•^ w V
^'^^^■^-^'^Ê^
MÎ^B
^
•m
ilf^É
^i
m
Q
\
VISITE
V L'EXPOSITION
UNIVERSELLE
DE PARIS, EN 1855
CE VOLUME
A ETE IMPRIMÉ EN UNE JOURÎIEE
PAR CH. LAHURE
IMPI'.IMKm DU SÉNAT ET DE LA COUR DE CASSATION
riiP de Vaugirard, 9, à Pari?
PL«(;£\ER.U, i)ei;k\to
OrfJoe c/'J^.i ZWffOf/ / J!Uiru//jftr^t f,? /é^
lOX UXIMRSELLE DE 1855,
Ijr^ jllmje/fmf'r,j7tA>T7>fZfùiois 6
VISITE
A L'EXPOSITION
UNIVERSELLE
DE PARIS, EN 1855
CONTENANT
<° L'énumération des objets
sur lesquels doit se porter principalement l'attention des visiteurs
•2° L'indication des places où se trouvent ces objets
3" Tous les renseignements nécessaires
relatifs à leur mécanisme, à leur emploi, à leur fabrication
à leur prix, etc.
PUBLIE AVEC LA COLLABORATION DE MÎJ.
AlcaD, professeur au Conservatoire îm- ^ C. Nepveo, entrepreneur de travaux
périal des Arts et Alétiers; < publics;
Baudement, professeur au Conserva- ^ H. Pélîgot, préparateur au Conserva-
toire : j toire ;
Stf>^nîlIoii , bibliothécaire au Conser- ' Proonîer, ingénieur civil ;
vatoire; ^ SîlbernaaDn, conservateur fies eollec-
Delbronck aîné, architecte; ^ lions au Conservatoire;
Deherain, préparateur de chimie au ^ e. Xrélat, professeur au Conservatoire-
Conservatoire; ? architecte ingénieur de la Commission
Fortin Hermann, constructeur d'in- ? impériale;
struments pour les sciences; ^ U. Trélat, dDCteur en médecine ;
J. Gaudry, ingénieur civil; ^ Tresca, sous-directeur du Conservatorn-
Mollnos, ingénieur civil ; 7 impérial des Arts et Métiers : etc.. etc.
SOUS LA DIRECTION DE M. TRESCA
Inspecteur principal de l'Exposition française à Londres, ancien commissaire
du classement à l'Exposition de 1855
PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C
RUE PI ERRE-SARRAZIN, N" 14
1855
Droit, de traduction r-^serve
CENÎER
AVIS.
Les lettres et les chiffres qui servent à indiquer les emplace-
ments occupés par les divers produits , sont ceux qui ont servi au
placement.
Dans l'Annexe, les piliers ont été numérotés de l à 146 à partir
(Je la place de la Concorde , et, dans le sens transversal, les seules
lettres A . B , C , D indiquent les distances à partir du côté du
bord de l'eau.
Dans le Palais principal et les bâtiments de la carrosserie , les
chiffres régnent dans le sens longitudinal , les lettres dans le sens
transversal.
VISITE
A L'EXPOSITION
UNIVERSELLE.
INTRODUCTION HISTORIQUE.
Le public a si souvent été entretenu des défauts que pré-
sentent les locaux affectés à l'Exposition universelle de 1855,
des retards que son ouverture et son achèvement ont éprou-
vés , des ennuis supportés par les exposants , des inconvé-
nients subis par le public faute d'une ventilation suffisante,
qu'il ne sera sans doute pas superflu et qu'il paraîtra peut-
être de toute justice de lui faire connaître , en quelques mots ,
quelles ont été les difficultés , les résistances à vaincre pour
achever les choses au point où elles sont aujourd'hui et pour
expliquer comment, malgré le désir unanime de donner à
cette grande solennité industrielle tout l'éclat possible et
une splendeur digne de la France, la diversité dans les opi-
nions sur son succès probable et l'influence des circonstances
ont exercé sur la marche des préparatifs une action regret-
table.
La Commission impériale, créée par le décret du 24 sep-
tembre 1853 pour diriger et surveiller l'Exposition univer-
206 a
2 VISITE
selle , sous la présidence de son Altesse Impériale le Prince
Napoléon, avait, dès le 29 du môme mois, formé dans son
sein une sous-commission chargée de préparer l'exécution de
cette grande œuvre.
La première et la plus grave des questions qui préoccupè-
rent cette sous-commission présidée par le Prince, fut celle
de l'insuffisance du bâtiment appelé le Palais de l'Industrie,
qui n'offrait, avec ses galeries, qu'une superficie de 45 000
mètres pour réunir les produits de l'industrie du monde en-
tier à une seconde exposition universelle, tandis qu'à la pre-
mière, dans des circonstances peu favorables, 97 000 mètres
carrés avaient à peine suffi. Après plusieurs séances consa-
crées à la discussion de cette grande difficulté et à la recher-
che des moyens de la résoudre, une députation de la sous-
commission , accompagnant son président , alla demander à
l'Empereur la permission de lui exposer les besoins de la si-
tuation. Dans une audience que Sa Majesté voulut bien lui
accorder dans les premiers jours de février 1854^ la sous-
commission exposa qu'une superficie de 105 000 mètres car-
rés était nécessaire et que , si l'on voulait employer le Palais
de l'Industrie à l'exposition universelle, il était de toute
nécessité d'y ajouter de spacieuses annexes. L'Empereur,
Convaincu de l'exactitude de ces appréciations , autorisa la
sous-commission à lui présenter le projet des annexes qu'elle
jugerait nécessaires.
Le 14 février 1854, la sous-commission chargea deux de
ses membres, M. le général Morin et M. Vaudoyer, d'examiner
les projets d'annexés présentés par la Compagnie du Palais de
l'Industrie, et au besoin d'en préparer d'autres. Le 17 février,
un rapport fut lu à la sous-commission à l'appui d'un projet
d'annexés qui portait la surface totale à 90 000 mètres carrés.
L'emplacement appelé le Jeu de Paume était élargi ainsi
que l'avenue qui conduit à l'allée d'Antin, par la suppression
d'une rangée d'arbres de chaque côté ; deux vastes galeries
de 25 mètres y étaient élevées et formaient le prolongement
du bâtiment principal auquel elles auraient servi d'entrée.
Autour de ce bâtiment , des galeries de 20 mètres de largeur
en accroissaient la superficie , et l'on obtenait ainsi un sup-
plément de 50 à 60 000 mètres donnant en tout, avec le
palais principal , 95 à 100 000 mètres carrés. Le reste devait
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 3
être fourni par l'enceinte extérieure dans laquelle on pro-
posait d'enclore une partie du carré Marigny.
Cette construction, exécutée, à l'extérieur, en maçonnerie,
de même apparence que le palais principal , et à l'intérieur
en fonte et en fer , n'était pas estimée à plus de 5 500 000 fr.
Ce projet fut immédiatement soumis à Sa Majesté , et le 21
février 4 854, le prince Napoléon annonçait que 1 Empereur
l'avait approuvé, ainsi que les demandes formulées par la
sous-commission pour son exécution.
Mais le prince Napoléon partit alors pour l'Orient , et ce ne
fut que le 3 mai suivant que la sous-commission apprit de
M. le ministre d'État, qui la présidait en l'absence du Prince,
qu'en raison de la diiticulté de la construction des annexes
qui avaient été proposées, et des circonstances dans lesquel-
les l'Exposition devait avoir lieu , il avait été décidé qu'on se
contenterait du local existant pour les produits des manufac-
tures et que, pour les machines et les instruments d'agricul-
ture, on pourrait avoir recours, si cela était nécessaire , à
des constructions temporaires.
Des idées bien difïérentes de celles qu'avait exprimées la com-
mission dominaient; et, comme on le voit, au lieu d'une expo-
sition splendide, plus riche que celle de Londres, on pouvait
craindre de n'obtenir qu'une exposition restreinte, influencée
par les circonstances de la guerre. La commission persista dans
son opinion précédente, et réclama vivement contre cette res-
triction qu'elle regardait comme fatale ; mais. elle ne put faire
revenir sur le projet qui réunissait l'Exposition entière dans un
local unique, et ce ne fut que le 23 juin suivant qu'elle apprit
qu'un traité, pour lequel elle n'avait pas été consultée, avait
été passé avec la compagnie du Palais de l'Industrie pour la
construction d'une annexe de 4 200 mètres de longueur sur
25 mètres de large, destinée à fournir, sur le quai de la Con-
férence, un complément de surface de 30 000 mètres.
Après plusieurs observations, la sous-commission demanda
qu'au moins cette annexe fût reliée au palais prmcipal par une
ou plusieurs galeries transversales, et elle chargea M. le général
Morin et M. Vaudoyer de préparer des études en ce sens.
Le projet qui fut présenté quelques jours après et qui reçut
l'approbation de la sous-commission, se rapprochait beaucoup
de la disposition actuelle.
4 VISITE
Dans ceprojet,leJeudePaume était couvert par une galerie,
qui, prolongée jusqu'auprès du quai delà Conférence, venait,
par l'effet de l'obliquité forcée des lignes, s'approcher de très-
près de l'extrémité de l'annexe, ce qui permettait de donner
à ces deux bâtiments une façade monumentale et de leur
ménager une entrée commune près du pont de la Concorde.
On avait aussi proposé d'occuper le panorama, de l'entourer
de galeries circulaires et de le prendre pour centre d'une ga-
lerie de jonction avec l'Annexe; mais à ce moment on regarda
comme impraticable l'expropriation prononcée depuis, et il
fallut se borner à utiliser deux allées existantes pour les
transformer en galeries couvertes de jonction , entre le Palais
et TAnnexe.
Ce projet, qui avait du moins le mérite de former, de l'Expo -
sition , un ensemble unique et de lui donner encore un assez
grand caractère, fut approuvé par la sous-commission, mais
il ne put obtenir la sanction de M. le ministre d'État, et dès
lors il fallut se résigner à organiser le mieux possible l'Expo-
sition dans deux bâtiments n'offrant ensemble qu'une super-
ficie disponible de 70 000 mètres carrés, auxquels cependant
un étage de galeries établies dans la moitié seulement de
l'Annexe, ajouta environ 8400- mètres, ce qui formait un
total de 78 400 mètres carrés.
La préparation des règlements généraux, et les détails de
la correspondance avaient été, par le décret d'institution, con-
fiés à M. Arles Dufour età M. Thibaudeau que leurs profondes
connaissances des nécessités d'une grande entreprise appe-
laient naturellement aux fonctions de secrétaires généraux.
La classification des produits fut confiée à une commission
qui en arrêta les bases , à la suite de nombreuses séances
auxquelles assistèrent MM.Morin, Leplay, Rondot, de Chan-
courtois, Focillon et moi ; chacun de nous se chargea de la
rédaction des classes qui étaient le plus en rapport avec ses
aptitudes personnelles.
Sous la direction de M. le général Morin , je préparai les
différents projets de répartition entre les puissances étrangères
et la France.
Les termes du premier projet donneront une idée complète
de l'esprit qui présidait dès lors aux préparatifs de l'Exposi-
tion :
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 5
Projet de répartition pour l'Exposition de 18i>5.
« Les espaces occupés par les différentes nations à Londres
ont servi de base à ce projet, si ce n'est en ce qui concerne la
France et TAngleterre.
« Pour la France, on s'est reporté aux expositions quin-
quennales, qui ont fourni les indications suivantes :
Expositions ,,p,3,,,,, 3,,f,,, ,,,,„. ^J^^,,^
1834 2447 l4 288'"-<= 6,84"»-<=
1839 3381 16 600 4,94
1844 3960 17 760 4,49
1849 4532 27 040 5,96
« Les circonstances fâcheuses au milieu desquelles l'Exposi-
tion de 1849 a dû se produire ne permettent pas de supposer
qu'il y ait moins de 5000 exposants français en 1855. Les
chiffres précédents indiquent qu'il faut compter pour chacun
d'eux un espace de 6 mètres carrés, passages compris, puis-
que cet espace était de 5'", 96 à l'exposition de 4849, bien
qu'aucune machine n'y lût mise en mouvement.
a L'exposition de Londres confirme d'ailleurs ce chiffre :
l'espace moyen par exposant y était de 6"^27 , et pour la
France, seulement, de 6"%51.
« On a donc pensé qu'il y avait lieu de compter, au mini-
mum, 5000 exposants français, à raison de 6 mètres pour
chacun, représentant par conséquent un espace de 30 000 mè-
tres carrés.
a L'espace alloué à l'Angleterre a été déterminé par d'autres
considérations. Les commissaires anglais qui ont été récem-
ment envoyés à Paris ont déclaré que, pour qu'ils puissent
s'occuper avec succès de l'exposition de 1855 , il était néces-
saire qu'une surface en tables, de 40 000 pieds leur fût assu-
rée, soit environ 4000 mètres carrés, sans compter celle qui
serait occupée par les machines de chemins de fer et les appa-
reils d'agriculture. A Londres , l'espace total était de 2,80 fois
aussi grand que l'espace occupé par les objets exposés, en telle
sorte que , sur les mêmes bases ' , la surface demandée par
4 . Il y a lieu de croire que la disposition du palais des Cliarapg-
6 VISITE
les commissaires anglais serait 4000 x 2, 80 = 11 200 mè-
tres carrés, soit 12 000 en tenant compte du matériel des che-
mins de fer et des machines agricoles.
« Cette demande, d'ailleurs, n'a rien d'exagéré, puisque la
France occupait à Londres M 144 mètres, c'est-à-dire une
surface équivalente. Cette surface de 12 000 mètres ne re-
présenterait encore que 1738 exposants, si l'espace de 6™, 39
occupé par chaque exposant anglais à Londres était reconnu
nécessaire.
« L'Angleterre comptera donc, au minimum, pour 1750 ex-
posants, occupant un espace total de 12 000 mètres carrés.
(( Au point de vue de l'exposition de 1 855, comme à celui de
l'exposition de 1851, l'Angleterre et la France sont dans une
position tout exceptionnelle, qui motive suffisamment le mode
exceptionnel de répartition dont les bases viennent d'être in-
diquées.
« Les autres pays , au contraire, se trouvent dans une posi-
tion presque identique par rapport aux deux expositions.
L'espace occupé par eux à Londres paraît devoir leur être in-
dispensable à Paris ; il conviendra même d'allouer une surface
un peu plus grande à nos voisins immédiats qui, comme la
Belgique et la Suisse, ont des industries similaires aux nôtres,
ou qui, comme la Sardaigne et l'Espagne, ont plus de facilités
pour nous adresser leurs produits.
« La Suède et le Danemark, qui, par des circonstances im-
prévues, n'ont pu paraître à Londres qu'avec très-peu de
produits, devront disposer d'une surface plus en rapport avec
l'importance de leur industrie.
« Si, d'un autre côté, l'on remarque que les États-Unis n'a-
vaient qu'imparfaitement utilisé la surface de 4120 mètres
qu'ils occupaient à Londres, et qu'à New-York même leurs
produits ne comprenaient qu'une surface presque égale, de
4500 mètres , on ne s'étonnera plus que cette grande nation
n'ait été comprise dans la répartition actuelle que pour
3000 mètres seulement.
« La même observation est applicable à la Russie, qui a été
Élysées ne pormeUra pas d'utiliser aussi bien la surface totale, et que
les passaijes devront occuper plus des deux tiers de cette surface.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 7
comptée pour 1000 mètres carrés : mais l'on sent toute l'in-
certitude de ce chiffre au milieu des circonstances actuelles.
« Il est vrai que le projet ne comprend que les États ayant
réellement figuré à l'exposition de Londres : plusieurs qui s'y
étaient fait inscrire, tels que le royaume de Naples, l'Arabie
et le Maroc, n'y ont cependant envoyé aucun produit ; il est
permis d'espérer, d'ailleurs, que beaucoup d'autres , parmi
lesquels les grands États de l'Amérique, prendront part à
l'exposition de 1855, bien qu'ils n'aient été aucunement re-
présentés à celle de 1851. Mais, en l'absence de bases certai-
nes sur lesquelles il serait possible d'établir, quant à présent,
leurs parts dans la superficie totale, on doit certainement ad-
mettre que les envois de ces contrées établiront une compen-
sation surabondante par rapport à la surface éventuellement
dévolue à la Russie ; en portant à 70 000 mètres carrés la su-
perficie totale, on réserverait ainsi de 1500 à 2500 mètres
pour être distribués au fur et à mesure des demandes qui par-
viendraient à la Commission delà part des États non désignés
dans la répartition actuelle.
« Telles sont les considérations d'après lesquelles a été pré-
paré le tableau suivant, dans lequel les chiffres ont été, d'ail-
leurs, fractionnés en nombres ronds, de manière à allouer le
même espace aux différents pays qui avaient figuré, pour des
surfaces à peu près égales, à l'exposition de Londres.
VISITE
-01 oioyjadns
BI B IJOddBJ JBd
K3ai
e< — — — osooooooo o oooo cooo
©osoooooooooo © *»o~ —
oô = ô 2
•91B1
g -01 9pgj9dtis-
o N-Bqo
H -00 9
. JBd gdnrt
90Bds'aj 9p
IHOddVd
o>-«©v?'r-r<-^cooo^'^»ftiftmm
(Mt-OtOirt-.-?<OSOO©OC
©©©©©©©©©©©©©©© © ©©©©
«n Jî c* (N _ — —
©©©©aoc©
© © © © © © ©
© © ©
© i-'t -o © ■
© ® o © © ©
© © © © © ©
•saoïdaoxa
9JJ9191^UV,l 19
gouBJj Bi 'd\-ei
-01 giop.iadns
B[ B IJuddBJ JBd
K3QI
©^(?o— — r<— — r«
CM — — —
© ©
© ©
30 ©
© ©
•9|B1
-01 9iogj9dns
B[ E uoiiBu gnb
-B[|0 aBd 9diio
-DO 90BdS9J 9p
XMOddva
in © m ©
n iM
o ©
co © ^
© © <
— < •<? -^ ir; co
© ©
O ©
© ©
O ©
© ©
© ©
© ©
© ©
O o
© o
1
©
©
5
i
^
00
©
©
©
l-
•^
M
-T
-n
— ' -^ © OO I
C< M eo c<î I
t- to r* e<
>«••>»• -«p e< s
|_5 ^.H.=
£ c'a = ~ -
fc, ■< t»j <; c: ■>
•2-ï52«H
Sip.i|.i^fo|
-a
»■■: =i2 Ï<-S
'S S 55 S :S 2 £ £ ■
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 9
« Ces chiffres établissent en faveur de chacun des pays qui
y sont dénommés une part plus considérable que celle qui leur
était dévolue à Londres ; mais, pour exercer envers eux une
telle libéralité, la France seule se trouvera forcée de se res-
treindre aux proportions des dernières expositions nationales.
Il suffira d'ailleurs de jeter les yeux sur ce tableau pour re-
connaître la nécessité d'obtenir une superficie minimum de
70 000 mètres carrés, sans laquelle il serait impossible d'assu-
rer à chaque nation un espace proportionné à ses besoins, j)
En acceptant les bases de cette répartition , sauf quelques
modifications de détail, la commission impériale admettait
qu'un espace supplémentaire de 25 000 mètres serait obtenu
par des annexes, et quelques jours plus tard elle acceptait,
avec le projet suivant, le chiffre de 80 000 mètres qui servit
de base aux allocations officielles transmises le 1 2 et le 1 8 août
à M. le ministre des affaires étrangères. Voici ce projet ;
« Les nouvelles dispositions prises pour les annexes du palais
de l'Industrie exigent une répartition par pays, en détermi-
nant dès à présent les produits qui, suivant leur nature,
doivent prendre place dans chacun des deux bâtiments.
« En distribuant parmi les vingt-sept classes françaises les
produits qui ont concouru à l'exposition de iSol, on arrive-
rait aux résultats suivants , pour l'espace occupé par chacun
des sept groupes de la classification adoptée par la Commission
impériale.
Espace occupé à Londres Proportions par rapport à l'espace
par total occupé par k-s produits
les produits dé chaque groupe. de l'industrie.
1" groupe 4433 0,133 \
2"^ groupe 7365 0,222 [0436
3* groupe 2658 0,081 )
4« groupe 3030 0,092 ^
5« groupe 4699 0,143 f ,^,
6^ groupe 5336 0,162 T'^'^^
7« groupe 5584 0,167/
« On voit, d'après cette énunnération, qu'il serait convenable
de placer dans le bâtiment principal les quatre dernières
classes, et de réserver pour l'Annexe les produits des trois
premières.
« La surface disponible du bâtiment principal étantde 45000
iO VISITE
mètres, il en résulterait que celle de l'Annexe devrait être de
(45,000 ^Ifl =) 35,000 mètres, ce qui est à peu près la
surface du bâtiment projeté sur le quai de la Conférence.
« La surface totale serait alors de 80 000 mètres, c'est-à-dire
de iO 000 mètres de plus que dans le précédent projet de ré-
partition.
« De ces 10 000 mètres, 5000 devraient être réservés à la
France par suite des demandes nombreuses qui sont déjà si-
gnalées pour les machines en mouvement ; on pourrait, pour la
même raison , augmenter de 3 000 mètres l'espace réservé à
l'Angleterre, tout en accordant aux autres pays, et particu-
lièrement au Zollwerein, à l'Autriche et à la Belgique, des
augmentations proportionnelles, ce qui conduirait aux chiffres
suivants :
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE.
1!
© o o «o «o !» I
—————©
O M (W
■« O ©
o © ©
© ©o
ji
-a)
O
5
o
o
o
-J
ce
— — © © c
(M ©
— ©
== © 5
©©©©©©©©©©©©©©©©©©
o ©
©o©©©©©©©©©©©©©©©©©©©©
©©©©©©©©©©©©©©©©CO'-'î©»n©
©©i.-u-jocO!Oic<o>rt'fi'n«r:<r5ir:---r>c-<co«~ — — — s
© ©
© O
© ©
T3 aj cJ . -
- I S Te
iJ — ci
5 = = ^ te
5 « 33 to ai
'Sil5'=.3î5?c^oc'"'^-='-='^
) U3 rj;
.-ti = o = ^ ^ *^ i-
•y: ic ;- r- cj -a -a C
n - VISITE
a Ces chiffres seraient dignes de la France, puisqu'ils éta-
blissent, en faveur de tous les pays, une surface plus grande
que celle qu'ils occupaient respectivement, à Londres. Il n'y
a d'exception à cet égard que pour les États-Unis et la
Chine. »
Les détails historiques que nous avons donnés relative-
ment à la réalisation de ces 80,000 mètres montrent qu'outre
la perte de temps que des discussions souvent stériles en-
traînaient, le service exécutif de l'Exposition avait à résoudre
un problème devenu d'autant plus difficile par la réduction
de l'espace mis à sa disposition, que d'une autre part et à
l'inverse, on avait, par tous les moyens de la publicité et de
l'action gouvernementale , provoqué tous les industriels du
monde à se présenter à ce grand concours.
L'organisation du service intérieur de l'Exposition éprou-
vait aussi des modifications et des incertitudes, et ce ne fut
que le 31 octobre 1854, que le commissariat général fut défi-
nitivement constitué par la nomination de M. le général
Morin, qui avait agi jusqu'alors comme président du comité
exécutif, et qui fut investi, comme commissaire général, de
tous les pouvoirs nécessaires. A partir de la même époque,
les fonctions de commissaiie du bâtiment appartinrent à
M. Vaudoyer. Le service général du classement m'avait été
confié dans les premiers jours de juin. En même temps ,
M. Natalis Rondot avait été nommé commissaire du cata-
logue, et M. Trélat architecte-ingénieur de la Commission
impériale.
Les chiffres étant arrêtés , il appartenait au service d'exé-
cution de désigner les emplacements eux-mêmes. Nous avions
un instant pensé à réunir ensemble les produits d'une même
classe à quelque nationalité qu'ils appartinssent , mais il eût
fallu à l'avance , pour mettre ce projet à exécution , connaître
l'importance des produits de chaque classe, et pour la France
et pour chacun des pays étrangers. Nous ne pouvions espé-
rer que ces renseignements nous parviendraient en temps
convenable, et dès lors nous avons dû nous borner à assigner
des emplacements à l'ensemble de l'exposition de chaque con-
trée. Mais combien de considérations durent influencer la dé-
cision. Nous ne pouvions placer les pays étrangers dans l'An-
nexe : ils se seraient plaints d'être relégués loin de l'exposi-
R\L\1S
rAf. /,/•//«/•,/ / /jo,„</.„'-/,- /? /-'if,.
ÈieAe/ïe
XCIPAL.
pour meiTc'
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 13
tion principale ; nous ne pouvions y placer exclusivement la
France , la surface eût été trop petite , et nous pensions dès
lors que c'eût été prendre pour nous le local le plus conve-
nable et le mieux approprié à une exposition de l'Industrie.
Le mieux était de partager les deux bâtiments entre tous les
intéressés. On a vu plus haut sur quelles bases il a été possible
d'indiquer à l'avance, dans l'ordre de la classification adop-
tée , les produits qui pourraient trouver place dans l'un et
dans l'autre bâtiment ; on a naturellement réservé le palais
principal pour les objets manufacturés , dont l'ornementation
et les formes gracieuses se prêteraient mieux à un grand effet
d'ensemble, et l'on a consacré plus particulièrement l'An-
nexe aux produits naturels et aux machines. Celle division ,
moins philosophique que le mélange de tous les produits simi-
laires , porte avec elle un caractère important qu'une autre
solution n'eût pas offerte : d'une part, toutes les richesses
du sol, classées géographiquement ; d'autre part, les produits
de l'industrie , offrant une plus facile comparaison. La néces-
sité de fournir de l'eau et de la vapeur aux machines, en for-
çant à réunir en un même point ces grands instruments du
travail , venait encore compléter cette division rationnelle.
Chaque pays eut donc dans le palais principal une part
calculée sur les 47 pour 100 de son allocation totale : il
trouva dans l'Annexe le surplus, soit dans la section des
machines jusqu'à concurrence de ses besoins, soit pour tout
ce qui ne sera pas de cette nature dans la section des pro-
duits.
Il était dès lors possible de partager le palais principal,
mais, il fallait avant tout arrêter un plan général de circula-
tion que la disposition des lieux rendait difficile, alors surtout
que le premier devoir consistait à ne perdre aucun espace. C'est
à cette époque que nous visitâmes le Palais en détail, et que
nous reconnûmes l'absolue nécessité d'éclairer la partie du
rez-de-chaussée située au-dessous des galeries , de manière à
pouvoir au besoin négliger les ouvertures vitrées sur les
Champs-Elysées, pour trouver des surfaces verticales. Ce ne
fut pas sans quelque résistance que nous fîmes adopter le
principe des ouvertures nombreuses, dès lors pratiquées dans
le plancher, et sans lesquelles le rez-de-chaussée, trop obscur
encore malgré l'abatage de quelques arbres, n'eût pu être
14 VISITE
utilisé. Mais ces ouvertures nous enlevaient encore une par-
tie de cette place que nous devions ménager à tout prix , et
l'étude des dispositions intérieures devenait par ce fait plus
difficile.
C'est alors que fut adopté le projet de distribution générale
dont la suite des événements s'est chargée d'indiquer les avan-
tages , et qu'il nous a fallu poursuivre au milieu de toutes les
critiques. Nous eussions sans doute préféré ménager au mi-
lieu de cette nef quelques grands effets, nous eussions volon-
tiers évité ces salles intérieures qui la rétrécissent , si les né-
cessités de la situation n'avaient commandé de tout utiliser.
Un mètre perdu, c'était un exposant de moins: le choix
n'était pas difficile,
Telle est l'origine de notre grande ligne de vitrines-tro-
phées, que Ton a voulu depuis lors qualifier du nom de vi-
trines d'honneur ; en nous permettant d'utiliser mieux l'es-
pace, elles avaient d'ailleurs l'avantage de déguiser le vice
principal de la construction , cette grande voûte qui vient
jusqu'à terre et qui faisait ressembler le Palais à un vaste
hangar. Les vitrines-trophées, en limitant la vue, forment
comme les pieds droits de cette voiàte, et lui rendent la pro-
portion qui lui manquait.
Obligés d'arrêter les dispositions générales en l'absence de
tous renseignements, nous fixâmes d'une manière invariable
les massifs des tables à deux mètres de largeur , nous propo-
sant d'utiliser ensuite cette dimension en fractions exactes de
un mètre et de cinquante centimètres, suivant la nature des
produits. L'exposition de Londres nous avait appris que, pour
tous les objets manufacturés , la profondeur de un mètre est
la meilleure.
Cest aussi dans ce mémorable précédent que nous avons
puisé le désir de voir apparaître les produits similaires par
vastes assortiments, avec installation commune. Les vitrines
ont été , je ne crains pas de le dire , une de mes grandes
préoccupations , et tout en reconnaissant qu'une partie des
retards éprouvés sont dus à ma persistance à cet égard ,
lorsque je me dégage de toute considération personnelle , je
me félicite encore aujourd'hui d'avoir soutenu cette thèse at-
taquée de toutes parts. Les vitrines collectives sont pour
beaucoup dans le grandiose des installations, je dirai même
RiLMS
Pland
LU [J :ESPAHipoTd;.\L;Lll □
ÎM . srissE »
□ :
SUEDE HTf01lYF.&Ei,
□ □
AUTHICHE
□ □
□ i
BEL 01 or E-
Zû /V IS
CvfJu^ <■/<>': /LrA,„f/ ,. /i»no/>rr,-fr /.' /Vv./-.
fù-h.-lh'
lit i3 IX a
] □
^- C E
1 □
'9 } 7 ^ ^ l %
□ □ a □
TOSC,\^'E
GRE CEI
THIXE
TITRQUTE
.-^-H
T r }c I
£Gp|
TE
............... i . A
p.x,/^
□ □ □
A :>; (; L E terre
□ □ □
V ." ••' t i i i
D D
\ i n
it) > j.> li i3
□ n
'> fH>tfrnu-ir i-
/ni/j fii7<r/prt<f /• tntmnf li'ttioi.f f)
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 15
dans la variété des aspects, chaque industrie s'étant groupée
sous une forme particulière. Une circulaire spéciale prescrivit
aux exposants des profondeurs et des hauteurs réglemen-
taires.
Ce n'était pas tout que d'avoir décidé en principe que tous
les pays seraient représentés dans le palais principal , il fal-
lait encore indiquer à chacun sa place ; de nouvelles diffi-
cultés nous attendaient. Les galeries supérieures étaient évi-
demment celles qui se prêtaient le mieux à une exposition,
mais il était impossible de les donner à tout le monde;
chacun d'ailleurs, si petit qu'il fût, tiendrait à faire briller
son drapeau sur la nef ; la justice voulait que Ton fît un sa-
crifice à ceux qui devaient envoyer un moins grand nombre
de produits. Ces considérations et d'autres encore conduisirent
à ne placer sur le sol que les grandes nations qui se trouve-
raient ainsi moins favorisées au premier étage. L'Angleterre,
les États-Unis, la Belgique, l'Autriche, le Zollwerein furent
seuls avec la France à occuper le rez-de-cliaussée ; chaque
pays occupa dans la galerie l'emplacement situé au-dessus de
celui qu'il occupait sur le sol ; toutes les autres contrées fu-
rent distribuées au premier étage , aux dépens surtout de la
place que la France aurait dû proportionnellement y conser-
ver. Sous ce rapport , la Confédération suisse est en quelque
sorte la plus favorisée ; c'est elle qui a, dans la répartition, la
plus grande part, après les pays déjà cités , et toute son ex-
position du Palais est dans la galerie supérieure. Pour satis-
faire d'ailleurs à cette condition de donner à tous vue sur la
nef, l'Exposition française abandonna son terrain le meil-
leur à la Sardaigne et aux États pontificaux à l'est, à l'ouest
à l'Espagne et au Portugal.
La Suède, la Norvège, le Danemark et la Hollande d'une
part, la Toscane et les pays orientaux de l'autre, occupèrent
les deux galeries transversales.
t)"^
Répartition de l'espace alloué à la France.
Les chiffres qui précèdent indiquent comment nous avons
pu échapper, par l'étude des faits antérieurs, aux incertitudes
de toute nature qui pesaient sur les préparatifs de l'Exposi r
J6 VISITE
tion. Examinons maintenant ce qui, dans les travaux du clas-
sement, regarde plus particulièrement la France. Par les soins
ducommissariatgénéral, 199 comités départementaux avaient
été constitués en France avec mission de provoquer dans leurs
circonscriptions respectives l'adhésion des industriels, et
pour les engager à paraître dignement au grand concours.
Dans les premiers jours d'octobre, la plupart des 'comités
avaient adressé Tindication sommaire des espaces demandés
sur les listes d'inscription, et l'état récapitulatif de ces de-
mandes, établi avec grand soin dans les bureaux du secrétariat,
fut envoyé à M. le commissaire général. Dès lors on put voir
dans quelle situation fâcheuse le manque d'espace plaçait la
commission impériale ; les demandes avaient dépassé les espé-
rances les plus exagérées, ainsi qu'on peut s'en convaincre par
le rapport suivant qui porte la date du 11 octobre 1854, et
qui émane plus particulièrement du service du classement ;
le même esprit de déférence envers les gouvernements étran-
gers se remarque dans toutes les pièces officielles émanant de
la commission impériale.
« J'ai pris connaissance des états récapitulatifs des différents
comités des départements, et du relevé général qui en a été
fait par les soins du secrétariat, afin de préparer, suivant
votre désir, un projet de répartition de l'espace réservé à la
France, entre les différentes localités.
«. Voici les bases sur lesquelles ce projet de répartition me
paraît devoir être établi.
« Parmi les renseignements fournis par les comités, il en est
deux auxquels il ne m'a pas semblé possible d'accorder la moin-
dre confiance : la profondeur moyenne n'est pas un élément
qui puisse servir de base à une évaluation simple, et d'ail-
leurs elle a été faussement évaluée dans la plupart des dé-
partements, le comité de la Seine, seul, ayant nettement in-
diqué qu'il préférait ne donner aucune évaluation pour la
profondeur moyenne. Quant aux questions que soulève la.
hauteur, elles se trouvent suffisamment éclairées par les in-
structions récemment données aux comités relativement aux
vitrines, en ce qui concerne les objets de petite dimension;
et il est inutile d'observer que les grands objets ne sauraient
être soumis à aucune réglementation.
« La longueur des façades des expositions est dès lors le seul
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 17
document sur lequel un projet de répartition puisse être con-
venablement basé. En additionnant les chiffres des 1 99 comités
français, on arrive à une longueur totale de 28 kilomètres,
sans y comprendre les dix comités suivants qui n'ont pas en-
core adressé leurs bulletins au secrétariat : ce sont les comités
de Rodez, Rochefort, Calvi, Valence, Pont-Audemer, Cher-
bourg, Bar-le-Duc, Montreuil, Rouen et Mirecourt.
« En l'absence de renseignerçients positifs émanant de ces
comités, il m'a paru convenable de leur assigner un espace
moyen, égal à la moyenne des demandes des autres comités,
celui de la Seine excepté : la longueur totale en façade se
trouve ainsi portée à 29 kilomètres ; c'est d'après ce chiffre
total que j'ai pu fixer la proportion des réductions à opérer.
« Le plan général des distributions dans le bâtiment princi-
pal étant maintenant complet, j'ai pu calculer la longueur de
façade que l'exposition française y pourra trouver ; cette
longueur est de 5 kilomètres, à quelques mètres près; et, d'a-
près cette mesure, j'estime que l'Annexe présentera seulement
4 kilomètres de façade : en tout 9 kilomètres. Prise dans son
ensemble, la longueur en façade doit donc être réduite dans
la proportion de 9 à 29, c'est-à-dire à 31 pour iOO.
« Resterait à savoir s'il convient de faire porter cette réduc-
tion d'une manière uniforme sur tous les espaces demandés
par les différents comités, ou si une étude spéciale des be-
soins de chacun doit faire prévaloir le système d'une réduc-
tion variable.
« Le premier mode offre sans contredit l'avantage d'une
grande simplicité, et ne laisse prise à aucune réclamation ;
l'autre, au contraire, est d'une application difficile, et ne
saurait, il faut bien le dire, être appliqué en toute connais-
sance de cause.
« A première vue, il aurait été naturel de penser que, l'expo-
sition de 1 855 étant la première en France qui fît appel à cer-
tains produits, aux produits naturels particulièrement, il con-
viendrait de traiter plus favorablement la province au préjudice
de la capitale, qui compte dans son sein une foule de petites
industries, très-intéressantes sans doute, mais qui n'ont été
jusqu'ici acceptées dans les expositions précédentes qu'avec
une certaine réserve.
« L'examen plus attentif des chiffres nous a démontré que ce
206 b
18 VISITE
qu'il était juste de faire en faveur des produits naturels s'était
fait tout naturellement sans qu'il soit nécessaire de leur venir
en aide.
a: A l'exposition de 1 849, le département de la Seine comptait
61 exposants sur 100, les départements 39.
« Pour 1 835, le chiffre des demandes pour Paris n'est que de
48 pour 100, le chiffre des départements s'élevant ainsi de 39
à 52.
« Il nous a semblé dès lors que la réduction devait être opé-
rée entre les comités au prorata des demandes, et qu'ainsi il
y avait convenance à vous proposer d'allouer à chaque co-
mité un espace représenté par une façade égale aux 31 cen-
tièmes de la façade demandée par chacun d'eux.
ï S'il était nécessaire de fixer en mètres carrés la surface
mise à la disposition de chaque comité, il suffirait de multi-
plier par 1 met. 20 cent, cette façade, ce chiffre étant la me-
sure de la profondeur moyenne présentée par les emplace-
ments réservés à l'installation des produits dans le bâtiment
principal. L'espace en mètres carrés serait donc, pour chaque
comité, représenté par 37 centièmes du chiffre de la demande
en façade, avec instruction, quant aux profondeurs, d'avoir
égard aux prescriptions indiquées dans la circulaire pour les
vitrines.
« Il sera sans doute préférable de faire porter la réduction
sur le nombre des exposants, laissant ainsi à chaque exposi-
tion individuelle les éléments nécessaires pour qu'elle soit
aussi complète que possible.
« On peut déjà indiquer, à titre de renseignement, quel sera
le nombre approximatif des exposants français. Le chiffre des
inscriptions est de 12 795 exposants ; il s'élèvera, lorsque les
renseignements seront complets, à plus de 13 000, et cepen-
dant il importe que ce nombre soit réduit à un maximum de
6000.
« Les statistiques des précédentes expositions portent, y
compris les passages , l'espace occupé en moyenne par chaque
exposant à plus de six mètres carrés (6 mètres 30 à l'expo-
sition de 1849, 6 mètres 50 à l'exposition universelle de
1851). Cette évaluation par exposant en porterait le nombre,
pour les 35 000 mètres carrés réservés à la France, à 35000 di-
visé par 6 ou 5833, soit à 44 pour 100 des demandes inscrites.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 19
« Si ces bases sont admises, il en résulterait donc que le pro-
jet définitif de répartition auquel elles conduiront forcément
réduira à 31 pour 100 la longueur totale en façade demandée
pour les divers comités français, et que le nombre des expo-
sants se trouvera réduit, par la force même des choses, aux
44 centièmes des demandes inscrites.
« La France sera donc traitée plus sévèrement encore que
les pays étrangers à l'exposition universelle de 1855. »
Porté par M. le commissaire général à la sanction de la
sous-commission, le lendemain, ce rapport fut approuvé quant
au principe de la répartition , mais en laissant à chaque co-
mité le soin de répartir entre le nombre d'exposants qui lui
paraîtrait le plus convenable l'espace mis à sa disposition.
Il est peut-être intéressant de connaître les résidences des
comités français et l'espace alloué à chacun d'eux : on a joint à
ces renseignements les dates de l'arrivée des bulletins des-
tinés à faire connaître définitivement le nombre des exposants
et l'espace attribué par comité.
20
VISITE
TABLEAU
DE LA RÉPARTITION ENTRE LES COMITÉS FRANÇAIS
DE l'espace réservé A LA FRANCE.
3'rà.
a S
DÉPARTEMENTS.
AS..,
AISNF.
ALLIEU
ALPES (basses-).
ALPES (HAUTES-)
AP.DECUE
ARDENNES.
AUBE
AUDE. . . .
AVE-ÏRON
BOUCHES-DU-RHÔSE.
CALVADOS
COMITÉS.
Boorg
Beliey
Gex
Nantua
Trévoux
Laon
Sainl-Quenlin.
Vervins
Moulins
Moiilluçon ....
Dignes
Gap o..
Privas
Annonay
Largeniière. ..
Mézières
Sedan
Relhel
Uocroi
Vouziers
Poix
Pamicrs
Saint-Girons. .
Troyes
Carcassonne...
Casielnaudary.
Limoux
Narbonne
Rodez
Espalion
Milhau
Sainl-Affrique.
Viliefranche...
Marseille
Caen
1
3
123
41
c
^ .
.2 «""
9.-2
Q.- =
H =
a 9. O
< s
s;
►J a.
«
<
Q-O
T5
1 50
iSfév.
1 «
3fév.
d »
i2déc.
6 50
6d€C.
2 »
5déc.
35 »
6déc.
75 »
lOjanv
20 »
7 mars 1
20 "
l4janv
18 "
•23 mars
30 »
I5déc.
15 »
■26 déc.
12 >•
9 déc
18 P.
1 déc.
2 »
1 déc.
10 »
1 0 mars
48 P.
7fév.
30 >'
1 déc.
12 >'
9 déc.
4 »
9 déc.
4 »
iodée.
3 »
6 déc.
1 »
i6janv
65 «
4janv
35 >>
9 déc.
6 >>
1 mars
10 »
22fév.
2 »
5 déc.
5 »
7avril
3 »
20janv
8 50
5 déc.
» 50
i8fév.
8 ..
18 mars
100 »
1 mars
43 »
9 déc.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE.
21
DÉPARTEMENTS.
CALVADOS (Suite)....
CANTAL.
CHARENTE
CHAIŒNTE-IÎJFÉRIEURE
CHER
CORRÈZE
CORSE
côte-d'or
CÔTES-DU-NORD
CREUSE
DORDOGNE . .
DOLBS
DUÔME
EURE
EURE-ET-LOIR
FIMSTERRE...
GARD ,
GARONNE (HAUTE-).
COMITÉS.
Baveux
Falaise
Lisieux
l'ont-rÉvè(]ue . ..
Vire
Aurillac
Anguulênie
La Uochelle
Kochefort
St-Jean-d'Angely
Bourges
Tulle
Ajaccio
Bastia
Calvi
Corte
Sarteiie
Dijon
Beaune
Cbàtillon-s. -Seine
Semur
Saint-Brieuc. ..
Quiritin
Loudeac
Dinan
Guimgamp
I.annion
nueret
Périgueux
Besançon
Valence
Saint-Dié
Nyons
Montélimart. .. .
Andelys
Bernay
Évreux
I.ouviers
Pontaiidemer.. .
Cliartres
Quiniper
Mnies
Mais
Uzès
Vigan
Toulouse
"5
a. s
S 3
O M
Z a.
1
3^
S
12
10 p.
8
5 »
20
20 >'
12
10 »
110
65 »
10
6 >.
37
25 X
5
4 »
8
3 »
6
8 »
16
20 »
10
6 »
17
14 »
19
10 »
»
M »
3
1 »
>.
1 »
68
30 «
25
20 >>
21
35 ..
16
15 »
6
10 «
It
2 .>
ICI
56 »
5
8 >.
7
10 »
8
4 >>
32
90 >'
20
25 »
82
60 y
»
i> )>
8
6 »
5
3 »
25
15 >>
21
12 ..
6
3 »
19
20 »
16
40 ..
8
9 »
40
40 »
40
25 »
»
110 «
»
18 »
8
5 «
16
15 ).
41
40 »
22
VISITE
o s
c
O "
100
101
102
103
104
105
106
107
108
109
110
111
112
113
114
115
116
117
118
119
120
121
122
J'23
124
125
12(>
DÉPARTEMENTS.
GF.RS
GinONDE . .
HÉRAl'LT
ILLE-ET-VILAINE
INOP.E
INDRE-ET-LOIRE, .
ISÈRE
JURA
LANDES
LOIR-ET-CHER....
LOIRE
LOIRE (HAUTE-). ..
LOIRE-INFÉRIEURE.
LOIRET
LOT
LOT-ET-GARONNE..
LOZÈRE
MAINÈ-ET-LOlRE...
MANCHE
COMITÉS.
Auch
Bordeaux
Montpellier
Béziers
Lodèvc
Saint-Pons
Hennés
Saint-Malo ......
Fougères
Viti é
Hedon
Montt'ort
Chàteauroux . ...
Tours
Grenoble
Vienne
La-Tour-du Pin.
Saint-Marcellin. .
Lons-le-Saulnier.
Moni-de-Marsan.
Saint-Sever
Dax
Biois „ ..
Komorantin
Vendôme
Saint Etienne... .
Monthrison
Roanne avec St-
Étienne
Le Puy
Nantes
Orléans
Cahors
Gourdon
Figeac
A«en
Mende
Angers
Cholet
Sauniur
Avranches
Cherbourg
Coutances
Morlain
Saint-], ô
Valugnes
^
%
Z
.s ^
3 .i=
O ;
H ■
-a;
D
h.q:; =
u
5 «S
O
r3
Q ^
i2 .„
X
IX
a-
4<
■<
flj-C
-C
13
75
50
„
1 3 fév .
137
140
>)
I8fév.
21
12
»
7 fév.
12
12
»
6déc.
2
3
>>
16janv
2
„
: 7avril
43
36
>,
10 fév.
19
15
20 fév.
15
9
„
iidéc.
4
2
>,
10 mars
3
9
>,
6janv
8
5
>)
5dée.
19
20
»
lOjanv
65
60
»
23 déc.
52
40
»
13 fév.
68
70
»
9 déc.
7
5
>i
27 déc.
8
5
»
9 déc.
67
50
J>
I7janv
»
)>
»
» »
3
3
»
1 mars
5
6
>,
5dec.
22
12
,)
3 fév.
8
15
>,
3 déc.
5
5
»
11 déc.
266
235
„
I7janv
22
25
'•
9 déc.
>)
»
»
26janv
125
85
»
28 mars
85
no
»
12 déc.
83
58
»
30 déc.
8
6
>,
27 fév.
1
1
„
1 déc.
6
4
„
6dec.
52
40
„
8 déc.
20
8
„
6dec.
52
50
>,
16 déc.
25
20
«
14 déc.
6
8
»
iodée.
10
%
»
3 déc.
»
»
1)
22 fév.
7
12
»
22 fév.
8
8
}>
1 mars
8
5
>,
18 fév.
2
2
>'
3 fév.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE.
23
oi
a s
o
?^ "=
127
128
129
130
131
132
133
134
135
136
137
138
139
140
141
142
143
144
145
146
147
148
149
150
151
152
153
154
155
156
157
158
159
160
161
162
163
164
165
166
167
168
169
170
171
172
DÉPARTEMENTS.
MAUNE
MARNE (haute-)
MAYENNE
MEURTHE
MKUSE
MOUBIHAN
MOSELLE
NIÈVr.E
NOUD
OISE
ORNE
PAS-DE-CALAIS
PUY-DE-DOME
PYKÉNÉES (BASSES-). •
m-RÉNÉES (HAUTES-).
PYRÉNÉES-OKIENTALES
RHIN (BAS-)
RHIN (HAUT-)
RHÔNE
SAÔNE (HAUTE-)
SAÔNE-ET-LOIRE
SARTHE
SEINE
SEINE-ET-MARNE
SEINE-ET-OISE
COMITÉS .
Chàlons
Reims
Chauniont
Laval
Mayenne
Chàteau-Gonlier.
Nancy
Bar-le-Duc
I. orient
Metz
Sairei^uemines. .
Nevers
Avesnes
Cambrai
Douai
Diinkerque
Hazebrouck
Lille
Valenciennes.. . ,
Conipiégne
Senlis
Clermont
Beauvais
Alençon
Arras
Béthune
Boulogne-sur-Mer
Montreuil-s-Mer.
Sainl-Omer ......
Sainl-l'oi
Clerinont-Ferr.. .
Pau.
Tariies
Perpignan.,
Strasbourg
Colmar
Lyon
Vesoul
Gray
Lure
Maçon
Chàloi)S-s-Saône.
Le Mans
Paris
Melun
Versailles
^
■£
G .
ce
Z .
i -y.
M .5
O "2
5.-S
fiS ce
i- '5
U 9 o
ca -
ds
^i-B
o ss
o Z
Q -.-^
z §.
j a
v
<
OJ-O
T3
43
25 >.
5dec.
108
140 «
5 lev.
28
32 »
10 mars
48
60 ..
1 3 mai s
12
3 >.
13 mars
2
19 »
1 3 mars
95
85 >.
2» dee.
50
65 »
6 fev.
23
20 »
7 mars
57
60 «
27 lev.
21
25 >.
I9dec.
42
40 >.
I4janv
48
55 »
5 mars
48
35 »
8 déc.
63
55 ..
iSjanv
22
20 >.
16 mars
22
15 »
9dec.
375
600 »
4janv
107
120 >.
8 mars
33
15 »
13 mars
28
25 «
6 doc.
23
35 »
6 fov.
60
55 >.
SOJativ
88
65 «
l6dec.
24
25 »
aojanv
7
5 >>
1 1 mars
32
50 X
20jaiiv
i>
>» «
30dec.
12
15 »
10 dec.
4
3 »
5 déc.
103
160 «
1 mars
41
25 ..
22 lev.
7
8 >'
10 mars
43
32 ..
18 lev.
87
130 >.
I8tlcc.
169
650 >.
25janv
480
650 »
l'ijaiiv
5
13 »
19 dec.
6
5 >>
19 dec.
12
15 »
I3tév,
9
7 »
i3tëv.
17
18 ..
27 dec
44
40 ))
7avnl
6248
5000 »
7avril
120
100 «
23 déc.
123
160 »
6 fev.
24
VISITE
a
5.'i
c.^
c =
cS
DEPARTEMENTS.
Zb
:^
z
173
SEIXE-INFÉUIEURE
174
175
1-6
178
179
180
DEUX-SEVP.ES
181
SOMME
182
TARN.
I82b
183
184
185
186
TARNET-GARONNE. ..
187
VAl;
188
189
190
191
VALCLUSE
192
VENDÉE
193
VIFNXli
19 i
VIENNE (HAUTE-)
195
VOSGES
195
197
198
199
YONNF
COMITÉS.
Rouen ... . .
Elbeuf
Dieppe....
Le Havre..
Bolbec
Neufcliàiel
Yvelot
Niort
Amiens . . .
Albi
Castres
Gaillac
Lavaiir
Moniauban. ..
Bi'ii,'iiules
Giasse
Diaguignan . .
l'uulon
Avignon
Napoléon -Vendée
Polders
Limoges
Épinal
Mirccourt. ...
llemiremont
Saint-Dié
Auxerre
il
155
51
41
32
8
15
12
33
147
20
»
34
5
1
21
5
7
7
37
24
38
87
37
18
19
37
48
ISO
25
30
5
10
15
25
170
9
35
3
1
20
2
4
4
16
25
16
32
a .5
27 fév.
25déc.
22déc.
1 déc.
28 déc.
16 déc.
5 déc.
iodée.
10 mars
6 déc.
12 déc.
23 mars
4 janv
I 4 mars
9 déc.
9 déc.
11 déc.
24 mars
24 mars
26 déc.
24 dec.
9 déc.
30 janv
1 déc.
5 déc.
23 déc.
9 déc.
II déc.
La loi d'une proportionnalité rigoureuse ne fut pas ap-
pliquée cependant d'une manière absolue; nous prîmes soin
d'examiner pour chaque circonscription si le chiffre demandé
par exposant était plus ou moins exagéré, et nous tînmes
compte de cette circonstance dans les chiffres définitifs.
Les administrations publiques restaient en dehors de cette
répartition, ainsi qu'un certain nombre d'établissements in-
dustriels de premier ordre qu'il était important, au point de
vue national , de voir figurer avec tout l'éclat désirable au
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 25
concours de toutes les nations. C'est ainsi que la commission
impériale se réserva de statuer directement sur les demandes
de M. Schneider, du Creuzot, de MM. Nicolas Schlumberger
et André Kœcklin, dans l'Alsace, de M. Cail et Cie, de
M. Mercier, de Loaviers, etc. , etc.
Malgré toutes les précautions prises, la répartition, on le
pense bien, fut l'objet de réclamations nombreuses pour les-
quelles M. le secrétaire général dut entretenir une volumi-
neuse correspondance, dont les éléments devaient émaner de
nous, qui avions, en définitive, la responsabilité de l'organi-
sation intérieure et de la répartition des places. Mais la diffi-
culté devint plus grande encore au moment où nous arrivèrent
les bulletins individuels dont nous avons parlé déjà :
80000 mètres étaient distribués sur le papier, nous n'en avions
toujours en réalité que 75 000, dont 45 000 appartenaient aux
expositions étrangères; le surplus nous donnait à peine
42 000 mètres de surface utilisable pour la France, d'après
les plans adoptés pour les passages et pour les emplacements
que les produits devaient occuper. Sur ces 4 2 000 mètres,
nous n'en avions que 500 en réserve pour les éventualités im-
prévues, mais toujours à la condition que nous trouverions,
de manière ou d'autre, l'emplacement supplémentaire qui
manquait à notre total de 80 000.
Les bulletins des comités arrivaient lentement, mais la
plupart avec des augmentations de surface, auxquelles il nous
était impossible de satisfaire. De là la nécessité de voir par
nous-mêmes toutes les demandes, de les restreindre, de les
discuter , d'éclairer dans leurs réclamations les présidents
des comités eux-mêmes, de manière à maintenir toujours les
chiffres de notre répartition primitive.
L'arrivée des documents de province devint plus abondante
à partir du 4" janvier, et il fut nécessaire de doter immé-
diatement le service du classement du personnel destiné à
préparer les travaux d'organisation intérieure.
Dès le commencement, M. Savoye avait été nommé com-
missaire adjoint; M. Picot fut nommé inspecteur principal;
l'inspecteur ingénieur de la galerie des machines, M. Lecœu-
vre, avait coopéré jusqu'alors au service d'installation des
machines confié à M. Trélat, et, par arrêté du 18 janvier,
MM. Robin , Grobost , Loyau , Duranton , Marlin , Forest ,
26 VISITE
Gromort, Dahistein , Duffourc d'Antist, Sauvageot et de
Saint-Martin furent désignés pour remplir les fonctions d'in-
specteurs ; 6 sous-inspecteurs, MM. Peligot, Houzeau, Hoa-
rau , Masson , Domergue et Decombes remplirent les mêmes
fonctions sous un autre titre ; enfin 4 employés aux écritures
vinrent compléter le personnel qui devait classer les produits,
recevoir plus de 30 000 colis, distribuer et désigner les places
à plus de 20 000 exposants; c'était environ 1 fonctionnaire
pour 4 500 colis et 1000 exposants; tout devait être fait en
moins de cent jours. MM. Marlm et Robin quittèrent le ser-
vice , pojr cause de santé , pendant le cours des opérations.
MM. Hoarau et Sauvageot n'ont demandé à se retirer qu'après
l'ouverture de l'Exposition.
Pour faciliter le travail, en même temps que pour réunir
tous les éléments qui devaient y concourir simultanément ,
le Conservatoire des Arts et Métiers mit à la disposition de
la Commission impériale les locaux nécessaires au service du
classement et à celui du catalogue, confié, comme nous l'avons
déjà dit, à l'habileté de M. Natalis Rondot, et dont l'organi-
sation définitive date de la même époque.
Aussitôt l'arrivée des pièces , des relevés furent faits de
tous les produits annoncés par catégories d'industrie, de ma-
nière à pouvoir connaître toujours le total des allocations
faites à chaque catégorie de produits : ces totaux étaient in-
dispensables pour pouvoir réunir avec ensemble tous les en-
vois de même nature. Chaque bulletin individuel , vérifié préa-
lablement par moi , était enregistré de la sorte et transmis en-
suite au catalogue. Les difficultés , et elles furent nombreuses ,
étaient jugées chaque jour par M, le commissaire général, et
les bulletins étaient réservés jusqu'à réponse du comité com-
pétent aux observations transmises par nous à M. le secré-
taire général.
En même temps des fiches individuelles étaient faites pour
chaque exposant ; classées à leur tour par nature de produits,
elles devaient nous servir à vérifier les relevés directement
faits sur les listes départementales. Ce travail fastidieux et
pénible fut abordé de la meilleure grâce; nous y travaillâmes
tous de concert, puisant ainsi, dans cet exercice d'écriture,
l'habitude qu'il nous fallait acquérir pour classer plus tard
sur le terrain.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 2T
La date fixée pour la remise des bulletins définitifs était
celle du i" novembre, mais elle fut prorogée jusqu'au 30 du
même mois. On peut voir, par le tableau qui précède, com-
bien ces envois furent relardés; sur les 199 comités français,
112 seulement étaient en règle le 45 janvier,
428 — le 31 janvier,
435 — le 7 février,
443 — le 17 février,
466 — le 7 mars,
4 83 — le 20 mars.
Les renseignements des départements n'étaient donc pas
complets quatre mois après l'époque fixée pour l'achèvement
de cette opération préliminaire.
Mais on se ferait encore une opinion très -inexacte des
embarras que de pareils retards ont dû apporter dans toutes
nos opérations, si l'on n'observait que les comités les plus
importants figurent parmi les moins pressés : les 166 listes
déjà reçues, à la date du 7 mars, ne représentaient que la
moitié environ de l'espace utilisable réservé à la France ;
Paris, Amiens, Valenciennes, Le Puy , Toulouse, etc., etc.,
n'avaient encore transmis aucun renseignement.
Chaque jour suffisait à son travail; nos relevés étaient au
courant ; nos cartes étaient terminées , le personnel allait se
plaindre de n'avoir plus rien à faire, quand enfin la liste de
la Seine arriva, c'est-à-dire 3200 noms dont les produits de-
vaient occuper une surface totale de 7000 mètres carrés , 2000
de plus que ne le permettait le chiffre fixé à 5000 dans l'état
de répartition définitif.
Toute augmentation était impossible : tout retard était un
danger; le comité de la Seine avait eu à examiner tant de
demandes, que l'examen auquel il s'était livré l'avait conduit
en quelque sorte à la veille de l'ouverture; un nouveau tra-
vail de commission était impossible , et c'est alors qu'aidé de
M. 'VarcoUier fils, en ce moment secrétaire adjoint du jury,
j'obtins de M. le commissaire général l'autorisation de reviser,
avec chacun de MM. les présidents de section, les listes pré-
parées par eux , en prenant pour points de comparaison les es-
paces alloués dans les départements aux industries similaires.
Commencée le 3 mars, cette révision fut terminée le 15, grâce
au dévouement de tous les membres du jury d'admission , qui
28 VISITE
voulurent bien , dans cette circonstance difficile , m'honorer
d'une bienveillance dont je ne saurais trop les remercier.
Toujours est-il que les lettres d'admission des exposants
du comité de la Seine n'ont pas été reçues avant le 15 mars;
six semaines avant l'ouverture de l'Exposition, nos princi-
paux fabricants ignoraient encore s'ils étaient refusés ou ad-
mis : en l'absence de toute décision, chacun s'était arrêté dans
ses préparatifs, et si d'autres causes ne devaient être consi-
dérées comme prépondérantes pour retarder l'installation des
produits, celle-ci seule eût été suffisante pour ne pas per-
mettre à l'industrie parisienne de figurer dès les premiers
jours, avec son éclat accoutumé , dans les galeries de l'Expo-
sition.
Le tableau suivant fait connaître les résultats du travail
d'admission : les chiffres réservés correspondaient à des ex-
posants qui avai(mt demandé des espaces considérables, sur
lesquels on espérait obtenir des réductions de quelque im-
portance.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE.
29
TABLEAU
PRÉSENTANT PAR CLASSES LES NOMBRES DES EXPOSANTS
ADMIS ET RÉSERVÉS AVEC LA DÉSIGNATION DES DIVERSES
SUPERFICIES QUI LES CONCERNENT.
____^B9aB
il
NOMBRE DES EXPOSANTS
SURFACES
il
admis.
réservés
totaux.
admises.
réservées
totales.
1
37
4
41
53 35
29 24
82 59
2
22
22
24 07
6 »
30 07
3
35
„
35
49 95
» >)
49 95
4
63
1
64
434 98
22 75
457 73
5
85
1
86
390 23
» »
390 23
6
112
9
121
476 11
80 45
556 56
7
43
5
48
80 45
21 »
101 45
8
2i6
8
224
142 41
9 37
151 78
9
121
17
138
92 42
123 12
215 54
10
333
1
334
229 47
15 60
245 07
tt
146
1
147
76 97
4 »
80 97
12
87
87
87 20
>. >,
87 20
13
31 1
44 «
3
78
39 90
15 >>
25 50
80 40
14
56
9
65
64 06
41 70
105 76
15
58
1
59
25 95
2 >.
27 95
16
76
1
77
59 50
.. 50
60 »
n
216
14
230
345 50
74 50
420 »
18
19
20
21
22
72
»
72
119 50
» »
119 50
23
>>
23
32 40
j) »
32 40
76
1
77
212 17
6 »
218 17
31
31
47 20
» >)
47 20
19
„
19
17 35
» »
17 35
23
24
25
105
»
105
157 72
» »
157 72
186
8
194
333 36
18 ..
351 36
375
375
272 30
» >)
272 30
26
262
4
266
145 84
8 25
154 09
27
173
10
183
227 16
111 15
338 31
3103
98
3201
4252 52
599 13
4851 65
Des renseignements que j'ai pu faire prendre dans les docu-
ments officiels, il résulte qu'en 1851 le Comité exécutif était
30 VISITE
en possession, dès la fin de novembre, de toutes les listes
d'exposants, à l'exception de celles de Manchester et de
Londres, qui ne furent complétées qu'au commencement de
février. On sait d'ailleurs que l'ouverture de cette Exposition
avait été fixée, et a eu réellement lieu au 1" mai.
Les documents étrangers n'avaient pas, au point de vue des
travaux du classement, la même importance que les docu-
ments français, puisque nous ne nous proposions d'intervenir
en rien dans l'arrangement intérieur des compartiments al-
loués aux autres pays ; mais la date de leur arrivée n'a pas
laissé que d'avoir une influence considérable sur la rédaction
du catalogue de M. Rondot.
Voici toutefois les dates de l'arrivée des premiers rensei-
gnements officiels pour chaque pays :
Dates d'arrivées des premiers documents reçus des divers pays
représentés à l'exposition de 1865.
Angleterre 25 février.
Zollwerein 9 mars.
Autriche 10 avril.
Belgique 15 mars.
États-Unis 15 février.
Suisse 5 février.
Hollande 15 mars.
Turquie 15 mars.
Danemarck 20 avril.
Egypte 15 mai.
Espagne 10 avril.
Portugal 15 mai.
Rome 10 avril.
Sardaigne 24 février.
Suède et Norvège 2 mai.
Toscane 15 avril.
Tunis 1o mai.
États du nord de l'Allemagne. . . 15 février.
États de l'Amérique méridionale. 10 mai.
Grèce 19 mars.
L'arrivée tardive de ces documents peut faire pressentir que
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 31
de?' retards du même ordre ont eu lieu pour l'arrivasie des
colis, sans lesquels aucune installation définitive n'était pos-
sible. Quelques caisses isolées avaient été reçues au Palais
de l'Industrie dans le courant du mois de février; les récep-
tions furent encore peu nombreuses en mars, et ce fut seule-
ment en avril que les envois furent assez considérables pour
nous offrir des embarras sérieux, alors qu'il fallait les rece-
voir à la fois dans le palais et dans l'annexe et les surveiller
dans ces deux constructions qui n'étaient encore closes d'au-
cun côté.
Les premiers arrivages avaient dû être placés provisoire-
ment dans le bâtiment principal, d'où il fallut ensuite les
transporter à l'annexe. Aussitôt que le dépouillement des do-
cuments écrits nous avait permis d'assigner une place aux
diverses industries qui devaient être reçues dans le palais,
chaque caisse était portée dans la salle même où les produits
devaient être installés, et cette disposition importante fut
exécutée avec l'ordre le plus parfait; mais, par suite des
heureuses circonstances que nous aurons à signaler bientôt,
nous verrons que les locaux affectés à certaines industries
spéciales durent pour la plupart changer de destination, ce
qui vint, dans une grande proportion, entraver la plupart des
mesures d'ordre qui avaient été mûrement débattues et arrê-
tées au commencement des opérations. Ces mesures, cha-
que fois modifiées quand les circonstances en faisaient en-
trevoir la nécessité, n'eurent pas toujours pour effet de
régler toutes les difficultés avec la précision qu'elles auraient
inévitablement atteinte s'il n'était survenu aucune modifi-
cation.
Vers la fin du mois de mars les travaux de dépouillement
étaient complètement terminés, au moins pour les documents
transmis. Un grand nombre de places collectives étaient déjà
distribuées sur le papier; mais il devenait nécessaire de dis-
tribuer le service entre toutes les personnes qui devaient y
coopérer, pour désigner dès lors les emplacements indi-
viduels.
Plusieurs d'entre nous s'étaient jusqu'alors mis constam-
ment , au palais de l'Exposition, à la disposition de toutes
les demandes individuelles; mais à partir de cette date, le
service du classement y fut complètement installé dans des
32 VISITE
locaux qui n'étaient pas terminés encore, mais qui suffirent à
tous les besoins.
A partir de cette époque, chaque inspecteur fut chargé
d'un service spécial; la première édition du catalogue donne
la nomenclature de cette distribution, qui fut plus tard mo-
difiée suivant l'état d'avancement de telle ou telle partie du
service.
M. Savoye avait pris la direction de la réception des colis:
M. Picot voulut bien se charger de la concentration de tous
les documents et de toutes les mesures d'ordre que leur con-
servation exigeait; M. Dahlstein continua la direction des
plans d'ensemble, sur lesquels était faite avec la plus grande
exactitude la désignation de toutes les places assignées.
C'est au moyen de cette distribution du service , dans la-
quelle chacun avait des attributions déterminées , mais sou-
mises à une direction générale, qu'il devint possible d'a-
chever en grande partie pour le 15 avril la répartition des
places dans le palais principal ; dans l'annexe les travaux
étaient moins avancés^ surtout dans la section des produits ,
par suite de la non-livraison de la galerie supérieure, dont
les travaux, en encombrant le plancher, ne nous permirent
d'utiliser jusqu'alors ni l'élage ni le sol.
Pour donner à cette partie du travail son caractère propre,
il m'a paru utile de faire dresser un état complet des dates
de l'arrivée des colis français et étrangers ; les documents re-
cueillis dans le prst report des commissaires anglais pour
l'Exposition de 185! noiis ont permis, dans cet état, d'indi-
quer d'une manière comparative les mêmes dates pour les
deux expositions universelles. Un enseignement important
doit ressortir de ces chiffres, qui ont été continués jusqu'à la
fin de juin.
A L'EXPOSITION UMVERSELLK.
:Vâ
co
e^ c^
■ro
o
co
(35
z
çs
O QO
s
'O
co
O t-
00
C5
ce fO
1— <
ce
--^ T- -^ 05
C^
s
o
CN
^.■5
^
CO CO
«S
_
a> C^ r- -^ O ço
O — «r *- uî ï^
05
■^ r—
^
o
Ci CO
IJÎ
<
S!
ce
05
r- «-
Oi
e-3
«^ — «^ « '- 5t<
So ^
-*
,^
o
^ Oi t-
»~ 00 M)
O rc
5^
CO
o:^
« -*
O
O CO -*
iM vr çs
05 ce
ce
•-•
<=
ce
o
Ci
SN (TV»
-<
CO
Ci
T-l
00
(T*
<f O CO — <f r- — .
CO O L.-; >^ r- <}< -r*
^ CO -^ t^ (r< CN
00 ■—
oi
CO -X)
r- CO
00
<i*
fO -^
a îO CO
s
£ 1-^
a
<»
«
>
^
cr, îN
'™'
ce
-a
'^
e C^ ;5 '5 S i^
206
'U
VISITE
0
•x>
s©
0
^
05
<t
^
_
c^
ce
co
^
2;
■J^
es
■^^
co
-^
r-'
•x>
^
ç»5
«>
c*
0
a-.
3
se
^
7^
ce
5V
^0
.n
^
co
iT»
0
Oi
_
eo
iiO
Oi
1^
0
-31
0
;C3
OD
s
00
CO
c-o
0
s
zc
l_l
co
^
«s
0
t^
0
co
c^
<
co
^
(r>
co
(r<
-#
s
'^^
_
0
>-0
lo
j^
---f
R
Oj
1-1
îO
'-'5
—<
to
s
s
c^
Ç
co
c—
Oi
0
00
as
CO
-^
17^
CO
r—
tf
;d
co
f-i
r~
>
i->i
■<
S s
00 0
r-
9
A
« 0
0 co
CO
R
_
^
-<
» 00 »j^
CO
^ M
c^
0
co u?
ce >^
■'"'
-*
S
pi
w
•-î
A ft
a « a
s
ft
S
a îs
« ft
s
A
S
>
-w
&H
if
eu '3
5 ^
es
Q ^*
II
(D
"fcO
<u ci -- 3
W Oh Pi rXl
a>
0)
_ ^. ^ = -S S ;3
rXl W H-4 (X) o "< o
3
Oh
A L'EXPOSITIOX UNIVERSELLE. 3f)
De ces cliiffres officiels que nous avons restreints autant que
possible, il résulte que les arrivages étaient, aux différentes
époques , les suivants :
1851, 1855.
Le \ 5 février 181 »
22 — 4,057 »
28 — 3,681
8 mars 5,970 »
15 — 8,199 15
22 — 10,420 1,485
31 — 14,282 4,351
5 avril 18 850 7 842
12 — 23 875 11 125
19 — 24 302 14 233
30 — 28 681 17 779
10 mai 29 223 21 660
17 — 29 348 22 430
24 — 29 483 22 710
31'— 29 950 24 186
7 juin 30 001 24 459
14 — 30 035 24 744
22 — 30 089 25 272
30 — 30 236 25 978
Le 15 mars, on avait reçu à Londres plus de 8000 colis; à
Paris, 15 seulement, et cette différence ne fait qu'augmenter
jusqu'au 12 avril, époque à laquelle elle s'élève à 12 000.
Tandis qu'à cette époque l'Exposition de Londres avait reçu
les quatre cinquièmes de ses colis, l'Exposition de Paris n'é-
tait en possession de ces quatre cinquièmes que le 10 mai,
cinq jours avant l'ouverture de l'Exposition.
Tandis que pendant le mois de mai l'Angleterre a reçu
1300 colis, la France en a reçu 7000; en juin, les chiffres
respectifs sont de 250 et de 1500.
On s'étonnera sans doute que l'Exposition de 1855 accuse
un moins grand nombre d'envois que celle de 1851. Cela
lient uniquement à ce que les fabricants parisiens ont apporté
leurs produits sans emballage, et que si ceux de Londres ont
fait de même, ils sont incomparablement moins nombreux, la
36 VISITE
capitale de l'Angleterre n'étant pas, à l'égale de la nôtre, une
ville manufacturière.
Encore bien qu'il ne m'appariienne pas d'examiner les
causes de ces différences, que je ne puis attribuer qu'aux in-
certitudes de la e>iluation générale, il ne sera pas inutile
d'observer que les retards les plus cons'uiérables se remar-
quent dans les envois des puissances étrangères.
L'Angleterre avait encore à recevoir le 4" mai 1855
2000 colis ; la France n'en atlendait plus à la même date, en
1851, que 340. Les États allemands du Zolwerein ne reçu-
rent à la première Exposition que 46 colis après le 30 avril ;
il en a reçu 500 à partir de la même époque, en 1855. L'Au-
triche, après le 1" mai de cette année, a encore admis
1600 colis, tandis qu'à Londres son contingent ne s'est com-
plété que par 42 colis seulement. Tous les autres États sont
dans une semblable situation , et ils doivent s'attribuer une
orande part dans les retards dont les journaux étrangers se
sont plaints. La moyenne des retards pour les nations étran-
gères seulement est d'environ six semaines; n'eussions-nous
eu que ces seules difficultés à surmonter, qu'encore nous
aurions fait preuve d'une diligence plus grande, en étant
prêts le 15 juin, comme l'était le bâtiment de Hyde Park au
jour de l'ouverture, c'est-à-dire fort incomplètement. Après
avoir disculpé la France du reproche d'inexactitude qu'un
examen moins attentif pourrait lui attribuer, examinons à un
autre point de vue les préparatifs de l'Exposition. En fixant
au l*"" mars la limite à laquelle les colis devaient être admis,
la commission impériale était loin de compter que la moitié
seulement des envois serait réunie le 20 avril, dix jours avant
l'ouverture annoncée; elle n'avait pu prévoir que, même à
cette époque, l'état des bâtiments ne permettrait pas de rece-
voir les produits, et que les exposants eux-mêmes refuseraient
d'exposer aux inconvénients d'un bâtiment inachevé, tous les
objets présentant quelque délicatesse ou quelque frai\'heur.
Mais il nous faut remonter en arrière pour apprécier, dans
leurs conséquences, les modifications de superficie que le re-
tour du Prince entraîna. Dans la partie française, les manu-
factures impériales avaient été placées près de la porte nord-
est ; autour d'elles, les meubles, les instruments de musique
venaient prendre place; puis, en remontant vers l'ouest.
A L'EXPOSITION L'MVERSELLE. liT
I imprimerie, les dessins de fabrique et la plastique indus-
trielle, la céramique, la verrerie, les bronzes, les armes et la
quincaillerie. La plupart des places étaient distribuées déjà;
la lin;j;erie et la confection devaient occuper la grande 2;alerie
latérale; les tissus, au rez-de-chaussée, étaient dès lors en
possession des salles occupées aujourd'hui par Lille , par
Reims et par les centres de l'industrie drapière.
Beaucoup de départements, ceux surtout qui avaient le plus
tardé à se mettre en règle, demandaient des augmentations
d'espace; certaines industries parisiennes étaient en récla-
mation; le déficit contre lequel nous n'avions cessé de com-
battre allait en augmentant.
Tel était l'état des choses lorsqu'à son retour le prince Na-
poléon, plus que jamais convaincu de l'insuffisance du hical
et de la nécessité de réunir Tannexe au bâtiment principal ,
fit décider roccupalion du Panorama et sa jonction à ces
deux bâtiments au moyen d'une galerie et d'un passage au-
dessus du Cours-la-Reine, ainsi que cela avait été proposé dès
le mois de juillet 18oi. Il obtenait en même temps la clôture,
jusque-là refusée, de la portion des Champs-Elysées qui est
aujourd'hui occupée par divers hangars.
Sans c<^s accroissements de superficie et cette réunion des
deux bâtiments, il eût été impossible de recevoir tous les
produits admis, et en levant les objections qui avaient été,
en son absence, opposées à ce projet, S. A. I. a rendu à
l'Exposition un immense et incontestable service; mais cette
mesure tardive vint apporter de nouveaux relards au classe-
ment même des produits. La distribution dt-s espaces aux
exposants français, qui avait été terminée et tracée sur le
terrain après tant de labeurs et de peines, était à refaire en
entier, et des travaux d'installation déjà très-avancés durent
être sacrifiés.
Son .4ltesseTmpériale,danssa sollicitude pour les demandes
le? plus fondées, décida qu'une nouvelle annexe, communi-
quant avec les deux palais, couvrirait dans toute sa largeur
l'avenue occupée aujourd'hui par le hangar de l'agriculture.
Nous proposâmes aussitôt un nouveau projet de distribution ;
le lendemain de celte décision, des in.-tructions nouvelles
avaient été approuvées par M. le commissaire général . et
chacun travaillait au nouveau projet. L'étude de certaines
38 VISITE
difficultés, particulièrement celles qu'entraînerait pour l'Au-
triche la communication à établir sur son terrain, amenèrent
bientôt à la pensée d'occuper le panorama. Ce fut le 20 avril
que cette décision fut prise, décision dont la portée a exercé
sur le succès de l'entreprise une influence si considérable,
mais qui avait, au point de vue de la rapidité des travaux,
ce double inconvénient d'exiger encore une fois des disposi-
tions nouvelles pour l'installation des produits déjà pourvus
de leurs emplacements , et de conduire à un nouveau choix
dans les produits qui occuperaient la galerie de communica-
tion.
Tandis que dans le cas de la galerie unique, nous y au-
rions mis la quincaillerie, la grosse céramique , les instru-
ments de précision, les appareils de chirurgie, ce qui concerne
le chauffage et l'éclairage, il nous fallut au contraire grouper
autour du panorama les produits les plus brillants, destinés
à former cortège aux chefs-d'œuvre des manufactures impé-
riales. Les meubles, les instruments de musique, leâ tapis, les
papiers peints, les dessins industriels furent proposés à l'ap-
probation de Son Altesse Impériale, et aussitôt les emplace-
ments déjà distribués dans le palais à ces industries durent
céder à d'autres le droit acquis, et dans bien des cas, l'instal-
lation commencée. Le travail ainsi modifié reçut une exécu-
tion aussi prompte que possible, et l'on voit par la note ci-
jointe, que j'ai écrite dans la nuit du 14 au 15 mai, et que
Son Altesse Impériale a fait insérer dans le catalogue officiel,
que toutes les dispositions étaient alors prises, qui ont été
définitivement exécutées.
Distribution des objets exposés.
« Les bâtiments consacrés à l'Exposition universelle de 1 855
devaient se composer d'abord du palais de l'Industrie, con-
struit sur le carré Marigny, et de l'annexe établie sur la rive
droite de la Seine, sur une longueur de 1200 mètres, depuis
la place de la Concorde jusqu'au nouveau pont de l'Aima.
Par décision de S. A. I. le prince président de lacommission
impériale, ces deux bâtiments sont en ce moment réunis par
une galerie de jonction qui, partant de l'entrée sud du palais.
A L'EXPOSITION UJNIVEKSELLE. 30
traverse et entoure l'ancien panorama, et conduit au rez-de-
chaussée de l'annexe par un double pont sous lequel on a pu
conserver la circulation du Cours-la-Reineetdel'alléelatérale.
ce Une vaste enceinte de 22 087 mètres carrés a, en outre,
été réservée autour du panorama pour placer les objets d'un
grand volume, les modèles de constructions, divers pavillons,
des vitraux, et un hangar de 1500 mètres carrés de surface
pour les voitures et les machines agricoles.
(( La libre circulation des visiteurs dans cette enceinte, cjui
donne accès à d'immenses buffets , ajoutera sans doute un
grand intérêt à l'Exposition.
« La surface totale recouverte est ainsi répartie entre les
différentes constructions :
« Palais principal, y compris les marquises
d'entrée 32 665 mètres.
« Annexe aveclebàtiment des chaudières. 33 700
« Galerie de jonction , avec les buffets. . 9 026
« Galerie des voitures et des machines agri-
coles 1 500
a Surface couverte dans l'enceinte par ap-
proximation 500
« Total. . . . 107 510 mètres.
(c Le bâtiment de l'Exposition de Londres présentait en rez-
de-chaussée et galeries, une surface totale de 94 000 mètres
seulement.
(( Les différents pays qui ont pris part à l'Exposition y sont
représentés chacun en plusieurs endroits; en général, les
produits des onze premières classes du système de classifica-
tion ont été placés dans l'annexe; mais, dans ce bâtiment
même, les machines sont toutes placées entre l'avenue d' An-
tin et Chaillot, tandis que les autres produits occupent l'autre
moitié du bâtiment, entre la place de la Concorde et l'avenue
d'Antin.
« Dans chacune de ces divisions, comme dans le palais prin-
cipal, les différents produits d'une même nation se trouvent
groupés ensemble, et pour chacune d'elles on s'est efforcé de
réunir les produits similaires.
((Les surfaces occupées parles diverses nations se trouvent
ainsi réparties :
40
VISITE
PALAIS PRINCIPAL.
nu't.
France 2'2 664
Angleterre 9 l4l
Etals de l'Association
allemande 4 855
Autriche 2 8;'8
Belgique 2 604
Siiisse 1 î Kl
Etats-Unis ifii9
Hollande 300
Turquie 330
Danemark 300
Egypte 363
Espagne 338
Etats Romains 307
Etats Sardes 350
Portugal 33G
Suède et Norvège 300
Toscane 315
Tunis 130
Villes hanséaliques... 138
Grèce 104
Etats de l'Amérique
du sud 216
SecLion
des
produits,
met
6888
3608
2732
2132
984
656
984
570
246
207
2i6
162
164
328
108
3 15
246
164
108
82
246
Sert! on
fies
macdi-
nés.
met.
8316
3348
1296
972
972
54
270
120
40
40
GALERIE
de
jonction.
met.
8000
met.
45 8n8
16 100
8 883
5 932
4 560
1826
2 87 3
990
576
547
6i>9
490
471
678
444
655
561
294
246
186
462
« Ces chill'res ne comprennent pas les surfaces des escaliers,
buffets et dépendances.
(( Dans le palais principal, la moitié du rez-de-chaussée est
exclusivement occupée par les produits français, La nef
contient des pièces monumentales de tous les pays. En
face des produits manufacturés de la France se trouvent ceux
de l'Angleterre, des États-Unis d'Amérique, de la Belgique,
de l'Autriche et des États de l'Associiilion allemande.
« Dans la galerie supéric'ure, les nations étrangères occupent
une place proporlionnellement plus grande par rapporta celle
qui est réservée à la France, et leurs [)roduits y sont disposés
A L'EXPOSITlOiN L'iNl VEUSELLE. M
dans l'ordre suivant, en parlant de l'escalier principal et en
faisant le tour de la galerie vers la gauche: France, Sardai-
gne, États-Pontificaux, Toscane, Grèce, Turquie, Tunis,
Égypie, Angleterre, Étals Unis, Amérique du sud, Belgique,
Autriche, Association allemande, Villes hanséatiques, Dane-
mark, Suède et Norvège, Hollande, Suisse, Espagne, Portu-
gal, France.
« Des nécessités partculières ont obligé à modifier en quel-
que point cet ordre dans l'annexe, où il est remplacé par la
disposition suivante, en partant de la place de la Concorde.
« Section des produits : Angleterre, États-Unis, Amériquedu
sud, Tunis, Egypte, Turquie, Grèce, Toscane, Élats-Pontifi-
caux, États sardes, Portugal et E^pagne, Suisse, Hollande, Villes
han;éaiiques, Danemaik, Suéde et Norvège, Étals de l'Asso-
ciation allemande, Autriche, Belgique et France.
a Section des machines ; France, Belgique, Autriche, Asso-
ciation allemande, Angleterre, Hollande, Suisse, Danemark,
Suède, Norvège et Étals-Unis de l'Amérique du sud.
« Les instruments agricoles et les voitures sont pour la plu-
part réunis dans les constructions qui entourent le pano-
rama.
« Une partie des produits français étant en outre distribués
dans la galerie de jonction, il ne sera peut-être pas inutile
d'indiquer en quelques mots dans cette noie comment ils se
trouvent répartis.
« Annexe : En partant de l'avenue d'Antin et se dirigeant
vers la place de la Concorde, on trouvera successivement au
rez-de-chaussée les produits de l'A'gérie et des autres colonies
françaises, les matières minérales et les produits métallur-
giques, compris dans la première classe du système de clas-
sement, ceux des classes 2, 3, 8, 9, 10, 11 et 12.
« Les machines qui forment les classes 4, 5, 6 et 7 se trou-
vent immédiatement auprès de l'entrée principale, en face de
l'avenue d'Antin.
« La galerie de jonction contiendra, d'un côté, les objets de
métal, la quinc;iilierie, la coutellt^rie, les fontes moulées, les
modèles de constructions civiles et les armes. Elle renfermera
dans l'autre partie de son pourtour les meubles et les instru-
ments de musique que les nouvelles dispositions prises ont
permis d'enlever au bâtiment principal, réservé dès lurs aux
42 VISITE
tissus (le toutes sortes, à la céramiijue et à la \errerie, aux
bronzes, à la bijouterie, à lorfévrerie, à riniprimerie, à l'art
industriel et aux articles de fantaisie.
a Les produits des manufactures impériales et les diamants
de la couronne trouveront place dans la partie centrale de
l'ancien panorama.
« Le commissaire du classement,
« H. T. »
Nous ne parlerons pas ici des heureuses dispositions prises
sous la direction de M. le général Morin, pour la réception des
produits, pour l'installation du service des douanes, pour le
déchargement et le bardage des colis, pour le service médi-
cal, pour la distribution des cartes provisoires et définitives
des exposants ; chaque jour amenaitses difficultés, qui, suivant
leur degré d'importance, étaient décidées par le président de
la commission impériale ou par les fonctionnaires compétents;
mais il est une question plus grave qui a exercé aussi une
énorme influence sur la rapidité des aménagements extérieurs :
nous voulons parler de l'installation des vitrines.
La compagnie du palais de l'Industrie qui avait pris l'i-
nitiative de l'exécution des divers bâtiments, et qui les
avait construits en vertu de contrats spéciaux, avait cru
trouver dans ses contrats mêmes le droit absolu pour elle
d'exécuter, sans distinction, tous les travaux d'emménagement
intérieur, soit pour le compte individuel des exposants, soit
pour celui de la commission impériale. Cette prétention qui
ne nous parut pas suffisamment justifiée, et qui d'ailleurs
paraissait en opposition manifeste avec l'article du règlement
général, fut, après pourparlers, discutée en sous-commission,
La décision qui intervint, tout en refusant de sanctionner
une prétention si nettement formulée, maintint à la compa-
gnie le droit d'exécuter les travaux, dont le règlement par
la commission serait d'ailleurs obligatoire, tout en réservant
aux exposants la faculté de les faire exécuter par eux-mêmes,
ou par telsouvriersqu'il leur plairait. Nous fûmes en consé-
quence invités à adresser les exposants à la compagnie, tout
en les informant toujours qu'ils n'étaient aucunement tenus à
s'adresser à elle. La faculté de faire régler les mémoires par
la commission impériale fut sans doute la raison dominante
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 43
qui fil affluer chez les entrepreneurs de la compagnie des
demandes nombreuses, que ceux-ci ne s'étaient pas suffisam-
ment mis en mesure d'exécuter, alors surtout que l'exécution
des cloisons et des tables, à la charge de l'administration,
avait été forcément confiée aux mêmes entrepreneurs.
De tous les travaux d'installalion, ce sont ceux relatifs à la
confection des vitrines qui éprouvèrent les plus grands retards;
aux plaintes qu'on lui adressait sur le défaut apparent d'acti-
vité dans les travaux dont il était chargé, le principal entre-
preneur répondait que tout le montage se faisant chez lui, la
mise en place ne demanderait qu'un temps très-court , et un
grand nombre d'exposants, tant étrangers que français,
exprimèrent les plus vifs mécontentements, lorsque, après les
délais expirés, ils reconnurent que leurs travaux étaient à
peine commencés. De là des récriminations interminables qui
nous forcèrent, à un instant donné, à introduire de nouveaux
entrepreneurspourfaireà la hâte les travaux les plus urgents.
Quelques difficultés, survenues d'ailleurs sur la question du
payement des mémoires, n'ont peut-être pas été sans influence
sur la lenteur de certains travaux ; peut-être aussi les con-
structeurs du bâtiment trouvaient-ils dans les retards des in-
stallations individuelles, cet avantage qu'on penserait moins
à leur attribuer les lenteurs de leur propre travail.
Des difficultés d'un autre genre se levèrent bientôt sur les
limites des droits de la Compagnie du palais de l'Industrie et
delà Commission impériale, en ce qui concernait une foule
de détails du service intérieur; elles ne purent être réglées
qu'après de nombreux pourparlers et des difficultés sé-
rieuses.
A mesure que les préparatifs du classement avançaient , il
devenait de plus en plus nécessaire de presser l'achèvement
du bâtiment principal et de l'annexe pour y faire les prépa-
ratifs d'installation des produits; mais, sans action directe,
sans pouvoir sur les entrepreneurs de la Compagnie, le com-
missaire général ne pouvait que réclamer une action plus
vive de la part du ministère d'État. Des difficultés réelles, et
dont il est juste de tenir compte à la Compagnie, apportaient
à ses travaux des retards très-fâcheux et indépendants de sa
volonté. La prolongation des froids, les exigences des ou-
vriers, tout concourait à empêcher l'achèvement des travaux,
ii MSI TE
et les relards lurent tels que le bâtiment principal, qui de-
vait être livré le 31 janvier 1854, le fut à peine le 6 mai, huit
jours avant la séance d'ouverture, et que l'annexe ne l'a été
que plus de six semaines après.
A travers toutes ces complications, une question impor-
tante, négligée à l'origine des études sur le bâtiment princi-
pal, celle de la ventilation d'un local couvert en verre et
destiné à recevoir un public si nombreux, avait été, encore
à temps, vers la fin de 1854, soulevée par la commission et
examinée par M. le général Morin et par M. Vaudoyer; mais
les moyens qu'ils avaient indiqués alors , bien que d'une
exécution facile à cette époque, n'avaient pas été acceptés,
et elle était restée en suspens jur^que vers le milieu de février,
époque à laquelle M. le ministre d'État chargea une commis-
sion spéciale, présidée par M. Regnault, de lui proposer une
solution.
Mais déjà le plancher était posé, une grande partie des
tables étaient en place, et il n'était plus possible d'établir des
canaux d'appel convenablement multipliés et répartis. La
commission fut obligée de se borner à prescrire l'ouverture
de deux galeries d'appel parallèles, de grandes sections desti-
nées à amener, dans les passag^^s et sous les tables, de l'air
qui y arriverait par les orifices extérieurs du bâtiment, et à
faire ouvrir, dans le faîte des arcs en f» r, des lanternes d'é-
chappement. Ces moyens, employés tardivement, ont entraîné
des travaux qui ont troublé et entravé l'installation des
produits de manière à donner lieu à des réclamations nom-
breuses et fondées de la part des commissaires étrangers, et
l'expérience a prouvé que l'appel de l'air, au lieu de se faire
parles galeries, avait simplement lieu par les portes et par
les fenêtres du palais. La quantité d'air évacué a d'ailleurs
été trouvée suffisante, et d'environ 28 mètres par personne,
en admettant qu'il y ait 25 000 visiteurs dans le palais.
Pour en finir avec les difficultés inliérentes au bâ'iment, il
nous reste à dire quels effets fâcheux l'action du soleil et
celle de la pluie qui tombait à travers les toitures, et surtout
à l'annexe, exercèrent longtemps leur influence, non pas
seulement en détériorant les produits, mais en arrêtant leur
installation.
J'ai fait faire a la date du 2i avril, par l'un des inspecteurs
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 45
du service de classement, un état abrégé de ce qui manquait
au bâtiment principal pour être terminé.
A cette date , la porte de l'entrée principale n'était pas po-
sée, non plus que celles des entrées e.>t et ouest. Celles des
quatre pavillons d'angle étaient en place, mais sans ferrures
et sans vitrages. Le dallage en bitume près des entrées était
à peine commencé.
Aucun water closet n'était encore établi dans ce bâtiment,
qui devait quelques jours plus tard recevoir des milliers de
visiteurs; aucun paratonnerre n'était encore posé à cette épo-
que; mais ce travail fut exécuté plus tard avec une précision
et une ponctualité admirables sous l habile direction de
M. Bridel.
Le conduit de ventilation était encore incomplet sur divers
points, ainsi que le plancher, aux endroits où il avait été en-
levé pour la construction de ce conduit. Les supports en fer
de la lanterne supérieure manquaient en différents endroits,
mais ils étaient mis en place pour toutes les lanternes de la
nef. La pose du vitrage entraînait de graves inconvénients
pour l'installation des produits, par suite des nombreux dé-
bris de verre qui tombaient à chaque instant.
Le sol et les toitures, on le voit, étaient, avec les portes et
les fenêtres, les parties lesmoins avancées, celles par lesquelles
se terminait le travail. Nous avons dit déjà comment les be-
soins d'une ventilation suffisante avaient exigé à cet égard quel-
ques travaux supplémentaires, et l'on conçoit toute la gêne que
la conduite de ces opérations a dû apporter dans l'organit-ation
de tous les aménagements intérieurs. En même temps, la re-
confection du plancher, qui avait été fait jointif, quoique par
parties détachées, et dans lequel il fut reconnu plus tard qu'il
convenait de laisser des vides entre les planches, était venue
bouleverser toutes les cloisons et toutes les tables déjà con-
struites, à tel point que quelques-unes d'entre elles, bien que
convenablement établies d'abord, se trouvèrent à la suite de
cette opération entièrement disloquées.
Une commis'iion nommée par M. le ministre d État pour la
réception du bâtiment, accrpta les travaux le 25 avril ; mais
la commission impériale n'en prit effectivement possession of-
ficielle que le 3 mai suivant.
Un état semblable fut dressé relativement aux travaux d'in-
46 VISITE
slallation intérieure , en reîard par le fait des divers entre-
preneurs ; mais il serait sans intérêt de l'énumérer ici.
Pendant que les travaux se terminaient , et jusqu'à ce que
l'appropriation entière fût complète, les fabricants parisiens
refusèrent absolument d'apporter leurs produits, de telle sorte
qu'un certain nombre de salles, plus particulièrement consa-
crées à l'industrie parisienne, restèrent, jusqu'après l'ouver-
ture, entièrement vides.
Cependant l'ouverture de l'Exposition, fixée primitivement
au 4" mai, fut remise au 15, et les travaux continuèrent avec
une croissante activité, dans tous les points où ils étaient
possibles. Le seul espace qui pût être réservé pour le trône
et pour les principaux corps de l'État était le centre même du
palais. Le centre sur lequel nous installâmes la belle fontaine
qu'on y voit aujourd'hui, et toute la salle de l'orfèvrerie fran-
çaise, durent être réservés pour la cérémonie, au rez-de-
chaussée; la grande galerie latérale qui règne au pourtour de
la nef, au premier étage, fut garnie de banquettes pour les in-
vités. Ce balcon magnifique, dans lequel les places principales
étaient distribuées à la bijouterie française qui les occupe si bien
aujourd'hui , ne put recevoir , avant la cérémonie d'ouverture ,
que ces lustres en bronze , en cristal et en pierreries qui de-
vaient, d'après le projet arrêté, en faire le principal ornement.
Les tapis qui devaient se dresser à l'arrière de cette galerie
ne s'obtinrent qu'avec la plus grande difticulté, les exposants
ne voulant les mettre qu'après l'installation des vitrines dont
le placement était impossible encore. Quoi qu'il en soit , la
cérémonie d'ouverture ne laissa rien à désirer : l'exposition
était loin d'être complète, mais le spectacle principal , celui
du pourtour de la nef, qui faisait en quelque sorte le pro-
gramme de la promenade officielle, était orné suffisamment.
Le succès d,e l'Exposition était dès lors décidé.
Les quinze jours qui suivirent furent employés à distribuer
les places aux nouveaux exposants qui, d'abord refusés par le
comité de la Seine, avaient été admis par Son Altesse Impé-
riale après examen de M. Leplay , chargé déjà à ce moment
de diriger le bureau des réclamations. Ces exposants supplé-
mentaires n'avaient pu recevoir leurs allocations respectives
avant que l'on sût si quelque emplacement restait encore dis-
ponible parmi les profhiits siiriilaires.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 47
Le travail était devenu plus actif dans l'Annexe aussitôt
que les préoccupations de la cérémonie d'inauguration avaient
été terminées; les places du panorama avaient été arrêtées,
afin qu'aussitôt la livraison du bâtiment on pût procéder à
leur distribution; l'ornementation des escaliers, celle du
palais et celle de la partie supérieure des vitrines étaient en
cours d'exécution.
Par suite d'une autorisation spéciale de M. le ministre d'É-
tat, M. le commissaire général avait enfin pu faire la com-
mande des toiles destinées à intercepter les rayons du soleil,
dont l'influence, malgré le dépoli des carreaux , avait , sur les
produits délicats , une action telle que les vitrines se défor-
maient sur quelques points et que les industriels trouvaient,
dans cette nouvelle cause d'avarie, une raison presque suffi-
sante d'abstention.
Tel est le cadre très-abrégé des opérations multiples aux-
quelles l'administration dut se livrer : sans action directe sur
les constructeurs, sans autorité pour une foule de détails de
service que la Compagnie trouvait trop souvent occasion de
discuter, elle était la plupart du temps conduite à agir au
milieu d'obstacles de tout genre qui demandaient à la fois un
respect profond pour les différents intérêts engagés dans une
question aussi complexe et une grande fermeté.
En tenant compte des immenses difficultés qu'elle avait eues
à surmonter, la commission avait fait tout ce qu'humaine-
ment il lui était possible de faire ; si tout n'était pas prêt,
tout se trouvait préparé et le temps seul devait naturellement
achever l'œuvre.
Ce fut lorsque les choses se trouvaient en cet état, qu'il
survint un fait dont je n'ai point ici à rechercher les causes,
mais qu'il m'appartient de considérer dans ses conséquences,
notamment en ce qui concerne l'influence qu'il a eue sur ma
conduite ultérieure.
M, le général Morin donna sa démission de commissaire
général, et fut remplacé par M. Leplay.
La retraite inattendue du chef bienveillant sous les ordres
duquel j'avais, pendant une année entière, consacré à cette
grande entreprise tout ce qui m'est donné de dévouement
et d'énergie, m'affecta douloureusement. La nomination d'un
nouveau commissaire général devait nécessairement changer
48 VISITE
ma position, et le désir exprimé par le Prince de me voir
rester au poste que j'occupais fut la seule cause qui m'em-
pêcha de résigner aussitôt des fonctions qu'il avait daigné me
confier sans que je lui en eusse adressé la demande.
Ce désir fut un ordre pour moi et je continuai mon service
auprès de la nouvelle direction Je pensais d'ailleurs qu'en se
portant héritière du fruit des travaux et des veilles de celle
qu'elle remplaçait, elle se montrerait envers celle-ci, sinon
reconnaissante, tout au moins animée de ce vulgaire respect
humain, qu à défaut d'autres sentiments, on affiche en pareil
cas pour ceux dont on héiite.
Eh bien ! il n'en fut pas ainsi ; la retraite du général Morin
fut suivie d'abord de sourdes attaques contre lui, qui se
traduisirent immédiatement en mauvais vouloir contre tous
ceux qu'on lui savait le plus particulièrement affectionnés :
sourdes attaques , qui ensuite et à mesure qu'on profilait
davantage des bonnes dispositions qu'il avait prises, se chan-
gèrent en hostilité déclarée.
Quant à moi, en me décidant à rester à mon poste, j'atta-
chais surtout uh vif inlérêl à connaître le résultat de la grande
expérience qu'avait ordonnée l'Empereur.
Lors de la dernière visite que Sa iMajesîé avait faite à l'Expo-
sition, il avait été décidé que l'entrée du palais de l'Industrie
serait gratuile le dimanche 28 mai. J'avoue que ce ne fut pas
sans une certaine émotion que j'attendis, ce jour-là, l'anivée
de la foule, qui devait condamner ou sanctionner les disposi-
tions que nous avions toujours regardées comme suffisantes
pour la circulation d'un public nombreux. La galerie du Pano-
rama n'était point encore ouverte, non plus que l'Annexe,
et pourtant quatre-vingt mille personnes furent admises sans
discontinuité; aucun désordre, aucun encombrement ne fut
signalé nulle part. Cependant la foule entrait partout à sa
fantaisie, sans suivre aucune voie obligatoire : le comparti-
ment indien fut le seul dans lequel nous fûmes obligés d'établir,
vers la fin de lé journée, un sens déterminé à la circulation.
L'expérience dès lors était pour moi complète : les disposi-
tions que nous avions arrêtées pour ks deux autres bâti-
ments, la galeiie du Panorama et l'Annexe étant encore plus
favorables sous ce rapport : je regardai notre œuvre comme
achevée.
LTnil
Lmiiieu
ri c 1 A 01 Ç 1 a -. w s ~^ .
Irrai /jr/tfff/'" /• hi/otff /Jir/jo/.r 0/ l'arut
l'ALAIS I)K i; l.\l)rSTRIK(.K.\KXE).
=ç^
Rez-(lpQiauss(v,(Du milieu de l'allée d'Antin à la place de la Concoi'de).
^ -Y f ^ f f i- f f f fzfz:^.
m.
j ;" r f i rr-^T-TT y t' (m t r m- 1 TT~r7^T~n4^
IJpSilhlLLhklU }, ( i
1 1 rrrf !, i ! i i '.-b-tr-h
Kez de tkaii ee(Din ntdelAliDi iu mflieudt 1 ille d ^atiii)
rr^l^tj t. l< iM l-^-tr-» -\ -t- S, ,\, J, i, k i, ,i, ,iL Av'A. i h .i- .i.' X J. ,.!■' i i -!. ,!> .'.. ..'.- '~
,u,__i .,„ _ [ aiauaicics a \
J> À, .1 .}.. .1 l !, l l- l l .'.
mn
X ). }, X >. X i. i
T-t^
laleiMPS .(Du nuli™ de laDce d'Anfa à la place de la Cuucordo ).
ft
r f r r f y t t f y r x t. f y y t i' f y r t' i' i' T r <' ■' f. f f f. f r f t t r^f
^^^■^t:^
¥
f f f f,f f
ï f r f .- r t f < r 1 i i ( 4,
,J'l' .rr»' ,» A .» ,i ,A ,J, .4 i .»'\» A A V .,< J) J, A I, J» A A- ™,- i'''A'T''i Jt^'j^-V ^''j J i J IVi'l A ■J'^f 'i"'F^.°'1, 'i"°"i ^i"'i ^CT l' ); 'X"! ' i- i'i'V'>"l Î'VVV'.I >*^
fF5
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. i9
Dégagé de celle principale préoccupation, toute d'intérêt
général, je deviens plus libre de refléchir sur ma position
personnelle. Plusieurs dissidences d'opinion avec le nouveau
commissaire général, la prévoyance d'autres plus nombreuses
qui ne pouvaient manquer de surgir entre nous dans l'ave-
nir, enfin le juste mécontentement que me causèrent quelques
modifications administratives, me décidèrent à supplier de
nouveau S. A. L de recevoir ma démission que, cette fois,
elle voulut bien accepter. Mais en me retirant , j'offris néan-
moins de me mettre à la disposition de M. le commissaire
général pour lui prêter un concours officieux que pouvait né-
cessiter la direction dont il était si inopinément chargé.
En fciisant cette offre qui ne fut pas acceptée, j'avais pensé
que ce concours pourrait être encore utile, non certes par
ma valeur personnelle, mais par les renseignements dont j'é-
tais en possession. J'avais supposé que c'était par pur dévoue-
ment à la chose publique, qu'un homme d'une po.-ition élevée
avait consenti à se dévouer à l'entier achèvement d'une œuvre
qu'il avait trouvée, pour le moins fort avancée et ma retraite
toute volontaire me faisait un devoir de ne point l'abandonner
dans les premières ditficultés.
Il a paru successivement dans le Moniteur universel et
dans plusieurs autres journaux, sous la forme de communi-
cations, émanant delà direction actuelle, une série d'articles
pleins de malveillance et d'accusations mensongères contre
l'ancienne administration. Ne pouviez-vous donc profiter en
silence des labeurs de ceux qui vous ont remis un travail
presque achevé, qui vous ont livré des plans que vous avez
suivis à la lettre, sans chercher à mettre à leur charge tous
les mécomptes inévitables dans une pareille entreprise, sans
s'efforcer d'ameuter contre eux tous les mécontentements in-
séparables du conflit de tant d'intérêts opposés? Pense-t-on
s'être grandi et n'est-ce point un triste piédestal que celui
d'une aussi injuste polémique? L'opinion des hommes consi-
dérables qui , par suite de leurs fonctions officielles , ont
suivi les travaux de près, est-elle donc si indifférente qu'on
lui préfère celle d'un public irréfléchi et frondeur, qui s'in-
(luiète fort peu de savoir par qui et comment l'Exposition
s'est faite ?
L'honorable général sur cpii a porté le fort de vos attaques
206 " d
80 VISITE
a pu les dédaigner, moi-même je les eusse passées sous silence
si d'autres que moi n'y eussent été intéressés, me tenant
pour satisfait d'avoir pu faire mon devoir dans mes fonctions
difficiles, heureux surtout des nombreux témoignages de sym-
pathie que j'ai reçus de toutes parts , au moment où ma démis-
sion fut connue.
J'ai cru devoir raconter simplement les faits ; le public est
maintenant à môme d'apprécier.
Mais je ne regarderais pas cette partie de ma tâche comme
complètement achevée, si je la terminais sans rendre ici un
solennel et respectueux hommage au prince qui a su, sous
l'ancienne administration comme sous la nouvelle, imprimer
à l'ensemble des travaux l'impulsion de sa prodigieuse acti-
vité. Il est peut être permis de demander si cette influence
prépondérante est respectée autant qu'elle a droit de l'être
dans cette continuelle insistance que l'on apporte à éta-
blir entre les deux administrations une démarcation si tran-
chée. Les résultats eussent été assurément les mêmes ,
puisque la haute volonté du prince présidait, dans tous les
cas, aux opérations.
Les difficultés inséparables d'une nouvelle direction vinrent
entraver, pendant une quinzaine de jours au moins, la rapidité
des travaux d'achèvement , et il est juste de tenir compte de
ces retards inévitables si l'on veut apprécier avec convenance
la part de ce qu'a fait chacun.
Pour ne point nuire à l'ensemble de cet exposé, nous n'a-
vons jusqu'ici parlé que du bâtiment principal : on sait main-
tenant en quel état nous l'avons livré à l'administration qui
nous a succédé ; mais il est indispensable de nous re-
porter à quelques mois en arrière, et d'examiner comment
ont été conduits les travaux dans l'Annexe. En ce qui con-
cerne les dispositions générales à prendre pour la mise en
mouvement des machines, le lecteur sait déjà que la commis-
sion impériale s'était confiée à l'habileté de M. E. Trélat qui,
comme commissaire adjoint du service du bâtiment, avait en
même temps à s'occuper des travaux de construction de l'An-
nexe.
Le bâtiment proprement dit et même les galeries supérieu-
res ont été exécutés comme le bâtiment principal ; mais
tout ce qui concerne l'installation des machines a été remis,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 51
quant à l'exécution, à M. Nepveu, sous la direction de M. Tré-
lat et avec l'utile collaboration de M. Lecœuvre , attaché au
service du classement comme inspecteur des machines.
Confiée M. Trélat, le service d'installation des machines
devait se suffire à lui-même, et je n'aurais à revendiquer
ici aucune part d'action, si les dispositions générales que
j'ai été chargé de prendre n'avaient donné lieu à quelques
critiques; je tiens à garder la part de responsabilité qui m'ap-
partient.
Le projet de distribution générale étant arrêté, nous vîmes
bientôt qu'il serait convenable de placer les machines vers
l'extrémité de Chaillot; nous pensions dès lors que le fonc-
tionnement des appareils serait pour le public un attrait puis-
sant, et qu'en forçant tous les visiteurs à explorer ia galerie
la plus éloignée , nous assurions d'une manière plus complète
une circulation aussi uniforme que le peut permettre une exposi-
tion. Il avait été décidé que l'eau, que la vapeur seraient mises
gratuitement à la disposition des exposants, ainsi qu'un arbre
général de transmission sur lequel ils emprunteraient la puis-
sance mécanique dont ils auraient besoin.
Nous avions pendant longtemps espéré que la Commission
impériale finirait par sanctionner le projet qui lui avait été
soumis par M. le général Morin, pour la construction de deux
galeries élevées de i mètres chacune, dans toute sa lon-
gueur. En formant comme un vaste balcon , d'où l'on pour-
rait observer toutes les machines en mouvement, ces galeries
auraient sans aucun doute ajouté beaucoup à la beauté du
coup d'oeil. Dans le cas où elles auraient été construites, il
eût été peut-être convenable de fixer latéralement les trans-
missions , si le défaut absolu d'une résistance suffisante ne se
fût rencontré dans le mode de construction des piles, exécu-
tées exclusivement en petits matériaux de rebut. Celte raison et
le désir de donner un grand effet à l'ensemble de cette instal-
lation engagèrent avec raison M. Trélat à placer un arbre
unique dans l'axe même du bâtiment.
La question de savoir si cet arbre serait placé sous le sol ou
au-dessus avait une telle importance , comme dépense et
comme caractère, qu'elle fut étudiée avec le plus grand soin.
En Angleterre, les arbres n'avaient point une disposition uni-
que, parce qu'ils étaient établis par chaque constructeur, à ses
o!2 VISITE
frais et suivant ses convenances propres. La Commission im-
périale se proposant d'être à cet égard plus généreuse, une
disposition générale était nécessaire. Plusieurs industriels an-
glais, parmi lesquels nous citerons sans hésiter MM. Platt
et Cie, regardaient Farbre supérieur comme absolument in-
dispensable ; mais cette raison ne fut pas la plus importante
de celles qui nous déterminèrent. Si l'on songe que les cour-
roies , pour transmettre d'une manière commode le mouve-
ment, doivent avoir une certaine longueur, il est facile de
comprendre que celte longueur ne peut ôlre obtenue avec un
arbre sous le sol qu'à la condition d'en éloigner davantage
les machines et de perdre ainsi un emplacement considérable,
tant par cette cause que par suite du passage des courroies à
la hauteur du plancher. H fallait d'ailleurs une installation
qui se prêtât à toutes les circonstances possibles. Si nous ne
nous trompons, l'expérience a prouve suraboridamment que
la disposition adoptée satisfait à toute la généralité du pro-
blème. Nous avons d'ailleurs établi qu'aucune considération
ne pouvait nous permettre de perdre la moindre parcelle de
terrain , et cette disposition est de beaucoup la plus favorable
sous ce rapport.
D'un autre côté, la hauteur des supports a fait l'objet de
quelques observations; mais on oublie qu'au moment où
M. Trélat en arrêtait les dimensions sur un spécimen en bois
qu'il avait placé dans l'Annexe , la galerie était encore indé-
cise, et que la hauteur actuelle fut jugée par tous la meilleure
pour satisfaire à la fois la vue, au premier étage comme au rez-
de-chaussée.
Le principe de cette disposition ayant d'ailleurs été sanc-
tionné par M. le général Morin , alors commissaire général , il
faut bien croire qu'au point de vue de l'agencement mécani-
que, elle était réellement la plus favorable.
Le commissaire du classement n'eut d'ailleurs, il le répète,
à intervenir en aucune façon dans les travaux d'installation
proprement dits; il n'eut plus tard à s'entendre avec M. Tré-
lat que pour la désignation des emplacements offerts aux ma-
chines des différents pays, alors que It's commissaires étrangers
furent en position de préciser les espaces dont ils auraient
besoin pour leurs machines.
Cette distribution ne put avoir lieu (|ue le 15 avril: a
A L'KXPOSITION UNIVERSELLE. ri:',
cette époque, chaque pays fut mis en possession do tout l'es-
pace qui lui revenait encore, soit dans la section des machi-
nes , soit dans la section des produits , de manière à réaliser
autant que possible les chiffres primitifs des allocations offi-
cielles.
Les travaux de M. Nepveu marchèrent > à partir de cette
époque, avec une merveilleuse activité; mais les tables
destinées à recevoir, vers l'extrémité est du bâtiment, les au-
tres proluits des douze premières classes, ne purent s'exé-
cuter qu'avec lenteur, au milieu des colis nombreux qui en-
combraient le sol et df s ouvriers qui achevaient le bâtiment
lui-même. En ce qui concerne la France, les places étaient
distribuées pour toutes les industries qui ne devaient pas
trouver place dans le bâtiment du Panorama, et la plupart
des vitrines collectives étaient en cours d'exécution avant
l'ouverture officielle.
Les travaux étaient moins avancés dans le bâtiment du Pa«
norama, qui ne fut livré à la Comm s-ion impéiiale que vers
le 25 mai, époque à laquelle cependant toutes les dispositions
intérieures, les tables et les cloisons, étaient aiiêtées sur
plan à peu près comme elles ont été depuis lors exécutées.
A l'époque de notre démission , le 30 mai , aucun des deux
bâtiments qui ont reçu depuis lors les pioduits de la carros-
serie française et étiangère , n'existait mêm.e en projet; les
produits agricoles, à ce moment installés dans l'Annexe, ne
furent transportés que plus tard à la suite des instiuments de
l'agriculture, pour lesquels nous avions fait construire le han-
gar dans lequel ils se trouvent aujourd'hui.
D après ce qui précède , on peut voir que si des retards re-
grettables ont eu lieu relativement à l'achèvement des travaux,
du moins aucune fausse manœuvre n'est venue peser sur les
opérations ultérieures, les seuls changements qui aient été
apportés depuis étant réellement sans importance au point de
vue de l'effet général.
Quelques semaines spulement après notre retraite, au mo-
ment même où les travaux du jury allaient commencer, les
jurés angliiis étaient les premiers à proclamer les mérites de
l'Exposition ; l'opinion publique a ratifié ce jugement qu'il
importe de conserver, en souvenir de la bienveillance con-
stante de tons les fonctionnaires étrangers. Voici textuelle-
d4 visite
ment la note inscrite au Moniteur du 2 juillet dernier : « Dans
une réunion des divers jurys anglais pour l'Exposition univer-
selle, tenue aujourd'hui, rue du Cirque, n" H, sous la prési-
dence de lord Ashburton, il a été résolu unanimement qu'il
est désirable tV attirer l'attention du public anglais sur le grand
mérite de r Exposition et sa supériorité dans les produits ex-
posés sur celle de 1851 , et quelle est éminemment digne de
l'attention des artistes, des manufacturiers, de leurs ouvriers
et de toutes les classes du royaume uni. » D'autres commis-^
sions ont également adopté des résolutions analogues.
Cependant l'administration ne restait pas inactive. Son
état-major avait été modifié par l'adjonction de plusieurs
hommes de talent, et tout le personnel qui s'était formé avec
nous depuis le commencement des opérations était là pour
l'éclairer sur toutes les mesures prises et sur les décisions à
prendre. Les principaux soins du commissariat général durent
se porter sur divers travaux d'achèvement parmi lesquels nous
nous bornerons à signaler les plus importants.
L'ornementation du palais, confiée à M. Vaudoyer, qui s'ad-
joignit M. Rqssigneux, fut l'objet d'améliorationsremarquables.
Nous avons dit que la fontaine monumentale du centre de la nef
était en place, mais les bancs circulaires et les fleurs dispo-
sées au pourtour ne furent installés qu'après notre départ. La
toile de la toiture, en étoffes de couleur rayée, produit un
effet très-satisfaisant; l'arrangement des couronnements des
vitrines principales, pour lequel nous avions commencé à em-
ployer des corbeilles de fleurs d'un aspect fort agréable, fut
complété par une toiture uniforme , rayée en bleu et blanc,
qui égayé sans monotonie la vue générale. Des rideaux en
mousseline brodée furent placés en portières dans les galeries
supérieures peut-être avec une trop grande profusion ; de
nouveaux objets furent autorisés à occuper la nef, déjà un
peu embarrassée, et, sous ce rapport, nous exprimerions vo-
lontiers quelques regrets de ce que le principe qui avait pré-
sidé jusqu'alors au choix des objets qui devaient occuper ces*
emplacements principaux ne continua pas à être observé.
Nous n'avions placé de celte façon que les pièces monumen-
tales, qui avaient dès lors leur raison d'être exceptionnelle-
ment exposées ; il y aurait eu plus d'effet d'ensemble si l'on
n'avait entremêlé parmi eux cette quantité de petits objets qui
pan^ora:
' tjte,x^£/>ha7>d' M . Borut^joiffiK^ /^i-
flcheu^' de
X\RPD'
IPAL
Fàfi^r /Tnv>£rn€^A:^tiu. KyAfU</Tjruc.J>uJ3oif 6
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 55
changent complètement le caractère de celte partie de l'Expo-
sition.
L'Annexe s'est terminée sans aucune modification impor-
tante, si ce n'est pour les produits de l'agriculture qui , à
l'exception de ceux de M. Vilmorin, ont été réunis aux instru-
ments agricoles , dans le hangar prolongé. Restée sous la
direction de M. Trélat, la galerie des machines est absolument
ce qu'elle devait être dès le principe.
Le bâtiment du Panorama et le palier qui le sépare de l'An-
nexe ont été plus particulièrement arrangés par h s soins de
la nouvelle administration , quoique la partie centrale , que
nous avions réservée en faveur des manufactures nationales ,
ait été disposée sous la direction de M. Chabrol, architecte du
ministre d'État.
Les emplacements principaux, occupés aujourd'hui par les
fontes de M. Ducel et par la chaire de M. l'abbé Choyer,
étaient désignés à notre départ; les autres ne l'étaient encore
sur les plans que collectivement pour chaque nature d'indus-
trie, à peu près comme on le voit aujourd'hui sur le terrain.
Cependant la salle des dessins industriels ne devait point, dans
notre projet, utiliser la galerie extérieure du sud-ouest, ré-
servée alors pour le buffet ; celle du sud est occupée aujour-
d'hui par la quincaillerie ; elledevait avoir la même destination.
Nous avons dit déjà que les hangars de la carrosserie ont
été construits aux derniers moments, par suite des admissions
supplémentaires, le long du bâtiment principal, emplacement
que nous avions souvent proposé pour des annexes, mais qui
nous avait été refusé constamment pour ne pas nuire à l'effet
principal.
L'horlogerie , placée d'abord sur les deux voies du passage
de communication, n'en occupe plus qu'une seule aujourd'hui.
Cette galerie, ainsi réduite, peut encore témoigner des diffi-
cultés que l'on rencontre pour obtenir une disposition conve-
nable avec des vitrines isolées et sans projet d'ensemble.
Toute l'Exposition aurait eu le même aspect si le principe
des vitrines collectives n'avait pas fait l'objet d'une règle gé-
nérale dans la plupart des cas obligatoire.
Ces notions historiques données, il nous reste à indiquer
quelle a été la marche croissante du nombre des visiteurs
depuis l'ouverture de l'exposition. Pour donner plus d'inté-
50
VISITE
rèt à cesindicalions, nous mettrons en regard les chiffres cor^
respondanls pour l'exposition de I80I.
F.XI'OSITION 1)K 1855
20 mai
27 mai
3 juin
10 juin
17 juin —
24 juin.. .
1*' juillet
8 juillet.,
15 juillet.
22 juillet.
29jiiinet.
6 août...
12 août...
10 août...
NOMBRE
PRIX
de
d'entrée.
per.>^ori-
\v. c.
nes.
0,20
» y>
[Gratuit.^
80 118
0,20
42 908
0,2(>
o4 587
0,20
61 81!)
0,20
86 606
0,20
62 208
0,20
62 107
0,20
73 521
0,20
86t)12
0,20
910:4
0,20
74 224
0,20
dt 000
0,20
1
EXI'OSiriON DE 18;:
24 mai
29 mai
5 juin —
9 juin. . . .
17 juin....
24 juin.. . ,
l"juiUet
8 juillet.
15 juillet.
22 juillet.
29 juillet.
5 août . .
12 août...
19 août...
NOMBRE
PRIX
de
d'entrée
person-
nes.
fr. c.
3,25
34812
1,25
52 518
1,25
55 837
1,25
54 •. 04
1,25
68 155
1,25
08 3!)4
1,25
51 009
1,25
65 902
1,25
74 122
1,25
«18 161
1.25
69 036
1,25
68 069
1,25
58 554
1,25
57 079
On voit par ce rapprochement que les chiffres, de nos jours
à 20 c. (le dimanche) , donnent un total notablement supé-
rieur à celui des visiteurs à 1 fr. 23 c. de l'Exposition de Lon-
dres; on doit donc espérer que, pendant les mois de sep-
tembre et d'octobre, le nombre des visiteurs s'élèvera au-
dessus de ^109 000, qui est le chiffre le plus élevé que l'on ait
atteint à l'Exposition de I80I ; encore ce chiffre n'a-t-il été ob-
tenu que pendant deux jours, les 7 et 8 octobre, c'est-à-dire
à la veille de la fermeture qui a eu lieu le 11 de ce mois ; la
nôtre n'est annoncée que pour le 31 octobre.
Les prix d'entrée, en France , pour des opérations de ce
genre, ne sont pas acceptés avec la même facilité qu'en An-
gleterre, par suite sans doute de l'habitude contractée de vi-
siter gratuitement toutes les Expositions; l'augmentation ce-
pendant se fait aussi remarquer pour les entrées à 1 fr. ; tan-
dis qu'au commencement le nombre des visiteurs ne s'élevait
guère au-dessus de 30 000, plusieurs journées du mois d'août
dénotent la présence de plus de 90 000 personnes.
A L'EM'OSlïlOiN UNIVERSELLE. M?
Un autre élément d'appréciation fera mieux connaître Tim-
portance relative des deux grands concours : encore bien que
le nombre définitif des exposants ne soit pas officiellement
arrêté, puisque de nouvelles admissions se font encore, il nous
a paru qu'il serait intéressant de faire connaître les nombres
comparatifs des exposants de chaque nation en 1851 et en '1855.
Nous avons, dans la li^te ci-jointe, rangé les différents
pays d'après ces nombres eux-mêmes.
TABLEAU DU NOMBRE DES EXPOSANTS DE CHAQUE NATION
EN 1851 ET EN 1855.
/France
Empire français. ; Algérie
\ Colonies
Royaume uni de\ ArA+„^^^i
laGiv.nde-Brela-)?.^^^/™.P°l^
^^neetdlrlande.)^^^^'^^^^
Royaume de Prusse
Empire d'Autriche
Royaume de Belgique
Royaume d'Espagne et colonies espa
gnôles
Royaume de Portugal et colonies por
tugaises
Royaume de Suède
Royaume des Pays-Bas
Confédération suisse
Royaume de Wurtemberg
États sardes
Grand-duché de Toscane
Royaume de Bavière
Royaume de Grèce
États-Unis d'Amérique
Royaume de Norvège
République mexicaine
Royaume de Saxe '.
A reparler
18ol.
9-; 90)
7iJ4 10 691
177^
^^^^! 2 4i5
985) ^^'^
1313
1296
686
568
443
417
411
408
207
198
197
172
131
13U
121
107
9(j
20 027
1641 i
(i9( 1710
620
I -
;3Si
872
731
500
286
157
1 17
113
2f.3
109
95
99
999
30
499
Compris avec
la Suède.
12
190
14 175
VISITE
Report.
Monarchie danoise
Villes hanséatiques
Grand duché de Bade
Grand-duché de Hesse
États pontificaux
Duché de Nassau
Ville libre de Francfort-sur-le-Mein. .
Grand-duché de Luxembourg
Royaume de Hanovre
Duché de Brunswick
Duchés de Anhalt, Dessau et Cœlhen.
Électoral de Hesse
du
République de la Nouvelle -Grenade.
Grand-duché d'Oldenbourg
Duché de Saxe-Cobourg- Gotha.. .
Confédération argentine, empire
Brésil
République de Costa-Rica
République dominicaine
Egypte
République de Guatemala
Royaume Hawaïen
Principauté de Lippe-Detmold
Empire ottoman
Principautés de Reuss
Grand-duché de Saxe-Altenbourg. .
Duché de Saxe-Cobourg
Duché de Saxe-Meiningen
Grand-duché de Saxe-Weimar
Principauté de Schaumbourg-Lippe..
Principauté de Schv/artzbourg-Ru
dolstadt
Tunis
Russie , Chine et Perse
Totaux
20 027
90
89
88
74
71
69
24
23
18
IG
15
14
m
14175
39
134
Compris avec
la Prusse.
80
62
13
.33
6
Compris avec
la l'nisse.
Id.
Id.
Id.
Compris avec
13 l'Arnérique
1 du Sud.
. „ (Compris avec
^'^ la Prusse.
11
1*
20 709
305
14 837
* L'empire oUoman, l'Egypte, Tunis, etc., ne sont compris dans ce
tableau pour un si petit nombre d'exposants, que parce que les produits
ont été envoyés par les gouvernements eux-mêmes.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. r)9
On peut dire que le palais de l'Industrie et ses annexes ren-
ferment les produits de plus de 20 000 exposants; la moitié
en plus du chiffre officiel de l'Exposition de Londres.
Celte différence est à elle seule un immense succès.
Je ne terminerai pas celte nolice sans adresser mes bien
sincères remercîments à tous mes collaborateurs pour le zèle et
le dévouement qu'ils ont apportés, pendant mon administra-
tion, dans l'accomplissement de leur tâche; je leur suis sur-
tout reconnaissant d'avoir continué leurs bons offices après
notre départ; c'est à leur coopération assidue qu'il faut en
grande partie attribuer la complète réussite de la grande en-
treprise qui doit jeter sur l'industrie française un nouvel éclat.
C'était avec une bien vive satisfaction que je recevais de la
bouche du prince, dans l'une de ses nombreuses visites dans
lesquelles il apporte tant d'intérêt et d'affeclion pour les arcs
industriels , l'assurance que ces services avaient été conve-
nablement appréciés par Son Altesse Impériale et les hommes
qui y consacrent leurs veilles.
MM. les commissaires étrangers voudront bien aussi rece-
voir l'hommage public de ma gratitude pour l'extrême bien-
veillance que j'ai toujours rencontrée dans mes nombreux rap-
ports avec eux; je conserve précieusement , comme titre de
famille, les lettres par lesquelles la plupart d'entre eux ont
bien voulu m' exprimer les regrets qu'ils avaient éprouvés de
la résolution que j'avais prise en me retirant. J'espère que la
continuation de leur bienveillance ne sera pas, à la fin de
l'Exposition , sans profit pour les collections du Conservatoire
des arts et métiers. H. T.
DESCRIPTION GENERALE
DE L'EXPOSITION.
La première exposition des produits de toutes les nations
s'est ouverte à Londres en '1851 le 1" mai dans le bâti-
ment justement appelé le palais de Cristal, dont les dimen-
sions dépassaient toutes celles des expositions antérieures :
la longueur du palais était de 564 mètres (ISol pieds) et sa
largeur n)aximum de 1481.
La capitale de l'Angleterre, si riche en squares et en parcs,
avait consacré l'une de se.-< promenades 1rs plus fréquentées à
cette grande entreprise, dans le plus admirable site, auprès
de la rivière de lu Serpentine, dont les eaux arrosent la [lariie
ouest de la ville. A proximité des quartiers les plus riches,
entre la ville et la campagne, cette situation ressemblait assez
à celle qui est occupée par notre palais de l'industrie; seule-
ment les pâturages de Hyde-Park sont remplacés par la ma-
gnifique promenade des Champs-Elysées, la Serpentine par
la Seine , les brouillards de la Tamise par le soleil de la
France.
La principale voie conduisant au palais de Cristal, était
Piccadily, cette grande route de Londres qui aboutit au mo-
nument de Wellington, après avoir côtoyé les parcs piinci-
paux de Saint James et du Régent , qui renferment les palai>
royaux.
Notre palais de l'Industrie est desservi par plusieurs gran-
des voies de communications: la grande avenue des Champs-
Elysées et le cours la Reine sont les principales, et l'on y ar-
rive avec une grande facilité, par les boulevards, par les
quais, par la rue de Rivoli, le Palais-Royal et les Tuileries.
VISITE A L'EXPOSITION LNIVERSELLE. (51
Vins, rapprochée du centre de la capitale, entourée de nom-
breux monuments admirablement placés, la grande fête indus-
trielle est moins isolée en France qu'elle ne l'était au milieu
de Ilyde-Park.
Une différence essentielle doit d'ailleurs être faite ; tandis
que l'exposition de l'Industrie attirait à Londres tous les visi-
teurs, nous avons cette fois plusieurs expositions qui se dis-
putent les regards; l'exposition des Beaux-Arts, celle de la
Société d'horticulture, qui se renouvelle chaque semaine,
celle des animaux reproducteurs qui, par suite des condiiions
spéciales qu'elle entraîne, n'a pu durer que peu de temps.
Si nous entrons au palais de l'Industrie par la porte princi-
pale, nous ne sommes pas, il faut en convenir, éblouis comme
on l'était à Londres par ce vaste transept au fond duquel
quelques arbres restés debout venaient former une imposante
ornementation. L'entrée de noire bâtiment étant placée sur
sa longue face il n'était pas possible de ménager un effet de
môme importance. L'œil est plutôt étonné des nombreuses
merveilles qu'il rencontre à chaque pas qu'il n'est ébloui par
la première inspection.
On trouve trop petit le Palais lorsqu'on le compare à celui
de Londres, mais celui de Londres n'offrait pas cette somptuo-
sité des objets disposés dans la nef, il ne possédait pas ce
balcon qui permet d'embrasser d'un coup d'œil tout l'ensem-
ble; il n'avait pas surtout ces galeries supérieures dont les
voûtes sont d'un admirable aspect.
Le grandiose du bâtiment de Hyde-Park n'était pas exempt
d'une certaine monotonie que le nôtre ne comporte pas; la
rotonde du Panorama, la galerie circulaire qui l'entoure, le
Jardin avec ses instruments agricoles et la carrosserie, ne res-
semblent en rien au palais principal ; con>acrés à des produits
de natures différentes, chacun de ces emplacements est ap-
proprié à cette nature même.
Tous les espaces sont si bien utilisés et la variété en est si
grande que l'on croirait avoir tout vu lorsqu'on se trouve au
bas de l'escalier de jonction : on croit sortir de la vaste en-
ceinte et l'on se trouve dans un nouveau monle, qui n'a ni
commencement ni fin, qui renferme les richesses naturelles
les plus variées et les plus inattendues d'un côté, tandis que
de l'autre se déroulent une innombrable quantité d'engins
62 VISITE
puissants, dont une pareille réunion n'a jamais existé ; l'An-
nexe, palais des produits bruts et des machines, n'a pas moins
de 1200 mètres de longueur, le double environ de la longueur
du palais de Hyde-Park.
La nef principale du palais a une ouverture de 48 mètres;
les voûtes supérieures S^, et celle de l'Annexe 27.
A Londres le transept avait une largeur de 28 |mètres seu-
lement; la nef longitudinale 21 mètres.
Le palais principal et les annexes ont été exécutés sur les
dessins de M. Viel par MM. Yorck et Cie , entrepreneurs géné-
raux, dont M. Barrault et M. Bridel ont été les ingénieurs. La
dépense totale des constructions s'est élevée à environ 18 mil-
lions qui se répartissent de la manière suivante :
Palais principal 13 millions.
Annexe 4- millions.
Panorama 1 million.
L'appropriation de ce dernier bâtiment a été conduit par
M. le commandant Guillaumot et par M. Chabrol , architecte
du ministère d'État.
La compagnie concessionnaire du Palais a pour directeur
M. le comte de Rouville, et pour administrateurs MM. Ardouin,
Ricardo et Bouissin.
Le palais de Hyde-Park, proposé d'abord en adjudication
publique, a été entrepris sur des plans nouveaux et plus éco-
nomiques , par MM. Fox et Henderson , sur les dessins de sir
Joseph Paxton.
Le caractère architectural est bien différent pour les deux
bâtiments ; à Londres, point d'ornementation : une construc-
tion simple en fonte et en bois, sans maçonnerie, couverte en
verre ; à Paris, des murs en pierre décorés avec art, mais qui
ne servent en rien à la solidité de l'édifice, la construction re-
posant entièrement sur les colonnes en fonte. A Londres, des
toitures planes vitrées de sept mètres, de support en support ,
si ce n'est dans les parties principales, la nef et le transept;
à Paris, des voûtes en verre dépoli dans toutes les parties de
l'édifice.
A Londres, la surface totale s'élevait à 95 000 mètres, en
y comprenant les passages et les cours intérieures , l'admi-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 63
nistration et les buffets ; à Paris, elle doit être estimée, si
l'on y comprend le jardin , comme il suit :
Palais de l'Industrie 50 737 mètres.
Galerie du quai de Billy 41 540
Panorama et pourtour 9 026
Terrain enclos de barrières 22 087
Total 423 390
Les conditions des deux entreprises sont, comme on le voit,
bien différentes; nous ne pousserons pas plus loin cette com-
paraison, nous bornant à donner quelques indications géné-
rales sur la disposition des produits en 4 855.
Palais principal.
La grande nef est occupée par les produits monumentaux
de toutes les nations, parmi lesquels on remarque les fon-
taines des exposants français, le trophée de la marine an-
glaise, le trophée des terres cuites de l'Autriche , le phare de
l'administration des travaux publics, la statue du feu roi de
Prusse. Une glace de Saint-Gobain, une glace belge, deux
chaires des Pays-Bas , des autels en orfèvrerie et en marbre ,
des bronzes complètent dignement cet ensemble dont notre
planche indique le caractère principal.
Au rez-de-chaussée, la partie sud appartient entièrement
aux nations étrangères; la partie nord à la France. Sur les
deux fronts, vingt vitrines monumentales renferment des
produits remarquables. Derrière ces vitrines, des salles sur
lesquelles plane la vue des galeries, sont consacrées à autant
d'industries distinctes : ce sont pour la France, l'imprimerie,
la plastique industrielle, les coffrets et les jouets d'enfants, la
céramique, la verrerie, lorfévrerie et enfin les bronzes, cette
gloire de l'industrie parisienne.
On trouvera dans l'introduction historique, page 4 5, la ré-
partition de l'espace entre les différentes contrées, soit au rez-
de-chaussée, soit au premier étage : les plans ci-joints suffi-
ront d'ailleurs pour indiquer les divers emplacements occupés
par chacune d'elles.
64 VISITE
Les tissus de luxe , les fleurs artificielles , la bijouterie l'ont
de la galerie supérieure, dans la partie française, un véritable
paradis des dames.
Panorama et jardin.
Au centre d'une grande salle circulaire, dans laquelle la
lumière est adroitement ména:j;ée, s'élève une vaste estrade
au sommet de laquelle les di;imanfs de la couronne attirent
de nombreux visiteurs; tout autour, les chefs-d'œuvre de la
manufacture de Sèvres, se dessinent en silhouettes gracieuses
auprès du service de l'empereur, sorli des ateliers de M. Chris-
tone.
Les murs sont ornés des magnifiques tapis des Gobelins et
deBeauvais, qui représentent dignement les manufactures
impériales auprès des tapisseries de M. Sallandrouze et des
moquettes d'Aubusson. Quelles perfections dans ces produits:
ces couleurs inaltérables, fixées sur le bi-ciiit ou le tissu, as-
surent à ces œuvres d'art l'admiration des siècles à venir.
La galerie au pourtour renferme d'une part les instruments
de musique, les armes et la coutellerie; de l'autre, tous les
produits de fébénisterie française auprès desquels les dessins
de nos artistes industriels occupent une galerie spéciale.
Dans le jardin, deux hangars contiennent la carrosserie de
la plupart des nations représentées au Palais de l'Industrie,
l'Angleterre et l'Autriche exceptées. Le bâtiment des instru-
ments et des produits agricoles étale les conquêtes dont les
arts mécaniques ont doté l'agriculture.
Dans le jardin , des modèles de construction, le yacht de
l'empereur, le modèle d'une hélice et un grand nombre de
pièces de dimensions considérables entourent la galerie cir-
culaire qui est le principal bulfet de l'établissement. La can-
tine pour les ouvriers et les hommes de service est placée
tout auprès du modèle de cité ouvrière qu'a fait construire
M. Glarck, et qui sera meublé bientôt de tous les objets spé-
cialement destinés aux populations ouvrières.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 65
Annexe.
Le plan général que nous donnons des annexes, indique à
la fois la distribulion entre les nations étrangères pour la sec-
tion des produits et pour celle des machines.
Dans la section des produits, une double galerie de 7 mètres
de largeur, disposée pour recevoir les produits les moins en-
combrants, est surtout remarquable par les produits naturels
des colonies les plus importantes, et par les nombreux instru-
ments scientifiques qu'elles renferment. Au rez-de-chaussée se
trouvent les produits minéraux et métallurgiques, les produits
agricoles des pays étrangers, les substances alimentaires et
les produits chimiques.
Vers le centre de l'annexe, la section des produits se ter-
mine par l'exposition des colonies françaises et les magni-
fiques collections de l'Algérie.
Si ces témoins de la fécondité du globe n'offrent pas tou-
jours une variété suffisante pour attirer les regards des visi-
teurs les plus pressés, la section des machines, au contraire,
jouit du rare privilège d'être favorablement apprécié par tous.
Ces masses de fer de toutes formes qui travaillent le métal le
plus résistant, la pierre la plus dure, les bois les plus difficiles
aussi bien que les fils les plus fins et les tissus les plus légers,
excitent l'admiration générale. Cette longue galerie dans la-
quelle le mouvement est partout, qui décèle par quels moyens
l'homme a su soumettre à ses besoins la puissance des eaux
et celle de la vapeur, qui fait voir comment les mille doigts
de la mécanique peuvent être doués de tous les genres de pré-
cision , laisse bien loin derrière elle la galerie par laquelle la
commission royale de Londres avait inauguré, en 1851, ce
genre d'expositions.
La disposition générale fait le plus grand honneur à l'ingé-
nieur qui a dirigé les travaux et au constructeur qui les a si
habilement exécutés.
Notre plan général indique les emplacements occupés par
les machines des principales contrées.
Les indications qu'il renferme seront suffisantes pour faire
connaître au visiteur où il devra chercher les différents pro-
duits ; mais il nous a paru désirable , avant de nous livrer à
200 e
66 VISITE
un examen comparatif des produits similaires , de jeter un
coup d'oeil rapide sur l'Exposition de chaque pays.
FRANGE.
Annexe, section des produits, travées 44 à 71, de A à D. —
Annexe, section des machines, travées 71 àlU, deAàD. —
Bâtiment des produits agricoles. — Bâtiment de la carrosserie.
— Panorama tout entier. — Palais principal, rez-de-chaussée,
travées 1 à 32, de A à H. — Palais principal, galerie, tra-
vées 1 à 10 , de A à B ; 10 à 23 , de A à 0 ; 23 à 32 , de A à B.
Dans l'examen comparatif des produits des différentes clas-
ses, la France occupe nécessairement une assez large place
pour qu'il soit inutile de décrire ici le caractère spécial que
présente son Exposition.
Dans les arts du dessin , dans les articles de luxe , elle n'a
de rivale nulle part ; le bon goût qui préside aux œuvres de
nos ariistes, le sentiment général de la forme ont dès long-
temps imprimé leur influence dans la plupart des industries
françaises. Nous verrons d'ailleurs sur quels points la France,
soit au point de vue agricole, soit au point de vue de l'indus-
trie manufacturière, a su maintenir en sa faveur une évidente
supériorité.
Afin de rendre plus facile la recherche des produits fran-
çais , nous avons reproduit la table suivante qui pourra être
consultée avec fruit.
Les lettres A, J et P qui précèdent la désignation indiquent
qu'en général les produits de la même nature, qui appartien-
nent aux pays étrangers , sont placés dans l'Annexe , dans le
Jardin ou dans le Palais de l'industrie.
Nomenclature des produits français, avec l'indication
des emplacements qu'ils occupent.
A. Aciers et coutellerie. . . Panorama.
P. Armes Panorama.
J. Agriculture ( instru-
ments d') Jardin,
^, Agricoles (produits).,. Jardin,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 67
A. Alimentaires (substan-
ces) Annexe ; A à B ; 44 à 49.
P. Bijouterie Palais ; g. G à D ; Il à 20.
P. Bronzes Palais; r.-d.-c. D. à F ; 20 à 29.
P. Bonneterie Palais; r.-d.-c. E àF; 1 à 3.
P. Broderies Palais; g. B etC ; 2 à 28.
P. Brosserie, vannerie. . . Palais; r.-d.-c. G à D; 2à 8.
P. Boutons Palais ; r.-d.-c. C à D; 20 à 24.
A. Boissons Annexe; r.-d.-c. A à B; 47 à 53.
P. Cotons filés et tissés . . Palais ; r.-d.-c. A à G ; 1 à 6.
P. Couvertures et flanelles. Palais ; r.-d.-c. D à G ; 30 à 32.
P. Chaussures Palais ; r.-d.-c. C à D ; 17 à 30.
P. Chapellerie Palais ; r.-d.-c. G à E ; 1 à 3.
P. A. Constructions navales. Annexe; r.-d.-c. A àD ; 14 à 16.
A. Conslruction ( maté-
riaux de) Annexe; r.-d.-c. B à D; S4à60.
P. A. Cordages Palais; r.-d.-c. A à B; 14 à 12.
P. Châles Palais ; g. A ; 24 à 32.
P. Coffrets et nécessaires. Palais; r.-d.-c. B à A; 9 à 11.
P. J. Carrosserie , sellerie ,
bourrellerie Jardin.
A. Cuirs et peaux Annexe; r.-d.-c. AàD; 73 à112.
A. Caoulchouc, gutta-per-
cha, etc ,..:... Annexe; g. A à D ; 59 à 65.
P. A. Chauffage, appareils, etc. Annexe; r.-d.-c. BàD ; 48 à 54.
P. Dentelles Palais ; g. B à G; 14 à 20.
P. Draps Palais;r.-d.-c. ; AetB;24à32.
P. Dessins de fabrique. . . Panorama.
P. Étoffes de soies Palais ; g. A à G ; 5 à 26.
P. Éventails et écrans. . . Palais; r.-d.-c. C à D; 19 à 21.
P. Fleurs artificielles Palais; g. B à G; 10 à22.
P. Fourrures Palais ; r.-d.-c. D à G ; 1 .
p. Gravures, lithographies
et photographies. . . Palais; r.-d.-c. B à G; 3 à 8.
P. Ganterie Palais; r.-d.-c. G et D; 30 à 32,
P. A. Horlogerie Annexe ; r.-d.-c. BàD; 44 à 47.
P. Imprimerie et librairie. Palais; r.-d.-c. B à F ; 3 à 8.
P. A. Instruments de préci-
sion Annexe; g. G à B; 44 à 52, et
r,-cl.-c. BàC; 47 à 48.
68 VISITE
P. Jouets d'enfants ^^^^'''^ '•-^:'''- ^^V llï'll'
P. Laines filées Palais ; r.-d -c. A a C ; 20 a 32.
P. Mérinos Palais; r.-d.-c. B a C; 19 a22.
A. Machines Annexe; A a B; 73 a 112.
p Meubles Panorama.
P. A. Marbrerie Marquises est et ouest.
P. Musique ( instruments
(\q\ Panorama.
P. Modes et confection , i, tr-ihn
pour dames Palais; r.-d.-cetg.BetG, 1 a4.
4 Mines Annexe;r.-d.-c. AaD;5éaGD.
P Orfévr'erie P^'^^^' ^-l"" "''!'' îo"
P Porcelaines et poteries. Palais; r.-d.-c. A a E; 13 a 19.
A* Papiers Annexe; g. G à D; 52 a 57.
p" Parapluies et camées.. Palais; r.-d.-c. Ca D ; 9 a 14.
P A Papiers peints et déco-
rations Panorama.
A Produits chimiques. . . Annexe; A aB; 49 a 59 .
a! Quincaillerie Panorama.
P. Soies grèges et cocons. Palais ; g. A a B ; 30 a 32
p^ Toiles..! Palais;r.-d.-c. AaB;10a15.
p' Tapis Panorama.
P Tapisseries Palais; g. B à C; 10 à 22.
p Vitraux et stores Palais ; escaliers.
P. Velours et peluches... Palais; g. B à G; 8 a 12.
p! Voyage (articles de) .. . Jardin.
Nous avons dit pour quelles raisons il nous paraissait inutile
de décrire sommairement le caractère de l'Exposition fran-
çaise • on trouvera dans les notices suivantes un aperçu gé-
néral sur celles de chaque pays, en commençant par l'Algérie
et les colonies françaises.
ALGÉRIE.
Annexe , section des produits ; travées 65 à 70, de A à D.
Dans l'espace réservé à nos colonies, et c'est justice, l'Al-
gérie occupe la plus grande place; à gauche , se trouvent ses
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 69
bois, ses denrées alimentaires ; au milieu, ses vins, ses huiles,
ses matières textiles; à droite enfin, dans les galeries, les pro-
duits de l'industrie arabe ou coloniale et les objets fabriqués
avec ces matières premières.
La collection de bois de TAlgérie est très-complète : essen-
ces de nos climats et arbres tropicaux, chênes verts, chénes-
liéges, palmiers, thuyas, orangers, oliviers, cèdres, se trou-
vent réunis dans notre colonie africaine et peuvent y atteindre
des dimensions énormes si on en juge par le tronc d'olivier
sauvage qui aurait eu plus de mille ans d'existence.
Parmi les bois d'ébénisterie , le thuya se place en première
ligne; ses belles teintes sombres, ses veines brunes sur un
fond rouge et chaleureux , expliquent la préférence qu'on lui
a donnée; des pianos, des meubles, des caisses à liqueur,
montrent tout le parti qu'on peut tirer de cet arbre précieux.
M. Testut, ébéniste à Alger, a exposé un grand nombre de
beaux produits exécutés soit en thuya, soit en olivier, dont
la couleur est beaucoup plus claire , et qui rappellent dans
des tons plus jaunes l'acajou neuf. Nous avons remarqué
surtout un meuble en thuya et en houx coloré en bleu noi-
râtre, rehaussé d'ornements en cuivre.
Dans la partie nord de l'Exposition sont placées les huiles
de l'olivier domestique ; cette galerie obscure que personne
ne regarde et où se trouvent réunis les huiles, les vins et les
laines d'Algérie nous paraît, si on y ajoute les céréales, ren-
fermer tout l'avenir de notre belle colonie; deux systèmes
sont en effet en présence : faut-il tenler en Algérie la culture
des denrées coloniales, du sucre, du coton, même du thé, ou
bien faut-il que nous ayons en Afrique une succursale de
notre Provence, qui nous donnera des céréales, du vin, de
l'huile, de la garance, de la soie et de la laine fine? Le pre-
mier système paraît être celui du gouvernement ou plutôt
celui du général qui dirige l'administration spéciale de l'Al-
gérie: un grand prix de 10 000 francs a été décerné en effet
aux cultivateurs de coton, sans qu'aucune récompense ana-
logue soit venue encourager les producteurs de céréales; le
second, surtout représenté par M. Decaisne, professeur de
culture au Muséum , qui , dans ses leçons comme dans ses
écrits, soutient son opinion avec l'énergique passion pour le
bien qu'il apporte dans toutes ses œuvres. Nous ne pouvons
10 VISITE
entrer ici dans la discussion que nécessiteraient des ques-
tions d'un si haut intérêt; cependant, quand on songe à la
rareté et au prix considérable de la main-d'œuvre en Algérie;
quand on voit que d'un côté il y a tout à créer, tandis que de
l'autre il n'y a qu'à continuer la culture à laquelle le sol est
propre, puisqu'elle y existe de toute antiquité, il nous semble
qu'il n'y a pas à hésiter.
La garance, le cochenille, le tabac, le lin, le ricin, l'oli-
vier, le mûrier, la vigne , l'asphodèle, telle est l'extrême va-
riété de plantes industrielles que porte le sol algérien.
Blé dur et tendre, maïs, orge, avoine, dattes, telles sont
les denrées alimentaires dont l'Algérie peut déjà exporter des
quantités considérables. Les céréales algériennes paraissent
d'une qualité tout à fait supérieure, et la palme qu'avait ob-
tenue l'Australie en 185'! pourrait bien cette année passer à
notre colonie d'Afrique.
La culture des fruits sera encore pour ce pays la source
d'une grande richesse; elle ne disparaît de notre Provence
que pour se retrouver de l'autre côté de la Méditerranée. Les
oranges , les citrons , les fruits frais et confits seront sans
doute prochainement un article important d'exploitation pour
l'Algérie.
Les laines enfin , dont nous voyons un grand nombre d'é-
chantillons et qui méritent toute l'attention , forment une des
parties les plus importantes de la collection des produits
algériens. L'Arabe est éminemment pasteur; sa richesse ré-
side presque exclusivement dans ses troupeaux. Il y attachera
donc un soin tout spécial et se hâtera de les améliorer si on
le pousse dans cette voie, si, en lui achetant plus cher des
produits plus parfaits, on le met à même d'améliorer ses toi-
sons au moyen de croisement avec des béliers mérinos ; ce
croisement est appelé à réussir d'autant mieux que l'examen
que M. Bauderaent a fait d'un grand nombre d'échantillons
algériens l'a conduit à penser que déjà plusieurs troupeaux
avaient reçu autrefois du sang mérinos, si toutefois les mé-
rinos eux-mêmes n'étaient pas originaires de nos provinces
barbaresques. Au reste , quelques producteurs ont exposé
des échantillons de toisons croisées qui présentent d(\jà un
grand progrès sur la laine commune des races indigènes.
Les vitrines de la galerie nord renferment les produits de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 71
l'industrie arabe : écharpes légères et transparentes brodées
d'or et de soie, burnous rouge et blanc, gaudourahs de mous-
seline transparente, riches éventails de plumes d'autruche,
maroquins repoussés , bottes de cavaliers armés de longs
éperons, babouches de femme sans talon ornées d'or , vraie
chaussure de haremavec laquelle on ne peut faire un pas,
mais qui donne à la démarche cette nonchalance , cette pa-
resse de mouvement qui est un des charmes des mau-
resques.
Puis la selle , les harnais , les armes de l'homme de grande
tente, de l'argent sur le velours et le cuir, de l'argent encore
sur le fusil et sur le yatagan ; on sent que ces richesses porta-
tives conviennent à un peuple non attaché au sol , qui veut
tout transporter avec lui ; peuple nomade qui vit sous la
tente, qui, lorsqu'il est poursuivi, chasse ses troupeaux de-
vant lui, et fuit vers le désert, sur sa jument rapide, animal
de cette race célèbre, aussi élégante que robuste, aussi résis-
tante que vive, qui deviendra aussi l'une des causes de pros-
périté de la colonie.
Les richesses minérales de l'Algérie, encore mal connues,
mal exploitées , se sont discréditées au point que les actions
des mines de Mouzaïa et de Tenez sont cotées à la Bourse aux
prix les plus bas ; les échantillons déminerais sont assez beaux
cependant, et il est possible que la non-réussite de ces affaires
tienne plutôt à une mauvaise administraiion qu'à une pau-
vreté réelle des mines ; de la galène, du fer oligiste, de la
limonite, promettent à l'Algérie du plomb et du fer; enfin, les
marbres sont déjà une richesse tout acquise qu'elle pourra
exploiter quand ses voies de communication seront plus par-
faites. Nous avons remarqué entre autres quelques beaux
échantillons de marbre portor qui ne se trouve plus nulle
part ailleurs. L'agate, connue sous le nom d'onix africain, est
un magnifique produit spécial à l'Algérie; les plaques qui
existent à l'Exposition sont de toute beauté; la demi-trans-
parence, les veines coloriées, le fond blanc jaspé de cette belle
variété de quartz en feront une des matières premières les
plus recherchées pour la confection de la sculpture d'orne-
ment.
Si Ton se rappelle qu'il y a à peine quinze ans qu'on s'oc-
cupe sérieusement de cette partie africaine de notre territoire,
72 VISITE
on comprend qu'on ne soit pas encore arrivé plus loin. Ce
qu'on devait demander à cette exposition, c'était de montrer
non pas ce qui était fait en Algérie, mais ce qu'on pouvait y
faire; l'exposition des produits minéraux et végétaux prouve
qu'un immense avenir attend cette succursale de la France,
où nous pourrons faire ce qui nous manque en Europe ; des
céréales qui nous donneront un complément utile toujours,
indispensable quelquefois; des huiles que notre midi ne fait
plus qu'avec peine; des vins, si la terrible maladie qui ruine
nos vignerons continue encore ses ravages ; de la soie, enfin,
de la laine fine si nous suivons l'exemple de l'Angleterre ,
nous réservant de faire de la viande chez nous comme elle a
fait chez elle, et faisant de la laine fine en Algérie comme elle
en fait à Victoria et à Melbourne.
COLONIES FRANÇAISES.
Annexe , section des produits ; travées 69 à
La pauvreté et le petit nombre des échantillons envoyés
par nos colonies a conduit, sans doute, au système de classi-
fication que nous avons vu en vigueur dans l'exposition de
nos colonies. Tous les produits réunis, agglomérés, sans dis-
tinction de pays, qu'ils viennent des Antilles ou du Sénégal,
de la Guyane ou de la Réunion , forment sans doute un en-
semble assez satisfaisant au premier coup d'œil, mais cette
confusion augmente énormément les difficultés d'un examen
sérieux. Il nous semble qu'il eût été plus digne et en même
temps plus utile de montrer franchement notre pauvreté;
plus elle aurait été évidente et palpable, et plus viie on se
serait occupé de la détruire.... Il est difficile de guérir quand
on cache son mal.
Le Sénégal et le Gabon sont peu représentés à l'Exposition,
ou du moins leurs produits éparpillés sont difficiles à appré-
cier. Le Gabon nous a envoyé un bel échantillon d'huile de
palme qui pourra devenir d'un haut intérêt pour le commerce
de ce comptoir; le Sénégal envoie des dents d'éléphant , de
la gomme , du caoutchouc, des résines, de l'indigo et des
armes sauvages.
A L'EXPOSITION UiMVERSELLE. 73
L'exposition de l'île de la Réunion est plus riche, elle appa-
raît toujours avec ses cafés et son sucre, ses épices, muscade,
girofle et cannelle; l'huile de coco qu'elle envoie pourra de-
venir un article d'exportation intéressant, maintenant qu'on
emploie cette huile en grande quantité dans la confection des
savons.
Nous avons trouvé dans nos colonies des Antilles des pro-
duits analogues; leur café et leur sucre continuent à être leur
principale richesse, grâce à la législation spéciale qui les pro-
tège ; en revanche , notre Guyane n'a rien , et c'est là une
grande faute. On s'est beaucoup occupé depuis quelque temps
de la Guyane ; on espérait et on espère encore arriver à quel-
ques résultats en faisant de cette colonie un lieu de déporta-
tion ; mais l'occasion était belle pour montrer les richesses
naturelles de cette contrée , tandis qu'on sera encore dans
l'avenir réduit à discuter dans le vide comme par le passé ,
sans avoir vu, sans avoir eu entre les mains les produits de
cet immense territoire inculte et inoccupé. La faute est d'au-
tant plus grave, que la Guyane anglaise a une fort belle expo-
sition bien classée, et dont plusieurs produits montrent tout le
parti que les Anglais ont déjà su tirer de cette conquête qu'ils
ne possèdent cependant que depuis quarante ans.
Nos possessions de l'Inde nous ont envoyé deux magots;
au moins, on ne leur attachera pas plus d'importance qu'elles
n'en ont.
De tous nos établissements d'outre-mer , deux seulement
peuvent être appelés à un grand avenir : l'Algérie sera une
seconde France, jeune, fertile, peuplée par le trop plein de la
mère patrie; elle pourra lui donner les matières premières
que celle-ci mettra en œuvre; enfin , la Guyane, l immense
Guyane, saine quand on pénètre à l'intérieur, pourrait pro-
duire toutes les denrées coloniales que sa latitude lui per-
met de cultiver et qui réussissent si bien dans les possessions
anglaises voisines. Le succès de l'Algérie est maintenant cer-
tain, mais celui de la Guyane est douteux encore si le gouver-
nement ne se décide à soutenir cette colonie avec une éner-
gique patience contre la malveillance dont elle est l'objet.
fi VISITE
ROYAUME UNI DE LA GRANDE BRETAGNE
ET DE L'IRLANDE.
Annexe, section des produits ; travées i à 10 de A à D,— Annexe,
section des machines; travées 126 à 142 de A à D. — Jardin.—
Palais principal , rez-de-chaussée ; travées 1 à 16 de H à N. —
Palais principal, galerie; travées 1 à 15 de K à N.
L'Exposition universelle de Londres, en 1851, au succès de
laquelle nos industries françaises avaient si heureusement
concouru, devait être pour nous un gage de l'empressement
qu'apporteraient les grands manufacturiers de l'Angleterre à
se rendre à notre premier appel. L'hésitation fut cependant
grande. L'opinion publique se préoccupa pendant quelque
temps des questions économiques qui ferment aux produits
anglais le marché de la France, et la plupart des industriels
ne paraissaient vouloir prêter à l'Exposition leur concours que
dans le cas où il leur serait permis d'espérer , dans un pro-
chain avenir , un abaissement notable dans les droits de
douane. En profitant avec habileté de notre communauté d'in-
térêts dans la question européenne , le dévouement des com-
missaires anglais parvint cependant à rallier les plus hostiles,
et plus de deux mille exposants ont envoyé leurs produits à
l'Exposition. Les nombreuses colonies anglaises, qui ne sont
pas comprises dans ce nombre, ajoutent encore à la splendeur
de l'ensemble par l'immense variété de leurs produits.
Nous jetterons un coup d'œil rapide sur la physionomie
générale des galeries anglaises, les plus (Complètes après celles
de la France. Les colonies seront examinées à part, ces pour-
voyeuses de la métropole offrant chacune un caractère propre
qu'il est utile de mettre en évidence; les Indes, le Canada,
l'Autriche nous offriront surtout d'intéressantes richesses.
Dans la classe des mines et de la métallurgie, nous aurions
pu désirer une collection plus imposante, eu égard à l'im-
mense développement que le traitement du fer a pris dès long-
temps dans l'industrie des îles britanniques, si, en regardant
de plus près les produits exposés, nous n'y trouvions un choix
à la fuis sobre et judicieux de toutes les branches les plus im-
A L*EXPOSITÏON UNIVERSELLE. 7S
portantes de cette industrie; on s'étonne à première vue du
petit nombre d'objets ; bientôt on n'est pas moins étonné de
leur importance. La source de toute la fortune de nos voisins,
• la houille , devait surtout figurer au premier plan ; 264 échan-
tillons réunis par le board of trade dans tout le royaume, sont
là pour attester combien les exploitations de ce précieux com-
bustible sont nombreuses. Les cokes qui les accompagnent,
particulièrement ceux de Newcastle, exciteront l'envie de
toutes les nations moins bien traitées. Les briquettes compri-
mées d'anthracite et de bitume, pour les forges, la marine et
les locomotives, sont là pour attester le parti que nos voisins
savent tirer de ce combustible si riche, mais d'un emploi dif-
ficile ; c'est à peine si chez nous l'anthracite est exploitée pour
quelques fours à chaux ; rarement et comme par exception
pour le chauffage de quelques usines.
Quoique les produits de l'industrie du fer soient exposés
sous le nom collectif du Département des sciences et des
arts, et que, par conséquent, ils doivent faire l'objet d'un
éloge d'ensemble, tant pour la beauté des échantillons que
pour leur judicieux arrangement, nous nous permettrons de
citer d'une manière toute spéciale deux rails qui, par leurs di-
mensions, peuventplus particulièrement édifier les visiteurssur
la puissance de production des usines anglaises : un rail Barlow
de i6'",02, un rail Brunel de 24"^^, 45, une manivelle colossale
pour machine de bateau , un canon en acier fondu , sont au-
tant de pièces importantes dans cette remarquable collection,
qu'on pourrait simplement appeler une carte d'échantillons,
tant il est vrai qu'elle représente les véritables produits com-
merciaux.
Parmi les autres productions minérales , nous nous borne-
rons à citer encore celles de l'exploitation de M. Sopwith; on
trouverait difficilement une illustration plus complète des
procédés employés dans le traitement des minerais de plomb
argentifère.
Les fontes moulées de Coal Brookdale Company sont d'une
belle exécution sans doute , mais nous leur reprocherions vo-
lontiers la négligence de leurs dessins.
Ne quittons pas les produits minéraux sans dire un mot de
cette belle carte géographique de M. Mylne, qui ne le cède
en rien, sous aucun rapport, aux plus belles cartes connues.
76 VISITE
Les productions végétales occupent, dans les envois des colo-
nies anglaises, une large place. Leur prodigieuse variété , leur
action dans l'industrie manufacturière et dans l'alimentation
du pays, leur assignaient naturellement un rôle considérable
à l'Exposition de 4855. Mais nous n'étions pas autant préparés
à voir figurer les produits agricoles de l'Angleterre avec un
tel éclat. Tandis que les envois des Indes frappent par une
variété qui exclut, pour ainsi dire, toute classification métho-
dique, ceux-ci nous apparaissent dans un ordre admirable, et
nous permettent d'apprécier d'un seul coup d'œil les résultats
de cette culture perfectionnée dont la nécessité d'une large
production a su doter cette grande nation. Les céréales , les
légumineuses , les fourrages, les bois sont pris dans les pro-
duits naturels eux-mêmes; les racines et les fruits sont repré-
sentés par des imitations parfaites; les animaux, par des
peintures soignées. Cette collection, dans son ensemble , fait
le plus grand honneur au professeur Willson qui l'a faite :
nous regrettons seulement que la place qui lui a été affec-
tée dans l'annexe soit un peu éloignée des grandes lignes
de circulation ; il faut monter dans les galeries pour la
voir.
Puisque nous parlons d'agriculture, disons un mot des in-
struments , de ces instruments de l'Angleterre, si bien con-
struits, si bien étudiés sous tous les rapports. Ils sont là tous :
charrues, herses, rouleaux, extirpateurs, semoirs, pour repré-
senter le système de culture mécanique, si cette expression
est permise, que nos voisins ont adoptée. Chacun des appareils
remplit parfaitement, son but; mais ce but n'étant pas le
même que celui que nous nous proposons avec les instruments
similaires, ils ne sont applicables chez nous qu'à la condition
de les employer tous. Les machines locomobiles , qui com-
mencent à s'acclimater en France, les moissonneuses, les fau-
cheuses, les faneuses, les machines à battre, dont une pour la
force d'un homme, forment l'arsenal agricole de l'exploita-
tion anglaise , sans contredit le plus complet et le plus par-
fait qui ait été jusqu'alors réuni. Trois constructeurs surtout
sont à la tête de cette industrie ; M, Croskill , M. Garrett et
fils, M. Ramsomes et fds ont des usines importantes. Les in-
struments agricoles de l'Angleterre sont construits dans des
ateliers complets ; leur construction est chez nous livrée trop
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 77
souvent aux charrons de village ; différence essentielle qui a
bien aussi sa raison d'être dans le morcellement de notre
sol.
Les machines anglaises sont remarquables par l'invention
et par l'exécution. Lorsque les Penn, les Whitworth, les 8le-
phenson, les Fairbairn figurent au nombre des exposants, la
France peut s'enorgueillir de ne pas être en arrière, et d'op-
poser aux œuvres du génie anglais ses chefs-d'œuvre.
Les machines motrices sont moins nombreuses qu'en
France dans la partie anglaise de l'Exposition. Si nous excep-
tons les belles machines de Fairbairn, les essais rationnels
de Siemens, nous voyons en général un point d'arrêt dans la
construction des machines à vapeur; cependant les machines
de bateaux préoccupent vivement les constructeurs anglais.
Mais les machines outils, les machines de filature et, en géné-
ral toutes les machines de fabrication sont l'objet de conti-
nuels perfectionnements. La grande presse hydraulique de
Dunn, pour essayer la résistance des bois et des câbles , les
machines outils de Whitworth, celles aussi de Buckton, parmi
lesquelles une machine pour tailler les engrenages et une
autre pour tailler les molettes, la scierie de John Birch, qui a
servi à la construction du Palais-de-Cristal de Londres , la
tréfilerie de Johnson , peuvent donner aux visiteurs des no-
tions assez complètes sur l'emploi des moyens mécaniques
usités dans le travail des métaux et du bois.
Les opérations successives de la filature du coton sont exé-
cutées devant le public par les belles machines de MM. Platt
frères ; la machine à peigner le lin , de MM. Comb et Cie ; le
tissage mécanique de M. Smith et frère, donnant 230 coups
de navette à la minute ; le beau Jacquart à double effet du
même fabricant, enfin le métier à moquettes de M. Wood
complètent l'assortiment des machines employées dans les
arts textiles. Ce dernier appareil , qui coupe la trame pour
produire le velouté , a été acquis, quant au principe , à l'Ex-
position même, pour l'énorme prix de 230 000 francs.
La locomotive Stephenson , célèbre par le nom de son in-
venteur, ne présente aucune supériorité sur nos machines
françaises. La pompe d'Appold étonne toujours la foule par
la nappe d'eau qu'elle entretient; un autre appareil, de
M. de Bergue, cherche à lui faire une concurrence dans
78 VISITE
laquelle il lui sera difficile de l'égaler quant à l'effet utile
produit.
Parmi les machines de moindre importance, nous citerons,
pour l'élégance de leurs principes et l'intérêt qu'elles offriront
aux visiteurs, un appareil de M. Cripps, de Manchester, pour
graver sur rouleaux les dessins d'étoffes dessinées sur papier,
au moyen d'une transmission par courroies en ressorts d'a-
cier ; un indicateur de niveau, de M. Coffey , avec soupape
selfacting, se fermant d'elle-même si le tube indicateur vient
à se briser ; une charmante petite machine pour marquer de
numéros successifs les tickets de chemins de fer; enfin , le
ventilateur de Lloyd, qui ne doit faire aucun bruit quand il
fonctionnera; nous verrons bien.
Nulle part, si ce n'est à Paris et à Bruxelles, on ne fait
aussi bien la carrosserie qu'à Londres ; aussi les voitures an-
glaises attirent-elles l'attention générale. Tout est si bien
en ce genre, qu'il est à peine permis de dire que les voitures
de MM. Davis et fils, celle de M. Rock, le dog-cart de M. Sta-
rey ont une légère prééminence.
L'horlogerie anglaise est toujours irréprochable, mais ne
présente cette année aucune nouveauté fort essentielle ;
nous nous bornerons à distinguer les produits de deux maisons
importantes de Londres, celles de MM. Davis et fils, et de
MM. Frodsham et Baker, pour leurs chronomètres. L'exposi-
tion des instruments d'optique est plus complète et compte
des instruments de premier ordre : nous parlerons en détail
du grand cercle méridien du professeur Airy, dont un modèle
en bois et carton a les honneurs de la nef : plusieurs autres
observatoires, celui d'Edimbourg, celui de Kew, ont envoyé
la plupart de leurs instruments d'observation pour l'astrono-
mie et la météorologie. Lord Wrottesley, lord Ross ont suivi
l'exemple des établissements publics. Le modèle du téles-
cope de lord Ross , est accompagné d'épreuves photogra-
phiques du monde planéteiire : ces représentations sont toutes
fort intéressantes. Les microscopes de M. LuddsetdeM. King,
de Bristol, sont d'une excellente construction, et les prépara-
tions microscopiques deTopping sont bien faites. Les appa-
reils enregistreurs d'Oshr et de Brooke sont tout à fait excep-
tionnels. On sait que les observations météorologiques de
l'observatoire royal de Greenwich sont toutes faites avec les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 79
beaux instruments que le Conservatoire des arts et métiers
de Paris s'était empressé d'acquérir en 1851, et ce sont ceux-
là même qui sont exposés au Palais de l'Industrie. L'image
photographique continue que l'on obtient de toutes les varia-
tions barométriques, thermométriques et autres, permet de
conserver une trace permanente des différents phénomènes ;
ces instruments ne sont pas encore répandus en France, mais
l'observatoire de Paris vient d'en étudier la marche. La col-
lection des instruments trigonométriques du lieutenant-géné-
ral James, de l'arme du génie, est la plus complète que l'on
puisse voir.
Les appareils de chauffage et de télégraphie figurent en
grand nombre dans la neuvième classe ; l'appareil fumivore
du docteur Arnott, les grilles deHoole, les soufflets de M. Omons
sont surtout intéressants. Les appareils électriques du profes-
seur Wheastone, le télégraphe électrique de Walker employé
sur le Soulh-Easthern-Railway, celui de W. Henley, auquel
un aimant artificiel sert de pile, ainsi qu'un appareil du
même genre avec lequel il peut obtenir et transmettre à une
distance quelconque une étincelle incendiaire; la collection
des fils métalliques pour télégraphes sous-marins, mines, che-
mins de fer, de M. Newall, sont principalement dignes d'inté-
rêt : un spécimen du câble de Calais à Douvres fait partie de
cette dernière collection.
Non loin de ces objets sont les modèles destinés aux écoles
du département des sciences et arts : l'institution de Marlho-
rough-House, a été fondée avec les fonds provenant de l'expo-
sition universelle de 1 85 1 . Bien que gérée par une commission
indépendante, sous la présidence de S. A. R. le prince Al-
bert, cette entreprise ne voulut faire aucun bénéfice. Tous
les fonds disponibles devaient, aux termes même de sa con-
stitution, être employés en faveur du développement de l'in-
dustrie. Il n'en pouvait être fait un meilleur usage que par la
création de ce nouveau service public , qui, sous une admi-
nistration intelligente, a su répandre ses bienfaits dans toutes
les provinces du royaume. Les modèles exposés sont ceux
que l'établissement central fait établir au meilleur marché
possible pour les céder encore avec réduction de prix aux
établissements secondaires ; on s'est moins attaché à produire
fies modèles irréprochables qu'à les rendre facilement accegv
80 VISITE
sibles par leur prix, et c'est à ce point de vue surtout qu'il
importe de les juger, encore bien que plusieurs soient d'une
exécution parfaite.
M. le professeur Willis s'est placé dans le même ordre d'i-
dées pour la construction de ses intéressants modèles de mé-
canique. Sa double machine d'Atvood fait immédiatement
saisir quelques lois de la chute des graves et quelques prin-
cipes élémentaires de la science ; le joint universel de Hooke
avec ses plateaux divisés rend un bon compte de toutes les
circonstances du mouvement transmis par cet organe.
Le département des sciences et arts a déjà obtenu des ré-
sultats considérables depuis quatre ans : il s'est mis résolijment
à l'œuvre pour faire pénétrer le goût des arts dans les masses,
et déjà quelques objets de l'exposition anglaise sont, sous le
rapport de la forme, bien supérieurs aux produits similaires
à l'exposition de 1851.
Les produits chimiques, les substances al'imentaires, les
instruments de chirurgie seront examinés dans leurs classes
respectives avec les détails convenables. Disons que les pro-
duits chimiques proprement dits sont plutôt des produits
exceptionnels de laboratoire que des objets de grande fabri-
cation : la collection de Londres était plus industrielle que
celle d'aujourd'hui. Le prussiate rouge de Kind, sa naphta-
line, les beaux produits de M. Warren Delarue, le camphre,
le calomel, le sublimé corrosif de Baker sont parmi les pro-
duits les plus intéressants. Les appareils en platine de Ben-
thums et Froends sont tout à fait remarquables. Le graphite
désagrégé chimiquement de Brodu appelle d'autant plus l'at-
tention que cette matière réduite en poudre, purifiée par lévi-
gation et rassemblée par pression dans le vide en blocs suffi-
samment résistants , sert à la fabrication de ces excellents
crayons dont l'Angleterre a le monopole et dont la mine est
détachée par sciage des blocs ainsi obtenus. Il paraît que la
désagrégation s'obtient au moyen de l'acide sulfurique.
Les cuirs et les papiers qui se rattachent aux industries
chimiques ont d'habiles représentants : les cuirs tannés de
M. Hepburn, les maroquins pour reliure de MM. Watson et
Robert, les maroquins pour sellerie de MM. Wilson et Walker
sont de la plus parfaite fabrication. Aussi, voyez comme ils
sont mis en œuvre dans ces nombreux spécimens do la selle-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 81
rie anglaise dont M. Langdon surtout peut être fier. Les pa-
piers de luxe de M. Delarue dans le palais, ceux de Holling-
worth dans l'annexe, la collection des nouvelles matières
premières employées dans la fabrication et réunies par le mi-
nistre du commerce, les vieux cordages et le papier qui en
provient, de M. Lamb, forment unesériedesplus intéressantes.
La classe des substances alimentaires se fait surtout remar-
quer par les fromages les plus renommés et les conserves de
bœuf salé.
La marine et l'art militaire, celui des constructions civiles
devaient être largement représentés à l'exposition. Le grand
trophée de la nef, d'un aspect un peu sauvage, a le rare mérite
d'attirer l'attention générale. Composé de tous les éléments
principaux du matériel naval, il est surtout remarquable par
ces modèles si bien exécutés de navires, de barques, de ba-
teaux pêcheurs, de bateaux de sauvetage, du comité de Sun-
derland. Les dessins de R. Napier et fils, parmi lesquels
celui du bateau à vapeur le Persan, maintenant en construc-
tion, de la puissance de 1000 chevaux, et de 3600 tonnes,
sont moins visités, malgré l'intérêt réel qu'ils présentent, que
la coupe longitudinale du James Buyns, qui laisse voir tous
les aménagements intérieurs et l'ameublement de ce navire
plus spécialement chargé pour l'Australie.
Si l'on voulait caractériser d'un mot la puissance maritime
de l'Angleterre, il suffirait de citer les nouvelles construc-
tions de Blackwall : ce bâtiment, qu'exécute en ce moment
jM. Scott Russell, disposera de 3000 chevaux de force et pourra
porter 30 000 tonnes. Telle est la richesse de l'Australie que
les Anglais, pour communiquer avec elle, n'hésitent pas à
préparer d'aussi prodigieux moyens de transport.
Le choix sera difficile pour faire seulement quelques cita-
tions parmi les modèles de construction. Le modèle en relief
des docks et du port de Sunderland, ceux du pont de Salt-Ash,
du pont de Chepstow, par Brunel , celui du Merinos-Salt de
Bradfort, le Victoria-Bridge, enfin le magnifique modèle du
Britannia, ce premier pont tubulaire qui relie l'Angleterre à
TÉcosse, tels sont ceux qui suffisent pour faire apprécier les
ressources immenses dont nos voisins disposent dans les
constructions qu'ils savent élever partout où leur commerce
en demande.
206 f
8^ VISITE
Toutes les industries des métaux ouvrés sont amenées depuis
longtemps en Angleterre à un degré de perfection que les
moyens mécaniques dont disposent toutes les usines ontcontri-
bué depuis vingt ans à développer encore ; cependant ellesn'ont
pas également répondu à l'invitation qui leur était faite en ce
moment par la France. Tandis que la fabrication des aciers et
celle des outils de toutes sortes a pris soin d'envoyer ses plus
beaux et ses meilleurs produits , la quincaillerie proprement
dite s'est presque entièrement abstenue, ou du moins n'a
envoyé qu'une représentation insuffisante des nombreux
articles qu'elle fait en si grande quantité ; serait-ce que les
conditions du concours, bien différentes pour ces deux indus-
tries principales, ont encouragé les uns et conseillé l'absten-
tion aux autres? Encore bien que la France possède quelques
fabriques d'acier fin, que quelques-unes de nos usines préfè-
rent quelquefois aux aciers anglais, c'est là un fait exception-
nel qui ne saurait suffire pour contester la supériorité géné-
rale des aciers anglais sur les nôtres. La maison anglaise de
W. Jackson est encore en possession du marché français,
sinon pour toutes les grosses pièces, au moins pour tous les
aciers de taillanderie et de qualité, elle tient encore le pre-
mier rang sur notre importante maison Jackson frères, Petin,
Gaudet et C% et sur les beaux produits prussiens de M. Krupp.
Les aciers fondus de la maison Bedford, à Schefifield, illustrés
par là plus belle collection de limes que l'on puisse voir, ceux
de Specer et Jackson, les ressorts [de Tliurton et fils, et
dotant d'autres, soutiendraient encore la supériorité des
aciers anglais en l'absence de la maison principale. Les faux
de Gurfelt et fils, les faucilles de Butterley, Hobson et Cie,
ajoutent encore à l'importance de cette magnifique exposi-
tion.
Les arts métallurgiques se sont tellement développés en
Angleterre , que partout où la fabrication mécanique peut
être introduite, la beauté des résultats et le bas prix ne lais-
sent rien à désirer. Mais aussitôt que la main-d'œuvre devient
considérable, nos grands établissements, favorisés par le bas
prix des salaires, peuvent soutenir avec avantage la concur-
rence. Nous pourrons citer tels articles de serrurerie, qui,
fabriqués en France avec les fers anglais, vont se vendre en
Angleterre à des prix inférieurs aux produits anglais eux-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 83
mêmes, quoique chargés de frais de transports et de droits
considérables.
Parmi les petits objets en métal, nous trouvons en général
des formes commodes, mais bizarres, exécutées avec tout le
soin et la solidité désirables ; mais ces objets d'usage journa-
lier nous semblent souvent trop chargés d'ornements et de
moulures sans but et sans originalité. Nous avons cependant
remarqué beaucoup de choses intéressantes, les petits bronzes
pour l'ébénisteriede Wooldridge, les tuyaux et appareils à gaz,
de Russell et Cie, la serrurerie d'appartement, de Hart et fils, et
de Boobbyer, les serrures de sûreté de Bramah, les articles
de fantaisie d'Allen et Moore, les services de table et de thé
de Griffiths et Cie, les poteries en fer émaillé de Henrich et
fils, surtout ses tubes pour conduites d'eau; les mors et autres
articles de sellerie, de Valsall, se recommandent à divers titres,
mais, eu général, pour le prix et l'exécution. Les aiguilles
anglaises ont une supériorité bien établie; les tôles vernies
de Hopkins, les cheminées de plusieurs fabricants ne nous
paraissent ni commodes ni bien appropriées au combustible
minéral, le seul employé en Angleterre pour les usages domes-
tiques. Peu habitués à ces formes anormales, nous les jugeons
peut-être avec trop de sévérité ; les fourneaux de cuisine se
rapprochent davantage des nôtres ; ceux de MM. Benham
et fils sont parfaits : rien n'y manque, et ils ne sont point
surchargés d'ornements.
La grille en fonte de M. Baylegs, qui se trouve à l'est de la
nef, est certainement la meilleure pièce d'ornement en
fonte.
Si l'exposition de l'orfèvrerie anglaise a pour but de mon-
trer que la Grande-Bretagne est riche et qu'elle peut laisser
dormir impunément de gros capitaux, elle a parfaitement
réussi , car il est rare de voir réunies d'aussi grandes masses
d'argent ; mais si nos voisins ont cru exposer des objets d'art,
ils se sont considérablement trompés. Le mauvais choix des
sujets a beaucoup contribué à cette non-réussite ; des accidents
de chasse , des scènes historiques, des épisodes de romans ne
sont pas toujours faits pour fournir un thème à des œuvres
dont les conditions sont aussi spéciales qu'un vase, une ai-
guière ou un candélabre. Le goût un peu bourgeois de la com-
mande a mis l'artiste dans In nécessité de placer de petites
8i VISITE
figures les unes à côté des autres, sans pouvoir les réunir et les
grouper en une ligne agréable à l'œil.
La pièce de la société des orfèvres de Londres nous semble
être ce qu'il y a de meilleur, ce genre étant une fois admis,
et cependant là encore l'exécution artistique laisse à désirer ;
les figures sont mal dessinées, peu élégantes et bien décidé-
ment en argent. Personne ne pourra croire qu'elles s'anime-
ront jamais.
Deux choses cependant méritent l'attention : un bouclier
et plusieurs vases en argent bruni dont le ton sobre permet
de voir les détails , tandis que le brillant des autres objets
produit un miroitement qui fatigue. Ces œuvres ont été des-
sinées et exécutées par un Français.
M. Elkington a seul une exposition réellement remarqua-
ble. Dans une vitrine de la galerie , on peut voir des imita-
tions littérales de l'antique et de l'art indien qui valent mieux
que les œuvres du cru anglais. L'exemple de M. Elkington,
qui a certainement pris modèle sur nos artistes, devrait être
suivi. L'Angleterre est assez grande, elle est assez supérieure
à toutes les nations dans plusieurs industries, pour avouer
franchement qu'elle est inhabile à certaines choses , et puis-
qu'elle est riche , qu'elle prenne nos sculpteurs et nos peintres ;
ils la guideront plus sûrement dans la bonne voie, ils la ra-
mèneront au beau style de l'école florentine du xvi^ siècle
qui , en somme, n'a jamais été surpassée.
La bijouterie anglaise est bien supérieure à son orfèvrerie,
autant d'un côté il y a de lourdeur et de richesse grossière:
autant ici il y a de délicatesse et de bon goût. L'exposition
est tout à fait remarquable par la beauté des pierres , cela va
sans dire, mais aussi par l'extrême habileté de la monture:
ce que nous n'attendions pas. Les diamants, les rubis, les
saphirs se lient les uns aux autres sans qu'on s'en doute; l'ar-
gent disparaît sous ces flots de pierreries. Les bijoux en or
sont travaillés avec une rare perfection de main-d'œuvre :
entre autres les tissus entrelacés pour parures, de M. Bisson.
Puisque nous en sommes aux œuvres d'art, nous pouvons
passer aux poteries anglaises; nous aurons là beaucoup à
apprendre. Les arts céramiques sont arrivés à de beaux résul-
tats en Angleterre ; elle fait aussi bien que nous les })orcelaines
et les faïences de luxe, si nous réservons toutefois les chefs-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 85
d'œuvre de notre manufacture impériale. Mais elle fait infini-
ment mieux les grès et les terres cuites pour les arts et les
manufactures.
Quelques-uns des objets de M. Minton sont tout à fait hors
ligne ; nous avons surtout admiré de petits vases à forme len-
ticulaire qui portent des ornements d'or et des figures peintes
dans ces tons sobres, pâles, qu'affectionne M. Gérome, et
dont il donna un si beau spécimen dans le grand vase de l'ex-
position de Londres, Deux candélabres offerts par S. M. la
reine Victoria à l'empereur sont de très-bon goût; nous n'au-
rions pas cru que le biscuit de porcelaine put aussi bien se
placer à côté du bronze. M. Minton a encore de belles imita-
tions de l'étrusque et des bustes d'après l'antique qui jouent
le marbre à s'y méprendre. Au reste nous ne sommes pas
seuls de notre avis ; le nombre de vendu exposé sur les pro-
duits de M. Minton , fait voir qu'il est fier de montrer que les
Français ont apprécié son talent et son habileté.
Les poteries de grès dénotent une fabrication bien plus
avancée que la nôtre; de grands appareils pour les distilleries
et les opérations chimiques, des serpentins énormes munis
de robinets, une foule de pièces que nous employons ordinai-
rement en fer-blanc ou en étain sont là en terre cuite et en
grès, et il est inutile de parler de l'économie que peut procu-
rer cette substitution.
La cristallerie anglaise est en retard au contraire. Les ver-
res taillés et moulés sont lourds; ils n'approchent pas de cette
légèreté, de cette forme ample et délicate dont la mode s'est
répandue en France depuis quelques années. En revanche
certains articles spéciaux sont parfaits : de grandes jattes à
mettre le lait, une foule d'objets usuels se recommandent par
leur bon marché. L'exposition de MM. Chance frères et Cie,
de Oldbury , nous arrêtera un instant : et d'abord de magni-
fiques objectifs de 0"',74 de diamètre ; on comprend toute la
difficulté d'exécuter, sans un défaut, sans une soufflure, une
pareille masse de verre qui pèse plus de 60 kilog.
Le bloc de verre dans lequel le disque est taillé pèse plus
de 200 kilog.; c'est dans ce bloc qu'il faut chercher dans tous
les sens une masse qui présente l'homogénéité désirable, tail-
ler, puis faire recuire; cette dernière opération est la plus
dangereuse; souvent le disque se brise en refroidissant. Les
86 VISITE
objectifs de MM. Chance sont au nombre de deux, l'un exis-
tait à l'Exposition de ISol ; on a mis 5 ans avant d'obtenir le
second.
Nous trouvons à côté de ces objectifs de grandes masses de
verre dépoli pour les serres, et des vitres d'un mètre carré de
deux couleurs, rappelant les verres de Bohême : un verre
blanc et un verre coloré sont accolés , puis, à l'aide de l'acide
fluorhydrique, on enlève le verre coloré par places , et on
obtient ainsi une gravure en creux, blanche, qui produit un
joli effet en se détachant sur le fond rouge.
Les fenêtres du grand escalier de l'Est portent quelques vi-
traux appartenant à la chambre des lords dont nous ne par-
lons que pour mémoire.
La fabrication des tissus est , chez un peuple , la première à
laquelle il se livre, parce qu'elle satisfait à ses besoins les
plus impérieux lorsqu'il a pourvu à sa subsistance. Nous
voyons ensuite cette fabrication se développer avec une rapi-
dité toujours croissante à mesure que toutes les autres in-
dustries manufacturières lui servent en quelque sorte de
bases dans ses périodes successives d'accroissement. Si ces
observations sont fondées, rien ne saurait mieux peindre la
puissance industrielle de l'Angleterre que l'importance de
ses industries textiles : en aucun point du globe ces indus-
tries ne sont à beaucoup près aussi développées : cherchant
partout ses matières , la Grande-Bretagne envoie partout ses
produits, et son commerce d'exportation en tissus est la
source la plus abondante de son incroyable prospérité. Les
cotons , les laines , les soies que son climat ou d'autres né-
cessités lui refusent , elle les obtient le plus souvent en
échange des mêmes produits dont elle a quadruplé la valeur
par le travail.
L'industrie du coton est , de toutes , la plus importante et
la plus prospère ; Manchester, qui en est le principal centre ,
lui doit d'avoir décuplé sa population en cinquante ans. L'An-
gleterre seule met en œuvre quatre fois autant de coton que
la France.
C'est surtout au point de vue commercial que l'exploitation
des cotonnades a été faite ; Les districts de Manchester et Sal-
ford se sont fait représenter en masse : on a pris chez chaque
fabricant ce qu'il fait , non de plus beau , mais le mieux , et
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 87
ies produits ont été placés de manière que les visiteurs, les
acheteurs surtout, puissent les examiner à loisir sur les vastes
comptoirs qu'il occupent. Malgré cette simplicité d'arrange-
ment , ces tissus n'en forment pas moins la plus riche et la
plus belle collection qui ait jamais été faite. Aucun nom n'est
sur les produits , mais un carnet d'échantillons bien fait suffit
pour enregistrer chaque jour des ordres importants.
Quoique l'introduction encore récente du coton en Europe
ait modifié d'une manière notablela prééminence qu'avaient eue
jusqu'alors les différentes industries qui s'exercent sur la
laine, les emplois variés que l'on fait de cette matière, pure
ou mélangée , lui ont permis de subsister et de s'accroître à
côté de l'industrie cotonnière. La population deBradford s'est
élevée, de 1801 à 1830, de 6400 à 23 000 âmes. Leeds, qui
fabrique en grande quantité les draps , ne s'est fait repré-
senter que d'une manière insuffisante, sinon par rapport à
la bonne qualité des produits, du moins par leur quantité.
Les tissus pour robes d'Halifax et de Glascow sont convoités
par nos parisiennes, qui ne peuvent, à prix d'argent , s'en
procurer. Ceux de M. Akroid et fils attirent surtout les re-
gards.
La belle collection des popelines d'Irlande jouit avec les
châles d'Ecosse de la même vogue. Parmi ceux-ci , les tartans
de M. Alorgan et Cie, parmi ceux-là les tissus de MM. Pim
frères et Cie, de Dublin, ont les honneurs. Les châles de
MM. Kerr et Scott , et ceux de MM. Claburn et Crisp ne dif-
fèrent des châles français que par leurs prix plus favorables.
Les tissus d'Alpacca de MM. Sait, Titus et Cie sont d'au-
tant plus admirés qu'il est impossible de se les procurer en
France.
Quoique quelques essais d'éducation du ver à soie aient
été faits en Angleterre sans grand succès, et que par consé-
quent toute la matière que la fabrication des soieries con-
somme provienne exclusivement du commerce extérieur , la
valeur de la matière brute actuellement mise en œuvre atteint,
si elle ne dépasse, 125 millions de francs. Manufacturées dans
un grand nombre de villes , les soieries anglaises sont nota-
blement inférieures aux nôtres ; nous excepterons cependant
de cette appréciation générale quelques moires antiques, celles
de M, Clarke et celles de MM. Kempe Stone et Cie , les ma-
88 VISITE
gnifiques velours de M. Th. Kempe, les très-beaux crêpes de
MM. Grout et Cie. Les autres tissus, les rubans surtout, sont
d'une infériorité marquée, et ils n'ont d'autre mérite que leur
bon marché.
Tel est l'avantage d'une puissante organisation commer-
ciale et industrielle que les tissus de MM. Harrop, Taylor et
Pearson , exclusivement confectionnés avec des soies de
Chine , ont un prix moitié moindre que celui des tissus de
Lyon fabriqués avec la soie française. Les étoffes de soie pour
tentures de MM. Kerth et Cie font un bon effet.
Le lin est un des produits les plus importants de l'Irlande,
mais les quantités sont insuffisantes, on le pense bien, pour
alimenter toutes les fabriques du royaume : 70 millions de
kilogrammes sont tirés du dehors. Dundee , Arbroust , Belfast
sont les principaux sièges de l'emploi du chanvre et du lin.
Lorsqu'on se rappelle l'importance des tissus damassés en
Angleterre, on s'étonne que cette grande industrie ne soit
pas mieux représentée au Palais des Champs-Elysées, quoique
M. Beveridge de Dumferline ait une exposition remarquable;
les toiles à voiles et les batistes sont plus favorisées sous ce
rapport.
La bonneterie anglaise jouit d'une grande réputation qu'elle
mérite à tous égards : solidité et bon marché , ce sont là les
seules qualités dont on ait à s'inquiéter dans les produits de
cette nature. Les bas, les tricots se présentent à des prix dont
nous ne nous doutons pas en France; à côté des dentelles si
connues d'Angleterre , et qui sont magnifiquement représen-
tées à l'Exposition, se trouvent des rideaux brodés à la méca-
nique d'un bon marché fabuleux, article peu connu chez nous
et qui y aura un grand succès s'il peut s'introduire en fran-
chise. Le confort anglais ne saurait se passer de tapis : aussi
les manufacturiers se sont-ils mis à l'œuvre et ont-ils pro-
duit ces tapis assez jolis et à si bon marché qu'on en rencontre
partout à Londres d;ms les appartements comme sur les esca-
liers; ce qui est encore un luxe chez nous est une habitude
de l'autre côté du détroit. Nous n'avons rien vu d'aussi bril-
lant, non pas que nos tapis de Beauvais et des Gobelins ,
mais que nos produits habituels français. En revanche, nous
avons vu des tapis dont toutes les bourses peuvent appro-
cher, ce qui vaut mieux. Toutes les fois qu'elle peut fabri-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 89
quer en grand pour les masses , que les machines peuvent
jouer le rôle le plus important dans la production , l'Angle-
terre triomphe et nous laisse loin derrière elle. C'est le carac-
tère propre de cette belle exposition anglaise : infériorité de
l'artiste, supériorité de l'ouvrier : faire bien, beaucoup, à
bon marché, voilà ce que fait l'Angleterre ! Faire beau mais
peu , voilà malheureusement ce que fait la France , avec ses
produits élégants qui restent l'apanage des classes aisées et
ne pénètrent pas dans les masses.
Les industries concernant l'ameublement et la décoration
ne sont pas une des parties les plus brillantes de l'exposition
anglaise ; cependant les galeries du rez-de-chaussée qui ren-
ferment cette classe comptent quelques objets d'un haut in-
térêt.
Un autel en pierre de Caen , dans le goût du moyen âge,
destiné à une chapelle de l'Immaculée Conception , est d'un
bon style gothique et l'exécution en est très-soignée.
Quelques corniches en carton pierre, d'après des dessin:;
probablement français, sont les choses les plus intéressantes,
en y ajoutant toutefois les produits d'une nouvelle industries
qui nous paraît appelée à un grand avenir.
M. Magnus de Londres expose des chambranles de cheniinéi^
en ardoises émaillées au grand feu , qui jouent très-bien lu
marbre et qui ont sur lui l'avantage d'un extrême bon mar-
ché ; quand les ornements sont de bon goût , les produits de
M. Magnus ne laissent rien à désirer.
Les ébénistes anglais n'ont envoyé qu'un petit nombre de
meubles au grand concours de 1855 ; presque tous ces objets
en style gothique sont assez ordinaires; ils sont solides, per-
sonne n'en doutera , mais ils exagèrent même un peu cette
qualité qui dégénère en une lourdeur exagérée.
Nous dirons plus loin tout le prix que nous attachons au
meuble de Graham ; cette œuvre exceptionnelle demande à
être examinée en détail.
Quelques lits, quelques chaises gothiques, un buffet en bois
sculpté, enfin un meuble compliqué servant de bibliothèque.,
de pupitre à feuilleter les livres et à écrire, c'est là presque
toute l'exposition des meubles anglais.
Si nous passons sous silence la marqueterie, les boîtes mi-
roitantes imitant les laques indiennes, nous ne pouvons nous
90 VISITE
dispenser de citer quelques sculptures sur bois très-remar-
quables. M. Wallis, à Louth ^Lincoln), a plusieurs groupes
d'oiseaux : bécasses et perdrix exécutées avec un talent hors
ligne; nous trouvons près de là plusieurs bouquets de fleurs
également sculptés sur bois , mais bien inférieurs aux œuvres
de M. Wallis.
Les papiers peints anglais couvrent les murs du grand es-
calier de l'est ; ils sont bon marché, et de plus les fabricants
de la Grande-Bretagne ont la sagesse de ne pas demander à
cette industrie plus qu'elle ne peut faire; les papiers sont
couverts de dessins de fantaisie ; ce ne sont pas de mauvais
tableaux comme ceux que font maintenant nos fabricants
en ce genre. Une bordure qui règne le long du vestibule de
l'est, copiée de l'Alhambra, est d'un fort bon effet.
Dans ce même escalier, nous trouvons une collection de
bois d'ébénisterie et de marbres imités , bien supérieurs à
tout ce que nous connaissions en ce genre.
Le caoutchouc se trouve sous toutes les formes dans l'expo-
sition anglaise comme dans la nôtre: bateaux, manteaux,
vêtements de plongeur, souliers, bretelles, manches de cou-
teau, bois de fusil, tout est en caoutchouc; les vêtements
imperméables sont bien confectionnés , et quelquefois le
caoutchouc est entièrement dissimulé dans une étotfe légère;
les prix sont encore un peu élevés , mais nul doute que si la
demande continue à croître comme elle le fait depuis quelque
temps, on arrivera à produire ces articles à prix réduit.
Au milieu de l'exposition des chaussures, qui nous ont paru
peut-être moins élégantes que les nôtres, nousavons rencontré
un nouveau mode de fabrication qui conduit à un bon marché
extrême : les bottines de troupe de M. Atoff , de Londres, ne
coûtent que ï fr. 60 c. ; les chaussures de chasse, un peu plus
soignées, reviennent à 5 francs.
Le manque d'indication des prix ne nous a pas permis de
découvrir ces produits fabriqués à des prix très-faibles, pour
femmes et enfants, ([ui avaient été remarqués à l'exposition
de Londres, chez MM. llickson, dont l'exposition actuelle doit
renfermer cependant des articles analogues, sinon supérieurs,
des souliers d'enfants à 5 fr. la douzaine, 42 cent, la paire,
des souliers de femme à 7 fr. 50 c. la douzaine, à 62 cent, la
paire. La douzaine de bottines confectionnée en Angleterre
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 91
pour l'exportation commençait à 55 fr. en 1851, il est pro-
bable que les prix en sont encore baissés.
Les cliaussures pour femmes n'ont rien de bien'remarquable,
il nous paraît seulement impossible que les produits que ren-
ferment les vitrines puissent jamais être vendus : les Anglaises
ne sont pas des Cendrillons et les petits souliers exposés sont
de la taille de la célèbre pantoufle de verre.
Si vous n'aimez pas ces gants de peau, bien faits, mais de
tons bizarres, voyez ceux de laine et de drap que l'Angleterre
exporte en grande quantité, et qui présentent solidité et bon
marché. Les ganis anglais s'exportent en Amérique. La
Grande-Bretagne consomme peu elle-même les produits de sa
ganterie, et c'est à la France qu'elle demande ses articles de
luxe.
Le peuple anglais , voyageur et ami du confort , devait
mettre grand soin aux nécessaires de toilette : l'exposition en
renferme en effet quelques-uns, d'une très-grande richesse et
de très-bon goût, montés en argent et en vermeil; peut-être
même la recherche a-t-elle été un peu trop loin, et personne
ne fera croire à un homme sérieux qu'on ait besoin d'au-
tant de petits outils pour se laver les mains et se faire la
barbe.
Des nécessaires de toilette à la librairie, la transition est
brusque, mais il n'y a qu'un pas à faire à l'exposition pour
rencontrer les livres et les photographies anglaises ; on nous
permettra donc, sans autre excuse, de nous y transporter.
Les Anglais ont une grande collection de gravures et de
lithographies au Palais de l'Industrie, qui aurait "peut-être été
mieux placée au Palais des Beaux-Arts; on connaît le remar-
quable talent des graveurs anglais, dont les œuvres sont
bien souvent au-dessus des tableaux originaux qu'elles repro-
duisent. M. Mac Queen, de Londres, a plusieurs planches
très-johes, entre autres celle de l'oncle Tobie et la veuve
dans la diligence (Tristam Shandy). Les petits enfants, éta-
blis sur un banc et apprenant leurs leçons, sont remplis de
naturel et de finesse; on a pu obtenir, parles procédés de la
stéréotypie, toute la suite de la Petite Passion d'Albert Durer,
la facilité de refaire un nouveau cliché quand celui qu'on em-
ploie est fatigué, permettra de tirer un nombre d'épreuves
pour ainsi dire infini de ces belles gravures. Il serait à désirer
92 VISITE
que la même opération fût reproduite pour toutes les cslam-
pes dont on a conservé les bois originaux.
Les tons durset crus des épreuves lithochromiques montrent
que cette nouvelle méthode n'est pas encore arrivée à toute
la perfection désirable, mais si on ne peut obtenir d'œuvres
d'art, on appliquerait cependant ces procédés très-utilement
aux dessins d'ornement et de machines.
Les photographies anglaises sont fort belles, nous avons été
tout à fait séduit par quelques paysages aux tons gris et har-
monieux dont les sites sont encore plongés dans leslDrouillards
du matin. Nous n'avons, dans notre exposition, rien qui soit
supérieur à la collection de la société photographique de Lon-
dres.
Quelques épreuves tirées de la reproduction complète des
collections de la reine d'Angleterre composent un fragment
du plus haut intérêt et que tous nos peintres devraient aller
voir. Nous avons surtout remarqué les Trois Grâces^ des frag-
ments du Massacre des Innocents, la Vierge aux enfants, plu-
sieurs têtes d'après nature, une Lécla reproduite d'après les
dessins originaux de Raphaël ; le fac-similé est complet. On
est là en contact immédiat avec le maître sans une pensée
entre la sienne et la vôtre; les épreuves de M. Thompson nous
ont paru atteindre la perfection de M. Delessert dans sa re-
production du Marc Antoine, ou de MM. Bisson dans celle des
Rembrandt ; remarquons de plus que les photographies'^de nos
habiles artistes ont été exécutées d'après des gravures qui se
prêtent mieux à la reproduction.
Nous apprécions la netteté de caractère des livres anglais,
et les gravures sur bois qu'ils renferment sont fort jolies;
plusieurs d'entre elles, exécutées par M. Thompson, sont au
niveau de ce qu'on fait de meilleur. Ces livres illustrés nous
ont paru peut-être un peu chers ; ajoutons que si nous avons
trouvé dans l'exposition anglaise de sérieux in-folios, reliés et
imprimésavec tout le soin désirable, nous n'avons rien trouvé
d'aussi complet, d'aussi charmant que le petit Horace de
M. Firmin Didot, c'est là un chef-d'œuvre de goût auquel
l'exposition anglaise n'a rien à opposer.
Les reliures bon marché sont très-convenables : le livre
entièrement sombre donne aux lettres d'or du titre beaucoup
de relief. Les reliures de prix nous ont paru moins heureuses,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 93
elles sont trop chargées , on voit trop qu'elles ont voulu être
riches : ce sont plutôt des reliures de livres d'étrennes desti-
nées à faire de l'effet, que des œuvres sérieuses comme les
apprécient les amateurs.
Il ne nous reste, pour avoir passé en revue toute l'exposition
anglaise, qu'à dire quelques mots des instruments de musique,
il nous a semblé que la collection la plus complète appartenait
à M. Érard, qui a plusieurs pianos et une harpe. Les pianos,
au lieu d'être en acajou comme on les aime en France , sont
en général en noyer; au reste, on ne trouve rien de nouveau
dans cette industrie arrivée déjà à une perfection remar-
quable.
POSSESSIONS DES INDES.
Annexe, section des produits, travées. — Palais principal,
galeries, travées , 1 à 3, K et L.
Il n'est peut-être pas, dans tout le Palais de l'Industrie, une
partie qui ait un cachet plus spécial que le coin sud-est de
la galerie où se trouve l'exposition des Indes. On voit là,
rassemblés, dans quelques vitrines, tous les produits de cette
terre à laquelle tout le monde a rêvé. Tissus, meubles,
armes, jouets, bijoux; tout est là, c'est complet, surtout
parce que rien n'y est ajouté. L'honorable Compagnie a eu
le bon esprit de n'apparaître nulle part ; sa main n'a agi que
pour transporter toutes ces merveilles à Paris, mais elle leur
a conservé tout leur caractère et toute leur naïveté.
Singulier peuple que ces Hindous! qui ont tout inventé
deux mille ans avant Jésus-Christ, et qui en sont restés là,
regardant passer le monde sans se donner la peine de le
suivre: vivant près des Anglais comme près des Mogols , avec
leurs castes nettement dessinées, leur soumission aveugle à
la fatalité, à la loi du plus fort, servant leurs vainqueurs sans
se mêler à eux.
Que de richesses accumulées dans cette exposition, et des
richesses qui seront toujours inconnues en France et même
s'éloigneront d'elle de plus en plus, maintenant qu'il nous
faut faire absolument du bon marché.
Au milieu, la tente du rajah s'étale dans toute sa splendeur
94 VISITE
avec ses tapis de velours rouge brodé d'argent; on croirait
qu'elle n'est vide que pour un instant : les lits de repos sont
à leur place; sur les étagères , les jeux d'échecs d'ivoire et de
corail n'attendent que les mains des joueurs; les pipes cise-
lées, la coiffure du prince indien , ses éventails de plume, ses
armes, sont épars sous sa tente. Entouré de tout ce luxe, fu-
mant, rêvant, se laissant vivre comme il est si facile de le
faire en Orient, ces fantômes de princes souverains, regar-
dant danser les bayadères , se font éventer par leurs ser-
viteurs, tandis que la vieille dame de Londrefi , comme ils
appellent la Compagnie, veille à tous leurs besoins, les dé-
barrassant de tout soin comme de toute puissance. On peut
voir à quelques pas une collection de petites poupées qui sont
la fidèle image de cette existence sans but, l'étiquette elle-
même vous le dit : modèle d'un prince indien avec sa suite.
En effet, c'est un vrai modèle; car celui qui est en chair et
en os est aussi impassible et aussi inerte.
Des coffrets de bois de sandale, des boîtes d'ivoire et de
marqueterie montrent à quelle perfection peut arriver ce
travail indien, travail lent, mesuré, qui produit des mer-
veilles en prenant son temps. Les petites statuettes d'ivoire,
de bois peint, dont l'exposition abonde, montrent tout un
côté de ce vieux peuple enfant qui s'amuse à faire des jouets
et qui les fait si bien. A côté des processions ou marchent les
éléphants, entre des files de graves soldats anglais, revien-
nent les fameuses divinités à six bras et à triples rangs de
mamelles, images de ce peuple si nombreux, si fécond , mais
dont les bras sont sans énergie, dont la tête sans fierté se
courbe sous le bùton.
Les châles, le désespoir des fabricants français, sont voi-
sins de l'exposition anglaise; les uns sont sobres de tons,
leurs couleurs rabattues se marient sans se heurter; chez les
autres , au contraire , l'éclat des rouges les plus vifs , des verts
les plus crus vient lutter avec d'éblouissantes broderies d'or
et d'argent; mais toujours dans ces gammes harmonieuses
qui font le charme de ces fins tissus. Qui a inventé aussi ces
dessins bizarres qui les couvrent? Dans queis nuages vaga-
bonds a-t-on pu découvrir ces courbes gracieuses qui s'en-
chevêtrent, reviennent, circulent sans qu'on y'voie ni com-
mencement ni fin!
A l'exposition universelle. 95
Les bijoux , dont quelques-uns renferment des pierres d'un
grand prix, sont d'une finesse, d'une légèreté inouïes; à côté
des saphirs transparents, on voit les diamants de Tlnde, les
plus beaux du monde , montés à jour sur des fils d'argent qui
s'agitent sous le souffle. Les vases d'argent émaillés de bleu
ont des formes d'une parfaite élégance , qui renvoient bien
loin derrière eux les gros blocs d'argent poli de l'exposition
anglaise, les statues de Pierre le Grand , etc.
Ah ! chers voisins et alliés, faites du fer, de la viande, et
tissez du coton; mais laissez vos Indiens vous faire des bijoux,
des vases et des châles, ils s'y entendent mieux que vous.
Les armes présentent l'assemblage le plus singulier : il y a
là des fusils sur lesquels un homme a passé sa vie à fouiller
précieusement des ciselures, qu'il a rehaussées d'or et même
d'émail avec de petites figures charmantes; mais ce sont des
fusils à mèche, et un troupier n'en voudrait pas ; il y a des
sabres de ce fameux acier indien , que l'Angleterre ni la
France ne savent faire, des yatagans formidables et puis un
appareil propre à égratigner l'ennemi. Il y a encore des
casques d'où pendent de longues cottes de mailles, des cas-
ques empanachés d'aigrettes fines et délicates, des arcs, des
piques, des poignards dont la lame va se repliant comme un
serpent.
Un bon marché inouï de main-d'œuvre, des spécialités
absolues, l'absorption de tous au profit de quelques-uns :
voilà l'Inde.
Notre spirituel voyageur Jacquemont avait une suite de
trente serviteurs, et il ne dépensait pas 25 louis par mois; il
était obligé d'avoir trois hommes pour soigner un cheval, un
pour couper l'herbe, un pour panser la bête, et un troisième
pour lui apporter à boire. Il ne serait venu à aucun d'eux
l'idée anarchique de cumuler ces trois fonctions, et si le
coupeur d'herbe était mort, le palefrenier se serait fait rouer
de coups plutôt que de donner une poignée de foin à l'animal
qu'il étrillait.
Quelques Anglais suffisent à conduire cet immense conti-
nent qui subit la loi sans la comprendre et sans la discuter.
Les guerres sérieuses n'ont pas été avec les Hindous, mais avec
les Afghans qui sont, au contraire, assez belliqueux, mais
qui n'ont plus les talents de leurs voisins du sud.
96 VISITE
Cette masse innombrable de travailleurs produisant au
profit de quelques privilégiés, travaillant lentement, et tou-
jours dans le même sens, a dû produire facilement les mer-
veilles que nous voyons ici et qui ne sont réalisables que
dans ces conditions.
Nous venons de parler longuement des objets manufac-
turiers de l'Inde, mais c'est depuis peu de temps qu'ils sont
goûtés en Europe, et le sol lui-même produit des denrées qui
ont les premières attiré les Européens dans ce pays du soleil.
Le poivre noir et blanc, les matières colorantes, l'indigo,
entre autres, qui est pour l'Inde, maintenant, l'objet d'un si
grand commerce; le thé qu'elle produit et qu'elle reçoit de la
Chine ; les fibres résistantes et soyeuses de ses végétaux, aloès,
plantain, etc.; les huiles, celle de ricin qui peut maintenant
être appelée à de grandes applications industrielles; le tabac,
les soies, les laines, ces magnifiques laines du Thibet qu'on
cherche à acclimater dans notre Algérie.
Des dents d'éléphants, des peaux de tigre, des gommes, des
parfums, de grandes nattes, sur lesquelles il est si bon de
s'étendre sous un ciel de feu, se trouvent encore dans l'expo-
sition de l'annexe.
Que dirons-nous de Ceylan; c'est une migration de l'Inde
qui reflète tous ses produits manufacturés et denrées natu-
relles, tout ce que peut produire un sol fertile, inépuisable,
avec des irrigations bien entendues, un peuple énervé qui
travaille peu, il est vrai, mais qui travaille pour rien ; pauvre
grand peuple, toujours conquis, toujours absorbé, et qui n'a
plus d'histoire.
AUSTRALIE.
Annexe, section des produits; travées. — Palais principal,
salon de l'escalier sud-est.
L'Australie, se présente avec un caractère tout spécial qu'il
nous faut examiner; l'or et la laine, voilà les deux richesses
de l'Australie; l'or a été découvert récemment, et il a déjà
attiré dans la colonie un mouvement d'affaires et d'individus
qui aura forcément la plus grande importance sur le dévelop-
pement futur de ce nouveau monde.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 97
L'Angleterre a compris que sur son sol morcelé, envahi par
la culture, à côté de sa population dense et exigeante, il fallait
chez elle faire des produits alimentaires ; aussi a-t-elle poussé
ses races de moulons exclusivement vers la boucherie, s'inquié-
tant peu ou pas de la laine. Elle avait en Australie, au contraire,
d'immenses prairies, admirablement disposées pour le par-
cours; c'est là qu'il fallait faire de la laine, et c'est là qu'elle
en a fait. Elle vient encore tous les ans acheter en France,
en Saxe, les plus beaux béliers mérinos pour les exporter en
Australie; aussi est-elle déjà arrivée à de remarquables résul-
tats : la finesse des toisons qu'elle expose, leur longueur de
mèche ne laissent rien à désirer.
De la houille, des minerais de cuivre et d'étain, quelques
fourrures, des peaux, des denrées alimentaires, du riz et des
céréales entrent encore dans les produits de la colonie.
Les céréales, qui avaient été considérées à juste titre comme
les plus belles de l'Exposition de 4851 , doivent nous arrêter
un instant. Le sol de la colonie de Sydney est tellement riche,
qu'une surface de plusieurs milliers d'ares cultivés en blé a
rendu en 1852 dix-huit boisseaux par are, sans que le sol ait
reçu aucun engrais et sans même qu'on se soit préoccupé
d'un système régulier d'assolement.
Le maïs réussit bien aussi dans la colonie. Malheureuse-
ment la cherté de la main-d'œuvre, à cause de l'attrait
qu'exercent les mines d'or, a empêché jusqu'à présent la cul-
ture du coton de prendre un grand développement.
Ajoutons qu'une assez grande quantité de vins se rencon-
trent dans l'exposition australienne ; ces vins, qui parais-
sent pour la première fois en France, ne sont pas encore
assez connus pour qu'on puisse se prononcer sur leur
valeur.
Une collection de bois incomplète encore, dit le catalogue
de l'Australie , bien qu'elle soit déjà considérable, donne les
plus belles espérances pour cet article d'exportation. Le bois
d'ébénislerie, avec lequel sont établies les vitrines de l'esca-
lier, n'est cependant pas très-beau; il rappelle un peu, mais
incomplètement , notre thuya de l'Algérie.
Appuyée d'un côté sur la production de la laine fine, de
l'autre sur les masses d'or que fournit son sol, conduite par le
génie entreprenant, hardi des Anglais, l'Australie voit s'ouvrir
306 g
98 VISITE
devant elle la plus belle carrière, et le jour n'est peut-être pas
loin ou elle pourra peser d'un grand poids sur les destinées
du monde civilisé.
CANADA.
Annexe, section des produits; travées 10 à 13, de A àD. — Annexe,
section des machines; travées 142 à 143, A.
A l'exception du Mexique, des petites républiques qui se
trouvent au sud de cet État, et des possessions russes du
nord-ouest , toute l'Amérique septentrionale est peuplée par
la race anglaise.
Toute la région centrale de ce grand continent constitue
maintenant les États-Unis et est indépendante. Mais l'Angle-
terre a conservé la partie septentrionale qui porte le nom gé-
nérique de Nouvelle-Bretagne. La plus grande partie de cette
immense étendue de terrains est continuellement ensevelie
sous les glaces et la neige , aussi ne nous occuperons-nous
spécialement que des provinces méridionales du Canada, dont
l'exposition est des plus intéressantes.
Le Canada se divise en deux provinces dont la physiono-
mie est bien distincte : le haut Canada est occupé par les
Anglais; le bas Canada, qui nous appartenait autrefois, a
conservé les mœurs, les lois, presque le cœur français.
L'émigration continuelle de la Grande-Bretagne, qui va se
fixer surtout dans le haut Canada, augmente rapidement la
population de cette province, qui est maintenant la plus peu-
plée. L'émigration française est nulle dans le bas Canada;
mais malgré ce désavantage la population marche aussi vers
un accroissement rapide. D'après les documents les plus ré-
cents, on peut porter à deux millions d'âmes la population
des deux provinces réunies.
Le gracieux trophée qui s'élève au centre de l'espace ré-
servé au Canada nous indique immédiatement quel est le
caractère spécial des productions de ce pays. A la base se
rangent des barriques remplies de denrées alimentaires , cé-
réales , viandes et poissons conservés ; sur la partie supérieure
s'élève un faisceau de billes de bois de construction qui sup-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 99
portent les outils de l'agriculteur et du bûcheron; enfin des
pelleteries entremêlées aux pavillons britanniques couron-
nent le sommet.
Arrêtons-nous donc un instant devant ces différents pro-
duits, et examinons en premier lieu les bois.
Dans les exportations de 1853, les produits des forêts en-
traient pour 47 millions, juste la moitié des exportations to-
tales. Ce résultat montre assez de quelle importance sont pour
le Canada les immenses forêts qui couvrent une partie de son
sol. Les essences du nord de l'Amérique sont en général celles
que nous rencontrons en Europe : le chêne, le noyer, dont
les échantillons sont magnifiques, le charme, l'orme, le sapin
et le cèdre. Citons encore le tamarac, ou épinette rouge, em-
ployé avec succès à la construction des navires. Les pins
dont est couverte la côte du Labrador atteignent des dimen-
sions considérables , et sont recherchés pour le gréement des
vaisseaux.
Les Canadiens savent employer habilement ces richesses
naturelles : toute la boissellerie envoyée à l'Exposition est re-
marquablement traitée; il en est de même de la menuiserie;
le trophée est muni d'une porte bien construite et dont le prix
arriverait à peine à 17 francs; en France une porte semblable
coûterait au moins 30 francs.
Les céréales sont un article important d'exportation pour
le Canada; les maraîchers de Montréal ont aussi conservé les
traditions de la belle culture française, et ils exportent leurs
fruits et leurs légumes dans plusieurs parties de l'Amérique
septentrionale.
Malgré la guerre d'extermination qui a un peu dépeuplé les
forêts canadiennes, l'Exposition renferme plusieurs belles
fourrures , parmi lesquelles se distinguent celles des renards
noirs et argentés; le prix de cette fourrure est incroyable, elle
atteint quelquefois 600 francs pour une seule peau de renard
noir. Le trophée est surmonté d'un castor, cet animal intéres-
sant qui a presque disparu.
Les poissons conservés et tous les produits qu'on extrait de
leurs dépouilles , ainsi que de celles des grands mammifères
aquatiques qu'on rencontre encore dans l'océan Arctique, en-
trent pour une part notable dans le commerce du Canada. La
baie où va se jeter le fleuve Saint-Laurent est connue pour
100 VISITE
l'extrême abondance du poisson, elles pêcheries y font chaque
année des bénéHces considérables.
Les richesses minérales du Canada consistent surtout enfer
et en cuivre. Des gisements censidérables de cuivre natif ont
été découverts récemment près du lac Supérieur, et l'exploi-
tation en est déjà commencée ; l'Exposition en renferme plu-
sieurs beaux échantillons, ainsi que despyritesde cuivre et des
malachites; de la blende, de la galène argentifère, de l'argent
et de l'or natif complètent la belle collection des produits mé-
talliques du Canada.
Depuis longtemps habité par des Européens, ce pays pos-
sède déjà une industrie habile, de jolies voitures, de beaux
tissus, une belle collection de taillanderie, qui montrent que
le temps n'est peut-être pas loin où les importations en pro-
duits manufacturés n'auront plus au Canada l'importance
qu'elles ont encore. Les machines agricoles du Canada sont
les plus perfectionnées du monde , et ne le cèdent en rien à
celles de l'Angleterre elle-même.
Au reste, la richesse de la colonie se montre dans les énor-
mes travaux d'art qu'elle entreprend ; elle est couverte d'un
réseau de chemins de fer qui viennent de tous côtés rejoindre
le fleuve Saint-Laurent, cette immense artère de l'Amérique
septentrionale que de nombreux travaux mettent en commu-
nication avec les grands lacs. La facilité de la navigation et le
bon marché qui en résulte pour les voyageurs et les marchan-
dises donneront à cette grande route une importance prépon-
dérante pour les communications avec l'Amérique occiden-
tale, et pourront faire une sérieuse concurrence au canal de
l'État de New-York. Le grand fleuve lui-même va être traversé
près de Montréal par un pont destiné au passage d'un chemin
de fer : sa longueur sera de près de 2 kilomètres. Une co-
lonie qui exécute de pareils travaux pour s'éviter des frais
de transbordement est certes dans une belle voie de pro-
spérité.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. iOl
COLONIES ANGLAISES.
Annexe, galerie; travées 1 à 13, A et D. — Palais principal ,
palier de l'escalier sud-est.
Le génie entreprenant de la race anglo-saxonne, les gran-
des guerres de l'Empire pendant lesquelles la marine anglaise
a dominé les mers durant vingt ans, ont doté le royaume-
uni d'un grand nombre de colonies sur tous les points du
globe; nous avons déjà parlé des Indes, cet immense conti-
nent qui appartient à une société de marchands, mais le cap
de Bonne-Espérance et l'île Maurice, en Afrique, le Canada,
la Guyane et la Jamaïque en Amérique, enfin l'Australie, voilà
encore des possessions britanniques appelées à un immense
avenir, et qui montrent déjà maintenant où elles pourront
arriver plus tard.
La Guyane doit nous occuper spécialement. Nous avons là
aussi un territoire énorme, mais les gouvernements successifs
qui y ont envoyé des colons paraissent avoir pris à tâche de rui-
ner cette possession dans l'estime de la mère patrie, et quand
un homme dit qu'il va à Cayenne, on. le considère en France
comme un homme mort. Cependant la Guyane française est
exactement dans la même situation que la colonie anglaise.
Très-rapprochées, elles ont le même climat, les mêmes pro-
ductions, et nul doute que si nous avions une exposition de la
Guyane française, nous y trouverions la répétition delà belle
exposition de la colonie britannique. Celle-ci produit du sucre
en quantités considérables; en 1854, la colonie a exporté 83
millions de livres anglaises de sucre et 2 millions de gallons de
rhum. Remarquons de plus que ce sucre pourrait être parfai-
tement raffiné dans la colonie qui possède les machines pro-
pres à celte opération, mais le gouvernement a mis sur l'intro-
duction de ces produits des droits tels, que la colonie n'exporte
que des cassonades.
La Guyane britannique ne fait plus ni coton, ni café, pro-
ductions dans lesquelles elles réussissait cependant, mais les
droits d'exportation l'ont encore forcée à abandonner ces cul-
tures. Son exposition de bois est des plus remarquables : bois
loi VISITE
de marine , bois d'ébéiiisterie les plus variés croissent spon-
tanément sur tout le sol.
Quelques-unes de ces plantes donnent en outre des fibres
textiles qui paraissent supérieurs à notre chanvre, qui n'exi-
gent presque aucune culture. Les fibres de plusieurs palmiers,
brillantes et solides , pourront sans doute être employées aux
usages les plus variés ; celles du bananier , dont les Indiens
fabriquent des cordages d'une résistance remarquable, celles
d'agava, du mahoe, sont encore recueillies sur les plantes
qui les produisent, mises à rouir pendant quinze jours ou
trois semaines, puis propres à la fabrication.
Les fécules les plus variées, banane, igname, arrow-root, les
gommes, les résines, les huiles sont encore les produits natu-
rels de cette belle colonie, qui, malheureusement, n"a pas
encore assez d'habitants, puisqu'elle n'en compte pas 90 000,
et sur ce nombre à peine 4000 Européens, y compris la garni-
son. II n'est pas douteux, cependant, que celte exposition
aura un effet excellent sur la prospérité de la colonie en
montrant toutes les richesses dont elle est douée; ajoutons que,
d'après des statistiques officielles, les côtes seules de la
Guyane sont attaquées de temps à autre par la fièvre jaune,
mais que l'intérieur du pays est parfaitement sain, et qu'on y
rencontre des cas de longévité extraordinaire.
La Jamaïque est la plus importante des Antilles anglaises.
Sucre, café, rhum d'une réputation universelle, piment,
arrow-root , bois de teinture et d'ébénisterie : tels sont les
articles d'exportation de cette colonie à peu près semblables
à ceux des autres Antilles.
Nous avons remarqué avec intérêt les fibres du lace Balk
découpées en lames extrêmement minces, de manière à four-
nir une sorte de tissu fort élégant à mailles écartées, et que
les créoles paraissent employer comme -ornement sur des
étoffes de soie.
La belle colonie du Cap, que les Anglais prirent aux Hol-
landais pendant les guerres de l'Empire et qui leur fut dé-
finitivement laissée en 4 814, est bien représentée dans l'expo-
sition des colonies anglaises. Nos alliés ont là une possession
importante au point de vue maritime, et qui leur assure un
lieu de relâche très-utile pour leurs vaisseaux qui se rendent
dans les Indes ; la rude guerre que leur font les Cafres est aussi
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 103
une excellente école pour l'année britannique. D'après des chif-
fres qui remontent à une dizaine d'années, la colonie exporte-
rait annuellement pour une valeur de 6 millions de francs; ces
exportations consistent spécialement, comme le montre l'ex-
position, en bois d'ébénisterie, bois de construction; en vins,
et parmi eux le fameux vin de Constance , remarquable sur-
tout par sa rareté; enfin en produits animaux provenant des
nombreux troupeaux que nourrit le sol du Cap , et aussi en
dépouilles des bêtes sauvages qui s'y rencontrent, éléphants ,
autruches , etc.
Les habitants du cap de Bonne-Espérance, descendants des
Hollandais depuis longtemps fixés sur le soi, constituent
une race à part : les Afrikanders, aimables, doux, flâneurs,
qui contrastent singulièrement avec la roideur extrême des
Anglais, dont les habitudes finissent cependant par déteindre
sur les mœurs des premiers colons.
L'émigration se dirige peu vers la colonie du Cap, dont la
prospérité pourra être sérieusement menacée lorsque l'Angle-
terre trouvera dans le canal de l'isthme de Suez un chemin
plus rapide pour se rendre à ses possessions des Indes.
L'ile Maurice, voisine de notre île de la Réunion, n'appar-
tient aux Anglais que depuis 1810; jusque-là elle avait été
colonie française. Elle se défendit courageusement, mais finit
par succomber. En 1815, les Anglais nous rendirent l'île
Bourbon et gardèrent l'île de France, dont les productions
sont semblables à celles de sa voisine; elle est pourvue de
plusieurs ports excellents, tandis que notre colonie n'en a
aucun; du café, du sucre, de l'indigo , des épices, des bois;
tel est l'aspect de l'exposition de cette colonie anglaise.
L'importance des produits envoyés par le Canada et l'Aus-
tralie nous engage à en faire l'objet d'un examen spécial.
SUÈDE, NORVÈGE ET DANEMARK.
Annexe , section des produits, travées 25 et2G, A et D.— Annexe,
section des machines, travées 145 et 146, B et C. — Palais prin-
cipal, galerie, travées 30 à 32 , H à I.
Ces trois contrées, qui occupent le nord de l'Europe, ont
conservé, dans l'état de leur industrie, un rapprochement
lOi MSITE
que leurs relations politiques ont dû contribuer à rendre plus
intime. La Suède et la Norvège, quoique obéissant au même
monarque, ont cependant deux gouvernements distincts, et le
signe de l'union entre les trois pays se laisse voir sur leurs
drapeaux respectifs.
Pour consacrer autant que possible ces bonnes relations,
les produits sont groupés ensemble, quoique distingués par
les emblèmes de chaque pays, soit dans le bâtiment principal,
soit dans l'annexe.
La Suède est la seule des trois contrées qui nous ait envoyé
quelques machines importantes, parmi lesquelles une machine
de bateau fort remarquable, d'où l'on pourrait conclure que
cette puissance est beaucoup plus avancée que les autres dans
les arts mécaniques; l'on sait d'ailleurs combien ses richesses
minérales ont contribué au développement et à la prospérité
de sa métallurgie. Ailleurs, cependant, la première place sem-
ble lui échapper : les porcelaines du Danemark, par exemple,
sont bien supérieures aux siennes, et, dans les ébauches de
l'industrie norvégienne, on voit déjà poindre, dans quel-
ques directions, une inspiration artistique que la Suède ne
possède pas au même degré et dont la Norvège est sans
doute redevable à l'impulsion donnée par quelques peintres
célèbres dont elle a raison de s'enorgueillir. Nous dirons en
quelques mots ce qui distingue principalement les trois expo-
sitions.
