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Full text of "Voyage au pole sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée, exécuté par ordre du roi pendant les années 1837- 1838-1839-1840, sous le commandement de m.J. Dumont d'Urville,capitaine de vaisseau, publié par ordonnance de Sa Majesté sous la direction supérieure de m. Ja cquinot, capitaine de vaisseau, commandant de la Zélée .."

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VOYAGE 
AU POLE SUD 
ET DANS L'OCÉANIE. 


VIL. 


IMPRIMERIE DE FAIN ET 
Rue Racine, 28, près de ) 


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VOYAGE 


AU POLE SUD 


ET DANS L'OCÉANIE 


SUR LES CORVETTES 


L’ASTROLABE ET LA ZÉLÉE, 


EXÉCUTE PAR ORDRE DU ROI 
PENDANT LES ANNÉES 1837-1838-1839-1840, 


__ SOUS LE COMMANDEMENT 
- DE M. J. DUMONT D'URVILLE, 


Capitaine de vaisseau, 
PUBLIÉ PAR ORDONNANCE DE SA ‘MAJESTÉ 


sous la direction supérieure | 
_ DE M. JACQUINOT, CAPITAINE DE VAISSEAU, COMMANDANT DE LA ZÉLÉE, 


SEE 


HISTOIRE DU VOYAGE. 


: TOME SEPTIÈME. 


PARIS, 
GIDE ET C", ÉDITEURS, 


RUE DES PETITS-AUGUSTINS , 9, PRÈS LE QUAI MALAQUAIS. 


1844 


HAADITRE XDVIIL Se 


Séjour à PBatavia. 


Je profitai du reste de la journée pour envoyer. 


à terre M. Marescot, chargé d’aller présenter mes 
hommages au gouverneur général et le prévenir de 
notre arrivée. J’expédiai en même temps M. Du- 
corps, afin de prendre des renseignements sur les 
ressources que nous trouverions à Batavia, pour y 
faire des vivres, car nous avions besoin de renouveler 
nos provisions de campagne ; c'était là le but unique de 
ma relâche ; je venais demander à cette capitale des 
établissements hollandais dans l'Inde, les objets qui 
nous étaient nécessaires pour continuer notre route. 

Le canot major qui portait ces officiers à terre 
n’aborda la jetée que lorsque déjà l'heure à laquelle 
ferment les bureaux du gouvernement était passée ; 
et M. Ducorps ne put avoir aucun des renseignements 
que je lui avais demandés ; d’un autre côté, le gouver-- 
neur général habitait le palais de Buitenzorg, en 

VII. : 1 


1839. 


- 8 Juin. 


2 VOYAGE RTS 
son absence, M. Marescot s’adressa au résident de Ba- ‘ 
tavia ; il en recut un accüeil des plus polis, et des 
offres empressées de ses services. Il était déjà nuit 
lorsque ces messieurs rejoignirentl’A{strolabe. Pendant 
ce temps-là, un autre de nos canots avait abordé le na- . 
vire de commerce français qui était mouillé sur rade; 
et il en avait rapporté des nouvelles un peu récentes 
dela France: elles ne comptaientque trois mois dedate. 
Ce fut à Batavia que nous apprimes les exploits 


de la marine française devant les murs de Saint. 


Jean” d’Ulloa, ainsi que les récompenses accordées 
à la suite de cette expédition. Chacun des officiers 
comptait un ami parmi ceux qui avaient eu le bon- 
heur d'assister à cette action d'éclat, et tous ap- 
plaudissaient à leur succès. Cependant, aux impres- 
sions de joie qu’avaient fait naître ces nouvelles favo- 
rables, succéda une pensée douloureuse ; M. Ducorps 
avait pris à la poste les lettres et les dépêches qui nous 
étaient adressées, et je n’avais pas une seule récom- 
pense à décerner, pas un mot d'encouragement à 
donner à ces jeunes officiers, à ces braves matelots. 
qui, depuis deux ans, avaient affronté avec courage 
des dangers tout aussi redoutables que ceux des bou- 
lets ennemis, et qui, en outre, avaient souffert toutes 
les privations avec une persévérance remarquable; 
et cependant, je n’avais laissé ignorer au ministère 
aucun des travaux accomplis dans les glaces; en 
signalant les noms des officiers qui y avaient COOpéré, 


. j'avais réclamé avec instance les récompenses que 


je croyais méritées par chacun d’eux, mais l454r0- 


-_ DANS L'OCÉANIE. # 


labe et la Zélée avaient été totalement oubliées... 

Au lever du soleil l’'Astrolabe salua la place et le 
pavillon de contre-amiral qui flottait sur le station- 
naire, la première de vingt et un coups de canon, et le 
second de treize coups seulement. Les saluts une fois 
rendus par la batterie du fort et par celle du navire, 
_ioutes nos embarcations furent mises à la mer pour 
porter à terre les officiers que le service ne rete- 
nait point à bord. Il était huit heures du matin lors- 
que , en compagnie de M. Jacquinot, je m’embarquai 


dans ma baleinière pour aller faire visite aux autori- 


tés hollandaises et m’enquérir des ressources de la 
ville pour compléter nos provisions de campagne. 
La rade de Batavia, quoique présentant un abri as- 
suré et un bon mouillage, est loin d’être commode, 
surtout pour les navires qui ont besoin de communi- 
quer souvent avec la terre ; il nous fallut franchir 


près de trois milles avant d'atteindre le canal qui 


conduit à la basse ville. L'entrée de ce canal était ja- 
dis l’embouchure d’une petite rivière qui formait 
une barre puissante par ses apports continuels de 
vases et de détritus. Les Hollandais, pour arrêter ces 
atterrissements continuels qui menaçaient la rade et 
qui surtout rendaient les communications avec elle 
de plus en plus difficiles, ont changé le cours de la 
rivière ; ils ont canalisé ses bords ; deux digues lon- 
gues de près de deux milles, ont régularisé son cours 
à travers des marais qüi bordaient le rivage et qui 


sont en partie desséchés. Les deux jetées se prolon- - 


gent à la mer sur un espace de près d’un demi-mille 


1839. 
Juin. 


par des pieux avancés, qui ne garantissent qu'im- 


parfaitement de la violence des lames les embarca= 
tions qui s'engagent entre elles. Il existe encore une. 


barre à l’entrée de ce passage, et quand les vents 


viennent du large, la mer s’y brise avec force, il 
faut redoubler de précautions pour ne pas chavirer.. 


Le trajet des embarcations, sur ce canal, lorsqu'il 


se renouvelle souvent, est presque toujours fatal 


aux Européens; à marée basse, il s’en échappe des 
exhalaisons méphitiques qui contribuent beaucoup à 
donner ces fièvres si tenaces qui ont fait à Batavia 


une réputation méritée d’insalubrité ; généralement 


on emploie à ce service des Malais qui, habitués à 
vivre sous ce soleil brülant, sont moins sujets aussi 


à contracter les maladies auxquelles peu d'EUTOR ENS | 


pourraient échapper. 


il y avait près de deux heures que nous avions 


quitté nos navires, lorsque nous arrivâmes au bâti- 


ment de Ja douane, établi sur le canal , à l’entrée de 
la ville basse ; nous primes terre sous un hangar as-. 


sez vaste où nous pûmes enfin nous abriter des rayons 
qu’un soleil brûlant dardait sur nos têtes. Au mo- 


ment où je cherchais une voiture, je fus accosté par 
un cocher malais, parlant bien français ; cet homme 


me présenta, de la part de MM. Lanier et Borel, né- 
gociants français établis à Java, une jolie calèche, 
attelée de deux chevaux, et destinée à notre usage. 


En même temps, il m’assura que ces messieurs, ne 


pouvant venir eux-mêmes nous recevoir au débarca= 


dère, nous priaient de vouloir bien descendre chez 


DANS L'OCÉANIE. 5 


eux, et de disposer de leur maison pendant tout notre 
séjour sur la rade. 

_ Batavia comprend deux parties parfaitement dis- 
tinctes, l’ancienne ou basse ville, dont les habitations 
sont entassées les unes sur les autres, à la mode 
de nos cités européennes : c’est la partie commer- 
cante. Le canal la sillonne dans tous les sens; elle 
est la plus rapprochée de la rade, mais elle est aussi 
la moins salubre et la moins agréable. C’est dans 
cetle partie que se trouvent toutes les maisons 
de commerce, mais en outre les négociants opulents 
ont de superbes habitations dans la haute ville, où 
ils établissent domicile, et ils ne séjournent dans la 
basse ville que pendant les heures destinées aux af- 
faires, c’est-à-dire de dix heures du matin à cinq 
heures du soir. Quant à la ville haute, elle est com- 
posée d’une foule d'habitations construites avec luxe 
et entourées de jardins; aussi elle s’étend sur une 
srande surface, et il serait difficile aux habitants de 
pouvoir se visiter souvent, si chaque famille, pour 


peu qu’elle soit fortunée, n’avait une voiture et des 


chevaux à sa disposition. À Batavia, on ne rencontre 
jamais personne parcourant les rues autrement qu’en 
voiture ; les Malais et les Chinois peuvent seuls se 
servir de leurs jambes sans être remarqués; les Eu- 
ropéens ne sauraient se donner cette jouissance sans 
se faire suivre par leur équipage. Nulle part peut- 
être les lois de l'étiquette ne se montrent plus sévères 
qu’à Batavia, et, si je dois en croire tous les dictons 
qui plus tard me furent répétés, on verra par la suite 


1839. 
Juin, 


6 VOYAGE 


combien nous autres Français nous fûmes coupables 


aux yeux des habitants de la ville de n’avoir pas tou- #5 


jours respecté leurs exigences. 

Noire première visite fut pour M. Lanier et LM. Bo- 
rel, qui est tout à la fois son gendre et son associé. 
Nous trouvâmes ce dernier à sa maison de commerce, 
où il nous recut avec la plus grande politesse: M. La- 
nier était retenu chez lui par les suites d’une chute 
qu'il avait faite quelques jours auparavant. M. Borel 
se chargea en son absence de procurer à nos corvet- 
tes tous les vivres dont elles avaient besoin; il mit en 
outre à la disposition de M. Dumoulin une vaste cour 
où se trouvait un hangar parfaitement disposé pour 
abriter les instruments de physique , qui y furent im- 
médiatement placés en observation. Nous nous ren- 
dîimes de là chez M. Becq, résident de Batavia, et la! 
premiere autorité de cette ville en l’absence du gou- 
verneur. La réception qu’il nous fit fut froide quoi- 
que polie. Nous visitâmes ensuite le contre-amiral. 
Lucas, commandant supérieur de toutes les forces 
maritimes hollandaises dans les mers de Java. M. Lu-. 
cas nous accueillit avec beaucoup de franchise et 
d'amitié; il témoigna des dispositions les plus bien- 
veillantes en notre faveur, et chercha à nous exprimer 


combien il regrettait d’être obligé de partir sous peu 


de jours pour aller en inspection à Sowrabaya. Le gé- 
néral Cokius, commandant supérieur des forces mali 
taires, à qui nous nous présentâmes ensuite, nous 
fit aussi un accueil flatteur, et montra un vif intérêt 
pour nos travaux. Enfin nous allâmes faire visite 


DANS L'OCÉANIE. 7 


au plus ancien des membres du grand conseil, 
M. Goldman; il parut surpris de notre présence , et, 
sans nous offrir un siége , il nous demanda à plusieurs 
reprises si nous avions vu le général Cokius ; ce fu- 
rent les seules paroles qu'il voulut bien nous adres- 


ser. Nous nous hâtâmes donc à notre tour de le saluer 


et de nous retirer, et quelques minutes après, nous 
enirions dans la maison d'habitation de M. Lanier. 
Nous nous retirâmes ensuite à nos bords respectifs, 
emportant avec nous tous les journaux français que 
Pon avait pu nous BORNE: et que nous étions avides 
de parcourir. | 

Le lendemain, de grand matin, la rade présentait 
un coup d'œil des plus animés : plusieurs navires 
déployaient leurs voiles pour quitter le mouillage, 
d’autres arrivaient des ports d'Europe et venaient 
chercher des cargaisons. Chacun de ces vaisseaux 
marchands, portant pavillon hollandais, saluait la 
place de sept coups de canon en laissant tomber ses 
ancres ; et aussitôt le stationnaire répondait à ce salut 


par cinq coups de sa batterie. Des milliers d’embar-. 


cations  pesamment chargées se croisaient sur les 
eaux tranquilles de la rade; nous nous retrouvions 
au milieu d’un grand port de commerce. De notre 
côté, nous ne perdions aucun moment pour réparer 
notre £réement, et renouveler notre provision d’eau. 
Nos chaloupes se dirigeaient à terre pour y faire leur 
. Chargement ; elles étaient montées par des Malais que 
nous avait envoyés le stationnaire, afin de préserver 


nos matelots des maladies qu'engendrent sur ce ri- 


10 


4839. 
Juin. 


8 VOYAGE 


vage les vapeurs méphitiques qui s’exhalent des ma # 
rais imparfaitement desséchés. PR 

Au milieu des bâtiments qui faisaient route pour # 
gagner le mouillage, nous découvrîmes avec joie un 
trois-mâts portant le pavillon français; il n'avait 


- pas encore serré ses voiles que son capitaine montait | 


à bord de l’Astrolabe ; il arrivait directement de Bor- 
deaux, il ne comptait que quatre-vingt-dix-sept jours 
de traversée. Son nom était la Gabrielle. I n’ajouta 
aucune nouvelle à celles que nous avions déjà appri- 
ses concernent la France, mais il apportait un char- 
gement de re dont nous fümes les premiers à pro- 
fiter. Grâce à son secours, nous pûmes renouveler 
ces provisions importantes pour nous, à peu de frais 
comparativement à ce que nous eussions payé, s’il | 
avait fallu prendre à Batavia des vins ayant déjà payé. 
les droits d'entrée, qui sont considérables. La mai- 
son Lanier s'était chargée de nous fournir les salai- . 
sons, la farine et le biscuit dont nous avions besoin ; 
J'étais désormais sans inquiétude, et je m’occupai 
d'activer le plus possible la livraison et l’embarque- 


_ ment de tous ces objets, afin de pouvoir continuer 


ma route le plus promptement possible. 

À huit heures je recus la visite d’un Français, 
M. Diard, établi depuis longtemps à Batavia, que 
j'avais déjà rencontré la veille dans la maison de 
M. Lanier ; je le retins à déjeuner avec moi. M. Diard 
avait été envoyé à Batavia par le Jardin-des-Plantes 
de Paris comme naturaliste - voyageur, mais une 
fois qu’il eut touché la terre de Java ,' il s’attacha à. 


DANS L'OCÉANIE. 1) 
la cour du gouverneur -général, et quitta la posi- 
tion qu’il devait au muséum français pour servir le 


souvernement hollandais ; il s’est fait dans la colonie, 
à tort ou à raison, une grande réputation de savant, 


et il paraît jouir d’un grand crédit auprès du gouver- | 


neur général. Je montrai à notre compatriote tous les 
travaux déjà exécutés pendant le cours de la campa- 
one; mais il me sembla peu désireux, comme natura- 
liste, des’entretenir avec ceux de MM. les officiers qui, 
par la nature de leurs travaux, auraient pu l’intéres- 
ser par leurs remarques. Malgré tous les efforts de 
M; Diard pour paraître aimable, il ne put conserver 
assez bien sen masque pour que je ne m’aperçusse pas 
qu’il était peu disposé à être utile à notre expédition. 


J’ignorais encore à cette époque que déjà on nous. 


reprochaità Batavia d’avoir paru sur la rade avec des 
voiles raccommodées et des navires fatigués par la 


mer, dont la peinture était join d’être fraiche et 


sracieuse. Si j'en crois ce qui m'a été dit plus tard, 


_jl paraît que notre compatriote avait été le premier 


| 


à nous faire un crime des désordres que la mer et le 
vent avaient causés à nos navires pendant une longue 
navigation. ; 

. Dans l'après-midi, je me rendis à bord du navire 
stationnaire dont le capitaine était venu me faire vi- 


site et m'offrir ses services ; tout mon temps fut en- 


suite employé à lire les journaux que la Gabrielle 
avait apportés de France jusqu’à la date du 4 mars, et 


à mettre ordre à mon courrier. Il fallut toute l’in-. 
_Sistance que mit M. Lanier à m’engager à diner, pour 


11 


12 


10 VOYAGE 


me décider à quitter l'Astrolabe et à me rendre äso M 
invitation. Je retrouvai à sa table M. Diard et le doc. 
teur Mallat ; ce dernier venait de faire un long séjour 
dans le grand Archipel indien , il avait surtout beau- 
coup fréquenté Manille et les îles Philippines ; le 
commerce auquel il se livrait lui avait permis de cal- 
lecter une foule de documents sur cet archipel. 


Malgré l'heure avancée, je ralliai mon bord pour c 


recevoir le lendemain la visite du contre- -amiral Lu- 
cas et celle du colonel Olyve, accompagné de son. 
état-major. Treize coups de canon saluerent ces mes- 
sieurs au moment où ils quittèrent l’Astrolabe pour 
se rendre à bord de la Zélée. Je me rappelai que dans. 


l'année 1898, lorsque je passais à Batavia, lors de. | 


mon premier voyage, j'avais manifesté à M. Bous- 
quet, alors secrétaire général, le désir d’aller saluer 
le gouverneur général à la demeure royale de Bui- 
tenzorg , si toutefois on me fournissait les moyens 
nécessaires pour le transport. À cette époque aussi 
j'avais été éconduit sous prétexte qu’il existait des. | 
ordres sévères d'économie nouvellement apportés. 
par M. Dubus, et qui ne permettaient pas de four- 
nir des chevaux aux étrangers dans une position 
semblable à la mienne, sans une autorisation préa- 
lable ; plus tard, lorsque cette autorisation avait 
été demandée au gouverneur général, M. Diard qui 
déjà jouissait auprès de son excellence d'un i immense 3 
crédit, fut chargé de m'annoncer, de la: part de cet à 

officier général, qu'il eüt été très-flatté de me voir, ; 
maisqu'ilne lui restait plus que la j journée même pour 


DANS L'OCÉANIE. 11 
- ’ 
avoir ce plaisir, attendu qu’il partait le jour suivant 


. pour l’intérieur de Java. Comme cette excuse n’était 


du reste accompagnée d'aucune offre de voiture ni 


de chevaux, je la pris pour ce qu’elle valait probable- 


ment, pour une simple civilité ; aussi, en arrivant de 

nouveau sur la rade de Batavia avec nos corvettes, je 

m'étais bien gardé de manifester aucune intention 
. d'aller rendre visite au gouverneur de Java, dans 
son palais, de peur d’être éconduit une seconde fois. 
Je fus donc agréablement surpris lorsque, dans la 
soirée, un message de M. Diard 'annoneR que le 
gouverneur général désirait me recevoir à sa rési- 
_dence de Buitenzorg , et que, dans l’espoir que je 
voudrais bien faire ce petit voyage, des ordres étaient 
donnés à la poste pour m'y conduire ainsi que le ca- 
pitaine Jacquinot. 

Le lendemain, le colonel Olyve vint me confirmer 
cette nouvelle, en m'anonçant qu’il était chargé par 
PIE gouverneur général de me conduire à Buitenzorg 
en l’absence du contre-amiral Lucas, qui devait quit- 
ter Baitavia le jour même. En effet, au moment où 
je me rendais à terre dans mon embarcation , le ba- 
teau à vapeur qui était sur rade avait hissé le pavil- 
lon de l'amiral, et il levait ses ancres pour partir, 
au bruit des détonations de l'artillerie du stationnaire 
qui saluaït cet officier supérieur. 

Mon intention, en quittant l’Astrolabe, était d’al- 
ler visiter M. Merkus , conseiller des Indes, arrivé 
la veille de la Hollande où il était allé en congé, 
et avec qui je n'étais lié d'amitié, lorsque en 1828 


13 


12 | VOYAGE à. 2 


je conduisis l’Astrolabe dans la rade d'Amboine où. “. 


il était alors gouverneur des Moluques. Sur ma. 


route, je rencontrai M. Diard qui me me RS 
Muséum de la ville dont ilest, je crois, conserva. 

teur. Cette collection me parut riche en produc-. 

tions du pays; elle renferme un grand nombre d'oi- 
seaux, presque tous originaires du grand archipel. 

d'Asie ; jy remarquai aussi plusieurs quadrupèdes 
et une grande variété de singes; tous ces animaux- 
étaient empaillés, je m’arrêtai surtout à examiner un 
sroupe de trois orangs-outangs, composé d’un mâle 
etd’une femelle adultesavec leur petit: ils étaient par. 
faitement préparés, toutes leurs formes étaient bien 


conservées, et j'ai rarement vu des singes plus laids 


et d’un aspect plus repoussant. . 

MM. Dumoutier et Hombron étaient. occupés à étu- 
dierendétail chacun deséchantillonsde cette précieuse 
collection ; je les y laissai pour me rendre à la belle 
maison de campagne qu’habiteM. Merkus dans le quar- 
tier de la haute ville. Je recus de ce haut fonctionnaire 
un accueil poli, mais qui était loin toutefois de celui 
auquel je devais m’attendre, d’après l’amitié que nous 
avions contractée lors de mon dernier voyage. Jerestai 
peu de temps chez M. Merkus; nous devions, du reste, 
nous revoir chez le général Cokius de qui j'avais reçu 
une invitation à diner pour le lendemain. ToutesMles 
autorités principales de Batavia avaient été réunies 
par le général pour assister à ce repas donné en notre 
honneur ; la table était parfaitement servie, et ma- 
dame Cokius en faisait les honneurs avec une grâce « 


DANS L'OCÉANIE. ; 19 


charmante. La soirée se passa fort agréablement , je 
ne me retirai que fort tard en compagnie du capi- 
taine Jacquinot , laissant MM. Dubouzet et Hombron, 
qui comptaient au nombre des convives, et qui pré- 
féraient aller passer la nuit à l'hôtel de Provence où 
se trouvaieni logés une grande partie des ofliciers. 
J'aurais certainement mieux aimé aussi coucher à 
terre plutôt que de faire un long trajet dans mon em- 
barcation pour regagner mon bord, d'autant mieux 
que le vent soufflait du large et que la mer brisait 
_ fortement sur la barre et la rendait dangereuse; 
mais j'avais vu le colonel Olyve chez M. Cokius, et 
j'avais pris rendez-vous avec lui pour le lendemain, 
afin d'aller à Buitenzorg. J'étais bien aise de pren- 
dre mon point de départ de l’Astrolabe, afin de lais- 
ser mes insiructions pour activer l’embarquement 
des provisions , ainsi que les travaux qui avaient pour 
but de remeitre nos navires en état de continuer 
leur campagne. 


À six heures du matin, j'étais à terre avec M. Jac- 
quinot; une tasse de café nous attendait chez le co- 


lonel Olyve, et une heure après un des fourgons 
du gouvernement, trainé par quatre chevaux vigou- 
reux, nous emportait sur la route de Buitenzorg. 
MM. Hombron et Dubouzet avaient été présentés la 
Ces par le général Cokius au conseiller des Indes, 
M. Wanschoorn. Ils durent à cette circonstance 
l'offre qu’il leur fit de les conduire à cette demeure 
royale, et de les ramener avec lui dans sa voiture. Un 
instant ces officiers hésitèrent d'accepter ces offres 


1839. 
Juin. 


45 


18 Û VOYAGE TPE 
Fe AR EE 


355. bienveillantes, mais elles furent faites avec 4 at de 
franchise, et M. Wanschoorn y mit tant d'insistance, | 
qu'ils durent accepter, ils ne tardèrent pas à prendre 
la même route que nous. eh: 

Je fus frappé, dès le principe, de la célérité avec 
laquelle on voyage dans l’île de Java. Les relais. sur 
la route de Buitenzorg sont disposés de six milles en 
six milles, et on en compte six depuis Batavia jus- 
qu’à la résidence du gouverneur. Nous trouvions à 
chaque relais de jolis hang arssous lesquels s’arrêtaient 
les voitures, et qui servaient à les garantir des rayons À 
du soleil pendant qu’on attelait les chevaux dispo- 
sés à l’avance. La route, sur toute sa longueur, est 
macadamisée avec un caillou basaltique parfaitement 
propre à cet usage; elle paraît être entretenue avec 
beaucoup de soin. Elle est exclusivement destinée 
aux voitures suspendues et aux piétons, car les char- 
rettes et les chariots de transport suivent un chemin 
latéral que l’on a fait pour cet usage. 

Pendant près de la moitié du chemin de Batavia à 
Buitenzorg, la route traverse une plaine spacieuse 
couverte de belles maisons de campagne êt de champs 
de riz. Ge n’est que lorsque déjà l’on a parcouru une 
douzaine de milles que l’on aperçoit distinctéement la 
belle chaine volcanique des monts Gucédé. Le pays. 
change alors d'aspect; on s’avance vers la montagne 
par une pente peu rapide : les points de vue. devien- 
nent de plus en plus pittoresques. | 

Nous mimes un peu moins de trois heures pour 
parcourir les trente-huit milles qui nous séparaïent. 


DANS L'OCÉANIE. 15 


de Buitenzorg, et nous arrivâmes devant le parc qui 
entoure le château. Celui-ci se compose d’un corps 
de logis S'appuyant sur deux pavillons. L’architec- 
ture de ce palais n’a rien de monumental, mais elle 
est parfaitement appropriée au climat du pays. Le 
Corps de logis, dont la longueur est double de celle 
des pavillons, est surmonté d’un dôme, au sommet 
duquel on voit un joli belvédère. Il est entouré, ainsi 
que les pavillons , d’une espèce de portique dont les 
colonnes sont assez éloignées pour ne pas gêner la li- 
bre circulation de l'air. Les appartements intérieurs 
sont garantis des rayons du soleil et conservent tou- 
jours une fraicheut délicieuse. L'île de Java est su- 
jette à de fréquents tremblements de terre; dans le 
cours de l’année 1826, une de ces secousses terres- 
tres renversa de fond en comble le vaste château 
qu'avait fait construire à Buitenzorg le gouverneur 
Daendaels, qui y avait établi sa résidence. Le nou- 
veau palais a été bâti sur les ruines du premier, 


mais sur un plan bien moins vaste et mieux combiné. 
pour résister à de nouvelles convulsions du globe. Il 


n'a plus qu’un seul étage, mais il est assez élevé pour 
que l’étendue de l'édifice ne soit pas trop dispropor- 
tionnée avec sa hauteur. De plus, on a fait entrer dans 
la charpente et dans les colonnes de cette nouvelle 
construction le bambou, le seul de tous les bois qui 
réunit à une grande force la légèreté et l’élasticité 
nécessaires pour résister à de pareilles secousses. 

Nous descendimesde voiture au pied du perron d’un 
des pavillons, où nous trouvâmes de vastes et beaux 


1830. 
Juin, 


1839. 


Juin. 


16 . VOYAGE 


logements destinés à à recevoir les D rinciRes autori- di 
tés qui Y sont appelées pour traiter d’affaires, ainsi R 
que les étrangers et les aides-de- -Camp. Le pavillon de > 
droite était déjà entièrement occupé; nous fûmes lo- É 
cés dans celui de gauche avec les aides-de-camp. Dans … 
chacun de ces appartements, les chambres donnent $ 
sur de vastes salons meublés avec recherche ; on y jouit 


“de la vue du jardin, qui est magnifique , et de celle 


des environs si pittoresques de cette résidence. 


- À ma grande surprise, nous ne fûmes présentés que. 
_le soir au gouverneur général; à notre arrivée on 


nous offrit à déjeuner, puis nous fûmes conduits 
dans les appartements qui nous étaient destinés, et . 
nous fûmes maitres d'employer notre temps comme 
nous l’entendrions jusqu'au moment du diner, où 
devait avoir lieu notre présentation. Je trouvai,, je 
l’avoue, cette manière de recevoir des hôtes, et sur- 
tout des étrangers, un peu singulière; maïs le colo- 
nel Olyve et M. Diard, qui ne nous avaient pas quitté 
depuis Batavia, m'assuraient que telles étaient les 
lois de l'étiquette; je me consolai facilement de voir 
le gouverneur nous traiter ainsi à la manière des. 
pachas orientaux, et je cherchai à à profiter de mon 
mieux de la liberté qui nous fut laissée en attendant 
le diner. Je me dirigeai tout d’abord vers le pare: 

que je désirais vivement visiter. 

Aux agréments d’un jardin anglais, dessiné avec 
beaucoup de goûi sur un terrain heureusement acci- 
" dentéetsillonné par des cours d’eau dont on a su tirer 
tout le parti possible, le parc de Buitenzorg. réunit 


Lai + 


DANS L'OCÉANIE. 17 


encore les avantages d’être un jardin botanique 
des plus riches et des plus curieux par le grand 
nombre et la grande variété des échantillons de 
plantes qu’il renferme, On y trouve, non-seule- 
ment tous les végétaux qui sont originaires de Java, 
Mais encore une grande quantité de ceux de l’Inde, 
de la Chine, du Japon, d'Europe et d'Amérique. 
Un espace d’une vaste étendue-est en outre réservé 
pour y faire des essais de culture : j'y remarquai 

une grande variété de cannes à sucre, de cactus, 
- de bananiers, du thé et des arbres à pain, qui ont 
été nouvellement introduits à Java, et qui y réus- 
sissent à merveille. Ce jardin d’essai est adjacent 
au petit village malais de Buitenzorg; un ruisseau le 
traverse dans toutesalongueur ; son Cours est masqué 
_ par des touffes de bambous dont la vue a quelque 
chose de mélancolique. Sousleurs ombrages reposent 
_ dans des tombes simples et modestes les Hollandais 
et les étrangers de distinction morts dans le palais, 
où ils avaient obtenu de venir habiter pour rétablir 
leur santé détruite par le séjour malsain de Batavia. 
Le reste du jardin, consacré exclusivement à la bota- 
nique, est assez vaste pour que les arbres géants des 
contrées équatoriales puissent y atteindre à leur aise 
leur grandeur naturelle ; en voyant la vigueur de leurs 
jets et la fraîcheur de leur feuillage, on dirait que 
l’on vient de les transplanter d’une des forêts voisi- 
nes ; à plus forte raison les arbustes et les plantes 
plus modestes y jouissent du même privilége. Tous 


ces végétaux sont classés avec ordre, grâce aux soins 
\ Æ. 


_ 1839. 
Juin, 


4830. 
J uin. 


18 | VOYAGE 


f 


du célèbre docteur Plume, qui en eut jadis la direc- 
tion. Ce savant en a publié un catalogue des plus in. 


téressants; malheureusement, après la mort de ce 
naturaliste, afin de faire quelques économies, on n’a 
point cherché à le remplacer. Aujourd’hui c’est un 


simple jardinier qui est chargé de l’entretien de ce : 


superbe établissement. Du côté de l’ouest, le jardin 


est limité par la rivière qui porte ses eaux à Batavia ; 
mais à Buitenzorg cette rivière présente l'aspect d'un 
vaste torrent prenant sa source dans la montagne, et 


roulant ses eaux avec fracas dans un lit large et peu 
profond , garni de cailloux basaltiques entrainés là 


par les crues pluviales. Sur les bords de ce petit 


cours d’eau, de jolis pavillons sont disposés en éta- 


blissements de bains à l'usage des habitants du palais. 


La chaleur, toujours si forte dans ces contrées aux 


approches de midi, me fit rentrer dans le palais; cha- 
cun se disposait à faire Ja sieste ; quant à moi je ne pou- 
vais dormir; malgré ma demande, on n'avait pu me 
procurer quelques journaux , dont la lecture m'aurait 
aidé à passer mon temps, etje ne savais que faire, lors- 
que le colonelOlyvevintmeproposer defaireune partie 
de billard. J’acceptai volontiers, et bien que le billard 


fût loin de répondre par sa bonté au luxe qui existait 


généralement dans le mobilier de cette résidence, 
nous en usâmes jusque vers les quatre heures. Il 
paraît qu’à cette heure-là il est d'usage d'envoyer à 
chacun des hôtes du palais une voiture et des che- 


vaux dont ils peuvent disposer pour aller promenér. 
à leur volonté. J’en profitai avec d'autant plus de plai- 


: f 

* 
* 
æ 
* 


DANS L'OCÉANIE. 19 
sir que l’inaction dans laquelle j'étais forcé de rester, 
commençait à me fatiguer. Je parcourus les environs 


de Buitenzorg, entourés par de nombreuses planta- 
tions de riz et d’indigo. Du reste, je ne vis rien de 


bien remarquable, mais au moins j'attendis plus. 


patiemment l'heure du diner, que je désirais vive- 
ment voir arriver. 

Enfin il était sept heures du soir, on vint nous pré- 
venir que le dîner était servi, et que nous étions at- 
tendus par le gouverneur. Son excellence était en 
costume d’officier général. Sa réception fut polie, 
mais guindée et froide; ce fut à peine s’il échangéa 
quelques mots de pure politesse avec moi. Retranché 


dans sa dignité, le général , que l’on me dit cependant 


être un homme distingué, ne me parut pas avoir dans 
cette circonsiàänce toutes Îes formes qui conviennent 
à un personnage dans sa position. Il était alors en- 
touré de sa fille, de sa belle-sœur et de ses aïides-de- 
camp, dont la politesse froide et cérémonieuse sem- 
blait indiquer qu’ils avaient tous reçu le mot d’ordre. 

Le diner vint heureusement mettre fin à cette en- 
nuyeuse représentation. Toutes les autorités et les 
notabilités du pays avaient été invitées; le service 
comportait au moins cinquante couverts. À en voir 
le menu, on se serait cru en Europe, car iln’y man- 
quait aucune de nos productions. Chacun des convi- 
ves CONServa , pendant toute sa durée, la oravité 
officielle; jamais je n’avais vu une réunion aussi si- 
lencieuse. Chacun, ilest vrai, chuchotait à l'oreille de 
Son voisin, mais c'était la seule licence qu’il se per- 


1839, 
Juin. 


20 . VOYAGE 0 


mit en présence du gouverneur, qui hiimiete ne fat- ? 
sait rien pour faire naître une conversation générale. * 
J'avais été placé à sa gauche, mais ce fut à peinesil 


m'adressa quelques paroles, et encore ses questions 
étaient-elles des plus insighifiantes. À ma gauche, 


j'avais pour voisin M. Diard, grand admirateur de . 
S. E. le gouverneur, qui dispose à son gré de toutes 


les faveurs, et grand prôneur du système hollandais, 
qui lui a si bien profité. 11 me sembla que M. Diard, 
en courtisan habile, était fort savant dans l’art de la 
flatterie, et je ne m’étonnais plus de l'immense cré- 
dit dont il paraissait jouir auprès du gouvernement, 


lorsque je vis combien il était humble et empressé à 


se faire le serviteur de son maître. 
Après le repas, on dressa une table de jeu, et je fus 
invité à faire le whist avec Son Excellence, faveur , à 


ce qu’il paraît, fort recherchée, mais que je refusai 


de me donner. Un petit bal fut improvisé; une tren- 
taine de dames, mises avec élégance, en firent les 
honneurs, toutes habitaient fort loin de Buitenzorg, 
elles étaient venues uniquement pour assister à cette 
fête, et elles devaient se retirer à la fin de la soirée. 
Ici les routes sont si belles, et les voitures si commu- 
nes, que l’on ne recule jamais à parcourir une quin= 


zaine de lieues pour un bal ou pour un diner. Grâces. 
à ces habitudes de facile locomotion, dans l’intérieur 


de l’île où la population européenne est si peu nom- 
breuse, la société s’y réunit comme dans les villes, 


et presque tout le monde y mêne une vie de chAgEur 


sur le plus grand train. 


DANS L'OCÉANIE. 21 
La danse avait trop peu d’attraits pour moi pour 


me retenir longtemps ; fatigué par une journée d’en- 
nui, je ne tardai pas à me retirer dans mon appar- 


tement, bien décidé à à quitter Buitenzorg dés le len- 


demain. À six heures du matin , je montai dans la 
voiture qui m'avait amené en compagnie de M. Diard, 
et quelques heures après, je regagnai mon bord. 
« Quant à moi, dit M. Jacquinot, je me décidai à 
rester vingt-quatre heures de plus à Buitenzorg, et à 
attendre le bon colonel Olyve qui était fatigué, et 
qui avait besoin de repos. MM. Dubouzet et Hombron 
prirent le même parti. 

» Pour la personne qui ne cherche qu’à jouir d’une 
liberté pleine et entière, et désire se reposer des en- 
puis d’une longue navigation, Buitenzorg est le lieu 
par excellence, tel, du moins, qu’il s’est présenté à 
nous. Rien ne vient vous troubler, vous n’éprouvez 
aucun dérangement, les logements sont trés-confor- 
tables, et de nombreux domestiques sont là, disposés 
à exécuter promptement vos ordres. Vous déjeunez 
seul si bon vous semble, et toujours en dehors de 
toute cérémonie. Soir et matin, à la fraîcheur, il vous 
est loisible de disposer d’une voiture pour aller faire 
un tour de promenade. Nous mîmes le lendemain ces 
commodités à profit, et nous parcourümes les envi- 
rons qui, sans offrirrien de bien remarquable, avaient 
pour nous le piquant de la nouveauté. Au repas du 
soir , nous ne nous trouvâmes qu'avec le gouverneur 
et sa famille ; l'étiquette fut moins austère que la 
veille et, sans éprouver un plaisir bien vif, nous ne 


1839. 
Juin, 


16 


1839. 


Juin. 


17 


18 


92 VOYAGE 


nous ennuyâmes pas, et nous primes . notre part à da 


conversation générale. 


» Le 17 au matin , nous fimes nos. adtéué à certe 
résidence, et nous nous mimes en devoir de regagner 


Batavia, qu'un accident arrivé à notre voiture nous 


empêcha d'atteindre avant cinq heures du soir. Une. 


des roues s’étant rompue, nous fûmes contraints de 


séjourner plusieurs heures sur la grande route pour 
attendre que l’on püt s’en procurer une autré, êt 
nous eussions sans doute bivouaqué bien plus long- 
temps, sans l’arrivée de M. Wanshoorn qui vint à pas- 
ser avec M. Dubouzet ; ce magistrat mit toute la com- 


plaisance possible pour nous tirer d’embarras, et fut . 

parfait à notre égard, avec une politesse exquise et 

° des manières agréa , il s’empressa de venir à | 
des manières agréables, il s'empressa de venir à notre 


aide et, grâce à lui, nous pümes continuer notre 
voyage. Nous regrettämes beaucoup par la suite de 
n'avoir pas eu le temps de faire plus amplement sa 
connaissance. » sé | 

Nous-ne devions plus passer qu’une seule journée 
au mouillage, elle fut tout entière employée à em- 
barquer toutes les provisions qui nous restaient à 


faire ainsi que les instruments de physique qui étaient 


à terre. Je ne quittai mon bord que fort tard pour 
aller faire mes adieux au colonel Olyve et au général 
Cokius, c’étaient les deux seules maisons qui nous 
avaient été ouvertes pendant notre séjour à Batavia, 


et après avoir passé chez MM. Lanier et Borel, avec 
qui les commis d'administration étaient occupés de 
régler les comptes généraux de nos dépenses, je me 


DANS L'OCÉANIE. 29 
rendis avec M. Jacquinot au bâtiment des aris et 
métiers où devait se réunir, en séance générale, la 
société savante de Batavia dont j'avais été nommé 
membre lors de mon premier passage en 1898. 

L'assemblée était nombreuse; elle comptait, parmi 

ses auditeurs, presque tous les dignitaires de la colo- 
nie et plusieurs hommes véritablement très-savants, 
surtout dans les sciences naturelles, dont l'étude est 
* si pleine de charmes dans ces contrées privilégiées. 
M. Merkus la présidait, il reparaissait après une lon- 
gue absence ; il ouvrit la séance par un discours en 
hollandais dont nous ne pümes apprécier le mérite, 
parce que nous ne comprenions pas cette langue, 
mais il obtint l'approbation de tous et fut écouté avec 
une grande attention. Quelques mots flatteurs pour 
moi et mes compagnons de voyage furent dits en fran- 
çais, et vinrent me confirmer dans la pensée que 
l'ancien gouverneur des Moluques qui recut l’A4s- 
trolabe en 1828 avec une bienveillance et une dis- 
tinction dont j'ai conservé un précieux souvenir, 
attachait toujours le même intérêt aux voyages entre- 
pris dans le but de rendre des services à toutes les 
sciences. | 


Le ministre protestant prit ensuite la parole et pro= 


nonça un long discours, toujours en hollandais ; on 
m'assura que ce prêtre, jeune encore, était un des 
hommes les plus instruits de la colonie ; il fit l'éloge du 
docteur First, membre de la société, mort victime de 
son dévouement aux sciences, pendant un voyage 
qu’il avait entrepris dans l’intérieur de Java ; il parla 


1839, 
Juin. 


24 | !  NOYAGE 


< 7 = L 
D'or LT 


longtemps et fut écouté avec recueillement. Enfin ar 


riva mon tour : dans quelques mois, je traçai rapide= 


ment l'itinéraire de ma campagne, et je développa 
son butet son utilité, enfin j’'énumérai les découvertes 
scientifiques de l'expédition. Je cédai ensuite la place 
à M. Diard qui vint occuper la tribune en. se faisant 
suivre d’un manuscrit dont le volume énorme avait 
quelque chose d’effrayant ; il prononça un discours 
remarquable par sa longueur et sa diffusion ; il ter- 


mina par proposer à la société d'établir sur plusieurs 
points de l’intérieur de Java des observatoires mé- 


téorologiques munis d'instruments, afin d’y faire 


des observations suivies. Les dépenses approximati- 
ves pour ces établissements étaient estimées par Po- 


rateur à 100,000 florins, il conclut en demandant 


- à la société de vouloir bien s'imposer une souscrip- 
tion pour couvrir cette dépense. Le président an- 


nonça que la proposition de M. Diard serait prise en 
considération et que la discussion serait renvoyée à 


une autre séance, puis il proposa de recevoir M. Jac- 


quinot au nombre des membres honoraires de la 50- 


ciété. Gette dernière communication reçut lappro= 
bation de tous, et la séance fut levée. Il était tard, - 


nous nous hâtâmes de rejoindre nos corvettes afin 
de remettre à la voile le lendemain de grand matin, 
Ce même jour, il devait y avoir, dans les vastes sa- 


lons du bâtiment de l’'Harmony, un concert donné. 


par la garnison, et auquel avaient été invités tous les 7 


officiers français. Mais depuis dix jours que nous. 
avions passé en relâche sur la rade, c'était la pre= 


(] 

L TA 
bla + à” “re ti 
L, de ven 2 DUR 


DANS L'OCÉANIE. 25 


mière invitation qui parvenait à nos états-majors, 
ils la refusèrent d'autant mieux que la fête aurait pu 
se prolonger bien avant dans la nuit, et que chacun 
devait le soir même rallier son navire , le départ étant 
fixé au lendemain. | 4 
Comme je l'ai déjà dit, les officiers de nos corvettes, 
désireux de jouir à terre des quelques jours de repos 
destinés à notre relâche, s'étaient établis à l’hôtel de 
Provence. Là, délaissés par les officiers de la garnison 
et les autorités hollandaises, tous leurs loisirs étaient 
employés à la promenade ; nous devons à ces cir- 
constances plusieurs observations curieuses sur les 
quartiers de Batavia qui sont exclusivement occupés 
par les Javavais et les Chinois, ainsi que sur les 
mœurs des populations qui les habitent. Avant de 
remettre à la voile pour nous éloigner de la rade, 
_ nous jetterons un dernier regard sur cette grande 


cité, et nous irons parcourir ces quartiers oubliés où 


lEuropéen met rarement le pied, et qui, jusqu'ici, 
_ ont en partie échappé à ses investigations; M. Demas 
sera notre guide dans cette excursion: « Après diner, 
nos voitures nous attendaient , et nous partimes 
tous à la queue leu leu, laissant à nos cochers le soin 
de diriger nos promenades. Comme celui de tout l’ar- 
chipel indien, le climat de Batavia est brûlant; l’on 


ne vit que de six à huit heures du matin, et de six. 


heures du soir à minuit ou deux heures du matin : 
les rues étaient illuminées par des milliers de fanaux, 
c'était l'heure de la promenade; les dames, en toilette 
de bal, la tête et les épaules découvertes, venaient 


1839. 
Juin, 


26 LINE RACE : HSE 

189. jouir des délicieuses brises du soir, dans de jolies voi- 
tures éclairées par les torches de deux valets ; les 
hommes, à cheval, galoppaient aux portières où fu- 
maijent gravement leurs cigares sur le péristyle de 
leurs élégantes habitations. Peu après, le nombre des . 
voitures-diminua, ét bientôt nous nous trouvâmes : 
presque seuls, alors nous rentrâmes à l'hôtel en lon- 
geant toutes les grilles des jardins ; nous destinions 
la journée du lendemain à visiter la partie re 
par les Chinois. 

» Ceux-ci occupent à Batavia un quartier entière- 
ment séparé, ou plutôt une ville entière ; mais plus de 
splendides avenues, ni de gracieuses habitations. Au 
milieu de maisons entassées les unes sur les autres, 
dans des rues étroites et tortueuses habitées par les 
mêmes métiers, circule une population active et ém- 
pressée ; d’un côté vous entendez retentir le marteau 
du forgeron; le Vulcain chinois, le buste nu, la 
queue roulée autour de la tête, bat le fer d’un bras 
aussi sûr, aussi vigoureux que le meilleur ouvrier de 
nos arsenaux. Plus loin, une longue enfilade de 
chaudronniérs, de ferblantiers vous brisent le tym- 
pan. Ceux-ci, moins bruyants, manient l'aiguille, la 
navette. Des restaurateurs en plein vent vont, vien- 
nent, colportant dans les ateliers le riz bouillant, ar- 
rosé ‘du national soya. Là-bas la vie fastueüse, le luxe 
indolent : ici travail, activité, économie. 

» Les Chinois arrivent en foule dans l’ar chipel i in- 
dien , le gouvernement les accueille et les protége; il 
choisit parmi eux un chef qui a le lire de capitaine | 


. DANS L'OCÉANIE, me 27 
chinois : Cest généralement le plus riche et le plus HE 
influent ; il paye de belles et bonnes piastres le titre 
et l'autorité dont il jouit. | 

» Le capitaine chinois est spécialement chargé de 
l'administration de la police et du recouvrement des 
impôts. IL condamne à la bastonnade, fait couper le 
nez ou les oreilles à ses administrés sans que les Hol- 
landais s’en occupent le moins du monde; aussi vi- 

vent-ils au milieu des populations si diverses qui les 

entourent comme à Pékin, et les Hollandais ont ac- 
quis une peuplade calme et laborieuse, dont il leur 
serait aujourd’hui impossible de se passer. 

» Les Chinois sont essentiellement pacifiques , 
tant qu’on n’en veut pas à leur bourse, mais ils sont 
prêts à se faire assommer pour une roupie. Un em- 
ployé hollandais de l’intérieur de Java avait sous 
sa direction sept à huit cents ouvriers chinois qui 
travaillaient à des défrichements ; on était con- : 

venu, les travaux terminés, de leur donner uné 
somme de..., mais, quand on en vint à compter, 

le Hollandais voulut en rabattre la moitié. Les Chi- 
nois réclamérent: mais soit que leur pétition ne par- 
vint pas à l'autorité supérieure, soit qu’on n’en lint 
aucun compte, ils ne purent se faire rendre justice. 
Ils protestèrent alors tout de bon, et s’emparèrent 
du fripon, déclarant que sa tête allait tomber, si jus- 
tice ne leur était faite; en conséquence, l’ordre fut 

donné à une compagnie d'infanterie de les réduire. 

Aux premiers coups de fusil, le malheureux prisonnier 

fut mis à mort, eten réponse aux baïonnettes, ils 


1830, 
Juin, 


28 |. VOYAGE 


jetèrent sa tête dans les rangs hollandais, après quoi. 
ils se barricadèrent et rendirent coup pour coup: De” 


nouvelles troupes arrivèrent, et on les fusilla jus- 


qu au dernier. 


» C’est le seul événement de ce genre que j ’aie en- 


tendu citer. Ce fait est une exception des deux côtés : 
les Hollandais apportant généralement beaucoup de 
bonne foi dans leurs transactions commerciales. 


» À voir l'extérieur des maisons chinoises, on les. 


prendrait pour de misérables bicoques; à l’intérieur 


ce sont de vastes appartements lambrissés, les boise- 


ries sont couvertes de peintures charmantes quant au 
coloris, mais d’un dessin détestable et sans perspec- 
tive. Ce sont des paysages dont les arbres, les oi- 
seaux n’ont jamais existé que dans l'imagination 


fantastique de l’artiste;-des vues toutes sur le même. 
plan. Dans la pièce principale se trouve, de fonda-. 


tion, un petit autel sur lequel brülent des parfums 


dans des cassolettes d’un métal précieux, et de pe- 


tites bougies de bois de sandal. Je laisse à d’autres à 
décider à laquelle des mille sectes qui divisent le 


Céleste-Empire ils appartiennent, mais je n'ai jamais 


visité une maison-sans y trouver la large face, peinte 


sur toile et sur papier, d’un gros père chinois noie 
_ d'êtres fantastiques. 


» Les femmes ne paraissent jamais que dans les 
occasions solennelles, et je n’ai pu voir quela fiancée 
de Makassar. | 


» Quand le soleil est couché, quand les ateliers, les L 


magasins sont fermés, la ville chinoise n’est plus re- 


sr can 


DANS L'OCÉANIE. 29 


HAN 


‘connaissable. Sur toutes les petites places s’éilévent 
des théâtres: des ombres chinoises, des saltimban- 
ques, des danseuses amusent cette population d’a- 
beïlles qui circule sans bruit à la lueur un peu terne 
de toutes les immenses lanternes en papier huilé qui 
garnissent la devanture des maisons. 

… » Nous nous mêlâmes à la foule, quinous conduisit 
tout droit au spectacle. 

» Devant des tréteaux élevés de dix pieds au-dessus 
du sol, était réunie une foule grave, et prêtant toute 
son attention au drame qu’on lui représentait. J’au- 
rais donné tout au monde pour comprendre le dialo- 
gue. Autant que j'ai pu en juger par la pantomime, 
c'était l’histoire de quelque Néron chinois qui finis- 
sait par être détrôné et mis à mort par un vertueux et 
noble guerrier. Le tyran était un bon gros père à 
triple menton, qui, pour donner à sa débonnaire 

figure toute la férocité de l'emploi, s’était barbouillé 
_ de noir de fumée. Il était vêtu d’une longue robe de 
soie à grands ramages, serrée à la taille par un cein- 
turon qui soutenait un monstrueux sabre de bois ; sa 
tête était couverte d’une couronne en papier doré. 

» La scène était occupée par des hommes et des 
femmes qui déclamaienten faussetet d’un ton traînant 
et criard. C’étaient des lamentations qui paraissaient 
produire beaucoup d’effet sur l'auditoire. Le tyran 
inflexible mettait à sac tout ce qui l’entourait, et, 
malgréles pleurs d’une charmante princesse, laquelle 
larmoyait à fendre un cœur de roche, le barbare al- 
lait poursuivre son œuvre de mort, quand apparut le 


1839. 
Juin. 


1839. 


Juin, 


30 | VOYAGE 


vengeur; il n’était que sabres et poignards, un véri- 


table héros de la Porte-Saint-Martin; mais avant de 


dégainer ses dagues , il fit au traître une chaleureuse es 


allocution , toujours sur le même ton lent et criard. 
Il lui reprochaït probablement sa cruauté, et l’autre 
persistant dansle péché, il termina par l’abattre d’un 
air superbe. | 
» De temps à autre, une ritournelle et des danseu- 
ses venaient faire diversion à ce lugubre spectacle. 
La musique se composait d’un gong, d’une sorte de 
mandoline à une seule corde, et d’une flûte, dans la- 
quelle le musicien soufflait avec les narines. Je ne 
crois pas qu'il soit possible d'entendre de charivari 
plus discordant. Les actrices étaient généralement 
laides, une seule trouva grâce à nos yeux : c'était 
une jeune fille de quinze à seize ans; sa robe de soie 
bariolée, serrée autour de la taille par une riche 
ceinture dont elle tenait les deux bouts, venait s’ar- 
rêter au-dessous du sein, laissant la gorge, les épau- 
les et les bras nus; ses cheveux, d'un noir de jais, 
étaient relevés à la chinoise et retenus sur le som- 
met de sa tête par une longue aiguille d’or; elle 
dansait un pas lent et lascif, et quelquefois, sans que 
les pieds parussent bouger, elle imprimait à tout son 
corps les mouvements les plus gracieux, les plus vo 
luptueux. Nos Chinois n’applaudissaient pas, ils eus- 
sent cru manquer par trop à leur dignité, mais ils 
se pâmaient d'admiration , et quand la bayadère eut 


fini, une pluie de roupies vint tomber à ses pieds. 


Cette femme, malgré ses yeux bridés, était vraiment 


DANS L'OCÉANIE. 31 


jolie. Le spectacle fini , on se rendait en foule dans 


les petites boutiques des restaurateurs qui bordentla 
place; sur les devantures étaient étalés toutes sortes 
decomestibies : homards, belles chevrettes, tripangs, 
nids d’hirondelles, tous les beaux fruits de Java s’of- 
fraient à l’envi au gourmet chinois. Nous suivimes le 
flot qui nous entraînait chez le Véfour du lieu. Ce- 
_ lui-ci, tout fier de voir chez lui des officiers français, 


se multipliait pour nous servir tout ce qu’il avait de 


mieux. 
UT Sur une petite table d’une propreté irréprochable 
et garnie des ustensiles d’usage, c’est-à-dire d’as- 
siettes microscopiques en magnifique porcelaine, et 
desdeux petits bâtons d'ivoire, on nous apporta d’a- 
bord une gelée blanchâtre , sur laquelle étaient quel- 
ques tranches de poisson : c'était une espèce de 
purée de nids d’hirondelles , épicée à emporter la bou- 
che ; nous en conclûmes que le mets favori des Chi- 
nois a besoin d’être relevé, et, pour n’en pas avoir 
_le démenti, nous avalâmes consciencieusement. No- 
ire hôte nous regardait faire avec bonheur ; ses petits 
yeux pétillaient avec plaisir. Après cela nous vimes 
arriver une foule de petits plats. Qui que vous soyez, 
si vous dinez jamais chez un restaurateur chinois, je 
vous recommande la salade de homards et de che- 


vrettes au soya. C’est une excellente sauce faite, je: 


crois, avec du jus de viande , et dans laquelle entrent 
beaucoup d’aromates. Nous trouvions tout cela ex- 
cellent, lorsqu'on nous apporta en grande pompe des 
tranches très-minces d’une viande blanchâire sur une 


1839, 
Juin, 


1839. 
Juin. 


32 | VOYAGE Du, 


gelée filante comme un macaroni. Nail hôte 4e. 
montrait le plat d’un air superbe, ayant l'air: de 
nous dire : Mangez, ceci est mon triomphe. Nous 
envoyâmes donc les petits bâtons, et chacun d’ava- 


ler. C’était bon; mais cette viande avait un goût tout 
particulier, et avant d’en venir à une seconde bou- 
chée, nous voulûmes savoir à quoi nous en tenir. 


Notre homme nous comprit à merveille, et, baïissant 


la main à un pied de terre, il poussa deux aboie- 
ments fort distincts ; il n’y avait pas à s’y méprendre ; 
c'était du chien; sans doute quelque pauvre et inof- 
fensif caniche que le misérable avait assommé dans 
la rue. Notre première idée fut de lancer le plat à la 
figure du Chinois, mais nous nous ravisämes et con- 
tinuâmes à manger à sa grande satisfaction. 

» À une table à côté de nous étaient assis deux 
gros pères chinois à triple menton; sur leur large 
face était empreinte la satisfaction du gourmet. Ils 
dégustaient avec délices le fin nid de salangane, 


ils jubilaient, ces braves gens; mais, hélas, tout 


est fugitif ici-bas, et, quand vint l'heure de payer, 
c'était plaisir que de voir la mine refrognée et le 


gros soupir qui accompagnait chaque roupie qui 


sortait de leur escarcelle. Quant à nous, nous en 


eûmes pour dix roupies, vingt-deux francs de notre | 


monnaie. 
» La soirée était loin d’ê re finie ; nous nice 


toujours la voix criarde des artistes dramatiques et la 


foule circulait plus flaneuse encore. Nous nous mêlà- 


mes à cette profusion de queues chinoises, et suivimes 


DANS L'OCÉANIE. . 33 


le torrent, qui nous mena devant une grande salle rec- 
tangulaire entièrement illuminée : c'était une maison 
de jeu. Le milieu de l'appartement était occupé par 
une grande table, tout autour de laquelle étaient des 
bancs adossés à la muraille, et sur ces bancs trente 


à quarante figures graves et compassées fumaient des 


pipes à longs tuyaux, sur le fourneau desquelles 
brülaient des grains d’opium, dont les vapeurs nous 
donnaient des éblouissements. Trois dés roulant sur 
la table venaient enlever à la plupart de ces miséra- 
bles tout leur gain de la journée. C’étaient générale- 
_ ment des ouvriers, des gens de la basse classe. Sur 
_ leur face impassible, rien, pas un mouvement de 
muscles ne venait trahir l'émotion du jeu, et, sans 
leurs regards avides, nous aurions pu les prendre 
pour autant de statues. Nous quittâmes cette scène 
avec dégoût. ( | 
» Un peu plus loin, c’étaient des ombres chinoises ; 
mais, sous ce rapport, nous avons laissé nos maîtres 
bien loin derrière nous : Séraphin en remontrerait 
aux inventeurs eux-mêmes. Les Orientaux ne sont 
généralement pas délicats sur le choix de leurs spec- 
tacles , ils paraissaient s'amuser beaucoup des gros- 
sières obscénités qu’on leur représentait. 
» Mais peu à peu, toute cette foule joyeuse dimi- 
nuaïit, les lumières s’éteignaient, et bientôt la cité 
chinoise rentra dans le calme de la nuit. Nous nous 


mîmes en route pour regagner nos voitures, qui 


nous attendaient en dehors. Ce ne fut qu'avec le se- 


cours de notre guide que nous pûmes les retrouver, 
VIT. 3 


1839. 
Juin. 


34 + VOYAGE 


pour mon compte, j'eusse été  trés-péû flatté. dé ter 
miner ma soirée dans les eaux boueuses et ee $ 
d’immondices du canal Ryswick. 

