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Full text of "Voyage au Cambodge; l'architecture khmer"

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VOYAGE 



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CAMBODGE 



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VpYAGE 



CAMBODGE 

L'ARCHITECTURE KHMER 



L. DE LA PORTE 



l'i Ul.lijt E. 1 
ihueus 1873 
misée EHHEn 1874-78 



ou VU âge imnÉ de m gravures kt hune tarte 

Et 50 reproductions de photographies du dessins de l'iulcur 



PARIS 

UBHAIItlK Cil. DKLAGRAVK 

13, RUE SOUFFLOT, )3 

1880 

Tous droits riiern's 



THE NEW YORK 

PUBLIC LIBRARY 

648538 À 

ASTOR, LENOX AND 

TILDEN FOUN DATIONS 

Jl 1933 L 



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CHAPITRE PREMIER 



La Cochinchine française et le Cambodge. — Organisation du voyage 
d'exploration des monuments Khmers. 



La Cochinchine française comprend, on le sait, les six pro- 
vinces les plus méridionales de l'empire d'Armani. C'est une ré- 
gion fertile, coupée de rivières et de marais, qui équivaut, comme 
superficie, à la dixième partie de la France et dont la population 
atteint le chiffre de deux millions d'âmes. 

Elle occupe la pointe sud-est de l'Indo-Chine et embrasse le 
*i delta terminal du Mékong qui, sorti des plateaux neigeux du 
■"- Thibet, a déjà fourni une course de plus de huit cents lieues quand 
— ^ il entre sur notre territoire pour s'y jeter dans la mer par de 
i ^ nombreuses embouchures. 

| 'j Le Cambodge, également arrosé par les eaux du Grand Fleuve, 

i -^ confine à l'Ouest à la Cochinchine française, contrée avec laquelle 
! 3 il forme l'ensemble de nos possessions dans l'extrême Asie. Der- 

i ^ nier reste de l'ancien royaume khmer, ce petit État est devenu en 
quelque sorte une annexe de notre colonie, depuis que nous 



8 L'ARCHITECTURE KHMER, 

l'avons affranchi du double joug de l'empire d'Annam et du 
royaume de Siam, ses voisins, et que nous lui avons fait accepter 
en échange le protectorat de la France. 

L'étendue du Cambodge est réduite aujourd'hui à celle de 
quatre ou cinq de nos déparlements; ce sont de vastes marais, 
des plaines rocheuses, pauvres en végétation, d'épaisses forêts 
sillonnées de cours d'eau et, sur le bord des rivières torrentueuses, 
des terrains d'alluvion d'une grande fertilité. La population s'é- 



Acteur du théitre royil. 

lève à un million d'hommes répartis en hordes sauvages et en 
tribus à demi civilisées habitant des hameaux et quelques petites 
villes. Les rives des cours d'eau sont assez vivantes, mais partout 
ailleurs les habitations sont clair-semées ; l'aspect du pays est, en 
général, d'une sauvagerie triste et monotone, et l'on y trouve 
même de vastes espaces entièrement déserts. La pauvreté se trahit 
partout : ainsi, lorsque nous vîmes pour la première fois le roi du 
Cambodge dans sa capitale d'Oudon g, on nous reçut dans une sorte 
de hangar fait de rotins et de bambous. Toutefois, à peine intro- 
duits en présence de la cour, nous fûmes frappés de la noblesse, 



\ 



VOYAGE AU CAMBODGE. 9 

de l'air de dignité des mandarins. Norodom lui-même nous 
accueillit d'une manière gracieuse et bienveillante ; il fit donner 
en notre honneur une représentation théâtrale, sans préjudice 
d'un ballet brillant dont l'ordonnance et les costumes témoi- 
gnaient d'un degré de civilisation inattendu. 

Bref, si, au premier aspect du logis, nous avions pu nous 
croire dans la hutte de quelque chef de sauvages, l'accueil que 
nous y recevions, les mœurs de ses habitants, reportaient notre 
pensée vers les cours les plus civilisées de l'Orient. Préa Norodom, 
l'auguste Norodom, n'est pas en effet un prince vulgaire : c'est un 
roi de la race solaire, un arrière-neveu du dieu Indra ; il descend 
d'une des lignées les plus illustres de l'Asie, et si ses ancêtres 
n'ont pas fait figure dans l'histoire, ils n'en ont pas moins laissé 
une marque éclatante de leur grandeur dans les chefs-d'œuvre 
de pierre qu'ils ont édifiés. Ces monuments, nombreux et splen- 
dides, couvrent tout le pays; mais, semblables à leurs auteurs, ils 
paraissent vouloir rester dans l'oubli, et ce n'est qu'avec peine 
qu'on les découvre au milieu de l'épaisse végétation qui les en- 
vahit. 

Est-ce à cette cause qu'il faut attribuer l'étonnant silence des 
commerçants et des missionnaires européens qui, bien qu'ils eus- 
sent pénétré dans ces contrées depuis plusieurs siècles 1 , n'avaient 
jamais appelé l'attention du monde occidental sur l'existence de 
ces ruines grandioses? Toujours est-il qu'elles demeurèrent com- 
plètement ignorées jusqu'à l'époque où le sinologue Àbel Ré mu- 
sât, en recherchant dans les annales chinoises l'histoire des pays 
voisins, découvrit une description de la capitale d'Angkor par 
un voyageur chinois du treizième siècle, description si étrange et 
si merveilleuse, qu'elle lui parut plutôt fantastique que réelle. 
En 1858, le naturaliste français Henri Mouhot, amené par ses 

1 Dès Tannée i 570 les ruines khmers furent visitées par des voyageurs por- 
tugais. 



10 L'ARCHITECTURE KHMER. 

pérégrinations en Indo-Chine sur l'emplacement de cette an- 
cienne métropole, reconnut l'exactitude du tableau précité, et 
il signala ces restes superbes dans un ouvrage posthume où éclate 
en des pages émues, un vif enthousiasme « pour ces Michel-Ange 
de TOrient dont le génie conçut et accomplit de tels prodiges 1 . » 
Le voyage de Mouhot n'avait précédé que de peu l'occupation 

m 

française. D'autres explorateurs vinrent ensuite, et, parmi eux, 
notre premier résident français au Cambodge, le commandant 
Doudart de Lagrée qui, d'abord seul, puis à la tête d'un groupe 
de voyageurs, accomplit sa longue et pénible exploration du 
Mékong et des solitudes de l'Indo-Chine. 

Amené par les hasards de ma vie de marin à la station 
d'extrême orient, j'eus occasion, dès 1875, de visiter le royaume 
de Siam et une partie du Cambodge. L'année suivante, je faisais 
partie de la mission dirigée par le commandant de Lagrée 3 . 

La vue de ces ruines étranges me frappa, moi aussi, d'un vif 
étonnement : je n'admirais pas moins ' la conception hardie et 
grandiose de ces monuments que l'harmonie parfaite de toutes 
leurs parties. L'art khmer, issu du mélange de l'Inde et de la Chine, 
épuré, ennobli par des artistes qu'on pourrait appeler les Athé- 
niens de l'Extrême-Orient, est resté en effet comme la plus belle 
expression du génie humain dans cette vaste partie de l'Asie qui 
s'étend de llndus au Pacifique. 11 s'écarte, il est vrai, de ces 
grandes œuvres classiques du bassin de la Méditerranée qui pen- 
dant longtemps ont seules captivé notre admiration : ce ne sont 
plus ces colonnades majestueuses, ces grandes surfaces calmes 
de la Grèce ou de l'Egypte; ce sont au contraire des formes la* 

1 Le missionnaire Cerri appelle Église de Saint-Pierre de toits les Hindous le 
temple d'Angkor-Vaht qu'il ne connaissait que par ouï-dire. 

3 Le commandant de Lagrée, chef de la mission d'exploration du Mékong 
(1866-67-68), avait sous ses ordres le lieutenant de vaisseau F. Garnier, les 
docteurs Joubert et Thorel, Louis de Carné, délégué du Ministère des affaires 
étrangères, et l'enseigne de vaisseau Delaporte . 



VOYAGE AU CAMBODGE. H 

borieuses, complexes, tourmentées: superpositions, retraits mul- 



c des galeries qui conduisent du premier 
dans le temple d'Angltor-Vaht. 



tiptes, labyrinthes, galeries basses à jour, tour» dentelées, pyra- 



12 L'ARCHITECTURE KHMER. 

mides à étages et à flèches innombrables; une profusion extrême 
d'ornements et de sculptures, des effets constants de clair et de 
sombre qui enrichissent les ensembles sans en altérer la majesté, 
et s'harmonisent merveilleusement avec la lumière intense et la 
végétation luxuriante des régions tropicales : c'est, en un mot, 
une autre forme du beau. 

Je ne pouvais contempler ces monuments d'un grand art trop 
longtemps ignoré sans éprouver le vif désir de les faire con- 
naître à l'Europe et d'enrichir nos musées d'une collection d'an- 
tiquités khmers dont la place était toute marquée à côté de celles 
de l'Egypte et de l'Assyrie. En quittant la terre du Cambodge, je 
ne lui disais donc point adieu. De retour en France, quatre 
années s'écoulèrent jusqu'au jour où, la publication des docu- 
ments rapportés par la mission du Mékong étant achevée, je 
pus songer à la réalisation de mon projet. 

En 1871, je m'adressai au gouverneur de Cochinchine, l'amiral 
Dupré qui, lui aussi, avait vu Angkor, et le concours le plus bien- 
veillant me fut assuré. Sur la proposition de M. Charles Blanc, di- 
recteur des Beaux- Arts, une subvention généreuse me fut accordée 
par M. Jules Simon f , et au mois de mai la mission dont l'amiral 
* Pothuau, ministre de la marine, avait bien voulu me confier la 
direction, se mettait en route pour Saïgon. Grâce à la sollicitude 
éclairée de M. le gouverneur de la colonie, les préparatifs furent 
vite achevés. Au matériel ordinaire de campagne, on ajouta tous 
les instruments nécessaires pour dégager les monuments, faire des 
fouilles, transporter de lourds fardeaux, estamper et mouler les 
inscriptions et les sculptures; tout cet attirail fut embarqué à bord 
d'une canonnière et d'une chaloupe à vapeur, montées par 
cinquante hommes d'équipage. 

1 Qu'il me soit permis de remercier ici l'administration des Beaux-Arts et 
l'administration des Colonies de l'appui si précieux qu'en toutes circonstances 
elles n'ont cessé de m'accorder. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 13 

Si cette excursion d'une nature particulière au travers des im- 
menses et marécageuses forêts du Cambodge offrait en soi de vifs 
attraits, une expérience répétée du redoutable climat indo-chinois 
et des difficultés de toute sorte auxquelles on se heurte en ces 
contrées, surtout pendant la saison des pluies, m'imposait tout 
d'abord le choixd'un personnel d'élite. Avec un temps limité et des 
ressources restreintes, le moindre tâtonnement devenait funeste. 
Aussi la colonne d'exploration fut-elle composée d'officiers et de 
marins déjà familiers avec les périls et les aventures d'un sem- 
blable voyage ; (ous étaient volontaires. M. Bouillel, ingénieur 
hydrographe, M. Batte, ingénieur civil, M. le docteur Jullien, dé- 
légué du Muséum, étaient partis de France avec moi ; à notre 
arrivée à Saigon, M. le docteur Harmand, médecin de la marine, 
et M. Faraut, conducteur des ponts et chaussées, furent en outre 
adjoints à la mission, que rallia plus tard, vers la fin du voyage, 
M. Filoz, capitaine d'infanterie de marine. Le gouverneur de la 
colonie avait fait communiquer d'avance au roi Norodom le plan 
des opérations que nous allions tenter; dès que le prince les eut 
approuvées, nous reçûmes nos dernières instructions avec notre 
ordre de départ. 



CHAPITRE II 



Départ de Saigon. — L'Arroyo de la poste et le Mékong. — Halte à la colline 
sainte de Phnom-Chiso. — Entrée sur le territoire cambodgien. — Phnom- 
Penh et le roi Norodom. — Détails de mœurs. — Les Quatre-Collines elles 
monuments funéraires des rois du Cambodge. — Ruines de Lovûk. — 
La région des lacs dans la saison des grandes eaux : son aspect au temps 
de la sécheresse. — Description d'une pêcherie. — Arrivée à Compong- 
Thôm. — Phnom-Sontuc. 



I 

Le 23 juillet 1873, â 8 heures du matin, le personnel de la 
Mission d'exploration des monuments Khmers, embarqué â bord 
de la canonnière la Javeline et de la chaloupe â vapeur n* 5, quit- 
tait le port de Saigon. Entraînés par le rapide courant du Don- 
nai, nous modérons d'abord notre vitesse pour passer entre les 
navires et les barques qui encombrent le large fleuve en aval. 
A notre droite défilent les vastes constructions de l'Arsenal, les 
quais et les établissements de la Compagnie des Messageries, qui 
se succèdent sur une ligne de plusieurs kilomètres. En arrière 
s'étagent, sur une petite éminence, d'importants édifices publics. 
L'ensemble offre un coup d'reil qui ne manque pas d'une cer- 
taine grandeur. 



J8 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Si les rues de cette ville née d'hier n'ont pas encore leur 
entière bordure de constructions, elles sont, en revanche, bien 
tracées, presque toutes plantées d'arbres qui donnent déjà un 
ombrage précieux, et la plupart des habitations y sont entourées 
de jardins. Située sur la rive droite du Donnai, à cinquante milles 
de son embouchure et à la naissance d'un canal qui la relie au 
grand centre indigène de Gholon, cette petite capitale française 
a vu se développer progressivement ses germes natifs de prospé- 
rité. Dès 1868, unissant l'agréable à l'utile, elle possédait un dock 
flottant, un jardin botanique, un comité agricole et industriel, 
un théâtre annamite, et jusqu'à des courses de chevaux, où l'on 
se rendait de Hong-Kong et de Singapour. Dans la seule an- 
née 1870, le port de Saigon, accessible aux plus grands navires, 
avait reçu plus de cinq cents bâtiments au long cours, dont un 
tiers sous pavillon français, et cinq mille barques de mer jau- 
geant ensemble plus de 300,000 tonneaux. Un instant arrêtée 
par nos désastres dont le contre-coup s'est fait sentir dans nos 
colonies, la marche en avant a bientôt repris son essor. En 1873, 
lors de mon troisième séjour dans la ville, j'ai de nouveau été 
frappé de l'accroissement de vie que m'y offraient toutes les bran- 
ches du commerce et de l'industrie : on travaillait à approfondir 
Yarroyo (canal) si important de Cholon ; de nouvelles casernes 
s élevaient, on agrandissait l'hôpital. Dans l'intérieur du pays 
la culture du café était essayée en grand, et il se fondait une usine 
modèle pour la fabrication du sucre ; on venait enfin d'organiser 
une compagnie de paquebots pour desservir les points principaux 
de la colonie, entreprise qui, en établissant des relations régu- 
lières entre Saigon, les chefs-lieux des provinces et Phnom-Pênh, 
la capitale du Cambodge, devait assurer à ce royaume les bénéfices 
de jour en jour plus efficaces de notre protectorat et l'aider à 
secouer la torpeur qui l'engourdit. 

Le résultat de tant d'efforts est malheureusement entravé par 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 23 

les effets désastreux d'un climat torridc et paludéen dont l'in- 
fluence, trop souvent mortelle aux Européens qui prolongent leur 
séjour dans la contrée, semble devoir s'opposer longtemps encore 
à une colonisation sérieuse de l'Indo-Chine méridionale. 

Nous ne tardons pas à dépasser le village annamite du fort du m 
Sud et les derniers navires au mouillage; alors seulement nous 
pouvons faire route à toute vapeur. A plusieurs reprises encore, 
grâce aux méandres du fleuve, nous apercevons à travers le feuil- 
lage des palmiers les toits des plus hautes maisons de la ville et 
les mâtures des bâtiments de guerre, puis tout cela s'efface et dis- 
paraît dans la brume ; nous n'avons plus d'autre horizon que les 
rives uniformes du Donnai avec sa double bordure de palétuviers. 

Pour se rendre de Saigon à Phnom-Pènh, les gros vapeurs de la 
nouvelle compagnie descendent ce cours d'eau jusqu'à la mer, 
puis pénètrent dans le Mékong par l'embouchure supérieure, dont 
la barre, quoique assez difficile à franchir, offre néanmoins une 
profondeur d'eau suffisante. Les bâtiments d'un moindre tonnage, 
tels que notre canonnière, vont au contraire rejoindre le Grand 
Fleuve à la ville de Mytho, en suivant le canal transversal appelé 
Arroyo de la poste. 

C'est par ce dernier canal que transite tout le commerce des 
provinces méridionales du Cambodge, du Grand-Lac et du Laos ; 
aussi cette voie, très fréquentée, offre-t-elle un spectacle pitto- 
resque et plein d'animation. En toute saison des sampans anna- 
mites, de longues barques cambodgiennes, des jonques chinoises 
s'y croisent et s'y enchevêtrent. Un vapeur vient-il à passer, les 
embarcations se serrent, se heurtent, se lancent dans les palétu- 
viers de la rive ou s'envasent avec des craquements qu'accom- 
pagne un étrange concert de cris en toutes langues. Le long du 
canal ce n'est qu'une suite presque ininterrompue d'habitations à 
demi cachées dans le feuillage. 

La végétation est d'une variété et d'une fraîcheur surprenantes ; 



H L'AHCHITECTURE KHMER. 

tantôt nous Glons entre deux rideaux de grands cocotiers auxquels 
se mêlent de superbes arbres à fruits, tantôt, dans les parties maré- 
cageuses, nous traversons un fouillis de lianes, de palmiers d'eau 
et de plantes grimpantes d'une diversité infinie. 

En approchant du Mékong, le canal s'élargit pour former le 
port de Mytho, situé à son confluent. Cette ville, la plus impor- 
tante de la Cochinchine française, après Saigon, est le chef-lieu 
de la province la plus fertile et la mieux cultivée. Nous l'atteignons- 
après vingt-quatre heures de navigation, et de là nous nous diri- 
geons sur Ghaudoc, chef-lieu d'une autre province limitrophe da 
Cambodge, où nous devons rallier le docteur Harmand. 

Le bras du fleuve sur lequel nous nous engageons ici est d'une 
largeur extrême ; le courant, très rapide au milieu, se ralentit 
près des bords ; aussi rangeons-nous la terre le plus possible. Qui 
n'a pas visité, dans la saison de l'étiage, ces fleuves de l'Indo- 
Chine qui coulent alors entre des berges à pic de 15 mètres de hau- 
teur, serait effrayé de voir les navires qui les remontent raser 
constamment le rivage, au point de frôler les joncs et les brous- 
sailles, pour profiter des eaux abritées ou des remous favorables. 
Quand le fleuve coule à pleins bords, cette façon de naviguer n'offre 
plus aucun péril; mais, à l'époque de la crue des eaux, lorsque 
le courant, d'une violence extrême, frappe la rive et la mine, il- 
arrive souvent qu'un bloc de terre battu à sa base par les eaux, 
se détache en s'effondrant avec fracas. Malheur alors à l'embar- 
cation qui se hasarderait trop près du bord ! Elle risquerait d'être 
engloutie sous cette avalanche l de débris. 

Ce ne sont d'abord, à droite et à gauche, que des bois alter- 
nant avec des cultures; on n'aperçoit guère les demeures des- 
indigènes, masquées par les massifs de verdure, mais on en 

1 Le môme phénomène a lieu sur les fleuves de l'Amérique méridionale,, 
tels que le Madeira et le Rio Negro. On appelle au Brésil ces dislocations» 
de terrain, terras cahidas, terres croulantes. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 25 

•devine l'existence aux groupes d'enfants qui jouent sur la berge, 
aux nombreux sentiers qui s'enfoncent en serpentant sous le feuil- 
lage. Bientôt les arbres deviennent plus rares et font place à 
de hautes herbes qui s'étendent à perte de vue : c'est la plaine 
-des joncs y vaste marais de plus de 10,000 kilomètres de super- 
ficie, d'où émergent seulement de place en place quelques terrains 
habitables. Dans les premières années de la conquête, ces ilôts ont 
souvent servi de repaires à de redoutables bandes de pirates dont 
la destruction nous a coûté de durs sacrifices. 

Là, non loin de la petite ville annamite de Tap-Muoi, on ren- 
contre une première ruine khmer, un ancien temple brahma- 
nique sans doute : « la Tour aux cinq compartiments », ou, en 
cambodgien : Préasat Pram Loveng. Ce sont des débris informes 
rarement visités par les Européens à cause des légions de mous- 
tiques qui pullulent dans le marécage. Cependant, malgré l'état 
de délabrement de cet édifice, le voyageur qui veut en fouiller les 
restes à peu près enfouis sous la végétation, y rencontre encore des 
chambranles, des entablements, des frises couvertes de sculptures 
délicates, et, telle est la puissance de cet art accompli, que la 
vue de quelques pierres marquées de son empreinte suffit, au 
milieu des vulgarités modernes qui couvrent le pays, pour faire 
entrevoir les splendeurs de l'Inde antique. 

Chaudoc est sur la limite de la région inondée. Près de cette 
ville qu'un canal relie à Hatien, notre unique port sur le golfe 
de Siam, — celui de Kâmpot, situé un peu plus loin, appartient 
au Cambodge, — sont de grands chantiers pour la construction 
des pirogues, creusées dans les troncs d'arbres provenant des forêts 
du Cambodge ou du Laos. Il y a un peu au-dessus, échelonnés le 
long de la frontière annamite, sur le territoire cambodgien, un 
certain nombre de monuments, forteresses {pontéay)^ tours [préasat) 
isolées ou en groupe, monastères, grottes dont nous ignorions en- 
core l'existence au moment de notre passage à Chaudoc, mais qu'ont 



26 L'ARCHITECTURE KHMER. 

reconnus successivement depuis lorsMM. Àymonier et Moura *. De 
ces édifices, les uns sont bouddhiques, comme la cellule appelée 
Arsom Maha Rosey, l'Ermitage du Grand Anachorète; les autres 
brahmaniques, comme Vaht-Ta-Prohm, la Pagode de l'Ancêtre 
Brahma, et Préasat Néang Khmau, les Tours de la Dame noire 
(la déesse Kali?). 

Phnom-Chiso ou Isvara (la Montagne de Siva) en est le prin- 
cipal. Il est situé au sommet d'une colline abrupte. On y arrive, 
comme au sanctuaire de Vaht-Phou '(à Bassac) et au temple de 
Banone, par une suite de terrasses taillées dans le roc ou soutenues 
par des murailles. Le temple est précédé d'une chaussée condui- 
sant à un lac artificiel. Non loin de là se trouve une petite bonzerie 
habitée par des religieux qui ont installé leur Bouddha au fond 
du sanctuaire ruiné, et qui plusieurs fois par jour viennent faire 
leurs dévotions et entretenir le feu sacré aux pieds du dieu. Phnom- 
Chiso inspire aux indigènes une terreur superstitieuse : les gens 
du peuple ne s'y rendent que chargés d'offrandes; quant aux 
mandarins, ils n'osent en approcher, persuadés qu'ils s'expose- 
raient à perdre leur place, ou même qu'ils courraient risque de 
mourir dans l'année. Le roi Norodom s'efforce de combattre cette 
croyance populaire ; dans une récente visite qu'il a faite au monu- 
ment, il a commandé aux quatre cents mandarins de son escorte 
de l'accompagner jusqu'au sommet de la colline sainte; comme 
beaucoup hésitaient, il les a décidés par ce raisonnement sans ré- 
plique : — Que craignez-vous ? La destitution ? Mais ne suis-je pas 
le seul maître de vos charges? La mort? Ne voyez-vous pas que je 
m'y expose tout le premier? — Ce qui n'empêche pas que, si, par 

1 Antérieurement à ces reconnaissances, M. Pierre, directeur du jardin 
botanique de Saïgon, avait parcouru tout le Cambodge méridional, en ren- 
contrant à chaque pas des ruines de constructions antiques, parmi lesquelles 
il signale d'admirables grottes, un temple important précédé de lacs artifi- 
ciels et des réservoirs analogues à ces immenses « tanks » ou bassins 
d'irrigation de l'Inde. 



i . 



VOYAGE AU CAMBODGE. 29 

une fatale coïncidence, Norodom fût venu à mourir dans les 
douze mois, bonzes et dévots n'eussent pas manqué de crier au 
miracle, et la superstition en aurait repris des forces nouvelles. 

Au sortir de Chaudoc nous pénétrons dans le bras méridional 
du Mékong, moins large que l'autre, mais encadré de rives plus 
riantes, et bientôt nous dépassons la frontière de la CoGhinchine et 
nous entrons dans les eaux cambodgiennes. A partir de ce point, 
les aspects se modifient graduellement : les berges du fleuve s'é- 
lèvent; aux humbles et disgracieuses cases annamites succèdent 
de véritables villages, composés de spacieuses et sveltes habitations 
sur pilotis. Chaque hameau possède une pagode qu'on distingue 
à ses toits superposés, à son faîte élégamment recourbé sous l'om- 
brage des palmiers sacrés. Avec le caractère du paysage change 
aussi le type des habitants. L'œil n'est plus attristé par la vue de 
ces indigènes de race annamite dont la laideur est encore accentuée 
par la longue chemise de nuance terne qui leur sert de costume ; 
partout dans la campagne on aperçoit des hommes vigoureux dont 
le corps bronzé, presque nu, reluit au soleil, des femmes ave- 
nantes, bien proportionnées, vêtues parfois, à la mode siamoise, 
d'une courte jupe et d une écharpe aux couleurs éclatantes. 

Enfin une immense nappe d'eau nous apparaît; nous touchons 
au point où le Mékong coule dans un lit unique de 7 kilomètres 
de largeur. En même temps nous discernons de loin, au-dessus 
d'une forêt de cocotiers, la haute flèche d'un stotipa bouddhique ; 
en avant se trouve un temple, autour se groupent d'autres stoupas 
plus petits; le tout occupe un étroit plateau gardé par des lions 
de grès et couronnant un monticule, Phnom-Pènh, « la Montagne 
pleine », dont la ville située auprès a tiré son nom *. Au bas de 

1 D'après la légende, cette colline sortit un jour de la mer qui couvrait 
alors tout le pays. Des habitants s'y groupèrent, et Dçn-Pénh, dame de la 
classe des Sesthey, ou propriétaires riches, y éleva la pagode et lui donna son 
nom : «Phnom Penh » (montagne de Penh). (Bastian.) 



30 - L'ARCHITECTURE KHMER. 

l'escalier par lequel on accède à cette éminence veillent encore 
deux grands iiotts chinois, épaves de quelque édifice plus ancien, 
qui servent aujourd'hui à aiguiser les grands couteaux des pas- 
sants. Nous découvrons aussi an milieu des broussailles environ- 



Le Etoupa de Phnom-l'Cnti. 

nantesune statue assise sur un piédestal : à sa tète de bœuf, nous 
la prenons pour Nandi, la divinité qui garde la porte du Kaïlaça, 
ou paradis de Siva, au sommet du mont Mérou. En approchant 
nous apercevons à ses pieds une pauvre famille qui lui offre des 
fruits et des baguettes odorantes en l'invoquant comme Néak-Ta 
ou génie familier ». Cette statue, de médiocre valeur, mais 
presque intacte, n'accuse pas une grande antiquité; elle est faite 
d'une sorte de stuc obtenu au moyen de chaux, de sable et même 
d'un peu de mélasse mélangés à un mucilage de feuilles provenant 
d'un arbre de la famille des laurinées : procédé analogue à celui 
des Hindous et qui se rapproche également de celui qu'employaient 
les anciens mayas du Yucatan dans la construction de leurs mo- 
numents. 
Depuis dix ans qu'elle est devenue la capitale du Cambodge, le 

1 Voy. p. 27. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 31 

siège de la résidence royale et celui du protectorat français, Phnom- 
Penh a pris une extension remarquable et présente même déjà un 
caractère presque européen. Une notable partie des cases en bam- 
bous, qui formaient la rue principale, ont été remplacées par des 
maisons en briques, construites des deniers de Norodom et louées 
par lui à ses sujets. Le trafic énorme qui se fait dans cette ville, 
principalement à l'époque de la pêche sur les lacs, est presque 
entièrement concentré entre les mains de commerçants originaires 
des provinces méridionales du Céleste-Empire. Cette espèce de 
colonie chinoise qui, unie, pourrait causer de graves embarras au 
gouvernement, est par bonheur divisée en deux congrégations 
rivales et sans cesse en dispute. 11 y a en outre à Phnom-Pènh 
beaucoup d'Annamites, de Malais, de Siamois et quelques Euro- 
péens. Au milieu d'éléments si divers, la fonction du protectorat 
français, représenté par un oTficier habile autant que ferme, 
M. Moura, est loin d'être une sinécure : il faut d'une part prévenir 
les conflits, de l'autre réprimer les exactions des mandarins et 
tenir la bride aux fantaisies parfois despotiques du roi Norodom ; 
il faut enfin guider ce prince, l'empêcher de tomber aux mains 
du premier aventurier venu, et lui faire comprendre les devoirs 
en même temps que les avantages de notre civilisation dont il 
n'est que trop disposé à s'approprier tout d'abord les vices. 

La résidence royale est à elle seule une ville ; dans son enceinte 
logent plusieurs milliers de personnes, toutes attachées au service 
du roi. Au fond de la première cour, entourée de constructions di- 
verses, telles que salle des gardes, ateliers, écuries, s'élève le palais 
européen, tout semblable aux demeures des riches commerçants 
de Saïgon; par derrière, dans un autre enclos, se trouvent l'ha- 
bitation indigène, des jardins, des cases : c'est le quartier du harem, 
interdit aux profanes. Les mandarins en sont les plus empressés 
pourvoyeurs ; ils espèrent, en offrant au roi leurs filles les plus 
avenantes, s'assurer du crédit auprès de lui. Les femmes ont du 



32 L'ARCHITECTURE KHMER- 

reste la liberté de sortir, et, par un de ces caprices bizarres assez 
commuas chez les monarques d'Orient, tour à tour despotes et 
paternels, si l'une d'elles désire se marier avec un jeune homme 
de la ville, le prince, sur la demande des deux amants, renonce 
volontiers a ses droits et autorise le mariage. En revanche, toute- 



tentative pour s'introduire dans le gynécée est punie avec une 
extrême sévérité. 

Amon premier passage au Cambodge, un jeune bonze en grande- 
faveur à la cour fut surpris en conversation criminelle avec une 
des plus jolies femmes de Norodoni ; celui-ci, selon l'usage, ordonna 
d'enterrer vifs les deux amants. Le délinquant ne dut sa grâce 
qu'à l'intervention de la vieille reine mère dont la dévotion fort 
zélée essaye de ranimer au Cambodge l'ancienne ferveur boud- 
dhique en multipliant par tout le pays les monuments religieux. 
Depuis lors, le beau sexe n'est pas devenu moins fragile ; seul, le 
genre de supplice s'est modifié. Au retour de notre expédition, le 



VOYAGE AU CAMBODGE. 33 

roi, étant venu en visite chez le chef du protectorat français, lui 
demanda, comme par hasard, dans la conversation quelques détails 
sur la manière dont on fusillait en Europe. M. Moura, sans y 
attacher plus d'importance, satisfit sur ce point la curiosité du 
monarque. Deux, heures après, quel ne fut pas notre étonnement 
d'apprendre que quatre jeunes femmes du harem avaient été 
passées par les armes à l'européenne. En nous approchant du 
palais, nous pûmes même voir, raffinement de cruauté asiatique, 
les têtes suspendues et toutes sanglantes encore de ces malheu- 
reuses. 

Norodom nous reçut fort bien et promit de faciliter de tout son 
pouvoir nos recherches archéologiques. Il nous demanda ensuite 
le secours de nos médecins ; il souffrait d'une chute récente, et 
c'est une croyance au Cambodge, qu'un roi infirme ou boiteux 
n'est plus capable de régner. 11 nous avoua en confidence qu'il 
avait dû consulter d'abord, pour se conformer aux usages super- 
stitieux de ses sujets, les innombrables empiriques, astrologues et 
devins du pays. Aucun d'eux n'avait pu le guérir; tous s'accor- 
daient pour imputer aux méchants esprits la persistance de son 
mal. Notre docteur se mit incontinent aux ordres de Norodom. 
Le cérémonial exigeait que l'auguste malade ne fût palpé que par 
l'intermédiaire d'une de ses femmes. Heureusement notre prati- 
cien réussit à faire comprendre à Sa Majesté l'insuffisance de ce 
procédé, et bientôt un examen attentif lui permit de la rassurer 
entièrement. 

En sortant du palais nous trouvâmes à la porte un groupe de 
bonzes agenouillés et priant pour la guérison du prince ; d'autres 
parcouraient les rues en chantant des cantiques et en psalmodiant 
des versets sacrés. Des prières publiques avaient été ordonnées 
dans tout le royaume ; autour des pagodes, devant chaque maison 
étaient dressés de hauts bambous portant des banderoles de toutes 
couleurs. Près des statues de Bouddha, aux carrefours des che- 



31 L ARCHITECTURE EH MER. 

niios, au pied des sioupas et jusque dus l'intérieur des habita- 
lions chinoises brûlaient des bâtons odoriférants. Le trafic habi- 
tuel paraissait suspendu, le peuple circulait par les rues en habit 
do cérémonie ; pendant la soirée et fort avant dans la nuit, les 
rues étaient remplies de gens portant des torches ou des lanternes ; 
le bruit du gong et du tam-tam se mêlait de tous côtés aux dé- 
tonations des pétards, et le ciel ne cessait d'être sillonné par le 
vol des' fusées dont les Crépitations et l'éclat devaient éloigner les 
mauvais génies acharnés à tourmenter le souverain. • ' ' • 

Le lendemain matin nous allons faire un tour dans la ville 
que nous' connaissons déjà, et visiter les pagodes qui, toutes, sont 
de construction récente. Plusieurs d'entre elles sont entourées 
<!e colonnades et surmontées de toits étages d'un aspect gracieux, 
avec des sculptures sur bois, peintes ou dorées, et des incrusta- 
lions en* mosaïque de fort bon goût; mais on ne trouve à Tinté- 
rieur de ces'temples que des statues bouddhiques d'une médiocre 
exécution, des ornements en clinquant et dé grossiers ex-,vDto. 

Une pagode annamite se trouve dans un des faubourgs ; elle 
est desservie par des prêtres costumés de jaune comme les bonzes 
cambodgiens. Bonzes et prêtres vivent en bonne harmonie, ils 
croient adorer la même divinité sous des formes différentes. Le 
temple annamite renferme diverses représentations sacrées : au 
fond la déesse Pohéa qui tient un joyau à la main, en avant 
Quong Nam, la reine des idoles, symbole de la justice et de la 
charité ; elle nourrit un enfant perdu qu'elle a recueilli ; à ses 
côtés sont assis ses deux disciples, le roi Ong Péang et le guerrier 
Ong-ac écrivant, l'un, les bonnes, l'autre les mauvaises actions 
dos hommes/ Qûong Nam prononce l'arrêt. ;tt 

Au cours de cette "excursion à travers les nies de Phnom-Pènh, 
nous croisons uricsbrtè de cortège composé d'une vingtaine d'in- 
digènes qui ma^oheftt processionnellement à la, file et devant 
lesquels la foulf dés passants s'écarte avec respect : c'est le cor- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 33 

loge d'un jeune tils de Norodom en promenade. L'enfant est assis 
sur l'épaule d'un petit dignitaire de la cour ; un serviteur qui 
Tient derrière, l'abrite de son parasol. Ce rejeton royal est vêtu 
d'un langouti en soie de couleur éclatante, et porte un collier, 
dés bracelets et des anneaux d'or aux jambes. Ses cheveux sont 



Promenade do Jeune fils du roi. 

rasés, à l'exception d'une mèche soigneusement enroulée au 
sommet de la tète et surmontée d'une de ces fleurs blanches du 
frangipanter dont les femmes recherchent ici le suave parfum 
et qu'elles déposent volontiers en offrande sur les autels de 
Bouddha. 

En poursuivant noire promenade, nous sommes attirés dans la 
campagne jusqu'au champ où se fait la crémation des morts. Le 
lieu s'annonce de loin aux regards par des mâts auxquels sont 
tendues de longues lianes, barrière aérienne destinée à préserver, 
durant l'opération, l'âme du défunt de l'influence des Néak-Ta, 
« esprits des ancêtres » ou parfois « mauvais esprits. » Cette cou- 
tume de brûler les morts est ancienne au Cambodge, et parait y 
avoir été empruntée à l'Inde. 11 existe, en effet, dans la façon dont 
elle se pratique chez les sectateurs de Vichnou, comme chez les 
Khmers, une. particularité commune très caractéristique : l'or- 
- - donnateur de la cérémonie, après avoir mis le feu au bûcher, 



36 L'ARCHITECTURE KHMER. 

jette sur le sol un vase fragile qui s'y brise, afin de donner à 
entendre, selon M. Aymonier, qui a pu'observer souvent ce rite, 
que l'homme, après sa mort, n'a pas plus de valeur que cette 
poterie volant en éclats *• 



II 



Quelques jours après, notre mission, augmentée des interprètes 
que M. Moura nous avait procurés et d'un mandarin porteur d'or- 
dres écrits de la main du roi, se mit en route pour la région des 
lacs. Nous vîmes bientôt défiler sur notre gauche la ligne des 
cases de Compong-Luong (le Rivage royal), ancienne capitale du 
Cambodge. Un peu en arrière se trouve Oudong (la Superbe) et 
à l'horizon s'élèvent les Quatre-Collines couronnées de pyramides 
aiguës, monuments funéraires des derniers rois du Cambodge. Je 
les avais déjà visitées dans un précédent voyage. 

C'était au fort de la saison des pluies ; les grands arbres et les 
villages bâtis sur de hauts pilotis émergeaient seuls de l'immense 
nappe d'eau qui couvrait le pays. Nous gagnâmes en barque le 
pied des monticules où un sentier sillonnant une gorge ombreuse 
nous conduisit à de petits monuments masqués par la végétation : 
chapelles demi-chinoises, pagode supportée par des éléphants, 
stoupas ornés de gracieuses moulures et couronnés de lotus aux 

1 Bien que très-répandue en lndo- Chine, la coutume de brûler les morts 
n'y est pas générale ; nous avons même rencontré au Laos plusieurs cime- 
tières. Dans les uns, les cadavres soutenus en l'air sur des poteaux bas, ou 
bien placés sur le sol et à peine recouverts d'une couche de terre, sont 
protégés de l'atteinte des animaux sauvages par une forte palissade ; ailleurs 
ils sont enterrés plus profondément. Au moment d'ensevelir les morts, on 
les revêt souvent de leurs plus riches parures, suivant une coutume qu'on 
retrouve chez la plupart des peuples de l'antiquité. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 37 

pétales renversés. C'est là que reposent les cendres royales sous 
la protection de Bouddha et de Génies familiers *. Sur le sommet 
d'une des collines s'élève un temple récemment construit par la 



Vue prise dm s lu» Quatre Collines. 



vieille reine-mère. L'architecte en a encombré la cella de huit 
colonnes dont les proportions énormes contrastent avec la légè- 
reté du toit cambodgien. Le dieu du sanctuaire est une statue 
gigantesque appelée le Bouddha de dix-huit coudées *. 



I Parmi les statues du dieu et de ses acolytes on remarque un Bouddha noir, 
un Bouddha blanc, des phi, géants mythologiques aux formes épaisses, ap- 
puyés sur des massues et gardant les entrées des temples, deux néak-ta 
peints en rouge avec les dents blanches et les lèvres grimaçantes', deux té- 
vadas ou anges du paradis : Préa Réam et Préa Léak {Rama et Laksmana son 
frère) armés d'arc et de flèches, enfin un bœuf zébu noir, appelé Naktako, dont 
on vient chaque jour renouveler la provision d'herbe fraîche. (Bastian.) 

* L'auteur précité croit trouver dans les détails architecturaux de ces mo- 
numents une certaine analogie avec « le style sarrasin tel qu'il s'est déve- 
« loppé dans l'Inde depuis l'époque des Seldchouques sous les Ghaznévides de 
« la dynastie de Pathan ». 

II n'y a plus aujourd'hui au Cambodge d'architecture nationale ayant son 



38 L ARCBITECTCRE KHMER. 

Compong-Luong el les Qualre-Collines ont disparu, nous voici 
eu face de l'ancienne ville de Lo\èk qui fut aussi capitale ; elle 
est détruite et déserte. On y retrouve encore quelques ruines in- 
téressantes : les restes des remparts, des rues, du palais, une py- 
ramide à gradins où sont enclavés six pieds gigantesques en grès 
entourés de stèles sculptées, les débris du piédestal du Préa-Kéo, 
le Dieu-Joyau, et du Préa-Kou, le Dieu-Taureau. 

Le Préa-Kéo était une célèbre statue honorée comme une re- 
présentation de Bouddha. Elle resplendissait d'un éclat incom- 
parable et les oiseaux qui volaient au-dessus de sa tête tombaient 
foudroyés 4 .Une antique prophétie assurait la puissance suprême 
au peuple qui la posséderait. Les Siamois et les Birmans vain- 
queurs des Cambodgiens la prirent et l'emportèrent, « c'est ainsi 
que s'accomplit l'oracle a ». 

Le Dieu-Taureau partageait avec le Dieu-Joyau cette haule ré- 
putation de puissance magique. Une vieille prophétie promettait 
la royauté du monde à la ville, quelle qu'elle fût, où ce bœuf tom- 
berait du ciel. Basiian raconte qu'à son passage à Lovêk, il 

génie propre et son harmonie raisonnée. Les monuments modernes ne sont 
que des œuvres composites où se trouvent mélangés, dans une promiscuité 
souvent peu éclectique, des éléments empruntés à l'ancien art Khmer qui 
avait déjà puisé lui-même à des sources très diverses, et des détails dérivés 
de tous les slyles qui ont fleuri de l'Indus au Pacifique. L'influence chinoise 
y prédomine de plus en plus, conséquence naturelle de la supériorité des 
ouvriers chinois sur les Cambodgiens modernes. 

1 A ce sujet Daslian fait encore remarquer que Bouddha était trop or- 
thodoxe pour causer volontairement la mort de créatures vivantes, et il en 
conclut que tout ce culte devait être d'origine brahmanique. 

* A la construction de Lovék se rattachent de sombres histoires de sacri- 
fices humains qui l'avaient rendue pendant longtemps inexpugnable. 

On connaît la légende relative à la prise de cette ville : elle était entourée 
d'une épaisse ceinture de bambous. Les Siamois y lancèrent en guise de 
projectiles des pièces d'or et d'argent, et pour satisfaire leur convoitise, 
les assiégés coupèrent les arbustes épineux qui leur avaient servi de dé- 
fense. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 39 

s'entretint avec les bonzes du couvent bâti sur les ruines des 
anciens sanctuaires, et que ces religieux parlaient avec grand en- 
thousiasme du divin quadrupède. Le voyageur leur fit observer 
que le culte d'une telle idole ne se conciliait guère avec leur re- 
ligion. Les moines répondirent évasivement que le bœuf divin 
n'avait été un sujet de vénération que parce que son gros ventre 
avait servi de bibliothèque pour y conserver les Livres saints et 
que l'adoration s'adressait à ceux-ci. Une prophétie de Bouddha 
relative à ce fait ayant été découverte, les laïques furent autorisés 
à pratiquer ce culte. 

Vers le soir nous mouillâmes à Compong-Chhnang (le Marché 
des Marmites), où les indigènes s'approvisionnent à l'époque de 
la pêche, et nous y prîmes des pilotes pour nous diriger dans le 
dédale très peu connu des divers cours d'eau que nous allions 
parcourir. 

Le grand lac de Tonlé Sap et les lacs secondaires qui en sont 
voisins occupent une large dépression au centre des immenses 
plaines boisées du Cambodge; ils reçoivent le tribut de nom- 
breuses rivières qui forment tout alentour comme les rayons d'un 
vaste cercle et qui sont reliées entre elles par des arroyos multi- 
ples,* dans la saison des pluies, toutes les parties basses des forets 
sont inondées sur une étendue de 25 kilomètres. C'est à l'extré- 
mité occidentale de la grande nappe lacustre, sur le territoire de 
Siam, que se trouve Angkor, l'ancienne capitale du pays; aux 
environs, dans un rayon de 200 à 400 kilomètres, sont disséminés 
les plus remarquables débris de l'antique civilisation khmer. Ce 
sont d'immenses citadelles, de larges chaussées, des ponts, des 
canaux et de vastes réservoirs d'irrigation; puis des palais, des 
temples, d'énormes pyramides commémoratives. 11 nous * était 
impossible, vu le peu de temps dont nous disposions, d'explorer 
tout cet ensemble de grandioses débris ; aussi résolûmes-nous de 
limiter nos recherches à la région la plus riche et de reconnaître 



40 L'ARCHITECTURE KHMER. 

particulièrement les centres de ruines qui seraient le plus faci- 
lement accessibles à t'aide des canaux et des rivières. 

Guidés par nos pilotes de Compong-Chhnang, nous nous enga- 
geons dans un des nombreux arroyos qui serpentent au travers des 



Guidés par nos pilotes de Compong-Chhnang, noua noua 
des nombreux arroyos qui serpentent... 



bancs de vase, des ilôts, du fouillis arborescent de la grande forêt 
en partie inondée. Dès l'abord nous sommes émerveillés de la 
splendide sauvagerie des aspects. La végétation est d'une puissance 
extraordinaire; les arbres sont surchargés d'orchidées, de plantes 
grimpantes retombant en festons jusque dans le courant qui les 
entraine; une multitude de lianes étrangement contournées s'é- 
lancent en vibrant d'un fut à l'autre ; de place en place, un banian 
colossal domine fièrement l'immense massif; ailleurs un grand 
tronc mort élève tristement ses bras décharnés, comme pour pro- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 41 

tester contre cette exubérance de vie. Rien ne rappelle la présence 
<de l'homme, et pourtant quelle incroyable animation 1 Des my- 
riades d'oiseaux, pélicans, canards, sarcelles, cormorans, couvrent 
la surface du lac; diverses variétés de hérons, des aigrettes, des 
ibis perchent dans le feuillage ou se cachent au milieu des joncs ; 
des caïmans flottent immobiles sur les eaux, tandis que des troupes 
de dauphins et d'autres poissons plus gros encore viennent 
bruyamment respirer à la surface, ou frôlent la carène de notre 
navire en luttant de vitesse avec lui. 

Nous voici déjà bien loin du rivage ; nous n'apercevons main- 
tenant à plusieurs milles de distance qu'une nappe liquide verdie 
par la cime des joncs qui émergent d'une profondeur de 10 mè- 
tres, et où dérivent, comme de petits îlots mouvants, des troncs 
d'arbres enchevêtrés avec des lianes et des roseaux. Nous conti- 
nuons d'avancer à travers des traînées d'arbustes à demi noyés 
qui vingt fois menacent d'obstruer entièrement le passage; 
bientôt toute issue nous semble définitivement fermée, une ligne 
de verdure uniforme et continue apparaît devant nous ; mais nos 
pilotes nous indiquent un enfoncement à peine perceptible entre 
les arbres. Nous atteignons bientôt cette saignée : c'est l'une des 
embouchures du Stung Sen, rivière que la canonnière doit re- 

m 

monter pour se rapprocher des ruines. 

Toujours nul vestige d'habitation ; pas une barque, un fleuve 
sans rivages. Combien différent eût été pour nous le spectacle si, 
au lieu d'avoir entrepris nos explorations à l'époque de la crue, 
nous avions traversé ce pays pendant la sécheresse ! Un de 
nos compagnons de voyage, M. Faraut, qui compléta plus tard 
nos recherches par de nouvelles investigations à l'ouest du 
Tonlé Sap, eut l'occasion de voir, à son retour, le plein mouve- 
ment de la grande pêche en cette singulière région lacustre. Là, 
où six mois auparavant nous voguions sur 10 mètres d'eau, il 

r 

put passer à pied sec sous une sombre voûte de roseaux palustres. 



42 L'ARCHITECTURE KHHER. 

Une quantité de cases légères reposant sur des pieux avaient re- 
pris possession de cette mer intérieure aux trois quarts tarie. Le 
jour, les femmes travaillaient à la salaison, tandis que les 
hommes dormaient; la nuit venue, ces derniers allaient, à la 
lueur des torches, lancer leurs immenses filets et investir au dé- 
pourvu les bancs de poissons dont la présence était révélée par 
le frisson de Tonde tuméfiée. Naviguant d'un village côtier à 
l'autre, afin de n'être pas surpris au large dans sa frêle pirogue, 
soit par la tempête, soit par ces redoutables bandes de Chinois, 
moitié commerçants, moitié pirates qui battent les eaux du 
Tonlé Sap au temps de la pêche, il atteignit l'entrée du petit lac 
de Néal-Phok, « la Plaine de boue ». Ce bassin vaseux se trouvait 
alors presque entièrement transformé en rizières qui, plantées 
depuis deux mois à peine, étaient déjà en pleine maturité, et dont 
une légion d'oiseaux eût eu vite fait de consommer sur place la 
récolte, si les indigènes n'eussent tenu du matin au soir en senti- 
nelles dans leurs cultures, des enfants qui ne cessaient de crier 
à tue-tête en agitant de longues cordes en rotin tendues au- 
dessus des champs. 

Il ne restait plus, dans ce lac à sec, pour le passage des em- 
barcations qu'une espèce de sillon bourbeux où on les traînait 
à la file; plusieurs équipages se réunissaient pour mener à bien 
cette opération d'un labeur si pénible qu'on n'avançait guère en 
une journée que de quatre ou cinq kilomètres; encore fallait-il 
plonger bravement dans la fange et humer le miasme à pleins 
poumons; partout où il y avait encore de l'eau, la surface en 
était couverte d'une nappe d'huile et de débris variés de pois- 
sons, que des bandes voraces de pélicans, de marabouts, de vau- 
tours et d'aigles roux se chargeaient, fort heureusement, de faire 
disparaître au plus vite. 

A l'embouchure de chaque affluent du Tonlé Sap, à celle de 
chacun des canaux d'écoulement par lesquels se fait le drainage 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 43 

naturel des immenses plaines «voisinantes, M. Faraut, lors de 
son passage, trouva installé un établissement de poche. Je me 
souviens que nous avions avec nous, parmi les membres auxi- 
liaires de notre mission, un métis portugais, Alexis Om, ancien 
interprète du protectorat français à Phnom-Pènh, qui possède 
précisément une de ces importantes pêcheries. Elle est située 
sur le grand bras du fleuve, à l'entrée du petit lac, et occupe 
deux cent cinquante coolies, engagés, suivant la coutume lo- 
cale, à raison de cent ligatures de sapeks (100 francs) par saison, 
plus la nourriture, le vêlement, le bélel et le labac. 

Un détail caractéristique à noter, c'est la présence dans 
chaque pêcherie d'un agent de la « ferme des jeux », insti- 



tution parfaitement organisée avec unpersonncl de Chinois et 
un capital considérable. Le trésor royal en tire d'énormes 
revenus; mais pour le pays c'est la ruine, car il est superflu 
de dire que le bacoin — ainsi s'appelle ce jeu de dés, non moins 
dévorant qu'une roulette quelconque — absorbe à peu près ré- 
gulièrement le bénéfice des misérables coolies, souvent aussi 
celui des palrons, et parfois même la personne des pêcheurs qui 
jouent, le cas échéant, jusqu'à leur liberté. 

D'ordinaire, la pêcherie consiste en un barrage tenant toute 
la rivière, avec deux longues poches placées contre les rives et 



W L'ARCHITECTURE khher. 

dirigées chacune en sens opposé. Au milieu est une double 
porte, éclairée la nuit d'un fanal, el que des hommes occupant 
un petit canot ouvrent et ferment pour le passage incessant des 
barques. Le long du bord sont amarrés les grands bateaux cou- 
verts qui servent de magasins et les pirogues de pèche. Près de 
là, un plancher construit sur pilotis supporte les séchoirs et IV 
telier; par derrière se trouvent et la ligne des fours simple- 
ment creusés dans l'argile de In berge, et les chaudières où se 



Fumoir d'opium. 

fabrique l'huile; on peut voir, pendant la nuit, flamber ces 
fourneaux tout le long du fleuve, depuis Phnom-Pênh jusqu'au 
grand lac. Plus loin enfin, sur un point plus élevé du rivage, se 
dressent les maisons d'habitation, les greniers à sel et à riz, et 
souvent aussi, — superfluité indispensable, — celle tabagie orien- 
tale qu'on appelle le fumoir d'opium. 

Les grandes poches de la pêcherie, formées chacune d'un 
long boyau avec un étroit orifice, passe insidieuse offerte au 
poisson, ne tardent pas à se remplir, et bientôt ce n'est plus au 
dedans qu'un amoncellement de corps serrés les uns contre 
les autres et incapables de se dégager. Huit ou dix Annamites 
plongent alors parmi cette mêlée frétillante et saisissent à bras- 
le-corps les captifs dont quelques-uns sont parfois d'un mètre 
et demi de longueur et ne laissent pas, en se défendant, de 
blesser el de mordre les pêcheurs. Une fois pris, ils sont livrés à 



VOYAGE AU CAMBODGE. 47 

une autre escouade de travailleurs qui les coupent par mor- 
ceaux, et, ainsi préparés, les passent aux femmes. Celles-ci font 
le départ des bons morceaux et des mauvais; elles salent les uns, 
et mettent les autres dans une espèce de réservoir d'où on les 
extrait, quelques jours après, pour les jeter à la chaudière et en 
tirer l'huile. Quant aux détritus, on les rend, je l'ai dit, au fil de 
l'eau, pour la plus grande joie des volatiles toujours à l'affût de 
cette odorante provende. 

Alexis Om paye environ six cents barres d'argent (48,000 francs) 
son droit de pêche pour une année, et il recueille en moyenne 
quinze mille piculs (900,000 kilogrammes) de poisson salé, qu'il 
vend ensuite seize ou dix-sept francs le picul, soit deux cent 
quarante mille francs, somme ronde. 11 s'estime heureux, tous 
ses frais payés, de réaliser trente ou quarante mille francs de 
bénéfice qu'il partage avec un associé. L'association se fait géné- 
ralement entre deux patrons de nationalité différente, ce qui 
donne plus de facilités pour diriger l'exploitation et conduire les 
hommes. 

m 

Dans le seul Tonlé Sap, h l'époque de la grande sécheresse, 
on ne compte pas moins de cinquante mille pêcheurs de tous 
pays : on peut juger par ce chiffre à quel trafic doit donner lieu 
la fourniture du matériel, des barques, du riz, du bois et du sel, 
ainsi que la vente du poisson, dans ces pêcheries gigantesques. 
Mais, je l'ai dit, à l'époque où notre mission traversait ces pa- 
rages, tout y était redevenu silence et solitude ; deux ou trois 
bambous dépassant à peine la surface de l'eau, telle était, pour le 
moment, la seule trace visible des industrieux établissements que 
je viens de décrire. 

Quelques heures durant, nos chasseurs envoient leur plomb 
aux myriades d'oiseaux qui s'envolent à l'approche de notre 
canot ; puis nous entrons dans une forêt de trams, grands arbres 
dont l'écorce, se détachant en larges plaques, sert à former la 



48 L'ARCHITECTURE KHMER. 

toiture des habitations. Là, les guides nous engagent à cesser la 
fusillade, de peur que notre menue mitraille n'atteigne quelques- 
uns de ces indigènes qui rôdent en pirogue dans la forêt, à la 
recherche du miel exquis que l'on y rencontre en abondance. 

Bientôt après, te village de Phat-Son-Daye nous apparaît. 

Ce n'est aussi qu'un hameau flottant, exclusivement occupé 



Installés dans les chars, nous coupons en ligne droite II travers les hautes licrbea 
dans plusieurs pieds d'eau. 



par des pêcheurs; les habitants de ces parages vivent presque 
constamment dans leurs barques; ils se contentent d'établir sur 
la rive, à fleur d'eau, de petits campements provisoires pour y 
loger leurs animaux domestiques, et, suivant la crue, ils se trans- 
portent aux points qui leur promettent le plus riche butin, errant 
sans cesse sur ce désert liquide, comme les Arabes nomades à 
travers leur désert de sable. Deux jours de navigation dans cette 



VOYAGE AU CAMBODGE. 49 

solitude nous conduisent enfin à un lieu vivant, Compong-Thôm^ 
« le Grand Marché », une ancienne ville qui fut détruite par la 
guerre et l'incendie. Ici le personnel de la mission se sépare 
momentanément : tandis que M. Bouillet se chargé de remonter 
le cours supérieur de la rivière, nous nous disposons, de notre 
côté, à gagner la montagne Phnom-Sontuc , où Ton nous a signalé 
des ruines. 

Les cases de Compong-Thôm sont construites sur un terrain 
qui dépasse de deux mètres à peine le niveau de la rivière, et 
tout alentour, à perte de vue, s'étendent des marais; Phnom-Son- 
tuc, au contraire, s'élève au-dessus de cette vaste plaine liquide 
comme un îlot volcanique sortant de la mer. 

Installés dans des chars, nous coupons en ligne droite à tra- 
vers les hautes herbes dans plusieurs pieds d'eau. Les buffles qui 
traînent nos véhicules sont là dans leur élément favori; c'est 
plaisir de les voir barboter dans la vase, parfois jusqu'à mi-corps, 
puis, au plus épais du fourré, écarter les joncs avec leurs lon- 
gues cornes arquées, et, le cou tendu, reniflant avec bruit comme 
pour s'exciter à l'effort, se frayer victorieusement un passage. 

Les chars s'avancent sans ordre dans le marais ; il faut renoncer 
à garder la file. Les buffles, ces bêtes si terribles à l'état sauvage, 
et qui, on le verra plus loin, tiennent tête à l'éléphant même, ne 
se laissent pas dompter aisément par les indigènes ; mais, une fois 
qu'ils sont soumis, de petits enfants peuvent les conduire, à moins 
toutefois qu'ils ne viennent à flairer un étranger. La présence 
seule d'un Européen, fût-ce même hors de leur vue, derrière eux, 
dans le char qu'ils traînent, suffit à leur inspirer une vive in- 
quiétude; pendant quelques instants, ils regardent autour d'eux 
avec défiance ; puis, n'apercevant point l'ennemi qu'ils ont 
éventé, ils se calment peu à peu, se laissent de nouveau guider 
par leurs conducteurs, et tout péril disparaît. 

A un endroit, une rivière profonde nous barre le chemin. Que 

3 



50 L'ARCHITECTURE KHMER. 

faire? Nos indigènes ne sont pas embarrassés pour si peu. Le* 
hommes s'embarquent sur une pirogue, mais une pirogue si étroite» 
qu'il faut faire des prodiges d'équilibre pour ne point chavirer. 
Pour les chariots et les buffles, la manœuvre est plus ingénieuse.. 
Après avoir traversé le cours d'eau, les guides, au moyen de lianes, 
halent d'une rive à l'autre les véhicules, et, du même coup, les. 
bêtes d'attelage, qui, attachées derrière les chars, nagent sans* 
péril à leur suite. Nous sortons enfin du marécage et nous pre- 
nons pied sur la terre ferme. C'est une zone étroite, mais fertile- 
etbien cultivée,qui entoure la base du monticule où nous nous ren- 
dons. Là, lemè-sroc ou chef de village vient à notre rencontre avec 
de nouveaux conducteurs, et alors commence, par un étroit sentier 
ombreux, l'ascension de la montagne sainte. 

Les indigènes n'accompagnent jamais volontiers les Européens 
dans les lieux sacrés ; aussi nos guides ont-ils commencé par f ai re- 
tous leurs efforts pour éviter la corvée qui leur est imposée ; 
chemin faisant, ils essayent encore de nous terrifier par toutes 
sortes d'histoires tragiques, et nous dévident un nécrologe de voya- 
geurs imprudents mis à mort sans miséricorde par les néak-ta (gé- 
nies gardiens) qui, sous la forme de tigres féroces, rôdent sans cesse 
au pied de la montagne sainte pour en interdire l'accès aux pro- 
fanes. Malgré ces efforts méritoires d'imagination, nous poursui- 
vons lentement notre marche sous le couvert de la grande forêt. 
Malheureusement, au plus fort de l'escalade, nous sommes surprix 
par une averse diluvienne telle qu'il n'en tombe que dans ces- 
régions, et en un instant notre route se trouve transformée en un 
véritable torrent. 11 nous faut gravir péniblement des blocs de- 
grès glissants, puis nous engager dans un escalier naturel qui 
contourne une gigantesque muraille de l'autre côté de laquelle se- 
font entendre des tintements argentins. Tant bien que mal pour- 
tant nous arrivons au sorjimet. Devant nous se dresse une jolie 
pagode cambodgienne dont les toits recourbés sont garnis de clo- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 5! 

eheties. C'était le son de ces clochettes agitées par le vent qui avait 
de loin frappé nos oreilles. La place est déserte, mais lès offrandes 
qui entourent la statue de Bouddha attestent qu'on y vient parfois 
en pèlerinage. Des chevelures coupées qui baignent dans une sorte 
d'auge en pierre., remplie d'eau *, — peut-être anciennement 
quelque préa-bat ou empreinte sacrée du pied de Çakya-Mouni, 

* 

— prouvent aussi que maint dévot, désireux de se vouer à la vie 
contemplative, a choisi ce lieu saint pour y accomplir la céré- 
monie de la tonsure et y prendre, suivant le rite, la robe jaune 
des bonzes. 

Dès l'abord, la pagode seule avait attiré nos regards, mais nous 
ne tardons pas à remarquer que les blocs de rocher environnants, 
tout recouverts de végétation, ont été jadis profondément sculptés. 
Aux uns on avait donné la forme de pyramides ornées de décou- 
pures étagées, d'autres avaient figuré les diverses représentations 
du Bouddha, debout, assis ou couché. Quelques-unes de ces sta- 
tues ont plus de 15 mètres de longueur; certaines d'entre elles 
sont assez belles d'exécution et remontent visiblement à plusieurs 
siècles, car les Cambodgiens ont depuis longtemps désappris l'art 
de fouiller les dures entrailles de leurs rochers, et les idoles 
colossales qui occupent aujourd'hui le fond de leurs temples ne 
sont faites que de briques recouvertes de divers enduits. 

A l'opposite de la pente que nous avions gravie, le roc était taillé 
à pic du sommet jusqu'à la base ; par places, la paroi verticale 
était ouvragée de gigantesques effigies. L'une d'elles fixa parti- 
culièrement notre attention : elle représentait le Bouddha étendu 
au fond d'une excavation et dormant la tête appuyée sur des oreil- 
lers. Un gros bloc en surplomb l'abritait; des lianes et de grandes 

1 Près de cette auge, plusieurs figures étaient gravées au trait sur le 
rocher. H. Ratte les dégagea de la terre et des herbes qui les couvraient, et 
y reconnut le dessin de plusieurs grandes jonques annamites ou chi- 
noises, mâts dressés et voiles déployées. 



52 L'ARCHITECTURE KHMER. 

plantes au feuillage varié entouraient son corps; on eut dit que 
le dieu, fatigué, était venu chercher le repos dans l'odorante et 
fraîche pénombre de quelque grotte mystérieuse. D'autres figura- 
tions de la même divinité, les mains jointes ou dans l'attitude de 
la prédication, environnaient ce grand bas-relief. Plus bas, sur 
des gradins naturels dont l'accès nous était impossible, nous 
vîmes des vestiges de constructions détruites par le temps et la 
végétation ; c'étaient des espèces de hangars recouvrant d'im- 
menses personnages de pierre. 

Tandis que nous contemplons un instant, du haut de notre 
observatoire, le spacieux panorama qui se déroule à nos pieds, un 
bruissement subit agite le feuillage autour de nous, et une troupe 
de singes s'avance en gambadant; ce sont dessemnopithèquesau 
poil sombre avec une longue queue blanche ; à peine avons-nous 
le temps de les examiner, car en nous apercevant ils rentrent 
aussitôt dans le fourré. Un repas à la mode du pays nous attendait 
au bas de la montagne dans une de ces* cases ouvertes dites salas, 
qu'on improvise comme maisons d'hospitalité pour les étrangers. 
Sous l'œil ravi des indigènes assis en rond autour de nous, nous 
faisons honneur au riz, aux salades de bambou et de concombres, 
ainsi qu'aux oranges et aux bananes; nous ne pouvons toutefois 
prendre sur nous de goûter le poisson plus que faisandé, les œufs 
couvés, les vers de bambous et autres mets recherchés qu'on a 
joints au festin par un surcroît d'attention. 

Comme il nous fallait regagner de jour notre campement de 
Compong-Thôm, force nous fut de nous arracher aux douceurs de 
ce festin original. Le soleil commençait à se coucher quand nous 
arrivâmes. Avant de remonter à bord, je m'arrêtai dans la case 
d'un des guides, où je trouvai deux jeunes enfants occupés à jouer 
avec un reptile long comme la main : c'était un petit crocodile nou- 
veau-né que le père avait ramassé en traversant le marécage. Les 
crocodiles pullulent par milliers dans ces régions inondées des 



VOYAGE AU CAMBODGE. 55 

lacs. A l'époque du retrait des eaux, tes indigènes en prennent de 
grandes quantités ; ils tes enferment dans d'immenses cages en 
bambous, et plus tard on les leur achète pour les transporter dans 
les villes du Cambodge et jusque dans l'Annam. Il y avait plu- 
sieurs de ces prisons flottantes le long du rivage, tout près de l'en- 
droit où avait accosté notre canonnière, et, avant de savoir quelles 
sortes d'hôtes y logeaient, nous passions sans défiance aucune sur 
ces façons de radeaux dont l'orifice n'était fermé que par un gril- 
lage aux barreaux tellement espacés, qu'un homme y eût pu choir 
le mieux du monde comme par une trappe. 



(Temple de l'Ile du Préeiem Joyau.) 



CHAPITRE III 

Sur la rivière de Stung. — Le cas du mandarin. — Difficultés de navigation. 
— Stung. — Les ruines de Préa-Khan. — Scène d'exorcisme. — La tour 
Préa-Tcol. — La pyramide du Saint- Éléphant- — Départ pour la forteresse 
de l'Ile du Précieux Joyau. — Incidents de roule. — Les Kouys. — Trou- 
vailles archéologiques. — Retour de Préa-Khan. — Découverte d'une pressât 
ornée de la quadruple face de Brahms. 



I 

Le lendemain nous regagnions le lac et nous pénétrions dans 
un autre affluent qui devait nous conduire à Stung, chef-lieu de 
la province du même nom. A l'entrée de cette nouvelle rivière, la 
ligne des anciennes pêcheries était marquée par un barrage de 
troncs d'arbres, au milieu desquels il y avait place pour le passage 
de la canonnière. Nous le franchîmes et nous nous enfonçâmes en 
pleine forêt, par 5 mètres d'eau. Nous avions déjà décrit bon 
nombre de sinuosités à travers les hautes herbes et les bouquets 
d'arbres, lorsque tout à coup, à notre grande surprise, une large 
percée s'ouvrit devant nous dans la futaie et nous laissa voir une 
immense étendue d'eau à l'horizon. 

Était-ce un mirage, ou cette navigation aux zigzags fantastiques 



58 L'ARCHITECTURE KHMER. 

nous avait-elle ramenés à la mer intérieure d'où nous sortions? 11 
n'en était rien; nous avions atteint un de ces bassins lacustres 
encore inexplorés qui, au rapport des indigènes, existent en assez 
grand nombre dans la zone basse limitrophe du Tonlé-Sap. La 
Javeline s'y engagea d'une allure circonspecte ; c'était une nappe 
ovale de 6 à 7 kilomètres en longueur, bordée de tous côtés par la 
forêt, et envahie par un vaste ourlet circulaire de grandes herbes 
très-denses. Nous traversâmes la partie libre et nous fîmes pru- 
demment halte à la limite des joncs. Nos pilotes ne pouvant dis- 
tinguer, à cette distance, l'embouchure de la rivière de Stung, 
que nous voulions atteindre, des pirogues furent envoyées à la 
découverte. 
. Tandis qu'installés sur le toit de la canonnière, nous cherchions 
de notre côté à reconnaître au moyen de nos lorgnettes quelque 
brèche lointaine dans le massif, des gémissements étouffés frap- 
pèrent nos oreilles. L'auteur de ces lamentations n'était autre que 
le mandarin dont le roi Norodom avait grossi officiellement 
notre escorte. Depuis deux jours le pauvre homme, blotti dans un 
coin obscur avec tout son bagage, une natte, une boîte à bétel et un 
oreiller, offrait l'image achevée de la mélancolie souffreteuse. Nous 
avions eu beau l'interroger sur les causes de sa tristesse, il s'était 
refusé opiniâtrement à parler. 

Au moment où ses plaintes venaient de distraire notre attention, 
sa figure présentait une expression singulière ; de grosses gouttes 
de sueur ruisselaient de son front; bientôt il se mit à pousser des 
cris bizarres et à gesticuler en tremblant de tous ses membres. 
Impossible néanmoins de lui arracher une syllabe. Nos inter- 
prètes affirmaient qu'il était en extase : « C'est son Bouddha qui 
l'agite, » nous disaient-ils. Or le mandarin en question était d'ori- 
gine malaise et sectateur de Mahomet. Le docteur assurait de son 
côté que le malheureux était en proie à un violent accès de fièvre. 
Ce n'était, par le fait, qu'un violent accès de superstition ; nous 



VOYAGE AU CAMBODGE. 59 

apprîmes du patient lui-même, lorsqu'il fut un peu plus calme, 
que dans Tune des nuits précédentes, comme il reposait étendu 
sur le pont, un matelot en passant lui avait frôlé la tête de son 
pied nu. Ce grave accident était l'unique cause de sa maladie, et, 
en vertu du préjugé cambodgien, que toute atteinte à la tête est 
d'un funeste présage, notre mandarin ne prévoyait plus pour la 
suite de son voyage qu'une série de mésaventures. En vain, pour 
se préserver de tout nouvel attouchement irrévérencieux, de- 
manda-t-il en grâce qu'il lui fût permis d'établir ses pénates sur 
le toit du navire ; cette précaution ne lui rendit ni le calme ni la 
santé, et bientôt il sollicitait l'autorisation de retourner à Phnom- 
Pénh, par la raison qu'une campagne si mal commencée devait 
aboutir infailliblement pour lui à une fin fâcheuse. Il était difficile 
de lutter contre une conviction si fermement arrêtée ; aussi prîmes- 
nous le parti de renvoyer notre mandarin, tout en lui exprimant 
nos regrets de nous priver de ses services. 

Quelques heures s'étaient écoulées, et nous ne parvenions tou- 
jours pas à trouver l'entrée de la rivière. Par une chance heu- 
reuse, surtout à cette époque de Tannée, nous découvrîmes enfin 
une barque indigène naviguant parmi les roseaux. Nos chaloupes 
eurent vite fait de la rejoindre et de nous l'amener. Elle arrivait 
directement de Stung et appartenait à un riche négociant chinois 
de Phnom-Pènh, dont le fils se trouvait à bord. Celui-ci était un 
homme civilisé, avec lequel nous nous entendîmes aisément ; il 
consentit à nous céder un de ses rameurs pour nous servir de pi- 
lote jusqu'à la région habitée. 

Le parcours de la rivière fut pour nos équipages un rude exer- 
cice de patience ; je ne sais s'il existe au monde un cours d'eau 
plus sinueux, plus sombre, plus rempli d'obstacles de toute nature. 
La profondeur ne manquait pas; même le long de la berge, elle 
était constamment de 5 ou 6 mètres ; mais le lit du fleuve était 
obstrué aux trois quarts par des arbres penchés, des lianes, des 



60 L'ARCHITECTURE KHMER. 

arbustes dont les branches étaient couvertes de myriades d'in- 
sectes, de fourmis rouges, quelquefois même de serpents qui se 
laissaient tomber avec les feuilles et les fleurs. Pour peu que la 
canonnière frôlât au passage un de ces rameaux, le pont était 
immédiatement jonché de bêtes et de plantes, si bien que nos 
naturalistes pouvaient, sans plus de dérangement, herboriser à 
souhait et enrichir leurs collections entomologiques. 

Le soir de la deuxième journée, le chenal s'encombra tellement 
que la Javeline dut s'arrêter à l'embouchure d'un affluent, près 
d'un hameau de quelques cases. Nous la laissâmes à ce mouillage 
et nous nous embarquâmes, munis de tout notre attirail de cam- 
pagne, sur la chaloupe à vapeur, afin de remonter jusqu'à la ville. 

Les berges, dans cette seconde partie du trajet, s'élèvent suc- 
cessivement ; aux broussailles succèdent de grands arbres, figuiers, 
azélias, bombax, enchevêtrés de lianes énormes aux fruits véné- 
neux. De chaque bouquet de verdure s'envolent à notre approche 
des bandes de perruches criardes, de pigeons verts, de rolliers 
au plumage d'azur; parmi les remous du courant tournoient sou- 
vent, étendus sur le dos, d'immenses cadavres de crocodiles, dans 
la peau coriace desquels s'escriment, à grands coups de bec, de 
gros vautours au cou et aux pattes couleur é cari a te. Les échassiers 
n'abondent plus ici comme au bord du lac ; à peine rencontrons- 
nous encore des hérons, des ibis et des aigrettes. Quelques oiseaux 
pêcheurs, des cormorans, des sarcelles, se tiennent dans les en- 
droits les plus calmes ou plongent dans l'onde autour de nous. 