La Suède a la presque totalité de ses produits dans le bâti-
ment principal , si l'on en excepte ses machines et ses fers
qui sont placés vers les deux extrémités de l'annexe. Ses
échantillons de fer de toutes dimensions sont d'une qualité
vraiment prodigieuse : contournés à froid sous toutes les formes,
ils ne paraissent pas avoir le moins du monde souffert dans
leurs qualités essentielles; aussi le fer de Suède est-il partout
recherché pour les objets dans lesquels il est besoin d'un mé-
tal de qualité supérieure. Quelques spécimens de forge, d'armes
à feu et d'armes blanches suffisent, au reste, pour constater
les avantages de la production suédoise sous ce rapport; on
comprend que de pareilles armes doivent résister à tous les
chocs sans se briser; et ce n'est pas sans étonnement que l'on
voit des lames de sabre qui se redressent sans aucun accident
après avoir été pliées en cercle jusqu'à ce que les deux exlré-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 105
mités se joignent : les fusils ont peut-être le défaut d'être d'un
poids trop considérable.
Nous avons déjà dit un mot des machines delà Suède ; elles
sont d'une exécution surprenante, et, bien qu'elles soient en
petit nombre, on peut en conclure que ce pays est surtout
avancé dans les arts faisant em.ploi du métal qui constitue sa
principale richesse. Les produits manufacturés sont loin d'at-
teindre à une pareille perfection.
Les vases et les meubles de porphyre et de marbre sont
moins beaux que ceux envoyés en 1851 à l'exposition de
Londres ; les meubles ne sont point d'un goût irréprochable;
mais quelques instruments de précision, assez bien faits, quel-
ques spécimens de verrerie et de porcelaines, des toiles da-
massées, des châles, des soieries et des étoffes pour meubles,
enfin quelques papiers peints et de belles fourrures, laissent
pressentir l'importance que l'industrie suédoise se dispose à
prendre dans un avenir prochain.
Nous mentionnerons encore, dans l'Annexe, comme objet
exceptionnel, un traîneau qu'on ne croirait point fait pour le
roi Oscar, mais qui est orné de fourrures admirables, parti-
culièrement de petit gris.
Quoique la Norvège ait envoyé moins de produits que les
pays qui l'avoisinent, et que son industrie soit certainement
moins avancée, son exposition offre cependant quelques ob-
jets dignes d'intérêt. On remarquera surtout, dans l'Annexe,
ses échantillons de sapin du Nord dont l'importance est bien
connue et dont quelques spécimens atteignent un mètre de
diamètre. Les petits cabriolets de montagne à voie étroite,
pour une seule personne, sont à la fois solidement établis, bien
suspendus et d'une légèreté extraordinaire : est-ce pour cela
qu'ils sont installés dans la galerie supérieure? Le traîneau de
Finlande, en forme de bateau, avec son voyageur en costume
national et son attelage spécial pour un renne , forme un objet
de curiosité fort original.
L'industrie minéralogique de la Norvège n'est représentée
que par un petit nombre d'échantillons et un petit monument
en talc.
Dans le palais, on ne saurait citer vraiment, comme produits
remarquables, que quelques sculptures sur bois dans le style
byzantin, bien imparfaites encore, et de beaux atlas lilhogra-
iOG VISITE
phiés que l'on peut louer sans réserve. Deux ou trois cylindres
en verre fabriqués pour vitrage, quelques costumes natio-
naux , divers tissus communs , des articles de vêtement .
parmi lesquels des chaussures en caoutchouc, forment à peu
près le complément de l'exposition de Norvège. Une table de
salle à manger d'un beau bois et d'un bon travail est disposée
pour prendre cinq ou six formes différentes : on la croirait
faite pour nos petits appartements de Paris, dans lesquels on
sait de moins en moins comment réunir quelques personnes.
Les produits du Danemark se rapprochent davantage de l'en-
semble de la fabrication allemande ; nous n'y avons point vu
de minéraux, mais des outils de taillanderie et des instruments
d'agriculture accompagnent une collection de céréales et de
laines qui peut donner une assez juste idée de l'agriculture
du pays.
Quelques dynamomètres et d'autres instruments de préci-
sion d'une construction nouvelle indiquent les tendances ac-
tuelles de l'industrie. Des chronomètres et une très-belle col-
lection d'échappements portent le nom célèbre de Jurgensen.
Dans une autre direction, des rouleaux de papier mécanique
montrent aussi de grands progrès accomplis; ils sont placés
dans le voisinage de quelques essais de fabrication d'ustensiles
en gutla-percha. Nulle part le filigrane d'acier ne se fait avec
plus de perfection, non plus que les meubles en vannerie et
en fil de métal. Des instruments de chirurgie, deux appareils à
douche très-bien construits, de la coutellerie, de jolis échantil-
lons de poterie d'étain dans le genre anglais, quelquesspécimens
de bronze, de très-beaux médaillons et statuettes en porcelaine,
de magnifiques pelleteries de phoque, d'ours blanc, des peaux
de renne accompagnant les gants fabriqués avec elles et qui
sont d'une exécution irréprochable, des tissus imprimés de
laine et de coton de couleurs un peu tranchantes, enfin des
pianos qu'on croirait français, forment les objets principaux
parmi les envois du Danemark au Palais de l'Industrie.
A L^EXPOSITION UNIVEKSELLE. 10'
PAYS-BAS.
Annexe, section des produits; travées 23 à 24, A à D. — Annexe,
section des machines; travées 144 à 145, C — Palais principal,
galerie ; travées 30 à 32, G à H.
L'exposition des Pays-Bas présente deux caractères bien
distincts, si l'on considère séparément les produits euro-
péens et ceux des Indes Orientales, qui sont peut-être trop
confondus dans les emplacements qui leur sont consacrés en
commun. Nous sommes cependant conduits à décrire sépa-
rément chacun de ces groupes, qui appartiennent à deux civi-
lisations bien distinctes que les relations commerciales ne
suffisent pas à rapprocher. La métallurgie de la Hollande ne
se fait point remarquer par de nombreux spécimens : parmi
eux, le cuivre sous toutes les formes, provenant des usines
de M. Anthoven, de La Haye, et de MM. Folkers et C%
d'Amsterdam, est le seul métal qui soit convenablement
représenté; quelques articles de poêlerie en fonte sont in-
suffisants pour constater l'avènement de l'industrie néerlan-
daise que l'on retrouve cependant avec une incontestable
supériorité dans la galerie des machines en mouvement. Les
appareils de la société V Atlas , son compteur à eau , qui
est utilisé sur une conduite dans le palais principal, et les
diverses machines à vapeur qui figurent à l'Exposition , sont
d'une exécution satisfaisante, tout en ne présentant aucune
particularité nouvelle.
MM. Van Stolz frères ont pris la peine de réunir une col-
lection de onze cent vingt-sept échantillons de produits agri-
coles, la plupart récoltés dans le pays. Les lins rouis à l'eau
chaude de M. Ochtmann, et la vitrine qui l'avoisine doivent
attirer à bon droit notre attention. Cette vitrine porte une
mention ainsi conçue : La guerre avec la Russie privant le
commerce , entre autres productions , de son chanvre , Vexpo-
sant a pour but de montrer à Vinduslrie textile des matières
premières d'autres contrées. Ces matières premières consistent
en lins ou chanvres de Manille, de Java, du Brésil, de la
Hongrie, de Naples, delà Westphalie, du Hanovre, et en
108 VISITE
différents filaments de Java désignés sous les noms d'agave ,
rameh, koffs , pisang , etc., etc. Il appartenait à la Hollande
de continuer à l'Exposition le rôle si important qui lui a si
longtemps appartenu dans le commerce du monde.
Son exposition, dans l'annexe, se complète d'ailleurs par des
tabacs, des cordages de toutes sortes très-remarquables,
quelques carreaux émaillés dans le genre flamand, des pa-
piers et de nombreux produits chimiques. Les cires des Indes
et les acides gras fabriqués à Amsterdam ont produit de très-
belles bougies pour l'éclairage.
Parmi les denrées alimentaires, la Hollande a eu soin de
nous envoyer ses fromages, ses pains d'épices, ses eaux-de-
vie, ses liqueurs , ses farines, et surtout ses sucres qui sont
d'une fort belle fabrication ; une raffinerie importante a été
récemment établie à Java.
La carrosserie de M. Hermans ne laisse rien à désirer, par-
ticulièrement sa calèche, très-sobre d'ornements, destinée à
Sa Majesté néerlandaise. Dans la galerie du palais principal,
les produits de la Hollande sont trop en contact avec ceux du
Japon : l'avantage, au point de vue du goût, n'est pas tou-
jours au profit des premiers, quoique les autres laissent voir
déjà une certaine tendance vers les formes européennes;
cette observation est surtout applicable aux meubles, si l'on
veut en excepter toutefois les l3eaux objets en imitation de
laque de Chine, de M. Leeyers, d'Amsterdam, qui se rap-
prochent nécessairement de ceux du Japon pour la délicatesse
du travail et pour la forme. A en juger cependant par quel-
ques chefs-d'œuvre, la sculpture sur bois est en grand hon-
neur en Hollande comme en Belgique : la chaire de vérité, de
MM. Cuypers et Stoizenberg, et celle de M. L. Veneman, sont
en effet, comme coupe et comme travail de bois, les deux
pièces capitales de TExposition; d'un style simple et d'une
exécution hardie, ces deux monuments concourent heureuse-
ment à la décoration de la nef principale.
Les modèles de constructions navales ne pouvaient man-
quer d'être nombreux parmi les envois de la Hollande; nous
n'avons particulièrement remarqué que la suite des poulies de
toutes dimensions réunies dans l'Annexe. La plupart des in-
struments de précision sont relatifs à la marine, ou aux obser-
vations de laboratoire.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 109
D'autres grandes industries, exploitées plus spécialement
en Hollande, ont également envoyé leurs œuvres : celle de la
taille des diamants, particulièrement chez M. Dumoulin; la
fabrication des toiles fines, des draps, des couvertures de
laine, et celle des lapis de haute laine, d'une beauté et d'un
bas prix exceptionnels, surtout chez M. Kenkensfeldt, de
Delf, et chez M. Khonemberg; enfin les œuvres typogra-
phiques de M. Enschédé , de M, Vomkens, et la volumineuse
collection de la Société de librairie néerlandaise. La passe-
menterie d'or et d'argent aussi bien que l'orfèvrerie ne se
distinguent des produits anglais ni par la forme, ni par la
sobriété avec laquelle l'argent massif est employé.
Ces indications rapides établissent suffisamment que les
arts industriels n'ont point encore atteint la même préémi-
nence que le commerce chez cette nation qui a été la pre-
mière du monde; les progrès accomplis annoncent cependant
une ère nouvelle inaugurée déjà par la présence de près de
cinq cents exposants au Palais de l'Industrie.
Les meubles en laque, aux couleurs brillantes et si variées,
les porcelaines si délicates et les bronzes fort originaux du
Japon occupent une place importante, nous dirons même la
meilleure place dans l'emplacement dont les Pays-Bas dis-
posent au palais principal. On sait que l'empire japonais , plus
clos que ne l'est la Chine par sa muraille fantastique , reste
absolument fermé aux étrangers de toutes les nations; les
Chinois, les Chorcins et les Hollandais peuvent seuls commu-
niquer avec Nangosuck , dans l'île de Kuisiu; encore cette
communication n'est-elle tolérée que pour un seul bâtiment
de la marine hollandaise admis à y charger des marchandises
indigènes en échange d'autres produits européens adressés par
le gouvernement néerlandais aux autorités du Japon. On com-
prend dès lors tout l'intérêt qui s'attache à ces curiosités
japonaises dont nous n'avions pas vu d'aussi complète réunion.
COLONIES NÉERLANDAISES.
Annexe, section des produits; travées 23 à 24, de G à D.
Java, les Moluques et plusieurs des îles de l'archipel in-
dien . dans les mers situées entre l'Australie et la Chine ,
110 VISITE
sont pour les Pays-Bas ce que sont depuis longtemps les
Indes, et ce qu'est déjà l'Australie pour l'Angleterre. Sous
l'influence du même climat les colonies néerlandaises récol-
tent les mêmes produits, tandis que, sous le rapport des ob-
jets manufacturés, c'est à peine si l'on y retrouve les traces
de la civilisation de l'Inde , dans les produits les plus com-
muns et les moins recherchés, dans ceux-là même qu'on
chercherait en vain dans l'exposition des Indes anglaises.
Dans la galerie supérieure, les produits des Indes Orientales
néerlandaises, recueillis par le comité local de Java, ont
conservé leur caractère primitif: ce sont bien là les nattes,
les vases qui indiquent l'enfance des arts; les cotonnades et
les ombrelles y viennent attester le commerce avec le monde
de l'Occident. D'ailleurs, une riche variété de produits natu-
rels, parmi lesquels les bois, le caoutchouc, la cire, la coche-
nille, constate l'importance commerciale de ces possessions
lointaines; mais cette importance est bien mieux encore mise
en lumière par l'exposition collective de la Société de com-
merce des Pays-Bas, à Amsterdam; car c'est à elle qu'appar-
tient cet immense trophée qui n'a pas moins de douze mètres
de hauteur et dix mètres de diamètre à sa base, et qui n'est
cependant formé que des produits des possessions néerlan-
daises dans les Indes Oiientales,
La partie inférieure du trophée se compose de vingt-quatre
vitrines contenant les échantillons des produits importés par
la société dans la mère patrie; plus haut se trouvent les em-
ballages qui servent au transport des diverses denrées ; au-
dessus sont inscrits les noms des résidences de Java et des
principales possessions voisines. La Société de commerce a
fait des dépenses considérables pour la réunion et l'installa-
tion de ces produits, qui forment un tout fort original et très-
satisfaisani.
Ce qui l'est plus encore , c'est que les importations des co-
lonies dans les Pays-Bas dépassent chaque année le chiflVe
énorme de 30 millions de francs.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 111
ROYAUME DE BELGIQUE.
Annexe , section des produits , travées 41 à 44 , A à D. — Annexe ,
section des machines, travées 112 à i 16 , A à D. — Bâtiment
des instruments d'agriculture. — Bâtiment de la carrosserie. —
Palais principal, rez-de-chaussée, travées 17 à 21 , H à N. —
Palais principal, galerie, travées 11 à 20, K à N.
La Belgique occupe au palais des Champs-Elysées une
place beaucoup plus étendue que ne sembleraient le compor-
ter sa population et son importance commerciale. Le grand
nombre des produits exposés à Londres et l'espoir d'un meil-
leur résulat encore à celle de 1855 avaient conduit la Com-
mission impériale à classer la Belgique parmi les nations les
plus favorisées, et ses produits occupent dans le palais prin-
cipal, entre les États-Unis de l'Amérique et l'Autriche, un
emplacement considérable.
L'empressement des exposants belges doit, sans doute, être
attribué en grande partie au voisinage, à la communauté de
langage, aux relations constantes de commerce avec la France ;
mais il atteste aussi une grande activité de travail, une pro-
duction industrielle incontestable.
Dans le palais, quatre genres de produits attirent surtout
l'attention et représentent en quelque sorte le cœur et les
deux extrémités du pays. Bruxelles brille par ses dentelles; la
province de Liège se recommande par une variété de draps
et une collection d'armes très-considénible, tandis que la
Flandre expose des fils et des toiles dignes de sa vieille répu-
tation.
Dans la galerie supérieure , les dentelles étalent leurs
dessins élégants et leurs admirables réseaux. Les armes,
les toiles et les draps occupent la plus grande partie du rez-
de-chaussée. Il y a des échantillons pour toutes les conditions,
pour toutes les bourses. Ces produits, par leur bon marché
relatif, défient toute concurrence et s'expédient à l'Étranger
dans presque toutes les directions. La draperie s'exporte en
Amérique, les toiles suivent en partie la même voie, et con-
jointement avec les fils, elles se consomment aussi dans plu-
112 VISITE
sieurs contrées de l'Europe. Les armes de luxe alimentent le
marché de Paris, et celles de guerre sont demandées par-
tout.
Le caractère spécial de ces produits est leur bas prix. On
peut faire partout aussi bien qu'en Belgique ; mais l'on ne
saurait, sans partialité, mettre ce pays sur l'arrière-plan, si
l'on met, en regard du goût et de la solidité de ses produits,
l'indication de leur valeur commerciale.
L'exposition belge ne renferme ni chefs-d'œuvre, ni tours
de force; elle s'adresse aux consommateurs, aux hommes sé-
rieux beaucoup plus qu'à la foule curieuse et avide de choses
extraordinaires. Et cependant elle a bien aussi son côté at-
trayant. A part les dentelles qui attirent les regards du public
élégant, elle appelle l'attention des visiteurs par une immense
glace (16 mètres carrés environ) de Floreflfe qui se trouve
dans la nef et qui semble servir d'enseigne à l'exposition
belge, aussi bien que les riches broderies d"'or, d'argent et do
soie de M. Van Halle de Bruxelles.
A l'étage, derrière les dentelles, sont rangés les cotons, les
étoffes de fantaisie , les instruments de musique , la poterie,
la verrerie et plus loin les tapis, les marbres, etc., etc.
Il y a peu de meubles parmi les produits belges si l'on en
excepte des parquets et des portes d'appartements que re-
commande un travail parfait ; mais l'industrie métallurgi-
que, par ses applications les plus usuelles (classe xxi), tient
une grande place et laisse deviner qu'à l'annexe on retrou-
vera, non sans quelque importance, le fer et le zinc à côté des
machines et des produits agricoles.
Dans l'annexe, la place occupée par la Belgique est moins
grande, mais il faut remarquer qu'avant d'arriver à la galerie
du Cours-la-Reine on trouve, sous des tentes , entre cette
galerie et le palais principal, les voitures et les instruments
aratoires de la Belgique à côté de ceux de la France. Ce dé-
membrement de produits enlève sans doute à l'ensemble
quelque chose de sa grandeur, lui cause un certain préjudice
dans l'esprit des masses ; mais il aurait permis de comparer
plus efficacement les produits des divers peuples, si tous
avaient bien voulu adopter ce mode de morcellement. Du
reste, l'essai qu'on en a fait sur les machines agricoles et sur
les voitures peut porter des fruits pour l'avenir, et amener
A L'EXPUSITIOIN UINIVEHSELLE. M^
une organisation beaucoup supérieure à celle dont l'Angle-
terre avait donné l'exemple en 1851.
La carrosserie de Bruxelles a une ancienne réputation à sou-
tenir; aussi est-elle entrée en lice avec ses meilleurs fabricants.
Les machines et les produits de l'agriculture tiennent, les
uns et les autres, un rang honorable ; les machines industrielles
et le matériel des chemins de fer couronnent dignement le
contingent belge.
Peut-être devrait-on regretter que nos voisins si riches en
produits naturels, en charbons, en minerais de fer, de zinc,
de plomb, aient, jusqu'à un certain point, négligé cette partie
de leur exposition ; ils n'ont pas donné non plus une idée sai-
sissante de leur production métallurgique. Il y a, sans doute,
des expositions de fonte d'un grain et d'une couleur parfaites,
des fers dont la nervure ne laisse rien à désirer. Le jury saura
sans aucun doute apprécier ces qualités ; mais, pour le public,
cette partie de l'exposition belge est tout à fait insuffisante; Se-
raing seul offre u nepièce forgée qui attirera l'attention générale.
En résumé, l'exposition belge, qui compte 700 exposants, a
un caractère très-sérieux; elle est éminemment commerciale.
Malgré les lacunes qu'elle présente, on peut, après l'avoir visitée,
se faire une assezjuste idée des échanges que toutes les nations
pourraient utilement faire avec la Belgique, pour peu que l'on
énumère avec soin les prix indiqués sur la plupart des produits.
VILLES ANSÉATIQUES.
Annexe, section des produits , travées 25 à 26, A et B. — Palais
principal , galeries, travées 30 à 32 , L.
Les villes de Hambourg , Brème et Lubeck sont plus con-
nues par leur immense commerce que par les industries qui
leur sont propres; et, quoique le nombre de leurs exposants
soit assez considérable, il ne faut point s'étonner de l'absence
de tout caractère national dans l'ensemble des produits. Quel-
ques-uns cependant ne laissent pas que d'être très-remar-
quables, et nous pourrions citer une vingtaine de noms parmi
les 83 exposants des villes libres, qui ne sont pas sans intérêt.
206 h
114 VISITE
Les cigares importés à Hambourg, ou fabriques dans cette
ville avec les tabacs étrangers , constituent une branche de
commerce importante qui est bien représentée. A cette in-
dustrie se lie celle de la fabrication du papier à cigarettes ;
ce papier, fait avec les tiges et les débris du tabac, est encore
une curiosité qui , grâce à l'accroissement indéfini du nom-
bre des fumeurs, est sans doute appelé à un certain avenir.
Les cuirs tannés et vernis de Hambourg méritent aussi une
mention particulière, ainsi que les chaussures dans la confec-
tion desquelles ils sont employés.
Les meubles sont établis avec soin et sont certainement
d'une grande solidité , mais on ne saurait y rencontrer les
conditions artistiques qui seules pourraient motiver les prix
élevés auxquels la plupart d'entre eux sont cotés. Il faut tou-
tefois excepter les sièges et autres ouvrages en vannerie , qui
sont à la fois d'une très-belle exécution et d'un prix peu
élevé.
L'industrie des conserves alimentaires ne pouvait manquer
de figurer parmi les produits des villes anséatiques ; les prix
sont très-modérés, et l'on sait, en examinant les boîtes,
que les produits qu'elles renferment jouissent d'une réputation
européenne.
Les produits exposés par les différents États du sud de
l'Allemagne présentent à peu près le même caractère.
Le grand-duché du Luxembourg se fait remarquer cepen-
dant par ses peaux de chevreau pour gants, et par une bi-
bliothèque en fonte pour laquelle une grande somme de tra-
vail a été dépensée au profit du plus grand dévergondage de
goût que l'on puisse rencontrer.
Francfort expose surtout des caractères d'imprimerie et des
ouvrages de typographie et de lithographie.
Le grand-duché de Hesse compte , au nombre de ses pro-
duits, de magnifiques objets de galvanoplastie, des peaux,
des cuirs vernis, des nécessaires et des chaussures.
Dans l'exposition de l'électoratde Hesse, on trouve princi-
palement des bijoux, des émaux et des jouets d'enfants.
Oldembourg se distingue par sa bijouterie en pierre dure et
(luelques autres contrées par des produits assez importants
pour qu'il en soit fait une mention spéciale.
Nos lecteurs nous sauront gré de leur donner, sur l'indu-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. i15
strie tout exceptionnelle des pierres dures, quelques détails
intéressants.
Elle compte à peu près 160 moulins à polir l'agate , qui oc-
cupent 1600 ouvriers.
Environ 250 perceurs d'agate, contre -maîtres et apprentis,
y sont employés.
Les pierres polies sont montées par 350 orfèvres patentés,
occupant 1100 ouvriers.
Le production brute dépasse annuellement 2 500 000 francs
dans lesquels la main-d'œuvre est comprise pour moitié, ce
qui porte en moyenne à 750 francs par tète le salaire des po-
lisseurs, qui s'élève pour les plus habiles jusqu'à 2000 francs
et plus. Du reste, ces polisseurs, perceurs et orfèvres travail-
lent tantôt pour leur propre compte , tantôt sur les ordres des
marchands d'agate , qui leur fournissent souvent les des-
sins et les modèles.
Outre les agates qui proviennent des mines d'Oberstein et
de ses environs, on travaille principalement les pierres du
Brésil , les topazes , améthystes , cornalines , chalcédoines ,
aventurines, le jaspe oriental, l'ouyr, le lapis-lazuli, etc.
La plupart de ces pierres polies se vendent en Angleterre,
en France, en Allemagne, en Belgique, dans l'Amérique du
Nord. Les pierres montées sont surtout destinées, soit aux
foires de Leipzig et de Francfort, soit aux marchés améri-
cains.
ROYAUME DE PRUSSE ,
bans l'exposition duquel se trouvent aussi les produits de l'Unior.
de la Thuriuge, du grand-duché de Mecklenbourg, des duchés
de Brunswick et Anhalt-Dessau , des principautés de Lippe et
Schauraburg-Lippe et de la ville libre de Francfort. — Annexe,
section des produits, travées 27 à 33, A à D. — Annexe, sec-
tion des machines, travées 120 à 12G, A à D. — Palais principal,
rez-de-chaussée , travées 24 à 30 , H à L. — Palais principal ,
galerie , travées 24 à 30 , L à N.
L'exposition prussienne est une des plus importantes au
Palais de Tlndustrie, tant par le nombre de ses e.\pooan(s
i \ 6 VISITE
que par l'importance et la variété des produits : elle résume
en quelque sorte toute l'exposition allemande, qui se recom-
mande surtout par le caractère de vérité qu'elle présente ;
moins qu'ailleurs, les produits ont été fabriqués en vue de
^expù^ition : 11 est vrai que celte bonne foi doit être consi-
dérée comme une condition indispensable de la plupart des
productions de l'Allemagne , dont le principal mérite consiste
dans des prix que Ton regarderait ailleurs comme impos-
sibles.
Si l'on considérait, comme dernier terme de la civilisation,
la fabrication des produits à bas prix pour la consommation
générale, nul doute qu'il ne faille accorder à l'Allemagne une
prééminence marquée; ses articles principausr sont ceux , en
efïet, dont l'usage est le plus répandu et qui se prêtent même
à une grande fabrication , sans exiger un matériel considé-
rable. Il y a moins de manufactures en Prusse qu'en France
et en Angleterre , mais il y a beaucoup plus d'artisans.
La fabrication des draps et des toiles, les articles de coutel-
lerie, de quincaillerie, la fonderie de fer et de zinc, et en
général l'emploi industriel de tous les métaux communs sont
en Allemagne d'une exploitation presque générale ; il faut
y joindre, pour quelques localités, certaines fabrications spé-
ciales , telles que celles des cotons, des soieries, des armes,
des outils, des terres cuites, des jouets d'enfants, des usten-
siles de ménage, etc., etc.. pouvant occuper, dans quelques
localités, un grand nombre de bras peu rétribués.
L'introduction des machines-outils et des machines de fa-
brication a contribué plus qu'aucune autre circonstance à
modifier, sur la plupart des points, les conditions économiques
de la production dans ces contrées , mais cette introduction
même porte l'inHuence des progrès qu'elle entraîne à sa
suite sur les principaux objets de la fabrication antérieure,
plutôt qu'elle n'a eu pour résultat la création d'industries
nouvelles.
A cette amélioration a succédé , depuis une dizaine d'an-
nées surtout , un progrès sensible sous le rapport du goût et
du dessin, à tel point que les formes sont méconnaissables,
et que certains produits de l'orfèvrerie , de l'industrie des
bronzes, des soieries , des porcelaines et de la fonderie ne le
cèdent en rien , sous ce rapport, aux productions les plus re-
A L'ËXPOSÏTION UNIVERSELLE. 147
marquables des nations considérées comme les premières dans
les arts d'imitation. En examinant avec attention l'exposition
allemande, on sent cependant que ce progrès n'est pas
général : à côté de produits très-irréprochables, on rencontre
souvent des formes bizarres , que le contraste met davantage
en lumière, mais dont la Prusse a su, mieux que tous les
autres États allemands, se garder. Cette transition toutefois
ne peut se faire sans quelques écarts regrettables, qui se
rencontrent quelquefois jusque dans le mode d'installation des
produits.
Le royaume de Prusse, qui s'étend au travers de l'Alle-
magne depuis la France jusqu'à la Russie, se divise en deux
parties séparées par le Hanovre , la Hesse et le duché de
Brunswick. La Prusse rhénane est le principal centre de
l'industrie, puis aussi la Westphalie; et il est curieux de
suivre sur la carte le prodigieux mouvement industriel de
toutes les contrées allemandes qui avoisinent la France ,
depuis la Belgique jusqu'à la Suisse. Le grand -duché de
Bade, la Bavière et surtout le Wurtemberg, participent,
autant que les provinces rhénanes, à celte activité qui se fait
sentir encore dans les différents pays de Saxe.
D'un autre côté , le voisinage de la mer du Nord et de la
Baltique exerce, sur le commerce des États du nord de l'Alle-
magne, une influence non moins marquée ; Berlin, Breslau ,
Stettin et Magdebourg , sont les principaux côtés. L'examen
des produits exposés par les différents États ne peut manquer
de mettre en relief ces différentes causes d'influence.
Dans l'Annexe, les matières minérales de la Prusse occupent
une place considérable : les houilles maigres et les cokes de
la vallée de Sarrebruck, assez semblables aux produits simi-
laires du centre de la France, sont réunis en collection par les
soins de l'administration royale des mines avec les houilles
grasses du même bassin , et forment comme une introduction
à la métallurgie du fer, si bien représentée tout auprès. Les
combustibles minéraux d'Essen, près de Dusseldorf, laissent
beaucoup plus à désirer. Presque tous les métaux figurent à
côté de leurs minerais : le plomb, le cuivre, le nickel, l'ar-
gent, mais surtout le fer et le zinc se trouvent exposés dans
leurs différents états de préparation ; les usines de fer n'ont
oublié ni le combustible ni les fondants, ni aucune des modifi-
an VISITE
calions apportées parla fabrication dans les métaux préparés.
Les minerais de fer et ceux de zinc sont surtout nombreux et
importants : le fer carbonate des houillères, rencontré vers
1849 sur les rives de la Ruhr, occupe une place distinguée
à côté des anciennes exploitations du pays. Par les ruptures
ménagées dans les spécimens de fonte , le visiteur distingue
facilement les fontes blanches , les fontes grises et les fontes
truitées : quelques échantillons présentent un caractère la'
melleux très-remarquable.
11 serait difficile de citer les plus importants parmi ces
échantillons nombreux, dont quelques-uns atteignent des
dimensions inusitées; nous avons remarqué cependant les
fers et les tôles de MM. Stumm frères, ceux de la société ano-
nyme du Phénix, une tôle du poids de 750 kilogr. d'une ré-
gularité remarquable, de MM. Jacobi , Haniel et Huyssen ;
ainsi que les tôles de quelques fabricants, aussi minces que
des feuilles de papier ; aussi M. le comte de Renard distri-
bue-t-il pour adresses de petits carrés de tôle de fer , dont
l'épaisseur n'atteint pas trois centièmes de millimètre , et qui
lui servent de cartes de visites. Rien déplus élégant que les
ornements fabriqués avec les tôles, dans le genre des fers
repoussés des xv* et xvi^ siècles.
Le laminage du zinc réalise les mêmes progrès : les feuilles
n°' 16 et au-dessous , de MM. Ruffer et Cie, de Breslau , sont
d'une fabrication tout à fait exceptionnelle. Leurs tôles de
zinc ondulées méritent également une mention particulière.
Nous rencontrerons dans la même voie les trois établissements
prussiens de la société de la Vieille-Montagne, qui expose
également en Belgique, en France et dans le duché de
Bade
La fabrication du nickel , dit argent allemand , n'est pas
sans importance en Prusse; MM. Herbers, d'Iserlohn, et Kay-
ser, de Naumbourg, en Silésie, préparent ce métal avec une
pureté telle qu'il ne contient plus ni arsenic ni soufre.
Les produits les plus remarquables de la métallurgie prus-
sienne sont ceux de M. F. Krupp , dont les aciers fondus
avaient déjà fait grande sensation en 1851. Il s'est en quel-
que sorte surpassé lui-même. Le bloc d'acier fondu de
5000 kilogrammes, plusieurs rouleaux de laminoirs, un canon
flu calibre de 12, un ressort chargé de 3000 kilogrammes, sont
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. H 9
lous des objets remarquables , dont la parfaite homogénéité
se trouve suffisamment établie par les belles cassures de quel-
ques autres pièces. Les cloches en acier fondu, delà société de
Bockum, ont un son magnifique qui n'est que trop attesté pour
les oreilles des visiteurs par l'usage exagéré qu'on en fait
dans l'Annexe. Les fers-blancs des hauts-fourneaux d'Ein-
tracht méritent aussi d'être mentionnés particulièrement.
Les cuivres laminés de Heckmann , et surtout les appareils
évaporatoires pour sucreries, construits dans ses ateliers, sont
bien faits pour accompagner les riches minerais de cuivre py-
riteux, de cuivre carbonate et même de cuivre natif que ren-»
ferme cette division de l'exposition prussienne.
Les produits agricoles sont d'un haut intérêt ; ils se com^
posent principal.ejnent de laines , de céréales et de lins ;
quelques toisons de Silésie , Posnanie et du Brandebourg
présentent les plus belles qualités de laines fines.
Dans les arts chimiques, les acides de la distillation des
corps gras, les substances préparées pour la teinture de
Trommsdorf, les plus beaux peut-être de l'Exposition, les prO'
duits divers de l'industrie sucrière sont bien préparés et d'un
bas prix remarquable. Des effets de coloration fort singuliers
sont obtenus par quelques gouttes de plusieurs substances
distribuées sur divers tissus et étendues en repliant l'é-
toffe sur elle-même ; ces premiers essais du D' Runge sont
loin de dire que ce procédé n'ouvrira pas une voie nouvelle
dans laquelle M. Jobard avait voulu déjà trouver un moyen
d'improvisation pour les tissus industriels. 11 va sans dire
que quinze Farina se disputent la palme pour la véritable
eau de Cologne ; il paraît que cette industrie n'est pas des
moins lucratives.
L'exposition prussienne , dans l'Annexe, est complétée par
les cuirs , des courroies bien fabriquées , les mêmes objets de
cuirs vernis pour l'exportation ; par des amadous formidables
qui serviraient au besoin de vêtements, puisqu'on en fait déjà
des casquettes , sans doute non incombustibles ; par des pa-
piers de toutes sortes, parmi lesquels il convient de distinguer
les papiers non filigranes , en couleur, de MM. Ebart frères,
de Berlin, et par toutes sortes d'objets en caoutchouc naturel,
vulcanisé ou durci , voire même le buste de l'empereur Na-
120 VISITE
poléon l^' à Sainte-Hélène, qui est vraiment d'une exécution
très-parfaite; enfin par quelques instruments de précision, les
articles de poêlerie et les papiers peints.
Parmi les instruments de précision en verre , les modèles
pour la cristallographie sont intéressants, quoique l'exécution
laisse peut-être à désirer; mais le télégraphe de MM. Siemens
et Halske attire l'attention générale; on sait que l'un des as-
sociés faisait profiter de son appareil la Russie, pendant que
l'autre rendait à l'armée alliée le même service.
Nulle part ailleurs la fabrication des appareils de chauf-
fage par le gaz n'est aussi avancée ; les fourneaux et calori-
fères de M. Eisner, de Berlin, nous montrent les petits foyers
à double courant d'air, dans lesquels les gaz mélangés vien-
nent brûler à la surface d'une toile métallique.
En machines, l'exposition prussienne est, sinon complète,
du moins intéressante ; ses machines à vapeur, ses locomo-
tives , sa sucrerie à vapeur, ses presses, ses cardes, quelques
machines de la fabrication des draps et des papiers , et un
métier Jacquart , attestent un mérite d'exécution que l'état
d'avancement de son industrie métallurgique ne peut que
faire progresser.
Conformément au plan général, les produits des quinze der-
nières classes sont placés dans le bâtiment principal, et nous
y retrouvons tout d'abord les métaux sous toutes les formes ;
les outils d'acier, la coutellerie de Henkels et Schmoiz, les
armes blanches d'Hœller et Eunenschlok qui sont exportées
en grand nombre en Amérique et en Asie; les cuivres es-
tampés pour ornements et boutons; la tréfilerie de fer et de
cuivre; les tuyaux sans fin en plomb et en étain ; les cuivres
guillochés pour cadres, tabatières et autres emplois; les
aiguilles de toutes sortes , particulièrement celles des fa-
briques Printz Schleicher et Beissel , à Aix-la-Chapelle ; les
articles de sellerie en argent, de Berlin; les coffres-forts
de toutes dimensions jusqu'à celle d'un simple registre, surtout
ceux de MM. Sommermeyer et Cie ; les ustensiles de ménage
en fer élamé, les poêles en fonte d'un travail parfait, forment
une série non interrompue d'ouvrages en métal , jusqu'aux
fontes de Berlin et aux plus beaux ouvrages d'orfèvrerie. Des
éventails du comte Stolberg qu'on prendrait pour de la den-
telle, si ce n'était leur rigidité; des couvertures en fonte,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 121
fondues sur des modèles en papier découpé, et presque aussi
délicates, nous montrent ce que nos voisins font et ce que
nous ne pouvons encore faire.
Les armes de luxe et lorfévrerie sont représentées par des
produits fort estimables, particulièrement comme ciselure, et
la galvanoplastie en argent fm ne pourrait revendiquer une
œuvre d'un plus beau travail que le bas-relief offert par la
ville de Berlin au prince de Prusse , à l'occasion du 25" an-
niversaire de son mariage.
La fonderie du zinc excelle aussi dans rexécution des or-
nements de l'habile architecte Diebitsch dans le style de
l'Alhambra , et la statue de bronze damasquinée de Frédéric-
Guillaume III, au centre de la nef, fait le plus grand honneur
à rÉcole des arts et métiers fondée par le célèbre Beuth, dont
l'influence , ainsi que celle de l'architecte Schinkel, a exercé
une action si considérable sur les destinées industrielles de
l'Allemagne : leurs ouvrages se trouvent dans la grande logo
aux galeries, ornée de leurs bustes.
Citons encore les poêles en fonte , les dorures sur bois les
plus solides , les boutons les plus variés de Ritzel et de Greeff,
pour compléter Ténuméralion des principaux articles de
quincaillerie.
Les tissus prennent une grande part dans l'exposition
prussienne ; on y remarque entre autres les cotonnades imi-
tant les fourrures de différents animaux, de Gladbach ; les
velours de laine de Schœller et fils ; de très-beaux velours et
peluches de laine , des velours et des tissus de soie , des
tissus légers dans le genre de Mulhouse et de Paris; enfin
les draps de toutes sortes dont la collection est aussi complète
qu'on puisse le désirer; l'industrie du défilochage est déjà
depuis quelque temps acclimatée en Prusse.
Quoique Berlin ait quelques ébénistes habiles , on ne voit
point dans son exposition de meubles remarquables, si ce
n'est quelques laques de Stobwassen d'une très-belle exé-
cution; les instruments de musique, en petit nombre, sont
venus de Berlin, Breslau, Dantzig, Brunswick, Cologne,
Dusseldorff et Werel.
La manufacture royale de porcelaines représente presque
seule l'industrie céramique ; mais ses principales pièces, par
leurs décorations et leurs peintures, sont d'une perfection très-
122 VISITE
remarquable ; les Uthophanies en blanc et en couleur , qui
sont appliquées aux fenêtres de l'escalier sud-ouest , appar-
tiennent au même établissement ; et, parmi les produits plus
ordinaires, MM. Villeroy et Boch , qui occupent un des tro-
phées de la nef, ont des biscuits et des poteries fort inté-
ressantes.
Dans les arts de reproduction enfin, nous rencontrons des
livres de sciences en grand nombre et d'une très-belle exé-
cution chez MM. VVieweg et Winkelmann; mais nous avons
particulièrement remarqué les chromolithographies de Rei-
mer , de Berlin, et quelques cartes géographiques. Les cartes
muettes, exécutées au pinceau sur papier ciré, ouvrent une
méthode nouvelle dans l'enseignement de la géographie , en
ce qu'elles permettent de tracer à la craie tous les détails omis
à dessein, et de les effacer ensuite.
Nous ne dirons rien de la magnifique reliure de l'album
donné au prince et à la princesse de Prusse par les provinces
du Rhin; les vues les plus pittoresques et les scènes histo-
riques les plus intéressantes de ce beau pays , dues pour la
plupart aux principaux peintres de Dusseldorff, sont réunies
dans une œuvre d'art , en ivoire et orfèvrerie , d'un travail
tout à fait remarquable.
M. le commissaire de la Prusse représente , auprès de la
commission impériale , en même temps que le royaume de
Prusse, un certain nombre d'États de l'Allemagne : ce sont
les duchés d'Anhalt-Dessau et Cœthen, le duché de Bruns-
wick, le royaume de Hanovre, la principauté de Reuss , bran-
che aînée (la principauté de Reuss, branche cadette, a délégué
un commissaire spécial), le duché de Saxe-Cobourg, le duché
de Saxe-Cobourg-Gotha , la principauté de Lippe et Schaum-
bourg-Lippe, celle de Schwarzbourg-Rudolstadt, le duché
de Saxe-Meininger, le grand-duché de Mecklembourg et celui
de Saxe-Weimar. Les produits de ces différents États alle-
mands sont réunis à ceux de la Prusse et sont d'ailleurs
trop peu nombreux pour qu'il soit possible d'entrer dans
quelques détails à leur sujet; nous dirons seulement que la
fabrication des objets en métal et que l'industrie des laines et
des draps constituent la partie dominante de ces expositions
partielles. Les différents genres d'impression , la galvano-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 123
plastie, et surtout la fabrication des jouets d'enfants occupent,
après ces industries principales, la place la plus impor-
tante.
GRAND-DUCHÉ DE BADE.
Annexe, section des produits, travées 26 et 27, C. — Section
des machines, 123 et 124. — Galerie d'agriculture, 2 à 6. —
Palais principal, rez-de-chaussée et galerie.
Les cent exposants du grand -duché de Bade ont fourni des
produits à presque toutes les divisions de la classification of-
cielle, les ressources de ce pays industrieux le portant à la
fois vers l'agriculture, les mines et la plupart des manufac-
tures. L'exploitation minérale de la vallée de Kinzig, dont
l'existence remonte à une époque fort éloignée, présente une
collection remarquable de minerais de plomb et de cuivre, à
côté desquels la société de la Vieille-Montagne a disposé les
spécimens de ses mines des environs deWieslach, autrefois
abandonnées , mais qui ont acquis depuis lors une grande
importance. Tandis que , dans l'exposition prussienne , le lin
et la laine formaient la plus grande part des produits agri-
coles , nous rencontrons ici les bois, les céréales, le chanvre
et le tabac ; sous l'infiuence d'un heureux climat, et par l'em-
ploi de bonnes méthodes de culture, le grand-duché de
Bade a pu rendre sa production agricole considérable.
Les bois de la forêt Noire sont exportés au loin , particu-
lièrement pour la France et pour Paris; la production du
chanvre en i853 dépassait 3 500 000 kilogrammes, et elle
s'est encore élevée l'an dernier; cette matière textile, très-
résistante, est recherchée pour la fabrication des toiles à
voiles et des cordages de marine ; la plupart des échantillons
sont d'excellente qualité, aussi la semence est-elle aussi fort
recherchée. Plusieurs producteurs ont exposé des tabacs du
pays , dont la production s'élevait , particulièrem.ent dans le
Palatinat, à plus de 7 millions de kilogrammes. Les feuilles
de MM. Fraumann et Cie et de M. Hirschhorn et fils méritent
un intérêt particulier. Le houblon des mêmes contrées ne
le cède en rien à ceux de Bohême et de Bavière. Le .lardin
124 VISITE
Central d'agriculture d'Heidelberg , transporté en iSoO à
Carlsruhe, d'après les plans de son directeur, feu Mezger,
figure au nombre des exposants par des spécimens des diffé-
rentes cultures du pays, qui doivent aux écrits de cet agri-
culteur la plus grande partie des améliorations réalisées.
La construction des machines a pris , dans le grand-duché
de Bade comme en Wurttemberg, une activité remarquable.
La locomotive à grande vitesse de la société de Carlsruhe,
est d'une très-bonne exécution. Étant chargée de 62 tonnes 1/2,
elle brûle 5'' 85 de coke par kilomètre, avec une vitesse de
64 kilomètres à l'heure ; son prix est de 60 000 francs avec
son tender.
Les pompes à incendie de M. Metz sont d'une exécution
très-soignée : c'est cet industriel qui a organisé dans diffé-
rents pays de l'Allemagne le service des pompiers volontaires;
le fourgon spécial sur lequel il transporte tous ses appareils
de sauvetage en cas d'incendie est très-bien entendu.
Le grand-duché de Bade est le berceau de la fabrication de
l'horlogerie dans la forêt Noire : fondée dans le milieu du
XVII* siècle, cette fabrication produit aujourd'hui de 600 à
700 000 pièces. En 1 847 on comptait 1 568 maîtres et 2566 ou-
vriers, exclusivement employés à cette industrie, sans comp-
ter les femmes et les enfants qui sont fréquemment chargés
de quelques opérations spéciales. Par la fondation d'une
école d'horlogerie à Furtwangen en 1850, le gouvernement,
en fournissant aux fabricants des modèles bien confectionnés
et de bon goùi, a considérablement contribué aux perfection-
nements introduits depuis lors. Le travail est en général divisé
de manière à faire descendre autant que possible le prix de
vente, et l'on est étonné de la précision à laquelle certaines
pièces, établies dans ces conditions, peuvent atteindre.
La fabrication des cuirs est bien représentée, notam-
ment par les produits de MM. Heintze et Freudenberg : on
sait que l'on attribue à la parfaite qualité du tan de la forêt
Noire et de l'Odenwald la bonne préparation des cuirs dans
cette contrée.
Les vins du Rhin et les kirschenwasser de la forêt Noire
ne pouvaient être oubliés parmi les produits badois : 19 000
hectares de terre sont consacrés à la viticulture, et la pro-
duction ne s'élève pas à moins de i30 000 hectolitres.
A L'EXl'OSlTlOiN LMVEHSELLE. 125
Les eaux minérales de Freyersbach , Rippoldsau , Anto-
gast, Pelersthal, Griesbach , Baden-Veiler , Langenbruken,
ont toutes des propriétés particulières qui les font recher-
cher : les analyses du professeur Bunsen, d'Heidelberg, don-
nent des indications fort intéressantes sur leur composition.
Nous trouvons encore dans l'exposition badoise des toiles
métalliques, des garnitures de cardes, des appareils et pro-
duits chimiques, des cigares, dont ceux de MM. Mayer frères
sont très-remarquables, des gravures de la maison Artaria et
Fontaine et des instruments de musique.
Nous mentionnerons particulièrement, parmi les manufac-
tures de tissus, les velours de coton de la Société pour la fi-
lature et le tissage à Eltlingen ; ces produits sont remarqua-
bles par le complet assortiment des couleurs, et les produits
en laine et soie de M. Kœchlin et fils, ainsi que les mouchoirs
de coton de M. Herosé, que l'on peut citer parmi les pre-
miers industriels de l'Allemagne, ne peuvent manquer d'être
également remarqués; les industries du coton seulement n'a-
limentent pas moins de 417 fabriques, occupant 9000 ou-
vriers.
Des industries si diverses et déjà si développées chez une
population de i 360 000 âmes, confectionnant pour plus de
50 millions de produits, constatent une heureuse tendance
vers une prospérité qu'il suffira d'encourager pour en obtenir
de plus importants résultats encore.
ROYAUME DE WURTEMBERG.
Annexe, division des produits, travées 27 à 28. — Annexe, divi-
sion des machines, travées 124 à 127. — Bâtiment des instru-
ments d'agriculture. — Palais principal, rez-de-chaussée, tra-
vées 29 et 30 , I et J. — Palais principal , galerie , travées 29 et
30, N.
Les produits de Wurtemberg, quoique envoyés en petit
nombre et par 182 exposants seulement , forment un ensem-
ble remarquable, caractérisant, avec une grande exactitude,
l'industrie allemande au milieu de laquelle cette partie de
l'Exposition apparaît cependant avec les quahtés qui lui sort
1:26 VISITE
propres; tous les genres d'industrie s'y rencontrent avec des
spécimens intéressants qui font de l'exposition wurtember-
geoise un des types les plus complets au Palais de l'Industrie.
La classe des produits minéraux est représentée par les pierres
à aiguiser, les pierres de construction et les pierres ponces
artificielles, dont une fabrique très-renommée existe à Bieti-
gheim. Les os broyés pour engrais, les instruments de l'Insti-
tut royal pour l'agriculture et l'art forestier, de beaux échan-
tillons de houblon et la collection complète des laines du
^yurtembe^g représentent convenablement les tendances agri-
coles du pays.
La fabrication des machines, plus ordinairement réservée
aux grandes nations , est représentée par des cardes d'une
bonne exécution et surtout par les produits des usines d'Ess-
lingen , chargées de la*construction des locomotives Engerth
pour le Sœmmering, et de nombreuses commandes pour les
chemins de fer du Nord et du Midi en France. Les deux lo-
comotives exposées par ces usines portent les numéros de
construction 268 et 271, et elles sont toutes d'une remarqua-
ble exécution.
On connaît la précision avec laquelle marchent les horloges
de la forêt Noire ; quoique exécutés en bois, et en apparence
assez gros, ces instruments ont quelquefois une précision ex-
trême que Ton rencontrera souvent chez les huit exposants
de ces articles.
Les Allemands sont grands amateurs de collections : celle
des fossiles de Souabe et de Franconie , et celle des plantes
médecinales du Wurtemberg, sont tout à fait remarquables.
C'est au Wurtemberg qu'est due l'invention des ardoises
artificielles, d'un usage plus satisfaisant pour l'écriture et
pour l'enseignement que les ardoises ordinaires : les produits
de l'inventeur méritent de fixer l'attention des visiteurs de
l'Exposition.
Dans les arts chimiques, le sulfate de quinine, l'amadou,
le cirage à base de glycérine, qui utilise une matière en-
core sans emploi, les savons de toutes espèces, les gélatines
pour colle forte , les cuirs et les maroquins , les carmins et
les outre-mers, les papiers de chiffons, de bois et de paille ,
blancs et des couleurs les plus variées, indiquent une fabri-
cation fort avancée et très-économiquement conduite.
A L'EXPOSiTlOlS UNIVERSELLE. 127
Sous le numéro 92 , M. Wagner a réuni de nombreux échan-
tillons de pierres de construction : les granités, les grès, les
calcaires démontrent une précieuse richesse en matériaux de
ce genre, parmi lesquels il convient de distinguer particuliè-
rement les grès du terrain Kuperien supérieur, qui sont
employés à la construction de la cathédrale de Cologne et des
principaux monuments de l'Allemagne. Les chaux hydrauli-
ques et ciments de MM. Leube frères, à Ulm, figurent digne-
ment à côté de cette collection.
Les manufactures du Wurtemberg ont dès longtemps acquis
une grande importance, la coutellerie, les outils de tous
genres , particulièrement les faux et faucilles, les toiles métal-
liques , les objets de quincaillerie et les meubles en métal ,
jouissent d'une réputation bien défendue par les articles ex-
posés : nulle part on ne trouverait une exposition plus com-
plète que celle des faux et faucilles de MM. Haucisen et fils,
de Stuttgard, suivant les formes usitées en France, en Alle-
magne j en Italie, en Suisse, en Pologne, en Hollande et
presque en Amérique ; ces articles font l'objet d'exportations
considérables.
On voit, par cet exposé rapide , combien les produits du
Wurtemberg sont variés, et il faudrait citer encore ses verres
ornés, dits verres mousseline , ses draps et cuirs de laine, ses
toiles, sa bonneterie d'une qualité extrême, ses chapeaux de
feutre d'un bas prix extraordinaire; ses jouets d'enfants font
une concurrence sérieuse à Nuremberg, en Bavière ; l'impri-
merie de Stuttgard a envoyé de très-belles œuvres, et il n'est
pas jusqu'aux instruments de musique qui ne soient repré-
sentés par une fabrique de pianos des plus importantes.
ROYAUME DE SAXE.
Annexe, sectioti des produits, travées 28 à 29, C— Palais pnn-
cipal, rez-de-chaussée, travées 27 à 29 , J à L.
Le royaume de Saxe, situé au centre de l'Allemagne , n'est
représenté à l'Exposition que par environ cent exposants, la
plupart de Leipsick , de Dresde , de Chemnitz. L'industrie
saxonne produit annuellement en fil de coton, tissus de lin,
i^8 \1S1TE
de coton, de laine, toiles cirées, broderies, dentelles, bon-
neteries, jouets en bois , instruments de musique, pour envi-
ron 200 millions de francs, tant pour l'exportation maritime
que pour les marchés continentaux.
Parmi les conditions favorables à ce grand développement
de l'industrie manufacturière en Saxe, il faut en première li-
gne placer ses combustibles minéraux : la houille des deux
bassins de Plauen et Zwickau est de très -bonne qualité et
l'extraction annuelle s'élève déjà de 9 à 10 millions d'hectoli-
tres. Les lignites sont également en aussi grande abondance
en Saxe et ceux exposés sous le numéro 3 sont vraiment re-
marquables.
L'exposition du pays dénote l'importance de ses laines et
de tous les produits textiles : les machines de la filature et du
tissage y ont suivi les progrès des produits eux-mêmes.
La fdature de coton occupe 500 000 broches, réparties en-
tre 120 établissements ; la filature de la laine cardée et de la
laine peignée, 220 000; dans cette dernière industrie la pei-
gneuse Schlumberger devient d'un usage général. La filature
de lin semble au contraire avoir perdu par la concurrence
de l'Irlande la plus grande partie de son ancienne activité.
Le tissage a pris en même temps une extension considérable
et l'on pourrait considérer la Saxe comme une vaste manufac-
ture de tiss'js de toutes sortes, parmi lesquels cependant les
draps et lu bonneterie doivent être signalés à la fois pour leur
bas prix et leurs qualités. Le catalogue spécial publié par
M. le commissaire de Saxe renferme des indications précieuses
sur les prix de ces différents tissus , parmi lesquels les étoffes
pour meubles et les dentelles occupent encore un rang impor-
tant.
En générel l'industrie du lissage ne s'exerce pas en ce pays
dans de vastes ateliers; les tisserands travaillent chez eux
comme nos ouvriers lyonnais; l'introduction progressive du
tissage mécanique modifie de jour en jour ce mode de tra-
vail et changera nécessairement, dans un avenir rapproché,
les conditions économiques de la production dans ce pays.
Nous citerons encore les huiles volatiles parmi les produits
de l'exposition saxonne, quatre exposants de Leipsick ayant
envoyé sous ce rapport des collections vraiment remar-
quables.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 120
ROYAUME DE BAVIÈRE.
Annexe , section des produits ; travées 26 à 2T , A à B. — Palais prin-
cipal, rez-de-chaussée: travées 30 à 32, GàL. — Palais principal,
galerie; travées 31 à 32, L etM.
Quoique les fabriques d'objets manufacturés ne forment
pas en Bavière un faisceau considérable, il est pourtant in-
contestable que depuis une vingtaine d'années les sciences et
les arts y ont fait d'étonnants progrès. L'examinateur sérieux
trouvf^ra, dans l'exposition bavaroise, la preuve de ces progrès
remarquables ; quoique les produits envoyés ne présentent pas
en général le brillant éclat et le goùL qui distinguent ceux de
quelques autres contrées , on y trouvera cependant des objets
d'un mérite incontestable, parmi lesquels il faut citer parti-
culièrement une magnifique collection de minerais formée par
la direction générale des mines et des salines à Munich. Cette
ville a toujours été réputée pour ses instruments scienti-
fiques, et bien qu'elle présente les excellents télescopes de
M. Bauder. il n'en faut pas moins regretter l'absence de
M. Merz et fils, les dignes successeurs de Fraunhofer, dont les
produits cependant avaient été annoncés.
Parmi les produits chimiques, on remarquera, par son bas
prix, l'extrait de noix de galle de MM. Borer et Porzetius de
Ratisbonne , les crayons très-renommés de MM. Faber de
Slein , près Nuremberg , et surtout les bronzes en poudre qur
pendant longues années ont assuré à la Bavière le monopole
de l'approvisionnement de l'Europe.
On sait la réputation dont jouit M. Adam Kuchenrenter pour
ses pistolets de tir, rayés, qui portent avec une étonnante
précision jusqu'à une distance de 500 mètres. Une carabine
à deux canons de ce constructeur mérite la plus grande at-
tention.
MM. Klelt et Cie, les habiles constructeurs du Palais de l'In-
dustrie de Munich en 1854, n'exposent que des clous et des
épingles, mais la fabrication de ces menus objets est chez eux
d'une importance considérable.
M. Steigervald représente principalement l'industrie de Ja
206 i
130 VISITE
cristallerie en Bavière ; ses grands vases égyptiens et mores-
ques ne le cèdent en rien , sous le rapport de la fabrication .
aux produits les plus remarquables de ce genre, et la rapidité
avec laquelle la plus grande partie des produits exposés par
cet industriel se sont vendus, témoigne suffisamment du bon
goût qui a présidé au choix des modèles.
La pierre lithographique de Munich ne pouvait manquer de
figurer à l'Exposition de 1855 : celle de MM. Fischer et Kluge
est d'une beauté remarquable, et quoiqu'il faille surtout cher-
cher les mérites des produits bavarois dans les objets de
grande consommation, il ne faut point négliger cependant de
mentionner les gravures photographiques de M. L. Schomnyer,
et surtout les portraits de M. F. Honfstangl qui sont peut-être
les plus beaux spécimens de ce genre, que la photographie
puisse revendiquer dans le Palais de l'Industrie.
Le nombre des exposants bavarois ne s'élève qu'à 125 :
on aurait pu croire à un plus grand empressement de la part
des industriels qui ont assisté à la grande exposition de Mu-
nich l'an dernier, si les désastres amenés par le cruel fléau
qui a frappé cette ville, au milieu de la splendeur de cette
exposition, n'avaient considérablement refroidi le zèle des plus
ardents. Réduite à ses modestes proportions, l'exposition de
la Bavière n'en doit pas moins être comptée parmi les plus in-
téressantes, en ce qu'elle ne contient que les produits habi-
tuels de l'industrie du pays. Le nombre des exposants bava-
rois était à Munich de 2460, parmi lesquels 63 obtinrent la
grande médaille, 263 la médaille dhonneur, et 531 une men-
tion honorable.
CONFÉDÉRATION SUISSE.
Annexe, section des produits, travées 20 à 22, A à D. — Palais
principal, galerie, travées 22 à 39, B à G.
Pour un pays de deux millions et demi d'habitants, l'expo-
sition de Suisse est relativement considérable; ses limites
sont d'autant plus faciles à reconnaître dans le palais prin-
cipal, que son exposition est gracieusement entourée d'une
ceinturede broderies, devant lesquelles les dames font station.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 431
On y voit, en outre, les articles les plus variés d'horlogerie,
de bijouterie, des soieries unies, des rubans, des coton-
nades, avec leurs nombreuses variétés, des bourres de soie,
qui constituent, sans qu'on s'en doute, une branche très-im-
portante et très-productive de fabrication, des colons filés et
teints, des articles de paille et de sculpture en bois, des in-
struments de mathématiques, des outils, si multiples pour
l'horlogerie, des pianos, des parquets, dont les exposants
ont reçu des commandes pour les palais du Louvre et de
Saint-Cloud, des cuirs et peaux, des télégraphes usuels et
perfectionnés, des dessins de machines, plusieurs reliefs de
la Suisse ou d'une partie de ce pays, des meubles, des cara-
bines, si chères aux Suisses, et qu'ils manient si adroite-
ment, de la poterie, et, entre autres, trois remarquables
poêles en faïence et des vins des bords du lac Léman. N'ou-
ijlions pas de mentionner deux petites vitrines devant les-
quelles la foule passe sans même y jeter un coup-d'œil : l'une
contient de tous petits ressorts pour chronomètres, l'autre des
p.int et des crowii-glass , produits remarquables qui ont ob-
tenu la grande médaille à Londres.
La Suisse a une exposition d'industrie dans toute l'acception
du mot. Ses principaux produits sont répandus dans toutes
les parties du monde : en Orient, aux États-Unis, dans l'Amé-
rique méridionale, en Chine, sur la côte de Guinée, etc.
Ces énormes montres que vous voyez dans une des vitrines
de Neufchatel, sont destinées à l'empereur et aux mandarins
de la Chine. Le siège principal de la fabrication des montres
est dans les montagnes arides du canton de Neufchatel, et il
s'en fait un millier par jour, depuis le prix de 20 fr. jusqu'à
celui de 1000 fr.
A Genève, c'est l'horlogerie fine et à enjolivements qui se
fabrique le plus ; vous y voyez des montres dont les dimen-
sions extérieures ne dépassent pas celles d'un franc, en-
châssées dans des lorgnons ou des carnets de cartes de
visite.
Le canton de Saint-Gall et le demi-canton d'Appenzell se
livrent avec succès à la fabrication des broderies , des mous-
selines et des cotonnades. Ces deux petits pays , dont la po-
pulation réunie dépasse à peine 200 000 âmes, font pour
plus de 50 millions d'articles d'exportation.
d32 VISITE
Ces stores et rideaux que vous admirez se confectionnent
dans les familles pendant le cours des longs hivers et l'inter-
ruption des travaux des champs. Industrie morale qui mérite
encouragement, et à laquelle nous souhaitons une prospérité
croissante.
Les soieries de Zurich sont exposées collectivement par
cinquante-huit fabricants de ce canton. Elles ne sont pas
comparables à celles de Lyon, sans doute, mais elles offrent
le précieux avantage d'un extrême bon marché. Il y en a
beaucoup à 1 fr. 50 c. le mètre.
Les rubans forment la principale fabrication de la riche
ville de Bâle, qui croît en importance d'année en année. Ces
rubans joignent à la distinction le mérite du bon marché; mé-
rite qui ne peut pas toutefois être apprécié, puisque les expo-
sants de Bâle ont, malgré toutes les sollicitations, refusé de
désigner les prix , tant est grande la crainte de MM. les com-
missionnaires , qui interviennent toujours entre le producteur
et le consommateur.
Les articles de paille occupent une longue suite de vitrines :
c'est encore une branche importante de fabrication en Suisse ;
le siège principal en est dans la partie catholique du canton
d'Argovie , et , dans une mesure beaucoup plus restreinte ,
à Fribourg; ces articles , ainsi que ceux d'horlogerie, sont
admis en France avec des droits modérés, mais les broderies,
les mousselines, les cotonnades, les cuirs, en sont, comme on
sait, complètement exclus.
L'économiste se demande comment l'industrie peut prospérer
dans un pays placé dans des conditions si peu favorables : à
une grande distance de la mer, sans matières premières, sans
houille, sans douanes protectrices.
Et cependant, non-seulement l'industrie manufacturière n'y
décline pas, mais elle s'y développe d'une manière remar-
quable.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 133
EMPIRE D'AUTRICHE.
Annexe, section des produits , travées 35 à 41 , A à D. — Annexe,
section des machines, travées ll6àl2l,AàD. — Palais prin-
cipal, rez-de-chaussée, travées 21 à 25, H à N. — Palais prin-
cipal, galerie , travées 20 à 25 , K à N.
On chercherait vainement, dans l'exposition autrichienne,
un caractère industriel bien prononcé : les tendances du tra-
vail manufacturier sont loin d'être identiques dans toutes les
parties du vaste empire, formé d'éléments si divers ; l'Italie
autrichienne se fait remarquer par sa prédilection marquée
pour tous les arts d'imitation, négligés ailleurs d'une manière
fâcheuse ; l'industrie de la Bohême ne ressemble pas à celle
de la Hongrie, quoiqu'on puisse regarder ces deux contrées
comme les centres principaux des industries agricole et mi-
nérale du pays.
Malgré ce défaut d'ensemble, que l'on aperçoit bientôt en
visitant avec attention l'exposition autrichienne, elle ne laisse
pas cependant que de présenter, par la variété de ses pro-
ductions, un grand intérêt, tantôt au point de vue de l'élé-
gance et de la bonne qualité de certains produits ; mais dans
la plupart des cas, par les conditions économiques particu-
lières à ses industries principales.
La Moravie et la Hongrie se font surtout remarquer par
leurs exploitations minérales dont l'administration impériale
des mines a formé, dans les différents districts, une excel-
lente collection technologique. Les houilles et les cokes qui
figurent à l'Exposition proviennent en grande partie de la
Bohême et de la Moravie ; mais les mines de Steyordef, en
réunissant à leurs charbons les minerais de fer carbonate
qu'elles possèdent, peuvent cependant fournir d'exacts ren-
seignements sur la valeur des combustibles de la Hongrie ;
ceux de la Transylvanie sont également bien représentés par
les produits des mines de Magyar Hermany. Un bloc remar-
quable de lignite provient des mines de Léoben (Styrie). La
plupart des fers autrichiens sont traités au charbon de bois,
particulièrement ceux destinés à la fabrication de l'acier : les
134 VISITE
usines d'Innerberg en Styrie, celles de Freybuch en Carinthie
qui produisent Tacier dit des Curmes à la double marque,
celles de Jenbuch,dans leTyrol. doivent être comptées parmi
les plus intéressantes. Le pudlage au gaz de tourbe est un
des traits caractéristiques de la fabrication autrichienne :
plusieurs forges ont obtenu des succès remarquables dans
cette direction, et l'établissement de Secco, à Milan, présente
plusieurs échantillons de fer obtenus sans autre combustible.
L'exposition la plus importante pour les pièces de grandes
dimensions est celle de MM. Rosthorn et Dickmann. Les au-
tres métaux sont aussi l'objet d'une exploitation notable : les
plombs deBlecberg et de Untersitzen, les zincs d'Auronzo, les-
cuivres de Brixlegy et de Kitzbiihl, dans le Tyrol, l'étain des
différentes mines de Bohême attestent une variété de pro-
duction fort remarquable. Le tellure est un produit important
au laboratoire général des monnaies de Vienne , le mercure
s'exploite à Brùnn, le nickel et le cobalt à Berndorf, l'anti-
moine et l'argent en Hongrie, principalement à Iglo , les mi-
nerais aurifères à Kremnitz,
Lelaminage du cuivre, du laiton, et des différents alliagesdu
nickel et du cuivre, connus sous les noms d'alfucia, de pack-
fond, de maillechort, constitue une fabrication très-avancée
dans les districts des forges. Une feuille de packfond des usines
de M. Schailer, près Vienne, n'a pas moins de 14 mètres de
longueur. Les laitons laminés de Tafilmethas sont d'une par-
faite fabrication.
Les échantillons de produits agricoles ne font pas défaut
dans l'exposition autrichienne. On y remarque les blés, les
orges, les seigles, les avoines de Hongrie, de Moravie et de
Bohême, les riz de la Lombardie analogues à ceux de nos dé-
partements d'Alger. L'empereur Ferdinand expose de fort
jolis colzas de son domaine de Prague. Le maïs a été l'objet
d'essais très-intéressants ; l'épi dépouillé de sa graine et con-
verti en farine a été soumis à une sorte de panification ; les
biscuits obtenus avec cette substance ont contribué déjà à la
nourriture de 5 ou 600 personnes l'an dernier, et permettent
d'espérer, en temps de disette , de trouver ainsi les éléments
d'une alimentation supplémentaire. En se bornant à la con-
casser, on l'emploie avantageusement à la nourriture des
bestiaux.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 4 35
Les tabacs occupent une place importante dans l'exposition
autrichienne ; ceux de la Gallicie sont les meilleurs, si on les
compare avec les produits similaires delà Hongrie, de la Si-
lésie, de la Lombardie, dont les nombreux échantillons sont
réunis par les soins de Tadministration impériale.
Les laines constituent le produit agricole le pins important
de l'Autriche : nulle part les toisons n'ont été plus soigneuse-
ment préparées pour l'exposition, et nulle part on ne ren-
contre une collection plus intéressante, La société pour amé-
liorer la production de la laine en Bohème, n"a rien négligé
pour que les plus beaux troupeaux fussent dignement repré-
sentés ; on remarque surtout les toisons du comte François
de Thun Honenstein, celles du prince Ad. Swarzemberg, bien
connu par ses constants efforts en faveur de l'agriculture,
celles du comte de Mundy. Les laines du troupeau des fer-
miers réunis et bien d'autres encore qu'il conviendrait de citer,
rendront la lâche du Jury bien difficile lorsqu'il s'agira de
répartir, entre les exposants de l'Autriche, les récompenses que
ne peut manquer de leur attirer cette f^xposition tout excep-
tionnelle par ses nombreuses variétés, et ses qualités supé-
rieures. En général ces laines sont destinées à la carde : nous
n'avons vu qu'un seul échantillon de laine à peigner.
Les pians de drainage de M. Kreuter sont intéressants :
cet ingénieur, depuis o ans, n'a pas drainé moins de 5000 piè-
ces de terre.
Les bois du comte Zomoeski offrent un intérêt particulier
pour la marine. Ses chênes, sapins et frênes de Gallicie pour
raient être amenés sur le marché français avec des avantages
marqués. Les mélèzes en grume de M. Bumert, et en planches
débités peuvent alimenter, comme bois d'harmonie, tous les
facteurs d'instruments de musique.
Les cuirs de Hongrie, particulièrement ceux de MM. PoUak
fils et de M. Suess ont une réputation bien méritée : quelques
peaux en poils complètent cette partie de l'exposition autri-
chienne. Les articles do sellerie les accompagnent : les selles
variables, pour tous chevaux, au moyen d'un arçon régu-
lateur, ne présentent aucune nouveauté d'invention.
La quincaillerie, les produits chimiques et les substances
alimentaires occupent les deux galeries de l'Annexe. La tail-
landerie de la Carinthie et de la Styrie sont remarquables ;
136 VISITE
les produits surtout de M. J. Zeitlinger, de M. Weinmes-
ter, et ceux de MM. Gobel et Gie, dans la haute Hongrie.
Les scies de M. Miller et Gie sont d'une excellente fabri-
cation. Sans être aussi complète sous ce rapport que l'ex-
position prussienne, celle de l'Autriche est encore remarqua-
ble, et a souvent l'avantage du bon marché. Les armes
communes auxquelles on pourrait reprocher surtout leur
mauvaise mise en bois, sont fabriquées à des bas prix extra-
ordinaires ; où trouverait-on ailleurs des pistolets à 4 francs la
paire? Les cadrans, étiquettes et ustensiles en fonte émaillée
sont également d'un bas prix remarquable. Quelques instru-
ments de mathématiques et de précision , et parmi ces der-
niers les nouvelles batteries galvanique de M. Jedlik, Esapo
et Hamar, occupent, avec quelques pièces d'horlogerie, l'une
des galeries latérales.
Les bougies d'acide stéarique et les allumettes allemandes
doivent sans doute au grotesque de leur arrangement d'oc-
cuper une place spéciale dans l'avenue principale: les autres
produits des industries chimiques occupent la galerie du côté
de la Seine. Les papiers de Josefstal et ceux de Lorenz fils et
Echmann, sont cités pour leur bonne fabrication ; les céruses
et les savons font l'objet d'une industrie considérable.
Les collections de farines sont assez importantes, celle
principalement de la société impériale des moulins à vapeur
de Vienne ; les sucres indigènes de M. le comte de Larish-
Meennich à Freistadt, ceux de M. Richter, préparés directe-
ment en cubes de I à 2 centimètres de côté, pour les usages
domestiques, annoncent que cette fabrication est très-avancée
en Silésie et en Bohème : cette industrie compte d'ailleurs un
assez grand nombre d'exposants. Nous ne dirons rien des
sculptures fondantes en sel gemme de la direction des salines
et des domaines de Hongrie : bientôt il ne restera rien de ces
échantillons bizarres.
L'immense bouteille figurée avec des milliers de bouteilles
des diff'érents vins de l'Autriche, de M. Scherzer, pourrait à
bon droit paraître ridicule, si elle n'était destinée à faire con-
naître une des plus grandes richesses de l'Autriche, richesse
méconnue ou à peine appréciée en France. Le vin est peut-
être, sous ce rapport, le fait capital de l'exposition autri-
chienne; sans parler des vins fins, dont quelques-uns sont de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 137
très-bonne qualité, il importe que l'on n'ignore pas avec,
quelles facilités les différents crus de l'Autricbe pourront
arriver sur le marché français dans des conditions de prix
très-favorables ; les vins de Tokay sont chers, mais ce que
l'on appelle les vins de commerce, et ce sont précisément
ceux-là que M. Scherzer a réunis, se vendent à un prix rela-
tivement très-inférieur.
C'est surtout dans le palais principal que l'exposition d'Au-
triche laisse apercevoir l'absence d'ensemble que nous indi-
quions tout à l'heure. En réunissant, par groupes distincts,
les produits, dans des salles bien décorées, on a cependant
cherché à atténuer ce défaut par une installation convenable.
Les cuivres estampés occupent une petite place auprès
d'objets de toutes sortes que l'on pourrait qualifier du nom
générique d'industrie parisienne de l'Autriche, si les fabri-
cants qui ont contribué à cette réunion n'avaient pris soin de
négliger tout à fait la forme, ou de n'y penser que pour la
rendre plus tourmentée et plus bizarre. Nous examinerons ces
produits dans leur ensemble, parce que si nous voulions les
citer en détail , il nous serait impossible de ne pas indiquer
que la plus grande partie se compose de pipes de toutes sortes,
particulièrement en écume de mer : on n'en verra jamais
une égale collection. On sait que la matière première se ré-
colte en Crimée , et quelques beaux échantillons nous mon-
trent celte singulière substance en grande masse ; d'un grain
fin et homogène , on ne pourrait mieux la comparer quà la
faïence fine pour sa blancheur et son aspect général , si n'é-
tait son étonnante légèreté. Elle est ici tourmentée de mille
manières, ciselée, creusée, représentant sur le bout d'une
pipe colossale jusquà des sujets à huit ou dix personnages ,
qui peuvent bien contribuer un peu à faire ptrdre, par leur
masse, tout l'avantage pour lequel nous avons dit que cette
substance était recherchée. A côté des têtes de pipes , les
tuyaux de toute espèce; l'arsenal est tout à fait complet.
Les boulons de nacre ne sont pas moins nombreux que ces
instruments des loisirs de l'Allemagne, et ils dénotent au
moins une industrie fort avancée par la variété que les diffé-
rents fabricants ont su mettre dans leurs produits. A voir ceux
de iM. VVinter, on croirait que tous les boutons du monde
sont confectionnés dans ses ateliers. Les petits monuments en
d38 VISITE
nacre de M. Schwartz sont très-brillants, sinon jolis; ils sont
très-recherchés et d'un beau travail : quelques-uns d'entre
eux ont jusqu'à 30 centimètres de hauteur: Les jouets
d'enfants de toutes sortes sont d'un bas prix extraordinaire;
ceux en bois blanc sculpté, dans le genre suisse, ne laissent
pas de présenter un caractère de naïveté fort original. A côté
d'eux, les cannes, parleur nombre et leurs variétés, sem-
blent se disputer avec les pipes la prééminence dans l'exposi-
tion autrichienne. Les ciselures des pommes de quelques-unes
d'entre elles sont tellement grandes et tellement contournées,
que le seul moyen de s'en servir sagement consisterait à les
tenir par l'autre extrémité. A en juger par l'exposition , on
doit croire que cette industrie n'est pas sans importance en
Autriche. Citons encore, pour compléter la description de
cette première salle, les boîtes et encadrements en composi-
tion plastique ; quelques-uns de ces objets se vendent 40 et
50 centimes la douzaine, nous n'avons pas le droit de de-
mander qu'ils soient d'une forme gracieuse.
Les papiers de fantaisie gaufiés ou marbrés de M. Kneper
forment une fabrication importante aussi par l'extrême bon
marché, le format grand-raisin de toutes les sortes ne se
vendant que 30 francs la rame. L'exposition de M. Wert-
heim, de Vienne, est bien plus intéressante encore : sa grande
fabrication lui permet d'obtenir tous les outils à des prix im-
possibles ailleurs : ses rabots montés , de tous profils, à i fr.
la paire, vaudraient trois f(>is autant partout ailleurs. Des
presses à papier, des coffres-forts, et parmi eux les pro-
duits remarquables de M. Kosak demandent à être particu-
lièrement cités pour leur bonne construction et le fini du
travail. Les bronzes et la bijouterie sont peu nombreux; di-
sons seulement que les tabatières en argent, et surtout les
belles parures de grenat, méritent d'être mentionnées : nulle
part on ne fait mieux en ce genre , et ces produits ont un ca-
ractère particulier qu'on voudrait retrouver plus souvent en
visitant les galeries autrichiennes. La fonderie de fer de
Kitschelt a également envoyé quelques produits intéressants.
La Bohême nous avertit que dans les arts de la verrerie et
de la céramique nous trouverons beaucoup à admirer; aussi
les trophées de la nef sont-ils consacrés à ces industries prin-
cipales. La porcelaine se distingue plutôt par le caractère
A L'EXPOSITrON UNIVERSELLE. 4 39
propre de l'industrie allemande , le bon marché , que par
des qualités particulières. Les imitations de Chine, cependant^
sont très-remarquables , et la fabrique du comte de Thun
tient , à n'en pas douter , le premier rang. L'industrie des
terres cuites est peut-être plus complètement représentée que
celle de la porcelaine : celles de M. Brunseweller , de Wa-
gram, disposées en pyramide dans la nef, ont à la fois le
mérite d'une bonne exécution et d'un bas prix. A en juger par
le dessin qui accompagne dans l'Annexe les produits cérami-
ques de M. Miesbucq, qui expose aussi cette jolie fontaine en
terre cuite que l'on remarque presque au centre de la nef,
nous devons considérer cette fabrique comme une des plus
importantes , sinon comme la plus considérable. M. Miesbucq
est le Minton de Vienne et l'un des plus grands producteurs
de l'Autriche.
La cristallerie de la Bohème soutient sa vieille réputation,
et si les produits de la France lui sont quelquefois égaux et
supérieurs sous le rapport du goiit et de la forme, nous ne
pourrions méconnaîlre sans injustice le mérite des couleurs
et du travail. Peut-être a-t-on fait plus d'efforts en 1851 , mais
tels qu'ils sont , les produits de M. Gebruder , ceux du comte
de Harrach , ceux surtout de M. Mayer neveu, doivent être
comptés parmi les plus beaux de l'exposition de 1855. Les
cristaux gravés de Negenburth sont d'une perfection inimi-
table. Le filigrane en verre, de Venise, est exposé par M. Tom-
masi , les plus belles aventurines, par M. Biguglia; mais
pourquoi cette belle matière est-elle si fâcheusement intro-
duite dans tous ces objets de verrerie , dont le caractère
principal devrait être celui d'une grande légèreté? Les essais
de reproduction en verre des médailles et des camées laissent
deviner , chez M. Pantosek , une industrie pour laquelle nulle
substance ne saurait présenter plus d'avantage. Les ustensiles
en verre pour la chimie de M. Stolzle sont d'une exécution
et d'un bas prix fort remarquables.
Les tissus forment la principale richesse de la fabrication
autrichienne, remarquable surtout par ses draps et ses soieries.
Le damassé de fil est d'une belle exécution , ainsi que le prou-
vent surtout les produits de M. Oberlecthner, les mouchoirs
imprimés du comte de Narrach , les cotons de M. Dornalzer ,
de Plugen ; les teintures Andrinople de M. Ganal et Cie, les
140 VISITE
crins tissés et quadrillés pour meubles ont bien aussi leur
importance. Les draps , d'une excellente fabrication , sont
d'un bas prix extraordinaire ; ces beaux drap^ militaires ,
particulièrement les draps blancs , dont l'Autriche fait un si
grand usage , sont cotés , chez M. Skène , 4 fr. 75 c. le mètre ;
les étoffes pour pantalons, de Strakish , à 5 fr. 50 c. et 6 fr. ,
Offermann , Scholler, etc., sont dans des conditions pres-
que identiques.
Les châles sont plus surprenants encore; Rossi, Klawatsh,
Krammer, Zusel en exposent à 24 francs qui ne laissent rien
à désirer, et ces maisons considérables en fabriquent dans
tous les genres. Les étoffes de soie pour meubles de JN'ell, celles
deNaas et les nombreux tapis de cet éminent industriel, ca-
ractérisent surtout la fabrication autrichienne, dont les tissus
de soie ne le cèdent en rien aux plus renommés.
Les pelisses de voyage en fourrures, avec ornements de cou-
leurs en cuir et en laine ont une ampleur et un confortable
tout à fait particuliers ; ce costume national est d'un effet
excellent. Les beaux vêtements en feutre, de M. Muck, de Pra-
gue, pour hommes et pour femmes, doivent aux mêmes formes
d'attirer également l'attention générale.
L'Autriche se faisait remarquer à Londres par ses belles
ébénisteries : elle a été beaucoup plus sobre celte fois, quoi-
qu'un meuble très-remarquable de M. Rosani mérite d'être
apprécié; mais c'est à M. Thonet qu'appartient la première
place parmi les meubles ordinaires fabriqués en bois débité
sur la longueur des fibres, puis courbés au feu ; ses sièges sont
d'une solidité à toute épreuve en même temps qu'agréables
par la forme. Cette innovation est une de celles qu'il importe
d'encourager. Les coffrets en imitation de vieux chêne , de
MM. Stammer et Breul, donnent lieu déjà à une exploitation
considérable : le prie-Dieu en marquetterie, qui se trouve au-
près de leur exposition dans la nef, sort également de leurs
ateliers. La reliure et la maroquinerie sont chez M. Girardet
des industries considérables , exécutées dans ses divers ate-
liers comme on exécute les objets d'art. Les boîtes à ouvrage
de M. Klein sont aussi d'une bonne et solide exécution.
L'imprimerie impériale de Vienne conserve toujours sa
prééminence, surtout par l'invention : aucun établissement
public n'a plus fait pour l'industrie; ses produits galvanopla-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. Mi
stiques et ses chromolithographies ont été trop bien appréciés
à Londres pour qu'il soit nécessaire de revenir sur ce sujet.
Ses tableaux en chromotypographie ne sont pas moins remar-
quables, mais le nouveau mode de reproduction des objets
d'histoire naturelle estpeut-élre ce qui mérite les plus grands
éloges. Une petite branche, avec ses feuilles, étant passée au
laminoir entre deux planches de zinc et de plomb doux, laisse
une empreinte en creux sur celle-ci, qui, reproduite par les
procédés de la galvanoplastie , permet ensuite de multiplier
par l'impression tous les détails de l'empreinte originale; les
collections de plantes, les broderies, les dentelles et les tissus
de toutes sortes, soumis à ce procédé, fournissent, à en juger
par les résultats, des images très-satisfaisantes. Les copies
galvanoplastiques de camées , les gravures hyalographiques
sur verre sont aussi fort intéressantes. La carte d'Europe, la
carte topographique des États pontificaux , et la plupart des
ouvrages typographiques , sont d'ailleurs en tous points des
chefs-d'œuvre.
Les reliures d'album, en velours gaufré en or, constituent
l'une des spécialités de l'industrie milanaise.
Les gravures par zinc de Forster suffisent pour prouver que
ce mode de reproduction facile est d'un avenir assuré : les
grandes photophées de Conti ont le défaut d'être un peu du-
res. Celles exécutées par Lorent, de Venise, sont d'une harmo-
nie de tons étonnante : on sait d'ailleurs que l'emploi du
papier ciré pour recevoir les épreuves négatives ajoute beau-
coup à la douceur des tons dans les œuvres photographiques.
La facture des instruments en cuivre est en Autriche fort
avancée, et les spécimens exposés témoignent de l'importance
de cette industrie. Les pianos sont peu nombreux ; nous n'en
connaissons qu'un seul, encore son mérite est-il très-discuté.
Les accordéons doivent être considérés plutôt comme jouets
que comme instruments sérieux.
Les détails qui précèdent suffiront sans doute pour faire
connaître l'importance de findustrie dans les contrées qui
nous occupent. Près de 4800 exposants se sont présentés
au concours; un très-grand nombre ne peuvent manquer d'y
recueillir de nouvelles distinctions.
L'exposition autrichienne laisse deviner que la construc-
tion des machines n'a pas encore fait tous les progrès désira-
142 VISITE
bles : les spécimens sont peu nombreux ; l'exécution laisse
souvent à désirer. La locomotive Engerth , dont Tapplication
se répand partout en Allemagne et sur plusieurs chemins de
fer français , n'est représentée en Autriche que par un des-
sin, tandis que le Wurtemberg l'a construite. Cette impor-
tante machine sera considérée sans doute comme une ample
compensation à la pénurie que nous sommes obligés de si-
gnaler. L'exposition très-variée de M. Schmid, de Vienne,
une presse mécanique lithographique et typographique de
Sigl, et, parmi les métiers de filature de tissages, deux car-
des, une pour la laine, l'autre pour le coton, et un banc à
broches constituent à peu près les machines principales de
r Autriche qui compte encore cependant deux locomotives,
dont une avec son tender , sortant des ateliers de M. Gun-
ther , est d'une jolie disposition.
La carrosserie ressemble à celle que l'on fait partout ail-
leurs, si ce n'est toutefois la voiture d'apparat d'un mauvais
goût extrême, et dont la décoration rappelle assez celle de nos
corbillards de luxe.
ITALIE.
Les seules contrées qui aient pris part au grand concours
de 1855 sont , avec les États sardes , le grand-duché de Tos-
cane et les États du pape. Le royaume des Deux-Siciles , qui
n'a point pris une part officielle à l'exposition, a cependant
les produits d'un exposant dans le palais de l'Industrie : il en
est de môme du duché de Parme : deux cheminées de marbre
et une psyché d'un charmant style qui attire l'attention géné-
rale dans la nef, sont toutefois les seuls produits envoyés
par cet État indépendant.
ÉTATS SARDES.
Annexe, section des produits; travées 18 à 20, C et D. — ' Palais
principal, galerie ; travées 7 à lO, B à D.
L'exposition des États sardes, bien qu'incomplète, révèle
néanmoins le véritable caractère d'un pays producteur, où
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 143
l'agriculture et l'industrie manufacturière ont fait des progrès
remarquables.
La minéralogie qui , dans les montagnes de la Savoie , du
Piémont, de la Ligurie et de la Sardaigne, est aujourd'hui
l'objet d'études et de recherches importantes , brille dans les
collections de minerais de la chambre de commerce de Cham-
béry et de l'institut technique de Turin. On y remarquera aussi
les échantillons envoyés par plusieurs sociétés, dont les capi-
taux importants ne tarderont pas sans doute à donner à la
production des métaux un développement considérable, no-
tamment du fer de la vallée d'Aoste, dont les bonnes qualités
sont bien connues
Tout récemment on a su trouver l'emploi de bois très-pré-
cieux, qui précédemment restaient dédaignés.
D'heureuses innovations dans les instruments d'agriculture
témoignent du progrès général.
Les produits naturels du sol sont représentés par des
échantillons qui en constatent la fertilité, même dans les val-
lées froides, comme celle d'Aoste où l'on est parvenu à ré-
colter du maïs bien mùr et d'excellente qualité.
Les huiles exposées proclament la même vérité en même
temps qu'elles dévoilent les conditions d'une bonne fabri-
cation.
En mécanique, l'application de l'électricité à la Jacquart,
par M. Bonelli , est un heureux point de départ pour les pro-
grès futurs de celte contrée, que constatent déjà les beaux
produits de l'école d'horlogerie de Cluse, fondée par le gou-
vernement, sous la direction de M. Benoît, ainsi que quelques
échantillons exposés par d'autres fabricants.
Les produits chimiques sont peu abondants; mais leur pe-
tit nombre prouve néanmoins que les États sardes ne sont pas
en arrière dans ce genre de fabrication.
Les cuirs, les peaux vernies et cirées ainsi que les fourrures
témoignent également de la bonté des méthodes suivies dans
leurs préparations.
La production et la conservation des substances alimen-
taires sont représentées par des échantillons qui prouvent
des soins intelligents, surtout dans le nettoyage du riz et la
préparation des pâtes.
Les vins d'Asti et de Caluso, dont la réputation est bien
144 VISITE
méritée, ceux non moins célèbres de Vernaccia (île de Sar-
daigne) sont dignement représentés ainsi que les vins d'O-
ranges récoltées sur les bords de la Méditerranée depuis
Gênes jusqu'à Nice.
Les nombreuses sources d'eaux thermales qui surgissent
dans les États sardes, ne sont représentées que par la collec-
tion des eaux de la Savoie, envoyées par la société médicale
de Chambéry, et par celle des eaux de diverses sources ex-
ploitées par la société des sources minérales de Valdieri.
Les échantillons d'ergotine, extraite du seigle ergoté, de
M. Bonjean, prouvent que l'art des préparations pharmaceu-
tiques est loin d'être négligé en Piémont.
L'adoption que paraît avoir faite le gouvernement piémontais,
pour son artillerie, d'une lumière de canon facilement rem-
plaçable, connue sous le nom de , (/min Matins, trouvera, nous
l'esjiérons, sa sanction complète sur les champs de bataille de
la Crimée.
Les échantillons de marbre, naturels ou artificiels, ainsi
que les ardoises, sont très-remarquables.
La serrurerie est représentée par des produits que distin-
guent leur précision et leur prix peu élevé.
Les arts d'ornement sont brillamment représentés par un
lustre magnifique en cristal déroche, exécuté par MjNL Pansa
frères, de Turin.
Les produits des arts céramiques sont peu abondants, mais
nous appellerons l'attention sur des briques réfractaires d'une
très-bonne qualité.
L'industrie cotonnière, aujourd'hui convenablementoutillée,
nous offre des échantillons de tissus blancs et teints de
bonne qualité.
La draperie n'a qu'un seul représentant dont les beaux
échantillons et le prix modéré font regretter l'absence d'au-
tres concurrents.
La soie est la branche principale de la production piémon-
taise, qui occupe un espace considérable où figurent les pro-
duits de trente-quatre exposants , ainsi qu'une collection
commune à tous, offrant aux regards, dans toute leur sim-
plicité, les conditions successives et diverses de cette pré-
cieuse matière.
Les velours^ dans les qualités supérieures, sont toujours, à
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. li.^;
tous les titres, dignes de l'ancienne réputation du velours de
Gênes, berceau de cette belle industrie.
Les progrès contemporains se font également remarquer
dans les échantillons des autres espèces de soieries, qui prou-
vent à quel degré d'avancement sont parvenus les nombreux
fabricants du Piémont.
Nous signalerons encore quelques beaux ouvrages de
sculpture en bois et de marqueterie, des imitations de fruits
d'une rare perfection , et quelques produits très-remarquables
dans l'art typographique, la lithographie et la pholhographie.
GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
Annexe, section des produits, travées i6 à 18, C et D: palais
principal, galeries; travées 1 à 4 de D à E.
La Toscane, par les produits naturels et industriels qu'elle a
présentés au grand concours de toutes les nations, paraît bien
digne de la réputation dont elle jouit. L'industriel et le sa-
vant sont égalemeat intéressés à étudier son exposition, qui
nous fait voir d'une manière assez complète ses grandes
ressources naturelles et les efforts que l'on a déjà déployés
pour en tirer un parti avantageux.
Elle nous offre -199 exposants, parmi lesquels se distingue
rinstitut technique de Florence, qui réunit à ses admirables
collections les appareils scientifiques construits dans ses
ateliers. Sa collection des produits du règne inorganique soi-
gneusement classés d'après leur ordre straligraphique et d'après
leur utilité industrielle est une des plus riches qui figurent îi
l'Exposition et, peut-être, la seule qui présente une aussi
belle ordonnance et tant de variété. On n'y voit point d'or ni
de pierres précieuses, mais l'argent, le mercure, le cuivre, le
fer, l'antimoine, le plomb, le manganèse, le chrome compen-
sent assez de l'&bsence d'autres richesses moins immédiate-
ment applicables. L'art de bâtir s'y trouve représenté par les
ciments, les pierres réfiactaires , les pierres meulières, les
granits et les marbres dont la beauté n'a presque pas de
rivales. Tous les arts y reconnaissent les calcaires saccha-
roïdes, les serpentines, les agates , les jaspes, les pierres 11-
206 j
146 VISITE
thographiques , les dépôts calcaires que certaines sources
abandonnent spontanément à la surface des corps, et les ala-
bastrites blanches comme de la neige, faciles à travailler,
qui offrent l'aspect des plus beaux marbres. La chimie voit
avec bonheur dans cette longue série de minéraux le soufre
et l'acide borique, l'alun et le sel gemme, le graphite et les
plus belles ocres du monde. La présence de nombreux spé-
cimens d'anthracites, de lignites et de tourbes montre que le
sol de la Toscane renferme de quoi alimenter les industries
dont la chaleur est le principe d'activité. Mais les collections
de l'Institut technique n'embrassent pas seulement les ma-
tières minérales ; les bois de toute espèce révèlent au visiteur
de l'Exposition tout ce que l'industrie peut tirer d'un sol
naturellement favorisé par la nature.
Les exposants particuliers ont joint, à cette réunion de mi-
nerais, des mines qui se trouvent en complète exploitation en
Toscane et surtout ceux du fer provenant de l'île d'Elbe, ceux
de cuivre de la mine de Montentini, ceux de plomb et d'argent
de la mine du Botum, ceux d'antimoine de la mine de Mon-
tini, les serpentines provenant des nouvelles carrières de
M. Carpi de Pradt, dont MM. Visconti et Herenci et M. Scheggi
ont profité pour sculpter les candélabres, les vases, la grande
coupe qu'on voit à l'Exposition, les produits des laguni bora-
cifères de M. le comte Larderel et d'autres encore qu'il serait
superflu de nommer.
Une mine qu'il ne faut point négliger , quoiqu'elle ne soit
pas encore exploitée très en grand , c'est celle de houille de
Monte-Bamboli, dont MM. Meilland, Cuillon et Formigli, de
Livourne, ont déjà commencé à livrer les produits aux usines-
et aux manufactures de la Toscane.
Relativement au règne organique il ne faut pas oublier la
collection de produits agricoles présentés par l'académie des
géorgophiles et celle de produits forestiers de M. Siemoni, qui
a même envoyé à l'Exposition des échantillons très-remar-
quables des bois des forêts royales du Casentino.
Si des produits bruts on passe aux produits travaillés, on
aperçoit immédiatement le fer de l'île d'Elbe utilisé à l'état
de fonte brute dans la fonderie de Follonica, à l'état de fonte
de deuxième fusion par MM. Benini et Michelagnoli de Flo-
rence; à l'état de fer en barre, par M. le sénateur Fenzi, et
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 147
par la maison des pauvres de Florence; et à l'état d'acier qui
peut mordre, sans s'ébrécher, sur le porphyre, par M. Tonti.
Les instruments de jardinage, d'une construction nouvelle,
qui sont présentés par M. Terhlio, les ciseaux et les couteaux
de MM. Buffi et Curtucci, sont construits avec les aciers tos-
cans. Un objet assez remarquable de fer repoussé a été pré-
senté par M. Ignesti ; c'est un casque, tout d'une pièce , tiré
d'une planche de la grandeur d'un demi-mètre carré. Le
cuivre travaillé en vase par M. Brucci ; les belles serrures,
quoique assez compliquées de M. Ciani, les mors, gourmettes,
mousquetons, grappins de M. Beru , méritent une mention
spéciale. MM. Jeffrey et Parkin, et M. Barry ont rendu un
très-grand service à la Toscane en y construisant, dans les
ateliers des chemins de fer Léopold et Maria-Antonia, une
grande partie du matériel nécessaire à l'exploitation et à l'en-
tretien de ces chemins de fer, et des machines, instruments,
outils que jadis on réclamait de l'étranger.
L'exposition toscane nous montre aussi la tendance agri-
cole du pays par ses vins, ses huiles d'olives, de lentisque et
de pignons; ses alcools de vin, d'asphodèle et d'arbousier re-
présentent une très-grande richesse du sol. Les produits du
règne animal ne le cèdent guère en importance et en beauté ;
les laines, la soie, la cire et les crins sont en Toscane au
moins aussi beaux que partout ailleurs. Puisque notre inten-
tion est de parler ici des choses plus remarquables de l'exposi-
tion toscane, il nous est impossible de ne pas rappeler
MM. Gonti, Vyde, Gonnin , Nannucci , Musini, c'est-à-dire
les représentants de l'industrie des chapeaux de paille, qui est
toute spéciale à la Toscane, et place ce pays au premier rang
parmi ceux qui fabriquent des objets de luxe d'une rare per-
fection. M. Pelucini prépare des tissus très -recherchés en paille
et crin , imitant parfaitement les tissus suisses.
Les tissus de soie, de laine , de lin et de chanvre, sans être
aussi parfaits que possible , promettent beaucoup pour l'ave-
nir industriel du pays. MM. Jossi et Bruscoli, M. Linsi,
M- Jurentino, MM. Borgagniet Borgognini pour les tissus en
soie, M. Padriddii pour ceux de coton, M. Ricci pour les
draps , M. Manetti pour les tissus mixtes de laine et coton ,
et de coton et soie méritent bien d'être nommés. Les toiles à
voile et les câbles de M. Ferrigni sont au-dessus de tout éloge.
548 VISITE
L'art du tanneur et du corroyeur ne sont pas restés en ar-
rière ; et la sellerie et la botterie qui ont atteint une perfection
assez remarquable savent maintenant utiliser les cuirs et les
peaux du pays.
La céramique et l'art de la verrerie ont pris en Toscane un
développement considérable depuis quelques années. Non-
seulement on y a perfectionné la fabrication des différents ob-
jets en terie cuite ordinaire, mais on a pu fabriquer des
pierres d'une très-grande dimension et améliorer la na-
ture et la couleur des couvertes. M. le marquis Ginori et
M. Villorini ont envoyé à l'Exposition des poêles en terre cuite
d'une forme très-élégante. La porcelaine travaillée autour, la
porcelaine coulée, les tableaux de grande dimension et les faïen-
ces de la fabrique de M. Ginori ne laissent rien à désirer com-
parativement aux produits des fabriques de France et de
Saxe.
Les objets exposés dans le palais de l'Industrie montrent
encore que la Toscane a la gloire de ne point avoir d'émulé
dans plusieurs industries d'un mérite incontestable. Les mo-
saïques en pierres dures , connues sous le nom de mosaïques
de Florence, surtout celles de la manufacture royale, sont
d'un si haut mérite et d'une si grande richesse que peu
d'objets résultant du travail de l'homme pourraient réunir au-
tant de valeur et de beauté. Les ouvrages en serpentine et les
grandes pièces en albâtre qui constituent un des plus jolis
ornements du compartiment toscan dans le palais de l'Indus-
trie sont aussi les seuls produits de ce genre. Les ouvrages en
scagliola, la spécialité des bronzes d'art exibés par M. Papi de
Florence, parmi lesquels on admire des objets d'un travail
assez singulier, et entre autres une plante où la nature se
trouve réellement saisie sur le fait , sont de même des choses
qu'on chercherait en vain ailleurs.
Rappelons enfin, pour compléter ce tableau , les admirables
faïences historiques imitées des anciennes faïences italiennes,
faites dans la manufactuie du marquis Ginori et envoyées
à l'Exposition par INL Frippa ; les marqueteries si admirées
de M. Nolli ; les parquets en marqueterie de MM. Chalon
et Estienne ; les sculptures en bois de MM. Rossi , Marin-
ghi , Leoncini et Lombardi ; les fleurs en cire de Mme Borbo-
tini, m.algré les avaries qu'elles ont éprouvées dans le trans-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 149
port , et les violons de M. Giovannetti qui luttent, dit-on, de
sonorité et de douceur avec les meilleurs instruments anciens
de ce genre.
ÉTATS PONTIFICAUX.
Annexe, rez-de-chaussée, travées 18 à 19, C etD. — Palais
principal, galerie, travées 3 à 7 de B à D.
Les produits des États pontificaux n'occupent, dans l'An-
nexe , qu'un emplacement fort limité , mais plusieurs d'entre
eux présentent un intérêt réel ; le beau bloc d'alun de roche ,
qui est essentiellement une production du sol romain, n'a
plus aujourd'hui l'importance qu'il aurait eue encore au com-
mencement de ce siècle: l'alun, comme on le sait, peut se fa-
briquer partout avec les argiles.
Parmi les substances agricoles nous avons surtout remar-
qué la collection des bois exploités dans la province de Bolo-
gne, les pommes de pin de Ravenne, fruit du pinus pinea ^
dont les belles amandes sont recherchées dans la confiserie,
les plus beaux chanvres du monde envoyés par l'institut agri-
cole de Ferrare, des graines de chanvre qui font l'objet d'ex-
portations de quelque importance , du ricin , du riz , etc., etc.
Le citrate de chaux qui accompagne ces produits est obtenu
directement avec les oranges inutiles à la consommation. Les
gélatines , qui sont encore dans le palais principal , sont d'une
bonne préparation.
Deux industries principalement figurent dans l'exposition
pontificale , celles des soies grèges et des mosaïques. Les soies
exposées par M. Saluri et par M. Féoli ne le cèdent en rien
aux plus belles soies des autres provinces. Les mosaïques de
Galland sont d'une rare exécution ; un tableau du Forum ro-
main dont les dimensions atteignent I'",o0 sur 75 centimètres,
et ces tables et guéridons , ornés de guirlandes de fleurs sur
fond noir, montrent bien ce que l'on peut faire en ce genre.
Les fleurs surtout sont admirées. Quant au mode de fabrication
de ce que l'on appelle mosaïque miniature , le mot n'est pas
déplacé pour plusieurs des mosaïques de Galland ; on sait que
la matière première se compose de marbres ou plus générale-
ment d'émaux en baguettes de diverses formes, colorées en
150 VISITE
toute nuance ; on extrait de ces baguettes de petits prismes
qui sont assemblés sur du ciment romain ; lorsque ce travail
d'assemblage est terminé , il suffit de polir la surface pour
faire apparaître les tons dans toute leur vivacité. La mosaï-
que, ainsi faite, est une peinture inaltérable qui est néces-
sairement d'un grand prix; le tableau principal ne vaut pas
moins de 25 000 francs.
Quant aux mosaïques des bijoux communs qui sont plus
grossièrement assemblées sans doute , elles peuvent être
vendues depuis 4 franc jusqu'à 30 ; elles sont aussi remar-
quables au point de vue du bon marché , que les œuvres de
Galland le sont au point de vue de l'art.
Les camées en pierres fines, de M. Michelini, sont aussi
d'une perfection admirable : la sardoine, la cornaline, entre
autres pierres dures , sont principalement employées par cet
artiste avec une finesse de goût et d'exécution qui ne se trouve
que dans quelques carnées antiques. La Vénus de Milo, son
plus grand sujet en pierre occidentale, est du prix de 6000 fr.
Les marbres sculptés de Jacometti et de Pauliaca sont d'un
beau travail ; la grande coupe en jaune de Sienne de cet ex-
posant ne pourrait trouver une place convenable que dans
un musée.
Rome est plus adonnée à l'industrie qu'aux beaux-arts, les
autres parties de son exposition témoignent encore de ce ca-
ractère national : voyez plutôt ce meuble en marqueterie qui
peut être cité comme un modèle de travail, par M. Gutti;
parmi les coraux, ce collier dont les chaînons entrelacés, sur
une longueur de 25 centimètres , ont été détachés d'une même
pièce, ces fleurs en cire , de M. Dies et de son élève , cette re-
production en bronze doré de la colonne Trajane , chef-
d'œuvre de patience et de ciselure de M. Stragna, les photo-
graphies enfin dont quelques-unes sont bien réussies.
Les cordes de boyaux de Rome sont estimées, et cette
industrie se rattache encore aux beaux-arts; la préparation
des stucs , les carrelages en poterie sont dans le même cas.
Nous n'avons ailleurs à citer que quelques tissus, quelques
papiers, et un instrument spécial de chirurgie dont il sera
parlé plus loin. Le nombre des exposants ne s'élève pas à
plus de soixante.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 151
ROYAUME D'ESPAGNE.
Annexe , section des produits , travées I6 à 18 , A et B. — Palais
principal, galerie , travées 26 à 29 , B et D.
L'Espagne ne compte pas moins de 500 exposants, sans y
comprendre ceux de ses possessions d'outre-mer à la Havane
et à Puerto-Rico. Ce nombre aurait pu être beaucoup plus
considérable si l'appel fait par le gouvernement avait été
mieux entendu, particulièrement en ce qui concerne les soies
et soieries, les tissus de coton et les draps. Valence, qui est le
centre principal de l'industrie séricicole, s'est absolument abs-
tenue.
Les machines surtout font défaut à l'exposition espagnole ,
quoique les procédés de la métallurgie soient depuis long-
temps en usage dans un pays aussi richement doté en miné-
raux utiles.
Nous avons vu dans l'exposition française de M. Boignues et
Cie, un tuyau de conduite d'eau pour la ville de Madrid qui
n'a pas moins de 92 centimètres de diamètre, et une notable
partie de la canalisation dans laquelle ce tuyau doit prendre
place, s'exécute cependant dans les usines du pays : mais le
défaut d'outillage et d'expérience dans ces sortes de travaux
permet à l'Angleterre de les livrer à pied d'oeuvre à meilleur
marché qu'ils ne seraient obtenus sur place.
L'Espagne possède tous les éléments d'une industrie per-
fectionnée, mais l'obligation de faire venir de France ou d'An-
gleterre jusqu'aux moindres machines est un des caractères
les plus frappants de Tindustrie espagnole.
La métallurgie se trouve représentée plutôt par des matiè-
res brutes que par des spécimens de fabrication : les dimen-
sions des échantillons de fer espagnol indiquent jusqu'à un
certain point combien on pourrait utiliser mieux ces richesses
minérales.
L'établissement d'artillerie de Travia figure cependant au
nombre des exposants pour un canon du calibre de 32 et pour
une machine à fabriquer les balles de fusil.
1S2 VISITE
114 échantillons de houille, provenant pour la plupart des
Asturies, permettent de croire que le combustible minéral est
abondant dans cette contrée : le charbon est maigre et d'une
grande densité, mais quelques morceaux de coke, particuliè-
rement ceux du district dOUomigo, ne paraissent pas impro-
pres aux usages métallurgiques.
Plusieurs établissements ont envoyé des minerais de
plomb, de cuivre, de zinc, de manganèse et d'argent, parmi
lesquels il convient de distinguer particulièrement les plombs
d'Almeria, l'argent natif de la province de Guadalaxara; la
mine d'étain de Zamora, et surtout le cinabre de la compagnie
minière Asturienne, sont d'un grand intérêt.
Les métaux, à l'exception du plomb et du mercure, sont en-
core peu exploités ; le fer s'obtient habituellement par conver-
sion directe du minerai; on sait d'ailleurs qu'il présente toute
la ténacité et toute la ductilité désirables.
Le soufre de Murcie, le sel gemme de Cardona, les mar-
bres deSégovie, complètent la série des substances minérales.
L'agriculture et l'art forestier doivent surtout aux établis-
sements royaux de figurer convenablement à l'Exposition :
La collection de l'école forestière de Villaviciosa est fort sé-
rieuse ; elle se compose de nombreux échantillons de bois, de
charbons et cendres de bois, résines, écorces, spartes, etc.;
les instruments de l'art forestier y figurent à côté des produits.
Les lièges bruts et ouvrés, les huiles et produits résineux
envoyés par d'autres établissements complètent admirable-
ment cet ensemble, auquel on ne pourrait faire d'autre repro-
che que celui d'être composé d'échantillons trop petits pour
être expérimentés.
Les céréales, les lupins, les fèves, la garance sont au nombre
des produits agricoles avec les fruits du caroubier, et les
figues du cactus , qui croît spontanément en Espagne comme
en Algérie, des amandes et des noisettes des meilleures va-
riétés. L'arachide et le ricin se trouvent aussi parmi les pro-
duits exposés dans la collection de l'Institut agricole de Bar-
celone ; les huileset surtout les vins si renommés de l'Espagne
ne sont pas d'une moindre importance que les produits de
même nature dans aucune autre partie de l'Exposition.
Producteur autrefois des laines les plus fines, le royaume
d'Espagne cherche à reprendre son ancien rang , et les trou-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 153
peaux de la reine ont fourni des toisons de race saxonne acclima-
tée qui ne le cèdent po'nt aux produits de la Saxe elle-même.
Nous ne voyons, parmi les produits chimiques à citer, que
quelques bougies stéariques et des cuirs, en faisant toutefois
mention toute spéciale des maroquins de Madrid. Les produits
céramiques, à l'exception des carreaux de faïence de Valence
et de quelques pièces de verrerie , ne présentent aucun inté-
rêt particulier, non plus que les articles d'ornements religieux
et d'orfèvrerie; mais nous ne saurions trouver trop d'éloges
pour les armes et autres objets en métal de MM. Zuloaga
père et fils; les produits de ces habiles artistes suffiraient
pour indemniser l'exposition espagnole des lacunes que cer-
taines industries laissent paraître ; la ciselure sur fer, la da-
masquinure, la gravure à l'eau-forte, non plus que l'art du
repoussé, n'ont jamais eu des interprèles d'un plus remar-
quable et plus varié talent. Un groupe d'oiseaux morts , ciselé
dans la masse et un bouclier en fer repoussé sont dus plus
particulièrement à M. Zuloaga fils, qui a fait également les
cires de la plupart des autres pièces, parmi lesquelles il faut
citer une couverture d'album en fer, damasquinée à l'intérieur,
gravée à l'eau forte au dedans ; la beauté du travail ne permet
pas que l'on critique la singularité de l'objet : l'album est
néanmoins un peu lourd. Une boîte à pistolets, dont toutes les
pièces ont été ciselées et damasquinées dans le style maures-
que, et qui est destinée au général Narvaez , ne le cède en
rien aux deux pièces capitales de celte exposition , une dague
et un sabre dont les poignées sont de la plus belle exécution.
Les figures, ciselées en ronde bosse, se détachent merveil-
leusement sur l'ensemble du travail, dont la damasquinure
est tout à fait irréprochable : la gravure des lames et des
fourreaux complète dignement ce travail.
Les armes à feu , dans différents styles , témoignent encore
des mêmes qualités chez ces artistes ; mais l'un des fusils , tout
à fait semblable pour le goût et l'exécution aux armes de luxe
de l'industrie parisienne, nous a permis d'apprendre que
MM. Zuloaga ont travaillé pendant quelque temps à Paris; il
est éminemment intéressant de voir ce que peut produire un
artiste formé à l'école française, lorsque son talent a pu s'inspi-
rer des besoins et des habitudes d'un peuple qui a conservé,
dans plus d'une direction, son originalité première.
15i VISITE
La fabrication des tissus n'a pas fait , au Palais de l'Indus-
trie, les envois qu'elle aurait pu faire; nous avons déjà parlé
de l'abstention presque complète de Valence; la province de
Barcelone , la plus manufacturière du royaume , ne s'est fait
représenter que par un petit nombre d'exposants ; néanmoins
les soieries, particulièrement celles de M. Escuder, de Barce-
lone, suffisent pour assigner un rang supérieur à ces pro-
duits ; les crêpes de Chine brodés , de José Reig, sont égale-
ment d'une excellente fabrication , ainsi que les chenilles de
couleurs étagées de M. Font. La fabrication des blondes et
des dentelles forme un des traits caractéristiques de l'indus-
trie espagnole. M. Fiter est considéré comme le premier fa-
bricant de ces élégants tissus ; ceux qui proviennent de la
fabrication mécanique de M. Roldos méritent également l'at-
tention.
Les draps particuliers du pays , dits satins , parmi lesquels
ceux de M. Casonova , les draps fins de la province de Barce-
lone, particulièrement]de MM. Gally et de M. Trins à Turrusa,
remarquables par la modicité des prix, donnent une juste
idée de la fabrication espagnole. Les couvertures communes
de Palencia, en laine dite Chuzza, forment un produit impor-
tant qu'il ne faut apprécier qu'au point de vue du bon mar-
ché , les couleurs et le dessin ne pouvant sans doute être jugés
favorablement.
C'est aussi dans la Catalogne que l'industrie du coton est
principalement concentrée ; elle compte 25 exposants, mais
elle pourrait en fournir en bien plus grand nombre : les pro-
duits ressemblent d'ailleurs à tous les cotons imprimés.
En dehors de ces branches principales de la fabrication es-
pagnole, nous citerons encore quelques pianos assez ordi-
naires, un secrétaire et une psyché appartenant à la reine ;
d'un beau travail de marqueterie , ces meubles ne sont pas
d'un aspect irréprochable. Les gants de Madrid sont de qualité
supérieure et d'un prix relativement favorable ; enfin les li-
thographies des principaux chefs-d'œuvre du musée de Ma-
drid , témoignent de l'état d'avancement des arts de reproduc-
tion en Espagne.
Les produits les plus intéressants de l'île de Puerto-Rico
consistent en bois indigènes et en fils de bananier, de mugney,
d'ananas; parmi ceux de la Havane, les cigares occupent né-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 155
cessairement la première place: mais il faut citer à côté d'eux
une casquette en crin blanc , d'un charmant travail , et sur-
tout les esterillas ou paillassons, qui sont d'un usage général
dans les pays chauds.
ROYAUME DE PORTUGAL.
Annexe, section des produits, travées 18 et 19, A et B. — Palais
principal , galerie , travées 23 et 26, B à D.
L'exposition portugaise compte 441 exposants , représentés
pour la plupart par des spécimens peu nombreux, dont les
dimensions, particulièrement pour les produits naturels, lais-
sent souvent à désirer. L'ensemble de cette exposition ne
manque cependant pas d'intérêt, surtout pour les produits des
nombreuses colonies portugaises. Le conseil des colonies à
Lisbonne a bien voulu porter des soins tout particuliers au
choix des échantillons destinés au grand concours de 1855;
c'est à lui que nous sommes redevables des produits de la
province d'Angola et de Benguela, dans l'A-frique ocxiden-
tale, de la province des îles du cap Vert, de Bissao, Cacheo,
et dépendances dans la Guinée, de la province des îles de
Saint-Thomé et Principe dans le golfe de Guinée , de la
province de Mozambique, Sofala et Rios de Senne, à l'est de
l'Afrique, de la province de Goa, Damao et Duc, dans l'Inde
portugaise, et de la province de Macao, Solor et Timor, en
Chine et dans l'Océanie.
Quelques exposants sont venus aussi représenter l'archipel
des Açores, et la province des îles de Madère et de Porto-
Santo.
L'industrie a encore peu de place dans l'exposition de la
métropole , surtout dans celles des colonies. Les citations
qui viennent d'être faites annoncent suffisamment une grande
variété de produits agricoles, parmi lesquels les céréales,
les huiles d'olives et les vins, ont une importance prépondé-
rante.
Les blés tendres et les blés durs, les orges, le riz, le maïs,
dénotent une production agricole des plus riches ; le Portugal,
156 VISITE
en effet, suffit à sa consommation sous ce rapport; soixante
échantillons d'huiles d'olives, envoyés par vingt producteurs
différents; soixante-cinq exposants de vins de diverses prove-
nances, suffisent pour caractériser ces deux produits princi-
paux; les seuls vins de Porto alimentent un grand commerce
d'exportation, principalement avec l'Angleterre; ceux de
l'Estréniadure, assez semblables à notre bordeaux, sont peu
connus; les muscats mousseux, cependant, seraient surtout
appréciés avec faveur; les liqueurs et les fruits confits sont
aussi très-remarquables.
Le miel et le carthame, les cuirs forts de Porto, les con-
serves de porc salé dEvoror, les sucres raffinés de Lisbonne,
figurent encore parmi les produits importants de la péninsule
portugaise. Les cigares fabriqués avec les tabacs du Brésil et
les bois de l'île de iMadére, fournissent à l'industrie manu-
facturière un contingent précieux.
Un modèle de pressoir et quelques grands vases de poterie
qui portent dans le pays le nom de Talha, témoignent heu-
reusement des procédés qui se sont perpétués en Portugal,
pour la préparation et la conservation de ses vins spiritueux.
Les produits de l'agave sont intéressants, cette plante pou-
vant être utilisée pour ses fibres textiles, dont la finesse
leur a fait donner le nom de soie végétale; elle sert aussi
à la fabrication du papier et à la confection d'ouvrages
en vannerie fort curieux. Le suif végétal de Mafarra est aussi
une substance sur laquelle il est bon d'appeler l'attention pu-
blique. Une belle collection de bois et de lièges offre, dans
l'exposition portugaise, d'autant plus d'intérêt que les bois de
construction n'ont pas été oubliés à côté des bois d'ébénis-
terie.
Les marbres du Portugal, particulièrement le rose, les pou-
dingues de même couleur, le jaune de Sienne qu'on ne trouve
plus nulle part ailleurs, le jaune et le vert antiques, figurent
avec distinction parmi les produits de la marbrerie. Un bel
échantillon de malachite est placé parmi les produits miné-
raux de l'Annexe.
Le combustible minéral, découvert en 1851 , et qui es?
exposé par deux industriels, M. Croft et M. Lacorda, pourra don-
ner quelque essor aux, exploitations métallurgiques. M. Braga,
de Lisbonne, figure auprès de ces échantillons de houille et de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 157
lignite, pour quelques spécimens de minerais d'étain, nouvel-
lement reconnus.
Les porcelaines de M. Pinto Basto, unies et décorées, sont
d'un prix qui serait encore digne d'intérêt si Texécution en
était moins parfaite. Les essais de grandes pièces laissent
encore beaucoup à désirer, mais les statuettes sont en général
bien réussies. Les poteries noires de M. Damazio sont inté-
ressantes par leur légèreté spécifique et leur bas prix. L'appa-
reil de Woolf, qui accompagne dans le Palais quelques pote-
ries, est assurément d'une très bonne fabrication. La fabrique
de plombs de chasse de M. Cardozo a quelque importance ;
les fontes de fer, pour usages domestiques, de MM. Furia et
Damazio, leurs sièges en métal, peuvent être considérés
comme point de départ dans l'emploi industriel des métaux
ordinaires. La sellerie, la construction des instruments chi-
rurgicaux, sont plus avancés ; les statuettes en filigrane d'ar-
gent, de Ribeiro, sont moins intéressantes par le dessin que
par le travail, mais les pierres montées de M. Pinto é Souza,
sont de tous points irréprochables.
Bien que les laines du Portugal ne figurent point en nature
à l'Exposition, la fabrication des draps est considérable. Les
draps fins de MM. Larcher et Neveux, qui fabriquent eux-
mêmes leurs peignes et leurs cardes, sont en grande répu-
tation ; les draps de troupe à 2 fr. 50 c. le mètre, sont confec-
tionnés avec les laines du pays. La petite ville de Covilha se
consacre spécialement à la draperie. La compagnie de Torres
Novas s'occupe particulièrement des" toiles à voile et des
coutils; la compagnie lisbonnaise de filature et de tissage
emploie mille ouvriers et quiitre-vingts chevaux de force, à la
fabrication des tissus de coton, qui sont, pour la plupart, in-
troduits par contrebande en Espagne. Bragance est le prin-
cipal centre de la production séricicole, qui est habilement
mise en œuvre à Lisbonne et à Porto. Les dentelles communes
font l'objet d'une grande consommation ; les cordages de tous
genres, particulièrement ceux fabriqués avec les fibres du
phormium tenax^ occupent à l'Exposition une place inté-
ressante.
Les bouquets en moelle de figuier, imitant l'ivoire, sont les
spécimens d'une industrie toute spéciale; il en est de même
des boîtes à fil décorées, qui ont une certaine vogue. Les gants
158 VISITE
en peau de chèvre, bien fabriqués, à bas prix, quelques
meubles en marqueterie, d'un travail ordinaire, un très-beau
guéridon de marbre; enfin, de beaux spécimens d'impression,
obtenus sur composition en filets de zinc, complètent i'énumé-
ration des objets qu'il nous a été donné de remarquer plus
attentivement dans l'exposition du Portugal.
CONTRÉES ORIENTALES.
De l'Italie jusqu'à la Chine , le monde a changé d'aspect.
La civilisation européenne est remplacée par la poésie vague
de ces pays tant vantés de l'Orient dont les misères, moins
connues , ne sont pas moins réelles que les nôtres. Ce que nous
nommons le progrès est inconnu chez ces peuples, primitifs
encore , chez lesquels la masse travaille pour un seul , tandis
que tous nos efforts, au contraire, tendent à diriger notre
production toujours croissante vers les besoins de ces mêmes
masses, qui ne consomment que pour produire davantage. La
Grèce et la Turquie marquent la route de l'Inde.
GRÈCE.
Annexe, section des produits: travées 20 à 21, A et B. — Palais
principal, galerie, travées 2 à 5, de E à F.
La Grèce moderne est une nation de fraîche date qui n'a
pas encore créé d'industrie caractérisée : au point de vue in-
dustriel , la Grèce est ce qu'elle était autrefois , elle n'a au-
cune originalité qui la distingue des autres contrées de
l'Orient.
Ses produits naturels , qu'il faut chercher en quatre points
différents dans la galerie et au rez-de-chaussée, ont cependant
une certaine importance : les marbres en forment, dans l'An-
nexe, la partie la plus considérable. Le marbre blanc de Paros,
le marbre rouge de Mantinée , le pentélique , etc. , se pré-
sentent avec cette transparence nacrée ou ces belles teintes
brunes qui les ont fait rechercher de tout temps. Les ciments
• A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. i^9
volcaniques de Sanlorin , cette île sortie des ondes sous les
yeux de l'homme, ont des propriétés remarquables ; le soufre
de Naxos , plusieurs échantillons de pierres meulières et
quelques pierres lithographiques représentent suffisamment
les richesses minérales de la presqu'île grecque.
Le miel du mont Hymettus , les raisins de Corinthe et
d'Élide, deux espèces bien distinctes, les céréales, le colza
nouvellement introduit en Grèce , le tabac et les cigarettes
d'Athènes, constituent, avec les huiles d'olives et surtout les
fameux vins de Malvoisie, un assez bel ensemble de produc-
tions végétales. Les peaux tannées viennent du Brésil et sont
seulement préparées en Grèce ; mais les éponges et les soies
sont bien des produits nationaux. Les éponges d'Argolide sont
les plus grandes qu'on puisse voir; les soies sont belles et la
filature d'Athènes est une des plus importantes parmi celles
des pays séricicoles.
Les produits manufacturiers sont peu nombreux : quelques
chaussures en maroquin , mais surtout une collection extrê-
mement complète de vêlements, sont là pour nous faire con-
naître comment s'habillent, au xix^ siècle, les arrière-petits-
neveux de Léonidas et de Périclès ; les gazes de soie , d'une
incomparable légèreté, sont bien celles que portait la fiancée
d'Abydos ; ces vestes brodées d'or, ces armes ciselées sont
celles de Giaour. Byron a éclairé la Grèce du reflet de son
génie; on ne la voit qu'à travers le prisme séduisant de ses
brillantes descriptions.
Les monuments se sont encore mieux conservés que le
costume national, et les photographies que l'Exposition nous
offre nous dédommagent amplement des lacunes nombreuses
que nous pourrions signaler. Un manuscrit, le Bouquet clas-
sique d'Athènes, réunit, à des vues bien faites, des indications
bibliographiques étendues et l'herbier moderne des végétaux
qui s'élèvent sur les ruines de l'art antique. L'imprimerie et
la gravure sur bois témoignent seules de la culture des arts à
Athènes.
460 VISITE
TURQUIE.
Annexe , section des produits ; travées 19 à 20, de A à B, — Palais
principal, galerie; travées 1 à 6, de G à H.
L'empire ottoman , dont le sort préoccupe si vivement les
Éiats européens, a senti, malgré les soins de toutes sortes qui
viennent l'assaillir, qu'il devait répondre à l'appel de la
France, sa plus ancienne et plus constante alliée.
Toutes les provinces de l'empire ottoman ont envoyé leurs
produits qui sont dispo.-és dans d'élégantes vitrines.
Les produits naturels de l'Annexe présentent de l'intérêt;
ceux de la Turquie d'Europe sont de beaucoup les plus abon-
dants; l'Asie Mineure n'apparaît que de loin en loin, l'activité
industrielle de ces grandes civilisations, dont l'histoire a con-
servé le souvenir , a complètement disparu ; quelques Bé-
douins pillards , chassant devant eux de maigres troupeaux,
parcourent le sol classique où s'élevaient Ninive et Babylone.
où ont vécu Sémiramis et Alexandre.
Une belle collection d'huiles et quelques savons , des ma-
tières textiles^, chanvre, lin et coton, du pavot, du sumac,
du tabac, ce tabac jaune et parfumé si agréable dans les
tchibouks et les narghilés; de belles laines de la Valachie,
des fourrures, des plumes d'autruche, du maroquin que nous
importions il y a soixante ans et que nous laissons loin der-
rière nous maintenant ; tels sont les produits les plus intéres-
sants classés dans l'Annexe-
Ajoutons-y cependant une collection complète de matières
médicales otTerles à l'École de pharmacie de Paris par
M. Délia Sudda, pharmacien en chef de l'armée ottomane.
Nous remarquons des cocons énormes de la race de vers à
soie, créée par M. Dalgue Mourgue d'après son système de
croisement des races. Puis des étoffes imprimées sorties de
la manufacture impériale ; des tapis d'un bleu foncé avec
bordure d'ornements blancs ou rouges détachés par un filet
blanc, en un mot, comme dans l'Inde, en Egypte et à Tunis ,
des couleurs franches , primitives , qui s'harmonisent parfai-
A L'EXPOSITION LiNlVERSELLE. IGl
tement avec la vigueur de ton de la nature de ces climais
orientaux.
Nous voyons aussi de belles étoffes de soie , rouges ou
blanches, lamées d'or et d'argent, légères et transparentes,
qui décèlent une fabrication assez avancée.
Des instruments de musique de toutes sortes, des armes
damasquinées et une profusion de tuyaux de pipes, décorés
en or, en argent, en nacre et paille, des tasses à café dans
des porte-tasses en filigranes d'argent, et de petites tables en
ébène avec incrustations de nacre et d'argent , sur lesquelles
les femmes turques , assises sur ces beaux tapis que nous
avons vus , prennent leur café , sont les objets les plus origi-
naux de ce peuple conquérant si vite abâtardi, qui faisait
trembler l'Europe il y a deux cents ans et qu'on est obligé de
défendre maintenant.
Feti llannet a envoyé des produits très-remarquables,
comme forme, de sa fabrique de porcelaines d'Indjer-Kene.
Nous avons remarqué des portraits photographié^ d'Omer-
Pacha et de ses aides de camp , et la photographie d'un mo-
nument projeté par M. Bilezikdji, architecte, en mémoire de
la promulgation du tanzimat et de l'alliance de la France, de
l'Angleterre et de la Turquie.
Nous ne devons pas sortir du quartier oriental du Palais de
l'Industrie , sans féliciter l'architecte qui a su si bien harnio-
nier la décoration des vitrines avec les pays dont elle de-
vaient renfermer les produits.
Toutes ces expositions orientales sont uniquement com-
posées d'objets de luxe; ces nations se personnifient encore
dans une classe riche et supérieure par la naissance; la masse
du peuple disparaît; on ne travaille pas pour lui, ou ce qu'on
fait ne vaut pas la peine d'être montré.
EGYPTE.
Palais principal, galerie; travées 1 à 4, de I à J.
Depuis la conquête que nous en avons faite à la fin du
siècle dernier, l'Eiiypte a déjà fait des pas sensibles dans la
voie du progrès; l'élan que lui avait imprimé le contact de
20G h
16-2 VISITE
notre civilisation active, continué par JNléhemet-Ali , l'ont
déjà placé bien en avant des autres États mahométans , et le
percement de l'Isthme de Suez que l'on va entreprendre
pourra la relever complètement et faire renaître une splen-
deur éclipsée depuis tant de siècles. Les écoles militaires,
fondées à l'imitation de nos écoles françaises, semblent avoir
apporté un certain mouvement scientifique, si nous en ju-
geons par une collection de livres assez complète sur la géo-
métrie, l'art nautique, etc.
La fécondité de lÉgypte est proverbiale, aussi son exposi-
tion de produits naturels est-elle très-remarquable : blé,
maïs, riz, se reproduisant indéfiniment avec les inondations
fécondantes du Nil ; de l'indigo, des gommes, des dattes, de
la cochenille, du soufre, du marbre magnifique et ce granité
dont sont sortis tant de monuments gigantesques, sont les
principaux produits végétaux et minéraux du sol égyptien.
Les objets fabriqués ont le même caractère que ceux de
Turquie, étoffes de soie et de laine rayées d'or, pipes, armes,
selles de velours rehaussées de broderies, présentent toujours
cette même richesse de la race conquérante, accompagnée de
la misère la plus complète de la race vaincue , plus malheu-
reuse ici que dans les autres États orientaux.
Ce qui manque à celte exposition , c'est un caractère spé-
cial ; on eût changé les écriteaux et mis Turquie à la place
d'Egypte, que tout le monde s'y serait trompé.
L'Egypte n'est-elle donc plus qu'une province turque, ne
reste-t-il plus rien de ces trésors de science d'Alexandrie-
depuis Sésostris, le grand conquérant des âges héroïques ,
jusqu'à Cléopâtre, ce type, toujours jeune de grâce et de vo-
luptéj tout a-t-il disparu? Il faut le croire, tant de peuples
ont passé sur ce pays sans cesse dévasté! Le sabre des Arabes
a commencé la destruction , puis celui des Turcs est venu
l'achever ; leur despotisme brutal a tué toute résistance, et les
malheureux feilahs ne savent plus rien de leurs splendeurs
passées; plus misérables que leurs aïeux , ils n'élèvent même
pas , au prix de leur sang , ces pyramides gigantesques pour
dire aux âges futurs leur souffrance et leur martvre.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 163
TUNIS.
Palais principal, galerie; travées 1 à 4, de H à I.
L'exposition de la régence de Tunis est riche en vêtements
de toutes sortes ; burnous en laine blanche avec ornements
d'or, tuniques, pantalons larges, manteaux, calottes du pays
et babouches en velours; ces costumes des grands dignitaires
sont tout couverts de broderies d'or et d'argent, afin de frap-
per iïmagination du peuple.
Nous avons remarqué une selle en velours rouge couverte
de broderies d'or et d'argent formant de jolis entrelacs arabes,
avec des glands en or, qui donnent à cette selle un caractère
bien oriental.
Des brûle-parfums , de? bracelets en or émaillé et ciselé
sont d'un style bien original.
En un mot l'esposition de Tunis est très-brillante, dans le
petit nombre des produits envoyés.
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE.
Annexe , section des produits; travées 13 à 14, de C à D.— Annexé,
section des machines; travées 143 à 144, de A à D. — Palais
principal, rez-de-chaussée; travées 15 à 18, de H à L.
On est cruellement désappointé quand , arrivé au pavillon
qui indique les galeries de l'Union , on rencontre à peine
quelques échantillons de coton, quelques machines et divers
objets de caoutchouc; qui n'aurait cru que ce peuple améri-
cain , qui semble avoir atrophié toute la partie artistique de
la nature humaine pour se concentrer dans l'agriculture^ l'in-
dustrie et le commerce, qui aurait cru que cette nation , qui
doit tant à la France, qui l'a aidée de son épée et de son ar-
gent dans la guerre de l'indépendance , qui aurait cru qu'elle
reculerait devant le grand concours de 4 855 !
Le peu de succès de l'exposition de New-York , des mal-
entendus entre le gouvernement central , ceux des différents
loi VISITL
États qui constituent l Union et les exposants eux-mêmes,
ont contribué à faire manquer l'exposition des Étals-Unis;
ce sont des excuses, en effet, mais qui ne détruisent pas le
mauvais effet produit.
Les États-Unis d'Amérique occupent un territoire énorme,
presque aussi grand que l'Europe, et qui présente les climats
les plus variés; la population va se doublant en vingt-cinq
ans; les émigrations si fréquentes de l'Europe entrent pour
une part considérable dans cet accroissement rapide, et les
causes qui poussent à cette émigration existant toujours , il
est probable qu'elle se continuera encore longtemps. Si la
population continue la marche qu'elle suit en ce moment ,
avant la fin du siècle les États-Unis auront une population de
4 00 millions d'habitants.
Quelle puissance n'aura donc pas alors cette masse énorme
douée de cette activité fébrile, de ce besoin de travail, de
cet amour de création qui distingue les premiers pas d'une
grande nation ; ce peuple né il y a cinquante ans , qui a plus
de chemins de fer, plus de canaux que l'Angleterre, qui pos-
sède autant de vaisseaux qu'elle et qui , placé sur un sol fé-
cond , inépuisable , peut en faire sortir toutes les richesses :
du fer, de l'or, de la houille, du bois, du coton, du sucre ; un
peuple sans armée et qui a su vaincre les troupes anglaises .
qui avaient lutté contre Napoléon, qui a su se créer une marine
militaire aussi rapidement qu'il fait toutes choses, et sur la-
quelle il peut entretenir 1 20 000 des meilleurs marins du monde.
L'Espagne possédait la Californie depuis trois cents ans,
le Mexique depuis quarante, ils n'y avaient rien fait ; ce terri-
toire fut cédé aux États-Unis en 18i8. Maintenant San-Fran-
cisco fait un commerce plus grand que la Nouvelle-Orléans,
et qui pourra prochainement atteindre celui de New-York.
Orgueilleux , croyant le monde fait pour eux et capables
de se donner raison d'une hardiesse qui va jusqu'à la témé-
rité dans leurs luttes contre la nature ou contre les hommes,
tenant haut et ferme leur drapeau libéral, froidement ver-
tueux, étroitement dévots, les Américains, extrêmement ha-
biles dans les affaires commerciales, y apportent la persévé-
rance qui fait le succès.
Pleins de respect pour les femmes ou plutôt ne s'occupant pas
d'elles, ils vivent plus avec leur tète qu'avec le cœur ; les Etats
A L'EXPOSITION INIVERSELLE, 16r.
du Nord détruisent les Peaux rouges qui les gênent, tandis
que les États du Midi conservent l'esclavage qui leur est utile.
Deux mots peignent complètement l'amour effréné du tra-
vail et de la production qui distingue les Anglo-Américains.
Forward, en avant, vaincre les obstacles, triompher de toute
résistance, arriver vite , au risque de sauter en route, peu
importe, en avant! Make mone?/, produire une richesse, créer
une entreprise nouvelle, être riche pour être puissant ; de là
ces faillites si fréquentes aux États-Unis et qui passent ina-
perçues ; ceux qui sont ruinés ne s'amusent pas à plaider, ils se
mettent au travail et bientôt retrouvent une nouvelle fortune.
Cet esprit de spéculation se traduit même dans le langage; au
lieu de : Je pense, les Américains disent : Je calcule.
Les Américains sont essentiellement commerçants et agri-
culteurs. Les importations s'élèvent de 180 à 200 millions de
doUards par an (le dollard vaut à peu près 5 francs). Les
exportations de produits nationaux ont été, en 1851, d'environ
180 millions, et celles des produits étrangers de 15 millions.
Les principaux articles d'exportation «ont les suivants :
Cotons 65 à 1 00 000 000 dollards.
Farine, blé, maïs 30 000 000
Bœuf, porc, lard, produits ani-
maux 13 000 000
Tabac 8 000 000
Bois de construction, produits
des forêts 7 000 000
Produits de la mer, huile de ba-
leine 2 500 000
Le tonnage complet des États-Unis est de 3 535 45i ton-
neaux; c'est plus qu'en aucun autre pays, si l'on en excepte
la Grande-Bretagne. On a construit, en 1850, aux États-Unis,
1360 navires; le nombre entier des navires parés dans les
ports de l'Union était, en 1850, de 18195.
Les États de la Nouvelle-Angleterre, dont le sol est moins
fertile que dans les États du Sud, le climat moins favorable,
sont plus essentiellement manufacturiers; ce sont eux qui
travaillent pour l'Union les étotfes de coton et de laine, les
cuirs, les métaux, etc.
466 VISITE
Au Sud , au contraire , s'étend la culture du coton , la
grande richesse de l'Union, l'élément le plus énergique de sa
puissance, avec lequel elle tient entre ses mains les États eu-
ropéens, l'Angleterre surtout.
Au coton, au tabac, il faut joindre les céréales que les
Américains produisent en quantités considérables; le maïs,
entre autres, qu'importe maintenant l'Angleterre, soit
pour le consojnmer en nature , soit pour le transformer en
boissons fermentées (wisky) ; la Californie commence à plan-
ter des vignes , dont les produits pourront faire un jour une
concurrence redoutable aux vins français, portugais et espa-
gnols; enfin, les richesses minérales des États de l'ouest et du
nord, l'or de la Californie, le cuivre et le fer du lac Supérieur,
entrent encore pour une part notable dans les exportations
des Anglo-Américains.
Que pourra nous enseigner leur exposition? Nous trouvons
quelques échantillons de coton et pas de tissus fabriqués; on
croit généralement que les Américains ont eu raison de
s'abstenir pour ce dernier produit; quelques objets de bos~
sellerie, bien fabriqués et assez élégants, en bois de cèdre
blanc et rouge entremêlés ; quelques livres, quelques épreuves
daguerriennes, enfin une immense quantité d'objets en caout-
chouc durci exposés par M. Goodyear qui, au reste, possède
également une vitrine dans nos produits français.
L'exposition américaine ne peut rien nous apprendre ;
l'Union est habitée par un grand peuple , tout le monde le
sait, mais il faut le savoir, car l'Exposition tendrait à prouver
le contraire.
Quelques objets cependant viennent témoigner de l'état
d'avancement auquel sont parvenus les arts chez ce peuple.
Les balances et les poids étalons , qui ont été donnés par
le congrès à notre Conservatoire des arts et métiers , et qui
lui ont été remis par M. Vattemare, sont d'une exécution tout
à fait remarquable. Une des balances , entre autres, ne sau-
rait être mieux faite ni par Deleuil ni par Blanchi.
Dans les machines, l'exposition américaine reprend toute
son originalité : la machine à vapeur chronomètre , à double
cylindre oscillant, de MM. Tousley et Heed, fera époque dans
l'art des constructions mécaniques ; le découpoir circulaire,
de M. Thompson, est un nouvel outil, d'un très-bon usage,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 107
malgré la négligence de l'exécution ; la machine à réduire la
ronde bosse , de M. Blanchard, exécute devant le public son
travail d'une manière irréprochable.
Une machine très-ingénieuse pour faire les sacs de papier,
une autre pour travailler le bois, de M. Moore, dénotent la
tendance générale en Amérique de tout faire avec les machines.
Nous ne parlons ni des machines à coudre ni des fameux
revolvers , ces armes qui peuvent tirer dix fois sans disconti-
nuer. Les uns et les autres sont d'invention américaine : ce
peuple, en tout, veut économiser le temps.
MEXIQUE.
Palais principal, galerie; travées 16 à 17, de K à L.
De tous les États américains peuplés par les Espagnols,
le Mexique est le seul qui ait une exposition de quelque im-
portance. Toute proportion gardée, elle est certainement plus
complète que celle des États-Unis.
Indépendant seulement depuis une cinquantaine d'années,
sans cesse tourmenté par la guerre civile, mal dirigé, assez
imprudent pour s'attaquer successivement à la France et aux
États-Unis, le Mexique est loin d'avoir atteint le développe-
ment dont il est susceptible. La richesse de ses mines d'ar-
gent, la fertilité de son sol qui produit abondamment une
foule de produits recherchés en Europe, pourraient cependant
lui assigner une belle place parmi les États américains; mal-
heureusement le Mexique a dans l'Union un voisin ambitieux,
peu scrupuleux sur le choix des moyens, qui semble vouloir
prendre partout ce qui lui convient, sans se soucier autrement
du droit des gens; voisin qui lui a déjà ravi le Texas et la Cali-
fornie, et qui probablement ne s'arrêtera pas dans cette voie
de conquête. Si les Mexicains tiennent à leur indépendance,
qu'ils soient forts en devenant unis, qu'ils recherchent l'al-
liance des grands États européens qui, seuls, seraient capables
de les défendre contre l'envahissement des Anglo -Américains.
Tous les voyageurs qui ont parcouru le Mexique s'accordent
sur le manque de voies de communication ; leur absence est
assez complète pour paralyser une partie des transactions
1 08 VISITE
commerciales. Il y a certainement une fraction importante de
ia minime population mexicaine qui passe sa vie entière à
conduire les mulets chargés des transports.
De l'argent natif, de l'argent antimonio-sulfuré se trouvent
en abondance dans les mines du Mexique, les plus riches du
monde; elles fournissent annuellement environ 537 000 kilo-
grammes d'argent, 112 millions de francs ; l'or y est moins
abondant, les gisements ne produisent guère que 4 à 5 mil-
lions de francs; le mercure qu'on emploie pour l'amalgamation,
existe également au Mexique; du fer, de la houille, du cuivre
complètent les richesses minérales de cette contrée privilégiée.
De la soie brute et travaillée, des matières textiles, du maïs
et les autres céréales, des huiles de plusieurs espèces diffé-
rentes, du cacao, du café, de la cannelle, du coton qui pour-
rait devenir pour le Mexique une source inépuisable de
richesses, comme il l'e^t devenu pour la Louisiane, de l'in-
digo, des bois de teinture les plus variés, de la cochenille, du
tabac, tels sont les échantillons les plus intéressants des pro-
duits végétaux du Mexique.
Les produits fabriqués n'ont pas un caractère bien spécial.
Ce sont des imitations plus ou moins parfaites de ce qu'on
fait habituellement en Europe ; quelques vases cependant sur
lesquels resplendissent des viva Francia ont un cachet assez
national ; on reconnaît dans leur forme un peu bizarre, dans
les dessins qui les recouvrent, les traces de celte ancienne
civilisation mexicaine si cruellement détruite par les Espa-
gnols ; des articles de harnachement ont aussi une grande
originalité; les larges étriers damasquinés d'argent, les épe-
rons à mollettes énormes bien ciselés sont un des luxes du
peuple mexicain, essentiellement cavalier.
Ajoutons enfin plusieurs livres de l'imprimerie établie à
Mexico par M. Decaen, et qui ressemblent plus aux livres
anglais qu'aux nôtres.
Qu'adviendra-t-il du Mexique? On ne le sait. Cependant l'in-
térèt qu'il semble avoir apporté à l'exposition de 18bo prouve
qu'il commence à comprendre qu'un pays, tout en conservant
une sage liberté, doit se préoccuper avant tout de la produc-
tion matérielle, que le temps des discussions et des agitations
stériles est passé , que le travail est désormais la seule voie
ouverte à l'humanité.
A L'EXPOSITION INIVERSELLE. 1(19
La république de Guatemala est placée à l'Exposii ion comiiK^
en Amérique, à côté du Mexique; son exposition, un peu tar-
dive, est intéressante cependant; elle nous offre une belle
collection de sa faune ailée, de ces oiseaux aux couleurs
éclatantes qui animent la belle végétation tropicale. Du maïs,
du bois de teinture, du tabac, quelques étoffes, des hamacs,
tels sont les principaux produits que nous envoie ce petit
État.
AMÉRIQUE DU SUD.
Annexe, section des produits; travées 12 à 13, de A à B.
A part la magnifique exposition de la Guyane anglaise,
l'Amérique du Sud s'est peu préoccupée de l'appel de la France.
Le Brésil n'a rien pour ainsi dire; celte immense contrée,
magnifiquement douée de tous les avantages naturels, d'une
végétation splendide, la plus riche du globe peut-être, de
bestiaux innombrables, de mines qui fournissent de l'or, des
diamants, de l'argent, du platine, du fer; ce dernier, si abon-
dant dans la province des mines, qu'il pourra un jour appro-
visionner pendant de longues années le monde entier ; de
tout cela le Brésil ne lire encore qu'un bien médiocre
parti. Serait-il donc vrai que l'homme n'arrive à produire que
lorsqu'il y est forcé par son contact avec une nature avare,
qui ne le nourrit que lorsqu'elle est sans cesse sollicitée par
le travail, et qu'au contraire, quand elle se pare de toute sa
beauté, quand elle lui offre abondance et variété, il se repose
sur elle du soin de son existence, et tombe dans l'inaction ?
L'histoire du genre humain tend à le prouver : la France,
l'Angleterre, la Russie sont autrement puissantes, avancées,
industrieuses, que la molle Espagne et tous les États qu'elle
a peuplés dans les deux Amériques.
Quoi qu'il en soit, le Brésil est bien jeune encore, et on peut
espérer son réveil ; outre les produits de ses mines qui se-
raient une richesse de premier ordre, si l'exploitation était
habilement conduite, s'il existait des voies de communication,
ce grand empire aura encore deux sources inépuisables de
prospérité : ses bestiaux qu'il serait bien facile d'améliorer,
ou du moins de mettre en état, si on résout le grand problème
170 VISITE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE.
de la conservation des viandes dont tant d'esprits se préoc-
cupent maintenant ; enfin ses bois, ses bois de teinture, qui
ont été depuis la découverte, et qui sont encore maintenant,
les produits de son sol les plus recherchés.
Le sucre, le café, le cacao, le tabac, les quinquinas, tels
sont les denrées que le Brésil exporte et qu'il pourrait expor-
ter en quantités infiniment plus considérables. Notre com-
merce avec le Brésil est, au reste, assez important, bien qu'il
soit inférieur à celui des Anglais; nous portons dans cette
partie de l'Amérique du Sud des toiles fines, des étoffes de
soie, de la bonneterie, de la parfumerie, des objets de mode
et de fantaisie, des livres enfin dont nous avons le monopole
exclusif. Cette absorption de toutes les littératures par la
littérature française est un fait assez curieux ; en Espagne,
en Amérique, en Angleterre même, les journaux publient des
traductions de nos romans, et les théâtres des pièces imitées
des nôtres ; Paris est bien décidément l'Athènes du monde
moderne, le grand producteur littéraire et artistique qui tra-
vaille pour le monde entier.
L'exposition de la Nouvelle-Grenade est un peu plus com-
plète que celle du Brésil; comme matières premières, nous
avons remarqué de la nacre, des écailles, différentes espèces
de quinquina, de la vanille, du café ; quelques échantillons de
galène et quelques minerais de cuivre sont les seuls produits
minéraux que nous envoie cet État.
Parmi les objets fabriqués se placent en première ligne ces
fameux tissus de paille connus dans le monde entier; les cha-
peaux de Panama, les étuis à cigares sont tressés avec une
finesse et une légèreté qui expliquent les prix élevés aux-
quels ils arrivent sur les marchés européens.
Le Paraguay , si longtemps fermé aux étrangers, semble
vouloir maintenant lier quelques relations avec les États
européens. Au-dessous de son drapeau et de son écusson, sur
lequel on voit un lion formidable, on rencontre des produits
végétaux assez variés, plusieurs substances médicinales (sal-
separeille, séné, etc.), du tabac et du coton.
La Bolivie, le Pérou, le Chili sont complètement absents;
de Buenos-Aires, nous avons reçu une collection assez com-
plète de minerais.
EXAMN COMPARATIF
DES PRODUITS
DANS L'ORDRE DE LA CLASSIFICATION OFFICIELLE
SYSTÈME DE CLASSIFICATION.
1" Croupe : Industries ayant pour nhjet principal l'extraction
ou la production des matières brutes. — V classe : Art des
mines et métallurgie. — 2* classe : Art forestier, chasse, pêche
et récoltes des produits obtenus sans culture. — 3* classe : Agri-
culture, y compris toutes les cultures de végétaux et d'animaux.
2* Groupe : Jndustries ayant spécialement pour objet l'emploi
des forces ^mécaniques — 4'^ classe : Mécanique cénérale appli-
quée à l'industrie. — 5^ classe : Mécanique spéciale et matériel
des chemins de fer et des autres modes de transport. — 6" classe :
Mécanique spéciale et matériel des ateliers industriels. —
7* classe. Mécanique spéciale et matériel des manufactures de
tissus.
3* Groupe : Industries spécialement fondées sur l'emploi des
agents physiques et chimiques, ou se rattachant aux sciences
et à renseignement. — 8* classe : Arts de ])récision, industries
se rattachant aux sciences et à l'enseignement. — 9* classe :
Industries concernant l'emploi économique de la chaleur, de
la lumière et de l'électricité. — 10" classe : Arts chimiques,
teintures et impressions, industries des papiers, des peaux, du
caoutchouc, etc. — 11* classe : Préparation et conservation des
substances alimentaires.
4" Groupe : Industries se rattachant spécialement aux professions
savantes. — 12'' classe : Hygiène, pharmacie, médecine et chi-
rurgie.— 13* classe : Marine et art militaire. — 14* classe : Con-
structions civiles.
5* Groupe : Manufactures de produits minéraux. — 16* classe :
Industrie des aciers bruts et ouvrés, — 16' classe : Fabrication
des ouvrages en métaux, d'un travail ordinaire.— 17* classe :
Orfèvrerie, bijouterie, industrie des bronzes d'art. — 18* classe :
Industrie de la verrerie et de la céramique.
C* Groupe : Manufactures de tissus. — 19* classe : Industrie des
cotons. — 20* classe : Industrie des laines. — 21* classe : In-
dustrie des soies. — 22* classe : Industrie des lins et des chan-
vres. — 23* classe : Industrie de la bonneterie, des tapis, de la
passementerie, de la broderie et des dentelles.
7* Groupe : Ameublement el décoration, modes, dessin industriel,
imprimerie, musique. — 24*" classe : Industries concernant l'a-
meublement et la décoration. — 25* classe : Confection des ar-
ticles de vêtement, fabrication des objets de mode et de fantai-
sie. — 26'" classe : Dessin et plastique appliqués à l'industrie,
imprimerie en caractères et en laille-douce, photographie, etc.
27* classe : Fabrication des instruments de musique.
EXAMEN COMPARATIF
DES PRODUITS
PREMIÈRE CLASSE.
Art des mines et métallurgie.
Le but que nous nous proposons dans cette noie n'est pas
de donner une description détaillée des objets exposés, un
catalogue complet de tous les produits relatifs aux industries
des mines et aux arts métallurgiques; c'est un travail qu'on
ne peut faire au début d'une vaste Exposition, et qui nous se-
rait rendu impossible aus^i bien par les limites que nous de-
vons nous imposer, que par le temps qu'il nécessiterait ; c'est
donc dans un autre esprit que nous offrons ces lignes au
public. Le développement remarquable de l'industrie à notre
époque, répondant à des besoins toujours nouveaux, pousse
toutes les branches des arts dans une voie de progrès rapides.
Tous ces besoins se traduisent clairement par la nature des
perfectionnements accomplis, par la tendance générale de
ceux qu'on recherche; aussi le caractère des expositions
subit-il des transformations frappantes, et aucune industrie,
peut-être, ne porte le cachet d'une aussi ardente activité que
celle dont nous allons nous occuper. C'est donc le carac-
tère de cette Exposition universelle que nous allons essayer
d'esquisser, en otïrant à l'appui les exemples les plus remar-
quables qui nous ont paru le déterminer. Nous croirons avoir
rendu quelques services au visiteur, en lui mettant en main,
pour ainsi dire, un fil conducteur qui l'aidera à former son
jugement, et même à réparer les nombreux oublis que nous
ferons certainement dans un examen si rapide.
17 i VISITE
Nous regrettons de ne pouvoir nous arrêter aux nombreuses
collections minéralogiques qui figurent à l'Exposition^ les pro-
duits du sol de presque toutes les parties du monde s'y trou-
vent représentés, depuis les minerais de fer les plus communs
jusqu'aux pépites d'or de l'Australie ; mais une description de
cette nature n'offre d'intérêt qu'autant qu'elle est fort dé-
taillée ; nous abandonnerons donc ces collections à la curiosité
du visiteur, pour arriver tout de suite à des questions plus
générales. Nous nous occuperons d'abord des travaux relatifs
à l'exploitation des minçs.
Exploitation des mmes.
Le premier objet qui frappe les yeux est un modèle curieux
de l'exploitation d'une couche des mines d'Anzin. La couche
exploitée est inclinée de 75 degrés à l'horizon ; le système
d'exploitation s'appelle méthode des gradins renversés. Voici
en quoi il consiste :
On commence par foncer en dehors de la couche un puits
qu'on prolonge jusqu'à une Certaine profondeur; on perce
alors une galerie dans la direction de la couche, bien reconnue
par les travaux de recherches préparatoires, et on l'arrête à
la couche elle-même. Au point d'intersection on ouvre dans
la couche une galerie horizontale. On répète exactement le
même travail, en poussant la profondeur du puits à 40 mètres
plus bas ; en sorte qu'au moyen d'une nouvelle galerie hori-
zontale, on partage la couche en tranches isolées de 20 mètres
de hauteur, soutenues par les boisages de la galerie infé-
rieure; on réunit ensuite les galeries horizontales par des
puits perpendiculaires percés dans la couche elle-même, et on
établit dans un de ces puits un plan incliné qui doit servir à
l'exploitation de la portion de couche séparée. Ces plans in-
clinés se composent simplement d'un wagon attaché au moyen
d'une corde passant sur une poulie, et dont l'autre extrémité
est fixée à un contre-poids assez lourd pour faire remonter le
wagon vide à la partie supérieure du puits, mais qui est en-
traîné lui-même, lorsque le wagon est chargé de houille. Les
ouvriers s'échelonnent alors sur la face latérale de la couche;
le premier enlevant au moyen de pics le coin inférieur, jus-
A l'exposition IINIVEHSELLE. ilo
qu'à une profondeur de 4 mètres environ et sur une hauteur
de 2 mètres. La houille, ainsi abattue, est jetée dans la galerie
inférieure et enlevée comme nous le dirons plus loin. L'ouvrier
placé immédiatement au-dessus de lui attaque ensuite la sur-
face qui lui est opposée et enlève une autre tranche de houille de
i mètres de longueur, sur 2 mètres de hauteur, pendant que
le premier ouvrier abat lui-même une autre tranche de mêmes
dimensions. Le travail continue ainsi, les ouvriers s'échelon-
nant les uns au-dessus des autres, de manière que le front de
la portion de couche enlevée, présente, à peu près, l'aspect de
gradins renversés, d'où cette méthode d'exploitation tire son
nom. A mesure que ces ouvriers avancent, ils placent der-
rière eux un boisage, composé de pièces de bois debout, serré
fortement au moyen de cales contre les deux parois du ter-
rain, et destinés à en prévenir l'éboulement. Un plancher est
placé sur ces bois et sert au roulage de la houille jusqu'au
\vagon du plan incliné qui la descend dans la galerie infé-
rieure. On ne peut, en effet, l'y jeter directement sous peine
de la réduire en morceaux trop menus, ce qui diminue consi-
dérablement sa valeur commerciale.
C'est donc dans cette galerie inférieure que se rend en défi-
nitive la houille dont se compose la couche, sur une hauteur
d'environ 20 mètres; il faut de là la transporter au puits
d'extraction, par lequel elle devra être montée au jour. Le
roulage, dans cette galerie, se fait au moyen de chevaux; ils
traînent des trains de petits wagons de la contenance de
5 hectolitres chacun.
Quelque extraordinaire que puisse paraître aux personnes
étrangères à cette industrie ce travail si dangereux et si inté-
ressant du mineur, il ne faut pas croire que toutes les couches
des mines d'Anzin soient d'une exploitation aussi facile que
celle-ci. Les couches du bassin du nord sont beaucoup moins
épaisses que celles du bassin du centre de la France. Il y a
des couches exploitées dans le nord qui n'ont pas 0'" ,60 d'épais-
seur; l'inclinaison de quelques-unes de ces couches est voi-
sine de l'horizontale. Comme il importe de n'enlever que la
plus petite quantité possible de terrain sans valeur, elles
sont exploitées sur une faible épaisseur ; le mineur se glisse
entre les deux parois du terrain qui renfermait la houille, et
l'abat en travaillant couché; le nom de ce mode d'exploitation
170 VISITE
en peint mieux la difticulté que nous ne pouriions le faire : il
s'appelle abatage à col tordu.
Lorsque le minerai est amené à la partie inférieure du
puits, il faut l'enlever jusqu'au jour, et celte partie de l'exploi-
tation est une des plus intéressantes et de celles qui, dans ces
dernières années, a reçu les perfectionnements les plus ingé-
nieux et les plus féconds; nous devons appeler l'attenlion
sur ce point, car l'Exposition de 1855 est elle-même très-re-
marquable sous ce rapport.
Extraction.
Pendant longtemps le seul mode d'élévation du minerai
consistait en une espèce de tonneaux appelés bennes ou ciiffals,
dont la forme et la capacité variaient suivant les usages, et
dans lesquels on versait le contenu des wagons qui servaient
au roulage dans la mine. Ces cuffats étaient ensuite enlevés au
moyen d'espèces de treuils ou bobines, mues par une machine,
jusqu'à l'orifice du puits où ils étaient vidés, la houille étant
ensuite transportée au dépôt au moyen de wagons ordinaires.
Ce procédé, encore usité dans un très-grand nombre de
mines, présente beaucoup d'inconvénients, La manœuvre du
chargement de ces cutfats est longue, et cause un certain
déchet résultant du bris de la houille lors du transvasement.
Ces cufïats ne peuvent être remontés qu'à une vitesse d'en-
viron V^SO par seconde, ou 2 mètres au plus; au delà, on
s'exposerait à les faire choquer violemment contre les parois
du puits, à rompre le câble, et, par suite, aux plus graves ac-
cidents.
D'un autre côté, le percement d'un puits est une opération
souvent fort difficile et qui absorbe de grands capitaux ; on
conçoit donc qu'il soit de la plus haute importance de perfec-
tionner les moyens d'extraction, de manière à faire produire à
un puits, dans un temps donné, la plus grande quantité de
minerais possible.
Dans les exploitations au moyen des cuffats les mieux
installés, au grand Hornu (Belgique), par exemple, où Ton
em[)loie des cuffats contenant 21 hectolitres, avec une vitesse
ascensionnelle de 2 mètres par seconde, on peut enlever au
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 177
maximum 300 à 350 cuffats, dans une journée de douze heures,
ce qui porte la quantité maximum de houille extraite par jour
à 7000 hectolitres environ. En moyenne, il faut réduire ce
chiffre à 4 ou 6000 hectolitres.
Un progrès immense apporté à cet état de choses fut l'in-
vention des cages. Cette méthode d'extraction, appliquée
depuis longtemps en Angleterre aux mines de Newcaslle,
importée depuis quatre ou cinq ans en Belgique, et plus ré-
cemment en France, est représentée dans le modèle exposé
par la compagnie d'Anzin.
Ces cages consistent en un châssis en fer à deux étages,
attaché au câble du treuil et guidé au moyen de glissières et
de deux grands madriers placés dans toute la hauteur du
puits, contre la paroi. Les wagons arrivant du chantier même
où travaille le mineur, amenés au bord du puits par les che-
vaux, sont poussés dans la cage qui en contient ainsi quatre.
On supprime donc le transvasement dans la benne; de plus,
la vitesse de ces cages, ainsi guidées, peut être, avec toute
sécurité, portée à 3 mètres par seconde et même plus; les
wagons arrivés au jour sont poussés à l'extrémité de la plate-
forme qui règne à l'orifice du puits, et de là, versés dans
d'autres wagons qui emmènent la houille au dépôt; celle-ci,
depuis le chantier d'abatage jusqu'au dépôt, n'a donc subi
qu'un seul transvasement. La durée d'une ascension est ainsi
réduite de plus d'un tiers, en sorte qu'un puits qui, exploité
par la méthode des cufîats^ ne pouvait fournir que 7000 hecto-
litres en une journée de douze heures, produira facilement
9 ou 10 000 hectolitres par le fait de l'application des cages.
Il y a en Angleterre des puits ainsi exploités, dont la pro-
duction journalière est de 12 000 hectolitres. On conçoit sans
peine l'influence que doit avoir cet ingénieux perfectionne-
ment sur le prix de la houille extraite.
La rupture du câble qui sert à enlever les cages est évi-
demment un accident qui peut avoir de terribles conséquen-
ces ; les ouvriers sont descendus dans la mine et remontés
après leur travail, soit dans la benne, soit dans les cages elles-
mêmes. Tout le monde a présent à la mémoire le souvenir de
quelques-uns de ces accidents funestes , qui ont souvent
coûté la vie à plusieurs hommes à la fois; c'est un danger que
toute la prévoyance possible ne saurait entièrement écarter,
206 /
178 VISITE
La mine de Decize expose un appareil ingénieux dont le
but est de prévenir les conséquences de la rupture d'un cable;
cet appareil consiste en deux barres de fer croisées, dont
l'extrémité inférieure est taillée en biseau, et dont la partie
supérieure est armée d un contre-poids, en sorte qu'il pré-
sente absolument l'apparence d'une paire de ciseaux entr'ou-
verte; cet appareil est interposé entre le câble et la cage , de
manière qu'il conserve sa position tant que le câble est tendu;
mais si ce dernier vient à casser, les deux contre-poids sont
lâchés et les branches des ciseaux s'ouvrent et viennent pé-
nétrer dans le bois des glissières qui servent à guider la cage,
en l'arrêtant ainsi dans sa chute; cet appareil est ingénieux,
simple, et nous paraît devoir bien fonctionner.
Les cages ne sont pas le dernier mot des progrès de l'exploi-
tation des mines; nous avons encore à parler d'un modèle
exposé par M. Varoquié, de Mariemont, en Belgique , qui
représente une méthode nouvelle, digne du plus haut intérêt,
La première idée de ce système d'extraction est reproduite
dans un modèle représentant la coupe d'un puits avec un
appareil spécialement destiné à la descente et à la remonte
des ouvriers.
Nous avons dit que dans les mines exploitées au moyen de
bennes , la descente et la remonte des mineurs se fait au
moyen de ces bennes, et pour les mines contenant seulement
une centaine d'ouvriers, la longueur de cette opération para-
lyse pour un temps considérable le travail d'extraction du
puits. C'est pour obvier à cet inconvénient que M. Varoquié a
imaginé la disposition dont nous parlons ; elle consiste en
deux grandes tiges de bois, descendant jusqu'au fond même
du puits et portant une série de plateaux tous séparés par la
même distance de 6 mètres. Lorsque la machine est au repos,
les plateaux se correspondent tous ; lorsqu'on la met en mouve-
ment, une disposition particulière communique aux deux
tiges un mouvement allernatif régulier d'ascension et de des-
cente dont l'amplitude est exactement égale à la distance de
deux plateaux ; si maintenant, un ouvrier veut descendre, il
se place sur le plateau fixé à la tige qui va s'abaisser; il des-
cend avec elle de la distance d'un plateau , et se trouve ainsi
porté en face du second plateau de l'autre tige. Pendant un
temps d'arrêt do trois secondes qui so produit alors, il passe
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 179
sur ce plateau, fixé à la tige qui va descendre à son tour, tandis
que l'autre remonte; il se trouve alors arrivé en face du troi-
sième plateau de la première tige , sur lequel il passe et ainsi
de suite, en sorte qu'à chaque mouvement des tiges il descend
de 6 mètres. On voit alors avec quelle rapidité se fait l'opé-
ration de la descente ou de la remonte des mineurs, puisque
si on suppose un homme placé sur chaque plateau, la machine
conduira au fond de la mine ou au jour un homme toutes les
vingt-cinq secondes à peu près, et de plus, les plateaux peu-
vent facilement en contenir deux ou trois à la fois. La ma-
chine de M. Varoquié peut ainsi descendre ou remonter cent
soixante mineurs dans l'espace d'une heure dans un puits de
200 mètres de profondeur.
Le deuxième modèle qui est accolé à celui-ci représente une
machine basée absolument sur le même principe, mais adap-
tée à la descente et à la remonte des wagons. Il suffit pour
opérer la transformation de remplacer les plateaux par un
appareil de leviers à contre-poids qui, lorsque le wagon vient
se présenter devant eux par suite du mouvement alternatif
des tiges, s'empare de ce wagon et le transporte jusqu'au
plateau suivant.
On se figure aisément la puissance immense de production
qu'offrirait un puits exploité par un sembable procédé, puis-
qu'à la rigueur, celte machine, une fois mise en fonctionne-
ment régulier, pourrait amener au jour un wagon toutes les
vingt ou vingt-cinq secondes. Malheureusement cet appareil
n'est pas encore exécuté, et ce modèle n'est que la repro-
duction d'un projet.
Deux exposants français, MM. Degousée et Mulot, représen-
tent l'industrie des sondages, avec tous les instruments qui
servent à ces travaux difficiles, tels que tarières, clefs pour
enlever les sondes et outils cassés, etc. M. Degousée a exposé
un modèle intéressant du montage complet d'une sonde, avec
le treuil autour duquel s'enroule la chaîne qui sert à donner
à la sonde un mouvement alternatif et la machine motrice ;
quelques nouveaux perfectionnements ont été encore apportés
par MM. Degousée et Laurent aux méthodes et aux instru-
ments de sondage qui leur sont déjà redevables de tant de
progrès.
Une des plus graves difficultés de ces opérations, lorsque le
180 VISITE
sondage pénètre à une grande profondeur, est le poids con-
sidérable des tiges , qui se brisent souvent en retombant
an fond du trou de sonde lorsqu'on effectue le battage; on a
obvié depuis longtemps à cet inconvénient en interposant
entre les dernières tiges de sonde et les tiges supérieures une
coulisse qu'on appelle du nom de son inventeur, coulisse
d'iEynhausen, disposée de telle sorte que le battage est effec-
tué seulement par quelques tiges, les tiges supérieures se
trouvant équilibrées au moyen d'un contre-poids. Dans la
disposition présentée par M. Degousée, l'outil retombe seul et
la tige entière est équilibrée.
Les Chinois ont, depuis longtemps, imaginé un mode de
sondage fort élémentaire qui consiste à percer le trou au
moyen d'un outil qu'on soulève et qu'on laisse retomber
alternativement au moyen d'une corde. Ce procédé est peu
employé en Europe pour plusieurs raisons ; d'abord il est dif-
ficile de maintenir la verticalité du trou de sonde, l'outil
n'étant pas guidé d'une manière rigide, comme avec les tiges
métalliques; de plus, on ne peut effectuer le rodage, opéra-
tion qui consiste à arrondir le trou de sonde en communi-
quant à Toutil un mouvement de rotation au moyen des tiges.
M. Degousée a remédié au premier de ces inconvénients, en
employant simplement un outil plus long; au second, en fai-
sant passer la corde dans un tube qui ne sert à rien pour le
battage, mais qui permet de roder. Il exécute en ce moment
avec succès, d'après cette méthode, un sondage déjà parvenu
à 4oO mètres.
M. Mulot expose un appareil dont le but est de forer,
comme un trou de sonde, un puits de mine de 4 mètres de
diamètre; mais ce procédé, appliqué au foncement d'une
avaleresse dans le Nord , paraît avoir échoué devant la grave
difficulté des niveaux.
Aérage et éclairage des mines.
Le:=î vastes excavations, les nombreuses galeries souterraines
qui composent une mine en exploitation ne tarderaient pas
à contenir un air impropre à la respiration , si on ne prenait
soin de le renouveler par des moyens artificiels. La profon-
A L'EXPOSITION LiNlVEUSELLE. 181
deur à laquelle ces travaux parviennent et leur disposition gé-
nérale ne permettent, en effet, l'établissement d'aucun courant
d'air naturel, si ce n'est dans des cas tout à fait exceptionnels;
tandis que la respiration et surtout l'exhalaison des gaz mé-
phitiques et souvent même inflammables, provoquée par Ta-
balage des parois du minerai, tendent à vicier rapidement
l'atmosphère de ces galeries.
Il est donc nécessaire de pourvoir à l'aérage des galeries de
mine par l'emploi de moyens mécaniques. On se sert, à cet
effet de foyers d'aérage et de machines soufflantes ou aspi-
rantes. Les foyers d'aérage se placent dans des puits qui
agissent alors absolument comme des cheminées ordinaires.
L'écoulement de l'air est déterminé par la diminution de
densité de la colonne d'air du puits . résultant de l'élévation
de la température.
Quant aux machines soufflantes, il en existe une très-
grande variété. Ces machines agissent généralement par aspi-
ration. Il existe à l'Exposition plusieurs ventilateurs : l'un
vient des mines de Blanzy et consiste en un ventilateur à
ailes métalliques en hélice, mis en mouvement par une m£-
chine directe, dont la disposition est ingénieuse; l'autre est le
ventilateur Fabri, appliqué déjà en Belgique, depuis environ
quatre ans, à la mine de Saint-Pierre. Ce ventilateur se com-
pose de deux arbres munis d'espèces de grandes dents d'en-
grenage; ces deux arbres sont animés de mouvement en sens
contraires au moyen de deux manivelles et bielles attachées à
la tige du piston d'une machine verticale, par le moyen d'ure
traverse; la longueur des dents et leur forme sont combinée s
de façon que deux d'entre elles soient toujours en contact; il
s'ensuit que les deux dents suivantes, avec le coursier dans
lequel se meut le ventilateur, forment une espèce de caisi^e
fermée, au fond de laquelle aboutit l'orifice du puits, et dont
la capacité s'agrandit à mesure que les dents s'éloignent. Il y
a donc aspiration de l'air du puits qui est projeté au dehois
sur tout le contour du coursier. C'est une machine excellente
et dont l'effet utile est considérable. Le ventilateur de M. Fa-
bri et celui de M. Lemielle, de Valenciennes, rivalisent en
Belgique par leurs bons effets.
La présence de gaz inflammables dans les mines de houille
est une des causes de danger les plus redoutables qu'on ren-
18^ VISITE
contre dans l'exploitation. Il n'est personne qui n'ait entendu
parler d'un certain nombre d'accidents terribles causés par
\e grisou, et qui, surtout autrefois, prenaient souvent la pro-
portion d'un véritable désastre.
Le grisou, ou hydrogène protocarboné, est un gaz qui se
produit par la décomposition spontanée des matières végé-
tales. Les cavités que renferment les couches de houille en
sont donc souvent remplies, et lorsque le pic du mineur vient
les ouvrir, le gaz,s'échappant par l'issue qui lui est offerte, se
répand dans les galeries, se mélange à l'air qu'elles renfer-
ment, et souvent dans des proportions telles, que le contact
d'une lampe allumée détermine une explosion formidable.
Avant l'admirable invention de Davy, aucun moyen efficace
n'était connu pour se préserver de ce danger. Les seules
précautions en usage consistaient en un aérage qui entraînait
le gaz à mesure qu'il se répandait dans les galeries et empê-
■chait le mélange d'air d'atteindre la proportion à laquelle
l'explosion devient à craindre. Quelquefois aussi on allumait
le gaz partout où il se produisait, et en le brûlant ainsi à
mesure, on en prévenait l'accumulation; mais il est inutile de
dire que l'on ne devait pas avoir une confiance complète dans
ces moyens insuffisants, et que de graves accidents continuè-
rent à le prouver de temps à autre.
La lampe de Davy fut le premier préservateur imaginé con-
tre ce fléau, et les services qu'elle rendit peuvent être mesu-
rés à l'élan de reconnaissance qu'elle souleva chez les mineurs
anglais et aux marques éclatantes qu'ils en donnèrent à son
auteur. Le principe de cette lampe est très-simple; il est
fondé sur la propriété que possèdent les toiles métalliques
d'éteindre les gaz en combustion qui les traversent; ainsi, si
on pose une toile métallique au-dessus de la flamme d'une
bougie, en la rapprochant de la mèche, le métal prenant aux
gaz dégagés la chaleur nécessaire à leur combustion, à la fa-
veur de sa grande conductibilité, on voit ces gaz s'éteindre,
et il ne passe plus au-dessus de la toile que de la fumée.
Davy eut l'idée de construire une lampe dont la flamme, ainsi
que toutes les issues par lesquelles l'air nécessaire à la com-
bustion peut entrer ou les produits de la combustion sortir,
soit complètement enveloppée de toiles métalliques , qui em-
pêchent par conséquent la flamme de la lampe d'allumer
A LKXPOSlTlOiN UNIVERSELLE. 183
Je mélange combustible dont peut alors se composer impu-
nément l'atmosphère ambiante. L'usage de ces lampes, immé-
diatement répandu dans toutes les mines où le grisou exis-
tait, a considérablement réduit le nombre des accidents
auxquels il donnait lieu. Il n'est pourtant pas prudent de
séjourner avec cette lampe dans des galeries dont l'air con-
stitue un mélange explosif, ce qui arrive lorsque la proportion
du gaz est à celle de l'air dans le rapport de un à douze
environ; on voit alors la flamme de la lampe s'allonger,
prendre une teinte bleuâtre, et le mineur averti doit se re-
tirer en tenant sa lampe très-bas, car le grisou dont la pe-
santeur spécifique est à peu près la moitié de celle de l'air,
tend toujours à se concentrer dans la partie supérieure des
galeries.
La lampe de Davy fait partie de l'exposition des mines
d'Anzin, à côté d'un certain nombre de lampes qui recher-
chent toutes le même perfectionnement. Le modèle primitif de
la lampe de Davy a en effet un inconvénient grave pour les
mineurs, dont le travail est généralement payé à la lâche,
et qui par conséquent attachent une grande importance à élre
bien éclairés : c'est de ne donner que peu de lumière. Du-
ménil, Mueseler et d'autres inventeurs ont cherché à la ren-
dre plus éclairante; mais le prix et le poids en sont toujours
augmentés en même temps. On verra dans l'Exposition un
assez grand nombre de ces modifications.
Préparation mécanique des combustibles. — Lavage.
La houille est généralement mélangée de schistes, de pyrites
composés de sulfures et arséniures métalliques, et de quelques
autres corps étrangers qui, suivant les applications auxquelles
on la destine , peuvent être fort nuisibles; ainsi, dans les
traitements métallurgiques, la présence du soufre altère
considérablement la qualité du fer obtenu ; si elle doit être
convertie en coke pour l'usage des chemins de fer, comme il
est de la plus grande importance de n'employer pour les
machines locomotives que des combustibles possédant, sous
un volume donné, la plus grande chaleur spécifique possible,
il est fort intéressant de débarrasser la houille de tous ces
184 VISITE
corps étrangers qui, d'ailleurs, dans ce dernier cas, produisent
en se brûlant des g.iz nuisibles à la conservation des foyers
et des tubes des chaudières. On peut obtenir des houilles
presque complètement pures, au moyen d'une opération qu'on
appelle le lauafje et qu'on fait actuellement subir à la presque
totalité des houilles qui sont transformées en coke pour l'usage
des chemins de fer.
Le principe de cette opération est basé sur ce fait, bien
simple à concevoir, que si on entraîne dans un courant d'eau
deux corps de densités différentes, le plus lourd se déposera
le premier et sera ainsi séparé de l'autre. Or, les schistes
argileux et les pyrites qui sont mêlés à la houille ont une
densité notablement supérieure à la sienne ; il s'ensuit qu'en
opérant sur de la houille réduite en morceaux de petite
grosseur, et en la jetant dans un caniveau dans lequel on
fait couler de l'eau, les schistes ^e déposeront à l'origine du
conduit, et la houille pure pourra être recueillie à l'autre
extrémité. C'est ce qu'on appelle le lavage au moyen des
tables allemandes. En Belgique , on emploie aussi d'autres
appareils; ce sont les caisses à piston ; ces caisses se compo-
sent d'une sorte d'auge en bois contenant de l'eau et commu-
niquant à la partie inférieure avec un cylindre également en
bois, dans lequel se trouve un piston auquel on donne un
mouvement alternatif de bas en haut et de haut en bas, qui
se communique naturellement à l'eau contenue dans l'auge.
Dans cette auge, se trouve une grille inclinée sur laquelle on
jette la houille en petits fragments; le mouvement de l'eau
soulève toute la masse à chaque coup de piston, et les corps
se placent alors par ordre de densité, les schistes sur la grille
et la houille à la partie supérieure. M. Cérard expose un
appareil fondé sur ce dernier principe; c'est une machine
complète et ingénieuse, mais qui n'est peut-être pas assez
simple pour le travail un peu grossier qu'elle doit effectuer,
et nous ne sachons pas que les résultats industriels en soient
encore bien établis.
Ces méthodes de lavage sont applicables à toute espèce de
minerais que l'on veut séparer de leur gangue, c'est-à-dire
des corps étrangers qui contiennent le minerai et qu'on est
contraint d'abattre en même temps dans la mine ; dans ce
cas , il faut préalablement soumettre le minerai à l'action
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE, iSo
mécanique de pilons qu'on nomme bocards , afin de les
réduire en petits fragments.
Nous devons aussi dire quelques mots d'une industrie qui
n'est pas très-ancienne, c'est celle des houilles agglomérées.
L'exploitation d'une mine produit toujours une quantité
plus ou moins considérable de menu, c'est-à-dire de houille
réduite en très-petits morceaux dont la valeur commerciale
est très-faible. On a imaginé d'utiliser ces menus , en les pu-
rifiant d'abord au moyen d'un lavage et en fabriquant des
espèces de briques à l'aide d'un corps agglutinant, tel que des
résidus de goudrons ou de schistes très-bitumineux; on est
arrivé à produire ainsi un excellent combustible et à utiliser
ces produits sans valeur dont les mines de houille se trou-
vaient encombrées et qu'on était pourtant forcé d'extraire,
caries houilles menues sont sujettes, lorsqu'elles sont laissées
en tas au contact de l'air, à entrer dans une sorte de fermen-
tation à la suite de laquelle leur température s'élève assez
pour qu'elles arrivent à s'enflammer spontanément. L'aban-
don de ces houilles menues dans une mine déterminerait
donc des incendies souvent impossibles à éteindre. La mine
de Blanzy, et quelques autres du département de la Loire,
exposent des produits de ce genre fort intéressants.
Métallurgie du fer. — Fonte,
Le fer, ce métal dont les propriétés sont si précieuses, et
les usages industriels si nombreux, se trouve très-répandu
dans la nature. On sait que le fer à l'état natif n'est qu'une
rare exception qui n'appartient même pas, pour ainsi dire,
à la constitution minéralogique du globe. On peut donc dire
que, sauf des cas tout à fait exceptionnels, nous ne trouvons
le fer qu'à l'état de combinaison , principalement avec l'oxy-
gène , le soufre, l'arsenic, le phosphore, etc., et souvent
sous forme de sels, comme le fer carbonate. Tous ces mine-
rais ne sont pas également propres à la production du fer ; la
présence du soufre, du phosphore, de l'arsenic, altère pro-
fondément les qualités du métal, et la difficulté qu'on trouve
à séparer ces corps force à rejeter comme inutiles une immense
quantité de ces minerais. On ne peut, en effet, considérer
comme minerais de fer proprement dits que les oxydes, qui
180 VISITE
comprennent, du reste, un assez grand nombre de variétés,
telles que l'oxydule de fer, le fer oligiste, les hématites
rouges, jaunes et brunes, et les carbonates qu'on trouve cris-
tallisés , c'est alors le fer carbonate spathique , ou à l'état
amorphe, c'est le fer carbonate des houillères ; ce dernier mi-
nerai se trouve, en effet, dans certaines mines, alternant
avec des couches de houille.
Les préparations mécaniques qu'on fait subir aux minerais,
pour les rendre propres au traitement métallurgique, dépen-
dent beaucoup de leur nature ; mais elles se réduisent tou-
jours à un bocardage, c'est-à-dire à une opération qui a
pour but de concasser le minerai en morceaux de faibles di-
mensions, en un lavage pour séparer les schistes, enfin, en un
grillage qui a souvent pour double but, de désagréger le mi-
nerai par l'action de la chaleur et de faire partir l'arsenic et
le soufre qu'il peut contenir, en les transformant en acides
arsénieux et sulfureux, lesquels en vertu de leur état gazeux,
se dégagent dans l'atmosphère.
Il existe deux méthodes de préparation du fer :
L'une, la plus ancienne, est connue sous le nom de méthode
catalane; elle n'est applicable qu'aux minerais très-riches ; ce
sont généralement des fers oligisles ; l'esprit de cette méthode
est fort simple , il consiste à mélanger le minerai avec du
charbon de bois dans un fourneau dont la forme est celle
d'une espèce de creuset rectangulaire et dans lequel le char-
bon est brûlé à l'aide d'un courant d'air forcé; il se produit
alors de l'oxyde de carbone , qui s'empare de l'oxygène allié
au fer, la gangue forme avec une partie du fer une combinai-
son' fusible à la température du foyer et se sépare à l'état
liquide, en sorte qu'à la fin de l'opération on retire du creuset
une masse spongieuse qui, soumise à l'action du marteau,
donne un fer d'excellente qualité.
L'autre mode de traitement des minerais consiste dans
l'emploi du haut fourneau, c'est de beaucoup le plus répandu.
Il s'applique aux minerais riches ou pauvres ; c'est le seul qui
soit employé en Angleterre, en Allemagne et en France, à de
très-faibles exceptions près. Les différences essentielles qui
le distinguent de la méthode catalane sont l'élévation de la
température, beaucoup supérieure dans le haut fourneau à celle
du foyer catalan, et l'emploi des fondants. Nous avons dit
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 187
que dans la mélhode catalane la gangue se séparait du métal
en formant avec le fer une combinaison fusible à la tempéra-
ture du foyer. Mais lorsque le minerai est pauvre la produc-
tion de semblables scories causerait un déchet trop considé-
rable. On protège alors le fer, en ajoutant de la cliaux ou de
l'argile suivant la composition de la gangue ; cette gangue à
la température élevée du haut fourneau forme avec ces fon-
dants une scorie fusible, dans la composition de laquelle il
n'entre qu'une quantité de fer insignifiante.
Un haut fourneau est une tour conique de 15 à 20 mètres
de haut environ , dont l'intérieur a à peu près la forme de
deux cônes renversés. A la partie supérieure se trouve un
large orifice qu'on appelle yueulard ; à la partie inférieure,
une sorte de bassin qu'on nomme creuset. Le minerai et les
fondants se chargent à la partie supérieure, et par couches
alternatives, avec du charbon de bois ou du coke, quelquefois
un mélange des deux, ou même de la houille. Une combustion
active du charbon est entretenue au moyen d'un violent cou-
rant d'air lancé à la partie inférieure du fourneau par des
machines soufflantes; le minerai est alors réduit et on trouve
dans le creuset un métal qui n'est pas du fer, comme dans la
méthode catalane, mais une combinaison de fer et de char-
bon qu'on appelle fonte. C'est de ce métal qu'on tire ensuite
le fer au moyen d'une série d'opérations que nous décrirons
plus loin en peu de mots. Dans cette méthode, la production
de la fonte est continue, c'est-à-dire qu'un haut fourneau,
une fois allumé, marche souvent pendant plus d'un an sans
interruption, en produisant chaque jour de 8 à 12 tonnes de
fonte en général ; mais il y en a qui fournissent jusqu'à
18 tonnes.
La fonte joue dans l'industrie un rôle considérable, tout à
fait différent de celui du fer, en rapport avec ses propriétés
très-différentes elles-mêmes ; la fonte est, en effet, beaucoup
plus fusible que le fer, moins résistante que lui, si on la soumet
à un effort de traction, elle n'est pas malléable; au reste,
toutes ces propriétés varient dans de grandes limites avec les
différentes espèces de fonte.
La fonte, par sa fusibilité, se prête donc au moulage, et
c'est par là que ses applications se trouvent si multipliées.
On emploie , dans le moulage , des fontes de première et
188 VISITE
de deuxième fusion; la première se coule au sortir même du
haut fourneau; autrement on fait usage de fontes de diverses
provenances qu'on fait refondre dans des fourneaux spé-
ciaux ; le moulage en deuxième fusion a sur le premier
l'avantage de permettre l'emploi de mélanges, qui condui-
sent à un métal d'une qualité déterminée, et par suite de
n'être pas soumis aux variations qui se produisent toujours,
plus ou moins, dans la marche d'un haut fourneau. Quant à
la finesse des produits, on peut l'obtenir également dans le
moulage en première fusion ; elle dépend , avec la qualité
de la fonte, de celle du sable qui sert à confectionner les
moules et du soin apporté dans le travail.
Moula},^e.
Voici en quelques mots les principales opérations du mou-
lage.
Les divers procédés employés varient avec la forme et les
dimensions des pièces que l'on veut obtenir.
La fonte a la propriété d'augmenter de volume en passant
de l'état liquide à l'état solide; elle éprouve ensuite un re-
trait en se solidifiant. Ce retrait est d'autant plus grand,
pour des fontes fabriquées de la même manière, qu'elles
sont moins grises^ c'est-à-dire qu'elles contiennent moins de
charbon interposé à l'état de graphite.
Le moule dans lequel on coule la fonte, à raison delà
haute température du métal , de sa dilatation et du reirait
qu'elle prend, doit être réfractaire, peu conducteur, et pou-
voir se déformer sans grande résistance; de plus, la tempé-
rature de la fonte dilate l'air renfermé dans le moule, vapo-
rise l'eau contenue dans la matière qui le constitue; il doit
donc permettre le libre dégagement de ces gaz, autrement
on s'exposerait à le briser ou à ne le remplir qu'incomplè-
tement.
La matière employée pour les moules est toujours com-
posée de sable légèrement argileux, mélangé d'un peu de
charbon.
On distingue deux espèces principales de moulage :
'1° Le moulage en sable vert;
"2" Le moulage en sable d'étuve.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 189
Le moulage en sable vert est employé pour les pièces de
faibles dimensions et surtout de faible épaisseur. La matière
que l'on emploie pour le moule se compose de quatre cin-
quièmes de sable et d'un cinquième de houille que l'on broie
ensemble. Ce sable est tamisé et ensuite humecté pour lui
donner une certaine cohésion. Le mélange de la houille
avec le sable a pour but de rendre le moule très-poreux
et de permettre un dégagement facile aux gaz qui sont très-
abondants , le moule n'étant pas desséché avant qu'on y
introduire la fonte.
Le moulage en sable d'étuve s'emploie pour les pièces de
grandes dimensions et qui demandent des surfaces très-lisses.
Les moules employés dans ce cas doivent être plus solides
que dans le moulage en sable vert. Ils se composent de
sable de carrière légèrement argileux , mélangé avec un
vingtième de son volume de houille; le mélange est broyé
très-fin, puis tamisé et humecté d'un peu d'eau au moment
de l'emploi. Gomme un pareil moule est peu poreux et qu'il
ne permettrait pas un dégagement facile des gaz, on le sèche
avant de couler la fonte. Cette dessiccation augmente beau-
coup la résistance du moule, aussi les pièces moulées par
ce procédé doivent avoir des formes telles qu'elles puissent
prendre leur reirait sans que le moule doive se déformer,
et, même dans ces circonstances, le retrait se produit in-
complètement et la pièce perd de sa résistance. Tous les
moules, en sable vert ou d'étuve, sont, avant qu'on retire
le modèle , percés d'un grand nombre de petits trous pour le
dégagement des gaz.
Les moules sont desséchés dans des étuves spéciales ou
sur place, qirand ils sont de dimensions trop considérables.
Pour faire le moule d'une pièce , on se sert généralement
d'un modèle présentant les formes et les dimensions de la
pièce, en ayant égard aux modifications que doit apporter
le retrait. Ces modèles sont en métal quand on veut obtenir
des surfaces très-lisses ou quand ils doivent servir à mouler
un nombre de pièces très-considérable, telles que des coussi-
nets de chemins de fer, des poteries, des ornements, etc.;
dans presque tous les cas ils sont en bois.
Quand la pièce est très-importante et qu'elle présente des
surfaces de révolution, on se sert pour faire le moule d'un
490 VISITE
profil en bois , que l'on fait tourner autour d'un axe, et qui
donne au sable la forme de la pièce.
Pour retenir le sable, que le moulage soit en sable vert ou
en sable d'étuve, on se sert de deux châssis de fonte pouvant
se superposer; leur position relative est maintenue par trois
ou quatre broches fixées sur l'un d'eux et qui entrent dans
les oreilles de l'autre.
Le moulage se fait de la manière suivante : on commence
par placer le modèle dans le châssis inférieur; on tasse du
sable autour, de façon à remplir le châssis, puis on met en
place le châssis supérieur et on lui fait subir la même opéra-
tion; on enlève ensuite le châssis supérieur, puis le moule
(ses formes doivent être telles que cette opération soit possi-
ble); on pratique plusieurs trous dans le sable du châssis su-
périeur, les uns pour introduire la fonte, et les autres pour
servir de trop-plein et laisser dégager l'air contenu dans le
moule. Les moules en sable vert sont saupoudrés avec du
poussier de charbon de bois qu'on lisse sur le moule avec une
spatule, puis les châssis sont replacés et on procède au cou-
lage de la fonte. Les moules en sable d'étuve sont couverts
d'une couche de charbon de bois délayé dans l'eau , puis
sèches comme nous l'avons dit plus haut.
Les pièces creuses, telles que colonnes, tuyaux, etc., sont
d'abord moulées pleines; puis on introduit dans l'intérieur
du moule un tuyau de fonte percé de trous recouverts d'une
terre très-poreuse qui permet aux gaz de se dégager dans
l'intérieur du tuyau par les trous percés à sa surface. Ce
tuyau ou noyau laisse entre sa paroi et celle du moule l'é-
paisseur exacte qu'on veut donner à la fonte.
L'exposition française est riche en fontes moulées en pre-
mière et deuxième fusion.
Les fonderies de MAL Pinart frères , à Marquise, exposent
des modèles de poutres en fonte qui ont servi à la construc-
tion des caves de la gare du chemin de fer de l'Ouest , à
Paris, et de plusieurs ponts du chemin de fer d'Auteuil. Ces
poutres, remarquablement exécutées, ont présenté quelques
dinicullés.
Les poutres qui soutiennent les trottoirs des ponts du che-
min de fer d'Auteuil sont très-légères; elles offraient de
grandes surfaces à remplir sur de faibles épaisseurs, ce qui
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 191
est une difficulté sérieuse d'exécution ; elles ont été fort bien
réussies.
La collection des modèles exécutés à cette usine est inté-
ressante; elle donne une idée du rôle que joue actuellement
le métal dans les constructions. Il faut ajouter pourtant que
l'emploi de la fonte , comme poutres , tend de plus en plus
à se borner à des ouvrages de faibles dimensions; la plus
grande sécurité offerte par le fer, la résistance supérieure
de ce métal , le fait préférer pour des travaux d'une grande
importance, surtout lorsqu'on arrive à des poutres assez
longues pour ne pouvoir être moulées d'une seule pièce et qui
exigeraient alors des assemblages.
MM. Pinart exposent également des conduites d'eau , des
roues de wagon de terrassement , qui , dans le moulage , ont
reçu une trempe profonde, de 0"',007 environ; la dureté que
la fonte obtient ainsi leur assure une longue durée. Cette
trempe s'obtient par l'emploi d'un moule dont une partie est
en métal. La fonte en fusion, au contact d'un corps très-con-
ducteur, se refroidit brusquement et acquiert une très-grande
dureté. Ce genre de moulage porte le nom de moulage en co-
quille.
Nous trouvons à côté, dans l'Annexe, un affût de canon de
Fourchambault, d'une belle exécution. Ces affûts en fonte
sont destinés à des canons de rempart.
Ici, tout en avouant notre incompétence, nous devons ex-
primer un doute qui nous est venu depuis longtemps à l'es-
prit; la fonte est-elle bien le métal qui convenait à cet usage?
Est-il logique d'exposer aux ravages d'un boulet un affût
composé de pièces minces d'un métal très-cassant qu'un choc
violent doit faire voler de toutes parts en éclats? Cette tenta-
tive est sans doute un progrès sur les affûts de bois sujets à la
pourriture, aux attaques des insectes, et, par suite, à une
destruction rapide; mais l'emploi du fer n'est-il pas clairement
indiqué, dans cette circonstance, par toutes ses propriétés et
surtout par la facilité des réparations? Il nous semble que la
question n'est guère douteuse, mais nous devons la léguer à
de plus expérimentés sur cette matière spéciale.
La même usine expose une fort belle conduite d'eau desti-
née à la ville de Madrid; elle a 3 mètres de longueur sur 0"',90
de diamètre et 0"',016 d'épaisseur.
192 VISITE
La fonderie de Gonches, dans l'Eure, est représentée par
une cloche de près de 4 mètres de diamètre; sur la faible
épaisseur de 0'",0I3. Dans ces conditions, c'est un travail
d'une grande difficulté et d'une exécution remarquable.
En entrant dans l'Annexe par la porte du milieu, on aper-
çoit un fort bel arceau sortant de la fonderie de Mazières,
c'est une pièce de fonte digne de la réputation de cette usine.
Une grande partie des fontes qui entrent dans les construc-
tions métalliques exécutées dans ces derniers temps sortent
des ateliers de Mazières. Nous citerons , par exemple , les en-
tablements de la gare du chemin de fer de l'Ouest, une partie
du Palais de l'Industrie, des halles centrales, etc.
Nous avons reporté à la classe 15 les indications que nous
avions à donner sur les procédés du moulage. Depuis une
vingtaine d'années, la fonte de fer a remplacé le bronze dans
un grand nombre d'applications, et si la substitution n'est pas
encore plus complète, il faut l'attribuer àce que la fonte ne peut
se prêter avec la même facilité que le cuivre aux réparations
et aux retouches ultérieures ; aussi , doit-elle être réservée
aux objets de construction, aux grandes pièces monumentales
et à tous les usages dans lesquels la délicatesse de la forme
n'est point de nécessité.
L'Exposition ne renferme pas de pièce de fonte d'un poids
exceptionnel, mais un assez grand nombre sont remarquables
parleursdimensions, avec l'augmentation successive desquelles
les difficultés du moulage deviennent presque insurmontables.
La plupart des machines-outils anglaises sont très-intéressan-
tes par leurs beaux bâtis en fontes sur lesquels nous aurons
à revenir avec quelque attention ; la nécessité dans laquelle
elles ont mis les constructeurs d'obtenir des pièces de for-
mes variées a contribué puissamment à reculer, sous ce rap-
port, les limites du possible ; nous avons vu quelquefois des
masses de fonte dont le poids s'élevait jusqu'à 30 000 kilogram-
mes, et dont l'exécution ne laissait cependant rien à désirer ;
nous pourrions citer sous ce rapport une grande arcade de
balancier qui devait servir à la fabrication des couverts d'ar-
gent par estampage, et qui sortait des ateliers de M. Auguste
Pehet , ainsi que des tables à couler les glaces de la fonderie
de M. Cave.
D'autres usines ont également exposé des produits fort re-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 193
marquables et que nous regrettons de ne pouvoir décrire
faute d'espace.
Métallurgie du fer.
Les constructions métalliques se répandent de plus en plus
dans l'industrie. Le développement excessif des chemins de
fer, en forçant à construire des gares immenses, des ponts
à grandes travées, entourés de diflicultés que l'emploi des
matériaux ordinaires ne pouvait surmonter, a déterminé l'in-
troduction définitive du fer dans les constructions , et les pro-
priétés de résistance de ce métal , la facilité avec laquelle il
se prête aux formes les plus utiles, aux combinaisons les plus
économiques que la science enseigne à choisir, tendent à ac-
croître tous les jours l'importance de son rôle. Cette conquête
d'un élément de construction nouveau et puissant sera carac-
téristique pour l'art de notre époque. La métallurgie du fer a
dû en ressentir une puissante impulsion , tant sous le rapport
du développement que sous celui du progrès et des perfec-
tionnements de ses procédés ; c'est, en effet, ce que l'Exposi-
tion actuelle va nous permettre de constater.
Afin de bien faire comprendre l'importance des dilïicultés
déjà vaincues et la voie actuelle du progrès, nous allons es-
sayer d'inrjiquer en peu de mots les principes fondamentaux
de la métallurgie du fer.
Nous avons dit plus haut que, pour retirer le fer de son
minerai, à part la méthode catalane qui n'entre que pour
une très-faible proportion dans la production européenne , il
fallait commencer par fabriquer, au moyen d'un haut four-
neau, de la fonte, c'est-à-dire une combinaison de fer et de
charbon; pour convertir cette fonte en fer, il faudra donc
simplement lui enlever ce charbon , et c'est à quoi on arrive
au moyen de deux opérations, le pudcllage et le hallage.
Pour puddler la fonte, on la place dans un four à réverbère,
où elle se trouve portée à une haute température et soumise à
l'action des gaz résultant de la combustion du charbon, sur
\me grille placée en tête du four. L'action combinée de la
chaleur et de ces gaz brûle le charbon de la fonte , et il reste
sur la sole du four une masse spongieuse composée d'éléments
de fer et de divers corps étrangers fusibles à la haute tem-
20G Ml
494 VISITE
pérature à laquelle elle se trouve portée et qu'on nomme
scories On réunit alors la masse de fer en une boule, on la
retire du four avec de fortes pinces et on la porte sous un
lourd marteau. Le martelage réunit les molécules entre elles,
les soude et exprime les scories ; on amène ainsi la masse de
fer à une forme lectangulaire et on la porte encore rouge au
laminoir. ' * „„
Un laminoir consiste en deux cylmdres superposes et par-
faitement parallèles , sur lesquels sont creusées des canne-
lures qui peuvent être de formes très-différenles. Ces cy-
lindres sont mis en mouvement au moyen d'une machine a
vapeur et animés de vitesses égales, mais en sens contraires.
Aune extrémité du cylindre se trouvent des cannelures tres-
larses de forme ogivale; elles vont en dmiinuant jusqu au
bout du cylindre. On conçoit alors que si on vient présenter
la masse de fer devant la première cannelure, et qu'elle soit
a^sez grande pour en permettre l'introduction , elle s y trou-
vera entraînée tout entière à la faveur de la vitesse dont les
cvlindres sont animés et en sortira ayant subi un certain al-
lonsement et pris la forme de la cannelure, en vertu de la mal-
léabilité que le fer pos^^èûe à cette température élevée. Ea
réDétant la même opération dans un certain nombre de canne-
lures placées sur ditîérents laminoirs, qui composent ce qu oa
appelle un train, on arrive donc à transformer a masse de fer
martelée en une barre de fer d'une certaine longueur et de
Son rectangulaire. On coupe alors ces barres de f.r com-
posées d-un fer qui s'appelle fer puddlé , qui n'est m bien
S , ni homogène, m pur, et on forme avec les morceaux
des paquets qu'on place dans un four analogue au four a
nuddler et qu'on appelle four à baller ou a rechauffer. Lorsque
Haquet est arrivé au blanc soudant , on le relire et on le
aminé dans descybndres portant des cannelures qm amènent
successivement le fer à la forme définitive qu'on veut lui
^''c'est à peu près ainsi que sont fabriqués les rails , les fers
^nnt la section a la forme d'un T , les cornières ou fers
Scontou-rnées, qu'on comprend sous le nom genenque
de fers spéciaux. La dernière cannelure du laminoir a alor.^
exactement la forme de la barre de fer finie.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 195
Pour la tôle, on procède à peu près de même ; seulement
les laminoirs, au lieu de porter des cannelures, sont, au con-
traire, parfaitement polis. C'est en les rapprochant plus ou
moins que l'on produit des tôles d'épaisseurs différentes.
On trouvera, 'du reste, dans la partie de l'Annexe où sont
placées les machines en mouvement , et du côté de l'eau ,
deux modèles représentant Tinstallalion d'une forge anglaise
complète, avec trains de laminoirs, marteaux, cisailles, etc.,
qui donneront une idée exacte de l'ensemble de ce travail.
Telles sont, bien en abrégé, les principales opérations qui
constituent la métallurgie du fer. Les difticullés qu'elle offre
sont nombreuses ; à part celles qui sont relatives au puddiage
et au réchauffage, sur lesquelles nous ne nous arrêterons pas ,
parce qu'elles sont communes à tous les fers , le laminage qui
détermine la forme définitive de la barre en présente souvent
de graves; les barres peuvent pécher, en effet, par défaut de
soudage entre les éléments qui les composent ; elles peuvent
présenter des vices de forme ; leur poids est limité par celui
des paquets qu'on peut mettre dans les fours et manœuvrer
facilement ; leur longueur l'est également par la difficulté des
manœuvres, par le refroidissement; car si le laminage dure
trop longtemps , la barre se refroidit et perd la malléabilité
nécessaire pour se plier à la forme des cannelures; enfin par
suite de l'insuffisance des machines.
Le passage d'une barre entre les laminoirs donne lieu à
des pressions énormes sur les cylindres ; ces pressions cor-
respondent à des résistances considérables qui tendent à
arrêter la machine. Lorsqu'on lamine des barres de faible
longueur, la machine se ralentit durant le passage de la
barre, mais ne s'arrête pourtant pas à cause de la masse de
tous ses organes, du volant qui, se trouvant en mouvement,
peuvent l'entraîner pendant un certain temps; mais si la
barre est trop longue, la machine s'arrête, à moins d'être elle-
même d'une force considérable. Comme point de comparai-
son , il suffit de réfléchir que pour laminer un rail Barlow de
40 à 12 mètres de longueur, il faut une machine d'environ
450 chevaux.
La forme des cannelures peut arriver à être aussi une diffi-
culté très-considérable.
Imaginons , par exemple , qu'on veuille laminer un fer
i96 VISITE
ayant la forme d'un T; la dernière cannelure du cylindre
devra avoir exactement cette forme, la plus lon.2;ue branche
du T étant placée sur la ligne de contact des deux cylindres,
l'autre dans le sens perpendiculaire et partagée par moitié
entre les cylindres supérieur et inférieur. Si cette dernière
branche est trop longue, lextrémilé du fer qui la remplit va
se trouver entraînée par le frottement d'un point du cylindre
animé d'une vitesse notablement inférieure à celle des points
situés sur la ligne de contact; il s'ensuit que les différents
points de la soction du fer à T se trouvent sollicités par des
vitesses très-différentes; conséquemment la barre tendra à se
déchirer longitudinalement et le laminage pourra devenir im-
possible.
Pour les tôles, les difficultés sont de même nature; le poids
des grandes tôles est, comme pour les fers laminés, limité par
celui des paquets, leur longueur par les manoeuvres ; lorsqu'on
veut arrivera des épaisseurs très-faibles, on rencontre un
obstacle dans le refroidissement qui devient alors excessive-
ment rapide.
Les besoins de l'industrie ont fait depuis longtemps réaliser
de grands progrès sous tous ces divers rapports. Il arrive,
en effet, que toutes les fois qu'on surmonte une des difficultés
que nous venons d'énumérer , c'est toujours au profit d'une
certaine branche de lart.
La construction des ponts en tôle a introduit d'une ma-
nière courante la fabrication de tôles de grandes dimensions
comme longueurs et co-nme épaisseurs. Il est clair, en effet,
que l'emploi des grandes tôles est un moyen de diminuer le
nombre des joints dans ces constructions et, par suite, le
poids du métal et même le travail. Oa sait, en effet , que les
joints se font au moyen de plates-bandes ou cowcre-jom^s,
qui sont d'autres tôles qu'on place de chaque côté du joint des
deux tôles à réunir, placées bout à bout et qui sont rivées avec
chacune de ces deux tôles; or, dans beaucoup de ponts ac-
tuellement construits, le poids total des couvre-joints s'élève
à deux cinquièmes environ du poids total du métal employé.
On conçoit donc toute l'importance qu'il y a à réduire le
nombre de ces joints, fût-ce d'un tiers ou d'un quart , au
moyen de l'emploi de matériaux de grandes dimensions.
Pour les fers spéciaux en forme de T, de double T, etc. , il
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 197
y a le même avantage à obtenir de-j, pièces longues et de sec-
tions un peu considérables : c'est un progrès de cette nature
qui a fait ennployer le fer dans la construction des planchers
des maisons particulières, usage maintenant très-générale-
ment répandu. Bientôt le besoin se fit sentir de barres de fer
laminé plus longues et de plus grandes sections, pouvant, en
un mot, supporter des charges plus considérables et fournir
des poutres toutes prèles pour construire de petits ponts,
des fermes de charpente de grandes portées , des plaques
tournantes, etc. C'est alors que parurent les fers à T de l'usine
de la Providence, qui ont jusqu'à 0"',30 de hauteur, et cet
exemple, inspiré comme toujours par la nécessité, fut bientôt
imité par un grand nombre d'usines.
On peut dire, du reste, qu'il n'y a pas de limite dans cette
voie et que bien des progrès, encore retardes par de vieilles in-
stallations, seront réalisés au bout d'un temps plus ou moins
long; nous en trouverons un exemple dans la fabiication des
rails. On sait que les voies de la pkqiart des chemins de fer
français sont faites avec des rails à double champignon, placés
bout à bout et reposant dans des coussinets en fonte portés
eux-mêmes sur des traverses en bois. La partie la plus défec-
tueuse de ces voies est toujours le joint des deux rails; de-
puis fort longtemps la longueur des rails les plus longs est
de 6 mètres, il serait maintenant facile à un grand nombre
d'usines de livrer à l'industrie, d'une manière courante, des
rails d'une longueur double, ce qui réduirait ainsi de moitié
l'inconvénient du joint.
Quelques exemples, pris à l'Exposition, vont nous per-
mettre de constater la valeur des progrès accomplis dans-
nôtre métallurgie, et si cette industrie n'a pas encore atteint
la puissance de production, qui recommande la métallurgie
anglaise à l'admiration des hommes spéciaux, il n'est pas
moins vrai qu'elle a pris dans ces derniers temps un déve-
loppement bien remarquable et qui donne pour un avenir
prochain de plus giandes espérances encore.
La fabrication des rails s'est enrichie de nouvelles bran-
ches ; les rails Brunel, fabriqués pour la première fois chez
M. Martial Leclerq, pour le chemin d'Auteuil, sont mainte-
nant définitivement introduits dans l'industrie française. Le
chemin de fer du Midi, dont la voie est en partie dans ce
498 VISITE
système, en a fait laminer à Aubin et à Decazeville; c'est un
rail assez difficile à fabriquer à cause du défaut de symétrie
de sa section. Aubin expose un de ces rails dont la longueur
est de 12"', 50.
Une importation bien plus remarquable encore est celle
du rail Barlow. Cette voie est construite au moyen de rails
de très-grandes dimensions, d'une forme qui leur permet de
s'appuyer directement sur le sable, ce qui supprime l'em-
ploi du bois et des coussinets; les rails sont rivés les uns
aux autres, en sorte que toute la voie est solidaire.
Ces rails, d'une forme qui présente les plus grandes diffi-
cultés à obtenir au laminoir, pèsent 45 kilogrammes par
mètre courant. Decazeville et Commentry en exposent des
spécimens; cette fabrication exige un montage spécial dans
les usines et des machines d'une grande puissance.
Les forges de Denain et d'Anzin exposent des rails du mo-
dèle du chemin de fer du Nord d'une longueur de 15 mètres.
Le pays de Galles (usine de Tredegar et de Rhymney),
expose des échantillons magnifiques de rails à double cham-
pignon de 26 mètres de longueur et de rails Barlow de
'\6 mètres. On peut juger par là de la différence qui existe
encore entre le montage de ces usines et celui des nôtres. Les
produits métallurgiques de la Prusse nous montrent égale-
ment des rails d'une longueur remarquable parmi lesquels on
en distingue de 23 mèires.
La fabrication française des fers spéciaux est magnifique ;
Commentry expose des cornières de 17"', 60 de longueur, dont
les branches ont 0"',170 de hauteur; il y a quelques années,
en France, des cornières de 10 à 12 mètres de long, avec
des branches de O'^jlOO étaient regardées comme une grande
difficulté.
Nous recommandons à l'attention du visiteur les fers à
T de Montataire, qui sont très-beaux ; la collection des fers
de la Providence, qui a produit les plus grands échantillons
dans ce genre, ainsi que l'exposition anglaise à l'extrémité de
l'Annexe.
Les fers ronds laminés sont représentés par de fort beaux
échantillons; mais le plus remarquable est celui qui est en-
voyé par la société allemande du Phœnix-Thenin ; il a 0"',267
de diamètre, 7"',015 de longueur, et pèse 3348 kilogrammes.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 199
Montataire, Commentry, Anzin, le Creuzot , ont exposé des
tôles qui rivalisent de beauté sous le rapport de la qualité et
•de la difficulté d'exécution :
Une tôle de Commentry a 1 8 mètres de long et pèse 700 ki-
logrammes;
Une tôle de Montataire pèse le poids énorme de 1550 kilo-
grammes ;
Une autre de Denain et Anzin ,913 kilogrammes.
Le Creuzot expose une belle tôle emboutie et un spécimen
de bordage en fer forgé, destiné aux nouvelles canonnières
que le gouvernement fait construire; ce sont des plaques de
0'",'I1 d'épaisseur, à l'épreuve du boulet.
Nous devons signaler aussi des tôles d'Audincourt, très-
minces, embouties sous forme de bouteilles ; on ne peut exé-
cuter une pièce semblable sans des matériaux de qualité tout
à fait supérieure. La Belgique a envoyé des tôles minces qui
ne sont pas moins remarquables.
Quoique la plupart de ces produits soient exceptionnelle-
ment fabriqués pour l'Exposition, il ne faut pas perdre de vue
qu'en indiquant la limite de ce qui est possible comme art , ils
ont une signification intéressante , en montrant de combien
la limite de ce qui est praticable, au point de vue industriel,
s'est trouvée reculée. Ainsi, il y a déjà plusieurs années,
l'usine de Commentry fournissait pour la construction du pont
d'Asnières, et d'une manière courante, des tôles de 8"\16 de
longueur sur 0'",70 de largeur, dont le poids moyen était
•de 600 kilogrammes.
Nous n'abandonnerons pas la tôlerie sans signaler un pro-
duit également nouveau et qui a pris un vif intérêt par l'ap-
plication qui en a été faite par M. Flachat , ingénieur en chef
du chemin de fer de Saint-Germain, à la couverture de la
gare des marchandises de la gare des Batignolles; nous vou-
lons parler de la tôle ondulée. Cette tôle est fabriquée d'une
manière fort ingénieuse par l'usine de Montataire, en faisant
passer des tôles réchauffées préalablement dans un laminoir
d'une forme spéciale , d'où la tôle sort avec des cannelures
profondes de O^'jOSO sur 0"',160 de largeur; l'épaisseur de la
tôle peut d'ailleurs varier, mais elle est généralement de 0'",002
à 0'",003. On conçoit que la forme de cette tôle cannelée lui
■donne une grande rigidité, en sorte qu'elle a été employée
200 VISITE
comme couverture, sans le secours d'aucune pièce de char-
ponte, à Batignolles et aux gares chi chemin de fer d'Auteuil ;
il y a quelques-unes de ces dernières qui ont jusqu'à 18 mètres
de largeur et dont la couverture se compose d'une simple
feuille de tôle ondulée, repliée en arc de cercle. C'est un mode
de couverture simple, économique et élégant à la fois, qui
est certainement destiné à une grande faveur. Nous devons
ajouter que les tôles ondulées, fabriquées ju-qu'alors en
Angleterre, présentaient bien moins de difficultés; c'étaient
des feuilles cannelées dans une sorte d'étampe, dont les on-
dulations n'avaient pas plus de 0"',03.
Kous ne pouvons pas non plus passer sous silence les
belles pièces de forge envoyées par l'Allemagne et quelques
usines françaises'.
Les ateliers de M. Gavé ont exposé quelques pièces remar-
quables, entre autres une boîte à graisse tout entière en fer
forgé et amenée par l'emploi seul du marteau à des formes
presque définitives, et une tige de pston, pour un pilon co-
lossal du poids de 8000 kilogrammes , également en fer forgé
et destiné à forger des arbres moteurs de grande dimension
pour la marine impéi iale.
jMM. Russery-Lacombe de Rive-de-Giers, ont envoyé une
belle bielle de bateau à vapeur , qui montre à quelle préci-
sion peut arriver un travail de forge, et un essieu coudé, dont
la forme est préparée au rnaiteau-pilon. C'est une innovation
qui nous paraît heureuse. Les essieux coudés pèchent géné-
ralement par le coude, qui dans le mode de fabrication ordi-
naire est découpé dans une masse de métal qu'on réserve à
cet effet à la forge, et qui par suite ne subit qu'un martelage
incomplet. L'essieu de M, Russery-Lacombe et Cie ne pré-
sente pas cet inconvénient et doit être par conséquent plus
résistant.
Le cadre qui nous est imposé nous force à terminer ici cette
< . L'exposition de MM. Pelin et Gaudet, entre autres pièces de forge,,
se recommande par un mortier en fer martelé d'un beau travail. Comme
pièce importante par son poids , nous citerons le modèle ù'un arbre ii
sis coudes, construit pour la marine impériale. CeUe pièce pèse 23 GOO"^.
C'est a notre connaissance la plus considérable qui ail été exécutée eu
France.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 201
esquisse, beaucoup trop rapide ; il nous faut donc négliger une
foule de produits intéressants, (lont un grand nombre méri-
tent une attention toute spéciale; nous espérons pourtant que
les indications succinctes auxquelles nous avons dû nous bor-
ner pourront aider le visiteur à les découvrir et à les appré-
cier par lui-même.
Marbres et ardoises.
Nous ajouterons seulement encore quelques mots sur les^
marbres et les ardoisps.
Parmi les produits français , la palme nous paraît revenir
sans contestation possible à l'Algérie et à la Corse. L'exposi-
tion du ministère de la guerre présente des spécimens admi-
rables de marbres et d'agate, et la Corse envoie des colonne.-
en marbres gris et verts qui, outre leur beauté, paraissent
pouvoir être livrées au commerce à des prix qui permettent
d'en tirer pai ti. Il nous semble que ces colonnes figureraient
mieux sur le péristyle d'un hôtel moderne que les ornements
surchargés au moyen desquels on cherche maintenant à atti-
rer l'attention.
Nous signalerons aussi de très-beaux échantillons de mar-
bres piémontais et espagnols.
Les ardoisières d'Angers, de la Mayenne et de la Sarlhe .
exposent de fort belles ardoises propres à des escaliers à vis
et même à certains usages de luxe, tels que des tdbles de bil-
lards. — On peut voir, en effet, une ardoise destinée à ce
dernier emploi, qui a 3'", 30 de long sur une largeur de 1"',60
et 0"',020 d'épaisseur. Un spécimen de ces dimensions qui
ne [)résente pas de défauts est rare.
202 VISITE
CLASSE II.
Art forestier, chasse, pêche et récoltes de produits obtenus
sans culture.
Le domaine de cette classe et celui de la classe suivante se
touchent souvent d'assez près pour risquer de se confondre ;
il importe de définir clairement l'un et l'autre.
La classe suivante comprend tous les produits obtenus par
la culture périodique et régulière de la terre, aussi bien que
par l'élevage des anim.aux domestiques, c'est-à-dire par l'a-
griculture et la zootechnie.
Dans la classe qui va nous occuper ici viennent se ranger
les produits du sol forestier, et tous ceux que l'homme tire du
règne végétal et du rèi^ne animal , en dehors des conditions
communes de l'exploitation agricole et zootechnique.
Dans ces limites , l'Exposition se fait remarquer surtout par
deux ordres de produits, mieux représentés que les autres par
le nombre et l'importance des objets: les bois, auxquels se
lie l'indusirie si intéressante et si utile de leur conservation ;
et les matières textiles de toute nature, à l'exception des lai-
nes et des cotons qui rentrent dans la classe suivante.
Quelques produits d'une consommation plus restreinte et
plus spéciale, tels que les épices , les matières tinctoriales,
les gommes, méritent aussi une mention , mais ne se présen-»
tent pas avec autant de richesse dans les échantillons, au-
tant de cachet dans l'ensemble. Ils forment, dans l'économie
générale de l'exposition des produits de cette classe, l'acces-
soire et non le principal.
Les arbres s'en vont de l'Europe ; l'Allemagne seule est en-
core forestière ; la France , la Belgique, l'Angleterre ont déjà
vu ou voient chaque jour leurs bois diminuer. En Belgique
et en Angleterre , la culture des arbres isolés a pris beaucoup
d'importance, et suppléera peut-être en partie à la disparition
des forêts; la {7rande-Breta,j:ne fait d'ailleurs, en ce moment,
d'immenses efllorts pour peupler ses landes , ses collines im-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 203
productives , une grande partie de l'Ecosse d'arbres conifères
et en particulier de cèdres de l'Himalaya.
Aux yeux de beaucoup de personnes , cette disparition des
arbres forestiers n'a rien d'anormal ni rien d'inquiétant; elles
n'y voient quel'usage et non l'abus du droit de propriété ; elles
admettent qu'on ne défriche que pour mettre en culture, et
que tout le monde gagne là où le propriétaire seul paraît faire
un bénéfice ; elles nient que le déboisement ait une influence
quelconque sur la salubrité du pays ; elles appellent le mo-
ment où la houille remplacera le bois pour le chauffage, oii
le fer se substituera au bois pour les constructions.
Dans de certaines limites, et quand on ne les pousse pas
jusqu'à leurs conséquences systématiques et extrêmes, ces
idées ne manquent pas de justesse; on peut, en fait de
construction , considérer le bois comme la matière première
de l'enfance de l'industrie , et le fer comme la matière pre-
mière d'une période avancée de perfectionnement. Mais il ne
faut pas trop généraliser, et il y a deux genres de travaux
de premier or ire qui demandent encore une production con-
sidérable de bois : l'ébénisterie et les constructions navales.
C'est ainsi, au reste, que pensent les Anglais qu'on n'ac-
cusera pas de ménager l'emploi du fer, et de tenir aux vieux
errements. Nous venons d'indiquer les tentatives qu'ils font
sur le sol des Iles Britanniques ; leur préoccupation sur ce
point se trahit mieux encore par les efforts étonnants de leurs
colonies.
La magnifique exposition des colonies anglaises se caracté-
rise par deux sortes de matières , celles que nous avons indi-
quées comme étant les plus remarquables de la classe en-
tière : les bois et les fibres textiles. Ces deux produits ne sont
pas les seuls que présentent ces colonies, mais ils sont telle-
ment prépondérants, qu'ils dominent et éclipsent tous les
autres. La Guyane anglaise, l'Australie, le Canada, la Ja-
maïque se distinguent surtout par des échantillons bien
choisis, nombreux, extrêmement variés.
Un exemple fera comprendre l'importance qu'a pour l'An-
gleterre la production des bois de construction navale. Un
petit retour sur nous-mêmes nous montrera que cette produc-
tion n'a pas moins d'intérêt pour notre pays.
On estime, en général , qu'il entre 1 mètre cube 461 déci-
i20i VISITE
mètres cubes de bois par tonne anglaise dans la construction
d'un navire. Donc un navire de mille tonneaux absorbera
4 461 mètres cubes de bois.
Ces H(j\ mètres cubes de bois se décomposent de la ma-
nière suivante : 1169 mètres cubes de bois résistant pour la
coque, et 292 mètres cubes de cèdre, pin, sapin et autres
bois légers employés pour le pont , les cabines et ouvrages^
intérieurs divers.
Comme le poids spécifique des bois varie avec l'espèce , il
est clair que les M 69 mètres cubes qui entrent dans la coque
ne pèseront pas également s'ils sont de bois de chêne ou s'ils
sont de bois d'acajou.
Supposons donc qu'ils soient de chêne anglais. Ce bois
pèse 853 kilogrammes 7 par mètre cube; les 1-169 mètres
cubes de la coque donnent donc un poids de 997 975 kilo-
grammes.
Quant aux bois légers , ils ])èsent, en moyenne , 590 kilo-
grammes le mètre cube ; ils entreront donc pour 172 28ù ki-
logrammes dans le poids du navire.
Ajoutons à ces deux nombres 102 000 kilogrammes pour
les mâts, cordages , voiles, chaloupes, agrès de toute sorte,
nous trouverons pour le poids total de notre vaisseau de
mille tonneaux anglais, le nombre rond de 1 272 000 kilo-
grammes.
Si le navire était construit en acajou de Honduras, les
chiffres seraient modifiés. Ce bois ne pesé que 683 kilogram-
mes le mètre cube. Les 11 69 mètres de la coque pèseraient
donc 798 427 kilogrammes qui, ajoutés auxdeux poids que nous
avons trouvés plus haut pour les bois légers et pour les agrès
divers , donnent le chiffre rond de 1 073 000 kilogrammes
pour le poids total du navire.
Le vaisseau construit en acajou de Honduras pèse donc
200 000 kilogrammes de moins que le navire con^truit en
bois de chêne anglais. Or, comme on calcule qu'un vaisseau
vide déplace la moitié de son volume d'eau, il restera dans le
vaisseau en acajou un espace disponible où pourront se loger
100 000 kilogrammes de chargement, en plus de ce que con-
tient le vaisseau en chêne.
C'est en acajou qu'étaient construits les vaisseaux Erebus
et Terror qui ont fait le voyage au pôle antarctique sous le
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 205
commandement de sir James Ross. L'un de ces bâtiments,
sous le commandement de Franklin , s'est perdu ensuite au
pôle arctique.
Remplacer le bois de chêne par des bois durs obtenus sur
le sol colonial, c'est donc là \me question fort importante
pour l'Angleterre , d'autant qu'elle ne produit plus guère de
chêne, et que le continent lui vend fort cher le peu qu'il ex-
ploite encore. Aussi l'impoi talion de ces bois, et en particu-
lier des bois d'acajou en Angleterre s'est-elle beaucoup ac-
crue dans ces derniers temps. Jusqu'en 18i3, les importa-
tions d'ac.njou de toutes variétés et de toutes provenances
avaient été de 22 millions de kilogrammes par année
moyenne; elles se sont élevées depuis à 34 millions de kilo-
grammes par an, et l'on remarque dans les chiffres des années
dernières une tendance plus grande encore.
A côté de cette importation, la nôtre n'est rien. Les An-
glais emploient l'acajou en planchers , en poutres ; nous ne
l'employons qu'en placage.
Les forêts de la Guyane britannique, celles de l'Australie
et des Antilles paraissent surtout destinées à répondre aux
besoins du Royaume-Uni, sous ce rapport. Plusieurs bois de
la Guyane anglaise rivalisent avec le fameux bois de Teck,
del'lnde et de Ceyian , reconnu pour être extrêmement dur
et l'emporter en durée sur le meilleur chêne.
On peut citer, entre autres, les variétés jaune et noire du
Greenheart [Necfandra Rodiœi) dont l'Exposition présente de
belles coupes transversales. La résistance de ce bois , surtout
de la variété noire , aux forces de tension et de compression,
le rend extrêmement précieux pour les constructions navales.
Le bois est fin , uni de grain , sans nodosités et très-dur.
A côté du Greenheart, et peut-être avant lui, se place le
Mora {Mora excelsa), l'arbre le plus magnifique des forêts de
la Guyane, et dont la tête, souvent portée à 30 et 45 mètres,
domine toutes les autres essences. Il n'est pas rare que le tronc
mesure 18 mètres avant la naissance des branches, et prenne
45 et 50 centimètres d'équarrissage. Sa dureté, son grain serré
et croisé qui le rend dilficile à fendre, la tendance de ses
branches à se contourner, destinent cet arbre à jouer un rôle
important dans les constructions navales, auxquelles il four-
nira particulièrement des quilles solides et des pièces courbes.
206 VISITE
Aussi le Lloi/d a-t-il classé le Mora, comme le Greenheart,
parmi les huit premières essences navales. Des expériences,
continuées pendant dix ans, ont prouvé que ces bois sont plus,
solides et plus durables que le chêne. Depuis dix à douze ans,
des chargements considérables sont arrivés à Liverpool et à
Greenock.
Des bois analogues ou des espèces excellentes pour l'ébé-
nisterie et la droguerie, figurent en grand nombre dans l'expo-
sition des colonies anglaises , il est impossible de les énumérer
ici. Mais il est évident que plusieurs des Eucahjplus de la
Nouvelle- Hollande pourront remplacer les acajous. Le Dacry-
dium Franklinii ^ ou Pin Huon, ainsi appelé du nom d'un
officier qui faisait partie de la célèbre expédition dEntre-
castaux, et qui l'a fait connaître le premier, donne un bois
jaune d'or des plus brillants, qui, d'ici à peu, aura un rôle
important dans l'ébénisterie. Nous ne serions pas étonnés
non plus que la tabletterie de luxe fît bon accueil à un bois
qui nous semble être un aca»na, et dont l'Australie nous pré-
sente un échantillon, sculpté de manière à imiter un pied de
violette. Ce bois répand, en effet, la plus douce odeur de
violette, et en emplit la cloche sous laquelle on emprisonne
son parfum. De petits coffrets de ce bois seraient bien préfé-
rables à ceux de bois de santal.
Le Canada présente, dans ses produits forestiers, un carac-
tère tout diflérent, mis en relief sous une forme très-pitto-
resque par le trophée qui le personnifie dans l'Annexe. Ce
sont des pins, des sapins, des chênes blancs, des articles de
boissellerie et de vannerie, des bois de fente diversement
ouvrés, des bois légers et à teintes pâles, des essences rési-
neuses qui prennent un grand développement en même temps
qu'une grande homogénéité, et qui sont excellents pour
mâture, pour voliges, pour toutes les industries qui se ratta-
chent à la sjlviculture. Les bois du Canada complètent ainsi
les ressources forestières que les colonies anglaises offrent à la
métropole. Le noyer noir seul rappelle les bois plus solides;
ses teintes brunes et chaudes tranchent vigoureusement sur le
fond blanchâtre des essences auxquelles le charmant trophée
canadien doit sa couleur un peu uniforme.
Cette nature toute particulière des bois du Canada donne,
au point de vue forestier, quelque chose d'allemand à cette
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 207
colonie anglaise. Tout y est enveloppé de bois blanc ; les grains
qu'a envoyés le pays sont enfermés dans de charmants petits
tonneaux, nets, légers, propres et coquets.
Ce rapprochement nous conduit à signaler de très-beaux
bois de mélèzes, exposés par l'Autriche, préparés et sciés pour
les tables d'harmonie, pour les objets de lutherie en général.
Ces sapins et des chênes envoyés par le même empire, sont
d'une homogénéité et d'une régularité de couches admirables.
Gomme bois d'ébénisterie comparable à ce que les pays
étrangers exposent de plus remarquable, il faut citer les
énormes loupes de Callitris quadrivalvis ou Thuya articulata,
dont un ébéniste d'Alger a envoyé de magnifiques échantil-
lons. C'est avec ce bois que les anciens faisaient leurs tables
si renommées sous le nom de ciiri. Dans le commerce de
Paris, ces loupes si vives de ton, si ronceuses, si riches sous
le vernis, se vendent '1 fr. 50 cent, le kilogramme.