» Le lendemain, après diner, nous nt comme Fe 
d'usage, laissant à nos cochers le soin de diriger no- : 
tre promenade ; après avoir parcouru la ville quel- 
que temps, le nôtre prit une magnifique route sablée 
et bordée de beaux arbres et de jolies maisons. Nous 
allions un train de poste, et bientôt nous eûmes laissé 
derrière nous toutes les habitations. Nous ne savions 
pas trop où nous allions, mais nous étions parfaite- 
ment à notre aise dans une excellente voiture , @t 
nous nous laissions traîner. Après avoir fait près de 
deux lieues, le cocher nous arrêta devant quelques 
cases en bambou de chétive apparence, le valet de 


place vint nous ouvrir la portière en nous chuchotant 


à l'oreille, avec un mystérieux sourire, mystern Corn- 
lis, puis il nous conduisit à travers une ruelle infecte 
et boueuse dans un assez grand village, au milieu 
duquel était un bazar éclairé par des torches; des Ja- 
vanais armés, des Chinois, circulaient en silence, 
nous jetant des regards sombres, comme si nous ve- | 


nions les déranger. Après avoir passé en revue toutes 


ces figures , nous suivimes notre guide dans une rue - 
très-étroite, il nous introduisit dans une maison de 


mauvaise apparence, par une portetellementétroite, î 
qu’il fallait s’effacer pour y passer; là, nousmous trou- 


vâmes dans un long corridor à peineéclairé etgarnià 


DANS L'OCÉANIE. 35 


droite et à gauche de pétites cabines dont l’intérieur 
était masqué par des rideaux ; nous étions à nous 
_ demander si nous n’étions pas tombé dans un guet- 
apens, et ce que tout cela signifiait, lorsque nous vi- 
mes arriver, ou plutôt ramper jusqu’à nous , une 
basse et vile figure de Chinois ; le drôle fit allumer 
une foule de petites lampes que nous n’avions pas 
aperçues , puis, tous les rideaux se tirèrent comme 
par enchantement : chaque cabine contenait une oda- 
lisque demi-nue , couchée sur une natte, ou molle- 
ment appuyée sur une pile de petits coussins. Ces 
femmes étaient belles. Nous sommes généralement 
assez indulgents, nous autres marins, pour ces sortes 
de peccadilles, mais tout cela était d’une obscé- 
nité si grossière, que nous en fûmes révoltés. C’é- 
tait cependant chose très-simple pour ces Javanais, 
_ ces Chinois. Ces femmes qui, dans nos contrées civi- 
jisées, sont accablées de honte et de mépris, ne 
croient pas. du tout faire un métier infâme ; elles 
sont jeunes, jolies ; elles se livrent en trafiquant 
de leurs charmes ; c’est le beau temps de leur jeu- 
nesse, puis viendra le mariage, et elles garderont 
religieusement la foi conjugale. La chose me pa- 
raît cependant si monstrueuse, que j'ai peine à y 
croire. : 

» Il'existe à Batavia plus de vingt de ces harem, et 

celui-ci est un des plus à la mode. 

» À en juger par cet échantillon, on aura une triste 

idée du beau sexe javanais. Pour l’honneur de l'espèce, 


il faut croire qu’ily a des exceptions. Au reste, dans 


PE 


1839. 
Juin. 


CXXXII, 


1839, 
Juin. 


y ont occupé des positions élevées. Dans tous les 
-cas, M. Dubouzet qui a dû à la rencontre heureuse 


36 | VOYAGE . Fe 


notre longue course, nous en avons tant vu, quê riéne 


r ès FR FES 
ne nous semble plus extraordinaire. 


» Aux Marquises, nous avons été littéralement enle- 
vés à l’abordage par deux cents jeunes filles, qui ne 
croyaient pas le moins du monde faire Ià une chose 
peu convenable. Il en est probablement de même de 
ces dames javanaises. Sous cet ardent soleil, le 
sang bouillonne, les passions sont plus vives que 
dans notre froide Europe. » 

Ce serait ici le lieu de résumer tout ce que Batavia, 
cette grande capitale des possessions néerlandaises 
dans l’Inde, renferme de curieux et d’instructifpour le 
voyageur, sous le point de vue politique et adminis- 


tratif ; mais, à cet égard, je ne saurai faire mieux 


que de renvoyer le lecteur au travail que M. Dubou= 
zet a inséré dans son journal, et qui forme le chapitre 
suivant, Il y trouvera des renseignements beaucoup 
plus complets que ceux que je pourrais fournir ici, si 
je ne devais m'aider que de mes notes et de mes sou- 
venirs. L'accueil froid que nous avons recu à Batavia, 
a été cause que j'ai gardé le bord pendant la majeure 
partie de la relâche, et que je n’ai eu que de rares 
occasions d'interroger les personnes qui eussent pu 
me renseigner. Du reste, il a déjà été tant écritsur « 
Java, que je n’aurais probablement trouvé que biens 
peu de chose à ajouter aux observations pleines d'in- 
térêt faites par plusieurs hommes qui ont longtemps 
vécu dans celte grande cité, et qui, pour la plupart, 


\ 


DANS L'OCÉANIE, 37 


qu’il fit chez le général Cokius, du conseiller des e 
Indes, M. Wanshoorn, de pouvoir recueillir de nom- 

breux documents sur Java, s’est chargé de com- 

bler cette lacune *. 


> Notes 1, 2, 3, 4, 5 et 6. 


1839. 
Juin, 


38 5: + ei NONAGES 


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CHAPITRE XLIX. 


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fr UT NET à SIM AU TS F'édte y 
rh de ai ne HSE di EC LPS OPUS à 


Réflexions sur les établissements hollandais en Asie. 


«L'histoire de la colonisation, depuis la conquête _ 
de l'Amérique par les Espagnols , n’a jamais offert 
un sujet aussi intéressant à étudier que tout ce qui 
se rattache à la fondation du vase empire élevé par. 
les Anglais dans les Indes, et à à l'établissement dela 
puissance hollandaise sur les îles si fertiles, si riches 
et si peuplées de la Malaisie. Les résultats obtenus par 
ces deux peuples, et l'influence de ces résultats sur 
le commerce et la civilisation du monde, ont quel +4 
que chose de merveilleux; mais la position relative fe 4 
qu’ils occupent en Europe fait qu’on doit encore être 
plus étonné des conquêtes de la Hollande. que des 4 
succés si éclatants des Anglais en ASie. 2:21" jé À 
» Ce fut en 1595 fe une à flotte de pare vaisent Len 


Léa 


_ or : RSS 3 F2 ts 
RE Se PME ES SE) ER D AS 0 PRO PEN CS ee 


DANS L'OCÉANIE. 39 


exploitaient dans cette île, comme dans le reste des 
Indes, le commerce des épices. C’est à Lisbonne, 
pendant le séjour qu'il y avait fait pour son com- 
merce, que Corneille Houtman s'était procuré, à ses 
risques et périls, des renseignements sur cette navi- 
sation. Le gouvernement portugais s'étant aperçu de 
ses menées, les lui avait fait expier par un dur em- 
prisonnement , et il ne dut sa liberté qu’à l’interven- 
tion financière de marchands hollandais, auxquels il 
promit, comme récompense, de leur faire partager 
lefruit de ses découvertes. Quand la flotte , dont ceux- 
ci lui confiérent la directivn, arriva à Bantam, le roi 
de ce pays venait d’échouer dans une expédition qu’il 
avait faite contre Galembang, dans l’île de Sumatra. 


Les Portugais, qui y avaient une flotte et traf- 


quaient depuis longtemps dans cette ville, ne négli- 
gérent rien pour susciter des embarras à ces nou- 
veaux venus, dont la rivalité les offusquait, tout en 
leur faisant ouvertement le meilleur accueil. Maïs la 
sagesse, la prudence et la résolution des Hollandais 
déjouèrent toutes leurs trames, et, après quelques 


hostilités avec les Javanais, qui cherchèrent en vain. 


à enlever leurs vaisseaux, un traité d'alliance et de 
commerce fut conclu entre eux et le roi de Bantam. 
La flotte , après avoir visité Jaccatra, Japara et diver- 
ses parties de la côte de Java, rentra en Hollande 
avec une riche cargaison, ce qui donna bien vite 
l'impulsion à de nouveaux armements, et amena la 


formation de cette compagnie des Indes qui devint - 


depuis si célèbre. Aprés les expéditions de Moha, 


1839, 
Juin, 


1839. 
Juin. 


de _ VOYAGE . 2 
Hemskerk, Vander-Stagen, qui furent toutes très-pro” 
fitables; ce ne fut bientôt plus comme simples mar- 


chands que se présentèrent les Hollandais, mais avec” 


des idées d'établissement et de conquête. Enhardis. 


par le succès de leurs armes dans les Moluques, où 


ils forméèrent leurs premiers comptoirs, ils obtinrent, 
en 1601, des rois de Bantam et de Jaccatra la permis- 


sion d'établir des loges pour leurs négociants, et, 
par une suite de circonstances aussi imprévues. 


qu'heureuses, le dernier de ces humbles établisse- 
ments devait être transformé en forteresse et donner: 
naissance à la ville de Batavia. Je ferai connaître, 
tout à l'heure comment un des principaux auteurs 
de ces événements en transmit l’histoire à la posté- 
rité, sans omettre les réflexions dont il accompagna 
cetie intéressante histoire. Cet auteur est le célèbre 
Van den Brock, un des hommes qui voyageaient à 
cette époque avec le plus de fruit, et dont les récits 
égalent en naïveté l’audace des EntrPEERS auxquel- 
les il prit part. 

» En décembre 1618, les Hollandais, déjà fortement 
établis dans les Moluque$, commencaient à se rendre 
tellement redoutables, que le roi de Bantam , à l’in- 
stigation des Portugais et des Anglais, qui étaient 
aussi venus depuis quelques années dans les Indes 
pour y prendre part aux immenses bénéfices du com- 
merce, rompit ses traités avec eux et leur déclarada 
guerre. Dans le même moment, on apprit à Jaccatra 
que les hostilités avaient éclaté en Europeentre l’An- 


oleterre et les États-Généraux des Provinces-Unies ,. M 


DANS L'OCÉANIE. | 41 


et qu’en dépit des traités les Anglais avaient déjà pris 

par trahison un des vaisseaux de la flotte hollandaise, 
Car, depuis longtemps, les Européens semblaient 
n'avoir tiré d'autre fruit des grandes découvertes du 
xv® siècle que le triste avantage d’avoir agrandi le 
cercle de leurs dissensions en les transportant avec 
eux aux extrémités du monde, et de se servir tour à 
tour des nouveaux peuples comme d'instruments 
pour répandre le sang à flots, et se disputer une proie 
là où tous pouvaient paisiblement s'enrichir par 
un commerce régulier. Mais laissons maintenant par- 
ler Van den Brock. 

«Sur cette nouvelle, il fut jugé à à propos de forti- 
»fier notre loge et de la mettre en état de défense con- 

»treles insultes des Anglais. On l’entoura donc de pa- 

»lissades, et on y éleva des remparts de terre. Les 
» Javanais , ayant vu Ces travaux, commencèrent aussi 
»à se fortilier, et nous, qui vimes qu’il fallait périr si 
» nous n'étions pas en état de nous maintenir, nous en- 
»treprimes de faire de notre loge un fort capable de 
»résister aux assauts de ceux qui viendraient l’atta- 
» Quer, et chacun y travailla de toute sa force. » 

» Ainsi, dans un temps où les Hollandais ne pen- 
saient à rien moins qu’à s'emparer d’une place dans 
les Indes, ni à s’en approprier par aucune autre voie, 
parce qu’ils avaient assez d’affaires sur les bras, la 
nécessité les contraignit d’en occuper une et d’y bà- 
tir une forteresse qui est devenue leur boulevard. Ils 
doivent cet établissement à la jalousie des Anglais, 

qui ne prétendaient pas que la guerre qu’ils leur fai- 


1839, 
Juin, 


EE I NOVAGE VIA à 


saient dût leu procurer cet avantage. Les homm 
forment Lie PEU et Dieu ie: des évén ne an! 


» Entrepi be et qui autrefois avait eu ie nous des en 
» nons, fit faire des batteries; si bien que, de part et. 
» d'autre, on fut sur la défiance, et que l’on poussa Fate 
» ouvrages avec le dernier empressement. Mais les Ja= 
» vanais, qui étaient infiniment plus forts de monde, E 
»et qui avaient les matériaux à souhait, avançaient 
» beaucoup plus leurs travaux que nous ne faisionsles. 
» nôtres. Ils dressèrent dans une nuit une batterie de 
» Câbles, de bois et de terre dans la loge des Anglais, 4 


_» vis-à-vis de notre nouveau cavalier, et ils y auraient 


» fait un fort capable de barrer l'entrée dela rivière si FE 
» On n’y avait pourvu. EMCPr 

» Le dimanche 23 décembre 1618, Le conseil sétatié 
» assemblé, et ayant considéré que notre perte était 
» comme certaine, et que toutes nos affaires allaient 04 
» être ruinées dans les Indes, il fut résolu qu'on tien- . 
» drait ferme , qu’on continuerait à se fortifier, etqu'on 1 
» agirait offensivement. Pour cet effet, le commis Le- 
» fèvre fut envoyé à la loge des Anglais afin de décla- 
»rer que s'ils n’ôtaient la nouvelle batterie qu’ ‘ils à 
» avaient fait élever, nous la détruirions nous- mêmes. 

» Les Anglais s’en excusèrent, disant que ce m était 
» pas leur ouvrage, mais celui du roi et de ses gens. 
» qu’il n’était pas en leur pouvoir d’y toucher, etqu ile À 
»n'en n’avaient pas aussi l’intention. Dès que Le ; fèvre À 
» fut sorti de leur loge, les Javanais y entrérent et loc 
» cupèrent. Le général Coën fit alors prendre à tou les: ! 


dr a EE ER 
Fm OT RS PE VA LAN NE 


DANS L'OCÉANIE. 43 
» armes et nous ordonna de nous tenir prêts pour le 
» premier Coup de cloche. À ce signal j’allai avec ma 
»troupe mettre le feu au quartier. de la tranchée, 
» Pierre Diriks au quartier des Chinois, et Pierre 
_» Vanraï à la loge des Anglaïs et à la batterie. » 
_ «Il serait trop long de donner, avec l’auteur, les dé- 


“tails de toutes les hostilités qui suivirent, pendant 


lesquelles les assiégés, à peine au nombre de deux 
cent quarante contre toute la population d’une 
grande ville poürvue d'artillerie, ayant les Anglais 
pour conseils , déployèrent une fermeté et un courage 
héroïques, et finirent par obtenir, au moyen d’une 

convention, le maintien de leur position jusqu’au 
retour de leur général, qui avait été obligé de les 
‘abandonner pour aller combattre avec sa flotte celle 
* des Anglais. La violation de ce traité par le roi de 


Jaccatra, lintervention des Anglais pour détruire 


leur fort, les mirent sur le point de capituler, lors- 
qu'une diversion heureuse de la part du roi de Ban- 
tam, jaloux de la proie qui allait tomber dans les 
Mains de celui de Jaccatra. vint les sauver de ce nd 
ril: Van den Brock, échappé au roi de Jaccatra 

. échangea cette captivité contre celle de Bantam; mais 
les assiégés, redoublant de courage, se fortifiérent 
de nouveau, firent des sorties contre les Javanais, 
donnèrent à leur fort le nom de Batavia, qui devait 
acquérir tant de célébrité par la suite, et, pour bra- 
ver leurs ennemis, l’inscrivirent en grosses lettres 
sur le portail. Reprenons maintenant le récit de Van 
den Brock.. 


1839. 
Juin, 


4839. 
Juin. 


he | . VOYAGE 


ce «Enfin, le25 mars 1619, le général GER rs Ê 


» SOUS les forts de Batavia. La flotte qu'il amena des 
» Moluquesse composait dedix-sept vaisseaux. Il trouva 
» mauvais qu’on eût donné au fort un nom sans son 


» consentement , etille fit effacer. Le lendemain, ayant 1 


» fait débarquer ses gens, au nombre de douze dra- 


» peaux de soldats et de matelots, il prit, le 30 du mois, : 
» la ville de Jaccatra sans résistance, n’ yayanteu, de 


» notre côté, que deux hommes tués, et trois du côté à 


» des Javanais. Aussitôt il en fit raser les murailles et 
» abattre les maisons. Fort de ce succès, ilse présenta 
» le 8 avril devant Bantam, et obtint la paix et la li- 


» berté de Van den Brook et des autres prisonniers, en 


» dictant au roi des conditions. R H* 
» Le 22 août 1629 , le fort de Batavia fut assiégé par 
» 80,000 hommes de Maiarem. Nos gens mirent le feu 
» AUX ouvrages des ennemis sans aucune perte de leur 
» part. Le 20 septembre, le fondateur du premieréta- 
» blissement militaire à Jaccatra , où le célébre Piter- 


» Both avait le premier établi une factorerie, mourut. 


» d’un flux de ventre dont il était depuis long-temps 


» atteint, il fut enterré avec beaucoup de pompe à lhô- 1 


» tel de ville, et remplacé provisoirement dans le com- 


»mandement par le conseiller des Indes Speix. Le 
»2 octobre, les Javanaïis levèrent le siége, après avoir M 
» perdu beaucoup de monde, tant par les sorties que « 


»nous fimes sur eux que par la faim. Nous sûmes, 


» dans la suite, qu’il ne s’en était retourné que 
» 30,000, tant les maladies en avaientencore emporté, 
» beaucoup dans leur retraite et depuis leur retour 


DANS L'OCÉANIE. k5 


_ «Tellefutlorig sine modeste decette domination , qui 

par la suite devint si redoutable et si tyrannique, et 
dans moins de deux siècles rendit une compagnie de 
marchands l'arbitre suprême des destinées d’une im- 
mense population. Dans les luttes qu’elle eut à sou- 


tenir, on la voit toujours suivre la même politique, 


\ 


“qui consiste à profiter des divisions des différents 
souverains de cette île, et à en faire naître au besoin 
parmi eux ; à se faire accepter d’abord comme auxi- 
liaire dans leurs querelles, et à se faire adjuger en- 
suite par le vainqueur une grande partie des dépouil- 
les du vaincu, quitte à spolier ensuite le vainqueur 


en S’alliant à un de ses ennemis. Fidèle à son ori- 


gine, la compagnie débute toujours par se faire don- 
ner le monopole du commerce chez les peuples al- 
liés; c’est ce monopole qui engendre tant de guerres 
et qui fait naître chaque jour de nouveaux prétextes 
Neérde nouvelles occasions d’agrandissement. C’est 
ainsi que s’est faite la conquête presque entière du 
pays. Elle a été achevée par le gouvernement hollan- 
dais successeur de la compagnie, dont il suit les tra- 
ditions et les principes politiques * 

» Maïs ce n’est pas seulement par cet admirable es- 


* Ce fut en 1795 que le gouvernement prit à sa charge tous 
les établissements de la compagnie ; elle avait alors une dette con- 
sidérable, occasionnée par les dépenses des guerres qu’il lui 
avait fallu soutenir pour étendre et consolide: son empire terri- 
torial. Cette dette s'élevait à 252,000,000 de francs, portant 
5,940,000 francs d'intérêt. Dans l’espace d’un peu plus d’un 
BL de 1693 à 1795, les dépenses avaient dépassé les ressources 
de la somme de 354, 000 000 de francs, 


4839. 


Juin, 


1839. 
Juin. 


domination. Nan doute vues que eciiel Le 


46 Tuie _ VOYAGE 


grandir leur commerce, ils se distinguent toujours "4 
par leur respect le plus absoiu pour la religion, les 2 
mœurs et les coutumes des peuples, envers lesquels “ 
ils conservent encore cette dignité froide, qui sup- 
plée si bien au nombre pour en imposer. La plus . 
grande probité est observée par eux dans les relations | | 
privées; ils sentent bien que ce serait se créer de 
grands embarras que de vouloir régner sur les Java- 
nais comme sur des sujets, Sans l'intermédiaire de + 
leurs chefs. Ils se gardent donc d’affaiblir ce respect 
absolu que ceux-ci leur accordent, et ils s’en font un 
appui en leur donnant des chaînes d’or: les Hollan- 
dais ont réussi à fonder de cette manière la domina- 
tion qui est à la fois la plus convenable et la plus 
profitable qu’on puisse établir sur un peuple conquis, 
puisqu'elle ne froisse que très-peu ses préjugés etses 
intérêts. Si l’on remarque qu’ils se sont écartés quel- 
quefois de cetteligne de conduite, les exceptionssont 
rares, et c’est généralement dans l'intérêt du peuple’ 
qui le comprend, et subit presque sans résister la « 
nouvelle loi qu’on lui impose. se 

» Aujourd’hui la population, la production et les ri- ” 
chesses se sont tellement accrues dans cette grande 
île, et le sort du peuple a subi tant d'améliorations, x 
pe de tels Resniaé justifient, si ce estp ane de € 


a DANS L'OCÉANIE. | 47 


maxime odieuse « diviser pour régner » a été con- 
stamment suivie dans les Indes. Les mesures tyran- 
niques employées pour établir le monopole des épices 
s’atténueront aux yeux de la postérité, et seront at- 
-tribuées ‘en partie aux erreurs du siècle qui les vit 


. adopter. Elle rendra justice aux Hollandais en recon- 


naissant que, malgré les accusations portées par l’his- 
toire contre leur nation, c’est elle dont les actes ont 
toujours été les plus empreints de sagesse ; qui com- 
prit le mieux la colonisation, et répandit le moins de 
sang pour établir sa domination sur les contrées loin- 
iaines où elle aborda. | 
_» La grandeur de leur nouvel empire, le rôle bril- 
lant que les Hollandais ont joué, orâce à leurs tra- 


-vaux, leur industrie, leur activité et leur courage, est 


bien digne du peuple qui conquit si chèrement, sur 
une nation puissante , l’indépendance d’un sol qui 
était déjà, à des titres si légitimes, sa propriété, 
puisqu'il l'avait arraché lui-même aux flots de lO- 

_»Après ces considérations, et l'aperçu qui précède 
des principaux événements qui ont accompagné la 


- fondation de cet empire, nous sommes amenés natu- 


+ 
< 


rellement à parler de son organisation politique ac- 
tuelle. OCT 

» Depuis que le gouvernement hollandais a succédé 
à la compagnie des Indes dans toutes ses possessions, 
un gouverneur général, dont le pouvoir est immense, 
y'exerce les fonctions souveraines, d’après les lois, 


les coutumes et la haute direction du gouvernement 


1839, 
Juin, 


1839, 
Juin, 


18 Las 


00€. A 
»Ilest assisté, dans ses hautes fonctions, par le con-. 
seil des Indes, espèce de conseil d’ État, dont les at- 
itributions ne sont plus aujourd’hui que purement 
consultatives, et ne s’étendent que sur les affaires de . 
politique et d'administration intérieure: Pour tout ce | 
qui concerne l’armée et la marine, le gouverneur gé- 
néral est l'arbitre et souverain juge. Mais il est tenu 
de communiquer toutes les pièces relatives à Fadmi- 
nistration supérieure et à la politique à chacun des … 
membres du conseil des Indes. Ceux-ci donnent leur . 
avis motivé par écrit sur le dossier de chaque pièce ; 
mais la solution des affaires dépend toujours du gou- 
verneur général, qui peut n’en tenir aucun compte, 
quand même les opinions de tous les membres du con- . 
seil seraient contraires à la sienne, Ce n’est que de- 
puis peu d’années que le gouverneur général jouit de 
pouvoirs aussi étendus. Le gouvernement de la mé- 
tropole semble les lui avoir donnés comme dédom- 
magement du peu de liberté d'action que lui laisse 
aujourd’hui le ministre des colonies : car c’est en « 
Hollande qu’on prend. l'initiative de presque toutes 1 
les mesures importantes, de celles qui constituent 
par elles-mêmes l'exercice de la souveraineté. ; 
» Le gouverneur général a sous ses ordres un direc- 4 
teur général des finances, qui est chargé de l’admi- | 
nistration des revenus et des dépenses de la colonie, ‘4 
et prend rang immédiatement après les conseillers 


ÿ ï tres M a 
É : A Le ren. 
de di ice LE ee 
PERTE PP TPE AM TOR | OR PT 


DANS L'OCÉANIE, | 49 


des Indes. Après celui-ci viennent, dans la hiérarchie, 
le général commandant les troupes, le contre-amiral 
chef de la marine, le procureur général de la cour 
suprême, le directeur de l'intérieur, chargé de la po- 


lice générale, et le secrétaire général du gouverne- 


ment, desquels émanent tous les ordres et qui contre- 
signent tous les décrets. 

» L'administration de la justice est confiée à des ju- 
ges ayant le titre de conseillers. Ils forment des cours 


\ 


de justice de deux ordres : l’une, appelée cour su- 


_ prème, remplit les fonctions de cour d'appel, et juge 

au civil et au criminel en dernier ressort. Cependant 
les Européens peuvent toujours en appeler à la cour 
suprême de Hollande ; mais on use bien rarement de 
cette faculté, à cause de l’énormité des frais et des 
lenteurs que cause l’éloignement. On n’y a guère re- 
cours que dans les cas les plus compliqués, où l'arrêt 
rendu par la cour suprême aurait trouvé des OPpO- 
sants dans son sein. Les autres cours appelées à ju- 


ser en première instance sont au nombre de trois, et : 


sont établies à Batavia, à Samarang et à Sourabaya. 
Elles se partagent entre elles toutes les provinces de 
Vile. Leurs attributions s'étendent au civil.et au cri- 
minel, sans nécessiter l'assistance de jurés. Les Euro- 
péens sont jugés d’après les lois hollandaiïses ; mais, 
pour tout ce qui concerne les Javanais, les juges se 
font assister par le régent du pays et le prêtre java- 
nais. Ils prononcent contre le coupable les peines éta- 
blies par le Coran et les coutumes du pays rédigées 


en code de lois, toutes les fois qu’elles ne sont pas en 
VIL. | P 


1839. 
Juin. 


1839. 
Juin. 


50 . VOYAGE 
co on trop marquée avec les lois hollaniälses; 
ou qu'elles n ‘infligent pas des pénalités crualles abo- 
lies par elles. 

» Dans chaque province, le résilier prédie une cour 
de justice composée du secrétaire de la résidence, du 
régent indigène, qui commande sous ses ordres, et 


du principal prêtre musulman. Les attributions de 


cette cour tiennent le milieu entre celles des justices 
de paix et des tribunaux de première instance. Elle 
est chargée de prononcer sur les délits quin impli- 
quent pas une peine afflictive ; d'informer pour les 
délits plus graves ou les crimes, et d'en transmettre 
l'information au conseiller, qui, chaque trimestre, 
fait sa tournée dans la province, pour instruire toutes 
les affaires criminelles, et envoyer le résultat de l'in- 
struction et les coupables à la cour qui peut seuleles 
juger. Heureusement les crimes soni fort rares à Java ; 
les délits les plus communs sont le vol, le meurtre 
n’est le plus souvent la suite que d’un excès de jalou- 
sie de la part d’un mari qui se venge ainsi du séduc- 
teur de sa femme. On a remarqué que, dans ce cas, 
le meurtrier vient presque toujours se constituer lui- 
même prisonnier. La peine à laquelle il est alors con- 
damné est celle des travaux forcés ou des travaux 
d'agriculture , peines beaucoup plus douces que celles 
de nos bagnes. Le bannissement n’est guère infligé 
qu'aux rebelles ou à ceux qui ont pris parts à quelque 
trahison. | 
Chaque province a à la tête de son administra- 
tion un résident qui remplit les fonctions de gouver- 


DANS L'OCÉANIE. 51 


neur, il est chargé de surveiller les menées des chefs 
et de faire exécuter les lois. 1] a sous lui un chef in- 
digène puissant, appelé régent, qui commande à d’au- 
tres chefs subalternes, ce régent doit transmettre tous 
 lesordres aux indigènes, ilest chargé de faire payer les 
impôts, de fournir les corvées, et de maintenir partout 
la police et le bon ordre. Le résident a aussi à ses or- 
drées des troupes pour faire respecter son autorité, 
surtout quand sa résidence renferme des positions 
militaires. Les Hollandais semblent s’être attachés à 
faire sentir le moins possible aux Javanais l’action de 
ces troupes ; dans les provinces de l’intérieur, les ré- 
sidents préfèrent souvent même ne pas avoir du tout 
de soldats, trouvant qu’il leur est plus facile de gou- 
_verner sans eux ; Car on sait combien ces hommes, 
quand leur action n’est plus utile, embarrassent les 
conquérants, et gênent leur politique par leur inso- 
lence envers le peuple vaincu, leur habitude de se 
croire toujours en pays conquis, et de vouloir agir 
en maîtres. Il est telle résidence, dans l’intérieur de 
Java, dont la population dépasse 500,000 habitants, 
qui n’a, pour la gouverner, que deux Européens, et 
cependant, leurs ordres sont exécutés avec la plus 
orande ponctualité. Ce serait un bel exemple à suivre 
dans beaucoup de colonies, où le conquérant doit 
rendre sa présence la moins importune possible à 
une population étrangère à ses maîtres, par ses 
mœurs, ses usages et sa religion. Il est vrai qu’on 


trouve rarement un peuple aussi docile que les Java- 
nais pour faire cet essai. 


1839. 
Juin, 


1839. 


Juin. 


52 : ; VOYAGE 

» Tous les fonctionnaires qui viennent d’être cités, à 
l'exception des conseillers des Indes , sont révocables 
à la volonté du gouverneur général qui fait aussi tou- 


‘tes les promotions dans l’armée jusqu’au grade de CO- 4 
lonel inclusivement. Celle-ci est tout à fait distincte 
de l’armée hollandaise d'Europe. L'avancement se 
donne tout à l’ancienneté ; maïs le gouverneur géné= 


ral peut passer le tour de l'officier qui aurait fait naître 
par sa conduite quelque sujet de mécontentement ; 
on conçoit qu'armée de telles prérogatives l'autorité 
du gouverneur soit très-redoutée : aussi, les fonction 
naires, dont l’existence dépend de lui, osent à peine 


se permettre la moindre critique de ses actes. Des: 


plaintes adressées en Hollande sur l’administration 
ont fait encourir plusieurs années de disgrâäce à un 
fonctionnaire de l’ordre le plus élevé, qui s'était per- 
mis de les rendre publiques. Les commercants étran- 
sers les plus riches, que le gouverneur général peut 
forcer à quitter la colonie dans le plus court délai 
possible, osent à peine se permettre tout haut la:moïin- 


dre observation sur les abus d’un pouvoir aussi illi- 


mité, de crainte de se compromettre. Pendant notre 


séjour, les fonctionnaires ne cessaient de nous faire 


l'éloge du système d'administration de Java, dans des 
termes évidemment exagérés ; car, quelques grands 
que soient les résultats qu'il a produits, et les reve- 
nus que retire la Hollande de cette colonie, ce régime 
administratif n’en est pas moins sujet à la critique la 


mieux fondée, au moins sous le l'aP PE du principe 


qui en est la base. 


DANS L'OCÉANIE. 2204 
» La révolte du régent de l'empire de Solo, qui a eu 
lieu en 1826, et qui a causé de si vives inquiétudes 
aux Hollandais, leur a offert, une fois qu’elle a été 
comprimée, la plus belle occasion d'agrandir leur 
territoire en mettant tout à fait sous leur dépendance 
les sultans de Surakarta et de Djocokarta; en leur 
aplanissant la voie pour marcher à la conquête abso- 
lue de l’île vers laquelle leur politique a toujours 
tendu. Les souverains de ces deux royaumes , déjà 
hés avant cette époque avec le gouvernement hollan- 
dais par des traités qui donnaient à celui-ci le droit 
de choisir dans leur famille celui qui devait leur suc- 
céder, d'occuper des positions militaires dans leur 
territoire , et d’avoir toujours auprès d’eux un dé- 
tachement de ses troupes pour garder leurs person- 
nes, conservaient encore assez d'influence sur leurs 
peuples, pour se rendre redoutables et exciter les dé- 
fiances de leurs alliés. Mais aujourd’hui, les derniers 
traités les ont mis tout à fait à la discrétion des Hol- 
landais : une partie de leurs possessions a été donnée 
en apanage à un prince qui était autrefois du nombre 
de leurs vassaux, en récompense des services qu’il a 
rendus dans la guerre. Ces deux souverains, salariés 
par la Hollande, qui leur a donné de fortes pensions 
en dédommagement de la perte de leur autorité, n’en 
conservent plus qu’une nominale sur leurs sujets ; ce 
ne sont plus que des instruments dont les Hollandais 
sentent encore aujourd’hui la nécessité de se servir, 
mais qui leur paraissent déjà bien onéreux, et dont, 
à la première occasion, ils se débarrasseront tout à 


1839, 
Juin. 


1830. 


> 


EE | VOYAGE 


fait. Le gouvernement use largement du droit qu'il. 
s’est réservé de choisir dans chaque famille le prince 
qui doit succéder au trône ; il a soin de prendte celui 
dont le caractère est le moins guerrier, et qui offre 
le plus de garantie de soumission et de dévoue: 
ment à ses volontés suprèmes. Entouré dés plus 


grands honneurs dans son palais, l’empereur de Solo 


n’en est pas moins un véritable prisonnier, puisqu'il 


ne peut pas en sortir sans prévenir d’avanee le rési- 
dent hollandais qui est chargé de la surveillance de 


ious ses actes et de veiller à l'exécution des traités. 
L'exemple de ce qui est arrivé, il y a quelques an- 
nées, au jeune empereur exilé aujourd’hui à Amboine, 


qui fut déposé sur-le-champ parce qu’il était sorti la 
nuit sans avoir prévenu le résident, pour aller prier 
sur le tombeau de ses pères, est une preuve de la sé- 
vérité avec laquelle les conquérants traitent aujour- 
d'hui ces princes. La mesure, il est vrai, fut consi- 
dérée comme bien rigoureuse par la plupart des 
colons de Java. Le jeune empereur, qui supporte 


‘aujourd’hui son exil avec tant de dignité, plaisait à 
tout le monde par ses manières distinguées, son es= 


prit et son instruction ; il avait adopté complétement 
les mœurs européennes, et reconnaissait la supério- 


rité de notre civilisation ; pour cela même il inspirait 
peut-être de l’'ombrage au gouvernement, qui rai 


gnait qu’il ne voulût un jour en faire l'application à 


son profit. La fidélité qu’il avait montrée dans la 


ouerre de Java, où il eût pu faire tant de mal, s’il 


avait embrassé la cause des rebelles, méritait cepen- 


DANS L'OCÉANIE. 55 


dant un peu d’indulgence pour une aussi légère faute, 
Mais de pareilles idées de générosité sont incompa- 
tibles avec une domination aussi étrange que celle 
qu’une poignée d’Européens exerce sur pres de neuf 
millions de Javanais. 

» Dans leurs rapports avec le gouverneur général, 
les princes qui , tout souverains qu’ils sont, relèvent 
entièrement de son autorité, se servént à son égard, 
en style de chancellerie, de la singulière appellation 
de grand-père ; celui-ci, dans ses rapports diploma- 


tiques avec eux, leur dit toujours #on petit-fils. Ces 


termes sont obligatoires dans la langue de cour de 
Java entre un prince vassal et son suzerain , et réci- 
proquement. La langue javanaise, qui paraît dériver 
du sanscrit, a cela de remarquable, qu’elle est tout 
à fait différente quand on parle à un supérieur ou 
_ quand on s'adresse à un inférieur : il est telles ex- 
pressions de la langue des grands qu’un homme du 
peuple ne se permettrait jamais d’employer. Il est à 


remarquer que les Polynésiens ont aussi dans leurs 


langues des expressions toutes particulières pour par- 
ler à un chef, et qui sont interdites aux hommes 
des classes inférieures quand ils causent entre eux. 

» Les troupes européennes et l’armée indigène, 
composée entièrement de soldats dés diverses îles de 
la Malaisie et d’Africains, tous étrangers à Java , sui- 
vant le système adopté, occupent toutes les villes du 
Httoral et un grand nombre de positions militaires 
dans l’intérieur. Avec cette armée, qui est de 30,000 
hommes environ pour toutes les Indes, dont 8 à 


1839, 
Juin. 


56 VOYAGE 


10,000 soldats européens , les Hollandais se considé- 
rent comme maîtres absolus du pays, et n'ayant rien. 


à redouter de l’intérieur. En revanche, les Anglais , 
qui entourent toutes leurs possessions et semblent 


convoiter l’île de Java, dont ils ignoraient le prix. 


quand ils l’ont rendue à leurs anciens maîtres, in- 
spirent au gouvernement de Batavia les craintes les 
plus sérieuses, en cas de rupture avec cette puis- 
sance. Tous ses efforts tendent aujourd’hui à concen- 


irer ses forces dans l’intérieur de l’île, à y bâtir une. 


capitale, et à créer des positions militaires hors des 


lieux de débarquement, afin de pouvoir à la fois 
maintenir ses vassaux dans la soumission, attendre 


de pied ferme l’ennemi après lui avoir laissé consu- 


mer son ardeur dans des attaques de guérillas, et 
l'avoir forcé de subir, avant de se mesurer avec le. 


gros des forces hollandaises, l'influence des maladies 
si funestes aux Européens sur le littoral, et qui sont 
un des moyens les plus puissants de défense que la 
nature leur a donnés pour repousser une agression: 
Cette tactique paraît très-rationnelle. La facilité avec 
laquelle Java fut pris en 1811 prouve que le système 
de défense d'alors était mauvais ; celui qu’on se pro- 


pose de suivre aujourd'hui peut seul balancer, dans 
la lutte, l'inégalité qui existe entre la marine hollan=. 


daise et celle de la Grande-Bretagne , qui pourra tou- 
jours, quand elle le voudra, débarquer beaucoup de 


troupes à la fois sur un point quelconque du it 


toral de cette grande île. 
» Depuis l'accroissement du territoire ul 


D LU 


DANS L'OCÉANIE. 91 


dont j'ai parlé, la grande culture a augmenté consi- 
dérablement à Java, et ses produits sont le triple de 
qu'ils étaient il y a vingt ans. Toutes les vues du 
gouvernement ont été tournées de ce côté, et, pour 
cela, il a fait de grands avantages aux colons qui ont 
voulu s'établir et défricher la plupart de ces nou- 
veaux terrains, que la culture a rendus d’une ferti- 
lité sans exemple. | 

» Dans le principe, tout Hollandais offrant de ga 
ranties de moralité, qui voulait y consacrer son tra- 
vail et. son industrie, recevait du gouvernement, 
avec une concession de terre pour vingt ans, des 
avances considérables qui le mettaient à même de 
créér , sur ce terrain, des sucreries, sans avoir be- 


soin d'y engager le moindre capital à lui. La seule 


condition qui lui était imposée était de livrer au gou- 
vernement ses produits de sucre ou de café, à un prix 
fixé par un tarif fort raisonnable, quoique au-dessous 
du cours de la place. Le remboursement des avances 
qui lui avaient été faites était prélevé d’abord sur le 
prix des récoltes de première année : on n’exigeait 
. de lui aucun intérêt pour ces avances. On conçoit 


qu'avec de tels encouragements les industriels affluè- 
rent bien vite à Java: ils y étaient surtout attirés par 
les fortunes rapides que firent les premiers conces- 
sionnaires. Depuis le tarif des produits a beaucoup 


diminué , et a réduit les bénéfices des cultivateurs en 
augmentant ceux du gouvernement. Elle est la source 
_ des grands revenus qu’il tire de l’île de Java, qui 
précédemment ne lui rapportait rien, et celle de 


1839. 
Juin, 


1839. 
Juin, 


58 | VOYAGE se 


l augmentation sur une grande échelle des produc= "1 
tions de cette île, dont une grande partie est encore 


inculte, malgré son immense population. Aujour- 


d’hui il devient plus difficile d’avoir des concessions 


de terrain ; les avances du gouvernementne sont plus 


aussi considérables, et les concessionnaires doivent. 
posséder un capital à eux pour couvrir leurs frais 


d'établissement. Mais, maintenant que le premier 


élan est donné, on ne manque pas de gens qui con-. 


sacrent leurs capitaux à de pareilles entreprises; et 


le gouvernement, sans faire presque de frais, rez 


cueille le fruit de l'argent qu’il a semé si habilement, 
Rien de plus juste, s’il le fait avec modération ; mal- 
heureusement on lui reproche de rendre aujourd'hui 


son monopole nuisible aux intérêts du pays, par la 


grande réduction qu ‘il a opérée dans le tarif des prix 


auxquels il achète les denrées. Je ne sais jusqu’à quel : 


point ces reproches sont fondés. j 

» Voyons maintenant quels sont les bras que peu- 
vent employer ces colons à la culture des terrains 
qui leur sont concédés. Quelque considérable que soit 
la population de Java, les habitants ont si peu de 
besoins, et le sol est si fertile, que lappât du gain ne 
pourrait les décider à sortir de leur indolence habi- 


tuelle , et à travailler plus qu’il ne leur est nécessaire « 
pour vivre à leur manière. Dans le temps où ils « 


étaient sous l'autorité de leurs chefs, ceux-ci étaient 


les uniques propriétaires du sol, et les Javanais atta- | 
chés à la glèbe, comme de véritables serfs, étaient M 
chargés de la cultiver au profit de leurs seigneurs, 


C3 


OR PS VU RD CA s 


; DANS L'OCÉANIE. 59 
he recevant d'eux que ce qui était indispensable aux 1839. 
besoins de leurs familles. Ces chefs pouvaient user , rs 
selon leurs caprices , d’une autorité illimitée, et dis- 
poser de tout ce qui appartenait au paysan, sans que 
ce dernier , habitué à ce lien de servage et à respec- 
ter leurs volontés, y trouvât rien à redire. Le sei- 
gneur abusait rarement de cetté autorité ; la douceur 
avec laquelle il l’exigeait rendait l’obéissance facile : 
se contentant lui-même de peu , il exigeait peu de ses 
serfs ; le paysan travaillait donc en conscience, et les 
terres étaient bien loin de rapporter ce qu’elles étaient 
susceptibles de produire. Le Javanais auquel man- 

_ quait, dans cette organisation sociale, le vif stimu- 
lant de l'esprit de propriété , n’en était que plus porté 
à se livrer avec délices à cette paresse à laquelle sont 
en général si enclins les habitants des pays équato- 
riaux , où la nature exige si peu de travail de l’homme 
pour subvenir abondamment aux premiers besoins 

. de la vie. Mais les Hollandais, dont le but, en s’éta- 

- blissant sur cette île, était d’en tirer toutes les den- 

_rées coloniales qu’elle peut produire en si grande 
quantité, s’apercurent, après une longue épreuve, 
que jamais ils ne l’atteindraient en succédant dans ce 
pays au droit qu’avaient les souverains de lever une 
partie de l'impôt en nature, et de frapper les habi- 
tants d’une légère capitation. Ils réussirent tout au 
plus, de cette manière , à couvrir les frais d’occupa- 
tion du pays, mais non à alimenter un grand com- 
merce, car les Javanais ne cultivaient que le riz et 
un petit nombre d’autres végétaux qu'ils consom- 


1839. 
Juin, 


60 VOY AGE 


ment, étne produisaient chaque année “que ce qui 


leur était strictement nécessaire pour vivre et payer 
leur tribut. Pour y parvenir, on essaya d’abord de 


frapper la récolte de l’impôt exorbitant du tiers de 


son produit ; mais cette mesure n’était guère propre 
à encourager la culture. Le laboureur , frustré d’une 


grande partie du fruit de son travail, aimait mieux. 


laisser une partie de la terre en friche que de se don- 
ner la peine de travailler pour un autre; et les capi- 


talistes étaient peu disposés à placer leur argent dans 


des entreprises agricoles qui devaient procurer une 
si grande partie de leurs profits au gouvernement. 

» Ce dernier système, qui a été longtemps en vi- 
sueur, et dont les mauvais effets se sont aggravés 


avec le temps , a duré à Java jusqu’en 1830. Quelque ; 


énorme que soit cet impôt territorial, qui demande 
au cultivateur le tiers de ses produits, les Javanais 
sont de trop bonne composition pour s'être ja- 


mais révoltés contre de pareilles exigences. Mais leur 


force d'inertie en a fait mieux sentir les inconvé- 
nients au gouvernement que toutes les révoltes pos- 
sibles. C’est sous l'administration très-éclairéé du 
général Vandenbosch qu’on a substitué à ce système 
d'impôt, tout à fait improductif, l’impôt du travail. 


Cet impôt paraîtrait bien oppressif si on voulait l'éta- | 
blir dans un pays d'Europe. On peut dire plus, dans 4 


l'état actuel de la civilisation, ce serait impossible. 


Mais à Java on l’a établi sans éprouver la moindre . 
résistance, et c’est à luiqu’est due cette grande exten- 1 
sion des cultures, et l'accroissement de richesses M 


DANS L'OCÉANIE. 61 
que l’on remarque depuis quelques années. Voyons pet 
en quoi il consiste. | 

» Depuis la nouvelle loi, tout indigène doit chaque 
année au gouvernement, comme tribut, soixante-six 
journées de travail, c’est-à-dire près du cinquième 
de son temps, à la réquisition des chefs de son dis- 
trict. Ceux-ci recoivent les ordres du résident de la 
province sur la nature de la culture à entreprendre, 
et sur la répartition de ce travail, qui est fixé d’après 
les époques des labours et des récoltes. La partie de 
ce temps qui n’est pas consacrée à la culture des 
terres concédées par le gouvernement aux colons est 
employée à l’entretien des routes, à la canalisation 
des rivières-, à tous les travaux d'utilité publique qui 
ressortent du gouvernement, et aux corvées que né- 
cessite son service. Quand une fois le paysan java- 

. nais a rempli cette lourde tâche, il peut disposer du 
reste de son temps et travailler pour son propre 
compte , sans crainte d’être jamais inquiété. Et, pour 

. l’engager à produire, le gouvernement à établi à sa 
portée dans tous les districts les plus reculés de l’in- 
_térieur et les plus éloignés des villes, des magasins 
où il peut aller porter ses denrées, et les échanger 
contre des marchandises ou de l'argent. Cette sage 
précaution a été inspirée au gouvernement par la 
connaissance parfaite qu’il a acquise du caractère du 
peuple javanais. Il fallait lui donner cette facilité 
pour vaincre son indolence et satisfaire la vivacité 
de ses désirs. Quand un objet fait envie à ces indigé- 

: nes, ils donneraient tout au monde pour le posséder 


1839. - 
Juin. 


62 VOYAGE. 


instantanément : mais il n’a plus de prix àleurs yeux | 


s’il y a nécessité de l'aller chercher loin. Leurs désirs : 1 
sont des désirs d'enfants, et exigent d’être prompte- À 
ment satisfaits, car ils en ont aussi la mobilité. Les 


Hollandais ont senti les avantages de mettre ainsi les 
produits de leurs manufactures constamment à la 


portée des habitants de l’intérieur; ils comptent 


beaucoup sur ce moyen pour augmenter leurs be- 


soins et les forcer ainsi à devenir industrieux. Le . 
gouvernement se procure de cette manière une assez . 


grande quantité de café, de poivre et de riz, qu’il 
paye sur-le-champ aux prix fixés par le tarif. 


» Dans tous leurs travaux, soit de culture de terre 


des colons, soit d'utilité publique, les Javanais sont 
toujours guidés par leurs chefs et leur obéissent 
ponctuellement. Ils se distinguent surtout par une 
intelligence remarquable à exécuter les canaux d’ir- 
rigation , par lesquels leur instinct, commun à tous 


les peuples habitués à cultiver le riz, supplée si bien 


aux plus beaux instruments et aux plus savantes mé: 
thodes de nivellement employés par les mgénieurs 


européens. C’est avec des tuyaux de bambous, et de 


légers mouvements de terrain qu’ils exécutent ävec 
une rare prévision, qu'ils dirigent un cours d'eau 
quelconque, qui descend des montagnes, dans les di- 


rections les plus variées et sur le terrain le plus iné= 
gal, de manière à lui faire arroser cent champs de riz 


différents qui se trouvent sur son passage. Léur coup 
d'œil d’aigle ne les trompe jamais, et ces travaux se 
font avec la plus grande rapidité. Le Javanais, apa= 


DANS L'OCÉANIE. 63 


thique par nature, est doué, en compensation, de la 
docilité qui est le propre des caractères indolents. Il 
travaille lentement, mais avec patience, et arrive 
ainsi toujours au but. Il a tellement l'habitude d’être 
commandé, que, pour lui, elle est devenue un besoin. 


Deux hommes de la même classe et du même rang 


. se trouvent-ils chargés d’un travail quelconque, l’un 
d’eux devient de suite chef sans contestation. Ils ai- 


ment surtout à n'être point troublés dans leurs tra- 
vaux, et les Européens perdraient à les importuner 


de leur surveillance, surtout s'ils voulaient les leur 
faire exécuter avec une vivacité qui n’est point dans 
leur caractère, et qui leur ôterait tout l’exercice de 
leurs facultés. Les Hollandais respectent ces goûts et 
ces habitudes ; il est vrai que leur caractère, naturel- 
lement froid et patient, est plus fait que celui d’autres 
peuples pour s’accommoder de ces lenteurs. Mais, 
grâce à lui, leur joug est très-supportable pour cette 
population, malgré ses exigences. 

- » La répartition des journées de travail que doit cha- 
que indigène est une des opérations les plus compli- 
quées de l'administration hollandaise, à cause de l’im- 
mensité des détails qu’elle exige. Mais l'assistance des 


chefs javanais, dont l'autorité n’est jamais contestée, 


surtout quand ils ont l’appui du gouvernement, les 
sert merveilleusement dans ce travail, et tout marche 
avec la plus grande régularité. Les résidents, dans 
-toute l’étendue du territoire qui est de leur ressort, 
doivent exercer une grande surveillance pour empê- 
cher les chefs javanais de forcer les indigènes à tra- 


1839, 
Juin. 


1839, 
. Juin, 


Hollandais, qui les payent bien, fait la force du pou- 


+ VOYAGE Late 


vailler pour eux sans être payés quand ils ont 
acquitté leur tribut envers l’état. Mais l'ancienne 
habitude de respect pour les chefs prévaut tellement, 
que la plupart des indigènes se portent d’eux- 
mêmes à ces travaux, et les exécutent par attache- 
ment pour eux. L'influence de ceux-ci, dévoués aux 


voir que cette nation exerce à Java. Le peuple, qui | 
jouit de la paix, s’apercoit peu du joug, puisqu'il est 
toujours dirigé par ses chefs, et ceux-ci n’ont aucun 
intérêt à réunir toute la population et à constituer 
cette unité qui seule pourrait rendre au peuple de 
Java le gouvernement de son pays. Ils ont gagné, au 
contraire , à se soustraire à l’autorité des souverains 
de l’intérieur , héritiers du puissant empire de Mad- 
japahit, dont ils n’ont conservé que quelques lam- « 
beaux déchirés. | | 
» De temps à autre, il y en a cependant qui on 
échapper des regrets pour l’ancien ordre des choses, 
et qui, fatigués de la domination étrangere, manifes- # 
tent leur mécontentement par des actes isolés de ré- À 
bellion. Mais leur appel aux armes trouve les masses 
sourdes à leur voix, et ces tentatives, qu’on peut qua- 
lifier de folles , quelque noble que soit le but qui les 
inspire, échouent faute d'appui. Ces hommes coura- 
geux ont cependant les sympathies du peuple, car le 
sentiment si vivace de l'indépendance nationale n’est $ 
pas tout à fait éteint dans son cœur. Mais cette flamme h | 
indestructible ne jette que de faibles lueurs, et non 
des flammes assez vives pour rallumer le flambeau du à 


( ., & 7 Le 
és DS LG £ SÉ ctR 15 his, de à Li Sn it “a TE 
CRE D TD RE. PRE PE ee HS où À = 


DANS L'OCÉANIE. 65 


patriotisme, qui pourrait seul produire l’affranchis- 
sement du pays. Celui des J avanais ne se manifeste 
que par de stériles regrets du passé, et une haine in- 
stinctive, mais silencieuse, pour la race qui l’op- 
prime, tout en reconnaissant sa supériorité. Pour 
… eux, la conquête semble un fait accompli pour tou- 
jours ; ils s’y résignent comme à un arrêt de l’inexo- 
rable destin. Le fatalisme de leurs doctrines religieuses 
vient au secours de leur apathie et de leur indifférence 
naiive, pour les aider à courber silencieusement 
le front devant cette nécessité, et il leur En l’o- 
béissance plus douce. | 
» Quoique les Javanais soient fort mauvais mahomé- 
… ians, les prêtres de cette religion, qui sont trés- 
nombreux et qui sont chargés de l’enseignement de la 
jeunesse, exercent assez d'influence pour que le gou- 
vernement se croie obligé de les ménager, et d’avoir 
toujours les yeux fixés sur eux. Les Arabes, qui vien- 
nent en assez grand nombre commercer à Java,renon- 
cent aujourd’hui à en fanatiser les habitants; ils n’ex- 
ploitent plus guère Le crédit que leur donneleur qualité 
de compatriotes et de sectateurs du prophète, que dans 
l'intérêt de leur négoce. Absorbés comme ils sont par 
les intérêts matériels, ils s'occupent plus d'accroître 
leurs richesses que de propager leur foi. Le gouver- 
nement hollandais, en donnant une subvention aux 
prêtres qui dirigent les écoles dans les villages, a 
réussi parfaitement à répandre, dans toute l’île, l’u- 


sage de la vaccine sans rencontrer de résistance. C'est 


un des plus grands bienfaits dont il ait doté cette po- 
Ov: 5 


1839. 
Juin. 


1839. 
- Juin, 


ne | VOYAGE 


pulation. La facilité avec laquelle il y.est parvenu 
prouve que le fatalisme des mahométans. n'a pas 
. poussé de profondes racines dans le pays, et querce 


peuple pourrait se prêter avec le temps à bien d'au 


tres innovations. NA are 


» On n’a pas osé jusqu’ iCi , fe la crainte a PR 


froisser les préjugés du peuple, établir un état civil 


pour les indigènes. Les Javanais, comme tous les ma- | 


hométans, ignorent donc leur âge, et le gouverne- 


ment se trouve ainsi privé du meilleur moyen qu’il 
aurait pour établir un recensement exact de la po- 
pulation. Néanmoins, grâce à la division de cette 
population en quartiers dans les villes, et en petits 


villages, ayant tous un chef qui n’a sous son autorité 


qu’un petit nombre de familles dont il connaît cha- 
que membre , on en possède le chiffre d’une manière 
assez exacte ; on l’évalue aujourd’hui à près de 9 mil- 
lions d'habitants, quoique les derniers recensements 
officiels, déjà anciens, ne la portent qu'à 7,500,000. 
Les Hollandais considèrent qu'avec le terrain qui 
reste encore à cultiver dans l’île, celle-ci peut facile- 
ment nourrir un nombre triple d'habitants; ils voient 


aussi avec plaisir l'augmentation qui a eu lieu dans 


la population depuisleurreprise de possession en 18415, 


On compte, dans cette population, 200,000 Chinois 


payant le tribut. Ils sont répartis dans toutes les villes 


du littoral , car il leur est défendu, ainsi qu'aux étram- 


gers d'Europe, de s'établir dans l’intérieur. Les Chi- 


» 


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du née Ce dt be nes a 


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So 


nois ont rendu de grands services aux Hollandais pen- : 4 


dant la dernière guerre de Java, lorsque Diepo-Ni re: 4 | 


DANS L'OCÉANIE. 67 


soro leva l’étendard de la révolte; ïls ont des intérêts 
communs avec eux , et ils forment un noyau d’auxi- 
liaires assez considérable pour balancer la force de 
lapopulationindigène, en cas de rébellion; cependant 
le gouvernement redoute l’esprit d’intrigue et l’indus- 
trie de ce peuple, qui en font, dans le commerce, de 
terribles concurrents pour les Européens. I établit 
- donc sur eux des taxes considérables, il les soumet à 
une foule de petites vexations, et il en exige des cau- 
tionnements quand ils se présentent dans le pays, afin 
d'arrêter autant que possible le flot d'émigrants du 
céleste empire qui envahit chaque année l’île de Java. 

» Le budget annuel des dépenses du gouvernement 
de Java s'élève à 8,000,000 de florins, y compris les 
frais qu'on est obligé de faire pour soutenir les 
établissements de Sumatra et ceux de la Malaisie, 
dont les revenus ne suffisent pas à leur entretien. 
Sont exceptées les Moluques et Banca, qui ont besoin 


de subvention : ces colonies ne donnent de boni 


que grâce au monopole de l’étain et des épices qui 
rapporte encore beaucoup. Les revenus se composent 
‘des recettes de la douane, de limpôt de capitation, 
tribut vulgairement appelé droit de queue des Chi- 
nois *, de la régie de l’opium, de l’arack, et de toute 


* On appelle ainsi ce droit parce que les Chinois seuls, qui 
ont conservé leur queue, y sont soumis; c’est l'indice qu’ils 
coûservent leur nationalité, Bien peu y renoncent, quel que soit 
le nombre de générations qui se soient écoulées depuis que leurs 
pères ont quitté la Chine, et quelque mêlé que soit leur sang avec 
celui des Javanais. Ils sont trop fiers de leur pays, ils tienuent 


1839, 
Juin, 


1839. 


Juin, 


68 VOYAGE 

boisson tuhente fabriquée dans le pays. Le fisc 
hollandais n’a laissé échapper aucun des moyens con- 
nus pour prélever des impôts et augmenter. ses r re- se 
cettes le plus possible, Mais la branche du: revenu la 
plus considérable, celle qui contribue à à rendre la 
balance des recettes et des dépenses si favorable au 
souvernement, est celle qui tire sa source du Mono - à 
pole qu’il s’est réservé dans l’achat de tous les pro- 
duits de l’agriculture des terrains concédés par lui. 
Il revend ses denrées aux agents de la société de com- 
merce appelée Handel-Maalschappy, qui exerce à son 
tour un monopole sur le commerce des [Indes hollan- 
daises. Cette société a été créée en 1819 sous le pa- 
tronage du roi Frédéric-Guillaume, qui, pour en- 
courager les capitalistes du royaume des Pays-Bas 

à concourir à sa formation, prit lui-même pour 
20,000,000 de florins d’actions , et garantit à ses à as- 
sociés un intérêt de 4 + p. 0/0 *. 

» Depuis que le gouvernement hollandais avait suc 
cédé à la compagnie dans l'administration de ses vas- 
tes possessions, en prenant sa dette et ses charges, le ' 
commerce en avait été ouvert à tous les nationaux et 
aux étrangers, et ons’était borné à réserver aux Hol- | 
landais divers avantages spécifiés par lesrèglementsde “ 
douanes, Malgré ce qu'avait d’honorable pour le gous 


= 


trop à leurs usages , et ils ont trop le sentiment de Ée supé- | 
riorité sur tous les peuples de la Malaisie pour se résig ne À se 4 
confondre avec eux et pour se soustraire à cet impôt. $ 

* Pendant deux ans le roi Guillaume a été obligé de pjen cet 4 
intérêt. 