Nous sortons enfin des ombres profondes de cette forêt sauvage, 
et nous revoyons la lumière et le ciel. En même temps le lit de 
la rivière s'élargit et se dégage. Voici quelques pirogues qui se 
hâtent de serrer la rive pour nous livrer le passage ; voici plus 
loin deux barques élégantes conduites par des rameurs en costume 
de fête ; ces dernières se dirigent vers nous et nous accostent : les 
personnages qu'elles portent sont, en effet, les envoyés du grand 



n 






f . 



i. 



« i 



VOYAGE AU CAMBODGE. 63 

mandarin de Stung, chargés de nous souhaiter la bienvenue à 
notre entrée dans les eaux de la ville. 

Stung s'étend de chaque côté du fleuve sur une longueur de 
près d'une lieue ; entre les cases entourées de vastes jardins se 
trouvent des terrains vagues servant de pâturages. Le port, situé 
au centre, contenait, lors de notre arrivée, une trentaine de grandes 
jonques et beaucoup de pirogues construites par les tribus sauva- 
ges de l'intérieur pour être expédiées chaque année en Cochin- 
chine et au Cambodge. Près de là, sur la rive gauche, était établi 
un campement de soldats avec de l'artillerie, des chars, des buffles, 
•des bœufs et tout un attirail de guerre. Nous fûmes reçus dans 
une sorte de grand magasin en bambous, encombré d'armes, de 
vivres, de munitions de toute sorte, par le chef civil et militaire 
de la province, un grand mandarin du titre de Thoméa Déchu 1 . 
Depuis quelques jours déjà il était iqformé de notre voyage, et il 
avait eu soin de réunir des guides et de préparer une trentaine 
de chars à notre entière disposition. 

Dès le lendemain, laissant la chaloupe sous la garde de l'équi- 
page, nous commençons notre tournée d'exploration au travers de 
marais, de rizières inondées, de prairies entremêlées de taillis, de 
forêts de pins et d'essences précieuses, parfois aussi de torrents des- 
séchés et aux rives à pic dont le passage nous cause les ennuis d'un 
débardage pénible et oblige nos buffles à de longs détours. Chaque 
soir nous campons près d'un cours d'eau ou d'une mare, afin que 
les bêtes puissent se désaltérer, et nous couchons sur la terre nue, 
abrités seulement de la rosée par des gourbis en feuillage. 

Vers le milieu de la cinquième journée de marche, nous som- 
mes arrêtés par une sorte de chaussée de quelques mètres de hau- 
teur ; devant nous se dresse un bouquet de borassus dont les 
panaches flabelliformes dominent tout aux alentours. Ces grands 

1 On donne ce titre au gouverneur de la province de Baphnôm. 



64 L'ARCHITECTURE KHMER. 

palmiers, dont les feuilles sont utilisées en manière de papyrus 
dans les monastères, annoncent toujours dans l'Indo-Chine, 
comme les dattiers dans le désert, rapproche de lieux habités ou 
tout au moins le voisinage d'anciens centres de civilisation. Effec- 
tivement, la chaussée à laquelle nous venions de nous heurter 
était une antique voie khmer; nous touchions aux ruines de Pon- 
téay Préa-Khan K > les dernières qu'aperçut le commandant de La- 
grée dans la rapide excursion qu'il fit de ce côté. D'autres ruines 
considérables aux environs, la tour Préa-Tcôl, la pyramide de 
l'Éléphant sacré, indiquent qu'il y eut là jadis une ville impor- 
tante dont l'emplacement devait offrir matière à d'intéressantes 
recherches. Le village moderne, le plus proche ne se compose 
que de quelques cabanes. La végétation dans tout ce district est 
tellement épaisse qu'il est impossible de faire un pas sans tailler 
devant soi dans le fourré, à l'aide du grand couteau cambodgien, 
lianes, rotins ou fougères. Enfin, au bout de cinq cents pas dans 
cette forêt quasi vierge, l'horizon s'entr'ouvre brusquement, et l'on 
aperçoit, en travers d'une large nappe d'eau aux rives treillissées 
d'arbustes et de plantes sarmenteuses, un pont massif en partie 
enfoui que flanquent des rangées fuyantes d'immenses cariatides, 
sorte d'aigles énormes, enserrant dans leurs griffes des serpents 
polycéphales. A l'extrémité de cette chaussée, on distingue une 
haute muraille, des colonnes et un édifice percé de portes ogivales. 
Cet amas de constructions étincelle magnifiquement sous les 
feux de l'ardent soleil qui tombe du zénith, tandis qu'autour de 
nous, dans l'ombre projetée par les bambous dont les tiges re- 
courbées se croisent au-dessus de nos têtes comme les arceaux 
d une cathédrale, gisent pêle-mêle des pierres brisées, des statues, 
des corps délions, enfouis dans les herbes. A nos côtés, émerge 

1 Préa-Khan, la divine épée dont il sera question p. 43 i. 
À Siam, Pra-Khan, l'épée dans un vase, est un des cinq grands insignes de 
la royauté. (Voy. Alabaster Henry, The Wheel of The Law.) 



in 



• j 



\ > 



VOYAGE AU CAMBODGE. 67 

à demi hors de l'eau un énorme monstre à neuf têtes, fantas- 
tique dragon, cent fois plus terrible et plus menaçant d'aspect que 
les crocodiles qui peuplent ces solitudes. Nous nous engageons 
sur la chaussée en suivant un sentier frayé par les bêtes fauves, 
aujourd'hui les seuls hôtes de ces ruines, et mes compagnons, 
pour qui ce spectacle est tout nouveau, ne peuvent retenir des cris 
d'étonnement et d'admiration. 

Nous nous arrêtons sous la porte principale, magnifique con- 
struction à trois entrées surmontées de trois tours et précédées de 
péristyles; sur les dalles qui couvrent le sol apparaît encore la 
trace des roues des anciens chars. Nous enjambons par-dessus les 
éboulis de pierres et nous pénétrons au centre des vastes restes de 
Pontéay Préa-Khan. A droite et à gauche sont de petits édifices 
entre lesquels passait la chaussée, maintenant à peine recon- 
naissable et que nous continuons de suivre. Sur le linteau de 
la porte de l'un d'eux est une inscription parfaitement conservée 
dont j'ai pris l'estampage et qui m'a été ensuite expliquée par 
M. Aymonier. Cette inscription semble relative à l'abdication 
du prince Préa-Srey *, lequel se retira dans un monastère boud- 
dhique pour s'y vouer à la vie contemplative : 

« Rendons grâce à Celui qui possède la connaissance suprême... 
Moi, du nom de Préa Srey... grand roi de la race solaire... j'ai 
quitté le trône parce que ma sagesse l'a reconnu entaché de souil- 
lures 9 . » 



' * La légende locale attribue la fondation de plusieurs monuments du 
groupe de Préa-Khan au roi Phra (Préa) Bat Srey Thoma Soc Arack, La 
chronologie des rois du Cambodge contient plusieurs fois le nom de Préa- 
Srey, mais sans indications suffisantes pour permettre d'identifier l'un de ces 
princes avec celui de l'inscription. Il semble qu'il y ait grand intérêt à recher- 
cher cette identification qui donnerait pour la première fois une date à peu 
près certaine de la construction d'un des temples les plus remarquables du 
Cambodge. 
1 Voy. à l'appendice : Inscription de Préa-Khan. 



88 L'ARCHITECTURE KIIMLK. 

Plus loin, nous atteignons une petite plate-forme rectangu- 
laire, au milieu de laquelle se dresse une stèle, carrée à la base, 



Ces Hong debout, les premiers que nous ayons rencontrés dans cette attitude, étaient 
jadis l'objet d'une vénération particulière 



surmontée de quatre frontons en ogive entourés de flammes, et 
terminée par une rosace en forme de lotus épanoui. Des files do 



VOYAGE AU CAMBODGE. 69 

petits Vichnous à quatre bras, armés de massues et alignés comme 
des soldats, en couvrent les parois. 

Des racines vagabondes, en pénétrant par d'imperceptibles fis- 
sures, ont fait éclater cette curieuse stèle, dont nous avons recueilli 
plus tard les fragments et qui se trouve aujourd'hui au musée '. 

Plus loin encore, nous trouvons un grand lion qui se dresse 
menaçant, la patte en avant, tandis qu'un autre, entièrement 
semblable, gît dans l'herbe à quelques pas du premier *. Tous 
deux n'ont plus qu'une de leurs pattes antérieures. Ces lions de- 
bout, les premiers que nous ayons rencontrés dans cette attitude, 
étaient jadis, parait-il, l'objet d'ijne vénération particulière, et 
la légende dit même qu'au temps de la conquête siamoise les 
armées ennemies se disputèrent avec acharnement la possession 
des pattes aujourd'hui disparues, car, à la prise de ces talismans, 
était attaché le gain assuré de la victoire. 

Continuant à nous frayer un chemin au travers des décombres, 
nous remarquons successivement des débris de statues boud- 
dhiques, belles encore dans leur affreux état de mutilation, des 
stèles si finement sculptées que, n'étaient les attributs qui les or- 
nent, on serait tenté de les prendre pour des œuvres de la renais- 
sance italienne ; enfin, dans deux édicules moins dégradés que 
les autres, une quantité de petites trinités brahmano-bouddhiques 
entassées au milieu de figurines plus grossières et de divers mor- 
ceaux d'une réelle valeur 3 . 

1 Voyez page 359, la vignette qui représente la partie supérieure de cette 
stèle : une file de petits dieux avec un fronton (celui qui était dirigé 
vers l'est). On y distingue le dieu Vichnou couché sur Ananta (en forme de 
dragon), au-dessous duquel une tortue et des poissons figurent la mer. Les 
jambes du dieu sont soutenues par une de ses femmes ; Brahma sort du 
lotus qu'il tient à la main. 

1 Un de ces lions, dont on voit ici le dessin, a été également rapporté en 
France. 

3 Plusieurs des statues, stèles et figurines du Musée proviennent de ces 
ruines. Voy. p. 295, 358... etc. 



70 L'ARCHITECTURE KHMER. 

J'écarte à dessein de ce récit les détails purement techniques 
qui n'ajouteraient rien à l'effet de cette première description 
toute pittoresque des monuments cambodgiens. L'art khmer 
présente une telle originalité, il diffère si profondément de tout 
ce que nous connaissons, qu'il demande à êlr< exposé d'ensemble, 
avec un développement de notions générale: . C'est ce que, plus 
loin, nous essayerons de faire. Qu'il nous suffise de dire ici que 
l'amas de ruines au milieu desquelles nous ( ions, embrassait, y 
compris plusieurs grands sras ou pièces d'eau sacrées, une super- 
ficie d'environ 5 kilomètres carrés. Ce n'était rien moins, en effet, 
que le squelette d'une de ces fastueuses résidences royales dont 
était jadis couvert le sol du Cambodge. L'enceinte fortifiée de 
cette ville renfermait autrefois palais, harem, jardins, dépen- 
dances immenses, logements d'officiers, attirail complet d'une 
cour d'Orient. A la place d'honneur trônait la divinité. On l'ado- 
rait dans un temple central ' surmonté de neuf hautes tours à 
étages, au pied desquelles s'étalaient de vastes caravansérails 
pour les pèlerins et des monastères entourés de pièces d'eau et 
d'arbres sacrés. Autour de la grande pontéay ou enceinte forti- 
fiée, se groupaient d'autres constructions, telles que forts, sanc- 
tuaires, pagodes, édicules de tout genre, dont les colonnades 
gisantes et les galeries écroulées représentent, en dehors du massif 
principal, une zone secondaire de débris. 

L'état ruineux de ce monument nous a permis d'y noter une 
particularité curieuse. Les linteaux monolithes des principales 
ouvertures avaient été creusés à l'intérieur, et dans ce vide on 
avait glissé des poutres destinées à supporter le poids énorme de 
la construction supérieure a . En certains endroits, il y a même eu 
dans la muraille une superposition d'ais parfaitement dissimulés. 
Ces morceaux de bois, dont les fibres extérieures ont été rongées 

1 Voy. p. sui yante. 
8 Voy. même dessin. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 73 

par les termites, présentent une apparence spongieuse, mais ce 
•qui en reste a aujourd'hui la dureté du fer, et ces traverses de sou- 
tènement n'ont cédé que lors de l'effondrement complet de l'édi- 
fice. Ce mode de construction, particulier au temple de Préa-Rhan, 
vient peut-être de ce que les carrières de grès, où Ton puisa, 
n'offraient pas de stratifications assez épaisses pour fournir des 
pièces d'une solidité suffisante. 

Gomme nous rentrions à notre campement, nous entendîmes le 
son d'un gong sur lequel on battait un rappel désordonné. Curieux 
•de connaître la cause de ce tapage,' nous hâtâmes le pas, et nous 
vîmes bientôt un rassemblement d'une trentaine de personnes 
dont l'attention était trop sérieusement occupée pour qu'elles 
pussent remarquer l'arrivée de notre troupe. Il s'agissait d'un 
•exorcisme. Au milieu du groupe se tenait la possédée, vêtue de 
blanc, selon la coutume, et ayant en main une sorte de vase en 
bambou dont elle frappait le sol. C'était l'épreuve décisive, et 
-d'après les mouvements saccadés de la malade, il parut certain 
•qu'elle était sous l'influence du mauvais esprit. On se mit donc en 
devoir de la délivrer. Deux bonzes s'avancèrent vers elle et lui 
présentèrent un tronc de bananier taillé en forme de fleur de 
lotus, qu'elle prit entre ses bras. Quelques assistants firent brûler 
des baguettes odoriférantes, puis on alluma deux cierges fichés 
sur de petits tas de terre. Les bonzes entonnèrent alors une psal- 
modie, sorte d'évocation où ils imploraient l'esprit malfaisant, le 
priant de déclarer à quelle condition il daignerait laisser en paix 
sa victime. 

Cette objurgation terminée, les bonzes firent avancer le mari 
qui, à haute voix, interrogea le démon et lui demanda quel re- 
mède il devait employer pour obtenir la guérison de sa femme. 
Le malin esprit était sans doute ce jour-là de bonne humeur, car 
il répondit par la bouche de l'épouse inspirée que, moyennant 
quelques offrandes à la pagode, des prières et une recette toute 



74 L'ARCHITECTURE KHMER. 

conjugale, plus facile à préciser en cambodgien qu'en français, il 
se tiendrait pour satisfait et signerait la paix. Le mari promit tout ; 
les bonzes prononcèrent les formules sacramentelles, et rassem- 
blée, sans se départir de sa gravité, entra dans la case des époux 
pour y prendre part au festin qui allait clore la cérémonie. Quant 
à nous, un instant après, nous étions de retour à notre sala *. 



II 



Le lendemain nous allâmes visiter la tour Préa-Tcôl, ruine 
hantée, comme celle de Phnom-Sontuc, par une multitude de 
singes que notre arrivée mit en fuite. Cette construction s'annonce 
par deux sras que sépare une chaussée a dont les rampes ont pour 
support des cariatides de krouths ou de lionceaux 3 . L'enceinte 
en est couronnée d'une suite d'ogives qui encadrent chacune 
un personnage et simulent des petits créneaux 4 . Deux géants, 
sortes d'Hercules trapus appuyés sur leur massue 5 , et deux lions 
fantastiques au repos, en gardaient l'entrée principale. 

Les quatre péristyles de la préasat (tour) sont ruinés ; mais les 
sculptures qui l'ouvrageaient de la base au sommet sont encore 

1 Les cérémonies d'exorcisme sont fréquentes au Cambodge où la sorcel- 
lerie est en honneur ; le peuple croit que les âmes des morts viennent aider 
ou tourmenter les vivants ; il appelle Aréaks les bons esprits, Kamoï ou Phi les 
mauvais (hi signifie à la fois cadavre et esprit d'un homme défunt. — Bastian.) 

Parfois les esprits sont récalcitrants ; pour les chasser les sorciers em- 
ploient alors le bâton. 

* Yoy. p. 286 une vignette indiquant la disposition d'ensemble de cette 
tour qui s'élève au centre d'une cour rectangulaire avec mur d'enceinte et 
porte monumentale précédée d'une chaussée et de deux pièces d'eau. 

* Voy. p. 334. 

4 On peut voir au Musée Khmer un fragment de la crôte de cette enceinte. 

5 L'un de ces géants (phis figure au Musée Khmer. 



L'un des gardiens du temple Prés-Tcfll 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 77 

visibles. C'est d'abord un cordon d'adorateurs agenouillés, les 
mains jointes, le long du soubassement ; au-dessus, chacun entre 
deux groupes de neuf personnages en prière, quatre éléphants 
tricéphales sortant de la muraille; leurs trompes, enroulées au- 
tour d'un feuillage, s'arc-boutent sur le soubassement et leurs 
têtes supportent le premier entablement. A l'étage supérieur se 
dressent quatre grands krouths *, oiseaux sacrés de Vichnou,aubec 
d'aigle et au corps de femme; ils enserrent entre leurs jambes 
quatre têtes du monstre Rhéou * ; sur leurs côtés rampent quatre 
doubles reptiles polycéphales qu'ils ont domptés, et leur lête et 
leurs bras soutiennent un second entablement. Au-dessus, on voit 
encore vingt oiseaux, moitié aigles, moitié hiboux, analogues à 
ceux qui décorent les ponts du grand temple, et, plus haut, des 
étages disposés comme dans les tours classiques. De grandes faces 
de divinités s'encadrent dans l'ogive des triples frontons étages 
au-dessus des quatre entrées; des tévadas ou anges du ciel, sous 
la forme de belles femmes demi-nues et richement parées, occu- 

1 Garoudas ou griffons. 

2 Chez les Khmers, Rhéou, le plus puissant des diables (laksha), ayant 
volé l'eau de l'immortalité, le dieu Indra le poursuivit armé du disque ou 
chakra et lui trancha la tête ; mais déjà le démon voleur avait trempé ses 
lèvres dans le breuvage divin. Sa tête ne pouvait plus mourir ; depuis elle 
vole dans les airs sans s'arrêter. 

Cette figure hideuse est très employée dans la décoration khmer ; souvent 
le monstre, vu de face, rampe sur la base des frontons ou de l'entablement des 
portes d'entrée. Ses yeux sont à fleur de tête, il montre les dents ; il est 
entouré de rinceaux dont les tiges sorties de sa gueule sont retenues entre 
les griffes de pattes grêles, demi cachées sous ses énormes mâchoires. Son 
dos sert de trône à Préa-En (Indra), ou à quelque autre divinité. 

Pour les Siamois, Rhaou n'a rien de diabolique ; bien au contraire, il est le 
Chao Athit, le seigneur du soleil. Lorsque le soleil (qui est du sexe et du 
genre féminins à Siam) se lève le matin, Rahou le prend avec sollicitude 
dans ses bras et le couche dans le char. Il aime tendrement son frère cadet, 
la lune (du genre et du sexe masculins), et lorsqu'il le rencontre, il le serre 
dans ses bras pour le combler de caresses et de baisers, de sorte que la 
lumière en est pendant quelque temps obscurcie. (Baslian.) 



78 L'ARCHITECTURE KHMER. 

pent sur les pilastres des niches entourées de rinceaux, et une 
quantité de sculptures légères complètent cette décoration fantas- 
tique dont l'exécution naïve rappelle nos œuvres du moyen-âge *. 

En fouillant au milieu de l'amas de décombres qui a remplacé 
l'entrée orientale de l'enceinte, nous exhumâmes, entre autres 
objets, un personnage de. pierre dont les pieds et les huit bras 
étaient brisés, mais dont la tête, pleine d'expression et de finesse, 
était demeurée intacte. Le nom de Préa Noréai, timidement bal- 
butié par un bonze indigène en face de cette image, nous la fit 
prendre d'abord pour une incarnation de Vichnou en Bouddha 
dont elle offre les traits les plus caractéristiques : cheveux bou- 
clés, face souriante, yeux à demi fermés. Il nous semble aujour- 
d'hui plus vraisemblable de la ranger dans cette catégorie de 
figures analogues existant aussi bien à Java qu'au Thibet, et qui 
sont regardées comme des saints bouddhiques, reconnaissables à 
u n signe commun : la représentation du Préa Pout * gravée sur 
leur front. 

Celte statue qui fait maintenant partie du Musée Khmer, ainsi 
qu'un des lions et un des géants ou divinités gardiennes, et deux 
tètes ornementales sauvées dans l'effondrement de cet ancien 
temple, paraît comme un résumé du panthéon du Cambodge, à 
moins qu'elle n'ait été une simple gageure d'ornementation. 
Toute la personne du dieu ou du saint est formée d'une multi- 
tude de petites divinités, les unes assises, les bras écartés, semblant 
appeler les adorateurs, les autres dans l'attitude de la prière ou 
de la méditation : les mailles de la cotte dont il est vêtu sont des 
figurines; sa ceinture, son collier, de petits dieux, ses cheveux 
mêmes autant de personnages nains. 

1 Yoy. la vue d'ensemble de la préasat restituée p. 80. 

' Préa Pout ou Préa Pouthéa, «le divin, l'auguste Bouddha», est l'appellation 
cambodgienne du dieu adoré par tous les bouddhistes — le divin 
Çakya-Mouni. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 83 

Nos guides, qui avaient consenti sans trop de répugnance à 
nous conduire vers Préa-Tcôl, paraissaient moins pressés de s'en- 
foncer avec nous dans la forêt, le long d'une ancienne chaussée 
que nous voulions parcourir ; ils s'y décidèrent toutefois sur Tin- 
jonction formelle du mè-srok ; mais nous les vîmes tout aussitôt 
prendre un air soucieux, murmurer des prières, puis retirer de 
leurs sacs quelques grains de riz, qu'ils jetèrent comme offrandes 
aux Néak-Ta ou « esprits des ancêtres », dans le premier marais 
sacré que nous atteignîmes *. 

Ce marais était un immense sra redoutable et sauvage, tout 
couvert de grands nénufars. Dans ses eaux, assurent les gens du 



1 Les Cambodgiens croient à l'existence d'une foule de génies qui person- 
nifient les lieux et les forces de la nature. Ils représentent les divinités des 
montagnes sous la forme de statues ayant parfois des têtes d'animaux, les 
esprits des eaux par des pierres brutes qu'ils déposent dans de petites cha- 
pelles élevées sur deux bambous au confluent des rivières. Les Néak-Ta exercent 
leur influence sur les hommes : un bûcheron vient-il à mourir d'une maladie 
contractée dans une région malsaine) il est puni pour avoir violé la retraite du 
dieu de la forêt. Un chasseur a-t-il la fièvre, il a atteint quelque gibier du 
troupeau du Génie. Aussi les Cambodgiens, comme les Hindous, sont-ils con- 
stamment préoccupés de conjurer l'influence des esprits. Nous observâmes 
ce fait autant dans leur vie privée que dans les circonstances périlleuses 
de notre voyage. M. Farant le remarqua également, et lors de son passage aux 
ruines de Penrôe, il se trouva être à la fois le témoin et le héros d'une chasse 
curieuse par les rites de ce genre qui l'accompagnaient. Comme il chemi- 
nait le fusil à l'épaule, suivant sa coutume, il rencontra une troupe d'indi- 
gènes armés de bâtons, qui poussaient des cris en faisant le tour d'un bouquet 
d'arbres d'où leurs chiens cherchaient vainement à débusquer une béte 
fauve. Grimpant aussitôt sur un arbre, il aperçut un sanglier qu'il abattit 
de deux coups de feu. Les indigènes se jetèrent alors sur l'animal qu'ils tirè- 
rent hors du fourré, puis, se rangeant en cercle autour du corps, ils récitè- 
rent une courte prière. L'un d'eux coupa ensuite au sanglier l'extrémité de 
la queue, un bout de l'oreille, quelques poils du museau, mit le tout sur 
une feuille d'arbre, et, posant ces reliefs sur le ventre de la béte, prononça 
des paroles cabalistiques, toujours pour détourner la malfaisance des esprits. 
Après quoi les femmes, restées jusque-là à l'écart, vinrent aider à dépecer la 
proie. On en donna un quartier au voyageur qui l'avait mis bas, et les chas- 
seurs se partagèrent le reste. 



A 



8i L'ARCHITECTURE KHMER. 

pays, vivent des monstres vieux comme le monde, qui dévorent 
tous les animaux assez imprudents pour oser s'y désaltérer ; les 
oiseaux eux-mêmes ne volent point impunément au-dessus de cet 



La pyramido du préasat Préa Tomrey. 

autre Averne, et, s'ils essayent de le franchir, ils tombent morte 
avant d'atteindre le bord opposé. Pour nous, nous n'y rencon- 
trâmes que d'énormes crocodiles qui ne daignèrent pas même se 
déranger à notre approche, et une troupe de paons qui s'envolè- 
rent en poussant dès cris discordants. 

Préasat Préa Tomrey, la pyramide du Saint-Éléphant *, vers la- 
quelle fut dirigée notre troisième excursion, est l'édifice le plus 
fameux de toute la contrée. Elle n'a que 20 mètres de côté à la 
base et 7 mètres environ de hauteur. Huit statues de divinités gar- 
diennes et huit lions, posés au sommet des escaliers, entouraient 
primitivement sa plate-forme. Cette décoration était complétée 
aux angles par quatre éléphants richement caparaçonnés et rap- 
pelant ceux du célèbre temple indien de Madhoureh 2 . La plupart 
de ces sculptures n'étaient plus que gisantes, en mauvais état, sur 
le sol ou sur les gradins, et cette destruction était assurément 
l'œuvre des hommes bien plus que celle du temps. Un seul 
éléphant était demeuré debout: c'était précisément le Préa Tom- 

1 On remarquera que la disposition d'ensemble de cet édifice est analogue 
à celle de Préa-Tcôl (Voy. p. 286). On y arrive aussi par une chaussée qui 
passe entre deux pièces d'eau et aboutit à une cour rectangulaire dont la 
pyramide occupe le centre. Ici la cour est plus petite, l'enceinte est percée 
de quatre portes, et une petite terrasse en croix s 'étoile devant l'entrée 
principale. 

1 Voy. p. 61, 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



rey, l'Eléphant sacré, que les conquérants siamois n'avaient sans 
doute pas osé abattre '. 
Bien que la forme de cette pyramide affecte celle des monu- 



Dn seul éléphant était resté debout: c'était précisément lo Préa Tomrey. 

menls tumulaires tels qu'on les érige en divers pays, on ne peut 
conclure de cette analogie d'aspect qu'elle ait été réellement un 

1 Cette pièce de sculpture en grès se trouve au Musée Khmer : elle est lar- 
gement exécutée et s'impose à l'admiration par son air de grandeur, bien 
qu'elle soit au-dessous des proportions naturelles. 



86 L'ARCHITECTURE KHMER. 

tombeau. Il ne se trouve sur la plate-forme aucun débris témoi- 
gnant de l'existence d'un sanctuaire en pierre ; peut-être était- 
elle surmontée d'une simple statue à présent disparue. On y voit, 
à la vérité, un puits central, d'un mètre carré de section et de 
plusieurs mètres de profondeur, qui est à demi comblé et qu'on 
serait tenté de prendre, au premier abord, pour une fosse tumu- 
laire; mais la tradition le considère comme une cachette destinée 
à renfermer l'or et les bijoux consacrés à la divinité du lieu. Les 
Cambodgiens ont effectivement conservé jusqu'à nos jours l'habi- 
tude de pratiquer dans leurs sanctuaires, à l'endroit où s'y doivent 
dresser les statues, une excavation de ce genre pour la sûreté des- 
dits trésors. Aussi toujours, aux époques de conquête, les statues 
étaient-elles jetées à terre et les édifices saints saccagés et fouillés. 
Au Laos, dans les pagodes les plus modernes, où se trouvaient de 
gigantesques statues de Bouddha, les Siamois, lors de la dernière 
guerre, n'ont pas manqué de les mettre en pièces, afin de cher- 
cher les richesses qui avaient dû être enterrées sous ces images. 

On devine qu'ici et ailleurs l'enlèvement, puis le transport des 
diverses pièces, souvent très volumineuses, que nous désirions 
nous approprier, statues, lions, dragons, éléphants, ne s'opéraient 
pas sans de grandes difficultés. Fort heureusement, dans le voisi- 
nage de notre campement passait un affluent de la rivière de 
Stung; ce cours d'eau, suffisamment navigable pour des radeaux 
à l'époque des pluies, nous fut un précieux auxiliaire. Voici au 
reste de quelle façon, avec l'aide des travailleurs que les manda- 
rins avaient fait venir de dix lieues à la ronde, il était procédé au 
déménagement de nos trouvailles archéologiques. 

Notre escouade d'hommes, au nombre d'une centaine environ 
— Cambodgiens et sauvages, — était employée d'abord à déga- 
ger, par des abatis, l'accès des ruines. L'objet une fois déterré, on 
commençait par le soulever au moyen de palans fixés aux arbres. 
On construisait ensuite par-dessous, avec des traverses formées de 



• 1 l « » « V 



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VOYAGE AU CAMBODGE- 89 

troncs et de branches d'arbres, des espèces de cadres sur lesquels 
la masse de pierre était solidement assujettie par des lianes. Nos 
hommes hissaient ces grands châssis sur leurs épaules, et le cortège 
s'ébranlait lentement à tra\ers la forêt, précédé d'une quinzaine 
de bûcherons qui Trayaient le passage à coups de coutelas et de 
hache. On arrivait ainsi , non sans peine, au bord du torrent qui, 
gonflé par les orages, se chargeait volontiers du reste de la besogne ; 
encore fallait-il construire préalablement de forts radeaux de 
bambous pour y établir tout notre attirail, car les petites pirogues 
du pays, à peine capables de supporter le poids de trois ou quatre 
hommes, n'eussent pu nous servir de véhicules. 

Pendant que M. Bouillet et le docteur Harmand présidaient à 
eus difficiles opérations, je me remis en route avec M. Batte pour 
aller visiter, à 80 kilomètres au nord-ouest de Préa-Khan, un 



Nous y trouvâmes un vieillard infirme. 

groupe de ruines importantes, celles de Pontéay Ka-Kéo. Nous 
traversâmes d'abord une région triste, peu accidentée, où crois- 
saient des forêts assez clair- semé es de diptérocarpées. 

Vers le soir de ce premier jour de marche, il survint une pluie 
si abondante que bêtes et gens refusaient d'avancer; nous fîmes 
halte dans un hameau habité par des sauvages de la tribu des 
Kouys. Nous y trouvâmes un vieillard infirme qui nous offrit 



00 L'ARCHITECTURE KHMER. 

l'hospitalité. Il passait tout son temps à jouer d'une sorte de 
mandoline a deux cordes, formée d'une moitié de noix de coco, 
qu'il appuyait sur sa poitrine pour en augmenter la résonnance. 
L*une des cordes servait de basse; il la faisait vibrer avec le petit 
doigt de la main droite dont il portait l'ongle très long, tandis 
que de l'index il produisait avec l'autre corde une succession de 
sons rapides et variés. D'autres fois, changeant d'instrument, il 
se mettait à souffler dans un simple bambou couvert d'entrelacs 
finement sculptés, et en tirait une mélodie à cinq notes qui, se ré- 
pétant à l'infini, nous rappelait léchant des bateliers du Nil. Près 
de lui une jeune femme berçait un enfant nu, couché dans une 
corbeille suspendue à deux troncs de palmier par une double 
corde en rotin. 

Les villageois ne tardèrent pas à rentrer de leurs cultures; les 
buffles furent enfermés dans les parcs, et l'on prit, à la lueur des 
torches, le repas du soir. Nous nous établîmes ensuite sur nos 
nattes dans le coin d'une grande salle commune qui servait de 
dortoir aux jeunes gens du hameau, pendant que les jeunes filles se 
retiraient dans une autre case. 

Le lendemain, dès l'aube, notre troupe avait repris sa marche. 
Nous chassions dans les broussailles, ne rencontrant pour tout 
gibier que des cailles rouges et de maigres engoulevents, quand 
nous vîmes venir vers nous une caravane de cinq éléphants por- 
tant, sur leurs selles en forme de double panier, une petite colonie 
d'émigrants. Du plus loin qu'il l'aperçut, notre éclaireur cria 
par deux fois : Mè-Top ! Mè-Top l pour avertir les arrivants qu'ils, 
allaient croiser un « chef militaire » ; c'est le titre qu'on donne 
par extension à tous les Européens. Aussitôt, comme le chemin 
était très encaissé, les cornacs de la caravane, pleins de respect 
pour notre dignité, firent grimper leurs montures sur le talus et 
se rangèrent en ligne pour nous laisser défiler; puis, au moment 
où nous passions, deux des indigènes mirent pied à terre, et, sui- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 93 

vantl'étiquette cambodgienne, vinrent s'accroupir révérencieuse- 
ment devant nous. Ces deux hommes, assis au milieu du sentier 
sur leurs talons ; au second plan, ces cinq bêtes puissantes domi- 
nant de toute leur hauteur les toits de nos chars à bœufs, et pro- 
filant leurs masses sombres sur un pan de ciel tout baigné d'azur 
etde lumière, c'était là, s'il faut parler de couleur locale, un tableau 
réellement plein d'originalité et de poésie. 

Dès que le soleil se fut élevé à l'horizon, nous commençâmes 
d'être harcelés par d'innombrables légions de taons; pour nous en 
garantir, il fallut nous voiler le visage, ou même, couchés que 
nous étions dans les chars, nous envelopper entièrement de notre 
moustiquaire. Moins patients que nos conducteurs qui se conten- 
taient d'écraser silencieusement l'ennemi au fur et à mesure qu'ils 
sentaient sa piqûre, les bœufs, dévorés jusqu'au sang, entraient 
de temps en temps dans des accès de rage folle qui se traduisaient 
par des courses à fond de train contre les arbres, les rochers et les 
chars voisins. Aussi avions-nous à chaque instant des avaries à ré- 
parer; heureusement, les véhicules étant tout en bois, on trouvait 
sans peine dans la forêt des lianes et des branches assez solides 
pour subvenir au raccommodage. 

Au milieu de cette seconde journée, nous traversâmes un tor- 
rent très encaissé que recouvraient, comme une voûte, de gigan- 
tesques bouquets de bambous ; puis, nous dirigeant vers une 
petite colline en forme de pain de sucre, nous atteignîmes, à la 
tombée de la nuit, un autre village de Kouys. Celui-là, situé en 
pleine forêt, n'en était encore qu'à la période de formation. Les 
nouveaux venus s'étaient entourés d'un cercle de grands feux afin 
de se garantir des bêtes fauves. Au lieu de planter des pilotis, 
suivant l'usage des Cambodgiens, ils avaient, pour établir leurs 
cases, coupé la partie supérieure des arbres et appuyé leurs habi- 
tations sur les troncs ainsi étêtés. 

Cette peuplade des Kouys, distribuée en plusieurs aggloméra- 



n L'ARCHITECTURE KHMER. 

tions dans la région qui sépare le Laos du Cambodge, se divise en 
tribus, vouées chacune à une profession spéciale d'où elle tire son 
nom : il $ a par exemple les « Kouys du fer », qui exploitent les 
collines riches en minerais de cette espèce, les « Kouys des bar- 
ques », qui fabriquent des pirogues, et d'autres encore différenciés 
de même par le métier. Grands chasseurs, ils se servent d'armes 
trempées dans un poison dont la vertu est si puissante qu'un cerf 
touché d'une de leurs flèches tombe et meurt au bout de quelques 
centaines de pas. 

Je regrettais de ne pouvoir étudier plus longuement cette singu- 
lière population qui paraît avoir habité l'Indo-Chine depuis une 
haute antiquité. Ce sont des tribus qui vivent à part et repoussent 
opiniâtrement tout mélange avec d'autres races. Elles passent pour 
avoir conservé des traditions anciennes. Les Cambodgiens les trai- 
tent avec une certaine estime et ne les réduisent jamais en escla- 
vage. Les Kouys actuels sont bouddhistes; ils ont leurs bonzes, 
leurs pagodes, et leur civilisation est à peu près la même que 
celle de leurs voisins. Dans le pays, on les reconnaît surtout à 
leurs mœurs et à certaines particularités de costume. Nous en 
avions plusieurs parmi nos travailleurs de Préa-Khan; mais, pour 
notre œil imparfaitement exercé, ils se distinguaient peu des autres 
indigènes à notre service. 



III 



Pontéay Ka-Kéo, « la Forteresse de l'île du Joyau Précieux * », est 
perdue au fond d'une véritable solitude, où les indigènes ne s'aven- 

1 Le commandant de Lagrée appelle ce monument qu'il n'avait pas vu 
Ka-Ker; le D r Harmand, qui y est retourné depuis mon passage, l'appelle 
aussi Kakéh et Io-Keh. 

Nous avons adopté ici les interprétations et l'orthographe raison née de 



VOYAGE AU CAMBODGE. 95 

turent guère qu'en cas de disette pour y cueillir une sorte de racine, 
semblable au taro, qui croît en abondance parmi les ruines et dont 
ils font parfois leur unique nourriture. Mangée fraîche, cette ra- 
cine est un poison; on lui ôte ses propriétés vénéneuses en la fai- 
sant macérer dans l'eau pendant quelques jours, coupée en tran- 
ches minces. L'usage de cette alimentation grossière démontre 
assez l'incroyable misère où, par suite de la dernière guerre civile 
et des exactions des mandarins, est tombée cette malheureuse pro- 
vince. La plupart des habitants aiment mieux vivre en sauvages 
dans les forêts que de s'imposer un labeur dont le fruit n'est pas 
pour eux : telle est la pauvreté du pays, qu'à peine la monnaie y 
est-elle connue ; les rares familles qui possèdent une barre d'ar- 
gent (80 francs), la cachent soigneusement et ne s'en dessaisi- 
raient pour rien au monde. Beaucoup d'indigènes n'ont même 
jamais vu d'argent. 

Egarés dans le marécage de ces grandes plaines désertes, nous 
dûmes, pour retrouver notre route, voyager toute la nuit à la lueur 
des torches ; le matin du troisième jour, nos guides nous montrè- 
rent enfin un monticule couvert de verdure : c'était le monument 
que nous cherchions. Après en avoir franchi le mur d'enceinte, 
masqué par les arbres, nous entrâmes dans un champ d'herbes 
épaisses, de 2 mètres de hauteur, qui formait la bordure occi- 
dentale des ruines. L'espace occupé par celles-ci mesurait environ 
300 mètres. 

M. Aymonier, orthographe que nous suivons toutes les fois quelle nous pa- 
rait ne pas s'écarter trop de la prononciation. 

C'est ainsi que nous appelons ce monument Ponléay Ka-Kéo (la Forteresse 
de File du Précieux Joyaux). De même le commandant de Lagrée avait appelé 
primitivement Ta-Keu, une célèbre pyramide, voisine d'Angkor, pour laquelle 
il adopta définitivement le nom de Ta-Kéo. Le mot Kéo se reproduira plusieurs 
fois dans le cours de ce récit ; il désigne ordinairement des statues sacrées. 

On remarquera, d'ailleurs, que les noms des localités de l'Indo-Chine mé- 
ridionale varient avec les voyageurs qui les ont visitées, suivant la nationalité 
de ceux-ci ou celle de leurs guides. 

5 



96 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Traversons rapidement ce! ensemble, de l'est à l'ouest '. Voici 
d'abord une vaste construction en croix, compliquée de galeries 
latérales renfermant une double cour. A la suite viennent deux 
préasats entre lesquelles est creusée une toute petite fosse pare- 
menlëe de grès. Plus loin un gopoura* de 18 mètres de haut, 



La Salle des statues. 

ayant pour gardiens huit animaux fantastiques, donne accès 
dans une enceinte où se trouve un grand sra divisé en deux 
piècesd'eau par une chaussée traversière bordée de petites galeries 
à colonnades et de nagas (serpents sacrés), près desquels se dressent 
quatre gigantesques garoudas, les ailes ouvertes et debout sur 
des piédestaux. La chaussée aboutit à une salle en forme de 
croix flanquée de deux portes latérales; on la traverse en pas- 
sant entre deux rangées de statues, trois à droite, cinq à gauche, 

1 Voy, à l'Appendice le plan général de Ka-Kéo. 
' Porche monumental des temples de l'Inde. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 97 

-et dont la plus importante est celle de Siva assis sur Nandi *. 
Ces statues affreusement mutilées étaient à demi enfouies. Fran- 
chissant alors un porche intérieurement revêtu d'inscriptions, 
on se trouve devant un sanctuaire, au milieu d'un groupe de 
-seize tourelles environnées d'une bande rectangulaire de con- 
structions autrefois divisées en cellules, le tout renfermé dans un 
•double mur d'enceinte. Un second porche, placé dans le même 
4ixe que le précédent, est également suivi d'une autre chambre 
en croix, puis d'une chaussée bordée de serpents et de krouths 
aboutissant à un gopoura complètement abattu 9 . De là on entre 
•dans un parc enclos d'une forte muraille couronnée de pointes 
en forme de fers de lance. Au fond de ce parc est une pyramide 
à sept étages, de 36 mètres de hauteur, au sommet de laquelle se 
trouve un puits carré assez profond entouré d'une muraille de 
<leux mètres de haut que soutiennent des lions fantastiques en ca- 
riatide et autour de laquelle on circule dans un étroit couloir 
formé par une seconde muraille extérieure, le tout à ciel ouvert 
et en ruines. Enfin une porte de sortie conduit au pied d'un 
monticule de même dimension, à la base duquel gisent des débris 
de sculptures. Cette colline artificielle s'élève en dehors de l'en- 
-ceinte, sur le prolongement de l'axe général, et complète le massif 
d'édifices 3 . 



1 Voy. p. 57. 

s Le groupe des tourelles, qui occupe la partie centrale de l'ensemble, en 
j formant pour ainsi dire un temple spécial, se trouve être ainsi entouré d'eau 
de tous côtés, abstraction faite des deux chaussées d'entrée et de sortie : de 
là vient probablement son nom, Ka, île, et Kéo, superbe, riche, et aussi 
joyau précieux, « lie superbe » ou « île du joyau précieux ». Plusieurs autres 
•temples khmers sont environnés de sras ou de douves, mais ordinairement 
la nappe d'eau n'isole pas le sanctuaire des autres édifices : elle règne au- 
tour de l'ensemble entier des constructions, ou môme elle enveloppe le parc 
•dont le temple occupe le centre. 

5 Ce monticule s'appellerait le « Tombeau de l'Éléphant blanc ». (0* Har- 
mand. ) — Voy. la vignette p. 299. 



98 L'ARCHITECTURE! KHMER. 

En examinant avec attention la tour en briques la plus haute, 
nous y remarquâmes un entablement profondément fouillé. On 
y voyait, dans un encadrement de rinceaux d'acanthe finement 
exécutés, un personnage moitié homme, moitié lion, tenant 
étendu sur ses genoux un corps qu'il s'apprête à déchirer de ses 
griffes. C'est l'image du quatrième avatar de Vichnon en homme- 



Vichnon homme-lion déchirant les entrailles du gdant Érinien. 

lion, forme sous laquelle il vainquit le géant Erinien. Enorgueilli 
du privilège, qu'il avait reçu de Brahma, de ne pouvoir être exter- 
miné ni par un dieu, ni par un homme, ni par un animal , ce Titan 
avait poussé la folie jusqu'à vouloir se faire adorer. Vichnon, 
homme-lion, est fort vénéré dans l'Inde, où il a des temples par- 
ticuliers. On lereprésente souventavec un grand nombre de bras, 
lacérant les entrailles pantelantes d'un hideux cadavre. En repro- 
duisant cette scène hindoue à Ka-Kéo, le sculpteur khmcr l'avait 
transformée en un motif d'ornementation fantastique et plein 
de caractère. Ajoutons que dans cette même tour gisaient, à demi 
enfouis, une statue de femme dans l'attitude de la danse et d'autres 
débris que le docteur Harmand a pu faire déterrer plus tard, et 
dont il a reconstitué l'ensemble : c'était une statue de roi ou de 
dieu, haute de quatre ou cinq mètres, assise sur un piédestal et 
tenant à la main un attribut non reconnaîssable. 

A l'est-sud-est du vaste ensemble de Ka-Kéo, est un grand réser- 
voir artificiel que nous aperçûmes du sommet de la pyramide. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 99 

M. Harmand en a suivi les rives qui sont, parait-il, parsemées de 
ruines : on voit qu'il y a eu là autrefois plusieurs massifs de con- 
structions, caravansérails ou temples. Dans un des sanctuaires se 
trouve encore un singe, probablement le singe Hanouman, ou 



Statue de femme dans l'altitude de ta danse, proyenant du grand gopoura de Ka-Kéo 
(Musée Khiuer.) 

quelqu'un de ses compagnons, auxiliaires de Rama ; dans un 
autre, un éléphant; dans un troisième, appelé la « Tour Noire », 
un lingam 1 sur son piédestal; dans un quatrième enfin, un cube 
en grès, percé à sa face supérieure de trous de forme également 
cubique, et si soigneusement poli, que le voyageur regarde 

■ ' Sorte de colonne ou de borne arrondie à son sommet et représentant 
le fhalius, symbole de la génération et du culte de Sira. Voy. p. 333, 

648538A 



100 L'ARCHITECTURE KHMER. 

cette pierre comme étant la représentation même à laquelle le- 
culte s'adressait. 

M. Harmand en outre a rencontré, à l'angle nord-est du lac, un& 
file rectiligne d'étroits édifices, espèces de cellas rectangulaires et 
sans couverture, faites de quatre murailles extrêmement épaisses ; 
chacune d'elles contient également un cube de grès surmonté d'un 
lingam énorme. Le calibre de ces blocs est tel qu'on les pourrai! 
croire, au premier abord, façonnés dans un quartier de roc natu- 
rel. 11 serait intéressant d'en faire dégager la base pour éluci- 
der la question et s'assurer si les architectes khmers n'ont pas 
effectué le transport de ces gigantesques piédestaux. Ces masses 
tabulaires de 4 m ,80 de côté pourraient servir d'escabeaux aux 
statues colossales d'Aménophis III , de Thèbes, dont la hauteur 
est de 20 mètres *. 

Avant la chute du jour, nous fûmes rejoints par nos guider 
qui jusqu'alors s'étaient obstinés par superstition à rester en 
dehors de l'enceinte. Ce renfort de bras nous permit de déterrer 
deux statues malheureusement mutilées : c'étaient une divinité 
ou une danseuse 9 et un personnage assis, dans l'attitude du Roi 
Lépreux d'Angkor 3 , mais moins vivant et d'un caractère moins- 
accusé. 

Notre retour à Préa-Khan, qui se fit dès le surlendemain, fut 
marqué par une alerte. On découvrit sur notre route la trace toute- 
fraîche d'un des éléphants féroces qui rôdent volontiers dans 
ces forêts et s'attaquent impitoyablement à tout ce qu'ils ren- 
contrent ; quelques jours auparavant, ce redoutable pachyderme- 

1 En Ire ces deux monolithes khmers il en existe un troisième, moins- 
gros, évidemment transporté. Le poids en peut être évalué à 35 ou 40,000 
kilogrammes; ce ne serait encore que le vingtième de celui du Sésoslris- 
que Ton voit gisant dans les ruines du Rhamesseum. 

1 Voy. p. précédente. 

' Le Musée Khmer possède ces deux pièces, ainsi qu'un moulage de- 
la tête du Préa-Kombng, ou Roi Lépreux. Voy. p. 200. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 103 

avait mis en pièces deux malheureux indigènes qui étaient venus 
chercher des racines au pied de la pyramide, et nos. guides ajou- 
taient même qu'il avait bu le sang de ses victimes. Nous nous 
expliquâmes ainsi, après coup, l'hésitation assez légitime que nos 
conducteurs avaient montrée au moment de nous escorter jusqu'à 
Ka-Kéo. Dans cette partie du Cambodge, plus encore que partout 
ailleurs, une foule de croyances superstitieuses s'attachent à l'élé- 
phant. L'une d'elles a donné naissance à une coutume singulière 
et touchante. Il arrive parfois qu'un de ces monstres sauvages, 
frappé à mort, tombe en s'agenbuillant : les Cambodgiens disent 
alors qu'il a demandé grâce, avant de mourir, pour tous les élé- 
phants de la contrée ; la nouvelle se répand aussitôt de village 
en village; durant une année entière, les chasseurs suspendent 
leurs expéditions, et si, avant la période révolue, un autre éléphant 
sauvage est malencontreusement abattu, la population se croit 
menacée des plus grands fléaux. 

Dans les légendes, l'éléphant, cet animal sacré, joue parfois 
un rôle ridicule ou méchant qui contraste avec la réputation 
de sagesse qu'il a dans tout l'Orient. Sa force, jointe à sa 
lourde allure, en fait un oppresseur grotesque. C'est ainsi qu'il 
va nous apparaître dans la fable suivante, une des plus jolies 
parmi ces nombreux contes auxquels se plait l'imagination cam- 
bodgienne. 

L'ÉLÉPHANT, LES ROITELETS, LA CORNEILLE, LA GRENOUILLE 

ET LA MOUCHE. 

Un éléphant était en fureur ; passant sous un bosquet de bambous où 
un couple de roitelets avait établi le nid où ils élevaient leurs petits, il fit 
irruption dans la paisible demeure et, l'arrachant, l'écrasa avec les oi- 
sillons. Les pauvres parents, témoins de ce forfait, livrés au plus profond, 
désespoir, appelèrent la mort à grands cris. « Ah! dirent-ils, ne vaut-il pas 
mieux mourir, que de subir la violence d'un ennemi outrecuidant auquel il 
n'y a pas moyen de résister? » 



iOi L'ARCHITECTURE KHMER. 

Une corneille qui vint à passer leur demanda la cause de leur grande af- 
fliction. Et les roitelets répondirent : « Un ennemi méchant est Tenu; cet 
être sauvage et cruel a détruit tout notre bonheur en tuant nos petits. 11 
nous faudra subir et expier les conséquences de nos actions coupables ; ne 
sommes-nous pas impuissants à nous mesurer avec lui et à le combattre? » 
La corneille dit : « Le tort qu'il vous a fait est grand, énorme, mais cessez de 
vous lamenter. Nous irons chercher des alliés et nous réussirons à humilier 
cet insolent. » Les oiseaux, père et mère, continuèrent à pleurer, « dou- 
leur extrême, laissez-nous mourir comme nos chers petits ! » La corneille 
répondit : « A quoi bon mourir? Cela ne ferait pas de mal à votre ennemi, 
au contraire, il serait toujours bien portant et content comme parle passé; 
mais il s'agit de le tuer comme il a tué vos enfants et de lui rendre le mal 
pour le mal, et ce sera justice. » Les deux oiseaux dirent : « Madame la 
bienfaitrice, votre bonté est très-grande, nous nous conformerons à tous 
vos conseils. » 

Maintenant la corneille se mit en route avec les roitelets à la recherche de 
la grenouille. L'ayant trouvée et saluée, ils l'abordèrent poliment en lui di- 
sant : « Amie, nous te demandons la permission de prendre la liberté de 
t'inviter à nous prêter secours. » La grenouille répondit : « Comment cela ? 
Faites-moi savoir d'abord de quoi il s'agit. » Après avoir écouté attentive- 
ment le récit de ce qui venait d'arriver, la grenouille dit : « En vérité, c'est 
là un acte de violence abominable; mais nous devons d'abord nous mettre 
en rapport avec la mouche, pour en faire notre alliée. En nous assurant son 
concours, il est certain que nous pourrons agir ensemble avec énergie. » 
Les roitelets, la corneille et la grenouille, étant allés trouver la mouche, lui 
dirent: « Écoute bien, amie, nous venons te prier de vouloir bien être notre 
alliée contre l'éléphant, ce tyran qui ne connaît ni foi ni loi. » La mouche 
répondit : « Que pouvons-nous faire, nous autres qui sommes si faibles ? 
Impossible de combattre un ennemi d'une force aussi irrésistible ! » 

Cependant, après s'être bien concertés, les alliés se mirent à l'œuvre. La 
corneille commença par donner des coups de bec dans les yeux de l'éléphant, 
et la mouche pondit ses œufs dans les blessures. Les douleurs cuisantes de 
l'animal devenaient de plus en plus intolérables. Privé de la vue, il ne pouvait 
plus chercher sa nourriture, et traînait ainsi une existence misérable. 

Maintenant la grenouille s'assit sur le bord d'un fossé très-profond, et se 
mit à coasser de toutes ses forces, de sorte que l'éléphant, qui l'avait entendue, 
crut être près d'une nappe d'eau quoiqu'il fût au sommet d'un rocher. Les 
roitelets, père et mère, ne le quittèrent pas un seul instant. Voletant autour 
de lui, ils l'accablèrent d'injures en criant: « Ah 1 comment te portes-tu 
maintenant? Misérable meurt-de-faim, infâme coquin! Ne vas-tu pas reve- 
nir encore écraser nos enfants? Attends seulement un peu, tu vas voir ce 
qui pourra t'arriver ; tu as maintenant l'air assez triste et penaud, voleur, 
assassin, scélérat ! » Quant à l'éléphant, il conçut un vif repentir. « J'ai 



VOYAGE AU CAMBODGE. 103 

mul agi, se dit-il ; c'est maintenant que je dois subir les conséquences de 
ma conduite coupable et expier le péché que j'ai commis. Les pauvres 
petits étaient innocents, ils ne m'avaient pas fait de mal, et cependant, je 
leur en ai fait. ■ Tourmenté par une soif ardente, il gravit le talus, suivant 
la voix de la grenouille. Arrivé au bord du fossé, il y tomba et mourut misé- 
rablement '. » 



Lorsqu'au bout de trois jours de marche nous rejoignîmes nos 
compagnons restés en arrière, j'appris que pendant notre absence 
les recherches avait été fructueuses. 

Dans une course zoologique le docteur Harmand avait, au plus 
épais de la forêt, rencontré les restes d'une galerie à colonnes 
du milieu de laquelle s'élève une préasat ornée du quadruple 
masque de Brahma. Jusqu'alors aucune tour de ce genre n'avait 
été signalée ailleurs qu'aux environs d'Angkor, l'ancienne capi- 
tale des rois khmers. 

Je chargeai plus tard le maître mécanicien Penaud de relever 
le plan de ce nouveau temple : une chaussée à terrasse gardée 
par des lions et des nagas étages, douze portiques richement or- 
nés et cette préasat unique pyramidant au-dessus de la colonnade 
longue de 40 à 60 mètres selon les façades, en devaient faire 
une des œuvres architecturales les plus pittoresques de l'ancien 
Cambodge \ 

1 Cette légende a été recueillie par Baslian. 

1 Cet édifice est le seul exemple d'un monument de second ordre entouré 
d'une colonnade. (Voy. le plan p. 287.) Ailleurs les galeries d'enceinte sont 
formées de murailles pleines ou percées de fenêtres à balustres. 



CHAPITRE IV 



Les Cinq-Tours. — Méléa et ses environs. — La cueillette du lotus sacré. 
— Une soirée chez le mé-sroc ; un aède cambodgien ; histoire du chan- 
teur Ek et de la belle Théau. — Départ pour Siem-Réep. — Explorations 
et aventures de M. Faraut : Battambang, Danone, les grottes de l'Eau 
Sainte, Basset. — La légende de Vaht-Elt. — Singes et géants. — Ponléay- 
Chma. — Surén et les hauts plateaux du Cambodge. — Fin du voyage 
de M. Faraut. 



I 



Nous quittons enfin Préa-Kbao, et, nous dirigeant vers l'ouest 
parallèlement à une grande chaussée qui reliait jadis cette cité 
aux villes voisines, nous gagnons un nouveau centre de ruines 
appelé « les Cinq-Tours » (Préasat Pram). Le crayon seul de 
l'artiste pourrait rendre l'effet pittoresque qu'offrent ces beaux 
débris au milieu de la luxuriante végétation dont ils sont recou- 
verts et tapissés *. Des vignes sauvages aux feuilles d'un rouge 
éclatant serpentent de toutes parts sur les amas de pierres et sur 
les voûtes écroulées ; des lianes innombrables s'y enroulent avec 

' Voy. p. lis. 



108 L'ARCHITECTURE KHMER. 

une telle régularité qu'on croirait que la main de l'homme en a 
dirigé les festonnements; un fouillis inextricable d'orchidées 
chargées de leurs fleurs et de fougères multiformes cache entière- 
ment la terre ; sur le tout s'étend, comme un dais mystérieux, 
l'opulente frondaison des banians, dont les racines grimpantes, à 
force d'enserrer colonnes et statues, les ont ou renversées ou sou- 
levées du sol. Les figuiers atteignent ici des dimensions prodi- 
gieuses : un d'eux, mesuré par nous, présente au tronc 27 mètres 
de circonférence ; ses énormes branches, qui rayonnent horizon- 
talement en tous sens, ont abattu murailles et tours ; elles se se- 
raient rompues par leur propre poids sans l'étançonnement des 
racines aériennes qui en descendent et qui, d'abord minces comme 
des fils, se solidifient en robustes troncs, faisant ainsi d'un seul 
arbre une véritable forêt. 

Nous rejoignons ensuite la grande chaussée au pont de Ta-Ong. 
Là encore le fourré est si dense et les rameaux retombent tellement 
drus jusqu'à la rivière, que, sans le bruit des eaux qui se frayent 
péniblement un passage sous les arches, rien, sur le sentier sombre 
et profond, ne pourrait faire soupçonner qu'on franchit un tor- 
rent 1 . Bientôt après nous arrivons à Beng-Méléa (lac des Lotus), 
où M. Bouillet nous avait précédés avec une partie du personnel 
delà mission. Les magnifiques constructions de cette localité, déjà 
signalées en partie par le commandant de Lagrée, se composent 
de plusieurs préasats et bâtiments secondaires groupés aux en- 
virons d'un lac sacré, et d'un édifice central de forme rectan- 
gulaire, qui mesure plus de 200 mètres de côté. 

On y arrive par l'est en suivant une chaussée bordée de stèles 
dont le point de départ est une immense esplanade ou terrasse à 
deux gradins, coupée de huit escaliers, aux sommets desquels se 
dressaient, la patte menaçant le ciel, seize lions énormes, sentinelles 
fantastiques préposées à la garde du parc sacré. Puis vient le fossé, 

1 Voy. p. «21. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 109 

formant avec une banquette intérieure (au lieu àepontéay ou mu- 
raille forte), l'enceinte générale. Le pont, gardé par de grands dra- 
gons, est décoré latéralement de deux rangées de colonnes rondes, 
disposées entre les arches. En face du pont se développe une nou- 
velle terrasse ; une allée, plusieurs fois étoilée de nagas et de 
statues, conduit ensuite, entre deux groupes de six pièces d'eau, 



Galerie ruinée do Méléa. 

à ta terrasse en croix qui précède les édifices*. Tout autour du 
temple proprement dit, régnait jadis une haute galerie à double 
colonnade surmontée d'une voûte a deux étages et d'une crête 
légère; par-dessus s'élevaient dix tours que dominait une énorme 

1 Le pont, l'allée et la terrasse contigue au temple se reproduisent des trois 
autres côtes (Nord, Ouest et Sud*. 



110 L'ARCHITECTURE KHMER. 

préasat, bâtie au centre de constructions aujourd'hui presque 
inextricables. Les portes et les galeries étaient décorées de plus 
de quatre cents frontons richement sculptés, dont dis à peine sont 
restés en place, encore pas un seul n'esl-il intact. Tel est, en 
général, l'état de délabrement de ce grandiose ensemble d'édifices, 
qu'on ne saurait, au pied même de ses ruines, se faire une exacte 
idée de sa magnificence passée ; tout y branle et y craque si fort, 



BayadÈre divine (ex-voto du temple de Méléa). 

qu'il y a péril à le visiter, et ce ne fut pas sans d'extrêmes diffi- 
cultés que nous parvînmes à recueillir parmi ces débris sans cesse 
agités de spasmes fébriles les divers fragments que nous en avons 
rapportés. 

Autant les restes de statues étaient nombreux à Préa-Khan, 
autant ils sont rares à Méléa. A grand'peine découvrons-nous 
deux ou trois figurines bouddhiques, absolument informes, et 
quelques-unes de ces stèles ornées de figures de dieux et d'anges 
que les dévols placent en ex-voto dans les temples. 



VOYAGE AU CAMBODGE- 111 

En revanche, les œuvres d'architecture sont de tout point re- 



L'ilantro du temple de Uélét, 

marquantes, et les sculptures d'ornementation accusent un goût 



112 L'ARCHITECTURE KHMER. 

sobre et pur. Les pilastres encore subsistants des splendides portes 
de l'enceinte sont couverts de fines arabesques encadrant des baya- 
dèresou différents petits personnages, et dont le motif principal 
est une Tévada ou nymphe céleste debout dans une niche ogivale 
et tenant à la main une fleur de nénuphar '. 

Sur le pilastre d'un édicule se voient, en une série de mé- 
daillons, des enfants aux prises avec des oiseaux, des combats de 
bêtes fauves, des singes gambadant, et vingt autres sujets gracieux. 
Sur les frontons, ce sont des compositions plus importantes : dos 
démons nains armés de massues et dont les physionomies ont une 
expression saisissante ; des saints chevauchant sur des rhinocéros, 
des scènes de guerre où des chars traînés par des animaux fan- 
tastiques se heurtent dans une effroyable mêlée, puis toutes sortes 
d'autres figures fantasques, ou sérieuses, ou bouffonnes, d'une ori- 
ginalité vraiment étonnante. Une des sculptures le mieux conser- 
vées figure un groupe de dieux, d'hommes et d'animaux proster- 
nés aux pieds d'un personnage assis à l'orientale. — A première 
vue, on dirait cette scène de la légende de Çakya-Mouni expliquant 
la loi et subjuguant toutes les créatures par la puissance de sa 
sainte parole. Mais les attributs ordinaires du Bouddha font dé- 
faut, et il est probable qu'ici, comme ailleurs, nous nous trouvons 
en face d'une représentation brahmanique et d'une divinité de 
l'ancien panthéon hindou. 

Parallèlement à notre moisson archéologique, nous en opé- 
rions une autre d'une nature différente, à laquelle ne s'épar- 
gnaient pas nos naturalistes. Insectes, reptiles, animaux de toute 
espèce en faisaient les frais. Il n'y avait pas de jour où notre 
collection ne s'enrichît de quelque spécimen nouveau. 

Je mentionnerai entre autres une espèce de vipère verte, si 
commune en cette région qu'elle se glissait parfois jusque dans 

1 Voyez p. précédente^ 



VOYAGE AU CAMBODGE. 113 

nos bagages, et la nuit, pour se réchauffer, jusque dans les plis 
des nattes qui nous servaient de couchettes. Une autre sorte de 
reptile abonde aussi dans ces ruines : c'est un serpent python qui 
atteint quelquefois des dimensions considérables. Absolument 
inoffensif à l'égard de l'homme, il pénètre jusque dans les habi- 
tations, attiré par le voisinage des basses-cours qu'il dépeuple- 
rait entièrement si les indigènes n'y mettaient bon ordre *. 

Une route dallée, garnie d'un double rang de stèles sculptées, 
relie la chaussée de Méléa à l'antique Tour du Siège d'ivoire, 
Préasal-Kong-Phloac ; nous poussâmes une reconnaissance de ce 
côté. Cette tour n'est plus qu'un amas de débris; trois édicules 
en formaient jadis l'avant-corps ; le tout était enfermé dans un 
mur à créneaux, percé de portes monumentales ; mais les eaux 
ont tellement bouleversé cette massive clôture, que nous pûmes 
tout au plus en restaurer de l'œil le plan général. 

. Au pied des collines situées dans le nord-ouest de Méléa se 
trouvaient d'anciennes carrières de grès (thma soc, pierre de 
boue) et d'immenses gisements de cette concrétion ferrugineuse 
connue en Cochinchine sous le nom de pierre de Bien-Hoa, dont 
les constructeurs khmers ont surtout usé pour les chaussées, les 
fondations et les massifs intérieurs de leurs édifices. M. Ratte, notre 
géologue, explora ces carrières ; il tenta vainement de retrouver 
dans les villages environnants quelque indice sur les outils à 
l'aide desquels se faisait jadis l'extraction, mais il put constater que 
les Khmers employaient pour détacher les gros blocs les mêmes 
procédés que les Egyptiens, c'est-à-dire qu'ils creusaient dans le 
roc vif, suivant les lits de stratification, des rainures dans lesquelles 
ils introduisaient vraisemblablement des coins qu'ils mouillaient 
ensuite et dont la dilatation faisait éclater la pièce à séparer. 

1 Citons aussi, parmi le butin de nos chasseurs, de belles tortues terrestres 
et une espèce de gros lézard appelé varant dont la chair, semblable à celle de 
la tortue, est fort agréable au goût. 

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H4 L'ARCHITECTURE KHMER. 

M. Ratte fit ensuite une excursion dans une petite chaîne de 
montagnes voisine, celle de Phnom Coulen (Montagne des Arbres), 
pour y voir une immense statue de Bouddha couché, sculptée en 
plein roc, qui autrefois avait été en grande vénération dans le 
pays. Des chasseurs lui servirent de guides dans cette pénible 
ascension. Après avoir gravi au moyen d'une échelle improvisée 
une grande paroi de rocher vertical, il atteignit une plate-forme 
où étaient gravées plusieurs empreintes du Phra-bat (pied sacré) 
et des représentations de barques chinoises pareilles à celles de 
Phnom Sontuc; là, sur un énorme bloc de pierre surmonté 
de toits étages, était la fameuse image de huit mètres de lon- 
gueur, peinte en rouge, avec des dorures et reposant sur un 
soubassement décoré de faces humaines. Plusieurs légendes 
où figure le nom du « Roi Lépreux » existent sur ce Saint gigan- 
tesque ; mais l'absence d'un lettré suffisamment érudit ne nous 
permit de déduire de la découverte aucune conclusion histo- 
rique. 



II 



Cependant, autour de notre campement avait lieu un mouve- 
ment inusité : les indigènes faisaient les préparatifs d'une céré- 
monie qui est une réminiscence des fêtes de l'Inde brahmanique : 
nous voulons parler de la cueillette du lotus sacré. 

Les pirogues circulaient dans les grands fossés qui envi- 
ronnent le parc de Méléa. Dans de mystérieux réduits de la forêt 
se trouvent des sras à l'eau noire et dormante, que la légende 
locale représente, comme des gouffres sans fond où ont été en- 
gloutis d'antiques monuments. Toute l'année, le passant les évite 
avec terreur; mais, dans ces jours de fête, les bonzes et toute la 



VOYAGE AU CAMBODGE. 1 17 

population s'y rendent processionnellement pour y cueillir les 
fleurs de nénufar. 

Nos travaux étant forcément interrompus faute de bras, le 
mé-sroc, un brave homme qui avait réalisé de beaux bénéfices en 
exécutant à la lettre les bienveillantes prescriptions du roi Noro- 
dom à notre égard, et dont la femme et les enfants montraient 
avec orgueil les cadeaux presque quotidiens que nous leur fai- 
sions, nous pria de venir le soir dans sa case prendre notre part 
des réjouissances publiques. 

Nous acceptâmes très-volontiers l'invitation. Sur le plancher de 
la grande salle étaient disposés des plateaux contenant des troncs 
de bananiers taillés en pyramides et couverts de fleurs de nénu- 
far; tout autour étaient étalés des fruits, de la cire, des vête- 
ments, des parasols, destinés à être offerts le lendemain en pré- 
sents dans la pagode. Cinq bonzes, assis les jambes croisées, l'é- 
ventail en écran devant leur figure, pour se conformer à la 
règle disciplinaire qui leur interdit la vue des femmes, réci- 
taient des versets que les assistants répétaient en chœur. Dans 
la pièce voisine, les jeunes filles préparaient le festin qui de- 
vait clore la fête. Bientôt les robes jaunes se retirèrent discrète- 
ment. 

On fit alors circuler de petites coupes pleines d'eau-de-vie de 
riz, et deux musiciens préludèrent aux réjouissances par un de 
ces airs vifs et bien rhythmés que les Cambodgiens ont em- 
pruntés aux Chinois, et qui trouveraient très-bien leur place dans 
un de nos ballets modernes. Un autre virtuose, qui jouait d'une 
sorte d'orgue formé de longs tuyaux de bambou, fit ensuite en- 
tendre une mélodie lente et simple d'où se dégageait ce charme 
mélancolique particulier à la mpsique orientale. Puis, après quel- 
ques lazzis d'un bel esprit de la bande, qui parurent égayer fort 
l'assemblée, une espèce d'aède raconta les aventures amoureuses 
du chanteur Ek et de la belle Théau, drame lugubre qui s'ac- 



H 8 L'ARCHITECTURE KHMER. 

complit il y a plus d'un siècle, sous le règne du roi Préa-Reem. 
La littérature cambodgienne n'étant point encore, tant s'en 
faut, sujet rebattu, voici l'analyse de ce naïf morceau, non d'a- 
près la sommaire interprétation de notre trucheman, mais d'a- 
près la traduction qu'a bien voulu nous communiquer M. le 
professeur Aymonier, directeur du collège des administrateurs- 
stagiaires de Saigon. 

« Ek, dans sa jeunesse, était élève — suivant la coutume — 
dans le monastère de son village, et, comme tel, portait l'habit 
jaune. Un jour qu'il voyageait, il se reposa sous l'ombrage d'un 
grand figuier d'Inde, près d'un puits. 

« Une jeune fille, nommée Théau, y vint puiser de l'eau. Elle 
s'arrêta pour écouter les chants sacrés que modulait le religieux. 
L'harmonieuse douceur de ses accents la ravit au point qu'elle 
le pria de l'accompagner jusqu'à sa demeure où elle pourrait 
l'entendre à loisir. Ek y consentit. Bientôt leur amour mutuel 
se déclara, et il fut décidé que le novice quitterait les ordres pour 
venir demander sa fiancée en mariage. 

« Longtemps le maître spirituel d'Ek refusa de le rendre à la 
vie laïque. Enfin, las de ses importunités chaque jour plus pres- 
santes, il le chassa durement du monastère, en lui jetant cette 
malédiction. « Va-t'en, puisque rien ne peut vaincre ton désir, 
« mais puisses-tu périr par le glaive ! » 

« Tout à la joie de sa liberté reconquise, l'amant de Théau se 
hâta de rejoindre sa fiancée, sans plus songer à la sinistre parole 
de son chef. Les parents consentirent à l'hymen, et, en attendant 
qu'il s'accomplît, l'heureux Ek vécut sous leur toit. 

« Or, il advint qu'à cette époque le roi faisait recruter des chan- 
tours et instrumentistes. Ek, dont la voix était renommée , fui 



VOYAGE AU CAMBODGE. 119 

-envoyé à Oudong, la capitale, avec ses deux amis, Pech, habile 
joueur de flûte, et Tum, qui n'avait pas son égal sur le violon. 

« II advint aussi qu'à peu de temps de là, ledit roi voulut avoir 
une femme plus belle que toutes celles qui composaient son 
sérail. On chercha par tout le royaume, et la seule Théau fut 
jugée digne du choix. En vain son père et sa mère dirent : « Notre 
« fille a un mari ; » l'émissaire du prince refusa de rien entendre, 
^t emmena Théau avec plusieurs autres jeunes filles triées exprès 
pour lui faire cortège. 

« Comme elle entrait en grande pompe à la cour, Ek était sur 
le toit du palais, occupé à quelque réparation. En apercevant sa 
bien-aimée, il se mit à chanter : « Retournez, ô compagnes de 
« Théau , elle est mon amante, celle qui marche au milieu de 
« vous ! » Le roi l'entendit, l'interrogea, et, ayant appris ce qu'il en 
était, il eut la générosité de rendre l'un à l'autre les deux fian- 
cés qui demeurèrent ensemble près du palais. 

« Mais cela ne faisait pas le compte du fils du grand mandarin, 
de l'Archum, qui depuis longtemps brûlait d'avoir Théau pour 
femme. Lui et son père, qui était l'esclave de ses volontés, en- 
trèrent dans une vive colère en apprenant que la jeune fille avait 
été donnée au chanteur Ek par le roi. A force de présents, ils 
•obtinrent des parents de Théau qu'ils la rappelassent auprès d'eux. 
Plusieurs lettres de ceux-ci restèrent néanmoins sans résultat. Un 
jour enfin Théau reçut un message où on l'informait que son 
père était gravement malade , et qu'il lui fallait venir au plus 
vite si elle voulait le revoir avant sa mort. Elle part précipitam- 
ment, avec l'autorisation de son mari qui devait la rejoindre 
bientôt. A son arrivée, elle trouve ses parents en pleine santé, 
-et on l'accueille en lui demandant d'épouser le fils du man- 
darin. 



i20 L'AUCHITECTURE khmer. 