Il serait à désirer que l'administration forestière surveillât
avec soin l'aménagement de ces bois ; sans cela, ils peuvent
être vite épuisés par la spéculation, et les loupes qui en font
toute la valeur ne se montrent que sur des arbres de cent à
cent cinquante ans.
Ces loupes ligneuses d'Algérie sont bien plus brillantes et
plus chaudes de ton que les loupes exposées par la colonie
hollandaise d'Amboine et dont l'une est estimée 1200 francs.
Nous ne parlerons des bois d'olivier que pour dissuader
l'Algérie de leur attacher quelque importance. La culture de
l'olivier est une de celles qui appartient le plus légitimement
à l'Algérie, comme nous le dirons en passant en revue les
produits de la classe suivante ; mais ce n'est pas comme bois
de travail que cet arbre doit être exploité.
Il en est tout autrement du chêne-liége, naturellement associé
à l'olivier dans le climat méditerranéen, mais plus méridional
que lui. L'Algérie peut en disputer l'exploitation à TEspagne,
à la Sardaigne, à Naples, à la Turquie. Les beaux échantillons
qu'elle présente prouvent qu'elle est bien en position de sou-
tenir cette concurrence.
On sait que c'est à l'âge de 40 ans que le chêne-liége a
acquis une valeur commerciale; à partir de cet âge on l'exploite
de dix en dix ans, et chaque arbre donne, en moyenne, 50 ki-
logrammes de liège à 40 ans, 100 kilogrammes à 100 ans.
tOS VISITE
La Corse et notre département du Var, sur une étendue de
deux à trois myriamètres, de la Seyne à l'embouchure du Var,
possèdent des chênes-liéges. L'Aleérie, pour ce produit comme
pour tous les autres, peut continuer et développer notre Pro-
vence au delà de la Méditerranée.
La quantité de liège importée en France est considérabie ;
elle s'élève à 365 000 kilogrammes en liège brut, et à
I 472 000 kilogrammes en bouchons et liège ouvré. La pres-
que totalité de cette dernière importation est faite par l'Espa-
gne ; les Étals sardes, puis l'Espagne ont la plus grande part
dans l'importation du liège brut. Les bouchons pour vins de
(Champagne se vendent à raison de 30 à 120 francs le mille ;
les bouchons pour vins de Bordeaux, valent de 18 à iO francs.
Rien n'est petit en industiie, et l'Algérie peut se laisser
tenter parlesbénélices que promettent ces chiffres d'importa-
tion et ces prix de vente.
Après les bois et peut-être avant eux se placent les fibres
textiles que nous trouvons si répandues à l'état d'exploitation
ou d'essais dans les expositions des colonies anglaises. Deux
idées préoccupent nos voisins • satisfaire au besoin de leur
marine, et renouveler les matières premières qui entrent dans
la composition des papiers.
Le chlore et l'eau de Javelle, si généralement employés dans
le blanchissage du linge, ont altéré profondément les chiffons
qu'on emploie à la fabrication du papier. De nombreux efforts
sont faits depuis longtemps en Angleterre, en Allemagne et
chez nous pour substituer des matières premières vierges à
ces chiffons que l'usage a réduits en filaments ténus, sans rési-
stance, sans cohésion, en véritable poussière. M. Yelli. notre
compatriote, s'est occupé de cette question depuis 1836, et la
nouvelle industrie lui doit de remarquables progrès.
Toutes les colonies anglaises s'ingénient à trouver de nou-
velles substances propres à renouveler les anciennes fibres.
On peut remarquer les fibres de bananier, le chanvre de Ma-
nille et une matière dont on se préoccupe beaucoup depuis
quelque temps, sous le nom de China grass.
Le bananier e^t l'objet d'études fort sérieuses à la Jamaïque
et surtout à la Guyane anglaise. D'après les calculs faits, dans
cette dernière colonie, par un propriétaire qui a Texpé-
rience de dix ans de culture, sur une surface de 200 hectares.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 209
on trouve qu'en exploitant le bananier exclusivement pour sa
fibre textile et en négligeant son fruit, on peut obtenir, en
deux ans, après trois coupes de h'jit en huit mois. 1 1 250 tiges
environ par hectare. Chaque tronc pèse de 33 à 34 kilogram-
mes, et toute sa partie solide consiste en fibres reliées entre
elles par du tissu cellulaire. Celte partie solide forme le dixième
du poids du tronc ; l'eau y est contenue dans la proportion de
90 pour 100, et l'on retire 1 kilog. 134 de fibre texlde propre,
et 681 gr. de fibre décolorée. On récolterait donc tous les
deux ans par hectare de 20 à 21 000 kilogrammes de matière
textile, dans lesquels les fibres propres figureraient pour
12 ou 13 000 kilogrammes, et les fibres décolorées pour
7 ou 8000 kilogrammes.
L'entretien d'une plantation de bananiers coûte 750 francs
pour les deux ans ; Tenlèvement et le transport des tiges à
l'exploitation s'effectuent à raison de 5 francs pour 100 tiges,
soit 562 fr. 50 cent, pour ces opérations durant les deux ans.
Le total des frais d'exploitation s'élèverait donc à 1312 fr.
oO cent, pour une récolte de 11 250 troncs fournissant de 20
à 21 kilogrammes de fibres textiles. Cela porte à 11 centimes
et demi le prix de revient du tronc, et à 6 cent. 4 celui du
kilogramme de fibres.
Pour l'extraction de la fibre du bananier on a imaginé di-
verses machines, et un large projet est maintenant présenté
par M. Sharp, de Londres, qui propose de consacrer une
somme importante à construire un système complet de ma-
chines, et à organiser une usine en grand pour exploiter la
libre du bananier à la Guyane anglaise. L'industrieuse An-
gleterre saura, sans doute, tirer du bananier tout le parti
possible, mais la nature de la fibre permet de douter qu'on
puisse jamais l'utiliser pour des tissus d'une finesse même
moyenne.
Quant au China grass^ il en est autrement ; c'est une ma-
tière première qui a certainement le plus bel avenir ; les fils
en sont blancs, brillants, lustrés et solides; ils peuvent at-
teindre une grande finesse, se laissent facilement teindre, et
prennent les nuances les plus délicates.
Mais qu'est-ce que ce China (^rass? L'histoire en est curieuse
et instructive.
11 y a dix ans, en avril 1845, le savant professeur de Cul-
20G n
âfO VISITE
ture du Jardin des Plantes, M. Decaisne, publiait une note
sur une plante économique, nouvelle pour l'Europe, exploitée
depuis un temps immémorial en Chine et dans quelques par-
lies de l'Inde, où sa fibre donne des étoffes d'une finesse,
d'une blancheur, d'une solidité comparables à celles des plus
beaux tissus de lin. Cette plante était le Ramie, VUrtica ou
Bœhmerîa ulilis des botanistes.
Cinq ans plus tard, le même savant envoya des échantil-
lons de filasse de Ramie au ministre du commerce, en le priant
de charger une commission de filateurs de se prononcer sur
la valeur industrielle de cette nouvelle matière. L'examen fut
superficiel de la part de certains commissaires ; les autres
reconnurent à la plante quelque mérite; mais la chose en
resta là.
Cependant M. Decaisne obtint des graines de VUrtica
utilis, apportées de Chine par M. le capitaine de vaisseau
Freycinet, Semées au Muséum, sous un climat beaucoup plus
froid que celui de leur pays d'origine, ces graines donnèrent,
en pleine terre, des tiges do 1 mètre et demi de hauteur. Des
plants en furent envoyés à la pépinière d'Alger, à celle de
Biskra et au Gabon. Peut être les beaux échantillons qui figu-
rent au Palais de l'Industrie, dans l'exposition de l'Algérie,
viennent-ils de là.
En '1852, des instances auprès du ministre de la marine
obtinrent qu"on tenterait la culture du Ramie dans nos colo-
nies intertro[)icales et en parliculier à la Guyane. L'expérience
n'a pas encore été essayée.
Consulté, en 1853, sur l'opportunité qu'il y aurait à intro-
duire, dans le Midi et en Algérie, une certaine plante oléifère,
l'Argan du Maroc, dont on faisait beaucoup de bruit, M. De-
caisne répondit au ministre de la marine qu'il n'y avait rien
à attendre de cet arbre, et profita de l'ouverture pour recom-
mander encore la culture du Ramie. On distribua les graines
de l'Argan aux pépinières de l'État ; on laissa le Ramie en
Chine et à Java, qui nous en montrent à l'Exposition de ma-
gnifiques spécimens.
Importée depuis peu en Angleterre, une certaine filasse y
fait fureur ; l'exposition universelle de Londres a enthousiasmé
en sa faveur les industriels et les jurys : on la désigne sous le
nom de China grass.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 2H
Ce China grass est tout simplement le Ramie,cet Urtica uti-
Us qui n'a pu être prophète chez soi et qui fera peut-être son
chemin, maintenant qu'il nous vient d'ailleurs.
Il n'y a plus d'hésitation sur la valeur de cette précieuse
ortie : la Chine l'emploie, depuis les époques les plus reculées
de ses anciennes dynasties, à fabriquer des tissus renommés;
les Indes orientales l'exploitent dans le même but, et l'on sait
qu'au xvr siècle elles vendaient à l'Europe des étoffes faites
avec cette plante, que les Hollandais préféraient aux étoffes de
lin ; la matière première fut elle-même reçue en nature dans
les Pays-Bas, et servit à y fabriquer une sorte de batiste ou
mousseline. Les indigènes des Moluques et des grandes îles
de l'archipel indien emploient aussi le Ramie pour tissus,
cordages et filets, et des expériences exécutées récemment
avec le plus grand soin par ordre du gouvernement hollan-
dais, ont m.ontré que la quantité de fibres obtenues du Ramie
dépasse le rendement du meilleur lin ; que la ténacité de ces
fibres est plus grande que celle du lin et du chanvre; que leur
blancheur et leur beauté éclipsent celles du lin.
Suivant la commission hollandaise, cette substance si re-
marquable pourrait être apportée sur les marchés d'Europe
en grande quantité, et vendue de 1 fr. 20 à 1 fr. 60 le kilo-
gramme, prix du meilleur lin. Il y aurait là, pour les posses-
sions hollandaises de l'Inde orientale, une place importante à
prendre dans le commerce d'importation. Il n'est pas douteux
que cette plante ne réussît à Pondichéry, à Cayenne, et même
en Algérie, dans les marais de la Calle, par exemple, où vé-
■cales,
gètent spontanément quelques plantes des régions [Iropi-
Dans leur impatience de régénérer leurs fibres textiles pour
améliorer leurs papiers, les Anglais avaient cru trouver une
nouvelle matière excellente et toute prête; c'étaient les
langes des momies que renferment tous les sarcophages d'E-
gypte. Un essai fait à Londres, en 1847, avec quelques-unes
.de ces bandelettes et toiles de lin, donna des papiers et des
bristols admirables. On calcula que les tombeaux d'Egypte
pourraient bien fournir 20 millions au moins de quintaux mé-
triques de tissus de lin, et qu'il y aurait une belle matière à
produire et de beaux bénéfices à faire si l'on mettait en pâte
è papier les bandelettes et la cendre des morts. Des industriels
212 VISITE
proposèrent au vice-roi de lui acliPter ces dépouilles des
tombeaux anciens; il est probable qu'ils attendront longtenif.s
une réponse favorable.
Le caractère des colonies hollandaises est tout autre que
celui des colonies an^^Iaiies. Les fibres textiles, et en parti-
culier le Ramie, y figurent encore avec quelques bois, mais
leurs produits, extrêmement variés, comprennent surtout
des épices admirables, de belles matières tinctoriales, des
cafés et des thés. Le caractère y est cosmopolite.
Le trophée (]ui réunit, dans l'axe de l'Annexe, toutes ces
récoltes des colonies néerlandaises , traduit bien le caractère
du pays et du peuple. Ces caisses, ces tonnes, ces ballots .
ces sacs, n'ont pas été préparés pour le jour de l'Exposition ;
ce sont les enveloppes habituelles dans lesquelles le com-
merce hollandais livre au monde les produits de son sol colo-
nial. On y sent la mer, le goudron , tous les parfums du bord,
îl semble que le navire vient d'entrer dans le port et qu'on
vient de viJer la cale sur le pont. De ce tonneau défoncé
s'échappent par milliers les noix du muscadier ; celte caisse
forcée montre les magnifiques cylindres de la cannelle; ce
baril ouvert jette , com.me une corne d'abondance, de super-
bes cubes d'indigo; cet autre verse les minces feuillets de
la gomme-laque. Voici du poivre , du café, du thé, des clous
de girofle dans cette coupe indienne. Cette balle évenlréecsl
toute pleine des fibres du Ramie, dont un écheveau est sus-
pendu à l'angle de cette caisse. De ce côté, s'ouvre une boite
de cigares; de cet autre, se montrent de belles feuilles de la-
bac de Hollande. Il y a dans ce fouillis de richesses , dans ce
chaos de matières brutes qui donnent l'existence à mille in-
dustries, une sorte de sentiment de sa valeur; cela respTo
l'intelligence du producteur, l'art du commerçant, rartivit.é
de ce grand peuple, autrefois le maître des mers, qui sut si
bien tirer échange de tout, encaquer ses harengs, Iroquei
ses tonnes infectes contre des tonnes d'or. Rien, dans le Pa-
lais de l'Industrie , n'a plus de dessin , de couleur et de vie,
que ce trophée dans lequel s'engagent les plis du drapeau na-
tional , comme poussé par le vent de mer.
Par ses productions, Ceylan se rattache au groupe hol-
landais des îles à épices, et c'est aussi ce caractère que pré-
sentent la plupart de nos colonies françaises. On remarque
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 213
entre autres produits, le rocou de notre Guyane , matière co-
lorante, d'un jaune rougeâtre riche ; les gommes du Sénégal ,
l'huile de palme du Gabon, la vanille, le cacao, le café de
lile de la Réunion , le café de la Guadeloupe.
Les épices ont eu, chez les peuples anciens, une très-
grande importance comme condiments et agents digestifs;
elles ont aussi été Irès-recherchées par les peupl s modernes ,
jusqu'à ce que le café et le thé aient pris une partie de l(Hir
rôle.
La France importe environ 146 000 kilogrammes de can-
nelle , dont 134 000 désignés comme venant de Chine.
La muscade a été inti-oduite de Batavia à l'île de France
en 1753, et plus tard à Cayenne. Nous en importons à peu
près 5 ou 6000 kilogrammes sans coques, 2 ou 3000 kilo-
grammes avec coques, et 6 ou 700 kilogrammes de macis,
sorte de réseau à larges mailles qui enveloppe la noix. L'An-
gleterre en a fait de.s plantations considérables à Sumatra
et au Bengale; elle en consomme environ 10 000 kilogrammes
l)ar mois.
La culture du giroflier, d'abord confinée dans les Molu-
ques, fut importée, en 1770 , à l'île de France, par le célèbre
Poivre; puis se répandit à Bourbon, à la Martinique, à
Saint-Domingue, à Cayenne. La France importe annuelle-
ment 233 OuO kilogrammes de clous de giroQes , qui ne
sont autre chose que des fleurs et des ovaires non fécondés ,
et 133 000 kilogrammes de griffes ou grappes qui portent les
fleurs.
Le poivre noir est d'une consommation beaucoup plus
étendue. Nous en recevons 2 millions et demi à 3 millions
de kilogrammes, fournis, pour la presque totalité, par les
Indes hollandaises et anglaises.
11 ne faut pas croire que le commerce des épices soit une
question de peu d'importance; il a troublé la paix du monde,
ensanglanté l'Océan, et c'est par lui qu'ont été ouvertes les
mers des Indes. Aujourd'hui si vulgaires, les épices fines ont
été d'abord réservées au luxe le plus délicat ; elles ont donné
leur nom à certaines redevances judiciaires ; sous François I*''
et Henri IV, la corporation des marchands d'épices avait le
second rang, immédiatement après celle des drapiers. Son
domaine était alors bien limité , et n'avait pas encore envahi,
âl4 VISITE
comme aujourd'hui, à peu près tout ce qui peut se vendre en^
petit détail.
En dehors des produits que nous venons de passer en re-
vue, comme étant les plus remarquables de cette classe et
comme caractérisant l'état ou les tendances commerciales
des peuples, nous ne voyons guère à citer, pour mémoire,
que les fourrures de bêtes fauves exposées en si grand nom-
bre par les Indes anglaises et l'empire ottoman.
Nous terminerons par quelques observations sur une indus-
trie qui s'annexe à la production des bois, et prend une im-
portance de premier ordre dans Fétat actuel de notre écono-
mie forestière; nous entendons parler des procédés de con-
servation des bois de M. le docteur Boucherie,
L'exposition de M. Boucherie comprend deux parties : des
modèles de chantiers sur lesquels il prépare les bois qu'il s'a-
git de conserver, et des pièces de bois qui démontrent l'ef-
ficacité de sa méthode de pénétration : le procédé et les ré-
sultats.
Le procédé est simple, les frais de matériel sont presque
nuls. Une corde serrée à l'extrémité des pièces de bois y
forme un réservoir dans lequel est conduit , par un tube en
caoutchouc , le liquide d'injection qui s'écoule d'une cuve
soutenue à une certaine hauteur par un petit échafaudage.
La pression suffit pour engager le liquide dans la pièce de
bois et la pénétrer.
Une bille de hêtre , de 70 centimètres de diamètre, fendue
de manière à laisser voir le bois dans toute sa longueur et
jusqu'au cœur suivant le rayon , montre que la pénétration
est complète dans les deux sens.
Quant à la sûreté du procédé et à sa valeur pratique, une
démonstration nous en est donnée par deux ordres de faits
qui ne laissent subsister aucune ombre de doute. Ces faits
sont les traverses de chemin de fer, et les poteaux des lignes
télégraphiques exposés par l'inventeur.
Six traverses de chemin de fer avec leurs coussinets ont
été retirées de la voie, après huit années d'un séjour consé-
cutif dans la terre, et sont aujourd'hui au Palais de l'Indus-
trie.
Une de ces traverses était de bouleau non injecté; elle a
ubi une altération profonde, elle se décompose et tombe en
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 215
pourriture. Ses voisines , qu'on avait laissées aussi à l'état
naturel, comme terme de comparaison, n'ont pu être re-
trouvées, ou bien ont laissé à leur place une masse plus ou
moins saisissahle de terre et de matière organique, du ter-
reau au lieu de bois.
Les autres traverses de bouleau, de hêtre, d'aune, de
charme et de pin , pénétrées par le liquide conservateur, sont,
après un semblable service de huit années, parfaitement
saines, même à leurs parties les plus superficielles, qui ré-
sistent absolument comme le bois frais, quand on cherche à
les entamer avec le couteau.
Or, après un séjour de huit ans dans la terre, les traverses
du meilleur chêne sont déjà en voie de décomposition ; les
coussinets n'y sont plus solidement fixés , parce que les che-
viliettes ne peuvent plus serrer dans un bois altéré et ra-
molli; il devient indispensable de les changer de place.
Le même résultat n'est pas moins évident sur les poteaux
des lignes télégraphiques. Ceux que M. le docteur Boucherie
expose ont été retirés au mois de juin dernier, après un ser-
vice de neuf années : ils sont aussi sains qu'au jour de leur
mise en place. On ne peut apercevoir la moindre modification
appréciable sur les lamelles des couches les plus extérieures;
il n'y pas la plus légère différence de texture ni de solidité
au point où la partie aérienne du poteau s'unit à la partie
souterraine.
Nous citons ces faits, parce qu'ils sont le résultat d'appré-
ciations officielles qui mettent hors de toute contestation l'effi-
cacité de la méthode du docteur Boucherie. D'importantes
applications industrielles de ce procédé ont déjà été faites.
Aujourd'hui, tous les poteaux des lignes télégraphiques,
sans exception, ont été préparés ainsi; ils sont au nombre
de deux cent cinquante mille , et n'ont coûté à l'État qu'en-
viron 2 millions de francs, ce qui les met au prix moyen
de 8 francs pièce. Un examen récent a prouvé qu'ils n'ont
subi, après neuf années de service, aucune espèce d'altéra-
tion.
Si ces mêmes lignes eussent été construites en poteaux de
chêne, comme l'avait été la ligne primitive de Rouen, les
frais de premier établissement auraient été doublés, et la du-
rée eût été réduite à cinq années. L'adoption de ces bois a
216 VISITE
donc déjà permis à l'État de bénéficier de 2 millions au
moins sur les frais d'inslallation , et d'une somme presque
égaie sur les frais d'entretien.
Les administrations des chemins de fer ont été plus lentes
à adopter pour traver.-^es les bois préparés ; il leur fallait des
garanties de durée que l'expérience et le temps pouvaient
seuls leur donner. C'est à 1847 que remonte la première four-
niture; elle était de vingt-cinq mille billes, que la compagnie
du Nord fît placer sur la voie de Cieil à Saint-Quentin. Depuis
cette époque, et jusqu'à la fin de 1854, les commandes di-
verses n'ont pas dépassé cent mille traverses. Cette année, il
en a été demandé deux cent mille qu'on prépare actuellement
sur vingt chantiers étabfs dans les départements des Arden-
nes, de l'Oise, de l'Aisne, de la Marne, de la Seine-Infe-
rieure , de la Loire-Inférieure , etc.
La marine aussi a songé à utiliser la découverte : sept cents
stères sont à l'essai.
Les faits sont décisifs, et nous n'hésitons pas à dire que ja-
mais lasciencL» n'adonné à la pratique un procédé plus simple,
moins coûteux et plus certain.
Tous ceux qui se préoccupent des questions d'intérêt pu-
blic peuvent j^révoir l'avenir et Timportance de cette nouvelle
industrie; il suffit de mettre en parallèle l'état de notre pro-
duction et celui de nos besoins.
On sait, en effet, que les forêts ont été depuis quelque
temps dépeuplées ou défrichées de manière à diminuer dans
une proportion considérable les ressources de l'avenir. Le dé-
peuplement a surtout porté sur le chêne, auquel on a toujours
donné la préférence, pour les travaux des villes, sur toutes les
autres essences. La production de toutes les forêts est de onze
cent mille stères au-dessous de la consommation. Nos états
de douane de 1833 constatent l'entrée en France de bois de
toute sorte, pour une valeur de vingt-huit millions de francs.
D'un autre côté, en négligeant la consommation des bois
pour tous les services, et en ne considérant que les besoins des
chemins de fer pour la construction et l'entretien de leurs
voies, on trouve que, très-prochainement, il aura été placé
sur toutes les voies établies, vingt millions de traverses qui
devront être renouvelées en totalité tous les dix ans; à 6 fr. 50
en moyenne par traverse, c'est une dépense décennale de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 217
130 millions de francs. Il ne sera plus possible de fournir à
cette immense consommation qu'au moyen des essences
tendres ; et ces essences ne peuvent être employées qu'après
avoir subi une préparation eificace.
La question que résout l'ifivention du docteur Boucherie est
donc des plus importantes. Nous sommes certains que le jury
usera de tous' les moyens de contrôle et d'enquête qu'il a à sa
disposition pour juger, en dernier ressort, du mérite réel du
procédé, et éclairer enfin le public sur la valeur comparative
des différentes méthodes proposées dans le même but.
Les ingénieurs anglais suivent avec une grande anxiété l'in-
vention de notre compatriote. Espérons que l'histoire de la
conservation des bois ne fera pas pendant à l'histoiredu Uamie.
Vue analogie très-lointaine, une analogie de nom seule-
ment, nous conduit à dire un mot d'un produit exposé par
M. Meyer, de Hambourg, sous le nom de bois-marbre. Nous
avions supposé d'abord qu'il s'agissait ici de procédés d'in-
jection des bois; il n'en est rien. Ce bois-marbre paraîtêtre
simplement obtenu par l'agglutination de la sciure de bois,
d'ivoire, dos, etc., à l'aide d une pâte, d'une sorte de mastic.
On peut donner à la masse toutes sortes do nuances, de ma-
nière à imiter les marbres, les bronzes, les bois, et il est fa-
cile de comprendre que cette masse peut, avant sa solidifi-
cation, recevoir ainsi toutes sortes de formes par le moulage,
le coulage ou autres procédés. Elle reçoit d'ailleurs un beau
poli et ne manque pas d'effet, comme le montrent les meubles
fabriqués avec cette matière qui n'a rien de commun, on le
voit, avec les procédés d'injection et de conservation.
CLASSE m.
Agriculture, y compris toutes les cultures de végétaux,
et d'animaux.
Dans aucune classe les produits ne sont plus variés que
dans celle-ci; dans aucune ils ne sont, non plus, aussi inté-
218 VISITE
ressants. C'est là que se trouvent nos aliments et nos vête-
ments, la base la plus large de notre industrie et de notre
commerce.
Au milieu de cette innombrable diversité de produits, il en
est quelques-uns qiii se distinguent cependant et par leur im-
portance même, et par la beauté exceptionnelle de leurs re-
présentants à l'Exposition, et par l'étude qu'ils provoquent
dans l'intérêt de notre pays.
Les céréales, les laines et les cotons prennent le premier
rang, à une grande dislance des autres produits qui pourront
nous occuper; nous leur conserverons dans notre examen la
place et l'importance qu'ils prennent au Palais de l'Industrie.
în'ous parlerons ensuite de la production d'un engrais désigné
sous le nom de guano de poisson , puis d'une collection d é-
chantillons des sols arables et des sous-sols de l'arrondisse-
ment de Valenciennes, dans lesquels se révèle l'existence d'un
des plus précieux amendements que puisse réclamer l'agricul-
ture. Nous aurons enfin quelques mots à dire sur un atlas agri-
cole qui paraît des mieux entendus et doit être des plus utiles.
Nous toucherons ainsi, par les points les plus saillants, à
chacune des granJes catégories que comprend celte classe ;
questions de constitution du sol, études statistiques, produc-
tions de la terre et des animaux domestiques; nous aurons
ainsi essayé d'embrasser, sinon d'épuiser le vaste ensemble
qui se présente à nous si compliqué de détails.
Une exposition particulière, celle de l'Algérie, fixera plus
spécialement notre examen, comme elle attire les yeux des
visiteurs par la place qu'elle occupe et qu'elle remplit si bien
au centre de la galerie annexe. C'est une personnalité qui se
révèle avec éclat ; il importe d'apprécier ses tendances et
de chercher comment s'établit, entre elle et la métropole,
l'harmonie d'efforts qui doit tourner au profit de toutes
deux.
Sous le rapport des céréales, l'Algérie tient la tête à l'Expo-
sition. Ses blés durs sont magnifiques, et ceux de la colonie
agricole de Saint-Louis sont remarquables entre tous par leur
qualité générale et uniforme. Les richelles de Naples que nous
montre l'Algérie sont bien supérieures aux plus belles que Na-
ples nous ait jamais données. Grâce à la nature de son climat,
l'Algérie peut avoir achevé sa récolte en mai et juin, l'expé-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 21^
dier en France dès le mois de juillet. Nous pouvons donc
juger sa récolte de 1855 : blés et orges sont très-beaux.
On peut surtout admirer des blés d'Abyssinie et une orge
de même provenance, plus hâtive que les nôtres d'un mois.
Ces grains proviennent d'un envoi fait par Shimper au Muséum
de Paris, qui les a ensuite distribués aux différentes pépi-
nières d'Algérie. Celle de Biskra seule a compris l'importance
de ce don, et a cultivé les nouvelles plantes avec un soin que
le succès couronne.
L'intelligence et la persévérance peuvent tout attendre de
la fécondité du sol algérien, signalée par des prodiges d'une
végétation depuis longtemps proverbiale. Pline raconte qu'Au-
guste reçut, de cette partie de l'empire, une belle gerbe de
blé formée par quatre cents tiges s'élevant d'un seul pied. Une
autre, de trois cent soixante épis nés d'un seul grain, fut of-
ferte à Néron. Shaw rapporte avoir vu un pied de froment
garni de cinquante chaumes, et avoir appris qu'un gouver-
neur de province en avait reçu un qui en portait cent vingt.
A l'exposition de 1849, nous avons vu deux pieds de blé por-
tant, l'un cent vingt-deux, et l'autre cent cinquante-deux épis.
Des grains d'orge ont rendu jusqu'à trois cent douze épis. Il y
a, dans cette terre algérienne, une fécondité latente accumulée
par le repos, qui lui rend tous les avantages de la virginité.
Ce n'est pas seulement par la qualité de ses céréales que
notre colonie se dislingue, c'est aussi par le développement
que cette culture prend, pour le plus grand bénéfice de la co-
lonie elle-même et de la mère-pairie. 11 y a quelques années,
l'Algérie tirait de l'étranger la majeure partie du blé et de la
farine de sa consommation ; depuis que la loi dedoua^nes lui a
ouvert nos ports, elle a fourni à la France un excédant de
consommation important. En 1 853, elle nous a vendu près d'un
million d'hectolitres de céréales ; en 1 854, elle a exporté, prin-
cipalement pour l'armée d'Orient, près de 2 millions d'hecto-
Utres de blé et d'orge, 2 300 000 kilogrammes de farine, et
plus de 2 millions et demi de pain et biscuit de mer.
On estime que les blés tendres y pèsent régulièrement de
80 à 85 kilogranmies l'hectolitre, au lieu de 75 à 76 kilogr.
qu'ils donnent chez nous. Les prix auxquels se sont vendus
les blés en Algérie, au mois de mai dernier, alors qu'ils at-
teignaient leur maximum de cherté en France, montrent
220 VISITE
aussi quelles ressources promet à l'avenir l'extension de la
culture des céréales dans notre colonie africaine ; l'hectolitre
a valu lo francs en moyenne; les prix extrêmes ont été
Il fr. 50 et 20 francs.
Si jamais culture a été indiquée par la nature à l'homme,
c'est bien certainement celle des céréales en Algérie. Il est
inutile d'ins'ster pour montrer que c'est aussi dans cette cul-
ture que la France trouvera le secours le plus utile que puisse
lui prêter sa colonie.
Outre sa collection de céréales, et en particulier de fro-
ments, la p'us belle de l'Exposition, l'Algérie nous montre en-
core de jolis 1ms en graines, de magnifiques oranges et citrons,
de belles plantes fourragères. Ses luzernes et la richesse de
ses prairies nous font rêver, pour l'Algérie, une bien grande
prospérité par Télevage des animaux domestiques. Nous re-
viendrons tout à l'heure sur cette grave question.
Auprès de l'Algéiie, mais au-dessous d'elle, se place l'Au-
stralie pour la qualité de ses grains. Puis vient le Canada qui
se distingue par un ensemble de produits de premier choix, les
seuls qu'il ait exposés, et qu'il a merveilleusement exposés. Les
blés sont extraordinairement remarquables; les avoines sont
très-belles; les pavots pour l'exiraction de l'huile, les pois
gris pour fourrages sont admirables. Voilà deux grandes co-
lonies que le Royaume-Uni peut montrer avec orgueil au reste
du monde. Si nous pouvons leur opposer l'Algérie sous le
rapport de la qualité des céréales, elles reprennent le dessus ,
Tune pour ses bois, et l'Australie pour ses laines dont nous par-
lerons bienlôL II est vrai que notre établissement africain est
de date plus récente ; mais le temps n'est pas l'élément qui
nous a manqué, ni celui qui a décidé du succès des colonies
anglaises dont nous parlons : nous dirons plus loin comment
.s'explique la situation.
Deux produits distinguent surtout l'exposition de l'empire
autrichien : les céréales et les vins. Quelques récoltes d'une
importance secondaire y figurent aussi avec honneur , et
nous citerons les plus remarquables.
Les blés et surtout les seigles de la Bohême, les houblons des
mêmes provinces, les maïs de Hongrie et de Styrie, les orges
de Hongrie, et, entre autres, celles de Deutsch-Kreutz et des
Bénédictins de Saint-Martinsberg; tels sont les produits qui
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 221
SB placent iiu ])remicr rang dans l'immense variété de produits
de cet immense empire.
Les houblons de Bavière et surtout les très-beaux échan-
tillons belges de Poperingue, le disputent aux houblons de
Bohème. Aux beaux maïs de Hongrie et de Siyrie, on peut
opposer ceux d'Algérie et de Portugal. La Suède aussi nous
montre quelques maïs hâtifs qu'on s'étonnerait de trouver
dans un pays aussi septentrional, si l'on ne se rappelait qu'un
été court, mais chaud, suffit à la maturation de ce grain. Les
seigles, les avoines, mais particulièrement les blés de la Suède
sont d'une qualité supérieure; la pesanteur annoncée des blés
est bien extraordinaire ; on la porte à 8i kilogrammes l'hec-
tolitre.
Quelques blés tendres d'une belle qualité, de jolis seigles
et des orges tout à fait hors ligne , caractérisent l'exposition
agricole du Danemark.
La Belgique tient une belle place par les produits de sa grande
culture, et ceux de sa culture de plantes industrielles. Elle
offre en très-beaux échantillons , des houblons, des blés ad-
mirables, des lins très-remarquables de Courlray et de Ter-
munde, un sarrasin argenté de la Campine, le seigle de Rome,
qui fait son chemin dans cette Sologne belge que les efforts
persévérants du pays gagneront à la culture, pour le plus
grand bien d'une population nombreuse.
La Hollande présente peu de choses : une petite collection
de haricots; une grande collection de blés étrangers insuffi-
samment instructive, faute d'étiquettes correctes. C'est dans
son sol colonial que se trouve la richesse agricole de la Hol-
lande; son territoire européen est surtout occupé par un ma-
gnifique bétail élevé spécialement en vue de la laiterie.
Le Portugal a une belle série de blés, et surtout des blés
rouges très-fins. Ses seigles sont de qualité moyenne; ses
orges, médiocres, sont bien au-dessous des orges autrichiennes
et danoises. Ses riz sont assez fins, et pourraient prendre un
très-beau rang, si la chambre de commerce de Lugano n'avait
présenté une magnifique collection de riz de premier mérite.
Des amandes, des figues sèches d'une qualité supérieure,
des gesses, des lupins et surtout des pois chiches d'une éton-
nante beauté, complètent l'exposition du Portugal dans ce
qu'elle offre de plus saillant.
222 VISITE
La Grèce a d'assez belles vesces, une assez jolie collection
de blés durs, et de beaux sésames. Le miel du mont Hymelte
qu'elle expose, est très-beau et excellent, dit-on; l'agriculture
reste ainsi fidèle aux traditions des poêles.
Les blés de la Turquie sont très-beaux, mais sales ; il faut,
toutefois, en excepter ceux de Candie, dont tous les produits
sont supérieurs, et par la qualité et par la netteté des échan-
tillons. En général, les orges et les riz ont été mauvais en
Turquie; les avoines et les sorghos médiocres, les maïs bons.
Quelques produits particuliers appellent aussi l'attention sur
l'exposition turque : des anis, des pistaches et des châtaignes
superbes, de beaux sésames d'Andrinople, des mûres blan-
ches, séchées, d'un usage général parmi les femmes turques,
et assez bonnes, à ce qu'il paraît. Le miel d'Angora est infé-
rieur à celui du mont Hymelte.
Nous venons d'indiquer les produits qui nous paraissent
dignes entre tous d'appeler l'examen des visiteurs pour les-
quels l'Exposition est une occasion d'études; nous avons ré-
servé, pour en parler en dernier lieu, les produits agricoles
de la France et de l'Angleterre.
L'analyse de spécimens aussi divers, aussi nombreux et
aussi importants que le sont ceux de ces deux grands pays,
est impossible ici, et serait de nul intérêt pour le but que nous
nous proposons. Une circonstance heureuse nous permettra,
cependant, de continuer, pour la France et pour l'Angleterre,
la tâche que nous avons entreprise, de comparer et de caracté-
riser l'exposition des divers peuples, sans trop étendre notre
champ, ni éparpiller nos recherches.
En effet, les produits agricoles du sol français et ceux du sol
anglais se trouvent résumés, en quelque sorte, dans deux
magnifiques collections exposées, l'une par la maison Vilmo-
rin, de Paris, l'autre pnr le département des sciences et arts,
de Londres. L'une et l'autre présentent une admirable réunion
de céréales en paille et en épis, de grains et graines pour
semence, de plantes fourragères, tinctoriales, économiques.
Les variétés sont nombreuses; tous les sols, tous les climats
y peuvent trouver les plantes qui leur conviennent.
La collection anglaise se développe sur un grand espace et y
étale des spécimens bien choisis, bien nets, dun beau volume.
La collection française compte deséchanlillons bien plus nom-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 223
breiix sur une surface moindre, et se distingue par sa richesse
exceptionnelle, surtout par la connaissance profonde des va-
riétés et leur détermination exacte. Nous ne ferons que répé-
ter une vérité bien connue de ceux qui ont étudié ces ques-
tions délicates, et mise hors de doute à chaque exhibition
nouvelle, en disant que notre compatriote est, en Europe,
l'homme qui connaît le mieux les céréales au point de vue
scientifique et praticiue.
On peut caractériser d'un mot ces deux admirables collec-
tions : celle de France est plus scientifique , celle d'Angleterre
est plus statistique.
Le département des sciences et arts de Londres a placé,
devant les vitrines de son exposition, des tableaux destinés à
faciliter l'enseignement botanique et l'étude si complexe des
céréales. Ces tableaux, parfaitement réussis, montrent plu-
sieurs espèces de divers genres décomposées en leurs parties
constitutives, de manière à faire voiries relations des organes
entre eux, et à mettre en évidence les différences caractéristi-
ques. C'eit une dissection de la plante elle-même faite par la
science au profit de la pratique, et fixée d'une manière per-
manente sur le papier : c'est un herbier analytique.
M, Vilmorin expose aussi son bel atlas indiquant les varié-
tés des plantes de culture, et présente les premières feuilles
d'un ouvrage où seront représentées les graminées utiles. Le
dessin et la couleur donnent une image fidèle de chaque
plante; l'exactitude est parfaite. De telles planches à côté des
tableaux-herbiers de l'Angleterre, simplifient l'étude des vé-
gétaux , sans lui rien ôter de sa précision scientifique, et la
rendent accessible à tous.
Nous devons mentionner, dans le même ordre d'idées, une
belle collection de graines agricoles de Carlsruhe, dont le
grand mérite consiste à présenter les types mêmes de l'ou-
vrage de Metzger sur les céréales d'Europe.
Après les plantes qui donnent à l'homme sa nourriture,
une des plus précieuses et des plus importantes est le coton-
nier ; c'est aussi une de celles dont se préoccupent le plus au-
jourd'hui les pays producteurs et les pays manufacturiers.
Il y a longtemps que l'Amérique emploie le coton comme
plante textile. Le manteau d'une momie du plateau de Tunja,
examiné par le docteur Roulin, était de coton, et partout où
224 VISITE
les conquérants pénétrèrent, ils trouvèrent le coton en pleine
culture. Ainsi, Colomb vil leco'on cultivé à Cuba, en '1492;
Cortez, au Mexique, en 1519; Pi/arre, au Pérou, en 1522; de
Vaca, au Texas et à la Louisiane, en 1536. Sir Waller Ra-
leigb, à la fin du xvi* siècle, le trouva cultivé dans la Virgi-
nie et la Caroline du nord, et il était exploité dans la Caroline
du sud et la Géorgie longtemps avant la révolution de 1776.
Ce ne fut cepen iant que vers la fin du xviir siècle que le
coton entra dans le commerce comme objet d'écbange impor-
tant. La variété sea islancl, nommée chez nous Geornie longue
soie, la plus belle de toutes les variétés connues, était cultivée
dans la Caroline du sud, dès 1790. Le champ où fut tenlé le
premier essai de culture de cette variété, renfermait la place
même où, en 1562, Jean Ribault, le pionnier des explorateurs
français en Amérique, éleva une colonne de pierre pour pren-
dre possession du territoire au nom de la France. C'est de ce
champ même que le gouvernement a tiré, pour l'Algérie, les
graines qui ont permis à notre colonie de récolter les magnifi-
ques échantillons de coton longue soie exposés au Palais de
l'Industrie.
Un autre rapprochement n'est pas moins curieux. Les plus
beaux échantillons de la Caroline du sud à lExposilion sont
certainement ceux de MM. Seabrook et Mekel ; les plus beaux
cotons longue soie de l'Algérie, récoltés en 1854 et présentés
par M. Goby, de Blidah, sont indiqués comme provenant des
graines de M. Seiibrook, de Charleslown, à qui le ministre de
la guerre les avait achetées. Si les cotons des deux prove-
nances ont entre eux tant de ressemblance, il ne faut pas s'en
étonner ; la supériorité de l'un explique la supériorité de
l'autre.
Mais ce n'est pas par le résultat même obtenu dans la qua-
lité du coton, que la question de l'opportunité de cette cul-
ture en Algérie peut être résolue; il faut, avant tout, se ren-
dre compte de l'état actuel de la production, de celui de la
consommation , et des besoins combinés de la France et de
l'Algérie,
Aujourd'hui, le premier pays producteur de colon est l'U-
nion américaine; nous avons dit pius haut que la culture de
celte plante n'y a commencé à être quelque peu importante
que vers la fin du dernier siècle. En 1747, sept balles seulement
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 225
furent expédiées de Charlestown en Angleterre ; et lorsque, en
178-4, le même port envoya en Angleterre 71 balles nouvelles,
c'est-à-dire 8 à 9 mille kilogrammes, la cargaison fut saisie
comme contrebande, sous prétexte qu'il était tout à fait im-
possible que l'Amérique eût produit une aussi grande masse de
coton.
En 1791, le total des exportations des États-Unis était d'en-
viron 86 000 kilogrammes de coton.
En 1793, il s'éleva à 3 millions de kilogrammes.
En 1820, il atteignit le chiffre de 80 millions de kilo-
grammes.
En 1840, celui de 358 millions de kilogrammes.
En 1850, celui de 448 millions de kilogrammes.
En 1833, celui de 587 millions de kilogrammes, évalués
600 millions de francs.
En soixante ans à peu près, la production, ou pour parler
plus exactement l'exportation est donc devenue près de
7 mille fois plus forte, en suivant les lois d'une progression
croissante qui ne semble pas devoir s'affaiblir.
C'est un des plus magnifiques exemples du développement
d'une industrie; c'est une des valeurs les plus considérables
que puisse jeter un seul produit du sol dans le pays produc-
teur. Et si l'on considère que la valeur de la matière brute est
au moins quadruplée par la fabrication, on arrive au total
énorme de plus de 2 milliards de francs, comme exprimant la
richesse annuelle due au coton seulement.
Quant aux bénéfices de fabrication, on peut les estimer à
1500 millions de francs , dont un cinquième tout au plus
s'applique aux Étals-Unis, le reste aux manufactures de
l'Europe : à celles d'Angleterre en première ligne, à celles de
France ensuite.
Pour l'année qui se termine au 1"'"juin 1834, l'Angleterre a
reçu 286 millions de kilogrammes ; la France a reçu directe-
ment d'Amérique, sans compter ce qu'elle peut avoir tiré de
la Grande-Bretagne , 64 millions de kilogrammes. L'importa-
tion en Espagne, par les ports de la Méditerranée, n'est qu'un
cinquième de celle de la France, et surpasse, cependant, celles
de toutes les autres puissances continentales.
Mais les États-Unis ne sont pas les seuls producteurs de
coton. Dans la campagne de 1853, où nous venons de voiries
206 0
226 VISITE
États-Unis figurer pour 587 millions de kilogrammes, TÉgypte
a produit 31 millions; les Indes orientales, 30 millions: le Bré-
sil, "25 millions; et quelques autres pays, 6 millions de kilo-
grammes.
La production totale de coton pour l'année 1853 , s'élève
donc à 679 millions de kilo:j;rammes, quantité qui représente
l'importance du marché qui s'ouvre devant la production, et
qui est bien faite pour tenter les pays auxquels leurs condi-
tions climatériques et agricoles laissent l'espoir de voir réussir
la culture de cette plante. On comprend donc que l'Algérie
ait été tentée.
Cependant la place est déjà bien prise par les pays produc-
teurs que nous venons de citer, et la marche incessamment
croissante de leur production n'indique pas qu'ils soient dis-
posés à renoncer à une culture aussi fructueuse II est vrai
que les manufactures des États Unis se développent et con-
somment une quantité de plus en plus considérable de coton,
qui s'est élevée de 1 million 200 mille kilogrammes en 1825.
à 121 millions de kilogrammes en 1853, c'est-à-dire qui a plus
que centuplé dans l'espace de 28 ans. Il est vrai encore que ce
développement des manufactures américaines est stimulé par
le désir de s'emparer de l'importation de tissus grossiers et
rustiques en Chine, et de s'assurer ainsi la consommation
d'une population de 300 millions d'individus Mtiis il n'est pas
moins vrai aussi que les conditions de culture sont exception-
nellement favorables au coton dans ce pays; que tous les
efforts d'un grand nombre d'États se dirigent naturellement
et forcément vers ragiiculture; que les terres n'y sont pas d'un
prix élevé ; que la population n'est pas assez nombreuse pour
commander la production des denrées alimentaires ; que la
main-d'œuvre n'y est cependant pas chère; que le dévelop-
pement des manufactures n'ira pas très-loin , gêné qu'il est ,
malgré la possession de la matière première et les avantages
de la navigation la plus économique du monde, par la con-
currence des marchandises étrangères sur les marchés inté-
rieurs , et gêné au dehors par le bas prix des produits avec
lesquels lutte et peut lutter l'Angleterre; déjà les fabricants
en sont à réclamer des droits protecteurs élevés, qui leur
garantissent au moins leur marché, bien que le tarif actuel
soit déjà de 25 pour 100 de la valeur. 11 est donc certain qu'il
A L'EXPOSITION UTVIVERSELLE. 227
sera bien longtemps encore de l'intérêt de l'Amérique de
produire une matière qu'il est de l'intérêt bien entendu des
peuples du continent de manufacturer et de consommer.
Ce n'est pas nous , d'ailleurs , qui sommes directement
menacés par la concurrence industrielle des États-Unis, c'est
l'Angleterre qui voudrait fabriquer assez pour s'opposer, sans
trop de sacrifices, à l'envahissement de la consommation chi-
noise par les Américains, Aussi l'Australie essaye-t-elle d'a-
jouter à la production de l'Inde, et elle expose de beaux
cotons obtenus sur son sol.
Cependant une difficulté s'opposera, en Australie, à l'exten-
sion considérable de la culture du coton , c'est le manque de
bras; et, bien que des travailleurs de divers pays, notamment
des Chinois, y soient attirés, il pourrait bien arriver pour
l'Australie ce qui est arrivé pour la Guyane anglaise.
Jusqu'en 1820, le coton a été, pour cette Guyane, le prin-
cipal article d'exportation: mais l'énorme accroissement delà
production du coton dans l'Amérique du Nord , l'abaissement
des droits sur les cotons étrangers, le prix de la main-d'œuvre,
nécessairement plus élevé avec le travail libre qu'il ne l'était
dans les États à esclaves de l'Union américaine, forcèrent la
Guyane anglaise à abandonner le coton pour le sucre.
Il y a, dans cette histoire, un enseignement pour rÂlp:érie.
Elle se trouve en face d'un concurrent aguerri, possesseur
d'une terre riche, au milieu de conditions extérieures très-favo-
rables, chez lequel le crédit est admirablement organisé, qui
a la main-d'œuvre à bas prix , des transports faciles; elle lui
oppose une population de 3 millions dindigènes et de 1 40 mille
Européens , répandue sur une surface de 40 millions d'hec-
tares, le manque de bras, le manque d'argent, le manque de
routes.
On espère cependant, parce que les variétés qui réussissent
le mieux en Algérie sont précisément celles qui rapportent
davantage, et en particulier la variété longue soie, qui obtient
toujours les plus hauts prix sur le marché. Mais il faut obser-
ver que l'emploi de cette magnifique variété est d'autant plus
restreint qu'elle est plus belle; qu'elle se paye aujourd hui
d'autant plus cher qu'elle est offerte en moindre quantité:
qu'on en récolte annuellement, en Amérique, 40 000 balles,
sur lesquelles lOOOO balles au plus, c'est-à-dire 1 million et
228 VISITE
demi de kilogrammes, entrent en France; que la métropole
ne consommerait pas la quantité tout entière produite , si
celte quantité devenait un peu considérable, et que l'Algérie
produirait ainsi pour d'autres marchés, alors que nous man-
querions peut-être de denrées beaucoup plus nécessaires. Il
faut remarquer encore qu'il est bien plus important pour notre
industrie cotonnière de fabriquer pour la grande consomma-
tion que pour la consommation restreinte.
La Guyane anglaise aussi pourrait produire d'immenses
quantités de coton, et des plus belles variétés, comme le
montrent les échantillons qu'elle expose, et comme le prouve
son passé; mais sa situation économique ne lui conseille pas
de poursuivre ce but, et elle en prend un autre.
La culture du coton, telle qu'elle se pratique dans les États
de l'Union où se récoltent les plus belles variétés, exige, d'ail-
leurs, un travail considérable et une attention de tous les in-
stants; chaque travailleur y surveille exclusivement une très-
petite surface. Or , le chiffre de la population algérienne,
comparé à l'étendue du pays, donne moins dcl habitant pour
12 hectares. Quelque négligence dans la culture porte vite
atteinte au développement et au rendement; le sol sec et sili-
ceux est nécessaire, un sol argileux est nuisible; le drainage
doit être parfait. Toutes ces conditions ne se trouvent pas
toujours réunies en Algérie.
On remarque entre les rendements attribués à l'Algérie et
les rendements des États-Unis, des différences considérables.
Ainsi, le coton Géorgie, longue soie, donnerait, en Algérie,
1460 kilogrammes de produit brut et 267 kilogrammes de
produit net, tandis qu'on n'obtient aux États-Unis que 566 ki-
logrammes bruts et 139 kilogrammes nets. La variété Loui-
siane rendrait 2005 kilogrammes bruts et oOI kilogrammes nets
en Algérie, alors qu'aux États-Unis elle ne donne que lOOoki-
loorammes bruts et 335 kilogrammes nets. Ces écarts extraordi-
naires, au bénéfice de l'Algérie, où les récoltes seraient ainsi
deux fois plus fortes qu'aux Étals-Unis, ne sont malheureu-
sement pas la conséquence de conditions exceptionnellement
favorables à notre colonie. Ils s'expliquent quand on se rap-
pelle que les rendements des cotons algériens ont été calculés
d'après les résultats fournis pas des cultures conduites avec
un soin tout spécial, sur de petites surfaces; on se tromperait
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 229
si l'on prenait ces calculs pour base d'une exploitation faite
dans les conditions ordinaires de grande culture.
Malgré toutes ces considérations, qui ne lui ont pas échappé
certainement, le gouvernement français fait tous ses efforts
pour animer et soutenir la production du coton en Algérie. Il
fournit des graines aux colons; il achète, et promet d'acheter
jusqu'en 1857, les cotons récoltés par les planteurs; il accor-
dera, jusqu'en 1859, des primes à l'exportation en France des
cotons algériens; il allouera, jusqu'à la même époque, des
primes à l'introduction en Algérie de machines à égrener; il
distribue des prix provinciaux importants; il délivrera, au nom
de l'Empereur et sur sa liste civile, un prix annuel de 20000 fr.
au planteur algérien qui aura récolté les meilleurs produits en
coton sur la plus grande échelle.
Ces encouragements produiront problablement le résultat
qu'on veut obtenir ; ils sont nécessaires au début de l'entre-
prise, et, sans eux, la culture du coton tomberait ou serait
déjà tombée ; ils ont déterminé l'ensemencement de 7 à 800 hec-
tares. On espère que les Arabes seront gagnés à la culture du
coton. Mais, même avec la certitude du succès, on se demande
si l'intérêt combiné de la métropole et de la colonie n'appelle
pas d'autres tentatives, et s'il ne serait pas plus important, aux
premiers temps de l'établissement agricole, de donner d'au-
tres cultures pour base au progrès futur. Ce que nous avons
déjà dit sur les céréales et ce que nous allons dire sur les
laines, nous permettra de répondre à cette question.
Les laines exposées au Palais de l'Industrie forment trois
groupes nettement caractérisés dans leur ensemble : les laines
longues de l'Angleterre; les laines courtes de l'Allemagne ; les
laines intermédiaires àe la France.
Les laines anglaises, classées très-méthodiquement, com-
prennent une centaine d'échantillons qui donnent une idée
très-exacte de la valeur des races ovines de l'Angleterre, au
point de vue de la toison. Toutes ces laines ne sont pas des
laines longues au même degré, mais celles dont la mèche reste
plus courte ont cependant les qualités générales des laines
longues du type anglais, et se rapprochent déplus en plus de
ce type.
En effet, la laine, pour l'éleveur anglais, est l'accessoire, la
viande est le principal ; et l'on sait que toutes les conditions
230 VISITE
qui favorisent la formation du mouton de boucherie, amènent
l'élongation du brin, nuisent à la laine courte et fine. Les
laines des races anglaises Southdoivn, Cheviot, Dorset, ne
peuvent être considérées comme courtes que relativement aux
très-longues mèches des races Lincoln^ Dishley, Cotswold et
autres ; mais elles ne sont pas réellement des laines courtes
comme l'entend la fabrication des étoffes drapées fines, comme
le sont les admirables laines exposées par l'Allemagne.
Au reste, les Anglais n'ont pjis la moindre prétention à pro-
duire chez eux la laine fine; leurs conditions agricoles, leurs
conditions sociales, l'intérêt national leur imposent l'obligation
de produire de la viande, et ils ont accepté cette situation
avec le parti pris industriel qui les distingue. De cette situa-
tion, ainsi comprise et acceptée, sont sortis d'admirables ré-
sultats. Ils ont doublé en un siècle leur population ovine, qui
monte aujourd'hui à 40 millions de têtes, comme la nôtre. Ils
entretiennent ces 40 millions do moutons sur 31 millions d'hec-
tares, tandis qu il nous faut 53 millions d'hectares pour le même
nombre de moutons. Leurs races, exclusivement façonnées
pour la boucherie, leur donnent deux fois plus de viande que
les nôtres, et sont tuées à un âge deux fois moins avancé.
Cela ne veut pas dire qu'en spécialisant ainsi leurs races
ovines et en les ramenant toutes à un même type, celui des
bêtes à viande, les Anglais n'aient rien obtenu même pour la
laine. La laine est devenue certainement plus commune; mais
elle a gagné en longueur, en vigueur, en brillant, ce qu'elle
a perdu en finesse, en douceur et en moelleux. Cette laine
longue lisse est, comme laine à peigne, admirablement appro-
priée à la fabrication des étoffes rases dont la consommation
s'étend chaque jour davantage.
Il ne faut pas croire d'ailleurs que l'Angleterre ait renoncé
pour cela à produire et à employer la laine courte. Ce qu'il
n'était pas avantageux de faire chez elle, elle l'a fait dans ses
colonies. L'Australie, 'Van Diémen et le Cap lui fournissent
de belles laines mérinos qui lui permettent d'élever sa fabri-
cation détotfes drapées presque au niveau de sa fabrication
d'étoffes rases, et d'exploiter la laine mérine peignée.
Les toisons exposées par l'Australie sont admirables de fi-
nesse; on peut leur reprocher seulement le défaut dont il est
si difficile de garantir les toisons fines, le manque de tassé
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 231
On remarque avec plaisir les laines de M. Mac Arthur, le fils
du capitaine Mac Arthur qui introduisit à Sydney le premier
troupeau de mérinos, et donna ainsi une preuve de la netteté
de vue avec laquelle il avait compris les intérêts de la colonie
et de la métropole. Les laines exposées par M. Mac Arthur
sont fournies par des moutons du troupeau même élevé par
son père , et conservé depuis dans le plus grand état de pu-
reté.
La quantité de laine fine que l'Angleterre reçoit mainte-
nant de ses colonies de l'Océanie et du Cap s'élève à plus de
20 millions de kilogrammes qui s'ajoutent aux 94 millions de
kilog. de laine que lui fournit son territoire européen.
Ce magnifique résultat obtenu en une cinquantaine d'an-
nées, a permis aux fabi icants anglais de s'exonérer en partie
du tribut qu'ils étaient forcés de payer aux autres pays pro-
ducteurs pour la laine fine dont ils avaient besoin. Ainsi la
quantité de laine que l'Angleterre demande aujourd'hui à
i'E.-pagne est trente fois plus faible qu'elle n'était au commen-
cement de ce siècle. L'importation des laines allemandes est
diminuée des deux tiers. L'importation ru^se est restée station-
naire depuis vingt ans.
Voilà les conséquences d'une amélioration bien entendue
des moyens de production ; voilà comment l'agriculture et l'in-
dustrie doivent se donner la main.
En France, nos laines les plus parfaites sont en majeure
partie intermédiaires , c'est-à-dire propres à peu près égale-
ment au peigne et à la carde , aux étoffés rases et a la drape-
rie. Cela résulte de plusieurs causes.
îsous avons songé assez tard à l'amélioration de nos mou-
tons, et nous avons porté d'abord tous nos soins sur la laine.
Les mérinos d'Espagne ont été introduits ; ils ont été alliés à
un grand nombre de nos races indigènes, et le résultat de ce
croisement a été naturellement une laine de qualité moyenne.
De plus, on a employé très-communément comme reproduc-
teurs des béliers métis qui ne pouvaient pousser à raffinement
de la toison. Dans la majorité des cas, la finesse n'était pas
d'ailleurs possible à obtenir économiquement, de sorte qu'on
a cherché à compenser la qualité par la quantité. Ceci s'est
produit même pour les mérino^ purs dont on a voulu corriger
les défauts d'organisation, grandir la taille , augmenter le
232 VISITE
poids de tonte. En un mot nous avons voulu associer la pro-
duction de la viande à la production d'une laine de grande
valeur, et nous avons réussi à rester, pour l'une et pour l'au-
tre, dans un état moyen dont il nous faudra forcément sortir.
En effet, à mesure que l'agriculture fera des progrès, elle
supprimera ses jachères , auo;mentera ses ressources en four-
rages, sentira la nécessité d'utiliser économiquement ces four-
rages en les donnant à des animaux excellents consomma-
teurs ; elle sera poussée à choisir les races de boucherie.
A mesure aussi que la population grossira , que le prix du
sol s'élèvera , les progrès de l'agriculture seront sollicités et
commandés, et toutes les conséquences que nous venons d'in-
diquer s'imposeront.
En définitive, les essais que nous faisons pour produire no-
tre état intermédiaire, transformation de la race mérine, dé-
veloppement des métis, croisement avec les races anglaises,
trahissent le sentiment de cette pression du milieu. Mais nous
nous roidirons en vain : ou bien nous marcherons résolument
dans la voie de-5 améliorations agricoles qui nous poussent à
la production de la viande pour le plus grand profit de nos
populations; ou bien nous resterons en arrière, et perpétue-
rons la gêne des producteurs et des consommateurs. L'indus-
trie comme l'agriculture est engagée dans cette question, et
nous croyons que la logique l'emportera.
Aujourd'hui, avec notre population de 40 millions de mou-
tons , nombre égal à celui que possède l'Angleterre , nous ne
produisons que 74 millions de kilogrammes de laine, dans les-
quels les laines fines ou intermédiaires figurent pour 18 à
20 millions de kilogrammes. Il ne reste donc à notre industrie
lainière que 55 millions de kilogrammes de laines communes,
très-inférieures aux lames longues anglaises. Nos fabricants
sont donc forcés d'acheter au dehors la presque totalité de
leurs laines fines, et de demander à l'Angleterre , à Andrino-
ple , à Salonique, à cent autres lieux une grande partie de
leurs laines longues. Nous rappellerons que ce produit infé-
rieur en laine , nous l'obtenons sur une surface presque dou-
ble de la surface du sol anglais, avec des animaux qui don-
nent moitio moins de viande, et sont tués à un âge double.
Qu'y a-t-il à faire pour modifier cei état de choses? Amé-
horer les moyens de production en prenant résolument le
A L EXPOSITION UNIVERSELLE. 233
parti industriel qu'a pris l'Angleterre, en spécialisant les
spéculations : à la métropole, la production des races de bou-
cherie; à la colonie algérienne, celle des races à laine fine.
Nous allons revenir sur ce point , après avoir achevé la revue
des laines exposées au Palais de l'Industrie.
Nous avons dit que les laines françaises étaient générale-
ment intermédiaires. Les toisons de mérinos purs , celles de
métis-mérinos, celles de dishley-mérinos , celles mêmes de
Rambouillet prouvent assez la vérité de cette appréciation ,
qui de^ ient bien plus exacte encore quand on étudie les trou-
peaux de la France. En effet , les éleveurs qui exposent des
toisons montrent tout naturellement leurs laines les plus fines ,
celles qui s'éloignent le plus du type intermédiaire dont ils se
contentent dans leur production courante, et qui est ainsi
bien plus général dans les troupeaux français que dans les
vitrines françaises de l'Exposition.
Deux exposants français, habitués aux succès et connus
chacun par une nature de laine particulière, sont restés fidè-
les à leur passé. M. Graux, de Mauchamp, montre ses belles
laines longues, soyeuses, exceptionnelles; M. le général Gi-
rod , de l'Ain , ses lairies de Naz , courtes , fines , qui rivalisent
avec les laines électorales. Les unes et les autres sont fournies
par des mérinos purs. Les laines de Mauchamp ont leur ori-
gine dans un accident dont l'éleveur a eu l'intelligence de
comprendre la valeur et qu'il s'applique à perpétuer dans un
troupeau de plus en plus nombreux, depuis 1828. Les laines
de Naz sont dues aux soins persévérants du propriétaire, qui
a commencé, en 1798, une sélection en vue de la finesse ,
dans un troupeau de mérinos qui s'est constamment reproduit
en lui-même.
Du troupeau de Naz aux laines de l'Allemagne , la transition
est facile: ces laines sont toutes des laines fines et courtes du
type électoral qui , de la Saxe s'est répandu en Prusse, dans
les divers États de l'Autriche et même en Russie, en Austra-
lie, au Cap et ailleurs.
L'Allemagne doit ses belles laines aux connaissances toutes
spéciales de ses éleveurs, qui ont bien compris les conditions
de la production dans un pays où la population est rare , où
les grandes propriétés se prêtent mieux à l'agriculture pasto-
rale, où la viande n'est pas aussi demandée, où l'on peut la
234 , VISITE
sacrifier à la laine. Tous les troupeaux d'où sont tirés les laines
qui figurentà l'Exposition sont nombreux, renommés, et plu-
sieurs appartiennent à la grande aristocratie. La Moravie , la
Bohème, la Silésie, le grand-duché de Posen , la Saxe ont en-
voyé d'admirables laines, non-seulement par leur finesse,
mais aussi pour le tassé et l'uniformité du brin. Nous ne pou-
vons résister au plaisir de citer, entre autres, les magni-
fiques toisons de Bohème , exposées par M. le baron de
Mundy, et qui nous semblent les plus belles de toutes celles
qui figurent au Palais de l'Industrie.
En comparant les belles laines d'Espagne à ces belles laines
allemandes dontl'ongine est pourtant espagnole, on sent de
combien l'agriculture est restée en arrière de l'autre côté des
Pyrénées. Les laines de Ségovie, les léonnaises sont dégéné-
rées et s'abâtardissent; les laines des troupeaux Churras sont
tout au plus bonnes pour matelas et pour couvertures. La
Couronne essaye de ressusciter les anciennes races du pays ;
elle emploie, dans ce but, le bélier saxon, et l'idée est bonne,
si la production de la laine superfine est celle que doit entre-
prendre l'Espagne dans les conditions où elle se trouve. Mais
le choix des iDéliers doit être mieux fait. Il est évident qu'on a
cherché surtout l'exlréme finesse, sans se préoccuper des
autres qualités de la toison , et spécialement de l'uniformité
de qualité ; il en est résulté des toisons légères , inégales et
mécheuses.
Nous avons différé jusqu'ici de parler des laines d'Afrique,
pour terminer notre revue par elles. Ces laines sont générale-
ment communes, mais elles ne manquent pas de nature dans
beaucoup de tribus arabes. La province d'Oran est la moins
bien partagée ; puis vient la province d'Alger; la province
de Constantine renferme les meilleures laines des divers
types.
Rien ne serait plus facile que d'améliorer nos laines d'Afri-
que ; de simples modifications dans l'élevage aujourd'hui tout
à fait barbare produiraient seules d'excellents effets; le croi-
sement par les béliers des races fines, ceux de Naz, de Saxe
ou de la plaine d'Arles , amèneraient rapidement la population
ovine à l'état où la peuvent désirer notre industrie et nos con-
sommateurs; les résultats obtenus déjà à la ferme d'Arbal le
prouvent de reste. De faibles dépenses suffiraient à ce but
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 235
qui ne demande , pour être atteint, qu'un peu de persévé-
rance.
L'Algérie possède 10 millions de moutons au moins qui
produisent annuellement 16 millions de kilogrammes de
laine, sur lesquels la consommation indigène prend 2 mil-
lions. Il reste donc 1i millions de kilogrammes de laine dis-
ponibles, mais d'une laine commune.
Si ces 14 millions de kilogrammes étaient de laine compa-
rable à la laine des colonies anglaises, et si nos 74 millions
de kilogrammes de laine métropolitaine égalaient les laines
des îles britanniques, outre les avantages que retireraient l'a-
griculture et les consommateurs, l'industrie trouverait à sa
disposition des qualités qu'elle demande en vain aujourd'hui
à nos producteurs. Et il est bien clair, en outre, que la popu-
lation ovine augmenîerait en France comme en Algérie. Nous
aurions plus de laine, des laines de qualités mieux appro-
priées aux besoins de notre fabrication; nous aurions en
même temps plus de viande.
De cette façon , les progrès agricoles marcheraient de pair
dans notre pays et dans notre établissement africain ; ils se
soutiendraient et se compléteraient. Ils aideraient au dévelop-
pement de notre industrie lainière , bien autrement impor-
tante actuellement que l'industrie cotonnière. Celle-ci produit
aujourd'hui une valeur de 580 millions à la consommation et
de 50 millions à l'exportation; l'industrie lainière produit
805 millions à la consommation et 116 millions à l'exporta-
tion. Mais, en outre, l'avenir s'ouvre bien plus vaste pour
l'industrie de la laine que pour lindustrie du coton.
Les céréales et les laines , voilà les deux produits qui doi-
vent servir de pivot à toute l'agriculture algérienne, dans l'in-
térêt de la France comme dans celui de l'Algérie, dans l'in-
térêt du colon et dans celui de l'indigène, qui ne peut plus
être désormais laissé en dehors de notre mouvement.
Puis l'Algérie doit concentrer entre ses mains et féconder
pour la France toutes les richesses culturales des parages
avoisinant , au nord et au sud , la grande ligne méditerra-
néenne qui s'étend de Gibraltar à la Syrie. Elle doit s'appro-
prier la culture de nos oliviers qui nous quittent , celles des
mûriers et des vignes qui s'y annexent , et les cultures com-
plémentaires qui lui sont naturellement indiquées, les tabacs,
236 VISITE
les soies, la cochenille, la garance, les oranges. Elle est ap-
pelée à remplacer pour nous l'Espagne que nous ne possédons
pas, la Provence qui se transforme.
Elle peut laisser dans le jardin d'Alger, comme curiosités
pour le botaniste, les cannes à sucre, le café et autres végé-
taux des tropiques.
On a répété bien souvent que le dernier mot de la chimie
sur les engrais est phosphate et azote, et l'expérience a prouvé
que la science est dans le vrai. Des engrais azotés très-
précieux sont maintenant offerts au commerce, mais en
quantité trop petite encore ; les phosphates sont beaucoup
plus rares. Le nouvel engrais nommé guano de poisson pro-
met une addition importante aux sources d'azote et même
de phosphate. Nous dirons quelques mots des richesses que
nous apportent ce guano de poisson et le phosphate de chaux
du Nord.
Le nom de guano de poisson ou ichthyo-guano est assez
mal choisi, en ce qu'il semble indiquer une communauté
d'origine entre cet engrais et celui qui est connu dans le
commerce sous le nom de guano du Pérou.
Ce dernier guano est le résultat de l'accumulation, durant
des siècles, des excréments d'oiseaux nombreux qui habitent
les îlots et quelques points de la côte de la mer du Sud ,
spécialement sur le littoral du Pérou. L'engrais qu'on désigne
sous le nom de guano de poisson est obtenu en traitant con-
venablement les débris de la grande pêche et les poissons si
nombreux que dédaigne la consommation , et qui sont sans
valeur commerciale.
Cet engrais a cela de commun cependant avec le guano
du Pérou, qu'il est pulvérulent, facilement transportable,
qu'il peut être employé à l'époque où le cultivateur juge
avantageux de le donner à la terre, qu'il est très-riche sous
un petit volume , qu'il emprunte sa puissance fertilisante à
une source étrangère , qu'il ne prend rien à notre sol et lui
donne le bénéfice entier de ses éléments de fécondité.
L'idée d'utiliser comme engrais les poissons et les débris
de la grande pêche n'est pas précisément nouvelle , mais
c'est récemment qu'on en a fait l'application pratique en
grand. L'honneur de cette initiative revient à un agriculteur
du Finistère, M. de Molon, qui eut plus tard pour collabo-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 237
rateur M. Thurneyssen , avec lequel il établit une usine à
Concarneau , entre Lorient et Brest, à un kilomètre environ
de Quimper. Le soin de continuer l'œuvre si bien commencée
appartient maintenant à la Société générale maritime, qui est
devenue propriétaire des procédés de fabrication de l'engrais,
et qui en expose des échantillons au Palais de l'Industrie.
Les moyens mis en usage pour obtenir V engrais -poisson
consistent à opérer d'abord la cuisson des matières tout hu-
mides, poissons entiers et débris, dansune chaudière à double
enveloppe, dans laquelle on introduit la vapeur sous la
pression de quatre à cinq atmosphères. Cette cuisson est
achevée en une heure au plus , et la substance cuite est im-
médiatement soumise à une pression très-forte. On obtient
ainsi des espèces de tourteaux qu'on divise à l'aide d'une
râpe semblable à celle qu'on emploie pour les betteraves
dans les fabriques de sucre ; puis , la pulpe qui résulte de ce
travail est soumise à une dessiccation méthodique dans une
étuve, où la reçoivent des châssis de toiles tendues, qui sont
entraînés dans un sens contraire à celui que suit l'air chaud
en mouvement. Enfin, la matière, ainsi desséchée, est jetée
dans la trémie d'un moulin , qui la réduit en poudre fine et
parfaitement sèche. Il ne reste plus qu'à l'enfermer dans des
sacs ou des barriques pour l'expédier à destination.
L'engrais-poisson sec , à l'état pulvérulent , correspond à
22 pour 4 00 du poids des poissons ou des débris de poissons
à l'état naturel.
La fabrication de cet engrais peut être alimentée par des
sources diverses. On y peut employer les débris provenant
de la préparation des sardines ; on peut pécher spécialement
pour elle des poissons qu'on néglige aujourd'hui , et qui se
montrent quelquefois par bancs immenses dans certains
parages ; on peut exploiter, et l'on exploite déjà les débris de
la préparation des morues. Une usine fonctionne à Terre-
Neuve, depuis quatre ans, à cet effet.
Si l'on considère que la pêche de la morue, à Terre-Neuve,
donne annuellement 1 400 000 tonneaux de poissons frais,
dont 700 000 tonneaux sont utilisés par les pêcheurs, et
700 000 tonneaux jetés à la mer ou sur le rivage en pure
perte, on comprendra de quel intérêt il est, pour notre agri-
culture, de recueillir ces précieux débris.
238 VISITE
Ces 700 000 tonneaux de matières restées inutiles peuvent
fournir , après cuisson , compression , dessiccation et pulvé-
risation, 140 à 150 millions de kilogrammes de l'engrais
riche qui nous occupe. C'est le chargement de 300 navires
de 500 tonneaux chacun ; c'est h fumure de plus de
350 000 hectares, à 400 kilogrammes par hectare.
Par sa composition , V engrais-poisson correspond au meil-
leur guano du Pérou : il donne 10 à 12 pour 100 d'azote et
16 à 22 pour 100 de phosphate. Son efficacité n'est pas dou-
teuse , elle est établie par de nombreuses expériences faites
par des agriculteurs. Peut-être même son action , qui sera
moins rapide que celle du guano péruvien, en raison de sa
■constitution même , sera-t-elle plus certaine et plus avanta-
geuse, mieux appropriée aux développements des plantes.
En admettant que le prix de V engrais-poisson soit de
20 francs les 100 kilogrammes, pris dans un des ports d'em-
barquement, comme l'établissait M. de Molon, les matières
fertilisantes ne dépasseraient pas le prix auquel l'agriculture
peut raisonnablement payer l'azote et les phosphates pour
faire une bonne opération. Dans ce cas même, l'agriculture
payerait ces matières moins cher qu'en achetant l'engrais pé-
ruvien. Cela prouve de quelle importance est, pour notre
agriculture, la fabrication du nouvel engrais , si supérieur à
tous les autres engrais artificiels qu'on a jusqu'ici prônés,
par sa richesse même et par la nature des produits qu'il
donne.
Nous devons quelque reconnaissance à ceux qui ont su
rendre utiles des débris négligés auparavant, et qui étaient
trop volumineux et trop lourds pour être transportés écono-
miquement à quelque distance des lieux où ils se trou-
vaient,
V engrais-poisson n'est pas un des produits les moins im-
portants de l'Exposition, bien qu'il attire peu les regards et
occupe peu de place. Nous en dirons autant du phosphate de
chaux, dont les échantillons se perdent dans la collection des
sols et sous-sols de l'arrondissement de Valenciennes, expo-
sée, comme nous l'indiquons plus haut, par M. Delanoue.
Le nouvel amendement découvert dans le Nord par M. De-
lanoue, puissant à la fois par sa chaux et par son acide phos-
phorique, occupe un bassin fluvio- lacustre qui s'étend de Bre-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 239
teuil à Aix-la-Chapelle, de Calais à Bavay. La carte géologique
de France le désigne sous le nom de Lœss; c'est ce que
M. Dumont appelle limon hesbayen dans ses belles cartes
de Belgique exposées au Palais de l'Industrie.
C'est sans doute à la présence de cette substance que la
Gaule belgique doit sa fertilité antique, car elle a formé le
sol et constitue encore aujourd'hui le sous-sol de cette
contrée.
Un exemple fera comprendre l'importance de cette couche.
On peut évaluer à 15 kilogrammes environ par hectare l'acide
phofphorique qu'enlève au sol chaque récolte de froment.
Le Lœss en contient 5/10 000. La couche arable, estimée
à 20 centimètres d'épaisseur ou "2000 mètres cubes par
hectare, pèsera 4 millions de kilogrammes qui représentent
l'énorme quantité de 2000 kilogrammes d'acide phosphorique
par hectare seulement, quantité bien supérieure à celle qu'en-
lève la récolte, et qu'entretiennent cependant les fumiers
très-phosphatés employés dans le pays : les tourteaux , l'en-
grais flamand, etc. On peut donc emprunter au Nord un
amendement extrêmement important, dont l'absence explique
en partie la stérilité de la Campine, des Ardennes , de la
Sologne.
L'obstacle qui existait à l'emploi du phosphate de chaux,
son haut prix, n'existe plus. L'administration des mines avait
déjà signalé la présence de phosphate en rognons dans la craie
du nord ; M. Delanoue vient de le découvrir en couche régu-
lière, constituant le réservoir le plus abondant d'acide phos-
phorique qu'on ait peut-être encore reconnu, ayant plusieurs
myriamètres d'étendue, 60 à 80 centimètres d'épaisseur, dans
un pays où les voies de communication sont faciles , les
moyens d'extraction et d'exportation commodes.
Après la découverte du guano, aucune découverte ne
pourrait être plus importante pour l'amendement du sol
arable.
Nous terminons en citant, dans l'ordre des travaux scienti-
fiques et statistiques, un allas destiné à résumer tous les do-
cuments généraux qui peuvent intéresser l'agronome. Cet
atlas a été conçu et exécuté par M. Nicolet, avec une intelli-
gence et un bonheur qui révèlent une inst.fuction profonde et
une grande habileté artistique. Il présente, en quatorze cartes
240 VISITE
imprimées en couleur, accompagnées de douze tableaux com-
plémentaires de texte , des renseignements qu'on ne recueil-
lerait qu'avec infiniment de peine dans mille publications
éparses et coûteuses sur les climats, la distribution des pluies,
la géologie agricole, la direction des vents, la répartition des
plantes , des animaux , des cultures , sur toutes les questions
de physique et de météorologie dans leurs rapports avec
l'agriculture.
Ces cartes se complètent l'une l'autre ; en les rapprochant
on rapproche les faits de leurs causes, et l'on fait naître de leur
comparaison des points de vue nouveaux, des explications
soudaines, des aperçus inattendus. C'est la théorie de la
pratique sous une forme simple, claire, rapidement saisis-
sable, sur des problèmes cependant très-complexes.
CLASSE IV.
Mécanique générale appliquée à Tlndustrie.
La quatrième classe comprend toutes les machines motri-
ces, et leurs applications aux opérations les plus générales,
c'est-à-dire celles qui se rencontrent dans la plupart des opé-
rations mécaniques, sans qu'elles appartiennent spécialement
à telle ou telle fabrication. Le nom de machines motrices
sous lequel on comprend les moteurs hydrauliques, les mou-
lins à vent, les machines à vapeur, ne doit point faire suppo-
ser que ces machines créent de la force ; elles n'ulihsent au
contraire qu'une portion de la puissance mécanique qui est
mise à leur disposition par la chute de l'eau, le mouvement
de l'air ou la force expansive de la vapeur : une autre portion
est perdue en frottements et autres résistances passives, et la
perte résultant de ces causes s'élève souvent à plus de la moi-
tié de ce que l'on appelle le travail moteur.
Au point de vue dynamique, la meilleure machine est celle
qui réduit cette perle au minimum : de là la nécessité d'avoir
des appareils appelés dynamomètres, qui sont destinés à me-
A L'EXPOSlTlOiN LIS'IYEUSELLE. 24j
surer le travail développé sur l'arbre moteur ou le travail con-
sommé par telle ou telle machine de fabrication.
Les dynamomètres sont dits de traction, lorsqu'ils sonl
destinés à mesurer le travail transmis en tirant, comme celui
des chevaux attelés à une voiture; ils sont appelés dyna-
momètres de rotation^ lorsqu'ils peuvent mesurer le travail
transmis à tel ou tel arbre de transmission : lorsque la puis-
sance motrice est empruntée à la force musculaire de l'homme
travaillant à la manivelle, on se sert d'un appareil de même
nature qui prend le nom de manivelle dynamoméîrique.
Comme dynamomètres de traction , ceux de M. le général
Morin paraissent avoir le monopole de la précision, en ce qu'ils
enregistrent par un trait ineffaçable tous les efforts exercés
par l'attelage, quelles que soient leurs variations. Le dynamo-
mètre anglais de Bentaaln'a pas la même exactitude, mais son
montage sur un avant-train bien disposé lui permet d'être
très-commodément employé pour les expériences de traction
sur les charrues. Le nouvel avant-train disposé sur l'appareil
de M. Morin a été emprunté à l'excellente disposition de l'ap-
pareil anglais.
Comme dynamomètres de rotation, ceux de M. Morin, plus
ou moins modifiés par M. Clair, sont pour ainsi dire seuls en
usage. Nous avons cependant remarqué dans l'exposition an-
glaise un instrument , bien établi dans le genre du dynamo-
mètre de White, qui permet de remplacer dans les expérien-
ces de travail , le frein de Prony, par une disposition ayant
l'avantage de tarer \a machine pendant que l'opération indus-
trielle s'effectue. Le Danemark a également envoyé deux
instruments dignes d'intérêt.
Il nous serait impossible dans cette note succincte de pas-
ser en revue tous ces petits appareils destinés à mesurer la
pression dans les machines, à assurer le niveau dans les
chaudières, etc. Nous nous bornerons à indiquer les manomè-
tres métalliques qu'un habile constructeur, M. Bourdon , a sub-
stitués aux anciens manomètres à mercure : nous rencontrons
dans la même voie M. Desbordes en France, et MM. Schaffer
et Budenberg en Prusse.
L'indicateur du niveau de M. Lethuillier Pinel, au moyen
d'une aiguille aimantée, qui suit à travers l'épaisseur du
verre tous les mouvements du flotteur, permet d'éviter les
206 P
242 VISITE
stufiBng-box , dont la garniture ne pouvait être parfaite, alors
qu'il fallait laisser une liberté suffisante pour que la tige du
flotteur put fonctionner.
Les compteurs à eau sont peu nombreux , mais la question
qu'ils se proposent de résoudre ayant une grande importance,
nous nous permettrons de citer la petite turbine de Sce-
ment qui mesure le débit par le nombre de tours qu'elle fait
sous l'action du liquide en mouvement, et le compteur de la
société l'Atlas à Amsterdam, qui mesure d'une manière fort
ingénieuse tout le liquide qui passe, au moyen d'augets dis-
posés pour le recevoir. Cet appareil placé dans le palais prin-
cipal, 45, A, nous a paru d'un grand intérêt.
Les autres appareils du même ordre, tels que l'anémomètre
de M. Morin, divers compteurs à gaz, etc., demanderaient
une description trop minutieuse pour que nous puissions
nous livrer à un examen approfondi. Les balances pour usa-
ges commerciaux, les bascules ordinaires de toutes dimen-
sions, depuis les plus petites jusqu'à celles qui pèsent une
locomotive, ne présentent, depuis l'Exposition de Londres,
aucune amélioration qui mérite d'être signalée. M.Béranger à
Lyon, et M. Schmidt à Vienne sont lesdeux industriels qui ont
apporté sous ce rapport les collections les plus complètes. La
bascule pour locomotives de M. Sagnier est d'une très-belle
exécution.
L'Exposition ne renferme aucun manège isolé ; nous en au-
rons plusieurs à citer en parlant des machines agricoles: ce-
lui de M. Pinet, dans le jardin, présente une disposition très-
remarquable.
L'absence des moulins témoigne de l'éloignement toujours
plus marqué dont ces moteurs trop incertains sont l'objet.
Moteurs hydrauliques.
Dans tout moteur hydraulique, l'on doit commencer par
avoir égard au volume d'eau que l'on possède et à la hauteur
de chute , c'est-à-dire à la différence des deux niveaux d'arri-
vée et de sortie d'eau.
L'importance d'une chute s'évalue en prenant le produit du
poids de l'eau dont on dispose dans un temps donné par la
hauteur verticale dont elle descend.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 243
Les appareils qui reçoivent l'eau portent le nom de récep-
teurs hydrauliques et ne peuvent jamais recueillir qu'une par-
tie de ce produit. Le but que Ton se propose doit donc tendre
à se rapprocher le plus possible de ce maximum théorique.
Les systèmes de récepteurs hydrauliques dont on fait usage,
sont :
1° Les roues à augets, qui reçoivent l'eau soit à leur som-
met, soit entre le sommet et le centre;
2" Les roues à palettes, emboîtées dans des coursiers cir-
culaires qui reçoivent l'eau soit par des vannes en déversoir,
soit par des orifices avec charge;
3" Les roues à palettes planes , qui reçoivent l'eau eu
dessous;
•4" Les roues à aubes courbes , qui reçoivent l'eau à la par-
tie inférieure par des vannes inclinées;
5° Les roues à axe vertical, nommées turbines.
C'est du choix de l'un ou de l'autre de ces systèmes que
dépendent en grande partie les résultats que l'on retire d'une
chute : aussi, avant de prendre une détermination, doit-on
se rendre un compte bien exact de la chute et du volume d'eau
à dépenser aux différentes époques de l'année.
Les quatre premières espèces de roues ne sont représentées
à l'Exposition que par des modèles sans importance.
Le modèle de M. Chaverondier, de Saint-Germain-Laval
vLoire), représente une roue en dessous, à grande vitesse,
qui a une largeur double de celle de la vanne.
MM. Waddington frères, de Saint-Remi-sur-Avre (Eure-
et-Loir), exposent un modèle de roue décote entièrement
construit en tôle. Lafonçure est garnie d'armatures en fer qui
dispensent d'arbre.
La roue de M. Flageollet, de Vagney (Vosges), est en des-
sous, sans tète d'eau et à suspension. Le modèle que l'on
rencontre à l'Exposition est exécuté avec soin et montre une
disposition bien entendue.
Les turbines peuvent dépenser des volumes d'eau très-va-
riables, fonctionner hors de l'eau ou sous l'eau avec une
grande vitesse, sans perte sensible dans le rendement; elles
sont, depuis quelques années, recherchées par les propriétaires
d'usines. Les nombreuses dispositions que l'on trouve dans
l'Exposition indiquent la vogue dont elles jouissent.
2ii VISITE
Lon distin2;uedeux espèces de turbines : 1° celles qui pren-
nent l'eau et la rendent à la même distance de l'axe, et 2° celles
qui prennent l'eau à une certaine distance de l'axe et la ren-
dent à une distance plus granfle. Les turbines de MM. Fon-
taine, Brou et Froment, Tenbrinck et Dychkoff, Roy et Lau-
rent, et Mesnier et Chenneval appartiennent à la première
espèce; celles de MM. Cousin frères, Fourneyron, Canson,
Duvoiret de l'administration des mines de Jenbach dépendent
de la seconde. Nous allons les examiner successivement.
MM. Fontaine, Braud et Froment, de Chartres (Eure-et-
Loir), ont employé à plusieurs reprises, un vannage à papillon
qui avait l'inconvénient très-grave d'exiger un effort très-
considérable pour être mis en mouvement. Ces constructeurs
ont corrigé l'inconvénient que nous venons de signaler, au
moyen d'une bande annulaire en gutta-percha pouvant s'en-
rouler sur deux cônes en fonte dont les axes sont dirigés dans
le même plan. En faisant décrire au système de cônes une
demi-conférence , l'on découvre ou l'on masque tous les ori-
fices des directrices. Les applications qui ont eu lieu jusqu'à
présent ont donné d'excellents résultats.
MM. Tenbrinck et Dychkoff, de Bar-le-Duc (Meuse), expo-
sent une turbine dans laquelle chaque directrice est garnie
d'une vanne horizontale. L'on peut à volonté les manœuvrer
deux à deux ou les ouvrir et les fermer toutes à la fois. Cha-
cune d'elles est mise en mouvement au moyen d'un pignon
et d'une crémaillère. L'arbre est à pivot inférieur et plonge
dans un grand réservoir d'huile que l'on peut visiter au moyen
d'une ouverture pratiquée dans un tube cylindrique en fonte
qui entoure l'arbre de la turbine.
La turbine de MxM. Roy et Laurent, de Dijon (Côte-d'Or) ,
est à bâche fermée. Le vannage s'effectue à l'aide de clapets
que l'on soulève successivement à la main. Chacun d'eux
recouvre l'intervalle compris entre deux directrices.
MM. Mesnier et Chenneval, de Pontoise (Seine-et-Oise) , ont
aussi cherché, comme dans les dispositions précédentes, à
dépenser des volumes d'eau variables. Chaque directrice ren-
ferme une vanne verticale. On les soulève successivement une
-à une, deux à deux, trois à trois, etc. , de façon à avoir les
orifices mobiles constamment pleins d'eau.
Dans les turbines que nous venons d'examiner, l'eau se
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 245
dirige de haut en bas, tandis que, dans celles qu'il nous reste
à voir, l'eau se dirige horizontalement.
MM. Cousin frères, de Bordeaux (Gironde), exposent une
turbine présentant comme ensemble la disposition de la tur-
bine Fourneyron, Le tracé des aubes n'est pas celui donné par
cet ingénieur distingué; l'on a suivi la méthode de M. Weis-
bach , qui a l'avantage de faciliter la sortie de l'eau. Les aubes
sont partagées sur leur hauteur par une cloison horizontale
qui permet de dépenser plus avantageusement des volumes
d'eau très-variables. L'arbre de la turbine est à pivot supé-
rieur. Une partie des ateliers de la poudrerie de Saint-Médard,
près Bordeaux , est mise en mouvement par une turbine con-
struite sur ce modèle, et l'administration est très-satisfaite des
résultats qu'elle donne.
M. Fourneyron, de Paris, dont nous venons de citer le nom
en parlant de la turbine de MM, Cou?in frères, par des cir-
constances indépendantes de sa volonté, n'a pas encore ter-
miné son installation. La turbine que l'on peut voir mainte-
nant, se compose d'un appareil double dans lequel l'eau arrive
par la partie supérieure et par la partie inférieure. Dans cha-
que portion , l'eau se distribue dans deux compartiments d'où
elle sort verticalement et horizontalement, de sorte que, par
le fait, le récepteur de M. Fourneyron est formé de quatre
turbines. Il est établi de façon à pouvoir dépenser le maxi-
mum du volume fourni par le cours d'eau, et à ne renfer-
mer aucun moyen de régler la dépense. Le vannage doit
se trouver dans la seconde turbine, qui n'est pas encore
montée. En adoptant cette disposition, qui supprime complè-
tement les directrices , M. Fourneyron se propose de réduire
considérablement les dimensions des turbines destinées à
dépenser de très-grands volumes d'eau.
M. Canson, d'Annonay (Ardèche), a pour but, dans la
construction de sa turbine, de diminuer sensiblement le
prix de revient. Pour y arriver, il supprime les directrices et
il fait venir l'eau dans l'intérieur de la turbine par un tuyau en
tôle. Comme dans les turbines Fourneyron ordinaires, l'eau sort
à peu près tangentiellement à la roue. Le pivot de l'arbre est
supprimé et remplacé par une embase reposant sur deux galets.
M. Canson expose un second récepteur à axe horizontal , qui
a beaucoup d'analogie avec celui que nous venons de décrire»
246 VISITE
M. Duvoir, de Liancourt, a joint à son envoi de machine à
vapeur, une turbine à réaction, composée d'un axe creux
portant des bras courbes, également creux. En ouvrant le
robinet d'arrivée d'eau, l'appareil tourne dans un sens opposé
à celui de la sortie du liquide. Le frottement de l'eau contre
les parois intérieures des tubes absorbe une partie consi-
dérable du travail moteur, de sorte que le rendement est
moindre que dans tous les appareils que nous venons d'exa-
miner.
La partie étrangère de l'Exposition ne nous montre qu'une
seule turbine, c'est celle envoyée par l'administration impé-
riale des mines et forges de Jenbuch (Tyrol). Elle est f -rmée
d'aubes courbes maintenues entre deux anneaux horizontaux.
L'eau arrive tangentiellement à la roue, au m.oyen d'un canal
rectangulaire garni, près de la turbine, d'une vanne verticale.
Ces roues , proposées depuis longtemps par le général Ponce-
let, sont très-répandues aux États-Unis d'Amérique et en Autri-
che , où elles donnent de très-bons résultats. Elles sont très peu
connues en France ; c'est à peine si l'on en rencontre quelques
exemples dans les environs de Toulouse. Il est essentiel d'a-
jouter que, pour obtenir un rendement considérable, elles
ont besoin d'une grande chute.
Chaudières à vapeur-
Les chaudières à vapeur servent à produire de la vapeur
d'eau à une pression plus ou moins élevée, que l'on emploie
soit comme force motrice soit comme moyen de chauffage.
Les vases dont on fait usage sont complètement fermés, et
se construisent soit en cuivre, soit en tôle. C'est à ce dernier
métal que Ton donne habituellement la préférence, à cause
•du bas prix auquel on peut se le procurer.
Quand une chaudière à vapeur doit fournir de la vapeur
sous une pression voisine de celle de l'atmosphère, on peut
lui donner la forme que l'on veut, en se servant de tôles assez
minces; lorsqu'au contraire l'on a besoin de vapeur à haute
pression, les formes sont très-limitées; l'on emploie le plus
ordinairement des chaudières cylindriques, en donnant aux
feuilles métalliques qui les composent des épaisseurs conve-
nablement calculées. Avec celte forme simple, les foyers sont
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 247
extérieurs, mais dans certains cas, comme dans les locomo-
tives et dans les bateaux à vapeur, on est obligé d'employer
des foyers intérieurs, ce qui complique énormément les dis-
positions. On ne peut se passer de surfaces planes qui exigent
des armatures très-solides pour s'opposer à la déformation.
Les chaudières envoyées à l'Exposition sont fort peu nom-
breuses et toutes françaises.
Si nous nous transportons dans le bâtiment des chaudières
destinées à fournir delà vapeur aux machines en mouvement,
nous trouvons trois chaudières à bouilleurs superposés de
M. Farcot. Dans les chaudières ordinaires à bouilleurs, ceux-ci
sont placés sous le réservoir d'eau et de vapeur appelé vulgai-
rement corps de chaudière. Au lieu de les disposer de cette
manière, M. Farcot a eu l'idée de superposer les bouilleurs et
de les ranger latéralement à la chaudière. Les produits de la
combustion agissent directement sur le corps de chaudière
et passent successivement autour de chacun des bouilleurs,
en commençant par le bouilleur supérieur. L'eau , au con-
traire, entre dans le bouilleur inférieur, s'élève dans le suivant
et ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle arrive dans le corps de
chaudière où elle est sur le point d'être réduite en vapeur. Il
en résulte que l'eau suit un chemin opposé à celui de la
flamme et qu'elle s'échauffe graduellement, tandis que les gaz
chauds se refroidissent de plus en plus, en se rapprochant de
la sortie. C'est, en grandepartie, cette heureuse innovation qui
a valu à M. Farcot la moitié du prix de 10 000 francs proposé
par la Société d'encouragement.
A côté de l'une des chaudières de M. Farcot, nous voyons la
chaudière à foyer intérieur , que MM. Nepveu et Cie ont con-
struite d'après les plans de M. Molinos. C'est une chaudière de
locomotive dans laquelle se trouve, à l'extrémité de la grille,
une cloison méplate remplie d'eau, servant d'autel , et forçant
la flamme à se renverser avant d'entrer dans les tubes. Derrière
la grille et sur les côtés, sont pratiquées des ouvertures circu-
laires communiquant avec un ventilateur, et que l'on règle au
moyen de plaques ou registres. Le but de cette di^^position est
de brûler la fumée et de produire une plus grande quantité
de vapeur avec un poids donné de combustible; mais dans les
appareils de ce genre , il est excessivement difficile , pouï ne
pas dire impossible, de n'introduire que le volume d'air stricte-
248 VISITE
ment nécessaire à la combustion des gaz. Les expériences que
Je jury se propose de faire apprendront si cette disposition
répond aux vues de son auteur.
Un peu plus loin, nous trouvons l'appareil de M. Beau-
fumé, que MM. Pommereau et Cie ont fait établir. Il consiste
en un foyer avec grille, entièrement fermé dans lequel l'air
est lancé par un ventilateur, et en un fourneau renfermant
une chaudière à vapeur ordinaire. Le combustible que l'on
introduit dans le foyer par la partie supérieure, sans établir
de communication avec l'air extérieur, se transforme en gaz
combustible, que l'on brûle ensuite sous la chaudière à l'aide
d'une partie de l'air du ventilateur. Les produits de la com-
bustion s'échappent à une faible température, sans donner de
fumée. Dans les expériences qui ont eu lieu dernièrement à la
pompe à feu de Chaillot, M. Grouvelle a constaté une produc-
tion de 1 0^^,54 de vapeur par kilogramme de houille brûlée.
Nous arrivons à la chaudière de M. Clavières, qui se com-
pose d'un grand nombre de tubes verticaux aboutissant à
des tubes horizontaux. Tout cet ensemble de tuyaux est
placé au-dessus d'un foyer dans l'intérieur d'un fourneau en
maçonnerie, de façon à profiter de la chaleur rayonnante du
combustible. Le but de cette disposition est d'avoiidans la
chaudière un volume d'eau très-faible, et d'obtenir prompte-
ment de la vapeur à haute pression. Ce système, dont on fait
usage sur les bateaux de la compagnie des bateaux porteurs,
nous semble très compliqué et d'un nettoyage difficile.
Si nous rentrons dans l'Exposition , nous trouvons, vers le
milieu de l'Annexe, dans le voisinage de la fontaine de
MM. Béchu et Leclerc, les belles chaudières à vapeur de
M. Durenne fils. Elles sont toutes deux à foyer intérieur.
L'une d'elles est simplement exposée comme travail de chau-
dronnerie : c'est une chaudière de machine locomobile. Afin
de pouvoir mieux en apprécier le mérite, M. Durenne a eu
soin de ne pas la faire peindre. Il est difficile d'atteindre une
pareille perfection , qui indique un atelier bien monté et bien
dirigé. La seconde chaudière présente des dispositions nou-
velles, qui , pour être bien comprises, ont besoin de quelques
explications. Elle est formée de plusieurs tronçons réunis
par des boulons. Le premier, de forme rectangulaire, ren-
ferme uniquement le foyer, et les suivants, de forme cylin-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 249
drique, sont composés de cylindres traversés par des tubes
en grand nombre. Chaque compartiment, monté sur quatre
roues, forme pour ainsi dire une chaudière complète. Le
dernier porte la cheminée. Ces divers tronçons sont mis en
communication , par le haut et par le bas , au moyen de tubes
en cuivre. Les produits de la combustion qui se dégagent du
foyer traversent les tubes du premier compartiment , et trou-
vent à la suite une chambre où ils se dilatent; ils passent à
travers le second faisceau de tubes , et ainsi de suite, jusqu'à
leur entrée dans la cheminée. Pendant ce cheminement, l'eau
qui vient dans le tronçon qui porte la cheminée, s'y échauffe;
i'eau la plus chaude de ce compartiment arrive , au moyen d'un
tube convenablement disposé , à la partie inférieure du sui-
vant, et parvient de proche en proche dans la portion qui ren-
ferme le foyer où elle est sur le point d'être réduite en va-
peur. Comme dans la chaudière de M. Farcot, les gaz chauds
sont en contact avec l'eau la plus chaude, et ne sortent de
la chaudière qu'avec la température convenable pour avoir un
bon tirage. C'est une disposition qui n'est pas encore sanc-
tionnée par une expérience prolongée, mais elle est remplie
d'avenir. M. Durenne a obtenu, avec du charbon de qualité
ordinaire , 9 kilogrammes de vapeur par kilogramme de
houille brûlée.
Près de la chaudière de M. Durenne, nous avons la chau-
dière tabulaire à foyer intérieur de MM. Duez frères, de
Fives (Nord). Elle présente un peu d'analogie avec celle que
nous venons d'examiner. La partie de la chaudière qui ren-
ferme le foyer est complètement isolée de celle qui contient
les tubes : l'eau arrive dans celte dernière portion avant de
se rendre dans la première, ce qui s'obtient au moyen d'un
tube de communication situé à la partie supérieure. MM. Duez
ont appliqué ce système aux chaudières à bouilleurs. Cette
disposition ne figure à l'Exposition, qu'en dessin.
En parcourant le catalogue officiel, nous voyons figurer,
parmi les exposants de générateurs à vapeur, les noms de
MM. Belleville et Isoard. Jusqu'à présent, ces messieurs ont
manqué à l'appel; il eût été pourtant intéressant d'examiner
leurs produits, qui, à une certaine époque, ont excité vive-
ment l'attention publique. Les avantages de ces deux sys-
tèmes sont les suivants : sécurité complète , diminution
250 VISITE
considérable de poids et de volume , production rapide de
vapeur à haute pression et emploi de la vapeur sèche. A
côté de ces avantages précieux, il y a malheureusement un
inconvénient considérable résultant de l'énorme difficulté du
nettoyage.
Les deux chaudières, dont nous venons de dire quelques
mots, nous conduisent naturellement auprès du modèle de
générateur de M. Boutigny. La chaudière de cet exposant se
compose d'un cylindre terminé vers le bas par une demi-
sphère et fermé dans le haut par un couvercle. L'intérieur
de ce cylindre contient des diaphragmes percés de trous et
superposés. Cet ensemble se place dans un fourneau en
maçonnerie qui ne présente aucune particularité. La pro-
duction de la vapeur étant instantanée, il arrive constam-
ment, parla partie supérieure, la quantité d'eau nécessaire
à la vaporisation. Avec ce système, construit sur une très-
petite échelle, M. Boutigny a obtenu une quantité de vapeur
assez considérable, puisqu'il a eu 7'', 50 de vapeur par kilo-
gramme de houille. M. Boutigny attribue ce résultat satis-
faisant à ce fait, que la chaudière est toujours décapée et
que les dépôts de sels calcaires se forment sur les dia-
phragmes.
Avant de quitter les appareils de production de vapeur, il
nous reste à appeler l'attention des visiteurs sur l'appareil de
MM. Beaumont et Mayer, qui est destiné à produire de la
vapeur par le frottement. Ils arrivent à ce résultat en faisant
tourner, à la vitesse de 400 tours par minute, un cône en
bois, revêtu d'une tresse en chanvre imprégnée d'huile dans
l'intérieur d'un cône métallique faisant partie d'une chau-
dière à vapeur remplie d'eau. Le problème que ces m.essieurs
ont en vue est de convertir les forces naturelles perdues en
chaleur utile. Tl nous est impossible d'exprimer la moindre
confiance dans l'emploi de ce système, qui doit absorber un
travail de frottement très-considérable.
La chaudière en tôle d'acier, essayée à dix-huit atmosphè-
res, de MM. Jackson frères, Peters, Gaudet et Cie, ouvre une
voie nouvelle; bien que l'acier soit encore plus cher que la
tôle à poids égal, la résistance de plus grands efforts sur ce
métal permet de réduire considérablement les épaisseurs ,
et de réahser ainsi une réduction de poids considérable. Il
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 251
est impossible d'ailleurs de voir de la chaudronnerie d'an
plus beau travail.
Comme il importe d'alimenter les chaudières avec de l'eau
à une température élevée, il est intéressant de faire attention
à l'appareil de MM. Legris , Choisy et Ligon, qui est monté
sur l'une des machines à vapeur, servant à remplir d'eau les
réservoirs nécessaires au fonctionnement des machines. Cet
appareil utilise une partie de la vapeur d'échappement de la
machine pour le chauffnge de l'eau d'alimentation, qui ac-
quiert ainsi une température de 100 degrés.
Machines à vapeur.
Dans les premières applications de la vapeur d'eau comme
force motrice, l'on n'eut en vue que l'élévation des eaux qui
gênaient l'exploitation des mines. Plus tard, l'on entrevit la
possibilité d'appliquer la force élastique de la vapeur d'eau à
d'autres travaux; c'est au célèbre Watt que revient l'hon-
neur d'avoir réalisé cette idée. Quand il voulut Ja mettre
à exécution, il fut arrêté dès le début par des difficultés
de tous genres; ainsi, en dehors des moyens d'exécution
qu'il dut créer, il eut à déterminer les pressions de la
vapeur, correspondantes aux différentes températures, les
volumes et les poids correspondants aux diverses pressions,
les quantités d'eau nécessaires au refroidissement de la
vapeur et les dimensions des chaudières pour obtenir un
poids donné de vapeur d'eau. A la suite d'un travail inouï, il
parvint à construire la machine à vapeur que nous voyons
journellement, soit dans les établissements, soit sur les ba-
teaux à vapeur.
Elle a été perfectionnée, et surtout simplifiée par un grand
nombre d'ingénieurs et de mécaniciens ; mais les dispositions
principales n'ont pas été changées, les indications numéri-
ques qu'il a fournies sont restées les mêmes. Les moyens
d'exécution ont été modifiés et améliorés, c'est ce qui a per-
mis d'entreprendre des projets auxquels il eût été impossible
de songer. L'on effectue maintenant au moyen de machines-
outils ce que l'on était autrefois obligé d'exécuter à la main.
L'on construit de la sorte beaucoup mieux et à plus bas prix.
La diminution des prix résulte encore des modifications que
252 VISITE
l'on a proposées et réalisées depuis quelques années. Autre-
fois l'on se croyait forcé de suivre les modèles de Watt qui
comprenaient des balanciers, des bielles, des manivelles, des
entablements en fonte d'un poids considérable et d'un travail
excessif; peu à peu on est parvenu à sortir de ces disposi-
tions et à construire des machines à mouvements directs qui
n'ont pas tardé à conduire aux machines horizontales. En
môme temps que l'on osait s'écarter si loin des vieilles habi-
tudes, on essayait d'augmenter les vitesses des pistons à
vapeur. Ces tentatives ayant été couronnées de succès, elles
ont trouvé beaucoup d'imitateurs ; aussi existe-t-il peu de
mécaniciens s'occupant exclusivement de la construction des
machines à balanciers.
Ce sont surtout les machines de bateaux à vapeur qui se
sont ressenties des améliorations que nous venons de signaler ;
nous pouvons à peu près affirmer que l'on ne construit plus
de machines à balanciers pour la navigation. La substitution
presque générale des hélices aux roues à palettes contribue
encore à l'adoption des machines horizontales, aussi bien dans
la marine militaire que dans la marine marchande.
L'application immédiate des moteurs à vapeur aux opéra-
teurs est un progrès au moins aussi important que celui de
l'augmentation de la vitesse, cela permet de supprimer un
grand nombre de pièces intermédiaires qui absorbent, en frot-
tement, un travail très-considérable. Nous aurions pu trouver,
dans lExposition un plus grand nombre d'exemples de cette
idée féconde, mais il y en a bien assez pour montrer le
parti que l'on peut tirer de l'appropriation convenable de la
machine à vapeur au travail que l'on a en vue d'exécuter.
Si les Anglais sont restés longtemps nos maîtres en fait
de constructions de machines à vapeur , nous n'avons plus
rien à leur envier maintenant, nous pouvons marcher de pair
avec eux, nous leur sommes même supérieurs sous le rapport
du meilleur emploi de la vapeur comme force motrice. Cette
supériorité tient au prix élevé des combustibles qui a obligé
nos ingénieurs à trouver des dispositions économiques.
De tous les moteurs, ce sont les machines à vapeur qui
rendent les plus grands services, parce qu'on peut les appli-
quer partout, dans toutes les industries, depuis la filature du
fil le plus fin et le plus délicat jusqu'au travail des pièces for-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 253
gées les plus lourdes. L'on ne doit pas pour cela négliger les
moteurs hydrauliques, qui sont d'un emploi si économique
chaque fois que l'on dispose d'une chute d'eau.
Une machine à vapeur se compose essentiellement d'un
cylindre fermé à chacune de ses extrémités, dun piston et
de conduits disposés d'une manière convenable pour l'entrée
et la sortie de la vapeur. Quand la vapeur a terminé son ac-
tion sous le piston , elle se rend dans l'air ou dans un appa-
reil rempli d'eau froide appelé condenseur, destiné à l'anéan-
tissement presque complet de la pression. Pendant que la
vapeur s'en va de la partie inférieure, il en arrive par la par-
tie supérieure qui sert à son tour à pousser le piston en sens
contraire , et ainsi de suite. L'on obtient de la sorte un mou-
vement alternatif ou de va-et-vient.
Si l'on intercepte l'entrée de la vapeur à partir d'un certain
point de la course du piston , le reste de la course sera par-
couru par l'efiet de Texpansion ou de la dilatation de la va-
peur. La machine est alors dite à détente. Suivant que la ma-
chine est avec ou sans détente, et avec ou sans condensation,
Ton distingue quatre espèces de machines à vapeur, savoir :
1" Les machines à vapeur sans détente et sans condensa-
tion;
2° Les machines à vapeur à détente et sans condensation ;
3° Les machines à vapeur sans détente et à condensation;
•4" Les machines à vapeur à détente et à condensation.
Suivant les fonctions que remplissent les machines à vapeur,
l'on peut avoir à considérer les machines fixes, les machines
locomotives, les machines locomobiles et les machines de
bateaux; nous ne nous occuperons ici que des machines à
vapeur fixes.
Machines à cylindres verticaux.
Les premières machines à vapeur que l'on aperçoit , lors-
que l'on entre dans la galerie des machines, sont celles de
MM. Powell, Scott et Lacroix père et fils, de Rouen, qui cnt
exposé trois machines de mêm.e puissance et à peu près de
même forme. Chacune d'elles est de la force de quarante che-
vaux et du système de Wolf , ou à deux cylindres de diamè-
tres différents. Dans ce système, la vapeur vient directement
254 VISITE
dans le petit cylindre où elle agit à pleine pression, passe
dans le grand cylindre où elle est forcée d'occuper un vo-
lume plus considérable, puis sort de ce cylindre pour aller
au condenseur, où l'on obtient un vide d'autant plus parfait
que la machine est mieux établie.
Les deux cylindres dont il vient d'être question, sont le
plus souvent entourés d'une enveloppe vulgairement appelée
chemise; la vapeur circule entre cette enveloppe et les cy-
lindres avant de commencer son action. MM. Powell et La-
croix père et fils ont établi une cloison dans la chemise, de
façon à empêcher la circulation de la vapeur de la chaudière
autour des cylindres. La vapeur passe d'abord autour du petit
cylindre , entre dans ce cylindre, va dans le grand , et enfin ,
sort entre ce cylindre et Tenveloppe.
Dans Id machine de M. Scott, les choses ne se passent pas
tout à fait ainti : la vapeur de la chaudière arrive dans le
petit cylindre, passe dans le grand, et se rend directement
dans le condenseur. L'on empêche le refroidissement des
deux cylindres à l'aide d'un courant de vapeur que l'on prend
sur le tuyau d'arrivée de vapeur. Cette disposition nous semble
préférable aux précédentes qui sont elles-mêmes supérieures à
ce que l'on pratiquait auparavant.
A côté de ces grandes machines à balanciers, avec entable-
ments destinés à être encastrés dans des murs, se trouve la
machine de M. Lecouteux, de Paris, également du système
de Wolf. Étant d'une force moins considérable, le balancier
est porté sur deux bâtis triangulaires reliés au moyen d'en-
tretoises. Comme dans le système de Wolf, les deux cylindres
sont contenus dans une chemise, dans l'intérieur de laquelle
arrive la vapeur de la chaudière ; mais les entrées et les sorties
de la vapeur sont tellement combinées que l'on peut marcher
à volonté avec les deux cyUndres ensemble ou séparément.
Chacun d'eux porte un tiroir à détente variable au moyen de
cames mises en mouvement par le modérateur. Cette innova-
tion fort heureuse fait honneur au successeur de M. Moulfa-
rine, qui a construit les belles machines motrices de la Mon-
naie de Paris.
M. Legavrian , de Lille, s'est proposé, dans la machine
qu'il a envoyée à l'Exposition, d'obtenir une grande puissance
avec un minimum de matière. La disposition qu'il a suivie ne
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 235
peut être mieux comparée qu'à deux machines de Wolf ré-
unies, dans lesquelles on a supprimé l'un des petits cylin-
dres. Pour que le petit cylindre puisse alimenter de vapeur
chacun des grands, on donne à son piston une vitesse double
de celle des grands pistons. C'est ce constructeur qui a par-
tagé avec M. Farcot le prix de 10 000 fr. proposé par la
Société d'encouragement. Nous croyons que la nouvelle dis-
position ne sera pas adoptée par les industriels, et que M. Le-
gavrian reviendra à la machine qui lui a valu une aussi haute
distinction.
A peu de distance de la machine de M. Legavrian , nous
voyons la machine à vapeur de M. Trésel , de Saint-Quentin,
qui n'a eu d'autre but, en exposant, que d'indiquer son sys-
tème de détente. Le mécanisme en question, qui a paru à
l'Exposition de 1849, présente les avantages suivants, sa-
voir : de faire arriver la vapeur avec la tension qu'elle pos-
sède dans la chaudière , d'opérer la détente à tous les points
de la course, d'introduire la vapeur sur le piston par une
ouverture complètement démasquée aux 7[100 de la course,
et d'admettre le même volume de vapeur au-dessus qu'au-
dessous du piston.
Ces avantages sont obtenus au moyen de deux tiroirs : l'un
de distribution et l'autre d'arrêt pour intercepter les passa-
ges. Le premier se meut dans un cadre rectangulaire , et le
second dans un cadre formé de quatre courbes. Il serait à dé-
sirer que cette disposition, donnant d'excellents résultats,
se répandît; car c'est la seule détente rationnelle qui ait été
faite jusqu'à présent.
M. Hermann a joint à son exposition de machines à fa-
briquer le chocolat , une machine à vapeur à condensation
et à détente variable par le modérateur, qui fait fonc-
tionner une faible partie de l'arbre de transmission de
mouvement. Le cylindre vertical est monté sur un enta-
blement supporté par quatre colonnes. L'arbre à manivelle ,
placé près du sol , reçoit son mouvement de la part de la tige
du piston , par l'intermédiaire d'une bielle ayant la forme
d'un cadre, à l'un des angles duquel est articulée une trin^;le
qui fait marcher le levier des pompes. L'avantage de cette
disposition est d'avoir une bielle assez longue, sans trop
élever le cylindre à vapeur au-dessus du sol. L'ensemble
256 VISITE
est compliqué, lorsque l'on veut fonctionner à condensa-
tion.
L'une des machines en mouvement , qui attire le plus l'at-
tention des visiteurs, est celle de M. Flaud , de Paris. Elle
se compose principalement de deux cylindres à vapeur avec
pistons agissant, par l'intermédiaire de bielles, sur un arbre à
manivelles coudées à angle droit. Les pièces qui la consti-
tuent se retrouvent dans toutes les machines à vapeur; ce qui
la distingue des autres, c'est qu'elle donne un plus grand
nombre de coups de pistons; l'arbre à manivelles ne fait pas
moins de 250 révolutions par minute. Le grand avantage de
semblables machines est d'avoir des moteurs très-puissants
sous un très-petit volume, et, par suite, à très-bas prix.
Leur côté faible est de ne pas être d'un emploi économique,
à cause du volume de vapeur compris entre le piston et le
couvercle que l'on perd à chaque pulsation. M. Flaud a en-
core deux autres machines verticales, appliquées l'une à la
carde de M. Clénet, l'autre aux pompes de M. Delpech. Elles
sont d'une simplicité remarquable et fonctionnent également
avec une vitesse considérable.
Machines à cylindres horizontaux.
Parmi les machines verticales, nous n'en avons trouvé
qu'une seule faisant marcher une petite partie de l'arbre de
transmission de mouvement. Le reste de l'arbre, en ce qui
concerne les machines françaises , fonctionne à l'aide de ma-
chines horizontales que nous allons passer en revue. Quant à
celles en repos ;, nous nous bornerons à examiner les princi-
pales.
En venant du côté de la place de la Concorde, c'est-à-dire
en nous dirigeant vers l'ouest, nous arrivons d'abord à la
machine à vapeur de MM. Révollier et Cie, de Saint-Étienne,
qui présente plusieurs perfectionnements intéressants à faire
connaître. Le plus important se trouve dans le mode de dis-
tribution de la vapeur. Chaque extrémité du cylindre est
munie d'une boîte à deux compartiments percés de deux ou-
vertures circulaires servant, Tune à l'introduction, l'autre à
la sortie de la vapeur. Ces ouvertures sont garnies de sou-
papes, dites de Gornouailles , que l'on soulève à l'aide d'un
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 257
effort très-peu considérable. Elles portent des tiges aboutis-
sant aux extrémités d'un T qui reçoit son mouvement par
l'intermédiaire d'une excentrique et d'une bielle. L'oscillation
de ce T est telle que, lorsqu'on baisse l'une des soupapes, l'on
soulève l'autre. L'avantage de cette disposition est de dimi-
nuer la longueur des conduits d'arrivée de vapeur, de pou-
voir soulever les soupapes sans faire éprouver de fatigue
à la machine, et d'introduire presque instantanément le
volume de vapeur nécessaire à chaque pulsation. Cette
machine, construite pour le service d'extraction d'une mine,
est à détente variable à la main , afin de pouvoir augmenter
la puissance du moteur au fur et à mesure de l'approfondis-
sement des travaux.
Les coussinets des paliers qui portent l'arbre du volant
sont en quatre parties, de façon à pouvoir les serrer horizon-
talement et verticalement. C'est une disposition que l'on de-
vrait introduire dans la construction de toutes les machines
horizontales.
La machine à vapeur de M. Bourdon est également à dé-
tente et sans condensation. La détente de cette machine
s'effectue d'une manière particulière; elle s'obtient au moyen
d'une plaque appliquée contre le tiroir de distribution, que
l'on règle à la main au moyen d'une came extérieure. Le cy-
lindre à vapeur est entouré d'une chemise dans l'intérieur de
laquelle on fait circuler un petit jet de vapeur que l'on prend
sur le tuyau d'arrivée dans le voisinage delà boîte de distri-
bution. Cette chemise est revêtue de bois afin d'empêcher
autant que possible la déperdition de la chaleur.
La machine de M. Farcot, qui vient ensuite , est une ma-
chine de cinquante chevaux, à détente variable et à conden-
sation.
Le cylindre à vapeur est entouré de toutes parts par une
couche de vapeur contenue dans un second cylindre que l'on
enveloppe lui-même d'une couche de bois.
La détente a lieu par l'intermédiaire du modérateur qui fait
tourner, dans l'intérieur de la boîte de distribution, une came
contre laquelle vient heurter une plaque poussée par la vapeur
contre le tiroir de distribution. Suivant la position que cette
plaque occupe la vapeur entre plus ou moins longtemps dans
l'intérieur du cylindre. Cette disposition, qui fonctionne très-
206 q
258 VISITE
bien quand elle est bien réglée, est malheureusement com-
pliquée : il serait à désirer qu'on pût la simplifier.
L'eau d'injection du condenseur ne se projette pas direc-
tement sur la vapeur comme cela se pratique habituellement,
elle traverse des tôles percées de trous qui sont placées pour
retarder son arrivée et la transformer en pluie fine. Les
pompes à air avec clapets en caoutchouc sont à double effet.
Deux de ces clapets servent pour l'air et les deux autres
pour l'eau.
La dernière machine qui fait fonctionner la transmission
est celle de l'école d'Angers qui a été construite pour une
exploitation ardoisière des environs d'Angers. Cette machine
exécutée avec assez de soin, à part l'arbre coudé qui laissée
désirer, fonctionne aussi convenablement qu'on peut le désirer.
En revenant sur nos pas , il nous reste à signaler un cer-
tain nombre de machines horizontales en mouvement. Parmi
celles-ci, nous trouvons les petites machines de M. Flaud,
faisant marcher, l'une une pompe de M. Éloy, et l'autre une
machine à faire les parquets de M. Sautreuil, de Fécamp.
Ces machines, sont excessivement simples et fonctionnent
à grande vitesse comme les machines verticales dont nous
avons déjà parlé. Elles sont établies de façon à éviter les dé-
rangements; l'on peut les employer en toute confiance dans
un grand nombre de circonstances.
M. Flaud a encore une machine à vapeur horizontale , dite
petit cheval d'alimentation , elle est destinée à l'alimentation
des chaudières à vapeur. La bielle ayant été remplacée par
une coulisse, le volume de la machine est aussi réduit que
possible.
L'amélioration principale introduite par M. Flaud dans les.
machines depuis l'exposition dernière consiste dans l'élargis-
sement considérable qu'il a donné à toutes leurs parties frot-
tantes. Sans modifier le frottement, il arrive de cette manière
à éviter, en grande partie, la destruction des principaux or-
ganes par l'use.
M. Duvoir de Liancourt s'est proposé de construire des ma-
chines à vapeur en supprimant les boîtes à étoupes des tiges
de piston.
Pour arriver à ce résultat , il s'est trouvé forcé d'employer
dans chaque appareil deux cylindres , deux pistons et deux
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 259
tiges. Dans cette machine , la vapeur n'agissant qu'à simple
effet, l'on a presque doublé le volume nécessaire. L'on a en
outre remplacé le frottement d'une tige de petit diamètre par
celui d'un piston d'un diamètre beaucoup plus considérable.
Quoique cette machine fonctionne facilement, nous ne voyons
pas bien le progrès que l'auteur a voulu réaliser. Le seul
avantage d'une semblable disposition , c'est que , les pistons
étant visibles sur l'une des faces, il est facile d'apercevoir les
fuites, quand elles se déclarent.
En continuant l'examen des machines en mouvement, nous
arrivons auprès des deux petites machines envoyées par l'École
des arts et métiers de Châlons de la force de trois à quatre che-
vaux chacune L'une d'elles met en mouvement le ventilateur
de M. Lemielle, de Valenciennes, tandis que l'autre est attelée
à rhydro-extracteur de M. Tulpin, de Rouen. Les dispositions
de ces machines sont simples et bien choisies. L'exécution due
à des élèves qui ont encore peu l'habitude du travail des
pièces mécaniques est très-remarquable.
Dans les machines à vapeur, surtout lorsqu'elles ont des
dimensions très-considérables, la manœuvre du tiroir de dis-
tribution est très -difficile , à cause de l'énorme pression
exercée par la vapeur. M. Maldent, de Bordeaux, a exécuté
une disposition qui répond assez bien au but qu'il s'est pro-
posé. Le tiroir percé de deux ouvertures glisse à frottement
doux entre la table des lumières du cylindre et une pièce
tenue à distance fixe, portant des ouvertures pour l'introduc-
tion et l'échappement de la vapeur. Les différentes surfaces
rodées avec soin sont en contact tellement immédiat qu'il
n'existe aucune fuite.
L'encadrement de la boîte de tiroir étant supprimé , l'on
peut vérifier les fuites et les réparer quand il s'en déclare.
A peu près en face de cette machine l'on aperçoit une
machine à vapeur de trente chevaux exposée par l'école
d'Aix. Cette machine doit servir de moteur djms une garan-
cerie. Pour indiquer le mode de transmission de mouvement,
l'on a monté deux des différentes paires de meules qu'elle
doit faire tourner. Cette école , d'une fondation plus récente
que celles d'Angers et de Châlons , a su former des élèves
assez habiles pour exécuter la machine que l'on voit dans
l'Exposition.
260 VISITE
Les réservoirs d'eau servant à tout le service des machines
et appareils en mouvement sont alimentés par des pompes
que l'on fait marcher au moyen de deux machines à vapeur
à détente variable et à condensation, construites par MM. Nep-
veu et Cie. La variation de la détente s'obtient à l'aide de la
coulisse Stephenson. Ces machines sont bien traitées et ne
laissent rien à désirer.
Une des heureuses applications de la vapeur comme force
motrice consiste à employer le moteur destiné à un outil dé-
terminé de manière à éviter autant que possible les transmis-
sions lourdes ou compliquées. Nous en trouvons quelques
exemples dans l'Exposition.
MM. André Kœchlin, de Mulhouse, ont établi une machine
à vapeur spéciale pour faire marcher leur belle machine à
imprimer les étoffes.
M>L Thomas et Laurens donnent directement le mouvement
à un cylindre soufflant au moyen d'une machine à vapeur
horizontale. Ils suppriment de la sorte les organes compliqués
de transmission de mouvement dont on faisait autrefois usage.
Les mines de Blanzy ont exposé un ventilateur à axe ver-
tical et à ailes courbes que l'on fait tourner directement à
l'aide d'une petite machine à vapeur horizontale.
M. Gratiot, d'Essonne, a envoyé une pile à papier qui re-
çoit son mouvement au moyen d'une machine à vapeur ap-
pliquée contre la cuve de la pile.
M. Voruz s'est borné à l'envoi de la cuve d'une pile à pa-
pier qui est également conduite par un moteur spécial.
Ces quelques applications suffisent pour faire comprendre le
parti que l'industrie peut tirer de l'emploi des machines à
vapeur agissant directement sur les machines et outils que
l'on a besoin de mettre en mouvement.
En outre de l'avantage qui résulte de la simplification des
transmissions de mouvements, l'on est certain de ne jamais
éprouver de cliômages, parce que, tandis qu'un moteur est
en réparation , les autres continuent à effectuer leur travail.
Les machines horizontales en repus sont assez nombreuses.
Parmi les plus remarquables à citer, nous avons celles de
MM Cail et Cie., de Paris. L'une d'elles est à détente sans
condensation , et l'autre est à détente avec condensation. La
pompe à air de cette dernière est également horizontale et
A L'EXPOSITION UiNlVERSELLE. :261
reçoit son mouvement par l'inlermédiaire d'un balancier. L'en-
semble de ces machines est très-satisfaisant , tant sous le
rapport des formes que sous celui de l'exécution. Elles ne
renferment pas des dispositions nouvelles de nature à faire
progresser l'industrie des moteurs à vapeur , mais les pièces
dentelles sont composées sont si bien groupées, si bien agen-
cées qu'elles échappent à toute critique.
M. Farinaux, de Lille, expose une machine à vapeur hori-
zontale du système de Wolf . à détente variable. Les deux
cylindres sont fondus d'un même morceau , le petit cylindre
seul est entouré d'une chemise. Une détente mise en mouve-
ment par le modérateur est appliquée sur le petit cylindre.
Elle se compose de deux glissières situées l'une en avant et
l'autre en arrière du tiroir de distribution et reliées au mo-
dérateur par l'intermédiaire de deux petites tiges. Quand le
modérateur n'agit pas, la machine marche sans détente,
mais, lorsque les boules s'écartent, les deux glissières vien-
nent masquer en partie les orifices de distribution du cylindre
à vapeur, et il y a détente. La détente est d'autant plus
grande que les boules du modérateur sont plus écartées.
Le condenseur est en avant des deux cylindres, ce qui né-
cessite, pour transmettre le mouvement à la manivelle, l'em-
ploi d'une énorme bielle à fourche qui n'est pas d'un bel
effet.
Dans cette machine, l'on a eu surtout en vue de mettre toutes
les pièces aussi en évidence que possible ; c'est ce qui donne
à l'appareil une complication plus apparente que réelle.
MM. Tenbrinck et Dyckhoff, de Bar-le-Duc, ont envoyé à
l'Exposition une machine à vapeur horizontale qui ne diffère
des autres machines de même espèce que par le moyen qu'ils
ont employé pour faire varier la détente. Elle a lieu à l'aide
de roues dentées avec rochets , disposées de façon à tourner
dans un sens ou dans l'autre, suivant que les boules du mo-
dérateur s'élèvent ou s'abaissent. Par l'intermédiaire d'arbres
et de roues d'angles, l'on parvient à augmenter ou à rétrécir
les orifices du tiroir de distribution, et, par suite , à obtenir
une détente variable-
M. Frey expose une machine de 40 chevaux à détente va-
riable. Pour diminuer l'usure du cylindre , la tige du piston
traverse les deux couvercles qui ferment les extrémités, mais
262 VISITE
cette disposition n'est pas nouvelle. La détente est obtenue
au moyen d'une came à courbes variables , montée sur l'arbre
du modérateur. L'une des extrémités de la tige du tiroir porte
un galet et l'autre est munie d'un petit piston qui force le
galet à s'appuyer contre la came. L'on évite le choc qui a lieu
lorsque le tiroir se ferme par un ressort.
Pour terminer ce que nous avons à dire sur les machines à
vapeur horizontales, nous citerons les noms de MM. Rouffet
et Martin , de Paris, et M. MarioUe-Pingnet , de Saint-Quen-
tin, qui ont exposé, les premiers des machines à détente sans
condensation , et le dernier une machine à détente avec con-
densation. Ces trois machines, qui ne présentent pas de dispo-
sitions particulières , sont très-bien exécutées.
Machines à vapeur oscillantes.
La plus importante des machines oscillantes envoyées à
l'Exposition est celle de M. Boyer, de Lille. Elle est à deux
cylindres et à condensation. L'on reconnaît en la voyant l'ha-
bile exécution de ce constructeur de premier ordre qui con-
struit de si belles et si bonnes machines à balancier. Nous
craignons cette fois que l'expérience ne réponde pas aux vues
de l'auteur qui n'a eu d'autre but que de diminuer le prix de
vente.
M. Béchu a exposé une petite machine oscillante dans la-
quelle la distribution de la vapeur a lieu au moyen de deux ti-
roirs superposés. Le tiroir de distribution fixe est mû par un
excentrique à cames qui démasque brusquement les orifices
du cylindre. L'autre tiroir sert pour la détente que l'on rend
variable à la main en diminuant sa course.
La dernière machine oscillante que nous ayons à citer a été
©nvoyée par l'association des tul listes de Saint-Pierre-lès-
Galais. Cette petite machine sert à faire fonctionner le métier
à tulles qu'ils ont exposé.
Machines rotatives.
L'Exposition française renferme très-peu de machines à va-
peur rotatives. La seule qui mérite d'être mentionnée est celle
de M. Moret, construite d'après les dispositions indiquées par
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 263
M. Pecqueur. Elle se compose d'un bras ou piston se mou-
vant circulairement dans l'intérieur d'une enveloppe annu-
laire. La distribution s'opère au moyen de deux plaques ho-
rizontales qui avancent et reculent dans un plan passant par
l'axe de l'arbre. M. Moret a rendu ce système plus parfait en
modifiant les presse-étoupes de l'arbre de transmission de
mouvement.
Machines à air et à vapeurs combinées.
Les machines à air sont très-rares à TExposition, on ne
peut citer que celle de M. Franchot. Ce moteur accomplit
son action au moyen de réchauffement et du refroidissement
subits de quatre masses d'air passant successivement d'une
chambre chaude dans une chambre froide. L'exposant an-
nonce une dépense d'un kilogramme de charbon par force de
cheval et par heure. Il est douteux que l'on puisse obtenir un
résultat semblable.
M. Pascal, de Lyon, a exposé, sous la dénomination de mo-
teur générateur à combustion comprimée, un appareil qui
trouve parfaitement sa place à côté des machines à air. Il se
compose de quatre parties bien distinctes : un foyer renfermé
dans un récipient clos de toutes parts, une pompe à air, un
cylindre à vapeur ordinaire avec sa boîte de distribution et
une petite pompe alimentaire. On brûle le combustible dans
le foyer avec le secours de la pompe à air, on produit au-
dessus du foyer de la vapeur instantanée, on mélange les
produits de la combustion avec la vapeur surchauffée et l'on
envoie le tout dans le cylindre moteur. Il paraît que l'on ob-
tient des résultats excessivement économiques, avec des ap-
pareils de ce genre, mais jusqu'à présent l'inventeur s'est
abstenu de les faire connaître. Il sera très-curieux de visiter
le bateau portant un appareil moteur de ce système, qui doit
venir se montrer sur la Seine, pendant la durée de l'Expo-
sition.
Les machines à vapeurs combinées de M. Du Tremblay ont
abordé par une autre voie le problème de raïuélioration des
machines à vapeur. Imaginez qu'on fasse rendre la vapeur
d'échappement dans un vase métallique renfermant une très-
grande quantité de tubes remplis d'éther ou de chloroforme,
264 VISITE
liquides qui se réduisent en vapeur à très-basse température ;
l'eau, en se condensant dans ce vase, vaporisera une cer-
taine quantité de ce liquide, qui pourra agir par sa force ex-
pansive sur une nouvelle machine en tout semblable à la
première; ce principe fécond permet d'utiliser une seconde
fois la chaleur produite, mais il est nécessaire d'avoir dans ce
second appareil des clôtures parfaites, si l'on ne veut avoir à
craindre les fuites de ces vapeurs secondaires, très-facilement
inflammables et d'ailleurs d'un prix élevé.
Les applications déjà faites, par M. Du Tremblay, de son
système ne laissent pas que d'avoir une assez grande impor-
tance; on construit en ce moment de grandes machines de
bateaux pour l'emploi des vapeurs combinées^ expression qui
est vicieuse , en ce sens que les deux vapeurs sont toujours
parfaitement isolées l'une de l'autre.
La revue des machines françaises étant terminée, le visi-
teur voudra bien nous permettre de le conduire dans les parties
étrangères, où nous continuerons à observer le même ordre.
Machines à cylindres verticaux.
La première machine qui se présente lorsque l'on quitte les
machines françaises, est celle de M. Schmid, de Vienne (Au-
triche). Elle est établie d'après le système de Wolf sans double
enveloppe ; la vapeur agit à haute pression dans le petit cy-
lindre et se détend dans le grand. L'appareil étant de puis-
sance moyenne, le balancier est supporté par des bâtis trian-
gulaires reliés à l'aide d'entretoises. On ne rencontre aucune
disposition nouvelle dans cette machine, mais on peut affir-
mer que sa construction est très-soignée et ne laisse rien à
désirer.
En nous dirigeant du côté de Chaillot, nous arrivons
auprès de la machine de MM. Van Vlissengen , Van Helle,
Derosne, Cail et Cie, à Amsterdam (Hollande), qui fait partie
d'un appareil à cuire le sucre dans le vide. Elle est à détente
variable et à condensation. Dans les machines à balancier,
on fait presque toujours usage du parallélogramme de Watt,
pour que la tige du piston à vapeur se dirige verticalement;
dans celle-ci, pour simplifier la construction, on a remplacé
le parallélogramme par deux guides en fonte, dans lesquels
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 265
glissent des coulisseaux. Des traverses relient les extrémités
de ces guides aux sommets des supports du balancier. C'est la
seule particularité saillante de cette machine qui est assez
bien traitée.
MM. Cail, Hallot et Cie, de Bruxelles (Belgique), nous pr^
sentent une machine motrice verticale, destinée à faire le vide
dans un appareil à cuire le sucre. Ce système, plus ramassé
que le précédent, est plus convenable pour le service auquel
il est affecté.
La plus belle machine à cylindre vertical que nous ayons
à considérer à l'étranger est sans contredit celle de M. Fair-
bairn, de Manchester (Angleterre).
L'appareil qu'il a envoyé à l'Exposition, et qui fait marcher
les machines de filature anglaises, se compose de deux ma-
chines à colonnes du système connu vulgairement sous le
nom de machine Fairbairn. Ces machines sont à détente fixe
par recouvrement du tiroir et sans condensation. L'arbre à
manivelles situées à angle droit, porte une roue dentée ser-
vant à la fois de volant et de roue d'engrenage. Cette roue
engrène avec un pignon monté sur l'arbre de transmission ;
l'entente des dispositions et les soins apportés dans la con-
struction font voir que l'on est en présence d'une maison de
premier ordre.
La machine à vapeur de MM. Neumann et Esser, d'Aix-la-
Chapelle (Prusse), est à détente et sans condensation. Elle est
formée d'un cylindre soutenu au-dessus du sol sur deux co-
lonnes cannelées, d'une tige de piston agissant par l'intermé-
diaire d'une bielle, sur un arbre à manivelle situé près du sol,
et de deux excentriques circulaires servant, l'un au tiroir de
distribution et l'autre à celui de détente. L'exécution de cette
machine est très-satisfaisante ; s'il y avait une critique à
faire, elle porterait sur l'ensemble du système, qui ne nous
paraît pas présenter une grande solidité.
En nous transportant à lextrémité de la galerie des ma-
chines, nous nous trouvons en présence de la machine à va-
peur à détente variable et sans condensation, de M. Bolinder,
de Stockholm (Suède). Son cylindre est attaché sur le sol, et
l'arbre a manivelle est élevé à une certaine hauteur. La plaque
de fondation du cylindre et le support de l'arbre sont reliés
par un bâti en fonte fixé contre un mur. Les guides delà tige
^6 VISITE
de piston sont attachés sur ce bâti et sont disposés de manière
à pouvoir être rapprochés au fur et à mesure de l'usure.
Les deux tiroirs destinés, l'un à la distribution fixe et l'autre
à la détente, sont en avant du cylindre, et au lieu d'être
mus par des excentriques sont mis en mouvement par une
manivelle. La variation de la détente s'obtient au moyen
d'une pièce à coulisse montée sur le bouton de manivelle.
Dans les machines à détente , la mise en marche est quel-
quefois difficile ; pour obvier à cet inconvénient, on remarque
un robinet qui met en communication les deux boîtes à ti-
roirs. La machine est munie de deux pompes alimentaires
que l'on fait fonctionner par l'intermédiaire d'une bielle et
d'un excentrique. Cette disposition permet de pouvoir faire
marcher les pompes à la main, ce qui est très-commode dans
bien des circonstances. Cette machine, parfaitement entendue
dans son ensemble et dans ses détails, est exécutée d'une
manière très-remarquable.
La machine sphérique de M. Gray, de Londres (Angleterre),
trouve sa place à côté des machines que nous examinons
maintenant. Le piston de cette machine est demi-circulaire
et reçoit de la part de la vapeur un mouvement oscillatoire
qui lui fait décrire un arc d'une certaine amplitude à chaque
oscillation. Le piston est attaché sur un arbre horizontal qui
traverse deux boîtes à étoupes. L'une des extrémités de cet
arbre porte un levier ou demi-balancier, qui transforme son
mouvement de va-et-vient en un mouvement de rotation par
l'intermédiaire d'une bielle et d'un arbre à manivelle. Cette
machine, qui fonctionne régulièrement, fait mouvoir une
partie de la transmission.
Avant de clore la liste des machines à vapeur verticales,
nous avons à indiquer les petites machines d'alimentation de
M. Luschka, de Laibach (Autriche), et de MM. Schaëffer et
Budenberg, de.Magdebourg (Saxe). Ces deux machines ont cela
de remarquable, que la distribution a lieu directement sans
l'emploi d'excentriques.
Les tentatives que fait M. Siemens pour appliquer aux ma-
chines à vapeur le système de régénération de la chaleur, au
moyen des toiles métalliques d'Éricson , sont assurément plus
rationnelles que celles entreprises dans la même direction sur
l'air seul. Les expériences qui pourront être faites, à l'Expo-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 267
sition même, sur la machine à trois cylindres de M. Siemens
ne peuvent manquer de jeter un grand jonr sur cette question
importante.
Machines horizontales.
La plus importante des machines horizontales que l'on
trouve dans l'exposition étrangère est celle de M. Schmid , de
Vienne, exposant dont il a été déjà question en parlant des
machines verticales. Elle est destinée à faire marcher une
pompe horizontale à double effet. Les pistons à vapeur et à
eau sont fixés sur la même tige, et, afin de donner'moins de
longueur possible à l'appareil, l'on a fait usage de deux
bielles latérales.
La forge impériale de Révitza expose une machine hori-
zontale ayant à peu près les mêmes dimensions que celle de
M. Schmid. Cette machine , beaucoup moins bien exécutée
que la précédente, ne présente d'autre particularité que
l'emploi de la coulisse de Stephenson, qui permet de varier
la détente et de faire tourner l'arbre à manivelle dans les
deux sens.
MM.Cail, Hallot etCie, à Bruxelles, présentent une machine
motrice horizontale mettant en mouvement une pompe à air
et une pompe à eau pour le service d'un appareil à cuire le
sucre. La disposition de cette machine présente beaucoup
d'analogie avec les machines exposées par la maison Cail
et Cie de Paris.
La pompe d'Appold est mise en mouvement par la machine
à vapeur de MM. Barrett, Exall et Andrewes , de Reading
(Angleterre). Cette machine ne mériterait aucune mention
spéciale si elle ne faisait pas marcher l'appareil qui fixe tant
l'attention des visiteurs.
M. Steenstrup, de Christiania (Norvège), a envoyé une pe-
tite machine à vapeur de trois chevaux, dans laquelle tous les
mouvements sont directs. La tige du piston se trouve à la fois
guidée par une douille et par un support placé sous le point
d'articulation de la bielle. Cette dernière disposition nous
paraît complètement inutile dans un appareil d'une aussi
faible puissance. L'on ne se sert pas d'excentrique pour
transmettre le mouvement au tiroir, on fait usage d'une
268 VISITE
petite manivelle fixée sur le bouton de la grande manivelle.
Cette petite machine est bien entendue et très-bien exécutée.
Machines oscillantes,
La machine de M. Lestor-Stordeur, d'Houdeng-Aimeries
(Belgique), se compose de deux cylindres oscillants agissant,
par l'intermédiaire des tiges de piston , sur deux manivelles
situées à angle droit sur l'arbre de transmission de mouve-
ment. La distribution de la vapeur s'effectue sans tiroir, au
moyen d'ouvertures pratiquées dans les supports et les tou-
rillons. C'est une disposition très-simple; mais elle occa-
sionne une grande dépense de vapeur, à cause des fuites qui
se manifestent après fort peu de temps de service, et dont on
ne peut se rendre maître.
En se dirigeant du rôté de Chaillot , l'on trouve la machine
de M. Williams (Angleterre), qui fait marcher une partie de
la transmission de mouvement. Elle oscille à la partie supé-
rieure du cylindre sur un entablement supporté par quatre
colonnes. Le tiroir de distribution , placé au-dessus du cou-
vercle du cylindre, se meut à l'aide d'une coulisse, dont on
varie l'inclinaison avec un levier mis à la disposition du con-
ducteur de la machine.
Dans le voisinage de la porte Chaillot, nous arrivons au-
près de quatre machines envoyées par MM. Tousley et Reed,
de New- York (États-Unis). L'une de ces machines est sans
détente et sans condensation. Le principe de la disposition
dont on a fait usage, est de pratiquer des ouvertures sur les
conduits qui amènent la vapeur dans l'intérieur du cylindre
et de la faire venir en même temps par des points diamétra-
lement opposés, de manière à éviter les frottements produits
par la pression de la vapeur.
Les supports sur lesquels le cylindre oscille sont creux et
partagés en deux parties égales par une cloison. La cliambre
supérieure sert à l'introduction de la vapeur, et celle infé-
rieure à l'échappement. Ces chambres, percées d'ouvertures
latérales, sont mises successivement en communication avec
le dessus et le dessous du piston. Chaque support est percé
au centre d'une ouverture conique dans laquelle pénètre l'un
des tourillons servant à l'oscillation du cylindre. Ces sup-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 269
ports sont appliqués contre les surfaces frottantes au moyen
de vis que l'on serre au fur et à mesure de l'usure.
Les inventeurs se sont surtout appliqués à simplifier les
dispositions des machines oscillantes. Ils y sont parvenus de
la manière la plus heureuse, en supprimant les excentriques
et les tiroirs, qui sont toujours gênants dans la construction
des machines de cette espèce.
La seconde machine , composée de deux cylindres accou-
plés, esta détente et sans condensation. Lorsqu'elle marche
à pleine vapeur, la distribution est absolument la même que
dans la machine que nous venons de décrire; il n'en est plus
de même quand elle fonctionne à détente. La disposition dont
on se sert pour cela, se compose de deux anneaux placés à
chaque extrémité des cylindres, ayant extérieurement le dia-
mètre intérieur du cylindre. Ces anneaux portent deux tiges
transversales traversant les couvercles. Quand on ne veut
pas de détente, ils viennent se loger dans des cavités pra-
tiquées dans les fonds, mais lorsqu'on désire de la détente,
l'on s'arrange de façon à placer les anneaux devant les lu-
mières du cylindre et à présenter un obstacle vis-à-vis les
tiges qui glissent dans les couvercles. Plus cet arrêt se pré-
sente vite, plus la détente a de durée. L'obstacle dont on fait
usage est formé de deux bras montés sur un arbre que l'on
manœuvre à la main. Pendant l'oscillation du cylindre, les
tiges qui passent à travers les fonds viennent heurter les bras
tenus dans la position que l'on désire; par suite les anneaux
masquent les orifices d'introduction de la vapeur, et il y a
détente.
Cette machine présente une autre particularité : elle con-
tient une valve creuse au moyen de laquelle on peut marcher
dans les deux sens, régler la vitesse et arrêter le mouvement.
La troisième machine, à cylindre oscillant, ressemble beau-
coup à la première ; elle est seulement disposée de manière à
faire trois mille tours par minute.
La dernière machine ne devrait pas figurer parmi les ma-
chines oscillantes; c'est un petit cheval d'alimentation à cy-
lindre horizontal, dans lequel la pompe à eau est montée sur
le prolongement de la tige du piston à vapeur. La distribution
de vapeur a lieu directement, au moyen d'un bras monté sur
la tige du piston, qui vient frapper deux arrêts fixés sur la
270 VISITE
tige du tiroir de distribution. Celte disposition n'est pas nou-
velle, elle se retrouve dans les appareils alimentaires de
MM. Penn et fils , de Londres.
Les trois premières machines de MM. Tousley et Reed sont
excessivement remarquables par suite des innovations qu'elles
présentent; mais elles pèchent un peu sous le rapport des
formes, qui sont loin d'être gracieuses.
Machines rotatives.
M. Guibal , de Mons (Belgique) , expose un appareil à dé-
tente et à condensation , formé de deux machines rotatives.
La vapeur agit à haute pression dans la première machine , et
se détend dans la seconde. Chacune d'elles est composée d'un
tambour dans lequel se meut un piston plan , incliné sur l'axe
de l'arbre de transmission de mouvement. Les pistons, ne
portant pas de garniture , ne peuvent s'opposer aux fuites qui
doivent se manifester peu de temps après la mise en marche.
Ce système, quoique fort simple, a selon nous peu d'avenir.
Les étrangers , ainsi que les Français, ont fort peu de ma-
chines rotatives; nous n'avons à citer que celles de MM. Wal-
ker et Nicole, exposants anglais.
Grues fixes.
Parmi les divers engins servant à la manœuvre des far-
deaux , l'Exposition ne nous présente guère que cinq ou six
grues, lesquelles sont remarquables d'ailleurs par leur bonne
exécution.
La construction des grues a été, depuis dix ou douze années,
tellement perfectionnée par la plupart des plus habiles con-
structeurs, tant en France qu'en Angleterre, que les machines
de ce genre, si l'on en excepte la grue hydraulique à trans-
mission, de M. Vorutz, ne comportent aucune nouvelle com-
binaison.
Ce genre de machines se rencontre aujourd'hui dans toutes
les industries, et chacun sait qu'elles servent à soulever et à
manœuvrer de lourds fardeaux. C'est surtout depuis l'emploi
des voitures locomotives que l'on s'est occupé de l'établisse-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 271
ment de grues capables de soulever des poids de 30 000 et
même de 40 000 kilogrammes.
La grande grue exposée par les ateliers Gavé peut porter
35 000 kilogrammes. C'est une- fort belle machine , montée
avec tout le soin et la solidité qu'exigent ces sortes d'appareils.
MM. Bourgougnon et Cie, successeurs de M. Gavé, ont conti-
nué avec succès les divers genres de construction qui consti-
tuaient la spécialité de cette importante usine.
Outre les grandes machines à vapeur transatlantiques et ces
lourdes pièces qui exigent un outillage de premier ordre ,
M. Gavé avait aussi toujours construit des grues d'une par-
faite exécution. Ge qui distingue principalement celle exposée
par M. Bourgougnon cette année , c'est la forme de l'arbre
vertical dont la légèreté apparente n'exclut point la solidité ,
bien que l'appareil ne soit point double , ainsi qu'il arrive
souvent dans les grues d'une grande puissance.
La grue exposée au centre de l'Annexe par M. Vorutz aîné,
constructeur à Nantes , présente une combinaison toute nou-
velle et digne d'examen.
Jusqu'à ce jour les grues étaient presque exclusivement
manœuvrées par la force de l'homme appliquée à une mani-
velle simple ou double; mais lorsque l'appareil doit fonction-
ner d'une manière presque continue, cette manœuvre devient
excessivement coûteuse.
Le mouvement de rotation de l'arbre vertical qui porte le
treuil de la machine devait nécessairement, sinon rendre dif-
ficile, au moins compliquer l'application d'une force mécani-
que. Aussi n'avait-on point encore eu recours à l'emploi régu-
lier de la vapeur.
M. Vorutz vient de combiner la force mécanique de la va-
peur avec le principe de la presse hydraulique , et son appa-
reil constitue une application remarquable de ce principe.
L'arbre vertical renferme le corps d une presse hydrauli-
que dont le piston est surmonté d'une crémaillère verticale
qui met en jeu les engrenages du treuil , et la presse hy-
draulique fonctionne elle-même par l'adjonction d'une petite
machine à vapeur placée à telle distance qu'on voudra. Elle
porte sur son bâti la pompe foulante, qui est mise en commu-
nication avec le pied de la grue au moyen d'un petit tuyau
d'un centimètre de diamètre et d'une Iongu<'ur quelconque.
272 VISITE
Le cadre trop restreint de notre compte rendu ne nous
permet point d'entrer dans des détails de construction; nous
nous bornerons à dire que cette ingénieuse combinaison est,
sous tous les rapports, d'une fort belle exécution, et qu'elle
témoigne de la sagacité de l'inventeur.
Les grues de cette espèce qui ont figuré à l'Exposition de
Londres et qui sont maintenant répandues dans plusieurs docks
de l'Angleterre, alimentent d'une autre manière leurs presses
hydrauliques. Une machine à vapeur, ou même une simple
conduite, est chargée d'une manière continue de remplir d'eau
un réservoir supérieur dans lequel une pression suffisante
est au besoin maintenue; ce réservoir est mis en communica-
tion avec la presse par un simple robinet qu'il suffit d'ouvrir
ou de fermer pour obtenir le mouvement ou le repos. Les di-
vers mouvements, celui du câble et celui de rotation de tout
l'appareil , s'obtiennent ainsi dans le sens que l'on désire
toutes les fois qu'il en est besoin , sans aucun arrêt dans le
moteur principal. L'appareil de M. Vorutz est moins impor-
tant, mais plus applicable au travail moins régulier que la
plupart de nos grues ont à faire.
Pompes.
Les pompes que nous offre l'Exposition , si l'on en excepte
la pompe d'Appold, ne sont remarquables que par leur bonne
exécution et par quelques perfectionnements de détail, dus à
l'emploi nouveau du caoutchouc. C'est donc sur ce point que
nous appellerons plus particulièrement l'attention.
Citons cependant de suite, comme objet curieux, une pompe
rotative de M. Franchot, qui paraît avoir eu le premier l'idée
du principe de l'appareil plus connu sous le nom de pompe
Jobard; un galet décrivant une circonférence autour d'un
arbre moteur comprime un tube en caoutchouc disposé circu-
lairement ; par l'effet de cette compression qui suit la marche
du galet , l'eau est aspirée et en même temps refoulée d'une
manière continue. Cette disposition si simple fonctionne bien;
si le caoutchouc s'use rapidement, il peut être facilement
remplacé, et l'extrême simplicité de cet appareil permet de le
recommander dans certains cas pour l'approvisionnement
domestique.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. ^73
Le même exposant exhibe une canne hydraulique pouvant
élever l'eau à une grande hauteur, sans piston ni aucun mou-
vement de rotation. Un tuyau en cuivre, vertical, tenu en
suspension par un ressort, plonge au fond d'un puits et s'é-
lève par sa partie supérieure au-dessus du sol, à la hauteur
de quelques mètres ; il est muni inférieurement d'une bonne
soupape. On peut , en appuyant avec la main sur le ressort,
lui imprimer verticalement un petit mouvement rapide d'os-
cillation ; l'eau contenue dans le tube reste presque immobile
par suite de son inertie, et permet dès lors à l'eau du puits de
soulever la soupape d'une hauteur égale à l'oscillation; c'est
ainsi que cette eau , passant dans le tube et retenue par la
soupape, s'élève, par une suite continue de petites secousses,
jusqu'au sommet du tube. La simplicité de cet appareil le ren-
dra utile dans bien des cas, et son prix, sans doute peu élevé,
permettra d'en répandre l'usage dans l'agriculture ou la cul-
ture des jardins. Il ne faudrait cependant pas espérer de son
emploi un grand effet utile, le ressort n'ayant d'autre effet
que de faciliter la manœuvre.
M. Yarz, de Toulouse, expose une pompe qu'il appelle
hydrodynamique, dont le principe est intéressant et dont une
application en grand a été faite lors des fondations du pont de
Londres ; cette machine n'est autre qu'une pompe de Vera
modifiée. Imaginez une courroie sans fin en gutta- percha, dé-
coupée à jour par des trous en furme de trèfles, et passant sur
un cylindre horizontal qu'on a placé directement au-dessus
du puits , à un mètre du sol ou davantage , suivant la hau-
teur à laquelle on veut élever l'eau. La partie inférieure de la
courroie plonge au fond du puits, et elle y est maintenue par
un rouleau de tension fixé à demeure. Dès qu'on tourne le
cylindre supérieur au moyeu d'une manivelle, la courroie suit
le mouvement, et chacune de ses découpures , en venant suc-
cessivement plonger au fond du puits, entraîne un peu d'eau
nouvelle. Par l'effet de la capillarité et de l'attraction molé-
culaire, qui la maintiennent attachée et suspendue à la cour-
roie , une partie de cette eau parvient jusqu'au cylindre supé-
rieur. A ce moment , soit par compression contre la surface
cylindrique, soit par suite du mouvement circulaire, elle
abandonne la courroie et retombe dans une auge disposée con-
venablement pour la conduire dans le réservoir à alimenter.
206 r
274 VISITE
La gutta -percha étant à peu près inaltérable dans l'eau, et
ne subissant dans ce travail aucune usure sensible , l'appareil
paraît devoir fonctionner bien des années sans aucun en-
tretien.
Celui qui est exposé peut, avec cinq courroies de cinq à six
centimètres de largeur chacune, fournir 125 litres d'eau par
minute. La seule nouveauté de cette machine consiste dans les
découpures et le choix de la matière; en général, ces appa-
reils ne donnent qu'un effet utile très-faible.
Il en est presque toujours ainsi pour tous ces appareils siin-
ples, que chaque exposition fait surgir et qui tournent toujours
dans le même cercle.
Passons maintenant à l'examen des pompes proprement
dites , c'est-à-dire des machines à pistons et à clapets ; nous
remarquons d'abord une petite pompe de M. Stolz fils, à deux
corps et à deux pistons. Elle diffère des pompes ordinaires à
double effet en ce qu'elle n'a plus besoin de clapet d'aspiration,
et que l'un des deux pistons refoule l'eau dans la colonne d'as-
cension, lorsque la tige monte ou descend.
M. Letestu expose deux belles pompes à simple effet,
qui élèvent ensemble, à 15 mètres de hauteur, '1250 litres
d'eau par minute, qu'elles tirent de la Seine pour le service
de la grande galerie des machines. Ses pompes à incendie ,
d'une exécution parfaite , sont remarquables par l'excellente
disposition des clapets d'aspiration et d'ascension. Tous deux
sont garnis en caoutchouc, ou plutôt d'un tissu de toile à
plusieurs épaisseurs superposées, entre chacune desquelles
alternent des rondelles de caoutchouc; le tout comprimé for-
tement, de manière à ne former qu'une substance solide, com-
pacte et élastique.
M. Letestu emploie aussi des soupapes ayant la forme d'une
pomme d'arrosoir , parfaitement libres sur leur siège et sans
aucun guide; de telle sorte qu'elles retombent exactement et
rapidement à leur place, quoique s'étant soulevées assez haut
pour laisser passer les corps solides que l'eau entraîne avec
elle dans les tuyaux d'aspiration. Elles sont chaussées d'un
caoutchouc vulcanisé, qui épouse leur forme comme un man-
chon , et les rend ainsi hermétiques , sans exposer le siège à
aucune usure ou détérioration , comme avec les clapets mé-
talliques.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 273
M. Letestu préfère ce dispositif aux clapets sphériques;
ceux-ci , dont le noyau est en fonte ou en grenaille de plomb,
sont recouverts également d'.un caoutchouc vulcanisé , mais
qu'il est impossible de couler sur le métal sans laisser exté-
rieurement un léger bourrelet qui nuit à la fermeture du
clapet,
M. Nillus jeune , du Havre , expose une pompe du système
dit des prêtres^ qui n'est remarquable que par sa bonne exé-
cution. On l'emploie avec avantage pour la marine et pour
des épuisements à de petites profondeurs.
Les pompes à incendie de MM. Fiaud et Guérin, de Paris,
sont excessivement commodes et parfaitement exécutées, mais
elles ne présentent aucune innovation sérieuse.
Enfin la grande pompe anglaise d'Appold mérite une men-
tion particulière.
Cette puissante machine , excellente pour élever l'eau à de
petites hauteurs , convient surtout au dessèchement des ma-
rais. Semblable, à peu près, au ventilateur tel que l'a proposé
M. Combes, elle se compose d'un axe horizontal animé d'une
très-grande vitesse de rotation , armé d'un certain nombre
d'ailes courbes qui tournent dans un cylindre fermé ou tam-
bour. Ce cylindre communique avec le réservoir inférieur au
moyen d'un double tuyau d'aspiration qui part, à droite et à
gauche, de son centre, et qui est surmonté d'un tuyau verti-
cal formant la colonne d'ascension pour la conduite de l'eau
dans un réservoir supérieur. Par le mouvement rapide des
ailes, l'eau est aspirée et chassée avec énergie dans la colonne
d'ascension qui lui offre un large débouché. Elle présente les
avantages d'être d'un prix peu élevé , relativement au volume
d'eau quelle débite; son seul inconvénient est d'exiger un
mouvement rapide de rotation , qu'il n'est possible d'obtenir
que par des transmissions compliquées; cette rapidité devant
augmenter en même temps que la hauteur à laquelle on doit
élever l'eau , cet appareil ne convient que pour de faibles élé-
vations; mais, comme il ne contient aucun piston, aucune sou-
pape, il n'est sujet à aucun dérangement. Cette machine est,
sans contredit , parmi les pompes hydrauliques , ce que l'Ex-
position nous présente de plus intéressant.
La pompe de M. Lessertois est fondée sur le principe de
celle d'Appold ; mais elle est moins parfaite que cette der-
276 VISITE
nière, l'aspiration ne s'y opérant que d'un seul côté. La ma-
chine ne pourrait fournir, pour les mêmes dimensions, qu'une-
quantité d'eau beaucoup moindre.
Ventilateurs et souffleries.
Les machines les plus importantes de la section qui nous
occupe sont les machines à piston et les ventilateurs.
Les machines à piston sont ordinairement composées d'un
ou plusieurs cylindres en fonte dans lesquels se meuvent des
pistons également en fonte, garnis de cuir. Les extrémités de
chaque cylindre portent des clapets qui permettent l'entrée et
la sortie de l'air. La tige de piston traverse le couvercle du
cylindre et reçoit son mouvement soit directement, soit par
l'intermédiaire d'un balancier.
Les souffleries à piston que l'on rencontre à l'Exposition
diffèrent beaucoup de la disposition généralement usitée, que
nous venons de décrire sommairement.
La machine soufflante la plus remarquable est sans contre-
dit celle de MM. Thomas et Laurens , qui est mise en mouve-
ment par une machine à vapeur horizontale, à détente et à
condensation. Dans cet appareil, les clapets sont remplacés par
un tiroir de distribution posé à découvert et pressé contre la
table des lumières par des ressorts. L'air entre et sort absolu-
ment de la même façon que la vapeur dans une machine à
vapeur. Les avantages de cet appareil sont assez nom-
breux ; il permet de marcher sans bruit avec une vitesse de
150 coups doubles de piston par minute, de voir ce qui se
passe dans l'intérieur du cylindre et dans la distribution, et de
diminuer les chances de grippement du tiroir, parce qu'il n'est
appuyé contre le cylindre que par une pression assez faible.
La machine à vapeur qui donne le mouvement à la machine
soufflante est établie de manière à pouvoir fonctionner à
grande vitesse. Pour améliorer le vide du condenseur, l'injec-
tion de l'eau froide a lieu aussi près que possible de l'échap-
pement de la vapeur et l'eau arrive en pluie fine.
Cet appareil, construit par M. Bourdon, avec beaucoup de
soin, fonctionne à l'Exposition avec une grande régularité; les-
machines de ce système sont appelées à se répandre dans tous
les établissements où l'on a besoin d'air comprimé.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 277
MM. Cail et Cie ont parmi les machines qui sortent de leurs
ateliers une soufflerie établie d après le système de MM. Tho-
mas et Laurens. Elle est construite plus solidement et pré-
sente plus de sécurité que la première , qui laisse à désirer
dans quelques-uns de ses détails.
Antérieurement à la machine de MM. Thomas et Laurens,
une disposition analogue avait été employée par MM. Schnei-
der et Cie, du Creuset.
La machine soufflante de MM. Vauthier et Gibour, de Di-
jon, est composée d'un cylindre horizontal en fonte, fermé par
deux fonds percés d'un grand nombre d ouvertures, recouvertes
intérieurement d'une matière flexible. Ces ouvertures servent
à l'introduction de lair, qui a lieu avec une contraction pres-
que nulle. L'air sort du cylindre par l'intérieur de la tige du
piston , qui est mise directement en mouvement au moyen
d'une machine à vapeur horizontale.
Les machines de ce système peuvent fonctionner avec une
assez grande vitesse et fournissent une quantité d'air égale
aux j^ du volume engendré par le piston.
Cette disposition, quoique assez simple, ne vaut pas à beau-
coup près les machines à tiroir. Elle n'est, selon nous, appli-
cable qu'aux machines soufflantes d'une faible puissance.
Un ventilateur se compose habituellement d'un tambour
dans lequel se meuvent avec une grande vitesse plusieurs ailes
attachées solidement sur un axe. L'dir entre au centre par
deux ouvertures circulaires et sort, soit par la totalité de la
circonférence, soit par un tuyau qui y prend naissance.
Dans le premier cas, le ventilateur est aspirant, et dans le
second , il est foulant.
Lorsqu'on fait marcher les ailes, l'air qui les entoure tend ,
par l'effet de la force centrifuge, à s éloigner du centre et à se
diriger vers la circonférence. Il se produit ainsi un courant
d'air, qui est d'autant plus actif que la vitesse de rotation est
plus grande.
Les machines à piston servent dans les hauts fourneaux et
dans toutes les applications où l'on a besoin d'air à une pres-
sion élevée, tandis que les ventilateurs sont employés dans
l'aérage des habitations , dans les forges et surtout dans les
fonderies.
M. le capitaine d'artillerie Orrlinaire de La Colonge, atta-
278 VISITE
ché à la poudrerie de Saint-Médard , près Bordeaux , a envoyé
à l'Exposition universelle un ventilateur dans lequel il a suivi
les proportions indiquées dans un mémoire qu'il a présenté,
il y a quelques années, à l'Académie des sciences.
Il est établi de façon à donner, avec une vitesse de 1260
tours par minute, un volume de mille litres d'air par seconde
sous une pression de 0"',135 d'eau , en exigeant une force mo-
trice de 3 chevaux 6 dixièmes.
Les expériences qui ont eu lieu récemment ont constaté
que l'auteur ne s'était pas trompé dans ses prévisions, ce qui
nous donne lieu d'espérer que nous ne tarderons pas à possé-
der une théorie sur laquelle on pui?se compter.
M. de La Colonge ne s'est pas appliqué à faire disparaître
le bruit désagréable que l'on entend dans tous les ventila-
teurs établis jusqu'à présent. D'autres constructeurs se sont
occupés de cette question importante , entre autres M. Llyod ,
de Londres , qui a résolu la question de la manière la plus
heureuse. Les palettes courbes de son ventilateur, qui a en-
viron 1 mètre de diamètre , sont fixées solidement sur deux
troncs de cônes opposés par leur partie concave. Les petites
bases sont garnies de cercles en cuivre ayant intérieurement
des diamètres égaux à ceux des entrées d'air des enveloppes.
Comme dans les ventilateurs ordinaires, l'air entre par la
partie centrale et sort par la circonférence.
MM. Dubied et Ducommun , de Mulhouse, et Mou'Ssard , de
Paris, ont apporté aux ventilateurs des modifications analo-
gues qui doivent également faire disparaître le bruit.
La société des mines de Blanzy expose un ventilateur des-
tiné à renouveler l'air des galeries d'une houillère. Il est à
axe vertical portant pour ailes des portions d'hélice. Ce venti-
lateur est mis directement en mouvement par une petite ma-
chine à vapeur. La disposition est simple et doit donner de
bons résultats.
Les ventilateurs qu'il nous reste à examiner s'éloignent
sensiblement , sous le rapport du principe , de ceux que nous
venons de passer en revue.
Le ventilateur de M. Lemielle , de Valenciennes, se com-
pose de deux cylindres excentrés, l'un, fixe, muni de deux ou-
vertures servant à l'entrée et à la sortie de l'air, et l'autre, mo-
bile garni de deux panneaux disposés de manière à empêcher
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 27t)
la communication entre les deux ouvertures. Le cylindre fixe
est extérieur et construit en maçonnerie ; celui mobile est in-
térieur et formé de cercles à croisillons recouverts de madriers.
Ce dernier porte deux faces planes, parallèles entre elles, sur
lesquelles sont articulés deux panneaux mus par des tiges qui
appuient constamment leurs extrémités contre la surface in-
térieure du cylindre enveloppe.
Les ventilateurs de ce système peuvent être à axe horizon-
tal ou vertical. Dans le premier cas l'arbre est mis en mou-
vement par une poulie, tandis que dans le second il est
mû directement par une machine à vapeur horizontale. Les
deux dispositions se trouvent à l'Exposition ; il n'y a que la
première qui fonctionne. Les expériences n'ayant pas encore
eu lieu , l'on ne peut pas affirmer que l'effet utile soit consi-
dérable ; mais il y a lieu d'augurer favorablement. Dans ce sy-
stème , la pression du vent est 5 ou 6 fois plus élevée que dans
le ventilateur ordinaire ; c'est un avantage qu'on ne manquera
pas d'utiliser dans bien des circonstances.
Vient enfin le ventilateur pour l'aérage des mines, de M. Fa-
bry, construit par M. Colson, à Haine-Saint-Pierre ( Belgique).
Cet appareil se compose principalement de deux arbres hori-
zontaux parallèles garnis de roues à trois palettes qui s'en-
grènent et se meuvent dans deux coursiers cylindriques en
maçonnerie. Le ventilateur dont il s'agit se place sur l'ori-
fice du puits et peut à volonté aspirer ou refouler l'air sui-
vant le sens dans lequel on fait tourner les roues. C'est une
propriété excessivement précieuse dans les appareils de ce
genre , ce qui fait que ce système est appelé à rendre d'im-
menses services. Le mouvement des roues est obtenu de la
manière la plus simple. Un cylindre à vapeur est disposé ver-
ticalement entre les arbres, à égale distance des centres ; l'ex-
trémité supérieure de la tige du piston porte une traverse aux
extrémités de laquelle sont articulées deux bielles comman-
dant deux manivelles fixées sur les arbres. Ces manivelles
doivent être inclinées de telle façon , qu'elles fassent con-
stamment le même angle avec l'horizontale passant par le
centre des arbres. Avec une pareille disposition , la tige du
piston à vapeur tend à s'élever et à s'abaisser verticalement ;
il n'y a par conséquent pas besoin de se servir de guide , ce
qui simplifie sensiblement la construction .
280 VISITE
Il est fâcheux que les limites étroites de notre compte
rendu nous aient empêché d'entrer dans des développements
plus étendus; nous espérons néanmoins que ces notions suf-
fisent pour que le public puisse apprécier les améliorations
sensibles que l'on a apportées dans la construction des ma-
chines soufflantes , depuis un petit nombre d'années.
CLASSE V.
Mécanique spéciale et matériel des chemins de fer et des autres
modes de transport.
L'importance toujours croissante, et dont on ne peut pré-
voir le terme, du trafic des chemins de fer, et son extension
dans des proportions si considérables depuis une dizaine d'an-
nées, se trouvent dignement représentées à l'Exposition uni-
verselle de 1855, sous le rapport de l'engin principal de ce
trafic, la locomotive.
On ne compte pas moins de 22 locomotives dans la galerie
des machines, et presque toutes sont remarquables par les
tendances qu'elles dénotent dans l'esprit des ingénieurs.
Mais avant d'examiner le point caractéristique de ces ten-
dances dans chaque pays, il n'est pas inutile de donner une
définition succincte et une description sommaire des princi-
paux éléments qui composent la locomotive.
Une machine locomotive qui n'est, à proprement parler,
qu'une machine à vapeur attachée à sa chaudière, portée elle-
même sur un train de roues, qui lui sert à la fois de support
et de propulseur, est composée de trois appareils distincts :
•1° le producteur de force ou chaudière, 2° le distributeur de
force ou mécanisme, 3° Vutilisateur de la force ou le véhicule.
La chaudière , destinée , comme tous les appareils de vapori-
sation , à produire la plus grande quantité de vapeur, dans le
temps le plus court , et avec le moins de dépense possible , se
compose, à son tour, essentiellement, d'un foyer intérieur, de
tubes conducteurs de l'air chaud, d'une boîte à fumée, récep-
teur des gaz qui se dégagent de la combustion , d'une chemi-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 281
née qui rejette ces gaz dans l'atsmosphère , de la chaudière
proprement dite , vase métallique contenant l'eau et la va-
peur. En outre des différentes pièces accessoires qui en font
partie intégrante, telles que prise de vapeur, régulateur, sou-
pape de sûreté, tube de niveau d'eau, robinet d'épreuve, sif-
flet d'alarme, manomètre, trou d'homme, robinets réchauf-
feurs, robinets de vidange, pompes alimentaires, cendrier.
Le mécanisme, destiné à transmettre le mouvement au véhi-
cule, doit consommer le moins de vapeur possible, en donnant
le plus grand résultat utile. Il se compose des cylindres et de
leur boîte de tiroir, dans lesquels se meuvent les pistons mu-
nis de leur tige qui traverse le fonds du cylindre, en passant
à travers une presse éloupe {stuffing box), fermant toute issue
à la vapeur. La tige se termine par une tête (crosse ou co-
quille) faite d'un bloc de métal carré, formant deux semelles
qui glissent sur deux pièces en métal, fortement reliées au
châssis, nommées glissières et qui servent à guider le mouve-
ment alternatif de la tige du piston. Cette tête reçoit la petite
tète de la bielle motrice, forte tige en fer forgé qui transmet
le mouvement alternatif rectiligne du piston aux roues mo-
trices, en le transformant en un mouvement circulaire con-
tinu. Cette transformation se fait au moyen d'une manivelle
portant un bouton pour recevoir la tète de la bielle.
Pour que la transformation du mouvement alternatif recti-
ligne en un mouvement circulaire ait lieu, il suffit que le
rayon de la manivelle soit égal à la moitié de la course du pis-
ton. Dans la machine locomotive , la manivelle est remplacée
soit par un coude sur l'essieu moteur, soit par un bouton de
manivelle fixé surun renflement du moyeudes roues motrices.
Dans le premier cas. la machine a généralement des cylindres
à l'intérieur des roues ; dans le second, elle les a à l'extérieur.
L'essieu moteur, ainsi mis en fonction par le mouvement du
piston, commande à son tour le tiroir d'introduction de va-
peur dans les cylindres, au moyen d'une manivelle d'un petit
rayon qui imprime au tiroir, au moyen d'une bielle, un mou-
vement alternatif de va-et-vient.
En pratique, la manivelle de distribution est remplacée par
un excentrique, et la bielle prend alors le nom de barre d'ex-
centrique.
Deux excentriques pour chaque cylindre sont attachés à
282 VISITE
l'essieu moteur. Dans les anciennes machines , chaque barre
d'excentrique se terminait par un V ou pied de biche, em-
brassant , dans toutes les positions , le bouton placé à l'extré-
mité inférieure du levier de distribution ; les deux barres d'ex-
centriques, étant liées entre elles par une entretoise articulée,
pouvaient être abaissées ou relevées par l'appareil de distri-
bution de marche, de telle sorte que le mécanicien pouvait, à
volonté, régler l'introduction de vapeur, de manière à obtenir
lamarche en avant et la marche en arrière. M. Stephenson a rem-
placé cette disposition par une coulisse en arc de cercle, qui réu-
nit les extrémités des deux barres d'excentriques, et dans la^
quelle se trouve engagée à frottement la tête de la tige du
tiroir. Cette coulisse porte le nom de son inventeur. On obtient,
par le déplacement, en haut ou en bas, de cette coulisse, par rap^
port au bouton de la tige du tiroir, le changement d'introduction
de vapeur, et , par conséquent , le changement de marche. Elle
est, en outre, appliquée à produire la détente variable. Cette
dernière disposition est maintenant la plus généralement adop-
tée. Le déplacement de la coulisse s'obtient par un appareil
dit de changement de marche, qu'il est inutile de décrire ici,
et dont un des bouts se trouve à la portée de la main du mé-
canicien.
Un organe intermédiaire entre la chaudière et le méca-
nisme est le tuyau d'échappement de la vapeur, dont les dis-
positions varient suivant les constructeurs. Ce tuyau d'échap-
pement est placé dans la boîte à fumée et aboutit à la base
de la cheminée. On a profité de l'échappement de la vapeur
pour activer le tirage de la cheminée , et maintenant on rend
cet échappement variable en faisant varier la section de l'ori-
fice qui livre passage à la vapeur.
Le véhicule se compose du châssis ou bâti, cadre rectangu-
laire dont les deux brancards ou longerons en fer plat, posés de
champ, ou en bois armé de tôle, portent la chaudière, et dont
les traverses d'avant et d'arrière, généralement en bois, ser-
vent d'attache au crochet de traction, à la barre d'attelage,
aux chaînes de sûreté et de guide, aux tampons de choc et
d'écartement. Le châssis est relié aux roues, dont le nombre
varie de quatre à huit, en s'appuyant au moyen des plaques
de garde des ressorts de suspension et de la boîte à graisse sur
la fusée des essieux.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 283
Telles sont les dispositions généralement adoptées dans la
construction des machines locomotives, dispositions qui, jus-
qu'à ce jour, varient surtout dans leurs détails, mais non dans
leur ensemble.
Les besoins du trafic des chemins de fer ont donné nais-
sance à trois classes de machines locomotives :
i° Machines à voyageurs, à grande vitesse;
2° Machines mixtes, à voyageurs ou à marchandises;
3° Machines à marchandises, à petite vitesse, à très-grande
force.
Les machines à voyageurs se distinguent par l'indépen-
dance des roues motrices et leur grand diamètre.
Les machines mixtes ont, en général, quatre roues cou-
plées, et leur diamètre moyen est de 1'",70.
Les machines à marchandises ont, en f^énéral , six roues
couplées, et leur diamètre ne dépasse guère 1™,50.
Deux graves questions partagent les ingénieurs, tant en
France qu'en Angleterre : ce sont celles relatives à la place
des cylindres, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur du châssis,
et au poids des machines, ainsi qu'à la répartition de ce poids.
Depuis la facilité qu'on a obtenue de se procurer des essieux
coudés de bonne qualité, on est généralement revenu aux cy-
lindres intérieurs. Quant à la question du poids, quoique nous
ayons, depuis dix ans déjà, des faits suffisants pour nous éclai-
rer, la méthode de ces observations a été tellement différente
pour chaque ingénieur, qu'il est difficile d'arriver à une opi-
nion pratique basée sur l'expérience. On ne peut s'empêcher
de regretter vivement ce manque d'ensemble dans la manière
d'observer et de compter les dépenses du service de traction,
en pensant aux immenses résultats pratiques qu'aurait pu
donner un même mode d'observation.
La tendance générale de l'Exposition française est de don-
ner aux machines locomotives un poids considérable, réparti
sur un grand nombre de paires de roues. Cette tendance , qui
s'était déjà manifestée depuis plusieurs années, a donné heu
en Allemagne au système Engerth, dont le caractère prin-
cipal est la liaison du tender à la machine par une articu-
lation qui sert à répartir le poids total sur les roues de la
machine et du tender. En Angleterre , au contraire , quoique
ce pays soit représenté à l'Exposition par un nombre insufïi-
284 VISITE
sant de locomotives pour pouvoir juger ses tendances, nous
croyons qu'on revient aux machines légères.
Dans la visite que nous faisons ci-après des machines
exposées, nous avons considéré le tender comme partie in-
dispensable de la machine et l'avons examiné en même temps
qu'elle.
Un fait bien remarquable à l'Exposition de 4 855, c'est la
tendance presque générale pour les machines à vapeur fixes à
adopter les machines à grande vitesse, avec les dispositions
analogues à celles employées pour le mécanisme des locomo-
tives. Ce fait et celui de l'emploi de l'acier pour remplacer les
pièces principales des machines sont sans contredit les plus
saillants de 1 Exposition et donneront d'ici â peu d'années des
résultats inattendus.
Machine à marchandises de M. Polonceau , construite dans les
ateliers de la Compagnie d'Orléans, gare d'Ivry. B. 73.
Cette machine, à six roues couplées, est à cylindres inté-
rieurs inclinés vers l'essieu moteur; les tiroirs sont verticaux
et placés sur le côté extérieur du cylindre et en dehors des
roues; ils marchent par une distribution extérieure. Cette
disposition est extrêmement heureuse parce qu'elle rend la
réparation el l'entretien faciles et peu dispendieux. Nous ne
doutons pas que, par la suite, elle ne soit plus généralement
adoptée.
Châssis. — Le châssis est extérieur aux roues et composé de
deux longerons en fer forgé avec les plaques de garde venues
de forge.
Essieux. — Les trois essieux sont intercalés entre la boîte à
feu et la boîte à fumée; celui du milieu est coudé et porte
au dehors les boîtes à graisse, les excentriques de distribu-
tion et la manivelle d'accouplement en fer forgé. Les mani-
velles du milieu sont d'une seule pièce avec les poulies d'ex-
centrique, elles relient, par des bielles d'accouplement les
manivelles, rapportées également aux extrémités des essieux
d'avant et d'arrière pour l'accouplement des roues.
La charge sur ' ju moteur se trouve répartie en trois
pomts de sa longueur par trois ressorts, dont deux supérieurs
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 285
attachés sur les longerons, et un inférieur au milieu attaché
à un longeron central fixé au-dessous de la chaudière sur les
supports.
Bielles. — Les bielles motrices sont à fourche à deux bran-
ches parallèles , embrassant la coquille du piston et livrant
passage au support des glissières. La grosse tête de bielle est
à chape mobile avec coin de serrage à vis au lieu de cla-
vettes.
Distribution. — La distribution est à coulisse renversée; le
relevage s'effectue sur le coulisseau, il est bien étudié et par-
faitement exécuté. La coulisse double , dont la convexité est
tournée vers l'essieu moteur, est suspendue par son milieu
et oscille autour d'un point fixe pris sur le longeron. Le cou-
lisseau , attaché à une grande bielle de tiroir, est mobile ver-
ticalement dans la coulisse et manœuvré par l'arbre de rele-
vage, quand on marche à petite introduction et qu'on change
la marche.
L'arbre de relevage est porté par trois supports ; les deux
extrêmes sont fixés sur la barre d'écartement des plaques de
garde, et celui du milieu au support des glissières, fixé lui-
même au support d'avant, en tôle et cornière, de la partie
cylindrique de la chaudière.
Pompes. — Les pompes sont à petite course, fixées exté-
rieurement sur les longerons; le plongeur est mû par une
bielle fixée et articulée à l'arrière du collier d'excentrique de
la marche en arrière.
Prise de vapeur. — Le régulateur est placé dans une boîte
à l'avant de la chaudière un peu en arrière de la cheminée.
On a appliqué à cette machine la grille fumivore de
M. Chobrzenski, qui a donné, dans des expériences faites au
chemin d'Orléans, ^ 4|2 d'économie de houille rapportée
à la dépense actuelle de coke.
En résumé, cette machine est très-bien exécutée et établie
avec soin; elle peut traîner, nous assure-t-on, en service or-
dinaire, un train de 45 wagons chargés de 6000 kilogrammes.
Voici les éléments que nous avons pu recueillir sur le but
et sur la construction de cette machine.
Elle a été exécutée en trois mois : commandée le 9 jan-
vier 1855, elle a été terminée le iO avril.
Les avantages qu'on a recherchés sont les suivants :
286 VISITE
1° Abord facile de toutes les pièces du mécanisme pour la
visite, le nettoyage et l'entretien ;
2° Augmentation des surfaces de frottement, obtenue par
suite de l'espace réservé à chacune des pièces, et par consé-
quent diminution de l'usure ;
3° Abaissement du centre de gravité de la chaudière et al-
longement de la cheminée.
Les dimensions principales sont les suivantes :
Surface de chauffe -1 ,34 mètres.
Diamètre des cylindres 0,42
Course des pistons 0,65
Diamètre des roues 1,57
La chaudière est timbrée à 8 atmosphères.
Le poids de la machine est de 26 585 kilogrammes.
Le poids de la machine chargée d'eau et de coke ,
30 950 kilogrammes.
Les essieux d'avant portent 4 0184 kilog.
du milieu Id 4 0 562
— d'arrière Id i 0 184
Ville de Genève : machine mixte construite dans les ateliers
de M. André KœcMin. A 73.
Cette machine a ses quatre roues d'arrière couplées; la
bielle motrice se trouve en arrière de celle d'accouplement ;
elle a ses cylindres extérieurs et horizontaux avec tiroirs
intérieurs et verticaux. Elle est à détente variable.
Châssis. — Il est composé de deux longerons en fer avec
plaques de garde rapportées.
Essieux. — Les trois essieux sont entre les boîtes à feu et à
fumée. Celui du milieu est moteur; les roues du milieu et
d'arrière^ à moyeux en fonte portent les boutons moteurs et
d'accouplement.
Cylindres et mouvement. — Les cylindres sont appliqués
extérieurement aux longerons avec deux glissières à chaque
cylindre, soutenues d'un bout sur le couvercle et de l'autre
sur un support fixé au longeron.
Distribution. — La distribution est faite par deux tiroirs
à chaque cylindre au moyen de deux coulisses : l'une , ordi-
naire, double, suspendue par son milieu à l'arbre de relevage ;
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 287
l'autre, donnant le mouvement au premier tiroir, est articulée,
par son extrémité supérieure, à un support boulonné à la chau-
dière, l'autre extrémité est commandée par un bouton pris
sur le collier d'excentrique de la marche ; la détente s'effectue,
dans cette dernière coulisse, par le coulisseau qu'on abaisse
ou qu'on lève au moyen d'un levier spécial qui se trouve à
la portée du mécanicien. Chaque tige de tiroir passe dans un
guide rond appliqué sur le longeron , celle qui prend son
mouvement sur la coulisse ordinaire est assemblée au prolon-
gement du coulisseau par un serrage fixé à clavette.
La première coulisse améliore d'une manière sensible la
distribution produite par la coulisse ordinaire, en rectifiant
en partie ses inconvénients ; la détente n'est cependant pas
parfaite; avec ce système, on n'obtient toujours qu'un rétré-
cissement d'ouverture. Les guides des tiges de tiroir, étant
ronds, sont moins coûteuses de contruction et d'un entretien
plus facile. Quoique l'assemblage du prolongement du coulis-
seau avec la tige de tiroir soit fixe et rende ainsi le tiroir
plus long à régler , celte construction a l'avantage de dimi-
nuer les chances de réparation.
Foyer. — Le foyer est muni à la partie inférieure de bou-
chons de lavage, bien disposés pour empêcher qu'il reste du
tartre sur le cadre ou dans les entretoises.
Prise de vapeur. — Le dôme de prise de vapeur se trouve à
l'arrière un peu en avant de la boîte à fumée.
Le mouvement de cette machine est très -bien fait, les
pièces sont dégagées et les formes convenables; les surfaces
de frottement sont larges, bien proportionnées; l'entretien
et le graissage des pièces sont faciles à faire. Cette machine,
tout en présentant un aspect de légèreté dans son ensemble ,
peut soulever facilement des trains très-chargés, sur des che-
mins à fortes rampes, à une vitesse convenable.
Machine à marchandises avec tender articulé à l'arrière (sys-
tème Engerth), construite au Creusot par MM, Schneider et Gie.
B 74.
Le caractère distinctif du système Engerth est de reporter
sur les roues du tender une partie du poids de la machine ,
afin d'obtenir une plus grande adhérence sans fatiguer la
288 VISITE
voie par une surcharge sur un même point. Cette répartition
du poids se fait au moyen d'une articulation entre le tender
et la machine , articulation surtout remarquable dans la
machine du Creusot. Nous y reviendrons dans sa descrip-
tion.
La locomotive de MM. Schneider et Cie est à six paires de
roues, dont les trois d'avant seulement sont couplées; les
cylindres sont extérieurs, horizontaux avec tiroirs en dessus,
inclinés vers l'essieu moteur.
Distribution. — La distribution est extérieure avec coulisse,
oscillant au moyen d'une bielle de suspension autour d'un
point fixe, pris en dessous du tablier. Solidement maintenue
en cet endroit, la coulisse po-te au milieu, pour la suspen-
sion, des oreilles latérales qui permettent le passage à la four-
chette de la bielle à tiroir qui embrasse le coulisseau. Celui-ci,
fixé à l'extrémité d'une longue bielle de tiroir, est manœuvrée
par l'arbre de relevage ou de changement de marche.
Châssis. — Il y a deux châssis, l'un, celui de la machine
proprement dite, est extérieur et composé de deux longerons
avec plaques de garde et barres d'écartement découpées d'un
seul morceau; l'autre, celui du tender, est extérieur et égale-
ment composé de deux longerons évidés avec plaques de
gardes et barres d'écartement.
Essieux. — Les trois paires de roues couplées sont placées
entre les boîtes à feu et à fumée; celle du milieu ne porte pas
de boudin. L'essieu d'arrière est moteur; les roues sont à
moyeu en fer forgé, qui porte les boutons moteurs et d'ac-
couplement. Les bielles d'accouplement sont en dedans, contre
les m.oyeux ; les bielles motrices au dehors, et semblables à
celles des machines Crampton.
Les boutons moteurs sont terminés par une manivelle por-
tant les deux excentriques de la distribution qui se trouve à
l'intérieur des glissières.
Pompes. — Les pompes sont fixées de chaque côté contre le
support des glissières ; le plongeur est mû par un bras de le-
vier venu de forge avec la tige du piston.
Prise de vapeur. — Le régulateur est à l'avant delà machine,
et un tuyau d'admission pénétrant dans la base de la chemi-
née et dans la boîte à fumée sert à distribuer la vapeur aux
cylindres.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 289
Grille. — La grille est mobile, e tse manœuvre du dessus du
tablier.
Tencler articulé. — Le tender est supporté par six roues, une
paire à l'avant de la boîte à feu et les deux autres à l'ar-
rière.
Le châssis du tender extérieur aux roues est articulé et at-
taché à l'avant du foyer qu'il entoure , au moyen d'une tra-
verse horizontale solidement boulonnée aux extrémités avant
des longerons. Un bouton d'articulation fixé dans cette tra-
verse oscille et tourne dans le sens transversal de la voie,
dans une armature en fer forgé solidement fixée contre les
longerons intérieurs delà machine qu'elle entretoise; le jeu
ménagé au-dessus et au-dessous de la traverse permet le dé-
placement vertical de l'avant du tender, pendant qu'il oscille
et tourne autour du bouton comme centre.
Ce boulon , sorte de cheville ouvrière , lie le tender à la
machine d'une manière intime , en permettant le déplacement
latéral dans les petites courbes , et le déplacement vertical
dans les inégalités de la voie.
Le châssis du tender porte une partie du poids de la ma-
chine qu'il distribue aux roues d'avant et du milieu de cet
appareil.
Cette répartition s'obtient au moyen d'un robuste support
enfer forgé, rivé contre l'enveloppe de la boîle à feu, et
portant une calotte hémisphérique emboîtée dans une glissière
pouvant glisser en frottant par sa partie inférieure sur un
patin horizontal en fer, fixé solidement sur le châssis du lon-
geron du tender. Ce patin , entouré de rebords rapportés ,
forme réservoir d'huile de manière à baigner constamment
le glissoir. Le mouvement du glissoir est celui que peut faire
le tender en tournant latéralement autour de son centre d'ar-
ticulation.
Caisses. — La capacité destinée au coke se trouve au-des-
sus du tablier du tender, et la caisse réservée à l'eau est au-
dessous du tablier, dessus et entre les longerons extérieurs.
Frein. — Le frein n'agit que sur les quatre roues d'arrière.
Les quatre sabots, deux de chaque côté, sont suspendus et
articulés par le milieu de leurs ferrures, ce qui leur permet
de saisir et de frotter concentriquement les bandages , quelle
que soit la hauteur du châssis ou de la machine par rapport
20G *
290 VISITE
au centre des roues. Ou sait que cette hauteur varie suivant
l'approvisionnement d'eau et de coke plus ou moins grand
dans le tender et la machine.
Ressorts de suspension. — Cette machine tender, quoi-
que ayant douze roues, n'est supportée que par huit points :
la machine en quatre points, et le tender également en quatre
points. L'essieu du milieu et celui d'arrière, ou moteur de la
machine, ont deux grands ressorts longitudinaux en com-
mun ; les extrémités de ces ressorts pressent et appuient sur
les boîtes à graisse du milieu et d'arrière d'un môme côté ;
de cette façon le châssis de la machine ne porte que par
deux points sur les quatre roues d'arrière et du milieu ; les
quatre roues darrière du tender, qui supportent l'action du
frein, sont chargées de même par deux grands ressorts lon-
gitudinaux; la seule différence est que, pour la machine, les
ressorts sont intérieurs aux longerons , et pour le tender ex-
térieurs aux longerons.
Au résumé , celte machine est un magnifique échantillon
de la science d'exécution et de l'habileté que les ingénieurs du
Creusotont mise à tirer parti du système Engerth dans tous
les détails de construction. Elle fait le plus grand honneur aux
considérables établissements de MM. Schneider et Cie.
Voici les principales dimensions de celte machine :
Surface de chauffe 4 61 "',130
Diamètre des cylindres 0 ,48
Course des pistons 0 ,64
Diamètre des roues 1 ,30
La chaudière est timbrée à huit atmosphères.
Poids de la machine vide 35 500 kil,
Poids du tender vide 13 000
Poids total vide 48 500
Poids de la machine pleine.- iO 800 kil.
Poids du tender plein 21 300
Poids total pleine 62 1 00
Répartition des poids sur les essieux.
Essieu d'avant de la machine. 12 000 kil.
Essieu de milieu id * 12 000
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 291
Essieu d'arrière de la machine 12 000 kil.
Point d'appui du foyer sur longerons de
tender " 4 800
Essieu d avant-tender 4 300
Essieu de milieu d'avant-tender 8 500
Essieu d'arrière d'avant-tender 8 oOO
U Duc de Brabant : Machine à marchandises (système Engerth)
conslruite à Serang par MM. Cockerell. (P. 115\
Cette machine a douze roues : huit sont couplées, les quatre
autres soutiennent le tender proprement dit.
Les cylindres sont horizontaux, placés extérieurement, ainsi
que le mouvement et la distribution. La boîte à feu entre dans
l'avant du tender et forme corps avec ce dernier par une arti-
culation à trois pivots, dont l'un est placé au-dessous de la
chaudière, et les deux autres entre les longerons. Cette division
en deux parties distinctes de la machine permet, comme
dans la machine du Creuset, de franchir sans inconvénient
les courbes de petit rayon.
Mouvement. — Les cylindres sont horizontaux , avec tiroir
incliné placé en dessus. La crosse à chape du piston, dans
laquelle s'introduit la bielle que commande l'essieu de la
troisième paire de roues, est maintenue par deu\ glissoirs.
Distribution. — Les deux poulies d'excentriques sont en
fonte, clavetées sur un tourillon cône, venu de forge avec la
manivelle. La coulisse est simple , renversée et porte sur le
côté deux oreilles dans lesquelles les tètes de barres d'excen-
triques s'articulent. Elle pivote sur son milieu par un sup-
port à tourillon, rapporté au moyen de deux rivets fraisés. Le
point de relevage de la barre du coulisseau est très-jjrès de
la coulisse, l'autre extrémité de cette barre commande le guide
hexagonal par un bout de saillie, venu de forge sur ce der-
nier. La tige du tiroir passant dans le milieu de ce guide s'y
trouve boulonnée de chaque côté, et le guide glisse lui-même
dans un support appliqué sur la face du longeron.
Pompe. — La pompe, fixée sur le bout du support soute-
nant les extrémités des glissières, est commandée par la crosse
du piston portant une tète dans laquelle vient se fixer le bout
du plongeur.
292 VISITE
Couplement. — Les trois premières roues sont couplées par
une même bielle portant une articulation au milieu; la qua-
trième paire est couplée à la troisième au moyen d'engrena-
ges droits dont deux sont calés sur les essieux , et le troisième
intermédiaire , fixé sur un arbre attaché à un châssis sup-
portant le pivot , est boulonné aux longerons du tender dans
lesquels se trouve maintenue la quatrième paire de roues.
Ces trois engrenages sont en acier fondu et trempé. Les
contre-poids des roues sont venus de forge avec les rayons.
Suspension. — La charge supportée par les deuxième et
troisième paires de roues se trouve transmise de chaque côté
par un seul ressort dont chaque extrémité s'appuie sur les
boîtes à graisse ; le collier porte à sa partie inférieure une tige
passant dans l'entretoise des plaques de garde, à sa partie
supérieure un œil dans lequel vient s'adapler une patte à
teton fixée à la face extérieure du longeron-
Foyer. — Le foyer est muni d'une grille fumivore à étages ,
dont l'introduction dans les machines locomotives est due à
M. Chobrzenski, et permet l'emploi de la houille comme com-
bustible, avantage considérable avec la disette ac'uelle du
coke.
Chaudière. — La chaudière produit une grande quantité
de vapeur équivalente à la dépense des cylindres , elle a
2351 tubes de 5'" de longueur, de 0,050 de diamètre intérieur.
Tender. — Le tender peut recevoir une grande quantité de
coke (au moins 3500 k,). La caisse à eau est en partie en
dessous du parquet ; elle contient environ 10 mètres cubes
d'eau.
Frein. — Le frein agit dans l'intervalle des deux essieux
d'arrière, et porte de chaque côté deux sabots mis en mouve-
ment par des bielles inclinées au moyen d'une vis verticale;
une barre d'écartement empêche les essieux de s'éloigner. Le
frein est très-puissant et enraye les sabots très-promptement.
Cette machine a fait le service entre Lille et Amiens pen-
dant deux mois.
Dans un voyage d'essai fait avant de l'envoyer à l'Exposi-
tion , elle a donné les résultats suivants , en traînant 46 wa-
gons chargés de houille et de coke , et pesant ensemble
669 040 kilog. : la distance de 28 kilomètres a été franchie en
h. 5 m. à l'aller, et en 4 h. 2 m. au retour.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 293
Le temps accordé aux machines à marchandises à 6 roues
couplées est 1 h. 15s., et elles remorquent en train normal
30 wagons chargés de 10 tonnes, soit 420 tonnes : il y a donc,
avec une vitesse plus grande, une différence de 249 tonnes en
faveur de ces machines. C'est certainement, au point de vue
de l'exploitation et du trafic, un avantage notable et une faci-
lité de circulation considérable ; mais ce genre de machine
demande un entretien considérable et très-dispendieux, et
nécessite un matériel de plaques tournantes appropriées à leur
poids, en même temps qu'elles fatiguent la voie dans une
proportion notable; l'avenir seul pourra décider complètement
la question.
Nous croyons que cette tendance générale en France rers
l'usage de machines d'un poids considérable provient plu-
tôt de l'organisation des chemins de fer que de besoins réels ,
car elle ne répend pas du tout avec la voie, trop faible
pour de semblables charges, que possèdent actuellement ces
moyens de communication. Ne serait-ce pas à la division en
deux services toujours distincts et souvent hostiles de la voie
et de l'exploitation qu'elle est due ?
La Gironde : Machine mixte construite par MM. E. Gouin et Cie.
(A. 75).
Cette machine porte son tender à l'arrière, ce qui permet
de lui/ faire porter sa provision d'eau et de combustible,
et supprime le poids mort en l'utilisant à augmenter la puis-
sance ou force d'adhérence de la locomotive.
(>ette disposition peut être bonne pour des machines des-
tinées à des services spéciaux , tels que ceux des terrasse-
ments, mines, etc. Elle ne nous paraît pas applicable sur une
grande échelle sans de graves inconvénients, tels que de sur-
charger l'essieu de l'arrière, d'augmenter le nombre des
roues, d'obliger à des arrêts fréquents pour renouveler l'eau
et le coke.
Elle est bien exécutée , mais sa forme n'est pas satisfai-
sante.
Voici ses principales dimensions :
Surface du foyer 8"', 86
Surface des 180 tubes 97"\83
294 VISITE
Diamètre des cylindres 0"',42
Course des pistons 0"',o6
Diamètre des roues motrices.. 4 '",74
Son poids est de 27 tonnes.
L'Aigle : Machine à grande vitesse, système Blavier et Larpent,
construite dans les ateliers de MM. Gouin et Cie. (D. 75.)
Cette locomotive présente, comme caractère distinctif, la
séparation de la chaudière en deux parties : l'une, placée au-
dessous des essieux des roues motrices , est l'appareil généra-
teur de vapeur; l'autre est un réservoir de vapeur qui se
trouve placé au-dessus des mêmes essieux et en communi-
cation avec la précédente par deux tubulures semblables à
celles qui existent dans les chaudières à bouilleurs des ma-
chines fixes.
Les résultais qu'on a cherchés par cette nouvelle combinai-
son nous paraissent les suivants :
Avec deux roues d'un grand diamètre (2"", 80), le centre de
gravité de tout le système se trouve aussi bas que possible,
puisqu'il est au-dessous des essieux des grandes roues; de là
doit résulter une grande stabilité dans la marche de cette
machine aux plus grandes vitesses; d'autre part . par le cou-
. plement des deux essieux, on obtient une adhérence suffi-
sante pour remorquer, aux vitesses ordinaires, les trains les
plus lourds sur des profils accidentés.
La surface de chautîe est de '130 mètres carrés, les cylin-
dres ont 0"',4o de diamètre et 0"',80 de course; la charge sur
les essieux couplés est de 29 tonnes, en sorte qu'on a pu
remorquer facilement, dit-on, sur la ligne de Paris à Chartres,
qui a des rampes de 6 et 8 millim., des Irains de marchandises
de 275 tonnes.
Ainsi, cette machine semblerait permettre non-seulement
d'atteindre pour les trains express des vitesses effectives de
80 à 100 kilomètres, avec dimmution de chances de déraille-
ment par suite de l'abaissement de son centre de gravité,
mais encore de suffire à assurer le service des trains de mar-
chandises sur la plupart des lignes de chemins de fer, lorsque
la composition normale des trains ne dépasse pas 250 tonnes
(28 ou 30 wagons chargés de 6 tonnes).
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 2^5
Les expériences relatives à la consommation de cette ma-
chine ont été, dit-on, satisfaisantes; il est à regretter vive-
ment que la nécessité de l'envoyer a lExposition n'ait pas
permis de recueillir des résultats assez complets pour être
entièrement fixé à cet égard.
On a pu seulement constater, dans les voyages d'essai, que
la vapeur passe dans les cylindres dans un état de sécheresse
remarquable, et que le tirage présentait une grande régula-
rité due à la hauteur de la cheminée (environ 3'", 50), et que
le foyer, d'une disposition spéciale, favorisait la combustion
complète de l'oxyde de carbone dans la chambre de combus-
tion.
Si l'expérience vient confirmer les résultats que se sont
proposés les inventeurs, ce ne sera pas un des moindres
avantages de pouvoir réduire à un seul type , d'un poids mo-
déré de 28 tonnes , le matériel des locomotives des chemins
de fer, dont le trafic n'est pas trop considérable.
Le mécanisme de cette locomotive est bien traité, il est fa-
cile à entretenir et à visiter, et présente un aspect robuste
que cette disposition a permis de lui donner.
Nous ne témoignerons qu'un seul regret, qui peut-être ne
se justifiera pas par l'expérience, c'est la faiblesse apparente
des roues motrices, faisant craindre à première vue un flé-
chissement qui pourrait donner lieu à de graves conséquen-
ces, s'il existait.
En tout cas, on ne saurait trop féliciter les auteurs de cet
essai, qui peut conduire les locomotives dans une voie de
progrès toute nouvelle.
Ferrache : Machine à, voyageurs construite par UU. Cail et Cie.
(P. 8;î.)
Cette machine , remarquable échantillon de la fabrication
de MM. Cad et Cie, a le singulier mérite de n'avoir pas été
faite spécialement et soignée en vue de ITxposition. C'est
une machine fort bien faite, semblable en tout à celles qui
sortent journellement des ateliers de ces constructeurs , dont
l'habileté et la bonne et consciencieuse exécution sont géné-
ralement reconnues.
296 VISITE
Machine de M. Zaïiian-Sabatier et Cie , de Bruxelles. [P. Uô."
Les cylindres et les mouvements se trouvent placés exté-
rieurement, le tiroir est horizontal et au-dessus des cylindres.
Distribution. — Les barres d'excentriques sont fixées à un
très-grand coulisseau suspendu en son milieu par deux ju-
melles reliées à l'arbre de relevage; il monte et descend dans
une coulisse en deux morceaux , soudés chacun à un bout
d'arbre horizontal et fermés à leurs extrémités par une entre-
toise ; le tout formant arbre horizontal de renvoi avec cou-
lisse tournant sur son axe; en relevant progressivement le
coulisseau dans la coulisse, la course du tiroir augmente dans
le même rapport. Le coulisseau étant très-long et demandant
très-peu de parcours pour donner au tiroir les courses maxi-
mum convenables pour la distribution, il tend moins à pren-
dre du jeu que ceux des coulisses ordinaires. Le graissage se
fait très-facilement par des évidements pratiqués dans son
épaisseur; la coulisse est très -simple de construction et
facile à entretenir.
Longerons. — H y a un double longeron de chaque côté,
garni de bois dans le milieu ; les plaques de garde sont sou-
dées dessus : c'est l'annienne disposition abandonnée aujour-
d'hui.
Ressorts. — Chaque roue est munie d'un ressort de suspen-
sion , ce sont les formes des anciens ressorts mal calculées
et disproportionnées par rapport à la charge qu'ils suppor-
tent.
Sablière. — La sablière est placée sur le milieu du corps
du cylindre de la chaudière, conduisant de chaque côté le
sable sous les roues motrices par des tuyaux tournant gra-
duellement à l'aide d'une tringle à poignée, placée à la por-
tée du mécanicien, qui en accélère ou en ralentit le mouve-
ment suivant la nécessité.
Cette machine a 172 tubes de 4o "V" de diamètre intérieur
et pèse 22 tonnes; elle peut remorquer des trains à voyageurs
à raison de 50 à 60 kilomètres à l'heure, avec 15 wagons,
sur des chemins qui ne présentent pas de fortes rampes.
A L'EXPOSITION INIVERSELLf-:. 29"
Machine à grande vitesse, construite par M. Borsig, de Berlin.
Cette machine est à cylindre extérieur, avec des roues mo-
trices de 2 mètres de diamètre appliquées au milieu des deux
autres paires de roues.
Mouvement. — Les bielles sont en acier fondu trempé, la
petite tête est fixée à la crosse du piston par une traverse
portant deux coulisseaux en fonte , lesquels glissent dans
quatre glissières avec mises en acier. Ces glissières sont d'un
bout appuyées sur les couvercles du cylindre, de l'autre sur
un support fixé au longeron. Ce support est relié avec celui
du côté opposé par une entretoise, ce qui rend les glissières
parfaitement rigides et solidaires Tune de l'autre.
Distribution. — Les coulisses sont placées intérieurement .
elles sont simples, suspendues chacune par leur milieu, au
moyen de deux jumelles prenant le levier de relevage; les
barres d'excentriques sont d'une seule pièce avec le corps de
l'excentrique, le prolongement du coulisseau est rond et passe
dans un support appliqué intérieurement au longeron, la tige
du tiroir est reliée à ce prolongement par un clavettage coni-
que et un écrou ; par ce moyen on peut faire avancer ou re-
culer le tiroir; les clavettages habituels n'ont pas cet avan-
tage.
Pompes. — Elles sont fixées sur le fond du foyer et reliées
par une entretoise qui maintient leur écartement; elles se
trouvent commandées par l'excentrique de la marche en ar-
rière, par une bielle recourbée, passant en dessous de l'essieu
moteur et boulonnée au collet du collier d'excentrique; le peu
de distance qu'il y a entre la pompe et l'essieu moteur ne
permettrait pas de les commander comme on le fait habitiiel-
lement; les tuyaux d'aspiration et de refoulement n'otfrent
aucun coude , c'est une très-bonne disposition qui empêche
les pompes de perdre.
Suspension. — Chaque roue porte son ressort de suspen-
sion; ceux d'avant et du milieu sont reliés par un balancier
articulant au longeron , ce qui fait que quel que soit le choc
éprouvé par l'une ou par l'autre paire de roues , il" se trouve
annulé en se portant sur l'autre ressort; c'est d'un grand
avantage pour une machine à grande vitesse, parce que les
298 VISITE
secousses multipliées ne se font pas sentir sur le tablier et ne
tendent pas à ébranler le mouvement.
Fo?/er.— Le loyerest bien proportionnéà la surfacedechauffe
et aux cylindres, la chaudière contient 156 tubes de 45 niil-
lirn. de diamèîre intérieur, et d'environ 4"', 50 de longueur.
Dans cette machine, les surfaces de frottement sont bien
entendues; toutes les précautions sont prises pour un grais-
sage facile, tout le travail est parfiiitement fait, très-soigné,
et les pièces sont bien étudiées; l'entretien doit être presque
nul, et, en tout cas, il est facile à faire et peu di^^pendieux.
Cette machine étant très-légère ne tend pas à détruire la voie^
tout en pouvant remorquer des trains express assez forts à
une très-grande vitesse sur des chemins à moyennes rampes.
Tender. — Il est monté sur ses roues et peut contenir une
grande quantité d'eau et de coke. Le frein enraye toutes les
roues; chacune se trouve comprimée par deux sabots, ce qui
ne tend pas à détruire le parallélisme des roues. Ce frein est
très-puissant , mais il coûte fort cher d'établissement.
Les ressorts de suspension sont encastrés dans les longe-
rons, à l'endroit de la partie servant de plaque de garde. Ces
vides ainsi faits augmentent la largeur des longerons et les
rendent lourds d'aspect. L'emploi de six roues, dans ce cas,
est un peu une exagération , car le tender ordinaire à quatre
roues avec fusées convenables remplirait le même but. et coû-
terait moins^cher.
Trifclds : Machine à grande vitesse, sysLème Crampton, cunslruite
à Essienger par M. Em. Ke^sler, (P. 12G.)
Avant de décrire cette machine, quelques mots sont né-
cessaires pour dire à nos lecteurs ce qu'est le système
Crampton.
L'habitude des chemins de fer et une sécurité assez com-
plète, firent naître le besoin d'augmenter la vitesse. On ne
pouvait arriver à cet accroissement de vitesse qu'en aug-
mentant le diamètre des roues motrices, ce qui avait le
grave inconvénient de trop élever le centre de gravité dans
le système ordinaire. En 1849 ou 50, M. Crampton eut l'idée
de placer les roues motrices tout a fait à l'arrière de la chau-
dière; il se donnait ainsi la possibilité d'augmenter leur dia-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 21)9
mètre autant qu'il le jugeait convenable. Ce changement en-
traîna quelques dispositions nouvelles.
Cette machine de M. Kessler a ses cylindres appliqués sur
les longerons, entre les roues du milieu et celles d'avant; la
bielle commande l'essieu d'arrière, la manivelle et les poulies
d'excentrique sont d'un seul morceau calé en avant de la
roue sur l'essieu , le tuyau d'échappement passe par-dessous
la machine et traverse la boîte à fumée pour se rendre dans
la cheminée.
Distribution. — Le mouvement se trouve placé du côté du
longeron, la coulisse est en deux morceaux, articulant par son
milieu sur deux jumelles reliées à l'arbre de relevage. Le pro-
longement du coulisseau est carré, passant dans deux guides
appliqués sur les longerons, la tige du tiroir prend son mouve-
ment sur ce prolongement entre les deux guides. Les guides
carrés sont généralement abandonnés maintenant et sont rem-
placés par des guides ronds moins coûteux.
Régulateur. — Lerégulateur est placé verticalement et glisse
dans un secteur juxtaposé à celui du changement de marche.
La sablière est placée sur le tablier longitudinal près du
garde-corps à la portée du mécanicien et n'offrant aucun
obstacle pour la circulation sur le tablier.
Plate- forme. — Les roues motrices passent à travers le tablier
transversal; elles sont recouvertes, laissent entre elles un
grand emplacement très-utile pour le service des mécani-
ciens.
Les pièces du mouvement , la distribution et les pompes sont
toutes très-faciles de démontage et d'entretien , elles sont dé-
gagées et en harmonie l'une avec l'autre, le travail est très-
soigné et la machine a un aspect fort satisfaisant.
Tender. — Le tender a six roues, chacune porte un ressort de
suspension encastré dans les longerons, ces derniers sont en
deux pièces garnis de bois dans leur intervalle.
Boîtes à graisse. — Les boîtes à graisse peuvent recevoir une
grande quantité de graisse, la partie de devant s'ouvre à vo-
lonté et permet de visiter la fusée et de vider le dessous des
boîtes.
Caisse à eau. — La caisse à eau est en partie en dessous du
parquet, elle peut contenir un grand volume d'eau, et l'empla-
cement du coke est aussi très-vaste.
;iOO VISITE
Ce système a l'avantage d'abaisser le centre de gravité et de
rendre ainsi la stabilité plus grande.
Frein. — Le frein enraye les six roues à la fois, chacune par
deux sabots qui les compriment , le parallélisme se trouve ainsi
maintenu.
Prise d'eau. — !La prise d'eau se fait par un robinet avec ca-
dran choisi pour connaître le degré d'ouverture. L'emploi d'un
robinet est plus simple que le clapet actuel , mais peut-être
conserve-t-il moins bien l'eau. Ce tender est très-léger, d'une
bonne forme, appropriée à celle de la machine.
Emperor : machine à voyageurs construite par M. Stephenson.
(D. 141.]
Cette machine est extrêmement intéressante, non pas sous
le rapport de la nouveauté, mais parce qu'elle présente et
résume, sans doute, les derniers perfectionnements et l'opinion
de l'habile ingénieur qui l'a construite.
Elle porte ses cylindres et son mouvement à l'intérieur, les
roues motrices sont au milieu.
Cylindres et mouvement. — Les cylindres sont réunis et fixés
aux longerons; les tiroirs sont verticaux, et communiquent
dans la iiiême boîte à vapeur. La petite tête de bielle porte
une traverse qui passe à chaque bout dans un coulisseau
glissant dans deux glissières soutenues d'un bout au cou-
vercle du cylindre, de l'autre, à une entretoise qui relie les
longerons ; cette entretoise servant de support au corps cy-
lindrique.
Distribution. — La coulisse est simple ; deux jumelles la re-
lèvent par sa partie supérieure; le même boulon d'attache
prendl'œil de la barre d'excentrique de la marche en avant;
le coulisseau est fixé à deux autres jumelles dont l'une des
extrémités donne le mouvement à la tige du tiroir, par l'in-
termédiaire d'une bielle clavelée dessous ; l'autre extrémité est
suspendue à une petite bielle qui s'articule à un support bou-
lonné à l'entretoise des longerons.
Celte disposition a l'avantage de soulager d'une manière
très-notable la perturbation qui a lieu sur le coulisseau, et de
lui faire prendre beaucoup moins de jeu.
Pompes. — Elles sont appliquées sur la face de la boîte à feu :
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 301
Commandées par deux tiges recourbées; elles embrassent
l'essieu moteur, et prennent de l'autre bout le collier d'excen-
trique de la marche en arrière; cette disposition ne pourrait
pas être évitée à cause du peu d'espace qui existe entre la
boîte à feu et l'essieu moteur.
Suspension. — Chaque roue a son ressort de suspension placé
au-dessus des longerons.
Longerons. — lis sont doubles et garnis de bois à l'intérieur.
La machine peut remorquer des trains, de 50 à 60 kilomètres
à l'heure, avec une forte charge.
Peut-être peut-on reprocher à ce système l'inconvénient de
donner lieu à un grand entretien , de rendre la visite, le net-
toyage et le graissage difficiles.
L'exposition de M. Stephenson prouve qu'il n'a dévié en
aucun point de son ancien système; on y retrouve exacte-
ment les mêmes dispositions que celles existantes dans ses
anciennes machines.
Ce fait est très-remarquable et il se reproduit pour les che-
mins de fer français, sur le chemin de fer de Rouen qui de-
puis son origine a conservé les mêmes types de machines et
a satisfait aux exigences d'un service important.
L'Angleterre nous a envoyé, en outre, une machine de
M. Firbairn, qui n'a d'autre intérêt que d'avoir été construite
dans les ateliers de cet habile constructeur ; une seule parti-
cularité est à remarquer : sa suspension sur des ressorts en
caoutchouc.
Elle a aussi exposé, pour représenter le système Crampton,
une machine construite en France dans les ateliers de
MM. Cail et Cie. La compagnie du Nord , à qui elle appar-
tient, a eu l'heureuse idée d'y afficher son parcours total,
soit 269 045 kilomètres, depuis le mois de mai 18*9 au
1" juin 1855. C'est le plus bel éloge qu'on puisse faire de cet
engin, et la compagnie du Nord aurait su joindre à ce rensei-
gnement la vitesse moyenne de ce parcours , le prix moyen
de l'entretien et de la dépense de combustible, afin d'initier
autant que possible le public aux dépenses que nécessitent
ces puissants engins.
On remarque encore, dans l'Annexe, d'autres machines que
nous aurions désiré examiner, quoique, à vrai dire, elles n'of-
frent rien de saillant, que quelques particularités de détail
302 VISITE
insignifiantes au point de vue général. Le reste du matériel
roulant des ciieniins de fer, représenté par un petit nombre
de véhicules, compte quelques voitures et quelques wagons.
Nous dirons seulement quelques mots de ceux de la Bel-
gique et de la Suisse, qui présentent quelques particularités
intéressantes.
Le wagon à voyageurs , qu'expose la première de ces con-
trées, est une élégante voiture de première classe qui ap-
partient au chemin de fer de Luxembourg et qui est con-
struite par M. Pauwells de Bruxelles. La caisse est assez
haute pour que les voyageurs puissent se tenir debout dans
les trois compartimenis, parmi lesquels celui du milieu est
plus vaste que les autres ; chaque compartiment contient
quatre fauteuils qui peuvent être transformés en couchers et
qui donnent à cette voiture un confortable tout spécial.
Le wagon suisse, d'une longueur de quatorze mètres, est
divisé en chambres qui communiquent entre elles par un
couloir longitudinal. Celle voilure , destinée aux chemins de
fer de l'Amérique, est très-élégamment meublée ; une dispo-
sition particulière des trains rend possible cette longueur ex-
ceptionnelle, même dans les coudes.
Le wagon à marchandises exposé par M. Colson présente
une disposition toute nouvelle qui pourrait le faire désigner
sous le nom de wagon roulant. Ce sont en effet deux cylindres
garnisde bandages circulairesqui roulent à la manière ordinaire
sur la voie ; les cylindres sont munis de trappes au moyen des-
quelles s'opèrent le chargement et le déchargement des maté-
riaux en vrague que cet appareil doit Iransporler. On prétend
que pour les longs parcours celle disposition, quiabaisseautant
que possible le centre de gravité , et qui permet de diminuer
le poids mort, demande même pour les houilles un chargement
très-coùteux et très-soigné, pour peu que l'on veuille éviter la
pulvérisation de la matière ; une cloison diamétrale, soli-
daire avec l'essieu fixe, ,tend au reste à diminuer cet inconvé-
nient, en immobilisant la charge pendant que le cylindre seul
tourne autour d'elle.
Un wagon en fer, par M. Nepveu et Cie, présente un mode
nouveau de construction. Le châssis, entièrement établi avec
les fers du commerce, dénote la tendance actuelle de l'indu-
strie, et réalise une diminution notable dans le poids de la voi-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 303
ture, si on le compare à celui des constructions ordinaires en
bois. Cette disposition ne peut manquer d'avojr de l'avenir.
Carrosserie.
La carrosserie compte, à l'Exposition , 76 exposants, dont
33 Français, 14 Anglais, 5 Belges, 5 Autrichiens, 3 des Pays-
Bas, \ des États sardes, 2 du Canada, 4 Suédois, 5 Norvé-
giens, 1 Mexicain et enfin 1 Ilambourgeois. Leurs produits
sont au nombre de 87, comportant : 5 voitures de gala, 1 ber-
line, Sllandeaux, 2o calèches, 10 coupés, 7 américaines, 6 phaé-
tons, 5 Victoria, 3 cabriolets à quatre roues, 2 tilburys,
2 voitures de chasse, 2 breeck, 4-dog-cait, 1 cab, 1 char à
bancs, 1 omnibus, 3 voitures de fantaisie, 3 véhicules dont
l'usage est spécial au pays de provenance, et enfin 3 traîneaux.
Il est à remarquer que les spécimens envoyés par les qua-
tre premières nations se rapprochent pour la pl-jpart des for-
mes adoptées en France , et que les différences que l'on re-
marquait autrefois à cet égard ont presque complètement
disparu 5 il est certain qu'en imitant les formes françaises
les produits de nos voisins ont beaucoup gagné en légèreté et
élégance. Il est juste cependant de dire que ce progrès paraît
moins sensible chez l'Autriche, car si une ou deux de ses voi-
tures sont construites avec légèreté, la plupart ont conservé
la lourdeur et les formes disgracieuses de l'ancienne carrosse-
rie. Ainsi , il existe certainement une différence très-marquée
sous le rapport du goût entre la voiture d'apparat du maire
de Vienne, de MM. Laurenzi etCie, et les voitures d'ap-
parat exposées par MM. Clochez, Leclerc . de Paris , et Goner
frères, de Bruxelles. Autant cette dernière est légère, gra-
cieuse de forme et flatte l'œil par l'heureuse disposition de ses
ornements, autant la première, qui lui est certes supéiieure
comme richesse de détail, choque le regard par le mauvais
goût de ses décorations et la lourdeur de la galerie qui la sur-
monte : ce couronnement peut avoir son mérite, mais il se-
rait mieux placé sur un autel que sur une voiture.
Le royaume des Pays-Bas est plus exempt des reproches
que nous faisons à l'Autriche, et nous devons reconnaître que
la carrosserie de MM. Hermann et Cieest bien traitée.
Il est pénible , à côté des efforts tentés par les autres con-
304 VISITE
trées, d'avoir à constater l'absence complète de la Prusse.
Nous savons cependant que les fabricants de cette nation ne
peuvent pas être taxés d'impuissance et que les produits de
Berlin et de Magdebourg peuvent facilement soutenir la com-
paraison avec ceux des autres puissances de l'Europe; nous
ne savons donc quelle peut être la cause de cette fâcheuse
abstention de la Prusse, et nous devons d'autant plus la re-
gretter que cette nation n'a rien épargné pour être dignement
représentée, dans toutes les autres branches, au concours uni-
versel de l'industrie.
Le Canada, mieux inspiré, ne s'est pas effrayé des distances;
cette colonie n'a pas craint d'affronter la lutte, et nous nous
plaisons à reconnaître que, malgré ce que peuvent avoir d'é-
trange pour nous certains détails auxquels nous ne sommes
pas habitués, les voitures exposées par MM. Clovis Leduc de
Montréal et Edouard Gingras, de Québec, ne manquent ni de
fini, ni de goût, et réunissent ce que l'on recherche ordinaire
ment, la solidité et la légèreté.
En chargeant M. Wilson , de Mexico, de nous envoyer un
spécimen de sa fabrication , la république mexicaine a voulu
nous prouver les efforts faits par elle pour se mettre à la hau-
teur de l'industrie européenne; quoique un peu lourde, la ca-
lèche exposée par ce fabricant est très-soignée dans tous ses
détails, et peut être mise avec avantage en comparaison avec
celles de ses confrères d'Europe.
Ce coup d'oeil jeté sur l'ensemble des produits de la carros-
serie, il ne nous reste plus qu'à signaler ceux qui ont le plus
particulièrement fixé notre attention.
Rendons-nous d'abord dans la tente dont l'entrée fait face à
l'avenue d'Antin.
La première voiture qui frappe nos regards est une voiture
de chasse complètement construite en fer poli de M. Clovis
Dumont, d'Abbeville; elle est d'une exécution remarquable,
tous les détails en sont très-soignés, et, quoique le bois
soitpartout remplacé par le fer, elle nous a paru très-légère, et
cet essai de M. Clovis Dumont nous semble devoir être cou-
ronné de succès.
Trois autres breeck sont exposés par MM. Delongueil, Gra-
vier, de Valenciennes, et Mulhbacher frères. Ces voitures réu-
nissent, aux commodités que l'on recherche généralement
A L'EXPOSITION LiNiVEKSELLE. 305
dans ce genre de véhicules, l'élégance de formes et la solidité.
Celle exposée par M. Delongneil nous a paru surtout parfaite-
ment conçue dans tous ses détails.
La carrosserie de luxe se trouve principalement représentée
pour la France par MM. Clochez et Leclerc , de Paris. Les
deux voitures envoyées par M. Clochez pèchent, selon nous,
par la profusion de sculpture et le bariolage d'ornementation
qui produisent un effet de très-mauvais goût. Nous préférons
la calèche de M. Leclerc, qui , quoique encore un peu chargée
d'ornements de bronze, nous a paru plus digne de fixer l'at-
tention. ^L Leclerc présente, du reste, une idée neuve qui
pourra peut-être produire de bons résultats dans l'avenir :
son système consiste à recouvrir extérieurement chaque pan-
neau d'une glace, de sorte que la peinture ou la garniture ex-
terne, se trouvant complètement garantie, n'est plus exposée
à être endommagée par la pluie ou la boue. Si, comme nous
l'a affirmé M. Leclerc, il peut éviter que l'eau ne s'introduise
entre la glace et le bois, il y aura un grand avantage à adop-
ter son système pour toute espèce de voiture, car la peinture
extérieure est ce qui souffre le plus et se détériore le plus
vite.
Les voitures de ville sont naturellement en plus grand nom-
bre que les voitures de gala, et ce genre est, eu général, bien
traité ; elles présentent plus de goût et d'harmonie dans tou-
tes les parties ; 'et , pour notre compte, nous avouons que
nous préférons la sévère simplicité des calèches exposées par
MM. Lelorieux et Dunaime au luxe de celles de M. Clochez.
Nous croyons que tout le monde pensera avec nous qu'il est
impossible de trouver une serrurerie mieux finie, une forme
plus gracieuse, une garniture mieux soignée que celle delà
voiture exposée, sous le n" 1064, pai- M. Lelorieux. MM. Du-
naime, Dameron et Rothschild ont aussi, sous les n"* 1050,
1053 et 1072, trois calèches qui ont été traitées avec con-
science, et dont le travail ne laisse rien à désirer. Du reste,
la comparaison des produits groupés au Palais de l'industrie
confirme une fois de plus la supériorité incontestable de la
fabrique de Paris sur toutes les autres carrosseries du monde.
Il est cependant juste de dire que MM. Bergeron , de Bor-
deaux, et Cliquenon frères, de Lille, ont exposé, le premier,
deux voitures, dont une calèche fort élégante, et le second ,
206 t
306 VISITE
trois voilures, parmi lesquelles un coupé avec incrustation
en bois des îles et en cuivre , produisant un très-bon effet et
méritant, sous tous les rapports, d'être mis en parallèle avec
la carrosserie de Paris.
Nous croyons devoir citer encore à l'attention des visiteurs
un phaéton àsiége mobile de M. Hayot, de Caen. En le sépa-
rant en deux, on peut former à volonté une voiture à deux
roues ou à quatre roues, et lui conserver, malgré ce change-
ment, sa solidité et son élégance. Ce système, appliqué avec
intelligence, peut rendre de grands services, surtout pour
les campagnes.
Un omnibus, sortant des ateliers de MM. Boutherie et Cie,
nous a paru avoir subi dans ses dispositions intérieures des
modifications utiles aux voyageurs, et être traité, pour ce qui
est de la construction, avec tout le soin que ce carrossier ap-
porte à tout ce qui sort de ses ateliers. Nous ne terminerons
pas cet examen sans exprimer le regret de ne pas rencontrer
dans l'Exposition plus de voitures de campagne. M. Veder-
kelr, de Colmar, est le seul qui, sous le n° 1077, ait exposé
un char à banc , et , bien que cette modeste voiture paraisse
déplacée au milieu des riches équipages , il eût^été à désirer
que d'autres eussent suivi son exemple, car, s'il en eût été
ainsi , bien des visiteurs auraient pu trouver un véhicule dont
l'usage, importé dans leur pays, eût pu être plus approprié à
ses besoins que ceux employés jusqu'à ce jour.'
Les exposants beiges sont peu nombreux et se réduisent à
quatre ou cinq. Leurs produits méritent cependant une men-
tion toute spéciale; ceux de MM. Goner frères, de Bruxelles,
sont surtout remarquables par le soin apporté dans leur con-
struction , par le fini de la ferrure et l'élégance des formes.
La berline demi-gala, exposée par cette maison, est surtout
digne d'attention. Les sculptures et les moulures sont d une
exécution très-soignée; la contruction de la caisse, bombée
devant et derrière, a dû présenter des difficuliés réelles, qui
ont été résolues delà manière la plus heureuse. Les galons de
l'intérieur sont armoiries et ont dû être fabriqués sur trois
métiers afin que les couronnes et les chiffres fussent placés en
regard dans les différentes parties de l'intérieur. En un mot,
chaque détail a été étudié avec tant de soin que nous n'hési-
tons pas à dire que cette voiture ne peut manquer d'attirer les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 307
regards de tous les gens de goût, et méritera, nous n'en dou-
tons pas, l'appiobation des personnes compétentes. MM. Goner
frères ont, en outre, exposé deux cabriolets forme Victoria.,
qui prouvent qu'ils sont aussi habiles dans la construction
des voitures de ville que dans celle des voitures de luxe.
Les produits présentés par les Pays-Bas paraissent traités
avec conscience. Nous signalerons une calèche de ville con-
struite par MM. Hermans et Cie pour S. M. le roi des
Pays-Bas, et qui, sous le rapport du confortable et de la
bonne exécution, ne le cède en rien à celles dont nous avons
déjà eu occasion de parler. Un charmant dog-cart construit
tout en fer par le même fabricant a aussi attiré notre atten-
tion.