D EN v” E | 
- dr: # RE Med 


DANS L'OCÉANIE. 69 


vernement hollandais cette concession aux idées du 
temps j qui n’admet plus l'utilité des compagnies sou- 
veraines , et douées d’un caractère exclusif, il n’avait 
pas tardé à s’apercevoir que les avantages réservés 
au pavillon national étaient insuffisants, et que les 
Anglais, grâce à la supériorité de leurs capitaux et de 
leur navigation, avaient envahi le marché des posses- 
sions néerlandaises d'outre-mer, et y dominaient ex- 
 clusivement. C’est pour lutter contre eux qu’on songea 


à former la société du Handel-Maatschappy. Cette 


| société, dont le caractère est purement commercial 
et subordonné, possède un capital de 97,000,000 de 
florins. Elle n’a, à Java, qu’une simple factorerie 
composée d’un président et de deux membres. Elle 
ne peut y posséder de terres à elle, car elle doit, pour 
ses opérations, dominer la culture de toutes les ter- 
res. Astreinte à ne se servir que de bâtiments con- 
struits en Hollande et conduits par des Hollandais, il 
ne lui est pas permis d’en posséder en propre, car il 
faut que le bénéfice de ses frets porte sur un plus 
. grand nombre de navires et d'individus, et, pour que 
le bienfait de son action s’étende à toutes les parties 
de la monarchie, elle doit disposer en Europe des ar- 
rivages et des départs de sa navigation, de manière à 
ce qu’Amsterdam en ait =, Rotterdam <=, Dor- 
drecht -“-, et Middelbourg autant. EX 

» Les employés du gouvernement livrent à la facto- 
rerie les denrées qu’ils acquièrent à Java; la société 
se charge de les transporter en Europe moyennant 
un fret convenu, qui s'élevait en 1839 à 28 centimes 


1839. 
Juin, 


10 _ VOYAGE 


par kilogramme de café, et 23 centimes par. Te 
gramme de sucre. Le gouvernement eùt pu augmen- 


ter son revenu en vendant les produits à Java même; 


mais il n’eût pas rempli son but, qui était d'entrete=. 
nir la navigation hollandaise par le transport de ces 
denrées, et de faire de la Hollande un grand marché, 


en exigeant qu’elles y fussent portées. C'est aujour- Mer 


d'huile pavillon néerlandais qui fait tous les transports 
des Indes à la métropole, avant il en faisait à peine 
la moitié; le but de cette grande institution à donc 
été, de ce côté, complétement atteint. Pour encoura- 
ger laconstruction des bâtiments , on avait d’abord ac- 


cordé des primes qui, au bout de peu de temps, sont 


devenues inutiles ; l'essor donné par ces primes est de- 
venu tel, qu’en 1839, après leur suppression, il a été 
construit dans les chantiers de la Hollande cent 
vingt-trois bâtiments du port de 39,918 tonneaux, 


destinés à la navigation des Indes, ét la société em- 
ployait alors cent cinquante bâtiments du port de. 


116,000 tonneaux. Depuis, le nombre n’a cessé de 
s’accroître,. | 

» La charte du Handel- -Maatschappy renferme la sti- 
pulation expresse qu’elle doit se servir pour ses ex- 
ploitations des produits du pays: Le roi Guillaume, 


en la faisant insérer, voulait relever les fabriques na= M 


tionales, tâche bien difficile dans un pays comme la 
Hollande. 11 a rencontré, de ce côté, beaucoup d'ob- 


stacles ; cependant, grâce aux engagements qu’ il a 4 
fait prendre à à la société avec des fabriques qui se sont 4 
élevées sur la foi de ces CHAINES grâce à la } puis- | 


; 


# 


- DANS L'OCÉANIE. 71 


sance de son crédit, aux tarifs de douane, et à la 
protection constante donnée par les autorités politi- 
ques à ces fabriques, elles sont parvenues, dans l’es- 
pace de vingt ans, à arracher dans les Indes la fourni- 
ture de Java à l'Angleterre. On en a la preuve par les 
détails statistiques qui suivent. En 1824, les fabri- 
ques nationales envoyaient à Java pour 630,000 fr. 
de cotonnades, et les fabriques anglaises pour 
5,100,000 fr.. En 1839, les premières avaient fabri- 
qué pour Java pour 15,484,000 fr. de cotonnades , et 
l'industrie anglaise pour 6,850,000 fr. 

 » Lasociété du Handel-Maatschappy, quelque incon- 
testables que soient les services qu’elle a rendus au 
commerce hollandais, est devenue l’objet de beau- 
coup d’atiaques , non-seulement de la part des étran- 
gers, mais encore des Hollandais. Quoique rien-n’ait 
été changé en apparence à la condition des premiers, 
ils trouvent sur le marché de J ava un concurrent 
des : plus redoutables, car il domine le marché par la 
puissance de ses capitaux. Néanmoins, il existait en- 
core en 1839 une quinzaine de maisons anglaises, 
françaises et américaines, qui avaient importé pour 
20,000 ,000 de florins de marchandises, à peu près le 
quart des importations de Java, et qui avaient en 
outre exporté pour 16,000,000 de florins de sucre, 
de café et de riz. Les étrangers accusaient le gouver- 
nement d’une partialité ruineuse pour eux en faveur 
des marchandises hollandaises dans l'application des 
. tarifs de douanes : ceux-ci, il est vrai, protégent assez 
le commerce national, puisque le droit, qui est de 


1839. 
Juin, 


1839. 
Juin. 


* couronne, et demandait surtout sa cessation. Ces ac- 


72 VOYAGES AS +0 ii 


25 p. 100 pour les marchandises étranges en à 
que de 12 et demi p. 100 pour lui. EU: ve 

» Les maisons hollandaises de Java, de 1e côté, et Ca" 
leurs correspondants dans les autres établissements , “à: * 
se plaignaient vivement du monopole de la société et. … 
des entraves qu’elleapportait àlanavigation coloniale. SU 
Les colons néerlandais des Moluques et de toutes les } 
colonies voisines, réduits à ne recevoir leurs appro=. 
visionnements que par elle, l’accusaient d’abuser dei à 
son privilége , et la regardaient comme une cause de. 
ruine. Parmi eux, le nom du roi Frédéric-Guillaume, 
fondateur et principal actionnaire de cette société, 
était on ne peut plus impopulaire ; chacun révé- 
lait les abus qui résultaient, pour les finances de 
l'État, de la dépendance de la société vis-à-vis de la 


cusations peuvent être exagérées, mais elles ne sont. 
pas sans fondement. Il est probable aussi qu’à à l'expi- 
ration de la charte de cette société, en 18/49, elle su-… 
bira de graves modifications. Néanmoins son établis 
sement a été une idée grande et féconde, qui fait 
honneur au roi qui l’a concue, et au commerce hol-._ 
landais qui s’est prêté à sa réalisation ; elle prouve 1 
que cette nation, qui, la première , organisa les à 
compagnies commerciales et souveraines , que tous 4 4 
les autres peuples s ’empressèrent d’imiter, est encore ë À 
digne, en fait de conception de commerce et de colo- "Cu 4 
nisation, de marcher en tête du mourement euro 6 
péen. {4107 4e np 


DANS L'OCÉANIE. 13 
des Pays-Bas, je me trouve amené à parler des re- 
venus de l'ile de Java. Des personnes que j’ai lieu de 


croire bien informées m'ont assuré que, en 1838, 


cette colonie, tous frais d'administration payés, a 
rapporté à la métropole un revenu net de 23 mil- 
lions de florins. Si le fait est vrai, cette colonie sur- 


_ passe toutes les autres, même la ville de Cuba, puis- 


que, sans cesser -de prospérer, elle couvre tous ses 
frais d'administration et donne encore un profit à sa 
métropole. Elle fournit donc un argument puissant 
aux partisans dés colonies pour combattre leurs ad- 
versaires , qui, s'appuyant surtout sur ce qu’en géné- 
ral on ne.peut leur présenter dans la balance des re- 
venus et des dépenses de ces établissements aucune 
recette directe, les regardent comme onéreux à leurs 
métropoles, oubliant de tenir compte des avantages 


qu’en retire le trésor par les revenus des douanes et 


le mouvement qu’ils impriment au commerce mari- 
time de la métropole. | : 

_ »Onconcoïii qu’une colonie qui donne d'aussi grands 
revenus au gouvernement d’un petit pays comme la 


. Hollande, et contribue tant à sa prospérité, rende 
- cette nation défiante des étrangers, surtout.de ceux 


qui, comme les Anglais, envient tant sa prospérité. 


Elle tient beaucoup à l’habile système de M. de Van- 


- denbosch, et éloigne , autant que possible, les rap- 
- ports des étrangers avec les habitants de l’intérieur, 
- pour n'être point contrariée dans ses actes. Elle re 


#) re D'OR À 


garde comme trompeuses et subversivement dirigées 


contre elle les doctrines de la liberté du commerce 


si de l’égoïsme; ils n ont ins cr rs 


14 VOYAGE 


tant préchées par les publicistes anglais. si ne érité 
de ces doctrines condamne, en théorie, les actes d ul 
gouvernement hollandais, et lui donne tort, qu it | 
au fond, il n’en faut pas moins reconnaître que ce ; 
n’est ni dans l'intérêt de la Hollande, ni dans celui Li 
du peuple javanais, que sa rivale en colonisation veut | 
la faire revenir à un système plus libéral ; la prati- | : 
que a déjà prouvé que, si l’Indien n’était pas obligé . 
de travailler pour acquitter son impôt, une grande | 
partie de cette belle île serait encore inculte, et que, 
retombant dans là misère et le servage, il rétrogra- 
derait vers la barbarie dont il est à peine sorti On ne 
peut nier que le régime actuel, tout fiscal et oppres- : : 
sif qu’il est, n’ait amélioré sa condition matérielle : F4 
n'y eüt-il que ce seul bien de produit, la conquête | 
hollandaise a été avantageuse aux vaincus et peut se 1 
justifier jusqu’à un certain point. HE 
» Mais, comme il ne suffit pas pour un peuple de 
jouir du bien-être matériel, et que le but de la civi- | 
lisation, qui légitime les conquêtes, exige qu’ on tra- | # 
vaille à améliorer la condition morale du peuple con- | 4 
quis, on peut demander aux Hollandais s’ils ont com- % 
pris la grandeur de leur mission, et par quels actes 
ils peuvent le prouver. Cette question les embarras- À 
serait beaucoup, car leur politique à porté partout le * 


cher à les éclairer, ils les ont maine à ee | 


DANS L'OCÉANIE. 78 
dans un état d’ignorance qui rend les hommes plus 
dépendants, se bornant à abolir chez eux quelques 
supplices barbares par trop révoltants, et quelques 
coutumes qui pouvaient troubler la tranquillité de 


leur domination. Si celle-ci s’est établie sous les 
-cruautés qui ont rendu si odieuse la domination des 
Espagnols en Amérique et dans leurs colonies, le Ja- 


vanais, qui est devenu leur sujet, a toujours consti- 
tué à côté d’eux un peuple à part, dans une position 
toujours inférieure, ne pouvant jamais aspirer à un 


role égal à celui de ses maîtres, privé à tout jamais 
de cedroït de concours au gouvernement de son pays : 
que donnent aux Indiens des Philippines les franchi- 


ses münicipales dont ils jouissent, droit qui les relève 
à leurs propres yeux, leur inspire le sentiment de 


leur propre dignité, et en fait un peuplé supérieur 


aux Javanais. Il est vrai que l’Indien des Philippines 
abuse de cette liberté en se livrant à son aise à ses 


“soûts de paresse, et que son sol si riche est loin d’é- 
tre aussi peuplé et aussi productif que Java; maïs au 
moins la conquête a été pour lui un bienfait, puis- 
que l'Espagnol civilisé, en lui donnant sa foi et ses 
mœurs, l’a élevé à son niveau, ét n’a jamais songé à 


s'enrichir du fruit de son travail. On n’y voit pas cette 


inégalité choquante qui existe dans les colonies hol- 


landaïses entre les indigènes et les blancs. Là les pre- 
miers sont condamnés, malgré leur liberté appa- 


- rente, à une servitude déguisée; puisque tous les 
travaux, toutes les corvées et tous les impôts pèsent 


sur eux. Le plus beau rôle qui leur soit réservé c’est 


1839. 
Juin. 


1539; 
Juin. 


#6 42 VOYAGE 


; les Aimer eux-mêmes. 


car, tout en supportant un ATHÉES d'impôt aussi 


» Ces réflexions ne sont pas une critique de la politi- 
que des Hollandais établis dans les Indes. Cette na- . 
tion n’a fait qu'y appliquer les idées qui‘ont eu long- 
temps cours en Europe chez beaucoup d’esprits. Cest | 
peut-être un bonheur pour.les nations soumises àleur | 
drapeau d’avoir eu affaire à une ambition aussi sage, 4 
aussi modérée et aussi bien ordonnée que la leur ; | 

j 
lourd, elles eussent été exposées à une foule de tra- 4 
casseries et de changements qui auraient rendu leur 
joug bien plus dur. Les princes et les peuples de Ja ! 
Malaisie sont aujourd’hui tellement persuadés qu'ils | 
doivent être tributaires ou devenir la proiedesnations | 
de l'Occident, qu'habitués à la suprématie des Hol- 
landais, peu, je crois, voudraient la changer contre ; 
une autre. Celle-ci a donc de grandes chances de du- 4 
rée, car l'expérience des changements leur a fait re-. 


garder les Hollandais comme le peuple avec ea ils : 1 
peuvent le mieux sympathiser. » 


Le 1) dit 
K EE ne 


DANS L'OCÉANIE. ph 


CHAPITRE L. 


Traversée de Batavia à Sincapour par les détroits de Banca et 
| de Dryon. — Séjour à Sincapour. 


Nos ancres une fois levées, nous nous éloignâmes 
rapidement de la rade de Batavia ; la brise était frai- 
che, la mer des plus unies; il nous fallut toute la 
journée pour parcourir la bande orientale de l’Ar- 
chipel des mille. îles, composé d’une infinité de pe- 
tites îles, basseset boisées, et qui, pour la plupart, 
sont inhabitées. Le lendemain , la vigie signalait 
la terre: c'était la côte de Sumatra qui s'élève d’une 
manière uniforme à quelques mètres seulement au- 
dessus de l’horizon. Ses abords sont , dit-on, dange- 
reux , et la sonde indique un brassiage trés-faible à 
une distance considérable ; les arbres qui garnissent 
cette terre dans toute son étendue permettent de 
Papercevoir d'assez loin. Le soir nous avions rallié 
lentrée du détroit de Banca, et nous pûmes venir 


1839. 
19 Juin. 


22 


78  HINONNY 


laisser tomber l'ancre très-près de la pe 
vue afin je ue la a 


continuer sa route; il sortait du détroit au mome 
où nous y entrions, et nous nous pres biei ntôt 


A4 
Fr 
VA 


matra , est embarr assé vers le sud | par r des bancs, csnomt | 


ne sont point sans dangers : dit-on: Dal ii ne 1 
tion. Nous les dépassâmes heureusement par des 
brassiages variant de six à huit brasses, en nous ie 

nant à peu près à égale distance des côtes de ces deux L 
terres. Rien n’est-plus uniforme que la vue de ces. 

rivages; Sumatra présente une longue ligne uni- A 
forme, formée par les mangliers dela côte qui baignant Æ 

leurs pieds dans la mer. Nulle part on n’aperçoit 
de plages ni aucunes traces d’habitants. L'Île Banca. 4 
se termine aussi à la mer par une terre basse couverte 1 
d'arbres; mais quelques rares sommets isoléstet peu 
élevés apparaissent dans l’intérieur, et ses bords pa 


Nanka. | , 
Le lendemain nous aperçûmes. de in e 
hollandais flottant au-dessus de leur étal 


’ 


- 


DANS L'OCÉANIE. 79 


élevée de l’île; un navire, qui s'était détaché de la 


_ côte, faisait la même route que nous; avec la nuit 


nous ne tardâmes pas à le perdre de vue. 

Nous avions déjà successivement relevé les îles 
Poulotaya, Varela, Sinkep, Calantiga, et le pic de 
Lingin ; pour la quatrième fois, nous avions coupé 


l'équateur, et nous étions rentré dans l'hémisphère 


septentrional ; lorsque le 26 au matin nos corvettes 


dépassèrent les Trois Frères et se présentérent pour 
franchir les détroits de Dryon. 
Ces canaux étroits, et pour la plupart mal connus, 


. sont formés par un grand nombre d’îles de peu d’é- 


tendue, parmi lesquelles les plus grandes et les plus re- 
marquables sont la grande, la petite, et la fausse Dryon. 


J’espérais profiter de la journée tout entière pour 
traverser ces labyrinthes, et donner à M. Dumoulin 
Ja possibilité de fixer un grand nombre de positions 
géographiques ; mais à midi, la brise qui s’était mon- 


trée jusque-là si favorable à mes projets, tomba 


tout d’un coup et livra nos corvettes à l’action des 
couranis. Dans moins d’une heure, ils nous eurent 
fait perdre tout ce que nous avions fait de route au 


. delà des Troïs Frères ; et lorsque vers les quatre heures 


une pluie fine nous ramena le vent, ce fut tout ce 
que nous pûmes faire que de reprendre avant la nuit 


Ja position que nous avions atteinte à midi. Grâce 


ensuite à cette même action des courants qui, à la 


_ marée suivante, changerent de direction en conser- 


vant leur vitesse, nous franchîmes lestement les dé- 


. troits de Dryon ; mais alors la nuïît était très-noire , 


1839, 
Juin, 


26 


F930. 
Juin. 


27 


go 0 vorace + 


Sait dnicre nous. Un navire était no u dedis 


lance , sa batterie percée de quinze sabords dec Ë É 
côté, nous fitun instant croire que c était une frégate à 
de guerre ; ce bâtiment était occupé à lever son ancre 
pour remettre à la voile; nous l’eûmes bientôt rap- 
proché, etnous reconnümes un de ces énormes vais | 
seaux marchands qu’emploie pe compagnie des Indes. 4 
Comme nous il ne tarda pas à s'engager dans le’ dé- À 
troit de Sincapour; quelques heures après, nous lais- 
sions tomber l'ancre sur la rade anglaise au milieu » 
de dix-sept navires parmi lesquels nous aperçümes | 
avec plaisir un bâtiment de notre nation.  — 

J'envoyaiimmédiatement M. Durochàterre pour sa- ] 
luer le gouverneur de ma part, ; traiter la question du | 
salut. Cetofficier ne tarda pas à rentrer; il avaitrecu » 
un accueil des plus aimables, et il avait trouvé à la 
poste plusieurs paquets de lettres ; il n’y en avaït. au- 
cune à mon adresse. M. Jacquinot, plus favorisé que . 
moi, me fit part des nouvelles qu’ilrecut de Toulon et 
vintmerassurer sur ma famille. Mais l'expédition était | 
toujours oubliée par le ministère: mon rapport 2 
adressé au ministre et daté de la rade de Valpar | 4 
était depuis longtemps parvenu, mais on ne lui va | 
point fait les honneurs de l'insertion au Mo : 
Enfin, rassuré sur le compte de ma femme e 
fils, je retrouvai tout mon courage pour con 


DANS L'OCÉANIE. 81 


avec ardeur ma campagne et braver de nouveaux 
dangers. | 

À quatre heures de l'après-midi, l’Astrolabe et la 
batterie de la place avaient échangé vingtetun coups 
de canon pour salut national, et nos embarca- 


tions purent aller porter à terre ceux de MM. les offi- 


ciers que le service ne retenait point à bord. Je ne 
_ quitiai mon navire que le lendemain dans la matinée. 
Je fus reçu avec M. Jacquinot par le capitaine de port 
qui nous attendait sur le quai, pour nous faire ses 
offres de service : ik voulut être lui-même notre guide 
auprès du gouverneur dont nous atteignimes l’habi- 
_ tation après un quart d’heure de marche. Cette mai- 
son, placée sur une hauteur, domine la ville et la rade, 
et occupe une des positions les plus agréables. Son 
extérieur n'offre rien de bien remarquable, il serait 
même difficile de reconnaître , à sa vue, le palais de 
la première autorité de la cité; mais l’intérieur est 
_emménagé de la manière la plus confortable, et dé- 
_coré avec luxe. Le gouverneur, M. Bonhom, prévenu 
de notre visite, s'empressa de venir à notre ren- 
contre de la manière la plus aimable, et il ne voulut 
nous laisser partir que lorsque nous eûmes accepté 
le déjeuner qu’il nous avait fait préparer. . 
Lesévénements qui venaient de se passer en Chine 
et qui, plus tard, ont amené la- guerre injuste que 
l'Angleterre a faite au céleste empire, occupaient tous 
les esprits à l’époque de notre passage à Sincapour. 
Chacun attendait avec anxiété quelles seraient les 


conséquences des rigueurs exercées par les Chinois 
VII 6 


1839. 
Juin, 


28 


tretinmes longuement sur ce sujet avec M. Bonhom. ‘4 


- que le gouvernement anglais voulüt déclarer la guerre 


et coloniales. Il recut cet envoi avec beaucoupide plai- 


82 VOYAGE 


_ contreles sujets anglaïs qui se livraient au co mme TE | 4 


de contrebande de l’opium,aumomentde la saisie faite ii 
à Canton sur l’ordre des mandarins. Nous nous en- 


À cette époque, on ne pouvait raisonnablement croire … 


aux Chinois parce que ceux-ci avaient cherché à faire À 
exécuter les lois existantes de leur empire: on ne pré- ‘à 
voyait pas alors que la Grande-Bretagne trouverait , 
dans les actes des mandarins, plus d’un motif pour 
faire servir ces événements à l’avantage de son am- 
bition. M. Bonhom déplorait amèrement que l'em- 
pereur de la Chine eût été, pour ainsi dire, con-, 
traint à user d'autant de brutalité pour arrêter un 
commerce prohibé par la loi, et qui, sous tous les 
rapports, était aussi désavantageux pour son empire 
qu’avantageux pour les marchands de la compagnie 
anglaise. Il attribuait aux conflits survenus à Canton, 
l'absence de presque toutes les jonques chinoises sur . 
la rade de Sincapour ; il n’y en avait, en 1 effet, que É 
trois au mouillage. ; "4 

Nous quittâmes le gouverneur pour nous rendre 4 
auprès du président du tribunal de commerce, j'étais 4 
chargé par le ministre de la marine de remettre à ce 
fonctionnaire un exemplaire des Annales maritimes 


sir, il me dit qu'il désirait remercier lui-même le mi- 1 
nistre par une lettre qu’il lui adresserait dire ter ent, | 
et enfin, il nous fit des offres de service dont nous ne À 
pouvions profiter. Nous étions en effet att endus « 


DANS L'OCÉANIE. 83 


M. Balestier, mégociant et consul américain, dont 
toutes les expéditions françaises qui ont passé à Sin- 
capour se sont plu à inscrire le nom, comme un 
hommage de leur reconnaissance. M. Balestier avait 
déjà recu une grande partie de nos officiers qui y 
avaient déjeuné dans la matinée ; il nous fit l’accueil 
le plus empressé et le plus amical; il voulut, à toute 
force, me faire occuper unechambre dans sa demeure : 
mais j'avais déjà refusé celle que me destinait le gou- 
verneur, etjene pouvais accepter celle de M. Balestier, 
malgré les instances de sa femme et de son fils. Nous 
- passämes le reste de notre journée dans cette agréable 
famille; l'après-midi fut consacrée à aller visiter une 


- planiation de cannes à sucre de création nouvelle. 


M. Balestier appartient à une famille protestante 
d’origine francaise qui fut obligée de s’exiler à la suite 
de la révocation de l’édit de Nantes: c’est un des pre- 
miers négociants de la ville, et aussi un des plus for- 
tunés; il s'occupe avec activité d'introduire dans l’île 
la culture de la canne à sucre; depuis ses premiers es- 
Sais, qui ont réussi au delà de ses espérances, de nom- 
breuses plantations de ce genre se sont établies, et il 
est probable que l’île de Sincapour ne tarderait pas 
à être totalement défrichée et cultivée, si là compa- 
gnie voulait se départir du droit exclusif de propriété 
qu'elle s’est réservé et faire des concessions de ter. 


rain. Nous trouvâmes la plantation de M. Balestier : 


cultivée avec soin et intelligence. Les Indous, queles 
Anglais font venir de leurs possessions dans l’Inde, 
font de bons agriculteurs; plusieurs étaient occupés 


1839. 
Juin. 


29 


M. . | VOYAGE 


dibus de Nilopolis, accompagné d’un jeune abbé et. 


sur le sol lorsque nous y dirigeâmes notre promenade. 
Notre hôte ne voulut nous laisser rentrer à bord 
qu'après nous avoir fait dîner. Il me montra, chez 
lui, sa collection de coquilles; elle était nombreuse ï 
et composée d'échantillons bien choisis, il m° en offrit 
plusieurs des plus rares que j'acceptai, sauf toute- 
fois à les remplacer par des sels collectés pendant 
la campagne. à 
M. Balestier avait, à ce qu’il m’assura, beaucoup ë 
connu son compatriote le capitaine Morell, et j'en 
profitai pour le questionner. Le portrait qu'il m'en 


- fit était loin d’être flatteur ; il le désignait comme un 


grand hàbleur dont la véracité devait toujours être 
suspectée ; il m’assura aussi que l’histoire que ce ba-. | 
leinier avait répandue au sujet de l'existence d’un | 
enfant de notre infortuné compatriote Lapeyrouse, 
était un conte fait à plaisir. J’avoue, du reste , que. 
déjà j'étais entièrement fixé à cet égard, et que les. 
bruits qui s'étaient répandus en France à ce sujet au 
moment de notre départ, me paraissaient tellement 
dénués de fondement , que je ne m'y étais pas arrêté 
un seul instant. 

J'avais destiné une partie de la journée du lende- 
main pour écrire à ma famille, et j'étais à bord, lorsque 
je reçus la visite de M. de Courvoisier, évêque in par- 


Melon 5 RS MAT TE S 


el ieuque WE 


d’un prêtre chinois, converti depuis longues années « 
à lareligion catholique dont il est devenu le ministre. f 
J'avais déjà longuement causé de nos missionnaires 
avec les fonctionnaires anglais, et tous s'étaient ac- r! 


DANS L'OCÉANIE. 95 


cordés à vanter leurs vertus privées, tout en blämant 
leur intolérance. 

- M. de Courvoiïsier estun Fénnet âgé, portant sur sa 
figure vénérable un air de bonté et de charité remar- 
quable ; iltémoigna une grande joie à revoir desnavires 

francais et des compatriotes. Je lui offris mes services 
- et lui donnai l’assurance que je ferais tout ce qui dé- 
pendrait de moi pour que notre passage fût utile à la 
mission. Lorsqu'il quitta nos corvetles , il reçut de 
chacune d’elles un salut de neuf coups de canon. À la 
_vue des honneurs qu’on lui rendait, il témoigna une 
joie d'enfant ; cependant, bien certainement aucune 
pensée d’amour-propre ne vint traverser sa pensée 
d’une humilité toute chrétienne, mais il fut très- 
sensible à cet hommage accordé à son caractère reli- 
gieux comme rehaussant sa religion aux yeux des 
étrangers au milieu desquels il vivait. M. de Cour- 
voisier avait le titre d’évêque de Siam, mais à la 
suite des persécutions incessantes dont les missions 
étaient menacées dans le Japon, il avait cru devoir, 
dans leur intérêt, fixer le siége de l'évêché à Sinca- 


pour : il faisait, disait-il, de nombreuses tournées à 


Malaca et à Pénang où il comptait un grand nombre 
de catholiques. Le soir, l’évêque voulut réunir à sa 
table tous les officiers de nos navires. Mais j'avais 
déjà un rendez-vous à quatre heures avec le consul 
américain, et il me fut impossible d'accepter son 
invitation. ù - 

Dans la soirée, M. Balestier voulut bien, sur ma de- 
mande , me conduire à la roche appelée Batou Sinca- 


1830. 
Juin. 


1839. 
Juin. 


22 


86 ur dire 


tion er dont l'en Set a été à fil à la so “ 
ciété royale de Londres: je la trouvai déjà en partie dé= 
truite par l’usure, et sous peu de temps il est probable 
qu'elle aura entièrement disparu. Je ne pus y rester 
assez longtemps pour reconnaître la nature des carac- 
tèresqui laforment, maisje rapporterai, d’ aprèsM. Du- 
bouzet , les bruits populaires qui avaient coursà ce sue 
jet. «On nous assura, dit-il, que l’on avait trouvé dans 
l’île, en creusant pour faire des routes, de petites mé- 4 
dailles anciennes qui annoncent, ainsi qu’une inscrip- 
tion tracée près de la batterie du port, qu'avant l’ar- 
rivée des Malais qui ont précédé les Anglais dans cette 
île, il y avait eu un comptoir fondé par um peuple 
civilisé. La nature des caractères fait supposer que ce! 
comptoir appartenait aux Birmans. La tradition du 
pays, dont l’authenticité est suspecte , prétend que la 
pierre appelée Batou Sincapour, servit à perpétuer le 
souvenir d’une lutte entre deux athlètes pour savoir. 
qui des deux lancerait cette pierre le plus loin de 
l’autre côté du bras de mer qui forme le port; le nom 
du vainqueur aurait été inscrit sur le rocher. ». | 
Je disposai de ma matinée du lendemain pour vi- 
siter le collége et l'imprimerie de Sincapour. Dans Re : 
premier de ces établissements , je trouvai deux cents 
à {deux cent cinquante élèves réunis parmi lesquels 
on remarquait des Chinois, des Arabes, des Malais , 2e 
des Indous, etc. , faisant des études sérieuses sous 4 
une même direction. Chacun e ces s élèves avait ses r à 


DANS L'OCÉANIE. 87 
étaient faits dans toutes les langues. Cet établissement 
me parut, sous tous les rapports, parfaitement orga- 
nisé. Les ateliers de l'imprimerie étaient moins ani- 
més ; cependant plusieurs ouvrages curieux sont sor- 
tis de ces presses, et ils me parurent bien exécutés. 

Je ne tardai pas à rentrer à bord; M. Balestier 
avait eu l’obligeance de me prévenir que j'aurais toute 
facilité pour faire parvenir promptement mes dépé- 
 ches en France, en les jetant à la boîte aux lettres 
après avoir affranchi ; le service de la poste était déjà 
parfaitement organisé à travers la mer Rouge et 
VPisthme de Suez; j’en profitai pour écrire longuement 
au ministre et lui donner tous les renseignements qui 


- mavaient été communiqués concernant l'affaire du 


navire l’Aglaé *. Mon rôle se réduisait là ; si le port 


/ 


* Il nous fut impossible , lors de notre passage à Sincapour, 
d'obtenir sur cette triste catastrophe des renseignements plus 
précis et plus détaillés que ceux donnés par la Gazette de Sinca- 
pour. Voici ce qu’on lisait dans son numéro du 27 juin 1839 : 

« D’après les renseignements qui suivent, et que nous trou- 
ons dans la Gazette de Pénang du 1° juin, il paraîtrait que ce 
nest pas le capitaine Thibaud, du brick français Denise, qui 


… aurait été massacré dernièrement sur la côte occidentale de Su- 


_ matra, ainsi que nous l'avons rapporté dans notre numéro du 
12 courant, d’aprè; le rapport du capitaine Duverger, de l’ 4dé- 
_laïde, mais bien le capitaine Van Yseghen, de la barque fran- 
çaise l’Aglaé. 

» Le navire français | Æercule, qui est arrivé jeudi dernier de 
la côte occidentale de Sumatra, nous apporte, nous sommes 
extrèmement fâchés de le dire, la confirmation de la nouvelle 
quu nous était parvevue par le brick Sakec du meurtre du capi - 
taine Van Yseghen , de la barque française l_4glaé, venant de 
- quitter ce port le 17 mars dernier, par les Malais de Muchie , et 


| 4839, 


1839. 
Juin. 


88 î . VOYAGE 


finitivement à la suite de nos opérations. Je ne 


‘ RE sur-le-champ. Ce fut le capitaine Van Yseghen c qui. 


d'Origas se fût trouvé peu éloigné de ma Pennhéée * 
rais été moi-même en chercher sur les lieux et v oir 
s’il y avait moyen d'obtenir quelque. satisfaction des 
naturels; mais pour cela il eût fallu renoncer dé 


croyais pas convenable de le faire, d'autant plus 4 
que tout ce que j'aurais pu, eût été de bräler les ; 
cases des naturels d'Origas, comme avaient fait les: | 
navires américains et anglais, qui dernièrement à 
avaient voulu venger sur leurs auteurs de pareils 
forfaits. Les naturels s’échappent dans les forêts et. 
reviennent dès que les navires ont mis à la voile. 

Dans la soirée, le gouverneur réunit à sa table 
les principaux officiers de l'expédition. Le Tone 


de la prise du bâtiment par les Malais de Boolusama, sous pr é- 
texte d’une dette. 4. (2 

» L’ Hercule a recueilli ce peu de détails provenant d’une lettre 
datée d’Origas, 8 mai, et adressée à une personne d'ici par le 
capitaine Marsin , du bâtiment français Baobob, qui faisait voile 
également de ce non la côte occidentale, dE 17:avril 0 

» Des nouvelles particulières de Pénang s’accordent aveccette 
nouvelle, excepté sous le rapport du lieu du désastre, qui est ‘4 
désigné sous le nom d’Origas, et non Muckie. Le capitaine Van M 
Yseghen aurait été tué par un chef de tribu avec lequel il au- 
rait eu une dispute pendant que ce dernier était occupé à peser 
du poivre. Ce chef se servit de termes insultants pour le capi- ne 
taine; Van Yseghen, dit-on, porta un coup au chef, quile À 


communiqua au public, en octobre dernier, par le jour nal de PE 4 
nang , la nouvelle du meurtre du capitaine Wilkins, du navire : 
américain l’Éclipse, à Muckie , et il paraîtrait que le. ee, 4 
Duverger avait confondu les circonstances relatives à cette cata-\ 
-strophe avec celles de l’acte de violence plus récent dont le capi- | À 
taine Van Yseohen a été victime, » PSE ONE É 


7 _ 
. di: - er Qu. 
. LS = LAS 
d' | * F 
' au 
à L £ : 


DANS L'OCÉANIE. 89 


fut très-gai. M. Bonhom en fit les honneurs avec 
une grâce parfaite. La table était des mieux servies. 
Nous recûmes un accueil des plus flatteurs. La con- 
versation is sur les derniers événements de la 
Chine, qui, à cette époque, comme je l'ai déjà ILE 
occupaient tous les esprits. 

M. Bonhom a le rang et le titre de gouverneur 
de province ; sa juridiction s'étend sur les trois éta- 
blissements de Pénang, Malaca ei Sincapour; il ré- 
side alternativement dans chacun de ces établisse- 
ments, administrés par des résidents particuliers. 
Au Sujet de l'événement de l’Aglaé, il avait recu 
une demande des Français datée de Poulo-Pénang, 


dans laquelle on le suppliait de faire ‘intervenir. 


le gouvernement anglais en faveur des Français. 
Il me communiqua cette pièce ; mais, je le répète, je 
ne pouvais rien faire de plus que de prévenir le minis- 
tre de la marine de l’insulte faite au pavillon français. 

L’évêque de Nilopolis, chez qui j'avais déjeuné la 
veille, m'avait manifesté le désir de se rapprocher du 
consul américain, dont il m’avait entendu louer les 
dispositions favorables envers les Français. Je résolus 
en conséquence de les réunir à ma table dans la jour- 


née du lendemain pour déjeuner en compagnie de 


M. Jacquinot et dé plusieurs officiers des deux cor- 
vettes. M. Balestier , à qui j'avais fait des ouvertures 
à cet égard, m'avait répondu que le seul reproche 
adressé à nos missionnaires était une grande intolé- 
rance qui s’étendait même sur leurs propres coreli- 
gionnaires. J'avais appris en effet que les Portugais 


1839, 
Juin, 


4°" Juillet, 


1830. 


Juillet. 


_ voisier se plaignit hautement du capitaine Laplace, 


90 | VOYAGE 


entretenaient aussi dans ces îles des ist reli- 
cieuses, et j'avais appris aussi qu "il existait une haï ir À 
très-grande entre M. de Courvoisier ét l'évêque F po D 
tugais, haine qui se traduisait souvent en excommu- 1 
nications réciproques dans les églises d'un même | 
culte, et jusque dans la chaire apostolique. Pendant ‘il 
le déjeuner, j'eus lieu de remarquer que les. reproches 
adressés à nos missionnaires sur leur intolérance pe 
ligieuse étaient justement mérités. Lie e 

Dans sa visité à mon bord, M. l'évêque de Nilopo-- 
lis s'était fait accompagner du prêtre chinois dont j'ai . 
déjà parlé, et d’un abbé qui attendait son tour, di- 1 
sait-il, pour aller briguer la couronne des martyrs 
dans le royaume du Japon. A ce sujet, M. de Cour- 


commandant la frégate l’A4rtémise, à l'occasion de sa 
conduite en Cochinchine, où il aurait pu, ajoutait-il, 
sauver la vie d’un missionnaire condamné à mourir, © 
s’ilavait voulu faire quelques démonstrations en sa fa- 4 
veur. Dureste, M. Balestier fit tout ce qui lui était pos- « 
sible pour établir entre lui et nos prêtres français des « 
relations amicales qui ne pouvaient être que trés M 
avantageuses dans l'intérêt de nos missions. Le soir : 
il nous réunit de nouveau tous à diner chez lui ; ce | 4 
fut là que nous nous fimes nos adieux. Nos regretsfu= M 
rentréciproques; pour ma part, j'étais profondément \ 
touché de l’amitié qu’il m'avait témoignée, et je cher- à 
chais à lui exprimer toute ma reconnaissance. pour À 
les services sans nombre qu'il nous avait rendus. 1440 

 Il'était près de onze heures lorsque je ralliai mon 


s DANS L'OCÉANIE. 94 : 


bord. Tous les préparatifs d’appareillage étaient faits; 
lé lendemain matin nous devions être sous voile; mais 
avant de quitter le mouillage, suivant notre habitude, 
nous récapitulerons succinctement les remarques 
que nous avons faites. 

. Sincapour, bâtie sur l’île du même nom, s'élève 
au fond d’une baïe, sur un terrain plat; elle est ados- 
sée à deux collines séparées par une lagune qui forme 
un port pour les petits bateaux. Cette lagune est peu 
profonde et se trouve presque à sec lorsque la mer est 
basse. La ville est divisée en plusieurs quartiers sé- 
parés par un canal peu profond, dans lequel s’enga- 
gent les embarcations qui veulent accoster le rivage. 
Du mouillage on aperçoit sur la droite du canal une 
plaine vaste et uniforme, sur laquelle sont assises les 
maisons de campagne des Européens qui composent 
_ le quartier neuf. Ces habitations, construites avec 
luxe, sont entourées par des clos destinés à former des 
jardins. Cette partie de l’île, qui jadis dut être cou- 
… verte par des forêts séculaires , est aujourd'hui pres- 
que entièrement dégarnie d'arbres. Les plantations 
nouvelles, créées par les Européens, sont trop jeunes 
“encore pour donner un ombrage si salutaire dans ces 

. contrées de la zone torride. À gauche du canal s'élève 
le quartier chinois, beaucoup plus étendu que le 
premier. Là s'élèvent de nombreuses habitations en- 
tassées les unes près des autres , à la manière de nos 
villes d'Europe; toutes sont garnies de galeries exté-" 
rieures, destinées à garantir les magasins et les pro- 
meneurs des rayons brülants du soleil, La majeure 


1839. 


Juillet. 


Juillet. 


lesquelles le dragon symbolique joue toujours un u 


milles entières paraissent vivre à leur aise dans cet 


92 VOYAGE 


partie des boutiques s'ouvrent sur les quais, où Ê sa É 
gite une population nombreuse. C’est dans ce. quar- | 
tier que se trouve la pagode chinoise; elle a été con- 
struite aux frais des Chinois les plus riches de cette | 
ville, en reconnaissance sans doute des fortunes | 
énormes que beaucoup d’entre eux y ont déjà réali-. 

sées. C’est un beau temple, dont toutes les colonnes 
en granit sont ornées de sculptures délicates , et dans 


grand rôle. Tous les édifices publics, les magasins de 
l'État sont placés dans le quartier européen, où se 
trouvent des rues larges et belles. Quelques cabanes, 
construites avec des bambous, s'élèvent sur la lagune 
marécageuse qui se trouve au fond du port. Là se trou- 
vent aussi réunis une infinité de petits bateaux, qui 
forment, par leur réunion, une espèce de ville flottante 
habitée par les Malais. Ces hommes sont appelés, en. 
raison de leur manière de vivre, Orang-Laaut (hommes 
de mer). Malgré la petitesse de ces bateaux, des fa- 


espace rétréci, comme si elles étaient dans un grand 
vaisseau. Les Malais exercent en général la profes- 
sion de pêcheurs et de bateliers. On rencontre en « 
effet à Sincapour, comme dans toute l’Inde, les Dau= M 
bachis, qui spéculent sur l’arrivée des voyageurs pour … 
se faire leurs domestiques et leurs conducteurs. Pour 
une somme très-modique, on peut avoir son Dauba- 

, qui non-seulement vous dirige dans les prome= 
Lu que l’on fait à terre, mais qui posséde oujonss k 
une embarcation à votre disposition. | 


DANS L'OCÉANIE. 198 


Nulle part la population n’est plus mélangée qu’à 
 Sincapour ; en outre des Européens , on y rencontre 
des Chinois, des Malais, des Arabes, des Indous, 
des Malabars, et même quelques Siamois ; tous spé- 
culent sur le commerce, l’industrie y est presque 
nulle , et l’agriculture a fait peu de progrès, Cepen- 
dant, depuis quelques années, on a introduit le mus- 
cadier , le caféier, la canne à sucre, dont on espère 
retirer de grands produits. Pendant longtemps la na- 
ture du commerce d’entrepôt, qui a fait la prospérité 
de la colonie , a suffi aux habitants ; maïs ensuite, la 
nécessité de rendre l’île productive par elle-même 
s'est fait sentir. Dans ce but, toutes les idées se sont 
tournées vers la culture d’un sol riche par lui-même 
et situé sous le climat le plus favorable. Le gouver- 
nement de la compagnie des Indes étant propriétaire 
de tout le sol qu’il a acheté des princes malais, il a 
fallu s’adresser à lui pour avoir des concessions de 
terrain. Le voisinage de la Chine et de l'Inde, ces 
deux grandes officines, à facilement procuré des 


-bras aux premiers cultivateurs et favorisé leurs en- 
treprises. Encouragés par le succès, beaucoup de 


_ capitalistes ont obtenu des concessions ; leur nombre 
a fini par s’accroître tellement que, suivant toute pro- 
babilité, cette petite île sera bientôt totalement culti- 


vée. Jusqu'à ce jour la compagnie n’a exigé que de très- 


légers impôts des concessionnaires; mais au bout de 
quinze années elle doit rentrer dans la possession 
des terrains qu’elle n’a abandonnés que provisoire- 
ment. Les cultivateurs sont aujourd’hui en-instance 


1839, 
Juillet. 


41839. 


Juillet. 


\ 


9% ; VOYAGE “4 


gnie  DHérs nr le pe suivi par le 4 
gouvernement anglais dans ses colonies de! l'Austre Ta- 
lie. La prospérité agricole de Sincapour dépend de 
cette décision. La compagnie elle-même a intérêt à 
ce qu'il en soit ainsi, car eile ne retirerait rien de ses 
terrains , s’ilne se présentait personne pour les exploi- A 
ter. Lorsque l’île sera entièrement en rapport, l'essor 
qu’auront pris les entreprises agricoles ne pourra pas 
s'arrêter là; les capitalistes tourneront leur activité | 
vers le continent adiacent où il reste encore tant de : 
forêts à défricher et des terrains féconds à ns U 

Detempsàautre, les plantations sont fréquemment | 
ravagées par lestigres qui viennent à la nage du con- 4 
tinent, et qui, dit-on, abondent dans l’île. «Hsrôdent, “ 
dit M. Dubouzet, jusque près des maisons de cam- 
pagne les plus voisines de la ville. Quelques ma 
avant notre arrivée, un Malais avait été dévoré per. un 
de ces féroces animaux, et on m’assura que ces acci- 
dents étaient assez fréquents. Les Malais, par une idée ! 
superstitieuse, ne cherchent à les détruire que lors- é À 
qu'ils ont dévoré un membre de leur famille, Si Sin- 
capour n’était habité que par eux, les tigres feraient 
encore pendant longtemps la désolation de Piles, 
mais heureusement les Chinois n "ont pas les mêmes 
idées. L'intérêt, tout-puissant pour eux, les porte à 
leur faire la chasse, bien plus encore que leur ; 
propre conservation. La chair, et toutes les parties 
du corps de cet animal , sont très-appréciées dans le 


DANS L'OCÉANIE. 95 


céleste empire ; on leur attribue des qualités mer- 


veilleuses qui les font rechercher des gourmets ; la 


peau est regardée comme un ornement précieux, la 
graisse, les entrailles, et surtout la cervelle, sont des 
agents appelés à jouer un grand rôle dans la phar- 
macopée chinoise. On croit, en Chine, qu’en man- 
geant cette chair , On acquiert une partie de la vigueur 
musculaire et du courage de l’animal ; aussi, on la 
conserve avec grand soin pour la vendre à un prix 
élevé sur le marché de Canton. On cite, à Sincapour, 


un Chinois comme ayant fait sa fortune avec un de _ 


… ces animaux qu'il avait eu le bonheur de détruire. Il 
avait réussi, en le détaillant, à faire monter le prix 
. de ce gibier à l'énorme somme de 350 piastres (près 
de 2,000 fr.). Ces goûts si singuliers des Chinois, 
éviteront probablement au gouvernement anglais la 
nécessité de donner une prime pour détruire les ti- 
ares. Lorsque l’île sera entièrement défrichée, il est 
probable que ces animaux ne s’aventureront plus 
guère à y venir du continent, et qu’ils ne forceront 


pas la pacifique Sincapour à établir des postes mili- 


taires pour repousser une pareille invasion. » 

 Tousles navigateurs qui ont visité Sincapour en ont 
vanté la beauté et la prospérité ; ainsi que le mer- 
veilleux accroissement de cette moderne Tyr, dont la 
fondation ne remonte qu’à une trentaine d'années ; 
c’est, en effet, un des plus beaux résultats qu’ait ob- 
tenus la puissance britannique si habile à coloniser. 
La position de Sincapour est, sans contredit, une des 
plus heureuses du globe, et des plus favorables pour 


1839. 
Juillet. 


1839. 
Juillet, 


l'Inde et celles de la Chine, elle apu devenir un mar- : 
ché où s’échangent toutes les denrées du céleste em- “4 


là, à la limite que peuvent atteindre les vaisseaux de 


6 VOYAGE 


L 2 


un commerce d’entrepôt. Placée entre les mers de 


pire contre les produits européens. Aussi, Sincapour, 4 
destiné à n’être qu’un simple comptoir, est rapide- 1 
ment devenu un des marchés les plus importants du 
monde ; c’est à sa position sur le globe, à la vaste. 
étendue du commerce et des domaines de ses mai- 
ires, aux franchises de son port, que cet établisse- « 
ment doit ses richesses et son importance. C'est à 
Sincapour que se donnent rendez-vous les nombreu- 
ses flottes de jonques chinoises et de praos malais 
qui se confient volontiers aux tranquilles eaux des 
Moluques, mais qui hésiteraient à se lancer dans les 
vastes mers de l'Inde. Un comptoir européen, placé 


DR RÉ So dé à à dé NS 


la Chine chez qui la construction des navires est en- 
core dans l’enfance, ne pouvait manquer de devenir 
le dépôt des principales transactions de ces peuples ; À 
mais ce qui ajoute encore ici aux avantages déjà si À 
grands de la position de Sincapour, c’est cet immense ; 
commerce britannique qui possède à lui seul presque 4 
tous les marchés du monde, À côté de Sincapour s'é- 
lève le pavillon hollandais, et cependant, l’établisse- 4 
ment de Rhio, occupé par les Bataves, semble végéter « 
à peine à côté de cet essor rapide de la colonie an-w 
glaise ; c’est que Sincapour est admirablement placé « 
pour servir d’intermédiaire entre la Chine et les : mai- , 
tres de l’Inde, tandis que Batavia , le centre du mo 
nopole hollandais, est le véritable entrepôt où se font | 


DANS L'OCÉANIE. | 97 


les échanges des denrées d'Europe contre toutes les 
productions asiatiques. 

Au moment de notre passage régnait la mousson 
du S.-O. ; c'était l’époque dont profitent les jonques 
pour retourner à Canton. Les arrivages de la Chine 
étaient suspendus jusqu’à l’époque de la mousson 
du N.-E. Aussi fûmes-nous surpris de ne trouver 
mouillées sur la rade que peu de barques chinoises, 
tandis que nous y remarquâmes quinze bâtiments 
anglais, parmi lesquels on comptait trois grands na- 
vires de la compagnie : nous y trouvâmes encore un 
. trois-mâts français et un brig espagnol. Il est pro- 
bable , comme le pensait M. Bonhom, que les événe- 
ments qui venaient de se passer dans la Chine avaient 
éloigné de la rade les navires de cette nation, D 
fréquentent habituellement. 

Jusqu'ici, les Anglais ne paraissent avoir attaché à 
la position de Sincapour qu’une importance purement 
commerciale, sans songer à s’y créer une position mi- 
litaire. Tous les travaux de défense se bornent à l’é- 
tablissement d’une petite batterie construite sur les 
bords de la mer à côté du débarcadère. Ces quelques 
canons sont plutôt destinés à rendre-les saluts d’u- 
sage que les navires étrangers font à la ville, ou bien 
encore à prémunir la colonie contre les courses des 
pirates malais, qu’à défendre la colonie contre des 
agressions européennes. La garnison de la ville se 
compose de deux ou trois compagnies de cipayes qui 
suffisent à peine à maintenir l’ordre dans la cité. Les 


forces navales que l'Angleterre entretient sur la rade 
 VIL. 7 


1830, 
Juillet. 


cents soldats indiens pour sa garde et sa police : lac À 


ge - VOYAGE 
ne sont guère plus considérables. No: F 
qu'un seul bateau à vapeur, armé de 
tiné à donner la chasse aux pirates qui 
pour théâtre de leurs forfaits les Canaux 
rent les nombreuses iles de l Archipel indien ee "4 
On évalue aujourd'hui à vingt-trois mille habitants “4 
la population de Sincapour ; dans ce nombre les Chi- 
nois comptent pour quinze mille, et les Européens : 
seulement pour deux cent soixante-dix : encore, parmi 4 
ceux-ci il y en a beaucoup qui n’ont d’européen. 4 
que le costume, la religion et les habitudes. Bien 
que les habitants soient traités par les lois du pays 
avec une égalité parfaite, la supériorité des Euro- } 
péens est reconnue par tout le monde, Car, malgré hi 
leur petit nombre, ce sont eux qui, par leur. présence à 
et leurs capitaux, font naître la confiance et impri- ‘4 
ment de l’activité au commerce : ils sont la clefde « 
voûte de la colonie, qui, sans eux, s’éteindrait infail- 
liblement : les Chinois, tout orgueilleux qu’ils sont, 
reconnaissent qu’ils seraient impuissants à la soutenir | 
seuls, malgré leur activité et leuresprit industrieux. 
La compagnie des Indes à laquelle appartient l'éta- 4 
blissement , n’y entretient encore que trois à quatre 


tion de celle-ci s'aperçoit à peine, malgré les. dispo- | | 
sitions turbulentes de tous les Malais dont les bateaux 4 
mougat à Rat Le seule précaution se à l'on ! 


DANS L'OCÉANIE. < 99 


devrait l’attendre de leur défiance naturelle, et fré- 
quentent de plus en plus la colonie. 

Sincapour est pour eux un entrepôt d'armes et de 
poudre qu’ils ne peuvent pas se procurer dans les 
pays voisins soumis aux Hollandais. Pour lutter avec 

cet établissement , la compagnie hollandaise a fait en 
. vain de Rhio un port franc. Les habitudes de mono- 
pole ont empêché les Malais de croire ce projet sin- 
cère , et ils n’en ont pas moins continué à fréquenter 
le comptoir anglais qui est devenu aujourd’hui le 
rendez-vous commercial de tous les peuples de la 
_ Malaisie qui n’ont pas encore’subi le joug. 
. Sincapour est une excellente relâche pour les na- 
. vires qui fréquentent ces parages ; non-seulement ils 
peuvent y faire de l’eau facilement, mais en général 
ils sont encore assurés d’y trouver des vivres en 
abondance et à meilleur marché qu’à Batavia; ils 
n’ont pas à redouter pour leurs équipages ces fiè- 
vres dangereuses que les marins européens gagnent à 
fréquenter les rivages de Java. Pendant notre court 
séjour sur la rade , j’envoyai fréquemment nos équi- 
pages en permission à terre, et je n’eus jamais à me 
repentir de cette détermination. Si j'avais pu prévoir 
toutes les ressources de la colonie anglaise, je me 


serais bien volontiers dispensé de relâcher à Batavia. 


. Plusieurs personnes m'ayant assuré que dernière- 
ment le sultan de Solo avait manifesté par écrit, dans 
une lettre adressée au roi des Français, l'intention 
de contracter un traité de commerce avec la France, 

_je résolus de condyire nos corvettes vers ces îles; 


1839, 
Juillet. 


- 


1839. 
Juillet. 


100 Fe. k. . VOYAGE is se 


néo , que j'étais depuis A . 
naître. M. Brook, riche armateur angla 
Poe. de les visiter aussi, se trouvait 


vière de Sambas’ sur les bords de ele se he) U 
le principal établissement hollandais * i; 


- * Notes 7, 8, 9, 10 et 11. 


DANS L'OCÉANIE. 101 


CHAPITRE LL. 
Traversée de Sincapour à l'embouchure de la rivière Sambas. — 
Séjour sur la côte occidentale de Bornéo. — Traversée de 
Bornéo à Solo. 


LA 


Le 2 juillet, vers les huit heures du matin, nous 


_ étions sous voile et nous faisions route pour sor- 


tir du détroit, mais la brise était si faible que nous 
eüûmes beaucoup de peine à nous dégager du groupe 
des navires au milieu desquels nous avions mouillé. 
Il nous fallut ensuite deux journées entières pour 
franchir le détroit, dont la sortie est étroite et em- 
barrassée par des récifs dangereux. Enfin, après qua- 
rante-huit heures de calmes presque constants, une 
jolie brise de S.-S.-E. nous fit perdre de vue ces terres 
asiatiques, et nous poussa rapidement vers notre but. 

Nous avions aperçu de fort loin la plus sud des 
iles Anambas, Vile Victory, et quelques autres 
terres peu importantes, lorsque, dans la matinée 
du 8, la vigie signala les terres de Bornéo. Comme 
à Java et à Sumatra, la côte est formée par une 


1839. 
2 Juillet. 


8 Juillet, 


1859. 
Juillet, 


nous aperçûmes quelques sommets de hautes ne 


bise le ne ee ere sr as se furent 


102 .'toaus 


tance par de petits mo anCules Dans l'int& 
Sn 
tagnes généralement couvertes d'arbres jusque dans i 
les parties les plus élevées. Je ne m’estimais alors 
qu’à une petite distance de l'embouchure de la ri- 
vière Sambas; mais nous avions été drossés la veille 
par des courants tellement rapides, que je ne devais 
pas compter sur notre latitude estimée. Malheureu- 
sement le temps était couvert, el nousétions trop loin 
encore de midi pour que les observations astronomi- 
ques pussent faire cesser toute incertitude, Je dus 
continuer à m’élever dans le sud en interrogeant du 
regard tous les points dela côte que nous parcourions. ne 

Enfin, nous aperçcûmes la rivière. Son embou- 
chure est dominée par une montagne conique assez 
remarquable, et qui eût été un excellent point , | 
de reconnaissance pour nous, si nous l’eussions | 
connu d'avance. Favorisés par une belle brise, nous .. 
ne tardèmes pas à nous rapprocher de la côte; “4 
inais nous en étions encore éloignés d’au moins trois a 
ou quatre milles, lorsque la sonde ne rapportant 4 
plus que huit brasses de fond, je donnai l'ordre de 
laisser tomber nos ancres. Il était alors à peu près . 
UE je ne POUR entrer Lio la rivière, et notre ke 


un séjour de quelque durée. Je oulti au Mr “à 
utiliser le reste de la journée en envoyant : à terre F 


DANS L'OCÉANIE. 103 


chure de la riviére, qu’ils ne quittèrent ensuite 
que dans la soirée, pour gagner le bord. Il était prés 
de minuit lorsqu'ils rallièrent. Le srand canot de 
l'AStrolabe, commandé par M. Demas, et qui portait 
l'ingénieur avec tous ses instruments de physique, 


fit une course à peu près inutile. IL constata , il est | 


vrai, qu’il restait fort peu d’eau sur la barre de la 


rivière (deux brasses ou dix pieds), mais il ne prit 


terre nulle part. M. Demas remonta son cours l’es- 
‘ pace d’énviron deux milles, et trouva constamment 
le rivage envahi par les palétuviers dont le pied bai- 
gné par les eaux était recouvert par une vase noire et 
fétide. Les officiers de la Zélée furent mieux avisés, 
‘ils débarquèrent sur une presqu'ile où ils purent col- 
lecter quelques échantillons précieux d'histoire na- 
turelle. M. H. Jacquinot faisait partie de la corvée, et 
c’est à lui que revinrent lés honneurs de la journée ; 
il rapporta un très-beau singe d’une espèce rare, et 
qui était vivement désiré pour le Muséum de Paris. 
Voici le récit qu’il me fit de sa fructueuse course : 


« .…. À Banjer-Massing , il nous avait été donné de 


» fouler pendant tout un jour la terre de Bornéo, mais 
ici c'est pendant une heure ou deux seulement que 
nous devons essayer de soulever un coin du voile qui 
environne cette île mystérieuse. 

»Nous sommes à l'embouchure de la rivière dé 
Sambas, les navires ont jeté l'ancre, un canot de 
l’Astrolabe est envoyé pour reconnaître la direction 
que suit le fleuve avant de se jeter dans la mer. Un 
_ canot de la Zélée l'accompagne et doit prendre terre 


1839, 
Juillet, 


1839. 
Juillet, 


PI, CXXXVII. 


_ ennemis et des bêtes féroces. Quelques petites ous 


104 - VOYAGE 


pour 5 ’efforcer de recueillir quelques-unes des CO 
rieuses productions de cette grande île. 
» Ces deux embarcations ont quitté le bord, elles à 
S ’éloignent rapidement et s’avancent dans les eaux 4 
jaunes du fleuve. Le paysage qui se déroule à Re S 
yeux est peu accidenté; partout d’épaisses forêts qui. 
s’avancent jusque dans la mer, et dont les abords - 
doivent être inondés pendant le flux. De loin en loin, 
sur la plage déserte se détache la silhouette allongée 
d’un gros oiseau gris, immobile sur une de ses lon- 
gues pattes : c’est le patient marabout qui Are say 
proie. CT a 
» Nous avions doublé les pointes qui formaient 1e | 
dernières limites du fleuve, il se détournait à gauche, 
puis se courbait de nouveau pour disparaître aumi- 4 
lieu des arbres. #41) 
» À droite, non loin du rivage, nous vimes avec sur- ? 
prise, s’élevant au milieu dé l’eau, une case bâtie sur 
des pieux ; cette case, solidement construite en plan- 
ches et en bambous, me rappela la maison du lac 
Ontario de Cooper. Elle en était la représentation 
exacte, et avait sans doute été construite dans le. 
même but, c’est-à-dire pour se mettre à l’abri des 


vertures s’y faisaient à peine remarquer. Une petite M 
plate-forme l’entourait, et de légères pirogues se ba-. 4 
lançaient amarrées aux pieux. À notre approche, | 
deux ou trois Malais en sortirent : la vue de deux ca=. ‘à 
nots chargés d’hommes armés parut beaucoup. les 4 
effrayer. Nous leur fimes diverses questions, ils y 


DANS L'OCÉANIE. 105 


répondirent à peine, la crainte les dominait, nous 
ne pümes rien en tirer. F 
» Le canot de l4strolabe se prépara alors à remonter 

le cours du fleuve, et le nôtre accosta au rivage, 
derrière la case ; chacun de nous disposa son fusil et 
entra dans la forêt qui s’étendait de tous côtés. 