« J'ai un mari, » répond à son tour Théau ; mais sa mère l'inju- 
rie, s'écrie que le mariage aura lieu quand même, et fait prévenir 
l'Archum d'activer les préparatifs. La jeune fille envoie secrète- 
ment à son fiancé un messager chargé de lui dire ces mots : 
« Mes parents, malgré ma résistance, me contraignent d'épouser 
« le fils de l'Archum. Si tu reçois cette nouvelle de nuit, pars de 
« nuit ; si tu la reçois de jour, pars de jour. » 

« En apprenant ce qui se passait, Ek court chez le roi, qui l'au- 
torise à se mettre en route, eu ajoutant cette parole : « J'irai 
« bientôt moi-même, » et lui permet par surcroît d'emmener ses 
deux amis Pech et Tum. Après avoir dévoré l'espace, les trois 
compagnons descendent chez la mère d'Ek, qui s'écrie à leur vue : 
« mon fils, aujourd'hui même le fils de l'Archum épouse 
« Théau. —-Eh bien! je m'en vais de ce pas aux noces, afin 
« de la contempler encore une fois.» 

« Ek, accompagné de ses deux amis, arrive à la demeure de son 
ancienne fiancée. Tous les invités étaient assis à l'immense table 
du festin. « Pourquoi ces noces qu'on célèbre ici? dit-il en en- 
trant; ne suis-je pas le mari de Théau? — Non, ce n'est pas 
« à toi que nous donnons notre fille, répondent les parents ; c'est 
« au fils de l'Archum. — Alors laissez- moi prendre part à la 
« fête. » 

« Les deux musiciens, Pech et Tum, préludent sur leurs instru- 
ments, et Ek se met à chanter : « Tous les anciens — assis autour 
« de moi — m'invitent à me faire entendrç — pour les noces de 
« Théau. — Si ma sœur (mon amante) a compassion, — qu'elle 
« vienne maintenant, — je l'attends au dehors. — qu'elle m'ap- 
« porte le vin. » 

« A ces mots, Théau sort de la chambre voisine ; elle remplit 



VOYAGE AU CAMBODGE. 123 

une coupe et l'offre à Ek qui boit en caressant le cou de son 
amante. 

« L'Archum, furieux, s'écrie : « Saisissez-le, et le tuez. » On se 
précipite sur l'audacieux, on le crible de blessures; lui, continue 
de chanter : « On frappe ton aîné (ton amant), — il est blessé au 
« sein, — le sang coule jusqu'aux genoux. — On frappe ton aîné ; — 
« il est blessé au genou, — son sang coule jusqu'aux talons. » 

Théau dit alors : « Si vous attachez Ek, que ce ne soit pas avec 
a une corde ordinaire, mais avec cette écharpe de soie que m'a 
« donnée le roi. » Un des assistants reçoit de ses mains l'écharpe 
et lie Ek qui est conduit près du hameau de Tchbant-Khêl, et 
mis à mort. Puis on annonce à l'Ârchum que ses ordres ont été 
exécutés. 

« Ek est-il mort? » demande Théau. — «Il l'est,» lui répond-on. 
— « J'en suis contente, reprend-elle, il s'est' montré d'une audace 
a extrême.» Cependant Pech et Tum avaient pris la fuite. Arrivés 
au palais du roi, ils racontent la scène dont ils viennent d'être té- 
moins. Le prince, rempli d'indignation, ordonne qu'on prépare 
à la hâte les barques royales. 

« Tandis que la troupe des invités s'occupe à boire et à manger, 
Théau appelle sa suivante : « Nou, ma fille, où est le couteau 
« qui sert à couper le bétel et à raser les cheveux ? — 11 est dans 
« la botte à bétel,» répond Nou. Théau prend le couteau, et fend 
la cloison du logis par derrière ; puis elle s'échappe, suivie de 
Nou, et se rend au figuier de Tchbant-Khêl. Par le chemin elle 
rencontre un petit berger qui gardait des buffles. Elle ôte de son 
doigt son anneau d'or et dit au pâtre : « Mon enfant, je te donne 
« cet anneau, à condition que tu ailles de ce pas dans ma demeure 
« y chanter ces paroles-ci : les anciens 1 — Vous festoyez gaie- 



124 L'ARCHITECTURE KI1BIER. 

« ment ; : — Théau et Ek sont dans le malheur — sous le figuier 
« de Tchbant-Khêl. » 

« L'enfant parti, Théau dit à sa suivante : « Laisse-moi mourir 
a seule. Toi, pourquoi quitterais-tu la vie?» Mais Nou répond : 
« Je mourrai avec vous. » Théau alors la frappe au cœur ; puis, 
se couchant à côté d'Ek, elle se perce elle-même. 

« Le berger s'est acquitté du message. L'Archum , épouvanté par 
ses paroles, se précipite dans l'intérieur de la maison. 11 ne voit 
ni Théau ni sa suivante. En toute hâte il envoie ses gens à 
Tchbant-Khêl, et on trouve étendus par terre les trois cadavres. 

« Sur l'entrefaite, le roi arrive. Enflammé de courroux à la vue 
de ces crimes, il fait saisir l'Archum et sa famille, ainsi que le 
père et la mère de Théau, et ordonne qu'on les jette tous dans 
l'eau bouillante. Quanta leurs proches parents, il les fait enterrer 
jusqu'au cou, et fait herser leurs têtes avec une herse de fer. 
Les autres complices sont réduits en esclavage perpétuel, eux et 
leurs familles. » 

Cette récitation tragique, que nous sommes loin d'avoir repro- 
duite tout au long, remplit le reste de la soirée, et ce ne fut que 
lorsque l'aède eut terminé, que nous quittâmes la case du mè- 
sroc, au milieu d'une foule vraiment émue, bien qu'ayant plus 
d'une fois déjà ouï narrer les infortunes du couple fidèle. 



III 



Quelques jours après, la mission, obligée de suspendre les 
fouilles de Méléa à cause des pluies torrentielles qui avaient 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



inondé le champ de ses explorations, prenait la route de Siem- 
Réep, pour visiter au passage les ruines de Phnom-Boc. Le mo- 
nument élevé au sommet du monticule ' se compose de trois 



'liste de Si va (temple de Phnom-Boc). 

tours massives placées en ligne et reliées par de courtes gale- 
ries. Quatre édicules, n'ayant pour fenêtres que des files do petites 
ouvertures en losange, précèdent les sanctuaires. La double en- 



1 On a vu plus haut que Phnom signifie monticule , éminence , petite 
colline. 



m L'ARCHITECTURE KHMER. 

ceinte, formée d'une galerie et d'une muraille, n'a de gopouras l 
que sur deux côtés. 

Dans ces ruines nous attendait une découverte des plus 
précieuses. Nous venions d'entrer dans un édicule obscur, d'où 
la lueur de nos torches avait fait envoler des centaines de chau- 
ves-souris; celles-ci, établies depuis des siècles peut-être dans ce 
réduit, y avaient déposé une couche de guano qui remplissait 
presque entièrement l'intérieur de la galerie. Des débris de 
cierges ayant attiré notre attention, nous déblayâmes le sol, et 
bientôt nous vîmes apparaître un cylindre de grès d'un grain 
très-fin, couvert de sculptures en forme de cheveux bouclés, 
puis une calotte ornée de tresses, puis une figure, et enfin le reste 
d'une tète ; ces différentes pièces isolées se raccordaient par des 
surfaces polies. En continuant de fouiller, nous mîmes successive- 
ment à découvert une seconde tête fort belle, à quatre faces, et une 
troisième coiffée d'un casque. L'eau qui affluait en abondance dans 
l'excavation déjà profonde nous contraignit d'arrêter là nos recher- 
ches. Nos indigènes, ne reconnaissant dans aucune de nos trou- 
vailles le Préa-Pout ou saint de leurs sanctuaires et n'y voyant que 
des images d'arréaks, simples génies sans importance, ne firent 
nulle difficulté de se charger de ce triple fardeau. Quant à nous, 
nous ne pouvions nous y méprendre :1a tête quadruple était celle de 
Prohm ou de Brahma ; la seconde, en plusieurs morceaux, ayant 
au milieu du front un œil vertical, ce troisième œil qui lance la 
flamme, était celle de Siva; la dernière enfin, surmontée du 
casque, fut reconnue par les lettrés cambodgiens pour une 
des représentations de Préa Noréai, leur Vichnou 9 . Ces trois 
têtes, religieusement recueillies et conservées lors de la des- 
truction de l'édifice de Phnom-Boc, appartenaient donc aux 
grandes divinités brahmaniques, et chacune d'elles avait 

1 Porches monumentaux. 
*Voy. p. «25 et p. 340. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 131 

dû occuper un des trois sanctuaires abrités par les préasats. 

Ajoutons qu'au pied du monument, parmi les pierres brisées, 
nous retrouvâmes un énorme cylindre en grès traversé d'un trou 
rond et orné de moulures sur lesquelles étaient sculptés, avec une 
grande finesse, des oiseaux, de petites ogives encadrant des fleurs, 
des palmettes et des rinceaux '. Cette pièce curieuse ne pouvait 
être que le piédestal d'une représentation hiératique, statue géante 
ou lingam énorme, qui y était fixée par un tenon suivant l'usage. 
Au dire des indigènes, ce socle, surmontant jadis la tour centrale 
de Phnom-Boc, aurait supporté une représentation sacrée qui 
dominait ainsi l'édifice et la plaine environnante. 

Notre retour à Siemp-Réep ne s'accomplit pas sans difficultés. 
Séparés de nos guides par un terrible ouragan qui nous fit perdre 
la route, M. Ralte et moi errâmes de longues heures durant, au 
milieu de marais insalubres où nous commencions à ressentir 
les atteintes d'une fièvre violente. Obligés de rejoindre en hâte 
le reste de la mission qui nous avait devancés à Angkor, nous 
eûmes le chagrin de ne pouvoir visiter, chemin faisant, le magni- 
fique édifice pyramidal de Préa Roup (la Divine Statue), un des plus 
beaux typesdu genre. Mais M. Faraut le put voir plus tard. Le cou- 
teau en main, il se fraya péniblement un passage dans le fourré 
d'un immense parc, et, après avoir gravi trois étages de construc- 
tions, il se trouva sur un superbe soubassement eoupé par douze 
escaliers spacieux que gardaient soixante-douze lions fantastiques, 
et dominé par une tour dépassant peut-être en hauteur tous les 
autres édifices du Cambodge. En s'aidant de lianes grimpantes, le 
voyageur parvint à se hisser jusqu'à la cime de cette imposante 
préasat y et là s'offrit à ses yeux une perspective d'une grandeur im- 
posante. A ses pieds, par delà la ceinture des seize préasats moin- 
dres et des édicules qui complètent l'entourage du monument, 
s'étendait toute cette vaste plaine lacustre peuplée jadis de mil- 

1 Voyez p. 243. 



132 L'ARCHITECTURE KHMER. 

lions d'hommes, aujourd'hui changée en une solitude où s'égrè- 
nent lentement et silencieusement les ruines d'une antique ca- 
pitale et de soixante temples. A travers le voile des forêts, il devi- 
nait plutôt qu'il n'apercevait, ici, aux reflets mats du soleil sur 
un sommet de tour, là, aux scintillements argentés d'un bassin 
d'azur, la place occupée par chacun de ces vénérables édifices, 
débris de plus en plus chancelants d'une civilisation dis- 
parue. 

J'ai dit que ce voyage de M. Faraut eut pour résultat de com- 
pléter mes propres recherches archéologiques, notamment sur la 
région à l'ouest du Grand-Lac que je n'avais pu visiter. Parti en 
barque de Phnom-Pênh, l'explorateur passa devant l'embou- 
chure de la rivière de Pursat *, atteignit le territoire de la 
province de Battambang, et gagna le Nam-Ké 2 , principal cours 
d'eau du district, au delà duquel il existe quelques restes intéres- 
sants d'édifices. La traversée de cette rivière ne s'effectua pas 
sans encombre. Le cornac ayant commis l'imprudence d'attacher 
à la pirogue l'éléphant qui servait de monture au voyageur, il 
advint que l'animal, effrayé par le brusque passage d'une de ces 
troupes de loutres très-communes en ces parages, s'emporta et 
brisa la barque, en blessant ceux qui la montaient. Assez grave- 
ment contusionné pour son compte, M. Faraut poursuivit sa route, 
tant bien que mal, vers la ville de Battambang. Mais là, nou- 
veau contre-temps. A la douane il fut victime d'un malentendu ; 
on le retint pendant quelques heures, lié au poteau qui porte la 
cangue et où l'on a coutume d'exposer les fraudeurs. L'erreur, fort 
heureusement, ne tarda pas à s'expliquer; le mandarin du poste 
se confondit en excuses et procura même à l'arrivant une pirogue 

1 Voy. à l'Appendice, Pursat. 

* La tradition rapporte que Préa Alphaï, le fondateur de Battambang, dé- 
tourna les eaux de la rivière de Basset, l'ancienne capitale, pour les fondre 
avec celles du Nam-Ké, travail qui eut le double résultat d'abréger le cours 
de la rivière de Basset et d'augmenter l'importance de la nouvelle ville. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 133 

et des rameurs pour le conduire plus rapidement au chef-lieu. 

Battambang est une jolie ville, traversée par une rivière, que 
bordent aujourd'hui deux voies carrossables aux constructions bien 
alignées. Sa population, d'environ 25,000 habitants en temps or- 
dinaire, mais bien supérieure à ce chiffre durant la saison de la 
pêche, se compose d'un noyau considérable de commerçants chi- 
nois, riches pour la plupart, et d'un mélange de Malais, de Chams * , 
de Tagals, d'Annamites, de Cambodgiens, de Siamois et de sau- 
vages. 

À Battambang, le principal fonctionnaire occupe une situation 
élevée, il a le droit de vie et de mort sur ses administrés. On ra- 
conte qu'il entretenait jadis un éléphant faisant office de bourreau : 
au signe du maître, l'animal se précipitait sur le condamné qu'il 
clouait à un arbre en lui perçant le cœur de sa défense. Le gou- 
verneur actuel, Cambodgien d'origine, est un homme remar- 
quablement intelligent, animé d'excellentes intentions à l'égard 
des Européens, et qui s'efforce, par mille bons offices, d'attirer 
sur son territoire toutes les victimes des exactions des hauts 
fonctionnaires du voisinage. Aussi l'état florissant de sa province 
contraste-t-il singulièrement avec la désolation des districts en- 
vironnants. Ce gouverneur, qui possède un théâtre, des danseuses, 
des chevaux et même une calèche à l'européenne, mit à la dispo- 
sition de son hôte tous les moyens de transport nécessaires, avec 
une équipe de travailleurs. 

M. Faraut put ainsi visiter le temple de Banone 2 et ses 
environs. 

Au sommet d'un mamelon repose, sur une série de soubasse- 
ments en gradins, une sombre galerie rectangulaire aux angles 

1 On sait que lors de la chute de l'empire de Giampa (Gochinchine méri- 
dionale), ses habitants se réfugièrent dans la Basse Gochinchine et de là dans 
le Cambodge ; ils vivent disséminés dans ces deux pays. Voy. l'Appendice. 

a Ba, signifie beau, remarquable, superbe. 



134 L'ARCHITECTURE KHMER. 

dominés par des tours, avec une préasal centrale lourde et mas- 
sive, percée à sa base de réduits obscurs. 

C'est là le temple ; on y accède aux quatre points cardinaux 
par quatre escaliers creusés sur les flancs du monticule. 

De tous les côtés, mais surtout à l'orient, le roc disposé en gra- 
dins forme une succession de terrasses entourées par les replis 
du roi serpent 1 , façonné en balustrades. Le grand escalier traverse 
ces terrasses ; une suite de lions s'étagent sur ses degrés et deux 
géants porte-massue, placés à son sommet, gardent l'entrée prin- 
cipale de l'édifice sacré 9 . 

Ce monument pittoresque, mais de deuxième ordre pour l'im- 
portance, est en grande vénération. Sa tour centrale repose, 
dit-on, sur le nombril du Cambodge. D'après la tradition, Ba- 
none serait le lieu d'origine des Brahmanes, appelés à diverses 
reprises par les rois, et dont les descendants (les Bakou) sont 
chargés de la garde de l'épée sacrée (une lourde épée de fer 
ornée de figures brahmaniques), qu'ils ont à travers mille périls 
sauvée de l'effondrement du Cambodge. Ces Bakou portent leurs 
cheveux enroulés sur le sommet de la tête à la manière des 
Brahmanes représentés dans les bas-reliefs d'Angkor-Vaht, de 
Préa-Khan, etc. C'était dans une grotte appelée la grotte de Préa 
Teuk ou de Veau sainte, dans laquelle on ne pénétrait qu'en 
rampant à travers un étroit souterrain, que ces prêtres se reti- 
raient pour rendre leurs oracles. Deux vases, l'un d'or, celui du 
roi, l'autre d'argent, celui des officiers, recevaient l'eau qui 
suintait goutte à goutte de la voûte, et l'abondance du liquide 
présageait le bonheur au prince ou à ses sujets. 



1 Le naga brahmanique Ànanta. 

* Selon la légende, de la cour intérieure partiraient plusieurs souterrains, 
l'un entre autres communiquant à une rivière voisine ; et, sous la croupe de la 
montagne, de nombreuses excavations, gardées par des géants, renfermeraient 
des sièges d'or, d'ivoire, et autres trésors. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 137 

Aujourd'hui l'oracle existe toujours, mais il ne s'adresse plus 
qu'à la populace, car les vases sont d'une matière grossière ; se 
remplissent-ils rapidement, c'est le présage d'une saison plu- 
vieuse et d'une bonne récolte. Aussi voit-on affluer chaque 
année dans cette vaste excavation une foule de dévots qui y ont 
accumulé des statuettes de Bouddha, des ex-voto et des offrandes ; 
on y trouve même bon nombre de sculptures antiques 1 . 

De là, M. Faraut gagna Basset, ancienne résidence royale aban- 
donnée depuis un siècle seulement et dans laquelle on retrouve 
encore : lac sacré à marches de pierre, ville avec remparts et fossés, 
muraille environnant l'ensemble du temple et du palais (Com- 
peng-kéo,mwr aux joyaux), enceinte spéciale du temple compre- 
nant neuf préasats petites et grandes, enfin, comme sculptures, une 
scène où l'on voit dieux et diables se disputer la possession du 
grand serpent Ananta ; porteurs de hache et de massue, joueurs 
de flûte, dans l'attitude du dieu Krischna, etc. 

Basset exploré, le voyageur se dirigea sur Vaht-Ek (la Pagode 
principale ou superbe). Chemin faisant, un lettré du palais de 
Battambang lui narra la légende de ce monument. 

C'était au temps de la prospérité des Khmers. alors qu'en l'hon- 
neur de Préa-En (Indra) s'élevaient les superbes temples d'Enthi- 
pat (la ville d'En, autrement dit Angkor). La contrée dont Bat- 
tambang est aujourd'hui la capitale, était gouvernée par une reine 
amie et protectrice des arts. Confiante dans l'habileté de ses archi- 
tectes, cette princesse voulut mettre au défi le roi d'Enthipat, sur 
le territoire duquel s'élevaient déjà tant de préasats sacrées, et 
elle gagea qu'en dépit de toute sa puissance, il ne réussirait pas 
à faire construire aussi rapidement qu'elle-même un nouveau 
temple en l'honneur des Dieux. Au jour fixé, de part et d'autre 
on se mit à l'œuvre. Il était convenu qu'un feu allumé au som- 
met de la plus haute tour annoncerait l'achèvement du travail. 

1 Voy. p. 141. 



138 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Quelques pierres manquaient encore au temple de la reine, lors- 
qu'un jour, ayant le lever du soleil, elle aperçut à l'horizon une 
lueur qui brillait au-dessus de la ville sacrée d'Indra. A cette vue, 
ses ouvriers, se croyant vaincus, laissent retomber leurs bras de 
découragement. Des courriers se rendent, bride abattue, à Angkor. 
En arrivant, ils trouvent maçons et architectes en train de beso- 
gner avec ardeur, sous l'œil du roi qui surveille lui-même le 
travail. « Quelle est donc, demandent les messagers, cette lueur 
que nous avons aperçue à l'aurore, et que nous avons prise pour 
une lumière triomphale? — Indra, le dieu de l'Orient, nous 
est favorable, répond le prince ; allez le dire à celle qui vous a 
envoyés : la lueur que vous avez vue, c'était l'étoile du 
matin 1 » 

Ainsi furent vaincus les maîtres de l'œuvre de Vahl-Ek, le 
temple superbe, lequel ne fut jamais achevé l . 

M. Faraut nous a raconté qu'en approchant de la pagode, il 
fut témoin d'une singulière pêche. Un crocodile, effrayé par le 
bruit des arrivants, était sorti des buissons pour se réfugier dans 
un petit canal. En quelques instants, les indigènes de l'escorte, 
qui l'avaient vu s'enfoncer dans l'eau, firent un peu plus bas un 
barrage au moyen de lianes et de branches; puis un Annamite, 
plongeant sans bruit dans Yarroyo, alla passer autour du cou du 
reptile, qui se tenait immobile, un lacet à l'aide duquel on le 
hala prestement sur la rive. Là, séance tenante, on trancha à 
coups de sabre sa longue queue charnue, la seule partie de l'ani- 

i II existe diverses traditions relatives à l'origine de Vaht-Ek : ce temple 
aurait été bâti, selon les uns, par un Sesthey (homme riche) de Battam- 
bang, selon les autres, par le grand roi légendaire Préa-Ket-Méaléa, « tête 
royale, ceinte de guirlandes de lotus (ou, suivant M. Aymonier : La divine 
auréole) » fondateur de la grande métropole religieuse d'Ankor-Vaht, 
qui dans les sculptures porte une haute couronne et dont la suite se 
compose toujours de femmes, suivant la coutume des rois du Cambodge. 
(Bastian.) 

Nous citerons plus loin une autre hypothèse sur l'origine de Vaht-Ek. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 139 

mal qui soit recherchée des gourmets, et le reste du corps fut 
incontinent rejeté à l'eau *. 



IV 



Vaht-Ek, malgré son nom, est un édifice d'une dimension res- 
treinte. Sa tour centrale, décorée de dentelures et précédée d'un 
péristyle à quatre rangs de colonnes, s'élève sur un haut sou- 
bassement à plusieurs degrés. Presque tous les entablements des 
portes gisent à terre. L'une de ces pierres représente en bas- 
relief une scène fort originale, souvent reproduite par les sculp- 
teurs khmers. 

Voici le sujet. Une corde, attachée par le milieu à un bâton 
fiché au sol verticalement, est tirée, à droite par des femmes, à 
gauche par des géants au visage grimaçant ; un [singe, perché 
sur le haut du bâton, regarde d'un air narquois cette lutte iné- 
gale f . 

Voici maintenant la légende : 

Avant d'avoir été exterminés par Préa-Noréai (Vichnou), les 
terribles géants Iakshas infestaient le royaume khmer, y dévo- 
rant tous les enfants. Les pauvres mères impuissantes, accablées 
de douleur, allèrent un jour porter au roi leurs lamentations. Le 
prince, ému de pitié, envoya aux géants Tordre de cesser leurs 
ravages. Us répondirent que nul n'avait le droit de les empêcher 
de manger, et ils continuèrent, comme par le passé, à se repaître 

1 C'est par le même procédé que les Indiens des bords du Madeira s'em- 
parent de ce terrible saurien que Ton appelle alligator. 

1 Bien qu'effacée en partie par le temps, cette scène semble avoir figuré 
à l'origine la dispute des dieux et des Iaksbas pour s'emparer du Roi Serpent et 
baratter la mer de lait. Voy. p. 205 et 224. 



140 L'ARCHITECTURE KHMER. 

de la tendre fleur des générations. Que faire? Le roi, plus embar- 
rassé que Salomon, finit par proposer aux deux parties de recon- 
naître la loi du plus fort. L'épreuve semblait dérisoire ; aussi les 
lakshas s'empressèrent-ils de l'accepter. Les femmes alors, pleines 
de terreur, s'avisèrent d'implorer l'assistance du rusé chef des 
singes. Celui-ci promit de leur venir en aide. 

Au jour fixé, femmes et géants se réunissent devant le palais, 
à l'endroit où la lutte devait avoir lieu dans les conditions que 
nous représentent les bas-reliefs, et chacun commence à tirer de 
son côté sur la corde. Les singes, eux aussi, sont venus se poster 
sans bruit dans le branchage. Au moment où le bataillon féminin 
va céder, ils se jettent, à un cri de leur roi, sur les terribles lak- 
shas qui, mordus chacun au nombril, lâchent la corde et s'en- 
fuient tout honteux. De là date l'intimité qui existe, au Cambodge, 
entre l'indigène et les habitants des bois qu'on rencontre souvent 
à l'état domestique dans les huttes, de même qu'ils figurent sur 

maints bas-reliefs. 
Parmi cent autres légendes dont ces quadrumanes sont le sujet, 

une des plus intéressantes explique le cri du singe hurleur que le 

Cambodgien, dans la solitude de la forêt, n'entend jamais sans 

une sorte d'émotion. 

LA PRINCESSE MORA CHANGÉE EN SINGE '. 

Le prince Chantakorob, s'étant retiré dans la forêt pour étudier, sous la 
direction des ermites, les Vixa (sciences de la magie), épousa en s'en retour- 
nant Mora et continua son voyage avec elle. Mais un matin, à son réveil, il 
trouva sa femme entre les mains de brigands, il en tua cinq cents, et il ne res- 
tait plus que leur capitaine, lorsqu'il s'aperçut que son carquois était vide. 11 
dit alors à sa femme de lui donner l'épée qu'elle portait à la ceinture. Effrayée 
par les menaces du brigand, celle-ci hésita un moment, puis laissa tomber 
l'arme. » 

Le prince la saisit par le fourreau, le capitaine par la poignée et, en la tirant 
à lui, fit à la main de son adversaire une blessure mortelle. 

1 Voy. Bastian. 



t. < 



i 1' 



VOYAGE AU CAMBODGE. 143 

L'indécision dont Mora avait fait preuve dans un moment si critique 
détermina le brigand à l'abandonner dans l'épaisseur du bois. La jeune fepime 
vit alors un oiseau nommé Jicoh qu'elle pria de lui donner à manger . 

Mais cet oiseau était le dieu Indra ; indigné de la conduite de Mora à l'égard 
de son mari, il la changea en singe hurleur, dont les gémissements plaintifs 
retentissent maintenant dans la forêt et qui, croyant voir le sang de son époux 
dans le ciel teint en rouge par le soleil, crie sans cesse : Phoua, Phoua (époux, 
époux). 

Grâce à la cérémonie de l'aspersion, Indra rappela le prince à la vie et lui 
montra dans la montagne une caverne où la fille du Roi Dragon était prison- 
nière. Il la délivra courageusement, l'épousa et s'en retourna avec elle dans 
son royaume. 



M. Faraut, dont je vais achever de raconter les aventures, 
avait rencontré à Battambang un Français du nom de Paul fixé 
depuis seize années dans cette ville. De leurs communes recher- 
ches résulta bientôt la découverte de plusieurs édifices dont le 
principal porte le nom de Pontéay-Chma. C'est un immense en- 
semble de constructions merveilleusement ouvragées et réunis- 
sant les caractères les plus variés de l'architecture khmer. Cette 
ruine, située à peu de distance de la route de Battambang à 
Bankok, a été longtemps occupée par une bande de brigands qui 
s'y étaient retranchés comme dans une forteresse et qui en ren- 
daient l'abord impossible. Le manque d'eau potable dans la 
forêt empêcha M. Faraut de l'explorer complètement. Dans 
toutes ces régions, en effet, l'extrême sécheresse succède brus- 
quement aux pluies torrentielles, et en quelques semaines l'ar- 
deur du soleil pompe l'humidité du marécage, tarit les sources 
et durcit la terre à l'égal du roc. Dans ces vastes plaines, où 
nous avions eu de l'eau jusqu'aux aisselles, le voyageur était 
obligé de faire porter à ses éléphants la provision d'eau indis- 
pensable à ses besoins ; il est vrai qu'il pousse dans ces forêts une 
liane tellement riche en sève, que les indigènes en peuvent aisé- 
ment extraire plusieurs litres d'un breuvage sain et rafraîchissant, 
avec lequel ils se désaltèrent quand l'eau vient à leur manquer. 



IM L'ARCHITECTURE KHMER. 

S'enfonçant ensuite au nord, vers la province de* Surén, 
M. Faraut gravit, au prix de fatigues extrêmes, la ceinture de 
rochers escarpés qui limitent de ce côté la région des lacs et 
des marais. Les habitants de ces hauts plateaux, qui n'ont que 
peu de contact avec ceux des provinces méridionales, sont de- 
meurés à demi sauvages ; leurs femmes en sont encore à user 
d'aiguilles de bambou et méprisent les aiguilles d'acier, objet 
d'échange généralement fort apprécié des Cambodgiennes. La 
ville de Surên et même les villages environnants sont entourés 
de fortifications qui les protègent contre les attaques des bandes 
de pillards qui tiennent constamment la campagne. 

Le gouverneur, prévenu à l'avance de l'arrivée du voyageur, vint 
au-devant de lui, accompagné de sa famille et précédé d'une sorte 
de bouffon nain et difforme qui ne le quitte jamais, et dont la fonc- 
tion, assure un vieux dicton cambodgien, est « d'avoir de l'esprit 
à tout propos * ». Le mandarin était debout dans un char que traî- 

1 SiSaponxaï, chez les Siamois, et Thmen-Chey, au Cambodge, personnifient 
la facétie populaire. Leur plaisanterie roule le plus souvent sur des équivoques 
lourdes et grossières. 

Bastian en a recueilli plusieurs à Siam, d'où il les croit originuires ; M. Ay- 

monier en a publié un véritable recueil. C'est l'histoire de Thmen-Chey, le 
bouffon cambodgien ; nous allons en citer quelques traits choisis : 

Thmen-Chey est né sous d'heureux auspices : à sept ans il ramasse la na- 
vette d'une femme riche, sa voisine ; celle-ci lui a promis beaucoup de riz pour 
sa récompense, mais bien qu'elle lui en offre un plein panier, elle ne parvient 
pas à le satisfaire. Le mari survient et fait deux tas de riz. « Dans quel tas y 
en a-t-il beaucoup? » L'enfant montre le plus gros. « Emporte-le donc, » ré- 
pond l'homme riche. Thmen-Chey se croit joué ; pour se venger, il engage sa 
mère à le placer comme esclave moyennant un fort prêt d'argent chez ce 
Sësthey auquel il se propose de faire toutes sortes de tours. 

Le maître se rend à cheval chez le roi ; le jeune serviteur le suit et arrive 
en retard, sous prétexte de veiller sur les boites à bétel qu'il porte sur un pla- 
teau. — « Dorénavant, tu iras plus vite sans t'inquiéter de rien. » II arrive, 
le plateau vide. — « Une autre fois ramasse ce qui tombe. » 11 découvre de- 
vant l'assemblée des mandarins son plateau rempli de crottin de cheval qu'il 
a ramassé en route. 

Le maître lui a défendu de l'interpeller à haute voix ; le malin vient lui dire 



VOYAGE AU CAMBODGE. 145 

riaient des sauvages réduits en captivité. Le commerce des es- 
claves en effet est encore très-actif dans celte province ; les habi- 
tants y vont à la chasse à l'homme dans les collines septentrio- 
nales; les sauvages, de leur côté, ne manquent pas d'user de repré- 
sailles, Joutes les fois qu'ils en trouvent l'occasion, d'où il résulte 
un état de guerre permanent qui est la ruine de toute la contrée. 
De Surên, M. Faraut visita les édicules de Liang, la petite tour 
de Srey> l'édifice de Tiang-Préac, qui renferme une superbe sta- 

à l'oreille que sa maison est en feu. — « Sauve les objets légers ! » Il ramasse 
les coquilles d'oeufs. 

Poussé à bout, le Sestbey le donne au roi. Pour éprouver sa ruse, le prince 
se rend au bain avec ses courtisans. Chacun d'eux, en sortant de l'eau, imite 
le cri de la poule et découvre un œuf dont il avait eu soin de se munir & 
l'avance. 

— « Et toi, Chey ? » Celui-ci, imitant le cri du coq, répond : « C'est moi qui 
ai fécondé toutes ces poules. » 

Le bouffon a commencé par amuser le roi ; mais il s'est bientôt fait haïr de 
tous; condamné à mort, il échappe parla ruse au moment où il va être noyé 
dans le lac, et disparaît sous l'habit de bonze. 

Vient alors un épisode qui, au milieu de ces farces triviales, jette une 
note délicate et sentimentale : une ambassade chinoise est arrivée pour 
proposer des énigmes ; Chey, rentré en faveur, les devine et sauve le royaume. 
Le prince reconnaissant lui offre de le marier au palais. Le bouffon refuse : 
il ne se mariera que lorsqu'il aura trouvé une femme , et il commence ses re- 
cherches. 

Après avoir couru longtemps, il aperçoit une jeune fille assise devant la 
porte de sa maison et lui pose sa question ordinaire ; « Y a-t-il des femmes ici? 
— Et dans ton pays y a-t-il des hommes? — Oui, dans mon pays il y a un 
homme, connais-tu son nom? — Cet homme doit se nommer Chey, le victo- 
rieux, celui qui triomphe de toute la terre. Et selon toi, quel est le nom de la 
femme? — Elle est femme [srey), parce qu elle est le bonheur (suos). » Thmen- 
Chey continuant: « As-tu motif de crainte? — Non, et toi, as-tu sujet de pré- 
occupation? — Non ; que signifie ma question? — Tu m'as demandé si j'avais 
mari, car, en causant avec toi, j'aurais sujet de crainte. — Et toi, si j'avais 
femme, car alors j'eusse songé à son cœur, mais je suis libre. • Chey 
épouse Suos en inventant les rites modernes du mariage. 

Après maintes aventures, Chey vient de mourir ; ses ennemis vont profaner 
sa tombe, mais ils ne peuvent en approcher sans être atteints de cruelles bles- 
sures: le bouffon a demandé qu'on plantât tout alentour des piquets pointus. 



146 L'ARCHITECTURE KHMER. 

tue de Çakya-Mouni, puis Sréo, monument à cinq tours environ- 
nées d'une galerie d'enceinte, et Séliam, autre groupe de belles 
préasats en briques dans un remarquable état de conservation. 



Atteint à son tour par la fièvre, à la suite de cette marche exté- 
nuante de près de 400 kilomètres du sud au nord, il dut enfin 
songer au retour. 

Chemin faisant, il surprit maint détail de mœurs chez les 
étranges habitants de cette sauvage contrée. Dans certain 
village, par exemple, la population tout entière s'occupait chaque 
soir à prendre, parmi les joncs des marais, de grosses fourmis 
rouges qu'on faisait bouillir et qui entraient pour une notable 
part dans l'alimentation quotidienne. Ailleurs, on chassait aux 
abeilles; après avoir enfumé leurs gîtes, les indigènes faisaient 
razzia de ces insectes et se régalaient de leurs corps avec autant 
de plaisir qu'on se régale chez nous de leur miel. Après avoir 
exploré au passage quelques ruines peu importantes, M. Faraut 
redescendit dans les régions basses, où il visita successivement 
les débris de Préasat-En (la Tour d'Indra), et les édifices de 
Penrôe à demi enfouis sous les sables amoncelés autour d'eux 
par les courants de l'inondation annuelle. 

De retour à Angkor, il gravit les terrasses de Leley, du haut 
desquelles les rois assistaient aux régates qui se donnaient au 
onzième mois sur la plaine inondée, puis il explora Préa-Kong 
aux admirables sculptures, Ba-Kong, pyramide à six étages, 



VOYAGE AU CAMBODGE. 147 

«levée jadis pour servir de piédestal à la statue du dieu Taureau, 
vénéré plus tard à Lovék '. Ce pauvre dieu finit misérablement: 
les Birmans le prirent et le transportèrent à Ava, où le peuple le 
mit en pièces pour lui retirer du ventre le vif-argent qui lui don- 
nait la faculté de courir d'une manière surnaturelle. 

H. Faraut découvrit enfin le temple do Mi-Baume \ que nous 
décrirons plus loin, et les bassins de Nirpone 3 (Nirvana): Nirvana, 
le paradis pour le peuple cambodgien, peut-être le néant pour quel- 
ques-uns. L'inscription de Phnom -Bâche y l'appelle « le beau 
royaume du repos » \ l'inscription de Préa-Khan, d'un caractère 
triste et sombre, l'appelle « le lieu où finit toute espèce déplaisir» *. 

La fièvre malheureusement ne laissait guère de répit à notre 
explorateur infatigable; aussi trouva t-il à point, en traversant 
les pêcheries lacustres, l'hospitalité momentanée de ce métis 
portugais, Alexis Om, dont j'ai eu occasion de parler plus haut. 
Les hommes de son escorte étaient eux-mêmes tellement abattus 
par la maladie, qu'il dut se joindre à un convoi de grandes bar- 
ques chargées qui remontaient lentement le fleuve en se hâtant 
le long du rivage. C'est ainsi qu'il atteignît enfin Phnom-Pênh, 
d'où il put rentrer à Saigon, puis en France, pour 7 rétablir sa 
santé gravement compromise. 

« Voj. p. 38. 

1 Voj. p. 303 et 309. 

* Vov. à l'Appendice le plan et la description détaillée de Nirpone. 

'Voj. à l'Appendice l'inscription de Préa-Khan. 



BoMce de chapiteaa (teropla d'Angkor-YaM). 



Baïadèmb lc ciel (Fronton du temple de Balon). 



CHAPITRE V 

En route pour Siemréep; une alerte. — Souvenirs d'une chasse aux buffles. 

— Les ruines d'Angkor-la- Grande ; splendeur de l'antique temple de Baîon. 

— Promenade pittoresque a travers l'édifice ; — esplanades, galories, cloî- 
tres, tours et tourelles; — ensembles décoratifs; — escalades des étages; 

— le Saint- des- Saint»; — la priasat terminale; — aperçu des grands bas- 
reliefs. 



Revenons maintenant à notre mission que ce récit additionnel, 
mais non superflu, nous a un moment fait perdre de vue. Nous 
l'avons laissée, on s'en souvient, partagée en deux détachements, 
dont l'un était déjà à Angkor, tandis que l'autre, dont je faisais 
partie, s'acheminait sur la route de Siemréep, 

Sur le soir des feux aperçus de loin nous attirèrent, et nous 
fîmes halte près de la caravane d'un mandarin en tournée dans 
la province 1 . 

Nous profitâmes de cette rencontre pour traverser à dos d'élé- 
phant un marais parsemé de grands bouquets de bambous ■ ; mais 

1 V07. p. isi. 
■ ■ Voy. p. 153. 



tSO L'ARCHITECTURE KHMER. 

comme nos nouveaux compagnons Taisaient route au nord et que 
nous nous dirigions vers l'occident, il fallut bientôt les quitter et 
nous nous trouvâmes réduits à nos propres ressources. La pluie di- 
luvienne ayant grossi les torrents et emporté les ponts, nous dûmes 
faire de longs circuits jusqu'à ce qu'enfin il nous fût possible d'im- 
proviser une passerelle avec des troncs abattus. Littéralement épui- 
sés, nous nous laissions traîner, paresseusement étendus dans nos 



Un pont iuiprorisé. 

chars a bœufs, pendant que notre interprète caracolait auprès de 
nous, monté sur un petit cheval qu'il avait acheté àPréa-Khanel tout 
entier à la supputation du bénéfice qu'il pourrait faire en le re- 
vendant au retour. Soudain, au sortir d'un épais massif, un bruit 
de souffles puissants arrêta court notre équipage ; hommes et 
bètes demeurèrent glacés d'effroi en apercevant les têtes mena- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 151 

çantes d'une troupe de buffles sauvages qui nous regardaient 
fixement, tout prêts à fondre sur nous. 

Nous épaulâmes vite nos fusils; mais déjà les conducteurs s'é- 
taient jetés en bas de leurs chars et avaient détourné les bœufs en 
les poussant dans les broussailles. En un clin d'oeil toute notre 
caravane disparut au milieu du fourré. 

On comprend que nous n'étions pas équipés de manière à don- 



ner la chasse à ces terribles animaux. Les indigènes ne les atta- 
quent guère de front sans avoir pour auxiliaires des éléphants ro- 
bustes, et souvent ce périlleux exercice amène mort d'homme. 
Le roi Norodom aime cependant avec passion cette espèce de sport, 
et dès qu'on signale des buffles dans les grandes plaines maréca- 
geuses des environs de Phnom-Pênh, il part en guerre dans tout 
l'appareil d'un prince asiatique. 



452 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Nous ayons souvenir qu'un jour, nous trouvant chez un manda- 
rin du Cambodge siamois, possesseur d'éléphants parfaitement 
Pressés, nous eûmes le plaisir d'être convié à une de ces émouvan- 
tes battues. 11 s'agissait d'attaquer tout un troupeau en rase cam- 
pagne. La colonne offensive se composait d'une dizaine de chas- 
seurs, armés les uns de fusils, les autres de flèches empoisonnées, 
tous montes sur des éléphants conduits par leurs cornacs. Dévelop- 
pés en tirailleurs à une petite distance les uns des autres, et prêts 
à nous rapprocher au moindre danger, nous fouillions la plaine, 
lentement et en silence. Nous rencontrâmes d'abord deux buffles 
isolés qui s'enfuirent à notre approche. Redoublant de précautions, 
à mesure que le soleil montant sur l'horizon rendait la chaleur 
plus intense et les émanations plus pénétrantes, nous atteignîmes 
enfin un marais couvert de hautes herbes où nos énormes montu- 
res disparaissaient tout entières. 

Soudain un bruit de fortes aspirations fit frissonner nos élé- 
phants. A quinze pas de nous un troupeau de buffles sommeillait 
à demi dans une mare vaseuse ; leurs muffles et leurs cornes ar- 
quées émergeaient seuls au-dessus de l'eau. Surpris à notre as- 
pect, ils se levèrent brusquement : la lutte promettait d'être 
chaude. 

Les éléphants de leur côté, en apercevant l'ennemi debout, s'é- 
taient rangés d'eux-mêmes en ligne, serrés les uns contre les au- 
tres, immobiles comme une muraille et regardant leurs adver- 
saires. Après un instant d'hésitation, les buffles, faisant rejaillir 
d'immenses gerbes liquides, se ruèrent contre nous. Toutes les 
armes partirent à la fois : trois buffles étaient atteints. Tandis que 
les autres, effrayés, détalaient au galop, les blessés se jetèrent sur 
les éléphants, et la mêlée s'engagea. Nos gros pachydermes, quoi- 
que ayant l'avantage du nombre, n'osaient trop prendre l'offensive 
et se contentaient de parer le choc avec leurs défenses et leurs 
trompes. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 133 

Déjà deux d'entre eux, touchés par les cornes des redoutables 
bâtes, poussaient des cris déchirants. Nous avions de notre côté 
prestement rechargé nos fusils et nous saisissions tous les moments 
favorables pour foudroyer à bout portant les buffles dont le cou- 
rage eût mérité vraiment un meilleur succès. Enfla le combattent 
l'issue qu'il devait avoir avec un partage de chances à ce point iné- 
gal : les bœufs sauvages, frappés à mort, chancelèrent les uns après 



En roule à travers les marais. 

les autres ; à mesure qu'ils tombaient, les éléphants les écrasaient, 
sous leurs pieds, et d'un seul coup de défense leur lacéraient les 
entrailles. Maîtres du champ de bataille, les chasseurs sautèrent 
sur leurs victimes et se mirent à les dépecer, ayant grand soin 
d'extraire les balles qui s'étaient logées dans leurs corps, afin .de 
les faire servir à nouveau dans une autre circonstance.. 



154 L'ARCHITECTURE KHMER. 



II 



L'alerte qui venait d'arrêter notre caravane en route pour Siein- 
Réep n'avait pas été aussi pathétique que cette chasse dangereuse. 
L'émotion néanmoins fut assez vive, et dans notre brusque mou- 
vement de retraite quelques dégâts se produisirent à nos véhi- 
cules. On les répara vite hors de la vue des buffles, sous l'abri 
hospitalier de la futaie. 

Quelque diligence que nous eussions faite, le soleil était couché 
depuis longtemps, quand nous atteignîmes Siem-Réep. La rivière 
en crue roulait ses eaux mugissantes à travers un grand barrage 
qu'on avait construit au temps de la sécheresse pour l'irrigation 
des rizières, et dont la masse disloquée s'en allait maintenant par 
débris au courant de Tonde torrentielle. Ce ne fut pas sans peine 
que nous réveillâmes d'un profond sommeil le mandarin préposé 
aux bacs de passage ; notre apparition à cette heure inaccoutumée 
mit en émoi tous les chiens domestiques de la case, et ce fut au 
milieu d'un épouvantable tutti d'aboiements plaintifs, répétés au 
loin dans la plaine, que nous traversâmes la rivière, les chars dans 
les barques, selon la coutume, et les bœufs suivant à la nage. 
Heureusement, la nuit était étoilée et la route sûre ; depuis un 
mois on n'avait signalé aucun méfait de ces bandes de ti- 
gres, ravageurs habituels de la contrée. Notre route se poursui- 
vit donc sans encombre, et au point du jour, nous retrouvions 
nos compagnons, campés au milieu de la forêt qui occupe 
aujourd'hui l'emplacement (ÏAngkor-Thôm, « la grande rési- 
dence royale » . 

Là, nous reçûmes la visite du frère du gouverneur de la pro- 
vince. Le jeune mandarin venait, avec tout un cortège, nous ap- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 155 

porter les compliments officiels de bon accueil à notre entrée sur 
le territoire de Siam. Il avait fait toilette de cérémonie et sacrifié 
<le son mieux aux grâces européennes. Il portait sur une chemise 
de coton une veste de soie blanche avec des galons d'argent qui 
lui remontaient jusqu'aux coudes ; un langouti vert, une casquette 
de marine à bande d'or, un sabre de cavalerie qui le gênait fort, 
achevaient la gaucherie laborieuse de son costume. Ses jambes et 
ses pieds étaient nus. 

Nous répondîmes parles cadeaux obligatoires à ces démonstra- 
tions de bienvenue, comme à l'empressement que l'on avait mis 
à nous faire construire à l'avance sur les points les plus favo- 
rables à nos recherches de grandes cases ou salas y et à nous four- 
nir les travailleurs indigènes dont nous avions besoin ; ici, en 
effet, nous sortions du territoire cambodgien où nous avions jus- 
qu'alors bénéficié tout naturellement de la protection bienveillante 
du roi Norodom, pour entrer dans le royaume de Siam, pays in- 
dépendant de la France et forcément en rivalité avec elle. Aussi 
nous estimions-nous fort heureux des bonnes dispositions que l'on 
nous montrait dès l'abord, et prîmes-nous soin de les entretenir 
constamment par des présents au gouverneur de Siem-Réep et aux 
autres indigènes avec lesquels nous nous trouvâmes en relations. 



III 



Angkor-la-Grande couvrait jadis une surface de 13 kilomètres 
carrés. La puissante muraille qui l'entoure a 9 mètres de hau- 
teur ; elle est garnie d'ogives sculptées rappelant les créneaux des 
fortifications de l'Inde. A l'intérieur elle s'appuie sur un épais 
rempart de terre ; au dehors elle a pour défense un immense fossé 



156 L'ARCHITECTURE KHMER. 

avec des ponts dont les parapets étaient portés par plus de cinq 
cents Iakshas ou géants. Par exception, la ville avait deux portes 
ouvertes à l'orient; la plus rapprochée du sud, l'entrée sacrée, 
s'appelait la «Porte des Morts 1 » et conduisait au temple de Baion. 

Nous étions campés tout près de ce dernier monument, peut- 
être le plus extraordinaire de tous les édifices laissés par les 
Khmers. Il avait été à peine entrevu jusqu'alors, à cause de l'é- 
paisse végétation qui en défend l'approche ; 60 indigènes travail- . 
ièrent douze jours durant à pratiquer des abatis et à ouvrir des 
sentiers pour nous permettre d'en relever le plan. Ce monument 
est surmonté de cinquante et une tours, toutes ouvragées d'une 
riche décoration architecturale. La masse centrale est une con- 
struction unique en son genre, à base légèrement ovale, avec un 
entourage de portiques à deux étages, surmontés de dix cam- 
paniles aériens et d'un troisième étage, au milieu duquel s'é- 
lève la quadruple tête de Brahma couronnée d'une immense tiare. 
Nous la fîmes dégager jusqu'au sommet. 

L'entourage du monument, lespréasats intérieures, les soubas- 
sements, sont encombrés d'éboulis de pierres, de débris de voûtes, 
de fragments de toute sorte, parmi lesquels nous rencontrons 
d'admirables sculptures. Pas une tour dont l'agencement n'ait été 
disjoint par l'effort de la végétation. Les masques humains, dé- 
formés, semblent grimacer ; quelques-uns pourtant ont conservé 
leur expression primitive, souriante et placide * ; mais ce n'est que 
l'exception, et le jour n'est pas loin où ce temple splendide ne sera 
plus qu'un informe amas de ruines. La flore capricieuse qui y 
pénètre de toutes parts a produit en certains endroits des effets 
singuliers: dans une galerie, des racines de banians, après avoir 
renversé les piliers, ont pris leur place, et ce sont elles qui étan- 
çonnent aujourd'hui la voûte. Le bâtiment principal dont la 

1 Voy. p. suivante. 

1 Voy. la gravure du frontispice. 



••- \ 



V 



» • 



VOYAGE AU CAMBODGE. 159 

chute entraînera la destruction presque entière de l'édifice, est 
dans un état déplorable. L'ascension ne s'en fait pas sans danger ; 
d'énormes lézardes y bâillent d'un air menaçant; il nous semble 
à tout moment que d'immenses agrégations, déjà fort éloignées de 
la position normale, vont acheter de perdre leur équilibre, et 
que l'anéantissement définitif de ce chef-d'œuvre d'architecture 
va s'accomplir sous nos yeux, si ce n'est même sur nos têtes. 

Les pluies diluviennes, les tempêtes accélèrent encore le travail 
dévastateurde la végétation. Unenuit, pendant un ouragan terrible 
qui emportait pièce à pièce la case où nous étions campés, nous 
entendîmes un grand fracas : le lendemain, à la place d'une tour 
que nous avions admirée la veille, nous ne trouvâmes plus qu'un 
monceau de décombres. Aussi mettions-nous tous nos soins à re- 
cueillir par la photographie, par le dessin, par des mesurages exacts 
de toutes les parties dont il était possible de reconnaître la forme 
primitive, les éléments d'une restitution propre à conserver le 
souvenir de ce monument, vénéré jadis comme la plus magni- 
fique métropole religieuse du Cambodge brahmanique. 

Je viens de décrire l'aspect que présentent aujourd'hui les 
ruines de ce temple extraordinaire ; mais le Baion des vieux âges, 
le Baion intact et vivant, quel pinceau d'artiste pourrait en ren- 
dre la physionomie ? Transportons-nous cependant, par un effort 
rétrospectif d'imagination, au temps lointain où le royaume de 
Khmer était le foyer d'une civilisation qui, par sa richesse et sa 
puissance, rivalisait avec celle des plus brillants empires de 
l'Inde. Nous venons de passer le «Pont des Morts», entre les 
deux énormes dragons heptacéphales que portent deux files de 
cinquante-quatre dieux et géants 1 . Nous franchissons maintenant 
la porte triomphale ; à sa base sont douze éléphants portant douze 
dieux; au-dessus règne un cordon de saints en prière, et plus haut 

1 Voy. p. 191 un pont bordé de géants, analogue à celui dont il est ici ques- 
tion, mais de dimensions moindres. 

8 



160 L'ARCHITECTURE KIIMER. 

apparaît la tête gigantesque de l'ancêtre Brahma ; ses quatre faces 
sont séparées par de grandes femmes nues chargées de guir- 
landes, et elle a pour coiffure une triple tiare dont le sommet 
terminal est une tète ou une statue dorée. 

Devant nous s'étendent des files pressées d'habitations, des pa- 
lais aux toits élancés, des pagodes resplendissantes, en un mot 
l'ensemble de la ville royale, où se coudoie un peuple innombra- 
ble appartenant à toutes les races de l'Asie. Continuons d'avancer 
sur la voie qui fait suite au pont sacré : voici que là-bas, entre la 
verdure et l'eau, commence à se dessiner une longue rangée de 
colonnes d'où s'élance une masse pyramidale aux linéaments en- 
core indistincts. Allons toujours : la colonnade se transforme en 
une belle galerie surmontée d'une double ligne de crêtes; de l'é- 
norme pyramide se détachent une multitude de flèches aériennes, 
et bientôt le massif entier, divisant à l'œil ses parties, montre une 
foret de préasats, qui s'étagent autour d'une immense construction 
centrale, garnie de colonnes et de clochetons et dominée par une 
cime élevée. 

Comptons les tourelles dont se compose ce hardi groupement : 
il n'y eh a pas moins de cinquante ; toutes sont ornées de la qua- 
druple face de Phrom (Brahma) coiffée detiaresaux formes diverses. 
Approchons-nous du monument 1 . Un mur assez peu élevé sert de 
première enceinte et comprend le monastère avec les jardins et les 
pièces d'eau. La porte s'ouvre devant un large escalier qui donne 
accès à une terrasse suivie d'une vaste esplanade presque carrée, 
dont la ligne de pourtour est dentelée de vingt-quatre saillies iné- 
gales, ayant chacune leur escalier gardé par des lions et des nagas 
à douze gueules rayonnant autour d'oiseaux Krouths*. Cette espla- 
nade supporte une spacieuse galerie avec péristyles angulaires 

1 Voy. le plan de Baion p. suivante. On pourra suivre la description ci - 
après sur ce plan. 

2 Garoudas ou griffons. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. «65 

très développés. La porte principale est seule surmontée d'un 
Phrom à diadèmes, que coiffe une sorte de cône divisé en anneaux 
où sont sculptés : à la base, une série de garoudas en cariatides ; 
au-dessus, deux couronnes de saintes, les mains jointes; en haut, 
deux corbeilles de lotus 1 . Tous les pilastres et piliers du péristyle 
principal ont aussi leur décoration de personnages, et le fond entier 
de la galerie n'est qu'un feston nement de bas-reliefs peints et dorés. 

Cette première enceinte dépassée, nous voici dans une immense 
cour ; ici la muraille de clôture, sans ornements et sévère d'aspect, 
semble destinée à faire ressortir d'autant la magnificence du ta- 
bleau qui va s'offrir aux regards. Figurez-vous, en effet, un édifice 
complet, dont la splendeur dépasse tout ce que j'ai pu encore 
vous décrire : c'est la seconde galerie ; elle a sur chacun de ses 
quatre côtés une longueur de 100 mètres, et présente une colon- 
nade que coupent vingt entrées précédées de portiques à colonnes 
et surmontées de tours. Sur chaque façade, galerie et tours vont 
grandissant des extrémités jusqu'au centre, et cette disposition est 
d'autant plus accentuée que le soubassement, au lieu de former 
un plan uniforme, s'élève lui-même proportionnellement a . 

Tout à l'heure, du dehors du monument, l'œil était surtout 
frappé du beau développement de la colonnade extérieure enca- 
drée par de grandes lignes horizontales; ici, au contraire, ce ne 
sont que lignes rompues ou étagées, retraits, superpositions pitto- 
resques qui engendrent une décoration d'une richesse d'effets 
prodigieuse ; et si, après avoir contemplé les grands Brahmas qui 
nous dominent, nous abaissons nos regards vers les profondeurs 
plus obscures de la galerie, nous sommes derechef éblouis par 
les immenses sculptures dorées qui étincellent, d'un bout à l'au- 
tre, dans la pénombre. 

1 Voy. p. 167. 

* Voy. p. 327 l'élévation restituée de la façade orientale de cette seconde 
galerie. 



166 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Quelques degrés à gravir, un péristyle à traverser, et nous péné- 
trons au cœur même du temple. Nous allons cheminant sous les 
voûtes sombres de cloîtres sans fin. Çà et là, dans un demi-jour 
mystérieux, nous apparaissent de grandes statues de bronze ou de 
pierre revêtues d'or; nous avançons toujours, franchissant des 
portes, montant des marches ou en descendant, contournant de 
petites cours irrégulières ; et si nous cherchons à nous orienter, 
à l'aide des échappées de vue que nous ménage l'immense laby- 
rinthe, nous n'apercevons au-dessus de nos têtes qu'un pan de 
ciel où se profilent fantastiquement d'énormes têtes aux tiares 
brodées de griffons, d'oiseaux et de personnages hiératiques 
épuisant toutes les attitudes. 

Enfin nous voilà sortis de ce gigantesque dédale ; essayons de 
le débrouiller et d'en faire comprendre la disposition singulière- 
ment enchevêtrée. 

Il faut dire d'abord que toutes les galeries de l'étage où nous 
sommes parvenus sont triples, c'est-à-dire à trois nefs, formées 
par un mur plein avec colonnade, simple du côté extérieur, et 
double de l'autre. Au milieu de la grande cour qu'enserre la 
seconde enceinte, s'élève une terrasse pleine de 4 mètres de hau- 
teur, ayant la forme d'une croix dont les bras raccordés par une 
forte dentelure s'avancent tout près des portes d'entrée. A chaque 
encoignure, quatre galeries moindres, entées sur la grande et sé- 
parées de la terrasse par un corridor qui contourne tout le massif, 
dessinent de petites cours aux aires accessoires. Les coudes de ces 
galeries, qui correspondent aux dentelures du massif, présentent 
un couronnement de tours. 

Prenez maintenant la peine de gravir un des escaliers à pic qui 
sont pratiqués au bout des bras de ce massif : vous débouchez 
en plein air sur une plate-forme bordée de petits nagas à 
hauteur d'appui. Des statues commandent de chaque côté les- 
degrés; sur les axes s'allongent une suite d'édifices sur- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 169 

montés de trois tours croissantes; dans les angles, des tou- 
relles, un édicule, de grandes têtes se dressent au-dessus de la 
rampe. Chaque tour, je l'ai dit, est décorée d'une tête qua- 
druple. 

Promenons- nous un instant parmi ces immenses figures. Elles 
sont rondes, elles ont les yeux grands ouverts et légèrement obli- 
ques; la bouche large, les lèvres épaisses; derrière leurs oreilles 
surchargées de bijoux descendent de splendides diadèmes qui, enca- 
drant ces masques placides, leur donnent une sorte de ressemblance 
avec les sphinx égyptiens. Il y a sur ces faces un peu étranges, 
mais néanmoins régulières en leur dessin caractéristique, un air 
de force et de sérénité à demi souriantes qui a sa noblesse bien 
originale. De près comme de loin, elles s'enchâssent à souhait 
mtre les pilastres qui les relient deux à deux; elles prennent na- 
turellement la courbure de la construction, et se marient sans 
-effort à un ensemble architectural qui, malgré la surabondance 
des accessoires décoratifs, demeure pourtant correct de trait, har- 
monieux dans les proportions, et, somme toute, grandiose par 
l'effet. 

De quelque côté que nous dirigions nos pas, nous retrouvons 
détaillé en un poème fastueux ce même symbolisme. Tout autour 
de nous se succèdent, magiques perspectives, ces immenses repré- 
sentations du Dieu créateur devant lesquelles la foule des dévots 
se vient prosterner avec respect; et comme pour montrer que 
Brahma étend son influence protectrice sur la ville qui lui est 
consacrée, dans le lointain, entre les tours et par-dessus les crêtes 
des galeries basses, pointent les mille flèches étincelantes des 
pyramides, des palais, des monastères de la cité royale, à demi 
noyée dans la délicate verdure des palmiers et des figuiers sacrés. 

Cependant, le terme de notre pèlerinage n'est pas atteint. 11 
s'agit de gagner le sommet du temple. Engageons-nous donc dans 
une de ces constructions qui forment les galeries d'axe. Cette 



170 L'ARCHITECTURE KHMER. 

autre étape nous conduit à une terrasse ornée d'une énorme tour 
et couronnant un massif à gradins. L'aspect du temple s'est 
encore une fois modifié. Le plan du soubassement nouveau est 
un cercle de 15 mètres de rayon avec seize projectures arron- 
dies qui lui donnent la figure d'une gigantesque roue à dents. 
Chaque avance sert de base à un petit portique composé de deux 
piliers surmontés d'une voûte, et la réunion de ces seize portiques 
constitue le péristyle général qui règne autour de l'édifice. 

Les quatre portes maîtresses s'ouvrent sur de larges passages 
qui aboutissent à une grande pièce ronde. C'est là que se trouve 
le sanctuaire central. La lumière du jour n'y pénètre jamais. 
L'accès en est interdit aux pénitents et aux religieux eux-mêmes, 
car la divinité source de toute intelligence y fait sa demeure 
réelle, et l'éclat de sa majesté anéantirait l'imprudent qui en 
oserait affronter la vue. Quelques brahmanes, au degré de sainteté 
voulu, peuvent seuls entrer en communication avec le dieu et 
recueillir ses oracles, qui sont ensuite transmis aux fidèles por- 
teurs d'offrandes. 

Les douze portes secondaires donnent accès à des chambres à 
double compartiment garnies d'autels et de statues. Entre ces 
pièces et le saint des saints règne un sombre corridor circulaire. 

Comme tous les portiques sont presque également espacés, on 
dirait que la base de l'édifice est ceinte d'une colonnade régulière. 
Chaque portique se termine par deux frontons étages. Sur les têtes 
des dragons polycéphales qui encadrent les seize frontons supé- 
rieurs, s'arc-boutent, par paires, un nombre double degaroudas. 
Ces cariatides, appuyées sur les rampants, le corps infléchi en 
arrière, semblent supporter sans effort une colonnade plus élevée. 
C'est le second étage de la préasat : il est un peu en retrait sur 
le précédent dont il reproduit la disposition, si ce n'est que les 
ouvertures des portiques sont occupées par des balustres, et qu'il 
n'existe pas de fenêtres intermédiaires. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. i75 

Ici, la décoration devient tout extérieure ; on ne pénètre pas 
dans la partie terminale de la tour, qui est une loge entièrement 
vide et qui n'a de sculptures qu'à la surface. Des seize portiques 
de ce second étage, huit sont plus importants que les autres : 
cette différence, à peine sensible à la base, s'accentue à mesure 
qu'on s'élève, et le troisième étage de l'édifice, encore en retrait 
sur le précédent, ne se compose plus que de huit tourelles, cor- 
respondant aux huit portiques principaux, et de deux clochetons 
placés de chaque côté de la tourelle orientale, plus saillante et 
plus développée. Ces appendices, fort rapprochés et uniquement 
formés d'une tête coiffée* de sa tiare, sont d'un aspect aussi pitto- 
resque qu'original. Tout en couronnant d'une manière qui paraît 
normale les étages qu'ils surmontent, ils servent d'entourage à 
une véritable préasat aérienne qui semble sortir tout d'une pièce 
de cette couronne même et s'élancer de là dans les airs. Au- 
dessus trône une quadruple tête colossale, au front ceint du dia- 
dème, et surmontée d'une immense tiare à quatre étages dont le 
sommet, lotus ou statue dorée, dominait le sol à une hauteur de 
50 mètres. 

Telle était la construction féerique qui terminait le somptueux 
temple de Baion, le mieux conçu, sans contredit, le plus varié et 
le plus original des édifices sacrés de l'ancien Cambodge. Nulle 
part ailleurs cet art d'étonner les yeux tout en les charmant, qui 
fut le don particulier en même temps que l'objectif principal des 
hardis bâtisseurs khmers, ne se montre d'une manière plus frap- 
pante. Malgré l'immensité des proportions et la diversité cherchée 
des aspects, l'effort ne s'y trahit pas. Le massif intérieur, aussi 
réduit que possible, est dissimulé habilement, et demeure pres- 
que inaperçu; l'effet pyramidal de l'ensemble paraît exclusive- 
ment dû à la disposition de ses cinquante tours ouvragées. 

Si, dans les monuments qui semblent postérieurs, comme Méléa 
et Angkor-Vaht, certains arrangements sont plus réguliers et 



176 L'ARCHITECTURE KHMER. 

plus parfaits, Baion l'emporte sur tous par la naïveté .pleine d'at- 
traits de l'exécution. A chaque pas, l'imagination et la verve capri- 

m 

cieuses de l'artiste se révèlent par une fantaisie voulue ou quelque 
motif imprévu; partout, la pierre a gardé l'empreinte individuelle 
et comme le coup de griffe du maître de l'œuvre qui lui a jadis 
donné sa forme. C'est surtout par le charme des détails que cette 
création excite l'étonnement; tels morceaux admirablement con- 
servés, parmi lesquels je pourrais citer une figure de femme qu'on 
croirait fraîchement sortie des mains de l'ouvrier, sont de véri- 
tables merveilles de délicatesse achevée. 

Baion est le seul temple qui présente* un double entourage de 
galeries sculptées. Mises à la suite les unes des autres, ses grandes 
compositions en bas-relief s'allongeraient sur une ligne de plus 
de i,2C0 mètres, et l'on y pourrait dénombrer jusqu'à onze 
mille personnages ou figures d'animaux divers. Bien que l'en- 
ceinte extérieure et maint tronçon de la seconde galerie soient 
aujourd'hui ruinés ou encombrés d'éboulis, les parties subsistantes 
offrent encore un vaste champ d'investigation aux archéologues et 
aux artistes. Sans vouloir ici interpréter analytiquement le sens 
réel ou symbolique des décorations qui s'y trouvent, j'essayerai 
seulement d'en donner un aperçu pittoresque en rappolant au 
hasard quelques-uns des sujets qui m'ont frappé particuliè- 
rement *. 

Voici, par exemple, une armée en marche. Des hommes son- 
nant de la trompe, d'autres battant du gong ouvrent le défilé. 
Derrière eux s'avance un personnage de haute stature, monté sur 
un éléphant richement caparaçonné et entouré de porteurs de 
parasols. 11 est suivi d'un détachement de soldats munis de lon- 

1 Baion est complètement abandonné, et il ne semble pas qu'on ait gardé 
de tradition relative à ses bas-reliefs, comme cela a lieu pour ceux d'Angkor- 
Vaht et de Boriboun où les bonzes des couvents voisins en peuvent encore ^ 

expliquer le sens. (Voy. à l'Appendice : Bas-reliefs de Baion.) 



VOYAGE AU CAMBODGE. 171 

gues lances et de boucliers carrés; puis vient un autre clicf, armé 
d'un arc, ayant aussi pour monture un éléphant coiffé d'une 
tiare à six étages. Un gros de cavaliers et de fantassins lui fait 
cortège; après quoi apparaît une troupe d'esclaves portant des 
vivres et des bagages qu'ils tiennent suspendus aux deux extré- 
mités d'un balancier, en équilibre sur leur épaule, comme c'est 



Porto-enseigne, tambour et cymbilier. 

encore aujourd'hui l'usage dans le pays; puis derechef des guer- 
riers chevauchant sur des éléphants, des fantassins le glaive au 
poing, coiffés de casques, tantôt en pointe, tantôt surmontés de 
cimiers à l'instar des casques romains, ou bien ciselés et repoussés, 
de manière à figurer des chevelures tressées qu'ugrémeutent de 
riches ornements. Maintenant, ce sont des bayadères, les unes vêtues 
de langou tis, de vestes brodées, les autres presque nues, se jouant 



178 L'ARCHITECTURE KHMER. 

avec des fleurs à longues tiges et dansant au son du tambour, des 
cymbales et de divers instruments. Comme le roi David chemi- 
nait devant l'arche, elles précèdent une espèce de boîte ou de 
tabernacle luxueux, porté par douze hommes ; tout autour flottent 
des parasols, des bannières, des élendards. Que contient le pré- 
cieux coffret? peut-être quelque relique, quelque palladium sacré 




Coffre sacré (croquis du D r Harmand). 

du Cambodge. Ainsi se déroule l'interminable cortège avec les 
scènes les plus mouvementées et les plus diverses. 

Changeons de galerie. Ici nous apercevons des fidèles en ado- 
ration devant une trimourti (trinité) brahmanique, un Yichnou à 
quatre bras, un Brahma assis sur une fleur de lotus émergeant do 
l'eau, et plusieurs autres divinités. Nous remarquons que Tune 
d'elles, reproduite mille fois peut-être dans le monument, a été 
partout martelée et mise en morceaux. Là, on a figuré la mer, peu- 
plée de poissons et de monstres ; à sa surface glissent des pirogues, 
les unes à la voile, les autres conduites avec des pagaies. Sur le 
rivage s'étend une forêt, et une bête fantastique, sœur de ces 
sinhas, gardiens habituels des entrées monumentales, y poursuit 
une troupe de cerfs et de chevreuils. Plus loin sont représentés 
des combats cynégétiques. Puis, de nouveau, Vichnou reparaît, 
étouffant le serpent Calengam, terrassant des Iakshas et des ani- 
maux féroces. 

Ailleurs, voici des scènes intimes : un dieu étendu et entouré 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 181 

de femmes qui semblent occupées à le masser, opération encore 
aujourd'hui fort en honneur au Cambodge; un malade reposant 
sur des coussins, soutenu doucement par un ami, tandis que le 
médecin lui pose la main sur le front, et qu'autour de lui des gens 
s'empressent, qui pour apporter un matelas, qui pour préparer 
des médicaments ; — puis de petits paysages de genre : trois tours 
précédées d'un étang, ou bien un jardin où des femmes cueillent 
des fleurs. 

Une composition importante représente la destruction d'une 
statue. A chacun des bras de celle-ci est attachée une corde sur 
laquelle tirent en sens inverse deux éléphants que leurs cornacs 
excitent du geste et de la voix. Au-dessus, des hommes lui bri- 
sent la tête à coups de haches et de massues; plus bas, d'autres 
personnages tirent aussi sur des cordes afin de renverser le bloc, 
tandis qu'au premier plan un groupe d'individus fait mine d'al- 
lumer un brasier pour consommer par le feu l'anéantissement de 
la pauvre image. 



«Ire (toupie de FraVkhia). 



E SOUBASSEMENT. — TEMPLE DE MÉLKA. 



CHAPITRE VI 



Excursion àPréa-Khan; — le site; — les abords; — caractère général de l'é- 
difice. — Les restes de Ta-Prohm et le Sra-Srong. — Ekdev. — Nouveau 
séjour à Angkor-la- Grande ; vestiges de l'ancien palais des rois. — La pyra- 
mide et les terrasses de Pimanacas. — La lerrasse des éléphants . — Entra- 
ves mises aux travaux de la mission. — Arrivée du capitaine Filoi. — Mou- 
lage de bas-reliefs. 



Après avoir achevé l'exploration du temple de Baion, nous nous 
rendîmes à celui de Préa-Khan, situé au nord-est d'Angkor-Thôm. 
Cet ensemble de ruines couvre, y compris un lac sacré qui en 
dépendait, une surface d'environ deux kilomètres carrés. Le sra, 
entièrement vide dans la saison sèche, occupe une vaste plaine 
basse et 'marécageuse, limitée par quatre chaussées en terre 
levée, et où il ne pousse que des joncs ; en revanche, tout près 
de là, s'élève une forêt magnifique. L'allée qui le relie à la pontéay 
est bordée de grosses stèles quadrangulaires où sont sculptés des 
personnages ; elle aboutît à l'entrée du parc qu'enclôt une douve 
de 50 mètres de largeur, précédée d'un boulevard. Sur les côtés 
des ponts s'allongent des frises ouvragées de sculptures en fort 
relief. 

Nous retrouvons encore ici ces parapets originaux, formés d'é- 



\$'k L'ARCHITECTURE KHMER. 

normes dragons aux sept gueules béantes 1 , dont les corps couverts 
d'écaillés sont soutenus par deux files de géants accroupis, les 
jambes très-écartées, dans une attitude pleine de vigueur. Le pre- 
mier de ces personnages a cinq têtes et dix bras, le dernier en a 
neuf, ainsi disposées : deux chefs à quatre faces superposées, et, 
par-dessus, une tête naturelle. Les autres géants sont des person- 
nages aux formes puissantes et trapues, qui, redressés, mesure- 
raient cinq ou six mètres de taille. Tous portent de riches bijoux ; 
•de deux en deux, ils ont, l'un, figure régulière, l'autre, face gri- 
maçante ; les premiers paraissent être des dieux, les seconds, des 
génies malfaisants 1 . 

La disposition de ces groupes était calculée de manière à frap- 
per vivement l'imagination des pèlerins qui se rendaient au 
temple. Les dragons de chaque balustrade avaient la tète infléchie 
<lu côté de la chaussée, de telle sorte que tous les regards de ces 
monstrueux reptiles convergeaient d'un air de menace vers le 
passant sur lequel on eût pu croire qu'ils allaient s'élancer, s'ils 
n'eussent été retenus parle mystérieux effort des géants 9 . 

A l'extrémité des ponts se trouvaient les trois grandes entrées 



1 Dans chacun de ces nagas, l'endroit où le cou se divise en sept parties est 
masqué par une rosace très-légèrement sculptée. Le corps, couvert d'écaillés 
ou de stries fort légères, figurant des plis de la peau ou des anneaux, présente 
une grande surface verticale très-calme, interrompue seulement par de riches 
colliers suspendus à chaque cou. Les effets de clair et d'obscur sont réservés 
aux têtes qui, avec leur double rangeej.de dents aiguës, se profilant sur le noir 
de la gueule entr'ouverle, avec leurs narines profondes et en quelque sorte 
vibrantes, avec le cercle qui entoure les prunelles et les fait saillir, ont un 
aspect étrange de menace. 