Pour terminer l'examen des voitures exposées dans le local
affecté plus particulièrement à la carrosserie nous n'avons plus
qu'à signaler la calèche exposée par M. Wil?on de Mexico-
cette voiture qui lui a été commandée par la république mexi-
caine en vue de l'exposition, est d'une construction un peu
lourde, la forme en est peu gracieuse et e^t depuis longtemps
passée de mode chez nous; cependant nous devons recon-
naître que la fabrication en est bonne, et que la ferrure et
la garniture en sont très-soignées.
Pour terminer Texamen de la carrosserie, il faut mainte-
nant nous rendre aux annexes. Nous trouvons à la pile l'17 D
les voitures exposées par l'Autriche. Elles sont peu nombreu-
ses, et celles exposées par MM. Laurenzi et Cie sont les seules
qui méritent de fixer l'attention ; ce sont la voiture d'apparat
du maire de Vienne et un coupé de ville. Nous avons dit plus
haut ce que nous pensions de la voilure d'apparat; sa richesse
d'ornementation attire seule les regards. (Juant au coupé, il
nous donne meilleure idée du goût du constructeur, car cette
voiture est d'une forme gracieuse; les détails en sont soignés,
et ne laissent rien à désirer.
Plus loin, à la pile 127 D nous trouvons l'Angleterre, et
dans cette partie elle est encore la digne rivale de la France.
Nousidevons même reconnaître que nos voisins, ens'attachant
surtout à nous envoyer des voitures d'un genre sévère et
utile, se sont plus rapprochés du but de l'exposition.
Nous rencontrons d'abord un phaéton de M. Vrupp, et plus
loin des voitures du même genre, de MM. Thorn de Londres
308 VISITE
et de M. Starey de Nottingham. Bien que les deux premiers
soient construits avec tout le soin et la légèreté que demande
ce genre de véhicule, celui de M. Starey appelé cotlage-
phaéton est digne, par son ingénieuse construction, d'une
mention particulière.
Cette voiture peut affe-^ier trois formes : phaéton à deux
places, phaéton à deux sièges et à quatre places, et la même
voiture avec siège couvert. Ce qui la dislingue surtout, c'est
sa simplicité, sa légèreté et, pour ainsi dire, l'instantanéité
avec laquelle elle change de forme suivant le besoin ; à cha-
que instant vous pouvez l'approprier à la circonstance dans
laquelle vous vous trouvez ; les changements de forme se font
aussi bien en route que sous la remise, de sorte que vous
n'êtes jamais exposé à vous trouver pris au dépourvu.
Deux fabricants, MM. Kesterton de Londres et Roch et fils
ie Hastings, ont exposé sous le nom d'amempton et de dio-
fophe, deux voitures de ville qui peuvent aussi se transfor-
mer de manière à former suivant les besoins une calèche
entièrement fermée , une calèche découverte ou un char
découvert.
MM. Davies et fils, de Londres , présentent un coupé qui
paraît traité consciencieusement et se recommandée l'atten-
tion par un marchepied qui tient si peu de place qu'il se
confond avec le contour de la voiture.
Nous avons encore remarqué, dans la partie anglaise, trois
calèches fabriquées avec le plus grand soin, tant sous le
rapport de la serrurerie et du charronnage que sous celui
de la garniture intérieure; elles sont de MM. Bigby et Ro-
[)inson, Peters et fils et Hopper et Cie, de Londres.
Bien que les quelques voitures exposées dans l'annexe
du côté de la place de la Concorde n'offrent pas un grand
intérêt, nous engageons le visiteur qui veut compléter l'exa-
men des voitures à se rendre à la pile M D; il y trou-
vera, parmi les produits du Canada, deux voitures : l'une
de M. Clovis Leduc de Montréal , l'autre de M. Edouard
Gringar de Québec. Ces voitures sont d'une forme élégante, et
la ferrure a été surtout traitée avec beaucoup de soin; elles
font honneur au goût des constructeurs; M. Clovis Leduc a
cependant conservé à son américaine un genre décapote qui
n'est plus en usage depuis longtemps , et ({ui lui ôte beaucoup
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 300
de sa grâce, et M. Edouard Gringar a monté la sienne sur un
train et des roues trop peu élevés; ce qui nuit à l'har-
monie qui doit toujours régner dans toutes les parties d'une
voiture.
En passant à la pile 24 D , nous pourrons encore voir
les trois voitures norvégiennes qui ne présentent cependant
qu'un intérêt de curiosité , car nous doutons que ce genre de
véhicule, qui consista en un siège très-étroit pour une seule
personne et qui est monté sur un train, fort large et des roues
très-hautes, puisse jamais , dans nos contrées, trouver un
emploi utile.
Sellerie.
Cette section compte 98 exposants, dont 29 à la France,
9 à l'Algérie, 31 à l'Angleterre, 6 à la Belgique, 10 à l'Au-
triche, 5 aux Pays-Bas, 3 à la Prusse, 2 au Canada, 1 à la
Toscane et enfin 1 au duché de Brunswick.
Nous allons d'abord examiner les produits exposés par la
France. Ils se trouvent pour la plupart groupés sous la tente,
à droite de la porte sud du grand palais.
La première vitrine qui frappe nos regards est celle de
M. Bourse; ce fabricant s'est attaché à y réunir tout ce qui
se rapporte à son industrie. Nous y avons remarqué un har-
nais d'une grande richesse, des selles, diles anglaises, tra-
vaillées avec soin , des brides d'une grâce et d'une légèreté
extraordinaires, dont la finesse, en raison de l'excellente'
qualité des matières employées, ne nuit en rien à la solidité.
Enfin une selle avec harnachement de cheval de maréchal de
France a aussi fixé notre attention, les détails sont bien trai-
tés; tout y est riche, mais simple, et de meilleur goût que
les harnachements militaires de l'exposition anglaise.
MM. Lambin et Prax ont fait des efforts sérieux pour re-
présenter dignement leur industrie. La plupart des objets
qui se trouvent dans leur montre nous ont paru remar-
quables. Nous devons citer comme devant être mis complè-
tement hors ligne un harnais commandé par S. A. L le prince
Murât; le soin apporté dans tous les détails de fabrication ,
le fini des armes et des chiffres en font plutôt un objet d'art
qu'un article de sellerie . et malgré tous les ornements qui le
310 VISITE
décorent, il est impossible de rien trouver de plus léger, de
plus coquet et de meilleur goût.
Dans la sellerie de luxe nous avons encore remarqué un
harnais d'une grande richesse et d'une exécution irrépro-
chable de MM. Exmelin et Arlot aîné.
Sous le n" 99G, M. Garnier présente plusieurs colliers dont
le principal mérite est un ressort qui permet d'élargir ou de
rétrécir le collier à volonté. Tout en ne cherchant en aucune
manière à déprécier la découverte de M. Garnier, nous devons
dire que son système nous a paru n'être pas exempt du vice
reproché à ses devanciers, et qui con-isle en ce que le mé-
canisme se dérange souvent et ne résiste pas ordinairement
au tirage du cheval.
Plusieurs systèmes ont été exposés pour dételer les che-
vaux instantanément. Ceux de MM. Payr et Richard frères,
d'Abbeville, sont les plus simples; mais les divers moyens
employés dans ce but nous paraissent avoir l'inconvénient
d'empêcher d'alteler le cheval avec autant de solidité qu'à
l'ordinaire, et par conséquent de nuire toujours au tirage.
L'anti-mors de M. Chambon peut aussi être cité comme
un moyen nouveau de direction; mais il nous semble d'une
application difficile : car les plaques qui se trouvent au-dessus
des naseaux de l'animal et servent à opérer une pression,
doivent nécessairement enlever le poil et en très-peu de temps
défigurer le cheval.
Quant à la sellerie étrangère, nous devons reconnaître
que nos voisins, qui autrefois tenaient le premier rang dans
ce genre de fabrication , n'ont rien négligé pour soutenir leur
ancienne réputation. Tous les genres se trouvent représentés
dans celte partie de leur exposition.
Nous trouvons cependant que , malgré tous les efforts
tentés par les fabricants anglais, les produits français et
belges supportent la comparaison, et que nos selles ne le
cèdent aujourd'hui en rien aux leurs sous le rapport du fini
et de l'élégance.
Nous remarquons d'abord MM. Garden et fils, Blackwell
et R. Cuff, de Londres, dont les produits sont parfaitement
traités; le choix des matières employées nous a paru excel-
lent. La vitrine de M. R. Cuff se dislingue de celles de ses
confrères par quatre selles de cavalerie, dont deux avec har-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 311
nacheinent de cheval pour officier de hussard et. de dragon
et deux autres d'officiers généraux. Nous devons savoir gré à
M. Cuff d'avoir clierché à nous initier aux uniformes de son
pays; ils ne manquent pas de richesse, mais soit défaut d'ha-
bitude ou esprit national, nous dirons franchement que nous
n'aimons pas ces caparaçons surchargés d'ornements qui
nous paraissent, surtout pour les officiers inférieurs, peu en
rapport avec les grades. Les dessins sont d'assez mauvais
goût, et nous préférons la sévère simplicité des harnache-
ments de notre cavalerie ; là , la splendeur de la housse n'é-
crase jamais le cheval ni le cavalier.
Plusieurs harnais exposés par M. Shipley méritent aussi
une mention spéciale; deux brides aux armes d'Angleterre et
de France sont d'une légèreté et d'un bon goût remarqua-
bles; nous avons aperçu danslamême vitrine un harnais com-
plet, dont les dessins sont exécutés avec des plumes découpées ;
quelle que soit la difficulté que doit présenter un tel travail ,
il est d'un effet très-heureux, et si cet assemblage réunit la
solidité à l'élégance, nous ne doutons pas qu'il ne soit em-
ployé par la suite avec succès.
Citons aussi les produits de M. Dunlop, de Haddington.
Ils ne se recommandent pas comme les précédents par la grâce
et la légèreté, les formes adoptées par ce fabricant sont
même assez disgracieuses; comme travail de bourrelerie ces
produits sont dignes de fixer l'attention par le soin qu'il pa-
raît avoir apporté dans sa fabrication et dans le choix des
matières employées.
On trouve auprès de l'américaine de M. Clovis-Leduc, de
Montréal , un harnais dune grâce et dune légèreté remar-
quables, et qui fait honneur au goût de M. Georges Barrington,
de Montréal. Les piqûres de ce harnais, faites avec beaucoup
de soin, sont surtout d'un effet charmant.
La Prusse^ dont nous avons eu à constater l'absence com-
plète pour la carrosserie, n'a pas fait beaucoup de frais pour
la sellerie. Trois selles et quelques brides sont les seuls ob-
jets exposés par ses fabricants. Les selles n'ont rien d'ex-
traordinaire. Elles sont faites avec le soin que l'on apporte
généralement aux produits destinés à être exposés; mais il
n'en est pas tout à fait de même des brides de M. Kornbach
qui méritent certainement une mention spéciale, sous le
312 VISITE
rapport de la légèreté et du fini du travail, et nous nous
plaisons à reconnaître qu'aucun objet du même genre ne leur
est supérieur.
La sellerie exposée par l'Autriche est peu nombreuse; les
harnais sont ordinaires, et si quelque objet peut attirer l'at-
tention, ce sont les selles exposées par M. Loefler , car elles
réunissent toutes les qualités désirables ; élégance, solidité et
bon marché. Nous citerons encore la bride hongroise de
M. Hoimberg et le harnais \alaque de M. Sindel d'une lé-
gèreté vraiment remarquable.
L'exposition des Pays-Bas est aussi assez restreinte; nous
ne pouvons cependant passer sous silence la selle à l'usage
des chirurgiens de l'armée, parfaitement établie et réunissant,
dans son aménagement , toutes les commodités désirables.
La Belgique, qui depuis quelques années a réalisé des pro-
grès sérieux dans ce genre d'industrie, a voulu déployer à
l'Exposition tous ses moyens; aussi voyons-nous la sellerie,
bien que le nombre des exposants soit peu nombreux, y oc-
cuper une place importante.
La vitrine de M. Ladoubée-Lejeune est très-complète et ce
fabricant paraît s'être appliqué, par la multiplicité des objets
qu'il a exposé , à prouver qu'aucune partie de son art ne
lui est étrangère; aussi trouvons-nous dans cette montre de-
puis le harnais de luxe jusqu'au harnais de camion, depuis
la selle anglaise jusqu'à la selle de cavalerie , et cette fabrica-
tion n'est inférieure à aucune autre. Les harnais et les selles
sont bien soignés et réunissent l'élégance à la solidité. Nous
avons surtout examiné avec intérêt deux harnais de traîneau
d'une légèreté ravissante.
Pous être juste nous devons dire cependant que nous pré-
férons, pour le harnais de luxe , le genre de la maison Maré-
chal, de Bruxelles : ses produits sont moins lourds, et les dé-
tails sont traités avec plus de goût que ceux de M. Ladoubée-
Lejeune.
Nous devons encore signaler comme travaillés conscien-
cieusement les harnais exposés par MM. Théry de Gand, et
Rousseau de Liège.
Avant de quitter la Belgique nous remarquons encore un
genre de harnais qui lui est propre , exposé par M. Van
Molle d'Arsche. Ce harnais, enrichi d'une multitude d'orne-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 31 rî
ments de cuivre, est plus spécialement en usage pour les bras
seurs; il nous a paru réunir d'excellentes qualités sous le
rapport du travail et des matières employées, mais nous ne
nous rendons pas bien compte de la profusion avec laquelle
les clous et les plaques de cuivre y sont jetés.
CLASSE VI.
Mécanique spéciale et matériel des ateliers industriels.
Le titre de cette classe suffit pour indiquer toute l'étendue
de son domaine ; il n'est plus une seule industrie qui n'appelle
à son aide un grand nombre de ces liabiles auxiliaires qui
travaillent plus vite et mieux que ne pourrait faire la main de
l'homme, et qui savent se prêter à toutes les exigences en dis-
tribuant, suivant les besoins, la puissance et ra'2;ilité dans
les conditions les plus favorables à la rapidité et à la bonne
confection du travail.
Il nous serait impossible , on le conçoit , d'examiner un à
un tous les appareils de cette sorte , disséminés dans tous les
points de la galerie des machines françaises et étrangères.
Obligés de nous restreindre , nous ferons choix des appareils
qui nous paraissent présenter un plus grand intérêt d'actuahté.
Les machines à travailler les pierres, les métaux et les bois
sont celles dont l'usage est le plus générid.
Un exposant autrichien , M. Viltorelli , entretient en tra-
vail une machine à débiter et raboter la pierre, dont le fonc-
tionnement ne laisse rien à désirer. Une scie à plusieurs lames
verticales débite le bloc en tranches, pendant que des burins
écroùtent la surface horizontale qui leur fait obstacle dans un
sens et qu'ils retournent inactifs dans l'autre, par suite de
l'articulatioji ménagée dans l'assemblage de chacun d'eux sur
leur support commun.
Le travail mécanique des pierres et des marbres a pris, sur
les lieux mêmes de l'extraction, un développement considé-
rable, et nous regrettons de n'avoir pas un ensemble des dif-
314 VISITE
férentes machines employées dans ces industries, particuliè-
rement des machines à moulures dont quelques-unes sont fort
remarquables. Nous en sommes réduit à citer un appareil
d'un emploi moins :;énéral, mais d'une disposition ingénieuse,
à l'aidcï duquel MM. Kabaiy et Deville fi ères taillent leurs
ardoises suivant les formes diverses réclamées par le con-
sommateur.
Le visiteur verra travailler avec plaisir la machine à l'aide
de laquelle M. Chevalier parvient à scier les pierres les plus
dures, le verre, le quartz , le granit , et le moyen dont il se
sert paraîtrait plutôt destiné à couper des matières très-ten-
dres, puisqu'il est emprunté au mode assurément bien simple
que l'on pratique sur nos marchés. Le fil de fer de M. Cheval-
lier est monté comme une courroie sans fin sur deux poulies,
qui lui permettent de se mouvoir dans le même sens d'une
manière continue ; on a soin d'approvisionner de sable mouillé
les places par lesquelles le fil e^t en contact avec le bloc à
scier, et ce sable, entraîné par le mouvement même du fil,
l'aide à faire son logement dans la masse jusqu'à la profon-
deur convenable. Les spécimens des pièces à moitié coupées,
qui sont au nombre des produits de cet exposant, témoignent
d'une manière avantageuse de l'efficacité de son procédé.
La machine que M. Hermann emploie pour lourner ses
vases et ses cylindres en granit, aurait dignement accompa-
gné ce petit appareil qui, comme lui, s'attaque aux pierres
dures.
Les machines à fabriquer les briques et les tuyaux de drai-
nage ont, depuis plusieurs années surtout, l'avantage d'une
immense popularité; chaque comice agricole a voulu possé-
der la sienne, dont la plupart du temps il ne fait rien. On
sait qu'en général ces machines opèrent au moyen d'un piston
qui refoule la terre, dans un espace qui en est préalablement
rempli. La terre suffisamment malaxée, que fon renouvelle
après chaque opération , se trouve chassée par la pression au
travers des ouvertures d'une lilière, et vient se disposer en
une masse continue ayant la forme même du profil qui varie
d'une filière à l'autre. Cet organe principal a tantôt une forme
circulaire ou elliptique, s'il s'agit de tuyaux de drains, tan-
tôt une forme quadrangulaire si l'on veut en obtenir des bri-
ques pleines ou creuses. Dans tous les cas, des fils de fer,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 31 o
tendus sur châssis mobile , sont disposés pour couper le
tuyau sans fin à la longueur convenable pour la nature du
produit. Lesbriques creuses de M. Boriespprêtentadn)irable-
ment à ce mode de travail. A. l'exception de la machine de
M. Touaiilon, qui se sert d'une hélice pour diviser et malaxer
la terre, et qui aurait besoin de la sanction d'une longue ex-
périence, tous les autres appareils sont fondés sur le même
principe. M. Borie et M. Calla,, en France, M. Whitehead,
en Angleterre , ont envoyé les plus importants. La machine
verticale de M. Clayton ne diffère des autres qu'en ce que la
filière est placée horizontalement.
Dans tous les cas, une sorte de fourcliette en bois sert à en-
lever du tablier sur lequel ils avancent, au fur et à mesure do
leur confection, les tuyaux coupés.
Les machines destinées au travail des bois sont largement
représentées, tant dans la partie française que dans la partie
étrangère.
Dans l'exposition française, nous rencontrons d'abord la
machine à débiter les moulures et pièces contournées, de
M. Périn. Elle se compose essentiellement d'un scie à lame
sans fin, enroulée sur deux poulies garnies de cuir, afin
d'éviter le glissement qui , jusqu'ici , s'était produit dans ces
sortes de machines. La scie est, en outre, guidée par deux
pièces de bois dans lesquelles elle entre un peu , pour empê-
cher la lame de se voiler. Au moyen de cet instrument,
M. Périn débite les pièces de bois des formes les plus contour-
nées et les plus bizarres. On peut voir, du reste, à peu de
distance de sa machine, quelques échantillons débités succes-
sivement dans le même bloc, et qui s'emboîtent avec une
merveilleuse exactitude les uns dans les autres, comme une
lame dans son fourreau.
MM. Delaporte fils et Frisch exposent une scie qui ne dif-
fère pas sensiblement de la précédente. Les guides en bois
sont remplacés par des galets , et il y a trois séries de poulies
porte-lames , au lieu d'une seule , afin de pouvoir, quand on
veut, diminuer les frottements en employant les plus petites
poulies, si cela est possible.
Dans la machine à mortaiser de M. Damon, la mortaise se
, fait au moyen d'une mèche tournante. On avance la pièce de
bois pour faire la profondeur et la largeur voulues; la mor-
316 VISITE
taise ayant îles angles arrondis , on est obligé de la retoucher
à la main. La machine de M. Bernier est fondée sur ce même
principe. Elle est, en outre, munie d'un tambour à deux fers
de rabots pour faire les tenons.
A côté de ces deux machines, se trouve celle de M. Escafit,
pour fabriquer les queues de billard. On place la pièce de bois
sur deux pointes de tour à bois , et elle est travaillée par un
rabot cheminant dans une coulisse en pente au moyen de
deux vis sans fin. La pièce de bois tourne à grande vitesse.
On obtient au moyen de la pente de la coulisse la conicité
nécessaire. Une queue de billard se trouve parfaitement tour-
née en deux minutes et demie.
M. Sautreuil, constructeur à Fécamp, expose deux ma-
chines, l'une destinée au rabotage des pièces de charpente,
et l'autre au travail du parquet. Dans la première, la pièce de
bois est amenée sur des galets, et serrée contre eux par
des cylindres en fonte cannelée , munis de contre-poids pou-
vant se régler à volonté, suivant les dimensions des pièces.
Elle est travaillée par quatre tambours tournants, armés de
fers de rabots. Deux sont horizontaux et deux verticaux, de
manière à opérer le planage à la fois sur les quatre faces.
Elle passe ensuite entre quatre galets, deux horizontaux et
deux verticaux qui servent à la guider, et qui sont réglés au
moyen de vis de pression. Cette machine sert à faire les bor-
dages de navires.
La machine à faire le parquet fait la planure sur la face an-
térieure, puis la rainure et la languette sur les deux faces
latérales. La planure se fait , comme dans la machine précé-
dente, par un rabot circulaire, la languette, au moyen d'un
tambour à double fer, et la rainure, par un autre tambour
dont le fer est placé au milieu. Ces deux tambours sont à
axes verticaux. La pièce est guidée d'un côté par un bultoir
fixe, et de l'autre par un buttoir à ressort, afin qu'elle soit
toujours sufilsamment maintenue. Les deux machines sont
bien exécutées , avec des bàlis solides , et dans les meilleures
conditions de travail.
M. Quétel-Trémois expose également une machine à par-
quets. Le tambour porte trois fers inclinés par rapport à
l'axe , et disposés de manière que le tranchant soit parallèle à
la surface à raboter. Une règle eu bois, placée au-dessus de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 317
l'axe du tambour porte-fers, sert à régler leur hauteur. La
pièce est guidée en partie par des guides plans, et en partie
par des galets à contre-poids. Le travail de la rainure et de
la languette ne diffère pas sensiblement de celui de la machine
de M. Sautreuil.
Gomme les précédentes , cette machine est exécutée avec
soin et dans de bonnes conditions de solidité.
M. Bandât expose une scie à lame droite alternative pour
débiter les bois de placage.
M. Normand , du Havre , a monté deux machines à scier.
L'une d'elles est destinée au sciage des bois de membrures
des navires avec leurs courbures, équerrages , torsions et
changements progressifs d'épaisseurs. Ces différents résultats,
si difficiles à obtenir, sont dus principalement à la suppres-
sion presque complète du lignage, qui se réduit au tracé d'une
seule courbe suivant gabarrit. Les scies sont conduites et
bandées avec précision, et les pièces de bois dirigées dans les
conditions voulues, au moyen d'une espèce de gouvernail que
manœuvre facilement l'ouvrier, de manière que chaque élé-
ment à scier vienne toujours se présenter dans le plan des
lames, et sous l'angle voulu par l'équerrage.
La seconde machine de M. Normand est une scierie droite,
à plusieurs lames imitant, au moyen d'une bielle munie d'un
parallélogramme, l'action des scies à bras, qui scient, comme
on le sait, suivant une courbe. Les scies, après avoir travaillé
de bas en haut, se relèvent sans toucher la pièce.
Les machines de M. Normand sont deux des choses les plus
intéressantes de notre exposition , et résolvent d'une manière
nouvelle et presque complète le problème difficile du sciage
uiécanique.
Un peu plus loin que les machines de M. Normand, se trouve
l'exposition de l'usine de Graffenstaden , exclusivement com-
posée de machines outils et de machines à bois. Occupons-nous
de ces dernières, composant l'outillage complet pour le travail
des wagons.
Pour faire les mortaises, on se sert de deux machines, l'une
pour percer, l'autre pour mortaiser . La machine à percer est dou-
ble. Elle se compose de deux porte-outils portant deux mèches
anglaises verticales, et équilibrées au moyen'de contre-poids.
Le mouvement de cette machine n'a rien de particulier. Elle
318 VISITE
peut faire des trous de 0,42 à 0,15 de diamètre, suivant les
mèclies que l'on em- ploie, à une profondeur réglée selon les
besoins, au moyen d'un arrêt mobile.
Les trous une fois faits , on fait les mortaises au moyen de
la machine à mortaiser ; on emploie, dans cette machine, des
outils coupants sur trois faces, et pouvant se retourner, afin de
faire les deux extrémités. On va de suite à la profondeur
voulue et le bois avance au moyen d'un chariot. Les mâchoires
sont constamment maintenues parallèles par une double ma-
nivelle articulée. On peut, en outre, faire varier la vitesse du
chariot, en le faisant avancer, tantôt par un double engrenage,
tantôt par une crémaillère. Le chariot est, dans les deux cas,
mû à la main.
Outre cette machine, on en trouve une autre, dans laquelle
l'outil, placé horizontalement, et pouvant sa retourner comme
dans la précédente , est mù par bielle et manivelle , qui lui
donnent lo mouvement alternatif. Celte machine est desservie
par une petite machine à percer dans laquelle l'outil est ho-
rizontal.
Dans la machine à tenons doubles, les tenons sont faits par
des fers placés sur un manchon, et inclinés sur l'axe comme
dans la machine de M. Quétel. Les fers sont mobiles, et peu-
vent être rapprochés ou éloignés l'un de l'autre suivant les
besoins du travail. L'arbre, entièrement en acier fondu, est
monté sur pointes, afin de pouvoir lui donner une très-grande
vitesse.
On peut faire , avec là machine à tenons simples , plusieurs
pièces de suite ; la table étant assez grande pour en comporter
un certain nombre, il suffit de remplacer à mesure les pièces
terminées par des pièces nouvelles. 11 y a deux porte-outils,
qui permettent de travailler en même îemps en dessus et en
dessous. Le manchon porte, outre les fers de rabots, d'autres
fers perpendiculaires à la pièce qui viennent commencer le
travail en coupant le bois debout. De celte manière, les ra-
bots n'ont, pour ainsi dire, qu'à enlever les copeaux, déjà à
moitié séparés par les premiers fers. On peut régler les outils
de façon a augmenter ou diminuer à volonté la profondeur de
la partie enlevée et à faire un tenon égal ou inégal. Enfin une
scie circulaire, placée latéralement, vient araser la pièce.
Toutes ces machines sont d'une admirable exécution , mu-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 310
nies de bâtis solides et transporlables , et les quelques mots
(jne nous venons de dire , doivent suffire pour faire compren-
dre l'avantage que l'on peut retirer de pareils outils, qui sont,
du reste, de fabrication courante à l'usine de GrafTenstaden.
La scierie de M. Damey est une scierie à vingt lames, bien exé-
cutée , mais ne présentant rien de particulier.
Nous trouvons encore dans l'exposition française le des-
sin d'une machine à fabriquer les seaux, barils, brocs, de
MM. Raiilard père et fils, au moyen de laquelle, en em-
ployant une lame courbe, on débite, dans un bloc de bois,
plusieurs pièces de cette nature , s'emboîtant les unes dans les
autres, en ne perdant pour ainsi dire que la sciure.
Nous rencontrons encore une petite vitrine de M. Picot,
renfermant deux modèles au dixième de machines à débiter
les bois de placage sans sciure. La première coupe les bois
d'une épaisseur de un dixième de millimètre ; les feuilles
ainsi obtenues sont propres à la lithographie, à faire des
cartes de visites, etc. La seconde est destinée au travail des
bois de placage en grande dimension pour l'ébènisterie. Ces
petits modèles, construits avec soin par l'inventeur lui-même,
sont accompagnés de produits fort intéressants.
MM. Godraut frères exposent une machine à faire les par-
quets , assez semblable à celles dont nous avons déjà parlé ,
et munie, en outre, d'une scie circulaire pour ébarber les
planches. M. Ch. Sester présente un modèle de machine à
faire les coins de chemins de fer. C'est un plateau circulaire ,
tournant, sur lequel on peut faire six coins. Le travail s'exé-
cute au moyen d'un rabot mù par une m.anivelle, qui lui
donne un mouvement alternalif.
Nous avons enfin les machines à faire les bouchons. Le
principe est généralement celui-ci : le liège pris entre deux
mâchoires, tourne à grande vitesse, tandis qu'un couteau
dont le tranchant va 1 gèrement en pente, débite le bouchon
auquel il donne la forme un peu conique. Telle est la machine
de M. Jacob. Celles de M. Duprat ont quelque chose de plus.
Dans les machines précédentes, en effet, quels que soient les
défauts du Iiége, le bouchon se trouve coupé de la même ma-
nière. Celles-ci, au contraire, le reprennent, et en font un
autre bouchon plus petit que le premier. Cette opération peut
se répéter jusqu'à ce que le défaut ait entièrement disparu.
320 VISITE
On peut donc corriger la mauvaise qualité du liège et faire
des bouchons de toutes dimensions, avantages que ne pré-
sentent pas les machines ordinaires.
Dans l'exposition étrangère, nous trouvons en Prusse la
machine de M. Schvvartzkopff; c'est une scie à vingt-quatre
lames. La pièce de bois est maintenue par une tige verticale
mobile portant un rouleau, et on empêche l'écartement indé-
fini des placages débités par un système de mâchoires mo-
biles. Ce que cette machine a surtout d'intéressant, c'est
qu'elle est mue par une machine à vapeur placée sur le même
bâtis. Cette machine est à détente fixe, et à deux tiges de
piston au-dessus des porte-lames. Elle donne deux cents coups
de piston par minute, et fait faire, par conséquent, deux cents
mouvements alternatifs aux scies. Cet attelage direct peut
avoir d'assez grands avantages, la scie étant facilement trans-
portable et pouvant se monter et s'employer plus commodé-
ment à quelque endroit que ce soit.
M. Nelson Barlow, de New-Yorck, expo?e une machine à
raboter, qui n'a d'autre particularité que des fers très-longs
pouvant, par conséquent, planer sur une grande largeur.
La machine de M. Albin Warth est de-tinée à faire les
pièces contournées comme manches de plumeaux, de balais,
etc. L'outil est conduit par une tige articulée qui se meut sur
une pièce ayant le profil que l'on veut obtenir, à peu près
comme les tours à portraits de M. Collas.
Nous arrivons à l'expo.rition du Canada, dans laquelle les
machines à bois ont une large part.
M. Mumo, de Montréal, expose une machine à parquets qui
ne diffère pas sensiblement des précédentes, et I\iM. Lellan
et Cie, une machine à mortaiser, travaillant intérieurement
au moyen d'une fraise, et à l'extérieur au moyen d'un bé-
dane. C'est une idée nouvelle véritablement ingénieuse, le
travail du trou préliminaire et celui de la mortaise pouvant
ainsi se faire simultanément.
Nous trouvons enfin une machine à faire les gournables,
une machine à planer, et un établi mécanique de menuisier,
de M. William Rodden.
Dans la machine à gournables la pièce est tirée pendanf
que l'outil tourne autour à très-grande vitesse, et lui donne
la façon voulue.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 321
Le planage se fait, dans la machine à planer, par deux
gouges placées aux extrémités d'un bras horizontal tournant
à très-grande vitesse.
L'établi de menuisier est chose très-intéressante ; on fait,
sur ce même bâti, le rabotage, la moulure, le perçage, les
tenons, le chantournage, la rainure et le sciage.
Le rabotage et la moulure se font sur le même axe, au
moyen de rabots, comme dans les machines ordinaires. Le
chantournage s'opère par une scie à chantourner, assez sem-
blable à celle de M. Perrin, dont nous avons parlé. Cette ma-
chine , quoique n'ayant rien de particulier dans chacun de
ses éléments, est cependant fort remarquable par la simpli-
cité extrême du montage et des transmissions , par son peu
de volume, et enfin par son prix , qui n'est que de 2000 fr.
Toutes les machines qui nous ont été envoyées par le Ca-
nada sont montées sur de solides bâtis en bois d'un aspect
agréable, qui remplacent économiquement, dans ce pays, les
bâtis en fonte de nos machines.
Nous ne sommes entrés dans des détails aussi nombreux
sur les moyens mécaniques de travailler le bois , que parce
que la plupart de ces appareils sont encore nouveaux, à
peine employés exceptionnellement dans quelques industries
depuis cinq ou six ans. Ces machines promettent de fournir
une carrière aussi importante que celle des machines-outils,
que tous les ateliers de construction possèdent , quoique leur
introduction en France date à peine de quarante ans.
La généralité de l'emploi de ces dernières machines nous per-
mettra de ne présenter à ce sujet que quelques considérations.
Tandis qu'à la fin du dernier siècle les machines-outils ,
dans le sens propre que nous attachons à ce mot, n'exis-
taient pour ainsi dire qu'en miniature dans l'outillage de l'hor-
logerie, nous avons vu successivement l'Angleterre les appro-
prier à des constructions de plus en plus importantes. Les
dimensions de ces nouveaux exemplaires des tours, des ma-
chines à percer, des machines à raboter et à limer , en appe-
lant sur elles l'attention des hommes les plus habiles dans les
travaux d'atelier, • prirent successivement des formes nou-
velles , appropriées en quelque sorte au nouveau monde
qu'elles devaient peupler. Les supports en fer, remplacés
d'abord par des bâtis en bois, n'eurent plus bientôt la stabi-
206 M
322 VISiïË
lité nécessaire; le fer employé sous toutes les formes, mais
plus particulièrement assemblé comme on assemble les char-
pentes, fut bientôt appelé à consolider ces appareils, dont la
principale condition est d'être parfaitement rigides.
L'emploi plus général de la fonte vint ajouter à ces trans-
formations, qui aboutissent aujourd'hui à établir ces bâtis en
fonte d'une seule pièce, qui caractérisaient, il y a quelques
années encore, les machines anglaises, mais qui maintenant
sont également employés chez nous. Whitvvorlh, dont l'ex-
position est encore cette année si remarquable, doit être con-
sidéré comme le principal promoteur de cette transformation ,
dont l'importance est tout à fait capitale.
L'avantage qu'ont les constructeurs anglais de n'exécuter
que leurs propres modèles , en petit nombre pour chaque na-
ture de machines, assure à ces modèles mêmes tous les per-
fectionnements de l'expérience, en même temps qu'il évite le
renouvellement continuel des travaux de modelage , dont nos
constructeurs ne tiennent pas un compte suffisamment exact.
Le caractère essentiel des machines de Whitv^orth se re-
trouve encore dans celles de MM. Spink Shepherd et Mill,
et dans celles de MM. Smiih, Beacock et Tannett. Le mé-
canisme particulier à l'aide duquel on obtient le retour ra-
pide de l'outil dans la plupart de ces machines, ne paraît
pas avoir eu la sanction générale de l'expérience, et les
quatre outils opposés dans les tours à chariot ne sont plus
employés que pour des usages particuliers.
MM. Decoster, Calla, Ducommuu et Dubied, Cail etCie,
Vurrull, Middleton etElwell, sont, avec l'usine de Graffens-
taden,dans l'exposition française, les principaux représen-
tants de la construction des machines-outils, très-bien com-
posées, exécutées avec une rare perfection. Ces machines
laissent quelquefois à désirer sous le rapport de la meilleure
répartition du métal.
Le tour à quatre outils de M. Polonceau, pour roues de
wagons, n'a rien à redouter d'une comparaison avec celui de
Whitworth : une moindre élévation de l'axe du tour au-des-
sus du sol lui a permis de diminuer d'une manière notable les
dimensions et le poids du bâti; la machine anglaise cependant
conserve encore l'avantage de pouvoir être comparée à ce chef-
d'œuvre.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 323
M. Hartmann, de Chemnitz, expose une petite machine à
raboter, dans laquelle le retour rapide de l'outil est obtenu
par deux roues dentées elliptiques, qui se commandent l'une
l'autre, en tournant chacune autour de son foyer. L'applica-
tion de ce système au métier Jacquart , envoyé par le même
exposant, paraît produire de très-bons résultats, malgré la
difficulté de donner aux dents les profils convenables.
Le marteau avec tampon en caoutchouc de ]\1. Schmerber,
du Haut-Rhin , et la machine à forger de M. Whitworth , qui
déjà avait fait sensation à Londres, doivent être particulière-
ment mentionnés.
La cisaille américaine de M. Richmond de Boston , malgré
la forme assez disgracieuse de son bâti, doit être considérée
comme une nouvelle conquête ; elle coupe la tôle au moyen
de deux cisailles circulaires laissant entre elles une certaine
distance; coupée sur ses deux faces à la fois , la tôle se sé-
pare uniquement par le prolongement, dans toute son épais-
seur, de la fente commeiîcéepar cette double action.
C'est surtout dans l'industrie parisienne que l'on trouve
une mulîitude de petites machines employées à découper et à
façonner le métal , toutes les fois qu'il s'agit d'obtenir de nom-
breux exemplaires d'une même pièce. MM. Frey et Stoltz se
distinguent par leurs machines a clous, qui transforment en
pointes de Paris le fil de fer de toutes dimensions, la ma-
chine se chargeant elle-même de former la tête par un coup
vigoureux , à la suite duquel la pointe est coupée par des mâ-
choires d'une forme spéciale; l'introduction du caoutchouc,
comme ressort, dans les machines de M. Stoltz, n'est pas
une modification sans importance.
Les machines à faire les épingles, celles qui tournent,
plient et aplatissent le fil de cuivre en forme d'agrafes;
celles qui arrivent au même résultat au moyen du découpage
de la tôle de laiton; les découpoirs à faire les maillons
pour le tissage , parmi lesquels nous pouvons citer ceux de
M. Lefort, qui enlèvent à la fuis et concentriquement plusieurs
maillons de dimensions différentes dans la même pièce; la
machine à faire les capsules en une seule passe, par M. le
capitaine Humbert; les laminoirs cannelés de M. Clément
(Aude) pour la préparation des petites pièces de métal pour
filature, et particulièrement pour la fabrication des fers demi-
324 VISITE
ronds pour goupilles; l'ingénieuse machine de M. Kurtz,
pour forger par cintrage et pression les fers à cheval; les
cisailles de M. Reymondon , pour fabriquer les ressorts de
parapluies; les cisailles droites et circulaires de M. Chaleyer ;
enfin mille autres machines de ce genre indiquent tous les
services qua les conceptions mécaniques les plus diverses
rendent journellement à un grand nombre de professions.
Machines agricoles.
Si nous n'avions dû considérer que la France, il eût été
plus convenable sans doute d'apprécier, à côté des produits
agricoles, les instruments de culture qui ne sont pas à propre-
ment parler des machines ; mais si nous jetons un coup d'œil
sur les appareils agricoles que l'Angleterre a réunis vers le
commencement de l'Annexe, enlre les piles 9 et 10, il devient
difficile d'établir une démarcation bien tranchée entre les
simples instruments de culture et les machines.
Tandis que la construction de ces appareils est livrée chez
nous trop souvent au charron du village, quelquefois au la-
boureur lui-même, de l'autre côté du détroit les machines
agricoles alimentent des ateliers considérables, qui comptent
leurs ouvriers par centaines et qui possèdent toutes les res-
sources de l'outillage mécanique.
Celte différence d'origine se traduit assurément par un ca-
ractère bien différent dans les instruments des deux pays.
D'une solidité et d'une simplicité irréprochables, les instru-
ments de labour, en Angleterre, sont confectionnés sur des
types invariables dont l'expérience a proclamé les succès. Es-
sayées sur notre terre de P'rance , les charrues anglaises ont
effectué leur travail avec une aisance et une netteté à laquelle
nous ne sommes pas habitués.
Ce serait cependant une erreur grave que de croire qu'il
suffirait d'apporter en France les charrues renommées de
Bail, deRansome, deHornsby, ces premiers constructeurs de
l'Angleterre, pour en obtenir aussitôt des résultats satisfai-
sants. Les charrues anglaises, qui donnent lieu à un tirage
moindre que les nôtres, ne satisfont pas à toutes les condi-
tions auxquelles nous voulons que satisfassent nos charrues.
Elles rcto'îrnonl spn> doute le sol avec une régularité par-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 32S
faite, mais pour peu qu'il soit argileux , cette première opé-
ration le laisse sans l'avoir aucunement divisé. Ce premier
instrument se trouve donc lié aux façons ultérieures que nos
voisins font subir au sol avec leurs rouleaux Croskill, formés
de rondelles indépendantes qui émiettent le sol et qui for-
ment un des caractères de leur culture perfectionnée.
Tout se tient en agriculture, le drainage, la façon de la
terre et les moyens d'en récolter les produits : avec le drai-
nage il n'est plus nécessaire de cultiver en billons élevés; la
culture à plat rendra le travail du sol plus facile et conduira
nécessairement à l'emploi de ces machines à moissonner qui
ne peuvent encore qu'avec peine arracher à la terre ses ri-
chesses dans nos terrains accidentés.
L'Amérique qui manque de bras , le Canada surtout , sem-
ble avoir devancé l'Angleterre dans la voie qui vient d'être
indiquée : aussi les instruments des contrées américaines
semblent-ils déjà faits pour des pays beaucoup plus avancés.
Les semoirs à tubes articulés qui distribuent à la fois les
semences et l'engrais, les faneuses, les machines à ramasser
le foin, fonctionneront d'autant mieux que l'on s'approchera
davantage des conditions qui viennent d'être indiquées.
Tous ces engins sont, il faut le dire , d'un emploi difficile
chez nous; nos semoirs, nos herses et nos autres instru-
ments n'ont point encore les dimensions usitées en Angle-
terre, parce que leur manœuvre serait plus difficile ; la divi-
sion exagérée de la propriété foncière sera d'ailleurs un
obstacle permanent à l'introduction des machines qui de-
mandent toujours quelque entretien et qui sont d'un prix re-
lativement élevé.
Dans les essais dynamométriques, la charrue de Grignon,
et même notre charrue ordinaire, dite charrue de Brie, occu-
pent un rang honorable que les instruments belges peuvent
également revendiquer.
Les instruments des autres pays ressemblent plus ou moins
à ces types principaux.
Nous ne dirons rien des nombreux instruments accessoires
tels que les cultivateurs, extirpaleurs, houes à cheval, herses,
rouleaux, qui affectent, suivant les différentes contrées , les
formes les plus diverses : la herse de Norvège, cependant doit
être citée pour son action tout à fait remarquable.
326 VISITE
Les machines à moissonner présentent au plus haut degré
un intérêt de nouveauté et d'actualité. Aussi ont-elles été
dernièrement essayées dans une expérience solennelle, en pré-
sence de S. A. I. le prince Napoléon. Les moissonneuses de
M. Mac Cormick, de M. Wright, de M. Manny, qui toutes
trois sont envoyées par les États-Unis, et celle de M. Cour-
nier (France), ont rapidement et sans encombre achevé leur
travail. Les autres ont dû renoncer par suite d'accidents sur-
venus dans le cours de l'opération.
Il est juste, cependant, de dire que celle de M. Moody
(Canada), munie d'un mouvement automatique de râteau pour
faire les javelles, avait précédennnent bien opéré. Ces mou-
vements, imitant d'une nmnière remarquable le développe-
ment du bras de l'homme, ne nous paraissent pourtant pas
d'une application facile dans les travaux champêtres.
L'Exposition possède près de quarante machines à battre ,
dont le travail , comme on le sait , tend de plus en plus à rem-
placer celui des batteurs au fléau. Un certain nombre d'entre
elles, choisies par le jury, ont été essayées en même temps
que les moissonneuses.
Nous serions fort embarrassé de dire lequel de ces appa-
reils a donné les meilleurs résultats. Citons scnlement pour la
rapidité du travail celui de U. Pitts, de Buffalo (États-Unis^,
qui a dévoré en une demi-heure 190 gerbes de blé encore
presque vert. Cette machine bat le blé en long, et brise par
conséquent la paille. Celle de M. Duvoir, qui travaille en tra-
vers, les machines de M. Pinet et de M. Clayton , ont donné
de bons résultats. Il est regrettable que les appareils de
MM. Lotz aîné, Renaud et Lotz, Cumming, etc., n'aient pu
être transportés; ils doivent, du reste, être essayés sous peu
de jours, avec toutes les autres machines à battre.
Ce genre d'appareils fonctionne au moyen de manèges ou
de machines à vapeur, la plupart montées sur roues et con-
nues sous le nom de machines locomobiles. Très-nomibreuses
en Angleterre, ces machines commencent à être employées
chez nous : nous pourrions citer tel département de la France
dans lequel une industrie nouvelle s'exerce avec grand succès:
un entrepreneur, avec sa locomobile et sa machine à battre, va
d'exploitation en exploitation battre le grain à prix débattu.
Les locomobiles de Calla, de Clayton, de Cumming,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 327
de Lotzne laissent aucune supériorité, ni à l'Angleterre ni à
la France.
Plusieurs machines à battre, mues par manivelles, sont
exposées en Angleterre, en Autriche et en Allemagne.
Machines des industries chimiques et alimentaires.
Parmi les pièces les plus importantes de l'exposition fran-
çaise, le moulin à cinq paires de meules de MM. Froment,
Fontaine et Brault peut être cité ajuste titre, tant pour le
mouvement des meules, dit mouvementé friction, où chaque
meule peut être, à un moment quelconque du travail, rendue
indépendante des autres, que pour la nouveauté de sa vanne
et sa manœuvre facile. C'est une vanne en gulta -percha , à
morceaux articulés, recouvrant entièrement les orifices de la
turbine au moment de la fermeture , et pouvant les découvrir
petit à petit en s'enroulant autour de deux cônes mus par une
tige et un engrenage.
D'autres moulins , à bras, à manèges et à vapeur, se trou-
vent dans la galerie des machines, ainsi qu'une intéressante
exposition d'éléments de meunerie de MM. Grellet père et fils,
de Rouen.
Mentionnons également ici le tamis à fécule de M. Huck ,
perfectionnement de ceux de MM. Dailly et Saint-Etienne, et
les appareils à nettoyer les grains, trieurs et cribleurs, à la
main et mécaniques, de M. Vachon, de Lyon. Quant aux nom-
breux pétrins mécaniques et à la grande quantité de machines
à boucher les bouteilles , ils dénotent peut-être un esprit d'i-
mitation que l'on pourrait justement critiquer.
Parmi les appareils des industries chimiques, nous ne
pourrons citer que quelques-uns de ceux qui sont employés
dans les industries les plus importantes : nous commencerons
par ceux de la fabrication et du raffinage du sucre.
La fabrication du sucre de cannes remonte aux temps les
plus reculés. Ce n'est, au contraire, que depuis quarante-cinq
ans environ que l'on pratique l'extraction du sucre de bette-
raves. Cependant, cette industrie, exploitée dans tous les
pays industriels de l'Europe, a acquis un développement
énorme, et est aujourd'hui bien plus avancée que la sucrerie
coloniale.
328 VISITE
Rappelons d'abord en quelques mots la série d'opérations
de la sucrerie indigène :
La betterave, lavée le plus convenablement possible afin
d'enlever les pierres et la terre qui pourraient altérer les
râpes, est soumise ensuite au râpage, destiné à la réduire en
pulpe propre à être pressée. La pulpe est ensuite livrée aux
presses qui, par un certain nombre d'opérations successives,
i'épuisent d'une manière à peu près complète en séparant de
la partie solide le jus qui est recueilli dans un vase à ce des-
tiné, et envoyé immédiatement à la chaudière à déféquer.
La défécation a pour but de purger le jus des matières étran-
gères solubles qu'il contient, et se fait au moyen de la chaux,
qui, agissant chimiquement sur ces matières, transforme les
sels solubles en sels insolubles, facilement séparables du jus
sucré. Celui-ci est aussitôt recueilli et filtré, puis évaporé
dans une première chaudière qui le concentre de manière à
lui faire marquer 10** à l'aréomètre Baume, de 5" environ
qu'il marquait à la sortie de la chaudière à déféquer. La fil-
tration a lieu sur un filtre chargé de noir animal en grains, et
le but de cette opération est d'enlever le plus possible l'excès
de chaux qui se trouve presque nécessairement dans le jus
déféqué, et de le décolorer un peu. Le liquide, à la sortie de
la chaudière évaporatoire, est dirigé sur un deuxième filtre
où il se clarifie de nouveau et perd de plus en plus sa cou-
leur; puis on lui fait subir une seconde évaporation destinée
à l'amener à marquer 25" à l'aréomètre. Filtré de nouveau , le
jus est concentré dans une troisième chaudière où il atteint la
consistance sirupeuse caractérisant la fin de l'opération. Celte
dernière concentration s'appelle la cuite. Le sirop, suivant
qu'il a été cuit à l'air libre ou dans le vide, est alors conduit
dans des rafraîchissoirs ou dans des réchauffoirs dans les-
quels commence la cristallisation.
Lorsque les cristaux sont suffisamment formés, on racle les
bords du cristallisoir afin de les répartir dans la masse, puis
on procède à l'égouttage et au clairçage des sucres, soit au
moyen des formes, soit en employant les appareils à force
centrifuge. Ces deux opérations ont pour but d'éliminer du
sucre la mélasse ou sucre incristallisable qui s'y trouve mé-
langée, et de lui donner le grain et la couleur à peu près
blanche qui constituent les sucres bruts de belle qualité. Les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 329
résidus sont eux-mêmes recuits et soumis à la cristallisation,
à l'égouttage et au clairçage, jusqu'à ce que l'on n'obtienne
plus de cristaux ; c'est par ce procédé que l'on fabrique des
sucres de deuxième, troisième et quatrième jet, d'une qualité
généralement inférieure à ceux du premier jet.
La canne à sucre, étant beaucoup plus riche que la bette-
rave et contenant peu de matières élraniières, est loin de né-
cessiter un traitement aussi compliqué. Il suffit de presser les
cannes en les écrasant, de déféquer le jus, de l'évaporer et
de le cuire, puis de faire cristalliser les sirops , et enfin d'o-
pérer le clairçage et l'égouttage, sans avoir besoin de nom-
breuses pressions et filtrations sur noir, comme dans le tra-
vail de la betterave.
Le sucre brut colonial ou indigène est ensuite soumis au
raffinage destiné à éliminer les matières étrangères et la mé-
lasse qui se trouvent encore interposées dans les cristaux, et à
lui donner un aspect et une forme plus agréables. Il serait
trop long d'énumérer ici les opérations successives de ce tra-
vail. Qu'il nous suffise de dire qu'elles consistent essentielle-
ment en fonte du sucre brut, clarification par le sang ou les
œufs , filtrations diverses, cuite et cristallisation , puis enfin ,
égouttages, clairçages et étuvages.
Examinons maintenant les différents appareils destinés à la
sucrerie indigène et coloniale, et commençons par rendre
compte de l'exposition de MM. Cail etCie, qui se sont depuis
longtemps acquis dans la fabrication de ces appareils une ré-
putation européenne.
La râpe à betterave de M. Cail a sur les râpes ordinaires
l'avantage de présenter des sabots couverts avec transmis-
sion en dessous, ce qui permet de faire arriver les betteraves
entre les poussoirs et le cylindre râpeur au moyen d'un râ-
teau, sans qu'il soit nécessaire de les pousser avec la main ,
comme cela arrive trop souvent avec les autres râpes, néces-
sité qui occasionne des accidents fréquents.
La presse de première pression est destinée à remplacer les
presses à vapeur qui agissent d'une manière trop brusque et
déchirent souvent les sacs dans lesquels est renfermée la
pulpe. Les engrenages sont calculés de façon à opérer une
pression lente et continue , condition indispensable d'un bon
travail.
330 VISITE
Nous trouvons aussi dans l'exposition de M. Cail une chau-
dière à cuire dans le vide , un moulin à cannes , puis l'ap-
pareil à quintuple effet pour l'évaporation et la cuile , l'appa-
reil Rousseau et l'appareil Shuzembach destiné à rextraction
du jus de betteraves par lévigation méthodique.
La chaudière à cuire dans le vide et le moulin à cannes ne
sont remarquables que par le soin qui a présidé à leur con-
struction, et ne présentent aucune disposition nouvelle. Il
n'en est pas de même de l'appareil à quintuple effet, qui se
compose d'un appareil dit à triple effet, auquel on a adjoint
un système de serpentins condensateurs.
L'appareil à triple effet a pour but d'économiser le com-
bustible. Il se compose de trois grandes chaudières tubulaires;
le liquide à concentrer se trouve autour et au-dessous des
tubes , dans l'intérieur desquels circule la vapeur destinée au
chauffage. Une pompe à air et un condenseur sont destinés à
faire le vide dans les chaudières, qui communiquent ensemble
au moyen d'un système de robinets.
Pour produire l'économie de combustible, on se sert pour
chauffer la première chaudière des vapeurs perdues de la fa-
brique; pour la seconde, on emploie les vapeurs provenant de
la première, et l'on chauffe la troisième par la vapeur que
produit l'ébullition du liquide dans la seconde. Le vide est
toujours moindre dans la première chaudière que dans les
deux autres.
La concentration a lieu de 5 à 15" dans la première chau-
dière , de 15 à 25° dans la seconde, et de 25" au point de
cuite dans la troisième, quand cet appareil est employé seul.
Lorsque , au contraire , on se sert en outre des serpentins
condensateurs, on commence par rapprocher le jus en le
faisant couler sur ces serpentins qui sont chauffés intérieure-
ment par la vapeur provenant de la troisième chaudière.
L'action de Tair sur le jus et le grand nombre de surfaces de
chauffe accélèrent l'opération.
Tel est le principe de l'appareil à quintuple effet, ainsi ap-
pelé par suite des quatre effets successifs de la vapeur et de
l'effet produit par l'air. Nous avons, quant à nous, grande
confiance en l'appareil à triple effet, et nous sommes parfai-
tement convaincu de ses excellents résultats au point de vue
économique; mais nous ne pensons pas que l'addition des
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 331
serpentins soit heureuse. Ce système de serpentins est loin
d'être nouveau, et a eu quelque succès aux colonies, où il
économise la bagasse, seul combustible dont on puisse dispo-
ser; mais il a été bientôt abandonné, le cuivre se couvrant
presque inévitablement, au contact de l'air et des sirops,
d'une certaine quantité de vert-de-gris qui, passant dans le
sucre, lui donnait une qualité vénéneuse des plus préjudi-
ciables. En outre, nous avons peine à croire que, lorsque l'o-
pération est bien conduite et l'appareil bien fait , la vapeur
sortant de la troisième chauriière soit à une température as-
sez élevée pour produire quelque elfet. surtout dans les pays
chauds.
La défécation, pour être bien faite, exige presque toujours
un excès de chaux qu'il est ensuite très-difficile d'éliminer.
M. Rousseau a imaginé un procédé qui consiste à faire bar--
boter, dans le jus déféqué et filtré, un courant d'acide car-
bonique qui transforme la chaux à l'état libre en carbonate
de chaux insoluble parfaitement séparable. C'est l'appareil
qui sert à mettre ce procédé en pratique qui se trouve exposé
sous le nom d'appareil Rousseau. Quant à ra[)pareil de
M. Shuzombach, il est destiné à opérer l'extraction du jus
par la macération, c'est-à-dire au moyen d'un lavage métho-
dique. Il se compose d'une série de bâches étagées, en fonte,
munies de robinets de vidange, agitateurs, tamis, etc., et com-
muniquant ensemble. La pulpe ou les cossettes, placées dans
ces vases, se trouvent épuisées par l'eau que Ion y fait cou-
ler, et qui se charge de plus en plus de matière saccharine,
jusqu'à épuisement à peu près complet. On a depuis long-
temps tenté ce mode d'opération, qui. jusqu'ici, n'avait pas
parfaitement réussi, le liquide fermentant très-souvent, par
suite de son contact prolongé avec l'air. On dit cependant
beaucoup de bien de l'appareil de M. Shuzembach , encore
tout nouveau. Il ne peut d'ailleurs présenter le même incon-
vénient dans les distilleries, où la fermentation rapide du jus
ne saurait être un obstacle.
La maison Cail expose encore im appareil à force centri-
fuge, pour l'égouttage et le clairçage, construit d'après le
système breveté de MM. Roîph, Seyrig et Cie. Nous ne sau-
rions donner trop d'éloges à l'excellente construction de tou-
tes ces machines.
332 VISITE
En dehors de celle exposilion, on Irouve, dans la parlie
française : un appareil évaporatoire de M. Boutigny fils, con-
struit d'après le même principe que le cône de Lembeck; une
énorme chaudière à cuire dans le vide, de M. Légal, d'un bon
travail de chaudronnerie, mais à laquelle se Irouve adaptée
une série de regards dont le sens nous échappe. M. Numa
Grar a envoyé deux appareils conjugués à force centrifuge ;
ce sont les deux premiers appareils de cette nature con-
struits en France. L'emplacement de M. Decosler renferme
aussi un appareil à force centrifuge avec application de son
système de paliers graisseurs. Enfin, M. Le Gavrian expose
un appareil à force centrifuge, dit turbine à pains, destiné à
accélérer le travail d'égouttage et de clairçage des pains au
raffinage. Nous n'insisterons pas sur celte machine, qu'il suf-
fit de regarder pour la comprendre.
Dans la partie étrangère, on trouve : en Belgique, l'appa-
reil à triple effet, l'appareil Rousseau et une chaudière à
cuire dans le vide, exposés par MM. Gail, Halot et Cie. Ces
machines sont bien construites. La chaudière à cuire est sur-
tout remarquable comme travail de chaudronnerie.
La maison Van Vlissingen et Dudok . Van Heel et Derosne
et Cail, d'Amsterdam, expose également un appareil à triple
effet, d'une bonne construction, qui ne diffère des précédents
que par quelques modifications de détail assez insignifiantes.
Enfin, nous trouvons, dans la section des produits delà
galerie du quai de Billy, un appareil à triple effet de M. Heck-
mann, de Berlin, composé de trois grandes chaudières en
cuivre rouge. Cet appareil est bien travaillé, mais nous ne
pouvons comprendre cette profusion de cuivre, métal beau-
coup plus cher que la fonte, qui le remplace si avantageuse-
ment dans les appareils de M. Cail.
La fabrication de l'alcool de betteraves, indiquée, comme
chose possible, par M. Dubrunfaut, dès 4825, n'a été mise
sérieusement en pratique qu'en 1852, époque à laquelle le
prix élevé des alcools de vins permit aux fabricants d'obtenir
avec certitude un résultat avantageux.
Ce fut encore M. Dubrunfaut qui imagina les procédés de
fabrication, et parvint à les faire adopter à un grand nombre
d'industriels. Ce savant et ingénieux chimiste, qui a rendu à
l'industrie sucrière de si grands services, particulièrement en
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 333
vulgarisant les procédés d'utilisation des mélasses , tant pour
la fabrication de l'alcool que pour celle du sucre, indiqua
l'emploi des acides pour opérer la fermentation directe du jus
de betteraves sans se servir de levure de bière, ou en n'em-
ployant qu'une dose minime de cette substance.
Trois procédés principaux sont actuellement usités : celui
de M. Dubrunfaut a pour but d'employer le matériel des su-
creries, tantôt pour l'extraction du sucre, tantôt pour la fabri-
cation de l'alcool, en traitant le jus de betterave par une
petite quantité d'acide sulfurique, de manière à utiliser le
ferment contenu dans cette racine. C'est la transformation
des sucreries en fabriques d'alcool.
Le procédé de M. Champonnois est surtout applicable à
l'exploitation rurale. Il se sert d'un système de macération
particulier, qui consiste à épuiser la betterave, divisée par
un coupe-racines, au moyen de la vinasse même de l'opération
précédente. MM. Cail et Cie ont exposé un modèle d'en-
semble de distillerie agricole suivant ce procédé , modèle
qui en donne une idée parfaitement exacte, et qui permet de
comprendre toute l'économie que les cultivateurs peuvent
apporter dans la fabrication de l'alcool.
M. Leplay a voulu, au contraire, constituer des établisse-
ments industriels spéciaux et exclusifs pour cette fabrication.
Son système consiste dans la fermentation et la distillation
des rubans de betteraves en nature, sans extraction préalable
de jus ; la fermentation a lieu par un courant de vapeur d'eau
au milieu des morceaux. Ce procédé repose donc sur la con-
centration de l'alcool dans la betterave même, d'où on l'extrait
ensuite par la distillation. Le modèle de distillerie exposé par
MM. Hurtrel et Cie montre très-bien la marche des opéra-
lions.
Quoique plusieurs moyens aient été proposés pour opérer
la distillation et la rectilication proprement dites, la plupart
des fabricants s'en tiennent aux colonnes distillatoires et aux
appareils rectificateurs de Derosne et de Laugier.
MM. Cail et Cie présentent des cuves de macération
en tôle, système Champonnois, pour opérer sur 12 000 kilog.
de betteraves par jour, avec les tuyaux et robinets néces-
saires; un petit appareil à distiller, système continu de
(allier Blumenthal, perfectionné par Derosno, pouvant tra-
334 VISITE
vailler 12 000 litres de jus par vingt-quatre heures; un autre
appareil du même système, pour le travail de 80 000 litres
de jus dans le môme temps; enfin un appareil de rectification
pouvant produire 4 2 000 litres d'alcool rectifié.
Dans tous ces appareils, d'un travail de chaudronnerie
très-soigné, les cylindres en cuivre sont assemblés par le sys-
tème ordinaire de brides avec pinces en fer, usitées en pareil
cas.
L'appareil de M. Egrot fils, destiné aux exploitations agri-
coles, est disposé de manière à pouvoir opérer sur des ma-
tières liquides ou semi-fluides. Les joints sont faits au moyen
de brides en laiton assemblées par des boulons de même
métal. Les brides en fer nous eussent paru préférables, tant
à cause de leur prix moins élevé que de la résistance plus
grande du métal.
Nous trouvons dans l'appareil de Mme veuve Ducoudun et
Bardies aîné, quelques perfectionnements intéressants. D'a-
bord le serpentin destiné à conduire les vapeurs alcooliques
au réfrigérant est vertical, au lieu d'être horizontal, ce qui
présente l'avantage de placer les tubes de retour à des hau-
teurs difiérentes , d'obtenir par conséquent les vapeurs à dif-
férentes températures, et de faciliter par là la marche de
l'opération. Cet appareil comporte, en outre, un système par-
ticulier de joints, consistant en un collier brisé, en fer, en
forme de pince, embrassant le cuivre, et le serrant au moyen
de deux boulons. Entre le fer et les deux épaisseurs de cui-
vre, se trouve interposée une rondelle de caoutchouc, des-
tinée à empêcher complètement le passage de l'air. En
somme, c'est un appareil bien entendu et bien construit.
M. H. Mouquet-Descamps expose un appareil de distillation
et de rectification datis lequel on remarque le serpentin ver-
tical comme dans l'appareil précédent; puis une modification
assez notable dans la construction des plateaux de la colonne
évaporafoire, modification destinée à augmenter les surfaces
de contact; enfin la suppression de l'enveloppe du réfrigérant
et quelques autres perfectionnements de détail. Le travail de
chaudronnerie est bien entendu.
La colonne distillatoireen fonte, de M.Traxler,est,du reste,
en tout semblable aux colonnes ordinaires en cuivre. Cet ap-
pareil, fonctionnant convenablement, au dire de l'inventeur,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 33o
offre d'assez grands avantages économiques. Il a été fondu
chez MM. Muel Wahl et Cie, avec tout le soin désirable.
Seule des nations étrangères , la Belgique nous adresse
quelques appareils de distillerie; ce sont le condensateur à
colonne continue de M. de Miilder, de Nivelles, et l'appareil
de M. Delaltre, de Bruxelles, distillant 75 000 litres de jus
par jour, et l'amenant de 4" à 28^. L'un et l'autre sont d'un
travail ordinaire, et ils ne présentent aucune disposition nou-
velle importante.
Typographie et imprimerie.
Presses typographiques. — Les presses typographiques et
lithographiques abondent à l'Exposition. Le plus grand nombre
des premières fonctionne, les unes sans rien produire , les au-
tres fournissant des exemplaires plus ou moins nombreux
d'ouvrages divers.
Disons de suite qu'aucune ne présente un système réelle-
ment nouveau , mais que toutes se distinguent par d'impor-
tants perfectionnements de détails et une remarquable exécu-
tion.'Si aucune n'atteint, dans les ateliers français , l'énorme
tirage de quelques presses anglaises ou américaines, quelques-
unes, notamment les presses dites universelles de M. Marinoni ,
donnent, assure-t-on, le chiffre très-raisonnable de 6000 jour-
naux à l'heure.
On peut diviser en deux catégories les presses mécaniques
qui fonctionnent dans l'exposition française. Les presses à
cylindres , c'est-à-dire celles où la pression est exercée par
un ou plusieurs cylindres dont la circonférence se développe
sur la forme, et celles à platiiie , où la pression s'exerce dans
les conditions de l'ancienne presse à bras.
M. Dutartre s'est acquis, depuis longtemps, une réputation
bien méritée dans la construction des premières, qu'il destine
plus spécialement aux ouvrages de luxe comportant des vi-
gnettes, qu'aux tirages rapides, à grand nombre.
L'une de celles qu'il expose peut tirer deux couleurs à la
fois sur une même feuille et permettre, par conséquent, un
tirage plus rapide des aquarelles typographiques dont la mai-
son P. Dupont exposait de magnifiques spécimens en 4849, et
que M. Pion termine devant le public de l'Exposition avec une
336 VISITE
presse Marinoni , en appliquant la dernière teinte sur deux
vues du Palais de l'Industrie,
Après ces noms, nous pouvons encore citer , comme ayant
fait leurs preuves, pour l'exécution des presses à grand tirage,
ceux de MM. Normand et Giraudot.
La seconde catégorie , celle des presses mécaniques à pla-
tine, ne peut pas lutter avec toutes les presses à cylindres
quant à la rapidité du tirage; mais elle présente sur celles-ci
l'avantage de ménager le caractère par la simultanéité de la
pression sur la surface entière d'une forme dont toutes les let-
tres résistent à la fois ; tandis que, dans les presses à cylindres,
la pression ne s'exerce que par une arête de ceux-ci, et n'est
supportée que par un nombre de caractères comparativement
très-petit. Aussi, avant les presses à cylindres de M. Dutar-
tre, considérait-on comme impossible le tirage soigné d'un
ouvrage à vignettes, autrement qu'avec la presse a platine
manœuvrée à la main.
Feu Selligue est le premier qui , à notre connaissance , ait
songé à faire marcher mécaniquement une presse à platine.
Celle qu'il exposait en 1834 avait pour principe le levier funi-
culaire et avait beaucoup d'analogie avec la presse monétaire
qui, dans l'Annexe, frappe les médailles commémoratives de
l'Exposition. Ce principe a été particulièrement appliqué à de
nombreuses presses à bras.
Dans la presse mécanique à platine qu'expose M. P. Du-
pont, et à l'invention de laquelle l'un de ses conducteurs de
machines, M. Victor Derniame, a pris une grande part, le le-
vier funiculaire de Selligue est réduit à une seule bielle qui
donne la pression {réglée à volonté) , lorsque sa direction
coïncide avec celle de la manivelle motrice de la ma-
chine.
M. Derniame a fait une très-heureuse application de cette
condition aussi simple qu'ingénieuse à une jolie petite presse
à épreuves, qui épargne à la fois le caractère, le temps de
l'ouvrier et qui surtout donne des épreuves d'une lisibilité
parfaite.
Nous louerons également une presse à bras avec toucheur
mécanique des mêmes inventeurs.
De nombreuses tentatives ont été faites pour obtenir méca-
niquement le tirage des épreuves lithographiques.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 337
La machine imaginée il y a quelques années par M. Perrot,
l'ingénieux auteur de la perroline , aurait très-probablement
atteint le but s'il l'avait confiée à des mains plus soigneuses,
si ceux qui l'exploitaient avaient envisagé les résultats qu'elle
pouvait donner à un autre point de vue que celui du tirage le
plus nombreux possible.
Deux presses de ce genre figurent encore dans l'exposition
de M. P. Dupont. Dans l'une d'elles, due à la coopération de
MM. Dupont, Daret et Carlier, l'encrage de la presse se fait à
la main et permet les épreuves les plus soignées, la machine
à vapeur ne déterminant que la pression.
Dans l'autre, à l'invention de laquelle ont pris part
MM. Vaté, Huguet et Carlier, l'encrage et le mouillage de la
pierre se font mécaniquement.
La première peut tirer 600 exemplaires par jour ; la seconde
peut atteindre 4000 feuilles.
On a fait de nombreuses tentatives pour tirer mécanique-
ment les épreuves de planches en taille-douce , et nous ne
croyons pas qu'aucune ait franchement réalisé les conditions
de la pratique industrielle.
L'essuyage de la planche paraît avoir été partout la pierre
principale d'achoppement.
M. Fontaine, de Marseille, expose une presse double qui
n'est pas complète à l'Exposition , mais dont nous avons pu
examiner les autres conditions dans un atelier où on la ter-
mine. Le dispositif employé pour l'essuyage nous a paru aussi
simple qu'intelligemment conçu, et nous a fait concevoir l'es-
poir que ce problème difficile est enfin résolu.
Parmi les nombreuses presses en tout genre destinées à l'u-
sage des particuliers, comme presses à copier, à timbrer, etc.,
qui figurent à l'Exposition , nous appellerons particulière-
ment l'attention des visiteurs sur les produits de la maison
Lecoq, qui se distingue surtout par la spécialité des appareils
qui permettent le contrôle efficace d'un très-grand nombre
d'opérations commerciales ou industrielles.
Nous citerons d'abord une machine destinée au numéro-
tage mécanique, et par conséquent sans erreur possible, des
obligations émises par les compagnies industrielles ou finan-
cières, tant sur la souche que sur les coupons qu'on en doit
détacher, en même temps qu'elle y appose un timbre à la fois
206 V
338 VISITE
sec et humide, c'est-à-dire réunissant les deux conditions du
relief en blanc et de la couleur.
Mais ce qui nous a le plus intéressé , au double point de
vue des résultats obtenus et du mérite remarquable des moyens
employés , ce sont les appareils destinés à l'impression et au
contrôle des billets de voyageurs sur les chemins de fer.
Beaucoup de ces billets représentent une valeur assez éle-
vée, et on conçoit la sollicitude des administrations pour un
service aussi important, les mesures prises pour assurer une
prompte et régulière distribution , et les précautions contre
le détournement, la contrefaçon ou la falsification de ces
billets.
Dans le principe, on s'est servi et on se sert encore , dans
quelques gares, d'une bande de papier détachée d'une souche,
portant un numéro d'ordre, la désignation de la classe et les
noms des stations de départ et d'arrivée.
A ces bandes de papier on a substitué des billets ou petits
carrés de carlon imprimés et numérotés en feuilles par les
procédés typographiques, puis découpés ensuite. Alors, comme
avec le système précédent, les erreurs de composition étaient
fréquentes et le contrôle fort laborieux sinon impossible. Mais
c'était déjà un progrès. Le prix de revient de ces cartons était
de 5 fr. 50 c. le mille.
Un mécanicien anglais, M. Edmondson, eut le premier l'i-
dée d'une machine destinée à l'impression et au numérotage
successif des billets découpés à l'avance. Cette machine fut
immédiatement adoptée même sur le continent, parce qu'elle
permettait, dans les bureaux mêmes de la gare , l'impression
de 8 à '10 000 billets par jour.
La France ne devait pas longtemps rester, sur ce point, tri-
butaire de l'Angleterre. M. Lecoq , remplaçant ces procédés
insuffisants par une intelligente et fort jolie machine qui figure
à l'Exposition, a donné à chaque compagnie les moyens d'im-
primer elle-même dans ses bureaux les billets nécessaires à
sa circulation.
A l'aide de cet ingénieux appareil, les cartons de billets, dé-
coupés à l'avance par une machine spéciale, sont imprimés
et numérotés simultanément, à la vitesse de 1 0 000 par heure,
soit en moyenne 70 000 par jour, par une seule personne et
sans fatigue. Le prix de l'impression et du numérotage s'est
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 339
par là abaissé à 2 fr. 3a c. le mille ; économie dont on com-
prendra l'importance, si l'on considère que beaucoup de com-
pagnies consomment annuellement de 5 à 6 millions de billets.
Ajoutons que leur impression comme délicatesse et netteté ne
laisse absolument rien à désirer.
Les billets une fois imprimés, il fallait les compter et véri-
fier l'exactitude du numérotage. L'ingénieur anglais pourvut
à ce besoin par un petit appareil qui fut d'abord jogé suffi-
sant , mais qui aujourd'hui ne peut soutenir la comparaison
avec celui auquel M. Lecoq a confié les mêmes fonctions. Ce-
lui-ci non-seulement compte et vérifie les billets , mais en-
core applique, sur la tranche de chacun, une portion de lettre
ou d'un dessin dont l'ensemble résulte de la superposition
régulière des billets comptés et contrôlés, et qui, tout en ren-
dant un compte rigoureux de la place qu'occupait chaque bil-
let dans le travail du numérotage, permet de reconnaître im-
médiatement toute soustraction ou substitution de billets. Le
produit de cet appareil est double de celui de la machine à
imprimer, soit i 30 à 140 000 billets par jour.
Après l'impression , le numérotage et le contrôle rigoureux
des billets vient l'opération la plus délicate du service;
nous voulons parler de la distribution des billets aux voya-
geurs , distribution qui doit être instantanément précédée de
l'application, sur chaque billet, de la date du jour et du nu-
méro du train en partance. Il ne s'agit rien moins que de da-
ter et distribuer, en quelques minutes, plusieurs centaines et
quelquefois un millier de billets. M. Lecoq y a pourvu au
moyen d'appareils qui peuvent dater jusqu'à 1800 billets en
iO minutes, avec la même délicatesse de lignes que le fait sa
machine à imprimer.
Comme tous les appareils typographiques, celui-ci exige des
soins particuliers de nettoyage , faute desquels tout leur mé-
rite disparaît, il laissait donc à désirer sous ce rapport, puis-
qu'on ne pouvait pas le confier aux mains du premier
venu.
Tout récemment , M. Lecoq y a pourvu au moyen d'un
autre appareil qui, avec une rapidité au moins égale , appli-
que en creux, dans le corps même du billet, à l'aide de carac-
tères tranchants, une impression aussi distincte que celle de
ses premières machines. L'administration y trouve encore uue
340 VISITE
nouvelle et plus sérieuse garantie contre la falsification ou la
contrefaçon des billets.
Enfin nous terminerons cette revue rapide de l'exposition
de M. Lecoq par l'indication d'une autre machine non moins
ingénieuse, au moyen de laquelle il frappe en creux , sur de
petits blocs de métal, les caractères qui , dans l'impression
des billets, apparaissent en blanc sur fond coloré.
Les machines de la Prusse et de l'Angleterre n'atteignent
pas le même degré de perfection.
Fonderie de caractères. — La fonte des caractères typogra-
phiques paraît tendre à sortir enfin des habitudes de la rou-
tine, où elle semblait retombée après le gigantesque, mais
presque stérile effort de la fonderie polyamatype.
L'Exposition nous offre plusieurs appareils destinés à fon-
dre mécaniquement les caractères. Celui qui , en France , pa-
raît l'emporter quant à présent, est celui de M. Derriey , qui
conserve le moule traditionnel , dans lequel un piston injecte
la matière en fusion. On paraît reprocher à l'emploi de ce
moule l'inconvénient de ne pas se débarrasser de lui-même
des portions de métal qui , sous la pression du jet , se logent
dans les joints ; ce qui diminuerait la rapidité de la fonte en
obligeant l'ouvrier à un nettoyage fréquent.
Ce reproche ne peut pas s'adresser à l'appareil de M. John-
son de Londres, qui fonctionne dans l'Annexe, parce que
toutes les pièces qui forment le moule, se séparent complète-
ment quand la lettre est fondue, et se nettoient d'elles-mêmes
dans leur mouvement de séparation.
M Derriey est également l'inventeur d'appareils pour cou-
per les filets d'après des angles variés, pour former des figures
diverses, notamment dans les encadrements ornés. On lui
doit également l'invention de cadrais cambrés permettant
l'exécution de figures rondes , ovales et serpentées, de toutes
grandeurs , qui offrent d'utiles ressources à la typographie-
"^ Nous si'^nalerons également, comme très-ingénieuses , les
machines ''de MM. Melin et Doré, au moyen desquelles les
vieilles interlignes sont converties très-rapidement en espaces
de tous les corps. Leur appareil permet aussi l'exécution ra-
pide des onglets de tous les angles et des filets dits systé-
matiques.
Enfin , M. Cardon, de Troyes, expose une machine qui a
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. U\
pour but la fabrication de caractères dont la tige est en métal
typographique , mais dont l'œil est en laiton. La machine ne
fonctionne pas, et c'est la vue seule des caractères exposés
qui nous a renseigné sur son but, le Catalogue désignant
l'exposition de M. Gardon sous le nom de presse d'impri-
merie.
Composition mécanique des caractères typographiques. —
Les premières tentatives pour produire mécaniquement la
composition des caractères typographiques paraissent remon-
ter, du moins pour la France, à une quinzaine d'années.
On sait que, dans les conditions ordinaires, cette opération
consiste à prendre un à un , avec la main , ces mêmes carac-
tères placés dans des boîtes appelées cassetins , à les ranger
côte à côte dans une espèce d'équerre en fer nommée compos-
teur ; puis, lorsque cette équerre est remplie entre les deux
talons qui limitent la ligne, à lajwsfi^er, c'est-à-dire à lui don-
ner sa longueur précise en augmentant ou diminuant réguliè-
rement l'écartement des mots , au moyen de petits paralléli-
pipèdes moins hauts que les caractères et qu'on appelle des
espaces. Les lignes sont successivement placées les unes à
côté des autres sur une galée , espèce de cadre à rebords où
elles finissent par former des pages qu'on dispose ensuite
dans un châssis de fer, où elles sont fortement serrées, de
manière à ne former qu'un bloc de toutes les nombreuses
pièces qui composent cet ensemble qui prend alors le nom de
forme.
En 1842, M. le baron Séguier rendait compte, à l'Académie
des sciences, de l'invention de M. Gaubert, qui faisait alors
grand bruit et dont on ne parle plus aujourd'hui.
D'après le rapport , l'opération s'exécutait au moyen de
deux machines, la première appelée distributeuse, la seconde
composeuse.
Les fonctions de la distributeuse consistaient à séparer tous
les caractères d'une forme , et à classer tous ceux de même
espèce dans les conditions qui permettaient à la composeuse
d'en faire une nouvelle forme. Jetés pêle-mêle sur un plan in-
cliné garni de canaux, ces caractères arrivaient à un organe
formé de plusieurs aiguilles qui , s'appuyant sur chacun
d'eux, exploraient toute la surface qui leur était présentée ,
en s'enfonçant dans des crans qui servaient à distinguer
842 VISITE
chaque caractère. Si celui-ci se présentait convenablement ,
c'est-à-dire sur le côté où les crans désignaient son espèce ,
il était immédiatement conduit à son récipient spécial et placé
dans la position exigée par la composeuse. Si, au contraire, il
se présentait dans une position anormale, les aiguilles, qui ne
rencontraient qu'un cran dit de retournement , l'envoyaient
sous d'autres organes qui le retournaient et le conduisaient à
sa destination.
Les caractères , convenablement disposés par la distribu-
teuse, étaient placés sur la composeuse. Un clavier , dont les
touches correspondaient à un récipient spécial, en faisait sortir
les caractères un à un lorsque cette touche était attaquée par
le doigt , et chacun allait prendre le rang qui lui était assigné
par l'ordre même dans lequel les touches étaient attaquées.
La composeuse de M. Delcambre, qui figure dans la nef,
réalise les diverses conditions que nous venons d'énumérer.
Elle avait déjà paru aux expositions de 1844 et de 1849.
La distributeuse exige la lecture des paquets à distribuer ,
■qu'une pédale promène au-dessus d'une rangée de rainures
dans chacune desquelles l'ouvrier fait tomber le caractère qui
•lui est attribué.
Si nous sommes bien renseigné , ces deux appareils ne
fonctionnent encore que dans l'imprimerie de M. Delcambre.
Ses machines rencontrent une sérieuse concurrence dans
l'appareil simultanément compositeur et distributeur exposé
par M. Sorensen, de Copenhague. A la vérité, il exige, comme
l'appareil Gaubert, des caractères de formes spéciales, c'est-
à-dire comportant des crans dont le nombre et la position
différencient chacun d'eux. Tous ont cependant en commun un
cran en queue d'aronde placé à la même hauteur.
L'ensemble extérieur de l'appareil est un cylindre vertical
formé de l'assemblage de tiges de cuivre, correspondant, en
nombre, à celui des caractères et laissant entre elles un cer-
tain espace.
Le cylindre se compose de deux parties dont la supérieure
est mobile et tourne sur la partie inférieure, au moyen d'une
pédale dont les conditions sont telles que, dans le mouvement
de rotation, le cylindre supérieur s'arrête un instant, à cha-
que coïncidence de ses rainures verticales avec celles du
cvlindre inférieur.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 343
La «composition à distribuer est placée dans les rainures du
cylindre vertical, dont une des faces porte une languette à
queue d'aronde qui se loge dans le cran de même forme pra-
tiquée sur le corps du caractère. Celte même languette règne
sur toute la longueur de chaque rainure du cylindre infé-
rieur. Mais l'entrée de ces rainures porte une cjarde analogue
à celle des serrures, c'est-à-dire qu'elle est découpée de ma-
nière que ses saillies correspondent exactement aux crans
de l'un des caractères employés, de sorte que ce caractère
seul peut s'y introduire lorsqu'il passe sur cette garde, dans
le mouvement périodique du cylindre supérieur, et que chaque
caractère trouve dans ce même mouvement la rainure qui lui
est propre.
Supposons maintenant le cylindre inférieur convenable-
ment garni de caractères occupant leur rainure spéciale,
et le cylindre supérieur chargé de caractères à distribuer. Le
compositeurseplace devant un clavier disposé au bas de l'ap-
pareil , et ses doigts appuyant successivement sur les touches
correspondant chacune à un caractère spécial, font sortir ce-
lui-ci de sa rainure d'où il s'engage dans un canal qui le
mène à un grand composteur , où , comme dans les appareils
précédemment décrits, il occupe le rang que lui ont assigné
les doigts du compositeur qui, manœuvrant en même temps
sa pédale, opère la distribution des caractères placés au haut
du cylindre.
Les caractères qui servent à l'Exposition, au fonctionnement
de cet appareil sont loin d'être neufs, et nous avons pu lire,
sur une ligne qu'ils formaient, qu'ils proviennent de l'impri-
merie du Journal de Copenhague, le Fœdrelander, où fonc-
tionne la machine de M. Sorensen.
De même que les deux autres machines que nous avons déci i-
tes, celle-ci présente l'inconvénient sérieux d\mQjustipcation
manuelle , ce qui atténue notablement les avantages qu'elles
présentent au point de vue de la rapidité de la composition.
Machine à imprimer les tisms. — Parmi les machines à in:-
primer les tissus, nous appellerons particulièrement l'atten-
tion des visiteurs de l'Exposition sur celle de MM. André
Kœchlin et Cie, de Mulhouse, parce qu'elle est le type de
celles qu'on emploie généralement dans les fabriques d'Al-
sace. Elle peut imprimer simultanément quatre couleurs.
344 VISITE
La netteté de l'impression dépend en grande partie de la
perfection avec laquelle on construit cette espèce de machine,
dont la solidité est une condition essentielle, surtout en ce qui
concerne les points d'appui des cylindres gravés qui exercent
chacun une pression indépendante de celle des trois autres.
Cette disposition a été pour beaucoup dans le succès de la
machine , qui diffère encore des divers systèmes employés en
France et en Angleterre par les conditions au moyen des-
quelles sont commandés les cylindres.
Au lieu de placer les roues dentées sur les axes mêmes des
cylindres, MM. A. Kœchlin et Cie ont préféré placer celles-ci
sur des arbres de rallonge qui portent chacun une boîte
d'emmanchement. Ce dispositif permet de donner aux roues
un grand diamètre, et par conséquent de trouver plus facile-
ment le rapport exact à établir entre les diflerents dessins
gravés sur les quatre cylindres. Ces arbres de rallonge sont
placés dans un bâti spécial où sont disposées deux poulies
motrices fixe et folle qui , au moyen de deux courroies, peu-
vent transformer la rotation uniforme de 4 50 tours par mi-
nute, qu'elles reçoivent du moteur, en deux vitesses diffé-
rentes. Deux manchons de débrayage permettent en outre
deux autres vitesses. Il résulte de cette disposition que l'on
peut, pendant la marche même de la machine, lui donner
l'une ou l'autre des quatre vitesses dont ce mécanisme per-
met de disposer.
Ce n'est que comme spécimen d'application directe du mo-
teur à la machine que MM. Kœchlin y ont joint une petite
machine à vapeur d'une simplicité remarquable et dont ils se
seraient probablement passé si , au moment du montage, ils
avaient été bien certains de pouvoir disposer à leur gré de la
force et de la vitesse qui leur étaient nécessaires.
La machine exposée a fonctionné à l'Exposition en impri-
mant deux couleurs seulement, parce que l'emplacement
qu'elle occupe eût rendu difficile l'impression à quatre cou-
leurs. Mais pendant le peu de temps qu'elle a travaillé pres-
que incognito, attendu le peu de bruit qu'elle fait, elle a im-
primé 3(ï 000 mètres de calicot et de jaconas appartenant à
MM. Dolfus-Mieg , qui ont également fourni les imprimeurs ,
les couleurs et les cylindres gravés.
On concevra sans peine qu'une machine qui imprime
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 345
3000 mètres en douze heures ne fonctionne pas tous les jours,
ni du matin au soir, à l'Exposition, d'autant plus que les pro-
duits qu'elle y donne ne pouvant, faute d'étuves, y être sè-
ches à mesure de leur confection , sont fabriqués en pure
perte.
MM. Doifus-Mieg possèdent, à Dornach, près de Mulhouse,
douze machines du même système que celle dont nous nous
occupons. Lorsque ces douze machines fonctionnent , elles
peuvent imprimer par jour 60 kilomètres de tissus.
Machines à sculpter.
A l'extrémité ouest de l'Annexe fonctionnent deux machines
autour desquelles s'empressent les visiteurs que n'a pas re-
butés une promenade de 1200 mètres. Ce sont les machines à
sculpter de M. Blanchard, de Boston.
L'une d'elles produit, sur marbre, des bustes; l'autre , des
médaillons de même matière. Dans toutes deux, le modèle en
bronze reçoit un mouvement de rotation que la machine im-
prime également au morceau de marbre à travailler, de ma-
nière que tous deux font leur révolution exactement dans le
même temps. Un système de leviers équilibrés porte sur un
point une touche ou pointe mousse qui repose sur le modèle,
et, sur un autre point, une espèce de foret tournant avec une
grande rapidité. Les leviers sont tellement combinés que
chaque mouvement de la touche est reproduit par le foret ,
mais diminué de grandeur. Supposons-les réduits au quart.
Si l'on fait tourner le modèle et le morceau de marbre, toutes
les saillies que la touche rencontrera la soulèveront; elle
s'abaissera quand elle se trouvera sur une dépression. Or,
comme tous les mouvements de la touche sont répétés, mais
réduits au quart, par le foret, celui-ci pénétrera tantôt plus,
tantôt moins dans le marbre, et laissera, sous sa trace, les
mêmes saillies et les mêmes dépressions que la touche aura ren-
contrées sur le modèle ; et, comme à chaque tour de celui-ci,
tout le système de leviers s'est déplacé d'une petite quantité,
de manière que la touche et le foret décrivent une spirale au-
tour du modèle et du marbre, le résultat final est la repro-
duction , au quart, sur le marbre, du modèle en bronze.
Nous ne pouvons partager l'admiration que cause cette ma-
346 VISITE
chine aux visiteurs de l'Exposition, parce que nous savons de
insu que nous avons beaucoup mieux en France.
Les machines de M. Collas , dont l'exposition de M. Bar-
bedienne montre les magnifiques produits, sont assurément
plus exactes dans leurs résultats parce qu'elles sont beaucoup
moins compliquées, et ne comportent qu'un très-petit nombre
d'articulations d'une précision et d'une délicatesse infinies.
Ajoutons que pour travailler le marbre et même l'acier (car il
reproduit jusqu'aux coins des médailles), le modèle peut n'être
qu'un plâtre à peine effleuré par la touche. L'exposition
de M. Sauvage prouve également que les machines à sculp-
ter françaises n'ont rien à redouter de la concurrence amé-
ricaine.
A cette occasion, nous croyons devoir rectifier une erreur
qui s'est beaucoup propagée depuis l'ouverture de l'Exposi-
tion. On attribue aux seules machines de M. Sauvage la pro-
priété d'exécuter directement les rondes bosses, et Ton pré-
tend que M. Collas est obligé de découper son modèle en
fragments assez petits pour être disposés sur ses machines à
l'état de bas-relief. Ces conditions étaient effectivement celles
qu'appliquait M. Collas il y a une vingtaine d'années; mais
nous pouvons affirmer que, depuis plus de quinze ans, il ob-
tient directement les rondes bosses qu'il exécute entièrement
d'une seule pièce, lorsque les formes s'y prêtent, les bustes,
par exemple, ou par tronçons, lorsqu'un membre de la statue
ou une draperie s'interpose entre la touche et une autre por-
tion de la pièce à reproduire.
Il n'est pas plus vrai, comme on le prétend encore, que les
machines de M. Sauvage n'exigent aucune section du modèle
ou de la copie ; les nombreux joints qu'on peut constater dans
les pièces de son exposition y donnent le démenti le plus
formel.
Enfin, et comme dernière rectification d'assertions sans
fondement, nous dirons que, comme celles de M. Sauvage, les
machines de M. Collas peuvent donner des copies plus grandes
que le modèle, parce que, comme lui, il n'a qu'à mettre l'un
à la place de l'autre , et qu'en outre, ce que ne ferait peut-
être pas M. Sauvage, il peut donner à ses produits les dimen-
sions exactes de l'original.
Nous n'avons pas vu les machines de M. Sauvage, mais
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 347
nous avons trop bien étudié celles de M. Collas pour croire
qu'elles puissent être surpassées en précision.
Machines diverses.
Le travail du cuir se trouve représenté par les machines à
refendre de M. Salomé et de M. Schuloff , destinées à faire, par
une espèce de dédoublage, avec des peaux de vaches, des
cuirs fins à l'usage de la carrosserie et d'autres industries ana-
logues; par les machines à rebrousser de MM. Rabatti et Ret-
tiget de M. Chaumont, qui opèrent mécaniquement le travail
jusqu'ici si pénible du rebroussage , enfin par la machine à re-
battre de M. Bérendorf, travail destiné à augmenter la sou-
plesse du cuir.
L'éjarreuse de M. Chaumont a pour but de préparer le poil
de lapin propre au feutrage.
La peau est, en effet, couverte do deux espèces de poils, l'un
très-fin et ayant au plus haut degré la qualité feutrante , l'au-
tre gros et se refusant complètement à ce travail. C'est ce der-
nier qu'il s'agit d'éliminer; M. Chaumont y arrive en soumet-
tant le poil à deux lames marchant en sens contraire et se
rapprochant assez pour enlever les gros poils, tandis que les
plus lins passent dans lintervalle.
Pour les préparations du papier, nous avons deux piles à
triturer les chiffons, l'une à AL Gratiot, l'autre à M. Vormz.
Toutes deux sont fondues d'une seule pièce, et sont exposées
uniquement comme travail de fonderie.
La machine à papier de M. Lhuillier est extrêmement inté-
ressante comme spécimen remarquablement exécuté d'une de
nos industries nationales. Elle ne présente pas, du reste, dans
sa construction, de caractère spécial. On sait que cette ma-
chine, à laquelle est livrée la pâte, fournit à l'autre extrémité
des rouleaux de papier entièrement terminé.
Nous terminerons cette revue par l'indication des machines
employées dans la fabrication du chocolat.
M. Hermann en expose une série complète qu'accompa-
gnent des machines à broyer pour les substances pharmaceu-
tiques et pour les produits vénéneux.
Mais c'est surtout dans l'exposition de M. Devinck que nous
trouverons des machines ingénieuses qui pèsent, moulent et
348 VISITE
transportent les tablettes de chocolat à un autre appareil qui
les enveloppe absolument comme le ferait l'ouvrière la plus
habile.
M. Devinck se plaît à reconnaître qu'une grande partie de
ces inventions est due à son contre-maître, M, A. Daupley.
CLASSE VIL
Mécanique spéciale et matériel des manufactures de tissus.
La septième classe comprend toutes les machines spéciale-
ment destinées à la filature et au tissage, c'est-à-dire à la
transformation en fils des matières premières, connues sous
la dénomination générique de matières filamenteuses, et à la
transformation de ces fils en tissus de toute espèce, unis ou
façonnés.
Avant de nous occuper de ces machines, qu'il nous soit
permis de rappeler en quelques mots l'origine de ces deux
industries au point de vue mécanique. La filature automa-
tique, dont les procédés ont acquis aujourd'hui un si haut
degré de perfection, est cependant une industrie assez récente.
Ainsi que le dit M. Alcan dans son ouvrage intitulé : Essai sur
les maliéres textiles, ce ne fut qu'en 4760 que les Anglais,
voyant l'accroissement que prenait leur commerce d'étoffes,
tant avec les pays voisins qu'avec les colonies américaines,
sentirent le besoin de produire un plus grand nombre de fils
et cherchèrent à construire une machine qui, mue par un seul
ouvrier, en produisît plusieurs à la fois, résultat que le rouet,
jusque-là seul en usage, ne permettait pas d'obtenir. C'est
alors que fut imaginé le célèbre métier appelé Jenny ou Jean-
nette, qui, perfectionné peu à peu, nous donne aujourd'hui
le métier MulUJenny self acting opérant d'une manière en-
tièrement automatique l'étirage, la torsion et le renvidage
du fil. Le grand nombre de produits que l'on put obtenir né-
cessita bientôt des perfectionnements analogues dans les ma-
chines à préparer. On remplaça donc, pour le cardage et les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 349
autres opérations préliminaires, le travail à la main par le
travail mécanique et la filature automatique fut inventée.
Le manque de fils avait, comme nous l'avons dit, nécessité
ces différents perfectionnements. La grande quantité de fils
qu'ils permirent de produire fit chercher les moyens de les
employer, et l'on substitua, pour les étoffes unies, les mé-
tiers à tisser mécaniques aux métiers ordinaires. Ce fut encore
en Angleterre que cette industrie prit naissance.
Le tissage façonné, au contraire, tel qu'il se pratique au-
jourd'hui, est d'origine toute française, et les travaux de
Vaucanson et de Jacquard sont assez récents pour qu'il soit
inutile de les rappeler.
Ces préliminaires une fois posés, commençons la revue des
machines de la filature et du tissage exposées par les différents
pays, en suivant l'ordre de la classification générale.
Les peignes, les cardes, les rots, les semples, les canettes,
bobines, broches, etc., sont disséminés dans tous les points du
Palais.
Ainsi, tandis que pour la France, une partie de ces produits
est au palais principal , et l'autre à l'Annexe, dans la galerie
des machines, l'Angleterre, la Belgique, les ont placés tous
avec leurs machines, et la Prusse dans la section des produits
de la galerie du quai. Du reste ces éléments, qu'il est im-
possible de faire fonctionner, sont difficiles à juger et nous
nous bornerons ici à citer quelques noms, qui ont acquis à
bon droit une grande célébrité industrielle et commerciale.
Tels sont pour la France MM. Scrive frères et Miroude,
dont les importantes fabriques de rubans de cardes fournis-
sent la plus grande partie de nos établissements de filature;
MM. G. Peugeot et Cie, fabricants de cylindres cannelés et de
pression, broches, plates-bandes pour métiers, bouc'nons,
crapaudines et appareils de transmission par engrenages pour
donner le mouvement aux broches; et M. Fleury, fabricant de
cylindres de pression.
Il y a en outre un grand nombre de peignes à lin, peignes
à tisser, rots, broches, etc.
Dans l'exposition étrangère, nous avons remarqué en
Prusse des rubans de cardes bien travaillés, et nous citerons
comme fabrication nouvelle ceux de M. Risler, d'Aix-la-Cha-
pelle, dans lesquels le cuir est remplacé par une bande de
3o0 VISITE
caoutchouc vulcanisé; l'Angleterre a envoyé aussi un grand
nombre d'éléments de filature, parmi lesquels des rubans de
cardes de M. W. Horsfall, de Manchester, dont les pointes
sont montées sur un fort tissu de lin ; l'un de ces rubans a tra-
vaillé pendant treize ans dans la filature de M. Feray à Es-
sonnes, sans altération sensible.
Ainsi que nous l'avons dit, la filature automatique du
coton est d'invention anglaise, et, depuis le moment où elle a
été imaginée, l'Angleterre n'a cessé de rester à la tête de cette
industrie; à tel point que nos filateurs acceptent difficilement,
aujourd'hui encore, des machines fabriquées dans d'autres
pays. Aussi les Anglais ont-ils, comme nous le verrons, une
exposition de machines de filature presque exclusivement
composée de machines à coton.
Occupons-nous d'abord de la partie française. L'Alsace
nous offre un grand nombre de machines pour les préparations
et la filature du coton, machines sur lesquelles nous revien-
drons bientôt.
En dehors de cette exposition , nous rencontrons peu de
machines de celte catégorie.
M. Lecœur expose, collectivement avec M. Dannery, une
grande carde débourreuse. L'invention de M. Lecœur a pour
but d'augmenter la production de la carde, et d'après lui, de
la doubler. Sous les cylindres cannelés se trouve une traverse
à couteau, qui facilite le nettoyage du coton, et la surface
de cardage est considérablement augmentée. Le but de
M. Dannery est de remplacer le débourrage à la main des cha-
peaux, qui offre de graves inconvénients, par le débourrage
mécanique; il parvient à faire cette opération d'une manière
satisfaisante en débourrant plus souvent les chapeaux les
plus rapprochés de l'alimentation, qui sont naturellement ceux
dans lesquels se logent le plus les impuretés. En somme, la
machine de M. Lecœur, avec le perfectionnement de M. Dan-
nery, est une chose intéressante, dont l'industrie du coton
peut tirer un parti sérieux.
M. Clenet présente une carde à coton, dont le mécanisme
est le même que celui de toutes les cardes, et qui n'a d'autre
particularité que d'être conduite directement par une petite
machine à grande vitesse de M. Flaud.
M. Dubrute fils expose aussi une carde à coton dont les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 331
cylindres et le grand tambour sont en fonte et qui est bien
exécutée.
M. Danguy jeune nous montre un rota-frotteur et un banc
d'étirage. Le rota-frotteur est muni d'entonnoirs de sortie et
conduits d'arrivée mobiles et faciles à changer, pour per-
mettre le frottage en gros, en moyen et en fin. Il est en outre
perfectionné dans sa construction par la disposition des brosses
qui font pression sur les rouleaux d'étirage.
Le banc d'étirage est à huit rubans, et fait un étirage de 1
à 12. Les rubans viennent se réunir sur une table inclinée,
d'où ils tombent dans une boîte de laquelle on les dirige au
troisième et dernier passage. Ces deux machines sont bien
exécutées.
IMM. Gallet et Dubus exposent un métier Mull-.Tenny, de
432 broches pour le coton, dont le système de commande de-
puis la poulie motrice jusqu'aux tambours commandant les
broches, est entièrement par engrenages, ce qui régularise la
tension des broches en annihilant les effets de contraction
et d'extension, produites par les variations hygrométriques de
l'air. Le mouvement de renvidage est obtenu à l'aide de deux
roues hélicoïdales, afin de rendre cette opération moins fati-
gante. Enfin les chaînes à la Vaucanson qui conduisent le cha-
riot sont mises en mouvement exclusivement par des roues
dentées; de cette manière il n'y a pas de glissement, la vi-
tesse du chariot est toujours régulière, et Ion peut facilement
la varier au moyen de changements d'engrenages.
Le métier de MM. Gallet et Dubus est bien exécuté, et pré-
sente, comme on le voit , un grand intérêt. Il est regrettable
qu'il ait dû être placé en dehors des machines en mouve-
ment, et que l'on ne puisse, par conséquent, juger de son
travail.
Dans la partie étrangère, nous ne trouvons de machines à
coton que dans l'exposition anglaise. Là, par exemple, cette
industrie est largement représentée, et offre tout l'intérêt d'un
ensemble complet de fabrication.
MM. Dobson etBarlow, deBolton, exposent deux machines
brevetées de M. Evan Leigh; Tune est une carde dont les cha-
peaux se nettoient seuls, et l'autre une machine à réunir, au
moyen de laquelle on obtient une nappe pour le second pas-
sage, nappe composée de cinquante à soixante rubans.
352 VISITE
M. J. Mason, de Rochdau, présente un banc à broches en
gros avec rebords brevetés, des plateaux diviseurs, un frein et
un mouvement à dégager ; les broches font 800 tours à la
minute; un banc à broches en fin avec ces mêmes éléments,
les broches faisant 1200 tours à la minute; un métier continu,
une carde à coton et un étirage; il expose en outre un métier
à tisser mécaniquement des étoffes de grande largeur.
MM. J. EIce et Cie exposent un batteur à un seul volant,
une carde, un laminoir à quatre têtes, six rubans; un banc à
broches en gros de 48 broches; un banc à broches en fin de
80 broches; deux métiers Mull-Jenny self acting de 340 bro-
ches chacun entièrement pareils; enfin un métier continu de
160 broches et deux dévidoirs à compteurs.
L'exhibition de MM. Platt frères, d'Oldham, se compose
d'un assortiment complet de filature de coton. Nous allons
donner l'énumération et l'explication de ces machines, d'après
l'exposant lui-même , afin de faire comprendre le travail du
coton :
1" et 2' Opération. Batteur-étaleur : l'ouvreur divise et net-
toie le coton après le passage par des cylindres alimentaires,
en le soumettant à l'action des volants; les boutons sont re-
jetés en dessous, et la poussière enlevée par un ventilateur;
par l'action du batteur-étaleur, le coton se trouve battu et
nettoyé à un degré supérieur et réuni en masse.
3*= Opération. Carde en gros : purifie le coton et en aligne
les fibres, qui sont disposées en rubans.
4^ Opération. Machine à doubler : réunit plusieurs rubans
en une seule nappe large et unie qui s'enroule sur une en-
souple.
5" Opération. Carde en fin : achève le travail de la carde en
gros, et forme un ruban plus fin.
6* Opération. Banc d'étirage : étire les rubans accouplés de
la carde en fin et les dispose en rubans encore plus fins; six
têtes, huit rubans.
7* Opération. Banc à broches en gros de 28 broches : conti-
nue l'opération de l'étirage, et donne à la mèche une légère
torsion, en l'enroulant sur des bobines.
8* Opération. Banc à broches, intermédiaires de 68 broches :
double la mèche en gros, l'étiré et lui donne la torsion en
l'enroulant sur des bobines de plus petite dimension.
A L'EXPOSITION LMVERSELLE. 'AoA
9* Opération. Banc à broches en fin de 88 broclies : doubir
la mèche en moyen , l'étiré et lui donne plus de torsion en
l'enroulant sur des bobines plus petites.
10^ Opération. Métier à iiier sell-acling de 200 broches:
étire la mèche en fin, la transforme en fil, et la dispose sur
des bobines en forme de canettes.
M' Opération. Métier continu de '112 broches: employé
quelquefois en place du métier Mull-Jenny pour filer les nu-
méros forts. Enroule les fils sur des bobines à di.-ques.
'12*= Opération. Métier continu doubleur de 92 broches :
réunit et tord ensemble deux ou plusieurs fils pour faire des
fils plus forts.
13'' Opération. Métier à relor.lre self-actiniz; de 200 broches:
double et tord ensemble deux ou plusieurs fils, en les dis-
posant sur des canettes propres à être employées au tis-
sage.
MM. Platt frères exposent aussi une machine à émeri pour
aiguiser les tambours et chapeaux de cjirdes , et deux métiers
mécaniques à tisser, l'un pour le calicot, l'autre pour la fu-
laine.
Terminons ici la revue des machines de la troisième section ,
et disons que cette industrie, qui n'est représenter^ que par la
France et l'Angleterre, a, sauf les machines de MM. Sclilum-
berger, peu de progrès à enregistrer. Les machines anglaises,
qui toutes sont d'une très-bonne exécution, n'offrent, comme
perfectionnement, qu'un intérêt médiocre, et l'on peut expri-
mer le regret que ces machines ne se distinguent que par leur
construction, 'lu reste vraiment rcmiîrquuble, leur ensemble
et leur heureuse disposition, qui fait bien voir les opérations
succci^sives de la matière.
Nous croyons devoir étudier dans leur ensemble les ma-
chines de I exposition collective du Haut-Hhin, sans faire
rentrer chacune d'elles dans la spécialité à laquelle elle ap-
partient. Cette exposition, quoique composée de machines à
destinations diverses, présente en effet un intérêt d'ensemble
que n'offrirait plus, à beaucoup pi es, chacune d'elles déta-
chée du groupe que les con-tructeuis ont désiré former
Le département du Haut Rhin est sans contredit l'un des
plus industriels de France , et la construction des machines de
filature y a acquis un degré de perfection qui nous permet
206 aj
3oi VISITE
enfin de lutter avec l'Angleterre, dont nous avons été si long-
temps tributaires.
M. André Kœchlin expose, en outre de sa locomotive, un
batteur étaieur à deux volants, muni, à la sortie du coton ,
d'une double paire de cylindres cannelés, à vitesses diffé-
rentes, destinés à produire un commencement d'étirage. Cette
machine, qui n'a du reste rien de particulier, est remar-
quable par sa grande solidité et le soin avec lequel elle est
construite. Le même constructeur présente aussi une ma-
chine à imprimer à quatre couleurs, mue par une machine
à vapeur horizontale, qui travaille avec une grande précision.
Nous rencontrons ensuite l'épurateur à coton de M. G. A.
Risler. Cette machine, destinée à remplacer la carde, est
munie de quatre cylindres alimentaires, et forme trois rubans
qui viennent se réunir en un seul. Elle a subi , depuis l'Expo-
sition de Londres où elle a obtenu la grande médaille, un
perfectionnement qui consiste en ce que le coton qui n'a pas
été pris par les deux premiers peignes, et qui est resté sur le
grand tambour, est repris par un troisième placé en dessous,
et travaillé de nouveau. Le ruban formé par le troisième pei-
gne est généralement d'une qualité inférieure aux deux autres,
et peut être dirigé sur une autre bobine, afin de le séparer
de ceux-ci. L'épurateur fait en douze heures 90 à 100 kilo-
grammes de coton bien ouvert et mieux nettoyé qu'à la carde
ordinaire, avec économie de déchet et de main-d'œuvre.
Elle est construite par M. A. Kœchlin avec tout le soin pos-
sible.
M. Léopold Muller fils expose un banc à broches à com-
pression de 1 20 broches, système ordinaire; un MuU-Jenny
et un métier continu de 220 broches pour la filature de la
laine peignée, où la commande ordinaire de broches est rem-
placée par son système d'engrenages coniques, dont chaque
broche est rendue indépendante et peut être arrêtée instanta-
nément par la simple pression. Ce système, qui exige moins
de force que les commandes par cordes à boyaux , a l'incon-
vénient de produire un bruit insupportable. Aussi MM. C.
Peugeot et Cie ont-ils eu l'idée de le modifier en remplaçant
les deux engrenages coniques par une série de quatre engre-
nages, deux coniques et deux droits; de cette manière on
peut faire en bois la roue droite qui commande le pignon , et
A L'EXPOSITION UNIVEHSELLE. 355
les deux roues coniques engrenant avec une vitesse beaucoup
moindre , le bruit est considérablement diminué.
M. Stamm présente un banc d'étirage finisseur à pots tour-
nants pour le coton ; un métier continu à filer d'un côté et à
retordre de l'autre, de 224 broches, et un banc à broches à
compression, de 120 broches. Ce banc à broches n'est pas
muni de la cuirasse ordinaire, qui empêche le coton de tom-
ber dans les engrenages. Toutes ces machines sont, du reste,
bien construites.
L'exposition de M. F. J. Griin se compose d'un batteur
étaleur, une carde à coton, une carde à laine peignée, un
bobinoir réunisseur pour la laine et un dévidoir.
Le batteur est à un seul volant , avec commencement d'é-
tirage , comme celui de M. A. Kœchlin. Le tambour de la carde
à coton est un tambour en fonte, fondu d'une seule pièce avec
les deux croisillons, ce qui constitue une assez grande diffi-
culté vaincue. La carde à laine est construite avec des cylin-
dres en stuc et n'a rien de particulier. Le dévidoir est muni
d'un système de va-et-vient destiné à distribuer également le
fil. Toutes ces machines sont construites avec un grand soin.
M. Stehelin expose un métier MuU-Jenny self-acting de
504 broches, système ordinaire.
M. Th. Loos présente une carde à coton dont l'alimentation
se fait au moyen d'un cylindre cannelé tournant sous une auge
en fonte; le coton est pris entre le cylindre et l'auge, qui sert
en outre à recevoir les matières étrangères rejetées par la
carde. Le grand tambour est en stuc comme dans toutes les
cardes exposées par les constructeurs de l'Alsace.
M. G. Bornèque expose deux métiers à tisser, l'un à deux,
l'autre à quatre couleurs. Ces métiers sont munis de cartons
de Jacquard en bois, dont les trous portent des chevilles. Ces
chevilles, de différentes longueurs, soulèvent alternativement
des leviers qui font mouvoir la boîte contenant les bobines,
de manière à lancer la bobine qui doit faire le travail. On peut
donc, par ce moyen, tisser une étoffe à plusieurs couleurs,
sans se préoccuper du dessin. Ce système n'est, du reste, ap-
plicable qu'aux étoffes à carreaux ou à bandes dans le sens de
la trame.
MM. Nicolas Schlumberger et Cie exposent trois assorti-
ments complets de préparations de filature. Le premier est
356 VISITE
desliné au travail des malièrcs courtes soies, le second à ce-
lui des maiières à soies moyennes, et le troisième aux prépa-
ralioiis des maiières longues soies.
L'assortiinent destiné aux matières courtes soies, c'est-à-
dire au cnton et à la laine peignée à filaments courts, se
compose de cinq machinss, une carde, une peigneuse, un banc
d'étirage, un banc à broches et un métier à filer self-aciing.
La carde e.-t une carde à hérisson:5, c'est-à-dire le système
ordinaire des cardes à laine peignée, dont tous les cylindres
sont en stuc.
La peigneuse est construite dans le système ordinaire des
peigneuses Heilmann, système qui consiste à tra\ailler la
matière par mèches, et dont la substitution à la peigneuse
Collier, substitution due en très-grande partie à M. N. Schlum-
berger, a moJifié d'une manière radicale le peignage et la
filature. Celle-ci est à six têtes et à mouvement continu.
Le banc d'étirage comprend trois passages. Le premier avec
coupe-nappes mécanique et bascideur, et dégrenage auto-
matique. Le deuxième est à couloirs et à pots oscillants. Ces
pots oscillants remp'acent les pots tournants pour opérer la
distribution régulière de la matière. C'est une boite rectangu-
laire portée sur des roues qui reposî-ntsur un chemin de fer;
cette boîle reçoit un mouvement alternatif d'un pignon en-
grenant tantôt au-dessus, tantôt au-dessous d'une crémaillère.
Cet appareil, généralement substitué par M. Schlumberger
aux pots tournants, donne d'excellents résultats.
Le troisième passage est un étirage dans lequel la matière
vient s'enrouler sur des rouleaux presseurs, et où la com-
pression a toujours lieu au même point par le moyen d'un
ressort qui appuie constamment la matière sur le rouleau.
Dans le banc à broches mi-fin de soixante-quatre broches,
le mouvement progressif du chariot est donné par un double
disque sur lequel vient frotter une poulie à bande de cuir
qui monte à mesure que la bobine s'emplit, et diminue par
conséquent la vitesse. L'ailetie de la broche, au lieu d'être
creuse comme le sont ordinairement les ailettes de ces ma-
chines pour le coton, est pleine et parfaitement lisse. Le fd
passe par deux œils, l'un en haut, l'autre à l'ej^trémité de
l'une des branches, et est constamment pressé contre la
bobine au moyen d'un ressort intérieur.
A 1/EXPOSlTION (NIVERSELLE. 3.S7
Le métier à filer automate compte cinq cent quatre bro-
ches, dont les mouvements sont singulièrement doux, com-
parés à ceux des métiers ordinaires. Cela tient à un système
nouveau à friction plate qui permet d'éviter les secousses et
les mouvements brusques que produisent les métiers munis
d'arbres à excentriques.
L'assortiment destiné à la filature des filaments moyens
sert spécialement au travail des laines moyennes, telles que
les laines mérinos. Il se compose de sept machines qui
sont :
Une nappeuse, qui n'est autre chose que la peigneuse Pou-
pillier perfectionnée.
Un démêloir, d'invention nouvelle, qui dresse et parallélise
parfaitement les brins de la laine, de manière à préparer au
travail de la peigneuse, et cela au moyen d'un cylindre garni
de dents en hélice, à barrettes sortant et rentrant alternati-
vement pour faciliter le délivrage de la matière. Une pei-
gneuse, du système lleilmann, munie d'une pince à double
centre qui permet de rapprocher plus ou moins le peigne
fixe de la pince, et par conséquent de peigner des laines plus
courtes, ce qui augmente la production.
Trois bancs d'étirage, dans lesquels se trouve l'application
d'une idée dominante que iM. Schiumberger applique d'une
manière complète et exclusive à la filature de la laine peignée,
et qui est, afin d'obtenir un étirage plus complet, de remplacer
le premier cylindre supérieur par un cylindre à cannelures pro-
fondes, et le cylindre inférieur par un héiisson dont les dénis
sont disposées de telle sorte que les cannelures du cylindre
supérieur engrènent entre les dents du hérisson, de façon à y
faire entrer la laine aussi profondément que possible. Ce
système se trou^^e reproduit dans les ti'ois bancs d'étirages
dont nous nous occupons. Le premier est un étirage à quatre
têtes, avec couloirs et pot oscillant; le second un étirage à
bobines et à compression ; et le troisième un étirage avec
l'rottage en gros et bobines comprimées. C'est une espèce de
banc à broches en gros à bobines horizontales.
La septième machine de cet assortiment est un banc à
broches frotteur, de trente-six broches. Ce banc à broches
présente une particularité remarquable. Comme il est destiné
au travail de la bourre de soie de deuxième largeur, c'est-à-
358 / VISITE
dire des déchets de bourre de soie donnés par la peigneuse,
aussi bien qu'à celui de la laine, et que la bourre de soie n'a
pas besoin de torsion à ce moment du travail, les ailettes
peuvent à volonté, et par un simple mouvement de débrayage,
tourner ou ne pas tourner de manière à opérer, suivant la
matière, avec ou sans torsion.
L'assortiment destiné au travail des matières longues soies
doit préparer spécialement les laines longues, les étoupes, la
bourre de soie longue, et enfin le lin et le chanvre coupés en
deux ou trois, et ramenés à la longueur de l'étoupe. Il se com-
pose de cinq machines : un démêloir, une peigneuse, un éta-
leur, un banc d'étirage et un banc à broches.
Le démêloir est construit suivant le môme principe que celui
dont nous avons parlé ; il alimente la peigneuse qui est tou-
jours une peigneuse Heilmann, et qui est munie d'un tambour
nappeur à palettes dentelées dans lesquelles les étoupes sont
poussées et entrées à fond par un cylindre cannelé afin de
faciliter la sortie régulière de la matière.
L'étaleur est un étaleur à gills, à deux rubans, avec appli-
cation de doubles rouleaux d'appel.
L'étirage est un étirage à deux têtes, à six rubans, avec ap-
plication de doubles rouleaux d'appel.
Le banc à broches est un banc de quarante bobines, à gills,
avec le système d'aileltes et de mouvement du chariot ordi-
naire.
L'exposition de MM. Nicolas Schlumberger et Gie est, en
somme, la plus complète de toutes celles des constructeurs de
machines de filature. Il est presque superflu d'ajouter que
ces machines, parfaitement entendues, sont, en outre, admi-
rablement exécutées. M. Schlumberger a, comme M. Mercier,
l'avantage d'être en même temps constructeur et filateur, et
ces deux conditions sont, évidemment, aussi favorables que
possible.
Ajoutons que M. Schlumberger est l'un des principaux pro-
moteurs de l'industrie de la filature dans le Haut-Rhin, dont
nous venons d'examiner les produits ; que cette industrie,
qui a pris un si grand essor, lui doit un nombre considérable
de perfectionnements importants, et nous aurons rendu justice
à un de nos industriels les plus éminents et les plus honora-
bles. Disons enfin que l'exposition de MM. Schlumberger brille
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. :r^<>
au milieu de celle de l'Alsace, et vient rehausser encore l'éclat
de cette partie, déjà si remarquable, de l'exposition française.
La filature mécanique du lin et du chanvre n'existe vérita-
blement que depuis 1810, c'est-à-dire depuis l'invention de la
peigneuse imaginée par Philippe de Girard.
La première opération que subit le lin est le rouissage;
puis viennent le battage et le teillage. Nous avons à PExposi-
tion plusieurs machines à teiller, et entre autres celle de
M. Ch. Mertens, de Gheel (Belgique), et celle de M. Farinaux
jeune, de Lille.
La machine de M. Ch. Mertens est entièrement nouvelle.
Le lin est conduit par une pince faisant chaîne sans fin,, entre
deux cuirs sans fin, munis de baguettes en bois qui le battent
et enlèvent la partie corticale; puis il est repris par une
deuxième pince, au moyen d'une seconde machine semblable,
tournée en sens contraire , qui teille la partie qui était tenue
par la première pince. Le lin, en sortant de cette machine, est
parfaitement teille.
Dans la teilleuse de M. Farinaux jeune, le lin est pris entre
deux cylindres en fonte, caimelés et tournants, dont le plus
petit placé à la partie supérieure, a en outre un mouvement
de va-et-vient destiné à enlever la paille. Puis il est conduit
entre deux autres cylindres cannelés en bois, avec mouvement
circulaire, qui achèvent le travail.
Nous n'avons pas vu le travail de cette machine, mais nous
doutons, à sa simple inspection, qu'elle opère le nettoyage
aussi bien que celle de M. Mertens, dont les produits sont
vraiment remarquables.
Après le teillage, le lin subit l'opération du peignage. Nous
rencontrons dans l'exposition française les peigneuses de
M. Ward et de M. Lacroix, et dans l'exposition anglaise, celles
de MM. Combe et Cie, de Belfort.
La machine de M. Lacroix est destinée au peignage des
lins coupés en deux ou trois, où les pinces, au lieu d'être
poussées les unes par les autres, sont conduites par un méca-
nisme spécial, et tournent en avançant, au lieu d'avancer d'a-
bord et tourner ensuite. De plus, les porte-pinces sont dou-
bles, ce qui permet de peigner en même temps deux poignées
de lin.
M. Ward expose trois machines à peigner le lin. L'une de
360 VISITE
ces machines est destinée au travail du lin long, l'autre à ce-
lui du lin coupé moyen, et la troisième à celui du lin coupé
en plu?ieurs morceaux.
Ces trois machines sont construites dans le même esprit,
c'est-à-dire que toutes trois sont à peignes tournant dans un
seul sens, et à m.ouvement de rotation des pinces, destiné à
permettre le travail de la matière des deux côtés. La construc-
tion en est soignée.
AJM. Combe et Cie exposent deux machines à peigner, l'une
les lins long-*, et l'autre les lins coupés; le système de ces deux
peigneuses e?t le contraire du précédent, c'rst-à-dire que ce
sont les peignes qui ont un mouvement circulaire alter natif,
afin de pouvoir travailler le lin dans ces deux sens, tandis que
les pinces ont simplement un mouvement rectiligne. Ces deux
machines sont bien construites, et nous préférons ce mode d'o-
pérer au précédent, qui a l'inconvénient d'eumêler un peu le
lin au moment où la pince se retourne.
MM. Windsor frères, de Lille, exposent une grande étaleuse
pour lin long ou chanvre, offrant quelques perfectionnements
de détails, puis un assortiment de p épjirations pour le lin
coupé en trois et quatre, et devant être lilé des n°* 80 à 150.
Cet assortiment se compose de :
'1° Une étaleuse à quatre rubans;
2" Un premier étirage à deux tètes, huit rubans chacune;
3° Un second étiiage, deux lèles, dix rulians chacune;
!i° Un troisième étirage, deux tètes, douze rubans chacune;
5° Un banc à broche» de soixante brothes.
Toutes ces niachines comi-oitent des frotteurs en bois mo-
biles sous les rouleaux. Le banc à broches est muni d'un cône
de friction, marchant sans courroie. Ces machmes sont éta-
blies dans de bonnes conditions de construction et de vente
courante.
Le métier à fder le lin, de M. Vennin Dérégniaux, n'offre
rien de particulier.
Enfin, la marine impériale nous a envoyé deux machines,
l'une à filer le lin, qui opère à la fois l'étirage et la toraion, et
l'autre à tie-str les coidages Ces deux machines sont, sans
doute, tiè.^-iuiéressantes, mais elles ont l'inconvénient dètre
construites d'une manière fort lourde, et d'avoir déjà plus de
vinst années de date.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 361
Outre ces machines . nous rencontrons l'assortiment pour la
filature des matièies longues soies de MM. N. Schlumberger
et Cie, dont nous avons déjà parlé.
Les machines destinées au travail de la laine se divisent en
deux catégories bien distinctes : la filature de la laine peignée
et celle de la laine cardée. La laine peignée, destinée au tis-
sage des mérinos, des cachemires d'Ecosse, et en général des
étoffes rases, exige des fils d'une régularité parfaite, et dont
les é éments soient aussi parallèles que possible. C'est, comme
nous le verrons, la grande différence qui existe entre le pei-
gné et le cardé.
La France est presque seule représentée pour cette indus-
trie, dont on a tant cherché, depuis quelques années, à mo-
difier les éléments. La tendance aujourd hui la plus générale
est le peignage par mèche.^, inauguré par Josué Heilmann.
Nous rencontrons, dans cette voie, la peigneuse de iM. Hector
Collette, qu'un déplorable accidenta enlevé à l'industrie, au
moment où il venait de mettre la dernière main à son œuvre.
Cette peigneuse est formée d'un grand plateau circulaire tour-
nant , muni à sa circonférence de trois rangs de peignes; sur
trois points de la circonférence sont placés d'autres peignes
animés d'un mouvement circulaire, perpendiculaire à celui
du plateau. La laine, livrée par mèches aux peignes du plateau
circulaire, au moyen d'une alimentation à mouvement alter-
natif, est reprise par l'un des peignes de côté, passe successi-
vement entre les dents des trois peignes, et est rendue aux
peibjnes circulaires qui la livrent entre des rouleaux déli-
vreurs, d'où elle s'eni ouïe sur une bobine, tandis que la blouse
est enlevée des dénis du peigne par une brosse, qui la fait
tomber dans une boîie destinée a la rt^cevoir. Une conduite
de vapeur permet de chauffer les peignes, condition essentiel-
lement avantageuse, et la division du cercle peigneur en trois
zones munies d'éléments identiques, fait que l'on peut ti availler
à la tois trois couleurs diiierentes. La machine de M. Collette
mérite donc, à tous égards, les éloges les plus sincères; son
mécanisme est ingénieux et simple, et rend le travail facile à
comprendre.
La peigneuse de M. Collet fils n'est autre chose que le sys-
tème déjà connu de M. Poupillier, qui n'a jamais donné un
peignage complet. KHe travaille sans faire de blouse.
362 VISITE
M. Vigoureux expose un bobinoir. Le perfectionnement
consiste essentiellement dans une disposition spéciale, par
suite de laquelle plusieurs mèches passent en même temps,
sans se réunir ou se mêler pendant le travail, dans le même
peigne et sur le même buffle frottoir, et enfin s'enroulent tou-
jours distinctes et sans mélange sur la même bobine. Les
avantages de cette machine sont de faire autant et mieux avec
un matériel beaucoup moins considérable, et par suite, coû-
tant infiniment moins cher, et exigeant moins d'espace, de
force motrice et de surveillance. Cette machine, d'un véritable
intérêt, a été exécutée dans les ateliers de M. Pierrard Par-
paite , avec tout le soin que ce constructeur apporte à ses
travaux.
MM. Bruneaux, père et fils, de Rethel, exposent un bobi-
noir finisseur. Cette machine, d'une longueur totale de '1:^"',80,
est bien construite, et offre dans le travail des perfectionne-
ments sensibles.
M. Pierrard Parpaite présente un assortiment d'appareils
destinés au peignage mécanique de la laine, des étoupes, de
la bourre de soie, etc., avec l'application d'un système nou-
veau dénommé étireur à mouvement progressif.
L'invention du système consiste dans la combinaison d'un
mouvement progressif, communiqué à des barrettes ou porte-
aiguilles indépendantes, au moyen de deux plateaux mobiles
à rainures curvilignes, et de deux courbes excentriques fixes.
Les peignes barrettes garnis d'aiguilles sont commandés de
manière à s'écarter de plus en plus les uns des autres depuis
l'entrée jusqu'à la sortie de la matière qui vient sortir d'une
manière continue hors des rangées d'aiguilles, au point où
celles-ci ont acquis leur maximum de vitesse. Cette opération
s'effectue par un étirage qui achève de dresser les filaments,
déjà préparés par le démêloir.
M. Pierrard dispose le nriême appareil en tête de chaque
passage d'étirage de filature, en remplacement des peignes
circulaires et des gills généralement en usage. D'après l'in-
venteur, cette application perm.et de travailler la matière fila-
menteuse avant et après le peignage, et de diminuer le nom-
bre des passages avant la filature. Les produits des machines
de M. Pierrard ne nous ont pas paru répondre complètement
au programme. La laine estbouchonneuso, oljusqu'ici ces ma-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 363
chines ne semblent pas faire un travail supérieur à celui des
anciens systèmes. Nous devons cependant savoir gré à
M. Pierrard de ses efforts persévérants, et des progrès qu'il a
fait faire au travail de la laine peignée.
Dans, l'exposition étrangère, nous ne trouvons qu'un banc
à broches en fin pour la laine peignée de M. Hartmann, de
Chemnitz (Saxe-Royale). C'est un banc à broches ordinaire,
d'une bonne construction.
La laine cardée doit servir au travail des étoffes feutrées et
foulées. Aus^i les conditions de bonnes qualités du fil sont-
elles toutes différentes de celles qu'exige le fil de laine pei*
guée.
Pour celui-ci, en effet, il est, avant tout, nécessaire de pa-
ralléliser les filaments et de ménager leur longueur, afin d'ob-
tenir un fil droit et aussi uni que possible, tandis que l'usage
de la laine cardée exige, avec toutes les conditions ordinaires
de régularité , que les filaments soient enchevêtrés les uns
dans les autres , pour conserver le plus possible à la matière
sa propriété feutrante. L'étoffe devant, en outre, être tirée à
poils, il est nécessaire que les fils présentent autant de pointes
que possible, afin que le tissu soit plus garni de poils à sa
surface.
Après le désuintage et le lavage qui se font de la môme ma-
nière pour les peignés et les cardés, la laine est séchée, soit
par les moyens ordinaires, soit au moyen d'un hydro-extrac-
teur ou appareil à force centrifuge ; l'appareil exposé par
M. Tulpin, de Rouen, dont il a déjà été parlé, remplit toutes
les conditions désirables, tant au point de vue de la trans-
mission du mouvement que par la supériorité de sa con-
struction.
La laine en sortant de la machine contient encore 10 à 15
pour 100 d'eau; elle est séchée, soit dans un séchoir à air
chaud, soit à l'air libre, soit enfin dans une machine cù l'on
fait agir simultanément le chauffage et la ventilation.
La matière subit alors l'opération du battage, puis celle de
l'échardonnage. La première machine échardonneuse intro-
duite en France en 1846 est due à i!>!M. Sykes et Ogden,
d'Huddersfield, qui exposent, dans la partie anglaise, un spéci-
men de leur système, perfectionné par l'augmentation du
nombre de lames de peignes sur le cylindre principal. Le but
?>C>i VISITE
de celte addition est d'augmenter le travail de la machine, tout
en diminuant son volume.
M. Laoureux , de Verviers, cessionnaire du brevet de
iMM. Sykes et Ogden pour la Belgique, exposent deux machi-
nes de ce genre, dont l'une est la reproduction à peu près
exacte de l'ancien système des inventeurs, et dont l'autre a
subi une modification qui consiste à remeltre en travail les
chardons qui contiennent encore de la laine. Ces deux ma-
chines sont d'une construction médiocre.
L'échardonneuse dont nous venons de parler a le grave
inconvénient de briser les filaments de la laine. MM. Houget
et Teston, autres constructeurs de Verviers, ont cherché à
atténuer ce résultat fâcheux en ajoutant deux cylindres
échardonneurs à lames dentelées en hélice. Celte machine re-
met également en travail les chardons qui entraînent de la
laine, et le tambour principal est armé alternativement de
lames et de dents, afin de commencer l'opération du louve-
tage. La construction en est soignée comme celle de toutes les
machines de MM. Houget et Teston.
Après le battage et l'échardonnage, la laine subit l'opéra-
tion du louvetrige. Suivant la qualité de la laine, le louvelage
a lieu une ou deux fois. Les laines courtes et douces ne sont
passées qu'une seule fois au loup , après avoir été graissées
d'environ 20 pour 100 d'huile d'olive ou de colza, ou , mieux
encore, d'oléine. Le loup de M. A. Mercier, de Louviers, com-
porte toutes les conditions voulues de solidité et de bonne
construction; la disposition des dents en spirale sur le grand
tambour, et l'alimentation au moyen de deux paires de rou-
leaux cannelés avec vitesses différentes permettent d'ouvrir la
laine d'une manière uniforme et satisfaisante, qui facilite le
cardage et ménage les garnitures de cardes.
L'opération qui suit le louvelage est le cardage. Nous trou-
vons dans la galerie des machines un assez grand nombre de
cardes : MM. Verken, d'Aix-la-Chapelle, exposent un assorti-
ment complet composé d'une carde briseuse avec cylindre et
tambour en bois, d'une carde repasseuse avec cylindre et
tambour en fonte, et d'une carde boudineuse, à un seul pei-
gneur, avec cylindre et tambour en tôle. Cette carde produit
des boudins sur deux points différents , au moyen d'un pei-
gne à intervalles réguliers qui en opère la division, système
A L EXPOSITION LMVEHSELLE. llGri
qui ne réussit généralement qu'avec des laines fines ayant
des (ih)ments réguliers et d'une longueur nioyennej La con-
struction de ces machines n'offre, du reste, rien de particu-
lier. L'exécution en est convenable.
MM. Houget et Teston pié.-entent aussi un assortiment
complet de cardes à laine, dont tous les cylindres sont en
Fonte. Ce système a l'inconvénient d'augmenter inutilement
le poids de la machine , les pe'its cylindres en bois pouvant
paifaitement être établis dans de bonnes conditions. La carde
boudineuse de MM. Houget et Teston est une carde à deux
ptMgneurs. Elle est munie d'un système d'étirage dont la pra-
tique n'a pas, jusqu'ici, démontré l'utilité.
M. Grlinn expose une carde pour le travail du cardé pei-
gné, dont nous avons déjà fait mention.
M. Vimont, de Vire, expose un métier continu destiné au
filage de la laine cardée. Jusqu'à ce jour, les métiers MuU-
.lenny à étirage ont seuls été employés dans cette industrie;
le métier de M. Vimont est donc une chose toute nouvelle, et
il nous Hst impossible de juger de son importance avant que
ses résultats soient connus.
Nous avons déjà parlé du loup de M A. Mercier; examinons
à présent les autres machines qu'il expose, composant un as-
sortiment complet de filature de laine cardée.
La laine, à sa sortie du loup, est portée sur la toile sans
fin, partagée en deux parties ég.des, et placée derrière le
grand tambour de la carde briseuse, et vi^nt former à la sortie
deux rubans qui s'enroulent sur une bobine. Soixante de ces
bobines sont placées derrière la carde repasseuse , et produi-
sent à leur tour deux rubans qui s'enroulent sur deux bobi-
nes. Ces bobines sont elles-mêmes placées, au nombre de
soixante, derrière la carde boudineuse et fournissent chacune
un ruban à la sortie de celle-ci, après avoir passé sous les
rouleaux à mouvement de va-et-vient qui opèrent le frottage.
La carde boudineuse est une carde à deux peigneurs.
Le fd, à sa sortie du cardage, est tra'.aillé par un métier
Mull-Jenny, à simple vitesse , de deux cent dix broches. Ce
métier, d'une construction spéciale pour ce genre de filature,
est d'une grande simplicité, et permet d'obtenir, sans tâtonne-
ment et avec une grande régularité, la finesse de fd et la tor-
sion demandées.
366 VISITE
Les bobines , produites par le métier en gros , sont réunies
au nombre de vingt-cinq sur de longues bobines qui sont
placées sur le métier en fin, et qui peuvent lui fournir une
quantité de laine suffisante pour un travail de deux jours.
M. Mercier expose deux métiers en fin de trois cents broches
chacun. Ces métiers sont à double vitesse et à mouvement
d'étirage mécanique, se modifiant au moyen de pignons de re-
change, suivant les divers genres de laines et les différentes
finesses de fils, et peuvent être conduits deux à deux par un
seul ouvrier, avec l'aide de deux rattacheurs. De même que
le métier en gros, ils sont munis de compteurs de livraison
et de torsion, numérotés de manière à calculer, avec assu-
rance et sans tâtonnement, la finesse et le nombre de tours de
torsion à donner aux fils.
Comme complément de son assortiment de filature, M. Mer-
cier présente deux dévidoirs à échantillonner, qui donnent
exactement le numéro du fil après le passage à la carde bou-
dineuse et les passages aux métiers à filer en gros et en fin.
Il présente enfin une carde avec avant-train pour la prépa-
ration de la laine peignée, dont le principal mérite est de mé-
nager les filaments de la laine, mais que nous ne pouvons
juger, au point de vue du travail , cette machine n'étant pas
encore en fonction.
L'exposition de M. Mercier doit enfin comprendre un mé-
tier mécanique à tisser les draps et nouveautés, qui , s'il
réussit, comme permet de l'espérer la réputation justement
acquise du constructeur , résoudra un des graves problèmes
économiques de ce genre de tissage.
Pour résumer en quelques mots l'impression que nous a
produite l'exposition de M. Mercier, nous dirons que l'on re-
connaît facilement que ces machines sont établies par un
homme qui comprend à la fois la construction et la filature.
Elles sont disposées de manière à faciliter le travail, et
comme elles doivent l'être dans une filature bien entendue.
La double profession de cet industriel lui a permis de con-
struire des machines qui répondent parfaitement aux besoins
de l'industrie à laquelle elles sont destinées, en même temps
qu'elles offrent toutes les garanties désirables de solidité et
de bonne construction. Enfin, M. Mercier a su conserver,
comme nous devions nous y attendre, le rang qu'il a conquis
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 3(57
à l'Exposition de 1849 et à celle de Londres, où il a obtenu
la grande médaille.
M. Th. Chenevière expose, dans le même emplacement que
M. Mercier, une carde boudineuse et un métier à filer en
gros.
La carde de M. Chenevière est construite en vue d'une idée
assez originale pour laquelle ont été pris déjà plusieurs bre-
vets et un entre autres par M. Bournot, de Rouen. C'est une
carde boudineuse , à un seul peigneur, à loquettes continues
produites par la réunion de huit à dix rubans et destinée à
faire des fils jaspés suivant une loi déterminée. Si l'on veut,
par exemple, obtenir un fil contenant un dixième de laine
noire et neuf dixièmes de laine blanche , on alimente la carde
avec un ruban de laine noire pour neuf rubans de laine blan-
che, produits dans les mômes, conditions , et la loquette que
l'on obtient est formée dans les proportions voulues, avec
une régularité , pour ainsi dire , mathématique.
Le métier à filer en gros est un bély de quatre-vingts bro-
ches, filant à grand écartement, etmuni, à cause de cela , de
cylindres et rouleaux de pression cannelés , afin d'éviter le
glissement des fils pendant l'étirage, glissement que produi-
rait la grosseur du fil.
Ces deux machines, qui sortent l'une et l'autre des ateliers
de M. Mercier, sont exécutées avec le même soin et la même
entente que celles qu'il a exposées lui-même.
L'industrie de la soie, abandonnée, dans les contrées sérici-
coles, aux ouvriers des campagnes, est restée longtemps en
souff'rance. Ce n'est que depuis ces dernières années que
quelques personnes, industriels, savants et ingénieurs com-
prirent combien cette industrie était arriérée , et songèrent à
la relever, les uns en perfectionnant, comme d'Arcet et Ca-
mille Beauvais, le mode d'éducation du ver à soie ; d'autres ^
comme MM. Robinet, Guérin-Menneville, E. Péligot, en étu-
diant sa structure et les phases diverses de son existence;
d'autres enfin, en cherchant des moyens plus rationnels de
travailler la soie. De ce nombre, est M. Alcan, l'habile pro-
fesseur du Conservatoire, qui, de concert avec M. Limet,
imagina un procédé de filage par lequel, s'aidant du vide pour
imbiber le cocon , et perfectionnant les moyens mécaniques,
il arriva à tirer de ce cocon une quantité de soie de 4 0 pour 4 00
368 VISITE
supérieure à celle que l'on obtenait ordinairement, en dimi-
nuant d'autant ia quantité de frison, qu'il obtient d'ailleurs
d'une qualité supérieure.
Aujourd'hui, le but que doivent se proposer surtout les fila-
leurs, c'est de dévider la soie directement sur les bobines
propres au tissage, sans la faire passer par les diverses opé-
rations qu'elle subit dans les procédés en usage.
Bien des essais ont été tentés pour atteindre ce résultat.
De ce nombre nous devons citer l'appareil de M. Meynard, de
Vairéas, qui fait circuler la soie, avant de l'amener à la ta-
velle, dans une étuve chauffée à la vapeur , destinée à la sé-
cher paifaitement. Nous craignons que M. Meynard n'ait pas
complètement rempli le but qu'il se proposait, la soie devant
parcourir dans cette étuve un grand nombre de circuits, et
ne pouvant, par conséquent, être menée assez vite pour pro-
duire un travail suffisant sans se casser ni se nouer, et l'étuve
fermée ne permettant pas de rattacher facilement les bouts et
de voir le travail. La difficulté paraît cependant avoir été
complètement levée, et c'est encore à M. Alcan qu'est dii ce
progrès. On peut voir dans la \itrine de MM. Maillard et Cie,
à la galerie supérieure du Palais de l'Industiie, des soies d'une
très l3elle qualité, dévidées directement sur bubiies. Malheu-
reusement ce procédé , qui n'est pas encore connu, ne peut
être donné ici. Mais nous espérons que bientôt le public sera
appelé à l'apprécier, et nous ne doutons pas qu'd ne soit
accueilli par les industriels comme il mérite de l'ôire.
L'Exposition nous offre aussi quelques appareils destinés à
la filature de la soie, tels que ceux de M. Michel, dans la par-
lie française, et dans la partie étrangère des machines venant
de la Lombardie. Ces machines ont sur les appareils ordi-
naires l'avantage d'une bonne exécution et de quelques per-
fectionnements mécaniques, mais ce sont toujours les anciens
systèmes de filage, qui ne présentent aujourd'hui quun inté-
rêt assez médiocre.
La corderie n'est représentée que par le métier de la marine
impériale, dont nous avons déjà parlé. Quant aux machines de
]MM. Moiselet, Gautron. etc., c'est toujours le sy>tème connu
de bobines à axes tournants, où les fils se réunissent sur un
axe commun, dont la rotation leur donne la torsion néces-
saire, système que l'on peut voir travailler dans la plupart
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 8G0
des fabriques de passementerie. Pour l'ourdissage, nous ne
rencontrons que quelques machines assez insignifiantes.
Les machines de M. Deshayes, pour fabriquer les cordons
de montre, les bourses, les lilets, offrent au contraire un
intérêt tout spécial. La première, destinée à faire les cordons
de montre, exécute le travail mécanique que font les enfants
avec un moule; l'autre est une amplification de celle-ci, qui
permet de faire en quelques minutes une bourse parfaitement
terminée, avec la fenle, la forme et les dimensions ordinaires.
Ces deux machines, très-bien construites, fonctionnent avec
une régularité et une précision parfaites.
Depuis quelques années on a cherché à régénérer les fils
provenant des tissus usés. C'est le but du défilochage , in-
dustrie qui s'opère chimiquement ou mécaniquement. Le
travail chimique est destiné aux étoffes mélangées dans les-
quelles entrent une matière animale et une matière végétale,
telles que laine et coton, ou soie et coton, etc., et dont on
veut conserver la matière animale, c'est-à-dire la soie ou la
laine, qui a toujours une valeur plus grande que le coton ou
le lin. Plusieurs moyens ont été proposés pour parvenir à ce
résultat; presque tous reviennent à détruire la matière vé-
gétale au moyen de l'acide chlorhydrique , qui n'attaque pas
la matière animale. Ce procédé, dû à M. Leloup. donne des
produits remarquables, que l'on peut voir au Palais de l'In-
dustrie dans la vitrine de MM. Leloup et Izart Cousins.
L'opération mécanique consiste presque toujours en une
espèce de louvetage, qui déchire le tissu et le dé.^agrége. Il y
a dans l'exposition française deux ou trois machines de ce
genre, qui n'ont rien de particulier. Quel que soit, du reste,
le mode de fabrication, l'opération une fois terminée, la ma-
tière doit être remise en œuvre pour être de nouveau trans-
forniée en fils.
On sait à combien d'emplois variés se prête aujourd'hui le
caoutchouc. Il n'y a cependant dans l'Exposition aucune
machine destinée à sa mise en œuvre, à l'exception des mo-
dèles de M. Couturier, qui représentent huit machines desti-
nées à l'épurer, à le triturer, à le diviser en fils, à régénérer
les déchets. Ces modèles sont bien exécutés et fonctionnent
convenablement, malgré leurs petites dimensions.
Nous arrivons aux métiers pour le tissage uni et le tissage
206 xj
370 VISITE
façonné. Les métiers à hautes lisses étant complètement ab-
sents de l'Exposition , nous n'aurons à nous occuper que des
métiers à basses lisses.
Le tissage mécanique des étoffes unies est, comme nous
l'avons dit, d'origine anglaise, et les métiers établis en Angle-
terre sont généralement meilleurs et plus estimés que les mé-
tiers français. Cela tient essentiellement, d'après nous, à leur
construction plus solide ; les Anglais ayant à meilleur marché
les métaux, et principalement la fonte, qui est l'élément es-
sentiel du bâti d'un métier mécanique, lui donnent plus de
poids que nous ne faisons. Aussi l'Angleterre a-t-elle envoyé
un grand nombre de ces machines, tandis que, à part ceux
de M. Bornèque, dont nous avons parlé , nous n'en rencon-
trons aucun dans l'exposition française.
Ceux qui sont exposés par les Anglais sont extrêmement re-
marquables, tant par leur stabilité que par l'entente de toutes
les pièces. Il y a, entre autres, un métier à tisser la toile à
voiles de MM. Ch. Parker et fils, de Dundee, dont tous les
éléments sont calculés et exécutés avec une parfaite intelli-
gence et une extrême précision.
Au contraire du tissage mécanique pour les étoffes unies,
le tissage façonné est d'invention toute française. M. Marin
nous montre, à l'appui de cette assertion, une série de mo-
dèles représentant l'histoire de celte industrie. Le travail de
M. Marin se compose de neuf machines qui font connaître les
phases qu'a traversées la partie mécanique du tissage façonné
depuis 1606 jusqu'à nos jours. Énonçons en quelques mots
cet abrégé historique.
1606. Premier métier à la grande tire, monté à Lyon par
Claude Dagon.
1717. Machine inventée par J. B. Garon , supprimant un
tireur de lacs.
1725. Invention de Basile Bouchon qui imagine le papier
percé, et met ses aiguillettes en communication avec les
cordes du semple.
47:28. Falcon coordonne le papier percé, l'aiguillette et le
crochet; fixe ce crochet par son extrémité supérieure à la
corde du semple , en lui faisant faire fonction de continuité.
1746. Vaucanson supprime le semple, la rame et le cassin
qui entraînaient une masse de cordes , et un tireur de lacs
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 371
pour les faire mouvoir, au moyen d'une mécanique placée
sur le métier; fait marcher le métier par une pédale au moyen
de Taiguillette, du crochet, de la griffe, d'un cylindre et d'un
carton percés de trous; fait fonctionner seuls la navette, le
battant, les lisses, en employant des cames mues par une
manivelle; enroule l'étoffe par un régulateur à vis sans fin.
1775. Ponçon invente une petite mécanique armée de ca-
vacine et de lamettes qui s'abaissent en enlevant les liga-
tures, par le mouvement de bascule de l'alléson fixé au
plancher.
4798. Versier étend la puissance de la mécanique Ponçon ,
en employant d'autres moyens plus compliqués.
1804. Jacquard, après plusieurs essais infructueux, rem-
place, dans le métier Vaucanson, le cylindre par un prisme
percé de trous, le carton cylindrique par un carton sans fin;
modifie les éléments principaux du métier, et imagine la cé-
lèbre machine à laquelle il a donné son nom.
1854. M. Michel améliore le métier Jacquard en l'armant
d'un crochet à double tranche, qui, par son élasticité , favo-
rise le dégriffement des crochets de leurs lamettes, sans pro-
duire ni bruit ni frottement.
1854. M. Bonelli invente le métier électrique. Le modèle
exposé est du système de M. Pascal.
Nous avons laissé parler l'exposant, nous n'entreprendrons
pas de le réfuter; nous dirons seulement qu"il est fâcheux
que le travail si intéressant de M. Marin n'ait pas été exécuté,
au point de vue matériel, avec tout le soin désirable.
La tendance la plus générale en ce moment est de rem-
placer, dans le tissage façonné, les cartons du métier Jac-
quard par du papier continu, ce qui produit une économie
notable. Une des grandes difficultés à vaincre pour mettre
ce système en pratique, réside dans l'extensibilité du papier
en contact avec l'air humide, cause incessante d'erreurs, les
trous du papier pouvant ne plus se trouver en correspon-
dance avec ceux de l'éiui à crochets. Cette difficulté paraît
avoir à peu près disparu , et l'usage des métiers de cette
nature chez quelques-uns de nos principaux fabricants de
châles, nous fait espérer que ce perfectionnement est au-
jourd'hui un fait acquis.
Il y a dans l'Exposition plusieurs machines qui résolvejit
372 VtSlTK
ce problème. Ce sont principalement les machines de MM. Ac-
klin, Bertrand EspOiiy, et Junot et Blanchet.
Le système de M. Acklin est depuis assez longtemps déjà
appliqué chez M. Deneyrousse, et c'est en IVmpJoyant qu'il
iait ces beaux chàle-i spouliiiés que l'on peut admirer au Pa-
lais de l'Industrie. Dans ce métier, les crochets sont manœu-
vres au moyen d'aiguilles placées au-dessus d'un cylindre
percé de petits trous sur lequel roule le papier continu percé
de trous corre.^pontlants. La réiluction des trous est telle que
le carton ordinaire du métier Jacquard est remplacé par une
bande de papier dix à quinze fois plus petite, ce qui aug-
mente encore Téconomie que procure la substitution du
papier.
La machine de M. Blanchet opère à peu près de la même
manière, seulement le cylindre remplaçant le prisme du mé-
tier ordinai.e est en cuivre et percé de trous beaucoup plus
grands que ceux de M. Acklin, ce qui nécessite l'emploi d'ai-
guilles plus fortes. Le papier employé par M. Blanchet e^t ce
papier d'emballage connu sous le nom de papier goudron.
La machine possède en outre un système de rouleaux sur
lesquels vient circuler le papit-r de manière à lui donner à
tout insant une tension égale. Ce métier fonctionne dans de
bonnes conditions.
Le système employé par M. Bertrand est très-différent des
deux précédents. Le prisme percé de trous de Jacquard est
aussi remplacé par un cylindre en bois dont les trous conver-
gent veis le centre; mais là des aiguilles viennent , comme
dans les métiers ordinaires , butter latéralement contre ce
cylindre recouvert de papier percé. La boîte élastique est en
outre remplacée par une simple planchette qui, à chaque
coup de trame, vient frapper contre les extrémités des cro-
chets et détermine leur entrée ou leur non-entrée contre le
cylindre. Celte machine a donc l'avantage sur les deux au-
tres de ne rien changer au montage ordinaire que le prisme
percé, et, à ce titre, nous pensons que si, comme l'affirme
3L Frédéric Hébert fils, chez lequel elle fonctionne, elle donne
d'aussi bons résultats, nous devons la considérer comme la
plus avantageuse.
Ces différents systèmes reviennent à peu près , comme il
est facile de s'en convaincre, à la machine de Vaucanson ,
A L'EXPOSITION lmvekselll:. :;v:;
(Juiis laquelle le carton entourant le cylindre , et (ju il fallait
enlever et renouveler à chaque instant, est remplacé par un
papier continu qu'il n'est pas nécessaire de renouveler. Ainsi
l'invention de Jacquard fut un perfectionnement de celle de
Vaucanson, perfectionnement qui consiste à rendre le travail
plus continu, et les inventeurs actuels ont cherché à réunir
et à confondre les deux systèmes, afin de faire jaillir du con-
tact de ces deux grands génies une étincelle plus brillante.
D'autres constructeurs, comme M. Nicolle et M. Lacroix,
ont cherché un autre perfectionnement qui consiste à équili-
brer les plombs que l'on est oblii^é de lever pour faire 1 ou-
verture de la chaîne à chaque coup de navette.
Dans la machine de M. Nicolle, il y a une double grilTe et
doubles crochets. L'agpncement est tel que, lorsque d'un côté
on lève un certain nombre de crochets, le même mouvement
fait baisser de l'autre un nombre de crochets égal au premier.
De cette manière le travail de l'ouvrier est considérablement
allégé, surtout pour un tissu à deux ou trois couleurs seule-
ment, où le nombre de fils à lever par datte esl très-considé-
rable.
M. Lacroix place la machine Jacquard sur un levier mobile
qui lui permet de faire l'ouverture des fils en dessus et en
dessous, moitié par moitié. La partie des fils qui descend
fait équilibre à la partie qui monte , de manière que l'ouver-
ture s'opère pour ainsi dire d'elle-même. Cette machine qui
fonctionne mécaniquement présente encore un autre carac-
tère nouveau et important. Les plombs sont remplacés par des
fils de caoutchouc. On obtient par là une économie notable ,
une plus grande facilité de montage et la tension se rè.^le plus
aisément. En outre on supprime le plomb dont les émanations,
dues au frottement, sont éminemment nuisibles à la santé des
ouvriers.
La plupart des constructeurs de métiers à mailles ont en-
voyé leurs produits à l'Exposition. MM. Motte et Berihelot
en présentent l'un et l'autre une série assez nombreuse des-
tinée au travail des bas, des chaussettes, jupons, etc. Ces
métiers ont reçu quelques perfectionnements de détail dont il
est difficile de nous occuper ici.
M. Rousselot expo-e aussi un métier circulaire établi d'a-
près son système qui difière des autres par la construction de
37i VISITE
ses roues de cueillement ot la manière de les placer sur le
métier. Son petit modèle commandé par le Conservatoire des
arts et métiers est construit à grosse jauge et d'un diamètre
convenable pour fabriquer les chaussettes en laine drapée,
dites sans coutures.
M. Poivret présente un métier circulaire à faire les cache-
nez, où se trouve l'application d'une idée toute nouvelle. C'est
un métier circulaire, dit métier à broches , dans lequel deux
fils sont enroulés sur des aiguilles à crochet, et où un autre
crochet vient à chaque tour du plateau enlever l'un des fils
et le placer au-dessus de l'autre. Ce métier produit par jour
dix à quinze douzaines de cache-nez ; il est établi avec goût
et précision.
Le travail du tulle est représenté parle métier exposé par
la société des tuUistes de Saint-Pierre-lès-Calais , métier qui
est certainement une des pièces les plus remarquables de
l'Exposition, tant par l'heureuse combinaison des éléments
que par l'exécution parfaite de la machine. C'est un métier à
tulle bobin perfectionné , avec application du système Jac-
quard. Cette machine mise en mouvement par un petit mo-
teur à vapeur ad hoc, fait mécaniquement les tulles façonnés
sur une largeur de 5"', 50.
Nous trouvons également dans l'exposition française trois
métiers à filets dont deux, celui de M. Zambeaux pour la fa-
brication des filets de luxe et celui de MM. Réponty et Ciepour
les filets de pêche, sont construits d'après le système Pec-
queur, tandis que celui de M. Ratte en diffère en ce que le
métier Pecqueur fait le filet en long, tandis que celui de
M. Ratte le fait en travers. Ce métier est, comme celui de
M. Zambeaux, parfaitement exécuté.
Quant aux métiers à broder, nous en rencontrons un dans
la galerie anglaise qui n'est autre que celui deHeilmann légè-
rement perfectionné. Cette machine a l'inconvénient d'exiger
une certaine somme de travail à la main ; celle de M. Barbe
Schmitz, au contraire, placée à l'entrée de la partie française,
travaille d'une manière tout automatique. Il est fâcheux que
le cadre de cet ouvrage ne nous permette pas d'en indiquer
les détails qui en font, malgré la barbarie de l'exécution , une
de nos machines les plus intéressantes.
Il est presque superflu de dire que les machines à coudre
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 375
sont en très-grand nombre dans les galeries française, an-
glaise et américaine. L'invention de toutes ces machines est
originaire d'Amérique. Trois systèmes sont en présence : le
point de cliaînette , le point indécousable et le troisième for-
mant une espèce de tissu. Nous remarquons principalement
dans l'exposition française la machine de MM. Journeaux et
Leblond, dite translucide, et dans la partie américaine toutes
les machines placées à l'extrémxité de la galerie du quai , de-
vant lesquelles le public est constamment attiré , et qui mon-
trentréunies les différentes méthodes employées. Le perfection-
nement et l'application usuelle de ces machines touchent, du
reste, à une question du plus haut intérêt, car elles t-ont des-
tinées à améliorer la position véritablement pénible des ou-
vriers employés aux travaux de couture , travaux extrême-
ment fatigants, tout en diminuant sensiblement les prix de
main-d'œuvre et en faisant des coutures pour ainsi dire in-
destructibles.
Parmi les machines à apprêter, la partie qui se trouve le
plus largement représentée est celle qui concerne les apprêts
du drap. Le drap subit en effet , après le tissage, des apprêts
nombreux et indispensables à sa qualité ; ce sont principale-
ment le foulage , le lainage et le tonrlage.
Le foulage a pour but de développer la propriété feutrante
des laines cardées, exclusivement employées dans le tissage du
drap , et le résultat d'un bon travail est une retraite régulière
et déterminée de l'étoffe dans tous les sens de sa surface et
une augmentation d'épaisseur proportionnelle , sans diminu-
tion de l'élasticité naturelle. On ne peut obtenir ces condi-
tions que par le rapprochement des fils, qui doivent être
resserrés de telle façon que les espaces laissés par les dents
du peigne, lors du tissage, disparaissent complètement. Pen-
dant longtemps le foulage s'est fait par des machines com-
posées essentiellement d'auges dans lesquelles était placé le
drap qui était foulé par des pilons mus au moyen de cames.
Ce système, vicieux à plusieurs points de vue, a été remplacé
par celui des machines opérant le foulage par la pression de
cylindres rotatifs dont nous avons plusieurs spécimens. Les
fouleuses de M. Malteau et celle de M. Legros sont des fouleuses
ordinaires, de cette nature, avec pression sur les cyhndres
par des poids et des leviers. Ce système de pression a i'in-
376 MSllE
convénietit d'être dilficile à régler. Le foulage , Irup préci-
pité au commencement de l'opération, devient trop lent à
la fin.
M. Desplas a remplacé les poids et leviers par des ressorts
métalliques dont l'élasticité règle la pression qui augmente
d'intensité à me-ure que le tissu augu ente d'épaisseur, et
rend la régularité du travail indépendante du plus ou moins
d'intelligence de l'ouvrier. Cette machine permet d'opérer sur
les draps les plus légers et les plus forts.
INIM. Houget et Teston, de Verviers, cessionnaires du brevet
de M. De^plas, pour la Belgique, ont exposé une foulpuse du
même système, à laquelle ils ont ajouté quelques perfection-
nements. Le cylindre supérieur, en cuivre, au lieu d'être en
bois, est cannelé, ce qui remplace en partie le battage des
anciens foulons. Il y a de plus, en avant, dpux cylindres can-
nelés verticaux, destinés à opérer le déplissage. Le drap,
placé dans un double fond, n'e.-t amené qu'au fur et à mesure
de l'avancement de l'opération. Cette machine est bien con-
struite et dans de bonnes conditions de travail.
En parlant des fouleu.-es, nous ne pouvons résister au désir
de dire quelques mots des ingénieuses machines de M. Lav.lle,
pour la fabrication des chapeaux de feutre. La première est
deslinée à condenser le poil et à donner à la matière une
forme conique. Le poil est amené par une toile sans fin à une
brosse tournant à très-grande vitesse, qui se projette par lori-
fice d'tme trémie sur un cône percé de trous, tournant très-
doucement, dans l'intérieur duquel un aspirateur produit un
vide imparfait. Le poil s'attache aux parois du cône et forme
une espèce de tissu que l'on plonge dans l'eau bouillante,
pour lui donner di^ l'adhérence, puis le feutre est porté à la
machine à fouler; on s'arrange de manière à placer entre les
rouleaux des épaisseurs à peu près égales, ce que l'on fait en
mettant It^s fuîmes l'une sur l'autre en sens contraire, la
partie supérieure étant toujours beaucoup plus mince que la
partie inférieure. La machine à feutrer se compose de deux
rangées de cylindres en feutre serré, disposés en quinconce
l'une sur l'autre , et entre lesquels s'engage l'étotfe. Ces
cylindres sont animés d'un mouvement très-lent de rotation
et d'un mouvement de translation, qui opèrent ce feutrage.
Les cylindres inférieurs trempent dans un bassin plein d eau
A L'EXl>08lTJ0iN UNIVEUSELLE. 'Ml
chaude, et une boite supérieure, munie de plusieurs robinets,
permet aussi de verser de l'eau chaude sur le tissu, condition
indispensable au feutrage. Le tissu se rétréc t de plus en
plus, en passant plusieurs fois dans cette machine, et arrive
à l'état convenable pour être mis sur forme; opération qui
se fait à la main. M. Laville a fait en outie quelques amélio-
rations à cette machine , et s'occupe encore de la perfection-
ner, de manière à en faire un appareil pouvant répondre aux
besoins de l'mdustriedrapière.
Le lainage a pour but de démêler les poils que développe
le foulage à la surface du tissu , et que l'action persistante et
prolongée des foulons froisse et mêle dans tous les sens. Lors-
que l'étoffe est lainée, c'est-à-dire lorsque les filaments sont
rangés, et pour ainsi dire peignés, aussi parallèlement que
possible, à la surface du tissu, l'étoffe est dite tirée à poils.
Nous trouvons dans l'exposition française quelques machi-
nes à lainer, et entre autres, celle de M. Beck-Deparrois, dont
la construcîion est véritablement remarquable.
La partie travaillante des machines à lainer est un cylindre
garni de chardons. Bien des tentavives ont été faites pour
remplacer les chardons naturels par des éléments mécaniques.
Ces tentatives étaient restées iusqu'à présent sans résultat.
M. Nos-d"Argence paraît avoir résolu le problème. Ses bros-
ses , exposées à côté de la machine de M. Beck-Deparrois,
sont composées d'un lissu de caoutchouc vulcanisé, garni de
pointes en laiton, par conséqu( nt moins oxydables, dont l'ex-
trémité offre la parfaite imitation du crochet du chardon na-
turel.
Dos attestations d'industriels, et plusieurs récompenses
décernées à M. Nos-d'Argence , nous permettent de penser
que ces chardons métalliques donnent un bon résultat, et
dans ce cas, son invention a une véritable portée.
Dans la partie étrangère , nous remarquons une laineuse
de M. Gessner, d'Aue (Saxe), dans laquelle le système de ten-
sion de 1 étoffe est obtenu à l'aide de deux séries de petits cy-
lindres à axes inclinés, et tournés en sens contraire. La
tension est parfaitement régulière, et peut être variée sui-
vant les besoins. La machine laine en six endroits diffé-
rents , et peut ainsi faire beaucoup plus d'ouvrage que les
machines ordinaires. L'exécution est remarquable.
378 VISITE
Les étoffes communes seules , telles que les couvertures,
les castorines , restent tirées à poils. Les tissus fins, comme
les draps, subissent au contraire, après le lainage, l'opé-
ration du tondage, dont le but est de couper et égaliser
les fibres qui ont été amenées à la surface par le précédent
apprêt, afin de faire présenter au tissu un duvet égal et d'une
longueur à peine sensible.
Ce travail se faisait autrefois à la main , au moyen de longs
ciseaux, appelés forces, dont la manœuvre, extrêmement
difficile et pénible, exigeait des ouvriers très-robustes et
habiles. La mécanique est venue remédier à cet état de cho-
ses , et les anciennes forces sont universellement remplacées
par des tondeuses mécaniques , dont l'élément principal est
un cylindre garni de lames hélicoïdales , tournant à grande
vitesse sur le tissu , dont on peut le rapprocher plus ou moins,
suivant le genre de drap à tondre et la période du travail.
L'étoffe doit être, en outre , parfaitement tendue, pour éviter
les accidents que pourraient causer un pli ou l'interposition
d'un objet étranger.
La première tondeuse mécanique fut la tondeuse transver-
sale, inventée par Collier, dans laquelle le cylindre porte-
lames chemine sur le drap. MM. Houget et Teston ont exposé
une machine de cette nature, qui vient compléter leur expo-
sition , déjà si remarquable.
M. Thomas , de Berlin , présente également une tondeuse
transversale , bien exécutée , dans laquelle on trouve quel-
ques perfectionnements de détail , pour régler la tension du
tissu et la distance entre la table et le couteau.
Ce système a un grand inconvénient ; le travail est inter-
mittent , et il y a une perte de temps notable. Aussi, Collier
lui-même chercha à l'améliorer et parvint à rendre l'opéra-
tion continue , en rendant fixe tout l'appareil tondeur, et
faisant passer le drap sur la table, entre les lames tran-
chantes.
La tondeuse, ainsi construite, est la tondeuse longitudi-
nale, qui, perfectionnée depuis, a presque totalement rem-
placé la précédente.
Plusieurs de ces machines sont exposées. Nous citerons
dans la partie française celle de MM. Schneider et Legrand,
et dans la partie étrangère, celle de M. Troupin de Verviers,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 370
et de M. Verken , d'Aix-la-Chapelie, dont nous avons déjà
mentionné l'assortiment de cardes à laine.
Nous terminerons ici la revue des machines de filature et
de tissage , regrettant que le cadre de cet ouvrage ne nous
ait pas permis de nous étendre sur cette partie dont l'intérêt
est incontestable , et nous ait forcé d'abréger considérable-
ment bien des détails qu'il eût été désirable de donner.
CLASSE VIII.
Arts de précision. — Industries se rattachant aux sciences et à
l'enseignement. — Poids et mesures. — Appareils divers de mesu-
rage et de calcul.
Bien que les poids et mesures soient peu nombreux, ils
offrent cependant un intérêt particulier dans la collection
appartenant au Conservatoire impérial des arts et métiers.
On y trouve des mètres et des kilogrammes rigoureusement
conformes aux prototypes déposés aux archives de l'État.
Cette conformité a été olitenue au moyen de méthodes et d'ap-
pareils dus à M. Silbermann, et qui permettent d'apprécier
directement, dans le vide, des fractions de deux à trois cen-
tièmes de milligrammes. Les kilogrammes ont une densité
uniforme de 8 , ce qui donne 125 centimètres cubes pour le
volume du kilogramme. Nous signalerons un comparateur-
balance de M. Silbermann, exécuté par M. Blanchi, pour
obtenir le rapport exact entre deux mesures , soit par exem-
ple entre le mètre et un pied étranger. Nous allons essayer
d'en donner une idée. Les deux mesures sont placées sur
le fléau d'une balance spéciale très-délicate, de manière à se
toucher sur l'arête du couteau central; puis les couteaux
des deux plateaux sont amenés à coïncider exactement avec
l'autre extrémité de chaque mesure. On établit d'abord l'é-
quilibre au moyen de poids quelconques; puis on place un ki-
logramme dans le plateau qui appartientà la mesure étrangère,
et on rétablit l'équilibre par le poids nécessaire dans l'autre
plateau. Ce dernier poids , exprimé en fractions de kilo-
380 VISITE
giaunue, donne la longueur exacte de la inusurf conij)arée au
melre, puisque, dans ce cas, les poids sont en raison inverse
de la longueur des bras de levier, et que ceux-ci ont exacte-
ment la longueur des mesures à comparer.
Une pat tie des pièces qui composent la collection du Con-
servatoire figurent également dans les expositions de M. Blan-
chi et de MM. P\ibre et Kunemann.
M. Richer expose un mètre divisé, sur lequel trois verniers
s'accordent à un deux-centième avec la division.
On trouve chez M. Deleuil des balances et des poids et
mesures très-bien exécutés.
Un vif intérêt s'attache à la grande machine arithmétique
de M. Thomas, qui donne des produits de trente chiffres.
C'est du liiNO, même pour les calculs astronomiques les plus
élevés , qui n'auront probablement jamais besoin d'une aussi
minutieuse approximation. Ajoutons que des appareils beau-
coup plus molettes dans leurs prétentions permettent de sa-
tisfaire aux exigences ordinaires.
N'oublions pas de signaler à l'attention des visiteurs les
machines à calculer de MM. Maurel et Jayet , qui sont placées
dans l'Annexe.
Nous signalerons les règles logarithmiques de M. Gravet
qui, pouvant se replier sur elles-mêmes, donnent des nombres
beaucoup plus élevés que les règles ordinaires. Nous félicitons
M. Gravet de son heureuse idée. Les sept chiffres qu'on peut
lire sur sa règle dispenseront de recourir aux grandes tables
logarithmiques,
M. Ribou, du Conservatoire, expose une machine très-
ingénieuse pour diviser les mesures courantes sur des plans
divers.
La balance monétaire si ingénieuse de M. le baron Séguier
figure parmi les produits de M. Deleuil. Les pièces jetées
dans une trémie sont pesées et divisées par l'appareil même
en trois lots distincts. Cinq balances y reçoivent cinq pièces
à la fois. Le soulèvement de chacune d'elles laisse l'aiguille
verticale si la pièce est droite de poids, ou la fait pencher
d'un côté ou de l'autre si cette pièce est supérieure ou infé-
rieur à la tolérance légale. Dans chacune de ces trois positions.
l'aiguille rencontre un obstacle distinct qu'elle met en mou-
vement, et qui découvre une ouverture spéciale dans laquelle
A i;K\P0SlilON L'NlVEKSEKLi:. :^81
la pièce tombe , d'où résulte la répartition indiquée plus
haut.
Nous n'avons que des éloges à donner aux balances en
tout genre qu'exposent la maison Schwilgué et la maison Dé-
ranger.
Nous signalerons , dans la partie anglaise , le yard-étalon
du Rev. Sheepshanks , dont la suspension sur huit rouleaux
s'équilibrant deux à deux est remarquable par la liberté
qu'elle laisse à la dilatation de la mesure.
Nous indiquerons, à côté, les balances de M. Oertling,
donnant les quinzièmes de milligrammes au moyen d'un poids
curseur sur le fléau.
M. Steinheil de Munich a exposé un mètre, un kilogramme
et un autre kilogramme subdivisé en treize parties. Le mètre
est en glace, et les deux kilogrammes, sont en quartz, moins
altérab;e que les métaux. Ils ont été étalonés. il y a quinze ans,
sur les prototypes français. M. Arago a constaté leur exacti-
tude à trois centièmes de millimètres près pour le mètre, et à
trois centièmes de milligrainmes pour les poids.
M. Litmana, de Stockolm, a exposé une très-bonne ba-
lance de précision, à poids curseur pour les plus petites di-
visions.
Les États-Unis sont représentés dans cette section parles
poids et mesures que, par l'entremise de M. Vattemare ,
ils ont donnés au gouvernement français. Ces pièces ne i-ont
pas le momd'O ornement des collections du Conservatoire.
Elles consistent en étalons du yard , de la livre, avoir du
poids, de ses multiples et de ses diviseurs, de la livre troy,
du gallon, dubuschel et de leurs subdiviseurs; enfin, en deux
balances de précision accusant le demi-milligramme, l'une
pour un kilogramme , l'autre pour dix kilogrammes dans
chaque plateau.
Ces magnifiques pièces ont été exécutées par M. Saxton,
chef des ateliers du bureau des poids et mesures de l'Union,
et vérifiées par le docteur Bâche, intendant général des poids
et mesures.
Eu échange de ce cadeau, la France a envoyé aux États-
Unis une collection complète de son système métrique , qui
paraît devoir prochainement être adopté par l'Union améri-
caine.
382 VISITE
Non loin de là se trouvent des mesures de longueur mé-
triques et autres en caoutchouc seulement, exécutées à Sains-
Denis par M. Mallet.
Horlogerie.
Jusqu'au x' siècle, la mesure du temps n'eut pour organe
que les gnomons ou cadrans solaires, les clepsydres à eau et
les sabliers.
Gerbert, né en Auvergne, et qui fut pape sous le nom de
Sylvestre II, serait, si l'on en croit la tradition, l'inventeur
des horloges à poids, comportant l'échappement encore ap-
pliqué dans les montres communes, sous le nom d'échappe-
ment à palettes ou à roue de rencontre. Ce qui est plus certain,
c'est que les premières horloges connues ont paru en Europe
quelque temps après sa mort, arrivée l'an 4 003.
La première mention d'une horloge à sonnerie a été faite
par dom Galmet vers M 20, mais il n'en cite pas l'auteur.
Vers 1370, Charles V, dit le Sage, fit venir, d'Allemagne à
Paris, Henri de Vie, pour y construire la première horloge pu-
blique qui fut placée dans la tour du palais, encore connue
sous le nom de Tour de V Horloge.
Mais, avant de pousser plus loin cette courte revue chrono-
logique, définissons en quelques mots les conditions généra-
les au moyen desquelles on arrive à la mesure du temps.
Une horloge, une pendule, une montre se composent, en
principe, d'une force motrice, poids ou ressort, agissant sur
une série de mobiles, roues et pignons, dont le dernier, si au-
cun obstacle ne s'y opposait, prendrait un mouvement de ro-
tation d'autant plus rapide que le nombre de ces mobiles se-
rait plus grand.
C'est en mettant un obstacle périodique au mouvement du
dernier mobile qu'on parvient à atteindre le but final qu'on se
propose, la mesure du temps.
Qu'on suppose, en effet, une aiguille fixée sur l'extrémité
d'un certain nombre des axes qui portent les roues et les pi-
gnons ; elles pourront indiquer, sur un cadran divisé, la vitesse
relative de chacun d'eux, de manière à marquer, par exem-
ple, les secondes pour l'axe qui ferait un tour en une minute,
les minutes pour celui dont la révolution se fait en une heure,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 383
et enfin les heures pour l'axe dont la période est de douze
heures.
Jusqu'au milieu du xvii' siècle, l'obstacle au mouvement
continu du rouage, et auquel on a donné le nom d'échappe-
ment, a eu pour régulateur, très-peu exact, de la périodicité, le
balancier circulaire qui est resté, grâce aux perfectionnements
postérieurs, celui des pièces portatives.
En 1583, Galilée, se trouvant dans la cathédrale de Pise, fut
frappé de la régularité des oscillations d'un lustre suspendu à
la voûte. Il en conclut la possibilité d'obtenir, d'un poids sus-
pendu à un fil, des conditions de précision jusqu'alors incon-
nues dans la mesure du temps.
L'expérience lui apprit que plus la longueur du fil était
grande, plus les oscillations du peîidule étaient lentes, et réci-
proquement.
Il ne tarda pas à constater que la durée des oscillations
d'un pendule est comme la racine carrée de sa longueur, ou en
d'autres termes que les longueurs des pendules sont comme les
carrés du temps de leurs oscillations. Plus tard il constata que,
pour un même pendule, les grandes oscillations ont plus de
durée que les petites.
Sous cette forme si simple , le pendule devint , entre les
mains de Galilée, un instrument précieux pour les observa^
tiens astronomiques.
En 1641, devenu aveugle et confiné, par suite de sa con-
damnation, dans la villa d'Arcetri, près de Florence, il expli-
qua à son fils Vincenzio, et à Viviani, l'un de ses disciples,
les conditions au moyen desquelles il avait imaginé d'appli-
quer le pendule aux horloges, et mourut quelques mois après,
c'est-à-dire le 8 janvier 1642.
Ce ne fut toutefois que dans le mois d'avril 1649 que Vin-
cenzio Galilée entreprit l'exécution matérielle de l'invention
de son père. Sa mort, arrivée le 16 mai suivant, empêcha l'a-
chèvement complet de l'horloge, à laquelle il ne manqua tou-
tefois que les dispositions particulières au mouvement et à
l'ajustement des aiguilles.
Ces détails se trouvent consignés dans une lettre de Viviani
au cardinal Léopold de Médicis, sous la date du 20 août 1659.
On y trouve la description des conditions réalisées; mais cette
description était alors accompagnée de dessins (^ui en facili-
384 VISITE
talent l'intelligence, et qui n'ont pas été retrouvés avec le
texte de la lettre, publié en 1821.
En étudiant ce texte, en en discutant les expressions, M. Bo-
quillon est parvenu à rétablir l'œuvre de V. Galilée, qui fi-
gure aujourd hui à l'Exposition parmi les beaux produits de
M. J. Wagner neveu, auquel l'exécution en a été confiée. Cette
pièce est destinée au Conservatoire impérial des arts et mé-
tiers.
En i658, Huyghens publia à la Haye un opuscule dans le-
quel il décrit les conditions imaginées par lui de celte même
application.
En 1666, l'Académie del Cimento publia ses Saggi. Elle y
annonce qu'elle s'est servie, dans ses expériences, d'une horloge
à pendule dont Galilée avait eu la première idée, réalisée
plus lard par son fils.
Huyghens réclama contre cette assertion, et c'est à l'occa-
sion de sa réclamation que paraît avoir été écrite la lettre de
Yiviani.
Nous avons dit que le balancier circulaire était resté le ré-
gulateur des pièces portatives. Jusqu'à l'époque où nous
sommes arrivés, ce régulateur méritait à peine ce nom qu'il
justifia beaucoup mieux lorsqu'on lui eut appliqué la résis-
tance d'un petit ressort spiral qui , bandé par le mouvement
du balancier dans une direction, réagit pour le ramener dans
la direction contraire. C'est vers 1674 qu'on fit cette appli-
cation, également réclamée par Huyghens, mais que lui con-
testèrent Hooke en Angleterre, et en France l'abbé Haute-
feuille.
Mais un pendule , un balancier circulaire se dilatent par
la chaleur, se contractent par le froid, et la persistance indé-
finie de leurs dimensions est d'une nécessité absolue si l'on
veut obtenir, dans la marche de la pièce, toute la précision
désirable.
Vers 1726, Graham est parvenu le premier à obtenir cette
compensation pour le pendule en le terminant inférieurement
par un tube de verre contenant du mercure qui, s'élevantdans
le tube, lorsque le pendule s'allonge, et réciproquement,
maintient, à la même distance du [)oint de suspension, le cen-
tre de gravité du pendule, ou plutôt ce qu'on est convenu
d'appeler le centre d'oscillation placé un peu plus haut. Peu
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 385
après Harrison obtint le même résultat par la combinaison
de tiges de métaux dont la dilatation est différente. Cette
heureuse application a eu lieu vers le milieu du siècle dernier.
Mais c'est à Pierre Leroi, horloger français de la même époque,
qu'on doit la première compensation du balancier circulaire.
Galilée avait reconnu que, dans un même pendule, les os-
cillations n'avaient pas la même durée dans les grands et
petits arcs, ces derniers étant parcourus plus rapidement.
Huyghens y remédia en obligeant le centre de gravité du
pendule à parcourir un arc de cycloïde.
Mais, vers la fin du xvir siècle, l'invention de l'échappement
dit à ancre, par Hooke, permettant de ne faire parcourir au
pendule que de très-petits arcs circulaires, on put en obtenir
un isochronisme beaucoup plus exact. C'est à Ferdinand
Berthoud (1768) qu'on doit la découverte de l'isochronisme
du balancier circulaire pour les grandes et petites oscilla-
tions.
Un pendule ou un balancier circulaire ne peut conserver
indéfiniment, de lui-même, le mouvement qu'on lui a une fois
imprimé. Le frottement de ses points de suspension, la résis-
tance de l'air sont des causes qui diminuent, à chaque oscil-
lation, la quantité de son mouvement, et qui finiraient par
l'arrêter, si chaque perte n'était pas réparée par une res-
titution équivalente de mouvement.
Cette restitution s'opère par l'échappement , mécanisme
intermédiaire entre le dernier mobile et le pendule ou le
balancier. De sorte que si , d'un côté, ce dernier règle, par
ses oscillations isochrones , la périodicité du mouvement du
rouage, celui-ci lui restitue , à son tour, sous l'action de la
force motrice , le mouvement qu'il perd à chaque oscillation.
Mais cette restitution, pour une pièce bien réglée, doit être
rigoureusement la même à chaque instant, sous peine de faire
varier l'horloge.
Les inégalités de la force motrice , lorsqu'elle arrive au
dernier mobile , et qui sont produites par des causes aussi
nombreuses que variées , sont l'obstacle principal et presque
unique qui s'oppose à l'isochronisme des oscillations, puisque
la grandeur de l'arc parcouru est nécessairement en raison
de l'impulsion que cette force donne au pendule ou au balan-
cier.
200 ^
386 VISITE
Dans toutes les pièces d'horlogerie, la cause la plus
ordinaire de ces variations réside dans celles de la fluidité
des huiles, qui se modifie avec la température et diminue
avec le temps.
Dans les pendules ou horloges à poids, la rigidité des cordes,
variable avec l'état hygrométrique de l'air , produit encore
des variations correspondantes dans l'action de la force
motrice.
Mais c'est surtout dans les pièces à ressort que ces varia-
tions sont plus grandes par suite des inégalités souvent consi-
dérables que présente ce genre de moteur.
Le remontoir d'égalité, dont les premiers essais remontent
au commencement du xvii® siècle, a pour but d'y remédier.
Il consiste , en principe , dans un organe remonté périodique-
ment par la force motrice , et qui agit seul sur les derniers
mobiles de l'horloge.
Telles sont les conditions générales que comportent le plus
ordinairement les pièces d'horlogerie dites de précision. Toutes
sont susceptibles de réalisations très-diverses, et leur énon-
ciation préalable nous a paru nécessaire pour donner plus de
clarté aux indications trop concises auxquelles nous restreint
forcément l'espace accordé, dans notre revue, à cette portion
importante de l'Exposition universelle.
C'est dans le même but que nous placerons d'abord nos
lecteurs devant les produits de l'horlogerie monumentale ,
parce que les dimensions des organes permettent d'en saisir
et d'en apprécier le fonctionnement sans le secours de la
loupe , et que cette étude préliminaire leur facilitera beau-
coup l'intelligence des pièces dont la petitesse, et presque
toujours l'enveloppe , ne leur permettra pas de voir le mé-
canisme intérieur.
Le plus éminent des représentants de cette catégorie à
l'Exposition est sans contredit M. J. Wagner neveu, qui, après
avoir longtemps dirigé les ateliers de son oncle, a fondé sa
maison en 1836, et n'a pas laissé passer une seule exposition
sans y apporter de nouvelles conditions aussi remarquables
par leur utilité pratique qu'ingénieuses dans leurs disposi-
tions.
Il nous servira donc souvent de point de départ dans notre
appréciation trop rapide des progrès contemporains.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 387
Compensations.
La compensation de M. J. Wagner est d'une simplicité
remarquable. Une barre de zinc, ou mieux, de cuivre rouge,
plus homogène que le zinc du commerce, est placée horizon-
talement au haut de la cage de l'horloge, et vient buter contre
le talon d'un petit levier coudé en équerre, dont le bras
horizontal porte la tige du pendule. Ce talon est mobile au
moyen d'une vis de rappel pour régler sa position relativement
à la longueur du pendule et à celle de la barre de cuivre,
ainsi qu'à la dilatabilité de la tige du pendule. Lorsque la
barre de cuivre s'allonge par la chaleur, elle pousse le talon
du levier dont le bras horizontal se relève, et avec lui le pen-
dule dont les ressorts de suspension glissent dans la fente du
pince-lame, à partir de laquelle se mesure la longueur réelle
du pendule.
Une disposition analogue a été postérieurement imaginée
par M. Brocot père pour les pièces de cheminées. D'autres
artistes français, notamment M. Paul Garnier, ont modifié
d'anciennes dispositions de la compensation dite à gril, en
faisant agir les tiges les plus dilatables sur deux leviers, dont
l'extrémité porte une boule métallique relevée quand la tige
s'allonge, abaissée quand elle se raccourcit, ce qui maintient,
à la même distance du point de suspension, le centre d'oscil-
lation de tout le système.
Les horlogers anglais ont généralement conservé, pour le
pendule, la compensation à mercure de Graham. Nous
avons, toutefois, rencontré une exception chez M. Th. Cole,
de Londres. Sa compensation consiste en deux plaques su-
perposées, formées chacune de deux métaux différemment
dilatables. Les moins dilatables sont en regard, et le tout est
placé entre un écrou et la sphère métallique qui sert de len-
tille. Une élévation de température produit la convexité des
deux plaques, et par conséquent le soulèvement de la sphère.
Nous savons qu'une disposition du même genre a été très-
antérieurement appliquée par M. Duchemin, dont le succes-
seur, M. Redier , expose deux beaux régulateurs à gril dont
deux tiges sont en aluminium. La très-grande légèreté de ce
nouveau métal présente cet avantage de donner à un pendule
388 VISITE
compensé des conditions plus voisines de celles du pendule
théorique, en rapprochant le centre de gravité du système de
ce qu'on nomme en horlogerie le centre d'oscillation.
Nous regrettons que, dans l'exécution de l'horloge du Palais
de l'Industrie, M. Collin ait fait précisément le contraire , en
surchargeant le haut de son pendule de masses métalliques
qui éloignent notablement ces deux points l'un de l'autre.
Nous signalerons surtout, en regrettant de ne pouvoir les
décrire , les dispositions imaginées par MM. Ch. Frodsham ,
de Londres, et qui permettent de diminuer ou d'augmenter les
effets de la compensation pour accommoder ses chronomètres
nautiques aux variations extrêmes de température qu'ils
peuvent avoir à supporter.
Échappements.
Plusieurs volumes seraient nécessaires pour décrire, même
succinctement, les nombreuses variétés d'échappements qui
figurent à l'Exposition. Nous nous bornerons à signaler les
plus remarquables.
Disons d'abord qu'on peut les grouper en quatre classes
très-distinctes : Les échappements dits à repos , parce que ,
pendant une certaine portion de l'oscillation, le rouage est
complètement arrêté; l'échappement dit à recul, parce que le
rouage marche dans une direction , au moment où il donne
l'impulsion au pendule, et dans la direction contraire pendant
le reste de l'oscillation ; l'échappement dit libre, parce que,
l'impulsion donnée , le pendule ou le balancier est tout à fait
indépendant du rouage. Enfin ce dernier échappement est
dit à force constante lorsque le pendule ou le balancier reçoit
effectivement toujours la même impulsion , et que, comme,
dans les autres échappements, il n'est pas obligé de dégager
le rouage , de le mettre en liberté, fonction qu'exerce alors
un organe particulier. Chacune de ces classes peut encore
se subdiviser en échappements à chevilles, à ancres, à cy-
lindres, à palettes, etc., etc.
Des indications qui précèdent, il résulte évidemment que le
meilleur échappement est l'échappement à force constante.
Mais l'extrême délicatesse des organes qui le composent en
élève considérablement le prix.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 389
Le premier échappement de ce genre qui mérite véritable-
ment le nom que son auteur lui a donné , est d'Abraham
Bréguet, dont le petit-fils soutient dignement la haute ré-
putation, non-seulement pour l'exécution irréprochable des
pièces qui sortent de ses ateliers, et d'heureuses innovations
dans l'horlogerie de précision, mais encore par les progrès
sérieux que la télégraphie électrique doit à son intelligente
initiative.
Plus tard M. Paul Garnier atteignit le même résultat en
appliquant des conditions de principe à peu près identiques,
dans une belle pièce qui figure parmi celles qui composent
le trophée de l'horlogerie. Le même trophée contient une
magnifique horloge de M. Wagner neveu, comportant égale-
ment un échappement à force constante que nous recomman-
dons à l'attention des connaisseurs.
M. Vérité, de Beauvais, dont nous aurons occasion de par-
ler plus loin est également l'auteur d'un échappement à force
constante, qui figura très-honorablement à l'exposition de
1844, et qui, depuis cette époque, nous en avons la preuve,
donne l'heure avec la plus rigoureuse exactitude dans un
nombre considérable de pièces du palais de justice de Beau-
vais.
Si nous signalons un autre échappement de la même classe
qu'exposait M. Brosse, de Bordeaux, à la même époque, nous
aurons très-probablement épuisé complètement le sujet qui
nous occupe: car tous les autres échappements qu'il nous a été
donné d'étudier depuis l'exposition de 1 834, mettant à la charge
du pendule le dégagement du rouage, arrêté par une force né-
cessairement variable, lui faisaient dépenser , dans ce dégage-
ment, une force également variable que no pouvait exactement
compenser limpulsion constante qu'il recevait. On a pu
amoindrir, par des dispositions souvent très-ingénieuses, les
variations de la perte de force due à ce dégagement, sans
pourtant parvenir à les faire disparaître.
Nous placerons, dans cette dernière catégorie, un échappe-
ment à ressorts très-ingénieux de M. ïh. Cole, de Londres,
où ce dégagement est restreint à un degré remarquable.
Grâce à l'emploi des remontoirs qu'il a variés sous les
formes les plus ingénieuses, et à leur parfaite exécution, les
autres échappements de M. Wagner neveu approchent éga-
390 ' VISITE
lement très près de la limite théorique. Plusieurs présentent
des conditions aussi remarquables que nouvelles.
La roue d'échappement, dans la presque totalité des appa-
reils chronométriques, est l'avant-dernier des mobiles sur
lesquels s'exerce la force motrice qui y arrive successivement
amoindrie, et seulement capable de réparer les pertes de vi-
tesse du pendule. Aussi donne-t-on à cette roue la plus grande
légèreté possible. M. Redier a eu l'heureuse idée d'exécuter,
en aluminium, le métal le plus léger connu, des roues d'é-
chappement de deux des régulateurs qu'il expose. Espérons
que, parmi les qualités encore si peu étudiées de ce nouveau
métal, ou de ses alliages, se trouvera celle de résister aussi
bien que le cuivre au frottement des becs de l'ancre.
Nous signalerons également parmi les artistes auxquels
cette importante partie de l'horlogerie doit des progrès réels,
M. Achille Brocot, de la maison A, Brocot et Delettrez.
Isochronisme,
Mille tentatives ont été faites pour obtenir une même durée
dans les oscillations, quelles que soient les variations de la
force motrice sur le dernier mobile. Dans le plus grand nom-
bre, quant au pendule, le problème a consisté à maintenir une
même amplitude à ses oscillations. Nous signalerons comme
ayant obtenu un résultat très-satisfaisant dans cette direc-
tion, M. Loseby, de Londres, qui y est parvenu au moyen d'un
ressort très-flexible que rencontre le pendule lorsqu'il atteint
une certaine limite, et qui, réagissant sur lui, réduit d'abord
la longueur de la course dans une direction et accélère son
retour dans l'autre.
Mais cette disposition, d'ailleurs très-logique, exige une
très-grande délicatesse d'exécution et un assez long tâtonne-
ment dans le choix des ressorts et de la position qu'on doit
lui donner.
Nous croyons le problème résolu avec plus de certitude et
de précision au moyen des conditions exposées par M. J. Wa-
gner neveu.
Il donne au pendule, par une augmentation convenable de
sa longueur, une tendance au retard, constamment combattue
par un organe additionnel dont la résistance progressive, dans
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 391
des conditions qu'on peut faire varier à volonté, réduit d'a-
bord la grandeur ou la durée de l'arc d'oscillation, et s'ac-
croît ou s'amoindrit en raison même de la tendance à l'ac-
croissement ou à la diminution de cette même amplitude,
puis accélère le retour du pendule dans les mêmes rapports.
Dans les spécimens exposés, l'organe additionnel est un pen-
dule qu'il appelle satellite, beaucoup plus petit que le pendule
principal qui reçoit l'impulsion et auquel il est articulé.
Or, un petit pendule, livré à lui-même, fait ses oscillations
dans un temps plus court qu'un grand ; sa solidarité avec ce
dernier doit par conséquent accélérer l'oscillation commune.
Si l'on considère, d'un autre côté, que les points d'articu-
lation peuvent s'établir sur toute la longueur de chacun des
deux pendules ; que, par conséquent, on peut déterminer, à
volonté, l'amplitude des oscillations de l'un par rapport à une
amplitude donnée de l'autre ; et que, dans tous les cas, le
nombre de degrés parcourus par le pendule satellite est tou-
jours plus grand que pour le pendule principal ; qu'enfin,
pour un poids donné de celui-ci, on peut faire varier à vo-
lonté le poids du pendule satellite, on comprendra que, sur
trois conditions : longueur, poids et points d'articulation des
deux pendules, deux étant données, on peut trouver la troi-
sième satisfaisant aux conditions d'isochronisme pour les
grands comme pour les petits arcs. Car, dans certains cas,
on peut dépasser de beaucoup la limite, c'est-à-dire obtenir
de grands arcs plus rapidement parcourus que les petits.
L'isochronisme des oscillations d'un balancier circulaire ré-
sulte le plus souvent du choix du ressort spiral] employé, et
surtout de celui des points d'attache des extrémités de ces res-
sorts, dont l'élasticité , vu leur extrême finesse, est quel-
quefois sensiblement modifiée par les variations de la tempé-
rature. La maison Lutz, de Genève, fabrique des spiraux, pour
montres et chronomètres , qui ont l'incroyable propriété de
rester identiques à eux-mêmes après avoir été chauffés sur une
plaque d'acier préalablement blanchie et à laquelle on donne
un recuit qui dépasse le bleu foncé. L'expérience, répétée un
grand nombre de fois par le jury de Londres, et récemment
par le jury parisien, a constamment donné le même résultai.
Ajoutons que le ressort trempé de nouveau ne présente aucune
variation sensible dans son élasticité.
VISITE
Isochronisme d"un pendule et d'un mouvement continu.
Nous avons dit que la condition fondamentale de tous les
appareils chronométriques résidait dans l'arrêt régulièrement
périodique du rouage, et par conséquent dans le mouvement
intermittent des aiguilles indicatrices de la durée des pé-
riodes.
Il était réservé à M. J. Wagner neveu de réaliser un mou-
vement continu rigoureusement isochrone, et qui plus est,
de régler cet isochronisme au moyen des oscillations alterna-
tives d'un pendule; en d'autres termes, de combiner une série
de rouages dans des conditions telles, qu'un certain nombre
des mobiles sont soumis à la condition d'un arrêt périodi-
que, tandis que les autres, marchant d'une manière continue,
sans aucune intermittence , règlent nécessairement leur vi-
tesse sur celle des mobiles qui subissent l'arrêt périodique.
La simultanéité du mouvement périodique et du mouve-
ment continu pour certains mobiles d'un même rouage résulte
d'abord de l'application ingénieuse d'un remontoir inventé
précédemment par l'auteur, et qui, au lieu d'être remonté à de
grands intervalles, l'est à chacune des oscillations du pendule
dont il détermine le mouvement par sa descente. Le poids de
l'ancien remontoir est remplacé par une cloche suspendue à
l'extrémité d'un levier; d'où il résulte que la cloche s'élève et
s'abaisse d'une certaine quantité à chaque oscillation du pen-
dule. Un volant à ailettes tourne dans l'intérieur de cette
cloche, sous l'action directe des mobiles dont le mouvement
est continu ; l'air renfermé dans la cloche se meut donc avec
les ailettes du volant qui lecliassent par l'ouverture annulaire
que forme l'intervalle qui sépare le bord inférieur de la clo-
che d'un plateau horizontal placé au-dessous. Cet air est rem-
placé, d'une manière continue, par une même quantité, à
laquelle une ouverture supérieure de la cloche livre passage,
mais qui , n'étant animée d'aucune vitesse, modère celle du
volant qui lui communique graduellement une partie de la
sienne. Supposant établi l'isochronismedes deux mouvements,
admettons une augmentation de la force motrice ; cette aug-
mentation ne produira aucun résultat sur le pendule qui ne
icçoit son impulsion que du remontoir; mais clic forcera
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 393
celui-ci à s'élever plus haut que dans l'état normal, et cette
plus grande hauteur sera proportionnelle à l'augmentation
de force motrice. Or, une plus grande hauteur du remontoir
produit le même résultat pour la cloche, et grandit propor-
tionnellement l'ouverture annulaire servant à l'écoulement de
l'air, qui s'échappe plus abondamment, mais est remplacé
par une quantité proportionnelle d'air nouveau dont l'inertie
s'oppose à l'augmentation de vitesse du volant , et, si tout
est convenablement réglé, maintient l'isochronisme de son
mouvement et de celui des autres mobiles avec celui du pen-
dule.
On voit que ces ingénieuses dispositions sont susceptibles
d'utiles et nombreuses applications. Au moyen d'un mouve-
ment continu et rigoureusemeut réglé, on peut pommer sur un
cadran ou sur un cylindre les plus minimes fractions du temps
avec l'exactitude la plus rigoureuse , et constater ainsi la
véritable durée de nombreux phénomènes dont l'étude avait
besoin do ces conditions. Déjà, sous l'inspiration de M. le gé-
néral Morin , un appareil a été construit pour démontrer
directement les lois de la chute des corps au moyen d'un long
cylindre vertical , tournant avec une vitesse uniforme, et sur
la circonférence duquel un poids tombant verticalement laisse
une trace permanente de son passage dans les instants suc-
cessifs de sa chute.
Ajoutons que, de tous les appareils chronométriques, celui-
ci estencore le mieux disposé pour transmettreélectriquement,
à toute distance, l'heure et ses plus petites subdivisions. Mais
avant de passer à la catégorie des horloges électriques, en
assez grand nombre à l'Exposition , ne quittons pas M. J,
Wagner sans signaler l'application qu'il a faite , à un rouage
de sonnerie, d'une denture hélicuïde qui , dans ses conditions
particulières, peut s'appliquer aux engrenages de force, et
que nous espérons bien voir employer prochainement à la
propulsion des navires par l'hélice, car cet engrenage com-
portant des pignons même d'une seule dent, permet la plus
grande vitesse possible du propulseur avec un très-petit nom-
bre de mobiles.
Les ditïicullcs que présente l'exécution de ce genre d'en-
grenages en ont jusqu'à présent restreint l'application pra-
tique. Nous avons vu, avec un vif intérêt, une machine très-
394 VISITE
ingénieuse de M. Deshays, au moyen de laquelle on obtient
des engrenages hélicoïdes avec la même facilité que les den-
tures ordinaires.
Au haut de l'un des escaliers du pont de communication
se trouve une pièce d'horlogerie qui présente les formes géné-
rales d>'un fléau de balance. Sur la vitrine on lit ces mots :
Cette horloge marche. Cette indication qui fait sourire les pas-
sants, est loin d'être superflue : car, malgré l'avertissement,
il faut une attention soutenue pour se convaincre que le
mouvement annoncé est réel. Le même écriteau ajoute que
cette horloge peut marcher pendant trente^trois ans sans
être remontée. Sans nous prononcer sur le mérite d'une pièce
que nous n'avons pu suffisamment étudier , nous dirons à
M. Thomas que, pendant les trente-trois ans, la pièce aura
plus d'une fois besoin d'être démontée pour changer les huiles
dont l'épaississement sera d'autant plus rapide, que le mouve-
ment de ses mobiles est plus lent.
Horloges électriques.
Les premières conditions sérieuses de l'application de l'é-
lectricité de la chronométrie remonteraient à 1838 , si l'on
adopte les assertions de M. Bain, qui toutefois, n'a pris sa
patente en Angleterre qu'en 1841 , ou à 1839 si, n'admettant
que des documents authentiques, on prend pour point de
départ le brevet bavarois de M. Steinhel.
En France, et presque simultanément, nous pouvons citer
MM. Froment (1846), Bréguet et P. Garnier. Disons cepen-
dant que celui-ci nous paraît être le premier qui en ait fait
une application publique dans une gare de chemin de fer où
une seule pièce d'horlogerie envoie électriquement l'heure à
un certain nombre de cadrans.
Parmi les pièces de ce genre qui figurent à l'Exposition,
nous signalerons d'abord celle de M. Froment, dont nous
allons essayer de donner une idée.
Au haut du pendule est fixé un petit bras horizontal armé
d'une pointe verticale au-dessus de laquelle se trouve une
petite masse suspendue à l'extrémité d'un ressort horizontal,
qui repose sur un levier portant un contre-poids en fer doux.
Lorsqu'à l'extrémité de la course, la pointe verticale du pen-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 395
dule touche la petite masse , le courant s'établit , le contre-
poids du levier est attiré par un électro-aimant , et le ressort,
livré à lui-même, laisse à la petite masse qui le termine toute
son action sur le pendule dont elle accompagne le retour
pendant un certain temps. Le contact cesse alors, le courant
ne passe plus , le contre-poids du levier retombe et l'autre
bras relève le ressort à sa hauteur première. Cette très-petite
pièce, indépendamment de ses propres aiguilles, fait marcher
à distance les trois aiguilles d'un grand cadran de clocher.
Examinons maintenant l'horloge électrique de M. Vérité,
de Beauvais.
Comme dans son horloge de 1844, les pertes de vitesse
de son pendule sont périodiquement réparées, à chaque os-
cillation, par l'action d'un même poids, qui prend ici la forme
d'une petite cloche métallique et qui se pose sur une pointe
placée à l'une des extrémités d'une barrette horizontale fixée
au pendule , sans que celui-ci ait aucun dégagement à pro-
duire, aucune résistance variable à vaincre. La pointe arri-
vée au contact intérieur de cette cloche suspendue à un fil
métallique très-fin, un courant électrique s'établit^ et un
électro-aimant abaisse une pièce mobile à laquelle la cloche
est suspendue, ce qui laisse à cette cloche toute son action
sur le pendule. Lorsque, au retour de celui-ci, le contact
cesse entre la pointe et la cloche, le courant ne passe plus;
mais il est rétabli bientôt dans un nouvel électro-aimant,
lorsqu'une seconde pointe , fixée sur l'autre bras de la bar-
rette , vient toucher une autre cloche placée dans les mêmes
conditions que la première , et dont les fonctions sont par
conséquent les mêmes.
C'est, comme on le voit, le poids seul des deux cloches qui
donne l'impulsion au pendule; et, comme ce poids reste
constant, comme la hauteur de leur descente est toujours la
même , l'impulsion que reçoit le pendule est constante dans
toute la rigueur du mot chronométrique, puisque le simple
contact du pendule avec la cloche détermine instantanément
les fonctions de celle-ci.
Si nous ajoutons que la source électrique à laquelle
M. Vérité emprunte la force motrice qui détermine l'abais-
sement des cloches est très-faible , qu'elle se compose d'un
seul couple d'une extrême simplicité, dont l'action utile peut
396 VISITE
se prolonger plus de six mois sans qu'on ait besoin de s'en
occuper, nos lecteurs seront sans doute d'accord avec nous
sur le mérite exceptionnel de la pièce que nous venons de
décrire.
L'horloge électrique , qui figure parmi les magnifiques
pièces d'horlogerie de MM. Detouches et Houdin, est due à
la fertile imagination du gendre de ce dernier, M. Robert-
Houdin, l'habile et ingénieux sorcier, dont la réputation
bien méritée est aussi universelle que l'exposition qui nous
occupe. Si cette pièce n'a pas le caractère saisissant de sim-
plicité qu'offre l'horloge de M. Vérité , et que nous aurions
probablement trouvé très-remarquable dans celle de M. Ro-
bert-Houdin sans la présence de sa sœur aînée, nous loue-
rons, sans restriction, les dispositions vraiment ingénieuses
qui la distinguent et en font une pièce d'un mérite peu
commun , comportant au surplus tous les résultats que nous
avons signalés dans l'œuvre de son concurrent.
L'action des cloches de M. Vérité est ici remplacée par
celle de deux petits ressorts périodiquement bandés d'une
même quantité par deux électro-aimants, et dont la réaction
donne l'impulsion au pendule.
M. P. Garnier, par une heureuse application de l'échappe-
ment à force constante dont nous avons parlé plus haut , a
également réalisé les conditions d'une horloge purement élec-
trique, en donnant à un électro-aimant la mission de relever
périodiquement le poids qui donne l'impulsion au pendule.
Enfin nous indiquerons, comme envoyant électriquement
l'heure à deux cadrans, l'horloge même du Palais de l'In-
dustrie, exécutée par M. Collin.
Après avoir signalé les points saillants et pour ainsi dire
exceptionnels de l'exposition chronomélrique , il nous reste
à parler des fabricants qui se sont bornés à se distinguer
par l'excellente exécution de leurs produits ou par quelques
conditions de détail d'une moins grande importance.
Disons d'abord que parmi les exposants déjà nommés,
aucun ne doit être exclu de la catégorie que nous abordons ,
et que les pièces exécutées par eux ne le cèdent à aucune
autre en qualité ou en élégance.
En grosse horlogerie, nous signalerons d'abord M. Gourdin
de Mayet (Sarthe) , dont les pièces intelligemment composées
Z91
sont d*une exécution assez remarquable pour se passer de
cette coquetterie de frisé, tout au plus tolérable dans les
pièces de petites dimensions, et qui a le grave inconvénient,
en offrant à la vue un papillotage qui l'éblouit, de déguiser la
pureté des formes et le mérite des ajustements.
Nous dirons de M. Collin que son horloge du Palais de
l'Industrie offre un ensemble des plus élégants , d'une symé-
trie irréprochable, digne en un mot du monument qu'elle
décore; mais qu'il est à regretter que le court espace de
temps qu'il annonce avoir été employé à sa composition et
à son exécution , lui ait fait fendre des dents de roues dont
les faces ne sont pas parallèles à l'axe, et qui ne touchent
les ailes des pignons ou les fuseaux des lanternes que par
une arête qui y laisse une trace bien marquée; qu'enfin
le défaut de concentricité entre la grande roue qui commande
les cadrans destinés à indiquer l'heure relative de différents
pays , rend l'engrenage de cette roue trop fort sur certains
points, trop faible sur d'autres. Nous l'engagerons, lorsque
le temps le lui permettra , à faire disparaître aussi le tré-
mulement fâcheux de son remontoir au moment où il arrive
soit au bas soit au haut de sa course, et qui se communique
jusqu'à la roue d'échappement.
En copiant les dispositions si intelligentes et si écono-
miques employées par M. J. Wagner neveu pour appliquer
la fonte aux sonneries des horloges publiques, M. Blin aurait
dû pousser l'imitation jusqu'au bout, en laissant sur la face
libre des pignons le collet qui , chez le premier, donne à la
denture une solidité plus grande. Les horloges de fonte de
M. Hudde ont le même point de départ. Nous ne sommes
cependant pas absolument convaincus que ses axes en fonte
présentent toute la solidité désirable.
L'horlogede M. Petry présente cette singularité d'un balancier
circulaire appliqué à une pièce fixe. Les conditions de son
échappement nous ont paru remarquablement ingénieuses,
mais nous avons quelque peine à croire que ces conditions réa-
lisent l'économie annoncée sur l'emploi du pendule ordinaire.
Dans l'horloge de M. Hirt, la sonnerie des quarts remonte
le mouvement proprement dit. Cette disposition ne nous paraît
pas nouvelle en tant que but. Nous remarquons aussi un peu
de complication dans son échappement.
398 VISITE
Nous n'émettrons pas d'opinion sur le mérite des échappe-
ments en corne de M. Galle. C'est au temps seul à prononcer.
Nous dirons seulement qu'il a été précédé dans cette applica-
tion par M. Duclos, auteur de ces pendules en carton qui ont
si longtemps figuré dans le passage Vivienne.
Enfin les pièces de i\I. Dorléans nous ont paru d'une exécu-
tion très-convenable.
Après un commencement d'établissement dans l'Annexe,
M. Bernardin, au moment où nous écrivons, remonte sur le
palier du grand escalier sud du Palais une immense pièce qu'il
désigne sous le nom d'horloge astronomique, et qui est recou-
verte d'un nombre considérable de cadrans donnant chacun
une indication distincte.
Les horloges monumentales venant de l'étranger sont peu
nombreuses à l'Exposition ; la plupart n'y marchent pas ou
sont placées de manière à ne pouvoir être convenablement
examinées.
Nous pouvons indiquer toutefois comme présentant des
conditions d'une exécution convenable l'horloge de M. Mann-
kardt, à Munich, placée dans l'axe de l'Annexe, celle de
M. Bennet, à Londres, occupant la même position dans la
partie anglaise; et celle de M. Weiss, de Gross-Glogau (Silé-
sie) , placée dans la galerie nord de l'Annexe. Cette dernière
présente une disposition de remontoir à barillet caché dans
un pignon, qui n'est pas nouvelle en principe, mais qui offre
un caractère original.
Petite horlogerie.
L*espace et surtout le temps nous manquent pour établir les
distinctions plus ou moins exactes, mais consacrées entre
l'horlogerie dite de précision et celle du commerce; et, comme
les noms que nous allons citeront tous acquis une honorable
réputation par la qualité de leurs produits, nous croyons ne
pouvoir mieux faire que de suivre à leur égard l'ordre alpha-
bétique du catalogue.
Nommer MM. Berthoud , c'est rappeler un nom justement
célèbre et toujours dignement porté. Nous avons déjà fait la
même remarque à l'occasion de M. Bréguet.
Nous reproduisons ici le nom de M. Ach. Brocot, comme au-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 399
teur de quantièmes non moins variés qu'ingénieux dans leurs
combinaisons et qui donnent les lunaisons à moins d'une tierce
près par mois. Nous ajouterons que la maison Brocot et De-
lettrez se distingue aussi par la beauté et Télégance de ses
bronzes d'art.
M. Brocot aîné, frère du précédent , se recommande égale-
ment par l'excellente qualité de ses produits.
Dire que M. Dumas, de Saint-Nicolas, est le digne succes-
seur de M. Motel, son beau-père, pour la fabrication des chro-
nomètres et des pièces de précision, c'est nous dispenser de
toute autre formule d'éloge.
La réputation de M. Jacob, également de Saint-Nicolas, est
trop bien établie depuis longtemps dans la même carrière pour
que nous ayons besoin de le signaler autrement que par son
nom.
Les pièces de précision , exécutées par W. Raby, acquéreur
de la fabrique d'horlogerie de Versailles, jouissent d'une répu-
tation méritée.
M. Redier, dont nous avons déjà fait connaître les heureuseâ
applications de l'aluminium, se distingue non-seulement par
la parfaite exécution et l'élégance de ses pièces de précision,
mais encore par l'immense fabrication de petits réveille-matin
à bas prix qui, en y comprenant des pendules portatives,
presque toutes destinées au marché anglais , s'élève annuel-
lement au chiffre énorme de 35 à 40 000 pièces.
Les compteurs à pointage de M. Rieussec se recommandent
toujours par leurs prix modérés et leur bonne exécution.
Enfin nous terminerons cette nomenclature des exposants
français par M. Henri Robert qui s'est fait depuis longtemps
une réputation méritée dans la construction de ses pièces tant
de précision qu'à l'usage civil.
Nous sommes bien moins renseignés sur les produits chro-
nométriques des nations étrangères. Toutefois, nous avons
pu en étudier suffisamment quelques-uns pour en donner à
nos lecteurs une appréciation motivée.
Dans la partie anglaise nous pouvons, sans craindre d'erreur
possible, signaler M. Ch. Frodsham comme le représentant le
plus éminent de la chronométrie britannique. Sa maison fon-
dée par le célèbre Arnold, a conservé, sous la direction de son
père et la sienne, les bonnes traditions du maître, qui, dans
400 VISITE
les mains du possesseur actuel, se sont, en même temps que
ses propres découvertes , formulées en règles pratiques que
M. Ch. Frodsham a généreusement livrées à la concurrence
du monde entier, au moyen de tables dont la publication est
assurément un bienfait pour l'horlogerie de précision. Nous
engageons ses confrères à examiner, avec le soin qu'elles
méritent , les ébauches de ses balanciers compensateurs
où se retrouvent toutes les phases successives de leur exécu-
tion.
Indépendamment de la bonne exécution de ses pièces,
M. Cole , déjà nommé, se distingue surtout par l'originalité,
l'élégance et le bon goût des accessoires qui les décorent.
Nous n'avons également que des éloges adonner à iMM. Au-
bert et Klaftenberger, Davis, Frodsham et Baker, Nicole et
Capt, Poole, et enfin Webster dont les produits soutiennent
dignement la réputation de l'horlogerie anglaise.
L'horlogerie suisse est représentée par 76 exposants qui
pour la plupart ont une réputation bien méritée. Dans l'im-
possibilité d'assigner un rang à chacun d'eux, pressé que
nous sommes par le temps et l'espace, nous signalerons comme
les plus remarquables, par l'importance de leur fabrication et
l'excellence de leurs produits, MM. Paleck, Philippe et Cie, à
Genève, et E. Audemars, au Brassus, canton de Vaud.
Dans les États sardes, nous appellerons l'attention des con-
naisseurs sur les magnifiques produits de l'École royale
d'horlogerie, dirigée par M. Benoit, ancien fondateur de la
fabrique de Versailles.
En Bavière, nous indiquerons à la curiosité de nos lecteurs,
moins l'horloge dite polytopique de M. Henle, de Munich, qui
au moyen de dispositions longtemps employées avant lui,
donne l'heure actuelle pour un grand nombre de lieux divers,
que la notice fort originale qu'on trouve souvent au bas de
cette pièce, et qui a pour but de prouver l'existence simulta-
née de trois jours consécutifs de la semaine pour certains
lieux découverts par des navigateurs , les uns venant de l'O-
rient, les autres de lOccident.
Dans l'exposition autrichienne, nous signalerons l'impor-
tante fabrication de la maison Suchy et fils, à Prague , qui
alimente de pendules la presque totalité de l'Allemagne.
Enfin, nous retrouvons en Danemark le nom célèbre de
A L'EXPOSITION UiNIVERSELLE. 401
Jurgensen, dont le fils nous paraît soutenir dignement la ré-
putation.
La plupart des produits dont nous venons d'entretenir nos
lecteurs ne constituent pas, dans les mains des exposants, une
véritable fabrication dans le sens ordinaire du mot. Un trèS'
petit nombre exécutent la totalité des pièces qui entrent dans
une pendule ou dans une montre. Le blanc, c'est-à-dire le
mouvement entier, moins l'échappement, leur est fourni par
des fabricants dont les produits vont maintenant nous oc-
cuper.
La maison Japy , de Beaucourt (Haut-Rhin), occupe évi-
demment le premier rang dans cette fabrication par l'abon-
dance incroyable de sa production, par le bas prix et la bonne
qualité de ses produits, qui trouvent de nombreux débouchés
dans le monde entier.
Saint-Nicolas d'AUiermont, village des environs de Dieppe,
est le rival de Beaucourt. Mais la fabrication y est divisée en
un certain nombre de maisons, parmi lesquelles la plus con-
sidérable, en même temps que l'une des plus en réputation,
est celle de MM. Borromée Délépine et Candey, qui ont ac-
quis l'établissement justement célèbre de Pons, fondateur
de cette fabrication à Saint-Nicolas.
Parmi les autres maisons de cette localité dont il nous a
été donné d'apprécier les produits , nous citerons MM. Dumas
et Jacob déjà nommés, et Cailly aîné.
A Besançon , nous citerons MM. Ferrier et Bataille aîné; à
Montbéliard, MM. Marti et Vincenti ; et à Berne (Doubs),
M. Japy fils.
Nous allons dire quelques mots d'une espèce d'horloges qui,
par leurs dimensions, tiennent le milieu entre l'horlogerie
monumentale et celle dont nous venons de nous occuper. Elles
portent le nom de comtoises, parce qu'elles se fabriquent en
Franche-Comté. Leur marche est généralement très-bonne;
et, placées au haut d'une gaîne, elles figurent fréquemment,
dans beaucoup d'appartements en guise de régulateurs. Le
catalogue ne nous a révélé que deux exposants de cette caté-
gorie , ce sont MM. Bailly-Comte, père et fils, à Morez (Jura),
qui jouissent d'une réputation méritée, et Mme veuve Reydor
et fils, de la même ville.
Il nous reste à parler d'une dernière espèce d'horlogerie
206 aa
402 VISITE
dont l'énorme fabrication fait vivre un nombre considérable
d'habitants du grand-duché de Bade et du royaume de Wur-
temberg; il s'agit des coucous de la forêt Noire, qui malgré
les droits d'entrée et la distance, se vendent à un bas prix
incroyable dans les villages du monde entier. Le plus grand
nombre s'exécute en bois : axes, roues et pignons, pivots en
fil de fer, échappement en tôle pliée à la pince, et cependant
elles donnent l'heure avec assez de précision pour régler con-
venablement les travaux du cultivateur.
Parmi les dix-huit exposants de ces deux nations qui figu-
rent au catalogue, un seul accepte franchement le mot coucou^
et cinq désignent leurs produits sous le nom d'horloges de la
forêt Noire. Le mot horloge caractérise presque tous les au-
tres. Nous ferons cependant une exception pour M. Kalten-
bach, àFurtwangen (Tryberg), dans le grand-duché de Bade,
qui expose des pièces de marine.
Instruments de précision.
Les différentes industries qui concourent à la confection des
objectifs achromatiques sont en général représentées chez tous
les opticiens. Nous citerons d'abord, comme pièce marquante,
l'objectif achromatique de M. Lerebours, appartenant à l'Ob-
servatoire impérial de Paris. Cet objectif de 37 centimètres de
diamètre et de 8™, 80 de foyer est destiné au bel instrument
parallactique que M. Brunner finit en ce moment, et qu'il est
bien à regretter de ne pas voir figurer à l'Exposition.
Après cet objectif, nous citerons ceux de moindre dimen-
sion qui sont destinés aux lunettes. M. Bardou a exposé des
objectifs montés, c'est-à-dire des télescopes réfracteurs dont
la bonne qualité est généralement appréciée : il y a des lunettes
de ce genre depuis 2 mètres et plus de foyer jusqu'aux plus
petites dimensions; des quantités considérables en ont été
fournies par lui aux corps d'officiers des diverses armées en
Orient.
Pour les lunettes de petites dimensions, un artiste très-ha-
bile, M. Bertaud, a exposé des produits bien appréciés par
les hommes compétents. Ces produits ne sont pas seulement
des verres objectifs, mais toutes autres espèces de verres et
de cristaux employés en optique. Cette même spécialité de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 403
la taille des cristaux, pour la polarisation, a fondé la supériorité
de la maison Soleil , qui s'est en quelque sorte emparée du
monopole de ces produits.
M. Duboscq, aussi successeur de M. Soleil, mais pour la
partie instrumentale , a exposé tout ce que l'optique possède
de plus nouveau : son saccharimètre pour mesurer la richesse
saccharine des sirops , au moyen de la lumière polarisée , son
colorigrade par extinction , ses polarimètres , le photomètre
polarisant de M. Babinet, l'héliostat de M. Silberniann, modifié
à nouveau par l'auteur , les stéréoscopes par réflexion et par
réfraction , enfin tous les appareils et instruments d'optique
scientifique et industrielle sont fabriqués par cet habile con-
structeur.
M. Radiguet , si renommé pour ses verres plans parallèles,
en a exposé quelques spécimens.
Il faut encore citer M. Jamia comme constructeur d'objec-
tifs pour appareils photographiques. Il est parvenu , par le
choix de la matière employée et celui des courbures, à mettre
l'opérateur à l'abri du défaut de coïncidence entre le foyer
optique ou de l'image nette, et le foyer chimique qui con-
vient à la netteté de l'action sur les substances impression-
nables; ces foyers sont en général très-distincts.
Nous avons remarqué d'excellentes lunettes parmi les ob-
jets exposés par M. Steinheil, de Munich. Leur essai nous a,
une fois de plus, certifié le talent de cet habile artiste.
Dans l'exposition anglaise, cette spécialité n'est pas séparée
des instruments dans lesquels les verres sont employés.
On sait que, parmi les sciences d'observation, l'astronomie
est peut-être celle qui pousse la précision le plus loin; aussi,
les instruments qu'elle emploie demandent l'étude la plus
élevée de la part du savant et l'habileté la plus complète de
la part du constructeur. Plusieurs instruments figurent à l'Ex-
position , soit à l'état de modèles , soit à l'état de machines sé-
rieusement exécutées et prêtes à fonctionner.
Ces instruments sont des télescopes réfracteurs de diver-
ses dimensions; ces lunettes, quand il s'agit de préciser la di-
rection de leur axe par rapport aux lignes et aux plans aux-
quels l'astronome rapporte ses observations, ont besoin d'être
montées de manière à pouvoir déterminer sur des cadrans
divisés chacune deâ positions qu'ils occupent. L'instrument
404 VISITE
est un cercle mural, ou cercle méridien, ou lunette méri-
dienne, quand la lunette ne peut se mouvoir que dans le
plan méridien , par suite de la fixité des deux supports de son
axe horizontal. L'instrument est appelé théodolite ou cercle
astronomique, lorsque les deux supports sont montés sur un
plateau horizontal, mobile autour d'un axe vertical ; dans ce
cas le plateau lui-même est divisé et se nomme cercle azi-
muthal.
Enfin si l'appareil était incliné sur l'horizon de manière à
rester constamment parallèle à l'axe terrestre, il s'ensuivrait
que le cercle, divisé perpendiculairement à cet axe, serait pa-
rallèle au plan de l'équateur; ce cercle divisé se nomme alors
cercle équatorial , et l'instrument, dans son ensemble, se
nomme équatorial ou parallactique.
L'exposition française n'offre aucun instrument de la pre-
mière espèce.
Quant à la deuxième, M. Brunner a exposé un grand cercle
astronomique dont les cercles sont fixes, dont les vis d'arrêt
portent, sur un autre cercle concentrique, un cercle droit,
de manière à n'exercer sur celui-ci aucune pression; les cer-
cles sont divisés de cinq en cinq minutes, les micromètres
mesurent la seconde et laissent estimer le dixième de se-
conde.
Le même artiste a encore exposé un autre modèle de ce
genre, mais plus petit; ce dernier permet le retournement de
Taxe horizontal avec son cercle et sa lunette; la précision
qu'apporte ce retournement dans ces observations est presque
incroyable; en eiïet, une seule petite série d'observations
ainsi faites a donné, à très-peu près, le même chiffre que la
moyenne de dix mille observations faites avec de grands in-
struments qui n'ont pas la faculté de pouvoir être retournés.
Cet instrument, fixé dans le plan du méridien, remplace le
cercle mural.
Il est regrettable que M. Brunner n'ait pas été autorisé à ex-
poser le grand instrument parallactique qu'il achève pour
i'Ob&ervatoire de Paris : il eût bien figuré à l'Exposition par
sa bonne confection et ses dimensions colossales; sa lunette,
qui doit recevoir l'objectif de M. Lerebours , aura 8'", 90 de
longueur. Le pied, en fonte, a 6 mètres de hauteur et près
de 4 mètres de largeur dans le sens cju méridien. Les cer-«
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 403
clés divisés, ont 1"',80 de diamètre, et sont entièrement
coulés d'une seule pièce : limbe , rayons et moyeu en bronze ,
ont partout une même épaisseur ; afin de prévenir les inégalités
dans la dilatation , un soin particulier a présidé au moulage.
L'exposition de M. Brunner est encore remarquable par la
méthode qu'il emploie dans le mesurage des bases; sa dispo-
sition des deux règles de Borda , son aboutissage et son ali-
gnement méritent d'être étudiés.
Nous avons encore à citer en France , et dans la nef, une
lunette parallactique de M. Sécrétan, de 24 centimètres de dia-
mètre et de 4 mètres de foyer, placée au milieu de six tiges
parallèles, reliées entre elles par des tirants ; les extrémités de
ces six tiges sont à chaque bout prises dans une pièce métalli-
que qui se termine par un tourillon ; l'axe de rotation est si-
tué parallèlement à l'axe de la terre, ses extrémités sont ap-
puyées sur deux collets, fixés chacun sur son massif spécial en
granit; un mouvement d'horlogerie fait mouvoir l'axe.
M. Froment n'a jusqu'à présent exposé qu'un petit théodo-
lite, mais sa division , comme on sait, est parfaite. Le miroir
qu'il a exécuté pour M. Foucault, pour la détermination de la
vitesse de la lumière , tourne au moyen d'une turbine à va-
peur, sous haute pression , avec une vitesse de douze mille
tours à la seconde.
D'autres instruments, que M. Froment a construits, servant
à la démonstration de la persistance du mouvement de rota-
tion d'un mobile homogène autour de son axe, sont pareille-
ment exposés. M. Foucault démontre directement, par cet ap-
pareil, que le mouvement continue dans le plan même de la
première oscillation.
Nous citerons encore ici , en fait d'instruments de ce genre,
les cercles sextants et octants de M. Védy et de M. de Gravet ,
qui gardent le degré de supériorité que les maisons dont ils
sont les successeurs avaient acquis.
M. Porro, dont les produits sont placés dans le jardin ,
achève d'y installer un instrument équatorial , une lunette
zénithale cathyalitiqne d'un décimètre d'ouverture, un instru-
ment méridien, des lunettes, et divers autres appareils de
son invention, que nous regrettons de n'avoir pu examiner
encore.
Signalons cependant une ingénieuse combinaison de pris-
i6^ VISITE
mes, au moyen de laquelle un très-petit appareil devient im-
médiatement, entre les mains d'un naturaliste, un excellent
microscope ou une très-bonne longue-vue. Appelons égale-
ment l'attention sur le mécanisme non moins ingénieux qui
détermine le mouvement de la grande lunette, et qui nous
paraît appelé à recevoir de nombreuses applications indus-
trielles. 11 se compose de deux axes qui peuvent se com-
mander sous tous les angles, depuis 0 jusqu'à 90^, et dont
les rapports de vitesse peuvent être quelconques, depuis 0
jusqu'à l'unité.
Passons maintenant à un autre groupe d'instruments d'op-
tique.
M. Nachet expose des microscopes de première puissance
et de diverses dispositions, permettant à plusieurs personnes
à la fois de voir un même objet : il en a ainsi à deux, trois et
quatre corps , se réunissant par la réflexion sur des prismes
placés sur l'objectif combiné unique.
Il a poussé la confection des objectifs de microscopes jus-
qu'aux moindres dimensions ; ainsi, un de ses objectifs com-
posés a été combiné avec des lentilles de deux tiers de milli-
mètre de diamètre et un quart de millimètre de distance
locale : ce jeu unique est donné aux collections du Conserva-
toire des arts et métiers.
M. Oberhauser présente aussi des microscopes de très-bonne
qualité; il a apporté des dispositions propres à pouvoir exami-
ner les objets dans le vide : cette disposition offre de grands
avantages dans certaines circonstances.
Dans l'exposition de M. Chevalier figurent des microscopes,
un théodolite, des appareils d'optique pour la démonstration,
et des instruments de météorologie parmi lesquels un baromè-
tre étalon bien construit.
Les successeurs de Gambey tiennent à honneur de conser-
ver, dans leurs instruments divisés, théodolites, cercles répé-
titeurs, boussoles de variation, la supériorité qu'avait acquise
lillustre chef de cette maison.
M. Dumoulin a réalisé un instrument applicable aux grands
nivellements; cette machine, destinée à relever le profil d'un
terrain, se charge el!e-mênie d'en tracer une exacte repré-
sentation , sur laquelle on peut inscrire toutes les observa-
tions de distance et de hauteur.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 407
Nous ne pouvons décrire cet instrument enregistreur, mais
on comprend qu'à l'aide d'un pendule qui conserve une posi-
tion verticale, et d'un mouvement de papier, commandé par
une roue, il soit facile de réaliser, sous diverses formes, les
conditions qui viennent d'être indiquées.
Dans la division anglaise, le modèle en vraie grandeur du cer-
cle méridien de l'observatoire de Greenwich, mérite une atten-
tion toute particulière. Ce premier observatoire de l'Angleterre
n'est pas au milieu de la capitale, comme celui de Paris, mais
à quelques lieues de Londres, à une distance jugée suffisante
pour que toutes les influences d'un grand centre de mouve-
ment soient à peu près éteintes ; de plus, un sol solide et un
horizon bien découvert font de Greenwich un lieu parfait pour
toutes les observations stationnaires d'astronomie et de mé-
téorologie. Dans cet observatoire, les instruments sont isolés
les uns des autres; chacun est logé dans un pavillon spécial.