-» Devant nous, à quelque distance, s'élevait un bou- 
_ queti de grands arbres qui dominaient tous les autres; 
en approchant nous vîimes toutes les branches s’agi- 
ter , et des animaux bondir et s’élancer de tous côtés, 
mais la rapidité de leurs mouvements était telle, que 
- l'œilne pouvaït saisir leurs formes. Pour quelques-uns 
d’enire nous c’étaient des oiseaux, pour les autres 
une troupe de ces grandes chauves-souris , commu- 
_nes dans ces contrées. Lt 

» Cependant nous nous dispersâmes ; accompagné 

de M. Gaillard, je me dirigeai vers le bouquet d’ar- 
_bres et j’examinai attentivement si quelqu'un de ces 
animaux ne serait point resté. Après avoir exploré 
-avec soin toutes les branches, j'apercus au milieu 
d'un feuillage épais, un petit espace jaunâtre qui me 
sembla couvert de poils. Je tirai à tout hasard. Je 
m'attendais à voir tomber quelque petit animal, 
- mais quelle ne fut pas ma surprise, en voyant les 
branches se briser avec fracas, et une énorme masse 
venir rouler à mes pieds. C’était un singe de la plus 
grande espèce, que je reconnus de suite pour être 
le Nasique. + : 

 »C’était une femelle pleine ; le développement de 
son abdomen l'avait portée à se cacher, tandis que 


1339. 
Juillet. 


1839. 


Juillet. ’. 


canot. Cette espèce de singe est remarquable p 


inextricable, que notré Malais entréprit dé nou 


106. : AUNOVaiom 


long nez proéminent qui lui donne la plus ran 
analogie avec la figure humaine ; la peau de la f 
dénuée de poils et de couleur basanée, à 
encore cette ressemblance. Cette cäpture > 
beaucoup de plaisir, c'était un des desiderata du ( 
sée, et l’Académie, dansses instructions, nous l'a 
spécialement recommandé. se 
» Cependant un des Malais dé la case, etihardi par 
notre attitude pacifique, avait détaché une dé ses | 
pirogues et avait abordé auprès de nous. En voyän 1 
notre singe, il nous fit comprendre qu'il allait not $ 
en faire trouver d’autres et nous fit signe 6 de le 


vre. Une colline GOrRARCRE ii chvirons s s'élévai 


entremèêlés de lianes, de brouséelies et. A 
pressés et confondus; ce fut au milieu de cé l& 


frayer un chemin ; il écartait les branchés, sé bais= 
sait, rampait avec une agilité surprenante, nous - 
avions beaucoup de peine à le suivre. Après un qu r 
d'heure de cette marché fatigante, nous arrivä 16 
au sommet, harassés et accablés par une €l 
brûlante. Cet endroit était dépourvu d'arbres; 
ne vimes aucune apparence de Nasiques, 
fûmes bien dédommagés par le Peel | 


_ànos yeux, 


| | DANS L'OCÉANIE. . 107 


irablé ; au delà, à deux lieues environ, elle s’inter- 
| rompait tout à COUP ; : un charmant paysage lui suc- 
 cédait : c’étaient deriants villages, dejolies habitations 
‘éparses au milieu d’une verte campagne et entourées 


sur quelque point de la France! 
» Notre admiration égalait notre surprise : certes 


“irasté, à trouver la civilisation au milieu d’un pays 


… vicrges. Nous éprouvions un immense désir d’aller 
jusque-là, de visiter ce coin de terre, si riant, cet 
“Oasis qui nous apparaissait comme un effet de mi- 
rage, ou un tableau magique. Mais hélas! déjà l'heure 


nous pressait, il fallait songer à retourner à bord de 
. nos navires dont nous apercevions au loin les bril- 


_lants pavillons floiter à la brise. Notre guide nous 
fi comprendre que ces villages étaient une colonie 
récente fondée par les Chinois. 


M. Ducorps et moi, de pénétrer dans cette épaisse 
forêt ; nous avançâmes en nous déchirant aux ronces, 
en enfonçant dans la vase de ce sol marécageux ; nous 
avions fait une centaine de pas, lorsque des rugisse- 
ments affreux se firent entendre à .peu de distance ; 
ous nous hâtâmes de rebrousser chemin, et nous 
revinmes plus vite que nous n’étions allés. 
LE Quelques instants après, nous nous dirigions vers 


_ » A nos pieds s’étendait la forêt sombre ét impéné- 


de cultures régulières. On eût pu se croire transporté 


- nous étions loin de nous attendre à un si grand con 


sauvage, des cultures admirables entourées de forêts 


5 Après avoir redescendu la colline, nous essayâmes 


nos navires où nous arrivâämes sans mésaventure. Le 


1839. 
Juillet, 


1839. 


Juillet, 


LR 4 VOYAGE. 


canot de l'Astrolabe fut moins heureux «a 


l’Astrolabe qu'au milieu de la to Le 1 aain 
matin, nous étions déjà loin de Sambas, je montai 
sur le pont pour voir ce qu'était devenu mon singe. | | 
Je le trouvai couché dans la chaloupe, sur un lit fait. 
avec soin de morceaux de toile à voile; l'infirmier à à. 
qui je l’avais confié lui avait posé une sangsue sur À 
l'œil blessé, et entouréla tête de bandelettes : dans « 
cet accoutrement la pauvre Nasique avait la plus gro- 4 
tesque figure qu'on puisse s’imaginer ; elle supportait 4 
tout sans se plaindre et tendait les mains vers ceux 4 
quil’approchaient. Elle faisait le sujet des naïfs com-« 
mentaires des matelots qui l’entouraient sans esse. 
L'un d'eux, en voyant ses dents usées et noircies , ‘+ 
semblables à celles des Malais, s’écria : « Tiens! ces 
» femmes des bois , ça chique pourtant le bétell» M 
» Le lendemain elle accoucha d’un petit singe 
mort, elle semblait aller mieux. J’eus un instant » 
l'espoir de la conserver, mais au bout de deux jours 4 
elle expira, Mon ami Goupil dessina ses traits, qui 1 
seront perpétués par la gravure. Sa peau, prép 4 
rée avecsoin, ornera un jour le Musée du J ardin-des 
Plantes...» FEVER 
Je m ‘étais volontairement Res de pros 


DANS L'OCÉANIE. 109 


Les renseignements que nos officiers parvinrent à se M 
procurer à terre des pêcheurs malais habitant une 
case, la seule qu’ils aient aperçue dans les abords de 
… la rivière, m'apprirent que les naturels comptaient 
“trois journées de marche dans la rivière pour la re- 
- monter jusqu'au poste néerlandais. M. Demas avait 
“trouvé un courant très-rapide, et les canotiers qui 
avaient fait partie de l'équipage du canot étaient 
- rentrés paraissant écrasés par la fatigue; je craignis 
« ayec raison que si nos équipages avaient encore 
à supporter plusieurs corvées de ce genre, ils 
- n’attrapassent facilement des dyssenteries et des 
fièvres sur ces côtes marécageuses , surtout avec 
le soleil brülant de ces contrées. J'avais donc fa- 
cilement renoncé à tout projet de visite à l’éta- 
blissement hollandais, mais je désirais vivement 
disposer de ma journée pour me rendre au village 
chinois de Pumankab, que l’on m'avait assuré n’être 
pas très-loin de l'embouchure de la rivière. J'aurais 
-éié curieux de voir cette colonie indépendante du Cé- 
-leste Empire, qui a choisi la grande terre de Bornéo 
“pour y planter sestentes, etqui, chaque année, se re- 
-crute de nouveaux venus sortis de la Chine, souvent 
pour n’y rentrer jamais. Malheureusement notre 
mouillage était détestable, le moindre coup de vent 
pouvait perdre nos navires, et le temps était des plus 
-menacçanis ; à mon grand regret je crus devoir renon- 
“cer à tous mes projets et remettre à la voile sur-le- 
champ, | 
Le courant de la marée montante nous portait 


1839. 
Juillet. 


110. “ VOYAGE 


“E le Le pour : S ess de la te 
où nous étions encore par le (axtEs 


panne pour os à Tobin Jés. moy s 


nous rapprocher, mais cette manœuvre faillit 1 10 
être fatale; rapidement entraînés par. les courant 
nos navires ne se trouvèrent plus que par trois. 
brasses d’eau (15 pieds) : quelques minutes plus tard» 
et nous étions échoués. Nous eûmes bien vite orie 
nos voiles et évité tout danger; l'embarcation. a 
apercu nos signes et bientôt aussi elle fut à ni J 
côtés. Elle était montée par cinq hommes; je fis de- 
mander le chef dans ma chambre et je lui fis servi F] 
du vin : il me dit qu’il était patron de prao du sultan. 
de Sambas; il se chargea volontiers de mes paqu 
qu’il me promit de remettre à M. Bloem , Ro ) 
Sambas, afin de les faire parvenir à M. Doty. ( Cet: 
homme paraissait tres-intelligent; bien qu ’ilne com. = 
prit pas un RCA MO da langage que je Pony, | 


DANS L'OCÉANIE. A AA 


. de nous rapidement, en se laissant emporter dans le 


sud parles courants demarée.Cetteembarcationappar- 
tient, comme me l’a ditson patron, au $ sultan de Sam- 
Das Se paraît bien construite et suffisamment grande 
pour porter 15 à 18 hommes; elle est armée d’une ca- 
| ne. et garnie de très-bonnes voiles ; Son avant est 
“ surmonté par une tête d'oiseau sculptée ; il est pro- 
bable qu’elle est destinée à croiser vers l'embouchure 
de la rivière afin d’en éloigner les contrebandiers. 
Son grand mât était surmonté d’une flamme et d’un 
… paxillon blanc encadré dans un liséré bleu, au milieu 
duquel se trouvaient tracées les deux lettres N. I. 
Dans la journée nous apercümes encore plusieurs 
autres embarcations paraissant aussi grandes que 
celle qui venait de nous quitter; mais elles longèrent 
la côte sans chercher à nous accoster. 
À une heure le coup de vent éclata, le tonnerre 


tonnait de tous côtés, les éclairs se succédaient avec. 


rapidité, en un instant nous dûmes amener toutes 
-n0s voiles pour laisser passer la tourmente ; heureu- 
sement elle fut de courte durée : à la nuit, le temps 
- redevint beau et nous pûmes continuer à nous élever 
_ dansle nord, en nous tenant à une distance très-rai- 
sonnable de la côte. 

L'ile de Bornéo, si importante par ses dimensions 
et ses produits, si intéressante par les peuplades dif- 
férentes qui l’habitent, est encore mal connue aujour- 

. d’hui. Ses côtes, excepté dans le nord, sont dépour- 
vues de ports, et les bords de la mer sont presque 
partout envahis par les palétuviers qui croissent dans 


1839, 
Juillet, 


1839. 


Juiilet.” 


félicitais de la détermination que j'avais s prise 


He | nr At 


mettre à la voile dès le matin et avant que lé ver : 
souffiât avec Us Plus Je dans notre rot li- 


comme dent soit à Sambas soit à Potianack 
il voulut bien me donner surles productions de cet e 
grande terre des renseignements qui ne peuvent man- 
quer d’intéresser notre commerce, et que je rappor- M 
terai ici tels qu’ils m'ont été livrés *. 1 


* Ces renseignements sont tirés d’un manuscrit hollandais que 
j'ai trouvé FRS les papiers de Dumont d'Urville, mais qui ne 
porte aucune signature. Lors de notre passage à Timor-Cou- | 
pang , M. Gronovius, qui y était résident, me montra une car te. 
très-détaillée de Bornéo et le manuscrit dont il est ici fait men- 
tion. La carte me fut, à cette époque, confiée par son autet 
pour la publier dans l’histoire du voyage, elle est annexée au 
sixième volume ; elle porte les indications des lieux où se trou-« 
vent les mines d’or, d'argent, de fer, etc. Ces indications ont 


\ 


été évidemment mises pour servir à la lecture du mémoire. 
À la date du 25 juin 1840, époque de notre passage à Timor=. 
Coupang , on lit, dans le ou de d'Urville, cette phras + 
I (A. CORDES m'a apporté et offert toutes ses notes 
Bornéo, donné une inscription trouvée sur une pire Le Sa | 


manuscrit. x A4, A 
On lit encore dans le journal de d'UrlN Jul it 
29 juin 1840 (séjour sur la rade de Timor-Coupang), une 
relative à un fait i HARGE tant qu doit nécessairement trouver s 


> 


DANS L'OCÉANIE. 113 


» Le terrain de la côte de Bornéo est en général très- 
plat ; iln’offre dans la rivière de Sambas que quelques 


__ hauteurs dispersées cà et là sans former de chaîne 


continue ; toutefois le pays est riche en métaux et 


É 


… en pierres précieuses, tels que or, diamant, fer, 


… étain, pierre d’aimant, antimoine et cristal. Les fo- 
- rêts sont abondamment pourvues d’arbres fruitiers 


de toute espèce ; le sagoutier, le bois de fer, celui d’é- 


bène y sont très-communs ; on y remarque aussi des 


joncs et des gommiers. 
» Dans les montagnes et sur les îles on trouve 


… beaucoup de nids d’hirondelles, si recherchés par 


… les Chinoïs ; la mer fournit des tortues, des holo- 


ihuries et des perles. En général la côte occiden- 


tale de Bornéo est un pays très-riche ; malheureuse- 


ment les hommes qui l’habitent sont encore plongés 


dans la barbarie; l’agriculture, qui fait la ressource 


des États bien plus encore que les mines d’or et d’ar- 


… gent, est encore dans l'enfance ; la culture du riz s’y 


trouve très-restreinte, bien que l’on puisse l’étendre 


avec beaucoup de succès; presque tous les habitants 


… de la côte de Bornéo se livrent au commerce et 


méprisent les travaux de la terre. Les plantations de 
riz sont insuffisantes même pour subvenir aux besoins 
des naturels. On apporte le grain, en quantité consi- 


place ici; la voici textuellement : M. Gronovius a vu lui-même 


plusieurs individus hommes à queue de Bornéo, se prolongeant 


(la queue) jusqu’à 18 à 24 lignes, ef de la grosseur de son petit 


doigt. Il a affirmé ce fait positivement comme très-positif. 


V. D. 
ViL. : 8 


1839, 
Juillet, 


+839. 


Juillet. 


. Dayaks; les autres tribus ne s’en occupen 


rareté des bêtes à cornes ne permettant pays 


cinq mois au riz pour croître de mûrir ; Rs on le. 
que la récolte est de quatre-vingts à cent fois: CRErON | ; 


culture du terrain ; ils choisissent généralement des 1 


114 1 ONMONAGEM 


dérable dé Java et d’autres os c 
rait être la seule occupation des. indigè 

» Sur les côtes ce sont les Chinois qu 
riz, dans l’intérieur cette occupation 6 


Chinois suivent autant que possible lespr océc ji 
dans leur pays pour la culture du riz; latr 


terre avec une ne et ils en Ur. toutes es “à 
mauvaises herbes, puis ils les rassemblent en. Un 
monceau et y mettent 1e feu : la cendre est sa 


+ F4 À 


récolte, on le laisse ensuite sécher au soleil, BE enfin 
on le broie à l’aide d’un moulin à maïn; on calcule 


Ja semence. : ’ 
» Les Dayaks emploient un mode différent | pour cl 
champs élevés au-dessus du niveau dela mer, ils les dé=« 
barrassent des arbrisseaux et des broussailles qui 
couvrent et les brûlent sur place après les avoir lai 
sécher 1 un mois, HS en répandu les cendres buts 


DANS L'OCÉANIE. 115 


vaises herbes qui pourraient en arrêter la croissance, 
ils entourent leurs pièces de terre d’une haie afin de 
les préserver contre les dévastations des animaux qui 
peuplent l’île. Dans ce dernier mode de culture, le 
riz exige plus de six mois pour parvenir à sa matu- 
rité, Les Dayaks choisissent pour commencer leur tra- 
wail Pinstant des chaleurs fixé par la mousson de l’est, 


afin de brüler facilement les broussailles. La mousson 


de l’ouest amène ensuite des pluies fréquentes qui 
sont très-avantageuses pour faire mürir le grain. 
Pour faire la récolte ; les Dayaks enveloppent dans 
des linges deux doigts de la main droite et ils s’en 
servent pour arracher les tiges qu ‘ils font ensuite 
sécher au soleil, mais ils ne dépouillent le grain de 
son enveloppe que lorsqu'ils veulent en faire usage. 
Dansles meilleurs terrains les Dayaks ne récoltent pas 
plus de soixante à soixante et dix fois la semence. 


… » Parsuite d’un préjugé de ce peuple sauvage et de la 
… persévérance qu'ils mettent à ne pas s’écarter des cou- 
en tumes de leurs ancêtres, les Dayaks n’ensemencent 
jamais au delà de ce qui leur est absolument né- 


cessaire pour vivre ; cependant ils n’ont aucune in- 
_dustrie, Il se procurent tout ce dont ils ont besoin, 
tel que le sel, le fer, les fils de cuivre, en donnant en 


échange le riz qu’ils ont récolté : il en résulte que 


leur commerce est très-borné. Souvent lorsque les 
champs en culture sont placés dans des lieux bas, ils 


sont dévasiés par les grandes pluies qui sont aussi 


“ nuisibles que les petites pluies sont avantageuses : 


Lie 


alors la récolte est perdue, la famine désole ces mal- 


1339, 
Juillet, 


1839. 
Juillet, 


-qui reste aux habitants. Ils profitent des momen 


les bêtes à cornes qui, d’ailleurs , comme je l'ai déjà M 


abondamment pourvue de bois à brüler, en sort rte 


besoin d'argent se font les premiers commerc 
la tribu , et ne craignent pas d’enlever le peu 


détresse pour demander le double et souvent le triple 
de la valeur des objets que leurs sujets sont forcés 
d'acheter à ces princes avides. RUE 

» La canne à sucre n’est encore cultivée que Darièk ; 
Chinois ; elle est d’une excellente qualité et vien- 
drait facilement dans les terrains de Bornéo, mais n 
jusqu'ici elle n’a été exploitée qu'avec des moyens 
très-imparfaits. Les Chinois font usage de cylindres À 
en bois pour presser la canne et en exprimer le jus; « 
ils se servent de moulins à bras sans jamaisemployer 


dit, sont très-rares dans l’île. On peut récolter en- È 
viron 1200 picols * de sucre par an, mais, pour ob- 1 | 
tenir ce chiffre, il faut employer les plus grands ef. 
forts. La plus grande partie se consomme sur les M 
lieux. Le sucre est de très-bonne qualité, il est. gé-. 1 
néralement supérieur à celui que l’on récolte à Java. 
Les moyens de transport sont faciles à cause des ri 


vières ; d’un autre côté, la terre de Bornéo est ent 


* Le picol vaut 195 livres, 


DANS L'OCÉANIE 117 


je ne doute pas que si la culture de la canne à sucre 
se propageait dans l’île, elle fournirait bientôt 
des cargaisons considérables de sucre de qualité au 
moins aussi bonne que celui que l’on tire de Java. 

»On rencontre dans les forêts beaucoup d’arbres 
de l'espèce désignée dans le pays sous le nom de 
Sagouer*, onen retire une espèce de sucre de couleur 
brune et d’un très-bon goût dont les habitants font 
le commerce; les contrées de Tayang et de Siempang 
sont les plus renommées pour la culture du sagouer. 

» Sur les côteset surtout dans les ports marécageux 


… où les Bougines se sont établis, ils ont planté des jar- 


… dins de cocotiers. Ces arbres donnent des fruits au 
bout de deux années et lorsqu'ils ont à peine quatre 
à cinq pieds de hauteur ; on attribue cette fécondité 


€xraordinaire à la couche épaisse de détritus végé- 


taux qui recouvre le terrain des côtes. On ne trouve 
… pas de cocotiers dans l’intérieur des terres, les ha- 
— bitanis du bord de la mer en font commerce avec ceux 
— de l’intérieur et leur portent des noix de coco à un 
prix peu élevé. 

» La culture du café n’a été introduite dans le Lot 
pays de Sambas qu’en 1823; à cette époque cette 
plante utile avait parfaitement réussi, en sorte q'il 
n’y à pas le moindre doute qu’elle ne puisse offrir 
des résultats avantageux ; mais les hostilités qui écla- 
térent entre les Hollandais et les colonies chinoises 
de l’île pendant les années suivantes entrainèrent la 


destruction de presque toutes les plantations de café. 


* Arenga saccharifera. 


1839, 


Juillet. 


18394 
Juillet. 


entières d'arbres qui tte cette 


et des Dayaks ; cette plante s'élève à une très-grande 


quantité la liane qui produit le poivre ; mais aujour- 


l’on désigne sous le nomde Me les ER e 1 


Rue 4 VOYAGE 


ment le su coûte plus d'un na a les < 


leurs esclaves ercla een avec du ne Où … ; 
PDO une grande Us A de COTES! malaises 


» Le blé de Turquie, connu daté le pays sous ok So e | 
de Jagon, est un des principaux aliments des Malais 


hauteur ; on en mêle le grain avec du riz pour le 

broyer et préparer la pâte qui sert d’aliment aux ins à 

digènes: cette nourriture sé trouve tee dans le 4 

pays à des prix peu élevés. | Tu 2 
» Jadis on avait planté dans l’île en A 


d’hui cette plante a presque disparu , et sur là Côte M 
Ouest il est très-rare de la rencontrer. Le poivre dit … 
de Bornéo n'existe pas, celui que l’on y is esi im- | 
porté par les marchands. | Véro 

 » On trotive dans Bornéo une espèce de fététes que 1 


* S'agus farinifera. 


DANS L'OCÉANIE. 119 
préparée a un goût agréable. Les Malais recherchent 
surtout cette patate lorsqu'ils ont des voyages à faire. 
Cet aliment devient alors très-précieux pour eux 


parce qu’ils peuvent en emporter de grandes pro- 


_ visions. 

» Nous ne parlerons pas des légumes qui croissent 
sur l’île de Bornéo, ils ne donnent lieu à aucun com- 
merce soit extérieur soit intérieur, on ne les cultive 
qu'en très-petite quantité; mais nous énumérerons 
les différents arbres que l’on rencontre dans les fo- 
rêts, et dont les indigènes tirent un grand profit. 
_»On remarque dans les forêts de l’ouest beaucoup 


_de Camphriers. Le camphre de Bornéo jouit d’une 


“grande réputation méritée comme étant d’une excel- 


lente qualité. On le paye environ 50 florins les qua- 
rante picols et à ce prixon s’en débarrasse facilement. 
Il s’en fait un commerce considérable dont les Chi- 


nois ont presque le monopole. Ils l’achètent aux in- 


digènes, puis ils le chargent sur les jonques qui vont 


* l'emporter dans le Céleste Empire. On en exporte 


“aussi à Sincapour où les Anglais l’achètent pour les 


“ 


marchés d'Europe. 
» Le Benjoin, comme le camphre, se rencontre dans 


es forêts de Bornéo en quantité considérable. On 
lexporte principalement à Java; il s’en consomme 


beaucoup dans les temples d’idoles où il sert comme. 
l’'encens à parfumer. 
» Au sud de la ligne équatoriale « on trouve une grande 


> quantité de joncs et de rotins parfaitement propres 


à faire des cannes, On en distingue plusieurs espèces 


1539, 
Juillet, . 


1839. 


Juillet. 


120 : VOYAGE 


M atiam ; viennent ensuite ceux provenant 6 de | 
et enfin ceux que l’on récolte dans les hauts ] ] 
sont dans les environs de SHEENE sont les. m fé 


tation en est très-faible, CON a 2 ET TR pate À 
ce qu’elle était en 1828, époque où des naviresen… 
prirent plusieurs chargements complets pour aller 


+ 15 
Eu 
À 


les débiter en Chine. Les prix de ces articles sont M 
très-peu élevés, les roseaux provenant des terres 4 
hautes ne se vendent pas un demi-florin le picol. | 

» Le bois de fer, connu dansle pays sous le nom de “À 
Kayou-Boulian *, croît sur différents points dela côte, 
mais toujours dans le voisinage de la mer. Il est sur- È 
tout abondant entre Sambas et Brussel; on en trouve 4 
aussi dans l’intérieur des terres au delà de Sintang. è 1 
Dans le district de Landak il existe des forêts entières a 4 
de bois de fer. Ce bois, employé pour les construc- h 
tions, possède des qualités remarquables; depuis peu D 
de temps on commence à l’exporter en Chine, où il 
acquiert une grande valeur. Les gens riches l'em- 
ploient pour faire les colonnes des péristyles des 
maisons, ou bien pour faire construire leurs! cel 
cueils. Ce bois est lourd comme du fer et son 


port offre de grandes difficultés, On l'expollss s 


* Casuarina ? ou tectona grandis. 


) 


DANS L'OCÉANIE. 121 


sur la côte , les indigèness’en servent pour construire 
leurs maisons, ils en font ausi des lattes pour la toi- 
siure, enfin ils l’'emploient encore pour la consitruc- 
tion des chaloupes et des praos si remarquables par 
la rapidité de leur marche. Ce bois est très-cher , le 
prix de la main-d'œuvre lorsqu'il faut le travailler est 
très-élevé , car il est tellement dur que tous les outils 
que l’on emploie se brisent plutôt que de l’entamer. 
» Sur la côte on rencontre encore le bois d’ébène, 
mais il est d'assez mauvaise qualité ; cependant les 
. Chinois l’achètent et l’exportent avec bénéfice. 
… » L’un des arbres les plus utiles aux indigènes est 
celui qu’ils désignent sous le nom de T'inkamang * ou 


arbre à beurre. Il produit une espèce d'huile préférable 


à l'huile de coco et qui peut être employée aux mê- 


mes usages. En outre il donne des fruits que les In- 


_ diens mangent, et qui sont d’un goût assez agréable. 
Cet arbre est très-grand et atteint des dimensions 
-colossales. Les indigènes en récoltent la séve dans 
des bambous où ils la laissent se figer. Lorsqu'ils la 
retirent de ces bambous, elle a beaucoup d’analogie 
“avec des rouleaux de diapalme, mais elle est plus 
-douce et plus grasse. Quand cette liqueur est fraiche 


elle a un goût beaucoup plus agréable que l’huile 


de coco dont elle se rapproche. On s’en sert pour 
l'éclairage et aussi pour la préparation des ali- 
ments. : | 

» Sur la côte ouest de Bornéo on rencontre encore 


* C'est probablement le même que celui que les Malais dé- 
signent sous le nom de T'angkalad. | | 


1839, 
Juillet. 


1839 
Juillet, 


l'industrie des nest aura pris un à us & see 
Por y: 


forêts qui se trouvent sur la côte Guest de me | 4 
l’exporte beaucoup en Chine où il est l'objet d'un | L 
commerce très-avantageux : il sert à faire descordages. ; 
» Le bois de Lacque est employé à Bornéo pour la 
teinture. Les Chinois l’achètent pour l'exporter. dans 
le Céleste Empire où il est recherché sur les marchés. À 
On en distingue plusieurs espèces sous les noms de | 
Sepang et Ambalou. Les indigènes ont encore. LS 4 
sieurs espèces d’écorces qu’ils recherchent pour en. 
faire usage comme médicament, et qu'ils. exporten 
_ à Java et dans les îles environnantes. ti cl 
» Le Nibong est une plante dont on se sert avantag 
sement pour couvrir les maisons, La cime de cette 
plante, comme celle du palmier, est un très-bon lé 
gume d’un goût fort agréable. On en confit aussi l 
fruits. Dans les lieux marécageux on trouve ! ‘ 
dé son espaces entièrement couverts ha ] pue 


comme nous arrangeons les ardoises,” re 
» Parmi les arbres fruitiers que l’on rencont 


DANS L'OCÉANIE. 193 


la côte en quantité telle que l’on en voit des forêts en- É 
tières couvrant d'immenses espaces de terrain, on | 
| remarque le Durion * dont les fruits pendant les 
_ temps de famine servent à sauver les Dayaks des 
douleurs de la faim; le Langsap dont les fruits d’un 
… goût âpre donnent des douleurs d’entrailles lors- 
que l’on en mange beaucoup. La couleur de ce fruit 
ést brunâtre, il croît en grappes, son intérieur est di- 
visé en cinq lobes, comme le Rambé qui est plus petit 
mais qui y ressemble beaucoup. Tous ces arbres sont 
indigènes de Bornéo. 
_ Le Mangoustan ** croît facilement sur la côte, 

_ bien qu’il y ait été importé des autres îles de l’ar- 

_‘“chipel d’Asie. Il én est dé mème du Baloumbang *** 

qui selon toute apparence a été apporté de Java, bien 

qu’il Soit très-commun sur la côte ouest de Bornéo. 

Le Samboë**** qui est aussi très-abondant dans l’île ne 
… paraît pas être non plus une plante indigène , car on 
“ ne trouve pas sur la côte toutes les variétés que l’on 
_ remarque à Java. 

0"; Les Pamplemousses sont actuellement trés-abon- 
… dantes sur la côte, leur goût est en tout comparable 
aux meilleures de Java d’où on les à importées, 

_ »Ce sont les Chinois qui ont apporté et planté les 

premiers les orangers de Bornéo; ces arbres s’y sont 

‘rapidement propagés, le terrain leur convient à mer- 


* Durio Ribethinus. 
… 7 Garcima mangostana. 
- ‘” Averrhoa bilimbi. 
_ #* Eugenia. 


à s +3 


Juillet, 


19. | | VOYAGE 


veille, et Lotrdhni les oranges de la 
grosses et meilleures que celles de J ava. 
_ » Le Ramboutan * est assez rare, le 
sûr et médiocrement bon. Le Mango #x 
pas à Bor néo,mais on en importe beaucoup x. » 


voisines, Car ce RS est très-recherché par les 
lais. be: hs : is 


indigènes le font cuire au four ou villes et y ajo b 
toujours un peu de sucre pour le manger. 41 

» L’ Ananas esttrès-commun ; cette plante croît a. 4 
une rapidité PPS elle n’est pas ges 


Bornéo sont d’un goût Hit ie agréable que ; 
de Java. / 

» Le Pisang **** croît à Bornéo comme dans tout l'ar- 4 
chipel Indien, il fait la principale nourriture des i in- F 


1 


digènes et eo des Bougines qui habitent L litto-. £. 


coup les fleurs aromatiques. Ils por avec | 
tous les CODES les LAN RE à des Ru | 


4 lai FE 
*" Mangifera indica. 
***_Artocarpus incisa. 
Ha Bananier (musa), 


DANS L'OCÉANIE. . 125 


quantité de bois excellents pour la construction des 
navires. | 

_ »Jene terminerai pas cettenomenclature botanique 
sans parler de l’arbre désigné sous le nom de Oupas 
dont la gomme est un poison tellement violent , 
qu’elle donne généralement la mort lorsqu’on la tou- 
che avec la main. Cet arbre se trouve principale- 
ment sur la côte où il est assez répandu. Les Dayaks 
emploient sa séve pour empoisonner leurs flèches ; 
ces armes entre les mains de ces peuples barbares 
sont d'autant plus redoutables qu’ils parviennent 
à les lancer avec beaucoup de justesse au moyen de 
. cannes à vent. 

-l 
de vue minéralogique, ses mines sont nombreuses 
et parmi elles on en compte plusieurs dont on extrait 
le diamant et l'or. 

> » Landak et Sangouw sont les riches localités sur r la 
côte Ouest, où les Chinois et les naturels cherchent 


… le diamant. C’est toujours dans des couches de gra- 


-.viers et de galets, à une profondeur de 20 à 95 pieds 
… et dans les flancs des coteaux à pente douce que se 
“trouvent les dépôts de cette pierre précieuse. Les 
naturels regardent les couches de graviers dans les- 
quelles ils ont reconnu douze variétés différentes de 
pierres comme étant celles où le diamant est le plus 
abondant ; ils ne creusent jamais de puits d’exploita- 
. tion qu'ils ne se soient assurés d’avance que la cou- 
- che qu’ils veulent atteindre rentre dans ces condi- 
tions. Parmi les variétés de pierres que l’on doit 


» L'ile de Bornéo est plus riche encore sous le point 


1839, 
Juillet. 


4830. 
Auillet 


196 a VOYAGE | 


rencontrer dans 18 couche à 


qu'ils UE Rod et ensuite ils soutien 14 
terrain avec des madriers de bois, Souvent F rd 
qu’ils mettent à cette recherche leur a. fait ou= " 
blier de prendre ces précautions et d’horribles ca À 
tastrophes en ont été la conséquence, par. suite de . 
éboulements considérables qui ont eu lieu, et d 
centaines d'ouvriers ont été enterrés vivants, R 
ils étaient allés chercher la richesse, 7 

» Lorsque les ouvriers sont parvenus à atteindre la d. 
couche qu’ils nomment Arring, ils enlèvent le ter- | 
rain par partie et en font le lavage pour en chercher 


DANS L'OCÉANIE. 127 


par-dessus les bords tandis que les pierres restent au 
fond du yase; parmi ces pierres ils font ensuite le 
iriage, et enfin tous les diamants sont réunis entre les 
mains du propriétaire de la mine. | 

» Les Chinois commencent par amollir la couche 
qu'ils veulent exploiter avant de creuser pour y ar- 
river ; leur première opération consiste donc à ame- 


ner les eaux sur le terrain, ensuite ils font de larges 


ouvertures dans le sol jusqu’à ce qu'ils aient atteint la 
couche; ils remplissent ensuite ces ouvertures d’eau, 
soit par des conduits de source, soit en attendant les 
pluies dont ils recueillent soigneusement les eaux; en- 
fin au moyen de moulins à bras ils agitent fortement 
ces eaux qui opèrent un premier lavage, après lequel 
- ils enlèvent le Arring pour le soumettre ensuite, 
comme les Malais, à un nouveau lavage définitif. : 


»On trouve quelquefois des diamants sur le lit de. 


la rivière de Zamba (dans le haut pays de Landack), 
mais la recherche en est très-difficile. Lorsque, après 
“une longue sécheresse, les eaux de la rivière sont 
‘trés-basses, les Malais commencent ce travail ; ils 
… plongent avec ardeur, ils sont très-habiles à cet exer- 
eice et souvent ils trouvent de fort bonnes pierres. 
-»Les diamants les plus gros ont tous été trouvés 
sur le Httoral. Ce fut dans la rivière et dans le district 
de Landak; que l’on trouva ceux connus dans le pays 
sous les noms de Segema et Sepalé qui furent offerts au 
sultan comme cadeaux de noces. 
: » Depuis lors le Sepalé à été perdu, il a disparu à la 
suite des guerres intérieures qui désolent si souvent 


1839, 
Juillet, 


1839. 
Juillet, 


run jeune chef ni est à peu près Ma Fi 


de cette pierre à environ 367 karats. Dans l'année 1780 “4 


montra, en me déclarant que M. Stuart ne l'avait 


mant fût débarrassé de tout ce qui. l’entour ï 


. 1) PENOrAGEE 


NOR ? 


» Plusieurs descriptions de ce diamant ont 
primées dans différents ouvrages; on estime kI p 


le gouverneur général de Batavia envoya à Matiam 4 
un officier, M. Stuart, ayant pour mission de l'acheter. 
M. Stuart en offrit à cette époque deux brigs de guerre M 
et 15,000 piastres d’Espagne ; toutefois il ne Pie pre 4 
conclure le marché. 1. 4 

» En 1829 , lorsque j'étais résident sur la côte le 4 
Kayong, j'eus l’occasion de voir cette pierre pré- | 
cieuse. Les naturels ont une tradition superstitieuse … 
d’après laquelle ils croient que leur pays sera ra- À 
vagé et détruit lorsqu’on leur aura enlevé ce dia- 
mant et qu’on l'aura dépouillé des caractères jaunes « 
dont ils l’ont orné, en sorte qu’il est très-difficile 1 
pour un étranger de voir cet objet auquel ils atta- . 
chent un très-grand prix. Je fus servi par le hasard | 
dans cette circonstance. Je rencontrai la vieille sul- ; 
tane qui est chargée de sa conservation, et elle me. le \ | 


jamais vu lui-même, et que j'étais le premier Euro- 4 
péen qui avait joui de cette faveur. Avant que ce dia-. 


j'avais vu la sultane prendre des précautions w i-. 
ment extraordinaires ; dans tous les alentou € 
avait placé des hommes destinés à empêcher à 
guet-apens de ma part, car ces malheureux tr 


= 


DANS L'OCÉANIE. 129 


blent constamment que leur trésor ne soit pris ou 
vendu. Quelle ne fut donc pas ma surprise, lorsque 
je pus enfin toucher et examiner à mon aise cette 
pierre à laquelle ils attachaient un si grand prix, en 
reconnaissant que c’était tout simplement un morceau 
de cristal dont une partie est brute, tandis que l’au- 
ire présente des faces pentagonales polies ! Je n’aurais 
certainement pas donné à florins du fameux diamant 
Dano-Radja. 

» J'ai souvent trouvé des contradicteurs à mon 
récit lorsque plus tard j'ai voulu dire ce que j’a- 
vais vu ; je laisse toute liberté à ceux qui croient à 
… l'existence du diamant de 367 karats, mais ce que je 

puis assurer, c’est que si le gouvernement hollandais 
voulait encore aujourd’hui en faire l'acquisition, 
il lui serait cédé à très-bon compte. Les princes in- 
digènes sont tellement convaincus eux-mêmes de 
la fausseté de cette pierre, qu’ils n’ont jamais de- 
mandé aucune avance sur sa valeur. Le vieux sultan, 
qui l’a possédée pendant sa vie, condamnait à mort 


tout individu qui osait élever des doutes sur la valeur 


du Dano-Radja. Avec de semblables arguments, il ne 
Jui a pas été difficile de prouver qu’il possédait un vé- 
ritable eténorme diamant. 

» En 1823 les mines ont été cédées au gouver- 
nement hollandais et exploitées par son entremise. 
La quantité de diamant vendu en 1824 s’est éle- 
vée à 8,437 pièces pesant ensemble 1,921 Karats 
au prix total de 46,147 florins. Le gain a éié de 
17,438 florins. Dans l’année 1895 les gains diminuë- 

VIL, ÿ 


1839. 
Juillet. 


4839. 


Juillet. 


ue. HE VOYAGE 


productif. AN dl 
» Le nombre d'hommes occupés dé les miles +4 
diamants ne s'élève qu’à 670. À Sangouw on. compte . à 
seulement 40 mineurs malais. Les mines de Landak 
occupent encore 480 Malais et 150 Chinois. 
» [l'est certain que dans toute l« étendue de l'archipel : 
Indien il n’est pas un seul terrain qui renferme au- “ 
tant de mines d’or que la côte occidentalé de Bornéo. 
Dans l’intérieur de l’île même, dans les lacs, sur les M 
petites îles désertes, on trouvé partout du minerai 1 
d’or aussitôt que l’on creuse le sol. | ‘ | 
» Déjà, lors de l’arrivée des Hollandais dans les À 
Indes orientales, on connaissait les immenses tré- à 
sors enfouis dans le sein de la terre de Bornéo. Mais À 
les superstitieux Dayaks $ ’6pposaient à à ce que les. ; 
étrangers vinssent exploiter ce sol, et d’ün autre côté. 1 
les naturels étaient trop paresseux pour fouiller dans 1 
laterreeten extraire l'or. C’est grâce à un événéer rent. 
bizarre qui eut lieu e 1750 à 1760 qu’enfin les 
nois ont commencé à utiliser je mines si i rich 
Bornéo. tel 


SV 
me 


DANS L'OCÉANIE. 131 
nouveaux arrivés à creuser le sol pour en extraire 
l’or. Bientôt'les Chinois naufragés firent une rapide 
fortune et plusieurs d’entre eux purent rentrer dans 
leur patrie. Là ils décidèrent facilement un grand 
nombre de leurs compatriotes à aller demeurer à Bor- 
néo, sur ce sol assez riche pour que, après un travail 
‘de quelques semaines, ils pussent revenir avec des 
trésors. Depuis cette époque les émigrations des Chi- 
nois allèrent toujours en croissant : dés l’année 1770, 
soixante jonques furent employées à transporter à 
Bornéo des milliers de colons chinois. 


» Par suite de ces émigrations considérables, il fallut 


ouvrir de nouvelles mines et exploiter de nouveaux 
terrains. Dès lors les Chinois furent obligés de com- 
battre les Dayaks qui occupaient les terrains et qui 
né les abañdonnèrent qu'après avoir massacré un 
grand nombre de ces étrangers. Bientôt même 
l'amour dé l'or vint exciter les travailleurs les uns 
-conire les autres. La guerre civile éclata et les Chi- 
-nois se livrèrent des combats sanglants. D’après 
leurs propres récits qui se trouvent confirmés par 
_ ceux des Dayaks, il paraît que plus d’une fois les Chi- 
- noisauraient livré des batailles rangées dans lesquelles 
plus de 10,000 hommes perdirent la vie dans un seul 
jour. C’est grâce à ces guerres intestines que la po- 
pulation chinoise est restée jusqu’à présent faible en 
Comparaison du grand nombre de colons qui sont 
arrivés de la Chine. 
_ »Les princes du pays ont toujours conservé la pos- 
“session de ces terrains; mais ils ont abandonné les 


1839. 
Juillet. 


1830. 
Juillet, 


mines aux Chinois qui se livrent € xclu: 
exploitation. De leur côté les princes 
tirer Sos du ne des Chinois . » 


dise à un prix si élevé qu'ils POUR presque 
les profits des mines. Ainsi ils font payer 32 none 
le picol de riz. Il est hors de doute que les prix é énor- | 
mes auxquels revient leur entretien, les frais que À 
leur causent les. guerres qu’ils ont à soutenir, ‘les 4 
piéges que leur tendent sans interruption les indi- 1 
genes, ont causé beaucoup de dommage aux Chinois; : 4 
mais quel est le peuple dont l'exploitation des mines 
fait l'existence qui puisse se vanter d’un grand bien 
être ? La soif de l’or excite les Chinois à émigrer, mais 
il n’en revient pas la quarantième partie dans leur 
patrie. | + Pie | 4 
» Les Dayaks recueillent aussi de l'or en opérant de” A 
lavage des sables des rivières, mais toutes les mines : 
sont exploitées par des Chinois réunis en sociétés dé- 1 


nissent en assemblée mie Is nommel 
chefs et les écrivains. ve délibérent. “ensuite 


DANS L'OCÉANIE. 133 
ils commencent la construction des bâtiments de la 
| aenie; ces bâtiments, qu’ils désignent sous le 
nom de nysis: sont destinés à loger non-seulement 
le chef et les écrivains, mais encore les ouvriers. C'est 
aussi le magasin des vivres. Les mineursrecoiventleur 
à nourriture de chaque jour , ils peuvent aussi acheter 
tout ce qui leur est nécessaire auprès des écrivains 
qui déduisent le prix des choses vendues du montant 
de leur salaire. Les gains provenant des ventes faites 
aux ouvriers rentrent dans la caisse générale destinée 
_ elle-même à payer tout le per sonnel de ja “re 
gnie. 
._._» La paye des chefs est de 20 à 25 réaux par mois; 
celle des écrivains n’est que de 10 à 42 réaux, et 
enfin les ouvriers ne touchent que A ou 8 réaux. 
» Le travail d'exploitation commence par des con- 
duites d’eau destinées à humecter le terrain et à 


rendre plus facile le forage des puits et le lavage 


_ des terres. L'établissement de ces conduites d’eaux 
est une des opérations les plus importantes et celle 
pour laquelle on dépense des sommes très-considé- 


rables. On cite de ces travaux d’art qui ont coûté 


plus de 40,000 florins. Quelquefois les Chinois pour 
arriver à leur but sont obligés de percer des mon- 
tagnes et de creuser des fossés qui ont jede à huit 
_ lieues de long. 

_ » Le travail desouvriers est ainsi distribué : un tiers 
d’entre eux est occupé à défoncerle terrain avec des 
piques et des pioches ; les autres transportent la terre 
avec des brouettes. La journée de travail commence 


1839. 
Juillet, 


1839. 


Juillet, 


supprime une partie proportionnelle du sai 


3 FRE :pEVsenIE des bénéfices, FRA Mc A 


12e VOYAGE 


à six heures du matin et ne finit qu as 
soir , mais ces HATR ua AUS 


LE qui règle lé nai des employés paraît ê 
plus sévères, Toutes les fois que Les. ouvriers si 
sent pendant les heures destinées au travail, à 
la journée. re É 

» 11 arrive souvent, surtout à la suite des grandes 
pluies, que les mines sont inondées et qu’il faut les 
dessécher, alors les Chinois se servent de moulins à à 
eau destinés à cet objet. 

» L’extraction du minerai est. l'opération qui exige 
le plus de temps; ordinairement on y consacre qua- 3 
rante jours avant de commencer le lavage, Ge Mes. En 
travail ne dure qu’un jour ; les ouvriers le com ne oh 
cent de grand matin après avoir fait leurs pt : 
aux dieux et ils le terminent toujours le même soir. 
Après chaque lavage, le produit est pesé et tous les, 
salaires sont payés en poudre d’or, On fait ensuite la. « 
balance pour connaître les résultats de l'opération. 


de leurs plus g grands profits ; ils comptent a 
plus sur les gains qu'ils peuvent ré a 


DANS L'OCÉANIE. 135 
ventes qu'ils font aux ouvriers que sur les bénéfices 
provenant de l'exploitation du terrain. 

» On distingue plusieurs qualités de poudre d’or, 
celle de Selakoum et de Maas-Kapal est la moins esti- 
mée.-L'or de Simênes nouvellement exploité est très- 
pur. On le trouve parfois en lingots du poids de 
98 piastres d'Espagne. L’or de Lara à gros grains est 
aussi très-estimé. Celui de Lara-Boulve est encore 
plus fin et meilleur, cependant on lui préfère celui 
de Sepang. L'or de Taman (district de Landak) est à 
un titre trés-élevé. On le trouve en grains aplatis 
comme s’ils avaient été battus. Celui de Sintang à un 


« titre plus élevé encore, il est beaucoup moins dur. 


Enfin l’or de Mantoua, situé dans l’intérieur des terres, 
est noir. On le trouve en lingots et à un titre très- 
élenéts | | 


à ve Le les plus riches emploient jusqu’à huit 


cents ouvriers chinois ; elles sont situées à Montrado, 
Mandoor ei Lara. Les autres mines sont moins consi- 
dérables et occupent de cinquante à cent cinquante 
ouvriers. Il n’est guère possible de fixer le nombre 


des mines livrées à l'exploitation ; imais on peut cer- . 


tainemeni estimer à huit mille le nombre des Chinois 


occupés à rechercher l’or. On ne connaît pas non : 


plus la quantité de matière qui est extraite annuelle- 
ment du sein de la terre pour être livrée au com- 


* On doit remarquer que les indications portées dans la carte 
… de Bornéo communiquée par M. Gronavius ne sont pas toujours 
d'accord avec ceiles de ce manuscrit its devons au même 
_ guteur, | V. D. 


1839. 
Juillet, 


1839. 


Juillet. 


dE VOYAGE 


. plus étendue, sont situés près de la pointe S.-0. de 


compte exact ie la RE d’or qu ii achEt 
Chinois. On peut évaluer approximativement Y xiraC= 
tion annuelle à A5 ou A7, 000 d'Espagne ainsi 


réparties : ANR 


Sintang, Sangouw , etc. ... . 3 000 pastres. 7 Ke ee : 


Landak. Sos T0 Rare Ve Marat 3 ,000 ve ie, AE 

Mandoor. . .:.. / 0) pd 5.000 5 TORRES 

Montrado. . ........ 20,000... 6 FERMES 

SEpDanr, ee Lee : 5,000 ER M RU 

Stat. CSN Re 8,000 

Éoemar. {520 SRE A SION : 
Total. . . 47,000 le 


dont la valeur monétaire etd’environ 144,000 florins. “4 

» On trouve du minerai de fer sur différents points 
de la côte voisine de Billiton. Les lieux qui en sont 1 
le mieux pourvus, et où l'exploitation en est. la. 4 


l’île. On en exporte annuellement environ six mille 
pièces du poids de huit kilogrammes. Les Dayaks M 
en font l'exploitation, et c’est généralement avec du « 


faconnent, mais seulement pour leur usag 
les Chinois ont un grand établissement ] 


DANS L'OCÉANIE. 137 
tation des mines de fer. Depuis quelques années, ils 
sont parvenus à y fondre des canons et des boulets. 
Ils confectionnent aussi différents ustensiles dont on 
vante la bonne qualité. Les ateliers pour la fonte du 
fer sont on ne peut plus simples. Sous un hangar, ils 
établissent un grand soufflet rond et de deux pieds de 


diamètre; leur fourneau est construit en brique, il 


communique avec un trou fait dans la terre, dans le- 
quel coule le métal fondu. L'établissement compte 
quarante ouvriers seulement, 
| » Jusqu'ici, sur la côte occidentale de Bornéo, on 
- n’a découvert des mines d’étain qu’à Siempang, à Mat- 
tam et sur les îles Carimata; elles ne sont pas ex- 
- ploitées. Il y a quarante ans environ, que des Chi- 
nois en petit nombre s'étaient établis sur les îles du 
Rendez-vous, et avaient commencé avec succès l’ex- 
ploitation des mines d’étain. Bientôt leur ville s’aug- 
menta rapidement et devintle point de mire desjon- 
“ques chinoises qui s’y rendaient directement. Mais 
- ensuite les pirates attaquerent la place, en tuérent 
. tous les habitants et brülèrent tout ce qui s’y trou- 
Yait; depuis cette époque, l'exploitation des mines 
d’étain a été tout à fait abandonnée. 

» On trouve l’antimoine, que les naturels désignent 
sous le nom de Batou-Tjilla, dans le lit des rivières. Si 
le prix en était plus élevé on pourrait en charger des 
navires. Depuis deux ans, la ville de Sadong a pris une 


…très-grande importance, grâce à l'exploitation de l’an- 


“timoine. Dejà , on a pu avec ce métal, faire le char- 
gement de dix ou douze navires à voiles. En moins de 


1 839, 
Juillet, 


an 


42 | ORONAGEATE 


_lam el sur les îles du Rendez-vous , on ci 


_ quaire ans, Sadong qui n’était d'é al Fa u 
est devenu une ville très-remarquable, 

_» On trouve dans plusieurs localités, n 
lement dans la rivière Pinon, au-dessus de 4 
et près de la rivière de Mélawié, des aiman 
rels; mais les indigènes n'en font auct Ras 
les recherchent pas. 2 . us 


parer pour aire un objet Fonte ET 
» Dans le rOyauRae de Sinon: près de el rivié ( 


suivant que dune est pen ou seche; 
les années de sécheresse, on en récolte plus d de : 
picols. MU, 

» Sur toute la côte ouest de Bornto et. due les | 
environnantes, il existe des rochers recherchés 
les hirondelles appelées salangan pour y faire 
nids dont les Chinois sont si friands. Dans les îles 
Carimata, on compte vingt-sept rochers q 
nalent vingt piças de nids de PFemiore LL alit 


s 


DANS L'OCÉANIE. 129 


chers d’un grand révenu qui appartiennent au roi. 0 
Les îles entre Pontianak et Sambas possèdent aussi 
quelques rochers d’un faible revenu; mais à Sambas, 
près de Loendoe El existe un rocher dont le sultan tire 
un grand profit. À Soukong, dans le district de Lan- 
dak, un seul rocher fournit neuf picols de nids de 
deuxième qualité, Dans le royaume de Sintang, il y 
- a aussi plusieurs rochers dont les naturels ne tirent 
aueun profit. Le gouvernement hollandais ne retire 
rien de cette production du pays; les habitants ré- 
coltent tous les nids d’hirondelles et en font leur 


… » Dans les îles Carimata, les habitants se livrent à 
la pêche des holothuries (tripangs) : cet article esten- 
_core de peu d'importance pour le commerce extérieur. 

» Les Chinois utilisent des espèces d'algues marines 
nommées Agar-Agar* qui se trouvent en abondance 
sur la côte ouest de Bornéo, pour en faire une espèce 
de gelée, Cette industrie occupe un grand nombre de 
naturels qui recherchent cette plante pour la faire 
sécher et la vendre aux Chinois. 

» Les tortues sont abondantes sur la côte ; les nalu- 
_rels leur font la chasse pour en avoir l’écaille qui est 
très-estimée. Ces animaux viennent sur les points 
déserts du rivage pour y déposer leurs œufs: et il 
paraît que lorsqu'ils ont choisi une place , ils yre- 
viennent toujours. Les indigènes mettent à profit ces 
“habitudes pour exploiter les tortues. Lorsqu'ils sont 
“parvenus à les surprendre, ils les mettent sur le dos 


à CPAS 


1839. 


Juillet. 


10 


enveloppe, et on assure qu’elle peut don ne 


de pierres dites bezoard qui se trouvent dans la tête 
de certains animaux tels que les singes, les porcs-épics 


140 Dia VOYAGE | 


au-dessus d’un petit feu, jusqu’à ef écaill 


soit détachée de leur corps. Il faut 
ensuite à la tortue pour se munir di 


année Mines fois nee écailles LORS “ 


la partie septentrionale de l'île. ji 
» Enfin on recueille à Bornéo une grande quantité : 


et les cerfs. On les désigne dans le pays sous les ! 
noms de Gouliga-Monÿjet, Gouliga-Landak et Gouliga- 
Roussa. On emploie cette pierre dans la médecine et 4 
surtout pour neutraliser les effets des poisons. C On Ë 
l'exporte en abondance pour la vendre dans les au- . 
tres parties de l’Inde où elle est fort recherchée; sur 1 
les lieux mêmes, elle se paye un prix très-élevé. 5 

Pendant toute la nuit j'avais fait route pour m'é- 1 
loigner de la côte et gagner le large , aussi je fus très- 
étonné, rose le jour COMPARE à se faire, eu 


— 


AT 
c'e 


DIR je reconnus, dans l’îlot le pr rapproché 


DANS L'OCÉANIE. NAME 


Le cielétait chargé denuages ducôté de l’ouest ; bien- 
tôt en effet dans cette partie l'atmosphère fut sillonnée 
par de nombreux éclairs accompagnés par la foudre. 
Nous fûmes assaillis par des vents violents qui nous 
forcèrent à serrer promptement nos voiles. Toute- 
fois la bourrasque fut de courte durée, une belle brise 
lui succéda ; nousfranchîmes lestement le groupe des 
Natunasdont nous n’apercümesles grandes terres que 
de fort loin , et le soir nous n’étions qu’à sept milles 
environ de la terre de Bornéo. Elle se termine à la 
mer par une pointe assez arrondie dominée par une 
haute montagne conique. Tous les sommets que 
nous avions aperçus dans cette direction, et qui figu- 
raient des îles séparées, étaient réunis et semblaient 
former une chaîne continue que je crois être la chaîne 
des montagnes à antimoine. 

_ La pointe sur laquelle nous étions venus atterrir est 
probablement celle désignée sur les cartes sous le 
nom de Tanjong-Api; je donnai la route au N.-E. 
pour la nuit en recommandant de sonder régulière- 
ment et de tenir les ancres prêtes à être mouillées au 
Cas où nous eussions rencontré un de ces nombreux 
récifs dont ces mers paraissent être semées : le bras- 
Stage quoique faible (15 à 20 brasses) fut assez régu- 

lier, au point du jour nous aperçûmes encore les plus 
… septentrionales des Natunas, ainsi qu’une petite île qui 
m'était inconnue ; la surface de la mer était couverte 
de mollusques et de serpents d’eau, dont nos na- 
turalistes augmentèrent leurs collections de plusieurs 
“échantillons: enfin à midi toutes les terres avaient 


1839, 
Juillet, 


11 


1839. 
- Juillet. 


16 


17 


18. 


de la Zélée, saccomba dans la journée du 


Dee PE son zèle et. sa Mate 2 c0: il fut 


Soirée nous reconnûmes d'ases près les les be. 


, 5 - $ | Dar RME ‘à 
482 3 VOYAGE He | 


disparu , la brise était régulière, et 
sur la pointe nord de Bornéo. L 
. Le nommé Pied, matelot de premi r' 


marin entendu, un homme tranquille, rec 


et infortunés compagnons. SA 
Le lendemain nous passions à peu près saégale dis = 
tance entre les récifs désignés sous les noms dé 
Louisa et Royal-Charlotte , pour prendre connais- 
sance de la pointe nord de Bornéo; le 17 à midi | 
nous apercevions, quoique de fort loin, la mon- 
tagne de Kini- Balo et les hautes terres. qui ‘dans | 
cette partie forment le rivage de Bornéo ; _bientô 
un grain violent nous amena beaucoup de vent et des 
torrents de pluie ; mais il fut de courte durée. Dansla | É 


n'était plus possible de passer au sud des à es 


DANS L'OCÉANIE. 143 

lambangau et Benguey. Dés lors je serrai le vent 

pour rapprocher ces terres et les prolonger dans le 

nord: La première de cesiles est médiocrement élevée 

et peu accidentée, la seconde est surmontée par un 

pétit sommet totalement boisé. Nulle part nous n’a- 

“percümes de traces d'habitants. Dans la soirée nous 
avions doublé tous les récifs qui bordent la côte de 
 Benguey dans le nord, et nous apercevions les hauts 
sommets de Cagayan-Solo ; mais la brise mollit tout 


à coup, et nous ne pûmés nous approcher que dans la 


journée du surléndemain , des îles qui forment LE 
pe de Solo que je voulais visiter. 


- Le 20, dé grand matin, la vigie signala une petite 


2 ‘île basse et boisée sur tribord, faisant partie probable- 
ment du groupe désigné sous le nom de banc T'ahow; 
bientôt nous apercüûmes les îles Dokan. De forts cou- 


rants nous avaient entraînés dans le sud; un instant 


. même je crus que les terres basses qui se trouvaient 
. devant nous, étaient les îles Peugootaran, et je fus sur 
le point d'engager nos corvettes dans l’archipel Do- 
… fan, mais enfin les hauts sommets qui couronnent la 
” grande île de Solo se dégagèrent, et nous pümes 

faire route pour gagner le mouillage. Les îles Dofan 
sont séparées des îles Oobeean et Pangoolaran par un 
espace de mer qui paraît embarrassé par de nom- 
breux récifs : la sonde y indiquait un brassiage très- 
_ irrégulier. Le soir je crus devoir courir une bordée au 
large pour éviter tout danger ; le lendemain, poussés 
= par une belle brise, nous eûmes bien vite dépassé 

- cetienombreuse bande d'îles basses et hoisées qui s’é- 


1839. 
Juillet, 


1. 20 


21 


1839. 


Juil'et. 


Moro à = vovane | 


FN PURE sa verdure est 1e 


Î ! 


tendénit au nord de l'ile Solo, . " ni 


tions la côte de la Grande-Terre : 


minent de bélles ne couvertes on ‘ 
admirables. La côte que nous suivir 1 
était garnie e de cocotiers ; des 


mâts portugais, et enfin un He me 
aucune couleur : c'était la rade de sa in 


* Note 12. 