Ajoutons que, par un contraste plein d'habileté, on a disposé, en forme de 
crête très-tourmentée, quatre rangées concentriques de feuilles, d'un carac- 
tère spécial à l'art khmer, se recourbant en tous sens, agrémentées de volutes 
intérieures et de petits points noirs, qui en font un véritable travail de bijou- 
terie. De ces rangées de feuilles sortent quatre oreilles pour chaque tête, ou, 
pour mieux dire, quatre feuilles saillantes affectant la forme d'oreilles» 

* Voy. p. 191. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 187 

triomphales surmontées de (ours, celle du milieu à quatre étages, 
et les autres à deux. La longue muraille dentelée était soutenue 
par d'énormes garoudas chargés de bracelets, de colliers, de 
ceintures ciselées, ayant leurs ailes déployées, leurs bras relevés 
en cariatides pour supporter l'entablement. La tête de chacun de 
ces oiseaux gigantesques était encadrée d'une ogive dépassant de 
toute sa hauteur la ligne des petits créneaux '. Cette décoration 
fantastique et grandiose se répétait sur les quatre côtés. 
Malgré l'état de délabrement où est tombé cet édifice de Préa- 



Tflte de stitue boaddbique recueillie d»nsles ruines de Prdi-Klian. (Mu«ée Klimer.) 

Khan, qu'a de toutes parts envahi la végétation, il en reste encore 
des débris suffisants pour permettre d'en reconstituer exactement la 
figure primitive. M. Bouille! s'était fait construire à l'intérieur 
de l'enceinte une case où il s'était établi en compagnie de nos 
dessinateurs, afin d'en lever le plan détaillé. Seulement l'affluence 
des serpents venimeux était telle en cet endroit que les travailleurs 

* Voy. p. 269. 



188 L'ARCHITECTURE KHMER. 

ne pouvaient prudemment s'y aventurer qu'à la suite d'une avant- 
garde d'indigènes spécialement chargés de battre, avec de longs 
bambous, les feuilles des broussailles, pour mettre en fuite les 
reptiles. 

Il s'en glissait même au fond des galeries les plus obscures : 
un jour, nous aperçûmes brusquement à la lueur d'une torcbe 
fumante deux énormes pythons, l'un pendant à la voûte, l'autre 
enlaçant des statues brisées, scène qui ne manquait pas d'une fan- 
tastique horreur *. 

A trois cents pas de l'entrée orientale, dans le parc, s'élevait 
une terrasse environnée de statues ; un peu plus loin, était une 
galerie à colonnes, de 140 mètres de longueur, avec cinq en- 
trées et trois tours ; au milieu et dans le lointain pyrami- 
daicnt quarante sommets de préasats disposées symétriquement 
autour d'un grand sanctuaire central à cinq étages : c'était le 
temple proprement dit. Ajoutez à cela un nombre infini d'édi- 
cules, de tours et tourelles que je ne puis décrire ici en détail, 
et vous aurez Fidée de cette conception architecturale qui, en- 
visagée dans son ensemble, est certainement une des plus fan- 
tastiques que l'art khmer ait réalisées. 

De Préa-Khan, nous nous transportâmes à 4 kilomètres envi- 
ron vers le sud-est pour y explorer un autre édifice de premier 
ordre, situé sur la rive opposée du cours d'eau qui traverse 
Siem-Réep : c'est le temple de Ta-Prohm (l'Ancêtre Brahma). Là, 
d'un vaste réservoir nommé le Sra Srong^ on voit surgir, dans 
la saison sèche, un îlot qui porte les restes d'un sanctuaire. 
M. Faraut a pu retrouver, parmi les joncs qui l'encombrent, des 
fragments d'un groupe en pierre que l'on croit être Brahma 
entouré de ses femmes *. On descendait au Sra-Srong par les 

1 Voy. p..i8o. 

* On montre aussi dans l'intérieur du grand temple nombre de figures mu- 
tilées ; plusieurs sont dorées et d'une facture remarquable. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 193 

«scaliers d'un superbe embarcadère composé de deux terrasses 
d'inégale hauteur, ornées de fort belles moulures et gardées par 
des lions et des dragons étages l . De là partait jadis une allée 
•aboutissant à la porte orientale de la grande Pontéay ou citadelle 
<le Ta-Prohm. Cette enceinte forte est bâtie en plaine ; on y entre 
par des portes flanquées de gigantesques griffons et surmontées de 
ta quadruple tête de Prohm ayant des guirlandes d'adorateurs 
pour collier. Toutes les dépendances du temple situé au centre du 
pare, et probablement aussi l'ancien palais, étaient enfermés dans 
une seconde enceinte, le Mur aux Joyaux précédé d'un fossé et le 
long duquel régnait, à l'intérieur, une série de petites chambres 
en briques qui étaient peut-être des cellules habitées par de pieux 
Anachorètes. Tous ces réduits s'ouvraient sur une seconde 
ligne de sras au delà desquels une petite enceinte basse environ- 
nait le temple proprement dit *. Un superbe édicule carré à 
douze portes, dont les principales sont ornées de colonnes, pré- 
cède le temple autour duquel s'allongent des sras disposés comme 
une sorte de second fossé. 

Le mur de fond du couloir extérieur qui forme péristyle au- 
tour de l'édifice, est sculpté d'une suite d'ogives, figurées toutes 
par les replis de doubles nagas entourés de feuillage 3 . Cette orne- 
mentation monotone et particulière à cette galerie, alors que dans le 
reste du monument brillent la variété et la richesse qui caractérisent 
les artistes khmers, devait répondre à un objectif spécial. Vraisem- 
blablement, chaque ogive encadrait une représentation religieuse. 

Une statue légèrement chargée d'embonpoint avec les oreilles pendantes, 
les yeux baissés et les cheveux relevés à la brahmane, passe pour représenter 
aussi Ta-Prohm (Brahma) ; elle est encore l'objet d'une certaine vénération. 

1 Voy. p. 379 le plan de l'embarcadère du Sra-Srong. 

* Voy. le plan du monument p. 295. 

3 Dans les grands édifices analogues, cette muraille est nue (Méléa, Préa- 
Khan, etc.) ou couverte de grandes compositions en bas-reliefs (Bai on, Angkor- 
Vaht, Pontéay Chma (côté est). 

9 



*94 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Du milieu de cette première galerie, s'élève une multitude de 
tours finement fouillées et admirables de proportions. Vues du 
dehors, les perspectives de Ta-Prohm se modifient presque magi- 
quement, selon que varie l'angle d'observation ; mais, où l'effet 
atteint pour ainsi dire son maximum d'intensité, c'est au moment 
où Ton aperçoit à la fois, de l'un des angles de l'Est, deux co- 
lonnades fuyantes, rompues par des péristyles en saillie, avec leur 
riche ornementation de frontons étages; puis, à droite, le bel 
édicule d'entrée; à gauche, une terrasse; au-dessus, profilant 
leur silhouette sur l'azur du ciel, trente sommets élancés, et tout 
cet ensemble se réfléchissant, comme en un miroir, dans Tonde 
qui en baigne le pied. 

Tout en dressant le plan de cet édifice, nous recueillîmes quel- 
ques renseignements sur celui d'Ekdey, qui en est tout proche ; 
là, comme à Baion et à Préa-Khan, il existe de nombreux débris 
de statues ; je me souviens même que, dans plusieurs de ces cen- 
tres de ruines, nous vîmes une galerie spéciale toute pleine de 
fragments dégrossis, de piédestaux, de sculptures ébauchées ; 
peut-être étaient-ce là les ateliers où avaient travaillé les ouvriers 
préposés à l'entretien de ces monuments, bien faits à coup sûr 
pour occuper à poste fixe un personnel considérable d'ouvriers, 
d'artistes ut de surveillants. 

Revenus à Angkor-Thôm, nous nous partageâmes du mieux 
possible le reste de la besogne. M. Ratte se chargea d'étudier 
par le menu les cinq superbes portes dont je désirais établir une 
reconstitution bien exacte *. Puis il visita Ta-Réo, belle pyra- 

1 On a pu voir à l'Exposition universelle de 1878 (salle des Missions scienti- 
fiques) la reproduction au ^ de la porte Sud-Ouest d'Angkor, précédée 
d'une chaussée de géants avec frises de garoudas copiées sur celles de 
Préa-Khan. Ce modèle, où étaient réunis des spécimens variés de l'art 
khmer, a été exécuté par M. Soldi , sculpteur, ancien prix de Rome, 
d'après les relevés de la Mission et la restitution que j'en avais faite. 
Voy. p. 157. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 199 

inide coupée par une petite muraille et une galerie superposées 
et portant sur sa plate-forme cinq préasats, dont la plus haute 
couronne un soubassement à six gradins dentelés et sculptés. De 
même que Ba-Kong avait été élevé en l'honneur du dieu Tau- 
reau, Ta-Kéo renfermait la statue du dieu Joyau '. 

En même temps, le docteur Harmand se rendait à la tour 
inexplorée de Préasat-Top (Tour comblée ?), puis à divers édifices 
a voisinants, ceux de Préa-Pithu; et de mon côté j'entreprenais, 
avec l'aide des dessinateurs, de relever le plan de Pimanacas 
qui occupe, à Àngkor, le centre de l'emplacement présumé 
de l'ancien palais des rois khmers. 

Pimanacas est une pyramide de dimension moyenne; de pro- 
fondes moulures en couvrent la surface, quatre-vingts lions s'éta- 
gent de la base au sommet ; à travers le manteau de broussailles 
qui la couvrent, ses belles proportions se trahissent encore et je 
ne doute pas que, dégagée de la végétation qui encombrait ses 
ruines, elle ne nous eût offert le spectacle d'une des œuvres architec- 

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turales les plus pures de l'ancien Cambodge. On jugera de ce qu'elle 

devait être par la restitution que j'en ai tentée 2 . (Voy. p. 129.) 

Des terrasses extrêmement pittoresques s'étendaient le long de 

la façade du parc sur une longueur de trois cents mètres environ. 

1 En visitant la résidence royale de Bankok, j'ai aperçu dans la pénombre 
d'une pagode obscure cette célèbre statue ; elle est placée sur le sommet d'un 
trône élevé dont les gradins sont chargés d'autres figures bouddhiques ; la 
plupart sont d'or pur ; il y en a de grandeur naturelle qui présentent dans la 
paume de leurs mains ouvertes de superbes pierres précieuses. 

' Envahies par la forêt, lus ruines khmers ne peuvent être embrassées 
d'ensemble comme celles de la Grèce ou de l'Egypte ; on n'en peut prendre 
que des vues de détail, qui, à distance, sont insuffisantes pour donner une 
idée exacte de ces grandes œuvres. 

Mais quel que soit leur état de ruine, les parties subsistantes sont assez nom- 
breuses pour en permettre l'étude architecturale presque complète. Les res- 
titutions que je présente au lecteur peuvent donc être considérées comme 
l'expression de la vérité; l'imagination n'a rien eu à ajouter aux documents 
recueillis sur place. 



200 L'ARCHITECTURE KHMER- 

On y accédait par cinq escaliers gardés pur des lions et des nagas 
formant balustrade et placés aux extrémités de belvédères très 
saillants. Leurs murailles de soutènement étaient couvertes de 
grandes sculptures en fort relief. 

Faute de temps, nous n'avons pu relever que les deux projec- 
tions extrêmes : celle des éléphants (voy. p. 196) et celle des 
garoudas disposée d'une manière analogue à la précédente cl 
ornée de Kxoulhs supportant des danseuses. 

En retour de cette terrasse des griffons se trouvent de magnifi- 
ques bas-reliefs représentant une armée en marche, et, un peu au 



Le Pré* Konlong au Bai Lépreui. 

delà, une autre terrasse plus petite dont les murailles sont striées 
de bandes de personnages, rois guerriers, les uns appuyés sur 
leur épée, les autres tenant à la main un sceptre ou une massue, 
chacun entouré de femmes qui leur offrent des fleurs de lotus : 
c'est là sans doute la représentation de quelque ancienne dy- 
nastie royale du Cambodge. Ce belvédère est surmonté de 



VOYAGE AU CAMBODGE. 201 

la remarquable statue de Préa-Komlong ou Roi Lépreux *. 

Sur divers points de la ville nous vîmes quelques autres 
sculptures antiques, parmi lesquelles un roi légendaire à tète d'élé- 
phant etdes figures brahmaniques que les indigènes, Gdèles encore 
aux anciens rites, viennent oindre d'huile et enguirlander de fleurs. 

Nous apprîmes en outre par le vieux chef du hameau qui 
occupe actuellement un des coins de l'ancienne résidence royale, 
que nos cases étaient construites sur l'emplacement même du 
champ de course, près duquel se trouvaient également les parcs 



Un danseur laotien chez le mandarin do Siem-Rdcp. 

des éléphants, des bœufs, des chevaux, ainsi que le grand 
bassin sacré qui dépendait du palais. 

Malgré notre activité, nous ne pouvions suffire à visiter tous 
les points intéressants qui nous étaient chaque jour signalés. Par 
une coïncidence fâcheuse, une seconde fête importante, celle des 
Ancêtres ou des Morts, qui se célèbre au Cambodge à la même 
époque que dans l'Inde, vint encore une fois nous priver momen- 
tanément de nos travailleurs indigènes, déjà fort réduits en 

1 La tête de cette statue, moulée par il. le docteur Jullien, fait partie de la 
collection khmer rapportée en France. 



202 L'ARCHITECTURE KUMER. 

nombre depuis le commencement du repiquage des rizières. Nous 
éprouvions aussi des difficultés à nous procurer des vivres, non 
que le pays en manquât, mais à cause du mauvais vouloir dés 
mandarins. Nous étions loin du temps où Mouhot, avec un pain 
de savon et deux lithographies coloriées, se conciliait toutes les 
bonnes grâces du gouverneur de la province. Ce gouverneur était 
mort, et son fils, qui lui avait succédé, entendait autrement que 
son père l'art de rançonner les étrangers. Nous devions verser 
entre ses mains la solde des indigènes qui nous servaient, et 
comme lui-même s'était constitué notre unique fournisseur de 
vivres, nous payions toute chose le triple du prix ordinaire. 11 
nous faisait, à la vérité, mille démonstrations amicales, nous in- 
vitait à des festins, nous prodiguait musique, théâtre, ballets et 
lutteurs; mais chaque réjouissance nous coûtait de nouveaux pré- 
sents pour lui, pour ses femmes, pour ses amis, et notre pro- 
vision touchait à sa fin. 

Le moyen de se mettre en travers de ses fantaisies ? Nous con- 
naissions les ordres sévères que le roi de Siam avait donnés à ce 
jeune mandarin ; nous savions qu'un seul mot de lui eût suffi pour 
faire le vide autour de nous et rendre impossible la continuation 
de nos travaux. Par surcroît de contrariété, les pluies, inter- 
rompues un instant, avaient repris avec une grande intensité ; la 
majeure partie de la forêt était transformée en un marais insa- 
lubre, et chaque jour l'état sanitaire de la mission devenait moins 
satisfaisant. Déjà nous avions dû renvoyer à PhnomPênh plu- 
sieurs malades et notamment M. Ratte, dont un labeur excessif 
avait mis la vie en danger. Bref, malgré la bonne volonté de notre 
personnel, soutenue par la verve inépuisable de M. Douillet et la 
constante activité du docteur Harmand, il était évident que nous 
ne pourrions pas impunément nous attarder pendant la saison 
humide dans ces malsaines régions. Le sort malheureux de 
Mouhot, du lieutenant Shaunac et de tant d'autres, morts de la 



VOVACE AU CAMBODGE. 203 

fièvre au bout de quelques mois de séjour dans les bois, nous 
était d'ailleurs un avertissement. 

C'est pourquoi aux premières atteintes de la maladie, nous 
avions, en toute prévision, sollicité de M. le vice-amiral Dupré 
un renfort en hommes et en matériel ; un convoi nous fut effec- 
tivement expédié sous la conduite de M. Filoz. Cet officier, qui 
avait eu déjà l'occasion de faire des moulages, et dont l'assistance 
nous était ainsi d'autant plus précieuse, rejoignit la mission au 
campement d'Angkor-Vaht '. 

Installé dans le temple, il prit les empreintes de plusieurs bas- 
reliefs ; mais, après six semaines d'un travail opiniâtre, il eut la 
malchance de voir, au retour, ses moules détruits par un accident 
de voyage. Loin de le décourager, cette pénible épreuve ne fit 
qu'accroître son ardeur; il revint renouveler à Saîgon son ma- 
tériel et repartit bientôt presque seul pour le Cambodge. Au prix 
de fatigues sans nombre, il y put recommencer ses travaux et exé- 
cuter de nombreuxet intéressants moulages qu'on a pu voir en partie 
à l'Exposition universelle de 1878 dans les galeries du Trocadéro, 

1 Outre les moulages déjà exécutés et qui font partie du Musée Khmer, In 
collection du capitaine Filoz comprend encore cinquante- quatre panneaux 
formant une longueur continue de trente-deux mètres, moulés sur les bas- 
reliefs de la galerie des Combats, dont il sera question tout à l'heure. 

Les moules, exécutés en carton pale, ont été malhcusement détériorés par 
les intempéries du clim-it ; toutefois, ils présenteraient encore un grand in- 
térêt archéologique, aussi espérons-nous les voir sortir bientôt de l'atelier de 
l'école des Beaux-Arts, où ils ont été remisés jusqu'à présent, pour prendre 
place au Musée Khmer. 



I BAHATTEHBNT D 



CHAPITRE VII 



Angkor-Vaht: — féerie d'aspects; — ascension du monument. — Les bas- 
reliefs de la grande galerie. — Combats du Ramajana,— Le barattement de 
la mer de lait. — Les trois mondes. — Le roi Bautumo-Saurivong. — 
Bonzes, pèlerins et incurables. 



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Angkor-Vaht, la pagode royale, est le mieux conservé de tous 
les monuments khmers, et le seul dont on embrasse aujourd'hui 
l'ensemble d'un coup d'oeil. Cet imposant édifice dont Mouhot a 
cru pouvoir dire, dans un premier transport d'admiration, qu'il 
figurerait avec honneur à côté de nos plus vastes basiliques et 

1 Ce dessin ne représente que le motif du milieu et les deux parties extrêmes 
de la vaste composition sculptée sur le mur de fond de la galerie Sud-EâL 
d 'Angkor-Vaht (Voy. p. 224 et 225). Dans cette galerie, le naga sans fin se dé- 
veloppe sur une longueur de près de 50 mètres. La file de I personnages qui 
enserrent ses anneaux est coupée de dislance en distance par des géants poly- 
céphales analogues à ceux qui retiennent sa tête et sa queue. Les person- 
nages simples sont de demi-grandeur naturelle. 

Le Musée Khmer possède le moulage de plusieurs parties de celle com- 
position. 



208 L'ARCHITECTURE KHMEtt. 

qu'il l'emporte pour la grandeur sur toutes les œuvres de l'art 
grec et romain, occupe une étendue peut-être un peu moindre 
que Ponléay-Chma, et un peu supérieure à celle de Préa-Khan 
(d'Angkor) et de Méléa; il est, comme ceux-ci, entouré d'un 
parc, avec enceinte et fossé disposé de la même manière. Par 
une exception presque unique, sa façade principale regarde le 



Angkor-Valit. — Vue d'ensemble. 

couchant. Nous allons l'aborder de ce côté en dehors du parc. 
Au premier plan, une esplanade environnée de grands dragons 
à neuf tètes et de lions fantastiques; puis, une vaste nappe 
d'eau limitée par des quais, un pont flanqué de colonnades 
interrompues au milieu pour faire place à de larges escaliers 
descendant jusqu'au bassin (toutes les allées sont bordées de 
nagas, tous les escaliers sont garnis de lions étages); enfin, 



VOYAGE AU CAMBODGE. 211 

comme fond, au lieu d'un simple gopoura de la pontéay, une 
belle galerie à colonnes ' s'allongeant sur le bord du sra avec 
trois entrées centrales surmontées de tours aux étages dentelés, 
et deux grands porches ouverts aux extrémités pour le passage 
des chars et des éléphants. Sur les côtés, des massifs de végéta- 
tion ; dans le lointain, le groupe des cinq plus hautes préasats du 
temple, presque perdues au milieu d'innombrables cimes de pal- 
miers. Tel est le spectacle imposant qui surgit soudain à vos yeux, 
comme par un coup de baguette magique, quand, débouchant de 
la voie tracée sous les sombres voûtes forestières, vous atteignez la 
ligne du fossé qui marque nettement la lisière de la grande futaie. 

Le pont a 80 mètres de longueur. Franchissez-le, ainsi que 
la grande porte et le passage voûté dont j'ai fait mention, et 
arrêtez-vous près des piliers du péristyle intérieur qui donne sur 
le parc. Ici va vous apparaître le deuxième tableau de la féerie. 

A un demi-kilomètre devant vous, au bout d'une avenue spa- 
cieuse que bordent de sveltes bouquets de borassus, de cocotiers, 
de bambous, se développe l'ensemble du temple. Sa masse pyra- 
midale d'un gris luisant tranche sur la verdures ombre qui l'en- 
veloppe. Le monument sort, pour ainsi dire, du sein des eaux ; il 
semble émerger des deux grands sras qui en baignent le pied 3 . 

11 est divisé en trois étages : le premier composé d'une belle ga- 
lerie à colonnes de 250 mètres de façade ; le second d'une galerie 
moins développée, avec fenêtres à balustres et hautes tours aux 
angles ; le troisième d'une galerie du même genre juchée sur un 
haut massif et dont les préasats, déjà plus élevées, sont dominées 
par la tour du sanctuaire. 

Traversez maintenant la chaussée, en laissant de chaque côté 
un bel édicule dont les ruines disparaissent, à demi. sous le 



1 D'après le commandant de Lagrée, cetle galerie servait probablement de 
lieu de réunion pour les courtisans avant les audiences royales. 
1 Voy. p. 206. 



Ht L'AUCHITECTURE KHMEU- 

treillis envahissant de la végétation 1 . La nappe azurée des sras s'al- 
longe en avant du temple ; au-dessus brille l'aire sableuse d'une 
esplanade bordée d'une assise de grès sculpté et d'une balustrade ; 
au milieu s'avance une terrasse en croix avec des dentelures et un 
entourage de colonneltes a ; celle terrasse précède l'entrée prin- 



Ruinoa d'un do» édicules placés sur les cotés de la grande chaussée. 

cipale et fait partie d'un premier soubassement ; celui-ci, tant 
extérieur qu'intérieur, n'a pas moins de 2,500 mètres de pourtour 
sur i mètres de hauteur : il est couvert de magnifiques mou- 
lures d'un dessin très- perfectionné, et il n'y a pas un décimètre 
de sa surface qui ne soit finement fouillé: rinceaux d'acanthe; 
gueules de dragon enguirlandées de feuillage; perles; fleurs épa- 

1 Ces édicules servaient peut-etro de bibliothèques. 
' Voy. p. 379 le plan de celle terrasse, et p. 231 le dessin des colonneltes 
qui la bordent. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 213 

nouies, disposées en rond, en losange, en ellipse; arabesques 



Tcvada sur un pilastre d'Angkor-Valn. 

encadrant de petites figures, et mille autres ciselures gra-: 



2H L'ARCHITECTURE KHMER. 

cieuses ont ici transformé la pierre en une véritable dentelle. 

Sur ce soubassement repose la première galerie d'enceinte, 
plus belle encore que celles de Ta-Prohm et de Méléa. Vue de 
près, avec sa colonnade terminée par d'élégants péristyles d'angle 
dont les piliers se profilent à jour sur la verdure et sur le ciel 
bleu, avec ses frontons et ses toits étages qui montent jusqu'à 
une hauteur de 20 mètres, en masquant le reste de l'édifice, 
cette galerie produit à elle seule un effet grandiose. Les piliers 
en sont couverts de sculptures : des dieux, des saints, des baya- 
dères dans des ogives, des entrelacs, des rinceaux, des orne- 
ments innomés, qui se répètent du haut en bas. Chapiteaux, 
entablements, frises, abondent également en fins motifs ; c'est 
un prodige de délicatesse sculpturale. 

A l'intérieur de cette première galerie, sont de vastes cours où 
Ton voit s'allonger des perspectives infinies de moulures pro- 
fondes, de frontons flamboyants et de tévadas innombrables in- 
crustées sur toutes les murailles. 

Quatorze escaliers dont onze à ciel ouvert et trois sous des pas- 
sages voûtés, qui donnent lieu à de petites cours à colonnes d'une 
très-grande richesse (Voy. page 11), conduisent — au haut d'un 
massif à double gradin — sur la terrasse qui porte la deuxième 
galerie, aux angles surmontés de tours. 

En la traversant par la porte principale (suivant Taxe de l'Ouest 
à l'Est), on se trouve au pied d'un nouveau massif à trois divisions 
qui monte par une pente rapide à la hauteur de quinze mètres. 
Douze escaliers abrupts — trois sur chaque face — d'un effet 
aussi saisissant que grandiose, avec cent quatre lions étages et de 
superbes moulures, dissimulent cet escarpement. A la plate- 
forme supérieure se trouve la troisième galerie. Des degrés par 
lesquels on y accède, l'œil embrasse un panorama merveilleux: 
toutes les constructions inférieures du temple, les bassins, 
l'immense parc avec son enceinte et ses fossés, et la campagne 



VOYAGE AU CAMBODGE- 215 

environnante; mais ce spectacle éblouissant s'évanouit soudain 



Restes d'une tour d'angle de la seconde galerie . 
dès qu'on pénètre dans l'enceinte supérieure dont les fenêtres 



210 L'ARCHITECTURE KHMER. 

à balustres interceptent entièrement le champ.de la vue. 

Nous sommes ici dans une grande cour aérienne, entourée d'un 
double cloître et coupée de deux galeries à jour. Du haut en bas 
de chaque pilier des colonnades, de chaque pilastre des tours, 
sont sculptés des dieux, des adorateurs, des saintes aux formes 
attrayantes, et, devant cette foule recueillie de personnages, 
déjà si loin de la terre et si rapprochés du ciel, on sent passer 
sur son front comme un souffle émané du sanctuaire. 11 est là 
en effet devant nous, surélevé sur un dernier massif à deux mar- 
ches, à l'intersection des galeries à jour, avec lesquelles il se rac- 
corde par une superposition de piliers formant péristyle autour 
de sa base. Ce sanctuaire est une magnifique préasat, ouvragée 
tout entière de riches sculptures, etdont la flèche demi-ruinée attei- 
gnait jadis la hauteur de 65 mètres. 11 est clos de toute part, on 
n'y voit aucune entrée apparente, et tous, prêtres et fidèles, se 
contentent de se prosterner au dehors devant les images dorées de 
Çakya-Moani qui sont figurées en bas-reliefs sur ses quatre portes. 

Il va sans dire que chacune des œuvres d'art exécutées dans 
toutes les parties de cet édifice incomparable mériterait une 
mention à part. Ne voulant pas de nouveau m'étendre sur les dé- 
tails, je me bornerai à parler de la muraille de fond de la 
grande galerie dont la longueur totale est de près de 1,000 mètres 
et sur laquelle règne une série ininterrompue de compositions en 
bas-relief comprenant des milliers de personnages. 

Cette galerie, rectangulaire on le sait, est divisée en vingt-huit 
chambres, correspondant aux entrées d'angles et de milieu, et en 
huit salles longues de 50 à 100 mètres, comprises entre la 
double colonnade extérieure et le mur de fond sur lequel se dé- 
veloppent les grandes scènes. 

Dans la moitié nord, ce sont d'immenses combats, parmi les- 
quels on reconnaît des épisodes guerriers du Ramayana, cette 
lutte héroïque du roi d'Ayodia, Kama, septième avatar de Vichnou, 



VOYAGE AU CAMBODGE. 21? 

contre Ravana, roi de Ceylan, ravisseur de la belle Sila, son 
épouse. Mais ce n'est pas la légende telle qu'elle a été en- 
fantée par l'imagination du poète hindou ; c'est quelque épopée 
fabuleuse où le génie khmer a vraisemblablement Tondu les 
exploits des dieux avec ceux des conquérants du Cambodge. 

Dans cette multitude de guerriers qui prennent part à la lutte, 
ceux dont la tradition nous a conservé les noms sont aussi des 



Armée en marche. (Bus-relief de la galerie d'Angkor-Vaht.) 

héros du poème brahmanique. Jamais d'ailleurs Valmiki, si 
souvent interprété dans l'Inde, n'a rencontré d'artiste animé d'un 
souffle aussi puissant que le sculpteur khmer d'Angkor-Vaht. 

Avant de nous arrêter aux détails de ces grandes scènes de 
guerre, notons quelques observations générales. 

La taille des guerriers, lorsqu'ils représentent des rois ou des 
dieux, ne dépasse guère celle de leurs soldats; leur pose est su- 
perbe, parfois on dirait des héros d'Homère sculptés par quelque 

10 



218 L'ARCHITECTURE KHMER. 

grand artiste grec. Les divinités malfaisantes et les démons fantas- 
tiques ont, au contraire, la figure grimaçante et la stature de géants. 

Reproduits dans les différentes phases du combat, les guer- 
riers principaux s'y montrent dans des poses variées : tantôt ils 
se tiennent à l'arrière de leur char ou sur la croupe de leur 
monture, tantôt ils s'avancent jusque sur la tète de l'éléphant, ou 
sur le timon, en avant des coursiers, pour en venir aux mains à 
l'arme blanche ' ; enfin, ils ont pour cocher un personnage nain 
dans des poses pittoresques, et quelle que soit l'ardeur de la 
mêlée, ils sont toujours entourés de nombreux serviteurs qui, 
indifférents au combat, tiennent au-dessus de leur tête, parasols, 
chasse-mouches et autres insignes de la puissance. 

Entrons maintenant par la porte principale, et tournons à gau- 
che : c'est la mise en action du septième chant du Ramayana — 
le chant des combats. — L'armée des singes, auxiliaires du héros 
Rama, est aux prises avec les Iakshas ou démons ; la lutte est in- 
descriptible, les guerriers enchevêtrés les uns dans les autres, 
combattent avec fureur. 

« L'un frappe l'autre qui frappe celui-ci, renverse celui-là au même instant 
qu'il renverse ; celui-là prend celui-ci qui veut prendre , et tel mord tel 
autre qui mordait. » 

La rage se trahit sur le visage des quadrumanes : les uns assom- 
ment leurs ennemis à coups de massue, les autres ouvrent leur 
terrible mâchoire, les mordent et les mettent en pièces. 

« Broyés sous la force de ces poings qui écrasent comme le choc de la 
foudre, les chefs Iakshas tombent pareils à de grands arbres terrassés et 
cassés par le vent. » 

Ici le héros singe Hounissi (Hanouman), dans une étreinte 
horrible, brise à la fois les reins de deux lions fantastiques attelés 
à des chars; plus loin, furieux, brandissant un quartier de roc 

1 D'après Bastian, il y aurait là une convention ingénieuse par laquelle le 
sculpteur aurait représenté les progrès de chaque parti dans la victoire. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



dans sa droite, de la gauche montrant l'ennemi, il entraîne un 
guerrier, monté sur ses épaules, à la rencontre d'un géant aux 
têtes multiples. C'est le premier des deux grands combats livrés 
par Rama à son terrible adversaire. Ravana a Tait un grand car- 



nage de héros, il vient de repousser les assauts du singe Hanott- 
man et de terrasser Laksouman, frère de Rama ; ces défaites suc- 
cessives n'ont fait qu'augmenter la colère du vaillant guerrier. 
Laissons parler le poète : 

■ Voyant le courage du puissant démon et tant de héros des armées 
simiennes étendus sans vie, il courut sus à Ravana dans ce combat même. 
Alors, s'étant approché de lui : « Honte sur mon dos, lui dit le singe et 
dompte cet impérieux démon. — Oui, » répondit le héros qui, impatient de 
combattre et désireux de tuer son redoutable ennemi, monta vite sur le singe. 

* Porté par Hanouman, comme Indra lui-même sur l'éléphant Aîravata, te 
monarque des hommes vit alors, dans le champ de bataille Ravana monté 



220 L'ARCHITECTURE KHMER. 

sur son char. A cette vue, le héros à la grande vigueur, tenant haut son arme, 
de fondre sur lui comme jadis Vichnou dans sa colère fondit sur Vîrotchana ; 
et, faisant résonner la corde de son arc, au bruit tel que la chute du tonnerre, 
Rama, d'une voix profonde : ■ Arrête, arrête, dit-il, ô monarque des Yatavas, 



Rama emporta par le singe Hanoumjui. (Musée Klimcr.) 

a après un tel outrage que j'ai reçu de toi, où peux-tu aller, tigre des Raksasas, 
a pour te dérober à ma vengeance? 

Ailleurs, c'est Vichnou en personne qui prend part à la mêlée. 
Son garouda l'emporte d'un vol rapide. Dans un élan superbe, 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



l'oiseau- femme renverse un char traîné par des bœufs, et terrasse 
à la fois quatre coursiers. Plus loin il éteint les flammes qui sor- 
tent d'un disque agité par un laksha 1 debout surun rhinocéros; 



Vicbnou emporté par le Garouda. 

et de là il entraine son maitre au combat contre vingt autres 
divinités. 

Voici encore le garotida, conducteur d'un cbar qui traîne un 
guerrier armé de l'arc et qu'entoure une sorte de disque plat? 

Ici une divinité, montée sur un éléphant, en combat une autre 

1 Phrabat Alhit (le soleil), dans sa lutte avec Phrabat Thossarat (le père de 
Rama), descend sur la terre sous la forme d'un disque dans un Vimana ou 
palais aérien. (Baslian.) 



222 L'ARCHITECTURE KHMER. 

traînée par des dragons. Là, c'est un dieu emporté dans les airs 



par le roi Serpent ; plus loin, un laksha dans un char traîné par 
un cerf unicorne, puis une autre divinité enlevée par un oiseau 



fantastique moitié cygne, moitié aigle (peut-être la Hansa 
sacrée '). 



' Voy. p. 224. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



Ailleurs enfin, c'est le combat de Phra Phirout, roi prédéces- 
seur de Rama à Ayouthia, contre Phrabat Iséasat qui, d'après la 
légende, tombe percé de quinze cents lances 1 . 

Parmi les scènes qui décorent les petites chambres et qui sont 



le plus souvent des tableaux isolés dans des cadres gracieux, 
citons des femmes cueillant des fleurs dans un jardin, des combats 
de coqs excités par des hommes ou des singes 1 ,- des barques, Sita, 
au milieu de ses suivantes ? puis, dans une forêt, des groupes de 
saints personnages '; des adorateurs assis autour d'un péni- 
tent qui tient à la main un trident, et au-dessus duquel pla- 
nent des ermites barbus ailés. Ailleurs, un suppliant agenouillé, 
Ravana? qui dans sa détresse s'adresse à Sivaï 

1 Voj. Bastian et le Soutra de Préa Ket Méaléa (traduction Aymonierj. 
* Vov. les bas-reliefs du Musée Khmer. 
' Voy. p. 226. 



Î2i L'ARCHITECTURE KHMER. 

Entrons maintenant dans la galerie Sud-Est; la grande salle en- 
tière est consacrée à l'histoire du roi Serpent Ananta, histoire fa- 
meuse au Cambodge, puisqu'elle a été illustrée par ces fantastiques 
décorations des ponts d'Àngkor-Thom et de Préa-Kban. On voit 
d'ahord le monstre dans la mer, au milieu d'une foule d'autres 



Une mêlée, — fias-relief du Musée Klimer. 

serpents, de poissons, de crocodiles, d'amphibies, tous étudiés 
dans leurs plus minutieux détails. Puis le voilà enroulé autour 
du mont Mérou, l'axe du monde, que Vichnou, sous forme de 
tortue, soutient sur son dos pour l'empêcher de tomber jusqu'au 
fond de la mer. Les démons prennent le naga par la tète, 
les dieux par la queue ; leurs efforts contraires font tourner te 
Mérou, et, de la mer de lait ainsi barattée, sort l'Amriti ou 



VOYAGE AU CAMBODGE. 225 

liqueur de l'immortalité. Sur l'enroulement du grand serpent 
est assise une divinité à quatre mains * ; du sommet de la mon- 
tagne un petit personnage agenouillé regarde la scène avec cu- 
riosité, et des guirlandes de tévadas s'allongent d'un bout à 
l'autre de la salle pour représenter le ciel s . 

D'après la tradition conservée par les bonzes, les bas-reliefs 
de la galerie Sud représentent les trois mondes; la muraille est 



Femmes cueillant des fieurs dam un Jardin. (Bas-relief du Musée Klimer.) 

divisée eo trois bandes horizontales : en baut, le ciel ; au milieu, la 
terre; au-dessous, l'enfer. 

Sur la terre ce sont des scènes de la vie ordinaire : person- 
nages se livrant à divers travaux, mères portant et caressant leurs 
enfants. Le tableau le plus important est celui qui représente 
le cortège du roi Rautumo-Saurivong, le fondateur d'Àngkor. 

* Peut-être Siva, car ce dieu tient dans deux de ses mains un glaive et un 
crâne. 

* Voy- p. â03. 



226 L'ARCHITECTURE KHMER. 

D'un côté, des courtisans lui offrent des présents; de l'autre, 
il reçoit des sauvages agenouillés, caractérisés par une longue 
touffe de cheveux. Les seigneurs sont portés dans des litières. 
Arrivé devant un dieu à seize bras, monté sur un bœuf 
{peut-être Siva), le cortège se divise en deux parties. Les uns 
tombent dans l'enfer, les autres montent au ciel. Là, au mi- 
lieu de divinités se promenant dans des jardins, ou se tenant 
dans leurs palais, constructions aériennes aux toits découpés 



reposant sur de fines colonnetles et ornés des plus gracieuses 
ciselures, le roi est reproduit plusieurs fois entouré de dames 
de ta cour et d'une suite nombreuse ; tantôt on le voit changeant 
la coiffure sauvage de ses guerriers en une coiffure de fleurs ou 
en un bonnet à triple tourelles, tantôt, siégeant dans son pavillon, 
ayant à sa droite les sauvages avec leurs cheveux relevés, à sa 
gauche, ceux d'entre eux admis à faire partie de sa suite et re- 
connaissables à leur coiffure ». 

' Voy. Baslian. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 227 

Les conseillers et les ministres portent au front les cheveux 
tressés en forme de cornes. Parmi la foule qui regarde le cortège, 
se trouvent des sauvages ayant une queue comme des singes. 

En enfer, les ministres du dieu Yama sont des hommes forts, bar- 
bus, équipés de pied en cap, armés de sabres ou de massues, por- 



Siv» perte p»r Nandiï 

tan t une moustache, un collier de barbe ; en un mot, en tout sembla- 
bles aux guerriers qui bataillent dans la galerie occidentale, tandis 
que les condamnés, petits, malingres, décharnés, laids, la bouche 
en avant, les cheveux pendant en désordre ou relevés au sommet 
de la tète, ont le type de ces races inférieures les plus sauvages de 
l'Indo-Chine *. 

Ces misérables subissent les tortures les plus affreuses' :-ils 
sont pendus, crucifiés, assommés, pressés sous des plaques rou- 

1 Voy. p. 363. 

1 Voy. divers bas-reliefs du Musée Khmer. 



«28 L'ARCHITECTURE KHHER. 

gies au feu, contraints d'avaler des liquides bouillants, frappés à 
coups de sabre, transpercés de pointes de fer, mordus par des 
chiens, dévorés par des tigres ou des serpents, lancés en l'air par 
des bêles â cornes et des éléphants, jetés dans les flammes ou sur 
des poinles acérées, piles dans un mortier ; enfin ils sont en butte 



Un supplice de l'enfer. 

aux traitements les plus atroces que puisse inventer l'imagination 
humaine 1 . 

11 ne nous reste plus à voir que les bas-reliefs de la face sud- 
ouest. Us ont un intérêt spécial, en ce qu'ils nous montrent le 
degré de civilisation des races diverses qui habitaient l'indo- 
Chine lors de la conquête. C'est une grande procession commé- 
morative de celle qui fut faite lors de la fondation de la ville 
d'Angkor. Elle se déroule dans de riants bosquets, à l'ombre 
de grands arbres peuplés d'oiseaux, d'écureuils, de singes. 
Le roi marche en tête; il est suivi de la reine portée dans une 
litière et entourée de ses femmes ; puis viennent les princes assis 

1 Les légendes fourmillent de traits aussi barbares. On se rappelle les sup- 
plices que le roi avait infligés aux parents de la belle Théau, ainsi que la san- 
guinaire coutume d'immoler des victimes aux fondations des villes pour les 
rendre imprenables. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 220 

dans des palanquins; les généraux à la tète de leurs divisions, les 
uns à cheval, brandissant leurs armes, les autres sur de superbes 
éléphants, debout dans des poses héroïques 1 , et enfin les soldats 



Un seigneur de la suite du roi Bautumo-Sanrivong. 

marchant en bon ordre et par troupes, ayant chacun ses armes, 
son costume, ses emblèmes particuliers. L'un de ces groupes se 
compose d'hommes barbus qui viennent offrir des présents au roi. 
Une bande de sauvages ornés de franges et de houppes avec des 
cordons relevés sur les cheveux ferment la procession. 

Et maintenant que nous pouvons embrasser dans son ensemble 
cette œuvre grandiose des bas-reliefs d'Angkor-Vaht, si nous nous 
demandons quelle est la pensée qui a présidé à sa conception, ne 
nous semble-t-il pas que ce soit celle de quelque Rhamsès asiati- 
que, sans doute plein de piété à l'égard des dieux, mais préoccupé 
surtout de faire passera la postérité la mémoire des conquérants 
et des civilisateurs du Cambodge? 

1 Vuy. page suivante. 



L'ARCHITECTURE KHMER. 



Quelle satisfaction c'eût été pour nous de pouvoir consacrer de 
longues journées à la visite des ruines de cet édifice d'Angkor-Vaht, 
dont l'œil ne se lasse pas d'admirer l'ensemble harmonieux ! 
Aujourd'hui encore, autour de celte métropole du Bouddhisme 
en Indo-Chine, circule comme un souffle de la vie religieuse qui 



Un général de l'armée du ml Baulumo-Saurivong. 

l'animait jadis. Un village et plusieurs monastères sont groupes 
au pied du sanctuaire ; des bonzes commis à sa garde s'y livrent à 
des occupations pieuses, et les pèlerins n'ont pas cessé d'y affluer. 
Aussi nos cases recevaient-elles chaque jour de nombreux visi- 
teurs. C'étaient parfois des curieux, souvent aussi des infirmes, 
des malades qu'aucun médecin et qu'aucune pratique de dévo- 
tion n'avaient pu guérir. En vain avaient-ils épuisé tous les rites 



Bonios au pied des colonreltes qui bordent la t 



VOYAGE AU CAMBODGE. 233 

usuels, ta vertu même des incantations * était restée impuissante 
contre l'influence des mauvais génies. Aussi venaient-ils, on déses- 
poir de cause, implorer les secours du docteur ■■< falançais », comme 
ils disaient, lequel ne leur refusait jamais assistance. A sa pre- 
mière visite, le malade apportait l'offrande accoutumée de petits 
cierges en cire ; et, pour peu que le traitement réussit, il reparaissait 
bientôt avec des œufs, des fruits, du mîel, des poules, suivant sa ri- 
chesse. Quelquefois, parmi les incurables, se trouvaient des espèces 
de spectres àla démarche chancelante, au teint terreux, à l'œil morne 
et cave, dans lesquels il était facile de deviner des fumeurs d'opium. 
Combien de fois, en traversant les villes populeuses de la Chine 
centrale, n'avais-je pas vu les victimes de cette passion funeste 



Intérieur de eue cambodgienne. 

se presser autour de nos médecins et les supplier à genoux de 
leur rendre force et santé! Mais pour ceux-là, en Chine comme 
au Cambodge, l'art restait impuissant : l'interdiction absolue de 
la vente de l'opium, telle est, dans ces deux pays, la seule et uni- 
que médication qui puisse agir souverainement contre le fléau. 

Les bonzeries d'Angkor-Vaht, avec leur attristante clientèle de 
souffreteux, me remettent en mémoire un autre incident de notre 
voyage. 

1 Une de ces pratiques consiste à se lier aux bras, avec des cordons de coton, 
des figurines d'argile où sont plantes de petits cierges en papier, et a y met- 
tre le feu eu ayant soin de se faire asperger d'une eau mClôc de sucre et de 
sel, le tout accompagné de paroles magiques. 



234 L'ARCHITECTURE KHMF.fi. 

Un jour, après une pénible étape sous les piqûres d'un ardent 
soleil, nous atteignîmes un petit hameau dont les huttes minables 
et clairsemées témoignaient assez de l'indigence de leurs habitants. 
Harassés de fatigue, nous nous reposâmes un instant dans une mi- 
sérable case, puis, comme il n'y avait pas céans de sala, nous nous 
dirigeâmes vers la pagode, cette maison qui, en tout village, est 
ouverte à ceux qui n'en ont pas. Sur notre chemin nous croisâmes 



Ckao ou Génie tutcUirc. 

un vieux figuier aux troncs entrelacés, qui abritait un personnage 
à tête d'éléphant : c'était le Ckao ou génie lutélaire du hameau, 
entouré d'oriflammes, de petits bambous pleins de vin de palmier 
et de guirlandes de fleurs pendues aux branches en offrande '. 

1 Tous les villages cambodgiens sont sous la protection d'un génie tutélaire 
ou Ckao. Ces personnages d'origine fabuleuse ont souvent leur légende : 
voici celle du chao d'Angkor Tbôm, dont— on se le rappelle — nous avons déjà 
vu la statue à notre passage dans celle ville (p. 200). 

« Un roi célèbre, régnant à Kabinlapout, envoya un jour un de ses nobles 
du nom d'Atjesato dans la ville de Rahannayon (Bénarès) pour y apprendre la 
magie, Ini enjoignant de ne pas revenir avant d'avoir terminé ses études. Bien- 
tôt dégoûté du travail, notre gentilhomme partit. Son précepteur, connaissant 
l'ordre sévère du roi, le rejoignit et lui coupa la tète. » 



VOYAGE AU CAMBODGE. 23o 

Le temple nous apparut bientôt après; il se distinguait des ha- 
bitations particulières par son toit de paille de riz, un peu plus élevé 
que les autres, et reposant sur une douzaine de poteaux, à la manière 
d'un simple hangar sans murailles ni portes. Nous entrâmes donc 
dans cette case hospitalière , dontle dénûment nous frappa tout d'a- 
bord. Pour tout plancher, il n'y avait que la terre battue. Dans un 
coin, deux hommes, sans doute des passants qui avaient pris gîte, 
en allant d'un village à l'autre, étaient couchés sur leurs nattes ; de 
l'autre côté, un groupe de bonzes et de femmes étaient agenouillés 
devant un autel surmonté d'une grossière statue de Bouddha. Le 
dieu avait les jambes croisées, l'épaule gauche couverte d'un 

« Longtemps après, le fils d'Aljesato rencontra sur la route le corps de son 
père qu'il reconnut à la bague passée à son doigt. Il rappela le défunt à la 
vie par des paroles magiques et plaça sur ses épaules la tête d'un éléphant 
qu'il venait de tuer. Puis, honteux d'avoir un père à tête d'éléphant, il l'aban- 
donna. Le pauvre gentilhomme, que les Cambodgiens appellent aussi Préa- 
Poulhéa-Kimet, s'exila sur une montagne jusqu'au jour où le roi Kovérat, 
fondateur d'Angkor-Thôm, le pria de venir dans cette ville pour s'y installer 
comme génie tutélaire. » 

Quoi qu'il en soit de ce conte, il est difficile de ne pas voir dans la figure 
dont nous donnons le dessin (et dans la plupart des statues à têtes d'ani- 
maux) d'antiques représentations brahmaniques transformées en néaktas par 
l'imagination superstitieuse du peuple. Ganésa, d'ailleurs, n'est pas beau- 
coup mieux traité par la légende cambodgienne que le pauvre seigneur 
Atjesato. Voici son histoire. 

« Avant de devenir dieu de la sagesse et de la piété, Ganésa, père de Karti- 
keya à six tètes, dieu de la guerre, était chargé des fonctions de gardien 
de la grotte où sa mère Parvati, sœur et femme de Siva, avait l'habitude de 
se baigner. Siva étant un jour venu lui faire sa visite habituelle, le jeune 
Ganésa, peu expert en matière d'étiquette, voulut empêcher le grand 
seigneur d'entrer; mais celui-ci, pour toute réponse, lui trancha la tête. 
Pour calmer la douleur de la pauvre mère, Siva, prenant la première tête 
qui lui tomba sous la main, la plaça sur le cou du décapité. Heureusement! 
c'était une tête d'éléphant ; car le dieu, devant le temple duquel le bœuf 
Nandi est couché pour l'adoration des croyants, aurait pu aussi bien rem- 
placer la tête de Ganésa par celle d'un vil ruminant. » 

Sri Ganésa, avec la tête d'éléphant, se voit à la première page de tous les 
livres cambodgiens, et c'est devant lui que les scribes et les savants se 
prosternent journellement en couronnant sa trompe de fleurs. (Bastiaa.) 



236 L'ARCHITECTURE KHMER. 

vieux lambeau d'étoffe, le corps peint de rouge et agrémenté de- 
quelques plaques d'or qu'on lui avait collées par places en guise 
d'ex-voto. Au devant de cette figure principale, on voyait d'autres- 
statuettes, non inoins barbares d'exécution, qui représentaient 
également le Bouddha, chargé de guirlandes et de bandelettes 
sales etdéchirées. Sur les côtés et par derrière, s'étageaient contre 
de grands bambous un certain nombre de petits cerceaux à franges 
versicolores, figuration telle quelle du parasol à étages sous lequel 
les Orientaux abritent les rois et les dieux. 



Pagode da village. 

Comme je contemplais ces brutes images de la divinité et ces- 
témoignages plus que modestes de la dévotion des fidèles, une 
femme en larmes, portant dans ses bras un enfant malade, s'a- 
vança vers l'autel, se mit à genoux devant la statue, et, allumant 
un cierge, fit brûler un des haillons qui enveloppaient le corps du 
marmot; puis, après une prière, elle se releva pour sortir. Le 
docteur alors s'approcha d'elle ; avec le secours d'un serviteur 
demi-interprète, il lui posa quelques questions, et lui donna des. 
conseils sur la manière de soigner son enfant. 

Sur l'entrefaite, l'Annamite qui remplissait auprès de nous 
l'office de cuisinier rentra dans la pagode avec un paon tout rôti, 



VOYAGE AU CAMBODGE. 237 

«qu'il était allé tuer au dehors pour se conformer à la prescription 
rituelle qui défend de répandre le sang d'un être vivant à Tinté- 
rieur du lieu sacré. Nous soupâmes incontinent, puis, le repas 
terminé, chacun de nous s'étendit sur sa natte, et se mit en devoir 
-de dormir. Au milieu de la nuit notre sommeil fut bercé par un 
bourdonnement monotone qui venait de la hutte voisine : c'étaient 
les bonzes qui, pendant que, nous autres voyageurs, nous nous 
livrions sans vergogne aux profanes douceurs du repos, psalmo- 
diaient, infatigables, leurs saintes litanies. Les moines répétaient 
les divines sentences dont la possession complète devait les égaler 
un jour à leur maître ; et les novices, les deux cent cinquante 
préceptes auxquels tout bonze doit se conformer sous peine d'être 
expulsé honteusement de la pagode. 

Le lendemain, dès les premières clartés de l'aurore, ils rentrè- 
rent dans le temple, firent une prière en commun, et se disposèrent 
à procéder à leur collecte habituelle. Ils se mirent en route pro- 
fessionnellement, deux vieillards en avant, et trois novices par der- 
rière. Ces derniers tenaient d'une main leur éventail, de l'autre, 
un petit vase destiné à recevoir les offrandes. Comme ils se diri- 
geaient précisément du côté d'une ruine que nous désirions visi- 
ter, nous en profitâmes pour prendre la file. 

Après avoir traversé l'esplanade où était située la pagode ainsi 
que la case ombragée de palmiers qui servait de demeure à nos 
religieux, nous franchîmes une petite barrière de trois pieds de 
haut environ, et nous nous trouvâmes dans le village. Là com- 
mença la quête. Les bonzes marchaient à pas lents, les yeux fixés 
sur le sol, l'éventail ouvert devant leur figure, afin de se préserver 
«de la vue des femmes et aussi parce qu'ils sont tenus d'ignorer la 
nature des aumônes qui leur sont faites. Les offrandes, ce 
jour-là, n'abondaient pas ; la plupart des indigènes avaient déjà 
quitté leurs maisons pour vaquer aux travaux des champs ; deux 
ou trois femmes, tout au plus, s'en vinrent déposer quelques boules 



238 L'ARCHITECTURE KHMER. 

de riz dans le vase du plus jeune novice. En revanche, arrivés à 
une sorte de carrefour, les moines trouvèrent, sur une tablette qu'a- 
britait un petit toit de paille ayant la forme d'un toit de pagode, un 
peu de riz avec quelques bananes et autres fruits ; après quoi, 
satisfaite sans doute de l'aubaine, la colonne mendiante rebroussa 
chemin, nous laissant poursuivre notre marche vers les ruines. 

Quand nous revînmes à la pagode , quelques heures après , 
nous retrouvâmes les saints personnages en train de faire leur 
unique repas du jour, défrayé, suivant la coutume, par les aumônes 
en nature qu'ils avaient reçues des fidèles. Avant de partir, nous 
voulûmes, nous aussi, les gratifier de quelques offrandes, et nous 
les priâmes d'accepter, entre autres menus cadeaux, du papier et 
des crayons, genre de présent qui leur agréa par-dessus tout, car 
ils n'ont d'ordinaire pour écrire qu'une pointe de fer qui leur sert à 
tracer des caractères sur une feuille de palmier, qu'ils saupoudrent 
ensuite d'une poussière noire. 

Comme nous sortions de la pagode, nous nous croisâmes avec 
la jeune mère qui avait, la veille, supplié Bouddha de vou- 
loir bien rendre la santé à son enfant. 11 y avait sur sa figure un 
air visible de satisfaction, et c'était probablement pour des actions 
de grâces qu'elle allait derechef s'agenouiller au pied de l'autel. 
L'enfant était-il guéri? Et, s'il l'était, à qui, de Bouddha ou de 
notre docteur, revenait le mérite de la cure? Mettons, pour ne 
contrarier personne, qu'il revenait à l'un et à l'autre. 

La rivière de Siem-Réep passe à l'Est d'Angkor-Vaht. Les 
ponts khmers qu'on a jetés autrefois sur le cours d'eau sont ruinés 
en partie, et le torrent lui-même a dévié en maint endroit de sa 
direction primitive. On le traverse à présent sur d'étroites et pit- 
toresques passerelles dont le tablier est assujetti, au moyen de 
lianes et de rotins, à des pilotis sans cesse ébranlés par un courant 
des plus impétueux. Tout près du temple, dans le voisinage 



TRANSPORT SUR LE TORRENT DE PREA- KHAN DES SCULPTURES RAPPORTEES EN FRANCE. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 241 

d'une de ces passerelles, se trouvait une petite anse fluviale où 
les bonzes et leurs élèves venaient tous les jours prendre leur 
bain. Le sol de la rive, en cet endroit, est couvert d'amas de 
sable sur lesquels chaque baigneur, au sortir de l'onde, ne 
manquait jamais de venir déposer une poignée de vase ra- 
massée au fond de la rivière. C'est une des superstitions carac- 
téristiques des Cambodgiens modernes : ils sont convaincus que 
quelque Boddhisatva, par la puissance de ses bonnes œuvres, chan- 
gera un jour tous ces monticules en autant de monuments rivaux 
des beaux temples antiques lesquels, disent-ils, n'étaient d'abord, 
eux aussi, que d'informes tas de limon et furent métamorphosés 
de boue en pierre \ puis merveilleusement ornés, en une seule 
nuit, par l'architecte du ciel. 

1 On a va plus haut que le grès employé à la construction s'appelle Thma- 
pkôc, pierre de boue. 



I 



CHAPITRE VIII 



Retour k Saigon. — Transport des pièces archéologiques. — Histoire som- 
maire de la formation du nouveau musée. — Ce qu'il reste à Taire au 
Cambodge. 



De la Pagode royale, nous nous rendons à Siem-Réep. Che- 
min faisant, notre œil est attristé par la vue de gibets dressés aux 
carrefours et d'où pendent des têles ensanglantées, suite funeste 
d'une récente rébellion. En arrivant sur la grande place nous 
assistons à un autre supplice. Un malheureux allongé sur le sol, 
les mains liées, le cou pris entre deux bambous, râle sous le 
rolin , pendant qu'un scribe note les aveux que la torture lui 
arrache. 

Nous hâtons le pas et nous atteignons bientôt de grandes cases 
délabrées, salas d'occasion construites sur le bord de la rivière. 
A peine y sommes-nous installés que l'on nous signale l'arrivée 
d'une barque montée par des Européens, et quelques minutes 
plus tard nous accueillons sur la rive un second renfort, envoyé 



244 L'ARCHITECTURE KHHER. 

de Phnom-Pênh par M. Moura, sous les ordres de M. Aymonter; 

mais presque en même temps une dépêche du gouvernement me 



La supplice du rotin. 

rappelait au plus tôt à Saigon, où je devais me tenir prêt à partir 
pour le Tong-king *. 

Obligé de rallier précipitamment la Javeline, je ne pus rap- 
porter à bord de la canonnière qu'une partie des antiquités que 
notre mission avait recueillies; d'autres suivaient à la remorque 
dans des barques ; une de celles-ci, malheureusement, sombra 
d'un coup de vent à la traversée des lacs, et son chargement fut 

1 La mission que je dirigeais devait, après avoir achevé ses opérations 
au Cambodge, prendre la route du Tong-king pour v explorer le bassin du 
Song-Koi, artère principale de la navigation dans cette contrée. Ce fleuve, 
on le sait, avait été signalé, pour la première fois, par le commandant de 
Lagrée, cher de la mission du Mékong, et quelques années plus tard par 
notre compatriote, M. Dupuis, qui en avait descendu le cours, comme pouvant 
fournir une voie nouvelle pour pénétrer au coeur de la Chine. 

Une fois à Saigon, je trouvai un changement de scène inattendu , de 
graves événements venaient de se passer au Tong-king; le jour même de 
notre arrivée, une mission militaire parlait pour ce pays, où les troubles 
politiques rendaient momentanément impossible l'exploration toute pacifi- 
que que j'étais chargé d'y accomplir. Atteint d'ailleurs des fièvres palu- 
déennes, plus gravement que je ne lavais cru tant qu'avait duré la période 
active du voyage, je dus me conformer à la décision du Conseil de santé 
et regagner immédiatement la France pour ; rétablir mes forces et y atten- 
dre un temps plus propice à l'exécution de mes projets. 



LES ANTIQUITES CAMBODGIENNES A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1878. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 247 

perdu * ; il y eut aussi quelques sculptures qui restèrent en 
route; mais, somme toute, en dépit de ces accidents presque 
inévitables, nous n'eûmes qu'à nous louer de la bonne volonté 
des mandarins du roi Norodom. 

Quant à la partie de notre bagage archéologique que nous 
avions ramassée au début de nos opérations à Pré a-Khan, et que 
la rapidité de noire marche nous avait contraints de laisser en 
arrière, sous la conduite du maître mécanicien Penaud, elle des- 
cendit avec peine les dangereux rapides du torrent. Abandon- 
nés une première fois par les sauvages superstitieux qui gui- 
daient les radeaux, ces colis, grâce à l'entremise des Cambodgiens, 
finirent cependant par arriver à la ville de Stung ; là, ils furent 
charges sur des embarcations qui les amenèrent aux lacs, et plus 
tard M. Aymonier les vint prendre avec une chaloupe à vapeur 
et les conduisit à Phnom-Pênh, d'où on les expédia à Saïgon. 

Trois mois après, il fut possible d'en amariner une partie à 
bord d'un transport de l'Etat qui appareillait pour la France. Ce 
premier envoi parvint à Toulon, puis à Paris, où on le déposa 
dans la cour du Louvre. Les diverses pièces qui le composaient 
étaient renfermées dans cent vingt caisses de forme bizarre que 
les curieux virent pendant plus d'un mois rangées sur le trottoir 
attenant au musée des antiquités égyptiennes. Ce ne devait pas 
être leur dernière étape. 11 n'y avait, à cette époque, au palais 
du Louvre, aucune salle assez vaste pour loger une collection de 
cette importance. Le palais de l'Industrie, des Champs-Elysées, 
ne put non plus lui accorder l'asile temporaire que nous deman- 
dâmes. Toujours étroitement emprisonnées dans leurs caisses, 
nos pauvres sculptures ne se firent connaître et admirer jusqu'à 

1 Ces sculptures, grâce à l'intervention de M. Moura, ont été retirées de 
la vase où elles étaient enfouies. Leur prochain transport en France 
permettra d'achever l'installation des groupes les plus importants du Musée 
Khmcr, groupes restés incomplets jusqu'à ce jour. 



248 L'ARCHITECTURE KHMER. 

nouvel ordre que par les photographies simultanément venues 
du Cambodge. Faute de mieux, on pensa au palais de Gompiègne : 
il y avait là, au rez-de-chaussée, une magnifique salle, parfaite- 
ment disposée pour recevoir les pièces d'un musée. 11 fut décidé, 
par M. de Chennevières, alors directeur des Beaux-Arts, que cette 
salle serait affectée à une première exposition de nos monu- 
ments. 

Les caisses, provisoirement exilées de Paris, se mirent donc en 
route de rechef. On les ouvrit enfin et Ton en tira des fragments 
poudreux, pièces é pars es, sans liaison apparente, qui avaient 
besoin d'être assemblées et mises à leur place pour devenir intel- 
ligibles. Le petit nombre de visiteurs qui pénétrèrent les premiers 
dans l'atelier où je dirigeais ce raccommodage délicat furent 
frappés tout d'abord de l'aspect étrange, de l'air de vétusté véné- 
rable des objets qu'ils avaient sous les yeux. D'aucuns hochaient 
bien quelque peu la tête, en se demandant si un art qui venait 
de si loin, dont jusqu'ici on n'avait pas eu la moindre notion, 
pouvait être un grand art; mais les vrais appréciateurs n'a- 
vaient pas hésité un instant à proclamer qu'ils avaient devant 
eux des œuvres conçues et exécutées par des travailleurs de 
génie. Telle fut notamment l'opinion de M. Lafollye, l'archi- 
tecte du palais de Gompiègne, dont le zélé concours nous fut 
aussitôt acquis. 

Nous avions décidément touché le port : les fragments disjoints 
furent réunis, les masses architecturales recouvrèrent figure, les 
statues prirent place sur leurs piédestaux, en même temps que, 
dans les ateliers de l'école des Beaux-Arts, on rajustait les moules 
disloqués par les mille accidents de leurs longues pérégri- 
nations. 

Dès qu'un premier ensemble fut organisé, le nouveau musée 
fut déclaré accessible au public. Accessible au public ! Il ne le 
sera réellement que le jour où il aura été transporté à Paris, au 



VOYAGE AU CAMBODGE. 249 

centre même des études et des grandes collections artistiques *. 
11 va sans dire que, telle qu'elle est actuellement, cette collec- 
tion d'antiquités n'offre encore qu'un point de départ ; Fart khmer. 
est loin de s'y trouver contenu tout entier. Les spécimens dont 
elle se compose sont nécessairement imparfaits et n'embrassent pas 
tous les genres. On a vu que le temps avait fait défaut à la mission, 
et souvent, dans le choix des pièces à enlever, nous avions du 
considérer, moins la valeur réelle des objets, que les moyens 
dont nous disposions pour le transport. Les moulages, d'une 
exécution difficile, malaisés aussi à garantir absolument des 
intempéries du climat et des chocs du voyage, n'ont pu con- 
server toute la finesse des originaux ; ils étaient d'ailleurs im- 
puissants à reproduire les sculptures profondément fouillées, 
qui sont les plus délicates et les plus gracieuses. Pour se faire 
une idée de ces dernières, il faut étudier attentivement au 
verre grossissant les vues photographiques placées au musée et 
provenant pour la plupart de la riche collection de M. Gsell de 
Saigon, collection dans laquelle nous avons puisé plusieurs -fois 
pour l'illustration de ce livre. Sur les frises, les pilastres et 
les entablements, on découvre presque toujours un monde mer- 
veilleux de menus personnages encadrés dans une ravissante 
ornementation a . Le petit nombre de statues ou de tètes isolées 
que nous ont livrées les ruines de Préa-Khan et de Phnom Boc 
accusent aussi (dans des genres différents) une perfection de tra- 
vail que les sculpteurs khmers de la grande époque n'ont guère 
dû surpasser. Nous aurions voulu joindre à ces belles œuvres 
quelque monument complet d'architecture : nos moyens d'action 

1 Ce vœu se trouve en partie réalisé, puisque les antiquités cambodgiennes 
rapportées à Paris à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878 ont figuré 
dans les galeries du Trocadéro entre la collection de Fart égyptien et celles 
de l'art chinois et japonais. Il y a tout lieu d'espérer aujourd'hui qu'elles ne quit- 
teront plus Paris et que le Musée Khmer y sera bientôt installé définitivement. 

1 Voy. p. 357 l'entablement de la seconde porte occidentale d'Angkor-Vaht. 



L'ARCHITECTURE KHMER. 



ne nous ont pas permis de le faire entièrement. Toutefois, nous 
avons pu rapporter les éléments constitutifs d'une porte de 
temple telle qu'elle est représentée sur la couverture de ce livre, 
et même d'une entrée précédée d'un portique à colonnes sem- 



Bouddha adossé lu naga heptacépbile. — Statue provenant de Prtia-Khan, 



blable à ceux figurés sur les dessins d'élévation de Baion (p. 173 
et p. 327), et sur les édicules latéraux d'Angkor-Vabt (p. 209). 
La reconstruction de cet ensemble essentiellement caractéristique 
de l'architecture kbmer ne serait ni difficile ni dispendieuse. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 25 f 

En dehors de la collection qui a déjà été livrée au public, le 
Musée, on le sait, doit s'accroître prochainement des bas-reliefs 
de la galerie des combats à Angkor-Vaht, moulés par M. Filoz, 
ainsi que des pièces sauvées par M. Moura dans le grand lac. 11 
y a aussi lieu d'espérer que le long séjour de M. Farant à la cour 
du roi Norodom ne sera pas inutile. On sait d'autre part que 
MM. les gouverneurs de Cochinchine et les résidents français au 
Cambodge ont donné à cette œuvre, en même temps que leur con- 
cours moral, une aide effective qui seule a permis d'obtenir les 
sérieux résultats que l'on connaît aujourd'hui. Il est hors de doute 
que ces hauts fonctionnaires et leurs successeurs tiendront à hon- 
neur d'encourager l'étude du passé dans la région qu'ils gouver- 
nent. Les futurs explorateurs chercheront eux aussi à y recueillir 
de nouvelles richesses ; et, à mesure que les relations de la France 
avec l'Indo-Chine deviendront plus faciles, le Musée Khmer verra 
s'accroître le nombre et la valeur des pièces qui le composent. 

Maîtres de la partie de l'Indo-Chiue lq, plus fertile en magni- 
fiques souvenirs, ne sommes-nous pas appelés à jouer dans celte 
contrée le même rôle scientifique que les Hollandais à Java et 
les Anglais dans l'Inde. 

A Londres, les sculptures hindoues, birmanes, malaises, ont 
trouvé place au British Muséum à la suite des antiquités assy- 
riennes. On a élevé des monuments entiers de l'architecture de 
l'Inde au South Kensington Muséum. Enfin et surtout, dans 
Tlndia Muséum, de vastes salles consacrées à l'archéologie ren- 
ferment, non seulement des sculptures originales ou moulées, 
mais encore une collection considérable de photographies, des- 
sins, plans en relief, etc., admirablement classés pour l'étude. 
Or les archéologues anglais placent les œuvres de l'ancien Cam- 
bodge bien au-dessus de celles de l'Inde. 

L'art khmer, en effet, résume, en même temps qu'il les sur- 
passe, les arts de toutes les contrées dont le Cambodge occupe 



Î52 L'ARCHITECTURE KHMER. 

géographiquement le centre. En France c'est donc autour de la 
collection khmer que devront se grouper plus tard tous les mo- 
numents d'archéologie de l'extrême Orient. 



II 



Si l'étude des temples ruinés de l'Indo-Chine est encore possible 
aujourd'hui, il importe toutefois de se hâter. La destruction de ces 
édifices, commencée sans doute à l'époque de la première invasion 
des Thaï ou Siamois, et systématiquement reprise depuis lors, à 
chaque nouvelle incursion, se continue chaque jour, on l'a vu, par 
les influences météoriques et par les envahissements d'une végéta- 
tion exubérante. Rétablir les anciens canaux d'écoulement, émon- 
der la flore indiscrète qui enlace, troue et bouleverse ces ruines 
sans défense, telles seraient les conditions preliminaires.de 
l'œuvre de conservation. 11 est vrai que ces monuments sont 
tellement vastes et les régions où ils sont situés si pauvres en 
habitants, qu'en maint endroit la population entière ne suffirait 
pas à la besogne. Tout au moins ne serait-il pas impossible de 
préserver quelques édifices ou quelques portions d'édifice, qu'on 
choisirait parmi les moins endommagés, les plus intéressants, les 
plus rapprochés des villages, et dont on mettrait l'entretien à 
la charge des indigènes, sauf à dégrever ces derniers d'une partie 
des frais de labeur. 11 n'est guère douteux que, sur l'étendue du 
territoire cambodgien, le roi Norodom, notre protégé, ne se prête 
volontiers à cette entreprise ; le représentant du protectorat français 
à Phnom-Pênh userait aussi de toute son action pour vaincre les 
craintes superstitieuses des indigènes, leur apathie trop réelle, et 
autres obstacles du môme genre dont il faut d'avance tenir compte. 

Mais les ruines les plus importantes et aussi les mieux ccmserv- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 255 

vées se trouvent sur le territoire siamois. Là, faute de pouvoir 
agir par nous-mêmes, peut-être serait-il possible d'obtenir du 
gouvernement de Bangkok des concessions analogues à celles que 
' le roi du Cambodge nous ferait avec empressement. Phra-Mong- 
Kut, l'ancien souverain de Siam, l'homme le plus instruit et 
le plus civilisé de son royaume, ne prit-il pas autrefois l'initiative 
de quelques travaux d'entretien auxquels certaines parties 
du temple d'Angkor-Vaht ont dû en somme leur conservation! 
En vain les religieux des couvents, établis au pied de ce 
beau sanctuaire, arrachent-ils de temps à autre les plantes qui 
croissent dans ses ruines, ces procédés d'épuration deviennent 
chaque jour plus insuffisants. Les chaussées, je l'ai dit, s'effon- 
drent, les piliers commencent à tomber, les sommets des préasats 
se dégradent. Extirper çà et là les herbes folles est sans doute un 
soin méritoire ; mais, pour conjurer l'écroulement final, il faudrait 
le concours de mains plus gaillardes et armées d'outils à souhait. 

Peu de temps avant notre passage à Angkor-Thôm, les habitants, 
désireux de faire honneur au nouveau gouverneur delà province, 
s'étaient mis à abattre les arbres qui masquaient la vue des mo- 
numents. Ils avaient commencé par la porte méridionale de la 
ville, et, à l'aide de grandes échelles en bambous, ils avaient ar- 
raché les orchidées et les fougères qui tapissaient irrévérencieu- 
sement, du droit d'une longue occupation restée jusqu'alors in- 
contestée, la large face du Brahma surmontant l'entrée. Ils firent si 
bien que la figure, pleinement dégagée, se retrouva mise en pers- 
pective; mais cet effort ayant suffi pour les épuiser, nos vaillants 
pionniers en demeurèrent là. 

Sans se montrer d'aussi courte haleine, les travailleurs mis 
à l'œuvre dans ce district se verraient malheureusement forcés 
de laisser de côté la plupart des grandes ruines, qui sont géné- 
ralement d'un abord difficile, et dont les débris croulants servent 

de refuge à des serpents dangereux et à d'innombrables bêtes 

12 



256 L'ARCHITECTURE KHMER. 

malfaisantes. Le meilleur genre de sauvetage à exercer dans ces 
monuments, dont plusieurs ne sont littéralement que des amas 
d'éboulis, c'est d'y recueillir, à l'occasion, les rares fragments in- 
tacts qu^e l'on y rencontre f . 

En dehors des richesses qui s'étalent à ciel ouvert et qu'on vient 
à peine d'entamer, quelles précieuses découvertes ne peut-on pas 
encore attendre de fouilles habilement dirigées dans les ruines et 
dans les anciens sras desséchés ! Pressés par le temps, nous ne 
pouvions entreprendre de pareilles investigations ; mais nous sa- 
vons que les indigènes, après avoir creusé le soldes villes antiques 
pendant des siècles, en exhument encore aujourd'hui des mon- 
naies, des bijoux, des statuettes d'or et d'argent, qu'ils ont mal- 
heureusement coutume de jeter bien vite au creuset. Certains 
indices nous font en outre supposer que sous plusieurs monuments, 
sous le massif central de Baion entre autres, il existait, comme 
dans les temples de l'Egypte et de l'Inde, des chambres souter- 
raines, des hypogées, dont on retrouvera quelque jour l'entrée et 
qui ne sont pas sans renfermer maint trésor d'art. 