Le cercle de Greenwich présente des dispositions particu-
lières dont on peut saisir l'ensemble sur le grand modèle en
bois, mais dont les détails sont plus apparents sur les divers
modèles à demi-grandeur qui l'accompagnent.
Cet instrument, dont nous avons indiqué l'usage, est com-
posé comme il suit : sa lunette traverse le milieu de l'axe de
suspension horizontal , les deux bouts de la lunette s'équili-
brent l'un l'autre. Le cercle divisé est monté sur l'axe à la
droite de la lunette ; un cercle pareil , mais non divisé , est
à la gauche; il sert de contre-poids et porte les vis d'arrêt.
L'axe porte, vers les deux tourillons, sur deux anneaux, sus-
pendus chacun à un bras de levier dont l'autre extrémité
porte un contre-poids qui contre-balance le poids de l'instru-
ment qui arrive seulement à toucher ses collets sans les
charger.
L'axe roulant est creux, il porte un objectif et des repères
dont une lunette fixe, à distance, peut certifier l'invariabilité.
Pour certifier d'autre part l'horizontalité de la lunette, et,
par suite, le zéro effectif de la division du cercle, deux lunet-
tes horizontales, pareilles à la précédente, sont en avant et en
arrière de l'instrument, à la hauteur exacte du plan horizontal,
passant par l'axe des lunettes collimatrices qui, ainsi que les
supports de la lunette, sont établis sur des massifs de pierre
de taille bien fondés sur le sol. Cet instrument a une lunette
408 VISITE
d'environ 3 mètres, son cercle a 1'",60 de diamètre. Une dis-
position spéciale est apportée à cet appareil pour permettre la
"visée par réflexion sur bain de mercure; ce bain est porté sur
le côté d'un parallélogramme que l'observateur peut faire
mouvoir facilement et amener au point voulu; dans ce cas,
après avoir fait l'observation par réflexion , on fait l'observa-
tion directe et l'on obtient un angle double et une correction
d'horizon.
L'éclairage des divisions du cercle est bien disposé; six mi-
croscopes à vis micrométriques sont destinés à la lecture , et
cet appareil mérite , par son importance , une étude spéciale.
La lunette parallactique de M. Cooke, ainsi que celle de
l'observatoire de M. Hartwel , sont représentées par des mo-
dèles réduits à une petite proportion ; l'instrument de M. Hart-
wel est figuré avec tout le relief de son observatoire.
Les ingénieurs hydrographes ou de la surveillance des côtes
{coast surweij) d'Angleterre ont exposé deux de leurs règles,
pour mesurer les bases des triangulations, chacune de 4
yards; des thermomètres indiquent la température des rè-
gles, et des microscopes accouplés pointent sur les talons
saillants horizontaux des bouts en présence. Ces microscopes
sont à mouvement micrométrique. Les niveaux de pente de
la forme de ceux d'Egault, de petits et des grands théodolites
de Nairne, une lunette méridienne et son cercle à système
pour retournement, sont le bagage des instruments pratiques
de ce corps , nous disons pratiques , car ils portent tous la
trace d'un long service, preuve de leur bon emploi. Ils sont
accompagnés des travaux graphiques , gravés sur cuivre, des
matrices, planches et feuilles imprimées des caries et plans
qu'ils ont servi à relever.
L'institut polytechnique de Vienne a placé dans la nef une
lunette méridienne de 1"',80 de longueur, munie de deux
cercles divisés, chacun de oO centimètres de diamètre; l'in-
strument est établi sur deux massifs de pierre; il nous paraît
bien conditionné pour un observatoire particulier. Cet instru-
ment est fait par M. Starke qui expose encore d'autres instru-
ments de géodésie bien exécutés.
Parmi les instruments pour les sciences se trouve l'appareil
de M. Blanchi, adopté pour mesurer la densité de la poudre
de guerre ; c'est par le poids du mercure, dont on jauge le vo-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 409
lume par différence dans le réservoir qui contient ce liquide,
qu'on arrive à trouver la densité d'un poids déterminé de
poudre.
Le nouvel appareil de la condition des soies et autres ma-
tières filamenteuses de M. Persoz trouve nécessairement sa
place ici. La soie étant une matière très-hygrométrique , il
est devenu nécessaire, vu son prix élevé, de la vendre, en
tenant compte de son état de sécheresse ; à cet effet des
échantillons sont pris dans la masse, pesés d'abord , puis mis
dans une étuve chauffée à lOo degrés et pesés dans ces con-
ditions, après un séjour suffisamment prolongé ; la différence
entre les pesées indique le poids d'eau que la soie contenait
primitivement; il est facile alors, par une règle proportion-
nelle, de déduire, du poids du ballot, le poids d'eau qu'il ren-
ferme.
Un grand nombre de machines et d'appareils de physique
figurent à l'Exposition. MM. Fabre et Kunemann, successeurs
de M. Pixii , présentent une machine pneumatique, composée
par M. Silbermann jeune , et qui offre de grands avantages
dans des expériences complexes, vu qu'elle est disposée de
manière à correspondre à deux récipients à la fois, et qu'elle
permet l'introduction et la sortie simultanée de divers gaz.
Une collection de tuyaux et d'instruments d'acoustique dont
quelques-uns sont nouveaux, tels que le polycorde sur lequel
toutes les expériences acoustiques des cordes peuvent se réa-
liser; une machine électrique dont le plateau est en caout-
chouc vulcanisé, etc. ; enfin une pile hydro-électrique à un
seul liquide dont la construction est bien entendue.
MM. Breton frères exposent une quantité d'appareils élec-
tro-dynamiques appliqués soit à l'enseignement, soit à la mé-
decine.
M. Gollardeau soutient la réputation de ses aréomètres,
thermomètres et autres instruments en verre.
M. Fastré , qui s'occupe spécialement des baromètres et des
thermomètres, en a exposé plusieurs d'une construction excel-
lente. La graduation des tubes est parfaite.
M. Golaz a spécialisé son industrie en exposant les divers
appareils pneumatiques employés par M. Regnault dans ses
recherches sur la dilatation de l'air et des autres gaz, sur celle
du mercure , etc.
440 VISITE
M. Ruhmkorff expose des appareils d'un genre nouveau
qui ont pour but l'application de l'électro- magnétisme à
l'étude de son action sur les autres corps de la nature. Cet
habile constructeur a imaginé un appareil d'induction qui
produit des courants d'étincelles d'électricité statique, provo-
quées par l'électricité de la pile.
M. Walferdin expose le résultat de ses longues recherches
sur la thermométrie , au point de vue de la météorologie et
des expériences délicates. Citons son thermomètre à maxima
à déversoir, qui permet de faire servir la même échelle à
toutes les distances de l'échelle thermomélrique quoiqu'il ne
porte qu'un petit nombre de degrés, divisés en centièmes. Son
thermomètre à minima offre les mêmes avantages que le pré-
cédent. Ces deux instruments ont par lui été réunis en un seul.
Citons encore ses thermomètres, métastatique à mercure,
différentiel à alcool , hypsométrique remplaçant le baromètre
pour les mesures de hauteur, etc.
M. Walferdin remarquant que le thermomètre à mercure
peut indiquer depuis — 40, température de congélation de ce
liquide jusqu'à + 360 de son échelle, terme de son ébullition,
a ainsi une course de 400 degrés centésimaux, et comme la
température de — 40 existe à peine dans les régions les pius
froides de la terre, c'est-à-dire jamais dans les régions habi-
tées, il trouve que les observateurs, pour éviter les signes-j-
et— de notre échelle centésimale feraient mieux d'écrire 0 au
droit de — 40 mercure fondant, 40 au point de la glace fon-
dante, UO à l'eau bouillante et 400 au point du mercure
bouillant. En avançant ainsi l'échelle de 40 degrés toutes les
observations deviendraient positives, ce qui éviterait aux
observateurs une foule d'erreurs provenant de l'interpréta-
tion seule des signes. Cette considération ne nous paraît pas
suffisante pour changer les points fixes consacrés par l'usage;
mais l'instrument a l'avantage d'être d'accord avec le thermo-
mètre à air depuis le commencement de son échelle jusqu'à
près de 100 degrés au-dessus de l'eau bouillante; l'avance
qu'il prend jusqu'à l'ébullition du mercure est seulement de
iO degrés. Or pour cette dernière portion , peu employée du
reste, on est toujours tenu d'avoir une table de réduction.
Nous conseillons aux hommes de science de visiter cette ex-
position , car elle est curieuse à d'autres titres encore.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 411
On trouve en Angleterre les maisons suivantes :
M. Th. King expose des microscopes de grand prix. M. Pil-
lischer et MM. Smith et Beck n'exposent non plus que ce
qu'ils ont de mieux en microscopes. Mais nous n'avons pu
essayer ces instruments.
Les appareils météorologiques français sont peu nombreux.
M. Du Moncel expose une série d'appareils enregistreurs
électro-dynamiques ; ces appareils s'adressent déjà à plusieurs
genres d'observations , tels que les phénomènes thermométri-
ques et anémométriques. A l'exception des précédents instru-
ments, l'Exposition est relativement pauvre en France en in-
struments de météorologie. C'est en Angleterre encore qu'il
nous faut voir les appareils les plus intéressants.
La Société britannique pour l'avancement des sciences a
institué un observatoire météorologique à Kew, près de
Londres , pour la vérification des instruments de précision ,
magnétiques et météorologiques ; elle a exposé ces divers
appareils, fort remarquables tant dans leurs détails que dans
leur ensemble. Il est très-utile pour le météorologiste surtout
de visiter ce bel ensemble d'appareils tantôt automoteurs ou
enregistreurs, tantôt ordinaires, c'est-à-dire pour observation
directe, tantôt enfin pouvant fonctionner des deux façons, et
dont l'invention appartient à grand nombre d'auteurs.
Les instruments enregistreurs sont ou photographiques
ou à style. L'une des séries comprend les appareils de
M. Brooke, qui appartiennent au Conservatoire des arts et
métiers de Paris ; pour les thermomètres , la lumière fixe
d'un bec à gaz frappe la tige du thermomètre qu'elle tra-
verse pour aller ensuite frapper la feuille de papier photogé-
nique qui doit recevoir l'impression. Mais comme chaque di-
vision du thermomètre forme un obstacle au passage de la
lumière, cette division se trouve marquée sur le papier ; et
comme le mercure de la tige empêche aussi la lumière de
traverser, le sommet de sa colonne sera marqué sur le papier
par la limite de l'action éclairante ; quant à la succession de
l'observation, elle est obtenue parce que la feuille de papier
sensible se trouve entraînée sur un cylindre qui fait un tour
en 24 heures et reçoit ainsi l'observation non interrompue
pendant tout ce temps. Le baromètre a une disposition ana-
logue. Les boussoles de variation diurne, de variation de
412 VISITE
force horizontale et de force verticale, nécessaires pour l'é-
tude des forces magnétiques terrestres, portent chacune un
miroir sphérique sur lequel tombe la lumière d'un bec fixe ;
cette lumière, après sa réflexion sur le miroir, tombe sur un
système de lentilles cylindriques qui la concentre derrière
eux sur le papier sensible disposé comme pour le thermomè-
tre. Pour 6 appareils différents , il y a 3 cylindres tournants
qui portent le papier photogénique , qui après les 24 heures
d'observation est traité comme à l'ordinaire, pour faire venir
et fixer l'impression qu'il a reçue.
Une disposition remarquable, parmi les instruments patronés
par l'observatoire de Kew, distingue un anémomètre nouveau
de M. Robinson, qui donne la vitesse du vent. Il consiste en un
axe vertical dans lequel sont fixés 4 rayons égaux, à l'extré-
mité de chacun desquels se trouve une calotte hémisphérique :
ces 4 calottes sont comme 4 cuillers dont les manches se-
raient fixés à l'axe. Ce système à tout vent a une action rota-
toire toujours proportionnelle à l'intensité du courant. Divers
appareils de ce genre enregistrent de différentes manières.
Dans la montre de M. Eliot, on trouve quelques instru-
ments d'observation, parfaitement exécutés, particulièrement
pour la pratique des ingénieurs.
M. Adie expose un grand nombre d'instruments météorolo-
giques, baromètres, thermomètres, etc.
Ainsi que nous l'avons dit, ces instruments sont réunis
sous le patronage de l'observatoire de Kew, qui a représenté
d'une façon complète la disposition en plein air, mais dans
leur cabine à jalousies, de tous les appareils thermométri-
ques, hygrométriques, psychrométriques, etc.
On voit parmi eux de curieuses solutions trouvées par
M. Ronald pour l'enregistrement automatique des hauteurs
barométriques au moyen de la photographie.
La majeure partie des appareils enregistreurs sont à mou-
vement continu; fort peu ont un mouvement périodique;
sans aucun doute, les premiers sont de beaucoup préférables
aux derniers, quoique ces derniers l'emportent de beaucoup
encore sur les^observations isolées, faites par les observateurs
eux-mêmes.
On voit encore dans cette collection l'anémomètre de Ro-
binson, les baromètres étalons d'Adie, de Newcomen, et une
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 413
très-belle collection de boussoles d'observateur , faites par
Jones, par Baron et par d'autres constructeurs.
Cette réunion de plus de deux cents appareils forme le plus
bel ensemble d'instruments météorologiques, et sera pour
les hommes de science un des faits les plus considérables de
l'Exposition.
Dans l'exposition prussienne, nous avons remarqué un ba-
romètre enregistreur périodique de M. Hempel ; et parmi les
instruments de Geissler à Bonne, des hygromètres, des vapo-
romètres et des thermomètres hypsométriques ou pour mesu-
rer les hauteurs, dont les degrés sont divisés en mille parties.
Les cartes , modèles et documents d'astronomie , de géo-
graphie , de topographie et de statistique, sous le point de
vue de l'enseignement, sont assez largement représentés
à l'Exposition , particulièrement les cartes. L'imprimerie im-
périale a son pourtour extérieur tapissé de cartes géologiques,
de cartes générales et particulières, etc., dont les modèles
lui sont fournis par l'école des Mines et le dépôt de la guerre.
On y remarque surtout une carte de France au quatre-vingt
millième , qui est l'ensemble des cartes partielles exposées à
côté. Le ministère de l'agriculture , du commerce et des tra-
vaux publics a pareillement exposé des atlas de nivellement
et autres extraits des documents des ingénieurs des ponts et
chaussées.
M. Bauerkeller a produit de très-belles cartes en relief ou
gaufrées, en couleur, très-propres à l'enseignement de visu.
En Angleterre, nous trouvons plusieurs reproductions gal-
vanopiastiques de cartes gravées , ce qui permet d'extraire de
l'original telle ou telle carte spéciale. L'Autriche , l'Institut
impérial militaire de géographie à Vienne , présentent aussi
de belles cartes d'ensemble; nous dirigerons spécialement
l'attention sur celles de la direction de statistique administra-
tive , faites d'après le système de M. Streffleur, Ces cartes
forment des reliefs , mais avec des couches de niveau à éche-
lon ; ces diverses couches ont des teintes diverses , afin de
mieux faire apercevoir, dans les nivellements généraux, les
points de niveau. On comprendra de quelle utilité dépareilles
cartes doivent être pour le tracé des grandes voies de com-
munication. D'autres ont été faites par diverses administra-
tions dans des vues spéciales, en représentant par des courbes
414 VISITE
plus ou moins accidentées, des données statistiques de toute
nature.
M. Bardin, chef des travaux graphiques à l'École polytech-
nique, a exposé un très-grand nombre de reliefs en plâtre ser-
vant à l'enseignement du dessin en général ; parmi ces plans
en relief, à diverses échelles, pour l'étude de la topographie,
quelques modèles sont mis à l'effet par des teintes et des
couleurs qui font illusion, tant ils sont parfaits.
Un grand nombre d'études de stéréotomie représentent avec
une netteté parfaite les diverses surfaces des corps réguliers
ainsi que les pénétrations des uns par les autres ; enfin des
études des quatre grandes espèces de roches, sont des minia-
tures de pans de montagnes soigneusement relevés et réduits
à une échelle , qui permet de saisir d'un seul coup d'oeil tout
le caractère des diverses roches.
M. Silbermann jeune a exposé une très-grande suite de
tableaux représentant des appareils nouveaux en expérience
et un grand nombre de tableaux de chiffres qui en résument
les résultats ; ses tableaux peints à l'huile représentent , soit
les phénomènes optiques de diffraction ou de polarisation, soit
ceux tout aussi curieux et aussi instructifs de la météorologie;
composés pour le cours de M. Regnault, professeur de physique
au Collège de France, ces modèles constituent le plus bel
ensemble que possède l'enseignement des sciences physiques.
Un autre exposant, M. Mabrun, a fait des tableaux analo-
gues pour l'enseignement de la mécanique.
Enfin , MM. Armengaud, Fouché, A. Leblanc et Robert ont
exposé à divers endroits des tableaux représentant les plans
d'un grand nombre de machines industrielles. La plupart de
ces dessins sont d'une rare perfection.
Si dans la majeure partie des États étrangers, le matériel de
l'enseignement élémentaire fait défaut à l'exposition , l'An-
gleterre a cependant compris sa tâche et elle a exposé un
très-grand nombre de modèles pour l'art du dessin, à tous les
degrés et pour tous les genres; ces modèles sont pris dans
ses écoles de 1851. Quelques modèles gradués de sculpture
accompagnent pareillement cette collection, à laquelle sont
jointes des photographies, sur animaux vivants de toute es-
pèce, et un très-'grand nombre d'autres pour servir à l'étude
de l'histoire naturelle, ainsi que des modèlei parfaits d'ani*
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 415
maux pour le dessin ; la réussite de ces épreuves ne laisse
rien à désirer.
On voit aussi, tout auprès, diverses collections de figures
géométriques en fil de métal et nombre d'autres en relief,
servant pareillement à former le coup d'œil de Tèleve dessi-
nateur; ces figures rappellent entièrement la méthode de Fer-
dinand Dupuis, si bonne dans les résultats rapides, obtenus
à Paris et partout où on lui en demandait l'application.
CLASSE IX.
Industries concernant l'emploi économique de la chaleur,
de la lumière et de l'électrité.
Fabrication des allumettes chimiques. La fabrication des
allumettes chimiques , qui est aujourd'hui très-étendue , tire
son origine de l'emploi du phosphore découvert en Allemagne,
vers 4680. Après avoir passé par un grand nombre d'amélio-
rations, elle paraît enfin être arrivée à un haut degré de per-
fectionnement. Ainsi les allumettes bien fabriquées ne produi-
sent plus d'explosion en s'enflammant et ne projettent plus au
loin des parcelles de phosphore dont les brûlures sont si cui-
santes; les causes d'incendie sont ainsi considérablement ré-
duites. Ces précieux progrès résultent de la suppression du
chlorate de potasse; le soufre lui-même, qui paraissait être
indispensable à i'ignition du bois et dont l'odeur est si insup-
portable , a été remplacé par l'acide stéarique fondu. Le fait
le plus important qui soit, à cet égard, révélé par l'Exposi-
tion, consiste dans cette nouvelle préparation qui ne s'en-
flamme que quand elle est frottée sur une surface spéciale-
lement imprégnée de phosphore rouge.
Il n'est pas sans intérêt de suivre le mode de fabrication de
ce modeste produit , l'un des plus énergiques principes de
mouvement et de vie des innombrables créations de l'esprit
humain, amoncelées dans l'Exposition. On place les allumettes
dans des cadres où elles sont fixées pour être transportées en
plus grand nombre à la fois, et on les dépose ainsi &ur de#
446 VISITE
plaques en fonte, assez chaudes pour faire légèrement roussir
le bois; ce résultat obtenu, on les transporte immédiatement
sur d'autres plaques ou bassins plats pour les plonger de 3 ou
4 millimètres dans l'acide stéarique fondu aubain-marie, dont
une certaine quantité s'élève, par l'effet de la capillarité,
dans le tissu ligneux. Après refroidissement , on plonge les
allumettes, dans une composition, étendue à froid sur une table
de marbre et obtenue par le mélange, au bain-marie , de
phospore , de colle forte ou de gomme , d'eau , de sable fin et
de diverses matières colorantes, telles que celles qui ont servi
à produire les dessins exposés par divers fabricants.
Les allumettes sont ordinairement livrées au commerce
après la dessiccation ; mais, dans cet état, elles doivent être
conservées dans des endroits secs. Pour les mettre plus com-
plètement à l'abri de l'humidité, on a recours à une dernière
opération, qui consiste à recouvrir la pâte phosphorée qui
garnit leurs extrémités d'une couche d'acide stéarique, for-
mant un léger vernis.
L'exposition de l'Autriche, où l'industrie des allumettes est
exploitée sur une échelle si vaste, qu'on estime à vingt mille le
nombre des ouvriers qui y travaillent, présente des échantillons
très-remarquables en ce sens qu'ils sont le résultat de la fa-
brication journalière; le bois de l'allumette est travaillé avec
soin et la cause première tient au bas prix de la main-d'œu-
vre. Ce travail, qui exige un peu d'habileté, se fait manuel-
lement, car les machines à tailler les bois ronds sont encore
peu répandues. C'est dans cette partie de la fabrication des
allumettes seulement, que le consommateur peut prétendre,
surtout en France , à une plus grande amélioration dans les
produits.
Cette industrie est représentée en Autriche par les fabri-
ques de MM. Samuel de Majo, A. M. PoUak, J. Preshel et
N. Rœmer, à Vienne; MM. W. Suda et Cie, à Brlinn, Cl. de
Bretton, à Zlin, et B. Fiirlh, à Schiittenhofen ; en Suède, par
celle de Jonkoping, et, en France, par celles de MM. Ziegler
et Cie, à Remelfing ; Couturier et Cie, à Sarreguemines (allu-
mettes rondes à 12 cent, le mille jusqu'à 65 cent.), et pour les
allumettes de fantaisie; MM. Merkel, Eliot et Sigle, à Paris.
Combustibles destinés au chauffage économique. — Fabrica-
tion des houilles agglotnérées. L'extraction du charbon produit
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 417
une grande quantité de menus fragments, dont, il y a quinze
ans, les exploitations de mines trouvaient diflacilement le dé-
bouché, en raison de l'impossibilité de les brûler sur les grilles
des fourneaux en usage.
Ces établissements ont dirigé leurs recherches sur les
moyens d'utiliser avantageusement les menus charbons , et
divers procédés ont donné naissance à l'exploitation des péras
artificiels ou houilles agglomérées.
Les procédés consistent tous à laver et cribler mécanique-
ment les houilles menues pour en extraire les parties schis-
teuses et terreuses, à les concasser uniformément après
qu'elles ont été lavées et égouttées , et enfin , après avoir été
séchées à l'air , à les mélanger à chaud , à 200" environ ,
avec 8 parties de brai ou goudron de houille, à l'aide d'un
four circulaire dont l'intérieur est constamment en mouve-
ment. Ce mélange est transporté à bras ou mécaniquement
dans des moules de diverses formes, puis soumis à l'action de
presses hydrauliques puissantes. Ce moulage produit un con-
tact intime entre la houille et le goudron, et l'adhérence aug-
mente encore par le refroidissement.
Les houilles agglomérées ont ordinairement plus de consis-
tance que la houille naturelle, et, à cause de leurs formes ré-
gulières , elles tiennent à peu près deux dixièmes moins de
place ; leur prix est peu élevé, elles se brûlent très-régulière-
ment en produisant moins d'escarbilles et leur combustion
plus complète doit donner plus de chaleur que la houille seule
qu'elles contiennent. La conservation ne demande aucun
soin; les déchets qui consistent dans les résidus provenant de
la casse des fragments au moment où on les brûle, sont très-
faibles et ces différents avantages les font rechercher pour le
service de la marine.
La France présente à l'Exposition les plus beaux échantil-
lons de ces produits. On remarque , en etîet, un bloc de près
d'un mètre cube et les fragments d'un autre , exposés par la
Société des houilles de Saint-Elienne , dont l'usine spéciale
d'agglomérées est située à Givors.
Les mines de la Chazotte, à Saint-Etienne, présentent aussi
des échantillons très-remarquables par leur compacité et leur
brillant. Ce sont des cylindres de 8 centimètres produits à rai-
son de 5000 kilogrammes à l'heure, par une opération conti-
206 b&
4\S VISITE
nue sous une pression de 150 atmosphères et avec une force
motrice de 35 chevaux.
Le prix de 30 francs la tonne est marqué sur les produi^s
de ces deux usines.
Vient ensuite la Belgique représentée par MM. Dehaynin
père et fils, à Montigny-sur-Sambre , et par M. Van Cutsen
van Neerdingen, à Molenbeek-Saint-.lean-îès-Bruxelles, dont
les charbons sont solidifiés sans l'emploi du goudron et méri-
tent à ce titre un examen particulier.
Fabrication du charbon végétal moulé. Cette industrie , qui
date de quelques années seulement , est due à M. Popelin-
Ducarre; elle consiste à utiliser les débris de différentes ma-
tières carbonisées et agglomérées sous forme de petits cylin-
dres de dimensions semblables au charbon de bois, en em-
ployant le goudron provenant des usines à gaz pour relier les
débris entre eux. Cette fabrication , qui possède des analogies
avec celle des houilles agglomérées, est particulièrement re-
marquable par les procédés de moulage et de carbonisation
auxquels elle a recours. Le rôle du goudron y est différent:
non-seulement il participe à l'adhérence des particules , mais
encore et surtout il suffit en partie, par la combustion des va-
peurs de ses carbures d'hydrogène les plus volatils, à la car-
bonisation elle-même , en laissant jusqu'à 25 parties de son
poids de charbon.
Les opérations comprennent le broyage, le mélange, le mou-
lage, le séchage, la carbonisation et l'étoufîage qui s'exécu-
tent toutes par des moyens mécaniques. Les débris de ma-
tières combustibles employés sont ordinairement la pous-
sière de bois, le poussier de charbon de tourbe provenant des
fonds de bateaux et magasins, les résidus des usines à gaz et
des magasins de coke, et le charbon des brindilles des forêts,
des bruyères, etc., qui demande, pour être utilisé, une carbo-
nisation spéciale, mais largement compensée par une densité
d'environ 33 pour 100, et qui est toujours plus régulière que
celle du charbon de bois ordinaire.
Les matières premières de la fabrication des charbons ag-
glomérés par moulage et par carbonisation, qui se composent
uniquement de goudron et de charbon pulvérulent, donnent
lieu , suivant la proportion du goudron et la nature des rési-
dus des charbons employés , à des produits de qualités diffé-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 419
rentes ; ainsi, la première qualité de ces charbons est produite
par le mélange des poussiers de charbons de bois durs conte-
nant le moins de cendres et de 50 à 60 pour 1 00 de goudron ,
qui laisse encore , après la carbonisation , près du quart de
son poids de carbone pur dans le charbon moulé ; la seconde
qualité se compose de résidus de poussiers de différentes
origines et de 40 pour 100 de goudron de houille ; viennent
ensuite les résidus de tourbe, de coke, qui produisent plus de
cendres, mais donnent une combustion encore très-réguhère.
Aux cendres laissées par les charbons végétaux moulés, on
reconnaît qu'il entre dans leur composition une certaine quan-
tité d'argile qui atteint parfois jusqu'à 25 pour 100, et c'est
sans doute à cet agent, qui sulDsiste dans un grand état de
division , qu'est due la propriété conservatrice du feu que
possèdent ces charbons.
L'économie présentée par leur emploi en a répandu rapi-
dement l'usage, et l'Exposition nous montre que cette indus-
trie a déjà acquis une grande extension par le nombre des
usines qui fabriquent actuellement ce genre de combustible.
MM. Popelin, Ducarre et Cie exposent des charbons moulés
de leur fabrication courante, des charbons purs pour les piles
électriques et des modèles de machines et de fours à carbo-
niser.
M\L Testelin et Cie, Magniadas et Cie, Ad. Caron et J. Mil-
lochan présentent aussi à l'Exposition des échantillons de ces
produits.
Fabrication de la tourbe condensée et séchée, et de la tourbe car-
bonisée. La tourbe est une substance très-combustible, brune,
spongieuse et tendre , qu'on trouve en amas considérable
dans les terrains marécageux. Elle est presque toujours recou-
verte d'une couche de terre végétale ou de sable , el s'étend
ordinairement sur de grands espaces de terrain. Les tour-
bières sont formées par l'accumulation de débris de végétaux
disposés en couches horizontales séparées quelquefois par des
nappes de limon ; elles forment assez souvent des terrains sur
lesquels on ne peut marcher sans enfoncer, et présentent par-
fois Taspect d'îles flottantes à la surface des eaux. La couche
extérieure est d'une consistance spongieuse et lâche ; plus
bas, la tourbe est noire et compacte, et, vers le fond, les vé-
gétaux sont entièrement décomposés et forment une espèce
420 VISITE
de pâte assez liquide. La tourbe paraît se reproduire inces-
samment, mais on ne connaît pas encore le mode de sa for-
mation.
L'exploitation ordinaire consiste à débiter cette matière avec
la bêche , en briques qu'on fait sécher à l'air en les dressant
et appuyant l'une contre l'autre pour qu'elles égouttent; on
les range ensuite par tas et on les retourne de temps en
temps, puis on les dispose en meules au fur et à mesure
qu'elles sont sèches. Quand la tourbe est en bouillie , on la
met dans des moules où on la bat et la pétrit le plus souvent
avec les pieds.
Le chauffage de la tourbe est peu coûteux ; on n'en connaît
pas d'autre dans certaines parties de la France, de la Hol-
lande, du Hanovre, de la Westphalie, de l'Ecosse et aussi du
nord de l'Amérique; mais la tourbe a l'inconvénient de déga-
ger beaucoup de fumée , de donner une odeur très-féti^de et
d'occuper trop de place, à cause de sa faible densité, pour être
transportée sur d'autres lieux de consommation que ceux
avoisinant les points de son extraction.
Les améliorations ont consisté dans l'application de moyens
propres à comprimer ou condenser la tourbe naturelle et
dans ceux de sa carbonisation en vases clos. On est ainsi par-
venu à des résultats manufacturiers très-importants et l'on
obtient maintenant du charbon de tourbe excellent et à bas
prix qui s'emploie en grande quantité, même pour les besoins
domestiques.
Parmi les échantillons de ce produit, déposés à l'Exposi-
tion, on doit surtout remarquer les tourbes condensées et sé-
chées, les échantillons de tourbe travaillée et polie, de tourbe
carbonisée et d'agglomérés d'anthracite et de tourbe de
M. Challeton , à Clermond-Ferrand ; les tourbes carbonisées
de MM. Chabert et Cie, à Saint-Just-des-Marais , en France;
les briques de tourbe comprimée, de M. Kingsford, en Angle-
terre, et les tourbes naturelles de M. Scobell, à Montréal, au
Canada.
Fabrication des bougies. L'industrie de l'éclairage au moyen
de l'acide stéarique appartient entièrement à la France ,
c'est aux travaux de nos chimistes et de nos manufacturiers
que chacun doit de ne plus se servir de ces sales chandelles
de suif qui éclairaient nos pères; grâce à la chimie, la plus
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 421
pauvre famille est mieux éclairée maintenant dans son taudis,
que Louis XIV dans Versailles.
Les acides gras dont on fait les bougies s'obtiennent par deux
procédés différents, par saponification et par distillation; par-
lons du premier procédé qui est le plus anciennement connu.
C'est aux beaux travaux do M. Chevreul qu'on doit les pre-
mières idées nettes sur la constitution des corps gras. C'est
lui qui le premier a pensé à isoler les acides pour en faire des
bougies; mais à côté du nom de M. Chevreul il faut placer
celui de M. de Milly qui, le premier, a rendu les procédés
industriels et qui a tant contribué, en France comme à l'É-
tranger, à la création de l'industrie stéarique.
Pour obtenir les acides gras , on saponifie le suif par la
chaux, on décompose ainsi cette matière grasse en acides
gras combinés à la chaux et en une matière soluble dans l'eau,
la glycérine, qui n'a pas encore reçu grande application. Cette
combinaison des acides gras avec la chaux est décomposée
par l'acide sulfurique, on obtient ainsi du sulfate de chaux
et les acides gras du suif qui sont au nombre de trois ; l'un est
tout à fait liquide, l'acide oléique ; les deux autres sont solides,
l'acide margarique et l'acide stéarique. Le mélange des trois
acides est soumis à la presse , l'acide oléique s'écoule , les
acides solides restent donc seuls, il n'y a plus qu'à les fondre,
à les laver et à les couler dans des moules dont l'axe est oc-
cupé par des mèches tressées , préalablement plongées dans
une dissolution faible d'acide borique.
Ce procédé donne des produits très-beaux , mais il ne peut
s'appliquer aux matières grasses de toutes sortes , non plus
qu'à certaines huiles , comme l'huile de palme que l'Afrique
fournit cependant en grande quantité et à bon compte. Pour
obtenir l'acide stéarique ou l'acide palmitique au moyen de
ces différentes matières, il faut employer un autre procédé
dû en grande partie aux ;beaux travaux de M. Frémy, sur la
saponification sulfurique.
En traitant les suifs ou l'huile de palme par l'acide sulfuri-
que, on décompose ces matières grasses de la même façon
qu'en les traitant par la chaux. Les acides gras isolés sont
distillés au milieu d'un courant de vapeur d'eau surchauffée;
les produits débarrassés de l'acide oléique à l'aide de la
presse sont lavés et peuvent être livrés à la fabrication.
422 VISITE
L'acide oléique que nous avons vu éliminé par l'action de
la presse est employé depuis quelque temps à la fabrication
des savons.
Maintenant que nous sommes au courant des procédés,
passons rapidement en revue les produits exposés dans l'An-
nexe, qui renferme toutes les matières grasses propres à
l'éclairage.
L'Angleterre a exposé à l'entrée de l'Annexe, à gauche, une
vitrine plus riche qu'élégante, dans laquelle on remarque,
outre de fort belles bougies et de gros pains de savon, des
échantillons d'huile de palme successivement modifiée sous
l'influence des acides, jusqu'à la séparation complète de l'a-
cide palmitique, qui joue dans cette huile le même rôle que
l'acide stéarique dans les suifs. Au reste, presque toutes les
fabriques qui distillent, emploient l'huile de palme; les vitrines
des fabricants français (MM. de Milly, Poisat, Moinier et Jail-
lon) renferment également de beaux produits obtenus avec
cette huile de palme. Une des fabriques les plus importantes
dans laquelle on distille cette huile est celle de M. Motard, à
Berlin. Cet habile industriel ne se sert que de ce procédé, et
son exposition est remarquable sous ce rapport, car il est
parvenu, malgré les difficultés, à de très-beaux résultats.
M. le docteur Motard est Français, ancien associé de M. de
Milly, et c'est un des hommes qui ont le plus contribué à la
création de cette belle industrie stéarique.
L'Autriche est représentée par trois ou quatre grandes mai-
sons, celle de Milly Kerzen, qui porte encore le nom de fa-
brique de l'Étoile, celle d'Apollo Kherzen, dont la grande py-
ramide s'élève au milieu de l'Annexe; celle d'Himmelbauer
fournit aussi de beaux produits, parmi lesquels on peut re-
marquer un buste de l'Empereur en acide stéarique, qui n'est
pa? remarquable seulement par la difiiculté vaincue.
La Belgique et la France ont exposé de fort beaux échantil-
lons d'acide stéarique, entourés de faveurs blanches, roses,
tricolores, etc., qui sont placés dans la galerie sud de l'An-
nexe. Leur examen ne pouvant rien nous apprendre de nou-
veau, nous ne devons pas nous y arrêter.
En dehors des acides gras obtenus par la saponification et
la distillation, M. de Milly expose des acides bruts, saponifiés
avec une quantité de chaux extrêmement faible, 4 pour 100
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 423
du poids des graisses au lieu de 14 à 15 pour 100; de là, on le
voit, une grande économie, non pas tant de chaux, ce qui se-
rait peu important, que dacide sulfurique, ce qui l'est beau-
coup plus.
On comprend, en effet, que le savon calcaire produit ren-
fermant une quantité de chaux moindre, il faudra une quan-
tité d'acide sulfurique moindre aussi pour le décomposer.
A côté de ces produits obtenus plus économiquement, nous en
trouvons d'autres qui sont dus à un perfectionnement apporté
récemment à la production des acides gras par distillation.
Lorsqu'on traite les graisses par l'acide sulfurique, il arrive
ordinairement que cet acide agit trop énergiquemeat sur une
partie de la matière, il se forme des composes noirs, dus à la
désorganisation des suifs, et c'est autant de perdu ; M. Fremy
est arrivé récemment à empêcher cette action trop énergique,
à mieux régler l'opération, de façon à diminuer considérable-
ment ou même à supprimer entièrement les pertes dues à
cette action trop vive de l'acide sulfurique.
Dans le coin à gauche de la vitrine de M. de Milly se trouve
un grand flacon d'acide sébacique, acide gras solide obtenu
en grande quantité par M. Bonis. Cet acide peut déjà servir
utilement dans la fabrication des bougies et leur donne une
dureté et un brillant plus grands; il empêche la cristallisation
trop rapide, et, à ce titre, il est avantageusement mélangé
aux acides mous et trop cristallisés provenant de la distilla-
tion ; il remplace la cire que les fabricants étaient obligés
d'employer pour arriver aux mêmes résultats.
Enfin, à côté de eet acide sébacique se trouve un flacon
d'alcool caprylique, un corps complètement nouveau celui-là,
et qu'on doit encore à M. Bouis Cet alcool s'obtient en distil-
lant de l'huile de ricin au contact d'une dissolution de soude
très-concentré; l'alcool caprylique distille et l'acide sébaci-
que se trouve dans les produits fixes. Quand les droits qui
pèsent encore sur l'entrée de l'huile de ricin en France se-
ront levés, la fabrication de cet alcool propre à l'éclairage,
propre à dissoudre les résines qui entrent dans la confection
des vernis, cette fabrication, disons-nous, aura réellement
une grande importance, et c'est une nouvelle conquête indus-
trielle qui vient s'ajouter au mérite scientifique du travail de
M. Bouis.
424 VISITE
Les savons sont tellement liés à la fabrication des acides
gras qu'on nous excusera d'en dire ici quelques mots :
MM. Demarson, M. Piquier, M. Pivert, les parfumeurs élé-
gants, se placent à côté de M. Bully et de son vinaigre ; enfin,
nous n'avons, par exemple, qu'un seul Farina au lieu de onze
qui se tiennent par la main dans l'Exposition prussienne. Au
reste, comme ils sont tous le seul, le vrai, le véritable, il n'y
a pas de choix à faire.
An reste, la parfumerie française jouit d'une grande répu-
tation qu'elle mérite par la finesse de ses produits; on peut
admirer le talent d'étalage qu'elle a développé dans son ex-
position à gauche de l'Annexe.
On sait que l'huile de coco, mélangée aux matières propres à
fournir des savons, jouit de la propriété de faire retenir à ces
savons une très-grande quantité d'eau ; il en résulte que tous
les savons préparés avec cette huile , ou dans lesquels elle en-
tre, renferment à égalité de poids une quantité de matière
utile moindre que les savons dont cette matière est exclue. —
Tous les savons allemands et belges renferment de l'huile de
coco, ils sont de plus faits par empàtage. Aussi leur qualité
est-elle inférieure à celle de nos savons français. Les savons
de Marseille exposés sont très- bien faits, mais ils commen-
cent à perdre de leur ancienne réputation ; la concurrence et
la soif du gain ont porté la plupart des fabricants à falsifier
leurs produits courants ; aussi les savons d'acide oléique pré-
parés avec plus de soin et de bonne foi, et qui contiennent
25 pour 100 d'eau seulement; sont-ils maintenant cotés à des
prix supérieurs aux savons de Marseille.
Chauffage et ventilation des habitations.
On distingue quatre principaux procédés parmi ceux em-
ployés pour utiliser au chauffage la chaleur obtenue par la
combustion du bois, du charbon , de la houille, du coke, de
la tourbe ou de l'anthracite. Ces procédés sont le chauffage
direct par rayonnement du calorique à feu nu ou couvert,
comme dans les cheminées et les poêles, le chauffage par l'air
chaud comme dans les calorifères des appartements, le chauf-
fage par circulation d'eau et celui par la vapeur, employés
dans les serres , les grands établissements , hôpitaux , etc. ,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 42o
où il est nécessaire d'échauffer et de ventiler des masses d'air
considérables.
Quoique les cheminées aient reçu de nombreux perfection-
nements dans les temps modernes et qu'elles doivent demeu-
rer, longtemps encore, le mode de chauffage le plus agréable
par la présence du feu , et le plus sain par le renouvellement
continuel et abondant de l'air des appartements, elles ne pré-
sentent pas moins le chauffage le plus imparfait et le plus
dispendieux , car c'est à peine si elles permettent d'utiliser
les quinze ou vingt centièmes de la chaleur totale, développée
par la combustion du bois , du coke et de la houille qu'on
emploie généralement dans ces appareils. Cette énorme perte
de calorique provient de la position même du foyer et du
passage du courant d'air indispensable à la combustion qui
entraîne dans l'atmosphère une portion de la chaleur produite.
Le tirage des cheminées est dû à un courant ascendant qui
s'établit dans le tuyau par suite de la différence de la tempé-
rature ou de la densité de l'air, à l'intérieur et à l'extérieur
de ce tuyau ; une section de tuyau exactement suffisante pour
le passage de la fumée et une hauteur convenable, sont les
conditions principales d'un bon tirage , en y joignant toute-
fois celle-ci, que les ouvertures de l'appartement laissent en-
trer assez d'air pour alimenter le courant.
Par l'effet du rayonnement du calorique qui émane de
leurs foyers isolés, les poêles ont un grand pouvoir émissif et
échauffent rapidement, surtout s'ils sont en fonte, la masse
d'air au milieu de laquelle ils sont placés. L'air qui alimente
la combustion est pris dans la pièce et entre sous la grille , la
fumée se dégage à la partie supérieure et gagne, en se refroi-
dissant dans un tuyau plus ou moins long, celui de la cheminée.
C'est un des modes de chauffage les plus économiques et
les plus répandus, mais il est loin d'être salubre ; le renou-
vellement de l'air dans l'appartement est presque nul et
beaucoup de personnes ne peuvent supporter l'odeur désa-
gréable , nuisible et quelquefois assez intense dans les poêles
en fonte, qu'on attribue à la décomposition des matières or-
ganiques en suspension dans Pair, par suite de leur contact
avec les parois chaudes du foyer et des tuyaux.
Le chauffage par l'air chaud comprend les calorifères d'ap-
partement et ceux destinés à distribuer la chaleur dans des
426 VISITE
corps debâtimentà entiers. Les premiers se composent d'an
foyer, comme dans les poêles , et de plusieurs espèces d'en-
veloppes dans lesquelles l'air, ordinairement pris a l'extérieur
de la pièce, est échauffé avant de se répandre dans celle-ci.
Les grands calorifères se placent le plus souvent dans les ca-
ves ; l'air s'échauffe sur les parois extérieures du foyer et des
tuyaux qui emportent les produits de la combustion dans une
cheminée , puis s'élève aux différents étages en vertu de sa
moindre densité résultant de l'élévation de sa température ,
et se distribue dans les appartements par des bouches de cha-
leur placées près des planchers afin qu'il se répartisse unifor-
mément dans toute la hauteur de ses appartements.
L'usage aujourd'hui très-répandu de la houille, pour chauf-
fer nos habitations, a donné un grand développement à la fa-
brication des cheminées et des calorifères , et l'exposition
offre une variété presque infinie de ces sortes d'appareils,
parmi lesquels se distinguent par leurs formes élégantes, le
goût de la composition et la perfection du travail , les produits
de MM. Laury, Lecocq , Chevalier, Pauchet et Aubert en
France , Bailey, Edwards et Hoole en Angleterre , Delaroche
frères et Ganton en Belgique et Staib en Suisse.
La plupart de ces exposants présentent en outre une série
complète d'appareils de chauffage en fonte, appliqués aux
besoins domestiques , tels que fourneaux économiques, four-
neaux de cuisine, etc.; mais la fabrication spéciale de ces
derniers appareils est surtout représentée par les fonderies
d'Hayange et de Gousances, les manufactures de MM. Godin
Lemaire, Vinet-Odlin et Gie et André père et fils en France,
et les fonderies de Tangerhlitte en Prusse.
Les perfectionnements qui paraissent les plus caractérisés
dans le chauffage par les cheminées et par les calorifères
à air chaud sont dus à M. le docteur Arnott de Londres et à
M. Chaussenot de Paris.
M. Arnott a imaginé, il y a plusieurs années, un procédé
très-ingénieux pour opérer la combustion de la houille, et
qui a, depuis, donné naissance à divers systèmes destinés à
faire disparaître la fumée des machines à vapeur et des usines
établies dans les villes. L'idée est des plus simples : on place le
combustible dans une sorte de boîte dont le fond est mobile et
qui reçoit à volonté un mouvement d'élévation au moyen d'un
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 427
levier qu'on manœuvre de temps à autre à la main , on allume
le feu comme à Tordinaire, et dès que la couche supérieure
est incandescente, ce qui a lieu très-rapidement, commence
la distillation de la couche de charbon située au-dessous et à
la hauteur des orifices qui fournissent l'air indispensable à
la combustion , en sorte que les gaz qui se dégagent de cette
couche inférieure sont obligés de traverser le charbon incan-
descent, qui les brûle à peu près complètement sans laisser
trace de fumée. La boîte ou foyer contient le charbon destiné
au chauffage de toute la journée; il suffit par instants d'en
relever le fond pour amener au niveau des orifices et par suite
au contact de l'air, une nouvelle couche de charbon.
La ventilation de l'appartement est assurée à l'aide d'une
ventouse ou soupape, en équilibre parfait sur ses axes, éta-
blie \ers le plafond et mise en communication avec le tuyau
de cheminée; le renouvellement de l'air ayant lieu à la fois
par le foyer et par cette ventouse , se fait sous une pression
constante et d'une manière uniforme dans le sens de la hau-
teur de la pièce.
Dans les calorifères du système de M. Arnott, la combus-
tion s'opère par le même principe, mais d'une m.anière plus
simple; une fois rempli de charbon l'appareil fonctionne tout
le jour sans aucun soin et avec une grande régularité. 11 se
compose d'un cylindre vertical intérieur dans lequel on place
le charbon , la partie inférieure est terminée par une grille
ordinairement hémisphérique et la partie supérieure est fer-
mée par un couvercle reposnnt sur du sable. Ce cylindre est
entouré d'une double enveloppe, celle extérieure contient l'air
chaud en circulation et l'autre communique à la cheminée;
l'air destiné à la combustion est dirigé vers la grille hémi-
sphérique , arrive sur le combustible qui ne brûle qu'à cet
endroit, traverse cette grille , pénètre dans l'enveloppe exté-
rieure et s'échappe dans la cheminée ; la fumée de la houille
située au-dessus de celle qui brûle ne pouvant trouver issue
par le haut du cylindre de charge est obligée de redescendre
et vient se brûler sur le charbon de la couche incandescente
qui est constamment alimentée par la houille supérieure
transformée en coke, descendant par son propre poids. L'ad-
mission de l'air sur la grille s'obtient par une soupape dont
on peut régler l'équilibre assez exactement pour que les
428 VISITE
moindres variations de pression et de vitesse de l'air à Tinté-
rieur de l'appareil en modifient convenablement le passage;
la proportion d'air introduit est ainsi tellement exacte qu'il
est possible de brûler la quantité de charbon que contient le
calorifère en un temps déterminé, et d'obtenir ainsi une tem-
pérature constante.
M. Chaussenot a modifié aussi le système de chauffage à
air chaud , d'une manière qui semble présenter quelques
avantages; au lieu d'un calorifère échauffant l'air environnant
par le contact de ses parois, immédiatement soumises à l'ac-
tion du foyer; c'est une chaudière hermétiquement fermée,
contenant un nombre convenable de tubes en forme de si-
phons, disposés pour le passage de l'air; l'eau de la chau-
dière est chauffée et l'air circulant dans les tubes entourés
d'eau de tous côtés , vient s'emparer du calorique qu'il porte
ensuite dans les endroits où il est nécessaire, suivant le sys-
tème ordinaire.
Le chauffage par circulation d'eau chaude est établi sur le
principe du déplacement successif des couches horizontales de
l'eau, en vertu de leur changement de densité par l'action de
la chaleur. Il consiste à déterminer un mouvement circula-
toire et continu d'eau, qui , après s'être échauffée dans une
chaudière, monte directement par un tuyau dans un ou plu-
sieurs réservoirs hermétiques , placés dans les combles de
l'édifice que l'on veut chauffer, puis redescend dans une série
de tuyaux, en passant par toutes les parties de cet édifice pour
y laisser sa chaleur et revenir enfin à la chaudière d'où elle
était partie ; des récipients ou poêles à eau chaude sont dis-
posés sur le passage des tuyaux de retour; dans l'intérieur de
ces poêles sont des tubes en fonte, mis en communication avec
l'air extérieur par des conduits pratiqués au-dessous du plan-
cher ; cet air s'échauffe dans les tubes et se dégage ensuite au-
dessus des poêles.
On a appliqué le chauffage à l'eau chaude dans un grand
nombre d'établissements et dans divers hôpitaux, et la chaleur
que peuvent fournir les réservoirs des combles y a aussi été
utilisée pour obtenir une ventilation par appel de l'air. A cet
effet, des conduites, disposées dans l'épaisseur des murs et
prenant leur origine dans les pièces où l'air doit être renou-
velé , vont aboutir dans une cheminée d'appel qui débouche
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 429
dans l'atmosphère et au centre de laquelle sont situés les ré-
servoirs faisant partie du système de circulation de l'eau
chaude. Par une cause analogue à celle qui produit le tirage
des cheminées, l'air est aspiré dans ces conduites, avec une
vitesse qui tient au degré de température auquel il peut être
porté par le calorique que l'eau cède aux parois des réser-
voirs, et que celles-ci lui transmettent. Ce mode de ventila-
tion présente plusieurs inconvénients : d'abord la vitesse de
l'air est nécessairement différente pour chaque étage, à cause
de la hauteur différente des conduits, ensuite la suspension
du chauffage, en été, amène naturellement la suspension de
la ventilation, enfin différentes causes, telles que l'ouverture
des portes, des fenêtres, les changements dans l'état de l'at-
mosphère, peuvent chacune déterminer l'interruption du
renouvellement de l'air dans une ou plusieurs parties de
l'édifice.
Le chauffage par la vapeur est fondé sur la propriété qu'ont
les vapeurs de restituer leur calorique de vaporisation lors-
qu'elles se condensent. Les moyens d'application consistent à
produire la vapeur dans une chaudière semblable à celles des
machines à vapeur, puis à la faire circuler à l'aide de tuyaux
dans des capjveaux construits sous les planchers des pièces
qu'on se propose de chauffer , et , en dernier lieu , à diriger
l'eau de condensation vers les chaudières au moyen de tuyaux
particuliers. La vapeur se condense dans ces conduites et cède
à l'air circulant dans les caniveaux tout son calorique latent
au fur et à mesure que s'effectue la condensation ; cet air
échauffé sort par des bouches de chaleur et s'élève dans l'ap-
partement. On dispose souvent dans les chambres des réci-
pients ou poêles à eau chaude , dans lesquels serpentent les
tuyaux de vapeur et qui contiennent des tubes laissant passer
l'air des caniveaux dans ces chambres, en contribuant encore
à son échauffement.
L'un des avantages de ce système est de pouvoir porter la
chaleur à de grandes distances et d'échauffer en même temps
très-rapidement.
La ventilation peut s'obtenir , mais avec les mêmes incon-
vénients, comme dans le chauffage par circulation d'eau
chaude, en établissant dans les combles un réservoir de va-
peur d'une surface de chauffe convenable.
430 VISITE
Jusqu'à présent on n'a guère employé que le chauffage à
Teau et les ressources de ventilation qu'il présente, pour le
service des hôpitaux et des grands établissements, dans les-
quels le renouvellement de l'air est une nécessité de premier
ordre. Mais l'administration des hôpitaux vient de mettre
«n présence dans celui de Lariboisière, les deux derniers
procédés mentionnés ci -dessus. Les dix-huit salles com-
prises dans les six pavillons de cet hôpital sont chauffées et
ventilées, celles des pavillon:^ formant l'aile gauche, par les ap-
pareils de MM. Léon Duvoir Leblanc, établis selon le système
du chauffage à l'eau et de la ventilation par appel , et celles
des pavillons de l'aile droite par les appareils construits par
M. Farcot, d'après les projets de MM. Laurens et Thomas . et
destinés à chauffer par la vapeur et à ventiler mécani-
quement.
On connaît déjà les principes du chauffage dans l'un et
l'autre cas et celui de la ventilation par appel ; il reste donc
à donner une idée de la manière avec laquelle s'opère la ven-
tilation mécanique.
La vapeur des chaudières , avant de se distribuer dans les
conduits qui portent la chaleur dans les salles, met en mou-
vement une machine dont le travail est appliqué à faire agir
des ventilateurs à force centrifuge; ces ventilateurs aspirent
l'air recueilli à une grande hauteur dans l'atmosphère, et au-
dessus des bâtiments, et le refoulent dans un lar2:e tuyau qui
le porte, par ses embranchements, dans les caniveaux de toutes
les salles à ventiler ; l'air pénètre ensuite dans ces salles après
s'être échauffé au contact des conduites de vapeur et des poêles
à eau. L'air vicié des salles est ainsi constamment refoulé par
de l'air neuf, dans des passages ménagés dans l'épaisseur des
murs, et qui aboutissent aux combles des pavillons, dans des
cheminées en communication avec l'atmosphère. En été, la
ventilation s'opère seule et la vapeur, à la sortie de la ma-
chine , peut être utilisée complètement pour l'usage des bains
et de la buanderie.
Les effets de cette ventilation , dont on dispose à volonté,
présentent des avantages qui leur sont propres; l'expérience
faite sur une grande échelle, à l'hôpital de Lariboisière, dé-
montre, par exemple, qu'en été, la ventilation peut atteindre
jusqu'à 130 mètres cubes d'air renouvelé par heure et par
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 431
ïit, dans le système mécanique de MM. Laurens et Thomas.
Les médecins ont observé l'influence heureuse de cet abon-
dant aérage sur la santé des malades et sur les suites des
opérations chirurgicales. L'examen comparatif auquel on se
livre en ce moment ne peut manquer de fixer l'opinion sur
les valeurs respectives des deux systèmes.
L'abaissement du prix du gaz a fait penser dans ces derniers
temps à construire des appareils spéciaux pour son utilisation,
comme combustible, au chauffage des habitations. On ren-
contre à l'Exposition quelques-uns de ces appareils; ceux de
M. R. W. Elsner, de Rerlin, présentent une grande variété
d'applications ; ceux exposés par M- Bailey, le calorifère à gaz
de M. Laury et la cheminée de M. Marini offrent aussi des dis-
positions assez ingénieuses, mais il ne paraît pas encore que
l'usage de ces appareils soit assez économique pour pouvoir
rivaliser avec les moyens ordinaires de chauffage.
Une nouvelle source de chaleur vient d'être récemment
proposée à l'industrie, mais jusqu'à cet instant elle est encore
restée sans applications, il s'agit d'utiliser une force naturelle
quelconque et sans usage, comme pourrait en offrir un cours
d'eau, à faire mouvoir rapidement une machine produisant un
grand frottement et développant par ce fait une chaleur in-
tense. Cette idée de MM. A. Beaumont et A . Mayer a été ma-
térialisée par eux , par la construction d'une machine qu'ils
ont exposée; c'est une chaudière de quatre hectolitres envi-
ron contenant dans sa longueur un tube conique enveloppé
par l'eau, et dans lequel le frottement s'effectue par la rota-
tion rapide dun cône en bois; le frottement produit la cha-
leur, se communique immédiatement à l'eau et l'échauffé
jusqu'à en élever la température au point de déterminer, en
trois ou quatre heures de marche , une pression de trois at-
mosphères dans la chaudière. Si cette machine n'est pas appe-
lée à rendre des services, elle est au moins intéressante par
son mode de production de vapeur.
Chauffage de l'air pour le service des foyers métallurgiques.
La fonte des minerais qui fournissent à l'industrie les divers
métaux qu'elle consomme, exige différentes espèces de four-
neaux. Ceux appelés hauts fourneaux, à cause de leur éleva-
432 VISITE
tion, qui atteint parfois seize à dix-huit mètres, servent généra-
lement à la conversion du minerai de fer en fonte de fer; ces
immenses fourneaux, dans lesquels le bois, le coke ou la
houille sont mélangés avec le minerai, nécessitent pour l'ali-
mentation du combustible et la fusion du métal, la projection
au moyen de machines soufflantes, d'un volume d'air consi-
dérable. Jusqu'à ces derniers temps ils étaient alimentés par
de l'air, pris à la température de l'atmosphère et dont l'intro-
duction était une cause de refroidissement; on a essayé depuis
de projeter dans l'intérieur de ces foyers l'air échauffé par
avance à une haute température, et ces essais ayant produit
une amélioration importante dans la qualité de la fonte et dans
l'économie du combustible, l'usage de cette méthode s'est ré-
pandu rapidement dans la plupart des usines.
L'Exposition n'offre cependant aux regards des métallur-
gistes qu'un seul appareil destiné à cette opération, c'est celui
de MM. Laurens et Thomas.
Leur appareil se compose d'un ou de plusieurs tubes chauf-
feurs, placés horizontalement ou verticalement, suivant les lo-
calités, mais dans la plupart des cas dans cette dernière posi-
tion ; chacun de ces tubes consiste en un cylindre de fonte d'un
assez gros diamètre, dont la surface intérieure est garnie d'une
série de lames venues de fonte et rangées symétriquement ;,]a
saillie de ces lames n'est guère que le huitième du diamètre
du tube; il reste dans l'intérieur de celui-ci un vide cylin-
drique que l'on remplit par un noyau, consistant en un tuyau
de fonte, fermé par les deux bouts; on constitue ainsi un
espace annulaire pénétré de toutes partspar des lames saillan-
tes et compris entre la surface intérieure du tube chauffeur
et la surface extérieure du noyau, C'est dans cet espace annu-
laire ainsi composé que passe l'air à chauffer. L'appareil,
composé d'un nombre de tubes, déterminé par l'importance
du fourneau, est ordinairement placé le plus près possible de
chaque tuyau, pour éviter un trop long parcours de l'air
chaud , et on le chauffe par les gaz provenant du gueulard.
Les tubes d'un même appareil sont réunis et communiquent
l'un à l'autre, de manière que l'air entrant dans le premier,
passe ensuite par tous les autres, à travers les lames de fonte
qui soutirent la chaleur à leurs parois, pour arriver au dernier
et pénétrer dans le fourneau par la tuyère. La flamme du gaz
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 433
en combustion se trouve en contact avec la surface extérieure
des tubes chauffeurs, sans pouvoir pénétrer dans leur inté-
rieur; elle circule d'abord autour du dernier tube, celui qui
communique à la tuyère, puis passe au précédent et arrive
en dernier lieu sur le premier, qui reçoit directement l'air
de le machine soufflante, pour s'en aller enfin dans la che-
minée, ou dans un autre four, s'il lui reste encore de la cha-
leur utilisable; de telle sorte que, la marche de l'air étant
inverse de celle de la flamme, cet air est chauffé graduelle-
ment dans chaque tube, et qu'en sortant du dernier, pour en-
trer dans la tuyère , il eat à son maximum de température ou
à 300^ environ.
Ce système est d'une grande simplicité et peut s'appliquer
également à tous les fourneaux métallurgiques, en augmen-
tant ou en diminuant le nombre des tubes chauffeurs, qui
sont au nombre de deux pour les fourneaux à charbon de bois
et à une tuyère, de deux à chaque luyère de fourneau à coke,
et pour les grands hauts fourneaux soufflés des deux côtés, de
deux appareils de trois tubes chacun. La surface de chauffé
est considérable, car elle comprend non-seulement la surface
extérieure des tubes en contact avec la flamme, mais encore
la surface des lames saillantes, chauffées par l'effet de la con-
ductibilité du métal, et la surface du noyau intérieur qui est
elle-même suffisamment chauffée par le rayonnement du calo-
rique. Cette dernière circonstance, en évitant de faire passer
la flamme dans le noyau pour le chauffer, supprime l'emploi,
au lieu de tubes chauffeurs, des tubes annulaires , dans l'in-
térieur desquels passerait la flamme; ils ne pourraient être
formés que par deux cylindres concentriques réunis par des
joints, tandis que le mode actuel permet d'en diminuer le
nombre.
Cette surface de chauffe considérable , à l'établissement
de laquelle concourt la majeure partie de la fonte qui entre
dans la construction, donne la faculté de diminuer le volume
de l'appareil, et par suite le poids de cette fonte. La disposi-
tion des tubes permet enfin de placer les quelques joints qui
existent seulement, à l'abri du contact du feu et de diminuer
ainsi les chances d'accidents et les réparations.
L'exposition de MM. Laurens et Thomas se recommande
encore à d'autres titres à l'attention des maîtres de forge,
206 ce
434 VISITE
ainsi leur machine soufflante à tiroir, mue par la vapeur, et
que l'on peut aussi faire mouvoir par Teau , donne dans un
espace tres-réduit un soufflage aussi puissant en volume que
les grandes souffleries, d'où il résulte économie sur le prix de
la machine, économie sur les fondations et économie sur le
régulateur ou réservoir d'air, que la vélocité de ce genre de
machine permet d'amoindrir considérablement. Leur laminoir
présente une grande ténacité et une grande résistance, résul-
tant de leur mode particulier de coulage et de la nature de la
fonte employée. On remarque enfin le modèle d'un haut four-
neau à sept tuyères, muni des appareils propres à Tutilisation
de ses gaz, et qui se distingue particulièrement par le système
de fermeture hydraulique de son gueulard, dont les applica-
tions sont déjà nombreuses.
Dessiccateurs et torréfacteurs de matières diverses, appareils
à distiller, condensateurs, etc.
Parmi les appareils imaginés pour sécher et torréfier les
matières de toutes sortes dont l'emploi réclame ce genre d'o-
pérations, le torréfacteur mécanique de M. E. Rolland est
celui dans lequel la perfection semble avoir atteint le plus
haut degré.
Les appareils employés ordinairement pour la torréfaction
du café ou du cacao , les séchoirs de toutes sortes, les fours à
torréfier le tabac et les autres appareils analogues sont à
chargement intermittent; ils donnent généralement des pro-
duits très-irréguliers , exposent les ouvriers aux émanations
souvent peu salubres qui se dégagent des matières soumises à
l'action d'une température élevée et sont enfin très-peu éco-
nomiques sous tous les rapports. Le torréfacteur mécanique
paraît remédier à tous ces inconvénients et donner à la torré-
faction et à la dessiccation des matières diverses tous les avan-
tages des opérations industrielles qui se font avec une conti-
nuité et une régularité parfaites.
Il se compose d'un long cylindre en tôle, armé à l'intérieur
d'un certain nombre de saillies en forme d'hélices allongées,
garnies elles-mêmes de fourches convenablement recourbées.
Ce cylindre est placé horizontalement et tourne sur lui-même;
la matière à torréfier est introduite par l'une des extrémités et
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 435
se trouve aussitôt entraînée par la paroi en mouvement;
comme elle est retenue sur cette paroi par les saillies ou héli-
ces, elle peut atteindre le haut de l'appareil ; mais arrivée là ,
elle retombe par son propre poids et se retourne en même
temps, de telle sorte que les parties qui. au commencement
de la révolution, étaient en contact avec la tôle inférieure du
cylindre, forment après un demi-tour la couche supérieure
de la masse, et ceci se répétant successivement, la matière est
retournée en tous sens; mais au moment où elle glisse des hé-
lices élevées pour retomber, elle tend, dans ce mouvement, à
suivre la pente de ces saillies et elle avance effectivement,
dans le sens de la longueur du cylindre, d'une quantité plus
ou moins grande suivant l'inclinaison des hélices; la matière
passe ainsi graduellement et tout en se retournant, d'une ex-
trémité à l'autre de l'appareil. Dans le cas où la matière à
torréfier est filamenteuse, les fourches fixées sur les hélices
se chargent d'étirer les pelotons que le roulement continu
peut former.
Le cylindre, enveloppé sur la moitié supérieure de son con-
tour par un demi-cylindre également en tôle, est disposé dans
un fourneau , de manière à être convenablement entouré par
les gaz de la combustion, tout en ayant la facilité d'exécuter
librement le mouvement de rotation que lui communique un
mécanisme extérieur; il accomplit ce mouvement sur quatre
galets qui le supportent en même temps à ses deux bouts , et
se trouve par ce fait complètement dégagé dans son intérieur.
La plus grande partie de la chaleur que le fourneau émet par
rayonnement sert à chauffer l'air, qui entre dans le cylindre
par le même côté que la matière à torréfier, et vient aider à la
dessiccation.
La matière est amenée continuellement à l'une des extré-
mités par des soupapes qui s'ouvrent à l'instant où les hélices
laissent l'entrée libre. Ces soupapes sont elles-mêmes alimen-
tées par une roue à palettes ou distributeur , tournant assez
rapidement et divisant d'une manière uniforme la masse de
matière qui lui est superposée; un peigne métallique étire
constamment les brins pour faciliter cette division. Après son
passage dans toute la longueur du cylindre, la matière enfin
torréfiée vient sortir par l'autre extrémité; elle tombe alors
dans une caisse, communiquant par sa partie supérieure avec
430 VISITE
une grande cheminée d'appel où se rendent toutes les vapeurs
produites, et garnie à sa partie inférieure d'une soupape dou-
ble ; cette soupape, équilibrée par un contre-poids convenable,
s'ouvre d'elle-même quand elle a reçu une certaine quantité
de matière, et se referme aussitôt après la sortie de celle-ci.
De cette manière, toute entrée inutile de l'air froid est évitée.
Le degré de torréfaction se règle à volonté, d'abord en aug-
mentant ou diminuant la vitesse du mouvement, pour laisser
moins longtemps ou plus longtemps chaque partie de la sub-
stance à torréfier en contact avec la paroi chaude du cylin-
dre, et ensuite en augmentant ou diminuant l'introduction de
l'air dans le foyer , pour élever ou abaisser la température.
Le premier résultat s'obtient suivant la manière ordinaire, en
montant sur des tambours coniques la courroie qui transmet
le mouvement; le second est obtenu par le moyen d'un ther-
mo-régulateur. Ce dernier appareil, de l'invention de M. Rol-
land, est fondé sur le principe de la dilatation des gaz fixes;
il s'adapte au foyer et, au moyen d'organes assez simples, fait
mouvoir, avec une grande sensibilité, deux soupapes qui rè-
glent l'introduction de l'air et maintiennent ainsi la tempéra-
ture au degré favorable à l'opération.
L'appareil qui figure à l'exposition a été disposé spéciale-
ment pour le traitement des matières filamenteuses, et paraît
en effet satisfaire aux exigences du travail compliqué que leur
manipulation comporte; on n'aurait qu'à le simplifier pour le
rendre convenable au traitement du café, du cacao, de la chi-
corée, du malt, des graines, des légumes et d'une infinité
d'autres matières. Des appareils établis d'après ce système
fonctionnent depuis plusieurs années pour la torréfaction des
tabacs.
La dessiccation est aussi employée comme moyen de déter-
miner d'une manière absolue la quantité d'humidité conte-
nue dans la soie. Cette opération, appelée conditionnement,
exige des appareils particuliers, dont l'exposition de M. Rogeat,
de Lyon, nous offre plusieurs types.
Le prix élevé de cette matière et sa propriété naturelle
d'absorber et de retenir facilement une assez grande quantité
d'eau, propriété mise à profit par la fraude, firent sentir, dès
longtemps, le besoin de pouvoir constater exactement l'hu-
Diidité dont elle peut se charger, au delà de celle qu'elle pos-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 437
sède dans son état normaL A cet effet, !a ville de Lyon et
celles où le commerce des soies donnait lieu à d'importantes
transactions créèrent d'abord, il y a une cinquantaine d'an-
nées, un établissement public ayant pour but de contrôler le
poids de cette matière précieuse; on y pe.-ait la balle de soie
à son entrée, puis on en exposait le contenu pendant vingt-
quatre ou quarante-huit heures dans des armoires grillées,
disposées sur les côtés de longues salles dans lesquelles la
température était constamment maintenue, à l'aide de poêles,
entre 18 et 20 degrés réaumur; la soie était ensuite pesée de
nouveau etrendue avec la marque indiquant le poids de vente.
A peine ce procédé de conditionnement fut-il mis à exécution
qu'on en reconnut les vices, il présentait effectivement plu-
sieurs causes d'erreurs : ainsi les soies placées près des poêles
séchaient davantage que celles qui en étaient éloignées, ou
bien, d'autres très-mèches et prêtes à être retirées absor-
baient l'humidité de celles placées nouvellement dans leur
voisinage. La chambre de commerce de Lyon chercha à re-
médier à ces inconvénients, et grâce à sa persévérance et au
concours de M. Gamot, directeur de la condition de cette ville,
un nouveau procédé conçu par M. L. Talabot, et apportant une
solution complète à ce problème difficile, fût enfin appliqué
en l'année 1 843 ; depuis lors toutes les villes industrielles ont
emprunté à Lyon cette nouvelle méthode de conditionnement.
Le procédé ingénieux de M. Talabot consiste à prendre le
poids net de la balle de soie, à en extraire dans les différentes
parties quelques écheveaux qui représentent alors l'humidité
de toute la masse, à peser immédiatement ces mêmes éche-
veaux et à les exposer ensuite, suspendus au fléau d'une ba-
lance, dans un appareil maintenu constamment à la tempéra-
ture de 110 degrés centigrades, jusqu'à-^ e que cette balance
reste en équilibre ; le poids, qu'elle accuse à cet instant est le
poids absolu de la soie dépourvue de toute humidité. On
possède ainsi les éléments nécessaires pour déterminer la
perte d'humidité de toute la balle , le poids primitif de cette
dernière, le poids des échantillons qui la représentent et le
poids absolu de ceux-ci; il ne reste plus qu'à établir une
proportion : si, par exemple, les échantillons ont perdu '15
pour cent de leur poids dans l'appareil, la balle pesant pri-
mitivement 100 kilogr. doit être réduite au poids de 85
438 VISITE
kilogr.; mais on a reconnu que l'état ordinaire delà soie était
de contenir 11 pour 100 d'humidité , alors on est convenu de
restituer au poids absolu cette proportion fixe pour établir le
poids marchand, lequel serait alors pour la balle de l'exemple
ci-dessus : 91 kilogr. 35; cette convention n'a d'ailleurs au-
cun inconvénient, puisque les termes de l'opération sont con-
nus, et cet usage tient plus aux habitudes du commerce qu'à
la nécessité d'y avoir recours.
L'appareil dans lequel s'opère la dessiccation des échantil-
lons de soie se compose de deux cylindres concentriques ver-
ticaux en métal ; la partie supérieure est fermée par un cou-
vercle percé d'une fente pour laisser passer une tige sus-
pendue à l'un des bras d'un fléau de balance ; la partie
inférieure de cette tige est disposée en un cercle armé de
crochets, ces crochets supportent lesécheveaux à sécher dans
le cylindre intérieur chauffé au moyen de la vapeur; la ba-
lance établie au-dessus de l'appareil est renfermée en partie
dans une cage vitrée et mise ainsi à l'abri de l'air; enfin, du
côté opposé aux cylindres, existe un casier en métal contenant
les tiroirs dans lesquels on place les échantillons qui doivent
être successivement éprouvés. Pour opérer la dessiccation, on
enlève le couvercle du cylindre extérieur, on suspend les
écheveaux pesés d'avance, on referme l'appareil et on laisse
la soie ainsi exposée à la chaleur de 110 degrés, jusqu'à ce
que la balance n'accuse plus aucune variation ; ce poids des
écheveaux étant constaté et contrôlé par une double épreuve,
on retire la soie et on procède à une autre opération.
Le système de M. Talabot présentait un seul inconvénient :
celui d'exiger pendant trois heures le séjour de la soie dans
l'appareil , et par conséquent une perte de temps et de com-
bustible; M. Persoz, directeur de la condition des soies de
Paris , et M. Rogeat , de Lyon , y ont obvié en remplaçant le
mode de chauffage à la vapeur par un séchage à l'aide d'un
courant d'air chaud obtenu très-rapidement par='des becs de
gaz ou par l'emploi du charbon ; de cette manière la dessicca-
tion ne dure plus qu'une demi-heure.
Plusieurs millions de kilogrammes passent annuellement
dans les établissements de condition^ et depuis quelques an-
nées l'industrie de la laine elle-même a recours à ce moyen
exact de garantie et de contrôle.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 439
Les appareils de M. Rolland , pour la panification méca-
nique , apportent enfin les perfectionnements que l'on était
en droit d'exiger dans une opération aussi importante que
celle de la fabrication du pain ; le pétrin mécanique est très-
simple, il se compose d'une auge demi-cylindrique dans
laquelle se meut, à l'aide d'une manivelle, un axe garni de
lames courbes; le four est circulaire et chauffé par un foyer
indépendant, il contient une sole mobile ou plate-forme, mue
à la main et de l'extérieur par une manivelle et quelques en-
grenages. L'emploi de ces deux appareils se multiplie chaque
jour et fait espérer que les opérations, naguère si primitives,
de la pRnification se feront bientôt avec toute la propreté et
la perfection désirables.
Outre les appareils précédents, l'Exposition présente en-
core de toutes parts de nombreuses applications de la cha-
leur, remarquables à différents titres. Parmi celles qui se
recommandent le plus par l'utilité des résultats qu'elles pro-
curent, la distillation de l'eau de mer est sans contredit l'une
des plus intéressantes, et sous ce rapport il faut distinguer les
appareils de MM. Rocher, de Nantes, et E. Sasse, en Suède,
qui peuvent transformer l'eau saumâtre de la mer en eau po-
table, pour tout un équipage, et cela sans grande dépense
et par le fait seul de la préparation des aliments.
Les appareils distillatoires ou de concentration des liquides
de toutes sortes, de MM. Boutigny, Traxler, Tribouillet et
Duyck, offrent aussi un grand intérêt.
Enfin les appareils de MM. VVolf, en Wurtemberg, et
Couty, en France, pour souder le plomb, le cuivre, le platine
même , en profitant de la chaleur développée par la com-
bustion du gaz hydrogène; les petites forges de M. Enfer,
pour fondre et couler le platine; celles de M. Delaforge; les
systèmes à blanchir le linge , de MM. Ducommun et Radies,
Bouillon et Gervais; la buanderie américaine, de M. King;
les fourneaux à préparer les produits pharmaceutiques, de
MM. Wolfmuller, en Bavière, et Miirle, dans le duché de
Bade, et l'appareil de M. Choisy-Lignon, pour utiliser l'eau
de condensation des machines , méritent chacun une atten-
tion particulière.
440 VISITE
Éclairage.
L'éclairage s'obtient généraiement par la simple combus-
tion de corps capables de produire une flamme éclairante. La
flamme n'étant elle-même que l'effet de la combustion d'un
gaz , il suit que les matières solides et les matières liquides
doivent d'abord donner naissance à un produit gazeux pour
pouvoir fournir une flamme. C'est en effet ce qui arrive : si
on chauffe un corps suffisamment, pour le volatiliser ou le dé-
composer en gaz et enflammer ce gaz, c'est-à-dire si on al-
lume ce corps, le produit gazeux obtenu brûle et donne assez de
chaleur pour en volatiliser ou décomposer une nouvelle partie^
et fournir une nouvelle quantité de gaz qui, s'enflammant à
à son tour, produit le même effet, et prolonge ainsi l'existence
de la flamme. Mais un gaz en brûlant n'est pas toujours ca-
pable de produire une flamme éclairante; il faut, pour qu'une
flamme présente ces conditions, qu'elle contienne dans son
intérieur des matières solides résistant à l'action de sa tem-
pérature; ce sont effectivement ces parties solides qui, por-
tées à l'incandescence , la rendent visible et lui prêtent tout
son éclat. La plupart du temps, le gaz se charge lui-même
d'introduire ces molécules solides dans la flamme qu'il donne,
soit par le produit solide résultant de sa combustion, soit à
cause des dépôts que sa combustion laisse.
Les substances qui remplissent le mieux les conditions exi-
gées par leur emploi pour l'éclairage, et qui, par ce fait et
aussi parleur bon marché, servent le plus ordinairement,
sont : le suif, les graisses, la cire, le blanc de baleine, les
acides stéariques et margariques, et différents mélanges de
ces corps, l'huile de colza, l'huile minérale de schiste et le
gaz liquide, ou mélange d'alcool et d'esprit de bois, dont l'u-
sage est assez restreint ; enfin le gaz hydrogène carboné, dans
lequel d'ailleurs les substances précédentes se résolvent en
dernier lieu au moment de leur combustion.
L'emploi des matières solides ne nécessite aucun appareil
spécial, on se borne à donner à ces matières des formes con-
venables que leur consistance leur permette de conserver;
ainsi on les moule et on en fait des cylindres de diverses di-
mensions, appelés chandelles, bougies, cierges, etc., et dont
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. iii
l'axe est une mèche de coton. C'est dans cette mèche que s'o-
père la combustion : aussitôt qu'elle est enflammée, le corps
gras au-dessous d'elle entre en fusion, s'élève dans cette mè-
che par l'effet de la capillarité, y éprouve une décomposition
par suite de la température élevée, et donne naissance au
gaz hydrogène carboné qui s'allume et produit la flamme.
Les perfectionnements apportés dans ces produits consistent
principalement dans la fabrication des corps gras, fabrication
qui est du domaine de la chimie ; mais comme progrès d'ap-
pareil , il faut remarquer néanmoins les moules mécaniques à
chandelles de M. Cahouet, qui permettent de donner une
grande rapidité au moulage, en même temps qu'une grande
régularité.
La fabrication des liquides destinés à l'éclairage est aussi
une opération chimique, et par conséquent également étran-
gère à la 9* classe ; cependant celle de l'huile de schiste semble
s y rattacher , en ce sens que cette huile est uniquement utili-
sée à l'éclairage ; on l'obtient du schiste bitumineux par une
distillation ordinaire et après plusieurs purifications. Des
échantillons assez remarquables en ont été envoyés à l'Expo-
sition par MM. Wiesmann et Cie, à Bonn ; Legros et Cie, par la
Compagnie bourbonnaise etl'usine de Sainte-Maine, en France.
L'usage de Ihuile végétale ou minérale pour l'éclairage
exige nécessairement des appareils appelés lampes pour con-
tenir et présenter peu à peu ces liquides à la combustion. Le
nombre des appareils différents imaginés pour arriver à ce ré-
sultat est considérable, et leurs dispositions ont toutes pour
but de faire que l'huile arrive constamment et régulièrement
à la mèche, ni en trop petite quantité , ni en trop grande, et
qu'il. passe un courant d'air suffisant pour accomplir la com-
bustion.
D'abord les lampes furent composées d'un réservoir assez
large pour conserver longtemps et sensiblement le même ni-
veau au liquide quiy était contenu, etqui communiquait avec
la mèche par un tube; puis ce réservoir fut disposé pour éta-
blir un niveau constant dans le conduit placé au-dessous et
correspondant avec la mèche : lorsque le niveau baissait dans
ce conduit, il laissait libre l'ouverture du réservoir, l'air pé-
nétrait, et l'huile s'écoulait jusqu'à ce que le niveau remonté
fermât cette ouverture. Dans l'un et l'autre cas, le réservoir
442 VISITE
situé au-dessus de la mèche , outre le peu de stabilité et de
gracieuseté qu'il donnait à l'appareil, interceptait encore
une certaine partie de la lumière. Les lampes Carcel ont obvié
à ces inconvénients : l'huile arrive à la mèche par l'effet de
petites pompes formées d'une simple baudruche faisant office
de piston et mues par un mécanisme d'horlogerie; le tout
étant placé dans l'intérieur d'un cylindre et au-dessous de la
mèche donne à l'ensemble une forme stable et susceptible de
recevoir autant d'ornementations qu'on le veut.
Mais de toutes les lampes, celle à modérateur, tout en étant
très-régulière dans son fonctionnement, est en même temps
la plus simple, la plus économique et, par suite, la plus gé-
néralement employée. Cette lampe , de l'invention de M. Fran-
chot , se compose d'un ressort en spirale tendu par une cré-
maillère qu'on relève au moyen d'un pignon; ce ressort agit
constamment en appuyant sur un cuir embouti ou piston,
pour comprimer l'huile placée dans la partie inférieure du
cylindre qui contient le système, et la faire monter .jusqu'à
la mèche par un tube particulier. Ce tube d'ascension de
l'huile est composé de deux parties : Tune, fixée au piston,
est mobile avec lui et s'engage dans l'autre , faisant partie du
bec, d'une plus ou moins grande quantité, suivant que le
piston est plus haut ou plus bas. C'est dans ce tube qu'est
placé le modérateur , simple tige métallique tenue d'un bout
à la partie fixe , et pénétrant par l'autre dans la partie mo-
bile , de manière à gêner , surtout dans cette dernière , qui est
la plus étroite, la marche de Ihuile qui passe entre cette tige
et le tube ; le mouvement est d'autant plus ralenti que le mo-
dérateur est plus engagé dans la partie mobile, c'est-à-dire
que le piston est plus haut, le ressort plus tendu et l'huile
plus sollicitée à s'élever ; au contraire , lorsque le piston ar-
rive vers le bas de sa course, et que le ressort, possédant
moins de force , n'élève plus autant d'huile , le tube mobile
est descendu , la tige est dégagée de ce tube, et le passage au-
tour d'elle est plus facile. On comprend d'après cela que la
force du ressort et les dimensions de la tige modératrice étant
convenablement déterminées, la compensation des effets de
ces deux pièces puisse donner à l'huile un mouvement régulier.
L'excès d'huile à la mèche retombe dans le cylindre et repasse
sous le piston lorsqu'on le relève.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 4i3
Quant à la manière d'amener assez d'air sur la mèche , elle
consiste à faire de cette mèche un manchon autour et dans
l'intérieur duquel on établit un courant, à l'aide d'une chemi-
née de verre placée sur le bec.
Outre cesdiflérentes dispositions, les lampes prennent en-
core de nombreuses formes, suivant qu'on veut les affectera
certains besoins; t(41essont, par exemple, celles des mineurs,
qui sont des lampes portatives dont la flamme est entourée
d'une toile métallique.
Les lampes à l'huile minérale de schiste présentent une
position différente; le liquide étant beaucoup plus fluide que
l'huile de colza , le simple effet de la capillarité en fait monter
dans la mèche une quantité suffisante pour entretenir la com-
bustion , circonstance qui permet de faire de l'appareil un
simple vase dans lequel plonge une mèche ; seulement, comme
l'huile minérale donne dans sa combustion beaucoup de char-
bon ou de fumée , il faut faire arriver sur la mèche un fort
courant d'air pour exciter cette combustion , ce que l'on ob-
tient en plaçant dans l'intérieur de la mèche un disque hori-
zontal forçant l'air à s'en rapprocher et à sortir plus rapide-
ment. Ces lampes donnent une belle lumière, mais fument fa-
cilement, et répandent une odeur peu agréable qui gênera
longtemps le développement de leur usage.
Il y a encore les lampes à gaz liquide ou alcool dénaturé
(mélange d'esprit de bois et d'alcool) différant des précédentes
seulement par la mèche qui est enfermée dans un petit tube
percé de trous ; c'est par ces trous que le gaz de la décompo-
sition du liquide de la mèche sort et s allume ; la flamme d'une
forme assez gracieuse présente autant de petits jets qu'il y a
de trous. Cette espèce de lampe est moins économique que
celle du schiste, mais elle donne beaucoup moins d'odeur.
Les bâtiments de l'Exposition renferment un grand nombre
de lampes, très-variées de dispositions, mais fondées presque
uniquement sur le principe du modérateur; la plupart ne
sont que des occasions d'ornementations ou de ciselures et ne
peuvent être examinées qu'a ce point de vue. Cependant les
lampes à modérateur de M. Hadrot jeune et Cie dont on voit
des exemples dans le Diorama jouissent d'une réputation mé-
ritée pour la lumière vive, constante et prolongée qu'elles
fournissent; celles de M. Neuburger offrent en outre l'avan-
iU VISITE
tage de l'économie et delà longue durée, par suite du grand
réservoir qu'elles possèdent et de la disposition qui ne laisse
arriver à la mèche que la quantité d'huile exactement dépen-
sée par la flamme. Les lampes phares de M. Aubineau et
celles de M. Noël Bosselut sont remarquables par leurs gran-
des dimensions, tandis qu'au contraire les lampes lilliputien-
nes de M. Guillaume attirent l'attention par leurs proportions
exiguës et mignonnes. La petite lampe de ménage de M. Des-
sales se recommande à la classe ouvrière par la modicité de
son pjix et la faible dépense que son usage occasionne. Les
loupes-lampes pour les graveurs, de M. Ferreux, sont une
heureuse application des lampes aux arts. Enfin les lampes
suspendues de M. Dardonville , qui sont facilement transpor-
tables et applicables par ce fait aux navires , celles de
M.Bourgogne qui annoncent elles-mêmes, par une sonnerie,
l'instant où elles manquent d'huile , et qui servent aussi de
timbres de table; la magnifique exposition de M. Schlossma-
cher et Cie et les lampes de M. A. Ribot qui sont destinées à
l'emploi du gaz liquide, méritent aussi une mention particu-
lière.
L'étranger nous offre aussi plusieurs types de lampes qui
n'ont rien de particulier dans leur construction et qui ne peu-
vent se comparer à la variété infinie de ceux des fabriques
françaises ; cependant on doit signaler la fabrication de
MM. Mariann , Allen et Moore en Angleterre.
La disposition des mèches est une considération assez im-
portante dans l'éclairage par les corps liquides ou solides, et
sous ce rapport il faut citer M. Brochet, de Paris, et M. Senne,
d'Erfurth (Saxe).
Eclairage au gaz.
L'éclairage par le gaz est une industrie récente qui a pris
dans ces derniers temps une extension considérable.
il consiste à produire du gaz et à l'envoyer dans tous les
endroits où il doit être consommé, c'est-à-dire à produire
d'avance la décomposition qui s'effectue dans la mèche des
chandelles , des bougies , des lampes , etc. Toutes les matières
organiques soumises à la distillation en vase clos sont capa-
bles dejproduire du gaz hydrogène carboné, mais le gaz est
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 4ir>
plus ou moins éclairant suivant la nature de ces matières;
les substances solides ou liquides qui servent à l'éclairage
ordinaire pourraient être ainsi employées avec succès à la fa-
brication du gaz, mais on leur préfère la houille à cause de
son prix peu élevé, du résidu ou coke que sa distillation laisse
et qui possède encore une certaine valeur, et enfin des pro-
duits ammoniacaux qui suffisent à eux seuls pour payer les
frais d'épuration du gaz.
La houille est soumise à la distillation dans des cornues de
terre réfractaire ou de fonte, chauffées au rouge; la décom-
position s'effectue, le gaz s'échappe et il reste du coke que
l'on remplace par d'autre houille. Le gaz dégagé contient tou-
jours des substances étrangères, nuisibles à son emploi et
dont il faut absolument le débarrasser; c'est pourquoi, au
sortir des cornues, il passe dans divers appareils appelés ba-
rillets, réfrigérants, épurateurs, destinés à retenir la plus
grande partie des matières solides , hquides et gazeuses qui
l'accompagnent.
Le gaz purifié arrive dans le gazomètre, réservoir en tôle
où il s'accumule et d'où il part pour se distribuer à tous les
points de sa consommation , quand l'heure de sa distribution
est venue.
Au lieu de houille, on distille aussi quelquefois certaines
huiles, que Ton fait tomber goutte à goutte, à cet effet, sur
du coke chauffé au rouge dans des cornues ; la chaleur dé-
compose l'huile et il se forme du gaz dont le pouvoir éclai-
rant est trois ou quatre fois plus grand que celui du gaz ordi-
naire.
Le gaz, livré aux consommateurs à raison d'un prix déter-
miné par mètre cube, passe dans un compteur avant d'ar-
river au bec. Ce compteur est un axe horizontal garni d'au-
gets et tournant dans une enveloppe cylindrique contenant
de l'eau jusque passé cet axe; le gaz vient par un tuyau,
remplit les augets un à un et les oblige à tourner ; chacun à
mesure qu'il est plein, amène son gaz dans la partie supé-
rieure du cylindre où se trouve le tuyau qui le conduit au
bec. Le nombre de tours est indiqué par des aiguilles, mues
par l'axe à augets, sur le devant du compteur, et on en déduit
facilement la quantité de gaz consommée d'après la capacité
connue des aucets.
446 VISITE
Les becs à gaz sont de plusieurs espèces : dans les uns le
gaz sort par une petite couronne métallique, percée de trous,
l'air passe en dedans et en dehors de cette couronne et active
puissamment la combustion ; le bec porte une galerie pour
soutenir une cheminée de veire; dans les autres, le gaz sort
en lame mince, par une fente étroite, et produit une flamme
de forme analogue à celle d'un éventail; dans certains, enfin,
dits becs Manchester, le gaz sort par deux trous obliques et
les jets de flamme qui résultent de cette disposition viennent
se rencontrer mutuellement et produire en sens inverse une
espèce d'écusson ; ces derniers présentent plus d'économie
dans la coMibuslion du gaz, que les becs à éventail.
L'Exposition ne montre pas que l'industrie du gaz ait fait de
notables progrès, et l'on doit regretter de ne pas y voir les
dernières modifications, récemment proposées dans le but
d'obtenir une plus grande économie ; à l'exception du système
pour l'extraction du gaz de MM. Boysen etCie, de Hambourg,
et de quelques plans d'usines, on ne retrouve guère que des
appareils particuliers, relatifs à la conduite et à la consomma-
tion du gaz, tels que tuyaux, robinets, compteurs, lanternes,
becs et cheminées, pour la fabrication desquels il faut dis-
tinguer MM. Siry Lizard et Cie, Dumont, Maccaud, Mareni,
Laurot et Bengel, et Voruz et Fessard, en France, et MM.Fell
et Bâte, Bailly, Paddon et Ford et T. Glover, en Angleterre.
La lumière une fois produite, on peut parvenir à lui don-
ner une intensité assez considérable à l'aide d'abat-jour
ou réflecteurs, dont l'effet est de renvoyer dans un sens les
rayons lumineux qui divergeaient dans l'autre et d'accumuler
ainsi la lumière sur un point plus restreint. Les réflecteurs sont
des surfaces concaves, métalliques et polies, présentant une
courbe parabolique ou sphérique, dont la lumière occupe le
foyer ; c'esi de la construction de cette courbe que dépend la
qualité du réflecteur, mais c'est une condition dont on se
préoccupe peu quand il s'agit de réflecteurs communs. Ils
sont généralement utilisés pour les signaux, par les chemins
de fer et la marine. M, Camus mérite d être mentionné comme
l'un des fabricants qui ont apporté le plus d'améliorations
dans la construction de ces appareils; M. Ghasel et M. Blazy-
Jallifier, à Paris, et MM. Thorton et fils, de Birmingham, pré-
sentent aussi des signaux à réflecteurs, d'une bonne con-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. Ul
struction ; le falot de locomotive de MM. H. Piper et Bro, du
Canada, se distingue surtout par ses grandes dimensions ; on
doit enfin citer les appareils nouveaux de MM. Fortin ller-
mann : ce sont des falots de locomotive et des signaux pour
arrière de train qui éclairent, au moyen du gaz, pendant dix
et vingt heures, avec beaucoup de fixité et sans extinction
possible, et qui s'aperçoivent à de grandes distances.
Les abat-jour sont de simples cônes ou pyramides tron-
qués, de papier ou de métal, blancs à leur surface intérieure
et diversement ornementés à leur surface extérieure ; ils
s'emploient seulement sur les chandelles, les bougies ou les
lampes, pour ramener la lumière de haut en bas ; divers
moyensplus ou moins ingénieux les tiennent fixés sur la bougie
ou sur le verre de la lampe. La fabrication des abat-jour oc-
cupe un grand nombre d'ouvriers et forme à elle seule presque
une industrie ; on remarque à l'Exposition les jolis abat-
jour de M. Auguste, et ceux en acier fabriqués d'un seul
morceau, en y comprenant même le support.
Phares.
Les phares sont des feux qu'on allume sur les côtes et à
l'entrée des ports pendant la nuit, pour servir de guides aux
navigateurs.
La lumière est d'abord produite par une lampe puissante
à trois ou quatre mèches concentriques , puis projetée au
loin par divers moyens capables de la rendre visible à de
grandes distances. On employait autrefois ponr obtenir ce
dernier résultat, de simples réfiecteurs paraboliques, aujour-
d'hui on fait usage uniquement de lentilles à échelons de
Fresnel. Ces lentilles, qui remplacent également les grandes
lentilles d'une seule pièce dont la construction était difficile
et les effets très-incomplets, sont formées d'un segment de
sphère, entouré d'une suite d'anneaux concentriques ayant
une courbure calculée pour que chacun ait le même foyer
que le segment central. Tous les rayons lumineux d'une lu-
mière placée au foyer d'une de ces lentilles complexes, ar-
rivent sur sa surface, et se réunissent, après l'avoir traversée,
en un large faisceau parallèle. Comme l'affaiblissement de la
lumière a lieu principalement en raison de la divergence des
448 VISITE
rayons qu'elle émet, la lumière traversant une lentille à
échelons doit rester intense et avoir une portée considérable.
Les phares sont composés d'une ou deux lentilles de cette
espèce , quand ils sont de simples feux de ports, et de plu-
sieurs disposées en polygone pour les feux de premier ordre.
Dans les deux cas, les lentilles sont mises en mouvement au-
tour delà lampe par un mécanisme d'horlogerie , de manière
que les faisceaux de lumière qu'elles produisent sont succes-
sivement amenés sur chaque point de l'horizon : er laissant
d'ailleurs entre eux des intervalles moins lumineux ils forment
ainsi des éclats et des éclipses de lumière dont la durée régu-
lière et déterminée sert à distinguer uu phare d'un feu acci-
dentel ou d'un autre phare voisin.
Ordinairement pour les feux déports, les lentilles mobiles
se meuvent autour d'un cylindre composé d'échelons sembla-
bles à ceux de ces lentilles , mais disposés circulairement au-
tour de la lampe et superposés les uns aux autres. Le système
des verres de ce cylindre ramène et projette la lumière du
foyer en couches horizontales, de manière à former autour du
phare un anneau lumineux constant, dans lequel se meuvent
des segments de lumière plus éclatante, résultant de la con-
centration des rayons de cet anneau par les lentilles mobiles
qui les rencontrent et produisent les éclats périodiques.
Le dôme et la partie inférieure des phares sont formés
d'anneaux prismatiques de verre, tellement inclinés, qu'ils
réfléchissent horizontalement toute la lumière qu'ils reçoivent
de la lampe et forment aussi des nappes lumineuses fixes. On
fait maintenant les lentilles à échelons de la hauteur des
phares et se réunissant à la partie supérieure pour former le
dôme ; les éclats et les éclipses ont lieu alors dans toute cette
hauteur.
Le palais de l'Exposition renferme plusieurs phares remar-
quables , celui du ministère de l'agriculture, du commerce et
des travaux publics, construit par M. H. Lepaute , sous la
direction de MM. Reynaud et Degrand, et que l'on voit fonc-
tionner au sommet de la tour qui s'élève dans le transept,
semble atteindre la limite des perfectionnements que l'on
puisse faire subir à ces précieux appareils; viennent ensuite
ceux de M. H. Lepaute dont l'exposition renferme, en ou-
tre, diverses dispositions de lentilles, ceux de M. Sautter
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 449
et Cie de Paris , et enfin, le phare à feu fixe de MM. Chance
frères, de Birmingham.
Production et emploi de l'électricité. — Piles électriques.
Les piles électriques sont des appareils destinés à former
une source constante d'électricité. Ces appareils sont basés
sur la propriété que possède toute réaction chimique de dé-
gager une certaine quantité de ce fluide, et ils doivent satis-
faire à la condition de produire la réaction capable d'en don-
ner la plus grande quantité possible d'une manière continue.
Une infinité de corps peuvent donner lieu à celte réaction
et servir ainsi à la construction d'un nombre considérable de
piles différentes.
Parmi celles que l'on emploie généralement ,la plus éner-
gique et la plus simple est celle de Bunsen, Elle se compose
d'un pot de faïence, ou de verre, rempli d'acide sulfurique
étendu d'eau, et contenant un manchon de zinc qui est plongé
aussi dans le liquide; dans l'intérieur du manchon de zinc,
on place^un vase poreux en terre cuite qui laisse communi-
quer lentement le premier liquide avec l'acide azolique con-
centré qu'il contient lui-même, et dans lequel plonge un cy-
lindre de charbon préparé.
L'existence du zinc, de l'acide sulfurique et de l'acide ni-
trique dans le même vase, détermine une réaction chimique
particulière, dont le résultat physique principal est la forma-
tion de deux électricités différentes; celle qu'on appelle posi-
tive se rend au charbon qui prend alors le nom de pôle posi-
tif, et l'électricité négative vient sur le zinc ou pôle négatif.
Si on adapte à chacun de ces pôles un fil conducteur , soit
par exemple un fi' de cuivre , et qu'on réunisse l'extrémité
libre de ces deux fils, il s'établira immédiatement un courant
électrique.
On remplace quelquefois le charbon par une lame de pla-
tine, et les acides par d'autres liquides , mais c'est toujours
le même résultat, et en définitive la pile précédente est celle
qui , jusqu'à présent , mérite la préférence , lorsqu'on veut
obtenir des effets énergiques et constants, tels qu'on a besoin
pour l'éclairage électrique ou pour les moteurs.
La pile de Daniell est aussi d'un usage tr ès-fi équent , mais
206 dd
450 VISITE
alors seulement qu'on désire un courant faible, très-régulier \
et prolongé, ainsi qu'il est utile pour la télégraphie électrique |
et la galvanoplastie. Cette pile est composée également d'un I
pot prmcipal contenant le manchon de zinc et l'acide sulfu- I
rique étendu ou une dissolution de sel marin, mais le vase |
poreux contient, au lieu d'un charbon, un cylindre creux de \
cuivre rouge baignant dans une dissolution saturée de sulfate \
de cuivre et portant des fragments de ce sel destinés à rem-
placer constamment celui qui se dissout. Il se produit une
réaction un peu différente de la précédente, mais donnant
lieu au même résultat, c'est-à-dire production des deux élec- |
tricités; le zinc est toujours le pôle négatif, et le cuivre, qui
remplace le charbon, est le pôle positif.
On réunit ordinairement une quantité plus ou moms grande i
de l'un ou l'autre de ces appareils pour constituer une pile,
plus puissante dans laquelle alors chaque pot n'est plus qu'un i
élément. ^ i
Outre les piles de diverses espèces et peu différentes de
celles connues jusqu'à ce jour, l'Exposition en présente
quelques-unes qui paraissent assez nouvelles. Ainsi, la pile
électro-hydro-dvnamique de M. Chenot fonctionne sous l'in-
fluence des liquides à haute température', la batterie galvani- j.
que de grande dimension de MM. Jedlik, Esapo et Hamard, ij
dans laquelle les vases sont formés de pâte de coton à poudre, ;|
semble annoncer des résultats particuliers; enfin M. Grovefait j
voir un exemple de sa pile dont les données sont si smgu- '
lières et les effets si surprenants.
Éclairage électrique.
La pile électrique est la source de lumière la plus intense
que nous possédions. Si on approche , en effet, lesextiémités
libres des deux fils d une pile assez puissante, mais en laissant
entre eux un petit intervalle, le courant , quoique le circuit j
ne soit pas ainsi complètement fermé , franchira cet inter- '
vallo et se montrera sous l'apparence d'étincelles excessive-
ment brillantes, se succédant rapidement et produisant une
lumière vive et continue. Mais c'est surtout à l'incandescence
des extrémités des fils rapprochés que Ion doit cette lumière,
Pour utiliser ce phénomène à l'éclairage on a ajouté , aux
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 451
extrémités des fils conducteur», deux baguettes de charbon
dur et compacte. Ce sont ces charbons assez rapprochés l'un
de l'autre pour livrer passage au courant, qui deviennent in-
candescents et donnent naissance à une lumière éblouissante.
Une autre difficulté s'est présentée dans l'emploi de l'éclai-
rage électrique : celle de régulariser l'écartement des char-
bons. Il faut, en effet, que cette distance soit toujours la
même, et il n'en peut être ainsi ordinairement, car, outre In
légère combustion que les charbons éprouvent, et que Ton
éviterait d'ailleurs en les plaçant dans un vase où le vide
serait fait, il y a volatilisation et transport du charbon d'un
pôle sur l'autre.
Plusieurs appareils ont été proposés pour obtenir entre les
charbons une distance toujours égale. Ils sont composés en
principe d'un électro-aimant intercalé dans le circuit et agis-
sant sur un mécanisme qui a pour mission de relever conti-
nuellement les charbons l'un contre l'autre , à mesure qu'ils
se volatilisent. Cet électro-aimant est un morceau de fer
doux que le fil métallique entoure plusieurs fois en passant,
et qui est seulement aimanté , lorsque le circuit est établi, il
est fortement aimanté quand les charbons se touchent parce
que le courant passe facilement, ou plus faiblement quand
les charbons s'éloignent , et par suite, susceptible de deux ac-
tions différentes qu'on utilise pour obtenir la régularité de la
lumière-
Les expositions de MM. Dubosq, DeleuiV, Breton et Loiseau
en France, offrent divers systèmes de ces appareils qui sont
particulièrement remarquables.
Galvanoplastie, dorure et argenture galvaniques.
La galvanoplastie est une heureuse application de la pro-
priété qu'ont les courants électriques de décomposer les sels
métalliques. Elle consiste simplement à déposer une couche
de métal sur toute substance conductrice de l'électricité, ou
rendue conductrice au moyen d'un enduit, tel, par exemple,
que la plombagine. Cela se fait en fixant au fil venant du
pôle négatif d'une pile, la pièce à recouvrir de métal ou à gal-
vaniser, et au fil du pôle positif une plaque du métal à ap-
pliquer; puis, en plongeant ces deux fils avec les objets qu'ils
452 VISITE
portent pendant un certain temps, dans une dissolution sa-
turée-d'un sel contenant ce métal en combinaison. Le courant
se trouvant ainsi fermé, car la dissolution doit être conduc-
trice de l'éleclricité, il y a décomposition du sel; le métal de
ce sel va se déposer lentement sur le pôle négatif, c'est-à-dire
sur la pièce à recouvrir; l'acide et l'oxygène se portent
sur le pôle positif où est la plaque , attaquent et dissolvent
les surfaces de cette plaque pour remplacer en partie, dans la
dissolution, 1b métal déposé. Après cette opération, la pièce
à galvaniser se trouve recouverte d'une couche métallique
d'autant plus solide et résistante, que le dépôt se sera formé
avec plus de lenteur et plus de régularité dans le courant
électrique.
On agit pareillement avec les métaux qui peuvent entrer
dans une combinaison soluble et dont la dissolution est con-
ductrice de l'électricité.
C'est par ce procédé, en effet, qu'on dore et argenté tous;
les métiiux, qu'on recouvre d'une couche de cuivre plus ou.
moins épaisse, les empreintes en creux, prises sur les mé--
dailles, b:is-reliefs, etc., qu^on peut aussi reproduire avec
une fidélité parfaite le travail de ciselure le plus délicat, les;
ornements les plus compliqués et multiplier à l'infini les >
œuvres des grands artistes.
Les ga'eries de l'Exposition nous présentent dans tout leur
parcours des preuves iuconie^tables de celte merveilleuse facul-
té. De nombreux bas-reliefs, des trophéesd'armes, desbustes,,
des statues même sont à chaque pas autant de sujets d'admi--
ration. On distingue surtout les statues de MM. Elkingtoni
Mason et Cie de Londres, le bas-relief les Willis , de-
M. Kress, à OfT.mback, les compOïitions de fleurs et les in-
sectes de M. Piedallu, de Rennes; une poignée d'épée de'
M. Delacourt, un grand bas-relief dargent de M. Wollgolds,
à Berlin, et divers échantillons remarquables de broderies,
dentelles et passementeries métalliques de M. Marion , de'
Paris.
Moteurs électriques.
Lorsqu'un courant électrique rencontre dans le circuit qu'il
parcourt un morceau de fer doux et s'y enroule un grand
nombre de fois , ce morceau de fer , comme on l'a vu précé-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 453
demment, est instantanément aimanté, quelquefois même
avec force, et cela tout le temps que le courant est établi,
puis retombe avec la même instantanéité dans son premier
état d'indifférence aussitôt que le circuit est rompu. Ce mor-
ceau de fer doux est recourbé en fer à cheval, et autour de
ses extrémités s'enroule plusieurs fois le fil conducteur, re-
couvert de soie pour éviter toute déperdition d'électricité. Il
présente ainsi l'aspect de deux bobines réunies auxquelles on
donne le nom d'éleclro-aimant.
C'est cet électro-aimant qui est le principe sur lequel repose
l'établissement des moteurs électriques. Sa fonction, dans ces
appareils, con?iste uniquement à attirer par instants une
pièce de fer doux appelée armature, qui ne peut s'en appro-
cher complètement. A chaque attraction ce fer s'avance vers
l'électro-aimant, lequel, perdant aussitôt sa puissance, lui
laisse continuer en sens inverse le mouvement qu'il a reçu ,
mais qui, reprenant ensuite son action attractive, le ramène
du premier côté pour lui faire produire ainsi un mouvement
continu de va-et-vient.
Tantôt, au lieu d'être ramené à sa première position par le
même électro-aimant, l'armature se trouve, après son pas-
sage, sous l'influence d'un second qui la fait arriver de la
même manière sur un troisième, et, en continuant ainsi,
elle exécute un mouvement de rotation.
D'autres fois encore , le fer doux, attiré par intermittence ,
communique un mouvement de va-et-vient à un balancier
qui, lui-même, fait tourner un volant; c'est l'impulsion que
ce volant possède qui relève le fer après chaque attraction
pour le rendre propre à subir l'influence d'une attraction nou-
velle, ou bien c'est un second électro-aimant qui, lorsque le
premier a fini son action , attire un second fer doux placé à
l'autre extrémité du balancier et relève le premier fer.
Dans ces divers systèmes , le mouvement produit se charge
lui-même de réunir ou de séparer les deux fils conducteurs
pour établir ou rompre le passage du courant et donner ou
retirer à l'électro-aimant son pouvoir attractif.
Peut-être est-il réservé à ces sortes d'appareils un avenir
plus brillant, mais jusqu'à ce jour les résultats obtenus ne
laissent pas entrevoir îa possibilité de leur faire acquérir une
importance assez grande pour offrir une nouvelle ressource à
454 VISITE
l'industrie ; tous les moteurs électriques actuels ne servent
guère, en effet, qu'aux besoins de la science, pour l'exécu-
tion de certaines expériences demandant beaucoup de préci-
sion. La dépense occasionnée par les acides et les métaux de
la pile, qui surpasse de beaucoup, pour la même force, celli> du
combustible des plus faibles machines à vapeur, est une des
causes principales qui retarde leur développement, et si de
grands perfectionnements doivent survenir, on peut supposer
qu'ils seront presque uniquement apportés à la production de
l'électricité.
Tous les moteurs exposés se rapprochent dn même prin-
cipe et montrent combien de dispositions différentes on peut
adopter pour arriver au même résultat ; toutes les combinai-
sons mécaniques semblent avoir été mises en œuvre pour pro-
duire le mouvement rotatif.
Parmi les moteurs que présente l'Exposition, on dislingue
ceux de M. Froment, remarquables autant par la perfection
de l'exécution que pour leur fonctionnement régulier, de-
puis longtemps connu , et les nombreuses variétés de moteurs
de l'invention de M. Dézôlu. Deux surtout sont remarqua-
bles : dans l'un l'électricité est distribuée par une détente
fort ingénieuse ; l'autre fonctionne indifféremment sous pres-
sion ou dans le vide.
Télégrajhes électriques.
La vitesse avec laquelle l'électricité parcourt les fds métal-
liques, et qu'on suppose de plus de 100 000 kilomètres par
seconde, est la cause première qui a fait penser à l'établisse-
ment des télégraphes électriques; mais ce n'est que récem-
ment qu'une nouvelle propriété des courants ayant été décou-
verte, l'on a pu réaliser avec succès cette pensée et obtenir
des résultats surprenants, dépassant tout ce que les premiers
essais pouvaient faire espérer.
Cette propriété, sur laquelle reposent les télégraphes ac-
tuels, est celle qu'ont les courants électriques de donner l'ai-
mantation à un morceau de fer doux tout le temps seulement
qu'ils l'entourent. Ce fer doux est replié ordinairement, de
manière à présenter la forme d'un fer à cheval , et on enroule
un grand nombre de fois, sur ses extrémités, le fil conduc-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 455
leur dans lequel passe le courant , et que l'on recouvre de
soie pour éviter la déperdition de rélectricilé. On obtient ainsi
une sorte de donble bobine que l'on appelle électro-aimant.
Les télégraphes électriques se composent donc en prin-
cipe : d'une pile placée à une station, d'un électro-aimant
placé à une autre et d'un fil conducteur venant d'un des pôles
de la pile jtjsqu'à l'électro aimant , puis, revenant ensuite à
l'autre pôle en formant ainsi un circuit pour le passage du
courant. A la première station de départ, on ferme ou on ouvre
le circuit et on établit ou on détruit à volonté le courant; en
même temps et par ce fait, à la station d'arrivée, l'électro-
aimant prend ou perd l'aimantation et devient capable de pro-
duire un effet mécanique que l'on peut appliquer à faire
mouvoir un petit système quelconque. Le fil conducteur, au
sortir des bobines, n'a pas besoin de revenir au !>econd pôle
de la pile, il suffit de le mettre, ainsi que le pôle qui lui cor-
respond , en communication intime avec le sol qui , étant con-
ducteur de l'électricité, se charge de fermer le circuit.
Ces éléments des télégraphes sont invariables et les appa-
reils différent seulement entre eux par le système de fermeture
ou d'ouverture du circuit, c'est-à-dire par le manipulateur et
*par le système de signal que l'on fait produire à l'électro-ai-
mant à l'aide du récepteur.
On peut rapporter les télégraphes électriques à trois types
principaux ; le télégraphe à cadran, le télégraphe à signaux
et le télégraphe écrivant.
Dans le télégraphe à cadran , le premier imaginé par
M. Wheastone, le courant quittant le pôle positif de la [)ile se
rend dans le manipulateur, à une lame de cuivre, formant
ressort et s'appuyant continuellement sur l'une des treizedents
d'une roue métallique; il passe ensuite dans une seconde
lame faisant également ressort, mais dont l'extrémité e?t une
lame tellement taillée, qu'il n'y a contact avec les dents de la
roue qu'à un certain moment de leur passage et séparation
tout le reste du temps, de là, circulation et interruption du
courant. De cette seconde lame, le courant pa^se dans le fil
qui le mène à l'autre station dans le récepteur : là, il entre
dans les bobines d'un électro-aimant qui attire alors un petit
levier, ou armature en fer doux, mobile autour d'une de ses
extrémités et portant une fourchette à son autre bout. Ce
456 VISITE
levier ainsi attiré par l'électro-aimant, lorsque le courant
passe, reprend, aussitôt que ce dernier est rompu, sa position
primitive que tend à lui faire conserver l'action d'un petit
ressort; il résulte ainsi un mouvement de va-et-vient du le-
vier et de sa fourchette, lequel mouvement transmis, par cette
fourchette, sur une roue à rochet de treize dents, détermine
enfin la rotation d'un aiguille placée sur l'axe de la roue et
qui se meut sur un cadran divisé portant les vingt-cinq lettres
de l'alphabet et un espace vide pour les repos.
On comprend qu'autant de fois le courant est établi, ou
rompu, autant de mouvements, soit d'aller, soit de retour,
exécutent le levier et sa fourchette, autant de demi-dents, si
l'échappement est convenablement disposé, passe la roue à
rochet, et autant de lettres indique l'aiguille.
Pour établir ou interrompre le courant, il suffit simplement
de faire marcher la roue métallique du manipulateur qui se
charge, par le contact et la séparation alternative de ses dents
et du ressort à came, de fermer ou d'ouvrir le circuit; on fait
passer ainsi autant de demi-dents qu'on veut montrer de
lettres. On ajoute, à cet effet, sur l'axe de cette roue du ma-
nipulateur, une aiguille qu'on manœuvre à la main sur un
cadran semblable au précédent, de manière que les aiguilles
des deux stations étant au même point, si l'on fait passer un
certain nombre de lettres à l'aiguille du manipulateur, celle
du récepteur de la station en franchira le môme nombre ; en
sorte que les aiguilles des deux stations indiqueront toujours,
au même instant, la même lettre.
Pour avertir l'employé d'une station qu'une dépêche va lui
être transmise, on adapte à cette station une sonnerie, que
cet employé doit introduire dans le circuit aussitôt qu'une
correspondance est suspendue. Cette sonnerie porte une dé-
tente, mue par un électro-aimant à la manière des télé-
graphes.
La forme et les dispositions du télégraphe de M. Wheastone
ont été modifiées avec quelques avantages; iM. Bréguet a
changé, par exemple, la fonction de l'électro-aimant dans le
récepteur, en employant son effet à retenir ou à laisser tour-
ner la roue à rochet, sollicitée à ce mouvement par un méca-
nisme d'horlogerie spécial. La roue dentée du manipulateur a
également été remplacée par un disque mobile sur l'axe de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 457
l'aiguille et portant une rainure circulaire régulièrement si-
nueuse, dont les sinuosités s'avancent vers le centre à chaque
deux lettres et dans laquelle s'engage l'extrémité d'un levier;
cette extrémité suit les sinuosités lorsque le di?que est en
mouvement, et s'avance ou se recule à chaque lettre, en
transmettant ainsi le même mouvement à l'autre extrémité du
levier, celle-ci vient alors presser l'un ou l'autre de deux
ressorts placés de chaque côté, et ferme ou ouvre le circuit,
ce qui produit encore une action différente de l'électro-aimant
pour chaque lettre.
Dans un autre télégraphe dû à M. Froment, le manipula-
teur a été transformé en une caisse à clavier portant autant
de touches que de lettres. Un arbre placé dans cette caisse
tend continuellement à tourner par l'effet d'un mouvement
d'horlogerie, et à entraîner dans sa marche la roue qui ouvre
ou ferme le circuit ; mais il est retenu par un cliquet, que la
simple pression, sur une touche quelconque, relève d'ail-
leurs. Sur le contour et dans la longueur de cet arbre, sont
disposés en hélice, autant de petites cames que de touches,
et chacune de ces cames buttant sur la touche correspon-
dante que l'on abaisse pour laisser l'arbre libre d'exécuter
son mouvement, arrête, après une fraction de tour, ce même
mouvement et celui de la roue, à un point particulier de leur
circonférence et détermine ainsi un certain nombre d'inter-
mittences du courant. Quant au récepteur , il est resté ce
qu'il était dans le télégraphe primitif.
Le télégraphe à cadran a été profondément modifié dans
ces derniers temps par M. Siemens. Son télégraphe est dis-
posé pour envoyer aussi bien que pour recevoir une dépêche,
et l'on peut avec un seul appareil répondre à chaque instant
à celui qui parle , ou lui demander la rectification d'une
erreur. La disposition consiste donc, en deux cadrans exac-
tement semblables, analogues au récepteur du télégraphe
ordinaire et placés chacun à l'une des stations; l'armature,
pareillement attirée par l'électro-aimant, fait, à chaque va-
et-vient, passer une demi-dent de la roue à rochet, et par
suite une lettre à l'aiguille. Mais l'arrivée de l'armature sur
l'électro-aimant détermine, par une pière spéciale, la rup-
ture du circuit et aussitôt cette armature qui est tirée con-
stamment par un ressort, revient à sa première position. Ce
458 VISITE
second mouvement rétablit le courant , l'attraclion se fait de
nouveau sentir, et ainsi de suite, de manière qu'il y a une
alternative continuelle d'aller et retour, qui se traduit en une
rotation trèsrapi Je de l'aiguille sur le cadran. Les appareils
des deux stations, communiquant par le fil conducteur,
concourent simultanément à la fermeture et à l'ouver-
ture du même circuit et leurs aiguilles marchent rigoureuse-
ment ensemble; si on vient alors suspendre la marche de
l'une d'elles, en restant sur une lettre, il en résultera le
prolongement d'un passage ou d'une interruption du cou-
rant, qui arrêtera nécessairement la marche de l'autre sur la
même lettre; de là, la possibilité de correspondre. M.Sie-
mens a aussi disposé cet appareil pour être accompagné
d'un mécanisme lui permettant de donner la dépèche im-
primée.
Le télégraphe à signaux de M. Bréguet, adopté par l'admi-
nistration des lignes télégraphiques de France, fait paraître
au lieu de lettres les mêmes signes que ceux au! refois en
usage dans la télégraphie aérienne. Il n'est pour ainsi dire
que la réunion de deux télégraphes à cadran ordinaires, car
si Ton suppose deux de ces télégraphes manœuvres en même
temps, et di.-pos,és pour faire produire à leurs aiguilles indi-
catrices, mobiles aux extrémités d'une ligne noire peinte sur
le cadran du récepteur, huit positions dans un tour au lieu
de vingt-six qu'exige l'alphabet, on aura lidée principale du
télégraphe à signaux.
On emploie généralement en Angleterre un télégraphe à
signaux , fondé sur l'action des courants électriques sur les
aimants naturels. Il consiîte en une aiguille d'acier verticale,
aimantée, s'intiinant à droite ou à gauche par l'effet de l'at-
traction d'un courant électrique qui l'environne et dont on
change alternativement la direction, en amenant, par un mé-
canisme très-simple, chacune des extrémités du fil établissant
le circiiit, tantôt sur un pôle, tantôt sur l'autre de la pile.
L'aiguille aimantée transmet tous ses mouvements à une ai-
guille indicatrice placée sur le même axe à l'extérieur de la
boîte renfermant le système, et dont les nombres d'oscilla-
tions à droite, à gauche ou combinés, forment autant de
signes conventionnels. Quelquefois on profite des oscillations
de l'aiguille extérieure pour la faire frapper sur deux timbres
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 459
de sons différents et placés de chaque côté. L'audition peut
alors supi)léer à la vue pour la réception de la dépêche.
Les télégraphes écrivant présentent une supériorité incon-
testable sur ceux à cadran et à signaux par l'avantage qu'ils
possèdent de laisser des traces ou des empreintes de la dé-
pêche transmise. Divers appareils ont élé construits pour
atteindre ce résultat et parmi eux, celui de M. Froment se
distingue spécialement par l'exactitude de son fonctionne-
ment, la netteté et la forme des signes tracés. Le récepteur se
compose des bobines électro-magnétiques ordinaires, d'une
armature portant un crayon et d'un mouvement d'horlogerie
amenant lentement, par l'intermédiaire de petits tambours,
une bande étroite de papier sous le crayon ; le mouvement
de va-et-vient, résultant de l'action de l'électro-aimant et
donné à l'armature et à son crayon, fait tailler et avancer en
même temps à mesure qu'il s'use, ce crayon sur le papier,
pour qu'il y appuie constamment. Ce mouvement combiné
avec la marche du ruban de papier, donne lieu à une série de
petites lignes tranversales, très-distinctes, liées une à une
par leurs extrémités et formant des dentelures. Lors d'un
arrêt, l'armature et son crayon restant stationnaires, il se
produit sur la bande une simple ligne longitudinale, partant
du groupe obtenu, et se brisant, pour former une nouvelle
série de dentelures, aussitôt qu'on donne un nouveau signal.
En convenant d'avance, que la quantité des lignes transver-
sales, renfermées dans chaque groupe, servira à déterminer
la lettre ou l'idée qu'il faudra attribuer à ce groupe, on
comprend qu'il ne s'agisse plus , pour transmettre une
idée, que d'ouvrir ou de fermer successivement le circuit,
autant de fois qu'il est besoin de lignes transversales pour
l'exprimer.
Le manipulateur se compose d'un disque mobile sur son
centre et portant un certain nombre de boutons manœuvra-
bles à la main ; à quelque position que soient ces boutons, ils
sont toujours chacun en face d'un des numéros fixes, marqués
autour de leur disque à partir de 0, et en continuant la
suite des nombres 1,2, 3, 4, etc., de manière qu'un bouton
étant amené au 0, en tournant en sens inverse de la gradua-
tion , on aura fait passer devant ce point autant de boulons
que le chiffre fixe , placé en face du premier, indiquait d'u-
460 VISITE
nités. Sous ce premier disque il y en a un second qui tourne
avec lui et joue le même rôle que la roue dentée des télé-
graphes ordinaires; c'est-à-dire, qui laisse passer ou inter-
rompt le courant, et comme chacune de ces actions a lieu au
passage de chaque bouton devant le 0 , il suit qu'autant de
boulons l'on fera passer devant ce point fixe, autant de fois
le circuit sera fermé ou ouvert. Il suffit donc de tourner le
premier disque d'un nombre de boutons égal à celui des lignes
que Ton veut faire entrer dans un groupe, ou, en d'autres
termes, amener, au point fixe 0, le bouton placé en face le
numéro représentant le nombre de lignes à tracer, pour faire
paraître sur le ruban de papier la représentation de la lettre
ou de l'idée qu'on veut exprimer. Les arrêts indispensables
pour reprendre un autre bouton donnent lieu à la petite ligne
longitudinale utile pour séparer les groupes; de plus grands
arrêts, pour séparer les phrases, donnent une ligne plus
longue.
Le télégraphe écrivant de M. Morse est d'une disposition
assez siiDple. Les signes sont des traits plus ou moins longs
accompagnés d'un ou plusieurs points, et formant, par les
diverses combinaisons dont ils sont susceptibles avec ces
points, des groupes séparés auxquels on attache une signifi-
cation quelconque. Ces traits et points sont obtenus par
l'enfoncement plus ou moins prolongé d'un poinçon métal-
lique, faisant office de crayon, sur une bande de papier,
comme dans le système de M. Froment; seulement l'un des
tambours sur lequel passe cette bande est élast^ue, ou
mit ux, porte une rainure circulaire dans laquelle lg|)oinçon
s'engage et oblige le papier à se gaufrer. Ce poinçon est fixé
au bout du levier dont l'armature subit l'action de l'électro-
aimant, et il agit seulement sur le papier, lorsque celte arma-
ture est attirée. En fermant le circuit plus ou moins long-
temps, on peut, d'après cela, faire marquer, par le poinçon,
des lignes plus ou moins longues et des pomts. Ce télégraphe
a subi de nombreuses modifications et transformations, géné-
ralement assez peu importantes et sans avantages marqués.
Les services que rendent chaque jour les télégraphes élec-
triques ont porté la plupart des savants et des constructeurs
à rechercher des moyens nouveaux pour simplifier et étendre
les ressources des appareils destinés à la transmission des
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 461
signaux. L'Exposition universelle montre que tous les pays
sont préoccupés au plus haut degré de rendre général l'emploi
de cette belle découverte, l'une des plus grandes du siècle.
Par l'examen rapide des nombreux appareils exposés, on re-
connaît que les télégraphes à cadrans ne sont plus guère em-
ployés , et que partout la tendance est portée presque exclu-
sivement vers l'usage des télégraphes écrivants. L'Angleterre
seule reste s'a!ionnaire à cet égard ; elle semble ne pas tenir à
modifier son mode de correspondance qui, d'ailleurs, est très-
simple et consiste, comme on le sait, à se servir des télégra-
phes magnétiques. Les lignes télégraphiques françaises em-
ploient encore les signaux; cependant elles commencent
aujourd'hui à se servir des télégraphes à dépêches écrites ; la
plus grande partie de l'Allemagne et des États-Unis se servent
depuis longtemps de ce dernier moyen de transmission de
dépêches.
La France, l'Allemagne et la Suisse offrent les appareils
dont la construction est la plus parfaite ; on trouve, en effet,
les divers types de télégraphes établis sur les principes déjà
connus, mais avec des modifications de tous genres, dans les
expositions de MM. Froment, Bréguet, P. Garnier, en France;
GurltetCie, en Prusse; Briiggmann, à Brème; J. Berg, et
Sœrrenden, en Suède ; dans celles de la compagnie Eastern-
Railway; de MM. Dering, Henley, en Angleterre, etllipp, en
Suisse.
Maiifâplus grands perfectionnements apportés à la télé-
graphijfertrique, et qui ont des caractères tout à fait nou-
veaux,^Sdusà l'invention de M. le docteur Gintl,de Vienne,
qui, le premier, a eu la pensée, par des combinaisons toutes
spéciales, déduites des résistances diverses qu'on peut faire
éprouver à l'électricité dans son passage par les électro ai-
mants , et de l'introduction de piles locales dans un même
courant, de transmettre , dans les deux sens d'un même fil,
deux dépêches à la fois. Les appareils de M. Gintl sont expo-
sés par les ateliers impériaux du télégraphe de Vienne.
M. Wartmann , de Genève , a construit aussi des appareils
destinés à produire les mêmes effets ; mais, de tous, ceux de
M. Siemens, de Berlin, se distinguent par des modifications
importantes, apportées à l'idée de M. Gintl, qui ont fait
acquérir à leur fonctionnement une exactitude rigoureuse.
462 VISITE
L'imagination reste confondue quand on voit ces télégra-
phes transmettre dans le même instant deux dépêches diri- ;
gées en sens inverse, et qu'on suppose, au premier abord, .
devoir se croiser dans le même fil. On donne de ces nou- :
veaux appareils diverses explications qui ne permettent pas ;
encore d'être fixé sur la nature des phénomènes qui s'accom- i
plissent.
i
Sonnerie électro-télégraphique, applications diverses de j
l'électricité, fils électriques. ^
i
Tous les télégraphes précédents applicables aux grands j
services publics n'offrent plus les mêmes avantages lorsqu'il '
s'agit de les faire servir à l'industrie et aux besoins dômes- J
tiques; il faut dans celte dernière circonstance des appareils :
d'une pratique facile et d'une disposition peu coûteuse.
M. Mirand. de Paris, est arrivé à ce résultat depuis long- i
temps cherché : il préi^ente à l'Exposition une sonnerie élec- '
tro-télégraphique d'une grande simplicité, qui a déjà de ;
nombreuses applications et qui est destinée à en recevoir un
nombre bien plus considérable. Son appareil peut servir dans i
tous les grands établissements : usines, hôpitaux, hôtels, etc.; ;
dans les maisons particulières pour correspondre à tous les j
étages; il peut aussi être appliqué dans les chemins de fer. |
pour faire correspondre sur un convoi le mécanicien avec le j
garde-frein du dernier wagon , et dans la marine pour la '
transmission des ordres d'une extrémité à l'autre des na-
vires ; il comble enfin une lacune laissée par la télégraphie 1
électrique et d'une importance assez grande, en ce sens |
qu'elle consiste à mettre l'emploi de l'électricité à la portée :
des besoins de tous les jours.
Le principe de cette sonnerie est l'action directe de l'élec- |
tro-aimant sur la tige portant le marteau, de manière à faire :
frapper à celui-ci un coup pour chaque attraction. A l'aide !
de n)oyens de communication et de transmis-ion ingénieux, ;
on peut établir une correspondance en attribuant d'avance ■
une signification particulière aux combinaisons que l'on peut |
produire, de coups de marteau simples et de roulement, i
Les appareils de M. Mirand sont incontestablement remar- \
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 463
quables, autant par leur extrême simplicité que par leur
exactitude et le peu d'entretien qu'ils réclament.
On dislingue encore dans les différentes applications de
l'électricité aux sciences et à l'industrie, l'anémographe pour
mesurer la direction, la durée et la force des vents; un régu-
lateur de la température et un système de communication
entre les trains des chemins de fer, de M. du Moncel; l 'élec-
tro-trieuse de M. Chenot, construite par M. Froment pour
la séparation du fer dans les minerais; l'appareil électro-dy-
namique et celui électro -médical de M. Breton; ceux de*
M. Deleuil et de M. Beckking, en Hollande ; et enfin l'appareil
électro-magnétique de M. Henley, en Angleterre, pour faire
sauter les mines.
Les fils employés pour établir les circuits électriques sont
de plusieurs espèces , ils sont généralement de fer galvanisé
pour les circuits aériens, de fer ou de cuivre et recouverts
d'une couche assez épaisse de gutta-percha pour les circuits
souterrains, et présentent une construction un peu plus com-
pliquée quand ils sont destinés à traverser les mers. Dans ce
dernier cas , tous les fils d'une même direction sont recouverts
chacun de gutta-percha, puis réunis dans une enveloppe gé-
nérale de la même substance et constituent ainsi un cylindre
unique; enfin, un cerlain nombre de fils de fer a-sez gros
entourent ce cylindre en formant une hélice très-allongée, et
de manière à faire présenter à l'ensemble l'aspect d'un câble
métallique.
Les fils destinés à former les électro-aimants sont de dif-
férents métaux, mais le plus ordinairement de cuivre rouge,
recouvert de soie pour les très-petits diamètres, et de coton
pour les plus gros, afin de les isoler complètement et de trans-
mettre, sans déperdition, l'électricité qu'ils sont destinés à
propager.
La fabrication de ces derniers fils est représentée particu-
lièrement par M. Prud'homme, de Paris, qui expose une série
d'échantillons comprenant tous les diamètres usités.
Les expositions de MM. Newal et Cie , Kupper et Cie , en
Angleterre , et Felten et Guilleaume , en Prusse, nous mon-
trent la collection complète des modèles de câbles déjà posés
et de ceux qui doivent bientôt franchir la Méditerranée, de
l'Italie en Afrique.
464 VISITE
CLASSE X.
Arts chimiques , teintures et impressions, industries des papiers, ,
des peaux , du caoutchouc , etc. j
î
II y a soixante ans à peine que les nombreuses recettes dis- i
séminées dans les usines métallurgiques, dans les teinture- j
ries, dans les officines des pharmaciens, se sont réunies en un ;
faisceau qui a constitué la chimie; si, jetant un coup d 'œil en
arrière, on examine le chemin parcouru dans ce court espace \
de temps par cette science si jeune encore, on sera émerveillé ■
des découvertes industrielles auxquelles elle a donné nais- '■
sance ; on comprendra tout ce qu'elle pourra faire sortir du i
champ si vaste qui s'ouvre devant elle. ;
Quelques années après que la grande école de la fin du ;
xviir siècle, que Scheele, en Allemagne, Pricstley et Caven- ;
dish, en Angleterre, Lavoisier, Guyton de Morveau, Ber- i
thollet, en France, avaient fondé la chimie scientifique, plu- '
sieurs grandes découvertes industrielles vinrent montrer la j
fécondité des nouvelles doctrines, ■
Au commencement du siècle, Berthollet découvrait le blan- ;
chiment du chlore pour les tissus et le papier ; Leblanc fabri- j
quait la soude artificielle, la soude, cette matière, de première \
uti.ité, employée en si grande quantité par les verreries, les i
savonneries, etc. \
Plus tard. M. Chevreul, dans ses magnifiques travaux sur ;
les corps gras, donnait le premier l'idée de remplacer les '
chandelles de suif par ces belles bougies sléai-iques, que i
M. de Milly arrivait bientôt après à fabriquer écononiiquement. |
L'éclairage au gaz, l'épurage des huiles venaient s'ajouter à '
cette nouvelle industrie et métamoiphosaient complètement :
^a^pect de nos cités.
L'art de la teinture faisait de nombreux progrès ; une nou- •
velle matière, le caoutchouc, d'abord employée timidement, I
affecte bientôt les formes les plus diverses, se prête aux usages
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. -465
les plus variés sous l'influence des modifications que la chi-
mie lui fait subir.
La pharmacie, armée de nouveaux médicaments énergiques,
arrive à supprimer complètement la douleur dans les opéra-
tions chirurgicales à l'aide de lélher et du chloroforme, ces
agents aussi merveilleux que redoutables.-
Enfin, en même temps que la science agronomique se con-
stitue avec les nombreux travaux de M. Boussingault, le grand
problème de la conservation des viandes, c'est-à-dire l'alimen-
tation à bon marché, fait chaque jour de nouveaux progrès
et arrivera bientôt, sans doute, à une solution complète.
L'importance et l'éclat de ces découvertes, qui se sont suc-
cédé si rapidement, le nombre d'hommes éminents qui pour-
suivent ces recherches , l'intérêt toujours croissant qui s'at-
tache à ces travaux , font croire que la chimie, qui en est
encore à son début, nous reserve de nouvelles créations
aussi fécondes qu'inattendues.
Les produits chiîniques et pharmaceutiques , sont presque
entièrement placés dans la galerie sud de l'annexe, à l'excep-
tion des flacons peu nombreux des Anglais qui sont déposés au
rez-de-chaussée.
L'exposition des produits chimiques est tout à fait remar-
quable par le nombre et la beauté des objets qui la compo-
sent; quelques-uns d'entre eux étaient tout à fait inconnus,
et beaucoup d'autres n'avaient jamais paru en masses consi-
dérables.
L'Angleterre nous a semblé un peu au-dessous de sa répu-
tation et de ce qu'elle aurait pu nous montrer; il est possible,
au reste, que cette partie de son exposition soit encore incom-
plète , au moment ou nous écrivons.
A part quelque sels de lilhine peu connus en France , et qui
sont en quantités relativement considérables, nous n'avons
rien trouvé de bien remarquable.
Son prussiate jaune n'est pas plus beau que celui que tout
le monde a exposé (tous les fabricants de produits chimiques
en ont mis un ou plusieurs échantillons); mais il présente ce-
pendant un intérêt particulier parce qu'il est fabriqué par une
méthode parfaitement en harmonie avec la richesse de l'An-
gleterre en combustible, et avec son respect pour toutes les
matières propres à donner des engrais. En France, on obtient
206 ee
466 VISITE
le prussiate en calcinant , dans des appareils de fer, avec du
carbonate de potasse, du charbon animal très-riche en matiè-
res azotées, et provenant de cornes, de vieux cuirs, etc. Les
Anglais procèdent dilTéremment, ils ont monté, à Newcastle,
une fabrique où le produit s'obtient par l'action directe de
l'azote de l'air sur du charbon imprégné de carbonate de
potasse; on combine ensuite le cyanure de potassium formé
avec du carbonate de fer, pour faire le prussiate jaune. C'est
ainsi qu'on obtient le beau sel cristallisé qui sert surtout à la
fabrication du bleu de Prusse; le haut prix du combustible
empêcherait probablement le procédé anglais d'être écono-
mique chez nous; il est fâcheux qu'il en soit ainsi, car la
fabrication du prussiate jaune consomme annuellement plus
de trois millions de kilogrammes de matières animales qui
pourraient être utilement employés par l'agriculture.
En parcourant la galerie sud de l'annexe, nous rencontrons
d'abord les produits allemands, Autriche et Prusse, devant
lesquels nous devons nous arrêter longtemps; au point de vue
scientifique, cette exposition est peut-être plus riche que la
nôtre.
La manufacture royale de produits chimiques de Schone-
beck , près de Magdebourg (Saxe , royaume de Prusse) , nous
montre, entre autres produits curieux, des métaux alcalins en
masses considérables.
Il n'y a pas cinquante ans , pendant que la France soutenait
la grande guerre contre les Anglais, l'Académie des sciences
décerna, malgré la rivalité des deux nations, le grand prix
des sciences physiques à sir Humphry Davy, pour avoir le
premier décomposé les alcalis caustiques, la potasse et la
soude, et en avoir extrait deux métaux, le potassium et le
sodium. Le chimiste anglais préparait à peine quelques déci-
grammes des nouveaux corps. Gay-Lus^ac et M. Thénard en
fabriquèrent bientôt de plus grandes quantités , et chaque
collection put alors avoir une petite parcelle des nouveaux
métaux , dont les prix étaient encore extrêmement élevés.
M. Brunner, puis enfin M. Deville sont arrivés à nous donner
'ces métaux en telles masses et avec tant de facilité, que le
sodium pourra servir de base à une industrie, au lieu d'être,
comme il était encore il y a six mois, un produit de labora-
toire et de collection.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 467
Il est fâcheux que ces métaux soient conservés dans l'huile
de naphte, qui ne les préserve qu'imparfaitement de l'oxy-
dation; aussi présentent-ils une couleur terne et grisâtre;
tandis que s'ils étaient placés dans le caprylène , nouvel hy-
drogène carbuné découvert récemment par M. Bouis, ces mé-
taux conserveraient la belle couleur argentée qui les caracté-
rise.
On peut voir encore dans l'exposition que M. Macquart ,
de Bonn (Prusse Rhénane), a réuni aux produits photographi-
ques et daguerriens, acide actique , acide pyrogallique, col-
lodion , brome, une série d'acides très-intéressante : acide
butyrique , acide lactique , acide valérianique et de plus
quelques produits rares, tels que l'huile des hollandais, le
chloroforme de M. Shonebeck, un échantillon d'acide phos-
phorique vitreux de la plus belle apparence.
Nous trouvons dans l'exposition du docteur Lamatsch , de
Vienne , une remarquable collection d'éthers composés obte-
nus en ma>ses considérables. C'est là ce qu'aucun fabricant
français n'a montré. Il appartenait en effet à l'Allemagne, qui
a tant contribué à faire progresser la chimie organique, de
montrer qu'elle fabrique avec facilité tous les produits qu'elle
emploie journellement dans ses recherches.
Les autres produits chin:iiques du docteur Lamatsch sont
encore préparés avec beaucoup de soin et même arrangés
avec un certain goût , ce qui est assez rare chez nos voisins
du Rhin.
L'exposition de M. Seybel, à Liebing, près Vienne, nous a
semblé aussi digne de remarque.
La Belgique nous apparaît avec les nombreux produits du
zinc, que son sol lui fournit en si grande abondance, et
qu'elle a su si habilement exploiter. Parmi tous les objets
fabriqués avec ce métal , l'oxyde connu sous le nom de blanc
de zinc est le seul qui nous regarde. Ce composé est main-
tenant employé comme couleur. Il ne présente pas les graves
inconvénients de la céruse, il ne noircit pas aux émanations
sulfurées, il se travaille sans risques pour la santé des ou-
vriers , tandis que la céruse occasionne ces terribles mala-
dies connues sous le nom de coliques de plomb , et qu'on est
bien souvent impuissant à guérir. Ce blanc de zinc se fabri-
que maintenant en France en grande quantité ; tout le monde
468 VISITE
a pu voir aux environs d'Asnières la belle usine que la société
des mines de zinc de la Vieille-Montagne y a élablie.
Cette société a encore exposé quelques échantillons de verre
à base de zinc qui paraissent aussi beaux que le cristal,
mais qui ne pourront de longtemps entrer dans les usages
domestiques ; l'oxyde de zinc ne se vitrifie pas par le sable
comme loxyde de plomb, mais par l'acide borique, dont le
prix est encore considérable.
A côté du zinc, nous trouvons dans l'exposition belge le
cadmium, qui est beaucoup plus rare, et qui fournit une
belle couleur jaune quand il est combiné avec le soufre.
M. Basse, de Curegbem-lez Bruxelles, a une belle série d'hui-
les préparées pour Ihorlogerie , la conservation des métaux ,
pour les machines et les filatures.
Arrivons en France, oîi se remarquent plusieurs produits
d'une haute importance, en première ligne l'aluminium, ce
nouveau métal si récent et si vite populaire. M. Rousseau en
a exposé une petite quantité , mais on a réservé pour le
Panorama la plus grande partie de ce qui est déjà fabriqué ;
des lingots se trouvent sur un meuble de velours adossé au
mur circulaire , et quelques objets fabriqués sont placés dans
l'exposition de M. Christofle. M. Sainte-Claire Deville a pu-
blié , il y a six mois à peine , les procédés qu'il a employés
pour obtenir des quantités notables d'aluminium, qui avait
été , au reste , déjà isolé depuis longtemps par le chimiste
allemand Wœhler.
L'aluminumi peut se tirer des aluns, qu'on fabrique, comme
l'on sait, avec des schistes , qui sont très-abondants à la sur-
face du globe. Ainsi les minerais sont très-communs ; malheu-
reusement l'extraction est difficile et assez compliquée. L'alu-
mine une fois extraite des aluns , il faut la transformer en
chlorure : cette opération peut encore réussir en grand , bien
qu'elle présente des difficultés ; enfin ce chlorure d'alumi-
nium , qu'au reste M. Deville a exposé à côté de ses Imgots ,
est décomposé par du sodium , un de ces métaux alcalins
dont nous avons parlé déjà, et dont M. Deville a perfec-
tionné l'extraction en vue d'obtenir l'aluminium. Cette dé-
composition du chlorure d'aluminium par le sodium ne
marche pas encore avec toute la régularité désirable. Quoi
qu'il en soit, nous avons bon espoir; l'argent ne fait pas dé-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 469
faut à M. Deville , un auguste personnage y a pourvu. Nous
espérons donc qu'on arrivera à transformer en opération in-
dustrielle lopération de laboratoire qui a donné l'aluminium
existant déjà.
Supposons donc le métal obtenu en grande quantité et à bas
prix (maintenant il est aussi cher que l'or), examinons ses
propriétés. 11 est d'une légèreté extrême , c'est là sa prin-
cipale qualité; il ne fond qu'à une température élevée (son
point de fusion est voisin de celui de l'argent) ; il est encore
doué d'une sonorité spéciale qui permettra de l'employer uti-
lement dans la fabrication des instruments de musique. Voilà
bien des avantages : mais, il faut le dire, lorsqu'il est tra-
vaillé , il perd beaucoup de son brillant, si nous en jugeons
du moins par les trois petits objets fabriqués qui se trouvent
dans l'exposition de M. Christofle : sa couleur gris foncé
rappelle plutôt celle du zinc et celle de l'étain que celle de
l'argent ou du platine; enfin a-t-il une ténacité, une dureté
suffisantes pour être employé aux usages habituels des mé-
taux , c'est ce dont il est permis de douter. Quoi qu'il en soit,
il serait imprudent de rien préjuger; ce travail est entre des
mains habiles, entreprenantes, qui ne laisseront pas péricliter
l'œuvre qu'elles ont déjà si bien commencée.
Pour en revenir à M. Rousseau, nous trouvons encore dans
son exposition un bel échantillon de sesquichlorure de chrome,
un beau corps violet qui jouit de la singulière propriété d'être
insoluble dans l'eau pure et de se dissoudre en quantités indé-
finies, quand cette eau est additionnée d'une quantité extrê-
mement petite d'un composé, très-voisin, de protochlorure de
chrome.
L'ensemble de cette vitrine est très-satisfaisant, les choses
y sont bien classées, sans embarras, sans clinquant; on y
remarque encore de beaux échantillons d'acide gallique et
d'acide pyrogallique, dont la photographie consomme mainte-
nant de si grandes quantités.
M. Rousseau prépare maintenant en grand l'acide hydro-
fluosilicique qui était assez rare il y a encore quelques années,
et qu'il peut donner à iO fr. les 100 kilos. On nous assure
même que les prix baisseront encore.
MM. Véron et Fontaine ont exposé les beaux sels de co-
balt de M. Fremy, du valérate de potasse en quantité consi-
470 VISITE
dérable, de l'urée parfaitement blanche et cristallisée. Près
d'un pain de sel ammoniac gigantesque, nous trouvons dans
l'exposition de Cournerie de Cherbourg un grand flacon de
brome, de Tiode jen lames larges comme deux doigts, des
iodures de potassium parfaitement cristallisés; tous ces pro-
duits ont pris depuis peu une grande importance dans la
pharmacie et dans les arts photographiques.
MM. Agard , Prat et Cie ont exposé les produits que
M. Balard a su tirer des eaux mères des salines de la Médi-
terranée, par une méthode aussi simple qu'élégante.
M. Plisson a exposé une série de produits intéressants fa-
briqués sous la direction de M. Henri Buffet; ce ne sont pas
des produits de choix et cela n'en vaut que mieux ; il est plus
intéressant, en effet, de savoir ce qu'on peut acheter que de
voir des produits rares fabriqués spécialement en vue de l'Ex-
position. Nous avons remarqué dans celte même case un
siphon pour les acides, très-commode et qui évitera bien des
touries cassées et bien des jambes brûlées; le petit modèle
d'appareil pour la distillation de l'acide azotique est bien
conçu , et il présente une stabilité qui doit aussi prévenir les
accidents.
M. VVittmann expose de l'acide phosphorique vitreux très-
pur , de l'acide benzoïque très-cristallisé et de beaux échan-
tillons d'iodure, de mercure et de plomb.
Nous trouvons à côté du prussiate jaune qui se rencontre à
chaque pas, du cyanure de potassium dont la fabrication pré-
sente de l'intérêt, maintenant que ce sel est employé en
grande quantité dans les fabriques de dorure et d'argenture
ou de cuivrage par voie électrique. Quelques-unes de ces
nouvelles industries donnent de remarquables produits, té-
moin l'exposition de M. Christofle; quelques-unes aussi don-
nent des produits d'une grossièreté un peu trop primitive,
témoin les deux soldats de zinc recouverts de cuivre de
M. Eug. Paillard.
Bien que nous soyons moins riche que les Allemands en pro-
duits organiques rares, nous pouvons citer la remarquable
collection de la série acétique de MM. Bobée et Lemire. Les
acétates, l'acide acétique cristallisable , l'acétone, l'esprit de
bois s'y trouvent en quantités considérables.
M. Leroy de Vitry-le-François expose aussi un beau flacon
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. i71
de salicine qu'on n'est pas habitué à voir en masses aussi
considérables.
La fabrique Coignet, de Lyon, a exposé une quantité relati-
vement considérable de phosphore noir ; dans cet état, ce corps
simple est moins inflammable et on peut le manier à l'air
sans prendre toutes les précautions qu'exige le phosphore
blanc qui occasionne parfois de si terribles accidents.
L'Autriche a mis aussi dans son exposition un échantillon
de ce même phosphore noir, qui est préparé peut-être depuis
longtemps ou qui a été mal lavé, car il est extrêmement
acide.
Au bas de l'escalier qui conduit à la section des produits
chimiques, il faut remarquer les beaux échantillons de prus-
siate jaune et rouge de l'usine de Bouxviller , dont cet arti-
cle est une des spécialités.
Près de là se trouve le platine travaillé de MM. Desmoutis,
Chapuis et Cie , qui , au reste , ne rentre pas directement dans
le sujet que nous traitons maintenant.
La gélatine est abondante à l'Exposition, en feuilles minces
et déliées, colorées des couleurs les plus vives, portant des
épreuves photographiques , servant d'enveloppes aux médica-
ments à saveur désagréable ; elle se présente sous des formes
bien différentes. MM. d'Enfer frères nous montrent les diffé-
rentes phases de la fabrication de la gélatine ; cette matière
se prépare en faisant macérer dans des vases clos des os
avec de l'eau portée à une température de 106° environ. C'est
à Darcet qu'on doit la construction d'un appareil économique
propre à cette fabrication, qui pourra prendre un développe-
ment énorme si les viandes conservées au moyen dune cou-
che de gélatine sont susceptibles de supporter de longues
traversées sans s'altérer.
M. Pitont a d'énormes cylindres de gélatine coloriée, par-
faitement transparents; il prépare \e jiapier gélatine spéciale-
ment pour les graveurs et les metteurs sur bois , celte géla-
tine fine et transparente pourra aussi utilement servir aux
recherches microscopiques.
Un grand nombre d'industriels joignent à la fabrication de la
gélatine celle des colles-fortes, qui se produisent surtout main-
tenant avec des cuirs avariés, avec des d(
qui ne peuvent être d'aucun autre usage.
472 VISITE
Les produits pharmaceutiques présentent aussi un grand
intérêt. M. Alfred Labarraque a exposé un énorme flacon de
sulfate de quinine ; cette fabrication est devenue d'une grande
importance pour la France. M. Aubergier a su tirer de notre
pavot indigène une grande quantité de morphine qu'on peut
voir à côté du sulfate de quinine de M. Labarraque.
En même temps que des produits chimiques interressants ,
M. Meunier a exposé une série d'extraits de plantes médi-
cinales bien préparés.
Nous devrions, avant d'abandonner cette belle exposition ,
des produits chimiques, passer en revue encore bien des vi- j
trines intéressantes; mais nous devons nous occuper mainte- ;
nant de la parfumerie dont les spécimens sont nombreux, ha- ,
bilement classés chez nous, comme chez les Anglais et les \
Allemands. ;
Les savons s'obtiennent la plupart du temps par la saponi- \
fication des huiles. Cette opération peut se faire avec de la 1
soude ou de la potasse. Dans le premier cas, on obtient des
savons durs; dans le second, des savons mous; ces deux pro-
duits sont les seuls qui soient solubles dans l'eau; la chaux
donne un savon insoluble, elle précipite même les savons so- :
lubies; aussi dit-on d'une eau calcaire qu'elle ne prend pas \
le savon. :
On voit à l'Exposition des savons de toutes couleurs, de 1
tout prix, de toute odeur, des savons à 1 fr. 50 le pain etdes '
savons à 1 fr. le kilogramme. Une chose nous étonne toujours, i
c'est que les produits de la parfumerie coûtent encore des prix i
aussi exorbitants. Quand on vend 1 fr. un savon au benjoin !
d'une odeur ravissante, on doit se dire qu'il entre dans ce \
produit des matières fort chères et fort rares. En effet, il est '
formé de corps gras, de soude et d'urine de cheval putréfiée, I
et de plus, de 40 pour 100 d'eau; mais les parfumeurs sont
d'habiles gens qui ont le talent de vous entortiller les choses ;
dans de nombreux papiers dorés, argentés, avec des adresses i
et des images, toutes choses qui diminuent la marchandise '
mais qui augmentent le prix. \
En France, les couleurs fines de M. Lefranc sont tout à ]
fait dignes d'attention, ainsi qu'en Angleterre celles de !
M. Naumann de Londres, qui nous envoie entre autres choses ■
des couleurs pour l'aquarelle, que nos voisins doivent prépa-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 473
rer mieux que nous, à voir la préférence qu'ont tous les ar-
tistes pour leurs produits.
Parmi les métaux dont les composés sont employés comme
matières colorantes, le plomb avec son carbonate, la céruse
avec ses oxydes, la litharge, le massicot et le minium, son
phosphate, son iodure; le plomb, disons-nons, se présente en
première ligne. La fabrication de la céruse est surtout une in-
dustrie importante, que l'introduction récente du blanc de
zinc n'a pas fait abandonner.
MM. Delaunay et Cie, de Tours, ont de beaux échantillons
de ces différentes matières colorantes à base de plomb.
M. Orsat, de Clichy, expose aussi une belle série de céruses
obtenues par le procédé dit de Clichy, et par le procédé hol-
landais.
Le mercure, qui fournit le vermillon, le cuivre, qui donne
des couleurs bleues et vertes, le fer, enfin, dont les rouges et
jaunes sont si bon marché, et qui, combiné au prussiate
jaune, donne le bleu de Prusse, sont des métaux intéressants
au point de vue de la fabrication des couleurs ; mais nous n'a-
vons remarqué aucun produit bien nouveau dans ces indus-
tries, et nous ne pouvons nous y arrêter davantage.
Parmi les matières colorantes végétales, lindigo que nous
fournissent l'Inde anglaise et les colonies hollandaises se pré-
sente au premier rang avec les bois de teinture de l'Améri-
que. La garance, qui est si répandue maintenant dans le sud
de la France, doit nous occuper spécialement pendant quel-
ques instants.
La Hollande nous envoyait naguère une grande quantité de
garance, mais des impôts établis sur cette importation ont lar-
gement développé la culture en France, qui en fabrique mainte-
nant pour elle et pour l'exportation. En 4840, cette exporta
tion a atteint le chiffre de treize millions de francs , qui doit
être bien dépassé, maintenant que l'Algérie apporte un contin-
gent considérable de cette matière colorante.
MM. Thomas frères, à Angres (Vaucluse) , MM. Faure et
Escoffier, M. Boudin, M. CasteÙan, également de Vaucluse, en-
voient de beaux échantillons des principes colorants de la ga-
rance, dont la culture est des plus importantes pour ce dépar-
tement.
Les racines de la garance ne contiennent, comme l'a mon-
474 VISITE
tré M. Decaisne, qu'une matière colorante jaune : elle ne prend !
une teinte rouge qu'au contact de l'air. Les racines pulvéri- \
sées sont mises en contact avec de l'eau , frottées et lessivées !
à plusieurs reprises afin d'enlever toute la partie solide à froid ; \
la matière colorante, ainsi préparée, porte spécialement le i
nom de garance. Le résidu, traité par l'acide sulfurique, puis \
filtré et lavé, porte le nom de garancine : cette nouvelle ma- ;
tière colorante est maintenant d'un grand usage. i
Le rouge d'Andrinople, dont nous voyons plusieurs échan- i
tillons dans l'exposition autrichienne et dans l'exposition !
anglaise, a encore pour base la garance. ,
Une couleur de fabrication, mais qu'on imite bien partout, !
est l'outremer articiel. La belle couleur bleue, connue sous le i
nom d'outremer naturel, se tire du lapis-lazuli, minéral assez i
rare composé d'alumine, de silice et d'un peu de chaux ; pour
préparer l'outremer, on porte le lapis-lazuli, débarrassé de sa ;
gangue par un triage à la main , à une haute température, j
puis on rétonne en le jetant dans du vinaigre froid ; la chaux j
se dissout, on reprend la matière qu'on pulvérise avec soin, l
L'outremer naturel est d'un prix extrêmement élevé : il a été ï
jusqu'à trois mille francs le kilogramme , aussi son emploi j
était-il très-limité. j
La société d'encouragement avait établi un prix pour l'in-
vention dun procédé capable de fournir le bleu d'outremer à
moins de deux cents francs le kilogramme. C'est M. Gimet
qui obtint ce prix : les procédés qu'il emploie sont tenus se-
crets, cependant on obtient de bons produits de la façon sui-
vante :
On lessive avec soin de l'argile ordinaire pour enlever tous
les grains de sable qu'elle peut contenir, et on la mélange avec
du sulfure de sodium obtenu par la réduction du sulfate de
soude, au contact du charbon à une haute tempéra'ure : le
mélange précédent est additionné d'une dissolution de sulfate j
de fer pur. Les matières sont desséchées, puis chauffées au i
rouge dans une moufle au milieu d'un courant d'air : c'est là i
la partie délicate de l'opération ; quand on chauffe trop peu, on i
n'obtient pas d'outremer ; quand on chauffe trop, on altère les ^
nuances. La matière pulvérisée , lessivée est encore remise au i
feu , et un dernier lavage sépare l'outremer en différents pro- i
duits. :■
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 475
Les échantillons d'outremer sont nombreux à l'Exposition.
M. Guimet, l'inventeur du procédé, se place naturellement en
première ligne; l'outremer ne se vend plus maintenant que
deux francs le kilogramme, et on emploie annuellement pour
deux millions de cette matière colorante, spécialement dans
l'industrie des papiers peints.
M. Guillon, de Lyon, M. Draenkel (Seine-Inférieure),
M. Courtial, à Grenelle, exposent de beaux échantillons, ainsi
que M. Branu, de Gand; M. Seizer, à Weitenegg, sur le Da-
nube (Basse-Autriche), et M. Kutzer, de Prague, réussissent
l'un aussi bien que l'autre ce beau produit.
Nous devons encore parler du carmin que fournit la coche-
nille; cette matière première présente pour nous un grand
intérêt, maintenant que notre Algérie peut fournir une quan-
tité considérable de cette matière première, dont elle a exposé
de nombreux échantillons.
Le carmin est composé de la matière colorante de la coche-
nille, d'une matière animale qui y est également renfermée,
des éléments du sel qu'on emploie pour déterminer la préci-
pitation.
La préparation du carmin est encore une opération délicate ;
pour réussir, il faut une longue habitude auxquelles les recet-
tes ne peuvent suppléer.
On fait ordinairement bouillir la cochenille avec du carbo-
nate de potasse, on y ajoute ensuite de l'alun pulvérisé, qui
transforme la liqueur cerise foncé obtenue d'abord en un rouge
vif de carmin , on ajoute enfin de la colle de poisson , qui dé-
termine la précipitation du carmin ; la liqueur, encore forte-
ment colorée, sert à la préparation des laques.
Le carmin peut être employé en le mélangeant simplement
avec les substances à colorer ; quand il doit servir à la teinture
il faut le dissoudre dans l'ammoniaque caustique, puis laisser
la liqueur à l'air; quand elle n'a plus d'odeur, elle est bonne
à employer.
Les laques se préparenten précipitant les matières colorantes
au moyen de l'alumine; on place dans le bain dont on veut
obtenir la couleur, une dissolution d'alun et une autre de carbo-
nate de soude, on ajoute parfois une petite quantité de sel d'é-
tain qui modifie les nuances; c'estainsique, dans le bain de co-
chenille, l'oxyde d'élain ajouté donne une belle laque cramoisie.
476 VISITE
Nous rencontrons, dans la galerie sud de l'annexe, un grani
nombre d'échantillons de carmin, de laques et de matière
textiles desséchées et lessivées, et des teintes obtenues ai
moyen de ce carmin. M. Champenois, de Paris, expose d'au-
tres teintes au carmin des tons les plus vifs et les plus bril
lants; en Prusse, M. Jager , à Barsnen (Prusse Rhénane)
offre aussi de beaux échantillons.
Avant de quitter ce trop rapide examen des matières colo-
rantes , nous devons dire quelques mots d'un système d'im
pression qui pourra sans doute conduire à de bons résultats
M. Griine, de Berlin, a exposé des lainages dont les couleur
sont obtenues au moyen d'une simple réaction chimique entn
deux sels , qui peuvent , par leur combinaison , donner nais-
sance à des couleurs variables; les dessins obtenus ainsi on
une bizarrerie, un inattendu qui ne sont pas sans un certaii
charme.
Cuirs et Peaux. j
Les peuples, dans un état de civilisation peu avancée j
ignorant encore l'art de tisser les vêtements, ont naturelle-
ment employé les dépouilles des animaux pour se garantit I
des intempéries des saisons. L'histoire nous montre ainsi tou^ I
les peuples anciens couverts de peaux de bêtes, tuées à la !
chasse ou déjà domestiquées , et les voyageurs observent les \
mêmes faits chez les peuplades encore sauvages des diverses j
parties du globe. !
Les peaux, se corrompant rapidement quand elles ne sont j
pas soumises à un traitement spécial, ont dû de tout temps
recevoir des préparations plus ou moins complètes avant j
d'être employées. Les procédés sont très- variables , car en
Amérique les peuples, ignorant l'usage du tanin, se con-
tentaient de faire subir aux peaux une préparation pratiquée
avec les débris mêmes des animaux dont elles provenaient.
En Europe, l'emploi de l'écorce de chêne à la conserva-
tion des peaux, se perd dans la nuit des temps. En France,
nous trouvons des ordonnances datant du \i^ siècle, qui rè-
glent la fabrication et le commerce des cuirs, l'une et l'autre
en pleine activité déjà.
L'intervention de l'État dans cette industrie, les impôts et
les mesures vexatoires dont elle était accompagnée mirent
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 477
souvent cette industrie à deux doigts de sa perte. L'emploi
de procédés trop rapides vint aussi plus récemment déni-
grer la valeur de nos cuirs sur les marchés étrangers. Mais
l'habileté de nos fabricants et leur persévérance (levaient
finir par triompher successivement de ces obstacles, qui
étaient venus relarder leurs progrès, et l'industrie des cuirs
est maintenant une des sources les plus importantes de la
richesse nationale.
Il est difficile d'établir d'une façon certaine la production
annuelle de notre pays. Quelques villes, il est vrai, possèdent
des documents officiels; mais le grand nombre d'abatages
qui s'exécutent à la campagne, sans aucun moyen de con-
trôle, passent inaperçus dans la production générale.
D'après M. Fauler*, l'ensemble des industries qui s'occu-
pent de travailler les peaux et de les rendre propres aux dif-
férents usages auxquels elles sont employées, représenterait
un chiffre de 300 millions réparti de la façon suivante :
Bœufs, vaches, veaux préparés (3 700 000 têtes abat-
tues) 68 200 000 fr.
28 millions de produits bruts importés, qui
travaillés valent • 56 000 000
400 000 cuirs de chevaux valant corroyés
16 à 17 fr. la pièce 6 800 OQQ
Total 131 000 000 fr.
6 à 7 millions de moutons abattus valant
1 fr. 50 la pièce 10 000 000 fr.
Chèvres, chevreaux, agneaux , porcs 7 000 000
Débris, poils, cornes , colle, crins 4 000 000
Total 152 000 000 fr.
qui, avec les pelleteries, donnent 160 000 000 de francs,
somme qu'il faut à peu près doubler, si l'on considère le prix
de la main-d'œuvre nécessaire pour transformer ces produits
bruts en objets manufacturés, gants, fourrures, chaussu-
res, etc.
Les procédés de préparation des peaux varient suivant les
1. Travaux delà commission française à l'Exposition de 1851 ,
tome V.
478 VISITE
usages auxquels celles-ci sont destinées. Occupons-nous d'a-
bord du procédé employé pour les cuirs mous , nous n'aurons
que peu de clioie à changer pour les cuirs forts. Quant aux
cuirs vernis, aux maroquins et aux peaux destinées aux mé-
gissiers et aux chamoiseurs, ils subissent des traitements
spéciaux dont nous aurons à nous occuper plus tard.
Le procédé généralement suivi en Europe, pour tanner les
cuirs mous, consiste en quatre opérations successives :
4° Le pélanage;
2" L'épilage;
3" Le gonflement ;
4° Le tannage.
La première opération a pour but de disposer les poils et
les chairs, encore adhérentes aux peaux, à les abandonner;
elle s'exécute en faisant passer celles-ci dans des laits de chaux
de plus en plus actifs. Après ce traitement, on procède à l'é-
pilage, c'est-à-dire qu'on enlève mécaniquement, à l'aide
d un instrument tranchant, les poils et la chair dont l'adhé-
rence à la peau est sensiblement diminuée par l'action de la
chaux. On polit ensuite la peau, on lui donne une surface
lisse et égale au moyen du frottement avec une pierre de
grès.
Le pélanage ne s'effectue à l'aide de la chaux ou mieux à
l'aide de la soude caustique , ainsi qu'on la proposé récem-
ment, que pour les peaux destinées à la moUeterie. Pour les
cuirs forts on se contente de faire subir aux peaux entassées
dans une chambre portée à une température de 20 à 25 de-
grés, une légère fermentation putride. Cette échauffe, assez
rapide, est suivie de l'épilage qui se fait de la même façon
que celui des peaux de molleterie.
La troisième phase de l'opération, le gonflement, a spécia-
lement pour but de rendre les peaux propres à absorber le
tanin. A cet effet, on plonge les peaux dans du jus de tan
aigri , préparé avec de la tannée (tan déjà épuisé et ne conte-
nant plus que quelques faibles portions de tanin), les peaux
séjournent successivement dans des jusées de plus en plus
concentrées, après quoi on les abandonne à elles-mêmes
pendant quinze jours.
Le gonflement des peaux destinées à la confection des
cuirs forts ne diffère pas sensiblement de l'opération précé-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 479
dente, spécialement destinée aux cuirs mous; la liqueur est
seulement rendue plus acide au moyen d'un peu d'acide sul-
furique; cette addition doit être faite avec précaution , car un
excès d'acide rend les cuirs cassants et nuit singulièrement à
leur durée.
Après ces trois opérations préparatoires, les peaux sont
propres au tannage proprement dit.
Les peaux molles gonflées sont portées dans des cuves de
maçonnerie enfoncées en terre; on les stratifié avec du tan
réduit en poudre ; lorsque la cuve est remplie , on place sur
la dernière peau une couche de tannée, et on la charge de
planches. On fait alors arriver dans la cuve de l'eau chargée
de tan en quantité suffisante pour humecter toute la masse.
Ce contact dure quatre, six ou huit mois , suivant l'épaisseur
des cuirs. On ouvre une fois la fosse pendant cette période,
on reiiie les peaux et le tan épuisé, et on replace les peaux
avec de nouveau tan , de manière que les cuirs qui étaient
au fond de la cuve reviennent à la partie supérieure. Les
peaux sont alors complètement converties en cuirs qu'on
nettoie et qu'on livre à la corroierie.
Les cuirs forts sont traités comme les cuirs mous , seule-
ment l'épaisseur de la peau étant plus considérable , il leur
faut un plus long séjour dans les fosses pour que le tanin
pénètre jusqu'au milieu de la masse. Après cette opération ,
les cuirs forts présentent une consistance spongieuse qu'il
faut faire disparaître ; on y arrive par le martelage , qui con-
siste à soumettre les cuirs, lorsqu'ils sont secs, à une forte
pression, soit en les frappant au moyen d'un marteau, soit
en les faisant passer entre des cylindres qui les pressent sans
chocs.
Le temps extrêmement long, pendant lequel les peaux doi-
vent rester en fosse, occasionne une stagnation de capitaux
qu'il est toujours désirable de voir cesser ; aussi a-t-on fait
de nombreux essais pour arriver à un tannage plus rapide.
Plusieurs de ces procédés consistent à confectionner avec
les peaux des sacs dans lesquels on introduit du tan , puis de
l'eau sous une certaine pression. On comprend que cette
pression même tend à faire sortir le liquide chargé de tan-
nin à travers les pores de la peau , et, par conséquent peut
déterminer une combinaison plus rapide. Mais il est tou-
180 VISITE
jours à craindre que cette opération ne nuise à la solidité du
cuir,
M. W. Drake remplit les sacs avec une solution froide de
tan , et le liquide qui exsude est remplacé dans le sac jusqu'à
ce que le durcissement des peaux soit opéré. A la fin on ac-
tive l'opération en élevant à 60 degrés la température de l'a-
telier.
M. TurnbuU produirait, dit-il, en quatorze jours l'opération
qui demande dix-huit mois, et économiserait les deux tiers
de l'écorce de chêne en faisant passer par endosmose le li-
quide tannant à travers la peau?
En tannant à la flotte^ on pourrait en trois semaines faire
passer à l'état de cuir les peaux déjà gonflées : on n'aurait
qu'à garder pendant tout ce temps les peaux dans des infu-
sions tiinnantes qu'on remplacerait fréquemment par des in-
fusions de plus en plus fortes.
Nous ne parlons que pour mémoire du procédé de Séguin ,
qui, par l'emploi des acides, arrivait aussi plus prompte-
ment, mais qui ne donnait que des produits inférieurs. Le
discrédit dans lequel sont tombés nos cuirs par l'emploi de ce
procédé, doit rendre nos fabricants très-réservés dans l'adop-
tion de ces nouvelles méthodes non encore contrôlées par une
longue expérience.
Les cuirs mous qui arrivent du tannage sont livrés au cor-
royeur, dont l'art a pour but de leur donner du brillant, de la
souplesse par l'introduction de corps gras et souvent aussi
d'une matière colorante entre leurs pores.
Les cuirs sont dits en suif ou en huile, suivant qu'on em-
ploie l'un ou l'autre de ces corps gras dans leur préparation.
On fait auï^si usage maintenant du dégras, qui provient de la
saponification des huiles en excès employées dans la chamoi-
serie. Les cuirs en suif sont surtout employés par les celliers-
bourreliers : on les prépare en les flambant légèrement a un
feu clair, et en appliquant sur leurs deux faces du suif fondu;
on laisse le cuir s'imbiber pendant huit à dix heures, puis on
donne une coloration noire avec de l'acétate de fer.
L'industrie des cuirs vernis, à peu près inconnue il y a vingt
ans, a fait de rapides progrès sous l'influence des nombreuses
demandes dont ils sont l'objet.
Les procédés sont, en général, tenus secrets; cependant
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 481
nous pouvons indiquer somhiairement comment on arrive à
donner aux cuirs cet éclat et ce brillant qui les font re-
chercher.
Pour vernir les cuirs, on leur fait subir deux opérations suc-
cessives :
l"" Apprôtage de la peau ;
2"* Vernissage proprement dit.
La peau, tannée avec un soin particulier, est soumise à des
ponçages successifs qui ont pour but de faire un fonds sur le-
quel on dépose l'apprêt. Celui-ci consiste d'abord en un mé-
lange de minium ou de litharge et d'huile de lin, auquel on
ajoute des ocres ou de la craie , suivant la finesse de la pecu
à garnir. On donne, à des intervalles de quelques jours, plu-
sieurs couches que l'on polit avec beaucoup de soin. L'opéra-
tion a lieu sur la fleur ou sur la chair, suivant les usages aux-
quels on destine les produits fabriqués.
Sur le premier appiêt, on en dépose un second dans lequel
entrent encore l'huile de lin et la litharge, mais les matières
terreuses y sont remplacées par du noir d'ivoire ou du bleu de
Prusse; on y ajoute, de plus, une certaine quantité d'essence
de térébenthine. On obtient ainsi un fonds bien noir et bien
glacé, propre à recevoir le vernis.
Ce vernis est con:iposé d'huile d'apprêt, de bitume de Judée,
de bleu de -Prusse et de vernis gras au copal ; lorsqu'il est
appliqué, on dessèche les peaux pendant plusieurs jours dans
une étuve chauffée à 60" environ.
Les cuirs de Russie sont tannés, non plus avec l'écorce du
chêne, mais avec une décoction d'ôcorce de saule, sur laquelle
on les travaille pendant quinze jours environ. On les imprè-
gne enfin du côté de la chair avec l'huile empyreumatique
provenant de la distillation de l'écorce de bouleau; ils pré-
sentent une odeur particulière qui éloigne les insectes, de
sorte que les cuirs ne sont jamais attaqués.
Toutes les peaux dont nous avotis parlé jusqu'à présent
sont soumises au tannage avant d'être liviées à la fabrication,
mais les industries de la mégisserie, de la cliamoiserie ne font
pas usage de ces peaux tannées ; les cuirs hongroyés et les maro-
quins sont aussi rendus imputrescibles par d'autres moyens.
Les peaux destinées à foimer des cuirs hongroyés, em-
ployés surtout par les bourreliers et carrossiers, ne sont pas
206 ff
482 VISITE
épilées; on les tond avec soin, et, après les avoir imbibées de i
chlorure d'aluminium, on les place dans une di.-solulion d'à- 1
lun, et on les expose ensuite à l'air et au soleil pour les lais- i
ser sécher. i
Les cuirs sont ensuite passés au suif comme nous l'avons \
déjà vu. 1
La mégisserie emploie des peaux d'agneau et de chevreau. !
Pour ébourrer ces peaux, on les enduit soit de chaux et d'or-
piment (sulfure d'arsenic) , soit de sulfure de calcium , le poil
lombe au bout de vingt-quatre heures. On les plonge ensuite ■
dans un bain de son aigri , dans lequel l'acide lactique dé- ■
veloppé opère le gonflement; les peaux gonflées sont rendues j
imputrescibles en les plongeant dans du chlorure d'aluminium,
obtenu par la double décomposition de Talun et du sel j
marin. |
Ces peaux sont ensuite blanchies en les laissant tremper I
dans un bain composé de farine, de jaune dœuf et de la li- j
queur saline tiède qui a servi à l'opération précédente. On j
comprend qu'il va là un perfectionnement énorme à appor-
ter; la dépense occasionnée par l'emploi des jaunes d'œuf est .
en effet très-considérable; au reste, la question est maintenant j
à l'élude , et nous ne doutons pas que l'habile expérimenta- ■
teur qui s'en occupe n'arrive bientôt à une solution favo- j
rabie.
Le chamoiseur emploie les mêmes peaux que le mégissier j
et leur fait subir les mêmes préparations préliminaires, mais i
lorsqu'elles sortent du bain de son , il les imprègne d'huile de ]
poisson , en les foidant sous le choc d'un pilon , puis, les lais- ,
sant sécher et recommençant encore cette préparation à plu- ,
sieurs reprises; l'excès dhuile est enlevé au moyen d'une les- •
sive légère de potasse; le savon qui en résulte constitue le |
dégras. • j
Pour terminer ces longs détails techniques , il nous reste à I
dire quelques mots des maroquins. Ce n'est que vers le milieu '
du dernier siècle que l'on commença en France à teindre quel- '
ques peaux. Il n'y a pas encore soixante ans que nous étions i
réduits à tirer nos beaux maroquins du Levant et d'Angle- :
terre; enfin IVIM. Paule et Kemph fondèrent, au commence- j
ment de ce siècle, l'usine de Chuisy, où ils obtinrent les beaux i
rouues connus encore dans le commerce sous le nom de rou- i
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 483
ges de Choisy; vers 1815 ou 1820, on sut faire les bleus; à la
même époque, en imitant les procédés allemands, on obtint, à
Strasbourg, les belles teintes mordorées qui furent bientôt si
recherchées pour la chaussure.
L'introduction du vernis aurait pu faire grand tort à la fabri-
cation des maroquins, si on ne ifùt arrivé en même temps à
produire de beaux chagrins dont la reliure fit dès lors grand
usage.
On confectionne le maroquin avec des peaux de chèvre et
souvent de mouton. On fait revenir les peaux sèches en les te-
nant plongées pendant deux à quatre jours dans de l'eau pro-
venant d'une opération précédente; on les écharne , on les
épile à la chaux, et on les dégorge en les faisant digérer pen-
dant vingt-quatre heures dans un bain de son aigri.
Les peaux destinées à être teintes en ronge sont choisies
avec beaucoup de soin, sans aucune espèce de taches et par-
faitement dépouillées de l'excès de chaux. On les soumet à la
teinture avant de les tanner : pour cela elles sont cousues
deux à deux, la chair en dedans, de manière à former un sac;
puis elles sont passées successivement dans un bain de chlorure
d'étain et dans un bain de cochenille. Après les avoir rincées,
on découd une partie du sac et on y introduit du sumac en
poudre, on y insuiïle de l'air, et, après avoir ficelé de nou-
veau l'ouverture du sac, on les plonge dans un bain léger de
sumac, où des ouvriers l'agitent pendant quatre heures. Après
le passage dans un second bain plus chargé de sumac, les peaux
sont tannées.
Les maroquins d'autres couleurs sont tannés au sumac
avant de passer à la teinture; la couleur noire est donnée par
de l'acétate de fer, le bleu par une dissolution froide d'indigo
blanc, le jaune par une dissolution froide dépine-vinette; les
violets et les lilas par de la cochenille appliquée sur des peaux
bleues.
L'Exposition de lindustrie est extrêmement riche en peaux
sous ditiêrents états. L'Angleterre, dont nous rencontrons les
produits à l'entrée de l'Annexe, compte une trentaine d'expo-
sants; les cuirs forts sont de belle qualité et d'un poids très-
élevé qui sont d'un bon usage, surtout pour la semelle des
chaussures fortes. L'écharnage n'est peut-être pas toujours aussi
complet qu'il devrait être.
i84 VISITE
MM. Peto et Bryan, de Westminsler, présentent des cuirs
for's et des maroquins obtenus avec la même peau , en dé-
tachant, avant le tannage, la fleur de la chair; le cuir fort ,
quand l'opéialion est bien faite, conserve toute sa valeur,
et on a, comme produit supplémentaire, la fleur qu'on peut
maroquiner.
MM. Wilson , Walker et Cie , à Leeds (York), ont une belle
collection de maroquins, des couleurs les plus variées, pré-
parés pour la reliure.
M. Clark, à Street, M. Deed . à Londres, exposent plusieurs
peaux de mouton préparées avec leur laine, qui ne laissent
rien à désirer.
La Belgique a envoyé de bons produits bien tannés, soit
avec des peaux vertes , soit avec les produits importés de
Buenos-Ayres et du Brésil. M. Massange Nivolay, à Stavenot
(Liège), M. Piret Pauchet, à Namur, conservent la réputation
dont ils jouissent à si juste titre en Allemagne, où leurs pro-
duits sont recherchés.
M. Taillet, Boom et Cie, à Eureghem, envoient des cuirs
vernis. Cette industrie, nouvellement introduite en Belgique,
y réussit bien et exporte ses produits en Angleterre et en
Allemagne.
Nous retrouvons, dans l'exposition suisse, les produits re-
marquables de M. Mercier qui lui ont déjà valu une mé-
daille de prix à lExposition de Londres , comme corroyeur.
MM. Hauser nous présentent, l'un des cuirs vernis, l'autre
des cuirs tannés auxquels on ne peut rien reprocher.
Bien que quelques-uns des cuirs forts de l'Allemagne ne
soient pas épilés avec tout le soin désirable, cette contrée
réussit dans plusieurs articles ; les vernis sont fabriqués en
grande quantité surtout dans le Zollwerein , et bien qu'ils
soient peut-être inférieurs aux nôtres comme qualité, leur bon
marché peut nous faire une concurrence sérieuse. L'Allema-
gne est, au reste, le seul pays qui puisse nous disputer le pre-
mier rang pour cette industrie des cuirs vernis pour chaussu-
res, dans laquelle l'Angleterre s'est peu ou point engagée.
Nous avons remarqué dans l'exposition d'Autriche, outre un
grand nombre de bons produits appartenant aux Étals alle-
mands, des cuirs bien préparés envoyés parle royaume lom-
bardo-vénitien.
A 1/EXPOSlTION UNIVERSELLE. 485
Nous avons en France une exposition des plus complètes,
représentée par deux cent quarante exposants. Nous avons,
en effet, outre nos cuirs forts que nous faisons aussi bien que
l'Angleterre, et peut-être mieux que l'Allemagne, bien qu'aux
mêmes prix, plusieurs spécialités dans lesquelles nous n'avons
pas de rivaux.
Nos cuirs de veau tannés pour fabriquer les tiges de
bottes, sont d'une supériorité universellement reconnue, et
nous les exportons même en Angleterre. Cette fabrication est
favorisée par la bonne qualité de nos produits indigènes, et
par celle de nos écorces qui donnent un tannage blanc et
doux, surtout celle du chêne vert du Midi, qui communique
au veau et à la chèvre une souplesse toute particulière.
Nos vernis pour sellerie seraient aussi jugés supérieurs à
ceux des Anglais, s'ils étaient tous semblables a ceux de
M. Gauthier, de Paiis.
Citons dans cette industrie iMM. Dubois, Ducruy, Guillet.
Hardy, Giraud, etc.
M. Dehaux-Lacour , à Guise (Aisne) , expose des produits
obtenus par les nouvelles méthodes de tannage par filtration,
qui, à première vue, semblent posséder toutes les qualités
des cuirs préparés par les anciens procédés.
M. Knoderer, de Strasbourg , nous montre aussi des pro-
duits fabriqués en trois mois, qui semblent de bonne qualité.
M. Pleunn, de Pont- Audemer (Eure), dédouble les peaux de
bœufs et de vaches, et produit ainsi des cuirs d'épaisseurs
difl'érentes, qu'il fait employer à divers usages.
Les parchemins sont aussi représentés à l'Exposition :
M. Berthault-Alademise en possède une belle collection.
Enfin, Annonay a aujourd'hui le privilège à peu près
exclusif de la préparation des chevreaux pour gants.
Cette industrie, limitée longtemps à l'emploi des peaux
indigènes, devint, à partir de 4 827, sous l'intelligente im-
pulsion de iM. Boudard père, l'entrepôt où plusieurs nations
étrangères envoyaient des peaux pour y venir ensuite cher-
cher des gants.
D'après les statistiques les plus récentes, les fabriques
d' Annonay, si bien représentées aux Champs-Elysées par
MM. Tracol, Rouveure, etc., fabriquent annuellement pour
33 à 35 millions de gants, dont les ^ s'exportent en Angle-
486 VISITE
terre et en Amérique; la France ne consommait que 1 de
cette énorme production.
Papiers.
On peut juger approximativement l'état de prospérité d'un
pays par la consommation plus ou moins grande qu'il fait de
certaine produits. Parmi ceux-ci, le papier peut être considéré
comme donnant des indications fort exactes. Ce n'est, en effet,
que lorsque les premiers besoins matériels sont satisfaits
qu'on songe à s'in^^truire des choses passées et actuelles, qu'on
achète des livres et des journaux ; il y a donc un intérêt réel
à étudier la marche qu'a suivi le développement de cette in-
dustrie qui est maintenant arrivée à une production énorme
qu'elle dépassera encore bientôt.
Les Chinois se servent, de toute antiquité, d'un papier dit
papier de riz , qui est formé par des bandes de la moelle d'un
arbre particulier découpées en lames hélicoïdales parallèle-
ment à l'axe de la plante.
Le papyrus d'Egypte fut employé pendant toute l'antiquité
à la fabrication du papier ; l'emploi de ce produit se constate
même encore en Europe au x* siècle; des bandes de fibres de
papyrus étaient entre-croisées, puis battues, pressées et sé-
chées, suivant la finesse des fibres employées et la perfection
du travail ; le papyrus était employé à différents usages, le
hicratique était notre papier superfm; lesaïtique, la qualité
moyenne; enfin le tenaïtique était surtout propre aux em-
ballages.
En Europe, avant l'introduction du papier de coton, de
lin et de chanvre qui nous arriva d'Orient, comme presque
tous les germes de nos industries actuelles, on se servait du
parchemin (peau de mouton), ou du vélin (peau de veau) dont
la solidité et la durée sont si remarquables.
L'Italie et TEspagne, qui avaient au moyen âge plus de re-
lations que le nord de l'Europe avec les Arabes, commencè-
rent à fabriquer le papier vers le xii« siècle.
Ce ne fut qu'au xiv siècle que cette industrie prit nais-,
sance en France. Comme il fallait faire concurrence aux peaux
si bien préparées dont l'usage était général, on fut obligé de
se servir de chiffons blanchis par des procédés plus lents que
, A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 487
ceux que nous employons aujourd'hui, mais en même temps
moins dangereux pour la solidité des fibres végétales ; on
collait le papier à la gélatine, et on obtenait ainsi des pro-
duits d'une solidité remarquable , comme on peut le voir
dans les anciennes éditions, qui ont conservé jusqu'à nous
leurs qualités primitives.
Actuellement , tous les papiers sont fabriqués avec de
vieux chiffons de chanvre, de lin et aussi de coton ; on em-
ploie encore en Angleterre et en France, mais surtout dans
celte première contrée, une grande quantité de résidus des
fabriques de cordes.
En Angleterre, la quantité de chiffons produite annuelle-
ment, qui s'élève cependant à 82 millions 500 000 kilogrammes,
est loin de suffire à la fabrication , aussi l'importation est-
eile de 8 millions 124 000 kilogrammes , dont la moitié pro-
vient des villes Anséatiques.
Les papiers anglais seraient d'une mauvaise consistance si
la gran<ie quantité de vieux cordages et de toiles d'embal-
lage qui entrent dans la fabrication , ne venaient compenser
la masse énorme de coton consommé dans la Grande-Bre-
tagne, masse qui se iransforme entièrement en papiers.
En France, en 1849, d'après M Antoine Firmin Didot, au-
quel nous empruntons tous ces chiffres intéressants', on n'em -
ploie que 63 millions de kilogrammes de chiffons, nous avons
moins de toiles d'emballage et de cordages, mais comme le
linge de chanvre et de lin est plus abondant , nos matières
premières sont supérieures à celles des Anglais. Nous trou-
vons dans la quantité de chiffons produite en France et en
Angleterre la preuve que nos populations sont décidément
moins aisées. L'Angleterre consomme annuellement par tête
3 kilogrammes de linge ; en France, 2 kilogrammes seulement.
L'exporl,ation des chiffons est prohibée en France; l'impor-
tation ne s'élève qu'à 1 million 605 093 kilogrammes. Par
rapport à l'Angleterre , l'importation est dans la proportion
de 4 à 5.
On emploie deux méthodes bien différentes pour trans-
former les chiffons en papier, l'une connue sous le nom de
^ . Travaux de la Commission fraïK^niise à lExposilion de Londres
de 185».
488 VISITE
fabrication continue, c'est la plus récente et celle qui donne
maintenant les produits les plus nombreux ; l'autre, déjà an-
cienne, mais encore employée dans certains pays et qu'on
nomme fabrication à la cuve ou à la main.
Occupons-nous d'abord de la fabrication continue.
Les chiffons sont d'abord triés en diverses catégories, sui-
vaal leur propreté et leur provenance ; ils serviront à faire des
produits de valeurs différentes.
Les premières opérations, qui portent le nom de lessivage
et de rinçage, ont pour but de débarrasser les chiffons des
matières étrangères qui les salissent; le lessivage se fait ordi-
nairement au moyen de cristaux de soude qu'on rend caus-
tiques au moyen de la chaux.
Les chiffons déjà lessivés sont soumis à l'action de cylin-
dres armés de dents qui déchirent et séparent les fibres, et
qui commencent la confection de la pâte, celte opération
porte le nom de déflage. Pendant le défilage, les chiffons
sont complètement lavés, et on peut procéder à leur Uan-
chiment, qui se fait au moyen du chlore; on emploie cet agent
énergique presque toujours liquide à l'état de chlorure de
chaux, l'usage du chlore gazeux est réservé à certaines pâtes
spéciales. C'est au chimiste français Berthollet qu'on doit l'ap-
plication des propriétés décolorantes du chlore au blanchi-
ment du papier. La pâte blanchie est soumise au broyage,
pendant laquelle elle se lave complètement et prend de l'iio-
mogénéité; les dernières traces de chlore étant enlevées par
les sulfites alcalins, la pâte est colorée ou soumise immédiate-
ment au collage, quand on veut l'employer blanche. En An-
gleterre, ce collage se fait à la gélatine ; en France, on emploie
de préférence une colle dite végétale, formée de colophane
dissoute dans de la soude caustique à laquelle on ajoute de la
fécule et de l'alun; il se forme une combinaison insoluble qui
est la base de ce procédé de collage.
La pâte liquide et décolorée que nous avons obtenue doit
être enfin transformée en papier; elle va d'abord passer au tra-
vers de grilles métalliques où elle se tamise en se débarras-
sant des parties parfaitement broyées qui formeraient des
inégalités qu'il faut éviter. La pâle tamisée est placée sur des
toiles métalliques, où elle s'égoulte, se feutre et prend de
l'adhérence. C'est à ce moment que se font les filigranes par
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 489
des dessins que portent les toiles métalliques, ou au moyen
d'un cylindre sur lequel les dessins sont tracés en relief. La
pâte refoulée aux endroits où elle a été en contact avec ces
dessins prend dans ces points une épaisseur moindre ; en
opposant le papier à la lumière il sera facile de voir les ca-
ractères lumineux se détachant sur un fond plus opaque. Elle
passe ensuite entre des rouleaux recouverts de drap qui ex-
priment l'eau dont la pâte se débarrasse complètement entre
les cylindres sécheurs : ceux-ci sont en fonte et chauffés au
moyen de la vapeur qui circule dans leur intérieur.
Le papier terminé est confectionné, mais il doit être encore
soumis à différentes opérations avant d'être livré à la con-
sommation : il doit être lissé, satiné ou glacé. On obtient ces
deux premières qualités en faisant passer entre deux cylindres
plus ou moins rapprochés les feuilles de papier placées elles-
mêmes entre des feuilles de carton : toutes les aspérités du
papier disparaissent dans ce nouveau frottement, et on ob-
tient le poli que demande la consommation; le poii extra,
le glacé, ne peut s'obtenir qu'en faisant passer le papier entre
des feuilles de cuivre ou de zinc.
L'invention do la machine à papier ne date que de la fin
du xviir siècle ; ce fut à Essonne, dans la papeterie de Fran-
çois Didot, que furent faits les premiers essais de la machine
à papier continu.
Les circonstances politiques forcèrent Didot à aller en An-
gleterre chercher des moyens de construire son appareil. Ce
fut seulement en 1809 que la machine fonctionna régulière-
ment. En France, la première fut établie à la papeterie de
Sorel, près Anet, en '1810.
La fabrication du papier à la main est encore en usage
dans les pays peu avancés, et même chez nous pour fabriquer
certains articles spéciaux. Ainsi jusqu'à présent on ne peut
fabriquer autrement les papiers buvards, les papiers à filtrer
non plus que les papiers à lavis, qui exigent le collage à la
gélatine par l'ancien procédé, collage qui ne s'exécute que
lorsque la feuille est fabriquée.
Il est rare maintenant , même dans le procédé de fabrica-
tion à la main, qu'on soumette les chiffons à la fermentation
putride connue sous le nom de pourrissage, ou à la pile,
comme dans le nouveau procédé, on blanchit au chlore et on
490 VISITE
termine la pâte aux hocards , système de maillets qui , sou-
levés par des coins, retombent à intervalles égaux sur la
pâte et la triturent complètement.
La trituration terminée, un ouvrier en place les produits sur
une forme composée d'un cadre rectangulaire de bois, muni
dans toute sa longueur de fils de lailon assez rapprochés; au
moyen d'un mouvement de va-et-vient, il étale sa pâte sur sa
forme et la distribue à peu près également; la feuille, d'abord
égouttée légèrement, est retournée sur une feuille de feutre,
unspcond feutre est placé au-dessus de la feuille de papier,
puis encore du papier et encore du feutre, jusqu'à ce qu'on
obtienne une pose , qui est alors soumise à l'action de la
presse. Le papier séché à l'air libre est collé, puis apprêté et
livré à la consommation.
Nous venons de voir que la fabrication du papier reposait
exclusivement sur les chiffons. La masse énorme de ces ma-
tières importées déjà en Angleterre, prouve qu'il y a en ce
pays une inégalité manifeste entre la production des chiffons
et la demande pour la fabrication du papier. Cet état de
choses ne fera qu'augmenter encore; les populations s'éclai-
rent de plus en plus, il leur faudra des journaux et des livres
plus nombreux. Il serait donc de toute importance de trouver
un procédé économique pour transformer en pâte à papier
certains végétaux abondants soit en France, soit même à
l'étranger. Jusqu'à présent on n'avait pas pu y réussir, les
frais de défilage et de blanchiment surtout étaient trop consi-
dérables. On nous assure cependant que MM. Yelli et Louvié
viennent de résoudre le problème, et qu'ils vont exposer des
papiers obtenus avec des plantes communes et non encore
employées, telles que les joncs des marais, le jonc à pail-
lassons ou scirpus, le typha ou roseau, le sparganicum ou
ruban d'eau. Il n'est pas besoin d'appuyer sur les avantages
énormes que procurerait cette nouvelle industrie qui permet-
trait à la papeterie de prendre tout son essor et de n'être
plus arrêtée par la production des chiffons nécessairement
limitée. La fabrication du papier à bon marché est certaine-
ment un des problèmes dont la solution serait des plus avanta-
geuses pour l'instruction etlamoralisation des classes pauvres.
Les papiers sont exposés presque tous dans la galerie nord
de l'Annexe.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 491
Les produits exposés devaient être et sont en effet remar-
quables, mais rien de bien nouveau n'a frappé nos regards.
MM. FirminDidot exposent des échantillons obtenus à l'aide
d'un blanchiment plus rapide : le nouveau procédé consiste à
faire arriver dans la pile à blanchir un courant d'acide carbo-
nique qui décompose le chlorure de chaux et met le chlore en
liberté; l'action est ainsi plus rapide.
La papeterie du xMarais et de Sainie-Marie montre un grand
nombre d'échantillons de papiers filigranes pour valeurs ;
cette spéciabté prend maintenant une grande importance,
puisque c'est la seule chose que la photographie ait de la
peine à reproduire exactement , et que c'est seulement à
l'aide des hligranes qu'il est possible de distinguer un billet
de banque réel d'un billet imité par la photographie.
MM. Bianchet frères etKléber, à Rives (Isère), exposent une
belle collection de papiers à la cuve et à la mécanique; celte
maison a la spécialité de cartons préparés avec des matières
animales pour les gargousses d'artillerie.
Angouléme conserve sa vieille réputation. M. Chetenet s'est
attaché aux papiers de filigrane.
MM. Lacroix , les lauréats de la Charente , exposent encore
des produits remarquables.
Le Puy-de-Dôme reste fidèle au papier à la cuve avec
M. Gombeyre Thouvuilhas. Les Vosges réunissent les deux
fabrications.
M. Glenisson et Van Genechlew, d'Anvers , envoient des
papiers de toutes sortes. M. Godm de Huy , sur la Meuse,
expose des rouleaux formidables de plus d'une lieue de lon-
gueur. La machine à fabrication continue explique au reste la
fabrication de celte feuille de papier gigantesque.
La Bavière , la Prusse , l'Autriche envoient de bons pro-
duits auxquels il serait trop long de nous arrêter. En Angle-
terre, la fabrique de M. HooUingworth, à Maidstorne (Kent),
envoie une collection complète de tous les genres de papier.
Le ministre du commerce anglais a exposé aussi une série
de produits, dans lesquels passent les cordages de rebut pour
être transformés en papier d'emballage.
M. Louis Pielte, au Pont-d'Oie, près Arlon (Belgique), ex-
gose une belle collection de papiers de paille. Le Journal des
fabricants de papier, imprimé sur papier de paille pur, pré-
i92 VISITE
sente un grand progrès sur les papiers fabriqués sans chif-
fons.
Nous empruntons encore à l'excellent rapport de M. Firmin
Didot quelques chiffres sur l'état de la fabrication du papier
chez les différentes nations qui ont envoyé des produits à
l'Exposition.
L'Afrique et l'Asie ne possédaient, en 1851, qu'une papeterie
chacune , l'une près du Caire, l'autre près de Smyrne. L'A-
mérique du Sud n'en a pas.
La production annuelle flel'Angleterre a été de 62 960 000 ki-
logrammes en 1850, représentant une valeur de 70 millions
de francs. L'Ecosse produit 14 300 009 kilogrammes, et l'Ir-
lande un peu plus de 3 millions de kilogrammes.
Les Royaumes Unis possèJent i03 machines sans fin et
400 cuves.
En France, nous avons 210 machines et 250 cuves, et nous
ne produisons annuellement que il 680 000 kilogrammes; c'est
donc 30 millions que la Grande-Bretagne produit de plus que
nous.
LeZollwerein possède 890 papeteries ayant -140 machines à
papier fabriquant environ 25 200 000 kilouTammes.
L'Autriche fabrique 13 millions de kilogrammes et la Suisse
en fabrique autant, qu'elle consomme entièrement chez elle.
Si on admet comme réel ce que nous avons dit au commen-
cement de cet article, en réduisant la comparaison à la France
et à l'Angleterre, nous trouvons que chaque habitant du
Royaume-Uni, l'exportation étant déduite des deux parts,
consomme 2 kilogrammes 5 de papier, tandis qu'en France
chaque habitant n'en consomme que 1 kilogramme.
Ainsi la nation anglaise serait dans une position matérielle
deux fois meilleure que la nôtre; ces chiffres n'ont pas une
valeur absolue, mais en rapprochant ce qu'ils indiquent de
ce qui ressort de tous les autres objets de consommation, on
voit de la façon la plus nette que l'Angleterre est dans un état
de richesse et de pro--péritébien supérieure celui delà France.
Tabacs.
On attribue généralement à Jean Nicot l'introduction du
tabac en France; cependant Thivet, qui visita l'Amérique
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. i93
bien avant Nicot, réclame la priorité dans un gros in-folio
publié en 1517 :
(( Je me puis vanter avoir esté le premier en France qui a
apporté la graine de cette plante, et pareillement semée, et
nommée ladite plante l'herbe angoumoise. Depuis, un quidam
qui ne fit jamais le voyage, quelques dix ans après que je
fus de retour, lui donna son nom. »
Quoi qu'il en soit, jamais une plante n'a eu une destinée
aussi accidentée que le tabac. Au x\iv siècle, Urbain Vill
excommunie lespriseurs; les empereurs de Russie leur cou-
pent le nez, le sultan Amurath IV condamne les fumeurs à
mort, et malgré ces persécutions ou peut-être à cause d'elles,
la consommation du tabac va toujours en croissant avec une
rapidité extraoïdinaire. Depuis, les gouvernements, au lieu
de proscrire l'usage du tabcic, s'en sont faits marchands, et la
France à elle seule a gagné aux impôts établis sur cette ma-
tière, en cinquante-neuf ans, de '1811 à 1850, plus de deux
milliards !
Le tabac estune plante annuelle qui se reproduit par semail-
les; celles-ci se font ordinairement à la fin de mars; au bout de
deux mois les plantes sont assez fortespour être transplantées;
lorsque les feuilles commencent à se couvrir de taches jaunes,
le moment de la récolte est venu , on coupe les feuilles ou les
tiges, on les fane et on les sèche pendant plusieurs mois, on
réunit alors les feuilles en manoques de dix à douze, et on en
forme des masses, recouvertes de planches légèrement pres-
sées. Nous avons à l'Exposition de nombreux échantillons de
ces manoques; la manufacture impériale des tabacs de Vienne
on montre une belle collection, remarquable surtout par la
longueur des feuilles.
Quand letabac estarrivé à cetélaf, ilest trié en diverses ca-
tégories, suivant la fabrication spéciale à laquelle il est destiné.
Les tabacs présentent des propriétés très-diverses, suivant
les espèces; le principe actif qu'ils renferment, la nicotine,
se trouve en quantités très- variables aussi: nos tabacs fran-
çais en contiennent de 6 à 7 pour 1 00, tandis que le Maryland
n'en renferme que 2 pour 100.
Nos tabacs à priser et à fumer sont toujours des mélanges
de différentes espèces; les cigares sont au contraire souvent
fabriqués avec des es[-èces uniques.
494 VISITE
Nos manufactures françaises font un tabac à priser qui
jouit d'une grande réputation. Il se fabrique en grandes
masses de plusieurs milliers de kilogrammes à la fuis; on choi-
sit pour cette fabrication des tabacs cor=és comme le Virginie,
et des tabacs forts comme nos tabacs français. Le premier
donne l'arôme, les derniers produisent le montant.
Les feuilles de tabac, après avoir été mouillées avec de
l'eau légèrement salée, sont hachées , puis réunies en masse
de quatre mètres de haut sur quatre à cinq mètres de large;
ces masses fermentent lentement , une partie de la nicotine
se détruit en dégageant des sels ammoniacaux; on active ou
on ralentit cette fermentation en permettant ou empêchant le
contact de l'air. Au bout de cinq ou six mois on démolit les
masses; et on procède au râpage au moyen de grands moulins
analogues à des moulins à café.
Le mélange des diverses espèces de tabac , l'habileté avec
laquelle on a fait marcher la fermentation conduisent à une
réu.ssite plus ou moins parfaite ; un bon tabac à priser doit
présenter de la force qui est produite par les sels ammonia-
caux, et en même temps du montant qui est dû à la nico-
tine.
Pour fabriquer le tabac à fumer on hache les feuilles après
les avoir écotées, puis on les sèche d'abord sur des tables de
tôle, dans lesquelles circule de la vapeur à 120 degrés; cette
opération produit le frisé que ne donnerait pas une dessica-
tion a l'air libre; le tabac est ensuite séché dans des chambres
où règne une température de 20 degrés.
Notre tabac ordinaire à fumer, notre caporal jouit à l'étran-
ger d'une grande réputation ainsi que notre tabac à priser.
On ne fabrique en France que les cigares inférieurs du
prix de 5 et de 10 centimes; tous les cigares plus chers sont
achetés tout fabriqués à l'étranger.
Les feuilles employées à la fabrication des cigares sont de
deux espèces : les feuilles d'intérieur et les feuilles pour robes ;
celles-ci doivent être aussi grandes que possible et avoir
belle apparence.
Les feuilles d'intérieur, légèrement humides afin d'être sou-
ples, sont réunies par la cigarière de façon à leur donner à
peu j)rès la forme d'un cigare; elle les entoure d'abord d'un
morceau plus grand qu'on appelle cape, puis de la robe qui
A L'EXPOSITIOTs' UNIVERSELLE. 495
recouvre le tout, et dont elle contourne l'extrémité qu'elle fixe
au moyen d'une goutte de gomme.
Les cigares doivent être fumés aussi secs que possible ;
aussi le gouvernement les laisse-t-il assez longtemps dans
des boîtes avant de les livrer au commerce; les débitants les
conservent eux-mêmes pendant plusieurs mois, et enfin les
amateurs achètent leurs cigares parfois plusieurs années
d'avance; dans les pays du Nord, surtout en Belgique où les
tabacs ne sont pas soumis à une régie comme en France, il
n'est pas rare de rencontrer des collections de plusieurs mil-
liers de cigares.
Nous trouvons dans un article intéressant de M. Frém.y,
longtemps professeur à la manufacture des tabacs de Paris,
les chiffres suivants, pour la vente en i 847 :
6774 000 kil. de poudres;
10 3i9 000 de tabacs à fumer;
44 000 rôles minces filés;
281 000 gros rôles ;
7 685 carottes à râper ;
435 339 carottes à fumer ;
1 7o 000 cigares havanes ;
515 408 cigares français.
Le produit brut de la vente a été de M 5 779 000 fr. Le bé-
néfice net, de 85 900 000 francs.
Il résulte de la comparaison de ces chiffres à ceux de plu-
sieurs années précédentes, que la fabrication de la poudre est
à peu près stationnaire, que celle des tabacs à mâcher et à
râper tend à décroître, que celle du tabac à fumer et des ci-
gares augmente considérablement.
En Algérie, la culture du tabac commence à faire de rapides
progrès et pourra devenir une grande source de richesses pour
cette colonie, les achats qu'y fait le gouvernement, s'accrois-
sant d'une façon remarquable chaque année ; ainsi, en 1845,
les achats avaient été seulement de 85 190 kil: , tandis qu'ils
s'élevaient à plus de 400 000 kil. deux ans après , en 1847.
Au Palais de l'Industrie, l'Algérie a envoyé quelques échan-
tillons de cigares et- de tabac exposés à l'extrémité de la ga-
lerie sud de l'Annexe. On comprend qu'il est dilficile d'ap-
précier la valeur de ces produits à travers les caisses qui les
496 VISITE
renferment, mais nous avons admiré la prodigieuse variété
d'espèces de cigares exposés; ce serait peut-être un exemple
à suivre pour nos manufactures impériales dont le catalogue
n'est pas varié.
L'Allemagne a de belles expositions de tabac, et il devait en
être ainsi; la douce ivresse du tabac convient spécialement à
la rêverie de nos voisins du Rhin ; la manufacture impériale
de Vienne a, dans le bas côté nord de l'Annexe, une fort belle
et fort grande vitrine.
Les tabacs prussiens sont représentés par sept exposants
qui ont de petits cigares jaunes et clairs pour dames, et de for-
midables et noirs régalias pour les liommcs sérieux.
Les États-Unis d'Amérique ne nous envoient aucun échan-
tillon de tabacs, cependant nous importons de ce pays des
quantités considérables de produits de choix; en 27 ans,
de \Si\ à 1847, les États-Unis ont vendu à l'Europe pour
470 millions de tabac.
Caoutchouc.
On désigne, sous le nom de caoutchouc , un principe immédiat
contenu en dissolution dans le suc laiteux de plu-ieurs plantes
de l'Amérique du Sud et des Indes Orientales. Ce sont sur-
tout les grands arbres de la famille des orties et des euphor-
bes qui le fournissent en plus grande abondance. A Java, à
Assam, à Sincapore, le caoutchouc se retire de différents
figuiers et particulièrement du ficus elastica. Au Brésil et à la
Guyane, on l'extrait du siphonia cahucha. C'est même de
cetie dernière variété qu'il tire son nom.
Pour se procurer le caoutchouc, les Indiens pratiquent sur
l'écorce de ces arbres de profondes incisions, tout autour du
tronc, depuis la base jusqu'aux branches les plus élevées, et
ils reçoivent dans des callebasses ou dans de grandes feuilles
ployées en bonnet le suc laiteux qui s'en écoule. Abandonnée
à elle-même, cette sève s'épaissit peu à peu par suite de la
lente évaporation de l'eau qu'elle renferme, devient visqueuse
et collante, et finit par se figer en une matière solide éminem-
ment élastique.
Comme une pareille évaporation exige beaucoup de temps,
surtout quand il s'agit de solidifier une grande masse de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 497
liquide, il arrive souvent que pour la l'ondre plus rapide , les
naturels du pays confectionnent des moules eu terre qu'ils
immergent successivement, et un grand nombre de fois, dans
le suc convenablement épaissi. Lorsqu'ils jugent le dépôt de
caoutchouc assez abondant, ils brisent le moule et en font
sortir les fragments par une ouverture ménagée. C'est du
moins ainsi qu'est préparé le caoutchouc en poires, qu'on
trouve dans le commerce.
Malgré les incertitudes qui régnent encore sur la date réelle
à laquelle le caoutchouc fut connu en Europe, ii parait que ce
fut un certain Fresneau qui en fit la découverte à Gayenne ;
cependant, c'est véritablement du célèbre Lacondamine qu'on
reçut, en '1751 , la première description scienlitique de cette
substance.
Tel qu'il nous est expédié de l'Améiique et de l'Asie, le
caoutchouc contient beaucoup d'impuretés. L'espèce noire
surtout, qui nous arrive de Java, est souillée de pierres et de
débris de bois qui la rendent tout à fait impropre à la fabii-
cation. On épure maintenant le caoutchouc en le faisant passer
dans les broyeurs mécaniques, dont M. Couturier, mécan cien,
expose un petit modèle dans la galerie des machines du Palais
de l'Industrie.
Le broyeur se compose de deux cylindres cannelés dis-
posés horizontalement et animés d'un mouvement circulaire,
de sorte que le caoutchouc brut qui a subi l'étreinte de ces
puissantes machines se trouve débarrassé des pierres, et con-
verti en une feuille rugueuse qu'une courte ébiiliition dans
un bain alcalin suffit pour épurer entièrement. En compri-
mant fortement, dans un cylindre de fonte, un grand nombre
de ces feuilles, on les sou Je ensemble de manière à en faire
des blocs cylindriques d'une giande homogénéité qui servent
ensuite de matière première aux objets de fabricatiun.
La matière transportée sur la machine à couteau horizontal
dont M. Guibalest l'inventeur, ou sous le tranchant du cou-
teau circulaire exposé par M. Couturier, on en fabrique à
volonté les feuilles qui sont employées dans la confection des
étoffes, ou les rubans qui sont plus tard convertis en fils.
• C'est au-si avec succès qu'on fait u-age de caoutchouc dis-
sous dans certaines huiles essentielles, pour enduire les sur-
faces des tisïus légers, et les rendre imperméables à l'eau
205 gg
498 VISITE
sans en augmenter sensiblement le poids, ni en altérer la sou-
plesse.
Malgré les résultats déjà acquis, l'industrie du caoutchouc
était néanmoins condamnée à périr à cause de l'état instable
des objets qui sont confectionnés avec cette substance. Le
caoutchouc, en effet, se durcit par le repos et le froid, et se
ramollit par le maniement et la chaleur. Tel produit qui trou-
vait son emploi en été devenait donc inutile dans une saison
moins chaude.. Cette restriction était un inconvénient qu'il
fallait conjurer, puisqu'il paralysait la nouvelle industrie dans
son essor même. On y parvint fort heureusement à l'aide de
la vulcanisation. On appelle ainsi une opération qui consiste
à immerger les feuilles de caoutchouc dans un bain de soufre
fondu. L'agent chimique se combine en petites proportions au
caoutchouc, et en mitigé les propriétés de manière à le rendre
aussi insensible aux chaleurs tropicales qu'aux hivers les
plus rigoureux.
Les usages du caoutchouc vulcanisé sont immenses. On en
fait des tampons de machines, des rondelles pour cylindres,
des courroies , des tuyaux de toute dimension, des appareils
chirurgicaux, des coussins électriques, des robinets, des fils,
des rouleaux, des ressorts, des vêtements de toute es-
pèce, etc., etc.
En forçant la vulcanisation, c'est-à-dire en ajoutant à une
pâte de caoutchouc le cinquième environ de son poids de
fleurs de soufre, et chautfant le mélange à 150 degrés,
M. Goodyear vient de nous doter d'un nouveau produit dur
et rigide comme le marbre, et susceptible aussi d'un beau
poli. Les applications variées auxquelles il a su faire con-
courir sa précieuse découverte nous font pressentir un bel
avenir pour cette industrie naissante.
On peut en juger déjà par la brillante exposition que pos-
sède au palais des Champs-Elysées la Compagnie qui exploite
ses procédés. C'est avec ètonnement qu'on admire ces man-
ches de couteau sculptés, ces crosses de fusil ornées de sujets
moulés avec art, ces jumelles de théâtre et mille autres arti-
cles d'optique et de tabletterie, autrefois l'apanage de Tébène
et du buftle , aujourd'hui entièrement confectionnés avec
le caoutchouc durci de M. Goodyear. On y remarque aussi,
faits avec la même substance, des meubles richement dorés,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. i99
des bijoux montés de perles fines, des plats à dessins chinois,
des instruments de musique, tels que violons et clarinettes,
des candélabres, une maciiine électrique très-remarquable,
et dans un ordre de produits plus usuels, des cravaches et
dés cannes très-flexibles, plusieurs instruments de chirurgie,
des poudrières et autres objets de chasse; diverses mesures
métriques, des moUelies à imprimer, des bobines et des na-
vettes, des peignes ordinaires et des peignes à tisser, rempla-
çant avec avantage ies mêmes instruments en fer, si oxyda-
bles par l'air humide.
M. Goodyear expose aussi des planches de caoutchouc durci
destinées au doublage des navires et qui, par leur bas prix et
leur légèreté pourront, dit-on, être substituées aux feuilles de
cuivre actuellement en usage.
La librairie n'a point été oubliée dans cette riche collection,
et l'on peut apprendre l'histoire de la fabrication merveil-
leuse qui nous occupe dans un livre imperméable, dont les
feuillets en caoutchouc vulcanisé sont revêtus d'une élégante
reliure en même matière durcie. Quoiqu'il soit à regretter
qu'une pareille innovation arrive quatre mille ans après le
déluge, nous n'appelons pas moins sur elle l'attention des
baigneurs qui aiment à goûter dans l'onde les plaisirs de la
lecture.
La Compagnie américaine présente également une inté-
ressante exposition de caoutchouc simplement vulcanisé. Il
s'y trouve des cartes géographiques imprimées, des étoffes et
des vêtements divers , et parmi les jouets d'enfant, des chiens
et des oiseaux donnant de la voix par la simple pression des
doigts sur le corps. Il y a également de somptueux matelas à
eau chaude.
Enfin , le service militaire y possède des tentes imperméa-
bles et des pontons dune confection très-soignée.
Cette Compagnie, dans sa féconde initiative , ne s'est pas
contentée de trouver les moyens de soulager le souffrant,
d'égayer l'enfance, de mettre à l'abri des dangers de l'inon-
dation le manuscrit du poète ou les archives des peuples,
elle a aussi pensé à venu- eu aide à certaines infirmités. Le
nouveau système de chaussure qu'elle a créé en est la preuve
irrécusable, et, bàtons-nous" de le dire, l'énigme la plus
subtile pour tous les curieux qui l'admirent. Les rondelles en
500 VISITE
caoutchouc gris qui sont disséminées dans la semelle des
bottines font naître véritablement les conjectures les plus
bizarres, à tel point que beaucoup de personnes se figurent
être en présence de porte-monnaie suspendus avec artifice à
la partie de l'habillement la moins susceptible dètre oubliée
et celle aussi qui dans la foule ne redoute point l'invasion
d'une main étrangère. Pour d'autres esprits ce système est
une véritable mystilication. C'est même notre opinion au-
jourd'hui que nous avons appris que ces rondelles ne sont
que des soupapes qui ventilent l'intérieur de la chaussure,
par la pression que le pied, en mouvement, exerce tur
elles.
Quant aux bateaux^ dits de sauvetage ou insubmersibles,
s'ils n'ont point à redouter l'impétuosité des vagues, au moins
nous paraissent-ils craindre l'angle du récif ou la dent de
quelque hôte marin. Si curieux qu'ils soient, ils ne peuvent
cependant rivaliser avec celui que M. Edmiston , de Londres,
a fabriqué et que tout le monde voudra voir. Il faut d'ailleurs
reconnaître que notre alliée d'outre-mcr a montré celte fois ,
dans son exposition de caoutchouc, une réserve à laquelle
elle ne nous avait pas toujours accoutumés, et que s'il n'y a
que deux ou trois exposants anglais qui soient entrés dans la
lice, au moins ce sont autant de champions qui peuvent
rompre une lance. Le Palais de l'Industrie n'a, en effet, rien
à opposer, pour le bon marché uni au confortable, aux pa-
letots imperméables de M. Wansbrough : vêtements de bon
goût que nos lions des boulevards s'honoreront de porter cet
hiver. Confectionnés avec une étoffe Orléans de couleur très-
variée et une doublure d'une imitation de drap gris ou mar-
ron fort heureuse, ces par-dessus contrastent très- agréable-
ment avec l'aspect monotone des caoutchoucs français.
En Belgique, au moins, les manteaux imperméables que
nous payons à Paris 45 à 20 fr. ne valent que 8 fr., et
c'est la, pour la fabrication belge , un véritable progrès qu'il
est juste de signaler.
Le Prussien, au contraire, paraît tenir à ses vieilles habi-
tudes; il aime son roi et même son parapluie à en juger par
l'exposition de Berlin qui ne possède a peine, parmi ses nom-
breux articles en caoutchouc, qu'un vêtement pendu dans
l'angle obscur d'une vitrine. L'application de la gomme élas-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. oOl
tique est cependant très-bien comprise dans ce pays. Les
feuilles, les tubes et la plupart des cylindres en caoutchouc
vulcanisé de MM. Woigt et VVinde, de Berlin, sont d'un beau
travail, et le portrait de l'auguste martyr de Sainte-Hélène est
d'un heureux effet comme moulage. Les dimensions des pièces
expo-ées montrent en outre que cette industrie a déjà pris un
grand accroissement, et qu'elle pourra un jour se montrer la
rivale de l'industrie française, à la condition, toutefois, de
réformer ses procédés de vulcanisation , car si son travail est
intelligent pour la confection des articles qu'elle livre au
commerce, il laisse beaucoup à désirer dans la préparation
delà matière première. Le caoutchouc vulcanisé de MM. Woigt
et Winrie, et Fonrobert, renferme un excès de soufre qui le
rend cassant, et c'est pour cette raison que les feuilles et les
tubes de leur exposition se déchirent sous l'influence d'une
faible traction. Les grosses pièces elles-mêmes, quoique d'un
beau grain , se laissent entamer par l'ongle , épreuves que ne
ledoutent point , par exemple , les pièces semblables de
M. Guibal, dont la matière vulcanisée est d'une souplesse
incomparable.
Les sinuosités que présentent les parois des tuyaux de gros
diamètre, accusent également dans celte importante branche
de l'industrie lemplui de moyens de fabrication encore bien
primitifs, et confirment l'opinion qu'on se fait de l'ensemble
de l'exposition prussienne: qu'elle se trouve aujourd'hui dans
la grande voie du progrès , à l'étape même où les produits
français s'étaient arrêtés il y a six ans.
Ces assertions paraîtront incontestables à tous ceux qui vi-
siteront la riche exposition de la France. (Galerie du quai,
côté de la Seine, premier étage, colonnes 58-63.)
11 n'y a personne qui n'admirera ce-^ articles piarisiens qui
ont valu à leurs auteurs, MM. Guibal et Rattier, une réputa-
tion européenne si justement méritée. Nulle part on ne trouve
plus de coquetterie ravissante, dans les jarretières de femmes
coloriées comme les fleurs.
Et cette richesse d effet obtenue avec si peu de chose est
tellement inhérente à la production française, qu'on la ren-
contre même dans les objets d'un usage vulgaire. Les chaus-
sures, les casquettes, les coussins de M. Guibal , sont infini-
ment supérieurs aux mêmes articles prussiens , et cependant ,
502 VISITE
chez l'un comme chez l'autre, c'est toujours du caoutchouc,,
du fil et de la toiie réunis ensemble.
Toutefois, la partie sérieuse et nouvelle de l'exposition
française ne consiste pas tnntdans les formes et l'aspect bril-
lant des objets, que dans l'amélioration de la matière pre-
mière elle-même, et l'étenrlue de ses applications. Le caout-
chouc vulcanisé des producteurs français est vraiment un
produit remarquable qui diffère essentiellement du caout-
chouc dur et sec fabriqué, il y a quelques années, par les
mêmes fabricants. M. Rousseau-Lafarge en expose sous forme
de tampons et ressorts de wagons, de clapets de machines à
vapeur, etc., des échantillons hors ligne, et MM. Aubert et
Gérard en ont envoyé de grandes masses également bien
dignes d'attention. Les caprices de la fantaisie ont, à leur
tour, trouvé en MM. Barbier et Deaubrée, de Clermont-Fer-
rand, des interprètes intelligents, car à côté d'une exposition
sérieuse de caoutchouc filé, il y a une multitude de gourdes
et de blagues à tabac ornées de chinoiseries coloriées, toutes
filles de la potichomanie. Symbole de la gaieté, elles invitent
naturellement à la danse et personne n'exposait plus à pro-
pos des chaussures que MM. Hutchin^on et Henderson; leurs
produits sont d'ailleurs d'une confeetion délicate et très-soi-
gnée; notre seule crainte, c'est qu'ils ne rencontrent que peu
de pieds assez mignons pour les chausser, excepté cependant
pour la colossale botte d'honneur qu'ils exposent dans le Pa-
lais et dont Perrault, dans ses Contes des fées, a depuis
longtemps indiqué l'emploi.
Les tissus imperméables ne sauraient être omis dans cette
longue nomenclature, puisqu'ils constituent la branche la
plus imposante du caoutchouc manufacturé. Nous signalerons
donc avec plaisir les riches étoffes de tenture de MM. Hutchin-
son et Henderson, et, parmi elles, la grande toile peinte que
le public admirerait beaucoup moins si elle ne représentait
pas l'un des brillants faits d'armes de notre brave armée
d'Orient.
Quant aux vêtements en caoutchouc, ce sont toujours ceux
de MM. Rattier et Gaibal qui ont consersé le monopole de la
distinction.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 503
CLASSE XI.
Préparation et conservation des substances alimentaires.
Le règne végétal et le règne animal fournissent un très-
grand nombre de matières alimentaires que l'industrie trans-
forme de mille manières, pour le plus grand profit des con-
sommateurs et du commerce. De ces matières, les unes
peuvent être consommées dès qu'elles sortent des mains de
l'industrie, ou sont dans un état qui leur permet d'attendre
plus ou moins longtemps la convenance de l'acheteur; les
autres, au contraire, ne conservent les qualités qui les dis-
tinguent que durant un temps quelquefois fort court, et il
faut les préserver de toute altération jusqu'au jour où on les
utilise.
De là deux opérations industrielles distinctes : la prépara-
tion et la conservation des substances alimentaires. De là
aussi deux divisions, deux titres sous chacun desquels il
convient de classer les produits que renferme cette classe.
Les substances alimentaires qui n'exigent qu'une simple
préparation, celles qu'on n'est pas obligé de soumettre à des
procédés spéciaux de conservation, peuvent se rapporter à
quatre groupes principaux : les produits tirés des céréales et
des plantes féculentes; les sucres; les vins, alcools et li-
queurs ; les chocolats, cafés et thés.
Les substances alimentaires qui constituent des conserves
se peuvent distinguer aussi en quatre catégories : conserves
de fruits, de légumes, de ragoûts, de viandes.
Malgré le nombre considérable et l'importance commerciale
de ces substances diverses, nous ne pourrons en parler que
d'une manière générale et par aperçu sommaire : cela, pour
deux raisons.
Tous ces produits ne se cachent pas seulement derrière les
vitrines, ils s'enferment dans mille enveloppes différentes,
boîtes, bouteilles, flacons, tonneaux, que le visiteur ne peut
504 VISITE
ouvrir. Or, pour juger du mérite de ces matières destinées à
l'aJimentation, il faut connaître le procédé à l'aide duquel
elles sont obtenues, il faut aussi apprécier e gusta la valeur
propre de chacun d'eux. La dégusîation même ne suffit pas
toujours ; l'analyse chimique est souvent nécessaire pour dé-
terminer la richesse des produits, celle des farines, par
exemple; l'expérience, et une expérience prolongée, est quel-
quefois indispensable, notamment pour le- conserves.
D'un autre côté, la description des procédés de préparation
ou de conservation des substances alimentaires font l'objet
tout particulier d'un volume de la Bibliothèque des chemins
de fer, auquel nous devons naturellement r3nvoyer les lecteurs.
Notre tâche se borne donc nécessairement à caractériser
chacun des grands pays qui figurent à l'Exposition, par la
nature de produits spéciaux qui le distinguent; à fournir quel-
ques renseignements sur l'importance industrielle de quelques
substances; à compléter le volume que nous venons de citer ,
par l'indication des procédés nouveaux qui offrent quelque
intérêt.
En rai-on de rimporlanc<^ tout actuelle de la question ,
la conservation des viandt^s appellera principalement notre
attention.
Aucune série n'est plus nombreuse que celle où viennent
se ranger les produits multipliés tirés des céréales et des
plantes féculentes : farines de toute espèce, gruaux et gré-
sillons, grains décortiqués et piles, gluten granulé et en
feuilles; pâtes alimentaires indéfiniment diversifiées pour
potages, purées, crèmes; pâles d Italie, macaronis, nouilles,
vermicelles, semoules; fécules, amidons, dexlrine, glucose;
sagou, tapioca, pains de toutes natures , biscuits de toutes
sortes et de toutes formes ; biscuits de mer, de Reims, biscuits
glacés; petits-fours, pâtisseries sèches...; l'énumération est
impossible.
Il est également difficile de nommer toutes les sortes de
vins, tous les mets en conserves qui ont été envoyés à l'Ex-
position ; les noms sans la dégustation ne diraient, d'ailleurs,
pas grand'chose.
Ce qu'il est facile de remarquer c'est que, pour la beauté
des farines, et pour la variété des transformations auxquelles
l'emploi des céréales peut donner naissance, la France avec
A L'EXPOSITION UMVERSELLE. oOo
l'Algérie se place au premier rarii];. Le Canada et la Guyane
anglaise font honneur aux îles Biitanniques pour leurs farines
et leurs fécules. La Prusse et l'Autriche, l'Espagne et les
villes Anséatiques ont aussi de beaux échantillons.
Les pâtes alimentaires des États-SarJes. celles de la Toscane
surtout sont d'une finesse étonnante, et qui justifie bien la
réputation proverbiale de l'Italie en ce genre. La France seule
peut lutter avec ces produits dont les autres pays ne sont
pas riches.
Les Étals Américains, nos colonies et les colonies de nos
voisins ont desproduits féculents particuliers, empruntés à des
plantes de leurs zones. Ainsi la république Mexicaine présente
des fécules de Janipha Manihoc , ou cassave; d'Arroic-root,
foiirnie par les racines, ou plus exactement par les liges sou-
terraines du Marantû arundinacea et autres plantes , même
i^àv la Janipha Manihic que nous venons de nommer ; des
sayous, que peuvent fournir beaucoup de végétaux , tels que
le Cycas circinalis, VAreca olemcea, nommé chou palmiste
aux Antdles, le Phœnix favinifera, ['Arenga sœxharifera, les
Sayusfarinifera et Rumpliii, c'est-à-dire des plantes de la
grande et belie famille des Palmiers ou de celle des Cycadées,
qui lui est voisine.
Outre ses cassaves douces et amères qu'elle nous offre en
tranches sèches, en farine, en fécule , en pains , la Guyane
anglaise présente encore des matières féculentes nombreuses
tirées de diverses espèces d'ignames , de la palate douce, de
la banane, de la mangue, et d'autres plantes encore. Tous
ces produits sont étudiés avec soin au point de vue hygié-
nique, économique et commercial; on sent que les colons
anglais se préoccupent beaucoup des moyens d'utiliser les
produits naturels et facilement obtenus dans leurs colonies.
Quelques mots suffiront pour faire comprendre limnor-
lance de ces végétaux sous le climat tropical, et même comme
objet d'importation.
On peut récolter à l'hectare vingt-quatre mille kilogr.
environ de racines fraîches qui donnent la cassave; cette ré-
colte produit huit à neuf mille kilogr. de farine, six à sept
cents kilogr. de cassare^p, sucre épaissi de la plante, très-
usité com.me condiment, surtout pour préparer le pepper-pot
des Indes Occidentales, et enfin plus de deux cents kilogr.
506 VISITE
de fécule. Le produit en argent serait de cinq mille francs en-
viron par hectare, et les colons anglais pensent que la farine
de cassave serait bien accueillie sur les marchés d'Ecosse et
d'Irlande , si l'exportation en devenait quelque peu impor-
tante. Séchées dans la saison favorable et transportées en
tranches sur ces mêmes marchés , les racines dont il s'agit
s-eraient peut-être mieux reçues encore, car, en les faisant
tremper un peu avant de les faire cuire, elles reprennent à
peu près leur état primitif, et deviennent un succédané im-
portant de la pomme de terre,
Si l'on pouvait trouver une méthode facilement praticable
et suffisamment économique de conserver les bananes , ce
fruit est tellement abondant aux colonies et à si bas prix,
que l'exportation en deviendrait avantageuse. Un régime ou
grappe, mûri sur un seul pied, se compose souvent de 'ICO à
180 fruits, et pèse plus de 30 kilogr. En admettant le poids
moyen de 17 kilogr. par régime, on trouve qu'une plantation
de bananiers, sur une surface de 100 mètres carrés enviion,
donnerait 16 à 17 cents kilogrammes de matière alimentaire.
