depuis  ses  succès  devant  Amiens, 

il  avait  repris  goût  à  la  gloire  militaire  et  la  perspective 
d'une  nouvelle  et  brillante  campagne  ne  lui  aurait  pas 
déplu.  Aussi,  quand  Ceci!  fut  envoyé  en  France  par  Elisa- 
beth pendant  les  négociations  de  Vervins  pour  examiner  de 
prés  la  situation  et  voir  s'il  convenait  à  l'Angleterre  de 
faire  durer  la  guerre,  il  reçut  pour  instruction  de  se 
méfier  des  ministres  qui  conseillaient  la  paix  et  d'essayer 
de  discerner  les  intentions  du  roi  de  celles  de  son  entou- 
rage par  de  fréquentes  conversations  et  des  questions  inat- 
tendues, car  on  arrivait  assez  facilement  à  démêler  la  vé- 
rité de  la  feinte  chez  Henri  IV  (1). 

Les  ministres  anglais  n'avaient  pas  tort  de  redouter 
l'influence  de  Villeroy.  S'il  y  avait  quelque  indécision  dans 
l'esprit  du  roi,  le  ministre  au  contraire  était  énergiquement 
résolu  à  activer  les  négociations  pour  la  paix.  Il  ne  nous 
fait  aucune  confidence  précise  à  ce  sujet,  mais  d'après  les 
lettres  des  envoyés  anglais  et  sa  correspondance  diplo- 
matique, on  sent  qu'il  considère  ces  alliés  comme  des 
fâcheux  qui  entravent  celte  paix  si  nécessaire  au  misé- 
rable royaume.  «  Achevé/,  donc  voire  ouvrage  le  plus  tôt 
que  vous  pourrez,  écrivait-il  à  Bellièvre  età  Sillery  au  mois 
de  mars,  sans  vous  arrêter  davantage  aux  désirs  et  fantai- 
sies de  nos  voisins  auxquels  le  roi  a  eu  trop  d'égard  ;  car 
il  est  certain  qu'ils  portent  envie  à  S.  M.  du  dit  accord 
et  qu'ils  feront  ce  qu'ils  pourront  pour  le  renverser.  »  Il 
s'irrite  presque  des  innombrables  propositions  de  ces  voi- 
sins qui  tendent  à  nous  «  entamer  et  faire  broncher  »  (2  . 
La  reine  écrivait  elle-même  à  ses  agents  que  comme  prin- 
cesse souveraine  elle  ne  voulait  plus  avoir  affaire  avec  les 


(1)  Voir  Lafflcur  de  Kermaingant,  p.  171. 

(2)  Villeroy  à  Bellièvre   el    Sillery,    Mè moire...,  ...  mars  1398,  t.  1, 
p.  lOo. 


376  VILLKROY 

ministres  du  roi,  mais  avec  lui-même,  et  demandait  de 
quelle  manière  il  entendait  réparer  les  actes  déloyaux 
de  ses  négociateurs  qu'elle  ne  croyait  pas  autorisés  à  en 
user  si  indignement  à  son  égard  (1). 

Cependant  il  étaitnécessaire  de  ménager  lesformesavec 
ces  fâcheux,  car  il  ne  fallait  pas  pour  l'honneur  du  roi 
avoir  l'air  de  les  abandonner.  Villeroy  profita  adroitement 
de  leurs  maladresses.  Il  exploita  contre  eux  la  question  de 
Calais  pour  démontrer  leur  insupportable  avidité  (2).  Il  in- 
sista sur  les  secours  très  grands  qu'Elisabeth  devait  donner 
au  roi  pour  la  continuation  de  la  guerre.  Il  savait  très  bien 
que  Cecil  n'avait  aucune  instruction  précise  à  ce  sujet, 
que  les  Anglais  voulaient  agir  séparément  sur  mer,  sans 
fournir  de  subsides  aux  Français  ;  et  tout  en  leur  grossis- 
sant les  difficultés  de  la  coopération  armée,  il  leur  faisait 
ressortir  la  modération  des  Espagnols,  leur  montrait  la 
paix  comme  presque  conclue,  les  pressait  de  se  décider  (3). 
Cecil  sortait  battu  et  mécontent  de  ses  entrevues  avec  Vil- 
leroy et  s'écriait  :  «  A  quoi  bon  plaider  plus  longtemps 
contre  ceux  dont  la  maxime  est  que  l'honneur  des  princes 
git  toujours  à  bien  faire  leurs  affaires  (4)  ?  » 

Peut-être  les  Anglais  déroutés  par  cette  ténacité,  sentant 
la  paix  inévitable,  auraient-ils  incliné  vers  cette  dernière- 
solution,  si  les  Etats  de  Hollande  n'avaient  eu  la  volonté 
ferme  de  poursuivre  la  guerre.  Eux  aussi  voulaient  la  con- 


(1)  Voir  la  lettre  citée  par  Laffleur  de  Kermaingant,  p.  193. 

(2)  Lettre  de  Villeroy  à  de  Maisse,  15  décembre  1597,  citée  par  Laf- 
fleur de  Kermaingant,  p.  146.  Le  roi  àBellièvre  et  Sillery,  9  avril  1598. 
Bellièvre  et  Sillery  à  Villeroy,  13  avril. 

(3)  Villeroy  àBellièvre,  mars  1598.  Mémoire,  t.  I,  p.  105.  Le  12 
lévrier,  Bellièvre  et  Sillery  avaient  écrit  au  ministre  (Ibid  ,  1,  p.  52). 
«  Si  nous  nous  arrêtons  aux  conseils  de  la  Reine  d'Angleterre  et  des 
Etats,  nous  aurons  dix  ans  de  guerre  et  jamais  de  paix  :  si  vous  vous 
attendez  qu'ils  fassent  nos  affaires,  vous  vous  trouverez  fort  trompés.  » 

(4)  Cecil  aux  Loxds,  19  avril  1598,  Laffleur  de  Kermaingant,  Ibid., 
p.  206. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  377 

limier  à  des  conditions  dont  les  pacifiques  n'avaient  pas  de 
peine  à  démontrer  l'insuffisance  pour  la  France.  Quand  ils 
se  décidèrent  à  proposer  des  conditions  meilleures,  il  était 
trop  tard.  En  effet,  lorsque  les  négociations  commencèrent 
à  Vervins,  ils  résolurent  d'envoyer  à  la  cour  une  ambassade 
extraordinaire  pour  détourner  le  roi  de  conclure  la  paix 
et  l'engager  à  se  lier  plus  étroitement  avec  les  Hollandais. 
L'avocat  Oldenbarnevelt,  l'amiral  de  Zélande  Justin  de 
Nassau,  François  Aerssen,  qui  devait  rester  en  France 
comme  chargé  d'affaires  des  Etats,  furent  reçus  à  Angers 
par  le  roi  avec  une  grande  affabilité,  le  5  avril  98,  et  visités 
deux  jours  après  par  Villeroy,  de  Maisse  et  Buzanval  qui 
leur  démontrèrent  qu'il  était  trop  tard  pour  rompre  la  paix  : 
le  roi  avait  reçu  des  offres  satisfaisantes  de  l'Espagne,  et 
ne  pouvait,  mal  soutenu  par  l'Angleterre,  continuer  seul 
la  guerre  sans  ruiner  totalement  son  royaume.  Lesenvoyés 
firent  des  offres  superbes:  450.000  florins  pour  l'entretien 
de  4000  soldats  pour  l'année  98  et  toutes  leurs  forces  mises 
à  la  disposition  du  roi  où  et  comme  il  voudrait.  Ils  expo- 
sèrent sans  succès,  une  dernière  fois,  leurs  revendications 
et  leurs  offres  dans  une  conférence  solennelle  à  laquelle 
assistaient  avec  Villeroy,  le  Chancelier,  d'Epernon,  Bouil- 
lon, Schomberg,  Sancy,  Buzanval,  de  Maisse  el  Duplessis, 
sous  la  présidence  de  l'ambassadeur  anglais  Cecil.  Quel- 
ques jours  après,  la  paix  était  signée,  sans  les  Anglais  et  les 
Hollandais  qui  continuaient  la  lutte  (1). 

On  avait  attribué  la  nécessité  de  cette  séparation  au  mi- 
sérable état  du  royaume  et  au  mauvais  vouloir  des  alliés 
eux-mêmes  qui  ne  faisaient  pas  au  roi  des  conditions 
raisonnables.  On  ménagea  encore  les  apparences  par  un 
nouveau  témoignage  de  bonne  volonté.  On  obtint  de  l'Es- 
pagne qu'elle  accorderait  aux  alliés,  s'ils  le  voulaient,  une 
trêve  de  deux  mois   et  qu'ils   seraient  compris  dans   le 

(1)  Voir  nos  Lettres  inédites  de  François  d' Aerssen,  p.  10. 


378  VILLEROY 

traité,  s'ils  le  demandaient  dans  les  six  mois  qui  suivraient 
la  signature  de  la  paix.  Malgré  quelques  accès  de  mau- 
vaise humeur  contre  Villeroy,  Elisabeth  ne  put  donc  en 
vouloir-sérieusement  à  la  diplomatie  française.  Nous  savons 
qu'après  le  traité,  la  reine  essaya  de  s'entendre  avec  les 
Etats  et  chercha  à  user  en  faveur  de  la  paix  du  délai  de 
six  mois  accordé  à  Vervins;  mais  elle  dut  céder  à  l'obsti- 
nation des  Hollandais. 

Ainsi,  la  suprême  habileté  de  la  diplomatie  française, 
grâce  surtout  à  la  souplesse  de  Villeroy,  fut  d'arriver  à  sé- 
parer doucement  la  France  de  ses  alliés  pour  conclure  le 
traité  de  Vervins,  engardantpour  nous  de  fortes  apparences 
de  raison,  en  atténuant  rapidement  leurs  ressentiments  et 
en  ménageant  pour  la  suite  la  reprise  de  bons  rapports. 
Villeroy  fut  considéré  à  justetitre  comme  un  des  princi- 
paux auteurs  du  traité  de  Vervins.  A  la  fin  du  mois  de  juin, 
Francesco  Contarini  alla  lui  présenter  ses  compliments 
comme  à  celui  qui  avait  «  en  main  et  en  son  pouvoir  quasi 
tout  le  gouvernement  »  (1)  et  qui  avait  dirigé  l'œuvre  de 
paix  à  laquelle  avaient  collaboré  Bellièvre  et  Sillery, 
comme  de  très  prudents  et  très  fins  auxiliaires. 


III 


Les  auteurs  de  la  paix  de  Vervins  avaient  cru  régler  pour 
longtemps  nos  vieilles  querelles  avec  les  puissances  qui 
avaient  soutenu  la  Ligue.  Le  roi  avait  regagné  ses  villes 
picardes  et  bretonnes  prises  par  l'Espagne. Il  allait,  croyait- 
on,  rentrer  en  possession  de  Saluées  dont  le  duc  de  Savoie 
s'était  emparé  brutalement  en  1588  et  qu'il  avait  gardé  au 


(1)  Contarini  à  la Sérénissime République,  26  juin  98.  F.  Ital.  1747,  fo 
49.  —  Âerssen  dans  une  lettre  à  Valckc  (13  septembre  1602)  appelait 
Villeroy  et  Sillery  «  deux  pères  de  la  paix  d'Espagne  ». 


LE    MINISTRE    L)  HENHI    IV 


379 


mépris  de  tout  droit  pendant  les  guerres  civiles.  Charles- 
Emmanuel  s'était  engagé  au  traité  de  98  à  soumettre  la 
question  à  l'arbitrage  du  pape  étonne  doutait  point  que  le 
bon  droit  de  la  France  ne  fût  bientôt  reconnu.  Aussi  tous 
les  efforts  de  Villeroy  et  de  ses  diplomates  tendirent-ils, 
à  partir  de  mai  1598,  au  recouvrement  de  Saluées. 

Villeroy  croyait,  comme  toute  la  France  d'alors,  que  l'hon- 
neur et  l'intérêt  clu  royaume  commandaient  impérieuse- 
ment cette  restitution.  On  ne  pouvait  permettre,  sans  aveu 
de  déchéance,  de  laisser  entre  les  mains  d'un  petit  prince 
une  portion  du  territoire  national  dont  il  s'était  injuste- 
ment emparé  pendant  que  l'Etat  français  était  faible. 
«  Notre  cause  est  bonne,  disait  Villeroy,  puisque  l'on  veut 
retenir'le  nôtre  contre  la  foi  donnée  (1).  »  Ce  n'était  qu'un 
morceau  de  terre  enclavé  dans  le  Piémont,  sans  lien  avec 
la  frontière  des  Alpes,  mais  il  permettait  aux  Français, 
comme  disait  le  duc,  de  «  se  nicher  en  Italie  ».  Ces  deux 
villes  de  la  vallée  du  Pô,  Carmagnola  et  Saluzzo,  étaient  à 
moins  d'une  journée  de  Turin.  Elles  tenaient  en  bride  le 
duc,  surveillaient  les  Espagnols,  rassuraient  les  princes  et 
républiques  amies  de  la  France,  qui  savaient  qu'en  cas  de 
danger,  les  Français  pouvaient  facilement  descendre  en 
Italie  à  leur  secours.  On  comprend  l'acharnement  du  duc 
Charles-Emmanuel III  à  garder  cette  position,  sans  laquelle 
il  ne  pouvait  espérer  faire  figure  de  grand  prince,  ni  mémo 
de  prince  simplement  indépendant.  Nous  verrons  plus 
d'une  fois  à  l'œuvre. cet  esprit  impétueux,  brouillon,  sans 
scrupules  et  doué  d'une  formidable  ambition.  Toutefois  il 
faut  reconnaître  qu'en  essayant  de  retenir  indûment  le 
marquisat  en  1598,  il  ne  cherchait  pas  par  plaisir  une  mau- 
vaise querelle,  il  poursuivait  une  œuvre  de  salut  natio- 
nal (2). 


(1)  Villeroy  à  La  Rochepot,  27  juillet  1600.  F.  fr.  10137,  fo  32. 

(2)  Les  historiens  reconnaissent  justement   en  lui  un  ancêtre  des 


380  VILLEROY 

Ce  conflit  très  grave  entre  le  droit  de  propriété  du  roi  de 
France  et  l'intérêt  vital  de  l'état  savoyard  ne  put  être  réglé 
par  l'intervention  du  pape  qu'avait  prévue  la  diplomatie 
française.  Clément  VIII,  caractère  timide  et  irrésolu,  qui 
n'avait  accepté  qu'à  contre-cœur  cette  médiation,  s'effraya 
bientôt  des  difficultés  de  sa  tâche  ;  se  trouvant  en  butte 
aux  sollicitations  de  l'Espagne  et  de  l'empereur  qui,  pour 
exclure  les  Français  d'Italie,  soutenaient  les  prétentions  de 
la  Savoie,  il  fit  traîner  en  longueur  la  négociation.  L'année 
98  s'acheva  sans  qu'on  eût  commencé  à  discuter.  Pour  la 
première  fois,  au  mois  d'avril  de  l'année  suivante,  se  réu- 
nirent les  délégués  du  duc  avec  ceux  d'Henri  IV  dont  le 
plus  éminent  était  d'Ossat.  Ils  ne  purent  arriver  à  une 
entente.  On  chercha  à  prolonger  le  terme  du  compromis 
qui  allait  finir.  Le  roi  de  France  consentit  à  de  nouveaux 
délais  et  demanda  que  le  marquisat  fût  remis  entre  les 
mains  du  pape.  Clément  VIII,  effrayé  de  cette  responsa- 
bilité nouvelle,  se  récusa  (1). 

C'est  alors  que  Charles-Emmanuel  résolut  d'être  son 
propre  diplomate  et  de  traiter  directement  avec  Henri  IV 
l'affaire  de  Saluées.  Il  arriva  en  cour,  le  17  décembre  1599. 
Tout  de  suite,  il  essaya  d'éblouir  le  roi  par  de  magnifiques 
projets  d'entreprises  faites  en  commun  par  les  deux  princes 
alliés,  car  il  se  disait  décidé  à  abandonner  l'Espagne,  si 
Henri  IV  lui  cédait  le  marquisat.  Voulait-il  prendre  au 
piège  Henri  «  comme  un  oiseau  niais  »  (2)  ?  On  ne  savait 
jamais  si  le  duc  était  sincère  ou  faux  ;  il  se  conduisait 
comme  un  brasseur  d'affaires  plein  d'imagination  et  dénué 

fondateurs  de  l'unité  italienne.  Carutti  dans  sa  Storia  délia  diplomazia 
délia  Corte  di  Savoia,  18T5,  in-S.  t.  I,  p.  493,  définit  le  but  du  duc: 
«  Essere  padrone  in  casa,  piu  non  udire  dalla  regia  di  Torino  il  suono 
del  tamburo  francese  a  Carmagnola.  » 

(1)  Philippson,  Heinrich  IV  und  Philipp  III,  t.  I,  p.  86  et  suiv.  — 
Voir  aussi  sur  ces  négociations  les  lettres  de  Tassis,  13  et  20  mai,  26 
et  28  juillet  1599.  Pap.  Simone.  K.  1602,  p.  44,  65,  69,  74. 

(2)  Selon  le  mot  du  roi  à  Sully.  Voir  Sully,  Ec.  lioij.,  t.  I,  p.  321. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  381 

de  scrupules,  prêt  à  se  donner  à  qui  lui  assurerait  les  plus 
beaux  bénéfices.  Quoi  qu'il  en  fût,  le  roi  ne  se  laissa  pas 
circonvenir.  Sa  prudence  habituelle  reparut  sous  ces  appa- 
rences de  bonhomie  et  de  franchise  qui  parfois  donnaient 
aux  étrangers  l'illusion  qu'on  pouvait  facilement  le  trom- 
per. Il  se  montra  un  excellent  hôte,  mais  fronça  les  sour- 
cils quand  Charles-Emmanuel  parla  de  Saluces  et  il  lui  dit 
qu'il  fallait  laisser  débrouiller  cet  écheveau  par  les  minis- 
tres (1). 

De  part  et  d'autre,  on  désigna  donc  les  personnes  qui  se- 
raient chargées  de  régler  l'affaire.  Le  roi  nomma,  avec  Vil- 
leroy,  le  connétable,  le  chancelier,  Biron,  Rosny  et  de 
Maisse.  Le  chancelier  de  Bely,  le  marquis  de  Lullin,  Morel, 
Jacob,  et  des  Alimes  représentèrent  le  duc.  Ils  se  réunirent 
le  '24  janvier  dans  la  maison  de  Montmorency,  en  présence 
du  patriarche  de  Constantinople  choisi  comme  média- 
teur (2).  Les  députés  du  roi  soutinrent  que  l'affaire  ne  pou- 
vail  être  conclue  que  par  la  restitution  de  Saluces  ou  la 
guerre.  Le  duc  proposa  un  moyen  terme  :  un  échange  de 
territoires.  Il  céderait  ses  droits  sur  Genève,  sur  des  terres 
tenues  par  les  Bernois  et  sur  une  partie  de  la  Bresse,  si 
on  lui  laissait  Saluces  qui  serait  érigé  en  fief  perpétuel  du 
roi.  On  lui  répondit  qu'il  fallait  laisser  en  dehors  de  l'affairé 
les  alliés  suisses  du  roi,  qu'on  voulait  avant  tout  la  resti- 
tution du  marquisat,  qu'on  consentirait  peut-être  à  donner 
satisfaction  au  duc  sur  ce  point,  mais  à  condition  qu'il  fit 
des  offres  réellement  dignes  du  roi.  Alors  les  députés  sa- 
voyards accrurent  la  portion  de  la  Bresse  qu'ils  voulaient 
donner  en  échange.  C'était  encore  insuffisant.  Les  Fran- 
çais voulaient  toute  la  Bresse  et  au  delà  des  monts  Pigne- 
rol  et  le  Val  de  Suse.  Ainsi,  le  gouvernement  considérai) 
comme  nécessaire  au  rovaume  la  conservation  d'une  cita- 


(1)  Carutti,  t.  I,  p.  505. 

(2)  Tassis  au  roi,  21  décembre  1599.  Pap.  Simanç  ,  K.  1002,  p.  123. 


382  VILLEROY 

délie  française  au  delà  des  monts,  quel  que  fût  son  nom.  Les 
ministres  français  étaient  d'accord  sur  ce  point  essentiel. 

Aucun  des  contemporains  qui  les  approchèrent  à  ce 
moment  n'a  remarqué  de  divergence  d'idées  entre  eux,  ni 
les  ambassadeurs  toscans  et  vénitiens  qui  s'intéressaient 
passionnément  à  des  questions  d'où  pouvait  sortir  la  guerre 
pour  leur  pays,  ni  l'envoyé  hollandais  Aerssen  qui  souhai- 
tait un  conflit  entre  Français  et  Espagnols.  L'envoyé 
florentin  montre  Villeroy,  Rosny,  Bellièvre  et  de  Maisse 
d'accord  pour  réclamer  avec  acharnement  la  restitution  du 
marquisat  et  même  pour  repousser  au  début  les  proposi- 
tions de  ceux  qui  inclinaient  à  quelque  concession  envers 
le  duc  (1).  C'était  aussi  l'opinion  de  deux  personnages  en 
étroite  communion  d'idées  avec  Villeroy  :  Jeannin  écrivait 
un  Avis  au  roi  (2),  et  d'Ossat  ne  cessait  d'écrire  de  Rome 
qu'il  ne  fallait  pas  céder  ce  territoire  à  l'usurpateur  qui 
avait  montré  «  n'estimer  pas  une  nèfle  le  roi  de  France  et 
toute  la  France  ensemble  »  (3). 

11  n'y  aurait  point  lieu  d'insister  sur  l'accord  de  Villeroy 
avec  ses  collègues  sur  ces  principes  essentiels  de  la  poli- 
tique française,  si  les  Économies  Royales,  mal  interpré- 
tées, n'avaient  favorisé  une  certaine  équivoque.  Rosny  fut 
dès  le  début  le  plus  acharné  à  réclamer  la  restitution  du 
marquisat.  Mais  dans  son  horreur  des  moyens  dilatoires, 
il  voulait  l'exiger  avec  énergie  et,  en  cas  de  refus,  com- 
mencer la  guerre  le  plus  tôt  possible.  Il  venait  de  réunir 
les  quatre  charges  de  superintendant  des  finances,  de  l'ar- 
tillerie, des  bâtiments  et  des  fortifications  et  faisait  «  ron- 


(1)  Giovannini  au  grand-duc,  4  janvier  1600.  Desjardins,  t.  V,  p.  406. 

(2)  Négoc.  du  président  Jeannin,  Ed.  Mich.,p.  673.  Nous  ne  savons 
dans  quelle  circonstance  Jeannin  fut  appelé  à  donner  au  roi  cet  avis 
qui  porte  la  date  de  1599. 

(3)  D'Ossat  à  Villeroy,  2  mai  1599,  Lettres,  t.  Il,  p.  62.  Voir  les 
lettres  de  d'Ossat  des  17  février,  23  mars,  2  mai,  22  juillet,  etc.,  t.  11, 
j).  22,  34.  62,   191. 


LE    MINISTRE    D  HEN11I    IV  383 

fier  »  l'Arsenal  où  Charles-Emmanuel  put  admirer  avec 
une  certaine  inquiétude  une  quarantaine  d'affûts  et  de 
roues,  vingt  canons  nouvellement  fondus  et  du  bronze  pour 
en  fondre  vingt  autres  (1).  Il  dut  regretter  que  le  duc  de 
Savoie  fût  venu  en  personne  à  la  cour  pour  négocier.  Il 
eût  voulu  le  faire  raccompagner  par  1500  fantassins,  2000 
cavaliers  et  vingt  canons  et  le  sommer,  une  fois  rentré  dans 
ses  états,  de  rendre  Saluées.  Une  bonne  démonstration 
militaire  aurait  fait  rendre  justice  au  roi  plus  promptement 
que  les  écritures  et  les  discours  des  hommes  de  plume. 
Villeroy  et  Bellièvre,  selon  leur  méthode  habituelle,  vou- 
laient épuiser  tous  les  moyens  de  conciliation  pour  faire 
l'économie  d'une  guerre.  Le  chancelier  allait  répétant  :  «  Il 
faut  agir  doucement  et  y  bien  penser  »,  et  cette  parole  met- 
tait le  surintendant  hors  de  lui  (2). 

Cependant,  il  y  avait  autre  chose,  dans  ces  manières  pru- 
dentes, qu'une  peur  de  la  guerre  et  de  ses  incertitudes.  Il 
y  avait  le  désir  de  mettre  tout  à  fait  le  duc  dans  son  tort,  de 
le  convaincre  publiquement  de  mauvais  vouloir,  de  l'isoler 
moralement  du  reste  de  la  chrétienté.  L'événement  donna 
raison  à  la  politique  de  Villeroy,  puisque  les  Espagnols 
n'osèrent  pas  soutenir  ouvertement  le  duc,  et  que  le  pape 
lui  donna  tort.  Mais  l'événement  donna  aussi  raison  à 
Rosny  puisqu'il  fallut  faire  la  guerre  et  que  celte  guerre 
fut  heureuse  parce  qu'elle  avait  été  bien  préparée  par  h' 
grand-maître  de  l'artillerie. 

Nous  ne  sachons  pas  que  le  duc  ait  tenté  de  corrompre 
des  hommes  politiques.  D'Aubigné,  qui  était  à  ce  moment 
à  la  Cour,  évalue  à  400.000  écus  «  la  jonchée  d'or  »  du  Sa- 
voyard, mais  ilnotequecela  s'en  allait  «  en  valets  de  chambre 
et  de  garde-robe,  huissiers,  bouffons,  nains  el  fournisseurs 
de  cartes  »  (3).  Ces  largesses  d'un   prince   fameux  par  sa 

(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  I,  p. -323. 

(2)  Giovannini  au  grand-duc,  s  août  IGOO,  Desjardins,  t.  V,  p.  432. 

(3)  D'Aubigné,  Hist.  unie,  t.  IX,  p.  310. 11  ajoute  que  ces  largesses 


384  VILLEROY 

générosité  et  son  goût  de  l'ostentation  n'étaient  pas  dan- 
gereuses. Il  travaillait  alors  beaucoup  plus  sérieusement 
à  ruiner  les  desseins  d'Henri  IV  en  jetant  les  fondements 
de  la  conspiration  de  Biron. 

Quand  Sully  dicta  ses  mémoires,  son  imagination  qui 
grossissait  tout  lui  représenta  que  cette  guerre  était  son 
œuvre  personnelle.  Il  lui  sembla  que  la  reprise  de  Saluées 
était  sa  propre  politique  et  que  ceux  qui  voulaient  toujours 
négocier  étaient  des  gens  à  qui  ce butétait  indifférent.  C'est 
lui  que  le  duc  voulait  particulièrement  séduire  lorsqu'il  lui 
envoya  son  portrait  sur  une  boîte  de  diamants  de  15000écus. 
Sully  a  insisté  complaisamment  sur  la  scène  du  refus,  mais 
il  ne  nous  dit  pas  si  ses  collègues  reçurent  de  telles  offres 
et  les  refusèrent  et  il  ne  faudrait  point  en  conclure  que  sa 
conduite  ait  formé  contraste  avec  celle  des  autres  (1). 

Cependant,  on  était  arrivé  au  milieu  de  février.  Le  séjour 
prolongé  du  duc  commençait  à  inspirer  quelques  soupçons 
à  la  cour.  Le  roi  le  fit  prier  de  prendre  une  décision.  Le 
17  février,  il  consentit  à  signer  un  traité  où  il  s'engageait 
à  opter,  dans  un  délai  de  trois  mois,  entre  la  restitution 
du  marquisat  et  la  cession  de  la  Bresse  avec  Bourg,  de  la 
vallée  de  Barcelonnette,  du  Val  de  Stura  et  de  Pignerol. 
«  Nous  avons  tant  tourné  à  l'entour  du  pot  avec  M.  de  Sa- 
voie, qu'enfin  nous  sommes  tombés  dedans,  écrivait  Ville- 
roy,  c'est-à-dire  que  nous  avons  fait  l'accord...  duquel  je 
désire  que  S.  M.  fasse  son  profit  (2).  » 

eussent  fait  du  mal,  «  s'il  en  eut  obligé  vingt  mestres  de  camp  et  cent 
capitaines  français  ». 

(1)  11  se  produisit  un  autre  incident  qu'il  ne  faut  pas  interpréter 
comme  l'a  voulu  Sully.  Au  début  des  séances  de  la  commission  franco- 
savoyarde,  la  présence  de  Rosny  provoqua  quelques  objections,  à  cause 
de  la  présidence  du  patriarche  auquel  il  répugnait  de  siéger  avec  un 
huguenot.  Le  surintendant  a  laissé  entendre  que  ce  fut  un  coup  monté 
par  le  chancelier  et  Villeroy  pour  l'exclure  des  délibérations.  11  est  aussi 
peu  vraisemblable  que  le  roi  qui  avait  une  très  grande  confiance  en 
Villeroy  et  Bellièvre,  lui  ait  dit  à  l'oreille  :  «  Prenez  bien  garde  à  tout, 
que  l'on  ne  me  trompe  pas   ».  (Ec.  Roy.,  t.  I,  p    325.) 

(2)  Villeroy   à  Boissise,    26   février  1600,  F.   Fr.  4128,  f  168.  Voir 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  385 

La  diplomatie  française  fut  pendant  plusieurs  mois  en- 
core, grâce  à  Villerov  et  au  chancelier,  d'une  extrême  pa- 
tience. Le  duc  obtint  au  mois  de  mai  un  nouveau  délai. 
Cette  lenteur  mettait  Sully  hors  de  lui.  Si  on  l'avait  écouté, 
cinq  ou  six  semaines  auraient  suffi  pour  conquérir  la 
Bresse  et  la  Savoie  (1).  Villerov  était-il  dupe  des  bonnes 
paroles  du  duc?  Affirmer  cela  serait  mal  connaître  sa  nature 
méfiante  et  sa  science  des  caractères.  Nous  savons  qu'une 
foule  d'avis  lui  parvenaient  pour  le  mettre  en  garde  contre 
la  duplicité  du  Savoyard  (2).  Mais  il  voulait  qu'on  épuisât 
tous  les  moyens  de  conciliation  jusqu'au  momentprécisoù 
la  dignité  du  roi  exigerait  la  rupture.  Il  était  surtout  très 
préoccupé  de  la  conduite  qu'adopterait  l'Espagne.  Il  avait 
de  fortes  raisons  de  croire  que  le  jeune  successeur  de  Phi- 
lippe II.  moins  ambitieux  et  moins  actif,  ne  romprait  pasà 
la  légère  la  paix  de  Yervins  pour  soutenir  un  duc  de  Savoie; 
mais  il  savait  que  la  réalité  renverse  souvent  les  plus  beaux 
échafaudages  de  prévisions  et  il  n'était  pas  homme  à  se 
confier  au  hasard.  Le  danger  pouvait  venir  de  Fuentès,  le 
nouveau  gouverneur  du  Milanais,  qui  détestait  le  roi  de 
France  et  perpétuellement  complotait  contre  lui  au  risque 
d'entraîner  malgré  eux  les  deux  pays  dans  une  guerre  (3). 
Villerov  essayait  de  s'informer  des  intentions  de  l'Espagne 
par  l'ambassadeur  La  Rochepot  qui  cherchait  aussi  à  dé- 
montrer à  la  cour  de  Madrid  la  justice  delà  cause  trançaise. 
«  Notre  cause  est  bonne,  écrivait  Villerov   à  la  Rochepot, 


aussi  sur  le  séjour  du  duc  à  Paris,  les  lettres  de  Tas<is  des  17  janvier, 
12,  ^T  et  28  février  1600,  Pap.  Simanc.  K.  1603,  p.  6-18. 
(i\  Desjardins,  p.  430. 

(2)  11  reçut  des  avis  de  du  Passage  et  du  comte  d'Esears  (Sully,  AV. 
Roy.,  p.  321»,  de  Lesdiguières  (Actes  et  corresp.,  t.  I,  p.  352),  de 
d'Ossat,  qui,  le  3  août  1600,  lui  écrivait  a  propos  de  Saluées  :  «  Ne  vous 
attendez  pas  de  l'avoir  que  par  force  ». 

(3)  Le  21  mars  1600,  Villerov  écrit  a  Bois.sise  que  le  projet  de  venue 
de  Fuentès  en  Italie,  rendra  nécessaire  le  départ  du  roi  pour  Lyon 
(F.  Fr.  4128,  i'°  157).     ' 

Villeroy  25 


386  VILLEROY 

puisque  l'on  veut  retenir  le  nôtre  contre  la  foi  donnée  (1).  » 
A  Rome,  d'Ossat  faisait  les  mêmes  offices.  Il  fallait  avoir 
pour  soi  la  neulralitéde  l'Espagne  et  la  sympathie  du  pape. 
Yilleroy  souhaitait  aussi  des  sympathies  plus  actives.  Par 
l'envoyé  toscan,  nous  savons  qu'il  était  d'avis  de  ménager 
une  ligue  défensive  entre  le  roi,  les  Florentins  et  les  Véni- 
tiens (2). 


IV 


Telles  étaient  les  causes  réelles  des  lenteurs  de  la  diplo- 
matie française.  11  vint  pourtant  un  moment  où  Henri  IV 
considéra  qu'il  avait  assez  attendu  et  qu'il  fallait  user 
d'autres  procédés.  Il  se  rendit  à  Lyon  au  début  de  juillet 
1G00.  Villeroy  avait  conseillé  ce  voyage  comme  un  moyen 
d'intimidation  qu'il  espérait  encore  devoir  suffire  (3),  Rosny, 
comme  le  prélude  d'une  campagne  militaire  (4).  On  essaya 
encore  vainement  de  la  diplomatie.  Les  députés  que  le  duc 
envoya  au  roi  et  qui  traitèrent  avec  Villeroy  ne  firent  que 
chicaner  sur  la  convention  du  17  février  pour  obtenir  des 
modifications  avantageuses  (5).  Tout  le  monde    comprit 


(1)  Villeroy  à  La  Hochepot.  27  .juillet  1600,  F.  Fr.  10137,  fo  32. 
Voir  aussi  sur  ces  préoccupations  de  Villeroy,  Tassis  au  roi,  8  août 
1000,  K.  1603,  p.  78-79. 

(2)  Desjardins,  t.  V,  p.  430. 

(3)  Villeroy  à  Boissise,  26  juin  1600,  F.  Fr.  4128,  f°  102.  —  Ville- 
roy écrivait  qu'il  n'avait  pas  «  bonne  opinion  de  l'intention  de  M.  de 
Savoie  »  et  qu'il  n'y  avait  «  rien  qui  pouvait   mieux  l'amender  que  la 

ce  de  S.  M.  » 

(4)  Rosny  eut  même,  si  nous  en  croyons  les  Ec.  Roy.  (I,  p.  33"), 
une  discussion  vive  avec  le  chancelier,  qui  lui  reprochait  de  vouloir 
renverser  la  paix  de  Vervins.  Il  lui  répondit  de  faire  sa  charge  et  de 
laisser  faire  aux   gens  de  guerre  la  leur. 

(5)  Villeroy  à  Rosny,  31  juillet  1600,  Ec.  Roy.  1,  p.  350.  Villeroy 
à  .Montmorency,  29  juillet  1000,  F.  Fr. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  887 

qu'il  ne  voulait  pas  céder  le  marquisat  et  qu'il  cherchait  à 
ajourner  les  hostilités  au  début  de  l'hiver.  Les  conseillers 
les  plus  pacifiques  se  rallièrent  alors  à  l'idée  d'une  expédi- 
tion militaire.  Le  6  août,  le  roi.  n'ayant  reçu  aucune  ré- 
ponse de  Charles-Emmanuel  à  une  dernière  sommation, 
prenait  la  résolution  de  commencer  la  guerre.  Le  7.  linon 
se  mettait  en  marche  pour  la  Bresse,  Lesdiguières  pour  la 
Savoie.  Le  8,  Villeroy  écrivait,  non  sans  tristesse,  à  Mont- 
morency: «  [Le  duc]  nous  porte  par  force  et  par  nécessité 
à  la  guerre,  de  quoi  j'en  vois  plusieurs  qui  ne  sont  pas  si 
marris  que  j'avoue  que  je  le  suis,  car  il  me  semble  que  le 
royaume  avait  besoin  de  jouir  plus  longtemps  de  la  paix, 
mais  c'est  un  faire  le  saut  que  nous  n'avons  pu  éviter  en 
conservant  la  réputation  du  roi  (lj...  »  Jusqu'au  dernier 
moment,  il  avait  espéré  que  la  menace  suffirait.  Même  au 
cours  des  négociations  si  peu  sérieuses  engagées  avec  les 
trois  députés  de  Savoie,  il  avait  un  moment  espéré  que  la 
venue  de  Rosny  et  de  son  artillerie  ferait  sur  le  duc  une 
impression  salutaire  (2). 

Pendant  la  guerre  de  Savoie,  Villeroy  resta  auprès 
d'Henri  IV.  Il  séjourna  avec  lui  à  Grenoble  dans  les  pre- 
miers jours  d'août,  pendant  que  Biron  prenait  Bourget  que 
Lesdiguières  emportait  la  citadelle  de  Montmélian.  !1  suivit 
son  maître  lorsqu'il  entra  dans  Chambéry  et  força  l'entrée 
de  la  Tarentaise.  Quand  le  roi  fit  sommer  la  ville  de  se 
rendre,  c'est  Villeroy  qui  conclut  la  capitulation  avec  le 
gouverneur  Jacob  qui  du  haut  de  la  muraille  négocia  avec 
lui  (23  août)  (3).  Il  donnait  son  avis  dans  les  conseils  de 
guerre  que  tenait  le  roi  pour  décider  des  opérations  les 
plus  importantes.  Il  était  naturellement  du  côté  des  plus 


(1)  Villeroy  à  Montmorency,   8   août  1600.  Voir  aussi   une  dépêche 
de  Contarini  au  Sénat  de  Venise,  du  21  juillet,  F.  Ital.  1740,  fo  73. 

(2)  Villeroy  à  Rosny,  31  juillet,  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  350. 

(3)  Bassompierre,  Journal  de  ma  vie,  Ed.  de  Chantérae,  1870,  in-So, 
t.  I,  p.  82. 


388  ViLLEROY 

prudents.  Il  eut  plusieurs  fois  des  «  picoteries  »  avec 
Rosny,  stratégiste  hardi,  plein  de  foi  dans  'la  puissance 
de  son  artillerie,  avide  de  brillants  coups  de  main  et  de 
succès  personnels.  Quand  Ton  songea  à  s'emparer  de 
Charbonnières  qui  commandait  la  Maurienne,  il  fut  avec 
d'Epernon,  Guiche  et  Soissons  pour  démontrer  les  difficul- 
tés d'une  telle  entreprise,  contre  Lesdiguières,  Créqui  et 
Rosny  qui  promettaient  d'enlever  la  place  en  huit  jours  (1). 
Les  hardis  avaient  raison.  Le  roi  suivit  la  volonté  ardente 
de  son  grand-maître  de  l'artillerie.  Quand  les  habitants 
de  Charbonnières  voulurent  se  rendre,  Henri  IV  laissa 
Yilleroy,  Lesdiguières  et  Rosny,  discuter  les  conditions. 
Rosny  trouvait  les  demandes  des  assiégés  excessives,  hon- 
teuses pour  le  roi.  «  Monsieur,  disait  Yilleroy,  il  fautavoir 
la  place  comment  que  ce  soit  ».  Rosny  persista  à  vouloir 
enlever  la  position  de  force.  Villeroy  inquiet  et  mécontent 
le  pria  d'arrêter  la  canonnade.  «  Monsieur,  avisez  ce  que 
vous  ferez,  car  si  nous  n'avons  la  place  aujourd'hui,  nous 
serons  obligés  de  dire  au  roi  qu'il  n'a  tenu  qu'à  vous.  »  — 
«  Or,  Monsieur,  répondit  Rosny,  dites  ce  que  vous  voudrez, 
je  m'en  vais  faire  ce  que  je  dois.  »  Rosny  finit  par  avoir 
raison  et  prit  la  ville  le  même  jour  (2). 

Yilleroy  n'avait  à  aucun  degré  le  tempérament  d'un  mi- 
litaire. Il  avait  horreur  des  coups  aventureux.  Il  n'était 
rassuré  sur  le  sort  d'une  entreprise  que  lorsqu'on  la  com- 
mençait avec  une  incontestable  supériorité  de  forces.  De 
plus,  il  tremblait  perpétuellement  à  la  pensée  qu'un  misé- 
rable accident  pouvait  mettre  en  danger  la  vie  du  roi  (3).  Le 
7  septembre,  à  la  nouvelle  qu'Albigny  arrivait  avec  4  ou 5000 
hommes  pour  secourir  les  assiégés  de  Montmélian,  il  écri- 
vait: «  Quand  nous  serons  ici  un  peu  plus  forts,  ceux  qui 


M  Sully,  Ec.  Rny.,  t.  I,  p.  336. 
(2)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  1.  p.  336. 
[l)  Villeroy  à  Montmorency,  *  septembre  1600,  F.  Fr.  3591,  f'130. 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  389 

me  ressemblent  n'en  seront  point  mécontents,  mais  nos 
guerriers  s'en  moquent  »  (1). 

Aussi  comprend-on  qu'il  ait  accueilli  avec  joie  les  pre- 
mières tentatives  sérieuses  pour  la  paix.  Elles  vinrent  du 
pape  Clément  VIII  dont  l'unique  rêve  était  de  réconcilier  les 
nations  catholiques.  Charles-Emmanuel  battu,  se  voyant 
privé  des  secours  d'Espagne  sur  lesquels  il  comptait,  et  de 
l'aide  de  Biron,  qui  ne  trahit  pas,  accepta  avec  empresse- 
ment. Le  roi  d'Espagne,  par  l'intermédiaire  du  duc  de 
Sessa,  son  ambassadeur  à  Rome,  inquiet  des  progrès  du 
roi  de  France,  avait  sollicité  sous  main  cette  médiation.  Le 
cardinal  neveu,  Pietro  Aldobrandini,  désigné  par  le  pape, 
eut  une  entrevue  à  Tortone  avec  le  duc  qui  lui  donna 
des  pouvoirs  pour  traiter.  Il  vit  aussi  le  gouverneur  du  Mi- 
lanais, et  acquit  en  chemin  la  conviction  que  les  Espagnols 
et  les  Savoyards  voulaient  enlever  Saluées  aux  Français  ; 
Saluées  au  pouvoir  de  Charles-Emmanuel  assurait  pour  les 
premiers  la  tranquillité  de  la  Lombardie,  pour  les  autres  la 
sécurité  du  Piémont.  Le  légat  passa  les  monts  et  vint 
trouver  le  roi  à  Chambéry  dans  les  premiers  jours  du  mois 
d'octobre.  Henri  IV  lui  parut  avoir  des  prétentions  trop 
élevées, 'parler  trop  en  vainqueur.  Peu  de  temps  après  la 
première  entrevue,  Villeroy  vint  trouver  le  légal  au  nom 
d'Henri  IV  afin  de  jeter  les  bases  d'une  négociation  régu- 
lière. Le  légat  fut  très  satisfait  du  sincère  désir  de  paix  que 
montrait  le  ministre,  et  de  la  manière  agréable  et  insi- 
nuante avec  laquelle  il  savait  traiter.  Villeroy  l'engagea  à 
faire  venir  le  plus  tôt  possible  en  France  les  députés  du 
duc  de  Savoie  (2). 


(1)  Villeroy  à  Montmorency,  7  septembre  1600,  F.  Fr.  3591,  f°  140. 

(2)  Bentivoglio,  Memorie,  t.  II,  p.  359  et  suiv.  Sur  les  négociations 
de  ia  paix  de  Lyon,  voir  Ricotti,  Storia  délia  monarchia  piemontese, 
1865,  in-8°,  t.  III,  p.  291  et  suiv.,  Carutti,  Storia  délia  diplomazia  délia 
Corte  di  Savoia,  t.  III,  Baux,  Histoire  de  la   réunion  à  la  France  des 


390  VILLEROY 

Les  négociations  tout  d'abord  avancèrent  très  lentement. 
Les  députés  de  Savoie  tardaient  à  venir.  La  guerre  conti- 
nua. Pendant  tout  le  mois  de  novembre,  on  fut  dans  une 
grande-incertitude.  Le  roi  hésitait  entre  la  paixet  la  guerre. 
Sully  et  Lesdiguières  qui  pressait  gaillardement  le  siège 
de  la  citadelle  de  Montmélian  demandaient  au  roi  la  conti- 
nuation des  opérations.  Ils  remontraient  qu'il  n'était  point 
besoin  de  témoigner  tant  de  déférence  au  pape  qui  «  n'a 
condescendu  aux  désirs  du  roi  que  quand  il  n'a  pu  les  tra- 
verser »,  ni  tant  craindre  le  roi  d'Espagne  qui  à  cette 
époque  «  n'a  aucun  moyen  de  traverser  les  desseins  de 
S.  M.  »  On  commençait  à  redouter  les  «  esprits  inquiets  » 
en  France  :  le  roi  recevait  des  avis  l'engageant  à  se  méfier 
de  Biron  et  de  Bouillon  :  Sully,  nous  rapporte  encore 
«l'Aerssen,  expliquait  au  roi  la  théorie  contre  laquelle  Yil- 
leroy  s'opposera  toujours,  à  savoir  que  «  le  vrai  moyen  de 
mettre  le  royaume  en  repos  est  d'entretenir  une  guerre 
étrangère  vers  laquelle  on  peut  faire  couler  comme  par  un 
égout  les  humeurs  remuantes  de  cet  état  »  (1). 

Sully  et  Lesdiguières  étaient  seuls  à  soutenir  cet  avis. 
Les  autres,  Villeroy  en  tète,  remontraient  au  roi  les  obliga- 
tions qu'il  avait  envers  le  pape  :  l'absolution,  la  paix  de 
Yervins,  le  «  démariage  »  et  tout  ce  que  l'on  pouvait  espé- 
rer de  bien  par  la  bonne  entente  avec  Clément  VIII  :  ils 
lui  disaient  qu'il  ne  fallait  pas  s'attirer  l'hostilité  du  roi 
d'Espagne  et  le  pousser  à  entrer  en  guerre  pour  soutenir 


provinces  de  Bresse,  Bugey  et  Gex,  1852,  in-8.  Philippson,  Heinrich 
IVund  Philippin,  t.  1,  Manfroni,  (larlo  Emanuele  I  e  il  trattato  di 
Lione,  in-8,  1891  ;  du  même,  Nuovi  document!  intorno  alla  legazione 

del  cardinal  Aldobrandini  in  Francia  (1600-HiOl),  Archivio  délia 
-Soc.  Rom.  di  Storia  patria,  t.  XIII.  Voir  aussi  notre  publication  des 
lettres  de  F.  d'Aerssen. 

(1)  Aerssen  à  Valcke  ;  voir  les  lettres  adressées  par  Aerssen  à  Yaleke 
et  publiées  par  nous  :  elles  donnent  d'abondants  renseignements  sur  la 
guerre  de  Savoie.  (Lettre  du  21  novembre  et  suiv.,  p.  9d  et  suiv  ) 


LE    MINISTRE    D  HEN1U    IV  391 

le  duc  et  que  la  paix  était  nécessaire  pour  combattre  les 
«  esprits  ulcérés  guettant  l'occasion  de  remuer  »  (1). 

Henri  IV  finit  par  pencher  du  côté  des  pacifiques.  Il  est 
impossible  de  se  rendre  compte  exactement  comment  il 
fut  amené  à  cette  décision.  C'est  le  point  qui  est  demeuré 
le  plus  obscur  dans  cette  histoire  de  la  guerre  de  Savoie.  A 
travers  les  dépêches  des  étrangers,  les  lettres  et  les  mots 
du  roi,  et  les  Economies  elles-mêmes,  on  sent  qu'Henri  IV, 
après  quelques  hésitations,  fut  disposé  à  la  paix,  voulut 
rester  d'accord  avec  le  Pape,  continuer  les  relations  assez 
bonnes  inaugurées  avec  le  roi  d'Espagne  qui  manifestait 
l'intention  de  rester  en  repos  ;  en  outre  il  parut  fort  pré- 
occupé des  menées  du  duc  de  Bouillon  et  de  quelques 
avis  qu'il  avait  reçus  sur  les  allures  inquiétantes  de  Biron. 
Il  est  fort  probable  que  les  rapides  victoires  de  la  cam- 
pagne de  Savoie  l'inclinèrent  à  traiter,  quand  il  eut  vengé 
son  honneur  en  infligeant  au  duc  de  si  éclatantes  défaites. 
Ce  qui  acheva  de  le  décider,  ce  fut  l'espoir  d'une  compen- 
sation suffisante.  Le  roi  avait  cru  d'abord  que  le  légat. 
d'accord  avec  le  duc  et  les  Espagnols,  avait  voulu  l'amuser. 
Ce  soupçon  fut  en  partie  la  cause  du  retard  des  négo- 
ciations qui  eurent  lieu  à  Chambéry,  en  novembre  et  au 
début  de  décembre,  conduites  du  côté  français  par  Bel- 
lièvre,  Sillery  et  Jeannin.  Mais  Aldobrandini,  qui  avait  pris 
son  rôle  très  au  sérieux,  déploya  une  extraordinaire  acti- 
vité pour  conclure  cette  paix.  Au  mois  de  décembre,  il  fit 
son  entrée  solennelle  à  Lyon  et  reprit  avec  le  roi  les  négo- 
ciations qui  avaient  traîné  à  Chambéry. 

Nous  n'avons  pas  à  énumérer  par  le  détail  les  négocia- 
tions qui  aboutirent  à  la  paix.  Villeroy  ne  fut  pas  appelé  à 
conduire  cette  campagne  diplomatique.  Mais  il  eut  à  con- 
seiller le  roi  dans  la  grande  question  qui  dominâtes  débats, 


(1)  Aerssen  à  Valcke,  21  novembre  1600,  Ibid.,  p.  91. 


392  VILLEROY 

et  nous  devons  examiner  le  parti  qu'il  prit  et  les  raisons 
pour  lesquelles  il  chercha  à  faire  prévaloir  son  avis. 

L'échange  du  marquisat  de  Saluées  contre  des  territoires 
français  fut  demandé  par  Sully  et  par  la  plus  grande  partie 
des  conseillers  du  roi  (nous  ne  savons  lesquels).  Sully  qui 
s'était  franchement  rallié  à  la  paix  à  la  fin  de  décembre,  à 
la  grande  joie  du  légat  (1),  trouvait  dans  l'échange  un 
double  avantage.  En  bon  financier,  et  en  économiste  sen- 
sible aux  profits  matériels,  il  apprécia  dans  la  Bresse,  les 
Dombes,  le  Bugey,  le  Valromey  et  le  pays  de  Gex,  un 
groupe  étendu  de  territoires,  dont  quelques-uns  étaient 
plantureux  et  riches,  et  qui  apportaient  au  royaume 
"200.000  écus  de  revenus  et  le  service  de  quatre  cents 
familles  de  gentilshommes.  L'homme  de  guerre,  le  poli- 
tique qui  rêvait  la  guerre  avec  les  Espagnols  aux  Pays-Bas, 
considéra  que  la  France  fortifiait  sa  frontière  du  Sud-Est 
en  l'étendant  jusqu'au  Rhône;  on  protégeait  aussi  plus 
efficacement  la  ville  de  Lyon,  et  l'on  rendait  plus  facile 
l'offensive  en  Flandre,  puisqu'il  serait  aisé  de  couper  le 
passage  aux  soldats  espagnols  qui  d'Italie  allaient  servir 
aux  Pays-Bas. 

Villeroy  au  contraire  estimait  que  la  restitution  était  plus 
honorable  et  plus  avantageuse  pour  le  roi.  Le  marquisat 
était,  disait-il  «  notre  ancien  patrimoine  »  et  «  le  sujet  de 
notre  querelle  »  (2).  La  guerre  de  Savoie  avait  été  une 
guerre  de  juste  revanche  ;  les  Savoyards  et  les  Espagnols 
nous  donnaient  la  loi,  car  ils  gardaient  ce  qu'ils  avaient 
pris  au  détriment  de  la  couronne.  Le  marquisat  nous  don- 
nait créance  et  autorité  en  Italie.  Il  tenait  en  bride  les 


(1)  Sully,  dit  Bentivoglio  (t.  II,  p.  390)  «  benche  fosse  eretico  era 
gran  politico  e  uno  di  quei  consiglieri  che  piu  avevano  portato  il  re 
sempre  alla  pace  ».  Ce  sempre  ne  désigne,  bien  entendu,  que  la  période 
durant  laquelle  les  négociations  marchèrent  fermement  (décembre).     , 

(2)  Villeroy  à  Boissise,  28  janvier  1601,  F.  Fr.  4128,  fo  233. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  393 

Espagnols  et  les  Savoyards.  En  l'abandonnant,  nous  per- 
drions un  des  instruments  qui  nous  assuraient  le  plus 
efficacement  contre  la  guerre.  Malgré  les  apparences, 
Villeroy  préparait  la  paix,  en  réclamant  une  citadelle 
hors  de  nos  frontières  naturelles,  et  Sully  préparait  la 
guerre,  en  demandant  des  territoires  français  ;  l'un  voulait 
empêcher  nos  ennemis  de  nous  nuire  et  l'autre  leur  nuire 
en  coupant  en  deux  leurs  possessions  et  en  portant  la  lutte 
aux  Pays-Bas.  Villeroy  entendait  aussi  réserver  l'avenir.  Il 
était  loin  de  songer  à  des  conquêtes  immédiates  au  delà 
des  monts,  mais  il  croyait  qu'on  devait  garder  son  auto- 
rité en  Italie,  «  pour  avancer  les  prospérités  que  le  temps 
peut  offrir  et  présenter  »,  comme  écrivait  d'Ossat  (1). 

Il  semble  bien  que  Villeroy,  en  soutenant  ces  idées,  su- 
bissait alors  l'influence  du  cardinal  qui  défendait  si  énergi- 
quementà  Rome  la  cause  française.  D'Ossat  lui  écrivait  de 
longues  et  fréquentes  lettres  où  ave»1  sa  vive  et  chaleureuse 
éloquence,  il  suppliait  le  ministre  d'agir  pour  que  le  roi  ne 
cédât  pas  un  pouce  du  marquisat.  Pour  enhardir  Villeroy 
et  triompher  de  ses  dernières  hésitations,  il  énumérait  les 
avantages  de  la  restitution,  démontrant  qu'avec  l'échange, 
on  pourrait  acquérir  un  peu  plus  de  revenu,  mais  que  le 
moindre  «  faux  bond  »  du  duc  coûterait  infiniment  plus 
d'argent.  Nous  ne  connàisssons  pas  les  parole-  prononcées 
par  Villeroy  pour  faire  adopter  le  parti  de  la  restitution. 
Nous  ne  pourrions  même  pas  dire  s'il  résista  beaucoup  au 
roi  et  à  la  majorité  des  conseillers  qui  se  prononçaient 
pour  l'échange.  Nous  ne  connaissons  ces  divergences  d'opi- 
nion que  par  l'envoyé  du  grand  duc  de  Toscane  qui,  avec 


(1)  D'Ossat  à  Villeroy,  15  novembre  1600  :  «  Quant  à  l'avis  que 
vous  voulez  savoir  de  moi,  je  pense  vous  avoir  déjà  écrit  plus  d'une 
fois,  que  mon  avis  était  que  vous  recouvrassiez  le  marquisat  en  toutes 
sortes.  Je  persévère  en  cela  même.  »  Lettres  du  ûardinal  d'Ossat, 
t.  II,  p.  255.  Voir  aussi  les  lettres  des  11  et  23  septembre,  du  14 
octobre,  du  16  décembre  et  du  20  janvier,  /bid.,  p.  207-294. 


394  VILLEROY 

les  nations  qui  redoutaient  la  grandeur  espagnole,  souhai- 
tait ardemment  qu'Henri  IV  conservât  Saluées  (1).  Mat- 
thieu, dans  ses  Remarques  d'Estat,  a  rappelé  en  quelques 
mots  cette  résistance  de  Villeroy  :  «  Cette  louable  pas- 
sion de  la  grandeur  de  la  couronne  le  rendit  des  plus 
difficiles  à  l'échange  du  marquisat  de  Saluées  pour 
la  Bresse,  ne  pouvant  conseiller  au  roi  le  raccourcis- 
sement de  sa  frontière  »  (2).  Les  lettres  écrites  par  Vil- 
leroy au  lendemain  du  traité  signé  à  Lyonle  17janvier  1601 
ne  marquent  pas  un  grand  enthousiasme.  Il  annonce  à 
Boissise  que  «  nous  avons  besogné  par  échange,  en  quoi 
nous  estimons  que  les  parties  ont  de  part  et  d'autre  rencon- 
tré et  pris  ce  qui  leur  était  plus  commode  et  utile...  Tant 
y  a  que  ce  partage  a  été  jugé  plus  utile  et  plus  sûr  que 
l'autre  bien  que  de  plusieurs  celui-ci  fût  estimé  plus  hono- 
rable... Or  le  temps  sera  le  meilleur  juge  de  l'élection  que 
nous  avons  faite  du  dit  échange,  et  ne  vous  en  dirai  davan- 
tage... »  (3). 

Après  le  traité  de  Lyon,  Villeroy  fut  chargé  par  Henri  IV 
d'une  besogne  assez  ingrate.  Tandis  que  la  Cour  regagnait 
Fontainebleau  et  Paris,  Villeroy,  en  compagnie  de  Lesdi- 
guières  et  du  Connétable,  demeura  à  Lyon  avec  les  députés 
du  duc  de  Savoie  pour  résoudre  les  difficultés  suscitées  par 
Charles-Emmanuel  qui  se  refusait  à  ratifier  le  traité.  Elles 
furent  telles  qu'on  redouta  un  moment  la  rupture  delà  paix. 


(1)  Voir  deux  lettres  du  chevalier  Vinta  au  grand-duc,  10  et  11 
janvier  1601,  Desjardins,  t.  V,  453.  Voir  aussi,  môme  tome,  p.  504- 
520,  diverses  allusions  laites  aux  paroles  de  regret,  prononcées  par  Vil- 
leroy au  sujet  des  clauses  de  la  paix  (du  11  septembre  1602  au  20  fé- 
vrier 1603). 

(2)  P.  Matthieu,  Rem.  d'Estat,  p.  276. 

(3)  Villeroy  à  Boissise,  28  janvier  1601,  F.  Fr.  4128,  fo  233.  Dans 
cette  même  lettre,  il  dit  avec  une  certaine  ironie  :  «  Ainsi,  nous  esti- 
mons avoir  amendé  notre  condition  et  nous  croyons  que  ledit  duc  a  la 
même  opinion  de  son  partage...  Les  Espagnols  n'estiment  pas  d'y 
avoir  moins  gagné  que  les  autres  ;  quoi  étant,  M.  le  Légat  aura-t-il  pas 
fait  un  bon  œuvre  de  nous  avoir  contentés  tous?  » 


LE    MINISTRE    D  HENUI    IV  395 

Quand  le  duc  apprit  ce  qu'avaient  traité  le  légat  et  les  dé- 
putés, il  entra  dans  une  violente  fureur,  menaça  de  trancher 
la  tête  à  ses  envoyés,  et  jura  qu'il  ne  céderait  jamais.  Il  ne 
ratifia  le  traité,  en  mars  1601,  qu'après  une  pression  éner- 
gique exercée  par  le  roi  d'Espagne  et  le  pape.  Pendant  ces 
trois  mois,  Henri  IV  avait  montré  beaucoup  de  patience  et 
de  fermeté.  Villeroy,  qui  se  morfondait  à  Lyon,  était  très 
mécontent  de  la  mauvaise  foi  et  de  l'obstination  du  duc.  Il 
écrivait  au  roi  :  «  Il  n'y  a  que  l'impuissance  et  votre  provi- 
dence qui  puissent  contenir  son  esprit...  Soit  qu'il  ratifie 
ou  refuse  la  paix  il  veillera  toujours  pour  vous  nuire  comme 
pour  se  malfaire  àlui-mème(l).  »  Ilengageait  le  roietSully 
à  ne  pas  désarmer  jusqu'à  la  ratification  (2).  Quand  le  duc 
eut  satisfait  Henri  IV,  Villeroy  quitta  Lyon  et  s'achemina 
par  petites  journées  à  travers  la  Bourgogne,  jusqu'àla  Cour 
où  il  arriva  le  5  avril,  «  ayant  achevé,  écrivait-il,  du  côté 
de  Lyon,  tout  ce  que  S.  M.  nous  avait  commandé  de  faire 
pour  son  service  »  (3). 


V 


A  la  fin  de  l'année  1600,  Villeroy  avait  aussi  terminé,  poul- 
ie service  de  son  maître,  une  longue  négociation  qui  avait 
abouti  au  mariage  d'Henri  IV  et  de  .Marie  de  Médicis,  la 
nièce  du  grand-duc  de  Toscane.  Bien  qu'elle  prenne  place 
entre  la  fin  de  la  guerre  d'Espagne  et  la  fin  de  la  guerre  de 


(1)  Villeroy  à  Henri  IV,  24  février  1601,  F.  Dupuy,  3,  fo  59.  Nous 
avons  conservé  un  certain  nombre  de  lettres  écrites  par  le  ministre  au 
roi  durant  son  séjour  à  Lyon  (Lettre  du  21  février,  Bibl.  Mazarine, 
2105,  t'o  352,  du  18  et  du  24,  F.  Dupuy,  3,  f»«  59  et  92,  du  24  lévrier 
et  du  14  mars,  F.  Fr.,  4028,  fos  57  et  58). 

(2)  Villeroy  à  Rosny,  9  février,  1601,  Ec.  Roy.,  t.  I,  p  375.  Voir 
aussi  p.  376  et  377,  la  lettre  du  7  mars. 

(3)  Villeroy  à  Boissise,  12  avril  L60.1,  F.  Fr.  4128,  fo  255. 


396  VILLEROY 

Savoie,  nous  n'avons  point  interrrompu  le  récit  des  évé- 
nements de  la  politique  extérieure.  Aussi  devons-nous  faire 
maintenant  un  retour  vers  le  passé. 

Aussi  bien  cette  négociation  fut-elle  en  quelque  sorte 
indépendante  des  autres  événements.  Dès  l'année  1592,  le 
cardinal  de  Gondi  qui  traitait  d'un  emprunt  auprès  de  la 
cour  de  Florence  avait  parlé  de  ce  mariage  dans  l'entou- 
rage d'Henri  IV  et  dans  celui  du  grand-duc.  Durant  l'an- 
née 1597,  le  Légat  avait  parlé  à  ce  même  Gondi  de  ce 
projet  d'union  et  lui  avait  dit  que  le  pape  s'y  montrerais 
favorable,  car  il  redoutait  de  nouvelles  guerres  religieu- 
ses à  la  mort  du  roi  (1).  Henri  IV  désirait  extrêmement, 
se  remarier  afin  de  donner  à  la  France  des  enfants  venant 
de  lui,  comme  Sully  le  lui  fait  dire  dans  la  conversation 
qu'ils  tinrent  ensemble  à  Rennes,  au  début  de  1598,  pen- 
dant l'expédition  de  Bretagne  (2).  Ses  conseillers  le  dési- 
raient aussi  fortement.  «  Il  faut  que  nous  mariions  notre 
maître  ou  il  se  mariera  sans  conseil  »,  disait  Villeroy  (3). 
Ils  travaillèrent  à  l'empêcher  d'épouser  Gabrielle  d'Estrées, 
ce  qu'ils  considéraient  comme  un  déshonneur  et  comme 
une  source  d'innombrables  difficultés  intérieures,  à  com- 
mencer par  l'opposition  que  la  reine  Marguerite  eût  mise 
à  son  «  démariage  ».  Parmi  les  princesses  étrangères,  le 
choix  était  très  restreint.  Une  lettre  de  Villeroy  à  Bongars. 
agent  du  roi  en  Allemagne,  nous  montre  qu'on  songea  un 
moment  à  deux  princesses  «  très  belles  et  bien  nourries  » 
de  la  Germanie  (4).  Mais  les  femmes  de  cette  région  ne 
«  revenaient  »  nullement  au  roi.  C'est  la  princesse  Marie  de 


(i)  Voir  sur  le  mariage  du  roi,  Zeller,  Henri  IVetMarie  de  Médieis, 
1877,  in-8  ;  Batiffol,  La  Vie  intime  d'une  reine  de  France  au  xvue 
siècle,  1905,  in-8. 

(2)  Ec.  Boy.,  t.  I,  p.  276. 

(3)  Villeroy  à  Bongars,  7  juillet  1599,  F.  Fr.  7126,  f»  316. 

(4)  Ibid.,  14  avril  1599,  f°  300.  Voir  sur  ces  projets,  Anquez,  Henri 
IV  et  l'Allemagne,  in-8,  1887,  p.  85  et  suiv. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  397 

Medicis qui  parut  approcher  le  plus  de  l'idéal  recherché; 
elle  n'était  pas  de  très  ancienne  extraction,  mais  elle  avait 
les  trois  conditions  que  le  roi  réclamait  «  à  savoir  qu'elle 
soit  belle,  qu'elle  soit  d'humeur  complaisante  »  et  qu'elle 
lui  fasse  des  fils  (1).  De  plus  elle  était  catholique  et  elle 
était  riche.  Ce  mariage  était  une  bonne  affaire  financière, 
Henri  IV  devait  au  grand-duc  1.174.147  écus  d'or.  En 
épousant  la  nièce  de  Ferdinand,  il  pourrait  éteindre  ses 
dettes,  et  obtenir  de  nouvelles  provisions  d'argent. 

La  correspondance  du  chanoine  Bonciani  nous  fait  con- 
naître avec  force  détails  le  rôle  joué  par  Villeroy  dans  les 
négociations  pour  le  mariage.  C'est  notre  ministre  dont  le 
nom  revient  à  toutes  les  pages  de  ses  lettres,  et  dont  les  dé- 
marches, les  paroles  et  les  réticences  sont  commentées.  On 
le  voit  dès  le  mois  de  février  1598  traiter  secrètement  avec 
l'envoyé  florentin  d'abord  en  termes  généraux  et  vagues, 
comme  il  était  naturel,  puis  d'une  manière  plus  précise  et 
plus  pressante  (2).  La  mort  subite  de  Gabrielle  d'Estrées 
(10  avril  1599)  délivra  les  partisans  du  mariage  d'un  grand 
sujet  d'inquiétude.  A  Rome,  les  négociations  pour  l'annu- 
lation du  mariage  marchaient  bien.  Aussi,  dans  les  der- 
niers mois  de  l'année  1599,  les  négociations  franco-floren- 
tines firent-elles  de  grands  progrès.  Après  le  passage  de 
Sillery  à  Florence,  le  grand-duc  envoya  en  France  un  nou- 
veau délégué,  Baccio  Giovannini  pour  traiter  avec  Villeroy 
secrètement  des  conditions  du  futur  mariage.  On  discuta 
beaucoup  sur  le  chiffre  de  la  dot.  Le  grand  duc  offrait 
500.000  écus.  Villeroy  demandait  un  million  et  ne  man- 
quait pas  d'arguments  pour  persuader  l'envoyé  toscan  (3). 


(1)  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  277. 

(2)  Bonciani  à  Vinta,  13  février  1598,  Desjardins,  t.  V,  p.  352  et 
suiv.  Cette  correspondance  est  transcrite  ou  résumée  jusqu'au  27  oc- 
tobre 1599  [Ibid.,  p.  373). 

(3)  La  correspondance  de  Giovannini  commence  le  24  novembre 
1599,  Desjardins,  t.  V,  p.  375  et  suiv. 


398  YILLEROY 

Il  savait  combien  les  Toscans  désiraient  que  le  roi  de 
France  restât  en  possession  de  Saluées.  Un  jour,  il  dé- 
clara à  Giovannini  que  si  le  mariage  s'accomplissait, 
son  maître  exigerait  du  duc  de  Savoie  la  restitution  du 
marquisat,  sinon,  il  pourrait  traiter  sur  d'autres  bases  (1). 
Tout  se  traitait  secrètement  entre  Villeroy  et  l'envoyé 
florentin.  Cela  faisait  naître  quelques  petites  intrigues. 
Gondi,  furieux  de  n'être  plus  employé,  cherchait  à  déni- 
grer Villeroy,  prétendant  qu'il  élait  froid  et  peu  préparé 
à  traiter  semblable  question  (2).  Giovannini  constatait 
assez  naïvement,  après  plusieurs  mois  de  discussions,  que 
Villeroy  aurait  pu  être  très  utile  au  grand-duc,  mais  que  le 
service  de  son  maître  le  pressait  plus  que  le  service  de 
Son  Altesse  (3). 

Dès  les  derniers  jours  de  l'année  1599,  on  voit  apparaître 
un  nouveau  négociateur  qui  est  Rosny  (4).  Le  roi  l'avait 
prié  de  se  joindre  à  Bellièvre  et  Villeroy  pour  régler  ce 
différend  de  la  dot.  Est-ce  lui  qui  proposa  une  diminution 
du  chiffre  fixé  par  Villeroy?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Nous 
constatons  seulement  qu'à  partir  du  jour  où  Sully  est  em- 
ployé, les  prétentions  françaises  baissent.  Villeroy  ne  parle 
plus  du  fameux  million  (5).  Sully  demande  800.000  écus, 
dont  400.000  comptant.  D'autre  part,  l'envoyé  toscan  ne 
tarit  pas  d'éloges  sur  la  personne  du  surintendant  qu'il 
considère  comme  un  des  plus  chauds  partisans  et  promo- 
teurs du  mariage  :  il  vante  sa  franchise  et  son  dévouement 
au  grand-duc.  Gondi  qui  élait  perpétuellement  mécontent 
avait  remarqué  ce  changement  d'attitude  des  Florentins 
et  blâmait  louthautle  grand-duc  d'avoir  retiré  sa  confiance 
à  Villeroy  pour  se  jeter  dans  les  bras  des  huguenots.  Gio- 


(1)  Giovannini  au  grand -duc,  26  novembre,  Ibid.,  p.  377. 

(2)  Ibid.,  30  décembre  1599,  p.  381  et  suiv. 

(3)  Giovannini  au    grand-duc,   31    décembre    1599,  p.   398  et  suiv. 
(41  Ibid.,  p.  389  et  suiv. 

(5)  Ibid.,  4  janvier  1600,  p.  399. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  399 

vannini  s'en  moquait,  disant  que  Rosny  tenait  les  clefs  de 
l'argent  (1). 

On  finit,  dans  les  premiers  jours  de  mars,  par  s'arrêter 
d'un  commun  accordai!  chiffrede  GOO.OOOécus.  Le  moissui- 
vant  fut  signé  le  contrat.  Il  fut  décidé  que  Marie  de  Médicis 
viendrait  en  France  au  mois  de  septembre.  Le  roi  était  très 
pressé  de  se  marier.  Villeroy  aussi  aurait  voulu  que  le  roi 
prît  femme  au  plus  tôt  «  pour  les  raisons  qui  regardent  sa 
personne  et  son  état».  Il  écrivait  en  mai  à  Boissise  :  «  Mon- 
sieur, si  j'en  suis  cru,  on  ne  perdra  une  seule  heure  de 
temps  »  (2).  Le  mariage  fut  célébré  à  Florence  le  5octobre. 
Un  mois  après,  la  galère  de  la  reine  abordait  à  Marseille  : 
Marie  de  Médicis  faisait  son  entrée  à  Lyon  le  3  décembre, 
et  le  10,  le  mariage  était  accompli.  Le  grand  duc  n'oublia 
pas  Sully  et  Villeroy.  Avec  l'autorisation  du  roi,  ils  reçurent 
tous  deuxuna gentilezza  per congratulazione  délie  nozze{3). 

(1)  Giovannini  au  grand-duc,  23  mars  1600,  Ibid.,  p.  4  08. 

(2)  Villeroy  à  Boissise,  29  mai  1600.  F.  Fr.  4128,  fo  68. 

(3)  Giovannini  au  grand-duc,  28  avril  1601,  Ibid.,  p.  463.  Pour 
Sully,  ce  fut  un  don  de  10.000  écus.  (Voir  les  dépèches  des  jours  pré- 
cédents.) 


CHAPITRE  IV 

VILLEROY  MINISTRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES  (suite) 
LES  AFFAIRES  D'ITALIE 

La  question  d'Italie  en  1601.  Les  passages.  Villeroy  et  les  Gri- 
sons (1601-1607).  —  II.  La  liberté  italienne.  La  France  et  les 
états  indépendants.  —  III.  La  conquête  de  Rome.  D'Ossat  et 
Villeroy.  Villeroy  principal  conseiller  de  la  politique  romaine 
d'Henri  IV.  —  IV.  Le  différend  entre  Paul  V  et  la  République 
de  Venise  (1603-1607;.  Villeroy  et  l'arbitrage  français.  —  V. 
Villeroy  et  les  préliminairesdu  rapprochement  franco-savoyard. 


Au  début  du  xvne  siècle,  lTlalie  était  formée  de  trois 
groupes  d'états  très  divers  :  l'Italie  espagnole,  l'Italie  libre, 
l'Italie  pontificale. 

L'Italie  espagnole,  c'était  tout  le  midi  de  la  péninsule, 
l'ancien  royaume  de  Naples  avec  la  Sicile  et  la  Sardaigne, 
et  dans  le  nord,  au  pied  des  Alpes,  au  centre  de  la  plaine 
du  Pô,  le  Milanais,  pays  de  petite  étendue,  mais  de  grande 
valeur  stratégique  qui  fut  gouverné,  à  partir  de  l'année 
1600,  par  un  terrible  homme  de  guerre,  Fuentès.  Celui-ci, 
dès  son  arrivée,  répara  les  vieilles  forteresses  branlantes, 
leva  et  exerça  des  troupes,  et  se  mit  à  transformer  le  duché 
en  un  vaste  camp  retranché.  C'était  un  esprit  impétueux, 
intrigant,  brutal,  possédé  d'une  haine  irréfléchie   contre 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  401 

tout  ce  qui  était  français  ou  ami  de  la  France.  Pendant  dix 
ans,  cet  homme  fut  un  danger  public.  Seul,  ou  d'accord 
avec  le  duc  de  Savoie,  il  menaçait  la  paix  de  l'Italie  et  de 
l'Europe  centrale,  même  quand  Philippe  III  et  son  premier 
minisire  le  duc  de  Lerme  la  désiraient  sincèrement. 

Les  pays  libres  d'Italie  comprenaient  une  dizaine  d'étals 
d'étendue  et  de  richesses  très  diverses.  Le  premier  élai! 
Venise  qui  était  encore  très  opulente  et  1res  forteet  capable 
de  se  défendre,  grâce  à  une  armée  de  10.000  hommes  et  une 
flotte  de  cent  galères.  Sa  diplomatie  était  un  merveilleux 
instrument  national  par  lequel  la  République  de  Saint- 
Marc  s'avançait  à  travers  les  écueils.  Depuis  que  les  Espa- 
gnols avaient  pris  pied  en  Italie,  ces  hommes  prudents 
avaient  estimé  l'alliance  française  nécessaire  à  leur  conser- 
vation. Les  premiers,  ils  avaient  reconnu  Henri  IV,  au 
risque  de  se  brouiller  avec  le  pape,  et  n'avaient  cessé  de 
lui  envoyer  des  subsides  pendant  la  Ligue.  Le  roi  de  France 
les  considérait  comme  de  très  grands  amis.  Il  ne  voulait  et 
ne  pouvait  rien  faire  en  Italie  que  d'accord  avec  eux. 

Après  Venise,  le  plus  important  des  états  était  le  duché 
de  Savoie,  sur  les  deux  versants  des  Alpes.  Celle  position 
avait  longtemps  fait  l'incertitude  delà  politique  savoyarde 
qui,  depuis  le  traité  de  1601  seulement,  paraissait  détour- 
née vers  la  péninsule.  Malgré  des  ressources  non  négli- 
geables, une  position  commerciale  et  stratégique  impor- 
tante, la  Savoie  aurait  fait  médiocre  Bgure  el  aurail  été 
condamnée  à  rester  neutre  entre  ses  puissants  voisins  de 
France  et  d'Espagne  si  elle  n'avait  été  gouvernée  par  une 
race  particulièrement  vigoureuse  et  intelligente  de  ducs. 
Leurs  qualités  et  leurs  défauts  semblaient  condensés  en 
la  personne  de  Charles-Emmanuel,  un  extraordinaire  am- 
bitieux qui  concevait  sans  cesse  de  prodigieux  rêves  de 
grandeur  et  de  conquêtes.  Ses  rêves  se  luisaient  l'un  après 
l'autre  ;  jamais  il  ne  se  décourageait.  Le-  proies  ne  lui 
manquaient  pas  :  Saluées.  Genève,  le  Montferrat,  le  Mila- 

Yillerov  2(J 


402  VILLEROY 

nais  :  il  voulait  conquérir  sur  tout  le  monde,  sur  les  héré- 
tiques, sur  les  Italiens,  sur  les  Espagnols.  Il  intriguait 
sans  cesse,  avec  une  merveilleuse  fertilité  d'imagination 
et  un  manque  absolu  de  scrupules.  Cette  politique  aux 
apparences  folles  avait  un' fond  raisonnable.  Si  le  duc  ne 
voulait  pas  rester  le  chef  d'un  médiocre  état  montagnard, 
sous  la  dépendance  des  étrangers,  jl  lui  fallait  adopter  une 
politique  multiforme,  ondoyante  et  presque  incohérente, 
à  cause  de  sa  situation  entre  deux  grandes  puissances  en 
lutte  ouverte  ou  latente.  Il  lui  était  difficile  d'être  neutre, 
difficile  aussi  de  s'engager  avec  l'une  ou  avec  l'autre  avant 
d'avoir  su  de  quel  côté  était  le  principal  profit. 

Le  troisième  des  états  était  la  Toscane.  Le  grand-duc 
Ferdinand  avait  toujours  entretenu  avec  la  France,  comme 
les  Vénitiens  et  pour  les  mêmes  raisons,  d'excellentes  rela- 
tions d'amitié.  Il  avait  prêté  de  l'argent  au  roi  pendant  la 
Ligue  et  tout  récemment  avait  donné  à  Henri  IV  une 
femme  et  une  dot.  L'alliance  française  était  nécessaire  à  la 
Toscane  menacée  par  les  Savoyards  et  les  Espagnols.  Les 
autres  états  italiens  étaient  Gênes,  le  duché  de  Mantoue, 
les  duchés  de  Modène,  de  Parme  etPlaisance,  la  république 
deLucques.  Le  duché  de  Mantoue  qui  avait  deux  places 
très  fortes  était  convoité  par  les  Savoyards  et  les  Espagnols 
et  cherchait  la  protection  de  la  France.  Les  autres  étaient 
des  clients  de  l'Espagne. 

Au  centre  de  la  péninsule  régnait  le  pape  qui  était  à  la 
fois  un  prince  italien  et  le  chef  de  la  chrétienté.  Son  gou- 
vernement était  patriarcal  et  il  ne  développait  guère  ses 
forces  militaires.  Mais  son  influence  morale  était  immense. 
Il  en  usait  pour  intervenir  en  conciliateur  dans  les  conflits 
de  la  péninsule  et  dans  la  querelle  qui  divisait  les  deux 
grandes  puissances  catholiques.  Avoir  le  pape  avec  soi 
était  une  grande  force  en  un  siècle  de  foi  très  vive.  Le  roi 
île  France  avait  durement  éprouvé  ce  que  lui  avait  coûté 
l'hostilité  de  Rome. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  403 

Telle  était  l'Italie  au  lendemain  du  jour  où  la  France 
avait  abandonné  les  derniers  territoires  qu'elle  possédait 
au  delà  des  monts.  Le  roi,  nous  le  verrons,  ne  voulait  pas 
encore  entrer  en  guerre,  soit  pour  les  reconquérir,  soit  pour 
chasser  les  Espagnols.  Le  fondement  de  sa  politique  était 
la  lutte  contre  la  maison  d'Autriche  à  laquelle  il  voulait 
arracher  l'hégémonie.  L'Italie  fut  pour  les  deux  puissances 
un  magnifique  terrain  de  duel.  Quatre. objectifs  principaux 
s'imposèrent  à  la  diplomatie  d'Henri  IV  dans  la  période 
apparemment  confuse  qui  s'étend  de  1601  à  1608  :  assurer 
à  la  France  et  à  ses  alliés  des  passages  libres  à  travers  les 
Alpes  ;  propager  l'influence  française  parmi  les  petits  Etais 
indépendants  et  tenter  de  les  unir  contre  l'Espagnol  ;  faire 
la  conquête  morale  de  Rome  pour  accroître  notre  force  en 
Italie,  en  Europe,  et  en  France  même  ;  faire  du  duc  de  Sa- 
voie un  allié.  Essayons,  en  esquissant  un  tableau  de  cette 
politique,  de  déterminer  quelles  fnrentles  conceptions  par- 
ticulières et  quel  fut  le  rôle  du  ministre  qui  dirigea  les 
affaires  extérieures. 