Aux environs d'Angkor-Thôm, le terrain, raviné par les eaux, 
laisse apercevoir en plusieurs endroits des lits de poteries muti- 
lées parmi lesquelles se trouvent des débris qui dénotent aussi dans 
ce genre d'industrie un art avancé 2 . Notre mission en recueillit 
plusieurs : je citerai entre autres divers vases brisés dont les anses 
étaient faites de triples têtes d'éléphants aux trompes enroulées de 
feuillage. Ces fragments furent de ceux qui se perdirent dans les 
accidents du voyage ; mais on pourrait aisément s'en procurer de 
nouveaux. L'estampage, soit dit en passant, fournira toujours un 



1 C'est ainsi que, pendant notre mission, nous en avons retiré diverses 
pièces originales exposées aujourd'hui au Musée Khmer. 

* « On conservait les cendres des morts dans des urnes d'or et d'argent ; 
les pauvres se servaient d'urnes en terre cuite peintes de différentes cou- 
leurs. » (Abel Rémusat). 



VOYAGE AU CAMBODGE. 057 

moyen commode pour reproduire les inscriptions cl pour relever 
sur les sculptures légères des motifs gracieux et originaux, dont 
nos arts décoratifs ne manqueront pas de tirer parti, et que la 



An« de «se en argile jAngkor-Thùm) . 

bijouterie parisienne a déjà utilisés depuis l'installation du Musée 
Khmer. On trouvera surtout une mine féconde dans ces intermi- 
nables bas-reliefs couverts de scènes variées où fourmillent les 
détails les plus inattendus elles plus curieux. 



EMBARQUEMENT DES SCULPTURES RAPPORTEES EN FRANCE . 



CHAPITRE IX 



Importance de l'architecture khmer. — Classement des édifices d'après leur 
destination. — Monuments civils : — les enceintes fortes ou pontèays ; — 
les chaussées; — les ponts et leurs balustrades; — lea terrasses ou belvé- 
dères ; — les tours tumulaires. — Monuments sacrés : — du temple plan 
et de ses diverses transformations ; — préasats, galeries, parcs, sras ; — du 
temple pyramidal à étages ; — collines transformées en massifs architectu- 
raux ; — temples mixtes ; — l'architecture de bois ; maisons d'habitation 
e pagodes. 



L'indo-Chine est si peu connue, la découverte des monuments 
disséminés sur son sol est chose encore si récente, que l'on peut 
difficilement se faire en Europe une idée exacte de ces restes 
d'une antique civilisation. Cependant, dès l'année 1867, au len- 
demain de la publication du récit de Mouhot *, le savant archéo- 
logue anglais Fergusson consacrait aux vieux édifices khmers 
un remarquable chapitre de son History of architecture in ail 
countries. 

1 Voyei ci-dessus, p. 9. 



262 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Cette étude commence en ces termes : « Depuis la révélation 
des cités enfouies de l'Assyrie, la découverte des villes ruinées du 
Cambodge est le fait le plus important qui se soit accompli pour 
rhistoire de Part en Orient. » Calculant ensuite la superficie 
occupée par le temple d'Angkor-Vaht, Fauteur la trouvait plus 
considérable que celle du temple de Karnac, le sanctuaire capital 
de l'ancienne Egypte. Or, les monuments de Préa-Khan (près 
d'Angkor), de Méléa, de Pontéay Chma, explorés depuis lors, 
couvrent un espace aussi vaste. Ceux de Bai on, de Préa-Khan 
(province de Compong-Soai), de Ta-Prohm, de Ka-kéo, d'Ekdey 
constituent aussi, on Ta vu, des groupes immenses. Les grands 
ensembles explorés déjà sont au nombre de cinquante, les petites 
constructions isolées se comptent par centaines, et les voyageurs 
qui s'aventurent actuellement dans les forêts du Cambodge 
méridional, du Bas-Laos et du Binh-Thuan, l'ancien royaume 
de Tsiampa, en rencontrent souvent de nouvelles sur leur 
passage. 

La valeur artistique de ces édifices est, je l'ai démontré de reste, 
plus remarquable encore que leur nombre et leur étendue. Voici 
ce que l'archéologue anglais précité écrivait il y a déjà dix 
années, d'après l'examen de quelques spécimens de premier or- 
dre, sans doute, mais peu nombreux et ne pouvant encore donner 
de l'art khmer qu'une idée inférieure à la réalité : 

« On ne peut comparer l'habileté des architectes cambodgiens 
qu'à celle des architectes égyptiens. Nous nous demandons ce 
qu'il faut le plus admirer, de la science mécanique montrée par 
les Khmers dans leurs constructions, ou du mérite artistique qui 
se révèle dans chaque partie de leurs conceptions. Ces qualités 
sont grandement suffisantes pour en recommander l'étude à tout^ 
architecte. Au point de vue de l'histoire de l'art, il est mer- 
veilleux de trouver dans de pareils pays une combinaison 
si singulière du style des temples indiens avec des piliers près- 



VOYAGE AU CAMBODGE. 263 

que classiques par le dessin et des bas-reliefs d'un caractère 
égyptien. » 

Si l'on considère, en effet, qu'outre leur grandeur, leur unité 
de plan, leur superbe ordonnance, les édifices du Cambodge 
sont, pour la plupart, entièrement couverts d'une ornemen- 
tation délicate, et qu'il s'y rencontre nombre de statues, de 
figures réelles ou fantastiques d'une exécution achevée, on n'hé- 
sitera pas à reconnaître que le peuple khmer était doué d'un 
génie artistique de premier ordre, et l'on ne s'étonnera pas de 
nous avoir vu classer ses plus belles productions architecturales 
bien au-dessus de celles des autres peuples de l'extrême Orient et 
tout à côté des chefs-d'œuvre de l'Occident. 

J'ai dit que beaucoup de ces édifices étaient bâtis en un large 
appareil de pierres de grès d'un grain très fin, éminemment 
propres à la sculpture *. Ils reposaient sur des fondations en pierre 
dite de Bien-hoa (concrétion grossière d'argile et de fer), assises 
elles-mêmes sur le roc ou sur un lit de sable ; d'autres étaient en 



1 Les blocs employés étaient souvent énormes ; nous en avons rencontré 
au sommet de la pyramide de Ka-Kéo qui mesuraient 4 mètres de longueur 
sur i m ,50 de largeur et 1 mètre d'épaisseur. 

Dans les monuments d'Angkor on en voit de plus considérables élevés h 
une grande hauteur. 

Par quel procédé les architectes khmers transportaient- ils ces lourdes* 
masses ? Les bas-reliefs que nous avons examinés ne nous donnent pas sur 
ce sujet d'indications aussi précises que ceux d'Egypte ou d'Assyrie. On n'y 
voit, en fait d'appareils mécaniques, que des leviers assez simples manœu- 
vres par un petit nombre d'hommes. 

Un examen très attentif des représentations murales de Baion si riches en 
détails, mais en môme temps si détériorées et si difficiles à comprendre au 
premier abord, fournirait peut-être des données intéressantes. 

J'ai vu employé à Bangkok pour l'édification d'une pyramide en briques le 
système d'un amoncellement de terre formant plan incliné disposé en chemin 
circulaire et s'élevant en môme temps que le monument. Peut-ôtre est-ce là 
toute la solution du problème. 



264 L'ARCHITECTURE KHMER. 

briques de grand module moulées- dans de l'argile pur, d'une 
extrême solidité 1 ; dans plusieurs enfin, on employait les deux 
sortes de pierre mélangées avec la brique et le ciment *. On obte- 
nait ainsi de riches effets polychromes, le grès étant d'un gris 
pâle ou fauve, la brique d'un rouge franc, et le bien-hoa d'une 
couleur de rouille sombre. Les bois incorruptibles, le plomb, le 
fer, l'argent, l'or pur ou en alliages de couleurs diverses et peut- 
être d'autres métaux entraient aussi dans la construction et dans 
la décoration. . 

Les bois précieux sculptés servaient pour les plafonds, portes, 
revêtements intérieurs ; des poutres aussi dures que le fer étaient 
dissimulées dans la maçonnerie pour en soutenir le poids au- 
dessus des grandes baies 3 . 

Le plomb était employé pour les couvertures des toits 4 et 
pour les revêtements extérieurs — Tat-Luong, pyramide à 
clochetons de Vien-Chan au bas Laos, est recouverte d'épaisses 
lames de plomb dont la dorure n'avait pas employé moins de 
mille livres d'or 5 . — Des attaches de plomb servaient à rete- 
nir les fragments des sculptures brisées sur les frontons, pi- 
lastres, etc. 

On réunissait les pierres de certaines constructions par des 
crampons de fer scellés avec du plomb, crampons dont la place 
est parfaitement visible dans le groupe des géants du Musée 
Khmer. Des chevilles de fer retenaient aussi parfois les balustres 
des fenêtres (Préasat Préa-Tcôl). 

Le cuivre servait à divers usages. 11 y avait même des tours ou 

1 Les briques des monuments modernes ou datant des derniers siècles 
sont plus petites, moins denses, mélangées de paille de riz et de peu de durée. 

* Citons encore une pierre blanche, tendre, employée dans la construction 
du temple de Basset (Bastian). 

8 Voy. p. 7i. 

* Voy. Abel Rémusat. 

* Voy. Gérard van Wusthof (16il). 



VOYAGE AU CAMBODGE. 265 

tourelles entièrement en cuivre *, comme il en existe encore en 
Chine, la pagode du roi Om, entre autres, dans la ville de 
Yun-nan. 



II 



Au point de vue particulier de leur destination, les monuments 
kbmers peuvent se classer en deux catégories : monuments civils 
et monuments religieux ; toutefois, ces catégories ne sont pas 
toujours nettement tranchées, puisque, d'une part, le temple et la 
citadelle étaient souvent réunis en une seule et même construc- 
tion, et que, d'autre part, les grands ensembles (pontéays et rési- 
dences royales) se construisaient d'après des plans généraux où 
tout était subordonné au temple central. 

Les édifices civils comprenaient des salles rectangulaires ou cru- 
ciformes servant, selon la tradition, de magasins royaux ou publics. 
Ces salles, larges de deux à quatre mètres, étaient recouvertes de 
voûtes faites de pierres superposées en encorbellement et taillées 
en forme d'ogive surbaissée, ou plutôt suivant la courbe que re- 
présenterait la coupe renversée d'une coque de navire. 

Les fortifications consistaient principalement en ' murailles, 
reposant sur des soubassements élargis et couronnées d'entable- 
ments à moulures avec crêtes sculptées en ogives, en fer de 
lance, etc. Le mur d'enceinte de Préa-Khan (d'Angkor) était de 
plus flanqué de garoudas géants, surmontés d'encadrements en 
forme de petites tourelles *. Celui d'Angkor-Thôm était garni 
d'un épais rempart interne pour la circulation des défenseurs. 

Ces enceintes fortes étaient tantôt simples comme Ta-Prohm, 

1 Voy. Abel Rémusat. 
1 Voy. page 269. 



266 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Ekdey, etc., tantôt précédées de fossés larges et peu profonds, 
sur lesquels étaient jetés des ponts conduisant aux entrées, véri- 
tables portes triomphales de genres variés, à une ou trois ouver- 
tures comme Pontéay-Chma, Préa-Khan, etc. 

Parmi les premières rappelons les portes de Pimanacas surmon- 
tées d'une tour à étages ornés de stèles ; celles de Pontéay-Chma, 
d'Ekdey, de Ta-Prohm, flanquées de garoudas puissants et cou- 
ronnées d'un Brahma portant en collier une guirlande de saintes ; 
celles d'Angkor-Thôm, avec leur Brahma coiffé d'une tiare à 
trois pointes. — Bien que finement fouillées et décorées de riches 
moulures, ces dernières devaient un caractère de force très mar- 
qué à la masse puissante de leur base et aux formes amples et 
robustes des éléphants qui en composaient le soutènement. De 
plus, par un contraste heureux, on avait laissé, entre l'abondante 
ornementation des parties inférieures et du sommet, une vaste 
surface de paroi nue, sans portes, sans fenêtres, ni pilastres, 
comme il convient à une muraille de forteresse. 

Puis, parmi les portes triples (l'entrée du milieu, servant pour 
le passage et les autres pour la décoration), celles de Préa-Khan 
(Angkor) surmontées de tours d'inégale hauteur; celle de Préa- 
Khan (Compong-Soai) précédée de portiques à colonnes avec préa- 
sats à cinq étages ; celles de Baphoum flanquées latéralement de ga- 
leries avec fenêtres à balustres, enfin la grande construction occi- 
dentale d'Angkor-Vaht, comprenant une galerie à double colon- 
nade avec trois portes médianes et deux grandes entrées aux 
extrémités. 

11 y avait aussi, on l'a vu, des routes ou chaussées rectilignes, 
de vingt à trente mètres de largeur, élevées au-dessus du niveau 
des plus grandes inondations, et accompagnées de vastes réser- 
voirs où l'on conservait, durant la saison sèche, la provision d'eau 
nécessaire aux bœufs, aux buffles et aux éléphants des caravanes. 

Ces chaussées partant de la capitale rayonnaient dans toutes les 



r \ 



VOYAGE AU CAMBODGE. 271 

directions et conduisaient aux montagnes en traversant les vastes 
plaines du bas pays. 

Les ponts en pierres massives reposaient sur le roc ou sur un seuil 
dallé. Ils étaient si solidement construits qu'ils ont presque tous 
résisté aux crues périodiques et au choc des gros troncs entraînés 
par le courant. Leurs arches très élevées n'avaient que deux 
mètres d'ouverture, et leurs piles étaient d'une épaisseur pres- 



Un pont khmsr (Spean Ta-On) >. 

que égale. Pour que le cours d'eau conservât un passage normal, 
on avait élargi le lit et maintenu les berges par des revêtements 
en pierres étagées. Le plus considérable de ces ponts, celui de 
Spean-Teuk, a cent quarante-cinq mètres de longueur et trente- 
quatre arches. 

Leur principale décoration, que j'ai décrite à plusieurs reprises, 
consistait en balustrades monumentales affectant la forme de ser- 
pents à têtes multiples. Les balustrades de Lamseog étaient sup- 
portées par des groupes de petits personnages à têtes de naga; 
celles de Spean Ta-On se terminent par un magnifique motif 
ayant la figure d'une coquille redressée, où l'on voit, au milieu 
d'un entourage de neuf gueules rayonnantes, un dieu sur son 
trône porté par deux reptiles polycéphales rampants, et, au- 

• Voy. pp. 108 et 121. 



272 L'ARCHITECTURE KHMER. 

dessous, un groupe de petites cariatides sculptées sur le dé de 
pierre qui supporte cette composition de trois mètres de hau- 
teur 1 . 

Des ponts massifs percés d'arches étroites et basses ne servant 
qu'à assurer le nivellement de l'eau dormante, traversaient les 
fossés des citadelles. Leur largeur dépassait parfois quarante mè- 
tres et leur ornementation était extrêmement riche. Tels sont 
ceux d'Angkor-Thom, de Pontéay-Chma, avec leurs bordures 
de centaines de géants, ceux de Préa-Khan (Àngkor), ornés 
en plus de frises latérales couvertes de compositions en relief; 
ceux de Préa-Khan (Compong-Soai) flanqués de leurs grands oi- 
seaux alternant avec des fleurs de nelumbium et bordés de para- 
pets qui méritent une description détaillée. 

Soutenus par des balustres figurant chacun un groupe de 
huit lionceaux ou griffons en cariatides, ces corps de nagas sans 
fin, ornés de lignes de rinceaux et de perles, se relèvent à chaque 
extrémité pour former le cou du reptile qui se recourbe et 
se divise en un éventail géant. On peut dire que chacune de 
ces pièces est une merveille 9 . Le milieu de la face antérieure 
est occupé par un griffon qui a les coudes serrés au corps et 
présente en avant la paume de ses mains garnies d'ongles 
menaçants. Tout autour, et suivant la courbe de ses ailes dé- 
ployées, se rangent huit gueules de dragon, dont les dimensions 
s'accroissent en s'élevant. L'oiseau fantastique, dont la crête 
forme le sommet de l'éventail, est à cheval sur un naga à trois 
têtes, au-dessous duquel rampent des monstres diaboliques. Les 
crêtes du dragon principal forment autour de ce grand mo- 
tif une dentelure terminée latéralement par deux rinceaux 
repliés en volute. La face postérieure de l'éventail, décorée de la 
même manière, se complique encore d'un dragon dont le cou 

1 Voy.p. 121. 
1 Voy. p. 21. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 273 

sort d'entre les pattes du griffon , se redresse en se détachant 
entièrement de la pierre, et se termine par une triple gueule 
surmontée d'une sorte de corne ou crête aiguë. Des arabesques 
et des rinceaux enchevêtrés avec des figures de diables et de 
petits serpents complètent l'ornementation de ce gigantesque 
appendice, taillé dans un seul bloc, et aussi fini de détail qu'il est 
gracieux de composition. 

Citons enfin les ponts de Méléa, garnis de colonnes rondes, et 
celui d'Angkor-Vaht dont les colonnades élevées sont coupées par 
deux projections latérales avec escaliers avancés descendant à l'eau 
des bassins. 

Arrivons maintenant aux terrasses ou belvédères ; elles étaient 
de formes géométriques, et hautes seulement de quelques mè- 
tres. Des escaliers, gardés par des animaux fantastiques ou des 
Phis porte-massues, donnaient accès à leur plate-forme dallée 
qui servait de promenoir et d'où la vue s'étendait au loin. De 
larges et profondes moulures ornées de fleurs et de rinceaux mas- 
quaient leurs murs de soutènement. Leur forme, le nombre des 
saillies, des retraits, des escaliers, variaient à l'infini. C'étaient, 
entre autres, les terrasses de Préa-Tomrey, en croix simple avec 
balustrades de nagas; de Préasat-Pram, en croix double; de 
Krush, à triple croix avec vaste plate-forme à trois gradins; 
puis celles de Ta-Prohm gardées par des griffons dressés, les 
ailes déployées. Le belvédère du petit temple à colonnes de 
Préa-Khan avec lions et dragons superposés en trois étages ; ceux 
de Préa-Khan (d'Àngkor) gardés par des porteurs de massues ; 
la terrasse principale d'Ekdey, grand rectangle à plate-forme 
coupé par une croix surélevée avec sept escaliers saillants, lions 
et dragons enchevêtrés de garondas ; le massif isolé de Pon- 
té ay-Chm a, avec huit saillies, bizarrement dentelées, lions gar- 
diens et balustrades répétées le long d'une large allée traver- 



274 L'ARCHITECTURE KHMER 

sière (Voy. le plan p. 381). C'étaient encore le vaste belvédère 
terminal de Méléa dont le premier degré est bordé de marches 
de pierre, et dont le second projette huit escaliers gardés par 
seize grands lions tout droits (Voy. page suivante) ; enfin l'embar- 
cadère du Sra-Srong, vaste plate-forme rectangulaire suivie 
d'un belvédère étoile en croix, des bras duquel trois escaliers 
conduisaient au lac (Voy. le plan p. 380). Vu de la surface de 
l'eau, cet ensemble présentait le riche coup d'oeil de ses superbes 
moulures, de ses lions et de ses nagas superposés. 

Des terrasses d'un autre genre avaient leurs murailles de soutène- 
ment dissimulées par une suite de colonnettes rondes ou cannelées 
qui soutenaient une plate-bande supérieure, comme à Préa-Pithu 
et dans de petits belvédères intérieurs du palais de Pimanacas 1 . A 
Angkor-Vaht, c'étaient de véritables colonnes espacées et laissant 
voir dans les interstices de profondes moulures qui couvraient la 
muraille (Voy. le plan p. 381). A Méléa, au contraire, des colon- 
nades trapues, à jour, supportent des poutres en pierre sur les- 
quelles reposent les larges dalles qui constituent la plate-forme. 
Enfin la grande esplanade du palais des rois était, nous l'avons 
vu, décorée de compositions en bas-relief ou soutenue par des 
cariatides de lions dressés, d'éléphants, de griffons, et d'autres 
animaux fantastiques. 

D'après les anciennes relations chinoises, il y avait aussi, parmi 
les monuments que j'ai appelés de l'ordre civil, des tourelles ou 
de petites pyramides servant de tombeaux 9 ; citons encore une 
grande fosse vue par le commandant de Lagrée près de Méléa ; 
cette excavation mesure quarante mètres sur vingt, et les indigènes 
la désignent sous le nom de « cage du rhinocéros », mais sa 
destination n'est pas autrement connue. 

1 Une des terrasses de Préasat-Pram était aussi garnie de petites colonnes. 

1 Dans plusieurs villages, les habitants ont conservé la coutume de déposer 

les cendres de leurs morts dans les cellas ruinées de quelque ancienne préasat. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 279 

Ajoutons enfin à cette nomenclature des restes de constructions 
en briques de peu d'importance, qui semblent bien avoir été des 
corps de garde, et des levées en terre, dont les unes appartenaient 
à un système général d'enceintes ou de fortifications, et dont les 
autres servaient d'emplacement pour les marchés, en dehors et 
près des citadelles. 



111 



Les édifices sacrés peuvent se diviser en trois classes princi- 
pales d'après leurs dispositions : 1° les monuments plans, com- 
posés d'un sanctuaire qu'entouraient une ou plusieurs galeries 
rectangulaires figurant autant d'enceintes concentriques ; 2° les 
monuments pyramidaux à étages ; 3° les monuments formés d'en- 
ceintes concentriques étagées, troisième type résultant de la com- 
binaison des deux autres. — 11 existe enfin des monuments compo- 
sites où les tours, les galeries et la pyramide se trouvent réunies 
dans des combinaisons diverses. 

La forme la plus rudimentaire du temple plan est un cube sur- 
monté d'une pyramide. A l'intérieur se trouve une chambre ou 
cella carrée; elle offre une porte sur chaque face, et contient une 
représentation hiératique : lingam ou statue. 

Pour amener cette disposition primitive aux arrangements per- 
fectionnés que j'ai indiqués au cours de mes descriptions, les ar- 
chitectes lui firent subirsuccessivement les modifications suivantes. 
Ils supprimèrent les angles du cube et les remplacèrent par une 
série de pilastres établissant le raccord d'une porte à l'autre ; ils 
encadrèrent les portes et appliquèrent des colonnettes sur les 
chambranles ; ils ajoutèrent aussi des péristyles avec des voûtes 



280 L'ARCHITECTUHE KHHER. 

masquées par des frontons *, et, développant de plus en plus les 



Plan du temple, plan simple. 

moulures de base et d'entablement, ils arrivèrent à couvrir le mas- 
sif entier de sculptures. 



Sanctuaire- piimiiif. 



En même temps, ils transformèrent les arêtes rectilignes de la 
pyramide supérieure en des courbes élégantes, et le sommet prit 



Plan d'un sanctuaire perfectionné. 

l'aspect d'une tiare divisée en étages formant retrait les uns sur les 
autres, et d'une hauteur de lus pen plus diminuée. Chaque étage 

1 Les architectes composèrent alors la porte khmer classique, fondement 



VOYAGE AU CAMBODGE. 281 

reproduisait les dispositions générales de la base, avec cette diffé- 
rence qu'au lieu d'ouvertures, on ne figura au-dessus des entrées 
que de fausses portes. L'édifice était terminé par des couronnes 
décroissantes sculptées de diverses manières et surmontées 
d'une sphère, d'un bouton ou d'une fleur de lotus, d'une flèche, 
et peut-être d'un lingam ou d'une statue l . 

Cette nouvelle forme, grecque par les proportions de la base, 
hindoue par l'arrangement du sommet, fut adoptée comme type 
général pour la construction des sanctuaires. Ces derniers édifices 
offrent avec les Vimanas de l'Inde une certaine ressemblance d'as- 
pect, qu'ils doivent surtout à leurs sommets étages ; mais ce n'en 
sont pas moins des œuvres architectoniques d'un style original. 
Ce sont eux que nous avons désignés, au cours de notre récit, 
par le terme générique de préasat, que les indigènes appliquent 
quelquefois, par extension, à toute construction sacrée de quelque 
ordre qu'elle soit.' 

On connaît déjà plus de quatre-vingts de ces sanctuaires isolés 
dans les forêts du Cambodge, de Siam et du Laos. La forme de 
leur base varie du carré au polygone dentelé de soixante-quatre 
côtés ; leur hauteur mesure de quatre à vingt-cinq mètres ; leurs 
sculptures sont très-diversifiées. Plusieurs de ces préasat s forment 
une catégorie à part, et ont un caractère étrange, exclusivement 
propre à l'architecture khmer : elles doivent leur originalité à 
, la présence de quatre grandes figures. humaines qui sont sculptées 
au-dessus des frontons des quatre portes, et forment la partie 
moyenne de la construction et le corps même de la tour. Ces 

de cette belle architecture du Cambodge. — Cette construction caractéris- 
tique consiste essentiellement en une baie rectangulaire encadrée de mou- 
lures. — Elle est ornée de colonnettes octogonales engagées supportant un 
entablement profondément fouillé, et de pilastres extérieurs surmontés d'un 
fronton ogival sculpté avec encadrement ondulé, acrotères et dentelures flabel- 
liformes. (Voy. le dessin représenté sur la couverture de ce livre ) 
1 Voyez divers spécimens de ces tours pp. 84, 401, 129, 173, 209, 2io, etc. 

43 



m L'ARCHITECTURE KHMER. 

faces, ornées, on Ta vu, de diadèmes, de pendants d'oreilles et de 
colliers, se raccordent par de petits pilastres angulaires '. La tour 
figure ainsi exactement une énorme tète à quadruple visage, 
coiffée d'une immense tiare, où la tradition locale reconnaît la 
représentation du Ta-Prohm cambodgien, c'est-à-dire de l'an- 
cêtre Brahma*. 

La préasat, sous ses formes diverses, est le premier des élé- 
ments qui entrent dans la composition des édifices plans ; le se- 
cond est la galerie. La plus simple est faite de deux murailles, soit 
pleines, soit percées de fenêtres à balustres, supportant une voûte. 
Les galeries perfectionnées, à travers lesquelles j'ai, à mainte re- 
prise, promené le lecteur, consistent, les unes en une muraille 
et un rang de piliers, les autres en une muraille et une double 
ou triple colonnade, d'autres encore en quatre rangées de piliers 
soutenant une voûte maltresse, et deux demi-voûtes latérales plus 
basses, disposées comme les trois nefs de nos églises. 

La voûte simplement dégrossie était masquée par un plafond 
en bois, à caissons avec peintures et dorures, et reposant sur une 
corniche; quelquefois, comme dans la galerie d'entrée d'Angkor- 
Yaht, la pierre même de la voûte était sculptée et ornée de lotus 
en rosaces. 

Les piliers sont carrés 3 , avec une base et un chapiteau 

1 Dans la plupart de ces tours, les grandes figures occupent en hauteur les 
deux premiers étages de la construction conique. Au-dessus sont deux autres 
étages surmontés de couronnes de lotus et de la sphère ou bouton terminal. 
Les frontons qui se succèdent au-dessus des têtes sont légèrement convexes 
et participent ainsi à la courbure générale, de telle sorte que l'ensemble 
forme une tiare qui coiffé parfaitement la tête quadruple sur laquelle elle est 
posée. — Voyez les dessins, pp. JOi, 473, 327. Dans les préasats qui sur- 
montent les entrées de Ta-Prohm et d'Ekdey, les masques quadruples sont 
juxtaposés, oreille contre oreille. À Angkor Thôm (Voy. p. 157), ils sont sépa- 
rés par de grandes figures de femmes tenant dans leurs mains des guirlandes 
tombantes. 

* Les colonnes rondes avec bases et chapiteaux de même genre sont réser- 
vées à la décoration latérale des ponts et des terrasses ; toutefois Bastian dit 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



283 



identiques, dont le dessin primitif rappelle Tordre dorique; 
les murs sont ornés de larges moulures; les voûtes, sculptées 




Coupe d'une galerie à trois nefs. 



à l'extérieur en forme de tuiles courbes précédées d'antéfixes ; 
les lignes de faîte, surmontées de crêtes diversement dentelées. 

Signalons maintenant une sorte d'artifice architectonique em- 
ployé, on peut le dire, dans tous les monuments du Cambodge, et 
qui y produit invariablement des effets d'une richesse singulière. 
Lorsque les constructeurs khmers voulaient pratiquer une entrée 
monumentale en un point de leurs galeries, ils en augmentaient 
graduellement les dimensions au moyen de saillies rectangulaires, 
tout en conservant les proportions des formes et l'identité des des- 
sins. Les vides existant entre les différentes parties d'inégale 
grandeur étaient alors dissimulés par des pilastres couronnés de 
frontons. On obtenait ainsi, de chaque côté du point médian, des 
tronçons de galeries qui grandissaient et s'étageaient en se rap- 
prochant de ce point. 

Là ne se bornait pas la combinaison. Perpendiculairement à 
la galerie en étages ainsi créée, on en établissait une toute sem- 
blable, faisant la croix avec la première, et dont les extrémités en 
avant et en arrière figuraient les portes d'entrée et de sortie, 
ayant chacune un péristyle correspondant à la hauteur de la gale- 
rie primitive. 

avoir vu, à Lovék, des portiques à colonnes rondes. Celles qui se trouvent 
dans la galerie supérieure d'Angkor-Vaht paraissent avoir été mises après 
coup pour remplacer des piliers carrés qui s'étaient effondrés. 



L'ARCHITECTURE KHMER. 



■ Supposons qu'il s'agisse d'une galerie complète, c'est-à-dire à 
triple nef. Si nous nous plaçons en face de la porte, nous aper- 
cevons d'abord un premier péristyle surmonté de son fronton 




AA. Galerie dans laquelle il s'agit de pra- 1 EE. Galerie faisant la croii avec la pn 

tiquer une entrée. dente. 

tb. Premier élargissement. 1 b'b' — c"d. Elargissements successifs. 

et. Deuxième élargitaement. 



que complètent, à droite et à gauche, les deux demi-frontons 
des bas-côtés. A quelques mètres plus loin se dessinera un enca- 
drement tout pareil, formé par les pilastres et les frontons corré- 
latifs au premier élargissement, et, par delà encore, apparaîtra le 



Porte pratiquée dan» une galerie par élargissements successifs (élévation). 

deuxième encadrement, tandis qu'adroite et à gauche s'étageronl 
les trois tronçons inégaux de la galerie principale, arec leurs 
frontons profilés et leurs crêtes à dentelures. 

Si l'on imagine l'intersection de la croix surmontée d'une tou- 
relle ou même d'une haute tour, si l'on ajoute des moulures très- 
accusées, des voûtes profondément fouillées et couronnées de 
crêtes, des frontons entourés de découpures bien distinctes, on se 



VOYAGE AU CAMBODGE. 285 

représentera facilement l'ensemble architectural produit par une 
telle disposition, plusieurs fois répétée sur de grandes lignes de 
colonnes basses, dont le développement excède parfois deux cent 
cinquante mètres, et qui se trouvent ainsi coupées de la façon la 
plus riche et la plus satisfaisante à l'œil. (Voy. p. 327.) 

Galerie et préasat, tels sont les deux motifs principaux que les 
artistes khmers vont multiplier et diversifier à l'infini pour en tirer 
des effets toujours harmonieux. Ce sera d'abord la préasat seule ou 
parfois environnée d'une simple muraille d'enceinte rectangulaire, 
et précédée d'une ou de deux pièces d'eau (Voy. page suivante) ; 
bientôt cette muraille sera remplacée par une galerie avec des 
tours aux quatre angles ou au-dessus des portes d'entrée '; puis 
s'ajouteront successivement une seconde et une troisième en- 
ceinte, semblables à la première ; et enfin, comme complément, 

1 Les architectes se sont tellement attachés à varier leurs œuvres petites 
ou grandes, qu'un classement rigoureux n'en peut être qu'incomplet et qu'il 
faudrait, pour les caractériser toutes, les décrire chacune en particulier. — 
Sans entrer dans d'aussi minutieux détails, nous nous bornerons à énumérer 
rapidement certains édifices dont les uns rentrent dans le système général 
exposé ici, tandis que les autres s'en écartent plus ou moins. 

Athvéa, Préasat-Kouk, Tiang-Préak ont deux préasats placées Tune devant 
l'autre : sanctuaire, et tour élevée au-dessus de la porte orientale. 

Préasat-Pram en a quatre : sanctuaire, et gopouras est, ouest et sud, l'en- 
trée nord n'étant qu'une porte monumentale. 

Prey en a cinq : sanctuaire, et gopouras aux quatre points cardinaux. 

Banone en a neuf : sanctuaire, gopouras et tours d'angle. . . etc 

Popel présente trois tours en ligne, la plus haute au milieu, toutes trois 
ayant leur façade tournée vers l'orient ; Phnom-Crôm offre en plus des édi - 
cules et une enceinte. 

Phnom- Boc présente trois tours unies par de courtes galeries avec édicules 
et entourage de cellules. 

Séliam, édifice d'un autre genre, a cinq tours disposées en carré et suréle- 
vées sur une plate-forme avec fossé extérieur. 

Sréo, voisin de Séliam, présente le même nombre de préasats renfermées 
dans une galerie à colonnes. 

Basset a son sanctuaire entouré de huit tourelles ou édicules diversement dis- 
posés ; Ka-Kéo (en ne considérant que l'ensemble spécial limité par le fossé) 
comprend 20 tourelles groupées autour d'une ceila rectangulaire, etc., etc... 



266 L'ARCHITECTURE KHMER. 

deux galeries transversales viendront se croiser perpendicu- 
lairement au point occupé par la préasat centrale, en formant 
comme les axes de tout l'édiûce. Ces axes seront orientés vers 
les quatre points cardinaux, la façade principale tournée au 
levant'. 

Le sanctuaire central, les trois enceintes et les deux galeries 
transversales avec leurs tours, telle est la partie commune à tous 
les temples. La partie variable se compose de préasats isolées ou 
précédées de péristyles, de galeries accessoires réunissant les 
galeries principales deux à deux en donnant naissance à des 
cours entourées de cloîtres, d'édicules disposés avec symétrie des 
deux côtés du grand axe et surtout dans la moitié orientale du 



Prétstt Pré»-TrOl. 

temple ; puis de constructions plus grossières, en forme de 
couloirs allongés, simples ou à piliers, renfermant des cours 
rectangulaires; enfin de sras ornementés, et de stèles avec 
figures ou inscriptions placées dans les cours, au milieu des bas- 
sins, sur les chaussées, etc. a . L'ensemble est surélevé, on l'a vu, 
par des soubassements considérables ornés de grandes moulures 
horizontales. L'enceinte extérieure présente une colonnade régnant 
tout autour du monument ; chaque côté est percé de trois ou cinq 
portes monumentales partout accompagnées de cette disposition 
de galeries croissantes dont je viens de parler, et ces entrées sont 
précédées d'escaliers gardés par des animaux fantastiques. Enfin, 

1 On pourra suivre cette description sur te plan ci-joint (Voy. p. 289), 
* Voy. te plan de Ta-Prohm, p. 2B6. 



II! 



r*\ 



> \ 



. » i 



VOVAliE AU CAMBODGE. Î89 

les quatre portes principales sont annoncées par des (errasses 



Plan du temple de Mêlé*. 



a. Tour centrale. 

6466. I H galerie. 

CMC. î« galerie. 

dddd. 3« galerie. 

"**. Tours supposées. 

xx. Galeries mirant les ai 

u. Galeries accessoires. 



ee. ftdicules placés dans les cours in- 
térieures. 

ch. Petites chaussées intérieures sup- 
portées par des col on nettes. 

TT. Terrasses supportées par des co- 
lonne! tes. 

CA. Grandes chaussées traversant le parc. 



diversement disposées, autour desquelles s'allongent des reptiles 



290 L'ARCHITECTURE KHMER. % 

chimériques, et dont toutes les entrées sont gardées par des 
lions ou des statues *. 

Ce vaste ensemble, qui est le temple proprement dit, occupe, 
on s'en souvient, le milieu d'un parc qui renfermait jadis les ré- 
sidences ou palais des princes et des fonctionnaires, ainsi que les 
monastères 9 , et où Ton ne retrouve plus aujourd'hui que des sras 
et des édicules agencés avec symétrie, et, plus rarement, 
des constructions secondaires, telles que cellules pour les moines, 
tourelles ou pyramides, et stèles monumentales de formes variées. 

Ce parc est enclos lui-même dans une enceinte rectangulaire 
(Pontéay, citadelle), et traversé d'allées ou de chaussées qui pro- 
longent les axes de l'édifice central et aboutissent à quatre portes 
triomphales surmontées détours. Un large fossé règne en dehors de 

1 Le temple, complet ou réduit, était souvent aussi une citadelle. Lors- 
qu'il était construit en plaine, il était d'ordinaire environné d'un fossé (comme 
à Préasat Kouk, à Prey, à Ekdey, etc.). Au dehors du fossé se trouvait fré- 
quemment une muraille forte, appelée le Gompeng Kéo, mur aux Joyaux 
(comme à Basset, à Ekdey, àTa-Prohm, etc.). Cette muraille était elle-même 
précédée d'une douve limitant cette forteresse nouvelle qui occupait le centre 
de la grande Pontéay. — Voyez un exemple de cette disposition dans le plan 
de Ta-Prohm, page 295. 

A Ta-Prohm, le Gompeng-Kéo était intérieurement garni sur tout son pour- 
tour de cellules isolées les unes des autres. (Voy. môme plan.) — Cet entou- 
rage de petits réduits en maçonnerie diversement disposés semble avoir existé 
dans d'autres temples (Ka-Kéo, Phnom-Boc, etc.). 

9 La partie de cet immense espace, qui n'était pas occupée par le temple, le 
palais et leurs dépendances, était vraisemblablement divisée, par des rues 
parallèles aux axes, en quartiers habités. 11 est aujourd'hui difficile de s'en 
assurer, puisque les maisons tout en bois ont disparu sans laisser de traces ; 
mais c'est ainsi qu'étaient agencées les anciennes capitales de la Birmanie. 
Or, la disposition de ces places fortes présentait de grandes analogies avec 
celle des pontéays khmers. Les villes birmanes étaient en effet de forme rec- 
tangulaire avec palais central et temples aux angles (Voy. Symes, — 1795) — ; à 
chacun des coins d'Angkor-Thôm se voit aussi une préasat sacrée enfermée 
dans une petite enceinte. — Enfin, pour compléter la ressemblance, les 
anciens Birmans, comme les anciens Khmers, accompagnaient de sacrifices 
humains la fondation de leurs villes. (Voy. Bastian : — « Pour rendre Ta-Thun 
imprenable, on immola de nombreuses victimes ».) 



VOYAGE AU CAMBODGE- 291 

la pontéay. On accède à chacune des portes par un de ces ponts 
dont j'ai ci-dessus décrit les principaux types. En dehors du fossé 
s'étend un large boulevard garni autrefois d'habitations et de 
boutiques de marchands ; à l'entrée du pont oriental se trouve une 
nouvelle terrasse, de laquelle part une allée terminée par une 
autre esplanade et aboutissant à une immense pièce d'eau rectan- 



Vichnou s quatre bru. — Stèle de Préa-Kliui. 

(Muiée KJimer.) 

gulaire, véritable lac artificiel, d'une dimension à peu près égale à 
celle de la pontéay, dont il fait comme le pendant On accédait 
par un bel embarcadère à ce sra, au milieu duquel s'élevait 
parfois un ilôt portant un sanctuaire. (Voy. la fig. p. suivante.) 
Autour de ce lac venaient encore se grouper des constructions 
sacrées de moindre importance. A Méléa c'étaient la pyramide de 
Krush et le temple de Préasat-Kong-Pblouc précédé, comme le 



292 L'ARCHITECTURE KHMER. 

grand ensemble, d'une allée bordée de stèles aboutissant à une 
terrasse et au lac aujourd'hui desséché ; à Préa-Khan, il y avait 
la pyramide de Préa-Tomrey, la tour Préa-Tcôl, le temple à co- 
lonnades dont il a été question. (Voy. p. 105.) Le lac de Ka-Kéo 
était environné d'édifices plus nombreux encore '. 

Il semble enfin qu'une immense enceinte rectangulaire en 
terre levée, garnie de corps de garde, renfermait les agglomé- 
rations urbaines et les temples secondaires groupés autour de la 
citadelle et du lac, et embrassait même d'une circonvallation gi- 
gantesque et unique toutes les vastes pontéays, rassemblées les 
unes près des autres dans la plaine d'Angkor autour de la capitale 
du royaume. Ces dispositions caractéristiques se retrouvaient plus 
ou moins complètement dans l'entourage de tous les grands édifices 
sacrés, et c'est ainsi que ceux-ci arrivaient à couvrir des surfaces 
de plusieurs kilomètres carrés. 

A cette première catégorie, celle des temples plans, appartien- 
nent, comme on l'a vu par nos descriptions antérieures, d'abord 
les constructions isolées de Préa-Tcôl, de Préasat-Pram, elc... ; 
puis Ekdey ; enfin, les édifices de premier ordre de Préa-Khan 
(Compong-Soai), de Ta-Prohin,deMéléa, de Préa-Khan (d'Angkor). 

Les grands ensembles que nous venons de décrire sont ordi- 
nairement construits en plaine. La configuration du sol, présen- 
tant un léger abaissement de niveau, devait déterminer le choix 
de l'emplacement du lac. Il suffisait de l'entourer d'une bordure 
ou chaussée de terre, et il se remplissait à l'arrivée de la saison plu- 
vieuse. Partout où Ton a creusé, la terre enlevée se retrouve utilisée 
ailleurs : celle des fossés, rejetée en partie sur la rive ou trans- 
portée autour du lac, servait à construire les levées ou boulevards 

1 De ce qui précède; il résulte que l'explorateur d'un monument khmer devra, 
lorsqu'il aura parcouru le temple et la Pontéay, se diriger suivant Taxe vers 
l'ouest, et, s'il retrouve le lac, en visiter soigneusement les bords et suivre les 
restes de chaussées ou d'allées qu'il rencontrerait sur son trajet. — Ces lacs 
n'ont été jusqu'ici explorés qu'imparfaitement. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 297 

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bien, dans les monuments pyramidaux dont nous parlerons toul à 



300 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Gomme types de petites pyramides J'ai décrit plus haut celles de 
Préa Tomrey et de Krush. Je citerai encore Ba-Kong dont la base 
était environnée de dix préasats, et les cinq terrasses ornées de 
quarante lions et de vingt éléphants décroissants étages aux 
angles 1 ; Pimanacas; Ta-Kéo; Préa Roup ; Baphoum enfin, qui a 
cent vingt mètres de côté à la base et ne le cède en grandeur 
qu'aux deux premières pyramides d'Egypte. 

Mi-Baume est plus considérable encore : cent-trente mètres de 
côté à la base. Ses terrasses ont pour plan de simples carrés, 




Pyramide de Krush à gradins simples et précédée de terrasses. 

largement développés et chargés de constructions multiples. 
(Voy. page 305 le plan de ce temple.) 

D'abord, et sans parler des escaliers gardés à chaque étage par 
des lions d'un caractère légèrement chinois, il y a, sur la pre- 
mière terrasse, à cinq mètres en deçà du bord, une petite enceinte 
avec porches rentrants enclavant une série d'édicules contigus; 
sur le pourtour de la seconde terrasse, des éléphants aux têtes 
couronnées, des monstres rampants faisant l'office de gargouilles; 
puis, en dedans, une enceinte avec de hauts porches renfer- 
mant huit tourelles placées deux à deux sur les côtés des axes 
et huit édicules dans les angles ; au-dessus, quatre grandes 
préasats, et, enfin, le sanctuaire. 

Ici, l'effet général parait dû bien moins au massif qu'à la gra- 
dation des flèches des tours. La terrasse supérieure ne s'élève pas 

1 Sur la plate-forme supérieure se trouvait un trône ou socle, jadis surmonté, 
d'après la légende, de la statue du Bœuf sacré. 




Sud- Nord 



;D'iprèï le miné de H. Ritle.) 
n toUle du plu de l'cil ■ I'oiimI le fo»é non compris) : i 1 1 mètni. 
dp «t «iliMrte d'un folié plein ifcui (repréwnlé pur lc< niei pirtllM»), qui esl Inttnonpu 



VOYAGE AU CAMBODGE. 303 

à plus de dix mètres, hauteur très-faible relativement à l'exten- 
sion considérable de la base. Le massif, presque entièrement mas- 
qué par les édifices qu'il supporte, a seulement pour but de ren- 
forcer l'ensemble en surélevant surtout le groupe des cinq pria- 
jars principales. Celles-ci se détachent vigoureusement au-dessus 
d'un entourage accidenté de flèches, de clochetons jaillissant des 



La pyramide de Ba-Pboum restituée. 

tourelles et des gopouras, de frontons et de crêtes appliqués sur 
les édicules, et toutes ces constructions semblent reposer sur un 
simple soubassement formé par le premier gradin de la pyra- 
mide, le seul visible du dehors. ( Voy. p. 309 l'élévation de Mi- 
Baume.) Remarquons en passant dans ce sanctuaire de Mi-Baume 
une infinité de petits trous cylindriques qui servaient, s'il faut en 
croire les indigènes, à fixer un revêtement en métal doré, où s'ache- 
vaient les ornements définitifs ébauchés seulement sur la brique. 



30i L'ARCHITECTURE KHMER. 

A côté de ces temples situés dans de vastes plaines et construits 
entièrement de main d'homme, il en existe d'autres, — toujours 
de la même catégorie, — dans lesquels le massif principal est 
l'œuvre de la nature : je veux parler des collines rocheuses trans- 
formées par les architectes du Cambodge en pyramides à étages. 

Tel est le temple de Ba-Keng. On y arrive par une chaussée 
bordée de stèles. Trente-deux édicules et une double muraille 
d'enceinte ont été disposés autour d'un bloc rocheux taillé en 
carré. Soixante petites préasats, d'un dessin gracieux et fort soi- 
gnées d'exécution, s'étagent sur les cinq degrés de cette pyramide, 
ornée de quarante lions. Du milieu de cette forêt de clochetons, 
s'élançaient jadis trois hautes tours qui constituaient peut-être à 
elles seules le temple primitif, car elles ne forment aujourd'hui 
qu'un amas de ruines, tandis que les tourelles en briques présen- 
tent encore un remarquable état de conservation 1 . 

Telle est aussi la colline de Banone, façonnée en un massif à 
larges terrasses, pour servir de piédestal au temple érigé à son 
sommet. — Yaht Phou (la Pagode de la Montagne), près de la 
ville actuellement laotienne de Bassac, est aussi en partie découpé 
dans le rocher; mais, au lieu de couronner un mamelon isolé, 
il s'accote au pied d'une haute montagne, et ne comporte, par 
conséquent, qu'une section de pyramide. L'escalier à pic qui con- 
duit au sanctuaire, tout à côté d'une petite source sacrée, est 
précédé, dans la plaine, d'une chaussée bordée de stèles et d'un 
lac artificiel. — C'est là aussi la disposition générale de la colline 
qui porte le temple de Phnom Chiso* et peut-être aussi de Pon- 
téay Néang. 

1 D'après le Satra de Préa Ket Méaléa (traduct. Aymonier), ce monument 
aurait été aussi élevé en l'honneur du bœuf sacré. 

* Toutefois, ces édifices, qui se rattachent à la pyramide par leurs gradins 
et leurs terrasses, tiennent au monument plan par leur disposition. 



{D'aprà le relert de M. Faraut.] 
Dimension totale du plan, de l'est à l'ouest : 114 mi 

- La teintp gris foncé correspond lu premier étage. 

— gris clair — nu second étage. 

— blanche — au troisième cl au quatrième Mage. 
Les cercles concentriques représentent des loun eu tourelles. 






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VOYAGE AU CAMBODGE. 307 



Le troisième type des édifices sacrés est, je l'ai dit, celui des 
monuments mixtes, à la fois plans et pyramidaux. Les plus im- 
portants de ces temples sont Angkor-Vaht et Baion, chefs- 
d'œuvre de l'art khmer dans lesquels les deux systèmes d'archi- 
tecture se trouvent intimement unis. Ces édifices se composent 
d'une vaste galerie à colonnes enserrant un massif pyramidal sur 
les degrés duquel s'étagent des galeries décroissantes, et dont le 
sommet est surmonté d'un sanctuaire. Les éléments du monu- 
ment plan ainsi placés se trouvent exhaussés et mis en vue par 
les gradins de la pyramide, et l'ensemble donne le maximum 
d'effet décoratif qu'il était possible d'en attendre. 

Pour terminer, il nous reste à caractériser encore trois grands 
édifices résultant aussi de combinaisons diverses de la pyramide 
et du temple plan. Ce sont : Pontéay-Chma, temple plan de pre- 
mier ordre, qui/ plus allongé qu'à l'ordinaire, dans le sens de 
l'ouest à l'est, comporte, dans une enceinte spéciale, un sanctuaire 
élevé sur une petite pyramide à trois gradins ; — Ra-Réo, où l'on 
trouve successivement un temple plan avec murs d'enceinte et 
fossé, ainsi qu'une pyramide et un monticule artificiel faisant partie 
du même ensemble, mais séparés et assez distants l'un de l'autre ; 
Leley enfin, composé d'un massif bas à trois gradins, couronné de 
tours et dont la base semble entourée d'une double galerie. 



14 



308 L'ARCHITECTURE KHHER, 



VI 



Nous avons dit qu'il y avait des monuments revêtus de métal 
doré — (probablement ces tours en brique dont les sculptures faites 
sur des pierres de grès, encastrées dans la masse, sont d'un fini 
merveilleux, tandis que l'ensemble est simplement ébauché 
(comme à Mi-Baume) ; — nous avons mentionné aussi les tours 
entièrement en cuivre. L'or, l'argent, les pierres transparentes, les 
miroirs, les cristaux, etc., étaient vraisemblablement aussi em- 
ployés dans l'ornementation de ces derniers édifices, de même que 
dans celle des monuments de pierre, déjà si merveilleusement 
fouillés. 

Quelques passages du Satra de Préa-Ket-Méaléa, confirmés par 
l'existence de dorures sur divers chapiteaux et moulures d'Angkor- 
Vaht, et aussi par le mode d'ornementation des pagodes des villes 
ruinées de l'Indo-Chine et même des temples modernes de Bang- 
kok, indiquent que l'on argentait et surtout que Ton dorait 
« (Tor clair et vermeil » les ornements et attributs des personnages 
incrustés sur les murailles, les statues et les lions gardiens des 
entrées et, d'une manière générale, les parties saillantes de beau- 
coup de sculptures. Dans les creux, on introduisait des fragments 
de glaces ou d'émaux ; sur les flèches des sommets brillaient des 
miroirs et des pierres précieuses 1 . 

1 « Les angles (des toits) sont incrustés de fleurs d'or et d'argent » 

« Les fleurs d'or entrelacées abondent aux angles des colonnes. — Leurs 

« intervalles sont incrustés de glaces ainsi que les entablements couverts de 

« belles mosaïques d'or clair et vermeil » 

« Le sommet des tours est orné de pierres précieuses innombrables de 

« toutes variétés : il se profile effilé, orné de miroirs étincelants qui, brillant 

« au milieu des airs, jettent au loin des reflets de lumière » 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 311 

Il n'est pas fait mention de peintures extérieures, bien que quel* 
ques pyramides modernes soient badigeonnées de couleurs va- 
riées ; mais, à l'intérieur, les murs étaient revêtus de grandes fres- 
ques dont les traces subsistantes en maint endroit sont surtout 
visibles sur les frises élevées d'une des galeries hautes d'Angkor- 
Vaht. Ces peintures murales alternaient avec des lambris de bois 
précieux fouillés, incrustés de nacre et d'ivoire, et avec les bas- 
reliefs qui présentent aussi des traces de couleurs et d'or. 

C'était aux époques des fêtes que les riches dévots enrichissaient 
les temples de ces divers ornements; aujourd'hui encore les fidè- 
les viennent à ces mêmes occasions plaquer de petites feuilles d'or 
sur les statues et sur certaines figures des grandes représentations 
murales d'Angkor-Vaht. 



VII 



A côté de ces vastes temples en matériaux solides, que les siè- 
cles n'ont pu entamer qu'en partie, il y avait d'autres édifices en- 
tièrement disparus, mais dont l'existence nous est révélée par les 
sculptures des bas-reliefs sur lesquels on a souvent représenté les 
Vimanas ou demeures aériennes des dieux et les palais des rois, et 
aussi parles édifices modernes analogues. Les règles qui présidaient 
à leur construction semblent s'être transmises d'âge en âge ; on 
les observe encore de nos jours, même dans la façon de bâtir les 
moindres maisons d'habitation, dont la forme ne paraît pas s'être 
sensiblement modifiée depuis une haute antiquité. C'est ainsi que 

« Partout l'œil est frappé par les vives sculptures, figures serrées, couvertes 
« de brillants ornements » 

« A toutes les portes sont disposés, comme gardiens, de beaux et resplen- 

*« dissants quadrupèdes d'or » 

(Satra de Préa-Ket-Méaléa. — Traduction de M. Aymonier.) 



312 L'ARCHITECTURE KHMER. 

les monastères, les palais, les pavillons de plaisance, les salles 
de justice, les temples ruinés de Vien-Chan, au Laos, ceux 
d'Ajutia, l'ancienne capitale du royaume de Siam (située dans le 
voisinage de ruines khmers), les édifices modernes de Bangkok, 
et bien d'autres, nous offrent des spécimens probablement assez 
semblables à ces constructions de bois, quoique moins riches et 
moins parfaits. 

Les maisons d'habitation se composaient de compartiments 
tout à fait distincts ; les plus retirés servaient de logement aux 
femmes ; d'autres, contigus et plus simples, étaient habités par 
les serviteurs et par les esclaves. Toutes ces demeures n'avaient 
qu'un étage, dont le plancher, exhaussé de près de deux mètres 
au-dessus du sol, se prolongeait au dehors pour former une ter- 
rasse commune. Leurs toits aigus, ornés de découpures aux arê- 
tes, et de flammes aux extrémités du faîte, reposaient sur des 
colonnes disposées avec symétrie et dont les intervalles étaient 
remplis f>ar des nattes volantes et des boiseries sculptées avec 
des fenêtres à barreaux. Les résidences des fonctionnaires, les 
palais, les édifices publics contenaient de vastes salles de récep- 
tion décorées, au dehors, de frises et de frontons ouvragés, et à 
l'intérieur de dorures d'incrustations et de peintures. 

Quelques parties du palais des rois avaient leur toiture revêtue 
de lames de plomb, tandis que les habitations des princes et les 
maisons privées étaient couvertes en chaume. Les édifices re- 
ligieux avaient seuls le privilège des couvertures en tuiles. Ces 
temples, que nous désignons aujourd'hui sous le nom de pagodes, 
étaient souvent situés, ainsi que les monastères, dans les parcs des 
grandes constructions en pierre. Pendant que les pèlerins gra- 
vissaient les degrés des pyramides pour aller implorer le Dieu du 
sanctuaire, ou s'agenouillaient successivement devant les mille 
scènes hiératiques des grands bas-reliefs, c'était, au contraire, 
dans les pagodes, vastes salles aménagées comme nos églises 



VOYAGE AU CAMBODGE. 3(3 

pour recevoir une affluence nombreuse de fidèles, que s'accom- 
plissaient les rites habituels du culte. 



La pagode se composait d'une pièce unique, de forme rectangu- 
laire, entourée de boiseries sculptées ou de murailles en briques 



314 L'ARCHITECTURE KHMER. 

minces, avec un revêtement enduit de chaux et couvert de 
fresques. 

D'après le témoignage des bas-reliefs qui nous montrent non 
seulement des habitations, mais aussi mille ustensiles finement 
fouillés tels que selles d'éléphant, chars, palanquins, etc..., la 
sculpture sur bois était d'un usage extrêmement fréquent. Elle a 
survécu à l'art de ciseler la pierre. Les constructions, relative- 
ment modernes, de Vien-Chan au Laos, une pagode de Luang- 
Prabang, et une autre de Xieng-Hong, nous en fournissent des 
spécimens intéressants. Toutefois, les plus remarquables se 
trouvent dans un temple cambodgien de Boriboun, village situé 
dans la province de Pursat, au sud du grand lac. Par le choix 
des sujets, en même temps que par la facture, elles rappellent, 
parait-il, les bas-reliefs d'Àngkor-Vaht i . 

Quant aux peintures, nous ne pouvons aujourd'hui nous les 
représenter que très imparfaitement d'après les œuvres mo- 
dernes des artistes indigènes qui vont compléter leur instruc- 
tion et puiser leurs inspirations à Bangkok, ville devenue de 
«os jours le centre intellectuel et artistique de l'Indo-Chine mé- 
ridionale. Comme nous l'avons déjà vu en effet, les fresques des 
temples de pierre sont effacées; celles d'une des galeries supé- 
rieures d'Angkor-Vaht présentent seules des restes un peu appa- 
rents. Bastian y a distingué, dans des sites romantiques, des 
anges et des divinités entourés d'animaux de la forêt. 

En dehors de celles-là, il ne reste, pour s'en faire une idée, 
que des fresques plus modernes, comme celles des pagodes de 
Bangkok et celles de PénomJ au Laos qui passent pour avoir été 
copiées sur des modèles plus anciens. 

Autant que je puis m'en souvenir, elles sont peintes sur un 
fond uni d'un ton neutre; les couleurs en sont assez vives, le 

1 Voyez à l'appendice la description des sculptures de ce temple et celle 
des peintures d'une pagode de Battambang. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 315 

dessin naïf; il y a de la verve et du mouvement dans les 
mille petites scènes sacrées que le pinceau y a figurées ; mais la 
conception d'ensemble y fait défaut, et l'on n'y trouve pas non 
plus cette habileté d'arrangement qui frappe dans les bas- 
reliefs. 

Il n'en paraît pas moins hors de doute que, dans l'antiquité, 
la grande peinture murale a dû exister au Cambodge parallè- 
ment à la grande sculpture. 

Ceintes d'une colonnade extérieure, parfois double sur les pe- 
tits côtés, les pagodes offraient la même disposition générale que 
les temples grecs périptères ou pseudo-diptères. Leurs] colonnes, 
rondes ou carrées, étaient en briques et en pièces de bois d'as- 
semblage, ou bien faites d'un seul tronc d'arbre reposant sur un 
dé de pierre. Les chapiteaux, en forme de calice, étaient ornés 
de lotus ou de feuilles de bananier. Parfois, une frise en bois 
découpé régnait tout alentour, à la hauteur des chapiteaux ; et 
les frontons, encadrés de nagas polycéphales surmontés de flam- 
mes, étaient aussi chargés de sculptures au centre desquelles trô- 
nait quelque divinité brahmanique. 

Les toitures, habilement agencées sans le secours d'une seule 
pointe de métal, avaient des angles très aigus, afin de mieux résis- 
ter à la violence des pluies équatoriales ; elles formaient deux 
étages, l'un couvrant le temple, l'autre le péristyle, disposition 
qui, jointe à des crêtes à jour, à des flèches, à des appendices aigus 
et recourbés aux extrémités des faites, donnait à la partie supé- 
rieure de l'édifice un caractère quelque peu chinois. En revanche, 
le plan, les proportions générales, certains détails d'ornementation, 
tels quelles plafonds à caissons décorés de rosaces, présentaient 
avec les temples classiques une analogie qui mérite certainement 
d'être signalée. 

Quelquefois, le vaisseau était, comme dans les basiliques, par- 



316 L'ARCHITECTURE KHMER. 

tagé en trois ou cinq nefs par des colonnades, avec étages corré- 
latifs dans la toiture ; ou bien le plan de la pagode offrait à chaque 
extrémité un ou deux retraits symétriques, et l'édifice se couron- 
nait d'une série de toits étages d'un effet pareil à celui des galeries en 
pierre; tantôt enfin le plan affectait la forme de la croix latine, 
ou celle de la croix grecque, avec retraits aux extrémités des bras, 
et parfois une tour s'élevait au centre de la croix. Il existe 
à Bangkok une pagode moderne de ce genre ' : l'entrée principale 
en est gardée par deux divinités monstrueuses, armées de mas- 
sues, et précédées d'animaux fantastiques qui ne sont autre chose 
que les géants et les lions khmers grossièrement transformés par 
d'inhabiles ouvriers siamois et chinois. 

Tous ces temples avaient pour assises des soubassements peu 
élevés en terre et en briques, dont il subsiste des restes en une 
foule d'endroits ; peut-être beaucoup d'entre eux renfermaient-ils 
des représentations de divinités brahmaniques. On dresse dans 
les cellas des pagodes modernes des autels sur lesquels on édifie, 
à chaux et à briques, de gigantesques statues de Çakya-Mouni ; 
on en retrouve de semblables dans plusieurs ruines antiques de 
Tlndo-Chine et surtout dans celles qui sont postérieures à la belle 
période khmer*. 

Pour terminer, il faut citer encore les palais funéraires, vastes 
constructions en charpente composées d'une sorte de tour ou py- 
ramide centrale environnée de clochetons, avec superpositions d'é- 
tages, de frontons et de dentelures, copiées sur celles des temples 
en pierre, et pyramidant autour de la flèche terminale, comme 

1 Voy. aussi p. 135. 

1 L'auteur du Tchin-La-Foung-Thou-Ki nous apprend aussi que dans cer- 
tains temples (ceux des Pa-sse, prêtres de Tao-sse ?) il n'y avait point de repré- 
sentations particulières, mais seulement un amas de pierres comme celui 
qui sert à la Chine pour les sacrifices au ciel et à la terre. (Traduct. Abel- 
Rémusat.) 



VOYAGE AU CAMBODGE. 317 

les préasats d'Angkor-Vaht ou de Ba-Phoum (p. 303) autour du 
sanctuaire *. 

' Vo;., p. 13S, le dessin d'un monument funéraire récemment élevé pour 
la crémation d'un mandarin de Batlambang. Cet édifice ne peut donner d'ail- 
leurs qu'une faible idée de la magnificence déployée de nos jours même 
dans la construction des palais funéraires des princes et des rois de l'Inde- - 
Chine méridionale. Quelques passages de la Chronique royale {dont il sera 
question à l'appendice, dans la note historique) nous montrent qu'il en était 
de même dans l'antiquité. 

Dans les palais funéraires se retrouve encore cette disposition conique- 
qui caractérise les édifices khmers de tout genre. — En effet, les temples plans 
eux-mêmes, pris dans leur ensemble, affectent la forme de pyramides à base 
très étendue, dont la flèche du sanctuaire est le sommet. Les pointes des préa- 
sats accessoires offrent à l'œil un entourage de cimes décroissantes qui s'a- 
baissent régulièrement à mesure qu'elles s'éloignent, et la pente continuée de 
tous côtés par les toits étages des portiques d'angle et des porches saillants- 
est achevée par les terrasses et les perrons avancés. 



CHAPITRE X 



Caractères spéciaux de l'art khmer; phases diverses de son développement. — 
Originalité des modifications apportées par les maîtres de l'œuvre au type 
primordial hindou. — Procédés et éléments d'ornementation. — Sculpture 
et statuaire. 



Prenons maintenant notre reculée, et tâchons d'embrasser 
d'ensemble l'œuvre grandiose des artistes khmers. Immensité, 
unité harmonieuse des plans, variété inépuisable des éléments et 
de leurs combinaisons, hardiesse, merveilleuse entente de la 
grande décoration, bon goût et profusion des ornements, voilà, 
semble-t-il, les termes de la synthèse. 

Nous ne nous étendrons pas ici (comptant y revenir ailleurs) sur 
les nombreuses analogies que les édifices de l'ancien Cambodge 
présentent, non seulement avec les temples de l'Inde à toutes 
les époques, mais encore avec ceux de Java (spécialement les 



320 L'ARCHITECTURE KHHER. 

temples de Brambanam et de Panataram) et avec ceux de la Bir- 
manie 1 . Quoi qu'il en soit de ces ressemblances, les monuments 
khmers, on l'a vu, n'ont de rivaux dans aucun pays de l'extrême 
Orient. 

Dans cet art, deux choses essentielles appartiennent en propre au 
Cambodge; l'invention des ensembles et le goût correct et délicat 
de l'exécution. Rarement, en effet, les fantastiques monuments 
de l'Inde ont été construits d'après des plans d'une homogénéité 
aussi complète 9 ; presque jamais le rapport du tout aux parties n'y 
a été aussi parfaitement envisagé en vue de l'effet général. Cette 
grandeur dans la conception caractérise, à un haut degré, le gé- 
nie des artistes khmers. Forcés, comme presque tous les bâtis- 
seurs d'édifices sacrés, de se plier à des canons hiératiques r 
ils ont, de chaque anomalie imposée, tiré un motif original d'or- 
nementation. 

Une des principales règles de l'architecture religieuse dans 
l'Inde s'opposait,' par exemple, à l'adoption de plans absolument 
réguliers, — pour montrer que rien de parfait ne saurait sortir 
des mains de l'homme. Par quel biais les constructeurs khmers 
se sont-ils tirés d'embarras ? Au lieu de rompre les grandes lignes, 
ils se sont contentés de déplacer les axes de leurs monuments,, 
qui en effet ne sont jamais en coïncidence avec les médianes des 
plans rectangulaires ; mais, pour éviter de choquer l'œil, ils ont 
si bien su pallier cette dérogation au principe de l'art, que pres- 
que toujours il faut avoir recours à des mesurages exacts pour 
en constater l'existence. 

1 Voy. à l'appendice : Analogie des constructions khmers avec les monu- 
ments des autres contrées. 

* 11 est à remarquer que dans les temples hindous le sanctuaire est très petit 
relativement aux constructions qui l'entourent : cela vient de ce que l'on a 
conservé le sanctuaire primitif trop sacré pour être touché, tandis qu'à des 
époques postérieures, le reste du temple a été refait sur de plus grandes pro- 
portions. (Murray, part. 1, p. 149.) 



\ 



VOYAGE AU CAMBODGE. 323 

» 

Il leur fallait, au dedans des grandes galeries enveloppantes, 
renoncer à montrer dans un seul coup d'oeil les façades des en- 
ceintes intérieures : ils ont construit sur les axes des couloirs qui 
forçaient le spectateur à se détourner pour aller jouir des vues 
d'angles et des riches effets de superpositions architecturales que 
présentent ces perspectives resserrées. Encadrant ici une préasat, 
là une grande entrée ou un escalier monumental, entre des édi- 
cules avancés qui les isolent en leur donnant un aspect plus sai- 
sissant ; coupant leur cours de cloîtres, les parsemant de porti- 
ques, de sanctuaires accessoires, ils ont multiplié, varié à l'infini 
leurs tableaux d'intérieur. 

Cette préoccupation de la perspective n'est pas moins visible, 
chez eux, dans l'exécution de tous les détails. Ils s'efforcent, par 
exemple, d'exagérer l'effet des ces grands perrons qui régnent de 
la base au sommet de leurs pyramides en diminuant insensible - 
m net la largeur de l'escalier ainsi que la dimension des lions éta- 
ges sur ses flancs. Ils inclinent légèrement les plates-bandes verti- 
cales et horizontales, de manière à accrocher la lumière et à faire 
ressortir les sculptures voisines . Partout enfin ils subordonnent 
l'arrangement et le mode d'exécution des ornements aux condi- 
tions d'éclairage et à la situation de la partie décorée. 

Quelles ont été les origines de l'architecture khmer et quelles 
phases diverses cet art a-t-il traversées ? 

Pyramide, piédestal naturel de la divinité que tous les peuples 
ont placée sur les hauts lieux * ; sanctuaire mystérieux enceint 
d'une muraille forte ou d'une galerie semblable à des casemates 
de citadelles ; telles furent, avons-nous dit, les dispositions pri- 
mitives des édifices. 

Originaire d'Egypte, la pyramide à base carrée et à étages se 

1 II n'est guère de sommet dans le Cambodge, surtout de monticule isolé, 
<jui ne soit surmonté d'un temple ou de statues. 



324 L'ARCHITECTURE KHMER. 

trouve aussi en Chaldée, à Ceylan, à Java et dans l'Indo-Chine 1 . 

La préasat n'est autre que le temple hindou primitif que Fer- 
gusson décrit « une cella cubique à quatre entrées, coiffée d'un 
sommet curviligne simple ou étage. » Par la profondeur de son 
sanctuaire, l'élroitesse et l'obscurité des couloirs qui l'entourent, 
elle rappelle les souterrains des grottes de l'Inde ; de même que, 
par sa masse et par ses parois profondément fouillées, elle se rap- 
proche des rocs sculptés de Ceylan ou d'Ellora *. Banone, Baion, 
les portes d'Angkor-Thôm ne semblent-ils pas, en effet, d'énormes 
et solides massifs, où toutes les parties se soudent jusqu'à se con- 
fondre, et dont la surface a été régularisée, façonnée, ouvragée, 
comme celles des rocs du Kaïlaça, de Siva? Tout s'y tient et 
tout est compact ? Les éléphants qui paraissent soutenir ces mas- 
sifs, y sont si bien engagés qu'ils n'en peuvent sortir que la 
tète ; les adorateurs, les cariatides qui s'étagent sur leurs flancs 
y adhèrent de même fortement par toute leur partie postérieure ; 
et, quant aux entrées de ces monuments, quelle que soit la gran- 
deur du portique qui les précède, elles sont d'une étroitesse 
telle qu'en pénétrant dans ces galeries khmers, en suivant ces 
couloirs étouffés aux épaisses et lourdes voussures où filtre à 
peine un rayon de lumière extérieure, on éprouve la même im- 
pression que si l'on s'engouffrait dans un hypogée de l'antique 
Egypte ou dans quelque mystérieuse caverne de l'Inde. 

Voulons-nous maintenant envisager les éléments décoratifs de 
l'architecture khmer? Ne voyons-nous pas qu'ils se rencontrent 



1 Ajoutons que les téocali des Mayas, de l'Amérique centrale, présentent 
beaucoup d'analogie avec les pyramides khmers ; construits en plaine, ou 
parfois adossés à une colline, ils sont aussi divisés en gradins et surmontés 
d'un adoratoire. — Il en est de même des forteresses à terrasses superposées 
du Pérou. 

* On se rappelle qu'à Phnom-Sontuc, nous n'avons pas vu seulement des 
statues sculptées sur les parois de la colline, mais encore des rocs façon- 
nés en tourelles à étages dentelés. 



LE T E M P L, I 



'LE DE BAION 

.^..R-THÙM) ' 



Jr thiBbr» ■niquulles Ici parles secondaires dnnncnt irra. Ces sculptures se continuent sur les quiire façades du Temple. 



■HÔ 



*Ofc 









YOYAGE AU CAMBODGE. 329 

presque tous aussi dans l'Inde et dans les contrées sur lesquelles 
s'est étendue l'influence brahmanique? 1 Mais quelle voie cette 
civilisation a-t-elle suivie pour pénétrer dans l'Indo-Ghine mé- 
ridionale? On l'ignore. 

Les pyramides de la nouvelle Pagan, œuvres gracieuses, bien 
que d'une architecture secondaire, sont les seuls édifices de 
rindo-Chine qui, dans leur disposition d'ensemble et dans cer- 
tains détails *, offrent des analogies précises avec les formes de 
l'ancien Cambodge. Mais elles sont postérieures à l'époque de la 
fixation des formes essentielles de l'architecture khmer. Ce seraient 
donc les ruines inexplorées des capitales successives de la Bir- 
manie : Ta-Thun (cinquième au onzième siècle) , l'ancienne 
Pagan (premier siècle), Prome (cinquième siècle avant notre 
ère) qu'il faudrait interroger pour résoudre le problème. 

La filiation directe de l'architecture khmer nous échappe. 
Ses plus anciennes manifestations connues témoignent d'un 
art précis et perfectionné. Dès l'origine, cet ensemble ori- 
ginal d'une porte d'entrée avec ses colonnettes portant l'enta- 
blement, et ses pilastres soutenant le fronton 3 , nous apparaît 
tout agencé sans que nous puissions nous rendre compte des 
tâtonnements qui ont dû précéder sa formation. La découverte 
d'édifices plus anciens au Cambodge comblera-t-elle cette lacune , 
ou trouvera-t-on dans les pays voisins des formes plus rappro - 
chées de la forme khmer? Présentement, il faut nous borner à 
essayer de suivre cet art dans la période principale de son déve- 
loppement, à assister à son apogée et à noter les modifications 
essentielles qu'il a subies pendant la phase de la décadence 4 . 



1 Voyez à l'appendice. 

1 On y retrouve des lions étages et surtout cette disposition caractéristiqu e 
d'un fronton ogival à dentelures, flanqué de deux demi-frontons latéraux . 
8 Voy. p. 250 et p. 280, note 1 . 
* Nous n'émettrons ici sur ce sujet que des observations générales, nous 



330 L'ARCHITECTURE KHMER. 

A la fois sanctuaire et citadelle au début, le temple se déve- 
loppa plus tard dans le sens ornemental, perdant peu à peu son 
caractère de forteresse pour ne plus être, aux époques de grandeur, 
qu'un immense et merveilleux ensemble .décoratif. De massives 
qu'elles étaient primitivement, les formes devinrent de plus en plus 
sveltes. Les étages des tours, leurs dentelures, les couronnes de 
lotus qui les surmontaient s'allégèrent et se multiplièrent. Des 
flèches remplacèrent les boules des sommets. Les galeries et leurs 
soubassements s'accrurent, leurs frontons et leurs crêtes se dé- 
coupèrent 4 . Placés au centre de grandes villes suffisamment pro- 
tégées par leurs puissantes enceintes, les temples furent ornés 
de portes, de fenêtres nombreuses ; on les environna de péri- 
styles. 