M. de Humboldt a calculé qu'on récolte sur le même espace
15 kilogr. de froment ou ié kilogr. de pommes de terre; le
produit des bananes serait donc à peu près 120 fois celui du
froment et 40 fois celui de la pomme de terre, en poids. Il est
vrai que la matière alimentaire fournie par les bananes ne
peut être comparée, à poids égal, à celle qui vient du froment
ou même des pommes de terre; mais M. de Humboldt estime
qu'à surface égale et proportionnellement à la valeur nutritive
réelle des deux plantes, la banane peut nourrir 2o fois plus
d'individus que le froment. On comprend donc que l'atten-
tion des colons se porte sur cette plante, qui peut, comme nous
l'avons vu déjà, fournir encore une matière textile de quelque
valeur.
Nos colonies et les colonies étrangères ont envoyé de
beaux échantillons de sucre; la France, et en particulier le
département du Nord , expose des sucres de betteraves bruts
et claircés, blancs et candis, et à toutes les périodr's de la
fabrication. La Belgique et la Prusse , puis , à une certaine
distance, l'Autriche, montrent aussi, par leurs produits,
que la fabrication du sucre de betteraves a pris chez elles une
importance de premier ordre.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. SOT
On sait que la maladie qui sévit depuis quelques années
sur la vigne a inspiré l'idée dexlraire l'alcool des betteraves,
et qu'un grand nombre d'usines se sont montées à cet effet.
Les pays que nous venons de signaler comme exploitant la
fabrication du sucre de betterave sont aussi ceux qui ont
envoyé à l'Exposition des alcools nouveaux.
Cette industrie récente survivra certainement à la cause qui
l'a produite accidentellement, et il est piobable qu'elle ne
nuira pas à la fabrication du sucre, comme elle l'a fait dans
la campagne dernière. En effet, les betteraves à sucre deman-
dent des terrains particuliers qui ne fournissent pas aux
plantes certains sels qui s'opposeraient à la cristallisation.
Pour l'alcool , ces sels ne sont pas le moins du monde un ob-
stacle , de sorte qu'on pourra cultiver sur des sols particuliers
et distincts les betteraves à sucre et les betteraves à alcool.
L'agriculture y gagnera en amélioration de ses méthodes , en
augmentation d'engrais et de bétail. Le consommateur y ga-
gnera aussi, spécialement en production de viande, car les
résidus de la distillation sont utilement employés dans l'ali-
mentation des animaux.
Les grains, les fruits et certains tubercules ont aussi été
exploités pour la fabrication de l'alcool. La Belgique nous
montre ses genièvres; la Prusse et l'Allemagne , des eaux-de-
vie de grain; l'Autriche, des alcools de prunes; la Corse et
la Toscane, des alcools d'asphodèles; plusieurs de nos dé-
partements , des alcools de sorgho , de safran , de topinam-
bour. L'avenir seul peut dire la valeur industrielle de ces
alcools divers, qui ne paraissent pas, cependant, devoir le
disputer avec quelque succès aux alcools de vin , de bette-
rave et de grain.
Tout fait espérer, d'ailleurs, que la vigne n'est pas con-
damnée à disparaître , ni même à nous priver longtemps en-
core de ses produits.
La France a une belle place dans l'industrie vinicole, et
elle présente au Palais de 1 Industrie de nombreux échan-
tillons bien capables de sauvegarder sa vieille réputation.
L'Autriche expose aussi un grand nombre de \ins fameux
tirés de tous les points de son empire : Moravie , Bohême ,
Hongrie , basse et haute Autriche, Transylvanie, Esclavonie,
Styrie, Venise. Un magnifique et immense cône, tout entier
508 VISITE
formé de bouteilles, fiiz;iire de la manière la plus heureuse
l'importance de la production des vins pour ce grand État.
Le duché de Bade, le grand-duché de Hesse, la Prusse,
viennent se grouper auprès de l'Autriche pour des vins ana-
logues.
Les États-Sardes, la Suisse, la Toscane, ^ présentent aussi
des vins empruntés aux meilleurs crus.
L'Espagne et la Grèce montrent leurs vins particuliers.
C'est à côté des vins d'Espagne que se placent les vins de
l'Algérie. Nous avons déjà dit que notre colonie africaine peut
s'approprier toutes les productions hispaniques, et particu-
lièrement les vins.
Il y a longtemps que l'usage du vin s'est étendu à toute
lEurope méridionale, grâce au moyen de conservation et de
transport qu'offrait une invention toute gauloise, celle des
tonneaux. De l'Europe, quelques plants ont passé au nou-
veau continent, qui possède plusieurs espèces de vignes sau-
vages; l'Afiique a obtenu le vin de Constance, en plantant au
f'ap un cep de Bourgogne; l'Australie récolte des vins dont
elle présente des échantillons au Palais de l'Industrie.
Pour la France, la production des vins est une des plus
importantes et des plus caractéristiques de son sol ; elle four-
nit au commerce les variétés en quelque sorte infinies de ses
Bourgogne, Beaujolais, Champagne, Bordeaux, Côte-Rotie ,
vins du Midi et autres.
On estime que l'étendue cultivée en vignobles est de près
de 2 millions d'hectares, produisant environ 4-4 millions
d'hectolitres de vin. En 1853, il est sorti des entrepôts de
Bercy et de Paris , 936 849 hectolitres; en supposant, ce qui
est très-probable, que cette quantité ait été consommée à
Paris même, elle porte à un peu plus de 93 litres la consom-
mation individuelle , pour une population d'un million de
tètes, c'est-à-dire à 1 litre par tète tous les quatre jours.
C'est là une consommation relativement élevée, surtout pour
les villes de la moitié septentrionale de la France , où l'on
consomme de la bière ou du cidre et peu de vin ; mais on voit
qu'elle n'a cependant rien de bien extraordinaire. Il est même
certain que cette moyenne cache des termes extrêmes dont
les maxima ne s'appliquent pas à la consommation de la
partie de la population livrée à des travaux pénibles.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 509
L Allemagne et la Prusse ont envoyé des échantillons de
bière; l'Espagne, des échantillons d'un certain vin, qualifié
de vin d'orange, dont nous ne connaissons que le nom, et
que nous retrouvons à l'exposition des États-Sardes et à celle
de notre colonie de la Martinique.
A côté des liqueurs faites en France, viennent se placer
celles de ses colonies de la Réunion , de la Guadeloupe et de
la Martinique, qui ont un cachet local, comme le bay-rhum
delà Guadeloupe, obtenu de la distillation du myrtiis pimenta.
Le grand-duché de Bade expose son kirscliwaser de la
foret Noire, pour lequel nos départements vosgiens entrent
en concurrence avec lui ; il présente aussi ses eaux de myr-
tylleset des liqueurs. La Prusse parait s'attachera tout ce qui
peut vulgariser larome du punch : liqueurs, essence de
punch au rhum , sirops de punch , etc.
Les Pays-Bas soutiennent leur antique réputation, et présen-
tent leurs liqueurs fines à côté de leur sucre raflBné et de leur
pain d'épico.
Ils présentent aussi, dans leur exposition coloniale, de
belles collections de cafés et de thés , auxquels nous opposons
les cafés de nos colonies , auxquels l'Angleterre oppose ses
thés de ri^de. Ces collections sont nombreuses , très-variées.
et peuvent donner lieu à une étude technique extrêmement
intéressante.
On sait que la culture du café est ancienne , et qu'elle
existait en Ethiopie de temps immémorial, quand les Arabes
de l'Yemen reçurent cet arbre précieux de leurs voisins
d'Ethiopie. Il est proba'ble que Mahomet, en déconseillant
l'usage du vin, contribua à répandre l'usage du café, qui ne
pénétra cependant que tard en Europe. Les premiers cafés
publics s'établirent en 'lo54 à Constantinople, en '1615 à Ve-
nise, en 1644 à Marseille, en 4652 à Londres, en 1653 à
Paris.
Quand Louis XIV reçut l'ambassade de Mohamed IV, l'en-
voyé Soliman-Aga offrit au grand roi une boîte de café ,
comme un présent des plus rares. L'usage de la nouvelle
liqueur resta confiné dans quelques maisons de grands sei-
gneurs, attaqué par les uns, défendu par les autres, mais
s'étendant peu. Heureusement les médecins prohibèrent le
café comme dangereux pour la santé et comme un poison des
^\0 VISITE :;
plus sûrs, quoique des plus lents. Chacun voulut dès lors j
s'empoisonner, et l'usage du café se généralisa bientôt. ji
Le premier café public de Paris , fondé par l'Arménien i
Paskal , qui accompagnait l'ambassadeur turc auprès de.f
Louis XIV , ne réussit pas. Aujourd'hui, le prix des établisse- i
ments de cette nature atteint un chiffre qu'on serait tenté de j
considérer comme faux, s'il n'était consciencieusement con- j
trôlé. Ainsi, le fonds du café Villette s'est vendu 250 000 fr. ; j
celui du café de la Rotonde, 312 000 fr. ; celui du café de \
Foix, 524 000 fr. Il est vrai que ces maisons ne débitent pas j
seulement du café ; mais le café a été l'occasion de leur dé- ;
veloppement, et reste encore la base principale et la plus j
lucrative de leur exploitation.
Ce sont les Hollandais qui ont commencé les premiers à ;
cultiver le café dans leurs colonies : Van Horn le porta, en ■
1690, de ÎNIoka à Batavia. Plus tard, -en 1706, Henri Zvvaar- j
dekroon l'introduisit en Hollande, et un pied du précieux ar- j
buste fut apporté de Hollande au Jardin des Plantes de Paris, j
en '17 U.
Tenu en serre chaude comme objet de curiosité , le caféier
se multiplia cependant assez à Paris sous les yeux d'Antoine
de Jussieu, pour qu'on songeât à en doter nos colonies. Déjà,
en 1717, la Compagnie des Indes de Paris avait fait trans-
porter quelques plants de Moka à Bourbon; en 1720. le capi- ]
taine De Clieux reçut, du Jardin des Plantes de Paris, trois i
pieds de caféier pour les transporter à la Martinique. Dans i
la traversée , qui fut longue et pénible, au point que les offi- i
ciers, comme l'équipage, durent être mis à la demi-ration j
d'eau, deux pieds périrent malgré le dévouement de De Clieux ■
qui partageait sa ration avec ses plantes. Un seul caféier par- ■
vint en assez bon état à la Martinique , et c'est lui qui est la ;
souche de ces vastes plantations qui couvrent ai)jourd'hui les |
Antilles, toutes les contrées chaudes du continent américain, i
Leur point de départ est dans les serres du Muséum d'histoire '
naturelle de Paris.
On peut cultiver 2500 arbres par hectare ; les caféiers rap- i
portent à leur troisième année, et durent de quarante à qua- i
rante-cinq ans. Le terroir et sans doute les conditions exté-
rieures ont modifié cette plante en variétés très-ditférentes :
d'arôme, et fort distinctes dans le commerce. :
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 51 J
Durant ia dernière période décennale , la consommation
moyenne a été, par an, de 15 millions de kilogrammes de café
en Angleterre ; elle a été de 16 millions de kilogrammes en
France. Eu égjird à la population respective des deux pays,
cela donne un demi-kilo,^ramme ou 500 grammes par tête,
pour l'Angleterre , et deux cinquièmes de kilogrammes ou
400 grammes par tête, pour la France.
Il est à désirer que la consommation du café s'élève en
France , dans l'intérêt de nos colonies, dans celui de nos su-
creries indigènes, et aussi dans l'intérêt de la santé de nos
populations. On a remarqué, en effet, que la consommation
du cale remplace celle des alcools quand ceux-ci deviennent
Irès-chers ; c'est ce qui s'est produit notamment en Belgique,
c'est ce qui se produira peut-être aussi chez nous , sous l'in-
fluence des circonstances atmosphériques qui diminuent
notre production alcoolique, et sous l'influence des mesures
législatives qui frappent les alcools d'un droit plus élevé.
Dans cette prévi-ion , nos colonies doivent faire de grands
efforts pour entrer plus largement dans la consommation de
la métropole. Aujourd'hui, les cafés de l'Inde figurent pour un
quart dans notre consommation; nos cafés coloniaux, pour
7 à 8 pour 100 seulement II ne faudrait pas que notre marché
fût envahi par les cafés de l'Inde, du Brésil, de Java.
Comme le café, le thé est devenu d'un usage presque géné-
ral en Europe , où son introduction ne remonte pas au delà
du xvii° siècle. Il nous vient de la Chine , où il constitue la
principale richesse du pays et où il est répandu presque par-
tout, contrairement à ce qu'on a cru pendant longtemps. Les
procédés de culture et surtout de préparation, usités dans
l'empire chinois, sont restés inconnus jusqu'en ces derniers
temps; mais les recherches des voyageurs, et en particulier
celles de M. Fortune, ont jeté de grandes lumières sur ces
questions.
De la Chine , la culture du thé a été importée par les An-
glais dans leurs possessions de l'Inde , et elle y réussit très-
bien, surtout dans l'Assam, où elle a lieu sur une très-grande
échelle; les thés d'Assam arrivent aujourd'hui à Londres.
Au Bré-il, le thé a réussi au point de vue cultural, mois
non au point de vue commercial; c'est-à-dire que la plante
bien soignée y a prospéré, mais que le produit revenait excès-
512 VISITE
sivement cher, et restail bien loin des thés chinois par i'a-
rome.
Essayée à l'Ile-de-France, la culture du thé a donné des
produits jugés très-médiocres. Tentée en France nième, cette
culture n'a fourni que des produits in>ignifiants comme qua-
lité et comme quantité. On. voudrait l'introduire aussi, avec
tant d'autres cultures, dans noire colonie algérienne, qu'on
semble vouloir charger de produire tout ce qui est exception-
nel. Tout en applaudissant aux efforts consciencieux de ceux
qui se proposent un tel but . nous ne pouvons approuver ler.r
enthousiasuie un peu irréfléchi , ni partager leurs illusions
que nous considéions comme daiigereuses.
On peut estimer que la production annuelle du thé s'élève
en Chine à 1 milliaid et demi de kilogrammes; la consomma-
tion seule de ce pays en exige 900 millions de kilogrammes.
L'Angleterre , oii furent importés 56 kilogrammes de thé
en '1669, en consomme aujourd'hui 17 à 18 millions de kilo-
grammes par an, c'est-à-dire 750 giammes environ par tête.
En France, l'usage du thé se répand peu ; longtemps, et sur-
tout dans les départements méi'idionaux , on n y a accepté le
thé que comme médicament, comme digestif et tonique. Nous
n'en consommons que IbOOOO kilogrammes, moins de
5 grammes par tête et par an. L'Angleterre consomme donc
plus de café et plus de thé que la France.
Les Hollandais , qui avaient abandonné la culture du thé ,
y reviennent maintenant avec énergie , et l'on peut dire avec
succès, si l'on en juge par les échantillons remarquables que
nous montrent leurs colonies des Indes -Orientales.
Nous ne pouvons mentionner que pour mémoire, et sans
rien préjuger sur leur valeur absolue, les succédanés du café
présentés par des exposants de France, d'Autriche et d'autres
pays ; aussi bien que les cacaos et chocolats exposés sous
mille formes appétissantes à côté de bonbons, de gelées, de
produits divers de l'art si inventif de la confiserie.
Nous arrivons aux conserves.
Par la nature des substances qu'ils exposent dans cette
catégorie, les divers pays se caractérisent nettement.
La France a, dans ce genre, l'exposition la plus variée,
grâce à la variété même de son climat et a sa double situation
de puissance maritime et continentale. Ainsi, elle présente
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. ol3
d'admirables fruits bien conservés, qui sont, pour Bordeaux,
par exemple, l'objet d'un grand commerce; des ragoûts de
toutes sortes, préparés par les mains habiles des Chevet et 'en-
fermés dans des boites qui font le tour du monde ; des lé-
gumes de toute nature, qu'elle a l'honneur d'avoir préparés
la première par l'emploi de procédés dont nous dirons tout
à l'heure quelques mots. Elle commence même à se préoccu-
per de la préparation et de la conservation des viandes : nous
allons aussi parler de ces essais.
L'Espagne, la Grèce, les pays méditerranéens envoient des
conserves de fruits magnifiques , des figues , des olives, des
câpres, des raisins de Corinthe. Il y a , dans cette catégorie
de produits, une belle place à prendre pour notre Algérie,
qui est appelée, non-seulement à nous vendre des primeurs,
mais aussi à exploiter très-avantageusement l'industrie des
fruits conservés et confits.
Nos colonies présentent les fruits très -variés de leurs
climats.
L'Autriche, la Prusse, la Belgique exposent très-peu de
conserves.
Les Iles Britanniques et leurs colonies se distinguent par
de splendides jambons, des fromages énormes, des viandes
salées, des conserves destinées à l'approvisionnement de la
marine. On sent la préoccupation d'un peuple, grand consom-
mateur, ayant à pourvoir aux besoins d'une flotte immense,
de nombreux bâtiments de commerce. Les jambons d'Fork
sont admirables; ceux du Canada ont une magnifique appa-
rence, même les jambons d'ours, qui tentent l'appétit curieux
de plus d'un visiteur à l'Exposition. Les tonnes de viandes
salées , envoyées par l'Australie, paraissent fort bien conser-
vées. On admire dans l'exposition des lies Britanniques un
porc tout entier à l'état de conserve, transformé en une véri-
table galantine.
Dans le même ordre de produits , les Villes Anséatiques
offrent aussi de belles provisions aux navires du commerce ;
l'armée anglaise a beaucoup tiré de Lubeck pour la guerre
d'Orient.
Les procédés de conservation , usités dans tous les pavs,
sont, en général, ceux d'Appert, perfectionnés par Fastier,
et, pour le lait, ceux de M. de Lignac. Nous revoyons, à cette
206 hh
514 VISITE
exposition, les produits de la maison Chollet et Cie, et ceux de
la maison Morel-Fatio et Cie, qui exploitent des procédés dif-
férents de conservation des légumes et sont aujourd'hui
fusionnés. Ils ont de nombreux imitateurs.
Il est inutile de faire comprendre l'importance des procédés
de conservation des légumes pour la culture potagère , pour
les consommateurs , pour le commerce. Tout le monde sait
Fextension croissante que prend, depuis une vingtaine d'an-
nées surtout, la production des légumes et des fruits, non-
seulement autour des grands centres de population comme
Paris, mais sur presque tous les points du territoire. L'éta-"
blissement de voies de communication plus nombreuses et
plus rapides permet aussi l'envoi de ces produits , d'un
point du pays à l'autre, de la Provence, du Languedoc, de
l'Algérie sur Paris. Il est probable , il est certain que la cul-
ture en grand des légumes et des fruits se généralisant, et le
réseau des chemins de fer s'étend ant, la circulation de ces
denrées sera plus importante et plus complète, qu'elle aura
même les contrées du Nord pour tributaires , et que nos dé-
partements méridionaux, avec notre Algérie, trouveront là
des relations commerciales fort fructueuses , une source
inespérée de prospérité.
Les procédés nouveaux de conservation permettent à l'hor-
ticulture française de prendre un développement plus large
encore, de garder pour ainsi dire indéûniment des produits
souvent éphémères, de les réduire sous un volume tel, qu'on
les puisse exporter au loin avec profit. C'est là le grand ser-
vice que peuvent rendre les procédés de M. Masson exploités
d'abord par la maison Chollet et Cie , et qui ont déjà fourni
à nos armées de terre et de mer des cargaisons entières de
légumes : le régime alimentaire de nos marins et de nos sol-
dats s'est ainsi sensiblement amélioré.
Ces procédés consistent dans une prompte dessiccation par
des courants d'air chaud , après épluchage , puis dans une
compression sous la presse hydraulique. Les légumes sont
de la sorte ré iuits en plaques qui s'emballent facilement. Une
caisse de fer-blanc, de la capacité d'un mètre cube, peut
renfermer 25 000 rations de 25 grammes chacune, représen-
tant 200 grammes environ de légumes frais. Il suffît d'im-
merger dans l'eau froide ou tiède la ration sèclie, durant cinq
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 513
ou six heures, pour que les légumes reprennent leur volume,
leur aspect, leur couleur. On les soumet alors à la cuisson
selon les habitudes ordinaires.
Les administrateurs de la marine des pays étrangers ont
adopté ces légumes ainsi préparés ; l'administration de la
marine des États-Unis s'est livrée, à ce sujet, à des expé-
riences dont nous parlerons plus loin.
Sur les traces de M. JMasson, qui a eu l'honneur d'ouvrir à
l'industrie cette voie nouvelle, où elle réalisera certainement
encore bien d'autres progrès , d'autres expérimentateurs se
sont occupés du même problème. Un des plus zélés est
M. Gannal, plus connu pour ses procédés d'embaumement que
par ses méthodes de conservation des matières alimentaires.
Préoccupé d'abord des moyens de conserver les viandes de
boucherie, M. Gannal parvint bientôt à conserver parfaite-
ment les végétaux les plus difficiles à dessécher, des plantes
grasses qui ont toujours fait le désespoirdes expérimenlateurs.
Il arriva enfin à trouver le moyen de conserver les légumes
d'une manière si parfaite, que l'Académie , à laquelle il sou-
mettait ses résultats , jugea convenable de recommander la
méthode au ministre de la marine, comme pouv<int rendre de
grands services dans l'approvisionnement de la flotte.
Pour ne pas nuire à sa découverte par les idées lugubres
et les préjugés que pouvait éveiller son nom, M. Gannal fit
exploiter son procédé sous un autre nom que le sien, sous celui
de la maison Morel-Fatio et Cie, qui est restée , après la mort
de linventeur, seule propriétaire delà méthode, et qui expose
au Palais de l'Industrie comme associé de la maison f.hol-
letetCie.
Cette méthode n'a rien de commun avec les procédés d'em-
baumement auxquels l'auteur doit sa réputation européenne;
elle diffère complètement de la méthode de M. Masson. Celle-
ci défigure toujours plus ou moins les plantes en les réduisant
en plaques, et les rend tout à fait méconnaissables jusqu'à ce
qu'elles aient été soumises à l'action de l'eau ; l'autre, au con-
traire, les garde avec tous leurs caractères, forme et cou-
leur.
En 1853 , la maison Morel-Fatio et Cie a soumis à la prépa-
ration , au moyen de huit appareils cubant chacun deux mè-
.tres, plus de 525 mille kilogrammes de légumes ; elle a livré
5i6 VISITE
une plus grande quantité de produits au commerce en -ISoi;
elle vient de porter ses appareils au nombre de 20, à Paris, et
de fonder au Mans une succursale qui utilisera U de ces
appareils un peu plus grands encore que ceux de Paris.
Si nous ne donnons pas de renseignements de même na-
ture sur la maison Chollet et Cie, c'est que le lecteur trouvera,
dans le volume de la Bibliothèque des chemins de fer, qui
traite des Substances alimentaires , des détails sur 1rs procé-
dés Masson et sur le travail de la fabrique de MM. Chollet
et Cie , tandis qu'il n'est pas question dans ce livre des pro-
cédés exploités par MM. Morel-Fatio et Cie. Nous essayons
de compléter ici ce chapitre.
D'après des expériences faites à Brest, sur les ordres
du préfet maritime , et aux États-Unis , par l'administration
de la marine , il semblerait que les deux procédés ne réussis-
sent pas également bien pour certaines plantes, qu'ils ont
en quelque ^orle une spécialité en raison de la nature des lé-
gumes sur lesquels ils s'exercent.
La commission de Brest a reconnu que les légumes préparés
par MM. Morel-Fatio et Cie ont gardé toutes leurs qualités,
leur odeur, leur saveur, leur couleur; que les juliennes
échaudces des mêmes industriels paraissent supérieures aux
choux desséchés par le procédé Masson ; que la variété et la
saveur de leurs légumes les feraient préférer indubitablement
par les marins, qu'elles cuisent en moins de temps, avec
moins d'eau, et, par conséquent, avec une moindre dépense
de combustible.
D'autre part, la commission américaine, en comparant les
choux préparés d'après le procédé Gannal aux choux préparés
d'après le procédé Masson , a trouvé les premiers mauvais
pour les approvisionnements de la marine, et les seconds
très-bons. Elle a confirmé le jugement de la commission
française sur les juliennes, tout à fait supérieures d'après le
procédé Gannal, médiocres daprès le procédé Masson. Les
carottes ont été trouvées excellentes de part et d'autre. Les
pommes de terre, excellentes d'après le procédé Gannal, se
sont montrées d'un goût désagréable d'après le procédé
Masson.
Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse des rap-
ports des deux commissions. Ce que nous en avons dit suffit
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 517
pour prouver que les deux méthodes, comme toutes les mé-
thodes du monde, ont leurs avantages et leurs inconvénients,
les défauts de leurs qualités. Nous ne comparons pas les prix
de revient sur lesquels nous n'avons pas de données.
Ce qui paraît préférable dans le procédé Gannal , c'est la
belle apparence des légumes et la perte moindre de leur
arôme; ce qui semble plus avantageux dans le procédé Mas-
son , c'est la condensation des produits sous un volume moin-
dre , qui les rend plus commodes pour les transports.
Nous l'avons dit, il y a encore des progrès à réaliser dans
cette industrie dont la France doit surtout recueillir de grands
avantages, et pour ses déparlements moins septentrionaux,
et pour ses provinces algériennes. D'autres compléteront
l'œuvre commencée avec tant de succès déjà par les hommes
qui ont si bien mérité de leur pays.
La conservation des viandes, plus difficile encore que celle
des légumes et plus importante, préoccupe en ce moment
beaucoup d'expérimentateurs ; nos compatriotes se distin-
guent à l'Exposition par leurs tentatives, et nous dirons
même par leurs succès.
C'était déjà un point important que d'avoir pu conserver
dans des boîtes , d'après les procédés perfectionnés d'Appert,
des viandes qu'on pouvait transporter au loin sans qu'elles
s'altérassent. Les essais nouveaux promettent davantage.
C'est dans la période des vingt-cinq années dernières qu'on
a commencé à s'occuper sérieusement et avec suite du pro-
blème ; les voyages aux terres arctiques , la recherche d'un
passage au nord-ouest, les excursions dans des régions inac-
cessibles ont fait sentir l'avantage qu'il y aurait à pouvoir
s'approvisionner de viande. La marine militaire et marchande
a compris aussi de quelle utilité serait une pareille ressource.
Outre leurs avantages hygiéniques , les conserves de vian-
des en boîtes de petites dimensions offrent de grands avan-
tages économiques sur les viandes salées de bœuf ou de porc.
Le procédé est simple , l'appareil peu coûteux ; on évite la
dépense des barriques, les frais d'arrimage, les pertes résul-
tant du coulage, de la réduction et de la présence des os. De
plus , si un accident arrive à un baril de viande salée , la fuite
de la saumure peut compromettre tout le contenu , tandis
que les viandes gardées dans des boîtes de fer-blanc ne cou-
ol8 VISITE
rentpas de risque ; une boîte endommagée n'occasionne d'ail-
leurs que la perte d'un à deux kilogrammes de viande.
Sous la forme que les nouveaux procédés donnent aux
viandes, les avantages semblent devoir être plus considéra-
bles encore. Voici sur ce point les renseignements que nous
pouvons présenter.
Une société s'est constituée sous le nom de Compagnie ali-
mentaire de Buenos- A fjres , pour exploiter des procédés parti-
culiers de conservation des viandes dans l'Amérique méridio-
nale, et partout où existent de grands troupeaux d'animaux
qu'on tue seulement pour en obtenir le suif et le cuir. Cette
société expose des viandes, des tablettes, des biscuits de
viande obtenus par ses méthodes qui restent son secret.
D'après les exposants, les viandes seraient conservées
fraîches durant un temps illimilé , et ils en montrent des
échantillons préparés depuis quinze mois qui seraient, d'a-
près eux. exactement aujourd'hui ce qu'ils étaient au premier
jour. La viande conserverait sa transparence, sa couleur
rouge; elle laisserait, après quinze mois de conservation,
suinter le sang sous le couteau, et ne donnerait d'autre saveur
que celle de la viande fraîche.
Pour la préparer en bouilli, il suffirait de la placer dans
l'eau et de la soumettre à l'action du feu , absolument comme
on le fait de la viande qu'on vient d'acheter chez le boucher;
pour la rô'ir , on la ferait préalablement tremper quelcpjes in-
stants dans l'eau tiède.
La viande préservée par les procédés propres aux expo-
sants, peut être transportée sans être enfermée dans des vases,
privés d'air, sans plus de précautions qu'on n'en prend pour
les biscuits de mer.
Les tablettes présentées par la même société n'auraient
aucune analogie avec les tablettes de bouillon dont il a déjà
été question dans le commerce. La viande à l'état frais, n'ayant
subi ni l'action de l'eau ni celle du feu, y serait associée à des
légumes secs, de manière à donner des tablettes qui contien-
draient, sous un poids très-faible , tous les éléments du pot-
au-feu. Une ébullition de vingt minutes, une demi-heure
tout au plus, suffirait pour donner un excellent bouillon.
Ces tablettes pourraient ne contenir que de la viande de
baeuf, et permettre ainsi de faire à volonté une soupe au pain,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. ol9
un vermicelle , une semoule ou tout autre potage; elles pour-
raient aussi fournir les éléments du bouillon , unis à ceux
d"une julienne, aux choux ou à l'oseille. Il existerait aussi des
tablettes donnant du bouillon de poulet ou du bouillon de
veau avec de l'oseille. Pour ces préparations , tous les déchets
de l'étal pourraient être utilisés, et les inventeurs pensent
que leurs procédés fourniraient à bon marché des bouillons
aux armées de mer et de terre, aux voyageurs, aux habitants
des campagnes, aux bureaux de charité.
Enfin la même société prépare encore un biscuit de viande
qu'elle présente comme supérieur aux produits de ce nom
qui ont été imaginés jusqu'ici.
Depuis quelque temps déjà , la marine américaine et les
voyageurs du nouveau continent font usage d'un biscuit de
viande qui porte le nom de son inventeur, Gail Borden , et
qui a attiré vivement l'attention à l'Exposition universelle de
Londres. Ce biscuit présente, sous la forme la plus simple et
la plus économique qu'on eût encore trouvée , une combinai-
son de farine de froment et de viande de bœuf; c'est une
sorte de gâteau plat, sec , inodore, cassant, qui se peut gar-
der un très-longtemps sans s'altérer. Avec de l'eau chaude et
un assaisonnement approprié au goût du consommateur, on
obtient rapidement ainsi une soupe savoureuse, agréable,
très-nutritive, ayant quelque chose de la consistance du
sagou.
D'après le jury de Londres , une livre de ce biscuit contient
la matière nutritive de cinq livres de bœuf de première qua-
lité, moins la graisse, mélangée avec une demi-livre delà
meilleure farine. Il suffît d'une once de ce biscuit râpé et bouilli
dans une pinte d'eau, pour avoir un excellent potage d'une
haute valeur nutritive. L'inventeur affirme, et le jury appuie
cette affirmation , que dix livres de ce biscuit , ajoutées à une
convenable quantité d'eau, fournissent un aliment suffisant,
par son volume comme par sa faculté nutritive , non-seule-
ment pour maintenir un homme en bonne santé , mais pour
entretenir les forces d'un travailleur durant un mois.
L'analyse chimique a montré que la viande , aussi bien que
la matière amylacée , existent dans ce biscuit sans altération
aucune. Il contient en moyenne près de 32 pourri 00 des prin-
cipes azotés qui constituent la chair musculaire.
520 VISITE
Dernièrement, l'Académie des sciences a été appelée à exa-
miner un biscuit-viande préparé par M. Callamand, avec de la
farine de pur froment, de la viande cuite et des légumes.
D'après l'auteur , 250 grammes de ce biscuit donneraient ,
avec 2 litres d'eau et un assaisonnement convenable , 6 ra-
tions de soupe grasse. Des expériences faites par la commis-
sion, au Conser\atoire des arts et métiers, sur les indications
de l'inventeur, ont donné pour la composition de ce biscuit
un peu plus de 83 pour 100 des matières qui entrent dans la
confection du biscuit ordinaire, et un peu moins de 17 pour
100 do viande sèche et assaisonnement sec.
La commission a préparé, avec 250 grammes de ce biscuit,
une soupe analogue à celle qu'on obtiendrait avec du biscuit
ordinaire trempé dans un bouillon gras, mais contenant de
plus toute la chair cuite à laquelle le bouillon doit ses quali-
tés. Notre compatriote aurait donc obtenu un résultat au
moins égal à celui qui recommande le biscuit-viande de Gail
Borden , et fournirait ainsi le moyen de se procurer, en peu
de temps, une nourriture agréable, substantielle, avantageuse
dans tous les cas de guerre, d'expéditions maritimes ou de
voyages lointains.
Le biscuit -viande qu'expose la Compagnie alimentaire de
Buénos-Ayres n'aurait rien de commun avec les produits de
même nom dont nous venons de parler. Outre les éléments
des autres biscuits homonymes , il contiendrait la viande
fraîche, ni cuite, ni salée, en proportion plus ou moins consi-
dérable et variable à volonté. Des expériences viendront sans
doute confirmer toutes les promesses de cette exposition.
Une autre société, la Société générale de conservation des
viandes, dont les essais ont préoccupé dernièrement l'opinion
publique , nous montre des viandes et des subtances de toute
sorte conservées à l'aide d'une matière tirée de la viande
même, et désignée sous le nom àecu7iservatine. Pour expliquer
en quoi consiste cette conservatine et comment on l'obtient ,
nous résumerons les opérations exécutées, au mois de juillet
dernier, devant la commission supérieure des subsistances mi-
litaires de la guerre, chargée de se rendre compte de la valeur
du procédé.
Un bœuf, du poids de 38i kilogrammes sur pied , abattu
et divisé en quatre quartiers, selon la pratique de la boucherie
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. . S2i
parisienne , a été découpé en morceaux de 2 kilogrammes au
minimum et de 5 kilogrammes au maximum.
Le boucher désosse à mesure qu'il découpe, et il s'applique,
en formant ses morceaux, à suivre les aponévroses, de manière
à laisser intactes et à isoler les masses musculaires des mem-
bres. Il est important de ne pas attaquer sans nécessité le
corps du muscle, de ne pas l'inciser inutilement, de conserver,
en un mot , la surface des morceaux aussi lisse et unie que
possible. Dans ce but , on enlève tout ce qui fait saillie, les
graisses, les vaisseaux sanguins qui ne pénètrent pas dans
l'épaisseur des muscles, aussi bien que les ecchymoses, s'il y
en a, et l'on ouvre toutes les cavités qu'on rencontre. Il est
facile de comprendre qu'on évite ainsi le séjour de l'air dans
la masse, et que la surface bien unie ne laissera aucune brin-
dille saillante où l'altération trouverait prise.
En même temps que se préparent les morceaux destinés soit
à être bouillis , soit à être rôtis , soit à rester crus, on met de
côté tout ce qui doit servir à la préparation de la conservatine,
c'est-à-dire les os dégarnis de. leur moelle et cassés au coupe-
ret en petits fragments, la queue et tous les menus débris qui
résultent du découpage, toutes les chaires tendineuses et de
basse boucherie, telles que les gîtes, le collier, les joues, etc.
Pour le bœuf dont il s'agit, on a obtenu 230^,600 en mor-
ceaux destinés à être conservés, 46*^,650 en morceaux divers
devant entrer dans la préparation de la conservatine , et
^ 04'', 560 en os, graisse, moelle et queue de l'animal. Toutes
ces parties donnent un poids total de 381^,810 qui, comparé
au poids brut du bœuf, laisse 2'', 190 représentant la perte par
l'évaporation et le découpage.
Pendant que sont bouillis et rôtis les morceaux qu'on a des-
tinés à ces préparations , on fabrique la conservatine. Toutes
les parties que nous venons d'indiquer comme employées à
cette fabrication sont placées dans des chaudières avec deux
litres d'eau par kilogramme de viande , et soumises à l'action
d'un feu violent jusqu'à l'ébullition complète de l'eau. Le feu
est ensuite modéré , le liquide écume et dégraissé , et , après
douze heures, passé au tamis. Les viandes restées sur le tamis
et dans la chaudière sont mises sous presse, et Ton en exprime
les sucs autant que possible.
Ces sucs , ajoutés au liquide tamisé , sont versés dans des
522 VISITE
chausses à filtrer, et le liquide ainsi épuré est soumis de nou-
veau à l'ébullilion, durant laquelle on agite à la spatule. Quand
le tout est réduit à consistance sirupeu-e, c'est-à-dire après
six ou sept heures de feu modéré, on ajoute de la gomme et du
sucre en quantité proportionnée à la masse du liquide ; on
remue à la spatule durant dix minutes , et l'on transvase le
liquide pour le laisser refroidir jusqu'à 35 degrés centigrades.
A ce moment, on verse 4 centilitres d'alcool à 83 degrés par
kilogramme de liquide, et la conservatine est préparée.
Cette conservatine , ou sorte de gelée , est placée dans de
grandes terrines , à la température de 3b degrés centigrades ;
les terrines sont portées au séchoir où sont suspendues les
viandes ; puis chaque morceau est plongé dans la conservatine
durant quelques secondes. On suspend de nouveau les viandes
jusqu'au lendemain, pour attendre une seconde immersion.
Ainsi enveloppées de toutes parts de la gelée préservatrice,
les viandes de toute nature seraient mises à l'abri de toute
altération, pendant un temps que les exposants garantissent
être d'un an au moins. Pour utiliser les viandes ainsi prépa-
rées, il suffit de les plonger quelques instants dans l'eau pure
assez échauffée pour faire fondre l'enveloppe gélatineuse. On
les traite alors comme à l'ordinaire, si elles sont crues ; on les
consomme, si elles sont bouillies ou rôties.
L'expérience du temps est nécessaire pour juger la valeur de
cette méthode, et les essais que tente l'administration de la
guerre sont extrêmement intéressants et importants; ils nous
diront ce que nous devons attendre du procédé.
Déjà l'on a rendu publics les résultats d'une expérience faite
au mois d'avril dernier. Une cuis-e de bœuf cru^ du poids de
4-5 kilogrammes environ, et enveloppée depuis six mois de
conservaline ^ a été découpée comme on le fait à l'étal. La
viande , au rapport des témoins , avait conservé sa couleur
vive, les chaires étaient fraîches et élastiques; la graisse , les
os, la moelle se présentaient dans l'état où se trouvent ces
parties sur l'animal récemment abattu. Un morceau du tendre
de gi'te, cuit sur le gril comme beefsteak ordinaire, a été trouvé
excellent, et un juj;e compétent , M. Chevet , en a loué la sa-
veur, comme il avait loué le fumet de la viande crue.
Si ce succès se confirme , les inventeurs de ce procédé au-
ront certainement réalisé un grand progrès dans l'art de la
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 523
conservation des matières animales. Il paraîtrait que leur dé-
couverte s'applique également à la conservation du poisson ,
du gibier , de la volaille, des légumes frais, des fruits, des
graisses, du beurre, etc.
Pour transporter les aliments ainsi préparés , il serait inu-
tile de les enfermer dans des vases particuliers; on pourrait
les expédier en caisses ou même à l'air libre , comme toute
autre denrée qui n'a rien à redouter des agents extérieurs.
Le prix de revient de ces préparations ne doit pas être
élevé, car on utilise toutes les parties de l'animal , et même
les viandes comprimées qui ont servi à préparer la conserva-
tine. Assaisonnées convenablement, ces viandes sont em-
ployées à la fabrication de saucissons ou comestibles d'autre
nature.
Voici enfin une découverte plus merveilleuse encore, la
plus'merveilleuse de rExpo?ition universelle de ISoS, si elle
tient tout ce qu'elle promet, comme nous pouvons l'espérer.
>ï. Lamy conserve dans leur état naturel toutes les substances
lesplusaltérables, les plus impressionnables, sans les soumettre
préalablement à aucune dessiccation, cuisson ou compression,
sans les enfermer hermétiquement dans le vide, sans les en-
tourer d'une enveloppe protectrice.
C'est par l'application de la science, et non par hasard, que
M. Lamy a trouvé sa méthode. Aujourd'hui industriel à Cler-
mont-Ferrand, M. Lamy est licencié es sciences physiques et
mathématiques, et professur de l'Université. Il n'a pas révélé
son secret , mais on sait quelles sont les deux opérations fon-
damentales qu'il fait subir aux substances qu'il veut con-
server.
La première consiste à précipiter ou à coaguler le principe
albuminoïde dent la fermentation est la cause primitive de la
décomposition et de la putréfaction des matières organiques ,
animales ou végétales. La précipitation ou la coagulation de
ce principe a lieu en vase clos, par l'action d'un corps gazeux
choisi par l'inventeur. Dans beaucoup de cas , et , par exem-
ple, pour la viande de boucherie , cette opération , prolongée
durant quelques jours, suffit pour que la substance soit indéfi-
niment inaltérable.
Mais, pour d'autres substances, comme le gibier, les fruits
les légumes , il faut compléter cette première opération par
524 VISITE
une seconde qui a pour but d'enlever à l'atmosphère qui en-
toure la substance , l'oxygène sans lequel la fermentation et I
la putréfaction ne peuvent avoir lieu. L'inventeur emploie , à 1
cet effet , certains sels qui ne sont d'ailleurs aucunement en
contact avec l'aliment.
Annihiler le ferment, éloigner l'oxygène, tels sont les deux ^
résultats que paraît obtenir M. Lamy pour conserver les sub- i
stances alimentaires. j
Il expose, dans sa vitrine , des gigots de mouton conser- j
vés, l'un depuis cinq ans, l'autre depuis dix ans, libres au ^j
milieu de l'atmosphère et sans aucune protection contre i
l'action des chaleurs de l'été ou contre les émanations dan- ]
gereuses. j
Des perdrix sont conservées avec leurs entrailles et leurs ,
plumes. Des raisins, des abricots, des pêches, des reine- i
Claude, des poires de beurré, des oranges, des nèfles, des !
truffes ont gardé leur aspect frais et vivant. Des choux-fleurs ;
ont gardé leur couleur et leur rigidité natun4les. Il paraît |
qu'un gigot et des choux-fleurs, semblables à ceux qui sont "
exposés, ont figuré avec honneur sur la table du chef de TÉ- \
tat. Une maison de Paris fournie per l'inventeur a vendu, ;
durant l'hiver dernier, des abricots et des pêches qui se ^
payaient 1 fr. et 1 fr. 25 c. la pièce. '
Le lait peut aussi être conservé par les mêmes moyens, et ;
M. Lamy montre deux flacons bouchés à l'émeri, ouverts et !
fermés incessamment, dans lesquels est enfermé du lait trait î
il y a six mois, sans qu'il ait subi d'altération. I
Des betteraves , entières et coupées , du jus de betteraves , i
même de la levure de bière, ferment si instable, peuvent être '
conservés avec le même succès. j
M. Lamy peut montrer un magnifique chevreuil conservé i
depuis plus de deux ans, un saumon, un brochet, un turbot, '
destinés à figurer à un banquet dans quelque circonstance I
solennelle. !
H paraît que ces procédés de conservation n'ajoutent qu'une i
dépense insignifiante au prix de la substance : 10 centimes ■
par kilogramme de viande ou par litre de lait; 1 franc par i
1 000 kilogrammes de betteraves ou par hectolitre de jus. ^
Les avantages d'une telle découverte , comme de toutes '
celles dont nous venons de donner une idée, ne consistent pas j
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 525
tant dans la possibilité de pouvoir conserver les substances
alimentaires d'une année à l'autre, que dans la facilité
qu'elles fournissent de prendre de la viande là où elle est
abondante et à bon marché, pour la porter sans perte là où
elle est rare et chère.
Or, il est des pays, comme l'Amérique méridionale, comme
le Canada, comme l'Australie , où les bœufs et les moutons se
trouvent quelquefois en nombre considérable, et où l'on est ré-
duit aies tuer pour prendre leur cuir ou leur suif. Si leur chair
pouvait être conservée, il n'est pas douteux qu'elle trouverait
à se placer sur les marchés européens, pour le plus grand pro-
fit des classes pauvres.
Souvent , il est vrai , les animaux qu'on immole ainsi sont
âgés et dans un état de maigreur qui n'est pas favorable à la
qualité de leur viande. Mais si l'industrie s'emparait de la
question, elle trouverait facilement le moyen de soumettre les
animaux à une sorte de petit engraissement préalable qui
donnerait plus de valeur à leur chair.
Un des traits caractéristiques de l'Exposition universelle de
^855 sera incontestablement cette préoccupation^, qui se tra-
hit sous tant de formes, du problème de la conservation des
matières alimentaires, et tout particulièrement des viandes.
La France paraît destinée à garder la plus belle part d'initia-
tive et de succès dans cette belle et utile industrie.
CLASSE XIL
Hygiène , pharmacie , médecine et chirurgie.
Cette classe de produits comprend tout ce qui se rattache
plus ou moins directement à la conservation de la santé des
hommes et des animaux : hygiène publique et privée, sub-
stances pharmaceutiques naturelles ou fabriquées, instru-
ments et appareils de chirurgie, préparations anatomiques;
tels sont les titres généraux sous lesquels se rangent tous les
objets que nous avons à étudier ici. Ce cadre est large, comme
526 VISITE
on le voit; c'est l'arsenal tout entier de la médecine appliquée
à l'homme sain ou malade. Par malheur, l'Exposition est pau-
vre sur certains points, tandis que nos richesse» abondent sur
d'autres. Aussi serons-nous obligés d'exprimer plus souvent
des désirs que des jugements. Cela est vrai, surtout pour
l'hygiène, etjnous n'en sommes nullement surpris; il était dif-
ficile de mettre sous les yeux du visiteur ces vastes systèmes
de salubrité qui sont liés d'une manière si intime à l'économie
des grandes villes. Et d'ailleurs un grand nombre d'indus-
tries concourent à leur édification ; que d'essais infructueux,
que de tentatives et de réformes avant d'arriver à une solution
convenable! Nous aurons donc à faire de nombreuses incur-
sions dans diverses branches de science çt d'art qui semblent
au premier abord complètement distinctes de notre sujet, mais
qui s'y rattachent cependant comme éléments fondamentaux.
Un des premiers et des plus importants besoins de toutes les
grandes villes, c'est, sans aucun doute, Papprovisionnement
des eaux en quantité et en qualité suffisantes. Nous ne vou-
lons pas étudier ici les grands travaux d'art que nécessitent
presque toujours des détournements ou des prises d'eau de
sources ou de rivières faites souvent à des distances considé-
rables du lieu de la consommation. Il est cependant quelques
résultats généraux qu'il importe de faire connaître ici. On
s'accorde généralement à reconnaître qu'une quantité d'eau
de 100 litres par jour et par individu répond d'une manière
suffisante aux besoins journaliers. Quelques villes doivent à
de grands travaux d'aménagement de pouvoir fournir leurs
habitants d'une manière beaucoup plus large. Aujourd'hui
Rome, quoique privée de la cinquième partie de ses eaux,
donne encore à chaque habitant près de -1000 litres; chaque
maison de Londres peut avoir 900 litres d'eau pour 10 centi-
mes, tandis qu'il eût fallu, pour obtenir une pareille quantité
par les transports à bras, employer 240 000 individus, presque
toute la population valide, et dépenser 227 millions de francs.
La ville de Paris est beaucoup moins bien dotée : elle ne
donne guère que 3 à 4 litres d'eau par jour et par individu
pour les bains et lavoirs ; nous ne connaissons pas le chiffre
relatif des consommations ménagères. Cette pénurie préoccupe
depuis longtemps l'administration et les ingénieurs, et leur a
fourni un sujet d'études rempli d'intérêt et de difficultés.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 527
La clarification des eaux est faite en grand dans quelques
localités. L'Exposition ne nous a montré aucun modèle de ce
genre. Nous n'avons pu examiner que des fontaines fihrantes
employées dans la vie domestique, ou des filtres portatifs d'uu
volume très-peu considérable. Ces filtres sont tous constitués
par des lames ou des vases de pierre poreuse qui arrêtent à
leur surface les immondices, mais qui offrent l'inconvénient
grave de s'encrasser et de ne pouvoir se nettoyer eux-mêmes.
Nous aurions aimé à voir des fontaines filtrantes de ce genre
fonctionnant de bas en haut et de haut en bas, et pouvant
ainsi se nettoyer elles-mêmes.
Un des problèmes de Ihygiène publique les plus larges et
les mieux étudiés de nos jours est relatif à l'enlèvement des
immondices de la voie publique et des habitations, à l'établis-
sement des voiries de toute nature et aux cimetières; de
grands progrès ont été faits depuis vingt ans. Il existe sous
ce rapport un contraste frappant entre le midi et le nord de
la France. A Paris, surtout, la législation des voiries et des
fosses d'aisances a été complètement modifiée depuis quelques
années : les voiries de Bondy et d'Aubervilliers sont de vé-
ritables usines où les détritus animaux de toute espèce sont
préparés et traités en grand de manière à en extraire tous les
produits utiles qu'ils contiennent. Les peaux des animaux
sont enlevées et envoyées immédiatement aux ateliers de
tannerie; l'ébullition à la vapeur dans de grands vases clos
établit la séparation des huiles et graisses, des os destinés à la
fabrication du noir animal et des chairs dont on retire diverses
substances ammoniacales.
Les fosses d'aisances, il y a quelques années encore, étaient
dévastes réservoirs, trop- souvent perméables, et contenant
un mélange de matières solides et liquides qui , filtrant à tra-
vers les parois, donnaient lieu à des émanations dangereuses.
Aujourd'hui les fosses, quelles quelles soient, doivent être
parfaitement étanches et doivent permettre la séparation des
liquides et des solides : les premiers devant être n^jelés après
désinfection sur la voie publique, les seconds devant être
transportés au dépotoir de la ViUette.
Il existe plusieurs systèmes de séparation et d'cxti action
des matières; M. Richer a exposé une coupe réduite d'une
fosse à séparation constante, très-usitée à Paris ; il a donné
o28 VISITE
des échantillons assez beaux de divers produits chimiques
extraits des eaux de voirie à l'usine de Bondy : ce sont des
sels ammoniacaux et de Tammoniaque liquide. Un autre ex-
posant a, dit-on, un système de vidange atmosphérique que
nous n'avons pu voir : nous ne connaissons donc pas les par-
ticularités de ce nouvel a])pareil. Mais nous savons que la vi-
dange par aspiration , à l'aide de pompes , s'opère sur une
grande échelle dans notre ville.
MM. Rozier et Mothes ont exposé un système de cuvette
inodore qui nous paraît présenter de grands avantages pour
les lieux publics, les bouches d'égouts, etc. La soupape des
cuvettes s'ouvre d'elle-même lorsqu'elle supporte un certain
poids proportionnel à l'importance de la bouche et fait arriver
un courant d'eau considérable : la soupape se ferme dès
qu'elle est débarrassée des matières qu'elle contenait ; ces
appareils sont d'une extrême simplicité , ils sont construits
solidement , en fonte et sans aucun mécanisme, c'est un
contre-poids adapté à la soupape qui la maintient fermée et
qui la ramène à cette position quand elle a été ouverte. Nous
avons encore vu d'autres appareils inodores présentant di-
verses modifications qui nous ont semblé moins importantes :
ce sont des appareils à courant d'air, sans eau ; des appareils
dont l'extrême simplicité permet de les adapter à tous les
cabinets d'aisances. Nous n'y insisterons pas davantage.
L'art des embaumements et de la conservation des corps
n'est pour ainsi dire pas représenté à l'Exposition univer-
selle, et on en prendrait une mauvaise idée par les faibles
échantillons qui y sont déposés. Cet art a été, depuis plus de
vingt ans, l'objet d'études sérieuses et suivies. Nos procédés
actuels diffèrent totalement de ceux qu'employaient les an-
ciens : ils agissaient à l'extérieur des corps , soit en les
soustrayant autant que possible au contact de l'air, soit en
les entourant de substances aromatiques liquides et pulvéru-
lentes. La chimie a mis entre nos mains des substances dont
l'action est beaucoup plus puissante et plus durable, et nous
ne nous contentons plus de les appliquer superficiellement ou
de les faire pénétrer par imbibition, mais des injections
poussées dans l'arbre circulatoire les mettent en rapport in-
time avec les éléments les plus délicats des tissus organiques.
Ces procédés de conservation sont de nature à rendre les plus
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 529
grands services dans les cas judiciaires, dans les cas de trans-
ports lointains et pour les études anatomiqups. On emploie
aujourd'hui, dans tous les amphithéâtres de dissection, les
méthodes et les liquides de M. Sucquet. Cinq ou six litres
d'hyposulfite de soude (qui coûtent environ 1 fr. 50), injectés
dans les artères d'un cadavre, peuvent le conserver à l'abri
de la putréfaction pendant trois semaines ou un mois. Si on
veut garder pendant un temps plus long des pièces prépa-
rées, il faut employer le chlorure de zinc en lotions. Les
tissus se décolorent légèrement, durcissent et peuvent rester
en cet état pendant plusieurs années.
L'Exposition ne renferme pas de préparations conservées
par ce procédé, mais on peut en voir dans nos musées ana-
tomiques et surtout dans celui de la faculté de mé iecine.
Nous avons examiné avec attention les produits exposés
par M. Lamy dans les conserves alimentaires, au point de
vue de l'application de ses procédés aux travaux anato-
miques. Le grand mouvement des méthodes connues et em-
ployées jusqu'ici est de durcir les parties molles; il en résulte
qu'un moulage peint en plâtre ou en cire est à peu près aussi
utile. Au contraire, M. Lamy a un gigot, des perdrix, prépa-
rés depuis plusieurs années, et qui sont aussi flexibles que le
premier jour; les graisses, la fibre musculaire ont une cou-
leur normale. Il y aurait donc grand intérêt à connaître et à
essayer cette méthode au point de vue scientifique ; elle est
jusqu'ici tenue secrète par son inventeur.
Les incessantes recherches des conseils d'hygiène et de sa-
lubrité, la sollicitude d"une administration de plus en plus
éclairée ont provoqué et déterminé, dans la salubrité des con-
structions et des villes, des modifications de la plus haute
importance.
Jusqu à ces dernières années, tous les efforts s'étaient
bornés à de tristes enquêtes qui venaient révéler l'état déso-
lant des habitations dans plusieurs de nos grandes vdles.
C'était dans les grands centres manufacturiers surtout
qu'existaient ces désolants réduits, asiles de misère et de ma-
ladies. Nous n'avons pas à entrer ici dans de plus amples
détails sur ce sujet de douloureuses méditations.
Grâce à Dieu, depuis 1849 s'est opéré un des plus sérieux
changements dans la police hygiénique des habitations. Cn
206 î't
530 YISITE
a imposé aux propriétaires et aux constructeurs l'obligation
d'éclairer et d'aérer les escaliers, les corridors, les chambres
où s'entassent souvent pendant la nuit dix et douze indi-
vidus. Nous verrons bientôt disparaître, nous l'espérons du
moins, ces ruelles d'escalier obscures et fangeuses qui ser-
vent de lit aux eaux croupissantes de toute une maison. La
ville de Paris applique aujourd'hui un remède héroïque à
cette plaie. Le percement de larges rues, la destruction des
quartiers sombres et étroits, l'établissement de squares, de
promenades plantées d'arbres , un système convenable de
départ des eaux ménagères et industrielles, voilà qui dénote
un état de civilisation véritablement avancé, demandant au
médecin et à l'économiste de poser les données du problème,
en laissant à l'architecte et à l'ingénieur le soin de les ré-
soudre.
Nous n'avons pas à signaler ici quels changements se sont
effectués pendant ces dernières années dans l'art des construc-
tions considéré en lui-même; quelques-uns d'entre eux
nous semblent cependant avoir une certaine influence sur la
salubrité des édifices. On fabrique aujourd'hui en quantité
considérabh^ des pierres artificielles, des briques creuses et
dont les cavités communiquant les unes avec les autres, éta-
blissent dans l'épaisseur des murailles des courants de ven-
tilation qui doivent avoir pour effet de s'opposer à l'humidité.
Signalons encore ici l'heureux emploi du stuc pour les
parois de certains locaux destinés à des usages spéciaux. On
ne saurait trop louer l'administration des hôpitaux de Paris
d'avoir (ait revêtir de stuc les murs et les plafonds de toutes
les salles de malades à Thôpilal La Riboisière et des salles de
dissection à l'amphithéâtre des hôpitaux.
La production de la chaleur artificielle })Our nos besoins
domestiques ou pour ceux de l'industi ie a été depuis longtemps
l'objet d études particulières et pour les savants et pour les
constructeurs d'appareils. Disons quelques mots des différents
procédés de chauffage considérés au point de vue de l'hygiène.
Dans l'immense majorité des habitations on n'emploie que
les poêles et les cheminées; les calorifères sont réservés aux
grands établissements ou aux édifices publics. Chacun de ces
syslènies présente des inconvénients et des avantages; c'est
donc par un emploi bien approprié qu'on pourra en tirer le
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 531
meilleur parti. On pourrait définir d'une manière très-géné-
rale le poêle et la cheminée en disant que l'un chauffe beau-
coup, mais établit un courant d'air insuffisant, tandis que
l'autre n'utilise qu'une faible portion de la chaleur produite,
le dixième au plus , mais en revanche renouvelle très-bien
l'air des appartements. On vient souvent en aide à cette cir-
culation en pratiquant des ventouses à proximité du foyer;
mais ces ventouses introduisent de l'air froid qui ne laisse
pas que de nuire au chauffage.
On a cherché à remédier à ces inconvénients, soit avec des
cheminées-poêles, à foyer plus ou moins couvert et qui ti-
rent bien dans des appartements clos et sans ventouses; soit
à l'aide de systèmes ayant pour résultat de chauffer l'air pris
au dehors avant de l'introduire à l'intérieur.
M. Fondet a exposé plusieurs modèles construits sur ce
principe : le fond et la partie supérieure du foyer sont consti-
tués par une double rangée de tubes de fonte très-serrés et
à travers lesquels passe la fumée. Ces tubes sont en commu-
nication avec l'air extérieur qui s'échauffe en les traversant
et qui est appelé à Tintérieur par le tirage du foyer.
Cesystèuie réalise donc deux perfectionnements, 1° l'utili-
sation d'une plus grande quaintité de chaleur produite,
2° une ventilation très-suffisante de l'appartement.
M. Boquillon, de son côté, expose des grilles d'apparte-
ment qui ont la propriété de brûler la fumée de la houille.
Elles sont mobiles sur un axe horizontal ; ce qui permet de
placer, sous le combustible déjà passé à l'état de coke, la
houille neuve dont la fumée s'enflamme en traversant une
portion de la masse incandescente.
Les appareils de chauffage en grand ont été surtout étudiés
■en France par MM. Grouvelle et Léon Duvoir. lisent, dans
plusieurs grands établissements, réalisé un progrès consi-
dérable. Le système^ de M. Grouvelle, mis en pratique à la
prison Mazas, offre le double avantage de maintenir dans
toutes les parties chauffées de ce vaste établissement une
température égale, et d'aspirer dans les cellules et les corri-
dors l'air qui doit servir à la combustion du foyer central;
cette aspiration se fait par les tuyaux de descente des plombs
et des fosses d'aisances. Toutes les émanations méphitiques
sont donc attirées et détruites par le foyer de combustion.
532 VISITE
M. Duvoir a employé à l'église de la Madeleine des disposi-
tions non moins ingénieuses. Pour empêcher le refroidisse-
ment causé par l'ouverture continuelle des portes, il a fait des
appels d'air au niveau de chacune d'elles, de telle sorte que
l'air froid du dehors est pour ainsi dire arrêté au passage et
ne peut refroidir celui de l'intérieur chauffé par son appareil
à circulation d'eau.
S'il est une chose qui nous étonne, c'est de ne pas voir ce
procédé de chauffage en grand, qui concilie à la fois l'éco-
nomie et la salubrité, se répandre davantage pour les édifices
particuliers. Nous avons peine à comprendre qu'on ne fasse
pas de tentatives de ce genre dans ces belles et luxueuses
constructions qui s'élèvent de tous côtés dans Paris. Il y au-
rait économie considérable et pour les locataires et pour les
propriétaires, et en même temps les appartements , les cor-
ridors, les escaliers, seraient entretenus à toute heure du
jour à une égale température. Au lieu de cela et grâce à la
routine, nous nous chauffons très-mal et à grands frais ; il
faut attendre une ou deux heures avant que la température
intérieure ait acquis un degré convenable; une porte s'ouvre,
et nous sommes assaillis d'un courant d'air froid ; nous pas-
sons dans une pièce voisine et non chauffée, nous éprouvons
une différence de cinq et dix degrés. Certes, ce n'est pas là
toute la perfection désirable. Cette perfection , sinon com-
plète, tout au moins plus grande, elle existe, nous n'avons
qu'à vouloir l'employer ; mais il faut le vouloir.
Notons, avant de terminer ce qui a rapport au chauffage,
une série de petits appareils exposés en Prusse par M. Elsner.
Un tuyau de caoutchouc, appliqué sur un bec de gaz, est muni
lui-même d'un autre bec à son extrémité libre ; le gaz vieni
briller sous une toile métallique d'une forme qui peut varier
suivant le besoin, etqui tantôtsupporteunebouilloire, un vase
de cuisine, un fer à repasser, etc. Cette idée nous a semblé
à la fois ingénieuse et utile; économie de temps, économie de
combustible, elle présente ces deux avantages.
L'éclairage au gaz est aujourd'hui universellement adopté
sur la voie publique et dans une foule d'établissements par-
ticuliers. Nous n'avons pas à dire ses avantages, nous signa-
lerons quelques inconvénients qu'il présente : des fuites à
travers les tuyaux peuvent occasionner ou de terribles ex-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 533
plosions, ou l'asphyxie des personnes qui pénètrent dans les
apparlements dont l'atmosphère est ainsi viciée. Les procédés
de puriflcation qui tendent à se perfectionner chaque jour,
les systèmes de becs qui permettent une combustion plus
complète, doivent atténuer autant qu'il est possible les effets
délétères des fuites. D'autre part , la meilleure construction
des gazomètres et des tuyaux de conduite , leur position su-
perficielle dans tous les bâtiments, rendent les explosions
plus rares d'année en année.
Nous n'avons rien vu à l'Exposition qui nous offrît un objet
d'étude intéressant. Les appareils à gaz, à huile, à liquide
schisteux ou autres, ne présentent rien de spécial au point
de vue hygiénique.
Un grand nombre d'industries , l'Exploitation des mines,
celle des carrières, certaines exploitations métallurgiques, la
fabrication des glaces et d'autres encore exposent les ou-
vriers qui se livrent à ces travaux à des dangers de toute
nature. Pour les mines et les carrières , les explosions, les
asphyxies, les chutes et les blessures; pour les ateliers où
se travaillent l'acier, le cuivre, le plomb, le mercure, pour
ceux où se produisent des vapeurs et des poussières délétères,
la menace continuelle de maladies graves bien connues des
ouvriers et des médecins. On conçoit quel intérêt puissant
pousse les iniiustriels et les savants à chercher par tous les
moyens possibles à prévenir ou à annuler ces causes inces-
santes de danger.
La galerie des machines de l'Exposition contient, en France,
en Belgique et en Angleterre, un certain nombre de venti-
lateurs fondés sur différents principes et destinés à l'exploi-
tation des mines ou à l'usage des grands ateliers. Nous n'avons
pas à juger ici la valeur intrinsèque de ces appareils ; il nous
suffira de dire que leur emploi se généralise de plus en plus
à mesure que l'hygiène des centres d'exploitation s'améliore
et se perfectionne. Nous ferons les mêmes remarques sur
les appareils destinés à empêcher les chutes dans les puits
des mines; des divers systèmes de lampes de mineurs, qui
ont pour but de prévenir les explosions. Ces produits appar-
tiennent naturellement à l'industrie des mines et leur appré-
ciation trouve mieux sa place dans la partie de ce livre qui la
concerne.
534 VISITE
Un certain nombre de réformes et d'améliorations ont
été faites depuis quelques années dans divers ateliers. C'est
ainsi que la fabrication des blancs de zinc tend à se substi-
tuer à celle des blancs de plomb qui exposait les travailleurs
à des empoisonnements d'une nature grave. Les ouvriers
tourneurs et ciseleurs en cuivre présentent parfois des symp-
tômes de colique cuprique offrant un caractère analogue.
Enfin on a signalé dans ces derniers temps une maladie spé-
ciale aux aiguiseurs d'armes blanches et de grosse coutellerie;
cette maladie, observée surtout à la manufacture d'armes de
Châtellerault, et provoquée par l'aspiration continuelle de
poussières métalliques et siliceuses, consiste en une toux
quinteuse et fatigante , souvent accompagnée ou suivie
d'hémoptysies graves et d'altérations profondes du côté des
poumons.
Nous n'avons rien vu à l'Exposition qui se rapportât à
l'hygiène de ces professions diverses ; nous savons cependant
que des efforts ont été tentés dans ce but, et surtout à la ma-
nufacture de Châtellerault; c'est par une ventilation très-
énergique à la surface des meules qu'on enlève continuelle-
ment les poussières nuisibles qui s'y forment.
Nous avons vu à l'Exposition quelques systèmes de sau-
vetage applicables dans les cas dincendie et d'inondation.
Il existe dans la partie française quelques machines éléva-
toires d'un volume en général peu considérable, montées sur
un chariot qui en permet un facile transport et qui peuvent,
lorsqu'elles sont dépliées, atteindre à des hauteurs variables,
Ces machines ne sont pas employées dans le service des
pompiers de Paris ; nous ne pouvons donc rien dire sur leur
valeur et leur utilité; elles nous semblent cependant de nature
à rendre de grands services dans certains cas. A leur aide
on pourrait atteindre et sauver des personnes enveloppées
de tous côtés par les flammes dans des points cernés par lin-
cendie.
Un exposant portugais a présenté un sac de sauvetage qui
nous semble inférieur dans son emploi à celui dont se servent
les pompiers de notre ville ; c'est une sorte de panier de forte
toile que l'on accroche par ses quatre angles à une corde, et
qu'on laisse glisser le long de l'édifice incendié. Celui que
nous employons consiste en un tube de toile carré qui se fixe
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 535
à l'aide de deux bâtons par son extrémité supérieure à une
ienélre quelconque du bâtiment envahi par les ilammes; on y
précipite indifl'éremment les hommes et les choses dont on
veut opérer le sauvetage. Cette espèce de sac est solidement
maintenu à sa partie inférieure par deux hommes qui reçoi-
vent tout ce qui tombe. Nous avons vu répéter par des pom-
piers la manœuvre de ce sac : plusieurs hommes se précipi-
taient successivement la tête la première dans son ouverture;
la chute est très-rapide, mais elle s'amortit vers le bas, et
n'offre conséqueinment aucun danger.
Un costume de pompier est placé dans l'exposition prus-
sienne : nous n'y avons rien remarqué de particulier qu'un
casque dont les garnitures de cuir et la visière fenètrée pro-
tège mieux la tête que celui qu'on emploie généralement en
France.
Au sujet des pompes à incendie , nous nous bornerons à
cette remarque que la France est peut-être le seul pays où
l'on emploie des pompes traînées à bras : dans toutes les ex-
positions étrangères, ces appareils sont disposés de manière à
être attelés. Ces deux systèmes ont évidemment leurs avan-
tages : dans les villes comme Paris , où les postes de secours
sont régulièrement disséminés et en général peu distants du
foyer d'incendie, le service par les hommes est évidemment
beaucoup plus rapide; mais dans les petites villes et les cam-
pagnes, où la pompe peut être appelée dans des lieux fort
éloignés, le cheval nous paraît supérieur en permettant une
plus grande célérité et en évitant aux hommes une fatigue
inutile.
Il existe en Angleterre une institution royale et nationale
des canots de sauvetage qui a organisé sur toutes les côtes du
royaume-uni un service complet de canots, de pilotes, de
bouées, etc. Cette société, qui existe depuis trente ans, a déjà
soustrait 9200 personnes à une mort imminente. Elle a ex-
posé plusieurs modèles réduits des bateaux qu'elle emploie;
ceux-ci sont construits en général de manière à présenter une
très-grande surface avec le plus petit poids possible; ils
portent sur les côtés des espaces creux et parfaitement clos,
qui les rendent insubmersibles; ils sont montés sur des trucs
spéciaux munis de treuils et qui permettent de les transporter
rapidement sur tel point de la côte [qui réclame leur emploi.
536 VISITE
Nous avons vu aussi un bateau insubmersible construit en
caoutchouc : c'est une sorte de couronne allongée , gonflée
d'air, et dont on rend les côtés rigides au moyen de deux
planchettes de bois qui s'appliquent à leur surface et qui
portent les systèmes des avirons. Tout cet appareil , privé
d'air, peut être plié et renfermé dans un sac qu'un seul
homme transporte facilement. Ce n'est pas la première ten-
tative de ce genre qui ait été faite; mais jusqu'ici ces sortes
de bateaux sont restés à l'état d'essai; nous ne croyons pas
qu'ils aient jamais été employés.
Les sociétés de sauvetage de France qui existent dans la
plupart de nos ports n'ont exposé aucune pièce de leur ma-
tériel. Nous n'avons donc pu établir aucune comparaison
entre les procédés des deux pays.
L'administration de la guerre a fait placer dans la galerie
de la grosse carrosserie une voiture pour les blessés, un
fourgon d'ambulance et une cantine d'ambulance volante;
la bonne construction de la voiture destinée aux blessés a
excité notre attention; elle est destinée à deux hommes, qui
reposent sur deux lits-brancards roulants sur des galets; la
surface des lits et les côtés de la voiture sont rembourrés de
crin et recouverts de grosse toile vernie rouge ; l'aération se
fait par quatre fenêtres à jalousies placées sur les côtés; le
siège de la voiture peut recevoir deux autres blessés moins
grièvement atteints ; une caisse oblongue placée au-dessous
est destinée aux armes et buffleteries. Tout cela est léger et
bien suspendu sur quatre ressorts. Cette voiture est évidem-
ment supérieure aux modèles précédemment adoptés.
Les cantines d'ambulance volante, qui appartiennent aux
anciens modèles de 1841, ont été faites surtout pour l'armée
d'Afrique. Elles étaient transportées à dos de mulet partout
où les voitures ne pouvaient pas pénétrer. Ce sont quatre
caisses , représentant la charge de deux animaux et renfer-
mant sous ce volume peu considérable, en linge, instru-
ments, appareils à fracture et médicaments, tout ce qui peut
être nécessaire à un petit corps d'armée.
Nous aurions aimé à voir exposés les brancardè portatifs
et démontants qui sont ou qui étaient en usage dans nos
services d'ambulance.
Un grand nombre d'objets, épars sur tous les points de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 537
l'Exposition , ont des rapports plus ou moins directs avec
l'hygiène privée. Mais ce serait complètement sortir des
limites de cet article, que de se livrer à un pareil examen.
Nous nous bornerons à signaler ici quelques tendances géné-
rales qui s'expriment aujourd'hui par leurs moyens matériels
d'exécution.
Si nous voulions entrer dans les détails intimes de la toi-
lette, nous trouverions à coup sûr autant de variétés que
d'individus. Deux points nous semblent plus spécialement
dignes d'attention : l'usage des différents cosmétiques et
l'emploi de l'eau. Certes, à en croire nos parfumeurs, dont
l'exposition est du reste pleine d'élégance et de séduction,
nous serions en possession de moyens aussi efficaces qu'a-
gréables pour prévenir ou guérir ces mille et une infirmités
qui sont le fait même de l'âge et de la vie : l'eau de Jouvence
est pour eux la pierre philosophale. En dehors de ces préten-
tions peu sérieuses, nous devons reconnaître que l'emploi de
certaines liqueurs aromatiques et balsamiques ne peut qu'être
utile. Nous citerons parmi elles les eaux de Cologne de
toutes espèces, les eaux dentifrices, enfin quelques vinai-
gres. Par malheur ces denrées sont en général d'un prix
élevé, et sont conséquemment l'apanage du bien-être déjà
luxueux; l'eau simple, comme élément indispensable de
notre toilette quotidienne, est une question d'un intérêt
beaucoup plus réel. Nous n'hésitons pas à le déclarer : c'est
avec un profond sentiment de convoitise que nous nous
sommes arrêtés devant les nombreux appareils de porcelaine
et de faïence qui existent dans l'exposition anglaise.
C'est une chose usuelle à Londres et en Angleterre, que ces
larges cuvettes, libres ou fixées à la muraille, et pouvant
contenir cinq ou six litres d'eau; c'est à peine si les nôtres
ont la capacité d'un ou de deux. Espérons que l'exemple des
fabricants anglais ne sera pas perdu, et que les nôtres mar-
cheront dans celte voie.
Les bains, envisagés au point de vue hygiénique et médi-
cal, pourraient prêter à de longues considérations; mais
nous devons nous borner ici à l'examen des appareils qui
ont été exposés. Ce sont surtout des baignoires, plus intéres-
santes à cause de la matière et du procédé de fabrication,
qu'en raison de leur but. Celles de ce genre qui nous ont le
538 VISITE
plus frappés sont construites en fonte de fer émaillée à l'in-
térieur. Du reste, rien qui se rapporte au matériel des grands
établissements : c'est là une lacune bien regrettable, car nous
avons beaucoup à faire dans cette direction. Un exposant de
Hambourg, M. Krahnstover, et un autre des Pays-Bas, ont
exposé des appareils hydrothérapiques pour douches, bains
de pluie, aspersions de toute espèce : ces appareils ne nous
ont offert rien de particulier.
Nous avons examiné avec plus de détail et plus de soin
deux: appareils destinés aux bains d'air comprimé ou raréfié.
Le premier de ces appareils ne portait aucune indication de
nom ni de numéro d'ordre; nous ne savons à qui il appar-
tient. C'est un cylindre de cuivre de deux mètres de hauteur,
fermé par en haut, et portant à la partie inférieure un large
pas de vis qui permet de mettre l'appareil en communication
avec une pompe aspirante et foulante. C'est donc une vaste
cloche dans laquelle on enferme le patient. M. Emile Tabarie
a exposé un appareil beaucoup plus complet et beaucoup
mieux disposé que le précédent. C'est une chambre cylin-
drique aussi, d'environ \'",bO de diamètre, s'ouvrant à l'ex-
térieur par une porte hermétiquement close au moment de
l'action , et éclairée par quatre petites fenêtres de glace ser-
ties et soigneusement rivées dans la paroi. Un tube de cuivre
très-fort met cette chambre en communication avec un réser-
voir rempli d air comprimé que lui envoie une pompe voi-
sine. M. Tabarie possède d'autres appareils qu'il n'a pas
exposés, destinés à agir localement sur telle ou telle portion
de l'individu. Ce système de bain ou de grande ventouse ne
constitue pas une idée absolument neuve; déjà M. Pravaz
avait insisté sur la valeur thérapeutique des bains généraux
d'air comprimé qu'il employait beaucoup; d'autre part, la
botte de M. Junod est l'idée-mère des bains locaux de cette
nature. Nous devons cependant reconnaître que M. Tabarie
a le mérite d'avoir régularisé l'application de ces procédés,
d'avoir construit des appareils qui répondent mieux aux exi-
gences variées de la thérapeutique. H a fondé à Montpellier
un établissement qui fonctionne aujourd'hui sous la direction
de M. Bertin, professeur agrégé de cette faculté. Il s'en faut
de beaucoup que l'expérience définitive ait assis les bases de
ce mode de traitement, peu employé jusqu'ici; nous n'avons
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 53î>
donc à formuler aucun jugement, mais il était de notre
devoir d'accorder quelques lignes à ces appareils.
Un assez grand nombre d'échantillons d'eaux minérales
ont été exposés; les unes naturelles, les autres fabriquées.
L'établissement de Vichy a montré en même temps les sels
alcalins extraits de ses eaux. Nous avons vu asissi deux ou
trois machines destinées à la fabrication en grand des eaux
minérales et gazeuses; en tant que machines, nous n'avons
pas à les examiner ici. Nous remarquerons seulement que
la consommation des boissons gazeuses et surtout des eaux de
seltz est aujourd'hui l'objet d'un commerce très-étendu. Les
fabricants les livrent presque constamment dans de petits
appareils connus sous le nom de siphons, très-avantageux
pour l'usage de nos tables, en ce qu'ils évitent les éruptions
violentes du liquide.
Un grand nombre d'inventeurs ont fabriqué depuis quel-
ques années des appareils portatifs pour la production écono-
mique et immédiate de l'eau desellz. Le plus employé de tous
est l'appareil Briet, qui consiste en deux globes de cristal
superposés et vissés l'un à l'autre; il évite le mélange des
produits de réaction des sels avec l'eau qui est placée dans
le globe supérieur. Cet appareil est mis en usage dans tous
les hôpitaux de Paris pour la fabrication des eaux de seltz , de
sedlitz , de Spa , etc.
Les boissons en général ont été examinées dans un précé-
dent article. Bornons-nous à remarquer la mauvaise tendance
de l'industrie au sujet des boissons destinées à remplacer le
vin qui nous manque depuis quelques années. N'élait-il pas
possible en effet de chercher et de trouver mieux que le
Sombrico mousseux , le Swar du Rhin , l'Oued-Allah , ou
ruisseau de Dieu, et d'autres que nous oublions volontaire-
ment? Ces noms pompeux et mousseux justifient notre cri-
tique.
De beaux produits pharmaceutiques ont été exposés en
Angleterre, en Allemagne et en France. C'est parLiculière-
ment la préparation des alcaloïdes, la purification de cer-
taines résines et des huiles de foie de morue et de ricin, qui
ont préoccupé les chimistes de ces différents pays.
M. Benckiser^ du grand-duché de Bade, a de magnifiques
cristaux de nitrate de plomb , de tartrate de potasse et de
540 VISITE
soude (sel de Seignette) et surtout d'acide tartrique. M. Ca-
matsch, de Vienne, fait des résine^ décolorées de jalap et de
scammonée qui sont d'une bonne fabrication, mais cependant
inférieures à ce que nous trouverons chez M. Dorvault, en
France. On peut dire en somme que les produits chimiques
allemands témoignent d'une très-belle et très-savante fabri-
cation. On sait, du reste, que ce pays fournissait et fournit
encore la majeure partie des alcaloïdes qui proviennent de
l'opium et de la belladone.
Nous avons examiné avec un grand intérêt certains pro-
duits de l'exposition française. Ce sont, entre autres, des
échantillons d'opium indigène, de lactucarium, de quin-
quina, de MM. Labaraque, du Havre, et Âubergier, de Gler-
mont. On sait combien M. Aubergier a travaillé cette ques-
tion de la culture de l'opium dans nos contrées : les résultats
auxquels on est parvenu nous donnent lieu de croire à une
solution complète et définitive du problème. M. lissier, au
Conquet (Finistère), a de très-beaux produits iodiques et
bromiques extraits en grand des algues et des fucus. Tous
les pharmaciens connaissent aujourd'hui les extraits secs
préparés dans le vide par M. Berjot, de Caen : il en a une
collection complète. Notons encore la belle exposition de
poudrrs végétales et d'extraits de MM. Ménier et Cie ; les
préparations d'aconit et de ciguë de M. Guillermont, de Lyon;
les huiles de foie de morue et de ricin de MM. Royer et Berthé,
qui emploient des procédés spéciaux de fabrication et de cla-
rification. Nous avons réservé, pour les mentionner d'une
manière toute particulière, l'exposition de M. Dorvaux et
celle de MM. Robiquet père et fils, Boyveau et Pelletier.
Nous avons vu chez le premier des cristaux très-beaux de
citrate de magnésie et d'urée, des résines de jalap et de scam-
monée parfaitement cristallisées; chez les autres une magni-
fique collection d'alcaloïdes et surtout de l'asparagine, de
l'alizarine (alcaloïde de la garance) d'une très-belle couleur,
du fer réduit, de 1 huile de ricin presque incolore.
Nous nous bornerons à ces citations , bien assurés que
tous ces produits seront visités avec intérêt par les pharma-
ciens et les chimistes.
Quoique les instruments et appareils de chirurgie ne s'a-
dressent qu'à un public Irès-restreint , leur fabrication est,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 541
on doit le concevoir, une des plus vieilles industries. Il suffit
de jeter les yeux sur ces vieux livres , qui sont comme les
archives de l'art, pour se convaincre que dès les temps les
plus reculés , les chirurgiens avaient réclamé les secours des
couteliers et des mécaniciens. Mais cet examen rétrospectif
montre en même temps le nouvel essor qu'a pris , depuis le
commencement de ce siècle , cette belle et secourable indus-
trie. Des découvertes miportantes en chirurgie, l'emploi de
matières nouvelles, les procédés de fabrication plus réguliers
et plus savants , caractérisent l'état actuel de nos progrès.
Avant d'entrer dans un examen plus approfondi du sujet,
il est nécessaire de jeter un coup d'oeil général sur la situa-
tion relative des différents pays , envisagés à notre point de
vue. Des fabricants d'instruments de chirurgie existent au-
jourd'hui dans la plupart des capitales de l'Europe, mais
nous montrerons plus loin l'influence directe qu'exerce sur
eux la fabrication française. Les couteliers anglais, qui ont
sous la main leur excellent acier , dont la réputation est bien
connue, marchaient pour ainsi dire seuls en dehors de nous.
Ils avaient leurs modèles à part , leurs instruments di^tincts,
à tel point qu'il était toujours facile de reconnaître ce qui ve-
nait des ateliers de Londres ou de ceux de Paris. C'est dans
cet état de choses qu'arriva l'Exposition de 1851 , et quoique
le jury international n'ait décerné aucune médaille de premier
ordre , notre supériorité fut hautement reconnue et proclamée
par tous. Depuis cette époqne, les expositions de Dublin, de
Munich et de New-York ont valu aux exposants français des
distinctions toutes spéciales dues à l'intelligente fabrication
et à la beauté de leurs instruments.
A l'Exposition actuelle , presque tous les pays ont envoyé
au moins quelques produits; l'Angleterre seule manque pour
ainsi dire à lappel. Ça été un profond sujet d'étonnement
pour nous, que de voir la pauvreté des objets qu'elle envoie
au concours. Pourquoi les Weïs , les Savigny et d'autres en-
core font -ils défaut à cette grande lutte? Ont-il-> craint de ne
pas trouver de rivaux dignes d'eux , ou bien croient-ils leur
supé) iorité assez bien assise pour qu'il toit inutile d'en don-
ner des preuves nouvelles? Nous n'avons pas à répondre à ces
questions, mais nous avons cru devoir les placer ici.
Nous avons cependant vu dans l'exposition anglaise quel-
512 VISITE
qiies instruments dont nous ne connaissons pas les auteurs ;
ce sont pour la plupart des aiguilles, des crochets , des porte-
fils destinés aux sutures et aux ligatures profondes; une
aiguille pour la staphylaraphie. Ces instruments sont l'en-
fance de l'art; nous ne connaissons pas un chirurgien de i
Paris qui voudrait employer cette aiguille à staphylaraphie. i
M. Yourg , de Glascow , a des modèles de davier pour les j
denlistes , dont les mors , tranchants par leur pointe et moulés \
sur la forme de la dent, agissent à la fois en serrant la dent |
et en la chassant comme un coin de son alvéole. Il existe en- !
core une autre boîte d instruments , mais elle reste obstiné- j
ment voilée aux yeux du public : nous n'avons pu en prendre \
connaissance. On aperçoit sous un globe de verre un appareil . ]
roulé et plié sur lui-même , que nous avons reconnu être celui ;
de Carte, de Dublin, destiné à opérer la cure radicale des |
anévrismes par la compression continue , mais s'exerçant sur i
des points différents. C'est là le premier appareil de ce genre ■
qui ait été construit. Heureuse innovation chirurgicale que ';
M. Charrière, en s'éclairant des conseils des chirurgiens, a ;
rendue plus parfaite et plus généralement applicable. \
M. Walde , de Londres, expose des sondes en tissu élastique, '
bien régulières et bien calibrées; M. Litle, de Charlton , un i
bras artificiel excessivement inférieur à ceux qui sortent des i
ateliers de Paris; M. Charles Reine, de Londres, a un luxe de j
cornets acoustiques qui fait prendre sa vitrine pour un éta- 5
lage de ferblantier. Le lit à caisse d'eau du docteur Arnott , |
exposé par MM. Smith père et fils , de Londres , peut rendre .
de grands services dans certains cas de maladies longues où '{
on ne peut lever les malades. Ce lit a été expérimenté avec j
succès à i'Hôtel-Dieu de Paris. Il consiste en une caisse de }
2 mètres de long sur 1 mètre 30 centimètres de large, dont j
la paroi siipérieure est formée d'un tissu imperméable, mais
souple et flexible ; cette caisse est remplie d'eau , de telle
sorte que la paroi supérieure flotte sans être tendue à la sur-
face du liquide : un sommier de crin est placé par-dessus et
constitue l'unique matelas de cet appareil. On comprend fa-
cilement que ce lit conserve une élasticité et une souplesse
constantes. Nous avons vu encore des bandages herniaires du
docteur Arnott, pouvant s'allonger ou se raccourcir selon le
besoin, disposition dénuée d'intérêt, car un bandage ne sert
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o43
en général qu'à un seul individu ; des dents nninérales à tiges
métalliques creuses, de MM. Ash et fils, dont la couleur
imite bien celle des dents naturelles. Les appareils électro-
générateurs, de M. Mening, peuvent faire le pendant de ceux
de M. Pulvermacher, de Paris; nous n'avons pas à nous y
arrêter.
Deux exposants belges, MM. Biondetti et Bonnels, nous
montrent, le premier, des appareils prothétiques et des ban-
dages en acier, le second, divers instruments de chirurgie.
Kous ne voyons pas quel grand avantage il y a d'employer
uniquement le fer et l'acier dans la fabrication des membres
artificiels; d'autres substances, le bois, le cuir, offrent des
ressources qu'on a tort de négliger, et nous croyons qu'en les
utilisant on arrive à imiter les formes d'une manière plus
exacte, avec un poids moins considérable. M. Bonnels est un
ancien ouvrier de M. Charrière : tous ses instruments se res-
sentent de son éducation professionnelle. Nous avons remar-
qué parmi eux une belle boîte à amputation ; du reste , rien
de nouveau.
M. Luppold , de Stettin (Prusse) , présente un céphalotribe
et quelques bandages herniaires à pelote d'ivoire; son cépha-
lotribe manque de force dans les manches , il a de plus l'in-
convénient de se serrer avec une longue vis transversale qui
en rend l'action lente et qui augmente beaucoup son volume.
Nous n'avons trouvé aux États-Unis qu'un appareil destiné
à la guérison du bégayement , appareil dont il nous a été im-
possible de deviner le mode d'action ; mais nous avons vu
quelques très-jolis instruments en caoutchouc durci : ce sont
des canules, des ambouts, des seringues à injection. Cette
nouvelle matière, à la fois élastique et résistante, et pouvant
acquérir un très-beau poli , nous paraît réservée à un bel
avenir dans une foule d'industries.
Le Portugal, représenté par M. Antoine Polycar , a fait
aussi ses envois : c'est une boîte à amputation, une série
d'instruments pour les yeux, une trousse très-complète de
dentiste , le tout copié sur nos modèles a'il y a dix ans.
Les expositions les plus complètes sont celles de Copen-
hague et de Christiania , et nous avons été agréablement sur-
pris en en faisant la découverte. La capitale de la Norvège
est représentée par deux exposants, MM. Gallus et Mette. Le
544 VISITE
premier présente, entre autres, des instruments de M. Sé-
dillot pour la staphylaraphie , ceux de M. Leroy d'Étiolles ,
de Liier, etc.; une scie de Heine, d'une bonne tournure,
des lilhoclastes et des litholabes. Du reste, le tout est soigneu-
sement étiqueté avec le nom de son auteur, c'est une probité
de fabricant dont il faut savoir gré à M. Gallus. M. Mette a
une boîte pour l'opération de la fistule vésico-vaginale et les
céphalotribes du professeur Herberg , de Christiania; les
premiers instruments nous ont paru présenter quelques dis-
positions intéressantes.
M. Camillus Nyrop , de Copenhague , paraît , à en juger par
son exposition, être un fabricant fort occupé et versé dans son
art ; sa vitrine est bien remplie , elle contient des bandages ,
des appareils prothétiques et orthopédiques, et un grand nom-
bre des instruments qu'emploie la chirurgie humaine et
même vétérinaire. Il n'y a dans tout cela rien de bien nou-
veau, mais c'est bien fait, bien exécuté , le but de l'instru-
ment est bien compris et presque toujours bien rempli.
Quelques pas plus loin, le docteur Lauggard, de Hambourg,
qui dirige dans ce pays un établissement orthopédique,
montre différents bandages et les appareils qu'il emploie dans
sa maison. Cette exposition est très-soignée, et tout ce qu'elle
renferme nous a paru d'une irréprochable fabrication.
Enfin M. Giovani , de Bologne , a un modèle de trépan-scie
que nous avons examiné avec attention à cause de son carac-
tère d'originalité. C'est un instrument qui peut recevoir à son
extrémité tantôt un perforatif avec sa couronne, tantôt une
scie qui offre les plus grandes analogies avec celle de Heine;
le tout est mis en mouvement par une roue dentée de six à
sept centimètres de diamètre, et qui porte une manivelle à
son côté extérieur. Nous ne trouvons qu'une objection sé-
rieuse à faire, mais elle a sa valeur ; la difficulté du démon-
tage empêche de nettoyer et d'entretenir convenablement l'ap-
pareil.
L'exposition française pour les instruments proprement dits
de chirurgie est surtout représentée par trois fabricants,
MiM. Chanière, Liier et Mathieu. MM. Charrière père et fils
sont à la tête de la plus importante maison de Paris. Tous les
instruments se fabriquent dans leurs ateliers; ils occupent un
personnel considérable , qui peut répondre à toutes les exi-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 545
gences les plus variées de la médecine, de la chirurgie, de
l'orthopédie. Les maisons de MM. Llier et Mathieu , quoique
moins importantes au point de vue commercial , ont des ate-
liers qui ne le cèdent en rien à la première. Une rivalité con-
stante entre ces trois fabricants les tient toujours en haleine,
et les fait marcher ensemble vers de continuels progrès.
Nous ne pouvons entrer ici dans des détails circonstanciés
de description , il faudrait un volume entier pour remplir cette
tâche-; nous nous bornerons à quelques indications sur les in-
struments les plus remarquables.
A commencer par la simple trousse du praticien , que de
petites modifications heureuses elle a subies depuis quelques
années ! Quoi de plus joli et de plus coquet? Ces instruments
de douleur et de torture se présentent sous l'aspect le plus
charmant et le plus gracieux.
Le trépan , dont l'emploi remonte à Hippocrate , est aujour-
d'hui , grâce à une foule de petits changements que nous ne
pouvons dire ici , un instrument simple , se démontant et se
remontant avec aisance, et d'une application aussi facile que
certaine. La nombreuse série d'instruments destinés à la pra-
tique des opérations sur l'œil, nous présente une foule de petits
points curieux et intéressants : quelques-uns sont des chefs-
d'œuvre de mécanique. Nous avons vu des aiguilles à cataracte
conserver la finesse de leur tranchant et de leur pointe après
avoir coupé ou gratté des substances dures comme la corne et
l'ivoire. Nous signalerons à l'attention publique les aiguilles
creuses pour l'opération de la cataracte molle, aiguilles creuses
qui communiquent avec un petit appareil aspirateur constitué
par une sphère de caoutchouc. Nous avons des aiguilles à ca-
taracte à lame mobile sur le manche, des aiguilles-pinces :
une petite touche placée sous le doigt de l'opérateur permet
de produire les différents mouvements. Les délicates et mi-
nutieuses opérations de la pupille artificielle ont suggéré aux
fabricants l'idée d'instruments pour la plupart très-ingénieux,
mais dont l'usage n'est pas général , soit à cause de leur prix
très-élevé , soit en raison de certaines difficultés de ma-
nœuvre.
Il existe un très-grand nombre d'ophthalmostats ou fixateurs
de l'œil. Nous signalerons entre autres une petite érigne de
M. Liier, formée par deux brancjies aiguës dont la courbure
206 jj
•)46 VISITE
regarde en sens inverse. Un léger mouvement de rotation
suffit pour accrocher la conjonctive; on peut alors exercer
des tractions dans tous les sens , sans craindre de voir l'in-
strument lâcher prise.
Les opérations qui s'exécutent dans la cavité buccale ré-
clament l'emploi d'un assez grand nombre d'instruments cu-
rieux. Une des plus délicates d'entre elles, la staphyloraphie,
a donné lieu à des inventions multipliées. Le problème à ré-
soudre était de pouvoir passer commodément d'arrière en
avant un fil de ligature à travers le voile du palais. L'illustre
auteur de cette belle conquête chirurgicale, M. Roux, n'em-
ployait que des aiguilles à petite courbure, solidement main-
tenues dans un porte-aiguille. Nous avons depuis l'instrument
de M. Dupierris ; c'est une petite aiguille très-courte, portée
sur une tige courbe : une autre aiguille, en forme de crochet,
passe d'avant en arrière et la ramène enfin en avant; l'instru-
ment de M. Leroy d'ÉtioUes, dont l'action analogue est encore
plus simple et plus facile ; l'aiguille de M. Rouyer, qui après
avoir percé d'avant en arrière, s'ouvre en manière de pince,
et saisit le fil qu'elle ramène en avant. Citons encore l'ap-
pareil de M. Sédillot, qui est caractérisé par l'emploi de pla-
ques de caoutchouc montées sur une tige, et que l'on porte
derrière le voile du palais pour servir de point d'appui aux
aiguilles.
On pratiquait autrefois l'ablation des amygdales avec le
bistouri et la pince de Museux, ou pince-Airigue ; Fahnestock,
chirurgien américain, a construit dans ce but un instrument
qui porte son nom et qui est aujourd'hui d'un usage général.
Cet instrument a été beaucoup amélioré depuis deux ans.
Chacun de nos fabricants a donné des modèles nouveaux, des-
tinés pour la plupart à agir d'une seule main ; ils sont tous
extrêmement ingénieux, mais s'il nous fallait établir un choix,
nous donnerions la préférence à celui de M. Mathieu, à raison
de l'excessive facilité de son emploi et de son nettoyage. Enfin,
nous avons vu chez M. Liier un modèle tout à fait or-iginal,
agissant à l'aide de deux manches qu'il suffit de rapprocher
comme ceux d'un davier. Il y a encore un tonsillitome très-
curieux, mais très-peu employé : il s'arme comme un fusil à
rouet ; le doigt qui presse sur une gâchette fait partir le ressort,
et l'opération est faite; ce résultat peut paraître séduisant
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 547
pour les gens du monde, mais la saine chirurgie doit proscrire
ces moyens par trop brillants.
L'extraction des dents est une opération trop commune et
trop douloureuse pour qu'on n'ait pas travaillé beaucoup la
fabrication des instruments qu'elle nécessite. Nous avons re-
marqué les daviers-clefs que M. Charrière fabrique pour
M. Paul Simon ; des fraises, pouvant agir dans tous les sens,
qui viennent des ateliers de M. Liier.
Les opérations, en général, et celles qui se pratiquent sur
les membres, réclament l'emploi d'un grand nombre d'instru-
ments dont nous ne citerons que les principaux : des bistouris
fixes et mobiles, avec des systèmes de fermeture très-variés ;
des cisailles, parmi lesquelles nous devons mentionner la pince
ostéotome de M. Liier ; des scies qui nous donnent un des plus
beaux exemples des résultats où peuvent arriver les efforts in-
cessants des fabricants. Nous avons, outre les scies à lames
simple et droite, variées d'épaisseur, de force et de dispo-
sition^ des rachitomes ou scies à deux lames parallèles, la
scie à chaîne, la scie de Heine dont nous avons déjà parlé,
celle de Martin qui peut agir dans tous les sens et toutes les
directions, la scie de Stromeyer pour les résections. Ces der-
niers instruments sont rarement employés, mais ils rendent
de grands services dans certains cas, et rien ne pourrait alors
les remplacer. N'oublions pas la pince pour la réduction des
luxations du pouce et des doigts, fabriquée il y a quelques
années par M. Liier.
La lithotritie et les rétrécissements de l'urètre ont donné
lieu depuis vingt ans à la création d'un arsenal complet. On
a perfectionné de toutes les manières et de toutes les façons
les litholabes, les lithoclastes. On a successivement appliqué,
comme moyens de pression ou d'écrasement, le marteau, la
vis et le pignon. Nous signalons toute cette série à l'attention
de nos visiteurs, comme digne d'exciter leur curiosité.
M. Mathieu a fabriqué, sur les indications de M. Chassaignac,
un instrument connu sous le nom d'écraseur linéaire, et qui
semble avoir donné déjà quelques résultats intéressants : c'est
une scie à chaîne, sans dents, dont les deux extrémi tés passent
dans un tube; un mécanisme très-simple permet de resserrer
graduellement, et avec une grande force, l'anse flexible qui
forme la chaîne; on arrive à couper ainsi, par écrasement,
"^48 VISITE
des parties molles, sans aucune trace d'hémorrhagles; on
conçoit l'utilité de cet instrument pour certaines tumeurs très-
vasculaires.
Des essais d'anesthésie locale, à l'aide du chloroforme et de
l'éther, ont été tentés il y a un an d'après les indications de
M. Hardy, de Dublin. MM. Charrière et Mathieu ont fait des
appareils destinés à favoriser l'évaporation rapide du liquide;
cette méthode n'a pas eu tout le succès qu'on pouvait en
espérer.
L'électricité tend à devenir chaque jour un agent thérapeu-
tique plus important. Nous avons remarqué un appareil de
M. Breton, et celui de M. Duchenne, de Boulogne, avec lequel
il a fait de si curieuses études sur la physiologie musculaire.
D'autre part, M. Mathieu a construit quelques appareils fort
ingénieux pour porter le cautère électrique dans les cavités
profondes, et le faire agir au moyen d'une interruption du
courant, à l'instant précis où on atteint la partie malade; nous
ne doutons pas qu'il y ait beaucoup à espérer de cette nou-
velle méthode de cautérisation.
Le fait le plus saillant dans l'art du bandagiste est certai-
nement remploi du caoutchouc vulcanisé. M. Gariel a fait de
ce sujet une étude complète, et, sur ses indications, MM. Ga-
lante et Cie fabriquent aujourd'hui toute une série d'appareils
très-employés en chirurgie.
L'exposition des appareils de prothèse est très-riche en
France. Nous y avons remarqué d'une manière particulière
les yeux artificiels de M. Boissonneau, accompagnés d'une
série d'imitations des types les plus saillants des maladies de
ces organes ; des dents et dentiers artificiels, avec des procédés
orthopédiques pour la bouche, dus à MM. de Villemure et
Paul Simon, de Paris, Souplet, de Troyes, Weill, de Rouen.
Les membres artificiels, qui sortent surtout des ateliers
d'instruments de chirurgie, sont arrivés aujourd'hui à un haut
degré de perfection. L'amputation sus-malléolaire de la jambe
peut être complètement dissimulée ; celle de la cuisse, quoique
nécessitant un système plus complexe, peut encore permettre
la marche d'une manière régulière, en évitant à peu près
complètement le fauchage des jambes de bois. Rien au monde
ne saurait remplacer la main, le plus merveilleux de tous les
instruments; et cependant, nous connaissons des mains de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o49
buis gantées, copiées sur les meilleurs modèles, et qui peuvent,
avec leurs ressorts, suffire à l'accomplissement d'une foule de
petits actes de la vie; elles peuvent tenir une plume, des
cartes à jouer, une cuiller, etc. C'est véritablement là un beau
côté de l'industrie qui nous occupe, et nous savons des ma-
lades qui s'estiment trop heureux d'avoir un membre de bois
et de fer, après avoir perdu celui que la nature leur avait
donné.
Les études anatomiques comportent un matériel assez
étendu d'installation et d'instruments; il eût été désirable que
quelques exposants se préoccupassent des amphithéâtres de
dissection au point de vue de leur aménagement intérieur. 11
y a tout à faire dans ce sens. Quoi de plus triste, de moins
hygiénique, de plus mal installé sous tous les rapports, que
l'École pratique de la Faculté de Paris ! On dirait, en péné-
trant dans cet établissement, que le chauffage, la ventilation,
la fourniture des eaux, manquent de procédés et de ressources,
et qu'on ne connaît rien de mieux que de mauvais poêles en
fonte, des tables de la même matière, retenant à leur surface
un épais enduit de malpropretés, des fenêtres insuffisantes et
sans cesse ternies par une buée humide et malsaine.
Parmi les instruments qu'on y emploie, nous noierons seu-
lement les appareils do M. Charrière pour injections au mer-
cure, et une nouvelle seringue de M. Mathieu, permettant, à
l'aide d'un mouvement de va-et-vient du piston dans les deux
sens, de faire des injections continues.
La plastique anatomique et anatomo- pathologique nous
offre quelques expositions intéressantes dans différents pays,
mais surtout en France. M. J. Town, de Londres, a exposé
des pièces de cire peintes, imitant parfaitement certaines ma-
ladies éruptives de la peau : ses pièces d'anatomie normale
sont beaucoup moins bonnes. M. Zeiler, de Munich, a préparé
en bois et papier mâché diverses pièces représentant des types
de races humaines, le cerveau, la structure de l'oreille, celle
de l'œil ; sous le rapport de la finesse des détails et de la fidé-
lité d'exécution, M. Zeiler reste de beaucoup au-dessous de
M. Auzoux. Nous noterons encore des moulages en cire et
plâtre, représentant des poulpes, calmars, seiches, des têtes
de nègres et d'Indiens, exécutées par M. Stahl, mouleur du
Muséum de Paris; ils sont, en général, d'une très-bonne exé-
ooO VISITE
cution. Les pièces de M. Thibert, en cuir repoussé et peint,
imitent souvent la nature avec beaucoup de vérité ; nous avons
vu des maladies des os, une coupe de tumeur blanche du
genou, les altérations pathologiques de la morve, de la fièvre
typhoïde et de l'éléphantiasis des Arabes. De toutes ces expo-
sitions, la plus importante, sans aucun doute, est celle de
M. le docteur Auzoux, Après trente années d'un travail
constant. M. Auzoux est arrivé à la fabrication de mannequins
et de pièces d'une remarquable solidité, d'une très-grande
fidélité d'exécution, soit dans la forme, soit dans la couleur;
loin de nous la pensée de dire que ces préparations doivent
suppléer aux dissections pénibles et laborieuses, et aux pa-
tientes recherches qui doivent être faites sur le corps de
l'homme et sur celui des animaux; mais en dehors de cela,
pour les collèges et tous les établissements d'instruction géné-
rale, les pièces d'anatomie plastique sont d'une précieuse res-
source, et permettent d'enseigner aux élèves, d'une manière
assez exacte, les premiers éléments de l'anatomie et de la
physiologie humaine et comparée. Ces modèles de tares et de
mâchoires du cheval, destinés aux régiments de cavalerie,
mettent à chaque instant sous les yeux des officiers de remonte,
des aspects et des formes qui leur sont d'une constante utilité.
Nous mentionnerons en terminant les pièces d'ostéologi^ très-
bien préparées par MM. Guérin et Vasseur : ce sont des
sculptures de l'organe de l'ouïe, de la mâchoire inférieure et
supérieure, des têtes désarticulées, tous les os étant main-
tenus à distance dans leurs rapports normaux ; ces pièces sont
fort utiles pour l'enseignement.
Enfin, dans différents pays, en Prusse, dans le Wurtemberg,
dans la Savoie et en France, existent des animaux empaillés
qui se recommandent par la bonne conservation des formes et
par l'imitation des attitudes.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 551
CLASSE Xlll.
Marine et art militaire.
L'Angleterre et la France possèdent à elles seules les trois
quarts des usines consacrées à la construction des machines
de navigation en Europe. L'Autriche, la Prusse, la Suède, la
Russie, la Suisse, la Belgique et les autres États de notre con-
tinent, n'ont guère chacun plus de un ou deux [ateliers. La
France seule en compte quinze, non compris les chantiers de
construction de navires, et sur ce nombre nous en pourrions
nommer six de premier ordre où l'on construit une machine
de 500 à 1000 chevaux en moins de temps qu'il n'en fallait
il y a vingt années pour donner à une usine une machine de
30 chevaux.
L'Angleterre a environ le double de notre nombre d'ateliers
français.
Néanmoins, l'Exposition compte, relativement, peu de
machines de navigation. C'était une des branches d'industrie
les mieux représentées à Londres en ISot . Mais l'Exposition
de Londres s'est ouverte et close en pleine paix. Les con-
structeurs anglais travaillaient alors, non-seulement pour
leur nation, mais encore et surtout pour la Russie, armant
sans le savoir de trop prochains adversaires. En France,
PExposition s'ouvre dans des circonstances bien différentes .
Déjà celle de 1849, entreprise au lendemain d'une révolution
qui semblait avoir tout frappé , avait offert à l'Europe stupé-
faite les merveilles d'une industrie où le génie le disputait
au nombre et à l'importance des produits ; mais il était donné
à notre époque de surpasser l'exhibition de Londres par une
Exposition qui fera la gloire de la France.
Se rappelle -t-on qu'il n'y a pas un an on se demandait en-
core si les préoccupations d'une guerre, devant coûter tant de
millions, ne rendraient pas impossible ce concours de tous les
peuples dans l'enceinte pacifique du Palais de l'Industrie? Et
552 VISITE
cependant quelles merveilles ne réunit-il pas en mécanique
comme dans les arts?
On y compterait pour la marine une machine à vapeur de
1000 chevaux et plusieurs de 200 à 600 chevaux, si on n'avait
pas été forcé de les reprendre à l'Exposition de Paris pour les
exposer le plus tôt possible devant l'ennemi dans la Baltique
ou dans la mer Noire.
L'énumération de celles qui ont pu rester au Palais de l'In-
dustrie sera donc bientôt faite.
Les constructeurs français en exhibent trois, plus diverses
séries de modèles; l'Angleterre n'offre cette fois que des mo-
dèles, nombreux il est vrai, et parmi lesquels deux fonction-
nent à la vapeur dans la galerie du bord de l'eau et peuvent
mériter le nom de machines proprement dites. L'Autriche
offre un modèle de' bateau de rivière ; la Suède et la Hollande
ont chacune une machine de bateau; la Belgique présente une
magniûque pièce de forge proposant une nouvelle forme de
gouvernail, et voilà toute l'exposition.
Le cadre qui nous est ici réservé ne nous permet pas de
décrire chaque appareil en particulier , d'autres publications
l'ont fait. Ce sont des observations d'ensemble que nous allons
présenter.
Le premier point capital à signaler aujourd'hui dans la na-
vigation à vapeur est la grande puissance donnée aux appa-
reils moteurs. Non-seulement il faut transporter en un seul
chargement ce qui faisait autrefois le fret de deux ou trois
navires , mais on veut aller vite. Le commerce fait des bâti-
ments aussi grands que les vaisseaux de ligne, la marine de
guerre à son tour demande à la vapeur une puissance motrice
prodigieuse. Les bateaux de rivière, plus audacieux encore,
veulent égaler la vitesse des chemins de fer. Or, on a posé en
principe que la force motrice des machines croissait à peu près
en raison de la racine carrée de la vitesse voulue.
Ce n'est pas tout à fait exact, mais c'e?t assez voisin de la
vérité pour expliquer à quel point les bâtiments actuels doi-
vent l'emporter en puissance motrice sur ceux que la naviga-
tion employait il y a quelques années. Un bateau de rivière
de 100 chevaux était une merveille il y a dix ans. Le modèle
que l'Autriche nous offre à l'Exposition est la réduction d'un
pijroscaphe du Danube muni d'une machine anglaise et oscil-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o53
lante de la force de 240 chevaux; sa vitesse atteint, dit-on,
vingt kilomètres à l'heure. Sur le Rhône il existe deux bateaux
d'une vitest^e extraordinaire, de la force de 500 chevaux cha-
cun. EnOn nous trouvons à l'Exposition le modèle de V Ameri-
can, steamer de 1000 chevaux qui atteint, ainsi que plusieurs
autres, trente kilomètres de vitesse à l'heure.
Parmi nos vaisseaux de guerre, nous sommes sur le point
d'en posséder quatre de près de 1 000 chevaux et deux de 1 200 ;
Ceux de force inférieure se nomment à peine maintenant; et
voilà que laissant loin derrière lui ce que les constructeurs de
navires avaient entrepris jusqu'ici de plus hardi , un ingénieur
anglais, mais d'origine française, M. Brunel, fait construire un
steamer géant qui aura 225 mètres de long, 25 mètres de
large, 23 000 tonneaux de jaugeage et 2600 chevaux de force.
Ce n'est pas un projet conçu seulement par un génie auda-
cieux, c'est une réalité. Ce monstrueux bâtiment est en chan-
tier sur les bords de la Tamise, à Londres même, dans les
usines de M. Scott-Russel ; la maison Watt fabrique avec
lui les machines, et l'Exposition de Paris nous offre, à l'en-
trée de l'Annexe du bord de l'eau, une manivelle de l'un des
appareils moteurs, un morceau du bordage en tôle du bâti-
ment, et trois vues prises au daguerréotype de la coque au
milieu de ses échafaudages sur le chantier. Peu de maisons
de Paris ou de Lyon, avec leurs sept ou huit étages, l'emporte-
raient en hauteur à côté de lui. Le point capital était de don-
ner aux parois de cette immense coque une solidité et une
rigidité suffisantes. Dans ce but, la pièce de l'Exposition nous
montre que le bâtiment est en quelque sorte double; qu'on se
représente une coque plus petite logée dans une coque plus
grande, en tous sens, de \ mètre, et de forme analogue à la pre-
mière avec une infinité de cloisons transversales installées
entre deux. En un mot les parois de la coque sont formées d'un
ensemble de cellules à peu près dans le genre du fameux pont
tube de Convvay.
Ces simples fragments du steamer géant de M. Brunel , de-
vant lequel le visiteur de l'Exposition a peut-être souvent
passé sans les honorer d'un regard, sont pourtant, on le voit,
bien dignes de son intérêt.
Plus loin , dans l'Annexe , voici l'exposition de la marine
impériale, consistant surtout en des modèles, à la description
554 YiSlTE
desquels un volume entier pourrait être consacré : c'est
d'abord la réduction au dixième de la machine du vaisseau
le Napoléon, l'honneur de notre escadre du Levant, et de la
machine d'un autre vaisseau semblable à VAlgésiras, qui sera
bientôt mis à l'eau.
La mise à l'eau d'un vaisseau, cette opération si palpitante
d'intérêt, nous est représentée dans un autre modèle exposé
par l'administration du port de Rochefort. Deux phases de
l'opération sont sous nos yeux. Dans la première, le vaisseau
ruim, récemment lancé, commence à prendre sa course dans
les coulisses savonnées qui lui tracent sa route hors du chan-
tier où on l'a construit; des deux côtés sont les câbles de re-
tenue, grosses chaînes repliées sur elles-mêmes et nouées, de
mètre en mètre, par des cordes de chanvre, calculées de ma-
nière à rompre sous la charge du navire à mesure qu'il descend
vers la mer, en modérant sa course. Dans l'autre phase de
l'opération, nous voyons le navire à l'eau, les chaînes conti-
nuant à l'amarrer après avoir rompu tous leurs nœuds dont
les débris jonchent le sol.
La même travée nous otîbe encore divers modèles de bâti-
ments dont la construction a été confiée à l'industrie privée :
l'un nous expose l'arrimage de la cale d'un vaisseau ; dans un
autre, nous pouvons étudier les charpentes en fer que M. Ar-
mand, de Bordeaux, a substituées à celles en bois dans les
navires, à l'imitation de ce qui se pratique aujourd'hui si
généralement pour la construction des maisons et monuments
publics de Paris et de Londres.
Da là, nous conduirons le visiteur de l'Exposition à la gale-
rie spécialement consacrée aux machines. L'établissement du
Creuset y a mis une machine horizontale pour bateau à
roues, et M. Seaward, de Londres, un modèle de sa machine
atmosphérique à 3 cylindres verticaux et à simple effet,
également pour bateau à roues. M. Gâche, de Nantes, etl'usine
suédoise de Motala ont exposé : le premier , deux machines
et la seconde une machine à mouvement direct et renversé,
pour navire à hélice. Todd-Mac-Grégor et Rennie ont en-
voyé, l'un un beau modèle au quart de l'exécution, l'autre un
dessin de machine verticale pour frégate à hélice.
Le reste de l'exposition des machines de bateau se compose
de nombreux modèles ou dessins de coques de navire, d'hé-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 555
lices et de propulseurs de diverses formes , plus le modèle,
donné au Conservatoire des arts et métiers, parfaitement
complet et fidèle du steamer le Danube , l'un des bâtiments
de la Compagnie française des messageries impériales et
lune des plus belles pièces de l'Exposition.
Les tendances générales, révélées par l'étude des machines
et modèles que nous venons d'énoncer , se réduisent à deux
points principaux : En premier lieu, la substitution des hélices
aux roues continue à se manifester partout. Mais on sem-
ble, surtout à l'étranger, revenir au système de la transmission
du mouvement par engrenage auxh élices, au lieu de mouvoir
directement l'arbre porte-hélice comme on meut directement,
par exemple, l'essieu des rouesvmotrices dans les locomotives.
Les deux systèmes sont de nouveau en présence avec leurs dé-
fauts et leurs avantages. La transmission directe prévaut au-
jourd'hui en France. Dans la machine hollandaise, dans celle
de Rennie et de Todd-Mac-Grégor que nous offre l'Exposition,
la rotation de l'hélice est accélérée par de monstrueux engre-
nages : ils servent de volants ; ils permettent de ralentir la
course du piston, de rendre plus doux certains frottements;
mais ils conduisent à des machines d'une complication, d'un
poids et d'un volume évidemment antirationnels, dans un na-
vire où tout doit au contraire être simple, allégé et réduit de
volume. La discussion des deux systèmes nous entraînerait à
de très-longs développements ; mais, nous l'avouerons, le re-
tour aux engrenages de la part de constructeurs aussi expéri-
mentés que MM. Todd et Rennie , auxquels se joignent d'au-
tres ingénieurs justement célèbres, est un fait grave qui
rétablit le doute; heureux si la manie d'imiter, si la mode
qui ne respecte pas plus les machines qu'autre chose, n'amène
pas légèrement une réaction contre les machines à mouve-
ment direct dans la navigation.
Une seconde question bien grave et plus incertaine encore
est soulevée par la comparaison de la machine du Creuset
avec les autres systèmes exposés. Todd, Rennie, Penn dans
sa machine oscillante, Seaward dans son système atmo-
sphérique à trois cylindres , se sont proposé d'occuper le
moindre espace dans la coque ; l'usine de Motala et M. Gâche
ont été plus loin : on sait que dans tout navire la partie infé-
rieure de la carène est rétrécie vers la quille , et que l'extré-
556 VISITE
mité postérieure de la coque est amincie pour former l'é-
videment arrière, en sorte que le bâtiment ne contient en ces
parties qu'un espace étroit difficile à employer dans l'emmé-
nagement et dont la section présente un triangle renversé.
Eh bien ! c'est cette partie du navire que l'ingénieur de Mo-
tala et M. Gâche ont su utiliser pour l'installation de la ma-
chine. Ce dernier constructeur , obligé de placer l'appareil
moteur au milieu de la coque dans les bateaux à voyageurs
qui vont faire le trajet rapide de Paris à Rouen, a, pour mé-
nager l'espace, mis les machines au-dessus des chaudières.
Quant au Creusot, son système est l'opposé du précédent.
Jugeant qu'il ne peut être employé aucun moyen pratique
pour empêcher la coque de se déformer sous le poids de la
machine, qui la charge sur un seul point, l'ingénieur donne à
l'appareil moteur la plus grande longueur possible pour ré-
partir la charge sur une grande étendue. Le premier sys-
tème satisfait évidemment plus la raison ; mais le second a
aussi pour lui la consécration d'une longue expérience; les
motifs de préférence ne pourraient être développés que par de
très-longues discussions; nous n'avons pu poser ici que le
problème.
Nous ne dirons rien de l'exécution des machines exposées.
Avec des soins, de l'intelligence dans la conduite des ateliers,
la distribution et la surveillance du travail , il n'y a plus de
constructeurs qui ne puissent bien faire , surtout quand il
s'agit d'offrir ses produits aux regards des visiteurs du
monde entier.
Le Creusot a depuis longtemps fait ses preuves; Todd ,
Seaward , le constructeur hollandais Wlissingen ont comme
les premiers apporté tous les soins voulus à leur exécution.
Quant à l'usine suédoise de Motala , que peu de personnes
connaissaient sans doute , elle a révélé son existence par une
machine où le génie des détails et le fini du travail sont
également remarquables.
Nous demandera-t-on maintenant nos critiques sur les
machines des bateaux? Des critiques générales, nous n'en
avons pas à faire; nous avons mis en présence diverses opi-
nions, divers systèmes qui ont leur raison d'être et entre les-
quels le choix est bien difficile ; le lecteur jugera s'il le peut.
Quant aux critiques de détails, il eût fallu étudier chaque
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o57
machine séparément dans cette note. Encore ces critiques
se fussent-elles bornées à quelques parties trop compliquées
ou d'un abord difficile.
Pour ce qui regarde ces divers projets d'appareils nou-
veaux , dont l'expérience n'est pas même annoncée et dont
beaucoup n'ont pas encore reçu une forme discutable et sont
à l'état d'étude ébauchée, nous n'avons pas cru que l'éten-
due limitée de cet article nous permît d'en entretenir le
lecteur.
A part ces ébauches et pour nous résumer, nous dirons
que l'exposition des machines de navigation contient peu de
choses, mais toutes dignes du plus haut intérêt.
Un dernier mot pour signaler un produit d'un intérêt tout
actuel, admis à l'Exposition.
Vers le milieu de l'Annexe, deux maîtres de forge, M.Schnei-
der, du Creusot, et l'association Pétin, Gaudet et Jackson, de
Rive-de-Gier, ont exhibé d'énormes planches de fer laminé,
larges de 80 centimètres, sur 10 centimètres d'épaisseur et 4 à
5 mètres de long. Comme ouvrage de forge et qualité de fer,
ces deux pièces sont déjà d'un grand intérêt; mais elles cap-
tiveront bien mieux encore l'attention quand on saura que ce
sont des fragments du bordage de batteries flottantes, cita-
delles bardées de fer, destinées abattre les forteresses russes
et à recevoir impunément leurs boulets.
Ce sont de très-puissants navires à vapeur d'une extrême
stabilité et d'un tirant d'eau assez faible pour approcher de
très-près ces murailles ennemies, que des écueils naturels ou
artificiels ont protégées jusqu'ici contre nos flottes. Ces batte-
ries flottantes, suflisamment définies parleur nom, consti-
tuent, avec les chaloupes canonnières qui ont déjà rendu de si
grands services, deux armes de guerre nouvelles, dont on at-
tend de grands eiTets, et que la présence des bordages de fer à
l'Exposition nous conduisait naturellement à signaler dans ce
compte rendu des appareils de navigation.
Armes et projectiles.
L'Exposition présente un très-bel assortiment d'armes de
guerre et d'armes de chasse. Parmi ces dernières , il en est
plusieurs qui sont de véritables œuvres d'art, et dont, à ce
r)58 VISITE
titre , le prix s'élève à de fortes sommes. On peut donc voir,
côte à côte, un fusil de 10 fr. et un fusil de 10 000 fr. Entre
ces deux extrêmes de nombreux intermédiaires sont dignes
aussi de fixer l'attention.
Dans la partie française, il faut citer en première ligne
l'exposition du ministre de la guerre et celle du ministre de
la marine, qui comprennent tous les modèles d'armes de
guerre, à feu ou blanches.
Nous signalerons surtout dans la première, le mousqueton
du commandant Treuille de Beaulieu , exécuté d'après le pro-
gramme exprès de l'Empereur, et dont sont armés les cent-
gardes. Une coupe réelle, faite dans l'une de ces armes,
permet d'en embrasser d'un coup d'œil tout le mécanisme,
dont la simplicité est extrême.
Dans l'une des moitiés , la balle est au repos; dans l'autre,
l'arme a déjà fait feu et le projectile est en mouvement. Le
mousqueton peut être terminé par un sabre-latte qui le trans-
forme en une lance redoutable, qui n'a pas moins de 2"", 18 de
longueur.
Depuis la guerre d'Orient, les journaux parlent fréquem-
ment d'une arme qui, dans les mains de nos chasseurs d'A-
frique et dans celles des tirailleurs anglais, est devenue la
terreur des Russes, par la justesse et la.portée de son tir. Ils
désignent généralement cette arme sous le nom de carabine
Minié.
Faisons en quelques mots l'historique de ce redoutable in-
strument de destruction.
Dans l'ancienne carabine, le projectile sphérique était un
peu plus gros que l'àme du canon rayé en hélice, dans laquelle
on l'enfonçait à coups.de maillet, ce qui exigeait, pour la
charge, un temps tellement considérable, que la carabine était
à peu près abandonnée dans les armées , lorsque M. Delvigne
entreprit, en 1826, delà réhabiliter.
Son point de départ fut l'emploi dune balle sphérique des-
cendant librement dans le canon, au fond duquel elle s'arrê-
tait sur les bords d'une chambre plus étroite contenant la
poudre. Quelques coups d'une baguette suffisamment lourde
y aplatissaient la balle, qui se moulait ainsi dans les rayures,
condition qui l'assimilait à la balle forcée de l'ancienne ca-
rabine.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. r^rJO
Plus tard il substitua à la balle sphérique une balle rylin-
dro-conique , creuse dans la partie cylindrique, et qui était
refoulée au moyen d'une baguette dont la tête portait une
creusure conique dans laquelle se logeait la pointe de la balle,
maintenue ainsi dans l'axe du canon. Le tir devint alors d'une
justesse prodigieuse.
En 1842, M. Thouvenin , de concert avec M. Minié, créa la
carabine à tige , comportant une balle cylindro-conique, mais
pleine , que la baguette comprin:ie sur une tige d'acier fixée
au centre du bouton de culasse. Ces conditions sont aujour-
d'hui celles delà carabine de nos chasseurs d'Afrique.
En 1849, M. Minié reprit la balle creuse de M. Delvigne
dans la cavité de laquelle il logea un culot tronc conique de
fer qui, chassé par les gaz de la poudre, s'enfonce dans cette
cavité , dilate les parois de la balle et les force à se mouler
dans les rayures avec plus d'énergie que ne le fait le refoule-
ment par la baguette.
Il est juste de dire que, très-antérieurement, M. Delvigne
avait constaté que ces mêmes gaz , en pénétrant dans la cavi-
té de la balle, en déterminaient l'enfoncement plus complet
dans les rayures.
Il paraît que les Anglais, qui d'abord avaient adopté le cu-
lot de M. Minié, jugent aujourd'hui suffisante la dilatation de
la balle par les gaz de la poudre.
Nous croyons que, en présence de ces faits, il faut recon-
naître que l'initiative , ainsi que la base de cette importante
modification appartiennent à M. Delvigne , et qu'il serait de
toute justice d'accoler son nom à celui de M. Minié dans la
désignation delà nouvelle arme.
M. Pidault, des forges d'Audincourt, expose des fusils
achetés par l'Empereur, et dont les canons sont emboutis par
les procédés ingénieux de ]\l. Palmer. Ils se chargent par la
culasse, d'après un système qui permet d'employer la car-
touche actuelle d'infanterie, ce qui n'avait jamais eu lieu jus-
qu'ici.
Les manufactures de Saint-Etienne, de Mutzig et de Châ-
tellerault figurent honorablement par leurs produits.
MM. Coulaux, de Klingenthal, exposent des cuirasses de la
garde, exécutées en acier fondu , de MM. Jakson. Elles sont
impénétrables à la balle dans la condition des épreuves, et
r>60 VISITE
pèsent environ 3 kilogrammes de moins que les cuirasses en
usage jusqu'ici.
Si nous abordons les armes de chasse , nous remarquerons
que le système prédominant est celui de Lefauclieux, plus ou
moins heureusement modifié. Nous trouvons une exception
remarquable dans celui de M. Gasiinne-Renette, qui, bien que
se chargeant par la culasse, n'exige pas le mouvement de bas-
cule du canon , ce qui donne à l'arme une solidité beaucoup
plus grande et permet en même temps un tir très-rapide.
Nous recommanderons l'emploi d'un petit mécanisme de
M. Guérin , pouvant s'adapter à la plupart des armes à feu,
et qui a pour but d'arrêter le jeu des gâchettes lorsque l'arme
n'est pas entre les mains du chasseur. Par la pression que la
main exerce sur la poignée du fusil, lorsqu'on met celui-ci en
joue, les gâchettes se trouvent libres; et, en pressant la dé-
lente, le coup part. Enfin, la portion extérieure du mécanisme
peut s'enlever facilement à volonté , lorsqu'on n'est pas en
chasse, et rendre presque impossibles les accidents déplora-
bles qui ont lieu si fréquemment par suite de l'oubli ou de
l'abandon momentané de fusils chargés.
Les amateurs d'armes de luxe trouveront, dans les vitrines
de l'arquebuserie parisienne, de nombreux sujets d'admira-
tion. Partout l'art le dispute à la richesse de la matière , et
l'emporte souvent.
A vrai dire , nous ne sommes pas bien certain que ces ad-
mirables ciselures aient, pour la plupart, d'autre destination
que celle de figurer dans leur boîte ou dans un trophée; nous
ne voudrions pas répondre que leur usage ne fût pas accom-
pagné de quelques inconvénients, tel, par exemple, que celui
de s'écorcher la joue en l'appuyant, pour le tir, contre les
raille et une saillies que le ciseleur a fait surgir sur la cro-se
d'un fusil, ni que les mains en puissent impunément serrer
la poignée ou la sous-garde.
Ces remarques ne s'adressent pas toutefois aux belles
armes commandées par l'Empereur à M. Gastinne-Renette,
sur des dessins approuvés par S. M. Ces armes se composent
d'un fusil à deux coups , d'une paire de pistolets, et d'un fusil
à un coup, système des cent-gardes; enfin d'un couteau de
chasse et d'une épée.
L'or, l'argent qui y sont prodigués y brillent moins par leur
A. L'EXPOSITION lUMVKKSELLE. 561
éclat que par l'art infini avec lequel une main habile les a
travaillés.
En les voyant, on croit impossible de faire rien de plus
beau, ni surtout de plus riche; et cependant, tout à côté,
dans la même vitrine, apparaissent une carabine et une paire
de pistolets (système Gastinne) , commandés par le vice-roi
d'Egypte, où l'art, s'aidant du goût oriental, a su faire quel-
que chose de plus brillant encore , grâce aux diamants, aux
rubis, aux émeraudes qui y sont prodigués. On se fera peut-
être une idée de cette magnificence, digne des Mille et une
Nuits, lorsque nous aurons dit que trois petites cartouchières
valent à elles seules près de 100 000 francs.
Pressé par le temps et l'espace nous passons sous silence
d'autres pièces riches de M. Gastinne-Renetle, pour signaler
l'excellente fabrication de ses armes ordinaires et surtout de
ses canons de fusil dont la solidité est telle (nous parlons de
visu) qu'ils, ne crèvent qu'à la dix-huitième épreuve, compor-
tant successivement chacune une charge en plus, de poudre
et de plomb de chasse; cette énorme résistance est due à un
mode particulier de fabrication qui consiste, en principe, à
substituer, au ruban plat ordinaire, enroulé sur une chemise
de tôle, deux rubans triangulaires formant, l'un, une vis,
l'autre, son écrou que le marteau réunit l'un à l'autre en for-
mant des soudures croisées sur des plans obliques dans les-
quels les travers sont absolument impossibles.
Ne quittons pas ce sujet sans dire que les canons fabriqués
par M. Léopold Bernard, pour les arquebusiers de Paris, sont
toujours dignes de son ancienne réputation. N'oublions pas
non plus ceux de son frère Albert.
' Dans le plus grand nombre des vitrines de Tarquebuserie
française, à côté des armes de luxe, produits souvent excep-
tionnels, exécutés en vue de l'Exposition, on trouvera de belles
et bonnes armes d'un prix abordable pour tout le monde.
Citer sur ce point MM. Blanchard, Beringer, Garon, Clau-
din, Devisme, Gauvain , Lefaucheux, Lefaure, Lepage-Mou-
tier , Thomas , etc. , c'est rappeler à nos lecteurs des noms
bien connus, jouissant d'une réputation justement méritée.
Qui ne connaît maintenant les revolvers , ces armes qui
permettent le tir rapide de six coups consécutifs. Us abondent
jï l'Exposition. Trois paraissent se disputer la prééminence.
5(3-2 VISITE . I
Le plus ancien en date est celui de MM. Coite, puis vient i
celui de M. Lefaucheux, et enfin celui de M. Gastinne-Re- |
nette; ce dernier, que nous avons pu examiner à loisir, nous \
a paru remarquable par sa simplicité et la sûreté de ses .
effets. ;
Nous n'apprendrons probablement rien de nouveau aux :
chasseurs en leur signalant l'excellente qualité des cartouches |
de chasse que fabrique M. Ghaudun pour tous les systèmes
connus d'armes à feu, ainsi que celle des capsules de la maison
Gevelot et de sa rivale, plus connue à l'étranger, la maison ,
Gaupillat. !
Si nous passons dans les expositions étrangères, nous con- j
staterons que la Belgique a voulu conserver son rang dans j
l'industrie armurière, et que ses principales maisons ont envoyé ]
de nombreux échantillons de leurs produits. i
Dans la vitrine de M. Mangeot , on remarque de beaux j
fusils dont la monture en bois d'ébène est très-richement j
sculptée. Le revolver Comblain-Mangeot offre l'avantage de i
fournir un feu continu et de permettre d'ajuster à loisir, le
chien restant immobile. :
MM. Lepage , qui ont une maison à Paris, ont une excel-
lente collection d'armes de toutes les fabriques belges, et de ;
tous les prix, depuis les fusils Cadet, à 5 fr. 50 c, jusqu'aux '[
fusils de chasse de 500 francs et plus. i
La maison Falisse et Trapmann, de Liège, présente une re- ]
marquable collection d'armes de guerre de toutes les nations, •
et un très-bel assortiment de capsules de guerre et de chasse, ;
et de cheminées. !
M. Lepage, de Liège, expose un fusil à quatre coups d'un '
système nouveau. Les quatre canons sont superposés deux à ,
deux ; mais il n'y a que deux platines. La tête des chiens est i
iirticulée de manière à s'allonger ou à se raccourcir pour j
percuter successivement sur les deux cheminées de droite ou ;
de gaucne. j
U. Lemi/le , au milieu d'un nombreux assortiment d'armes !
de guerre et de chasse , expose un fusil double dont la crosse ,
est très-richement sculptée.
Les armes à glissière de M. Colette méritent de fixer l'at- !
tention.
Dans les vitrines de MM. Jansen et Colard, on remarque de -
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o63
Irès-belles boîtes de pistolets. Les pistolets de M. Colard sont
montés en ivoire travaillé avec beaucoup de goût.
M. Malherbe a un très-beau fusil et une paire de pistolets
riches qui se recommandent à l'attention des amateurs.
MM. Raick et fils ont exposé de belles et bonnes armes de
chasse, parmi lesquelles il faut remarquer un fusil et une paire
de pistolets dont les ciselures sont très-finement exécutées.
Nous signalerons, dans les États sardes, la lumière mobile
pour les pièces d'artillerie désignée par son auteur sous le
nom de grain Mathis.
Elle est formée d'une espèce de boulon en cuivre rouge tra-
versé par un trou longitudinal, et dont la tête se loge dans
une creusure de même forme, pratiquée, dans la paroi inté-
rieure du canon, autour du trou cylindrique occupé par le
corps du boulon, dont on rive l'autre extrémité à l'extérieur
de la pièce, pendant qu'on soutient la tête à l'intérieur au
moyen de deux mâchoires en fer tenues écartées par un coin
de même métal. Si l'on a besoin de remplacer la lumière, il
suffit d'enlever la rivure du boulon et de l'enfoncer à l'inté-
rieur pour faire place à un autre, sans qu'il soit nécessaire de
renvoyer la pièce dans un arsenal; l'outillage pour cette opé-
ration se bornant à un poinçon , à un marteau , et aux mâ-
choires décrites plus haut.
En Prusse , l'objet le plus intéressant est le canon d'acier
fondu de M. Krupp, dont la durée doit être indéfinie. Les
cuirasses, également en acier fondu, du même fabricant, sont
très-notablement allégées sans cesser d'être à l'épreuve de la
balle.
La fabrique de Solingen est dignement représentée par
MM. Liineschloss et Holler. Les vitrines de ces deux exposants
renferment chacune une très-riche collection de lames de
toutes formes et de tous modèles, dont les prix sont très-
modérés. Ce qui distingue la fabrique de Solingen , c'est
(l'abord la beauté du poli et l'ornementation en or des lames.
LUe se distingue aussi par les gardes de sabre, en fer ou en
acier. Nous ferons particulièrement remarquer deux gardes
d'épée, une paire de ciseaux de bureau richement ciselée,
an sabre acheté par l'Empereur, et une lame portant en relief
le portrait de S. M.
Bien que les principaux arquebusiers de la Grande-Bre-
5b i VISITE
tagne aient l'ait défaut, l'exposition anglaise se distingue par
de beaux fusils de chasse., parmi lesquels nous remarquons
deux fusils vendus au prince Albert par M. Rigby, de Dublin.
M. Piedham expose un système de chargement par la cu-
lasse, dans lequel le fulminate est entlammé par une aiguille,
comme dans le fusil prussien.
M. Schlesinger expose aussi un système de chargement
par la culasse dans lequel le chien ordinaire est remplacé par
une aiguille.
Dans la quincaillerie anglaise s'est fourvoyé un fusil à har-
pon destiné à la pèche de la baleine.
En Bavière, l'ancienne et célèbre maison Kutchenreuter a
exposé, entre autres objets d'arquebuserie, un beau fusil de
chasse et une paire de pistolets dont les ciselures et les sculp-
tures sont très-remarquables.
Nous signalerons, dans l'exposition autrichienne, une cara-
bine ciselée par Rinzi, de Milan, qui mérite l'admiration de
tous les amateurs.
M. Bellot, l'un des premiers qui aient introduit en France
la fabrication des capsules, et qui a transporté sa maison à
Prague, a exposé une très-belle collection de capsules.
Les amateurs de tir pourront voir avec intérêt, dans Texpo-
silion suisse, plusieurs arquebuses en usage dans les tirs
fédéraux.
L'exposition espagnole se distingue par de magnifiques ar-
mes exposées par MM. Zuloaga. Les unes appartiennent au roi
d'Espagne, les autres au maréchal Narvaez; toutes offrent des
ciselures du plus grand mérite. Les auteurs de ces belles pièces
(nit également e\})0sé un bouclier, et en dehors de l'arquebu-
-erie, un tableau d'animaux en fer ciselé qui les classent parmi
les grands artistes.
Les curieux doivent aller visiter, dans le quartier hollandais,
descangiars et des crics malais dons les lames sont empoison-
nées. Les fourreaux sont en bois rare et les manches ornés de
pierreries.
Les Indes anglaises ont aussi envoyé de nombreux spéci-
mens de l'armement des indigènes.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 365
CLASSE XIV.
Constmctions civiles.
L'art des constructions fait appel aux produits des indus-
tries les plus diverses ; il fait emploi des matériaux nombreux
que lui offre la nature. Ces ressources sont aussi dispersées
dans les différentes parties du Palais de l'Industrie, qu'elles
sont variées dans la nature; aussi le visiteur, désireux de
les apprécier, devra-t-il se préparer à parcourir l'étendue
presque totale de ces nombreuses galeries qui constituent
aujourd'hui l'Exposition universelle. Nous essayerons de le
guider pour abréger celte course, sans toutefois sortir du
cadre tracé par la classification , qui a servi de base à Par-
rangement des produits.
Les éléments qui prennent la première place parmi les
moyens que l'architecte ou l'ingénieur mettent en jeu sont
assurément les matériaux. Ils prennent dans les édifices un
rôle déplus en plus important, à mesure que leurs qualités,
leurs dimensions, leurs propriétés, en un mot, sont plus
développées et plus définies, et les ouvrages qu'ils composent
sont surtout caractérisés par l'emploi de ces propriétés. L'art
inscrit dans ses compositions le but qu'il veut atteindre. Les
formes qu'il crée servent et définissent ce but ; mais unique-
ment, selon que le permet la matière disponible. Aussi la
nature des matériaux influe-t-elle sur le caractère monumen-
tal de chaque pays, de chaque peuple. Chaque monument
d'une contrée doit avoir son originalité déduite de la destina-
tion pour laquelle on l'a fait; tous les monuments d'une même
contrée ont une tournure de famille qu'ils prennent dans la
communauté des matériaux qui les composent. Les arts de
tous les temps nous parlent ainsi : l'antiquité, le moyen âge
et notre âge aussi. Quand un pays est largement pourvu de
pierres de grande résistance, les édifices facilement exécutés
affectent des formes simples , grandes et imposantes. Quand
les petits matériaux seuls se présentent, la nécessité de dis-
56G VISITE
positions plus cherchées et plus difficiles amène à des for-
mes ingénieuses, mais compliquées, accidentées, quelquefois
pittoresques. Là où les bois abondent, un autre genre de
simplicité se produit à côté d'une apparence de légèreté insé-
parable de cet élément végétal. Quand le fer arrive avec ses
dimensions si commodes dans l'emploi que l'industrie perfec-
tionnée de ces derniers temps a permis d'atteindre, on voit
entreprendre des ouvrages audacieux relativement à ceux du
passé : les portées et les vides s'accroissent ; on franchit sans
soutiens intermédiaires des espaces considérables; le pont
de Britannia est jeté sur un bras de mer avec des travées de
130 mètres. Mais les œuvres prennent une figure grêle, inu-
sitée jusqu'alors, tout y montre une propriété de résistance
qui frappe l'œil , et souvent l'inquiète péniblem.ent. A l'exa-
men des nombreux efforts de production minéralogique ou
industrielle dont on rencontre le témoignage à chaque pas
dans les galeries, l'esprit tend, malgré soi, à s'appesantir sur
ces distinctions qui portent l'art moderne sur un terrain si
nouveau. C'est vers le caractère qui doit appartenir à nos
grandes constructions industrielles, c'est vers la juste appré-
ciation de ce caractère que se tournent, dans la pratique, tous
les efforts tentés aujourd'hui par les constructeurs. Les maté-
riaux et la concurrence qu'ils se font prennent donc une part
considérable dans cette question.
Métaux.
Depuis quelques années , les métaux se sont introduits
dans la construction en augmentant chaque jour et de plus en
plus le domaine de leurs applications. Ils se sont approprié
des emplois dont ils ne paraissaient d'abord nullement suscep-
tibles. Ce ne sont plus simplement des combles d'édifices, que
l'exception , d'ailleurs , voyait seule s'exécuter en cette
matière, ce ne sont plus des applications restreintes et secon-
daires, telles que la consolidation des parties principales
d'une construction; ce sont, au contraire, les ouvrages entiers
et les plus importants comme les plus courants qui se font
maintenant tout entiers en fer : les tabliers de nos ponts, les
fondations des grands ouvrages, les planchers, les combles et
les couvertures mêmes de nos habitations. Les pilotis en fer
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 567
avis si généralement employés en Angleterre, en concurrence
avec les caisses en fonte , le mode de construction de toutes
les maisons et édifices publics récemment érigés à Paris, tous
ces travaux nous montrent chaque jour l'importance crois-
sante que prend le métal dans les constructions.
Pour répondre à ce besoin, on comprend ce qu'ont fait les
forges en parcourant les expositions de nos principales usines
et celles des étrangers. Les prem.ières surtout, parce qu'elles
sont les seules qui fabriquent le fer à T, cet élément précieux
et nouveau si généralement employé chez nous dans la con-
struction de planchers. La Provide^ice (Annexe, pile 63 D), Mau-
beuge (Annexe, pile 62 A), et Montataire (Annexe, pile 59 D)
en France, nous montrent des fers à T de tous échantillons,
propres à la confection de toutes espèces de planchers, des
cornières, aussi très-variées dans leurs dimensions, et adop-
tées à l'agencement de pièces composées pour les résistances
les plus diverses. Les fers de la Providence atteignent à
6"', 96 de longueur et 0"\30 de hauteur. Ceux de iMaubeuge
ont aussi la même hauteur. A Montataire, la hauteur n'ex-
cède pas 0'",26, mais la longueur s'accroît jusqu'à '11"%45.
Ces dernières dimensions paraissent plus appropriées aux
besoins industriels qu'aux exigences du bâtiment. Montataire
d'ailleurs possède des tôles ondulées à petites ondulations qui
s'appliquent comme couverture sur les pannes, en suppri-
mant les chevrons et le lattis. Celte usine fabrique aussi des
tôles ondulées courbes, à fortes ondulations (0'",16 sur 0'"0S)
pour l'établissement de couvertures sans fermes, ni pannes,
ni chevrons. Ces tôles ont été employées avec succès il y a
deux ans par M. Eugène Flachat à la couverture de la gare
de marchandises du chemin de fer de l'Ouest (rive droite).
Elles se recommandent comme solution aussi économique que
simple dans les cas analogues à l'application que nous venons
de signaler. Les avantages de cette disposition s'expliquent
par l'absence de pièces secondaires, par ce fait que la lame
de métal est, en réalité, elle-même un ensemble de fermes
constituées par les parties verticales des ondulations, et
qu'elle forme un contreventement général par toute sa surface
horizontale.
D'autres usines, le Creusât, Commentry, etc., offrent aussi
en France les éléments de construction que nous venons de
o68 VISITE
rencontrer. Mais ces établissements réservent principalement !
leurproduction pour les fers propres aux grands travaux publics i
ou aux constructions mécaniques. L'article métallurgie, qui !
comprend l'examen des forges et de leurs produits, nous dis- i
pense de parler ici des rails et de citer les prodigieux résultats \
auxquels on est parvenu lant chez nous que chez nos voisins, j
A ces résultats, il faut joindre les belles pièces de fonderie i
obtenues par presque toutes les usines, et, comme témoignage ]
des ressources que donne à la construction cette industrie, |
nous citerons Varc de l'étage souterrain des halles centrales
de Paris, fondu par l'usine de Mazières et exposé au vestibule \
central de l'Annexe en face l'entrée; la conduite d'eau de •
Madrid, fondue par l'usine de Fourchamhault et composée de i
tuyaux de 3 mètres de long, qui atteignent jusqu'à 0"',92 de
diamètre; la collection des modèles de poutres exécutées par
l'usine de Marquise. :
Ce bilan, à peine indiqué, nous montre assurément de '
grandes richesses et qui paraissent suffisantes. Cependant !
l'industrie n'échappe pas à la loi générale du progrès. Dès '
qu'une tentative a fait faire un grand pas dans un sens, une '
tentative voisine se produit pour marcher à côté , progrès- ■
sive aussi. Rien n'est plus clairement écrit que cette vérité ;
à l'Exposition, dans les différents matériaux de construction '
qui y ont été rassemblés. On a vu les forges de tous les i
pays produisant des fers de construction, préparés avec un ;
soin et une prévoyance remarquables pour f)resque tous les
besoins qui peuvent se présenter dans l'établissement des i
grandes poutres de ponts, des planchers, des combles, etc. i
C'est un état industriel très-avancé qui se manifeste surtout \
par la suffisance permanente des moyens de l'usinier aux !
demandes qui lui sont faites. Cependant observez. Voici que
ces ressources, créées surtout en vue des lacunes que nous ■
présentaient les forêts sur le continent, vont trouver devant ;
elles toutes les promesses que nous font les innombrables
échantillons de bois de toute espèce, venus en profusion de
toutes les colonies.
Bois.
Parcourez l'exposition du Canada dans l'Annexe (entre les
colonnes 11 et 13), montez aux galeries» latérales supérieures,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 3«9
longez les travées où sont développées les collections de bois
de la Jamaïque, de la Guyane anglaise (pile 1 à 15, côté A),
de la Nouvelle-Galles du Sud, ou MM. Moore et Mac Arthur ont
réuni et étiqueté, avec tant desoin, plusieurs centainesdebilles
de bois; examinez les échantillons de la terrede Van-Diemen,
ceux de nos colonies même où l'on a malheureusement été
bien avare sous le rapport des dimensions : réunissez et com-
parez les propriétés si nouvelles et si diverses que vous pré-
sentent ces végétaux pour la plupart inconnus jusqu'à présent,
et voyez s'il n'y a pas là des éléments de construction dont
on doive tirer un parli très-important dans le cas où ils pour-
raient nous parvenir économiquement et régulièrement. Ce
dernier point s'élucidera assurément avant la fin de l'Expo-
sition. Les travaux des jurys nous permettent de l'espérer,
l'intérêt des exposants nous le promet, et déjà, si nous avons
bien pu nous renseigner, nous devons penser que l'avenir ne
refusera pas au continent l'emploi permanent de ces magni-
fiques matériaux.
Les immenses forêts de la Guyane britannique qui n'ex-
porte guère, il faut le dire, jusqu'à présent plus de 6 à 8000 mè-
tres cubes de bois de construction ou d'ébénisterie , sont à
peine assez explorées jusqu'à présent pour qu'on en connaisse
les principales essences. Il en est de même des autres colo-
nies. Mais que le besoin de consommation se fasse sentir, que
la hache du bûcheron pénètre plus hardie et plus intéressée
au milieu de cette riche végétation, et nous verrons bientôt
apparaître sur nos chantiers, d'abord des variétés nombreu-
ses de bois d'ébénisterie dont nous sommes si pauvres, telles
que le crab-trood, le caslana ou cèdre roui)e, le mariwayana
ou cœur pourpre , le rradaduri ou pot de singe , le palmier
iooroo, le buraballi , le sibadani , le ivamara ou ébène brun,
Vacuf/uri, le hijafra ballij, le ducalibaUi, le cartan, etc.; des
bois de menuiserie, tels que le icaUaba, le kakarelli, le tcar-
racoori ou cèdre blanc, le simarouba, le bulbj, le ouriché, etc. ;
des bois de charpente même, tels que le simeri, déjà employé
en Angleterre, Vadabadani, le Idtchia , le tiiranira , le aru-
mata, le morabaUi, le manibelli ou bois chandelle, \esipiri,
le tonka, bois présenté comme éminemment durable.
Voilà les collections que le constructeur ne doit pas négli-
ger de visiter. Elles sont pleines d'intérêt, surtout quant aux
570 VISITE
bois de menuiserie. L'emploi de ces bois dans nos habitations,
en nous offrant des surfaces naturelles agréables à l'œil , per-
mettrait la suppression de beaucoup de peintures coûteuses
salissantes, que nous n'employons la plupart du temps que
parce que nos bois sont pauvres d'aspect et remplis de dé-
fauts.
Nous devons signaler le succès complet qu'obtient à l'Expo-
sition le trophée du Canada, élevé au milieu de la travée 11-1 2.
Ce sont des bois d'espèces variées, mais surtout des portes ,
des croisées et des per.-iennes fabriquées au Canada même, et
qui , si nous sommes bien renseigné , ne reviendraient en
France qu'à un prix inférieur de 15 pour 100 à celui que nous
payons ici pour les objets de facture analogue, sinon identique.
Les Canadiens n'en sont pas seulement arrivés à tirer de leurs
grandes forêts les beaux types qu'elles renferment. Ils ne se
contentent pas d'exporter pour 40 millions de bois chaque an-
née. Leur habileté industrielle s'est employée à tirer déjà le
parti le plus économique de ces matières premières, en les dé-
bitant et les façonnant avec des machines qui leur permettent
d'établir sur une grande échelle et d'oti'rir commercialement
les objetsdemenuiseriecourante.ee fait, que nos voisins d'An-
gleterre ont déjà consacré, devrait fixer quelque peu l'attention
chez nous. De gré ou de force, il faudia bien que nous l'accep-
tions, et malgré notre juste répugnance à voir s'introduire l'élé-
ment de fabricatioiidaus l'établissement de nos demeure*;,
malgré la résistance que fait et doit faire l'artiste à cette ten-
dance qui lui enlève, au bénéfice de l'industriel, une part d'ac-
tion jusqu'ici respectée, la loi économique fait son chemin.
Elle dit à l'industriel de supplanter l'artiste partout où le con-
sommateur peut trouver augmentation de bien-être à cette
substitution ; elle soutient et relève le courage de l'arlir-te en
changeant le milieu de ses créations, en rehaussant le champ
de ses études, en l'appelant à traiter des applications plus
grandes et plus générales, à mesure que les besoins moraux
des sociétés s'élargissent et s'augmentent. Mais tout cela c'est
le progrès , et le progrès fatal. Inscrivons donc un fait dans
nos observations, fait heureux. Le Canada nous enverra de
bonnes menuiseries toutes faites en bons bois. Il nous enverra
aussi des bois débités sur lesquels nous suivrons son exemple
en fabriquant à la mécanique des portes, des croisées, des
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 571
persiennes, des lambris que le commerce dispensera aux ar-
chitectes, lesquels s'arrangeront pour le mieux, en guidant
de leur sage influence cette fabrication industrielle , et en im-
primant le cachet de l'art, c'est-à-dire de la pensée originale,
à tant de choses qui en manquent.
Mais le Canada, qui nous entraîne dans des prévisions que
nous ne pouvons croire hasardées, n'est pas la seule contrée
qui présente cette espèce d'intérêt dépendant de tout ce qui
est nouveau dans le champ de l'utile. Plus active, plus intel-
ligente, plus audacieuse que d'autres peuples lointains aussi
bien pourvus d'éléments de production , cette nation attire
particulièrement sur elle l'attention. Ce que nous venons de
dire concerne en même temps la plupart des colonies. Il en
est une toutefois dont nous devons spécialement nous oc-
cuper.
L'Algérie , qui ne paraît présenter que des échantillons de
bois propres à l'ébénisterie , ne doit pas être oubliée par le
constructeur. La plupart de ces bois peuvent ou doivent avoir
une application prochaine dans les boiseries de celles de nos
habitations privées où le luxe et le confortable se disputent
la satisfaction de nos goûts ou de nos besoins. Quel architecte
un peu avide de fantaisie ou de variété ne prévoit avec envie
le moment où il pourra ajuster dans les panneaux de ses
portes ou de ses lambris, ces belles teintes ûe chêne à glands,
doux, dont la maille rosée est d'un aspect si coquet et si nou-
veau ? Quelles ressources ne trouverait-il pas dans ces belles
faces lV olivier et de thuija si pittoresquement accidentées ,
où la variété et l'harmonie des tons se marient à la finesse de
la contexture? Ces deux essences, très-répandues sur notre
sol africain, fournissent des a?pects différents suivant qu'on
en débite la racine, la loupe ou la tige. Il faut voir les bois très-
bien travaillés et très-brillants qui figurent sur les deux
galeries supérieures de l'exposition algérienne, pour apprécier
l'importance que peut prendre cette production végétale.
Évitons toutefois de juger sur les meubles que quelques ébé-
nistes d'Alger ont envoyés. Nous sommes trop habitués au
goût qui préside à la confection de nos meubles parisiens,
pour ne pas regretter les contrastes de tons heurtés, la
lourdeur des moulures , la banalité et le manque de rapports
dans la valeur des ornements sculptés qui se rencontrent sur
r>l± VISITE
ces objets, et notre œil fatigué estimerait mal la matière qu'il
faut voir sous cette robe d'emprunt inopportune. Une table a
jeu très-bien galbée , de jolis pianos, parmi lesquels nous si-
gnalerons celui de l'extrémité de la galerie, côté de la Seine,
font au contraire valoir tout le parti qu'on peut tirer des
racines et des loupes d'olivier, du bois de thuya. L'exposition
du ministère de la guerre possède encore un spécimen curieux
qui mérite de fixer l'attention. C'est une table formée d'une
seule tranche de cèdre, débarrassée de son aubier. Celle
tranche a 4 mètre 60 de diamètre, et montre la grosseur que
cet arbre atteint quelquefois. Sans voir dans ces dimensions
un élément normal sur lequel puisse compter l'industrie, il
faut constater que la province d'Alger est la source de cette
production, et que les forêts qu'elle contient sont riches en
cèdres de celte nature. D'ailleurs n(jus avons pu voir sur les
tables de l'exposition algérienne, des essences qui tiennent de
plus près aux applications utiles du constructeur, le chêne
zeem, que ses grandes dimensions rendent propre aux con-
structions navales, les chênes-liége. très-abondants.
Il paraît que plusieurs cenlaines de mètres cubes de ces
différents bois sont depuis quelques mois parvenus à Paris,
et vont alimenter nos ateliers débénisterie. Attendons avec
confiance des applications plus générales pour juger de leur
emploi possible dans nos habitations. Après les longs ef-
forts de la conquête, voici venir peut-être le temps où il
faut prévoir la récolte, et se préparer à savoir en user. L'a-
griculteur va retourner la terre féconde qui jadis alimen-
tait les villes romaines, il y implante la culture moderne du
coton que nos habitudes et nos besoins réclament de déve-
lopper sur un sol national ; de son côté, le constructeur doit
participer à cet élan, en lournant les yeux vers les produits
qu'une industrie naissante paraît lui promettre pour un pro-
chain avenir. A ces bois que nous venons d'examiner se joi-
gnent, parmi les produits algériens, des matériaux minéraux
devant lesquels nous n'oublierons pas de nous arrêter, quand
nous étudierons les pierres et les marbres.
A L'EXPOSITION. UNIVERSELLE. 573
Pierres.
Les pierres de construction se présentent en échantillons
assez remarquables en deux points de l'Annexe. Vers la co-
lonne 55, côté D , se trouve une collection de pierres des en-
virons de Caen , présentées sous les noms de pierres d'Alle-
magne, à'Aubigny, de Rauvilleet de Fontenaij. Ces matériaux,
qui proviennent des affleurements jurassiques de la côte de
Bretagne, sont d'un grain fin, très-homogènes, susceptibles
d'être taillés à arêtes vives, et très-propres à la sculpture.
Les premières surtout conservent ce caractère; les deuxièmes,
à aspect plus cristallin, sont plus dures et moins faciles à tra-
vailler: on les dit quelquefois gélives. Les autres, qui parais-
sent être des calcaires à polypiers, ont été jusqu'ici plus spé-
cialement employées dans les constructions hydrauliques.
Cette exposition nous paraît digne d'un véritable intéi et. Nous
avons vu , avec quelque espoir de les retrouver bientôt , sur
nos chantiers de construction parisiens , ces spécimens de
matériaux qui constituent la plus grande partie des belles
églises normandes de Caen, de Bayeux et de Falaise. Les prix
auxquels ces pierres sont extraites dans la localité, de 15 à
35 francs, suivant le degré de dureté, ne laissent aucun doute
sur la possibilité de les amener à Paris, où les qualités,
dépendant de leur formation géologique, ne laisseraient pas
que de leur donner des avantages marqués sur les calcaires
tertiaires. Il faut regretter de ne pas voir les carrières de la
Bourgogne , et particulièrement celles de la Côte-d'Or, repré-
sentées à l'Exposition. Elles avaient à fixer l'attention des
constructeurs sur les ressources très-étendues que présentent
en calcaires de construction leurs riches couches jurassiques.
Paris et ses environs sont particulièrement intéressés à puiser
dans ces carrières un peu éloignées, il est vrai , mais accessi-
bles cependant, depuis que nos voies de communication se
sont développées, et que les pierres dures, les bancs francs et
les bancs voyais s'épuisent, comme ils le font tous les jours
dans la banlieue. On voit dans le jardin du grand Palais, à
côté du hangar d'agriculture, une grande meule de grès des
Vosges. Cette nature de pierre est amenée depuis quelques
mois sur les chantiers de Paris; elle a servi au soubassement
574 VISITE
du Palais de l'Industrie. Sa résistance est analogue à celle de
la roche de Paris; elle se coupe assez bien à l'eau, et offre un
ton rosé ou vert assez agréable ; mais elle présente souvent des
veines qui se délitent.
Parmi les produits étrangers , nous avons remarqué une
pyramide étagée dans l'ordre géologique, et composée des
pierres de construction du Wurtemberg. Celte petite construc-
tion donne une idée de la richesse de la contrée, et laisse pré-
juger le caractère général des édifices qui y sont élevés. C'est
au centre de la galerie, en face de la colonne 28 , qu'il faut
aller observer cette réunion méthodique de matériaux qui
présente sur quatre faces les coïncidences de gisements miné-
ralogiques de mêmes étages, mais différents par leurs pro-
priétés, quant à l'emploi dans les constructions. Sur l'une de
ces faces on lit et on reconnaît, à partir de la base, le granit,
le grès bigarré, cette pierr'e de construction que nous fournis-
sent les Vosges; le Muschelkalk , dont on fait des chaux , des
pavages et de maçonneries; le grès du Keuper supérieur, dont
est construit le dôme de Cologne ; le grès de Voolithe , qu'on dit
résister au feu ; le calcaire jurassique supérieur, dont nous
avons de si beaux échantillons en Bourgogne; le calcaire ju-
rassique à crustacés, et le grès de la Molasse, pierre de construc-
tion de qualité inférieure.
On aurait peu de chose à dire des granits que Vire a fait
figurer dans la galerie. Les environs de Bristol^ dont les ma-
tériaux de construction sont représentés par divers échantil-
lons de calcaires carbonifères et colorés, nous montrent com-
bien sont restreintes les ressources de ces contrées , où les
couches inférieures de notre croûte terrestre font affleurer les
charbons et d'autres richesses minéralogiques. Cette petite
collection instructive est due aux soins de MM. les commis-
saires royaux à l'Exposition universelle de Londres (1851).
Nous devons nous contenter de constater en passant les gra-
nits el calcaires carbonifères qui sont rangés dans le Canada,
le long de la paroi D et les porphyres pour pavés et macadams
que la Belgique expose à la pile 44 , côté A. Les pavages très-
solides faits avec ces matériaux sont très-glissants sous les
pieds des chevaux, et l'expérience ne paraît pas avoir prouvé,
l'avantage de leur utilisation à ce second emploi.
A côté de ces matériaux dont nous omettons certainement
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o75
une bonne part , il convient d'examiner quelques essais de
pierres artificielles. Pour certaines contrées dépourvues de
pierres naturelles, la question mérite intérêt. Elle en présente
même , au dire de M. Co>gnet, sous le rapport de l'économie,
dans les lieux où les pierres abondent ; à Paris , par exemple.
M. Coignet expose à la travée 59, A, galerie supérieure de
l'Annexe, un bloc de béton analogue à celui qui a servi à la
construction d'une maison édifiée à Saint-Denis, et dans les
murs de laquelle il n'entre ni pierres , ni briques, ni fer. Cette
construction dont les fondations, les murs, les caves, les
voûtes, les arcs, les tableaux des baies et les carrelages sont
en béton , a été moulée du bas en haut comme on fait du pise.
Des murs isolés de 18 à 20 mètres de hauteur ont été exécu-
tés. Tout cela est fait avec un béton composé de cendres et
scories de houille^ et de chaux grasse. Quand la cendre et les
scories manquent dans la localité , on fait le béton avec du
sable, du cailloutis et de la chaux. C'est une composition qui
produit une maçonnerie annoncée comme plus durable que
le moellon ordinaire de Paris, et offrant sur ce dernier une
économie de 50 pour 100. Le mètre cube reviendrait à 6 francs
à peine. Le sahle, la terre cuite pïlée, les cendres de houille et la
chaux mélangés donnent une matière capable de remplacer la
meulière et la brique, et son pri:: n'atteint pas 10 francs le
mètre.
Il n'est possible de porter aucun jugement sur cette nature
de produits que des expériences seules pourraient permettre
d'apprécier. Il faut cependant reconnaître que , d'avance, la
([uestion est posée par cette tentative d'une manière très-in-
téressante. Sa solution complète ne tend en etïèt à rien moins
qu'à supprimer les mortiers, éléments jusqu'ici indispensables
dans les constructions, mais apportant avec eux une com-
plication très-grande de travail et mille incertitudes de ré-
sultat.
M. Dumeml, de Mareuil-lès-Meaux, nous montre une autre
pierre artificielle , mais dont l'élément principal est le plâtre,
et qui se fabrique en morceaux isolés. A part l'économie et la
légèreté qu'on peut ainsi obtenir, ce qui paraît probable,
puisque cet exposant fabrique et construit depuis plusieurs
années avec quelque succès, dit-on, il nous paraît qu'il faut
voir là un progrès industriel beaucoup plus restreint que celui
570 VISITE
qui serait atteint par des bétons solides, économiques et
moulables sur le tas.
La galerie des machines contient, à l'entrée de l'avenue D,
à gauche, dans l'exposition de M. Bérard, un inagmat de
laitier que cet exposant présente comme bloc de fondation
maritime. Cette masse, qui a plus de I mètre de hauteur, sur
80 centimètres de base en carré, offre un aspect de compacité
et de résistance qui sont appropriées à la destination annoncée.
Elle n'est qu'un échantillon de blocs beaucoup plus considé-
rables atteignant jusqu'à 1 o mètres, que l'usine de M. Bérard,
sise à Vaugirard, fabrique en ce moment pour le port de
Cherbourg. 11 est intéressant de suivre une expérience en
grand sur ces matériaux , dont l'emploi dans les travaux à la
mer substituerait un corps vitrifié , c'est-à-dire résistant à un
corps sensiblement décomposable, comme il a été constaté
que le sont les blocs faits avec des chaux ou des ciments hy-
drauliques. D'un autre côté, le mode de fabrication proposé
semble économique et n'exclut pas la préparation sur place,
puisque c'est une simple coagulation de briques qu'il s'agit
de faire par un excès de cuisson. Les travaux maritimes sont
tous plus ou moins liés à la solution de ce problème , qui mé-
rite l'attention des constructeurs.
Ciments ; mortiers.
Les ciments et les mortiers sont représentés à l'Exposition
par des calcaires propres à leur fabrication, par des poudres
de chaux vives, par des chaux prises ou des mortiers em-
ployés, par des objets moulés. Les noms de MM. Vicat et de
Villeneuve, en France, témoignent de la persévérance que
ces ingénieurs apportent dans la question délicate des chaux
magnésiennes, qui promettent de si précieux résultats pour les
travaux à la mer, et dans l'utilisation des sous-carbonates
calcaires, d'où (léj)end la prompte solidification des mortiers,
et la réduction de leur prix de revient. Trois noms anglais di-
sent que les tentatives de perfectionnement dans cette appli-
cation délicate des constructions n'ont pas été négligés dans le
Royaume-Uni. Ce sont MM. Cottrill, capitaine Scott, Work-
inan. En 'Wurtemberg, MM. Leube frères, d'Ulm, ont réuni
des échantillons de toutes espèces et fourni des témoignages
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. o77
d'expériences assez longues déjà, pour attester la valeur des
produits de leurs grands établissements. Mais nous le dirons
encore ici, c'est l'apparence seule des choses que l'on peut ju-
ger pour ces espèces de proiuits où rien n'est important
presque, que le fond. Dans cette course rapide que nous fai-
sons , ce n'est point pour nous un espoir que de dire le der-
nier mot sur des ob;ets à peine découverts, et nous saurons
attendre, pour conclure, les résultats d'études profondes et
mûries qui ne manqueront pas de se faire.
Marbres et i)ierres dures.
Les départements de la Sarthe, de TAIlier , de la Corse, de
la Mayenne, de l'Isère, de l'Aude, le Boulonnais et les Py-
rénées ont envoyé des marbres qui, s'ils ne présfntent pas
toutes les qualités d'apparence que l'on cherche dans cette
matière de luxe, dénotent au moins les recherches actives
qui ont été faites depuis quelques années pour découvrir de
nouvelles carrières, et en rendre l'exploitation possible à no-
tre industrie.
Les marbres de Corse étaient connus déjà depuis longtemps
par leur richesse de tons et la beauté de leur poli. Parmi les
contrées nombreuses et lointaines qui furent exploiées pour
découvrir les matières qui conviendraient le mieux aux diffé-
rentes parties du tombeau de l'Empereur, la Corse ne fut pas
oubliée, et, tandis qu'on parcourait la Bretagne et les Pyré-
nées, tandis que la Finlande était visitée, des recherches se
faisaient dans notre île, et des échantillons remarquables
étaient réunis à Paris. Quelques-uns d'entre eux sati.-faisaitnt
ajuste titre l'artiste chargé d'élever ce monument. Malheu-
reusement les moyens de transport manquaient, les routes
n'étaient pas percées, et il eut été impossible d'amener à la
mer les blocs considérables que l'œuvre des Invalides récla^
mait. Il fallut renoncer. Le beau grès rouge de Finlande l'em-
porta sur les beaux marbres verls de Corse. Il paraît pourtant
que cette circonstance ne resta pas inutile, puisque nous
voyons arriver aujourd'hui, en masses très-importantes, ces
mêmes matières si modestes, dans leur volume, il y a dix ans.
Les routes se sont ouvertes et le vert antique , le vert de mer y
la hrhhc blanche, \eportor, un marbre assez curieux dit à tort
20(5 U
ola VISITE
cipolin^ et le bleu turquin sont là pour attester la variété et \
le nombre des carrières. Les colonnes de vert et de bleu iur- |
quin sont des échantillons très-remarquables, et je ne sais \
vraiment qui n'aimerait à encadrer son foyer avec l'un des |
autres spécimens voisins. j
Quatre échantillons de VAude se font remarquer, parmi!
lesquels il faut signaler un beau campan rouge. Si ces carriè- ;
res sont abondantes, on peut leur prédire un bel avenir et |
leur assurer une concurrence fructueuse avec les carrières i
des Pyrénées. ',
Le département des Vosges a envoyé quelques échantillons ]
de pierres dures taillées et polies. Une syénite en tablette, tra- i
vaillée avec soin, est surtout intéressante et doit fixer l'atten- i
tion sur un produit trop rarement offert au constructeur. I
Il n'est pas possible de passer devant la première table de ï
l'Algérie, en sortant du vestibule, sans admirer les magnifi- '
ques arrayonites qui y sont exposées sous le nom d'agates.
Cette belle matière blanche, translucide et richement veinée, i
se ferait désirer dans le plus coquet boudoir, où Ton aimerait à ;
la voir contourner des galbes gracieux et projeter de fines :
moulures derrière la gaze ou la soie féminine d'une toilette de
printemps. Deux grandes plaques, dont l'une a plus de 2 mè- i
très sur 80 centimètres, nous montrent que la commune ;
à'Ain-Teikalek, de la province d'Oran , prèsTlemcen, peut |
donner cette matière sous des dimensions telles qu'on la ;
puisse utiliser dans tous les arts. L'exploilation est à 3 kilom. •
de la mer , et le prix du mètre cube est coté par le ministère I
de la guerre à 800 francs ou à 1000 francs. C'est le prix de i
nos marbres des Pyrénées. La même province produit aussi '
un vert foncé un peu mat et triste, et un rouge fauve veiné, ,
quelquefois assez harmonieux de ton, toujours d"un beau poli. 1
Les échantillons sont présentés sous des dimensions trop fai- i
bies pour être jugés au point de vue de l'application. La même :
observation peut s'appliquer à un beau jaune de Numidie , i
marbre dont l'antiquité fit quelquefois un usage si pompeux , ;
et à différents blancs et blancs fleuris qui gisent dans la pro- '
vince de Constantine, près Philippeville, avec d'excellentes !
conditions d'exploitation, à 400 mètres de la mer. Quelques ■
morceaux 6.'albâtre, de porphyre et dQ granit complètent la j
liste'des matériaux que l'Algérie offre au constructeur. Quelle j
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. ^^79
est leur importance et quelle facilité de débouchés présentent
les gîtes d'où ils proviennent? C'est ce que nous n'avons pu
savoir. Nous n'avons pas parlé avec intention de deux mor-
ceaux assez volumineux d'un marbre gris rayé plutôt que
veiné, et assez désagréable d'aspect; quoique ce calcaire soit
susceptible de poli et s'extraye à fleur du sol , il ne mérite
vraiment pas qu'on l'exporte.
La Belgique a exposé comme échantillon de marbre une
grande table de 4 mètres de longueur, en faux style Louis XIV.
Cet objet volumineux n'a d'autre intérêt que ses dimensions.
Les formes lourdes et puissantes en même temps de l'époque
choisie, conviennent toutefois à cette espèce de murbre qui a
été si employé dans nos palais et nos châteaux sous le nom
de rouge royal.
Mais voici la magnifique collection que l'Institut royal po-
lytechnique de Florence a réunie à la colonne 18, et où se
rencontrent les spécimens des beaux matériaux dont est dotée
la ville mère de toutes les grandes œuvres architecturales de
la Renaissance. Ce n'est pas sans envie que l'on peut jeter les
yeux sur le macigno, le travertin, les albâtres, les serpenti-
nes, les jaunes de Sienne et les rouges variés de cette contrée,
qui met à la portée de ses architectes tant d'éléments, si fa-
ciles à manier. Que d'explications se trouvent dans ces tons
superbes, dans ces surfaces limpides, dans ces finesses de
contextures pour faire comprendre le charme et la grande
tournure monumentale des édifices que les maîtres de la Re-
naissance ont laissés au pays toscan.
La Grèce aussi a voulu rattacher la pensée de ce temps à
l'art antique qui fut sa gloire, et montrer les efforts qu'elle
fait aujourd'hui pour réparer cette longue défaite des siècles,
qui lui fit oublier et perdre ses monuments, après lui avoir
enlevé ses institutions. La Grèce ouvre à nouveau le sol d'où
sortirent jadis les marbres de ses temples. Un gros échan-
tillon de rouge antique, deux monuments de pentélique,
un porphijre vert de Mantinée , quelques brèches de Sparte
attestent des recherches dont on voudrait voir le succès cer-
tifié par l'exploitation régulière des carrières qui ont fourni
Ces matériaux. (Ann. , pil. 20 et 21 .)
L'Angleterre possède dans le vestibule central de l'est
(grand palais) de magnifiques pièces de serpentine de Cor-
580 VISITE
nouailles, des granits polis d'Aberdeen et des marbres ser-
pentineux d'Irlande. Quelques échantillons de dimensions
réduites et manquant de franchise dans les tons constituent la
collection que l'Autriche expose dans l'Annexe, où l'Espagne
a réuni les types des marbres de ses provinces non loin des
marbres serpentineiix envoyés par le Canada. On rencontre
encore, dis-éminés dans le grand palais, les beaux albâtres
orientaux de l'Egypte (premier étage, est), les marbres 6'Olp,
en Westphalie, employés au palais du roi de Prusse, à Berlin
(nef, extrémité ouest), et les porphyres que la Suède extrait
d'Ëlfdalen. Enfin, pour compléter la série des produits expo-
sés sous le nom de marbres ou de pierres dures qui ont frappé
notre attention, ^ignalons un granit de Norvège gris, sus-
ceptible d'un beau poli et déposé à côté d'un bloc de Saiiit-
Béal , dans le jardin, à l'angle de l'avenue d'Antin.
Parmi les matériaux de construction , l'ardoise, par ses ap-
plications spéciales, conserve une place encore importante,
malgré la concurrence qui lui a été faite par les métaux. Ja-
dis employée presque exclusivement à l'établissement des
couvertures des édifices, dans toutes les localités où elle était
exploitée, elle était transportée à de longues distances pour
la même application, et supportait ainsi des frais secondaires
dont sa légèreté permettait de charger le coût d'extraction. En
France, par exemple, Angers et Fumay, en vertu de cette
facilité de tran>ports, alimentaient presque toute la surface
du pays, et il n'était pas de contrée , il y a vingt ans encore,
où il ne fût possible découvrir son habitation en ardoises de
l'une de ces localités, pour peu qu'on tînt à mettre quelque
luxe ou quelque soin dans l'édifice à construire. D'ailleurs,
cette matière était recherchée pour le peu de charge qu'elle
apportait sur les combles, relativement aux poids des terres
cuites, qui seules pouvaient entrer en concurrence avec elle.
Mais, d'une part, les progrès de fabrication des tuiles, deve-
nues moins lourdes dans l'application par des procédés plus
ingénieux d'assemblage; d'un autre côté, l'emploi du métal
aux couvertures tendirent à restreindre l'usage de l'ardoise.
C'est dans ces conditions désavantageuses que se trouvait,
depuis quelques années, l'ardoise en France; c'est comme
réaction à cet état de choses qu'elle se présente aujourd'hui à
l'Exposition. Partout, on peut le dire, l'exploitation des ar-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. KSI
doisières s'est perfectionnée. Angers, nous le croyons, a donné
le premier exemple en entrant dans une voie nouvelle, et en
préparant des éléments de couverture qui ne présentassent pas
le seul inconvénient réel qu'on pût reprocher aux toitures
schisteuses : leur peu de résistance à l'action mécanique des
vents et des ouvriers appelés à marcher sur les toits pour les
entretenir. Les grandes et fortes ardoises de C^eO de longueur
et de 5 millimètres d'épaisseur, substituées aux carte.lettes et
aux grandes carrées, constituent ce progrès. Sous ces dimen-
sions et avec des soins de pose faciles à prendre, en employant
des voliges saines, des clous solides, l'action des vents est
impuissante à enlever l'ardoise, aussi bien que le pied de
l'homme à la casser. Ce sont de véritables dalles, très-résis-
tantes et très-bien assises. Tel est le progrès tenté et réussi,
on doit le dire, par plusieurs de nos ardoisières, par Angers
surtout, dont les prix sont restés très-avantageux relative-
ment aux autres matières concurrentes. Furnay (Ann., 54-55,
D) est entré aussi dans la même voie; et, avec des éléments
moins favorables, un schiste moins fin, d'une couleur peu
agréable, cette exploitation présente des produits aussi inté-
ressants que ceux qui viennent dètre signalés. Les ardoises
compactes et épaisses propres à la construction des cloisons,
aux dallages, aux marches d'escalier, etc., dont les Anglais
font un usage si général, se montrent aussi dans les exposi-
tions de nos ardoisières. Une table de billard très-belle, des
caisses à arbustes, un banc de cour ou de jardin, des gar-
gouilles, etc., sont présentés par Anciers, tandis que MM. Va-
Uguié et Oie nous montrent une révolution d'escalier à noyau
plein , dont chaque marche est un échantillon remarquable
d'ardoise. Le Finisterre, la Sarthe. les Ardennes et la Mayenne
sont représentés par les carrières de MM. Planes frères, de
MM. Valiquié et Oie, et par celles de Rimognes et de Renare.
Les ardoisières d'Olmiitz , qui produisent des tablettes à in-
crustations, et cinq exposants dans le Canada, nous indi-
quent les ressources en celte matière que les pays étrangers
nous ont apportées. Nous regrettons de n'avoir rencontré
nulle part les ardoises du pays de Galles ni celles de Wesl-
moreland, qui sont d'un emploi général en Angleterre.
En résumé, et pour ce qui concerne la Fronce, l'exploita-
tion des ardoisières se développe, etles produits qu'elle livre
582 VISITE
au commerce sont susceptibles d'emplois plus étendus qui en
maintiendront l'usage, malgré la concurrence que lui font
d'autres matières. Il importe pourtant de voir bannir de nos
magasins de construction et de nos chantiers certains schistes
de mauvaise qualité qui se reconnaissent à leur aspect stéa-
titeux et qui tombent en poussière légère ou s'exfolient après
quelque temps d'emploi. Nous avons remarqué plusieurs de
ces produits auxquels il faut de beaucoup préférer les ardoises
d'un grain moins fin , rugueuses même , et qu'on craint à tort
démettre en évidence dans une e:sposilion. Il y a longtemps
qu'en Angleterre on a constaté, pour les couvertures, la su-
périorité des ardoises rugueuses sur les ardoises lisses, et qu'on
a expliqué ce phénomène par le jeu laissé entre les premières
lorsqu'on les superpose, et la libre circulation d'air qui s'v
fait.
Puisque nous venons de visiter les ardoises, dont les cou-
vreurs font un si grand usage dans tant de pays, transportons-
nous au Palais, à droite de l'entrée nord, pour y étudier un
produit non moins utile à la couverture des édifices. Les
tuiles se présentent là sous les formes les plus diverses, et
dénotent chez les fabricants un grand esprit de recherche
pour maintenir, de leur côté , leurs produits au niveau des
nouvelles exigences du constructeur. Deux types principaux
peuvent servir à grouper et à apprécier les formes adoptées
pour les terres cuites. La disposition à joints diagonaux, qui
s'obtient par l'agencement de tuWes losangiques, et la disposi-
tion à joints verticaux et horizontaux, que produisent les
tuiles carrées ou plus particulièrement rectangulaires. Pour
comprendre la valeur de ces deux dispositions, il faut se re-
porter au type primitif, à ta tuile plate ordinaire. Lorsqu'on
cherche à se rendre compte de l'agencement susceptible de
produire une couverture étanche avec cette forme élémen-
taire, on reconnaît qu'il faut absolument qu'une toiture ait en
chacun de ses points l'épaisseur de trois tuiles , si l'on veut
être assuré que les joints verticaux et horizontaux se recou-
vrent parfaitement ; et il en résulte que chaque élément de
terre cuite ne présente à la vue qu'une partie visible ou pu-
reau, égale au tiers de sa surface totale. Cette condition, que
l'expérience impose, montre immédiatement le point faible
des tuiles plates, qui sont toujours très-lourdes, et qui, par
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. m^
conséquent, entraînent à des surcroîts inutiles de dépenses
dans la construction des charpentes des combles. Remédier à
ce véritable vice dans la construction, sans bannir cependant
une matière très-résistante, très-durable, très-isolante, et la
plupart du temps peu coûteuse, tel est le but des améliorations
judicieusement tentées dans l'industrie du tuilier depuis un
certain nombre d'années. Nous voyons aujourd'hui les résul-
tats de ces tentatives réunis ; et, disons-le, ils constituent de
nouvelles ressources dont il n'est pas permis de négliger
l'importance. A côté de la tuile plate de Bourgogne, se présen-
tent: la tuile Courtois, de Paris; la tuile de Lorraine, fabriquée
par M. Amuller et M. Demimuid, de Commercy, disposée en
diagonale; la tuile rectangulaire d'Altkirch, fabriquée aussi à
Lyon, à Marseille, à Paris, et due d'abord à M. Gilardoni,
puis perfectionnée par MM. E. Muller et Cie; la tuile plate à
simples rebords longitudinaux, comme celle de Londres; la
tuile de porcelaine. Le point de comparaison auquel nous
rattachons l'appréciation de ces produits étant la tuile plate,
et particulièrement celle de Bourgogne, nous devons constater
par chiffres les inconvénients que nous n'avons fait que signa-
ler. Cette tuile charge chaque mètre carré de couverture de
88 à 90 kilogr. ; de plus, comme la pente des toits se déter-
mine par la ligne qui joint tous les points extrêmes supérieurs
de l'épaisseur des tuiles , cette pente est d'autant plus roide
que la partie découverte de chaque élément, le pureau, est
plus court par rapport à l'épaisseur même de cet élément. Il en
résulte que, dans un système de couverture en tuiles, plus le
pureau est court, ou plus il y a d'épaisseur de tuiles en cha-
que point du comble, plus ce comble doit rapprocher son
inclinaison de la verticale, désavantage qui se traduit, dans
une certaine mesure, par un accroissement de matériaux de
charpentes et d'espace couvert difficile à utiliser. La tuile de
Bourgogne, la tuile plate, devons-nous dire, pour parler d'une
manière plus absolue, comporte au maximum ces deux incon-
vénients : lourdeur extrême , inclinaison très-grande des
toitures. Les tuiles en losange, à formes plus ou moins com-
pliquées, sont déjà plus avantageuses ; mais, pour peu qu'on
les examine, on remarquera qu'elles ne peuvent donner une
toiture étanche qu'à la condition de présenter partout, à
l'exception d'un sixième de la surface environ , une double
mi VISITE
épaisseur de briques; de sorle que c'est entre 40 et 45 kilo-
grammes qu'il faudra charger le comble, et que la pente sera
encore très-forte relativement aux couvertures en tuiles rec-
tangulairement disposées. En effet, dans ces dernières, les
joints horizontaux et longitudinaux se font par simples re-
couvrements en feuillures, ce qui réduit au minimum les
doubles épaisseurs. Observez les tuiles Gilardoni et F. Maller,
et vous verrez que presque toute la surface ne reçoit qu'une
épaisseur de terre cuite; c'est ainsi qu'on réduit la charge par
mètre à 38 ou 40 kilogr., et que la pente s'abaisse à un mini-
mum si restreint, que toute économie est satisfaite en même
temps que l'artiste conquiert toute liberté d'action dans sa
composition.
Entre les tuiles rectangulaires , il faut faire encore la dis-
tinction de celles dont les joints longitudinaux sont continus,
et de celles dont ces joints s'alternent à chaque rang. Les pre-
mières se raccordent facilement sur les rilées , tandis qu'il
faut des coupures pour raccorder les autres, coupures moins
stables , moins régulières, plus ouvrageuses à établir que le
reste de la couverture.
Les tuiles en porcelaine ou en verre n'ont pas subi la sanc-
tion de l'emploi ; la terre vernissée n'est encore que d'un usage
spécial; mais, si la tuile rectangulaire à jomts en feuillures se
peut fabriquer à des prix rapprochés de ceux de la tuile
ordinaire, ce qu'on assure, nous ne doutons pas que les
avantages développés plus haut et les dispositions qu'on a
préparées pour assurer l'attache sur le lattis , et pour les ren-
forcer au centre contre la destruction du pied du couvreur, ne
fassent de ce produit un élément de couverture courante. Ce
fait serait la constatation d'un deuxième progrès dans Tart
qui nous occupe. On verra dans d'autres industries que tout
ce qui touche aux couvertures d'édifices a notablement pro-
gressé depuis quelque temps.
A côté de ces nouvelles ressources de construction, exclu-
sivement dues à la France, viennent se placer les briques
creuses, qu'on fabrique également dans notre pays et en An-
gleterre. La brique creuse n'a pas , ainsi qu'on le pense trop
généralement, le seul avanta2;e d'être plus légère que la bri-
que pleine. Elle est aussi plus économique, en principe au
moins, sinon en fait jusqu'à présent. Au point où en est la
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. SS.n
fabrication de la brique aujourd'hui , les plus grosses charges
qui pèsent sur les briquetiers sont l'acquisition, le mélange, lu
façon, le séchage et la cuisson de la terre. Toutes ces dépenses
sont réduites par la fabrication de la brique creuse, qui,
si elle supprime le tiers de la terre nécessaire à la bri-
que pleine , économise sur toutes les mains-d'œuvre qu'on
vient de citer et sur le combustible , et surtout diminue la
casse au séchoir. Ce bénéfice n'a pas encore été compris, parce
qu'il n'a pas été recueilli par le consommateur, que le fabri-
cant, jusqu'ici couvert par le monopole d'un brevet, n'a in-
térêt à servir qu'en maintenant ses prix au niveau de ceux
des briques ordinaires. Mais c'est là la garantie la plus cer-
taine que cette fabrication se généralisera à l'avantage de l'art
du constructeur, qui doit l'encourager; car elle lui assure une
condition à laquelle il faut qu'il attache la plus grande im-
portance. Nous voulons parler de la régularité du produit
qu'il met en œuvre. La difficulté qu'on éprouve à sécher des
masses épaisses d'argile, et l'aptitude au retrait excessif de
cette matière, produisent, pendant le séchage et la cuisson,
des désordres qui sont généraux, et qui rendent imparfaits les
produits même qu'on ne rebute pas. La plupart des briques
pleines qu'on emploie sont fendillées dans la masse et ainsi
affamées dans leur résistance. Quand on réduit la terre à de
faibles épaisseurs, comme cela se fait dans les briques creu-
ses, ces désordres s'amoindrissent, et, quoiqu'on ait dans
l'application moins de matière à utiliser sur chaque unité de
surface pour soutenir les pressions des ouvrages, la résis-
tance relative est notablement accrue, en même temps qu'elle
est régulièrement obtenue dans chaque brique. On a parfaite-
ment compris ces avantages en Angleterre et en France, où
l'on tend à développer la fabrication de la brique creuse.
Chez nos voisins, les évidements sont, en général, circulaires;
chez nous on a adopté plus particulièrement des vides carrés.
Nous croyons que celte dernière forme est préférable, parce
qu'elle favorise la régularité du retrait en ménageant des
épaisseurs de terre égales, dans toute la masse. Du reste, il ne
faut attacher qu'une importance secondaire à ce fait, et recon-
naître que de part et d'autre les efforts ont été tentés a^ec au-
tant d'ardeur qu'ils ont produit de bons résultats. Les briques
creuses s'appliquent aujourd'hui partout, pour établissements
586 VISITE
des voûtes et pour cloisons en porte à faux. L'exposition de la
maison Borie nous montre des échantillons variés du parti
qu'on peut tirer de ce produit en France.
La terre cuite nous offre, dans les bardeaux, un emploi, si-
non nouveau , au moins utile, à l'exposition de M. le comte de
Pourtalis, n° 5419 (Palais). Le bardeau de terre cuite trouve
application sur les planchers où le plafonnage inférieur est
inutile, et où les entrevoux, soit en plâtre , soit en chaux , ne
résistent pas. C'est ce qui a lieu , par exemple, sous l'action
de l'humidité chaude des étables ou des écuries de campagne.
Cette fabrication mérite d'être développée.
Deux industries françaises, qui se présentent avec la con-
sécration de faits d'expérience déjà anciens et nombreux,
deux industries dont les procédés ont, depuis plusieurs an-
nées, préoccupé les corps savants et les praticiens, nous
montrent des produits d'un intérêt immense pour le construc-
teur. Nommer les hommes qui ont créé ces industries, MM. Bou-
cherie et Kuhlmann, c'est faire comprendre qu'il s'agit de la
conservation des bois et des pierres. En infiltrant la matière
ligneuse d'un liquide conservateur, sulfate de cuivre, en pé-
nétrant les pierres, les calcaires surtout, avec un silicate al-
calin qui bouche les pores de la matière, trop accessible aux
causes de dégradation de l'atmosphère , MM. Boucherie et
Kuhlmann ont trouvé le moyen pratique d'éviter la pourriture
et le salpétrage , deux implacables ennemis que le construc-
teur rencontre à chaque pas sur sa route. L'appréciation des
moyens employés par ces industriels a été faite dans d'autres
chapitres de ce livre ; nous devons nous borner à certifier ici
les résultats obtenus et leur portée. A côté du hangar des in-
struments agricoles , sur le revers modeste de la paroi de ce
couvert sont rangées de vénérables et robustes traverses de
chemin de fer, qu'on distingue à leur apparence saine, à leur
couleur verdasse. Elles sortent de terre après neuf années
d'usage, portent en front le certificat et l'état de leurs servi-
ces, et conservent près d'elles les restes informes et presque
poussiéreux de leurs jumelles, que la préparation protectrice
n'a pu défendre de la destruction. Voilà des bois de bouleau
conservés intacts pendant neuf années par la simple infiltration
du sulfate de cuivre, que tant d'ingénieurs jugent insuffisant,
parce qu'ils n'en connaissent que l'emploi par immersion.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 587
l'emploi imparfait. L'efficacité de la pénétration par le pro-
cédé Boucherie, à l'aide d'une pression conduisant le liquide
entre les fibres encore séveuses du végétal, est actuellement
démontrée; elle est complète; elle est persistante et pro-
tectrice. Est-elle suffîsamm.ent économique? Quinze francs le
mètre cube, pour les bois tendres qui acquièrent parla péné-
tration, non-seulement les aptitudes d'emploi des bois durs,
mais des conditions de durée bien plus complètes ; la question
n'est pas douteuse. Dans certaines contrées, l'intérêt écono-
mique de la pénétration e?t frappant. Les sapins des Landes,
par exemple, valent 20 francs le mètre cube. Ces bois em-
ployés en traverses de chemm de fer ne peuvent pas durer
plus de quelques années, six ou huit ans. En les préparant,
on porte leur prix à 35 francs; mais ils dureront plus que des
bois durs qu'on n'obtiendrait là qu'à des prix deux fois plus
élevés. Il y a maintenant en France quatre ou cinq cent mille
traverses, préparées par le procédé Boucherie, un très-grand
nombre de poteaux télégraphiques; l'expérience est con-
cluante. Que les praticiens le sachent et que nos grands ou-
vrages, où le bois joue en grande masse un rôle permanent,
en profitent. Il est temps ; voilà 18 ans que les essais de
]M. Boucherie se font sans interruption et les lourdes dépenses
qu'exige l'entretien de nos voies de fer ne sauraient être
trop tôt réduites.
En silicatisant la pierre, 1\I. Kuhîmann a rendu à l'art des
constructions un service qui, s'il ne comporte pas une éco-
nomie aussi considérable que celle résultant delà pénétration
des bois, s'adresse à un besoin très-général. Ce qu'occasion-
nent de réparations incessantes les dégradations que su-
bissent les pierres soumises à l'humidité ou au salpètrage
dans nos édifices, est incalculable. Le but que la siiicatisation
atteint est non-seulement de préserver les pierres, journelle-
ment acceptées dansnos constructions; mais encore de rendre
applicable une quantité notable de ces matériaux laissés
dans les carrières comme défectueux à cause de leur trop
grande porosité. L'arrosage et la pénétration sur le las par
Te silicate de potasse adonné, avec des pierres très- tendres et
très-poreuses, les résultats les plus satisfaisants. Cette péné-
tration, qui est plus ou moins profonde suivant la nature de
la pierre, est une modification de l'état physique de la matière
o8S VISITE
qui agit toujours au delà de la surface et qui, par conséquent,
comporte une solidité qu'on n'obtient jamais avec les simples
enduits protecteurs employés jusqu'à ce jour. On a déjà des
expériences certaines et comparatives faites par MM. Violet-Ie-
Duc et Lassus aux contre-forts de Notre-Dame, par M. Duban
à l'hôtel La Trémouille, et au Louvre, etc. Cette application,
d'abord inabordable comme prix, est devenue très-accessible
par des perfectionnements récents de fabrication, et l'on peut
maintenant silicatiser les ravalements des façades à 1 fr. 50 c.
le mètre, voire à 1 fr. pour les grands travaux. Cela n'élève
pas le ravalement de la pierre tendre au prix du même travail
en pierre dure. L'opération de la silicati.-ation est d'ailleurs
très simple : elle consiste en arrosages continués jusqu'à ce
que la pierre refuse de se laisser pénétrer, et quoiqu'elle
change notablement la couleur de la matière après l'emploi,
le ton définitif s'atténue ensuite sensiblement et conserve une
apparence très-agréable. Le salpêtrage ne se produit plus, les
mousses cessent de croître sur ces surfaces devenues lisses,
un peu brillantes et siliceuses. 11 faut regretter que ce résultat
obtenu sur les calcaires ne bénéficie pas encore à nos en-
duits en plâtre, dont l'emploi est si général, si commode, si
économique, mais qui durent si peu quand ils sont soumis à
l'humidité et aux pluies, à l'exposition du Sud.
Arts divers se rattachant à, la construction.
La galerie des machines a conservé le tréteau roulant dont
on s'est servi pour le levage d(; différentes parties de l'édifice
intérieur qui constitue la tiansmission de mouvem.ent à la-
quelle sont attelées les machines exposées. Cet échafaudage
mobile, très-simplement et très-économiquement établi, a
très-bien fonctionné sous des charges qui ont atteint jusqu'à
5000 kd. La charge est facile à manœuvrer et accessible au
travail des manœuvres avant, pendant et après le levage. Les
bois légers et de faible équarrissage, qui composent l'appareil,
sont judicieusement disposés pour travailler utilement dans
toutes les positions de la charge. L'écartement variable des
jambes permet d'aller chercher des points d'appui sur le sol,
là où ils sont disponibles ; cette condition était donnée par la
nécessité de faire le levage au milieu de l'embarras des colis.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 589
(jnatre hommes transportent le tréteau en dirigeant les quatre
loues à galets, qui servent dappui à l'ensemble sur le sol.
Pendant le travail, si la charge est lourde, on rabat sous les
jambes les étais à charnières, qni y sont dij^posés pour soula-
ger les roues et l'on attache les chaînes qui forment entraits
entre les quatre pieds. Cet appareil est dû à M. Nepveu père.
Il n'est qu'une solution particulière dans une circonstance
spéciale; mais il est bien entendu et comporte un nouveau
mode d'emploi des bois de petites dimensions roidis et calés
judicieusement au milieu de leur portée.
Nous retrouvons encore le même exposant dans la galerie
haute de l'Annexe, côté du Cours-la-Reine, pile 17. Ici c'est
un comble qui s'offre à notre vue : le comble des ateliers de
construction de wagons de IMM. Nepveu et Cie, à Clichy.
M. Nepveu a disposé très-ingénieusement sur des points
d'appui espacés en tous sens de 16 mètres, des fermes dia-
gonales formant les soutènements principaux de la toiture, de
manière à réserver dans chaque carré vide du plan, de vastes
jours centraux pris dans le toit Les arbalétriers des fermes
diagonales, qui n'ont pas d'entraits, sont assemblés à blo-
cheis sur les piliers et composés de pièces nombreuses de
faibles équarrissages, comme d'ailleurs les pannes et toutes
les parties du comble. M. Nepveu, défenseur persévérant et
intelligent du bois dont les applications sont aujourd'hui si
énergiquement disputées par le fer, semble avoir cherché à
résoudre d'une autre manière le problème qui préoccupait
vivement Philibert Delorme, quand il trouva la combinaison
de ses combles cintrés, destinés à utiliser les bois de faibles
dimen-ions.
Sur la galerie opposée presque en face, M. Polonceau
expose à nouveau le système de ferme que nous avons vu
appliquer pour la première fois au chemin de fer de la rive
gauche, il y a 18 ans. La combinaison ingénieuse des contre-
fiches, bandées par des cordes en fer qui s'attachent sur la
pièce même qu'elles soulagent, a rendu d'éminents services,
en permettant, d'accroître les portées des fermes, et nous re-
voyons avec satisf.iction ce système si vulgarisé maintenant
et si économique pour les applications du fer ou du bois dans
les combles.
590 VISITE
Fondations.
L'objet le plus saillant à l'Exposition, relativement à l'éta- j
blissement des fondations, a élé apporté par l'Angleterre, il
MM. Sunders et Mitchell font des pieux à vis avec tige pleine ^
ou tige creuse. Cette espèce de pilotis a déjà exercé et exercera ■
une influence très-grande sur nos travaux hydrauliques, en \
facilitant considérablement leur exécution. Au lieu de battre s
des pieux qui entrent difficilement dans le sol ébranlé sou- ,
vent à de grandes distances par l'opération même du battage, !
on fait pénétrer progressivement et sans choc ces engins qui, j
non-seulement se fichent ainsi plus exactement à la place ]
qu'on leur assigne, mais qui prennent une assiette beaucoup ]
plus complète sur l'aile supérieure de l'hélice métallique qu'ils j
comportent. Le pieu à vis peut se voir à l'extrémité de la \
galerie des machines, où il est exposé sous différentes dimen- \
sions. On fonde avec cette ressource très-vite et facilement sur !
des points difficilement accessibles. Les premiers pieux à vis '
ont été employés en 1841 à rétablissement du phare de Map- \
lin à l'entrée de la Tamise. j
On voit le modèle de cette construction au centre de la ;
nef du grand palais. Les pieux avaient 6™, 70 de hauteur et '
l'aile de la vis 1"',20 de diamètre. Le banc sableux sur ,
lequel est appuyée la construction s'en va du côté de la j
mer et l'on s'occupe de reprendre la fondation sans détruire \
l'édifice. De nouveaux pieux seront fichés dans le sol à ;
12 mètres de profondeur de manière à atteindre le terrain j
dur. Chacun d'eux aura 0"',40 de diamètre. Il sera formé de \
trois tôles enroulées formant une épaisseur d'environ 0™,08 et ;
portera 7000 kilogrammes. La seconde application des pieux '
à vis s'est faite au phare de Gunfleet. Depuis lors, l'Angleterre !
a fait un large emploi de ce moyen de fondation ; la France et i
les deux Amériques ont suivi cet exemple; l'art, en un mot, j
s'est emparé de ce progrès. I
Les nombreux travaux entrepris en rivières ou sur les côtes !
par les Anglais, dans ces dernières années, ont fait naître ;
et multiplier des diflBcultés des fondations hydrauliques qu'on ,
ne connaissait pas suffisamment autrefois. La nécessité d'exé- \
cuter promptement et d'achever des ouvrages dont l'im- ;
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 591
portance permettait des sacrifices économiques considérables,
a forcé l'art à trouver des solutions en rapport avec les
difficultés qu'on rencontrait. Les vieilles méthodes devenues
insuffisantes ont été complétées par des moyens nouveaux.
Nous venons de signaler les pieux à vis. Mais à côté de cela
on a tenté et appliqué avec plus ou moins de succès les cais-
sons métalliques, qu'on enfonçait, soit en faisant le vide à
l'intérieur, soit en y comprimant l'air de manière à pouvoir
draguer le sol pour les faire descendre. Cette dernière mé-
thode, qui paraît avoir donné les résultats les plus satisfai-
sants, nécessite des appareils de compression assez difficiles à
établir pour charger et faire descendre les tubes. Jusqu'à
présent ces appareils étaient établis sur points fixes et solides.
MM. G. Nepveu fils et Hermann ont imaginé de substituer au
point d'appui de ces attaches fixes le poids d'une certaine
quantité d'eau, qu'ils puisent au lieu même des travaux et
dont ils chargent la partie de l'appareil à laquelle tiennent les
cloches de compression. Quatre bateaux liés à angles droits
encadrent l'espace sur lequel doit se faire la fondation. L'un
de ces bateaux porte les pompes qui doivent élever l'eau dans
les capacités ménagées pour la recevoir, et d'où elle peut
s'échapper à volonté. Les dispositions sont prises pour enfon-
cer trois caissons en même temps, et pour reporter plus ou
moins de charge sur chacun de ces caissons, suivant que la
résistance du sol s'y trouve plus ou moins grande. Cet appa-
reil paraît réunir toutes les ressources que les recherches de
l'art ont récemment produites. Nous ne croyons pas qu'il ait
encore été appliqué. Mais il aurait dans l'application l'avan-
tage que présentent les caissons et celui d'éviter les gênes qui
se rencontrent dans les maçonneries faites sous l'eau; car à
mesure que le cylindre de fonte descend et que la compression
de l'air fait refluer l'eau, on travaille à sec au fond, pour dra-
guer d'abord, pour maçonner ensuite, aussitôt qu'on est par-
venu à fond. Nous avons saisi l'occasion de cette étude dont
on trouvera les beaux dessins réunis au vestibule central de
l'Annexe, pour parler de cette famille de grands moyens très-
généralisés en Angleterre et dont l'introduction se fait actuel-
lement en France. MM. Fox et Henderson exécutent en ce mo-
ment, d'après un système analogue, les fondations du pont de
Saône qu'on reconstruit à Lyon pour la traversée du chemin
by:2 VISITE
de fer en remplacement de celui qui a été emporté l'année
dernière.
L'art difficile des fondations et des travaux hydrauliques
auquel les cloches à plongeurs ont jadis rendu de grnnds
services, utilise encore ces appareils qu'on mmim scaphaii-
dres, et qui ont été perfectionnés notablement depuis quel-
ques années. C'est encore aux Anglais que nous devons les
plus grandes améliorations apportées à ces habillements im-
perméables , qui permettent à l'homme de descendre au fond
des eaux dans un milieu d'air incessamment renouvelé par
des pompes fonctionnant à la surface. Recouvert et abrité
par ce vêtement, l'ouvrier respire, vit et travaille dans des
conditions analogues à celles qu'il renconlre sur le sol; il
manœuvre à peu près comme il lui convient les outils et les
malériaux dont il doit disposer. Les scaphandres anglais de
MM. Siebe, Heinke et Tylor sont réunis dans la nef du Palais
vers l'extrémité sud-est. Ces appareils sont très-bien disposés
et exécutés avec grand soin. La solidité du tube d'arrivée
d'air, le bon agencement des poids, l'exactitude des assem-
blages du casque, la facilité qu'ils présentent pour leur prompt
dégagement en cas d'accidents qui exigeraient le rapide retour,
à la surface, de l'homme malade ou blessé, tout cela con-
stitue la perfection et l'efficacité de ces appareils pleins
d'intérêt.
Distributions d'eau et de gaz.
Les distributions d'eau et de gaz sont devenues dans nos
villes des travaux de première nécessité qui ont pris une
extension extrême et qui s'exécutent sur une échelle telle-
ment considérable qu'on ne saurait trop en simplifier les
éléments et la main-d'œuvre. Les besoins d'alimentation
croissent tous les jours, les conduites se multiplient sous
les chaussées, à la surface desquelles cependant la circulation
augmente. Les possibilités de pose ou d'entretien diminuent
donc tous les jours. Dans ces conditions, les perfectionne-
ments doivent tendre non-seulement à l'économie, mais aussi
a la facilité et à la promptitude d'installation. Celui qui par-
court les galeries de l'Annexe sous cette préoccupation ren-
contrera trois espèces de produits , qui attireront son alten-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. S93
tion ; les tuyaux Petit, les tuyaux Chameroy et les appareils
Fortin Hermann.
Quand on place une conduite sous terre, à part le déblai et
le remblai, qu'on ne peut supprimer, le travail le plus long
est la façon des joints; c'est celui qu'il est important de sim-
plifier. M. Petit a imaginé un joint, qui a déjà été expéri-
menté dans plusieurs circonstances et qui permet une grande
promptitude d'exécution. Ce joint est formé par un anneau
de caoutchouc, compris entre les extrémités emboîtées des
deux tuyaux voisins. Il existe dans l'emboîtement d'un côté
un repos femelle, de l'autre, une surface de serrage mâle.
Chacune des extrémités porte deux oreilles qui se brident et
se claveltent deux à deux avec les oreilles du bout de tuyau
voisin. Le serrage s'opère très-facilement en profitant du
poids du tuyau. On clavette les brides du haut, le caoutchouc
étant en place. Le joint bâille en bas. On presse sur l'extré-
mité opposée du bout en pose, on serre et l'on clavette les
brides inférieures. Deux ou trois minutes permettent de faire
un joint pareil. Ce joint a de l'avenir. Nous croyons, toutefois,
qu'il importe d'employer du caoutchouc coulé en masse et
non composé de lames enroulées, qui se détacheraient dans
le serrage. L'étanchéité du joint exige aussi que les surfaces
sur lesquelles repose la rondelle soient bien coulées, peut-
être même dres^ées. Enfin, on pourrait trouver que les ser-
rages énergiques seraient plus sûrs si les oreilles avaient plus
de force que celles qu'on trouve dans les modèles de M. Petit.
Les conduits de M. Chameroy sont connus et appréciés
dans la pratique depuis plusieurs années déjà. Leur fabrica-
tion très-économique les rend applicables dans beaucoup de
circonstances où l'on ne pourrait songer à l'emploi d'autres
produits. Une tôle plombée et enroulée, enduite a l'intérieur
de bitume, et à l'extérieur de bitume sablé, deux extrémités
mâle et femelle emboîtées, constituent l'élément unique de
ces conduits. La pose et le transport sont faciles à cause de
la légèreté de chaque bout de tuyau; le joint est étanche, il
exige peu de temps, quoiqu'il soit moins expéditif que celui
de M. Petit. Ces sortes de conduites conviennent à tous les
cas, exce()téaux forte? pressions. L'exposition de M. Chameroy
contient des tuyaux de diamètres considérables (i mètre). Ce
constructeur a modifié depuis quelque temps le mode de jonr-
20G mm
594 VISITE
tioii de ses tuyaux. Les extrémités ne s'assemblent plus à vis,
comme cela se faisait d'abord. Un cône tronqué creux en alliage
fondu vient se placer sur l'un des bouts extrêmes, et reçoit
par emboîtement le tuyau voisin. Cet assemblage est certai-
nement plus expéditif que le premier ; nous doutons qu'il soit
aussi étanche.
Nous avons remarqué le joint de M. Trottier, d'Angers,
joint composé d'un tuyau en caoutchouc sur lequel un galet
interrompt la communication par roulement et aplatissement
de la matière élastique. Il faut attendre ce que l'expérience
dira de cet emploi particulier d'un produit encore nouveau
^ dans ces applications.
M. Fortin Hermann expose une série d'appareils composant
un système nouveau d'écoulement pour les distributions d'eau
dans les villes. Cet ensemble mérite d'être étudié. La disposi-
tion en est bien représentée à la pile 121, A, galerie des ma-
chines. En ce qui concerne les conduites, le joint de M. Her-
mann paraît résoudre la question. Les deux extrémités de la
conduite à réunir sont épanouies, et reçoivent entre elles une
bague creuse dont la .section est un triangle curviligne sur
deux de ses côtés. Trois boulons réunissent les épanouisse-
ments des tuyaux en pressant la bague (de plomb et étain)
et forment ainsi un joint de même espèce que celui du joint
matté, mais dont les surfaces de contact sont beaucoup plus
étendues et plus régulières. — Une borne-fontaine intermit-
tente, une borne de puisage continu pour les habitations et
une bouche sous trottoirs sont disposées de façon à permettre
l'écoulement continu à gueule-bée, quelle que soit la charge
de la conduite. Une cuvette de repos d'eau, placée immédia-
tement avant l'orifice de sortie, permet d'atteindre ce résul-
tat, que la sécurité des passants rend très-intéressant dans
les rues des villes. Ces questions de détails, trop négligées
jusqu'à présent , semblent avoir puissamment préoccupé
M. Hermann, qui nous montre encore une vanne très-étanche
et facile à manœuvrer. Cette vanne, qui fonctionne déjà aux
réservoirs de la galerie des machines, se compose d'un coin
transversal qui ferme ou ouvre la conduite en recevant en
tête l'action directe d'une vis. L'eïanc/ie'îïe s'obtient, parce que,
arrivée au milieu de sa course, la vanne passe sous un galet,
qui, en vertu de l'inclinaison des faces de la pièce de ferme-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. KOr^
ture, la presse de plus en plus contre les plans de jonction
placés du côté de l'eau retenue. La vanne de M. Hermann
est un bon appareil à la mise en mouvement duquel il faudrait
peut-être apporter quelques modifications pour lui faire occu-
per moins de place au-dessus des tuyaux si on voulait en
rendre l'emploi possible dans toutes les conduites de ville.
Travaux publics.
Nous laisserons de côté, dans cette première course rapide,
beaucoup de moyens et de procédés qui s'appliquent aux dé-
tails des constructions, et qui, s'ils présentent chacun un inté-
rêt spécial, manqueraient de lien et jetteraient le trouble dans
le coup d'œil d'appréciation générale que nous entendons
faire ici. Les croisées, les parisiennes et les jalousies, les char-
nières, les fiches et les verrous, les fermetures de boutiques,
les rampes d'escaliers, les mains courantes attireront notre
examen très-sérieux à une seconde visite plus minutieuse.
Nous voulons entrer ici dans l'étude des travaux publics,
dont différentes nations nous donnent des spécimens très-
curieux.
En France, il faut concentrer sur une seule exposition,
celle du ministère des travaux publics, toute l'attention qui
s'attache à cette grande question. Le ministre de l'agriculture,
du commerce et des travaux publics a fait faire, par l'école
des ponts et chaussées, une collection extrêmement remar-
quable, qui présente, dans une suite de modèles aussi bien
exécutés que philosophiquement conçus, les éléments les plus
complets qu'on puisse rencontrer aujourd'hui pour apprécier
la nature, Timporlance et le caractère distinclif des princi-
paux travaux exécutés chez nous depuis vingt-cinq ans, sur-
tout depuis l'établissement des chemins de fer. Barrages en
rivière, écluses, aqueducs, ponts, viaducs, phares, etc., sont re-
présentés là, soit comme types des meilleures solutions trou-
vées par les ingénieurs les plus distingués, soit comme modè-
les des travaux exécutés. M. Poirée père, inspecteur général
des ponts et chaussées, auquel on doit les barrages à aiguilles
dont l'emploi est si utile dans les limites des hauteurs d'eau
qu'on rencontre généralement sur nos rivières pour rendre
navigables les hauts fonds à l'aide de retenues; M. Thénard.
596 VISITE
dont le système à contre-hausses rend si facile le maniement
do la retenue pour les faibles chutes ; M. Chanoine , qui
profite du courant même et des crues pour manœuvrer ses
panneaux, en constituant ainsi des barrages automoteurs,
viennent dignement témoigner des progrès que l'art de l'in-
génieur a faits par leur intermédiaire pour l'amélioration de
nos rivières. C'est à eux et à leurs efforts que sont dus cer-
tainement les résultats si heureux obtenus, et M. Poirée, qui
a tenté le premier cette solution neuve des barrages mobiles,
pratiquée avec tant de persévérance, a mené l'ingénieur fran-
çais sur un terrain oij nous n'avons rien eu à emprunter à
nos voisins et rivaux, qui ont peu fait jusqu'à présent dans
cette voie.
L'écluse de la Monnaie, à Paris, où M. Ch. Poirée a fait
plusieurs tentatives d'utilisation de la tôle et de nouvelles
dispositions pour simplifier et régulariser la manœuvre des
portes, est une tendance qui, si elle n'atteint pas complète-
ment le but cherché, «n raison des difficultés du travail, et
peut-être aussi de la faiblesse des assemblages, dénote, de la
part des ingénieurs des ponts et chaussées, un besoin marqué
de mettre au service de leurs travaux la ressource féconde
des métaux, peut-être trop exclusivement repi-ussée chez eux.
Le grand travail de M. Montricher, qui fait franchira la
Durance une profonde vallée dans un pays où l'on compte
une magnifique production de l'art ancien, est le témoignage
d'une aptitude nouvelle qui semblait n'avoir jamais pénétré
l'esprit des ponls et chaussées, et auquel d faut faTe autant
dhonneur en celte circonstance qu'à l'ingénieuse disposition
de cette œuvre, dont l'exécution a été aussi bien conduite que,
le but bien atteint. L'aspect monumental et bien caractérisé
de l'édifice ne le ce le en rien à l'entente des chantiers, dont
l'organisation est si bien indiquée dans le modèle à un
dixième. 11 y a de 1 art dans cette œuvre, que l'œil peut explo-
rer à la satisfaction complexe de l'esprit et du cœur. On n'y
découvre pas seulement le bon appareil de l'assise, l'écono-
mie de la mise en place, la rectitude de la ligne, la ponctua-
lité de la po-e , la stabilité de l'ensemble; on comprei d et
l'on sent que ce vaste échafaudage de {)ierre porte une utile
cuvette où l'eau coule fraîche et féconde, et l'on se rappelle
qu'une grande cité va recevoir le liquide bienfaisant qui court
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. ol)7
sur le couronnement important de l'édifice. Singulier carac-
tère de ce monument ; l'architecte se marierait-il donc enfin
quelque peu à l'ingénieur?
De jolis modèles de ponts en pierre : le pont de Bercy,
solution toute particulière, bonne construction, bon exemple;
des viaducs dont nous oublions les noms ; des ponts en métal
qui sont par trois fois Texpression d'efforts individuels indé-
pendants du corps des ponts et chaussées, et dont l'école a
libéralement exposé les spécimens, sont remplis d'intérêt ec
soulèvent, en construction, l'examen des questions le plus à
l'ordre du jour. M. E. Flachat, qui tient depuis tant d'années
la tète des chercheurs irifatigables auxquels on doit les pre-
mières solutions des problèmes nouveaux que chaque jour
fait surgir, a été appelé à montrer, dans la collection des
ponts et chaussées, son pont d'Amières, cette œuvre où il lui a
été donné de faire une chose que les poutres de métal permet-
taient seules d'aborder. Le pont d'Asnières est une recon-
struction qui a été faite sur le lieu même d'un pont provi-
soire, où une circulation de plus de cent trains par jour s'est
constamment continuée pendant les travaux. Pas une minute
d'interruption dans ce mouvement, pas un accident ne peu-
vent être signalés pendant l'exécution de cet ouvrage, qui a
duré plus d'une année.
M. E. Martin nous montre dans son pont de Tarascon une
direction d'esprit toute spéciale qui ne manque pas d'intérêt:
employer le métal dans les constructions en le mettant dans
des conditions de stabilité qui le rendent aussi durable, au.^si
monumental que la pierre. Peut-être n'est-ce pas encore le
moment de rechercher ce but, que le prix élevé de la matière
rend difficile, sinon impossible à atieindre. Peut être faut-il
laisser aujourd'hui un autre rôle au fer et à la fonte en les
employant à résoudre des problèmes que la pierre ne permet
pas d aborder, avec son pouls considérable et sa résistance re-
lativement minime. Néanmoins, tout ce qui tend à développer
les applications et à consacrer les propriétés des matériaux est
typique d'un service rendu aux progrès de l'art, et c'est à ce
titre qu'il faut étudier les moyens présentés par M.E. Martin
dans l'assemblage de ses formes et la tournure de son œuvre,
qsii ne manque pas d'un certain aspect de crànerie complète-
ment omis dans d'autres constructions métalliques.
598 VISITE
Le pont d'Arcole, que M. Oudry construit en ce moment à
Paris, est le type de l'audace la plus grande parmi nos der-
nières tentatives industrielles. Le ministère ne l'a pas oublié.
Il y a dans cette œuvre, non exécutée complètement, de quoi
faire désirer des essais qui seront prochains. En vertu de
certaines considérations théoriques qui appartiennent à l'au-
teur, l'arc est réduit à la clef à des dimensions extraordinai-
rement faibles, ce qui a permis de respecter un passage suffi-
sant en hauteur sur le fleuve, en n'élevant pas outre mesure
les abords des quais. Si les résultats définitifs sont satisfai-
sants, il y aura là une solution dont l'intérêt n'a pas échappé
à l'école des ponts et chaussées , puisqu'elle a bien voulu en
faire figurer d'avance les éléments dans sa collection.
Il ne faut pas quitter l'Annexe, où les modèles de tous ces
travaux sont représentés à la pile 17, sans voir le joli modèle
d'une curieuse réunion d'ouvrages d'art, que le canal de la
Marne au Rhin et le chemin de fer de Strasbourg ont accu-
mulés sur un pli delà Meuse, près de Liverdun : tunnel, pont-
canal, trois ponts en dessus du chemin de fer, deux sur ri-
vière, un sur le canal, tout cela se trouve savamment et pit-
toresquement réuni sur une surface de vingt hectares. C'est
le seul spécimen de grand ensemble d'ouvrage que nous
ayons en France. De même nous n'avons qu'un ouvrage mari-
time : le phare de Bréat , édifié dans des conditions très-
difficiles. Cette œuvre est un monument d'art et un modèle
de bonne construction. L'entente de la disposition judicieuse,
le besoin de caractériser par des formes expressives une desti-
nation (Jonnée, senties tendances auxquelles M. l'ingénieur L.
Raynaud n'a pas hésité à se laisser aller, faisant la part de ce
qui est noble et grand à côté de ce qui est nécessaire dans
l'art. C'est un fait grave que nous révèle l'Exposition à l'occa-
sion de ce monument si lointain et si peu abordable à l'ob-
servateur.
Il existe dans le grand palais, à l'extrémité sud-est de la
nef, un ensemble de modèles de travaux d'art anglais qui,
quoique exposés isolément, offrent un intérêt de comparaison
très-grand, quand on en fait l'examen après la collection
française des ponts et chaussées. Ici ce ne sont plus exclusi-
vement, comme tout à l'heure, des ouvrages de détails, re-
marquables par leur étude approfondie et le judicieux agence-
A L'EXPOSlTlOiN UNIVERSELLE. 599
ment des éléments mis en jeu, mais de grandes conceptions
brillantes par l'ensemble et la portée des idées d'où elles pro-
cèdent. Au milieu d'une douzaine de spécimens, il faut dis-
tinguer dans cette catégorie le grand pont tube le Britannia,
dont l'historique est aujourd'hui connu de tout le monde,
mais qui restera comme le monument le plus audacieux que
cette époque ait produit au bénéfice du progrès de l'art du
constructeur. Doubler d'un seul coup l'espace limité par le
possible dans ce que peut tenter l'ingénieur, créer un modèle,
un précédent à la portée de tous pour répondre aux besoins
croissants de notre industrie des transports, tel est le but
atteint à la gloire de M. Stephenson, qui sut concevoir, en
appelant à son aide le contrôle de la science. Aujourd'hui,
grâce à cette construction sur laquelle des convois de chemin
de fer franchissent des vides de 140 mètres et aux nombreuses
expériences auxquelles elle a donné lieu, nous voyons partout
se faire avec sécurité des travaux qui simplifient nos tracés
de chemin de fer, ou qui les rendent accessibles quand autre-
ment ils ne l'eussent pas été. C'est ce précédent qui permet,
par exemple, de faire au Canada, sur le Saint-Laurent, un
pont de 2744 mètres de long, sur lequel le chemin de fer de
Québec atteint jusqu'à Montréal (voir ce modèle, Annexe, expo-
sition du Canada, pile 'r2). L'influence du pont de M. Stephen-
son est et sera immense sur nos constructions , et quelque
intérêt qu'il présente, c'est bien moins par l'intelligence
et le mérite extrême qui ont présidé aux moyens adoptés que
par le but atteint qu'il faut juger de l'importance de cet
ouvrage.
Voilà un premier point caractéristique des travaux publics
en Angleterre. Prenons deux autres exemples, entre tous,
pour compléter notre jugement et rendre à nos voisins la
justice qu'ils méritent par leur grande initiative. Le port de
Grimsby, exécuté, en quelques années, à l'embouchure de
l'Humber pour éviter aux navires l'entrée de la rivière jusqu'à
Hull , est un ensemble de travaux des plus remarquables.
Cette installation presque instantanée d'un port à côté d'un
autre, que l'habitude du commerce n'a pas encore abandonné,
mais qui le sera assurément sous peu, cette substitution
opérée uniquement par l'art pour amoindrir les difficultés
des transports dans une contrée où les besoins d'exportation
600 VISITE
et d'importation sont excessifs, est un témoignage de puis-
sance de conception et d'exécution sur laquelle il n'est pas
permis de ne pas porter l'attention. M. Rendel, à qui l'on doit
ce travail, s'est fait, en cette circonstance, autant d'honneur
par un succès atteint dans une entreprise audacieuse, que par
les résultats économiques que son œuvre ménage à tout son
pays. D'ailleurs, vue de moins haut, cette question de l'éta-
blissement du port de Grimsby comporte une suite de tra-
vaux difficiles, intéressants et tous exécutés sans nuire à l'en-
semble d'un plan très-bien conçu. Aujourd'hui les chemins
de fer de Manchester , Sheffield et Lincolnshire prennent ou
apportent la marchandise dans de vastes et magnifiques
magasins qu'ils entourent de leurs voies nombreuses et que de
larges bassins desservent. L'entrée du port est bien ménagée
dans la grande jetée qui a été construite pour limiter le bas-
sin. Une tour de 90 mètres de hauteur distribue partout l'eau
et la charge nécessaire pour suffire à la manutention des
marchandises sur tous les points de rétablissement.
A quelque distance, en remontant aussi sur la même rive
droite de l'Humber, la même compagnie des chemins de fer
cités plus haut a confié à M. l'ingénieur John Fowler l'exécu-
tion d'un por"; moins important, mais plus spécial, et qui
complète l'ensemble des facilités offertes maintenant sjx
transports dans ce coin de l'Angleterre. Ici il ne s'agissait
plus du service des grands arrivages, mais du mouvement
des voyageurs et des marchandises circulant dans l'intérieur
et passant de New-Holland, où les amène un embranchement
de la compagnie, de l'autre côté de la rivière pour joindre
Beverlay, York, etc. A cet effet, tout un établissement de
magasins et une gare de voyageurs se groupent à la tète
d'une jetée qui communique avec un long ponton de char-
gement et de déchargement par un plan incliné mobile sui-
vant les nécessités des marées. Wagons de voyageurs et mar-
chandises descendent de la jetée sur le ponton, d'où les
bateaux de transports les prennent pour les engager sur les
voies de fer de l'autre rive. Ce travail est en quelque sorte la
dépendance de celui de Grimsby, quoiqu'il émane d'un autre
ingénieur.
M. John Murray a créé et presque achevé aujourd'hui à
l'embouchure de la Wear un port nouveau, en acquérant sur
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 601
la mer un espace de plus de 500 000 m. q. Des digues d'en-
ceinte ont été faites très -économiquement en utilisant les
déblais du port lui-même et à l'aide d'éperons en maçonne-
rie, élevés d'abord du côté de la mer. Une entrée nouvelle
est aujourd'hui presque terminée. Des écluses nombreuses
qui maintiennent le niveau du canal; des élévateurs de char-
gement et de déchargement qui communiquent avec les voies
de fer aboutissent autour du bassin ; le transport d'un ancien
phare de 20 mètres de hauteur qu'on a dû amener de toute
pièce d'une distance de plus de 100 mètres pour le placer
au point extrême de la nouvelle conquête faite sur les eaux^,
sont autant de difficultés surmontées avec habileté dans ce
grand travail.
Ces trois ouvrages maritimes, dont les modèles sont expo-
sés à côté de bien d'autres, nous ont paru caractériser l'état
des travaux d'intérêt public en Angleterre, l'importance qu'ils
ont prise, la large place qu'ils tiennent dans la traduction
immédiate que le pays sait faire des besoins de tous en y ré-
pondant par de larges conceptions , toujours éditées à temps
et dans la mesure qui convient à la durée des services qu'on
attend d'eux. Nous y découvrons le caractère d'actualité que
l'économiste doit rechercher avant tout. C'est le point sail-
lant qui distingue l'œuvre confiée aux ingénieurs anglais, l'i-
nitiative qui leur est laissée, le stimulant qui les fait marcher
de l'avant. C'est prut-être aussi ce'qui donne souvent à leurs
ouvrages ra>pect de dé-ordre contre lequel nous réagissons en
France, nous qui, moins engagés dans les questions neuves,
restons attelés à la recherche des solutions parfaites dans
les anciens problèmes. Il y a assurément beaucoup de philo-
sophie à faire sur l'art de l'ingénieur devant les groupes de
travaux exposés en France et en Angleterre; mais il fdut en
revenir toujours à celte appréciation que nos voisins nous
préparent les questions, et que nous les approfondissons après
qu'ils nous ont apporté les résultats de leurs expériences. Nos
etforts se traduisent, il est vrai, en œuvres plus monumenta-
les, plus durables, mais plus attardées. Aussi sommes-nous
moins pourvus d'édifices utiles, quoique plus riches en mo-
numents.
Pour apprécier d'une manière générale, les progrès qui se
sont faits partout dans l'art des constructions, nous aurions
«02 VISITE
besoin de parler des autres nations. L'Allemagne ne devrait
pas être oubliée; l'Allemagne silencieuse, qui a tant produit
depuis dix ans en grands travaux publics, en chemins de fer :
surtout. Malheureusement les nations du centre de l'Europe
ne nous ont rien envoyé comme spécimens de leurs grands
ouvrages et nous devons encore nous reporter au nord de
l'Amérique, à cette ancienne contrée française qui n'est plus
à nous depuis la fin du dernier siècle, pour constater les
résultats heureux des efforts étrangers. Le Canada travaille
partout et en tout. Il ne se contente pas d'exploiter des forêts;
il se couvre de voies de communication , voies d'eau et voies
de terre. Il a rendu navigable sur toute sa longueur de six
cents lieues, le fleuve qui arrose tout son territoire. De Québec
au lac Supérieur, des travaux considérables ont été faits pour
franchir le saut de Sa iiit- Louis, les rapides de Montréal, le
lac Ontario, le lac Erié^ la chute du Niagara et le saut Saiîite-
Marie. Des portions de canaux latéraux ont été exécutées,
avec des écluses importantes où l'on a ménagé des vannages
spéciaux composés de ventelles très-étendues pour desservir
une navigation très-active en débitant promptement le con-
tenu des sas et évitant ainsi le long séjour des bateaux dans
chacune de ces nombreuses écluses. On voit à l'Annexe des
modèles variés des portes d'écluses employées au Canada.
Les chemins de fer s'établissent rapidement dans cette con-
trée restée toute française de cœur, et le pont de Saint-Lau-
rent, dont nous avons parlé déjà, donne par son importance
l'idée de ce que va devenir cette industrie dans ce pays tra-
vailleur.
La pensée concluante qui doit assaillir l'esprit après l'ex-
ploration que nous venons de faire dans les différentes par-
ties de l'Exposition auxquelles notre art s'intéresse est une
certitude de progrès très-marquée partout et pour tout. Les
matériaux premiers de la construction sont recherchés et ex-
ploités dans les contrées les plus lointaines, ils viennent se
montrer et s'offrir à nos besoins; la pierre, le bois, les
métaux se disputent l'emploi qu'on peut en faire dans
chaque application. Il n'est permis d'être nulle part le défen-
seur absolu de telle ou telle matière à l'exclusion des autres.