En  abandonnant  Saluées,  Henri  IV  avait  perdu  une  base 
d'opérations  et  de  ravitaillement  dans  la  plaine  du  Pô. 
Sans  doute,  il  pouvait  descendre  au  delà  des  monts  par  les 
cols  des  Alpes  françaises,  mais  cela  n'était  pas  suffisant  (1). 
Il  existait  dans  les  Alpes  centrales  des  passages  d'une  im- 
portance exceptionnelle  dont  Henri  IV  voulut  enlever  la 
jouissance  à  ses  ennemis,  afin  de  la  réserver  pour  lui-même 
et  ses  amis.  Le  principal  conduisait  à  travers  les  Alpes 
Grisonnes,  du  Milanais  au  Tyrol  autrichien.  Celait  la  Val- 


(1)  Sur  l'ensemble  de  cette  question,  voir  E.  Rott,  Henri  IV,  les 
Suisses  et  la  Haute-Italie.  La  lutte  pour  les  Alpes  (1598-1610).  Paris 
18(82,  in-8o. 


404 


VILLEROY 


teline,  un  ancien  pays  milanais  appartenant  aux  Trois 
Ligues  Grises,  qui  occupaient  la  Rhétie  des  Romains  avec 
Coire  pour  capitale  et  entraient  dans  le  corps  helvétique 
comme  alliés  aux  Treize  cantons  et  aux  peuples  confédérés. 
Ce  passage  était  convoité  par  les  Espagnols,  caril  assurait 
leur  frontière  septentrionale  et  abrégeait  de  plusieurs  jours 
le  trajet  de  .Milan  à  Innsprûck.  Par  lui  ils  auraient  pu 
joindre  rapidement  leurs  forces  à  celles  des  Habsbourgs 
et  couper  la  meilleure  des  voies  qui  faisaient  communiquer 
les  Vénitiens  et  les  peuples  indépendants  d'Italie  avec 
l'Europe  centrale  et  la  France. 

Le  premier  acte  de  la  politique  française  en  Suisse  fut  le 
renouvellement  de  l'alliance  avec  les  Cantons.  Le  traité  de 
1582  était  expiré  depuis  1597.  Henri  IV  et  ses  ministres 
voulurent  un  nouveau  traité  pour  se  libérer  à  moindres 
frais  de  leurs  dettes  envers  les  Suisses,  s'assurer  du  recru- 
tement des  troupes  alliées  et  obtenir  la  libre  disposition 
des  passages.  Méry  de  Vie  et  Sillery  furent  délégués  à  So- 
leure  et  après  de  longues  négociations  obtinrent  le  renou- 
vellement qui  fut  juré  le  29  janvier  1602.  L'accord  fut  com- 
plet en  France  sur  cet  acte  conforme  à  la  tradition  qui 
correspondait  à  d'indiscutables  nécessités  et  fut  assez  faci- 
lement accompli.  Les  Vénitiens  qui  pendant  des  années 
firent  de  cette  affaire  des  passages  leur  préoccupation 
essentielle  constatèrent  que  le  roi  et  tous  ses  ministres, 
sans  exception,  avaient  d'autant  plus  à  cœur  cet  objet 
qu'ils  trouvaient  l'Espagne  trop  puissante  en  Italie  (1).  La 
direction  des  négociations  avait  été  confiée  particulière- 
ment à  Bellièvre.  La  réception  solennelle  des  députés 
suisses  fut  une  des  belles  cérémonies  du  règne.  Après  avoir 
juré  l'alliance  à  Paris,  ils  dînèrent,  nous  apprend  l'Estoile, 
à  Conflans,  au  logis   de  Villeroy  où    ils   furent  «  récréés 


1)  Marino  Cavalli  au  Sénat,  7  janvier  1602,   F.    Ital.   1750,  fo  192. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  405 

d'une  musique  singulière  et  excellente  (1).  •>  Hurault  de 
Maisse  fut,  clans  cette  circonstance,  très  écouté.  11  avaitété 
longtemps  ambassadeur  à  Venise,  connaissait  très  bien  les 
'besoins  de  la  République  à  laquelle  il  était  dévoué  et  qui 
sut  s'adressera  lui  lorsqu'elle  voulut  faire  défendre  ses  in- 
térêts  au  Conseil  du  roi  (2). 

L'affaire  des  passages  prit  une  tournure  très  grave,  à  la 
fin  de  1603,  et  obligea  le  Conseil  à  de  sérieuses  décisions, 
quand  elle  provoqua  un  conflit  avec  les  Espagnols.  Ceux- 
ci  redoutaient  qu'une  ligue  secrète  ne  se  conclût  entre 
les  Français,  les  Grisons,  les  cantons  suisses,  les  Vénitiens, 
pour  les  chasser  de  la  péninsule.  Pour  défendre  le  Milanais 
et  terroriser  les  Grisons,  Fuenlès  construisit  un  fort  sur  le 
Montecchio,  à  l'entrée  de  la  Valteline,  puis  força  les  en- 
voyés des  ligues  qui  étaient  venus  lui  porter  leurs  doléances 
à  renouveler  avec  lui  leurs  anciennes  capitulations  :  il  ne 
leur  laissait  qu'à  ce  prix  la  tranquillité.  La  situation  était 
extrêmement  grave.  Les  Vénitiens  étaient  directement 
menacés.  Les  Grisons  avaient  à  choisir  entre  la  perte  de 
leur  passage  et  l'hostilité  déclarée  de  Fuenlès. 

Villeroy  fit  alors  adopter  par  Henri  IV  une  politique  de 
résistance  à  l'Espagne  sans  guerre  directe.  Les  Grisou-, 
hésitants  et  inquiets,  avaient  sollicité  le  roi  de  leur  per- 
mettre d'accorder  à  Fuenlès  quelque  capitulation  qui  ne 
fût  pas  au  préjudice  de  la  France  et  de  Venise  pour  que  le 
gouverneur  du  Milanais  détruisît  son  fort.  Au  Conseil,  Vil- 
lerov  fut  seul  d'avis  d'écrire  une  lettre  d'énergique  pro- 
testation aux  Ligues  pour  les  menacer  de  rompre  toute 
capitulation  avec  eux  et  de  ne  les  aider  jamais  dans  aucune 
circonstance,  s'ils  concluaient  avec  Fuentès  le  moindre 
accord  (3).  Le  chancelier,  Rosny,  Sillerv,  etde  Fresnes,  après 

(1)  LEstoile,  Ed.  Miehaud,  t.  XV,  p.  339. 

(2)  Cavalli  au  Sénat,  10  septembre  lOUl  (Extrait  cité  par  E.  Rott, 
p.  224,  a°  1). 

(3)  Badoerau  Sénat,  23  janvier  1604,  F.  Ital.   1752,  f°  192. 


406  VILLEROY 

plusieurs  jours  de  contestations,  persuadèrent  au  roi 
d'écrire  aux  Trois  Ligues  une  lettre  en  termes  plus  modé- 
rés pour  les  exhorter  à  ne  rien  accorder  à  Fuentès  et  leur 
offrir  toute  aide  possible,  quoi  qu'il  dût  arriver(l).  Cette  let- 
tre, malgré  l'atténuation  des  termes,  produisit  un  grand  effet 
parmi  les  Grisons  ;  ils  refusèrent,  en  mars  1604,  de  ratifier 
les  capitulations  que  leurs  envoyés  avaient  signées  pour  eux. 
Cela  ne  suffisait  pas,  car  le  fort  de  Fuentès  s'achevait.  Vil- 
leroy  soutint  fermement  qu'il  fallait  le  faire  détruire.  On 
devait  pousser  les  Grisons  à  l'entreprise  et  les  aider  d'abon- 
dants secours  d'hommes,  d'argent  et  de  munitions.  Les 
Vénitiens  devaient  s'associer  vigoureusement  à  cette  œuvre 
et  le  ministre  ne  cessa  pendant  les  premiers  mois  de  1604 
de  leur  conseiller  la  résistance. 

Cette  attitude  ne  doit  pas  nous  étonner  de  la  part  d'un 
ministre  à  qui  ses  adversaires  avaientcoutume  de  reprocher 
un  goût  excessif  des  transactions.  A  ce  moment,  on  ne 
pouvait  songer  à  négocier  avec  l'Espagne  la  démolition  du 
fort.  Les  deux  nations  se  livraient  depuis  février  1603  à  une 
guerre  de  tarifs  qui  avait  réveillé  de  chaque  côté  des  Pyré- 
nées les  passions  belliqueuses.  La  demande  de  la  France 
eût  été  mal  accueillie  et  l'échec  humiliant  pour  le  roi  (2). 
Il  n'était  pas  sûr  d'ailleurs  qu'un  coup  de  main  des  Gri- 
sons eût  provoqué  la  guerre.  La  destruction  du  fort  rapide- 
ment accomplie  pouvait  impressionner  la  cour  d'Espagne  et 
l'engager  à  modérer  Fuentès  que  les  pacifiques  du  Conseil 
Espagnol  trouvaient  trop  violent  et  trop  compromettant.  Si 
la  guerre  avait  éclaté,  Villeroy  semblait  bien  résolu  à  con- 
seiller le  roi  de  la  faire  faire  par  d'autres.  C'était  la  guerre 
indirecte  contre  l'Espagne  dirigée  comme  aux  Pays-Bas, 
mais  avec  de  plus  grandes  chances  de  succès. 

Mais  le  Conseil  était  très  divisé.  Pendant  que  Villeroy  et 


(1)  Badoer  au  Sénat,  28  janvier  1604,  F.  Ital.  1752,  f^  195. 

(2)  Ba.loer  au  Sénat,   11  mai  1604,  F.  Ital.  1753,  f"  26. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  407 

le  chancelier  affirmaient  qu'on  ne  pouvait  bien  combattre 
le  roi  catholique  qu'en  Italie,  Sully  conseillait  de  porter  la 
guerre  en  Flandre.  II  disait  que  pour  un  médiocre  résultat, 
on  dépenserait  beaucoup  dans  la  péninsule  (1).  Le  chan- 
celier ne  songeait  comme  Villeroy  qu'à  l'Italie,  mais  il 
trouva  un  moyen  de  conciliation  :  il  proposa  défaire  élever 
sur  le  territoire  des  Grisons  un  fort  qui  préserverait  la 
Valteline  et  tiendrait  en  respect  la  citadelle  de  Fuentès. 
Villeroy  se  rallia  à  cette  opinion  modérée  (2). 

Ce  qui  l'avait  décidé,  c'était  le  mauvais  accueil  qu'avaient 
fait  les  Vénitiens  à  ses  projets  de  guerre.  La  République 
de  Saint-Marc  redoutait  les  aventures.  Un  esprit  calcula- 
teur et  timoré  régnait  dans  le  Sénat.  Malgré  les  assurances 
prodiguées  par  Villeroy  à  Badoeret  par  Fresne-Canaye  au 
doge,  on  se  défiait  du  roi  qui  pouvait  bien  lancer  les  Véni- 
tiens contre  les  Espagnols  pour  avoir  lui-même  les  mains 
libres  aux  Pays-Bas  ;  imparti  «  oriental  »poussaitla  Bépu- 
blique  aux  entreprises  contre  les  Turcs  et  voulait  la  paix- 
sur  la  Terre  Ferme.  La  diplomatie  française  fut  impuis- 
sante à  triompher  de  l'inertie  de  ces  gens  qui  s'attendaient 
«  de  tirerles  châtaignesdu  feu  avec  la  patte  du  chat  »  (3).  Or, 
les  Grisons  ne  pouvaient  rien  sans  alliés.  Fuentès  tentait 
de  corrompre  et  de  diviser  les  communes  des  Trois  Ligues  ; 
les  cantons  catholiques  les  abandonnaient. 

Cette  hésitalion  des  principaux  intéressés  était  un  bon 
argument  pour  ceux  qui  voulaient  que  le  roi  se  désintéres- 
sât des  affaires  de  la  Haute  Italie.  A  la  tin  de  1004,  la  lutte 


(1)  Badoer  au  Sénat,  9  juin  1604,  F.  Ital.  1753,  f*  40. 

(2)  Badoerau  Sénat.  27  mai  16U4.F.  Ital.  1753,  f°  33.  —  L'impor- 
tant conseil  où  fut  proposé  le  contrefoit  se  tint  le  24  mai. 

(3)  Selon  l'expression  de  Fresne-Canaye.  dans  une  lettre  du  15  mars 
1602,  à  Aneel.  Il  appelle  énergiquement  cette  attitude  «  la  coïonnerie 
italienne  ».  Lettres  et  ambassades  de  Ph.  Canaye,  sieur  du  Fresne 
(1601-1007).  1045,  t.  I,  p.  184.  Voir  la  lettre  de  Fresne-Canaye  à  de 
Vie,  2G  juin  1604,  sur  le  rôle  de  Venise,  Ibid.,  II,  261. 


408  VILLEROY 

fut  très  vive  entre  les  représentants  des  deux  politiques. 
Sully  parut  regagner  du  terrain  (1).  La  paix  avait  été  con- 
clue entre  l'Angleterre  et  l'Espagne.  Ostende  s'était  rendue. 
Il  fallait  empocher  à  tout  prix  les  Hollandais  de  conclure 
une  trêve  avec  leurs  ennemis.  On  parut  oublier  les  Grisons. 
Bien  plus,  Sully  faisait  des  démarches  pressantes  pour 
obtenir  des  Vénitiens  200.000  écus  et  des  Toscans  100.000 
en  faveur  des  Hollandais  qui  en  recevraient  du  roi  600. 000;?). 
Mais  il  trouva  les  Italiens  mal  disposés  à  payer  pour  com- 
battre le  roi  catholique  en  Flandre.  D'autre  part,  le  parti 
français  triompha  chez  les  Grisons  au  début  de  1605.  L'idée 
du  contre-fort  fit  des  progrès.  Villeroy  la  défendait  de  son 
mieux  :  si  imparfait  que  fût  le  remède,  il  n'y  en  avait  pas 
d'autre,  disait-il.  Sully  s'y  opposait  prétextant  la  dépense. 
Le  roi  hésitait.  Villeroy  et  le  chancelier  achevèrent  de  le 
persuader  en  l'absence  de  Rosny  qui  se  trouvait  alors  à 
l'assemblée  de  Châtellerault  (3).  Mais  quand  Sully  fut  de 
retour,  il  changea  de  nouveau  la  résolution  du  roi,  en  sou- 
tenant qu'une  telle  dépense  était  superflue.  A  quoi  servi- 
rait le  fort,  si  Fuentès  se  tenait  sur  la  défensive?  Et  s'il 
attaquait  les  Grisons,  ne  serait-il  pas  aussi  inutile,  puis- 
qu'on serait  obligé  d'entrer  dans  une  véritable  guerre? 

Cet  antagonisme  des  deux  ministres  qui  provoquait  quel- 
ques incohérences  dans  la  politique  italienne  fut  heureu- 
sement sans  conséquences  graves,  puisque  la.paix se  main- 

(1)  Il  n'y  a  dans  les  Ec.  Roy.  aucune  tracede  ces  divergences.  Deux 
chapitres  sont  consacrés  aux  affaires  de  la  Valteline  en  1604  (I,  p.  619- 
624)  et  uniquement  remplis  de  documents  :  deux  amples  mémoires 
envoyés  en  France  «  sur  lesquels,  disent  les  secrétaires,  vous  fi  tes  de 
grandes  remontrances  au  roi  »,  deux  lettres  de  Montmartin,  ingénieur 
huguenot  envoyé  en  Valteline  pour  lever  le  plan  du  fort  Fuentès  et  un 
petit  discours  de  ce  même  Montmartin  au  roi. 

(2)  Badoer  au  Sénat,  23  novembre  1604,  F.  Ital.  1753.  fo  123. 

(3)  Badoer  au  Sénat,  11  août  1605,  F.  Ital.  1753,  fo  65.  L'ambassa- 
deur vénitien  dit  que  les  ministres  eurent  grand  soin  de  ne  pas  appeler 
au  Conseil  ceux  qui  étaient  d'avis  contraire  et  qu'ils  persuadèrent  au 
roi  que  bâtir  une  forteresse  c'était  devenir  le  maître  du  passage. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  409 

tenait  en  dépit  des  craintes  réciproques,  des  fausses  nou- 
velles, des  alertes  de  toute  sorte.  D'ailleurs,  la  lutte  contre 
les  idées  de  Sully  était  peu  de  chose  pour  Yilleroy  en  com- 
paraison des  événements  qui  tenaient  sa  politique  en  échec. 
Les  Grisons  étaient  disposés  à  la  résistance,  mais  les  can- 
tons catholiques  acquis  à  l'Espagne  ne  cessaient  de  les 
poussera  se  réconcilier  avec  Fuentès.  D'autre  part,  les 
Vénitiens  persistaient  à  fermer  les  yeux  sur  le  danger  qui 
les  menaçait.  Or,  si  Villeroy  tenait  ferme  pour  son  idée, 
il  ne  voulait  la  réaliser  que  s'il  était  sûr  de  voiries  Suisses 
et  les  Vénitiens  soutenir  les  Grisons.  Aussi  parut-il  à  la  fin 
de  160(5  abandonner  provisoirement  ce  malheureux  projet 
qui  avait  failli  deux  fois  recevoir  un  commencement  d'exé- 
cution. A  demi  découragés,  le  roi  et  ses  ministres  avaient 
donné  l'ordre  à  Paschal,  notre  représentant  à  Coire,  de 
«  retenir  l'impétuosité  des  Grisons»,  parce  que  la  France 
ne  voulait  pas  seule  a  soutenir  le  faix  d'une  telle  entre- 
prise »  (1)  (octobre  1606).  Une  affaire  infiniment  plus  grave 
avait  détourné  l'attention  des  Français  des  vallées  alpines  : 
la  querelle  entre  Venise  et  le  Saint-Siège  que  le  roi  s'ef- 
força  de  pacifier  d'avril  à  mars  1607. 


Il 


Ainsi,  on  avait  abouti  à  un  demi-échec  dans  les  tentatives 
faites  pour  assurer  aux  états  indépendants  d'Italie  un  pas- 
sage à  travers  les  Alpes.  La  diplomatie  française  ne  fut  pas 
plus  heureuse  lorsqu'elle  essaya  de  1601  à  1607  d'unir  ces 
états  pour  la  résistance  à  l'Espagne  et  le  maintien  de  la  li- 
berté italienne. 

On  avait  pourtant,  au  lendemain  du  traité  de  Lyon,  dressé 


(1)  Le  roi  à  Paschal,  14  octobre  1606,  N.  acq.  fr.  2749,  fo  115  (cité 
par  E.  Rott,  p.  365). 


410  VILLEROY 

habilement  des  batteries  pour  fortifier  partout  l'influence 
française.  Fresne-Canaye,  nommé  ambassadeur  à  Venise 
en  1601,  avec  mission  de  veiller  à  toute  l'Italie  du  Nord, 
nous  fait  connaître  dans  sa  correspondance  avec  Henri  IV 
et  Villeroy  les  relations  qu'il  entretenait  dans  chaque  état 
avec  des  personnages  dévoués  à  la  France  et  payés  par  elle, 
soit  pour  nous  renseigner  sur  les  manœuvres  des  Espa- 
gnols, soit  pour  amener  des  petits  princes  à  la  France  (1). 
Deux  causes  contrariaient  particulièrement  le  développe- 
ment de  l'influence  française  en  Italie  :  la  facilité  des  petits 
princes  à  se  laisser  séduire  par  les  Espagnols  et  les  conflits 
nombreux  et  mesquins  qui  les  divisaient.  La  diplomatie  fil 
quelques  tentatives  pour  donner  au  roi  une  clientèle  dé- 
vouée :  elle  chercha  à  attacher  à  la  couronne  la  maison 
d'Esté  par  des  bienfaits,  à  faire  obtenir  à  Alexandre,  père 
du  prince  de  la  Mirandole,  le  chapeau  de  cardinal  (2).  Mais 
sur  ce  terrain  les  Espagnols  étaient  les  plus  forts  :  le  duc 
de  Modène  reçut  d'eux  12000  écus  de  pension,  et  la  toison 
d'or  (3).  Parme  avait  une  de  ses  forteresses  occupées  par 
Fuentès  (4).  Urbin  était  espagnol.  Les  ambassadeurs  du  roi 


(1)  Tels  étaient  le  chanoine  Soldo  à  Bergarae,  François  Martinengo, 
ancien  ministre  disgracié  de  Charles-Emmanuel  passé  au  service  de 
Venise  et  qui  rêvait  de  réconcilier  Henri  IV  et  le  duc  et  de  devenir  le 
commandant  des  forces  franco-savoyardes  en  Italie.  Tels  étaient  cer- 
tains confidents  de  petits  princes  payés  pour  leur  enseigner  l'amour  de 
la  France,  un  certain  Giuseppe  Porto  auprès  de  Pic  de  la  Mirandole, 
un  Carlo  Rossi  auprès  du  duc  de  Mantoue.  Nous  connaissons  très  mal 
ces  agents.  Cette  diplomatie  est  restée  assez  mystérieuse.  Voir  des 
lettres  de  Fresne-Canaye  à  Soldo,  6  novembre  1601,  à  Martinengo,  8 
décembre  1601,  au  roi,  1er  juillet  1602,  à  Villeroy,  19  mai  J  604,  à 
Béthune,  5janvier  1602  (Lettres  et  ambassades,  t.I,p.  27,  p.  65et  suiv.). 
VoirE.  Rott,p.  127. 

(2)  Giovannini  au  grand-duc,  8  novembre  et  9  décembre  1601,  Des- 
jardins, t.  V,  p.  469  et  471.  Cavalli  au  Sénat,  7  décembre  1602,  F. 
Ital.  1751,  f°48. 

(3)  Giovannini  au  grand-duc,  16  novembre  1601,  Ibid.,  p.  470. 

(4)  Fresne-Canaye  à  Villeroy,  14  juillet  1604.  Voirdans  Siri,  Memorie 
recondite,  t.  I,  p.  208. 


LE    MINISTRE    D  HENKI    IV 


411 


constataient  que  l'Italie  se  soumettait  de  plus  en  plus  à 
l'Espagne  et  qu'à  part  Venise  el  Florence,  nul  ne  songeait 
plus  à  «  cette  belle  dame  de  liberté  italienne  »  (1).  Villeroy, 
dans  ses  entretiens  avec  l'envoyé  toscan,  était  obligé  de  re- 
connaître cette  triste  vérité  (2).  11  déplorait  aussi  les  divi- 
sions des  princes  et  cherchait  à  les  faire  vivre  en  bonne 
intelligence.  «  J'ai  remarqué,  écrivait-il  à  Béthune,  que  les 
passions  présentes  des  Italiens  sont  si  fortes  et  si  violentes 
qu'elles  les  précipitent  souvent  en  de  grands  accidents  el 
périls  (3).  »  Les  représentants  de  la  France  avaient  ordre 
de  servir  de  conciliateurs  toutes. les  foisqu'ils  le  pourraient, 
mais  dans  aucun  document,  on  ne  trouve  la  trace  de  quel- 
que succès  important. 

Nous  n'avons  pas  à  insister  sur  les  détails  de  eetle  poli- 
tique, puisque  nous  étudions  surtout  le  rôle  et  les  idées 
personnelles  de  Villeroy.  Cette  diplomatie  inspirée  par  les 
intérêts  les  plus  évidents  du  royaume  était  celle  du  roi,  de 
son  secrétaire  d'état  et  de  tout  le  conseil.  Toutefois,  nous 
devons  nous  demander  si  cette  demi-impuissance  des  Fran- 
çais en  Italie  n'était  pas  causée  par  une  série  de  mesures 
ou  de  procédés  que  notre  ministre  aurait  désapprouvés. 
Les  contemporains  d'Henri  IV  attribuaient  les  échecs  du 
roi  à  la  perte  de  Saluées,  et  à  l'avarice  d'Henri  IV  et  de 
Sully.  Il  est  certain  qu'après  le  traité  de  1601,  les  Italiens 
avaient  eu  le  sentiment  que  le  roi  les  abandonnait  pour  di- 
riger ses  vues  vers  les  Flandres  et  l'Allemagne.  Les  Espa- 
gnols s'appliquèrent  par  une  campagne  de  faux  bruits  à 
fortifier  cette  impression.  Les  Français  étaient  loin,  au  delà 
des  Alpes;  les  Espagnols  étaient  retranchés  dans  leur  camp 
du  Milanais.  Cette  situation  suffit  à  paralyser  toute  velléité 


(1)  Fresne-Canaye  au  roi.  22  octobre  1602.  Le  même  àBeaumont. 
27  janvier  1 002. 

(2)  Giovannini  au  grand-duc,  10  novembre  1601,  11  septembre  1602, 
5  février  1603.  Ibid.,  p.  470,  o04,  552. 

(3)  Villeroy  à  Béthune,  20  octobre  1604,  F.  Fr.  3488,  f°  90. 


412  VILLEROY 

d'indépendance  chez  les  Italiens  très  prudents  de  nature. 
Villeroy  le  comprit  :  plus  d'une  fois,  il  regretta  tout  haut 
devant  les  amis  de  la  France  l'abandon  du  marquisat  qu'il 
n'avait  pas  conseillé.  En  outre,  il  aurait  fallu  pour  faire 
une  bonne  politique  en  Italie  dépenser  de  grandes  sommes 
d'argent.  Les  Espagnols  en  répandaient  beaucoup  plus  que 
nous.  La  France,  moins  riche  en  or  que  l'Espagne,  avait 
une  dette  énorme  à  rembourser  aux  Anglais,  aux  Allemands, 
aux  Suisses,  des  subsides  considérables  à  verser  aux  Hol- 
landais, et  c'est  précisément  entre  1601  et  1607  que  fut  ac- 
compli le  principal  effort  pour  liquider  ce  lourd  passé  ou 
entretenir  la  guerre  indirecte  avec  l'Espagne.  En  outre, 
c'est  à  partir  de  Tan  1600  que  Sully  commence  à  économi- 
ser (1).  Le  «  petit  mesnage  »  s'accroît  lentementà  la  Bastille  : 
c'est  une  réserve  à  laquelle  on  ne  veut  toucher  que  le  jour 
où  éclatera  la  grande  guerre  avec  l'Espagne.  Or  Sully  dé- 
fendait avec  âpreté  le  trésor  royal  et  accueillait  rudement 
les  étrangers  qui  venaient  lui  demander  de  l'argent  quand 
il  avait  peur  que  cet  argent  ne  fût  gaspillé.  L'envoyé  tos- 
can Giovannini  qui  avait  eu  à  se  plaindre  des  refus  de  celui 
que.  les  jours  de  mauvaise  humeur,  il  appelait  quello  ani- 
male, questa  bestia  le  rendait  directement  responsable 
de  la  disparition  de  l'influence  française  en  Italie  (2). 

La  véritable  raison  était  dans  la  volonté  du  roi  de  prati- 
quer dans  la  péninsule  une  politique  d'attente  et  de  demi- 
réserve.  C'était  une  conception  logique  très  chère  à  Ville- 
roy (3).  On  ne  pouvait  intervenir  énergïquement  pour  la 
défense  de  la  liberté  italienne  que  par  une  guerre  avec 

(1)  Giovannini  au  grand-duc.  11  septembre  1604  et  5  février  1605, 
Ibid.,  p.  504  et  552. 

(2)  Giovannini  au  grand-duc,  8  octobre  1602,  Ibid.,  p.  505. 

(3.)  M.  Rott,  p.  108,  qualifie  cette  attitude  un  peu  durement  :  «  Les 
inconséquences  de  la  politique  française  durant  cette  époque,  dit-il, 
sont  manifestes.  »  Il  nous  semble  au  contraire  que  c"eût  été  une  incon- 
séquence de  provoquer  trop  fortement  l'Espagne  quand. on  ne  voulait 
pas  lui  faire  la  guerre. 


LE    MINI.STHE    D'HENRI    IV  413 

l'Espagne  ;  puisque  l'on  estimait  n'être  pas  encore  prêt  à 
faire  cette  guerre,  il  était  nécessaire  de  se  résigner  à  une 
action  lente  et  prudente.  Un  exemple  frappant  de  celte 
attitude  fut  l'indifférence  apparente  des  Français  quand 
les  Espagnols  occupèrent  Final.  Par  cette  acquisition  né- 
gociée secrètement  avec  le  derniermarquisde  Final  et  effec- 
tuée au  début  de  1G02,  Philippe  III  s'emparait  d'un  port 
de  mer  qui  fortifiait  l'occupation  du  Milanais,  neutralisait 
Gênes,  menaçait  la  Toscane.  Les  craintes  furent  vives  en 
Italie.  Vénitiens  et  Toscans  remontrèrent  à  Villeroy  le  dan- 
ger qui  menaçait  la  péninsule  il).  Le  ministre  leur  répon- 
dit que  ce  qu'on  pouvait  faire  était  déjà  fait.  On  avait  fait 
parler  au  pape  et  à  l'empereur,  mais  sans  espoir  de  succès. 
On  ne  pouvait  agir  davantage  sans  compromettre  la  répu- 
tation du  roi  ;  car  si  l'on  parlait  aux  Espagnols  ce  devait  être 
avec  l'intention  ferme  d'aller  plus  avant,  si  les  réclamations 
de  la  France  étaient  inefficaces.  Le  roi  ne  pouvail]entrepren- 
dre  la  guerre  qu'en  toute  assurance  de  succès:  c'était  au 
Grand-duc  et  à  la  République  de  savoir  ce  qu'ils  voulaient 
faire.  Les  Français  n'agiraient  que  lorsque  leurs  amis  ita- 
liens seraient  unis  pour  les  appeler  au  delà  des  monts. 
C'était  la  conclusion  de  Villeroy  toutes  les  fois  qu'il  traitait 
des  affaires  de  la  péninsule  (2).  En  effet,  les  Italiens,  comme 
les  Hollandais,  s'étaient  tournés  vers  le  roi  de  France 
comme  vers  le  champion  des  peuples  opprimés  par  la  ty- 
rannie espagnole.  Ils  nepouvaienteomprendre  qu'Henri  IV 
ne  tut  toujours  armé  et  casqué  pour  les  défendre.  Ils  con- 
sidéraient presque  comme  une  trahison  son  désir  si  naturel 
de  goûter  un  peu  de  repos  après  tant  de  luttes.  Dans  leur 
impatience  excessive,  ils  poussaienl  la  France  à  la  lutte 
sans  s'être  liés  ni  entre  eux  ni  avec  elle  par  des  traités  défi- 
nitifs précisant  les  conditions  de  leur  coopération  et  le  but 


(1)  F.  Ital    1751,  f"  1,  i  mars  1602. 

(2)  Villeroy  à  Béthune,  11  février  100:2,  F.  Fr.  3487,  f°  33. 


414  VILLEROY 

poursuivi  (1).  Rien  n'irritait  plus  Villeroy  que  cette  préten- 
tion des  étrangers  à  vouloir  toujours  que  son  pays  entrât 
le  premier  «  dans  la  danse  ».  Il  avait  adopté  comme  règle 
invariable  d'examiner  froidement  deux  points  essentiels  : 
l'intérêt  de  l'Etat  et  la  probabilité  du  succès. 


III 


Après  six  ans  d'efforts,  la  politique  française  n'avait  pas 
encore  réalisé  l'union  des  états  indépendants  d'Italie  contre 
l'Espagne.  Elle  ne  put  faire  non  plus  entièrement  la  con- 
quête morale  de  Rome.  Toutefois  elle  gagna  sur  ce  terrain 
de  très  appréciables  succès.  Ce  fut  jusqu'en  1607  l'œuvre 
la  plus  originale  de  notre  diplomatie  dans  la  péninsule  et 
celle  qui  porta  le  plus  la  marque  de  Villeroy.  Les  amis  et 
les  ennemis  du  ministre  reconnaissent  qu'à  la  cour  de 
France,  c'est  Villeroy  qui  a  «  le  plus  d'inclination  »  aux 
choses  d'Italie  et  en  Italie  aux  affaires  de  Rome  et  qu'il  a 
souvent  à  lutter  pour  y  attirer  l'attention  de  Henri  IV  faci- 
lement détournée  vers  d'autres  buts  (2).  Aerssen  déplore 
perpétuellement  les  fâcheuses  tendances  de  ce  pacifiste 
catholique  qui  a  pour  maxime  que  cette  couronne  ne  peut 
prospérer  que  si  elle  est  d'accord  avec  le  pape  (3).  On  sait 


(1)  Fresne-Canaye  écrivait  à  Caumartin  le  1er avril  1605,  en  parlant 
de  «  la  lâche  prudence  italienne  »,quesi  nous  sommes  froids,  ils  disent 
que  nous  les  gelons,  si  nous  montrons  de  la  chaleur,  ils  s'imaginent 
que  nous  sommes  sur  le  point  de  «  danser  tous  seuls  ».  «  Cette  létar- 
gie,  ajoutait-il,  ne  se  guérira  jamais  qu'avec  d'étranges  coups  de  barre.  » 
Ambassades,  t.  II,  p.  542. 

(2|  Giovannini  au  grand-duc,  9  décembre  1601,  Desjardins,  t.  V, 
p.  473. 

(3)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  lfi  août  1602,  Arch.  de  la  Haye,  ffoll. 
2632.  Le  12  novembre  1601,  il  écrivait  à  Valcke  :  «  Il  semble  que  tous 
les  conseils  de  l'administration  de  cet  Estât  se  prennent  à  Rome».  Voir 
J.  Nouaillac,  Lettres  inédites  de  F.  d' Aerssen,  p.  133. 


LE    MINISTRE    l)'lIENRI    IV  415 

les  allusions  blessantes  que  lancent  les  Economies  royales 
à  celui  que  Sully  a  mis  parfois  au  nombre  des  «  catholiques 
Zélés  que  d'autres  nommaient  envenimés  »  (1). 

Dans  ce  domaine  romain  de  la  politique  française,  il 
faut  faire  unegrande  place  àl'un  des  plus  distingués  diplo- 
mates de  l'ancienne  monarchie,  le  cardinal  d'Ossat  qui  fut 
le  meilleur  collaborateur  de  Villeroy  et  qui  inspira  souvent 
la  politique  de  son  ministre.  Leur  amitié  datait  de  l'époque 
où  d'Ossat  était  le  secrétaire  de  l'ambassadeur  Paul  de 
Foix  ('2).  Villeroy  qui  estimait  profondément  ce  cœur  droit, 
cet  esprit  cultivé  et  fin,  le  recommanda  à  Henri  III  ;  celui-ci 
lui  confia,  après  la  mort  de  Paul  de  Foix,la  gestion  des  inté- 
rêts français  à  Rome,  en  attendant  le  nouvel  ambassadeur, 
Jean  de  Vivonne,  qui  n'arriva  qu'une  année  après  (1585). 
D'Ossat  fut  ensuite  secrétaire  du  protecteur  des  affaires 
de  France.  Dans  cette  fonction  modeste,  il  acquit  tant  d'au- 
torité par  son  intelligence  pénétrante  des  choses  romaines 
et  son  dévouement  passionné  à  l'Etat  qu'il  fut  le  conseiller 
très  écoulé  des  deux  grands  seigneurs  qu'il  parut  successi- 
vement servir,  le  cardinal  d'Esté  et  le  cardinal  de  Joyeuse. 
Quand  Henri  III  chassa  Villeroy,  il  offrit  la  charge  de  secré- 
taire d'Etat  à  d'Ossat.  Nous  avons  vu  comment  celui-ci 
avait  décliné  cet  honneur.  Villeroy,  revenu  au  pouvoir,  sut 
faire  apprécier  par  Henri  IV  les  mérites  de  son  ami  (3). 
C'est  à  lui  que  d'Ossat  se  déclara  redevable,  après  le  roi 
des  faveurs  qui  firent  en  1596  un  évêque  de  Rennes,  en  97 

(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  I,  p.  413. 

(2)  D'Ossat  à  Villeroy,  8  janvier  1595,  Lettres  du  cardinal  d'Ossat, 
Amsterdam,  1732,  t.  I,  p.  355.  —  Sur  d'Ossat,  voir  Degert,  Le  Cardi- 
nal d'Ossat,  1894,  in-8". 

(3)  D'Ossal  écrivait  à  Villeroy,  le  17  septembre  1596  (Lettres..., 
t.  II,  p.  214-215)  :  «  Quant  à  vous,  Monseigneur,  je  reconnais  aussi  la 
bonne  part  qu'après  S.  M.  vous  avez  en  tous  les  biens  et  honneur-  que 

j'ai  reçus  de  s.  M.  pour  m'avoir  dès  le  coin ncemenl  dépeint  au  roi 

non  pour  plus  Bdèle  el  dévol  mais  bien  pour  plus  habile  sujel  et  ser- 
viteurque  je  ne  suis.  »  Voir  aussi  les  lettres  de  remerciemenl  des  20 
février  96,  18  octobre  97,  3  mai  99,  t.  II,  p.  37  et  91,  t.  111,  p.  358. 


416  VILLEROY 

un  conseiller  d'Etat,  en  99  un  cardinal  du  simple  prêtre  qui 
avait  rendu  tant  de  services  à  Henri  IV,  depuis  son  avène- 
ment,, sans  autre  charge  officielle  que  celle  de  procureur 
de  la  reine  Louise  pour  obtenir  des  obsèques  solennelles  à 
Henri  III.  Après  avoir  négocié  avec  succès  l'absolution  du 
roi,  il  demeura  jusqu'à  sa  mort,  en  1604,  un  véritable  am- 
bassadeur de  France  à  Rome  sans  le  titre.  Les  représen- 
tants officiels  du  roi  avaient  ordre  de  prendre  conseil  du 
cardinal  et  d'agir  de  concert  avec  lui.  «  Plus  vous  le  fré- 
quenterez, écrivait  Yilleroy  à  Béthune,  plus  vous  l'aimerez 
et  vous  vous  y  confierez  (1).  » 

Les  conseils  du  cardinal  étaient  très  appréciés  à  la  Cour. 
Il  était  convaincu  que  l'union  intime  avec  Rome  pouvait 
rendre  les  plus  grands  services  au  roi  et  qu'il  fallait  faire 
au  pape  un  certain  nombre  de  concessions  peu  coûteuses, 
dans  l'intérêt  du  royaume.  Ses  arguments  déterminèrent 
l'attitude  de  Yilleroy  dans  les  affaires  de  l'Eglise  gallicane 
et  du  concile  de  Trente  (2).  Yilleroy  fut  aussi  fortement 
impressionné  par  la  haine  du  cardinal  contre  le  Savoyard 
et  son  opposition  vigoureuse  à  l'abandon  de  Saluées.  Yille- 
roy et  d'Ossat  n'étaient-ils  pas  deux  caractères  très  sem- 
blables ?  Un  esprit  solide,  un  tempérament  souple  et  patient, 
un  jugement  pénétrant  étaient  les  qualités  de  ce  politique 
positif  qui  dédaignait  les  vues  chimériques  et  les  «  paroles 
magnifiques  »  et  affirmait  à  Yilleroy  que  son  seul  principe 
était  de  rechercher  «  la  substance  et  la  vérité  et  réalité  du 
salut,  sûreté  et  grandeur  du  Roi  et  de  sa  lignée  et  de  l'état 
el  couronne  de  France  »  (3). 


(1)  Yilleroy  à  Béthune,  22  novembre  4  G 0 1 ,  F.  Fr.  3487,  f°  9.  —  Les 
ambassadeurs  d'Henri  IV  a  la  cour  de  Rome  furent  le  duc  du  Luxem- 
bourg jusqu'en  1601  et  Philippe  de  Béthune,  frère  de  Sully,  de  1601  à 
1605.  ' 

(2)  Voir  l'importante  lettre  de  d'Ossat  à  Yilleroy,  16  juillet  1596, 
t.  II,  p.    167. 

(3)  D'Ossal  ;i  Villeroy,  16  janvier  1596,  t.  II,  p.  1. 

On  pourrait  l'approcher  les  maximes  politiques  de  Villeroy  et  du  car- 


LE    MINISTRE    i/hENRI    IV  417 

Cette  entente  si  étroite  de  Villeroy  et  du  cardinal  inspi- 
rait quelque  jalousie  à  Sully.  Le  surintendant  se  montrait 
vivement  froissé  de  voir  que  d'Ossat  fort  de  In  confiance 
d'Henri  IV  et  de  Villeroy  négligeait  de  lui  faire  la  cour.  Au 
milieu  de  l'année  160.'>,  si  nous  en  croyons  les  Economies 
royales,  un  orage  éclata.  Sully  se  crut  personnellement  at- 
taqué dans  une  lettre  où  d'Ossat  écrivait  à  Villeroy  que  le 
mécontentement  de  la  noblesse,  de  l'Eglise  et  l'oppression 
donl  souffrait  «  le  pauvre  peuple  »  avait  accru  l'audace  de 
ceux  qui  avaient  conspiré  avec  Biron.  Le  surintendant  se 
vengea  immédiatement.  Il  était  en  train  de  dresser  l'état  des 
pensions  à  Rome  ;  il  changea  l'assignation  du  cardinal  en 
une  autre  qui  ne  valait  rien.  Plus  tard,  il  se  vengea  dans  ses 
Economies,  en  traitant  Villeroy  et  «  sa  créature  »  d'ingrats, 
d'impudents  et  de  malicieux  (1).  L'incident,  semble-t-il, 
n'eut  pas  de  suite  grave,  car  une  lettre  de  Villeroy  insérée 
dans  les  Économies  royales  prouve  qu'au  mois  de  novembre 
suivant  les  relations  entre  Sully  et  d'Ossat  étaient  très  cor- 
diales (2). 

dinal  d'Ossat.  Dans  cette  même  lettre,  d'Ossat  indique  l'objel  île  la  poli- 
tique qu'il  poursuit  à  Rome,  et  ces  déclarations  rappellent  de  nom- 
breuses paroles  du  ministre  d'Henri  IV  :  «  garantir  au  roi  et  à  ses 
enfants  leur  vie,  leur  majesté  et  leur  royaume  et  restituer  à  la  France 
son  repos,  son  union  et  son  ancienne  force,  grandeur,  splendeur  et 
dignité.  »  Comme  Villeroy,  il  avait  coutume  de  dire  qu'il  faut  s'accom- 
moder au  temps  et  à  la  nécessité.  Comme  Villeroy,  il  était  déliant  : 
<(  Ht  n'y  a  rien  qui  soit  plus  de  mon  humeur  que  de  prendre  toujour* 
les  choses  en  pis  et  de  ne  commettre  à  la  fortune  rien  où  la  prudence 
puisse  arriver.  »  (D'Ossat  à  Villeroy,  Lettres,  t.  I,  p    356), 

(1]  AV.  Roy.,  t.l,  p.  413.  <•  Bien  était-il  vrai  que  les  catholiques  zélés, 
tels  que  ce  M.  de  Villeroy  et  son  cardinal  que  d'autres  nommaient  en- 
venimés, n'étaient  pas  contents  en  leurs  petits  cœurs  île  ce  que  le  roi 
ne  se  portait  pas  aux  choses  qu'ils  désiraient,  voulant  persuader  S.  M. 
de  se  joindre  aux  desseins  de  la  Cour  de  Rome  pour  mettre  un  roi 
catholique  en  Angleterre,  et  la  faire  départir  des  alliances  qu'elle  avait 
avec  la  reine  d'Angleterre,  les  rois  d'Ecosse,  le  nouveau  roi  de  Suède. 
celui  de  Danemark,  et  des  princes  et  villes  protestantes  d'Allemagne  et 
de  Suisse  et  se  résoudre,  si  tôt  qu'ils  eussent  voulu,  au  rétablissement 
des  Jésuites.  » 

(2)  Ec.  Roy.,  t.  1,  p.  519.  Villeroy  à  Rosny,  26  novembre  1603.  — 
Villeroy  27 


418  VILLEROY 

Ce  n'était  point  la  première  algarade  qui  ait  eu  lieu  entre 
les  Jeux  ministres  au  sujet  d'affaires  romaines.  Le  choix 
de  l'ambassadeur  qui  remplaça  Luxembourg  au  lendemain 
de  la  paix  de  Lyon  avait  déjà  provoqué  un  conflit  entre 
eux.  Au  début  de  1601,  Sully  proposait  au  choix  du  roi  son 
frère  Philippe  de  Béthune.  Villeroy  allié  avec  Sillery  défen- 
dait la  candidature  de  son  propre  fils  d'Alincourt.  Dans 
cette  compétition  il  y  avait  plus  qu'une  querelle  de  per- 
sonnes. Sully  essayait  de  gagner  une  part  d'influence  dans 
les  affaires  étrangères  au  poste  le  plus  important  de  la  chré- 
tienté. Villeroy  voulait  un  ambassadeur  absolument  docile 
à  sa  politique  romaine.  Ils  «  s'entrepicottèrent  »,  mais  le 
roi  rétablit  la  paix  en  décidant  que  Béthune  serait  d'abord 
nommé  ambassadeur  et  que,  sa  mission  terminée,  il  serait 
remplacé  par  Alincourt.  La  rancune  des  deux  ministres  ne 
subsista  pas.  Dans  la  suite,  Sully  montra  le  plus  cordial 
empressement  à  faire  nommer  Alincourt,  d'après  le  témoi- 
gnage de  Villeroy  lui-même  (1). 

En  fin  de  compte,  c'est  Villeroy  qui  l'emporta,  car  Bé- 
thune se  soumit  docilement  à  son  ministre.  C'était  «  un  na- 
turel grandement  retenu  et  circonspect  »,  au  dire  de  son 


Gel  incident  ne  nous  est  connu  que  par  Sully  lEc.  Roy.,  I.  p.  4131  et 
il  nous  est  impossible  de  le  contrôler.  Marbault  doute  de  son  authen- 
ticité, mais  il  met  en  avant  un  argument  défectueux  pour  prouver  son 
dire.  Cette  belle  histoire,  dit-il,  n'a  pu  être  composée  que  22  ans  après, 
quand  furent  imprimées  les  lettres  de  d'Ossat  (1624)  Mais  il  est  pos- 
sible que  Sully  ait  eu  connaissance,  comme  il  l'affirme,  de  l'extrait  de 
cette  lettre  dont  d'Ossat  en  voulait  nullement  faire  un  mystère.  De  plus, 
nous  savons  que  Sully  recourait  volontiers  à  ces  procédés  de  ven- 
geance dans  ses  accès  de  mauvaise  humeur  contre  ceux  qui  lui  avaient 
manqué  de  respect.  Ajoutons  que  dans  ses  mémoires,  il  se  fit,  suivant 
son  habitude,  plus  méchant  qu'il  n'avait  été,  accabla  d'injures  Villeroy 
el  d'Ossat  et  leur  reprocha  d'organiser  avec  le  pape  un  complot  contre 
1rs  nations  protestantes.  En  1003,  Sully  n'aurait  certainement  pas  lancé 
avec  sérieux  ces  accusations. 

(11  Villeroy  à  Béthune,  22  octobre  1003,  F.  Fr.  3487,  fo  175.  En  lui 
annonçant  la  nomination  de  d'Alincourt,  il  lui  dit:  «  Votre  frère  en 
a  été  l'auteur,  pour  me  rendre  preuve  de  son  amitié.  » 


LIS    MINISTRE    D'HENRI    IV  410 

propre  frère  (1),  un  esprit  «capable,  judicieux  et  diligent», 
comme  le  jugeait  d'Ossat  et  comme  le  prouve  sa  corres- 
pondance ;  c'était  aussi  un  excellent  catholique.  Alincourt 
qui  le  remplaça  fut  aussi  docile,  mais  beaucoup  moins  bon 
diplomate.  Le  fils  de  Villeroy  qui  d'après  un  ambassadeur 
toscan  «  ne  valait  rien  »  (2)  n'eut  pas  à  faire  une  grande; 
œuvre  à  Rome.  Toutes  les  épines  avaient  été  écartées  de 
son  chemin  par  d'Ossat  et  Béthune.  La  plus  grave  affaire 
de  son  ambassade,  le  conflit  romano-vénil,ien„fut  résolue 
par  une  mission  extraordinaire  confiée  au  cardinal  de 
Joyeuse. 

Depuis  l'absolulion  du  roi,  des  rapports  très  amicaux 
s'étaient  établis  entre  la  France  et  le  Saint-Siège.  Us  étaient 
moins  étroits  et  moins  sûrs  que  Villeroy  ne  l'eût  voulu  ;  le 
parti  espagnol  se  trouvait  très  fort  dans  le  Sacré-Collège  et 
le  pape  ClémentVIII  était  un  vieillard  sans  malice  qui 
se  laissait  souvent  diriger  par  son  neveu  le  cardinal  Aldo- 
brandini  pensionné  par  l'Espagne  (3).  LTne  lutte  incessante 
était  nécessaire  pour  maintenir  l'influence  d'un  roi  que  ses 
ennemis  s'acharnaient  à  rendre  suspect  au  pape.  On  com- 
prend combien  il  importait  de  donner  des  preuves  de  bonne 
volonté  à  l'égard  du  Saint-Siège.  Aussi  la  diplomatie  fran- 
çaise fut-elle  bien  inspirée  quand,  sur  les  conseils  de  d'Os- 
sat, à  la  fin  de  1597,  elle  offrit  résolument  l'aide  du  roi  de 
France  à  Clément  VIII  dans  son  différend  avec  César  d'Esté 
qui,  succédant  à  son  cousin  Alphonse  II,  se  refusait  à  res- 
tituer le  fief  pontifical  de  Ferrare.  Les  Espagnols  étaienthos- 
tiles  aux  prétentions  de  Clément  VIII,  mais  les  offres  du 
roi,    autant    que    l'excommunication    papale,    décidèrent 


(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  I,  p.  369. 
h)  D'Ossat  au  roi,  10  décembre  1601,  t.  II,  p.  518. 
(3)  V.  «  E  un  d'appoco,  un  inetto  e  un  ignorante  »  (Desjardins,  t.  V, 
p.  54G),  «  Ne  pernobilta  ne  per  virtù  non    vale  nulla  »  {Ibid.,  p.  549). 


420  VILLEROY 

César  d'Esté  à  céder  Ferrare  (1).  Un  même  sentiment  de 
condescendance  à  l'égard  du  Sainl-Siège  inspira,  nous 
l'avons  vu,  Villeroy  et  la  fraction  modérée  du  conseil  quand 
ils  poussèrent  Henri  IV  à  accepter  la  médiation  du  pape 
pendant  les  guerres  d'Espagne  et  de  Savoie.  Plus  tard,  le 
rétablissement  des  Jésuites,  les  efforts  de  Villeroy  pourfaire 
publier  le  concile  de  Trente  furent  autant  de  satisfactions 
accordées  au  pape. 

De  cette  altitude  souple,  respectueuse,  où  triomphait  ce 
que  les  Vénitiens  appelaient  il  modo  soave  de  Villeroy, 
on  retira  de  réels  avantages.  Les  conflits  avec  l'Espagne 
perdirent  beaucoup  de  leur  acuité  par  l'intervention  du  pape 
que  Villeroy  et  ses  agents  sollicitaient  discrètement  et 
tâchaient,  non  sans  succès,  de  rendre  la  plus  bienveillante 
possible.  Quand  éclatal'incident  La  Rochepot  d'où  aurait  pu 
sortir  une  guerre  (3  août  1601),  la  diplomatie  pontificale 
obtint  que  les  Espagnols  lui  délivrassent  directement  le 
neveu  de  l'ambassadeur  et  les  gentilshommes  français  qui 
avaient  été  emprisonnés.  Après  la  découverte  de  la  conspi- 
ration de  Riron,  Villeroy  fit  agir  Réthune  pour  exciter  l'in- 
dignation du  pape  contre  les  étrangers  qui  avaient  attenté 
à  la  vie  du  roi  ;  et  dans  cette  cour  hispanophile  on  entendit 
l'honnête  Clément  VIII  qualifier  de  «  très  méchant  homme» 
le  duc  de  Savoie,  et  charger  Réthune  d'exprimer  au  roi  «son 
déplaisir  des  artifices  d'Espagne  ».  Quand  éclata  la  guerre 
des  tarifs  entre  les  deux  nations  (février  1603)  le  pape 
inquiet  fit  intervenir  son  nonce  en  Espagne  et  sa  diplo- 
matie aida  considérablement  au  rétablissement  des  bons 
raports  commerciaux  (14  octobre  1604)  (2). 


(1)  D'Ossat  à  Villeroy,  20  décembre  1597,  t.  I,  p.  482,  24  janvier 
1598,  Ibid.,  p.  494. 

(2)  Voir  Philippson,  t.  I,  p.  240  et  suiv. —  Couzard,  Une  ambassade 
à  Rome  sous  Henri  IV  (septembre  1601-juin  1605)  d'api-ès  des  doc. 
inédits,  p.  49  et  suiv..  p.  147  et  suiv.,  1900,  in-8°.  —  Sur  l'attitude 
de  Villeroy  dans  le  conflit  franco- espagnol  et  la  médiation  romaine  en 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  421 

Vivre  en  paix  avec  l'Espagne,  grâce  à  l'intervention  pon- 
tificale, était  assez  aisé.  Il  était  beaucoup  plus  difficile  de 
conserver  au  roi  sa  liberté  d'action  en  Europe,  de  prati- 
quer la  politique  traditionnelle  d'amitiés  et  d'alliances  avec 
les  nations  protestantes,  sans  perdre  la  bienveillance  du 
chef  de  l'Eglise.  Cependant  la  diplomatie  dirigée  par  Ville- 
roy fut  si  souple  et  si  ingénieuse  à  prévenir  les  froissements 
graves  qu'elle  sut  presque  toujours  réaliser  ce  tour  de 
force. 

L'alliance  du  roi  et  des  Genevois  contrariait  beaucoup 
les  papes.  Clément  VIII  avait  approuvé  intérieurement 
l'Escalade.  Quand  les  hérétiques  Genevois  allèrent  par  re- 
présailles attaquer  Saint-Genys  en  Savoie,  il  écrivit  une 
lettre  assez  amère  au  roi,  lui  reprochant  de  protéger  les 
ennemis  de  l'Eglise.  Villeroy  recommanda  à  Béthune  et  à 
d'Ossat  de  soutenir  sans  faiblir  les  intérêts  du  roi  ;  Henri  IV, 
malgré  le  pape  voulait  défendre  la  ville  de  Genève  qui  assurait 
ses  communications  avec  les  Suisses  (1).  Les  mômes  argu- 
ments servirent  à  défendre  l'attitude  du  roi  à  l'égard  des 
Grisons.  Toutefois  on  aurait  voulu  obtenir  davantage.  Après 
la  construction  du  fort  Fuentès,  Henri  IV  désirait  que 
Clément  VIII  intervînt  auprès  du  gouverneur  du  Milanais 
pour  qu'il  cessât  de  menacer  la  paix.  Ce  ne  fut  pas  pos- 
sible, car  les  Espagnols  avaient  gagné  à  leur  cause  le  car- 
dinal-neveu (2).  La  diplomatie  de  Villeroy  sut  empêcher 
avec  une  égale  souplesse  que  le  pape  ne  compromît  les  ré- 
sultats de  la  politique  anglaise  de  son  maître.  Elle  ferma 
l'oreille  aux  propositions  de  Clément  VIII  qui  rêvait  de 
donner   pour   successeur   à    Elisabeth   un    prince   catho- 


1604,  voir  principalement  les  dépêches  de  Tassis  des  15  avril,  28  mai, 
19  juin,  27  juillet  et  10  septembre  1604,  Pap.  Simone,  K.  1606, 
p. 142,  152,155,  162,  171. 

(1)  Villeroy  à  Béthune,  16  juin  1603,  F.  Fr.  3487.  fo  143.  —  D'Os- 
sat à  Villeroy,  14  juillet  1603,  Lettres,  t.  II,  p,  629. 

(2)  Béthune  au  roi,  2  mars  1604,  F.  Fr.  3494,  fo   13. 


422  VILLEROY 

lique  (1).  Elle  résista  aux  efforts  que  faisait  le  pape  pour 
amener  les  Français  à  protéger  activement  les  catholiques 
d'Angleterre.  Le  très  catholique  Villeroy  montra  en  toute 
cette  affaire  une  extrême  circonspection.  «  Il  est  très  dan- 
gereux, écrivait-il  à  Béthune,  de  se  mêler  des  affaires  d'An- 
gleterre en  faveur  des  catholiques,  car  ce  prince  ne  les 
aime  guère  et  affectionne  grandement  sa  religion  (2).  »  On 
ne  voulait  point  mécontenter  la  reine  en  critiquant  ses 
actes  et  lui  donner  le  droit  d'intervenir  dans  les  rapports 
de  son  «  bon  frère  »  avec  les  réformés.  Sous  Jacques  Ier 
on  fut  un  peu  moins  réservé  parce  que  ce  roi  théologien, 
pacitique  et  indécis  montrait  naturellement  des  dispositions 
assez  libérales  à  l'égard-  de  ses  sujets  catholiques.  Dans 
son  ambassade  extraordinaire  en  Angleterre  (1603)  Sully 
l'avait  adroitement  sollicité  de  «  faire  quelque  chose  en 
faveur  des  catholiques  »  (3).  L'ambassadeur  Beaumont 
entretenait  ses  dispositions  conciliantes  (4).  Villeroy  ne 
manquaitpasde  faire  ressortir  le  plus  brillamment  possible 
cette  modeste  intervention  auprès  de  la  Cour  de  Borne. 
«  Vous  ferez  valoir  cette  marchandise  le  mieux  que  vous 
pourrez»,  écrivait-il  à  Béthune.  Au  reste,  le  ministre  n'a- 
vait pas  le  moindre  enthousiasme  pour  ce  rôle  chevale- 
resque et  dangereux.  Il  recommandait  à  son  ambassadeur 
de  «  tirer  notre  épingle  avec  le  plus  de  douceur  que  nous 
pourrons,  car  il  m' apparaît  bien  qu'il  y  aura  plus  d'hon- 
neur que  de  profit  à  gagner  de  toutes  façons  ». 

Le  point  le  plusdélicatdans  les  relations  du  roi  très  chré- 
tien avec  les  nations  protestantes  fut  sans  contredit  l'ap- 
pui moral  et  matériel  prêté   aux  Hollandais.  Villeroy  al'lir- 

(1)  D'Ossat  à  Villeroy,    10  février  1603,  Lettres...,  t.  II,  p.  589-603. 

(2)  Villeroy  à  Béthune,  14  juillet  1603,  F.  Fr.  3487,  folio. 

(3)  Sully,  Ec.  Boy.,  t.  1,  p.  461  et  suiv.  Il  obtint  du  roi  de  faire 
surseoir  jusqu  a  la  réunion  du  Parlement  à  l'exécution  de  l'Edit  contre 
les  récusants. 

(4)  Voir  Laffleur  de  Kennaihgant,  Mission  de  Christophe  de  Harlay, 
comte  de  Beaumont,  1895,  in-8o,  p.  135-1 49. 


LE    MINISTRE    d'iIENRI    IV  423 

mait  la  nécessité  de  continuer  à  secourir  -les  Hollandais 
tant  que  les  Espagnols  seraient  nos  ennemis.  Mais  il  vou- 
lait qu'on  prît  des  précautions  pour  ménager  le  pape.  Nos 
représentants  eurent  pour  consigne  d'excuser  le  roi  sur  la 
nécessité  où  il  se  trouvait  de  répondre  aux  procédés  de 
«  renard  »  des  Espagnols  par  des  procédés  analogues,  et  de 
prétendre,  — ce  qui  était  taux,  — que  l'argent  envoyé  aux 
Pays-Bas  était  le  simple  remboursement  des  sommes  prê- 
tées autrefois  par  les  Etats  (1).  Nous  savons  aussi  parAers- 
sen  comment  Villeroy  s'efforçait  d'obtenir  des  membres  du 
Conseil  et  des  Hollandais  eux-mêmes  que  ces  envois  de 
subsides  restassent  secrets. 

La  diplomatie  française  eut  pareillement  à  éviter  de  se 
laisser  entraîner  à  des  actes  d'hostilité  contre  les  Turcs.  La 
Croisade  entreprise  par  les  princes  chrétiens  réconciliés 
était  le  rêve  constant  de  la  Papauté.  Au  début  du  xvn" 
siècle  se  poursuivait  en  Hongrie  la  lutte  entre  les  Turcs  et 
l'Empereur  assisté  de  volontaires  chrétiens  tels  que  le  duc 
de  Mercœur  et  le  neveu  de  Clément  VIII  Jean  François  Al- 
dobrandini.  Malgré  les  efforts  du  pape,  Henri  IV  ne  songea 
sérieusement  ni  à  lutter  contre  les  Ottomans,  nia  favoriser 
leurs  adversaires,  ni  même  à  ménager  la  paix  entre  l'empe- 
reur et  le  Sultan.  Villerov  recommandait  à  Béthune  d'éviter 


(1)  D'Ossat  à  Villerov,  10  février  !603,  Lettres,  t.  II,  p.  589-603.  — 
Villerov  à  d'Ossat,  22  mars  1603,  Ibid.,  p.  2.  —  D'Ossat,  dans  une 
longue  lettre,  expliquait  son  opinion  particulière  qui  différait  de  relie 
de  Villeroy.  11  disait  qu'il  fallait  agir  selon  la  justice  avec  les  Espagnols 
et  cesser  tout  acte  d'hostilité  déguisée.  Il  souhaitait  qu'une  bonne  intel- 
ligence régnât  entre  les  deux  rois,  qui  consument  leur  temps  et  leur 
argent  à  «  s'entremalfaire  ».  Villeroy  approuva  une  partie  des  raisons 
données  par  d'Ossat.  Mais  il  ajoutait:  «  Si  nos  parties  adverses  étaient 
aussi  gens  de  bien  que  vous  nous  conseillez  d'être,  nous  serions  aussi 
imprudents  que  méchants,  si  nous  ne  suivions  entièrement  et  exacte- 
ment votre  bon  avis.  Mais  comme  nos  pères  et  nous  les  avons  éprou- 
vées autres,  nous  sommes  contraints  aussi  de  joindre  quelquefois  la 
peau  de  renard  à  celle  de  lion,  aux  affaires  que  nous  avons  à  démêler 
avec  eux,  résolus  néanmoins  de  dépouiller  la  première,  toutes  etquantes 
fois  que  les  autres  feront  le  semblable.  » 


i24  VILLEROY 

toujours  «  de  mettre  S.  S.  en  ce  propos  »  (1).  Les  Turcs 
tenaient  les  Habsbourgs  en  échec  et  les  Français  avaient 
dans  tout  l'Orient  depuis  les  capitulations  une  belle  situa- 
tion morale  et  commerciale  qui  grandissait  tous  les  jours. 

Le  plus  sûr  moyen  pour  le  roi  d'avoir  la  bienveillance 
ou  la  neutralité  de  Rome  était  d'y  entretenir  un  fort  parti 
français  capable  d'y  contrebalancer  l'influence  des  Espa- 
gnols. Henri  IV  ne  semble  pas  y  avoir  toujours  porté  la 
même  attention.  Il  était  sollicité  par  d'autres  affaires, 
rebuté  par  de  grosses  dépenses  pour  un  intérêt  non  immé- 
diat, et  par  la  médiocrité  des  intrigues  en  jeu.  Au  contraire, 
Villeroy  passait  pour  celui  qui  s'occupaitavec  le  plus  grand 
soin  des  choses  de  Rome  (2). 

Il  savait  que  pour  acquérir  de  l'influence  à  Rome,  il  fal- 
lait acquérir  à  prix  d'argent  les  cardinaux.  Les  Espagnols 
faisaient  sans  compter  d'abondantes  distributions.  Le 
royaume  de  France  était  moins  riche,  Henri  IV  et  Rosny 
moins  disposés  à  donner.  Villeroy,  résolu  à  utiliser  le  mieux 
possible  des  moyens  assez  faibles,  estimait  qu'il  est  meil- 
leur d'acquérir  moins  de  serviteurs  et  les  bien  traiter  (3)  et 
tenait  la  main  à  ce  que  ce  budget  des  largesses  s'accrût 
peu  à  peu  (4).  En  1601,  on  ne  comptait  guère  que  deux  car- 
dinaux influents  français  de  cœur  :  Alexandre  de  Médicis  et 
Baronius.  On  acquit  petit  à  petit  Barberini,  Visconti,  Hip- 
polyte  d'Esté,  duc  de  Modène,  et  cousin  du  cardinal  Louis 
qui  sous  Henri  III  avait  été  protecteur  de  France.  Henri  IV 
paraissait  assez  mal  disposé  à  son  égard  car  il  avait  pris  le 
parti  des  Espagnols.  Villeroy  qui  avait  fort  aimé  le  père  et 


(1)  Villeroy  à  Béthune,    2  juin    1602,  F.   Fr.   3487,  f»  50. 

(2)  Giovannini  au  grand-duc,  9  décembre  1601,  22  mars  1602,  Des- 
jardins,  t.  V,  p.  471-474,  p.  480. 

(3)  D'Ossat  à   Villeroy,  22  septembre  1603,    Lettres,    t.  II,  p.  648: 
voir  aussi  la  lettre  du  10  mars  1603,  Ibid.,  p.  610. 

(4)  Villeroy  à  Béthune,  31  janvier  1602,  F.  Fr.   3487,  fo  25. 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  425 

estimait  grandement  la  vertu  de  ce  cardinal  (1),  changea  les 
dispositions  du  roi  aussi  bien  que  celles  du  cardinal  [moyen- 
nant quelques  abbayes  et  une  pension).  On  entreprit  patiem- 
ment le  siège  du  cardinal  neveu  Aldobrandini  intéressé  et 
versatile,  et  on  parvint  vers  1605  sinon  à  le  détacher  de 
l'Espagne,  au  moins  à  le  rendre  plus  favorable  à  la  France. 
Ce  trafic  ne  scandalisait  nullement  Villeroy  qui  aimait  à 
constater  d'un  ton  goguenard  que  «  en  vérité  ce  métal  a 
beaucoup  de  pouvoir  en  ce  siècle  comme  aux  autres  »  (?) 
et  recommandait  avec  un  peu  d'ironie  à  son  ambassadeur 
de  «  bien  arroser  et  cultiver  »  ses  plantes  (3). 

Les  cardinaux  français  ne  servaient  pas  moins  au  relève- 
ment du  parti  anti-espagnol  que  les  Italiens.  Villeroy  insista 
beaucoup  pour  que  la  France  fût  représentée,  à  Home  par 
un  cardinal  de  grand  nom  et  de  belle  fortune.  Sur  ses  con- 
seils, le  roi  envoya  Joyeuse  en  Italie  à  la  fin  de  1603.  C'était 
le  frère  puiné  d'Anne  de  Joyeuse  et  Villeroy  était  très  lié 
avec  lui  depuis  l'avènement  de  cette  famille  à  la  fortune. 
Sous  le  règne  d'Henri  III,  il  avait  fait  à  Rome  plusieurs 
séjours  comme  protecteur  de  France  et  le  ministre  avait 
apprécié  ses  qualités  diplomatiques.  C'était  un  grand  sei- 
gneur intelligent,  très  pacifique,  absolument  dévoué  à 
Henri  IV,  mais  un  peu  indolent.  Il  devait  rester  très  uni 
avec  Villeroy  dans  le  conseil  de  Régence  dont  il  fut  un 
membre  important.  Lors  de  la  promotion  cardinalice  de 
1604,  Villeroy  soutint  ses  candidats  personnels,  Villars, 
l'archevêque  de  Vienne  et  Marquemont,  mais  il  ne  put  les 


(1)  Villeroy  à  Béthune,  22  novembre  1001.  Ibid.,  f°  9. 

(2)  Villeroy  à  Béthune,  2  janvier  1C02,  Ibid.,  f«  28.  Les  termes  de 
cette  amusante  lettre  sont  à  citer  :  «  Monsieur,  jamais  on  ne  refusa  à 
Rome  non  plus  qu'ailleurs  les  épus  de  France  ;  partant  je  ne  trouve  pas 
étrange  que  les  camériers  du  pape  aient  si  gaiement  accepté  ceux  que 
vous  leur  avez  donné  au  nom  du  roi...  En  vérité,  ce  métal  a  beaucoup 
de  pouvoir  en  ce  siècle  comme  aux  autres  ». 

(3)  Villeroy  à  Béthune,  30  novembre  lG04,/fo'rf.,  fo  100.  Dans  cette 
lettre,  la  plante  en  question  est  le  cœur  du  cardinal  Aldobrandini. 


426  VILLEROY 

faire  triompher.  Le  roi  de  son  propre  mouvement  voulut 
favoriser  Serafîno  Olivieri,  patriarche  d'Alexandrie,  un  des 
plus  éminents  jurisconsultes  de  son  temps,  qui  lui  avait 
rendu  de  grands  services  lors  de  sa  conversion.  Sully  dé- 
fendit «  les  mérites  et  grand  savoir  de  M.  du  Perron  »  (1). 
Ces  deux  candidats  furent  agréés  à  Rome. 

Villeroy  voulut-il  être  lui-même  cardinal  ?  Cet  étrange 
bruit  courut  plusieurs  fois  avec  une  certaine  persistance, 
et  fut  recueilli  et  colporté  par  les  ambassadeurs  étran- 
gers qui  cherchaient  les  motifs  secrets  de  la  politique  ro- 
maine du  ministre.  Le  9  décembre  1601,  le  florentin  Gio- 
vannini  (2)  rapporte  qu'on  disait  que  Villeroy  voulait  être 
cardinal,  soit  pour  le  service  du  roi,  soit  pour  être  chan- 
celier et  pour  n'avoir  pas  à  se  tenir  au  Conseil  en  présence 
du  Roi  droit  et  découvert,  lorsque  Sully  restait  assis  et 
couvert.  Aerssen  écrit  à  Rarnevelt  le  4  janvier  1602(3) 
qu'  «  il  est  certain  que  le  pape  a  offert  le  chapeau  à  M.  de 
Villeroy  lequel  met  encore  en  doute  s'il  le  doit  accepter  ». 
Il  doit  même  recevoir  l'archevêché  de  Lyon  qu'il  résignera 
à  un  ecclésiastique.  Aerssen  croit  au  mois  de  juillet  1606 
que  Villeroy  veut  aller  négocier  directement  à  Rome  la 
réconciliation  du  pape  et  de  Venise  et  qu'ildoitrapporter  le 
chapeau  (4).  Il  n'y  avait  aucune  impossibilité  canonique  à  ce 
qu'un  ministre  laïque  reçût  le  chapeau.  Duprat  fut  créé  car- 
dinal en  1527  et  reçut  en  un  seul  jour  tous  les  ordres  ecclésias- 
tiques. Ce  titre  eût  procuré  à  Villeroy  un  grand  prestige  et  à 

(1)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  1,  p.  621.  Les  secrétaires  de  Sully,  après  avoir 
fait  allusion  à  ces  brigues  et  aux  «  merveilleuses  instances  »  de  Ville- 
roy, ajoutent  :  «  Et  quoique  M.  du  Perron  sut  bien  que  M.  de  Villeroy 
s'était  opiniâtrement  bandé  contre  lui,  néanmoins,  faisant  par  votre 
conseil  plutôt  le  courtisan  que  le  théologien,  il  lui  en  écrivit  aussi  bien 
qu'à  vous  des  lettres  de  remerciements...  » 

(2)  Giovannini  au  grand-duc,  9  décembre  1601,  Desjardins,  t.  V, 
p.    474. 

(3)  Aerssen  à  Barnevelt,  4  janvier  1G02. 

(4)  Aerssen  à  Barnevelt,  28  juillet  1606,  Arch.  de  La  Haye,  Legatie- 
Archief,  614. 


LE    MINISTRE    D  HENIU    IV  427 

son  pays  un  accroissement  considérable  d'influence  dans  le 
Sacré-Collège.  Mais  une  telle  nouvelle  était  sans  fondement. 
Rien  dans  les  paroles  ou  les  actes  de  Villeroy  ne  peut  nous 
autoriser  à  la  prendre  au  sérieux.  Les  Economies  Royales 
n'en  parlent  pas,  et  Rosny  n'eût  évidemment  pas  manqué  de 
s'emparer  de  la  chose  pour  grossir  son  réquisitoire.  D'ail- 
leurs les  étrangers  qui  ont  accueilli  ce  bruit  ne  parlent 
que  de  vagues  «  on-dit  »  et  le  florentin  affirme  qu'il  n'a  pas 
voulu  le  croire,  parce  que  le  cardinal  Gondiet  deux  autres 
personnes  dignes  de  foi  avaient  assuré  que  c'étaient  des 
fables  inventées  pardesennemis  particuliers  du  ministre  (1). 

Les  résultats  de  la  prévoyance  de  Villeroy  en  affaires 
romaines  se  manifestèrent  à  la  mort  du  pape  Clément  VIII 
enl605.  L'élection  du  cardinal  de  Médicis  (Léon  XI)  un  vieil 
ami  de  la  couronne,  fut  un  triomphe  pour  la  politique  fran- 
çaise. C'était  aussi  le  résultat  de  la  bonne  entente  des 
Français  et  des  Toscans,  constamment  recommandée  par 
Villeroy  que  le  grand  duc,  un  des  personnages  les  plus 
avisés  de  son  temps,  estimait  comme  «  le  plus  sage  et  le 
plus  grand  homme  d'état  du  monde  »  (?).  Léon  XI  mourut 
malheureusement  vingt-six  jours  après  son  élévation;  mais 
le  parti  français  était  si  fortement  constitué  que  le  Sacré- 
Collège  lui  donna  pour  successeur  le  cardinal  Borghèse 
qui  prit  le  nom  de  Paul  V.  Celui-ci,  sans  être  une  créature 
française,  avait  donné  de  réelles  preuves  d'indépendance  à 
l'égard  de  l'Espagne  et  dimpartialité  entre  les  deux  na- 
tions (3). 

La  France  allait-elle  cette  fois  avoir  plus  de  chances  de 
succès,  essayer  de  resserrer  l'union  du  pape  avec  les  étals 
de  la  péninsule,  pour  la  liberté  de  l'Italie  ? 


(1)  Giovannini  au  grand-duc,  Desjardins,  t.  V,  p.  474. 

(2)  Ainsi  l'affirma  le  grand-duc  à  Du  Perron,  lorsque  le  eardinal 
passa  à  Florence.  Voir  la  lettre  de  Du  Perron  à  Villeroy,  27  décembre 
1604,  Ambassades...,  p.  259. 

(3)  Voir  Philippson,  I,  p.  346  et  suiv.  —  Couzard,  p.  373  et  suiv. 


428  VILLEROY 


IV. 


C'est  à  ce  moment  que  deux  des  principaux  états  indé- 
pendants de  l'Italie  faillirent  provoquer  la  guerre.  Au  mi- 
lieu de  l'année  1605,  éclata  un  violent  conflit  entre  la  Répu- 
blique de  Venise  et  le  Saint-Siège.  Le  Sénat  avait  rendu  un 
décret  pour  mettre  un  terme  à  l'accroissement  indéfini  des 
biens  de  main-morte  ("26  mars).  Le  Conseil  des  Dix,  au  mé- 
pris des  droits  delà  justice  ecclésiastique,  avait  cité  devant 
lui  deux  clercs  accusés  l'un  de  diffamation  l'autre  d'homi- 
cide. Le  pape  Paul  V,  mauvais  politique,  réclama  âprement 
en  théologien  et  en  canoniste,  prétendant  maintenir  dans 
toute  leur  rigueur  les  privilèges  ecclésiastiques.  Peut-être 
la  diplomatie  des  deux  partis  aurait-elle  résolu  le  con- 
flit, si  les  intrigues  des  Espagnols  n'avaient  tout  brouillé. 
Sous  leur  influence,  une  partie  du  Sacré-Collège  décida  le 
pape  à  lancer  deux  brefs  proclamant  impérieusement  la 
liberté  absolue  de  l'Eglise  en  matière  de  biens  et  exigeant 
la  remise  des  prisonniers  entre  les  mains  du  nonce  (10  dé- 
cembre). Après  une  réponse  ferme  du  Sénat  défendant  les 
droits  de  la  République,  un  consistoire  solennel  se  réunit 
à  Rome,  que  les  cardinaux  espagnols  entraînèrent  à  la  rup- 
ture. Le  17  avril  1606,  Paul  V  lança  l'interdit  contre  Venise. 
La  République  répondit  en  intimant  au  clergé  l'ordre  de 
continuer  la  célébration  du  culte  et  en  expulsant  les  théa- 
tins,  les  jésuites  et  les  capucins  qui  s'y  refusaient.  Des  deux 
côtés  on  arma  (1). 

Quel  parti  le  roi  de  France  allait-il  prendre?  La  lutte  de 
principes,  qui  passionnaitl'Europe,  mettait  la  guerre  entre 

(1)  Voir  Romanin,  Storia  documentata  di  Venesia,  t.  III,  p.  1  et 
suiv.  ;  Cornet,  Paolo  V  e  la  Repùblica  Yeneta,  Vienne,  1859,  in-8°.  — 
Philippson,  t    III,  p.  1  et  suiv. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  429 

protestants  et  papistes,  gallicans  et  ultramontains,  forçait 
Jacques  1èr  et  les  Hollandais  à  se  déclarer  pour  les  défen- 
seurs du  pouvoir  civil,  étàil  certainement  le  moindre  des 
soucis  du  Roi  et  de  ses  ministres.  Ils  se  préoccupaient  sur- 
tout de  l'intérêt  du  royaume.  Mais  il  y  avait  des  manières 
opposées  de  le  concevoir.  Henri  IV,  très  indécis,  consulta 
son  Conseil  qui  se  divisa  en  deux  partis  (1). 

Villeroy  combattit  pour  la  paix.  Il  fallait  avant  tout  ré- 
concilier les  deux  adversaires  ;  leur  rupture  entraînait  le 
roi  à  une  guerre  dangereuse  pour  la  tranquillité  intérieure 
et  qui  serait  contraire  aux  intérêts  extérieurs  du  pays  puis- 
qu'on serait  forcé  de  se  prononcer  contre  le  pape  uni  aux 
Espagnols.  On  ne  pouvait  s'attendre  à  un  autre  conseil  de 
lui.  L'ambassadeur  Priuli  reconnaît  qu'il  parlait  parce  qu'il 
concevait  ainsi  le  service  du  roi.  Mais  il  cherche  à  son  ordi- 
naire les  motifs  d'intérêt  particulier  et  il  découvre  que  Vil- 
leroy avait  l'ambition  de  voir  son  fils  acquérir  de  la  gloire 
en  participant  à  la  réconciliation  de  Venise  et  de  Rome.  II 
croit  aussi  que  Villeroy  voulait  se  concilier  L'affection  du 
pape,  qui  pourrait  faire  de  lui  un  cardinal.  Le  chancelier 
Sillery  était  comme  toujours  de  lavis  de  Villeroy  et  solli- 
citait Henri  IV  de  prendre  le  rôle  glorieux  de  pacifica- 
teur (2). 