Simple d'abord, cette colonnade extérieure servit à réunir les 
constructions du milieu à celles des angles, comme à Pontéay- 
Chma. Continue sur la face orientale de Préa-Khan, elle se dou- 
bla autour de Ta-Prohm et de Méléa, pour s'accroître à Baion 
de portiques angulaires dont les colonnes s'élevèrent encore à 

réservant d'entrer dans les détails lorsque le classement de nos plans sera 
terminé et que nous en aurons pu faire un examen comparatif plus complet. 

1 Nous avons remarqué trois genres de crêtes bien caractérisés : 4° Ogives 
successives comme à Baion (voy. le dessin du. frontispice, premier plan) ou à 
Préasat Préa-Tcôl (voy. un fragment de ces crêtes au Musée Khmer) etc. — 
2° Balustres cylindriques avec moulures et pointe conique, et attenant les uns 
aux autres, comme à Préa-Khan (d'Angkor.) — 3 e Balustres plus légers, plus 
élevés, espacés les uns des autres comme à Méléa. (Voy. p. 353.) 

Bien que nous n'ayons pas rencontré de restes des crêtes d'Angkor-Vaht, 
nous les avons représentées sous cette dernière forme parce que nous avons 
trouvé la ligne de faite percée de trous cylindriques, un peu plus espacés que 
ceux de Méléa. — Presque partout ces crêtes ont disparu ; le temps nous a man- 
qué pour les rechercher sur notre passage, mais il serait facile d'en retrouver 
des fragments dans les décombres : et leur comparaison donnerait à coup 
sûr des indications très précieuses pour le classement des édifices. 

Quant aux murailles des pontéays, sauf à Ka-Kéo et peut-être dans de 
petites enceintes des environs de Méléa, elles nous ont paru avoir conservé la 
première forme d'ogives successives qui est celle des créneaux hindous. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 331 

Angkor-Vaht. Dans ce dernier temple les piliers, qui au début 
avaient été disposés au hasard , furent enfin espacés avec une 
régularité parfaite et en harmonie avec les fenêtres à balustre 
placées derrière eux. 

En même temps on développait de plus en plus les portes 
des pontéays ; on leur faisait trois entrées, dont deux ne servaient 
que pour la décoration. 

À Méléa, construit sans doute à une époque de puissance et de 
paix, on supprima même l'enceinte, pour que le temple pût 
être aperçu de tous côtés. A Angkor-Vaht on la rétablit, mais 
plutôt comme une clôture que comme une citadelle, et pour l'or- 
ner d'une colonnade aussi imposante à elle seule que la façade 
des plus beaux temples. 

Les pyramides de leur côté s'étaient aussi perfectionnées. Des 
moulures profondes en avaient recouvert les gradins; les escaliers 
qui conduisaient à la plate-forme supérieure s'étaient élargis, mul- 
tipliés, garnis de lions de la base au sommet; les terrasses s'étaient 
hérissées de petites enceintes dentelées et de galeries basses à clo- 
chetons, premier emprunt fait à l'architecture des édifices plans. 
Deux fois des artistes de génie conçurent l'idée d'associer d'une 
manière plus intime. les deux genres de constructions, en utilisant 
les terrasses des unes pour montrer dans un coup d'œil unique les 
galeries concentriques des autres. 

Ils élevèrent d'abord Baion, œuvre spéciale d'une originalité 
extrême. Puis Angkor-Vaht, dans lequel toutes les beautés de la 
pyramide parvenue à l'apogée de son développement furent unies 
à celles du temple plan, en donnant aux détails une ampleur et 
une perfection qui font de cSacun d'eux une véritable création 
architecturale 1 . 

1 La comparaison entre les divers spécimens dés bas-reliefs du Musée Khmer 
moulés sur ceux de Baion et d'Angkor-Vaht suffirait pour indiquer qu'une 
longue période de temps à dû s'écouler entre l'érection de ces deux temples 

15 



i 



332 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Est-ce postérieurement que Turent édifiée» les préasnts telles 
que celles de Préa-Kong, constructions en briques revêtues d'un 
ciment dans lequel furent modelées des sculptures encore plus 
chargées que celles d'Angkor-Vahl ! , ouïes tours, jadis recouvertes 
de métal doré, de Mi-Baume, dont les sculptures ne sont pas moins 



Un ] ingain de Ka-Kéo (d'après les documents du docteur Harmand). 

perfectionnées 9 , et dont les terrasses peu élevées ne portent au lieu 
de galeries que des Uangars à toits en charpente ? Toujours est-il 
que le Cambodge eut aussi une architecture de briques solide et 
belle, mais sur laquelle des renseignements détaillés nous font en- 
core défaut. Cependantles préasats dcSéliam, qui on t conservé leurs 
flèches, et dont la forme hybride reproduit à la base celle des tours 

bien que beaucoup de sculptures du premier (Voy. . le groupe de danseuses 
représenté p. 149) indiquent déjà une époque de recherche gracieuse et de 
goût délicat. 

A Baîon le massif intérieur ne joue qu'un rôle secondaire, tandis qu'à Ang- 
kor- Vaht son importance est capitale, et il réunit tous les effets de décoration 
architecturale des belles pyramides. — Bien que ces derniers monuments ne 
puissent pas être aisément classés par ordre chronologique, il faut pourtant 
admettre qu'An gbor- Vaht, de même qu'il semble postérieur aux grands édi- 
fices plans, n'a aussi été élevé qu'après que l'architecture pyramidale eut at- 
teint son apogée. — C'est en coordonnant les éléments si divers imaginés par 
des générations d'artistes, que l'architecte d'Angkor-Vaht put enfanter cette 
œuvre grandiose. — Pour passer directement d'un temple plan (Héléa par 
exemple), à ce merveilleux temple mixte, il eût fallu une invention telle que 
le génie d'un seul homme n'eût pas suffi à la concevoir, 

1 Voy. la relation du commandant De Lagrée. 

1 Notes de M. Faraut. 



VOYAGE AU CAMBODGE: 333 

de Mi-Baume, plushautiesétagesdentelés ordinaires et, au sommet, 
la coupole i cannelée des pyramides modernes, caractérisent bien 
cette dernière période à la suite de laquelle on n'éleva plus que 
des tourelles en briques grossières, dernier souvenir de l'art an- 
cien qui disparut devant l'envahissement étranger. De cette épo- 
que datent sans doute aussi les constructions des pays voisins 
dans lesquelles l'influence kbmer est manifeste, comme les tours 
d'Ajutia dont les étages dentelés sont inspirés de ceux d'Ang- 
kor-Vaht , et dans un autre genre la préasat massive de Pe- 
nom couverte de sculptures analogues à celles du Cambodge. 
Le siège delà puissance s'étant enfin transporté dans le royaume 
de Siam.on vit s'élever, sur les bords du Ménam, ces hautes pyra- 
mides à clochetons 9 assez médiocres d'exécution, mais grandioses 
et simples d'ensemble, et d'un aspect à la fois gracieux et imposant. 



1 Cette forme de coupole des stoupas bouddhiques {prèa chay dey cambod- 
giens, p/ira ckedi siamois), est aussi celle quia été donnée, lors de sa restaura- 
tion, à la préasat centrale de Phnom-Bachey, édifice ancien dont les autres 
tours subsistantes laissent voir les étages habituels des préasats khmers. 

* Ajoutons aussi que les fats laotiens de môme que les pyramides siamoises 
dérivent en partie de l'architecture du Cambodge. 11 suffirait, pour s'en convain- 
cre, de jeter un coup d'oeil sur les principaux monuments d'Ajutia et aussi de 
Bangkok. — Dans une pyramide moderne entre autres, se trouvent réunis les 
éléments d'ornementation et les attributs hiératiques khmers. De petits lions et 
des éléphants minuscules s'y étagent sur les marches d'un soubassement ; 
aux angles, se dressent quatre géants qui ne sont que de grossiers pastiches 
•de ces Hercules à l'air gouailleur aussi spirituellement représentés par les 
artistes cambodgiens que les faunes et les satyres par les sculpteurs grecs. 
Quatre garoudhas enserrent de leurs griffes des nagas (symbole de l'aigle qui 
saisit le serpent, du génie du bien qui dompte Je génie du mal) ; — quatre 
autres krouths encadrent de leurs jambes écartées quatre niches aux fron- 
tons flamboyants du milieu desquels s'élève la flèche ; quatre petits saints en 
prière achèvent l'ensemble de ces motifs de sculpture si souvent rassemblés 
dans les temples khmers ; et tous ces personnages, brahmaniques d'origine, 
se réunissent ici pour célébrer la gloire de Çakia-Mouni. 



334 L'ARCHITECTURE KHMER. 



11 



La pyramide à base carrée et à étages, le sanctuaire hindou pri- 
mitif, telles ont été, je l'ai dit, les formes simples d'où est issue 
l'architecture au Cambodge. Mais les Khmers, avec leur 
génie d'appropriation, en ont si bien modifié l'harmonie et 
les procédés d'ornementation, qu'ils en onl tiré les effets mer- 
veilleux que nous connaissons. L'art hindou n'a été pour eux 
qu'un point de départ. S'emparant en maîtres du canevas que 
leur avaient livré leurs voisins, ils l'ont ouvragé d'après leur 
goût propre et leur fantaisie tout originale. 

À l'intérieur des sanctuaires, ils ont placé naturellement, soit 
la figuration cylindrique du mystère de Siva ', soit le qua- 
druple] personnage de Brahma ; puis ils ont imaginé de repro- 
duire au dehors, en de gigantesques proportions, les quatre faces 
de la même divinité. Appliquant aux parties inférieures de leur 
robuste architecture les animaux les plus puissants de la créa- 
tion, l'aigle, le lion, l'éléphant, le serpent boa, ils ont établi 
au-dessus, comme couronnement de leurs édifices, ces grandes 
têtes du dieu delà pensée, dirigeant vers les quatre points de 
l'horizon les regards de ses yeux largement ouverts, et symbo- 
lisant ainsi l'intelligence qui, après avoir vaincu et plié à ses 
volontés toutes les forces de la nature, continue de veiller sans 

1 Voy. p. 332. — Le culte du lingam s'est perpétué jusqu'à nos jours dans 
toute l'Indo-Chine, où les traces en sont très nombreuses : il y a dans le Siam 
toute une catégorie de monuments appelés Phra-Prang qui sont terminés par 
un lingam. (Voy. Alabaster-Henry : The Wheel of the Law.) Notons aussi la 
ressemblance qui existe entre le cylindre ci-dessus représenté et un lingam 
de Java, de même qu'entre un piédestal circulaire de lingam du même pays 
et le socle à moulures de Phnom- Boc, p. 131 et 243. — (Voy. Phot. des monu- 
ments de Java — Soc. Batav.) 



VOYAGE AU CAMBODGE. 335 

relâche sur le monde et à percevoir les moindres détails des actes 
humains. 



Une balustrade de Preaaat-Préa-TcAl (Musée Khmer}. 

Reprendrai-je ici, un à un, chacun des détails dominants de 



336 L'ARCHITECTURE KHMER. 

cette judicieuse ornementation ? A l'éléphant, la bête indienne par 
excellence, revenait la tâche de supporter les lourdes masses de la 
construction ; aux garoudhas, ailes déployées et bras étendus, celle 
de s'appuyer en cariatides contre les murs et contre les frontons, 
pour .soutenir les frises de couronnement ou les colonnades lé- 
gères; aux lions 1 et aux géants armés de massues, et parfois aussi 
aux héros frères Rama et Lakshmana armés de l'arc, au dieu 
Vichnou brandissant l'épée ou à quelque autre divinité guerrière 
armée de la pique et du trident, le soin de garder les entrées. 
Sur les pilastres, sur les murailles des temples, on sculpta les 
bayadères et les saintes femmes attachées au service du dieu ; 
sur les piliers des cloîtres, les saints en prières. Les divinités se- 
condaires formèrent l'entourage du sanctuaire principal; le ser- 
pent Ananta (ou sans fin) servit de rampe aux interminables ba- 
lustrades s et son corps flexible se plia aisément pour encadrer les 
ogives des frontons 3 . 

Cette décoration symbolique trouva surtout son emploi dans les 
anciens édifices khmers; elle disparut peu à peu, au fur et à me- 
sure des variations introduites* dans les monuments. Au temps, 

1 Voy. p. 275. — Lion gardien d'un escalier de Préa-Khan. 

* L'emploi fréquent du naga, dans l'architecture khmer, nous parait ainsi 
suffisamment motivé sans que, selon nous, il y faille voir une preuve que 
cet animal était jadis l'objet d'un culte en Indo-Chine. D'ailleurs, si parmi les 
sculptures nous avons rencontré souvent des divinités assises sur le ser- 
pent, jamais nous n'avons vu de naga isolé, représentant une divinité spé- 
ciale adorée dans un sanctuaire. Les nagas sont, il est vrai, les héros de 
fables nombreuses. D'après Bastian, ils apparaissent dans les légendes 
comme génies tutélaires de la science ; comme tels, ils ont la langue fendue, 
souvent même ils ont plusieurs langues, ce qui veut dire qu'ils sont poly- 
glottes. (Le naga Ananta en a mille.) Mais, d'après la tradition, c'est bien le 
grand naga brahmanique (le roi des nagas : Ananta) que les artistes ont en-* 
tendu représenter dans leurs sculptures. 

8 Ajoutons ici que les encadrements ogivaux des portes khmers, en forme 
de corps de dragons striés et découpés, produisent un effet qui n'est pas 
sans analogie avec celui des moulures superposées des portes de nos cathé- 
drales gothiques. 



m S 

S* 



VOYAGE AU CAMBODGE. 339 

assez difficile à déterminer, où le bouddhisme devint au 
Cambodge la religion dominante, le lingam, les statues de 
Brahma, de Vichnou, de Siva, furent également évincées par 
les représentations du Bouddha, personnage humain à face 
unique. Dès lors aussi les architectes firent subir à leurs préa- 
sats une importante modification : trois des entrées furent clo- 
ses et transformées en fausses portes ; la quatrième entrée , 
celle de Test, resta seule ouverte pour donner accès au sanc- 
tuaire vénéré. Des siècles durant, les adorateurs de Çakya- 
Mouni sont venus se prosterner au seuil de cette porte, et contem- 
pler la sainte image mystérieusement éclairée par les rayons du 
soleil levant. Le voyageur qui voudra gravir les gradins escarpés 
de cette partie centrale. des temples pyramidaux et se frayer un 
chemin dans le lacis envahissant de la végétation, pourra quel- 
quefois encore, au travers d'une demi-obscurité, admirer, tou- 
jours debout sur leurs antiques piédestaux, de superbes statues 
de Bouddha, contemporaines des monuments mêmes 1 . Disons en 
passant que, d'après une croyance populaire, l'édifice d'Angkor- 
Yaht aurait été commencé sous l'empire du culte brahmanique, 
et n'aurait été consacré à Bouddha qu'à l'époque de son achève- 
ment. C'est peut-être ce qui explique que les quatre portes du 
sanctuaire y soient murées, de manière à le transformer en une 
sorte de dagoba s , et qu'on ait sculpté sur chacune d'elles une 
figuration en bas-relief de Çakya-Mouni. 

Malgré cet emploi fréquent de la sculpture symbolique, les ar- 
tistes khmers ont rompu, presque dès l'origine, avec les principes 
hindous pour se rapprocher de l'esthétique égyptienne et grecque, 

1 La pyramide surmontée d'un sanctuaire principal n'éveille-t-elle pas, en 
effet, Tidée d'un Dieu suprême tel que le conçoit la religion bouddhique, tan- 
dis que le temple plan, avec ses innombrables galeries dont chaque entre- 
croisement abrite une statue, fait plutôt songer au polythéisme brahmanique? 

1 Construction massive de l'Inde au centre de laquelle étaient renfermées 
des reliques . 



3iO L'ARCHITECTURE KHMER. 

qu'ils n'ont pas tardé i suivre entièrement, subordonnant, comme 
je l'ai dit, le genre de décoration i la forme architecturale, n'eit- 
ployant que des figures paisibles et sereines, toujours larges de 
conception, et susceptibles de concourir i cet effet d'ensemble 
dont ils avaient un si vif souci. Que voyons-nous en effet? Tandis 
que leurs voisins, possédés en quelque sorte de leur art bien plus 
qu'ils ne le possédaient, se laissent dominer par les tyran niques 
préoccupations d'une mythologie souvent monstrueuse, les Khmers 
n'hésitent pas, le plus généralement, soit à supprimer les diffor- 
mités hideuses des idoles, soit, quand ils ne peuvent se dispen- 
ser de les reproduire, à les dissimuler assez habilement pour en 
tirer d'heureux efletsde décoration. C'est ainsi que, pour repré- 
senter le Brahma à quadruple face, au lieu de créer un monstre, 
ils ont adossé deux à deux quatre personnages dont les parties 
apparentes demeurent parfaitement naturelles 1 . 

La seule difformité qu'ils semblent avoir admise pour symbo- 
liser la force 9 , surtout chez les héros du Ramayana, consiste dans 
les bras multiples ; encore, dans ce cas, accordent-ils presque 
toujours la prééminence à deux des bras ; les autres sont placés 
un peu en arrière ; ils sont disposés en éventail, et servent pour 
ainsi dire de fond au tableau. 

Quant aux tètes multiples et superposées, elles sont générale- 



1 Les Grecs procédèrent de môme. — Voyez la représentation d'Hécate 
ou Diane Triformis du British Muséum. — Par une analogie digne d'être 
notée, les têtes de cette triple statue sont ornées de diadèmes et surmontées 
de cylindres couverts d'écaillés, presque identiques à ceux des prohm 
khmers. 

Ce mode ingénieux d'arrangement, commun aux Grecs et aux Khmers, suf- 
firait pour faire ressortir la supériorité de goût de ces derniers sur les autres 
nations de l'extrême Orient. 

• Il y a des idoles qui ont une tête avec quatre visages ; il en existe aussi 
qui ont quatre mains, d'autres dix et quelques-unes cent..., et plus leurs bras 
sont nombreux, plus leurs adorateurs ont confiance en elles. 

(Mareo-Polo.) 



VOYAGE AU CAMBODGE. Ht 

ment traitées en grotesques et réservées à des divinités inférieures 
et malfaisantes ; dans les seules circonstances où elles contri- 
buent à des effets de grande ornementation, c'est-à-dire, dans les 
immenses balustrades des ponts, leur masse pyramidale, légère- 



Tête de Bralima trouvée dans les fouilles fiiies sous le temple de PIinom-Boc. 
(Musée Khmer.) 



ment inclinée en arrière, forme une sorte de contre-poids au cou 
ou à la queue du naga qui proéminent dans le ride, et elles 
donnent ainsi plus de solidité et d'harmonieè cesgroupes étran- 
ges, mais d'un superbe effet décoratif. Ces derniers vestiges de 
barbarie ne se rencontrent d'ailleurs que dans les édifices les 



342 L'AHCHITECTURE KHMEft. 

plus anciens ; les Khmers susbtituèrent peu à peu les inspirations 
de leur génie propre à ces imaginations d'emprunt, et de leur 
ciseau jaillit un genre décoratif d'un goût épuré, dont le fantas- 
tique, toujours gracieux et châtié, peut supporter sans désavan- 
tage la comparaison avec ce qui a été fait de plus remarquable 
dans les autres contrées. 

Si les grandes compositions en bas-relief n'atteignent pas toujours 
à la perfection, s'il est telle difficulté de perspective — notam- 
ment dans le rendu des raccourcis l — que le statuaire cambod- 
gien n'a pu surmonter absolument, si les personnages, dans leurs 
formes et leurs attitudes, ne réalisent pas la beauté classique du 
type grec, en revanche, les grandes sculptures des édifices se dis- 
tinguent par des qualités d'ordre supérieur. Les scènes sont tou- 
jours pleines de vie, d'imagination et de verve. 11 y règne parfois 
quelque confusion-, mais le talent et la vérité n'y manquent ja- 
mais, non plus que l'esprit et la malice. Des palais ou des arbres 
enlevés lestemenf, bien à leur plan, servent de fond ; les oiseaux 
perchés sur le branchage, les poissons, les reptiles nageant au 
milieu des flots, les bêtes fauves en fureur, les chevaux attelés 
aux chars, tout accuse une minutieuse étude des détails, et, quant 
aux animaux fantastiques, ils sont si bien composés qu'ils parais- 
sent réels. Ajoutons que par un excès de richesse et de fantaisie, 
les ornements naturels des animaux, carapaces striées des tortues, 
plumes des oiseaux, robes mouchetées des quadrupèdes, etc., 
ont été souvent transformés, sans perdre leur forme générale ni 
leur caractère, en fleurs, en écailles, en feuilles, en bijoux 3 . 

1 11 s'en est fallu de bien peu, toutefois, que les artistes n'aient entièrement 
surmonté les difficultés de ce genre ; on peut s'en rendre compte par l'exa- 
men de certains bas-reliefs du Musée Khmer ; on verra aussi (p. 337) qqe 
les sculpteurs cambodgiens ont tenté avec succès de représenter des chars- 
attelés vus de face. 

1 Voyez p. 209 la tortue qui soutient le mont Mérou et p. 223 le cerf dont la* 
robe est tachetée de fleurs. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 343 

Les poses des personnages sont naturelles et sans nulle raideur. 

Elles peuvent offrir quelque chose de forcé à l'œil de l'Européen 



1 



qui ne serait point familiarisé avec l'étonnante souplesse corporelle 
et les attitudes normales des Indo-Chinois : elles n'en reprodui- 



3U L'ARCHITECTURE KBMER. 

sent pas moins l'exacte réalité. Et cela même leur donne un ca- 
chet d'originalité qui est un de leurs mérites : en examinant ces 
bas-reliefs, on croit assister aux représentations que donnent 
encore aujourd'hui sur les théâtres les acteurs indigènes, dont les 
costumes ont à peine varié depuis dix siècles et plus. 

Parmi les personnages sculptés en haut-relief, les femmes 
presque nues et les danseuses sont ravissantes de modelé et de 
grâce ; leurs parures sont admirablement ciselées *. (Voy. p. 346.) 



1 Voici en quels termes le Satra de Préaket Méaléa, poème relatif à l'édi- 
fication d'Angkor-Vaht (traduction de M. Àymonier), décrit ces « habitantes 
éthérées du ciel » : 

« De nombreuses statues féminines droites et alignées se jouent sur les 
tours. Leur figure est agréable ; leur corps blanc, souple et arrondi est doué 
de toutes les perfections connues. 

« Leur tête est ornée et couronnée de fleurs. Les unes ont la chevelure 
nouée, d'autres Font coupée eila naissance des cheveux rasée en ligne droite. 
Leur taille est ronde, svclte et gracieuse. Leurs seins fermes et arrondis 
sont semblables à la fleur du lotus. Enguirlandées de fleurs odorantes, les 
unes ont noué des lianes et des fleurs dans leur chevelure qu'elles allongent 
ainsi agréablement. D'autres se coiffent avec les fleurs tressées, enfilées, 
enroulées. 

« D'autres peignent leur riche toison étendue. On en voit qui relèvent le 
bord de leur robe pour le nouer, ou qui tiennent des fleurs célestes avec leur 
tige, ou qui portent des couronnes de fleurs et de lianes. D'autres se regar- 
dent mutuellement en s'inciinant, ou se saisissent les épaules en se dispu- 
tant les tiges des fleurs. D'autres sourient gaiement comme si elles étaient 
livrées à une causerie agréable et plaisante. 

« Si l'œil les regarde attentivement, l'illusion devient complète, on croit 
les voir faire un aveu doux et voilé, puis baisser la tête, partagées entre 
l'amour et la pudeur. 

« Si l'œil est attentif, ceci paraît vraiment être la réalité : en marchant, 
les unes portent des perroquets ou des éventails, d'autres posent leurs oi- 
seaux sur les tiges des fleurs, d'autres portent des lotus, ou des lis avec 
leur tige. Leur robe est retenue par une ceinture. Couvertes de colliers, 
d'ornements de toute espèce, elles ont deux rangées de cercles au jarret. 
Leurs nombreux bracelets sont ciselés en fleurs et en lianes. Couvertes d'an- 
neaux, de bagues, serrées, élancées, elles semblent marcher, s'arrêter pleines 
de grâce féminine, souples et souriantes, paraissant deviser d'amour. Elles 
s'inclinent, disposent leur chevelure, baissent la tête à droite, à gauche, se 



VOYAGE AU CAMBODGE. 345 

Les statues les plus riches étaient faites d'or ou d'argent; les 
autres de cuivre, de pierre, de bois. Ces dernières étaient dorées 
entièrement ou peintes avec des ornements d'or. Souvent les yeux 
en étaient incrustés de nacre, de cristal, de pierres précieuses, 
à la manière des statues des Jaïns de l'Inde. Parfois aussi on sus- 
pendait des bijoux à leurs oreilles 1 . 

Les statues des divinités, isolées ou par groupe (habituelle- 
ment par groupes de trois réprésentant le Préa-Pout et deux per- 
sonnages symboliques ou deux saints bouddhiques), se plaçaient 
dans les sanctuaires, au fond des galeries, sous les tours; celles 
des rois 3 restaient parfois sur les belvédères au milieu des jardins. 

tournent, se renversent, se campent avec grâce, flexibles et ondoyantes. 

« Les unes # s'assouplissent les membres en s'essayant aux préliminaires 
de la danse, elles décrivent des pas variés en tous sens, toujours élégantes, 
sveltes et bien proportionnées. 

« D'une taille moyenne, bien prises, dans la fleur delà jeunesse, admirables 
à contempler, on ne peut les regarder sans amour. L'œil ne se fatigue pas, 
l'âme est réjouie, le cœur n'est jamais rassasié. 

« Lorsqu'on les a considérées pendant quelque temps, l'esprit plein 
d'elles ne peut se résoudre aies quitter. Ce ne sont plus des statues sculptées 
par la main des hommes ; ce sont des femmes vivantes, belles et agréables. 
Le doute saisit et l'émotion paralyse. — Un milier de figures, sans défauts, 
sont ainsi placées symétriquement dans les angles, recoins et enfonce- 
ments du temple d'Angkor-Vaht. » 

D'après Bastian, les Téphakanjas ou Chao-Savan, portant une couronne 
de fleurs à triple pointe, sont les figures des habitantes éthérées du ciel dont 
Visvacarma, le divin architecte, peignit les images pour les hommes de la 
terre afin qu'en les contemplant ils fussent pénétrés de joie et de piété. Les 
hommes reconnaissants les appellent « Dames au cœur bienveillant et bon». 
Elles habitent les seize étages du ciel situé au-dessus du monde, où Indra 
règne sur les Tévadas qui forment sa suite féminine. — Ce sont des Tépha- 
kanjas qui ont apporté aux hommes les arts et les sciences. Elles s'appellent 
« les parfaites » , parce qu'elles sont parfaites sous le rapport des cheveux, des 
dents, de la peau, des mains et de la taille. 

1 Voy. une figure de femme du Musée Khmer. 

1 Voir ci-dessus ce qui a été dit de la statue du Roi lépreux. On montre 
aussi au pied de l'escalier qui conduit à Vaht-Phou (près de Bassac) la statue 
du prince fondateur de ce monument. 



346 L'ÀRCHITECTUBE KHHER. 

Je ne sais si l'on trouverait aujourd'hui, eu fouillant toutes les 
ruines khmers, une seule statue brahmanique iutacle ; mais les 
débris y abondent. J'ai observé à plusieurs reprises un type ré- 
gulier, matériel, respirant plutôt la force que l'intelligence, au 



Nymplicscélestej sculptées sur les murailles d'ÀDgkor-Vali t. 

crâne cylindrique et peu développé ; l'exécution en est simple, 
elle fini prodigieux ; toutefois il pourrait bien être d'une époque 
de décadence, car d'autres tètes, qui paraissent très anciennes et 
qui sont peut-être moins achevées, se font remarquer par leur 
noblesse, leur forme plus allongée, leurs traits plus délicats, en 
même temps que par une grande finesse d'expression '. 

1 Ces têtes sont très soigneusement sculptées; les saillies s'y accusent avec 
leur grandeur réelle, et suffisent à indiquer, comme je l'expliquerai ailleurs 
en détail, les divers caractères de type et de race. L'expression y est ob- 
tenue par l'effet général de la physionomie, sans que l'artiste ait pris la peine 



YOYAGE AU CAMBODGE. 347 

Les belles statues de Bouddha ont été conçues dans un esprit 
tin peu différent, d'après les règles d'une esthétique essentielle- 
ment caractéristique et originale. — « J'ai, dit une inscription de 
l'époque bouddhique, les quatre beautés du roi des Nagas ; les 
épaules larges, la taille mince, la figure semblable à la pleine 
lune, le corps sans aucune des imperfections dont le nain difforme 
est affligé. » Ce sont des images plus douces, plus efféminées ;le 
ciseau qui les sculpta cherchait à faire jaillir de la pierre une 
pensée plus mystique. Quelques-unes ont quelque chose de ce 
type africain qui a fait croire primitivement que le Bouddha était 
nègre. La plupart reproduisent des types indigènes, de formes 
un peu grêles, fortement imbus de sang jaune, quoique ayant l'œil 
fendu horizontalement. Elles ont les paupières baissées ; toute la 
figure exprime la bonté, l'extase suprême. 

C'était bien là le genre de représenta lion approprié au carac- 
tère de ce grand saint qui, dédaignant la puissance royale, 
maître de lui-même, dégagé des entraves des sens et de la 
matière, dévoua sa vie à l'œuvre de régénération du genre 
humain ; c'est bien ainsi qu'on se le figure, du haut du Nirvana 
où l'a conduit sa perfection accomplie, abaissant ses regards 
sur la terre pour contempler avec amour la foule pieuse qui 
se presse au pied de ses autels. 

<de rendre nettement le jeu des muscles qui y concourent. Il y a là une ob- 
servation en quelque sorte à fleur de peau, sans connaissance de l'anatomie 
sous cutanée, sans étude aucune de l'écorché, qui ne laisse pas d'ôlre re- 
marquable. De cette absence du détail scientifique résulte une vérité idéale et 
impersonnelle à laquelle se prête d'ailleurs cette mollesse de traits qui est le 
caractère des races indo-chinoises. 

La facture des corps dénote, toutefois, une réelle notion du jeu des muscles 
principaux effacé toutefois par la peau et par les tissus qui les recouvrent ; 
les masses musculaires sont indiquées bien à leur place, d'après l'attitude et 
le mouvement ; mais l'indication se borne à la masse, au faisceau, sans se 
poursuivre jusqu'au tendon. Notons, dans ces statues, de légers noirs qui 
ressortant bien sur une matière dure et opaque comme l'est le grès. 



348 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Un grand nombre de ces statues ont conservé des traces d'une 
légère couche de peinture, noire ou rouge, ainsi que des marques 
de la dorure qui les recouvrait jadis, et qui recevait le dernier 



Têto de Bouddha provenant dos galeries ruinées de Poatéay-PrèVEhan. 
(Musée Klimer.J 



fini. Il en est pourtant qui, même dépouillées de ce vernis, pa- 
raissent complètement achevées. Le modelé Yy accuse à peine, ce 
qui n'empêche point que la pierre vil dans toutes ses parties. On 
n'y remarque presque aucun des signes hiératiques de Çakya- 
Mouni, signes qui, reproduits par tant d'ouvriers inhabiles, ont 



VOYAGE AU CAMBODGE. 



donné lieu à d'innombrables images bouddhiques toutes diffor- 
mes ; les sculpteurs klimers n'ont guère conservé que la cheve- 



i g.ilei ies milites de Ponté ay-Préa- Khan. 
(Musée K h m or.) 



lure bouclée qui est un caractère de beauté, et un léger allonge- 
ment du lobe inférieur des oreilles, dû à cette coutume, conservée 



350 I/ARCHITECTURE KHMER. 

encore de nos jours, d'y suspendre des bijoux cylindriques de 
poids et de dimensions exagérés. 

Le Bouddha est souvent représenté, au Cambodge, assis sur une 
sorte de trône formé des anneaux superposés du serpent brahma- 
nique, dont les sept tètes le viennent ceindre d'une sorte de dais *, 
symbole qui se trouve pour la première fois dans les anciens 
topes de l'Inde. 

Quelques-uns de ces groupes décoratifs offrent une admi- 
rable pureté de lignes et un fort bel arrangement. Ici, comme 
partout où ils ont employé le naga polycéphale, les Khmers 
ont singulièrement perfectionné la représentation hindoue. 

Disposant les têtes de manière à former une sorte d'éventail ou 
de queue de paon déployée, plaçant parfois au milieu une 

I Pour expliquer cette représentation, une légende siamoise raconte qu'un 
jour le roi des nagas vint pendant un orage entourer le Bouddha de ses replis 
et l'abriter sous ses têtes multiples. 

Au Cambodge, la plupart des groupes de ce genre représentent certaine- 
ment le Préa-Pout, reconnaissable à sa physionomie béate et à ses attitudes 
hiératiques ; on peut se demander toutefois si un petit nombre de statues 
analogues, dont les yeux sont grands ouverts et l'expression plutôt dédai- 
gneuse que souriante, ne figurent pas des divinités de l'ancien panthéon 
brahmanique. 

II y a d'ailleurs une parenté évidente entre le Vichnou couché sur 
Ananta, comme il est représenté dans l'Inde et au Cambodge (voy. le mo- 
tif principal du dessin p. 356), et le personnage assis sur les replis du 
naga, (voy. p. précédente) dont les gueules multiples viennent se redresser 
pour former une sorte de baldaquin au-dessus de sa tête. Les compositions 
de ce second genre représentent dans l'Inde tantôt le Bouddha, tantôt le 
dieu des Djaïnes ou même des divinités inconnues adorées par les nagas, 
tribu légendaire que les anciennes sculptures nous montrent la tête sur- 
montée de gueules de serpent. — Parmi ces figurations hindoues, je rap- 
pellerai en particulier une pièce du South Kensington Muséum classée sous 
le titre de « Marble figure of Buddha, old hindu work. Cette pièce est une de 
celles qui présentent le plus d'analogie avec les statues khmers, bien qu'elle 
en diffère encore notablement. Bile est malheureusement d'époque incon- 
nue. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 351 

chimère aux ailes étendues, et enchevêtrant le tout de petits dra- 
gons indéfiniment répétés, ils ont créé ce gracieux motif d'or- 
nementation, que j'ai eu occasion de décrire, et dont, à moins 
de Tavoir vu, on ne saurait se faire une idée exacte (V. p. 334, 
196..., etc.) 1 . 

Parlerai-je encore des moulures ? Elles abondent dans les 
monuments de toutes les époques, et sont extrêmement étudiées, 
de manière à favoriser les jeux d'éclairage, à encadrer les 
ornements qui les ouvrageaient entre de petites lignes nettes de 
lumière ou d'ombre formées par d'étroites surfaces inclinées. 
Parfois elles allaient se diversifiant du haut en bas de l'espace 
qu'elles couvraient ; d'autres fois, surtout aux époques les plus 
récentes, elles se divisaient en deux parties opposées et symé- 
triques. 

Aux ornements dont j'ai indiqué, chemin faisant, la nomen- 
clature, j'ajouterai enfin des fleurs de myrte, de laurier, de pe- 
tites feuilles découpées figurant des z, des dragons ayant, les 
uns des cornes de rhinocéros, d'autres des trompes d'éléphant, et 
vomissant des rinceaux ou des fleurs. Par leur facture molle, ar- 
rondie, ces feuilles, ces fleurs, comme les colliers, les bracelets, 
les bijoux de toute sorte, qui forment les détails de décora- 
tion, rappellent le métal repoussé, genre de travail qui devait 
être en grand honneur à l'époque où l'on revêtait des monu- 



1 On remarquera qu'au Cambodge les nagas sont de deux sortes : les un 4 
dérivent du cobra (naja) hindou, les autres, des dragons japonais ou chinois. 
Ces derniers ont des appendices divers : crêtes, trompes, cornes, défenses 
ou dents saillantes ; ce sont ceux des balustrades, des acrotères, des enca- 
drements de frontons, etc. Les autres servent au contraire de trône au 
Bouddha; on les voit encore rampant sur les marches de Nirpone ou en- 
serrés entre les griffes des garoudas qui soutiennent les murailles de 
Préa-Khan, tandis que c'est le dragon à crête épanouie qui est retenu par 
les géants des ponts de ce même temple. 



L'ARCHITECTURE KHMER. 



ments en tiers de couvertures métalliques ouvragées, et dans 
lequel les Cambodgiens et les Siamois excellent 'encore au- 
jourd'hui. 



Baie de pilier. (Temple de Frta-Khin.) 



CHAPITRE XI 



Ce qu'on sait de l'ancien Cambodge. — Brahmanisme et bouddhisme. 
Coup d'œil sur la civilisation et les moeurs khmers. — Conclusion. 



La civilisation brahmanique, une fois importée au Cambodge, 
dut s'y développer rapidement ; une culture des plus avancées 
pouvait seule permettre à un peuple d'ériger de tels monuments, 
de les décorer d'un, ciseau si fin, de les revêtir de métaux, et 
aussi de fabriquer les armes, les ustensiles, les parures, les mille 
objets d'industrie artistique représentés sur les bas-reliefs. Fer- 
gusson caractérise d'un mot cette civilisation, en remarquant que 
les chars khmers étaient si légers et d'une exécution si soignée, 
qu'aucune nation de l'Orient ou de l'Occident n'eût été capable, 
à la même époque, d'en faire de semblables. 



3H4 L'ARCHITECTURE KHMER. 

À quelle date ont été bâtis les édifices? A cette question, il est 
difficile, jusqu'à nouvel ordre du moins, de répondre en termes 
précis. Des monuments si vastes, si nombreux, chargés de tant 
de sculptures, et, par surcroît, de genres si divers, sont vraisem- 
blablement le fruit d'une très longue période de labeurs. Nous 
sommes portés à croire que l'époque de leur construction s'est 
étendue entre le commencement de notre ère et les quinzième 
et seizième siècles, et que les plus belles œuvres en particulier 
ont été construites du huitième au treizième ou quatorzième. 

Les documents authentiques que nous possédons en pareille 
matière, se résument dans les trois suivants: 1° les extraits des 
annales chinoises faits par Abel Rémusat pour les temps an- 
ciens éi le moyen âge ; 2° la traduction de quelques inscriptions 
du neuvième au douzième siècle ; 3° la chronique royale du Cam- 
bodge, pour les temps modernes. 

Des notices si intéressantes d'Abel Rémusat, il nous suffit de 
retenir les particularités suivantes : — au début du septième siècle, 
et même dès le milieu du sixième, « le pays était devenu puis- 
sant; r. la capitale contenait « vingt mille maisons ; » on comptait 
dans le royaume « trente villes avec plusieurs milliers de maisons. » 
La cour du roi brillait par sa richesse ; le pavillon d'audience 
ressemblait à un petit palais tout « éclatant d'or, orné d'ivoire, 
de fleurs d'or..., de sept sortes de pierres précieuses. Le prince 
se couvrait les reins d'une espècç de ceinture qui lui retombait 
jusqu'aux jambes ; il avait sur la tête une tiare enrichie de 
perles, et des pendants d'oraux oreilles... Devant la porte de sa 
résidence étaient mille gardes revêtus de cuirasses et armés de 
lances... Les habitants se nouaient les cheveux, et portaient, eux 
aussi, des pendants d'oreille ; leurs maisons ressemblaient à celles 
de Siàm... » Tous ces détails se trouvent exactement reproduits 
sur les bas-reliefs de Baion. — Enfin : « il y avait sur le som- 
met d'une montagne, voisine de la capitale, un temple toujours 



• » I 



VOYAGE AU CAMBODGE. 357 

gardé par cinq mille hommes. A Test de la ville était un autre 
temple gardé aussi par mille soldats. » 

Il faut bien admettre que ces derniers édifices étaient consi- 
dérables, qu'ils ont laissé des ruines, et que l'une de ces ruines, 
au moins (celle du temple construit sur le sommet d'une mon- 
tagne voisine de la capitale) n'a pu échapper aux investigations 
des voyageurs 1 . Donc, suivant toute vraisemblance, l'art klimer 
avait, dès le sixième siècle, pris un essor puissant. 

Si l'on venait objecter que les temples dont parle Abel Rémusat 
ont pu être détruits et que nous n'avons aujourd'hui sous les yeux 
que les ruines d'édifices ~plus récents, les inscriptions que l'on y 
retrouve témoigneraient assez de leur antiquité * : celles de ces 
inscriptions, qui ont pu être déchiffrées sont commémoratives de 
donations religieuses faites à des temples déjà existants du neu- 
vième au douzième siècle, les autres, écrites en caractères sacrés 
dits caractères akson 3 , restent depuis bien longtemps lettres 
mortes pour les érudits du Cambodge ou de Siam qui les croient 



1 C'est le temple de Ba-Keng, qui couronne la colline rocheuse située au 
sud-ouest d'Angkor-Thôm. Ce temple comprenait trois préasats de pierre 
dominantes, aujourd'hui ruinées de fond en comble, et soixante tourelles de 
brique probablement surajoutées sur les cinq degrés supérieurs du rocher 
taillé en gradins, et qui sont restées debout, bien qu'ayant subi les injures 
du temps. 

8 Un érudit anonyme fixe à Tan 805 de notre ère la construction de Vaht- 
Lk. — Cette date résulterait de la traduction de l'inscription dédicatoire de 
ce temple « consacré à Vichnou » . 

8 On rencontre aussi, paraît-il, sur certains monuments des inscriptions en 
caractères ordinaires et en caractères akson de l'écriture cham ou du Ciampa. 
— Dans le cours de celte étude, nous avons négligé, faute de données, de 
rechercher si quelques temples parmi ceux que nous avons visités n'auraient 
pas été élevés parles anciens dominateurs de la Cochinchine méridionale. 
Nous attendons, pour le faire, que de nouvelles explorations aient révélé les 
édifices de cette contrée. Les indigènes ne différencient pas les deux sortes 
d'architectures ; ils appellent Tours des Cambodgiens les monuments dissé- 
minés dans les forêts du Binh-Thuan. (Voy. à l'appendice. — Le Ciampa.) 



338 L'ARCHITECTURE KHMER. 

antérieures aux précédentes. Ajoutons que celles-ci se rapportent 
à une époque de grande ferveur bouddhique et que, plus les re- 
cherches se multiplient au Cambodge, plus il semble probable 
que beaucoup de temples y furent élevés en l'honneur de divi- 
nités brahmaniques avant d'être consacrés à Bouddha. 

Au treizième siècle, lors de la visite que fit au Cambodge l'offi- 
cier chinois dont la relation a été traduite par Abel Rem usai, le 
royaume khmer était riche et puissant : Angkor-Thôm était 
entourée de ses fortifications (il n'est pas dit depuis combien de 



Siï» ? dansant sur un radavre. S'Èle provenant do Prda-Klun. — (Musée Klimcr.) 



temps). La ville et ses environs étaient couverts de splendtdes 
édifices. Cette prospérité ne dura plus qu'un siècle ; bientôt 
vint cette période de luttes longues et pénibles avec des alter- 
natives de succès et de revers, temps trop troublés pour per- 
mettre l'érection de ces vastes monuments qui n'ont pu être élevés 
qu'à une époque do gloire et de stabilité parfaite. 

L'antique puissance du royaume khmer s'amoindrit peu à 
peu pour disparaître presque entièrement pendant les derniers 
siècles. Le grand art suivit la destinée du peuple qui lui avait 



VOYAGE AU CAMBODGE. 339 

donné son éclat, et arriva bientôt à sa complète décadence. 
On a vu plus haut comment l'élude des édifices dont l'ensemble 
compose l'œuvre artistique des Khmers pourra permettre d'en 
établir une sorte de classement par époques relatives ; mais, avant 
de donner des dates précises pour l'érection de chacun d'eux, il 
faut attendre que l'épigraphie ait accompli des progrès nouveaux, 
car les rois auxquels on attribue la fondation des principaux rao- 



Viclmou pond par le garouds. — Stèle de Prda-Klian. (Muiéo Khmor ) 

numents sont encore du domaine de la légende et n'appartien- 
nent pas à l'histoire '. 

Une autre question se pose : A qui. furent dédiés ces temples? 
— Déjà les noms de plusieurs d'entre eux semblent indiquer 
que les uns étaient consacrés au culte brahmanique, et les 
autres au culte bouddhique. Occupons-nous d'abord des pre- 
miers. Entre les symboles, qui s'y rattachent, nous n'avons que 
le choix à faire : les nombreuses figurations de Vichnou, cellesdu 
Brahms à quatre têtes, les stèles vichnouistes et sivaïques, la mul- 
titude des personnages — tels que les géants des ponts de Préa- 
Khan — marqués au front du signe de Siva, tout cela, joint aux 

1 Voy. à l'appendice la Noie historique. 



3MI LAROHITECTUHE KHHER. 

croyances de même origine qui s'enchevêtrent dans la religion 
des Cambodgiens modernes, démontre bien que les anciens 
Khmers adorèrent Bralima, Vichnou etSiva. 

Bien d'autres faits pourraient être invoqués à l'appui de celte 
déduction. Prenons, par exemple, la stèle déjà mentionnée qui 



Vichnou «tendu sur Anima. — Stèle dn Prdâ-Klwn. — (Musée Klnuer j 

se rencontre sur la chaussée orientale de Préa-Khan *. Quatre 
petits sujets s'y aperçoivent encadrés dans une ogive surbaissée ; 
chacun d'eux semble représenter Vichnou, à quatre et à huit 
bras: le voici, sur deux des faces, en Hercule armé d'une massue; 
sur la troisième, il apparaît enlevé dans les airs par son garouda 
(V. p. précédente); sur le quatrième, on le voit couché sur le 
dragon (autre forme d'Ananta) que portent la tortue et les pois- 
sons; sa femme lui tient les jambes, et, de son nombril, sort le 
lotus épanoui sur lequel est assis un Brahma brisé *. 

Examinons maintenant la grande entrée du temple d'Angkor- 
Vaht. Sur l'entablement de la porte intérieure, parmi des rin- 
ceaux d'une exquise finesse, n'est-ce pas encore le même sujet ? 
Vichnou est là, étendu, comme en un hamac, sur une espèce de 

1 Voyez ri-dessus, p. 69. 

' M. Penaud nous a communiqué le dessin de la mome scène sculptée sur 
le fronton ruiné d'un des édifices du Cambodge méridional. De nos jours, 
les indigènes viennent, a la .manière hindoue, oindre d'huile ces divinités 
brahmaniques. 



I« «. 



» t ifcvA 



3 

-Meideu 



I. — Damoé (ou inuvagej — personnage d'un dei haa-rtliefa repi 
!. 3. — Tête antique («cueillie dani le Cambodge méridional pi 

i« (Croulon de Préa-Kbao C-ompong-joai). 

trriera dp la galerie du Combota à Angaor-ïahl). 



1 



i * 

\ 



VOYAGE AU CAMBODGE. 36;> 

serpent allongé, transformé par les fantaisies du ciseau en un or- 
nement pareil à celui que Ton rencontre dans les sculptures de 
Sanchi : une de ses femmes lui soutient également les jambes ; 
au-dessus de lui sur un lotus à trois feuilles, — un des motifs 
fondamentaux de la décoration khmer, — se tient encore un 
dieu. Dans mille sculptures d'ornementation d'Angkor-Vaht, on 
retrouve Vichnou à quatre bras, de même qu'on le voit, dans les 
bas-reliefs, figuré sur son garouda, en compagnie de Siva, monté 
sur son bœuf. 

Mais voici que, dans les galeries du même temple, nous aper- 
cevons une quantité de statues bouddhiques, où se révèle un art 
consommé, une image du pied de Çakya-Mouni, et une sorte de 
tombeau où le dieu est étendu, faisant son entrée dans le Nir- 
vana ; voici, en outre, sur une stèle, une scène caractéristique 
qui paraît être comme un symbole de l'alliance des deux cultes * : 
c'est la naissance de Bouddha, reçu, au sortir du sein de sa 
mère, par un firahma à quatre faces, agenouillé 2 . 

Avons-nous affaire ici à deux religions sucessives, ou à deux 
cultes florissant côte à côte, ou bien à une dévotion mixte née de 
l'alliance de deux panthéons? C'est un problème que, pour le 
moment, nous ne saurions résoudre. 3 

1 Voyez ce que nous avons dit ci-dessus, p. 339, au sujet d'Angkor-Vaht. 

* Nous devons à M. Fergusson l'explication de cette pierre photographiée 
dans les galeries d'Angkor-Vaht par M. Thomson. 

3 Le mélange des deux religions se rencontre, on le sait, dans presque 
toutes les contrées qui ont subi l'influence hindoue. — D'après sir J. Emer- 
son Tenent (Christianity in Ceylori) les rois malabars qui très anciennement, à 
la chule de la dynastie indigène, devinrent souverains de Ceylan, y introdui- 
sirent le culte de Siva et de Vichnou à coté de celui de Bouddha, et, depuis 
lors, on a continué à y adorer ces divers dieux, les uns à côté des autres, 
dans les mêmes édifices, presque sous les mômes toits. 

D'après le major Phayre (Mémorandum on tlie pagoda at Pagan....) dans le 
temple de Ghapinyu en Birmanie, se trouvent à la fois le Bouddha et des fi- 
gures brahmaniques. Les bonzes appellent ces dernières des nats — ; ils les 



366 L'ARCHITECTURE KHMER. 

Troisième question. Qu'était ce peuple khmer, par qui les 
édifices ont été construits ? Sur ce point, plus que sur tout autre, 
il n'y a encore que ténèbres. Les premiers rayons de lumière 
nous viendront, sans doute, tant des recherches épigraphiques 
que de l'étude attentive des galbes reproduits sur les monu- 
ments. On est en effet frappé du soin extrême avec lequel dans 
ces sculptures (comme dans les plus anciens bas -reliefs égyp- 
tiens) les caractères distinctifs des races se trouvent souvent obser- 



avaient disaient-ils, introduits dans le sanctuaire, soit comme gardiens su- 
bordonnés autour du dieu, soit pour attirer des brahmanes commes adora- 
teurs de Boudda. Le peuple rendait hommage à toutes ces divinités indistinc- 
tement. 

Le môme mélange se rencontre ;\ Karli dans l'Inde, à Mendo et à Java. 

Dans les temples franchement bouddhiques comme les topes de Sanchi et 
Boro-Boudour, les bas-reliefs représentent des scènes de la légende de Çakya- 
Mouni, et si à Boro-Boudour en particulier on reconnaît quelques sujets brah- 
maniques, ils sont tout à fait accessoires. 

Au Cambodge, ce sont des bas-reliefs brahmaniques qui couvrent la sur- 
face des monuments, tandis que les sanctuaires abritent presque toujours 
des images bouddhiques. Cette anomalie n'est pas encore expliquée. — L'hy- 
pothèse la plus vraisemblable est celle de deux religions successives. 11 se pour- 
rait toutefois que diverses sculptures anciennes représentassent des sujets 
bouddhiques rendus méconnaissables par leur aspect archaïque, par des 
conventions particulières de costume, ou par le faire du sculpteur. Celte ré- 
flexion nous a été inspirée par la vue de diverses représentations parmi 
lesquelles je citerai un personnage de grande dimension assis, au pied d'un 
arbre, entre des adorateurs, scène qui orne un des frontons ruinés de 
Préasat Kong-Phlouk (groupe de Méléa). 

Les quatre frontons du sanctuaire de Phnom- Bachey représentent quatre 
épisodes de la vie de Çakya-Mouni, mais ce sanctuaire a été presque entière- 
ment reconstruit, et nous ne savons si- ces sculptures ne datent pas de l'épo- 
que de la restauration. — Nous devons ajouter que la majorité des statues 
bouddhiques amoncelées dans les galeries des temples nous semblent appar- 
tenir aux dernières époques. 

Nous signalerons enfin à l'attention des futurs explorateurs, les bas-reliefs 
qui ornent l'entrée orientale de Baphoum (2 e étage). Ces compositions n'oc- 
cupent qu'une surface peu étendue, il serait aisé d'en prendre un estampage 
ou un dessin et l'étude en serait particulièrement intéressante. 



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VOYAGE AU CAMBODGE. 36» 

vés. La variété y est fort grande; à côté du sauvage indigène, figu- 
rent l'Annamite, le Laotien, puis une race tartare épaisse et puis- 
sante, puis des types voisins de la race israélite, des tètes de brah- 
manes hindous, des guerriers auxquels il ne manque qu'une lèvre 
supérieure un peu plus épaisse 1 pour ressembler à des guerriers 
romains, enfin et surtout un dernier type qui pourrait bien être 
par excellence celui du vieux Cambodgien : il est noble, empreint 
de finesse, de douceur, et dans certains de ses spécimens les moins 
récents, il semble un peu se rapprocher de l'antiquité classique *. 
On voit quelle abondance de matériaux pourraient encore re- 
cueillir, de ce chef, les explorateurs futurs du Cambdoge ; mais 
il ne faut pas se dissimuler que chacune des grandes ruines 
khmers mériterait, pour sa part, une élude aussi complète que 
celle qui a été faite parles Hollandais du temple de Boro-Boudour 
à Java, et Ton sait quelle dépense de temps et de labeur a coûté 
au gouvernement néerlandais la magnifique publication qu'il a 
consacrée à cet édifice. Ajoutons que toute recherche archéolo- 
gique, pour être aussi fructueuse que possible, exigerait le con- 
cours de personnes possédant une connaissance approfondie, 
non seulement de la langue et des usages des Cambodgiens 
modernes, mais encore des religions et des monuments de l'Inde. 



II 



Même au temps où le Cambodge était le plus peuplé, il s'y 

1 Celte particularité caractéristique de la lèvre supérieure très étroite se 
remarque aussi dans la célèbre tète de Brahma à Éléphanta. 

1 Sur celte question, comme sur les deux questions qui précèdent, on a 
fait déjà de nombreuses hypothèses. Nous pensons qu'aujourd'hui le temps 
de la fantaisie est passé, et qu'à la veille de voir la lumière jaillir du déchif- 
frement des inscriptions, il ne faut apporter à la science que des faits ob- 
servés avec soin et méthode. 



370 L'ARCHITECTURE KHMEH. 

rencontrait dévastes espaces envahis par le marécage ou couverts 
de forêts inextricables, repaires de bêtes malfaisantes. 

Les plaines fertiles se cultivaient en rizières ; la population agri- 
cole y habitait des cases exhaussées sur pilotis. Les lacs et les 
cours d'eau, extraordinairement poissonneux, fournissaient un 
appoint considérable à l'alimentation générale. 

La pêche avait lieu, chaque année, au retour de la belle saison, 
et déjà, dans ces mers d'eau douce, on pouvait voir comme aujour- 
d'hui, les indigènes lutter corps à corps avec d'énormes poissons, 
véritables monstres que le retrait des eaux laissait à sec sur le 
sable. 

Le commerce intérieur se faisait surtout par des caravanes. 
Celles-ci traversaient les interminables plaines du pays en suivant 
les grandes chaussées élevées au-dessus du niveau des inon- 
dations, et en franchissant les rivières torrentueuses sur des ponts 
dont les arches étaient si étroites que, d'une pile à l'autre, il 
n'y avait évidemment point place pour le passage d'une grande 
barque. 

Chaque ville principale ou résidence princière consistait en 
une immense enceinte rectangulaire dont le centre était occupé 
par le temple en pierre et par ses dépendances : pagodes royales 
avec leurs aires planes ombragées d'arbres sacrés ; clottre, cel- 
lules des moines; préaux, salles d'études des novices; biblio- 
thèques construites en pierre ou supportées sur des poteaux de 
bois et entourées d'eau pour les préserver de l'atteinte des ter- 
mites. 

Tout à coté, s'élevait la demeure du prince, comprenant des 
vestibules d'attente, de vastes salles d'audience, de justice, de 
fêtes, aux colonnades peintes et dorées, aux riches draperies, aux 
lambris chargés de sculptures et d'ornements; puis, le belvédère 
aérien, l'observatoire des astrologues, les pavillons de plaisance 
surmontés de toits en briques de couleur et de (lèches incrustées 



VOYAGE AU CAMBODGE. 371 

de mosaïques faites d'or, de glaces et de pierres nuancées *. 

Derrière, se trouvaient les jardins et les appartements secrets du 
harem. Là s'étalaient étoffes précieuses, broderies et franges com- 
posées avec art et formant un genre de décoration si prisé, que les 
sculpteurs en reproduisaient les dessins gracieux sur les piliers et 
sur les murailles des édifices de pierre. — En dehors du quartier 
des femmes, c'étaient les hangars des gardes, les magasins royaux, 
les ateliers des artisans habiles toujours réquisitionnés pour le 
service de la cour. — A l'extérieur de l'enceinte, les habitations 
des fonctionnaires et de leur suite; les soldats, les chars, les élé- 
phants de guerre (il y en eut jusqu'à deux mille,) et tout l'attirail 
des armées. Les boutiques des trafiquants garnissaient les 
chaussées ou bien s'alignaient sur les côtés des grands boulevards 
qui servaient d'emplacements aux marchés. C'était là que se ren- 
contraicntles commerçants venus de la Chine, des grandes lies du 
sud-est, de Ceylun, de l'Inde, peut-être même de l'Arabie et de 
l'empire romain. C'était là qu'ils troquaient les produits de leurs 
régions respectives, contre les parfums, les pierres précieuses, 
l'ivoire, les bois incrustés de nacre, les animaux rares du 
Tchin-la *. 

De même que les conquérants de l'Occident, les dominateurs 
de l'Indo-Chine regorgeaient de richesses et avaient à leur ser- 
vice des milliers d'esclaves qu'ils employaient à construire leurs 
forteresses et leurs édifices sacrés. Les combats de coqs, de porcs, 
et probablement aussi les combats de bêtes fauves, étaient leurs 
plaisirs préférés, ainsi que les courses de chevaux et les courses 
de chars attelés de zébus, de buffles, et, si Ton en croit les bas- 



1 « Innombrables étaient les richesses du roi Préa Ket-Méaléa : pierreries, 
« or, argent, bracelets, tapis, soies brodées, étoffes à dessins ; innombrables 
« étaient les éléphants, les chevaux, les chars, les palanquins, les parasols, les 
« rideaux à franges et les guirlandes d'or. »—SatradePréaKet-Méaléa déjà cité. 

1 C'est sous ce nom que les écrivains chinois désignent le Cambodge. 



37Î L'ARCHITECTURE KHMER. 

reliefs, de cerfs et de panthères. Ils aimaient encore les danses 
voluptueuses des bayadères demi-nues. 

Ils venaient souvent aussi prendre place autour des théâtres 
où l'on représentait des mystères brahmaniques, et volontiers ils 
s'y émouvaient à la vue des malheurs de la belle Sita et du triom- 
phe de Rama, les héros favoris de leurs bas-reliefs. 



lui archer (bas-reliefs d'Angkor-Vaili). 

Simples dans leur vie ordinaire, les princes réservaient tout 
leur faste pour les cérémonies religieuses et les fêles pu- 
bliques. Les figurations sculpturales des monuments nous ont 
donné une idée de la magnificence qu'ils déployaient alors 
dans leurs sorties solennelles '. Des cavaliers, armés de lances, 
ouvraient la marche du cortège au son d'une musique guer- 
rière ; les gongs résonnaient sous les coups des mimes gro- 
tesques qui frappaient en dansant et qu'accompagnait en 
mesure le bruit des piques s'entrechoquant avec les boucliers; 



' On a vu déjà que les cortèges royaux furent souvent représentés en bas- 
relief sur les murailles de Baion et d'Angkor - Vaht ; le voyageur chinois qui 
visita le Cambodge au treizième siècle, nous en a laissé un court aperçu que 
nous avons utilisé pour cette description. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 373 

les trompettes éclatantes, les trompes sourdes mêlaient leurs accords 
-au roulement des tambours que les joueurs battaient alternative- 
ment du genou, de la main, du talon ou du coude. Venaient 
ensuite les archers costumés de vestes brodées avec courtes jupes 
■ouvertes par devant, et coiffés de casques de métal repoussé, figu- 



ftmlwiln armé de la pique et de la cuirasse avec casque et bouclier ornés de la face 
de Rliéou (roi des diables). 



rant des becs d'aigles, des têtes de vautours, des gueules de singes 
menaçants, des hures de sanglier ou des masques diaboliques. 
Cette troupe marchait par rangs et d'un pas cadencé, portant 
l'arc et les flèches tout droits et bien alignés. 

C'étaient alors les fantassins revêtus d'armures avec casques 
pointus ou surmontés de cimiers en forme de chevelures tres- 
sées ; pour armes offensives, ils avaient la double épée suspendue 
au baudrier croisé, l'épieu, la lance à deux, trois ou six pointes, 
le trident, la scie dentelée, et cette sorte de hache dont le fer, 



37i L'ARCHITECTURE KHMER. 

encastré dans une branche d'arbre en pleine croissance, s'y était 

soudé par la puissance de la sève. 

Derrière ces cohortes guerrières s'avançaient plusieurs cen- 
taines de femmes : celles-ci, le front ceint d'un diadème, la tête 
couverte d'une mitre ouvragée à jour, les cheveux séparés en 
longues nattes tombantes; celles-là, portant une large coiffure 



Une enseigne (bas-reliefs do Itaion), 

entremêlée de lys et de feuillages ; d'autres, les cheveux cou- 
pés court, sauf une mèche bouclée sur la nuque avec des épis 
murs; pour vêtement, l'écharpe de soie avec la jupe frangée 
ou la ceinture retombant devant 'et derrière en riches plis bro- 
dés. 

Elles étalaient à l'envi leurs bijoux : pendants d'oreilles, col- 
liers ciselés, bracelets imitant des serpents, anneaux doubles en- 
lacés comme des lianes autour des jarrets et des chevilles. Ces 
odalisques portaient des vases en métal où brûlaient des par- 
fums ; elles agitaient des éventails, des chasse-mouches, elles dé- 
ployaient au vent des oriflammes éclatantes. 



VOYAGE AU CAMBODGE- 375 

La garde intérieure du palais apparaissait à son tour*. Puis la 



Un lion gardian d'un escalier de PnSa-Khan (Compong Soai). — Mutée Khmar. 

file se continuait par le groupe sévère des magistrats assis grave- 

1 De nos jours encore, la garde intérieure du palais est fuite à la cour de 
Siam par un détachement de jeunes femmes armées de lances et de bou- 
cliers, les seins enfermes dans des coupes de métal imitant la fleur du lotus; 



370 L'ARCHITECTURE KHMER. 

ment sur leurs palanquins dorés ou argentés, avec des escortes de 
serviteurs qui leur offraient la noix d'arec dans des boîtes en 
métal repoussé d'une richesse proportionnée à leur rang, pen- 
dant que d'autres serviteurs tenaient sur leurs têtes des parasols 
écarlates. 

Plus loin, c'étaient la reine et ses suivantes, celles-ci assises 
sur des chars au timon relevé en forme de cobra à trois gueules, 
celles-là étendues mollement dans des litières à l'ombre de pe- 
tits toits à étages richement ornés et appuyés par de fines co- 
lonnettes sur des dragons fantastiques que les porteurs soute- 
naient à Tépaule. 

Le fastueux cortège s'allongeait encore de la procession des 
dignitaires du palais portant sur des plateaux les vases précieux, 
insignes dé la puissance royale, ainsi que de petites tours, repro- 
ductions en miniature des sanctuaires, et des statues des dieux 
en or massif incrusté de pierreries. 

Enfin apparaissait le roi lui-même, debout sur un éléphant gi- 
gantesque et tenant à la main le Préa-Khan ou glaive sacré des 
souverains khmers , au sort duquel la croyance populaire liait 
l'avenir du royaume. Autour du prince se pressaient derechef 
des porteurs de dais et d'immenses parasols parsemés de fleurs 
brodées. Puis venait une troupe d'éléphants aux défenses dorées, 
aux colliers surchargés d'anneaux et de clochettes. Chacun d'eux 
était monté par un groupe de guerriers, qui, pour combattre, 
pouvaient se servir comme d'un appui du dossier saillant de la 
selle et se mettre à l'abri derrière d'énormes boucliers f . De nom- 
breux cavaliers fermaient ce défilé. 

Les prêtres khmers, de même que les Brahmanes de l'Inde, 
ne courbaient le front que devant les dieux; mais les grands et le 
peuple se prosternaient, sous peine de mort, au passage du roi. 

1 Voy. dans l'album du Voyage d'exploration en Indo-Chine le dessin d'une 
selle d'éléphant antique conservée dans une pagode d'Oubôn. 



VOYAGE AU CAMBODGE. 377 

Le cortège cheminait pompeusement par les grandes avenues 
plantées de palmiers; il franchissait les portes triomphales, les 
ponts bordés de géants, et se déployait, d'un temple à l'autre, 
entre les interminables nagas des balustrades ou les longues files 
de stèles alignées. Parfois, le roi s'arrêtait sur un belvédère pour 
voir lutter des athlètes ou pour assistera des courses de pirogues 
et à des joutes sur l'eau. D'autres fois, le cortège faisait halte 
auprès d'un embarcadère : le prince et sa suite montaient sur 
de longues barques creusées dans un seul tronc d'arbre et figu- 
rant des dragons chimériques. Les pagayeurs les faisaient glisser 
sur la surface assoupie du lac: on allait ainsi cueillir le lotus 
sacré, puis la troupe, chargée de fleurs et d'offrandes, se proster- 
nait aux pieds des statues et accomplissait les rites religieux 
dans les sanctuaires qui s'élevaient du milieu des eaux. 

Combien de temps dura cette puissance du peuple khmer? 
Douze ou treize cents ans peut-être. Dès le deuxième siècle de 
notre ère, le Cambodge, s'il faut croire les annales chinoises, 
payait un tribut à l'Empire du Ciel; il s'en affranchit plus tard 
pour s'y soumettre de nouveau à plusieurs reprises. Malgré cette 
vassalité fictive plutôt que réelle, ce fut pendant cette longue 
période que le royaume khmer atteignit l'apogée de sa grandeur. 
L'ère de la décadence ne commença que bien longtemps après, 
avec cette interminable série de guerres et d'incursions à laquelle 
a mis seule un terme l'arrivée des Français en Indo-Chine. 

La civilisation s'est aujourd'hui retirée de ce pays privilégié 
où elle avait brillé d'un si vif éclat; mais le sol est resté avec sa 
fécondité incomparable. 

Depuis que nous avons planté notre drapeau sur cette con- 
trée, il semble déjà qu'elle se reprenne à vivre et à respirer. 

A nous d'arracher à leur triste état d'abaissement ces races 



3*8 L'ARCHITECTURE KHHER. 

déchues, de mettre un terme au despotisme qui tes écrase, à 
l'exploitation effrénée qui paralyse en elles toute initiative et tout 
ressort. Aussitôt qu'elles se sentiront gouvernées avec un esprit 
d'ordre et de justice, et parlant, assurées de jouir du fruit légi- 
time de leur travail, elles se réveilleront de leur torpeur, et re- 
trouveront leur ancienne sollicitude pour cette terre, à la glèbe 
généreuse entre toutes, qui en maint endroit ne demande, elle 
aussi, qu'à être touchée de la main de l'homme pour enfanter de 
nouvelles richesses. 

Mais là ne doit pas se borner notre tâche : n'est-ce pas à nous 
encore qu'il appartient de faire revivre le passé merveilleux de 
ce peuple, de reconstituer les œuvres admirables que son génie a 
enfantées ; en un mot, d'enrichir d'une page nouvelle l'histoire de 
l'art et les annales de l'humanité ? 



V 



{Dnué d'ipm le nrlfié d, 

«Mion loti Le du bclt £d«* .If Val 



t orientale d'Angkor-Vaht, le» cerclei pointillé! indiquent Jm 



*v . •« 



PI. 381. 




CARTE 

OR 

L'IMXKHINE MÉRIDIONALE 

Ancien ROYAUME du CAMBODGE 
oa ROYAUME KHMER. 



LmJ La, Uint» tvse indique* l'empltuem+nt 
des Ruiner Jfhmetv exploras Justju a ■ ce 
jotw. 



CrmoipmrK.MmmutX n<fe Jhfa. Fmri». 



APPENDICE 



Sous ce titre ont été réunies quelques uotes complémen- 
taires se rapportant à différents points traités dans cette 
étude, mais qui, disséminées dans le cours du récit, auraient 
pu nuire à sa clarté. 



§ » 



Le Lieu sacré de Nirponc visité par M. Faraut (V. p. 147). 

Plan de Pontéay-Ka-Kéo, accompagné d'indications com- 
plétant la description sommaire de ce monument donnée 
pages 94 et suivantes. 

Les Bas-reliefs de la deuxième galerie de Baion, texte et 
dessins de M. Harmand, qui avait été chargé de cette étude 
pendant le séjour de la Mission à Angkor-Thôm. 

Traduction, in extenso, par M. Aymonier, de deux inscrip- 
tions plusieurs fois citées dans le cours de la relation de 
voyage. 

Description des sculptures sur bois et des tableaux du 
temple de Boriboun. — Description des peintures de Vaht 
Tapaukéo à Battambang (extrait de l'ouvrage du D r Bastian : 
Die Voelker des œst lichen Asien) . 



380 APPENDICE. 

Notes mythologiques. 

Légende relative à la ville de Pursat. 

Le passé légendaire du royaume de Ciampa (extrait de 
Bastian, même ouvrage) *. 



Analogies de l'architecture de l'ancien Cambodge avec les 
architectures des pays voisins. 



§ m 

Note historique résumant les notions, encore très peu 
étendues, que l'on possède sur le passé du Cambodge, 
d'après les auteurs qui ont écrit sur ce sujet. 

1 M. le professeur Shlesinger Rahier a bien voulu nous aider dans les 
recherches failes dans les auteurs allemands. 



[Vue restimée d'après le relevo de M. Parant.) 



LE LIEU SACRÉ DE NIRPONE 
{Visité par M. Farnut, en (674). 

On sait qu'aux temples de l'Inde étaient généralement annexés des 
réservoirs dont l'eau servait à la fois à l'entretien du monument et 
aux ablutions des prêtres et des fidèles. 

Quelques-unes de ces citernes, communiquant sans doute avec des 
nappes d'eau souterraines, ne tarissaient jamais, lors même que les 
étangs environnants se desséchaient pendant la saison d'été, circon- 
stance qui frappait le peuple crédule et superstitieux. Dans le Magar- 
Talao (lac des alligators), à Karachi, on nourrissait des crocodiles 
sacrés ; dans la mare d'Hinglay, les fidèles se plongeaient pour se laver 
de leurs souillures spirituelles ou pour se guérir de leurs infirmités. La 
plupart de ces réservoirs, en un mot, passaient pour avoir des vertus 
mystérieuses, et chez les peuples de l'Inde, de même que chez beau- 
coup d'autres, l'eau était le symbole de la purification. 

Diverses légendes populaires, la célébration annuelle de la fête des 
eaux, enfin le grand nombre de sras ou citernes sacrées que les anciens 
khmers creusèrent au pied de leurs monuments, à l'imitation des 
Hindous, témoignent que, dès une haute antiquité, des croyances 



388 APPENDICE. 

analogues à celles de l'Inde eurent cours au Cambodge. Le climat de 
cette contrée, où pendant six mois de Tannée régnent un soleil tor- 
ride et une sécheresse absolue, nécessitait d'ailleurs, tout autant que 
dans l'Hindoustan, la création de réservoirs artificiels. Aussi en existe- 
t-il, non seulement à l'intérieur des temples, mais encore en dehors 
dans les parcs qui en dépendaient. Plusieurs de ces réservoirs étaient 
de véritables lacs qui ne mesuraient guère moins d'un kilomètre carré 
en superficie. On utilisait ceux-là dans les fêtes religieuses pour des 
joutes ou de grands combats qui se livraient sur l'eau à la manière 
des naumachies romaines. 

- Quelle qu'ait été l'importance de ces sras sacrés au Cambodge, ils 
ne nous ont pas semblé, dans les temples que nous avons explorés, 
être autre chose que les accessoires du monument. Cependant, un de 
nos compagnons de voyage, M. Faraut, a visité un lieu sacré excep- 
tionnel dans lequel les citernes sont si multipliées et les constructions 
si minimes, que ces dernières ne paraissent avoir été élevées que pour 
accompagner les autres. 

Ce lieu sacré est situé en pleine forêt, dans un endroit désert. Bien 
qu'assez rapproché des deux immenses pyramides de Préa-Rup et de 
Mi-Baume, chacune centre de ruines importantes, il semble en être 
indépendant et former à lui seul un tout complet. 