Toutes se présentent également à nos besoins : le constructeur
doit savoir choisir désormais, uniquement au point de vue du
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. (503
but qu'il veut atteindre. C'est la meilleure condition de l'art ;
c'est celle qui ouvre la porte aux conceptions vraiment
grandes et élevées ; c'est celle que nous conquerrons de plus
en plus chaque jour. Tout nous le dit au Palais de l'Indus-
trie, où la France s'est particulièrement inscrite par quelques
résultats qui lui appartiennent à elle seule. Chez nous seule-
ment le fer à T est devenu élément de construction courante.
Chez nous seulement des procédés industriels certains permet-
tent de conserver les bois et de garantir la pierre. Les Anglais
nous ont apporté des moyens de fondation nouveaux, qui ont la
plus grande influence sur leurs travaux, qui en auront une
très-notai3le sur les nôtres. Ils ont entrepris, sur l'échelle la
plus large, des conquêtes immenses qu'ils exécutent avec une
rapidité sans pareille. Sans abandonner cette voie où nous
sommes précédés, nous inscrivons, sur tous nos édifices, le
cachet du monument, restant ainsi fidèles à l'art qui naquit
chez nous au milieu des conquêtes morales des cinq derniers
siècles. Enfin pour clore ce résumé, pensons en sortant à tout
ce que tentent ces jeunes et lointaines nations à la tête des-
quelles nous avons dû plusieurs fois placer, à plus d'un titre,
le Canada.
CLASSE XV.
Industrie des aciers bruts et ouvrés.
L'acier est une combinaison du fer avec 1 à 3 pour 4 00 de
charbon; il contient, en outre, quelques traces d'autres mé-
taux, tels que le manganèse, l'aluminium, etc. Il est impos-
sible d'assigner une époque à sa découverte , mais on sait que
son usage remonte aux temps les plus reculés.
La propriété caractéristique de l'acier est de pouvoir être
trempé, c'est-à-dire d'acquérir une grande dureté si, après
l'avoir chauffé au rouge, on le refroidit brusquement.
Cette dureté , produite par la trempe , est d'autant plus
G04 VISITE
grande que l'acier contient plus de cliarbon , qu'il est plus
homogène et qu'il est refroidi plus rapidement.
Si on porte au rouge l'acier trempé et qu'on le laisse re-
froidir lentement , il perd sa dureté et revient à son premier
état.
La dureté n'est pas le seul résultat que l'on obtienne par la
trempe; lorsqu'elle n'est pas trop forte, elle augmente aussi
considérablement l'élasticité de l'acier : on tire un grand parti
de celte propriété dans la fabrication des ressorts, qui doivent
être éminemment élastiques.
L'acier a une densité un peu supérieure à celle du fer; il
est plus dur que lui; sa ténacité est supérieure d'un tiers en-
viron.
On comprend aisément qu'un métal qui a ces avantages sur
le fer, dont l'emploi est si répandu , doit avoir lui-même des
applications nombreuses.
On classe, dans l'industrie, l'acier en trois groupes dis-
tincts ;
Les aciers naturels , les aciers de cémentation , les aciers
fondus.
Nous allons passer rapidement en revue les procédés de
fabrication employés pour chacune de ces espèces d'acier.
Les aciers naturels s'obtiennent soit directement au moyen
de certains minerais , soit en faisant subir à la fonte une dé-
carburation partielle.
On l'obtient directement dans les foyers catalans en laissant
en contact le minerai réduit avec le charbon incandescent; il
se fait alors une combinaison du charbon avec le fer. L'acier
que l'on produit ainsi manque d'homogénéité; on ne le pro-
duit qu'en très-petite quantité a la fois et presque acciden-
tellement; il jouit de la propriété de se souder facilement au
fer sans perdre de ses qualités, aussi est-il généralement em-
ployé de cette manière. On le soude au fer peur fabriquer des
instruments d'agriculture très-grossiers , pour faire des tran-
chants, des pointes, etc. Du reste, on proiiuit fort peu de cette
espèce d'acier.
On emploie plusieurs procédés pour décarburer la fonte et
l'amener à l'état d'acier; mais le principe consiste toujours à
la mettre en fusion et à la laisser en contact avec des scories
qui ont une action oxydante et lui enlèvent une partie de son
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 605
charbon. Quand la fonte est passée à l'état d'acier, de liquide
qu'elle était elle se transforn:ie en une masse spongieuse as-
sez consistante pour être martelée et amenée à une fornne de
prisme; ce prisme est divisé ensuite et les morceaux sont
étirés en barres par l'action du marteau.
La fabrication de l'acier par la décarburation de la fonte
est très-répandue en France, dans les Vosges et le Dauphiné.
En Allemagne, en Styrie, en Carinihie et à Sigen, la décar-
buration se fait dans de petits foyers à parois en fonte; on
emploie des fontes blanches très-pures , provenant de mine-
rais spaihiqups, traités au charbon de bois; on opère sur
120 à 130 kilogrammes à la fois.
Dans le Tyrol et dans les Vosges on fait subir à la fonte ,
3vant de la décarburer, une fusion appelée mazéage ; elle est
ensuite soumise au traitement que nous venons d'indiquer;
on opère encore sur 120 à 130 kilogrammes de fonte à la
fois.
La méthode suivie dans le Dauphiné diffère de celles que
nous venons de citer, en ce que l'on traite une plus grande
quantité de fonte à la fois (1200 kilogrammes), et que la décar-
buration s'opère dans un foyer brasqué, c'est-à-dire que les
parois sont recouvertes de poussier de charbon de bois for-
tement tassé. Cette méthode porte le nom de méthode de
Rive; à l'usine d'Allevard, qui produit beaucoup d'acier na-
turel par ce procédé, on emploie des fontes grises ou truitées,
fabriquées à l'air froid avec des minerais spathiques et du
charbon de bois.
Le caractère de cet acier est encore de manquer d'homo-
généité et de se souder sans trop se décarburer , aussi est-il
soumis à un raffinage qui consiste à casser les barres après
qu'on les a préalablement trempées, à en faire des paquets
que l'on chauffe au blanc soudant , et qu'on étire ensuite au
marteau pour les amener à l'état de barres; cette opération
est répétée deux ou trois fois, selon le degré de carburation
de l'acier et l'homogénéité que l'on veut obtenir. Le combus-
tible employé pour la décarburation de la fonte est toujours
du charbon de bois; pour le raffinage, on emploie ordinaire-
ment la houille.
La fabrication de l'acier puddlé est le fait capital de l'expo-
sition métallurgique : elle est assez peu connue encore pour
606 VISITE
qu'on nous sache gré d'entrer dans quelques détails histo-
riques.
Les premières tentatives pour le puddlage de l'acier ont été
faites en Prusie, par M. Stengel, directeur des forges royales de
Lohe, près Siegen, en 1838. Ces premiers essais, continués
par M. Stengel jusqu'à sa mort, n'ont pas eu de succès immé-
diat, mais ils ont ouvert la voie à ceux qui sont venus après
lui.
Les grandes difficultés éprouvées par M. Stengel avaient
différentes causes : la forme du four à puddler, l'emploi du
ventilateur, et la nature même des fontes aciéreuses ou lamel-
leuses qu'il employait. La qualité des produits manquait tout
à fait de régularité. Quelques charges donnaient de l'acier de
très-bonne qualité; dans d'autres on n'obtenait que du fer de
qualité supérieure.
MM. Boing, Rohr et Cie, à Limbourg-sur-Lenne, réussirent
dès 1847 à puddler de l'acier en grand, et de qualité assez
bonne pour être employée par les fabricants d'outils de Rem-
scheid et de Solingen , et à un prix tellement bas que les
aciers bruts fabriqués au charbon de bois ne pouvaient plus
soutenir la concurrence, et se voyaient dans la nécessité d'a-
bandonner leur procédé pour suivre l'exemple de cette maison.
C'est de cette époque que date le puddlage de l'acier qui est.
répandu dans un certain nombre d'établis^ements du pays de
Siegen et des contrées environnantes.
Pour parvenir à ce puddlage, quelques établissements em-
ploient les fontes aciéreuses proprement dites, auxquelles on
mélange des fontes fruitées provenant des mêmes minerais.
On obtient alors des aciers de qualité supérieure, qui , étani
corroyés, se vendent aux fabriques de Remscheid ou bien aux
fabricants d'acier fondu, tels que M. Krupp, dont l'exposition
est si remarquable, M. Lohmann et autres.
Dans d'autres établissements on emploie, en majeure par-
tie, des fontes à meilleur marché, mais toujours mélangées aux
fontes aciéreuses. On obtient, suivant les proportions de ces
mélanges, des aciers appropriés aux usages auxquels on les
destine, tels que bandages de roues pour les locomotives et
les wagons. Ces aciers, il faut bien en convenir, sont de qua-
lité inférieure, mais leurs prix dépassent peu ou pas celui
du fer.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 607
La principale différence entre les fours à puddler l'acier et
ceux à puddler le fer consiste dans un abaissement de la
voûte qui produit une chaleur plus forte et plus régulière.
Le travail de ce puddlage est pénible. 11 faut remuer sans
cesse, surtout quand il y a un commencement de bouillonne-
ment qui indique que le carbone commence à s'oxyder, car
la grande difficulté de l'opération est de ne pas enlever à la
matière tout le carbone qui lui est combiné. On tient le métal
soigneusement recouvert de scories des anciennes forges d'a-
cier; on y ajoute, vers la fin, des scories très-fusibles, mélange
d'argile, de manganèse et de sel. On obtient ainsi avec des
fontes de qualités régulières, des qualités d'acier bien égales.
Lors de l'allumage du feu et tant que la température n'en a
pas atteint le degré convenable , on fait quelquescharges en fer.
Vers '1 844 , on commença à Seraing (Belgique) , dans l'éta-
blissement John Cockerill et Cie, des essais dans le même but.
Mais là se trouvait une difficulté réputée insurmontable. Outre
qu'il fallait, comme en Prusse, arriver aux procédés, au tour
de main du puddlage, on n'avait pas à sa disposition les mine-
rais aciéreux pour les employer, sinon en totalité, du moins
en mélange. Il fallait y parvenir avecdes minerais quelconques,
et c'est ce grand problème qui paraît résolu dans l'établisse-
ment de Seraing, par MM. Pastor et Coste, depuis quatre à
cinq ans.
Les minerais argileux exposés comme types sont ceux que
l'on emploie. L'exposition de Seraing n'a point de luxe; elle
offre simplement les matières premières employées dans la
fabrication, et la série des divers états par lesquels a passé la
matière jusqu'à sa transformation en acier fondu. Quelques
limes, placées là simplement comme types de qualité, com-
plètent cet envoi.
Seraing vient de doubler ses moyens de fabrication afin de
pouvoir vendre ses produits à l'état d'acier. Jusqu'alors tout
était employé dans l'usine, même pour les innombrables outils
et pour les machines qu'elle produit journellement. L'acier
puddlé y vaut 35 centimes le kilogramme et l'acier fondu
de 60 à 70 centimes.
Une locomotive construite pour le chemin de fer du Nord
et qui figure à l'Exposition, construite à Seraing, est en grande
partie en acier de Seraing seulement.
COa VISITE
L'établissement de MM. Schneider et Cie, au Creuzot, pa-
raît entrer dans la même voie que Seraing. Mais nous man-
quons de renseignements et sur l'importance de leur fabrica-
tion actuelle et sur la nature des minerais qui y sont employés.
Que l'invention parte de Prusse, de Belgique et de France,
et l'on peut très-bien admettre qu'elle appartienne à chacun en
particulier, vu le mystère dont on avait enveloppé les moyens
de fabrication jusqu'à ce jour, il nVn est pas moins positif
que l'acier produit avec un minerai quelconque semble devoir
annoncer une révolution complète dans cette industrie, et faire
substituer l'acier aux fers dans ungrand nombre d'applications.
Les aciers de cémentation s'obtiennent en carburant le fer ;
l'opération se fait de la manière suivante : on place des barres
de fer plat dans des caisses en briques réfraclaires avec un
dixième en volume de poussier de charbon de bois; on ferme
cette caisse hermétiquement; on la chauffe ensuite au rouge,
et l'on maintient cette température pendant huit jours. Le fer,
au bout de ce temps, s'est combiné avec le charbon, dans
toute son épaisseur.
L'acier ainsi obtenu ne peut être employé au sortir de cette
caisse; il n'est pas homogène; il présente une surface couverte
d'ampoules qui lui ont fait donner le nom d'acier poule, il
doit être soumis au moins à un martelage. Ordinairement, on
lui fait subir un ou deux raffinages ; il porte alors le nom d'a-
cier à un ou deux éperons.
Le fer employé en Angleterre pour la cémentation est pres-
que exclusivement du fer de Suède. En Allemagne, on cé-
mente les fers de Slyrie, de Carinthie et des bords du Rhin.
En France, on emploie des fers de Suède, et, le plus souvent,
des fers de l'Ariéi^e.
L'acier fondu s'obtient en fondant les aciers naturels ou de
cémentation, ou un mélange des deux. Cette opération, en
rendant l'acier plus homogène, lui donne des qualités de
beaucoup supérieures.
Pour fondre l'acier, on casse, en morceaux, les'barres d'acier
cémenté; on les met ensuite dans un creuset en terre réfrac-
taire qui peut en contenir de 15 à ^20 kilogrammes. On place
ensuite ce creuset dans un four que l'on remplit de coke; le
tirage se fait au moyen d'une cheminée; au bout de trois à
quatre heures l'acier est en fusion. On enlève alors le creuset
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 609
du four, et on coule l'acier dans un moule en fonte appelé lin-
gotine, dont la section tranversale est octogonale.
Dans ces derniers temps, on a substitué, à Saint-Étienne,
l'emploi de la houille à celui du coke pour fondre l'acier; on
est parvenu à réduire ainsi le temps de la fusion de près de
moitié, en réalisant une grande économie sur le combustible.
L'acier fondu n'acquiert ses qualités qu'après avoir été
soumis à un martelage très-énergique ; pour cela, les lingots
sont portés à la température rouge et soumis à l'action du
marteau, puis réchauffés et étirés en barres. Cette dernière
opération se fait aussi au laminoir.
Nous allons maintenant passer en revue les applications
principales de l'acier; l'Exposition nous en présente de très-
intéressantes et que l'industrie réclame impérieusement depuis
quelques temps.
Nous parlerons d'abord des bandages pour machines, loco-
motives et wagons. Plus'eurs spécimens sont exposés par
MM. Frédéric Krupp, Jackson et l'usine d'Ailevard; ceux de
MM. Knipp et Jack-on sont en acier fondu, ceux de l'usine
d'Ailevard en acier naturel.
Le procédé de fabrication de M. Krupp nous paraît extrê-
mement rationnel et du plus haut intérêt, car il donne de ma-
gnifiques pnjduits; nous en dirons quelques mo s :
On commence par fondre un lingot d'un poids suffisant
pour en tii er le bandage ; pour cela on verse dans un moule,
sans interruption, le contenu d un certain nombre de creusets
(et la fabiication de M. Krupp est assez considérable pour
produire ainsi, lorsqu'il e.^t nécessaire, un lingot du poids de
12000 kilo.^rammesj. Le lingot a environ un tiers de la lon-
gueur du bandage ; on perce près des extrémités du lingot deux
trous à froid que l'on réunit par une fente dans toute la lon-
gueur du lingot; on le porte ensuite au rouge; on ouvre la
fente, et quand la pièce a une forme à peu près circulaire, on
la réchauffe et on la soumet à l'action du laminoir, qui lui
donne le profil et qui l'amène exactement au diamètre que le
bandage doit avoir définitivement, de telle sorte qu'il pourrait
être immédiatement placé sur la roue.
Ces bandages subissent donc, dans leur fabrication, un éti-
rage très-énergique qui leur donne une grande ténacité.
Les arbres, les essieux, les laminoirs s'obtiennent en fon-
206 rtn
(310 VISITE
dant d"abord un lingot d'un poids supérieur à celui de la
pièce que l'on veut fabriquer, en le martelant énergiquement,
carré d'abord, puis rond, de manière à le rendre très-homo-
gène. Des spécimens exposés par M. Krupp prouvent que
l'acier qu'il emploie pour cette dernière application est très-
doux et prend àla trempe une très-grande dureté. Les tables
de ses cylindres qui sont trempées ne peuvent être entamées
par la lime, tandis que les tourillons qui ne le sont pas se
liment très-facilement.
Une application des plus remarquables de l'acier fondu est
celle qui a été faite aux canons et aux mortiers; on com-
prend, en effet, ce qu'il y aurait d'intéressant à substituer
aux canons actuels des canons plus résistants, moins lourds
de moitié et d'un prix moins élevé. MM. Krupp, ont exposé
un spécimen de ces canons.
Le procédé de fabrication employé par M. Krupp consiste
toujours à couler un lingot que l'on martèle pour donner de
l'homogénéité et de la ténacité à la matière ; puis, quand il a
à peu près la forme extérieure du canon, on le fore à froid et
on le tourne comme on le fait ordinairement pour les canons
en bronze. Pour que l'acier soit suffisamment martelé, il faut
dans cette fabrication se servir de marteaux extrêmement
lourds.
Les aciers de M. Krupp présentent un grain très-fin et
très-blanc; ils sont d'une grande malléabilité et très-tenaces;
nous citerons comme exemple un copeau de 60 mètres de
longueur enlevé au tour sur un cylindre; une cuirasse com-
plètement aplatie sans qu'une gerce se soit produite, et qui
a résisté, malgré sa légèreté , à trois balles qui l'ont frappée
au même endroit.
M. Jacob Holtzer, de Firmini (Loire), a aussi exposé des
aciers très-malléables et se travaillant facilement à la lime ;
il les obtient en fondant ensemble de l'acier de cémentation,
fabriqué avec des fers de Suède et de l'Ariége par la méthode
ordinaire, et des aciers naturels; la proportion des deux
espèces d'acier donne un acier fondu plus ou moins doux,
et qui jouit de la propriété de se souder facilement.
L'une des industries qui emploie le plus d'acier fondu,
depuis le développement considérable qu'ont pris les chemins
de fer, est celle des ressorts. Nous en dirons quelques mots.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. OH
Le but d'un ressort est d'empêcher, par son élasticité, qu'un
choc produit sur une partie d'un véhicule ou d'un appareil
quelconque, soit transmis brusquement à l'ensemble. L'élasti-
cité des ressorts s'obtient par des formes spéciales et surtout
par la trempe des lames dont ils se composent; leur fabrica-
tion comporte toujours à peu près la série d'opérations sui-
vante ;
Les feuilles d'acier que l'on emploie sont d'ordinaire en
acier laminé ; on commence par les débiter à la longueur des
lames composant le ressort, puis on perce un trou au milieu
de la barre, dans lequel doit passer un boulon qui relie toutes
les feuilles. Pour amincir l'extrémité des feuilles, on les
chautîe dans un four spécial, et quand elles sont portées au
rouge, on les engage dans deux cylindres de laminoirdontl'un
est excentré, de manière que la distance entre les deux cylin-
dres varie dans une révolution, de sorte que les feuilles intro-
duites avec facilité d'abord se trouvent comprimées; une frac-
tion de tour suffit à terminer cette opération. Les feuilles
amincies sont ensuite coupées rigoureusement à la longueur
qu'elles doivent conserver.
Quelquefois l'amincissement des feuilles se fait en usant
la lame sur une meule, mais alors on reporte cette opération
plus tard quand les feuilles sont cintrées et trempées.
On fait ensuite, avec une machine spéciale, une saillie et
une fente à l'extrémité de chaque feuille ; elles sont disposées
de telle sorte que les saillies d'une feuille entrent dans les
fentes pratiquées aux extrémités de la feuille inférieure.
Les feuilles sont ensuite chauffées dans un four à réverbère;
quand elles sont rouges, on les passe dans un appareil qui
leur donne la courbure qu'elles doivent avoir , puis on les
plonge, encore rouges, dans l'eau. Elles sont alors trempées;
leur surface présente un aspect gris. Dans cet état la trempe
est trop forte, l'acier est cassant. Pour lui rendre sa malléa-
bilité, on lui fait subir une opération appelée recuit: elle con-
siste à exposer chaque lame dans un four particulier, jusqu'à
ce que la température s'élève, au point cle changer sa cou-
leur, qui d'abord était blanchâtre, en une couleur comprise
entre le blanc et le violet. Lorsque l'on a atteint cette cou-
leur, on plonge la lame dans l'eau froide, et elle se trouve
convenablement trempée. Les couleurs que l'on obtient par le
612 VISITE
recuit se succèdent dans l'ordre suivant : le fauve, le pour-
pre, le violet et le bleu ; chaque couleur pour une même qua-
lité d'acier correspond à un degré de dureté déterminée.
Les lames ainsi trempées sont blanchies sur de grandes
meules à aiguiser, marchant à une très-grande vitesse; toutes
celles entrant dans la composition du ressort sont réunies, et
le ressort est essayé ; quand sa flexibilité est reconnue satis-
faisante, il est livré au commerce.
L'industrie des ressorts est représentée à l'Exposition par
les produits de M. Jackson, Krupp, l'usine d'AUevard et quel-
ques usines d'Allemagne. Les aciers employés pour les res-
sorts de carosserie sont des aciers naturels ou de cémenta-
tion ; l'acier fondu n'est employé que pour les ressorts des
véhicules de chemins de fer.
Tôles en acier fondu.
Les principales applications de ces tôles que nous voyons
à l'Exposition, consistent en une chaudière à vapeur ordinaire
exposée par MM. Petin et Gaudet, et diverses pièces de chau-
dronnerie d'un travail remarquable.
La fabrication des tôles d'acier fondu est très-simple; on
commence par couler dans une lingotière une plaque de 4 à
5 centimètres d'épaisseur. Elle est ensuite laminée à l'épais-
seur voulue, en la réchauffant quand elle présente une trop
grande résistance au laminage. Le laminage se fait du reste
très-facilement, l'acier fondu étant très-maUéable.
Les avantages que présente l'emploi de la tôle en acier
fondu sur la tôle ordinaire ne sont pas encore établis par
l'expérience ; mais on ne peut douter que la réduction de
poids considérable qu'elle permet à sécurité égale, ne tende
à généraliser son usage, pour les chaudières de bateaux,
locomotives, etc. En la soumettant à des recuits assez fré-
quents, elle peut d'ailleurs être emboutie avec la plus grande
facilité.
La fabrication des faux est extrêmement répandue en Eu-
rope; elle comprend un très-grand nombre d'opérations de
forge qui se font presque toutes avec de petits martinets
battant un très- grand nombre de coups, sauf le dressage pour
lequel on fait usage de marteaux à main.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. (513
Pour tremper les faux, on les plonge dans un bain de corps
gras, composé d'huile, de suif, etc. Cette trempe, quoique
douce, est cependant trop forte ; pour l'amener à un état con-
venable, on soumet la faux à un recuit dans un bain de sable
chauffé. On juge à la couleur que prend la faux qunnd il est
suffisant. Elle est alors dressée délinitivement et recouverte
quelquefois d'un enduit composé de caoutchouc dissous dans
l'alcool, qui la préserve de l'oxydation.
On distin2;ue les faux en deux groupes principaux : celles
qui sont entièrement en acier d'une seule pièce, et qui com-
prennent les faux allemandes et françaises, et les faux com-
posées d'une lame d'acier attachée sur une monture en fer.
Les faux allemandes sont généralement en acier naturel;
elles sont malléables, et les agriculteurs se servent de celle
propriété pour en refaire le taillant à froid par un martelage,
quand il est trop émoussé pour que l'action d'une pierre à
aiguiser soit suffisante. Elles sont fabriquées en Styrie, Garin-
thie, dans le duché de Berg, etc.
Les faux française-^ représentées à l'Exposition par celles
de MM. Jackson et Talabot, Abatte, Dorian Holtzer sont en
acier fondu très-doux ; le tranchant peut se faire par un mar-
telage.
Les faux composées d'une lame d'acier avec monture en fer
sont de provenance anglaise; l'acier des lames est peu mal-
léable ; le tranchant se fait exclusivement par l'aiguisage.
Nous signalons celles de MM. Sorby, Butterly, Hobson et Cie
comme les plus remarquables en ce genre.
L'application la plus ancienne de l'acier est certainement
celle qui a été faite aux objets tranchants pour l'usage domes-
tique et pour les outils destinés à l'agriculture, au travail du
bois, des métaux, etc., etc.
Ces objets comprennent la coutellerie et la taillanderie;
parmi les outils propres au travail des métaux , nous distin-
guons plus particulièrement les limes.
La coutellerie, les scies, les faux, etc., etc., dans lesquelles
la légèreté est une qualité essentielle, sont entièrement en
acier; l'augmentation de main-d'œuvre, qui résulterait de
l'emploi combiné du fer et de l'acier , serait , dans presque
tous les cas , supérieure à l'économie que l'on pourrait réali-
ser sur le pri.x du métal. Ce système donnerait , d'ailleurs .,
614 VISITE
pour la coutellerie line de moins beaux poiis, l'acier poli ayant
beaucoup plus d'éclat que le fer.
Pour les objets de taillanderie, au contraire, qui doivent
avoir un certain poids nécessaire pour utiliser leur qualilé
tranchante , et qui doivent pouvoir être fabriqués à bas prix ,
on emploie l'acier exclusivement pour les tranchants, etc. ; le
reste de l'outil est en fer.
Les limes sont toujours entièrement en acier , qu'on utilise
comme acier brut quand les limes sont hors de service.
La coutellerie et les objets d'acier en général présentent
dans leur fabrication la même série d'opérations qui sont tou-
jours :
Un forgeage suivi d'un travail à la lime ; la trempe presque
toujours suivie d'un recuit et d'un redressage ; puis, pour les
objets tranchants, l'émoulage et l'aiguisage , et enfin le polis-
sage quand les pièces doivent avoir de l'éclat.
Nous dirons quelques mots de ces diverses industries, et
nous signalerons en passant les produits exposés qui ont le
plus frappé notre attention.
Les scies se fabriquent généralement avec de l'acier fondu,
laminé d'abord à chaud, puis à froid quand la bande d'acier
est arrivée à la largeur voulue.
Elles sont trempées de la même manière que les faux ; on
leur fait ensuite éprouver un recuit et un dressage entre deux
plaques de fonte ou de fer chauffées jusqu'à ce que leur cou-
leur arrive au jaune ou au bleu, suivant la qualité de l'acier
Les lames passent alors au polissage, puis on enlève les
dents à l'emporte-pièce. Pour le polissage on emploie un lapi-
daire à l'émeri. Les scies les plus remarquables sont celles
exposées par MM. Spear Jackson, Goldenberg, Couteaux, etc.
La fabrication des outils pour le travail du bois, l'agricul- j
ture, etc., etc., désignée sous le nom de taillanderie, con- {
somme aussi une grande quantité d'acier. L'acier, dans ces i
outils, est presque toujours allié au fer; il forme exclusive-
ment les tranchants, pointes, etc.; le reste de l'outil est en |
fer. Nous donnerons une idée générale de cette fabrication. j
On commence par ébaucher la pièce, et on donne la forme ■
définitive aux parties qui ne doivent pas être aciérées. Ce i
forgeage terminé, on procède au soudage de l'acier; pour cela :
on applique une plaque d'acier sur la pièce de fer ou dans ■
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 615
rintérieur, après l'avoir ouverte, selon que le tranchant doit
être sur le bord ou au milieu de l'épaisseur de l'outil. On
chauffe le tout au blanc soudant, on forge et on étire à la
forme définitive. Quand on emploie l'acier fondu, on chauffe la
pièce de fer avant que d'appliquer la mise d'acier, et on inter-
pose du borax entre les deux pour faciliter la soudure.
La pièce étant finie de forge est trempée et recuite.
Le recuit s'opère en chauffant la pièce, quand elle n'a pu»
de grandes dimensions, sur un morceau de fer rouge , et les
pièces de grandes dimensions, dans un feu spécial.
Quelques outils, tels que les mèches, vrilles, etc., sont
composés d'étoffes , c'est-à-dire de plusieurs lames de fer et
d'acier soudées et corroyées avant le forgeage de l'outil.
Après la trempe , les pièces sont émoulues, aiguisées et
polies.
Quelques outils sont exécutés aujourd'hui en acier fondu ;
ils sont principalement employés pour la sculpture, l'ébénis-
terie, etc.
Les aciers employés pour la taillanderie sont, en Angleterre,
presque exclusivement des aciers de cémentation dits aciers
poules; en France, des aciers naturels del'Ariége, obtenus
par la méthode de Rive ; en Allemagne on emploie, en grande
partie, les aciers naturels de la Styrie , de la Carinthie et du
Tyrol
Nous citerons comme les plus remarquables les produits de
MM. Sorby, VV. Jackson, Taylor frères, Hotson, pour l'An-
gleterre ; pour la France, MM. Goldenberg, Couleaux et Cie,
Peugeot, et pour l'Allemagne MM. Wertheim, J. D. Post
Lindruberg, etc., etc.
L'industrie des limes est représentée par les productions
les plus célèbres. Nous voyons, en effet, dans l'exposition an-
glaise, les noms de MM. Spencer, Turton, Spear and Jackson,
Sorby; dans Texposition allemande, Mannesman. Ilonsberg,
Hansenclever. En France, Goldenberg, Goulot, Bouvier fils
aîné, Dumas, Saint-Bris, Monmouceau, Bôranger, Raoul, etc.
On emploie , en Angleterre , pour la fabrication des limes ,
l'acier cémenté, et plus généralement l'acier fondu.
Les fameuses limes à grosse taille de N. Spencer sont fabri-
quées avec de l'acier cémenté provenant du fer de Suéde. Gel
acier est soumis à un simple étirage.
61 (> VISITE
En Allemagne, on se sert d'acier naturel pour les limes à
grosse taille, et d'acier fondu pour les tailles fines.
En France, on emploie, en général, pour les grosses limes,
les aciers naturels et de cémentation, et pour les limes à
tailles fines, l'acier fondu,
La fabrication des limes comprend le forgeage ; il se fait à
la main. Cependant, quand les limes sont grosses, elles peu-
vent être ébauchées au martinet. Après le forgeage , les limes
communes sont aiguisées sur la meule; les limes fines sont
blanchies à la lime; elles sont ensuite soumises à un recuit;
pour cela, on les place dans une caisse en tôle fermée hermé-
tiquement dont on élève la température au rouge blanc ; on
laisse ensuite refroidir lentement. Au sortir de la caisse, elles
sont limées légèrement, et on procède à la taille : cette opéra-
tion se fait toujours à la main. Quand la lime est taillée, elle
est portée au rouge, puis trempée ; pour empêcher la décar-
buration de la lime en la chauffant quand elle est taillée, on
la recouvre d'un mastic contenant des matières carburées e^
qui la préserve du contact de l'air. La trempe s'opère en les
plongeant dans un baquet d'eau légèrement acidulée, et conte-
nant du sel ammoniac et du sel marin.
Les limes se voilent ordinairement à la trempe; on les re-
dresse en les plaçant sur deux points d'appui et en les sou-
mettant à l'effet d'une vis de pression. On les chauffe légère-
ment pour faciliter le redressage.
Coutellerie.
La fabrication des lames de couteaux, rasoirs, canifs, ci-
seaux, etc., comprend: le forgeage, le limage, la trempe,
l'aiguisage et le polissage.
Le forgeage se fait presque toujours à la main, en étirant les
barres d'acier sur des enclumes spéciales. Cependant, aujour-
d'Iiui, M.Vî. Sommerlet, Dantan et Cie, de Nogent, enlèvent
les lames de couteaux, ciseaux, etc. à l'emporte-pière dans
des tôles d'acier fondu, et achèvent de leur donner la forme
par un estampage. Ces deux opérations remplacent très-avan-
tageusement le forgeage à la main et le limage.
Quand les pièces sont forgées, elles sont soumises à un re-
cuit qui doit être fait en vase clos pour être régulier, (juand
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. Cl 7
on opère sur un grand nombre de pièces à la fois. Ce recuit a
pour objet d'adoucir l'acier et de rendre ainsi le travail de
la lime facile. Quand on a dégrossi les pièces à la lime, on
les trempe, après avoir élevé leur température au rouge,
soit en les plongeant dans l'eau pure ou dans un bain com-
posé d'huile et de fuif ; la pièce subit ensuite un recuit qui
l'amène au degré de dureté que l'on veut obtenir. Pour les
rasoirs, on s'arrête généralement à la couleur jaune; pour les
couteaux et les ciseaux, à la couleur violette, etc.
Après la trempe, les lames sont amenées à leur forme défi-
nitive par l'émoulage ; elles sont ensuite aiguisées et polies.
On se sert, pour l'émoulage et l'aiguisage, de meules en grès
(juartzeux , tournant avec une grande vitesse; pour le polis-
sage on emploie des lapidaires de bois ou couverts d'une peau,
sur lesquels on applique des poudres dures, au moyen de
corps gras qui les rendent adhérentes. Les plus beaux polis
s'obtiennent avec les poudres les plus fines et des lapidaires
recouverts de peau; quand il doit être éclatant on le finit à
sec, c'est-à-dire sans l'intervention d'un corps gras.
La coutellerie anglaise est représentée à l'exposition par les
fameux produits de Scheffield. La coutellerie allemande, par
ceux de MM. Schmattz, Woesté et J. L. Blecif, Holler. La
coutellerie française, par les produits de MM. Sommerlet-
Dantan et Cie, Molaingy, Stauvenghre, de Nogent, pour la
coutellerie fine; par ceux de MM. Sabatier, Dumon et Gérard,
de Thiers, pour la grosse coutellerie; et enfin par ceux de
M. Charrière fils, de Paris, pour les instruments de chirur-
gie.
Les aciers employés sont l'acier fondu pour la coutellerie
fine, et les aciers naturels et de cémentation corroyés ou bruts
pour la coutellerie ordinaire.
Nous devons encore dire quelques mots d'une nouvelle ap-
plic;ition de l'acier fondu que M. Verdie expose sous le nom
de produits mixtes de fer et acier.
Voici le procédé de fabrication suivi jusqu'à présent. Quand
on veut recouvrir d'acier une barre de fer, on commence par
porter la barre de fer au rouge blanc, puis on la place dans
une lingotière ou moule qui a la forme générale de la pièce
que l'on veut obtenir : quand la pièce en fer est placée, on
coule de l'acier en fusion dans la lingotière. On obtient une
618 VISITE
pièce à laquelle on donne ensuite la forme définitive, par un
martelage ou même par un laminage quand la pièce doit avoir
une forme prismatique. Les principaux avantages de ce pro-
duit sont d'être meilleur marché que l'acier fondu tout en rem-
plissant le même but. Dans un grand nombre des applications
de l'acier, il arrive en effet qu'on n'utilise pas toutes ses pro-
priétés, qu'on ne le choisit qu'en vertu de quelqu'une
d'entre elles, tandis que les autres sont souvent même gê-
nantes. Tels sont les laminoirs pour petits fers, aciers, mon-
naies, etc., bandages de locomotives et wagons, dans lesquels
le rôle de l'acier est de donner des surfaces dures pouvant
être trempés, mais où l'on n'utilise pas toute sa ténacité.
Les produits mixtes de fer et d'acier sont très-propres à
ces usages. Ces produits peuvent avoir même l'avantage sur
l'acier fondu pour des pièces telles que des bandages de roues
de locomotives, qui doivent être tournées intérieurement, le
travail du fer étant beaucoup plus facile.
Quelquefois même, pour de grosses pièces, ils peuvent pré-
senter plus de sécurité que l'acier fondu; nous avons vu, en
effet, que ce dernier métal ne possède toutes les qualités
qu'après avoir été soumis à un martelage énergique qui le
rend homogène. Ce martelage devient difficile quand la pièce
a des dimensions considérables , et l'intérieur d'une pièce,
dans ces conditions , peut avoir une résistance inférieure à
celle du fer.
Les produits exposés par M. Verdie sont des spécimens de
bandages, rails, tiges de piston et des barres carrées. Si la
fabrication de ces fers chargés d'acier à l'état liquid^ ne pré-
sente pas de trop grandes difficultés , ils sont sans cloute ré-
servés à de nombreuses applications.
En résumé, la fabrication de l'acier a réalisé, dans ces der-
nières années, d'immenses progrès. L'emploi de ce métal
encore neuf, pour ainsi dire, se répandra certainement dans
les arts avec une grande rapidité; on peut même ah'irmerque,
grâce à ses propriétés précieuses, l'acier sera substitué au fer
dans un grand nombre d'applications, qui jusqu'à présentent
exclusivement appartenu à ce dernier métal. La grande
question du poids des machines qu'on retrouve toujours dans
les locomotives et dans les bateaux, se trouve en partie réso-
lue \ydv l'emploi de l'acier, qui permettra d'en réduire les or-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. GlU
ganes , tout en leur donnant une résistance supérieure; ce
progrès, qui sera immense quand l'abaissement du prix de
l'acier l'aura rendu général, a été déjà réalisé sur quelques
machines; on peut voir en effet à l'Exposition une locomotive
dont les essieux, bielles et tous les organes accessoires sont
exécutés en acier.
Les aciers prussiens, surtout ceux de M. Krupp, ont excité
une admiration générale et méritée ; l'Angleterre conserve
encore à cette Exposition son antique supériorité pour les ou-
tils, tels que les scies, les grosses limes, etc.; quant aux pro-
duits français, ils sont tous dans une voie de progrès et de
développement rapides; Saint-Etienne expose des aciers fon-
dus et de cémentation d'excellente qualité; Allevard et un
grand nombre d'usines produisent de très-beaux aciers natu-
rels. M. Holtzer, à Firmini, et le Creuzot abordent la fabri-
cation de l'acier puddlé, industrie destinée à rendre son emploi
presque général dans la construction. Enfin, des produits ma-
nufacturés remarquables sortent des usines de MM. Petin et
Gaudet, Jakson et Cie. Nous citerons, par exemple, les tôles
d'acier, les essieux, les bandages, les ressorts, les faux,
etc. L'ardeur avec laquelle les progrès de cette industrie
sont poursuivis, permet d'espérer que, dans peu de temps, celte
fabrication ne le cédera en rien à celle de nos voisins.
CLASSE XVI.
Fabrication des ouvrages en métaux d'un travail ordinaire.
Les détails dans lesquels nous sommes entré dans plu-
sieurs occasions , soit sur les procédés métallurgiques , soit
sur les machines employées dans la fabrication des objets en
métal, nous permettront de ne consacrer aux produits de
celte classe qu'un espace assez restreint. Nous avons déjà vu
par quels moyens le minerai de fer est amené, dans les hauts
fourneaux , à l'état de fonte en gueuse , tantôt réservée pour-
0-20 VISITE
être convertie en fer, tantôt employée pour les fontes de
deuxième fusion : nous nous arrêterons un instant sur les
procédés que comporte cette dernière opération.
Les ornements en fonte de fer sont représentés par les pro-
duits des usines de Val-d'Osne, de M. Ducel, de la Company de
Coalbrookdale, de MM. Requilé-Pequeur et Bukens de Liège,
qui nous offrent toutes les variétés, depuis les plus simples
ornements employés dans les constructions jusqu'à des statues
qui sont de véritables objets d'art. On distingue, au point
de vue du moulage, deux espèces d'ornements : les ornements
plats et les ornements en relief.
Le moulage des ornemeats plats se fait généralement en
sable vert, il ne présente aucune difficulté; on se sert de
modèles en métal de formes telles qu'ils puissent se dégager
du sable sans altérer le moule. Pour obtenir des surfaces très-
lisses, on emploie des modèles bien polis, du sable fin et on
repose le modèle. Cette 0[)éraîioîi consiste à remettre le mo-
dèle dans le moule après en avoir saupoudré l'extérieur avec
du poussier de chatbon de bois ; on obtient ainsi une em-
preinte définitive bien nette.
Les ornements en relief, parmi lesquels se trouvent com*-
prises les statues, présentent souvent de grandes difficultés de
moulage provenant de l'impossibilité de retirer le modèle du
moule sans le briser.
Pour quelques pièces on surmonte cette difficulté en em-
ployant des châssis composés de plusieurs pièces contenant
chacune une portion du moule et qui peuvent, grâce à celte
disposition, se dégager séparément du modèle.
Dans beaucoup de cas, pour de grands ornements ou des
statues, par exemple, on a recours au moulage à pièces de
rapport. Ce moulage se fait généralement aujourd'hui en
couvrant le modèle de pièces de sable fortement tassé, assez
nombreuses et appareillées de telle façon qu'elles puissent
toutes être retirées facilement sans se briser.
Quand le modèle est ainsi recouvert, on l'entoure des deux
châssis que l'on assemble et on tasse du sable entre le modèle
recouvert de ses pièces de sable et les parois du châssis. On
sépare ensuite les deux parties du châssis qui portent les
empreintes extérieures des pièces rapportées ; chacune de ces
pièces est ensuite enlevée et fixée à sa place par des éi)inglcs
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 621
en fil de fer. Quand le moule est ainsi reconstitué, on le porte
à une dessiccation aussi complète que possible.
Les noyaux qui doivent former les ornements à l'intérieur
des pièces, se font en tassant du sable dans un moule en deux
parties au moins et dans l'intérieur duquel on place des ar-
matures disposées de manière à consolider le noyau et à
former le vide nécessaire au dégagement des gaz.
Quand le moule et le noyau sont suffisamment secs, on
procède au remoulage. Cette opération consiste à placer le
noyau entre les deux parties du moule que l'on assemble en-
suite solidement; les positions respectives du moule et du
noyau sont conservées au moyen de petites entretoises pla-
cées dans le vide que doit remplir la fonte.
Quand le moule est ainsi préparé on coule la fonte.
Les statues ne sont pas toujours exécutées d'une seule pièce,
elle sont souvent composées de plusieurs morceaux que l'on
assemble ensuite. On conçoit que dans ce cas les difficultés
du moulage sont considérablement réduites.
La fonte de fer a remplacé la fonte de cuivre pour beau-
coup d'ornements en relief; les procédés de moulage sont les
mêmes, seulement on emploie un sable un peu plus gros et
plus réfractaire pour la fonte dont le point de fusion est plus
élevé et qui est plus fluide que le cuivre.
Le prix de la fonte étant beaucoup moins élevé que celui
du cuivre, on a simplifié la forme des noyaux des ornements;
on évite ainsi des difficultés de moulage quelquefois très-
grandes, en augmentant le poids de la pièce, sacrifice très-
faible quand le métal^est la fonte.
L'usine de Niederbronn nous présente une grande variété
de fonte de moulage en pièces de mécanique , ornements,
poteries, eîc.
Comme pièces de mécanique , nous citerons deux ar-
bres creux du poids de 3000 kil. d'une exécution remar-
quable.
Les poteries exposées par cette usine sont d'une grande
légèreté. Ces pièces ainsi que les appareils de chauff'age, se
moulent toujours en sable vert.
Les poteries en fonte telles que marmites, casseroles, etc.,
ont l'inconvénient de s'oxyder; on a d'abord cherché à les
préserver de cette oxydation par un étamage. Aujourd'hui on
6-22 VISITE
emploie généralement l'émail, il est beaucoup plus solide. On
le fixe de la manière suivante :
On commence par enduire l'intérieur du vase d'une pâte
liquide composée de quartz et de borax fondus ensemble, pul-
vérisés et mélangés avec de l'argile. On saupoudre cet enduit
avec une poussière composée de feldspath, de borax et d'oxyde
de zinc; on porte ensuite le vase dans un four dont la tem-
pérature est assez élevée pour fondre l'émail et le rendre
adhérent.
Plusieurs usines en France, en Angleterre et en Allemagne
nous présentent des produits de cette nature parmi lesquels
il convient de distinguer ceux de M. Paris, de Bercy, et sur-
tout les poteries émaillées pour usages domestiques , pour
conduits et pour baignoires de M. Henrick et fils, de Stafford.
Ces industriels ont épuisé pour leur exposition toutes les
ressources de cette industrie encore récente.
Les usages des métaux sont si nombreux, leur ténacité et
leur malléabilité se prêtent si bien à tous les besoins de l'in-
dustrie, que leur emploi tend toujours à se généraliser. Com-
bien de menus objets qui se faisaient la plupart du temps en
bois, se font maintenant plus économiquement en métal. Les
procédés de la tréfilerie et de l'estampage font tous les jours
des progrès, parmi lesquels il convient de citer en première
ligne ceux qu'a réalisés M. Palmer. En donnant à la matière
et à propos des recuits convenables, cet habile mécanicien est
parvenu à faire des tuyaux emboutis sans soudure , dont les
applications deviennent chaque jour plus variées. Ses ba-
guettes en tôle pour moulures présentent cette année plu-
sieurs applications fort originales et absolument nouvelles.
Ses modèles de persiennes et de croisées, construites entière-
ment en fer étiré, sont d'une légèreté dont il serait impossible
d'approcher en employant le bois. Ces premiers essais nous
paraissent être un gage assuré d'applications nombreuses et
prochaines dans la même direction.
Les tuyaux de fer creux sans soudure, fabriqués d'abord
en Angleterre, n'ont point encore trouvé dans la pratique un
coulement facile, par suite de leurs prix élevés. L'assorti-
ment exposé par M. Russell , de Londres , qui comprend
toutes les pièces accessoires pour les tubulures et pour les
joints , montre bien toutes les ressources dont ces tuyaux
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 62^
sont susceptibles ; ils sont confectionnés en France dans une
seule usine, celle de M. Gandillot.
Avant d'énumérer quelques produits spécimens , nous jet-
terons un coup d'oeil sur les divers emplois du zinc et du
cuivre dans les arts.
Zinc. Ce métal, tant comme échantillons, que comme
applications, est presque exclusivement représenté à l'Exposi-
tion par les produits de la société de la Vieille-Montagne,
qui du reste par une ingénieuse activité en augmente tous
les jours le nombre et la variété.
Avant d'énumérer les applications du zinc qui nous parais-
sent le plus dignes de remarque, nous dirons quelques mots
sur ses principales propriétés et sa métallurgie.
Le zinc a une densité un peu inférieure à celle du fer ; il est
très-malléable à la température de 100°; il se dilate considé-
rablement et distille au rouge blanc. C'est sur cette dernière
propriété qu'est basée sa métallurgie.
On trouve le zinc dans la nature à l'état de zinc carbonate
ou calamine, de sulfure ou blende et de silicate, accompagnés
d'une gangue argileuse ou calcaire. Les deux premiers mine-
rais sont seuls exploités. Le premier est le plus commun.
La société de la Vieille-Montagne a exposé dans l'annexe de
très-beaux échantillons de minerais; ils proviennent de Bel-
gique, de la Prusse Rhénane, du duché de Bade, etc. Les plus
remarquables sont deux blocs de calamine de 3000 kilos cha-
cun , extraits des mines de Moresnet et de Welkenraedt , en
Belgique.
La première opération de la métallurgie du zinc est toujours
un grillage qui a pour résultat de transformer le minerai en
oxyde de zinc. Ce grillage se fait dans des fours analogues aux
fours à chaux. Le minerai grillé est ensuite pulvérisé et mé-
langé avec la moitié de son poids de houille, puis ce mélange
est introduit dans des cornues en terre que l'on soumet à une
température très-élevée dans des fours spéciaux.
Dans ces circonstances l'oxyde se réduit et le zinc distille;
il se rend dans une allonge ou récipient adapté à l'extrémité
de la cornue. Le contenu de plusieurs récipients est versé
dans une lingotière qui en contient environ ]'6 kilos.
Les lingots sont ensuite refondus et mis sous une forme ap-
propriée au travail qu'il doit subir: on le couie en plaques
624 VISITE
quand il doit être laminé en feuilles, en baguettes rondes
quand il doit être tréfilé, etc., etc.
Le zinc est employé à l'état de fonte, de feuilles laminées,
de fils, clous, couleurs, etc., etc.
Le produit le plus important de l'Exposition, comme fonte
de zinc, est une statue équestre de l'Empereur à l'entrée du
pavillon de l'Est; c'est un ouvrage remarquablement exécuté,
et d'une valeur artistique tout à fait digne de son auteur,
M. Paillard.
Le moulage en fonte de zinc ne présente rien de particulier
pour les pièces de l'importance de celle-ci. Il comporte les
mêmes opérations que le moulage en fonte ou en cuivre; mais
quand les pièces doivent être reproduites à un grand nombre
d'exemplaires , tels que les sujets de pendules , candéla-
bres, etc., etc., on peut employer pour couler le zinc des
moules en métal qui servent à peu près indéfiniment. Le
prix du moulage Irès-élevé pour les ornements en funte de
fer ou en bronze est presque nul avec un moule qui ne se
renouvelle pas. Ces objets peuvent ainsi se vendre à tiès-bas
prix.
Le zinc à l'état de feuilles laminées a des applications ex-
trêmement nombreuses : son usage est très-répanCu pour les
couvertures, doublage de navires, vases, etc., etc.
Les sociétés de la Nouvelle et de la Vieille - Montagne ,
l'usine de Risle montrent de très-beaux spécimens de feuilles
laminées.
Le laminage du zinc se fait avec des laminoirs semblables à
ceux qu'on emploie dans la fabrication de la tôle, seulement
on élève la ttmpérature du zinc à 100° pour qu'il acquière
toute sa malléabilité.
Une application déjà très-répandue du zinc en feuilles,
quoiqu'elle ne date que de 1849, est celle des zincs emboutis
pour l'ornementalion; les ornements en zinc repoussé s'ob-
tiennent par un simple estampage et un ou deux recuits.
L'estampe se compose d'un moule en fonte présentant en
creux la forme que doit avoir la pièce finie et d'un mouton
portant à sa partie inférieure la forme de la pièce en relief
(celte partie est en plomb).
Pour estamper une feuille de zinc il suffit de la placer sur
le moule en fonte et de la soumettre aux chocs répétés du
A L'E\1>0S1T10N UiNlVERSELLE. 0-2o
mouton; pour rendre la feuille malléable on lui fait subir un
recuit après qu'elle a supporté un certain nombre de chocs;
ces recuits consistent à élever sa température jusqu à 80°.
Ces ornements remplacent avec une grande économie les
ornements en fonte. L'exposition de la Vieille-Montagne dans
le Palais et celle de l'usine de Risle dans l'Annexe montrent
tout le parti que l'on peut tirer du zinc estampé pour l'orne-
mentation.
Nous trouvons encore dans le zinc himiné des feuilles on-
dulées pour couvertures ; Tidée de cette application a été
suggérée pour l'emploi de la tôle ondulée dans les couver-
tures; nous ne croyons pas cependant qu'on puisse con-
struire avec le zinc ondulé des couvertures sans charpente
comnie on l'a fait avec des tôles. Le zinc est trop peu résistant
et son prix est trop élevé pour que cette application soit éco-
nomique.
L'emploi du zinc est substitué à celui du cuivre et du fer
pour les clous, les fils, etc., réservés à certains usages, tels
que les chevilles de navires, les tapisseries, les toitures en
ardoises, etc. Il présente sur le cuivre l'avantage du bon
marché , et sur le fer celui d'une plus grande résistance à
l'oxydation. La Vieille-Montagne, dans le Palais, expose des
spécimens de tous ses produits sur la fabrication desquels
nous ajouterons quelques mots , pour terminer ce que nous
pouvons dire ici sur le zinc.
Les clous et les fils se fabriquent à froid. Les clous pour
navires de grosses dimensions se forgent à la main, ceux de
petites dimensions se font avec des machines spéciales; les
clous à section carrée sont découpés dans une feuille de zinc;
les têtes sont faites en refoulant une certaine longueur du
clou. La fabrication des fils de zinc ne diffère de celle des fils
de fer qu'en ce que le fil de zinc n'est soumis à aucun recuit.
On commence p^r couler une baguette de l^^oO, elle est en-
suite laminée, jusqu'à ce que son diamètre soit réduit à
8 millimètres, puis enroulée sur une bobine. On procède alors
au treillage. Celte opération consiste à faire passer le fil dans
des trous de diamètre décroissant; ces trous sont percés dans
une plaque d'acier trempée, appelée filière. Elle se fait de la
manière suivante : on amincit l'extrémité du fil, on l'engage
dans le trou de la filière et on la fixe sur une bobine à laquelle
206 00
626 VISITE
on donne ensuite un mouvement de rotation. Le fil étant
forcé de s'enrouler sur cette bobine, passe au travers du trou
de la filière qui est fixe et prend exactement son diamètre.
On répète cette opération jusqu'à ce qu'on soit arrivé au dia-
mètre voulu, La décroissance des diamètres est déterminée
de manière que le fil puisse être étiré sans se rompre.
Cuivre. Le cuivre a été connu de toute l'antiquité. On le
trouve dans la nature à l'état natif, d'oxyde, de cuivre carbo-
nate et le plus souvent à l'état de sulfure allié à des sulfures
de fer, d'antimoine, de plomb, etc. Certains minerais de cuivre
contiennent de l'argent en quantité notable, et quelquefois
même du mercure.
Les minerais de cuivre sont accompagnés d'une gangue
quartzeuse ou argileuse.
Les minerais de cuivre exposés sont tous dans l'Annexe.
Nous avons remarqué parmi ces nombreux spécimens le mi-
nerai argentifère du Canada, les cuivres pyriteux du duché
de Nassau, de la haute Hongrie, qui contiennent de l'argent
et du mercure , de la Toscane et enfin des mines de Ténès qui
présentent de plus une quinzaine d'échantillons de minerais
de différentes grosseurs préparés pour la fonderie par un bo-
cardage et un lavage. Le cuivre natif du lac Supérieur promet
à l'industrie de nouvelles richesses.
Le traitement des minerais de cuivre, quand ils se compo-^
sent d'oxyde de chivre ou de cuivre carbonate consiste à les
fondre au contact du charbon dans un fourneau à cuve; la
combustion dans ces fourneaux est activée par un courant
d'air forcé. Le minerai et le combustible sont disposés par lits
alternatifs; le minerai est en outre mélangé avec une certaine
quantité de fondants composés ordinairement de scories qui
font avec la gangue du minerai un corps fusible en même
temps que le cuivre et qui se sépare de ce dernier par la dif-
férence de densité. Le cuivre que l'on obtient ainsi doit subir
un raffinage avant d'être hvré au commerce; il est appelé
cuivre noir.
Quand le minerai de cuivre est composé de sulfure de cui-
vre, de fer, etc., la séparation du cuivre est beaucoup plus
ditïicile et nécessite un grand nombre d'opérations qui consis-
tent toutes en un grillage du minerai suivi d'une fusion.
Le grillage a pour objet de chasser une partie du soufre eu
A L'EXPOSlTlOiX UNIVERSELLE. 627
le transformant en acide sulfureux et d'oxyder le fer et le
cuivre.
Dans la fusion le cuivre s'allie au soufre retenu par le fer
et une partie de ce dernier, en se combinant avec les fondants
que l'on ajoute à chaque fusion, fait une scorie fusible.
En répétant ces deux opérations on arrive à obtenir du
caiivre qui ne contient plus que très-peu de soufre et de fer
qu'on peut enlever facilement par un raffinage.
Le grillage se fait en tas à l'air libre, ou dans des fours à
réverbère.
La fusion s'opère dans des fourneaux à cuve ou dans des
fours à réverbère.
Le combustible employé dans les fours à réverbère est tou-
jours de la houille; dans les fourneaux à cuve, on brûle du
coke ou du charbon de bois.
Le raffinage du cuivre consiste en une fusion du cuivre noir
dans un four à réverbère ou dans un petit foyer brasqué; le
cuivre en fusion est soumis à l'action d'une flamme oxydante,
il se fait encore une scorie qui entraîne le reste du fer et du
soufre que contenait le cuivre; on donne au cuivre raffiné le
nom de cuivre rosette; il contient un peu d'oxyde de cuivre
qui lui ôte sa malléabilité; pour lui donner cette qualité, il
faut le soumettre à une nouvelle fusion et réduire l'oxyde par
le contact du charbon.
La société de la Haute-Hongrie, outre sa collection de mine-
rais, a exposé un spécimen des produits correspondants à
chaque phase de la méthode qu'elle emploie pour le traite-
ment de ses minerais. Parmi ces spécimens on distingue une
■fort belle matte d argent. Nous dirons à ce sujet quelques
mots sur les moyens d'extraire l'argent des minerais de cui-
vre. On emploie deux méthodes : l'une consiste à fondre le
cuivre noir avec trois ou quatre fois son poids de plomb et de
refroidir brusquement l'alliage; on fait ain?i des blocs que
Ton soumet ensuite à un grillage; dans ce grillage le plomb
seul fond, en entraînant la presque totalité de l'argent.
La séparation du plomb de l'argent se fait ensuite très-faci-
lement : on met l'alliage en fusion et on le soumet à un cou-
rant d'air qui oxyde le plomb et le transforme en litarge qui
est liquide et qu'on fait écouler au fur et à mesure de sa for-
mation. L'argent ne s'oxyde pas, il se concentre dans le plomb
Gi28 VISITE
métallique et reste seul quand le plomb est passé tout entier
à l'état de litarge.
Dans la deuxième méthode, qui est celle employée par la
société de la Haute-Hongrie, on sépare l'argent du cuivre au
moyen du mercure par ama/^'amaf/oAi. Cette méthode comprend
plusieurs opérations : la première est d'abord la pulvérisation
du cuivre noir suivi d'un grillage de la poudre, mélangée de
10 pour 100 de sel marin, puis deTamalgamation proprement i
dite qui se fait en agitant dans des tonneaux un mélange
composé de 1000 kilos de la matière obtenue après le gril- '■
laie, de 400 kilos de mercure de fer ou de cuivre et de '13 à j
18 O/o d'eau. Après un certain temps, le mercure s'empare \
de tout l'argent. Ces deux métaux sont ensuite séparés par '
une distillation. |
Le cuivre résidu de l'opération est soumis à une nouvelle |
fusion qui donne du cuivre noir.
Le cuivre se lamine, s'emboutit et se forge très-facilement. ,
Le laminage se fiit de la même manière que celui delà tôle; ■
comme exemple d'un laminage très délicat, nous citerons une ;
feuille de 60 mètres de longueur sur 0"',34 de largeur, ex- ;
posée par IMM.Osval et Warnod de Neiderbruck. M. Heckman 1
de Berlin, l'usine de Romiily et de Saint-Denis, l'usine de \
Givet, exposent des cuivres laminés qui indiquent des moyens !
de laminage très-puis.-ants.
Comme cuivies emboutis, les plus remarquables sont des ;
chaudières piov- nant des usines de Neiderbruck et de Ro- ;
milly : un cie ces produits se reconmiande par sa légèreté, et ;
l'autre par ses dimensions considérables et î-on poids.
Nous signalerons encore des plaques de foyers de locomo- '
tives étirée» au maiteau, exposées par les usmes de RomMly 1
et de Saint Denis. I
Le cuivre et ses divers alliages, l'étain , le plomb et quel-
ques au res métaux, sont employés pour la fabrication d'un :
assez grand nombre d'objets; l'étain remplace avec avantage |
le zinc ( our le moulage en coquille d'un grand nombre de 1
stHtuettes : auss.tôt que le métal fondu a été versé dans le i
moule, on le \ide de toute la poiiion non solidifiée encore et ;
l'on obtient ainsi dans la diminution d'épaisseur de la pièce !
une ample compensation au prix plus élevé du métal. La cer- i
titude que le fabricant possède souvent d'écouler un grand
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. (\^Çt
nombre d'exemplaires lui permet de ne rien épargner pour
faire ciseler avec soin la coquille et obtenir ainsi de véritables
œuvres d'art à bas prix.
Les mille arlicles de la quincaillerie sont représentés par
des spécimens si nombreux, qu'il nous serait impossible de
nous y arrêter avec assez de détails pour que notre examen
put être de quelque utilité pour le lecteur : disons toutefois
que la maison Japy frères, de Beaucourt, ne le cède en rien
pour la perfection et pour la bonne entente des modèles aux
produits si remarquables et si variés de l'Allemagne et de
l'Angleterre : à égale perfection, ils ont su, par une fabrica-
tion mécanique bien dirigée, faire descendre leurs prix au-
dessous de leurs concurrents étrangers.
La fabrication des serrures attirera un instant notre atten-
tion.
On sait que les serrures à gorges mobiles et les serrures
à pompe , que certains fabricants français font avec beaucoup
de précision, sont toutes deux d'invention anglaise. Chubb's,
de Londres, a inventé la serrure à gorges mobiles et délateur;
Bramah a inventé la serrure à pompe.
L'exposition anglaise, sauf la serrure de M. Parwell, de
Londres, ne présente rien de nouveau, mais des produits
bien faits, mieux faits , il faut le dire, que ne le sont ceux
que la plupart des maisons anglaises livrent habituellement
au commerce.
La serrure de M. Parwell repose sur une idée neuve qui
manque un peu de simplicité et qui n'a pas encore été assez
mise en usage, pour que l'on puisse se prononcer sur elle.
On peut dire, cependant, sans plus attendre, que l'idée est
ingénieuse.
Les autres pays n'exposent, en serrurerie, rien qui pré-
sente des conditions exceptionnelles.
Parmi les exposants français, nous trouvons l'habile Gran-
goir, avec ses combinaisons inî^énieuses luttant contre la ser-
rurerie américaine, à laquelle il faut rendre ceite justice,
qu'elle n'est que la copie de l'idée de Robin de Rochefort ,
l'inventeur des clefs à pannetons cbangeanis sur des gorges
mobdes.
On remarque de M. Ocigné un demi-tour monté sur un
axe , comme cela se fait depuis longtemps pour les portières
«iSO VISITE
Ae voilures ; mais, comme ce système est abandonné dans la
carrosserie, nous doutons que cet objet puisse être d'un bon
usage dans le bâtiment.
MM. Maquemnehen, Boutté et Teissier présentent, d'après
le système Pihet ou Ringé, des serrures dont le chanfrein se
retourne en poussant ou en tirant. Cette disposition n'est pas
profitable au consommateur, puisque le produit est altéré par
les échancrures nécessaires au retournement du demi-tour;
le marchand seul y trouve l'avantage d'un assortiment moins
grand pour sa vente.
MM. Bricard et Gauthier, dont la maison est plus connue
encore sous le nom de leur prédécesseur M. Sterlin , ne pou-
vaient manquer de figurer avec honneur au grand concours.
Sans énumérer ici toutes les améliorations faites à leurs
produits, antérieurement à la dernière Exposition, nous signa-
lerons cependant une partie des perfectionnements qui ont
été faits depuis cette époque. La plus importante est celle des
serrures avec ajustement tubulaire. Il résulte des dispositions
adoptées dans ce genre de serrures une marche incomparable-
ment plus douce et plus facile que tout ce qui avait été fait
précédemment. Puis un autre avantage, non moins grand,
c'est qu'au moyen de cet ajustement tubulaire, les imperfec-
tions de la pose sont complètement évitées ; le malrond que
l'on trouve ordinairement dans l'ajustement des boutons
doubles sur les serrures ne peut plus avoir lieu, quelle que
soit la négligence de l'ouvrier poseur. Les parties où les frot-
tements ont lieu sont disposées de manière à les rendre pres-
que nuls. Les foliots ont des galets au bout de leurs branches.
Les têtes des pennes à demi-tour font leur glissement sur une
pente de 32 degrés. Les clefs offrent dans certains cas des
proportions très-petites et très-commodes pour l'usage.
Les boutons dos serrures ont un ajustement qui varie, sans
aucun travail, suivant les différentes épaisseurs des portes,
en s'écartant et se rapprochant à volonté. Cet avantage est
très-grand pour les pays où l'on ne trouve pas d'ouvriers ha-
bitués au ferrage.
La ferrure des croisées, les paumelles et les fiches ont reçu
des améliorations utiles , qui rendent leurs frottements plus
doux et leur durée plus grande.
Nous ne sommes entré à cet égard dans quelques détails
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. (>31
que parce que ces améliorations principales sont adoptées par
les architectes qui dirigent les plus grands travaux qui s'exé-
cutent en ce moment dans Paris.
La belle porte de bronze qui est à l'entrée de la crypte ,
sous le dôme des Invalides , est fermée par une serrure dans
la clef de laquelle MM. Bricard et Gauthier ont foré, à une
grande profondeur, une croix de la Légion d'Honneur; le
panneton découpé représente le chiffre impérial.
En parlant des chaudières à vapeur et des appareils em-
ployés dans la fabrication du sucre, nous avons indiqué les
principales pièces de chaudronnerie , nous retrouverons en-
core, en parlant des meubles, de nombreux spécimens de ce
que l'on peut faire en métal ; la fabrication des meubles en
fer a donné lieu à une industrie considérable qui prend cha-
que jour de nouveaux développements.
Nous n'aurons donc à citer encore que l'emploi des métaux
précieux, particulièrement celui du platine, si bien repré-
senté en France par M. Desmontes-Chapuis et Cie et par
M, Quenessen, en Angleterre par MM. Benhams et Froud ; les
grandes pièces de ces trois fabricants sont d'une exécution
irréprochable.
CLASSE XYIL
Orfèvrerie. — Bijouterie. — Industrie des bronzes d'art.
La dix7septième classe, que nous allons examiner, est l'une
des plus riches de l'Exposition , soit par le prix des matières
mises en œuvre, soit par leur valeur artistique.
Il y a quelques années, les bronzes d'art, encore d'un grand
prix ne pouvaient appartenir qu'aux plus riches ; aujourd'hui,
grâce à la science qui a trouvé les moyens de réduire mathé-
matiquement les chefs-d'œuvre de la sculpture, dans telle
proportion que l'on désire , plus exactement et à moins de
frais qu'on ne peut le faire en copiant ; grâce a l'emploi du
zinc, qui remplace le bronze et coûte moins cher que lui.
032 VISITE
comme matière et comme ciselure; grâce surtout à la galva-
noplastie , les œuvres d'art pourront bientôt embellir la
chambre de l'ouvrier intelligent et remplacer ces plâtres
informes, ces gravures barbares qui satisfont mal ses instincts
artistiques.
La vue, la possession de ces œuvres d'art, qui bientôt ne
coûteront pas beaucoup plus que les bonshommes de plâtre
et les gravures coloriées d'Épinal, épureront le goût et con-
tribueront à moraliser ceux qui, jusque-là, n'avaient pu jouir
que par la pensée des œuvres des grands maîtres.
Les inventions merveilleuses de la galnanoplastie, de la
photofiraphie , qui sont considérées par beaucoup d'artistes
comme devant nuire aux arts, seront au contraire les instru-
ments de leur affranchissement.
Nous commençons notre revue par \ix joaillerie et la bijou-
terie.
Dans la grande nef du palais, une foule de visiteurs entoure
une vaste vitrine, les dames surtout se pressent devant ce
brillant assemblage de bronzes d'art, de colliers, de bracelets,
de broches, de rivières de diamants décorés d'émaux, en-
châssés avec art dans l'or et l'argent.
Cette vitrine renferme les bijoux, les pièces d'orfèvrerie et
les bronzes de choix, envoyés par plusieurs exposants; c'est
pour ainsi dire le trophée de l'industrie parisienne, des bronzes
d'art, de l'orfèvrerie et des bijoux.
On remarque entre autres des parures de M. Lemonnier,
un diadème de MM. Bapst, des bracelets de M. Duron, un
élégant vide-poche de Mme veuve Béchet, des coupes et cof-
frets en cristal, montés en or et en argent, par M. Audot, et
un surtout de M. Maurice-Mayer.
Toutes ces richesses sont dominées par la belle p^duleen
bronze doré, style Louis XV, exposée par M. Paillard qui, à
la fois artiste et fabricant a épuisé toute la série des récom-
penses industrielles.
Presque en face est une espèce de châsse en verre entourée
d'une balustrade. Sous cette châsse sont des diamants bruts
et travaillés, exposés par M. Halphen, et au milieu de ces
diamants, une pierre qui domine majestueur^ement les autres,
c'est VÉtoile du Sud, pierre du Brésil, du poids de 125 carats.
Un peu plus loin est une vitrine devant laquelle une fnule
A [/EXPOSITION UNIVP:RSEU1:. 033
curieiisG se presse aussi; cette vitrine contient les objets
d'orfèvrerie et de bijouterie exposés au nom de M. Froment-
Meurice, mort il y a quelques mois à peine , et dont le fils
s'efîorce de suivre les bpaux exemples.
Des fleurs de pierreries reposent sur des feuillages émaillés
qui copient la nature. Des broches, des bagues en or, avec
médaillons en argent, entourés d'émaux , sont les plus jolis
bijoux que l'on puisse voir. Des coupes , des vases d'or avec
nielles en argent encadrant des figurines en ronde- bosse sont
autant d'objets d'art. En voyant ces chefs-d'œuvre et ces
bijoux on comprend que cette vitrine doit exercer une at-
traction invincible sur la plupart des visiteurs de l'Exposi-
tion.
Au premier étage, les vitrines de MM. Auguste - Paul ,
Guérin , Bapst et Neveu, Lefèvre, Magniadas, Heimann ,
Janvier, Rouvenat, ont un moins grand nombre de bijoux que
celle de M. Froment-Meurice, mais ils ne sont ni moins artis-
tement montés ni moins beaux. 11 nous faudrait un volume
pour décrire toutes ces féeries, mais nous ne pouvons faire
moins que de citer les châtelaines et broches de corsage de
M. Guérin de Laval, de M. Lecointe, de M. Bapst, et de M. Ma-
gniadas, qui donne à ses produits une gracieuse originalité,
de M. Heimann, de MM. Caussin et Lauranson, de M. Mana-
nian ; avec leurs feuillages émaillés et les feux de leurs dia-
mants, ils ressemblent à des feuilles couvertes de rosée. La
nature est si belle que l'ambition des artistes est de limiter
et de la fixer, pour ainsi dire, en reproduisant ses effets d'une
manière durable. Les joailliers français atteignent ce but, et
les hommes sérieux, qui dédaignent ces brillantes parures,
sont encore forcés de les admirer sous le rapport de l'art et
de l'habileté d'exécution.
M. Rouvenat a exposé une garniture de robe en diamants;
cette garniture ayant la forme de Berthe peut-être démontée
très-facilement et former un bandeau, un bouquet, un collier,
une broche, en un mot, une parure complète.
Le diadème d'étoiles en brillants de M. .lacta ferait ressem-
bler à une reine la femme qui saurait le porter, et je suis bien
sûr qu'elle emploierait tout son pouvoir pour posséder ensuite
le bel éventail de MM. Marret et Beaugrand, le bouquet de
pierreries et émaux de M. Mellorio et les bijoux de M. Rudol-
634 VISITE
phi, d'un style si original, qui ressemblenl à des bijoux histo-
riques.
Les parures de pierreries montées sur argent repoussé et
émaillé de M. Petiteau sont vraiment remarquables.
MM. Halley, Chobillon et Lemoine ont des vitrines garnies
d'une profusion de croix d'ordres et de décorations à donner
le vertige aux ambitieux.
Les décorations d'ordres maçonniques exposées par M. Mi-
gnet fils ne sont pas moins désirées que les autres; que vou-
lez-vous, c'est la faute de M. Mignet, ses décorations sont si
jolies!
Mais nous ne pouvons quitter les joailliers des pierres fines
sans mener les visiteurs sous la rotonde du Panorama, au
centre de laquelle M. Lemonnier expose les diamants de la
couronne. Tout lemonde connaît, ou du moins, adùentendre
parler du gros diamant acheté , sous Louis XV, par le régent ,
qui lui a donné son nom ; ce diamant, qui pèse 136 carats
(27 grammes 320), est estimé près de cinq millions.
La plus riche des quatre parures de cette collection vaut
plus d'un million, un simple collier vaut 130 000 fr.
Le plus riche objet est une couronne composée de 5200
brillants, 146 roses et 59 saphirs. La valeur réunie de toutes
ces pierres atteint 1 4 millions 700 000 francs.
Enfin , toutes les pierres précieuses appartenant à l'État
sont au nombre de 64 800 et valent près de 21 millions.
Revenons au premier étage du Palais et continuons notre
revue par les vitrines de MM. Savary et Mosbach , Masson ,
de Mme veuve Béchet et Delecourt, de MM. Braut, Bouil-
lette et Hyvelin, Olivier Fournier, Regad , et Benoît-Gonin
du Jura; elles ne sont pas à première vue moins brillantes
que celles visitées d'abord, et cependant les pierreries conte-
nues dans ces dernières vitrines sont fausses, mais si bien
imitées que beaucoup de visiteuses y sont trompées; comment
croire, en effet, que ces bijoux si bien montés , aux feuillages
si naturels, aux émaux, aux couleurs si vives, servent de mon-
ture à des pierreries qui n'en sont pas, en un mot à du strass.
Le corail est représenté par MM. Barbaroux et Garaudy de
Marseille qui ont envoyé de beaux spécimens en colliers,
bracelets, broches, etc. M. Arsène Gourdin expose aussi de
beaux bijoux de corail , entre autres un bouquet de roses; on
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 63r;
trouve au-dessous de sa vitrine un intéressant fragment de
rocher de coraiL
M. Truchy et M. Constant Valés ont exposé des perles vraies
et fausses de toutes dimensions.
Les dames en deuil , ne doivent pas porter de bijoux , et
une femme sans bijoux, disent-elles, est un rosier dépouillé
de ses fleurs. Heureusement , la nature est inépuisable de
bonté pour elle?, comme l'homme est inépuisable d'intelli-
gence; voici aiM. Berge de Labastide (Ariége), Dufour et
Jahan-Manchon de Paris qui font colliers, bracelets, broches,
chaînes, bagues, etc., du plus beau noir ; M. Jahan a employé
le jais pour en faire un cadre, composé de feuilles de vignes
et de grappes de raisin, M. Dufour, toute une garniture de
cheminée : cadre de glace, pendule, candélabres, garde-feu,
le tout en jais très-finement travaillé.
En demi-deuil, on ne doit porter ni le jais qui est trop triste,
ni bijoux d'or et de pierreries qui sont trop gais; MM. Daniel
et Lesourt, Bourgain fils, Frichot et Buisson répondent à ce
besoin intermédiaire; voyez scintiller leurs vitrines comme si
elles étaient remplies de diamants, et cependant tous ces bra-
celets, ces croix, ces bijoux de toutes sortes ne sont qu'un
brillant composé de perles et de plaques d'acier au nombre
inouï de facettes ; et commeM, Dufour voiciM. Frichot qui vous
offre aussi une garniture de cheminée tout en acier : pendule,
flambeaux, garde-feu, chambranle, tout brille, car chaque
rayon lumineux se reflète dans les milles facettes de l'acier.
L'orfèvrerie proprement dite, c'est-à-dire, l'art de travailler,
fondre, ciseler l'or et l'argent, donne un résultat moins bril-
lant que l'art de la joaillerie; car les pierreries si naturelle-
ment brillantes embellissent les bijoux et contribuent beau-
coup à l'effet que l'artiste en peut obtenir. Il n'en est pas de
même pour les bijoux d'or et d'argent seulement, qui n'ont
de valeur artistique que celle que l'orfèvre leur a donnée
comme modelage et ciselure. Les orfèvres exposants l'ont bien
compris, car tous les bijoux sont très-beaux; quelques-uns
sont admirables et peuvent passer pour des œuvres d'art que
Benvenuto Cellini contemplerait avec plaisir.
Un ostensoir et plusieurs ornements d'église, envoyés de
Lyon par ÎNl.Favier et neveux, commencent la série de l'orfè-
vrerie religieuse; l'ostensoir, du style du xii* siècle est dessiné
<;3(; VISITE \
par 31. Desjardins, architecte. Pourquoi donc toujours reprO' ;
duire le style des époques éloignées? pourquoi ne rien faire i
qui, comme œuvre d'art originale, soit digne du xix^ siècle. '<
M. DesJRrdins est cependant bien capable d'innover.
Avec sa belle agrafe de chape Mlle Fauveau prend une ;
place importante dans la vitrine de M. Favier. i
Un autel en orfèvrerie repoussée, sortant des ateliers de J
M. Poussielgue-Husand, a été fait, d'après les dessins de i
M. Questel, architecte. Cet autel, destiné à l'égliseSaint-Martin i
d'Ainay à Lyon, est du style du xii* siècle. ;
Lorsqu'il s'agit d'une restauration ou d'un objet mobilier ;
destiné à un monument existant, on ne saurait blâmer l'artiste ;
de faire son œuvre du même style. \
M. Viollet-Leduc, l'habile architecte, a fourni pour la cathé- j
draledeClermont les dessins d'un autre autel dont l'exécution, :
en vermeil et cuivre doré, n'est pas le moindre titre de M. Ba- '
chelet. i
Comme travail d'émaux et d'orfèvrerie, ces autels sont re- ;
marquables, quoique les candélabres soient un peu lourds i
dans leurs détails. Le tabernacle de l'autel de M. Questel est :
très-joli.
Ne quittons pas l'orfèvrerie religieuse sans parler de la re- :
liure or et argent d'un livre d'heures, envoyé par M. Thouret. :
Deux bas-reliefs de l'Ancien Testament, deux autres dont les i
sujets sont puisés dans les nouvelles Écritures, sont encadrés, j
dans des rinceaux délicieux : ces quatre bas-reliefs sont du i
sculpteur Justin. :
Un ostensoir en or et argent avec ornement de pierreries et i
d'émaux est exposé par M. Thiéry.
Dans les bijoux proprement dits, l'or et l'argent se marient ■
harmonieusement, et les émaux viennent souvent ajouter à ,
l'effet d'ensemble. Ceux exposés par M. Rudolphi ont un ce- I
ractère original ; on remarque un beau vase à plateau d'argent ■
avec bas-reliefs représentant des scènes de la mythologie scan- ;
dinave. \
Dans la vitrine trophée, M. Lesueur expose une coupe in- '
diennesur laquelle est une figure bien campée, au pied, un In- i
dien renversé combat contre un tigre. L'énergie, la beauté de \
ces sculptures que M. Lesueur a exécutées lui-même dénotent '
un talent remarquable. '<
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 037
La vitrine de M. Wiese est des mieux composées, et il fau-
drait admirer longuement tous les objets , coffrets en or et
argent ciselés et émaillés, bijoux, entre autres un bracelet com-
posé de médaillons d'or enchaînés les uns aux autres; ces mé-
daillons, du milieu desquels surgissent de petites têtes renais-
sance en argent, entourées d'ornements émaillés, sont d'une
grande valeur artistique.
Tout près de cette collection sont un vase et des armes ap-
partenant au baron Bio; les armes, ornées d'incrustation en
or ont été faites sous la direction de M. Le Page.
Le vase en argent repoussé est de M. Wechte, artiste fran-
çais qui modèle des vases dont les figures rappellent les
grands maîtres florentins, même Michel-Ange, s'il est permis
de lui comparer quelqu'un. Nous trouverons dans l'Exposition
anglaise des œuvres de M. 'VVechte encore plus importantes
que cele-ci, M. Wechte étant en Angleterre depuis plu-
sieurs années.
Un surtout de table argent et or, dont l'ensemble est ma-
jestueux, avec détails et figures bien agencées, forme la
pièce principale de l'exposition de M. Durand; nous regret-
tons de ne pas connaître le nom de l'artiste qui a modelé ce
surtout,
Un bel huilier en argent ciselé, dans lequel des bouteilles
en cristal bleu font un très-bon effet, est exposé par M. Cos-
son-Corby; un service à Ihé en argent émaillé, de style
arabe, par M. Marrel aîné.
Nous remarquons encore un magnifique bouclier de chasse
avec figures d'hommes et d'animaux en ronde bosse dans des
médaillons entourés de branches de feuillage; le bouclier est
en tôle, les figures et ornements en bronze argenté par l'é-
lectricité. Cette pièce, exposée par iM. Casses , a été compo-
sée et modelée par M. Fournier. sculpteur.
M. Ros>igneux expose une jolie coupe d'argent.
Un joli cotfret à bijoux en argent se remarque au milieu
des objets exposés par M. Veyrat.
Les vitrines d'orfèvrerie placées dans la galerie supérieure
ne sont pas moins richement garnies, et nous regrettons de ne
pouvoir y jeter qu'un coup d'œil rapide. N'oublions pas cepen-
dant les richesses exposées par MM. Auguste-Paul, au milieu
desquelles domine un couteau de chasse, style Louis XIV.
638 VISITE î
avec poignard de défense; la gaine et la poignée de ce cou- \
teau, fondu et ciselé en argent, ont été dessinées par M. Dié- |
terle. Voici les vitrines de M. Thénard et de M. Roucou qui '
toutes deux sont pleines de pommes de cannes et de cachets '
d'or, d'argent et de bronze, dont quelques-uns sont des ,
objets d'art, La place voisine est remplie avec les dés de î
M. Lorillon , dés en or, en argent , avec des émaux, dés enfin, j
qui sont capables de donner envie de coudre aux plus pares- '
seuses. j
L'exposition de M. Lecointe, déjà garnie d'un beau ciboire \
et de parures, s'enrichira encore dans quelques jours d'un
magnifique service à thé or et argent, auquel cet artiste tra- ■
vaille avec ardeur, et qui sera décoré de gravures à l'eau- j
forte par l'habile graveur, M. Salmon. i
Voici des verres montés en or et en argent, un narghilez ;
et un magnifique poignard dont la poignée est un squelette; ■
sur la gaine, aussi en argent, Satan précipite un damné. Ce :
sujet dramatique est bien rendu, Satan a l'air très-féroce et :
le damné très-désespéré. '
N'oublions pas les jolies tabatières en or et en argent de
M. Chancefoin et de M. Picard , et les bijoux de M. Andral
d'Aurillac, de M. Lateltin.
Voici des bracelets de i\I. Ray et des chaînes en or sans
incrustation d'émaux de M, Prudhomme, et cependant ces !
bracelets et ces chaînes sont superbes par le fini du travail; j
tous ces anneaux , toutes ces plaques s'emboîtent et se re- ■
couvrent comme les écailles d'un poisson.
Ces coffrets, ces flacons de cristal, renfermés dans des |
branchages d'or et d'argent enrichis d'émaux, sortent des \
ateliers de MM. Tournay et Mumerelle. i
Cette magnifique collerette, composée de petites étoiles I
d'argent reliées entre elles par des fils si légers que le tout !
ressemble à de la dentelle , fait honneur à M. Dafrique. '■
Ces résilles , ces bracelets et bijoux en filigrane d'or et '■
d'argent sont de M. Payen. '
Ce beau collier en or, pierres et émaux, est exposé par
M Janvier.
Ce bouquet de lis et de roses en argent, de grandeur natu- '.
relie, de M. Plique, prouve que l'homme peut tout imiter, l
tout faire, même ce qui paraît, impossible : voyez plutôt!
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. (339
M. Grichois, qui a inventé l'orfèvrerie inter-cristal, et qui, à
l'intérieur du cristal d'une coupe, d'une assiette, d'un
verre, suspend des guirlandes d'argent ou d'or.
Voici M. Toussaint qui a fait le contraire de ce que font
les autres orfèvres; si MM. Greliche, Morel , Drault, Darlay
et Latreille, de Bordeaux, Berdoulat, de Toulouse, et tant
d'autres, imitent les plantes et les fleurs avec l'or et l'argent,
M. Toussaint fait de l'orfèvrerie avec les plantes. Au moyen
de l'électricité, il recouvre les feuilles, les fleurs, d'une
couche d'argent ou d'or, ou bien il trouve les éléments de
ses compositions dans la partie ligneuse des feuilles dessé-
chées du cactus , en forçant la nature à lui faire ses modèles.
Pouvait-il choisir un meilleur artiste? M. Clément, de Lou-
dun (Vienne), a fait comme lui, et il a exposé un magni-
fique arbuste avec des oiseaux, obtenus d'après nature par
la galvanoplastie.
Nous arrivons en courant devant les vitrines des objets
d'orfèvrerie argentée, dorée ou plaquée, qui peuvent à cer-
tains égards rivaliser avec l'orfèvrerie d'or et d'argent.
Les pièces de cette orfèvrerie sont dorées ou argentées au
feu par quelques-uns, par d'autres au moyen de l'électri-
cité; ce dernier moyen est employé par MM. Casses et par
M. Christofle, qui expose sous la rotonde du Panorama un
service de table pour cent couverts , dont plusieurs parties
sont en argent; les autres sont argentées par l'électricité.
M. Flosange, M. Boëx , M. Gueyton, dont nous aurons à
parler à propos des bronzes, M. Halphen, qui peut vendre
des couverts argentés à 6 francs, MM. Lionnet frères, etc.,
sont tous dans le même cas.
Ces dépôts de métaux précieux s'obtiennent par une voie
électrique de la façon suivante. Dans un bain de cyanure de
potassium, on fait dissoudre un sel d'or ou un sel d'argent;
on place ensuite au pôle négatif d'une pile assez énergique de
Bunsen les pièces de cuivre à recouvrir; au pôle positif se
trouve une lame d'or ou d'argent. Aussitôt que le courant
passe, le métal précietix se dépose sur le cuivre j et comme
celui de la plaque se dissout à mesure , la liqueur conserve
toujours la même saturation et peut donner un dépôt homo-
gène. On fait une opération tout à fait analogue pour recou-
vrir de cuivre les objets de zinc et obtenir les produits nom-
(iiU VISITE 4
mes bronze-composition : on remplace les sels d'or et d'argent ^
par du suïïate de cuivre qu'on ajoute au cyanure de potassium \
comme précédemment, et les plaques des métaux précieux |
sont remplacées par une anode de cuivre. ^
MM. Savard, Plichon , n'emploient pas ces nouveaux pro- -;
cédés, ils font des bijoux plaqués, c'est-à-dire en cuivre ou ■
en alliage, recouverts d'une feuille d'or à 0,750, le même i
titre que celui de la bijouterie d'or. ■
MM. Balaine, Haliot, Mme veuve Naudin , M. Sanders , i
M. Marguerie, M. Bender, M. Dobbé, M. Foasse , M. Dura- j
four, M. Lelong, M. Callot, ont exposé de tres-jolis bijoux, ;
dorés par l'un ou par l'autre des procédés dont nous venons :
de parler. i
MM. de Ruolz et de Fontenay et M. Fougères exposent des ''
objets d'orfèvrerie et des couverts faits avec un alliage !
massif, sans placage, remplaçant l'argenterie et coûtant i
beaucoup moins. j
M. Moussier a exposé des couverts, des plateaux , etc., en |
un métal imitant l'argent, sans alliage de cuivre, sain, j
solide et n'ayant pas besoin d'argenture ; ce métal , que l'on !
ne pourrait ciseler aussi finement que l'argent, est d'un bon |
marché inouï, comparativement aux prix ordinaires; ainsi i
un couvert coûte 5i fr. 50 c, la douzaine de cuillers à café, !
6 francs.
Cette partie de l'Exposition est sans nul doute une des plus
intéressantes; faire à bon marché est une condition absolue •
maintenant; mais on est heureux de voir qu'on soit arrivé à :
donner à ces produits une valeur artistique réelle. S'il n'y a i
plus guère en France de grandes fortunes capables de payer '
à leur valeur de beaux vases d'or et d'argent , il y a beaucoup ;
de gens de goût qui sont bien aises de pouvoir acheter des ;
œuvres d'art. M. Christofle, M. Halphen, en France; M. El- j
kington, en Angleterre, nous semblent avoir bien compris !
l'esprit du siècle, et sans doute le succès leur prouvera qu'ils |
mafchent dans la bonne voie. ;
11 nous faut quitter les questions d'économie usuelle pour I
remonter dans le domaine des arts. j
Kous avons à examiner les jolis produits exposés par les '
cmaiUeurs; mais admirons auparavant ces délicates incrusta- i
lions d'or et d'argent sur acier qui sont dues au talent de '
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 641
M. Pérot. Ces coffrets d'acier damasquinés sont exposés par
M. Henry.
Nous regrettons de ne pas voir ici les gravures à i'eau-
forte et les incrustations d'or et d'argent que M. Salmon fait
avec tant de goût et de soin.
N'oublions pas les jolis animaux presse-papiers or, argent
et bronze de M. Bouchet.
L'art de réinailleur a été peu cultivé pendant quelque
temps : les procédés étaient perdus ; lorsque , il y a quelques
années, des artistes cherchèrent, et, aidés par d'habiles chi-
mistes, retrouvèrent les procédés employés par les émailleurs
du moyen âge. M. Legost est un de ces savants artistes à qui
Ton doit une partie de ces découvertes; il a restauré les
émaux de plusieurs des tombeaux de la crypte de Saint-
Denis, et exposé des bronzes avec dessins champlevés remplis
d'émaux fondus, rappelant les formes et le caractère des
émaux des xr et xii' siècles.
On doit à M. Chariot de nouvelles formes de vases, de
coupes qu'il sait décorer d'émaux recouverts, par parties,
de feuilles d'or découpées en ornements capricieux. Ces
étoiles et ces ornements d'or, semés sur le bleu ou sur le
rouge de l'émail de ces jolies coupes, leur donnent un ca-
chet tout particulier; ces œuvres ne sont pas seulement une
imitation du passé, elles présentent un caractère de nou-
veauté remarquable.
M. Gossart a produit et exposé de belles tasses, des
flacons, des coupes émaillées et montées en bronze, qui
ressemblent à la belle porcelaine de Sèvres.
M. Deverdun est parvenu à imiter, au moyen de Témail, le
jaspe et le lapis; ces imitations intéressantes lui ont valu
pour elles l'entrée du musée de Sèvres.
Voici un autre émailleur de talent, M. Dolin, qui a pro-
duit des plats et des assiettes qui , comme dessin et couleurs,
rappellent les faïences de Bernard de Palissy.
Les émailleurs français sont peu nombreux , mais leurs
produits sont remarquables; nous verrons tout à l'heure que
les émailleurs des autres nations n'ont produit que des
émaux sur bijoux, et qu'ils sont surpassés par les nôtres.
La sculpture sur camées , sur onyx et sur cornaline est re-
présentée par M. Titus Albités , quelques-uns des por-
206 pp
642 VISITE
traits faits par cet artiste rappellent les beaux camées an-
tiques.
La mosaïque, qui est d'origine italienne, a aussi ses repré-
sentants français à l'Exposition , MM. Robert et Barri. Tout
le monde sait que l'art du mosaïste en bijoux consiste à
poser et sceller les uns près des autres d'imperceptibles mor-
ceaux de marbres de couleurs différentes, et de représenter
ainsi des monuments, des animaux ou des paysages. Ce tra-
vail est long et ne se prête pas à la fougue artistique; de plus
ses résultats sont peu satisfaisants lorsqu'on examine les
mosaïques de près; c'est un travail de patience et de détail.
qui ne produit un très-bon effet que de loin.
M. .Inrry a exposé une table dont le dessus est en mo-
saïques de lapis luzzuli; elle est aussi remarquable à cause
du pied en argent qui la supporte et du cadre qui l'entoure.
Des enfants se poussent pour atteindre en grimpant une cor-
beille de fruits qui supporte cette table. La mosaïque du des-
sus est d'un fini sati^falsant; l'orfèvrerie du pied et de la
bordure est une œuvre d'art. Cette partie de l'œuvre a toutes
nos préférences.
L industrie des bronzes d'art comprend la sculpture, le
moulage, la ciselure et la dorure.
Le sculpteur apporte son œuvre, le fondeur la prépare
pour la fonte, le monteur en bronzes en rassemble les tron-
çons épars et la livre au ciseleur; la dorure et la mise en cou-
leur complètent cette série d'opérations dont le prix ne laisse
pas que d'être considérable.
Plusieurs fabricants ont cherché à réduire ce prix en rem-
plaçant le cuivre par le zinc, dont la valeur intrinsèque est
beaucoup moindre, qui se cisèle beaucoup plus facilement,
et qui , lorsqu'on fond en coquille, c'est-à-dire dans des
moules de métal, peut quelquefois n'être pas retouché. La
plupart du temps on recouvre le zinc d'une couche de cuivre
par voie galvanique, le cuivre est ensuite ôronse par diffé-
rents procédés.
Les fabricants de bronze prétendent que l'on ne peut ob-
tenir une reproduction en zinc aussi belle et aussi nette
comme ciselure qu'avec le bronze; MM. Miroy, Boy, Laureau,
Lefèvre, Duchâieau, Dubois et Soûlas ont exposé des sta-
tuettes, des candélabres et des presse-papiers en zinc fondu
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 0i3
dont l'aspect est aussi beau , dont les ciselures sont aussi
fines que si ces produits étaient en bronze. Il est cependant
difficile d'obtenir une couleur en tous points satisfaisante et
durable.
Dans la grande nef sont de grandes figures , d^s chevaux
et des candélabres en bronze sortis des ateliers de M. Calla,
de M. Thiébault, de M. Morin, de iM. Viltoz, de M. de La-
broue et de M. Eloy Dupont. Au fond de la nef, et sur un
piédestal très-élevé, est une statue de reine toute dorée des
pieds à la tête et exposée par MM. Eck et Durand. La lumière
joue et glisse sur cette masse de dorure et produit de singu-
liers chatoiements sur le visage de cette pauvre reine. Des
figures dorées font très-bon effet, mais lorsqu'elles sont pe-
tites; M. Graux-Marly l'a bien compris à propos de ses tor-
chères , dont les draperies seules sont dorées.
Nous voici devant l'exposition de M. Barbedienne : au fond ,
la réduction d'une porte du baptistère de Florence, chef-
d'œuvre de Lorenzo Ghiberti , le grand ariiste florentin , à
gauche , le Laocoon en bronze ; à droite, le Moïs,e de iMichel-
Ange; en avant le Penseroso , le Jour et la Nuit de Michel-
Ange; la Vénus de Milo, et, comme chefs-d'œuvre modernes,
la Pénélope de Cavelier, la statue équestre de François P'' par
Clésinger; le tout entremêlé de vases, de coupes, de brûle-
parfums byzantins, de statuettes, de cachets d'un goût et
d'une exécution irréprochables; parmi tous ces trésors nous
distinguons les amphores de Henri Cahieux , jeune sculpteur
moissonné ces mois derniers ; ces trépieds qui ressemblent à
l'antique sont aussi de lui.
Et tous ces bronzes de l'antiquité et du moyen âge ne sont
pas des copies plus ou moins exactes des chefs-d'œuvre ori-
ginaux , mais des réductions mathématiques obtenues par les
procédés de M. Collas, procédés à l'aide desquels la réduction
s'opère mécaniquement à une échelle déterminée.
Si nous n'avions encore tant à voir, nous dirions quelques
mots du bénitier byzantin en or et émaux par M. Legost, qui,
dans quelques jours, viendra augmenter la splendeur de l'ex-
position de M. Barbedienne.
La montre de M. Denière est aussi très-bien et très-riche-
ment composée. Au premier plan , voici tout un service de
table en bronze doré exécuté dans les ateliers de M. Denière
644 VISITE
pour i\I. Kisseleff, ex-ambassadeur de Russie. Nous rei^Tet-
tons de ne pas savoir le nom du sculpteur qui a produit ces
beaux feuillages et ces jolis enfants si mutins. iVi. Denière a
aussi exposé une profusion de pendules , de candélabres en
bronze doré et non doré; des copies d'après des sculpteurs
de l'antiquité , du moyen âge et de^nos jours.
Entre autres bronzes remarquables, MM. Raingo ont exposé
une belle pendule représentant l'Alliance de l'Art et de la
Science; c'est une bonne idée bien exprimée.
MM. Susse ont exposé de belles réductions en bronze, obte-
nues par le procédé de M. Sauvage , parmi lesquelles nous re-
marquons la Véjius de Milo, VAtalante et la Sap/^o de Pradier.
Voici beaucoup de groupes de Cumberworlh reproduits en
bronze et exposés par M. Daubrée.
Un sculpteur de Caen, M. A. Lechesne, a exposé lui-même
plusieurs de ses œuvres en bronze ; nous remarquons un joli
coffret, des vases et des groupes d'animaux.
Tout auprès, un autre sculpteur, fatigué de subir les exi-
gences des fabricants, s'est fait fabricant lui-même; regar-
dez ses œuvres : ces animaux si naturels, si foits [si intel-
ligents, jusque dans leur férocité, ne peuvent être que les
œuvres de Barye.
Personne, en effet, ne sait, comme cet artiste éminent, ani-
mer le bronze, lui souffler la vie et le mouvement. M. Barye
est professeur au Muséum d'Histoire naturelle, et c'est là un
excellent choix qu'ont fait les administrateurs de ce grand
établissement; il est en effet essentiellement naturaliste,
chaque animal a son caractère spécial bien saisi , son mouve-
ment parfaitement étudié; d'autres font peut-être aussi bien
que M. Barye, personne ne fait aussi vrai !
Là, c'est un fabricant de bronze qui est sculpteur, aussi
M. Noël fils sait-il donner aux bronzes qui passent par ses
mains un cachet tout particulier.
M. Delafontaine est un artiste de mérite; voyez ce petit
lustre byzantin , si joli de forme et de détails , ces vases et ces
candélabres antiques. M. Delafontaine a aussi reproduit le
danseur et le masicie'i napolitain , de M. Duret.
Quelle jolie et sainte figure que celle exposée par M. Dé-
pensier! Elle lient une croix de bois er porte V Évangile; elle
i^st humble et son doux sourire réconforte ceux qui la regar-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 645
dent; c'est bien ainsi que nous comprenons la Religion chré-
tienne.
Pourquoi donc les fabricants de bronze ne mettent-ils pas
sur les produits le nom de l'artiste qui a créé ces chefs-d'œu-
vre? nous n'aurions pas à regretter sans cesse, en voyant des
œuvres si remarquables, de n'en pouvoir nommer les auteurs.
M. de Labroue ne craint pas de désigner les sculpteurs à
qui il doit ses beaux modèles; aussi lisons-nous sur plusieurs
groupes très-remarquables , entre autres celui d'Héloïse et
d'Abailard, le nom de E. Chatrouse; nous reconnaissons aussi
le groupe d'esclaves de M. Lévêque.
Nous voyons chez M. Paye, Vecce Homo et la Vierge de Cal-
mels, plusieurs figures par M. Dubois et par M. Blavier; chez
M. Graux-Marly, les belles figures porte-lampes, grandeur
nature, de M. Ch. Buhot.
Chez M. Boyer, un beau groupe formant pendule : Vlndus-
trie écrasant r Ignorance .^ par M. Piat.
Chez M. Gautier nous reconnaissons le Faune de M. Le-
quesne , un joli groupe de M. Adrien Fourdrin ; chez MM. Dn-
plan et Salles, des groupes d'animaux de Comoleyra.
Mais arrrétons-nous un moment devant la belle pendule
exposée par MM. Vauvray. Cette pendule est destinée à per-
pétuer le souvenir de l'Exposition universelle de 1855.
Au centre le génie des arts et de l'industrie appelle tous les
peuples à l'Exposition. L'Europe arrive portant la presse qui
un jour doit émanciper tous les peuples ; V Afrique la suit ;
l'Asieei V Amérique v'xewwQni déposer leurs produits aux pieds
du génie, VOcéanie étonnée regarde.
Cette pendule est accompagnée de deux candélabres sous
la forme de palmiers au pied desquels reposent l'Art et la
Science. Ces figures allégoriques sont bien comprises et expri-
ment bien ce qu'elles représentent ; elles sont dues à M. Sal-
mon , sculpteur; le dessin d'ensemble est de MM. Vauvray,
M. E Gallien , architecte, a dirigé l'arrangement et la déco-
ration de ce petit monument , et M. Deurbergue a ciselé les
figures. A la bonne heure MM. Vauvray font la part de tous
ceux qui les ont aidés ! c'est justice.
MM. Delesalle ont exposé un piédestal en marbre noir for-
mant pendule, sur lequel est la statue équestre du général
Bonaparte; aux angles du piédestal sont deux tambours et
646 VISITE
deux trompettes de l'armée républicaine ; ces figures sont de
M. Leveel.
M. Bonnotte a exposé plusieurs pendules avec figures en
bronze d'un très-bon style, des coupes et des candélabres,
des penduies dun effet original tout en bronze et composées
de feuilla.ues sur lesquels sont posés des oiseaux; les feuil-
lages sont d'un vert plus vif que le bronze de la pendule et
paraissent naturels.
M. Bonnotle a, dans son compartiment, un joli cadre de
glace coriipDsé de feuillages et d'oiseaux en bronze doré qui
sort des atf liers de M. Matifat père.
Mais le temps nous presse : voyons en courant la pendule
et les vases byzantins de M. Bouionnois ; la jolie cheminée en
marbre blanc avec bronze doré de MM. Lerolle frère , et leur
beau lu ^tre avec branches et feuilles de vigne en bronze doré,
et grappes de raisin en cristal ; ce groupe de sept figures fondu
d'un seul jet par M. Grignon-Meusnier, et ces pendules en
marbre, décorées de peintures sur porcelaines et ornées en
bronze; les pendules de M. Houdebine avec ses gravures au
burin dont les traits sont dorés ensuite (procédé Verdin). Les
bronzes d art et de fantai?ie de MM. Dardouville, Détourbet
et Broquin, Sorel-Douce, Fétu , Bigot, Bernard , Carrier, de
Lyon , etc. , etc. Nous en passons et des meilleurs. Mais
avant d'arriver aux imitations de bronze, levez les yeux et
voyez ce joli lustre en bronze doré avec fleurs de porcelaine
peinte et cristaux , qui sort des ateliers de M. Marquis.
Dans la galerie sont suspendus de beaux lustres , les uns
tout en bronze doré , les autres en bronze doré et cristaux , sor-
tant des ateliers de MM. Charpentier, Boyer, Weygaud , Gal-
lois et Lacan ière : le lustre du Clique, dessiné par M. Hittorf,
a été f.iit dans les ateliers de M. Lacarrière qui a fait aussi,
je crois, le lustre si original et si beau que M. Barthélémy
avait imaginé pour la salle qui porte son nom.
Si nous nous arrêtons devant les étalages de MM. Boy,
Bourdon, Miroy, Laureau , Dubois et Soûlas , nous pourrons
nous croire encore chez des fabricants de bronze, tant ces
figures, ces coupes, ces candélabres sont fins et purs; ce-
pendant ces objets sont en imitation.
Voyez les imitations de petits bronzes d'art de M. Laureau,
et les grandes statues de M. Boy et de M. Mifoy ; voyez les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 647
beaux lustres et les beaux candélabres faits en zinc par
M. Hubert fils et recouverts de cuivre au moyen de l'électri-
cité; comparez-les à des bronzes véritables, voyez où pour-
ront nous conduire encore quelques années d'efforts. Déjà
les prix sont réduits dans une incroyable proportion.
MM. Gueyton, Feuquières et Marguerite, Pouey, Lefèvre,
Zier et Lionnet n'ont exposé que des produits galvanoplasti-
ques.
C'est , on peut le dire, de l'époque où la gutta-percha a été
introduite dans les ateliers de la galvanoplastie , que date
le succès véritablement sérieux de cette industrie nouvelle.
On sait que la gutta-percha se ramollit par la chaleur :
ainsi ramollie , on l'applique sur l'objet à reproduire , et la
pression fait pénétrer cette matière éminemment plastique
dans tous les creux du modèle; après le refroidissement,
son élasticité permet de l'arracher du moule en conservant
toute la fidélité et la délicatesse de l'empreinte formée. Ainsi
préparé, le moule de gutta-percha est rendu conducteur de
l'électricité en le recouvrant, à l'aide d'un pinceau, de plom-
bagine en poudre ; il ne reste plus , pour obtenir sa repro-
duction, qu'à le plonger dans le bain électro-chimique.
Quant à la pile qui sert à provoquer la précipitation du
cuivre par l'action décomposante de l'électricité, elle n'offre
rien de particulier. C'est l'appareil ordinaire que l'on trouve
aujourd'hui à bas prix dans le commerce. On place cette pile
en dehors du bain , ses deux fils conducteurs plongeant seuls
dans le liquide. On attache le moule au pôle négatif, et à
l'autre pôle une plaque de cuivre dont la proximité inûue
souvent beaucoup sur le ré.-ultat obtenu; à mesure qu'il se
dépose du métal sur le moule, le cuivre de la plaque positive
se dissout ; la liqueur reste ainsi toujours au même degré de
saturation ; le cuivre est, pour ainsi dire, transporté de la
plaque au moule. Au bout de quelques jours, ce dernier se
trouve recouvert en entier et l'opération est terminée.
On peut souvent ne pas employer une pile extérieure; on
se contente , par exemple, de placer dans le bain un vase po-
reux dans lequel de l'acide sulfurique et du zinc développent
un courant qui arrive jusqu'au moule par un fil métallique qui
relie le moule à la plaque de zinc. Mais, dans ce cas, comme
la dissolution finirait par s'épuiser , on a la précaution de
648 VISITE
placer au sein de la liqueur un sac contenant des cristaux
de sulfate de cuivre, qui se dissolvent dans l'eau pour rem-
placer au fur et à mesure celui qui disparaît par suite du dé-
pôt métallique.
Nous avons dit plus haut comment on faisait les dépôts
de métaux précieux par l'éiectricilé.
Toutes ces statuettes, ces beaux bas-reliefs, ces bustes, ce
calvaire de Justin , ces vases , ces coupes , ces plateaux de
M. Gupyton sont ainsi obtenus Plusieurs d'entre eux sont
de véritables pièces d'orfèvrerie artistique.
M. Lefèvre est l'inventeur breveté d'un moula2;e élastique,
au moyen duquel il obtient des pièces d'un relief considéra-
ble. Un petit bas-relief contenant une foule de figures bien
détachées est un petit chef-d'œuvre de reproduction.
M. Lionnet , lui aussi, est un galvanoplaste distingué.
Voyez ces reproductions de clirhés pour l'imprimerie et de
planches gravées sur acier et sur cuivre, et ces pendules,
ces Coffrets, vrais bijoux argentés et dorés par l'électricité.
Les étalages de MM. Pouey, Feuquières et Zier, sont des
musées d'objets de bronze et d'orfévreiie obtenus à peu de
frais par la galvanoplastie. M. Oudry nous présente des ap-
plications de rélectro-métallurgie au doublage des navires,
et de la chaudronnerie en fer et en fonte , applications qui ne
seront pas moins utiles à l'industrie que celles que nous
avons vues ne seront utiles aux arts. Nous verrons, parmi les
produits de l'exposition anglaise et allemande, des spécimens
d'œuvresplus remarquables de cette nouvelle industrie.
Enfin, nous sommes parvenu à nous soustraire au charme
de l'exposition française , et il ne fallait rien moins pour nous
en donner le courage , que les merveilles des expositions
étrangères.
Commençons notre revue par l'exposition de Vorfévrerie et
bijouterie anglaises , qui est la plus remarquable.
Quelle profusion de surtou^s, de coupes, de candélabres
en argent massif, des vases, des boucliers, des groupes de
combattants, des monuments, enlin tout un musée de sculp-
ture en argent massif. Quelques-uns de ces spécimens de
l'orfèvrerie anglaise sont encore plus riches au point vue de
l'art.
Voici d'abord des candélabres et un groupe de figures
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 649
allégoriques, tout en argent massif, exposé par la Compa-
gnie des orfèvres de la cité de Londres. Le groupe représente
IHchard II donnant le privilège à la Compagnie des orfèvres.
Ces figures, ces ornements gracieux prouvent que la Compa-
gnie a fait faire le modèle par un des meilleurs sculpteurs de
l'Angleterre.
Plusieurs des vitrines des orfèvres anglais présentent un
nombre incroyable de richesses; on comprend en les voyant
que l'aristocratie anglaise est seule assez riche pour acha-
lander de telles fabriques d'orfèvrerie. Nous n'avons ni le
temps ni l'espace pour détailler toutes ces merveilles. Faisons
remarquer cependant dans la vitrine de M. Garrard cette
belle fontaine arabe en argent et en or. décorée d'ornements
émailiès du plus beau style arabe que l'on puisse voir; trois
chevaux viennent se désaltérer à cette fontaine. Ce magnifi-
que surtout appartient à la reine d'Angleterre. Voyons en-
core ce beau candélabre , ces bracelets et ces bijoux de tou-
tes sortes. Puis passons à la vitrine de M. Hancock où brille
un magnifique surtout, représentant un combat entre deux
chevaliers. C'est une singulière idée de poser sur une table,
autour de laquelle sont de joyeux convives , un surtout re-
présentant ce qu'a de plus atroce la barbarie : des hommes
qui s'égorgent. Nous préférons de beaucoup sous ce rapport
le surtout de MM. Donne, Prime, Lister, et, à l'exposition
française, ceux de MM. Denière et Christnfle, qui ne pré-
sentent que des sujets agréables. Mais M. Hancock sait être
aussi gracieux et élégant; ses riches parures doivent être
comptées parmi les plus belles de l'Exposition.
Nous sommes devant la vitrine de MM. Hunt et Boskel, les
successeurs de Stor et Mortimer; admirons ces bijoux si ri-
ches, ce bouquet de fleurs faites avec des diamants. Ce sur-
tout, cps candélabres en argent sont bien beaux, et cepen-
dant voici des vases et un bouclier en argent repoussé qui
les font oublier.
L'un de ces vases représente Jupiter foudroyant les Ti-
tans. Cette figure de .lupiter, placée au sommet du vase, les
Titans qui tombent foudroyés sont dignes de Michel- Ange;
comme celui-ci, deux autres vases et un bouclier sont aus^ide
M. Wechte, artiste français qui, depuis quelques années, ha-
bite Londres et contribue aux succès de cette maison. Nous
650 VISITE
avons vu, dans l'exposition française, une des œuvres de
M. Wechte : le vase ap;>at tenant au baron Bro.
Les œuvres de M. Wechte ne doivent pas nous empêcher
d'admirer les bijoux en pierreries montées en or et en argent
dans les ateliers de M. Phillips, et qui sont dignes des joail-
liers français. Mais en voici que nous préférons à cause de
leur caractère d'originalité, ce sont des bracelets et des bi-
joux irlandais expoî^és par MM. Bettie, d'Aberdeen. Ces bijoux
ne sont pas des reproi actions plus ou moins belles des pro-
duits de la joaillerie française, comme nous en voyons en
Angleterre et dans h s autres pays , qui tous ont le tort de
vouloir imiter la France au lieu de créer des produits ayant
un cachet, un slyle [)arliculier.
Aussi voyez les beaux bijoux de MM. Bettie; les broches et
les bracelets de MM. Walerhouse, de Dublin, de MM. Slur-
ger, de Birmingham; les bracelets, les colliers de MM. Phe-
lan , Goggin, de Dublin, faits de chêne fossile noir ou noirci,
ornés de perles, d'émeraiides et de pierres précieuses et
montés en or et en argent Certes ces bijoux sont moins
brillants que des bijoux de pierreries montés par les Lemon-
nier et les Bapst, mais ils ont un caractère d'originalité qui
fait plaisir.
Qui refuserait de s'arrêter devant la vitrine de M. Bisson;
ces ch^^înes d'or si souples, formant des bracelets dont le tra-
vail d'ajustement est un chef-d'œuvre de goût et de soin. Ce
petit éléphant d'argent avec incrustations dor est un bijou
remarquable comme i-cidpture et comme ciselure.
M. Bisson est un habile bijoutier français, réfugié politique
à Jersey depuis 1851 ; il a exposé ses œuvres sous le nom
de l'Angleterre qui lui a donné un asile et qui peut être fière
de l'artiste qu'elle compte aujourd'hui comme un des siens.
La galvanoplastie en Ar'glett^rre a d'habiles interprètes;
MM. Elkington et Mason , Parkins et Marshall , Cartwrigth et
Prime, de Birmingham, ont exposé des surtouts, des can-
délabres, etc., argentés par \e< procédés galvaniques.
L'une des parties les plus curieuses de l'Exposition est celle
occupée par les produits de l'Inde^ exposés sous le patronage
de l'Angleterre.
Les deux vitrines dans lesquelles sont groupés les bijoux
et les objets d'orfèvrerie sont des plus admirables. Nous par-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 651
lions naguère de formes originales , de créations féeriques
qui étonnent; certes, nous pouvons être satisfaits. Voici des
colliers, des bracelets, des boucles d'oreilles, des bijoux de
toutes sortes, tous différents les uns des autres et de plus en
plus jolis. Il paraît que de tout temps et dans tous les pays,
îes femmes ont aimé se mettre des bagues, des colliers aux
doigts , aux bras, aux oreilles , voire même au nez.
Quelle admiration n'a-t-on pas pour l'ancienne civilisation
de l'Inde en voyant ce monceau d'objets d'art qui datent, les
uns de plusieurs siècles, les autres de quelques années
seulement ; ces bijoux si bien montés, si artistement conçus,
ces bracelets et ces colliers de filigranes d'or et d'argent, qui
sont aussi fins que les fines dentelles; ces coupes émaillées,
ces coffrets d'ivoire et d'ébène, ces aiguières sveltes, élan-
cées, tout cet art rempli de charmes dans sa bizarrerie et qui
nous plaît d'autant plus qu'il nous est plus étranger.
De l'Inde passons en Egypte, qui nous envoie des narghilez
d'or et des armes damasquinées enrichies de pierreries.
Traversons la Grèce et la Turquie qui n'ont ni bronze ni
orfèvrerie et arrivons en Toscane.
M. Papi de Florence a envoyé une copie réduite en bronze
du Persée de Benvenuto Cellini, ainsi que du beau piédestal
sur lequel il est posé; une copie en bronze, grandeur du mo-
dèle de la tête de David par Michel-Ange ; mais ce qui étonne
le plus les fondeurs, c'est une plante d'aloès aux mille feuilles
coulée en bronze d'une seule pièce.
La bijouterie des États pontificaux n'est pas représentée à
l'Exposition; nous le regrettons, en nous rappelant ces beaux
colliers et ces boucles d'oreilles si bien portés par les femmes
romaines; mais en revanche, les mosaïstes ont envoyé des
broches, des épingles, des tables, des tableaux d'un travail
de patience inouïe.
Voyez ces broches de M. Michelini; en songeant que ces
petites têtes de femmes ou d'hommes, que ces petits chiens
formant broches, sont composés de milliers de morceaux de
marbre de toutes couleurs, gros comme des têtes d'épingles;
on est étonné de la patience de l'ouvrier qui les coupe, les
assemble et les réunit de manière que toutes les nuances du
modèle soient reproduites ; mais que dire en présence de ces
tables de marbre , de M. Sampieri et de M. Corradini de
65i2 VISITE
yome, sur lesquelles paraissent jetées des guirlandes de
joses et de clochettes bleues. Chacune de ces branches, de
ces feuilles, de ces fleurs est. un composé d'une infinité
de morceaux de marbre. Admirez surtout un tableau de
près de 2 mètres de longueur sur 0'",80 de hauteur. C'est
une vue du Campo Vaccino à Rome; de loin ce tableau paraît
être à l'huile; et il n'a pas coûté moins de dix ans de travail
à M. Galland.
M. Poggi a fait un tableau composé de cailloux de la Seine,
représentant un chien grand comme nature.
Ces travaux de patience nous effrayent et nous nous hâte-
rions de fuir en Sanlaigne si nous n'étions retenus encore
dans les États pontificaux par MM. Spagna et Borgognoni;
M. Spagna nous montre une belle reproduction en bronze
doré de la colonne Trajane, autre travail de patience; M. Bor-
gognoni, un écritoire en bronze doré et argent, très-riche,
mais dont les figures auraient dû être modelées par un des
nombreux artistes qui habitent Rome.
En Sardaigne, la dix-septième classe ne possède qu'un beau
lustre en cristal de roche de M. Pansa.
L'exposition d'orfèvrerie belge est beaucoup plus riche;
MM. Watte, d'Anvers et Dufour, de Bruxelles, ont exposé des
bijoux de toutes sortes, en or, en argent, enrichis d'émaux
et de pierres précieuses . et dont la perfection rivalise avec
celle des œuvres des joailliers français.
L'orfèvrerie religieuse est dignement représentée par
MM. Roger, d'Anvers et Philip , de Liège. La reliure du Missel,
de M. Roger, en argent découpé, gravé et ciselé, est très-
remarquable.
MM. Colin, Backes et Krug, de Hanau félectorat de Hesse)
ont exposé des bijoux un peu moins légers que ceux de
France , mais presque aussi bien montés. Le lustre en bronze
doré de M. Pracht est très-beau.
M. Probst de Hambourg a exposé un échiquier en nacre,
dont les échecs sont en argent et en vermeil.
Les orfèvres wurtembergeois ont une assez belle exposi-
tion ; les vases et les coupes en argent repoussé de M. Grober
et les belles pièces d'orfèvrerie plaquée de MM. Bau méritent
d'être mentionnés.
M. Bruckmann expose une belle lampe d'église dans le style
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 653
guthique, dont tous les ornements sont estampés sans aucune
retouche ni ciselure.
Le Danemark compte au nombre de ses exposants,
MM. Moller et Drewsen de Copenhague; M. Moller a exposé
des bustes grandeur naturelle 5 obtenus par la galvanoplastie.
M. Herazcek a envoyé des sabres et des épées dont les poi-
gnées et les fourreaux sont en or et argent richement ciselés.
La Suède a des orfèvres habiles; MM. Mollenborg, Vogt,
Soner et Folker de Stockholm ont envoyé des plateaux, des
candélabres et autres objets d'orfèvrerie de second ordre.
Nous pourrions en dire autant de l'orfèvrerie hollandaise,
qui est plus lourde comme matière , mais moins finement tra-
vaillée que l'orfèvrerie française et anglaise.
MM. Romain , Liicardit de Rotterdam ont des vitrines bien
garnies; nous avons remarqué chez M. Romain de beaux vases
en argent, et un magnifique surtout chez M Lucardit.
M. Salm d'Amsterdam a exposé entre autres belles pièces
d'orfèvrerie, un petit groupe de deux figures en argent ciselé
d'une seule plaque sans soudure.
Nous engageons les dames à voir les petits paniers en orfè-
vrerie d'argent à jour, d'un travail aussi fin que celui de la den-
telle de M. de Meyer de la Haye; et la belle vitrine de M. Gil-
lis Grevink d'Amsterdam, dans laquelle elles remarqueront
comme nous une brosse de nappe et un porte -miettes en
argent.
Quant à la Suisse, nous devons avouer que ses bijoux sont
aussi beaux que ceux de la France; voyez ceux exposés par
MM. Dutertre, Bautte, Berthold, Rischgitz de Genève, Mayer
de Neufchâlel; ces jolis bracelets, ces broches, ces boucles
d'oreilles, ces tabatières en or et argent ciselés avec pierre-
ries enchâssées, sont remarquables; mais ce qu'il y a de re-
marquable encore, c'est que tous ces bijoux sont garnis de
montres microscopiques; ainsi bracelet à montre, broche à
montre, tabatière à montre, et de plus à musique , lorgnon à
montre, et pourquoi pas, bagues et épingles à montres; dé-
cidément la Suisse est bien le pays de l'horlogerie; que celte
profusion de montres ne nous empêche pas de signaler ce-
pendant la belle broche et le beau livre d'heures de M. Du-
tertre, avec montre bien entendu.
M. Lejeune a envoyé les plus jolies chaînes que l'on puisse
654 VISITE
imaginer , en or , en argent et même en bois. Mais M. Lejeune
ne doit pas trouver à vendre ses chaînes en Suisse, car à
quoi bon une chaîne si ce n'est pour porter une montre? Et
lorsqu'une dame a des montres sur tous ses bijoux, elle n'a
que faire dune montre à la ceinture.
Toutes ces montres sont enrichies de perles, de pierreries,
d'émaux à faire tourner toutes les têtes; mais, dira-t-on,
vous ne deviez nous parler que des bijoux et vous nous parlez
horlogerie. — Que voulez-vous, en Suisse, tous les bijoux
sont des montres, toutes les montres sont des bijoux.
En Espagne, nous trouvons beaucoup d'orfèvrerie reli-
gieuse et d'armes enrichies de pierreries.
M. Isaura de Barcelone a exposé un joli lustre tout en ar-
gent, et destiné probablement à une chapelle de la Vierge.
Nous remarquons une écritoire en argent et en or de M. Ra-
mirez de Madrid; cette écritoire produit de loin beaucoup d'ef-
fet; mais les figures sont vulgaires, mal dessinées; M. Ra-
mirez aurait dû confier le modelage de ses statuettes à un
sculpteur habile, il n'en manque pas à Madrid.
L'exposition de MM. Zuloaga de Madrid est plus brillante:
nous y remarquons des bas-reliefs en fer ciselé , très-beaux
comme sculpture et comme exécution, ainsi que deux oiseaux
ronde bosse en fer ciselé, qui sont d'un fini admirable; un
beau bouclier en fer repoussé, une reliure d'album en fer
damasquiné en or et un spécimen des boucles d'oreilles ca-
talanes en or avec pierreries : ces boucles d'oreilles sont d'un
style très-original.
MM. Pierre Soler et Perie de Barcelone ont exposé parmi
de belles pièces d'orfèvrerie et de bijouterie , la couronne de
feuilles de laurier émaillées sur or , qui a été donnée à Espar-
tero par la ville de Barcelone.
La joaillerie de Portugal est bien représentée par M. José
Pera Moitas de Porto, qui a exposé de jolis bijoux, entre
autres un bracelet avec pierreries et émaux aussi parfaits
que ceux de nos bijoutiers français.
Descendons au rez de- chaussée afin d'y admirer la bijou-
terie prussienne , où nous attendent les beaux bijoux de
M. Friedeberg de Berlin, de M. Kochler de Liegnitz, de
M. Wilm de Berlin. Les vases formés de branches et feuil-
lages d'argent de M. Friedeberg sont d'un très-bel effet. Cet
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 055
orfèvre a également exposé un plateau en argent sur lequel
est gravé le Palais de l'industrie; cette gravure fine produit
l'effet d'un dessin d'architecture très-légèrement lavé: le pa-
lais d'une teinte grise irès-délicale est bien repoussé par les
arbres du premier plan qui sont légèrement dorés. Ce mode
de gravure est très-joli.
MM. Sy et Wagner de Berlin ont exposé un livre dont la
reliure or, argent à jour avec incruslaiions d'émaux, attire
tous les regards ; M. Haussmann un beau bouclier en argent
repoussé, d'après M. Médem, sculpteur. Comme en France,
l'argenture et la dorure, par l'électricité, ont produit de beaux
résultats, exposés par M. Winkeimann de Zinna, MM. Lœ-
venthal de Cologne, M. Mœhring de Berlin, etc.
Dans une enceinte voisine de la Prusse est exposée la
bijouterie autrichienne, qui est remarquable par l'emploi des
grenats de Bohême , dont la couleur s'harmonise bien avec
l'or et l'argent qui les entourent.
M. Rosenberg de Vienne , MM. Grohmann, Forst , Pichler
et Podiebrad de Prague , ont exposé une brillante collection
de bracelets, colliers, boucles d'oreilles en grenats, très-bien
montés en or et en argent.
Comme orfèvrerie , M. Grohmann nous montre une très-
belle crosse en or avec petites figurines en argent très-bien
modelées; et MM. Bolzani de Vienne , des chaînes d'or d'un
travail remarquable.
Un vase et une soucoupe en or, de forme gracieuse, avec
de beaux ornements en argent en relief, sont l'œuvre de
M. Colombo de Milan.
M. Ratzersdorfer , parmi de belles pièces d'orfèvrerie, a
exposé une coupe en or et en argent qui doit être donnée
pour prix de courses.
MM. Rocco de Milan ont envoyé de beaux spécimens de
la bijouterie milanaise , des bracelets , des colliers et ces
grandes épingles en argent à deux tètes , que les femmes du
royaume lombard -vénitien mettent dans leurs cheveux.
Nous passerons également en revue les bronzes, les zincs
et les objets de galvanoplastie distribués par les différentes
nations dans le Palais de lindusti ie.
En entrant dans la grande nef, on remarque de suite une
statue de fonte, le Tueur d'aigles^ chef-d'œuvre de M. John
656 VISITE
Bell , sculpteur anglais. Cette statue est exposée par la Coal-
brookdale-Company ; MM. Elkington et Mason ont aussi ex-
posé dans la nef plusieurs statues remarquables en cuivre gal-
vanique; et si nous entrons dans le compartiment réservé à
leur exposition aussi dans la grande nef. nous serons frap-
pés du grand nombre et de la beauté des produits argentés
par l'électricité; surtouts, vases , coupes , aiguières, groupes
qui , certes , ne cèdent rien sous le rapport artistique aux
produits remarquables de l'orfèvrerie française et anglaise.
En Autriche, des reproductions de grandes gravures en
taille-douce, épreuves obtenues dans les ateliers de galvano-
plastie de l'imprimerie impériale autrichienne, attestent dans
une autre direction les progrès accomplis. Le même établisse-
ment a produit des bas-reliefs galvanoplastiques dont les figu-
res sont presque ronde bosse et des clichés qui ne laissent
rien à désirer.
L'institut de galvanoplastique de M. de Kreiss à Offembach-
sur-le-Mein a envoyé des bas-reliefs et statuettes très-remarqua-
bles; entre autres une reproduction du bas-relief, fait d'après
le tableau de Gendron , la ronde des IVillis. Quelques-unes de
ces figures sont presque détachées du tableau et ont dû pré-
senter de grandes difficultés. Cette reproduction est une des
plus remarquables de l'Exposition.
M. de Kreiss a envoyé aussi des bas-reliefs représentant des
points de vue pris aux bords du Rhin : un homard, une écre-
visse et une chauve-souris pris sur nature.
La Hollande n'envoie rien en galvanoplastie, mais elle a de
beaux bronzes exposés par M. Lurasco d'Amsterdam. Une
belle statuette en bronze de l'amiral Ruyier , une de Rem-
brandt, une de Laurent Coster et une de Guillaume I", ont été
fondues d'après les statues faites par M. Royer, sculpteur de
talent.
A l'extrémité de la grande nef se trouve une sorte de tour
byzantine décorée de peintures et entourée de grands can-
délabres de même style et portant des vases de fleurs. Cette
tour qui n'est autre qu'une immense jardinière est en zinc
fondu peint et doré, ainsi que les candélabres qui l'en-
tourent. Ces objets qui produisent un si bel effet sont exposés
par M. de Diebitsch de Berlin.
MM. Schewedt et Markstein , M. Fischer et M. Knoll , de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 657
Berlin, ont exposé de belles statuettes de bronze; de beaux
groupes d'animaux en fonte, une cheminée avec cadre de
glace et pendules en fonte sortent de la fonderie de M. le
comte d'Éinsiedel, en Saxe.
MM. Devaranne, Geiss et Meves ont envoyé des groupes,
des bustes et des ornements fonrlus en zinc et recouverts de
cuivre par l'éiectricilé. M. Geiss a en outre exposé des figures
obtenues par la galvanoplastie.
Nous ne pouvons mieux clore ce compte rendu de la dix-
septième classe de l'Exposition qu'en examinant le bas-relief
en argent galvanique, c'est-à-dire obtenu par une précipita-
tion d'argent, exposé par MM. Vollgold de Berlin. Ce bas-relief
en argent de 2 mètres de longueur sur plus de 1 mètre de
hauteur, représente la ville de Berlin venant complimenter la
princesse et le prince de Prusse à l'occasion du quinzième an-
niversaire de leur mariage. Quelques-unes des figures qui
composent ce bas-relief saillissent presque complètement du
tableau, aussi les difficultés à vaincre étaient considérables;
néanmoins, sous le rapport artistique, comme effet et comme
beauté des figures, nous préférons l'œuvre de M. Kreiss.
CLASSE XVIIl.
Industries de la céramique et de la verrerie,
Les arts en général prennent leur source dans les besoins
de l'homme vivant en société, ils progressent et se dévelop-
pent en raison parallèle du progrès et du développement des
populations; mais ils restent longtemps à l'état rudimentaire
et sont dans la série des siècles l'expression fidèle du concept
et de l'idéal des contemporains.
Dans les sociétés à peine ébauchées . l'art n'a donc qu'un
caractère purement domestique. Quand les rapports d'homme
à homme, de peuple à peuple , sont plus fréquents , il devient
industriel et sa sphère s'agrandit; il suffirait pour s'en con-
vaincre de suivre pas à pas la filiation, la marche sériaire
206 qq
658 YISITE j
d'une branche quelconque de l'art à travers les siècles. Dans '
ce chapitre, nous bornerons le cadre de nos observations à un j
aperçu rapide sur deux branches : la Céramique et la Ver- i
rerie. j
Nous commencerons d'abord par celle qui dans l'ordre des \
temps a rung de primogénilure, la Céramique.
Dès la plus haute antiquité, la céramique franchit les bornes j
étroites des besoins usuels de la famille pour s'idéaliser et re- ;)
vêtir des formes gracieuses. En Orient, chez les Chaldéens, ;
chez les Égyptiens , en Palestine , elle correspond non-seule- j
ment à l'essor du luxe intérieur pour la vasculation dans les
maisons particulières, dans les palais, dans les temples j^
mais encore par la reproduction des mythes et des emblèmes ;
allégoriques pris dans l'échelle des êtres vivants ou des pro- '
duits variés de la nature, elle contribue à l'ornementation j
extérieure des monuments et des édifices publics. ■
La Grèce, heureuse héritière des civilisations orientales qui
lui apportèrent leur tribut multiple et dont elle opéra la fusion ;
avec une si admirable sagacité, un goût si exquis, cultiva j
l'art céramique avec un grand succès. Athènes, centre des 1
beaux-arts, dut, en s'agrandissant, envahir deux quartiers 'i
qui, par leur nom de Céramique, indiquent assez clairement '
leur destination primitive. C'étaient là les premières ébauches ;
de son art sculptural qui ne put rester en arrière chez les ar- i
tistes façonnant l'argile, alors que les Myron, les Polyclète, ,
les Praxitèle sculptaient les urnes de marbre et ciselaient les '
coupes d'airain, d'argent et d'or avec une si rare perfection. '.
Rome , avant qu'elle conquît la Grèce dont elle fut la con- j
quête à son tour au point de vue de l'art, possédait déjà des ;
types de céramique étrusque, chez lesquels la sévérité des j
formes n'excluait pas l'élégance , et qui , par une alliance i
heureuse avec l'art grec, revêtirent un caractère de grandeur
monumentale.
Depuis l'invasion des barbares jusque vers l'époque des ;
croisades, l'art céramique est à l'état de sommeil et de tor-J
peur en Occident. Les procédés des grands maîtres tombent j
enfouis dans le cataclysme général où le plongèrent , pour de j
longs jours, les rudes enfants du Nord. L'art était à refaire; le-j
contact des croisés avec une civilisation supérieure y contri- n
bua puissamment : l'activité commerciale et les goûts artisti- j
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 659
ques des villes maritimes de l'Italie, qui tirèrent un si grand
parti de ce grand mouvement des peuples occidentaux , firent
le reste. La céramique eut une place bien marquée dans cette
renaissance de l'art. Les hommes de talent qui pullulèrent
dans les villes de l'Italie, non contents de tirer parti des
divers modèles de l'antiquité respectés par le temps, et
de courir avec une fiévreuse ardeur à la recherche des procé-
dés que leurs devanciers avaient t-uivis pour la formation des
émaux et pour l'application des couleurs , imprimèrent à la
poterie un caractère original par l'exquise perfection des figu-
rines, des fruits, des plantes, des animaux jetés par fouillis
ou en reliefs.
Les majoliques ou faïences de Pise, de Faenza, les figurines
et les émaux de Palissy et de ses imitateurs eurent le privi-
lège de satisfaire aux exigences du luxe en Europe, jusqu'au
moment où les nombreux rapports de notre commerce mari-
time avec la Chine et le Japon donna à l'art céramique une
impulsion nouvelle par l'introduction de la porcelaine.
La porcelaine , bien supérieure à la faïence par la matière
qui la constitue , devint bientôt l'objet d'une grande vogue.
Elle détrôna la faïence et fit oublier, pendant un assez long
espace de temps, les merveilles dont tant de vasiers bien plus
artistes que fabricants avaient doté deux ou trois siècles.
Si cette vogue , cet engouement avaient l'apparence d'une
injustice pour le présent, ils avaient au moins leur raison
d'être pour l'avenir. Les vases de Chine et du Japon joignaient
à l'attrait de la nouveauté le mérite de provoquer des études
pour arriver à en reproduire d à peu près semblables.
Grâce à la science, l'entreprise a été couronnée de succès.
La France et la Saxe firent les premières tentatives et ob-
tinrent rapidement des résultats qui firent pâlir les deux in-
dustries chinoise et japonaise. La série non interrompue d'es-
sais que la science a faits à Sèvres sous les auspices des
gouvernements qui ont doté cet établissement depuis son ori-
gine, a été le principe des progrès successifs que l'art céra-
mique, appliqué à la porcelnine, a faits sur divers points de la
France. Sèvres, la manufacture type où la science et l'art
n'ont cessé de faire une heureuse alliance , a été le centre où
nos industriels ont puisé tout à la fois les procédés qui assu-
rent une manipulation supérieure et les inspirations du goût
660 VISITE
qui lui assignent depuis longtemps un rang à part dans le
commerce international, soit au point de vue de l'utilité, soit
à celui des satisfactions si variées que réclame le luxe des di-
verses parties du globe.
L'examen d'ensemble aussi bien que celui des détails que
nos lecteurs peuvent faire de cette partie si importante de Tin-
dustrie française à l'Exposition universelle, leur laissera la
conviction pleine et entière qu'elle se maintient à la hauteur
des conquêtes antérieures, et qu'elle sait constamment marier
l'agréable à l'utile. L'agréable par la recherche de nuances
perfectionnées et le goût exquis de l'ornementation ; l'utile
par l'appropriation de ses produits aux divers usages domes-
tiques.
Dans l'ordre supérieur de l'art uni à la perfection de la
main-d'œuvre. Sèvres étale dans le pourtour de la rotonde
du Palais de l'Industrie des merveilles dont la description ré-
clamerait des détails outrepassant les bornes de ce rapide ex-
posé.
Mais autour de cette industrie mère dont le plus bel éloge
est l'admiration du public et des nombreux visiteurs étran-
gers, se groupent des produits de l'industrie française attes-
tant les efforts couronnés de succès tentés par bon nombre
de nos fabricants qui puisent dans cet arsenal du bon goût
tous les germes de progrès qui promettent un développement
continu et assurent, par la supériorité des produits, la prospé-
rité de notre commerce extérieur.
Qu'on nous permette deux mots sur la fabrication de la
porcelaine.
On distingue deux genres de porcelaine , la porcelaine dure
et la porcelaine tendre.
La porcelaine dure , celle qui nous occupe en ce moment, a
pour base le kaolin et le feldspath qu'on remplace quelquefois
par un mélange de craie , de sable et de feldspath. On réduit
ces matières en une pâte bien homogène qu'on bat et qu'on
laisse macérer longtemps. Cette pâle est ensuite façonnée
soit au moyen du tour, soit avec des moules ou le scalpel
de ^arti^te. Les pièces finies et séchées subissent une première
cuisson; elles forment alors ce qu'on appelle biscuit. Ordi-
nairement on les recouvre d'un vernis, dont le feldspath
forme la base; après quoi elles subissent une seconde et
1
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 661
dernière cuisson de trente à trente-six heures. La moindre
négligence dans ces manipulations peut déterminer des acci-
dents ou des défectuosités : c'est ce qui explique le prix élevé
des belles porcelaines.
Ces porcelaines sont souvent revêtues de divers ornements,
•couleurs unies , peintures , dorures, etc. Les couleurs s'appli-
quent soit sur la pâte, soit sur la couverte, en les fondant
^vec celle-ci à la même température qu'elle, lorsqu'elles peu-
vent la supporter {fonds au grand feu)^ ou bien en les faisant
adhérer à Témail à une température plus faible au moyen
d'oxydes ou fondants métalliques.
La porcelaine tendre ditîèrd de la précédente par sa pâte
plus alDondante en feldspath , par conséquent plus fusible, et
par son émail dans lequel il entre de l'oxyde de plomb. La
porcelaine anglaise renferme du phosphate de chaux et de la
baryte.
Au double point de vue de l'art et de Tutilité, MM. Pouyat,
de Limoges , présentent une série de produits qui se distin-
guent par une minutieuse recherche dans les matières pre-
mières, la grâce de la forme, la régularité du dessin et les
reliefs qui ornent leurs pièces avec un grandiose remarquable.
Leurs articles courants , notamment leurs séries de plats ova-
les , soupières, assiettes, se distinguent par l'harmonie de
leurs proportions, la blancheur de l'émail et par le fini d'une
fabrication qui, à force d'étude et d'expérience, marche à
■coup sur dans les procédés qui réalisent la pièce irréprocha-
ble, même dans l'ordre le plus modeste de la production cé-
ramique. Mais il est un de leurs services émail et biscuit qui
mérite surtout de fixer l'attention par son élégante richesse et
ce confort de bon goût qui satisfait aux conditions de l'art.
Un artiste habile, M. Comolera , y a distribué avec beaucoup
d'entente des reliefs et des détails qui, jusqu'à présent,
avaient été employés par l'orfèvrerie seule. La soupière est de
forme ovale avec gerbe de blé, ma'i's et légumes sur le cou-
vercle. Les autres pièces du service sont composées d'après
le même motif, et les assiettes de desserf, en harmonie avec
leur spécialité, sont à fond émaillé avec fruits en relief.
Ce service est complété par un surtout du biscuit le plus
pur, portant sur pied à tiges de palmier dont les feuilles re-
courbées abritent trois cigognes et font garniture à la coupQ
662 VISITE
qui couronne un groupe de mésanges. Tous les détails de cette
pièce sont exécutés avec une finesse remarquable dans le mo-
delé, une souplesse et une ténuité de grain qui lui donnent
toutes les apparences dun fin marbre de Carrare.
Dans un même groupe, citons avec éloge les porcelaines
de MM. Hache et Pépin-le-Halleur, dont les beaux services de
table sont appréciés depuis bien des années en Amérique.
Cette importante mai.-on nous offre des échantillons réelle-
ment beaux de sa production habituelle.
M. Honoré, dont nous regrettons la mort, expose des services
de table où l'art de la fabrication est égal à celui du décor.
M. Pillivuyt ne le cède en rien aux deux maisons que nous
venons de citer; il ajoute seulement à sesservices de table
des vases de toute grandeur, dont nous pouvons apprécier
la beauté de la porcelaine, la franchise des nuances et la forme
vraiment artistique.
Un vase Céladon, avec canards en relief, est du plus gra-
cieux effet. Deux antres va>es Céladons, de un mètre de hau-
teur environ, représentent, l'un un tigre, et l'autre un cro-
codile. Ces vases sont remarquables par l'harmonie de leur
forme pure et svelte. Nous citerons, en outre, des vases de
formes étrusques du plus pur sentiment, et des vases style
japonais dont on ne pput qu'admirer le fini du travail et
le bon goût qui a présidé à leur fabrication.
M. Jullien , dont la maison est connue depuis longues
années pour ses services décorés, s'est encore surpassé, si
cela est possible. Les modèles qu'il offre à notre critique sont
tellement beaux, d'un goût si pur, que, fussions-nous pessi-
mistes au plus haut degré, nous ne trouverions qu'à ap-
plaudir.
Nous mentionnerons aussi avec éloge MM. Jouhanneau et
Dubois, qui, se font remarquer par des vases en biscuit et nous
montrent tout ce que peuvent l'art ei le talent unis à la persé-
vérance. Ces vases n présentent, l'un une bacchanale avec
personnages en relief, et l'autre une fêle de Céiès. Ce travail ^
dont le fini ne laisse rien à désirer, nous paraissait tout
d'abord taillé dans du marbre ; le mouvement, la finesse des
traits, l'expression des visages, tout nous paraît vraiment
merveilleux. Deux grands vases Céladons attirent également
es yeux et l'attention des connaisseurs. Dans cette exposition,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 663
la richesse d'une sculpture correcte s'allie toujours heureu-
sement à une idée riche et exubérante.
Nous signalerons aussi à l'attention du public les efforts
intelligents qui ont été faits avec succès par M. Gille, pour ap-
pliquer la porcelaine à l'architecture, à la statuaire, à Torne-
mentation, tant intérieure qu'extérieure, des lieux de plai-
sance. Il est parvenu à exécuter des pièci^s de grandeur
naturelle en biscuit, qui offrent à l'action de l'air plus de
résistance que le marbre. Nous citerons dans diverses œuvres
qui peuvent recevoir des applications avantageuses, tant sous
le rapport de la forme que du bon marché, sur les matières
qui servent de base à la statuaire, son cerf de grandeur natu-
relle. Sa cheminée en porcelaine preuve tout le parti qu'on
peut en tirer au point de vue de l'exécution ornementale et
du bon marché.
M. Gille fait aussi avec succès des bustes et des groupes
bien rendus, témoin ce faisan qui est peut-être un peu plus
grand que nature, mais bien pris de forme et de pose.
Les porcelaines exposées par M. Boyer sont, comme tout ce
qui sort de ses magasins, décorées et peintes avec le plus
grand luxe. Celte année, on pourrait presque dire qu'il s'est
surpassé, si cela était possible. Entre autres ma-niûques
pièces, citons celles achetées par Sa Majesté l'Empeieur, qui
nous paraissent suivre de près la porcelaine de Sèvres, par
le fini de la peinture et l'heureuse composition du s- jot, ainsi
que pour les formes sévères et gracieuses tout à la fois. Les
deux vases et la grande aiguière représentant une chasse au
sanglier et une chasse au cerf, avec des personnages, sont des
tableaux d'un mérite très-apprécié par les connaisseurs.
Citons, comme originalité de bon goût, deux petits vases égyp-
tiens, fond noir, ou plutôt terre d'ombre, avec personnages en
couleur terre d'Italie brûlée; la forme et le dessin'sont du
plus heureux effet, et on dirait qu'ils sortent d'à côté d'une
de ces momies après un séjour de trois mille ans et plus.
Parmi les porcelaines de luxe, nous citerons quelques-unes
des pièces exposées par MM. Lahoche et Panier, qui se re-
commandent par l'élégance de la forme, la riche.-se de la cou-
leur, la pensée du dessin et le luxe harmonieux, bien que
sévère et sobre, des ornements.
On remarque surtout deux vases ayant un mètre de hauteur,
664 VISITE
fond gros bleu, pâte tendre. Ils sont montés en bronze doré,
avec anses formées de deux cariatides dans le goiît de l'an-
tique. La garniture de cheminée, une pendule et deux vases
en cristal, que tout le monde regarde avec tant d'attention,
sont vraiment d'un dessin et d'une exécution irréprochables-
D'autres pièces, du même exposant, ne peuvent manquer
d'attirer l'attention des visiteurs.
Avec la lithochromie, M. Macé a trouvé le moyen de repro-
duire les peintures et dorures sur porcelaine, sans avoir besoin
du pinceau de l'artiste, même en retouche. D'oîiil suit qu'une
assiette dont la peinture coûterait 50 fr., est vendue au prix
de 4 fr. Bien que ce procédé n'ait pas encore atteint le point
de perfection qu'il peut obtenir avec 'quelques recherches,
nous sommes certains qu'il est appelé à être le point de
départ d'une amélioration très-grande, par la facilité qu'il
donne aux petites fortunes de pouvoir se servir de porcelaine
peinte et dorée.
Par ce procédé, on peut repro luire tous les sujets, tels que
Watteaux, paysages, bouquets de fleurs, de couleurs variées.
La solidité de la couleur est égale, supérieure même à celle
obtenue avec l'aide du pinceau.
M. Dutertre est l'inventeur d'une dorure dont la prépa-
ration et le brunissage se font d'an seul jet et avec économie,
tout en ayant l'éclat du bruni le plus brillant. Nous ne pouvons
savoir encore si cette dorure résistera à l'action du temps et
de l'usage : l'avenir le dira ; et dans le cas où la détérioration
viendrait, l'heureux inventeur saurait bien trouver le moyen
de conjurer cet inconvénient. En attendant, son procédé se
prête admirablement à l'ornementation de ces gracieuses mi-
niatures qui défrayent le luxe des salons et des boudoirs.
M. de Bétignies, qui depuis quelques années fabrique la
porcelaine tendre (imitation du vieux Sèvres), a fait faire à
son usine tous les progrès qu'on était en droit d'attendre d'un
fabricant qui aime son art et s'y dévoue complètement. Parmi
les objets qu'il expose, nous voyons avec plaisir quatre vases
dont les originaux avaient été admirés à Londres en 1851, et
que les amateurs prenaient pour du vieux Sèvres. Rien ne
manque aux porcelaines de M. de Bétignies, coloris brillant,
glaçure parfaite et peinture par les premiers artistes. Parmi
tous ces vases si remarquables, il en est un tout à fait hors
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 665
ligne et qui aura bientôt son pendant : c'est un vase d'une
énorme proportion pour la pâte tendre. A un vase si hardi de
forme, une peinture hors ligne était nécessaire. Ce soin a été
confié à M. Abel Schilt qui a créé le médaillon principal, qui
est une reproduction libre du tableau de Lesueur, les trois
muses, Melpomène, Polymnie et Érato, auquel il a ajouté un
amour du Guide.
L'on voit au pied de son étalage les spécimens de ses autres
genres de fabrication; ce sont des faïences communes, de la
terre de pipe, de la terre à feu et des briques réfractaires.
Les manufactures de Creil et Montereau, dont les produits
céramiques sont si variés et jouissent depuis longtemps d'une
réputation méritée, ont exposé cette année des demi-porce-
laines, qui, tout en remplissant les condilijons d'une fabrication
élégante et riche dans la forme, se prêtent à la facilité des
transactions commerciales par le bon marché , et rendent
l'usage de la porcelaine accessible aux positions sociales les plus
modestes. C'est là une heureuse innovation à laquelle nous ne
pouvons qu'applaudir.
Tous les services à thé sont légers et diaphanes ; plusieurs
sont imprimés, et la nuance est tellement fine, qu'elle se fond
de la manière la plus agréable à l'œil avec la fritte qui recouvre
la pâte.
Parmi les choses charmantes et remarquables sortant des
ateliers de Creil, mentionnons un tête-à-tête en demi-porce-
laine, avec un semis de fleurs en relief, sans coloration aucune ;
les tasses, au lieu d'avoir des anses, ainsi que cela a toujours
lieu, ressemblent à de petites coupes un peu creuses et du
plus gracieux effet. C'est original dans la forme et du meilleur
goût comme exécution.
La fabrique de Creil et Montereau est aujourd'hui tellement
appréciée, qu'en entretenir plus longtemps nos lecteurs serait
oiîCux; chacun d'eux ayant vu et s'élant servi de ses produits,
les a appréciés comme nous.
La fabrique de Bordeaux marche sur les mêmes traces, et
son genre est celui de la faïence anglaise presque exclusive-
ment. Ses services de table, bleus, imprimés, sont très-connus
dans le commerce par la qualité de la fritte ou émail qui re-
couvre la pâte, dans laquelle il entre une certaine quantité de
kaolin.
666 VISITE
Une autre fabrique s'est montée dernièrement, et a à sa
tête l'ancien directeur delà manufacture de Creil, M. Vernon.
C'est dire en un seul mot que la forme de ses produits ne
laisse rien à désirer, et que sa fabrication est des plus savantes.
Ses demi-porcelaines sont presque des porcelaines tendres,
beaucoup pourraient s'y tromper.
La fabrique de Sarreguemines est toujours aussi sûre de
ses œuvres que possible. Elle domine notre marché pour tout
le genre allemand, et fait une concurrence redoutable à Creil
et Montereau.
A Rubelles, prèsMelun, une fabrique existe, qui fait un
genre tout à fait spécial et qui lui appartient en propre. Vous
avez vu souvent et chaque fois admiré, dans les desserts
servis dans nos villas les plus coquettes, ces assiettes vertes
avec feuillages ombrés : c'est à Rubelles que toutes ont vu le
jour. La lithophanie, émail ombrant, est aujourd'hui tellement
répandue, que nous nous abstien irons d'en décrire la forme.
Quant au procédé de fabrication, Ihabile directeur de cette
usine a pris un brevet pour l'exploiter seul.
Nous ne pouvons passer devant la place occupée par les
faïences fines de M. Ristori, de Nevers, sans applaudir à leur
fabrication. M. Tite Ristori vint se fixer à Nevers, il y a quatre
ans environ, avec la pensée bien arrêtée de relever l'ancien
éclat que la ville de Nevers avait conquis il y a deux ou trois
cents ans dans la fabrication de la faïence de luxe.
M. Ristori apporta d'Italie des recettes qu'un de ses oncles
lui avait léguées, et qui étaient le fruit de quarante ans de tra-
vaux et de nombreux voyages dans toute l'Europe. Il com-
mença sur ces données et bientôt il vit ses efforts couronnés
d'un plein succès; aujourd'hui, il recueille les fruits de ses
travaux opiniâtres et persévérants.
Dans le trophée de la porcelaine, mentionnons une œuvre
des plus originales sortant des ateliers de M. Avisseau.
Une grenouille, debout sur ses pattes de derrière, tient dans
ses bras un p jrchemin sur lequel on lit : Avisseau père et fds,
a Tours (Indre-et-Loire). L'exécution de ce petit sujet est
charmante , et c'est bien là l'enseigne qui convient à l'artiste
aux travaux et à la persévérance duquel sont dus les pre-
miers essais de reproduction de ces œuvres remarquables
par lesquelles s'est illustré en son temps Bernard Palissy.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 667
M. Avisseau ne se contente pas d'imiter le grand maître dans
cet art longtemps voué à l'indiffirence, mais qui, depuis
quelques années, a repris une certaine voi^ue; il invente et
crée à son tour. Ses animaux dar^ile sont bien vivants ; ses
fruits , ses plantes pris sur le fait, et ses oiseaux sont bien
riches de couleur.
Des environs de Tours , Bourgueil nous envoie aussi les
charmantes poteries en terre de^tit)ées à la décoration de nos
appartements, principalement des boudoirs. M. de Boissimon,
dont la fabrique ne date pas de bien loin, a tout le luxe et le
bon goût que l'on aime à rencontrer dans les œuvres tenant
à l'art.
Qui ne connaît pas les poteries de Follet, dont les usages
sont si variés, et dont toutes les formt^s sont si gracieuses?
Depuis la petite serre portative jiis.ju a l'alambic destiné à la
chimie, tout sent l'artiste créateur et inventeur. Nous ne
citerons particulièrement aucun objet, nous serions forcés de
les décrire tous , si nous voulions noter ce qui est beau et
bien conçu.
Les grès sont représentés dignement à l'exposition. Ce
genre de poterie nous est propre et l'étranger nous l'envie.
Mme veuve Signez nous otire un vase dont la dimension
surpasse tout ce qu'on a fait jusqu'à ce jour.
L'art du potier aujourd'hui , par les soins et les procédés
de M. Virebent, de Toulouse, [leut s'élever jusqu'à la con-
struction des édifices. Son portique d église, en terre cuite,
mérite de figurer au no bbre des belles pièces que nous offre
en si grand nombre l'Exposition universelle.
Le sanglier de M. Garnaud veut aussi une mention toute
spéciale. L'art du simple mouleur en terre prend les propor-
tions du statuaire. Le sanglier dont nous parlons a le mérite
de la plus grande vérité, on croirait qu'il a été moulé sur
nature.
Les produits de M. Borie, l'inventeur des briques creuses,
sont tellement connus dans Paris , que nous ne les mention-
nons que pour les étrangers. Ici pas une maison ne s'élève
sans avoir recours à ses heureuses briques; notons en pas-
sant qu'elles sont plus solioes que les briques pleines, moins
conductrices du son et du calorique, et qu'elles coûtent
meilleur marché. Tous les avantages se trouvent donc réunis.
668 VISITE
Maintenant que nous avons passé en revue la fabrication
française, qu'on veuille bien nous suivre quelques instants à
l'Étranger.
Comme art, le premier rang appartient à la Prusse dans
l'Exposition universelle. La manufacture royale de Berlin nous
a envoyé des vases en porcelaine tendre, qui seraient dignes
de figurer dans l'exposition de Sèvres, La peinture en est
aussi remarquable, le doré aussi pur, la porcelaine aussi belle
que ce que fait de mieux notre manufacture impériale. Comme
fabrication les autres pièces ne sont pas moins belles. Le bon
marché de ces produits est surprenant à cet égard -.jamais en
Frarce nous ne pourrons lutter avec l'Allemagne. Les prix
n'atteignent pas la moitié des noires. Deux services à thé se
font remarquer par la pureté , la conception savante du des-
sin, le fini de la peinture et l'harmonie générale de l'œuvre.
Ces thés, genre camaïeu , sont des plus remarquables : aussi
plusieurs ont-ils été retenus par les premiers fabricants
d'Angleterie, et un par le musée céramique de Sèvres. Ce
fait atteste assez la valeur de la manufacture royale de Berlin.
La Belgique nous envoie aussi quelques échantillons de
céramiques qui sont très-recommandables sous tous les rap-
ports.
Les premiers fabricants et manufacturiers de l'Angleterre
ont envoyé à lExpositiou universelle un grand nombre de
pièces. Nos fabriques sont loin d'avoir autant de modèles ex-
posés ; la place sans doute leur a été mesurée avec plus de
parcimonie. MM. Minton, Copeland et Rose ont de véritables
magasins qui méritent de fixer notre attention, tant pour la
variété de la forme, que pour la beauté d'un dessin correct
et toujours sagement approprié aux besoins usuels de la vie.
L'exposition de M. Copeland est remarquable par la variété
de ses vases; toute? les formes, depuis celles d'Egypte, si pures,
jusqu'au genre Pompadour rococo , figurent avec éclat sur les
gradins consacrés aux produits céramiques anglais. Un vase
de deux mètres enviroade hauteur, fond rose, avec ornements
blancs en relief, cerclés de deux filets d'or, nous paraît un
tour de force d'exécution qui a parfaitement réussi. Des bustes
de grandeur naturelle, Junon et Ariane, sont admirés dans
l'exposition de M. Copeland. L'Angleterre, dans la fabrication
de la porcelaine, se rapproche un peu du genre de l'ancien
A L'EXPOSITION LNIVEUSELLE. 669
Sèvres. Si ce genre de porcelaine est inférieur comme usage
journalier, il se prête beaucoup mieux au moulage. Les bustes
qui sont exposés prouvent tout ce que l'art peut tirer de ce
genre de manipulation. Une Sapho, au tiers de grandeur, est
d'une finesse de détails que l'on a peine à concevoir, même
après l'avoir admirée. MM . Rose exposent des services de
table de la plus grande richesse. Les peintures de ces
pièces sont de véritables chefs-d'œuvre, et s'il y en avait
un moins grand nombre, ils nous paraîtraient encore bien
plus beaux. Les amateurs et les visiteurs admirent surtout
un vase bleu clair dont le médaillon représente Amphitrite
et sa cour. Celte peinture est irréprochable sous tous les
rapports.
M. Minton, avec toutes ses porcelaines peintes ou blanches,
de toutes qualités , depuis le service genre demi-porcelaine
jusqu'au service de porcelaine tendre, peint avec luxe et doré,
expose aussi des vases dont les formes variées et gracieuses
attirent l'attention des visiteurs et surtout des connaisseurs.
Nous avons remarqué des vases camaïeux du goût le plus pur,
des vases gros bleu, avec médaillons du plus bel effet. Parmi
tant de belles choses offertes à notre appréciation par cette
importante maison, nous devons mentionner les bas prix
des porcelaines ordinaires et communes. Sous ce rapport,
l'Angleterre nous devance et va presque de pair avec l'Alle-
magne.
Quoi qu'il en soit de tous les établissements d'industrie
privée, celui de M. Minton est de beaucoup le plus considé-
rable et le plus avancé dans tous les genres de fabrication.
Ses carreaux incrustés en diverses couleurs dans la pâte
avant sa cuisson constituent une spécialité qui suffirait à elle
seule pour mériter tous nos éloges.
Verrerie et cristallerie. — La découverte du verre est
très-ancienne, puisque la Bible en plusieurs endroits en
fait mention , et que Pline nous raconte que des voyageurs
Phéniciens, s'étant servis de natron, pour construire un foyer
sur du sable, produisirent par hasard du verre par la fusion
de ces deux substances. Cependant cet art est resté station-
naire et presque nul chez les Grecs ainsi que chez les Ro-
mains.
On nous permettra de considérer la version de Pline comme
670 VISITE
une fable, et de penser que la découverte du verre est due
aux premières recherches faites sur les traitements des mi-
nerais par la fusion : en effet , ne voyons-nous pas souvent
que les gangues, en se liquéfiant dans les foyers, donnent
des laitiers transparents qui sont chimiquement de véritables
verres? Ce qui est positif, c'e^t que les Égyptiens et les Phé-
niciens pratiquaient l'art de la verrerie avant tous les autres
peuples; les veneri-s de Sidon et d'Alexandrie furent cé-
lèbres, entre toutes, dans l'antiquité.
Du temps de Pline, on commença à établir des verreries
dans les Gaules et en Espagne; cependant, à Rome, on n'em-
ploya le verre à vitre que vers le milieu du iw siècle.
Plusieurs siècles devaient encore s'écouler, avant que cette
nouvelle industrie se répandît dans le Nord qui éprouvait
cependant un besoin bien plus vif de ces produits. De la
Gaule, lart de la verrer e ne s'introduisit en Angleterre que
vers le vir siècle, d'où il se répandit en Germanie. Les pre-
miers édifices fermés de vitres enchâssées furent les églises
de Brioude et de Tours vers la fin du vr siècle.
Au moyen- âge , Venise se distingua par ses verreries qui
furent reléguées en 1291 à 8 kilomètres environ de la ville,
dans la presqu'île de Murano. et c'est là, dit-on, qu'on fabri-
qua la première glace soulflée. Vers cette même époque, la
fabrication du verre s'introduisit en Bohême, et y acquit,
bientôt , grâce à l'excessive pureté des matières premières, eu
abondance dans ce [>ays, une supériorité et une réputation
qui se sont maintenues ju-qu'à nos jours.
Sous Louis XIV, de grandes verreries s'établirent en France
par les soins deC'^lbert, qui déroba ainsi aux Vénitiens le
monoj)ole de la fabrication des glaces soufflées. En 1665,
à Tourlaville, près Cherbourg, s'établit la première manu-
facture de glaces en France; elle subsista jusqu'en 1808;
et ce fut en 1688, qu'Abraham Thévart imagina de couler les
glaces; son établissement, consiruit d'abord à Paris, dans la
rue de Reuilly. fut tran-féré peu de temps après à Saint-Go-
bain, près Lafère. Cette manufacture, d'où sont sortis les ou-
vrages en verre les plus considérables, a toujours passé et
passe encore pour être la plus importante de l'Europe : les
trois magnifiques glaces qu'elle offre à l'admiration du public
prouvent plus éloquemment que nous ne saurions le faire
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 671
dans ce rapide aperçu, que cette grande industrie, presque
nationale d'origine, n'a fait que progresser dans l'art de cou-
ler et de polir les glaces.
Aucune industrie n'a étéplus lente à se développer, croyons-
nous , que la verrerie; et cependant peu de substances pré-
sentent une application plus vaiiée, plus utile que le verre
sous ses différentes espèces.
La matière première composant le verre, de quelque nature
qu'il soit, est à peu de chose près la même. C'est un composé
de silice, de potasse ou de soude et de chaux ou d'oxyde de
plomb, donnant par la fusion une masse amorphe et transpa-
rente qui ne se dissout ni dans l'eau ni dans les acides. Le
verre est donc un silicate, c'est-à-dire un sel composé d'acide
silicique ayant pour base un oxyde quelconque. Chaque ver-
rerie, chaque cristallerie, suivant ce qu'elle doit produire,
suivant la qualité des matières premières qu'elle emploie, varie
les doses soit de l'oxyde de sodium, de potassium, de plomb,
de manganèse. Ces oxydes se conibinent entre eux en propor-
tions diverses, et il arrive quelquefois que certains dispa-
raissent dans une fabrication spéciale.
Nous remarquons trois espèces distinctes de verres : le
verre commun, ou verre à bouteilles; le verre blanc ou verre
à vitres et à glaces et le cristal.
Le verre varie d'après ses parties constituantes; ainsi, le
verre commun se fait avec du Scible ferrugineux, des cendres
ou des soudes brutes, de l'argile jaune, et des tessons de bou-
teilles.
Le verre à vitres et à glaces ou verre blanc, se fait avec du
sable blanc, du sel de soude, ou du sulfate de soude, des ro-
gnures de verre blanc, un peu de craie ou de chaux et d'oxyde
de manganèse.
Le cristal est composé de sable, potasse et plomb.
Le verre de Bohême, au contraire, ne contient que peu
ou point de plomb, qui est remplacé par la chaux et un sur-
croît de potasse.
Une innovation a eu lieu ces dernières années dans la
constitution chimique du cristal de la fabrique de Clichy,
près Paris. Cette usine a substitué, au plomb, le zinc, à une
partie de la silice, l'acide borique, spécialement pour les
verres d'optique. Les coupes exposées par cette importante
G72 VISITE ;
fabrique sont d'une grande pureté; mais, pour le commerce '
de luxe, le cristal obtenu avec le zinc présente des difficultés ;
bien plus grandes pour la taille et le moulage , car il est plus j
dur et moins fusible. Il offre donc une plus grande résistance ;
à la gravure et à la dorure par le feu. Cette dureté et cette \
infusibdité sont précieuses pour la fabrication des verres j
d'optique et surtout des objectifs. L'amélioration résultant de :
l'introduction de nouveaux oxydes dans les verres d'optique ;
permet d'en modifier les conditions de réfringence, de disper-
sion et de transparence. Les premiers constructeurs opticiens j
en apprécient les avantages sérieux et positifs.
Une très-belle série de disques de grande dimension et de ,
prismes faits avec le zinc et le borax sont exposés. Us nous
paraissent d'une limpidité et d'une blancheur qui ne laissent :
rien à désirer. :
Nous citerons avec plaisir, parmi les objets exposés par '■
cette cristallerie, deux vases gros bleu; leur forme et la
qualité de leur couleur donnent une imitation parfaite de la i
porcelaine tendre de Sèvres On remarque également une |
série de vases, de coupes, de verres d'eau et autres pièces j
variées en rouge rubis transparent, qui brillent par l'éclat de i
la coloration et la limpidité de la matière. .Joignez à cela une ;
collection variée de services de table, au nombre desquels ;
figure celui de l'Empereur, en verre mousseline, ainsi que j
celui du vice-roi d'Egypte, à écus^^on rubis.
La France et l'Angleterre ont seules le monopole de la lus- j
trerie en cristal , et ces deux pays sont représentés spécia- '\
lement par Baccarat et Birmingham. Il n'y a pas encore bien ,'
longtemps que Birmingham fabriquait seul la lustrerie. De - •
puis une quinzaine d'années environ, Baccarat s'est mis à '
faire le même genre, et a ravi, nous l'espérons, une quan- ;
tité notable de débouchés à l'Auiileterre.Baccaral et M, Osier, ■
de Birmingham, ont seuls exposé des pièces capitales; la i
comparaison n'est donc possible qu'entre ces deux fabricants, j
Baccarat présente deux candélabres en cristal qui sont les )
deux pendants; M. Osier n'en présente qu'un. Les dimensions j
de ces trois pièces sont à peu près les mêmes , environ six |
mètres de hauteur depuis la base qui pose sur le sol jusqu'au \
sommet. Elles se composent d'un grand nombre de pièces de ;
cristal, ajustées avec l'art nécessaire pour cacher les points de j
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 673
jonction et soutenues intérieurement par une armature de fer
poli , que l'épaisseur du cristal et les jeux de lumière produits
par l'habile disposition des arêtes vives, dissimulent absolu-
ment à l'œil de l'observateur.
Les candélabres de Baccarat reposent sur une base assez
haute et très-ornée, imitant une colonne d'où se détache-
raient des volutes à jour très-légères et capricieusement con-
tournées. Le fût du candélabre représente une tige de bam-
bou, des nœuds de laquelle sortent des feuilles étroites et
lancéolées. Dans ce molif, répanouis?ement des branches
devant supporter les lumière a sa raison d'être, et les
quatre-vingt-dix corolles en forme de tulipes forment les
bobèches pour les quatre-vingt-dix bougies qui doivent étin-
celer parmi toutes les facettes de ce cristal. Ces candélabres
sont surmontés d'un panache de feuillage qui termine celte
ornementation gracieuse, légère et charmante.
Le candélabre de M. Osier s'élève sur une base hexa-^one
ornée de mjulures; le fût, composé de plusieurs prismes
juxtaposés, doit à cette combinaison de réfléchir très-vive-
ment la lumière. Dans ce candélabre, M. Osier paraît s'être
attaché surtout au but final du candélabre, la projection
de la lumière; l'utile docnine donc dans cette pièce remar-
quable : pas un morceau de cristal, pas une facette dont
l'utilité n'existe pour la réflexion de la lumière. Ce candé-
labre réunit, à la sévérité du style, les beautés de la fabrica-
tion, pureté de matière, limpidité parfaite et taille irrépro-
chable. Les arêtes sont d'une vivacité, d'une netteté qui
constitue le cristal sans défauts.
Baccarat offre les mêmes qualités solides, et c'est un ^^rand
honneur pour notre fabrication , si Ton réfléchit qu'il y a dix
ans, cette branche de la cristallerie était, pour ainsi dire
étrangère à notre pays, qui la doit a l'intelligence et à l'esprit
de suite des directeurs de cet établissement.
Baccarat a exposé en outre un lustre qui est sa pièce capi-
tale; malheureusement il n'est pas placé dans le transept,
c'est un véritable chef-d'œuvre d'élégance , de grâce el de
bon goût.
La cristallerie de Saint-Louis, dans son exposition de
cristaux destinés aux usages domestiques , cristaux remar-
quables par la pureté et la limpidité de la matière, ainsi
206 rr
674 VISITE
que par le bon goût et l'art qui ont présidé à leur fabrication ,
nous montre également des vases imitant le cristal de Bo-
hème, avec le même genre de tadle et une coloration tout à
fait identique. Ces vases fond jaune, sur lesquels est gra-
vée une chasse au sanglier qui se détache en blanc par le
fait de la taille, sont tout à fait reniai quables.
Beaucoup d'autres pièces méritent d'être citées : nommons
entre autres deux candélabres d'un grand modèle; deux
grandes urnes, doiit la forme élégante et gracieuse est en
harmonie parfaite avec un fond blanc sur lequel se détachent
plusieurs cercles verts dentelés, dont l'effet est des plus
agréables; enfin deux autres vases en cristal rose, gravés
d'un genre tout à fait nouveau.
Après les grandes cristalleries de Baccarat, Saint-Louis et
Clichy, nous devons citer celle de Lyon, de MM. Billaz et
Maumené. Cette cristallerie s'est proposé pour but la fdbri-
cationdes cristaux demandés par le commerce, et son expo-
sition nous prouve qu'elle l'a atteint; en effet son cristal est
d'une limpidité parfaite, bien fondu, franc de ton et d'une
teinte constante. Il possède donc les qualités qui font le
cristal vraiment beau.
Parmi les pièces qu'expose la cristallerie de la Villette,
nous remarquons partculièrement une coupe en cristal d'un
rouge magnifique, dont la sévérité du dessin n'est égalée que
par la beauté de la couleur, la vivacité et la rectitude de la
taille.
Au nombre des maisons dont le bon goût doit être men-
tionné , nous trouvons toujours avec plaisir celle que di-
rige M. Launay-Hautin depuis nombre d'années. Ses vases
gros bleu , ainsi que la coupe montée en bronze doré, d'un
style correct, gracieux et léger tout à la fois, brillent par
l'éclat du cristal et par une coloration des plus intenses. Il
expose en outre une collection de vases et une cave d'un mo-
dèle tout à fait nouveau, remarquable par un luxe inouï
de dorure et de ciselure.
La verrerie de Vallerystal, dont les produits sont appré-
ciés depuis longues années dans le commerce, nous donne des
échantillons tout à fait distingués de ce qu'elle peut faire,
tant comme imitation parfaite du genre Bohème, avec les
qualités qui le distinguent, la coloration et la grande trans-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 675
parence, que comme pureté dans la forme et dans l'exécu-
lion.
La foule s'arrête étonnée vis-à-vis d'un lion en verre filé de
grandeur naturelle dont les formes heureusement saisies font
comprendre la puissance et la force de ce roi de la nature.
M. Lambourg, l'auteur de ce travail extraordinaire, se livre
plus habituellement à des travaux plus riants : ses colombes
se becquetant, ses fruits si parfaits de forme et de couleur
sont là pour attester notre dire.
Les verres de couleur sont représentés avec éclat au palais
de l'Industrie par les maisons Ulter et Wallisf. Les grands
vitraux qui décorent les deux extrémités de la nef prouvent
que l'art de la peinture sur verre est loin d'être perdu, ou du
moins que, s'il l'a été, nous avons été assez heureux pour le
retrouver.
M. Utter et Cie ont en outre un choix de gobeleterie des
plus remarquables; les bouteilles qu'ils exposent, indépen-
damment dune forme svelte, ont la grande qualité, si re-
cherchée du commerce, d'être à fort bas prix.
M.-Mongin ainsi que MM. Beaux et Duhoiix ont des mo-
dèles de verrerie bien choisis et d'une coloration uniforme
qui atteste une fabrication soignée dans tous les détails.
Les cylindres remarquables par leur régularité qui sortent
de la manufacture de Bagneux, appartenant à Mme veuve
Bernard, méritent à tous égards d'attirer l'attention du public.
La verrerie de Sèvres se di>tingue par des cylindres tout à
fait colossaux. En les examinant, on se demande où M. de
Sussex a pu trouver le géant dont la poilrine pouvait renfer-
mer la quantité d'air qui a séparé le verre liquide. 11 est
vrai que cette poitrine appelle à son aide de l'eau, qu'elle ré-
duit en vapeur. La limpidité ^ la transparence et la couleur
ne sont pas moins étonnantes que l'ampleur des cylindres.
Parmi les verres à vitres français qui font honneur à nos
exposants, citons ceux de la maison Paloux et iJrion . si con-
nue dans le commerce pour ses verres au largue, et les mai-
sons Renard et Duthy qui ont fourni les verres demi-opaques
qui couvrent le palais de llndustiie.
MM. Duthy, Van-Cauwelaert Wagret ont de- échantillons
de bouteilles également beaux et de formes variées pour les
vins des différents crus.
676 VISITE
L'Angleterre n'a presque rien fait venir à l'Exposition.
A-t-elle craint la concurrence? Nous le croyons, et elle a
eu raisoti. Cependant les quelques pièces qu'elle soumet à
nos regards sont, comme cristal et même comme taille, très-
remarquables; seulement la taille en est creuse et se com-
pose de deux surfaces triangulaires qui se rencontrent par
leur grand côlé.
Cette taille, dite en diamant de flot, a été fort usitée en
France; mais on l'abandonna, il y a environ vingt ans, à
raison de la perfection avec laquelle elle se laisse imiter au
moulage. Les quelques pièces exposées par M. Daniells, de
Londres, venant de la cristallerie de Stourbridge , ne méritent
donc de fixer notre attention que par la pureté et la limpi-
dité du cristal.
Parmi les pièces qui méritent une mention toute particu-
lière , citons les lentilles en crown-glass, que la manufacture
de MM. Chance IVères sait toujours maintenir au rang qu'elles
occupent dans le monde savant. Ces lentilles, dont la pureté et
la limpiiité parfaite et presque sans coloration aucune, as-
surent aux disques lenticulaires anglais pour objectifs une
valeur difficile à surpasser. L'exposition de M. Chance est
sous tous les rapports la plus importante. Nous en avons déjà
dit quelques mots dans notre description générale de l'expo-
sition anglaise.
La Belgique, pournous prouver ce qu'elle peut faire, nous
a envoyé, d'une manufacture anglaise , qui s'est établie de-
puis peu de temps à Floreffe, une glace en blanc, dont les
dimensions et la limpidité sont dignes d'un établissement que
de longues années d'étude auraient préparé à un triomphe.
Dans l'exposition de MM. Jonet et Dorlodot, nous remar-
quons d(^s verres de couleur, de nuances franches et supé-
rieures. Notons entre autres son rouge, dont l'éclat n'est égalé
par aucune fabrique ; un bleu , dont la coloration intense est
aussi remarquable que celle des veires violets qu'elle nous
offre comme échantillon des produits de son usine.
La Société anonyme d'Herbatte expose des services de ta-
ble en mi-cristal , qui sont surtout remarquables par le bon
marché joint à une qualité, une pureté de matière que nous
ne saurions trop louer. Unir la beauté de l'œuvre à la modi-
cité des prix est et sera toujours le rêve du manufacturier
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 677
intelligent, et sous ce rapport nous devons rendre justice à
la fabrication belge.
La Bohème, dont nous eussions certainement du parler
depuis longtemp?, à cause du rang élevé qu'elle occupe, et
surtout de ses traditions qui se sont conservées avec inté-
grité, est dignement représenté dans la nef par trois fa-
briques principales : celle du comte de Harracb, à Neuwelt,
celle de Meyrs, à Adolphshiitte, et celle d'Hegenbarlh, à Meis-
terodorf.
Le cristal, ou verre de Bohème, a des qualité> particuliè-
res. Il n'est peut-être pas plus limpide que le cristal de nos
premières falDriques, mais il est plus blanc, plus léger et
plus résistant: cela tient à sa composition chimique. Les cris-
taux de Bohème sont, en général , assez mal dorés. Ola pro-
vient de la qualité du verre qui ne peut que très-difficilement
supporter le degré de chaleur nécessaire pour avoir une
bonne dorure; aussi la plus grande partie des cristaux de
Bohème sont-ils gravés sans dorure.
Dans l'exposition du comte de Harrach , nous admirons
les deux magnifiques vases rouges. Ces vases, d'une forme
sévère, dans le goût de l'antique, sont d'un teinte tel-
lement riche qu'on se demande avec étonnement comment
on peut obtenir cette vivacité et cette limpidité. Des coupes
en craquelé blanc sont ravissantes de forme et d'exécution.
Le craquelé est un genre que la Bohème a inventé depuis
peu de temps, et qui paraît devoir lui appartenir en propre.
Cette espèce particulière représente au naturel les fines ara-
besques de la légère couche de glace qui se dépose dans les
nuits d'hiver sur les vitres d'une chambre doucement chauf-
fée, et dans lesquelles la lumière se joue avec des reflets
irisés. Chose remarquable, les craquelés roses, bleus ou jau-
nes, n'ont ni la coquetterie, ni le charme des craquelés
blancs. La simplicité est toujours la parure la plus seyante
de tout ce qui est jeune , riche et vraiment beau.
Dans l'exposition de M. Meyrs et Cie des coupes de cra-
quelés se partagent les regards du public, avec deux ur-
nes à fleurs roses transparentes sur fond blanc opaque. Le
dessin, large, souple, distingué, est merveilleusement se-
condé par une exécution tout à fait supérieure.
La Bavière est dignement représentée à l'Exposition de
678 VISITE
<855 par les œuvres de la fabrique de M. Steigerwald , la
plus ancienne manufacture de l'AHemagne occidentale. Il
nous offre des services à dorure vermiculée vraiment bien
exécutés , et qui peuvent rivaliser avec ce que Clichy nous
montre de plus parfait; deux pièces, d'une dimension co-
lossale, de 1 mètre et demi de hauteur, couvertes entière-
ment par une abaresqiie en dorure, et admirées du public.
Deux nouvelles espèces de fabrication nous apparaissent
pour la première fois : Tune est un cristal épais, d'appa-
rence mate et grenue, qui simule admirablement l'albâtre;
un vase de ce nouveau cristal ne mesure pas moins de 2 mè-
tres de haut. Des urnes blanches , autour desquelles s'en-
roule un serpent bleu, se font remarquer par leur dessin
souple et correct. Nous sommes fâchés d'y voir figurer ce
serpent bleu indigo, animal tout fantastique, qui choque un
peu la vue et bien plus rintelligence. Je sais que ce bleu est
fort difficile à obtenir, mais pour prouver que Ion peut vain-
cre une difficulté, il ne faudrait pas dmiinuer le mérite d'une
œuvre d'art vraiment remarquable.
L'autre nouveauté, qui a attiré notre attention, est une
colonne de 4 mètres environ de hauteur, qui se termine par
un vase à fleurs, et qui est destinée à l'ornementalion des
jardins ou des vestibules. Le fût est formé de gros tubes de
verre opaque diversement coloré ; cela vaut beaucoup mieux,
comme élégance et légèreté que les colonnes de zinc assez
souvent em[)ioyées dans les mêmes conditions. Le prix pour
cet ubjVt est la chose importante et d'où dépend son succès.
La Bohème, comptant sans doute un peu trop sur sa supé-
riorité, n'a que peu ou point fabriqué pour l'Expo-ition; elle
s'est contentée de prendre quelques-unes de ces pièces cou-
rantes qui étaient en magasin. Souvent elle fabrique mieux
et plus beau que ce que nous avons vu; mais, ce qui chez elle
est un fait remarquable, c'est le bon marché de ses pro-
duits; cela tient non-seulementau prix peu élevé des matières
premières, mais encore aux conditions économiques dans
lesquelles ils se produisent. L'ouvrier cri>tallier des fabriques
allemandes est presque toujours un artisan mixte, qui cul-
tive la terre pendant la belle saison, ne fréquente l'usine
que pendant l'hiver, et souvent même travaille chez lui
en famille. C'est l'hiver, alors que le paysan bohémien ne
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 679
peut cultiver la terre, qu'il taille le cristal, aidé de sa femme
et de sa fille, qu'il polit spécialement ces brillantes pen-
deloques qui firent pendant longtemps la décoration des lus-
tres de Bohème et le désespoir de la fabrication étrangère.
C'est ce même mode de travailler qui nous fait faire con-
currence par la Suis«e pour notre fabrique de Lyon. Aussi
les fabricants de soie ont-ils bien compris ce fait économique,
et ils favorisent la dispersion des métiers dans les villages et
les campagnes. Les directeurs de notre belle fabrique de
Baccarat l'avaient également compris, et pendant longtemps
ils cherchèrent à propager l'industrie de la taille du cristal
dans les montagnes des Vosges; mais ici ils échouèrent com-
plètement. L'habitude et la routine l'emportèrent chez le
paysan sur l'appât du gain.
L'Allemagne et ses ouvriers se trouvent sans doute bien de
ce régime, puisque depuis des siècles il ne s'est pas modifié.
Cependant les salaires sont tombés si bas que les graveurs
habiles, dont l'industrie demande un travail suivi, gagnent
à peine de quoi vivre.
Nos industries ne peuvent rien ou peu de chose contre un
tel bon marché. C'est sans doute ce qui a déterminé tous les
gouvernements à prohiber l'entrée en France de la cristalle-
rie étrangère. Cette prohibition, croyons-nous, doit cesser
en vue des progrès obtenus par nos fabriques, et un tarif,
suffisamment protecteur, viendra bientôt les appuyer plus
énergiquement que cette prohibition , qui entraîne toujours
la fraude dans les relations commerciales et la contrebande
vis-à-vis de l'État.
680 VISITE
CLASSES XIX, XX, XXI, XXII et XXIII.
Classe 19, industrie des cotons. — Classe 20, industrie des laines.
— Classe 21 , industrie des soies. — Classe 22, industrie des
lins et des chanvres. — Classe 23 , industrie de la bonneterie , des
tapis, de la passementerie, de la broderie et des dentelles.
L'opinion est à peu près unanime sur l'intérêt qu'offre
l'Exposition de 1855, dans laquelle les industries textiles oc-
cupent une place si importante. Toutes ou presque toutes les
variétés y sont représentées. L'industrie du coton expose de-
puis le calicot le plus commun jusqu'aux mousselines impri-
mées et brodées les plus élégantes, et aux tulles façonnés et
brochés les plus remarquables. On y voit de belles flanelles,
des cotons unis, ou imitant les peaux de tigre. Les toiles à
bâches , les plus belles batistes et le linge damassé le plus
magnifique forment les produits extrêmes de l'exposition des
étoffes de chanvre et de lin. Des draps ordinaires depuis 5 fr,
jusqu'à 35 fr. le mètre; des couvertures, des tapis, non moins
variés. Des draps élastiques, des draps de velours, des feutres
pour rouleaux, pour couvertures de toits, de parquets et
ponts de navires, etc., donnent une idée de l'ensemble des
lainages foulés et drapés. Les mérinos , les baréges. les tissus
écossais, les damas de laine et les moreen imitant les belles
étoffes de crin témoignent des progrès toujours croissants de
la belle industrie des tissus ras en laine. Des châles français
tout laine, depuis 1 fr. 28 cent, jusqu'à 1000 fr. et plus, at-
testent que l'hygiène a su faire son profit d'un tissu qui n'a-
vait à son origine qu'une destinée de luxe. Les tapis mo-
quettes , les tapis imprimés et façonnés en même temps, ceux
d'Aubusson, de Nîmes et de Beauvais ; nos belles tentures
produites d'après les systèmes divers propres à chacune des
localités que nous venons d'indiquer, et les résultats sans ri-
vaux des Gobelins établissent par la plus heureuse transition
l'alliance de l'art et de l'industrie.
Les soies et les soieries y brillent sous toutes les apparen-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 681
ces ; les tissus inusables en soies exotiques écrus , trop peu
en usage encore dans nos contrées, ne sont pas moins inté-
ressants que les merveilleuses étoffes de Lyon, d'une supé-
riorité incontestable et tellement incontestée qu'on cherche à
les imiter partout, sans avoir nulle part la prétention de ri-
valiser avec elles. A côté de ces produits obtenus par les sub-
stances filamenteuses fondamentales , viennent se placer des
tissus obtenus par des matières premières d'un usage encore
secondaire. Les toiles et les tapis en jute; les coutils et étof-
fes blanches et teintes en china grass ; les nattes d'abacca,
du palmier; les articles en chanvre de manille , d'aloès; les
produits si variés du cachemire, du poil de chèvre, de l'alpaga,
du crin, du caoutchouc même, dont l'emploi pour divers
usages, et surtout pour des sous-jupes, est devenu si géné-
ral; les essais en étoffe d'herbe, d'écorce de mûrier, d'or-
meau, de poils de lapin, etc.; les tissus mixtes, en matières
premières mélangées, tels que lin et coton, coton et laine,
laine et soie, et chacune d'elle unie à l'alpaga, au poil de chè-
vre, etc., viennent compléter cette vaste carte d'échantillons.
C'est surtout aux étoffes de cette dernière catégorie, obte-
nues par des mélanges de matières premières, qu'on donne
les noms les plus arbitraires; c'est ainsi que les tissus électri-
ques, qui figurent dans une vitrine anglaise, ne sont que le
résuhat de l'entrelacement des fils de lin à des fils en laine
peignée; celle-ci forme la trame, et la première la chaîne.
Les Allemands ont exposé , sous le nom (ï étoffes en laine arti-
ficielle, des produits obtenus par de la laine provenant du
défilochage de chiffons que l'on nomme chez nous renais-
sance. En industrie, comme on le voit, le nom qui sert à
désigner une chose ne garde pas toujours la signification
réelle, souvent même il déguise, au contraire, le caractère
propre du produit auquel il s'applique.
Les nombreuses variétés d'étoffes qui figurent à l'Exposition
appartiennent à plusdequatre mille maisons, non comprises
celles qui exposent les matières premières, et les machines
qui les transforment, c'est-à-tlire abstraction faite de la troi-
sième et de la septième classe du catalogue. On peut donc
estimer que les industries textiles comptent pour un quart
environ dans la vaste exhibition des Champs-Elysées , si on
envisage l'ensemble des établissements qui y sont représentés.
682 VISITE
On se ferait une idée inexacte de l'imporlance industrielle
de chaque nation, si on ne l'évaluait que d'après le nombre
respectif de ses exposants. La France, qui ne transforme
qu'un cinquième environ de la quantité de coton mis en œu-
vre par l'Angleterre, est repiés^'ntée par 410 établissements,
et Cette dernière ne l'est que par une centaine à peine.
L'Amérique, dont l'industrie cotonnière est aujourd'hui,
sous le rapport des quantités transformées, la plus impor-
tante du monde, après celle de l'Angleterre, n'est pour ainsi
dire pas représentée.
Le petit espace, trop vaste cependant, réservé à cet effet
aux États-Unis, fait un contracte pénible avec son entou-
rage. C'est à peine si les quelques balles qui doivent y figurer
sont ouvertes; on dirait que les expéditeurs éprouvent une
certaine hésitation à étaler leurs produits en présence de
leur splendide voisinage. L'Autriche a presque autant d'ex-
posanis dans Tindnstiie cotonnière que l'Angleterre. La
Prusse, les États sardes, la Scixe, les divers petits duchés
sont mieux représentés sous ce rapport, et d'autres encore,
que l'Améfique. L'éloignement et la dépense ne sont pas les
seuls motifs de l'abstention américaine. Des pays plus éloi-
gnés et d'une importance moiniire témoignent plus d'empres-
sement. Mais l'industriel américain surtout est essentielle-
ment positif : son intérêt direct n était pas en jeu. Chaque
jour il fait des efforts nouveaux pour se passer de lindustrie
européenne; et, si pour plusieurs spécialités il n'est pns éloi-
gné du but auquel il tend , il ne peut cependant encore avoir
la prétention ni de faire de nous un client, ni de nous mon-
trer une supériorité de travail; c'est pourquoi il s'abstient.
Peut-être aus^i a-t-il pris tri'p à la lettre les bruits que l'on
faisait crouler à l'avance de l'avortement de ce grand tour-
nois industriel de 1855 On ne saurait donc se fier aux ap-
parences, même à rE\posiiion , et il faut se garder déjuger
le progrès d'après les indications encore incomp'ètes de ces
joutes naissantes , qui doivent avoir le sojt des foires et des
marchés, où le pourvoyeur vise peut-étie autant au débou-
ché avantageux qu'aux distinctions honorifiques; cela paraît
surtout vrai au point de vue américain. Si certaines contrées
industrielles, telles que les États-Unis, se sont abstenues à
cause de leur jeunesse, quoique déjà leur essor soit assez
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. r>83
grand pour faire réfléchir l'Angleterre, d'autres nations, qui
jouissaient autrefois d'une réputation comparable à celle de
la Grande-Bretagne de notre époque , ne sont plus que l'om-
bre d'elles-mêmes.
Qu'est devenue la célèbre industrie des soieries de la Grèce
et de rUalie , berceau de la nôtre. La Grèce surtout a dégé-
néré d'une manière pénible. Cette contrée , autrefois initia-
trice, est oblii2;ée aujourd'hui, pour recommander ses pro-
duits, d'inscrire sur les vitrines : Suies filées à la française^
soies plées à V italienne. Quelques écharpes, mouchoirs , che-
mises et moustiquaires, forment l'assortiment de ses tissus,
qui ne paraissent figurer là que pour mémoire. L'Iialie, en
général , a moins dé^^énéré, il est vrai , mais que cette maigre
exposition de quelques tissus de soie de Gènes et de Florence
est loin de l'ancienne réputation des riches et brillantes étof-
fes que ces opulentes cités fournissaient jadis à presque toutes
les cours du monde! L'imiustrie italienne paraît avoir concen-
tré ses efforts de production sur la soie grége, dont elle était
d'ailleurs en possession avant nous, et que son climat favo-
rise tout particulièrement.
Mais de toutes les anciennes réputations industrielles, la
plus effacée est peut-être celle des Pays-Bas. Qui eût pu pré-
dire à Colbert que l'industrie des draps qu'il enviait tant à la
Hollande ne serait représentée que par un seul exposant,
caries deux autres, compris dans la même catégorie , expo-
sent l'un de la bonneterie en laine de pin filée, et l'autre du
tissu de crin.
On pourrait faire plus d'un rapprochement historique ana-
logue pour plusieurs autres contrées florissantes autrefois et
aujourd'hui sans éclrft ; mais ces considérations nous écarte-
raient trop du but tout spécial que nous nous proposons et
auquel nous avons hâte de revenir.
Déclarons d'abord humblement qu'au point où en est ac-
tuellement l'industrie des tissus, celle, par exemple, de co-
tonnades et des lainages en générai , il est bien difficile aux
plus compétents de formuler un jugement comparatif sur des
étoffes produites dans la même localité par des moyens iden-
tiques, mis en usage par des fabricants auxquels le temps a
fourni une somme à peu près égale d'expérience et d'habi-
leté. Aussi peut-on trouver en moyenne dans ces industries
684 VISITE
70 p. 100 d'excellents fabricants. Cela ne veut pas diie qu'ils
soient dans les mêmes conditions de réussite et de prospé-
rité.
C'est surtout dans l'industrie que les capitaux ont une im-
mense importance. Sans eux. l'intelligence, le savoir et l'ex-
périence sont souvent frappps de stérilité. Si donc il est dif-
ficile, après l'examen le plus attentif, de porter un jugement
sur la valeur relative des produits , combien n'est-il pas plus
difficile encore de les apprécier équitablement, lorsqu'on les
voit à dislance , exposés sous des jours et avec des effets de
lumière différents dans des espaces disproportionnés, pim-
pants et attifés sous le prisme des vitrines, et surtout lorsqu'on
a eu soin , quoi qu'en disent les exposants, de présenter aux
yeux la fleur de ces produits? Nous ne pouvons , au reste , les
blâmer du soin qu'ils prennent de faire un choix honnête et
de l'offrir sous l'aspect le plus favorable. Le public sait cela ,
et fait ses réserves.
Noris sommes aussi partisans que qui que ce soit des exposi-
tions. Leurs avantages sont manifestes; vouloir les faire res-
sortir serait une banalité, et cependant, malgré nous, l'as-
pect de ces splendides galeries, avec leurs attraits et leurs
charmes séduisants, nous produit l'effet de cette amabilité
universelle, de cette urbanité générale, que l'on rencontre
• dans un bal au milieu d'une société choisie. Que de visages
charmants le soir sont maussades le lendemain ; que d'étof-
fes apprêtées!... Ne médisons pas des apprêts, source d'une
foule d'effets industriels nouveaux , nous allons le voir.
L'industrie lilloise expose des collections de fils de coton
remarquables, non seulement par la perfection de la filature,
mais par un brillant que la soie seule offrait ju?qu'ici. Ce ré-
sultat obtenu par des apprêts particuliers rendent ces fils
propres à des emplois variés. C'est ainsi qu'on est parvenu à
faire des tissus en coton, imitant les moiies antiques jusqu'ici
exclusivement du domaine de la soie. Les fils retors pour
tulle , les fils de lin à coudre , sont également soignés au point
de pouvoir rivaliser, fous le rapport de la qualité, avec ce que
l'Atigleterre fait de mieux. Les fils de laine gazés lisses pour
la passementerie, la popeline et les tissus mélangés ne sont
pas moins remarquables; les fils jaspés et chinés par des mé-
langes aux métiers à filer, grâce aux moyens nouveaux par
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 685
lesquels ils sont obtenus et à la perfection qui permet de les
employer à des produits de toute nature , ont pris une grande
extension. Le colon, le lin et la laine y sont employés avec le
même succès pour la bonneterie et les étoffes de nouveautés
quelles que soient leur destination. Les fils unis écrus ou
blancs destinés au tissage ne sont pas moins en progrès. Les
produits de l'Inde et de la Turquie obtenus à la main sont
peut-être plus lins , comme le prouvent les fils et les mousse-
lines exposés par ces contrées ; mais il n'y a vraiment rien
de plus digne d'attention que la régularité avec laquelle on
arrive à filer le coton, au n'' 600, et à obtenir, par conséquent,
un cylindre flexible parfait d'une longueur de 150 lieues avec
500 grammes de fibres, sans que l'on puisse constater une irré-
gularité sur cette longueur. On est arrivé automatiquement
à des fils d'une plus grande finesse , mais leur usage est
problématique, tandis que ceux dont nous parlons ont des
emplois usuels pour la mousseline, le tulle, lesdeutelles. Le
coton à longue soie, que la Géorgie fournissait seule d'une
assez belle qualité, était spécialement réservé à ces emplois;
aussi son prix augmentait-il chaque année. Sa production ne
répondait pas aux demandes : certains cours ont dépassé
12 fr. le kilogramme.
L'exposition des produits de notre colonie d'Afrique dé-
montre, entre autres faits, que désormais une partie de ces
précieux filaments pourra nous être fournie par elle, et si les
efforts continuent comme par le passé dans celte direction ,
nous pouvons espérer nous aflranchir entièrement du tribut
payé à la Géorgie. Notre colonie ne s'est pas bornée à la cul-
ture du cotonnier à longues soies ; les expositions en fils et tis-
sus du Nord , de l'Alsace et de la Normandie , dans les arti-
cles les plus variés , prouvent que les colons de toutes espèces
y réussissent également, les plus ordinaires comme les plus
belles qualités. Que les machines à égrener, qu'on a tant per-
fectionnées dans ces derniers temps aux États-Unis, s'y intro-
duisent, que la main d'œuvre y arrive à des conditions nor-
males quant aux prix, et les espérances que nous avons
conçues, il y a long-temps déjà, sur les solides destinées de
notre conquête africaine, ne tarderont plus à se réaliser. Nous
écrivions, en effet, en 1845, dans un travail sur les matières
textiles.... «A tant de titres généraux, dignes d'attirer l'in-
686 VISITE
térêt de toutes les nations qui s'occupent des industries en
question , viendra sans doute s'en ajouter un nouveau pour la
France, si notre précieuse terre d'Afrique réalise les espéran-
ces qu'elle fait concevoir. »
Si on ne jugeait que sur les échantillons exposés, on pour-
rait hardiment avancer que les espérances sont réalisées. On
trouve, en effet, dans les vitiines exposées sous le p^itronage
de M. le ministre de la guerre, les fils et les calicots ordinaires
de Rouen et de ses vallées , et des fils des numéros 2 à 300,
valant de 30 à 36 francs le kilogramme , et des organ-
dis mousselines de cinq mille fils , sur une largeur de 0™,85.
L'éducation des vers à soie ei la production des coccms se sont
développées parallèlement; les échantillons exposés [)rouvent
que ces produits peuvent rivaliser avec les similaires de nos
départements méridionaux, et s'il est vrai, comme quel-
ques-uns le prétendent, que les soies grèges n'ont pas toute
la régularité et la netteté des soies d'ordre de nos centres sé-
ricicoles, cela tient uniquement à ce que les ouvrières n'ont pu
encore acquérir l'habileté de celles du midi de la France, aux-
quelles les bonnes habitudes sont transmises de génération
en génération. Il y a cependant déjà sous ce rapport une
grande différence entre les grèges d'Afrique, du Levant, de
l'Inde et de la Chine, à l'avantage de notre colonie. Nous ne
saurions quitter cette intéressante partie de l'Exposition uni-
verselle sans mentionner unecoliertion complète de liges, de
feuilles et de fibres textiles exotiques, qui n'a d'équivalent
que dans les vitrines de la Compagnie dis Indes de la Grande-
Bretagne. On dislingue entre autres, dans les vigoureux spé-
cimens du .larcjin des Plantes d'Alger, des tiges d'uriica nivea,
que les Anglais seuls emploient jusqu'ici sous le nom de china
grass, pour faiie ces beaux tissus, qui tiennent de la baliste
pour la blancheur et la finesse, et de la soie par leur brillant,
et des feuilles de gigantesques yucca filainentosa dont les
Américains commencent à tirer un grand parti. Des filaments
(ï agaves, de corête textilis, corcJwrus textilis (jute) de la
filasse de mauve^ de larrabis simeiisis, de chanvre de Manille,
de palmier, de dattier et de plusieurs autres plantes moins
connues, dont notre iiidustrie saura bientôt tirer un parti non
moins avantageux que des cotons de la même provenance. Ce
n'est pas sans une vive satisfaction que l'on pense que la
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE., 687
longue et terrible lutte , soutenue par nos armes , commence
enfln à produire ces résultats pacifiques, juste compensation
de tant de glorieux sacrificps.
Si nous nous sommes arrêtés quelque peu à ces détails,
c'est qu à notre avis c'est là un des points les plus intéressants
de nos industries textiles et végétales. Que dire des autres ré-
sultats si ce n'est que l'Alsace reste digne de son estimable
réputation, sans rivale pour son élégance et son goût; que
la Normandie, pourvoyeuse des produits intermédiaires, n'a
que l'Angleterre comme concurrente; que le Nord est en lutte
honorable avec Manchester et Nottinj^ham ; que Tarare et la
Suisse se disputent l'article brodé et broché; que nos ouvriè-
res lorraines ne le cèdent pas en habileté aux plus h biles
brodeuses du monde? 11 faudrait surtout pouvo r entrer dans
les détails des moyens mis en œuvre, des efforts faits inces-
samment pour perfectionner les procédés et les machines qui
concourent à l'exécution de ce kciléidoscope gigantesque
qu'offre la galerie des tissus pour démontrer la source vérita-
ble du progrès.
Quelques faits et quelques chiffres feront mieux sentir la
marche ascendante de l'industrie cotonnière. En 1736 , le co-
tonnier n'existait que conime une plante d'agrément dans l'A-
mérique du nord ; le peu qui s'en consommait alors en Eu-
rope était fourni par l'Amérique du sud, et surtout par
l'Inde. Aujourd'hui l'Arnérique du nord produit annu(llement
environ 500 000 000 de kilogrammes, ou à peu prés les
4/5 de la production totale; l'Angleterre, à elle seule, est ayvi-
vée à mettre en œuvre 300 000 000 de kilogrammes, qui sont
filés par 18 000 000 de broches. O"oi'îue la population de ia
France soit p us nombreuse que celle de l'Angleterre, le maxi-
mum de la consommation e.-t de 72 OUO 000 de kilogrammes
de coton , fd pur, 4 500 000 broches.
Nous disions que les États Unis avaient fait de grands pro-
grès, nous en avons' la preuve dans une consommation de
110 000 000 de kilogramnies, et 5 500 000 broches. Viennent
ensuite, dans l'ordre de leur importance, TAulriche, la Rus-
sie, le Zollverein, l'Espagne, la Belgique, eic. Ce travail du
coton est entièrement automatique d.ms toutes ses parties;
les progrès ont été tels qu un kilogramme de fil coton lilé du
u" 30 , par exemple , qui coûtait 12 fanes en 1810 , 6 en 1834,
688 VISITE
peut être livré aujourd'hui à 4 fr, 50 cent., quoique le prix de
la main d'œuvre soit, en général , plutôt é evé qu'abaissé, et
que les qualités se soient sensiblecuent améliorés. C'est à son
caractère économique, à ses propriétés hygiéniques, qui per-
mettent de faire des étoffes de coton à la portée de toutes les
positions de fortunes et propres à toutes les saisons et aux
divers climats, à sa propiiété de prendre admirablement les
couleurs et les apprêts et surtout aux efforts incessants qui
ont eu lieu pour réaliser les moyens mécaniques de trans-
formations que l'industrie cotonnière doit sa fortune sans
égale, eu égard surtout à la date récente de son origine. Nous
dirions que cette industrie est entrée dans sa phase de virilité,
si nous pouvions parler de la sorte ; elle est en possession
d'elle-même, son époque d'élans énergiques et irréguliers de la
création et des perfectionnements profonds, saillants, qui,
d'un jour à l'autre, apportent des modifications inattendues
dans les moyens et la manière de faire, semble avoir fait
place à Fère calme des études approfondies de tous les dé-
tails et (le l'ensemble de leur iigencement. C'e»t par un tra-
vail gradué et laborieux, en quelque soi te latent, qu'on ar-
rive aux résultats fructueux de la perfection. S'il est moins
brillant, il est aussi sans secousses ni bouleversement, et tel-
lement naturel que c'est à peine si nous en avons le senti-
ment. Cela explique comment l'industrie cotonnière, tout en
grandissant aux yeux des hommes compétents, ne frappe plus
tout d'abord par ses résultats, comme cela est arrivé si sou-
vent dans les précédentes expositions.
Industrie des lins el du chanvre.
Les produits du chanvre et du lin sont moins variés que
ceux du coton ; leur nature est loin de se prêter aussi bien à
la teinture et à l'impression , et leurs fils, quelque bien pré-
parés qu'ils soient, ne sauraient donner des tissus moelleux
et drapants comme ceux du coton. Quoique le travail de ces
matières soit bien plus ancien que celui du coton en Europe,
il s'en faut qu'il soit aussi avancé au point de vue mécanique
et automatique. Les machines suffisent à toute espèce de
fils et de tissus depuis les plus grossiers jusqu'aux plus fins.
Il serait impossible de trouver dans nos contrées un seul fu-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 689
seau , rouet ou filoir à la main pour le coton. Pour le chanvre
et le lin, les machines n'ont pu encore fabriquer certains ^ros
fais ordmaires, et surtout les fils extra-fins pour la dentRlfe et
la mulquinerie en général. C'est que la nature fournit les fi-
bres du cotonnier, avec des caraclèrps qui permettent de les
confier au machines sans opérations préparatoires. La partie
textile du chanvre et du lin a besoin, au contraire, d'être
débarrassée d'une matière gommo-résineuse qui lui donne de
la roideur, et dont elle n'est jamais assez purgée avant d'être
livrée aux machines. C'est là, en partie, ce qui donne le ca-
ractère spécial aux produits qui en dérivent, et explique la
nécessité de machines fortes et de moyens très-éner^^iques
pour exécuter les transformations. Quoique la France soit la
terre classique de l'industrie linière, et que l'inventeur des
machines à filer le Im soit un Français, cette industrie mé-
canique s'est développée tout d'abord en Angleterre, d'où
elle a passé en France et en Belgique. Aujourd'hui', son
importance est plus grande dans le^Royaume-Uni que chez
nous, et surtout en Belgique; et cependant cette indutr'e est
représentée pour la France par 226 exposants, tandis que
l'on en compte 77 seulement dans les trois rovaumcs de l'An-
terre, et presque autant (66) en Belgique. La plus grande par-
tie des maisons d'outre Manche appartiennent à llrlande et à
l'Ecos-e.
L'Angleterre proprement dite en a très -peu : nous avons
remarqué avec étonnement l'absence d'une des plus puis-
santes maisons ^u monde , dont les établissements de Leeds
sont aussi vastes que l'Annexe. En 485i, lors de l'Exposition
de Londres, nous avons blâmé certains de nos grands manu-
facturiers qui s'étaient abstenus , et cependant on avait alors
l'excuse de ne pas être fixé sur la portée des expositions imi-
verselles. Nous ne nous permettrons pas, milord , de vous
adresser des reproches , nous ferons seulement remarquer
que, convié par une maîtres-e de maison d'aussi bonne ex-
traction, il eût été d'un gentilhomme de lui déposer au moins
sa carte.... d'échantillons; ne l'ayant pas fait, vous méritez
que nous parlions de vous avec la discrétion du curé de vil-
lage qui, pour ne pas nommer sa paroissienne en chaire, ne
la désigna que par une vache noire qu'elle seule possédait
dans le hameau.
206
690 VISITE
Malgré certainps abstentions regrettables , les produits en
chanvre et en lin sont assez variés et assez nombreux pour
montrer les pro.i;rès sérieux et sensibles de cette industrie.
Les fils unis et retors sont en général remarquables, comme j
nous l'avons dit, par une régularité qui est le caractère dis- i
tinclifdu travail mécanique; ce qui constate encore mieux I
ce progrès, ce sont des fils d'étoupes presque aussi fms et i
d'une régularité aussi grande que ceux des longs brins ; ce \
sont là des résultats qui ouvrent une ère toute nouvelle à
cette industrie , qu'elle doit aux améliorations des ma- '
chines et surtout à l'intervention de la peigneuse Heillman, ;
et aux opérations préparatoires en général. La même régu- !
larilé et une apparence de force particulière se manifestent \
dans toutes les espères de tissus de toile, de chanvre et de î
lin, grâce aux bonnes préparations des fils avant le tissage, \
età lexécution de mieux en mieux raisonnée et de plus en ;
plus parfaite du métier à tisser les toiles unies et à petites •
armures Les linges damassés qui, par le fini de l'exécution, j
peuvent rivaliser avec la belle soierie façonnée, se foutre- \
marquer pnr leur élégance et leur beauté; comme à toutes i
nos Expositions précédentes, les maisons considérées en pre- 1
mière ligne ont conservé leur rang , d'autres les suivent, et ;
cette fois nous pouvons nous assurer que nous n'avons rien j
à envier à la Saxe pour cet article , et que l'Angleterre n'est \
plus la seule qui applique le travail automatique. Plusieurs j
de nos grands établissements rivalisent avec elles , sous ce i
rapport. i
Tous le» pays manufacturiers filent et tissent aujourd'hui j
plus ou moins mécaniquement le chanvre et le lin. Considérées )
au point de vue de la valeur des produits, la Grande-Bretagne
et la France sont à peu près sur la m.êine ligne, avec cette diffé- :
rence que le travail est presque entièrement automatique chez '
la première, qui fait fonctionner I 268 693 broches , et que ;
nous en possédons 350 000 enviion, ce qui indique la i
proportion qui se file encore à la main; mais si on comparait i
la pro<iuction à la population du pays, la Belgique qui, non '
compris la gran-ie quantité de bras employés au filage de ses '
produits fins, po-sède cependant 150 000 broches, viendrait i
en première ligne. L'importance du Zolleverein se compte •
par 80 000, celle de l'Autriche est représentée par 30000; on *
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 691
en suppose 50 000 à la Russie, 15 000 aux États-Unis, à TEs-
pagne 6000 seulement. Si, des ronsidérations de quantités,
nous passons à l'apprécintion industrielle des qualités, nous
remarquerons que les toiles fines anghiises, quoique tissées
mécaniquement et malgré la difficulté de ce travail, à cause
de la roideur et du peu d'élristicité des fils, sont vraiment
admirables. Tous les caractères désirables y sont réunis ,
finesse, netteté, régularité, dans toute l'acception du mot,
c'est-à-dire uniformité de lisière et des réductions , dont la
précision est presque mathématique. Leurs toiles à voile en
chanvre et en lin, et leurs toiles ordinaires nous ont paru non
moins estimables. Ce n'est qu'en employant leurs métiers, il
faut bien le dire, que nous avons pu les suivre sur ce terrain.
Mais si des articles unis nous passons aux façonnés , nous
prenons notre revanche. Avant de chercher à faire mouvoir
le métier Jacquard à la mécanique, comme on l'a fait chez
nos voisins, nous avons cherché à en tirer toutes les consé-
quences techniques pour ainsi dire; aussi avon^-nous, dans
cette direction, une place qui ne peut nous être disputée que
par la vieille industrie des tissus damassés de la Saxe ; et en-
core en analysant consciencieusement les sujets et l'exécution
et les apprêts de nos grands services de table, on y trouverait
des quali es qui sont spécialement propres au génie industriel
français, dont les vitrines lyonnaises offrent de si belles
preuves. Mais nos industriels ont bien compris que ces beaux
tissus ne sont à la portée que du petit nombre des grandes
bourses ; aussi s'efîorcent-ils de progresser dans les qualités
ordinaires ; leurs efforts se traduisent par une baisse sensible
dans les prix et par des produits qui ne pouvaient s'exécuter
naguère. Nous citerons, par exemple, de belles toiles du nord
d'une largeur de 2"', 70 qui permet de faire des draps de lit
sans couture, et à des prix plus bas que ceux en toile de cre-
tonne. Le même progrès dans les piix se présente pour les
toiles à sari aux, les tissus de coutils du nord , les articles de
la Mayenne, du Calvados, etc. L'industrie du chanvre et du
lin est si complète en Belgique, qu'on peut la citer comrme
ayant présenté des échantillons estimables dans toutes les
variétés.
Les moyens, les machines et les procédés industriels se pro-
pagent avec une telle rapidité dans lEurope manufacturière,
692 VISITE
que si, dans les aiitrespays dont nous n'avonspas fait une men-
tion spéciale, il y a quelques faits à signaler, ils ne peuvent être
que la conséquence des conditions économiques de chaque
contrée. Telle nation ou telle localité ayant la vie à bon mar-
ché, des chutes d'eau en abondance, du charbon à bas prix, ou
les matières premières sous la main, pourra, sans un mérite
particulier, livrer ses produits, toutes choses égales d'ailleurs,
à de meilleures conditions, la Confédération suisse nous offre
à chaqiic pas une preuve de ce fait. Elle a abordé presque
toutes les industries textiles avec bonheur ; celle du lin même,
une des dernière venues et des moins importantes chez elle,
s'y développe d'une manière solide, au moins dans le tissage
des articles façonnés. Les industriels suisses, outre leurs
capacités, ont des conditions économiques que tout le monde
connaît; mais ce que l'on ne sait pas autant, c'est que la
Suisse combat parfois ses adversaires avec des armes qu'ils
lui livrent gratuitement; ces armes sont les inventions étran-
gères. Grâce aux législations de la plupart des pays indus-
triels, elles ne peuvent être appliquées que moyennant rede-
vance à leurs auteurs, pendant un certain temps, de la part
de ceux qui s'en servent. Cette législation n'existe pas en
Suisse; il en résulte que non-seulement tout inventeur suisse
peut tirer partie de son invention dans presque tous les pays
du monde industriel, mais il peut s'approprier gratuitement
les inventions des autres, que ses concurrents, sur les mar-
chés étrangers, sont souvent obligés d'acquérir par de grands
sacrifices. Il s'ensuit aussi que l'industriel suisse en général
ne rend pas à ses confrères ce qu'il reçoit d'eux , et notam-
ment de ses concurrents français. Le véritable industriel
français e.-t libéral dans toute l'acception du mot. Nous en pour-
rions signalerplusieurs qui ouvrent leurs portes à tout homme
sérieux qui désire visiter leur établissement, où il y a souvent
à puiser comme à une source féconde; et, plus chez nous
l'homme est élevé , plus il se sent de ressources dans son
propre fonds, moins il met de réserve dans son hospita-
lité.
Ces manières n'appartiennent, en Suisse, qu'à d'hono-
rables exceptions. L'absence d'une loi qui garantit le fruit
des découvertes inspire sans doute de la méfiance. Quoique
la Prusse ait une loi sur les brevets d'invention, je préfère
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 693
cependant le système suisse; il a au moins de la nelteté ; on
sait à quoi s'en tenir. La Prusse applique le principe de
l'examen préalable. Cet examen a lieu par une commission
d'hommes des plus recommandables, et tellement érudits et
versés dans les annales de l'industrie qu'ils remonteraient au
déluge pour démontrer qu'il n'y a rien de nouveau sous le
soleil, (]e système a pour conséquence l'absence des inven-
teurs étrangers brevetés en Prusse , ils y sont aussi rares
que le dalhia bleu.
Lainages.
Le travail de la laine a donné naissance à trois grandes
spécialités de tissus : celle des tissus foulés et drapés, les plus
anciens de tous; celle des tissus légers et ras, non foulés, et
celle des tissus mixtes, la moins importante, et qui, étant
la plus récente, est plus loin du développement vers lequel
elles tendent toutes trois. On sait que, pour la première spé-
cialité, on emploie surtout des laines à fibres courtes et vril-
lées, travaillées à la carde; pour la seconde, on choisit en
général les fibres longues préparées au peigne; des fibres
courtes, et même d'une longueur intermédiaire, servent à la
troisième. Les préparations qu'on leur fait subir avant le
filage, participant de celles de la laine à cardes pour leurs
passages sur ces machines, et de celles des laines à peignes
par les étirages; leur résultat a reçu le nom de travail
mixte, quelquefois aussi on le nomme cardé peigné. Chacune
de ces trois grandes branches de l'industrie des tissus de
laines pourrait elle-même se subdiviser en une foule de varié-
tés importantes. Dans la draperie proprement dite, on dis-
tingue les draps unis des articles façonnés ou nouveautés,
les draps lisses des draps croisés, les zéphirs des cuirs-laines,
les étoffes tondues et couvertes, comme les satins Bonjean,
de celles foulées et tirées à poils couchés, dont les molletons
en général constituent la principale variété, et des tissus en-
core nouveaux, dits velours, ou le poil est au contraire re-
dressé; viennent ensuite les tissus satinés, ondulés, mélan-
gés, etc., etc. Nous ne faisons que mentionner les principaux
échantillons exposés pour démontrer que même celte partie
de l'industrie, dont les expositions ne se faisaient remarquer
Q9à VISITE
que par des nuances variées, s'efforcent de créer des genres
nouveaux et à nous faire sortir de la monotonie du noir.
Les variétés de la riche industrie de la laine longue et des
laines de mérinos lisses sont plus nombreuses encore, et sont
comprises elles-mêmes dans deux spécialités : celle des laines
longues qui a donné naissance à ces beaux articles dits tar-
tans écossais et de Reims, si admirés et si confortables, et
celle de nos beaux mérinos chalys , stoffes, baréjïes, châles
croisés, etc., de création française, et dans laquelle nous
n'avons pas de rivaux. L'Angleterre est admirablement pour-
vue en matière première pour les tartans et articles à long
poil en général, auxquels concourent leurs magnifiques laines
de Southdown , de Dishleij ^ de Lincoln^ de Cheviot, etc.,
dont l'Exposition nous montre de remarquables spécimens.
Si nous sommes moins heureux sous ce rapport , notre
agriculture fait chaque jour des progrès dans les laines pro-
pres au peigne, pour nos tissus, mérinos et leurs dérivés.
L'Autriche, la Prusse et la Saxe sont les contrées les mieux
partagées en laines fines à fibres courtes et vrillées, si parti-
culièrement recherchées pour la draperie fine; malgré cette
diÊférence dans les ressources de chaque pays, ils n'en ont
pas moins lutté énergiquement pour s'approprier toutes les
variétés de lainages, qu'ils aient ou non la matière première
à leur portée. C'est ainsi que l'Angleterre et la France deman-
dent à l'Allemagne une partie de leurs plus belles laines à
cardes, et à la Russie et à l'Australie des quantités considé-
rables de laines pour leurs produits intermédiaires et leurs
tissus de fantaisie. La Belgique est loin également de produire
assez de laine pour l'alimentation de ses fabriques ; la plu-
part des manufactures allemandes elles-mêmes sont obligées
de demandiT certaines qualités au dehors. Les progrès faits
par l'industrie en général, et surtout par l'industrie française,
n'en sont pas moins remarquables. On fait aujourd'hui incom-
parablement mieux qu'il y a vingt ans, Les salaires ont aug-
menté, et le mètre de mérinos, qui valait alors '12 fr., se vend
aujourd'hui 3 fr.; les mousselines-laine et le bcirége que l'on
peut livrer aujourd'hui de 75 c. à 1 fr. , valaient à cette
époque 2 fr. 75 c. L'industrie des lainages offre donc de l'in-
térêt, aussi bien par ses progrès économiques que par ses
variétés, capables de subvenir aux nécessités et à toutes les
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 695
saisons, de tous les climats, de tontes les fortunes. La santé
publique n'a qu'a s'en louer, la laine avec les soins conve-
nables étant le vêtement hygiénique par excellence.
Nous pouvons, au sujet des exposants de l'industrie de
laines, faire la même remarque que nous avons faite à rocca-
sion du colon. Quoique ces industries soient an moins aussi
importantes en Angleterre qu'en France, celle-ci a 500 expo-
sants, et on n'en compte qu'une centaine environ pour la
première , dont l'ensemble des produits (en lainage s'élève
cependant à plus de 900 000 000 de francs. La Prusse et le
Zolleverein en ont presque le double ; leur production ne s'é-
lève cependant qu'a la moitié de la nôtre et de celle de la
Grande-Bretagne. L'Autriche en a 147; la Belgique 29 ; la
Saxe 23; l'Espagne 23; la Suisse k ; le Wurtemberg 10. Il nous
paraît vraiment bien difficile, au point où en est l'industrie des
draps, de comparer la draperie unie de divers pays autrement
que par les prix , car, en examinant des draps à peu près de
même valeur exposés par des fabricants également estimés de
la France, de l'Angleterre, de la Pru-se, de la Belgique, de la
Saxe et de l'Autriche, on trouvera toujours les draps en laine
de bonne qualité bien dégraissés, bien foulés, bien laines,
bien tondus et bien apprêtes, toutes ces opérations se faisant
également bien partout. Nous disons aujourd'hui, car des pro-
grès notables onteu lieu depuis l'Fxposition de Londres; lin-
dustrie drapière de certaines contrées de l'Autriche, par exem-
ple, sensiblement mo ns avancée que celle de plusieurs nations
voisines, marche à granis pas depuis lors. Le point impor-
tant consiste dans le choix de la matière première, et l'agen-
cement convenablement entendu des apprêts, connaissances
à la portée de tout véritable fabricant, le temps des se-
crets de métiers est passé. On s'est beaucoup recrié, avec plus
ou moins de raison, sur la différence des prix des draps des
diverses contrées : il nous semble qu'elle n a réellement qu'une
importance secondaire, si l'on considère que, dans nos vête-
ments, le prix de l'étoffe n'entie souvent que pour un tiers ou
un quart de celui du vêtement lui-même. En supposant un
tissu à 16 fr. le mètre, le tailleur n'en fera pas moins payer
un habit de 80 à 100 fr. Nous nous hâtons de dire que ce
raisonnement n'est applicable dans son entier qu'à la classe
aisée, et pour un petit nombre d'étoffes spéciales, dont le
696 VISITE
prix relativement élevé ne forme qu'une fraction assez petite
de celui du vêtement auquel elle est destinée. Nous croyons
donc devoir laisser de côié cette partie des appréciations sur
l'Exposition ; elles seraient trop problématiques s'il fallait
les établir sur les annonces, qu'on a trop d'intérêt à rendre
séduisantes. En supposant un instant que les conditions de
production fussent les mêmes à Leed^, à Elbeuf, à Sedan, à
Verviers, à Aix-la-Chapelle, en Saxe, en Autriche, à Barce-
lonne, etc., et que nous n'eussions plus qu'à étudier les pro-
duits d'une grande confédération, n'est-il pas démontré pour
tousquel'on trouverait dans chacun de ces pays des manufac-
tures qui, pour leurs progrès, peuvent être placées sur la
même ligne, et qui , à peu de chose près, emploient de la
même manière les mêmes machines, les mêmes moyens, les
mêmes procédés pour arriver à un résultat identique. Les rap-
ports entre les travailleurs du monde sont tels aujourd'hui,
que non-seulement une découverte est appliquée aussi vite à
l'étranger que chez son auteur; mais il y a plusieurs exem-
ples à l'Exposition même qui démontrent que celte application
est souvent plus rapidement faite au dehors que sur le sol
natal. Quelques faits appartenant à l'industrie qui nous oc-
cupe suffiront à démontrer cette vérité. Les machines à fouler
cylindriques, inventées en Angleterre il y a une quinzaine
d'années, ont été rapidement adoptées et perfectionnées en
France. C'est à tel point que bienlôt les célèbres moulins à
maillets ou pilons de Don Quichotte n'existeront bientôtplus, et
c'està peine si l'industrie anglaise les connaît. Il y a quelques
années du moins on ne voulait pas en entendre parler. Dans
ces derniers temps, deux ingénieurs contre-maîtres de l'une
des principales fabriques de drap du Midi ont inventé une ma-
chine qui fait simultanément le lainage et le tondage en sup-
primant les séchages réitérés qui ont lieu entre les deux opéra-
tions, et que l'on croyait indispensables pour pouvoir tondre
les filaments. Les inventeurs paraissent s'être souvenus que ,
pour se faire la barbe, on préfère agir par la voie humide que
par la voie sèche; leur machine est bien conçue et pratique-
ment avantageuse ; or c'est à peine si la nouvelle machine est
en usage en France, tandis qu'un seul fabricant belge en pos-
sède quinze au moins. Nous pourrions multiplier ces exem-
ples s'ils ne suftîsaient à démontrer que les résultats des
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 697
inventions sont cosmopolites. Si la faculté créatrice n'était
pas répartie à peu près également dans le monde industriel
proprement dit, et si elle appartenait exclusivement aune
nation ou à une contrée, il ne faudrait pas moins l'éliminer
des éléments destinés à expliquer le progrès. Il faut, au con-
traire , tenir un compte exact de la facilité plus ou moins
grande avec laquelle les différents centres manufacturiers
s'approvisionnent de telle ou telle matière première. Si l'An-
gleterre a été longtemps presque seule en possession des beaux
articles tartans écossais à longs poils, c'est qu'elle est la patrie
des plus belles laines longues. La création de son curieux arti-
cle en étoffés de laine commune lisse, apprêtées et imprimées,
imitant le crin et jouissant d une solidité presque égale qu'elle
a fait connaître sous le nom de moreen^ et qu'on n'a encore
imité nulle part, que nous sachions, est une conséquence de
son expérience des transformations de tout ce qui est laine
longue. Si l'industrie drapière de la Saxe, de la Moravie, de
la Bohême, de la Silésie et de la Hongrie, est à la hau-
teur de celle des pays les plus renommés en ce genre,
n'est-ce pas aussi à la production de leurs magnifiques laines
qu'il faut l'attribuer? La supériorité française dans certains
articles de fond ne peut cependant être motivée tout à fait de
la même manière; elle n'était pas plus favorisée que certains
autres pays pour la création de sa belle industrie des tissus
ras, dans' laquelle Reims, le Nord, la Picardie stimulés et
dirigés par l'industrie parisienne ont acquis une si juste ré-
putation. Nous n'en voulons pour preuve que cette belle col-
lection des étoffes unies exposées sous le nom de cachemire
indigène, faites avec de la laine de Mauchamp; la mousse-
line de Chine , ou espèce de chalys, si digne de son nom par
le moelleux de son touché, et le mignon de ses effets; les ba-
réges de toutes réductions, et les gazes si heureusement
baptisées. L'élégant article des lainages drapés, connu sous le
nom de safin Bonjean, trouvait partout des éléments aussi
favorables à la création qu'à Sedan. Les velours de laine aux-
quels la même localité vient de donner naissance et qui diffè-
rent complètement par le travail de l'étoffe du même nom, en
ce qu'on les obtient simplement par une modification des ap-
prêts, n'avaient pas non plus de raisons particulières pour
nous venir plutôt de ce point que d'un autre. Ces exemples,
698 VISITE
les efforts que font les autres centres manufacturiers, comme
Elbeuf, le Midi, le Nord, le Calvados même pour varier leurs
produits en pure laine et pour multiplier les tissus mélangés,
nous paraissent déceler une aptilude spéciale de création,
stimulée constamment par le bon accueil que notre consom-
mation fait à ce qui est nouveauté de goût. Les consommateurs
de la plupart des autres nations ne paraissent pas avoir un
besoin égal de changement. Est-ce un bien, est-ce un mal?
C'est ce que nous n'avons pas à décider ; nous croyons ne
pas nous tromper en constatant le fait. Il suffit souvent chez
nous d'un produit original pour faire la réputation et la for-
tune d'un fabricant. Nous avons connu un grand manufactu-
rier, il y a une vingtaine d'années, qui doit l'origine de sa
fortune à une couleur vert-pomme. Un autre la doit à une
heureuse manière d'appliquer la vapeur dans les apprêts, ce
qui donne à ses draps une apparence plus agréable à l'œil, sans
que pour cela la solidité en ait été augmentée. La préférence
dans ce cas est accordée au produit nouveau, non-seulement
à prix égril, mais avec une augmentation souvent très-pro-
noncée. Cette recherche des apparences plus flatteuses, des
dispositions nouvelles est bien plus grande encore pour les
articles de fantaisie, désigné? sous le titre générique de nou-
veautés. Nous dirons, pour nous résumer sur les étoffes de
laines, que les variétés sont innombrables; que l'industrie
française, dans les spécialités qu'elle produit, est au moins
égale à ses concurrentes, lorsqu'elle ne leur e^t pas supé-
rieure. Il lui mnnque cependant, pour être complète, la produc-
tion de certains articles qu'elle n'a que timidement abordés,
ou qu'elle ne fait pas du tout. Les mélanges d'Alpaga de toutes
espèces d'autres substances textiles dans lesquelles l'Angle-
terre excelle sont dans le premier cas, les moreen sont dans
le dernier. Ces moyens et les procédés spéciaux des trans-
formations de ces mélanges sont cependant connus; il serait
temps aussi que notre industrie ressaisit la transformation
du poil de chèvre dont elle ava'tpris l'initiative con)me filage
et que nous avons abandonnée, au point d'être obligés d'ache-
ter à nos voisins d'outre Manche les fils de cette nature pour
la fabrication des velours d'Utrecht et pour quelques autres
produits spéciaux.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 699
Cachemirs français.
C'est ajuste titre que ce produit a été dénommé ainsi , car
c'est encore là une indusj-ie toute française et presque pari-
sienne , quoi qu'en disent nos voisins , qui pourraient tout au
plus penser qu'on a tenté celte industrie chez eux av<intnous,
mais sans pouvoir l'amener à bien. Malgré son éclat et son
importance, elle est d'oiig'nesi récente que plusieurs des
hommes de la spécialité onta?si.«té aux nombreuses et princi-
pales phases de transformations qu'elle a parcourues puir ar-
river à l'état remarquable où les galeries des Champs-Elysées
nous la montrent.