Sully étaitau  contraire  un  partisan convaincude  laguerre. 
Il  ne  fallait  rien  faire  pour  empêcher  une  rupture  qui  affai- 
blirait les  Espagnols  en  les  obligeant  à  retirer  une  partie 
de  leurs  troupes  de  Flandre,  pour  les  engager  en  Italie. 
Pendant  qu'on  se  battrait  dans  la  péninsule,  le   royaume 

(1)  Relasione  di  P.  Priuli,  Barozzi  et  Berehet,  II.  I,  p.  269  et  suiv. 
«  Appendice  alla  relazione  di  Pietro  Priuli  relativa  alla  parte  che 
piese  il  re  Enrico  IV  nelle  différence  tra  la  Republica  ed  di  Ponte- 
fi.ee.  » 

(2)  Villeroy  conseille  de  ne  se  mêler  en  aucune  manière  de  cette 
affaire  sauf  a  con  finedi  quiète  e  di  accomodamento  ».  Laguerre  doit 
être  détestée  plus  que  toute  autre  chose  ;  elle  est  dangereuse  «  per 
quoi  rispetti  che  avevano  altre  volte  travagliata  la  Francia.  » 


430  VILLEROY 

serait  en  sécurité  ;  on  pouvait  entretenir  cette  guerre,  en 
faisant  passer  sous  mains  quelques  secours  aux  Vénitiens, 
sans  rompre  avec  le  pape.  L'Italie  qui  n'avait  pas  connu  la 
guerre  depuis  longtemps  et  qui  était  riche  saurait  résister  ; 
le  danger  commun  unirait  les  princes.  Si  l'affaire  traînait 
en  longueur,  il  pouvait  se  présenter  une  occasion  favorable 
pour  le  roi  de  se  tourner  vers  la  Flandre  et  de  s'emparer 
de  cette  province  dont  la  conquête  serait  facile,  grâce  à  la 
sympathie  des  peuples,  et  à  l'alliance  des  Hollandais.  L'en- 
voyé vénitien  qui  cherchait  à  pénétrer  les  caractères  recon- 
naît d'abord  que  Sully  parlait  comme  Villeroy  par  sentiment 
de  l'intérêt  général  :  puis  il  se  demande  s'il  ne  manifestait 
pas  là  encore  sa  tendance  habituelle  à  ne  pas  estimer  comme 
il  conviendrait  les  choses  d'Italie  (1),  et  si  sa  religion  ne  le 
poussait  pas  à  favoriser  particulièrement  les  Hollandais.  Il 
aurait  pu  ajouter  que  ce  programme  était  l'expression  même 
du  tempérament  de  Sully:  nous  y  avons  reconnu  son  ima- 
gination optimiste  et  aventureuse  qui  lui  représente  l'Italie 
riche,  disposée  à  s'unir  contre  des  adversaires  appauvris,  et 
la  Flandre  prête  à  se  détacher  comme  un  fruit  mûr  de 
l'arbre  espagnol  ;  il  croit  qu'il  sera  toujours  possible  de  se 
battre  contre  les  alliés  de  Paul  V,  et  en  respectant  le  pape. 
Mais  si  loin  qu'il  soit  des  idées  prudentes  et  conciliantes 
de  Villeroy,  au  moins  reconnaît-il,  comme  lui,  la  nécessité 
absolue  de  ne  pas  rompre  avec  Rome.  Bassompierre,  Les- 
diguières  et  d'autres  seigneurs  avaient  offert  leurs  services 
à  Venise  ;  le  programme  belliqueux  de  Sully  était  celui  des 
jeunes  gentilshommes  comme  de  la  vieille  noblesse  batail- 
leuse. 

Entre  ces  opinions  extrêmes,  le  roi  hésita  longtemps, 
puis  parut  choisir  ce  qu'il  y  avait  de  bon  et  d'utile  dans 
chacune  d'elles  ;  il  essaierait  d'empêcher  la  guerre  entre 


(1)  L'attitude  de  Sully,  dit  Priuli,  provient  «  perquanto  ho  scoperto 
dal  non  far  egli  quella  stinm  che  si  converrebbe  délie  cose  d'Italia.  » 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  431 

Venise  et  Rome  et  si  c'était  absolument  impossible,  il  en- 
vahirait les  Flandres  avec  toutes  ses  forces.  On  recourrait 
donc  au  programme  de  Sully,  si  le  programme  de  Villeroy 
échouait  (1). 

On  avait  tenté  tout  d'abord  d'empêcher  le  pape  de  lancer 
l'interdit  ;  mais  la  lettre  par  laquelle  le  roi  le  priait  de 
prolonger  le  délai  de  la  bulle  d'excommunication  était 
arrivée  quatre  jours  trop  tard.  De  nouvelles  instances  pour 
obtenir  la  suspension  de  l'interdit  furent  inutiles.  Le  roi  se 
tourna  alors  vers  Venise  et  voulut  lui  faire  accepter  une 
transaction  qu'il  jugeait  conciliable  avec  les  exigences  du 
pape  et  l'honneur  de  la  République  ;  les  deux  prisonniers 
seraient  donnés  au  pape  par  l'intermédiaire  du  roi  de 
France  qui  prierait  le  pape  de  lever  les  censures.  La  Sei- 
gneurie enverrait  alors  un  ambassadeur  remercier  le  pape, 
révoquerait  son  manifeste  du  ('»  mai  et  rouvrirait  les  portes 
de  Venise  aux  ordres  expulsés.  Les  Vénitiens,  tout  en  ma- 
nifestant leur  extrême  déférence  pour  le  roi  qu'ils  ne  ces- 
sèrent jamais  de  vouloir  pour  unique  arbitre,  trouvèrent 
quelques-unes  de  ces  propositions  humiliantes  pour  leur 
république.  Ils  demandèrent  que  le  pape  révoquât  d'abord 
les  censures. 

De  son  côté,  Paul  V  s'obstinait  à  ne  point  céder  le  pre- 
mier. Malgré  les  bons  offices  de  d'Alincourt  et  de  Fresne- 


(1)  L'ambassadeur  vénitien  rapporte  les  avis  des  ministres  dans  sa 
lettre  du  15  août  à  la  Seigneurie  sans  fixer  les  circonstances  spéciales 
où  ils  furent  émis.  Priuli  expose  ces  avis  au  début  de  son  appendice 
avant  d'entrer  dans  le  détail  des  événements  et  semble  dire  que  le  roi 
avait  pris  une  résolution  dès  l'époque  où  le  pape  fulmina  l'interdit.  Il 
est  certain  qu'on  n'attendit  pas  au  mois  d'août  pour  se  décider.  Dès 
avril,  on  comprit  clairement  que  les  Espagnols  penchaient  vers  le  Saint- 
Siège  et  qu'en  cas  de  guerre  ils  seraient  ses  alliés.  Henri  IV,  Villeroy  et 
Sully  durent  dès  lors  songer  à  l'avenir.  Il  est  impossible  de  fixer  avec 
plus  de  précision  la  date  des  délibérations. 

Sur  les  offres  des  buguenots  et  de  certains  gentilshommes  aux  Véni- 
tiens, voir  la  relation  de  Priuli,  p.  4TJ,  et  une  lettre  de  Priuli  du  15 
août,  citée  par  Cornet,  p.  125  et  suiv. 


432  VILLEROY 

CanaveJa  querelle  ne  fit  que  s'envenimer  dans  les  derniers 
mois  de  160(5.  Les  Vénitiens  avaient  bien  senti  que  l'influence 
de  Villeroy  était  vite  devenue  prépondérante  ;  il  dirigeait 
toute  l'affaire  delà  conciliation  dans  un  sens  favorable  à  la 
papauté  ;  certes  il  n'approuvait  pas  l'imprudence  du  pape, 
mais  il  blâmait  les  Vénitiens  de  l'avoir  si  gravement  offensé 
dans  leur  manifeste  et  de  montrer,  plus  que  lui,  de  la  résis- 
tance, de  l'animosité,  de  l'impatience  et  de  l'orgueil.  Il 
donnait  à  Fresne-Canaye,  qu'il  trouvait  trop  vénitien,  l'ordre 
de  «  battre  le  fer  de  la  fermeté  du  Sénat  »  (1).  Le  roi  fut 
entraîné,  les  Vénitiens  observèrent  que  pendant  toute 
la  durée  du  conflit,  il  ne  se  départit  pas  de  la  même  atti- 
tude :  «  premier  fils  de  l'Eglise  »  (2)  d'abord,  ami  de  la 
Sérénissime  ensuite.  Ses  lettres  à  Fresne-Canaye,  rédi- 
gées par  Villeroy,  témoignent  quelque  irritation  contre  ses 
amis  de  la  République  qui  ne  veulent  se  mettre  à  la  raison, 
et  il  laisse  entendre  qu'il  ne  favorisera  leur  cause  que  si  elle 
est  estimée  juste.  Sully  lui-même,  tout  en  regrettant  que 
la  guerre  n'éclatât  pas,  cessa  de  parler  de  ses  projets  et  se 
rallia  bientôt  à  la  conciliation,  qu'il  voulait  surtout  favo- 
rable aux  Vénitiens  (3). 

Il  était  très  difficile  au  Roi,  arbitre  du  différend,  d'obser- 
ver la  neutralité  :  il  sut  cependant  résister  aux  instances 
des  Vénitiens  qui  sollicitaient  une  alliance  plus  étroite  et 
une  déclaration  plus  ferme  en  leur  faveur.  Cette  prudence 


(1)  Fresne-Canaye  à  Villeroy,  20  septembre  1606,  Lettres...,  t.  V, 
p.  213.  Noter  parmi  les  lettres  de  l'ambassadeur  celle  du  2  juin  1606  à 
Villeroy  :  «  Monsieur,  ce  n'est  pas  sans  cause  que  cette  rupture  du 
pape  avec  cette  République  vous  donne  de  la  peine,  comme  il  vous 
plaît  me  le  témoigner  par  la  vôtre  de  l'onzième  mai,  car  si  vous  ne  la 
rabillez,  je  la  tiens  pour  désespérée.  »  Il  dit  ensuite  que  le  pape  est 
l'offenseur,  que  c'est  à  lui  à  réparer  l'offense,  et  comme  il  se  doute  des 
sentiments  de  Villeroy  il  ajoute  :  «  Vous  m'accuserez,  Monsieur,  d'être 
trop  Vénitien,  je  vous  avoue  que  je  vous  écris  ce  que  je  pense.  » 

(2)  Le  roi  à  Fresne-Ganave,  18  juillet  1606,  Lettres  missives,  t.  VI, 
p.  641. 

(3)  Appendice,  Ibid.,  p.  278. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  433 

produisit  d'heureux  effets,  même  du  côté  de  l'Espagne. 
Malgré  les  armements  inquiétants  de  Fuentès,  la  cour  de 
Madrid  témoigna  des  intentions  pacifiques  ;  elle  essaya  de 
prendre  en  mains  l'arbitrage  ;  mais  la  diplomatie  française 
veillait  et  sut  empêcher  que  l'ambassade  solennelle  de  don 
Francesco  de  Castro,  neveu  du  duc  de  Lerme,  envoyé  à 
Venise  au  mois  de  décembre,  n'enlevât  à  Henri  IV  la 
gloire  de  l'arbitrage  (1). 

Bien  qu'en  apparence  aucun  progrès  notable  n'eût  été 
réalisé,  on  sentait,  en  décembre  1607,  que  les  adversaires 
s'adoucissaient  un  peu  parce  qu'ils  n'étaient  pas  sûrs  d'être 
soutenus  chacun  par  leur  allié.  Ce  fut  le  moment  choisi 
parle  roi  pour  réaliser  ce  que  Villeroy  souhaitait,  depuis 
le  mois  de  juillet,  l'envoi  d'un  grand  personnage  en  Italie, 
chargé  officiellement  de  terminer  le  différend.  On  disait 
que  le  ministre  voulait  se  faire  confier  cette  mission  et  ou 
cherchait  à  ce  désir  des  motifs  d'intérêt  personnel  :  «  On 
parle  plus  que  jamais  du  voyage  de  Monsieur  de  Villeroy 
à  Rome,  écrit  d'Aerssen  le  28  juillet  et  que  pour  sa  négo- 
ciation, il  doit  rapporter  le  chapeau  rouge  »  (2).  D'après 
l'ambassadeur  vénitien,  Villeroy  craignait  que  le  prestige 
de  l'ambassadeur  son  fils  qui  remplissait  honnêtement, 
mais  sans  éclat,  sa  charge,  ne  fût  trop  diminué  par  l'envoi 
d'un  autre.  Mais  à  ce  moment,  Villeroy  n'était  pas  persona 
gratissima  auprès  delà  République.  Priuli  s'adressa  à  Sully 
pour  faire  échouer  ce  dessein,  et  d'après  lui,  sur  les  ins- 
tances du  surintendant,  Henri  IV  fit  choix  de  Joyeuse  (3). 

Le  cardinal  de  Joyeuse,  grand  seigneur  intelligent,  pro- 


(1)  Philippson,  t.  III.  p.  30  et  suiv. 

(2)  Voir  plus  haut,  p.  426. 

(3)  Appendice...,  p.  272.  Nous  ne  connaissons  que  par  ces  deux 
sources  ce  dessein  de  Villeroy  que  peut-être,  conformément  à  ses  habi- 
tudes  'le  prudence,  il  ne  formula  pas  tout  haut.  Personne  n'en  parle 
après  le  mois  de  juillet.  Il  y  renonça  sans  doute,  soit  par  raison,  soit  à 
cause  de  sa  grave  maladie.  Joyeuse  fut  désigné  en  septembre. 

Villeroy.  28 


434  VILLEROY 

tecteur  des  affaires  de  France  à  Rome,  souple  et  éloquent, 
eut  une  tâche  assez  aisée  à  remplir.  Il  n'eut  à  prendre  au- 
cune-initiative importante.  Le  roi  et  les  ministres  conti- 
nuèrent à  diriger  très  minutieusement  les  négociations  (1). 

Depuis  le  milieu  de  novembre.  Villeroy  avait  dû  se  faire 
remplacer  par  Puysieux  au  secrétariat  :  il  était  tombé  si 
gravement  malade,  qu'on  avait  été  quelque  temps  très  in- 
quiet sur  son  sort. 

Pendant  ce  temps  se  réglait  l'affaire  de  la  médiation. 
Le  cardinal  partit  de  France  au  mois  de  novembre,  passa 
par  Ferrare,  entra  à  Venise  le  16  février,  et  quitta  cette 
ville  un  mois  après,  ayant  obtenu  du  Sénat  quelques  con- 
cessions :  sans  renoncer  expressément  à  ses  droits,  celui-ci 
avait  promis  au  cardinal  de  ne  point  faire  usage  des  ré- 
cents décrets,  de  remettre  les  deux  personnes,  de  révoquer 
les  ordonnances  publiées  contre  l'interdit  et  de  rappeler 
tous  les  religieux  expulsés,  à  l'exception  des  Jésuites  ex- 
trêmement impopulaires,  considérés  comme  espions  de 
l'Espagne,  bannis  à  perpétuité.  A  Rome,  le  cardinal,  aidé 
de  du  Perron,  supplia  le  pape, qui  exigeaitle  rétablissement 
des  Jésuites,  de  ne  pas  compromettre  pour  cette  raison  les 
grands  intérêts  de  la  religion;  tous  deux  surent  le  convaincre 
que  l'essentiel  était  de  rétablir  à  Venise  l'autorité  romaine 
et  qu'on  négocierait  ensuite  sur  les  Jésuites.  Paul  V  finit 
par  remettre  à  Joyeuse  le  bref  de  révocation.  Après  avoir 
déjoué  quelques  manœuvres  des  Espagnols  qui  voulaient 
ou  retarder  l'accommodement  ou  s'adjoindre  aux  négocia- 
tions, Joyeuse  partit  pour  Venise,  obtint  du  Sénat  la  remise 
des  prisonniers,  révoqua  l'interdit,  et  fit  annuler  les  pro- 
testations de  la  République  ("21  avril  1607). 

Ainsi  finit,  pacifiquement,  suivant  les  intentions  pre- 
mières de  Villeroy,  ce  différend  qui  avait  failli  mettre  en 


(1)  Le  roi  au  cardinal  de  Joyeuse,  13  octobre  1606,  Lettres  missives, 
t.  VII,  p.  15. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  435 

feu  Tltalie  et  la  Chrétienté.  Celte  médiation  qui  était  satis- 
faisante pour  les  deux  partis  fut  très  glorieuse  pour  le  roi 
de  France.  Elle  miten  pleine  lumière,  aux  veux  de  l'Europe, 
deux  tendances  fermes  de  la  diplomatie  française  :  on  sut 
désormais  nettement  que  dans  ce  duel  des  deux  grandes 
monarchies,  la  France,  loin  de  se  laisser  entraîner  par  les 
événements,  voulait  choisir  son  heure  pour  engager  la  ba- 
taille, et  qu'elle  chercherait  à  éviter,  comme  le  plus  grand 
des  malheurs,  l'hostilité  du  pontife  romain. 


Aucune  partie  sérieuse  ne  pouvait  en  Italie  être  dres- 
sée contre  les  Espagnols  sans  l'appui  du  duc  de  Savoie. 
C'était  la  conviction  de  tous  les  membres  du  Conseil  et  du 
roi.  La  politique  de  la  France  à  l'égard  de  Charles-Emma- 
nuel fut  inspirée  par  des  nécessités  nationales  reconnues 
par  tous  les  hommes  d*État  français.  Dans  les  correspon- 
dances diplomatiques  écrites  de  1001  à  1609,  on  ne  trouve 
pas  le  moindre  indice  de  désaccord  entre  les  personnes  à 
ce  sujet.  Tous  éprouvent  le  même  désir  de  lier  partie  avec 
lui,  parce  qu'il  peut  faire  beaucoup  de  mal  aux  Français, 
parce  qu'il  est  courageux  et  ardent  ;  tous  aussi  éprouvent 
la  même  crainte  d'être  dupés  parle  plus  rusé  des  princes  (1). 

Aussi  est-il  impossible  de  distinguer  la  part  qui  revient 
à  Villeroy  dans  le  rapprochement  franco-savoyard.  Il  con- 
vient toutefois  de  se  rappeler  que  le  roi  se  confiait  à  la 
vieille  expérience  de  son  ministre  et  tout  en  restant  l'au- 
teur  responsable   des  grandes    vues    de    sa    diplomatie, 

(1)  D'Ossat  écrivait  à  Villeroy,  le  1 G  décembre  1600  :  «  Permettez-moi 
de  vous  dire...  possible  trop  familièrement  que  je  vous  aime  et  prise 
grandement  de  ce  que  vous  vous  défiez  de  l'intention  dudit  duc  à  la 
paix  et  n'êtes  d'avis  qu'on  lui  croie  que  sur  bons  gages.  »  Lettres, 
t.  11,  p   277. 


436  VILLEROY 

abandonnait  à  Villeroy  le  soin  des  détails.  Rappelons-nous 
aussi  avec  quel  soin  jaloux  le  ministre  entendait  rester 
maître  de  son  département.  Si  nous  songeons  que  Ton  usa 
d'une  extrême  défiance  envers  le  duc,  que  Ton  étudia  mi- 
nutieusement ses  actes,  ses  paroles,  ses  intentions,  que  Ton 
négocia  avec  une  très  prudente  lenteur,  quand  les  circons- 
tances étaient  réellement  favorables,  nous  avons  l'impres- 
sion que  sous  la  haute  direction  du  roi  la  partie  était  menée 
par  Villeroy  selon  sa  méthode  habituelle. 

Il  fallut  beaucoup  de  patience.  Ce  fut  un  travail  de  longue 
haleine,  le  plus  délicat  assurément  de  la  diplomatie 
d'Henri  IV.  Une  année  à  peine  après  la  guerre  de  Savoie, 
Charles-Emmanuel  avait  attaqué  brusquement  Genève,  la 
vieille  alliée  du  roi,  et  sans  la  résistance  improvisée  des 
bourgeois  il  aurait  pris  la  ville  par  escalade.  Le  roi  de  France 
soutint  fermement  'L'indépendance  de  Genève,  mais  sans 
montrer  trop  d'animosité  à  l'égard  du  duc.  Il  chercha  au 
contraire  à  le  réconcilier  avec  les  Genevois.  Il  voyait 
toujours,  clans  la  personne  de  Charles-Emmanuel,  l'ennemi 
présent,  un  ami  futur,  auquel  il  faut  pardonner  ses  coups 
de  tête  (1).  Le  duc  pendant  quelques  années  parut  tout 
Espagnol  :  Fuentès  avait  des  garnisons  dans  quelques  places 
du  Piémont  :  les  fils  de  Charles  vivaient  à  la  cour  de  Ma- 
drid. Cependant  il  n'éprouvait  que  des  désillusions.  Cette 
attitude  de  vassal  assez  humiliante  ne  lui  procurait  aucun 
avantage  réel.  La  diplomatie  française  surveillait  les  pro- 
grès de  cette  désaffection  entre  Espagnols  et  Savoyards. 
Des  agents  secrets,  comme  Martinengo,  qui  entretenait  une 
correspondance  suivie  avec  Fresne-Canaye,  cultivaient  les 
rancunes  uVi  duc,  faisaient  miroiter  à  ses  yeux  ce  qu'il 
pourrait  obtenir  du  roi.  Charles-Emmanuel  ne  songea  plus 
dès  lors  qu'à  se  donner  au  plus  offrant  (2). 


(1)   IMiilippson,  t.  I,  p.  236  et  suiv. 
12)  Philippson,  t.  I,  p.  273  et  suiv. 


LE    MINISTRE    d'iIENIU    IV  437 

Quand  La  Boderie,  en  juin  1604,  après  la  mort  du  prince 
de  Piémont,  lui  porta  les  condoléances  d'Henri  IV,  le  duc 
offrit  son  alliance  contre  la  rétrocession  de  la  Bresse  et  du 
Bugey,  et  le  mariage  de  son  fils  Victor  Amédée  avec  une 
fille  du  roi  et  il  proposa  l'invasion  du  Milanais.  Mais  à  la 
Cour  on  se  méfiait  trop  du  duc  qui  ne  donnait  pas  encore 
des  gages  certains  de  son  bon  vouloir.  D'ailleurs,  le  parti 
pacifique,  nous  l'avons  vu,  ne  jugeait  pas  les  circonstances 
favorables  à  une  politique  belliqueuse  en  Italie.  Au  prin- 
temps de  1605,  Charles-Emmanuel  fit  une  nouvelle  tenta- 
tive pour  se  rapprocher  de  la  France.  Il  se  dégageait  len- 
tement des  liens  de  la  tutelle  espagnole,  réclamait  ses  fils 
àlaCourde  Madrid,  et  ménageait  moins  Philippe  III,  de- 
puis qu'il  avait  perdu  l'espoir  de  voir  son  fils  roi  d'Espagne. 
Mais  il  mettait  toujours  pour  condition  à  cette  alliance  la 
restitution  des  provinces  perdues  au  traité  de  Lyon.  Deux 
ans  après,  pendant  le  conflit  qui  divisait  Rome  et  Venise  et 
rendait  particulièrement  délicates  les  relations  franco-es- 
pagnoles, le  roi  et  ses  ministres  envoyèrent  à  Turin  Che- 
vrières  pour  savoir  si  l'on  pourrait  compter  sur  le  duc  en 
cas  de  guerre.  L'ambassadeur  du  duc  à  Rome  avait  fait  à 
d'Alincourt  de  la  part  de  son  maître  certaines  propositions 
et  le  roi  dépêchait  vers  le  duc  «  principalement  pour  être 
éclairci  de  la  vérité  de  son  intention  sur  certaines  ouver- 
tures d'alliance  et  confédération  plus  étroites  qui  ont  été 
faites  »  (1)  (mars  1607).  On  ne  put  pas  s'entendre parceque 
le  duc  exigeait  la  remise  des  places  de  la  Bresse  avant  la 
consommation  du  mariage. 

Le  différend  terminé,  le  duc  revint  à  la  charge.  Il  savait 
que  le  roi  de  France  et  ses  ministres  voulaient  profiter  du 
rétablissement  de  la  paix  dans  la  péninsule  pour  resserrer 
les  liens  qui  l'unissaient  aux  princes  et  états  indépendants 


(1)  Instruction  au  sieur  de  Chevrières  allant   en  Savoie,  au  mois 
mars  1607,  F.  Fr.  23518,  f«  80  et  suiv. 


438 


VILLEKOY 


de  Tltalie.  Henri  IV,  ayant  réconcilié  le  pape  et  les  Véni- 
tiens et  jouissant  d'un  grand  prestige  au  delà  des  monts, 
crut  le  moment  venu  de  proposer  plus  fermement  la  cons- 
titution d'une  ligue  contre  les  Espagnols.  On  voulut  con- 
naître les  dispositions  de  la  République  de  Saint-Marc. 
Sully  qui  savait  mal  retenir  son  langage  aborda  un  jour 
l'ambassadeur  Priuli  et  lui  dit  avec  sa  brusque  franchise  : 
«  Maintenant,  nous  allons  pouvoir  nous  allier(l)  !  »  Mais 
la  prudente  république,  habituée  à  temporiser,  effrayée  à 
la  pensée  d'une  guerre  trop  prochaine,  prétexta  qu'il  fallait 
avant  tout  achever  de  régler  les  interminables  affaires  de 
la  Valteline.  Cependant  le  duc  de  Savoie  avait  envoyé  en 
France  deux  ambassadeurs  Purpurato  et  Gattinara  pour 
proposer  de  nouveau  au  roi  les  mêmes  conditions  :  ma- 
riage, conquête  du  Milanais,  rétrocession  de  la  Bresse, 
abandon  de  la  protection  de  Genève.  Cette  négociation 
échoua  encore  (octobre  1607)  (2). 

Le  duc  ne  se  découragea  point.  De  plus  en  plus  il  dési- 
rait s'allier  au  roi  de  France.  Au  mois  de  janvier  1608,  il 
lit  jeter  en  prison  deux  de  ses  principaux  confidents,  d'Al- 
bigny  et  Roncas,  ennemis  acharnés  de  la  France  et  appela 
au  pouvoir  Jacob  qui  avait  des  idées  directement  opposées. 
Puis  il  proposa  à  la  République  de  Venise  une  Ligue  dé- 
fensive et  offensive  contre  l'Espagne.  On  trouva  en  France 
que  le  duc  allait  trop  vite.  Villeroy  dit  au  Vénitien  Fosca- 
rini  que  ces  projets  étaient  des  fruits  de  la  vivacitéduduc, 
mais  qu'il  ne  savait  pas  si  ce  dernier  aurait  eu  assez  d'au- 
torité pour  les  accomplir.  Le  ministre  était  d'accord  avec 
les  Vénitiens  pour  estimer  à  ce  moment  ce  projet  imprati- 
cable sous  la  direction  d'un  tel  homme.  Quand  Foscarini 
alla  voir  le  roi,  ce  dernier  lui  dit  :  «  M.  de  Villeroy  m'a 
rapporté  ce  qui  passe  par  l'esprit  du  duc  de  Savoie...  Ce 


(1)  Lettre  de  Priuli,  citée  par  Rott,  p.  424  (12  avril  1607). 

(2)  Philippson,  t.  III,  p.  268  et  suiv.  —  Rott,  p.  424  et  suiv. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV 


439 


prince  est  facile  à  se  persuader  les  choses  qui  lui  passent 
parla  tète.  »  Villeroy  avait  résumé  en  quelques  mots  la 
politique  qu'il  fallait  suivre  avec  le  duc  de  Savoie  :  «  ré- 
chauffer les  sentiments  du  duc  pour  le  tenir  le  plus  pos- 
sible loin  des  Espagnols  ».  Sa  diplomatie  patiente  voulait 
amener  le  duc  à  se  rapprocher  du  roi,  mais  à  deux  condi- 
tions seulement  :  les  Français  ne  feraient  aucune  cession  de 
territoire  ;  ils  ne  seraient  point  entraînés  malgré  eux  à  des 
conquêtes,  à  une  date  que  le  roi  n'aurait  pas  fixée,  par 
un  prince  mégalomane. 

Les  négociations  furent  actives  durant  Tannée  1608,  mais 
n'amenèrent  pas  l'entente.  L'ambassade  de  Vaucelas  qui  fut 
envoyé  en  Piémont  au  mois  d'avril  pour  complimenter  le 
duc  à  l'occasion  du  mariage  de  ses  deux  filles  n'apaisa  pas 
les  défiances.  Mais  le  duc,  malgré  les  manœuvres  des  Es- 
pagnols, entre  l'Espagne  et  la  France  avait  fait  son  choix. 
Quand  le  roi  d'Espagne  envoya  en  France  don  Pedro  de 
Tolède  pour  proposer  les  mariages  franco-espagnols,  Char- 
les-Emmanuel s'empressa  de  déléguer  à  la  Cour  son  mi- 
nistre Jacob  pour  demander  au  roi  la  main  de  sa  fille  Elisa- 
beth pour  le  prince  de  Piémont,  l'alliance  offensive  et 
défensive  des  deux  états  et  la  conquête  du  Milanais.  En 
France,  on  ne  découragea  pas  Jacob,  on  ne  déclina  pas 
ses  offres  matrimoniales.  Mais  le  ministre  savoyard  ren- 
contra chez  les  ministres  d'Henri  IV  une  opposition  insur- 
montable aux  projets  de  guerre  de  Charles-Emmanuel. 
Villeroy  lui  déclara  sans  ambages  que  le  roi  voulait  conser- 
ver la  paix.  Il  affirma  qu'il  désirait  de  tout  cœur  que  le  duc 
et  son  maître  fussent  d'accord  :  mais  il  ne  fallait  point  faire 
de  propositions  déplacées  contraires  au  bon  sens  ettroubler 
le  repos  de  la  chrétienté  en  bâtissant  sans  cesse  des  plans 
de  guerre.  Jacob,  ému  de  cette  froideur,  se  montrait  sur- 
pris de  ce  qu'on  blâmât  son  maître  parce  qu'il  voulait  se 
lier  indissolublement  à  la  France.  Il  craignait  que  Villeroy 
ne  se  fût  dans  l'âme  déclaré  tout  à  fait  en  faveur  de  l'Espa- 


440  VILLEROY 

gne  contre  le  duc.  Il  écrivait  à  son  maître  qu'il  ne  voyait 
dans  le  Conseil  aucune  disposition  à  accorder  à  S.  A.  le 
moindre  avantage  :  il  n'apercevait  dans  le  roi  que  des  appa- 
rences d'amitié  pour  la  personne  du  duc.  Il  ajoutait  que  le 
chancelier  et  Villeroy  secondaient  admirablement  l'adresse 
de  leur  maîtie. 

Les  négociations  avec  la  Savoie  et  les  affaires  d'Italie 
étaient  entièrement  subordonnées  aux  affaires  des  Pays- 
Bas.  Les  ministres  du  roi  ne  voulaient  pas  que  les  négocia- 
tions si  difficiles  pour  la  trêve  hollandaise  fussent  entravées 
par  des  projets  de  conquête  en  Italie.  Il  y  eut  pourtant  un 
moment,  dans  l'année  1608,  où  le  roi  parut  accéder  aux 
désirs  de  Charles-Emmanuel  et  où  il  reprit  les  pourparlers 
pour  la  formation  de  la  Ligue  d'Italie.  Au  début  d'octobre, 
les  Hollandais  et  les  Espagnols  faillirent  rompre,  ces  der- 
niers ne  voulant  pas  reconnaître  la  souveraineté  des  Pays- 
Bas.  Le  roi  fermement  résolu  à  soutenir  ses  alliés  se  re- 
tourna brusquement  vers  l'Italie.  Il  entama  [des  négocia- 
tions avec  le  duc  de  Mantoue  qui  se  trouvait  à  Paris,  avec 
le  grand-duc  de  Florence,  avec  l'ambassadeur  vénitien  au- 
quel il  dit  qu'il  était  prêt  à  rompre  si  la  seigneurie  y  con- 
sentait. Mais  bientôt  le  roi  se  calma.  Le  16  octobre,  les 
archiducs  prirent  sur  eux  de  reconnaître  la  souveraineté 
des  états.  Le  principal  des  obstacles  qui  se  dressaient  contre 
la  paix  était  écarté. 

Il  était  encore  trop  tôt  pour  parler  de  Ligue  Italienne. 
Venise  hésitait  à  rompre  une  paix  qui  ne  lui  était  pas  défa- 
vorable. Elle  n'avait  aucune  confiance  dans  le  duc  de  Savoie 
dont  elle  ne  voulait  point  faire  les  affaires.  Quant  au  duc, 
il  n'était  point  encore  dégagé  des  liens  espagnols.  Villeroy 
qui  surveillait  toutes  ses  démarches  ne  manqua  pas  de  dé- 
noncer au  roi,  —  et  même  d'exagérer  — les  intrigues  qui 
reprirent  de  plus  belle  à  la  fin  de  l'année  et  continuèrent 
pendant  les  premiers  mois  de  1609.  Le  duc  avait  envoyé 
en  Espagne  le  comte  de  Verrue,  pour  offrir  son  alliance  à 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  441 

Philippe  III.  Comme  d'habitude,  il  demandait  beaucoup  : 
il  cherchait  à  marier  le  prince  de  Piémont  avec  l'infante 
aînée,  qui  aurait  reçu  comme  dot  Final,  Menton  et  la  Sar- 
daigne;  il  sollicitait  pour  un  de  ses  fils  le  généralat  des 
mers,  pour  lui-même  un  royaume  dans  l'Empire  Ottoman. 
Au  début  de  l'année  1609,  il  semblait  donc  que  tout  fût 
à  refaire.  Le  duc  paraissait  s'engager  de  nouveau  avec  l'Es- 
pagne. Or  le  roi  ne  pouvait  tenter  sans  lui  aucune  entre- 
prise sérieuse  en  Italie.  Mais  en  quelques  mois,  tout  chan- 
gea. Le  roi  entra  en  conflit  avec  la  maison  d'Autriche  au 
sujet  de  la  succession  de  Clèves  et  de  Juliers.  Il  eut  besoin 
d'alliés.  Le  duc,  qui  ne  s'éloignait  jamais  beaucoup,  se  rap- 
procha très  vite.  Cette  fois,  Villeroy  changea  d'attitude  et 
devint  un  des  partisans  les  plus  chaleureux  de  l'alliance  sa- 
voyarde. Et  cependant  nous  verrons  qu'il  était  resté  le 
môme  homme,  éloigné  de  tout  esprit  d'aventure,  et  conseil- 
lant, par  prudence,  l'entente  avec  un  duc  qui  était  bien  le 
plus  aventureux  des  princes  de  son  temps. 


CHAPITRE  V 


VILLEROY   MINISTRE   DES   AFFAIRES  ETRANGERES   {suite) 
LES  AFFAIRES  'DES  PAYS-BAS 

I.  Villeroy  et  la  guerre  «  en  renard  »  aux  Pays-Bas.  La  question 
des  secours.  —  IL  Villeroy  et  «  les  drogues  à  remède  ».  Solu- 
tion pacifique  des  conflits  entre  la  France  et  l'Espagne  (1601- 
1604).  —  III.  Villeroy  et  les  projets  français  d'agrandissement 
aux  Pays-Bas  jusqu'en  1606.  —  IV.  Les  négociations  pour  la 
paix.  Jeannin  en  Hollande  (1607-1609).  Villeroy  et  la  question 
de  la  trêve.  —  V.  Villeroy  et  les  négociations  matrimoniales 
entre  la  France  et  l'Espagne  (1608). 


A  la  paix  de  Vervins,  le  roi  de  France  s'était  séparé  des 
Hollandais  pour  traiter  avec  les  Espagnols,  mais  il  n'avait 
voulu  nullement  abandonner  ses  alliés.  Ceux-ci,  aidés  des 
Anglais,  continuèrent  une  guerre  indécise  d'escarmouches 
qui,  pendant  deux  ans,  ne  fut  marquée  d'aucun  brillant 
fait  d'armes.  Le  stathouder  Maurice  de  Nassau  était  le  ca- 
pitaine-général et  l'amiral  de  la  République  ;  l'avocat  01- 
denbarnevelt  dirigeait  l'administration  financière  et  la  di- 
plomatie. L'un  représentait  l'armée,  la  noblesse  et  le  petit 
peuple,  l'autre  la  bourgeoisie.  Mais  entre  les  deux  partis, 
aucun  conflit  sérieux  n'avait  encore  éclaté,  et  tous  ne  son- 
geaient qu'à  lutter  pour  l'indépendance.  Ils  n'eurent 
donc  tout  d'abord  à  l'égard  de  la  France  qu'une  seule  poli- 


LE    MINISTRE    d'heNIU    IV  443 

tique  :  chercher  à  obtenir  d'elle  le  plus  grand  nombre  de 
secours  possible. 

Or,  il  y  eut  durant  les  premiers  mois,  après  la  paix  de 
Venins,  une  bonne  volonté  générale  au  Conseil  du  roi  en 
faveur  des  Hollandais.  Quand  leur  agent  Aerssen  sollicita, 
au  mois  d'août  1598,  un  secours  d'argent,  il  trouva  le  roi, 
Rosny  et  Villeroy  fort  bien  disposés  et  particulièrement 
Villeroy  qui,  dit-il,  «  s'y  roidit  et  embrasse  de  bon  point  ce 
qui  vient  de  vous  »  (1). 

Mais  les  Hollandais  ne  tardèrent  pas  à  éprouver  des  dé- 
ceptions dont  Villeroy  fut  en  grande  partie  responsable. 
D'abord,  on  se  .montra  moins  généreux  dans  l'envoi  dessub- 
sides.  Les  affaires  de  Savoie  absorbèrent  de  grosses  sommes 
en  un  moment  où  l'argent  était  particulièrement  rare.  Les 
Etats -généraux  en  1599  demandaient  000.000  écus  ;  leur 
agent  eut  grand  peine  à  obtenir  à  la  fin  de  décembre  la  pro- 
messe de  150.000  (2).  Henri  IV dans  toutes  ces  transactions 
était  extrêmement  habile  :  il  se  montrait  alï'able,  prodiguait 
les  protestations  de  dévouement,  les  belles  promesses  et 
atténuait  les  froissements  qu'auraient  pu  produire  les  refus 
ou  les  atermoiements  de  ses  ministres.  Les  esprits  les  plus 
méfiants  tels  qu'Aerssen  ne  l'ont  jamais  accusé  de  jouer 
la  comédie  quand  il  donnait  de  bonnes  paroles.  Ils  savaient 
que  le  roi  avait  conservé  une  sincère  sympathie  pour  tous 
ceux  qui  l'avaient  aidé  à  conquérir  son  trône.  De  plus  il  ai- 
mait à  jouer  au  tuteur  et  au  grand  ami  des  peuples  qui 
n'étaient  pas  gouvernés  par  des  princes  héréditaires.  Ni 
les  Vénitiens,  ni  les  Hollandais  n'ont  jamais  douté  qu'Hen- 
ri IV  ne  fût  en  Europe,  et  même  dans  son  royaume,  leur 
plus  chaleureux  ami  (3). 


(1)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  5  août  1598,  Archives  de  La   Haye, 
Holland.  2632. 

(2)  Aerssen  à  Valeke,  19  et  31  dée.  1599,  Lettres  inédites,  p.  51-54. 

(3)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,    19  dée.  99:  <.  5'.  .)/.   duquel  j'espère 


444  VILLEROY 

Les  circonstances  obligeaient  les  Français  à  restreindre 
les  secours.  La  manière  de  les  donner  dépendait  des  con- 
ceptions spéciales  des  ministres.  Villeroy  exigea  le  secret, 
afin  d'éviter  toute  complication  extérieure  :  en  tous  temps, 
il  fallait  empêcher  que  le  pape  ne  fît  des  reproches  au  roi, 
et  à  certains  moments,  quand  le  ministre  jugeait  nécessaire 
une  certaine  détente  dans  les  relations  avec  l'Espagne,  il 
convenait  de  ne  pas  envenimer  la  querelle  par  la  publicité 
donnée  à  la  protection  des  rebelles.  Ainsi,  quand  les  Etats 
voulurent  féliciter  officiellement  le  roi  à  l'occasion  de  son 
mariage,  Villeroi  empêcha  cette  manifestation  qui  eût  fait 
scandale  à  Rome  et  en  Espagne  (1). 

Villeroy  voulait  que  l'aide  accordée  aux  Etats  se  bornât  à 
des  secours  discrets  mesurés  aux  ressources  du  royaume. 
Aussi  usa-t-il  de  toute  son  influence  pour  empêcher  une 
intervention  armée  aux  Pays-Bas.  Cette  intervention  aurait 
été  résolue  en  novembre  1600,  si  Rosny  et  Lesdiguières 
avaient  pu  décider  Henri  IV  (2).  Ceux-ci  poussaient  le  roi 
à  continuer  une  lutte  victorieuse,  àenvahir  le  Piémont  après 
la  Savoie,  et  à  se  jeter  sur  les  Flandres  où  les  archiducs 
possédaient  à  peine  les  forces  nécessaires  pour  résister  aux 
Hollandais.  Cela  eût  été  le  vrai  moyen  d'assurer  nos  fron- 
tières, tout  en  relevant  la  fortune  des  Hollandais  et  en 
empêchant  les  Anglais  de  conclure  la  paix  avec  l'Espagne. 
Mais  Villeroy,  aidé  des  autres  membres  du  Conseil,  plaida 


le  plus...  »    Arch.  de  la  Haye,  Holland.  2632.  Aerssen  à  Valcke,  9  fé- 
vrier 1601,  Lettres  inédites,  p.  99. 

(1)  Aerssen  à  Valcke  :  «  Les  affaires  du  roi  (ce  me  fit-il)  ne  portent 
pas  que  soyez  reçus  ni  ouïs  :  contentez-vous  de  son  assistance  sans 
donner  sujet  à  vos  ennemis  de  renouveler  nouvelles  instances  à  ce  que 
soyez  déclarés  rebelles...»  Le  ministre  qui  semblait  redouter  qu'Henri  IV 
ne  faiblit  sur  ce  point,  recommanda  à  l'agent  des  Etats  de  ne  point  lui 
en  parler,  lettre  du  21  novembre  1600,  Ibid.,  p.  90. 

(2)  Aerssen  à  Valcke,  21  nov.  1600.  Voir  aussi  Aerssen  à  Oldenbar- 
nevelt,  31  déc.  1600,  Holland.  2632.  Nous  ne  connaissons  cette  délibé- 
ration et  ces  projets  que  par  Aerssen  qui  affirme  qu'il  les  tient  de  Sully 
et  de  Lesdiguières  eux-mêmes. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  445 

la  cause  de  la  paix  nécessaire  pour  assurer  la  tranquillité 
intérieure  du  royaume  et  pour  maintenir  l'union  de  la 
France  avec  le  Saint-Siège.  On  sait  comment  le  parti  paci- 
ficiste  l'emporta,  à  la  vive  déception  des  Hollandais.  Cette 
victoire  fut  si  complète  qu'on  ne  voulut  pas  croire  le  roi 
lorsqu'il  affirma  après  la  conclusion  de  la  paix  qu'il  était 
bien  aise  d'être  libre  pour  tourner  toutes  ses  forces  vers  la 
Flandre  et  annexer  à  la  couronne  les  territoires  jadis  enle- 
vés au  roi  François  Ier.  Cela  parut  «  un  masque  emprunté 
pour  couvrir  la  honte  de  cette  paix  »  (1). 

La  même  politique  prévalut  les  années  suivantes.  En 
1601,  en  1602,  on  continua  à  «  s'efforcer  lentement  »  pour 
les  Etats  (2).  Les  sommes  accordées  étaient  toujours  infé- 
rieures aux  nécessités  des  Hollandais  et  aux  promesses 
qu'on  leur  prodiguait.  On  s'excusait  sur  la  pauvreté  de 
l'Etatet  l'obligation  d'accorder  quelque  chose  à  ceux  qui 
réclamaient  aussi  le  payement  de  leurs  dettes,  aux  Italiens, 
aux  Allemands,  aux  Anglais.  En  même  temps,  Villeroy 
persistait  à  réclamer  le  silence. 


II 


D'autre  part,  la  paix  se  maintenait  avec  l'Espagne.  Dès 
qu'éclatait  un  incident,  les  pacifiques  y  appliquaient 
«  toutes  leurs  drogues  à  remèdes  »  (3).  Au  mois  d'août 
1601,  un  grave  outrage  fut  fait  à  l'ambassadeur  du  roià 
Madrid,  La  Rochepot  :  son  neveu  et  quelques  gentilshommes 
de  sa  suite  furent  emprisonnés  à  la  suite  d'une  rixe.  Ilen- 


(1)  Aerssen  àOldenbarnevelt,  5  janv.  1601,  Holland.  2632. 

(2)  Selon  l'expression  d'Aerssen,  dans  sa  lettre  à  Valcke  du  19  avril 
4601.  Ibid.,  p.  104. 

(3)  Selon   l'expression  d'Aerssen,   dans  sa  lettre  à  Valcke,  10  août 
4601,  Ibid.,  p.  119. 


446  VILLEROY 

ri  IV  entra  dans  une  violente  colère  :  il  rappela  son  ambas- 
sadeur et  prohiba  le  commerce  d'Espagne.  Mais  aucun  de 
ses  ministres  ne  lui  conseilla  la  guerre.  Rosny  lui-même 
qui  partagea  le  dépit  de  son  maître  ne  demanda  pas  de 
rupture  immédiate  ;  la  vengeance  viendrait  plus  tard  lors- 
qu'on aurait  remis  les  affaires  en  bon  ordre  (1).  Villeroy 
allait  jusqu'à  blâmer  ouvertement  devant  le  roi  l'insolence 
des  gentilshommes  français  contre  lesquels  les  Espagnols 
avaient  exercé  des  représailles  et  «  l'indiscrétion  »  de  l'am- 
bassadeur qui  réclamait  des  mesures  énergiques  de  répres- 
sion. Bientôt,  cet  incident  fut  réglé  pacifiquement  grâce  à 
l'intervention  de  Clément  VIII  qui  fit  délivrer  les  prison- 
niers entre  les  mains  de  son  nonce  (2). 

En  1602,  Villeroy  eut  à  combattre  plus  énergiquement 
encore  pour  la  paix.  Dès  le  début  de  l'année,  les  Anglais 
essayèrent  d'entraîner  la  France  à  prendre  part  à  la  guerre 
qu'ils  soutenaient  avec  les  Hollandais  contre  l'Espagne. 
L'envoyé  anglais  Winwood  s'adressa  d'abord  à  Villeroy 
(18  janvier)  et  lui  dit  que  la  reine  pourrait  armer  une  flotte 
qui  ravagerait  au  printemps  les  côtes  d'Espagne,  si  le  roi 
consentait  à  rembourser  tout  de  suite  une  somme  très  im- 
portante qui  serait  défalquée  de  la  dette.  Il  montra  les 
Etats  reprenant  courage,  après  ce  secours  reçu,  et  les  Fla- 
mands se  donnant  à  Henri  IV.  Villeroy  répondit  en  termes 
évasifs.  [Rosny  au  contraire  fut  pris  d'un  grand  enthou- 
siasme pour  ce  plan.  Tout  en  déclarant  qu'il  ne  parlait 
qu'en  son  nom  personnel,  il  approuva  une  action  énergique 
des  Anglais  et  des  Français  contre  l'Espagne,  à  condition 
qu'elle  ait  lieu  sur  les  côtes  deFlandre.  A  Londres, la  reine 


(1)  Sully.  Ec.  Roy.,  t.  I,  p.  302. 

(2)  Sur  cet  incident,  voir  Matthieu,  t.  II,  37  etsuiv.P.  Cayet,  Chron. 
sept.,  p.  162,  et  dans  les  Pap.  de  Simancas,  les  dépêches  de  Tassis  des 
4,  7,  8  et  18  août  1601,  K.  1604,  p.  60,  68,  70,  73.  La  lettre  du  4  août 
montre  les  efforts  personnels  accomplis  par  Villeroy  d'accord  avec 
Tassis  pour  arranger  pacifiquement  l'incident. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  447 

faisait  des  ouvertures  analogues  à  l'ambassadeur  Beau- 
mont.  Henri  IV  ne  voulut  point  froisser  Elisabeth  par  un 
refus  net  et  immédiat;  mais  il  recommanda  à  son  ambas- 
sadeur de  montrer  le  besoin  impérieux  de  paix  qu'avait 
son  royaume  «  si  pauvre  et  rempli  de  si  mauvaises  hu- 
meurs »  H). 

Cependant  la  conspiration  de  Biron  était  découverte  et 
subitement  la  situation  s'aggravait.  On  avait  la  preuve  cer- 
taine quelesEspagnolsavaient  tentéde  déchirer  le  royaume 
par  la  guerre  civile  et  d'armer  le  bras  qui  devait  assassiner 
Henri  IV.  Le  roi  ordonna  de  sérieux  préparatifs  de  défense  ; 
il  leva  1*2000  hommes  de  troupes  françaises  et  6000  Suisses, 
renforça  sa  garde,  massa  le  reste  en  Bourgogne  et  en 
Bresse,  envoya  Lavardin  occuper  le  pont  de  Grésin  et  arrê- 
ter les  2000  soldats  napolitains  qui  étaient  sur  le  point  de 
passer  en  Franche-Comté  (juin  1(502).  Le  roi  allait-il  décla- 
rer la  guenc  ? 

Ceux  qui  suivirent  de  près  les  événements  observèrent 
une  hésitation  réelle  dans  l'esprit  d'Henri  IV.  A  certains 
moments,  les  partisans  de  la  guerre  crurent  avoir  gain  de 
cause.  Au  début  de  juin,  on  parut  décidé  à  répondre  aux 
provocations  de  l'ennemi.  «  La  guerre  dura  trois  jours  au 
bureau  et  cerveau  du  roi  ("2).  »  Un  mois  après,  on  conti- 
nuait à  délibérer  sans  rien  décider  (3).  Il  semble  bien  que 
jusqu'au  début  d'août  les  Hollandais  aient  conservé  l'espoir 
delà  rupture. 

Sully,  comme  on  s'y  attend,  s'était  prononcé  nettement 


(1)  Voir  Philippson,t.  I,  p.  240  et  suiv.  —  Voir  dans  les  Pap.  Simanc. 
les  dépèches  de  Tassis  des  10  et  1 1  mai,  16  juin,  5,  19,  21,  29  juillet 
1602,  etc.  K.  1605,  p.  69  et  suiv. 

(2)  Aerssen  àValçke,  4  juin  1602,  Ibid.,  p.  150. 

(3)  Ibid.,  17  juill.  «  L'on  délibère  sans  rien  résoudre.  ■>  —  29  juill. 
«  Quel  jugement  espérez-vous  donc  de  moi,  puisque  le  conseil  n'y  voit 
goutte?  Il  n'y  a  ici  que  doutes,  qu'irrésolutions,  que  passions.  » —  Voir 
aussi  la  lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  au  Sénat,  14  juill.  1602,  F. 
Ital.  1751,  fo  95. 


448  VILLEROY 

en  faveur  de  la  guerre.  Villeroy  n'avait  cessé  de  conseiller 
la  paix.  Il  répétait  qu'on  ne  pouvait  se  lancer  dans  des 
aventures  extérieures,  sans  que  toutes  les  racines  des  dis- 
cordes intérieures  ne  fussent  extirpées.  Les  prétextes  ne 
manqueraient  pas  pour  entrer  en  guerre  quand  le  royaume 
serait  complètement  tranquille.  Comme  d'habitude,  il  ne 
contredisait  pas  de  front  les  adversaires  de  ses  idées  pacifi- 
ques. Il  ne  contestait  pas  la  justice  et  l'utilité  de  la  guerre, 
mais  son  opportunité.  Il  laissait  entendre  à  Aerssen,  sous 
le  sceau  du  secret,  que  si  les  affaires  des  Hollandais  pros- 
péraient, l'armée  du  roi  assemblée  en  Bourgogne  pour- 
rait bien  faire  volte-face  vers  la  Picardie  (1).  Aerssen  parut 
espérer  un  moment,  à  défaut  de  guerre,  cette  démonstra- 
tion armée  qui  devait  faire  tant  de  bien  à  ses  compatriotes. 
Mais  il  revint  vite  à  ses  sentiments  de  défiance  à  l'égard  du 
ministre  qui,  selon  lui,  faisait  semblant  de  promettre  qu'on 
partirait  en  guerre  et  néanmoins  en  faisait  «  couler  les  oc- 
casions, en  affaiblissant  le  désir  par  longues  attentes  »  (2). 
Il  n'avait  pas  tort  de  soupçonner  celte  méthode  «  artifi- 
cieuse ■»,  dont  il  aurait  trouvé  une  preuve  éclatante,  s'il 
avait  pu  connaître  le  texte  de  la  lettre  que  le  ministre  écri- 
vait en  Angleterre,  à  Harlay  de  Beaumont,  le  18  juillet  (3). 
Le  roi,  dans  un  moment  où  il  inclinait  à  la  vengeance, 
parut  sur  le  point  d'écouter  les  conseils  belliqueux  de  la 
reine  d'Angleterre  et  pria  son  ambassadeur  d'examiner 
avec  les  ministres  d'Elisabeth  si  l'on  pourrait  conclure  avec 
elle  une  union  défensive  et  offensive.  Villeroy  lui  fit  com- 
prendre à  demi-mot  que  les  décisions  de  son  maître  n'é- 
taient pas  définitives  et  qu'il  fallait  être  très  réservé  :  «  Les 
princes  changent  d'opinion  etde  conseil  selon  lesoccasions 
et  les  temps  aussi  bien  que  les  sages  ;  notre  consolation  et 


(1)  Aerssen  à  Valcke,  4  juill.  1602,  Ibid.,  p.  160. 

(2)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  17  juill.,  Holland.  2632. 

(3)  F.  Fr.  15982,  fo  132.  Voir  Laffleur  de  Kermaingant,  p.  46. 


LE    MINISTRE    u'iIENRI    IV  449 

confiance  sont  que,  L'affaire  vous  étant  commise,  vous  en 
pserez  avec  prudence,  discrétion  et  fidélité.  » 

Pour  déterminer  le  roi  à  la  paix,  Villeroy  usa  d'un  argu- 
ment (jui  ne  fut  pas  moins  puissant  sur  son  esprit  que  le 
besoin  de  tranquillité  intérieure.  Aerssen  l'apprit  plus  tard. 
de  la  bouche  du  président  Jeannin  (1).  N'était-il  pas  à 
craindre,  disait-il,  que  la  reine  d'Angleterre,  au  cours  de  la 
guerre  contre  l'Espagne,  n'abandonnât  la  France  pourcon- 
clure  la  paix  ?  D'ailleurs,  était-il  prudent  de  conclure  un 
traité  avec  une  princesse  au<-i  âgée,  quand  on  ignorai!  les 
dispositions  de  son  successeur  ?  Cette  raison  frappa  le  roi 
qui  était  jaloux  de  la  puissance  anglaise  et  se  préoccupait 
déjà  de  l'accroissement  de  la  Grande  Bretagne  qui  après 
Elisabeth,  allait  s'unir  sous  un  seul  prince.  Cette  raison 
fut  forte  aussisur  l'espritde  Sully.  Nous  savons  par  Aerssen 
qu'il  ne  témoignait  pas  une  grande  confiance  dans  l'efficacité 
de  l'alliance  anglaise  et  qu'il  disait  qu'Elisabeth  tromperait 
le  roi  et  ferait  une  paix  séparée  (2).  Nous  ne  pouvons  dire 
quelle  part  eut  Villeroy  dans  ce  revirement  de  Sully.  Nous 
constatons  qu'au  grand  mécontentement  de  l'agent  hollan- 
dais qui  le  croyait  son  allié,  ce  dernier  cessa,  après  deux 
mois  de  résistance,  de  s'opposer  aux  pacifiques. 

On  était  donc  résolu  en  France,  au  début  du  mois  d'août, 
suivant  l'expression  de  Villeroy,  à  ne  faire  avec  l'Espagne 
que  la  guerre  «  en  biaisant  »  et  sur  le  seul  terrain  des 
Pays-Bas  •'>).  Les  Espagnols  avaient  protesté  très  haut 
contre  l'occupation  du  ponl  de  Crésin  qui  était  une  viola- 


(1)  Aerssen  à  Valcke,  8  août  1602. 

(i'>  Aerssen  à  Valcke.  lTjuill.   1602,  Ibid.,  p.  106. 

(3)  Aerssen  à  Valcke,  13  août  1602.  -  Je  crois  pour  lin  que  l'on  ne 
fera  la  guerre  d'iei  que  par  force;  aussi  bien  medil  hier  M.  de  Villeroy 
qu'il  y  avait  plusieurs  sortes  de  guerres  comme  il  y  avait  plusieurs 
chemins  pour  conduire  en  même  lieu,  l'un  droit,  l'autre  d'un  biaisant, 
plus  long,  plus  près,  de  même  que  l'aide  qu'on  nous  donnait  en  était 
une  espèce,  »  Jbiil  ,  p.  166, 

Villeroy.  29 


450  VILLEROY 

tion  flagrante  du  traité  de  Lyon.  Le  11  août,  l'ambassadeur 
Tassis  put  annoncer  à  son  gouvernement  que  le  roi  avait 
levé  l'interdiction  du  passage.  L'attitude  du  roi  envers  les 
Espagnols  redevint  très  conciliante  et  l'incident  fut  clos. 

Le  calme  ne  dura  guère.  Il  était  très  malaisé  de  «  conti- 
nuer à  secourir  les  Etats  et  conserver  la  paix  »  (1),  malgré 
l'habileté  et  même  l'hypocrisie  de  la  diplomatie  de  Villeroy. 
Les  relations  commerciales  des  Français  et  les  Hollandais 
amenèrent  entre  les  deux  royaumes  une  tension  extrême- 
ment dangereuse.  Les  sujets  d'Henri  IV  secouraient  les 
Hollandais  en  vendant  leurs  produits  dans  la  péninsule  hi- 
bérique.  Le  roi  catholique,  pour  empêcher  cet  abus,  surchar- 
gea, en  février  1603,  d'un  droit  de  30  pour  100  toutes  les  mar- 
chandises à  destination  ou  en  provenance  de  ses  états.  Cette 
mesure  qui  lésait  tant  d'intérêts  français  surexcita  l'opinion 
publique  dans  le  royaume.  Jamais  on  ne  vit  paraître  tant 
de  pamphlets  démontrant  la  nécessité  de  faire  la  guerre 
en  Espagne.  Henri  IV  avait  répliqué  et  par  lettres  de 
déclaration  datées  du  6  novembre  1603,  avait  frappé  de  cette 
même  taxe  de  30  p.  100  les  marchandises  espagnoles  im- 
portées en  France,  puis  le  8  février  1604  avait  interdit  à 
ses  sujets  tout  commerce  avec  l'Espagne  et  les  Pays-Bas 
Espagnols.  L'irritation  était  très  vive  des  deux  côtés  des 
Pyrénées  au  début  de  1604  et  la  situation  s'aggrava  dans  les 
mois  qui  suivirent.  Fuentès  faisait  des  préparatifs  de  guerre 
sur  la  frontière  de  la  Valteline.  Au  mois  de  mai  on  décou- 
vrait la  trahison  du  commis  l'Hoste  qui  depuis  plusieurs 
années  livrait  aux  Espagnols  les  secrets  de  notre  diplo- 
matie. 

La  guerre  commerciale  devait-elle  être  le  prélude  de  la 
guerredes  soldats?  Beaucoup  le  redoutèrent  ou  l'espérèrent. 
L'ambassadeur  d'Espagne  envoyait  à  son  roi  des  avis  très 


(1)  C"est    ainsi  que  Villeroy  définit  la  politique  française  dans   une 
lettre  écrite  ù  Beaumont,  le  7  décembre  1603,  F.  Fr.  15983,  fo  123. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  45t 

pessimistes  sur  l'avenir  (1).  Villerov  n'était  pas  rassuré. 
«  S.  M.,  écrivait-il  à  Beaumont,  désire  éviter  la  dite  guerre, 
le  plus  qu'elle  pourra,  ses  affaires  et  son  royaume  ayant 
besoin  de  jouir  encore  de  la  paix  quelques  années,  mais  je 
me  deffîe  que  nous  puissions  longtemps  suivre  ce  che- 
min... »  Le  ministre  estimait  que  si  la  guerre  devait 
éclater,  il  fallait  essayer  d'empêcher  les  Anglais  de  se  récon- 
cilier avec  les  Espagnols,  et  entrer  en  guerre  d'accord  avec 
eux  (2).  «  Je  crains,  disait-il  à  Beaumont,  que  si  nous  tar- 
dons, lesdits  Anglais,  ayant  goûté  de  ladite  paix,  refuse- 
ront après  de  s'y  joindre  (3).  » 

Ils  avaient  goûté,  en  effet,  de  ladite  paix  et  leur  altitude 
changea  totalement  la  situation  vers  le  milieu  de  l'année 
1604.  Avec  sa  souplesse  ordinaire,  la  diplomatie  d'Henri  IV 
s'adapta  à  cette  situation  nouvelle.  Le  successeur  d'Elisabel  h, 
Jacques  Ier,  était  un  esprit  pacifique,  profondément  imbu 
du  droit  divin  des  rois,  et  un  caractère  faible  soumis  à  l'in- 
fluence de  sa  femme  et  de  conseillers  hispanophiles.  Il  ne 
voulut  pas  continuer  à  secourir  les  Hollandais  qu'il  consi- 
dérait comme  des  rebelles.  Il  conclut  la  paix  avec  l'Espagne, 
le  '28  août  1604,  au  moment  où  Ostende  tombait  entre  les 
mains  des  archiducs.  Il  était  impossible  à  Henri  IV  de  s'op- 
poser à  ce  revirement  de  la  politique  anglaise.  Tout  ce  qui 
put  être  fait  pour  sauvegarder  les  intérêts  de  la  France  et 
des  Hollandais  ses  alliés  fut  fait.  Sully  fut  envoyé  en  An- 
gleterre comme  ambassadeur  extraordinaire  pour  saluer  le 
nouveau  roi  et  le  disposer  à  conclure  un  traité  d'alliance. 
11  s'acquitta  très  bien  de  sa  mission  qui  aboutit  à  la  con- 
clusion du  traité  d'Hampton-Court,  le  9  août  1603. 

(1)  Çuniga  à  Philippe  III,  23  février  1004,  Pap.  Simanc.,  K.  160G, 
p.  131-133. — Voir  aussi  les  lettres  des  20  janvier,  14  lévrier,  2 9  mars, 
15  avril  1004,  Ibid.,  p.  126,  130,  140,  1  42. 

(2)  Villeroy  à  Beaumont,  7  décembre  1603.  F.  Fr.  15983,  fo  125. — 
Voir  aussi  Laffleur  de  Kermaingant,  Mission  de  Christophe  de  Harlay, 
comte  de  Beaumont,  p.  167  et  sniv. 

(3)  Ibid. 


452  VILLEROY 

Le  roi  Jacques  ne  devait  jamais  respecter  son  engage- 
ment d'assister  en  secret  les  Provinces-Unies.  Il  ne  voulait 
pas  non  plus  accomplir,  par  amitié  pour  Henri  IV,  d'acte 
hostile  à  l'Espagne.  Mais  il  garda  la  neutralité  entre  les 
deux  pays  et  entretint  des  rapports  assez  cordiaux  avec  la 
France,  tant  qu'elle  ne  lui  réclama  pas  son  assistance.  En 
1604,  il  alla  plus  loin.  Il  offrit  sa  médiation  au  roi  pour 
faire  cesser  le  conflit  commercial.  Henri  IV  accepta  avec 
empressement  ses  offres  de  service.  Le  connétable  de  Cas- 
tille  et  l'ambassadeur  Beaumont  commencèrent  à  Londres 
à  négocier.  Le  cardinal  del  Bufalo  acheva  de  traiter  à 
Paris  et  la  paix  fut  rétablie,  le  12  octobre  1604. 


III 


Pendant  ce  temps,  le  roi  de  France  continuait  aux  Pays- 
Bas  la  guerre  de  «  renard  ».  C'était  devenu  une  règle  in- 
discutée de  politique  de  faire  que  les  Espagnols  aient  «  un 
os  à  ronger  »,  car,  disait  Villeroy,  s'ils  «  s'étaient  tiré  cette 
épine  du  pied  que  Dieu  y  a  plantée  et  entretenue...  avec 
quel  frein  pourrait-on  contenir  leur  insolence  (1)  ?  »  Ce- 
pendant, petit  à  petit,  une  idée  s'était  fait  jour  qu'on  allait 


(1)  Villeroy  à  Beaumont,  30  octobre  1603,  F.  Fr.  15983,  fo  104.  — 
Cette  guerre  de  renards  provoquait  fréquemment  des  explications  ora- 
geuses entre  les  deux  cours.  L'ambassadeur  espagnol  reprochait  vive- 
ment au  roi,  de  la  part  de  son  maître,  les  secours  accordés  aux  rebelles  : 
le  roi  répondait  en  reprochant  au  roi  d*Espagne  1  aide  prêtée  à  Biron  et 
aus  conspirateurs  français.  Voir  entre  autres  les  dépêches  de  Tassis  du 
3  mai  et  du  19  juin  1603,  dans  les  Pap.  Simanc,  K.  1600,  p.  32  et 
p.  155.  Tassis  constate  dans  cette  dernière  que  Villeroy  parle  avec 
moins  de  vivacité  que  le  roi,  ment  d'une  manière  moins  effrontée  (le 
roi  niait  absolument  qu'il  fit  passer  des  secours  en  Hollande),  proteste 
de  son  désir  de  voir  établir  une  bonne  entente  entre  les  deux  royaumes, 
mais  trouve  le  ministre  aussi  mal  disposé  que  son  maître  envers  l'Es- 
pagne, et  il  qualifie  Villeroy  de  mas  refalsado  que  todos. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  453 

essayer  de  réaliser  pendant  les  cinq  années  qui  suivirent 
1602  (1)  :  obtenir  des  avantages  positifs  de  cette  lutte,  sous 
forme  de  compensations  territoriales.  Il  est  malaisé  de 
suivre  le  développement  de  cette  idée  qui  revêtit  tant  d'as- 
pects divers.  C'est  une  des  parties  les  plus  délicates  à  dé- 
brouiller de  la  diplomatie  d'Henri  IV  et  sur  laquelle  les 
textes  manquent  le  plus,  car  le  plus  souvent  ce  furent  des 
projets  qu'on  avait  intérêt  à  cacher. 

Ce  qui  frappe  tout  d'abord,  c'est  le  grand  nombre  des 
plans  tour  à  tour  essayés  et  abandonnés.  Ce  serait  simpli- 
fier par  trop  la  réalité  que  de  dire  qu'Henri  IV  a  voulu  con- 
quérir au  nord  les  frontières  naturelles  de  la  France.  Il  a 
voulu  des  villes  otagères,  il  a  voulu  la  Flandre  française 
ou  le  pays  wallon  ou  une  portion  quelconque  des  Pays-Bas 
espagnols,  il  a  voulu  aussi  à  certains  moments  tous  les 
Pays-Bas  espagnols  à  la  fois  ;  il  a  voulu  enfin  la  souverai- 
neté sur  l'ensemble  des  pays  soumis  et  rebelles,  soit  par  un 
accord  avec  les  Hollandais,  soit  par  un  accord  avec  l'Es- 
pagne. Ce  qui,  vu  de  loin,  paraît  de  l'incohérence  est  en 
réalité,  examiné  de  près,  de  la  souplesse.  La  situation  était 
extrêmement  complexe.  Les  projets  de  conquête  française 
provoquaient  la  jalousie  des  Anglais,  la  défiance  des  Hol- 
landais, l'hostilité  des  Espagnols.  Il  ne  pouvait  donc  être 
question  de  vues  logiques,  d'allures  droites,  de  volonté  in- 
flexible dans  une  diplomatie  qui  voulait  gagner  quelque 
chose  sans  déclarer  la  guerre  aux  Espagnols,  sans  rebuter 
les  Hollandais,  sans  rompre  avec  les  Anglais.  Cette  ques- 
tion des  Pays-Bas  soulevait  tant  de  problèmes  que  même  à 
la  fin  de  1607,  Sully  donnait  son  avis  au  roi  sur  la  conduite 
à  tenir  avec  les  Provinces-Unies,  démontrait  qu'on  pouvait 


(1)  Sur  la  politique  d'acquisition  d'Henri  IV  aux  Pays-Bas,  voir 
Philippson,  t.  III,  p.  83  et  suiv.   Motley,   The  United  Xetherlands. 

Ces  deux  auteurs  nous  paraissent  avoir  exagéré  les  convoitises  du 
roi  de  Fiance.  Cette  politique  est  moins  nette  qu'ils  ne  l'affirment. 


454  VILLEROY 

faire  six  diverses  propositions  ayant  chacune  leurs  avan- 
tages et  leurs  inconvénients  et  n'osait  formuler  aucune 
conclusion  (1). 

C'est  pourquoi  il  ne  faut  point  attribuer,  en  cette  ma- 
tière, les  fluctuations  de  la  politique  française  à  des  diver- 
sités de  tendances  chez  les  ministres  qui  la  dirigeaient.  On 
pourrait  croire  qu'une  telle  divergence  existait,  si  l'on  ac- 
cordait quelque  créance  à  un  passage  des  Economies 
royales  qui  contient  une  insinuation  malveillante  contre 
Villeroy  et  «  les  catholiques  zélés  ».  Il  les  accuse  d'avoir 
poussé  le  roi  à  se  faire  payer  ses  libéralités  aux  Provinces- 
Unies  par  des  villes  otagères,  à  l'exemple  des  Anglais, 
dans  l'espoir  qu'un  refus  des  Etats  altérerait  Henri  IV 
contre  eux.  Ils  furent  trompés  dans  leurs  calculs,  puisque  les 
Etats  y  consentirent.  Et  Sully  affirme  qu'au  conseil,  devant 
Villeroy,  Bellièvre,  Sillery,  Jeannin,Châteauvieux,  il  n'eut 
pas  de  peine  à  démontrer  l'impertinence  de  ces  chimères, 
que  l'on  abandonna  par  la  suite  (2).  Il  n'est  pas  besoin  de 

(1)  Sully  au  roi,  26  décembre  1607,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  208.  La  pre- 
mière proposition,  disait- il  au  roi.,  est  «  que  ces  peuples  se  donnent 
entièrement  à  vous  »,  la  seconde  est  «  de  vous  donner  quantité  de 
villes,  soit  par  formes  de  villes  d'ostage  ou  de  propriété  ou  sujection  », 
la  troisième  est  «  d'essayer  de  les  mettre  en  liberté  et  tirer  entièrement 
hors  de  la  sujection  d'Espagne  »,  la  quatrième  est  «  d'augmenter  les 
moyens  dont  les  avez  secourus  jusques  à  maintenant  »,  le  cinquième 
est  «  de  continuer  à  les  assister  comme  vous  avez  fait  jusques  à  pré- 
senl  »,  le  sixième  serait  «  d'estre  moyenneur  de  la  paix  ».  11  estimait 
que  le  roi  n'était  pas  encore  résolu  à  ce  dernier  expédient;  il  inclinait 
de  cœur  vers  le  troisième,  la  guerre  ouverte  à  l'Espagne  qui  pouvait 
se  faire  en  deux  ans  et  pour  laquelle  il  se  disait  prêt  à  donner  sa  vie. 

(2)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  197...  «  Lorsqu'il  fut  question  de  dire 
votre  opinion  là-dessus,  vous  fîtes  premièrement,  en  particulier,  bien 
comprendre  au  roi  pourquoi  cette  proposition  lui  avait  été  faite  ;  et,  en 
conseil,  où  étaient  avec  S.  M.  Messieurs  le  comte  de  Soissons,  chancelier 
de  Bellièvre,  vous,  Sillery,  Ghàteauneuf,  Villeroy,  Jeannin  et  Chateau- 
vieux,  comme  capitaine  des  gardes,  lorsque  ce  fut  à  vous  à  opiner, 
vous  fîtes  reconnaître  tant  d'ignorance  et  d'impertinence,  voire  d'im- 
possibilité en  ce  dessein,  si  peu  d'utilité  pour  lui  quand  il  se  fût  pu 
faire  un  accablement  de  si  grande  dépense,  que  pas  un  ne  sut  que 
répliquer  à  vos  raisons...  » 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  455 

prouver  l'invraisemblance  des  intentions  prêtées  à  Villeroy 
et  aux  catholiques  zélés.  Cette  appréciation  doit  être  ajou- 
tée aux  cinq  ou  six  autres  jugements  suspects  que  nous 
avons  eu  l'occasion  de  signaler.  Quant  au  fait,  s'il  est 
exact,  il  prouve  seulement  un  désaccord  momentané  à 
la  fin  de  1C>07  sur  un  point  particulier  de  la  politique. 
La  partie  des  Economies  royales  qui  concerne  les  évé- 
nements de  Hollande  ne  contient  que  des  résumés  his- 
toriques sans  commentaires  et  quelques  lettres  où  Sully 
expose  des  vues  théoriques,  sans  indiquer  nettement  une 
préférence  personnelle  (1 .1.  L'histoire  nous  montrera  un 
autre  Sully  s'associant  aux  rêves  de  conquêtes  de  son 
maître  et  des  autres  ministres.  Il  ne  faut  donc  point  con- 
clure du  fait  isolé  cité  par  les  Mémoires  à  une  opposition 
systématique  du  surintendant  au  principe  des  acquisitions 
territoriales  qu'aurait  préconisé  le  ministre  des  affaires 
étrangères. 

Tous  les  hommes  d'Etat  de  l'entourage  de  Henri  IV  ont 
formé  des  projets  d'agrandissement,  qui  portent  la  marque 
de  leurs  tempéraments  propres.  Le  mot  de  gloire  est  sur- 
tout dans  la  bouche  de  Sully.  L'entrée  du  roi  en  Flandre 
lui  paraît  un  dessein  héroïque  (2).  Il  veut  que  le  courage 
et  la  sagesse  du  roi  se  servent  <<  du  temps  et  des  occasions 
pour  achever  d'élever  la  gloire  de  ses  armes  jusques  au  ciel 
et  étendre  ses  limites  aussi  loin  que  ses  plus  généreux  an- 
cêtres »  (3).  Villeroy  et  Jeannin,  qui  ne  sont  pas  des  soldais, 
paraissent  surtout  vouloir  faire  acte  de  prévoyance.  Ils  con- 
sidèrent que  la  domination  espagnole  s'affaiblit  et  doit  dis- 
paraître un  jour  des  Pays-Bas,  que  l'Angleterre  unie  gran- 
dira et  que  les  Provinces-Unies  seront  attirées  à  elle,  grâce 
à  la  communauté  de  foi   religieuse,  d'intérêts  maritimes 


(1)  Sully,  Ec.  Itoy.,t.  II,  p.  208-209,  p.  258  et  suiv. 

h)  Winwood  à  Cecil,  13  fév.  1602;  Wïnwood,  Mémorial* ,  t.I,  p.  384. 

(3)  Sully  à  Villeroy,  s.  d.  ;  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  256. 


456  VILLEROY 

et  commerciaux.  Il  faut  empêcher  ce  rapprochement  qui 
constituerait  comme  une  nouvelle  maison  de  Bourgogne 
au  nord  du  royaume.  Si  l'on  ne  peut  absorber  toute  la 
région,  l'établissement  des  Français  dans  une  portion  des 
Flandres  fortifiera  la  frontière  du  royaume  et  fera  con- 
trepoids à  l'inquiétante  puissance  des  Anglais  voisins  (1). 
Aussi  dès  la  fin  de  1602,  le  roi  de  France  et  ses  ministres 
ne  cessèrent  de  pousser  les  Hollandais  à  prendre  une  vigou- 
reuse offensive  en  Flandre.  Villeroy  d'accord  avec  Sully  es- 
pérait qu'une  partie  des  provinces  maritimes  avec  l'Artois 
et  le  Hainaut  s'offrirait  ainsi  à  la  France  «  par  révolte,  sans 
danger  ni  dépense  du  roi  »  (2).  Les  Hollandais  n'eurent 
pas  confiance.  Quand  Ostende  eut  été  prise  et  que  les  An- 
glais eurent  définitivement  abandonné  les  Etats,  Henri  IV 
envoya  Aersssen  à  La  Haye  pour  encourager  les  Hollandais 
à  la  résistance  et  leur  assurer  l'élévation  du  secours  an- 
nuel. Trois  mois  après  il  leur  demandait  d'assiéger  Grave- 
line  ou,  si  c'était  impossible,  Bruges,  afin  de  nettoyer  la 
côte  et  de  tendre  la  main  au  roi  de  France.  Le  but  du  roi 
et  de  tous  ses  ministres  était  de  faire  réserver  pour  la 
France  les  conquêtes  que  feraient  les  Etats.  On  ne  mani- 
festait aucune  prétention  sur  les  possessions  de  ceux-ci, 
mais  seulement  sur  «  la  Flandre  et  les  provinces  qui  parlent 
la  langue  française  »  (3).  Il  faut  noter  que  sur  la  date  de 


(1)  Voir  les  propos  de  Jeannin  à  Aerssen  dans  la  lettre  d'Aerssen  à 
Valcke.  8  août  1602,  Ibid.,  p.  174. 

(2)  Aerssen  à  Valcke,  15  novembre  1602. 

(3)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  11  février  1605.  Legatie-Archief,C>[3. 
«  Je  veux  [dit  le  roi]  que  vos  exploits  se  fassent  en  Flandre  approchants 
vers  moi  et  comme  je  vous  baille  un  si  notable  secours  aussi  ne  sti- 
pulez que  les  conquêtes  qu'y  ferez  me  seront  gardées  pour  quand  je 
viendrai    à  me  déclarer,  ne   prétendant  rien  sur  ce  que  vous  possédez 

ulement  la  Flandre  et  les  provinces  qui  parlent  la  langue  fran- 
çaise... La  côte  marine  nettoyée  je  me  déclarerai  aussitôt  et  me  mettrai 
sur  la  Meuse  pour  ainsi  achever  en  un  an  »...  «  M.  de  Rosny  me  dit 
plus  que  pendant  mon  absence,  il  avait  disposé  S.  M.  à  la  guerre,  mais 


LE    MINISTRE    d'hEx.'RI    IV  457 

l'entrée  en  campagne,  il  y  avait  eu  un  petit  conflit  entre 
Sully  et  Villeroy.  Sully  avait  poussé  le  roi  à  la  guerre  im- 
médiate, estimant  qu'on  était  prêt  et  qu'en  deux  ans,  on 
pourrait  chasser  l'Espagne  des  Pays-Bas.  Villeroy  et  Sillon, 
ennemis  des  aventures,  avaient  décidé  le  roi  à  remettre  la 
déclaration  de  guerre  au  jour  où  les  Hollandais  auraient 
achevé  de  nettoyer  la  côte.  Le  roi  avait  incliné  vers  ce  der- 
nier parti  et  l'accord  s'était  fait  entre  les  ministres  pour 
proposer  aux  Etats  avec  l'augmentation  du  secours  la  con- 
quête des  ports  pour  la  France,  préface  de  l'intervention 
militaire  du  roi. 

Les  Hollandais  refusèrent  ces  propositions.  Ils  se  mé- 
fiaient de  la  France  et  ce  manque  de  confiance  était  dû 
en  grande  partie  auxjugements  pessimistes  sur  le  royaume 
et  ses  hommesd'Etat,  qu'Aerssen  transmettait  en  Hollande. 
Il  dépeignait  le  roi  inconstant,  adonné  aux  femmes  et  à  la 
chasse,  le  royaume  qui  «  roulle  casuellement  »  (1)  déchiré 
par  les  factions,  conduit  sans  ordre  et  sans  décision, 
livré  à  deux  ministres  «  tout  passionnés  l'un  à  Rome,  l'autre 
qu'à  son  particulier  et  sans  religion  »  (2).  Tant  de  lenteurs, 
d'incertitudes,  de  défiances,  dans  les  rapports  du  roi  avec 
les  Etats  proviennent  en  grande  partie  des  jugements  con- 
tenus dans  les  lettres  d'Aerssen.  La  méfiance  qu'on  éprou- 
vait principalement  à  l'égard  de  Villeroy  empêcha  dès  la  fin 
de  1602  les  Etats  de  communiquer  au  roi  les  plans  de  leurs 
opérations  militaires  au  grand  mécontentement  du  roi  qui 
jugeait  nécessaire  de  connaître  à  l'avance  les  intentions 
précises  de  ses  alliés  pour  se  concerter  avec  eux.  Mais  Aers- 
sen  ne  disait-il  pas  à  OMenbarnevelt  que  faire  connaître  ces 


que  MM.  de  Villeroy  et  de  Sillery  se  fortifiant  des  inclinations  de  S.  M. 
avaient  le  plus  qu'ils  avaient  pu  traversé  ses  raisons  remettant  la  dé- 
claration de  la  guerre  à  quand  MM.  Les  Etats  auraient  nettoyé  la  côte 
de  la  mer,  pensant  par  là  gagner  temps  et  faire  durer  leur  paix...  » 

(1)  Aerssen  à  Vakke,  3  septembre  1G02.  Ibid.,  p.  17'J. 