Imaginez une plate-forme carrée d'environ deux cents mètres de 
côté, enceinte d'une muraille basse, percée d'une porte d'entrée à 
l'orient. Quatre sras rectangulaires, d'une superficie de cinq mille 
mètres carrés chacun, occupent les angles de cette plate-forme ; quatre 
pièces d'eau plus petites, placées entre les grandes, forment les extré- 
mités d'une croix grecque au centre de laquelle est creusé un grand 
bassin garni de marches de pierre ; un îlot circulaire à gradins sert de 
soubassement à un tout petit sanctuaire qui s'élève au milieu de ce 
réservoir principal. 

Le sanctuaire, en partie détruit, est obstrué par la végétation d'un 
figuier qui croît au milieu de ses ruines; il ne s'y trouve plus au- 
jourd'hui que quelques restes de statues bouddhiques. Deux nagas 
sont placés, le plus petit sur la marche inférieure, l'autre, à fleur 
d'eau; ces serpents fantastiques entourent et protègent le temple; 
leurs têtes menaçantes se dressent vers l'orient, de chaque côté 
de la porte principale. Devant cette porte, pour relier l'Ilot à la terre 



APPENDICE. 389 

ferme et donner accès au saint des saints, se trouve une étroite chaussée 
bordée jadis de parapets soutenus peut-être par une suite de petits 
personnages accroupis, à l'imitation des allées de géants qui foripent 
les balustrades des grands portts d'Angkor-Thôm et de Préa-Khan. 

Enûn, quatre très petits édicules, placés aux quatre points cardi- 
naux, de manière à relier chacun des sras en croix au bassin, achèvent 
cet ensemble dans lequel il ne reste plus à noter qu'un fronton chargé 
de danseuses entourant une déesse montée sur un quadrupède, et 
quelques grands masques burlesques, têtes de Iakshas, de dieux, 
d'éléphants, d'animaux divers qui ornaient le milieu des entablements 
des portes. L'exécution de ces sculptures paraît indiquer une époque 
de l'art khmer importante mais postérieure à celle des plus vastes et 
des plus belles constructions, nous voulons parler de la période des 
grands édifices pyramidaux, période qui, d'après divers indices, sem- 
blerait coïncider avec celle de la plus grande ferveur bouddhique dans 
cette contrée. 

La disposition d'ensemble du lieu sacré que nous venons de décrire 
est digne d'intérêt, elle peut se résumer ainsi : un grand carré renfer- 
mant une croix dont le centre est occupé par un cercle. Or le cercle 
ne se trouve presque jamais dans les plans des édifices khmers ; nous 
n'en connaissons qu'une autre application : c'est celle de la tour cen- 
trale du plus extraordinaire de tous les monuments de l'ancien 
Cambodge : le temple de Baion. Et ce n'est pas là la seule analogie 
qui existe entre ces deux édifices, d'ailleurs si différents, puisque, 
réduit à son expression la plus simple, Baion se compose aussi d'un 
carré formé par des galeries à colonnades, d'une croix figurée par une 
terrasse intérieure admirablement décorée, et d'un cercle central qui 
sert de base à une tour immense et merveilleuse ; disposition à la 
fois simple, harmonieuse et remarquablement choisie pour diver- 
sifier les effets architecturaux. 

Maintenant, quelle était l'idée religieuse symbolisée dans la cons- 
truction de Nirpone ? Aucune légende, aucune indication n'a été 
recueillie sur ce monument, muet depuis des siècles, mais la tradi- 
tion locale en a heureusement conservé le nom : Nirpone veut dire 
Nirvana 1 . 

1 Nirvana se dit en cambodgien Nirpeen (d'après M. Aymonier). — En 
siamois : Nirphan ou Niruphan (d'après Alabaster Henry). 



390 APPENDICE. 

C'est donc au Bouddha parvenu à la suprême gloire du Nirvana 
qu'était consacré l'édifice. Le sanctuaire s'y trouvait relégué au milieu 
des eaux sur un îlot comme pour symboliser l'infini et l'inaccessible. 
S'il nous était permis de chercher à expliquer par une hypothèse la 
présence des nombreux bassins environnants, nous dirions que le 
fidèle qui voulait pénétrer dans le sanctuaire devait traverser succes- 
sivement tous les sras en s'y purifiant de ses souillures et ce pèlerinage 
représentait les existences nombreuses à travers lesquelles tout homme 
doit passer pour s'épurer peu à peu et arriver enfin à la perfection 
suprême et au céleste sommeil du Nirvana, dont l'image était offerte 
par le saint du mystérieux sanctuaire. 



PONTÉAY KA-KÉO 



Le plan ci-joint (voy. p. suivante) permettra de se rendre compte 
de la disposition générale de Ponleay Ka-Kéo déjà décrit sommaire- 
ment p. 94 et suivantes. 

L'édifice, ou plutôt l'assemblage d'édifices qui porte ce nom, se 
compose de quatre parties : 

1° Constructions d'entrée comprenant salle en croix, galeries laté- 
rales et petite fosse entre deux tours ; 

2° Temple à enceintes entouré de sras et d'une muraille extérieure; 

3° Pyramide élevée dans un parc enclos par une muraille faisant 
su ite à la précédente ; 

4° Monticule artificiel. 

1° Quatre piliers placés de front précédaient les portes de la salle en 
croix ou vestibule d'entrée. Ces piliers, dont les bases et les chapiteaux 
ne sont que dégrossis (il en est de même dans tout le reste du mo- 
nument), ont 3 m ,60 de hauteur. Ils supportaient un fronton trian- 
gulaire encadré de nagas. 

Un cordon de personnages dans l'attitude de la prière (vus par le 
D r Harmand à son second voyage) régnait près du sol sur le mur in- 
térieur de la salle. 

Des restes de murailles presque entièrement enfouies indiquent la 
place de larges constructions latérales ruinées.— Les galeries suivantes,. 



m 



m 



.Vola. — Par ««pliai 

I page (S et pige» «uilanh 



Hauteur de 1» pyramide a sept étagn 

La hauteur du monticule artificiel est à peu près 

mmcTil ne nous a pu paru orienté euctenunt. Son ne longitudinal 
^fiplion de Ponté»! ka-Iéo. - P. « ; ] e dea.in du motif rentrai de 



pthrn* <\ve celle de U pyramide. 

I j, [flUWsnent du grand gopoura. — P. 9 






'. 94 ; Il »lle des Statue: 



*,1- 



« relui 



APPENDICE. 395 

plus étroites, présentent des pignons triangulaires, avec encadrements 
légèrement sculptés et percés de cinq trous qui recevaient les poutres 
•de la toiture. 

Une petite fosse de trois mètres de long sur un de large, au fond de 
laquelle on descend par quelques marches, se présente, au sortir du 
vestibule, entre deux préasats en bienhoa de forme grossière et dont 
la cella est vide. 

2° On pénètre dans l'enceinte du temple proprement dit par un 
gopoura en briques de 18 mètres d'élévation, avec portes hautes 
<le 3 m ,60 et de forme légèrement trapézoïdale, comme les portes 
égyptiennes ou certaines entrées de monuments de Java. Le linteau 
supérieur est très épais ; deux de ses angles sont abattus de manière à 
le faire reposer sur une suite de briques en escalier. Au-dessus, la mu- 
raille est évidée en triangle, pour distribuer la pression supérieure sur 
les côtés, au lieu de la faire porter sur l'architrave que ce poids énorme 
eût pu rompre. — J'ai aussi observé cet arrangement dans plusieurs 
édifices en pierre (Méléa entre autres) ; mais là, les vides sont masqués 
des deux côtés par des tablettes de grès qui semblent faire partie de 
la muraille. 

Le gopoura, terminé comme les tours de Séliam par une grosse fleur 
de lotus, est à six ou sept étages en retrait, accusés au dedans comme au 
dehors, et disposés comme dans la tour de Bouddha Gaya au Bengale. 
Des colonne t te s élégantes y occupent la place habituelle, aux angles 
des portes, et soutiennent l'entablement. Je n'ai dégagé que celui de 
l'est (Voy. p. 97). 

Outre les restes de la statue géante abritée sous ce gopoura, on y 
voyait aussi des fragments de stèles, une suite de ligures mytholo- 
giques encadrées d'ogives, ainsi que la statue de femme figurée p. 98, 
et quelques autres débris. — Une conduite s'ouvrait à un angle, sans 
doute pour donner issue à l'eau servant au lavage des statues. 

Au sortir du gopoura, on passe entre les colonnades des petites 
galeries, à l'extérieur desquelles s'allongent des balustrades de nagas, 
grossièrement sculptées ; des garoudas (Ûgurés sur le plan par des 
points) se dressaient aux angles. 

La salle des statues (p. 96 et 97) et le gopoura intérieur franchis, on 
se trouve devant l'escalier du sanctuaire, construction à trois com- 
partiments, ruinée, qui avait peut-être été jadis surmontée d'une tour. 



396 APPENDICE. 

Ce sanctuaire et le groupe de préasats dont il est entouré reposent sur 
un soubassement en forme de T dentelé, le tout construit en petites 
briques mal jointes ; les portes des tourelles sont encadrées de linteaux 
de grès Gnement sculptés. 

Le gopoura de sortie s'ouvre sur une seconde salle en croix gardée 
par des tévadas (D r Harmand), tandis que la première Test par des 
guerriers analogues aux personnages figurés sur les pilastres des 
tours de Phnom Boc. 

La chaussée qui suit est entièrement envahie par la végétation ; elle 
conduit, par une porte aujourd'hui ruinée, au parc qui renferme la 
grande pyramide. 

3° Le plan ci-joint, et la vignette (p. 299), permettent de se rendre un 
compte exact de la disposition de cette construction massive à sept 
étages. Le petit carré centrai indiqué sur le plan représente un puits 
d'environ i mètre de côté et 8 de profondeur, creusé au sommet du 
monument. La bande noire qui l'entoure figure un premier mur très 
épais, soutenu extérieurement par d'énormes cariatides fantastiques. 
Un couloir, à peine assez large pour permettre le passage, règne entre 
cette clôture et une seconde muraille de même épaisseur. Ces deux 
enceintes sont en ruines du côté de l'ouest ; la plus grande s'ouvrait à 
l'est par une porte aujourd'hui sans entablement; ces murailles basses 
étaient probablement surmontées d'une construction terminale. 

4° Au dehors du parc s'élève enfin le monticule artificiel. 

Considéré dans son ensemble, Ka-Kéo paraît être l'œuvre d'archi- 
tectes puissants mais d'un goût lourd et peu gracieux,' Le temple à 
tourelles, vu à l'intérieur, pouvait présenter un coup d'oeil pittoresque ; 
au dehors, il n'offrait ni les riches ornements, ni les moulures, ni les 
sculptures des beaux édifices. La pyramide bien assise était aussi fort 
peu ornée. Les quelques sculptures très fines que Ton rencontre sur 
les entablements et les colonnettes de Ka-Kéo prouvent cependant 
que cet édifice a été construit à une époque où l'art khmer avait 
acquis déjà son développement. — La largeur des salles à toitures en 
charpente, la grande dimension des ouvertures, la disposition des 
enceintes très rapprochées, la forme des gopouras peu ornementés, le 
genre des crêtes de la grande muraille et la présence d'une statue en 
plein mouvement sont autant de particularités qui semblent même 
caractériser une époque de décadence. 



APPENDICE. 397 

On remarquera de plus que, bien qu'étant le plus important monu- 
ment de ce district, Ka Kéo n'est pas placé exactement à l'ouest du 
lac centre ordinaire des édifices agglomérés pour former les villes. 
Cette situation spéciale est au contraire occupée par un autre temple, 
vraisemblablement plus ancien, et que le D r Harmand décrit ainsi : 
« un groupe assez vaste entouré d'une muraille de bienhoa à l'inté- 
« rieur de laquelle on pénétrait par une haute tour de briques corn- 
et plètement démolie. Cette tour abritait plusieurs groupes de singes 
« gigantesques parés et couronnés... Dans l'intérieur de l'enceinte, 
« se trouvaient trois préasats et les débris de plusieurs tours en 
« briques. » 

Les édifices à lingam et la belle préasat contenant le cube de grès, 
décrits p. 99, donnent à ces ruines un intérêt spécial au point de 
vue de l'étude de religions des l'Indo-Chine ancienne : notons en pas- 
sant que les trois pyramides à puits central actuellement connues 
au Cambodge : Ka-Kéo, Préa-Tomrey et Krush, sont situées dans 
une même région, voisine de la tour d'Hanh-Ghieï, dont l'inscription 
est, au dire des bonzes consultés par M. Harmand, écrite en langue 
cham. 

Si nous cherchons les analogies qui peuvent exister entre ces monu- 
ments et ceux des contrées environnantes, nous en trouvons de frap- 
pantes avec plusieurs temples de Java : ceux que Ferguson désigne 
sous le nom de Tree Temples (XIV e et XV° siècles) : Panataram, Toum- 
pang, Papor, etc.. C'est encore à Java que nous rencontrons ces 
temples ou chapelles (carrées avec toits en pyramide à degrés), qui ren- 
ferment une statue, un piédestal à lingam ou même un cube de 
pierre placé en face de l'entrée (Voy. Boro Boudour, — D r G. Leemans 
et Boro Boeddorv, — Herr Brumund). 

Félicitons-nous en terminant de l'heureuse pensée qui a conduit 
M. Harmand à aller continuer à Ka-Kéo des recherches qui devaient 
être si fructueuses, et souhaitons que de nouvelles investigations vien- 
nent bientôt achever de nous faire connaître ce district intéressant. 



APPENDICE. 



BAS-RELIEFS DE LA SECONDE GALERIE DE BAION ' 
(Tcxlc et dessins par M. Harmand). 



Face Sud 3 . — Ala partie inférieure se trouvent dans une pirogue 
deux personnages : le premier,qui semble être une femme, lient des fleurs 
dans chaque main; l'autre est à demi détruit; on ne distingue plus 
qu'un bras, et une main qui tient une pagaie. La pirogue est en- 
tourée d'une quantité de poissons. — A côté de la porte, deuxième 
groupe : une femme, avec la coiffure ordinaire des danseuses, se tient 
debout, un bras levé; une autre femme, placée plus bas, les bras 
levés, semble lui adresser une prière. — Troisième groupe : deux 
femmes debout se tiennent embrassées par la taille. 

Grande scène représentant un personnage étendu sur des coussins. 
D'un côté, un homme semble le soutenir avec sollicitude et appeler 



deux autres personnages qui portent un matelas. De l'autre côlé, un 
individu qui parait être un médecin vient poser sa main étendue sur ta 
tête du malade ; il est suivi d'un serviteur portant des objets indistincts. 

1 La galerie extérieure de ce temple est dans un état de ruine si complet 
qu'il était impossible d'en voir les bas-reliefs qui couvraient jadis une sur- 
face double de celle occupée parles sculptures décrites ici. 

M. Harmand a bien voulu me suppléer dans cette étude que l'état de ma 
santé m'empêchait de faire moi-même. 

1 La description commence par l'angle sud-ouest, en face d'une porte ou 
brèche pratiquée dans la muraille de la galerie extérieure et par laquelle les 
visiteurs abordent ordinairement le monument. 



APPENDICE. 



399 



Derrière : un groupe de quatre personnages ; l'un est accroupi, dans 
la position favorite des Cambodgiens actuels, auprès d'un coffret dont 
il soulève le couvercle qui est maintenu par l'aide d'un autre homme 
tenant un vase. Cette scène est figurée près d'une porte placée au pied 
d'un monument en forme de pyramide. 

Sur ce monument, au sommet duquel on parvient par un escalier 
avec lions sur piédestaux, se trouve un personnage plus grand que 
les autres. A sa gauche, se tiennent agenouillés deux hommes portant 
des présents; à sa droite, deux femmes accroupies. 

Sur les marches de l'escalier menant à la plate-forme, on voit un 
grand personnage, à la figure souriante, un bras tombant le long du 
corps, l'autre étendu en signe de protection et de bienveillance. Au- 
dessus de sa tète, quantité de parasols, d'éventails, d'enseignes, de 









Parasol. 



Trident 
ou bannière. 



Enseigne. Trident. 



Éventails. 



queues de cheval. Huit individus agenouillés sont devant lui. Au bas 
trois chevaux, tout harnachés, attendent avec des hommes et des 
serviteurs. On voit aussi un char dételé, formé d'une paire de roues 
minces portant une sorte de siège, comme celui de nos caissons 
d'artillerie. Tout cet ensemble est précédé d'une série double (moitié 
sur une ligne supérieure, moitié au-dessous), d'une vingtaine d'hommes 
agenouillés, portant des parasols, des étendards, des armes, et formant 
une suite de personnages couronnés, en adoration devant une idole à 
quatre bras, debout dans une niche. — De l'autre côté de la niche, la 
même scène d'hommage à cette idole. 

Suit une autre scène religieuse :on vient adorer un dieu à deux bras 
seulement. Tous ceux qui lui offrent leurs hommages ont le menton 
et le bas» de la figure couverts d'une longue barbe. Beaucoup d'ani- 
maux, pour combler les vides du bas-relief: cerfs, chevreuils, lièvres, 
écureuils; plus haut, des poissons. 

Un épais lacis de racines de ficus cache une grande étendue du mur. A 

18 



400 APPENDICE. 

l'endroit où la pierre reparaît on voit des danseuses exécutant une 
danse très légère autour d'un personnage barbu, accroupi, et ayant à 
droite et à gauche des porteurs de parasols qui semblent lui présenter 
une supplique. Au-dessus, danseuses tenant un serpent 1 . — Arbres 
au travers desquels passent des cerfs poursuivis par un animal 
féroce. — Écureuils. 

. Les racines cachent de nouveau le mur jusqu'au bout de la galerie. — Ou 
se trouve dans un petit vestibule. Le bas-relief du fond est trop effacé 
pour qu'on y puisse rien distinguer. En retour, scène d'adoration d'un 
personnage tenant un trident de la main gauche. 

Monument avec trois tours. Fausses portes sculptées sur la muraille. 

En haut, danseuses à serpent 9 . 

Une porte, précédée d'un escalier, donne accès dans un autre petit 
vestibule. Sur chaque face, se trouvait, dans une niche et sur un 
piédestal, un personnage accroupi, ou les jambes croisées : ces 
figures ont été martelées et détruites; le piédestal seul subsiste. 

Traces de peinture rouge sur les arbres figurés sur tout le resté de 
la muraille. 

Un personnage à grande barbe, tenant un trident de la main droite, 
est debout dans une niche. Trois suivants le servent; l'un tient une 
boîte. De l'autre côté, trois femmes ayant la coiffure ordinaire aux 
danseuses, se tiennent agenouillées; derrière elles se trouvent des 
individus plus petits, portant des corbeilles sur leur tête. 

Au-dessous, scène de danse avec orchestre : sept musiciens ou mu- 
siciennes, toujours avec la coiffure en cône; une harpe à sept cordes ; 
quatre guitares ; cymbales. — Deux danseuses ; une troisième 
accroupie semble leur donner des ordres. — Huit spectateurs ac- 
croupis, une main sur le ventre l'autre sur la poitrine, ou les mains 
jointes. 

Dans des niches, deux personnages. barbus, couronnés, supportés 
par un piédestal en forme de fleur de nélumbium, sont adorés par deux 
rangées de personnages portant des parasols, des étendards, des 
éventails ou des armes. — Char muni d'un siège 3 ; personne n'y est 

1 Ou un bouton de lotus à l'extrémité d'une longue tige, qu'il est facile 
de confondre avec un serpent. 
1 (Môme remarque). 
* Ou d'une sorte de coffre. 



APPENDICE. «H 

assis ; on ne l'en protège pas moins, avec soin et respect, sous des 
parasols. — Au sommet d'un escalier, personnage barbu, couronné, 
tenant une sorte de sabre, d'épée ou de sceptre; tous les gens 




Harpe. Arme. Cbir. Ëpée on sceptre. 



qui le précèdent adorent les idoles et les hommes barbus semblent 
composer sa suite. 

Bas-relief très détérioré; on y distingue un personnage coucbé, et 
d'autres accroupis à ses cotés. 

Le bas-relief qui suit est très gracieux ; certaines de ses parties sont 
bien conservées, d'autres, au contraire, très détériorées. Au-dessous 
d'une porte sculptée, une femme, les jambes croisées, est assise sur 
un fauteuil comme ceux qui se voient encore de nos jours dans les pa- 
godes et où les bonzes se placent pour lire les livres sacrés ; des col- 
liers se croisent sur sa poitrine, entre les seins ; elle a les bras chargés 
de bracelets; sa coiffure est de forme conique. A sa gauche, un indi- 
vidu agenouillé lui présente une petite boite; à droite, deux femmes 



I" éventent; à côté, le meuble représenté ci-contre et qui renfermé 
des armes, un éventail, un bouclier, un arc au-dessous desquels sont 
des vases de différentes formes. 



40* APPENDICE. 

- La même scène, très effacée, est reproduite à côté. 
Suit un éléphant, monté par un personnage plus grand que ses com- 
pagnons et qui tient un sceptre ou une épée. L'éléphant est placé dans 
l'encoignure et la tête, se continuant sur la muraille en retour, fait avec 
le corps un angle droit. Au-dessous, file de soldats armés; un che- 
val; lances; épieux ; coutelas. Un des soldats a la figure ornée d'une 
barbe ; le reste, très effacé, se continue au-dessous de l'éléphant de 
la façon indiquée... On n'aperçoit plus qu'un arc bandé, avec un bras 
sur le coin de la- muraille. 

Scène militaire continuant la précédente. Deux éléphants, la trompe 
dressée, marchent à la rencontre l'un de l'autre d'un air furieux; leurs 
cavaliers, de grande dimension, debout sur leurs selles, se lancent des 
flèches ; les soldats armés de lances et de larges sabres sont aux prises. 
Quelques-uns sont munis d'un bouclier rond. Un autre personnage 
sur un éléphant, lançant une flèche. 

A la suite de cette scène, est représentée la mer ou une rivière : 
l'eau, comme toujours, est figurée par des poissons en tous sens. 
Au-dessus de ce bas-relief, personnage en prière devant une niche où 
se trouve une divinité sur une fleur de lotus ; la tige de la plante 
plonge dans l'eau située au-dessous, au travers des poissons. 

Porte à trois marches, flanquée de chaque côté de la figure de 
femme qui se reproduit partout. 

Deux séries de personnages (superposés comme toujours sur deux 
rangées), sont en marche ou en procession ; ils portent des parasols, 
des armes, un gong suspendu au moyen d'un bâton sur les épaules 
de deux hommes, comme cela se fait encpre aujourd'hui. D'autres 
soufflent dans des cornes ; ils accompagnent une sorte de chaise à 
porteurs ou de palanquin porté par six esclaves, et qui ne contient 
personne. 

On arrive ainsi jusqu'à une palissade, avec porte. De l'autre côté de 
la palissade, suite de scène à plusieurs personnages. L'un tient un 
coffre carré, ouvert devant une femme ; d'autres sont agenouillés 
en file devant une niche dont on a détruit la sculpture à coups de 
marteau. Le personnage mutilé était supporté par une fleur de nélum- 
bium dont la tige s'enfonce dans l'eau ; pirogue montée, pagaies, 
poissons, monstres aquatiques. 
L'intérieur d'une habitation. Un pèrsonûage de grande dimension 



APPENDICE. 



.403 



y reçoit des hommages el des présents ; on revente; il tient un sceptre 
étendu. Autre individu plus petit protégé par des parasols. A la ran- 
gée inférieure, hommes agenouillés deux par deux ; l'un tient sur ses 
mains un poisson sur lequel se trouve sculpté un petit personnage 
aux jambes croisées, et qu'il semble présenter au roi. 

Bas-relief très intéressant. — Un roi de grande dimension est attaqué 
par des éléphants. — Un énorme, éléphant est terrassé; le roi le tient 
de la main gauche, une patte en l'air ; de sa jambe droite, il contraint 
ranimai à rester couché à terre et il lève l'autre main, sans armes, 
comme pour achever son enneipi. Le roi a la poitrine couverte d'une 
sorte de cuirasse carjée ; il est suivi de ses porteurs d'étendards et de 
parasols. 

La série inférieure est formée de soldats, sonnant de la trompe v 
ou portant des gongs ; tous ont leur bouclier. 





Cuirasse. 



Bouclier. 



Lance. 



Le même roi est aux prises avec un monstre pareii à ces animaux 
que nous désignons sous le nom de lions, et qu'on plaçait aux angles 
des avenues et belvédères. Il le tient en respect de la main droite 
appuyée sur le muffle et lève la main gauche étendue, comme pour 
l'abattre d'un soufflet. Derrière, parasols et étendards. Au-dessous, 
file de personnages agenouillés, armés de sabres et de massues. 

Galei*ie suivante. — Fausse porte flanquée des deux femmes habituelles , 

Un grand personnage, monté sur un éléphant, est accompagné de 
ses troupes et de son appareil ordinaire ; il semble donner un ordre 
au cornac armé d'un bâton. Au-dessous, soldats munis de très longues 
lances (Voy. la vignette ci-dessus). ■ 

Deuxième grand personnage monté sur un éléphant; il est armé 
d'un arc. L'éléphant est coiffé d'un bonnet conique à six ou sept 
étages. Au-dessous, files de soldats. La scène se continue sans inter- 
ruption jusqu'au bout de la galerie. 



404 APPENDICE. 

Encore deux éléphants, puis deux autres marchant en sens inverse 
à leur rencontre. Il y a mêlée ; les soldats combattent arec entrain. 

Face est. — La même histoire semble se continuer sur la face est. 

r 

On y voit d'abord un grand personnage, monté sur un éléphant et 
donnant des ordres. Il porte une arme (voyez p. 401) souvent repro- 
duite dans les bas reliefs et dont on se sert encore aujourd'hui. Les 
soldats sont armés de lances et de boucliers allongés (déjà figurés). 
L'un d'eux, sans doute un officier, tient un sabre et un petit bouclier 
rond ; d'autres portent des vivres, des fardeaux suspendus à chaque 
extrémité d'un levier ou balancier porté sur l'épaule comme cela se 
fait encore aujourd'hui. Un cavalier avec des fantassins. 

En passant devant la salle ou se trouve un mauvais Bouddha assis, et 
portant des traces de vernis et de dorures, on tombe sur la grande ga- 
lerie de Vest dont la voûte est écroulée* 

Là, c'est un cortège militaire qui se continue jusqu'à l'extrémité de 
la galerie; il semble faire-suite au précédent. Le bas-relief est toujours 
divisé irrégulièrement en deux séries superposées. Les éléphants 
avec leurs grands cavaliers occupent en hauteur les deux rangées. Le 
fond est rempli par les étendards, les oriflammes, les parasols, des 
arbres et des animaux, naturels ou fantastiques ; il s'y trouve deux 
éléphants très bien conservés avec leur harnachement de guerre 
complet, glands, selles, clochettes, etc., etc. La plupart des guerriers 
portent une coiffure qui ressemble à une fleur renversée posée sur la 
tête. 




Casque de soldat. 

Les éléphants ont le front couronné des coiffures représentées dans 
la vignette ci-jointe. Au-dessous des danseuses, vêtues d'un costume 
particulier, portent chacune une sorte de veste très brodée. 

A la suite du deuxième éléphant vient un cortège de musiciens te- 
nant des cymbales et des tambours, des gongs, des tamtams à main. 



APPENDICE. 405 

Parait alors une aorte de coffre très orné qui contient, soit un trésor, 
soit l'épéo royale ou quelque autre objet révéré. Ce coffre ( Voy. p. 178) 
est porté par une dizaine d'hommes et précédé de nombreux éten- 
dards et parasols. Au-dessous, chevaux et soldats. 




Couronne» d'étéphanU. 

Quatrième éléphant. — Le cavalier qui monte le quatrième éléphant 
tient un drapeau ou oriflamme figurée ci-contre. 




Cymbale». Tambour. Oriflamme. 

Porte. — Vestibule. — De l'autre cité de la porte, la plus grande partie 
des sculptures a disparu sous les décombres des étages supérieurs et de 
r encorbellement de la voûte écroulée. 

Dans le vestibule qui fait suite à la galerii écroulée, scène religieuse. 
Des personnages couronnés, vêtus do longues barbes, s'inclinent et 
apportent des présents devant une niche martelée. 

En retour, scène moitié religieuse, moitié domestique. Un person- 
nage de grande dimension accueille des suppliques; il est assis sous 
un portail. A coté, un cuisinier coupe en morceaux, au-dessus d'un 
vase placé sur un fourneau, un légume quelconque. Au-dessous, scène 
de pèche et de chasse à l'arbalète; l'arbalète est identique à celle de 
nos jours. 

Vestibule rempli de décombres : on ne voit plus émerger que ces niches 
ogivales, dont le personnage a été gratté ou démoli à coups de 
massue. 



406 APPENDICE. 



Petite galwie ou vestibule. — Le premier ^tage du bas-relief repré- 
sente une scène religieuse. Au rez-de-chaussée, plusieurs individus 
sont rassemblés et semblent se livrer à une conversation amicale. 
La végétation et les décombres accumulés rendent le fond trop 




Arbalète. 

sombre pour qu'on puisse rien distinguer. Entre l'escalier et la porte, 
scène cynégétique; un sanglier s'enfuit, frappé par la flèche d'un chas-" 
seur. Des singes dans les arbres. Une vache et son veau; la vache est 
admirable. Au dedans, deux danseuses très bien exécutées et par- 
faitement conservées. 

Suit une galerie écroulée. — Petite galeiHe ou vestibule : Un personnage, 
de grande dimension, est éventé par ses serviteurs. Une femme est placée 
près de lui, sur le même plan, dans la même situation. — Au-dessous, 
danseuses et musiciens; on remarque une harpe à douze cordes. Une 
femme, assise à côté des danseuses, est coiffée d'une façon tout à fait 
exceptionnelle ; sa coiffure rappelle beaucoup celle des femmes an- 
namites élégantes d'aujourd'hui. — Un roi sans armes livre combat 
avec ses seules mains à un serpent gigantesque. Plus loin, le même, 
sans doute, se repose de ses exploits, entouré de sa cour. Ensuite, il 
est couché sur un lit entouré de ses femmes qui ont l'air de le masser;, 
le massage est en grand honneur chez les Cambodgiens modernes. 

A la rangée inférieure, les soldats s'exercent et font des armes» 
Jolies danseuses. 

Au commencement de la galerie suivante f scène intéressante. Deux 
éléphants, très bien observés, vivement poussés par leurs cornacs, 
tirent en sens inverse sur des câbles tendus qui viennent s'attacher^ 
sans qu'il soit possible de voir de quelle manière, à une grosse 
statue de femme. Des hommes tirent également de toutes leurs forces 
sur ces câbles ou sur d'autres, soit horizontalement, soit oblique- 



APPENDICE. 407 

ment. Le basrrelief est divisé eu trois étages : au milieu, les éléphants 
■et les hommes; au-dessus, d'autres personnages tapent a coups de 
masses (de deux formes différentes) sur la tête de la statue ; au-des- 
sous, au milieu des décombres et des mousses qui recouvrent la sculp- 
ture, on distingue encore des hommes (avec deux sortes de coiffures), 



tirant à droite et à gauche sur des cordes fixées à la statue qu'ils se 
proposent d'abattre; on aperçoit, très indistinctement, des scies et 
un foyer sur lequel on verse une substance indéterminée, contenue 
dans une sorte de corbeille. 

En suivant dans celte galerie, scène nautique : deux pirogues avec 
des pagayeurs; monstres marins. Entre les deux pirogues des hommes 
portant sur leurs épaules une chasse (semblable à celle qui est figurée 
plus haut). Il est à noter que cette chasse a été martelée. On a l'air de 
combattre; quelques hommes sont jetés à l'eau ou tombent dans le 
fleuve au milieu d'énormes poissons et de crocodiles. En haut, dan- 
seuses avec dés serpents '. 

1 Même remarque que plue haut. 



408 APPENDICE. 

Suit un assez long espace oit il est impossible de rien voir. 
Porte, puis scène militaire. Plusieurs éléphants, montés par des ca- 
valiers armés d'un coutelas ou d'un sceptre; cuirasses; boucliers 








Cuirasse. * Boucliers. Sagaie. Gaffe des- cornacs 

d'éléphants. 



ronds. C'est toujours la même scène qui se reproduit avec quel* 
ques variantes dans les détails, les ornements, etc. Ici, les soldats 
ont leur bouclier long suspendu sur le dos. Devant les éléphants 
marchent dix hommes, portant deux châsses avec étendards et parasols. 
Une première voiture à deux roues, supportant une sorte de boite 
ou de siège, sans rien dessus, est traînée par plusieurs chevaux ; grand 
nombre de parasols. Quatre voitures pareilles se suivent à la file. 
Au-dessus se voient trois femmes couronnées, portées dans des palan- 
quins (semblables à ceux que Ton voit à Phnom Penh, dans le palais 
du roi ou dans toute la Gochinchine et au Tong-King). — Un hamac 
suspendu à un bâton très orné. — Vient ensuite un grand chariot, à 
six roues solides, traîné par des hommes attelés devant et derrière ; 
deux griffons se voient sous le char. Dans la composition du milieu, 
se tient un roi dont la figure a disparu; devant et derrière, une 
femme. Parasols, drapeaux, longues files de musiciens et de soldats, 
porteurs de vivres et de fardeaux. 

Face nord. — En partant de t angle nord-est; Un roi dans l'intérieur 
de son palais (figuré par une suite de barrières, de palissades, de 
portes sculptées) est entouré de femmes, do danseuses et de cour- 
tisans A la porte du palais, un prince se dispose à monter dans un 
chariot à six roues, divisé, comme un wagon, en trois compartiments. 
Au dessous, une voiture attelée de deux jolis bœufs à bosse. 

Cortège avec femmes, éléphants, soldats, cavaliers. — Grand éléphant 
richement caparaçonné (Voy. à la vignette p. 410, la coiffure de cet 
éléphant) est maintenu par des rênes qui passent dans la bouche et sur 



APPENDICE. 409 

lesquelles tirent plusieurs hommes. En approchant d'une statue de 
grande dimension, assise, les jambes croisées sur un piédestal, toute 
la tête du cortège tombe à genoux, les mains jointes. On voit ensuite 
une pagode avec les marches d'un sra, où sont figurés des nélum- 
biums et des poissons. 

En franchissant un petit escalier, on tombe dans un vestibule. — Le cor- 
tège continue sa marche et croise un autre procession se dirigeant en 
sens inverse. On y retrouve les mêmes scènes, les mêmes détails. 
Tout ce monde a donc l'air de se rendre en pèlerinage à cette statue. 

Un individu couronné portant un sceptre, ou une arme en forme de 
trident, est entouré d'autres personnages qui l'adorent. Il semble être 
posé sur le dos d'un grand krouth ayant à ses côtés un dragon à qua- 
tre têtes. 

Chasse au sanglier. — Plus loin, des hommes portant des présents 
dans leurs mains ou sur leur tête montent et descendent des escaliers 
qui viennent aboutir à une habitation, pagode ou palais. Un individu 
est assis sur un taureau très bien exécuté (comme le sont d'ailleurs 
tous les bœufs représentés sur ces bas-reliefs). Il est armé d'un trident 
et tient un enfant sur ses genoux. Danseuses et courtisans. 

Vestibule avec escaliers. — Galerie» — Personnage monté sur un 
bœuf, coiffé d'une espèce de chapeau de gendarme et portant une 
longue barbe. — Étendards, parasols. — Scènes de palais et de 
chasse (très détériorées). Un roi barbu est entouré de courtisans éga- 
lement barbus ; on leur présente un taureau. 

Petit vestibule,- avec personnages ébauchés, plus grands que nature, 
et n'ayant jamais été achevés. Trois statues, dont deux à plusieurs 
têtes, reçoivent les adorations de quelques individus. — Des vaches. — 
Un sanglier. — Statue à dix bras, avec une seule tête. 

Trois pirogues se suivent dont deux sont matées et voilées, elles 
sont chargées de sculptures et montées par des personnages de dis- 
tinction et des danseuses. Dans la première pirogue, se voit un per- 
sonnage portant un sceptre et assis sous un dais ; à l'arrière, des ser- 
viteurs, hommes ou femmes, préparent une boisson sur un réchaud 
(voy. la vignette p. suivante) ; à côté, d'autres personnages tiennent des 
tasses. Nombre d'oiseaux fantastiques. Poissons et monstres marins. 

Le cortège, qui se continue, arrive à l'entrée d'une ville ou d'un 
palais : on voit une porte surmontée d'une tour. Cette porte, comme 



410 APPENDICE. 

celles de beaucoup d'édifices, a ses côtés couverts de sculptures repré- 
sentant des femmes à haute coiffure. Plus loin, on distingue, au travers 
des arbres, le sommet d'une tour. 






Coiffure d'éléphant. Voile. Fourneau. 

a 

Dans une forêt : animaux fantastiques, dragons à têtes multiples, 
éléphants, rhinocéros. 

Le reste de la galerie est occupé par une procession portant des 
vivres, des fardeaux, des présents et se dirigeant à travers cette forêt, 
vers cette même porte sculptée, dont j'ai parlé tout à l'heure. 

Face ouest. — Longue série de scènes militaires. File d'éléphants, 
montés par des cavaliers protégés par une cuirasse rectangulaire. 
Au-dessous, chevaux, soldats armés de lances. L'ennemi principal 
est un gigantesque krouth couronné, monté par un personnage de 
grande dimension. Les- soldats combattent bouclier contre bouclier; 
chevaux, soldats, éléphants marchent les uns contre les autres, sans 
qu'on puisse distinguer à quel parti reste la victoire. Un .éléphant est 
coiffé d'un bonnet analogue au serre-tête de nos enfants. 

Porte flanquée de femmes à serpent. Scène de palais : porte d'un 
monument avec personnages gravissant l'escalier; musiciens et dan- 
seuses ; instruments ordinaires. 

Sur la muraille f en retour, un grand personnage lutte avec un autre ; 
le pied posé sur son adversaire, il le maintient à terre. Au-dessous, 
des femmes se promènent dans un jardin où elles cueillent des fleurs. 

La plus grande partie de cette galerie est écroulée ou encombrée de dé- 
cris. Ce gui en reste est assez bien conservé. 

On y voit une grande bataille: Un personnage de haute stature, 
monté sur un char traîné par des lions, attaque son adversaire à coups 
4e sagaip» 



APPENDICE. 411 

Vestibule sans intérêt. 

Petite galerie. — Scène militaire analogue à la précédente. Deux 
races dé chevaux : les uns grands, les autres petits. 

En retour, scène religieuse. Adoration d'une statue. 

Petite galerie à escalier. — Personnages barbus se promenant dans 
une forôt. Animaux fantastiques ou réels. Scène religieuse. 

Je citerai encore une scène se rapportant à l'érection d'un monu- 
ment 1 . 



INSCRIPTIONS RECUEILLIES A PRÉA-KHAN ET A ANGKOR 

(Traduction de M.*Aymonier). 

I. Inscription de Préa-Khan (Gompong-Soai). * 

« Rendons gloire à celui qui possède la connaissance suprême. 
Qu'il nous donne la science I Qu'il nous donne la volonté d'éteindre le 
péché! Que celui qui, par sa perfection accomplie, est délivré delà 
douleur, nous fasse traverser la triple douleur ! de môme que le mar- 
chand intelligent prend soin de ses serviteurs. 

* 

« Vénérons les pieds augustes de notre maître. Moi, du nom dePréa 
Sréy Sauriopohr, quatre fois béni comme le roi des.Nagas, grand roi 
de la race solaire, j'ai les quatre beautés du roi des Nagas : les épaules 
larges, la taille mince, la figure semblable à la pleine lune, le corps 
sans aucune des imperfections dont le nain difforme est le type. 

« A l'heure de la mort tous les êtres paraissent comme frappés par 
le glaive. Entre tous ceux qui parlent une langue, les premiers sont 
les poètes. Celui qui fait l'aumône de ses propres mains prêche par 
l'exemple. Qui connaît sa nature peut atteindre l'autre rive. Marche 
droit le sage qui connaît la loi. Celui qui agit ainsi est par cela même 
un sage qui connaît dans les deux causes (???). De la poussière naissent 
beaucoup d'actions coupables. 

« J'ai quitté le trône parce que ma sagesse l'a reconnu entaché de 
souillure. J'ai retranché la matière du jour où je me suis purifié...?? 

1 Cette scène avait été moulée eh carton-pâte par M. le D* Jullien ; le moule 
en a été malheureusement détruit par un accident 



412 APPENDICE. 

le corps a été brisé, trituré... (???) avec la force du vent que produit le 
garoudha qui saisit un naga et vole dans le Nirvana où finit toute 

espèce de plaisir. Qui renserse les ennemis et les disperse au loin 

La nature qui conduit au dehors est une nature à là saveur douce, 
semblable au vent qui efface les traces des animaux... (?) » ' 

IL Inscription votive. 

« L'an de la gloire [du Bouddha).. . ; Tannée de la chèvre, mois des fleurs 
[janvier), le vendredi, jour de la pleine lune, le Néah Sâmdash Ariyo- 
"soihom au cœur pieux et fervent a fait faire une statue du Bouddha en 
or, et soixante-seize statues en bois pur. Alors se sont réunis les reli- 
gieux ci-après : le Sâmdach Préa Barobam, le Néak Préa Réaméa, le 
Préa Maha Mongkol, le Néak Préa Réech Sottha, le Néak Préa En 
Kalas, le Néak Préa Bâvor Sottha, le Néak Préa Bâvor Mongkoléen, le 
Néak Préa Réech Seylachar Maha Théra Réech Bâpit, — tous doctes et 
anciens religieux. Ils ont décidé que le Néak Préa Ariyosothom affran- 
chirait le nommé Suos, qui serait un homme libre, sans entraves. Ils 
ont dit: Que, si quelqu'un s'empare de cet homme, en fait son esclave, 
à celui-là il ne serait point pardonné par les Bouddhas, innombrables 
comme les grains de sable ; — que, si quelqu'un s'empare de cet 
homme pour en faire son esclave, celui-là tombera dans les enfers ; — 
que, si quelqu'un a le dessein d'effrayer cet homme, de lui extorquer 
de l'argent, de le détourner de son service religieux auprès des statues, 
celui-là sera puni, sera réduit en esclavage, comme ayant commis l'un 
des cinq crimes qui comportent châtiment immédiat. » 



SCULPTURES SUR BOIS ETTABLEAUX DU TEMPLE DE BOURIBOUN 

OU MYANG-BOBO * 

Le couvent dit Pohea-Louang a été fondé par Phra Cheysseda 

qui s'était enfui de Siam. Le Both * du couvent est entouré de stèles et de 
pyramides, avec personnages armés d'arcs sur les côtés des escaliers. 

Le revêtement de bois peint en rouge est orné sur trois faces de 
figures sculptées en relief représentant des rois dans un chariot, des 

1 Bastian : Die Vœlker des Mstlichen Asien. 
1 Temple. 



APPENDICE. 413 

guerriers à cheval, Laksouman sur Hanouman, Phaya Nakh, des singes 
enlacés par des serpents, des prêtas entraînés par des chaînes, des 
damnés torturés dans l'enfer, et une foule d'autres scènes semblant 
être la reproduction de celles exécutées en pierre à Nakhon Vaht, mais 
qui n'en sont que des imitations. 

Au-dessus du portail sont suspendus le long du plafond des tableaux 
bariolés représentant des scènes de batailles et divers épisodes du 
Ramakhien (Riemkè ou Ramayana), au bas desquels se trouvent des 
légendes explicatives en langue cambodgienne ; ils ont été peints par 
des artistes venus d'Oudong. Parmi les nombreux sujets de ces ta- 
bleaux, on remarque surtout les suivants : Phrabat Mithila, souverain 
de Mithila et la reine, conduisent à AyouthiaPhra Lak ; Phra Riem 
(Rama) célèbre son mariage avec Sita; Maha Rusi (le dieu ermite) 
visite le palais du roi à Mithyla ; Phra Ram porte des offrandes à 
Maha Esey ; Rahou lance sa hache contre la Nang Mekhala tenant ' 
à la main un joyau ; Phra Thossarel, avec une suite nombreuse, va 
assister au mariage de Phra Rama; les nobles font un rapport au 
Phrabat Thossarot; Histoire du Phrabat Honjong, monté avec sa 
femme sur un cygne, aidant à son accouchement, etc. ; Histoire de 
Phra Sotong se rencontrant dans la forêt avec la NangKéoh, à pieds 
d'oiseau, qui vient de descendre du ciel pour' l'égayer; Histoire de 
Ghantakourout qui, en se promenant dans la forêt, avec sa femme, 
rencontre une rakshasa femelle que Ton voit : d'abord, tenant à la 
main une massue ; puis, assise dans une cabane ; enfin, dévorant un che- 
vreuil ; Histoire de Phra Savat a%sis sous un arbre avec sa bien- 
aimée; il est assassiné par un brigand qui ensuite enlève sa compagne. 

Dans une salle du temple, sous une statue gigantesque de Bouddha 
assis, supportée par des poutres, on distingue un nombre considérable 
de petites figures pour la plupart en bois ; d'autres, en pierre, repré- 
sentent Bouddha surmonté par le serpent. Une petite préasat en pierre, 
reposant sur un soubassement à trois gradins, et ornée de figures 
assises aux quatre faces, s'appelle Phra mouk bouen *. On a ajouté 
plus tard une tête de taureau au sommet. Aux angles du mûr aérien, 
il y a des figures de femmes, portant des bonnets trifurqués riche- 
ment ornés, et qu'on appelle les Dames bienveillantes. 

, ■ - • - 

1 Le dieu à quatre visages. 



414 APPENDICE. 

Un sanchao placé devant la porte du couvent renferme des figures- 
en bois de neakta, dont deux femelles; un de ces personnages 
porte une massue hérissée de pointes (phrong) ; un autre une massue 
ordinaire (tambong); un troisième, un flacon. Ils s'appelaient Neakta 
Savan (génies du ciel). 

Une figure à tête d'éléphant était appelée Neakta Ssen (génie lion). 

La grande statue de Bouddha, dit la légende, est faite du bois d'un 
canot merveilleux, d'une rapidité tellement grande qu'il portait tous^ 
les matins aux moines de Boriboun leur déjeuner de riz cuit à Nakhon 
Vaht, et ce repas arrivait encore chaud. 



TABLEAUX AVEC LÉGENDES DE VAHT TAPAUKÉO 



(Battambang) *. 



La Phrachedi était couverte de couleurs bigarrées. Les murs du 
Both (temple), sur la porte duquel était représentée la figure de 
Tossakan, portaient des tableaux dont les sujets étaient tirés du 
Tossa-Xat, avec des légendes en langue cambodgienne, telles que : 

« Alors le précepteur Krhou (ou Gôurouh) emmena le prince Kantha- 
Kouman pour faire des offrandes. » — « En observant Si ta, Phroma 
Nirot reçoit la visite de Phra Phrom qui, descendu du ciel, lui apporte 
un gros morceau d'or massif. » — « Phrabat Themnyeh, en jouant aux 
échecs avec Nakhajak qui avait mis comme enjeu un joyau précieux, 
perd son savant appelé Phra-Pithou, mais celui-ci, au moment où Ton 
veut le saisir, s'élève dans les airs. » 

« Phra Mahosot, calomnié, redoutant la colère de Phrabat Outéreah, 
s'enfuit. » — « Zanok, qui après la perte de son navire nage en pleine 
mer, est visité par la Thephatida. » 

Phrau prie Vetsandou de lui donner ses enfants. — Phra Thé- 
miah est mis à l'épreuve par son père (qui, pour l'effrayer, lance 
contre lui des éléphants, des serpents, etc.). — Parithat fait ses adieux 
à ses parents pour observer les préceptes. — Nemiry, à qui son 

1 Bastian, loc. cit. 



C 



APPENDICE. 415 

mérite permet d'aller partout, s'élève avec son chariot dans les airs, 
et se rend aux enfers. 

Les peintres qui ont représenté les supplices infligés aux pécheurs 
ont fait preuve d'une grande imagination. 

On y voit également l'attaque de Mara, noyé avec toute son armée 
par Thorani. Mara, roi dieu du monde matériel, trônant dans le 
ciel de Paranimit, est l'adversaire naturel de Bouddha. 

On y trouve aussi des interprétations populaires dans le sens de 
l'amour bouddhique. Maha M an, ou Savatdi Man, au ciel de Dousit, 
était pénétré d'un amour tellement profond de Bouddha, et avait si 
bien soutenu cet amour dans toutes ses existences antérieures, que 
le dieu résolut de l'élever à la dignité de grand roi sur la terre; il 
ne se fâcha qu'après le refus réitéré de son adorateur. Ce dernier 
fera lui-même plus tard son apparition comme Bouddha. 

Le pécheur hérétique doit expier son forfait aux enfers. 



NOTES MYTHOLOGIQUES 1 

En adoptant les figures du Panthéon brahmanique, qui se révèle 
partout dans les monuments khmers, le bouddhisme met en première 
ligne les cieux des méditations des Brahma ou Phrom qui s'élèvent 
bien au-dessus de la terrasse des paradis matériels ; l'infini des Nir- 
vana forme la voûte de ces cieux. 

Les cieux des Tévadas se divisent en six étages (kichanla) appelés 
en khmer Satummaharaxicci, Dutchidajama, Dimaranadhi, Kanitakhu, 
Ankanitakha et Futthita. Ils renferment diverses demeures, suivant la 
disposition des âmes défuntes. 

Les Phrom (qui signifie multiface) ont quatre visages, dont trois 
seulement sont figurés dans les statues. Ils n'ont ni intestins, ni 
urèthre, c'est pourquoi l'usage d'aliments terrestres leur est interdit. 

Pkra-Naraï céleste (Narayana ou Vichnou) considéré sous la forme 
de Kantha réside dans l'Océan blanc; les trois autres mers sont rouge, 
bleue et jaune. 

Naraï porte le nom de Kantha-Kouman, Koumara ou Prince. 

1 Bastian, loc. cit. 

19 



(16 APPENDICE. 

Phralnsuen (Isvara on Siva) porte le nom de Itsathévabouti. 

Krischna est bien foncé (noir) de couleur (comme Memnon appelé 
niger par Ovide). 

L'articulation des bras de Yichnou se trouve au coude ; celle des 
bras de Siva à l'épaule. 

Ganésa, à la tête d'éléphant, est le patron des villes. 

LUC. — IAC-MAH OU MAK PHI *. 

Les Mon (féminin Nang-Man) sont des Titans ou géants, appelés 
aussi lak Mon ou Mon Phi. Ils sont placés sous les ordres de leur 
prince Phaya Man ou Mara. 

Les Cambodgiens, de même que les Siamois, distinguent les dé- 
mons mâles et femelles : Iakkha, Iakkhini ou Iaksha et Iakshi. Comme 
les Titans, ils habitent sur le Mérou de Nysa (l'Arabie Éthiopienne). Ils 
sont invisibles pour l'homme, mais Os ont la faculté de se rendre 
visibles sous quelque autre forme; souvent sous celle de bêtes, 
d'hommes et de femmes. Tous les samedis et mercredis, ils tiennent 
une réunion, sorte dePandémonium appelé Iaksha Sabawa (sabbat des 
sorcières) où les chefs rendent compte à Wessamoung de leurs faits 
et gestes \ ensuite ils se mettent à danser, à chanter et à jouer. 

Lorsque la mère d'un enfant appartient à la race humaine, on 
le tue. Ce sont les villes de Wisala Maha Newara et Sanka Paala 
Newara qui sont par excellence les lieux de naissance des démons. 

Les esprits des défunts, excitant des haines au lit de mort, sont 
appelés Mal ta Iakseyo; ils violent la loi en vertu de laquelle «les 
démons ne doivent jamais infliger de maladies ni recevoir d'offrandes, 
à moins qu'ils n'en aient obtenu l'autorisation, appelée wourroun. 

Lorsqu'un homme va expirer, le démon Riri Iakkha (ayant un 
visage de singe, et monté sur un taureau rouge) apparaît sous forme 
d'un pygmée, tenant d'une main un coq, de l'autre une massue et 
dans la bouche le corps du défunt. Cet avatar s'appelle Maron Avatar, 
apparition de la mort. 

Tout démon peut revêtir diverses formes d'apparition, suivant 
les circonstances, et chaque fois il est désigné par un nom diffé- 

1 Voy. Bastian, lac» cit. 



APPENDICE. 417 

vent Ri ri Sakeya peut se présenter sous dix-huit formes différentes. 
Un démon moins sauvage et fort respectable, auquel on présente des 
offrandes choisies avec soin, s'appelle Kalou Koumara Dewatawa ou 
Prince noir; il peut paraître sous les sept avatars suivants : ceux de 
Handoung Koumara (prince des parfums de santal), de Handoung 
Koumara (prince du baume pour les yeux) ; de Mal Koumara (prince 
des fleurs), Gini Koumara (prince du feu), Dala Koumara (prince rude), 
Sohon Koumara (prince des tombeaux), enfin de Wata Koumara 
(prince au corps doux au toucher). Il est toujours tourmenté parla 
passion de l'amour, et quand son influence pernicieuse agit sur une 
femme, on suppose qu'elle tombe malade. 



LÉGENDE RELATIVE A LA VILLE DE PURSAT OU PHOTISAT 

On a raconté plusieurs légendes expliquant l'origine du nom de cette 
ville ; voici celle relatée par Bastian. 

Un arbre Pipul (Pho ou Phu), descendant de Nakhon Vat, remonta 
ensuite la rivière de Battambang, s'arrêta près d'un arbre Thoug (Xea) 
tout à côté du village qui porte aujourd'hui le nom de Xai Youh (point 
d'arrêt de l'arbre Xaï). Arrêté de nouveau par un bananier (Tschak) à 

l'endroit où se trouve actuellement le village de Tschak -youh (point 

* 

d'arrêt des bananes) il arriva ensuite au lieu appelé Kamprong où fut 
bâtie la ville de Photisat, c'est-à-dire le Pipul ou Pho flottant. 



NOTE SUR LE CIAMPA » 

Le royaume de Giampa, formant aujourd'hui les provinces de Binh- 
thuan (arrangement paisible) et de Binh-dinh (convention paisible), 
de l'Annam méridional, fut autrefois appelé par les Annamites Nuoc 
Thuon Thien (pays insigne par sa vertu diabolique, ou royaume 
du pacte céleste). D'après la tradition, le mariage du roi de ce pays 
avec sa propre fille aurait été la cause de sa destruction. 

Nao Savan, l'Inao (adolescent) Céleste, premier roi des Cham, fut 

1 Voy. Bastian, de Grammont, Labissachère. 



H8 APPENDICE. 

l'inventeur des leUres employées encore aujourd'hui dans les livres 
profanes. 

Voués d'abord an culte de Bouddha, les habitants Turent convertis 
plus tard à l'islamisme par Patenta- Ali, beau-père de Mahomet. Lors 
de la naissance de celui-ci, Xao-Savan étant allé à la Mecque comme 
tous les rois de la terre, pour l'adorer, fut installé par lui dans sa 
résidence de Bairoch Bali, capitale de Peripanong, situé à Test du Cam- 
bodge et que les Ghams désignent comme leur lieu d'origine. Le pays 
étant devenu tributaire des Annamites, ceux-ci entretenaient à la cour 
du roi, qui siégeait à Ténéri, des mandarins chargés de surveiller le 
gouvernement. Alors, tous les habitants du pays devaient aller pieds 
nus ; le roi seul portait des chaussures. 

En 1460, les Annamites s'élant emparés des provinces de Tourane 
et de Hué, envahirent le pays tout entier, et en chassèrent les habi- 
tants qai se réfugièrent dans le Cambodge où ils s'établirent ; mais là, 
s'étant soulevés plusieurs fois, Us furent traités comme prisonniers de 
guerre. 

Des aventuriers, prétendant être les descendants de la famille royale, 
suscitèrent une révolte dans une de leurs colonies ; le gouvernement 
du Cambodge l'étouffa; les chefs s'enfuirent dans l'Annam et le peu- 
ple fut transféré le long du rivage entre Oudong et Phnom-pênh. 
On trouve de ces colonies surtout à Battambang et aux environs de 
Lovêk ; il existe également des agglomérations plus ou moins consi- 
dérables de Chams dans les diverses provinces de TAnnam. 

Les princes de ce pays contractaient souvent des alliances de ma- 
riage avec leurs coreligionnaires de Java, de Singapour et deMalacca; 
ils entretenaient aussi de bons rapports avec Siam. 

Les Chams d'aujourd'hui portent les cheveux à la mode siamoise, 
leurs femmes les relèvent sur la tête en chignon. Ils parlent un 
dialecte particulier. Ils n'enterrent pas leurs morts, mais les brûlent. 
Ils ne mangent que la chair d'animaux, qu'ils ont tués eux-mêmes, 
ils s'abstiennent de celle du porc et de la vache. 
Leurs prêtres s'appellent Imoum. 

Certaines ruines, des débris de mausolées et de sarcophages qu'on a 
découverts à proximité du littoral de l'ancien royaume de Ciampa 
sont, d'après leur description, d'origine mahométane. 



APPENDICE- 419 

D'un autre côté, tes monuments qui se trouvent dans l'intérieur de 
l'ancien Ciampa sont regardés par les Annamites comme analogues 
aux monuments cambodgiens. Dans les forêts de Binb-dinh on a re- 
trouvé les ruines de l'ancienne capitale, et l'on voit aux frontières 
des tours construites en briques, appelées Zaph Kaomett, tours des 
Cambodgiens. 

Légende *. Près du palais du Radjah de Ciampa il y avait un 
arbre Bétel; après sa floraison, cet arbre produisait un fruit qui 
cependant ne venait jamais a maturité. Le prince ayant ordonné a 
ses serviteurs de monter pour voir ce qu'il en était, ceux-ci ouvrirent 
le fruit et y trouvèrent un bel enfant du sexe masculin. On fit de la 
gousse du fruit un gong appelé Joubang et de la cote une épée. Le 
Radjah, grandement réjoui de cet événement, fit venir beaucoup de 
femmes divers endroits pour allaiter l'enfant ; mais celui-ci refusa 
de téter. Alors le Radjah fit d'une vache à cinq couleurs qu'il possé- 
dait, et qui venait de vêler, la nourrice de l'enfant; c'est pour cela que 
les Chams ne tuent pas les vaches ni n'en mangent la cbair. 

' Lejden, Annales malaises. 



t (Stèio de Préa-Kbim}. 



ANALOGIES DK L'ARCHITECTURE KHMER 

AVEC LES ARCTltTECTUBES DES AUTRES PAYS. 



Nous allons exposer sommairement les analogies que nous avons 
rencontrées entre les monuments de Cambodge et les œuvres simi- 
laires des autres pays. Ces remarques nous ont été inspirées surtout 
par l'examen des sculptures, moulages et photographies des Musées de 
Londres, et par l'étude d'ouvrages ayant trait pour la plupart à l'Inde, 
à Java et à la Birmanie. 

N'ayant pas encore pu réunir tous les documents nécessaires à l'a- 
chèvement d'un travail de comparaison général, nous ne ferons ici 
qu'une énumération très brève qui viendra compléter les indications 
déjà données dans le cours de cet ouvrage. 

Tout en nous réservant de tirer, plus lard, les conclusions de cet 
examen, nous dirons dès aujourd'hui qu'on eu peut déduire ce Tait 
d'ailleurs très vraisemblable, que, durant tout le moyen âge, il y a eu 
un constant échange d'idées entre le Cambodge et les contrées envi- 
ronnantes. 



422 APPENDICE. 



INDE 



Architecture bouddhique. 

Tour de Bouddha Gaya. — Bengale (v* au n* siècle). 

Ce monument, dont les larges portes voûtées sont attribuées par 
Fergusson à une restauration birmane, offre une grande analogie de 
forme et de structure avec les préasats khmers; il se rapproche sur- 
tout de celles qui n'ont pas d'entablement au haut de chaque étage 
(comme le grand gopoura de Ka-Kéo), et aussi d'autres tours en 
briques dont les entablements étages sont peu saillants et ne portent 
pas de dentelures (voy. Mibaume, p. 309). 

Si, conformément à une hypothèse de Fergusson, les sanctuaires 
hindous dérivent de la tour en briques de Bouddha Gaya, ils auraient 
atteint leur plus beau développement dans l'architecture khmer en 
pierre, pour se rapprocher plus tard de leur forme primitive dans les 
préasats en briques du Cambodge et d'Ajuthia. 

Pyramide à étages de Polianarua (Ceylan. — Antérieure à 1233, et 
datant peut-être du vm° siècle). 

Cet édifice que Fergusson appelle « une des représentations les plus 
exactes des temples à sept gradins de l'Assyrie », offre une analogie 
presque complète avec les pyramides khmers les moins ornées (Ka- 
Kéo, Ba-Kong, etc.). 

Grand temple de Datnboul (Ceylan). — La porte de cette antique 
construction est surmontée de dragons en ogive avec flammes, ou 
feuilles qui lui donnent une réelle ressemblance avec les encadre- 
ments des frontons khmers. 



(India Muséum.) 

Ajunta. — Cave n° 1 : tête de monstre analogue au Rhéou khmcr. 
Cave n° 21 et Cave n° 24 : riches rinceaux et rosaces de lotus. 
Ellora f . — Bas-reliefs disposés par bandes superposées, représen- 
tant des batailles. — Un grand lion. 

1 Le Kaîlaca de Siva à Ellora nous offre des exemples de cloîtres soutenus 
par des piliers carrés ; des lions ; des éléphants isolés ou en cariatides... Dans 
les grottes on voit aussi des piédestaux en croix, etc. 



APPENDICE. 423 

Citons encore dans l'India Muséum: des stèles, sans date, catalo- 
guées sous le titre de « Mémorial Hungul » et sur lesquelles on voit 
une adoration du Lingam, ainsi que des scènes diverses : danseuses, 
combats d'hommes et de singes, etc. La mêlée dans ces batailles est 
traitée de la même manière que dans les bas-reliefs khmers ; même vie, 
même mouvement; armes de même genre : arcs et flèches, boucliers, 
piques. Les personnages principaux sont plus grands que les autres, 
particularité'qui s'observe souvent dans les sculptures du Cambodge. 

Sanchi. — Dans les ruines d'un vihara, nous remarquons un per- 
sonnage encadré dans une niche ogivale surmontée de rinceaux; 
ainsi que deux chapiteaux ornés de la moulure simple du Cambodge 
et portant une sorte de voûte en encorbellement. 

Eléphanta. — La porte orientale du grand temple est gardée par 
deux lions et deux dwarapalas ' : l'un de ces gardiens porte au bras 
un anneau fait d'un serpent deux fois enroulé. — Les portes de Préa- 
Khan, deBanone;les escaliers de Préa-Tomrey... , etc., sont aussi 
gardés par des Phi porte-massues et des lions; les Phi de Préa- 
Tcôl ont des bracelets en forme de serpents (voy. p. 75). 

Style indo-arien (nord de l'Inde). 

Les sanctuaires appartenant à ce style ont pour plan des carrés à 
quatre ouvertures, avec additions successives qui transforment ces plans 
en croix dentelées analogues aux plans des préasats khmers. Dans les 
tours indo -ariennes comme dans les préasats cambodgiennes, l'angle 
saillant du carré primitif se continue (plus accentué que les autres) de 
la base au sommet de l'édifice. 

Le temple de Juganat, à Puri (1174), a 133 mètres de côté, il 
est rectangulaire avec quatre portes, deux enceintes successives et 
sanctuaire central. 

Mêmes analogies de plan avec les temples indo-ariens du centre de 
l'Inde : l'ornementation de ces derniers consiste en grandes moulures 
et sculptures très variées. 

Le pont indou de Cuttah, probablement antérieur au XIII e siècle, 
est composé d'une suite d'arches voûtées en encorbellement comme 
les ponts khmers. 

1 Gigantic door keepers. 



424 APPENDICE. 

Chalukian architecture (Inde occidentale). 

Même analogie de plans cruciformes ; sanctuaires successifs. 

Le temple de Somnatbpour (Mysore, 1843) est très riche, il a de 
grands soubassements dentelés ornés de profondes moulures. Il en est 
de même du Kait Iswara à Hullabeed. 

Style dravidien (Inde méridionale). 

La pyramide à étages de Badami (époque ancienne) est sans ana- 
logie avec les édifices khmers ; tandis que les tourelles de Madura 
(dix-huitième siècle) offrent une certaine ressemblance d'aspect avec 
les tourelles cambodgiennes en briques (M 1 Bakeng, etc.). 

A Seringam, on remarque les frontons en ogive avec encadre- 
ment enlouré de flammes *, les crêtes formées d'une suite de 
pointes tournées et les créneaux ogivaux de la muraille d'enceinte. 

A Madura, on trouve, de plus, des moulures ornées de lotus super- 
posés (portant une plate-bande couverte de fleurs à quatre pétales placées 
en losange, disposition qui reproduit à très peu près celle des moulures 
khmers. 

Un temple en ruines voisin de la rivière de Tarpulry est orné de rin- 
ceaux analogues aux rinceaux cambodgiens. 

Par la profusion et la richesse de ses sculptures, le style dravidien 
peut être comparé à celui du Cambodge. 

Bas-reliefs de Mahavellipore, près Madras (India Muséum). 

Ces bas reliefs représentent des combats : on y remarque un per- 
sonnage armé de l'arc monté sur un lion, et un autre personnage en- 
touré des têtes d'un naga polycéphale. Diverses coiffures, armes, bijoux 
et autres détails rappellent les sculptures analogues du Cambodge. 

Architecture djaïne. — Cette architecture apparaît toute formée au 
VII e siècle. 

1 L'analogie que les voûtes khmers présentent avec celles de rtnde avait 
induit Fergusson à surmonter aussi les galeries cambodgiennes d'une crête 
terminée en pointe (voy. la coupe d'une galerie d'Angkor-Vaht dans YHis- 
tory of architecture in ail coun'ries détail qui pourtant n'avait encore été si- 
gnalé par aucun voyageur. 

Cette hypothèse était parraïtement exacte. Toutefois, les croies khmers sont 
plus allongées que les crôtes indoues, et n'ont pas de renflement à la base. 



APPElNDICE. 423 

Les sanctuaires djains ont, comme les sanctuaires indo-aryens, un 
plan carré ; la cella est étroite et ne reçoit la lumière que par la porte ; 
enfin, elle est toujours surmontée d'une tour au profil curviligne. De 
plus l'architecture djaïne présente des porches avec dôme soutenu par 
des piliers disposés en croix dentelée. Il y a donc là aussi des ana- 
logies de plan avec le Cambodge. 

Ajoutons encore que certains temples djaïns sont entourés de niches 
ou sanctuaires secondaires disposés comme les cellules de Ta Prohm 
(voy. le plan de ce temple p. 294-295), ou comme les réduits qui for- 
maient une sorte de double enceinte à la base du monument qui cou- 
ronne la colline de Bakeng (voy. p. 307). 

Parmi les temples djaïns, dont la disposition a le plus d'analogie 
avec celle des temples khmers, nous citerons ceux de Néminatha 
Girnar (antérieur à 1278); — de Teypala et de Vastupala (H77) ! ; un 
autre temple de même genre (mentionné par Fergusson et datant peut- 
être du IX e siècle) ; enfin le temple Ghaonsat Jogini Khajurao dont 
les soixante-quatre niches en forme de petites préasats sont terminées 
par des cercles décroissants cannelés semblables aux couronnes de 
lotus des sommets khmers. 

D'après Ram-Raz, la feuille de lotus est la base des moulures de 
Tlnde. — Nous avons dit qu'il en était de même au Cambodge. — 
Les autres éléments qui entrent dans la composition des moulures 
hindoues se retrouvent aussi dans les moulures khmers, sauf YaUnga y 
là prativêgina et la capota ou «tête de pigeon ». Cette dernière règne 
en haut des entablements au-dessus desquels elle forme une saillie très 
accusée ; cette saillie convexe donne aux tours étagées de l'Inde un 
caractère spécial qui les différencie des préasats khmers bien que les 
unesetles autres présentent àpeuprèslesmêmessuperpositionsd'étages 
avec fausses portes encadrées d'ogives surbaissées et de flammes. 

Dans les soubassements et les piédestaux où la capota n'est que 
rarement employée, les moulures sont faites d'une feuille de lotus 
jointe à une plate-bande, et leur aspect ne diffère guère de celui des 
moulures khmers simples (voy. p. 129 les perrons étages de Pima- 
nacas, p. 27 le piédestal de la statue, etc.). 

La colonnette à base rectangulaire (avec petit encadrement rectiligne 
ou ogival enfermant un personnage) et fût octogonal régulièrement 



426 APPENDICE. 



strié se rencontre à la fois, aussi, dans l'Inde et au Cambodge ; mais là 
elle a revêtu une forme classique dont elle ne s'écarte que par des modi- 
fications de détail, tandis que dans l'Inde, elle se prête à des arrange- 
ments très variés. 



SOUTH KENSINGTON MUSEUM. 

Art bouddique (I e * siècle). — Bhopal (Inde centrale). 

Dans le petit tope de Sancki, on peut citer un personnage encadré 
dans une niche ogivale surmontée de rinceaux; dans le grand tope : un 
éléphant coiffé d'une sorte de serre-tête et portant des clochettes 
(comme certains éléphants des bas-reliefs de Baion) ; des bijoux, des 
colliers, des pendants d'oreilles analogues à ceux du Cambodge . Ces 
ressemblances de détail sont d'ailleurs les seules qu'il y ait à signaler 
entre ces édifices khmers et les topes indous qui appartiennent à des 
arts essentiellement différents. 

Nous avons cité déjà (p. 350) la statue désignée ainsi: « Marble figure 
of Buddka, oldhinda work (époque inconnue) ». — Cette pièce a plus de 
naïveté, moins de raideur et de dureté que n'en ont ordinairement les 
sculptures indoues : le bouddha a la taille fine, les épaules larges et 
la tête ronde, particularités caractéristiques du Préa Pout khmer. 
Divers détails accessoires des personnages, tels que l'allongement des 
oreilles et les cylindres passés dans l'ouverture du lobe inférieur; les 
bijoux, les chasse-mouches, les guirlandes ; la coiffure des femmes ; 
le trône de lotus et enfin le nain qui supporte le dieu, augmentent 
l'analogie de cette stèle avec les représentations analogues du Cam- 
bodge. 

Dans le « South Kensington Muséum » se trouve encore une remar- 
quable statue dans l'attitude du Bouddha et dont la tête est entourée 
d'une sorte d'auréole de feuillage. Cette statue est adossée à une stèle 
plate terminée en ogive, genre de stèle que Ton rencontre souvent dans 
les temples du Cambodge ; les feuilles de l'auréole sont d'un dessin 
identique à celui de petites feuilles khmers. 

Cast ^reproduction moulée) from the Ambernath temple. — Bombay, 
Hîndu, IX a siècle (N°* 72-399 à 72-415). 






APPENDICE. 427 

Rosaces ornées de pétales de lotus; frises chargées de rinceaux de 
feuillage enroulés autour d'oiseaux. 

71-405. — Un dieu dans l'attitude de la danse est placé au milieu 
d'un encadrement de rinceaux dont le plus élevé renferme un saint 
en prière assis sur une fleur de lotus ; en bas, deux lotus à trois feuilles 
laissent échapper des rinceaux enchevêtréstle dragons à trompe relevée; 
le tout présente de grandes analogies avec l'ornementation khmer. 

72-414. — Dragons. 

72-409. — Petits panneaux carrés avec fleurs aux angles et cercle 
intérieur renfermant un sujet (combat d'un homme avec un singe, etc.) 
— Ce motif rappelle les losanges qui couvrent la surface des préasats 
d'Angkor Vaht et autres temples du Cambodge (voy. p. 241). 

72-402 et 403. — Moulures, roses, fleurs en losange; ornements, en 
forme de palmette ou de feuille, entourés de petits rinceaux en ogive, 
et superposés (d'un effet analogue aux ornements des pilastres de la 
porte représentée sur la couverture de ce livre). 

Plaster cast from sculptures taken from the ruined city of Saitron 
Ilajpootana, — Indian (about 1100) — N 0- 69-65 ; 1 to 27! — Rinceaux, 
feuilles diverses ; tête diabolique analogue au Rhéou khmer (les 
yeux surtout sont tellement identiques qu'il serait difficile d'admettre 
une ressemblance fortuite). Cannelures et ornements d'un encadre- 
ment de fronton strié et découpé ; combinaison de petits rinceaux pour 
former de larges feuiles de lotus ; enfin, colonnette octogonale avec 
stries horizontales. — Dans la plupart de ces détails, on retrouve les 
mêmes procédés de travail et la même manière de percer les trous, 
de faire les noirs en v ou en x, que dans l'ornementation khmer. 

Cast from temples m Orissa, Ben g al, IX e et X e siècles. 

L'ornementation des pièces de cette série présente encore a une très- 
grande analogie avec l'ornementation cambodgienne ; nous citerons 
successivement : 

Un pilastre portant une tête de dragon de la gueule duquel sortent 
à droite et à gauche des guirlandes de perles entre deux lions dres- 
sés; — un grand nombre de rinceaux encadrés de ligne de perles 
et renfermant des feuilles, des animaux, des oiseaux aux ailes dé- 
ployées. 



428 APPENDICE. 

Une petite frise de rinceaux dans le goût des plus riches feuillages 
d'Angkor. 