On ne peut se faire une juste idée des progrès de l'industrie
châlière qu'en comparant les premiers essais de ce genre, qui
n'ont pas un demi-siècle, aux produits que nous avons
sous les yeux. On dirait deux tissus de types différents, et
cependant un châle de celte époque coûtait au moins au-
tant, sinon davantage, que ceux de même e.-pèce fabriqués
aujourd'hui. li a fallu une cause plus énergique encore que les
efforts de nos manufacturiers pour arriver à d'au.-si rapides
progrès. Il a fallu au chàle des avantages bien grands
pour qu'il devînt comme un fonds de toilette chez les dames
de toutes les positions; ses vertus hygiéniques seules n eus-
sent peut-être pas suffi, si en même temps le châle n'était le
vêtement par excellence de toutes celles qui le comprennent
bien. Il possède les avantages du corset sans en avoir les in-
convénients. Il cache les difformités ou fait ressortir les grâ-
ces. Delà, sa fortune. (7est en vain qu'on aurait perfectionné
son travad, varié ses nuances; s'il n'avait des vertus Intentes,
ce produit n'aurait eu qu'un temps, tandis que, sans être pro-
phète , on peut hardiment lui prédire encore une longue car-
rière, surtout si chaque Exposition nouvelle nous fait assister,
comme celle-ci, à de nouvelles merveilles. Sans entrer dansdes
détads techniques, qui ne peuvent trouver leur place ici, indi-
quonsles points saillants par lesquels les pfoduits tes plus recher-
chés de c<4te grande industrie se font remarquer, il faut citer
en première li-jne les réductions fabuleuses auxqnellt'S on est
arrivé. Certaines de ces élolVes contiennentju^qu'à deux cents
fils sui" un centimètre de largeur, et environ autant sur un cen-
700 VISITE
timèlre de longueur; c'est-à-dire que la réduction est égale en
chaîne et en trame. Qu'on juge de la finesse du fil de cache-
mire ! Elle est telle que les fils de la chaîne ne pourraient résis-
ter au travail s'ils n'avaient une âme ou axe en soie autour
duquel le cachemire est enveloppé par la torsion.
C'est cette grande finesse , jointe à la régularité des fils et au
mélange habile des couleurs, qui donne aux dessins obtenus
par Tentielacement des fils, l'aspect d'une peinture si on les
examine aune certaine dislance. Les points des entrecroise-
ments sont si ténus et si déliés qu'ils sont imperceptibles.
La variété des couleurs et la douceur des tons qu'on re-
marque dans ces tissus n'auraient pu être atteintes sans des
complications et des dépenses capables de faire reculer les
plus hardis, si la science n'était venue au secours de l'art, et
ne lui avait indiqué les moyens d'obtenir au besoin , avec
un nombre restreint de couleurs, trois fois autant de nuances.
Un exemple de cette application nous rendra plus clairs. Sup-
posons que l'on veuille obtenir un ton vert clair et que l'on
n'ait que des fils vert foncé et des blancs. Au lieu de se ser-
vir d'une navette, on en emploiera deux qu'on chassera suc-
cessivement, de façon à ce que les deux trames, la verte et la
blanche, n'en forment qu'unejuxta-posée, qui ne sera ni blan-
che ni d'un vert foncé, mais d'un vert clair. On peut faire ces
applications pour toutes les nuances par des trames doubles
ou triples agissant comme une seule ; il faut seulement que la
finesse de chacune d'elles augmente dans la même propor-
tion. Ce stratagème, résultant de la combinaison de la science
et de l'art, donne la clé de la richesse extraordinaire et du
fondu parfait qu'offrent la plupart des châles sortis des mains
des grands maîtres de la spécialité. Si nous citions également
les tours de force qui pour le moment n'offrent d'autre intérêt
que d'indiquer des difficultés vaincues, mais dont les consé-
quences immédiates ne sont pas plus profitables que celles
obtenues par la réalisation d'un exercice gymnastique, nous
mentionnerions certains châles brèches en gaze qui ont exigé
au moins 5000 carions pour arriver à une imitation d'impres-
sion.
Une autre nouveauté de l'Exposition consiste dans un tra-
vail mixte du spouliné et du lancé. On sait que le spouliné, en
usage particulièrement dans le travail des châles indiens, est
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 701
une espèce de broderie au fuseau , qui a pour but de n'em-
ployer la matière qu'aux points où elle doit apparaître. Au
contraire, dans le procédé du laricé , employé pour nos châles,
on fait toujours passer la trame par entrecroisement dune li-
sière à l'autre, ne dût-elle être vue que sur l'épaisseur d'un fil.
La partie non apparente passe à l'envers, et, si on a huit cou-
leurs , par exemple , on a huit fils ou duites superposées de la
même manière, avec une quantité de matière considérable
que l'on est ensuite obligé d'enlever par un découpage. Il en
résulte un défaut de solidité et une perte de matière : deux
inconvénients qui n'existent pas dans les châles de l'Inde.
On ne cesse de faire des recherches pour arriver au spouli-
nage mécanique et même automatique. Déjà l'Exposition de
Londres a valu à l'un de nos industriels une grande médaille
pour ses progrès dans cette voie. Depuis lors les moyens ont
été perfectionnés encore, au point qu'à prix égal nous pouvons
faire aussi bien que les Indiens. Il est vrai que le châle de
l'Inde a souvent des défauts, des irrégularités qui lui donnent
de la couleur locale aux yeux de nos élégantes. Il faudra bien
que nos manufacturiers, pour pouvoir rivaliser avec les In-
diens , s'attachent à imiter ces défectuosités et surtout la mar-
que orientale. Que l'on ne se récrie pas contre nos avis im-
moraux de contrefaçon. La chose existe et nous n'y sommes
pour rien. Heureusement que, tout bien examiné, la cliente
y gagne au lieu d'y perdre. Son amour propre , plus que ses
intérêts, aurait à souffrir si elle pouvait se douter que le châle
dont elle est si fière sort parfois en partie , si non tout entier, de
tel atelier des environs de Paris, au lieu d'arriver en droite
ligne des manufacturesdel'Indoustan. Mais notre industrieelle-
même ne manque pas non plus d'amour propre, Dieu merci!
Elle est pr^esque honteuse d'avoir parfois à cacher son pavil-
lon. Aussi s'eiForce-t-elle de créer en ce moment le genre
mixte que nous avons annoncé plus haut, et qui serait à l'abri
de toute méprise, en ce qu'une parlie des trames ou couleurs
les phjs répétéessont travaillées au lancé et le reste au spouliné.
Il en résulte une liaison ou liaii;e entre les deux sortesd'entrela-
cements qui donne une solidité d'autant plus grande à l'étoffe
qu'elle n'a plus besoin d'être découpée, sans que pour cela ces
châles soient sensiblement plus lourds que les châles ordinai-
res. Nous croyons de l'avenir à ce produit, tout nouveau quant
702 VISITE 1
au mode d'exécution. Après avoir parlé des châles français j
en cachemire pur, en laine et cachemire, en laine pure et
mélangés, des châles imprimés de Paris et de Nîmes, il nous \
reste à constater que l'Angleterre , l'Autriche et la Saxe ont 1
fait des progrès remarqu;ibles et rapide-. Celte industrie, qui ,
était seulement tâtonnée avec un succès problématique, y l
est arrivée à un état trop sérieux peut être pour nous ; car leur
rivalité n'est pas à dédaigner, dans tous les articles intermédiai- !
res et communs. Il ne nous reste réellement, sans comparaison ;
possible , que la belle fabrication de luxe poussée dane cer- ;
tains détails à un point dont nos rivaux n'avaient pas d'idée , ■
même abstraction faite de la partie artistique qui vaut une si \
belle place à nos compatriotes dans le monde entier. \
Bonneterie. ;
Nous mentionnons la bonneterie après les châles afin de <
ne pas nous laisser séduire par le démon de l'orgueil. Si nous ^
n'avons pas de maîtres dans Ih fabrication des châles, il ne /
nous est pas difficile d'en trouver dans le travail du tricot. <
Les produits anglais, dans toutes les spécialités, ont le pas \
sur les nôtres, tant pour la solidité, l'élasticité, la finesse et ;
la douceur que pour le prix de leurs bonneteries de fil, et sur- \
tout de coton et de laine. L'industrie saxonne n'est pas moins
remarquable dans ce dernier article. Si nous citions certains
prix, ils paraîtraient fabuleux de bon marché, même en te- ;
nant compte de ce qu'il peut y avoir eu de forcé pour le •
besoin de la cause dans leur énoncialion. Notre infériorité, i
disons le mot au risque de choquer certaines susceptibilités, .
ne peut être attribuée à la matière première que nous pou- i
vons nous procurer aussi bien que nos concurrents, si nous >
faisons abstraction du prix. Or, abstration faite de cet élé- i
ment, certains de nos articles des bas français par exemple j
sont loin d'avoir les qiralités de ceux des pays que nous venons î
de citer; cela paraît tenir à des préparations spéciales des fils J
et à des apprêts particuliers de l'étoffe. Si notre industrie ,1
apportait à l'étude de celte importante question une partie i
seulement de la persévérance qu'elle a consacrée à perfec- |
tionner l'industrie des châles , il e?t probable que nous n*au- ■
rions bientôt plus rien à envier sous ce. rapport à nos voi- j
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 703
sins. Cela est d'autant pins exact que si nous n'examinions que
les articles de fantaisie et les moyens qui concourent au tra-
vail de la bonneterie en général, la supériorité serait en notre
faveur. C'est au point que nous fournissons nos machines à
tricot à la plupart des contrées qui font mieux que nous, même
à l'Angleterre. Elles ont été tellement modifiées, surtout par
nos mécaniciens de Troyes, qu'elles servent à une foule de
spécialités nouvelles, et entre autres à u ne certaine draperie lé-
gère et élastique, éminemment propre à faire des articles pour
ganterie. Ces métiers produisent artuelleraent , comme le tis-
sage ordinaire, des étoffes unies , croisées , façonnées et bro-
chées , et même une espèce de filet noué dont on fait des
cache-nez de toute espèce, aussi originaux et chauds que peu
coûteux.
En parlant des lainage? . on ne saurait passer sous silence
la grande spécialité des tapis en général. Ici , il y a lutte sé-
rieuse entre les nationalités , les contrées et les divers procé-
dés dont les produits attirent et captivent l'attention. Ces
procédés sont nombreux. Le plus ancien comprend le travail
façon de Turquie pour faire les lapis ras , la tapisserie ou les
tapis veloutés , dont le principe est encore appliqué dans les
établissements du gouvernement. C'est une espèce de spouli-
nage ou tapisserie au fuseau ; une chaîne verticale tient lieu
de canevas, et le fuseau remplace l'aiguille dont se servent
les brodeuses. Ce procédé, perfectionné aux Gobelins et em-
ployé avec toutes les ressource.^ qu'offrent les connaissances
des savants et des artistes attachés à ce célèbre établissement,
est le plus parfait, mais aussi le plus long et le plus dispen-
dieux de tous lorsqu'on veut aborder des sujets compliqués. Il
n'en est pas moins employé à son état rudimentaire pour pro-
duire des descentes de lit, des foyers à bas prix dans les
localités où la main d'œuvre des femm.es est à bas prix. Le
matériel nécessaire se bornant à un cadre en bois servant de
métier et à quelques ustensiles fort simples , ce travail peut,
sous ce rapport, avoir lieu partout et devenir, dans cer-
tains cas , la ressource du foyer modeste et de la chaumière.
C'est à ces considérations qu'il f.iut attribuer son existence
comme industrie , car les moyens de production sont lents , la
matière absorbée est relativement considérable et, quels que
soient les soins que l'on prenne, il y a toujours un déchet de
704 VISITE
laine très-sensible. Aussi ce genre de travail , appliqué égale-
ment aux tapis turcs, de l'Inde, de la Perse, que l'on voit
dans les vitrines des expositions de l'Orient en général, est-il
loin de se propager. Pour produire plus rapidement, on ima-
gina de tisser les tapis comme on tisse les velours façonnés,
bouclés ou coupés , avec cette seule différence que les fils de
laine de couleurs diverses sont substitués à la soie sur la
cantre. L'ancien métier à la tire a été longtemps seul en usage,
et est encore exclusivement employé dans la manufacture
royale de Tournai. En Angleterre et chez nous, le métier à la
Jacquard a depuis longtemps remplacé le précédent dans le
tissage de la moquette anglaise , dont on voit de nombreux et
beaux échantillons dans les étalages d'Aubusson, de Felletin,
de Turcoing, de Tours, de Tournai, de Halifax, etc.
Malgré les progrès signalés des métiers à la Jacquard , ils
présentent néanmoins une complication de montage propor-
tionnel au nombre de couleurs du tissu. Les Anglais ont ima-
giné , depuis une dizaine d'années , un moyen nouveau , qui
consiste à imprimer les fils de la chaîne par un procédé spé-
cial, qui applique à chaque fil la couleur au point où elle doit
apparaître. Une fois la chaîne imprimée et montée de cette
façon , le tissage est exécuté sur un métier ordinaire à faire
les étoffes unies. On peut voir fonctionner l'un de ces métiers
entièrement automatique, dans l'annexe des machines. La
coupe même des boucles, pour produire le duvet, a lieu par
le moteur. Ce système a fourni une foule de résultats
remarquables dans l'exhibition anglaise; il simplifie, il est
vrai, le montage du métier proprement dit. Il permet de se
passer du secours de la mécanique Jacquard, et évite, ce qui
est important, la perte de la laine. Mais il présente néanmoins
une complication assez grande dans l'impression de la chaîne
et la disposition préparatoire de ses fils. Il n'offre d'avan-
tages sérieux que par un grand débit du même dessin. Cela
explique comment il a pris un grand développement chez nos
voisins, lorsque nous en sommes encore à tâtonner son ap-
plication.
Par contre, Beauvais et Nîmes surtout , représentées, la
première, par l'industrie parisienne, et la seconde, sous son
propre nom, dans le pavillon du Panorama, ont fait des pro-
grès notables dans un procédé de fabrication tout à faitfran-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 70o
çais. Nous voulons parler des tapis en chenilles, bien supérieurs,
à notre avis, aux précédents , sous l8 rapport de la solidité et
d'une plus grande variété de couleurs, tout en présentant des
moyens d'exécution d'une simplicité digne d'être mentionnée.
Au lieu d'imprimer le fil de la chaîne , on prend une bande
de chenille analogue à celle employée pour les ouvrages de
dames. Cette bande est composée de fils de laine de diverses
teintes ; on la met à cheval-eur les fils d'une chaîne unie, puis
on la relève en brosse et on la serre par le battant comme si
on frappait une trame ordinaire. On croise les fils de la
chaîne, on insère un fil ordinaire pour maintenir la partie
duveteuse que l'on vient de former, puis on insère une se-
conde trame de ch.enille, et ainsi de suite. Si chacune d'elles a
ses couleurs convenablement disposées , on exécutera le des-
sin qu'on voudra.
Pour rendre ce fait plus intelligible , supposons qu'on ait
un damier noir et blanc à produire : en prenant une chenille,
formée en fils de laine alternativement blanche et noire , de
façon à distribuer les teintes absolument comme sur le da-
mier, c'est-à-dire que si on examine deux suites successives ,
la première commence par le fil blanc et la seconde par le
noir, on réalisera l'effet demandé. Au lieu d'une chenille à
deux couleurs, on peut en composer une d'un nombre quel-
conque de nuances. Le travail essentiel de cette fabrication
consiste dans la production de la chenille conformément au
dessin de la mise en carte, c'est-à-dire au dessin peint sur un
papier quadrillé, disposé d'une façon spéciale, pour guider l'ou-
vrier dans son travail, comme cela se pratique aux Gobelins.
La chenille en pièce, qui comprend un certain nombre
d'exemplaires, est découpée ensuite par bandes au moyen
d'une espèce de scie circulaire; ce sont ces bandes qui sont
employées, dans l'ordre où on les leur dispose, par des femmes
sur des métiers à faire de la toile. Par ce procédé, comme on
le voit, la matière est économisée, le travail est divisé et sim-
plifié, et l'on peut, sans augmenter sensiblement la main-
d'œuvre, faire usage d'un nombre quelconque de couleurs.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur les grands tapis , les
tentures, les foyers, etc., exposés par Nîmes et Paris, pour
se faire une idée de la richesse des produits obtenus par cet
ingénieux système. L'Allemagne paraît avoir repris une ma-
206 tt
70() VISITE
nière de faire non moins originale, si nous en jugeons par
quelques spécimens assez séduisants et qui se distinguent par
une apparence toute particulière. On dirait, en voyant ces
genres de tapis veloutés, qu'on les a enluminés et coloriés au
pinceau ; il n'en est rien cependant : lu personne la plus
étrangère à l'art du dessin et de la peinture peut exécuter les
sujets les plus irréprochables. Pour faire saisir le système
allemand , prenons encore l'exécution d'un damier pour
exemple. Supposons deux plaques égales, percées également
de trous carrés , maintenues parallèlement entre elles aune
certaine distance, de façon que les trous carrés de l'une cor-
respondent à ceux de l'autre. Passons dans la première ran-
gée d'ouvertures des mèches de laines alternativement
blanches et noires , de façon à être saisies par les deux pla-
ques ; passons une seconde rangée de mèches alternativement
noires et blanches dans la seconde rangée de trous , et ainsi
de suite sur toute la surface des plaques. Serrons les mèches
convenablement et supposons une dislance d'un mètre , par
exemple, entre les deux plaques, et que Ton veuille un tissu
(i'un centimètre d'épaisseur. On fera 4 00 sections parallèles
aux surfaces des plaques et on aura 100 tranches ou 100 ta-
pis, si toutefois on a eu soin, après chaque section, d'enduire
la tranche d'une couche de caoutchouc pour établir la soli-
darité entre toutes les mèches d'une tranche et pouvoir les
faire adhérer sur un tissu quelconque par un collage. Si, à la
place de l'insertion de mèches de deux couleurs et dans un
ordre régulier , on les dispose suivant un dessin déterminé ,^
un conçoit qu'on reproduira toute espèce de dessin à volonté.
Il y a néanmoins des précautions à prendre, des coups de
main à bien exécuter, qui sont du domaine du métier et le
résultat de l'exjiérience. On peut s'assurer , par les différents
tapis des diverses expositions allemandes , que l'indus-
trie de ce pays a acquis une véritable habileté dans ce tra-
vail, qui est peut-être plus du ressort du brossier que du tis-
serand. La collection des tapis de feutre et des tapis tissés
et imprimés montre que cette partie des impressions est à la
hauteur du progrès de cet art en général ; pénétration intime
et vivacité des couleurs , goût remarquable pour la plupart
des dessins, telles sont les principales qualités que l'on re-
marque à chaque pas dans cette spécialité.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 70'
Dentelles, tulles et blondes.
Rien de plus difficile et de plus délicat à apprécier que ces
innombrables tissus de fantaisie et de luxe , fabriqués avec
des fils dont la valeur peut varier de 25 à 10 000 francs le
kilogramme, suivant qu'on travaille à la main ces admirables
fils de mulquineries , qui rivalisent de finesse avec les fils de
la vierge, ou ces magnifiques produits en coton , moins fins,
mais non moins remarquables par leur ténuité, et dont l'in-
téressante industrie automatique du tulle uni et façonné fait
aujourd'hui une si large consommation.
Si ce n'est qu'à grand'peine que l'on peut établir un juge-
ment entre le mérite relatif des nombreux exposants qui
figurent au Palais de l'Industrie, on peut du moins signaler
les progrès les plus saillants et les tendances industrielles les
plus caractéristiques.
La production du tulle uni, façonné, broché et brodé, a été
en se développant; le travail s'est perfectionné au point qu'il
peut rivaliser en apparence avec les plus belles dentelles. 11
mérite d'être encouragé eu égard aux ressources croissantes
qu'il offre à une classe intéressante de travailleurs et de con-
sommateurs, puisque toutes peuvent satisfaire leur fantaisie,
grâce à l'intervention des machines qui permettent de four-
nir de ces gracieux tissus à trois centimes le mètre. Malgré
cette invasion de la dentelle du coton, celle en fils de lin n'en
a pas souffert, non plus que la fabrication des bijoux de strass
n'a diminué la valeur du diamant. L'Exposition témoigne, en
effet, des nombreux efforts faits pour augmenter encore sous
le rapport artistique, et la perfection de la main-d'œuvre, la
magnifique fabrication des dentelles à la main , précieuses
ressources du foyer domestique dans plusieurs de nos dépar-
tements. Les pays si justement célèbres pour les belles den-
telles classiques, tels que la Belgique et la France, ont con-
servé leur rang; l'on ne peut rien voir de plus séduisant
comme goût, comme élégance et comme exécution, que l'é-
talage des riches vitrines de Bruxelles et des divers points de
la France. Paris, ce centre de la composition artistique, s'est
surpassé; la rapidité des communications qui l'ont relié plus
intimement aux doigts qui exécutent a contribué à l'éton-
708 VISITE
liante, variété qui se remarque dans ses nombreux produits.
La grande cité des arts ne s'est pas contentée d'établir les
beaux articles connus : comme toujours, elle a voulu aller au
delà. C'est ainsi que l'un des premiers industriels s'est ingé-
nié à reproduire des types presque perdus : nous voulons
parler du point d'Angleterre que l'on ne retrouve plus que
comme application. On sait, en effet, que les belles den-
telles d'Angleterre, si recherchées et si enviées, étaient, dans
l'origirip , des tissus de toute pièce , c'est-à-dire que le fond et
les ornements étaient exécutés simultanément dans le même
réseau par l'habile dentellière. Plus tard, on se contenta de
faire la partie façonnée à part et de l'appliquer à l'aiguille ,
sur un fond à mailles unies; de là le nom d'application que
l'on continue à lui donner.
Or, l'industrie de la France expose non-seulement des ap-
plications non moins belles que celles de la Belgique, mais
l'industrie parisienne nous offre de la dentelle d'Angleterre
avec toutes les qualités anciennes rehaussées par le goût
moderne. Les fils traînants ou brides de l'envers, laissés à
dessein, témoignent de la restauration de l'ancien procédé,
et démontrent que l'étoffe tout entière, fond et sujets, forme
un seul et même réseau sans rentrants. Il y a là des diffi-
cultés vaincues, au point de vue technique, que les personnes
compétentes comprendront et que toutes les dames appré-
cieront. Ce n'est pas tout : pour développer la production et
la mettre, sans délai, en rapport avec les exigences de la
mode, on a songé depuis un certain temps déjà au moyen de
ne pas laisser éterniser l'ouvrage sur le métier. Or , en con-
fiant à une seule ouvrière l'exécution d'une pièce entière, elle
exigerait souvent des années, et ne serait terminée que lorsque
le dessin imaginé ne serait plus de mode ; il a fallu diviser le
travail et mettre un seul objet, une robe, un mantelet, des
volants, etc., simultanément en plusieurs mains. On s'est
déterminé à faire le tissu par bandes, à les distribuer aux
ouvrières, puis à les rassembler par une couture assez déli-
cate pour être imperceptible à l'œil nu. C'est là, comme on
le voit, la méthode des Indiens pour leurs châles si renom-
més.
Mais ce procédé a des imperfections. Lorsqu'on réunit
les bandes, il faut souvent déchiqueter une partie du fond
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 709
pour raccorder les dessins. Le fabricant auquel nous fai-
sons allusion a imaginé une méthode de mise en barre , c'est-
à-dire de transport du dessin par le piquage sur le papier,
qui permet l'assemblage des bandes sans perte de temps ni
de matière ; il y a là un progrès réel , au point de vue écono-
mique. S'il revient une large part des améliorations au fa-
bricant qui sait choisir ses dessins, coordonner et diriger le
travail avec l'ensemble voulu , il n'est pas moins juste de
mentionner celle de l'artiste créateur de tant de magnifiques
dessins , et celle des modestes ouvrières aux doigts de fée,
aux yeux de lynx, dont la patience et la persévérance ne peu-
vent se comparer qu'à la goutte d'eau qui creuse des rochers.
Il est regrettable , disons-le en passant, que la plupart de ces
habitantes des campagnes ne puissent venir avec leur fa-
mille apprécier le cas que l'on fait de leur travail. Sous ce
rapport, l'Angleterre est plus heureuse que nous; il paraît
y avoir plus d'harmonie de goût entre ses citadins et ses
campagnards que chez nous. Qui n'a pas remarqué les proces-
sions des paysans anglais à lExposition de Londres , et l'ab-
sence des nôtres à celle des Champs-Elysées?
Les dentelles à la mécanique ou tulles façonnés et brochés
gagnent chaque jour du terrain. Des effets qu'on supposait
lie jamais pouvoir être abordés par les machines commencent
à être exécutés automatiquement. Certains contours en relief,
festonnés à la main jusqu'à présent, sont brochés par ce met veil-
leux métier à tulle Bobin que l'on peut voir fonctionner dans
l'Annexe. L'industrie calaisienne, siège principal et presque
unique de cette industrie en France , a tenu à honneur de la
mettre en évidence par un modèle parfaitement exécuté, qui
permet de suivre tous les détails du travail et de juger la
beauté du produit sur le métier même. On peut également
examiner des broderies dans les mêmes conditions. Les créa-
tions de Heillmann portent leurs fruits ; on voit des broderies
sur drap s'exécuter sur un métier anglais dont le principe
et une partie des mouvements sont empruntés au fameux mé-
tier que l'inventeur a fait figurer à l'Exposition de 1839. La
broderie à pois est exécutée par un autre métier imaginé et
construit à Nancy. Mais ces machines sont loin de pouvoir
faire tous les chefs-d'œuvre de l'habileté féminine , que pro-
duisent les ouvrières lorraines , dirigées par le goût et l'art
710 VISITE
parisien. Cette belle broderie classique delà Meiirlhe, des
Vosges et de la Moselle ne redoute aucune comparaison.
Mais il n'en est plus ainsi des articles qui paraissent tout
nouveaux et de création suisse; nous voulons parler de ces
grands sujets au crochet à jours et en nouveaux points , de
ces broderies au point de remplissage sur fond filoché , des
rideaux de tulle brodés au crochet avec application, de ces
broderies sur mousseline, batiste, tulle , aux points de relief
satinés. Ces produits de Saint-Gall, du canton d'Appenzell et
de Berne attirent tous les regards et sont justement admirés.
Soies et soieries. — La France est dans l'industrie de la soie
et des soieries ce que l'Angleterre est dans celle du coton.
Considérée dans son ensemble , elle excelle dans les nom-
breuses spécialités qui y concourent, à partir de l'élève des
vers jusqu'après la confection des plus beaux tissus. Elle a des
concurrentes, mais pas de rivales pour la perfection de ses
produits. Comme importance, elle transforme environ pour
250 millions de francs de matières premières , dont 140 mil-
lions de francs lui sont livrés par l'agriculture nationale ; le
complément lui vient du Levant , de l'Espagne et de diverses
contrées italiennes. On évalue en moyenne la valeur des
produits obtenus annuellement par cette spécialité à 375
millions, dont elle exporte de 190 à 220 millions environ aux
différentes nations de l'Europe et des États-Unis. L'Angleterre
a une production à peu près aussi élevée en tissus, mais elle
est obligée de faire venir sa matière première de l'étranger. Les
divers États de l'Italie et les possessions autrichiennes produi-
sent au contraire la matière première, les cocons, la soie grége
et ouvrée sur une échelle plus importante que la nôtre , mais
leur fabrication des tissus ne peut, sous aucun rapport, se
comparer à la nôtre. Les diverses contrées de l'Asie ont une
faculté productive plus grande encore : on l'évalue au double
au moins de ce que l'Europe entière peut fournir, mais leurs
moyens d'exécution , malgré certains progrès dans la main
d'œuvre , sont loin encore des ressources puissantes de l'in-
dustrie européenne.
A l'heure qu'il est , le premier rang dans l'industrie sérici-
cole estdù, à tous égards, à notre pays. On pouvait craindre un
instant qu'elle ne fût menacée dans sa source, dans la produc-
tion des cocons , par suite des maladies qui déciment les vers
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 7tt
^t font dégénérer les races. Ces plaies ont exercé la sagacité de
la science des naturalistes et des praticiens en même temps.
Les remèdes prescrits ou recommandés sont aussi nombreux
et presque aussi contradictoires que ceux recommandés con-
tre le choléra , et la race de ce précieux insecte n'en va pas
moins en dégénérant , et finirait peut-être par disparaître
dans ce vieux monde si la Providence ne veillait. Or la Pro-
vidence se révèle cette fois sous la forme d'une femme simple
et modeste , douée au plus haut degré de l'esprit d'observa-
tion. Cette femme a pénétré la cause du mal, et trouvé les
remèdes à y apporter ; les moyens sont simples et à la portée
de toutes les intelligences. Son procédé a le caractère et les
conséquences de toutes les découvertes mémorables. Il a dix-
huit années d'application , et les cocons provenant d'une
graine dont l'origine remonte à cette date sont, sans con-
testation , les plus beaux de l'Exposition : les soies qui les
accompagnent et qui en proviennent sont sans pareilles
pour la beauté et la qualité. Nous ne faisons qu'annoncer ce
que nous avons pu constater, et qu'il ne nous est pas permis
de divulguer encore. Mais dans quelque temps , la société
d'encouragement pour l'Industrie nationale, qui a fait expéri-
menter par des commissaires spéciaux la découverte à la-
quelle nous faisons allusion , saura la faire connaître par des
témoignages plus considérables que le nôtre.
Le procédé nouveau propagé dans tous les centres de l'in-
dustrie séricicole, et les magnaneries continuant à se dé-
velopper sur notre terre d'Afrique, notre intéressante spé-
cialité des soies prendra sans doute un nouvel essor ; nos
soies grèges, si estimées déjà , le seront bientôt davantage
encore. Ne soyons cependant pas injustes envers le passé :
rappelons que sous Colbert, et plus tard encore, notre soie
grége était si mauvaise qu'il était interdit aux fabricants dei
l'employer pour certains tissus auxquels les soies d'Italie
seulement étaient propres. Il y a vingt-cinq ans , la produc-
tion des grèges, disséminée dans une foule de petits ateliers
des campagnes , était entre autant de mains que l'élève des
vers aujourd'hui ; il en résultait une imperfection et une irré-
gularité qui mettait nos soies au-dessous des soies de la Chine
el du Levant. Aujourd'hui l'industrie du filage et du mouli-
nage a lieu dans de grands établissements comparables pour
712 VISITE
la direction, le matériel et les soins, aux grandes filatures
des autres matières textiles. Que l'on prenne au hasard dans
l'une quelconque des vitrines des exposants de la France et
de l'Italie un écheveau de soie; qu'on le déplie, qu'on exa-
mine la rondeur du brin , la netteté, le brillant et la régula-
rité du fil , et l'on s'assurera de la merveilleuse précision
avec laquelle les baves ou fils élémentaires du cocon ont été
accolés et soudés , l'habileté avec laquelle les imperfections
du brin fourni par l'insecte ont été corrigées. Sans vouloir
amoindrir les services rendus par l'industrieuse chenille,
nous ferons remarquer que son produit n'est pas préparé de
la manière la plus convenable pour son emploi industriel.
Le fil tel que le ver le pelotonne est trop fin et a une grosseur
trop variable dans toute sa longueur pour être mis en usage
sous sa forme naturelle qui doit être corrigée par les soins de
la fileuse et la perfection des préparations et des machines.
L'art du dévidage des cocons, en se proposant ce but , doit
en même tenps développer les brins élémentaires et faire dis-
paraître le vrillement ou les ondulations pour leur donner
tout le brillant dont ils sont susceptibles, et éviter dans le
rattachage , ou plutôt le collage, les boucles et les bouchons
qui diminueraient leur netteté. Celte définition succincte des
conditions à remplir peut faire connaître la délicatesse de
l'opération et montrer que ce n'est pas sans difficulté que
l'industrie e?t arrivée à nous offrir ce magnifique produit
dont l'Exposition nous présente tant de brillants échan-
tillons. 11 serait difficile par l'inspection des produits seule-
ment, tant en fils grèges qu'en fils ouvrés ou tordus, de signa-
ler un progrès depuis le grand concours de Londres et même
depuis 4 849. Il y a cependant une tendance au progrès assez
notable depuis lors, mais elle consiste surtout dans les moyens.
On a fait des efforts pour arriver à préparer les cocons plus-
rationnellement, c est-à-dire pour mettre leur fil en liberté.
La cuisson dans l'eau bouillante et la recherche du bout par
les balais, qui a des inconvénients nombreux, commence à
être remplacée par une préparation plus régulière, par la va-
peur agissant sur les cocons placés dans le vide, et le balai
brutal par un simple sac en filet, contenant les cocons à pré-
parer. S'ils sont convenablement traités, les bouts s'y atta-
chent spontanément de manière à ce que l'ouvrière n'ait plus
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 713
qu'à les réunir et à les éclaircir. On continue également la
recherche d'un moyen pour remplacer la disposition du fil en
écheveausur l'asple, par le filage direct sur bobines, afin d'é-
pargner une main-d'œuvre et un déchet inutiles, qu'occasionne
la transformation indispensable de Técheveau en bobines.
Cette modification dans le travail n'est pas sans difficulté,
attendu l'humidité du fil qui se collerait et serait indévidable
de la bobine, si l'on n'avait un moyen de le sécher au préala-
ble ou du moins d'empêcher le gommage. De très-belles soies
sur bobines, produites par des essais faits dans ces deux di-
rections, prouvent que le problème est résolu, et que bientôt
sans doute, en passant dans la pratique industrielle, il fera
faire un pas de plus à cette intéressante industrie. Les fils de
soie tordus pour trames et organsins sont également remar-
quables par leur régularité, qui est la conséquence d'une
longue expérience et d'améliorations notables apportées aux
machines, naguère encore construites avec un laisser-aller
peu digne de la matière précieuse à laquelle elles étaient
destinées. C'est peut-être ici le lieu de dire un mot de la hon-
teuse falsification à laquelle ces produits donnent souvent
lieu. En raison même de l'élévation de leur prix, on y intro-
duit quelquefois au travail du retordage ou à la teinture des
corps étrangers assez denses, peu coûteux, et n'ayant pas
d'action fâcheuse sur la substance soyeuse. Pendant longtemps
on s'est contenté de se servir comme mélange du sucre, de la
mélasse, de la gomme, etc., et de bénéficier, pour parler po-
liment, de la différence entre des matières valant au maxi-
mum 1 franc et un produit de 60 francs le kilogramme en
moyenne ; mais tout progresse, tout se perfectionne : un in-
venteur a eu l'idée de substituer les sels de plomb aux corps
que nous venons de citer, et de faire breveter cette substitu-
tion. Le procédé fut bientôt contrefait à tel point que des né-
gociants en fils à coudre, que nous pourrions citer, ont intro-
duit jusqu'à 25 pour i 00 dece sel dans leurs produits. La fraude
a été découverte par suite de coliques de plomb éprouvées
par les couturières qui ont employé ce fil. L'administration
supérieure s'est heureusement émue de cette manœuvre cou-
pable dont elle empêchera certainement le retour.
Les déchets produits dans le travail de la soie grége, connus
sous les noms de frisons et de bassinais, les cocons percés
714 VISITE
résultant, du passage des papillons destinés à la reproduction
par la fécondation de la graine , sont réservés à faire les fils
et les tissus de bourre et de fantaisie. Les progrès de cette
spécialité, qui forme une grande industrie à part, sont plus
sensibles encore que ceux apportés au travail des produits
précédents. Les moyens en usage pour transformer les déchets
de soie ont une grande analogie avec ceux de la laine longue,
et ont participé aux améliorations apportées aux procédés de
cette dernière industrie. Aussi est-on arrivé à employer la
bourre de soie dans une infinité de tissus nouveaux, non-
seulement en soie pure, mais en la mélangeant avec toutes
les autres matières filamenteuses, tantôt à l'état de chaîne,
tantôt à l'état de trame, quelquefois même intimement incor-
porée au fil de nature différente. L'industrie suisse surtout est
arrivée à un degré de perfection incontestable. Les fils dont
nous parlons n'ont cependant pu jusqu'ici remplacer la soie
grége la plus commune, dans les articles tout soie. Les tissus
écrus pour foulards, par exemple ceux tramés avec les fils de
fantaisie des plus parfaits, ne peuvent soutenir la concur-
rence des foulards de l'Inde moins bien faits comme tissu ,
ni même des foulards d^Europe tramés en soie grége de
Chine ou du Levant, quelles que soient d'ailleurs la beauté et la
valeur de l'impression qui vient cependant dissimuler le corps
de l'étoffe. La soie grége est également restée seule en partage
des tissus mélangés laine et soie, tels que les baréges, les
tarlatanes, et ces nombreux articles pour robes et châles, que
la fabrique parisienne fait tisser, et dans lesquels ses mer-
veilleuses impressions font disparaître jusqu'à la trace de
l'entrelacement des fils au tissage. Nous éprouvons un vif
regret de ne pouvoir parler qu'en passant de ces chefs-d'œu-
vre de l'art, où la beauté du dessin est égale à la perfection
du coloris. On ne peut passer devant ces magnifiques vitrines,
bien dignes de figurer en face des plus beaux étalages de
Lyon, sans s'y arrêter et admirer. Et en pareille matière,
un examen même rapide en dit d'ailleurs plus que les des-
criptions les mieux faites. Signalons cependant certains
résultats tout nouveaux, tels que ces articles à franges rebou-
•clées obtenues au tissage; ces tissus et rubans à double chaîne
pour produire des façonnés à fond plus net et plus pur; les
étoffes avec impression en or; les foulards avec eff"ets de tis-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 'ib
sage et d'impression combinés, les bourres de soie tirées à
poils, etc.
Les étoffes unies en soie pure de l'Exposition sont égale-
ment nombreuses et bien établies; l'Angleterre, la Prusse,
l'Autriche, la France et surtout la Suisse, rivalisent entre
elles pour cet article sur les marchés étrangers. L'industrie
de la Grande-Bretagne cherche à lutter avec la nôtre par l'em-
ploi du tissage mécanique beaucoup plus avancé chez elle que
chez nous, et ses grands établissements où les frais généraux
sont réduits autant qu'il est possible. Les autres contrées que
nous venons de citer ont en général la vie et par conséquent
la main-d'œuvre à des conditions plus avantageuses que nous.
La lutte leur est donc possible sur ce terrain. Il y a cependant
des articles unis spéciaux où notre industrie s'est rendue maî-
tresse de la plupart des marchés extérieurs d'une manière digne
d'être signalée. Nous voulons parler des velours et surtout des
peluches pour chapeaux, qui ont pris un si grand développe-
ment. Au commencement du siècle, la Prusse rhénane savait
seule fabriquer ce produit d'une manière convenable; elle
fournissait tous les pays qui l'employaient, sans en excepter
la France. Depuis lors, les progrès de nos fabricants ont été
tels , que non-seulement on recherche nos peluches sur le?
marchés de l'Europe et des États-Unis, mais la Prusse elle-
même est obligée d'employer les peluches françaises lorsqu'elle
a besoin de qualités supérieures. Cet avantage est dû à quel-
ques fabricants hors ligne, dont les produits attirent peu l'œil
au milieu de la brillante exposition du département du Rhône,
à cause de l'uniformité de leur apparence ; ils n'en sont pas
moins dignes d'une mention toute spéciale.
Nous répéterons, pour les soieries façonnées en général et
pour celles de Lyon, de Saint-Étienne et de Nîmes en par-
ticulier, ce que nous avons dit pour les impressions pari-
siennes. Il suffit de les voir pour se convaincre que cette in-
dustrie française, si célèbre dans le monde, s'est surpassée, et
si l'on veut s'assurer de notre supériorité, on n'a qu'à compa-
rer nos sujets imitant la gravure en taille-douce aux produits
de même nature des autres pays : il y a sans exagération la
différence que l'on trouve entre le dessin original du maître
et la copie d'un élève. La manière française est telle, qu'il faut
être prévenu pour ne pas confondre le tissu avec une gravure
716 VISITE
estimée. Dans tous les articles étrangers, il y a quelques mau-
vais coups de navette, j'allais dire quelques fausses notes qui
sauteîit à rœil, qu'on me permette l'expression. Cette diffé-
rence entre les façonnés tailles-douces se maintient en notre
faveur, pour tous les articles de haute nouveauté de Lyon ;
nous pourrions en fournir mille exemples. Peut-être cela n'est-
il pas aussi exactement vrai pour la rubannerie de Saint-
Étienne qui trouve une sérieuse concurrence dans les articles
similaires de Coventry et surtout de la Suisse. La communi-
cation rapide de nos dessins à l'étranger, peut avoir plus d'in-
fluence dans cette spécialité que dans les grands articles de
haute nouveauté, les moyens mécaniques de la rubannerie
étant assez limités et généralement les mêmes. Mais il n'en
est plus ainsi dans l'industrie lyonnaise ; ce n'est pas seule-
ment le dessin qui fait son succès, mais aussi les connaissances
variées et profondes que possède le personnel de cette place
dans l'art du montage, lui permettent-elles souvent d'attein-
dre les effets les plus inattendus et les plus admirables de la
manière la plus économique : le dessin, c'est la composition ;
le montage, c'est l'exécution. On joue la musique de Bethoven
partout ; certains orchestres privilégiés peuvent seuls en rendre
toute la beauté; nos dessins sont copiés au dehors, mais avec
l'accent étranger du pays qui les reproduit. Et cette repro-
duction est peut-être un mal moindre qu'on ne le suppose.
Nos concurrentes s habitueront à nous suivre, et la France
deviendra pour les industries de luxe le laboratoire et l'atelier
d'échantillons du monde entier.
Nous n'avons qu'elfleuré rapidement notre sujet, et déjà
nous avons dépassé le cadre qui nous est tracé. Nous ne sau-
rions nous arrêter cependant sans payer notre humble tribut
aux hommes auxquels revient la plus large part du merveil-
leux spectacle que nous avons sous les yeux. A vous , pauvre
Koy, malheureux Highs; à vous, Samuel Crompton et fortuné
Arkriwgt, glorieux inventeurs des métiers à filer le coton! A
vous, notre illustre Vaucanson, qui , l'un des premiers, avez
compris que mettre la science au service de la pratique, c'é-
tait lui faire remplir le rôle que la Providence lui a assigné,
vous , que vos jouets d'enfants ont rendu plus célèbre que les
véritables et solides bienfaits dont vous avez doté l'industrie!
A Diderot et à d'Alembert , qui commencèrent à donner à la
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 717
technologie une large place dans leur encyclopédie gigan-
tesque 1 A vous, savanl Duhamel du Monceau, qui n'avez re-
culé devant aucune recherche pratique , pour faire comprendre
les secrets des arts et métiers et l'étroite union de la théorie
et de la pratique ! A Paulet, l'obscur et consciencieux artiste,
qui sut manier avec la même supériorité la plume et la na-
vette ! Nous n'oublierons pas Rolar.d de la Platière, à qui de
laborieuses recherches auraient du valoir la popularité qu'il
n'acquit que par un peu de bruit politique et par sa fm funeste;
ni Levis, qui délivra l'industrie des lainages de l'atrophiant
travail du tondage à la miiin; ni Gensoul, qui tira un parti
tout nouveau de la vapeur, dans la production de la soie
grége ; ni de Girard , inventeur de la filature mécanique du
lin , qui revint mourir pauvre dans son pays, et dont le cer-
cueil n'a pu être décoré que d'insignes étrangers.
Honneur aussi à vous, Jacquard, dont le nom seul rappelle
assez les services, et qui fûtes aussi calme devant l'ingratitude,
que modeste dans la gloire! A vous, persévérant et ingé-
nieux Oberkamplf, véritable père de notre belle industrie des
toiles peintes ! A vous, infatigable Ternaux, et vous, modestes
pionniers de l'industrie, Declanlieux et Laurent, à qui le tra-
vail des laines peignées doit des améliorations qui sont de
véritables découvertes! A vous, Josué Heilmann et Peckeur,
qui avez rendu le monde industriel tributaire de vos in-
ventions , que l'Exposition du jour peut citer au nombre de
ses œuvres les plus remarqualDles ! A vous, Bonjean, qui par
vos créations avez fait entrer l'industrie des draps dans une
phase nouvelle! A vous, Eck, dont la vie s'est éteinte dans la
gêne, et à qui l'industrie des châles doit ses premiers pro-
grès importants 1 A vous surtout, grand inventeur de la ma-
chine à vapeur, qui animez toutes ces créations! Avons tous,
hommes de génie, appréciés ou méconnus pendant votre vie,
à vous une large part de gloire dans l'Exposition de 1855.
En nous interdisant de citer les savants, les industriels et
les inventeurs qui continuent si glorieusement les travaux de
leurs devanciers , et dont les œuvres brillent de tant d'éclat
dans les galeries des Champs-Elysées, nous avons obéi à un
devoir. L'un des juges des grandes assises industrielles qui
sont ouvertes, nous ne pouvions faire connaître à l'avance
une opinion , qui ne pourra acquérir un peu de valeur que
7JS VISITE
lorsqu'elle sera partagée par nos honorables collègues de
toutes les nations. Nous aurions eu tant à louer, que notre
silence nous a été pénible; il ne nous a fallu rien moins
pour nous dédommager de cette réserve nécessaire, que l'idée
de l'accomplissement d'un devoir, et la pensée que bientôt
le jugement officiel viendra confirmer celui de l'opinion pu-
blique, dont la voix moins discrète a déjà signalé un grand
nombre des plus méritants.
CLASSE XXIY.
Industries concernant l'ameublement et la décoration.
C'est un fait incontestable que l'ébénisterie est en progrès
depuis quinze ans. On recherche soigneusement les styles,
on étudie les formes, on raffine sur les ornements, un peu
trop peut-être; les intérieurs sont finis à l'égal du dehors et
»îhaque chose arrive à sa place avec une précision merveil-
leuse.
Cette justice rendue aux habiles ouvriers de notre époque ,
entrons en matière par quelques considérations générales
sur l'art dont nous allons nous occuper. L'ébénisterie n'a
guère commencé à fleurir que dans la période gothique; jus-
que-là et même alors , la corporation des menuisiers connais-
sait peu la science des assemblages, qui ne s'opéraient qu'au
moyen de goujons en fer; c'est au xv^ siècle seulement
qu'on commença à faire les joints à la colle et à découper le
bois pour les bancs , les huches , les armoires et les esca-
belles qui composaient tout le mobilier des maisons de nos
pères. Pendant la Renaissance , l'ébénisterie prit un grand
essor, la sculpture sur bois sortit de ses langes et produisit
les inimitables chefs-d'œuvre de Jean Goujon et de Germain
Pilon , dont nous admirons encore les précieux échantillons
au Louvre et au musée de l'hôtel de Cluny.
Sous Louis XIII, le meuble devint lourd et triste; mais
sous Louis XIV, il regagna en richesse ce qu'il avait perdu
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 719
en légèreté ; c'est alors qu'on employa sérieusemeut l'alliance
du bronze avec le bois, et que Boule produisit ses belles in-
crustations de cuivre et d'écaillé, auxquelles il a laissé son nom.
Sous Louis XV on abandonna le style sérieux pour ce
qu'on appela depuis le Kococo. Aux jambes droites succé-
dèrent les pieds contournés , et l'on commença à employer
le bois de rose, dont l'aspect galant était plus en rapport
avec la coquetterie et le maniéré de cette époque. Enfin ,
sous Louis XVI vint Riesner avec ses bonheurs du jour en
marqueterie, garnis des cuivres merveilleux ciselés par Gou-
tière. On sculpta, on dora des fauteuils avec une patience
qu'on y a mise rarement depuis : orfèvrerie délicieuse qui
atteste l'habileté des coupeurs de bois d'alors ; sièges char-
mants , dont les médaillons délicats étaient montés avec les
bergeries de Beauvais, avec les damas et les brocatelles de
Lyon ; ameublements de grands seigneurs pour lesquels le
prix n'était point considéré, à la condition que rien n'y se-
rait épargné.
Après avoir brillé de tout cet éclat pendant plus de quatre
siècles, l'ébénisterie était tombée sous la République, sous
l'Empire et sous la Restauration, dans une voie de décadence
et de roideur déplorable. Le goût de cette époque , si l'on
peut donner le nom de goût à une chose qui en était la né-
gation, n'offrait partout que lignes plates et heurtées ; le style
des ornements avait la prétention de rappeler l'art grec et
romain , il n'en était que la caricature. Cette erreur, il faut
l'avouer, était celle d'un grand artiste, David, qui entraînait
après lui, et par le prestige de son talent, l'opinion géné-
rale qui, sous le nom de mode, a tant de pouvoir sur l'es-
prit français. Tout en y sacrifiant beaucoup trop encore ,
Jacob fut le premier qui ramena l'art de l'ébénisterie à des
règles plus sages, et, sous ce point de vue seul, il a déjà
rendu grand service aux ouvriers de notre temps. Que de
délicieuses fantaisies ont péri alors , perdues dans nos gre-
niers jusqu'au jour où quelques amateurs éclairés sont venus
en sauver les restes en donnant naissance à la passion du
bric-à-brac , passion aveugle comme toutes les passions , et
dont plus tard on a beaucoup trop abusé. Quoi qu'il en soit^
elle a provoqué des études sérieuses et formé quelques artis-
tes habiles.
720 VISITE
Dans les ameublements, ce qu'on doit rechercher surtout,
c'est une sage combinaison de la forme et des ornements
avec le fini du travail. Mieux vaut un meuble simple , aux
lignes correctes, d'un usage facile, et répondant bien à nos
besoins, que ces tours de force obtenus à grands frais , pres-
que toujours aux dépens de la commodité et du bon goût.
Pourquoi ces lits anguleux, qui font craindre de se blesser
en sy heurtant; ces sièges surchargés de cuivres, qui ac-
crochent toujours après eux quelques dentelles de nos vête-
ments? L'extravagance des formes, la confusion des orne-
ments, voilà deux fautes dans lesquelles tombent trop sou-
vent nos fabricants dans les expositions , pour produire des
meubles que je pourrais appeler de circonstance et qui trou-
vent difficilement une application dans nos maisons à six
étages.
Les ressources de l'ébéniste sont très-variées, il les tire de
l'emploi du bois massif, du placage, de l'incrustation, de la
marqueterie, de la dorure sur apprêts, de la sculpture du
bois et de l'application des bronzes.
Ébénisterie française.
La France marche pour ainsi dire sans rivale dans cette
industrie , comme dans toutes celles où le goût est souverain.
Nos ouvriers sont des artistes , et les étrangers leur rendent
hommage en nous les enlevant, comme le fait l'Angleterre,
ou en se disputant leurs produits. Les meubles exposés cette
année dans le Panorama , dans la galerie qui y conduit et
dans une petite salle attenant à l'exposition des États-Unis,
nous donneraient suffisamment raison , si cette assertion
avait besoin d une preuve nouvelle.
Tous les fabricants ont fait eff'ortpour répondre dignement
à l'appel de ce grand concours , et cet effort a été suivi d'un
brillant succès. Pour être arrivé tard, il n'a rien perdu de
son éclat, malgré tout ce qu'en ont pu dire les impatients.
En tête de la partie réservée aux meubles dans le Pano-
rama , se trouvent les frères Grohé , ces vétérans de nos ex-
positions nationales; ils n'avaient pas figuré à Londres en
1851, mais ils ont compris que les récompenses tant de fois
obtenues; médailles et croix, leur imposaient un devoir à
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 721
remplir. Leurs travaux se font remarquer, comme toujours ,
par la simplicité et le bon goût, la netteté et la précision;
chacun des meubles qu'ils ont exposés peut trouver place
dans nos salons , leurs dimensions répondent à nos usages ,
la commodité n'y est pas sacrifiée à l'exagération du luxe.
Tels sont un bureau de dame en ébène , à deux corps, sans
cuivres, avec quelques incrustations de pierres dures et de
lapis d'un style pur et sévère. Un meuble d'appui pour salon
en bois de rose et d'amaranthe, sans incrustations ni mar-
queterie, mais avec des bronzes ciselés, comme on n'en cisefle
plus guère aujourd'hui ; les deux portes sont garnies de mé-
daillons d'attributs.
Deux trépieds où l'ébénisterie, à vrai dire, n'est qu'un
prétexte pour mettre en œuvre des bronzes d'une disposition
heureuse. Ces trépieds peuvent à volonlé servir de jardinières
et de piédestaux , également convenables pour recevoir des
vases ou des statues, A l'un des angles de leur exposition, ils
ont suspendu un lustre dont les ornements sculptés sont d'un
fini charmant et d'une touche délicieuse, puis uneglace en ébène
avec des incrustations de marbre. Ils ont d'autres meubles
encore, je ne puis les signaler tous, mais je ne terminerai pas
sans parler d'un bijou , une jardinière en bois d'amourette ,
avec encadrement en ébène et incrustation de lapis, vraiment
digne de figurer chez l'amateur le plus difficile; ce charmant
petit meuble est garni de bronzes d'une délicatesse et d'un
goût délicieux.
Puisque nous parlons de bronzes et de goût, c'est l'occasion
de citer Barbedienne; nous nous sommes occupés ailleurs de
ses réductions de l'antique et de la manière remarquable qu'il
apporte à les mettre en œuvre; nous n'appellerons l'attention
ici que sur les deux meubles qu'il a exposés à la porte du pa-
norama : l'un est une bibliothèque en poirier noirci et à deux
corps , qu'on a déjà admirée à Londres où elle a valu à son
auteur une des deux grandes médailles qu'il a obtenues.
L'aua-e est un meuble en noyer, parfaitement sculpté, dans
le style de la Renaissance ; il ne le cède en rien à son aîné
pour la pureté du dessin et la netteté du travail ; on y re-
marque le même goût dans le choix et l'agencement des
bronzes; ce meuble est destiné à renfermer des objets de
curiosité, et il est parfaitement disposé pour cet usage; le
206 ^y,
722 VISITE
corps du bas est plein , et les portes sont ornées avec les ré-
ductions des célèbres bas-reliefs des chanteurs de'Lucca délia
Robbia, de Florence. Le corps du haut est composé d'une par-
tie vitrée au milieu, de chaque côté de laquelle sont les deux
esclaves de Michel-Ange avec deux étagères; au centre de la
tablette et en avant, une pendule en bois, qui supporte
deux des figures à demi couchées du tombeau des Médicis,
vient relier ensemble les deux corps, d'une façon très-heu-
reuse.
L'exécution de ces deux meubles est parfaite , et l'on ne
saurait trop encourager l'alliance des bronzes d'art ainsi dis-
posés avec les pièces d'ébénisterie.
Fourdinois se trouve adosse à Grohé ; il nous promet pour
le commencement d'août une cheminée en bois sculpté, mo-
numentale; en attendant la grande pièce, il nous a donné,
pour amuser notre curiosité , une table de trictrac en marque-
terie, une encoignure et une bibliothèque en poirier noirci ,
d'un beau profil grec; elle est ornée d'émaux en grisaille et
garnie de filets en acier; ce meuble est remarquable par la
sobriété de sa décoration, qui consiste en quelques ornements
gravés avec soin.
En face , sur le côté, Fossey, qui fait par lui-même ses des-
sins, son ébénisterie et sa sculpture, a exposé une armoire
de chasse, à trois parties saillantes sur les côtés pour y serrer
les armes, et une rentrante dans le milieu, avec une panoplie
formant médaillon, que soutiennent deux figures sculptées,
d'une bonne exécution comme tout l'ensemble; quelques in-
crustations de marbre vert viennent réveiller le ton uniforme
du bois. A part un peu de lourdeur dans le chapiteau, c'est
un travail remarquable et qui fait honneur à l'artiste.
Il a encore exposé dans le panorama une toilette en bois
sculpté et doré, 5vec trois plaques en porcelaine de Sèvres et
un petit médaillon portant le chiffre de l'Impératrice.
Cette toilette, de style Louis XIV, est d'une exécution et d'un
goût exquis. Le mouvement des deux cariatides qui soutien-
nent la tablette est des plus gracieux.
A la suite du grand meuble de Fossey vient celui de Mey-
nard ; quoique moins orné que le premier, sa composition ne
lui cède en rien : c'est un bureau-bibliothèque en noyer avec
filets d'ébène ; le corps du bas renferme une caisse, des tiroirs
I
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. l^S
et deux médailliers; le corps du haut, une bibliothèque sépa-
rée de deux étagères par des colonnes sur lesquelles s'enrou-
lent des lierres.
Meynard est un de nos bons fabricants, et, comme l'on dit
en langage du métier, tout ce qui sort de ses ateliers est par-
faitement établi.
Avec Fossey et Meynard est disposée une série de meubles
montmientaux ayant tous de quatre mètres et demi à cinq
mètres de hauteur, tous habilement sculptés, bien compris et
bien dessinés, donnant la mesure de ce que peuvent produire
nos ateliers et des ressources de nos ouvriers ; il serait bien
long de les décrire tous ; nous nous contenterons de les in-
diquer,
Cliaix, qui, à côté de son grand meuble, a une bibliothèque-
étagère d'une assez jolie forme, en ébène et en bois noir garni
de cuivre; Weiber-Piletti , Klein , Beaufils de Bordeaux ei
aussi Ribaillier [Pierre), qui a le buffet le plus colossal de l'Ex-
position, avec quatre figures étourdissantes de sculpture,
symbolisant les quatre parties du monde. Je dis Pierre , car
cette famille des Ribaillier est féconde en bons ouvriers ébé-
nistes, comme nous pourrons le faire observer plus loin.
Sicard , de Lyon , a exposé un petit meuble en ébène avec
quelques sculptures ; c'est un mélange assez adroit de sacré
et de profane ; la religion et la coquetterie y trouvent chacune
leur compte. Si vous êt.es d'humeur dévote, vous développez
le panneau du haut qui présente dans son encadrement un
•Christ, puis vous tirez un prie-Dieu de la partie basse avec un
coussin et tous ses accessoires. Si, au contraire, votre esprit
est dans des dispositions mond^iines, vous faites rentrer, par
le moyen d'un mécanisme, le Christ à l'intérieur et le revers
vous présente un miroir. Ce qu'il y a de plus joli dans ce
petit meuble, c'est un bureau en écaille garni d'argent, que
vous trouverez, mesdames, tout à fait galant.
La province compte donc aussi quelques bons ouvriers
parmi lesquels nous citerons Beaufils, de Bordeaux , et Dau-
bet et Dumarest, de Lyon.
Le premier fait un commerce considérable d'exportation
avec l'Amérique; ses produits sont en général simples et
d'une bonne confection ; il les livre à des prix assez modérés.
Les lits à baldaquins me paraissent tout à fait à la mode cette
724 VISITE
année ; sur sept ou huit, à peine compte-t-on à l'Expositiort
un lit ordinaire; les mieux traités sont ceux de Maire, deSut-
ter, de Semey et de Gélot; ils sont en bois de rose et palis-
sandre, en bois noir sculpté et en palissandre orné de médail-
lons en cuivre.
Parmi les meubles simples, il faut remarquer ceux d'Albert
Eoussel; un petit buffet-dressoir de salle à manger, en noyer,
dont quelques panneaux sont très-finement gravés; l'ensemble
est sobre de sculpture, mais le peu qu'il y en a est bien exé-
cuté; une armoire à glace, en palissandre, avec bois de citron
à l'intérieur.
Salomon a un bureau à quatre faces, en noyer, avec filets
en poirier noirci qui eût été charmant si l'on eût oublié d'y
mettre des sculptures.
Diehl est un ouvrier très-ingénieux ; sa psyché mécanique
mérite l'attention des dames, qui peuvent avec son secours
embrasser d'un coup d'oeil tout l'ensemble de leur toilette. Il
expose encore une table en marqueterie, qui se développe et
peut former étagère à trois planches.
Roudillon est tout nouveau dans la fabrication ; il succède
à une maison (Ringuet-Leprince) qui l'oblige à de grands ef-
forts s'il veut maintenir sa réputation; il semble du reste en-
trer complètement dans cette voie , et il débute par une che-
minée très-remarquable en chêne, dans le style Louis XIV, et
qui doit faire partie d'une décoration complète de salon ,
comme l'indiquent deux panneaux qui l'accompagnent et
qui sont destinés à recevoir des tapisseries ; la sculpture
de cette cheminée est une des plus soignées de l'Exposition ,
et, dans le cartouche de la pendule qui forme le centre de
l'ornementation, on a mis un magnifique cadran en émail, de
Sèvres. On n'a que des éloges à donner pour le dessin et
l'exécution de ce travail dans son ensemble et dans ses
détails.
A côté se trouvent d'autres meubles de sa fabrication ordi-
naire, qui contribuent à lui donner une place distinguée parmi
ses confrères; je citerai particulièrement une commode en bois
de rose et palissandre avec moulures dorées unies, style
Louis XVI, qui est d'un goût exquis.
Sauvrezy est un de ces habiles découpeurs de bois dont
nous parlions en commençant : il expose une console assez
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 725
fine et d'un bon style Louis XVI, en poirier, sans dorure
et sans apprêt, afin qu'on en puisse mieux juger le travail;
un charmant écran taillé dans le palissandre massif et un
grand bureau plat en chêne blanc, avec des moulures en
poirier noirci , auquel il manque fort peu de chose pour être
un meuble remarquable. Les traverses et les pieds en sont
lourds; puis, je ne sais par quelle idée de mauvais goût il y
a ajouté des pierres fausses qui lui donnent un air de clin-
quant déplorable. Est-il donc si difficile d'être simple?
Le meilleur fauteuil de l'Exposition est, sans contredit, dû
au ciseau léger des ouvriers de -Jeanselme jeune; il n'y a
rien à y reprendre ; le style Louis XVI en est pur et le tra-
vail excellent.
Une innovation très-ingénieuse a été apportée par Rivart
dans l'incrustation des meubles : elle consiste dans l'appli-
cation de porcelaines peintes et découpées qui forment ainsi
des tableaux de fleurs et qui remplacent avec avantage, dans
certains cas, la mosaïque ordinaire de bois, en permettant
de confier à des artistes distingués la décoration des meubles.
L'association des ébénistes a survécu à tous les essais qui
ont été faits en ce g^nre : son succès offre un exemple qui
donne la mesure de ce que peut produire ce principe bien
■dirigé, dans les mains d'ouvriers honnêtes et laborieux.
Elle se divise en deux associations distinctes : celle des ou-
vriers ébénistes en sièges et celle des ouvriers ébénistes en
meubles. Ces derniers ont exposé cette année une biblio-
thèque-étagère, à deux corps, en palissandre. C'est un
meuble dans de bonnes et sages proportions, d'une sculpture
soignée et d'un travail d'assemblage sans défaut, comme ils
ont l'habitude d'en composer; il faut leur savoir gré d'avoir
su résister à l'entraînement qui a poussé un grand nombre
.de leurs confrères vers l'exagération dans la sculpture.
Lemoine a succédé à la maison Marchand , excellent fabri-
cant, dont il a conservé les traditions. Son meuble d'appui
pour salon, en bois de rose avec incrustation d'étain gravé ,
est une charmante chose qui mérite qu'on s'y arrête et qu'on
en examine les détails. Est-ce bien le même fabricant qui a
composé et dessiné cette armoire à glace , prétendue gothi-
que, en bois noir? Oui; mais conseillons-lui de s'abstenir de
j)areilles erreurs à l'avenir. Parmi toutes ces sculptures qui
726 VISITE
foisonnent il faut certainement distinguer celles da meuble
de Ribaillier et Mazaroz , à cause du fini de l'exécution ; c'est
un des meilleurs ouvrages produits par l'ébénisterie fran-
çaise : il a mêlé dans la frise et dans les panneaux des pein-
tures sur or d'un effet discutable, mais que, pour notre
compte, nous ne saurions blâmer.
Dagrin et Philippe ont exposé , au milieu de fauteuils au
moins bizarres, un beau meuble de chambre à coucher en
incrustation de Boule; le lit est, avec celui de Roll, le plus
soigné comme travail et comme goût.
Citons encore deux meubles qui se trouvent dans la salle
des nécessaires : celui de Viardot, en noyer, dont les sculp-
tures délicates s'appliquent si bien aux petits objets de fan-
taisie qui l'accompagnent, et celui de Dupont, un des plus
remarquables que nous ayons vus dans notre longue et inté-
ressante promenade. C'est un bureau à cylindre, dans le
style Louis XVI, couvert de cuivres ciselés avec une finesse
tout exceptionnelle et avec une profusion étourdissante; il y
en a devant, derrière et sur les côtés : l'intérieur est aussi
d'un goût très-pur. Toutefois, disons-le, nous mentionnons
ici l'objet et non le fabricant, car Dupont n'est pas ébéniste,
c'est un monteur en bronzes qui, par conséquent, n'appar-
tient pas à la classe que nous traitons en ce moment,
Krieger est depuis longtemps célèbre pour ses meubles à
surprises : tantôt c'est un fauteuil qui a de quoi satisfaire
tous les besoins de la vie; une autre fois c'est une toilette qui
verse l'eau d'elle-même, un tableau qui contient un porte-
manteau, que sais-je encore? Cette année il a exposé une
armoire à glace renfermant un lit tout monté, avec son bal-
daquin et ses rideaux. Le mécanisme en est ingénieux et
facile à manœuvrer. Il n'y a plus de petits appartements.
Bouquet a triomphé, je crois, des difficultés que pré-
sentaient jusqu'à présent les tables-guéridons comme tables
à manger; lorsqu'on voulait mettre les rallonges, il fallait
toujours se donner beaucoup de peine et les pieds supplé-
mentaires étaient incommodes et impossibles à cacher. Au
moyen d'une manivelle tournante, il déploie aisément sa
table, et les pieds, qui sont cachés à Tintérieur, viennent
d'eux-mêmes s'abattre à la place qu'ils doivent occuper.
Voici encore un bureau sortant, rentrant, s'allongeant ,.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 727
contenant caisse, casier à cartons, casier à registres, biblio-
thèque, tiroirs, encriers, tables pour quatre personnes;
César, aidé de ses trois secrétaires, y aurait facilement pu
faire son courrier. Aujourd'hui M. Camus (n° 7897), son
inventeur, le destine aux administrations, aux maisons de
commerce, à toute personne enfin voulant renfermer, dans
un petit espace, un grand matériel d'employés. Point de
luxe, point d'ornements, c'est un meuble utile.
Rossi a quelques jolis sièges ; ils sont rares dans l'Expo-
sition.
Kneib a apporté une bibliothèque-étagère en noyer, bien
et simplement traitée.
Il y a dans le passage de jonction , entre le bâtiment prin-
cipal et le Panorama, une charmante table -guéridon appar-
tenant à Gros.
La marqueterie se fabrique avec les bois naturels de di-
verses natures, et avec les bois teints en grume par le pro-
cédé Boucherie.
Cremer a fait faire de grands progrès à la marqueterie;
c'est un découpeur des plus habiles, à la scie délicate duquel
sont dus la plupart des meubles de ce genre qui ont été
exposés par les différents fabricants. Il ne fait pas du tout
l'ébénisterie, il découpe seulement les bois de diverses cou-
leurs, les assemble, les colle et en compose des panneaux
que les ébénistes mettent ensuite en œuvre. Il a inventé
aussi un nouveau genre de plaques imitant le travail de
Boule, et qui peuvent être appliquées à toutes sortes de
meubles, en permettant de les donner à des prix beaucoup
moindres que le Boule véritable. Le principe de cette inven-
tion est dû à la galvanoplastie, qui reproduit exactement une
plaque modèle, en cuivre, dans laquelle on a pratiqué des
creux que l'on remplit ensuite avec une pâte destinée à rem-
placer récaille, qu'elle imite assez exactement.
Wasmus, marqueteur habile aussi, ne travaille que d'a-
près les procédés anciens , qui consistaient à brûler les bois
pour leur donner différentes teintes. Il a exposé dans ce genre
une commode dans le passage de jonction ; cette commode est
bien faite.
Les laques, que les Chinois travaillent avec une incon-
testable supériorité , occupent aussi une place distinguée dans
728 VISITE
l'industrie française, qui en trouve le principal débouché
dans son commerce d'exportation; l'Amérique consomme à
elle seule plus des trois quarts de la fabrication.
Cette fabrication consiste dans l'application d'un vernis
copal sur du bois qu'on a soin de choisir très-poreux pour
qu'il s'imprègne mieux du vernis, et alors elle prend le nom
de laque proprement dit, ou sur une pâte pétrie dans des
moules, c'est ce qu'on appelle le papier mâché; ce dernier
sert particulièrement à la composition de petits meubles, de
boîtes, de coffrets et de plateaux. Le beau brillant qui les
distingue est du au nombre des couches de vernis qu'on y
applique (les plus beaux laques n'ont pas moins de seize à
dix-huit couches); on a soin de les faire sécher au feu après
chaque opération de vernissage, on les décore ensuite avec
de la peinture, de la nacre, et surtout de la dorure, et enfin
on leur donne le poli en les frottant avec la main jusqu'à ce
que le brillant soit parfait.
L'Angleterre a joui longtemps d'une réputation, suivant
nous peu méritée, pour son papier mâché, dont la déco-
ration est toujours lourde et d'un goût discutable.
Osmont a exposé des pièces très-remarquables en ce genre,
et qu'on ne retrouve nulle part dans la fabrication euro-
péenne. Son paravent est comparable aux produits chinois,
dont il approche et qu'il égale presque; son meuble de
chambre à coucher présentait de grandes difficultés à cause
des nacres qu'il a appliquées sur des parties courbes, il en a
très-heureusement triomphé ;enfin, sa peinture est bien traitée.
Parmi ses concurrents, Ducoroy , Drugeon et Mainfroy ont
aussi des pièces intéressantes, et le dernier mérite une men-
tion pour les bas prix auxquels il peut livrer ses produits.
Cosson a envoyé un très-beau billard en marqueterie.
Cette marqueterie, sortie des ateliers de Cremer, est tout
à fait digne de la réputation de son auteur.
Bouhardet expose aussi deux beaux billards , et de plus il
présente un nouveau système de bandes formées de lames de
bois reliées ensemble par une baleine, de manière à les
rendre solidaires, l'une et l'autre, dans l'effet qu'elles im-
priment à la bille. C'est aux professeurs à juger de la justesse
de cette invention que nous nous contenterons de signaler
sans l'apprécier.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 729
Après les billards de luxe, citons aussi celui de Godin, en
chêne très-simple, et qui pour cela mérite d'être distingué.
Les bois de nos possessions d'Afrique sont venus apporter
à l'industrie un nouvel élément que nos ébénistes ne manque-
ront pas de mettre à profit dans l'avenir. Les essais tentés
cette année sont très-heureux, et l'intéressante collection
exposée dans la galerie du quai par les soins du ministère de
la guerre donne une idée du parti qu'on peut tirer du thuya ,
de l'olivier et du houx d'Afrique.
Jusqu'ici, excepté pour le noyer et le chêne, nous étions
tributaires de l'Amérique pour toutes les matières pre-
mières destinées au placage, dont l'usage remonte à la fin du
xvn' siècle. Espérons que les trois bois que je viens de citer
pourront remplacer, dans beaucoup de cas, l'acajou, le palis-
sandre, le bois de rose et l'ébène, dont on s'est presque
exclusivement servi jusqu'à ce jour.
Hoeffer a su très-habilement marier ces bois dans les
meubles, par lui envoyés au Panorama, et dans l'exposition
de l'Algérie.
Le domaine du tapissier s'étend jusque dans les coins les
plus obscurs de nos appartements; la garniture des sièges,
des rideaux et des portières, avec ses galons d'or et de soie,
tout cela est de son ressort.
Le goiit est le principe sur lequel repose tout entier l'art du
tapissier; c'est assez vous dire que cette industrie est essen-
tiellement française. Où trouver ailleurs la charmante déco-
ration composée par Deville : draperie et choix des étoffes ,
arrangement des passementeries? Où jettera-t-on avec autant
de grâce les charmants riens avec lesquels Descartes a orné
son lit et le plafond de son exposition?
Terminons cette longue nomenclature des meubles fran-
çais en appelant l'attention des promeneurs sur les meubles
en fer de Dupont, de Brag , de Huret et de Tronchon.
Mettre de l'élégance dans la fabrication des lits en fer,
c'était difficile; ils y ont réussi : Dupont, avec son grand lit à
baldaquin , et tous trois avec leurs barcelonnettes garnies qui
feront envie à toutes les mères.
7:^0 VISITE
Ébénistçrie étrangère.
L'ébénisterie anglaise a généralement un aspect qui diffère
entièrement des nôtres, et qui, si nous en jugeons par les pro-
duits exposés, comporterait difficilement l'élégance. Graham,
de Londres, a pourtant exposé dans la nef un magnifique
meuble en ébénisterie de bois de rose , avec quelques parties
de marqueterie, surmonté d'une glace richement entourée d'un
cadre sculpté et doré. Le dessm de ce meuble est dû à Eugène
Brigneaux, il y a quelque temps dessinateur de la maison
Fourdinois, et maintenant attaciié à celle de Graham : il est
du plus beau style Louis XVI , délicat et ferme , comme on
savait les composer à cette époque.
L'ébénisterie, qui est bien traitée, est tout entière l'ouvrage
des ouvriers anglais, ainsi que la dorure du cadre, qui est
extrêmement bien faite et dont le ton s'harmonise admirable-
ment avec la dorure des bronzps; quant à la ciselure, elle
sort en grande partie des ateliers français. Quoi qu'il en soit,
ce meuble fait le plus grand honneur à l'intelligent fabricant
qui l'a fait exécuter. Nous nous permettrons de lui adresser
un reproche sur le choix des médaillons de porcelaine , dont
les tons sont crus et dont le dessin est médiocre.
Dans cette partie de l'exposition anglaise , qui est très-
pauvre, il faut l'avouer, on trouve encore un cabinet en bois
noir, bien exécuté par Rolland. Il a eu le tort, suivant nous,
de faire entrer dans son ornementation des grisailles qui
s'accordent mal avec le genre du meuble.
Hansen , de Copenhague, a envoyé une bibliothèque en
chêne très-bien travaillée, dans le style gothique.
Les chaires hollandaises dans le même style, qui sont expo-
sées dans la nef, sont très-étudiées, et l'exécution des figures
et des rinceaux est parfaite; les sculpteurs qui ont apporté
leur talent à ces deux pièces remarquables , même au point
de vue de l'architecture et de l'archéologie, sont d'habiles ar-
tistes; elles figurent au catalogue sous les noms de MM. Cuy-
pers et .Stoizemberg, de Ruremond, et de Neneman, de Bois-
le-Duc.
Les autres pays n'ont rien dans cette section qui mérite
d'être signalé. L'Inde qui, si souvent, l'emporte sur des pay&
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 731
d'une civilisation plus avancée, est restée pour la sculpture à
l'état sauvage; mais elle rachète ce défaut par le travail déli-
cat de ses mosaïques d'ivoire et de bois que personne n'a en-
core pu égaler , pas même Marcelin , qui a exposé quelques
jolis échantillons d'imitation en ce genre dans l'exposition
française, qui conduit au Panorama. Plusieurs de ses parquets
sont des chefs-d'œuvre de dessin, et personne, mieux que lui,
ne sait combiner les lignes et marier les bois. Ses boiseries
pour l'intérieur des navires et des bateaux à vapeur, forment
une décoration très-agréable, et tout à fait applicable à l'u-
sage auquel elles sont destinées.
Coffrets et nécessaires.
L'industrie des coffrets, où la fantaisie règne en souveraine,
est essentiellement une industrie parisienne; le goût dirige
leur forme et préside au choix des bois et des bronzes qui les
composent.
L'industrie des nécessaires est plus particulièrement d'ori-
gine anglaise; longtemps Londres n'eut pas de rivaux dan&
cette fabrication. Aujourd'hui , Paris lutte avec elle et lutte
avec avantage, même pour tous les articles de maroquinerie.
Aucoc est , sans contredit , le premier fabricant d'orfèvrerie
de nécessaires ; le fini de ses pièces comme ciselure et comme
guilloché est très-remarquable. Est-il rien de plus riche, de
plus délicat, de plus gracieux tout à la fois, que son néces-
saire de vermeil avec cette charmante guirlande d'ors de diffé-
rentes couleurs.
Il expose encore un nécessaire en argent guilloché, dont les
flambeaux sont délicieux ; ils représentent un pied de roseaux
surmonté d'un nid destiné à recevoir la bougie.
Tahan est le metteur en œuvre de tous les fabricants réu-
nis dans cette salle; il va les chercher ailleurs encore , par-
tout où il y a un ouvrier de talent, il frappe à la porte et
sait se faire ouvrir. Son talent, à lui, est de savoir choisir, de
s'approprier le talent des autres, de le diriger et de le faire
servir à ses affaires sans nuire à leur intérêt , soit qu'il fasse
des commandes d'après ses dessins, soit qu'il leur achète leurs
œuvres déjà faites.
Aussi, voyez; son exposition embrasse toutes les branches:
732 VISITE
nécessaires garnis, tables à ouvrage, coffrets de toutes sortes,
jardinières, caves à liqueurs, cages, prie-dieu, buvards, en-
fin , les mille petits riens qui ne sont quelque chose que par
le goût avec lequel ils sont traités, il butine de tous côtés.
D'ailleurs, fabricant lui-même, il a des ouvriers qu'il dirige et
qu'il emploie , des ouvriers habiles qui produisent cette belle
bibliothèque en acajou, avec cuivres dorés si riches et si bien
ciselés : c'est du Louis XVI d'une exubérance peut-être re-
grettable ; tant de bronzes donnent de la lourdeur à ce meu-.
ble, dont toutes les parties sont soignées jusque dans l'inté-
rieur, qui est couvert de marqueterie.
Giroux est le seul concurrent sérieux de Tahan , c'est le
même principe étendu aux jouets , aux bronzes et aux ta-
bleaux. Sa spécialité, c'est de vendre de tout. La jardinière-
cage qu'il expose est d'un style ravissant, et ses proportions
bien combinées, ses bronzes bien disposés, nous la font préférer
à celle de Tahan qui , du reste , est plutôt une volière. La
sculpture de son écran doré manque de légèreté, la peinture
en est fine et bien choisie; une belle pièce encore, c'est son
jeu d'échecs en argent.
Puisque nous voici dans son voisinage, un mot sur Jean-
selme aîné, l'un des premiers ébénistes de Paris. Disons que,
quoique belle , son exposition n'est pas à la hauteur de sa ré-
putation ; très-certainement il fait mieux que ne promet cet
échantillon; si vous voulez vous en convaincre , visitez ses
ateliers, et vous trouverez dans sa fabrication ordinaire des
pièces moins riches , mais meilleures que celles qu'il a dans
la nef.
Cette digression achevée, retournons aux nécessaires.
Audot, avec des nécessaires dont l'un est garni en vermeil
emaillé d'un très-bon goût, expose encore des petits meubles
de dames ; l'un d'eux a été fait avec du bois de thuya : c'est
un bureau surmonté d'un cartel, il a été disposé sur tout dans
le but de prouver qu'avec ce bois on peut vaincre les diffi-
cultés du placage : il a des enroulements bien compris et bien
exécutés.
Pour qu'un nécessaire soit commode, il faut qu'il présente
à l'œil et d'un seul coup tout ce qu'il contient, qu'on puisse
prendre les pièces et les remettre aisément : ceux de Sormani
remplissent parfaitement ces conditions, et méritent pour cette
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 733
raison qu'on les recommcinde ; il en est de même de ses sacs
de voyage qui renferment sous un petit volume tout ce dont
on 'peut avoir besoin; l'industrie anglaise elle-même n'en
offre pas de mieux disposés.
Laurent et Leruth sont, de tous les fabricants de coffrets,
ceux dont l'ébénislerie est la plus soignée ; on peut donc citer
toutes les pièces de leur exposition si variée dans ses formes,
comme de véritables modèles en ce genre.
La maison de Midoc et Gaillard est remarquable pour le
soin qu'elle apporte à la maroquinerie ; les peaux sont bien
choisies et bien travaillées, et les. consommateurs qui ne
peuvent atteindre aux nécessaires en ébénisterie, dont les
prix sont toujours assez élevés , trouveront dans leurs maga-
sins de quoi satisfaire tout à la fois leur goût et leur éco-
nomie. Ils ont dans leur vitrine un nécessaire-pupitre en ma-
roquin qui répond à tous les besoins du voyage , pour la
toilette et la correspondance. Jusqu'ici l'Ecosse seule produi-
sait cette multitude de petits objets quadrillés à la couleur des
différents clans : Gênez a très-heureusement imité cette fabri-
cation ; il Ta aussi reproduite sur cuir verni , ce qui permet
de rappliquer à des objets nouveaux, tels que sacs à ouvrages,
pantoufles, etc. Les étuis à cigares, les porte-monnaie, les
portefeuilles, nous venaient , il n'y a pas bien longtemps en-
core, de l'Allemagne; maintenant nous les fournissons à l'Al-
lemagne et nous les répandons dans tout le monde, grâce aux
améliorations intelligentes, nous dirons presque aux inven-
tions que'Schlosse y a introduites; son système de fermeture,
pour lequel cette maison a un brevet , les rend commodes et
solides à la fois. Chacun trouve chez ce fabricant quelque
petit objet élégant à son usage : dames, voyageurs et fumeurs
pourront y satisfaire leurs goûts , leurs fantaisies et leurs
besoins. Comme nouveauté, il a exposé un sac de nuit renfer-
mant une table, dont l'usage est applicable aux chemins de fer.
Coffrets et nécessaires étrangers.
L'Allemagne , qui avait autrefois une grande réputation
pour sa maroquinerie, est aujourd'hui tout à fait dépassée par
la France et par l'Angleterre , non pas qu'elle ait cessé de
bien fabriquer ; elle travaille toujours très-bien le cuir, et ses
734 VISITE
portefeuilles unis sont encore parfaits, comme nous le voyons
chez Klein , de Vienne, et chez Couda Scheidet et Cie , de
Francfort; mais ses deux rivales ont apporté dans la confec-
tion de ces objets, comme nous le disions en commençant ce
paragraphe , des perfectionnements qui les rendent plus
appropriés à nos usages. Les fabricants anglais de cette section
ont tous exposé des sacs , des trousses et des nécessaires
portant le même cachet ; il ne nous a pas semblé qu'il y ait
chez eux rien de nouveau ni rien de bien différent dans les
formes. Leuchars nous paraît être celui qui a le mieux réussi
dan» l'exécution , et celui dont les produits sont le plus
soignés.
La maison Delarue est la maison la plus importante, comme
affaires , de tout le commerce de la papeterie de luxe. Nous
avons parlé ailleurs de sa machine à enveloppes , de ses pa-
piers irisés et de mille détails dans lesquels elle excelle :
nous y ajouterons ici un mot relatif à sa maroquinerie de bu-
reau ; elle est fort soignée comme travail du cuir , et en
outre comme formes et comme application de chacun de ces
objets à l'usage, il n'y a que des éloges à donner à ces in-
dustriels. Le travail de leurs cartes à jouer, dans la partie
qui remplace nos tarots, est fort bien traitée, et le lissage est
si parfait qu'elles se salissent très-difficilement et qu'elles
supportent même un lavage.
L'Amérique a appliqué l'usage de la gutta-percha et du
caoutchouc durci à la fabrication des meubles. Jusqu'à pré-
sent rien ne semble promettre que ce soit là une innovation
heureuse; cependant il ne faut pas trop se hâter de la con-
damner, peut-être que des ouvriers habiles pourront en tirer
parti, Ringuet-Leprince, un de nos bons ébénistes , a vendu
sa maison à Paris et en a monté une à Nevv-Yorck; il a ap-
porté , comme échantillon de ses produits américains , un
buffet dune belle exécution, qui prouve qu'une bonne di-
rection dans l'industrie peut produire d'heureux résultats.
Papiers peints. — C'est une erreur de demander à une indus-
trie plus ou autre chose que ce qu'elle peut donner; faire
des tableaux en papier peint, c'est un tour de force peut-être,
mais le résultat est un produit qui est tout à la fois une mau-
vaise décoration et un mauvais tableau. Jusqu'à présent on
s'était borné à faire des panneaux de fleurs ; cela était à un
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 73o
certain point tolérable. Cette année, les principales maisons
ont exposé des scènes à personnages, et ont, suivant nous,
avec les moyens encore incomplets de la fabrication des
papiers peints, eu tort, non pas de l'essayer, mais de nous
montrer ces essais qui sont très-ctiers et n'ont qu'un effet
médiocre. Chercher par des teintes plates à rendre les tons
et les reliefs de la peinture, c'est manquer le but de l'art, dont
les trois conditions principales sont, avec la composition heu-
reuse, la correction du dessin, la justesse de la perspective et
l'harmonie des tons.
Il n'y a. à vrai dire, de papiers peints que ceux sortis des
fabriques françaises. Nos industriels de cette section ont des
dépôts dans tous les pays étrangers, et leurs produits sont
recherchés pour le goût qni les distingue ; on a fait des essais
infructueux pour les imiter, même avec le secours de nos
meilleurs dessinateurs. Nous n'avons donc pas à craindre de
concurrence.
Il y a dans cette section un produit complètement nouveau,
dû à la maison Genoux, et nous nous plaisons d'autant plus à
Ip signaler, que son application rentre tout à fait dans les
conditions que nous demandions en commençant aux papiers
peints.
Avec le papier de tenture, on n'était parvenu jusqu'à ce
jour qu'à imiter imparfaitement les effets donnés par les étof-
fes; des efforts tentés dans ce sens par M. Genoux ont été cou-
ronnés d'un plein succès. Il a su donner à cette fabrication
nouvelle l'aspect des brochés de toute nature, soie, or ou
argent; le broché de soie, couleur sur couleur, nous a surtout
frappés par sa finesse, la perfection du travail et le goût qui
règne dans l'ensemble. Il y a un parti merveilleux à tirer de
ces sortes de tentures pour la décoration des appartements,
€t nous félicitons l'ingénieux inventeur de ce procédé, qui est
très-simple, et qui, par conséquent, n'est pas très-coûteux
dans ses résultats.
M. Genoux a eu à décorer, avec ses produits, la salle où
Fourdinois expose sa cheminée renaissance, merveille de
sculpture et de goût qui confirme à cet habile ébéniste la
réputation qu'il avait acquise à Londres. Il a parfaitement
tenu la promesse que nous faisions pour lui dans la première
partie de ce travail; ce qu'il a envoyé depuis le commence-
73G VISITE
ment de l'impression de ce livre surpasse tout ce que l'on
pouvait espérer, et ce mélange de marbre, de bois et d'or
mérite que nous revenions sur ce que nous avions dit déjà
pour le signaler d'une manière toute spéciale à l'attention des
visiteurs du Palais de l'Industrie.
Nous ne terminerons pas cet article sans dire un mot des
maisons Zuber et Délicourt, ces maisons considérables, et
depuis si longtemps connues dans l'industrie des papiers
peints.
Quoique nous ayons commencé par donner notre opinion
très-franchement sur l'inutilité des tableaux en papier peint,
nous ne pouvons nous empocher de reconnaître tout le talent
qu'il y a dans ce panneau, reproduction d'un tableau de Mul-
1er, qui représente la jeunesse, et qui, dans ce genre, va plus
loin qu'aucun autre produit analogue des concurrents de
M. Délicourt.
Stores. — L'industrie des stores a pris depuisquelques années
un développement considérable, et ses progrès ont été en
raison directe de ce développement. On est arrivé à composer
dans ce genre de véritables tableaux pleins de grâce et de
finesse, dont le commerce d'exportation s'est emparé; nos
produits se sont répandus promptement dans les pays chauds
qui décorent avec eux l'intérieur de leurs maisons.
Bach-Perès et Hattat sont les deux fabricants les plus con-
sidérables dans cette partie. Le premier surtout mérite une
distinction particulière pour le goiit et l'appropriation qu'il
apporte dans le choix de ses sujets et pour la façon dont il les
traite.
Vitraux, — Ce n'est qu'au xii* et au xiir siècles qu'on peut
faire remonter la science des peintres verriers. On se servait
alors pour leur composition de petits morceaux de verres de
diverses couleurs, mais chacun d'un seul ton dont on faisait
un travail de mosaïque en les réunissant ensemble par des
bandes de plomb. C'est ce qu'on pourrait appeler peinture
dans la masse; la richesse des tons en était éblouissante
lorsque le soleil venait jouer au travers. Pour donner les om-
bres, on rehaussait les couleurs par des noirs. Toutes les fe-
nêtres de nos églises gothiques étaient ornées de cette ma-
nière, et assez de modèles ont survécu aux mille chances de
destruction pour que nous en puissions admirer la beauté.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 737
Plus tard, du xvi* au xvii'' siècle, on a peint sur le verre
blanc, avec des couleurs vitrifiables appliquées au pinceau et
cuites à la moufle. C'est dans cette manière qu'ont été com-
posés les beaux vitraux de la renaissance, comme le jugement
dernier, qui avait été fait par Jean Cousin pour la chapelle
de Vincennes.
Aujourd'hui on les compose dans un i^enre mixte.
A en juger par les échantillons que nous avons sous les
yeux, les peintres français sont très-supérieurs à ceux des
autres pays. L'escalier nord-est renferme les plus belles par-
ties de cette section.
Gerente est celui qui a le mieux étudié le style du xiir siè-
cle ; son dessin est, je ne dirai pas le plus correct, car ce
n'est pas la correction qu'il faut chercher dans les travaux de
cette époque, mais le mieux imité ; sa couleur est belle et ses
cartons bien composés. 11 a concouru à la restauration de
plusieurs de nos vieilles églises, et a parfaitement réussi.
L'échantillon duxiir siècle de Veissiereest d'un très-grand
mérite. Le meilleur éloge qu'on puisse en faire , c'est que
plusieurs de ses collègues ont pris son travail pour de vieux
vitraux. Il en a un aussi du xv* siècle qui est fort beau.
Vincent Larcher est encore un très-bon verrier ; il a exposé
une fenêtre destinée à la cathédrale de Troyes, d'une disposi-
tion très-heureuse et d'une bonne qualité de vitraux, style du
XIII* siècle.
Lobin de Tours, Dideron, Oudinot ont tous des morceaux
distingués dans leur exposition, mais ne sont pourtant pas
sans encourir quelques reproches. Dideron surtout, qui, à
côté de très-grandes qualités et d'une étude savante des styles,
a le défaut de faire laid.
Marchai, à chaque extrémité de la nef, a placé deux vitraux
qui font partie de la décoration du palais; ce travail a subi
des critiques très-sévères et qui ne sont pas toutes méritées.
On n'a pas assez tenu compte à l'artiste des difficultés qu'il
avait à vaincre, et dont la plus considérable était d'avoir des
vitraux éclairés des deux côtés; ordinairement les fenêtres ne
sont éclairées qu'à l'extérieur; ici, les peintures, pour ainsi
dire baignées dans la lumière, manquent d'effet et de trans-
parence.
Dans la partie anglaise, il y a quelques vitraux héraldiques
20G IV
738 VISITE
assez bien traités, mais trop pâles ; ils font partie de la déco-
ration du palais de Westminster.
CLASSE XXV.
Confection des articles de vêtement.
de mode et de fantaisie.
Les produits que nous allons passer en revue dans ce cha-
pitre peuvent être répartis en deux groupes distincts. Le pre-
mier constitue l'industrie du vêtement; dans le second, nous
trouvons une série d'objets moins importants en eux-mêmes,
mais qui contribuent cependant au bien-être de la vie usuelle-
Tandis que dans les grandes nations civilisées le costume
est ou tend à être partout le même , qu'il emprunte ses élé-
ments aux mêmes matières, qu'il affecte des formes extrême-
ment analogues, chez les peuples qui ont conservé leur in-
dividualité primitive, on constate des variétés infinies de
substances , de couleurs et de formes. Voyons à jeter un coup
d'œil sur ces produits qui échappent, comme on le conçoit, à
tout examen comparatif, mgis dont l'étude est pleine d'inté-
rêt au point de vue ethnologique et artistique.
Les possessions maritimes de l'Angleterre nous offrent un
riche contingent. Ici l'Inde, celte patrie du luxe, nous montre
ces longues tuniques toutes rui.-^selantes de broderies d'or et
d'argent, de paillettes qui miroitent en traçant ces grandes
palmes aux gracieux contours, ces brillantes coiffures émail-
iées de pierreries et ornées de blanches et soyeuses aigrettes;
des écharpes, des ceintures dont l'Europe paye à grands frais
le tissu souple et moelleux.
Plus loin, c'est l'Australie, la terre de Van-Diemen . Ici,
plus de luxe, quelques coiffures de paille, d'autres ornées de
longues plumes sans apprêt; pour vêtement, des peaux prépa-
rées avec ou sans le poil et parées de coquillages, de dents,
des plumages de diverses couleurs.
Le Canada nous présente d'épais vêtements de pelleteries.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 73î)
des mocassins, des cekitures de guerre qui font songer aux
Mohicans de Cooper. Puis viennent l'Algérie, avec ses longs
burnous, ses jolies broderies d'or sur velours; Tunis avec ses
pelisses et ses vestes brodées . ses fines écharpes pour tur-
bans. La majeure partie de ces vêtements est fabriquée par
des Juifs et des Maures et portée par eux.
L'Egypte et la Turquie ont envoyé aussi des vêtements bro-
dés et quelques jolies coiffures de femmes. Un costume com-
plet d'Albanais frappe les yeux du visiteur par la régularité
de travail de ses broderies soutachées.
Les produits vestiaires envoyés par les grandes nations de
l'Europe et de l'Amérique demandent un examen plus dé-
taillé, pour lequel il convient d'adopter les divisions du Ca-
talogue.
Vêtemenis confectionnés pour hommes et pour f>immes. Cette
industrie représente en France et en Angleterre, tant pour la
consommation intérieure que pour l'exportation, une somme
de capitaux considérable. Le chiffre d'exportation de l'Angle-
terre s'élevait, en 1850, àplusde vingt-deux millionsde francs;
celui de la France n'atteignait pas tout à fait vingt millions.
Cette différence s'explique par l'infériorité de prix des produits
anglais.
Malgré cette énorme production , les exposants de cette sec-
tion sont peu nombreux. Les tailleurs qui fabriquent sur me-
sure n'ont rien envoyé, exception faite de la Prusse et de
l'Autriche. L'exposition française n'est représentée que par
quelques maisons de confection de Paris, qui ne nous ont of-
fert rien de particulier à mentionner. Nous devons cependant
noter quelques faits remarquables dans les produits de cette
section.
La couture à la mécanique, faite par les machines à coudre,
que l'on peut voir fonctionner tous les jours dans le Palais de
l'Annexe, est l'innovation la plus frappante de cette exposi-
tion. La maison Callebaut , qui emploie les machines Singer
de New- York, a envoyé des spécimens de pantalons et de pale-
tots, cousus d'une manière très-solide, dans l'espace d'une
demi heure, une heure, une heure et demie; ces machines
faisant en moyenne deux cent cinquante points à la minute,
ïl y a là toute une révolution pour les industries de couture.
Les vêtements imperméables , dont la consommation tend
740 VISITE
chaque jour à s'accroître, nous ont donné la preuve des efforts
constants que font les fabricants pour les approprier à nos
besoins et à nos usages. Les vêtements de ce genre, envoyés
par la maison Lucas , de Londres , sont fabriqués d'étoffe de
drap, revêtue à l'intérieur d'une couche de caoutchouc cachée
par la doublure; ils ont dune l'avantage d\ffrir le même as-
pect et la même souplesse qne nos pardessus habituels.
On a fait quelques tentatives pour fabriquer des vêtements
de feutre sans coutures : nous en avons vu d!ins l'exposi-
tion des différents pays. Mais ceux qui offrent le plus de sou-
plesse et le plus de léiïèreté appartiennent à M. Salvan de
Chntou (France). Ces produits ont, en général, l'inconvé-
nient de conserver l'empreinte des plis dune manière trop
durable.
M. Cavy, fourreur à Nevers, a exposé des paletots en four-
rures indigènes, de soixante et de quatre-vingts fiancs, qui
nous ont paru offrir toutes les garanties désirables de solidité
et dimperméabilité.
Un exposant autrichien, M. Frank, de Vienne, montre des
costumes nationaux de Hongrie et de Valachie, des gubas,
des sziers, curieux par leurs couleurs variées et leur in-
croyable résistance.
La confection des vêtements de femme consiste, surtout à
l'Exposition universelle, en manteaux, mantelets, écharpes,
robes de cour et de bal, qui luttent de richesse et d'élégance.
Plusieurs maisons de Paris occupent le premier rang : la mai-
son Gagf^lin , déjà récompensée à Londres d'une manière
exceptionnelle ; la maison Delisle, la maison Bouillet , et la
maisun Cremière-Large ont envoyé de magnifiques produits.
Les plus belles étoffes de soie, de velours, de magnifiques
dentelles, des broderies d'une merveilleuse exécution, tels
sont les éléments de ces produits luxueux de l'industrie de
Paris. Le chiffre des affaires en ce genre était, en 1847, de
8 000 000 de francs , et tout porte à croire que ce commerce
doit avoir pris dans ces dernières années des propoi lions con-
sidérables.
Nous avons remarqué en Autriche de jolies sorties de bal,
faites de cet admirable drap blanc que les Autrichiens fabri-
quent si bien , et ornées de broderies de soie de couleurs va-
riées. Ces produits qui sont envoyés par MM. Laporta et Dimi-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 741
Iriewitz présentent un certain caractère de terroir qui ne
manque pas d'élégance.
En somme, la France soutient la lutte d'une manière avan-
tageuse pour les vêlements d'hommes , et occupe incontesta-
blement le premier rang pour la confection des vêtements de
femmes.
Lingerie. — Nous aurons à répéter pour la lingerie ce que
nous disions des vêtements confectionnés ; malgré l'excessive
importance de ce commerce à Paris et à Londres, nous n'a-
vons remarqué rien de nouveau. Que dire, en effet, des che-
mises-gilets, des chemises-cravates, des devants de chemise
à double face, et d'autres systèmes de cette nature complète-
ment en désaccord avec la simplicité indispensable de ce vê-
tement. Quelques tentatives heureuses ont cependant été
faites par divers chemisiers pour améliorer la coupe , soit en
la rendant plus facile, soit en disposant les coutures de ma-
nière à résister davantage dans les points de fatigue. Nous
avons été frappés du bon marché de certains produits; plu-
sieurs exposants ont envoyé des chemises en forte étoffe de
couleur, à 18 et 24 fr. la douzaine.
Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette section , c'est
évidemment la lingerie fine , admirablement représentée en
France par plusieurs chemisiers en renom. Il nous suffira
d'indiquer les noms de Longueville , Durousseau , Darnet,
Charvet et Moreau frères. Les produits de cette dernière mai-
son sont surtout d'une admirable finesse d'exécution; le goût
de ses broderies n'est peut-être pas à l'abri de tout reproche,
mais la délicatesse du travail reste au-dessus de nos éloges.
Chapellerie. — La chapellerie est une industrie largement
représentée à l'Exposition ; presque tous les pays ont envoyé
des produits de cette section. L'Angleterre, les États-Unis, la
France, occupent le premier rang dans la lutte, à ne parler
que des chapeaux de feutre , de castor et de soie. La fabri-
que des chapeaux de feutre remonte, en France et en Angle-
terre, au xv* et au xvr siècle; celte production, dans les deux
pays, a subi d'assez nombreuses vicissitudes liées directement
aux changements politiques. La révocation de l'édit de Nantes
envoya en Angleterre un grand nombre de nos ouvriers en
feutre, et la perte du Canada, dans la seconde moitié du der-
nier siècle, nous priva de nos importations directes de poil de
742 YISITL
castor. Les chapeaux de poil furent pendant longtemps seuls
employés; c'est vers 1760 que Florence fabriqua les premiers
chapeaux de soie. Depuis trente ans surtout , cette industrie
a pris un grand essor. La finesse et la légèreté des peluches
de Prusse et de France, leur excellente teinture, leur brillant
et enfin la modicité du prix, permettent au chapeau de soie
de faire une continuelle et redoutable concurrence au chapeau
de poil, dont la durée et la résistance sont cependant beau-
coup plus grandes. C'est donc une affaire d'élégance et de
mode qui donne la prééminence au premier de ces articles.
Les sources principales de production sont, en France,
Lyon , dont la chapellerie est la plus vieille industrie , Paris ,
Bordeaux et la Provence.
A l'Exposition universelle de 1 851 , nous n'étions distancés
dans cette industrie que par les fabricants anglais, qui fai-
saient mieux que nous les feutres fins; nous l'emportions
pour les feutres ras et les feutres de fantaisie; nous ne pen-
sons pas que cette infériorité subsiste à cette exposition.
MM. Laville et Poumaroux, qui fabriquent des feutres avec les
machines exposées au palais de l'Annexe , ont des coiffures
sans égales pour la souplesse , la finesse et la légèreté. Les
chapeaux-foulards peuvent se rouler et se plier de manière à
entrer sans difficulté dans la poche. MM. Cohen et Prud'-
homme ont un chapeau qui ne pèse que 38 grammes ; enfin
MM. Chenard frères soutiennent bien, par leur exposition va-
riée, le rang et la distinction qu'ils ont obtenus à Londres en
4851. Nous avons encore remarqué, dans l'exposition fran-
çaise, les chapeaux-mécaniques de M, Dida , en soie , laine et
feutre ; il est impossible, quand ils sont ouverts, de voir sur
l'étoffe aucune trace des plis. Le jayotyps de M. Jay est
connu depuis longtemps; des dispositions plus parfaites lui
permettent de dessiner plus rigoureusement la circonférence
de la tête.
Quelques fabricants ont tenté de substituer (et c'est peut-
être là une bonne innovation) aux carcasses de chapeaux de
soie en toile et en carton , des carcasses végétales largement
tressées et qui permettent une libre circulation de l'air. Il est
à craindre que ces carcasses résistent moins bien aux chocs et
aux pressions. Nous avons remarqué des chapeaux en
caoutchouc vulcanisé, recouvert de peluche , qui peuvent être
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 74.^
froissés de toute manière sans perdre leur forme primitive. Le
reproche qu'on a fait aux vêtements imperméables s'applique
surtout à la coiffure, et nous craindrions que les prmcipes
d'une bonne hygiène ne permissent pas l'emploi de ce cha-
peau. .
Remarquons en passant les chapeaux de M. Bonard pour
hommes et pour dames , construits à la manière d'ombrelles,
et pouvant, suivant le besoin, se plier et se réduire à un très-
petit volume, ou s'ouvrir largement de manière à former sur
la tête un large parasol.
Presque toutes les nations ont envoyé des chapeaux de
paille à l'Exposition ; la Lombardie, la Suisse, l'Autriche ont
en ce genre un certain nombre de produits intéressants. La
Suisse fournit, comme on lésait, la majeure partie des tresses
employées en Angleterre où toute la population , riche ou
pauvre, porte des chapeaux de paille. C'est surtout en Italie
et en France qu'il faut visiter cette exposition. On ne sail
qu'admirer davantage des pailles merveilleuses de la Toscane,
ou des efforts inouis que font nos fabricants pour atténuer,
par tous les moyens, les défauts de la matière première qu'ils
emploient.
C'est la campagne de Florence qui produit les blés et les
seigles exploités par les fabricants italiens. Flexibilité, blan-
cheur, élasticité et résistance, telles sont les qualités que les
essais de culture les mieux suivis n'ont jamais pu donner aux
blés du Dauphiné ou des environs de Venise. Ce qu'il y a de
remarquable dans ces tresses, c'est leur parfaite régularité, la
finesse des brins, la blancheur de tout le tissu. Du reste, les
chapeaux sont fabriqués en manière de cornets sans forme
qui doivent, pour être mis en valeur, passer par les mains de
nos modistes. Ces produits ont en général un prix assez élevé:
les chapeaux d'enfants valent de 45 à 25 francs; les chapeaux
de dames, bruts, peuvent coûter jusqu'à 400 et 600 francs.
Il en est de ces chapeaux comme des châles de l'Inde , ils
échappent aux caprices de la mode.
Les maisons Vyse fils et Nannucci, déjà couronnées à Lon-
dres; MM. Masini et Casar-Conti ont envoyé de très-beaux
échantillons de tous ces produits. La tre^se de paille d'Italie
est employée à faire quelques jolis objets de luxe ou de fan-
taisie qui figurent dans l'exposition de M. Gonti : ce sont des
744 VISITE
porte-cigares, des étuis à ouvrage; des petits paniers très- fins
et très-légers , des pantoufles de dames. Les tresses de Ma-
nille et de Java peuvent seules lutter avec avantage contre la
Toscane pour tous ces articles de fantaisie.
Les chapeaux et tresses de paille offrent, chez les exposants
français , un aspect tout différent. Ici , c'est à la main d'œu-
vre , à la variété des formes, aux dispositions capricieuses
qu'on demande le succès. Plus d'uniformité monotone : cha-
que fabricant nous présente vingt, trente modèles de tresses
variées. M. Erhard , successeur de M. Abt, déjà récompensé
plusieurs fois , nous montre des fleurs de paille pleines de
grâce et de finesse. M. Julien associe le verre filé, le crin ,
la dentelle , les plumes, avec ses tresses de paille ; quelques-
uns de ces produits étonnent par leur légèreté, la richesse de
leurs dessins et de leurs formes.
Remarquons les coiffures plus modestes , mais non moins
utiles, envoyées par MM. Ducruy et Leborgne, de Grenoble,
et par MM. Langenhagen , de l'Alsace. Les premiers ont pré-
senté des spécimens de chapeaux ordinaires tressés avec des
pailles de France, et qui doivent attirer l'attention ; les se-
conds exposent des chapeaux en tresse de palmier, destinés
surtout à la coiffure des hommes, et qui rivalisent de souplesse
et de solidité avec ces chapeaux qui nous viennent du Mexi-
que sous le nom de Panamas; ils ont de plus un avantage
très-évident de bon niarché.
Chaussures. — Cette branche de l'industrie vestiaire est
peut-être celle qui est le plus complètement réprésentée à
l'Exposition. Tous les pays ont envoyé des chaussures. Nous
n'indiquerons ici que pour mémoire les mocassins de l'Amé-
rique, les babouches de la Turquie et de l'Egypte, les pantou-
fles maure.'ques, les chaussures des Serbes et des Valaques.
A ne considérer que les chaussures usitées parmi nous, il faut
établir des divisions fondamentales. Nous laisserons de côté ,
dans cette revue , les chaussures communes faites de bois ou
de tresses végétales; c'est là une branche de commerce con-
sidérable , mais qui n'offre guère d'intérêt que pour les visi-
teurs spéciaux. Nous n'aurons donc à étudier que les chaus-
sures fortes ou imperméables pour hommes et pour femmes,
^t les chaussures de luxe.
11 faut , pour prendre une bonne idée de ces produits et
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 745
pour établir entre eux une utile comparaison, visiter les expo-
sitions étrangères avant de passer à celle de France. Il sera
facile (ie constater alors l'évidence de notre supériorité, sur-
tout pour les chaussures élé.j;anles.
L'Angleterre produit une énorme quantité de chaussures
qu'elle exporte sur tous les marchés étrangers; mais c'est à
l'extrême infériorité de ses prix qu'elle doit l'extension de
ce commerce. Une des grandes maisons de Londres peut
fournir des souliers de femme à 62 centimes 1/2 la paire, des
souliers d'homme à 3 fr. 15 cent., et des bottes à 10 fr. Ce ne
sont pas des chaussures de ce genre que nous ont envoyé
cette année lesexposants anglais ; ce sont, ou bien des chaus-
sures très-solides, à semelles épaisses, ou bien des chaussures
fines et légères, dont la forme est empruntée à nos modes. Ce
qui frappe dans ces expositions, c'est cette tendance conti-
nuelle au comfortable aux dépens de l'élégance. Les seules
innovations que nous avons pu remarquer sont les bottines
militaires de M. Atluff, déjà exposées en 1851, maisperfection-
nées depuis, par la simplicité de leur coupe ; des semelles por-
tant un ressort d'acier et de caoutchouc dans leur partie
moyenne ; enfin des chaussures de tricot de soie parfaitement
élastique, et pouvant se mouler sans peine sur le pied le plus
difforme.
Depuis une quinzaine d'années, la cordonnerie allemande
a fait des progrès considérables, et son commerce s'en est
accru considérablement. L'Autriche et le ZoUewerein ont en-
voyé de nombreux spécimens de leur industrie. La chaussure
solide se fabrique bien en Autriche, mais elle pêche par la
tournure et son prix de revient est, dans certaines provinces
de l'empire, plus élevé qu'en France. Le» États de l'Allemagne
qui touchent nos frontières et qui nousfournisseht bon nombre
d'ouvriers, façonneurs et carreleurs , fabriquent des chaus-
sures si complètement semblables aux nôtres, qu'on les croi-
rait sorties de nos ateliers. Brème, Hambourg, la Prusse rhé-
nane et le grand-duché de Baie, qui fabriquent des cuirs
magnifiques, se livrent surtout à ce genre d'industrie.
L'exposition française , représentée par plus de soixante
exposants , occupe au rez-de-chaussée du palais la moitié de
sa longueur. A côté de quelques innovations sans importance,
nous avons constaté des perfectionnements réels dus à des
746 VISITE
coupes particulières ou à l'emploi du caoulchouc ou de la
gutta-percha. M. Gaillard, de Paris, fabrique des semelles de
gutta-percha rivées à vis sur une semelle intérieure de liège.
Une idée analogue est mise en pratique par M. Poirier, de
Châteaubriant : une lame de caoutchouc revêt la face supé-
rieure de la semelle, et l'intérieur de la chaussure est doublé
d'une feuille de cuir qui est cousue à l'empeigne , à la partie
moyenne de sa hauteur. Les chaussures fie chasse de M. De-
lail, passage Jeoffroy, nous ont semblé offrir toutes les condi-
tions de résistance et d'imperméabilité. Plusieurs exposants
ont envoyé de très-jolies chaussures à semelles de bois; cette
chaussure doit rendre de grands services aux habitants de la
campagne.
Siiinalons plus particulièrement celles de M. Manteguès
et Cie qui se distinguent par une solidité que ne comporte
pas ordinairement ce genre de chaussure. Au lieu d'être
cloués à l'extérieur, les bords de l'empeigne, pinces entre
deux épaisseurs du buis, sont clouées intérieurement, ce qui
rend parfaitement étanche le joint entre le cuir et la semelle.
Ces chaussures mixtes présentées au ministre de la guerre ,
ont paru offrir un degré d'utilité assez important, pour les
mettre à l'essai. Dans ce but, une' centaine de paires a été
envoyée en Crimée.
M. Cholet, de Versailles, présente un système de souliers-
guêtres d'une coupe très-simple et très-analogue à celle que
nous avons vue chez M. Atloff, de Londres. M. Suser dirige à
Nantes un établissement de la plus haute importance : l'animal
estéquarri, le cuir tanné et verni, et la chaussure achevée dans
l'enceinte de ses ateliers. Il fabrique toute espèce de chaussures,
depuis les gros souliers destinés à la consommation locale et
à l'exportation, jusqu'aux bottes et bottines les plus délicates.
La fabrication des chaussures à vis prend une extension de
plus en plus considérable ; ce système d'attache de la semelle
offre une solidité deux fois plus grande que tous ceux qu'on
avait employés jusqu'ici. Ces résultats ont été constatés par
des épreuves dynamométriques. Aus>i M. Lefébure a-t-il déjà
reçu, aux expositions de Pnris en 1849 et de Londres en 1851,
des récompenses qui le placent au premier rang des fabricants
de chaussures.
C'est ici le lieu de noter l'emploi, chaque jour plus grand
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 747
et pins parfait, du caoutchouc dans la chaussure, soit comme
matière essentielle, soit comme matière accessoire. Au point
de vue hygiénique, cette substance nous rend les plus grands
services pour les saisons humides et froides.
Au milieu de ce nombreux étalage, le visiteur s'arrêtera
avec le plus grand intérêt devant les admirables produits de
MM. Meier, Thonerieux, veuve Barré et Petit, Viault-Esté.
Toutes ces maisons sont depuis longtemps connues; elles ont
en France et à l'étranger une réputation d'exquise élégance
dont elles donnent une nouvelle preuve aujourd'hui. Les
chaussures de femme surtout sont des chefs-d'œuvre de fan-
taisie et de bon goût. Les étotîes les plus chatoyantes, les bro-
deries, les dentelles , le velours , les perles et même les fleurs
artificielles marient leurs reflets et leurs couleurs de manière
à former le plus charmant effet.
Ganterie. — La fabrication des gants est pour la France une
des branches les plus considérables de l'industrie ; le chiffre
de l'exportation atteignait, en 1 851 , 37 à 39 millions de francs.
L'importance de ce chiffre s'explique par l'excellente prépara-
tion de nos peaux de chevreaux. Depuis une trentaine d'an-
nées, cependant, les pays étrangers, l'Angleterre, la Russie,
Vienne, Prague et Berlin ont fait de très-grands progrès. En
Angleterre, Londres fabrique la majeure partie des gants de
chevreau ; les gants d'agneau viennent du comté de Worm-
cester ; le comté d'Oxford fournit les gros gants de castor et
de daim. La majeure partie des produits anglais est destinée
à l'exportation. On est frappé, au premier abord , de l'exces-
sive variété des gants exposés par MM. Fowns frères, et
MM. Dent, Allcroft et Cie de Londres ; ce sont des gants de
cuir, des gants de fourrures à Grispin, des gants de drap dont
la paume est garnie de peau de daim, des gants de peau de
veau, de daim, de castor, de chien; des gants épais, dont
l'entre-deux des doigts est garni de peau de couleur et de soli-
dité différentes ; enfin , des gants peluches à l'intérieur , des
gants de satin-peau, qui choquent peut-être un peu par la bi-
zarrerie de la nuance. En somme, pour les gants comme pour
les chaussures, ce qu'il y a de plus remarquable dans l'expo-
sition anglaise ce senties articles commodes, solides et desti-
nés à un usage journalier.
La ganterie française se compose de gants de chevreau et
748 VISITE
d'agneau fabriqués à Paris ou à Grenoble, de gants de daim
etde castor qui viennent de Niort, et enfin de gants tressés et
tricotés que fournissent les fabriques de la Champagne et du
nord de la France. La vente de ces gants de tricot de laine
atteignait en 1847 la somme de 262 000 fr. Elle doit avoir
considérablement augmenté depuis cette époque : on coupe et
l'on coud ces gants à Paris avec une i')récision presque égale
à celle des gants de peau. Les gants lissés de soie, de fil et
de fil dÉcosse ne peuvent soutenir la concurrence avec les
gants de peau.
La ganterie de Niort, en daim et en castor, a une réputa-
tion méritée depuis longues années. C'est de là que nous
viennent les gants d'uniforme en daim blanc, les gants en
daim de couleur pour l'équitation. MM. Noirot et Laidet, de
Niort, ont envoyé à l'Exposition de nom.breux échantillons
de leur industrie.
La ganterie de Paris est surtout représentée par les m.ai-
sons Jouvin et Préville ; la première de ces maisons surtout
fait un chiffre d'affaires qui atteint presque 2 000 000 de francs
et occupe 4200 ouvriers. L'ancienne renommée de ces mai-
sons nous dispense d'insister davantage sur la valeur de leurs
produits.
M. Francoz, de Grenoble, a envoyé des peaux préparées, di-
vers systèmes de fermetures, et des gants confectionnés qui
se soutiennent sans désavantage devant la ganterie de Paris.
Dans toutes ces expositions c'est la netteté de la nuance,
la régularité de la coups, la souplesse de la peau et le fini de
la couture qui établissent la supériorité de nos fabricants.
Corsets. Accessoires de vêtement. — Ces objets de confection,
et surtout le corset, jouent un rôle de première importance
dans la toilette des femmes. Aussi n'avons-nous pas été sur-
pris des nombreuses variétés de corsets de toute espèce expo-
sés parles maisons de Paris. Cette branche de l'industrie des
modes est extrêmement soignée dans notre ville, et l'on peut
dire, qu'à part quelques-uns de ces objets tissés à la mécani-
que, il n'existe rien dans les expositions étrangères. Mais
avant d'examiner ces produits, il importe d'établir bien clai-
rement que l'élégance et l'hygiène doivent souvent se trouver
en désaccord dans nos jugements. Il est rare, disons-le, de
voir les fabricants se préoccuper à un plus haut point de la
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 749
santé de leurs clientes que de l'excessive finesse et des con-
tours corrects de leur taille. Nous avons cependant des cor-
sets plastiques, des corsets hygiéniques ; ce sont là des mots
trompeurs, et ce n'est qu'avec défiance que nous avons abordé
ces sories d'expositions. On a fait cependant depuis quelques
années des perfectionnements réels qui portent parliculière-
ment sur deux points : les systèmes de fermeture tendent à
être placés à la partie antérieure et à agir d'une manière
beaucoup plus rapide que le lacet, courant sur deux séiies
d'oeillets ; d'autre part, la multiplication de baleines plus pe-
tites et agissant d'une manière moins violente, l'emploi très-
abondant des tissus élastiques permettent au corset de se
mouler parfaitement sur les formes et d'acquérir une sou-
plesse beaucoup plus grande. C'est dans cette voie qu'il faut
marcher, et nous croyons fermement qu'on aura atteint une
amélioration réellement hygiénique quand on aura supprimé
le buse qui presse sur la poitrine, ou qu'on l'aura fabriqué
d'une matière à la fois élastique et très-flexible.
Un exposant belge a em[)loyé dans ce but la gutta-percha.
Cet essai ne peut donner que des résultats incomplets ; la
gutta-percha se déforme sous l'influence de la chaleur, elle
plie et n'a pas d'élasticité.
Nous avons remarqué dans l'exposition française quelques
corsets destinés à l'usage des femmes enceintes; la plupart
d'entre eux permettent, à l'aide de boucles ou de lacets placés
sur les côtés, d'élargir la partie inférieure ; mais la poitrine
n'en reste pas moins serrée, et la gêne de la respiration n'est
nullement diminuée. Les ceintures abdominales de M. V. Pil-
lant nous ont semblé préférables, car elles agissent de bas en
haut et soutiennent sans comprimer.
Les produits fabriqués à la mécanique de MM. Robert ,
Verlyet Cie, deBat--le-Duc, ont attiré notre attention à raison
de leur simplicité, de leur facile adaptation à toutes les tailleset
de leur bon marché. Cette maison, quia reçu une récompense
à l'exposition de Londres, fait des affaires considérables, et
livre environ 30 000 corsets à la consommation de chaque
année.
M. Josselin, Mmes Hippolyte, Clémençon, Sophie Dumoulin
et Joly sœurs, fabriquent des corsets qui ont une réputation
bien connue d'élégance, et qui nous ont semblé, dans l'état
750 VISITE
actuel de nos modes, aussi simples et aussi hygiéniques qu'il
est possible.
Nous ne noterons que pour mémoire ces appareils de crino-
line dont nos dames font un si grand usage, on devrait dire
un si grand abus. Nous en avons vu de toutes les sortes et de
toutes les façons ; des jupons gaufrés, bouillonnes, tuyautés,
des garnitures' pour les hanches. Nous ne saurions porter de
meilleur jugement sur cette partie de l'Exposition, que de ren-
voyer le visiteur à un très-spirituel feuilleton que M. Al-
phonse Karr a publié, il y a deux ou trois mois, dans le Siècle.
Boutons. — A juger par le nombre considérable de ces petits
objets qui ont été exposés, nous devons croire que la consom-
mation en est immense. Et de fait, ils sont à peu de chose
près le seul ornement du vêtement de.-; hommes et sont em-
ployés sous les formes les plus diverses et les plus élégantes
dans la toilette des femmes. Nous ne connaissons guère de
matière avec laquelle on ne fabrique des boutons. Les pierres
et les métaux précieux, les métaux plus communs, le fer,
le cuivre, le plomb, l'étain, le zinc, l'écailIe, l'ivoire, la
nacre, la corne, les bois de toute espèce, le marbre, la porce-
laine, la faïence, le verre elles émaux, la soie, le fil, le colon,
la laine, les tresses de paille, de jonc et de cheveux. Telle
€st à peu près la liste générale des matières auxquelles cette
fabrication emprunte ses éléments. Le commerce emploie
principalement des boutons de métal frappés au coin, des
boutons de passementerie et des boutons de verre, de corne
ou d'os. L'exposition anglaise contient de ces boutons fiappés
d'une exécution très-parfaite. Une de leurs maisons, déjà ho-
norée d'une médaille de prix à l'exposition de Londres,
MM. Weldon et Weil, exposent du reste ces produits en
France et en Angleterre. MM. Gourdin et Cie ne le cèdent en
rien à leurs émules pour le bon goût et la netteté de leurs
empreintes ; ils ont des boutons émaillés qui sont d'un très-
bon effet.
Ici s'arrête tout ce que nous avions à dire des arts vestiaires
considérés dans leur ensemble et dans leurs différents acces-
soires. Il nous reste à examiner une série d'objets qui, par
leur nature variée, empreinte des caprices de la mode et des
fantaisies du jour, échappent à toute espèce de classement ré-
gulier. Ce sont ces mille articles de genre que Paris fabrique
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 751
en si grande abondance et auxquels il a donné son nom. Ou-
vrages de broderie, de filet, de cartonnage, de maroquinerie
légère que chacun de nous connaît et apprécie suivant ses
goûts et ses besoins- Nous trouvons cependant quelques pro-
ductions d'une plus haute importance : les écrans et les éven-
tails sont depuis longues années des objets de grand luxe,
dont la fabrication appelle à son secours le talent du peintre,
celui du ciseleur sur bois ou sur ivoire et l'habileté de l'orfè-
vre et du joaillier. Nous avons remarqué à l'Exposition des
montures d'éventail délicatement découpées de la fabrique de
Saint-Germain (Oise). MM. Duvelleroy, Ardiet, Meyer et Voi-
sin Venier, fixent par la beauté de leurs produits l'attention
et les désirs des promeneuses élégantes.
L'ivoire, par sa blancheur, sa résistance et sa très-grande
durée, se prête merveilleusement au travail de l'ornementa-
tion. Quelques exposants se sont montrés véritablement ar-
tistes et nous ont fait songer à ces habiles sculpteurs de la
renaissance qui ont incrusté leur talent sur tous les meubles
délicats et sur toutes les œuvres de fantaisie de cette époque.
MM. Vangorp, Moreau etBleutonontfaitdelouableseffortspour
rivaliser avec leurs devanciers, et nous avons vraiment eu
plaisir à examiner en détail les résultats de leur industrie.
Les jouets d'enfants, dont la nature et la valeur offrent les
plus grandes variétés, se fabriquent sur une grande échelle en
France et en Allemagne. Ce commerce offre cette particularité
remarquable, que sa vente pour toute une année dure quel-
ques jours dans les mois de décembre et de janvier. Certaines
maisons font à cette époque des recettes immenses qui con-
stituent les deux tiers ou les trois quarts du chiffre total de
leurs affaires. Le Wurtemberg, la Bavière et la Saxe-Royale,
ont fait des envois très-complets de leur industrie dans ce
genre. Ils consistent surtout en deux sortes de jouets : les
uns de ferblanterie et de quincaillerie, sont des diminutifs des
objets de la vie usuelle ménagère; les autres de bois ou de
pâte représentent presque tous des bataillons de soldats ou
des ménageries d'animaux. M. et MmeMontanari, de Londres,
qui ont eu une médaille à la dernière Exposition, fabriquent
de jolies figures de cire, servant à monter de très-coquettes
poupées, ou nous offrent de curieux modèles des types indiens
du Mexique.
752 VISITE
L'exposition française en ce genre consiste surtout en joueis
mécaniques et en poujjées. M. Théroude a exposé des mon-
tons qui bêlent, des singes qui jouent du violon avec force
contorsions des joues et des lèvres, un lapin qui se froitela
moustache avec le plus grand sang-froid ; on conçoit combien
les mères ont de peine à détourner leurs enfants de cet
attrayant spectacle.
Nous n'en sommes plus depuis longtemps à la poupée de
bois aux ariiculations criardes et mal jointes : la poupée d'au-
jourd hui est faite de peau, elle a une têle de porcelaine et
des articulations de caoutchouc. Elle se soumet à tous les
caprices de sa jeune maîtresse et reprend avec facilité son
attitude jiremière. M. Greffier fabrique des poupées très-
solides, qui remuent les bras et les jambes et qui poussent
un vagissement plainiif quand on leur presse le ventre.
Mlle Huret et M. Jumeau ont de charmantes poupées habillées
dans le dernier goût et qui sont des modèles d'élégance et de
bonne tenue.
Les fleurs artificielles ne sont plus aujourd'hui des objets
de décoration quelconque et ne rappelant point ou peu la na-
ture. Ce sont de vraies fleurs, semblables à s'y méprendre à
celles que le printemps fait éclore dans nos jardins. On se
rappelle la remarquable exposition que nous avions à Lon-
dres ; celle d'aujourd'hui ne le cède en rien à son aînée. Les
concurrents sont nombreux et leurs produits sont tous em-
preints de ce cachet d'élégance et d'habileté qiù appartient à
tous les articles de mode de Paris. Regardez dans la vitrine
de Constantin ces fleurs demi-pa>séps qui s'inclinent avec
nonchalance, ce fin duvet des feuillages, ce gros chardon
réjoui qui épanouit sa fleur violette, cette rcse, ce soleil dont
le vent et la pluie ont enlevé la moitié des pétales ; vous
jureriez à un pas de distance que ces fleurs viennent d'être
arrachées à la terre. Chez M. Duteis, cet héliotrope et cette
collection de petites orchidées sont d'une vérité de couleur,
de port et de forme qui ne laissent rien à désirer. Il nous fau-
drait, pour èire juste, les citer tous à des titres divers et
indiquer au visiteur chez M. Charpentier, cet éclair dont un
souffle de vent vient d'emporter les plus légères étamines;
chez M. Gaudet-Dufresne de charmants feuillages artificiels;
chez Mme Cu\illier de belles fleurs pour coiffures et parures:
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 733
chez MM. Nautré et Cabanis des plumes d'autruche, des
marabouts, des aigrettes du plus beau choix. Nous ne pouvons
mieux faire que de prier nos lecteurs de visiter eux-mêmes
cette exposition de fleurs et de plumes et de lui accorder toute
l'attention qu'elle mérite.
S'il nous était permis, après cette course rapide à travers
les produits delà vingt-cinquième classe, de formuler une
conclusion générale, nous dirions : A la France, et à Paris
surtout, la suprématie sans conteste pour tout ce qui est goût,
élégance et fantaisie; à l'Allemagne, à l'Angleterre, à l'Italie,
payons un juste tribut d'éloges pour la beauté de quelques
matières premières et pour l'excellence de certaines méthodes
industrielles.
Que l'Exposition soit un enseignement lumineux et fécond.
Nos fabricants sont parfois surpassés, souvent suivis de près :
qu'ils redoublent d'efforts pour maintenir le haut rang que la
France occupe dans l'industrie du monde.
CLASSE XXVI.
Dessin et plastique appliqués à l'Industrie. — Imprimerie en
caractères et taille douce , photographie.
L'industrie proprement dite ne règne pas seule dans le
Palais des Champs-Elysées , et l'art, dans ses formes les plus
diverses, est, est venu lui apporter le concours de son génie
spécial. Jamais cette heureuse union ne s'est aussi pleine-
ment manifestée que cette année ; car, au lieu de rester sta-
tionnaire dans la voie tracée par la routine et servilement
suivie depuis longues années, l'industrie s'est habilement
servie des ressources de la plastique, de la photographie, de
la gravure et de la lithographie.
Jetons donc un coup d'œil sur ce que le Palais renferme de
remarquable en ce genre. Au milieu de l'espace réservé à la
plastique, après la salle de l'Imprimerie impériale, se dresse,
sur un piédestal isolé, la statue de la Vénus de Milo, augmen-
206 XX
754 VISITE
tée par le procédé de MM. Sauvage et Caffort. Le type éter-
nellement beau de l'art grec domine toute la salle, comme
un symbole sérieux de la beauté des formes, et cette statue
est si puissamment belle qu'on n'y sent pas du tout l'emploi
de l'outil mécanique qui l'a grandie à nos yeux. Qu'on nous
permette quelques mots sur ce procédé et son origine.
La Vénus de Milo exposée, et la statue équestre de l'Em-
pereur, devant la porte Est du Palais de l'Industrie, sont des
résultats de cette application. La Vénus de Milo est augmen-
tée de moitié, d'après le modèle du musée. La statue de
l'Empereur est augmentée de plus du double , puisque le
modèle de J. Debay n'a que ^'^^ib, et la statue repro-
duite 3"^, 15.
Les antiques de la maison Susse , et la majeure partie des
sujets de MM. Denière, Paillard, Vittoz, de Labroue, Char-
pentier, Marchand, Raingo, Vauvray, Miroy, sont des ré-
ductions ou des augmentations exécutées par le procédé Sau-
vage.
Jusqu'en 1836, le tour à portrait de Hulot était le seul ap-
pareil connu qui permît la reproduction mécanique de la
sculpture, bornée aux bas-reliefs de petite dimension et de
faible saillie; aussi ne l'appliquait-on guère qu'à l'exécution
des médailles et des coins de monnaie. Une condition essen-
tielle de cet appareil est la réduction ou l'augmentation forcée
de la copie par rapport au modèle.
Ajoutons que celte réduction ou cette augmentation forme
encore le caractère spécial, mais moins absolu, des appareils
modernes, où, comme dans le tour de Hulot, elles résultent
uniquement de la place respective affectée sur la machine
au modèle ou à la copie.
Presque simultanément, c'est-à-dire M. Sauvage, le 3 fé-
vrier 1836, et M. Collas, le 3 mars, prirent chacun un brevet
pour l'exécution mécanique de la sculpture.
C'est à Taide de ces inventions que la fabrication artistique
a conquis tant d'inimitables modèles. Le service rendu à l'art
par ces procédés est immense, et la fabrication du bronze ne
s'est véritablement élevée que depuis cette époque.
Aux pieds de la Vénus de Milo sont des réductions de l'an-
tique et de quelques statues du siècle dernier, réductions que
MM. Sauvaze et Caffort ont obtenues avec le même bonheur.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 755
Ils ont aussi exposé des bustes et des médaillons d'une res-
semblance exacte , au moyen d'une empreinte prise instanta-
nément par procédé mécanique. Cet appareil , tout ingénieux
qu'il est, n'a pas la prétention de remplacer l'artiste, mais il
assure la ressemblance , et permet de faire en deux ou trois
séances un buste auquel l'artiste le plus habile emploierait au
moins quinze jours.
A côté, un coffret en ivoire sculpté, genre renaissance,
de M. Moreau fils , élève de Toussaint le statuaire , est une
preuve nouvelle de cette alliance des arts et de l'indu-
strie : ce ne sont plus là ces sculptures de Dieppe , toujours
taillées sur le même patron, mais une création nouvelle,
bien entendue et bien réussie . les ornements qui sont sur
les panneaux sont très-élégants de forme , et les petits en-
fants qui forment le soubassement d'un très-joli galbe. 'Vis-à-
vis, dans une vitrine collective, sont les moulages de M. Du-
failly, Marchi et Vincent. Là aussi le goût se fait sentir dans
le choix des modèles, reproduits d'après Mène, PoUet, Pra-
dif^r, Cumberworth, etc. En jetant un coup d'oeil à droite, la
science se trouve satisfaite du travail consciencieux et pa-
tient de M. Sthal, mouleur du Jardin des Plantes, qui est
parvenu à reproduire ces mollusques et ces bivalves, que la
mollesse de leur nature semblait mettre à l'abri de cette re-
production : cette vitrine renferme également des feuilles de
plantes moulées des deux côtés à la fois, du linge, du papier,
reproduits avec toute la ténuité de leurs fibres et de leurs li-
néaments. Au-dessus sont trois tètes moulées sur nature avec
un rare bonheur, et bien précieuses pour l'étude anthropologi-
que. M. Mercier, son voisin, nous offre des glaces richement
et finement gravées comme les glaces de Venise , et M. Wirth
toute une vitrine remplie de sculptures de l'école de Berne et
des pâtres de la Suisse. Ceci est de l'art moins sérieux, mais
on y sent aussi, dans quelques sujets, une tendance à sortir
de la routine de ces jouets que l'on offre aux touristes qui
visitent la Suisse. M. Planson , habile sculpteur sur bois, a
renfermé dans sa petite vitrine de ^^' ;olis spécimens de
l'art et du goût français qu'f^-^ ont su utiliser les
Tahan et les Maqup*^ ^ eurs couvertures
d'albums.'^- ' feuillage en bois
très" •' 'voire. Ce cadre
7r;G VISITE
appartient à l'Impératrice. A côté, M. Crière a placé^un bou-
quet de fleurs en cire, bien largement modelé.
Un peu plus loin, M. Opigez olTre à nos yeux toute une
série de bustes réduits, où nous retrouvons toute la finesse
des originaux : parmi les plus remarquables nous citerons le
buste de Rolrou , de la grandeur de celui du foyer des Fran-
çais, et qui offrait de grandes difficultés; la réduction de la
statue de Mlle de Montpensier; un bas-relief de Luca délia
Robia ; celui de l'hôtel Bourgthéroulde à Rouen ; une série de
petits bustes, et un faune dansant, recouvert d'une couche de
cuivre au moyen de la galvanoplastie. M. Opigez obtient dans
ce genre des produits très-remarquables. M. Lagnier, de Bor-
deaux, qui est vis-à-vis, a sculpté sur bois un bouquet où l'on
trouvera peut-être un peu de maigreur dans le travail , mais
qui a néanmoins de fort jolis détails.
En nous retournant dans la salle, nous retrouvons une belle
cheminée en glace de M. Luce , de Versailles, et vis-à-vis, sur
une table de bon goût, nos yeux s'arrêtent avec plaisir sur
une charmante sculpture sur bois de Knecht : c'est un petit
bénitier : la Vierge, entourée de feuillages sculptés avec un art
i-nfini , tient l'enfant Jésus dans ses bras; c'est d'une hardiesse
et d'une réussite qui nous font vite oublier les sculptures an-
ciennes de l'école allemande si renommée. Le même artiste a
exposé aux Beaux-Arts un groupe de gibier qui est également
plein de mérite. Pour terminer notre revue de la sculpture ar-
tistique qui se trouve dans cette salle, n'oublions pas un joli
petit coffret de Riester, dans le genre allemand, en ébène
avec incrustations d'argent et d'acier, ciselé et doré : nous
V retrouvons le goût de cet habile dessinateur ornema-
niste.
MM. Blard, de Dieppe, sculpteurs en ivoire, ont renfermé
dans leur vitrine un très-beau Christ, et plusieurs objets, où
se manifeste cette tendance à sortir de la voie commune dont
nous parlions plus haut, et que nous retrouvons également
dans les t âges de Mme la comtesse de Dampierre; dans
tous les oi xposés par cette dame, un écran , des fleurs,
des cadres ases en cuir repoussé, on ne sait ce qu'on
doit le pi r de b 'ussite ou de la patience de l'ar-
tiste, qui "H rare bonheur dans les
cadres d( '^dus près de la salle
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 757
de la lithographie : dans ces derniers c'est la nature prise sur
le fait avec toute sa finesse et la variété de ses teintes.
Nous avons dit que cette salle était la salle de la plastique ;
le trophée d'honneur dans la nef a été confié à M. Hubert, qui
y a placé, outre sa cheminée monumentale, une fort jolie gar-
niture de glace en carton pâte, genre Louis XV, et plusieurs
spécimens de très-bon goût. C'est à lui qu'est due également
l'exécution du cadre de la magnifique glace de Saint-Gobain,
placée dans la nef. MM. Bénier frères ont également exposé
une cheminée en carton pierre bien composée et qui a de
jolis détails , et M. Hardouin , deux panneaux d'appartement
style Louis XIV et Louis XV, bien réussis. M. Souly a sou-
tenu sa réputation pour la richesse de ses cadres , et M. Dû-
ment Pétrelle, par la finesse de ses dorures à l'eau, sur bois,
et le fini de ses sculptures sur pâte , mérite l'attention mar-
quée qu'il avait déjà obtenue à Londres en ISol. N'oublions
pas, parmi nos ornemanistes, MM. Crozet et Boucarut.
M. Laurent ( François), que le défaut d'espace a fait placer
dans l'escalier N.-O. , a exposé un bel encadrement de
glace, style Louis XV, auquel nous reprocherons peut-
être d'être un peu lourd pour sa hauteur. En pendant, la mai-
son Bourdon a mis un riche cadre doré autour d'une belle
glace de Saint-Quirin , et, dans le grand escalier du pavillon
central , M. Ples-on , un cadre dont les riches ornements dorés
sont dûs à la composition de M. Riester.
Dans notre salle de la plastique , M. Dulud , dans son ex-
position, nous offre une heureuse application du relief aux
cuirs de tenture. Cet habile artiste, car on peut lui donner
ce nom, a introduit par sa persévérance, et fait adopter dans
le commerce, une série de modèles, dont les applications sont
journalières, des plus variées et des plus heureuses : tentures
d'appartement, meubles, moulures, figurines, ornements, il
a essayé de tout, et avec le même bonheur; c'est encore là
une des plus heureuses introductions de l'art dans l'industrie.
Citons également, dans le même genre , MM. Martella et Hal-
bedel, mais qui n'ont pas , comme M. Dulud, ces applications
variées à l'infini; le premier cependant donne une imitation
de cuirs de tenture très-remarquable comme dessin et comme
modicité de prix.
Je ne puis pas terminer cette revue de la plastique fraii-
758 VISITE
çaise , sans parler de M. Cruchet, qui marche en tête de tous ,
et qui a fait son exposition dans le péristyle et le salon de
l'Impératrice, au premier étage. Il n'y a qu'à jeter un coup
d'oeil sur les riches détails et le bon goût des ornements, pour
voir combien il est en avant de tous ses rivaux dans cette
partie de l'industrie.
Maintenant, si nous jetons un coup d'œil sur la plastique
étrangère , nous pouvons louer sans restriction , en Angle-
terre, les beaux cartons-pâte de M. Jackson; surtout trois
médaillons d'animaux groupés très-bien composés, un petit
encadrement de miroir très-joli et très-délicat, et un morceau
d'une grande frise composée pour le salon du club de la ma-
rine et de l'armée.
En Belgique, MM. Boëx et Bonnefui ne nous ont envoyé
que des encadrements de formes tourmentées, et M, Cramer,
de Cologne, quelques petits modèles qui ne nous permettent
pas de nous prononcer, vu leur peu d'importance.
L'alliance de l'industrie et des arts se fait peut-être plus vi-
vement sentir dans la lithographie. Il s'est rencontré, comme
aux temps des Elzévir et des Etienne , des imprimeurs intel-
ligents, qui se sont servis de toutes les découvertes modernes
de la science pour venir en aide aux artistes, et bien traduire
leurs œuvres aux yeux du public.
Lemercier marche en tête de cette cohorte de chercheurs ,
et, si nous jetons un coup d'œil sur sa riche exposition , les
preuves de ce que nous avançons ne nous manqueront pas.
Cet habile éditeur n'a laissé passer aucune branche de son
industrie sans y imprimer son goût et son savoir-faire : im-
pressions en noir remarquables, reproduction de dessins faits
par les artistes sur papier préparé, ce qui donne toute la sou-
daineté de la pensée et du coup de crayon , photographie
reportée sur pierre avec bonheur et sans aucune espèce de
retouches , chromolithographies , gravure sur pierre , lavis ,
rien n'a été laissé de côté. Expliquons d'abord à nos lecteurs
ce qu'on entend par chromolithographie , pour faire voir
quelles ont été les difficultés vaincues. Comme l'indique la
composition du mot, tiré du grec {kronws couleur), il s'agit
de faire une lithographie coloriée , en remplaçant le pinceau
par des teintes appliquées par le tirage , chaque pierre por-
tant la couleur qu'elle doit déposer sur l'épreuve première ;
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 759
on conçoit avec quelle fidélité et quelle justess«i de contours
les repères doivent être faits , car il est des dessins qui exi-
gent jusqu'à dix-huit ou vingt pierres différentes ; on conçoit
également quelle variété de tons peuvent donner ces super-
positions successives en se modifiant les unes par les autres
à l'infini. Cette nouvelle application de la lithographie a
rendu des services immenses aux sciences et aux arts , et se
plie avec un bonheur infini à toutes les exigences. Ainsi, pour
citer un exemple, il est telle carte géographique éditée par
l'Imprimerie impériale qui , coloriée à la main , coûtait une
dizaine de francs , et qui maintenant , coloriée par le nouveau
procédé, avec une plus grande égaUté de teintes, ne coûte
que 3 fr. 25 cent. Les manuscrits eux-mêmes, ces chefs-
d'œuvre de patience et d'art des moines des vr et vu' siècles ,
sont reproduits par ce procédé de la manière la plus satisfai-
sante.
Après Lemercier, marchent Jacônie et Dufat : ceux-là aussi
n'ont rien négligé et, venus les derniers, n'ont laissé passer
aucune des découvertes nouvelles sans y appliquer leur in-
telligence. Il y a dans leur exposition une épreuve qui re-
présente, à s'y méprendre, une ébauche à l'huile, au moyen
d'un procédé nouveau qui leur appartient. BertaïUs, lui, est
un véritable artiste : il ne s'est adonné qu'à l'impression en
noir ; mais comme il l'a poussée loin et quelles belles épreuves
il nous offre 1 C'est un véritable bonheur pour un coloriste
que d'être imprimé chez Bertauts, qui s'occupe lui-même de
la mise en train des pierres , et ne la livre à ses ouvriers
qu'avec les recommandations les plus sévères et la surveil-
lance la plus minutieuse. Bnj est encore, après Bertauts. l'un
de nos imprimeurs le plus intelligent : c'est un homme éga-
lement pratique et consciencieux, un chercheur, et ce qui
sort de ses presses est très-remarquable : c'est l'imprimeur
privilégié de Raffet , qui nous a donné de si belles lithogra-
phies devenues populaires , et dont l'exposition de Bry nous
offre de très-beaux échantillons.
Maintenant, pour en venir à la chromolithographie propre-
ment dite, j'ai gardé Engelmann et Hangard-Maugé qui, tous
deux, méritent un article spécial : le premier nous offre une
série d'imitation de manuscrits fort remarquable, un, entre
autres, tiré sur vélin, ce qui présentait de très-grandes diffi-
760 VISITE
cultes, puis(|u'on ne peut pas humidifier le vélin et qu'il fal-
lait que chaque feuille pour le tirage fût tendue sur un châs-
sis. Il a également une imitation très -heureuse des vieux
vitraux, qu'il nous rend avec toute leur transparence et toute
la vigueur de leurs tons. La seule chose que je retrouve à
reprendre dans toute son exposition , c'est un portrait gran-
deur nature de Napoléon h^. C'est dur, d'un ton peu agréable,
et c'est vouloir trop demander tout d'un coup à un art qui n'a
pas dit son dernier mot.
Hangard-Mauge nous offre l'application la plus variée de
la chromolithographie, et cela d'une manière fort remar-
quable. Deux planches surtout ont fixé notre attention : un
dessin frontispice de l'Alhambra et une vue intérieure de
mosquée; puis une série de lithographies artistiques et in-
dustrielles très-variées. Paulon , son voisin, a aussi de belles
épreuves , une couronne de fleurs , entre autres , sur fond
brun et d'autres fleurs. Barhnt , de Châlons-sur-Marne, qui
vient ensuite, expose un très-beau livre de messe, genre
manuscrit, et les Évangiles avec encadrements variés: ce
sont deux belles choses, surtout quand on pense qu'elles ont
été exécutées en province. Un autre éditeur de province,
M. Charpentier , de Nantes , mérite nos éloges , ainsi que
M. Simon , de Strasbourg, qui nous a donné des fac-similé
d'aquarelles et de dessins très-remarquables. M. Kœppe-
lin , qui s'est adonné à la reproduction par la gravure sur
pierre des cartes géographiques nous en otfre une très-belle
série.
Deux pays étrangers , où l'art du dessin est en grand hon-
neur, l'Angleterre et l'Allen^agne, nous offrent aussi de beaux
spécimens de chromolithographie. Dans le premier, nous
avons remarqué l'exposition de sir Hanchart et celle de
M. Vincent Brooks : ce dernier a lithographie une Fuite en
Egypte, qui rappelle par sa vigueur de tons les P. Véronèse,
et M. Hanchart, des paysages et des vues du Palais de Cristal
en 1851 d'un fini précieux. Si notre observation ne nous a
pas trompé, il nous semble que ce sont, pour la plupart, des
gravures à l'aqua-tinte coloriées ensuite au moyen de la litho-
graphie. En Allemagne , l'Autriche nous offre aussi une série
de chromolithographies, mais elles sont un peu dures dans
la dégradation des tons, excepté la reproduction d'un tableau
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 7G1
de fleurs et de fruits. L'original , peint à Thuile, qui est en
opposition avec la copie , nous permet d'apprécier le talent
avec lequel il a été reproduit : il y a réellement bien peu de
différence comme vigueur. M. Digby Wyatt , savant profes-
seur anglais, s'est aussi servi de cette nouvelle application de
la lithographie pour nous donner une série de modèles de
mosaïques. En visitant la galerie supérieure, nous avons
remarqué dans l'Espagne une histoire de Don Quichotte, mise
sur pierre par G. Nanteuil, notre compatriote , avec cette
vigueur de coloris qui lui est particulière : c'est franchement
imprimé par M. Martinez. En résumant nos appréciations sur
cette partie de l'Exposition, je crois que nous pouvons, sans
partialité, revendiquer la supériorité comme exécution et
comme variété d'application.
La salle destinée à la gravure au rez-de-chaussée , et qui
suit immédiatement celle de la lithographie , renferme de
beaux spécimens du talent de nos imprimeurs en taille-douce,
en tête desquels nous placerons MM. Goupil, Chardon aîné
et Chardon jeune. Citer M. Goupil , c'est parler de l'édileur
intelliizent de toutes les œuvres de Delaroche, dont il nous
offre riiémicycle du Palais des Beaux-Arts, la Sainte Amélie,
par Mercury, le Consolateur des Affligés, de A. Scheffer, ga-
vure pleine de poésie et de mélancolie, une gravure encore
inédite d'après Léonard de Vinci et tant d'autres chefs-
d'œuvre trop longs à énumérer ici, et imprimés avec un soin
et un goût parfaits. Ce que nous venons de dire de M. Goupil
peut s'appliquer avec justice aux deux Chardon, dont les im-
pressions sont fort remarquables. Dans la même salle, M. Ré-
mond nous off're une série d'impressions en couleur, appli-
quées au pinceau sur planches de cuivre : ce sont des
gravures d'anatomie et de botanique, parfaitement réussies
et d'une grande finesse de ton. Le cadre de M. Furne ren-
ferme la belle collection de ses Vierges de Raphaël, que cet
éditeur a mises à la portée de toutes les fortunes par le prix
modique auquel il les livre, des gravures du Paradis perdu,
celles (le la Bible et des œuvres de M. Thiers, toutes gravures
remarquables. La persévérance et le soin avec lesquels
M. Furne a poursuivi son œuvre d'éditeur consciencieux mé-
rite tous nos éloges. Après eux viennent, comme importance
de commerce, M. Basset et IMme Bouasse-Lebel, deux édi-
762 VISITE
teurs qui se sont adonnés aux dessins de sainteté et de
sciences mises à la portée de toutes les intelligences.
Passons maintenant à un autre ordre de gravures , celui
où l'on s'est servi de Tapplication récente de la galvanoplastie.
En tète nommons iM. Hulot, graveur à la monnaie : c'est le
plus habile de tous; son cadre renferme des timbres-postes
et des cartes à jouer, deux gravures d'après Raphaël avec les
épreuves; ces planches sont gravées avec une perfection
remarquable. Après lui , M. Gillot, qui a donné à son travail
le nom de paniconographie , car il reproduit en clichés de
cuivre ou de métal d'imprimerie toute espèce de gravure,
qu'elle soit sur pierre ou sur bois , et permet ainsi de lim-
primer dans le texte. M. Dumont est son émule : ce sont deux
chercheurs qui ont obtenu déjà de bonnes réussites. M. Salle,
M. Coblence, dont les épreuves sont placées avec les cartes
de géographie , sont également deux galvanoplastes qu'il ne
faut pas passer sous silence. 11 en est un qui occupe une place
à part , c'est M. A, Collas , qui grave mécaniquement et avec
un grand art sur acier, sur bois, sur ivoire. La finesse du
travail étonne quand on pense qu'il n'y a là aucune trace de
burin.
Venons maintenant aux graveurs sur bois. Cette branche
de la gravure, la première de toutes comme découverte et qui
fit la gloire des Albert Durer . des Lucas de Leyde , des Hans
Burgmer, a fait des pas de géant depuis quelques années, et
nous avons égalé sinon dépassé les Anglais et les Américains,
nos maîtres autrefois dans cet art. Quelques-uns de nos gra-
veurs sur bois ont exposé aux Beaux-Arts avec succès :
parmi ceux qui sont restés avec nous , les premiers de tous
sont MM. Best, Hotelin et Régnier, trinité qui a formé toute
une pépinière de graveurs de talent : il sufht de la nommer ,
car ses œuvres sont connues et appréciées de tous, et ornent
presque toutes nos publications. Citons en première ligne ,
après eux, Gusmand d'abord, puis Pontenier et Guigert, qui
s'est adonné avec succès aux dessins de machines et de
fabrique, ainsi que son voisin M. Dulos. La finesse du travail
de tous ces artistes égale celle de la gravure au burin : le
Magasin pittoresque, la Touraine de M. Marne, la Vie de tous
les peintres sont là pour prouver notre assertion.
Il en est trois que nous avons réservés pour terminer la
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 763
série des graveurs, parce qu'ils se sont adonnés à un genre
de gravure pratiquée chez les étrangers , je veux parler de
l'imitation des aquarelles ou des dessins au crayon par la
gravure à l'aqua-tinle. Le premier, selon nous, dans l'expo-
sition française, est Desjardins, qui nous a donné des fac simile
très-remarquables des aquarelles de A. Delacroix, Bellangé,
Lepoilevin, et des bouquets de fleurs; ce sont de véritables
trompe-l'œil. Himely peut se ranger sur la même ligne, et
Dupuy, qui n'a reproduit que des dessins de fleurs, l'a fait
avec un rare bonheur et une douceur de teintes remarquable.
M. Digeon nous ofl're , outre des gravures analogues à celles
de ces messieurs, une gamme chromatique de tons super-
posés, très-remarquable et très-utile, comme renseignement,
à ceux qui voudraient s'exercer dans ce genre de gravure.
Nous ne trouvons guère que chez les Anglais un point de
comparaison à cet égard , encore chez eux , c'est notre idée
du moins, est-ce un mélange d'aqua-tinte etde lithographie,
comme nous lavons dit plus haut en citant M. Hanhart.
N'oublions pas la gravure dite commerciale , c'est-à-dire ap-
pliquée aux lettres de change, actions industrielles, etc., et
plaçons en première ligne, J\L Viesener, puis MM. Villerey,
Saunier et Hérard.
Nous voici arrivés maintenant à une partie de l'Exposition,
dont on s'est fort occupé depuis quelques années, et qui «si
en grande voie de progrès, je veux parler de la photographie
sur papier; je ne ferai pas ici l'historique de la belle décou-
verte de M. Daguerre et de M. Nièpce de Saint-Vicior, qui y
a apporté tant de précieux perfectionnements : il est peu de
personnes qui Tignorent; je ne m'occuperai que des épreuves
obtenues par la substitution de la glace collotiionnée ou albu-
minée, ou papier préparé, à la plaque de métal. L'absence
du miroitement si désagréable dans ces dernières, et la fa-
cilité de conserver et d'empoi ter en portefeuille un grand
nombre d'épreuves , ont fait dès les premiers pas donner la
préférence à ce système, et voici en quelques mots en quoi
consiste l'opération. Une glace bien nette remplace la plaque:
pour la rendre sensible a l'action de la lumière on la recou-
vre d'une couche d'albumine ou de coUodion, opération qui
exige pour avoir des glaces bien nettes et exemptes de stries,
une assez grande habileté de main , que l'exercice du reste
7G4 VISITE
fait bientôt acquérir ; puis , quand le collodion est étendu bien
également sur le verre et encore humide, on plonge la glace
pendant quelques secondes dans un bain de sel d'argent, qui
lui donne la sensibilité : on expose à la lumière dans la
chambre noire : on relire la glace au bout du nombre de
secondes voulues, en la préservant de toute impression de
lumière extérieure, puis dans un endroit noir, éclairé seule-
ment par une bougie, on fixe l'image obtenue par des lava-
ges, dont on trouvera l'indication dans tous les ouvrages sur lu
photographie. L'image , une fois fixée, sert de matrice à un
nombre indéfini d'épreuves, que l'on obtient en la posant
sur une feuille de papier préparé, et en l'exposant dans un
cadre à l'action du soleil ou même de la lumière diffuse. On
opère également avec des papiers préparés qui remplacent la
glace albuminée ou collodionée et donnent aussi de très-belles
épreuves, comme on peut s'en convaincre, dans celles de
M. Bougemier (n° 9137). Il est encore une opération dans la
photographie, dont il faut dire un mot avant d'aller plus
loin, c'est ce qu'on a appelé V héliographie, c'est-à-dire gra-
vure obtenue par l'action de la lumière sur plaque de métal,
avec assez de profondeur pour pouvoir tirer des épreuves.
C'est à Nièpce de Saint-Victor que l'on doit ce procédé, qui
donne déjà de beaux et curieux résultats, mais auxquels le
graveur retouche trop, pour qu'on puisse dire que c'est la lu-
mière elle-même qui grave directement et donne ces belles
épreuves.
Mal:^ré tout ce que nous venons de dire do la photographie
sur papier, nous ne voulons pas passer sous silence ceux de
nos photographes qui sont restés fidèles aux épreuves sur
plaque, et nous commencerons notre revue par eux.
M. iMillet est incontestablement celui qui marche en tête:
ses épreuves, soit portraits, soit monuments, soit groupes,
sont magnifiques de netteté, et obtenues presque instantané-
ment. Parmi les épreuves exposées par cet artiste il y en a
qui, plus tard, acquerreront beaucoup de prix ; ce sont celles
qui ont rapport aux travaux successifs du Louvre. Après lui,
M. Plumier, puis M. Vaillat, M. Thierry, et M. Sabalhier,
qui exposent de très-beaux portraits, qui luttent avec avan-
tage avec les beaux portraits américains.
Mais la partie la plus remarquable de l'exposition photo-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 76^)
graphique est dans la reproduction des paysages et des mo-
numents : excepté M. Fenton et M. jMaxveil Lyte en Angle-
terre, nos artistes n'ont aucune concurrence à redouter.
M. Giroux, qui se présente le premier, a des paysages bien
remarquables , où l'on reconnaît de suite dans le choix des
sites le goût d'un artiste et d'un paysagiste : MM. Bisson
frères, qu'il suffit de nommer; rien n'égale leur vue panora-
mique de Paris, prise des toits du Louvre : il y a là des loin-
tains trè.s-bien réussis, chose rare en photographie, et comme
monuments, leur g,rande épreuve de la cour du Louvre, et la
porte de la Bibliothèque impériale, sur le quai des Tuileries:
ce sont trois chefs-d'œuvres ; puis une reproduction de Rem-
brandt, d'Albert Durer, et divers objets de l'Exposition, ren-
dus avec leur habileté ordinaire. M, Baldus rivalise avec
Bisson pour la grandeur et la beauté des épreuves : nous
avons remarqué surtout sa vue du Mont-Dore et du lac Cham-
bon , et celle des arènes de Nîmes : il y a aussi une petite
vue de vallée avec un moulin, parfaite en tous points. Puis-
que nous en sommes aux paysagistes, admirons les épreuves
de M. Martens, qui nous donne une vue générale du Mont-
Blanc, d'après ses études séparées, qui sont d'une finesse
extraordinaire. M. le comte de Béranger a également une
série de paysages très intéressante , une étude d'arbre entre
autres prise en hiver, puis une reproduction de Rembrandt.
M. Aguado termine cette série de paysagistes habiles par de
très-belles épreuves, d'une rare finesse de modelé.
En Angleterre, comme nous l'avons dit plus haut, M. Fen-
ton, est le plus remarquable, et, nous pouvons l'avouer sans
blesser l'amour-propre de nos artistes, le plus fort : il y a
surtout une photographie intitulée Hack fall^ qui est d'une
finesse de modelé et d'une étendue de lointains que nous ne
trouvons chez aucun des nôtres; puis ensuileWalley ofthe
Wharfs et Boston Abbeij. Il est moins heureux dans ses
groupes animés, que je trouve secs et noirs. M, Maxwell
Lyte marche sur ses traces, et nous offre une série de vues
des Pyrénées, très-remarquable par la profondeur et la
transparence des lointains. M. Newton a des études au mi-
croscope très-bien réussies; M. Sherloch , des études de
nuages, saisies avec une instantanéité très-heureuse, et qui
peuvent servir de prJcieux renseignements pour les peintres.
766 VISITE
Dans la Grèce, M. Philippe Margarilis nous a donné de
belles épreuves des beaux monuments d'Athènes et de leurs
bas-reliefs; à Florence , MM. Alinari frères, des vues du
Campo-Santo, rendues avec toute la richesse de leurs détails;
à Rome, M. Dovizielli, sa vue très-remarquable d'une cas-
cade dans l'intérieur d'un palais, et d'une chute d'eau près
de Rome.
En nous occupant maintenant de la reproduction des mo-
numents, statues et bas-reliefs, nous placerons M. Bayard
en première ligne : la beauté des épreuves de cet artiste est
tout à fait hors ligne, et qu;ind on aura vu ses belles photo-
graphies de la Vénus de Milo et de ses bas-reliefs d'après
Clodion, on rendra justice à la vérité de notre assertion.
Rien n'égale la pureté et la douceur de ses blancs dans la
reproduction des statues. M.Lesecq vient après lui, ainsi que
M. Legray, pour nos monuments gothiques; tous leurs néga-
tifs sont obtenus sur papier.
Nous terminerons cette revue de la photographie par la
série des portraits ; il y a ici deux manières de les envisager,
soit au point de vue de l'art lui-même, soit au point de vue
du commerce : nous comprenons dans cette dernière série
tous les portraits retouchés, car ce n'est plus le photographe
qu'il faut juger, mais le peintre aquarelliste. M. Belloc, se-
lon nous, est le seul qui offre une très-belle série de portraits
sans retouche et parfaitement réussis : après lui et avec des
degrés différents de pureté de teinte ou de bonheur de pose,
MM. Mayer, d'Olivier, qui a reproduit avec bonheur la gale-
rie de nos célébrités industrielles; Heutlinger, d'Anguy, Wulf,
dont les épreuves sur toile cirée sont très-fines de détails ;
Laverdet et M. Fournier et Gardel, de Limoges.
Il est quelques photographes dont je ne me suis pas occupé
plus haut, parce qu'ils ont essayé et réussi dans tous les
genres : M. Disdéry est le plus habile de tous, et s'il parve-
nait à éclairer un peu plus ses beaux portraits sur toile cirée,
ce seraient de vrais chefs-d'œuvre; dans l'état où il nous les
offre, l'aspect en est triste. M. Disdéry s'occupe en outre
dans ce moment-ci d'un ouvrage qu'il intitulera, je crois, le
Portefeuille de V Exposition : nous en avons vu quelques
planches; c'est excessivement remarquable et d'un prix ac-
cessible, car c'est là un des défauts de la photographie, que
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 767
d'être hors de la portée des bourses communes. MM. Thomp-
son et Biugham, méritent aussi une place à part pour leurs
portraits grands comme nature et obtenus directement.
N'oublions pas le cadre si remarquable de M. Tournachon,
où nous trouvons reproduites avec un rare bonheur toutes
les poses et toutes les grimaces si fines de notre pierrot
français , Debureau : plus un beau portrait de Dan tan jeune
et d'autres belles études.
Pour ne rien passer sous silence de ce qui regarde la pho-
tographie, disons quelques mots de ce qu'on a appelé l'hélio-
graphie, et dont nous avons parlé plus haut. M. B. Delessert
occupe le premier rang avec son cadre qui renferme la repro-
duction de ces belles gravures de M. Antoine, devenues si
rares et si chères, et que ce nouveau procédé met à la portée
de tous; puis MM. Nègre et Riffault.
On nous a cité parmi les étrangers à Munich , les beaux
portraits de M. Hanfstangl, en disant même que nous n'avions
rien de comparable ; je crois qu'il y a là exagération : les poses
sont heureuses, mais pour la pureté, Belloc, dont il est l'é-
lève, l'égale s'il ne le surpasse.
Pour résumer cette revue photographique, féhcitons-nous
de la voie de progrès dans laquelle elle est entrée et des ser-
vices qu'elle peut rendre à l'art et à la science, comme les
belles épreuves de M. Bertsch et Arnaud, et Rousseau nous le
prouvent. Ses ennemis disent qu'elle n'est pas durable, c'est
une question que le temps peut seul résoudre ; cependant nous
avons vu des épreuves sur papier de M. Legray, qui sontfailes
depuis plusieurs années et qui n'ont pas changé.
Gravure photographique. — Dans l'un des coins les plus
obscurs de l'Annexe, dans la galerie nord et en face du clo-
cher qui domine les horloges de M. J. Wagner neveu, se
trouve relégué un modeste atelier dont les productions mar-
quent le point de départ d'une ère nouvelle dans l'art typo-
graphique. Il s'agit de la reproduction facile, et surtout fidèle,
de toute espèce de dessins au crayon , d'épreuves typogra-
phiques, lithographiques, ou en taille-douce, etc., etc., au
moyen de l'ingénieux procédé imaginé par MM. Salmon et
Garnier, de Chartres.
Ce procédé repose sur un principe découvert en 1846 par
M. Niepce de Saint-Victor, qui a constaté le premier que si
768 VISITE
on soumet à la vapeur d'iode un dessin ou une épreuve im-
primée , les traits du dessin se chargeaient plus vite d'iode
que le blanc du papier, et qu'on peut ainsi en obtenir, par la
pression, un décalque soit sur papier encollé à l'amidon, soit
sur une plaque de métal.
Procédant comme l'avait indiqué M. Niepce, MM. Salmon
et Garnier prient les visiteurs d'exécuter,;sur une feuille de
papier, un dessin au crayon ; ils exposent ce dessin à la vapeur
de l'iode, puis l'appliquent sur une plaque de cuivre jaune
poli, et soumettent le tout à l'action d'une petite presse à co-
pier. L'iode, qui s'était fixé sur les traits du dessin , se dé-
calque sur la plaque de cuivre. Prenant alors un peu de mer-
cure sur un tampon de ouate, on en frotte la plaque et le
dessin y apparaît, le mercure se portant sur tous les endroits
touchés par l'iode, et respectant au contraire ceux que cette
substance a laissés intacts. Pour isoler ce dessin du reste de
la plaque, il suffit de passer par-dessus un rouleau de litho-
graphe chargé d'encre grasse qui , ne se déposant que sur
les endroits exempts de mercure, rend le dessin beaucoup plus
visible, et se détachant en blanc sur un fond noir. On se dé-
barrasse alors du mercure au moyen d'une dissolution de ni-
trate d'argent avec excès d'acide, et le métal de la planche se
trouve à nu et même légèrement creusé.
Si l'on veut obtenir une planche en taille-douce , on conti-
nue à la faire mordre à la manière et avec les acides ordi-
naires. Si on veut tirer la planche dans les conditions de
l'impression lithographique, on détermine sur le dessin, par
les procédés connus de l'électrotypie , un léger dépôt de fer
réduit de son chlorhydrate, puis on enlève, au moyen de l'es-
sence de térébenthine, l'encre grasse qui recouvre le fond de
la planche.
On passe de nouveau la planche tout entière à la vapeur
d'iode, et on la frotte de mercure qui s'étale alors sur toute
la surface, moins les traits du dessin, ce qui constitue la
planche dans une condition exactement inverse de son état
précédent.
Dans le premier cas , les traits du dessin , chargés de mer-
cure, ne prenaient pas l'encre du rouleau typographique qui
la déposait exclusivement sur le reste de la planche. Dans son
nouvel état l'encre va se déposer exclusivement sur les traits
A L'EXPOSITIOIN UMVEK8ELLE. 769
du dessin el permettre le tirage d'un nombre indétini d'é-
preuves.
Telle est la série des opérations qui s'exécutent , avec un
succès très-remarquable, devant les visiteurs émerveillés.
Il nous reste à indiquer un résultat non moins important,
dont les conditions exigent trop de temps pour en rendre le
public témoin, mais que nous avons vu réalisé avec beaucoup
d'intérêt. Nous voulons parler de la gravure en relief de ces
mêmes planches , destinées alors à l'impression typogra-
phique.
Au lieu d'un dépôt de fer électrique, on produit sur les traits
du dessin un léger dépôt d'or qui, préservant ces mêmes traits
de l'action des acides, permet la morsure du reste de la plan-
che à la profondeur qu'exige le tirage typographique.
Les divers résultats dont nous venons d'entretenir nos lec-
teurs ont déjà atteint un assez haut degré de perfection pour
que nous croyions pouvoir considérer l'invention de MM. Sal-
mon et Garnier comme un des progrès les plus importants
que l'art typographique ait faits dans les temps modernes.
Les chefs-d'œuvre de la typographie moderne ne sauraient
être examinés sans tenir compte des améliorations successives
qui ont été signalées ailleurs dans la construction des appareils
mécaniques et dans la fonderie en caractères. Nous dirons seu-
lement que la plupart des améliorations importantes se re-
trouvent dans les deux expositions des imprimeries impériales
devienne et de Paris. Dans nos considérations générales sur
l'exposition autrichienne , nous avons pris soin d'indiquer la
louable activité avec laquelle le premier de ces établissements
se tient à la tête de tous les progrès; celui de la France, pour
n'être pas aussi avide de nouveautés, n'offre pas un caractère
moins imposant : Y Imitation de Jésus-Christ , traduite par
notre immortel Corneille , est assurément la plus belle œuvre
qui se soit jamais faite en typographie.
Quant à l'industrie privée , ses tendances sont surtout diri-
gées vers la production rapide et à grand tirage. Toutes les
fois que cette rapidité d'exécution ne nuit pas aux qualités
essentielles du livre, elle mérite à tous égards les éloges et les
plus chauds encouragements.
On ne pourrait citer une réalisation plus remarquable de
ces tendances que le Journal pour tous^ que publie depuis queU
206 yy
770 VISITE
ques mois M. Lahure, et dont chacun des numéros, qui ne
saurait être mieux comparé qu'à ceux de V Illustration , s'é-
coule déjà à plus de cent mille exemplaires, au prix incroyable
de dix centimes.
Dessins industriels.
Il nous faut quitter le bâtiment principal , nous diriger vers
le Panorama, et prendre à droite, du côté des meubles : une
inscription au-dessus de deux beaux pastels nous frappera
les yeux, c'est l'entrée de la galerie des dessins industriels.
Cette année, contrairement aux autres expositions de l'In-
dustrie, on a réuni les dessins de fabrique, qui étaient dissé-
minés autrefois à droite et à gauche; de cette façon, on peut
mieux les comparer entre eux et juger de leur mérite; mais,
disons-le de suite, avec le goût des arts qui règne dans toutes
les branches de l'industrie depuis quelques années, on était
en droit d'attendre une exposition plus complète et plus re-
marquable. Il y a lieu de croire que beaucoup de nos dessi-
nateurs, rebutés par l'espèce de défaveur que cet éparpille-
ment de leurs produits semblait indiquer, se sont découragés
et n'ont pas voulu entrer en hce, ou que la plupart se sont
contentés de voir leurs dessins reproduits par d'habiles fabri-
cants. C'est cependant à l'utile concours de nos artistes que
nous devons le bon goût remarqué dans la plupart de nos
étoffes et de nos meubles, et qui donne cette année une supré-
matie remarquable à la France. Parmi nos dessinateurs je
nommerai M. Braun le premier, parce que son exposition se
rattache plutôt à la photographie dont nous avons parlé
qu'aux dessins de fabrique proprement dits. Rien n'est plus
beau et m.ieux réussi que son album photographique exécuté
d'après des bouquets de fleurs naturelles, destiné comme
renseignement à nos dessinateurs : seulem.ent son prix élevé
l'empêchera peut-être de remplir le but que son auteur se
propose. Une récompense éclatante doit le payer de ses efforts.
Son frère expose aussi de beaux dessins de fabrique.
M. Couder est un vétéran de nos Expositions, qui a reçu
déjà toutes les récompenses ; la place qu'il occupe est grande
et ne renferme , en dessins nouveaux, que deux manteaux de
cour exécutés par la Compagnie lyonnaise, un châle à per-
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 771
sonnages exécuté par M. Deneyrousse et Cie et une nappe
damassée pour le service de l'Empereur, exécutée par
M. Casse. Les autres sont fort anciens, et, somme toute,
nous trouvons son exposition cette année au-dessous de sa
réputation. Ace propos, qu'on nous permette une petite
digression : parmi nos dessinateurs, il est une circonstance
que le public ignore, c'est qu'il y a l'artiste véritablement
créateur et exécutant lui-même ses idées, et l'exploitant, si
je puis me servir de cette expression, qui a un atelier à lui
où se trouvent des jeunes gens de talent, et dont tout le mé-
rite , s'il y en a , est accaparé par le maître. Je vais donc
m'occuperde suite de ceux que j'appelle créateurs. M. Lemaire
d'abord , qui a exécuté quatre pasiels charmants pour papier
peint , et qui se trouve dans la galerie des meubles à l'entrée
de la galerie des dessins; M. Henry, qui a exposé également
un grand pastel pour portière, d'une exécution tout à fait re-
marquable et qui aurait figuré avec grand honneur aux Beaux-
Arts; M. Grandbarbe, qui n'a mis que deux esquisses pour
portières, mais qui sont traitées avec une rare facilité;
M. Dussauce, qui a des panneaux peints à 1 huile, qu'il a
dessinés ensuite pour nos fabricants de papiers peints ;
M. Riester, l'un des plus habiles dessinateurs ornemanistes,
et dont les dessins se trouvent reproduits en nature dans
plusieurs parties de l'Exposition; MM. Berrus frères, qui ont
fourni le dessin d'un chàle destiné à Sa Majesté l'Impératrice ,
ainsi que plusieurs autres, qui, tout en étant des réduc-
tions, sont autant de petits chefs-d'œuvre d'exécution;
M. Vichy, qui a de très-beaux dessins de châles exécutés
par MM. Gaussen, Gosselin, Gérard et Cantigny. Ollion a de
beaux châles aussi; M. Mathieu a de curieux dessins de châles
applicables à la fabrication par un procédé qui lui appartient
M. Meynier a un très-grand dessin de châle, mais qui a un dé-
faut,celui d'étrecouvert de personnages, genre d'ornementation
qui me semble déplacé dans un châle; M. Hartweck, quia un
châle imprimé, se trouve dans le même cas pour le modèle
carré qu'il expose; son dessin de châle long est plus heureux,
M. Délaye et M. Longepied exposent deux systèmes à peu près
identiques, consistant en planches composées de caractères
typographiques pour imprimer les dessins sur toutes les espè-
ces de tisssus. M. Guichard, dont je parie le dernier, non pas
772 VISITE
par ordre de mérite, mais parce que je désire hxer l'attention
du lecteur sur une invention qui lui est due, et appelée à une
grande applicatidn, la substitution de la laine de bois à la
laine animale dans les papiers peints, avec une économie de
23 pour /l 00, a une exposition fort remarquable; nous y
trouvons entre autres choses, le dessin d'un rideau placé
dans le boudoir de l'Impératrice, au palais , ainsi qu'un
projet de plafond pour le même endroit, mais que le peu de
temps laissé à l'artiste a empêché d'exécuter. M.Guichard est
également l'auteur des peintures remarquables du beau piano
d'Érard, qui se trouve dans la grande nef à côté de la glace de
Saint-Gobain. Parmi nos dessinateurs de dentelles, ceux dont
les dessins sont les plus remarquables sont MM. Tamelier et
Jehan : leur robe en point d'Alençon fait illusion : elle a été
choisie au concours par Sa Majesté Fliripératrice; après eux,
M. Lourdereau, Scherrer de Nancy, et Madeleine.
Parmi nos ornemanistes, M. Walcher tient une très-belle
place; M. Brandely, pour ses dessins de placage, et surtout ses
dessins de meubles; puis M. Cavelier père;M. Chatagnon-Gin-
guand,d'Aubusson, a deux jolies esquisses de tapis. Parmi les
artistes qui exécutent eux-mêmes leurs pensées, nous avons
omis MM. Adam etGourdet : le premier expose de charmantes
esquisses à l'huile de tapis et de portière; l'une d'elles, exécu-
tée par Aubusson, se trouve dans la rotonde du Panorama ; le
second nous offre une grande peinture à l'huile pour panneaux
d'appartement, qui se trouve placée dans l'escalier qtii relie le
Panorama à l'Annexe. Somme toute, si cette année la réunion
des dessinateurs industriels est peu nombreuse, on peut néan-
moins louer sans restriction cinq ou six artistes hors ligne, et
l'exposition entière pourrait répondre pour les autres, si les
exposants avaient la conscience de mettre sur leurs produits
le nom de l'artiste qui en a fourni le dessin : ce ne serait que
justice. Il nous semble qu'il y a là une lacune dans le règle-
ment de l'Exposition,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 771^»
CLASSE XXVII.
Instruments de Musique.
Si nous ne tenons compte que des indications du Cata-
logue, très-peu complet d'ailleurs, sur la vingt-septième
classe, nous trouvons que la fabrication des instruments de
musique en tous genres est représentée, à l'Exposition uni-
verselle, par 472 exposants, dont 325 Français, ou habitant
la France, et 147 étrangers; 52 seulement nous viennent des
départements, ce qui donne, pour Paris et la petite banlieue,
le chiffre de 273. Les pianos seuls comptent 261 exposants,
dont 52 étrangers. Dans les 209 exposants français, Paris en
compte 184 et les départements 25; ce qui, en n'évaluant la
moyenne de ces instruments qu'à un piano et demi par ex-
posant, forme, pour la France seulement, un tolal de plus de
300 pianos qui, dans leur lutte incessante, ont pour champ
de bataille plus d'un quart de la galerie circulaire contour-
nant le Panorama.
Dans la classification adoptée par le Catalegue, la première
section comprend les instruments à vent non métalliques.
Ceux-ci sont muets dans leurs vitrines, et ne prennent aucune
part au bruyant charivari du rez-de-chaussée; et la hauteur
à laquelle ils sont placés, jointe à l'exiguïté de leur dimen-
sion, ne permet guère de porter un jugement sur leur mérite
respectif. Mais les noms bien connus de Tulou, de Trie-
bert, de Godefroy aîné, de Martin, etc., etc., sont là pour
témoigner de la bonne qualité des instruments exposés par
eux.
Nous rencontrons, en Bavière, le nom devenu fameux de
M. Bohm, qui expose, entre autres, une flûte d'argent du
système qui porte son nom.
Indépendamment des prétentions du malheureux Gordon,
mort du chagrin de se voir enlever la gloire d'un perfection-
nement qui donne à la flûte des sons plus justes, plus purs
et plus intenses, nous dirons, avec le jury de 1849, qu'a-
774 • VISITE
vant M. Bohm , M. Cœur, amateur distingué de Paris , avait ,
dans ce même but, agrandi les trous de cet instrument.
L'épaisseur des parois, dans les instruments en bois,
donne aux trous qui les traversent une capacité notable , qui
modifie la qualité des sons produits. M. Sax, persuadé avec
raison qu'une parfaite continuité de la paroi intérieure ajoute-
rait aux bonnes qualités de ces instruments, amincit, sur
chaque trou, l'extérieur de la paroi jusqu'à ce que les bords
du trou présentent un angle très-aigu ; puis, sur ce trou, il
place une plaque de métal , articulée comme une clef et
maintenue soulevée par un ressort. Lorsque le doigt appuie
sur cette plaque, elle bouche le trou de manière à continuer
exactement la paroi intérieure.
La deuxième section comprend les instruments à vent
métalliques.
Bien que muets comme ceux de la première section et
placés aussi haut, leurs dimensions permettent cependant un
certain genre d'appréciation, celle des formes extérieures,
dont les luttes judiciaires que soutient M. Sax, depuis 1846,
ont démontré l'importance unanimement admise aujour-
d'hui par ceux-là même qui la niaient avec le plus d'opi-
niâtreté; car, français comme étrangers, tous les instru-
ments de celte catégorie qui figurent à l'Exposition révèlent
plus ou moins, mais toujours à un degré remarquable, la
pensée fondamentale qui a présidé à la révolution opérée par
M. Sax dans les orchestres militaires.
Avant lui , le caprice seul du facteur déterminait la forme
et la direction des nombreux replis que présentent les instru-
ments de cuivre. Les courbes les plus heurtées, les plis les
plus aigus, les directions les plus brusquement contraires
opposaient, à la marche de la colonne d'air, une multitude
d'angles contre lesquels elle venait se heurter, et qui, par
leur rigidité, opposaient les plus grands obstacles à la mise
en vibration du métal de l'instrument.
C'est tout le contraire dans les instruments de M, Sax et
dans l'immense majorité de ceux qui figurent à l'Exposition.
Partout les courbes sont arrondies et ont le plus grand
rayon compatible avec la place qu'elles occupent, de manière
à donner à l'écoulement de l'air, ainsi qu'aux vibrations du
métal , la plus grande liberté possible.
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 775
Il y a plus, tous ces instruments semblent sortis d'un
môme atelier, tant ils ont de ressemblance entre eux. On
croirait en vérité qu'un même patron leur a servi de mo-
dèle, du moins quant aux conditions extérieures; car il
faudrait les voir de plus près, afin de comparer leurs dimen-
sions transversales, et surtout les entendre pour s'assurer
que l'imitation a été poussée jusqu'au bout, et qu'ils pos-
sèdent toutes les qualités qu'on rencontre, à un degré si
éminent, dans les instruments de M. Sax,
Dans les 37 exposants de cette catégorie, M appartiennent
à la France et 16 nous viennent de l'Autriche. On nous a
signalé comme particulièrement remarquables les instruments
de M. Czerveny de Kœniggraetz (Bohême), puis ceux de
MM. Bauer, Rott, Schamal et Stohr, tous quatre de Prague;
on nous a également désigné comme excellents ceux de
^1. Stovasser, de Vienne.
La troisième section comprend les instruments à vent à
davier, à la tête desquels se place tout naturellement l'orgue,
qui, à l'Exposition, abuse de son titre de roi des instruments
pour y faire trop fréquemment un vacarme épouvantable; la
plupart des exécutants paraissent plus désireux de déployer
toute la puissance de l'instrument, que d'en faire apprécier
les qualités mélodiques.
Nous sommes loin d'être complètement renseignés sur les
conditions nouvelles que peuvent comporter les divers in-
struments de ce genre qui figurent à l'Exposition, l'exposant
faisant presque toujours défaut au visiteur curieux de nou-
veautés. Signalons toutefois ce que nous avons pu apprendre.
Bien que M. Cavaillé-Coll ne soit représenté à l'Exposition
que par un très-petit orgue placé dans la nef, nous n'hésitons
pas à le mettre en première ligne, parce que depuis longtemps
il a fait ses preuves , et que les visiteurs de l'Exposition
peuvent, sans trop de dérangement, aller entendre les ma-
gnifiques orgues de la Madeleine et de Saint-Denis.
Obligés de nous restreindre dans nos appréciations, nous
choisirons, parmi les nombreux perfectionnements que l'orgue
doit à M. Gavaillé-Coll, l'emploi judicieux qu'il a fait des
tuyaux harmoniques, pour suppléer ce que les autres or-
gues ont de maigre et de criard dans les sons élevés.
On sait qu'ordinairement les dimensions des tuvaux d'un
77« VISITE
même jeu décroissent rapidement de volume; que si, par
exemple , on prend, comme unité de volume, le tuyau qui
donne le son le plus grave du jeu, le tuyau, à l'octave
immédiatement supérieure, n'aura que le 8' du volume du
premier; celui de la troisième octave, seulement le 64*;
celui de la quatrième octave, seulement le 515*; et qu'enfin
celui de la cinquième octave sera 4096 fois plus petit. Or,
l'intensité du son d'un tuyau étant proportionnelle au volume
de l'air qui le produit, l'on ne s'étonnera pas, en voyant les
nombres ci-dessus, de la faiblesse et de la maigreur des sons
élevés de l'orgue, comparativement aux basses.
En employant les sons harmoniques de gros tuyaux pour
les notes aiguës du clavier, c'est-à-dire en obligeant la
colonne d'air qu'ils contiennent à se partager en un nombre
de parties vibrantes en rapport avec le son à produire,
M. Cavaillé-Coll donne à celui-ci d'autant plus de rondeur,
d'autant plus de puissance, que le volume total de la colonne
d'air est plus considérable.
A l'occasion de l'orgue de M. Ducroquet, nous indiquerons,
comme un perfectionnement important, le levier pneuma-
tique de M. Barker, qui a pour but et pour résultat de laisser
au clavier toute la mobilité désirable, quel que soit le
nombre de jeux mis en action et celui des claviers accouplés.
Ce mécanisme se compose d'autant de petits soufflets qu'il y
a de touches au clavier. Chaque touche n'a d'autre fonction
que celle d'ouvrir une petite soupape communiquant à un
soufflet qui se remplit immédiatement d'air suffisamment
comprimé pour que le mouvement de la paroi mobile déter-
mine l'ouverture de toutes les soupapes mises en rapport
avec lui par les divers mécanismes d'accouplement, en sur-
montant toutes les résistances, si nombreuses qu'elles soient,
des tirages et des leviers de renvoi.
L'orgue dit à piston, de MM. Claude frères, de Mirecourt ,
présente un dispositif qui a le même but, en y joignant la
suppression des soupapes, des registres, des pilotis tournants,
des tirasses, des conduits ou gravures, etc., etc. Nous nous
sommes assuré que le clavier est effectivement très-léger au
toucher, et que chaque tuyau reçoit directement le vent au
moyen d'un piston qui s'adapte à sa base.
M. de Lorenzi , de Vicence, a donné à son orgue le nom de
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 777
fonocromîque (sons coloriés), pour ne pas le confondre, dit
le prospectus, avec les orgues dites expressives, à anches
libres; chez ces dernières, en effet, l'expression est produite
par la pression plus ou moins grande qu'on peut à volonté
donner au vent, mais qui s'étend simultanément à toutes les
touches du clavier.
Dans l'orgue fonocromique on colorie les sons par l'abais-
sement plus ou moins grand de chaque touche isolément ou
du clavier tout entier, ce qui permet d'obtenir en mêm,e temps
des sons de nuances diverses.
Nous nous rappelons avoir vu, à l'Exposition de 1844, un
petit orgue dans lequel un mécanisme, de l'invention de
Sébastien Érard, produisait l'expression par le même moyen.
Nos renseignements sur les orgues d'église s'arrêtent ici.
Passons aux orgues d'appartement, qui se pressent en foule
à l'Exposition.
Dans le plus grand nombre, V anche libre est l'organe
unique du son. L'anche libre diffère des autres anches en ce
que celles-ci , formées d'une languette métallique ou en
roseau, battent contre les bords du bec en métal ou en bois
sur lequel on les applique, d'où leur vient le nom d'anches
battantes, tandis que l'auche libre oscille librement dans
une ouverture de même dimension , qu'elle ouvre et qu'elle
ferme périodiquement sous l'action du vent. Le son qu'elle
produit est beaucoup plus doux que celui des premières,
appliquées aux clarinettes, aux jeux de trompettes dans les
orgues , etc.
On la dit d'invention chinoise. Nous avons vu effective-
ment des espèces de flûtes venant de cette contrée, et qui
comportent un certain nombre de ces organes.
Sa première application sérieuse, en Europe, remonte à
4810, époque à laquelle Grenié en fit l'organe sonore d'un in-
strument qu'il désigna sous le nom d'orgue expressif, parce
qu'en effet on peut faire varier l'intensité des sons, donner de
Vexpression à son jeu en comprimant plus ou moins l'air qui
agit sur les anches , au moyen d'une pression plus ou moins
forte exercée par les pieds sur les pédales motrices des soufflets.
Cet instrument eut toutefois peu de succès à cause de la
monotonie de son timbre , et surtout de la lenteur avec la-
quelle le son s'y produit.
778 VISITE
Un homme se trouva qui reprit l'œuvre délaissée de Grenié
pour en faire , sous un volume réduit au quart , un instru-
ment d'une grande puissance de son , et surtout d'une très-
grande variété de timbres imitant , souvent à s'y méprendre,
les divers instruments d'un orchestre complet. Cet homme est
M. Debain.
Au lieu d'un seul jeu d'anches libres, Y harmonium de
M. Debain en a quatre. Dans chacun d'eux les anches recou-
vrent l'ouverture d'une cavité de forme et de grandeur diffé-
rentes de celles des autres jeux , d'où résultent quatre espè-
ces de timbres très-distincts ; ce qui donne une très-grande
variété aux effets de l'instrument. En plaçant les anches dans
le vent, c'est-à-dire dans le sommier même où elles sont tou-
jours sous l'action directe de l'air comprimé parles soufflets,
il a rendu leur mise en vibration instantanée, et permis l'exé-
cution de morceaux aussi rapides que pour le piano.
Le succès ne se fit pas attendre , mais avec son cortège
obligé , la contrefaçon , et les procès qu'elle entraîne à sa
suite.
Les procès gagnés , M. Debain transigea avec quelques fac-
teurs , en se réservant expressément le nom (.['harmonium
pour ses propres instruments, dont l'excellente exécution lui
a conservé, jusqu'à présent, une supériorité marquée sur tous
ses concurrents.
Le mélodium de M. Alexandre n'est pas autre chose que
l'harmonium de M. Debain , dont il diffère, dans certains cas,
j'-ar l'application d'un mécanisme qu'il a acquis de M. Martin,
rie Provins, et qui détermine les vibrations de l'anche par un
coup de marteau qui détache mieux la note dont le son est
continué par l'air de la soufflerie. Ajoutons que, bien anté-
rieurement à IVL Martin , celte condition avait été appliquée
par M. Pape.
Tout récemment, M. Debain a complété son instrument
primitif par l'addition , pour chaque touche , d'une corde de
piano à l'unisson des anches , ce qui donne à Vharmônicorde^
indépendamment des propriétés résultant du système Martin,
([ui, isolé, n'est pas jouable, les qualités de deux instruments
qu'on peut faire entendre simultanément ou isolément.
M. Alexandre expose également un instrument d'un genre
mixte , mais qui restera probablement exceptionnel , attendu
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 779
son prix élevé, et peut-être les études qu'il exigerait de la
part des artistes, qui ne paraissent pas très-empressés d'en
jouer à l'Exposition, où jusqu'à présent, pour nous du moins,
il est resté complément muet.
Nous sommes toutefois en mesure d'indiquer de quoi
il se compose , d'après une note que nous tenons de
M. Alexandre.
V instrument Liszt (c'est le nom qu'on lui a donné) a trois
claviers.
Le premier est celui d'un piano d'Érard auquel on a ajouté
un système de prolongation (système que nous expliquerons
plus loin en parlant des pianos) ; plus , un jeu de voix hu-
maine.
Le second clavier comporte les sons de la flûte, de la clari-
nette , du hautbois et de la musette; et le troisième , ceux de
deuxième flûte, du baryton, du violoncelle et du hautbois.
Deux pédales fournissent le vent dans ces instruments, et
la division des soufflets permet d'avoir des crescendo sur un
clavier pendant qu'on obtient des diminuendo sur un autre.
Au moyen des pédales, on peut faire tenir l'harmonie sur
un clavier pendant qu'on exécute des dessins mélodiques sur
le piano, ou des variations sur la flûte, etc., etc.
Dans ces sortes d'instruments , la position des anches est
horizontale; M. Boudsocq préfère leur donner une position
verticale. En entendant un de ses instruments , nous avons
reconnu que cette dernière position donnait effectivement
aux sons une qualité particulière qui les différencie des sons
produits par les anches horizontales. Nous croyons qu'on
peut tirer un très-heureux parti de la combinaison aux or-
ganes sonores.
Nous ne quitterons pas cette section sans dire un mot de
l'orgue mécanique à cylindres de M. Kelsen , qui se recom-
mande à la fois par sa belle exécution , la qualité des sons
qu'il fait entendre, et surtout par l'habileté qui a présidé à
la notation des six cylindres qu'il comporte.
Nos lecteurs comprendront notre éloge lorsque nous aurons
dit que M. Kelsen est élève de M. Davrainville, dont la
réputation , pour ce genre d'instruments , est plus qu'eu-
ropéenne. Ajoutons que l'orgue de M. Kelsen comporte un
clavier pour l'usage des artistes.
780 VISITE
Dans la quatrième section, se trouvent compris les instru-
ments à cordes sans clavier, notamment ceux dits à archet,
c'est-à-dire les violons, les basses, etc. Cette dernière espèce
d'instruments présente, au point de vue du progrès, une
singularité remarquable : tandis que les autres facteurs s'ef-
forcent à l'envi de produire du nouveau , et croient avoir fait
faire un grand pas à l'art par la création d'un timbre inconnu
avant eux, les bons luthiers n'ont qu'un but : approcher, au-
tant que possible, des qualités et surtout de l'apparence ex-
térieure de certains instruments tous sortis, ou à peu près ,
d'une même ville, Crémone, et des mains de quelques hommes
restés célèbres entre tous, sous les noms à' Amali, ûe Stradi-
varius, de Guarnerius, de Steiner, etc.
La plupart des instruments que nous ont laissés ces grands
maîtres sont, il faut le reconnaître, doués d'admirables qua-
lités qui expliquent jusqu'à un certain point le culte que leur
rendent les artistes. Cette expression n'est point exagérée ;
car, pour eux, le son n'est qu'une condition bien secondaire,
et tel amateur n'hésitera pas à donner 10 000 francs, et sou-
vent beaucoup plus, d'un violon ou d'une basse entièrement
décollée, mais dont les morceaux seront irrécusablement de
l'un des auteurs cités, ce qu'on reconnaît d'abord aux formes
générales de l'instrument, puis à certaines coupes du bois ,
mais surtout au vernis qui les recouvre. L'authenticité du
vernis double ou triple la valeur d'un instrument quelquefois
très-médiocre; et nous avons vu vingt amateurs en extase
devant une tache plus ou moins rouge , prouvant que la main
de Stradivarius ou d'Amati avait passé par là.
Cette monomanie inspira à M. Vuillaume la pensée de satis-
faire à la fois aux conditions réclamées par l'art proprement
dit, et à celles que le caprice des artistes a érigées en lois.
A force de travail il est parvenu à résoudre le problème
difficile d'exécuter des instruments qui ont les qualités de son
qu'on recherche dans les instruments de Crémone, mais qui,
encore, soit pour la forme générale, soit pour les détails d'exé-
cution , soit pour les traces de vétusté, soit surtout pour le
vernis, sont des imitations tellement fidèles, que l'oeil et To-
reille des plus habiles y sont toujours trompés.
En donnant pour 300 fr. l'imitation d'un violon de 8 à
1 0 000 fr., et pour 600 fr. celle d'une basse qui , comme celle
A L*EXP0S1T10N UNIVERSELLE. 78i
de Duport , a été payée 22 000 fr., M. Vuillaume a rendu un
véritable service aux jeunes artistes qui , outre l'avantage de
posséder un excellent instrument, trouvent, dans cette inof-
fensive supercherie, l'innocente satisfaction de leur vanité.
Ajoutons toutefois que la fabrication de M. Vuillaume com-
porte, à des prix beaucoup plus abordables encore, des instru-
ments qui , comme qualités de son , ne le cèdent en rien à
ceux dont nous venons de parler, mais auxquels il laisse toutes
les apparences d'instruments neufs. Une estampille, représen-
tant la sainte Cécile du Dominicain, distingue ces instruments
de ceux de ses concurrents.
Dans le trophée musical de la nef figure, sous le nom d'oc/o-
basse , un énorme instrument qui est aussi de M. Vuillaume.
Le succès des deux frères aînés de ce géant musical prouverait
seul que M. Vuillaume sait aussi créer pour son compte, si
nous n'avions à indiquer aux artistes des chevalets qui, œuvre
commune du colonel Savart et de M. Vuillaume , ont très-
réellement le mérite remarquable d'améliorer les qualités
d'un instrument.
C'est de visu et surtout de auditu que nous avons parlé de
M. Vuillaume ; c'est par la vue seule que nous avons pu appré-
cier les produits de ses concurrents.
Disons d'abord que la lutherie française est en général en
voie de progrès sérieux ; que , dans toutes les vitrines , appa-
raissent des instruments évidemments supérieurs à ceux
qu'offraient les expositions précédentes.
Parmi les luthiers parisiens dont la réputation justement
acquise depuis longues années nous est un sûr garant que la
bonté de leurs produits égale leurs belles apparences, nous
désignerons M. Bernardel , puis MM. Gand frères qui , bien
qu'exposants pour la première fois, ont depuis longtemps fait
leurs preuves; M. Jacquot , dont les instruments sont d'une
belle facture et d'un bois magnifique ; M. Chanot, et M. Mau-
cotel.
M. Rambeaux présentait, aux deux dernières Expositions,
des instruments dont la table était exécutée d'une manière
particulière , c'est-à-dire façonnée d'abord en portions de cy-
lindre, puis amenée à la forme voulue au moyen de la chaleur
et de la pression, d'où il résultait que le fil du bois n'était pas
tranché comme dans les instruments ordinaires. Au rapport
78^ VISITE
du jury, ses instruments n'étaient pas sans mérite. Nous igno-
rons si ceux qu'expose aujourd'iiui M. Rambeaux sont exécu-
tés dans les mêmes conditions.
L'épaisseur qu'on donne ordinairement aux altos produit
une gêne pour l'artiste qui veut exécuter certaines difficultés.
M. Henry y a remédié en abaissant la table d'un alto sur un
des côtés seulement du manche , pour donner à l'artiste les
mêmes avantages que sur le violon. Espérons que ce résultat
est obtenu sans nuire aux qualités de son qu'on recherche
dans l'alto.
La fabrication si abondante de Mirecourt est très-bien re-
présentée par MM. Derazey, Gaillard-Lajoue et Grandjon ;
mais nous signalerons particulièrement les violons pour or-
chestre de M. N. Vuillaume, dont le timbre vigoureux justifie
complètement le nom de stentor qu'il leur a donné.
Sous le titre d'essai d'améliorations, M. Nicolas^ également
de Mirecourt, expose un instrument formé d'un violon et d'un
alto adossés. Cet essai avait déjà été tenté, sans résultat, par
Chanol, fondateur de la maison actuelle.
L'exposition de M. Sylvestre, de Lyon, est remarquable et
justifie en tout point l'excellente réputation dont il jouit.
Les imitations de M. Jeandel, de Rouen , n'offrent rien de
saillant; mais celles de M. Olry, d'Amiens, sont d'une invrai-
semblance absolue.
M. Lapaix, à Lille, est un chercheur infatigable qui, depuis
longtemps, fait subir au violon toutes les transformations ima-
ginables. Celles que nous avons pu constater dans son exposi-
tion consistent aujourd'hui dans la suppression des angles à
l'intérieur de l'instrument dont il arrondit les contours ; dans
l'emploi d'éclisses en bois de sapin dont le fil est perpendicu-
laire à la table ; dans des f dont le coin n'est pas détaché de
la table, et enfin dans une seconde âme placée entre la queue
et la table de l'instrument.
A l'étranger , cette catégorie d'instruments ne se révèle
guère que par des produits d'un travail très-ordinaire ; nous
ferons cependant une exception en faveur de M. N. F. Vuil-
laume, de Bruxelles , dont les instruments sont d'un beau et
bon travail. Nous indiquerons encore ceux de M. Rocca , de
Gênes.
En Toscane, on trouvera quelques instruments sur lesquels
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 783
nous [le pouvons donner d'autres renseignements (|ue les sui-
vants, copiés sur l'étiquette qui les accompagne : Épreuves de
Giovannetti Léonard , de Lucques , pour obtenir de suite , et
toujours avec succès^ de bons violons invariables, sans perte, à
cause de l'inaction.
L'archet est l'accessoire obligé des instruments dont nous
nous occupons, et un bon archet est d'une grande valeur pour
l'artiste. Nous n'apprendrons rien à nos lecteurs en disant que
ceux de M. Vuillaume sont dignes de ses instruments. Il en a
modifié la construction d'une manière très-heureuse en ren-
dant la hausse fixe , tout en permettant de tendre les crins à
volonté. Cette condition a pour but et pour résultat de main-
tenir le centre de gravité de l'archet au même point de sa
longueur, et de lui laisser des conditions constantes pour la
main de l'artiste.
Les archets de MM. Henry et Simon jouissent d'une réputa-
tion méritée.
Les cordes destinées aux mêmes instruments ont également
une très-grande importance pour les artistes. Grâce aux tra-
vaux de feu Savaresse , à l'exception des chanterelles , la
France, depuis longtemps, n'a plus rien à envier à Naples sous
ce rapport ; et il a, dans ses neveux, MM. Henri et Jules Sava-
resse , à Grenelle , et Gauvain , à Gaen , des successeurs qui
soutiennent très -honorablement sa réputation. Ajoutons
que l'infériorité de la France pour les chanterelles tient
uniquement à un fait d'octroi. Les bonnes chanterelles sont
fabriquées avec des intestins d'agneau d'un certain âge. A
partir de la Saint-Jean (24 juin), tout agneau français devient
légalement mouton et paye des droits en conséquence. De
sorte que les bouchers n'achètent alors que des moutons réel-
lement adultes, dont les inlestins ne sont plus propres à celte
fabrication qui ne manque à la France que parce qu'il a plu
au fisc de fixer la majorité des moutons quelques mois trop
tôt.
Terminons ce sujet en signalant encore les cordes filées de
M. Vuillaume , qui est parvenu à leur donner un poids égal
dans toute leur longueur, une cylindricitéparfaite, ainsi qu'une
flexibilité inconnue avant lui.
Le Catalogue range encore dans la quatrième section les
instruments à cordes pincées , c'est-à-dire la harpe , la gui-
784 VISITE
tare, etc. La première ne compte, croyons-nous, que deux
représentants à l'Exposition : M. Érard et M. Domény, qui
maintiennent toujours leur ancienne réputation. M. Domény
ajoute à la harpe un dispositif aussi utile qu'ingénieux , qui
permet de diminuer la tension de toutes les cordes lorsqu'on
ne joue pas de l'instrument. Cette condition les rend beau-
coup moins sujettes à casser.
La guitare est peut-être encore plus délaissée que la harpe.
Nous signalerons aux rares amateurs de cet instrument la
bonne fabrication de M. Théresse, àMirecourt.
Nous remarquons, dans l'exposition allemande, d'assez
nombreux spécimens d'un instrument à peu près inconnu en
France, mais qui est très-cultivé en Bavière et dans les mon-
tagnes du Tyrol et de la Styrie. On le désigne sous le nom de
zithern que le Catalogue traduit par luth. Il est aujourd'hui
surtout en faveur dans la haute société de ces deux nations ,
parce que le duc Max, de Bavière, père de l'impératrice d'Au-
triche, est un véritable virtuose sur cet instrument. Un cer-
ta''n nombre de cordes peuvent être divisées par des sillets ,
comme dans la guitare. Les autres, en plus grand nombre, se
jouent à vide.
La cinquième section , qui comprend les instruments à cor-
des et à clamer , ou plutôt exclusivement les pianos , rendrait
notre tâche bien ardue et presque impossible si nous avions
l'intention d'examiner ces instruments et les prétentions des
facteurs au point de vue de la qualité des sons qu'on en ob-
tient, parce que c'est ici une question de goût, et qu'en ce
genre les goûts sont aussi divers que sur la question des cou-
leurs. Si nous disons que rien n'est plus facile que de modifier,
à la volonté de l'acquéreur, la qualité des sons d'un instru-
ment auquel , comme meuble , il donnera la préférence , on
nous accordera qu'il est tout à fait inutile d'aborder ce sujet,
autrement que pour rendre justice au facteur distingué entre
tous, M. Pape , qui , en substituant le feutre aux peaux dont
les marteaux étaient garnis autrefois , a permis , avec la plus
rigoureuse égalité du clavier, de satisfaire à toutes les nuan-
ces de goût. Il suffît pour cela de faire varier plus ou moins la
densité du feutre employé, ou plutôt de le serrer plus ou moins
en le collant sur les marteaux. Ajoutons qu'à cet égard notre
examen serait encore sans but , les artistes actuels donnant
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 785
invariablement la préférence au piano qui fait le plus de
bruit.
Nous croyons plus utile, si nous considérons la valeur com-
merciale d'un piano , le prix souvent très-élevé qu'il atteint
comme meuble de luxe , de faire porter notre examen sur les
conditions de solidité, de durée que peuvent produire les divers
systèmes qui figurent à l'Exposition , sans négliger toutefois
les questions qui offriraient un caractère d'utilité relative pour
le possesseur de Tinstrument.
De nombreuses prétentions se manifestent sur la question
du contre-tirage dont plusieurs systèmes figurent à l'Exposi-
tion. Tous ont pour but, ainsi que leur nom l'indique, d'équi-
librer le tirage des cordes qui tend à faire gauchir l'instru-
ment, et à refouler sur elle-même la table d'harmonie.
Les premières tentatives faites pour s'opposer à ce refoule-
ment ont d'abord consisté dans l'emploi de barres de fer pla-
cées au-dessus du plan des cordes , au tirage desquelles elles
opposaient leur propre rigidité. La maison Érard réclame la
priorité de cette application et en fixe la date à l'année 4 822.
Mais, dès 1820, ces barrages avaient été appliqués en An-
gleterre par James Tom et W. Allen, dans des conditions
plus favorables, les cordes ne tirant plus sur les parois de la
caisse, mais sur des lames métalliques arc-boutées par les
premiers.
M. Pape , après diverses tentatives dont le principe avait la
plus grande analogie avec les conditions actuelles , retourna
complètement la question en rendant la table elle-même l'or-
gane du contre-tirage ; c'est-à-dire en produisant sa tension
au lieu de son refoulement , sous l'action énergique des cor-
des. Il obtient ce résultat en plaçant, entre le plan des cordes
et la table un châssis en fer s'arc-boutant en tous sens contre
les parois de la caisse, de manière que celles-ci, tirées en de-
dans par les cordes, tendent à s'écarter derrière le châssis;
mais, comme la table est collée, de ce côté, sur les bords de
ces mêmes parois, leur écartement détermine une tension de
la table, proportionnelle au tirage des cordes.
C'est par le refoulement de la table d'harmonie que se pro-
duisent les détériorations si rapides d'un piano. Dans les
pianos de M. Pape, non-seulement ce refoulement n'existe
pas, mais la tension constante de la table lui fait acquérir
206 ;iz
786 VISITE
à la longue une plus grande sonorité, en même temps qu'elle
permet de lui donner une plus grande épaisseur, d'où résulte
pour les sons plus de plénitude, de rondeur et de moelleux.
Avec les contre-tirages , la table conserve son ancienne po-
sition. Le châssis qui l'entoure est plus résistant et la table
en est plus indépendante. Les cordes tirant plus spécialement
sur les sommiers formant deux côtés de ce châssis, tendent à
les faire basculer, et on équilibre cette action au moyen d'un
tirage contraire qu'on opère sur eux de l'autre côté de la
table.
Nous avons déjà dit que des dispositions analogues avaient
été très-antérieurement employées par M. Pape , avant qu'il
songeât à produire la tension de la table.
Quoi qu'il en soit, dans le concours actuel, nous croyons
voir donner une préférence sérieuse au système de contre-
tirage de M. Domény, qui consiste à loger profondément,
dans les deux sommiers, les deux extrémités de larges bandes
de fer, dont le milieu s'appuie sur une forte traverse en bois
placée à mi-hauteur du piano. Des boulons à écrou , fixés
dans la charpente, permettent d'infléchir [ces lames entre la
traverse et les sommiers, de manière à équilibrer complète-
ment le tirage des cordes.
Nous signalerons comme très-simple, en même temps que
très-efficace, le dispositif imaginé par M. Barrache, et ap-
pliqué par la Société des facteurs de pianos sous le nom cVar-
chet-tirant, la résistance au tirage des cordes s'opérant dans
le sens du fil d'un certain nombie de pièces de bois d'épais-
seur suffisante, solidement fixées à l'arrière des sommiers.
M. Pol-Louis, de Nîmes, n'a pas de système de contre-
tirage, parce qu'il a voulu rendre sa table d'harmonie com-
plètement indépendante du tirage des cordes, en l'écartant
des deux sommiers, et qu'il la fait supporter, à la manière
des tables de violon, par des éclisses collées sur les deux
autres parois de l'instrument. M. Pol-Louis n'a peut-être pas
assez tenu compte du coudage des cordes sur le chevalet , et
de sa tendance au déplacement de la table , dans le sens du
décollement des éclisses.
La question de l'accordage n'est pas moins vivement dis-
cutée par de nombreux compétiteurs.
Le système qui, au point de vue théorique, semblerait de-
i
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 787
voir primer tous les autres , est celui de M. Del Sarte , parce
que son emploi n'exii^e, de la part de l'accordeur, que l'ap-
préciation des sons à l'unisson ou à l'octave.
Il se compose, en principe, d'une traverse fixée à demeure
sur l'instrument , et occupant, en face du plan des cordes,
l'étendue d'une octave ou de douze notes. Les douze notes
étant bien accordées , on règle la position de douze sillets
placés sous la traverse, de sorte que chacun d'eux, si on l'ap-
puie sur la corde à laquelle il correspond, la divise de ma-
nière à lui faire donner l'unisson de la corde la plus aiguë.
Supposons maintenant le piano désaccordé, même dans l'oc-
tave occupée par l'appareil , il suffira , pour mettre celle-ci
d'accord, d'abaisser la traverse , de mettre à l'unisson toutes
les cordes placées sous elle; et, la traverse relevée, d'accor-
der toutes les cordes de même nom à l'octave ou à la double
octave de celles qui ont été accordées au moyen de l'appa-
reil.
Le principal inconvénient de ce système ingénieux est la
place qu'il occupe dans l'instrument, et qui se concilie diffi-
cilement avec les dimensions de plus en plus restreintes qu'on
lui donne.
D'autres compétiteurs veulent que le piano une fois ac-
cordé, on n'ait pas besoin de recourir à l'accordeur pour
remettre au ton les cordes qui auront varié; et pour cela il
n'est nullement nécessaire qu'on ait l'oreille juste ni même
qu'on entende. Le sourd le plus sourd, pourvu qu'il voie
clair , accordera un piano muni du système spécial et qui
aura été une fois accordé. Ces prétentions sont réalisées par
MM. Laborde et Thomas , ce dernier appliquant seulement à
chaque corde les dispositions que M. Laborde applique simul-
tanément aux trois cordes d'une même touche.
Disons cependant qu'antérieurement le même but avait été
atteint au moyen de dispositions analogues , matérialisées
différemment d'abord par M. Pape en i837, puis par M. Le-
père, en 1839, aux pianos de la maison Relier et Blanchet.
Précédemment M. Pape avait employé, pour terminer rac-
cord approché par la cheville , une vis s'enfonçant dans le
sommier entre deux sillets, et dont la tête, appuyant sur la
corde, la faisait fléchir de la quantité nécessaire pour la
mettre au ton, en employant une force beaucoup moindre
788 VISITE
et surtout beaucoup plus gouvernable que celle qu'on applique
sur la cheville.
Dans son accordage à vue il remplaçait la vis par un pilote
dont la tête reposait aussi sur la corde, mais qui, traversant
le sommier , s'adaptait à un ressort dont l'extrémité coïnci-
cidait avec un repère quand la corde était au ton, et qu'elle
dépassait en avant ou en arrière quand elle n'y était pas.
Les dispositions de M. Lepère étaient beaucoup moins
simples et occupaient beaucoup de place.
Dans le système de M. Laborde, l'addition d'un levier
tendant la corde permet l'emploi de ressorts bien moins éner-
giques que celui des appareils de M. Pape et de M. Lepère.
Si ces dispositions ont incontestablement l'utilité de per-
mettre de se passer d'accordeur dans les localités éloignées
des grands centres de population, elles ont, en compensation,
l'inconvénient de ne pas donner à la corde la fixité nécessaire
à sa complète sonorité. Les ressorts qui la tendent cèdent né-
cessairement sous l'action des vibrations énergiques que le
marteau lui imprime , et altèrent ainsi la pureté du son
qu'on obtiendrait d'une corde absolument fixée.
Disons cependant, qu'à tout prendre, il vaut mieux avoir
un instrument moins sonore qu'un instrument désaccordé, et
que partout où l'artiste capable de remettre l'instrument au
ton pourra faire souvent défaut, l'amateur fera bien d'y
suppléer par un piano s'accordant à vue.
D'autres modes d'accordage, dans lesquels l'oreille reprend
sa prépondérance légitime , ont pour but de donner à la main
plus de sûreté dans son action, en diminuant l'effort considé-
rable qu'elle exerce sur les chevilles dans les conditions ordi-
naires.
Aucune de ces dispositions n'est nouvelle en principe; mais
plusieurs se distinguent par une heureuse modification des
conditions antérieurement employées. C'est ainsi, par exem-
ple , que M. Bachman a très-utilement appliqué aux chevil-
les de ses pianos la vis tangente employée à la tension des
cordes de contrebasse, et quelquefois de la guitare.
D'autres continuent à se servir des chevilles pour ai:]fpro-
cher l'accord/et le complètent, en déterminant, comme l'a fait
autrefois M. Pape, la flexion de la corde entre deux sillets.
M. Bord se sert pour cela d'une vis conique, placée contre
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 789
Ja corde qu'elle infléchit latéralement en proportion de son
enfoncement dans le sommier.
En 1 839, M. Pfeiffer, de Versailles, en 1 844, MM.Kriegelstein
et Plantade disposaient , sur le sommier, au-dessus du plan
des cordes, un série de petites potences traversées chacune
par une vis, dont l'extrémité s'appuyant sur la corde la fai-
sait fléchir dans les conditions plusieurs fois indiquées.
Plus récemment M. Pol-Louis, de Nîmes, a reproduit les
mêmes conditions, avec cette seule diff'érence qu'aux poten-
ces multiples il a substitué une barre unique, occupant
toute la longueur du piano, et traversée en face de chaque
corde par les vis de M. Pfeiff'er.
Par un de ces hasards fréquents en industrie, M. Debain
appliquait presque simultanément, à la corde unique de son
harmonicorde , un système d'accordage composé également
d'une barre métallique également traversée par des vis.
Mais remarquant, avec raison, entre autres inconvénients,
que le mouvement circulaire de la vis exerçait sur la corde
un frottement très-énergique qui pouvait eh altérer la soli-
dité , il coiff'a l'extrémité de cette vis d'une espèce de dé à
coudre, dans lequel elle peut tourner, et qui porte, à son
sommet extérieur, une fente où se loge la corde.
Il paraît que M. Pol-Louis constata aussi, mais plus tard,
les inconvénients de la vis simple. Aujourd'hui , comme
M. Debain , il la fait de deux parties , avec cette diff'érence
seulement, qu'au dé à coudre de M. Debain , il a substitué
une pièce pleine fendue à l'une de ses extrémités pour rece-
voir la corde, et prolongée par une queue cylindrique qu'il
loge dans un trou de même forme pratiqué dans l'axe do
la vis.
M. Pol-Louis fit grand bruit à cette occasion , et ne parut
pas comprendre que si sa barre était antérieure de quelques
jours à celle de M. Debain , il lui était de beaucoup posté-
rieur quant au principe au moyen duquel la corde est sous-
traite au frottement de la vis de pression.
M. Debain, reconnaissant la priorité de la barre de M. Pol-
Louis sur la sienne, se hâta de la supprimer dans ses instru-
ments, et y substitua un dispositif très-ingénieux, que nous
allons décrire. Quant à M. Pol-Louis, nous n'avons pas en-
core remarqué qu'il ait fait disparaître , de ses instruments,
790 VISITE
l'organe dont le principe appartient incontestablement à
M. Debain.
Le nouveau dispositif de M. Debain consiste, pour chaque
corde, en un arc de cercle métallique, dont les deux extré-
mités portent une vainure et reposent sur une portion de la
corde prise entre deux sillets. La corde est infléchie dans la
cavité de l'arc de cercle , au moyen d'un crochet dont la tige
filetée traverse le sommet de celui-ci , et reçoit extérieure-
ment un écrou au moyen duquel on tend plus ou moins la
corde pour la mettre au ton.
Les dispositions appliquées par M. Sax père, dans l'exécu-
tion de ses pianos, ont pour but de laisser à la table d'harmonie
une plus grande liberté dans ses vibrations, et par conséquent
d'augmenter sa sonorité.
Sous le nom de prolongement quelques pianos ont un dispo-
sitif qui, un accord étant frappé, continue à vibrer, sans
que la main soit obligée de maintenir abaissées les touches de
l'accord ; ce qui laisse la liberté d'exécuter d'autres notes ,
pendant la durée de l'accord. Cette idée appartient à M. Bois-
selot, de Marseille. D'un autre côté, on doit à M. Pape des
conditions mécaniques qui, rapprochant plus ou moins, à
volonté, tout le système des marteaux du plan des cordes,
permet d'affaiblir les sons autant qu'on le veut, quelle que
soit la vigueur avec laquelle les touches sont attaquées. Mais
cette condition s'applique forcément à la totalité du clavier ;
enfin, dans le système Boisselot, on ne peut produire un
second accord prolongé qu'à la condition de détruire le pro-
longement du premier.
Combiner les deux conditions, c'est-à-dire permettre à l'ar-
tiste de prolonger tel nombre d'accords successifs qu'il vou-
dra , et d'obtenir, sur telle portion du clavier qu'il désirera ,
tous les degrés de forte , en même temps que sur d'autres il
pourra exécuter toutes les nuances du piano au pianissimo ,
sans qu'une longue étude sur d'ennuyeux exercices soit la
condition indispensable du résultat à obtenir : tel est le pro-
blème difficile qu'ont abordé et très-heureusement résolu
MM. Lentz et Houdard dans un instrument auquel ils donnent
le nom de piano scandé.
Dans ce double but , ils disposent , au l)as de l'instrument,
deux séries de pédales dont l'une , s'abaissant sous le pied ,
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 701
agit à la manière ordinaire sur les étouffoirs qu'elle soulève ;
la pointe du pied repousse l'autre qui rapproche les marteaux
du plan des cordes. On donne le nom de contre-pédales à cel-
les-ci. Chaque pédale et la contre-pédale correspondante exer-
cent leur action sur un certain nombre de cordes, une octave
par exemple; et, comme le même pied peut facilement atta-
quer à la fois deux pédales ou contre-pédales, l'exécutant
peut produire instantanément le même effet sur quatre oc-
taves et même près de cinq , au moyen d'un organe spécial
qu'il pousse du doigt , ou bien diviser ses effets à volonté , de
manière à produire en même temps le forte sur une ou plu-
sieurs octaves, et le piano sur une on plusieurs autres.
Ces nuances si délicates, qui font la réputation d'un artiste,
sont souvent dans la tète d'un élève avant que de fastidieux
exercices les aient mises dans ses mains; et c'est, à notre
avis , un véritable service rendu à l'étude du piano, que d'en
avoir rendu plus abordables les ditlcultés dont une très-
longue pratique pouvait seule rendre maître.
M. Debain, dont nous avons plusieurs fois signalé les in-
génieuses inventions, est aussi l'auteur d'un piano dont on
peut jouer sans être musicien, c'est-à-dire au moyen d'une
manivelle, comme les orgues de Barbarie. Mais là, hâtons-
nous de le dire, s'arrête la ressemblance.
Outre le clavier ordinaire d'un très-bon piano, l'instrument
comporte un mécanisme qui, entraînant une série de plan-
chettes recouvertes de pointes convenablement disposées,
permet d'exécuter, avec toute la précision possible, avec les
nuances les plus variées et les plus délicates, la musique la
plus difficile, la plus chargée de notes.
Avec le piano mécanique , l'amateur le plus éloigné des
contrées fréquentées par les artistes peut se donner le plai-
sir d'entendre, très-bien exécutés, les morceaux exclusivement
réservés aux grands centres de population. Mais ce qui le
rend surtout précieux , c'est qu'avec lui un bal peut s'im-
proviser dans une réunion de famille ou d'intimes, sans mettre
à contribution la complaisance de la maîtresse ou de la fille
de la maison, qui peuvent ainsi prendre leur part de la fêle
et s'amuser avec leurs invités.
L'exécution de ces instruments est aujourd'hui une branche
importante de fabrication dans la maison Debain, qui en ex-
792 VISITE
pédie annuellement un nombre considérable ; et c'est par
centaines de kilomètres qu'elle compte annuellement ses li-
vraisons de musique piquées sur les planchettes décrites plus
haut.
Le magnifique piano mécanique, commandé pour S. M. l'Im-
pératrice, qui figure à l'exposition de M. Debain, prouve que
cet instrument a su lui conquérir les plus augustes suffrages.
Nous avons plusieurs fois signalé les inventions de M. Pape
à l'occasion de celles de ses confrères. L'espace nous man-
([uepour faire ici la nomenclature de celles qui ont marqué
la carrière si féconde de cet habile fabricant, et dont la plu-
part ont été un progrès sérieux dans la facture des pianos.
Nous nous bornerons à dire que son exposition actuelle se
compose en partie d'anciens instruments dont l'état de con-
servation prouve la bonté des méthodes appliquées à leur
construction, et d'un certain nombre d'instruments mixtes,
participant du piano et de l'orgue, où se retrouvent comme
toujours les dispositions les plus simples et les plus ingé-
nieuses.
Si nous citons, dans un piano de M. Mercier, une dispo-
sition qui a pour but de nuancer l'intensité des sons produits
au moyen d'un mécanisme analogue aux volets d'orgues,
dont on voit un spécimen dans l'orgue mécanique de M. Kel-
sen, nous aurons indiqué tout ce qu'il nous a été donné de
découvrir ou d'apprécier, en fait de nouveautés, dans la fac-
ture des pianos français à l'Exposition.
En nous bornant à indiquer les nouveautés que nous avons
pu découvrir dans l'Exposition française des pianos, nous
n'avons pas voulu signaler exclusivement aux visiteurs les
seuls facteurs dont nous avons mentionné les efïbrts. Parmi
les noms omis par nous, un grand nombre jouissent d'une
réputation justement méritée; et nous n'apprendrons pro-
bablement rien à nos lecteurs en leur disant qu'ils peuvent
toujours s'adresser avec confiance aux maisons qui portent
les noms si connus d'Érard, de Gaidon jeune, de Kriegels-
lein , de Montai , de Pape fils , de Pape neveu, de Pieyel, de
Soufflette, etc.
Si, de la France, nous passons à l'étranger, nous trouvons
cette branche importante de l'industrie très-peu représentée.
En Autriche, un seul piano, bien que le Catalogue indique
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE. 793
sept exposants. En Angleterre, les maisons les plus impor-
tantes, les Broadwood, les CoUarl, font défaut; mais on nous
a signalé, comme très-remarquable, un piano d'Hopkinson.
Comme prétention à la nouveauté, nous n'avons pu en dé-
couvrir qu'aux États-Unis , dans deux pianos carrés dits
diaphonies. Nous y remarquons des cordes croisées, antérieu-
rement appliquées par M. Pape, auquel on a encore emprunté
deux tables d'harmonie, dont la seconde porte des cordes
à l'unison des cordes directement frappées, ce qui augmente
considérablement le volume du son. Mais, ce que M, Pape ne
revendiquera certainement pas, c'est la substitution de la
peau au feutre pour garnir les marteaux.
FIN,
TABLE DES MATIERES.
Instruction historique Pages. 1
Description générale de l'Exposition 60
France , 66
Algérie 68
Colonies françaises 'S
Royaume-uni de la Grande-Bretagne 74
Possessions des Indes 9-i
Australie 96
Canada 98
Colonies anglaises 10!
Suède , Norvège et Danemark 103
Pays-Bas 107
Colonies néerlandaises 109
Royaume de Belgique 1 1 1
Villes hanséatiques 113
Royaume de Prusse 115
Grand-duché de Bade 123
Royaume de "Wurtemberg 125
Royaume de Saxe 127
Royaume de Bavière 129
Confédération suisse 130
Empire d'Autriche l'33
États sardes 142
Grand-duché de Toscane 147
États pontificaux 149
Royaume d'Espagne 151
Royaume de Portugal 155
Royaume de Grèce 158
Empire ottoman 160
Egypte 161
Tunis 163
796 TABLE \)Eb MATIÈRES.
États-Unis d'Amérique 163
Mexique , . . . . 167
États de l'Amérique du Sud 169
Examen comparatif des produits 171
Système de classification 172
1" CLASSE. Art des mines et métallurgie 173
— Exploitation des mines 174
— Extraction 176
— Aérage et éclairage des mines 180
— Préparation mécanique des combustibles 183
— Métallurgie du fer 185
— Moulage 188
— Fabrication du fer , . . 193
— • Marbres et ardoises 201
2e CLASSE. 4r< forestier, chasse, pêche, et récolte des pro-
duits obtenus sans culture 202
— Conservation des bois 214
3"^ CLASSE. Agriculture, y compris toutes les ^cultures de vé-
gétaux et d'animaux 217
— Cotons 223
— Laines 229
— Engrais 236
4« CLASSE. Mécanique générale appliquée à l'industrie. . . 240
— Moteurs hydrauliques 242
— Chaudières à vapeur 246
— Machines à vapeur 251
— Grues 270
— Pompes 272
— Ventilateurs et souffleries 276
5* CLASSE. Mécanique spéciale et matériel des chemins de
fer et des autres modes de transport 280
— Locomotives 284
— Wagons 302
— Carrosserie 303
— Sellerie 309
6' CLASSE. Mécanique spéciale et matériel des ateliers in-
dustriels 313
— Machines-outils 314
— Machines agricoles 314
TABLE DES MATIÈRES. 797
— Machines des industries chimiques et alimentaires 327
— Typographie et impressions 335
— Machines à sculpter 345
— Machines diverses 347
7« CLASSE, Mécanique spéciale et matériel des manufactures
de tissus 348
8* CLASSE. Arts de précision; iiidiisirie se rattachant aux
sciences et à renseignement 379
— Horlogerie 382
— Instruments de précision 402
9* CLASSE. Industrie concernant l'emploi économique de la
chaleur, de la lumière et de Vélectricité. . . . 4î5
— Combustibles 416
— Fabrication des bougies 420
— Chauffage et ventilation 424
— Emploi de la chaleur dans les arts 431
— Éclairage par les liquides 440
— Eclairage au gaz 444
— Phares 447
— Production et emploi de l'électricité 449
— Galvanoplastie 451
— Moteurs électriques 452
— Télégraphie électrique 454
ïO* CLASSE. Arts chimiques, teintures et impressions, indus-
tries des papiers, des peaux, du caoutchoiic, etc.
— Produits chimiques 465
— Cuirs et peaux 476
— Papiers 486
— Tabacs 492
— Caoutchouc 496
11* CLASSE. Préparation et conservation des substances ali-
mentaires 503
12* CLASSE. Hygiène^ pharmacie, médecine et chirurgie. . . 525
— Hygiène 525
— Instruments de chirurgie 540
13' CLASSE. Marine et art militaire 551
— Navigation 552
— Armes et projectiles 557
14* CLASSE. Constructions civile,^ 565
7^8 TABLE DES MATIÈRES.
— Matériaux 665
— Arts divers se rattachant à la construction .... 580
— Distribution d'eau et de gaz 592
— Travaux publics 595
\h^ CLASSE. Industrie des aciers bruts et ouvrés 603
— Aciers 60^
— Coutellerie 616
16^ CLASSE. Fabrication de métaux d'un travail ordinaire. , 619
— Fontes moulées 620
— Métaux divers 622
— Serrurerie 629
17^ CLASSE. Orfèvrerie, bijouterie, bronzes d'art 631
— Orfèvrerie et bijouterie 632
— Bronzes d'art 642
— Galvanoplastie 647
18* CLASSE. Industrie de la verrerie et de la céramique . . . 657
— , Céramique 658
— Verrerie et cristallerie 669
Classes 19 A 23. Manufactures de tissus 680
— Tissus de coton 682
— Tissus de lin et de chanvre 688
— Tissus de laine 693
— Châles 699
— Bonneterie 702
— Dentelles, tulles et blondes 707
— Soies et soieries 710
l'i" CLASSE. Ameublement et décoration 718
— Ëbénisterie 720
— Coffrets et nécessaires 731
— Papiers peints 734
— Vitraux 736
25^ CLASSE. Articles de vêtements, de modes et de fantaisie. . 738
— Vêtements confectionnés 739
— Chapellerie 741
— Chaussures 744
— Ganterie 747
— Corsets, boutons 748
— Fleurs artificielles, , , 752
TABLE DES MATIÈRES. 799 1
I
'2(j^ CL.\ssE. Dessin et plastique appliqués à V industrie. . . . 763 I
— Plastique 753 •]
— Gravures , lithographie , impressions 75S :
— Photographie. . . 7G3 '
— Dessins industriels 770 i
27'' CLASSE. Fabrique des instruments de musique 773 ]
FIN DE LA TABLE.
Ch.Lahure, imprimeur du Sénat et de la Cour de Cassation
(ancienne maison Crapelet), rue de Vangirard, 9.
/?-^ T/ . A / f^/1
iS
0^i:^r^-.^r
In
3 3125 00642 8003