(2)  Aerssen  à  Valcke,  11   octobre  1602,  Ibid.,  p.  190. 


458  VILLEROY 

secrets  à  certains  ministres,  c'était  les  livrera  l'ennemi  (1)? 

Sully  de  son  côté  desservait  inconsciemment  la  diploma- 
tie de  son  pays  par  ses  écarts  de  langage.  Il  ne  savait  pas 
résister  au  désir  de  vanter  ses  services,  de  grandir  son  rôle 
de  défenseur  des  Etats  et  de  la  religion,  en  rabaissant  le 
mérite  des  autres  ministres  qui,  à  l'entendre,  ne  mon- 
traient que  mauvais  vouloir  pour  la  cause  des  rebelles. 
Quand  il  avait  eu  à  subir  quelque  avanie  en  cour,  il  s'em- 
portait au  delà  de  toute  mesure  et  allait  jusqu'à  accuser 
Villeroy  et  Sillery  de  trahison.  Ainsi,  au  mois  de  mai  1605, 
il  se  plaignit  devant  Aerssen,  «  en  secret  et  à  regret  qu'il 
y  avait  des  conseillers  près  de  S.  M.  qui  désirent  et  tra- 
vaillent plus  à  la  grandeur  d'Espagne  qu'à  celle  de  la 
France  lesquels  empêchent  les  bons  mouvements  de  S.  M. 
et  les  salutaires  avis  et  conseils  qu'il  lui  a  proposés  sou- 
vent »  (2).  On  s'imagine  l'effet  que  produisaient  à  La  Haye 
de  telles  paroles  portées  par  Aerssen  qui  était  lui-même 
disposé  à  les  exagérer.  On  en  arrivait  à  croire  que  tout 
était  incohérence  et  boutades  en  France  et  qu'il  fallait  se 
borner  à  tirer  de  la  cour  le  plus  d'argent  possible,  sans 
avoir  confiance  en  des  projets  à  longue  portée  qu'un  jour 
faisait  et  qu'un  autre  défaisait. 

Cependant  l'année  1605  n'était  pas  favorable  aux  armes 
des  Hollandais.  Le  prince  Maurice  se  faisait  battre  par  Spi- 
nola  en  plusieurs  rencontres.  Le  parti  de  la  guerre  faiblis- 
sait. Henri  IV  continuait  à  reprocher  aux  Hollandais  leur 
manque  de  hardiesse  et  à  les  presser  d'avancer  en  Flandre. 


[1)  Aerssen  à  Oklenbarnevelt,  11  février  1605,  Deventer,  Gedenks- 
tukken  van  J.  van  Oldenbarnevelt,  III,  15-24.  Rosny  lui  a  dit  que  pen- 
dant son  absence  il  avait  disposé  S.  M.  à  la  guerre,  mais  que  «  MM.  de 
Villeroy  et  de  Sillery  se  fortifiant  des  inclinations  de  S.  M.  avaient  le 
plus  qu'ils  avaient  pu  traversé  ses  raisons...  » 

(2)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  29  mai  1605.  Deventer,  III,  p.  39. 
Aerssen  ajoutait,  après  avoir  raconté  les  confidences  de  Rosny,  que  le 
ministre  lui  a  donné  cet  avis  secrètement  et  ne  le  lui  aurait  pas  donné 
sans  la  grande  traverse  qu'il  a  eue  à  la  Cour. 


LE    MINISTRE    d'hKNRI    IV  459 

Il  entra  dans  une  violente  colère  quand  il  apprit  qu'ils  por- 
taient la  guerre  en  Frise,  au  lieu  de  se  rapprocher  des  fron- 
tières du  royaume.  Il  craignit  qu'ils  ne  tendissent  à  se  faire 
recevoir  sous  la  protection  des  princes  d'Empire  plutôt 
que  sous  la  sienne  (1).  Tout  le  monde  à  la  cour  était  alors 
convaincu  de  la  mauvaise  volonté  des  Hollandais.  Sully 
lui-même  n'osait  les  défendre.  A  vrai  dire,  ils  avaient 
quelque  raison  à  se  défier  des  propositions  intéressées  du 
roi,  car  ils  apprenaient  au  mois  de  mai  de  la  même  année 
qu'on  avait  beaucoup  parlé  dans  l'entourage  du  roi  d'un 
projet  d'alliance  du  dauphin  avec  l'infante  d'Espagne  à  la- 
quelle les  Provinces-Unies  rebelles  devaient  être  données 
endot.  Au  dire  de  Sully,  Villeroy'etSillery  croyaient  ce  pro- 
jet faisable,  mais  demandaient  la  totalité  des  Pays-Bas. 
Sully  en  souhaitait  la  réalisation  et  disait  qu'il  se  conten- 
terait de  la  proposition  des  Espagnols  «  s'ils  nous  voulaient 
dès  maintenant  ou  envoyer  la  fille  ou  duement  faire  ces- 
sion et  transport  de  leur  offre  ».  Il  demandait  à  Aerssen 
secrètement  si  les  Etats  agréeraient  cette  proposition.  Il 
prévoyait  les  difficultés  qu'ils  élèveraient,  mais  il  espérait 
être  envoyé  par  le  roi  à  la  Haye  «  pour  voir  s'il  pourrait 
obtenir  quelque  petite  reconnaissance  seulement  ». 

On  commençait  donc  à  envisager  en  France  l'hypothèse 
de  la  souveraineté.  La  question  fut  nettement  posée  aux 
Etats  eux-mêmes  par  Henri  IV  qui  envoya  Aerssen  à  la 
Haye  en  février  1606.  Il  avait  pour  mission  de  leur  deman- 
der s'ils  étaient  disposés  à  reconnaître  la  souveraineté  du 
roi  de  France  et  dans  quelles  conditions  s'effectuerait  pour 


(1)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt.  -2i  déc.  1606,  Legatie-Arc/uef,  613. 
Aerssen  fut  reçu  le  20  en  audience  par  le  roi  qui  lui  fit  de  grands 
reproches  sur  la  lenteur  et  les  hésitations  des  Etats.  «  Son  désir  aurait 
été  de  nous  approcher  en  Flandre  pour  aux  occasions  étant  joints  tirer 
quelque  secours  ou  aide  réciproque  de  nous.  »  Au  lieu  de  contenter 
le  roi,  «  nous  prenions  le  contrepied  et  allions  porter  notre  guerre  et 
dessein  en  Frise.  » 


460 


VILLEROY 


les  deux  partis  ce  transfert  de  souveraineté  (1).  Mais  les 
propositions  de  la  France  arrivaient  trop  tard.  Au  début 
du  xvne  siècle,  le  sentiment  de.  l'indépendance  s'était  pro- 
fondément enraciné  au  cœur  des  Hollandais  qui,  vingt  ans 
auparavant,  auraient  accepté  le  protectorat  des  étrangers. 
Comme  ils  ne  voulaient  point,  par  un  refus  brutal,  offen- 
ser leur  puissant  ami,  ils  répondirent  qu'ils  ne  pouvaient 
prendre  de  décision  sans  consulter  toutes  les  villes  des 
sept  provinces.  Henri  IV  eut  alors  la  sagesse  de  renoncer 
momentanément  à  son  projet,  comprenant  qu'il  s'aliène^ 
rait  les  Hollandais,  provoquerait  l'indignation  de  ses  alliés 
et  peut-être  une  entente  entre  l'Espagne  et  l'Angleterre. 
Nous  ignorons  s'il  y  eut  des  discussions  au  conseil  et  quelle 
attitude  prirent  les  différents  ministres.  Il  est  fort  probable 
qu'ils  furent  d'accord  pour  cesser  de  solliciter  d'une  ma- 
nière pressante  les  Etats  au  sujet  de  la  souveraineté. 

Ce  n'était  pourtant  pas  la  renonciation  définitive  à  tout 
projet  d'agrandissement.  Nous  voyons  dans  les  mois  qui 
suivirent  la  question  des  villes  otagères  reparaître  au  premier 
plan.  Dans  ses  entrevues  avec  Yilleroy  ou  Sillery,  Aerssen 
entendait  toujours  les  mêmes  paroles  :  «  Que  voulez -vous 
faire  pournous,si  nous  vous  assistons  (2)?»  Quand  Aerssen 
montrait  que  la  cession  de  quelques  villes  serait  impopu- 
laire dans  tous  les  Pays-Bas  rebelles,  Sillery  répondait 
qu'avec  la  connivence  du  prince  Maurice  on  pourrait  intro- 
duire, sous  un  prétexte,  des  troupes  dans  l'Ecluse  ou  dans 
d'autres  places,  et  petit  à  petit,  faire  accepter  la  chose  par 
le  reste  des  Etats.  A  la  Haye,  Buzanval  faisait  tous  ses 
efforts  pour  persuader  Barnevelt  de  la  nécessité  de  cette 
concession.  L'homme  d'état  Hollandais  avec  une  extrême 


(1)  Voir  Memorie  van  Fr.  Aerssen,  24  fév.  1606,  dans  Deventer,  III, 
p.  71. 

(2)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  9   août  et  7  octobre  1606;    Deventer, 
t.  III,  78,  87-91. 


LE    MINISTRE    1MIENRI    IV  461 

habileté  prenait  soin  de  ne  pas  décourager  les  Français  et 
trouvait  le  moyen  de  se  faire  augmenter  les  secours,  en 
laissant  entendre  que  sans  se  hâter,  en  profilant  des  circons- 
tances, le  roi  de  France  pourrait  arriver  à  son  but.  Toutes 
ces  lenteurs  irritaient  Sully  plus  qu'aucun  autre.  De  nou- 
veau, il  souhaitait  la  guerre.  En  août,  il  avait  conseillé  aux 
Hollandais  de  hasarder  une  grande  bataille  qui,  gagnée, 
redresserait  leurs  affaires,  perdue,  engagerait  les  voisins 
dans  la  lutte.  Villeroy  qui,  disait  A.erssen,  «  ne  va  pas  si 
vite  »,  n'avait  pas  approuvé  qu'on  se  fiât  au  hasard  d'une 
bataille  (1).  Les  mêmes  luttes  continuèrent  sans  doute  au 
conseil.  Henri  IV  reconnaissait  tout  haut  que  ses  ministres 
n'étaient  pas  d'accord  sur  les  affaires  hollandaises.  Villeroy 
tomba  malade  gravement  à  l'automne.  Sully  paraissait 
devoir  redevenir  tout-puissant.  Aerssen  espéraitde  nouveau 
la  guerre  (2). 


IV 


Ces  incertitudes  de  la  politique  française  furent  bientôt 
dissipées  par  des  événements  qu'Henri  IV  et  ses  ministres 
ne  purent  empêcher.  Dès  la  fin  de  décembre  1601),  les  Archi- 
ducs firent  exprimer  aux  Etats  leur  désir  de  conclure  avec 
eux  une  trêve,  en  reconnaissant  provisoirement  leur  indé- 


(1)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,   30  août  1606,  Legatie-Archief,  614. 

(2)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  14  novembre  1606,  Legatie-Archief, 
614.  «  M.  de  Villeroy  qui  a  souvent  ramené  les  affaires  à  la  paix  est 
désormais  en  tel  état  qu'il  De  pourra  plus  porter  ses  conseils  en  Cour. 
Le  ventre  lui  est  cheu,  de  sorte  qu'il  n'en  saurait  sortir  qu'en  chaise  et 
encore  non  sans  péril  de  la  vie  pour  la  gangrène  de  laquelle  cette 
partie  est  menacée.  »  Sully,  ajoute  Aerssen,  reste  tout  puissant.  «  11 
portera  toujours  toutes  les  résolutions  à  son  désir.  »  —  Sur  cette  ma- 
ladie de  Villeroy,  voir  les  lettres  de  l'uysieux  à  La  Boderie,  d'octobre 
à  décembre  1606,,  et  une  lettre  de  du  Vair  à  Villeroy  du  26  novembre 
1606,  F.  Fr.  13579,  f°  48. 


462  VILLEROY 

pendance.  Ce  désir  était  sincère,  car  ils  ne  recevaient  plus 
d'argent  d'Espagne  et  ils  étaient  las  d'une  guerre  qui  rui- 
nait le  pays.  Il  fut  accueilli  avec  joie  par  le  parti  de  la  paix 
qui,  sous  Barnevelt,  devenaitde  plus  en  plus  puissant,  détes- 
tait lesaventures,  se  défiait  desamitiésdangereusesetluttait 
simplement  pour  assurer  l'indépendance  du  pays.  En  appre- 
nant ces  nouvelles,  le  roi  fut  très  irrité  qu'on  voulût  traiter 
à  son  insu.  Pendant  quelque  temps,  il  espéra  détourner 
les  Hollandais  de  la  paix,  en  leur  proposant  de  nouveaux 
secours  (janvier  1607).  Villeroy,  fidèle  à  sa  politique  anté- 
rieure, avait  encore  l'illusion  qu'on  pourraitcontinuer  long- 
temps la  guerre  de  renards  et  retenir  les  Hollandais  en 
grossissant  les  subsides.  Il  semble  que  Sully  ait  été  plus 
clairvoyant  dans  la  circonstance.  Sa  logique  qui  lui  avait 
parfois  fait  commettre  des  erreurs  était  opportune  au 
moment  où  la  situation  tendait  à  se  débrouiller.  Lui  qui 
poussait  toujours  aux  extrêmes  dit  que  le  roi  devait  ou  bien 
entrer  en  ligue  et  guerre  d'accord  avec  les  Hollandais  ou 
bien  leur  laisser  faire  la  paix(l).  Il  auraitmême,  ainsi  qu'il 
le  dit  plus  tard  à  Pecquius,  l'envoyé  des  archiducs,  fait 
valoir  la  possibilité  d'uneentière  réconciliation  de  la  France 
et  de  l'Espagne,  grâce  à  cette  paix  (2). 

Les  efforts  du  roi  furent  inutiles.  Rien  ne  put  entraver 
les  négociations  de  l'archiduc  et  des  Etats  qui  conclurent 
le  8  mars  1607  une  trêve  de  huit  mois.  On  fut  en  France 
très  mécontent  de  ce  procédé.  Villeroy  se  plaignit  vivement 
de  ces  gens  qui  «  ont  pris  notre  argent  de  la  main  droite 
et  ont  en  même  temps  conclu  le  marché  et  l'ont  signé  de 
la  gauche  »  (3).  Le  payement  des  subsides  fut  arrêté.  Mais 
bientôt  on  s'avisa  qu'il  était  inutile  et  dangereux  de  protes- 

(1)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,    24  avril  1607,  Deventer,  III,  p.   123. 

(2)  Pecquius  aux  archiducs,  31  octobre  1607,  Papiers  d'Etal  et  de 
l'Audience,  no  421,  f'o  47  (Archives  royales  de  Bruxelles). 

(3)  Villeroy  à  La  Boderie,  23  avril  1607.  Lettres  de  Henri  IV  et  de 
Villeroy  a  La  Boderie,  p.  161. 


LE    MINISTRE    D  HENHI    IV  463 

ter  contre  un  fait  accompli.  On  résolut  alors  de  prendre 
une  part  active  à  la  conclusion  de  celte  paix,  si  elle  devait 
se  réaliser  et  de  faire  en  sorte  qu'elle  ne  nuisît  pas  à  la 
France  et  fût  la  plus  désavantageuse  possible  à  l'Espagne. 
Henri  IV  reprit  donc  de  lui-même,  —  sans  avoir  été  appelé 
par  les  intéressés,  —  et  avec  le  roi  d'Angleterre  qu'il  n'eut 
pas  de  peine  à  décider  à  se  joindre  à  lui,  le  rôle  d'arbitre 
qu'il  venait  de  remplir  si  heureusement  dans  de  différend 
romano-vénitien.  Il  désigna  comme  ambassadeurs  auprès 
des  Etats  le  président  Jeannin,  un  vieil  ami  de  Villeroy,  et 
Buzanval,  représentant  ordinaire  de  la  France  à  La  Haye. 
Ils  avaient  pour  mission  d'examiner  la  disposition  des  af- 
faires et  des  esprits  et  de  se  concerter  avec  les  Hollandais 
sur  les  avantages  et  les  inconvénients  de  la  paix.  Par  ces 
deux  médecins  consultants,  on  voulait,  suivant  l'expres- 
sion pittoresque  de  Villeroy  «.  prendre  entière  et  certaine 
connaissance  de  l'état  et  dispositions  du  patient  et  de  la 
qualité  de  son  mal  pour  y  appliquer  les  remèdes  conve- 
nables »  (1).  Si  Buzanval  avait  paru  quelquefois  l'homme 
de  Villeroy,  l'indépendance  de  Jeannin  inspirait  une  con- 
fiance absolue  à  tous  les  hommes  d'Etat  français  sans  ex- 
ception. Villeroy  lui-même  l'estimait  comme  un  collabo- 
rateur dont  souvent  il  prenait  conseil  avec  une  franche 
modestie  :  «  Nous  vous  proposons,  lui  écrivait-il,  tout  ce 
qui  nous  vient  à  la  fantaisie,  non  pour  vous  assujettir  à  le 
suivre  ni  exécuter,  mais  pour  vous  représenter  nos  concep- 
tions et  en  attendre  la  censure  de  vous  »  (2). 
A  partir  de  ce  moment,  la  personnalité  de  Villeroy  s'ef- 

(1)  Villeroy  à  La  Boderie,  28  avril  1607.  Lettres  à  La  Boderie,?.  173. 
Voir  l'Instruction  aux  sieurs  Jeannin  et  de  Buzanval,  allant  pour  le 
service  du  roi  aux  Pays-Bas  (22  avril  JG07)  dans  les  Négociations  du 
président  Jeannin,  p.  21  et  suiv.  et  pour  l'histoire  de  toute  la  négo- 
ciation, le  t.  IV  (2e  série)  de  la  collection  Michaud  [Négociations  du 
Prés.  Jeannin)  où  sont  reproduites  les  lettres  qu'échangèrent  Jeannin, 
Villeroy  et  Henri  IV,  depuis  mai  1607  jusqu'à  la  conclusionde  la  trêve. 

(2)  Villeroy  à  Jeannin,  8  octobre  1607  ;  Négociations,  p.  178. 


464  VILLEROY 

face  un  peu.  La  politique  française  à  l'égard  de  la  Hollande 
est  le  résultat  de  la  collaboration  du  roi,  de  Jeannin,  de 
Villeroy  et  de  Sully.  Ils  sont  d'accord  sur  le  but  à  poursui- 
vre. Ils  diffèrent  parfois  d'opinion  sur  le  choix  de  certains 
moyens,  mais  le  plus  souvent  Jeannin  l'ait  triompher  son  avis. 
Sully  qui  était  appelé  à  toutes  les  délibérations  importantes 
avait  les  mêmes  vues  sur  les  intérêts  du  pays  et  sur  la  néces- 
sité d'une  bonne  paix.  Cependant,  quand  les  Espagnols 
élevaient  des  difficultés  trop  grandes  ou  menaçaient  de 
rompre  les  négociations,  il  reparlait  en  faveur  de  la  guerre 
directe  et  immédiate.  Ainsi,  jusqu'au  moment  où  les  Espa- 
gnols, après  bien  des  hésitations  et  des  menaces  d'arme- 
ments, eurent  ratifié  les  préliminaires  de  la  trêve  offerte 
par  les  archiducs  (juillet  1607),  il  fut  du  partides  pessimistes 
de  la  cour  qui  parlaient  de  la  guerre  comme  si  elle  était 
inévitable.  Mais  il  ne  faudrait  pas  croire  à  des  divisions 
profondes  entre  un  parti  pacifique  et  un  parti  belliqueux. 
Villeroy  aussi,  bien  que  plus  volontiers  optimiste,  estimait 
que  dans  le  cas  où  les  Etats  seraient  contraints  à  une  paix 
trop  désavantageuse,  le  plus  expédient  serait  «  de  les  por- 
ter tous  ensemble  à  la  guerre,  voire  même  d'y  faire  entrer 
S.  M.  avec  eux,  la  tête  baissée,  plus  tôt  que  de  laisser  dres- 
ser cette  partie  sur  notre  moustache  »  (1).  Jeannin  écrivait 
de  temps  en  temps  à  Sully  pour  lui  demander  son  avis  sur 
les  événements.  Sully  répondait  par  des  lettres  fort  cour- 
toises contenant  des  considérations  générales,  comme  il  les 
aimait, sur  la  situation  réciproque  des  Hollandais,  des  Espa- 
gnols, des  Anglais  et  leurs  humeurs  particulières  et  où  il 
s'excusait  aimablement  «craignant, disait-il,  qu'il  y  eût  quel- 
que chose  contraire  à  ce  qui  vous  serait  mandé  par  ceux  qui 
ont,  charge  de  vous  faire  entendre  les  intentions  du  roi  »  (2). 

(1)  Villeroy  à  Jeannin,  8  juillet  1607;  Négociations,  p.  103.  Il  ajou- 
tait :  «  Toutefois,  je  vous  dis  ceci  de  moi-même  et  sans  charge,  partant 
vous  n'en  ferez,  s'il  vous  plaît,  mise  ni  recette.  » 

(2)  Voir  entre  autres  la  lettre  de  Sully  à  Jeannin,  11  août  1607; 
Négociations,  p.  1153. 


LE    MINISTRE    1)  HENRI    IV 


465 


•  Dès  le  début,  Henri  IV  poursuivit  avec  une  remar- 
quable persévérance  un  but  unique  :  empêcher  les  Hollan- 
dais de  faire  ce  qu'il  appelait  une  mauvaise  paix.  D'abord, 
il  ne  voulut  pas  de  la  trêve  à  longues  années  dont  Jean- 
nin  et  Villeroy  s'étaient  faits  les  défenseurs  (1).  Pour  lui, 
elle  obligerait  les  Etats  et  leurs  alliés  (dont  l'un,  le  roi 
d'Angleterre,  n'était  pas  sûr)  à  supporter  de  lourdes  char- 
ges, et  ramènerait  à  hasarder  perpétuellement  «  le  sien 
pour  autrui  »(2).  Jeannin  et  Villeroy  objectaient  que  les  Espa- 
gnols parorgueil  ne  voudraient  jamais  accorder  qu'une  trêve, 
qu'on  pourrait  arriver  à  en  rendre  les  clauses  aussi  avan- 
tageuses que  celles  d'une  paix,  et  qu'il  n'était  pas  mauvais 
que  les  peuples  des  Provinces-Unies  conservassent  de  la 
défiance  à  l'égard  des  Espagnols.  L'essentiel  était  que  les 
Etats  ne  fussent  pas  «  par  nécessité  contraints  de  consentir 
plusieurs  choses  contre  leur  volonté  et  leur  propre  sûre- 
té »  (2),  car  ce  jour-là,  ils  seraient  tenus  dans  une  demi- 
dépendance  par  leurs  ennemis  qui  pourraient  les  détruire 
à  leur  guise,  et  ce  serait  le  rétablissement  de  la  prépon- 
dérance espagnole  sur  la  frontière  nord  du  royaume.  Les 
révoltés  pourraient  alors  chercher  d'autres  alliés  que  les 
Français  et  se  jeter  dans  les  bras  des  Anglais  ou  des 
Allemands.  Henri  IV  avait  certainement  renoncé  à  la  sou- 
veraineté effective  des  Pays-Bas,  mais  voulait  conserver 
une  sorte  de  protectorat  moral  sur  eux  (3). 

(1)  Villeroy  à  Jeannin,  31  mars  1608  ;  Négociations,  p.  320. 

(2)  Ibid  ,  8  juillet  1607  :  Négociations,  p.  103.  —  Villeroy  lui  avait 
écrit  le  même  jour:  «  Monsieur,  enfin  vus  raisons  en  faveur  de  la  trêve 
nous  ont  vaincus  :  nous  jugeons  aussi  qu'elle  équipolera  à  une  paix, 
étant  faite  aux  conditions  que  vous  avez  écrites.  »  Dans  une  seconde 
lettre,  il  écrivait  :  «  Il  faut  craindre  que  les  Etats  soient,  par  nécessité, 
contraints  de  consentir  plusieurs  choses  contre  leur  volonté  et  leur 
propre  sûreté...  J'estime  avec  vous  que  le  plus  expédient  sera  lors  de 
les  porter  tous  ensemble  à  la  guerre,  voire  même  d'y  faire  entrer  S.  M. 
avec  eux,  la  tète  baissée,  plutôt  que  de  laisser  dresser  cette  partie  sur 
notre  moustache.  Toutefois  je  vous  dis  ceci  de  moi-même  et  sans 
charge...  » 

(3)  Telle  est,  selon  nous,  la  vérité  sur  les  projets  d'Henri  IV.  Motley 
Villeroy.  30 


466  VILLEROY 

Voilà  pourquoi  Jeannin  eut  pour  mission  de  conclure 
une  alliance  entre  les  Provinces  Unies  et  la  France.  On 
discuta  longtemps  sur  les  clauses  de  cette  alliance  qui  fut 
proposée  à  la  fin  d'août  et  dont  les  Hollandais  se  méfièrent 
tout  d'abord. La  politique  hésitante  et  malveillante  des  Espa- 
gnols favorisa  les  Français  en  inspirant  aux  Hollandais  des 
craintes  salutaires.  Ils  n'avaient  ratifié  qu'après  de  longues 
tergiversations  l'armistice  de  l'archiducetsans  faire  mention 
de  la  souveraineté  (1er  juillet  1607).  Les  Etats  l'exigèrent  et 
les  Espagnols  finirent  par  céder  au  mois  d'octobre.  D'autre 
part  Villeroy  semble  avoir  agi  personnellement  pour  modé- 
rer les  prétentions  d'Henri  IV  qui  pouvaient  inquiéter  les 
Hollandais.  Le  roi  voulait  d'abord  une  alliance  défensive 
et  offensive.  Villeroy  écrivait  confidentiellement  à  Jean- 
nin que  si  les  Etats  jugeaient  la  Ligue  offensive  nuisible  à 
leurs  relations  avec  l'Angleterre  et  les  archiducs,  il  fau- 
drait se  borner  à  une  Ligue  défensive  et  même  se  contenter 
de  demander  aux  Etats  un  certain  nombre  de  vaisseaux  de 
guerre  pour  le  payement  de  leurs  dettes  (1) .  Villeroy  fit  apla- 
nir par  Jeannin  quelques  autres  difficultés  que  le  ton  parfois 
autoritaire  d'Henri  IV  pouvait  grossir  et  le  traité  d'alliance 
défensive  fut  signé  le  23  janvier  1608  (2). 

C'est  à  ce  moment  que  les  envoyés  de  l'archiduc,  Spinola, 
Richardot  et  Verreyken,  arrivèrent  à  la  Haye  et  que  com- 


nous  semble  avoir  donné  des  contours  trop  fixes  à  ce  qui  était  vague, 
et  avoir  trop  facilement  recouru  aux  épithètes  d'avidité,  de  duplicité, 
d'égoïsme  perfide  (Voir  notamment  ses  appréciations,  p.  316  et  519 
dans  son  livre  The  United  Netherland.  Motley  appelle  Henri  IV,  avec 
quelque  exagération,,  «  the  falsest  of  mankind  »  (t.  IV,  p.  419). 

(1)  Villeroy  à  Jeannin,  24  août  1607,  Négociations,  p.  143.  Il  ajou- 
tait :  «  11  ne  faut  désirer  de  ceux  que  nous  voulons  conserver  pour 
amis  que  des  conditions  tolérables  et  qui  ne  leur  soient  dommageables. . . 
Je  n'ai  encore  conféré  de  ceci  avec  personne,  car  il  faut  conduire  les 
affaires  du  monde  par  degrés,  a 

(2)  Les  Hollandais  promettaient  d'assister  le  roi  de  5000  hommes, 
d'une  force  navale,  s'il  était  attaque  après  la  paix  et  le  roi  promettait 
un  secours  de  10.000  hommes 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  467 

mencèrent  les  négociations  pour  la  trêve  (février  1608). 
Pendant  six  mois,  les  deux  partis  discutèrent  sans  arriver 
à  s'entendre  sur  deux  graves  questions  :  la  liberté  du  culte 
catholique  dans  les  Provinces-Unies,  exigée  par  les  Espa- 
gnols et  refusée  par  les  Hollandais,  et  la  liberté  du  com- 
merce des  Indes,  revendiquée  par  ces  derniers  et  repoussée 
par  leurs  adversaires.  Henri  [V  et  Yilleroy  trouvaient  exces- 
sives les  convoitises  des  Hollandais  et  déploraient  une  telle 
ténacité  qui  menaçait  de  rompre  le  traité  (1).  Sully  pensait 
de  môme.  Il  blâmait  leur  orgueil  et  disait  à  Aerssen  :  «  Vous 
êtes  capables  de  faire  la  guerre  pour  votre  défense,  mais 
vous  n'entendez  rien  aux  traités  ('2)  ».  On  eût  voulu  aussi 
qu'ils  fissent  des  concessions  sur  la  question  religieuse. 
Sully  lui-même  sentait  la  nécessité  pour  les  Etats  d'accor- 
der aux  catholiques  la  liberté  avec  les  restrictions  obliga- 
toires pour  leur  sûreté  et  il  ajouta  que  les  Pays-Bas  Espa- 
gnols  devaient  traiter  les  protestants  de lamême manière (3). 
L'attitude  de  Villeroy  déplut  aux  deux  partis.  Le  huguenot 
Aerssen  voyait  naturellement  en  lui  un  papiste,  et  le  catho- 
lique Pecquius  le  trouvait  «  un  peu  froid  »  pour  l'Eglise, 
parce  qu'il  n'osait  recommander  la  résistance  aux  préten- 
tions des  Hollandais  (4).  D'après  lui,  on  ne  pouvait  espérer 


(1;  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  7  et  19  mars  1 G 0 8 .  Legatie  Archief, 
614  .  —  Pecquius  aux  archiducs,  20  mars  1608,  dans  Deventer,  III, 
p.  240.  Le  roi  dit  à  Pecquius  qu'il  ne  veut  pas  que  les  Hollandais  s'é- 
lèvent trop  haut. 

{i)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  5  juin  1608,  Legatie  Archief,  614.  — 
Voir  aussi  Sully  à  Jeannin,  26  février  1608,  Négociations,  p.  281. 

D'après  la  lettre  dAerssen,  Villeroy  aurait  accable  de  reproches  l'en- 
voyé des  Etats,  et  conseillé  de  faire  la  paii  en  abandonnant  le  fail  des 
Indes  et  de  la  religion.  Sully  lui  lit  aussi  d'amers  reproches  sur  leur 
orgueil.  Les  Hollandais,  lui  dit-il,  se  croient  les  plus  puissants  'lu  monde 
et  s'imaginent  à  tort  que  le  roi  les  recherche.  Aerssen  ajoutait  triste- 
ment :  «  On  nous  tient  sans  prudence,  sans  conduite,  sans  courage, 
sans  union  et  sans  moyen.  » 

(3)  Pecquius  aux  archiducs,  31  octobre  1607.  Pap.  d'Etat  et  de  l'A u- 
dience,  \v<  121,  l'"  iT  (Arch.  roy.  de  Bruxelles). 

(4)  Ibid.,  9  mars  1608,  f°  81.  Villeroy  dirait  qu'on  ne  pouvait  espérer 


468  VILLEBOY 

faire  accorder  aux  catholiques  la  liberté  par  traité,  mais 
leur  faire  adopter  à  la  longue  par  faveur  spéciale  quelques 
mesures  de  tolérance. 

Une  question  non  moins  grave  était  discutée  à  la  Haye 
et  à  Paris  :  conclurait-on  la  paix  ou  une  trêve?  Nous  avons 
vu  que  le  roi  dès  le  début  avait  donné  ordre  à  Jeannin  de 
travailler  pour  la  paix.  Mais  Villeroy  défendit  les  concep- 
tions de  Jeannin  et  réussit  àpersuaderleroi  (1).  Or,  comme 
on  savait  que  les  archiducs,  les  Espagnols  etle  nonce  étaient 
pour  la  trêve  (2),  il  était  facile  d'accuser  Villeroy  d'être  leur 
porte-parole.  Aerssen  n'y  manqua  point  (3).  La  trêve,  étant 
du  provisoire,  excluait,  par  définition,  la  concession  pleine 
et  entière  de  la  souveraineté.  Villeroy  admettait  qu'on  ne 
pouvait  raisonnablement  demander  aux  Espagnols  plus  que 
de  «  traiter  avec  les  Etats  en  qualité  et  comme  les  tenant 
libres  ».  Indifférent  aux  discussions  de  mots,  il  affirmait  à 
Aerssen  qui  ergotait  sur  ce  sujet  qu'ils  seraient  traités 
par  le  roi  comme  libres,  même  après  la  trêve,  que  d'ailleurs 
le  roi  ferait  une  ligue  avec  eux  pour  le  maintien  de  cette 
trêve,  comme  on  en  avait  fait  une,  le  23  janvier  1608,  pour 
le  cas  où  la  paix  eût  été  conclue.  Ainsi,  Villeroy,  en  conseil- 
lant aux  Hollandais  des  concessions  sur  le  commerce,  la 
religion  et  la  trêve,  commençait  à  passer  pour  suspect  de 
partialité  à  l'égard  de  l'Espagne.  C'est  à  ce  moment  que 
s'implanta  la  légende  d'un  Villeroy  ami  de  l'Espagne. 


faire  accorder  aux  catholiques  la  liberté  par  traité,  mais  leur  faire  donner 
par  grâce  un  peu  plus  de  liberté  qu'ils  n'en  avaient. 

(1)  Dép.  du  nonce  Ubaldini,  30  sept.  1608,  F.  Ital.  30,  f»  183. 

(2)  Pecquiusaux  archiducs,  8  août  1608,  Pap.  d' Etat  et  de  ï Audience, 
no  421,  fo  168. 

(3)  Pecquius  aux  archiducs,  23  septembre  1008,  Ibid.,  f°  193.  11 
confirme  ce  qu'il  disait  dans  la  lettre  du  8  août  :  c<  il  semble  à  aucuns 
des  ministres  qu'à  faute  de  paix  le  plus  expédient  sera  de  faire  une 
longue  trêve  avec  lesdits  états...  »  (Lettre  du  8  août). 


LE    MINISTRE    D'HENRI    IV  469 


Ce  qui  acheva  d'enraciner  celte  réputation,  ce  fut  l'at- 
titude du  ministre  dans  la  question  du  mariage  franco- 
espagnol  que  les  Espagnols  avaient  posée  à  nouveau  durant 
l'année  1608  pour  rompre  l'union  du  roi  de  France  et  des 
Pays-Bas.  La  politique  des  mariages  était  chère  au  pape 
Paul  V,  comme  elle  l'avait  été  à  Clément  VIII,  qui  avait  rêvé 
d'unir  dès  leur  naissance  le  dauphin  et  l'infante  d'Espagne 
pour  terminer  le  différend  séculaire  des  deux  nations 
(septembre  1601).  Leurs  nonces  s'étaient  faits  dans  les  deux 
paysles  propagateurs  zélés  de  cette  idée.  La  vieille  querelle 
des  Pays-Bas  suscita  un  nouveau  projet  :  faire  épouser  à 
Christine,  troisième  fille  d'Henri  IV,  l'infant  Don  Carlos, 
second  fils  du  roi  d'Espagne,  qui  recevrait  l'investiture  des 
Pays-Bas.  Et  même  il  fut  question  d'une  troisième  union, 
celle  du  prince  des  Asturies  avec  une  autre  fille  d'Hen- 
ri IV  (1). 

Au  début  de  1608,  l'initiative  des  pourparlers  vint  du 
nonce  Ubaldini  et  de  Pecquius  ;  le  projet  romain  et  belge 
fut  formellement  agréé  à  la  fin  de  mars  parle  conseil  d'Es- 
pagne qui  décida  de  négocier  ces  alliances  matrimoniales 
d'accord  avec  le  pape  et  d'envoyer  en  France  un  ambassa- 
deur extraordinaire  (2).  Henri  IV  avait  fait  bon  accueil 
aux  propositions  de  mariage.  Il  avait  alors  plus  que  jamais 
la  préoccupation  d'assurer  le  repos  de  son  royaume.  Les 


(1)  Sur  la  question  des  mariages,  voir  Perrens,  Les  Mariages  espa- 
gnols sous  le  règne  de  Henri  IV  et  la  régence  de  Marie  de  Médicis, 
in-8°,  1869.  Il  s'est  servi  surtout  des  dépêches  d'Ubaldini  et  des  pa- 
piers de  Simancas.  11  faut  compléter  la  documentation  par  l'étude  des 
lettres  de  Pecquius  et  des  lettres  de  François  Aerssen. 

(2)  Perrens,  Les  Mariages  espagnols,  p.  70. 


470 


VILLEROY 


alliances  lui  paraissaient  un  excellent  moyen  d'éviter  la 
guerre.  .Mais  il  ne  voulait  à  aucun  prix  —  c'était  une  ques- 
tion d'honneur  et  d'intérêt  bien  entendu  —  abandonner  les 
Etats.  C'était  aussi  la  pensée  intime  de  Villeroy  qui  dès  le 
début  affirma  aux  représentants  du  pape  et  des  archiducs 
ce  double  principe  de  la  politique  française  (1). 

A  la  fin  de  juillet,  Don  Pedro  de  Tolède  vint  en  cour,  en- 
voyé en  ambassade  solennelle  par  Philippe  III.  Villeroy 
ne  s'était  fait  aucune  illusion  sur  les  desseins  des  Espa- 
gnols. «  Tant  il  y  a,  écrivait-il  à  Jeannin,  que  je  reconnais 
qu'ils  veulent  faire  un  effort  pour  ranger  à  leur  désir  les 
Etats  et  leur  suite  par  une  voie  ou  par  une  autre  (2)  ».  Mais 
il  était  d'avis  qu'il  fallait  causer.  Aussi  quand  dès  les 
premières  séances  l'orgueil  maladroit  de  Don  Pedro  faillit 
tout  briser,  il  répara  par  des  paroles  courtoises  le  mal  qu'a- 
vaient fait  de  part  et  d'autre  des  paroles  trop  vives  (3).  Il 
inspira  une  certaine  confiance  à  l'Espagnol  qui  se  décida 
bientôt  à  faire  connaître  l'objet  de  sa  mission.  Villeroy 
et  le  nonce  rétablirent  de  bons  rapports  entre  Don  Pedro 
et  le  roi  et  les  pourparlers  commencèrent.  Ce  fut  sur- 
tout unjongue  conversation  entre  Villeroy,  Don  Pedro  et 
le  nonce.  Le  roi  se  déchargea  sur  son  ministre  de  cette 
affaire  ennuyeuse  qui  exigeait  beaucoup  de  patience,  de 
sang-froid  et  un  certain  esprit  de  dissimulation  (4). 


(1)  Pecquius  aux  archiducs,  6  mars  1608,  Papiers  d'Etat  et  de 
l'Audience,  n°  421  (Négoc.  de  France),  p. 81  et  suiv. 

(2)  Villeroy  à  Jeannin.  8  juin  1608,  Négoc.,  p.  377.  —  Voir  aussi 
Villeroy  à  La  Boderie,  28  juin  1608,  Lettres,  p.  298. 

(3)  Don  Pedro  avait  vivement  reproché  au  roi  l'aide  accordée  aux 
rebelles  et  par  point  d'honneur  Castillan  n'avait  point  voulu  convenir 
qu'il  avait  mission  de  parler  des  mariages.  Le  roi  lui  répondit  par 
des  paroles  très  dures.  Villeroy  pria  Don  Pedro  de  ne  point  les  trans- 
mettre à  la  Cour  d'Espagne.  Voir  la  lettre  d'Ubaldini  du  23  juillet  1608, 
citée  par  Perrens,  p.  128. 

(4)  Quand  l'Espagnol  voulait  une  explication  sur  un  point  qui  l'ein- 

iit    et  où  les  Français   ne  voulaient  point  se  prononcer  nette- 
ment, Villeroy   le   renvoyait  au  roi,  et  le  roi  d'ordinaire  le  renvoyait  à 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  471 

Yilleroy  persistait  à  demander  que  la  trêve  se  fit  d'abord 
et  que  les  mariages  fussent  conclus  ensuite.  Cependant  il 
ne  pouvait  écarter  deux  questions  extrêmement  délicates  : 
1°  Si  les  mariages  se  concluaient  .à  la  fin  de  la  trêve  à 
longues  années,  le  roi  ne  devrait-il  pas  travailler  à  réunir 
les  deux  parties  séparées  des  Pays-Bas,  dot  de  son  gendre  ? 
—  2°  Si  la  trêve  était  rompue,  que  ferait  le  roi  ?  Les  Espa- 
gnols, le  nonce  et  les  archiducs  cherchaient  à  amener  les 
Français  à  reconnaître  que  dans  ce  cas  ils  devaient  aban- 
donner les  Etats  et  faire  les  mariages.  Le  roi  croyait  que 
ce  délaissement  serait  son  déshonneur.  Mais  ne  serait-il 
pas  excusé,  si  les  Hollandais  se  rendaient  indignes  de  la 
continuation  de  sa  faveur,  en  repoussant  avec  opiniâtreté 
les  conditions  raisonnables  d'une  trêve? 

Sur  le  premier  point,  la  pensée  de  Yilleroy  n'était  pas 
précise  et  ne  pouvait  l'être.  11  avait,  comme  la  plupart  de 
ses  contemporains,  une  très  mauvaise  opinion  sur  la  cons- 
titution interne  des  Provinces-Unies,  source  d'une  incohé- 
rence et  d'une  faiblesse  que  la  paix  accroîtrait  certaine- 
ment (1).  Jeannin  seul  était  devenu  optimiste  après  avoir  vu 
sur  les  lieux  l'étonnante  vitalité  de  ce  petit  peuple.  On  ne 
peut  reprocher  aux  Français  du  temps  d'Henri  IV  de  n'a- 
voir pas  prévu  le  magnifique  développement  des  Pays-Bas 
qui  allait  s'accomplir  au  xvu"  siècle,  malgré  leur  détestable 
organisation  politique  et  leurs  luttes  intestines.  En  1G08, 
la  porte  était  ouverte  à  tous  les  rêves.  Un  Don  Pedro  de 
Tolède  qui  était  maladroit,  mais  non  dépourvu  d'intelli- 
gence, n'allait-il  pas  jusqu'à  espérer  que  la  paix  amène- 
rait un  changement  du  naturel  de  ces  peuples  et  leur  ferai  I 

Yilleroy.  Cette  tactique  est  bien  décrite  dans  la  lettre  d'Ubaldini  du  19 
août,  F.  ltal.  30,  f°  154. 

(1)  Villeroy  à  Jeannin,  24  août  1607,  Négoc,  p.  143  et  suiv.  Nous 
«  avons  aussi  mauvaise  opinion  du  succès  de  leurs  affaires,  étant  dis- 
posés et  composés  comme  ils  sont  de  présent.  »  Dans  la  même  lettre, 
il  déclare  qu'il  est  «  vraisemblable»  qu'ils  «  iront  dorénavant  déclinant 
en  toutes  choses  ». 


472  VILLEROY 

désirer  le  retour  à  leurs  princes  naturels  (1)?  Les  Français 
ne  pouvaient-ils  imaginer  avec  quelque  apparence  de  raison 
qu'un  long  travail  de  séduction  pratiqué  dans  les  Pays-Bas 
pendant  la  durée  de  la  trêve  pourrait  amener  un  jour  la 
réunion  de  toutes  ces  provinces  sous  la  souveraineté  du 
gendre  et  de  la  fille  d'Henri  IV?  Villeroy  ne  précisait  pas 
sa  pensée  sur  ce  point.  Son  esprit  positif  lui  interdisait  de 
forger  des  projets  à  longue  échéance,  comme  aussi  de  dé- 
courager les  projets  des  autres.  Il  ne  pensait  qu'à  l'intérêt 
actuel  de  son  pays  qui  consistait  pour  lui  à  faire  conclure 
et  respecter  la  trêve,  puis  à  négocier  les  mariages.  Dans 
douze  à  quinze  ans,  on  verrait  à  régler  le  sort  des  Pays- 
Bas.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  les  enfants  à  ma- 
rier étaient  extrêmement  jeunes.  Villeroy  exprimait  avec 
une  bonhomie  ironique  ce  sentiment  quand  il  écrivait  à  La 
Boderie  :  «  Tout  cela  ne  nous  émeut  ni  interrompt  notre 
sommeil  :  nos  enfants  sont  jeunes  et  les  dits  mariages  ne 
nous  pressent  »  (2). 

Quant  à  la  seconde  question,  elle  se  posa  surtout  lors- 
qu'au début  d'octobre  les  négociations  faillirent  se  rompre. 
A  la  Haye,  les  Etats  repoussèrent  avec  indignation  la  pro- 
position des  archiducs  de  conclure  une  trêve  de  sept  ans 
avec  eux  en  les  traitant  «  comme  s'ils  étaient  libres  ».  A 
Madrid  on  se  refusait  obstinément  à  reconnaître  la  souve- 
raineté des  Pays-Bas.  Jamais  le  nonce  ni  Pecquius  n'ob- 
tinrent une  réponse  satisfaisante  de  Villeroy.  Pecquius 
espéra  pendant  quelques  jours  que  le  ministre  conseillerait 
à  Henri  IV  la  neutralité,  mais  il  fut  vite  détrompé,  car  Vil- 
leroy restait  invariablement  attaché  à  son  double  pro- 
gramme. Il  l'avait  écrit  le  25  septembre  à  Jeannin  :  «  S.  M. 
est  trop  prudente  et  trop  bien  conseillée...  pour  danser  par 
force  »  au  cas  où  les  Etats  reviendraient  aux  armes  contre 

(1)  Pecquius  aux  archiducs,  8  août  1608,  Pap.  d'Etat  et  de  l'Au- 
dience, Ibid.,  f°  168. 

(2)  Villeroy  à  La  Boderie,  14  août  1608,  Lettres,  p.  324. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  473 

son  avis,  ou  pour  les  livrer  à  leurs  ennemis  et  contenter 
les  Espagnols. 

On  put  croire  pendant  les  quinze  premiers  jours  d'octobre 
que  la  France  allait  rompre  avec  l'Espagne.  Henri  IV  re- 
prit brusquement,  avec  une  ardeur  surprenante,  les  négo- 
ciations pour  la  Ligue  franco-italienne.  Il  fit  négocier  avec 
Venise,  avec  Mantoue,  avec  Florence,  avec  le  duc  de  Sa- 
voie. On  causa  avec  Jacob,  le  représentant  de  Charles- 
Emmanuel,  qui  depuis  quelques  mois  se  morfondait  en 
France,  où  il  était  venu  pour  contrecarrer  l'œuvre  de  Don 
Pedro  et  proposer  le  mariage  franco-savoyard,  l'alliance  et, 
la  conquête  du  Milanais.  Le  parti  de  la  guerre  paraissait 
de  nouveau  triompher  à  la  cour.  Mais  ce  triomphe  fut  très 
court,  car  les' dispositions  du  roi  furent  modifiées  au  milieu 
d'octobre  par  les  nouvelles  reçues  des  Pays-Bas.  Là, 
l'œuvre  de  la  paix  avait  fait  un  grand  progrès.  Jeannin, 
qui  jamais  n'avait  désespéré,  avait  empêché  la  rupture, 
d'accord  avec  le  parti d'OÏdenbarnevelt.  L'archiduc  Albert, 
décidé  à  terminer  la  guerre,  avait  contenté  les  Hollandais 
en  prenant  une  grave  initiative:  il  s'était  déclaré  prêt  à  re- 
connaître la  souveraineté  des  Pays-Bas,  au  nom  du  roi 
d'Espagne  et  sans  attendre  son  consentement.  Villeroy 
avait,  de  son  côté,  travaillé  à  écarter  tous  les  obstacles 
qui  s'opposaient  à  la  trêve.  Il  s'était  attaché  à  montrer 
combien  il  était  difficile  à  ce  moment  de  réaliser  le  projet 
de  ligue  italienne  à  cause  de  la  timidité  des  Vénitiens  et  de 
la  versatilité  du  Savoyard.  L'événement  lui  avait  donné 
raison.  Henri  IV  put  se  convaincre  dans  ses  conversations 
avec  l'ambassadeur  vénitien  Foscarini  que  la  République 
redoutait  toujours  la  guerre  et  se  défiait  de  Charles-Emma- 
nuel. De  son  côté,  le  duc,  dès  qu'il  avait  vu  le  roi  hésiter 
un  peu  et  retarder  l'exécution  des  projets  de  conquête  ita- 
lienne, s'était  empressé  de  reprendre  ses  intrigues  à  la 
cour  de  Madrid,  où  il  avait  délégué  le  comte  de  Verrue. 
Cette  attitude  qui  donnait  raison  aux  conseils  de  défiance 


474  VILLEROY 

donnés  par  Villeroy  avait  définitivement  incliné  le  roi  vers 
les  idées  de  paix  (1). 

Villeroy  avait  eu  sans  doute  à  combattre  Sully  en  cette 
circonstance.  Le  surintendant  estimait  alors  qu'il  fallait 
enfin  frapper  un  coup  décisif,  car  la  force  d'Espagne  ne 
consistait  plus  qu'en  mines,  bravades  et  réputation  du 
passé  »  et  il  s'opposait  absolument  aux  mariages  qui 
étaient  pour  les  Espagnols  un  moyen  de  rester  indéfini- 
ment en  Flandre.  Mais  les  pacifiques  étaient  les  plus  forts. 
Sully  en  convenait  d'assez  bonne  grâce.  «  Monsieur,  écr.i- 
vait-il  à  Jeannin,  je  reconnais  par  les  procédures  de  tous 
que  tous  ne  cherchent  que  le  repos...  »  Devant  la  volonté 
formelle  du  roi,  il  finit  par  abandonner  ce  qu'il  appelait 
lui-même  «  ses  folles  fantaisies  »  (2). 

Villeroy  avait  aussi  redouté  un  moment,  au  mois  d'oc- 
tobre, un  retour  offensif  du  parti  belliqueux  de  Hollande. 
Maurice  de  Nassau  faisait  des  efforts  désespérés  pour  empê- 
cher le  succès  des  idées  de  Barnevelt.  Il  envoya  un 
homme  de  confiance,  Lambert,  à  Henri  IV  pour  lui  remon- 
trer que  le  parti  pacifique  était  impopulaire  aux  Pays- 
Bas,  que  Jeannin  était  un  intrigant  et  que  la  Zélande  s'op- 
posait énergiquement  à  la  trêve.  Il  se  plaignait  de  Villeroy 
qui  déconseillait  la  guerreet  faisait  entendre  que  le  prince 
était  un  mauvais  ami  de  la  France  (3).  Villeroy  et  Jeannin 

(1)  Sully  à  Jeannin,  18  septembre  1608,  Négoc,  p.  419.  — Voir 
aussi  les  lettres  d'Ubaldini  du  15  septembre  et  du  22  octobre  1608, 
citées  par  Perrens,  p.  165-166.  —  Voir  aussi  Siri,  Mém.  recoud.,  I, 
p.  514,  p.  563-567. 

(2)  Sully  à  Jeannin,  18  septembre  :  «  Monsieur,  je  reconnais 
par  les  procédures  de  tous  que  tous  ne  cherchent  que  le  repos.  Les  uns 
y  sont  portés  de  la  nécessité,  les  autres  de  l'inclination  et  du  désir  de 
vivre  en  oisiveté.  Je  ne  sais  si  c'est  éviter  le  mal,  mais  le  temps  nous 
l'apprendra  peut-être  lorsque  nous  ne  serons  pas  si  dispos  ni  si  bien 
munis  pour  le  supporter,  Pour  moi,  je  me  laisse  aller  au  courant  de 
l'eau,  après  avoir  néanmoins  dit  mon  avis  fort  franchement,  suivant  ma 
coutume.  Nous  avons  laissé  passerde  belles  occasions  dont  nos  succes- 
seurs diront  ce  que  nous  disons  de  ceux  qui  nous  ont  précédés.  » 

(3)  Villeroy  à  Jeannin,  11  octobre  1608,  Nég.,  p.  437.  «Cetambas- 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  475 

firent  avorter  rapidement  cette  intrigue.  Le  roi,  très  mécon- 
tent, écrivit  une  lettre  des  plus«  vertes  »  à  Maurice.  Sully, 
dont  Villeroy  craignait  l'opposition,  approuva  entièrement 
son  maître  «  qui  en  cette  matière  peut  faire  la  leçon  à  tout 
son  royaume  »  (1),  et  il  écrivit  une  lettre  aussi  «  verte  »  à  la 
princesse  d'Orange  (novembre  1608), 

D'autres  incidents  firent  comprendre  à  Villeroy  l'émotion 
qu'avaient  soulevée  en  France  et  aux  Pays-Bas  ses  pour- 
parlers avec  Don  Pedro.  On  remit  au  roi  un  libelle  accu- 
sant son  ministre  d'être  Espagnol  (2).  Les  Huguenots  as- 
semblés à  Jargeau  menaçaient  d'envoyer  des  secours  aux 
rebelles  si  le  roi  les  abandonnait.  En  Hollande,  on  consi- 
dérait Villeroy  comme  un  ennemi  qui  complotait  la  perte 
des  Etats  avec  le  nonce,  le  représentant  des  archiducs,  l'en- 
voyé de  Philippe  III  et  les  Jésuites  (3).  Comme  on  avait,  mal- 

sadeur,  dit-il,  en  parlant  Je  Lambert  envoyé  par  le  prince,  aussi  indis- 
cret qu'imprudent,  veut  que  chacun  croie  que  les  conseillers  de  la  dite 
trêve  sont  mauvais  serviteurs  de  la  Kranee  et  du  roi  :  il  dirait  volon- 
tiers qu'ils  sont  aux  gages  du  roi  d'Espagne.  Il  lui  a  été  répondu  sur 
cela  comme  il  faut.  » 

(1)  Sully  à  Villeroy,  Ec.  Roy.,  p.  25(3.  Sully  s'.st  rangé  très  vite  à 
l'opinion  du  roi  et  de  Villeroy.  Villeroy  avait  pourtant  redouté  son 
opposition.  Il  écrivait  à  Jeannin  le  16  octobre  qu'il  attendait  Sully,  qui 
était  en  Poitou,  avec  impatience,  et  qu'il  éprouvait  quelque  appré- 
hension «  étant  certain  qu'il  butte  a  la  guerre  contre  l'Espagne,  de 
façon  que  je  crois  qu'il  épousera  et  favorisera  les  intentions  et  desseins 
du  prince  Maurice.  » 

(2)  Aerssen  à  Oldenbarnevelt,  30  septembre  1608,  Deventer,  Gc  lentes- 
tukken,  t.  III,  p.  265. 

(3)  Pecquius  aux  archiducs,  6  novembre  1608, />«/).  d'Etat  et  île  l'au- 
dience, Ibid.,  fo  213.  «  Quelques-uns  de  cette  Cour  disenl  d'ailleurs 
que  les  Etats  ont  pour  suspectes  toutes  les  actions  du  R.  T.  G.  et  ne  se 
fieront  jamais  à  ses  avis  tant  à  raison  duilil  ohangemenl  que  pour 
l'étroite  correspondance  que  tient  le  nonce  de  S.  S.  avec  ledit  sieur  de 
Villeroy,  estimant  qu'il  ne  se  traite  rien  avec  lui  que  du  su  et  à  la 
suggestion  de  don  Pedro  et  de  moi,  pour  ce  que  l'on  nous  voit  fort 
souvent  assemblés  et  il  semble  au  monde  que  nous  ne  soyons  qu'un  et 
que  même  ledit  sieur  de  Villeroy  penche  de  notre  côté,  signament 
depuis  la  dernière  lettre  du  comte  Maurice  écrite  au  R.  T.  G.  où  il  a 
donné  une  atteinte  à  icelui  de  Villeroy  comme  s'il  se  laissait  du  tout 
aller  a  ses  persuasions  selon  que  m'a  voulu   assurer  ces  jours  passés 


476  VILLEROY 

gré  tout,  confiance  dans  le  roi,  on  avait  répandu  le  bruit 
qu'Henri  IV,  s'étant  aperçu  des  sentiments  espagnols  de 
son  ministre,  avait  commencé  à  employer  sous  main  un 
autre  secrétaire  pour  les  dépêches  les  plus  importantes  et 
les  plus  secrètes  (1).  On  allait  même  jusqu'à  dire,  —  des 
«  courtisans  italiens  »  l'avaient  répété  à  Don  Pedro  —  qu'un 
jour  le  chancelier  et  Yilleroy  étaient  venus  au  cabinet  du 
roi  pour  le  presser  de  faire  l'alliance  espagnole  avant  le 
départ  de  Don  Pedro  et  que  le  prince  avait  refusé  «  non  sans 
s'échauffer  et  crier  quelquefois  bien  haut  »(2).  Aerssen  était 
en  grande  partie  responsable  de  ces  faux  bruits.  Il  accueil- 
lait sans  le  moindre  scrupule  les  rumeurs  les  plus  invrai- 
semblables. Ainsi  le  17  juillet  il  avait  écrit  à  son  gouver- 
nement que  le  pape  projetait  une  contre-union  des  catho- 
liques, qu'il  n'y  avait  rien  à  craindre  du  roi,  mais  qu'il  fal- 
lait être  inquiet  en  pensant  à  ceux  qui  l'assistent  et  qui  ne 
peuvent  que  «  travailler  par  les  instructions  de  Rome  »  (3). 
La  campagne  était  bien  menée.  On  faisait  parvenir  au  roi 
des  avis  l'informant  que  Don  Pedro  avait  corrompu  plu- 
sieurs personnes  de  qualité  du  royaume.  Villeroy  s'em- 
ployait avec  zèle  à  démontrer  leur  innocence  et  à  étouffer 
ces  bruits. 

Tout  cela  provoquait  un  malaise  nuisible  à  la  marche  des 
négociations.  Le  roi  et  Villeroy  comprirent  qu'il  fallait 
couper  courtaux  défiances  des  alliés,  hâter  la  conclusion  de 
la  trêve  et  suspendre  l'affaire  des  mariages.  Villeroy,  cons- 


l'ambassadeur  d'Angleterre...  »   Voir  aussi  la  lettre  de  l'ambassadeur 
vénitien,  F.  Ital.  1760,  f°  87  (15  août). 

(1)  Pecquius  aux  archiducs,  13  novembre  1608,  fbid.,  fo  216.  «  L'on 
ajoute  davantage  que  s'étant  aperçu  que  ledit  sieur  de  Villeroy  goûte 
l'alliance  et  amitié  d'Espagne,  [le  roi]  commence  à  employer  sous  main 
un  autre  secrétaire  pour  les  dépêches  plus  importantes  et  secrètes  qu'il 
envoie  en  Hollande,  mais  je  veux  croire  que  ce  n'est  qu'un  faux  bruit 
semé  par  Aerssen  pour  charger  ledit  de  Villeroy  de  soupçon  sinistre...  » 

(2)  Pecquius  aux  archiducs,  29  décembre  1608,  Ibid.,  f°  237. 

(3)  Aerssen  aux  Etats,  17  juillet  1608,  Lègatie  Archief,  617. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  477 

tatant  l'inutilité  de  tant  de  pourparlers,  regretta  que  Don 
Pedro  n'eût  pas  remis  son  voyage  à  un  autre  temps,  et, 
dans  ses  lettres  à  Jeannin,  exprima  un  mécontentement 
où  perdait  le  dépit  d'avoir  subi  un  échec.  Les  Espagnols 
étaient  «  des  trompeurs  et  glorieux  »,  et  il  faisait  observer 
à  son  ami  combien  était  exact  le  reproche  de  turpitude  et 
de  perfidie  adressé  par  l'évêque  de  Senlis  à  nos  ennemis 
pendant  la  Ligue  (1). 

Nous  n'avons  pas  à  rappeler  les  derniers  incidents  qui 
compliquèrent  et  retardèrent  l'achèvement  des  négocia- 
tions, et  où  Villeroy  n'eut  à  jouer  aucun  rôle  personnel. 
Toute  l'activité  du  roi  et  de  son  Conseil  tendit  sans  équi- 
voque vers  un  seul  but  :  la  conclusion  de  la  trêve.  La  diplo- 
matie de  Jeannin  brisa  aux  Pays-Bas  les  dernières  résis- 
tances. Le  Conseil  d'Espagne  finit  par  céder  et  par  ratifier 
la  reconnaissance  de  souveraineté  qu'avait  faite  l'archiduc 
le  1<>  octobre.  Une  trêve  de  douze  ans  fut  signée  le  9  avril 
1609  dans  les  termes  fixés  par  la  diplomatie  française  ;  «  fort 
honteuse  pour  eux  [les  Espagnols  et  les  archiducs],  glo- 
rieuse pour  S.  M.  qui  l'a  poursuivie,  et  qu'on  en  peut 
dire  auteur,  et  avec  ce,  profitable  et  assurée  pour  les 
Etats  »  (2). 


(1)  Villeroy  à  Jeannin,  S  janvier  1609,  Xégoc,  p.  534.  Cette  mention 
relative  à  l'évêque  de  Senlis  est  une  des  très  rares  allusions  à  la  Ligue 
que  nous  ayons  trouvées  dans  les  lettres  du  ministre. 

(2)  Jeannin  à  Villeroy,  8  mars  160'J,  Xëgoc,  p.  590. 


CHAPITRE  VI 


VILLELOY  MINISTRE  DES  AFFAIRES  ETRANGERES 

(suite  et  fin) 

LES  AFFAIRES  D'ALLEMAGNE.  LA  GUERRE  DÉCLARÉE. 


Les  affaires  germaniques  jusqu'en  1609.  —  II.  Villeroy  et  la 
succession  de  Clèves.  Les  conseils  pacifiques.  —  Négociations 
avec  la  Savoie,  avec  l'Espagne.  —  III.  La  fuite  du  prince  et  de  la 
princesse  de  Condé  (novembre  1609).  Efforts  suprêmes  de  Vil- 
leroy pour  maintenir  la  paix.  —  IV.  La  guerre  imminente. 
Efforts  de  Villeroy  pour  la  limiter  et  pour  la  transporter  en 
Italie.  Villeroy  et  l'alliance  franco-savoyarde.  —  V.  Dernières 
tentatives  pour  la  paix  favorisées  par  Villeroy  (avril-mai  1610). 


Le  conflit  avec  la  maison  d'Autriche  fut  provoqué  par 
l'ouverture  delà  succession  de  Clèves  et  de  Juliers  en  mars 
1609.  Cet  incident  de  l'histoire  allemande  prit  tout  à  coup 
les  proportions  d'un  grand  événement  international  et  de  vint 
le  souci  capital  du  roi  et  de  ses  diplomates. 

La  guerre  de  renard  avec  l'Espagne  aux  Pays-Bas  et  en 
Italie  avait  été  une  des  grandes  pensées  du  règne.  Sans 
doute  Henri  IV  n'avait  pas  négligé  lesatïairesgermaniques, 
comme  le  prouve  la  correspondance  qu'il  entretint  avec 


LE    MINISTRE    n'HE.NRl    IV  479 

Maurice  le  savant,  landgrave  de  Hesse  (1),  et  les  missions 
confiées  à  Jacques  Bongars  (2).  Il  avait  cherché  à  «  être 
utile  »  à  ses  «  voisins,  alliés  et  amis  et  à  la  cause  qui  est 
commune  entre  eux  »  et  lui  (3).  Il  avait  travaillé  à  resserrer 
ses  alliances  avec  les  princes  protestants  et  à  les  grouper 
contre  la  Maison  d'Autriche.  Mais  les  événements  qui 
s'étaient  déroulés  ailleurs  avaient  accaparé  son  attention. 
Il  ne  s'était  point  présenté  de  circonstance  importante  pour 
l'obliger  à  agir  efficacement  au  delà  du  Rhin.  Les  princes 
étaient  faibles,  divisés,  déliants,  timides.  Le  roi  de  France 
(Mail  condamné  à  une  extrême  prudence  D'ailleurs  h-  danger 
étaitmoindre  dans  cette  partie  de  l'Europe:  les  Habsbourgs 
étaientbeaucoupmoinsàredouter  que  leurs  cousins  et  alliés 
d'Espagne.  Leur  chef,  Rodolphe,  était  un  incapable:  dans 
ses  états  héréditaires,  les  nationalités  s'agitaient,  les  Turcs 
menaçaient  les  frontières.  Aussi,  dans  les  années  qui  sui- 
virent la  paix  de  Vervins,  la  France  n'eut-elle  en  Allemagne 
qu'une  petite  politique  peu  active,  sans  grands  résultats. 
La  diplomatie  ne  s'employa  qu'à  débrouiller  de  médiocres 
affaires,  au  mieux  des  intérêts  du  royaume  et  de  nos  alliés 
traditionnels. 

On  eut  à  rembourser  une  partie  des  emprunts  effectués 
en  Allemagne  jusqu'en  1595.  On  paya  lentement,  avec  très 
peu  de  bonne  grâce,  près  de  4  millions.  Puis,  à  partir  de 
1605,  on  chercha  les  prétextes  les  plus  ingénieux  pour  s'en 
dispenser.  Henri  IV  était  mauvais  payeur,  mais  les  princes 
étaient  des  créanciers  fort  importuns.  Yilleroy  trouvait 
toujours  de  bonnes   raisons  pour    repousser    leurs    de- 


(1)  De  Romuiel,  Correspondance  inédite  de  Henri  IV...  avec  Maurice 
le  Savant,  landgrave  de  Hesse,  1840,  in-8o. 

(2)  Bongars,  Epistolse,  trad.  par  de  Brianville,  1095,  -2  vol.  in-8.  — 
Anquez,  Henri  71  et  l'Allemagne  d'après  /es  mémoires  et  la  correspon- 
dance de  J.  Bongars.  1887,  in-8°. 

(3)  De  Romniel,  p.  307  (Henri  IV  au  landgrave  de  Hesse,  20  mai 
1606). 


48U  VILLEROY 

mandes  (1).  On  régla  tant  bien  que  mal  après  de  longues 
années  d'hésitations  et  de  débats  l'affaire  de  Tévêché  de 
Strasbourg  qui  était  disputé  entre  le  petit-fils  de  l'électeur 
de  Brandebourg  et  le  cardinal  Charles  de  Lorraine,  fils  du 
duc  Charles  III,  qui  avait  pris  comme  coadjuteur  un  archi- 
duc autrichien.  En  1604,  une  transaction  mit  fin  aux  innom- 
brables difficultés  soulevées  par  ce  litige  et  fut  un  demi- 
succès  pour  la  politique  française  ;  car  si  les  protestants 
eurent  le  dépit  de  voir  l'évêché  rester  aux  mains  du  cardi- 
nal, du  moins  la  ville  de  Strasbourg  eut-elle  son  indépen- 
dance assurée  :  c'était  l'essentiel  pour  le  roi  qui  voulait 
cette  place  libre  pour  conserver  ses  communications  avec 
l'Allemagne.  Les  intrigues  de  Bouillon  amenèrent  entre  le 
roi  et  les  Allemands  un  long  malentendu.  Ceux-ci  s'étaient 
persuadés  qu'on  persécutait  le  duc  à  cause  de  sa  religion. 
On  reprocha  amèrement  à  Henri  IV  de  commencer  la 
guerre  contre  les  Eglises.  Bouillon  s'était  retiré  à  Heidel- 
berg  chez  son  beau-frère  l'Electeur  Palatin,  qui  prit  hau- 
tement sa  défense  et  intervint  d'une  manière  indiscrète  en 
sa  faveur.  A  partir  de  1003,  le  roi  reçut  des  ambassades  du 
Palatin,  du  duc  de  Wurtemberg,  du  landgrave  de  Hesse, 
qui  lui  causèrent  une  vive  irritation.  L'issue  du  conflit,  qui 
fut  pacifique  grâce  à  la  capitulation  de  Sedan,  calma  les 
aigreurs  et  rétablit  les  bons  rapports. 


(1)  Villeroy,  en  juillet  1601,  cherchait  à  empêcher  les  voyages  inté- 
ressés des  créanciers  à  la  Cour,  et  disait  à  Bongars  qu'ils  ne  servaient 
«  qua  ne  pas  faire  plaisir  à  M.  de  Rosny  ».  En  décembre  1605,  il  dit 
qu'on  ne  peut  payer  les  Allemands  parce  qu'il  faut  secourir  les  Etats 
et  qu'on  est  à  la  veille  d'une  guerre  avec  l'Espagne.  Il  constate  que 
l'argent  est  ainsi  mieux  employé  et  ajoute.,  non  sans  malice,  que  nos 
créanciers  «  avec  le  temps  nous  remercieront  de  notre  conduite  en  ce 
fait  »  (Lettres  du  23  juillet  1601  et  du  7  décembre  1605  à  Bongars, 
F.  Fr.  7129,  f°  127  et  7131,  fo  21).  Voir  aussi  Anquez,  p.  52  et  suiv. 
A  l'égard  des  Allemands,  comme  à  l'égard  des  Anglais,  des  Suisses, 
des  Toscans,  Villeroy  agissait  dans  le  même  esprit  de  ruse  mélangé  de 
bonhomie  et  servait  les  intentions  de  Sully  et  de  son  maître,  le  plus 
économe  des  rois. 


LE    MINISTRE    DIIENRI    IV  481 

Dans  aucune  de  ces  questions  nous  n'avons  à  signaler 
une  opinion  spéciale  soutenue  par  Villeroy.  La  politique 
qu'on,  suivit  envers  les  Allemands  était  une  politique  ra- 
tionnelle imposée  par  les  circonstances  Villeroy,  aussi 
bien  qu'Henri  IV,  Sully  et  les  autres  membres  du  conseil 
était  pénétré  de  la  nécessité  de  fortifier  les  alliances  avec 
les  princes  ennemis  de  la  Maison  d'Autriche.  Nous  n'avons 
trouvé  de  divergence  qu'au  sujet  d'une  question  des  plus 
délicates,  qui  se  posa  en  l'année  1600. 

A  cette  époque,  Henri  IV  a  songé  —  pendant  très  peu 
de  temps  —à  briguer  la  succession  de  l'Empereur  Rodolphe. 
Pour  consolider  la  Maison  d'Autriche  en  déjouant  les  pro- 
jets de  dépossession  formés  par  certains  princes  protes- 
tants, les  deux  familles  régnantes  de  Madrid  et  de  Vienne 
voulaient  faire  élire  un  roi  des  Romains.  Nombreux  étaient 
les  candidats.  Les  principaux  étaient  les  archiducs  Ernest, 
Albert  et  Mathias.  Vers  1600,  les  Espagnols  essayèrent  de 
mettre  en  avant  le  nom  de  Philippe  III.  C'est  alors  qu'Hen- 
ri IV  pour  empêcherle  roi  d'Espagne  de  parvenir  à  l'Empire 
se  demanda  s'il  ne  devait  pas  mettre  son  propre  nom  en 
jeu.  II  consulta,  nous  apprend  un  manuscrit,  ses  trois  plus 
intimes  conseillers,  Sully,  Villerov  et  Bellièvre  (1).  Le  pre- 
mier l'engagea  vivement  à  poser  sa  candidature;  n'aurait-il 
pas  pour  lui  les  suffrages  de  l'Allemagne,  les  vœux  des 
Italiens  ennemis  de  l'Espagne,  et  l'appui  du  pape?  Son 
élection  serait  un  coup  terrible  porté  à  la  puissance  espa- 
gnole et  elle  ferait  de   lui  le  chef  glorieux  delà  croisade 


(1)  Cette  conversation  est  rapportée  dans  le  F.  Fr.  2751,  fo  239  et 
suiv.  «  Conférence  secrète  de  Henri  IV  avec  trois  conseillers  sur  les 
moyens  de  parvenir  à  l'Empire.  »  Elle  est  reproduite  dans  le  n°  10674, 
f"  1  et  suiv.  Le  F.  Dup.,n°  63,  contient  aussi  un  avis  au  feu  roi  Henry 
le  Grand  sur  la  prétention  qu'il  avait  à  l'Empire  Nous  reproduisons 
l'avis  des  conseillers  d'après  les  manuscrits,  qui  sont  les  sources  uniques 
de  cette  conversation.  Nous  n'avons  rien  trouvé  qui  puisse  infirmer 
ou  confirmer  cette  histoire.  H  n'y  a  rien  dans  Sully,  ni  dans  la  corres- 
pondante éditée  par  Rominel. 

Villeroy.  31 


482  VILLEROY 

contre  les  Turcs.  Le  vieux  Bellièvre  trouvait  ce  projet  fort 
dangereux  :  le  métier  d'empereur  et  de  défenseur  de  la 
chrétienté  serait  ruineux  pour  un  roi  qui  n'aurait  pas  les 
vastes  domaines  des  Habsbourgs,  mais  seulement  le 
royaume  de  France.  Il  s'attirerait  en  outre  toutes  les  haines 
que  suscitait  actuellement  une  maison  accusée  de  convoiter 
la  monarchie  universelle. 

Yillerov  n'éprouvait  ni  l'enthousiasme  de  Sully,  ni  les 
craintes  excessives  du  Chancelier.  Il  examinait  seulement 
la  possibilité  de  la  chose  et  ne  croyait  pas  que  l'élection  du 
roi  fût  certaine.  Il  conseillait,  en  matière  si  délicate,  d'at- 
tendre et  d'agir  selon  les  circonstances,  puisqu'on  avait  du 
temps.  Le  plus  important  pour  le  royaume  était,  non  de 
chasser  de  l'Empire  la  maison  d'Autriche,  mais  d'amoin- 
drir sa  puissance;  on  pourrait  atteindre  ce  but  en  poussant 
les  princes  allemands  à  choisir  le  plus  faible  des  archiducs. 

Henri  IV,  après  avoir  écouté  ses  serviteurs,  nous  disenl 
les  manuscrits,  ouvrit  une  fenêtre  et  les  yeux  au  ciel,  s'é- 
cria :  «  Dieu  formera  et  fera  naître  en  moi,  s'il  lui  plaît,  la 
résolution  que  je  dois  prendre  sur  tous  vos  discours  et  les 
hommes  l'exécuteront.  »  La  résolution  adoptée  fut  celle 
qu'avait  conseillée  Yillerov.  Les  rapports  de  Bongars  et 
d'Ancel  montrèrent  qu'il  n'y  avait  pas  un  électeur  en  qui 
l'on  put  se  fier.  Les  Allemands  jalousaient  ou  redoutaient 
la  maison  de  France  qui,  si  elle  était  parvenue  à  l'Empire, 
aurait,  tout  comme  les  Habsbourgs,  trouvé  en  eux  des 
sujets  indisciplinés  et  malveillants.  Nous  ne  savons  ce  qui 
se  passa  dans  l'âme  du  roi  :  l'incident  de  cette  candida- 
ture est  demeuré  assez  obscur.  Au  milieu  de  novembre 
1600,  il  avait  pris  une  décision  irrévocable.  Il  écrivit  à 
Bongars  qu'il  n'enviait  pas  celle  dignité  impériale.  «  L'état 
présent  de  mes  affaires  et  de  la  chrétienté,  disait-il,  ne  me 
permet  pas  d'y  prétendre  (1).   »   Philippe  Î1I   lui-même  y 

(1)  Le  roi  à  Bongars,  13  novembre  1600,  F.  Fr.  7129,  fo  80. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  483 

renonça  bientôt.  Henri  IV  protégea  quelque  temps  le  duc 
de  Bavière,  puis  voyant  que  ce  candidat  n'avait  aucune 
chance  sérieuse  de  succès  et  ne  voulant  point  d'un  pro- 
testant, il  se  déclara  pour  l'archiduc  Mathias.  Ce  dernier 
devint  aussi  le  candidat  des  archiducs  d'Autriche  qui 
prononcèrent  en  1606  la  déchéance  de  Rodolphe.  Mais  Ro- 
dolphe, qui  ne  voulait  poin!  se  laisser  dépouiller  par  un 
rival,  entama  contre  lui  une  furieuse  lutte.  L'anarchie  dé- 
sola  les  élats  autrichiens  jusqu'à  la  mort  de  Rodolphe. 
Mathias  fut  alors  élu  empereur  à  l'unanimité  (3  juin  1612). 
Villeroy,  sous  la  régence  de  Marie  de  Médicis,  avait  con- 
tinué à  appuyer  de  toutes  ses  forces  cette  candidature,  re- 
poussé les  avances  de  l'archiduc  Léopold  et  engagé  les 
amis  allemands  de  la  France  à  soutenir  Mathias  (1). 

Cette  candidature  d'Henri  IV  qui  avait  divisé  le  conseil 
ne  fut  qu'un  incident  minime  dans  l'histoire  des  relations 
de  la  France  et  de  l'Allemagne.  Après  1(306,  la  réconcilia- 
tion de  Bouillon  et  de  son  maître  ramena  la  concorde  dans 
le  royaume  el  rétablit  des  rapports  cordiaux  entre  le  roi  el 
les  prolestants  allemands.  Henri  IV  et  ses  ministres  s'oc- 
cupèrent alors  avec  plus  d'ardeur  et  de  constance  que 
jamais  à  former  une  ligue  des  princes  pour  organiser  la 
défense  de  leurs  libertés  et  la  résistance  a  la  maison  d'Au- 
triche. C'était  la  grande  tradition  française.  François  l"r  el 
Henri  II  avaient  montré  la  voie.  Le  prince  qui  avait  pacifié 
et  restauré  le  royaume  meurtri  par  les  guerres  de  religion 
la  suivait  tout  naturellement .  sans  hésiter,  sans  avoir  même 
à  vaincre  autour  de  lui  la  moindre  hésitation. 

Plusieurs  fois,  les  princes,  encouragés  par  le  roi,  avaient 
tenté  de  se  former  en  un  corps  discipliné  et  ferme,  mais 
n'avaient  pu  réussir,  tant  ils  étaient  désunis  el  affaiblis  par 


(1)  Voir  la  correspondance  de  Villeroy  et  de  Bongars,  pendant  L'année 
1611,  F.  Fr.  15923. 


484  VILLEROY 

leurs  querelles  particulières  et  les  luttes  confessionnelles 
entre  luthériens  et  calvinistes.  Après  la  reddition  de  Sedan, 
Henri  IV  chargea  Christian  d'Anhalt  de  représenter  aux 
princes  la  nécessité  de  l'union.  La  succession  de  Jean- 
Guillaume,  duc  de  Clèves  et  de  Juliers,  allait  s'ouvrir  pro- 
chainement. Il  fallait  empêcher  la  maison  d'Autriche  de 
s'en  emparer.  Les  négociations  avancèrent  avec  une  len- 
teur désespérante.  Les  Allemands  étaient,  comme  disait 
l'envoyé  Bongars,  «  nés  et  nourris  à  la  théorique,  à  dis- 
courir, écrire,  envoyer,  parler  »  (1).  Ils  avaient  peur  d'agir 
et  voyaient  partout  des  pièges  et  des  dangers  imaginaires. 
Ils  aimaient  à  user  envers  le  roi  de  procédés  empreints  à 
la  fois  de  méfiance  et  de  coquetterie;  Villeroy  les  trouvait 
«  un  peu  du  naturel  des  femmes  qui  fuient  ceux  qui  les 
recherchent  plus  que  les  autres  »  (2).  Toutefois,  dans  le 
courant  de  l'année  1607,  le  comte  Palatin  se  réconcilia 
avec  le  duc  de  Wurtemberg  et  tous  deux  travaillèrent  à 
former  l'union.  Puis  le  châtiment  infligé  à  la  ville  libre  de 
Donau  werth  effraya  les  princes  protestants  etles  rapprocha. 
Cette  ville  avait  été  mise  au  ban  de  l'Empire  par  Bodolphe 
et  occupée  par  le  duc  de  Bavière  qui  prétextait  vouloir  pro- 
téger les  catholiques  persécutés.  Le  4  mai  1608,  le  Palatin, 
le  duc  de  Wurtemberg,  les  margraves  d'Ansbach  et  de 
Bade-Dourlach,  le  comte  de  Neubourg  se  liguèrent  à  Ahau- 
sen  en  une  Union  Évangélique  à  laquelle  adhérèrent  bientôt 
les  villes  de  Strasbourg,  Nuremberg,  Ulm,  Francfort, 
Spire,  Worms.  Cette  union  était  loin  d'être  celle  que  rêvait 
Henri  IV.  Elle  n'était  pas  complète.  Le  landgrave  de  Hesse, 
le  margrave  de  Brandebourg,  le  duc  de  Saxe  n'avaient  pas 
donné  leur  adhésion.  Elle  ne  s'était  pas  formée  pour  être 
un  instrument  docile  de  domination  française  en  Allema- 
gne. Elle  fut  dès  le  début  timide  et  réservée,  n'osa  ouver- 


(1)  Bongars  à  Buwinckhausen,  6  septembre  1609.  F.  Dup.  193,l'o3S. 