DANS L'OCÉANIE. 145 


CHAPITRE LII, 
our sur la rade de Bewan (iles Solo), 


… La baie de Bewan est vaste, mais peu profonde et 
entièrement ouverte aux vents du nord , le mouillage 
en est cependant bien abrité par les îles nombreuses 
de Bangas, Pangasinan, Takoot - Kababawan, etc. 


La côte est basse et boisée; le fond de la baie est oc- 


cupé par la ville dont les maisons, bâties sur pilotis, 
s’avancent en partie dans la mer. Ces habitations, qui 
communiquent entre elles par de nombreux ponts en 


- bambous, produisent, vues de la rade, un effet des 


plus pittoresques ; elles sont dominées par une espèce 
de citadelle formée avec des pieux garnis de terre. 
_ Noscorvettesétaient arrivées sur la rade, couvertes 


_ de leurs couleurs nationales ; nous ne tardâmes pas 


à voir déployer au mât de pavillon de la forteresse, la 

grande enseigne du sultan de ces îles. Un navigateur 

français, Sonnerat, dans le voyage qu’il fit à Solo 

en 1772, a dit: que le sultan de cette île, afin de 
WI ’ . 10 


1830, 
31 Juillet, 


1839. 
Juillet, 


486 VOYAGE 


flotter sur ces îles encore indépendantes ; seulement 


- conservé dans leurs traditions que le drapeau blanc 


montrer son amitié pour la nation française É: 


Li ms RES 


demandé le pavillon français; il paraît que depuis 


#74 FA Ne LL O 


cette époque, le drapeau blanc n’a jamais cessé de. 


celui que nous aperçümes était bordé d’un petit M 
séré noir et d’un écusson au -milieu, représentant 
les portes de la Mecque. J’ignore si les habitants ont 


était jadis le pavillon dela France, et s'ils savaient, à 
l’époque de notre passage, qu’il avait été ed 4 
par le drapeau tricolore; mais ce qu’il y a decertain, 
c’est que nos corvettes mirent en émoi la population 
tout entière, En un instant tous les hommes accou- « 
rurent armés pour défendreleur indépendance qu ils 4 
croyaient menacée. 14 
Ces insulaires ont de tout temps été adonnés üle) pi- 
raterie, rançonnant tous les navires faibles ou mal ar- 
més qui s’aventurent dans ces parages. Le brig goë- 
Lette que nous avions trouvé sur la rade était, à ce qu’on 1 
nous assura, un bâtiment de commerce hollandais cap- M 
turé depuis fort peu de temps par ces hardis forbans, 1 
qui, depuis cette époque, redoutaient chaque jour « 
de voir des navires de guerre de cette nation venir dé- 
vaster leurs demeures pour venger l’insulte faite à « 
leurs nationaux. l’arrivée de nos corvettes, la res- « 
semblance de notre pavillon avec celui de la Hollande, | 1 
avaient réveillé toutes les craintes de ces hommes, et. | 
ils avaient couru aux armes en nous Yoys a cr ive fe 
Ignorant ces événements , j nos , 4 


DANS L'OCÉANIE. 447 
cet officier avait pour mission d'aller saluer le sul- 
tan de ma part, de lui faire part de mes intentions 
amicales, et dele prévenir que le lendemain j'irais le 
visiter dans sa demeure. Aussitôt que notre embar- 
cation toucha au rivage, j’aperçus des troupes nom- 
breuse de naturéls armés de lances qui entourèrent 
nos marins. Quelques instants après, je reçus la vi- 
site du capitaine portugais dont le navire était 
mouillé sur rade: il me fitdes naturels un tableau 
que je supposais exagéré , mais qui toutefois était peu 
rassurant. Aussi ce fut avec plaisir, qu’une heure 
| après environ, je vis M. Duroch, accompagné encore 
par une foule nombreuse d'hommes armés, regagner 
 paisiblement son canot qui l’attendait à la plage, pour 
revenir à bord. Voici le rapport qu’il me fit à son re- 
tour sur l’enirevue qu’il avait eue avec le sultan. 

_« En quittant le bord, j'étais assez embarrassé de 
Ma personne, je ne savais comment je pourrais me 
. faire entendre des gens auxquels j'allais avoir affaire. 
J’allai accoster un des navires espagnols que nous 


avions trouvés sur rade ; le capitaine me donna fort 


obligeamment un homme pour me servir d’interprète, 


- ét je fis route droit sur le repaire de ces redoutés 


forbans. Ghemin faisant, je rencontrai une embar- 
cation portant quatre estafiers de Sa Hautesse qui 
gouvernaient sur la corvette; ilsrallièrent mon canot, 
et je me dirigeai avec eux vers les premières cases 
de cette Venise en bambou. | 

….  » Nous arrivämes bientôt sur un vaste banc, sur les 
rés duquel sont élevées les premières maisons : 


« 


1839. 


- Juillet. 


1839. 
Juillet, 


118 | VOYAGE 


elles sont séparées entre elles par un tu ou spi: 
par une lagune assez large où étaient mouillés dix à 


douze praos aux formes fines et gracieuses. Les gueules 1 
des petits canons de bronze qui se montraient sur : 


leurs ponts indiquaient des intentions tout à fait 
belliqueuses. Nous traversämes CHERS et vin- 
mes atterrir aux premières cases. ni 


» Ces Cases, construites en bambou comme CCE 


de la Malaisie, étaient perchées sur de forts pilotis 
de dix à douze pieds de hauteur; elles étaient entou- 
rées d’une galerie circulaire sur laquelle on arrivait 
par une facon d'échelle. Des deux côtés du canal, ces 
galeries étaient couvertes d’une foule immense parmi 


laquelle je ne vis pas une femme. Nus jusqu’à da 1 


ceinture, armés d’une lance et d’un bouclier , le kriss 
passé à la ceinture , tous ces hommes paraissaient en 
proie à une vive surexcitation; de tous les points, jeles 


voyais accourir autour de moi brandissant leurs ar- 


mes, et poussant des cris et des hurlements sauvages. 


Cependant je n’avais rien à redouter ; nos corveites M 
leur avaient inspiré une crainte salutaire. Toutes ces 4 


démonstrations guerrières, tous ces cris n ’étaient 
que vaine fanfaronnade, etsous leur mine formidable, 


la plupart d’entre eux tremblaient de tous leurs MemM- M 
bres. Nos corvettes étaient là, sombres et mena- M 
çantes , et la vue des gueules béantes de nos. canons 4 


= EE FL 
les calmait singulièrement. 


»Je mis pied à terre au milieu de la foule quis 5’ é- ‘4 | 


_carta assez respectueusement , et laissant Je canot ; 


‘sous la surveillance d’un élève ae je recomman- 


 DANS/L'OCÉANIE. - 149 


dai de se tenir à flot et de ne laisser débarquer aucun 
de ses hommes, je GE entendre à mes quatre esta- 
fiers qu’ils eussent à me conduire chez le sultan. 
Nous nous mîmes en marche, mes gardes du corps 
me placérent au milieu d'eux, les premiers faisaient 
ranger la populace, et les deux autres suivaient ar- 
_més d’un long fouet pour chasser les gamins qui se 
pressaient sur nos pas. k 

» Les cases où je débarquai forment un groupe à 
part : il est joint à la ville par un pont de pres d’une 
encablure de longueur, et j’eus besoin de toute mon 
adresse pour ne pas me jeter vingt fois à la mer. Ce 


pont d’acrobates était composé de deux planches ver- 


. moulues, posées sans garde-fou sur de longs bam- 
bous de quinze pieds de hauteur : elles étaient mal 
jointes et si mal ajustées sur leurs frèles appuis que 
chaque bouffée de vent faisait vaciller tout l’édi- 
fice; le poids seul d’un homme semblait devoir le 
faire écrouler. Mes coquins, avec leurs larges pattes 
nues, marchaient d’un pas ferme et lui imprimaient 
de telles vibrations qu’elles me faisaient chanceler à 
chaque pas et m'obligeaient à avoir continuellement 
mes deux bras en balancier, position qui n'allait pas 
le moins du monde à la gravité de mon caractère 
d’ambassadeur. | 

»Je franchis enfin sans encombre , et me trouvai 


dans le Campong chinois : ici les maisons étaient 


. mieux construites et indiquaient l'esprit plus indus- 
 trieux de leurs habitants: elles étaient assez rappro- 
chées les unes des autres, et formaient une longue rue 


1839, 
Juillet, 


.. 4839. 
Juillet, 


quantité de bétel, d’areck, et de tabac. 


150 _ VOYAGE 


étroite et régulière qui nous conduisit à un bazar où. 
étaient étalés tous les fruits de l’île et une énor rme 


» Le quartier chinois est séparé du reste de la ville 4 
par un canal. Je me désolais à l’idée de faire de nou 
veau de la gymnastique, attendu que pour arriver 
à la terre. ferme il fallait encore traverser un de ces | 
ponts de saltimbanque, et celui que j'avais devant 
moi me paraissait encore moins confortable que celui Ê. 
que je venais de traverser. Cependant j'allais brave- 4 
mentm'exécuter, lorsque j'entendis un bruit assour- 
dissant de gongs et de tams-tams, et j’aperçus la plus 
drôle de caricature que j'aie jamais vue. 4 

» C'était une femme complétement nue , à califouv- 
chon sur un buffle, jambe decà, jambe delà, comme 
un soldat romain ; elle allait au pas et tenait à la main 
une longue lance. La dame avait dépassé l'âge mûr et 
partant était peu ragoûtante. Je ne pus m'empêcher 
de rire au nez de cette amazone de nouvelle espèce, 
ce dont elle parut fort irritée. Ce spectacle n'était 
probablement curieux que pour moi, car mes guides … 
n'y firent pas la moindre attention, et la gravitéetla . 
contenance de la respectable matrone indiquaient 
que pareille chose devait se voir souvent dans ce. sin 4 
gulier pays. | 0 a. 

» Le re passé, j sr bravement 1e pois 1 ke 


était mieux. établi et pe sé que le 266 ier, $ 
c jan enfin, à ma Rae 10164 sur la & terre 4 


DANS L'OCÉANIE. 151 


de laquelle s'élevaient quelques grandes maisons 
isolées. ” 


» Nous étions arrivés au terme de notre course, et 


nous nous dirigeâmes vers une grande maison en 
bambou comme celles de la Malaisie , mais construite 
avec un luxe d’ornements que je ne m'attendais pas 
à rencontrer. Les poutrelles , les solives étaient gar- 
nies de sculptüres grossières , il est vrai, mais qui 
attestaient cependant une sorte de talent. C'était la 
demeure du Datou-Molou, espèce de visir au petit 
pied. Mon interprète m’engagea à lui faire ma visite 
avantde me rendre chez le sultan. Le datou, ministre 


ou visir, était un haut et puissant personnage, et 


jouissait même, me dit-il, de beaucoup plus d’in- 


fluence que Sa Hautesse, son seigneur et maître. Je 


me dirigeai donc vers la demeure de ce puissant 
chef. On me fit faire antichambre un instant, puis 
je fus introduit dans une vaste pièce remplie d’hom- 
mes armés de pied en cap; un sabre à lame large et 


brillante, pendait à leur ceinture; tous affectaient 


une mine formidable. Ils s’ouvrirent pour me faire 
place , et je me trouvai bientôt devant un petit vieil- 
lard, presque blanc de peau : sa figure sèche et ridée 
paraissait vieillie plutôt par les excès que par l'âge ; 
il me recut de Pair le plus gracieux, et nous entrà- 
mes en matière par une chaleureuse poignée de 
main. 

» La maison se composait d’une vaste salle, faible- 
ment éclairée par une fenêtre dans le fond. Dans 
cette salle en était construite une autre entièrement 


1839. 
Juillet, 


1839. 


Juillet. 


‘une galerie de cinq à six pieds de largeur. | 


_roles aux nombreux témoins de cette scène. », 


La VOYAGE 


ouverte sur une de ses faces , et laissant auto 1r d’e 


lerie était encombrée de ballots, de marchan 
Quelques mauvais meubles d'Europe, de grands | 
huts, quatre ou cinq fauteuils et chaises de Lot en à 
composaient l'anfeublement. La chambre intérieure É 
était plus somptueusement ornée. De belles tentures | 
en soie garnissaient le plafond, les murailles, et un 
grand tapis couvrait tout le plancher. Mon homme 
s’accroupit et s’étala nonchalamment sur une piles de se : 
coussins ; je pris place à côté de lui. | 

» Nous nous secouâmes une seconde fois la: main, 
puis, il m'offrit un cigare du plus fin tabac de Ma- 
nille. Je lui exposai le but de ma visite, et luidis « 
que le commandant m'avait envoyé à terre pour pré- 4 
senter ses respects au sultan; que nous arrivions fa— 4 
tigués d’une longue et pénible navigation; qu’il nous 
fallait des vivres frais, de l’eau et une place à terre : 
pour faire nos observations. Les habitants ne savaient 
trop à quelle nation nous appartenions; à nos Cou- … 
leurs , ils nous avaient pris pour des Hollandais , et” ÿ 
c'était là ce qui avait jeté l'alarme dans toute la po= L 
pulation; Datou-Molou me fit répéter à plusieurs re « 
prises que nous étions Français, et traduisit mes pa- 


1 


» Il finit enfin par me dire (sans qu’il fût le moi 
du monde question du sultan), qu’il avait, lui, 
Datou-Molou, écrit par un navire du commerce à" 


DANS L'OCÉANIE. 153 
appris ce fait à Sincapour , le commandant était 
venu exprès à Solo pour répondre à ses avances. À 
ces mots, les figures patibulaires de l’auditoire se dé- 
ridèrent un peu, et cependant toujours méfiants, 


ils n’accueillirent pas cette ouverture aussi bien que 


… je l’aurais cru. Enfin, chose curieuse, quand notre 


conversation fut sur le point de finir, il me demanda 


- de nouveau, ses yeux cherchant à lire dans le fond 
_ de mon âme, s’il était bien vrai que nous n’étions 


pas Hollandais ; sur ce, nous levämes la séance etil 


me dit qu’il voulait me conduire lui-même chez le 
sultan. | 


» Nous partîimes, en effet, escortés par une foule con- 
sidérable et très-turbulente : pour indiquer que la 


- plus grande amitié nous unissait, le ministre me te- 
- nait par la main droite, et ce fut ainsi que nous tra- 


versämes la place au fond de laquelle s'élevait le 
palais du sultan. C'était, comme celle du ministre, 


une grande maison en bois, élevée de quelques pieds 
… au-dessus du sol; un escalier de plusieurs marches 


condüisait sur une plate-forme précédant l'entrée 


— des appartements; autour de l'édifice régnait un 
- rang de palissades de quinze à vingt pieds de hau- 
B teur. | 


» Nous fûmes introduits dans une grande salle carrée 


- toute simple; les murs, le plafond, étaient entière- 
ment nus; la foule nous avait devancés et n'avait laissé 
» qu'un vide égal à l’épaisseur de nos corps; ce ne 
— fut qu'après avoir traversé cette haie vivante que je 
me irouvai enfin en face du souverain de l'endroit. 


1839. 
Juillet, 


1839, 
Juillet. 


passible. Il ne me répondit jamais directement : à 


154 Ds | NORAPE 


quelques sur de cheveux noirs ET 
costume se composait d’une veste flottante en étoffe 
de Chine qui laissait voir un gilet de soie fermé éf a 

des boutons de pierres précieuses , un large pantal n 
serré aux hanches, lui tombait à mi-jambes, sa 

gure d’un jaune cibté paraissait indiquer la souffrance | 
Le maintien de cet homme était calmeet graves Lt 


+ < Del, CNT 


* 


» Je lui fis un salut qu’il me rendit gracieusement, 
et ilm’indiqua un siége en face de lui; le datou prit. 4 
place à sa droite, et avant de commencer la confé- * 
rence chacun alluma un cigare; puis je lui rép étai. 
ce que j'avais dit à son ministre. Il ne témoigna au= À 
cune curiosité, sa figure resta toujours grave et im 


chaque question que je lui posais, il ne répondait que | 
par quelques mots dits bien bas à l’oreille deson minis- 1 
tre. Enfin, après lui avoir bien et dûment expliqué les 
motifs de notre venue, je lui fis demander s'il pou- 
vait nous donner une place pour y faire nos observa 
tions, je n’obtins qu'un refus; de l'eau, même, 
ponse. LAN 
_» Le peuple de Solo était, disait-il, fort me 
l'autorité des chefs ne suffirait pas à prévenini 
sordre , etc., etc. LR AE 
» Mais le peuple de si formidable min s 
si diable qu’il en avait l'air; les habitants a 


DANS L'OCÉANIE. 7 156 
de nous, ils s’exagéraient notre nombre, la force de 


nos navires ; la véritable, l’unique cause de ces refus, 
n'étaitautre chose que la frayeur qui travaillait le sul- 


tan et son ministre, et l’idée, la fatale idée que nous 
étions Hollandais. Enfin, après une audience d’une de- 


. mi-heure, j'annonçai au sultan la visite du comman- 
- dant pour le lendemain et le quittai après avoir serré 
ë STE 1 0 É 

. la main du ministre: més quatre estafiers me recon- 


duisirent au canot, je les emmenai à bord, et ils pu- 
rent visiter le navire tout à leur aise. » 


Ce rapport de M. Dur och me confirma les bruïts 
que j'avais recueillis à Sincapour sur le désir des ha- 


bitants de Solo de commercer avec les Français. Ce 
vœu me paraissait du reste d’autant plus naturel, 


que parmi toutes les nations maritimes dont les vais- 
seaux marchands sillonnent ces mers, les Américains 
et les Français sont les seuls peuples qui n’ont aucun 
établissement dans l'archipel Indien. Les habitants de 
Solo , très-jaloux de leur indépendance, et désireux 


… d’un autre côté d'établir des relations commerciales 


at RS CNP tee +04 à 


nécessaires à leurs besoins, devaient de préférence 


s'adresser aux Européens dont les envahissements ne 


leur ont jamais donné aucune crainte en menaçant 
. leur liberté. Toutefois, d’après ce qui était arrivé à 


M. Duroch, je pus me convaincre que le sultan jouis- 
sait de bien peu d'autorité sur ses sujets ; et dès lors 
je pus prévoir qu’il serait bien difficile à nos natio- 


LP" de pouvoir jamais établir des relations suivies 


… de commerce avec un peuple renommé pour ses bri- 


D ages. et qui ne reconnaissait d’autres lois que 


1839, 
Juillet, 


1839, 


Juitiet. 


moins à faire au sultan une visite officielle , afinc e 


156 VOYAGE 


celles que peut imposer la force. x e n’en persisti pas 1 
m'entendre avec lui , et je voulus déployer dans ce cette 
circonstance tout l’appareil militaire capable de ren- 4 
dre ma démarche le plus eflicace possible. «4 

Pendant le reste de la journée, les naturels ne se 
montrèrent point à bord de nos corvettes : irait | D 
évident que leurs craintes ne s'étaient point totale- « 
ment dissipées , et qu’ils conservaient une grande dé- L 
fiance envers nos bâtiments, qu’ils supposaient tou-= « 
jours être des navires de guerre hollandais. Quelques « 
embarcations vinrent rôder autour de nous, en se 4 
tenant à une grande distance ; mais comme dans ce : 
moment on ouvrait les sabords pour aérer les navires, î 
les naturels aperçurent nos canons, et ils se hâtèrent i 
de se ranger derrière les corvettes, évitant avec # 
soin de se trouver dans la direction des bouches à 
feu ; enfin le coup de canon de retraite, tiré par l’Æ4s- 
trolabe au coucher du soleil, les fit rapidement fuir « 
vers la terre, où bientôt les embarcations dispae À 
rent dans la rivière. ; | | 

Dans la soirée, MM. Ducorps, Lafond et DEN 1 
profitèrent d’une embarcation dirigée par un bisayas W 
de l'équipage du navire portugais, pour descendre à 
terre. « Peu d’instants suffirent, dit M. Desgraz, pour 4 
nous mettre au pied d’une mauvaise échelle de bois 
attenant aux premières maisons de la ville, habitées 4 
par fes Chinois. De légers ponts, étroits, flexibles 4 


1€ se DRREeE 


DANS L'OCÉANIE. | 157 


des pilotis de six à sept pieds de haut. Pendant que 


nous cheminions sur cette route acrobatique, nous 
remarquions, dans les indigènes que nous rencon- 
trions , un air de méfiance prononcée. Plusieurs por- 
taient la main sur leurs longs kriss, lorsque nous 
passions à leurs côtés ; et pour ma part, je pensais 
qu’il était plus prudent de rétrograder. 

» Après plusieurs détours , nous atteignîmes la terre 
ferme et nous passâmes au milieu d’un marché de 
fruits où des femmes, vêtues d’un simple sarang, 
vendaient des bananes, des mangoustans, des fruits 
ressemblant à des prunes, etc. Près de là se trou- 
vaient des bœufs sellés et bridés, ainsi que des che- 
vaux , qui probablement avaient servi à transporter 
ces comestibles. Du reste, la population conservait 
toujours un air méfiant ; un groupe d'hommes armés 
suivait constamment nos paset échangeait parfois un 
mot ou deux en espagnol. Peut-être la froideur ap- 
parente que nous remarquions n’avait-elle rien de 
. désobligeant pour nous ; peut-être même ces précau- 
- tions étaient-elles la conséquence des mœurs de ces 
- hommes livrés à la piraterie. Toutefois cette vue n’a- 


« vait rien de rassurant pour nous. Pour la première 


fois nous voyions entre leurs mains des kriss aussi 
longs que ceux qu’ils portaient ; quelques-uns avaient 
jusqu’à trois pieds de long. | 

» Déjà la nuit s’approchait, lorsque nous dépassà- 


mes une enceinte de palissades où une embrasure 


- carrée nous laissa voir un vieux canon rouillé et en 


mauvais état, d’un calibre assez fort, que j'ai estimé 


1859. 
Juillet. 


1830. 
Juillet. 


Ab: d'aller ais avant, /l pourrait 


_voudraient m’accompagner seraient 


1. an Mae à 


malheur, nous disait-il. 1 vaut mieux ! 
votre bord. La onde on msi vous 5 faire dh d Ë 


laissé, et bientôt après nous atteigri fines 1 stat Lors | 
de notre retour, les habitants de Solo continuèrent à | 
porter la main à leurs armes pendant que nous pas = 
sions. Au moment d’embarquer, l’un d'eux vint nous 1 
demander pourquoi nous étions venus à à terre ; on. 
lui répondit que c'était pour nous promener, «Bt rai 
voir aussi,» reprit-il. | 
Ainsi, il était évident que, malgré la aciart 
qui avait été faite dans la journée par M. Du och 
auprès du sultan, les habitants de Solo continuaie 
à voir en nous des ennemis cherchant par la r'uS 
préndre toutes nos RER POUR les M 


pompe possible, je décidai que tous les € 


_ 


DANS L'OCÉANIE. 159 


qu’en outre, douze hommes de chaque navire descen- 
draient avec leurs armes et formeraient une garde 
d'honneur. Par mesure de précaution et dans l’éven- 
tualité qu’un exercice à féu pourrait donner à ces 
pirates une haute idée de nos forces, chaque homme 
dut avoir sa cartouchière parfaitement garnie. 

A huit heures du matin, les embarcations chargées 
de monde et portant les couleurs nationales se diri- 
gèrent sur la ville ; au même instant l’Astrolabe fit un 
salut de treize coups de canon, et nos deux corvettes 
déployèrent leurs grandes enseignes. Les tambours 
et les fifres, placés sur l'avant des canots, exécutè- 
rent pendant le trajet des marches guerrières. 

_ La ville de Solo ést située à l'embouchure d’une 
rivière qui se jette dans la mer au fond de la baie 

Bewan. Toutes les maisons sont bâties au-dessus de 
l’eau et reposent sur des pilotis ; elles communiquent 
entre elles par des ponis en planches; trés-étroits , 
‘que l’on enlève à volonté, et qui permettent de les 
isoler, soit séparément , soit par quartiers. Elles sont 
- disposées sur les deux rives de manière à laisser entre 
… elles un grand espace libre qui forme., à proprement 
parler, le lit de la rivière, et qui sert à la navigation 
. des pirogues et des barques. Du côté de l'Est et du 
Sud, ces maisons communiquent à la terre ferme par 
. des ponts en bambous. On remarque encore sur la 
rive droite de la rivière une enceinte qui entoure la 
ville, et qui est formée par des palissades de dix à 
… douze pieds d’élévation. Gette enceinte s'appuie sur 
_ deux petits forts, formés aussi par des pieux fichés en 


1839. 
Juillet, 


22 


Pl. CXXXIX. 


. 14839, 
Juillet, 


rins, celle des pierriers et des espingoles qui garnis- « 


160 | : VOYAGE 


de ce canal il existe une autre forteresse du en À 
genre, plus grande et dominant toutes les autres. Elle ‘4 
est isolée par les eaux de la rivière qui la baignent 1 
de tous côtés ; elle ne communique avec la terre 4 
ferme que par une chaussée irès-étroite et un grand 
pont. C'est la résidence du sultan , au- dessus de la- 4 
quelle flotte le pavillon blanc de Solo. A 

Nos canots arrivèrent en bon ordre à l’entrée de h À 
rivière. La vue des mousquets que portaient nos ma- 4 


saient l’avant de nos embarcations; enfin le nombre « 
des officiers , tous en tenue brillante et armés pour la 4 
plupart de fusils à deux coups, vinrent réveiller toutes . 
les craintes des naturels. Tous les ponts en bambous, » 
sous lesquels nos embarcations étaient obligées de 4 
passer, se couvrirent de guerriers armés de kriss et. 
de lances. L'aspect de la population était vraiment | 
menaçant. Nous n’en continuâmes pas moins notre | 
marche dans le canal, et nous vinmes prendre terre à 
sur la plage de la chaussée située à droite du palais 
du sultan et à côté de plusieurs tombeaux. Les eau 


étaient assez basses, en sorte que le débarquem 


que j’acostai le rivage avec M. Jacquinot, ( 
nos deux détachements rangés en bon ordre et. 


DANS L'OCÉANIE. | 161 
bataille sur la plage. Une foule immense, paraissant 
en proie à la plus vive excitation, les entourait en 
_agitant des kriss. Nous attendîimes pendant quelque 


temps avant de nous engager dans la ville :'enfin, au 


bout de dix minutes, arriva Datou- Molou, capi- 


taine du port remplissant les fonctions de ministre de. 


_ Ja marine. C'était lui qui avait écrit au roi des Français 
la lettre dont le contenu avait motivé ma présence sur 
la rade ; c'était lui qui s’était chargé, la veille, de 
transmettre les réponses du sultan à notre demande. 
Il paraissait inquiet et contrarié par le tumulie qui 
s'étaitélevé dans la ville à la vue de nos hommes armés : 
et il ne pouvait dissimuler ses craintes au milieu 
d’une population aussi méfiante et aussi turbulente 
que celle qui nous entourait. Je m'empressai, pour 
le rassurer, de lui faire entendre que les marins qui 


nous accompagnaient n'étaient là que pour faire hon- 


neur au sultan , et que notre visite était tout amicale. 
- Enfin Molou, après avoir hésité à nous introduire 
dans la ville, pressé par mes demandes, n’osa plus re- 
culer, et, prenant bravement son parti, il nous condui- 
. sit,en me donnant la main, vers la forteresse du sultan. 
I nous failut franchir d’abord des ponts très-étroits, 
puis ensuite une espèce de couloir entre deux encein- 
‘tes de palissades, qui, en cas d'attaque, aurait rendu 


notre retraite très-dificile. Toutefois je ne prévoyais 


_ pas la possibilité d’un pareil dénoûment, bien que 
nous fussions suivis par une foule nombreuse et que 
Vagitation füt à son comble. Bientôt après nousfûmes 


introduits directement dans le dalem (résidence du 
vIL. 11 


1839, 
Juillet, 


1839. 
Juillet, 


PI, CXXX VIII. 


DS AE “VOYAGE 


grands coffres, provenant sans doute des : 


sa maison en n bambou des plusn mod d 


ne d'hommes , les uns à nu les autres à à à cheval "3 
mais tous armés de kriss, de lances et de bouc i6ts.. À 
Leurs cris, leurs disputes entre eux, enfin leur air à 
peu bienveillant, semblaient indiquer qu'ils nous 
voyaient du plus mauvais œil. Datou-Molou -épuisa 4 
vainement son éloquence pour les engager à se reti= 4 
rer : ceux-ci parurent fort peu l'écouter. Toutefois L 
ces hommes turbulents ne firent aucune tentative M 
hostile contre nos détachements , Qui restèrent paisi- { 
blement l’arme au pied pendant toute la durée “és: la. 
conférence. : ;. 7 \5 4 

Tout cela était fait pour donner une triste Dre 4% 
de la puissance du sultan. Son autorité ne fut pas 
même suffisante pour faire respecter sa demeure; à | 
en un instant elle fut envahie par une foule nom: ‘ 
breuse, au milieu de laquelle nous ciné de la pein . 
à nous faire jour pour arriver jusqu’à lui, La salle É 
dans laquelle nous reçut le sultan était vaste. et. | 
mal meublée ; le plancher de bambou était couv er 
de nattes; au milieu figurait une table, pres, de la 
quelle ce chef était assis. Au fond se urouvaient | 
tassés le long de Ja muraille plusieurs étages 


ces forbans ; enfin une grande quantité 
de fauteuils généralement en fort. 


DANS L'OCÉANIE. 163 


complétaient l’ameublement. Après s'être levé pour ju 
me saluer, le sultan reprit sa place près de la 
table. À sa droite il plaça Datou-Molou, le chef le 
plus puissant de l’île. À sa gauche il fit asseoir Datou- 
Tahel, qui, après Molou, est l’homme le plus ri- 
che et le plus influent. Une grande quantité de 
datous, de chefs montagnards portant des figures 
vraiment barbares, se tenaient droit derrière le sul- 
tan. Je me plaçai en face; les officiers qui m’ac- 
compagnaient au nombre de dix-huit se rangèrent 
sur des siéges, autour de la table, et nous nous trou- 
vâmes bientôt entourés par une foule compacte qui 
avait déposé il est vrai ses lances à la porte, mais 

qui conservait encore le kriss à la ceinture. 

L’agitation qui animaïit toute cette population au 
moment de notre entrée dans le dalem, fut longue à se 
calmér. Cependant le silence s’étant établi, je voulus 
entrer en conférence ayec le sultan ; ce fut le ministre 
… Molou qui, s'exprimant assez bien en espagnol, se char- 
1 gea à chaque fois de me répondre, après s'être consulté 
€ à voix basse avec le sultan. «J'ai appris à Sincapour, 
…luidis-je, que le sultan de Solo avaitécrit il y a environ 
un än au roi des Francais pour l’inviter à lui envoyer 
… des navires de commerce et faire un traité de paix 
“ avec lui. Je me suis exprès dérangé de ma route 
$ pour passer à Solo et assurer sa population des in- 
“ientions bienveillantes de Sa Majesté le roi des Fran- 
“çais. Jadis, ajontai-je, la mauvaise réputation des 
“habitants de Solo, comine brigands et comme pi- 
“rates, avait empêché les navires de commerce 


41834 
Juillet, 


sa population. » Le ministre répondit : qu’en effet : 


166 NORGE EE 


français de visiter ces îles; mais si doré 


ils pourront désormais faire un commerce e suivi avé 
la lettre dont je faisais mention avait été adressée au 4 
roi des Français par un navire marchand, puis il “4 
confondit en salutations ; mais il n’osa point me “pro- ; 
mettre la protection que je demandais. Je voulus en- | : 
suite savoir quels seraient les articles de commerce à 
que nos nationaux pourraient venir charger dans ces 
îles, et quels seraient les objets qu’ils devraient ap- | 
porter en retour. «Il nous faut des étoiles, du drap, M 
de la quincaillerie et toute espèce d'objets d'in- 
dustrie, me répondit le ministre, et nous donnerons . 
en échange de la nacre, des perles, de l’écaille, dutri- 
pang et des nids d’hirondelles ; » il insista surtout. sur . 
ce dernier article qui est d’un très-bon débit sur les 4 
marchés chinois. | 1 RQ 

J'avais fait apporter plusieurs objets de nos manu 
factures que je comptais offrir au sultan, au nom du 
roi et comme témoignage de ses intentions amic es. 1 
Je choisis ce moment pour faire étaler ces présents. 
sur la table et sous les yeux du sultan; ils Le À 


de pistolets à pierres, gravés richemaoi he a 
une lunette à six tirages et enfin d’autres ob 
moindre valeur. Le sultan ne parut pas acc 
une grande attention à ces divers objet 
ses acolytes paraissaient les convoiter | 


“ 


DANS L'OCÉANIE. _ 465 


Son fils, jeune homme erand et bien fait, dont les 
vêtements, à l’orientale, brochés d’or, contrastaient 
avec la mise simple du père, saisit les pistolets et 
parut les examiner avec plaisir; il s’informa ensuite 
de l’usage de chacun des objets. Celui de la lunette 
parut lecharmer beaucoup. Tous les assistants regar- 
daient ces présents avec convoitise, et, à voir l'air 
craintif et embarrassé du sultan, il me sembla qu'il 
ne resterait pas longtemps possesseur de ces objets, 
dont son autorité contestée ne pourrait point qu 
cher le partage. 

;. Voyant que mon auditoire était bien disposé par 
_ les cadeaux que j'avais faits, je fis éomprendre au 
sultan que ma mission étant d'étudier toutes les pro- 

ductions naturelles des pays que nous visitions, 
j'attachais un grand prix à pouvoir me procurer 
tous les animaux de l’île, et je désirais surtout que les 
naturalistes pussent, en toute sûreté, parcourir le 

pays pour y ramasser des plantes et des minéraux. 


Mais à cela le ministre me répondit que c'était tout 


à fait impossible ; le sultan redoutait qu’il n’arrivât 
quelques accidents à mes officiers, s’ils s’aventu- 
räient dans les montagnes sans une escorte sufli- 
Sante pour les faire respecter ; et lorsque j'objectai 

. qu'un seul homme de la garde du sultan pourrait 

mettre nos naturalistes à l’abri de tout danger, le 

- ministre fut obligé de m’avouer que l'autorité du 
… sultan n’était que nominale, et qu’il lui serait im- 

“possible de prémunir les étrangers qui s’aventure- 
“raient à terre, non-seulement contre les attaques des 


£-: 


1339, 
Juillet, 


1839. 
-Juillét, 


gner plus tard une aiguade pour y rénotifélef 
_eau et d'envoyer à bord de nos navires tous les : an 


tifie qu'il n’y a ni éléphants, ni animaux féroces,» Sur 


166 VOYA GE 


habitants ds montagnes, mais même 1.0 
ses propres sujets. Datou-Molou me prôm 


maux qu'il pourrait se procurer. Il m'assura qu’ 1 
dehors des animaux domestiques, l’île né possédait 1 
que quatre espèce de quadrupèdes , savoir : desan- 
tilopes , des singes, des rats et des chäuvéss0tirts 4 
«On dit qu'autrefois, ajouta-t-il, il y avait des élé: 
phants dans un des districts de la côte méridionale, » 
mais, aujourd'hui, je certifie qu’il n° yenä pas ; jecer- 


ma demande, il m’assura aussi que le véritable nom 4 
de l’île dans la langüe du pays était S00g. Lés Espa. M 
gnols l’appellent Æolo, et toutes les autres nations 1 
la désignent sous le nom de Solo. La lañgue de cette ï ! 
peuplade diffère considérablement du Malaïo et du 4 
Bisaïa ; elle s'écrit en caractères arabes. Tous les’ ha L 
bitants des côtes comme ceux del’intérieur sont mit 4 
tenant Zslams (mahométans). ke: no 
_ Après cette conversation, le sultan fit placer dl la 4 | 
table, pour nous les offrir, une grande quantité dé ci 
gares de Manille ; les. consommateurs les trouvérent « | 
fort bons. Cette politesse, à laquelle je ne m'atteñidais à 
pas, je l’avoue, me fit itabréget la pie Je mé 1évél, [ 


la main ni sosie: j'eus reloiftié mon € : 
Le sultan me parut être un homme 
rante à quarante-cinq ans; il était p 


\ 


| . DANS L'OCÉANIE. | 167 
rien dans sa mise n’indiquait son rang. Il était vêtu 
comme tous les Malais de la classe aisée, d’une 
grande robe d’indienne à petits dessins. Sur sa tête 
il portait un mouchoir rouge en guise de turban ; 
son regard paraissait étranger à la dissimulation , 


n" 4 


_ mais il était aussi dépourvu de vivacité et d'énergie. 


Sa figure contrastait singulièrement avec celle des 
hommes qui nous entouraient de manière à nous 
empêcher de faire aucun mouvement. Avec un pareil 
entourage, le sultan eüt-il eu, comme les Européens 


le lui accordaient , les intentions les meilleures de 
nous être agréable, il lui était impossible de les mani- 


fester'; si elles blessaient les idées et les méfiances de 


ses sujets ; aussi je crois qu'il vit arriver avec plaisir 
la fin de la conférence. Mon intention était de faire 
exécüter sous ses yeux quelques manœuvres mili- 


taire par nos détachements; mais, à ma sortie du 
dalémi , il régnait dans la population une effervés- 
sence si grande, que je donnai immédiatement le 
sigtial du départ. La foule toujours menaçante de 


…— ces bandits nous accompagna jusdu’à nos embarca- 


tions, et nous avions déjà quitté le rivage que nous 


- entendions encore les cris qu’ils poussaient en nous 


voyant échapper à leuf fureur. Sans aucun doute, 
sans l'intervention des datous, qui firent tous leurs 


- efforts pour calmer le peuple, nous eüssions été atta- 


qués par ces hommes féroces que la vue de nos canons 
ñe contenait que modérément. | 
En quittant le rivage, deux officiers que j'avais 


autorisés, sur leur demande, à rester à terre, fu- 


1839, 
Juillet, 


1839. 
Juillet. 


datous, qui, disaient-ils, ne a, ne ne à 


les engagèrent à retourner d’abord sur leur navire , 


168 VOYAGE ee " 


FRÈRE. (TR ut - 


Le 


les habitants des montagnes descendus dans la ville "4 
à nos coups de canon. Mais d’un autre côté, pour 
leur témoigner leurs intentions amicales, ces datous 1 @ 


sauf à revenir plus tard à terre, où ils leur promet- 72 
taient alors une franche et amicale réception. Hi 
_ À notre retour nous eûmes à traverser dans la vie à 
vière une flottille nombreuse de praos armés de petits 
canons, et qui servent à ces forbans pour leurs ex : 
cursions fréquentes sur les rivages mal défendus. 
Nous aperçümes aussi les Chinois groupés sur les M 
portesde leurs habitations: ceux-ci, connaissant mieux 4 
que nous le caractère de ce peuple , regardaient d'un L 
air inquiet ce qui se passait dans la ville. Il est cer- 
tain que leurs habitations, toutes situées sur le bord 4 
du rivage, eussent été, en cas d'attaque, les pre- "| 
mières détruites par le feu de nos bâtiments. ’ 1 

J'avais invité, par politesse, le sultan à venir le … 
lendemain, avec son ministre, dîner à bord de V4 s- 4 
trolabe ; mais il m'avait été répondu que . sous au- 1 | 
cun prétexte, le chef de ce nid de brigands ne pou: 
vait s'éloigner de l’île. D'un autre côté, je n'étais pas: 1 
tenté de retourner à terre ; et comme il nous était 1 
impossible de nous livrer à aucun travail, je résoli ! 
de diminuer le temps que j'avais ‘accordé à cette Te- Le: 
lèche et de sauter le Re aussiOEs to se | 


— m'amena cet homme que j'interrogeai. Il tremblait 
de tout son corps ; il me dit qu’il était Malais, établi 


DANS L'OCÉANIE. 169 


dîmes à terre des cris tumultueux qui attestaient que 
le désordre où notre visite du matin avait jeté la po- 


_ pulation n’était point encore apaisé. Cependant nous 


vimes le long du rivage de nombreuses bandes 


d'hommes armés et à cheval, qui semblaient aban- 


donner la ville pour gagner leurs montagnes. 
Une heure environ après notre arrivée, une pirogue 


vint nous apporter quelques paniers de fruits dont le 


sultan nous faisait cadeau ; et après cela, plusieurs 
embarcations vinrent nous vendre quelques provisions 
consistant en poules eten fruits, qu’ils abandonnèrent 


à très-bon marché. Dans la soirée, plusieurs officiers 


descendirent à terre ; ils furent cordialement reçus 
par les datous Molou et Tahel ; ceux-ci leur offrirent 
des cigares, des confitures et du thé ; maisils ne purent 
parcourir la ville. La population était encore trop 
effrayée de notre démarche du matin, et les datous 


_ ne leur auraient point permis de sortir de leurs habi- 
._ tations, car ils redoutaient des accidents qui eussent 


infailliblement entraîné de notre part une NRA 
éclatante. | 


Au milieu de la nuit, i Zélée fut tout à coup acCOs- 


. tée par une pirogue dans laquelle iln y avait qu'un 


seul homme, qui monta à bord malgré les cris de la 


sentinelle. En mettant le pied sur le navire, il remit 


le kriss qu’il avait à la ceinture au factionnaire, dont 
il embrassait les genoux. « Bientôt l'officier de garde 
fut prévenu de cet incident, ajoute M. Jacquinot; il 


1830, 
Juillet, 


183 0, 
Juillet, 


23 


homme nous avait dit la vérité, Nous le remimes, à M 


170 | Mes 


protection, ajoutant qu aprés ce re venait dé ta d: 1 
il serait promptement mis à mort si noûs le ren- 4 
voyions à terre. Je l’eus bien vite rassuré, mais Jene ; 
le reçus à mon bord qu’à la condition qu’ ‘il se tien- 1 
drait soigneusement caché jüsqu’après l'appareil. 4 
lage. » Nous acquimes plus tard la certitude que cet w 


Samarang, entre les mains des autorités holländaises, | 
qui promirent de le faire reconduire chez lui à la pre M 
mière occasion. Il est probable qué plusieurs malheu- 4 
reux gérissent dans l'esclavage sur cétte terre mau- M 
dite ; mais leurs maîtres ont soin de lés tenir cachés 
dans l’intérieur des terres et de rendre par i: leur 4 
fuite excessivement difficile. i à 
Déjà, la veille, le sultan m'avait fait dire que d'a | 
suade à laquelle ; je devais envoyer faire mon eaü était | 
située près de sa demeure, au fond du canal. Mais 
les capitaines marchands qui se trouvaient sur lirade « | 
m'ayant prévenu que le ruisseau qui m'était désigné | 
ne rs 7 une eau saumâtre et Fe mauvaise ( que 


enifiai ma volonté à ce messager, et bot 
sait d'accompagner nos chaloupes à une at 


DANS L'OCÉANIE. | 171 
que celle désignée par son maître, je le congédiai en 
le chargeant de prévenir le sultan que j'étais las de 
toutes ses hésitations , et qu’en envoyant mes embar- 
cations à l’aigüade fréquentée par tous les navires 


Marchands, je donnais l’ordre aux officiers qui les- 


commandaient de repousser la force que la force, au 
cas où ils y seraient forcés. 

Quelques instants après, nos chaloupes, guidées par 
un homme d’un des navires de la rade, quittaient le 
bord, bien armées d’espingoles, de fusils et de sabres, 


et avec unéquipage suffisant pour les mettre à l’abride 


toute espèce de coup desmain. de laïssai tous les offi- 
cièrs Qui n'étaient point de service libres de se rendre 
ä terre. En même temps, M. Dumoulin devait profiter 
de la circonstance pour faire quelques observations 
de physique sur le bord de la mer. 
2 plage où nos canots accostèrent était déserte. Le 
lieu de l’aiguade était facile à reconnaître par une 
petite pointe de rocher, ombragée par un arbre ma- 
 gnifique et dominant toute la forêt ; de chaque côté 
de la pointe s’étendaient de belles plages” de sable 
blañc sur lesquelles le débarquement pouvait s’effec- 
tuer sans aucune difficulté. Les sources désignées 
_pour y faire l’eau venaient sourdre au bord même de 
la mer; elles jaillissaient du sable en plusieurs en- 
droits et fournissaient en abondance une eau excel- 
. lente. Aussitôt arrivé à terre , l'officier commandant 
* établit des sentinelles pour assurer la tranquillité des 
«travailleurs, et en même temps plusieurs officiers 
essayèrent de pénétrer dans l’intérieur des terres 


1839, 
Juillet, 


1839. 


Juillet, 


172 | à MA eo Je 0 Re 


toresques : la ae était sillonnée par de no HEEE 4 
sentiers, et devant l’aiguade s'élevait une route assez 1 É 
large et bien battue où l’on remarquait beaucoup de 
traces de pieds de bœufs et de chevaux. Suivi du ma- 
telot Bisaia qui nous avait. servi de guide et qui | 
parlait la langue du pays, je suivis cette route et. à 
m’enfonçai bientôt dans l’intérieur, au milieu de 
champs couverts d’une belle verdure et d’arbres va- 
riés. Un arbuste couvert de magnifiques fleurs rouges | ÿ 
et l’arbre qui produit le fruit qu’on nomme ici Lan- 
goun, paraissaient surtout très-abondants. | 

» Nous arrivâmes bientôt devant une petite case 
dans laquelle se trouvaient une femme et deux en- 
fants. À notre approche, les enfants effrayés se 1 
mirent à crier, leur mère paraissait trèés-émue; un 
chien aboyait avec fureur, et un singe, qui était " 
aussi de la famille, nous faisait d’atroces grimaces; 1 
il fallut toute l’éloquence de mon guide pour rassu- 4 
rer ces misérables; quelques cadeaux achevérent de 4 
cimenter l’amitié. La femme était vêtue d’un simple, 4 
sarong , ses cheveux flottaient épars sur ses épaules 1 
elle nous dit que son mari était allé à la ville avec 
une troupe de voisins pour s'informer des por 
ments qui avaient suivi notre arrivée et qui paie | 
saient vivement DFÉOCCHper la populaeE Mau | 


. M 


DANS L'OCÉANIE. 173 


composée de cavaliers et de fantassins tous armés de 
longs kriss et de lances aux pointes bardelées. Ces 
hommes recommencèrent à nous faire toutes les ques- 
tions qui déjà nous avaient été adressées par la femme ; 
ils nous demandaient surtout si nous n’étions pas Hol- 
landais, et si nous n’arrivions pas sur la rade avec de 
mauvaisdesseins : quelétait le nombre denos hommes, 
celui de nos canons; enfin toutes leurs questions indi- 
quaient suffisamment leur méfiance et leurs craintes. 
J’essayai de mon mieux à les convaincre que nous 
étions Français et que nos intentions étaient toutes 


amicales. MM. IH. Jacquinot et Gaillard étant arrivés 


sur ces entrefaites, nous nous séparâmes des natu- 
rels à peu près bons amis en apparence, et nous re- 
tournâmes tous les trois au rivage. 

» La maison que nous venions de visiter était carrée 
et élevée sur quatre poteaux de cinq pieds de hauteur. 
Un escalier mobile servait à y grimper. Tout auprès 
se trouvait. un enclos renfermant un espace de ter- 
rain cultivé ; quelques bananiers élevaient leurs feuil- 
les vertes dans un des coins, mais je ne vis aucun co- 
cotier. 


» Nous trouvâmes à l’aiguade un rassemblement 


d’une vingtaine. d’indigènes regardant paisiblement 
les instruments de physique de M. Dumoulin. Bien- 
tôt d’autres troupes s’ajoutérent à cé nombre; puis 
elles s’éloignèrent et se dirigèrent sur la ville. Tous 
ces hommes étaient armés ; les uns étaient à cheval, 
les autres à pied ; ils marchaïent de front, maïs sans 
aucun ordre réglé. Ordinairement chacun de ces pe- 


1830. 
Juiüict. 


dl 


1839. 


Juillet. 


arme défensive, “é vastes Pouces de dos de DIS 


ah à ae 


en être \ chef. our ie ne se e ran 
tons, Frobhamnt ses CRFIARESS 4 de 


pieds de diamètre, recouverts quelquefois par un cuir 4 
très-épais. Cet instrument, manié comme je là ai su 
faire par le matelot Bisaïa, doit être d'une grande 
ressource dans le combat ; il couyre presque en en- 
tier l'individu qui le porte et le met à l'abri des rs 1nppes : 
ennemies. d. 

» À l’exception d’une petite alerte qui SC a 
embarquement , la journée s’écoula paisiblement. 
Les matelots des chaloupes venaient de signaler : une i À 
troupe d'hommes qui arrivaient de la ville en courant. 
Aussitôt notre détachement prit les armes, et seran- à 
geaen bataille pour la recevoir.Ellese composait d'u ne + 4 
vingtaine d'individus qui se précipitèrent sur nous, 
la lance au poing, et qui s'arrêtèrent ensuite subite- | 
ment lorsque déjà ils n'étaient plus qu’à une pe 
distance de nos baïonnettes. L’un-de ces hommes, - e 
tenant toujours sa lance horizontale en courant , à | 
s’avança si près sur M. Dumoulin, qui était resté 
isolé et qui continuait tranquillement ses observa- 
tions, que nous crûmes un instant que fi off, | 
avait été blessé. Mais il n’en était rien. ‘Es 

» Parmi ces nouveaux venus se trouvaient deu in 


DANS L'OCÉANIE. 175 


de cuivre entrelacés, était garnie par de petites pla- 
ques métalliques de même nature. Ces deux hommes 


ne portaient pas de bouclier; quoique petits detaille is 


semblaient être à leur aise sous leur pesante armure, 
» Il était cinq heures à à peu près, lorsque nos cha- 


loupes ayant complété leur eau, nous nous prépa- 


à 


ràmes à regagner nos navires. Le nombre des na- 


 turels qui nous entouraient était alors considérable. 


Ils étaient venus de la ville, les uns sur des chevaux 


garnis d’une mauvaise selle en bois, les autres sur 


des bœufs ou des buffles. Au milieu de ces visiteurs 
se trouvait une femme, vêtue d’une simple culotte et 
montée sur un cheval à la maniere des hommes. 
Elle paraissait en proie à une vive agitation. Le ma- 


 telot Bisaïa m’expliqua qu'elle cherchait un esclave 


fugitif (celui réfugié à bord de la Zélée) et qu’elleétait 
venue voir s’il ne s'était pas réfugié sur nos embar- 


cations, Aussitôt que nous eûmes quitté la plage, 


- nous yimes ce petit attroupement se dissiper après 


_ avoir assisté à notre départ. 


Comme on a pu le voir dans le cours de cerécit, Les 


_datous ne partagèrent pas longtemps les craintes gé- 


nérales de la population et leur doute sur notre na- 
tionalité, Dés la veille, ils avaient recu nos officiers ; 
Tahel les ayait chargés de me dire qu’il désirait 
fournir des vivres frais à nos navires, et qu’il possé- 
dait des bœufs et toute espèce de provisions à notre 


- service. Il nous livra, en effet, à un prix peu élevé, 
- deux bœufs qui furent débités pour les équipages. 


# 


. Plusieurs personnes de l'état-major descendirent à 


1839, 
Juillet, 


1839, 


Juillet. 


42 


connaît d’autre loi que celle du plus fort; et lors- * 


176 | us VOYAGE 
terre dans la journée, afin de visiter la 
elles ne purent parcourir l'intérieur sé 


les laissa A nes au delà de l'enceinte de ss 
lissades qui entoure la ville. Toutefois, sur le rivage, 
ils trouvèrent de nombreux marchands qui leur four- “À 
nirent les provisions qu'ils allèrent chercher. L'un 4 
d'eux, qui aurait franchila limite désignée par les da- 1 
tous , serait arrivé, d’après son récit, sur une place 
où se tient lé marché de la ville, et là un conflit se 4 
serait élevé parmi les naturels. Déjà les lances, dont 4 
aucun de ces individus ne se dessaisit jamais, auraient 4 
été en jeu, lorsqu'un marchand auraït engagé le do- 4 
mestique à se retirer. Du reste, il paraît que ces que- 1 
relles sont excessivement fréquentes. Le peuple de L: 
Solo est livré à l'anarchie la plus complète. Il ne 
que ces hommes en viennent aux mains, la garde du - 
sultan est rarement suffisante pour mettre fin. au dés- x. 
ordre. | 4 
Pic que les craintes habitants commencas- 1 
sent à se calmer, bien que les datous répétassent con. 1 
stamment aux officiers qui allaient les visiter que. 
nous pouvions descendre librement à terre. dans * 
leurs maisons, et qu'ils désiraient _vivement ï 
recevoir chez eux, je ne fus point tenté d 
Ce camp de pirates ne n’inspirait que du dégo 
d un autre côté, les calmes qui avaien | suc 


DANS L'OCÉANIE. …. 177 


aux vents de S.-0. nous avaient amené une prodi- 
gieuse quantité de moustiques qui rendaient le séjour 
de la rade insupportable; en outre, l’on m'avait pré- 
venu que les rivages de Solo étaient sujets à des 
fièvres épidémiques et fort dangereuses; j’avais hâte 
de quitter cette terre inhospitalière, et je fixai l’é- 
poque du départ au lendemain matin, comptant 
compléter notre provision d’eau dans la journée. 

Au soleil levant, les navires espagnols de la rade 
saluèrent la fête de leur reine régente de sept coups 
de canon, sans que les naturels parussent s’émou- 
voir de cette salve. Plusieurs officiers de nos corvettes, 
qui avaient passé la nuit à terre dans les maisons des 
datous , rentrèérent à bord ; ils furent remplacés par 
d’autres qui, pour visiter l’intérieur, employèrent 
la même voie. Le sultan, fidèle à sa promesse, nous 
envoya en cadeau deux bœufs, un ais, un nycticèbe, 
un paradoxzure, un chevroün, une colombe et plu- 
sieurs paniers de fruits. Les échanges continuels que 
les naturels venaient proposer à bord de nos navires 
nous procurèrent encore quelques objets d’histoire 
naturelle. Enfin les communications entre nos cor- 
vettes et la terre paraissaient être le mieux établies 
possible. Un instant j’espérais que les datous, que j’a- 
vais conviés à diner, se rendraient à mon invitation, 
mais la soirée se passa sans que je les visse venir. 

Les officiers qui étaient allés à terre ne rentrérent 
que trés-tard. Quelques-uns avaient pu parcourir la 
ville sans être inquiétés. M. Gervaize fut le seul qui 
püt, sous la protection d’un chef, visiter l’intérieur de 

| LV. 12 


1839. 
Juillet. 


1839, 


Juillet. 


178 VOYAGE 


l'île; il avait fait chez Tahël la connaissance d'A bd 
puissant datou des montagnes : celui-ci offrit à 
vaize de profiter de sa compagnie et surtout 
escorte pour aller avec lui dans sa demeure. Une 
troupe armée composait l’escorte d’4 bdoulla et ga 4 
rantissait la sûreté des voyageurs. M. Gervaize reçut 1 
un accueil très-amical dans la maison de ce chef à 
le fit escorter de nouveau par une troupe armée lors- . 
que dans la soirée il regagna la ville. Le même jour, 
Datou-Molou donna, à ce qu’il paraît, une fête ma- 
gnifique à laquelle il avait invité plusieurs officiers. 
M. H. Jacquinot, qui y assista, en fait un récit tt plein 
d'intérêt. Le voici : ; 

« Au commencement de la nuit, je éd le bord | 
avec MM. Thanaron et Boyer, Tout était tranquille 
dans la ville, Deux des gens du datou, armés de lan- … 
ces et de longs kriss, nous attendaient au débarca- 4 
dère , et nous guidèrent sur les ponts étroits et trem- 
blants de la ville aquatique. La maison' de Molou était # 
sur la terre ferme, à quelque distance du fort, de- 4 
meure du sultan. En arrivant, nous trouyâmes trois. 4 
officiers de l’Astrolabe, réunis dans la principalé 
pièce de la maison. ; TN | 

» Cette chambre assez grande présentait pour prin- ï 
cipal meuble, une espèce de large plate-forme car ‘4 
rée, élevée sur quatre pieds qui, se prolongeant en. 
colonnes, soutenaient un dais, On ne peut mi 
comparer cette construction qu'à un de nos 
lits à la duchesse, exagéré dans ses pr POI 
et qui, au lieu de matelas, n’offrirait que q 


DANS L'OCÉANIE. 179 


nattes. Des rideaux d’indienne à grandes fleurs l’en- 
touraient. C'était pour ainsi dire une petite chambre 
isolée au milieu de la grande. Sur une plate-forme , 
étaient rangées des boîtes à thé, des cassettes de di- 
verses formes, puis des fusils, des kriss, etc. Au mi- 
lieu de tout cela paraissait le datou appuyé sur quel- 
ques coussins. La foule des serviteurs et des esclaves 
se tenait en haie de chaque côté de la chambre. 


» Le datou Molou était vêtu d’uné longue robe de 


soie de Chine, blanche et bigarrée de fleurs éclatan- 
tes. Sur sa tête, un riche mouchoir était négligem- 
ment attaché en forme de turban. C'était un petit 


homme de cinquante à soixante ans; sa figure offrait 


. Je type malais exagéré, c’est-a-dire un nez très-épaté, 
et des lèvres larges et proéminentes. Ses petits yeux 
gris et vifs lui donnaient un air de finesse et d’astuce. 
Ses cheveux étaient blancs, chose assez rare chez les 
Malais. Cet homme avait parmi les siens une grande 
réputation de sagesse; il était du reste le conseil- 
leret, pour ainsi dire, le premier ministre du sul- 


… tan, et paraissait jouir d’une grande puissance. 


Tahél était le guerrier , Molou le diplomate. Il avait 
été plusieurs fois à Manille, parlait un peu l’espa- 
gnol, et se piquait de connaître les usages européens. 
À notre approche il se leva, descendit de son lit, et 
vint nous recevoir. Il ne tarda pas cependant à re- 
prendre sa première position et à se renfermer dans 
sa dignité, laissant à une espèce d’intendant le soin 


de nous faire les honneurs de sa case. Cet intendant 


nommé Morokia était un garçon intelligent, quoique 


1839. 
Juillét. 


4839. 


_ Juillet, 


180 | VOYAGE 710 


grande pompe une vieille bouteille de vin d’Espagne … 4 


dorées de France, et de légers verres de Bohème se  : 


4 


très-bavard; il nous. accabla de questions sur la + 
France et ses datous, sur la Hollande et son sultan. fs 


y trouvait beaucoup de perles et d’écailles de tortues? «. 
etc.,etc. M. Boyer eut la complaisance de lui tracer, ‘4 
sur mon album, une carte de l’Europe et de lui en faire 
l'explication. Morokia poussait des exclamations, il 
paraissait parfaitement comprendre et était enchanté. 
Il prit le crayon des mains de M. Boyer, et pour nous 
montrer sa science , il écrivit son nom en arabe. 

» Bientôt une petite table fut dressée devant nous 
et couverte de diverses pâtisseries assez appétis- 
santes, mais exhalant une forte odeur d'huile de CO-. 
co; en revanche on nous servit du thé et du cho- 
colat parfaits. Sur la fin du repas on apporta en. 