Une ogive à encadrement très riche avec feuilles ou flammes à l'ex- 
térieur, et tête de monstre au sommet. Cet arrangement est voisin de 
celui du fronton khmer (voy. Voyage d'exploration en Indo-Chine, 1. 1, 
p. 92, un dessin de M. Lefèvre représentant les encadrements de 
Phnom Bachey; — toutefois, ce genre d'arrangement est exception- 
nel au Cambodge où, au contraire, c'est presque toujours à Tinté- 
rieur de l'ogive que se place cette tête diabolique). 

Casts from temples, in Orissa (N M 72-301 et 72-398). — Rinceaux* 
par bandes horizontales ou verticales avec encadrements de perles. 

Moulures de soubassements d'un dessin identique aux moulures 
simples du Cambodge (voy. p. 128-129; p. 132, etc.). 

Ornements et bijoux des personnages ; riches rinceaux composés 
de la même manière que ceux des entablements des portes khmers 
(voy. p. 7 et p. 357). 

Frises chargées de rinceaux; singes et autres animaux se jouant 
dans le feuillage. 

L'abaque d'un pilier, ornée par-dessous de petites pyramides trian- 
gulaires placées aux angles, reproduit la forme renversée d'un étage 
de préasat surmonté de ses acrotères. 

Ahmaàabad — Indian (1450) — Ogive. 

Mandap from Ambemath temple — Bombay ; Hindu, IX siècle. — 
Profil de moulures. 

Kapaleswary temple — Oinssa, Bengal, IX e siècle. — Riches rinceaux, 
plates-bandes avec lignes de perles sur les bords et losanges intérieurs. 

Kuth — near Delhi, Hindu, — XI e siècle. — Feuilles disposées en 
bande verticale sur un pilier cannelé. 

N. B. — Dans les trois derniers spécimens les similitudes sont beau- 
coup moins apparentes que dans les précédentes et la facture est 
différente. 

En résumé, l'examen des moulages indous du South Kensington 
Muséum nous montre qu'il existe des analogies frappantes entre l'or- 
nementation khmer et celle du temple d'Ambernath {Bombay, Hindu, 
IX 8 siècle), des édifices d'Orissa (Bengal, IX e et X e siècles) et de ceux 
de la cité ruinée de Saitron Ratj, Poutana (Indian: about 1100). 



APPENDICE. 429 



JAVA 

Boro-Boudour. 

Ce grand édifice bouddhique présente peu de ressemblance avec les 
monuments khmers. Il y a lieu de remarquer toutefois que le plan de 
sa base est une large croix dentelée comme on en rencontre un si 
grand nombre au Cambodge (plan de Pimanacas, plan de la tour 
centrale de Ta-Kéo (voy. p. 301, etc.) ; ajoutons encore que, de même 
qu'à Baïon, ce plan se change en un cercle au sommet du massif 
pyramidal. 

Les petites tourelles ou dagobas étagées autour du sanctuaire prin- 
cipal sont percées de petites ouvertures en losanges régulièrement 
disposées comme on en rencontre quelquefois au Cambodge, en par- 
ticulier dans les édicules de Phnom-Boc qui eux aussi ne reçoivent la 
lumière que par la porte et par ces petits jours. 

Les bas-reliefs de Boro-Boudour, comparables pour l'importance à 
ceux des temples khmers, ont un caractère essentiellement différent 
et Ton n'y rencontre que très peu de détails communs : nous allons les 
énumérer en nous reportant aux illustrations de la grande publica- 
tion Boro-Boudour, par le D r G. Leemans. Leyde, 1874. » 

Planche 318 — N°* 31, 32. Monument pyramidal à étages gardé par 
des lions. — Tout semblable aux pyramides simples du Cambodge. 

Trône de Bouddha dont le dossier est entouré de feuilles ou de 
flammes. 

Encadrements de portes terminés par des dragons. Gargouilles à 
tôtes de monstre, du genre de celle de Krush qui fait partie du Musée 
Khmer. — Lions. — Têtes de dragon. — Rinceaux de fleurs entourant 
des oiseaux. — Serpents employés dans l'ornementation d'un trône et 
de divers ustensiles. 

PI. 27 — 23. Oriflamme dentelée pareille à celle d'un bas-relief de 
Baïon (voy. p. 405) ; émouchoirs, plumes, feuilles, armes offensives, 
boucliers.... ; — personnages dont la pose contournée rappelle à la fois 
le Cambodge et surtout Siam. 

PI. 27 — 143. Brahmanes. 

Citons encore un Bouddha assis sur un trône porté par des nains 
symbolisant, là comme chez les Khmers, l'esprit du mal. — Plusieurs 



430 APPENDICE. 

personnages à bras multiples tenant dans les mains divers attributs et 
ayant chacun une figurine de Bouddha sculptée sur leur protubérance 
crânienne. — Des images analogues se retrouvent souvent au Cambodge, 
soit avec quatre bras, et alors elles représentent Dharma.; soit avec un 
* plus grand nombre de bras (comme la statue de Préa-Tcol , voy . p. 78) , et 
dans ce cas on les considère encore comme représentant des saints 
bouddhiques, bien qu'ils portent souvent à la main des attributs brah- 
maniques. 

Mentionnons aussi une sorte de dagoba en forme de coffre surmonté 
de parasols et « contenant des restes de Bouddha. » — Ce coffre,, 
très-différent par la forme de celui qui est porté processionnellement 
dans les bas-reliefs de Baïon (voy. p. 178), éveille cependant pour tous 
les deux l'idée d'une destination analogue. 

Photographies des monuments de Java publiées par la Société asia- 
tique de Batavia. 

N° 67. — Statue de Bouddha en métal analogue aux statues cam- 
bodgiennes ou siamoises peu anciennes. 

4(3. — Bouddha encadré d'une ogive. 

104. — Ruines d'une galerie. 

113. — Lingam analogue à celui de Ka-Kéo (voy. p. 332). 

H8. — Piédestal de Lingam, circulaire à moulure, comme le piédes- 
tal de Phnom-Boc (p. 131), mais d'une facture différente. 

Une photographie sans numéro représente un lingam cylindro- 
conique (de forme analogue à celle des pointes qui forment les crêtes 
des galeries de Méléa ou de la muraille forle de Ka-Kéo) ; ce lingam 
couronne une construction qui reproduit en plus petit la disposition 
de la Préa chay-dey ou pyramide de Phnom Penh. 

128. — Tête de dragon à corne ou à trompe. 

246. — Gardiens d'escalier debout sur un socle orné de têtes hu- 
maines, de même que le soubassement du Bouddha géant de Phnom 
Goulen. Animaux fantastiques aux ailes étendues formant cariatides 
le long d'une muraille (du temple de Brambanan probablement). Orne- 
ments d'un Ganesa formés de cercles régulièrement enchevêtrés avec 
fleur centrale. — Ornements de même genre sculptés sur une statue 
de Yichnou. Au Cambodge, beaucoup de piliers ou de pilastres sont 
recouverts d'une décoration pareille. 



APPENDICE. 431 

302. — Coiffures et bijoux d'un personnage; rinceaux en ogive en- 
cadrant sa tête. 

Temples de Brambanam (1098). 

Ces temples sont formés d'un sanctuaire en croix dont chaque 
face présente une niche abritant une statue aux jambes croisées. En 
dehors et à une certaine distance du sanctuaire, règne une suite de 
petites cellas disposées de manière à l'entourer comme d'une enceinte 
carrée. — Nous avons fait ressortir plus haut (à propos de l'architec- 
ture djaïne de l'Inde) l'analogie que présente cette disposition avec 
celle de certains temples khmers dont les santuaires sont souvent en 
croix (Voy. sur le plan, p. 301, le sanctuaire de Ta-Kéo) et qu'entou- 
rent des chapelles disposées par carrés successifs (comme à Bakeng). 

D'après Fergusson les temples de Brambanam, dont la destination 
n'est pas connue, appartenaient vraisemblablement à la religion djaïne. 

Les temples désignés par le même auteur sous le nom de « Tree 
Temples » ont pour plan des croix dentelées, ils sont pyramidaux à 
étages; leurs gradins sont parfois soutenus par des oiseaux fantasti- 
ques (garoudas). L'analogie qu'ils présentent avec certaines pyramides 
khmers est complétée par la présence d'un puits central, carré ou 
rond; toutefois le puits est ici plus large et s'évase par le bas, tandis 
que les puits des pyramides cambodgiennes ont un diamètre constant. 
Les temples de cette catégorie, à Java, n'ont été qu'imparfaitement 
étudiés : celui de Papor semble avoir été entouré de galeries ornées 
de sculptures, ce qui lui donnerait une ressemblance de plus avec cer- 
taines pyramides du Cambodge *. — Celui de Troumpang était sur- 
monté d'un temple à cella. 

Des temples d'une autre sorte sont formés de terrasses étagées avec 
plate-forme supérieure, simple dans les uns, chargée de constructions 
diverses dans les autres : ici encore la cella centrale a pour plan une 
croix dentelée, avec complications et arrangements identiques à ceux 
des tours w centrales de Banone, de Ta-Kéo (Voy. p. 301), etc. La 

* 

1 On se souvient que le massif pyramidal de Léley est placé au centre d'un 
entourage de galeries. 

20 



432 APPENDICE. 

cella du sanctuaire est de plus surmontée d'un toit en pierre à 
étages. 

De même que les pyramides à terrasse du Cambodge, ces sortes de 
constructions tantôt s'élèvent en plaines, tantôt s'appuient sur la pente 
d'une montagne. 

Sur le soubassement d'un temple de Pànataram (appelé Serpent 
Temple par Fergusson), s'allonge en manière de moulure un serpent 
analogue à celui qui rampe sur la marche inférieure de l'îlot de 
Nirpone ' : ce dernier est polycéphale, tandis que le reptile de Pàna- 
taram n'a qu'une tête. 

Dans un autre temple du même district, le soubassement est orné 
d'une tortue et d'un double serpent dont les têtes se réunissent 
pour former l'entrée occidentale. — Les nagas à double tête de 
Nirpone sont disposés de la même manière ; mais là l'entrée regarde 
l'orient. 

Citons enfin, à Java, les grottes ou chapelles taillées en dôme à l'in- 
térieur et renfermant une statue, unlingam, un piédestal ou même 
un simple cube de pierre (voy. p. 397 ce qui a été dit au sujet de 
Ka-Kéo). 



BIRMANIE 

Pyramide de Thatun (antérieure à 1080 et datant peut-être du 
VI e siècle). 

Ce monument à base carrée se compose de trois terrasses étagées 
avec escalier sur le milieu des quatre faces de la seconde terrasse ; 
il ofFre avec les pyramides khmers une analogie encore plus frappante 
qu'avec celles d'Anhuradapoura (à Ceylan), ou de Méhal Prasada 
(à Java). — Toutefois la pyramide de Thatun est surmontée d*une 
pagode circulaire, mais cette dernière peut être moderne. 

Pagan (XI e siècle — 847 à i284). 

1 Voy. la description de Nirpone, p. 388. 



APPENDICE. m 

La pyramide de Shoe Madou présente deux terrasses étagées avec 
quatre tours d'angle et un haut massif à base polygonale dont le 
sommet supporte une construction en pointe. Les terrasses sont très 
étendues et peu élevées (comme celles de Mibaume ou de Leley) ; 
quatre escaliers placés sur les axes conduisent du premier au second 
étage. — On voit que là encore il existe une certaine analogie de dis- 
position générale avec les pyramides khmers (Voy. p. 301 le plan de 
Ta-Kéo). 

Les plans en croix ou en carrés dentelés des autres édifices de Pagan 
(les temples d'Ananda, deGaudapalen,de Tapinyu, etc... , ) ont tous une 
grande ressemblance avec ceux des pyramides khmers, et en particu- 
lier avec le plan de toute la partie de Baion comprise à l'intérieur de 
de la grande galerie extérieure (voy. p. 162-163, le plan général de 
Baion). — La coupe du temple d'Ananda avec ses couloirs étages et 
ses personnages adossés au massif central, offre un aspect analogue à 
celui que présenterait la coupe d\Angkor-Vaht. 

Dans tous ces monuments de grande dimension et construits en 
briques solides, on ne rencontre pas un seul pilier. — 11 en est en 
quelque sorte de même dans les préasats en briques du Cambodge. 
— Les voûtes birmanes sont cintrées comme les voûtes chinoises ; 
mais les encadrements en ogive surmontés de flammes ont avec ceux 
du Cambodge une analogie encore plus marquée que celui de la porte 
de Damboul à Ceylan, dont il a été déjà question. Cette ressemblance 
est accentuée par la présence de deux demi-frontons bas placés sur 
les côtés des frontons principaux, et dont l'efFet est presque identi- 
que aux arrangements de même sorte du Cambodge (voir les portes 
des tours de Baion, p. 172-173, et comparer avec les dessins de la Re- 
lation du colonel Yule, déjà cité). — On remarquera toutefois que 
dans les temples birmans les galeries ou couloirs voûtés sont sim- 
ples; on n'y accède que par une porte centrale, tandis que dans les 
temples khmers les frontons en trois parties surmontent presque tou- 
jours une triple entrée donnant accès à une galerie à trois nefs, comme 
celle dont la coupe est figurée p; 283 : il paraît donc vraisemblable de 
croire que ce n'est qu'après avoir eu connaissance de ce mode de 
décoration employé par les Khmers que les Birmans l'ont appliqué 

1 Voy. Mission to court of Ava. — Colonel Yule, — 1855. 



434 APPENDICE. 

comme une sorte de plaquage sur la surface de leurs édifices en bri- 
ques. — A Pagan, l'ogive est généralement aus$i plus surbaissée 
qu'au Cambodge, et on y retrouve également cette tête cornue déjà 
rencontrée dans les temples hindous et que nous avons comparée au 
Rhéou khmer. 

On peut ajouter d'une manière générale que les proportions sont 
moins belles à Pagan qu'au Cambodge. Les moulures, tout en y étant 
très franchement hindoues, se rapprochent cependant des moulures 
khmers ; il en est de même de quelques détails d'ornementation tels 
que les guirlandes et les motifs triangulaires qui régnent au-dessus 
des bases et au-dessous des chapiteaux. 

Nous citerons particulièrement à Pagan l'arrangement architectural 
d'une porte du petit temple de Sembokoo et une autre porte dont le 
cadre ogival est surmonté d'acrotères triangulaires étages en pyra- 
mide, et qui reproduit exactement l'arrangement de la niche infé- 
rieure d'une stèle khmer représentée p. 281. — Ccette stèle paraît 
appartenir aux dernières époques de l'art khmer. 

Nous mentionnerons encore les lions qui gardent les abords du tem- 
ple d'Ananda et ceux qui s'étagent le long des escaliers élevés; arran- 
gement qui semblerait être aussi un emprunt fait aux Khmers par les 
Birmans. 

On voit à Thapinyu des portes qui, au lieu d'être voûtées, sont 
fermées par des linteaux de pierre massifs. On trouve aussi dans 
ce temple de nombreuses statues à quatre bras ; le singe Hanou- 
man, et des figures de Yichnou portant comme certains person- 
nages à quatre bras d'Angkor Vaht le chakra, la conque et le maillet. 

On rencontre à Pagan plusieurs statues gigantesques de Çakya- 
Mouni : ces statues jadis peintes et dorées comme celles du Cambodge 

* 

étaient abritées sous des constructions. — On a vu qu'il en était 
ainsi à Phnom Sontuc et à Phnom Coulan; il en est de même aussi 
à Ceylan et à Bangkok. 

• 

Les édifices en bois de la Birmanie présentent ces frontons décou- 
pés et ces angles terminés par des pointes ou cornes contournées 
qui sont figurés sur les bas-reliefs khmers (voy. p. 313). On peut 
ajouter que, d'après les descriptions des constructions en bois 



APPENDICE. *35 

existant à Angkor, au XIII* siècle (voy. le Tchinla-Foung-Thou-Ki), 
les palais des rois du Cambodge devaient ressembler à ceux des rois 
birmans. 

Nous ayons mentionné déjà la forme carrée des villes birmanes, 
dont le centre est occupé par le palais, et les angles par des temples ; 
disposition qui était • aussi celle de la ville d' Angkor Thôm. 

On cite enfin à Pagan des temples entourés de constructions diverses, 
et renfermés dans des enceintes rectangulaires. 



S1AM-LAOS 



La pyramide d'Ajuthia appelée le Mont d'or dérive immédiatement 
de celle de Tathun, ou du Shoe Madou de Pagan. — Les tours à éta- 
ges de cette même ville offrent de grandes analogies avec les préasats 
khmers des dernières époques. 

Les pyramides de Bangkok dérivent des précédentes et sont un 
composé de l'architecture siamoise plus ancienne, de l'architecture 
birmane et de l'architecture khmer. 

Le Tat Luong à Vien Chan se rapproche des temples de Pagan, tan- 
dis que le TatPenom, par sa forme, ses bas-reliefs et ses détails d'or- 
nementation, dérive de la préasat khmer. 

L'architecture de bois à Siam et au Laos ne diffère guère de celle de 
la Birmanie ; nous avons dit plus haut que cette dernière se rap- 
proche aussi de celle de l'ancien Cambodge. 



CHINE 



C'est surtout dans la forme des toits et de leurs appendices recour- 
bés, dans une foule de détails d'ornementation et dans les animaux 
fantastiques : lions, dragons, etc., que l'influence de l'art chinois sur 
l'art khmer est manifeste; le Satra de Préa-ket-Méléa (déjà cité) 
désigne sous le nom de Thor (lion chinois) les quadrupèdes qui s'éta- 
gent sur les degrés des escaliers d'Angkor-Yaht. 



430 APPENDICE. 



EGYPTE, ASSYRIE, GRÈCE. 

Nous avons déjà noté l'analogie que la pyrajnide de Saqquarah 
et les constructions étagées de Ghaldée présentent avec les pyramides 
khmers, dont Tune (celle de Ka-Kéo) offre des proportions presque iden- 
tiques à celles du « Tombeau de Bélus ». 

Sur deux stèles égyptiennes du « British Muséum » désignées ainsi : 
« Petit sanctuaire avec la représentation d'Astarté, période romaine » 
et « Ani, officier d'Amen à genoux devant le soleil — XVIIP dynas- 
tie — 1703 à 1462 av. J.-C. », sont figurés des monuments en forme 
de cubes surmontés de pyramides, disposition semblable à celle des 
sanctuaires les plus simples du Cambodge et aussi à celles de petites 
constructions massives que Ton retrouve dans les parcs des temples à 
galeries. — On voit encore au Cambodge des stèles ou petits obélis- 
ques quadrangulaires couverts d'inscriptions comme les obélisques 
égyptiens ou assyriens. 

Les Khmers, on Ta vu, ont fait concourir à leur décoration architec- 
turale les grands animaux réels ou fantastiques ; ils ont recouvert les 
murailles de leurs temples de vastes compositions en bas-relief conçues 
d'après les mêmes données générales que celles de l'Egypte et de 
l'Assyrie et qui fournissent comme celles-ci de précieuses indications 
ethnographiques sur les races diverses que les artistes y ont figurées. 
Les Khmers ont aussi représenté les personnages vus de face avec les 
pieds de côté, ou les têtes de profil avec l'œil de face. 

Les sculpteurs du tombeau deTi avaient en quelque sorte photogra- 
phié la nature immobilisée ; ceux des chasses de Sardanapale àKouyun- 
jik avaient figuré des scènes d'animaux vivants d'une expression sasis- 
sante; les artistes khmers ont composé des tableaux et représenté des 
scènes étrangement mouvementés et fantastiques. Moins roides que 
les Égyptiens moins exagérés dans leur modelé que les Assyriens, ils 
se sont montrés, dans leurs époques primitives, à la fois naïfs et habiles 
pour atteindre plus tard les dernières limites de la recherche. A une 
imagination ardente, à un goût très vif pour le merveilleux, ils ont 
cependant uni un réel sentiment de la nature ; sentiment qui se ma- 



APPENDICE. 437 

nifeste surtout dans la représentation des plantes, des arbres, des 
animaux indigènes tels que le bœuf, le cheval et l'éléphant. 

S'essayant peu à peu à vaincre les difficultés que présentait l'art du 
bas-relief : les raccourcis et la superposition des plans successifs, ils 
ont acquis une habileté technique comparable à celle des artistes 
grecs ou des maîtres de la Renaissance, qu'ils eussent égalés peut-être 
s'ils eussent poussé plus loin l'étude de la forme humaine et s'ils 
eussent été plus souvent animés de ce sentiment de l'expression que Ton 
rencontre dans leurs statues de maître et qui se montre parfois aussi 
dans quelques sujets de leurs bas-reliefs qui sont alors de véritables 
chefs-d'œuvre. 

Avant tout, le génie des Khmers était le génie de la décoration, et 
leurs sculptures, quelqu'importantes qu'elles fussent, n'étaient que 
le complément de l'œuvre des architectes. 

En composant ces longues scènes de combats, ces interminables 
processions, ces mille sujets qui ornent leurs innombrables frontons, 
les artistes oubliaient rarement que leur tableau devait s'harmoniser 
avec l'ensemble de l'édifice ; que, vu de loin, il devait produire sur l'œil 
les mêmes effets de saillie et de creux, de lumière et d'ombre, que 
l'eut fait une succession de simples ornements disposés à ce seul effet. 
C'est grâce à cette union intime du sculpteur et de l'architecte, que 
l'art khmer a pu parvenir à sa haute perfection. 

11 est étrange de rencontrer dans l'extrême orient ce sentiment par- 
fait de l'harmonie jusqu'alors regardé comme l'apanage exclusif des 
artistes de l'occident. Le génie d'un grec, semble-t-il, n'eût pas autre- 
ment agencé les éléments dont l'artiste khmer pouvait disposer. 

On a remarqué que les piliers cambodgiens se rapprochent de l'or- 
dre dorique : d'autres analogies pourraient être signalées entre la 
Grèce et le Cambodge : proportion des ouvertures, des entrecolonne- 
ments ; forme des acrotères, palmettes, rinceaux; animaux fantasti- 
ques tels que les griffons, etc. S'il est vrai que quelqu'influence occi- 
dentale ne soit pas étrangère à la création de l'art khmer, il ne sem- 
ble pas que cette influence ait suivi la voie du nord de l'Inde, tant est 
grande la différence d'aspect, de facture, qui sépare les œuvres de 
l'art gréco-indou (dont l'influence serait bien plus tôt visible dans les 
sculptures de Boro-Boudour) des œuvres khmers. L'abondance d'or- 
nementation du Cambodge rappellerait plutôt la richesse romaine. 



438 APPENDICE- 

Quoiqu'il en soit, l'Inde à elle seule nous offre à la fois la pyramide, 
le pilier carré, la moulure composée d'un lotus et d'une plate-bande 
{forme initiale de la moulure cambodgienne); la colonnette octogo- 
nale; l'ogive encadrée d'un dragon surmonté de flammes; diverses 
formes de tours à étages et vingt autres détails dont l'ensemble paraît 
suffisant pour qu'il ait été possible d'en déduire l'art khmer. 

La différence si marquée qui sépare l'esthétique cambodgienne de 
l'esthétique de l'Inde serait due d'abord à l'influence des anciens 
habitants du' Fou nan chinois qui vraisemblablement avaient déjà 
leur civilisation et leur art lors de l'arrivée des Hindous, et ensuite, 
à l'influence de la Chine et des autres pays circonvoisins. 



(Sculpture d'un fronton de Bsion.) 



NOTE HISTORIQUE 



Des légendes cambodgiennes et siamoises, effleurant à peine la vérité 
historique ; des traditions orales, souvent contradictoires, et les quelques 
données fournies parles sculptures des temples : tels sont les éléments 
qui s'offrent au chercheur désireux de remonter aux origines du peuple 
khmer. Mais, tout en ouvrant un vaste champ à des hypothèses plus 
ou moins ingénieuses, ces éléments ne suffisent pas pour permettre de 
reconstituer les époques primitives du royaume du Cambodge ni pour 
rétablir la marche des événements dont l'Indo-Chine a été le théâtre. 

Les géographes anciens ne nous donnent sur cette contrée que de 
rares indications dont la valeur ne repose que sur des identifications 
de noms contestées. 

Les sources siamoises, annamites et indoues ne fournissent guère 
que des renseignements dépourvus de clarté, des dates et des faits 
d'autant plus incertains que les auteurs de ces annales travestissent 
habituellement l'histoire en sacrifiant la vérité aux préjugés politiques 
et aux haines séculaires. 

D'autre part, quelle que soit l'importance des nombreuses biblio- 
thèques des couvents de Siam et du Laos, il n'y a guère à espérer 



440 APPENDICE. 

aujourd'hui qu'on y puisse découvrir de documents historiques sérieux. 

La littérature chinoise, si riche en œuvres d'histoire, fournirait sans 
doute des indications précieuses sur le Cambodge qui, jadis, fut une 
dépendance du Céleste-Empire ; malheureusement ces œuvres restent 
sans traducteur, et il n'y a guère que dans Abel Rémusat, Stanislas 
Julien, Klaprothet leurs commentateurs qu'on puisse espérer trouver 
quelques renseignements. Aujourd'hui que le Cambodge excite à 
juste titre un intérêt toujours croissant, n'est-il pas à souhaiter que 
de nouveaux sinologues continuent des recherches qui, jusqu'au jour 
où Tépigraphie apportera des révélations nouvelles, semblent seules 
appelées à jeter quelque lumière sur le passé reculé de Undo-Ghinc ? 

La note chronologique d'Abel Rémusat sur le pays de Tchin-la, 
recueil de dates et de détails géographiques pris dans l'histoire des 
différentes dynasties chinoises depuis 616, nous donne des indica- 
tions précieuses sur la civilisation du pays, mais elle ne nous apprend 
presque rien sur son histoire. La « Description du royaume du Cam- 
bodge », écrite par un officier chinois, chargé d'une mission de son 
gouvernement, au XIII e siècle (1295), et traduite par le même au- 
teur, est une intéressante étude sur la contrée visitée et les mœurs 
de ses habitants, mais elle ne relate guère les faits antérieurs à 
l'époque où elle a été composée. — 11 en est de même de la célèbre re- 
lation de Marco Polo, qui se trouvait en Indo-Chine à la même époque. 

La chronique royale du Cambodge, conservée autant par la tradi- 
tion orale que par les documents écrits jusqu'au commencement de 
ce siècle, époque où le roi Préa Barom-Baput 1 la fit rédiger définitive- 
ment, est le seul document cambodgien authentique qui ait survécu 
aux ravages des guerres par lesquelles ce pays a été si longtemps 
troublé et dévasté. Cet important document, mis au jour par le 
commandant de Lagi*ée, établit les faits historiques de 1346 à 1815 
avec une interruption de quarante-cinq années (1739 à 1785). 11 se 
divise en deux parties : la première contenant la Liste chronologique 
des rois du Cambodge ;la seconde, la Chronique royale, document peu 
instructif, farci de dates, de titres des rois et de notices historiques 
très brèves, manquant le plus souvent de clarté et de cohésion. 

1 Ou Ang Eng. — F. Garnier attribue au contraire la rédaction de la Chro- 
nique royale à Ang Chan, successeur de Ang Eng : on voit quelle incertitude 
règne sur ces faits, pourtant presque contemporains. 



APPENDICE. 441 

Les auteurs du XVII e siècle, missionnaires pour la plupart, Ribade- 
neyra, Chris to val de Jaque, de Rhodes, San Antonio, les PP. jésuites; 
les ouvrages de van Wusthof, d'Olearius, etc., ne parlent qu'incidem- 
ment du Cambodge, et ne nous apprennent rien sur l'histoire des 
premiers siècles de ce pays où, cependant, quelques-uns de ces 
écrivains, notamment les PP. de Rhodes et San Antonio, ont séjourné 
durant un certain temps. 

En résumé, quelques renseignements obscurs sur les temps reculés ; 
une suite de dates et de faits peu intéressants et incertains, pour le 
moyen âge et les temps modernes; tels sont les seuls résultats obte- 
nus jusqu'à présent ; résulats exposés dans des termes peu encoura- 
geants parle commandant de Lagrée 1 après ses consciencieuses inves- 
tigations pendant un long séjour à la cour du roi Norodom, et plus tard 
par F. Garnier s à la suite de nombreuses recherches bibliographiques. 

Le lecteur excusera donc la sécheresse et la brièveté de cette note 
historique qu'il nous a paru toutefois nécessaire de joindre à notre 
étude artistique, mais dans laquelle nous nous bornerons à indiquer 
l'état actuel de la question. 



h 



Le Cambodge/ appelé d'abord selon la tradition locale Kouk- 
Thelok, « la terre des theloc, arbre très commun, au fruit nutritif » 3 , 
nom sous lequel il en est fait mention dans les livres religieux du 
Tibet, portait aussi par la suite ceux de Nakhon, de Nokor et 



1 « En présence de tant d'incertitude, et dans l'état actuel de nos connais- 
sances, il est inutile de chercher la solution immédiate des questions histo- 
riques que soulève le passé du Cambodge. Ni les quelques traditions conser- 
vées, nfle petit nombre d'essais tentés jusqu'à ce jour ne peuvent suffire. De 
nouvelles études seront indispensables. » (De Lagrée.) 

' « Je n'ai malheureusement pas réussi à dissiper les obscurités dont 
les origines des Khmers restent enveloppées. Peut-être eût-il mieux valu 
ne pas chercher à résoudre un problème historique trop difficile et 
trop ardu. » (F. Garnier.) 

* Aymonier. Notice sur le Cambodge. 



442 APPENDICE. 

d'Àngkor. Les Cambodgiens de nos jours se donnent le nom de 
Khmer, et à leur pays celui de Sroc-Khmers. 

Quels étaient les premiers habitants de cette contrée ? Y a-t-il eu 
une peuplade primitive, celle des Chams, qui lui aurait donné son 
nom ? Sont-ce des émigrés de Romavesi, conduits par Préa-Thong, 
premier roi légendaire du Cambodge ; ou des émigrés de Birmanie 
qui, sous les ordres d'un prince de la famille royale, en auraient 
chassé les Chams établis avant eux ? 

Selon une autre relation, un prince du royaume de Khomerat, 
ayant émigré avec des Kham ou Khamen, ses vassaux, serait arrivé 
dans le pays de Kamphouxa, habité alors par les Samreh. Une autre 
version désigne encore Oudannakero, pays situé au nord des fron- 
tières de la Chine, comme lieu d'origine des vieux Khamen (Khamen 
dong ou boran) qui se seraient établis au Cambodge, habité par des 
Tchong 1 , et le mélange de ces deux peuplades aurait formé la race 
des Khamen-Kom (Khmers). Enfin, d'après une tradition locale, les 
Chvéa-Préam, émigrés de Banarasi (Bénarès), s'y seraient fixés à la 
fin du II siècle ou vers la fia du III e siècle, avant notre ère, en y 
apportant la religion à la morale pure. 

Une autre légende attribue l'introduction du Bouddhisme, venu de 
Geylan, au roi Thomméa-Sokrach (en 78) *; une autre encore au roi 
Bautumo-Saurivong, fondateur d'Angkor-Thôm ; une dernière enfin, 
à Préa-Ket-Méaléa, fondateur d'Angkor-Vaht (457) 3 . 

A ce dernier, auraient succédé une série de rois parmi lesquels le 
Sdach-Komlong, Roi Lépreux, sous qui aurait commencé la décadence 
du royaume ; puis le roi paralytique Phnéa-krek ; et enfin un autre 
roi nommé encore Bautumo-Saurivong, sous le règne duquel la 



i Des descendants des Tchong habilent encore la région boisée qui s'étend 
entre les villes de Pachim et de Chantaboun; ils fabriquent des torches pour 
les Siamois, et s'occupent principalement de la récolte du miel et de la cire. 

2 Bien que les castes n'existent pas dans ce pays, la servilité du* peuple 
vis-à-vis des rois et des puissants dépasse toute mesure. C'est au Bouddhisme 
qu'il faut attribuer cette abjection morale, en ce qu'il apprend à envisager 
tout bonheur terrestre comme une récompense de vertus antérieurement 
acquises, et à renoncer à l'espoir de lutter avec le destin (Guignet). 

3 Mentionnons encore un récit légendaire selon lequel PréaPut-Khosa, 
Boudha-Khosa, aurait apporté le bouddhisme de Geylan au Cambodge. 



APPENDICE. 443 

puissance khmer aurait été tenue en échec et grandement amoin- 
drie par le célèbre Siamois Phra-Ruang (543 ou 638). 

Si Ton devait s'en rapporter aux précédentes traditions l , presque 
tous les édifices auraient été construits dans les premiers siècles de 
notre ère ; mais ce sont là des récits légendaires sur lesquels on ne 
peut baser aucune certitude. 



III 



D'après les notices traduites par Abel Rémusat 2 , le Cambodge, sous 
le nom de Tchin-La, était tributaire de la Chine en 616. Vers 625, il 
recouvra son indépendance. Mais il devait plusieurs fois, par la suite, 
être astreint de nouveau à l'obligation du tribut (779-858; 1116; 
1373-1452) 3 . 

Les Khmers, grâce à leur esprit guerrier, se rendirent successivement 
maîtres duTong-King et du Ciampa (actuellement Binh-Tliuan, pro- 
vince du royaume d'Annam), comme ils l'étaient déjà du territoire de 
Siam. Toutefois, le Ciampa ne tarda pas à recouvrer son indépendance. 
A peine s'était-il affranchi du joug du Cambodge, que le prince légen- 
daire Ponhéa-Ruang ayant également levé l'étendard de la révolte 
(638) devint le libérateur du pays de Siam. — Les Siamois s'appelleront 
désormais Thai, hommes libres. 

Ce fut encore dans ce siècle, dit une tradition, que les Brahmanes 
introduisirent au Cambodge le Ramayana et le Mahabhârata, dont 



1 La plupart de ces traditions ont été recueillies par le commandant 
de Lagrée. 

* Si, conformément à l'indication donnée par Abel Ré m usât, on admet 
que le Cambodge était, antérieurement au VII* siècle, désigné sous le 
nom de Fou-nan par les auteurs chinois, il en faut conclure que dès le 
II e siècle avant notre ère (Duhalde) ce royaume existait déjà et payait le tri- 
but à la Chine. 

8 Dans le langage officiel des auteurs chinois, les ambassades envoyées 
par les souverains étrangers à la cour de Chine sont souvent transformées en 
missions chargées de payer le tribut. 



444 APPENDICE. 

les bas-reliefs d'Angkor ont rendu, avec tant d'éclat, les inspirations 
poétiques. 

D'après une autre croyance légendaire, des émigrés de Khomerata 
(royaume situé sur les frontières de la Chine) vinrent en 707 ou 
713, sous la conduite du prince Sang-Cachac, pour s'établir dans 
le pays du nord, en refoulant dans le sud les anciens habitants. Le 
Cambodge se serait alors divisé en deux États : celui du Nord, com- 
prenant les Hautes-Terres; celui du Sud, appelé Terre-d'Eau (le 
Bas-Cambodge), baigné par la mer et plein de lacs et de cours d'eau 1 . 

En 722, le Cambodge et le Ciampa, sous la conduite d'un chef 
annamite du Tong-King, que les Annales désignent par le nom 
d'Empereur noir, se soulèvent sans succès contre l'Empereur de Chine, 
dont tout l'Annam, le Siam et le Cambodge restèrent tributaires jus- 
qu'en 931. 

Les Annamites se déclarent alors indépendants, et leur puissance 
s'accroissant, ils contraignent même le roi du Cambodge à leur payer 
un tribut. 

Depuis la fin de ce siècle jusqu'au XII , il n'est plus question du 
Cambodge dans les annales du Céleste empire. 

En 1128, il y est fait mention d'un résident chinois accrédité à la 
cour du roi. 

Le Ciampa qui, pendant près de deux siècles, avait guerroyé contre 
l'Annam avec des fortunes diverses, fut de nouveau conquis par le 
Cambodge (1153); mais il recouvra bientôt sa liberté. 

Le fait le plus important du XIII siècle est l'avènement au trône 
de l'Empire de Chine d'un chef tartare, nommé Khoubilai (1268). Son 
armée envahit le Cambodge, mais il ne put réussir dans le projet qu'il 
avait formé d'assujettir le pays. C'est lui qui envoya plus tard, en 
1295, à la cour du roi, un ambassadeur dont Abel Rémusat nous a fait 
connaître le récit. 



1 F. Garnier en rapportant cette tradition donne le Préa-Komlong (roi 
lépreux) comme fils du Sang-Kachak. — Serait venu ensuite le Ponhéa-Krek 
(roi paralytique) qui aurait été contemporain de Phra-Ruang (deuxième 
moitié du X° siècle). 

M. Léon de Rosny donne Tannée 457 pour date de la cinquantième année 
de l'âge de Phra-Ruang (Voy. les commentaires des documents recueillis 
par le commandant de Lagrée). 



APPENDICE. 4*5 

Les Siamois firent de fréquentes incursions dans le Cambodge ; les 
Pégouans l'envahirent par le nord. 

A partir du XIV siècle nous sortons du domaine de la légende 
et des traditions poétiques et nous trouvons nos documents dans 
la Chronique royale (version de Lagrée) et dans une autre version 
collationnée à Siam par Bastian et qui est souvent en désaccord 
avec la précédente. 



IV 



ANGKOR-THOM CAPITALE. 



CKTTE VILLE TOMBE PLUSIEURS POIS AU POUVOIR DES ARMÉES SIAMOISES. 



Au moment où commence la Chronique royale, l'ancienne capitale, 
la ville d\Angkor-Thôm , autrement appelé Entiphat {Indra-paslha 
ou ville d'Indra), n'avait pas cessé d'être le siège de la puissance 
royale. 

Le roi Préa Nipéan-Bat résidait dans cette ville ainsi que ses deux 
successeurs. 

En 4352, Phra Rama Thibodi (appelé Phra Uthong avant son avène- 
ment au trône), roi de Siam, profitant du malheureux état du pays 
continuellement troublé par des dissensions intestines et des guerres 
extérieures, qui en avaient depuis longtemps amoindri la puissance, 
envahit le Cambodge; il se rendit maître d'Angkor (1353). Son fils 
aîné Pasat et son second fils ne régnèrent chacun que trois ans; 
son fils cadet un mois seulement. Pendant ce temps quatre-vingt- 
dix mille Cambodgiens furent emmenés à Siam par le vainqueur. Mais 
les Cambodgiens s'étant affranchis du joug siamois, les rois légitimes 
remontèrent sur le trône (1358-1366-1370). 

Le roi de Siam mourut en 1370; son successeur envahit de nouveau 



V* APPC5DICE. 

le pay*, et, après s'être emparé d'Angkor (1372}, installa son fils sur le 
trône. Le prince royal du Cambodge, de l'Annam où il s'était réfugié 
fit assassiner ce dernier et reconquit sa couronne. Allié aux Annamites 
auxquels fl était redevable de sa restauration, il envahit Siam en 1384, 
mais le roi Pbra Ramea Suen dispersa Tannée assaillante et reprit 
Angkor dont il emmena la plupart des habitants en esclavage. 

Le roi du Cambodge transféra alors sa résidence à Basan, ensuite à 
Phnom-Pênh ft388). Après avoir régné pendant près de cinquante 
ans, il abdiqua en faveur de son fils (1433) qui mourut cinq ansaprè>. 
Le successeur de celui-ci rétablit de nouveau le siège du gouvernement 
à Angkor (1437, . 

Après lui régna Préa Tho ramea rachea thireach (4468}. La guerre 
civile, suscitée par les princes de la famille royale depuis le règne de 
son prédécesseur, força ce prince à transférer sa résidence tantôt à 
Boriboun, au sud du grand lac, tantôt à Phnom-pênh. 

Le fils de ce prince lui succéda en 1504; il fut assassiné en 1512; 
son frère Ang Chan s'enfuit alors à Ajuthia, capitale du Siam. 

Aidé par les Siamois, il revint au Cambodge (1516) et s'établit 
d'abord à Photisat (Pursat). — Après avoir mis fin aux dissensions 
intestines et rétabli la paix dans "son pays, il fixa définitivement à 
LovM le siège du gouvernement. 



LOVÊK CAPITALE 



Au bout de quatorze ans de tranquillité, la guerre éclata de nouveau 
entre le Cambodge et Siam; vainqueur en 1530, Ang Chan fut vaincu 
en 1532 (d'après les annales siamoises, en 1540) par le roi Chakrapat 
qui s'empara de Lovêk et emmena les fils du prince khmer comme 
otages. 



APPENDICE. 447 

En 1540, le roi de Siam ayant recommencé les hostilités fut battu 
à Angkor. La guerre continua avec des fortunes diverses. 

En 1555 une nouvelle invasion du roi de Siam avec quatre-vingt-dix 
mille hommes échoua. 

AngChan mourut en 1566, et en 1571 son successeur fît une incur- 
sion dans Siam. Le fils de ce dernier monta sur le trône en 1577 et 
-envahit de nouveau (1580) le royaume de Siam ; en 1584 il conféra la 
dignité royale à ses deux fils, qui régnèrent ensemble. 

Phra Chao Naret, le belliqueux roi de Siam, ayant à son tour envahi 
le Cambodge (1585), s'empara de la ville deLovêk par la trahison d'un 
neveu du roi. — En quittant le pays, il nomma vice-roi un des princes 
de la famille royale, en lui donnant l'investiture. C'est là l'origine du 
tribut annuel que le Cambodge a dû payer pendant de longues années 
au roi de Siam. — (Ce récit des Annales cambodgiennes diffère de 
-celui des Annales siamoises, suivant lesquelles Préa Norès, après avoir 
essuyé une défaite en 1581, serait revenu en 1585. Il battit l'armée 
cambodgienne et s'empara de Lovêk par trahison. Le prince siamois, 
comme il en avait fait le serment, se lava les pieds dans le sang du roi 
Taincu.) 

Préa srey Supor (Soryupor, frère du roi Préa borom rachea, qui 
«'était enfui au Laos) et ses deux fils furent emmenés à Siam en 
otage. Le neveu du roi, qui avait livré Lovêk à l'ennemi, attaqua les 
Siamois à Oudong et les chassa du pays (1595); il fut assassiné l'année 
suivante. 

Son successeur ayant mécontenté la nation, les Siamois rétablirent 
sur le trône Préa srey Supor, qui fut couronné en 1601. Il abdiqua 
(1618) en faveur de son fils, qui établit sa résidence à Oudong puis 
repoussa une invasion siamoise et mourut en 1627. Son successeur, 
qui régnait à Kâ-Khluk, expulsa les Siamois du pays. Le roi suivant 
résida de nouveau à Oudong : la couronne passa successivement sur la 
tète des différents princes de la famille royale * . 

On voit de quel imbroglio se compose celte, histoire. M. de Lagrée 
parait avoir renoncé à la débrouiller. (Note du commandant de Villeme- 
reuil, commentateur de la Chronique royale.) 



21 



448 APPENDICE. 



VI 



OUDONG ET PHNOM PENH ALTERNATIVEMENT CAPITALES 



Nous passons rapidement sur une suite de rois qui ont occupé le 
trône du Cambodge de 1627 à 1783. Les noms de la Liste des rois ne 
concordent pas toujours avec ceux de la Chronique ; de plus, la confu- 
sion et les nombreuses lacunes qui régnent dans rénumération des 
faits et des dates relatés par celle-ci ne permettent guère de constituer 
un ensemble satisfaisant. 

Pendant tout ce temps, le pays était en proie à des révolutions et à 
des dissensions intestines, situation aggravée par des guerres fréquentes 
avec l'Annam et Siam, ou bien par l'intervention intéressée de ces deux 
puissances qui convoitaient les riches provinces du royaume khmer 
déchu de sa grandeur. 

Nous nous bornerons à faire connaître les quelques faits marquants 
de cette époque. 

Préa Réama-Thiphdéy-Chan (1658) envahit l'Annam et est fait pri- 
sonnier. Les Annamites s'emparent de Baria et le Cambodge redevien 
leur tributaire. — Les princes de la famille royale s'emparent succes- 
sivement de la couronne. Le dernier roi étant mort, deux partis se 
forment, l'un soutenu par l'Annam, l'autre par Siam. Ce dernier l'em- 
porte et le prince Ghan-Phnéa-Sor est proclamé roi (1690). — Il occupe 
le trône jusqu'en 1709, et abdique en faveur de son fils. Les Siamois, 
qui avaient soutenu la candidature de ce. prince contre l'Annam, le 
forcèrent de reconnaître leur suzeraineté. 

En 1729 ce prince céda le trône à son fils Préa-Sotha, qui fut à son 
tour dépossédé par son oncle Préa-Sréy-Thoméa. Ce dernier fut cou- 
ronné à Phom-Pênh en 1739 sous le nom de Ang-Snguon et conserva 
le trône jusqu'en 1748 ! . 

1 D'après une variante donnée par les notes historiques du P. Legrand de 
laLiraye, etleGia DinhTongChi, Ang-Im régnant au Cambodge depuis 1691 
aurait, avec l'aide des Annamites, triomphé en 1706 de ses deux frères révoltés 



APPENDICE. 449 

Ang Snguon régna de 1748 à 1758 et soutint une guerre de quatre 
ans avec les Annamites ; son oncle, nommé régent, prétendant au 
trône, offrit au roi d'Annam les deux provinces de Bassac et de Travinh. 
Le roi accepta les provinces, mais en plaçant sur le trône le fils d'Ang 
Sngnon, Ang Ton, qui à son tour dut lui céder encore la province de 
Vinh-long. 

Après la destruction en 1763 d'Ajuthia, capitale de Siam, Phaya-Tak 
s'était emparé du trône et avait fixé sa résidence à Thama-buri 
(Bangkok). Il envahit le Cambodge (1770) et fut vaincu d'abord ; 
mais, victorieux en 1772, il installa Ang-Non sur le trône d'Ang- 
Ton ; mais les Cambodgiens rétablirent ce dernier comme roi un an 
après. 

Ung-Van, qui lui succéda, fit la guerre aux Annamites et leur reprit 
les deux provinces deMi-tho et de Vinh-long, qu'ils s'étaient annexées ; 
il fut assassiné par les Cambodgiens, et le fils d'Ang-Ton, Ang-Eng, 
fut proclamé roi. 

En 1782, Phaya-Tak, roi de Siam, envahit de nouveau le Cambodge, 
secouru par une armée d'Annam ; mais à l'annonce de la chute de ce 
prince, tué dans une révolte à Bangkok, Chakrey, l'un de ses géné- 
raux, s'en retourna à Siam et s'empara du trône. L'armée siamoise 
se retira aussitôt. 

En 1784, Ang-Eng, qui avait été conduit à Bangkok par le régent 
Moi, contre lequel une faction s'était révoltée, fut ramené au 
Cambodge ; en 1794, ayant atteint sa majorité, il céda au roi de 
Siam les provinces de Battambang et de Siemréep. C'est à lui que 
revient le mérite d'avoir fait écrire la chronique] royale du Cambodge 
(1346-1739-1796). 

Mort de Préa-Ang-En; Préa-Ang-Chan, alors âgé de seize ans, 
monté sur le trône en 1806, reconnut la suzeraineté du roi d'Annam 
pour s'en faire au besoin un allié contre les Siamois. Ayant refusé 
en 1808 d'aider le roi de Siam dans une guerre avec les Birmans, 

qui avaient trouvé appui à Siam. Renversé du trône par son frère Ang-Ton, il 
y fut rétabli par les Annamites en 1710; il recouvra la province de Hatien, 
dont le Chinois MacCu'u s'était rendu maître en 1715. — En 1719 il reconnut 
la suzeraineté de Siam qui emmena ses fils en otage. 



450 APPENDICE. 

celui-ci envoya au Cambodge une armée qui s'empara de Battambang. 
Malgré la présence d'une armée annamite, Ang-Chan se soumit et paya 
le tribut au roi de Siam, qui nomma deuxième et troisième rois les 
princes Ang-Snguon et Ang-Em. — Le gouverneur de Compong-Soai se 
révolta et livra à Siam les provinces de Tonley-Repou et de Mulu- 
Préy. — Ang-Chan ayant fait assassiner les deux délégués siamois, 
Snguon s'enfuit à Pursat et demanda l'intervention du roi de Siam. 
L'armée de ce prince, jointe à celle que Snguon avait levée lui-même, 
força Ang- Chan à chercher un refuge dans l'Annam dont les troupes 
occupèrent Ghaudoc. 

Après de longues négociations, le roi de Siam consentit à laisser 
Ang-Chan remonter sur le trône ; ce prince fixa sa résidence à 
Phnom -Penh, et (depuis cette époque jusqu'en 1824) paya en même 
temps le tribut aux rois de Siam et d'Annam. — Une révolte du 
gouverneur de Pursat fournit au roi de Siam l'occasion d'envoyer au 
Cambodge une armée commandée par deux généraux : le Bodyn et 
le Krahom (1831). Ce dernier essuya une première défaite à Vianas, 
et une seconde près de Phnom-Pênh qu'il livra aux flammes. Les 
Annamites y construisirent une forteresse : Ang-Chan rétabli sur le 
trône mourut en 1832. 

Les Annamites, maîtres du pays, placèrent sur le trône Ang-Mey, 
fille aînée (T Ang-Chan. Le mandarin Iru'-Ong-Minh-Grang était chargé 
de l'administration du pays. La province de Compong-Soai se révolta 
en 1837, celle de Compong-Song en 1844. Ang-Em et Ang-Duong, fils 
d' Ang-Em, avaient été emmenés à Bangkok. Le premier, nommé gou- 
verneur à Battambang, allant rejoindre son frère à Phnom-Pênh, fut 

arrêté par les Annamites et conduit à Hué où il mourut en 1842. 
Sur la demande des nobles cambodgiens, le roi de Siam chargea le 
Bodyn de ramener au Cambodge le prince Ang-Duong. — Après la prise 
de Pursat par ce dernier, les Annamites évacuèrent Phom-Pênh, et 
furent forcés de se retirer; Ang-Duong fut proclamé roi. 

En 1845 les Annamites ramenant Ang-Phim, fils d'Ang-Em, comme 
prétendant au trône de Cambodge, s'emparèrent de Phnom-Pênh et 
firent essuyer une défaite au Bodyn. La même année ils furent vaincus 
parles Siamois dans la bataille de Barenprès de Lovêk. —Malgré cette 



_^J 



APPENDICE. 451 

défaite, les Annamites mirent le siège devant Oudong occupé par l'ar- 
mée siamoise. Sur le conseil même du Bodyn, Ang-Duong offrit au 
roi d'Annam de lui payer le tribut tous les trois ans. Après de longues 
négociations; la paix fut conclue, les fortifications d'Oudong et de 
Phnom Penh rasées, et Ang-Duong, après avoir reconnu la suzeraineté 
d'Annam et de Siam, reçut l'investiture des deux rois que le document 
officiel nomme : « le père et la mère du Cambodge. » 

La prospérité de la nation commença à renaître et le bien-être géné- 
ral à s'accroître sous le règne d'Ang-Duong, grâce aux améliorations 
que ce prince intelligent et ami du progrès introduisit dans l'admi- 
nistration du pays. En 1838 le roi, après avoir comprimé une ré- 
volte à laquelle les Ghams avaient pris part, déclara la guerre à 
l'Annam qui avait refusé de lui livrer les chefs rebelles. La lutte 
fut de courte durée, et l'armée annamite qui avait envahi le pays fut 
repoussée. 

Ang-Duong mourut en 1860. Son fils aîné Ang Chrelang, né en 1834, 
avait été envoyé de bonne heure à Bangkok où il se préparait à ses 
hautes destinées en portant la robe de bonze. 

En 1847 le roi de Siam conféra à ce jeune prince la dignité de 
Obbarach (titre d'ailleurs purement honorifique) et son frère Ang-Sor 
reçut en même temps le titre de Préa-Kéo-féa . Ce fut en 1858 seule- 
ment que le Ang Chrelang s'en retourna dans son pays natal. Monté 
sur le trône après la mort de son père sous le nom de Préa-Noroudam 
(Norodom), il fut couronné le 3 juin 1864. 

Encouragés par les Siamois, ses deux frères, Ang-Sor et Ang-Phim, 
se révoltèrent, mais échouèrent dans la tentative qu'ils firent pour le 
détrôner ; une autre sédition (1864) fomentée par un mandarin cam- 
bodgien n'eut pas plus.de succès. 

Déjà en 1858, pendant la guerre dans laquelle nous étions engagés 
avec la Cochinchine, un ambassadeur avait été chargé par le gou- 
vernement français de conclure un traité de commerce avec le 
Cambodge; mais le roi de Siam, abusant comme par le passé de 
son influence et de la faiblesse du pays, et rêvant toujours à son 
annexion, réussit à entraver la négociation. 

Grâce à l'habileté énergique de l'amiral de La Grandière, gouver- 



452 APPENDICE. 

neur de noire nouvelle colonie, que secondait le commandant de 
Lagrée, premier président français à la cour du roi Norodom, le 
traité fut conclu (1865), et la France devint la protectrice du royaume 
du Cambodge dont le nom aurait été sans elle, effacé de la carte de 
l'Indo-Chine, 

Maîtres des bouches du fleuve, nous avons pu mettre fin aux inquié- 
tudes légitimes d'un peuple qui pendant des siècles n'avait cessé d'être 
la proie de voisins remuants et avides de conquêtes. Malheureuse- 
ment deux de ses plus belles provinces, Battambang et Angkor, et, 
en outre, celles de Tonley-Répou et de Melu-Préy, ne font plus partie 
du royaume du Cambodge. 



TABLE DES FIGURES 



Porte d'enlrée d'un sancluaire Col-vebtu;.e 

Nymphes du paradis d'Indra sculptées sur les murailles du temple 

d'Angkor-Vahl , Couvertche 

Divinité emportée par la hans sacrée.— Bas-relief d'Augkor-Vuhl. Couverture 

Vue prise dans les ruines de Baion Frontispice 

Indra assis sur l'éléphant Airawaddi à trois têtes. — Entablement de 

la porte nord de Méléa 7 

Acteur du théâtre royal 8 

Angle d'une des galeries qui conduisent du premier au second étage 

dans le temple d'Angkor-Vaht Il 

Embarquement, sur les radeaux a Préa-Khan (Compong-soai), des scul- 
ptures rapportées en France 13 

Bouton de fausse porte. — Temple de Méléa 13 

Petite frise ornant la muraille de la deuxième galerie du temple d'Ang- 
kor-Vaht 17 

Entrée orientale de Pontcay Préa-Khan (Compong-soai). — Vue res- 
tituée 20-21 

Offrande à la divinité gardienne de la pyramide de l'hnom-Pcnh 27 

Le stoupa de Phnom-Pénh 30 

Dame du harem il 

Promenade du jeune Dis du roi 35 

Vue prise dans les Quatre -Collines. — Les monuments funéraires des 
rois du Cambodge :i" 



454 TABLE DES FIGURES. 

Navigation dans le grand lac 4(r 

Le Bouddha de dix-huit coudées 4& 

Le jeu du bacoin 45 

Fumoir d'opium 46 

Excursion à Phnom Sontuc. — La traversée des marais 48 

Rocs sculptés et statues bouddhiques de Phnom Sontuc 53 

Un prince royal 55- 

Restes d'une statue de Siva monté sur le bœuf Nandi. — Temple de 

Ka-Kéo, ou de l'île du Précieux Joyau 57 

Sommet de la pyramide de P éa-Tomrey (vue restituée) 61 

Arrivée à Pontéay Préa-Khan (Compong-soai) 65- 

Un des deux lions dressés qui gardent l'entrée orientale du temple de 

Préa-Khan (Compong-soai) 68 

Vue prise dans les ruines de Préa-Khan (Compong-soai) 71 

L'un des géants porte-massue (Phi) gardiens de l'entrée orientale du 

temple Préa-Tcôl 75> 

Préasat-Préa Tcôl (vue restituée) 80-81 

La pyramide du Préa Tomrey ou du Divin Éléphant 84 

Le Préa-Tomrcy ou le Divin Eléphant 85 

Transport à travers les marais de Préa-Khan (Compong-Soai) des sculp- 
tures rapportées en France. . . ; 87 

Vieux sauvage kouy jouant du violon 8£ 

Jeune mère kouy berçant son enfant 91 

La salle des Statues . (Temple de Ka-Kéo.) 96 

Vichnou homme-lion déchirant les entrailles du géant Érinien. — Enta- 
blement oriental du grand gopoura de Ka-Kéo 98 

Statue de femme dans l'attitude de la danse — provenant du grand go- 
poura de Ka-Kéo — (Musée Khmer) 99 e 

Ruines d'une tour ornée de la quadruple face de Brahma. — (Petit 

temple de Pontéay-Préa-Khan . (Compong-Soai) 101 

Ornement de pilastre (Méléa) 105 

Pagode de village 107 

Galerie ruinée de Méléa \ 109- 

Bayadère divine (Ex-voto. — Temple de Méléa) 1 IG 

Pilastre du temple de Méléa Ht 

Vue prise dans les ruines de Préasat-Pram. — La porte nord 115 

Tête de balustrade du pont ruiné de Ta On 121 

Tête de Siva. — (Temple de Phnom-Boc) 125 

La pyramide de Pimanacas (élévation restituée) 128-12£ 

Colline et temple de Banone 1 35 

Cérémonie religieuse dans les grottes de Préa-Teuk ou de YEau sainte. 141 

Les cinq tours de Séliam 140> 

Rosace de chapiteau (temple d'Angkor-Vaht) 147 

Bayadères du ciel. — Fronton du temple de Baion 149 

Un pont improvisé *. 150 

Une halte de nuit 151 

En route à travers les marais 153 

Porte d'entrée d'Angkor-Thôm (vue restituée) 157 



TABLE DES FIGURES. 455 

Disposition d'ensemble du temple de Baion. — Plan - i 62-163 

Ruines de la tour d'entrée du temple de Baion 167 

Le troisième étage du temple da Baion (élévation restituée.) 172- 1 73 

Porte-enseigne, tambour et cymbalier 177 

Coffre sacré (croquis du D r Harmand) 17& 

Une armée en marche. — Bas-relief de la deuxième galerie du temple 

de Baion 179 

Ornement de pilastre (temple de Prôa-Khan) 181 

Plate-bande d'une moulure de soubassement. — Temple de Méléa 1 83 

Une rencontre dans les galeries ruinées de Préa-Khan (Angkor) 185 

Tête de statue bouddhique recueillie dans les ruines de Préa-Khan 

(Musée Khmer) 187 

Une entrée de Pontéay Préa-Khan (Angkor) (vue restituée) 190-191 

La terrasse des éléphants à Pimanacas (palais des rois d'Angkor-Thôm) 

(vue restituée) 196-197 

Le Préa Komlong ou Roi Lépreux 200 

Un danseur laotien chez le mandarin de Siem-Réep 201 

Plate-bande de soubassement (temple de Méléa) 203 

Le barattement de la mer de lait (bas-relief d'Angkor-Vaht) 205 

Angkor- Vaht. — Vue d'ensemble 20& 

Angkor-Vaht. — La chaussée occidentale en dedans de l'enceinte, les 

édicules et le temple (vue restituée) 208-20i> 

Ruines d'un des édicules placés sur les côtés de la grande chaussée. . . 212 

Tévada, ou nymphe céleste. — Pilastre d'Angkor-Vaht 213 

Restes d'une tour d'angle de la seconde galerie 215 

Armée en marche (bas-relief de la grande galerie d'Angkor-Vaht) 217 

Le singe Hounissi (Hanouman) brise les reins de deux lions attelés à 

un char. — Bas-relief d'Angkor-Vaht 219 

Rama emporté par le singe Hanouman. — Bas-relief d'Angkor-Vaht. — 

(Musée Khmer) 220 

Vichnou emporté par le Garouda. — Bas-relief d'Angkor-Vaht 221 

Divinité dans un char entouré d'un disque. — Bas-relief d'Angkor-Vaht. 222 

Divinité montée sur un naga à cinq têtes. — Bas-relief d'Angkor-Vaht. 222 

Iaksha sur un char traîné par un cerf. — Bas-relief d'Angkor-Vaht 223 

Une mêlée. — Divinité montant la hans sacrée. — Bas-relief d'Angkor- 
Vaht (Musée Khmer) 224 

Femmes cueillant des fleurs dans un jardin. — (Bas-relief d'Angkor-Vaht 

(Musée Khmer) 225 

Un ermite. — Bas-relief d'Angkor-Vaht 226 

Siva porté par Nandi ? — Bas-relief d Angkor-Vaht 227 

Un supplice de l'enfer. — Bas relief d'Angkor-Vaht 228 

Un seigneur de la suite du roi Bautumo-Saurivong. — Bas-relief d Ang- 
kor-Vaht 229 

Un général de l'armée du roi Bautumo-Saurivong. — Bas-relief d'Ang- 
kor-Vaht 230 

Bonzes se tenant au pied des colonnettes qui bordent la terrasse d'Ang- 
kor-Vaht % 231 

Intérieur de case cambodgienne 233 



456 TABLE DES FIGURES. 

Chao ou Génie tutélaire 23i 

Pagode de village 236 

Transport, sur le torrent de Préa-Khan, des sculptures rapportées en 

France 239 

Ornement recouvrant la surface des prcasats (Angkor-Vaht) 241 

Frise supérieure d'un piédestal (Phnom-Boc) 243 

Le supplice du rotin 24fc 

Les antiquités cambodgiennes à l'Exposition universelle de 1878. — 

(Galeries du Trocadéro) 3 24.*> 

Bouddha adossé au naga heptacéphale . — Statue provenant de Préa- 
Khan (Musée Khmer) 2:0 

Une chaussée ruinée par la végétation à Pontéay Préa-Khan (Compong- 

soaij 253 

Anse de vase en argile (Angkor-Thôm) 257 

Feuilles en x. — Ornement de moulure demi circulaire ou en accolade. 257 

Embarquement des sculptures rapportées en France 259 

Petite frise du temple de Méléa 261 

La citadelle de Préa-Khan (Angkor). — La muraille soutenue par les 

garoudas et le pont bordé de géants (vue restituée) 268*269 

Un pont khmer. — (Spéan Ta-On) 271 

Allée bordée de stèles, grande terrasse et lac oriental de Méléa. — (Vue 

restituée) 276-277 

Plan du « temple plan » simple 280 

Sanctuaire primitif 280 ,i 

Plan d'un sanctuaire perfectionné 280 

Coupe d'une galerie à trois nefs 283 

Porte pratiquée dans une galerie par élargissements successifs. — 

(Élévation) 28i 

Préasat-Préa-Tcôl 286 

Plan du petit temple à colonnades voisin de Pontéay Préa-Khan (Com- 

pong-soai) 287 

Plan du temple de Méléa 289 

Vichnou à quatre bras. — Stèle de Préa-Khan (Musée Khmer) 291 

Disposition générale du temple de Ta Prohm. — Plan approché 294-295 

Disposition générale d'une ville forte 297 

Le monticule artiûciel et la pyramide à gradins de Ka-Kéo 209 

Pyramide de Krush (à gradins simples) précédée de terrasses 300 

Plan de la pyramide à gradins de Ta-Kéo 301 

La pyramide de Ba-Phoum (vue restituée) 303 

Plan de la pyramide à terrasses de Mibaume (d'après les relevés de 

M. Faraut' 305 

Le temple pyramidal de Mibaume (vue restituée d'après les relevés de 

M. Faraut) 309 . 

Vimana au palais aérien des dieux. — Bas-relief de Baion 313 j 

Ornement de pilastre (temple de Préa-Khan) 317 

Moulure d'entablement (temple de Préa-Khan) 319 

Temple d'Angkor-Vaht. — Vue du monument central prise en dedans 

de la première enceinte 321 



TABLE DES FIGURES. 457 

Façade orientale de la deuxième galerie du temple de Baion. — (Éléva- 
tion restituée 326-327 

Un lingam de Ka-Kéo (d'après les documents de M. Harmand) 332 

Une balustrade de Préasat-Préa-Tcôl (Musée Khmer) 335 

Char attelé de deux chevaux (vu de face). — Bas-rélief d'Angkor- 

Vaht • 337 

Tête de Brahma provenant des fouilles faites sous le temple de Phnom- 

Boc (Musée Khmer) : 341 

Une scène du Ramayana. — Bas-relief d'Angkor-Vaht (Musée Khmer). 343 

Nymphes célestes sculptées sur les murailles d'Angkor-Vaht 346 

Tête de Bouddha provenant des galeries ruinées de Pontéay-Préa-Khan 

(Musée Khmer) ! 348 

Statue provenant des galeries ruinées de Pontéay-Préa-Khan (Musée 

Khmer) 349 

Base de pilier (Temple de Préa-Khan. Compong-soai^ 352 

Crète de galerie du temple de Méléa 353 

Entablement d'une porte occidentale d'Angkor-Vaht 355 

Si va? dansant sur un cadavre. — Stèle provenant de Préa-Khan.— Com- 

pong-soai (Musée Khmer) 358 

Vichnou porté par le garouda. — Stèle de Préa-Khan. Compong-soai 

(Musée Khmer) 359 

Vichnou étendu sur Ananla. — Stèle de Préa-Khan. Compong-soai 

(Musée Khmer) 360 

Têtes de statues bouddhiques photographiées par M. Gsell dans les gale- 
ries d'Angkor-Vaht. — Tète de Bouddha siamoise 362 

Tète de statue (Cambodge méridional). — Types de personnages dessinés 

d'après les bas-reliefs d'Angkor-Vaht et de Préa-Khan 363 

La mission aux ruines khmers 367 

Un archer (bas-reliefs d'Angkor-Vahl) 372 

Fantassin armé de la pique et de la cuirasse avec casque et bouclier 

ornés de la face de Rhéou (roi des diables) 373 

Une enseigne (bas-reliefs de Baion) 374 

Un lion gardien d'un escalier de Préa-Khan. Compong-soai. — (Musée 

Khmer) 375 

Rhéou, roi des diables 378 

Plan du belvédère oriental de Pontéay-Chma 380 

Plan de la terrasse orientale d'Angkor-Vaht 380 

Plan de l'embarcadère du Sra Srong 381 

Carte de l'Indo-Chine méridionale avec indication de l'emplacement des 

ruines khmers explorées ou signalées jusqu'à ce jour 383 

Le sanctuaire de Nirpone (vue restituée d'après le relevé de M. Faraut). 387 

Pontéay Ka-Kéo. — Plan approché du grand ensemble 392-393 

BAS-RELIEFS DE BAION. 

Un malade. — Scène des bas-reliefs de Baion • 398 

Parasol. — Trident ou bannière. — Enseigne. — Trident. — Éventails. 399 

Harpe. — Arme. — Char. — Épéc ou sceptre 401 



458 TABLE DES FIGURES. 

Petite construction avec fronton et draperies renfermant des armes et 

des vases 401 

Cuirasse. — Bouclier. — Lance 403 

Casque de soldat 404 

Couronnes d'éléphants 405 

Cymbales. — Tambour. — Oriflamme 405 

Arbalète 406 

Renversement et destruction d'une statue 407 

Cuirasse. — Boucliers. — Sagaie. — Gaffe des cornacs d'éléphants. . . 408 

Coiffure d'éléphant. — Voile. — Fourneau 410 

Bouddha, Dharma et Sangka (Stèle de Préa-Khan. - Compong-Soai). . . 4SI 
Le roi des Garoudas, le roi des Lions, le roi des Iakshas, le roi des Nagas 

en adoration. — Sculpture d'un fronton de Baion 431» 

Frise de lions séparant le monde des hommes du monde des dieux. — 

Bas-reliefs d'Angkor-Vaht 459 



(BM-rcliefs d'Angkor-Vilit). 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE PREMIER 

La Cochinchine française et le Cambodge. — Organisation du Voyage 
d'exploration des Monuments Khmers 7 



CHAPITRE II 

Départ de Saigon. — VArroyo de la poste et le Mékong. — Halte à la 
colline sainte de Phnom-Chiso. — Entrée sur le territoire cambodgien. 

— Phnom-Penh et le roi Norodom. — Détails de mœurs. — Les 
Quatre Collines et les Monuments funéraires des rois du Cambodge. 

— Ruines de Lovfk. — La région des lacs dans la saison des grandes 
eaux : son aspect au temps de la sécheresse. — Description d'une pê- 
cherie. — Arrivée à Compong-Thôm. — Phnom -Son tue 

CHAPITRE III 

Sur la rivière de Stung. — Le cas du mandarin. — Difficultés de navi- 
gation. — Stung. — Les ruines de Préa-Khan, — Scène d'exorcisme. 

— La tour Préa-Tcôl. — La pyramide du Saint-Éléphant. — Départ 



460 TABLE DES MATIÈRES. 

pour la forteresse de l'île du Précieux Joyau. — Incidents de route. 

— Les Kouys. — Trouvailles archéologiques, -r Retour de Préa-Khan. 

— Découverte d'une préasat ornée de la quadruple face de Brahma. . 57 



CHAPITRE IV 

Les Cinq-Tours. — Méléa et ses environs. — La cueillette du lotus sacré. 

— Une soirée chez le mé-sroc; un aède cambodgien; histoire du 
chanteur Ek et de la belle Théau. ■— Départ pour Siem-Réep. — Ex- 
plorations et aventures de M. Faraut : Battambang, Banone, les grottes 
de l'Eau-Sainte, Basset. — La légende de Vaht-Ek. — Singes et 
géants. — Ponléay-Chma. — Surôn et les hauts plateaux du Cam- 
bodge. — Fin du voyage de M- Faraut 107 

CHAPITRE V 

En roule pour Siemréep ; une alerte. — Souvenirs d'une chasse aux 
buffles. — Les ruines d'Angkor-la-Grande ; splendeur de l'antique 
temple de Baïon. — Promenade pittoresque à travers l'édifice. — Es- 
planades, galeries, cloîtres, tours et tourelles. — Ensembles décoratifs. 

— Escalade des étages. — Le Saint-des Saints. — La préasat termi- 
nale. — Aperçu des grands bas-reliefs 149 

CHAPITRE VI 

Excursion à Préa-Khan; — le site; — les abords ; — caractère général 
de l'édifice. — Les restes de Ta-Prohm et le Sra-Srong. — Ekdey. 

— Nouveau séjour à Angkor-la-Grande; vestiges de l'ancien palais des 
rois. — La pyramide et les terrasses de Pimanacas. — La terrasse 
des éléphants. — Entraves mises aux travaux de la mission. — Arrivée 

du capitaine Filoz. — Moulage de bas-reliefs 183 

CHAPITRE VII 

Angkor-Vaht : — féerie d'aspects ; — ascension du monument. — Les 
bas-reliefs de la grande galerie. — Combats du Ramayana. — Le 
barattement de la mer de lait. — Les trois mondes. — Le roi Bau- 
tumo-Saurivong. — Bonzes, pèlerins et incurables 205 

CHAPITRE VIII 

Retour à Saigon. — Transport des pièces archéologiques. — Histoire 
sommaire de la formation du nouveau musée. — Ce qu'il reste à faire 
au Cambodge , 243 



TABLE DES MATIÈRES. 461 



CHAPITRE IX 

Importance de l'architecture khmer. — Classement des édifices d'après 
leur destination. — Monuments civils ; — les enceintes fortes ou pon- 
téays ; — les chaussées ; — les ponts et leurs balustrades ; — les terras- 
ses ou belvédères ; — les tours tumulaires. — Monuments sacrés : — 
du temple plan et de ses diverses transformations ; — préasats, galeries, 
parcs, sras; — du temple pyramidal à étages ; — collines transfor- 
mées en massifs architecturaux; — temples mixtes ; — l'architecture 
de bois ; maisons d'habitation et pagodes 261 



CHAPITRE X 

Caractères spéciaux de l'art khmer ; phases diverses de son développe- 
ment. — Originalité des modifications apportées par les maîtres de 
l'œuvre au type primordial hindou. — Procédés et éléments d'orne- 
mentation. — Sculpture et statuaire 319 



CHAPITRE XI 

Ce qu'on sait de l'ancien Cambodge. — Brahmanisme et Bouddhisme. 
— Coup d'oeil sur la civilisation et les mœurs khmers. — Conclusion. 353 



APPENDICE 



Introduction 3*5 



§1 

Le lieu sacré de Nirpone \ 387 

Pontéay Ka-Kéo .' 390 

Les bas-reliefs de la deuxième galerie du temple de Baion 398 

Inscription de Préa-Khan 411 

Inscription votive d'Angkor 412 

Sculptures sur bois et peintures du temple de Boriboun 412 

Tableaux avec légendes de Yaht Tapaukéo 414 

Notes mythologiques 415 

Légende relative à la ville de Pursat 417 

Le passé légendaire du Ciampa 417 



TABLE DES MATIÈHES. 



S H 



Analogies de l'architecture du Cambodge arec les architectures des 

outres pays 421 

Inde '. 422 

Soulh-Kensington Muséum , 428 

Java «8 

Birmanie 431 

Siam, Laos 434 

Chine 434 

Egypte, Assyrie, Grèce 435 



IIO TE HISTORIQUE. 

§ I" 439 



g IV. Anglcur-Thôm capitale. — Cette ville tombe à plusieurs reprises au 

pouvoir des Siamois 413 II 

| V. Lovék capitale 446 , j 

g VI. Oudong et Phnom Penh alternativement capitales 447 

Table des figures 453 ' 



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