(2)  Villeroy  à  Bongars,  7  octobre  1S99,  F.  Fr.  7126,  fo  330. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  485 

tement  s'allier  à  L'étranger,  attendit  que  le  roi  de  France 
déclarât  nettement  ses  intentions  et  fît  des  offres.  L'envoyé 
du  duc  de  Wurtemberg  rendit  compte  des  événements  à 
Henri  IV  en  termes  assez  vagues.  Henri  fut  aussi  réservé. 
Les  Allemands  pour  montrer  qu'ils  ne  voulaient  point  se 
livrer  à  la  France  envoyèrent  une  ambassade  au  roi  d'An- 
gleterre qui  promit  d'entrer  dans  l'Union  (1). 


Au  mois  de  mars  1609,  survint  l'événement  depuis  long- 
temps attendu  qui  devait  mettre  fin  à  cette  politique  d'in- 
certitudes et  d'équivoques.  Jusqu'alors  <>n  avait  discouru, 
intrigué,  hésité.  Le  Roi  de  France,  l'Empereur,  les  archi- 
ducs, les  princes  allemands,  catholiques  et  huguenots,  s'é- 
taient surveillés.  Désormais,  chacun  eut  à  prendre  une  po- 
sition nette. 

Un  magnifique  héritage  était  devenu  vacant  par  la  mort 
de  Jean-Guillaume,  duc  de  Clèves,  de  Berg,  de  Juliers, 
comte  de  la  Mark  et  de  Ravensberg,  seigneur  de  Ravens- 
tein.  C'étaient  des  terres  fertiles,  dans  de  riches  bassins 
d'alluvions,  sur  les  deux  rives  du  Rhin,  sur  la  Ruhr  et 
dans  le  pays  entre  l'Ems  et  le  Weser.  Elles  étaient  situées 
à  un  important  carrefour  de  routes  entre  les  Pays-Bas  hol- 
landais, les  Pays-lias  espagnols,  l'évêché  de  Munster  et 
l'électorat  de  Cologne.  De  nombreux  prétendants  les  con- 
voitaient :  deux  Français,  le  duc  de  Xevers  et  le  comte  de 
la  Mark  réclamaient  le  comté  de   la   Mark  ;  l'électeur  de 


(1)  Voir  Anquez,  p.  117  et  suiv.  —  Sur  les  rapports  de  la  France  et 
de  l'Allemagne  et  sur  la  formation  de  l'Union  Evangéliqui',  voir  aussi 
Moritz  Rilter,  Deutsche  geschichte  im  Zeitalter  der  Gegenreformation 
und  des  Dreissigjiihrigen  krieges  (I000-I6G8),  Stuttgart,  1895,  in-8° 
t.  II. 


486  VILLEROY 

Brandebourg,  le  palatin  de  Neubourg,  le  duc  des  Deux- 
Ponts,  le  margrave  de  Burgau,  l'électeur  de  Saxe  deman- 
daient le  tout.  L'empereur  était  appelé  à  prononcer  entre 
eux  ;  mais  au  point  de  vue  du  droit,  la  question  était  ex- 
traordinairement  embrouillée  et  Ton  prévoyait  en  France 
qu'il  garderait  l'héritage  pour  lui-même  ou  pour  l'un  de 
ses  alliés.  Or,  Clèves  et  Juliers  à  la  maison  d'Autriche, 
c'étaient  les  terres  d'Empire  ouvertes  aux  Espagnols,  fer- 
mées aux  Hollandais,  qui  étaient  séparés  de  leurs  amis 
d'Allemagne  et  menacés  sur  leurs  frontières.  C'était  aussi 
un  grand  danger  pour  le  royaume.  C'est  pourquoi  Henri  IV 
était  absolument  décidé  à  faire  écarter  toute  intervention 
autrichienne  ou  espagnole  et  à  faire  adjuger  l'héritage  aux 
protestants,  ses  amis.  L'intérêt  incontestable  du  royaume 
l'exigeait  (1). 

Le  roi  n'avait  de  préférence  marquée  pour  aucun  des 
concurrents.  Au  début,  nous  disent  les  Espagnols,  on  crut 
savoir  qu'il  soutiendrait  le  duc  de  Deux-Ponts  dont  le  frère 
était  gendre  de  Sully  (2).  Au  conseil,  on  discuta  pour  cha- 
cun des  prétendants  les  titres,  les  chances  d'acceptation 
par  les  Etats  du  pays  de  Clèves  et  de  Juliers,  l'utilité  pour 
le  royaume.  En  mai,  nous  dit  Aerssen,  le  roi  favorisait  da- 
vantage l'électeur  de  Brandebourg,  parce  qu'on  lui  avait 
fait  observer  que  le  Palatin  de  Neubourg  avait  recherché 
la  faveur  de  l'Autriche.  Le  chancelier  et  Sully  croyaient 
que  ce  prétendant  avait  moins  de  droits  que  les  autres. 
Villeroy  qui  avait  étudié  spécialement  la  question  juridique 
et  affirmait  tout  haut  qu'il  fallait  suivre  «  le  droit  chemin 
de  l'équité  »  jugeait  au  contraire  l'électeur  plus  favorisé 


(1)  Voir  Philippson,  t.  III,  p.  327  et  suiv.  :  Der  jûlicher  Erbfolges- 
trcit...,  Anquez,  p.  156  et  suiv. —  Moritz  Ritter,  Deutsche  g eschichte... 
p.  283  et  suiv. 

(2)  D'après  une  dépêche  «le  Pecquius.  du  8  avril  (Arch.  de  Vienne), 
citée  par  Philippson,  p.  341. 


LE    MINISTRE    d'iIENIU    IV  487 

par  le  droit  (1).  Ces  petites  discussions,  que  nous  notons  en 
passant,  furent  anodines.  Il  était  indifférent  à  Henri  IV  que 
l'un  ou  l'autre  des  deux  prétendants  protestants  fût  favo- 
risé. Il  lui  importait,  avant  tout,  d'unir  les  forces  allemandes 
contre  la  maison  d'Autriche.  Aussi  soutint-il  l'Electeur  et 
le  Palatin  qui  se  mirent  d'accord  et  s'emparèrent  d'une 
partie  de  la  succession  où  ils  établirent  une  administration 
provisoire.  Yilleroy  avait  rêvé  un  moment  une  autre  solu- 
tion à  ce  litige.  Dans  une  lettre  à  Bongars,  il  exprimait 
une  idée  qui  lui  était  personnelle  et  que  le  roi  ignorait  : 
pourquoi  n'aurait-on  pas  cherché  à  «  arranger  tout  cela  à 
l'avantage  de  l'un  des  fils  ou  filles  [de  S.  M.]  avec  l'une 
des  maisons  prétendantes,  et  principalement  avec  la  mieux 
fondée  en  justice  et  en  puissance  »  (2)?  Le  ministre  qui 
voulait  «  veiller  »  pour  le  roi  et  les  siens  «  lorsqu'ils  dor- 
ment et  croissent  »,  s'imaginait-il  que  l'établissement  d'un 
fils  ou  d'une  fille  du  roi  très  chrétien  en  Allemagne  aurait 
été  plus  agréable  au  pape  et  moins  difficilement  accepté 
de  l'Empereur? 

Au  mois  de  juillet  1603,  la  maison  d'Autriche  entra  en 
scène,  en  se  prononçant  énergïquement  contre  les  amis  du 
roi.  L'Empereur  affirma  qu'il  était  le  juge  souverain  des 
princes  :  il  mit  l'héritage  sous  séquestre  et  envoya  à  Ju- 
liers  l'archiduc  Léopold  pour  y  établir  une  administration 
provisoire.  Celte  décision  eut  un  retenlissement  considé- 
rable. Le  roi  déclara  très  haut  que  son  honneur  et  la  rai- 
son d'état  l'obligeaient  à  soutenir  la  cause  des  princes  me- 
nacés et  qu'il  n'hésiterait  pas  à  marcher  à  leur  secours,  à 


(1)  Aerssen  à  Barnevelt,  13  mai  1609.  Arch.  do  La  Haye,  Legatie,  617. 
Le  roi,  disait  Aerssen,  favorise  plus  l'électeur  qu'aucun  autre  ayant 
toujours  observé  que  Neubourg  avait  toujours  espéré  se  prévaloir  de 
cette  succession  par  la  faveur  de  l'Autriche.  Le  chancelier  et  Sully 
croient  que  c'est  lui  qui  a  le  moins  de  droits.  Villcroy  a  une  opinion 
contraire. 

(2)  F.  Fr.  7131,  î™  86-91  (cite  par  Anqucz,  p.  159). 


•*88  VILLEROY 

la  têle  de  son  armée.  Il  l'écrivit  à  Bongars,  le  dit  à  Pec- 
quius,  à  l'envoyé  de  Rodolphe,  à  qui  voulut  l'entendre.  La 
guerre  allait-elle  éclater? 

Sully  la  voulait.  Dès  le  début  du  conflit  il  eut  une  atti- 
tude résolument  belliqueuse.  Il  nous  raconte  qu'après  avoir 
reçu  la  nouvelle  de  la  mort  du  duc  de  Glèves,  le  roi  vint 
lui  rendre  visite  à  l'Arsenal.  «  Appuyés  sur  ce  balcon  d'où 
l'on  voit  la  rivière  de  Seine  et  grande  partie  de  Paris  »  ils 
eurent  plusieurs  discours  sur  la  situation  nouvelle  (1). 
Sully  mit  par  écrit  ses  sentiments  dans  une  longue  lettre 
où  il  examinait  tous  les  accidents  qui  pouvaient  résulter 
de  l'ouverture  de  la  succession.  Ces  affaires,  disait- il,  «  sont 
de  telle  nature  qu'elles  peuvent  donner  commencement  à 
une  guerre  très  longue  et  remplie  de  divers  accidents  et  en 
laquelle  se  trouveront  à  la  fin  enveloppés  tous  les  princes 
de  la  chrétienté,  soit  directement  ou  indirectement,  ouver- 
tement ou  couvertement  ».  II  expliquait  les  trois  formes  de 
guerre  qui  devaient  s'entreprendre  :  la  guerre  par  les 
princes  assistés  en  secret  par  leurs  alliés,  la  guerre  par  les 
princes  soutenus  ouvertement  en  leurs  seules  provinces, 
la  guerre  générale  entre  les  factions  de  France  et  d'Espagne. 
Si  la  dernière  éclatait,  la  France  devait  se  saisir  des  Pays- 
Bas  espagnols  pour  se  remettre  «  en  son  ancienne  splen- 
deur ».  Il  était  donc  nécessaire  de  rejeter  toutes  les  dé- 
penses de  l'Etat  «  qui  ne  consistent  qu'en  plaisir,  volupté, 
volonté,  coutume  ou  bienséance  »  et  de  se  préparer  sérieu- 
sement à  combattre  (2). 

La  situation  financière  du  pays  était  excellente.  Sully 
avait,  depuis  dix  ans,  administré  la  fortune  de  l'Etat  en  in- 
tendant sévère  qui  paye  les  dettes  de  la  famille,  empêche 
le  gaspillage,  et  met  tous  les  ans  de  côté  quelque  argent. 
Il  avaitéconomisé,  depuis  1600,  un  million  de  livres  par  an 

(1)  Sully,  Ëc.  Roy  ,  t.  II,  p.   317. 

{•!)  Sully,  Ec.  Roy.,  t.  II,  p.  318.  Lettre  de  M.  de  Sully  au  Roy. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  489 

en  moyenne.  Le  royaume  était  tranquille.  Après  la  sou- 
mission de  Bouillon,  aucun  grand  seigneur  n'avait  l'ait  le 
moindre  acte  de  rébellion.  Les  passions  religieuses  parais- 
saient endormies.  La  dernière  assemblée  des  protestants  à 
Jargeau,  en  octobre  1G08,  à  laquelle  Sully  avait  assisté, 
avait  donné  la  plus  grande  satisfaction  au  roi  et  à  son  mi- 
nistre. La  sécurité  avait  été  rendue  aux  campagnes.  Au 
cours  de  ces  dix  années,  d'intelligentes  mesures  avaient 
développé  la  richesse  agricole,  industrielle  et  commerciale 
de  la  nation.  Le  royaume  à  demi  ruiné  par  les  guerres  de 
religion  s'était  relevé  et  prospérait  avec  une  vigueur  mer- 
veilleuse. 

Sully  avait  donc  au  milieu  de  l'année  1609  la  conviction 
que  la  guerre  était  inévitable  et  que  le  royaume  était  prêt  à 
la  soutenir.  Bassompierre,  qui  vivait  alors  dans  l'intimité  du 
roi,  montra  plus  tard  dans  son  Journal  comment  le  ministre 
avait  «  ulcéré  et  envenimé  »  son  maître  contre  les  enne- 
mis traditionnels  du  royaume  (1).  Les  ambassadeurs  étran- 
gers le  désignent  aussi  comme  le  principal  auteur  des  pro- 
jets belliqueux.  Au  début  du  mois  d'août,  après  la  mise 
sous  séquestre,  il  fit  décider  par  le  roi  qu'on  conduirait  de 
l'artillerie  et  des  munitions  de  guerre  près  de  Mézières. 
L'ambassadeur  du  roi  auprès  des  Treize  Canton-;  recevait 
l'ordre  de  requérir  lesSuissesd'une  levée  de  gens  de  guerre. 
On  demandait  aux  Etats  d'envoyer  à  la  frontière  les  deux 
régiments  français  qui  étaient  à  leur  solde.  Sully  avait  for- 
mé un  double  plan.  D'accord  avec  Bongars  (i),  il  voulait 
qu'on  fit  immédiatement  une  démonstration  année;  avec 
quatre  ou  cinq  mille  hommes.  11  voulait  aussi,  en  prévi- 
sion de  la  grande  guerre,  des  préparatifs  de  longue  haleine 
qui  devaient  occuper  toute  la  fin  de  l'année  1609  et  les  pre- 


(t)  Bassompierre,  Journal  de  ma  vie, Ed.  de  ChantéraCj  t.  I,  p.  2G0 
?t  suiv. 
(2)  F.  Fr.  7131,  f«  21  (cité  par  Anquez,  p.  171). 


490  VILLEROY 

miers  mois  de  l'année  suivante,  car  jusqu'au  printemps  on 
ne  pouvait  faire  aucune  action  d'importance.  Il  ne  cessa, 
après  le  mois  d'août,  de  parler  en  faveur  de  la  démonstra- 
tion militaire.  Au  début  de  septembre,  il  disait  à  l'ambas- 
sadeur vénitien  que  si  le  roi  avait  suivi  son  conseil,  il  au- 
rait à  cette  heure  chassé  Léopold,  mais  que  de  toute  façon 
la  guerre  éclaterait  (1).  Quand  l'envoyé  de  l'archiduc,  fai- 
sant semblant  de  croire  que  Sully  avait  travaillé  pour  la 
paix,  vint  lui  présenter  ses  compliments,  le  ministre  lui 
répondit  assez  rudement  qu'il  avait  toujours  conseillé  au 
roi  d'aider  ses  amis  et  confédérés,  qu'il  agirait  encore  ainsi 
à  l'avenir  et  qu'il  voudrait  plutôt  avoir  un  bras  coupé 
que  faire  autrement  (2).  Le  8  novembre,  Aerssen  écrivait  : 
Sully  «  seul  ou  pour  mieux  dire  le  premier  de  son  opinion, 
dit  que  la  parole  du  roi  est  engagée  du  dehors  et  du  dedans  : 
si  elle  n'est  suivie  de  ses  effets  qu'il  ira  trop  de  sa  réputa- 
tion et  de  la  sûreté  de  son  royaume  »  (3).  Quelques  jours 
après  le  même  Sully  disait  formellement  à  Aerssen  :  «  Nous 
ne  faisons  rien  qui  vaille  ni  les  uns  ni  les  autres.  Vous 
êtes  trop  mois  et  nous  sommes  trop  lâches  :  j'ai  opinion  que 
nous  gâterons  tout...  Nous  nous  morfondons  toujours  à  la 
fin  »  (4). 

On  se  «  morfondait  »  surtout  parce  que  Villeroy  prêchait 
la  paix.  On  a  vu  déjà  comment  son  tempérament  le  portait 
à  la  recherche  des  solutions  pacifiques.  Ce  vieillard  de 
soixante-six  ans  qui  avait  gardé  un  souvenir  ineffaçable 
des  troubles  de  la  Ligue  et  des  dangers  que  la  guerre 
étrangère  avait  fait  courir  au  royaume  était  convaincu  que 
la  guerre  eût  été  pour  la  France  un  malheur.  Il  redoutait 
pour  la  personne  d'Henri  IV,  sur  qui  reposait  le  salut  de 

(1)  Foscarini  au  Sénat,  9  septembre  1609,  F.  Ital.  1761,  f»116. 

(2)  Foscarini  au  Sénat,  Ibid.,  f °  117. 

(3)  Aerssen  à  Barnevelt,  8  novembre  1609,  Arch.  de  La  Haye, 
Légal  ie,  617. 

(4)  Ibid.,  14  novembre  1609,  Ibid. 


LE    MINISTRE    d'iIENRI    IV  401 

l'Etat,  les  hasards  des  batailles.  Quelle  catastrophe,  si  le 
roi,  dont  l'héritier  se  trouvait  en  bas  Age,  était  tué  !  Il 
craignait  aussi  qu'à  la  faveur  d'une  intrigue  espagnole 
ou  d'une  campagne  indécise  le  pays  ne  lût  en  proie  à 
de  nouvelles  agitations  fomentées  par  des  grands  mécon- 
tents ou  parles  huguenots.  C'était  une  opinion  absolument 
opposée  à  celle  de  Sully  qui  croyait  qu'une  bonne  guerre 
seule  pouvait  purger  le  royaume  de  ses  mauvaises  hu- 
meurs. Le  grave  conflit  de  H>09  lui  parut  mériter  plus 
que  les  précédents  ce  qu'Aerssen  appelait  plaisamment  les 
«  drogues  »  pour  la  paix,  car  il  allait  diviser  la  chrétienté  au 
profit  des  protestants.  Sans  doute  la  raison  d'état  ordonnait 
de  soutenir  les  alliés  de  la  France,  quelle  que  fût  leur  reli- 
gion, et  Villeroy  malgré  l'ardeur  de  sa  foi  catholique  était 
assez  «  bon  Français  »  et  assez  raisonnable  »  pour  accepter 
cette  nécessité.  Mais  ne  devait-on  pas  employer  tous  les 
moyens  de  conciliation  avant  d'entamer  une  lutte  qui 
pouvait  être  funeste  à  la  religion?  Le  roi  très  chrétien  ne 
devait-il  pas  engager  ses  forces  à  la  dernière  extrémité, 
seulement  quand  l'honneur  et  l'intérêt  du  pays  l'exigeraient 
impérieusement?  Autant  que  le  catholique,  le  vieux  rou- 
tier de  la  diplomatie  hésitait  à  conseiller  un  coup  de  force 
immédiat.  Il  avait  mesuré  avec  plus  de  clairvoyance  que 
Sully  les  difficultés  d'une  telle  action  (I).  Le  roi  ne  pouvait 
marcher  seul  à  la  frontière.  Les  princes  allemands  parais- 
saient singulièrement  froids.  Ils  discouraient,  tergiver- 
saient, se  montraient  étonnés  du  zèle  du  roi  chez  lequel 
ils  soupçonnaient  des  pensées  intéressées.  Ils  préféraient 
de  l'argent  à  des  troupes.  Le  principal  intéressé,  l'électeur 
de  Brandebourg,  ne  faisait  môme  pas  partie  de  l'Union 

(1)  «  Il  m'a  dit,  écrit  Aerssen  le  2!)  juillet,  que  tout  ce  qui  en  peut 
venir  à  S.  M.  n'est  que  la  gloire  d'avoir  protégé  le  droit:  contreba- 
lancez cela  avec  les  périls,  dépenses  et  fatigues  d'une  grande  guerre 
après  un  long  repos,  vous  trouverez  facilement  que  ce  serait  chèrement 
acheter  cette  gloire.  »  Voir  ci-dessous  Ritter,  p.  310. 


492  VILLEROY 

Evangélique  ;  il  n'y  adhéra  qu'au  mois  de  décembre.  Une 
partie  des  membres  de  cette  Union  ne  voulait  pas  admettre 
que  la  question  de  Clèves  les  touchât  directement.  Les 
Anglais  et  les  Hollandais  se  montraient  aussi  peu  disposés 
à  «  entrer  dans  la  danse  »  (1). 

Aussi  dès  le  début  du  mois  d'août,  Villeroy  aidé  du  chan- 
celier et  du  vieux  connétable  remontra-t-il  au  roi  qu'il  ne 
pouvait  lui  conseiller  «  de  se  jeter  si  précipitamment  en 
une  guerre  non  nécessaire,  attendu  qu'il  est  plus  à  propos 
que  ceux  qui  y  sont  intéressés  précèdent  et  la  com- 
mencent »  (2).  Cette  opposition  provoqua  entre  Sully  et 
Villeroy  quelques  discussions  vives.  Le  9  septembre,  l'am- 
bassadeur vénitien  apprenait  par  voie  sûre  qu'au  cours 
d'une  de  ces  querelles,  le  roi  avait  dû  leur  imposer  à  tous 
deux  le  silence  et  que  Villeroy  irrité  contre  Sully  s'était 
tenu  éloigné  de  la  cour  pendant  quelques  jours  sous  pré- 
texte de  prendre  médecine  (3).  La  politique  de  Villeroy 
n'était  pour  personne  un  mystère.  Dans  ses  entrevues  avec 
les  étrangers,  tout  en  parlant  très  ferme  au  nom  des  droits 
et  des  devoirs  du  roi,  il  laissait  entendre  que  s'il  y  avait 
grande  apparence  de  guerre,  la  situation  était  loin  d'être 
désespérée  (4),  et  il  manifestait  à  tout  propos  son  vif  désir 
d'éviter  une  rupture  (5).  Une  fois,  il  se  plaignit  à  Aerssen 

(1)  Voir  quelques  lettres  d'Aerssen  à  Barnevelt,  écrites  de  juillet  à 
octobre  1609,  dans  M.  Ritter.  Briefe  und  Acten  sur  Geschichte  des 
dreissigjàhrigen  Krieges,  Mûnchen,  1874,  in-8o,  t.  II,  Die  Union  und 
Heinrich  IV,  p.  311  et  suiv. 

(2)  Aerssen  à  Barnevelt,  2  août  1609,  Arch.  de  La  Haye,  Holland 
2G32.  Dans  cette  même  lettre,  Villeroy  faisait  observer  avec  raison  que 
les  princes  allemands  n'étaient  pas  encore  armés,  qu'ils  craignaient 
l'Autriche,  se  méfiaient  de  la  France,  que  les  Etats  ne  disaient  rien, 
voulaient  la  paix,  que  les  autres  rois  attendaient  que  S.  M.  entreprit 
cette  guerre  pour  lui  en  laisser  le  fardeau  Voir  aussi  la  lettre  d'Ubal- 
dini  du  4  août  publiée  par  M.  Ritter,  Briefe  und  Acten...  p.  324. 

(3)  Foscarini  au  Sénat,  9  septembre  1609,  F.  Ital.  1761,  fo  116. 

(4)  Foscarini  au  Sénat,  11  août  1609,  Ibid.,  f°  102. 

(5)  Ubaldini  à  Lanfranco,  1er  novembre  1609,  F.  Ital.  30,  f  332. 
Voir  aussi  la  dépêche  du  28  septembre,  ibid.,  fo  294  et  suiv. 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  493 

de  celte  «  mauvaise  affaire  »  où  le  roi  ne  pouvait  se  jeter 
seul  et  lui  dit  qu'il  ne  pouvait  lui  conseiller  d'entreprendre 
la  guerre  avant  de  savoir  ce  que  les  princes  intéressés  vou- 
laient faire  (1).  Quelques  jours  après,  il  lui  disait  encore  : 
«  Nous  voyons  bien  le  mal,  mais  nous  en  cherchons  encore 
les  remèdes.  Ces  princes  sont  trop  longs  et  trop  irrésolus  ; 
ce  néanmoins  nous  ne  devons  pas  négliger  nos  intérêts  pour 
l'amour  d'eux.  Il  faut  veiller  à  tout  »  (2). 

Jamais  Henri  IV  ne  s'était  trouvé  dans  une  telle  indéci- 
sion. Il  y  avait  sans  doute  de  l'exagération  dans  le  mot 
d'Aerssen  :  «  On  est  fort  prompt  ici...  nous  changeons  six 
fois  d'avis  en  un  fait  d'importance  »  (3).  Mais  il  est  certain 
qu'il  «  vacillait  et  balançait  tantôt  en  un  conseil,  tantôt 
en  l'autre  »  (4).  Chacun  des  deux  ministres  cherchait  à 
émouvoir  quelques-uns  des  sentiments  qui  s'agitaient  dans 
cette  nature  complexe.  Il  y  avait  chez  Henri  IV  un  roi  guer- 
rier, un  roi  épris  de  gloire,  très  sensible  au  point  d'hon- 
neur, ambitieux  d'être  le  premier  capitaine  de  la  chrétienté; 
dans  cette  Ame,  le  désir  d'une  revanche,  d'une  grande 
guerre  avec  l'Espagne  ne  s'endormait  jamais.  II  y  avait 
aussi  un  roi  pacifique  qui  après  tant  de  travaux  croyait 
avoir  le  droit  de  se  reposer  un  peu  et  qui  se  jetait  avec  une 

(1)  Aerssen  à  Barnevelt,  28  septembre  1609.  Holland,  2632.  (La 
lettre  a  été  résumée  par  M.  Ritter,  p.  427.)  Voir  aussi  une  lettre 
rl'Ubaldini  à  Borghese,  F.  Ital.  1264,  fo  347. 

(2)  Aerssen  à  Barnevelt,  1er  novembre  1609.  Dans  cette  lettre,  Ville- 
roy  avouait  à  Aerssen  que  le  roi  n'était  plus  aussi  a  échauffé  »  à  la 
guerre  qu*au  commencement.  Holland,  2632. 

(3)  Aerssen  à  Barnevelt,  28  novembre  1609.  Holland,  2632. 

(4)  Sully,    Ec.   Roy.,  II,   p.     304.  «   D'une   part  les   partisans 

d'Espagne,  les  mauvais  Français,  les  ennemis  de  la  religion  et  autres 
qui  enviaient  ou  appréhendaient  la  grandeur  suprême  du  Boi  et  de 
l'Etat,  afin  de  le  divertir  de  rien  entreprendre;  d'autre  côté,  le  duc  de 
Savoie,  le  prince  Maurice,  les  Vénitiens,  les  princes  d'Allemagne,  vous 
et  tous  ceux  qui  étaient  de  votre  humeur  en  France,  l'excitiez  à  em- 
brasser les  occasions  qui  se  présentaient  pour  acquérir  plus  de  gloire 
et  d'honneur  que  fit  jamais  roi  de  France  ;  tellement  qu'il  vacillait  et 
balançait  tantôt  en  un  conseil,  tantùt  en  l'autre.  » 


494  VILLEROY 

extraordinaire  jeunesse  d'esprit  dans  ce  que  Sully  appelait 
«  les  plaisirs,  l'oisiveté,  la  nonchalance  et  les  délices  ». 
Mais  les  instincts  ne  dominaient  jamais  complètement  ce 
roi.  Nul  ne  chercha  plus  sincèrement  que  lui  à  gouverner 
son  royaume  parla  raison.  Il  calculait,  prenait  conseil,  hé- 
sitait quand  la  situation  était  obscure  et  le  profit  douteux, 
cédait  quand  il  croyait  avoir  tort,  ne  s'obstinait  pas,  recher- 
chant avant  tout  l'intérêt  de  l'Etat. 

On  peut  dire  qu'à  la  fin  de  l'année  1609,  l'apparente 
«  irrésolution  »  du  roi  l'ut  le  résultat  des  conseils  de  Yille- 
roy  qui  lui  montra  mieux  que  tout  autre  les  difficultés 
d'une  situation  très  complexe.  Aussi,  malgré  Sully,  la  pru- 
dence l'emporta.  On  négocia  pendant  cinq  mois.  Le  roi  et 
les  ministres  reçurent  des  ambassades  des  archiducs  de 
Flandre,  de  l'empereur,  de  divers  princes  allemands. 
Henri  IV  affirma  sans  relâche  qu'il  assisterait  ses  alliés  en 
la  défense  de  leur  cause  ;  mais  le  ton  de  ces  déclarations 
était  pacifique.  C'étaient  autant  d'invitations  indirectes 
adressées  à  la  maison  d'Autriche  pour  entrer  en  négocia- 
tions. En  Allemagne,  on  chargea  Bongars  de  plusieurs 
voyages  à  la  cour  des  princes,  et  bientôt  on  lui  adjoignit 
Boissise.  Ils  devaient  démontrer  aux  Allemands  que  le  roi 
de  France  ne  pouvait  les  aider  sans  qu'ils  s'aidassent  eux- 
mêmes.  Le  roi  se  déclarait  prêt  à  les  soutenir  s'ils  mon- 
traient de  l'énergie  et  savaient  concerter  un  plan  de  dé- 
fense il). 


Dès  le  début  du  conflit,  le  roi  avait  cherché  des  alliés. 


(Il   Au   mois  d'août,  le   roi    reçut    des    envoyés  de   Léopold  et   des 

archiducs  de  Flandre,   en  septembre,  le  comte  de  Hohenzollern  repré- 

i  niant  de  Rodolphe,  des   électeurs  ecclésiastiques  et  du  duc  de  Saxe. 

oya  Bongars  en  Allemagne   en  novembre   (voir  ['Instruction   du 

roi  à  Bongars,  dans  le  F.  Brienne,  292,  1°  18  et  suiv.). 


LK    MINISTRE    d'hENIU    IV  495 

La  campagne  diplomatique  de  l'année  1609  avait  eu  pour 
objet  de  constituer  un  grand  parti  anti-espagnol:  le  pru- 
dent ministre  qui  la  dirigeait  avail  usédetoute  son  influence 
pour  qu'aucune  alliance  n'entraînât  le  roi  malgré  lui,  pour 
qu'il  restât  maître  du  temps  où  il  déciderait  la  guerre.  Il 
avait  suffi  de  quelques  avances  au  duc  de  Savoie  pour  qu'il 
se  rapprochât  de  nouveau  de  la  France  après  avoir  paru  se 
jeter  dans  les  bras  des  Espagnols.  La  cour  de  Madrid  l'a- 
vait déçu  profondément  en  berçant  ses  illusions  de  con- 
quêtes sans  lui  faire  aucune  promesse  sérieuse.  Petit  à 
petit,  avec  beaucoup  d'astuce,  il  s'était  détaché  d'elle  et  au 
mois  d'avril  avait  envoyé  en  France  un  ambassadeur,  Trol- 
liouz,  pour  arrêter  les  bases  d'un  accord.  A  la  même  épo- 
que, le  roi  envoya  à  Turin  Claude  de  Bullion  sous  prétexte 
d'accommoder  un  différend  entre  Charles-Emmanuel  cl  le 
comte  de  Soissons.  Le  duc  exposa  ses  projets  à  cœur  ou- 
vert. On  parla  en  détails  de  la  conquête  du  Milanais. 
Charles-Emmanuel  qui  avait  enfin  compris  qu'une  des 
causes  de  la  froideur  des  Français  était  son  dessein  d'agran- 
dissement audelà  du  Rhône  renonçaità  demander  la  remise 
anticipée  de  la  dot  promise  au  prince  de  Piémont  (1). 
Au  moment  où  le  conflit  de  Clèves  devenait  plus  aigu,  Bul- 
lion fut  envoyé  une  seconde  fois  a  Turin,  pour  arrêter  les 
dispositions  essentielles  de  l'alliance.  D'après  ses  instruc- 
tions datées  du  23  octobre  (2),  il  devait  promettre  d'indem- 


(1)  Sur  ces  négociations  a\  ec  la  Savoie,  voir  Philippsonj  III.  p.  307* 
::ii,  p.  372-382.  Philippson  a  interprété  les  dépêches  de  Jacob  el  les 
relations  de  Trolliouz  conservées  aux  archives  de  Turin  {Negoziaeioni 
Francia,  Lettere  Ministrï  Francia,  etc.).  La  question  il''  l'alliance 
savoyarde  (d'après  les  dépêches  de  Jacob)  avait  été  amplement  mais 
superficiellement  traitée   dans  Siri,  Memorie  recondite,  II.  Voir  aussi 

comme docu nts  essentiels  les  dépêches  de  Foscarini,  celles  'lu  nonce 

Qbaldini  (F.  liai.  1264,  et  30),  ri  celles  de  Don  Inigo  de  Gardenas 
(Arch.  Nat.  /''//<.  Sim.  K.  1461).  Voir  quelques  pages  d'E.  Hott,  Henri  IV, 
les  Suisses  el  lu  Haute-Italie,  p.  420  el  suiv. 

(2)  F.  Dup.  o3S,  f<J  43  et  suiv. 


496  VILLEROY 

niser  le  duc  des  pensions  que  l'Espagne  allait  lui  retirer. 
Il  demanderait  à  Charles-Emmanuel  de  céder  au  roi  la 
Savoie  lorsqu'on  se  serait  emparé  de  Milan,  et  en  attendant, 
comme  garantie  de  sa  bonne  foi,  Montmélian  ou  Pignerol. 
Mais  le  roi  ne  voulait  pas  s'engager  à  fixer  la  date  où 
commencerait  la  guerre.  «  Quant  au  temps  que  l'on  pourra 
commencer  les  entreprises,  disait-il,  c'est  chose  que  l'on  ne 
peut  encore  prescrire.  »  Il  fallait  connaître  les  résolutions 
des  Allemands,  des  Anglais,  des  Hollandais  avant  de  partir 
en  guerre. 

Or  de  ce  côté  la  diplomatie  française  n'était  pas  heureuse. 
Elle  se  heurtait  partout  à  de  l'indifférence  ou  à  du  mauvais 
vouloir.  Les  Vénitiens  restaient  attachés  à  la  paix  qui  favo- 
risait leur  commerce  :  ils  redoutaient  les  aventures  mili- 
taires et  s'ils  détestaient  les  Espagnols,  ils  ne  souhaitaient 
pas  de  les  voir  remplacés  à  Milan  par  les  Savoyards  et  les 
Français.  Villeroy  ne  pouvait  rien  gagner  sur  Foscarini. 
Jacques  I(r  d'Angleterre  se  montrait  excessivement  méfiant, 
malgré  les  efforts  de  notre  ambassadeur  La  Boderie.  Du 
côté  des  Hollandais  qu'on  voulait  lier  aux  princes  allemands, 
on  n'avait  que  des  réponses  vagues  et  dilatoires.  Le  roi 
n'avait  pour  allié  que  le  duc  de  Savoie.  Aucun  des  autres 
amis  de  la  France  ne  se  disposait  à  la  soutenir  effectivement. 
Voilà  pourquoi  Villeroy  conseillait  la  paix. 

Au  mois  de  novembre,  alors  qu'on  paraissait  incliner  de 
plus  en  plus  vers  la  paix,  le  ministre  défendit  au  Conseil  un 
projet  destiné  à  régler  à  l'amiable  le  conflit  de  la  succession 
et  à  réconcilier  la  France  et  l'Espagne.  Il  n'avait  jamais 
fait  aucune  objection  de  principe  à  un  mariage  franco-espa- 
gnol. Pendant  l'ambassade  de  Don  Pedro  de  Tolède  il 
n'avait  aidé  à  faire  ajourner  les  négociations  matrimoniales 
que  parce  qu'il  y  avait  vu  une  manœuvre  espagnole  pour 
séparer  les  Français  des  Hollandais.  L'ambassadeur  Car- 
denas  au  milieu  de  l'année  1609  avait  essayé  de  reprendre 
les  négociations  ;  mais  le  roi  et  ses  ministres  avaient  soup- 


LE    MINISTRE    d'iIENM    IV  497 

çonné  le  conseil  d'Espagne  de  chercher  à  gagner  du  temps 
pour  amener  les  Français  à  une  attitude  plus  conciliante. 
Henri  IV  au  mois  de  juin  avait,  dit  au  nonce  qu'il  fallait 
attendre  le  règlement  des  affaires  de  Juliers.  L'infatiga- 
ble Ubaldini  ne  s'était  pas  découragé.  Il  s'était  remis  à 
sa  tâche  au  mois  de  novembre,  ayant  cette  l'ois  pour  allié 
Villeroy  qui  jugeait  le  moment  pins  favorable  pour  traiter 
ces  délicates  questions  (1). 

Le  nonce  proposait  de  résoudre  l'affaire  de  ('.lèves  d'une 
manière  satisfaisante  pour  les  deux  couronnes.  On  marie- 
rait l'infant  Don  Carlos  à  la  fille  du  roi,  Christine  :  le  roi 
rachèterait  les  terres  de  Juliers  et  de  Clèves  aux  prétendants 
et  les  donnerait  en  dot  à  sa  fille.  Ce  projet  ne  déplaisait  pas 
à  Henri  IV  qui  à  la  fin  de  novembre  déclarait  aimablement 
au  nonce  et  à  l'ambassadeur  d'Espagne  son  désir  de  vivre 
en  bon  parent  avec  Philippe  III.  Villeroy  proposait  de  faire 
régler  la  question  allemande  par  un  grand  congrès  où  dis- 
cuteraient les  envoyés  du  roi  de  France,  de  l'Empereur,  du 
roi  d'Espagne,  des  archiducs  et  des  princes  de  Germanie. 
Il  semblait  qu'à  ce  moment  les  bonnes  dispositions  du  roi 
trouvassent  un  écho  à  la  cour  de  Madrid.  L'ambassadeur 
Vauoelas  offrait  les  portraits  des  enfants  de  France  à  la 
reine  d'Espagne  qui  témoignait  autant  de  désir  de  ces 
mariages  que  la  reine  de  France  Car  à  la  cour,  Marie  de 
Médicis  avait  toujours  clé  favorable  à  ces  alliances:  elle 
avait  du  sang  autrichien  dans  les  veines,  elle  était  très 
dévote,  et  elle  adorait  les  intrigues  matrimoniales  ;  elle  fui 
pour  toutes  ces  raisons  l'alliée  constante  de  Villeroy   qui 

(1)  Voir  les  dépêches  de  Cardenas,  27  avril,  30  mai,  30  .septembre, 
29  novembre  1009,  Aich.  Nat.  Pap.  Sim.  K.  1  'cil.  p.  28,  37,  74,  UT, 
les  dépêches  d'Ubaldini,  16  septembre  (F.  Ital.  1264,  f"  344).  22  no- 
vembre (Perrons,  p.  239),  2*  novembre  (F.  liai.  30,  1°  337,  publiée 
par  M.  Ritter,  p.  483-486).  Cette  dernière  nous  apprend  que  Villeroy 
affirmait  au  nonce  qu'il  aurait  été  «  molto  a  proposito  incaminare 
queste  cose  di  Cleves  eon  fine  che  non  solo  non  havessero  a  cagionare 
rottara  tra  Spagna  e  Francia,  ma  in  contrario  amicitia  e  parentela  ». 
Villeroy.  32 


498  VILLEROY 


par  raison  d'état  fit  conclure  les  mariages  espagnols  sous 
la  Régence  (1). 


III 


Alors  qu'en  novembre  1609,  la  diplomatie  française  s'ap- 
pliquait, suivant  un  mot  cher  à  Villeroy,  à  conduire  les 
affaires  du  monde  «  par  degrés  »  (2)  et  s'acheminait  vers 
l'accommodement  des  affaires  d'Allemagne,  des  événements 
inattendus  arrêtèrent  net  l'œuvre  de  paix.  Le  conflit  s'en- 
venima brusquement  après  la  fuite  du  prince  et  de  la  prin- 
cesse de  Condé  (29  novembre  1609). 

Le  vieux  roi  était  tombé  éperdument  amoureux  de  Char- 
lotte de  Montmorency,  la  fille  du  connétable.  Il  la  fit  don- 
ner en  mariage  au  prince  de  Condé,  le  premier  prince  du 
sang.  Celui-ci  qui  n'entendait  point  être  un  mari  complai- 
sant s'indigna  bientôt  des  assiduités  du  roi  et  emmena  sa 
femme  en  son  château  de  Valéry.  Puis,  comme  le  roi  par- 
lait de  divorce,  il  prépara  secrètement  «  l'enlèvement  inno- 
cent ».  Le  29  novembre  1609,  il  s'enfuit  avec  sa  jeune 
femme  à  Bruxelles  afin  de  s'y  mettre  sous  la  protection  des 
archiducs.  On  apprit  le  jour  même  à  la  cour  sa  disparition. 
Le  roi  fut  transporté  de  fureur.  îl  souffrait  terriblement  à 
la  pensée  de  perdre  celle  qui,  disait-il  à  Bassompierre, 
devait  être  «  la  consolation  et  l'entretien  »  de  sa  vieillesse. 
Il  envoya  chercher  ses  conseillers.  Bassompierre  nous  a 
conté  en  détail  la  scène  où  ils  donnèrent  chacun  «  un  plat 


(1)  Sur  le  rôle  de  Marie  de  Médicis,  voir  les  dépêches  d'Ubaldini  et 
les  ambassadeurs  toscans  'Lettres  de  Guidi  au  grand-due,  et  Mission 
de  Botti  en  France,  Desjardins,  t.  V,  p  5N0  et,  suiw,  p.  604  et  suiv.). 
Voir  Perrens  et  BatifTol,  op.  cit. 

(2)  «  J'estime  que  toutes  choses  pourront  s'accommoder  avec  le 
temps  les  conduisant  par  degrés  sans  les  précipiter  »,  écrivait  Villeroy 
à  Bellièvre  et  à  Sillery,  le  10  février  1598  (F.  Fr.  15911,  f°  205). 


LE    MINISTRE    D  HENRI    IV  499 

de  leur  métier  ou  un  trait  de  leur  humeur  »  (1).  Le  chan- 
celier parla  le  premier  et  proposa  que  le  roi  fît  de  «  bonnes 
et  fortes  déclarations  »  contre  le  prince  de  Coudé.  Villeroy 
entrait  à  ce  moment.  Le  roi  lui  demanda  son  avis.  Le  mi- 
nistre haussa  les  épaules,  parui  très  étonné  de  cette  nou- 
velle et  dit  qu'il  fallait  avertir  immédiatement  tous  les  am- 
bassadeurs du  roi  à  l'étranger  de  ce  départ  précipité  du 
premier  prince  du  sang  qui  s'était  effectué  sans  la  permis- 
sion du  roi  ;  ceux-ci  devaient  faire  aux  princes  étrangers 
les  offres  nécessaires  pour  que  Condé  ne  fût  point  retenu 
ou  qu'il  fût  renvoyé  en  France.  Jeannin  préconisa  les 
mesures  les  plus  énergiques:  dépêcher  un  capitaine  des 
gardes  pour  ramener  Condé  de  force,  puis  s'il  passe  la 
frontière,  le  réclamer  instamment  au  prince  chez  lequel  il 
se  sera  réfugié  et  qu'on  menacera,  s'il  le  faut,  d'une  guerre. 
Sully  était  absent.  Le  roi  l'envoya  chercher,  et  tout  en 
se  promenant,  la  tête  baissée,  les  main-  derrière  le  dos, 
dans  la  chambre  de  la  reine,  Villeroy,  Sillery,  Jeannin  et 
deux  ou  trois  autres  se  tenant  debout  sans  mot  dire  contre 
la  muraille,  il  lui  posalamême  question  qu'aux  précédents. 
Sully  donna  un  avis  ingénieux  et  original.  Ilproposa  de  ne 
rien  faire  du  tout,  de  parler  de  l1  affaire  le  moins  possible, 
de  faire  semblant  de  la  considérer  comme  sans  importance. 
Les  archiducs  croiraient  alorsquece  voyage  s'était  fait  avec 
la  connivence  du  roi  et  ils  chercheraient  à  se  défaire  du 
prince  qui  leur  serait  devenu  suspect,  ou  bien,  pensant  que 
cette  affaire  était  de  très  mince  importance  pour  Henri  IV 
ils  mépriseraient  Condé  qui  serait  forcé  de  se  retirer  (2). 


(1)  Bassompierre,  1. 1,  p  257-259.  Bassompierre,  beau  courtisan,  très 
en  faveur  auprès  d'Henri  IV,  avait  cherché  .i  épouser  Charlotte  de  Mont- 
morency et  y  avait  renoncé  sur  les  instances  d'Henri  IV. 

(2)  Bassompierre,  I,  p.  259.  —  Sully.  Ec.  Roy.,  II,  p.  308-309. 
Sully  ne  parle  que  de  l'avis  qu'il  a  donné.  Il  a  conté  la  scène  en  un 
style  très  vil'.  Notons,  dans  ce  dialogue  si  inimi  .  ce  mot  de  Sully  qui 
rappelle  mainte  maxime  de  Villeroy  :  «  Il  y  a  des  maladies  qui  veulent 


500  VILLEROY 

Henri  IV  ne  suivit  pas  le  conseil  de  Sully  qui  nous  paraît 
le  plus  sage,  ni  celui  de  Villeroy  qui  était  celui  d'un  diplo- 
mate respectueux  des  formes  de  la  légalité,  cherchant  à 
gagner  du  temps  et  trop  confiant  peut-être  dans  le  succès 
des  négociations.  Il  envoya  un  exempt  des  gardes,  puis  le 
chevalier  du  guet  à  la  poursuite  du  prince  ;  ensuite  il  confia 
une  mission  officielle  à  Praslain,  capitaine  des  gardes,  pour 
réclamer  le  prince  et  la  princesse  aux  archiducs.  Ceux-ci 
ne  voulaient  point  offenser  le  roi  avec  qui  ils  entretenaient 
des  relations  très  cordiales  ;  ils  ne  pouvaient  non  plus  violer 
les  règles  de  l'hospitalité.  Ils  cherchèrent  à  amener  un 
accommodement  entre  Henri  IV  et  le  premier  prince  du 
sang.  D'autres  personnes  s'y  employèrent  avec  zèle  dans 
le  courant  de  décembre.  Mais  Condé  se  montrait  exigeant: 
il  réclamait  une  place  de  sûreté  à  la  frontière.  Le  roi  qu'ir- 
ritait de  plus  en  plus  cette  résistance  voulait  la  soumission 
absolue  du  prince  qui  devenait  un  sujet  rebelle  (1). 

Aussitôt  après  la  fuite  de  Condé,  la  défiance  à  l'égard  des 
Espagnols  qui  paraissait  s'assoupir  s'était  réveillée  dans 
l'âme  du  roi.  Il  vit  Condé  se  concertant  avec  les  ennemis 
de  sa  couronne  et  soutenu  par  eux,  la  légitimité  du  dau- 
phin contestée,  le  royaume  menacé  comme  au  temps  de  la 
conspiration  de  Biron.  Condé  à  peine  arrivé  à  Bruxelles, 
Henri  IVosait  dire  publiquement  en  dînant  que  si  l'archiduc 
ne  donnait  pas  le  prince  à  Praslain,  il  irait  le  chercher  en 
personne  en  Flandre  avec  50.000  hommes  (2).  Villeroy  ne 
perdait  pas  son  sang-froid.  Il  s'efforçait  de  calmer  les  soup- 
çons du  roi  qui,  on  doit  le  reconnaître,  n'étaient  pas  encore 


plutôt  du  ivpos   que  des  remèdes,  et  je  tiens  celle  qui  se  présente  de 
nature.  »   Les  ambassadeurs   étrangers  ont  résumé  cette  scène, 
sans  donniT  de  détails  nouveaux. 

(1)  Voir  Philippson,  111,  p.  3'JS  et  suiv.;  duc  d'Aumale,  Histoire  des 
princes  de  la  Maison  de  Condé,  t.  III;  Henrard,  Henri  IV  et  la  prin- 
cesse de  Condé,  Bruxelles,  1885,  in-8o,  p.  117  et  suiv. 

(2)  Foscarini  au  Sénat,  1er  décembre  1609,  F.  ItaL.  1701,  1"  175. 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  501 

justifiés.  On  avait  découvert  en  Poitou  quelques  menées 
pour  troubler  le  repos  public.  Le  ministre  ne  croyait  pas, 
comme  le  bruit  s'en  était  répandu,  que  ce  fût  l'œuvre  de 
Gondé.  Il  voulait  bien  espérer  que  les  archiducs  ue  cher- 
cheraient pas  à  déplaire  au  roi  (1).  Pour  calmer  les  inquié- 
tudes que  les  voyages  de  Condé  allaient  faire  naître,  il 
écrivait  au  duc  de  Nemours  :  «  L'on  dit  qu'il  a  dessein  de 
laisser  Madame  sa  femme  avec  Madame  sa  sœur  et  après 
aller  voir  le  monde  à  petit  train,  dessein  qu'il  professe  il  y 
a  plus  de  deux  ans  »  (2).  11  estimait  que  le  roi  devait  conti- 
nuer sous  main  de  servir  au  prince  sa  pension  et  ne  lui 
donner  aucun  prétexte  pour  recevoir  de  l'argent  du  roi  ca- 
tholique :  mais  en  voyant  la  colère  de  leur  maître,  ni  lui, 
ni  le  chancelier  n'osaient  en  parler  (3). 

Il  sentait  bien  que  le  roi  échappait  à  son  inlluence.  Il  le 
laissait  entendre  à  Nemours  dans  sa  lettre  du  3  décembre: 
«  Je  vous  assure,  monseigneur,  que  le  roi  est  si  absolu 
qu'il  pourra  ordonner  et  disposer  de  cela  comme  il  lui 
plaira».  Le  parti  de  la  guerre  regagnait  au  contraire  du  ter- 
rain. Sully  poussait  maintenant  le  roi  à  employer  des  moyens 
violents  pour  avoir  le  prince.  Il  proposait  de  faire  marcher 
toute  la  cavalerie  vers  la  frontière  du  Luxembourg  (4).  Il 
disaitlibrement  tout  ce  qu'il  pensait,  au  risque  de  mortifier 


11)  Villeroy  à  Nemours,  3  décembre  1009,  F.  Fr.  3651,  f°  40.  Il 
annonce  le  départ  de  Condé  d'une  manière  originale  :  «  Vous  saurez 
que  M.  le  prince  de  Condé  a  fait  un  trou  à  la  lune  étant  parti  le  29  du 
mois  passé...  » 

(2)  Villeroy  à  Nemours,  Ibid. 

(3)  Foscarini  au  Sénat,  16  décembre  L609,  F.  Ital.  1761,  fM8G. 

(4)  Ibid.  —  Voir  aussi  une  lettre  d'Aerssen  à  Oldenbarnevclt  du 
11»  décembre  {Holland.  2632)  :  «  ....  et  conclut  S.  M.  avec  .M.  de  Sully 
qu'il  le  [Condé]  fallait  ravoir  en  quelque  état  qu'il  soit,  le  dût-on  avoir 
par  le  moyen  de  la  guerre...  Et  ensuite  de  ce  fut  aussi  arrêté  qu'on 
ferait  marcher  toute  la  cavalerie  vers  la  frontière  de  Luxembourg.  .  Ce 
conseil  déplut  aux  trois  autres  (le  chancelier,  Villeroy  et  Jeannin)  qui, 
le  vendredi  en  suivant,  en  remontrèrent  la  suite  peu  convenable  avec 
la  disposition  présente  du  royaume...  » 


502  VILLEROY 

l'ambassadeur  d'Espagne  et  celui  des  archiducs  qui  évi- 
taient de  traiter  avec  lui  et  se  plaignirent  au  roi  de  son  alti- 
tude arrogante.  Le  roi  approuvait  son  ministre  au  fond 
du  cœur.  La  fuite  de  Condé  avait  soulevé  en  lui  deux  senti- 
ments qui  l'emportaient  impétueusement  vers  les  résolu- 
tions extrêmes  :  le  dépit  amoureux  et  la  crainte  d'une  cons- 
piration étrangère  contre  sa  couronne. 

En  Espagne  aussi  le  parti  de  la  guerre  parlait  haut.  La 
cour  de  Madrid,  émue  par  le  langage  imprudent  d'Henri  IV, 
ne  voulait  pas  chasser  Condé  de  Milan  sur  les  injonctions 
du  roi  très  chrétien.  Au  moment  où  le  conflit  devenait  plus 
aigu,  elle  se  serait  bien  gardée  de  perdre  une  telle  arme. 
Au  delà  des  Pyrénées  et  au  delà  des  Alpes  les  préparatifs 
de  guerre  commençaient. 

Au  début  de  l'année  1610,  les  négociations  d'alliance 
entamées  depuis  de  longs  mois  en  Allemagne  et  en  Savoie 
arrivaient  à  bon  terme.  Boissise  parvint  à  se  concerter  avec 
l'Union  Evangélique,  à  Hall,  par  un  traité  qui  fut  signé  le 
11  février.  Les  princes  s'engagaient  enfin  à  fournir  des 
secours  au  comte  de  Neubourg  et  à  l'électeur  de  Brande- 
bourg, et  à  aider  le  roi  au  moyen  de  1000  cavaliers  et  de 
4000  fantassins  s'il  était  attaqué  par  l'Espagne  et  s'ils 
n'avaient  plus  eux-mêmes  de  guerre  ouverte  dans  les  duchés. 
Le  28  décembre  1609,  le  traité  pour  le  mariage  franco- 
savoyard  avait  été  ratifié  ;  les  chiffres  de  la  dot  et  despensions 
étaient  fixés.  Il  ne  restait  plus  qu'à  préciser  dans  les  détails 
le  plan  de  campagne  et  à  déterminer  le  chiffre  des  secours 
en  hommes  et  en  artillerie  que  la  France  donnerait.  Le  roi 
envoyait  Lesdiguières  en  Savoie,  le  26  février,  avec  pleins 
pouvoirs  pour  conclure  le  traité  définitif.  Tout  le  monde 
parlait  de  la  guerre  qui  allait  éclater  en  mai  ou  en  juin. 
Sully  avait  dressé  pour  1610  un  budget  qui  réduisait  les 
travaux  utiles,  retranchait  les  intérêts  de  la  dette,  créait  de 
nouveaux  et  très  médiocres  expédients.  Les  plans  de  la  cam- 
pagne prochaine  étaient  prêts  dans  leurs  grandes   lignes. 


LE    MIISMSTRE    D'HENRI    IV  503 

ta  Force  devait  entrer  en  Navarreavec  10. (XX)  hommes,  Les- 
diguières  passer  les  Alpes  avec  15.000  hommes  ;  30.000 
hommes  se  réunissaient  en  Champagne  pour  marcher  sur 
Juliers,  sousle  commandement  du  roi.  On  prévoyait  l'entrée 
en  campagne  de  55.000  hommes  de  troupes  françaises, 
de  10.000  Allemands,  de  8.000  Hollandais,  de  10.000  Sa- 
voyards, en  tout  85.000  hommes,  une  armée  extraordinaire 
pour  ce  temps. 


IV 

Villeroy  voyait  sans  enthousiasme  qu'on  allait,  comme 
il  aimait  à  dire,  «  épouser  la  cuirassé  »  (1).  Dans  les  lettres 
qu'il  écrit  durant  les  premiers  mois  de  1610,  il  est  aisé  de 
deviner  quelques-uns  de  ses  sentiments,  malgré  la  réserve 
officielle  que  s'imposait  toujours  le  chef  de  la  diplomatie 
française.  Il  ne  montre  point  une  animosité  violente  à  re- 
gard des  Espagnols  comme  au  temps  de  la  Ligue  où  ils 
menaçaient  l'indépendance  nationale.  Point  d'invectives 
passionnées,  point  de  soupçons  injustiliés.  Il  s'applique  à 
démêler  exactement  leur  part  de  responsabilité  danslecon- 
flit,  ne  parle  quede  ce  dont  il  est  sûr,  des  intrigues  de  Spi- 
nola  à  Bruxelles,  de  la  protection  accordée  par  la  cour  de 
Madrid  et  le  gouverneur  du  Milanais  à  Condé  (2).  Il  sait 
quel  rôle  actif  ont  joué  les  Français  dans  les  préliminaires 
de  cette  lutte  dont  les  Espagnols  ne  seront  pas  seuls  respon- 
sables. Il  ne  ditpoint:  les  Espagnols  nous  menacent,  mais: 
«  les  jalousies  entre  Français  et  Espagnols  croissent  »  (3). 
Le  20  mars,  il  écrit  à  La  Boderie  au  sujel  de  cette  guerre: 


(1)  Villeroy  à  Nemours,  17  janvier  1609,  F.  Fr.  3650, 

(2)  Villeroy  au  sieur  de  Russy,  20  janvier  1610,  F.  Fr.  15954,  f°C: 
-  Villeroy  à  La  Boderie,  22  février   L610,  Lettres...,  t.  II,  p.  80. 

(3)  Villeroy  à  La  Boderie,  22  lévrier  1610,  Lettres...,  p.  79. 


504  VILLEROY 

«  Nous  en  sommes  fort  menacés,  non  tant  de  la  part  des 
Espagnols  que  du  soin  que  nous  devons  avoir  de  notre 
propre  réputation  »  (1).  Il  ne  semble  plus  s'associer  avec  le 
consentement  de  toute  sa  raison  à  la  politique  du  roi.  Il 
dit  :  notre  maître  ordonne,  notre  maître  décide  (2).  Il  fait 
sans  doute  allusion  à  sa  situation  de  ministre  préparant 
pour  «  le  maître  »  une  guerre  qu'il  eût  souhaité  du  fond 
du  cœur  d'empêcher  par  sa  diplomatie  quand  il  écrit  à  La 
Boderie  :  «  Il  est  certain  que  souvent  l'on  muse  après  une 
chose  que  l'on  a  méprisée,  principalement  à  la  conduite 
des  affaires  du  monde  ;  mais  un  serviteur  en  est  quitte 
quand,  après  ses  raisons  et  remontrances,  il  obéit  à  son 
souverain  (3).  »  Mais,  quels  que  soient  ses  sentiments  per- 
sonnels, Villeroy  fait  son  devoir  et  considère  que  l'avenir 
est  entre  les  mains  de  Dieu.  Après  avoir  combattu  pour  la 
paix,  il  se  laisse  entraîner  lui  aussi  par  le  courant  et  se 
résigne  en  chrétien.  A  la  fin  de  janvier,  il  déclare  qu'  «  il 
y  a  des  choses  que  les  hommes  ne  peuvent  éviter  et  sont 
voulues  de  Dieu  qui  est  maître  de  tout  ».  Un  mois  plus  tard, 
en  constatant  que  la  guerre  s'échauffe  de  toutes  parts,  il 
s'écrie  :  «  Que  le  ciel  nous  y  conduise  et  Dieu  veuille  que 
ce  soit  à  sa  gloire  »   (4). 

Aussi  nul  homme  en  France  n'a  souhaité  plus   ardem- 
ment que  Villeroy  que  la  guerre  fût  courte  et  limitée.  Il 


(1)  Villeroy  à  La  Boderie,  20  mars  1610,  Lettres...,  t.  II,  p.  125. 

(2)  «  Notre  maître  persiste  en  la  volonté  que  S.  M.  a  déclaré  à  votre 
départ,  mais  il  ne  veut  seul  endosser  cette  cuirasse...  notre  maître  dit 
que  si  l'on  ne  lui  renvoie  le  dit  Prince,  il  ne  peut  être  content,  etc  ..  » 
Villeroy  à  La  Boderie,  6  février  1610.  Lettres...,  t.  II,  p.  79. 

(3)  Villeroy  à  La  Boderie,  22  février  1610,  Lettres...,  t.  II.  p.  79. 

(4)  Villeroy  à  La  Boderie,  27  février  1610,  Lettres,..,  t.  II,  p.  96-97.— 
Villeroy  ajoutait  dans  cette  lettre  :  «  M.  le  Prince  est  allé  en  Italie  par 
terre,  a  passé  en  Allemagne,  conduit  par  les  ministres  d'Espagne  qui 
in  ;i  entrepris  la  protection  par  actions  toutes  découvertes.  C'est  le 
sujet  le  plus  véritable  et  important  de  notre  mécontentement  qui  nous 
portera  à  des  résolutions  qui  auront  suite.  « 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  505 

exprimait  un  sentiment  sincère  quand  il  écrivait  à  La  Bo- 
derie  le  27  lévrier  :  «  Plus  [nos  préparatifs]  seront  puissants 
et  prompts,  feront  aussi  leurs  effets  plus  tôt  et  sûrement  ». 
Il  redoutait  un  grand  conflit  entre  la  faction  catholique  et 
la  faction  protestante  en  Europe.  Il  voyait  le  danger  hors 
des  frontières.  Rien  ne  nous  fait  supposer  qu'il  ait  pu 
craindre  un  accroissement  du  parti  protestant  en  France  ; 
il  n'était  pas  de  ces  zélés  catholiques  qui  s'effrayaient  de 
voir  la  future  guerre  conduite  par  Lesdiguières,  Rohan, 
Bouillon  et  Sully.  Il  savait  les  huguenots  de  France  très 
tranquilles,  satisfaits  en  général  de  leur  situation  et  peu 
désireux  de  nouveautés. 

La  correspondance  de  Pecquius  nous  fait  connaître  les 
efforts  personnels  du  ministre  pour  empêcher  que  la  guerre 
ne  s'étendît  aux  Pays-Bas  espagnols.  Dans  toutes  ses  en- 
trevues avec  le  représentant  d'Albert,  il  ne  chercha  que  la 
conciliation.  Au  début  de  février,  il  engageait  Pecquius 
ému  de  quelques  paroles  menaçantes  du  roi  à  «  prudem- 
ment supporter  les  humeurs  »  d'Henri  IV.  L'agent  des 
archiducs  n'avait-il  pas  remarqué  déjà  que  le  roi  était  «  bien 
prompt  de  paroles  et  lent  d'effets  »,  et  que  «  pour  toutes 
les  réponses  et  reparties  un  peu  brusques  »  qu'il  lui  avait 
faites,  il  ne  fallait  pas  «  délaisser  les  bons  offices  commen- 
cés pour  la  réconciliation  dudit  prince  »  (1)  ?  Quand  le 
prince  se  fut  réfugié  à  Milan,  il  n'accusa  que  les  Espagnols 
et  mit  les  archiducs  hors  de  cause.  Lui  et  le  chancelier  dé- 
claraient que  les  procédés  des  archiducs  avaient  été  cor- 
rects. Le  7  avril,  il  assurait  Pecquius  que  l'on  n'aurait  pas 
la  guerre  pour  la  princesse,  mais  «  pour  le  prince  ».  «  Le 
fait  dudit  prince  serait  cause  de  tout  le  malheur  pendant 


(1)  Pecquius  à  l'archiduc  Albert,  4  février  1610.  D'Aumale,  t.  III, 
p.  207.  Villeroy  ajouta,  dit  Pecquius.  qu'il  «  nous  fallait  regarder  de 
demeurer  en  paix,  à  quoi  il  tiendrait  toujours  la  bonne  main,  me  som- 
mant de  faire  de  même  ». 


506  VILLEROY 

sur  la  chrétienté  »,  et  il  protestait  de  son  désir  d'établir  un 
bon  accord  et  d'assurer  la  paix  générale  (1). 

Quelques  jours  après,  Villeroy  fit  à  Pecquius  de  graves 
confidences.  «  Vous  m'avez  parlé  hier  franchement  et  clai- 
rement, lui  dit-il,  j'en  veux  faire  autant  en  votre  endroit 
et  vous  dis  comme  de  moi-même  qu'il  y  a  de  la  passion  et 
que  si  l'on  veut  remédier  au  fait  de  la  princesse,  il  y  aura 
moyen  d'accommoder  et  apaiser  tout  le  surplus  sur  le  pied 
que  nous  dîmes  hier  ou  autre,  mais  au  cas  que  ladite  prin- 
cesse demeure  où  elle  est,  nous  sommes  à  la  veille  d'une 
rupture  qui  pourra  mettre  le  feu  aux  quatre  coins  de  la 
chrétienté.  »  En  agissant  ainsi,  Villeroy  espérait-il  amener 
les  archiducs  à  renvoyer  la  princesse  en  France  et  empê- 
cher la  guerre  d'éclater  (2)  ? 

Nous  ne  croyons  point  (mil  se  soit  forgé  une  telle  illu- 
sion. La  cause  principale  du  conflit  n'était  point  la  cause 
passionnelle  qu'il  voulait  supprimer.  Sans  doute,  il  n'est 
pas  possible  de  résoudre  entièrement  la  question  délicate 

(1)  Pecquius  à  l'archiduc  Albert,  7  avril  1610.  D'Aumale,  t.  III, 
p.  509.  Villeroy  avoua  être  aussi  désireux  que  Pecquius  du  maintien 
de  la  paix,  «  mais  que  l'on  n'en  prenait  pas  le  chemin,  ains  qu'il  semble 
que  nos  péchés  aient  provoqué  l'ire  divine  sur  nous.  » 

(2)  Pecquius  à  l'archiduc  Albert,  19  avril  1610.  D'Aumale,  t.  III, 
p.  522  et  suiv.  Villeroy  lui  dit  que  «  celui  qui  trouverait  un  expédient 
pour  faire  renvoyer  la  dite  princesse  ferait  le  plus  grand  bien  qui  fut 
jamais  fait  à  la  chrétienté  ».  Il  semble  que  M.  Mariéjol  ait  donné  une 
importance  exagérée  à  ces  propos  de  Villeroy,  et  qu'il  ait  pris  au  sérieux 
tout  ce  que  disait  le  ministre  pour  convaincre  le  représentant  des  archi- 
ducs. Il  se  fonde  principalement  sur  ce  document  pour  dire  :  «  Que  la 
princesse  fut  la  principale  cause  des  grands  armements  de  la  France, 
on  peut,  sans  excès  d'imagination,  le  croire.  »  (Histoire  de  Finance, 
de  Lavisse,  t.  VI,  p.  130.) 

Le  7  avril,  Villeroy  a  dit  à  Pecquius  le  contraire  :  «  Mais  quoi  qu'il 
en  fut,  il  [Villeroy]  me  dit  que  nous  n'aurions  pas  la  guerre  pour  la 
princesse  et  que  je  m'en  assurasse,  mais  pour  le  prince,  y  ajoutant 
que  possible  la  guerre  d'Allemagne  ne  causerait  pas  de  rupture  entre 
les  deux  rois  et  leurs  adhérents,  encore  que  le  parti  de  l'empereur  fut 
assisté  du  côté  d'Espagne  et  celui  des  princes  de  Brandebourg  et  de 
Neubourg  du  côté  de  France,  si  ce  n'était  le  fait  dudit  prince  qui  serait 
cause  de  tout  le  malheur  penchant  sur  la  chrétienté.  » 


LE    MINISTRE    d'iIENRI    IV  507 

des  origines  de  cette  guerre  qui  n'éclata  point  et  il  est  aussi 
malaisé  de  pénétrer  tous  les  sentiments  qui  agitaieni  rame 
du  roi  quelques  mois  avant  sa  lin  tragique.  Cependant  on 
peut  affirmer  qu'Henri  IV  ne  déclarait  point  la  guerre  pour 
se  faire  rendre  Charlotte  de  Montmorency.  A  la  date  où  se 
place  la  conversation  entre  Yilleroy  et  Pecquius,  on  avait 
conclu  le  traité  de  Hall  et  on  allait  conclure  celui  de  Bru- 
sol  avec  le  duc  de  Savoie.  D'immenses  préparatifs  étaient 
faits.  Le  roi  était  convaincu  que  son  honneur  et  son  inté- 
rêt exigeaient  qu'il  protègent  les  princes  possédants  contre 
la  maison  d'Autriche  et  qu'il  empêchât  les  Espagnols  de 
se  servir  de  Condé  contre  sa  couronne.  Jamais  un  tel  con- 
cours de  circonstances  favorables  à  une  guerre  ne  s'était 
présenté.  Toute  trace  d'irrésolution  avait  disparu.  Le  con- 
seil royal  n'était  plus  divisé.  On  était  entraîné.  Le  retour 
de  Charlotte  aurait  rendu  un  peu  de  calme  à  l'Ame  du 
pauvre  amoureux  souffrant  qu'était  le  roi,  et  aurait  sup- 
primé le  plus  grave  des  motifs  d'hostilité  entre  lu  France  et 
les  Pays-Bas  espagnols.  Il  est  peu  probable  qu'il  eût  résolu 
le  conflit. 

Parmi  tous  les  ambassadeurs  du  temps,  c'est  Pecquius 
qui  a  donné  la  plus  grande  importance  à  la  cause  passion- 
nelle. C'est  en  effet  la  principale  des  affaires  qu'il  eut  à 
traiter,  comme  représentant  des  archiducs  qui  avaient 
donné  l'hospitalité  à  la  princesse  de  Condé.  A  force  de  fixer 
toute  son  attention  sur  cette  histoire,  n'est-il  pas  naturel 
qu'il  l'ait  involontairement  grossie  et  qu'il  ait  exagéré  ce 
qu'il  appelait  «  les  importunités  du  vieux  muguet  qui  se 
montre  échauffé  comme  s'il  étail  piqué  d'une  tarentule.»  ? 
Devons-nous  d'autre  part  considérer  comme  rigoureuse- 
ment vraies  les  paroles  que  Yilleroy  prononça  le  17  avril  ? 
Ajouter  foi  à  tout  ce  qu'il  disait  aux  ambassadeurs  serait 
s'exposer  à  méconnaître  son  habileté  diplomatique.  Il  sa- 
vait fort  bien  altérer  la  vérité  quand  il  le  failail  cl  parfois 
le  reconnaissait  ingénument.  Ecrivant  un  jour  à  l'ambas- 


508  VILLEROY 

sadeur  Bcaumont,  à  propos  d'une  audience  qu'il  avait 
accordée  à  un  député  des  catholiques  anglais,  il  lui  disait: 
«  Si  les  Espagnols  découvrent  le  dit  voyage  et  le  mani- 
festent malicieusement,  l'on  pourra  toujours  le  nier  et  y 
contredire  avec  des  raisons  qui  les  confondront  »  (1).  Le 
chancelier  et  Jeannin  firent  le  même  jour  les  mêmes  décla- 
rations que  Villeroy  au  sujet  de  la  princesse,  cause  de  la 
guerre  (2).  L'un  et  l'autre  savaient  aussi  bien  mentir  par 
raison  d'état.  Le  premier  était  renommé  pour  sa  duplicité, 
le  second  pour  sa  puissance  de  dissimulation  qui  formait 
un  étrange  contraste  avec  son  visage  honnête  et  ouvert  (3). 
Il  semble  donc  que  Villeroy  voulut  par  cette  confidence 
tenter  un  dernier  effort  pour  obtenir  le  renvoi  de  la  prin- 
cesse. De  cette  manière  l'archiduc  pourrait  rester  neutre 
dans  la  guerre.  Il  y  aurait  un  catholique  de  moins  dans  la 
«  danse  »  et  le  royaume  aurait  moins  d'ennemis.  Il  est  per- 
mis de  supposer  aussi,  bien  que  nulle  part  Villeroy  n'ait 
exprimé  ce  sentiment,  que  le  ministre  qui  aimaitprofondé- 
ment  son  maître  souhaitait,  de  tout  son  cœur  de  lui  rendre 
la  tranquillité  d'esprit  qu'il  avait  perdue  depuis  l'enlève- 
ment de  Charlotte.  Mais  toutes  les  démarches  du  roi,  des 
ministres,  des  parents  de  la  princesse,  du  connétable  de 
Montmorency,  de  la  duchesse  d'Angoulême,  se  heurtèrent 
à  la  fermeté  correcte  et  polie  de  l'archiduc  qui  répondit  au 


(1)  Villeroy  à  Beaumont,  11  août  1605,   cité  parle  P.  Prat,  p.  410. 

(2)  On  n'a  pas  assez  remarqué  que  le  ton  de  Villeroy  n'est  pas  le 
même  tout  le  long  de  la  lettre.  Après  avoir  beaucoup  parlé  de  la  prin- 
cesse., il  reconnaît  à  la  fin  de  la  conversation  que  les  «  affaires  du 
prince  »  ont  une  aussi  grave  importance.  «  Il  est  bien  vrai,  dit-il,  à 
Pecquius,  que  le  premier  dessein  du  roi  de  France  n'a  été  que  de  faire 
levée  de  quelques  troupes  pour  envoyer  un  secours  médiocre  aux 
princes  de  Brandebourg  et  de  Neubourg,  qui  n'ait  pu  mettre  V.  A.  en 
ombrage  ;  mais  que  depuis  les  aigreurs  procédées  des  affaires  dudit 
prince  et  de  ladite  princesse  l'ont  porté  à  dresser  une  forte  et  puissante 
armée  pour  pis  faire.   »  Voir  aussi  la  lettre  du  7  avril  citée  plus  haut. 

(3)  Grotius,  XVI,  740.  «  Vultus  autem  sermonisque  adeo  potens  ut 
cum  maxime  abderet  sensus  apertissimus  videretur.  » 


LE    MINISTRE    d'hENRI    IV  509 

mois  d'avril  qu'il  ne  consentirait  à  rendre  la  princesse  à  sa 
iamille  que  dans  deux  cas  :  si  la  dissolution  du  mariage 
était  prononcée,  si  le  prince  de  Condé  donnait  son  assen- 
timent au  départ  de  sa  femme  (1). 

Limiter  cette  guerre  (Hait  le  plus  grand  désir  de  Yilleroy. 
Il  n'augurait  rien  de  bon  d'un  conflit  universel  entre  la 
Fiance  et  la  maison  d'Autriche.  Il  aimait  à  répéter  que  la 
France  et  l'Espagne  après  tant  de  luttes  n'avaient  jamais 
rien  pu  gagner  l'une  sur  l'autre.  Sans  partager  les  appré- 
hensions d'une  partie  de  l'opinion  catholique  qui  s'indignait 
de  voir  le  roi  soutenir  des  hérétiques,  il  est  évident  qu'il 
voulait  que  la  guerre  fit  le  moins  de  mal  possible  à  la  reli- 
gion romaine,  et  que  la  cause  française  fût  soutenue  par 
des  princes  catholiques.  Voilà  pourquoi  il  agissait  si 
résolument  pour  réconcilier  les  archiducs  avec  le  roi  et 
pour  unir  d'une  manière  étroite  Henri  IV  avec  ses  alliés 
catholiques  d'Italie,  le  duc  de  Savoie  et  le  duc  de  M  au- 
to ue. 

Au  conseil,  il  avait  demandé,  contrairement  à  Sully,  que 
l'Italie  fût  le  théâtre  principal  de  la  guerre.  Au  début  de 
février,  quand  on  délibéra  à  l'Arsenal  sur  la  résolution  finale 
à  adopter,  Villeroy , avec  le  chancelier  Lesdiguières,  soutint 
qu'il  fallait  porter  la  plus  grande  partie  des  forces  du  roi 
dans  les  états  du  duc    de   Savoie   et  en   Milanais  (2).  Les 


il)  Les  archiducs  à  Peequius,  28  avril  1610.  Henrartl,  p.  264  et  suiv. 

(2)  Aerssen  à  Barncvelt,  7  février  1610.  Aerssen  signale  une  grande 
délibération  qui  eut  lieu  à  l'Arsenal  en  présence  de  la  reine,  le  3  février^ 
après  qu'on  eut  reçu  de  Bruxelles  la  nouvelle  qu'il  ne  fallait  plus  s'at- 
tendre au  retour  de  Condé.  Il  montre  Sully  ne  voulant  «  rien  lâcher  » 
en  faveur  du  duc.  —  Le  16  février.  Aerssen  note  les  délibérations  qui 
ont  eu  lieu  les  jours  précédents.  Sully  a  demandé  qu'on  portât  toutes 
les  forces  sur  la  Meuse.  «  M.  de  Villeroy  persiste  à  presser  le  contraire 
el  considère  principalement  en  tout  ce  conseil  ei  la  religion  et  le  pape 
avec  grandissime  apparence  de  le  devoir  emporter.  »  —  Le  8,  annonce 
Foscarini,  un  conseil  fut  tenu  dans  la  galerie  du  Louvre  :  Villeroy 
trouva  excellentes  toutes  les  propositions  de  Lesdiguières.  Sully  trouva 
les   chiffres    d'hommes  demandés   par  le  maréchal  trop  grands.  (Fos- 


510  VILLEROY 

Espagnols  seraient  privés  de  toute  espèce  de  voie  pour 
transporter  des  troupes  en  Allemagne  et  aux  Pays-Bas.  La 
conquête  des  plaines  lombardes  serait  des  plus  aisées.  Elle 
entraînerait  les  Etats  de  l'Italie  encore  hésitants,  rassurerait 
le  pape  et  l'empêcherait  de  se  jeter  dans  les  bras  des  Espa- 
gnols. Sully  voulait  porter  la  guerre  en  Luxembourg.  Dans 
un  accès  de  mauvaise  humeur,  nous  apprend  Aerssen,  il 
s'écria  que  les  «  ennemis  couverts  »  des  Etats  de  Hollande 
et  de  la  religion  voulaient  pousser  le  roi  vers  la  Savoie,  le 
jeter  dans  une  entreprise  où  les  moyens  devaient  lui  man- 
quer, dans  une  guerre  de  confusion  et  de  désordre  pour 
le  faire  revenir  promptement  à  la  paix.  Le  13  février 
Aerssen  écrit  à  Duplessis-Mornay:  «  Tous  croient  que  la 
guerre  générale  est  bonne,  mais  le  conseil  ne  se  peut 
accorder  du  lieu  où  la  faire  avec  effort.  M.  de  Villeroy 
préfère  l'Italie,  M.  de  Sully  parle  de  la  Meuse  »  (1).  Sully 
avait  conservé  une  grande  méfiance  au  sujet  des  intentions 
de  Charles-Emmanuel.  Il  craignait  que  les  Français  ne 
fussent  dupés  par  ce  trop  habile  homme.  Il  trouvait  le 
chiffre  des  pensions  réclamées  par  le  duc  beaucoup  trop 
élevé.  Il  chercha  toujours  à  faire  diminuer  les  secours 
que  son  maître  destinait  au  duc,  tandis  que  Villeroy  les 
faisait  augmenter.  Son  rêve  était  de  faire  marcher  contre 
l'Espagne  toutes  les  forces  protestantes,  allemandes  et 
hollandaises  (2).  Villeroy  était  soutenu  par  Lesdiguières 
qui  s'était  lié  étroitement  à  Charles-Emmanuel  et  espérait 


earini  au  Sénat.  9  février  1610,  F.  Ital.  1761,  fo  225.)  —  Voir  auss 
sur  les  sentiments  opposés  de  Villeroy  et  de  Sully  les  lettres  de  Gar- 
denas  à  Philippe  II,  des  27  janvier,  28  février,  27  mars,  Arch.  Nat  , 
Pap.  Sim.,  K.  1462,  p.  5  et  suiv.,  12  et  suiv.,  79  et  suiv. 

(1)  Aerssen  à  Duplessis-Mornay,  13  février  1610.,  Mémoires  et  cor- 
resp.  de  Duplessis-Mornay ,  t.  X,  p.  544. 

(2)  Aerssen  à  Barnevelt,  19  janvier  1610.  Aerssen  dit  que  le  roi  ne 
s'ose  pas  «  bonnement  fier  »  au  duc.  «  M.  de  Villeroy  n'y  met  nul 
doute,  et  M.  de  Sully  tient  la  foi  ou  perfidie  pour  indifférente  pourvu 
que  S.  M.  se  résolve  d'attaquer  les  Pays-Bas  conjointement  avec  MM,  les 


LE    MINISTRE    i/lIKNRI    IV  511 

remporter  une  grande  gloire  dans  la  guerre  au  delà  des 
monls. 