_ Quel était le plus puissant de ces deux pays ? Si l'on À 
| 
| 


x à. cutter US ES à 


qui avait sans doute parcouru le monde; mais mal- 
heureusement dans le cours de ses nombreux voyages, 
ce vin avait contracté une odeur de bouchon qui lui fit 
le plus grand tort. 14 

» La vaisselle offrait les disparates les plus singu- 4 
liers; ainsi à côté de couverts d'argent armoriés, 
on voyait la fourchette anglaise avec ses deux dents M 
de fer sortant de son manche d'ivoire. De délicates 
porcelaines de Chine heurtaient de grossières tasses À 


trouvaient à côté de verres de cabaret! at à 3 

» Pendant que nous faisions honneur au festin, 4 
trois Malais armés, l’un d’une basse, l'autre d'une 
flûte et le troisième d’une guitare, nous jouaient de 4 


DANS L'OCÉANIE. 181 


vieux airs espagnols avec assez d'accord et de jus- 183 
tesse ; bientôt les chants, puis la danse se méêlèrent 

à la musique , mais tout cela n’était qu'une mauvaise 
imitation européenne, et était totalement dépourvu 
de teinte locale. - 

» Les habitants de Solo sont mahométans, aussi 
pas une femme ne paraissait dans la salle. Dans un 
coin s'élevait une rangée de caisses formant une es- 
pèce de cloison. Portant par hasard mes regards de 
ce côté, j'apercus au-dessus une douzaine de visages 
basanés dont les yeux brillaient dans l'obscurité. 

_C'étaient les femmes du datou, qui nous contem- 
plaient avec curiosité. Se voyant découvertes, elles 

 disparurentsubitement , mais ce ne fut pas pour long- 
temps , car à chaque instant je voyais une tête s’élever 
bien doucement , et un œil briller entre les caisses. 

» La musique et la danse avaient cessé. Molou, d’un 
air mystérieux, nous fit signe d'approcher. Il voulait 
frapper un grand coup et achever de nous éblouir par 

ses richesses et sa magnificence. Une cassette fut 
apportée avec grand soin devant lui, il l’ouvrit len- 
tement et nous exhiba un à un tous ses trésors. En 
ce moment un silence profond régnait dans la salle ; 
tous les serviteurs, n’osant approcher, selevaient sur 
la pointe des pieds et regardaient, le cou tendu. 

» Molou nous montra d’abord quelques belles per- 
les, mais en petite quantité, elles étaient précieuse- 
ment enveloppées dans une foule de petits morceaux 
de papier et de chiffons. Puis ce fut un beau kriss de 

 Makassar dont le fourreau était couvert d’ornements 


4830. 
Juillet, 


nous surprit le plus, ce fut une charmante peite 


182 VOYAGE 


en or d'un travail précieux , et la lame enduite Sun, | 
poison subtil. Après le kriss, vint une pipe à à opium . 
dont le tuyau était également recouvert d'or. Ce qui 


mandoline tout incrustée de nacre et d’écaille, et qui 
avait sans doute été faite pour les doigts délicats de 
quelque belle créole de Manille. Le fond dé la caisse 
contenait pour trois ou quatre cents francs de dou- 
blons d’Espagne, enveloppés séparément dans une | 
multitude de chiffons. 
- »] nous fit aussi admirer quelques-uns 4 ces 
grands kriss de Solo , à poignée d'ivoire sculptée et à 
lame damasquinée d'argent. Pour l’un d’eux, M. Ger- 
vaize offrit un beau fusil à deux coups , le datou parut | 
y consentir , le marché devait se faire le lendemain, ‘4 
je ne sais s’il eut lieu. : 

» Molou nous avait donné ce qu’il avait de ineilleur, 
il nous avait montré ses trésors qué nous avions M 
beaucoup loués et admirés; aussi, plein de satisfac- 4 
tion, il s’étendit sur ses coussins et fit un signe. M 
Biéntôt deux femmes arrivèrent, L'une d’elles prit M 
dans un coin un énorme morceau d’opium et en dé- { 
tacha quelques parcelles qu’elle roulà dans ses doigts: M 
l’autre approcha la pipe de la bouche du datou, ét 
alluma les petites boules que la première introduisait 
successivement avec une longue cet ER 


+ , L7 AD 
: d js 
4 L AE 
: ci : ï ET STE 
> Mate ; PT Tr Ur) 1 172/7r 20 : 
a ES Oo ton net té Ve us DRE SES SD D, d 


temps, les yeux du datou devient ternes, se e fer- ; 
mèrent à demi; ses traits dans une espèce d'immc à 
bilité cataleptique, offraient un ensemble étrange ï 


DANS L'OCÉANIE. _ 483 


était plongé dans les délices de l'ivresse de l'opium!.… 
» Peu d’instanis après nous rentrâmes à bord ; des 
esclaves armés nous accompagnèrent jusqu’au rivage, 
où une pirogue avait été préparée par les soins du 
datou. » | 
Une nouvelle salve de sept coups de canon faite 
par les navires espagnols termina la journée. J’en- 
voyai dans la soirée une médaille de l'expédition aux 
capitaines espagnols Somès et Scribano , commandant 
l’un le trois-mâts la Minerve, l’autre le brig le Léont- 
das, et qui nous avaient rendu de nombreux services 
par leurs renseignements sur le caractère des habi- 
tants et les guides qu’ils nous avaient procurés pour 
nous indiquer l’aiguade. Le capitaine du Léonidas était 
malade:. son second vint en son nom nous faire ses 
adieux, et remercier M. Hombron des soins qu’il lui 
avait donnés pendant notre séjour. Son navire, en 
quittant Solo, devait se rendre directement à Ma- 
nille, je le chargeai volontiers de plusieurs lettres ; 
mais je refusai, ainsi que M. Hombron, les cadeaux 
d'armes des indigènes par lesquels il croyait recon- 


naître les faibles services que nous lui avions ren- 


dus. Le capitaine Somès était venu aussi nous appor- 


ter ses derniers vœux de bon voyage ; sur ma de- 


mande, il ajouta encore quelques renseignements cu- 
rieux sur le caractère de la population que nous al- 
lions quitter à ceux qui m'avaient déjà été donnés ; je 
les consigneral ici pour servir à l'histoire de ces bar- 
bares contrées, À 

_ Les navires espagnols et portugais sont à peu près 


1839, 
Juillet, 


” 41839. 
Juillet, 


184 VOYAGE 1 Es 


les seuls bâtiments européens qui siennof à Solo ; 
dans un but commercial : ils y apportent tous les 
articles d'Europe, tels qu’indiennes à grandes fleurs, DUR 
mousselines, fers, quincailleries , verroteries et des À 
articles du Bengale et des Philippines : ils en expor= 
tent des nids de salanganes (espèce d’hirondelles), « 
du tripang, des perles, des huîtres perlières, de l'é= 
caille, de la cire, de la poudre d’or, du cam- 
phre, etc., objets qui tous trouvent un bon débit M 
sur les marchés chinois: mais il leur faut plusieurs | 
mois pour compléter leur chargement, aussi lorsque. 
ces navires arrivent sur rade, on les débarrasse de 
leur mâture, en conservant seulement les bas mâts, 
et pour les préserver des trop grandes chaleurs, on. 
établit au-dessus de leurs ponts des toitures en bam-. 
bou, ce qui les fait ressembler à des pontons. Tous 
les navires qui étaient au mouillage avaient leurs mâts” 
de hune dépassés, ils étaient couverts d’une toiture ; ce 
qui indique combien la rade est sûre, bien qu'elle « 
soit défendue des vents du nord seulement par les. 1 
îles du large. Tout le commerce se fait généralement 
par voie d'échange ; cependant les habitants de Solo “4 
connaissent parfaitement la valeur de l'argent, et 1 
l’on assure que les datous conservent en numéraire 
des sommes énormes; on estime que Datou-Molou 
possède 40,000 piastres. | : ‘3 
Les Chinois font aussi le commerce de Solo, ils ne F4 
jouissent d'aucun crédit au milieu de cette populatic ion . 
guerrière, et ils ont souvent à souffrir dans leurs rela- 4 
tions avec 2168 indigènes; 1 mais nec esprittoutm mer- -d 


; 2 
PT. Pr nd de dd «à ri 
mnt érnbs tt UE dt CAS. dd: or, SA © F 


DANS L'OCÉANIE. 185 
cantile, ils subissent volontiers toutes les vexations 
dont on les abreuve, pourvu qu’ils en tirent un profit. 
Orles marchandises que l’on exporte de Solo trouvent 
_ surtout des débouchés facilessur les marchés de Chine, 
et les jonques ont sur les navires européens l’im- 
mense avantage de pouvoir porter leurs cargaisons 
_ directement , Sans passer par Manille, où se payent 
des droits de douane assez forts. Il paraît que ce n’est 
point volontairement que les Chinois établis dans la 
. baie ont choisi le rivage pour y construire leurs 
maisons ; les datous leur en imposent l'obligation, 
parce qu’ils pensent que si jamais ils étaient attaqués 
par une puissance européenne, les Chinois seraient 
les premiers soit à défendre la ville, soit à la racheter 
par une somme assez forte , comme étant les premiers 
_ intéressés. Il est certain que dans le cas d’une at- 
iaque, les maisons des Chinois seraient les plus expo- 
| sées. | | | 
. Ge n’est point par un commerce licite, mais bien par 
… le meurtre et le pillage que les datous sont arrivés aux 
fortunes énormes qu’on leur attribue, si toutefois il 
est vrai qu’ils les possèdent ; cependant les habitants 
_ de la ville sont en général trop lâches pour faire la 
- piraterie eux-mêmes, ils se réduisent au rôle moins 
- dangereux de recéleurs. Tous les écumeurs malais 
viennent porter le fruit de leur rapine sur ce point, 
et ils trouvent facilement à s’en défaire sur-le-champ ; 
-en outre, Bewan est pour eux un arsenal où on leur 
fournit des armes , des munitions et même des praos 
pour continuer leur brigandage, jusqu’à ce qu’un 


1839. 
Juillet. 


1839, 
Juillet. 


: 186 | 7 VOYAGE. 


navire de guerre fasse justice de ces fotbans ; € qu da 
du reste, arrive rarement. Dés 

Des traités particuliers de colères garant si 
aux navires espagnols et portugais une protection ; 
spéciale au mouillägé de Bewan, mais ils ne les | 
mettent pas à l'abri des attaques dé ces brigands 
hors de la baie; aussi tous les bâtiments éuropéens. 
qui viennent sur cette rade sont parfaitement armés. { 
Sur ceux que nous trouvâmés au mouillagé, on n'a 
percevait de tous clés que lances, kriss maldis , sa 
bres et mousquets étalés sur des râteliers qui restent 
constamment sur le pont, afin de pouvoir repousser | j 
un abordage au cas d’une attaque imprévue ; en. 
outre , huit à dix canons de dix ou de douze garnis- 
sent les sabords. Le capitaine Somès, de qui viénnént 
principalement ces renseignemeñts, avait un équi-. 
page de vingt-quatre matelots, tous natifs de Manille 
ou Bisayas. Ces navires font, même sur la rade, une. fs 
garde très-attentive, et ils s’éentourént de toutes sortes l 
de précautions, pour être toujours prêts à combattre. ; 
Chaque soir, on exerce les matelots au ianiements 
des armes ; des maîtres d'escrime apprennent aux no- | 
vices l’art de manier le kriss. M. Desgraz, qui à à as 
sisté à un de ces exercices à bord du navire es Ë 
pagnol la Minerve, s'exprime ainsi: « Armés a 
RSTEMEN du bouclier, de là lance ou 1 ou kriss, 


DANS L'OCÉANIE. 187 


. après quoi la cloche tinte V4 ngelus , l'équipage fait Fée, 
sa prière en commun, et vient en masse souhaiter une 
bonne nuit à ses officiers. Touchante coutume qui 
- semble indiquer entre les subordonnés et les chefs 
des relations de bienveillance et d’attachement que 
lon ne trouve plus que bién rarement; peut-être 
ces hommes ne font-ils qu’obéir en cela aux ordres 
de leurs chefs, et les sentiments qu’exprime une pa- 
reille coutume ne sont-ils points réels. » 
Les navires espagnols et portugais exploitent exclu- 
sivement le peu de commerce qui se fait aux îles 
… Solo ; grâce à la proximité de Manille et de Säâmboan- 
‘gan , où se trouvent toujours de légères barques de 
guerre prêtes à réprimer tout acte de piraterie, ils y 
sont un peu moins maltraités que les bâtiments des 
autres nations. Les produits de ces îles sont peu nom- 
 breux. Je ne crois pas que jamais aucun navire autre 
que ceux que l’on expédie de Manille puisse compter 
sur une spéculation heureuse, en envoyant un char- 
…_gement dans ces parages : il faudrait d’abord, pour sa 
sûreté, qu’il fût monté par un équipage nombreux et 
à bien armé, et un armement de ce genre coûterait 
. énormément; en outre, la concurrence serait difficile 
à soutenir avec les navires espagnols de Manille, qui 
ont sur les nôtres un avantage immense, celui de 
pouvoir être armés avec des matelots bisayas ou 
indios de naissance; ceux-ci coûtent en effet fort peu 
de chose : ils se nourrissent presque entièrement 
. avec du riz et du poisson, leurs gages s’élévent tout 
au plus à 20 fr, par mois, y compris la nourriture, 


1839, 


Juillet. 


périorité d'économie sur les nôtres et de grandes 


tr 


188 | VOYAGE 


D'un autre côté, presque tous les articles du n m- L 
merce de Solo ne trouvent leur écoulement que ‘sur | 

les marchés de Chine, et personne n’est plus : à portée 
de s’en défaire que les armateurs de Manille, qui. 
ont les relations les plus suivies avec les mandarins M 
du céleste empire. On conçoit qu'avec de telles res- « 
sources ces navires doivent avoir une grande su- « 


UE ps + Se 


facilités pour baser des spéculations, si toute 
fois le commerce de Solo encourageait une concur- 4 
rence. | ue 
Le service que les matelots bisayas font à bord 
des navires espagnols ne paraît pas être très-pénible ; 4 
les navigations sont toujours de peu de durée, et ils à 
ont peu de temps à passer à la mer; mais d’un autre. 
côté ils sont assujettis à ne presque jamais descendre 4 
à terre pendant les six ou huit mois durant lesquels « 
les navires séjournent sur la rade de Bewan pour « 
tâcher de compléter leur chargement. Pendant toutes À 
les nuits, ils sont obligés de faire une garde vigi= 
lante; tous les quarts d'heure, la cloche du bord 1 
doit tinter, et les cris des sentinelles se faire enten- 
dre, afin de prévenir que l’on est sur la défensive. 
Pendant le jour, le service des matelots bisayas est. 
moins pénible encore ; ils jouissent tout à leur aise du 4 
doux far-niente. | a ; | 
Le prcere ose des habitants est ii nt 


ET re 


DANS L'OCÉANIE. 189 


ils bien soin de leur faire déposer leurs armes avant de 
les laisser pénétrer dans le bâtiment. « Rien ne peut 
mieux peindre, disait le capitaine Somès, la cruauté 
_etla perfidie de ces gens-là que l’histoire du brig hollan- 
- dais que vous voyez aujourd’hui là à nos côtés, et cou- 
vert par le pavillon espagnol; le capitaine Scribano, 
qui le commande, aurait dû vousraconter son histoire, 
mais puisqu'il est malade , je vais y suppléer. Ce bà- 
timent était allé prendre un chargement de riz sur 
l’île de Java ; il était commandé par deux officiers de 
commerce hollandais , l'équipage était composé de 
- Malais. À peine le navire s’était-il éloigné de la 

côte javanaise , que le capitaine et son second tom- 
- bèrent malades ; les matelots malais, qui font aussi, 
quand ils le peuvent, le métier de forbans, profitèe- 
rent de la circonstance qui mettait le navire en leur 
pouvoir, ét ils le livrérent à six pirates é{{anos. La 
« première chose que firent ces nouveaux maîtres fut 
de massacrer le capitaine et son second sur une île 
déserte où ils abandonnèrent les corps, puis ils con- 
… duisirent la prise à Solo, où elle fut immédiatement 


achetée par Datou-Molou. J’ignore ce que celui-ci l’a 


payée, mais il n’a pas fallu qu’il l’achetât plus de 
100 piastres pour qu'il la revendît ensuite 200 pias- 
… tres au capitaine espagnol Scribano, qui la commande 
- à présent. Vous croyez peut-être que, pour prix de 
leur trahison, les habitants de Solo partagèrent avec 
… jes matelots malais , leurs complices, les produits de 
leur crime commun, pas du tout; cette fois-là ils 
commirent un acte de justice en se chargeant de 


} 


1839. 
Juillet, 


1839, 


Juillet. 


rent tous comme esclaves. Il faut se méfier constam- | 
ment de ces brigands-là, ajoutait le capitaine Somès ; 
ici, dans le port , je ne pense pas qu’ils viennent de 
gaieté de cœur nous attaquer, surtout pus qu "ils sa 
vent que nous nous tenons toujours prêts à à les com- | 
battre ; mais s’il s’offrait une belle occasion avec quel- 


190 2 VOYAGE. 
punir leurs complices, ils les considérèrent eu) 
mêmes comme de très-bonnes prises, et ils les y 


d 44 
T6 - 4 
7 : 
el re 
j 
4 Fes à 


te Tr AS à 
ET KA <- 


CAT SE 


ques chances de succés, ils pourraient le tenter, 
malgré les traités qu’ils ont signés et que nos navires 
de guerre font respecter; en dehors de la baie, jet 
suis certain qu'ils nous attaqueraient 6’ils étaient as. 
surés de réussir. Dernièrement, deux jours seulement 
avant votre arrivée , deux praos de pirates quittèrent 

le mouillage et passèrent près de nous , ils nous dé-« 
fièrent de sortir avec eux. Venez, disaient-ils, venez, ! 


Se ami Es 


un peu au large pour essayer nos forces. Ces forfan- 
teries , du reste, avaient peu de valeur, car ils mn’ eus-. Ë 
sent jamais osé nous attaquer, mais ils eussent pu. 
essayer de nous surprendre dans la nuit; ces hommes : 
ne sont pas des voleurs hardis et courageux, mais, de. 
lâches assassins. » 


fi accompagner par ie hommes Fe. de vis . 


ce qui donna lieu à une scène tumultueuse semble ble. 


DANS L'OCÉANIE. 191 


_ à celle à laquelle nous venions d'assister, mais grâce 
à cette précaution, la visite de l'officier espagnol 
s’effectua comme la nôtre, sans accident. Le motif de 
- cette atroce vengeance de la part des habitants, était 
- que cet officier, avec son embarcation, avait capturé 
plusieurs praos malais en vue même des terres de 


Solo, et l’on ajoute qu'il les avait expédiés sur-le- 


champ. «Si ceci est vrai, disait le capitaine Somés, il 
est probable que cet. événement aura produit quel- 
que effet dans le pays. Le sultan qui fait les traités n’a 
_ pas le pouvoir de les faire exécuter , si toutefois il 


en a la volonté ; car les chefs gagnent trop à voir leurs 


sujets ou plutôt les habitants s’adonner à la piraterie, 
ei comme ils ne courent aucun risque personnel, il 
est probable que ce brigandage ne sera jamais em- 
pêché par eux. On ne se figure pas les’torts que ces 
praos font au commerce : non-seulement ils atta- 
quent des navires, ils pillent les marchandises et ré- 
duisent les équipages à l’esclavage, mais souvent ils 
font des descentes à terre, ils enlèvent les malheu- 
- reux habitants des côtes et ils brülent les villages. 
Combien de malheureux matelots de sang mêlé, des 
Manillois , des Bisayas sont esclaves dans ces îles ? 
. Leur nombre est tel, ajoutait le capitaine Somés, que 
| leur valeur moyenne ne s'élève pas au delà de 15 à 20 


piastres ; combien de ces malheureux sont morts à la. 


peine en rêvant une liberté qu'ils n’ont jamais pu ob- 
tenir, car ils payent de la perte de la vie toute tenta- 
tive faite pour rompre leurs fers. Ils achètent alors la 
mort et la fin de leur dure servitude au prix des souf- 


1839, 
Juillet, 


1839. 
Juillet. 


192 VOYAGE . 


rances les plus atroces. Leur maître irrité les attache À 
à un arbre et les tue à coups de kriss, savourant a 4 
vengeance en voyant sa victime se débattre. dans des : 
iourments affreux et prolongés. Car ne CrOYez P point 
qu'il les achève du premier coup; non, il les fait 
mourir peu à peu; souvent il exerce ses jeunes en- 
fants à ce métier de bourreau. Des femmes blanches M 
ou au moins des métis de Manille ont peuplé le harem 
de ces chefs de brigands. Combien de victimes ne gé- L 
missent-elles pas encore dans l'esclavage, dans l'in- 4 
térieur des terres où elles ont été reléguées par ati 
possesseurs ? » 4 

L'Espagne est la seule nation européenne qui ait 
jamais tenté de s'emparer de cesîles et de se lesappro=. i 
prier. Pour mettre un terme aux brigandages des ha- 1 
bitants, le gouvernement des Philippines a dirigé plu- 
sieurs expéditions importantes sur ces îles, et s’en est L- 
plusieurs fois rendu maître, mais il a toujours été w 
obligé de les abandonner. Vaincre ces hommes n’était 
pas le plus difficile, mais il fallait les soumettre et les 
amener à une vie peu en harmonie avec leurs mœurs à 
et chaque fois qu’ils signaient des conventions, pro=. 
mettant de ne pas rompre la paix qui leur était ac- 
cordée, ils ne cherchaient qu’à gagner du tem s : 
pour ourdir plus sûrement leurs complots afin dese 
débarrasser de leurs ennemis par le poignard. Pe 
RER les années de 16/0 à 1e les Il 


les | armes à la main. Enfin, les habitait 


DANS L'OCÉANIE. 193 


demandérent l'alliance des Hollandais pour les aider 
à chasser les Espagnols; ceux-ci jugèrent alors pru- 
dent d'abandonner ces îles, et depuis cette époque 
leur indépendance ne fut plus menacée. 

Le nom du sultan actuel est M ohammed Guianaloul 
- Kiram ; son pouvoir est héréditaire et se transmet 


aux enfants mâles à l'exclusion des femmes. Toutes 


les décisions sont prises par le sultan et son conseil : 
celui-ci est composé par les datous, au nombre de 
quinze, qui balancent l'autorité du sultan. La forme 
du gouvernement est féodale. Les datous commandent 
chacun à un district; ils perçoivent des impôts ; ils 
ont des hommes armés à eux, qui les escortent dans 
leurs voyages et qui sont toujours prêts à faire la 
guerre à leur profit. L'autorité du sultan ne saurait 
être que très-contestée avec un pareil entourage. Sou- 
vent il est obligé de laisser ses ordres non exécutés 
parce que la force lui manque pour se faire obéir : 
“aussi la plus grande anarchie règne-t-elle dans l’île. 
Les habitants n’obéissent à aucune loi, et la force 
…. dont peut disposer le sultan est généralement insuf- 
fisante pour les contenir. | 

« Ces hommes sont loin d’être redoutables aujour- 
_d’hui, dit M. Dubouzet, grâce à l'anarchie qui s’est 
emparée du gouvernement. Ce gouvernement, quire- 
+ présente une espèce de monarchie féodale dont le 
“ chef, malgré son titre de sultan, n’a pas plus de 
… pouvoir que les nobles datous, est à la fois le plus 
odieux de tous et le plus impuissant. Le peuple y vit 
dans un état d'indépendance servile et d’abrutisse- 

; 13 


1839, 
Juillet. 


4839. 
Juillet. 


elle y est plus mal traitée que chez les peuples étran- 1 | 


1 en VOYAGE LA 


hommes d'armes qui font la pe jour et nuit PS 
de sa personne. Cette défiance mutuelle est pour eux 
le meilleur gage de se tant ils sont disposés à à 1 
tomber sur leurs voisins à l’improviste. Une société 
ainsi organisée rappelle les époques barbares des pre- +4 
miers temps de la féodalité. Les guerriers de. Solo ; 
ont la même manière de combattre qu’à cette épo- | 
que. La lance, le bouclier et la cotte de mailles sont | 
indispensables à leur armure, mais ce n’est jamais, « 
comme autrefois, un mobile d'honneur qui les 4 
s’armer pour défendre la cause de la justice et de 4 
l’innocence. Ces idées sont étrangères à un peuple 1 
presque sans religion, car ce n’en est guère une que « 
le mahométisme sensuel et mal compris qu’ils sont 

censés professer. Loin de mettre un frein à la licence 
des mœurs, le mahométisme , tel qu’ils le suivent, 
porte au contraire aux plus grands désordres. Chez É | 
eux, la femme est un être complétement dégradé ; L: 
gers à toute civilisation. On est étonné de voir les 
Chinois s’établir au milieu d’un tel peuple. Ces hom 4 
mes industrieux font là comme partout le. princif 
commerce., LE sous eux sa exercent PISE to 


DANS L'OCÉANIE. 5 (180 
moyen de s'enrichir dans un pays où l’on n’a ni la 
protection des lois, ni celle d’un pouvoir ferme, ni 


la bonne foi politique. 


» Quelque faible que soit l'autorité du sultan, 


- chacun lui témoigne encore assez de déférence pour 
- que son titre soit envié de tous les datous. Ce titre, 


— d’après les coutumes établies, est héréditaire dans la 


€ 


"21 104 RL A 


famille actuelle qui est très-ancienne, mais l’hérédité. 


a besoin de l'élection pour être validée. Ge sont les da- 
tous qui sont investis de ce droit, et comme il existe 


entre tous des liens de parenté avecla famille régnante, 
l'ambition de chacun d’eux est excitée par leur 
cupidité et par leur aptitude à succéder au trône. 


Ce serait eux qu'il faudrait gagner si l’on vou- 


_ laît exercer de l’influence dans l’île: mais leur ja- 


lousie réciproque tend à les maintenir divisés, et 
tant que cet état de choses existera, il sera fort 


…. difficile de traiter avec ces hommes, de manière à 

se réserver des garanties suflisantes, quelles que 
“soient les bonnes intentions de quelques-uns d’entre 
eux. 


» Du reste, ajoute M. Dubouzet, on ne saurait trop 
se méfier de la mauvaise foi que ces hommes mettent 
dans toutes les transactions de commerce. Ils ex- 
cellent dans l’art de mêler le cuivre à l'or, et de tout 
falsifier. Cette manière d’agir leur paraît conforme 
au droit éommercial et tellement naturelle qu'ils s’en 


vantent au besoin. Heureusement aussi ils ont souvent 
“affaire à des hommes qui sont à même de leur en 


| revendre en fait de ruse de ce genre. Un des datous, 


1839. 
Juiilet, 


1839. 


Juillet. 


çais d’y baser des spéculations considérables, àmoins 


196 VOYAGE 0 


qui se vantait d’avoir vendu une fois à un capitaine 
marchand des lingots de cuivre recouverts d un peu 
d'or, fut bien attrapé, quelque temps après , quand à 
il reconnut que celui-ci l’avait payé de sa monnaie 4 
en lui donnant des pièces fausses en échange. » “AE 4 
Les iles de Solo sont peu susceptibles de donner 
lieu aujourd’hui à un commerce étendu; mais silen 
était autrement, je ne conseillerais j jamais aux Fran- L 


r nee rincer 


que la France ne voulût d’abord s’assurer d’une po- 
sition dans cesîles pour y établir un comptoir et y en- | 
tretenir une force arméesuflisante pour faire respecter 
ses nationaux. On dit quelesultan d'aujourd'hui, ainsi « 
que le datou Molou, qui est l’homme le plus puissant 4 
de Bewan, sont bien disposés en faveur des Euro- : 
péens; mais ils n’ont pas assez de puissance pour “4 
contenir la population. Dans un pareil état de choses, … 
un traité de commerce, quelque avantageux qu'il püt 
être pour la nation européenne qui l'aurait signé, se-. 
rait toujours insuftisant, car il serait impossible au 
sultan de le faire exécuter, et les habitants sont 
trop habitués au vol et à la piraterie pour que de à 
longtemps encore on puisse sefier àeux. Aprèsle datou 
Molou, l’homme le plus influent est le datou Tahel, fils 
de l’émir Bahar qui recut M. de Rienzi lors de son “À 
séjour dans ces îles. Cet émir Bahar paraît. avoir été à 
un homme d’une instruction remarquable au milieu … 
de la population où il vivait. Il laissa à sa fen n ame k 
d’origine espagnole et la seule qu’il eut, dit-on, la % 
liberté de suivre > la religion chrétienne « qu'elle pro- | 


Sn Me 


mére V2 62 Efrpe ES 


DANS L'OCÉANIE. 197 


fessait. [1 la rendit libre et la considéra comme une 
compagne et non point comme une esclave destinée 
à le servir. Il parlait et écrivait plusieurs langues. Il 


“ acquit une trés-grande fortune qu'il dut probable- 


ment au même moyen que son fils emploie aujour- 


d’hui pour l’augmenter. Le datou Tahel est le premier 


commerçant de ces îles, et il retire la plus grande 
part des ventes faites par les pirates qui amènent 
leurs prises dans le port. À la mort de son père, il 
reçut avec son héritage le titre de Radja-Laut ( chef 
de la mer), et dès lors il acquit une influence qui 
le place aujourd'hui au nombre des premiers chefs 
de l'endroit. 

Tels sont les renseignements que j'ai pu me pro- 
curer auprès des capitaines espagnols. Comme on 
l'a vu dans le cours de ce récit, je n’ai pu avoir que 
bien peu de communications avec cette peuplade qui 
a acquis une si triste célébrité dans ces mers et qui 


-a conservé son indépendance au milieu des envahis- 


sements des Européens. Je terminerai cet aperçu par 


quelques observations tirées du journal de M. Mares- 


cot, bien que cet officier n’ait pas cité les autorités 
auprès desquelles il les a puisées. 

« La population des îles Solo est un mélange de Bou- 
suis, de Bisayas et de Malais. On y trouve aussi plu- 
sieurs familles qui descendent des anciennes peu- 
plades de Mindanao, et qui pour éviter le joug espagnol 


… se sont réfugiées dans ces îles. » 


» La population de la grande Solo est, dit-on, 


… de 200,000 âmes; je crois que ce chiffre est très- 


1839. 
Juillet, 


1839. 
Juillet. 


un homme actif et entreprenant ; il ne paraît 


198 VOYAGE 


exagéré; dans le seul district dont la villé de B sw 
fait partie, on prétend que l’on compte 20, 0 âme 
en comprenant ceux qui habitent cette capitale et 
hommes des montagnes (je n estime la popu ati 
de la ville qu'à 5 ou 6,000 âmes). CA | 
=» Les habitants des montagnes sont agriculteurs: ? 
ce sont eux qui cultivent la terre et qui veillent aux. 4 
récoltes de riz, de cannelle, etc., etc. C’est la partiel . 
plus intéressante de la population. Leurs chefs ont 
une grande influence sur eux. Presque tous ces mon- | 
tagnards vont à cheval et voyagent toujours Rice | 
On a vu dans leur village beaucoup de bestiaux qui 
forment, à ce qu’il paraît, leurs principales richesses. 
Leurs habitations se ressentent aussi d’une meilleure … 
industrie ; elles sont plus grandes et plus régulière- 4 
ment bâties que celles des villes, Quant aux habitants” à 
de la côte, ils s'occupent principalement de la pêche Li 
du tripang, de la nacreet des perles, en un mot de tout 
ce que la mer peut leur donner. Ce sont eux qui com-. 4 
mercent avec les étrangers. Ils ne sont pas pirates 
eux-mêmes, mais ils servent de receleurs aux x pirates FA 
de Mindanao. ed 0 
» Les tribus montagnardes reconnaissent la suze- 4 
raineté +144 sultan de Bo1ab mais l'autorité de cat » 


du sultan est le principal chef de la montagne : À 


avoir pour son aîné une bien grande vén 
le regarde LUCE ‘à ce nu on w nn dit, ÿ 


bre: die Le | 


DANS L'OCÉANIE. 199 


rement lui faire une visite, surtout depuis quelques 
années. 

» Il paraît d’ailleurs que les montagnards mépri- 
sent, en général, les peupladés de la côte. Selon eux, 


- ces dernières déclinent tous les jours et perdent peu 
à peu l'esprit guerrier qui les distinguait autrefois. 


Ils attribuent ce changement dans leur caractère, à 
l’abus de l’opium dont ils connaissent l'ivresse et les 


enchantements, depuis une dizaine d'années. Ilsdoi- 


vent cette importation aux premiers Chinois qui sont 
venus s'établir parmi eux. Ils en consomment 95 à 30 
caisses par an ; chaque caisse est, je crois, de 100 à 
190 livres. | 

» Comme c’est le frère du sultan qui jouit d la 
plus grande influence sur les hordes montagnardes , 
celles-ci veillent à la sûreté du pays en unissant leurs 


forces à celles de la ville pour repousser toute inva- 


_ sion étrangère. On n'a assuré qu’au premier appel 
le sultan pourrait facilement rassembler quatre mille 
Combattants armés de lances, de boucliers et de kriss ; 
…. cette assertion ne m'a pas étonné : comme ces insu- 
… laires sont toujours armés, ils sont par cela même 


tous soldats el prêts à défendre leur pays. Ce qui m’a 
… surpris davantage a été d'apprendre que le sultan 


… comptait 5 à 600 fusiliers, parmi ceux qu’il pouvait 


réunir au premier coup de tam-tam, 
“boyant, sont leurs armes offensives, qui toutes 
… sont fabriquées dans l’île. Le bouclier, dont ces peu- 
- ples se servent avec beaucoup d'adresse, n’est pas la 


» La lance à pointe de fer, le kriss droit et flam- 


1839, 
: Juillet, j 


1839. 


Juillet, 


veille de notre départ, nous vimes descendre par | 


prochérent, et quand ils virent que nos hommes ne: 


200 VOYAGE 


petit chemin creux qui conduisait à la plage, un corps 
de cavalerie dont le costume était remarquable. La : 
plupart des cavaliers portaient des cottes de mailles 4 
en fil de fer tourné en anneaux. Plusieurs bandes de à 
cuivre jaune bien fourbies , après avoir emboîté 1er? ;. 
cou comme dans une cuirasse, descendaient du haut 4 
de la poitrine jusqu’à la ceinture et servaient | à la fois. 4 
de renfort et d'ornement à la cotte de mailles qu’elles “4 
recouvraient. Parmi ces cavaliers, il y en avait unSsur- . 
tout dont la grâce et la tournureétaient remarquables. Li 
Le respect que lui témoignaient ses compagnonsme 1 | 
fit penser que c'était sans doute le fils de ele l 
chef influent de l’intérieur. Tous portaient la lance | 4 
et le sabre du pays, désignés sous le nom de Cam. 4 
bilano. k | 

» Quand cette petite troupe de montagnar ds apercut 
nos chaloupes et les faisceaux d’armes de nos marins, | Ÿ 
elle s'arrêta sur-le-champ, ne sachant pas ce qu'elle 
devait faire. Bientôt quelques-uns des cavaliers $ ’ap- 1 


paraissaient pas beaucoup s'occuper de leur woisi= 
nage, l’un d’eux vint droit sur nous et nous demanda 

si nous étions des Hollandais. La réponse qu on leur À 
fit les rassura complétement, car après quelques 
roles Fphpnpées departetd’autre, ce nn car de 


crève, pour se rendre à la ville, ‘cdi Le 


- 


DANS L'OCÉANIE. | 201 


- l'appris quelques heures après, un renfort que les 1830. 
- tribus de l’intérieur envoyaient au sultan de Solo 

- qu’elles croyaient menacé. 

. »Je ne sais pas jusqu’à quel point il faut croire 

… ceque me raconta un vieux bonhomme de Mindanao, 

qui vivait depuis longtemps dans l'esclavage à Solo, 

…_ et auquel je demandat l'explication des cottes de 

mailles ; selon lui les guerriers qui en étaient munis 

occupaient toujours le premier rang dans les com- 
bats et derrière eux marchaïent ceux qui étaient ar- 
_ més de mousquets et de javelots. L'opinion générale 
, voulait que ces façons de cuirasse fussent à l'abri de la 

balle aussi bien que d’un coup de lance. 
» Les ressources agricoles de l’archipel Solo sont 

assez considérables : dans la grande île on cultive du 

riz, des patates douces ; on y récolte de la cannelleet » 

sans douteaussid’autres épices. On yélève denombreux à 
“ troupeaux de chevaux, de bœufs et de chèvres ; mais il LT CR 
ë paraîtquel’éléphantblancougris yestaujourd’huitout 
. à fait inconnu. Cependant quelques vieillards se rap- 
- pellent qu’autrefois on prétendait en avoir vu sur 
- une montagne de l'intérieur ; mais leurs souvenirs 
- aussi bien que leurs discours parurent bien confus et 
bien incertains sur ce sujet. 

» Tout ce que j'ai pu recueillir sur les idées de ce L 
peuple, c’est que la polygamie est en usage chez eux. 1 
+ Quant à leur religion, c’est celle de Mahomet, mais. F: 
“ avec des modifications assez grandes. » 

…— J'ai déjà dit que les calmes qui avaient succédé 
- aux fortes brises de terre sur la rade de Bewan, 


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202 


nous avaient Ua. une > quantité 
His qui 1endaient noire PAoUR 


f 


nos navires, la veille de notre > Aépert, 
que le repos était devenu pour nous 


avec la plus PT joie, arriver x OU 
départ , fixé pour le 25. 


Notes 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 et 20. = 


24 


DANS L'OCÉANIE, 203 


CHAPITRE LIT. 


Traversée de Bewan (iles Solo) à Samboangan Sie cs 
Séjour à Samboangan. 


_ À six heures du matin nous étions sous voile. M. Le- 


guillou , qui avait passé la nuit à terre, bien qu’il sût 


. que le lendemain nous devions partir de grand matin, 
«apparut sur le rivage, lorsque déjà nos corvettes s’é- 


-loignaient de la baie. Les naturels lui prêtéèrent une 


….pirogue ; mais bientôt il nous fut facile de remarquer 


TN 


que les indigènes qui la montaient pagayaient avec 


- irop de mollesse pour pouvoir jamais nous accoster. 


- Il nous sembla même que ces hommes, voyant nos 


navires s'éloigner, cherchaient à le faire composer, 
profitant ainsi de la circonstance fâcheuse dans la- 


- quelle M.;Leguillou s'était placé, volontairement et 


… contrairement à mes ordres. Il fallut, pour mettre un 
terme à leur hésitation, que le capitaine Jacquinot ar- 


. rétät la marche de son navire et envoyât un canot qui 


| ramenât cet officier de santé. 


1839. 
25 Juillet, 


1859. 


Juillet, 


26 


204 | VOYAGE 


ressemblant à des prairies. La partie oriental de . 


rière nous, nous apercevions encore les Duo-Bolod. 


cevions de nombreuses Petites cases HlAnCREN ‘un 
pentes des coteaux, au milieu de tapis de ve 


l'ile, parsemée de belles clairières, semblait surt 
riche en pâturages. Il était presque nuit , lorsque L 
nous aperçümes la baie de T'ulian, qui présente, dit- 4 
on, un mouillage bien préférable à celui que nous 1 
venions de quitter. L'île Bitinan, restée par notre tra- 
vers sur tribord, et les deux petits ilots appelés Duo- N. 
Bolod se dressaient devant nous lorsque la nuit nous À 
surprit. Je donnai la route au nord. PAR 1 

Dans la matinée du lendemain , nous nous trouvâ- 1 


mes en vue des hautes terres de l’île Bassilan; der- M 


Toute la journée fut consacrée à faire la reconnais- 
sance de ce nombreux groupe de petites îles qui s’ é- 
tendent à l’ouest de Bassilan. Nous eûmes rapidemen 
dépassé l’île Pilas, et nous entrâmes dans le détro 
de Bassilan. L'île de ce nom, surmontée par de belles 
chaînes de montagnes, est d’un aspect des plus agr: 
bles ; elle présente de vastes plaines dans sa 
cidentale ; toutes sont couvertes de forêts. Î 
sur la côte, nous n’apercûümes d'habitation 

Nous étions fort peu éloignés du riv 1g 


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Le y 


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%. 


DANS L'OCÉANIE. 205 


trional de Bassilan , lorsque les calmes nous lais- 
sèrent à la merci des courants. Deux brigs de com- 
merce, portant pavillon anglais, traversaient le dé- 
troit, faisant route dans l’est, nous les perdimes 


de vue lorsque la nuit arriva; ils continuèrent leur 


route , tandis que je faisais tous mes efforts pour ne 
pas nous éloigner de Samboangan, sur la côte de 
Mindanao; nous apercevions alors les maisons blan- 
ches de la ville; quelques milles seulement nous en 
séparaient, et je comptais y mouiller le lendemain 
de grand matin; mais j'avais compté sans les cou- 


_ranis de marée, qui ne sont peut-être nulle part 
. plus rapides que dans ces parages. Pendant la nuit, 


ilS nous drossèrent sur la côte occidentale de Minda- 
nao malgré tous nos efforts ; il nous fallut ensuite at- 
tendre jusqu’à une heure de l'après-midi, époque du 
reversement de la marée, pour nous rapprocher du 
mouillage. Nous apercümes de nouveau deux trois- 
mâts de commerce anglais faisant route pour Manille 


et qui traversaient le détroit. Enfin, aidés par le cou- 


rant, nous ralliâmes promptement les deux îles de 
Santa-Cruz , qui forment , avec la côte de Mindanao, 
le mouillage de Samboangan. | 

Il était six heures du soir lorsque l’Astrolabe tomba 
tout d’un coup sur un banc de corail où la sonde ac- 


 cusa quatre brasses d’eau seulement. Nous étions 
— encore à une assez grande distance de Samboangan, 
la marée était sur le point de reverser, et les cou- 


rants, nous devenant de nouveau contraires, al- 


 laient nous ramener dans l’ouest et nous faire per- 


à- 


FA “ 
LE 


1839. 
Juillet, 


27 


1839. 
Juillet. 


28 


_aussi je m'empressai de laisser tomber l'ancre st 


- un officier, M. Demas, chargé d'aller présenter mes 


206 | “'ONOYRGR" 


dre la route que nous avions gagnée dans la journée, 
ir k 4 
banc que nous avions rencontré, pour y. passer la | 
nuit ; la Zélée imita notre manœuvre, elle avait sond É 
aussi par quatre brasses , mais elle avait pu : mouiller 
dans des eaux plus profondes ; quant à nous , nous 
n'avions que trois pieds d’eau sous notre quille, mais 
la mer montait, et je n’avais aucune inquiétude: bien- = 


met noce bles 


tôt, en effet, le courant de flot s’établit avec üne ra 14 


n à ne , Les 
as: P 
Ë. à 


pidité effrayante (trois nœuds et demi ). | 
Au jour, nous pûmes jouir du coup d'œil vrais … 
ment ravissant que la terre offrait de notre mouil- 
lage. Devant nous s’étalaient les terres de Mindanao, 
dont l’intérieur est garni par de belles chaînes mon- 
tagneuses, tandis que le rivage présente une jolie 
lisière verte, agréablement coupée par le fort espa- 
gnol {a Caldéra, et les maisons blanches de Sañi- 
boangan ; derrière nous, et à petite distance, nous 
apercevions tous les détails de l’île sauvage de Bas- 
silan, habitée par une population dont nous pour- 


_vions juger le caractère, par ce que nous venions de 


voir sur la rade de Solo. J'aurais remis à la voile dés « 
le matin, si nous n’eussions eu encore les courants 
de flot qui nous éloignaient du mouillage ; du reste, il 
faisait calme : nous n’avionsdonc rien de mieux à faire 
qu’à attendre des circonstances plus favorables. C Ge: 


PAT 


pendant je profitai de ce moment pour envoyer à terre L 


compliments au gouverneur de la colonie espagnole et 1 
dele prévenir de mon arrivée. Notre canot, Sursa roule, 


TT OS _ 
I 


% 
+ 
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+ 4 


+ 
- 


+ 


DANS L'OCÉANIE. "183 
se croisa avec une grande et belle chaloupe portant 
pavillon espagnol, et qui accosta l’Astrolabe une 
heure après le départ de M. Demas. Cette jolie em- 


barcation portait 25 à 30 hommes d'équipage, com- 


mandés par un officier. C'était une de ces felouquas, 
embarcations de guerre, que le gouvernement de Ma- 


nille entretient à Samboangan pour réprimer les pi- 


rates qui infestent ces parages. Elle était armée de 
Six pierriers et d’un canon de douze. Tous les ma- 
telots, d'origine indienne, avaient une tenue excel- 


. lente, comme celle que l’on rencontre sur les navires 
de l’État ; ils obéissaient à un maître d'équipage dont 
Je teint, quoique bruni par le soleil, laissait voir faci- 


lement l'origine européenne. 


L'officier qui avait amené cette Don vint 
. m’annoncer qu'il avait été envoyé par le colonel don 


Manuel Sanz, gouverneur de la colonie, qui, jugeant à 


notre manœuvre que notre intention était de gagner 


le mouillage et craignant qu’il ne nous fût arrivé 


quelque accident en touchant sur le banc au-dessus 
» duquel nous flottions, me faisait toutes ses offres de 


service et de secours; je fus très-sensible à cette po- 
litesse. J’obtins de cet officier quelques renseigne- 
ments sur le mouillage que je voulais prendre ; mais 


… lorsque je lui demandai de vouloir bien rester à mon 
bord pour me piloter, il m’objecta avec raison que 


son service exigeait qu’il retournât immédiatement à 


terre pour donner au gouverneur une réponse qu'il 
F4 attendait. Bientôt, en eflet , il nous quitta, et se diri- 


gea sur la ville, après m'avoir promis toutefois qu'il 


LA 


A 


1839. 
Juillet. 


_ 


1839. 


. Juillet. 


208 + “VOYAGE 
viendrait à mon bord pour me guider aussitô ; 
serions pr ès de la rade. 


dans le a qui sépare É: îles Santa Cruz de m 
danao. Nous avions déjà dépassé la ville, sans trouver 
possibilité de mouiller, lorsque nous fûmes accostés 4 
par le lieutenant de vaisseau de la marine coloniale, 
don Manuel de la Cruz, qui voulut venir lui-même 
nous aider de ses conseils ; mais il était déjà trop 
tard, lès courants nous avaient drossés à trois lieues 
au moins dans l’est de la ville avant d’avoir pu suff- 
samment rapprocher la côte pour nous permettre de 
mouiller. Enfin , je m'étais à peu près décidé, à at- 
tendre à l’ancre la marée de flot du lendemain , pour. 
gagner le mouillage de Samboangan , lorsque, à cinq 
heures, voyant la brise, jusque-là incertaine, se fixer 
à l’est, je donnai de nouveau l’ordre d’appareiller ; en 
refoulant le courant de jusant, nous püûmes définiti- 
ro laisser tomber nos ancres, par 21 brasses de À | 
fond, à une petite distance du rivage. À h 

Le mouillage de Samboangan, quoiqu il ne soit 1 
point dangereux, est d'autant plus difficile à atteindre ; 
qu’il est constamment sillonné par des courants irré- 4 
guliers de marée, d’une rapidité extrême. L'espace sur 
lequel il est possible de mouiller est excessivement A 
étroit. C’est une bande de sable et de gravier qui s’éte nd . 
pare Een au rage et qu est très-accore su. 


£ 

À 
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& 


DRE Port 


Ke 


Aie 


À SERRE à 


— stances pour m’engager à descendre à terre et me pria 


DANS L'OCÉANIE. 909 
faillit ne pouvoir atteindre le mouillage ; la brise 
commençant à diminuer, lorsque nous étions à peine 
arrivés par le travers de la ville, elle allait être de 
nouveau entraînée par le courant, lorsqu'elle laissa 
tomber son ancre par 36 brasses de fond, au risque 


de la voir chasser. Il lui fallut ensuite se touer pé- . 


hiblement pour prendre son poste définitif à notre 
côté. Du reste nous étions seuls sur la rade ; seule- 
ment deux embarcations, semblables à celles qui 
nous avaient visités le matin, et une canonnière un 
peu plus grande, portant des pièces plus fortes, se 
balançaient sur leurs ancres. Tous ces bâtiments pa- 
raissaient bien armés, et se tenaient toujours prêts à 


appareiller ; ils faisaient partie de la flottille de guerre 


que le gouvernement de Manille entretient dans ce 
poste maritime. | 

Le lieutenant don Manuel de la Cruz, qui s'était 
rendu à bord de l’Astrolabe, au moment où le cou- 
fant nous entrainait, ne voulut point nous quitter 
“qu'il ne nous eût vus bien ancrés dans la petite rade de 
Samboangan. Dès son arrivée à bord de nos corvettes, 
il nous avait fait les offres de serviceles plus franches 
et les plus amicales ; sa maison avait été mise à notre 


- disposition, et malgré tout l'embarras que cela pouvait 
lui causer, il n'avait jamais voulu que M. Dumou- 


lin, qui voulait profiter de la relâche pour faire des 
observations de magnétisme, établit son observa- 
- toire autre part que dans son habitation. Avant de 
nous quitter, il renouvela auprès de moi ses in- 


VII. 14 


1839. 
Juillet. 


1839. 


Juillet. 


29 


210 VOYAGE CARS Poe 


d’accepter uñe chämbre chez lui, mais je FS 


Jon mon habitude, de quitter mon bord. 


La journée était trop avancée pour DOUY OR dés: ; 
cendre à terre le soir mème et faire ma visite au 
gouverneur. Le lendemain, at lever du soleil, A 
coups de canon säluërent la place ét le pavillon 


espagnol : le fort fous rendit nôtre Salut, et en- 
suite l’Astrolabe et la Zélée fétèrént, de 21 coups 


de canon chacune, l’anniversaire de notre glorieuse 


révolution. Ces Salves attirèrent rapidement la po- 
pulation de la ville sur le rivage , et lorsque, quel- 
ques instants après, je descendis à terre avec le 
capitaine Jacquinot, la foule se demandait encore, 
avec curiosité, quel était le motif pour lequel nos 
corvettes s'étaient pavoisées et dvaient tiré tant 
de coups de canon. Grâce à notre visite, les hä- 
bitants de cette paisible cité savent maintenant 
que, il y a neuf ans, là France a eu une révolü- 
tion. 
Samboangan n’a point de débarcadère; quelques 
pieux fichés en terre, à 8 ou 10 mètres du rivage, 
indiquent seulement qu’il y eut jadis une jetée, ou 


plutôt que l’on eut l'intention d’en construire une 


ui est restée inachevée. Quoi qu'il en soit, il n’est 
qt 


pas facile de débarquer avec les embarcations ; on. 


ne trouve pas de grands fonds près de la côte, et il 


faut que les matelots se jettent à l’eau et vous ne : 


tent sur leurs épaules jusqu’au rivage. 


En débarquänt sur la place, à côté des piquets du- j 
débarcadère dont je viens de parler, où $é troûvede- 


- 


\ 


CUnT on KT 


CEE ET 4 


DANS L'OCÉANIE. | 911 
vant un Corps-dé-garde en planches où veillent quel- 
ques soldats indiens assez mal armés et mal entre- 
tés. Sur la droite s’élèvé lé fort Saïnt-Philippe, 
vaste construction en pierres paraissant encore en 
bon état; il est éñtiérément isolé, par une grande 
place, de Ia ville qui s'étend sur la gauche; du mi- 
lieu dé cètté plaëe, sur läquélle on arrivé après avoir 
franchi une baïrière en planches ét un fossé as- 


_ sézZ profond, on äpércoit une maison isolée, dont 


les paroïs sont faites en bambous; cette maison est 


une Création du gouverneur actuel qui, dans sa . 
sollicitude pour sés administrés , a voulu établir un 


théâtre à Samboangan : il a organisé lui-même uné 
troupe de comédiens, et même il est allé, dit-on, jus- 
qu’à composer des pièces de circonstance; mais ses 


efforis ne paraissent pas avoir été couronnés de succès, 
car la salle de les est dans un état complet de 


décadence. 
Sur la place, et en face du fort, s’élève la maison 
dé M. de la Cruz. Cette habitation entiérément con- 


struité par les matelots des chaloupes éanonnières, 
est remarquable entre toutes les autres par sa forme 
européenne et sa grandeur; ellé ne éomporté cepen- 
dant qu'un étage, elle est éntiérément bâtie en bois, 


et certes elle eût péu frappé nôs regards par son ar- 


chitécture, si nous nous füussions trouvés dans une ville 
autre que Samboangan, Nous nôus y dirigeâmes tout 


d’abord : nous trouvâmes M. Dumoulin qui dès la 


veille avait mis tous ses instruments en observation 


däns un hangar Voisin, et qui éd décupait lé rez-de- 


1839. 
Juillet, 


1839. 


Juillet. 


212 | VOYAGE pete 
chaussée avec ses hommes. Nous fûmes nié re- 
joints par M. de la Cruz, que nous prièmes de. vouloir 


bien nous conduire auprès du gouverneur, ce à. quoi 
il se prêta volontiers. 


Don Manuel Sanz, Ale on gouverneur de $ 


Samboangan , est un ancien colonel d'infanterie : 
c’est un homme de 50 à 55 ans, peu habitué à la 


représentation, et détestant toutes les formalités de » 
l'étiquette qui peuvent gêner; mais aussi c’est un. 


homme généreux, très-affable, etsurtouttrès-cordial. 
Il nous fit une réception des plus aimables : avec son 
caractère de franchise, nous fûmes tout de suite à 
notre aise. Ses offres de service furent faites de ma- 


nière à ne pas être refusées ; il nous offrit sa maison, 


sa table, ses chevaux et sa voiture. Sa maison est 
vaste et bien aérée, on y trouve tout le confortable 
désirable, mais il n’y a point de luxe. Aussitôt arri- 
vés, il nous proposa de quitter nos vêtements de drap 
d’uniforme, toujours si gênants, dans les contrées 
brülantes des tropiques ; il les remplaca par des vê- 


tements de cotonnade blanche avec lesquels on est. 


si à l’aise, et qui forment le costume principal des 
Européens établis aux colonies. Nous acceptâmes 


aussi son déjeuner offert avec grâce et bienveillance. « 
À midi nous étions encore chez le gouverneur, lors- 


que la population , accourue sur la grève pour jouir 


du spectacle de nos corvettes répétant le salut de 22 


coups de canon, vit arriver sur la rade un beauirois- 
mâts de commerce anglais, qui vint y mouiller 


pe 
; 
4 


pour laisser passer le courant de jusant. C'était le 1 | 


DANS L'OCÉANIE. 213 


Mahommedia, appartenant à une maison de com- 
merce de Bombay. Son capitaine ne tarda pas à venir 
faire sa visite au gouverneur ; il nous apprit qu’il 
venait de Macao, où il avait porté une cargaison 
d’opium qu’il n’a pu vendre et qu’il y a laissée en 
dépôt. Tous les Européens avaient quitté Canton 
pour se retirer à Macao. Les Américains seuls avaient 
continué à occuper Canton. Ce bâtiment comptait 
hO jours de traversée : sur sa route il avait essuyé 


un de ces ouragans désignés sous le nom de typhon. 


En me donnant la date de l’époque où il avait reçu 
cette bourrasque, je me rappelai qu’alors nous étions 
sur la côte de Bornéo, à l'embouchure de la rivière 
Sambas, et il est probable que nous dûmes à cette 
circonstance les vents violents que nous éprouvâmes 
quelques heures après que je m'étais décidé à quitter 
le mouillage dangereux que nos COrNGHES oceupaient 
sur cette côte. 

Le capitaine du Mahommedia comptait passer par 
le détroit de Makassar en quittant Samboangan , il es- 
pérait avoir atteint Bombay dans 35 à 40 jours. Dé- 
sireux de profiter de cette circonstance pour faire 
parvenir quelques lettres ’en Europe, je ne tardai 
pas à regagner mon bord afin de préparer mon cour- 
rier. Mais le soir je vins de nouveau, avec M. Jacqui- 
not et M. Ducorps, m’asseoir à la table du gouver- 
neur ; elle était surchargée de mets à l’espagnole, 
parfaitement accommodés et d’un excellent goût. 
Au dessert le capitaine anglais et quelques-uns de 
ses passagers vinrent visiter M. Sanz. La soirée 


= 


1859. 
Juillet, 


1839. 
Juillet. 


PL. CXLI. 


30 


214 VOYAGE 


se passa oYe agréablement et se prolongea fort ts i 


La rade de Samboangan est assez sûre pendant la 


mousson de l'est, mais elle est ouverte aux vents 
d'ouest depuis Je $S. O. jusqu’au N. O., aussi n'est | 
elle fréquentée que par les navires en passage qui 
reviennent de la Chine ou qui y vont à contre-mous- 
son. Sa position sur le détroit de Bassilan y attire 
chaque année un grand nombre de bâtiments qui. 
viennent y chercher soit de l’eau, soit des provisions 
fraîches pour continuer leur traversée; tous y sont 


admis sans payer aucun droit, seulement il leur est 
défendu d'y faire le commerce, car Samboangan n’est 
considéré par le gouvernement de Manille, que comme 
un presidio, un SRER poste miHigire où ilnya 


n'exige pas même des droits d'ancrage. | 
J'avais destiné la matinée du 30 juillet à passer 


ARE | 


. l’inspection de la Zélée. À sept heures, je me rendis 


à bord de cette corvette; puis à neuf heures arrive- 
rent MM. Sanz et les lieutenants de vaisseau îe la 


Cruz et Acha, que M. Jacquinot avait conviés à dé- 


jeuner. La table était dressée sur le pont du naviré ; : 
le repas fut des plus gais; il se prolongea jusqu'à 
midi, heure consacrée par les Espagnols pour com= 
mencer la siesta ; ayant de nous séparer nous primes 


rendez-vous pour trois heures de * AREA ES afin 


d aller faire une course dans la campagn 


d ë profitai du temps qui me restait pour passer en ‘ 
détail l'inspeetiqn de VAstrolabe, et al ER see : 


RAF 


DANS L'OCÉANIE. 215 


_ neur. Celui-ci avait mis en réquisition tous les che- 
vaux de la colonie, au nombre de quatre, sans comp- 
ter ceux de sa voiture, afin de nous les offrir, Notre 
_ promenade avait pour but de visiter la célèbre ferme 
_de Toumanga. M. Jacquinot accepta la place que le 
gouverneurlui offrit près de lui danssa voiture. MM.Du- 
bouzet, Dumoulin et moi, nous préférâmes monter 
à cheval. M. de la Cruz se mit à notre tête, et bien- 
iôt nous eûmes traversé la ville et gagné la cam- 
pagne. 

Tous les voyageurs qui ont visité Samboangan ont 
parlé du beau site de la Toumanga : le chemin qui 
y conduit forme en effet une des plus délicieuses pro- 
_menades que l’on puisse rencontrer ; mais la route 
est mal entretenue et présente des obstacles presque 
insurmontables pour les voitures. Aussi, nous eûmes 
bien vite laissé derrière nous le gouverneur et le ca- 
pitaine Jacquinot, qui avaient craint l'exercice du 
cheval. Nos paisibles coursiers, quoique marchant 
à peu près toujours au pas, malgré les nombreux 
coups de crayache que nous leur administrions 
afin de les encourager, dépassèrent facilement la 
voiture , qui était obligée de s'arrêter souvent afin 
d'échapper aux ornières profondes qui sillonnaient 
la route. À chaque instant MM. Sanz et Tacquinot 
mettaient pied à terre dans la crainte d'un accident, 
qui cependant n’arriva pas. 