Villeroy  était  d'autant  plus  favorable  à  la  Savoie  qu'elle 
était  avec  le  duc  de  JMantoue  et  l'Union  Evangélique  notre 
seule  alliée.  Les  négociations  entreprises  par  nos  ambassa- 
deurs pour  chercher  des  alliances  avaient  partout  échoué. 
Les  Hollandais  sur  lesquels  on  avait  compté  pour  prendre  à 
revers  les  Pays-Bas  ne  voulurent  pas  rompre  la  trêve.  Les 
Vénitiens  se  montrèrent  très  froids  et  trouvèrent  une  infi- 
nité d'excuses  pour  se  déclarer  neutres.  Le  roi  d'Angle- 
terre, bien  qu'il  eût  promis  de  secourir  les  princes  alle- 
mands, refusa  de  conclure  un  traité  avec  Henri  IV  et  de 
rompre  avec  l'Espagne  1).  Aussi  le  roi  de  France  se  hâla- 
t-il  de  conclure  avec  la  Savoie.  Villeroy  pressait  les  choses 
tant  qu'il  pouvait.  Il  écrivit  au  duc  une  Ici  lie  pour  lui 
annoncer  queBullion  allait  être  envoyé  en  Dauphiné  avec 
de  nouvelles  instructions  et  que  Lesdiguières  serait  chargé 
de  terminer  la  négociation  (2).  Le  ton  de  celte  lettre  était 
particulièrement  chaleureux.  Villeroy  affirmait  la  parfaite 
amitié  et  confiance  qui  devait  régner  désormais  cuire  son 
maître  et  le  duc  dont  l'union  ne  pourrait  être  détruite.  Il 
déclarait  à  plusieurs  reprises  qu'il  était  urgent  d'entre- 
prendre la  guerre  contre  Milan.  Le  roi  serait  prêt  au  début 
de  mai  à  ouvrir  les  hostilités  sur  la  frontière  allemande. 
Mais  le  rusé  duc  de  Savoie  avait  compris  que  la  situation 
avait  changé  depuis  novembre  1609  et  que  le  roi  de  France 
avait  maintenant  grand  besoin  de  lui.  Aussi  voyant   Hen- 


Etats,  craignant  que  M.  de  Villeroy  porte  si  favorablement  M.  de  Savoie 
avec  des  conditions  si  onéreuses  au  roi  pour  divertir  S.  M.  do  l'entre- 
prise de  la  Meuse,  par  le  manquement  inopiné  de  Bes  moyens,  mais 
dit  qu'il  y  pourvoira  et  détournera  tous  les  efforts  de  S.  M.  devers  les 
Pays-Bas  où  le  péril  elle  gain  sont  plus  grands...  » 

(1)  Voir  Philippson,  t.  III,  p.  436  et  suiv. 

(2)  Villeroy  au  duc   de   Savoie,   18   mars  4610.  Lettre  extraite  des 
archives  de  Turin  et  analysée  par  Philippson,  t.  III,  p.  401. 


512  VILLEROY 

ri  IV  décidé  à  la  guerre  se  montra-t-il  plus  exigeant.  Le 
roi  de  France  abandonna  quelques-unesde  ses  prétentions, 
et  Charles-Emmanuel  obtint  des  conditions  très  favorables 
qu'il  n'eût  pas  osé  espérer  six  mois  plus  tôt.  Par  le  traité 
conclu  à  Brusol  le  25  avril  entre  Charles-Emmanuel  et 
Lesdiguières,  une  alliance  offensive  et  défensive  était  éta- 
blie entre  les  deux  princes  pour  la  liberté  de  l'Eglise  et  de 
l'Italie  ;  la  guerre  contre  l'Espagne  devait  s'ouvrir  au 
mois  de  mai  en  Allemagne  et  en  Lombardie,  Au  mois  de 
juin  devait  être  dressé  le  contrat  de  mariage  du  prince 
Victor-Amédée  et  d'Elisabeth.  Le  roi  envoyait  au  duc  un 
secours  de  14.000  hommes.  On  ne  parlait  plus  d'une  ces- 
sion de  la  Savoie.  Le  duc  devait  seulement  démolir  les 
remparts  de  Montmélian  comme  gage  de  bonne  entente. 
Le  roi  ne  recevrait  pas  Pignerol  comme  place  de  sûreté  ; 
il  garderait  deux  villes  qu'on  enlèverait  aux  Espagnols  (1). 


Pendant  les  mois  d'avril  et  de  mai,  tandis  que  les  Français 
et  les  Espagnols  achevaient  leurs  préparatifs  militaires,  se 
produisirent  quelques  tentatives  d'intervention  pacifique. 
Villeroy  les  favorisa  sans  se  faire  d'illusion  sur  leur  succès. 
Le  pape  Paul  V,  par  l'intermédiaire  du  nonce  Ubaldini, 
faisait  de  suprêmes  efforts  pour  empêcher  la  guerre  d'écla- 
ter entre  les  deux  puissances  catholiques.  Le  nonce  rendait 
visite  au  roi,  à  Villeroy,  à  Sully,  aux  grands,  prêchant 
l'a  paix,  proposant  des  expédients  qui  pouvaient  ménager 
l'amour-propre  des  Français  et  des  Espagnols,  et  que  Vil- 


(1)   Voir  l'hilippson,  t.  III,  p.  461  et   suiv.   — M.   Ritter,   Deutsche 
Gesehichte,  t.  II,  p.  315  et  suiv. 


LE    MINISTRE    u'iIENKI    IV  513 

leroy  acceptait  avec  joie  [),  La  retraite  <lu  prince  de  Gondé 
à  Rome  était  un  de  ces  expédients.  Villeroy  demandait 
aussi  que  la  cour  pontificale  prononçât  le  divorce  du  prince 
et  de  sa  femme,  ce  qui  permettrait  aux  archiducs  de  pou- 
voir renvoyer  sans  scrupules  la  princesse  à  ses  parents.  Le 
nonce,  vers  le  25  avril,  vil  Henri  IV  avec  l'approbation  de 
Villeroy,  lui  lut  un  bref  du  pape,  et  lui  propos.)  l'expédient 
dontil  avaitparlé  avec  le  ministre.  Mais, nous  dit  Pecquius, 
le  roi  ne  voulut  pointen  entendre  parler  :  il  dit  à  Ubaldini 
que  ladite  proposition  parlait  de  l'école  des  Espagnols  (2). 
Le  pape  envoya  le  31  avril  l'archevêque  de  Nazareth  comme 
nonce  extraordinaire  pour  proposer  sa  médiation.  Le  roi  et 
son  ministre  prodiguaientles  bonnes  paroles.  Villeroy  savait 
bien  qu'il  était  trop  tard  pour  arrêter  la  guerre.  Mais  il  fal- 
lait entretenir  de  bonnes  relations  avec  le  pape,  qui,  dans 
ce  conflit,  témoignait  — comme  il  était  naturel  —  delà 
sympathie  pour  les  Espagnols,  l'Empereur  et  les  catholiques 
allemands.  Il  convenait  de  montrer  la  plus  grande  déférence 
pour  ses  avis  afin  qu'il  conservât  au  moins  la  neutralité. 
Peut-être  aussi  Villeroy  avait-il  une  arrière-pensée  qu'il 
n'osait  exprimer  publiquement.  Tout  ce  que  nous  savons  de 
lui  nous  autorise  à  faire  cette  hypothèse.  Ne  pouvait-il  pas 
penser  in  petto  que  le  pape  qui  allait  échouer  dans  son 
arbitrage  du  mois  de  mai  pouvait  réussir  un  peu  plus  tard, 
el  qu'après  une  courte  campagne,  les  hostilités  pourraient 
être  arrêtées?  N'était-il  pas  conforme  aux  traditions  de  la 


(1)  Ubaldini  à  Lanfrancq,  18  avril  1G10.  F.  Ital.  31,  fo  85.  —  Ubal- 
dini disait,  d'un  ton  presque  découragé  :  «  La  rotturaesi  prossimache 
non  lascia  spalio  a  S.  S.  di  procurare  di  ritenerla  con  alcun  mezzo.  » 
11  avait  la  même  opinion  que  Pecquius  sur  la  r,x\\-<-  passionnelle  du 
conflit  et  disait  que  «  la  passione  di  8.  M.  rende  vana  l'opéra  Ion»  » 
(parlant  de  Sillery  et  de  Villeroy). 

(2)  Voir  Pecquius  à  l'archiduc.  26  ri  2S  avril  1610,  llmrard.  p.  2SII 
et  suiv.  —  Ubaldini  à  Borghèse,  29  avril  1610,  F.  Ital.  ;;  I .  fo  87.  — 
Cardenas  au  roi,  27  avril  1610,  Aivh.  Nat..  Pap.  Sim.,  K.  1462, p.  121. 
—  Siri,  Mém.  recond.,  II.  163  cl   suiv.,  193  et  suiv. 

Villeroy  33 


514  VILLEROY 

diplomatie  de  Villeroy  de  solliciter  adroitement  et  d'accep- 
ter le  concours  de  Rome  pour  rétablir  la  paix  entre  la 
France  et  l'Espagne?  Le  ministre  exprime  assez  nettement 
ce  désir  dans  sa  lettre  du  9  mai  à  La  Boderie  :  «  Notre 
guerre  s'échauffe  de  plus  en  plus,  notre  armée  s'assemble 
journellement  qui  pourra  être  prête  à  mettre  en  besogne 
à  la  lin  de  ce  mois....  Que  le  pape  envoie  vers  nous  un 
nonce  extraordinaire  et  en  Espagne  un  autre  pour  faire  le 
holà  et  nous  accorder;  enfin,  nous  voilà  réduits  à  opter 
entre  une  forte  guerre  ou  une  entière  réconciliation  avec 
l'Espagne  qui  sera  poursuivie  chaudement  par  S.  S.  et 
désirée  autant  des  Espagnols  que  de  nous  autres.  » 

Cette  même  pensée  inspira  Villeroy  dans  les  entrevues 
qu'il  eut  à  la  même  époque  avec  Matteo  Botti  envoyé  du 
grand-duc  de  Toscane.  Celui-ci  était  venu  à  la  cour  de 
France  pour  reparler  des  mariages  au  nom  de  son  maître 
qui  s'était  fermement  proposé  d'unir  les  deux  cou- 
ronnes (1).  Pas  un  mot  dans  les  propos  rapportés  par  Botti 
ne  pouvait  laisser  supposer  que  l'on  était  à  la  veille  d'une 
rupture  avec  l'Espagne.  Villeroy  et  l'ambassadeur  cau- 
sèrent des  difficultés  présentes.  Villeroy  lui  affirma  que  si 
le  roi  catholique  et  le  roi  très  chrétien  s'entendaient  bien 
ensemble,  ils  pourraient  faire  la  loi  aux  autres,  et  résoudre 
bientôt  les  différents  de  Clèves  (2).  La  reine  demandait  à 
Botti  de  pousser  avec  ardeur  ces  négociations  matrimo- 
niales. Villeroy  l'assurait  des  dispositions  bienveillantes 
d'Henri  IV  qui  voulait  une  prompte  solution.  Le  11  mai, 
Botti  faisait  observer  au  grand-duc  que  parlant  avec  Vil- 
leroy il  ne  l'avait  vu  douter  un  seul  instant  que  les  prépa- 
ratifs de  guerre  puissent  interrompre  les  négociations  de 
mariage. 


(1)  Desjardins,  t.  V,  p.  003  et  suiv.,  lettres  de  Botti  au  grand-duc, 
écrites  le  30  mars,  le  27  avril,  le  1er  et  le  11  mai  1610. 

(2)  Desjardins,  t.  V,  p.  607. 


LE    MINISTRE    d'hENKI    IV  515 

Sans  cloute  Villeroy  dissimulait  quelque  peu,  faisait  bon 
visage  au  toscan,  et  celui-ci  s'exagérait  le  zèle  du  ministre. 
Mais  cette  attitude  était  significative.  Elle  témoignait  qu'il 
ne  considérait  pas  la  guerre  qui  allait  s'ouvrir  comme  une 
lutte  inexpiable.  Il  pensait  déjà  au  moment  qu'il  souhaitait 
prochain  où  elle  se  terminerait  par  une  paix  et  il  espérait 
bien  par  la  force  de  sa  diplomatie  rendre  cette  paix  solide. 

Cependant  la  date  fixée  pour  l'entrée  en  campagne  ap- 
prochait. Henri  IV  avait  désigné  Marie  de  Medicis  pour 
exercer  la  régence  lant  qu'il  serait  à  la  tête  de  ses  troupes. 
Il  avait  mis  auprès  d'elle  un  conseil  de  régence  qui  se  com- 
posait de  quinze  personnes,  où  les  résolutions  devaient  être 
prises  à  la  pluralité  des  voix.  Cédant  aux  sollicitations  de 
la  reine,  il  la  fit  couronner  et  sacrer  à  Saint-Denis  le  13  mai. 
Le  8,  il  avait  écrit  à  l'archiduc  Albert  pour  lui  demander 
amicalement  la  permission  de  traverser  une  partie  des 
Pays-Bas.  Dans  quelques  jours,  on  allait  enfin,  comme  disait 
Villeroy,  «  épouser  la  cuirasse  ».  Le  14  mai,  dans  la  rue  de 
la  Ferronnerie,  le  roi  tombait,  sous  les  coups  d'un  miséra- 
ble, frappé  au  cœur. 

(1)  Ibid.,  p.  613. 


CONCUSION 


—  Etablissement  de  la  Régence.  Villeroy,  ministre  principal 
de  Marie  de  Médicis.  Ses  idées  sur  le  gouvernemenl  de  la  mi- 
norité. —  II.  Villeroy  el  les  affaires  du  dedans  ».  Les  luttes 
pour  le  maintien  de  son  autorité.  L;i  pacification  «les  troubles 
(1610-1616).  —  III.  Villeroy.  et  les  affaires  i  du  dehors  .Les 
mariages  espagnols.  La  pacification  de  la  chrétienté.  Les  der- 
niers mois  et  la  fin  de  Villeroy.  —  IN".  Comment  les  contem- 
porains et  la  postérité  ont  jugé  Villeroy.  Estime  générale  pour 
le  vieux  serviteur  des  rois  de  France.  Erreurs  sur  sa  politique. 

—  V.  Villeroy  bon  bourgeois  et  excellent  fonctionnaire.  Qua- 
lités et  défauts.  Son  idéal  d'ordre  et  de  paix. 


«  Je  meurs  de  noire  commune  perle,  je  n'ai  point  assez 
de  larmes  pour  la  pleurer,  ni  de  paroles  suffisantes  pour 
exprimer  ma  douleur  il).  »...  «  Nous  avons  perdu  notre 
maître.  Il  a  emporté  le  bonheur  el  la  gloire  de  la  France  ! 
Ainsi  s'exprimait,  quelques  jours  après  la  catastrophe,  la 
douleur  de  Villeroy  qui  fui  sincère,  profonde  el  durable,  Lé 
ministre  qui  avail  eu  seize  ans  l'amitié  el  la  confiance 
d'Henri  IV  el  avait  été  sans  un  seul  jour  de  disgrâce  un  des 
trois  ou  quatre  personnages  les  plus  influents  «lu  royaume 
(ressentait  plus  amèremenl  qu'aucun  autre  rétendue  d'une 
telle  perte,  irréparable  pour  l'Etat,  irréparable  pour  lui- 
même. 

(1)  Lettres  à  la  Boderie,  -1  mai  1610,  t.  II.  p,  160. 

(2)  Villeroy  a  Du  Plessis-Mornay,  22  mai  1610 


518  VILLEROY 

Cependant,  dans  sa  douleur  et  dans  la  désolation  géné- 
rale, il  ne  perdit  pas  son  sang-froid.  Quelques  instants 
après  la  mort  du  roi,  il  était  au  Louvre,  en  compagnie  du 
Chancelier  et  de  Jeannin,  auprès  de  la  Reine  qui  pleurait, 
étendue  sur  un  lit  dans  son  petit  cabinet,  et  sans  s'attarder 
à  des  lamentations,  il  lui  donnait  des  conseils  de  fermeté 
virile.  Bassompierre  qui  était  venu  baiser  la  main  de  la 
reine  entendit  les  paroles  du  ministre  :  «  Madame,  il  faut 
suspendre  ces  cris  et  ces  larmes  et  les  réserver  lorsque 
vous  aurez  donné  la  sûreté  à  messieurs  vos  enfants  et  à  vous. 
Commandez,  s'il  vous  plaît,  à  M.  de  Guise  d'aller  à  l'Hôtel 
de  Aille  avec  le  plus  de  gens  qu'il  pourra  amasser  et  faire 
que  le  corps  de  ville  vienne  reconnaître  le  roi  et  vous  ;  que 
M.  de  Bassompierre  prenne  ce  qu'il  pourra  ramasser  de 
tan!  de  chevaux-légers  qui  sont  sous  sa  charge  et  qui  sont 
maintenant  à  Paris  et  qu'il  marche  par  Ja  ville  pour  apaiser 
le  tumulte  et  la  sédition.  Ne  manquez  pas  à  vous-même, 
madame,  et  à  ce  qui  vous  doit  être  si  cher  qui  sont  vos 
enfants...  »  (1).  Plus  tard,  la  reine  mère  aimait  à  répéter  à 
ses  amis  les  paroles  fortes  que  son  ministre  lui  avait  dites. 
«  Madame,  il  n'est  pas  temps  de  pleurer,  mais  il  faut  prendre 
courage...  Vous  avez  maintenant  à  être  homme  et  roi  (2)  ». 

La  reine  fit  trêve  à  sa  douleur,  et  avec  Yilleroy,  Sillery 
et  Jeannin,  arrêta  sur  le  champ  les  mesures  propres  à  assu- 
rer la  constitution  du  gouvernement  nouveau  (3).  Le  pre- 
mier Président  et  quelques  autres  membres  du  Parlement 
furent  appelés.  Toutes  les  chambres  s'assemblèrent  aux 


(1)  Bassompierre,  Journal  de  ma  vie,  I,  270. 

(2)  Desjardins,  t.  Y,  p.  634.  Cioliau  Grand-Duc,  18  juin  1010  :  «  Ma- 
dama,  non  è  tempo  ora  di  piagnere,  ma  bisogna  pigliar  coraggio, 
perche  tutti  siamo  qui  per  voi,  clie  avete  ora  a  esser  uomo  e  re.  »  Voir 
aussi  Rerchet,  II,  Francia,  t.  I,  p.  409  (Relation  de  Gussoni  et  Nani, 
envoyés  extraordinaires  de  la  République).  Voir  sur  la  Régence  les 
études  de  B.  Zeller,  La  Minorité  de  Louis  XIII.  Marie  de  Medicis  et 
Sully,  18U2,  in-8;  Marie  de  Médiats  et  Yilleroy,  1897,  in-8. 

(3)  Mem.  de  Fontenay-Mareuil,  Ed.  Michaud,  p.  10. 


CONCLUSION  519 

Augustins.  D'Epernonvint  leur  représenter  que  le  roi  avait 
donné  à  la  reine  des  lettres  de  régence,  lorsqu'il  fixa  son 
déport  pour  l'Allemagne,  et  qu'il  était  du  bien  de  l'état  de 
délibérer  promptement.  Sans  aucune  discussion,  avec  le 
sentiment  de  la  nécessité  politique  de  cet  acte,  el  la  Berté 
de  jouer,  en  ce  moment  décisif,  le  rôle  dévolu  autrefois  aux 
Etats  ou  aux  princes  du  sang,  le  Parlement  conféra  à  Marie 
de  Médicis,  pendant  la  minorité  de  Louis  XIII,  l'adminis- 
tration du  royaume  «  avec  toute-puissance  et  autorité  ». 
Le  lendemain,  15  mai,  le  petit  roi  confirma  dans  un  lit  de 
justice  l'arrêt  rendu  deux  heures  après  la  mort  de  son  père. 
Ainsi  fut  établie  la  Régence,  par  une  décision  rapide  de 
Yilleroy,  de  Sillery  et  de  Jeannin,  sans  la  moindre  opposi- 
tion du  Parlement  qui  la  sanctionna  aussitôt,ni  des  grands 
seigneurs  présents  à  Paris  qui  témoignèrent  à  l'envi  leur 
zèle  au  service  de  la  reine  et  au  bien  public. 

Le  gouvernement  de  la  Régence  installé,  il  fallut  orga- 
niser le  Conseil.  La  plupart  des  grands  et  des  officiers  de 
la  Couronne  prétendaient  en  faire  partie.  Yilleroy  conseilla 
à  la  reine  de  leur  accorder  satisfaction.  Elle  y  appela  donc, 
avec  les  anciens  ministres,  le  chancelier  et  les  secrétaires 
d'Etat,  les  trois  princes  du  sang,  Conti,  Condé,  Soissons, 
les  cardinaux  de  Joyeuse  et  du  Perron,  le  connétable,  le 
grand-écuver,  les  ducs  de  Mayenne,  de  Guise,  de  NeverSj 
de  Bouillon,  les  sept  maréchaux  La  Châtre,  Lavardin, 
Brissac,  Bois-Dauphin,  Fervacques,  Lesdiguières  et  le 
favori  Concini.  C'était  une  assemblée  confuse  qui  se  tenait 
les  matins  vers  onze  heures  et  quelquefois  dans  l'après-midi 
et  qui  ne  fut,  comme  les  vieux  ministres  l'avaient  prévu, 
qu'un  conseil  «  de  mine  et  de  faste  ».  Il-  avaient  habile- 
ment calculé  qu'en  admettant  tant  de  grands  seigneurs; 
on  diminuait  le  crédit  que  quelques-uns  seraient  tentés 
de  rechercher  à  leurs  dépens  auprès  de  la  reine,  on  aug- 
mentait leurs  rivalités,  on  rendait  les  affaires  impossibles  à 
traiter  dans  un  tel  milieu  où  ne  pouvait  subsister  le  secret. 


520  VILLEROY 

En  réalité,  la  reine  gouverna  avec  un  conseil  plus  étroit 
qui  se  réunit  sous  sa  présidence  à  des  heures  irrégulières. 
Les  ministres  qui  avaient  eu  la  confiance  d'Henri  IV.  Vil- 
leroy,  Sully,  le  chancelier,  Jeannin,  continuèrent  à  y  traiter 
les  plus  importantes  affaires.  En  outre,  la  reine  recevait 
chacun  d'eux,  à  part,  pour  les  affaires  de  son  propre  dépar- 
tement. A  ce  Conseil  étroit,  Marie  do  Médicis  admettait 
aussi  habituellement  trois  grands  personnages  dont  un 
seul  pouvait  gêner  les  ministres,  le  comte  de  Soissons, 
avide  de  pouvoir  personnel  et  toujours  mécontent.  Les 
deux  autres  étaient  le  duc  de  Mayenne,  vieilli,  impotent  et 
assagi  et  le  Cardinal  de  Joyeuse,  nonchalant,  modéré,  con- 
ciliant, soumis  à  l'ascendant  de  Villeroy. 

Il  semble  donc  qu'il  n'y  ait  eu  aucun  changement  profond 
dans  le  nouveau  régime.  La  reine  gouverne,  comme  Hen- 
ri IV,  avec  un  conseil  étroit  composé  des  mêmes  ministres 
qui  naturellement  ne  vont  songer  qu'à  soutenir  son  auto- 
rité en  maintenant  la  leur,  et  il  est  facile  de  prévoir  que 
l'influence  de  Sully  baissant,  la  principale  autorité  va 
appartenir  à  Villeroy  toujours  uni  au  chancelier.  Cepen- 
dant, si  la  barque  ministérielle  conserve  sou  personnel, 
elle  perd  sa  vieille  stabilité.  Elle  qui  voguait  si  paisible- 
ment sous  Henri  IV  naviguera  désormais  sur  une  mer 
troublée.  L'existence  du  lendemain  ne  sera  plus  sûre.  Il 
faudra  se  défendre  sans  répit  contre  les  assauts.  En  intro- 
duisant au  Conseilles  princes  du  sang  et  les  grands  officiers, 
avec  l'intention  d'annihiler  leur  influence,  on  leur  a  donné 
des  griefs  nouveaux  contre  les  ministres.  Les  querelles  ne 
cesseront  plus  entre  ceux  qui  détiennent  réellement  le  pou- 
voir et  ceux  à  qui  on  n'en  a  donné  que  l'ombre.  Dans 
toutes  les  agitations  et  plus  tard  dans  les  guerres  civiles, 
les  grands  mettront  au  premier  rang  de  leurs  revendica- 
tions la  volonté  de  prendre  une  part  légitime  au  gouverne- 
ment. 


CONCLUSION  521 

Nous  ne  nous  sommes  point  proposé  de  décrire  par  le 
menu  les  actes  du  gouvernement  de  la  Régence,  et  la  pari 
quv  prit  Yilleroy.  L'histoire  de*  sept  dernières  années  de 
la  vie  du  ministre  exigerait  de  longs  développements  qui 
sortiraient  du  cadre  plus  restreint  de  l'étude  que  nous 
avons  entreprise.  Nous  devons  toutefois  indiquer  à  grands 
traits  quelle  fut  cette  histoire  et  quelle  influence  notre 
personnage  exerça  jusqu'à  sa  mort  sur  les  affaires  inté- 
rieures et  extérieures  du  royaume.  Ainsi,  nous  pourrons 
mieux  apprécier  l'unité  de  ses  conceptions,  et  essayer  de 
déterminer  ce  que  furent  le  caractère  el  l'œuvre  de  l'homme 
que  nous  avons  suivi  pendant  plus  de  quarante  ans  de  sa 
vie  publique  (1). 

C'est  au  moment  où  Villeroy  passe  pour  diriger  «  à  sa 
volonté  toutes  choses  »  (2)  avec  l'entière  confiance  de  la 
reine,  qu'il  convient  d'examiner  les  idées  politiques  qui 
ont  inspiré  sa  conduite,  dans  le  gouvernement  intérieur  de 
la  Régence.  Nous  les  trouvons  indiquées,  par  fragments, 
au  jour  le  jour,  dans  ses  lettres  à  des  ambassadeurs  qui 
sont  pour  la  plupart  des  amis  personnels  tenus  par  le 
ministre  au  courant  des  principaux  événements.  Déplus, 
nous  possédons  quatre  longs  avis  manuscrits  adressés  à  Là 
reine  mère  en  1611,  16,12,  1613  et  1614.  C'est  là  qu'il  faut 
chercher  une  exposition  systématique  de  ses  conceptions. 

Dès  la  mort  d'Henri  IV,  Villeroy  a  eu  le  sentiment  que 
c'en  était  fait  pour  longtemps  du  bonheur  et  de  la  gloire  de 
la  France  et  cette  impression  pessimiste  ne  l'a  pas  quitté 
jusqu'à  sa  mort.  Il  a  acquis  au  cours  de  sa  longue  existence 
dans  ce  xvie  siècle  si  individualiste,  si  indiscipliné  el  si 
fanatique  la  conviction  qu'il  fallait  à  la  nation  française  un 
roi  très  fort.  La  régence  est  !<■  gouvernement  d'une  femme 


(1)  Cette  étude  en  forme  de  conclusion  étanl  très  abrégée,  nous  nous 
abstenons  d'indiquer  les  références  qui  ne  conviendraient  qu'à  des  cha- 
pitres développés. 

(-2)  Dép.  de  Foscarini,  12  lévrier  1611,  Bereliet,  op.  cit.,  p.  374. 


522  VILLEROY 

et  d'un  enfant.  Aucune  grande  entreprise  ne  peut  être 
fondée,  aucun  vaste  projet  ne  peut  même  être  esquissé 
durant  cette  période  de  transition  dangereuse  qui  ne  finira 
que  le  jour  où  le  fils  d'Henri  IV  prendra  en  mains  les  des- 
tinées de  son  royaume.  Le  premier  devoir  du  gouvernement 
est  donc  de  «  faire  couler»  doucement  le  temps  de  la  mino- 
rité, c'est-à-dire  d'écarter  tout  ce  qui  pourrait  troubler  la 
paix  du  royaume  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur.  Une  telle 
politique  requiert  non  de  puissantes  volontés,  de  hardies 
conceptions,  une  action  audacieuse  et  fîère,  mais  de  la  pru- 
dence, de  la  souplesse,  de  la  patience,  un  certain  esprit 
de  résignation  devant  de  petits  maux  pour  éviter  pis  et  le 
courage  de  renoncer  à  bien  des  satisfactions  d'amour- 
propre  ou  de  gloire  qui  seraient  trop  chèrement  acquises 
aux  dépens  du  repos  public.  Quand  il  faut  prendre  une 
décision  importante,  Villeroy  juge  nécessaire  d'examiner 
les  hasards  que  l'on  court,  et  il  dit  ce  qu'il  écrit  à  la  reine 
le  10  octobre  1612  :  «  Pour  mon  regard  je  balancerai  et  me 
rangerai  toujours  bien  plus  volontiers  du  côté  qui  plus 
éloignera  de  vous  la  tempête  que  de  celui  qui  l'avancera. 
Car  le  temps  est  un  grand  remède  à  tous  maux,  quand  il 
est  ménagé  comme  il  doit  être,  principalement  durant  le 
bas  âge  de  notre  Roi...  »  Le  gouvernement  qu'il  conseille 
est  un  gouvernement  au  jour  le  jour  qui  veut  simplement 
vivre  en  sauvegardant  des  accidents  fâcheux  l'autorité 
royale  qu'un  jeune  prince  exercera,  comme  son  père,  avec 
force  et  avec  gloire. 

Le  plus  grand  danger  qui  menace  cette  autorité  réside 
dans  l'esprit  d'ambition,  d'avarice  et  de  turbulence  des 
grands  qui  se  coalisent  pour  affaiblir  la  force  souveraine, 
principe  nécessaire  de  la  paix,  de  l'unité  et  delà  grandeur 
du  royaume  de  France.  Villeroy,  qui  a  vu  d'horribles  guerres 
civiles  naître  de  causes  souvent  futiles,  estime  que  l'on  doit 
surveiller  avec  une  attention  extrême  les  moindres  foyers 
d'incendie.  L'histoire  recommencerait  aisément.  Il  sait  que 


CONCLUSION  523 

les  hommes  ne  s'arrêtent  pas  «  aune  médiocre  méchanceté 
lorsqu'ils  ont  l'entière  licence  de  faire  mal  »  il).  Cela 
débutepardes  troubles  ordinaires  ;  cl  peu  à  peu  il  se  cons- 
titue une  féodalité  puissante  qui  dissipe  le  royaume  par 
parcelles;  devenu  majeur,  le  roi  n'esl  ]>lu-  le  maître  :  il 
«  trouve  avec  le  tempsautant  de  rois  et  de  souverains  »(2). 
Bien  plus,  sa  vie  cesse  d'être  assurée.  Le  passé  nous  apprend 
que  «  l'appétit  vient  en  mangeant  »,  car  a  lois  «  la  royauté 
est  si  douce  que  celui  qui  n'est  retenu  (pie  de  la  conscience 
pouvant  par  la  force  s'introduire  à  la  souveraineté  diffici- 
lement a-t-il  le  pouvoir  de  s'empêcher  (3  .  »  Il  faut  donc 
arrêter  dès  le  début  ce  qui  peut  produire  de  si  funestes 
conséquences  et  affirmer  que  «  toute  confédération,  ligue 
et  société  qui  se  fait  dans  une  monarchie  au  déçu  du  sou- 
verain principalement  entre  les  grands,  soit  par  écrit,  soit 
de  parole  doit  être  puni  comme  un  crime  de  lèse-ma- 
jesté. » 

Est-il'possible  d'appliquer  danssa  rigueur  un  tel  principe? 
L'expérience  de  Villeroy  nelui  laisse  guère  d'illusions.  Dans 
une  minorité  «  le  châtiment  des  grands  est  chose  difficile 
et  dangereuse  ».  Il  faut  trouver  des  remèdes  plus  doux 
pour  combattre  le  mal.  Donc,  c'est  sans  employer  la  force 
qu'on  cherchera  à  tenir  les  grands  divisés  et  impuissants. 

Au  premier  indice  de  mécontentement  el  de  coalition, 
on  les  recherchera  et  on  traitera  séparémenl  avec  chacun 
d'eux  par  l'intermédiaire  de  ministres  différents,  en  sauvant 
toujours  la  dignité  royale,  en  montrant  qu'on  agit  avec  eux 
comme  avec  des  sujets,  non  comme  avec  des  compagnons. 
On  les  attachera  à  la  royauté  au  moyen  de  pensions  et 
assignations.  Villeroy  ne  se  dissimule  pas  que  ce  moyen 
vénal  peut  sembler  un  peu  honteux.  .Mais  la  lin,  qui  est  le 
repos  public,   légitime   tout.  «  La  honte  en  est  aux  sujets 

(1)  Avis  de  1611. 

(2)  Ibid. 
(3;  Ibid. 


524  VILLEROY 

et  non  à  S.  M.  laquelle  sera  plus  louée  de  dépendre  For  et 
l'argent  que  de  répandre  le  sang  de  ses  parents  et  princi- 
paux officiers  (1).  »  Le  vieux  ministre,  qui  connaît  son  siècle, 
sait  qu'en  toutes  nos  partialités  et  méfiances  «  il  faut  s'en 
prendre  plus  à  notre  ambition  et  convoitise  naturelle  fomen- 
tée d'une  avarice  extraordinaire  qu'à  toute  autre  chose  (2).  » 
Mais  il  sait  aussi  qu'une  partie  de  la  noblesse  est  réelle- 
ment misérable.  De  nombreux  témoignages  nous  montrent 
combien  elle  s'était  appauvrie,  à  la  fin  du  xvie  siècle  et 
même  pendant  le  règne  réparateur  d'Henri  IV,  car  elle  avait 
contracté  des  dettes,  perdu  les  habitudes  simples  et  les 
goûts  économes  de  la  vie  rurale.  Yilleroy  dit  en  propres 
termes  qu'il  faut  contenter  non  seulement  l'avarice  des  uns, 
mais  «  la  misère  de  ceux  qui  par  le  passé  ont  vu  insensi- 
blement ruiner  leurs  maisons  plus  par  leur  mauvais  ménage 
que  par  manquement  »  (3).  On  voit  donc  que  la  politique 
des  largesses  n'est  pas  une  simple  capitulation  devant  les 
appétits  de  quelques  seigneurs  cupides,  mais  une  tentative 
sérieuse  pour  guérir  un  mal  social,  l'appauvrissement  de  la 
noblesse,  cause  de  mécontentement  et  de  révolte.  Et  c'est 
pourquoi  Yilleroy  se  préoccupe  de  cette  petite  noblesse 
provinciale  qui  forme  la  clientèle  des  grands  princes,  parce 
qu'elle  est  besogneuse.  Il  veut  l'arracher  aux  turbulents 
et  l'attacher  à  la  reine  qui  doit  seule  dispenser  les  grâces 
et  faveurs.  Il  veut  qu'on  pensionne  «  les  seigneurs  de  qua- 
lité qui  ont  charge  ou  crédit  dans  les  provinces  (4)  »  et 
qu'on  leur  défende  de  suivre  les  princes.  Il  faut  qu'ils 
entrent  dans  la  domesticité  royale  par  les  charges  mili- 
taires qu'il  est  facile  d'augmenter  en  accroissant  les  com- 
pagnies de  gens  de  cheval,  la  maison  du  roi  et  des  enfants 
de  France. 


(1)  Avis  de  1611. 

(2)  Lettres  àLa  Boderie,  t.  II,  p.  19o,  18  juillet  1610. 

(3)  Avis  de  1611. 

(4)  Ibid. 


CONCLUSION  525 

Pensionner  les  seigneurs  ne  veut  pas  dire  les  attirer  à  la 
Cour.  Les  théories  gouvernementales  du  règne  commen- 
çant de  Louis  XIII  ne  sonl  pas  celles  qui  prévaudront  sous 
Louis  XIV  après  la  Fronde.  Villeroy  estime  au  contraire 
que  l'éloignement  des  grands  «huis  leurs  gouvernements 
peut  rire  à  l'occasion  un  moyen  de  les  rendre  inoffensifs. 
Dans  les  provinces,  en  effet,  tous  leurs  actes  sont  surveillés 
et  parfois  même  dirigés  par  les  Parlements,  les  lieutenants 
qui  dépendent  immédiatemehl  du  roi  et  informent  Je  gou- 
vernement de  tout  ce  qui  se  pratique  au  détriment  de  l'au- 
torité centrale.  Villeroy  avail  pu  estimer  à  ce  sujet  les  inap- 
préciables services  d'un  Du  Vair,  président  du  Parlement 
d'Aix,  qui  l'avait  admirablement  renseigné  sur  le--  intrigues 
des  étrangers  et  les  cabales  des  particuliers  en  Provence. 
L'éloignement  des  grands  a  un  autre  bon  résultat  :  «  il  ote 
la  jalousie  de  gouverner  la  laveur  Au  souverain  ou  les 
affaires  d'Etat  »,  car  l'oisiveté  de  cour  esl  mauvaise  con- 
seillère: c'est  là  que  se  l'ail  «  la  première  corruption  »,  que 
K  s'engendre  la  lièvre  de-  guerres  civiles  qui  s'épand  par 
après  par  les  membres  de  l'Etal  »  (1 1.. C'est  Paris  qu'il  faut 
surveiller  particulièrement,  le  Paris  de  la  Ligue,  rendez- 
vous  de  tous  les  factieux  du  royaume  qui,  suivant  l'expres- 
sion du  temps,  viennent  y  «  chercher  meilleur  •>  2). 
•  Telles  sont  les  principales  mesures  par  lesquelles  Ville- 
roy estime  en  1611  qu'on  doit  ruiner  les  coalitions  de 
grands.  Cependant  si,  malgré  ses  efforts,  le  gouvernement 
de  la  reine  ne  peut  empêcher  ses  ennemis  de  lui  déclarer 
la  guerre,  quelle  règle  de  conduite devra-t-on  adopter?  Vil- 
leroy n'a  pas  encore  eu  ce  casa  examiner:  il  conseillera  sui- 
vant l'occasion.  Mais  dès  le  début  de  la  régence  il  est  cer- 
tainement résolu  à  s'inspirer  des  principes  généraux  qu'il 
formulera  en  1612,  en  1613,  en  1614. 

Il  est  convaincu  que  «    la  guerre  civile  est  de  tous  les 

(i)  Avis  de  1611. 
(2)  Ibid. 


526  VILLEROY 

maux  le  plus  grand  qui  puisse  affliger  un  Etat  »  (1). 
Elle  hasarde  l'autorité  souveraine,  appauvrit  les  sujets  du 
roi,  et  peut  devenir  un  feu  inexting-uible,  si  les  princes 
révoltés  et  leurs  adhérents  parviennent  à  soulever  le  corps 
des  réformés,  à  déchaîner  les  vieilles  passions  religieuses. 
Villeroy  croit  que  la  paix  doit  toujours  être  préférée  à  ce 
genre  odieux  de  guerre.  Il  faut  faire  aux  mécontents  des 
concessions  pour  éviter  de  plus  grands  maux.  En  effet, 
l'ancien  chef  des  politiques  sait  mieux  que  tout  autre  qu'une 
guerre  civile  ne  ressemble  pas  à  une  guerre  étrangère  où 
l'un  des  deux  adversaires  est  vaincu  et  dépouillé.  Elle  se 
termine  ordinairement  par  la  réconciliation  du  prince  avec 
les  sujets  rebelles  auxquels  il  accorde  son  pardon  et  rend 
sa  bienveillance  en  leur  concédant  par  un  traité  certaines 
grâces  et  faveurs.  S'il  en  est  ainsi,  pourquoi  ne  pas  traiter 
tout  de  suite  ?  Pourquoi  ne  pas  éviter  les  «  infinis  périls  et 
malheurs  inévitables  »  d'une  guerre  entre  Français  (?)  ? 
Villeroy  a  foi  en  la  diplomatie  qui  dans  les  négociations 
gagne  des  victoires  comme  sur  un  champ  de  bataille.  Il 
sent  que  sur  ce  terrain  les  vieux  ministres  d'Henri  IV 
lutteront  avec  une  incomparable  supériorité  contre  le 
faisceau  des  appétits  féodaux  momentanément  unis.  Il  y  a 
tout  un  art  de  »  composer  les  affaires  par  douceur  »  (3)  que 
nous  verrons  pratiquer  par  Villeroy  pendant  les  troubles. 
On  rompt  la  coalition  par  des  concessions  habilement  do- 
sées suivant  les  circonstances  et  selon  les  personnes  : 
on  leur  fait  accepter  des  faveurs  inoffensives  en  échange 
des  concessions  dangereuses  qu'ils  réclament  ;  on  ajoute 
des  clauses  restrictives  à  certains  articles  dont  ils  pour- 
raient abuser  (4).  Dans  toutes  ces  négociations,  il  faut 
faire  respecter  la   majesté  royale,  montrer  qu'on  accorde 

(i\  Avis  de  1614. 

(2)  Ibid. 

(3)  Ibid. 

(4)  Voir  l'Avis  de  1012. 


conclusion  527 

par  bienveillance  des  grâces  à  des  sujets  et  non  qu'on  se 
soumel  devant  des  égaux.  Villeroy  croyail  avec  raison  à 
l'importance  de  l'attitude.  Il  se  rappelait  comment,  sous 
Henri  III,  la  dignité  royale  avait  été  ravalée.  Pendant  la 
minorité  de  Louis  XIII  il  contribua  pour  une  grande  part 
au  maintien  d'une  certaine  dignité  de  ton,  d'une  majesté 
d'allure,  qui  en  imposèrent  aux  grands  et  empêchèrent 
bien  des  maux. 

Quand  on  aura  paré  au  danger  féodal,  on  aura  fait  l'es- 
sentiel, d'après  Villeroy,  pour  assurer  la  tranquillité  du 
royaume.  Le  reste  ne  préoccupe  pas  gravemeni  les  mi- 
nistres de  la  reine.  «  Le  mal  n'es!  point,  Dieu  merci,  ni  au 
peuple  de  la  campagne  ni  es  villes  ni  es  Parlement  ni  es 
ecclésiastiques  ni  en  toute  la  noblesse  (1).  »  En  fait,  le 
gouvernement  de  la  Régence  n'eut  presque  rien  à  redouter 
des  autres  classes  ou  groupements  sociaux.  Les  huguenots 
inspirèrent  parfois  quelques  appréhensions.  Villeroy  et  les 
ministres  crurent  justement  que  tant  qu'on  respecterait 
l'Edit  de  Nantes,  ils  ne  se  révolteraient  pas. 

Tel  est  dans  ses  grandes  lignes  le  programme  politique 
de  Villeroy  sous  la  Régence:  son  objet  principal  esl  de 
maintenir  l'autorité  royale  menacée  par  les  princes  et  les 
grands,  sans  avoir  recours  à  de  dangereux  moyen-  de  ri- 
gueur. A-t-il  borné  tousses  efforts  à  cesystème  de  conser- 
vation politique  au  jour  le  jour  ?  A-t-il  songé  à  résoudre 
quelques-unes  des  questions  administratives,  judiciaires, 
financières,  qui  s'imposent  à  tout  gouvernement  soucieux 
d'accomplir  des  réformes  positive-,  de  travailler  pour  l'ave- 
nir? 

Le  gouvernement  de  la  Régence  a  été  trop  absorbé  par 
les  soucis  de  l'existence  quotidienne  pour  fonder  une  œuvre 
durable.  Il  a  simplement  cherché  à  vivre.  Mais  à  défaut  de 
la  reine,  esprit  futile  et  médiocre,  et  de  son  entourage  flo- 

(1)  Avis >le.  1611. 


528  VILLEROY 

rentin,  Villeroy  et  les  ministres  ont  eu  des  conceptions  plus 
hautes,  et  ont  regretté  que  la  dureté  des  temps  les  em- 
pêchât de  les  réaliser.  Villeroy  a  abordé  clans  quelques 
passages  de  ses  avis  la  question  de  la  réformation  de  l'Etat. 
Il  la  juge  absolument  nécessaire  pour  «  relever  la  répu- 
tation des  affaires  du  roi  »  (1),  pour  contenter  le  public, 
et  se  tirer  à  tout  jamais  de  l'ornière  de  ces  «  peines,  con- 
fusions et  désordres  très  périlleux  »  (2)  où  se  traîne  le 
gouvernement.  Le  problème  fiscal  est  le  plus  grave.  Les 
dépenses  excèdent  les  recettes.  Villeroy  craint  qu'à  la  fin 
on  ne  soit  contraint  «  d'avoir  recours  à  des  moyens  nou- 
veaux, ce  qui  achèvera  de  grever  et  ruiner  le  peuple  déjà 
réduit  à  une  nécessité  et  pauvreté  non  prévue  et  appré- 
hendée comme  elle  devrait  être  ni  telle  qu'elle  est  »  (3).  Il 
voudrait  que  la  Reine  diminuât  ses  dépenses  «  en  préférant 
celles  qui  sont  nécessaires  pour  la  défense  et  conservation 
du  royaume  aux  volontaires  »  (4).  Comment  il  concevait 
cette  politique  d'économies,  comment  il  la  conciliait  avec 
sa  politique  de  libéralités,  nous  l'ignorons  et  nous  ne 
sachons  pas  qu'il  ait  précisé  par  écrit  sa  pensée  sur  ce  point. 
!1  a  indiqué  aussi  une  réforme  judiciaire  urgente,  dont  il 
a  compris  la  nécessité  à  la  veille  de  la  réunion  des  Etats- 
Généraux,  quand  un  fort  mouvement  d'opinion  publique 
se  prononça  contre  la  vénalité  et  l'hérédité  des  charges  de 
judicature.  Il  a  conseillé  à  la  reine  de  prendre  l'initiative 
de  cette  réforme  et  de  supprimer  l'usage  du  droit  annuel. 
Mais  l'allusion  contenue  dans  l'Avis  de  1614  est  trop  brève 
pour  que  nous  puissions  dire  exactement  quelle  place  cette 
réforme  tenait  dans  les  préoccupations  du  ministre.  Il  faut 
reconnaître  d'ailleurs  que  les  allusions  à  la  réformation 
générale  de  l'Etal  sont  brèves  et  vagues.  Ce  n'est  pas  parce 

(1)  Avis  de  1614. 

(2)  Avis  de  1012. 

(3)  Ibid. 

(4)  Ibid. 


CONCLUSION  529 

que  ces  soucis  sont  étrangers  à  ses  fonctions  spéciales  :  il 
est  hors  de  doute  que  comme  principal  ministre  il  aurait 
formulé  son  opinion  même  sur  les  questions  intéressant 
particulièrement  Jeannin  et  le  Conseil  des  finances.  Mais  il 
sentait  que  cette  réformation  du  royaume  ne  pouvait  se 
faire  que  sous  un  gouvernement  forl  et  sur  du  lendemain. 
C'était  un  de  ces  projets  dont  il  fallait  toujours  parler, 
pour  ne  point  paraître  mépriser  l'opinion  publique,  mais 
que  l'avenir  seul  pouvait  réaliser.  C'était  la  conviction 
intime  de  l'homme  d'Etat  qui  estimait  que  toutes  choses 
devaient  s'accommoder  avec  le  temps. 


Nous  avons  vu  comment  Villeroy  a  couru  le  bon  gou- 
vernement. Il  nous  reste  à  décrire  1res  sommairement  L'ac- 
tion qu'il  exerça,  étant  au  pouvoir,  sur  les  affaires  inté- 
rieures et  extérieures  du  royaume.  Comment  réussit-il  à 
«  conduire  les  affaires  du  momie  par  degrés  (1),  el  à  <  l'aire 
couler  doucement  »  le  temps  de  la  minorité? 

A  l'intérieur  l'établissement  du  nouveau  gouvernement 
avail  élé  un  coup  de  maître.  Sans  celle  manœuvre  rapide, 
les  princes  du  sang- auraient  pu  aisément  imposer  leurs  con- 
ditions. On  redoutait  surtout  Soissons,  car  Conti  était  un 
pauvre  infirme  et  Condé  était  à  Milan.  Soissons  demanda 
la  Iieutenance  générale  du  royaume  ;  la  reine  lui  donna  le 
gouvernement  de  la  Normandie  et  de  l'argent.    Condé,   à 

(Il  Selon  l'expression  de  Villeroy,  dans  une  lettreà  Bellièvre,  du  16 
février  1598  (F.  fr.,  1591 1.  l'°  205):  i  J'estime  que  toutes  choses  pour- 
ront s'accommoder  avec  le  temps.,  les  conduisant  par  degrés  sans  les 
précipiter  »  et  dans  une  lettre  à  Jeannin,  du  24  août  1607  [Négoc.  du 
Prés.  Jeannin,  p.  143)  :  «  Il  faut  conduire  les  affaires  du  monde  par 
degrés  ». 

Villeroy.  34 


530  VILLEROY 

son  retour,  se  montra  assez  raisonnable,  accepta  50.000 
livres  de  pension,  l'hôtel  de  Gondi  et  40.000  écus  pour  le 
meubler.  La  maison  de  Lorraine,  vieille  ennemie  des 
Bourbons,  reçut  aussi  quelques  satisfactions.  Villeroy 
approuva  ces  mesures  qui  étaient  assez  heureuses.  On  avait 
l'ait  aux  princes  du  sang,  pour  maintenir  la  paix  publique, 
des  concessions  modérées  qui  n'avaient  nui  gravement  ni 
au  prestige  royal  ni  aux  finances  de  l'Etat.  La  fin  de  Tannée 
1610  l'ut  très  calme  :  Tordre  régna  en  France,  etavec  Tordre, 
ce  fut,  selon  le  mot  de  Richelieu,  la  continuation  de  «  la 
majesté  »  du  règne  d'Henri  IV  (1). 

Ce  n'est  ni  parmi  les  princes,  ni  chez  les  grands  du  Con- 
seil que  Villeroy  et  les  minisires  devaient  trouver  de  graves 
obstacles  à  leur  autorité.  Ils  se  manifestèrent  d'abord  dans 
l'entourage  immédiat  de  la  reine  que  l'Estoile  appelait  «  le 
Conseil  de  la  petite  escritoire  »  et  où  certains  personnages 
jusqu'alors  obscurs  acquirent  rapidement  une  inlluence 
inquiétante.  Dès  la  mort  d'Henri  IV,  le  couple  Concini 
commença  àédifiersa  prodigieuse  fortune.  Parle  commerce 
des  charges  et  des  grâces,  la  chasse  aux  pots  de  vins,  les 
générosités  arrachées  à  la  reine,  par  la  résistance  sourde 
ou  déclarée  qu'ils  firent  aux  ministres  qui  essayaient  de 
combattre  leurs  prétentions,  parles  intrigues  de  toute  sorte 
qu'ils  nouèrent  pour  se  procurer  des  alliés  chez  les  princes 
et  les  grands,  ils  furent  véritablement  les  mauvais  génies 
de  la  Régence.  Villeroy  essaya  dès  le  début  d'entraver  la 
marche  de  Concini,  qui,  au  mois  d'août,  avait  entamé  des 
négociations  avec  Créqui  pour  lui  acheter  le  gouvernement 
de  Péronne,  Roye  et  Montdidier  et  le  titre  de  lieutenant  du 
Roi  en  Picardie.  Le  ministre  refusa  net  de  signer  un  acquit 
de  400.000  écus  pour  le  favori  et  dit  à  la  reine  que  ce  n'était 
ni  juste  ni  raisonnable.  Pour  témoigner  son  mécontente- 
ment, il  se  retira  dans  sa   maison    de  Conflans   pendant 

(i)  Richelieu,  Mém.,  \>.  29. 


CONCLUSION  531 

quelques  jours.  Il  empêcha  aussi  que  le  florentin  n'eu!  le 
gouvernement  de  Calais,  et  le  !it  donner  au  brave  d'Ar- 
qùien,  ancien  gouverneur  de  la  citadelle  de  Metz  qui  me* 
naçait  touthautde  tuer  Goncini.  Mais  l'énergie  de  Villeroy 
fut  brève.  Le  favori  putacheter,  au  début  de  septembre,  le 
marquisat  d'Ancre,  les  gouvernements  de  Péronne,  Roye 
et  Montdidier  et  nous  ne  sachons  pas  que  le  ministre  s'y 
soit  opposé.  Renonça-t-il  à  son  altitude  hostile  contre  un 
favori  trop  fortement  appuyé,  accepta-t-il cette  fortune  avec 
l'espoir  secret  de  s'en  servir  pour  fortifier  sa  propre  auto- 
rité ?  Résignation  et  calcul  à  la  fois.  Nous  devons  constater 
que  trois  mois  après  Goncini  était  l'allié  de  Villeroy  dans 
la  lutte  contre  Sully. 

Après  l'assassinat  d'Henri  IV,  un  souffle  d'apaisement  et 
de  conciliation  avait  amolli  les  cœurs  et  adouci  les  an- 
ciennes rancunes  des  serviteurs  et  amis  du  défunt.  Villeroy 
et  Sully  éprouvèrent  celle  contagion  attendrissante.  Le 
surintendant  avait  pris  peur  un  moment  et  s'étail  enfermé 
dans  la  Bastille,  mais  Villeroy  avàil  conseillé  à  la  reine  de 
bien  le  recevoir.  Il  fit  connaître  à  Sully  par  ses  amis,  que 
leur  union  était  nécessaire  pour  le  bien  des  affaires  de  l'Etal 
et  pour  leurs  intérêts  personnels.  Pendant  plusieurs  mois, 
Sully  demeura  encore  très  puissant  <>n  ne  pouvait  le  ren- 
verser sans  jeter  l'inquiétude  dans  le  parti  huguenot,  ni 
sans  offenser  la  maison  de  Lorraine  avec  laquelle  il  s'en- 
tendait parfaitement.  D'ailleurs  le  surintendant  avail  l'ail 
des  concessions  à  l'esprit  du  temps  :  à  l'étonnemenl  de  tous, 
il  avait  adouci  certaines  aspérités  de  son  caractère.  !1 
paraissait  moins  fier  qu'autrefois.  11  cherchait  de-  appui-. 
se  rapprochait  de  Coudé  et  n'était  pas  en  mauvais  termes 
avec  Concini. 

Comment  Sully,  qui  parut  assez  fort  jusqu'en  décembre, 
tomba-t-il  en  janvier  suivant  ?  Pourquoi  Villeroy,  qui  -'ta- 
blait juger  son  concours  utile  au  gouvernement, fut-il  l'au- 
teur de  sa  disgrâce  ?  L'histoire  de  cette  chut.'  retentissante 


532  VILLEROY 

reste  assez  obscure,  car  il  nous  manque  les  témoignages  de 
ceux  qui  ont  renversé  le  vieux  compagnon  d'Henri  IV.  Le 
renvoi  de  Sully  ne  fut  pas  préparé  de  longue  main.  Au  mois 
de  décembre,  on  commença  à  dresser  l'état  des  dépenses 
pour  l'année  suivante.  De  nombreuses  et  puissantes  con- 
voitises se  firent  jour  :  doublements  de  pensions,  payement 
de  dettes,  octrois  de  gabelles  d'impôts  ou  de  garnisons. 
Sully  défendit  comme  il  put  l'équilibre  de  son  budget  et 
l'épargne  de  la  Bastille.  Parmi  les  quémandeurs  était  d'Alin- 
court.  Sully,  mécontentde  ses  échecssurlesautresquestions 
financières,  irrité  contre  son  collègue  qui  ne  l'avait  pas 
soutenu,  voulut  prendre  sa  revanche  avec  le  fils  de  Villeroy, 
et,  en  refusant  à  d'Alincourt  une  levée  de  trois  cents  Suisses 
pour  la  garnison  de  Lyon,  prononça  des  paroles  offensantes 
pour  le  père.  Les  choses  se  seraient  peut-être  arrangées 
comme  tant  d'autres  fois  ;  mais  dans  ces  séances  du  Conseil, 
Sully  se  laissa  aller  à  dire  tout  ce  qu'il  avait  sur  le  cœur. 
Quand  d'Epernon  et  Villeroy  conseillèrent  de  licencier  les 
4000  fantassins  et  les  compagnies  de  cavaliers  payés  aux' 
Etats  de  Hollande,  il  protesta  vivementcontre  les  tendances 
nouvelles  de  la  politique  étrangère,  et  son  dicours  fit  une 
certaine  impression  sur  l'esprit  de  la  reine.  Villeroy  fit  alors 
une  courte  retraite  à  Conflans  et  chercha  résolument  à 
renverser  son  collègue.  Il  aurait  gouverné  avec  un  Sully 
se  confinant  dans  un  rôle  de  secrétaire  d'Etat  aux  finances  ; 
il  ne  voulut  point  tolérer  un  Sully  premier  ministre  impo- 
sant ses  conceptions  dans  la  direction  des  affaires  étran- 
gères. 

Aidé  de  Sillery  et  de  Jeannin,  il  ruina  Sully  en  s'unissant 
aux  princes  et  aux  grands  qui  étaient  mécontents  du  surin- 
tendant. Sully  avait  offensé  Soissons  en  s'opposant  au 
mariage  de  son  fils  et  de  M"e  de  Montpensier,  Condé  n'avait 
aucune  raison  sérieuse  de  détester  Sully  mais  s'était 
depuis  peu  réconcilié  avec  Soissons.  Concini  s'entendait 
avec  M.  le  Comte.  Bouillon  resta  neutre,  mais  déclara  que 


CONCLUSION  533 

«  pour  M.  de  Sully  il  ne  lui  pouvait  rien  arriver  qu'il  ne 
méritât  ».  Villeroy  ayant  ravivé  les  anciennes  mésintelli- 
gences, les  princes,  vers  le  milieu  de  janvier,  firent  le  siège 
de  la  régente  qui  après  quelque  hésitation  leur  céda.  Sully 
voulut  se  retirer  hautement  et  non  se  faire  chasser.  Le  26, 
il  remit  enlre  les  mains  de  la  reine  ses  charges  de  surin- 
tendant des  finances  et  de  capitaine  de  la  Bastille. 

A  partir  de  ce  jour,  Villeroy  l'ut  incontestablement  une 
sorte  de  premier  ministre,  souvent  contrarié  dan-  -mi 
action  et  luttant  sans  répit  pour  se  maintenir  au  pouvoir 
contre  des  grands  ou  des  favoris,  mais  ne  rencontrant 
aucun  rival,  parmi  les  hommes  d'affaires,  jusqu'au  jour  de 
sa  brouille  avec  le  chancelier. 

L'année  1611  fut  tranquille.  On  eut  à  affronter  ce  qu'un 
Vénitien  appelait  «  le  plus  périlleux  écueil  de  la  présente 
minorité  »  (l),mais  le  danger  fut  évité,  en  grande  partie  par 
la  tactique  habile  de  Villeroy.  Les  huguenots  étaient  1res 
inquiets  depuis  la  mort  du  roi  :  les  mariages  espagnols,  la 
démission  de  Sully  provoquèrent  parmi  les  Eglises  des 
murmures,  des  plaintes,  des  projets  de  défense.  L'assem- 
blée de  leurs  députés  devait  se  tenir  régulièrement  au  prin- 
temps de  1(311  pour  renouveler  la  députation  permanente 
des  trois  délégués  et  rédiger  les  cahiers  de  doléances.  Les 
catholiques  aussi  étaient  troublés:  de  nouvelles  querelles 
religieuses  allaient-elles  ensanglanter  le  royaume?  Oncon- 
nait  les  sentiments  de  Villeroy  :  respectueux  de  la  légalité, 
il  voulut  avant  tout  faire  exécuter  l'Edit  de  Nantes  :  L'as- 
semblée fut  donc  régulièrement  convoquée  imiis  leministre 
la  rendit  inoffensive  en  exploitant  les  divisions  qui  sépa- 
raient les  chefs,  en  usant  de  corruption,  en  se  servant  en- 
fin de  son  influence  sur  les  hommes  d'ordre  du  parti.  Il 
s'entendit  avec   Bouillon  «  qui  se    servait  de  l'autorité  des 


(1)  Dép.  d'Ammirato,  du  17  mai  1611,  citée  par  B.  Zeller,  La  Mino- 
rité de  Louis  XIII,  Marie  de  Médicis  et  Sully,  1892,  in-8,  p.  279. 


534  VILLEROY 

autres  pour  tourner  le  tout  à  son  profit  »  (1)  et  l'opposa  à 
Sully.  Il  promit  au  duc  le  gouvernement  du  Poitou  et 
300.000  livres,  et  celui-ci,  après  s'être  concerté  avec  le  mi- 
nistre, partit  pour  Saumur,  promettant  que  tout  réussirait 
à  la  satisfaction  de  la  reine.  L'assemblée  avait  choisi  pour 
président  Du  Plessis-Mornay  qui,  malgré  l'ardeur  de  ses 
convictions  religieuses,  était  en  politique  un  modéré  et 
un  ami  de  Villeroy.  On  menaça  Sully,  qui  avait  tenté  de  sou- 
lever l'opinion,  de  l'obligera  rendre  des  comptes.  L'assem- 
blée surveillée  de  loin  par  Villeroy  (2)  se  sépara  paisible- 
ment en  septembre  après  avoir  élu  ses  députés  et  rédigé 
•  les  cahiers  auquels  la  cour  avait  refusé  de  répondre  pour 
tout  ce  qui  lui  paraissait  déraisonnable. 

L'alerte  de  1011  était  passée.  Le  plus  redoutable  des 
écueils,  désormais, ne  fut  pas  la  question  religieuse,  caria 
grande  majorité  du  parti  comprit  que  la  reine  n'était  pas 
une  Catherine  de  Médicis,  ni  Villeroy  un  Birague.  Le  dan- 
ger était  dans  les  «  brouilleries  »  des  grands,  et.pour  Ville- 
roy, il  était  double  :  à  la  faveur  d'une  intrigue,  les  vieux 
ministres  d'Henri  IV  pouvaient  être  renversés;  une  brouil- 
lerie  pouvait  dégénérer  en  guerre  civile.  Villeroy  ne  pou- 
vait ni  ne  voulait  faire  de  ^réforme  importante  ;  en  dehors 
de  son  œuvre  diplomatique,  il  consacra  ses  forces  à  empê- 
cher qu'un  parti  ou  une  coalition  ne  le  renversAt  et  qu'une 
querelle  ne  s'aggravât  au  point  de  troubler  la  paix  publi- 
que. 

Au  début  de  1012,  Condé  et  Soissons  firent  une  violente 
sortie  contre  l'omnipotence  des  ministres  ;  on  ne  leur 
avait,  communiqué  les  traités  de  mariage  que  lorsque  la 
reine  avait  annoncé  officiellement  la  nouvelle  ;  on  avait  re- 


i  i  !  Mém.  du  duc  de  liohan,  p.  495. 

(2)  Voir  la  correspondance  qu'il  entretint  avec  les  commissaires 
royaux  Boissise  et  Bullion,  F.  fr.  4046,  et  Bibl.  de  l'Institut,  F.  Gode- 
froy,  n°  266. 


CONCLUSION  535 

usé  dé  leur  faire  connaître  le  compte  des  dépenses  de  l'an- 
née précédente.  Ils  sortirent  avec  fracas  de  la  cour.  La 
peine  s'inquiéta  bientôt  de  leur  absence;  elle  désirait  les 
voir  auprès  d'elle  pour  la  cérémonie  du  contrat  de  mariage. 
Yilleroy,  accompagné  du  maréchal  d'Ancre;  alla  négocier 
au  début  de  mai  avec  les  princes  qui  boudaient  à  Monli- 
gny  et  menaçaient  de  ne  pas  rentrer,  si  on  ue  chassait 
pas  les  ministres.  Villeroj  sul  les  ramener  réconciliés  avec 
la  reine  etavec  lui-même  après  les  avoir  comblés  de  bonnes 
paroles  et  leur  avoir  promis  de  1rs  faire  participer  désor- 
mais aux  décisions  du  Conseil.  Ils  rentrèrent  et  rien  ne 
t'ul  changé  au  gouvernement  :  l). 

Quelques  mois  après,  le  comte  de  Soissons  exigeait  pour 
lui  la  place  de  Quillebœuf  en  Normandie  qui  appartenait 
au  maréchal  de  Fervaques.  Celle  affaire  fut  l'origine  de 
nouvelles  intrigues  qui  passionnèrent  la^  Cour  e!  embar- 
rassèrent la  reine.  Yilleroy  rédigea  un  long  Avis,  où  il  dé- 
montrait sans  parti  pris  qu'il  y  avait  «  moins  de  hasard  et 
de  péril  pour  le  présent  et  pour  l'avenir  de  gratifier  el 
obliger  M.  le  Comte  que  de  faire  le  contraire  ><  ;  si  habile 
était  son  argumentation  qu'il  était  difficile  après  l'avoir  lue 
(Je  soutenir  que  la  ces-ion  de  Quillebœuf  fût utt  acte  de  fai- 
blesse. La  mort  du  comte,  survenue  à  latin  d'octobre,  mit 
lin  brusquement  à  ces  complications. 

D'autres  surgirent  bientôt.  Il  faudrait  écrire  un  volume 
pour  les  couler  en  détail,  el  suivre  de  près  la  manière  dont 
Yilleroy  se  maintint  au  pouvoir  et  assura  l'ordre.  Condé 
à  la  fin  de  161?  importuna  de  nouveau  la  reine;  uni  à 
Nevers,  il  demanda  le  Château-Trompette  et  des  place- en 

Guyenne.  La  reine  les  refusa.  Nous  trouvonsà  ce  m ni 

Yillerov  allié  à  la  faction  contraire,  aux  Cuises  et  à  d'Eper- 


(II  «  Le  Conseil  secret  de  c  roi  est  Yilleroy  seul,  écrivait  l'ambassa- 
deur vénitien  le  le  septembre,  la  rejne  ne  remue  pas  une  feuille   sans 

lui.  »  B.  Zeller,  Ibid.,  t.  11,  p.  65. 


536  VILLEROY 

non,  contre  M.  le  prince   qui  voulait  faire  embastiller  les 
«  trois  barbons  »  (1). 

Nous  le  voyons  aussi,  après  quelques  mois  d'hostilités 
avec  Concini,  accepter  les  offres  d'intermédiaires  zélés  et 
chercher  à  unir  sa  fortune  à  celle  du  florentin  par  une 
alliance  de  famille.  Jeannin,  nous  dit  Bassompierre  (2),  eut 
Tidée  de  faire  marier  la  fille  du  marquis  d'Ancre  avec  le 
petit-fils  de  Villeroy.  La  reine  adopta  ce  projet  avec  enthou- 
siasme. Le  couple  Concini  voyant  son  autorité  diminuée, 
sentant  qu'il  ne  pouvait  se  fier  sûrement  aux  grands  du 
royaume,  apprécia  les  avantages  d'une  alliance  avec  un 
homme  de  nom  modeste,  mais  de  faveur  durable  et  de 
grand  crédit  auprès  des  cours  étrangères.  Villeroy  en  s'as- 
sociant  aux  Concini  sut  aussi  agir  en  père  de  famille  pré- 
voyant :  le  jeune  marquis  de  Villeroy  devait  recevoir 
200.000  francs  de  dot,  plus  100.000  qu'ajoutait  la  reine  ; 
Villeroy  demanda  en  outre  que  le  marquis  d'Ancre  renon- 
çât sur  la  tête  de  son  gendre  à  la  charge  de  premier  gentil- 
homme de  la  Chambre.  Le  mariage  fut  accordé  en  sep- 
tembre ;  mais  on  ne  rédigea  pas  encore  le  contrat  ;  l'union 
ne  pouvait  se  conclure  que  dans  huit  ans.  On  ne  saurait 
donc  taxer  d'imprudence  le  vieux  ministre  ;  il  avait  le  temps, 
durant  ce  long  délai,  d'éprouver  la  fortune  du  favori  et  de  se 
retirer  avant  une  catastrophe. 

Il  survint  à  ce  moment  dans  la  vie  privée  de  Villeroy  un 
événement  plus  important  et  plus  regrettable  :  il  se  brouilla 
avec  le  chancelier.  Ils  avaient  vécu  jusqu'alors  parfaitement 
d'accord.  La  jalousie  et  la  méfiance  se  glissèrent  entre  eux 
à  propos  du  mariage.  Villeroy  avait  caché  le  projet  à  Sil- 
lery.  Sillery  en  fut  offensé  et  de  plus  éprouva  du  dépit  à 
cause  de  cet  accroissement  de  fortune  de  son  collègue. 
Condé  et  ses  amis  attisèrent  les  ressentiments.  Au  mois  de 


(1)  Bassompierre,  t.  I,  p.  338-341, 

(2)  Ibid.,  p.  359. 


CONCLUSION  537 

novembre,  Mmp  de  Puysieux  mourut  du  choléra.  Elle  avait 
beaucoup  contribué  à  la  bonne  entente  des  deux  beaux- 
pères.  Le  lien  de  famille  qui  les  tenait  encore  unis  fut  brisé  : 
des  questions  d'héritage  envenimèrent  la  querelle.  Celte 
division,  nous  dit  Richelieu,*'  futcause  de  la  ruine  de  tous 
deux  et  de  beaucoup  de  maux  pour  l'Etat  »  (1). 

L'année  1614  débuta  mal.  Les  brouilleries  de  cour  s'ag- 
gravèrent soudain.  Condé,  Nevers,  Mayenne,  Longueville, 
Bouillon  quittèrent  Paris  et  se  réunirent  à  Mézières.  Un 
manifeste  lancé  par  Condé  réunit  les  griefs  des  grands 
aux  revendications  du  public  et  réclamales  Etats-<  Généraux. 
Villeroy  donna  cette  fois  des  conseils  hardis.  Il  demanda  à 
la  reine  de  courir  immédiatement  aux  princes,  sans  leur 
donner  le  temps  de  réunir  des  gens  de  guerre.  Si  elle  allait 
à  Reims  avec  le  régiment  des  gardes  et  une  partie  de  la 
cavalerie  entretenue,  les  rebelles  viendraient  se  soumettre 
sans  condition  ou  se  retireraient  avec  désordre  et  à  leur 
confusion  hors  du  royaume  qui  demeurerait  en  paix.  11 
ajouta  que  si  la  reine  agissait  autrement,  on  répéterait  la 
faute  commise  en  la  première  prise  d'armes  de  la  Ligue  où 
on  aurait  dû  marcher  droit,  aux  Cuises.  Villeroy  était  sou- 
tenu par  Jeannin  et  par  le  cardinal  de  Joyeuse.  Le  Chan- 
celierau  contraire  dépeignit  la  situation  comme  très  sombre 
et  supplia  la  reine  de  contenter  les  princes.  La  maréchale 
d'Ancre  acheva  d'incliner  Marie  de  Médicis  à  la  paix.  Elle 
eut  l'art  d'interpréter  les  intentions  de  Villeroy  en  insi- 
nuant qu'il  voulait  favoriser  Guise  en  lui  faisant  donner 
le  commandement  des  armées,  désobliger  Sillery,  el  ruiner 
le  maréchal  d'Ancre  par  la  guerre.  Les  conseils  timides 
prévalurent.  Cependant  Condé  avait  rassemblé  2  à  3000  sol- 
dats. L'opinion  publique  était  émue  et  réclamait  la  paix. 
Villeroy  lui-même  comprit  que  le  moment  de  frapper  un 
grand  coup  était  passé  et  vers  le  milieu  de  mars  conseilla 

(1)  Richelieu,  Mém.,  p.  G3. 


t>38  VILLEROY 

à  la  reinede  tenterencore  une  fois  le  remède  de  «  son  indul- 
gence, bonté  et  libéralité  »  (1).  Le  8  avril,  s'ouvrirent  à  Sois- 
sons  des  conférences  pour  la  paix  ;  le  15  mai  l'on  signa  le 
traité  de  Sainte-Menehould.  La  reine  promettait  de  réunir 
les  Etats  et  de  retarder  les  mariages  jusqu'à  la  majorité  du  roi. 
('onde,  .Mayenne,  Longueville,  Bouillon  recevaient  de  nou- 
velles et  considérables  pensions.  On  avait  acheté"  très  chè- 
rement l'obéissance  et  la  foi  égarée  »  (2)  des  sujets  ;  sans 
doute  aucune  de  ces  concessions  ne  diminuait  gravement 
l'autorité  royale,  mais  ne  fallait-il  pas  beaucoup  d'optimisme 
pour  attribuer  à  «  prudence,  bonté  et  charité  envers  ce 
royaume  «  ce  conseil  de  faiblesse  ? 

Villeroy  qu'on  avait  empêché  d'agir  au  début  de  1614  prit 
bientôt  une  revanche.  Il  fit  décider  par  la  reine,  malgré 
l'opposition  du  chancelier,  un  grand  voyage  du  roi  et  de  la 
cour  dans  les  provinces  de  l'Ouest.  De  juillet  à  septembre, 
dans  une  promenade  triomphale  par  Orléans,  Tours,  Poi- 
tiers, Nantes,  le  jeune  Louis  XIII  recueillit  les  hommages 
d'un  peuple  enthousiaste.  Condé  qui  avait  fait  mine  de  pro- 
lester en  Poitou  contre  le  gouvernement  qui  exécutait  mal 
le  traité  de  mai  fut  profondément  humilié.  Vendôme  qui 
résistait  en  Bretagne  se  soumit.  Les  protestants  prodiguèrent 
les  témoignages  d'obéissance  et  de  respect.  Partout  se  pré- 
parèrent des  élections  pour  les  Etats  favorables  à  la  cause 
royale.  Le  voyage  eut  d'excellents  résultats  pour  l'autorité 
du  roi  et  pour  la  paix  publique.  Ce  fut  une  belle  manœuvre 
dirigée  avec  un  art  consommé  par  le  vieux  ministre  (3). 
Mais,  ainsi  qu'écrivait  Malherbe,  «  la  cour  a  ses  flux  et 
ses    reflux  comme  la  mer  »  ;  en  ces  temps  de   misérables 


(1)  Voir  l'Avis  de  1614. 

(2)  Ibid. 

(3)  o  H  veille  à  tout  avec  une  extraordinaire  application,  écrivait  l'am- 
bassadeur de  Venise  ;  il  se  donne  une  peine  infinie  pour  gagner  cha- 
cun. »(Dép.  du  19  août  1614,  F.  liai.  1767,  f9  136.) 


CONCLUSION 


539 


intrigues,  Villeroy  ne  pouvait  jàmaisêtre  sûrdu  lendemain, 
malgré  l'estime  universelle  qu'il  inspirait.  Trois  mois  après 
le  retour  de  la  cour,  le  maréchal  d'Ancre  rompait  avec  Yil- 
leroy  qu'il  trouvait  trop  mal  disposé  à  soutenir  ses  exorbi- 
tantes prétentions  contre  la  maison  de  Longuevilleen  Picar- 
die. Villeroy  injurié  renvoya  les  paquets  à  Puysieux  et  se 
retira  à  Conflans  (fin  décembre).  Mais  la  reine  ne  tarda  pas 
à  le  rappeler.  Sa  disgrâce  aurail  produit  un  effet  déplorable 
au  moment,  où  les  Etats-Généraux  délibéraient  sur  les 
affaires  publiques.  Au  milieu  des  querelles  entre  les  ordres, 
dos  discussions  sur  le  concile  de  Trente,  des  propositions 
de  réformes,  ungrandnombre  de  députés  critiquaienl  aigre- 
ment certains  personnages  en  faveur,  le  couple  ambitieux 
et  cupide  des  Conciniet  leurs  amis  parmi  lesquels  on  plaçait 
le  chancelier  qui  passait  pour  n'avoir  par  les  mains  nettes; 
au  contraire  on  n'avait  (pie  de  l'estime  pour  Villeroy, 
homme  intègre  et  dévoué  à  l'Etat.  Néanmoins,  l'autorité 
du  ministre  était  fortement  ébranlée:  Larégentese  montrait 
plus  froide  à  son  égard  ;  elle  consultait  sur  les  questions 
les  plus  importantes  une  sorte  de  conseil  secret  composé 
du  maréchal  d'Ancre,  du  chancelier  et  de  Puysieux  :  elle 
désignait  pour  une  ambassade  extraordinaire  en  Espagne 
Sillery,  le  frère  du  chancelier,  alors  que  Villeroy  avait 
demandé  cette  faveur  pour  son  fils.  Villeroy  ne  Laissait 
paraître  aucune  émotion.  Son  altitude  était  une  énigme 
pour  les  observateurs  habituels  de  ces  petits  drames  de 
cour.  Se  cramponnait-il  au  pouvoir?  Etait-il  réellement  las 
etdisposé  à  partir?  Certains  assuraient  qu'il  ne  restait  que 
contraint  parles  supplications  de  son  fils  qui  craignaitque 
la  retraite  de  son  père  ne  ruinât  sa  fortune.  Laissant  dire  et 
laissant  faire,  Villeroy  préparait  tranquillement  un  beau 
mariage  pour  son  petit-fils  qu'il  cherchait  à  unir  avec  la 
fille  de  M.  de  Créqui,  le  gendre  de  Lesdiguières. 

Peut-être  aussi  le  ministre  qui  connaissait  les  hommes 
attendait-il  en  paix   la  fin  de  sa  demi-disgrâce.  Après  la 


540  VILLEROY 

clôture  des  Etats,  et  l'agitation  parlementaire  du  printemps 
de  1615,  lesprinces  et  les  grands,  profitant  du  mécontente- 
ment général,  voulurent  reconstituer  leur  ligue  du  bien 
public  et  se  faire  valoir  à  nouveau.  La  Reine  se  rapprocha 
de  Thomme  qui  avait  conservé  dans  tous  les  partis  une 
réelle  autorité.  Au  début  d'avril,  on  réconcilia  Villeroy  et 
d'Ancre  et  la  paix  régna  dans  l'entourage  de  Marie  de  Mé- 
dicis.  Cependant  ("onde.  Bouillon,  Longueville,  Mayenne, 
ayant  quitté  la  capitale,  reprenant  les  griefs  des  Etats,  du 
Parlement  et  des  grands,  protestaient  contre  les  abus  et 
réclamaient  la  réforme  du  Conseil.  La  reine-mère  qui  se 
disposait  à  conclure  les  mariages  et  à  partir  pour  Bordeaux 
où  devait  se  faire  solennellement  l'échange  des  princesses 
voulut  éteindre  cette  nouvelle  querelle  et  emmener  les 
princes  avec  la  cour.  En  juillet,  Villeroy  fit  deux  voyages  à 
Creil,  et  un  à  Coucyoù  se  tenait  Condé  etessaya  vainement 
de  le  décider  à  suivre  la  reine.  Condé  s'entêta  à  demander 
qu'on  réformât  le  Conseil  et  qu'on  écoutât  les  remontrances 
du  Parlement.  Il  désigna  comme  les  auteurs  principaux 
des  abus,  qu'il  fallait  expulser,  le  maréchal  d'Ancre,  le 
chancelier  et  son  frère.  Bullion  et  Dolé,  deux  créatures 
du  florentin  qui  avaient  acquis  depuis  peu  une  certaine  in- 
fluence. Il  n'éprouvait  aucune  antipathie  à  l'égard  de  Ville- 
roy et  celui-ci  de  son  côté  se  montrait  assez  conciliant. 
Mais  à  la  cour,  la  cabale  adverse  l'accusa  de  faire  traîner 
cette  négociation.  La  reine  envoya  le  29  juillet  Pontchar- 
trainqui  somma  les  princes  de  venir  en  cour  et  sur  leur 
refus  rompit  tout  net. 

De  part  et  d'autre  on  arma.  La  reine  partit  pour  Bor- 
deaux, chargeant  Bois-Dauphin  de  contenir  les  princes.  Le 
maréchal  ne  put  empêcher  Condé  de  prendre  quelques 
places  clans  le  Nord,  de  traverser  la  Loire,  de  soulever  les 
huguenots  de  la  Guyenne,  du  Languedoc  et  du  Poitou.  Le 
gouvernement  était  comme  paralysé  par  ses  divisions.  Vil- 
leroy, la  maréchale  d'Ancre,  le  duc  de  Guise,  ne  cessaient 


CONCLUSION  541 

de  conseiller  la  paix  ;  le  chancelier  et  son  frère,  d'Epernon, 
voulaient  qu'on  agisse  énergiquement  contre  les  rebelles. 
Quand  le  mariage  du  roi  eut  été  célébré  ('28  novembre),  la 
reine-mère,  au  comble  du  bonheur,  fut  gagnée  à  la  conci- 
liation. Elle  chassa  l'un  des  principaux  instigateurs  de  la 
guerre,  le  commandeur  de  Sillery,  tout  en  priant  le  chan- 
celier de  continuer  à  la  servir.  Puis  elle  Gt  signer  une  trêve 
pour  le  mois  de  février,  et  envoya  à  Loudun  Villeroy  avec 
le  maréchal  de  Brissac,  de  Thou,  de  Vie  et  Pontchartrain. 
Nous  ne  pouvons  suivre,  pendant  ces  dix  semaines,  Ville- 
roy dans  ses  allées  et  venues  par  les  mauvais  chemins  du 
Poitou.  Aucune  négociationne  fui  plus  difficile  que  celle-là. 
Aucune  ne  fut  moins  glorieuse  pour  la  royauté.  Il  fallut 
faire  des  concessions  aux  protestants,  donner  à  Comlé  le 
Berry,  Chinon  et  Bourges  et  1.500.000  livres,  distribuer 
d'énormes  indemnités  à  ses  amis.  Les  deux  points  les  plus 
délicats  furent  la  faveur  particulière  accordée  à  Condé  et 
l'affront  infligé  au  maréchal  d'Ancre.  Le  premier  obtint, 
grâce  aux  instances  de  Villeroy,  une  place  éminente  au 
Conseil  et  le  droit  de  signer  les  arrêts.  La  reine  s'obstinait 
à  le  lui  refuser.  Villeroy  la  supplia  de  ne  pas  «  faire  diffi- 
culté de  donner  la  plume  à  un  homme  dont  elle  tiendrait 
la  main  quand  il  lui  plairait  »  (1).  Il  fit  aussi  enlever  à 
Concini  la  citadelle  d'Amiens  <■!  répondit  aux  objections 
de  la  reine  en  la  priant  de  témoigner  «pie  ses  «  créatures 
particulières  ne  lui  étaient  pas  si  chères  que  h'  repu-  de 
l'Etat  «  (?). 

On  ne  saurait  rendre  Villeroy  seul  responsable  d'une 
paix  assez  humiliante.  Le  roi  et  la  reine  avaienl  donné 
l'ordre  de  traiter.  Le  repos  était  ardemment  désiré  par 
l'opinion  universelle,  émue  des  premières  misères  de  la 
guerre  civile.  Tous,  même  le-  plus  tiers,  conseillaient  la 


(1)  Fontenay-Mareuif,  Mém.,  p.   MM 
{■2)  Ibid. 


542  VILLEROY 

paix.  Du  Vair  écrivait  à  Villeroy  que  les  commodités  parti- 
culières •■  pour  cher  qu'elles  coûtent  à  l'Etat  seront  bien 
employées  »  (1).  Sully  lui-même  lui  disait  :  «  Par  quelque 
voie  qu'un  prince  parvienne  à  obtenir  la  paix,  à  être  re- 
connu, à  posséder  les  choses  utiles  et  à  étouffer  les  noms 
des  partis,  souvenez-vors  qu'il  aura  enfin  l'honneur  et 
l'avantage  du  tout  »  2).  Mais  les  deux  clauses  spéciales 
relatives  à  Gondé  et  à  Concini  avaient  été  défendues  avec 
une  grande  force  par  Villeroy  au  Conseil  :  par  la  seconde,  il 
cherchait  à  entamer  la  formidable  puissance  d'un  favori 
détesté;  par  la  première,  il  semble  qu'il  ait  voulu  inaugurer 
une  autre  politique  à  l'égard  du  premier  prince  du  sang  : 
las  des  récriminations  de  Coudé  et  des  perpétuelles  menaces 
de  guerre  civile,  a-t-il  voulu  essayer  de  retenir  à  la  Cour 
Coudé,  si  dangereux  en  province,  de  le  séparer  de  ses  amis 
en  l'associant  au  pouvoir?  Espérait-il  qu'un  Gondé  comblé 
d'argent  et  d'honneurs,  vivant  quotidiennement  avec  des 
ministres  plus  expérimentés,  '-'adoucirait  par  de  bons  pro- 
cédés, subirait  inconsciemment  l'influence  des  hommes 
d'Etat  et  deviendrait  presque  un  collaborateur? 

Ces  deux  articles  de  la  paix  de  Loudun  causèrent  la  perte 
de  Villeroy.  Marie  de  Médicis  qui,  depuis  quelque  temps, 
«  expliquait  sinistrement  tout  ce  qui  venait  de  lui  »,  ne  ni 
pardonna  pas  ce  double  «  paquet  »  qu'il  avait  gardé  pour  elle 
et  pour  le  maréchal  d'Ancre  .'!  .  Eéonora  Galigaï  eut  assez 
d'empire  sur  l'espril  de  sa  maîtresse  pour  lui  l'aire  décider 
le  renvoi  des  barbons.  Le  chancelier  était  parti  le  premier, 
le  2  mai,  grâce  aux  efforts  de  la  maréchale  et  de  Villeroy 
qui  avaient  persuadé  à  la  reine  que  cet  homme  détesté  par 
Condé,  et  par  le  peuple,  était  un  obstacle  à  la  pacification. 
Du   Vair  recueillit  sa  succession.   Puis  ce  fut  le  tour  de 


(1)  Du  Vair  a  Villeroy,  9  janvier  1616,  Bibl.  du  l'Institut,  F.  Gode- 
i'roy,  ii"  268,  l'o  62. 

. .i\  à  Villeroy,  14  octobre  1615,  Ibid.,  f°  44. 
(3)  Fontenay-Mareuil,  Ibid. 


CONCLUSION  543 

Jeannin,  contrôleur  général  des  finances,  qui  dul  échanger 
cet  office  contre  une  dignité  honorifique,  et  céder  la  place 
à  un  favori  de  la  maréchale,  Barbin,  ancien  courtier  de 
banque  et  surintendant  de  la  maison  de  la  reine-mère.  On 
n'osait  pas  s'attaquer  directement  à  Villeroyqui,  prévoyant 
sa  disgrâce,  s'était  relire  à  Conflans.  Peut-être  même 
Marie  de  Médicis  ne  voulait-elle  que  lui  enlever  une  par- 
tie de  sa  puissance  et  le  conserver  comme  conseiller.  Elle 
l'informa  par  Barbin  qu'elle  renvoyai!  Puysieuxet  donnait 
la  charge  à  Mangot,  premier  président  à  Bordeaux.  La  dis- 
grâce de  Puysieux  était  indifférente  au  ministre  ;  d'autre 
part,  il  sentait  qu'il  se  fatiguait  et  paraissait  Lien  résolu  à 
se  ménager  à  l'avenir.  .Mais  il  voulait  faire  installer  une  de 
ses  créatures  à  la  place  de  Puysieux.  Il  céda  sur  une  in- 
jonction formelle  de  la  reine.  Mais  il  prétendit  que  la  charge 
lui  appartenait  et  il  en  demanda  500.000  francs.  Mangot  ne 
disposait  que  de  300.000,  Villeroy  abaissa  ses  prétentions 
et  la  reine  aida  Mangot  à  payer  400.000.  A  partir  de  juillet 
1616,  Villeroy  redevint  un  simple  conseiller  d'Etat. 


III 


Villeroy,  comme  ministre  de  l'intérieur,  avait  fait  vivre 
au  jour  le  jour  le  gouvernement  de  la  Régence  :  on  avail 
«  avalé  des  brouillards  »  ;  on  avait  l'ail  .i  dessujets  rebelles 
des  concessions  coûteuses  et  humiliantes,  mai-  à  ce  prix 
on  avail  évité  de  graves  défaites  pour  l'autorité  royale  et 
de  grands  malheurs  pour  le  pays.  La  France  aurait-elle  été 
mieux  gouvernée  avec  des  ministres  plus  jeune-,  plu-  har- 
dis, [ilus  énergiques?  L'historien  n'a  point  à  se  poser  une 
telle  question  :  il  doit  seulement  juger  ce  qu'a  l'ail  réelle- 
ment la  sagesse  des  barbon^  cl  de  leur  chef  Villeroy,  et  il 


544  VILLEROY 

peut  affirmer  sans  crainte  que  cette  action,  si  elle  fut  sans 
gloire,  ne  fut  pas  sans  profit,  que  cette  œuvre  fut  bienfai- 
sante dans  les  redoutables  périls  que  la  minorité  de 
Louis  XIII  eut  à  affronter. 

La  politique  extérieure  eut  le  même  caractère  et  les 
mêmes  résultats.  Ce  fut  une  politique  pacifique  et  prudente 
que  les  âmes  hardies  et  avides  de  gloire  ont  méprisée 
comme  timorée  et  sans  éclat.  Villeroy,  avec  une  remar- 
quable persévérance,  la  dirigea  comme  un  petit  bourgeois 
ennemi  de  la  spéculation  gère  honorablement  un  placement 
de  tout  repos  pour  le  transmettre  intact,  sans  courir  aucun 
risque,  à  ceux  qui  viendront  après. 

Henri  IV  était  mort,  assassiné  quelques  jours  avant  la 
date  fixée  par  lui  pour  entrer  en  campagne.  Cette  catas- 
trophe ruina  les  grands  projets  de  la  politique  française. 
Le  gouvernement  d'une  femme  et  d'un  enfant  avait  un  im- 
périeux besoin  de  paix,  au  dehors  comme  au  dedans.  Tous 
les  esprits  sensés  le  comprirent  et  le  plus  belliqueux  des 
conseillers,  Sully,  proposa  lui-même  de  faire  cesser  les  le- 
vées d'hommes  qui  commençaient  à  arriver  pour  la  guerre 
d'Allemagne.  Mais  on  voulut  montrer  aux  alliés  protestants 
qu'on  ne  les  abandonnerait  pas  :  une  petite  armée  alla 
prendre  Juliers  dont  les  princes  de  Xeubourg  et  de  Bran- 
debourg entrèrent  en  possession.  Villeroy  avait  déclaré 
aux  ambassadeurs  étrangers  que  son  gouvernement  n'irait 
pas  plus  loin.  Ce  premier  acte  était  une  indication  très 
claire  pour  la  politique  qu'on  allait  suivre  :  on  allait  essayer 
d'unir  deux  choses  qui  paraissaient  inconciliables  sous 
Henri  IV,  entretenir  les  anciennes  alliances,  et  n'accom- 
plir aucun  acte  d'hostilité  contre  les  anciens  ennemis. 

Au  mois  de  septembre,  on  avait  désarmé  sur  la  frontière 
du  Nord  ;  l'horizon  de  ce  côté  était  calme  ;  on  avait  trouvé 
une  solution  honorable  des  affaires  d'Allemagne,  les  ar- 
chiducs ne  demandaient  qu'à  vivre  en  paix  avec  le  roi.  Le 
rétablissement  de  la  tranquillité  sur  la  frontière  d'Italie 


CONCLUSION  545 

fui  beaucoup  plus  long  et  plus  pénible.  Henri  IV  avail 
promis  à  Charles-Emmanuel  la  main  de  sa  fille  aînée  poul- 
ie prince  de  Piémont;  les  forces  de  Lesdiguières  jointes 
à  celles  du  duc  se  disposaient  en  mai  1610  à  envahir  le 
Milanais.  Pendant  [quelques  semaines  on  resta  en  armes, 
en  Dauphiné,  en  Savoie  et  à  Milan.  Fuentès  grondait, 
la  reine  et  Villeroy  déclaraient  hautement  au  nonce  et 
à  l'ambassadeur  d'Espagne  qu'on  protégerait  le  duc  contre 
toute  agression.  Mais  le  gouverneur  du  Milanais  mou- 
rut au  mois  d'août,  et  la  régente  donna  une  preuve  de 
ses  dispositions  pacifiques  en  ordonnant  à  Lesdiguières 
de  commencer  .à  désarmer.  Cependant,  les  hommes 
d'élal  français  cherchaient- à  calmer  le  due  de  Savoie,  l'as- 
suraient qu'ils  trouveraient  toujours  dans  le  roi  un  allié 
pour  la  défense  de  ses  possessions  :  la  reine  voulail  d'abord 
sincèrement  marier  une  de  ses  filles  en  Sa\<>ie  et  l'autre 
en  Espagne.  L'Espagne  ne  voulut  point  admettre  ce  par- 
tage :  elle  ne  consentit  à  entamer  les  négociations  de 
mariage  qu'après  avoir  vu  les  Français  renoncer  à  l'al- 
liance matrimoniale  avec  la  Savoie.  Charles-Emmanuel  se 
défendit  avec  vigueur,  il  protesta,  menaça,  pria,  réclamant 
l'exécution  des  promesses  d'Henri  IV;  il  cherchait  des  ap- 
puis à  la  Cour,  auprès  du  duc  de  Nemours,  de  Soissons; 
de  Concini,  de  Villeroy  auquel  il  faisait  offrir  un  comté  de 
4000  écus  de  revenus.  Le  Conseil  était  partagé  :  Condé, 
Soissons,  le  connétable,  Joyeuse  voulaient  qu'on  cédât  au 
duc;  Villeroy  et  le  chancelier  se  prononcèrent  contre  le 
mariage  savoyard  et  l'emportèrent,  au  début  de  décembre. 
Villeroy  avait  attaqué  vivement  le  prince  turbulent  el  avide 
qui  ne  rêvait  que  de  brouiller  le-  deux  royaumes  de  France 
et  d'Espagne,  et  il  n'avait  pas  craint  d'affirmer  qu'il  fallait 
rompre  des  engagements  pris  par  Henri  IV  dans  des  cir- 
constances qui  étaient  alors  favorable-,  au  royaume.  Le 
duc,  qui  connut  cette  opposition,  se  plaignit  de  l'influence 
de  Villeroy  qu'il  considéra  désormais  comme  son  ennemi 
Villeroy.  3:» 


546  VILLEROY 

personnel  (1).  Il  ne  se  résigna  pas  aisément.  Il  fit  encore 
pendant  toute  l'année  1611  des  efforts  désespérés  pour  re- 
nouer les  négociations,  excitant  les  défiances  des  hugue- 
nots, poussant  Soissons,  Condé  et  les  grands  à  protester 
contre  les  mariages  espagnols  qui  se  préparaient,  et  tou- 
jours répandant  d'amères  récriminations  sur  la  conduite 
de  Villeroy.  Il  voulut  faire,  au  mois  de  mars,  une  démons- 
tration armée  du  côté  de  Genève.  Immédiatement  le  gou- 
vernement français  fit  prendre  d'importantes  mesures  mi- 
litaires pour  défendre  la  république  amie  du  royaume.  Vil- 
leroy déclara  à  l'ambassadeur  d'Espagne  que  la  reine  et 
son  fils  se  transporteraient  à  Lyon  si  le  duc  avançait.  Le 
baron  de  Luz  arrêta  les  troupes  savoyardes  au  pont  de  Gré- 
sin.  La  leçon  fut  efficace.  Des  négociations  à  Paris,  entre 
Villeroy  et  Jacob,  durant  les  mois  d'avril  et  de  mai,  une 
ambassade  de  la  Varenne  à  Turin,  amenèrent  enfin  le  duc 
à  désarmer. 

Depuis  longtemps,  l'on  traitait  avec  l'Espagne  pour  les 
mariages  qui  furent  la  grande  œuvre  diplomatique  de  Ma- 
rie de  Médicis  et  de  Villeroy.  A  aucun  moment,  Villeroy 
n'avait  eu  le  moindre  doute  au  sujet  de  l'utilité  d'une  telle 
alliance.  Elle  était  pour  lui  la  seule  garantie  efficace  de  la 
paix.  Il  était  nécessaire,  croyait-il,  de  «  regagner  l'amitié 
dudit  roi  d'Espagne  aucunement  ébranlée  par  les  desseins 
et  préparatifs  de  guerre  que  le  feu  roi  était  prêt  de  mettre 
en  œuvre  lors  de  son  décès,  afin  de  détourner  les  effets  de 
l'inimitié  d'un  tel  prince  contre  la  France  en  la  minorité  du 
roi...  »  (2).  C'était  aussi  l'idée  intime  de  Sillery  et  de  Jean- 
nin,  et  il  régna  un  accord  parfait  entre  ces  trois  conseillers 
et  la  reine  qui  de  plus  éprouvait  un  sentiment  de  vanité 
maternelle  à  faire  conclure  cette  brillante  alliance.  Gepro- 


(1)  Dép.  de  Foscarini  à  la   Seigneurie,    14  décembre  1610,  F.   Ital. 
1763,  fo  170. 

(-2)  Voir  plus  loin  l'Avis  de  1613. 


conclusion  547 

jet  ne  rencontra  d'adversaires  résolus  que  dans  le  parti  hu- 
guenot qui  ne  pouvait  oublier  les  persécutions  qui  avaient 
suivi  l'entente  de  Catherine  de  Médicis  avec  le  roi  d'Espa- 
gne :  on  ne  soupçonnait  pas  les  intentions  de  Villeroy  : 
mais  on  craignait  que.  le  ministre  disparu,  la  reine  ne  subît 
l'influence  de  conseillers  plus  /.(Mes  catholiques,  et  ne  se 
laissât  diriger  par  le  nonce  du  pape  el  l'ambassadeur  du  roi 
d'Espagne.  C'est  Sully  qui  exprima  le  plus  éloquemment 
ces  inquiétudes.  Condé,  Soissons  el  leurs  amis  firent  aux 
projets  de  la  reine  une  opposition  tantôt  sournoise,  tantôl 
ouverte,  mais  sans  s'inspirer  d'aucune  idée  politique  sé- 
rieuse :  ils  agissaient  ainsi,  soit  pour  ennuyer  la  Bégente 
quand  ils  étaient  brouillés  avec  elle,  soit  pour  contenter 
leurs  alliés  huguenots,  soit  pour  manifester  leur  dépil  d'être 
tenus  àl'écartdes  plus  importanlo  délibérations  politiques. 

Nous  ne  pouvons  étudier  en  détail  ces  négociai  ions  qui 
commencèrent  secrètement  presque  au  lendemain  de  la 
mort  du  roi,  par  l'intermédiaire  de  Botti,  envoyé  du  grand- 
duc,  puis  du  nonce  Ubaldini  et  de  don  Inigo  de  Cardenas, 
ambassadeur  d'Espagne.  Le  30  avril  1611,  Villeroy  et  don 
Inigo  signèrent  le  traité  pour  le  double  mariage  de  Louis  XI U 
avec  l'infante  aînée,  et  de  Madame  Elisabeth  avec  le  prince 
des  Asturies,  et  la  ligue  défensive  qui  devait  unir  les  deux 
couronnes.  On  tint  longtemps  ces  accords  cachés  par 
crainte  des  huguenots.  Le  26  janvier  1612,  le  Chancelier  fit 
au  Conseil  la  déclaration  des  mariages,  et  nul  n'énonça  au- 
cune objection,  sauf  Bouillon  el  Lesdiguières  qui  affir- 
mèrent y  adhérer,  à  la  condition  qu'on  conserverai!  les  an- 
ciennes amitiés.  Trois  mois  après,  les  mariages  étaienl 
publiés  dans  tout  le  royaume. 

Villeroy  avait  été  le  principal  artisan  de  la  réconciliation 
avec  l'Espagne.  Ce  serait  méconnaître  sa  prudence  que  de 
croire  qu'il  eût  uniquement  subordonné  sa  politique  étran- 
gère à  la  nécessité  de  la  paix.  Jamais  il  n'entendit  conclure 
un  marché  de  dupe. 


548  VILLEROY 

Etre  ami  de  l'Espagne  ne  signifiait  pas  rompre  les  «  an- 
ciennes amitiés  et  confédérations  ».  Le  système  politique 
d'Henri  IV  ne  fut  pas  abandonné.  Louis  XIII  resta  l'ami 
des  princes  et  des  républiques  protestantes  et  son  gouver- 
nement sut  le  prouver  en  mainte  circonstance.  On  conserva 
de  bonnes  relations  avec  les  Provinces-Unies  malgré  les 
défiances  et  les  rancunes  du  parti  du  stathouder.  On  s'en- 
tendit avec  les  princes  allemands  pour  faire  élire  Matbias 
empereur.  Genève  fut  protégée  contre  une  agression  de 
Charles- Emmanuel.  Enfin,  on  chercha  sincèrement  à  s'allier 
par  un  mariage  avec  la  maison  royale  d'Angleterre.  C'est 
un  des  desseins  que  Villeroy  poursuivit  avec  le  plus  de  zèle 
sans  se  laisser  détourner  par  l'indignation  du  pape  et  la 
jalousie  des  Espagnols  eux-mêmes.  Jacques  Ier  était  très 
favorable  à  l'idée  de  marier  le  prince  de  Galles  avec  la  se- 
conde princesse  de  France.  Les  deux  cours  n'eurent  pas  de 
peine  à  s'en  tendre  une  fois  passée  la  période  des  préliminaires 
obligés.  La  mort  soudaine  du  prince  de  Galles,  en  novem- 
bre 1612,  n'arrêta  pas  les  négociations.  Le  nouveau  prince 
de  Galles  fut  destiné  à  une  fille  de  France,  et  malgré  les 
protestations  du  nonce  qui  tentait  de  toutes  ses  forces  d'in- 
timider Marie  de  Médicis,  Villeroy  continua  tranquillement 
à  préparer  le  mariage  franco-anglais. 

Etre  ami  de  l'Espagne  ne  signifiait  pas  non  plus  sacrifier 
par  faiblesse  les  intérêts  français  aux  Espagnols  en  Europe. 

Quand  on  examine  de  près  l'histoire  des  relations  des 
deux  pays,  on  ne  trouve  aucun  acte  de  complaisance  grave 
à  reprocher  au  ministre.  S'il  fut  à  l'intérieur  trop  souvent 
porté  à  conseiller  les  concessions,  il  fut  en  revanche  un  mi- 
nistre des  affaires  étrangères  très  ferme,  tout  en  se  mon- 
trant conciliant  et  souple.  Les  deux  nations  restèrent  sur 
leurs  positions,  sans  rien  gagner  l'une  sur  l'autre.  Quand 
!'■-  Espagnols  avaient  des  velléités  d'avancer,  Villeroy,  qui 
veillait,  intervenait  :  il  commençait  par  déployer  toutes  les 
ressources  de  sa  diplomatie,  et   si  l'honneur  ou  de  graves 


CONCLUSION  549 

intérêts  l'exigeaient,  il  engageait  la  régente  à  parler  haut. 
On  le  vit  pratiquer  celte  politique  pour  régler  l'affaire 
qui  fut,  de  l'aveu  général,  la  plus  périlleuse  de  la  régence, 
l'affaire  de  la  succession  de  Mantoue.  Le  duc  de  Mantoue 
était  mort  en  1612;  sans  héritier  mâle.  Le  cardinal  Ferdi- 
nand, son  frère,  prit  le  pouvoir.  Mais  Charles-Emmanuel 
ne  voulut  point  laisser  échapper  une  occasion  d'agrandir 
ses  états:  il  revendiqua  les  droits  de  sa  fille,  veuve  du  duc, 
et  de  sa  petite-fille,  la  princesse  Marie,  envahit  et  occupa, 
en  avril  1613,  les  villes  du  Montferral  sur  lesquelles  il  avait 
des  prétentions.  Cette  agression  provoqua  en  France  une 
vive  émotion  :  le  duc  de  Mantoue  était  un  vieil  allié  de  la 
couronne,  et  un  parent  de  la  reine,  et  l'honneur  obligeait 
de  le  soutenir  contre  les  brigandages  du  duc  On  était  in- 
quiet de  l'attitude  de  l'Espagne  qui  ne  paraissait  pas  claire  : 
on  disait  que  le  gouverneur  de  Milan  favorisait  secrète- 
ment les  desseinsdu  duc.  Villeroy  se  demandait  si  les  Espa- 
gnols n'allaient  pas  reprendre  leur  marche  envahissante  ru 
Italie,  occuper  Savone,  ruiner  Gènes.  Cependanl  le  cardinal- 
duc  appelait  au  secours  et  la  noblesse  française  brûlai!  de 
partir  en  guerre.  Villeroy  estima  qu'il  ne  fallait  pas  reculer  : 
c'eût  été  pour  le  royaume  un  déshonneur  et  la  ruine  de  l'in- 
fluence française  à  l'étranger  ;  mieux  valait  risquer  la  rup- 
ture avec  l'Espagne.  Mais  pour  conjurer  ce  péril  il  employa 
une  excellente  tactique.  Il  porta  la  question  devant  le  tri- 
bunal de  l'opinion  européenne,  lit  affirmer  hautement  par 
ses  ambassadeurs  le  bon  droit  du  duc  de  Mantoue,  fit  appel 
au  pape,  à  la  République  de  Venise,  au  grand-duc  de  Tos- 
cane, à  l'Empereur,  négocia  dans  toutes  les  cours,  lil  me- 
nacer à  Turin,  discuter  à  Madrid,  préparer  une  démons- 
tration armée  dans  les  Alpes.  Le  duc  de  Savoie  fui  mora- 
lement isolé.  L'Espagne  qui  voulait  peut-être  faire  un  mau- 
vais coup  à  la  dérobée  fut  intimidée,  sans  avoir  lieu  d'être 
olïensée,  car  Thabile  ministre  avait  eu  soin  de  ne  pas  l'ac- 
cuser directement.  Aussi  Philippe  III,  au  mois  de  juin,  dut- 


550  VILLEROY 

il  ordonner  au  gouverneur  de  Milan  de  désarmer  et  de  faire 
désarmer  le  duc.  L'affaire  parut  reprendre  à  la  fin  de  1613  : 
les  Savoyards  gardaient  des  places  du  Montferrat,  des 
troupes  espagnoles  vivaient  sur  les  terres  du  duc  de  Man- 
toue  comme  en  pays  conquis.  Villeroy  reprit  la  tactique 
qui  avait  déjà  réussi  au  début  de  Tannée  :  il  écrivit  un  Avis 
pour  conseiller  à  la  reine  de  rompre  plutôt  que  de  céder  : 
et  tout  se  termina  par  un  accommodement  à  la  satisfaction 
de  la  France. 

Le  calme  était  rétabli  et  dura  deux  années  encore.  Les 
mariages  espagnols  s'effectuèrent.  L'entente  espagnole  se 
maintint.  Aucun  incident  grave  ne  troubla  l'horizon,  jus- 
qu'au jour  où  les  brouilleries  recommencèrent  en  Italie.  En 
1616  le  duc  de  Savoie  rompit  avec  les  Espagnols  :  le  gou- 
verneur de  Milan  envahit  les  états  de  Charles-Emmanuel 
qui  appela  Lesdiguières  à  son  secours  et  envahit  le  Mont- 
ferrat, fief  du  duc  de  Mantoue  allié  de  l'Espagne  et  de  la 
France.  Villeroy  chercha  aussitôt  à  rétablir  Tordre,  à  em- 
pêcher les  Espagnols  d'écraser  les  Savoyards,  et  les  Sa- 
voyards d'opprimer  le  duc  de  Mantoue.  On  avait  déjà  choisi 
Richelieu  pour  aller  négocier  un  accord  avec  les  Espagnols 
qui  manifestaient  de  bonnes  dispositions.  Villeroy  ne  put 
diriger  longtemps  cette  affaire,  car  au  mois  de  juillet,  on 
le  força  à  vendre  sa  charge.  Pendant  sa  retraite,  Richelieu 
chercha  en  vain  à  faire  régler  à  Paris  le  différend  hispano- 
savoyard.  Il  avait  essayé  aussi  de  s'entremettre  pour  ré- 
concilier les  Vénitiens  avec  l'archiduc  Ferdinand  de  Styrie. 
Le  conflit  italien  s'était  envenimé  depuis  que  Lesdiguières, 
sans  prendre  l'avis  de  la  reine  et  de  ses  ministres,  avait 
marché  de  lui-même  au  secours  du  duc  de  Savoie.  Villeroy 
revenu  au  pouvoir  continua  son  œuvre  pacificatrice,  ré- 
sista aux  Espagnols  qui  voulaient  opprimer  la  Savoie,  aux 
ennemis  de  l'Espagne  qui  voulaient  la  rupture  entre  les 
deux  couronnes.  Les  Espagnols  ayant  pris  Verceil  et  mena- 
çant Asti,  Louis  XIII  donna  à  Lesdiguières  Tordre  de  mar- 


conclusion  551 

cher.  Le  gouvernement  de  Philippe  III  très  impressionné 
se  montra  alors  conciliant.  Tous  les  amis  de  la  paix  travail- 
lèrent avec  Yilleroy  à  éteindre  le  feu,  et  après  de  longues 
négociations  à  Rome,  à  Madrid,  et  à  Paris,  tout  rentra  dans 
l'ordre  (août  1617). 

Telle  fut  la  politique  étrangère  dirigée  par  Yilleroy  sous 
la  Régence.  Il  serait  injuste  d'affirmer  qu'elle  ne  fut  ni  ho- 
norable ni  profitable  au  royaume.  Il  serait  difficile  aussi  de 
prétendre  qu'en  1610  on  abandonna  complètement  les  tra- 
ditions qui  sous  Henri  IV  avaient  rendu  la  France  si  forte. 
On  renonça  simplement  à  faire  la  guerre,  pour  ne  pas 
faire  courir  de  dangers  trop  graves  à  un  gouvernement 
de  minorité,  et  l'on  se  rapprocha  de  l'Espagne  pour  qu'elle 
nous  laissât  en  paix.  La  monarchie  d'Henri  IV était  devenue 
le  champion  des  états  protestants  menacés  par  la  maison 
d'Autriche.  La  monarchie  de  la  Régente  conserva  ces  en- 
tentes et  y  ajouta  une  alliance  avec  l'Espagne  qui  ne  coûta 
aucun  sacrifice  grave  nia  notre  honneur  ni  à  notre  intérêt. 
La  France  servit  d'intermédiaire  bienveillant  entre  la  «  fac- 
tion huguenote  »  et  la  «  faction  catholique  ».  Elle  fut  dans 
l'Europe  chrétienne  l'arbitre  de  la  paix. 

Il  convient  ici  de  citer  quelques  pages  écrites  par  Yille- 
roy lui-même  dans  un  Avis  qu'il  adressait  à  la  reine-mère 
en  1612,  au  moment  où  l'on  pouvait  commencer  à  apprécier 
les  résultats  de  sa  diplomatie.  Yilleroy  commence  par  dire 
«  en  gros  »  que  le  nom  de  leurs  Majestés  est  «  en  tous  lieux 
grandement  chéri,  honoré  et  vénéré  ».  Puis,  il  caractérise 
successivement  les  relations  de  sou  gouvernement  avec  les 
différents  états  d'Europe. 

«  V.  M.,  dit-il,  possède  encore  auprès  dû  Pape  et  en  la 
Cour  de  Rome  la  même  créance  et  autorité  que  S.  M.  dé- 
funte y  avait;  non  toutefois  de  la  manière  ni  aux  condi- 
tions et  fins  qu'aucuns  mal  informés  de  la  vérité  de  votre 
conduite  et  bonne  foi,  ou  ennemis  de  votre  bonne  intelli- 
gence de  ce  côté-là  s'imaginent  et  osent  publier  à  diverses 


552  VILLEUOY 

fins.  »  Je  puis  affirmer,  ajoute  Villeroy,  que  «  tant  s'en  faut 
que  vous  vous  soyez  laissée  aller  et  conduire  en  toutes 
choses  aux  conseils  et  persuasions  de  Rome  au  préjudice 
de  ladite  paix  et  de  vos  voisins  et  alliés  de  contraire  reli- 
gion, comme  publient  malicieusement  aucuns  qui  sont  à 
mon  jugement  plus  ennemis  de  ladite  paix  que  la  même 
Cour  de  Rome  ». 

«  Votre  créance  n'est  moindre  à  Venise  ni  envers  les  au- 
tres princes  et  potentats  d'Italie.  »  Il  est  survenu  entre  la 
République  et  la  France  un  malentendu  au  sujet  de  l'al- 
liance avec  les  Grisons,  mais  il  disparaîtra  vite. 

«  Vous  avez  obligé  l'Empereur  en  sa  création  par  lavis 
de  vos  amis  et  confédérés  d'Allemagne  :  de  sorte  que  je  ne 
doute  point  qu'il  ne  soit  très  affectionné  à  V.  M.  joint  qu'il 
a  autant  besoin  de  votre  amitié  que  vous  avez  de  la  sienne. 

«Vous  avez  aussi  entretenu  sincèrement  avec  les  Electeurs 
et  princes  de  l'Empire  vos  anciens  alliés,  par  toutes  sortes 
d'offices  et  vrais  effets,  toute  bonne  amitié  et  correspon- 
dance à  l'exemple  du  feu  Roi...  » 

«  V.  M.  a  aussi  toute  occasion  de  se  louer  de  l'amitié  du 
dit  roi  de  la  Grande  Bretagne  de  laquelle  vous  avez  été 
grandement  consolée  après  la  mort  du  feu  Roi  :  aussi  avez- 
vous  depuis  conclu  et  juré  une  ligue  défensive  avec  lui  telle 
que  le  défunt  l'avait  projetée  à  votre  commun  contente- 
ment ».  On  peut  affermir  cette  amitié  par  le  mariage  de 
Madame  Christine  avec  le  prince  de  Galles,  «vos  serviteurs 
étant  d'avis  que  V.  M.  pour  des  considérations  très  impor- 
tantes embrasse  cette  occasion  avec  affection  et  sans  re- 
mise )>. 

«  Pareillement,  vous  avez  renouvelé  et  confirmé  le  traité 
que  S.  M.  avait  fait  avec  les  Etats  des  Provinces-Unies  des 
Pays-Bas  pour  la  sûreté  et  garantie  de  la  trêve...  » 

«  Votre  réputation  et  crédit  n'est  moindre  à  la  Porte  du 
Grand  Seigneur  qu'ailleurs. 

«  Pareillement  ceux  de  Genève  se  sont  ressentis  et  res- 


CONCLUSION  553 

sentent  journellement  du  soin  que  vous  avez  de  leur  aider 
à  conserver  avec  leur  ville  leur  liberté...  » 

«  V.  M.  sont  aussi  autant  chéries  de  Messieurs  des  Ligues 
des  Suisses  et  des  Grisons  que  vos  prédécesseurs,  recevant 
de  vous  les  mêmes  traitements  desquels  ils  jouissaient  du 
temps  du  feu  roi  accompagnés  d'un  égal  soin  pour  mainte- 
nir la  paix  et  union  entre  eux-mêmes.  » 

«  Vous  avez  encore  aj  outra  loi  il  es  ces  amitiés  el  alliances 
celle  du  Roi  d'Espagne,  de  laquelle  quand  le  feu  Roi  dé- 
céda, il  était  peu  assuré;  ce  que  vous  avez  exécuté  avec 
tant  de  discrétion  et  de  prudence  que  V.  M.  pour  ce  faire 
ne  se  sont  engagées  en  aucune  promesse  et  condition  déro- 
geant ou  contrevenant  d'un  seul  point  à  la  loi  et  observa- 
tion desdites  autres  considérai  ions  pour  le  présent  ni  pour 
l'avenir. 

«  Monsieur  le  duc  de  Savoie  est  demeuré  seul  mal  satis- 
fait desdites  alliances,  à  cause  du  traité  que  le  l'eu  roi  avait 
fait  avec  lui  pour  le  mariage  de  madame  votre  fille  avec 
le  prince  de  Piémont,  son  fds  aîné.  Mais  V.  M.  a  été  induite 
à  cette  préférence  pour  regagner  l'amitié  dudit  roi  d'Es- 
pagne aucunement  ébranlée  par  le<  desseins  et  préparatifs 
de  guerre  que  le  feu  roi  était  prêl  de  mettre  en  œuvre  lors 
de  son  décès,  afin  de  détourner  les  effets  de  l'inimitié  d'un 
tel  prince  contre  la  France  en  la  minorité  du  roi,  lesquels 
il  est  notoire  que  vous  ne  pouvez  éviter  parachevant  l'al- 
liance de  Savoie  et  refusant  la  sienne;  joinl  que  vous  ne 
pouviez  pour  toutes  bonnes  considérations  élire  parti  pom- 
mader le  roi  plus  sortable  pour  S.  M.  et  propre  pour  le 
bien  de  cette  couronne  et  de  toute  la  chrétienté  que  celui 
que  vous  avez  heureusement  assuré  pour  S.  M.  et  pour 
Madame  votre  fille;  par  où  vous  avez  encore  affermi  de 
plus  en  plus  l'amitié  et  bonne  voisinance  des  archiducs  de 
Flandre.  » 


554  VILLERO^ 


Depuis  le  mois  de  juillet  1616,  Villeroy  vivait  en  simple 
particulier  à  Conflans,  et  il  avait  la  sagesse  de  ne  pas  cher- 
cher à  reconquérir  l'influence  qu'il  avait  perdue.  Il  ne  se 
plaignait  de  rien  et  ne  témoignait  aucun  mécontentement 
contre  la  reine  ou  le  nouveau  gouvernement.  Le  coup 
d'état  du  24  avril  1617  le  ramena  brusquement  au  pouvoir. 
Quand,  après  l'assassinat  de  Concini,  Louis  XIII  put  s'é- 
crier :  «  Je  suis  roi  maintenant  »,  son  premier  acte,  sur  le 
conseil  de  Luynes,  fut  de  disgracier  Barbin,  Mangot,  Ri- 
chelieu et  les  créatures  de  sa  mère  et  de  rappeler  les  vieux 
conseillers  d'Henri  IV.  Villeroy,  Jeannin  et  Sillery.  On  se 
réjouit  autant  de  ce  retour  que  de  la  mort  du  maréchal 
d'Ancre,  nous  dit  Fontenay-Mareuil,  car  chacun  croyait 
«  qu'on  suivrait  les  vieilles  maximes  »  (1).  Peu  de  jours 
après,  Villeroy  cédait  à  Puysieux  l'administration  de  sa 
charge  de  secrétaire  d'Etat,  tout  en  conservant  la  haute 
direction  des  affaires  du  dehors  (2). 

A  l'intérieur,  il  conseilla  une  politique  énergique 
pour  ramener  l'ordre.  Le  gouvernement  précédent  avait 
fait  arrêter,  le  l''r  septembre  1616,  Condé  qui  cabalait  à 
la  Cour  et  au  Conseil  et  cet  acte  avait  d'abord  intimidé  les 
fauteurs  de  troubles.  Mais  peu  après,  Nevers,  Mayenne, 
Bouillon,  Vendôme  avaient  pris  les  armes.  Barbin,  Man- 
got et  Richelieu  les  avaient  fait  déclarer  criminels  de 
lèse-majestéet  avaient  levé  des  troupes  pour  marcher  contre 
eux.  Après  le  coup  d'état,  ils  demandèrent  au  roi  à  faire 
leur  soumission.  Villeroy  avait  approuvé  du  fond  de  sa 
retraite   les  résolutions  des   ministres.    A    son  retour,    il 


(1)  Fontenay-Mareuil,  Mém.,  p.  120. 

(2|  Le  traité  fut  signé  le  1er  mai.  Il  fut  décidé  que  Puysieux  exer- 
cerait la  charge,  que  les  appointements  demeureraient  à  Villeroy  sa 
vie  durant  et  qu'après  la  mort  de  ce  dernier,  Puysieux  payerait  à'd'A- 
lincourt  la  somme  de  180.000  livres. 


CONCLUSION  555 

soutint  avec  chaleur  qu'il  ne  fallait  rappeler  aucun  des 
princes  «  qu'il  n'eût  auparavant  donné  la  démission  de 
ses  charges  et  de  ses  gouvernements  »  (1).  Mais  Luynes 
«  rendit  ses  raisonnements  inutiles  »  et  les  fit  revenir  sans 
conditions. 

Luynes  fut  le  véritable  chef  <lu  nouveau  gouvernement, 
et  malgré  son  ignorance,  il  voulut  faire  office  de  premier 
ministre.  Villeroy  et  ses  collègues  furent  consultés,  écoutés 
avec  déférence,  quand  leur  avis  plaisait  au  favori  et  au  roi, 
mais  ils  n'administrèrent  plus  le  royaume  avec  la  même 
autorité  que  sous  la  régence.  Villeroy  commença  alors  à 
penser  à  la  retraite  définitive.  Ce  n'est  point  le  change- 
ment de  la  situation  politique  qui  l'y  décida,  car  s'il  n'était 
plus  l'un  des  maîtres  du  gouvernement,  il  se  trouvait  en- 
core un  des  grands  personnages  du  royaume.  Mais  il  avait 
soixante-quatorze  ans  et  il  aspirait  au  repos.  La  situation 
de  son  fils  était  assurée  :  D'Alincourt  avait  la  faveur  du 
roi.  Au  mois  de  juillet,  avait  été  signé  le  contrat  de  ma- 
riage unissant  Nicolas  de  Neufville,  son  fils,  qui  devait 
être  le  premier  duc  de  Villeroy.  avec  Madeleine  de  Gréqui, 
petite  fille  de  Lesdiguières.  L'avenir  s'annonçait  très  beau 
pour  la  famille  du  vieux  ministre. 

LejeuneroiLouisXI.il,  qui  aimait  sincèrement  ceuxqu'a- 
avait  aimés  son  père,  voulut-il  lui  témoigner  son  attache- 
ment et  l'importance  qu'il  attachai!  à  ses  conseils  ?  Il  l'in- 
vita en  termes  flatteurs  à  le  suivre  à  l'Assemblée  des  nota- 
bles qu'il  avait  convoquée  à  Rouen  pour  la  fin  de  novembre 
afin  de  délibérer  sur  les  moyens  de  réformer  les  abus  (2). 
Villeroy  s'y  rendit,  en  laissant  entendre  qu'au  retour,  il 
quitterait  le  monde  de  la  cour.  Il  assista  aux  premières 
séances.    Le   vendredi  8  décembre,  il  sortit  par  un  grand 


(1)  D'Estrées,  Mém.,  p.  419. 

(2)  Voir  la  lettre  de  Louis  XIII  à  Villeroy,  du  17  novembre  1617, 
Bibl.  de  l'Institut,  Coll.  Godefroy,  qo  208..  fo  183. 


556  VILLEROY 

brouillard  pour  aller  au  sermon  à  Saint-Ouen  et  eut  très 
froid  en  attendant  le  roi  dans  la  nef  qui  était  glacée.  Le  di- 
manche soir,  il  se  coucha  et  fut  pris  d'une  violente  colique. 
«  On  croyait  que  ce  fut  la  néphritique,  mais  elle  fut  accom- 
pagnée d'une  descente  de  boyau  dans  les  bourses  avec  de 
si  fortes  douleurs  qu'aussitôt  il  se  jugea  mort  et  dès  lors  ne 
voulut  plus  ouïr  parler  d'affaires;  ni  publiques,  ni  domes- 
tiques, ains  seulement  de  Dieu  (1).  »  Le  roi  lui  envoya  un  de 
ses  gentilshommes.  D'après  le  P.  Coton,  Villeroy  lui  dit  : 
«  Excusez-moi,  Monsieur,  si  je  ne  vous  réponds  ;  je  n'ai  le 
loisir  de  vous  entretenir,  j'ai  un  grand  voyage  à  faire,  et  le 
temps  qui  me  reste  pour  m'y  préparer  estfort  court.  Adieu, 
Monsieur.  »  Les  chirurgiens  l'avaient  condamné.  Il  accepta 
néanmoins  les  soins  d'un  opérateur  d'occasion  qui  parvint 
à  lui  remettre  heureusement  le  boyau  pendant  quelques 
heures.  Mais  le  lundi  après  midi  le  mal  le  reprit  et  vers  les 
quatre  heures  il  mourut,  ayant  reçu  les  derniers  sacrements 
de  l'Eglise. 


Nous  avons  essayé  de  retracer  la  vie  et  les  actions  de 
Villeroy  et  de  déterminer  la  place  qu'il  a  occupée  dans 
l'histoire  politique  de  son  temps.  Ne  convient-il  point, 
maintenant,  de  rassembler  dans  ces  dernières  pages  les 
traits  épars  dans  tout  le  livre  et  d'essayer  de  reconstituer 
la  figure  de  cet  homme  telle  qu'elle  nous  apparaît,  après 
l'étude  de  soixante-sept  années  de  son  existence  et  de 
quarante-trois  ans  de  vie  politique? 

(1)  «  Mort  de  M.  de  Villeroy,  1617,  à  Rouen.  »  F.  Dup.  CCI,  f»  123, 
426.  Voir  aussi  sur  la  mort  du  ministre,  F.  fr.  23333,  fo  73,  Matthieu, 
Remarques  d'Estat...  p.  295-296,  P.  Coton,  Oraison  funèbre,  Pon- 
chartrain,  Mèm.,  p.  396-397. 


CONCLUSION  5ij7 

Il  importe  d'abord  de  nous  demander  comment  on  a  jugé 
Villeroy,  de  son  temps  et  après  lui.  Nous  connaissons  déjà 
L'estime  qu'il  inspirait  à  ses  maîtres,  el  nous  savons  qu'elle 
fut  grande  et  constante.  Toul  jeune  encore,  il  fut  le  secré- 
taire préféré  de  Charles  IX.  Catherine  de  Médicis  l'aima  et 
le  protégea  toujours:  «  Vous  savez  comment  il  vous  sert  et 
est  utile  serviteur  et  que  avec  raison  l'occupez  plus  que  nul 
autre  »,  disait-elle  à  son  fds  au  mois  de  juillet  1588,  à  la  veille 
de  sa  propre  disgrâce  (1).  Henri  III,  qui  à  son  avènement 
l'avait  accueilli  avec  une  bonne  grâce  un  peu  indifférente, 
l'apprécia  bientôt  à  sa  valeur,  et  ne  tarda  pas  à  le  distin- 
guer comme  «  l'homme  de  bien  et  bon  serviteur  de  son 
maître  et  qui  mérite  d'en  être  aimé  ».  «  Je  l'aime,  lui  disait- 
il,  car  tu  me  sers  selon  ma  volonté.  »  Après  une  dizaine 
d'années  de  parfaite  confiance,  le  ministre  fui  brusquement 
disgracié  quand  Henri  III  prit  la  résolution  soudaine  de  se 
défaire  des  Guises.  Mais  le  roi,  qui  eut  des  mots  si  cruels 
pour  ses  collègues,  ne  trouva  à  lui  reprocher  que  son  goût 
immodéré  de  l'autorité.  Henri  IV.  le  rappela  près  de  lui 
après  avoir  pendant  cinq  années  négocié  ou  laissé  négocier 
les  royaux  avec  cet  homme  qui  s'était  donné  pour  mission 
de  rétablir  la  paix  entre  les  fiançais.  Pendant  seize  ans, 
Villeroy  remplit  sa  charge  sansavoirà  luttercontre  la  moin- 
dre intrigue,  sans  avoir  à  combattre  pour  reconquérir  les 
quatre  pieds  carrés  du  cabinet  du  roi.  Il  travailla  dans  un 
sentiment  de  sécurité  parfaite  sous  un  maître  qui  avait  une 
profonde  estime  pour  sa  «  grande  routine  aux  affaires  », 
son  «  grand  ordre  en  l'administration  de  sa  charge»  et  son 
rare  désintéressement.  On  nousa  rapporté  trois  jugements 
d'Henri  IV  sur  son  ministre  :  «  Les  affairesde  France  sont 
les  affaires  de  M.  de  Villeroy  »;  «  Il  faut  avouer  que 
M.  de  Villeroy  est  un  bon  serviteur  el   bien  agréable.   » 


(1)  Catherine  au  roi,  Corresp.,  tome  IX,  page  372. 


558  VILLEROY 

«  J'ai  fait  aujourd'hui  plus  d'affaires  avec  M.  de  Villeroy 
que  je  n'en  avais  fait  avec  les  autres  en  six  mois  »  (1). 

La  confiance  des  rois,  la  longue  durée  des  services 
rendus  au  royaume,  les  qualités  du  «  bon  serviteur  »,  nous 
dirions  aujourd'hui  du  «  bon  fonctionnaire  »  qui  conseilla 
et  administra  sous  quatre  règnes,  voilà  ce  qui  afrappé  l'opi- 
nion. Villeroy  est  devenu  dans  l'imagination  générale  le 
type  du  parfait  secrétaire  d'Etat  de  Charles  IX,  Henri  III, 
Henri  IV  et  Louis  XIII. 

Il  fut  à  la  cour  cinquante  ans. 

Il  a  fort  bien  servi  servi  la  France, 

écrivait  l'auteur  d'une  petite  pièce  de  vers  en  forme  d'épi- 
laphe.  Un  autre  poète,  dans  un  sonnet,  vantait  son  «  divin 
ententement  »  et  sa  «  prudence  claire  »  et  s'écriait  : 

Héroïques  vertus  quel  sera  le  salaire 

Que  servant  tant  de  Roys  vous  avez  mérité? 


Je  diray  seulement  que  le  Grand  Villeroy 

Tient  depuis  cinquante  ans  le  frain  de  cest  empire  (2), 


(1)  La  première  de  ces  paroles  est  rapportée  par  le  P.  Coton,  Or. 
l'un.,  page  29,  les  deux  autres  par  Matthieu,  Rem.  d' Estât. 

{-)  Citons  ce  sonnet  entier  que  nous  avons  trouvé  dans  le  F.  Du- 
puy,  n°  843,  f°  52,  et  qui  est  assez  médiocre  : 

Divin  ententement  dont  la  prudence  claire 

Des  plus  secrets  conseils  perce  l'obscurité, 

Douce  langue  qui  scays  aux  grands  princes  complaire 

Et  ne  scays  pas  pourtant  taire  la  vérité. 

Héroîcques  vertus  quel  sera  le  salaire 
Que  servant  tant  de  Roys  vous  avez  mérite  ? 
La  richesse  et  le  rang:  est  loyer  ordinaire; 
Je  ne  voys  rien  pour  vous  que  l'immortalité. 

Quelque  divine  main  pour  éternelle  gloire 

A  traits  d'or  et  d'azur  vous  peindra  dans  l'histoire, 

Relevant  par  surtout  la  constance  et  la  foy. 

Moy  dont  le  vol  plus  bas  à  moins  d'honneur  aspire, 

Je  diray  seulement  que  le  grand  Villeroy 

Tient  depuis  cinquante  ans  le  frain  de  cést  empire. 


conclusion  :;;;,.^ 

Le  P.  Coton,  dans  son  oraison  funèbre,  citail  quatre 
beaux  vers  qui  exprimaient  pittoresquement  le  sentiment 
des  Français  de  son  temps  sur  l'œuvre  du  ministre  : 

Les  Villeroys  sont  comme  ces  gros  termes, 
Ou  forts  piliers  qui  servent  d'arcs- boutans 
Pour  appuyer  contre  l'effort  du  temps 
Les  hauts  états  et  les  rendre  plus  fermes  (1). 

D'Alincourt,  après  la  mort  de  son  père,  fit  graver  sur  le 
tombeau  une  épitaphe  latine  pour  commémorer  ces  cin- 
quante ans  de  loyaux  services  qui  étaient  pour  le  fils  et 
pour  les  contemporains  le  plus  beau  titre  de  gloire  du 
défunt  :  «  Siste  viator,  quisquis  invictœ  virtulis  ipsisin  aulx 
penetralibus  slupendam  integritatem  colis.  Villaregiusjacet 
hic,  orbi  chvistiano  venerandum  nomen.  Numen  putasti? 
fato  cessit  virtus.  Partis  hoc  licuit  nefas  ;  nec  capacis*imi  in- 
genii  vigilantia  indefessa,  senis  supva  quinquagenta  annis 
et  pace  et  bello  sublimioribus  gallicx  rei  curis  e.rercitata,nec 
incorruptve  fidei  juncla  pietas  nec  incomparabilt*  pruden- 
tla,  civilium  tempestalum  toties  domina  et  difficillimis  qui- 
busque  temporibus  publxcte  tranquillitatis  asilum.     .     .     . 

Plura  ne  expectes.  Virum  qui  nescit  Caroli  IX,  Hen- 
rici  III,  magni  etiam  Henrici  et  Ludovici  XIII  régna  non 
novit...  »  (2). 

Après  les  rois,  nousdevous  interroger  les  hommes  d'étal 
français  qui  ont  connu  Villeroy.  Quelques-uns  ont  été  des 
collègues  et  des  amis  intimes  du  ministre,  entre  autres 
Bellièvre,  Jeannin  et  Sillery  ;  ils  n'ont  pas  consigné  leur 
jugement  dans  des  mémoires  destinés  au  public;  aussi 
ne  nous  arrêterons-nous  point  aux  témoignages  d'affec- 
tueuse estime  qu'ils  ont  exprimés  pour  leur  ami  dans  'Il- 
lettrés privées.  Sully  n'a  pas  été  bienveillant  pour  celui 


(1)  P.  Coton,   Or.  fun.,  p.  30. 

(-1)  Cette  épitaphe  a  été  publiée  par  Feuilloley,  Les  Seigneur»  <!•' 
Magny-en-Vexin. 


560  VILLEROT 

qui  fut  avec  lui  quatorze  ans  durant  le  ministre  princi- 
pal d'Henri  IV.  On  ne  peut  pas  dire  qu'il  ait  rabaissé  le 
mérite  de  Villeroy  :  il  a  évité  d'en  parler.  Pour  un  lecteur 
ignorant  les  causes  de  rivalité  et  les  rancunes  de  ces  deux 
hommes  il  est  surprenant  de  voir  la  petite  place  que  tient 
notre  ministre  dans  les  Economies  royales.  Quand  Sully  a 
été  obligé  de  nommer  son  rival,  il  la  désigné  sèchement, 
sans  commentaires,  ou  bien  sans  le  prendre  directement  à 
parti,  il  Ta  accolé  à  d'autres  noms  qu'il  faisait  suivre  d'épi- 
thètes  désagréables.  Il  a  voulu  qu'on  crût  qu'il  était  lui,  le 
compagnon  intègre  et  dévoué  du  roi,  l'ami  équitable  de  la 
religion,  l'ennemi  acharné  de  l'Espagne,  le  ministre  qui 
seul  comprenait  avec  clairvoyance  où  étaient  les  vrais  in- 
térêts de  la  France.  Il  a  laissé  entendre  de  toutes  façons 
que  Villeroy  possédait  encore  du  Ligueur,  du  Jésuite,  et 
de  l'Espagnol  «  au  ventre  ».  Nous  avons  vu  qu'il  ne  fallait 
pas  exagérer  ces  petites  méchancetés,  et  que,  dans  la  vie  or- 
dinaire, dans  les  intervalles  assez  longs  de  leurs  querelles, 
Sully  savait  traiter  son  collègue  avec  plus  de  déférence  et 
de  justice.  Ajoutons  que  dans  les  Economies  certains  juge- 
ments contredisent  les  témoignages  malveillants.  Sully  n'a 
pas  tracé  lui-même  un  portrait  de  Villeroy,  mais  il  a  laissé 
parler  le  roi  son  maître,  et  par  cette  voie  détournée,  a  ren- 
du hommage  aux  qualités  du  ministre.  Il  nous  a  dépeint 
Henri  IV  comme  un  arbitre  très  fin  et  très  impartial  de 
leurs  querelles,  ramenant  la  paix  dans  son  conseil,  en  dé- 
clarant que,  dans  l'intérêt  de  ses  affaires,  il  avait  besoin  de 
voir  tous  ses  bons  serviteurs  d'accord. 

Les  ambassadeurs  étrangers  se  sont  beaucoup  occupés 
des  faits  et  gestes  de  Villeroy,  de  son  caractère  et  de  ses 
intentions,  à  partir  du  moment  où  il  est  devenu  un  des 
conseillers  principaux  d'Henri  III.  Une  partie  de  leur 
profession  consistait  à  informer  leur  gouvernement  des 
desseins  et  des  actes  du  roi  ;  ils  étaient  donc  postés  pour 
surveiller  tout  spécialement  ceux  que  le  prince  aimait  à 


CONCLUSION  564 

consulter.  D'un  autre  Côté,  dès  1594,  ils  eurent  a  entre- 
tenir des  relations  continuelles  avec  Villeroy  qui  dirigeait 
le  département  des  affaires  extérieures.  Certains,  comme 
Aerssen,  excessivement  hostiles  à  la  politique  préconisée 
par  Villeroy,  jugèrent  ses  intentions  avec  sévérité  :  l'agent 
calviniste  des  Etats  Généraux  eut  souvent  l'occasion  de 
s'emporter  contre  un  ministre  qu'il  croyait  tout  dévouée 
Rome,  et  obstinément  pacifique.  L'anglais  Carew  l'estimait 
de  même  très  obstiné  et  très  ignorant  en  matière  de  reli- 
gion (1). 

Laissons  de  côté  ces  divergences  d'idées  et  les  jugements 
particuliers  prononcés  sur  tel  ou  tel  acte  politique  du  mi- 
nistre, et  considérons  l'appréciation  générale  de  ces  étran- 
gers sur  la  valeur  de  Villeroy.  Ce  qu'ils  admirent  en  lui 
avant  tout,  c'est  la  vigoureuse  intelligence  de  l'homme 
d'état  fortifiée  par  une  très  longue  expérience.  «  M.  de 
Villeroy  est  un  sage  seigneur  pour  la  forte  expérience  qu'il 
a  du  gouvernement  »,  écrit  le  Vénitien  Àngelo  Badoerà  la 
fin  de  son  ambassade,  en  1605  (2).  Trois  ans  après,  Prrôli 
le  qualifie  d'  «  homme  qui  en  valeur  dépasse  n'importe 
quel  autre  ministre  du  roi  autant  par  l'étendue  de  son  yé- 
nie  que  par  l'inclination  qu'il  a  toujours  eu  à  pénétrer  dans 
les  intérêts  de  tous  les  princes,  dont  il  se  trouve  si  partie 
culièrement  instruit  qu'on  est  ('•merveille  de  traiter  avec 
lui  ».  Il  trouve  aussi  une  raison  de  l'estime  où  il  est  tenu 
dans  l'autorité  que  lui  confère  la  possession  delà  charge 
de  premier  secrétaire  d'Etal  pendant  quarante  ans  ■>  .  Gus- 
soni  et  Nani,  au  début  de  la  Régence,  résument  en  ces 
termes  l'opinion  générale  :  «  E  uomo  d'invecchiata  pn*- 
denza,  d'intelligenza  compita  dette  cose  di  Stato  (4).  >•  L'an- 


(1)  «  In  matters  of  religion,    very  obstinate  and  very  ignorant. 
A  relation  of  the  state  of  France,  p.  4'Jl. 

(2)  Bereliet,  loc.  cit.,  p.  I  19. 

(3)  Ibid.,  p.  231. 

(4)  Ibid.,  p.    fc7.8. 

Villerov  36 


562  VILLEROY 

glais  Carew,  dans  sa  relation  de  1609,  rendait  aussi  hom- 
mage à  sa  longue  expérience,  à  son  esprit  vigoureux  et 
l'appelait  «  le  doyen  du  chapitre  de  tous  les  hommes  d'état 
de  la  chrétienté  ».  Le  nonce  Bentivoglio  envoyé  en  France 
en  1616  n'avait  pas  revu  Villeroy  depuis  la  guerre  de  Sa- 
voie. Il  le  trouva  étonnamment  vif  et  vigoureux  malgré 
son  grand  âge.  «  Villeroy,  écrit-il  dans  ses  mémoires,  était 
premier  secrétaire  d'Etat  et  rendait  plus  grande  l'autorité 
de  sa  charge  par  la  réputation  même  de  son  nom.  Grande 
élait  son  expérience,  grande  son  intégrité  et  bien  qu'il  eût 
été  un  des  partisans  les  plus  constants  de  la  Ligue,  on  avait 
cependant  toujours  vu  en  lui  des  sentiments  de  bon  Fran- 
çais et  de  bon  catholique,  et  d'homme  qui  détestait  autant 
la  domination  étrangère  qu'il  aimait  la  vraie,  légitime  et 
naturelle  autorité  royale  de  France.  Depuis  longtemps,  li 
exerçait  ce  ministère  et  le  poids  des  ans  ne  faisait  qu'ac- 
croître l'estime  qu'il  inspirait  (1).  »  Après  avoir  fait  l'éloge 
de  sa  sagesse,  tous  les  étrangers  admirent  son  habileté  en 
diplomatie  :  quelques-uns  décrivent  par  le  détail  ces  qua- 
lités spéciales  qui  faisaient  reconnaître  en  lui  un  maître 
dans  l'art  de  négocier.  Tous  sans  exception  achèvent  le 
portrait  du  ministre  en  décrivant  son  désintéressement, 
vertu  qui  devait  être  fort  rare,  si  l'on  en  croit  les  Véni- 
tiens (2).  Carew  observe  que  Villeroy  n'a  nullement  l'âme 
cupide  et  ne  cherche  pas  à  agrandir  sa  fortune  qui  est  de 
5000  livres  sterling  de  revenu  et  qu'il  tient  de  son  père. 
Priuli  constate  qu'il  n'a  pas  plus  de  30.000  écus  de  rente 
qu'il  dépense  pour  son  train  de  vie,  et  ajoute  qu'on  ne  peut 
soupçonner  sa  bonne  foi,  car  il  n'agit  qu'inspiré  par  le  sen- 
timent des  intérêts  de  son  maître.  Aerssen,  dans  un  mo- 
ment d'humeur, se  plaignait  qu'on  ne  pût  espérer  de  lui  au- 

(1)  Bentivoglio,  Memorie,  t.  II,  p.  358. 

(2)  «  Gon  tutti  li  ministri  indifferentemente  l'uonio  si  fa  strada  in 
Francia  eon  quei  mezzi  che  ormai  mi  pare  che  si  usino  per  tutto  il 
monde. .  »  (Relation  d'Angelo  Badoer,  Ibid.,  p.  121). 


CONCLUSION  563 

cune  faveur  pour  les  Etats,  car  il  était  uniquement  dévoué 
à  son  maître. 

Aux  ambassadeurs  étrangers,  Villeroy  apparaît  donc 
comme  le  type  du  bon  serviteur  de  L'Etat,  très  sage,  très 
expérimenté,  particulièrement  habile  à  diriger  les  affaires 
extérieures  du  royaume,  et  désintéressé.  Tel  aussi  il  a  paru 

aux  deux  seuls  auteurs  contemporains  de  mé ires  qui 

l'aient  jugé  dans  leurs  écrits.  Brantôme  l'appelle  «  ce  très 
grand  et  le  non  pareil  de  la  chrétienté  pour  les  affaires 
d'Etat  »  (1).  Fontenay-Mareuil  remarque  en  lui  «  un  grand 
sens  commun  »,  une  longue  expérience,  de  la  modération 
dans  la  conduite  de  ses  affaires  particulières  H  l'estime 
comme  «t  un  des  premiers  hommes  de  son  siècle  ».  Il  ad- 
mire le  désintéressement  d'un  homme  qui  c<  n'a  laissé  d'autre 
bien  que  ceux  qu'il  avait  eus  de  ses  pères  à  son  tils  »  et 
constate  que  Dieu  l'a  béni  en  élevant  sa  maison,  tandis  que 
d'autres,  dont  les  maîtres  en  axaient  usé  autrement, ont  été 
abattues  ou  ébranlées. 


La  postérité  fut  moins  favorable  à  Villeroy  que  les  con- 
temporains. Dans  le  courant  du  xvu"  siècle,  nous  trouvons 
encore  quelques  mentions  élogieuses  sur  sa  personne  et  -mi 
rôle.  Le  cardinal  de  Retz  l'appela  «  le  plus  habile  homme 
de  son  siècle  »  ;  l'historien  Vittorio  Siri,  écrivant  1rs 
Mémoires  secrets  de  l'an  1601  à  Tan  1640,  dépouilla  d<- 
nombreuses  correspondances  de  Villeroy  et  des  ambas- 
sadeurs d'Henri  IV  etde  Louis  XIII,  etrévéla  un  diplomate 
que  l'on  ne  connaissait  pas  :  comme  les  contemporains 
français  ou  étrangers  du  ministre,  il  tit  ressortir  les  qua- 
lités diverses  et  précieuses  déployées  par  Villeroy  au  gou- 
vernement, et  cette  rare  intégrité  qu'il  montra  toul  parti- 
culièrement sous  la   Régence  en  résistant  aux  tentatives 

(1)  Brantôme,  «  Les  Vies  des  grands  capitaines  français  ».  (Ed.  L.t- 
laune,  Œuvres  complètes,  t.  III,  p.  116.) 


564  VILLEROY 

de  corruption  du  duc  de  Savoie  (1).  Cependant,  à  la  fin 
du  siècle,  Saint-Simon  portait  sur  Villeroy  un  jugement 
défavorable.  Le  ministre  se  présenta  à  son  imagination  sous 
les  traits  d'un  habile  homme,  d'assez  médiocre  extraction, 
qui  fut  ardent  ligueur  et  excella  à  faire  fortune  sous  la  Li- 
gue, par  l'amitié  des  Guises  et  après  la  Ligue  par  la  fai- 
blesse  de  Henri  IV.  «  Ses  propres  mémoires,  dit-il,  et  tous 
ceux  de  ce  temps  montrent  son  dévouement  aux  Guises  et 
à  la  Ligue  et  en  même  temps  quand  il  en  désespéra,  avec 
quel  art  il  sut  se  retourner  et  persuader  Henri  IV  qu'il  lui 
avait  rendu  de  grands  services.  Sa  grande  capacité,  son 
expérience,  l'important  gouvernement  de  son  fils,  tant  de 
personnes  considérables  à  qui  il  tenait,  tout  contribua  à 
persuader  Henri  IV,  si  facile  pour  ses  ennemis,  de  lui  ren- 
dre sa  charge  et  sa  place  dans  le  Conseil  où  il  cruts'en  ser- 
vir utilement  et  dans  lesquels  ce  prince  le  conserva  toute  sa 
vie  avec  une  grande  considération...  (2).  »  Un  médiocre 
historien,  d'Auvigny,  dans  une  biographie  sommaire  du 
ministre,  se  montre  aussi  sévère  que  Saint-Simon  sur  sa 
participation  à  la  Ligue. 

Anquetil  reprend  le  vieux  reproche  d'hispagnolisme,  et 
montre  qu'après  la  mort  de  Villeroy,  les  Espagnols  per- 
dirent leur  crédit.  Comment  Villeroy  les  soutenait-il? 
o  Quand  il  n'avait  pu  réussir  à  rapprocher  la  délibération 
de  son  sentiment,  par  lenteur  ou  par  d'autres  biais,  il  met- 
tait tant  d'obstacles  à  l'exécution  qu'elle  échouait  totale- 
ment ou  en  partie,  manœuvre  quelquefois  aussi  dangereuse 
que  la  trahison,  et  dont  les  Espagnols,  qui  avaient  séduit 
Villeroy  par  une  ostentation  de  religion,  surent  bien  pro- 
filer. » 

Villeroy  était  tombé  pour  longtemps  dans  une  sorte  de 


i  !)   V    Si t-i .  Memorie  recondite,  tome  II,  page  388  et  suiv. 
(2)  Saint-Simon;  Mémoires,    Ed.    Boislisle,    tome  XI,  page    1! 


CONCLUSION  565 

défaveur.    Pour  quelles  raisons  eut-il  à  subir  ce  mauvais 
traitement  de  la  postérité  ? 

■  Avant  tout,  à  cause  de  l'insuffisance  des  méthodes  cri- 
tiques appliquées  à  l'histoire  de  son  temps.  On  ignora  long- 
temps beaucoup  de  faits  importants  de  la  fin  du  xvr  siècle 
et  du  commencement  du  xvn".  Jusqu'à  nos  jours  on  connut 
fort  mal  les  correspondances  des  rois,  des  grands  person- 
nages, et  des  ministres,  ainsi  qm-  les  dépêches  des  ambas- 
sadeurs étrangers.  On  accepta  sans  les  contrôler  les  asser- 
tions contenues  dans  les  mémoires.  On  vécut  sur  les  his- 
toires générales,  telles  que  celle  «le  de  Thon,  ou  sur  les 
histoires  de  règnes,  qui  malgré  la  conscience  el  la  sagacité 
de  leurs  auteurs,  étaient  fort  incomplète-,  car  elles  ne 
narraient  que  les  grands  faits,  les  guerres  étrangères,  les 
traités,  les  troubles  intérieurs,  jetaienl  la  lumière  sur 
la  personne  des  rois  et  laissaient  dans  l'ombre  leur-  minis- 
tres et  conseillers.  En  outre  Villeroy  n'eul  pas  les  honneurs 
d'une  biographie  comme  d'Epernon,  le  cardinal  de  Joyeuse 
ou  le  connétable  de  Lesdiguières,  et  bien  que  ses  Apologies 
aient  été  plusieurs  fois  imprimées  dans  des  recueil-  factices 
•  de  documents,  il  ne  semble  pas  qu'ils  aient  été  lus  attenti- 
vement, critiqués  et  commentés.  Ce  n'étail  pas  un  beau 
sujet  littéraire  :  la  matière  en  était  aride:  c'était  le  récil  de 
négociations  minutieuses  el  enchevêtrées  poursuivies  loin 
des  camps  par  des  ministres  pacifiques  ou  des  personnes  de 
bonne  volonté  ;  le  style  était  sans  éclat  el  dépourvu  de  tout 
trait  qui  pût  frapper  l'imagination. 

Tandis  que  Villerov  étail  éclipsé,  Sully  régnait  dans  toute 
sa  gloire.  Les  Economies  Royales  réimprimées  en  1649, 
en  1652,  en  1663,  en  1(504,  en  17?5,  vulgarisées  au  wm 
siècle  par  l'abrégé  de  l'abbé  des  Loges,  apparurent  comme 
le  monument  élevé  à  la  mémoire  d'un  grand  roi  par 
un  grand  minisire.  Sully  devenait  le  plus  populaire  de 
nos  hommes  d'Etat,  compagnon  associé  à  la  gloire  de  son 
maître, 


566 


VILLEROY 


Le  seul  roi  dont  le  peuple  ait  gardé  la  mémoire. 

On  accepta  sans  réserves  les  récits  de  ses  actes  et  les  ju- 
gements qu'il  prononçait  sur  les  hommes,  sans  remarquer 
qu'il  s'était  attribué  dans  l'œuvre  d'Henri  IV  la  part  du 
lion,  et  qu'il  était  trop  souvent  injuste  pour  ses  adversaires 
et  ses  collègues. 

11  est  une  autre  raison  qui  explique  la  médiocre  estime 
où  Villeroy  fut  tenu.  Pendant  toute  la  durée  de  l'ancienne 
monarchie,  la  Ligue  eut  un  détestable  renom.  Dès  le  règne 
d'Henri  IV,  par  une  sorte  de  convention  tacite,  il  était  de  bon 
ton  de  ne  pas  en  parler.  Les  Français  étaient  réconciliés  : 
il  ne  fallait  pas  rappeler  la  faute  de  ceux  qui  s'étaient  en- 
gagés dans  cette  rébellion  princière  et  populaire,  et  qui 
avaient  porté  une  main  sacrilège  sur  l'édifice  de  la  mo- 
narchie héréditaire.  Cette  période  resta  mal  connue  et 
mal  jugée.  On  n'examina  pas  impartialement  les  motifs  qui 
avaient  poussé  certains  hommes,  bons  Français  et  bons 
royalistes  pourtant,  à  parler  de  conciliation  avec  les  Guises 
ou  à  s'abstenir  de  se  rallier  immédiatement  à  Henri  IV 
protestant. 

Ces  sentiments  ont  influé  même  sur  les  écrivains  mo- 
dernes qui  au  cours  d'études  sur  celte  période  de  notre  his- 
toire  ont  eu  à  juger  incidemment  Villeroy.  Poirson,  qui  a 
si  peu  parlé  de  notre  ministre  dans  son  histoire  d'Henri  IV, 
a  prononcé  sur  lui  un  mot  que  nous  croyons  trop  dur,  dans 
son  introduction  au  Mémoire  de  la  guerre  d'Espagne  (1). 
Il  trouve  «  mauvaises  et  insoutenables  »  les  raisons  don- 
nées par  Villeroy  pour  expliquer  son  passage  au  parti  de  la 
Ligue.  Bazin  le  qualifie  simplement  de  «  vieux  routier  d'af- 
faires publiques  »,  «  souple  et  adroit  courtisan  »  (2).  La 
Non  celle  Biographie  générale  de  Firmin  Didot  contient  sur 

(1)  Poirson,  Mémoires  de  Villeroy  et  de  Sancy,  documents  divers... 
Introd.,  p.  mv. 

(2)  Bazin,  Histoire  de  France  sous  Louis  XIII,   1S46,  t.  I,  p.  67. 


CONCLUSION  567 

Sillery  cette  appréciation  :  «  Ligué  avec  Jeannin  et  Ville- 
roy  contre  Sully  et  les  autres  membres  du  conseil,  il  se 
proposait,  d'accord  avec  la  reine,  d'amener  Henri  IV  à 
s'allier  avec  l'Espagne  et  à  exterminer  les  hérétiques  »  (1). 
Perrons  parle  de  la  «  versatilité  de  sa  conduite  o,  estime 
qu'il  s'était  «  fait  acheter  très  cher  »,  que  «  les  souvenirs 
dupasse  lui  créaient  des  obstacles  •  el  qu'il avail  «  horreur 
des  réformés  »  (2).  Lothrop  Motley,  l'historien  de  Barne- 
velt  et  de  l'indépendance  des  Provinces-Unies  croit  que 
Sully  était  seul  grand,  seul  honnête  et  pins  dévoué  à 
Henri  IV  qu'Henri  IV  lui-même,  tandis  que  Villeroj  étail 
tout  dévoué  de  cœur  à  Philippe  d'Espagne  (3). 


Laissons  ces  appréciations  erronées  ou  incomplètes.  Si 
nous  voulons  tracer  un  portrait  exact  de  Villeroy,  il  se  pré- 
sentera à  nous  sous  l'image  d'un  lion  bourgeois  qui  fui 
au  service  de  l'Etat  français  un  excellent  fonctionnaire.  Ces 
deux  traits  résumeront  son  caractère  privé  el  sa  vie  pu- 
blique. 

Il  était  doué  d'un  parfait  bon  sens,  avâil  le  jugement  sûr, 
l'esprit  pratique,  l'horreur  des  moyens  violents  el  des  par- 
tis exaltés.  Il  n'aimait  point,  à  courir  de  risque,  fuyail  le 
tumulte  et  détestait  la  guerre.  Très  habile  el  très  méfiant, 
il  n'était  jamais  la  dupe  de  personne  :  il  tenail  peut-être  de 
ses  ancêtres  marchands  cette  disposition  à  ne  poinl  se  laisser 
«  rouler  »,  suivant  une  expression  vulgaire  qui  ne  lui  eûl 


fl)  Paris,  1867,  t.  XLIII.p.  998. 

(-)  IVrrens,  Les  Mariages  espagnols,  p.   168. 

(3)  Motley,  Life  ofJ.  of  Barnevelt,  Nouvelle  édition,  1900,  tome  I. 
page  51.  Lorsqu'il  parle  des  conférences  pour  la  paix  de  Vervina  entre 
Villeroy  et  Richardot,  il  compare  tes  deux  personnages,  montre  qu'ils 
étaient  d'anciens  ligueurs  <■•  comprenant  parfaitement,  détestanl  les 
protestants,  intrigants,  dépourvus  de  scrupules  {Tome  III.  p.  5G3). 


568  VILLEROY 

pas  déplu,  car  ses  lettres  sont  pleines  de  locutions  popu- 
laires. Comme  un  bon  commerçant,  il  savait  non  pas  trom- 
per grossièrement —  c'eût  été  le  comble  de  la  maladressé 
—  mais  «  faire  l'article  »  et  amener  par  d'heureux  artifices 
le  client  à  acheter  la  marchandise.  (Nous  n'abusons  point 
ici  d'une  métaphore  :  nous  parlons  comme  Villeroy  lui- 
même,  qui,  en  contant  ses  négociations,  décrit  la  manière 
dont  il  a  «  étalé  »  sa  marchandise  et,  en  écrivant  aux  ambas- 
sadeurs, leur  recommande  de  bien  la  «  vanter  ».)  Aussi  ce 
bon  diplomate  ne  se  laissait  jamais  prendre  en  flagrant 
délit  de  mensonge  :  il  était  trop  fin  pour  compromettre 
ainsi  son  autorité  ;  il  savait,  suivant  le  mot  d'un  Vénitien, 
«  gentiment  »  (1)  intriguer  ou  selon  Bentivoglio,  quand 
il  fallait  tromper,  rester  à  mi-chemin  entre  la  vérité  et  la 
dissimulation  (?).  Il  croyait  que  les  grandes  entreprises 
comme  les  fortunes  doivent  se  bâtir  sur  des  fondements 
solides  et  prospérer  lentement.  Il  aurait  voulu  n'agir  qu'à 
coup  sûr,  après  avoir  tout  prévu  et  dressé,  d'avance,  dans 
les  plus  minutieux  détails  ses  plans  de  défense.  C'était  un 
homme  d'action  méthodique  et  lent  qui  conduisait  les  cho- 
ses «  par  degrés,  sans  les  précipiter  »  et  comptait  beau- 
coup sur  le  temps  pour  les  accommoder. 

Du  bourgeois  français  il  tenait  aussi  le  goût  du  solide, 
du  confortable,  le  dédain  du  clinquant,  des  vaincs  satisfac- 
tions d'orgueil,  des  succès  hâtifs  trop  souvent  suivis  de 
chutes  rapides.  Il  avait  vu  tant  de  fortunes  s'édifier  à  la 
cour  et  s'anéantir  en  peu  d'années!  Sa  propre  fortune  et 
celle  de  sa  famille  sont  un  bel  exemple  d'ascension  lente 


(1)  Dép.  de  Foscarini,  17  février  1611,  citée  par  B  Zeller,  La  Mino- 
rité de  Louis  XIII,  Marie  de  Médicis  et  Sully,  p.  215. 

(2)  «  [Villeroy]  parlo  sempre  con  gran  prudenza  e  riserva,  e  (per 
quoi  cb'a  me  parve)  con  terraini  di  mezzo  tra  la  verità  e  la  dissimula- 
zione.  »  Lettre  du  lor  février  1617,  Bentivoglio,  La  Nunziatura  di 
Francia  del  Gard.  G.  Bentivoglio.  Leltere  a  Scipione  Borghese.  Flo- 
rence, 1863,  in-8,  tome  I,  page  73. 


CONCLUSION  569 

et  ininterrompue.  Les  premières  générations  des  Neufvilie 
ont  fait  tout  doucement  leur  chemin,  accroissant  sans 
cesse  leur  fortune  et  leur  situation  sociale.  Le  petit- fils  des 
marchands  de  poisson,  des  officiers  de  finance  et  deséche- 
vins  parisiens,  est  devenu  secrétaire  d'Etal  el  s'esl  contenté 
toute  sa  vie  de  ce  titre,  et  de  la  fortune  matérielle  de  son 
père,  ne  songeant  qu'à  augmenter  son  influence  dans  le  gou- 
vernement :  le  fils  de  Villeroy  est  marquis  et  gouverneur 
de  la  seconde  ville  de  France  :  le  petit-fils  est  duc  et  pair  ; 
l'arrière  petit-fils,  maréchal  de  France  :  la  famille  garde  ses 
titres,  ses  honneurs,  ses  biens  jusqu'au  jour  où  Gabriel- 
Louis-François  porte  sur  l'échafaud  révolutionnaire  la  tête 
du  dernier  des  Villeroy.  Au  temps  d'Henri  IV  el  de  la  Ré- 
gence, l'ambition  effrénée,  la  cupidité  sans  bornes  sonl  des 
vices  de  grands  seigneurs,  d'un  d'Epernon,  d'un  Soissons, 
d'unGondé,  d'un  Guise,  d'un  Biron,  d'un  Bouillon.  Lesbour- 
geois  sont  prudents  et  économes.  Villeroy  a  des  goûts  mo- 
dérés et  veille  à  sa  fortune  sans  chercher  à  l'accroître  dé- 
mesurément, et  il  y  a  plus  de  grandeur  véritable  dans  sa 
parcimonie  bourgeoise  que  dans  les  générosités  princières, 
car  il  est  honnête  et  désintéressé,  de  l'aveu  unanime  de  ses 
amis  et  de  ses  ennemis.  Enfin  il  a  horreur  des  nouveautés 
autant  que  des  imprudences:  Il  est  attaché  fortement  à  la 
religion  de  ses  pères;  il  respecte  leurs  traditions,  mais  les 
suit  sans  fanatisme. 