Lne petite rivière longe le chemin dela Toumanga, 


en faisant mille circuits qui augmentent la beauté du 
paysage. Bien que la route traverse en trois ou quatre 


LA 


1839. 
Juillet. 


1839. 
Juillet. 


PI. CXLIIT. 


MG. VOYAGE 


fé 


“endroits le lit de ce joli ruisseau, AE paré ie 
trouve de ponts pour le franchir. À l’époquedes pluies, e 
les eaux qui s’amoncèlent dans la rivière enlèvent. à 
chaque fois des parties de la route, et les pieds seuls 
des bestiaux parviennent ensuite, à force de fouler 


le sol, à former un talus qui rend de nouveau pra- 
ticable le chemin à travers lequel les eaux ont creusé 


de profondes ornières. Le gouvernement de _Sam- 
boangan mangue tout à fait des fonds nécessaires pour 


entreprendre les moindres travaux de réparation , et 


même il n’a le droit d'imposer aucune corvée aux: 


habitants qui sont venus s'établir dans cette petite 
colonie , sous la garantie de priviléges que l'on ne 
retrouve nulle part, dans aucune des possessions es- 
pagnoles aux Philippines. | à AUS 

Au bout d’une heure de marche environ, nous at- 


teignîmes le but de notre course; nous étions arrivés 
au pied d’un coteau un peu élevé, au sommet du= 
quel on voyait une ferme et une espèce de tour d'ob- 


servation. Un beau tapis de verdure, au milieu du- 
quel paissaient de nombreux troupeaux, couvrait la 
pente douce de la colline et s’étendait jusqu’à nos 


pieds. Nous eûmes bientôt gagné le sommet de la 


montagne , etnotre première visite fut pour le petit 
poste, composé de trente soldats indiens, qui est 


chargé de la défense de la ferme, propriété de l'État. 
Leur corps-de-garde est construit comme ceux que 
nous avions déjà aperçus sur la côte; c’est une espèce 


de blockhaus d'environ dix mètres d’élévation, sur- 


M dd Se Le es D TS ee 


3 
1 


= 


monté d’une case en bambous, où l'on arrivé au M 


DANS L'OCÉANIE. 217 


moyen d’une échelle qui se retire chaque soir. Ce 
corps-de-garde est par là à l’abri de toute espèce de 
coup de main tenté par les naturels de l’intérieur ; 
il domine non-seulement l'habitation qu’il est chargé 
de défendre, mais encore toute la plaine, et forme 
un excellent poste d'observation. À côté s’élève la 
ferme de la Toumanga. C’est tout simplement une 
orande case bâtie, comme toutes celles des Indiens, 
avec des planches et des bambous. L’ameublement 
est des plus modestes ; il comporte des divans en ro- 
tins assez mal assemblés et dont on nous fit les hon- 
neurs. Cette habitation est censée être la maison de 
plaisance du gouverneur, qui y fait je crois d’assez 
rares visites; on y chercherait vainement du reste 
d’autres commodités de la vie que celles qui sont 
strictement nécessaires au bien être des fermiers ou 
gardiens indigènes qui en sont les véritables habi- 
tants. Cette position fut choisie jadis par les jésuites , 
premiers fondateurs de cette petite colonie, pour 
servir d’'avant-poste du territoire occupé par les 
colons tagales. La tour de garde fut destinée à les 
mettre à l’abri des incursions des Maures. Par la 
suite ils y établirent la ferme qui existe aujourd’hui, 


- et ils lui donnèrent pour apanage quelques centaines 


d'arpents de terre, les seuls qui soient encore dé- 
frichés et qui servent de pâturages aux troupeaux 
du gouvernement. 

Au delà de la Toumanga, le pays a conservé l'aspect 
sauvage qu'il avait jadis. Du haut de l’éminence où s’é- 


lève la ferme, on jouit d’un des plus beaux points devue 


: 4839, 
Juillet, 


. 1839. 
Juillet. 


- pris pour de la salsepareille n’était autre chose qu'un 
petit arbuste qui croît en abondance sur les. bords | 


me VOYAGE. 


que l’on puisse rencontrer. On peut suivre. danse 
plaine les deux branches de la rivière qui descend 
des montagnes, pour se diviser tout près de la po- 
sition que nous occupions. Une partie se dirige alors 
vers Samboangan, tandis que l'autre va arroser les 
rivages du golfe des Jélanos. Cejte dernière branche 
est la plus considérable; elle offre à son embouchure 
un petit port où vont se réfugier, à l'époque de la 
mousson d'ouest et dans les mauvais temps, les Ca- 
nonnières de la flottille, qui ne trouyent pas un abri 
assuré sur la rade de Samboangan, ; ent 

À une lieue environ de ce petit port, s'élève un yil- 
lage dépendant de Samboangan, qui compté environ 
600 habitants. 

La ferme de la Toumanga est habitée par une fa- 
mille tagale ; le chef, appelé don Maurice de Léon, nous 
en fit les honneurs; c'était un vieillard d’une figure 1 
agréable, et dont le caractère énergique, peint sur 
sa physionomie, prévenait en sa fayeur, Il s'empressa 
de nous offrir des cocos pour nous rafraîchir, puisil 
alla puiser de l’eau à la rivière, et nous la présenta 
comme jouissant de propriétés merveilleuses. Cette 
eau , malgré l’éloge que nous en faisait notre hôte, 
eut fort peu de succès: je savais que l’on attribuait 
des propriétés médicales aux eaux de la rivière, parce 
que l’on assurait qu’elles roulaient sur un lit tapissé- 1 
de salsepareiïlle ; je voulus m’assurer du fait, et nous 1 
reconnümes bien vite que ce que les habitants ayaient 1 


DANS L'OCÉANIE. . 219 


de la rivière, mais qui n’a aucune ressemblance 
avec cette plante médicinale. 

Le vieillard, qui nous présentait la coupe puisée 
par lui dans la rivière et qui nous en vanfait les 


qualités , était cependant bien fait pour nous la re- 


commander, car il en faisait usage depuis un demi- 
siècle , et il paraissait être encore plein de vigueur 
malgré-ses quatre-vingt-neuf ans. C'était un vieux 
soldat de l’armée de Luçon, et il combattait déjà 
dans ses rangs à l’époque où la ville de Manille fut 
prise par les Anglais, en 1762. C'était probablement 


le seu témoin d’une action qui appartient aujour- : 
É d’hui au domaine de l’histoire. Nous l’écoutâmes 


avec intérêt pendant qu'il nous la racontait. M. de 
la Cruz nous avait dit que cet homme avait d’au- 


tant plus de droit de nous parler de cette action, | 


que dès cette époque, quoique fort jeune, il s'était 
- distingué par son courage dans les rangs de l’armée 


espagnole, et que par la suite il ayait beaucoup con- 


tribué à repousser les ennemis de son pays. Ce 
brave homme était si heureux de trouver quelqu'un 
à qui il pût parler de cette époque brillante de sa 
jeunesse, que ses yeux s’animèrent d’un nouveau feu, 
la courbure de sa taille , ipsfparable d’un Age aussi 
titude Hule qui suffisait pour Fee idée Je Lite 
favorable de ce qu’il avait dû être dans sa jeunesse. 
. Il eût bien voulu nous garder jusqu’à la nuit, mais 
| Pheure nous força de quitter cette délicieuse retraile, 
où l’on est étonné de ne voir personne se fixer. 


1839, 
Juillet, 


1839. : 
Juillet. 


_chaït que huit piastres par mois. En cela, comme en. 


220 VOYAGE Ÿ 

Nous remontâmes à cheval, et nous nous retrou- 
vâmes bientôt après de l’autre côté de la rivière : 3 
avec le gouverneur qui n’avait pu , à cause des che- ‘2 
mins, nous suivre jusqu'à la ferme, et qui n avait pas 
voulu abandonner sa calèche pour faire le reste de la 
route à pied. À notre retour à l'hôtel du gouverne- 
ment un excellent dîner nous fut servi. Nous n’é- 
tions que huit convives, mais quarante personnes au- 
raient pu facilement trouver dans le menu du repas - 
de quoi assouvir leur faim. Si cette abondance fai- | 
sait honneur à la générosité du gouverneur, d'un 
autre côté le sans-facon de son hospitalité, l'abandon 
de l'étiquette. donnèrent à cette réunion un charme 
que nous n’avions guère rencontré chez les riches. 
deminateurs de l'Inde et de la Malaisie, même 


quand ïls nous recevaient avec la plus grande sim 
plicité. 


» » 4 # 
à » Trier Etéos : 


Dans la soirée, tous les officiers de la marine colo- : 
niale et de la milice de Samboangan ayant en tête le 
sergente mayor de la place me furent présentés. Tous, 1 
à l’exception du sergente , étaient métis ou Indiens 
d’origine. Parmi eux, je remarquäi beaucoup de F' 
vieillards très-âgés. Tous étaient en uniforme : je ne E. 
m'attendais guère à trouver dans Samboangan un 1 
état-major si nombreux. Mais les Espagnols payent si À 
peu ces officiers qu’ils peuvent facilement multiplier | 
les grades sans augmenter beaucoup les dépenses, On | 
m'assura que le mieux rétribué parmi eux ne tou- J 


Î 
4 
Le 
à 
‘ 
€ 


re op 


toute autre chose, cette colonie diffère beaucoup de 


DANS L'OCÉANIE, 221 
celles des Anglais et des Hollandais. Nous ne ren- 


trâmes à bord qu’à une heure déjà très-avancée de 
la soirée. 


Le lendemain je passai presque toute ma journée 


à ma correspondance. Le navire anglais avait remis 
à la voile la veille; mais les Espagnols m’avaient as- 
suré qu’ils communiquaient facilement avec Manille, 


_et dès lors je m’occupai d’un rapport détaillé dans le- 


4 


quel je faisais connaître au ministre de la marine les 
derniers travaux de l’expédition, afin de le laisser au 
gouverneur pour qu'il ie fit parvenir en Europe. Je 
profitai aussi de notre séjour sur la rade pour en faire 


. lever un plan très-détaillé. M. Coupvent en fut chargé. 
. Le canot-major de la Zélée fut mis à sa disposition 


dans ce but. M. Gervaise dut en même temps re- 
cueillir avec le canot de l’{strolabe quelques sondes 


au large, destinées à compléter le travail confié à 


M. Coupveni. 


Je ne descendis à terre qu’après mon diner. M. Jac- 


- quinoï m'accompagna dans une promenade délicieuse 


que nous fimes dans les environs de la ville. Nous ren- 
contrâmes sur notre route le curé de Samboangan, 
homme doué d’une grande instruction et d’une tolé- 
rance bien entendue. Nous passâmes quelques ins- 
tants agréables avec lui. Il m'assura qu’il existait dans 
l'intérieur de Mindanao, dans le N. E. de l’île, une 
race d’indigènes remarquables par leur petite taille et 


. d’un caractère très-doux : ils ne vivent guère que de 


racines; j'aurais bien désiré voir un individu de cette 


- espèce d'hommes, mais il n’y en avait pas à Samboan- 


1839, 
Juillet. 


31. 


1839. 
Juillet. 


PI. CXLIV. 


222 : VOYAGE 


san au moment de notre passage. Il mé dit encore 
que le seul impôt qui pesait sur les habitants de Sani. À 
boangan , consistait dans une capitation d’uh démi- È 
réal par an pour tous les individus adultes, ‘depuis : 
seize atis jusqu’à soixante. Le gotvernement de la 
colonie ne possède d’autres revenus que ceux prove- 
nant de cet impôt et des produits d’un troupeau de 
trois cents buffles nourris dans les PHARE de ja 
Toumanga. ee 

Nous terminâmes notre soirée par uñ bain déti: 
cieux que nous prîmes dans la rivière. Un des admi- 
nistrateurs actuels de la colonie, don Juan Herrea, 
a fait construire sur la rivière une maison eh bambou, 
uniquement disposée pour y prendre des bains. Il 


“voulut bien, pendant tout le temps de notre relâche, 


la mettre à la disposition de tous les officiers de l'ex= 
pédition. Elle consiste dans un simple hangar élevé 
sur des pilotis plantés sur chaque côté de la rivière. 
Un plancher de peu d’étendüe est réservé pour y 
poser ses vêtements. On descend ensuité au moyen 
d’une échelle dans la rivière qui roule en cet endroit ; 
sur un lit de sable et de gravier trés-fini: A l’abri dé 
la toiture de cette maisonnette on jouit d’une He À 
cheur des plus agréables. LHUENT IAE 
À notre retour le long delarivière, nousvimes une 
grande quantité de buffles qui étaient venus aussi re 
chercher dans ces eaux une fraîcheur salutaire: ces | 
animaux choisissent ordinairement pour s’y plonger 
les eaux les plus vaseuses. IIS se couchent de ia: : 
nière à ne Conserver au-dessüs de la surface que léurs | 


DANS L'OUÉANIE. 223 
veux ét leur museau pour voir et respirer, ét Souvent 
ils passent plusieurs heures dans cette position en af- 
fectañit une inmobilité parfaite. 

À quatre heures je réunis à ma table toutes 1ës 4 au- 
torités éspagnoles de la ville et plusieurs officiers de 
mon état-major. Neüf coups de canon saluèrent l’arri- 

_Yéedu gouverneur. J'aurais voulu qü’il fûten mon pou- 


voir de leur témoigner toute ma gratitude pour l’ac- 


cueil bienveillant que nous avions reçu à Samboan- 
gan et pour la sénéreuse cordialité avec laquelle nous 
avions été recus. Nous allâmes passer ensuite la soirée 
chez M. Sanz. La réunion était nombreuse et la soirée 
fut très-agréable. 

Tous les travaux sé continuaient sans del A 
l'aide des guides qui leur avaient été fournis par le 
souverneür, nos naturalistes parcouraient dans tous 
_les sens le terrain occupé par les Espagnols: ils en- 
richissaient chaque joùr leur collection d'histoire na- 
tüurellé d’une foule d'échantillons nouveaux. Toutes 
les observations de physique et d'astronomie se pour- 
Suivaieht avec zèle. Notre provision d’eau était re- 
noüvelée. MM. Coupvent et Gervaise n'avaient plus 
que düelques heures à employer pour terminer le 
travail qui leur avait été confié. D’un autre côté 
MM. Sanz et de la Cruz se multipliaient pouf nous 
rendre le séjour de la rade le plus agréable possible. 
Le 2 août nous assistions à un repas splendide offert 
par le commandant de la marine espagnole. J'ai déjà 
dit que la maison de M. de la Cruz était la plus belle 
habitation de Samboangan; et qu’elle avait été entiè- 


1839. 
Juillet, 


1° août. 


1839: 


Août. 


_ont été employés pour sa construction. Toutes les M 


294 VOYAGE 


p 


L 


rement bâtie par les matelots des chaloupes canon 
nières placées sous ses ordres. Des bois magnifiques 
planches qui ont servi à former le plancher du seul À 
étage qu’elle possède, ont été tirées d’un seul arbre: 
leur longueur mesurée comportait 30 mètres au 
moins. M. de la Cruz les a conservées sans les morceler. 
D’autres pièces de bois d’une dureté à toute épreuve 
supportent la toiture. Tous ces bois ont été coupés 
sur l’île de Mindanao et dans les environs de l’éta= 
blissement. M. de la Cruz utilisa les salons vastes et 
bien aérés de son habitation pour réunir en notre 
honneur .de nombreux convives. La table était ad- 
mirablement servie ; le repas fut des plus gais. 
Enfin, l’avant-veille de notre départ, le gouverneur 
improvisa une fête qui put nous donner une idée des 
ressources que pouvait offrir la société deSamboangan; 
pour cela il réunit chez lui toutes les grandes dames 
du pays et nous assistâmes à un bal qui ne ressem- 
blait en rien, il est vrai, à ceux que l’on voit dans la 
société européenne; mais qui n’en avait pas moins 
son mérite. La réunion se composait d’une vingtaine 
de danseuses, femmes ou filles des principaux offi- À 
ciers. Parmi celles-ci on en remarquait quelques- 4 
unes qui étaient les maîtresses des diverses autorités M 
espagnoles. Elles étaient les reines de la fête, et leur 4 
présence ne semblait en rien blesser les règles éta- 
blies dans le pays. La plupart de ces danseuses 
étaient fort jolies ; mais leur costume, semblable à 4 
celui des femmes indiennes du peuple, sauf quelques j 


PURES TANT CUS ne UV lee Re CIS 


DANS L'OCÉANIE. 295 


additions de mauvais goût, leur donnait une tour- 
nure embarrassée, qui nuisait infiniment à leur 
beauté naturelle. Elles se livrèrent à la danse avec 
gaieté, comme des femmes qui n’ayant d'autre éduca- 
tion que celle de la nature ne savent pas non plus 
dissimuler leurs impressions. On lisait dans leurs 
yeux combien elles étaient fières d’être admises chez 
le gouverneur. Leur gaieté contrastait vivement avec 
le sérieux que conservaient la plupart des officiers 
de la milice indigène. Ceux-ci, à l'exception de deux 
vieillards qui portaient l’uniforme de la marine co- 
loniale, et qui paraissaient être les ordonnateurs de 
la fête, se tinrent à l’écart pendant toute la durée 
du bal; peut-être le gouverneur les avait-il prévenus 
qu'ils devaient laisser ce soir-là tout le plaisir de la 
danse aux étrangers. | 
Déjà nous avions pu remarquer combien les Espa- 
gnols établissaient une différence marquée entre eux 
et les officiers indiens auxquels ils commandaient. 
Ceux-ci n'avaient paru dans la salle de bal qu’en 


uniforme et vêtus de leurs habits les plus somp- 


tueux, tandis que M. Sanz avait exigé de nous, en 
nous en donnant l'exemple, que nous quittassions 
nos incommodes vêtements de drap, pour revêtir des 
gilets de cotonnade blanche beaucoup plus légers , 
mais aussi indiquant une mise bien plus négligée. 
Bientôt nous fümes témoins d’un fait qui vint nous 
prouver que, malgré la familiarité apparente avec 
laquelle les Indiens étaient traités, il existait tou- 


jours une distinction tranchée entre eux et les Es- 
Le. VIL. 15 


1839. 
Août. 


1839. 
Août. 


nommé Avril, quartier-maître voilier , s'était légère- 4 


296 | VOYAGE FT 


Pagnol de pur sang. 1 ha fu Suiv À d'un be = 


Re séparés : l’une elles fut pi 4 
ment réservée pour les officiers espagnols et pour 
nous ; elle était magnifiquement servie. Les autres À 
assistants et les héroïnes du bal allèrent s'asseoir à 4 
la seconde table qui présentait bien moins de luxe 4 


et qui était couverte de mets plus solides, mais à 


aussi moins recherchés. Du reste les cris de joie, les. 
rires que nous entendimes dans la salle où étaient 
réunis les Indiens nous indiquèrent suffisamment 
qu'ils étaient habitués à cette démarcation et qu'ils 
faisaient sans rancune honneur au RES ohert 
par le gouverneur. à 
Le climat de Samboangan parait étre irés-sai, 
car on rencontre au milieu des indigènes une grande M 
quantité de vieillards très-âgés; cependant on m'a as- 
suré qu’à certaines époques de l’année il régne dans 
la colonie des fièvres dangereuses. Les cas de dyssen- 
terie y sont aussi très-fréquents; et enfin les blessures 
les plus légères donnent assez souvent des -attaques 1 
de iétanos qui sont à peu près toujours mortelles. 1 
Un des marins des chaloupes canonnières espagno- # 
les avait succombé la veille à la suite de violentes dou- M 
leurs de tête ; nous-mêmes, nous devions voir périr 
un des nôtres par suite de cette terrible maladie. No-… 
tre relâche à Samboangan qui avait été si agréable jus- , 
que-là devait être traversée par un jour de deuil, Le ! 


" re ; « 
+ tell ces 2 - 0 oi GUN EN NS 


ment blessé au u pied en arrivant au monaes QE 


CR d (A l 
ri MINE be 


DANS L'OCÉANIE. 227 


- suite de cet accident il avait éprouvé quelques dou- 4 
leurs à Ja nuque, qui peu à peu s'étaient étendues et 
avaient donné des inquiétudes sérieuses à M. Hom- 
bron. Plusieurs fois déjà cet homme zéléet laborieux, 
qui devait à sa bonne conduite d’être le patron de 
mon canot, avait voulu sortir des cadres des ma- 
lades pour continuer son service. Il avait fallu l’auto- 
rité du médecin, qui jugeait avec raison sa maladie 
des plus graves, pour le forcer à garder le repos et à 
profiter des soins qui lui étaient prodigués. Enfin, le 5 
au matin il éprouva les douleurs du tétanos, et il suc- 
comba presque aussitôt. 

Je me hâtai de donner avis de cet événement 
aux autorités civiles de la ville en leur demandant de 

| nous fournir les moyens de confier à la terre le corps 
de ce malheureux. Le curé de Samboangan, don José 

. Varelas, s’empressa avec beaucoup de bienveillance 

d'offrir les secours de son ministère pour rendre à 

. notre compagnon de voyage les derniers devoirs. A 

six heures du soir vingt matelois de l’Astrolabe, douze 

matelois de la Zélée, commandés par deux officiers et 
un élève, accompagnèrent le corps qui fut déposé : 
dans le cimetière de la ville. Une croix noire fut 
plantée sur la fosse; elle portait le nom du défunt. 

Ce malheureux laissait une jeune femme et deux en- 

fants. Économe et laborieux , il travaillait pour eux, 

lorsqu'une mort prématurée vint l'enlever à sa fa- 
mille. C'était le second marin que perdait l’Astro- | 
labe. Le premier avait péri dans les flots. Avril fut 

la première victime des maladies. Bientôt nous 


4839. 
Août. 


aurons à enregistrer de nouvelles pertes : 1 _notr 0-4 


.des adieux probablement éternels*, En nous quittant | 1 


228 rt VOYAGE 


\ 


pauvre matelot tonga, Mafi, qui, depuis notre pas L 
sage à Vavao, est devenu un assez bon marin , dé. 
cline rapidement ; il a suivi aujourd'hui le convoi, 
et à voir ses regrets, il est facile de s’ apercevoir qu' nie 
s'était vivement attaché à l’homme que nous venons A * 
de perdre. C'était, en effet, un excellent sujet, d'un. 
caractère doux et tranquille, vivement affectionné. 
par ses camarades qui savaient apprécier ses bon- 
nes qualités. Il fut sincèrement regretté par tous. 
les officiers. I1 était ouvrier habile, et en outre il 
comptait parmi les meilleurs matelots de VAstro- 
labe. 

Nos dernières dispositions étaient prises pour. 
mettre à la voile dès le lendemain. Notre soirée fut | 
consacrée à faire nos adieux au gouverneur et aux 
autres autorités espagnoles dont nous avions recu un M 
accueil si amical. Le 6, à six heures du matin, 
nous étions sous voiles. Le courant nous entraî- 
nant dans l’est, nous nous éloignions rapidement 4 
de la rade, lorsque nous fûmes acostés par une 4 
canonniere espagnole qui nous amena MM. de la * 
Cruz et Acha. Ces messieurs avaient voulu une der- M 
nière fois MGuS serfer 14 main Let nbtie renouveler « 


ils saluërent chacune de nos corvettes de sept coups 
de canon, qui leur furent TRES rendus , 


* Nous avons appris plus tard que don Manuel he ja Cru uz À 
était mort six mois environ apr ès notre passage. Cet officier avai a 


| DANS L'OCÉANIE. 229 
puis la chaloupe canonnière espagnole regagna le 
port, tandis que nos navires, aidés par le courant, 
se rapprochaient de la pointe orientale de Bassilan. 
Suivant notre habitude, avant de perdre de vue les 
hautes terres de Mindanao, nous récapitulerons en 
peu de mots ce que nous avons appris pendant no- 
tre relâche à Samboangan. 

Les Espagnols ont trois établissements sur l’île de 
Mindanao ; Samboangan est de beaucoup le plus im- 
portant des trois. Il est toujours commandé par un 


officier supérieur qui relève du gouverneur général des - 


Philippines. Il paraît qu’il a été choisi comme lieu 
* de déportation pour les criminels indiens des colonies 
espagnoles. Ceux-ci sont enfermés dans le fort dont ils 
ne franchissent jamais l’enceinte. Ils ne sont guère 
employés qu'aux travaux nécessaires à l’entretien de 
cette citadelle, et j'ignore si le nombre des prison- 
niers est considérable; toutefois c’est peu probable. 

La garnison de Samboangan comporte environ trois 
cents hommes. Elle est chargée de la garde du fort 
Saint-Philippe et de quelques autres postes exté- 
rieurs. 


été chargé par le gouvernement de Manille de faire la géographie 
de l’île de Mindanao . Lors de notre séjour sur la rade de Sam- 
_boangan, il avait déjà relevé toute la partie méridionale de cette 
ile. Il voulut bien me laisser prendre un calque de la carte ma- 
nuscrite qu'il avait dressée. Ce travail, dont je pus confronter 
une partie avec le mien, me parut très bon. Malheureusement 
- je confiai à l'amiral Dumont d'Urville, sur sa demande, le 

calque que je possédais , et après sa mort je n’ai pu le retrouver 
dans ses papiers, V. D. 


1539. 
Août, 


1830. 


Août. 


230 SC NOVÉGE 


CEE 


Le détroit de Bassilan est fréquenté chaque ant 1ée 
par un grand nombre de navires. L’é établissement ; 
espagnol, créé dans un but tout philanthropique , Sa n 


- peut-être aussi pour empêcher la contrebandeet pour 


éloigner de ces rivages toute puissance européenne 
qui serait tentée de s'établir sur Mindanao, oc- 
cupe une des positions les plus heureuses du détroit.… 
Sa rade, il est vrai, n’est pas très-sûre. Le mouillage 
y est assez mauvais et d’un accès difficile; mais il. 
paraît que sur toute la côte septentrionale de Bassi- 
lan, il n’existe pas un seul port où les navires puis- 
sent jeter l’ancre. D’un autre côté, les bâtiments qui 
fréquentent ce détroit n’ont généralement à deman- 


der à Samboangan que de l’eau et des vivres frais: 


or ils peuvent toujours, sans s'éloigner de leur 
route, jeter un pied d’ancre sur la rade; ils ont rare= 
ment besoin d'y séjourner; l’appareillage y est tou- | 
jours facile. Quoi qu’il en soîït, le poste de Samboan- 
gan est appelé à rendre de très-grands services; le. 
voisinage des îles Solo et Bassilan , celui des pirates 
indépendants de Mindanao, rendrait ces parages On 
ne peut plus dangereux pour les bâtiments mar- « 
chands, si le gouvernement de Manille n’entretenait… 
constamment dans ces mers une flottille de Du 
pour réprimer les écumeurs de mer. | | 
Les forces maritimes attachées à cette station consis fo 
tent en une goëlette, deux canonnières et deux gran 
des félouquas. Ces deux dernières se trouvaient | 4e 
rade au moment de notre passage. Une des canon- 
nières était en mission sur la côte, la seconde ÉAIES à 


RME) hd or. 


DANS L'OCÉANIE. 231 


mouillée dans une rivière. De la rade on apercevait - 


sa mâture. Enfin la goëlette était amarrée dans une 
autre rivière à quelques milles de Samboangan. Cette 
petite flottille, montée par des marins de Manille, 
dont nous pûmes admirer l'excellente tenue, est des- 
tinée à croiser constamment dans les archipels in- 
dépendants qui avoisinent Mindanao. 

D’après les renseignements donnés par MM. de la 
Cruz et Acha, tous deux attachés comme lieutenants 
. de vaisseau au poste de Samboangan, il paraît que les 
bâtiments sous leurs ordres ont assez fréquemment 
des engagements avec les pirates. Ceux-ci tâchent 
… toujours d'éviter le combat, mais une fois forcés 
- d’en venir aux mains, ils combattent avec le cou- 
rage du désespoir. Jamais ils ne font de prisonniers: 
mais il est rare aussi qu'ils se laissent prendre vi- 
vants. Lorsque cela leur arrive, ils sont condamnés 
à subir la peine des présidios (galères) pour un 
temps fort long. Du reste, au dire de M. de la Cruz, 


il paraît que les marins sous ses ordres font rarement 


quartier à ces brigands. Cet officier a eu lui-même 


plusieurs engagements à à soutenir contre les pirates. 


Chaque année il va pousser une visite aux îles Solo et 
aux terres environnantes. C'était lui que le capitaine 
Somès avait voulu désigner lorsque, à notre passage 


- à Bewan, il nous racontait que naguère les habi- 


tants de Solo avaient cherché à assassiner un officier 
espagnol. M. de la Cruz me confirma tous les détails 
qui nous avaient été donnés à ce sujet. Il m ajouta 
que c'était ce même datou Tahel dont nous faisions 


1839, 
Août, 


232 rates VOYAGE 


1850. l'éloge qui avait ourdi tout le complot; de ps, 
.. il n’assura que tous les renseignements que nous 
avions obtenus sur ce peuple barbare et que j'ai con- 
signés dans cet ouvrage étaient parfaitement exacts. : 
Il me dit aussi que le port de Tulian était bien prés 
férable à celui de Bewan, mais que les habitants. 
en étaient bien plus barbares encore. Il paraît que. 
ces hommes en général redoutent beaucoup les ca=" 
nons et les fusils; mais lorsqu'ils peuvent combattre. 
à l'arme blanche, ils montrent beaucoup de courage. … 
Cette année-ci M. de la Cruz devait aller visiter Ma- 
nado; l’année passée il avait touché aux îles Sanguir 
qui ont failli nous être si fatales. | | 
On ne peut nullement juger la population de Min- 
danao par celle de Samboangan : celle-ci se compose 
des descendants des Tagals, des Bisayas, des Mexicains … 
et des Espagnols qui vinrent successivement peupler. 
l’établissement dès sa fondation. L’opinion que les 
habitants de Samboangan ont conservé dans leurs 
veines du sang des premiers indigènes, et qui est la 
mienne, trouve encore aujourd’hui de nombreux con- 
tradicteurs. Ceux-ci prétendent qu’à l’époque où les 
jésuites, dominateurs absolus de l’île Luçon, vinrent 
jeter les premiers fondements de cette colonie, le 
pays était alors désert. Afin d'y attirer une popula- 1,4 
tion libre, on exempta, disent-ils, de toute espèce de 13 
tribut les Indiens qui vinrent s’y fixer, et ce privi.. 
lége fut toujours conservé depuis aux habitants. Cha- 
que habitant n’est en effet assujetti qu’à. payer unes 
contribution excessivement faible ; l'entretien de . 


| 
4 
3 
À 


rate art ddl “opte GES doué doct Die Eur min CL cils): ds 


DANS L'OCÉANIE. | 933 


l'établissement est encore aujourd’hui soldé par 
les tributos de chaque province des Philippines. Plus 
tard, l'isolement de l'établissement, la nature du 
pays le firent juger propre à devenir un présidio, 
destination qu’il a conservée jusqu’à ce jour, quoique 


aujourd'hui on n’y déporte presque plus de condam- 


_nés. | 
Quoi qu’il en soït, les mœurs des habitants de 


… Samboangan se rapprochent beaucoup de celles des 
… Tagals de Manille. Comme eux, ils sont doux et très- 
… portés vers tous les plaisirs; mais ils sont loin d’a- 
« voir leur défiance et leur orgueil de race qui tend 
… à maintenir à Luçon les Tagals séparés des Espagnols. 


Les habitants de Samboangan font au contraire con- 
sister leur fierté à se confondre avec eux, ils affec- 
tent de ne parler entre eux qu’en espagnol, et ils 
tirent une grande vanité du peu de sang espagnol 


… qui coule dans leurs veines; il n’est pas de famille 
… qui ne recherche l’alliance des blancs, car ceux-ci 
… constituent toujours à leurs yeux une espèce de no- 
… blesse et des êtres réellement supérieurs à eux. Grâ- 


ces peut-être à ces mœurs des naturels, il résulte que 


- bien que la prostitution des femmes paraisse très- 
… rare à Ssamboangan, les liaisons illicites de gré à gré 

sont excessivement fréquentes, et les jeunes filles 
… se trouvent toutes très-honorées lorsqu'elles peuvent 
devenir les maîtresses des officiers espagnols. Du 
… reste, ces liaisons paraissent généralement admises; 
L ainsi, au bal que nous offrit le gouverneur, on voyait 
x % toutes les femmes ou filles des officiers indiens re- 


1839, 
Août, 


1830. 
Août, 


234 us VOYAGE 


chercher particulièrement la société de cle 
leurs compagnes qui avaient des liaisons intimes 


avec les autorités espagnoles, “AS TRE 


Le gouverneur de Samboangan n’estimait pas à 


plus de sept mille le nombre des habitants dépen- 


dants de son gouvernement; dans ce chiffre les ha= 


bitants de la ville comptaient environ pour trois 


mille. Les Espagnols, au nombre de huit ou neuf 


seulement, occupent les emplois administratifs ou 


font le commerce. Tous les habitants de cette pe=. 


tite colonie paraissent heureux sous le régime, es- 
pagnol, régime doux et paternel qui leur per- 
met de se livrer sans réserve à la paresse qui forme 


le fond de leur caractère, « Si quelquefois il m’ar- 


riva, dit M. Dubouzet, en parcourant cette ville ét. 


ses environs, et en voyant combien peu de terrain 


était livré à la culture et combien l’industrie des 
habitants était bornée, de faire une comparaison 


très-défavorable aux Espagnols entre cet établisse= . 


ment et les colonies voisines soumises aux Hollandais 


d’un autre côté l’air de bonheur et de contente- 
ment des habitants me parut amplement compenser 


l'absence des richesses de production et des jouis- 
sances d’une civilisation avancée, qui distinguentles 
possessions hollandaises. Toute cette population vit. 
en effet dans l’abondance, parce qu’elle sait borner! 


ses désirs ; elle jouit, sous le régime paternel de l’Es- 


pagne, du rare avantage de la liberté et d’une égalité 4 
parfaite avec les blancs. S'ilest vrai que lIndien de 4 
Samboangan comme celui des Philippines peut se | 


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4 

P 


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LL" à À pa D JR 

than, Ton. nd) \ 
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DANS L'OCÉANIE. 235 


livrer à sa paresse naturelle à l'abri de cette liberté 


dont il jouit par les franchises municipales des lois 


indiennes qui lui permettent en quelque sorte de se 
souverner lui-même, sa condition n’en est pas moins 
supérieure à celle des Javanais; ilne supporte au- 
cune des charges qui pésent sur les habitants de Java 
comme sur tous les Indiens soumis aux Hollandais. 


… Ces derniers forment pour ainsi dire un peuple à 


part , condamné pour toujours à vivre dans un état 
d’infériorité. L'habitant de Samboangan, malgré le 


à dommage qu’il se fait par son apathie, peut se dire 
—. au moins avec fierté qu’il ne travaille que pour lui 
… seul, et non pour des maîtres qui Re après 


lavoir vaincu. » 

Les habitants de Samboangan n’ont aucun carac- 
ière particulier qui leur soit propre : cependant ils se 
distinguent facilement par la taille et par les traits de 


… ious les naturels des îles environnantes : leur langue 
| diffère beaucoup aussi de celle parlée dans les archipels 
. voisins. Je dois à M. de la Cruz d’avoir pu réunir des 
- vocabulaires très-précieux pour mes études ethno- 


graphiques. 
Les Indiens ont une grande antipathie pour les 


- habitants de l’intérieur de l’île Mindanao: ils dé-, 
signent sous le nom de mauros, et ils embras- 
- sent dans une même aversion tous les indigènes des 
… iles qui les entourent et dont ils ont eu, ilest vrai, sou- 


vent à se plaindre, ainsi que des negritos, qui habitent 


… l'intérieur de Mindanao; du reste il paraît que ceux- 
ci ne visitent jamais l’établissement, mais ils sont 


1839, 
Août, 


1839. 


Août. 


236 0  NOYAGRE 
toujours prêts à attaquer les Indiens qui, sans ee | 
et sans escorte, s’aventurent à dépasser les limites du 
territoire espagnol. On nous assura qu'il s'était ‘4 
écoulé déjà plus de vingt ans depuis l'époque - où 
quelques-uns de ces sauvages ont été vus dans l’éta- 


blissement. 


Tous les Indiens de Samboangan sont chrétiens, 
mais j'ai été fort surpris de voir combien ces hommes 
étaient peu religieux de fait. «Ce serait à tort que 
l’on croirait, dit M. Dubouzet, que ces hommes vi=. 
vent sous le joug des prêtres, il n’est pas de pays où 
on jouisse de plus de liberté de conscience que parmi 
eux. À part les femmes, je ne vis presque jamais per- 
sonne dans les églises aux heures des offices, même 
pendant les jours de fête, et on pouvait facilement 
remarquer que les femmes qui fréquentaient l’é- 
glise n'avaient d’autre but que celui de faire voir 
leurs habits, car elles n’y paraissaient qu'après avoir 
fait toilette. » 4 

Depuis longtemps les Espagnols vivent à peu près 
en paix avec le sultan de Mindanao, et tous les datous 
de la confédération des 7 Ulanos. Ils font le commerce 
avec les divers ports de l’île et les habitants de Bas- 
silan, à la faveur des traités qu’ils ont conclus avec ces » 
différentes peuplades indépendantes : toutefoisils sont 
constamment sur leurs gardes contre les agressions … 
de ces voisins qui, souvent oublieux des traités qu'ils 
ont signés, se présentent quelquefois sur la Côte w 
avec leurs praos et enlèvent quelques malheureux 5. 
pêcheurs isolés qu’ils vendent ensuite commeesclaves. M 


DANS L'OCÉANIE. 237 


Pour se garantir contre les forbans les Espagnols 1 
ont établi une série de corps de garde sur la côte, en- 
tièrement semblables pour la construction à celui que 
j'avais vu à la ferme de la Toumanga et dont j’ai déjà 
donné la description. Ces petits postes retranchés ont 
aussi pour but de servir de lieux d’observation, et de 
prémunir contre les attaques des pirates les caboteurs 
de Lucon, qui chaque année parcourent la côte. Ceux- 
ciachètent sur leur route la nacre, le tripang, l’écaille 
de tortue; quelque borné que soit ce trafic, les bé- 
néfices en sont considérables à cause du défaut de 
commerce. Jusqu'ici la crainte de rencontrer des 
pirates a éloigné de ces côtes les industrieux Bou 
. guis; bien qu'aujourd'hui le sultan de Mindanao et 
les datous Illanos soient si faibles et si pauvres, qu’ils 
ne peuvent plus que bien rarement tenter quelque 
excursion pour se livrer à la piraterie. | He le 

Le territoire dépendant de Samboangan est peu 
étendu, il s’arrète au pied des montagnes, à quelques 
— milles du rivage de la mer, mais il comporte une 
plaine des plus riches, parfaitement arrosée; il devient 
fort inutile pour les habitants d’étendre leurs posses- 

- sions au delà des limites actuelles, car une grande 
… partie des terres qu'elles enveloppent est encore 
+ inculte, et non défrichée. Les Indiens renoncent dif- 
ficilement au repos pour se livrer aux travaux pé- 
- nibles de l’agriculture au delà de ce qui est nécessaire 
“ àleurnourriture ; cependant les conditionsauxquelles 
“ils obtiennent la propriété du sol sont des plus 
- douces. Chaque individu peut prendre du terrain au- 


ré. dise on Lalsel  umbait ei diaiisd. ds _- séné dhiiftéhs NV AD US Si dt) LÉ Pod 
+ ‘ 4 S C 


|‘ 938 0 ONCE 


tantqu'ille désire, pourvu qu’il le cities et le mette 4 
enrapport. Legouvernementleluiabandonne pendent * 
deux années: si après ces deux années d’épreuve, on 
voit que l’agriculteur qui s’en était chargé, Patans à À 
donne ou le néglige, il lui est enlevé se. 
ment ; dans le cas contraire, la propriété lui est 
acquise et au bout de dix années il devient le maître | 
de la vendre ou de l’échanger , enfin d’en disposer 
suivant son caprice. Malgré ces concessions, le ter- ie 
rain reste inculte dans les environs mêmes de la ville. 
11 existe au nord de la colonie suffisamment de ri 
zières pour produire tout le riz nécessaire aux ha- 
bitants:; des pêcheries nombreuses , établies sur la 


4 


côte, leur fournissent du poisson en abondance; en- 


fin ils possèdent encore une assez grande quantité. 
de fruits qui viennent à peu près sans culture, et 
dès lors tous leurs besoins sont satisfaits. Quelques-= 
uns cependant élèvent des bestiaux, etles navires qui | 
vont y relâcher trouvent assez facilement à s’appro- 
visionner à bon marché de volailles, de bœufs et de 
cochons ; les légumes seuls y sont rares: on n’y trouve | 
guère que des courges en abondance. … | 
Les Chinois, qui ont envahi tous les points de l’ar- « 
chipel Indien où il y avait quelque industrie à exer-… 
cer, quelque spéculation à tenter, enfin de l'argent 
à gagner, ne sont point encore venus établir leur 1 
campong à Samboangan ; nous en vimes deux ou trois, 
mais ils paraissaient malheureux et peu fortunés Il 
faudrait que Samboangan püt faire le commerce 4 
librement avec les jonques ou les navires européens, 


DANS L'OCÉANIE. 7 239 


“ pour voir bien vite le terrain envahi par les colons 
- du céleste empire, qui en peu de temps tireraient un 
- bon profit des vastes terrains qui avoisinent la ville 
1 et qui paraissent extrêmement fertiles. 

| Samboangan restera longtemps encore une colonie 
bien secondaire entre les mains espagnoles ; elle ne 
— pourrait prendre un grand développement qu’au dé- 
… iriment de Manille et des autres établissements des 
… Philippines : les Espagnols n’ont donc aucun intérêt 
… à lui faire produire tout ce que l’on pourrait en obte- 
… nir, si son territoire était confié à des mains plus 
— actives et plus laborieuses. Dans l’état actuel, le gou- 
…_ vernement de Manille ne cherche pas et ne doit pas 
— chercher à donner un plus grand développement à 
| ce point. Samboangan sert à garantir Mindanao contre 
- l'ambition des autres nations européennes qui au- 
raient pu chercher à s’y établir, il sert de point de 
- relâche aux bâtiments qui vont fréquenter le port de 
+ Manille, et enfin il les garantit contre les tentatives 
È des habitants des archipels environnants *. 


* Notes 21, 29, 93, 24, 25, 96 et 27. 


_ FIN DU TOME SEPTIÈME. 


1839, 
Août, 


Note 1, page 87. 


_ Aussitôt que nous fûmes à nos postes, le commandant d’Urville 
expédia un oflicier pour prévenir le gouverneur de notre arrivée, 
et lui présenter les lettres de protection dont nous étions porteurs. 
Ce haut fonctionnaire se trouvait pour lors à son beau palais de 
Buitenzorg, à trente milles dans l’intérieur, résidence somptueuse 
et agréable, qu’il occupe presque constamment, et qu’il ne quitte 
de temps à autre que pour venir présider le grand conseil, et 
assister aux discussions qui réclament impérieusement sa pré- 
sence. Dans les autres cas, et pour les affaires courantes, il ne se 
dérange jamais; des courriers sont constamment en route, lui 
apportent la correspondance et transmettent ses décisions ) Gui, 
yu le pouvoir presque illimité dont 1l est investi, ont toujours 
force de loi. A l’exception des membres du haut conseil, et de 


» . deux ou trois autorités dont la nomination émane directement 
…. du roi de Hollande, tout le reste lui appartient, et il en dispose 


en véritable souverain. Les promotions, les retraites sont à 
son libre arbitre, et il peut agir à cet égard suivant sa seule : 


— et unique volonté. De toutes les puissances européennes, la Hol- 


lande est la seule qui, aujourd’hui, confie à un seul individu un 


. pouvoir aussi énorme; l'opinion publique s’élève contre un 


TE se e NOTES, 


au caprice et à l'arbitraire; tous détente un à changer 
assure des garanties, mais nul n’ose le premier élever “ 
bien sûr qu’une démarche aussi téméraire entraînérait im 
diatement son renvoi, et le ferait déclarer di à d’ exercer : 
aucunes fonctions. | 
En l’absence de ce vice-roi, l'officier de LAS s’adressa 1 à 
à Monsieur Becq, résident de Batavia, lequel le recut assez te 
froidement , et se contenta de dire qu’il allait faire parvenir à à 
Son Excellence la nouvelle de l’arrivée des deux corvettes fran- à #1 
çaises.. 
Dès 1 notre arrivée, un de nos compatriotes , Monsieur Diandi 
qui, après avoir été naturaliste voyageur sous les ee ; 
Jardin des Plantes de Paris, avait fini par rompre, lui-même 31500 
son contrat , et prendre service chez les Hollandais, était venu 
nous rendre visite, et nous l’avions accueilli, non-seulement 4 
comme compatriote, mais encore comme un ma qui, par “5 i 
métier, devait s'intéresser aux campagnes du genre de la nôtre; d 
nous comptions mème sur lui pour guider nos recherches: dans 
un pays qu'il devait avoir AE et connaître parfaitement, ll. 
n’en fut pas ainsi, et même par la suite nous eûmes tout lieu de | 
lui attribuer, en partie, le peu d’affabilité que nous rencontrâmes 
à Batavia. Vu la réputation de savant, qu’à tort ou à raison il est. 
parvenu à assumer sur lui, il nous semblait tout naturel qu “LÉ 
cherchât à se rapprocher His diverses personnes de l'expédition n, à 
HN 


Fe 

à 

n® 
s’enquérir de ce qu’elles pouvaient avoir rencontré de nouveau ; 


et d’intéressant, et enfin à parler un langage dont il devait êti 
avide; loin de là, le cher homme oubliant le costume don 


s'était affublé, et perdant entièrement de vue son rôle, : 


coup de peine, comme Français, que nos corve 
fraîchement peintes, et Fe ‘elles portaient des voiles 


| 
NOTES. 245 
Cette conversation était par trop ridicule , et bientôt nous ei 
mimes à. hausser les épaules, chaque fois qu'il voulut revenir sur 
ce thème, chose qui lui arrivait aussi souvent que nous le ren- 
contrions...... | l DT 
Les étrangers obtiennent difficilement la permission de s'établir 
sur un point quelconque du littoral de Java, et cette faculté, 
quand elle est accordée , n’est jamais que temporaire , le gouver- 
nement se réservant dans tous les cas le pouvoir de la faire cesser 
suivant son bon plaisir. Dans aucune circonstance, il ne leur con- 
cède la permission de se fixer dans l’intérieur de l’île, ni d'acquérir 
une pr opriété sur le territoire, Tout étranger qu’un vaisseau 
amène dans cette colonie, peut séjourner six semaines à terre sans 
_le-moindre obstacle ; c’est le temps jugé suffisant pour qu’il puisse 
se reposer des fatigues d’un long voyage; mais, qu’il ne croie pas, 
pour cela, pouvoir circuler librement et visiter à l’aise l’intérieur 
du pays! défense lui est faite de s'éloigner de l’enceinte de la 
ville, qu'il ne saurait franchir, même de quelques lieues, sans 
l'autorisation du gouverneur général, qui ne la donne jamais, 
Une fois les six semaines de première tolérance écoulées , celui 
qui désire prolonger son séjour doit présenter une pétition à l’au- 
torité, en ayant soin de la faire appuyer, et de formuler les rai- 
sons qui le portent à cette démarche; alors, s’il a quelques pro- 
tections, il peut obtenir une permission d’une année, en présen- 
tant toutefois deux individus bien famés et bien connus qui 
consentent à lui servir de caution et à répondre de lui. Il peut 
être sûr, alors, que ses demarches seront épiées , que sa vie sera 
scrutée , et que le gouvernement aura, chaque jour, connais- 
sance de ses actions. Sans qu’il s’en aperçoive, il sera soumis à 
un espionnage constant, et,ne pourra faire un pas sans être mi- 
nutieusement surveillé. L'année expirée, s’il n’a donné lieu à au- 
cun mécontentement , si sa conduite n’a excité aucune inquié- 
tude, s'il n’a proféré aucune parole tendant à blesser une 


autorité toujours ombrageuse, il pourra encore obtenir un sem- 


246 : NOTES. 
blable délai , et sera ainsi forcé de rafraîchir 
droit de domicile toujours précaire, toujours ir 
et dans aucun cas, rendit-il même quelque service | 
pourra prendre racine sur le sol, il ne pourra acheter un 
pan de muraille, une seule verge de terrain. 2 
Les fonctionnaires appelés à à servir dans les îles de la se et Er. 
dans les Moluques, reçoivent aujourd’hui de forts appoi teine 
une augmentation a eu lieu, en même temps que leur aét 
fiée la défense de se livrer au moindre acte de commerce: 1 
infraction qui serait connue, serait suivie aussitôt du ren\ > 
délinquant. | | i è 
Le gouverneur est nommé ordinairement pour cinq pt 
et reçoit un salaire de quatre cent cinquante mille francs par ant 
Lorsque les chefs des diverses tribus lui envoient quelques pré- | 
sents , il est forcé d’assembler une commission qui en détermine 


2 


la vaebe, et il ne PE les garder pour lui À en versant au “he s à 


déposés dans un magasin et envoyés en Hollande, | 
A l’instant où nous nous trouvions à Batavia , tous les esp: prits 
étaient tendus vers la culture du thé, de l’indigo, dela cochenile, 
et des cannes à sucre ; toutes ces dénrées y réussissent à merveille, 
et sont la source de grandes fortunes qui s’y élèvent chaque j jour. ne 
L'intérieur de Java possède des localités où les fruits d” E | 
viennent avec grand succès; les péches, les fraises, les poires, et 
y sont délicieuses. Le raisin seul y est d’une qualité toujours n né- 
diocre. Les légumes, tels que les petits pois, les asperges ; % 
pommes de terre, les artichauts , etc., y sont d’un au p 


: Note 2, page 37. 


‘ 


_ 


Les Bouguis, presque tous marins, ne qu 


bateaux , qu’on voit échelonnés dans toute l’ 


4 


V 2% 


CU: di ET en 


Débe bis, ss, RE 


NOTES. 247 


canal, formé par les digues et les jetées. Plusieurs de ces ba- 
teaux sont au besoin armés et équipés aux frais du gouverne- 
ment, pour aller à la poursuite des pirates, qui, de temps en 
temps, se montrent dans la mer de la Sonde. Quatre chaloupes 
canonnières , armées dans le même but, stationnent en ce mo- 
ment dans le canal, La direction du port a une centaine de ba- 
teaux couverts d’un pont volant , à panneaux , et mâtés en côtre, 
pour le service de la marine coloniale et des particuliers. Ces 
bateaux, bien disposés pour la conservation des marchandises 
pendant un court trajet, portent une quinzaine de tonneaux, et 
sont conduits par trois Javanais. tel 

La partie arrière du bateau , recouverte d’un toit de paille, 
est mise à la disposition de l'équipage, qui y tient ses provisions 
et y fait sa cuisine. : : 
. La cale est réservée pour les marchandises, qui y sont garan- 
ties de l’eau par un fardage et un entourage de nattes, et elle est 
fermée à clef. | 

Ces bateaux, pourvus de voiles en nattes, d’ancres de bois, et 


de câbles en rotin , sont à fond plat, naviguent très-bien par 


les brises régulières qui soufflent sur cette côte, et rendent de 


grands services. 

Il existe à Batavia plusieurs grandes maisons de commerce, 
parmi lesquelles on cite celle d’un Français, M. Lanier, qui est 
peut-être la première. Ce-négociant, établi dans le pays depuis 
longtemps, a obtenu du gouvernement la cession du commerce 
des toiles, dont la valeur s'élève à 4 ou 5 millions. C’est à lui que 
sont adressés la plupart des nayires que le port de Bordeaux ex- 
pédie pour les îles de la Sonde, et dont le nombre est de dix à 
douze chaque année. Les vins, les eaux-de-vie , les objets de mode 
et d'ameublement . l'horlogerie... sont les principaux articles 
de ce commerce, qui serait encore susceptible d’accroissement, 
si les gouvernements de France et de Hollande pouvaient s’en- 


tendre pour opérer sur les tarifs des droits une réduction qui 


248 Fr NOTES. 


core LpP méconnues. On Dee que peu de temps : a se 
arrivée à M la so . ce po s’est re sue ne 


les tarifs sont bien plus élevés que ceux qui pèsent sur “lbs | 
sons. Cette fraude avait déjà rapporté à son auteur d’assez ot ” 
bénéfices, pour le dédommager des pertes résultant de la confis- É 4 
cation , qu’on a évaluée à 40,000 florins. Après cet acte déshon- a 


nête , il faut conyenir que le commerce français aurait mauvaise 


grâce à se plaindre des visites et des entraves qui peuvent peser ; 


sur lui; un navire récemment arrivé de Bordeaux , “rt 


sas 


appris la saisie des caisses, n’a pas osé tenter la vigilance de a 7 
douane : il est parti pour Sourabaya, où il “ee tee 


sans encombre les prétendues caisses de vin. 


La principale industrie de Batavia est celle des dise Li 


méritent pas d’être citées, à cause de la mauvaise : qu | 
est em. 


Es 


leurs produits. La porcelaine de Chine, très-communé 
ployée par les indigènes. ht ci #00 ’ 
| (M. Roquemau 


NOTES. 289 


ÿ Note 3, page 37. 


Le lendemain de notre arrivée à l’hôtel d'Europe , dès cinq 
heures du matin, nous étions debout. Cette fois nous laissämes 
tout décorum de côté, et nous nous mimes en route en redin- 
“ gottes et chapeaux de paille. Nous croyions notre costume très- 
convenable; il était à peine six heures du matin; hélas ! sans 
nous en douter, nous commettions une grave inconvenance , et 
. nous en verrons plus tard les fâcheuses conséquences. Dans ce 
- pays de luxe et de vanité , il faut, sous peine de passer pour un 
- vilain, paraîtreen public, sanelé, sabré, botté comme pour une 
- revue de l'amiral. En voiture, cela peut encore passer, Mais nOUS 


“…_tenions à faire usage des bonnes jambes que dame nature nous 


moins incommode. 
Nous voulions d’abord visiter la ville européenne. Pour ce 
faire, nous primes en sortant de l'hôtel les bords du canal Hoën- 
livet, le prolongeant jusqu’à sa jonction avec celui de Ryswick. 
— En face de nous s'élevait un splendide et vaste édifice, construit 
avec un srand iuxe d'architecture : c’est là que se réunit toute 
| bonne société de Batavia. Outre d’immenses salons destinés à 
E donnér des bals , l Harmonie renferme de nombreuses salles de 
billard, des cabinets de lecture, une bibliothèque choisie ; une 
- aileentière est consacrée à un cabinet d'histoire naturelle, lequel, 
» entre beaucoup de choses remarquables, contient toute une 
famille d’orangs-outangs. Il est impossible de voir rien de plus 
hideux que ces animaux : sur un buste énorme que l’on se figure 
‘une lourde et grosse tête presque sans col ; sa face plate comme 
… celle de tous les singes , est entourée d’un gros bourrelet osseux ; 
ses jambes, de six pouces de longueur au plus, sont terminées 
— par d'énormes pieds plats ; que l’on ajoute à cela une paire de 


… longs bras, un poil noir, rare et long , et l’on aura une faible idée 


h 


— à départies , et l’on conviendra que la grande tenue eût été au 


ressante famille se composait du papa, de la m 
charmant jeune homme. LA ON 


À côté de ce somptueux édifice s’ ’élève une minia 


lais : c’est la résidence du gouverneur général lorsqu'il quittes 
magnifique habitation de Buitenzorg pour . venir. 


Toutes #7 maisons , ornées di un élégant FREE 


façades, sont tenues avec un soin et une pidpie tout | 
dais ; à chaque instant on croirait voir sortir un petit 


orec d’un bouquet de fleurs. 


riz bouillant, d’une blancheur éblouissante , et l'autre un os 
neau sur lequel cuisaient des viandes nageant dans une sauce 


noire, s’en aa criantsa marchandise ; le Chinois , au pas com. 1 


comptait faire dans la journ'e; l’Arabe , au turban vert, au 
fetan de soie, se rendait à la mosquée , roulant entre ses 

les grains d’un gros chapelet , et une nuée de femmes et | 
se lavaient dans les eaux tièdes du canal. 4 


Au milieu de cette foule si différente par le langage, le 


le brave homme, ravi de tant d’ Lattes se con nl D 


tations : son riz Pt délicieux. : cl ONDES RES 


NOTES. 251 


— bords du canal qui nous conduisit sur une grande place gazon- 
née , au milieu de laquelle s’élevait une maigre colonne surmon- 
_ tée d’un quadrupède que nous prîmes d’abord pour un bœuf : 
_ c'était un lion, et quel lion? celui de Waterloo, s’il vous plaît! 
- Ges bons Hollandais , eux-aussi, veulent revendiquer leur part 
- de cette sanglante journée. Ceux qui ont fait ériger ce monu- 
ment ne connaissaient certainement pas la fable du lion qui se 
» fait vieux. 
: Cette place, très-vaste, n’est pas encore achevée; sur quatre 
- faces il lui en manque deux. D'un côté sont des baraques ser- 
. vant de logement aux officiers de la garnison, de l’autre un édi- 
« fice prétentieux ét de mauvais goût où sont les bureaux du gou- 
vernement et la poste. C 
…— Des officiers en grande ténue se promenaient à cheval sous les 
… grandes allées qui ombragent la place. 11 paraît que nous por- 
1 tions sur la figure le cachet de la France, car beaucoup de ces 
brillants cavaliers nous saluaient, et les gamins javanais nous 
criaient, en passant à côté de nous : orang dis-donc (hommes 
dis-donc\, 
Pour noùs, sans nous douter le moins du monde que notre 
tenue fût déplacée, nous continuâmes gaiement notre prome- 
È nade , flanant, le nez en l'air , examinant à loisir ce qui nous en- 
- {ourait, et nous communiquant nos réflexions sur tout ce qui 
| nous frappait. | 
Aprèsavoirsuffisamment admiré la place de 7 altevreeden et le 
ion de Waterloo , nous enfilâmes la première rue qui se présenta 
…_ devant nous, et nous fûmes tout étonnés de nous trouver tout à 
» coup à deux pas d’une redoute gazonnée , entourée d’un fossé 
> qu’un enfant aurait franchi, et derrière lequel cinq pièces de 
. seize nous présentaient leurs gueules béantes. Tout cela était 
… propre, joli, bien tenu, mais beaucoup mieux calculé pour jouer 
au soldat que pour se défendre contre l’ennemi le plus bénin. 