Ce  bourgeois  s'est  consacré  i\>>*  l'âge  de  vingl  ans  au 
service  de  l'Etal.  Il  a  la  foi  monarchique,  il  serl  de  toute 
son  àme  le  roi  qui  représente  l'autorité  unique,  l'ordre, 
la  loi,  le  salut  de  la  nation,  carsans  la  puissance  du  prince, 
on  vivrait  «  en  confusion  et  discorde  perpétuelle  »  (1). 
Il  fait  songer  aux  vieux  domestiques  qui  passent  leur  vie 
entière  dans  une  maison  et  Qnissenl  par  y  prendre  rang 
d'amis  et  d'indispensables  conseillers.  Il  n'a  d'autre  idéal 

(1)  Voir  plus  haut,  p.  307. 


570  VILLEROY 

que  de  bien  faire  son  métier,  d'accomplir  avec  zèle  la 
tâche  confiée.  Exécuter  les  devoirs  de  sa  charge  de  secré- 
taire d'Etat,  est,  on  peut  l'affirmer,  son  unique  raison 
d'être.  Il  y  déploie  les  meilleures  qualités  du  fonctionnaire; 
c'est  un  travailleur  acharné,  levé  tôt,  couché  tard,  usant 
ses  yeux  dans  les  écritures,  prenant  rarement  du  repos, 
n'ayant  pour  l'aider  dans  une  énorme  besogne  qu'un  per- 
sonnel très  restreint  de  commis,  rédigeant  tous  les  jours 
la  correspondance  avec  les  ambassadeurs,  et  presque  tou- 
jours l'écrivant  lui-même,  de  sa  détestable  écriture  trop 
fine  et  trop  précipitée  ;  et  pour  avoir  le  programme  com- 
plet de  sa  journée,  il  faudrait  ajouter  les  délibérations  au 
conseil,  les  entretiens  avec  le  roi,  les  audiences  accordées 
aux  envoyés  étrangers.  Il  accomplit  cette  tâche  avec  une 
parfaite  régularité,  et  avec  un  esprit  d'ordre  qui  provoque 
l'admiration  universelle. 

Il  faut  bien  reconnaître  qu'en  dehors  des  affaires  du  gou- 
vernement, Villeroyne  savait  pas  grand  chose.  Il  avait  peu 
de  lettres.  Nous  ne  lui  en  ferons  point  un  grief.  Qu'auraient 
ajouté  les  livres  à  son  bon  sens  naturel  et  à  son  expérience, 
dans  la  pratique  de  sa  charge?  Le  métier  de  diplomate  et 
d'homme  d'Etat  ne  s'enseignait  point'dans  les  ouvrages  des 
anciens  ni  aux  universités.  Un  Guillaume  du  Vair,  avec 
toute  sa  science  et  sa  philosophie,  réussit  médiocrement 
comme  garde  des  sceaux  en  1617.  Vair  ha  pin  del  pédante 
chedell'  uomo  di  stato,  disait  le  nonce  Bentivoglio  (1).  Ne 
nous  plaignons  point  non  plus  d'une  ignorance  qui  a  exempté 
son  style  de  tout  pédantisme  et  lui  a  donné  une  allure 
plus  populaire  et  plus  pittoresque.  Mais  ce  qui  est  plus  im- 
portant, ses  connaissances  d'homme  d'état  étaient  limitées: 
il  était  peu  versé  dans  les  questions  financières  et  écono- 
miques. Il  l'avouait  lui-même  à  ses  amis.  Il  n'avait  aucun 
système  original  de  gouvernement,  aucune  réforme  inté- 

(1)  Lettre  du  16  mai  1617.  loc.  cit.,  p.  223. 


CONCLUSION  ."')  i  1 

ressante  à  proposer  pour  remédier  à  tel  ou  tel  abus.  II  sa- 
vait bien  que  l'Etat  avait  besoin  d'être  réformé  et  il  le  dit 
plus  d'une  fois,  mais  il  ne  semble  pas  qu'il  ait  cherché  à 
apporter  une  solution  personnnelle  au  problème.  Sa  cu- 
riosité n'allait  pas  jusque-là,  ou  plutôt  il  considérait  que 
cela  n'était  point  son  affaire. 

On  a  signalé  chez  lui  d'autres  défauts  :  une  certaine  suffi- 
sance etbeaucoup  de  susceptibilité.  Il  admettait  mal  la  con- 
tradiclion,  voulait  diriger  seul  sa  charge  sous  le  seul  con- 
trôle du  prince  et  ne  pardonnail  pus  aux  fâcheux  qui  com- 
battaient ses  opinions.  Pierre  Matthieu,  son  apologiste,  a. 
croyons-nous,  vanté  à  tort  sa  mansuétude.  Bien  des  faits 
nous  prouvent  qu'il  était  vindicatif  et  qu'il  \m'  tolérait  pas 
les  gêneurs.  Rappelons-nous  l'acharnement  un  peu  sour- 
nois avec  lequel  il  lutta  contre  Epernon,  la  facilité  un  peu 
ingrate  avec  laquelle  il  abandonna  le  vieux  Bellièvre  pour 
lui  substituer  Sillery  ;  n'oublions  pas  l'exécution  sommaire 
de  Sully,  les  démêlés  mesquinsavec  !<■  chancelier:  il  avait 
aussi  une  crainte  irraisonnée  cl  exagérée  des  critiques  que 
pouvait  faire  l'opinion  publique  :  >>\\  ne  peul  s'empêcher, 
avec  Du  Vair,  de  trouver  indigne  d'un  caractère  fort  ce 
«  dépit  »,  ce  «  ressentiment  »  toujours  éprouvé  à  toute 
«  injurieuse  atteinte  «.et  l'on  sourit  en  le  voyant  à  toute 
occasion  s'adresser  au  public  et  lui  écrire  -on  apologie. 

Devons-nous  constater  dans  le  caractère  de  Yillmy  un 
défaut  plus  grave  pour  un  homme  d'Etat,  une  volonté  in- 
suffisamment ferme  et  haute".'  Advint-il  a  Villeroj  d'être 
trop  souvent  un  indécis,  un  faible,  un  timoré,  un  politique 
aux  idées  rampantes  el  médiocres?  L'affirmer,  ce  sérail 
être  dupe  des  apparences,  méconnaître  ses  intentions  réelles, 
sa  situation  à  la  cour  et  les  circonstances.  Nous  l'avons  \  n. 
dans  l'histoire  de  tant  (\c  négociations,  hésiter  parfois,  cé- 
der aux  hommes  et  au  terni)-,  accomplir  des  besognes  qui 
lui  déplaisaient  et  qu'il  jugeait  nuisibles.  C'est  qu'il  n'a  ja- 
mais été  un  premier  ministre  dominantson  roi  el  imposanl 


572  VILLEROY 

sa  volonté,  comme,  un  Richelieu  ou  un  Fleury.  C'est  un 
petit  commis  qui  grandit  au  service  de  ses  maîtres,  gagnant 
peu  à  peu  leur  confiance,  un  secrétaire  d'Etat  et  un  con- 
seiller qu'on  a  écouté,  admiré  et  approuvé  souvent  :  il  a  eu 
des  maîtres  qui  s'occupaient  réellement  des  affaires  de 
l'Etat  et  disaient  le  dernier  mol.  bon  ou  mauvais,  Catherine 
de  Médicis,  Henri  III,  Henri  IV  :  il  a  dû  discuter  avec  des 
collègues,  batailler  avec  des  princes,  des  grands,  des  favo- 
ris ennemis  de  son  pouvoir  :  il  a  vécu  à  l'époque  la  plus 
troublée  et  la  plus  misérable  de  notre  histoire  au  xvie  siècle  ; 
des  guerres  civiles,  des  passions  terribles,  des  drames  san- 
glants, de  prodigieux  coups  de  théâtre  brisaient  sans  cesse 
la  trame  la  plus  serrée  des  politiques  à  longue  vue.  Il  eut 
d'ingrates  besognes  à  remplir  :  on  l'employa  à  «  la  pacifi- 
cation de  nos  misérables  troubles  »  ;  il  fallait  de  précieuses 
qualités  d'intelligence,  de  sang-froid,  de  patience  et  d'ha- 
bileté ;  les  résultats  étaient  rarement  immédiats  ou  très 
brillants,  et  la  gloire  n'en  revenait  pas  toujours  au  bon  ou- 
vrier. Il  employa  une  partie  de  sa  vie  à  rétablir  l'ordre  dans 
un  temps  de  désordre.  De  tels  hommes  d'état  n'ont  pas  une 
bonne  presse,  dirions-nous  aujourd'hui.  On  retient  plus 
volontiers  le  nom  de  ceux  qui  ont  essayé  d'appliquer  un 
système  original  de  gouvernement  ou  d'administration, 
même  si  leurs  conceptions  furent  nuisiblesà  l'Etat.  Mais  on 
est  porté  à  qualifier  de  politique  terre  à  terre  l'action  utile 
et  modeste  des  hommes  qui  dans  les  temps  troublés  s'oc- 
cupent d'éteindre  au  jour  le  jour  des  foyers  d'agitation. 
Villeroy  ne  manqua  pourtant  ni  de  hardiesse  dans  les 
idées  ni  de  ténacité.  Sous  Henri  III,  il  chercha  à  réaliser 
l'union  de  la  royauté  avec  les  forces  catholiques  de  la  France, 
fortifiant  le  pouvoir  souverain  sans  lequel  le  royaume  serait 
tombé  dans  l'anarchie,  calmant  les  impatiences,  les  ambi- 
tions, les  défiances  du  jeune  parti  catholique,  essayant  de 
domestiquer  cette  force  rebelle  :  cette  politique  échoua  par 
la  faiblesse  et  les  violences  maladroites  d'Henri  III  et  de 


CONCLUSION  573 

son  entourage,  et  par  l'ambition  effrénée  des  Cuises  ;  les 
fols,  comme  le  disait  Villeroy,  eurent  raison  des  sages. 
Après  la  mort  d'Henri  III,  pendant  cinq  ans,  il  travailla  à 
la  grande  œuvre  de  la  réconciliation  nationale,  et  il  eut  le 
bonheur  de  voir  triompher  la  cause  à  laquelle  il  s'étail  pas- 
sionnément dévoué  :  Henri  IV,  souverain  légitime  desFran- 
çais  et  converti  à  leur  religion  traditionnelle.  San-  doute 
d'autres  hommes,  et  d'antres  circonstances  préparèrent  ce 
succès  :  et  il  ne  faudrait  point,  par  une  grossière  exagéra- 
tion, faire  de  Villeroy  le  pacificateur  de  la  Ligne  :  mais  il 
fut  un  des  plus  zélés,  des  plus  habiles,  et  des  plus  utiles 
ouvriers  qui  contribuèrent  à  édifier  cette  œuvre.  Henri  IV 
en  fit  un  de  ses  conseillers  les  plus  influents  el  le  chef  de 
sa  diplomatie.  Alors  il  s'appliqua  principalement  à  l'aire  une 
politique  de  paix  conciliable  avec  les  intérêts  essentiels  du 
pays  ;  il  voulut  maintenir  le  difficile  équilibre  entre  une 
Maison  d'Autriche  très  envahissante  el  les  nations  de  l'Eu- 
rope protestante  ou  catholique  soucieuses  de  maintenir 
leur  indépendance  :  il  voulut,  en  attendant  une  réconcilia- 
tion qu'il  souhaitait,  avec  le  règne  de  la  paix  dans  la  «  Ré- 
publique chrétienne  ■>,  défendre  la  France  contre  l'Espa- 
gne, rendre  à  nos  ennemis,  par  -  une  guerre  de  renard  ■ 
coup  pour  coup,  fortifier  au  dehors  l'influence  française  au 
détriment  de  l'influence  espagnole,  mais  sans  'pierre  La 
guerre  était  pour  cet  homme  qui  avait  tant  sou ffe ri  de  la 
Ligue  le  mal  suprême,  et  sans  guerre  était  comme  la  l'or- 
mule  d'un  dogme.  Pendant  la  minorité  de  Louis  Mil.  il 
travailla  de  toutes  ses  forces  è  •  l'aire  couler  »  ce  temps  de 
faiblesse  sans  accidents  :  à  l'intérieur,  il  apaisa  les  que- 
relles, étoufl a  les  guerres  civiles,  dosant  habilement,  selon 
les  circonstances,  la  fermeté  el  la  condescendance,  essayanl 
tantôt  de  la  force  et  tantôt  des  concessions.  A  ^extérieur, 
il  put  enfin  réconcilier  les  deux  ennemis  héréditaires,  el 
conclure  les  mariages  franco-espagnols,  gage  d'une  entente 
cordiale.  Cette  politique  fut  alors  honorable  el  bonne  ;  h 


574  VILLEROY 

France  s'entendit  avec  l'Espagne,  sans  abandonner  ses  an- 
ciens amis  auxquels  elle  sut  rendre  des  services  réels  :  le 
roi  de  France  assura  pendant  quelque  temps  la  paix  euro- 
péenne. 

Et  ainsi,  au  terme  de  cette  étude,  Villeroy  nous  apparaît 
dans  l'unité  de  son  caractère  et  de  son  action  publique, 
comme  l'homme  d'état  qui  fut  quarante  ans  durant,  dans 
le  royaume  de  France,  le  diplomate del'intérieur  etde  l'ex- 
térieur. 

Des  passions  violentes,  de  puissantes  individualités,  de 
l'intolérance,  des  instincts  belliqueux,  un  mélange  de  mœurs 
grossières  et  de  goûts  raffinés  :  tel  nous  apparaît  le  xvie  siè- 
cle à  sa  fin.  Villeroy  fut  un  [bourgeois  poli,  mais  ni  lettré 
ni  arliste,  éminemment  sérieux  et  raisonnable;  il  eutlesens 
de  la  discipline,  l'amour  de  la  tranquillité;  dévoué  à  ses 
rois  et  à  l'Etat,  il  consacra  sa  vie  à  servir  deux  grandes 
causes,  Tordre  et  la  paix. 

J.  Nouaillac. 


INDEX 


Académie  du  Palais,  2G  n.,  31. 

Aerssen  (François  d'),  agent  des 
Etats  dos  Provinces-Unis,  280  el 
n.,  281  et  n.,  2S9  n.,  292 et  n., 
293  et  n.,  294  et  n.,  297  D., 
298,  313  et  n.,  327  el  n.,  329 
et  n.,  377  et  n.,  378  n.,  390  et 
n  ,391  n.,  414et  n.,  426  et  n., 
433  et  n.,  443  et  n.,  444  n.  a 
449  n.,  456  et  n.  à  462,467  et 
n.,  475,  476  et  n.,  486,  487  n., 
490  et  n.,  491  et  n.,  492  n.. 
493  et  n.,  509  n.,  510  et  n. 

Aix,  240. 

Alberi,  21  n.,  35  n.,  267  n.,  294 
n..  303  n. 

Albert,  archiduc,  gouverneur  des 
Pays-Bas  espagnols,  276,  363, 
370,  461,  473,485,502,  505n., 
515,  553. 

Albigny  (Charles  de  Simiane,  sei- 
gneur d'),  gouverneur  de  Savoie, 
388,  438. 

Aldobrandini  (Pietro),  cardinal, 
neveu  de  Clément  VIII,  389  à 
392.  395,  396,  419,  425. 

Alençon  i  François,  duc  d'),  plus 
tard  duc  d'Anjou,  35,  37,  38, 
52,  54.  57. 

Alençon,  57. 

Alincourt  (Charles  de  Neufville, 
seigneur  d),  fils  de  Villeroy.  73, 
89,    91,  94,  135,    136,   148  n., 


loi,  154,  181,    190,   226,  251, 

253,  285  el  n.,  418  el  n., 419  et 

n.,  131,  137,  535,  555. 
Alincourt,   Seine-et-Oise,  arr.  de 

Mantes  (auj.  ETallaincourt),  150, 

152,  19*,    195,  244,  288. 
Allard  (Genevièi  e),  7. 
Allemagne,  17,195,  196,  202 

iT't  à  515,  544. 
Allemands,  Î02,    109,    1 12,    i  ï... 

i75  a  515,  503,  .'il  B. 
Amboise,  Indre-et-Loire,  ch.-l.  de 

canton,  arr.  de  Tours,  122. 
Amboise  (paix  d'),  l  i. 
Amiens,    185,    248  n.,  253,    303, 

364,  365  et  n.,  370  à  373,  5U. 
Amyot  (Jacques),  21.  25. 
Andrésy,  Seine-et-Oise,   arr.    de 

Versailles,  cant.  de  Pois 
Angenousl  (le  sieur),  6  i. 
Anglais,  84,  363,  374,  iu.  ;_■_', 

141,444  à  447,    î:;:;.  4!  I 

i»;:..  192,   196. 
Angleterre,  6,  18,  20,  196,  276, 

369  a  378,  108,   I.'-'.  160,  552. 
Angoulême,  128,  li".»  à  133. 
Angoumois,  128,  266. 
Anball  (Christian  d'),  184. 
Anjou    [Henri,  duc  d'j,  plus    tard 

Henri  III.   34,  35,    13,  '.4,   51, 

118,  1  16. 
Anjou,   province,    17,    12*,    _'•;<;, 

301. 
Anselme  (le  P.),  3  n. 
Anvers,  59. 


176 


VILLEROY 


Archiduc,  archiducs.   Voy.  Albert. 
Arnauld  (Antoine),  352. 
Arques,  Seine-Inférieure,    arr.  de 

Dieppe,  160,  167  n.,  168. 
Arsenal  (Bibliothèque  de  1'),  4  n., 

323  et  n. 
Artois,  province.  456. 
Aubespine  (Claude  de  1'),  baron  de 

Châteauneuf,    secrétaire  d'Etat, 
13  et  n.,  14,  15. 
Aubespine   (Sébastien  de  1'),  évê- 

que  de  Limoges,  19,    20  à  22, 

34,  51,  :r2,  53. 
Aubespine  (Claude  de  1'),  seigneur 

de  Verderonne,  134. 
Aubespine  (Guillaume  de  1'),  baron 

de  Châteauneuf.  conseiller  d'E- 
tat, 234,  346,  454  n. 
Aubespine  (Madeleine  del'),  femme 

de  Villeroy,    13,    26,  27  et  n., 

28,  287. 
Aubigné  (Agrippa  d'),  21,  131  n., 

160  et  n.,  200  n.,  310    n.,  383 

et  n. 
Aumale  (Claude  de  Lorraine,  duc 

d'),  76,    81,  83,  100,  112,  125, 

220. 
Aumont    (Jean   d'),    maréchal   de 

France.    107,  122. 
Autriche  (maison   d")    478,  481    à 

515,  551,  573. 
Auvergne,  province,  18,260,301, 

314. 
Auvergne  (Charles  de  Valois,  duc 

dAngoulème,  comte  d'), grand- 
prieur  de  France,    323  a    325, 

327. 
An iinon,  38,  41,   127. 
Ayrault  (Pierre),  avocat,  177  etn. 


B 

Badoer  (Angelo).  ambassadeur  vé- 
nitien, 271  et  n.,  279  et  n., 
280,  321  n.,  405n.,  406  n . .  4 o 7 
et  n.,  408  n. 

Balagny  (le  sieur  de),  168. 

Barbin,  secrétaire  d'Etat,543,  55;.    , 


Bassompierre  (Christophe  de),  am- 
bassadeur du  duc  de  Lorraine, 
170. 

Bassompierre  (François  de),  maré- 
chal de  France,  276  n.,  387  n., 
430,  489  et  n.,  498,  499  et  n., 
518  etn. 

Bavière  (duc  de),  484. 

Beaulieu  (Edit  de).  52. 

Beaulieu.  Voy.   Rusé. 

Beaumont  (Christophe  de  Harlay, 
seigneur  de),  ambassadeur 
d'Henri  IV  en  Angleterre,  326 
et  n.,  327  n.,411  n.,  422  et  n., 
447.,  448,  450  n.,  451  et  n., 
452  et  n.,  508  etn. 

Beaune,  Côte- d'Or,  ch.-l.  d'arr., 
82. 

Beaune  (Renault  de),  archevêque 
de  Bourges,  57,  243. 

Beauvais,  4.  253. 

Belin  (François,  comte  de),  168, 
169,  224,  231, 240, 250. 

Bellarmin  (cardinal),  352, 

Bellegarde  (Roger  de  Saint- Lary, 
duc  de),  50. 

Bellièvre  (Pomponne  de;,  chance- 
lier,  44  n.,  51  et  n.,  53,  58  à 
62,  90,  92,95.100,  105,107  n., 
1  12  à  114,  118  et  n.,  123  n., 
128  n..  130  et  n.  à  158  n,  141 
n.,  1  Vu  et  n  ,  148  et  n.  149  et 
n.,  152  et  n.,  155  et  n.,  173  et 
n.,  189  n.,  191  n.,  205  et  n., 
218,  219  n.,  233  n.,  239  à  244 
et  n.,  246  n  ,  247,  249,  250, 
255,  275,  276  etn.  à  28  1 ,  290, 
295  et  n.,  299,  300  n.,  305  n., 
307,  310,  318  et  n.,  322  et  n., 
337,  345  et  n.,  346,  360,  370 
et  n.,  371  à  375,  378,  381,  382, 
404,   454  et  n.,  481,   182. 

Bentivoglio  (Guido),  nonce,  389  n., 
392  n..  562,  568. 

Bergerac,  Donlogne,  ch.-l.  d'arr., 
54,  55,  59,  60,  75,  163. 

Bernard  (Etienne),  avocat,  député 
aux  Etals  de  1593,  232,  24  0, 


Berr//,11,  78,  I  17.  226,  266,  301, 
541. 

Bertaut  (Jean),  28  el  n. 

Béthune  'Philippe  de),  ambassa- 
deur d'Henri  IV  à  Rome,  294, 
31 1  et  il.  321,  324  n..  332  a., 
33b  n.,  336  n.,  344  et  n.,  348, 
411  el  n.,  413  n.,  41li  et  n., 
418  et  n.,  420.  421  n.,  422  et 
n.,  423  et  n..  425  n. 

Birague  (lieue  île),  chancelier,  34, 
35,  31,  08,  102,  Ht7.  534. 

Biron  (Armand  de  Gontaut,  duc 
de),  maréchal  de  France,  gou- 
\  erneur  de  Bourgogne,  94,  96, 
405,  107,  181,  183,  18.-;.  195, 
107.203  n.,  204.21  1,222,  223, 
268,  276,  277,  304,  310  à  314, 
324  à  320,  381,  387,  389,  390, 
4  17.  420,  447. 452  n. 

Blois,  ville.  62,  82,  m:;.  123. 

Blois,  voy.  Etats-Généraux  de 
1576,  de  L588. 

Bochetel  (Guillaume),  secrétaire 
des  finances,  1  :;. 

Boissise  (Jean  de  Thumery,  sei- 
gneur de),  ambassadeur  d'Hen- 
ri IV  en  Angleterre,  34  n.,  287 
n.,  384  n.,  385  n..  386  n.,  394 
el  n.,  397  n..  399  et  n.,  502, 
53  1  n. 

Bonciani,  envoyé  du  Grand-duc 
de  Toscane,  280  et  ,,.,  337,  397. 

Bongai's  (Jacques),  envoyé  ni  sn- 
ri  IV  en  Allemagne,  396  el  n.. 
479  et  n.,  4SI)  n..  182  n.,  '.n:: 
n.,  .87  et  n .,  488,  489  et  n., 
4'.i4  et  n. 

Bordeaux,  61,  62. 

Botti  (Carlo),  envoyé  du  Grand-duc 
de  Toscane,  i  98.  51  i  el  n.,  547. 

Bouillon  (Henri  de  la  Tour  d'Au- 
vergne, vicomte  de  Turenne, 
duc  de).  L0O,  195,  196,  213  n.. 
223,  288,  296,  303,  310 
369,  .".77,  390,  391,  480,  t83, 
505,  533,  547,  554. 

Boulogne  (Edit  de),  36. 
Villeroy. 


a  :)77 

Boulogne,     Pas-de-Calais,     eh.-l, 

d'arr.,  129. 
Boulogne,  près  Paris  iii2. 
Bourbon  (Maison  de)  23,   34,   76, 

288,  530. 
Bourbon  (Cardinal  de),  70,  81,  82, 

127,     H'.o.    164,   170,  174,    IO'.i, 

227,  243. 

Bourdin      (Jacques),      secrétaire 

d'Etat,  12,  il.  15. 
Bourg,  387. 
Bourges,  125,  126,240,241,  232. 

231,  541. 
Bourgogne,  166,  220,   266,   268, 

277,  302,  303,  304,    310,  364, 

447,   ils. 
Brandebourg      (Jean  -Sigismond, 

électeurde),  180,  1M.  186,  187, 

40  1,  502,  506  n  ,  54 i. 
Brantôme  i  Pierre    de    Bourdeille, 

seigneur  île),   2'f   el    n.,    26    n., 

40  n. 
Bresse,  381,  384,  387,   302,   394, 

437,  138,  147. 
Bretagne,  18,  78,  81 .  s:;.  96,  166, 

304,  303  et  u.,  538. 
Brigard  (le  sieur),  210. 
Brissac  (Charles  de   I  lossê,  comte 

de),  gouverneur  de  Paris,  I  no, 

125,  207.  519,  3ll. 
Brisson  I  Barnabe),  premier  prési- 

deni  ,hi  Parlement,  210. 
Bruges,  63,  156. 
Brularl  (  Pierre),  secrétaire  d'Etat, 

12,  10.  56,  59,  "  i  •  u..  70.  105, 

UN).  124,   135,   137     I  is  n. 
Brusol  (Traité  de  . 
Bruxelles,  498,  500,  503. 
Iîuliv  (Pierre  de  Moi  na  •• .  seigneur 

de),  180.  is.-.  213  u. 
Bullion     (Claude    de  ,    conseiller 

d'Etat,  195,  M  I 
Bury  (Baronnie  de),  dans  le   Blé- 

sois,  2si.  285  n 
l'.u  :anval  (Paul  Cho  irt,  seigneur 

de),  envoyé  d'Henri  IV  auprès 

des  Provinces  Un  74,  377 

160,  i'..:. 

37 


578 


VILLEROY 


Calais,  168,  363,  374,  530. 

Calignon  (J.  Soffroy  de),  chance- 
lier de  Navarre,  305  n.,  338. 

Cambrai,  168,  303,  369. 

Canaye  (Philippe),  seigneur  de 
Fresnes, ambassadeur  d'Henri  IV 
à  Venise,  358  et  n.,  410  et  n., 
411  et  n.,  414  n.,  432  et  n., 
436. 

Cardenas  (Don  Inigo  de),  ambas- 
sadeur du  roi  d'Espagne,  495 
n.,  496,  497  n.,  547. 

Carew,  envoyé  de  Jacques  1er 
d'Angleterre,  27  I  et  n  .  272  et 
n.,  278  n.,  279  n.,  340  n.,  354 
et  n.,  561  et  n.,  562. 

Carlos  (Don),  fils  de  Philippe  III, 

Cars  (Comte  des),  48,  469,  497. 

Gastelnau  (le  sieur  de),  226,  227. 

Catalagirone  (le  P.  Bonaventure), 
général  des  Cordeliers,  370, 
3  7  2. 

Catherine  de  Médicis,  6,  13  et  n., 
14  et  n.,  22,  23  et  n.,  24  n., 
26,  31,  36  n.,  37  n.,  38  à  45, 
49  n..  50  à  62,  68,  77  et  n., 
80,  81  à  85  et  n.,  97  etn.,  1  12 
n.,  1  17  et  n.,  1  18  et  n.  à  124, 
133  et  n.,  134  et  n.,  130,  139, 
148,  331,  534. 

Cavalli  (Sigismond),  ambassadeur 
vénitien,  35  n.,  405  n. 

Ceci!  (William),  ministre  d'Elisa- 
beth,    324    n.,     325,    326    n., 

4.').')    n. 

Chàlons-sur-Marne,   78,  S2,  145, 

206,  207. 
Chalon-sur-Saône,  n  1 . 
Chambéry,  387,  391. 
Champagne,  18,  78,  SI,  82,  218, 

220,  22ô,  266,    301,    363,  503. 
Charbonnières,    Savoie,     eomm., 

388. 
Charles-Emmanuel  III,  duc  de  Sa- 

voie,  176,  236,  373,  379  à  395 


401,  421,  435  à  441,  473,  495 
et  n.,  496,  507,  509,  510,  511, 
512,-  545,  546,  548  à  553,  564. 

Chartres,  114,  117,  118,  123, 
128  n.,  129,  131,  133,  160, 
202,  203. 

Château-Thierry,  1!9,  202,  205. 

C  hâte  Hérault,  338,  340,  408 

Chatillon  (François  de),  comte  de 
Coligny,   155  et  n.,  162. 

Chésy  (abbé  de),  193. 

Cheverny  (Philippe  Hurault,  sei- 
gneur de),  chancelier,  44  etn., 
49  et  n.,  51  et  n.,  56,  59,  64  et 
n.,  121,  135,  148  n.,  160,  193, 
204,  227. 

Christine,  fille  d'Henri  IV  et  de 
Marie  de  Médicis  (Madame  Chré- 
tienne), 409,  497. 

Ciniber  et  Danjou,  40  n.,  131  n., 
143  n.,  331  n. 

Cioli,  envoyé  du  Grand-duc  de 
Toscane,  518  n. 

Clément  VIII,  pape,  216,  228,244, 
380,  389,  390,  419  à  427,  446, 
469. 

Clèves.   Voy.  Juliers. 

Clignancourt,  près  Paris,  2 12  et  n. 

Clouet  (François),  27  et  n. 

Cognac,  59,  97. 

Coligny  (Gaspard,  amiral  de),  56. 

Comblizy  (Vicomte  de),  205,  206. 

Concini  (Goncino),  Maréchal 
d'Ancre,  519,  530,531.532,  535 
à  542,  554. 

Condé  (Henri  I°r  de  Bourbon, 
prince    de),     13,  54,  62,  96. 

—  (Henri     II     de     Bourbon, 

prince  de),  ou  Monsieur 

le  prince,  498,499  à  513, 

519,  529,  531  à  542. 

Conflans,  près  Paris,  5  et  n.,  29. 

30  etn.,  34,  404,530,538,  554. 

Contarini    (Alvise),    Vénitien.    21 

et  n. 

—  (Francesco),  Vénitien,  280 

et  n.,     378   et    n.,    387 
n. 


Conti  (François  de  Bourbon, 
prince  de),  519,  529. 

Coquille  (Gui),  jurisconsulte,  177 
et  n. 

Corbeil,  5  n..  8,9,  150,  184,   195. 

Corneio  (Pierre),  188  n. 

Coton  (le  P.),  Jésuite,  confesseur 
d'Henri  IV,  8  et  n.,  9,  I  I  etn., 
318,  331  n.,  345  et  n.,  348  et 
n.,  349  et  n.,  556  et  n.,  558, 
559  n. 

Contras,   107. 

Créquy  (Charles  de),  388,  539. 

Çuniga  (Balthazar  de),  451  n. 


Damville  (Charles  de  Montmo- 
rency, seigneur  de),  3G,  37  à 
41,  52,   54,  280,  313. 

Danemark,   18, 

Dauphiné,  18,  44  n.,  81,  135.  226, 
266,  545. 

Descartes  (le  sieur),  317,  318  et  n. 

Desportes  (Philippe),  25  el  n.,  26 
n..  28  et  n.,  228. 

Deux-Ponts  (Duc  des],  486. 

D'Hozier,  2  et  n. 

Dieppe,  81,  167  et  n. 

Dieppois,  1. 

Dijon,  81,  82,  210. 

Donauwert h, ville  libre  d'Empire, 
484. 

Dreux,  279  n.,   24  1. 

Duchesne,  282  n. 

Du  Fay  (Noël),  177  et  a. 

Duodo  (Pietro),ambassadeur  véni- 
tien, 207  n.,  269  n..  293,  303. 

Du  Passage  (le  sieur),  9  l . 

Uu  Perron  (Jacques  Davy),  cardi- 
nal, 350,  358  et  n.,  426  et  n., 
127  n.,  434,  519. 

Du  Vair  (Guillaume),  20   n..  65, 
66  u.,  07.  70  m..  7:;  n.,  '  18  q., 
119  n.,   120  n.,    124  n..   : 
n.,  151  et  n.,  152  et  n.,  1  53  a., 
157  n.,  178  n.,  2'.:;,  25 i  et  n., 


579 

255  el   u  ,   259  à  264,   281   n., 
34 1  el  n..  349  el  u.,  525. 


E 


Ecosse,  18. 

Elbène  (abbé  d'),  148  n. 

Elbeuf,  70,  81. 

Elisabeth,  reine  d'Angleterre,  367, 
368,  et  n.  à  121,  147,  148,   449. 

Empereur,  485,  487,  494,  497, 
513,  519. 

Entragues  (François  de  Balzac, 
seigneur  d'),  121,  123,  323  à 
325. 

Epernay,  79,  80,  82. 

Epernon  (Jean-Louis  de  Nogaret, 
de  la  Valette,  duc  d'),  76,  87, 
88  à  95,  99,  101,  104,  L05  et 
il,  106  à  110,  1  15,  118,  121, 
128  el  u..  I29à  133,  1  10,  142, 
143  et  n.,  146,  154,  159,  269, 
277,  302,  310,  377,  388,  518, 
541. 

Epinac  (Pierre  d'),  archevêque  de 
Lyon,  117.  127.  141,  142 et  n., 
148  n.,  172  el  n..  17S.  179, 
1S0,  182,  185  i...  188,  189,  197, 
230,  231,  232,  2  in.  241. 

Este  (César  d'),  dur  de  Modène, 
kl  9. 

—  (Hippolyte  d'),  124. 

—  (Alexandre    d'),    cardinal, 

42  4. 
E  lampes,  154,  169  a. .  204. 
Etats-Généraux  de  l  576,   53,  54 . 

75  ;     ■  de  1588,  I  17.  135,  I  i'.'; 

—  de  1593,  198,  219,  228,  231 
el  n..  238  .,  243,  294,  335;  — 
de  1614,  307,  539. 


Farnèse(Alezandre),  ducdi  I 

179  n..  186,  188,    189,  191    n., 
195,   196,  209,  -MI.    214,    220. 

Fami  11   (Jacques),   marchand    de 
Castres,  38  u„  10  et  n. 


580 


VII.LKHOY 


Fauveletdu  Toc,  12  n,  -18,  24  n., 

25   n.,    147    n.,  269  n.,  278  n. 
Faye"  (Jacques),     seigneur    d'Es- 

peisses,  avocat  du  roi,  138etn., 

141  n.,  1  15  et  n.,  189  n. 
Ferdinand,  Grand-duc  de  Toscane, 

337,    393,    395-399,  402,    H3, 

440,  549. 
Féria  (duc  de),  238. 
Ferrare,  duché,  43,  420,  434. 
Fizes   (Simon),   secrétaire   d'Etat, 

18,  146. 
Flandre,  6,   17,  22,  57,    58,   60, 

63,  80,  179.  195,392,411,  429, 

430,  444  à  461,500. 
Fleix    (Paix  de),    55,  00,  63,  75, 

163. 
Fleury   (Henri    Clausse,    seigneur 

de),  9,  193,  195,  202,  204,  205, 

n.,  212,   213  et   n.   à    217   n., 

227  n.,  230,  311. 
Florence,    228,    399,     402,    408 

411.  413,  473. 
Fontainebleau,    13,    22  n..   248, 

287,  310,  311. 
Fontenay-Mareuil,  27  t   et  n.,  275 

n.,  299    n.,   518    n.,    541,  554, 

563. 
Foscarini  (Antonio),  Vénitien,  438, 

473,  490  n.,  492   n.,    496,  500 

n.,  501  n.,  521    n. 
Franche-Comté,   363. 
François  I.  i,  5,  6,  13,  16. 
François  II.  22  et  n. 

(Pierre  Forget,   seigneur 

de),  secrétaire  d'Etat.   19,  147, 

268, 405. 
Fresne-Canaye.  Voy.  Canaye. 
Fuentès,  gouverneur  du  Milanais, 

369,  385,    100,    405,    406,  408, 

433,  430.  150. 


G  letano  (Cardinal),  légal  du  pape, 
171,  173,  ixi,  183,  187  et  n., 
197,  203  ri  n.,  i>08,  211  n., 
231,  _'.')!  el  n. 


Gascogne,  78,  266. 

Gassot  (le  sieur),  17  n. 

Gènes,  402,  549. 

Genève,  401,  421,  436,  546, 
552 

Gesvrcs  (duc  de),  3. 

Gesvres  (Potier  de),  secrétaire  d'E- 
tat.  Voy.  Potier. 

Giovannini  (liarrio).  envoyé  tos- 
can, 292  n.,  296  n.,  297  n., 
3J3,  321  n.,  383  n,,  397,  398 
et  n.,  399  n.,  410  n.,  412  et  n., 
4  1  i  n.,     421  n.,  420  et  n. 

Gisors  ^Simonne  de),  2. 

Gisors,  Eure,  arr.  des  Andelys, 
cant.,223. 

Godefroi  (Collection),    349  n. 

Gondi  (Pierre  de),  évêquede  Paris, 
172  n.,  173,  176,  180,  182, 
188,  189,  193,  203,  210,  224, 
227,  297,  367  et  n.,  398. 

Grand-duc  (de  Toscane),  Voy.  Fer- 
dinand. 

Gravelines,  Nord,  arr.  de  Dun- 
kerque,  168,    456. 

Greenwich  (Traité  de),  369. 

Grégoire  XIV,  pape,  207. 

Grignon,  Seine  et-Oise,  arr.  de 
Versailles,  173,   233  n.,  244. 

Grisons,  51  et  n.,  403  à  409,421, 
552,   553. 

Guidi,  envoyé  toscan,  498  n. 

G. lis,. s  (les)'  23,  05,  60,  68,  70, 
71,  72,  7:.  n..  76,  78,  N0,  82, 
83,  S0,  87,  94  a.  90,  118  à  128, 
137,  140  à  145,  150  à  151. 

Guise  (François  de  Lorraine,  2e 
duc  de),  34,  76. 

—  (Henri  de  Lorraine,  3e  duc 

de),  63,  64,  66.  09,  78, 
80,  87,  93,  102,  103, 
110,  113,  115,  117,  118 
à  128,  137  n.,  139,  145, 
148. 

—  (Charles    de    Lorraine,    4e 

duc  de),  209,  211,  220, 
223,  225,  297,  518,  .',19, 
535,  537. 


Guyenne,    17,  96,   97,  120,  266, 

539. 


H 


Hainaut,  456. 

Halle  (Traité  de),  502,  507. 

Harlay  (Achille  de),  premier  pré- 
sident au  Parlement,  124,  311. 

Henri  11,  13,  16. 

Hesse  (Maurice  le  Savant,  land- 
grave de),  325,  479  et  n.,  480, 
484. 

Hollandais,  292,  293,  363,  374, 
112,  U3,  122,  129,  130,  140, 
442  à  477,  192,  503. 


Ibarra  (Don  Diego  d'),  ambassa- 
deur espagnol,  24,  231  et  n. 

Ile-de-France.  8.  9.  L8,  119,  147, 
154,  220,   266,  267,    301,   304. 

Italie,  6,  18,207,  100  à  141,  140, 
478,  552. 

Ivry,  Eure,  arr.  d'Evreux,  160, 
L79,    et    n.,  182,   198  n.,    218, 


Jacob  [\&  sieur  de),  ambassadeur 
du  duc  de  Savoie,  387,  138,  139, 
546. 

Jacques  I1'1',  roi  d'Angleterre,  326, 
422,   129,   152,   163,   196, 

Jargeau  (Assemblée  de),    189. 

Jean-Casimir,  électeur  palatin.  96, 
480, 484. 

Jean  Guillaume,  duc  de  Clèves  et 
de  Juliers,     185,   488. 

Jeannin  [Pierre  ,  premier  président 
du  Parlement  de  Bourgogne  et 
conseiller  d'Etat,  L70,  17  1  .  199, 
202.  209,  215,  217,  219  n., 
22ii,  221,  2:m  a  232,  240,  245, 
247,  250.  264,  275,  277  et  n., 
280,  287    n.,    290   n.,   305  n., 


;x  :;bi 

306,   310,  336,  337,   346,  347, 
357  n.,  382  et  n.,  391,449,  154 

et  n.,    163  et  n.  a    les.   iTii  ,,., 
471   et   n.,  172.    173.  474  et  n., 
475    n.,     i 77    et  n..    199,   508, 
517  à  519,  529  n.,  546,  554. 
Jésuites,   172,  288,  2:12,  :;  i . 
120,  434,   175. 

(Anne,  duede),  28  n.,  31, 
88,  89,  90  et  n.,  96,  102,  L08, 
109. 

—     (François,     cardinal     de), 
248,  250,296,   113,  il!», 
12:,,  I33etn.,  134  et  n.. 
519,  520,  537,  545. 
Juliers,  441.  478,  485  a  54 


La  Boderie  (Antoine  Le  Fèvre,  sei- 
gneurde),  ambassadeur  d'Henri 
IV  en  Angleterre,  i  I  a.,  272  et 

n.,   15ii.  461   n.,  17J,  196,  503 
et  n.,  .'.0  1   et   11.,  51  i.  517  n. 

La  Chapelle-Marteau,  170. 

La  Chapelle,  près  Paris,  13. 

La  «'.haii,'  ii  llaude  de),  maréchal 

de    France,  121,  220,   225   a., 

247,  254,  519. 
La  Fère,  Aisne,  cant.,  36  . 
La  Fin  (le  sieur  de),  309. 
La  Flèche,  Sarthe,  eh.-l.  d'an-., 

349  et  n. 
La    Guiche    (Philibert    de),     105, 

lm,,  I  12  n..  L91  n. 
La  Haye.   450,    458,     459,    160, 
172. 

La  Marsillière  [le  Bieur  de),  1H4, 

IU  il. 

Landriano  (Nonce),  207. 
Languedoc,  36  et   0.,  38,   10,  4  1 

D., 
Laon,  160. 
L'Arbaleste  (Gny),  8. 
Larcher  (le  Bieur),  210. 
La  Rochelle,  17,  32,  85,  34 
La  Hochepot   (Antoine   de   BUly, 

seigneur     de),      ambassadeur 


582 


VILLEROY 


d'Henri    IV    en  Espagne,   315, 

316.  379  n.,  385    et  n.,  386  et 

n..  420,  445. 
Lavanlin    (Jean    de    Beaumanoir, 

seigneur     de),      maréchal      de 

France,  447,  519. 
La  Verrière    (le    sieur   de),    186, 

189  n. 
V Ecluse,  ville  de  Zélande,  460. 
Le  Gendre  (Geneviève),  5. 

—  (Pierre),  5,  7. 

—  (Jean),  5. 

Le  Gras  (Catherine^,  2. 

te  Havre,  126. 

Le  Maistre  (Jean),  président  au 
Parlement  de  Paris,   232,  240. 

Léon  XI,  pape,  427. 

Léopold  (l'Archiduc),  487,  490, 
494  n. 

Lesdiguières  (François  de  Bonne, 
duc  de),  lieutenant  d'Henri  IV 
en  Dauphiné,  296,  387,  388, 
390,  394,  430,  444  et  n.,  502, 
505,  509,  519,    545,  547,    555. 

Lestoile  (Pierre  de),  3  etn.,  57  n., 
04  etn.,  105.  121  n.,  125  etn., 
130  et  n.,  173  et  n.,  176  n., 
178,  188  n.,  192  n.,  193  n., 
210  et  n.,  224  et  n.,  229  etn., 
246  n.,  251  n.,  266  n.,  270, 
2S7  n.,  312  n.,  319,  320  et  n., 
334  n.,  404  et  n.,  405  n.,  530. 

Levant,   10. 

L'Hôpital  (Michel  de),  15,  20. 

L'Hoste,  commis  de  Villeroy,  314 
a  32:;,  341,  342,  450. 

Liancourt,  164,  167,  169. 

Limoges    20,  22. 

Limousin,  314. 

Loménie  (Antoine  de),  secrétaire 
du  cabinet  du  roi,  3,  8  n. 

Lorraine  (Maison  de),  18,  63,  96, 
101,  175,  215,  242,  530. 

—  (Charles,  cardinal  de),  20. 

—  (Charles  IV,  duc  de),  170, 

176,  230. 
Loudun,    Vienne,    ch.-l.     d'arr., 
338,  541,  542. 


Louvre,  112,  113,  210,  517. 
Lucques,  402. 

Luxembourg,  363,  501  et  n.  510. 
Luxembourg   (François  de),    duc 

de  Piney,  ambassadeur  d'Henri 

IV  à  Borne,  171,  370. 
Luynes  (Charles  d'Albert,  duc  de), 

554,  555. 
Lyon,   45  et  n.,  73,   91,   92  et  n  , 

94  et  n.,  121,  140,  149,  151  et 

n.,    152.    154,    241,    254,    386, 

391,  392,  394,  395,  399,546. 
Lyonnais,  91,    92,   93,  149,  220, 

255,  266,  285,  302. 


Magny-en-  Vexin,  Seine-et-Oise, 
arr.  de  Mantes,  5  n.,  284. 

Maine,  18.  266,  301. 

Maisse  (André  Hurault,  seigneur 
de),  77  n.,  79  et  n.,  80  n.,  83 
n.,  85  etn.,  86,  97  n.,98n..l00 
n.,  127  n  ,  346,  374,  376  n., 
377,  382,405. 

Maldonado  (Diego),  62  n. 

Mandelot  (François  de),  lieutenant 
du  roi  au  gouvernement  du 
Lyonnais,  149  et  n. 

Mangot,  secrétaire  d'Etat,  543, 
554. 

Mantes,  180,  181,  184,  190,  197, 
198,  203  n.,   212,  285. 

Mantoue  (duc  de),  440,  473,  509, 
511,  549,  550. 

Marbault,  282  n.,  328  n.,  329  n., 
340  et  n.,  342  n.,  306  et  n., 
418n. 

Marguerite  de  Valois,  57,  59. 

Marie  de  Médicis,  297,  324  n  , 
395,  396,  397,  398,  399,  497, 
498  n.,  515.  517. 

Marmande,  56. 

Marot  (Jean),  0,  7  n. 

Marseille,  349  etn.,  399. 

Matignon  (Jacques  Goyon,  sei- 
gneur de),  maréchal  de  France, 


583 


101  et  n.,  102  et  n.,  132  n., 
196  n.,  338. 

Matteucci,  215,  219  n.,  225  n. 

Matthias,  empereur,  483,  518. 

Matthieu  (Pierre).  270  et  n.,  273  et 
n.,  291  n.,  308  et  n.,  309  et  n., 
315  n.,  331  n.,  333  et  n.,  359 
et  n.,  446,  571. 

.Maurice  de  Nassau,  le  prince  -Mau- 
rice. Voy.  Nassau.  Maurice  le 
Savant.    Voy.   Hesse. 

Maurier  (Aubéry  du),  328. 

Mayenne  (Charles  de  Lorraine, 
duc  de),  63,  64,  76,  si,  82,  02, 
125,148  n.,  150,151,  153.,  154 
et  n.,  156,  L60,  161,  162  à  263, 
302  à  304,  363,  364,  520,  537, 
538,  55 i . 

Meau.v,  102,  108,  119,  134  n., 
189,  -2.\?,. 

Me/un.  184,  185  et  n.,  190,  198 
n.,  228. 

Mendoza  (Don  Bernardine-  de),  93 
n.,  101  et  n.,  112  n.,  131  n., 
137  et  n  ,  138  n.,  14H  n..  166 
et  n.,  lt;7.  L68,  172,  180,  184 
et  n.,  185  n.,  196  n.,  200  n., 
238,  2G3. 

Menelay  (le  sieur  de),  208. 

Mer  cœur  (Philippe-Emmanuel  de 
Lorraine,  duc  de),  81,  83,  96, 
208,  302,  305  et  n.,  423. 

Mets,  18,  81,  127,  129,  277. 

Meulan,  173  n.,  226,  285. 

Migeon  (le  sieur),  146. 

Milan,  Milanais,  363,  385,  400, 
404,  438,  439,  473,  495,  196, 
5(12,  503,  505,  5*09,  511,  545. 
549,  550. 

Mildmay  (Sir),  ambassadeur  an- 
glais, 368. 

Milly  (conférence  de),  248  et  q, 

Miron  (Marc),  médecin  d'Henri  III, 
118,  119. 

Mocenigo,  ambassadeur  vénitien. 
131  n.,  146  n.,  183  n.,  203  n  , 
252  n. 

Modène  (duc  de),  4  lu. 


Montauban,  36. 

Montholon   (François  de),  gardé 

des  sceaux,  146. 
Montmartin  (le  sieur  de),  408  n., 

496. 
Montmélian,  Savoie,   cant.,  :'.s7, 

388,  390,  512. 
Montmorency  (Anne,  due  de),  13 

el      11.,     15, 

—  [Henri,  due  île),  connétable 

de  Montmorencv,  227, 
287  Q.,303  n.,  313,  337, 
363,3Hi  n..  :;ii(i,  :;7(i  n., 
381,  386  n.,  387,  3nn  m  .. 
394,  519. 

—  (Charlotte  de),    498,    507, 

508. 
Montpellier,  1". 
Montpeasier  (François  de  Bourbon, 

duc  de),  54,  59,  328. 
Moreo  (le  commandeur),  envoyé 

du  roi  d'Espagne,   170,  172  n. 
Moriuiy    (Philippe    du    Plessis-), 

101,    162   u..    IM).    181  ..   185, 

193  à  L99,  212  et  n.,  21    . 

288,  306,  337  et  n.,   :;;;<.)  e|  n., 

340  et  n.,  377,  510  el  n.,  517, 

534. 
Mornay    (madame    rie),     181    n., 

212  et  n..  221  el  n. 
Morosini  (Antonio),  ambassadeur 

vénitien,  Ml.  l  17,  137  n. 

Morvilheis  (.le.an  de),  évéque  d'i  >r- 

léans,  conseiller  d'état,    l  9,  20 

et  n.,  21,  22,  34,  35  et  n.,  :,  I , 

73  n. 
Moulins,  20. 
Museau  |  Denise  dm.  7. 

—  (Marc  du),  7. 


N 


Nantes  (édil  de),    175.   2(1  ■  . 

337  à  339. 
Nassau  (Maurice  de),   Btathoudei* 

de  Hollande,   292,    327. 

142,   158,  160,  171.  i7.. 

et  n. 


584 


Nassau  (Justin  do),  377. 
Navarre  (Henri,  roi   de),  38,   53, 
55'j  59,60,  62,67,  97,  98,101, 

102,  110,  115,  130,  147,  J54, 
155. 

Navarre    (collège  de),  10    et   n., 

88. 
Nemours   (Traité   de),  79  n.,  82, 

83,  127. 
Nemours  (Henri  de  Savoie,  duc  de), 

125,   127,  151,    154,    180,   188, 

220,  363,  501  et  n.,  503  etn. 
Nérac,  59,  60. 
Neubourg  (le  Palatin  dei,  484,  486, 

487,  502,506  n.,  544. 
Neufville  (Richard  de),  1,  3. 

—  (Nicolas  de),  2,  3. 

—  (Simon  de),  2.  3. 

—  (Nicolas  de),  père  de  Simon, 
2,  :;. 

—  (Nicolas  de),  1er  du  nom,  4. 

—  (Nicolas  de),  IIe  du  nom, 
5,  6. 

—  (Nicolas  de),  Ille  du  nom, 
7,  29  et  n. 

Nevers  (Charles  de  Gonzague,  duc 
de),  22n.,  54n.,  62  n.,  98  etn., 

103,  104  et  n.,  107,  111,  121, 
134  n  ,  143,  159,  166  n.,  177 
et  n..  194,  216,  218  et  n  ,  219, 
227,  230,  250,  304  n.,  308, 
364  n.,  485,   519,  537,  554. 

Nîmes,  30. 

Noisy,  près  Paris,  173,  176,   180, 

183,  198,  216. 
Normand  (le  sieur),   maire  d'An- 

goulême,  129,  130,  131. 
Normandie,  109, 118,  167, 179  n., 

220,  226,  266,  301,  529. 
Novion  (le  président  de),  4. 
Noyon,  239  et  n. 


O  (François,  marquis  d'),  surin- 
tendant des  finances,  88,  105, 
i  l:;,  222,  223,  227,  268. 

Oldenbarnevelt  (Jean  d'),  pension- 


naire de  Hollande,  377,  426, 
457,  460,  462,  473,  474,  475  n. 

Olivieri  (Serafino),    cardinal,  426. 

Orléanais,  78,  220,  301. 

Orléans,  14,  18,  20,  121  à  126, 
198  n.,  199  n.,  248  n.,  ±\>'2, 
254,  538. 

Ossat  (Arnauld  d'),  cardinal,  146 
et  n.,  333  et  n.,  345.  350,  352, 
361  n  ,  370,  380,  382  et  n., 
38G,  393  et  n.,  415  et  n.,  416 
et  n.,  à  419,  424  n.,  435  n. 

Os  tende,  451,  456. 


Palatin  (l'électeur),  325. 

Palma-Cayet,  170  et  n.,  172  et  n., 
195  n.,"210  et  n,,  229  n.,  230 
n.,  231  n.,  315  n.,  448. 

Pape,  voy.  Sixte-Quint,  Clément 
VIII,  etc. 

Parlement  de  Paris,  8,  14,  63,  64, 
I 17,  L50,  L52,  153,  171,  178, 
193,  210,  211,  224,  232,  242, 
243,    251,    263,  305,  311,  312, 

.  320  et  n.,  322,  339,  343.  352, 
363,  518. 

Parme  (duché  de),  402,  410. 

Paschal  (le  sieur),  envoyé  du  roi 
aux  Grisons,  409  cl  n. 

Pasquier  (Etienne),  305,  350  n. 

Pasquier  (le  sieur),  commis  de 
Villeroy.  136. 

Paul  V,  pape,  427,  428  à  434, 
469,  512. 

Pecquius,  représentant  des  archi- 
ducs, 462  et  n.,  467  et  n.,  469 
et  n.,  470  n.,  472  et  n.,  475  n., 
476  n.,  486  n.,  48S,  505  et  n., 
506  et  n.,  507  et  n.,  513  n. 

Pellevé  (Nicolas  de1,  cardinal,  9, 
231   et  n.,  233,  239,  256. 

Périgord,  260,  314. 

Péronne,  Somme,  eh.-l.  d'air.,  75, 
530,  531. 

Perron  (Loys),  secrétaire  de 
Mayenne,  192. 


Philippe  II,  roi  d'Espagne,  22,  56, 
57,  62  n.,  63,  07,  70,  93  a., 
101  n.,  I  L2  n.,  131  n.,  137,  n., 
14:5,  I  io  n.,  h.:.,  1.66  o.,  167, 
170,  17  1,  17  1,  180,  185  n..  196 
n..  200  n.,  209,  21  1.  215,  236, 
238,  289. 

Philippe  III.  toi  d'Espagnne,  320, 
323  n.,  328  n.,  383,  389,  395, 
401,  437,  441,  100  n.,  17:,, 
481 ,  482,    197,    549,  551,  553. 

Picardie,  17,  52,  7:;  a.,  78  à  82, 
100,  103,  111,  183,  186,  187, 
220,  301,  364,  ils. 

Piémont,  18,  43,  436,  439,  444, 
495. 

Pigenat  (Odct),  Jésuite,  172. 

Pinart  (Claude),  secrétaire  d'Etat, 
18,  97,  100,  135,  137,  205, 
206  et  n  ,  208, 

Pisani  (marquis  de),  187,  224. 

Poitiers,  54,  55  et  n.,  538. 

Poitou,  17,  103,  128,  131  n..  266, 
310.314,328,341,501,533,539. 

Pontoise,  152,  154,  173  n.,  180, 
181,  182,  190  el  n..  191,  211, 
212,  226  .'t  u.,  2:1:;  q„  238, 
231),  251,  232  et  n.,  253  à  255, 
285. 

Portugal,  17,  86  et  Q. 

Potier  (Nicolas),  seigneur  de  Blanc- 
mesnil,  président  au  Parlement 
de  Paris,  178  et  n. 

Potier(Louis),seigneurdeGesvres, 
taire  d'Etat,   147,  178  n., 

2ii7,  208.       . 

Praslain  de  sieur  de),  capitaine 
des  gardes,  500. 

Priuli  (Pietro),  ambassadeur  véni- 
tien, 62  n.,  27  1  et  n.,  273  n., 
27N  n.,  32S  il.  330  u.,  129  et 
n.,  430  n..  431  n.,  433  et  n., 
438  et  n. 

Provinces-Unies,  Paj  s-Bas,  56,  59, 
60,  70,  74.  196,  270.  _■-- 
370,  392,  393,  106,  123,    I  12  . 
477,  548,552. 

Prudhoiniue  (Jeanne),  9. 


:x  585 

Prudhomme  (Guillaume),  9. 

Puj  sieux  (Pierre  Brûlart  de),  se- 
crétaire d'Etat,  278,  358,  434, 
461  n.,  539,  543.  554. 


Quillebeuf,   Eure,  arr.    Pont-Au- 
de  r,  cant.,  535. 


Raffis  (le  sieur  de),  317,  318  etn. 
Refuges  (le  sieur  de),  intendant  en 

Bourgogne,  3  1 1 ,  349. 
Reims,  100,  118. 
Rennes,  300  n .,  396. 
Rethel,  209. 
Revol  (Louis),    secrétaire   d'Etat, 

138,   l  10,   l  17.  154,  191  n..  213 

e1     n.,     241,    242,     217,      249, 

200,  268. 
Revue  rétrospective,  6  i  n  ,  247  u, 
Richardol    (Jean),    président     du 

conseil  privé  de  Bruxelli 

373,  loo. 
Richelieu  (Armand  du  Plessis,  rar- 

dinalde),  lOel  o.,  33  n.,  333  n., 

530  et  m.,  537,  554. 
Rieux  (le  Bieur  de),  256  el  n. 
Robertet    (Plorimond),    secrétaire 

d'Etat,  lo,  18. 
Rodolphe  II,  empereur,  l~ 

184,   194  n. 
Rome,  l  1.  72,   208,  215  n..  221, 

227,  228,  248,    230,  34 

354,    370,   102,    iC 
13,  M  1.  551. 
Ronsard  (Pierre  de),  24,  28  et  n., 
n.,  30 

et  n.,  31  el  n..  32  el  D. . 
Roquelaure  (le  sieur  de),  30 
Rose,    prédicateur   de    la    Ligue, 

■21\,  256. 
Rosne  (le  Bieur di  i.  204,  220,  231, 
217. 


586 


VILLEKOY 


Rouen,  SI,  123,  125,  211,  213, 
219.  223,  224,  226,  253,  285n., 
303,  305,  350,  363,  367,  414, 
555. 

Ruzé  (Martin),  seigneur  de  Beau- 
lieu,  secrétaire  d'Etat,  146,  147, 
222,  267,  268,  285. 


Saint-Aignan,   Loiret,  arr.  d'Or- 
léans, .105,  108. 
Saint-Barthélémy  (la),  34,  35,  51, 

52. 
Saint-Cloud,  prés  Paris,  114,  115, 

157,  162,  165   n. 
Saint-Denis,  près  Paris,  15,   17!», 

202,  242  et   n.,  243,  245,  515. 
Saint-Dizier,  -82. 
Saint-Germain,  22  n.,  76. 
Saint-Luc     (François     d'Espinay, 

seigneur  de;,  88. 
Saintonge,  19,  128,  314. 
Saint-Simon  (duc  de),  3  et  n.,  16, 

17  n.,  267  et  n.,  285  et  n. 
'Saint-Sulpice  (le  sieur  de),  15  n. 

37,  38  n.,  40. 
Salcède   (Nicolas  de),  63,    64    et 

n.,  65  et  n.,66etn.,  67,  260  n., 

261. 
Saluées    (Marquisat   de)   ou    Sa- 

luzzo,  57,  351,  373,  378  à  384, 

392,   394,    398,    401.  403,   4M, 

4.16. 
Sancy  (Nicolas  Harlay,   seigneur 

de),   303,  304  et  n.,  337,  366, 

369,  377. 
Satire    Ménippée,    65,   233,    253, 

266  et  n.  à  264. 
Saumur,  338,  533. 
Saxe  (Duc  de),  484,    486,    494  n. 
Schomberg    (Gaspard    de),     120, 

122,.241,  242,304  et  n.,305n., 

337,  338,  377. 
Sedan,  100,  328  à  331,  480,484. 
Seize  (les),  161,    172,    173,  176, 
.     178,    196,   207,  209,  211,  229, 

235. 


Sentis,  154,  199. 

Sillery  (Nicolas  Brulard  de), chan- 
celier, 271,  275  à  281,  290, 
306,  311,  318,  324,  328,  337, 
373,  375,  378,  391,  397,  404, 
405,  429,  454  et  n.,  456  n  , 
458,  486,  499,  508,  517  à  519, 
532  à  542,  545,  547,  554. 

Simancas  (Papiers  de),  62  n..  65 
n.,  108  n.,  112  n.,  120  n.,  137 
n..  146  n.,  164  n.,  172  n.,  184 
n.,  185  n.,  196  n.,  200  n.,  202 
n.,  215  n.,  231  n.,  240  n.,  316 
n.,  317  n.,  328  n.,  380  n.,  381 
n.,  421  n.,  446  n.,  447  n..  451 
n.,452,n.,469n.,495n.,513n. 

Sixte  V,   pape,  171,  183,  187. 

Soissons,  82,  112,  113,  145,  180, 
186,  199,  205.  538,  546. 

Soissons  (Charles  de  Bourbon, 
comte  de),  ou  Monsieur  leComte, 
175,  275,  297,  310,  328,  388, 
519,   520,  529,    534,  535,   545. 

Sorbonne,   150,  196. 

Souchet  (le  sieur),  d'Angoulême, 
129,  130. 

Spinola  (Ambrogio),  général  au 
service  de  l'Espagne,  458,  466, 
503. 

Strasbourg,   22,  480,  484. 

Suisse,  Suisses,  17,  18,  22,  51  et 
n.,  78,  82,  86,  113,  181,  276, 
277,  365  n.,  373,  404  à  409, 
412,  447,  489,  553. 

Sully  (Maximilien  de  Bélhune, 
baron  de  Rosny,  duc  de),  3,  10 
et  n.,  33  et  n.,  181  et  n.,  194 
etn.,  204  et  n  ,  252  et  n.,268, 
269  n.,  271  et  n.  à  274,  280  à 
308,  322  à  328,  340  à  342,  346, 
347  et  n.,  355,  357  et  n.,  358 
n.,  360  et  n.,  365,  366,  380  n., 
382  à  384  n.,  385  à  393,  398, 
405  à  409,  422  et  n.,  424,  426, 
427,  430  et  n.,  443,  444.  446 
et  n..  449,  451,  454  à  456,  474 
à  480,  486  à  494,495,  497  et 
498  n.,499,505,510,  512,  520, 


587 


531  à  534,  542,  544,  547,  500, 
565  à  567. 
Suresnes,  près   Paris,    240,  246, 


Tardif  (le  sieur),  conseiller  au  Par- 
lement de  Paris,  210. 
Tassis    (Jean-Baptiste  de),  ambas- 
sadeur  espagnol.   65   n.,    170, 
238,  4^1  D.,446  n..  450,  452n. 

Thou  (Jacques-Auguste  de),  7,  10 
n.,  21  n.,  30  n.,  40,  52  et  n., 
64  et  n.,  78  et  n.,  70,  80,  I  L5 
et  n.,  126  n.,  131  el  a.,  153  el 
n.,  185  n.,  195  n..  241,  247  n., 
252  n.,  305  n.,  315  n..  338  el 
n.,  339,  346,  352,  365,  541. 

Tolède  (Don  Pedro  de),  envoyé  de 
Philippe  III,  439,  470  et  n., 
473,  475,  476,  496. 

Tout,  82,   127. 

Tourraine,  18,  128.  154,  109, 
179  n..  310. 

Tours,  207,  256,  538. 

Trente  (concile  de),  20,  175,  350, 
410,420.  539. 

Troyes,  20. 

Turcs,  407.  423,  424,  482. 

Turenne  (vicomte  de),  328. 

Turin,  44,  49,  67,437,  495,5  40, 
549. 


Ubaldini,  Nonce  du  pape  Paul  V, 
352  et  n.,  468  etn.,  409  el  D„ 
470  n.,  472,  494  n.,  495  n.,  497 
et  n.,  :>I2,  513,  547. 

Urbin,  4 Ut. 

Uzès  (Jacques  de  Crussol,  duc  d'), 
37,40. 


■Vaissète  (Dom),  36  n. 


Valence,  92. 

Valteline,  405,  408  n.,  438,  450. 
Vaucelas  (le  sieur  de),  139. 
Venise,  7.  20,  13,  64,  77  a.,  I  fcO 

,,.,    358,    t01,    fc05,    '.07,    410, 

U  I   à  fc34,   137,  473,  549. 
Verdun,  127. 
Verncuil    (Henriette     de     Balzeu 

d'Entragues.  marquise  de  Ver- 

aeuil),  323  à  325. 
Vernon,  Eure,  arr.  d'Evreux,  119, 

122.   L23,  190,  222. 
Verrej  ken  (Paudiencier),  466. 
Verrue(N.  Scaglia,  comte  de),473. 
Vervins  (traité  de),  315,361,  362, 

375,  377,    378,  385,  390,  442, 

443,  479. 
Vexin,  L80j226. 
Vie  (Méry  de),   conseiller  d'Etat, 

loi. 
Videville (le sieur  de),  203,  205  n. 
Vienne,  92. 
Villars  (Georges  de  Brancas,  duc 

de),  gouverneur  du  Havre,  91, 

L27,  213  u.,214,  220,  240. 
Villeroy  (le  château  de),  5  et  n., 

28,    29    et  n.,    135,    156,    193, 

2S7  et  n. 
Vincennes,  17:'.  n..  332. 
Vilrv  (Louis  de  l'Hospital,  marquis 

de),  gouverneur  de  Meaux,  25  I , 

253. 

W 

Winwood  (sir  Ralph),  ambassa- 
deur anglais,  282  n..  I  16,  155 
n. 

Wurtemberg  (duc  de),  480,  484, 


Zamet  (Sébastien).  -' 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Bibliographie i-xvii 

PREMIÈRE  PARTIE 

LES  DÉBUTS.  -  LE  SECRÉTAIRE  DE  CHARLES  IX 
CHAPITRE  UNIQUE 

I.  La  famille  :  les  marchands  de  marée,  les  officiers  de  finances., 
1-9.  — II.  Première  jeunesse.  Instruction.  Villeroy,  secrétaire 
des  finances  (1559).  Mariage  (1561).  Vie  de  bureau,  9-15.  -  III. 

•  Villeroy,  secrétaire  d'état  (1567).  Apprentissage  politique.  Ses 
deux  maîtres,  Jean  de  Morvilliers  et  Sébastien  de  l'Aubespine, 
15-23.  -  IV.  Villeroy,  la  Reine-Mère,  Charles  IX.  Villeroy  à  la 
cour.  Mme  de  Villeroy.  Villeroy  et  Ronsard,  23-34.  —  V.  Rôle 
politique  :  la  mission  de  Languedoc  et  raffaire  Damville  34-41 

DEUXIÈME  PARTIE 

LE  SECRÉTAIRE  DE  HENRI  III 
(1574-1589). 

CHAPITRE    I 

I.  Premiers  rapports  de  Villeroy  et  d'Henri  III.  Le  règlement  du 
17  septembre  1574,  43-50.  —  IL  L'activité  diplomatique  de  Vil- 
leroy de  1577  à  1582.  Les  négociations  avec  les  protestants. 
(Paix  de  Bergerac  et  paix  de  Fleix).  Les  affaires  du  duc  d'An- 


TABLE    DES    MATIERES  589 

jou,  50-63).  -  III.  L'affaire  Salcède.  Villeroy  calomnié  (1582), 
63-67.  —  IV.  Villeroy  et  son  «  bon  maistre  ».  L'homme  de  con- 
fiance d'Henri  III,  67-74. 

(1574-1 38  {). 

CHAPITRE    II 

I.  Les  débuts  de  la  Ligue.  Les  négociations  avec  les  Guises  à 
Nemours  et  ledit  du  18  juillet  1585.  Villeroy  et  la  Ligue,  75- 
87.  —  II.  Les  démêlés  du  «  bon  serviteur  »  et  du  favori.  Ville- 
roy et  d'Epemou,  87-06.  —  III.  Les  tentatives  de  rapproche- 
ment avec  le  roi  de  Navarre.  L'union  forcée  avec  la  Ligne, 
Villeroy  et  les  Guises  à  Meaux  en  juillet  1587,  96-108.  —  IV. 
Rôle  de  Villeroy  avant  l'insurrection  parisienne.  La  journée 
des  Barricades  (12  et  13  mai  1588),  L08-114. 

(1584-1588). 

CHAPITRE    III 

I.  La  réconciliation  du  roi  et  des  Guises.  Les  négociations  de  Vil- 
leroy à  Paris.  L'édit  d'Union  (21  juillet  1588).  Les  affaires 
d'Orléans,  115-128.  —  Villeroy  contre  d'Epernon.  Laffaire 
d'Angoulême,  128-133.  —  III.  La  disgrâce  de  Villeroy  (8  sep- 
tembre 1588).  133-148.  —  IV.  Après  la  disgrâce.  Ses  tentatives 
pour  rester  neutre,  sous  la  protection  royale.  Sa  retraite  à 
Paris  auprès  de  Mayenne,  chef  de  la  Ligue,  I  É8-157. 

TROISIÈME  PARTIE 

LE  NÉGOCIATEUR  DES  POLITIQUES 

ii:,s!i-i:,'.iM. 

CHAPITRE    I 

I.  Les  premières  tentatives  <le  conciliation  entre    la    Ligue  •[     ]<> 
roi  (août-septembre  1589).  Villeroy  négociateur  de   la  Ligue, 
159-165.  —  IL  Villeroy    et    le    péril    espagnol.  L'  •  Advia 
Mayenne  (décembre   1589),    165-179.  —  RI.  Les  pourparlers   de 
Villeroy  et  Duplessis-Moruay  à  Mantes  (mars  1590).  L'entrevue 


590  VILLEROY 

avec  Henri  IV  (avril),  479-186.  —  IV.  Villeroy  auprès  de 
Mayenne.  Le  siège  de  Paris  (mai-septembre),  186-193.  —  V. 
Reprise  des  négociations  à  Buchy,  en  octobre.  Efforts  de  Ville- 
roy pour  obtenir  la  liberté  du  labourage  et  du  commerce,  la 
trêve,  la  convocation  des  Etats,  193-200. 

(août   1589-décembre  1590). 


CHAPITRE  II 

I.  Ralentissement  des  négociations  en  1591.  La  question  des  pas- 
seports pour  les  députés  aux  Etats.  Défiances  réciproques. 
Villeroy  auprès  de  Mayenne.  La  lutte  contre  Rome,  contre  l'Es- 
pagne, contre  la  démagogie,  200-212.  — II.  Les  négociations  de 
Villeroy  et  Duplessis-Mornay  à  Mantes  (mars-mai  1592).  La  con- 
clusion delà  trêve  de  sept  mois  pour  le  Vexin  Français.  212-227. 
III.  Les  Etats  de  la  Ligue.  Les  discours  de  Villeroy.  La  confé- 
rence de  Suresnes.  La  conversion  du  roi  (janvier-août  1593), 
227-244.  — IV.  Les  négociations  de  Villeroy  pour  la  trêve  géné- 
rale. Conférences  d'Andrésy  et  deMilly  (août-septembre).  La  re- 
montrance à  Mayenne  (2  janvier  1594),  244-251.  —  La  soumis- 
sion de  Villeroy  (mars  1594).  L'apologie,  251-264. 
(1591 -septembre  1594). 


QUATRIÈME  PARTIE 

LE  MINISTRE  D'HENRI  IV 
(1594-1610) 

CHAPITRE  1er 

VILLEROY   AU    POUVOIR 

I.  Villeroy  rappelé  dans  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat  (25  sep- 
tembre 1594).  Ses  rapports  avec  Henri  IV.  «  Le  bon  serviteur  », 
265-273.  —  II.  Villeroy  conseiller.  Le  conseil  des  affaires  sous 
Henri  IV.  Les  ministres  :  Bellièvre,  Jeannin,  Sillery,  Sully, 
Villeroy,  274-281.  —  III.  Les  deux  chefs  de  la  politique  :  Sully 


TABLE    DES    MATIERES  591 

et  Villeroy.  Différences  de  condition  sociale,  de  religion,  de 
tempérament.  Conflits, querellesetententes, 281-297.  —IV.  L'au- 
torité suprême  d'Henri  IV.  Le  roi  gouverne  sans  premier  minis- 
tre et  «  fait  la  loi  à  tout  son  royaume  »,  297-300. 


CHAPITRE  II 

LA   FIN  DE  LA.   LIGUE.  AFFAIRES  INTERIEURES, 

AFFAIRES  RELIGIEUSES   DU   REGNE. 

I.  Les  dernières  négociations  avec  les  Ligueurs  (1594-1598).  Les 
principes  politiques  de  Villeroy.  La  restauration  du  royaume, 
301-309.  —  IL  Conseils  et  négociations.  La  conspiration  de  Bi- 
ron,  309-314.  —  III.  La  trahison  du  commis  L'IIoste  (160-4), 
314-324.  —  IV.  Conseils  et  négociations  (suite).  Les  complots 
des  d'Entragues.  Les  affaires  du  duc  de  Bouillon,  324-331.  — 
V.  La  religion  de  Villeroy.  Piété,  modération,  tolérance,  331- 
337.  _  VI.  Villeroy  et  les  protestants,  337-342.  —  VIL  La  poli- 
tique catholique.  Villeroy  et  les  Jésuites.  Le  concile  de  Trente 
et  l'ultramontanisme,  342-355. 

(4594-1610). 

CHAPITRE  III 

VILLEROY,    MINISTRE   DES   AFFAIRES    ETRANGERES.   —   LA   GUERRE 
D'ESPAGNE   ET  LA  GUERRE   DE  SAVOIE 

(1595-1601). 

I.  Villeroy,  ministre  des  affaires  étrangères.  La  guerre  nationale 
contre  l'Espagne.  Villeroy  à  l'armée,  356-362.  —  IL  Les  négo- 
ciations préliminaires  delà  paixde  Vervins.  Villeroy  «  un  des 
pères  de  la  paix  d'Espagne  ».  La  question  des  alliances  :  Ville- 
roy, les  Anglais,  les  Hollandais.  362-378.  —  11L  L'affaire  du 
marquisat  de  Saluées:  les  négociations  de  mai  1595  à  juillet 
1600,  378-386.  —IV.  La  guerre  de  Savoie.  Villeroy  à  l'armée. 
La  Bresse  ou  Saluées?  Villeroy  conseille  la  restitution.  La  paix 
de  Lyon  (janvier  1601),  386-395.  —  V.  Villeroy  et  les  négocia- 
lions  pour  le  mariage  du  roi,  395-399. 


592  VILLEROY 


CHAPITRE  IV 

VILLEROY    MINISTRE  DES  AFFAIRES  ETRANGERES  (suite). 
LES   AFFAIRES  D'iTALIE. 

I.  La  question  d'Italie  en  1601.  Les  passages.  Villeroy  et  les  Gri. 
sons  (1601-1607),  400-409.  —  II.  La  liberté  italienne.  La  France 
et  les  Etats  indépendants,  409-414. — III.  La  conquête  de  Rome. 
D'Ossat  et  Villeroy.  Villeroy  principal  conseillerde  la  politique 
romaine  d'Henri  IV,  414-428.  — IV.  Le  différend  entre  Paul  V  et 
la  République  de  Venise  (1605-1607).  Villeroy  et  l'arbitrage 
français,  428-435.  —  V.  Villeroy  et  les  préliminaires  du  rap- 
prochement franco-savoyard,  435-441. 


CHAPITRE  V 

VILLEROY,    MINISTRE     DES     AFFAIRES     ETRANGERES     (si/ttc). 
LES    AFFAIRES    DES    PAYS-BAS. 

I.  Villeroy  et  la  guerre  «  en  renard  »  aux  Pays-Bas.  La  question 
des  secours,  442-445.  —  II.  Villeroy  et  «  les  drogues  à  remède  ». 
Solution  pacifique  des  conflits  entre  la  France  et  l'Espagne 
(1601-1604),  445-452.  —  III.  Villeroy  et  les  projets  français 
d'agrandissement  aux  Pays-Bas  jusqu'en  1606,  452-461.  —  IV. 
Les  négociations  pour  la  paix.  Jeannin  en  Hollande  (1607- 
1609).  Villeroy  et  la  question  de  la  trêve,  461-468.  —  V.  Ville- 
roy et  les  négociations  matrimoniales  entre  la  France  et  l'Es- 
pagne (1608),  469-477. 


CHAPITRE   VI 

VILLEROY,   MINISTRE  DES    AFFAIRES     ETRANGERES  (suite    et    fin). 
LES    AFFAIRES    D'ALLEMAGNE.   LA    GUERRE  DÉCLARÉE. 

I.  Les  affaires  germaniques  jusqu'en  1609,478  485.  —  II.  Villeroy 
et  la  succession  de   Clèves.  Les   conseils   pacifiques.  Négocia- 


TABLE    DES    MATIERES  .K)93 

tions  avec  la  Savoie,  avec  l'Espagne,  485-498.  —  III.  La  Tuile 
du  prince  et  de  la  princesse  de  Condé  (novembre  1609).  Efforts 
suprêmes  de  Villeroy  pour  maintenir  la  paix,  498-503.  —  IV. 
La  guerre  imminente.  Efforts  de  Villeroy  pour  la  limiter  et 
pour  la  transporter  en  Italie.  Villeroy  et  l'alliance  franco-sa- 
voyarde, 503-512.  —  V.  Dernières  tentatives  pour  la  paix  favo- 
risées par  Villeroy  (avril-mai  1610),  512. 


CONCLUSION 

I.  Etablissement  de  la  Régence.  Villeroy,  ministre  principal  de 
Marie  de  Médicis.  Ses  idées  sur  le  gouvernement  de  la  minorité, 
517-529.  —  IL  Villeroy  et  les  affaires  «  du  dedans  ».  Les  luttes 
pour  le  maintien  de  son  autorité.  La  pacification  des  troubles 
(1610-1616),  529-543.  -  III.  Villeroy  et  les  affaires  «  du  dehors  >». 
Les  mariages  espagnols.  La  pacification  de  la  chrétienté.  Les 
derniers  mois  et  la  fin  de  Villeroy,  543-556.  —  IV.  Comment 
les  contemporains  et  la  postérité  ont  jugé  Villeroy.  Estime 
générale  pour  le  vieux  serviteur  des  rois  de  France.  Erreurs  sur 
sa  politique,  556-567.  —  V.  Villeroy  bon  bourgeois  et  excellent 
fonctionnaire.  Qualités  et  défauts.  Son  idéal  d'ordre  et  de  paix, 
567-574. 


MJON.    IMP.    DARANTIERE 

Villeroy  38 


ERRATA 


Page  1, 

lire  Hallaincourte/now 

Hallincourt, 

—     18 

—  Alluye 

- 

Allyeu. 

—     33 

—  maigre 

— 

mince. 

—     36 

q.  —  Matthieu 

— 

Mathieu. 

—  100 

—   changé 

— 

chargé. 

—  289 

—   Villeroy 

— 

Yilleroi. 

-  478 

—  Villeroy 

— 

Villeloy. 

—  515 

—  Quillebeuf 

- 

Ouillebœuf. 

-  537 

—  Puisieux 

— 

Puysieux. 

-  539 

—  Puisieux 

— 

Puysieux. 

—  541 

—  Inigo 

— 

Inigo. 

—  543 

—  Puisieux 

— 

Puysieux. 

—  559 

—  invictae 

— 

inviclœ. 

-  563 

—  Lalanne 

— 

Lalaune. 

f. 


Nouaillac,  Joseph 
112      Villeroy 
V75N6 
1909 


3k  A 


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