Nous marchions depuis deux heures sans voir de terme à cette 


252 | | NOTES. | | 
immense ville qui, à mesuré que nous ay In 


pass vaste et plus riante. Nous: arrivâmes a 


du monde. C’est le faubourg Saint- Germain de Bat àt 
pas nous rencontrions la calèche armoriée d’un conseil 
Indes , d’un magistrat, ou de quelque haut ou puissant: seigneur 
d'argent : nous... nous étions assis à l’ombre pendant que Lafarge. & 
et Goupil prenaient un croquis de cette délicieuse vue , pensant 
combien devait être confortable l'existence de ces nababs ho 


landais , et nous souhaitant réciproquement tous les trésors de + 


# 


l'Inde, lorsque nous vimes arriver un équipage à quatre © ch 


vaux menés à la d’Aumont. Il contenait deux ] jeunes femmes | 
charmantes, qui, de leurs jolis yeux, laissèrent tomber sur nous 
le plus dédaigneux regard qu’elles purent trouver : nous leu 
répondimes par notre salut le plus gracieux. Su 

Nous sommes coulés; mais aussi qui diable va se our qu 
faut se promener à six heures du matin en habit brodé ? Pou 
quoi toutes ces belles dames ne font- elles pas comme à bord d’un 


vaisseau , où LOR donne ‘la veille la tenue Re lendemain ? 0 


vous sur la Fra de F7 re pour y cu 
de la garnison. C'est une espèce de Longcha ps 


; 
PE 4 ÿr 


\ 


D NOTES. 253 


… on lutte d'élégance et de fashion pour la toilette et les équipages. 
- C'était la seule porte qui nous füt ouverte pour nous réha- 


- biliter, et nous résolumes de nous faire superbes : pantalons à 
bandes d’or, , habits brodés , sabres à coquilles dorées, chapeaux 
. montés; nous avions mis toutes voiles au vent. Le peu de mal- 
| heureuses barbes qui avaient résisté aux Moluques et à Célèbes, 
furent impitoyablement sacrifiées , et à six heures nou$ montions 
* en voiture. 

EE La place était encombrée d'équipages , et grosse caisse, cha- 
peau chinois, cimballes faisaient un bbat d'enfer. Les femmes, 
… |es hommes étaient en costume de bal ; nous, nous étions magni- 
F fiques, et nous nous promenions fièrement, pestant bien un peu 
contre la chaleur qui nous accablait dans nos habits boutonnés, 
mais faisant contre fortune bon cœur... 

Partout on nous avait vanté l'hospitalité de Batavia; à Am- 
boine, à T'ernate, à Macassar, etc. , où nous avonsété si admirable- 
ment accueillis , on nous répétait : tout ceci n’est rien, vous 
verrez à Batavia ; nous révions des réunions délicieuses, des 
» fêtes des mille et une nuits. 

Nous n'avons pas quitté une nl des colonies hollandaises 
+ que nous ayons visitées, sans en emporter les plus vifs sentiments 
1 de reconnaissance ; nous quitterons la capitale de l’Inde sans y 
laisser ét sans en emporter un souvenir. Lo 

Le moyen aussi de recevoir des gens qui arrivent sur rade avec 
» des voiles réparées, qui sortent à cinq heures du matin en blouses 
“et chapeaux de paille, et qui poussent l’oubli de toutes conve- 
È hances jusqu’à venir à terre avec une seule épaulette ! Ce dernier 
reproche s'adresse aux enseignes de vaisseau, auxquels S. M. 
“TL ouis-Philippe n’a pas encore jugé à propos d’en donner deux. 

C’est du moins ce qui nous a été raconté par plusieurs per- 
sonnes qui assistaient à une nombreuse réunion où il était fort 


question de nous, 
À (M. Demas.) 


pe be Ÿ. ANA Te RL ON 


ses par ce jolies maisons de campagne, Re près 
à 6 milles, jusqu'au delà du fort de Mystern n-Cornlis ; pa at 
les belles rues qui viennent aboutir aux deux grandes plac s dy 
Waltevreeden et de Kœning’s Plain, on peut citer celle de Prin en- 


Laan , le chemin de e Gennong-Sabarie, et celui de Tanabou ii 


nom, habité par les Malais du pays. Ce est un a Aa Ma le 
je recommande à tous les voyageurs qui viendront à Batavia. 1 4 
faut y aller une fois, mais pas une seconde ; à la nuit tombante, ss 
une voiture vous y conduit en une heure, et vous assistez à des 


scènes curieuses et nouvelles. C'est dans ces ruelles époise 5 


sous ces toits en paille, au milieu de ce dédale sinueux de ca- 
banes basses et mal bâties, que vous pourrez étudier le Malais, Sn. 
le voir tel qu’il est , avec ses vices , ses appétits plus ou: moins 


d 
# 
Re 


grossiers, et ses passions. Après le travail du jour , c est là qu il: 
vient oublier ses peines, ses chagrins : vous le verrez jeter sur 


une table de jeu et perdre en quelques minutes ce qu'il à gagn 
on vous permettra même d’aller assister aux scènes les plus Ê e— 
crètes de son existence, vous pourrez le surprendre ne 
une natte à côté de l’épouse d’une nuit, et fumant silenc 
ment sa pipe chargée d’opium. Plus loin, vous irez assister 
danses de ces femmes qui, fardées, presque nues, viendront 
vaut sd sens par leurs CUEC lens poses re e 


NOTES. 255 


… talent d'un Dantan. L’un d'eux souffle gravement dans une 
flûte à trois trous, dont les sons discordants imitent mal ceux du 
… bigniou de l’Armorique : le second est aveugle , il joue cepen- 
dant du violon, mais quel violon !... C’est un assemblage de 
» planches en bois blanc, à peu près de la forme de cet instru- 
… ment; il y a trois cordes, et l’archet est tout simplement un 
. morceau de peau mal tannée, assujettie à un bambou courbé 
- en forme d’arc. Le troisième musicien est le chef de l’orchestre, 
» il frappe à coups redoublés sur un gong ; sa mesure est d’abord 
lente, et même assez monotone, mais bientôt la danse dont il 
% dirige la marche s’anime, lui-même s'émeut , et le voilà qui se 
… met à chanter, à soupirer, à frapper avec fureur comme un 
- homme dans le délire. Ses yeux sortent de leurs orbites, sa 
_ bouche écume , les danseuses elles-mêmes redoublent d’ardeur, 
- leurs poses deviennent intraduisibles, puis un grand cri, un 
… Jong soupir terminera cette scène bizarre qui rappelle, à quelques 
modifications près, la chicha du nègre , la danse de l’esclave de 
nos colonies. 


Comme je l’ai dit plus haut, on n’ira voir le quartier Ma- 


— cet antre où toutes les passions humaines sont en jeu , et se 
“ montrent à découvert. 

Le quartier Chinois n’a rien de commun avec celui dont je 
- viens de parler : il est près de la mer, hors de l'enceinte, et à 
… l'ouest de la vieille ville : un canal le sépare de cette dernière, 
b mais plusieurs ponts établissent des communications faciles et 
- de tous les instants. Ce campong chinois formait autrefois un 
'yaste faubourg de la ville, mais cette population active et in- 
+. dustrieuse s’est à peu près glissée partout. Plusieurs riches négo- 
« ciants de cette nation ont de jolies habitations dans le quartier 
| neuf. | 


… J'ai visité ce campong deux fois, j'y suis allé le jour et la nuit; 


rue lc 


256 s à pue 


nérale de Batavia peut ee à 60,000 âmes, sans 
garnison dont le chiffre, peu connu d’ ailleurs, varie trop: 
pour entrer en ligue. ; Un 1. 

Sur ces 60,000, on peut compter 4,000 Eurtes 
Javanais ou Malais, 30,000 Chinois, et s00Pe esclas 
Arabes. \ Pa 


qui fait face à la ville , et qui n’est qu'un beau reste de l' ancien | 
château démoli par le gouverneur Daendels. En 

Dansla nouvelle ville, on remarque le château de Walte | 
dont j'ai parlé plus haut, la bourse, la maison de la société | 


commerce , enfin |’ Ro es pro et Re monumen at 


ce bris Chaque maison chi est. 1 
ques caractères écrits RM-ieseus du fron on € 


NOTES. ; 257 
vous indiquent la nature du commerce qui s’y fait : on peut 
d’ailleurs s’en assurer soi-même , en interrompant sans cérémo- 
nie la gravité de ce bon gros père chinois, qui, avec ses lu- 
nettes sur le nez, cherche dans ses livres de compte s’il n’a pas 
oublié quelque débiteur arriéré. 

Dans la journée , vous ne voyez que ce va-et-vient continuel 
de gens qui circulent sans tumulte , sans bruit, pour des affaires 
d'intérêt et d'argent. Quelques Européens, plusieurs jolies 
créoles peuvent s’y rendre dans leurs équipages pour faire des 
emplettes ou conclure des marchés plus importants, mais en 
somme on trouvera que l'animation manque dans cet ensemble, 
quand on aura vu ce même quartier, cette même population 
pendant les premières heures qui commencent une belle nuit 
de Batavia. | 

Oh! alors la scène change d’aspect, le grand commerce se 
retire de l'arène pour faire place à la petite industrie : le riche 
négociant se renferme dans son atrium de luxe, et pendant qu’il 
s'endormira en rêvant une augmentation de bien-être, ses ou- 
vriers, ses commis, iront oublier pendant quelques heures les 
fatigues de la journée. : 

Le campong chinois s'illuminera alors de mille torches rési- 
neusés ; des marchands ambulants , avec leurs deux plateaux 
suspendus en équilibre aux extrémités d’un balancier dont le 
. point d'appui sera leur épaule, inonderont les places, les rues, 
les carrefours. Éclairés par un lampion fumeux , mais aroma- 
tique, ils vous offriront des fruits, des sucreries, des pâtisseries 
de toute sorte. 

Ces maisons , basses et irrégulièrement bâties, qui bordent de 
chaque côté les ruelles étroites du quartier , s’ouvrent alors à 
deux battants ; des lanternes en papier peint, des lampes aux 
formes bizarres éclairent ces rues tout à l’heure silencieuses, et 
Vous voyez autant de restaurants où vous pouvez vous reposer 
à otre aise, manger selon votre plaisir : tout cela est propre , a 

VIL. 17 


28. | NOTES. 


bonne mine se trouve à la porte, devant un vastéréchaud : c'est 
le cuisinier à deux mentons, au ventre rebondi ; il est à, fier. ‘ 
son métier, avec un sourire amical pour ses habitués et provo= 
cateur pour ceux qui n’ont pas essayé de son art culinaire. Dans” À 
le fond , des tables en bois rouge, garnies de convives à la mine en. 


cieux à tous ceux qui aiment à prendre la nature sur le fait. 


rou p es 


sérieuse, aux longues queues tressées, offrent des. 


9 


Puis , quand on a assez vu ce tableau , il faut aller sur une 
des places publiques. En passant , on s arrête quelque temps de-_ re 
vant une façon de grand hangar sous lequel se débattent une 
centaine de musiciens : c'est un concert chinois, Il y a là toute. 
une harmonie de gongs, de tams-tams , frappés en cadence, de 
flûtes criardes, de violons mal accordés; c’est un concert de 
damnés , et il y a quelque chose de vraiment diabolique dans : 
l'expression de toutes ces figures qui se tordent de cent manières + : 
sous l'influence d’un si abominable tapage. TA) 74 

Mais voici une autre scène. Voyez cette petite échoppe en 
planches mal jointes avec ce transparent en étoffe légère ; deux ” 
pauvres lampions l’éclairent à peine, et vous n’entendez sortit É 
dé cet antre mystérieux qu’un faible bruit. IL y a un sentiment … 
 d’humilité dans ce seul gong frappé de temps en temps, et dans ‘4 
cette voix cassée qui récite comme une espèce de prologue dont be | 
je ne puis deviner la signification. Get appel, si toutefois ça en … 
est un , paraît cependant avoir une certaine influence; chacun | 
s'arrête, le pauvre comme le riche , l’homme affairé aussi bien 
que le flâneur ; on se sroupe autour de cette pauvre 9 de- 


et vous voyez, à la manière dont chacun des spectateurs s 
dispose à écouter, qu’il va se passer quelque chose dix 


_ 


NOTES. 259 


gutturaux du maître Jean chinois, si vous trouvez un honnête 
flâneur qui soit assez complaisant pour vous en expliquer le sens, 
vous apprendrez comment un mandarin sait rendre justice à 


_ trois femmes qui se plaignent de n'avoir qu’un seul et unique 


mari pour les guider dans le sentier de la vie. Puis vous vous 
amuserez ensuite à examiner une à une toutes les figures de vos 
voisins, et si vous ne passez pas un délicieux quart d’heure en 
contemplant toutes ces têtes à longues queues sur lesquelles 


les propos souvent graveleux du maître Jean répandent un air 


de joyeuseté et de béatitude, c’est que vous êtes indigne d’une 


pareille rencontre. On retrouve là tous les caractères qu’on a pu 
examiner sur les boulevards de la capitale de France, alors que 
les facéties d’un Bobèche de tréteaux font rire en même temps le 
riche qui va diner, le pauvre qui ne peut en dire autant, et 
l’humble fantassin qui, les mains derrière le dos, attend le 
coup de baguette de la retraite. 

Maintenant, si vous avez l’humeur tragique, vous pousserez 
votre promenade un peu plus loin , jusqu’à une petite place au 
milieu de laquelle s'élève un théâtre beaucoup plus grand que 
celui dont je viens de parler. Pour le moment, la scène n’est 
éclairée que par les éclats incertains et blafards d’une tige de 
Phormium qui brûle dans un vase rempli d'huile. Cependant | 


vous distinguez assez les objets pour comprendre que ces deux 


grands fauteuils en cuir rouge et ces tentures grossièrement 
badigeonnées doivent représenter l’intérieur d’un appartement. 


Mais voici qu’un vieux Chinois vient ranimer la lampe, il en 


allume une seconde, et il a soin de les placer sur le bord du 
théâtre, de manière à éclairer convenablement le jeu des ac- 


teurs. Ces préparatifs terminés, il va s’asseoir à gauche sur un 
méchant escabeau, ét commence avec un incroyable sang-froid 


une harmonie de gong et de flüte. Get homme compose l’or- 


_ chestre à lui tout seul , et il y met un zèle remarquable. 


- Enfin la pièce commence : c’est sans doute quelque chose de 


260 NOTES 
bien tragique, car les actrices pleurent, se lamentent et se n 
pèrent sans trop. se fatiguer pourtant. Il y a dans tout ce 
mandarin, un mari, un amant et des femmes, mais Je ne pe 
comprendre le sujet de la pièce. Ce qu’il y a de plus amusant, 4 
c'est d'entendre la voix perçanteet nasillarde des artistes. Ces sons 
me rappellent un peu ce que je m’efforçais de produire autrefois 
en me pinçant le nez pour imiter l’accent de mon vieux Fe 
seur d'écriture. | la HQE 
En pene je préfère de beaucoup les ombres chinoises : quand | 
on a assisté à toutes ces scènes qui valent cent fois mieux que 
tout ce qu’on en peut dire, il ne reste plus qu’à entrer chez un 
brave et digne Chinois qui tient un restaurant, presque vis-à-vis 
le théâtre tragique ; on lui demandera de la bière et il vous ap- 
portera à souper, mais avec un air si insinuant, si hospitalier, 
que vous finirez par manger ses chevrettes délicieuses, son pois- 
son frais et un pauvre petit plat de tripang préparé. Ge dernier 
ragoût rappelle assez celui qu’on fait en Provence avec le poulpe 1 
de la Méditerranée. AM LRNE :3 
Maintenant si vous aimez le scandale, vous pourrez, pour ter- * 
miner vos études de mœurs, pénétrer dans un lieu de mystères et 
de ténèbres dans lequel le Chinois plébéien va chercher pour une 
faible somme l’ivresse des sens et le délire de l opium ; de sembla- 
bles scènes sont intraduisibles. | TS ESS 
(M. Marescot.) 


Note 5, page 37. 


Je descendis à l'hôtel de Provence, autrefois le meilleur,» 
aujourd hui le HP Mauvais de ss ville, et ï" eus “can 


9 


LÉ). à LR ds | ol 


NOTES. 261 


taient , d’autres s’appelaient à tue-tête et se racontaient d’un 
côté de l'hôtel à l’autre les événements de la veille et de la 
nuit. Quoique ma présence ne vint pas ajouter beaucoup au 
bruit, elle servit du moins à le faire augmenter pour un mo- 
ment, toutes les têtes se mettant à la fois aux fenêtres pour 
m’interpeller sur lesévénementsde la rade : bref je m'installai et 
fis chorus avec la masse. Dans la matinée je pris de nouveau une 
voiture pour aller rendre ma visite au contre-amiral Lucas, com- 
mandant supérieur de la marine; je l’avais connu autrefois au 
Brésil, et depuis, je lui avais été envoyé en parlementaire après 
la prise de la citadelle d'Anvers à deux lieues de laquelle il com- 
mandait l’escadre hollandaise. N’ayant trouvé que Madame Lu- 
cas, femme d’un certain âge, mais très-aimable, je me détermi- 
nai à pousser jusqu'au palais où je trouvai l’amiral. Cet excellent 
homme me reçut avec une grande cordialité, mais il m’apprit à 
mon grand déplaisir qu'il devait partir le surlendemain, ce qui 
me priva de la seule maison dans laquelle j’eusse pu trouver 
quelque agrément. 

Après le diner, je montai dans ma voiture pour faire une 
promenade au Kæning’s Plain, ou nous ne vimes pas d’autres 
voitures que les nôtres, quoiqu’on nous ait dit que toutes les no: 
tabilités s’y trouvaient chaque jour. Notre promenade nous 
conduisit d’abord au palais de Waltevreeden, vaste bâtiment rec- 
tangulaire, sans aucune grâce, flanqué de deux petits pavillons 
mesquins. Ce palais avait été construit pour servir d'habitation 
de ville au gouverneur. Mais M. Van den Capelle n'ayant pas 
voulu l’habiter, il fit transporter tous les bureaux des diverses 
administrations de la colonie, destination qu'il a conservée de- 
puis. De là nos cochers nous conduisirent à un café éloigné des 
habitations, où nous retrouvämes la rapacité des Bataviens dans 
toute sa force. Je me souviendrai toujours de mon étonnement 
lorsque pour une tasse de thé et 7 bouteilles de bière on eut l’au- 


_dace de me faire payer 25 francs. (M. Montravel.) 


262 NOTES. 7 0 


‘Note 6, page 27. 


cherche en vain les édifices ou les monuments qui indiquent 
l'emplacement de la métropole des possessions hollandaises dans : 
l'Inde. A la distance qui sépare le rivage du mouillage des na | . 
vires, il est impossible d’apercevoir la grande ville. De grands 4 
navires réunis en groupes, le mouvement des praos qui sil- 7 
lonnent incessamment les eaux basses et décolorées de cette ‘4 
vaste baie, décèlent seuls le voisinage d’un grand centre de 
commerce... à ve le EG : | 
La journée du 10 juin est signalée par l’arrivée de plusieurs | 
gros navires hollandais, qui saluent de 8 ou 9 coups de canon 
le stationnaire qui leur en rend 5. Ces arrivages donnent une 
nouvelle animation à l’aspect de la rade ; la vue de cette activité … 
est réellement intéressante pour ceux qui comme nous, ont passé. ; 
une si longue période de temps dans une navigation paisible, dans 
des mers solitaires et presque ignorées ; je passe une grande | 
partie de la journée à bord et je ne descends à terre que vers le 
soir ; m’étant fait conduire à l’hôtel de Provence, rendez-vous 
général des officiers des deux corvettes, je vais ensuite en com- 
pagnie de quelques personnes visiter le quartier et le théâtre … 
re PU Mr ve ds 


par un fragile pont en bois, en face duquel s ‘AE 
petite rt le 4 oyang Tchina, le théâte que je désir 


fauteuil et une porte PRE au fond, mn" ; 


ren he. 
rs 22 
RATE 


NOTES. 263 


rage était des plus économiques ; deux lampes en faisaient tous 
les frais. La représentation était déjà commencée depuis long- 
temps. La troupe était uniquement composée de femmes ; des 
barbes postiches et des masques servaient à les désuiser lors- 
qu'elles remplissaient des rôles d'hommes. La pièce qu'elles 
jouaient était mêlée de chants; elle abondait en situations pa- 
thétiques : voici quelques-unes des scènes auxquelles j'ai 
assisté. ue 
Un homme en habit chinois de cérémonie , parlait à un ac- 
teur vêtu moins richement , sur un ton déclamatoire, aigu et 
monotone, Ce confident se prosterna à plusieurs reprises, s’age- 
nouilla, secoua ses manches en étendant ses bras par un mouve- 
ment particulier qui doit avoir une signification , puis s’adressa 
au public pour lui donner sans doute des explications nécessaires 
à l'entente de l’action scénique. Il fit ensuite le geste d’un 
homme qui monte à cheval , et sortit en simulant le galop d’un 
cheval. 
La scène resta alors silencieuse. On attendait le retour de 
lenvoyé, qui revint au bout de quelque temps accompagné d’un 
personnage vêtu d’un costume particulier et coiffé d’une espèce 
de mitre. Tous deux firent le geste de descendre de cheval, 
et consacrèrent plusieurs minutes à faire de longues prosterna- 
tions devant le premier personnage resté muet sur la scène et 
qui évidemment était un mandarin de haut parage. Après ces 
cérémonies d’étiquette , de longs discours et des chants plus 
longs encore, occupérent l'attention de la foule compacte des 
Chinois qui se pressaient debout aux abords du théâtre, dans 
un silencieux recueillement ; une expression de satisfaction par- 
faite rayonnait sur toutes ces physionomies plates, presque 
dépourvues de proéminence nasale, dans ces yeux obliques , à 
demi-clos , qui sont le type de cette race; l'assemblée présen- 
tait le coup d’œil le plus bizarre qu’on puisse imaginer. Per- 
sonne n’était assis, car il n’existait aucun siége mis à la dis- 


26%. | NOTES. 


position des spectateurs , placés en plein vent , , et qui 
suivant les HAAReNrE de la pièce, Por fumer, boire. et m 


public restait calme et on date Eee 
Je suppose que le nouvel acteur introduit sur la scène repré- È 
sentait un astrologue, car souvent il montra des étoiles qui 
brillaient au-dessus de l'assemblée , et il finit par remettre raie: 
principal acteur de la pièce un parchemin singulièrement p: ae à 
qui contenaitsans doute un horoscope. Il passa encore plus de dix" « 
minutes à accomplir de minutieuses salutations, puisäl s’éloigna: … 
Aussitôt le mandarin (je lui donne à tout hasard ce titre) ou= » | 
vrit le parchemin avec anxiété ; sa main trembla, sa démarche. 
devint saccadée, puis poussant un cri il se laissa tomber avec 


art et un abandon complet sur le fauteuil placé dans le fond. 


à 
PA 1 


Une scène pathétique au plus haut depré suivit cette chute. Des. « 
pleurs, des gémissements, des plaintes furent articulés ,. dé à : LV 
clamés ou chantés; et comme cette scène menacçait de durer LA 


va 
longtemps encore, nous nous éloignâmes pour visiter " envi-. 


rons du théâtre. D É 


Près de là, se trouvait une autre baraque où la Loue. se 


pressait aussi. Là aussi elle était silencieuse , mais quelle diffé- Æ 
rence d'aspect ! Sur une longue table, des dés renfermés dans à | 
des boîtes, servaient à un jeu de hasard tenté par un nombre | 
considérable de joueurs. Des monceaux de monnaies de cuivre 4 | 
et souvent d'argent changeaient à chaque instant de proprié- 
_taires. Le moindre bruit s’entendait au milieu du profond silence 
qui pesait sur cette table, autour de laquelle se pressait ne 
foule DATE per une Fhaleu extrème. pa “ou si 


éprouvaient. Parmi les joueurs, on remarquait q C és | 
et un Javanais. nid ut 180 sta » De" 


NOTES. 265 
| _ Nous quittämes bientôt cette enceinte pour visiter les restau- 
| rants chinois qui l’avoisinent , où la cuisine faite en plein air 
permet de voir de l'extérieur les mystères culinaires qui s’y 
| pratiquent, et les ingrédients qui y sont employés. En général 
ils révoltent le goût européen ; ce sont des mélanges informes , 
3 des objets repoussants, tels que de longs vers blancs , des ha- 

_ chis de couleur douteuse, des mets où l’on ne peut distinguer la 
…— forme première des aliments, des plats salement préparés. Ce- 
- pendantla curiosité l’emporta sur notre répugnance, et, vuidés 
… par un Hollandais au fait des habitudes de ces lieux, et sur l'éloge 


qu'il nous fit de certaines préparations non suspectes, nous 


| 

1 allâmes nous asseoir dans une salle exiguë , où les meubles, de 

…—. fabrique et de forme chinoise , ne prévenaient pas en faveur de 

établissement, car ils étaient malpropres et mal tenus. 

. Près de nous se trouvaient deux Chinois attablés, buvant 
force rasades de vin, et se bourrant de riz à l’aide d’une seule 
baguette de bois. Nous étions assez curieux de savoir comment 
ils allaient s’y prendre pour porter à leur bouche les grains de 
riz placés devant eux ; nous en étions aux conjectures, et nous 
ne devinions pas trop la méthode qu'ils devaient employer. Ils. 


déjouëèrent nos suppositions, car, au lieu de faire preuve 


oh 14 din dx mie dailiséists 
Lai 


d'adresse comme nous nous y attendions, ils rapprochèrent 


simplement le plat de leurs lèvres, et à l’aide du bâton, ils 
fourraient dans leur bouche l'aliment qu’il contenait. Ils parais- 
- saient jouir d’un admirable appétit. | 

_ Ge spectacle n’était pas fait précisément pour dissiper nos pré- 
ventions à l'égard de la cuisine chinoise. Cependant, sur les ex- 
hortations et les éloges de notre guide, qui avait fait un choix 
convenable , et après avoir exploré du regard les mets qui nous 
furent présentés, nous nous décidämes à y goûter. La première 
-— bouchée rétablit la confiance ; ils étaient fortement épicés, mais 

agréables au goût. Novices dans les habitudes du service chinois, 
- nous fümes fort embarrassés pour nous servir de nos petits 


266 NOTES. D 


notre aide en nous apportant des fourchettes , sale eni 
pour les convives européens. Il paraît que la population | lai 
daise de Batavia ne dédaigne pas de venir visiter ces res jaurant 
où certaines préparations jouissent d’un grand renom. 

Avant de quitter le campong chinois, nous retournâmes ab 
théâtre. La représentation continuait , mais elle avait tourné au | 
tragique, On voyait trois femmes éplorées poursuivies par ! un E 
homme qui les menaçait avec un sabre. Elles pirouettaient sur 
elles-mêmes, en simulant un grand effroi , et en poussant des 
cris lamentables ; leur farouche persécuteur imitait leurs mou 
vements en roulant des yeux féroces ; après quelque temps passé 
dans ces contorsions, il finit par les tuer. Certes ; à en juger 
par cet échantillon, les Chinois se trouvent au niveau des lu- 
gubres péripéties à l’art dramatique en France. 

On m'a assuré que certaines pièces représentées sur ces 
théâtres, durent souvent tout un mois. Elles retracent Pa. ‘4 
de tout un règne , et embrassent quelques fois une période de É. 
temps plus longue encore. Je ne sais jusqu'à quel point cette 
assertion est fondée, car l’Européen qui m'a communiqué ces + 
détails, ne connaissait point lui-même le chinois. D’après la 


4 


même personne , les femmes qui remplissent exclusivement les 
rôles de ces pièces , sont des Malaises qui ont appris le chinois, ù | 
sous la direction des personnes qui les élèvent pour cet état: 

‘île de Bali paraît avoir le privilése de fournir un grand 
nombre de ces actrices, qui, comme partout, trafiquent 4 
leurs charmes , et qui, lorsqu’elles sont jolies , en retirent 
sommes considérables. La condition d’actrice né paraît L: 


leurs d’une très-faible considération dans la socié 
Au a les non sont nee | et Rens 


ni d idimiiss mat nf , 


nl LÉO af “Lé, lan - sr it rééiot sf sit —, 7214 
‘ ‘ 


Mit Œufid 


NOTES. 267 


les Chinois opulents de la ville, qui se cotisent dans ce but, 
à l’époque des grandes fêtes religieuses , ou à l’occasion de ré- 


_ jouissances particulières. Le gouvernement hollandais impose 


ces représentations d’un droit qui atteint, m'a-t-on dit, le chiffre 
de deux cents florins. EURE 

Les gestes des acteurs ne varient pas dans tout le cours du 
dialogue, Élever les bras, les baisser lentement par un mouve- 
ment subit, replier la manche flottante de leurs robes sur le 
bras, accomplir force salutations dans toute la rigueur du céré- 
momial , les comprennent presqu’en entier. La diction est aussi 
disgracieuse que monotone pour nos oreilles. Le ton est criard, 
aigre et discordant. La langue chinoise contient un grand 
nombre de consonnances nasales qui la rendent désagréable et 
disgracieuse.…. | 

Cé soir on me conduit , ainsi que quelques-uns des officiers 
de l’expédition, dans un lieu où les Chinois vont fumer l’opium. 
Nous nous faisions une autre idée de cet établissement qui n’a 


- pas de nom dans les termes honnêtes de la langue ; là les scènes 


les plus repoussantes s'offrent aux regards des curieux. De 


+ petites chambres divisent l'édifice, en autant de compartiments 
P - 


où des femmes attendent les fumeurs dont elles partagent la 
passion. On nous à montré un couple plongé dans une ivresse 
complète, et je me rappellerai toujours l’air égaré, la contenance 


ffarée de ces deux individus. Le Chinois paraissait plongé dans 
une sorte de béatitude particulière. Il proférait des mots sans 


. suite, ses yeux se promenaient sur nous sans s'arrêter , il parais- 


- sait étranger à ce qui se passait autour de lui, et comme absorbé 


dans la contemplation d’objets invisibles pour nous. Cette ivresse 
est moins dégoûtante que celle du vin, mais plus effrayante. 


La physionomie paraît moins abrutie, les traits épanouis 


respirent la félicité, mais en les examinant de près , il me sem- 
blait découvrir une expression étrange de joie et de tristesse. 
L’œil semblait dilaté sous sa paupière alourdie ; et lorsque le fu- 


PI. CXXXII. 


268 NOTES. | 


la voilait en partie. 

Il existe à Batavia un grand Hombre de pareils lieux d'u 
Plus bas étage, mais beaucoup plus vastes. Le plus en ; 
est celui qu’on nomme « Mystern Cornlis, » véritable bouge sur 
une plus vaste échelle, où chaque soir se rue la populace de 
J’immense ville. Les soldats de la garnison, Javanais; Malais et 
bourgeois ; toute la basse classe en un mot, s’y livre à une dé- 
bauche publique. Je n'ai point vu ce lieu, mais ce qu’on m’en « 
a rapporté dépasse ce qu’on peut imaginer dans ce genre. | 4 

Les effets produits par l’ivresse de l’opium nécessitent l'em- j 
ploi d’une police nombreuse et vigilante. Des gardes indigènes À 
sont aux abords de ces maisons, placés dix par dix, de distance. 
en distance ; ils sont armés de lances et de fourches garnies à li in 
térieur de pointes placées en sens inverse de l’ouverture de cet 3 
instrument , qui sert à arrêter les voleurs et les fumeurs d’opium 
en fureur. Ils saisissent au passage le délinquant par le cou, ou £ 
lui lancent la fourche dans les bras ou dans les jambes ; celui-c 
une fois atteint, ne peut plus se dégager des é épines qui le clouen | 
sans y mettre un certain temps qui suffit pour permettre aux 
gardes d'arriver et de le Su Le en pe de sureté ou de LE tue . 


NOTES. 269 


“les règlements sont strictement observés. On nous a montré un 
: jeune homme qui venait de subir quelques jours de prison pour 
»avoir manqué l'exercice. Les manœuvres de cette garde ont lieu 
| le soir, dans une place fort étendue, et rien n’est plus amusant 
. que le spectacle de cette parade. Chaque milicien s’y rend en 
_ voiture, accompagné de cinq ou six esclaves malais portant son 
- équipement guerrier; chacun d’eux est pourvu d’une pièce de 
- cet armement, et suit au pas de course la voiture de son 
maître. Les voitures placées sur une longue file, attendent la 
. fin de l’exercice qui ne laisse pas que d’être pénible sous un pa- 
- reil climat, pour reconduire les soldats citoyens à leur domicile. 
Les officiers de la garnison appliquent aussi cette méthode aux 
exigences du service; forcés d’être toujours en uniforme , gêne 
excessive sous une température aussi élevée, 1ls ont du moins la 
faculté de faire porter leurs armes par un groom ; c’est du moins 


ce que j'ai vu pratiquer à un officier d'artillerie ER comme 


ve... Gotta che | dé. Sr) 


- nous à l’hôtel de Provence... 

Le terme de notre voyage s'approche. Nous partons dans deux 
_ jours et pour ma part je n’en suis pas fâché. L'accueil qu’on 
| nous a fait à Batavia a été en sénéral très-froid. Habitués par 


nos précédentes relâches dans les colonies hollandaises à recevoir 


des témoignages d’une affectueuse cordialité , qui nous ont laissé 
- de si bons souvenirs, notre réception dans la métropole a dû 
» attirer notre attention. Aucune invitation ne nous a été adres- 
- sée ; aucune fête n’a été organisée à notre intention, comme 
- cela avait eu lieu ailleurs. Personne de nous ne s’en plaint du 
reste, car délivrés des entraves des réceptions de cérémonie, 
nous n’avons eu que plus de loisir pour nous livrer à des distrac- 
tions moins assujettissantes, et peut-être, par cela même, plus 
| “agréables. L'hôtel de Provence est devenu un centre de réunion 
où nous avons oublié pendant quelques heures les longues pri- 
_vations du passé et la perspective prochaine des privations à 
venir, Ces instants se sont écoulés rapidement et ont été accom- 


210 OCR 
pagnés de l’étourdissement des joies. de courte: é | 
aisément se figurer le mouvement et le bruit. c 
l’invasion subite d’une vingtaine d’ officiers, réclus | 
temps entre les murailles étroites d’une prison | 
milieu des paisibles habitués de cet établissement. Parfoi 
prenais à plaindre les habitués de l'hôtel , si ‘calmes avant 
arrivée. A HS 
On nous a bien dit que les souvenirs qui se. ee . nt au 
passage de la frégate l’{rfémise, sont la cause première dela | | 
réception froide qui nous a été faite, et que la société de Ba- ; 
tavia avait été piquée de voir paraître les officiers de cette fré- 
gate en costume négligé à un bal du gouverneur ; mais ce n ot | 
n’est pas admissible ; il ne peut avoir de fondement : ce seraitun 
exemple sans précédent. dans les habitudes de notre marine. La. F 
cause véritable provient, à ne pas en douter d’après les asser- 4 
tions de personnes dignes de foi, des menées d’un personnag ge 
de la ville ; qui, on doit regretter de le dire, est un F5 rançais. 
Il paraît que cet individu , froissé dans sa susceptibilité , je. ne 
sais trop comment, a mis tout en jeu pour décrier ses comp ; 
triotes. IL a été l’ un des plus ardents détracteurs des. officiers de ; 
l’Artémise ; il s’est ensuite prévalu de l’état où une longue et. 
pénible navigation avait réduit nos corvettes au moment de leur È F 
apparition sur la rade, pour décrier notre expédition et po 
conclure qu" on ne pouvait conceyoir une bonne ne: ke. 


quant sur te rives de Java, était parvenu par x des 
qu on n’avoue DE ia radis " 'pbEnIR 


NOTES. 271 
qui lui attiraient plus de crainte que de considération. D’autres 
informations le représentaient comme un industriel arrivé on 
ne sait d’où, en compagnie d’un éléphant ou d’un rhinocéros 
qu’il montrait, avec l'accompagnement obligé du futu boun- 
boun: d’un orchestre de foire, et qui ; à force de souplesse et 


de... le mot répugne à écrire, était parvenu à obtenir des émo- 


Juments considérables, une position scientifique officielle et une 


| position secrète, qui lui assurait l'oreille du gouverneur général, 


dont la position souvent difficile demandait des renseignements 
minutieux et l'emploi d’une police active. Quoi qu'il en soit, il 


est fort heureux pour lui que les officiers de l’expédition n’aient 


- appris que fort tard ses menées, car il aurait pu lui en coûter. 


Ces détails peuvent expliquer la réserve de la société de Batavia 
à notre égard ; et s’il est pénible de voir un Français se livrer à 
des actions aussi répréhensibles, on conçoit aussi de quel senti- 
ment on doit le flétrir, 
(M. Desgraz.) 


Note 7, page 100. 


Nous nous rendimes chez M. Balestier, négociant et consul 


… américain; nous savions avec quelle cordialité il avait reçu les 


officiers de l’Artémise et ceux de la Bonîite qui nous avaient pré- 
cédés, et nous étions instruits de l'accueil qu’il s'était empressé 
de faire , la veille, à quelques personnes de l’expédition qui 
étaient descendues à terre. Nous trouvâmes un homme de par- 
faites manières , d’une conversation variée et instructive , d’au- 
tant plus intéressante pour nous, qu’il parlait le français avec 
une grande facilité ; il nous combla d’honnêtetés pleines d’affec- 
tion et de franchise, et se mit, dès le début, à notre entière 
disposition pour tout ce dont nous pourrions avoir besoin. Sa 
femme et son fils s’unirent à lui pour nous rendre agréables le 
peu de jours que nous devions consacrer à cette relâche. Après 
quelques heures qui s’écoulèrent rapidement au milieu de cette 


bonne famille, nous acceptâmes la proposition que nous 


dE 


consul de monter en voiture et d’aller visiter une plantatic n 
cannes à sucre dont il était le créateur, et qui réussissait envers E 
et contre tous ceux qui n’avaient cessé de lui crier aux oreilles | 
qu’une pareille spéculation était inexécutable dans un pays dont 
le sol ingrat, bien reconnu n'être susceptible de presque aucune 4 
culture, devait, surtout, se montrer rebelle à celle qu'il entre- 
prenait. Ne se laissant pas intimider par ces pronostics qui n’a- 
vaient aucun fondement, et jugeant d’une manïère toute dif- 
férente, d’après son expérience et l'examen qu'il avait fait, ül 4 : 
avait poursuivi son idée et n’avait pas craint de se mettre à 
l’œuvre; aujourd’hui il a planté et défriché un millier d’acres. 
de terrain, qui sont en plein produit, et garnis de belles cannes 
qui lui assurent le dédommagement de ses peines , de ses efforts 
et de ses dépenses. Il a même l'intention d'agrandir sa propriété, 4 
et de la pousser par la suite jusqu’à dix mille acres. En voyant + 
un pareil résultat, les préventions n’avaient pas tardé à s'é-. 
teindre, et déjà se montraient des imitateurs parmi ceux qui, 
au commencement, s'étaient déclarés les plus hostiles et avaient 
prédit la ruine complète de l’audacieux entrepreneur. RE e 

La compagnie anglaise, maîtresse du sol de Sincapour, laisse 
pleine et entière liberté de faire des défrichements et des plan- 
tations ; elle se contente de prélever un fort minime tribut, et 4 
cela seulement après les cinq premières années, durant les © 
quelles elle n’exige rien ; mais aussi, jusqu'à présent, elle n’a n 
livré aucun contrat de concession et n’a assuré aucune parandé 4 
aux défricheurs, qui n’en continuent pas moins leurs travaux à 


sans crainte et sans AS ETIES 4 me ES 1 à leur die 


cherais à me mettre en garde contre le cas où, se “ais 
déclarant qu’elle n’a jamais entendu se dessaisir du dr 


SE 14 


propriété, elle viendrait à imposer telles 7110 et telles con di- 
PU ju You: pE 196 Ÿ 


tions qui lui paraîtraient convenables, 


L | , 


ss 
| 
Eu 
4 


En rentrant à bord sur les dix heures du soir, nous fümes sur- 


NOTES. 973 


? pris d'apprendre que M. de Courvoisier, évêque de Nilopolis, et 
+ attaché aux missions étrangères, avait envoyé son vicaire pour 
nous complimenter sur notre arrivée; nous ignorions la pré- 
sence à Singapour de ce dignitaire ecclésiastique, et le lende- 
main nous nous disposions à lui rentre visite, lorsque nous le 
vimes arriver lui-même. Après s'être arrêté quelques instants 
sur l Astrolabe , il vint également sur la Zélée, et reçut à son 
départ un salut de neuf coups de canon de chacun des deux na- 
- rires. Il n’était que depuis peu de temps dans cette colonie , et 
résidait antérieurement à Siam, qu'il n'avait quitté que lors- 


qu'il avait pu y laisser un coadjuteur à sa place. Nous accep- 


tâmes une invitation à déjeuner qu'il nous fit pour le jour sui- 

yant, et là, la connaissance étant commencée, nous pünies 
converser plus à l'aise; nous trouvâmes dans monseigneur l’é- 

vêque un homme agréable, instruit, entièrement dévoué à son 
mandat, et par cela même, un peu intolérant. Par un malen- 

tendu, ilne voyait pas M. Balestier, qu’il reconnaissait, néan- 

moins , comme s'étant toujours montré disposé à rendre service 

à ses prédécesseurs, et il épiait, nous dit-il, la première occa- 
…— sion favorable pour faire connaissance avec ce consul. M. le 
commandant d'Urville fit naître immédiatement cette circon- 
stance en les réunissant tous les deux chez lui, le lendemain 
1= juillet, et établit entre eux des relations que j’ai tout lieu de 
penser ne devoir jamais être bien intimes. 

La place de Singapour, pleine d'activité et de vie à l’époque 
où arrivent les jonques de la Chine, offrait peu de mouvement 
s. lors de notre passage ; d’après tout ce que j'avais entendu dire 
sur cette colonie qui était un vaste entrepôt de tous les produits 
de l'Inde et de la Chine, je m'attendais à voir et à admirer : je 
» fus désappointé lorsque demandant des objets d’arts et d’indus- 
trie chinoise, l’on ne me présenta que des choses de rebut et 
d’une qualité très-inférieure, donnant pour raison que nous 


NÉ, 18 


Li 


274 NOTES. 


qu'à notre ne d’être venus en aps inopportun. ? es. Je 
Nous fümes fâchés d’avoir acheté notre biscuit à Batavia; il : 
était de mauvaise qualité ; tandis que pour le même prix, nous ÿ 
en eussions eu d’excellent dans cette colonie, où s approvision- 
nent tous les navires qui font les voyages de la Chine. Sans être 
très-abondantes , les provisions fraiches ne sont pas très-chères Li | 
à Singapour; les poules, par exemple, n’y coûtent que trois ‘4 
piastres la douzaine ; le poisson y est commun ; les bananes et les 
ananas couvrent les marchés: les communications avec la rade 
deviennent très-faciles, au moyen de légères barques gondolées 
qui se louent deux roupies par jour, et se tiennent constamment 

à vos ordres. À x 
(M. Jacquinot. j! s 

Note 8, page 100. 


Le 


J'étais déjà venu à Singapour en 1824 : à cette époque cette 
ville commençait à peine à s’élever, mais on pouvait juger à 
l’activité qu'y développaient les Chinois et les Indous, qui com- 
mençaient à y affluer, combien ses progrès seraient rapides, 4 

surtout avec le système de liberté qui présida à sa fondation: 
j'y trouvai tant de changements que je reconnus à peine ce que 
j'y avais vu alors, car des quartiers populeux s'étaient élevés. 
sur un sol qui venait à peine alors d’être dépouillé des arbres le 
qui le couvraient : la forêt voisine, qui s’étendait alors pres- 
que jusqu’au port, offrait à la vue, du côté dela mer, des 


LE 
Fe: 


c NOTES. 275 


ét de liberté en une position militaire, car cette hauteur en 
serait alors la clef, puisqu'elle n’est dominée d’aucun côté à 
une portée de canon. 

On ne peut guère appeler une ville, la réunion de belles ha- 
bitations entourées de jardins qui occupent une grande étendue 
de la plaine sur la rive opposée du port; quoiqu'il y ait un tracé 
régulier de rues, c’est plutôt un faubourg composé de mai- 
sons de campagne disséminées comme celle du quartier neuf à 
Batavia : elles ont toutes un caractère particulier qui rappelle 
celles de l’Hindostan , et les nombreuses voitures qu’on rencon- 
tre à chaque instant dans ces rues, diffèrent tout à fait par leurs 
formes de celles d'Europe, et ressemblent à des palanquins sup- 
portés par des roues et auxquels on attelle un cheval au lieu de 
porteurs. Parmi tous ces beaux édifices, on en remarque un 
beaucoup plus vaste que tous les autres, et qu’on reconnaît 
facilement à la forme de son architecture pour être destiné 
à un établissement public : c’est le célèbre collége de Singa- 
pour, où sont admis, sans distinction de secte ni de culte, 
tous les jeunes gens des diverses nations de l'Orient, de- 
puis le sectateur de Brahma, l’adorateur du feu et les boud- 
dhistes de Siam et de la Chine, jusqu'aux mahométans e+ 
aux chrétiens de toutes les communions; là, on ne s’occupe que 
d'éclairer leur intelligence , en laissant à leurs familles le soin 
de faire leur éducation religieuse et morale; tous y puisent de 
bonne heure des principes de tolérance, et s’y pénètrent 
de cette grande vérité, qu'on peut rester fidèle à la reli- 
gion de ses pères, sans avoir besoin de chercher à imposer la 
sienne aux autres par la force ; ils apprennent à vivre en paix 
et à respecter les croyances de ceux qui ne pensent pas comme 
eux, et en travaillant à propager cette tolérance, ils contribueront 
à multiplier entre tous les peuples les relations qui seront pro- 
fitables à chacun d’eux. Ce collége qui n’a pas son pareil en Eu- 


rope, convenait parfaitement à une ville comme Singapour, 


y (I NOTES. 


terrain neutre servant Pas Er D aux sujets. de LE 


cette douce liberté, Duile part, sans porter RTE à la tyrannie. 
de leurs gouvernements ou à la tyrannie mille fois plus pesante i 
et plus odieuse des masses ignorantes, qui, quand elles se sont 
assimilées une fois par hasard l’idée des ambitieux qui les dini- = k 


“ie DENT 


gent, se passionnent pour elle , et veulent l'imposer à à tout le 
monde. 05 SRE AE ARE 
Nous apprimes à Singapour qu’on avait trouvé dans l’île US | ù 
creusant pour faire des routes, de petites médailles anciennes qui. 
annoncent, ainsi qu’une inscription trouvée près de la batterie 
du fort, qu'avant l’arrivée des Malais qui ont précédé les An= 
glais sur cette île, il y a eu autrefois un comptoir d’un peuple. 
anciennement civilisé. La nature des caractères fait supposer % a 
que ce comptoir appartenait aux Birmans. La tradition du Pays, “4 
dont l’authenticité est suspecte, prétend que la pierre appelée Ba- : | 
tou-toulis dont il est question, sert à perpétuer le souvenir d’une ” 4 
lutte entre deux athlètes qui devaient lancer cette pierre le plus 
loin qu’ils le pouvaient de l’autre côté du bras de mer qui forme 
le port, et le nom du vainqueur serait, ajoute-t-on, inscrit dessus. Le 
L’empreinte de cette inscription a été envoyée à la Sociétéfroyale #70) 
de Londres, et on attend d’elle aujourd’hui une explication. ; Gi 
Nous eümes pendant notre séjour dans cette ville l'occasion # 


V 
de connaître et d’: APR un ions e AtrLe FAN qui | 1e 


a un caractère tout évangélique ; il est assisté par un je je 
sionnaire, et fait souvent ue tournées à LE i 


T'ON 
! 


als : tn, À jt ae dis. 


CONS PS 


NOTES. 277 


toutes les deux du ressort de son évêché; nous apprimes, malgré 
quelques petits désagréments qu’il avait eus avec des Anglais hau- 
tains, qu’il était en général très-considéré de tout le reste de la 
population, qui l'avait aidé sans distinction de cultes à faire éle- 
ver dans très-peu de temps une jolie petite église qui le met 
aujourd'hui de niveau avec toutes les autres communions chré- 
tiennes établies dans la colonie. Les habitants de Singapour 
avaient montré dans cette occasion ce rare esprit de tolérance 
et de liberté qui les caractérise, etil n’est pas un Chinois aisé 
ou un Hindou qui lui ait refusé son offrande. 
| (M. Dubouzet.) 


Note 9, page 100. 


Toutes les. jonques chinoises profitent de la mousson favo- 
rable pour retourner à Canton, il n’en reste plus qu’une qui 
travaille depuis deux jours pour changer de mouillage: enfin, 
après nombre d'efforts , cet informe navire est venu jeter près de 
nous ses deux ancres de bois. Nous avons voulu profiter de l’oc- 
casion pour rendre visite à nos voisins chinois , et examiner de 


près la charpente d’une jonque, qui, sans contredit , est ce que 


_ l’homme a pu enfanter de plus original ; cette jonque n’avait 


guère moins de 100 à 110 pieds de longueur de tête en tête, sur 
une largeur d’environ 30 pieds au maître bau : sa carène, à fond 
aplati, est assez solidement construite, et renforcée par deux 


fortes préceintes très-tonturées, dont la hauteur au-dessus de 


la flottaison n’est que de 3 à 4 pieds au milieu, mais qui aux ex- 


trémitéss’élèvent à près de 8 pieds au-dessus de l’eau. Ce navire n’a 
ni taille-mer, ni étrave ; la partie antérieure est absolument plate 
et formée par le bordé du coltis, dont le plan légèrement incliné 
sur l’avant donne un élancement d’environ 3 pieds; la largeur 
du coltis à la flottaison peut avoir 3 pieds, et son ouverture dans 
les hauts est de 10 à 12 pieds; une lisse de fortes dimensions réunit 


ceintes. Cette lisse est à environ 10 pieds ad de l eau ; ph me | 
haut, s'élèvent les deux allonges du coltis, destinées à M 
un accastillage monstrueux qui forme en avant un double épe- 
ron dont un Chinois seul’ peut concevoir l'utilité, L’arrière du 
navire se distingue par une construction encore plus chinoise ; 
l’étambot, dont la quête ne paraît pas très-considérable, est 


entièrement masqué par une espèce de fourcat dont le plan fait. 

un angle de près de 40° avec la verticale ; les bordages de la ca—. 

rène ont leur rablure sur ce fourcat, qui est lui-même réuni à 
#51 


l’étambot par une série de bordages plats, formant un angle ren-. L 
trant dont l’arêie est à l’étambot. C’est dans ce vide triangulaire v4 
qu'est logé le gouvernail, pièce d’une dimension énorme, qu’au- 
cune ferrure ne lie à l’étambot. Ce dernier supporte une sorte de 
lisse d’hourdi de très-fortes dimensions qui sert de liaison aux 
préceintes et d’appui au gouvernail ; un accastillage encore plus 
élevé que celui de l'avant surmonte l'arrière du navire, sous 
forme de dunette, teugue, château... dont le couronnement 


n’a guère moins de 15 à 18 pieds au-dessus du niveau de l’eau. 


Las ve = Le za : 
REV ee ne CNT MSN 7 ONE 


La quête du couronnement par rapport à l’étambot est de 8 à 
10 pieds, de sorte que cette énorme charpente est entièrement 


supportée par les extrémités des préceintes qui forment à l’ar- 


rière deux éperons comme à l'avant. La poupe est formée par un 
large tableau surchargé de festons , peints en rouge ou dorés, 

le tout dans le goût le plus chinois ; une espèce de batterie peinte de 
à l'extérieur, suivant la tonture du navire, est figurée par des 
ronds noirs ou rouges, bordés de blanc, qui tiennent lieu de 
sabords, toletières d’avirons ou tout ce qu’on voudra ; les deux 
sabords antérieurs, plus apparents que les autres par leur dimen- 
sion ou par les couleurs dont ils sont barbouillés, ressemble 
assez à deux veux que l'artiste a voulu peindre à l’avant du na à 


vire comme emblemes de la vigilance. Je n’ai remarque é dar ns 
muraille de la jonque aucune ouverture correspondante à à ces sa-" ee 
bords simulés, £ 


NOTES. 0 279 


Après avoir examiné ayec étonnement l'extérieur de ce singu- 


lier navire, nous montons à bord pour en visiter l'installation. 


Une large coupée qui sépare l’accastillage de poupe de celui de 
l'avant, rend très-facile l’embarquement des marchandises et 


celui de la chaloupe dont la partie antérieure est d’une con- 


struction aussi originale que celle de la jonque. Nous passons, 


’ 


d’une enjambée, de la chaloupe sur le pont de la jonque, si toute- 
fois on peut donner ce nom à un plancher discontinu et coupé 
en échelons. Hâtons-nous de visiter la jonque qui fait en ce mo- 
ment ses dernières dispositions pour l’appareïllage. Les câbles de 
rotin et de gomotou gémissent sur les guindeaux virés avec 
force et en cadence par un équipage de 50 ou 60 hommes ; deux 


_guindeaux de l’avant sont employés à virer l'ancre ; celui de l’ar- 


rière sert à monter le gouvernail, et avec celui du milieu on 
hisse la grande voile en tête du mât. Chacune de ces opérations 
est plus longue, plus difficile, que tout ce qu’il peut y avoir de 
plus compliqué dans la manœuvre du plus grand vaisseau de 
guerre européen; mais, qu'importe? le Chinois est aussi patient 
et laborieux qu’ennemi des innovations. Le pont, peu élevé au- 
dessus de la flottaison (3 à 4p.), n’accompagne pas la tonture du 
navire ; la partie qui se trouve en avant du grand mât est pres- 
que tout entière en larges panneaux volants, sans hiloires, cor- 
respondants aux pièces à eau, aux fosses aux câbles, et aux 
autres divisions de la grande cale; la partie arrière est dormante 
et sert de plate-forme à la cuisine à bäbord , et à la chaloupe 
dont les chantiers sont à tribord. La cuisine, dont les murs sont 


en brique, s’élève sur un pavé en larges pierres dans un enca- 


 drement de bois; elle a environ 10 pieds en carré, et est pourvue 


d’un vaste foyer et de grands fourneaux en maçonnerie ; der- 
rière la cuisine et la chaloupe, le pont fait un ressaut d’environ 
3 pieds ; pour former une cale particulière, ou peut-être bien des 
magasins dont les portes ouvrent sur la face antérieure de la 


coupée. Rendus sur le pont de cette espèce de roufle, nous 


"Rp : NOTES. 


ei destinée aux Néalte du capitaine, dés Le 
pe dont les coue vues cet en 


barré par un très-fort D destiné à monter di € gouvermail 
et à hisser la voile de l'arrière. Tout cet espace est occupé par les 


appareils compliqués dont on se sért pour manœuvrer le gou- AA 


vernail dont le safran n a pas moins de 6 p. de largeur. On tra 
vaille en ce moment à mettre en place cette lourde machine, 
dont la mèche, inclinée à 45°, glisse lentement dans une a 
faite sur l’arrière de la barre d’hourdi où elle sera maintenue À 
par une forte cravate en rotin; plusieurs cordages de même sera 
matière servent à accoster le Den contre l’étambot , lors- 
que l'appareil enroulé sur le guindeau l’aura laissé glisser à une 3 
profondeur convenable : enfin, le voilà établi dans un logement U 
prismatique , dont les faces latérales limitent son obliquité, ete 
ne laissent exposée à l’action de l’eau qu’une petite parue " la +24 
surface du safran. : HEURES 
Après avoir grimpé sur les toits flexibles des UE et les 
ballots entassés ou suspendus au-dessus, nous arrivons à une 


plate-forme très-élevée qui sert à relier les murailles avec le ta- “ee 


PRG au milieu est une re SeteE ure ee à 


EPS L', hs! "+ 


OR 2 LM 2 à 


Eds diet» MUlS: * dialecte d'u ter ÉEt otéiis 


NOTES. | 281 
core inoccupée. Nous avons voulu descendre de cette espèce de 
château aérien pour visiter les autres parties de la jonque ; mais 


le pont est tellement encombré par les câbles et le jeu des énor- 


mes guindeaux , que ce n’est qu’à grande peine que nous pou- 
vons gagner l’avant qui est entièrement ouvert au-dessus de la 
barre qui réunit les deux branches du coltis. C’est sur cette 


barre que reposent deux fortes ancres de bois assez bien tra- 


vaillées. A quatre ou cinq pieds au-dessus de cette barre se 
trouve un quatrième et cinquième guindeau destiné à virer sur | 
l’orin, après qu’on est venu à pic en virant sur le gros câble 
de rotin qui s’enroule sur le guindeau principal. Par ce 
moyen , on est moins exposé à rompre les ancres en les déra- 
pant, ce qui est assez bien imaginé pour des Chinois. La jonque 
a trois mâts , sur lesquels s’établissent des voiles en paille dont 
les lisses horizontales sont tendues par un grand nombre de 
tringles de bambou, qui se ramassent comme un éventail, quand 
on largue la drisse ; la grande vergue faite d’une seule pièce, d'un 
beau bois rouge , flotte aussi sur ce mât. 

Ces jonques ne sont faites que pour naviguer dans de belles” 
mers et avec les moussons favorables ; on dit même que les 
lois de la Chine ont arrêté les formes que les constructeurs 
doïvent à tout jamais donner à ces navires, pour Ôter aux su- 
jets de l’empire les moyens d’entreprendre des navigations loin- 
taines. Il est cependant à peu près prouvé que les Chinois ont 


jadis fréquenté les côtes de l’Inde, et peut-être même la mer 


Rouge. J’ignore si les Chinois peuvent de nos jours s’aventurer 


aussi loin, et s’il leur est permis de modifier la construction de 
leurs jonques. Quoi qu’il en soit , le voyageur Humbert raconte 
que les empereurs du Japon ont arrêté Les formes que doivent 
avoir les jonques pour les mettre hors d’état de s'éloigner des 


côtes. 


(M. Roquemaurel.) 


982 © NOTES. 


Note 10, page 100. 


limites actuelles, ne ts en fut confirmée qu’en 1895, par un è 
traité avec le roi de Hollande et les princes malais de ae, 
auxquels cette île appartenait. ue 

Le gouvernement anglais donna 60,000 Da pour Fi 
cession importante de terrain, et s’engagea de plus à payer à la 
Hollande , ainsi qu'au sultan de Djohor, un tribut annuel de 
24,000 piastres. Je ne sais pas trop si cette dernière clause du 
traité n’a pas été abolie dernièrement. 

En venant ainsi jeter les fondements d'une colonie nouvelle 
dans des mers queles Hollandais avaient considérées jusqu ‘alors 4 


en peu d’années une grande importance pour lutter avec avan= 4 
tage contre lesystème colonial de la Hollande. Pour obtenir un | : 
pareil résultat , elle fit de Singapour une ville à grandes fran- À | 
chises; son port fut déclaré franc de tout péage, de tout droit ;. 
les concessions de terrain furent aussi larges que libérales , et. 
on accorda les plus grands avantages à tous ceux qui vinrent 
s'établir dans la colonie naissante. 

Ce système fut couronné du plus beau succès : en 1825, on. 
comptait à peine quelques familles de pècheurs sur l'ile de Sin: ; 
gapour ; quelques misérables cases jetées çà et là sur le rivage , 
révélaient seules que cette terre était habitée, et voilà qu À 
quinze années ont suffi pour y faire vivre aujourd’ hui une pal h. 
pulation de 20 à 22,000 âmes ! : Ar 

L'activité commerciale a répondu de son côté à l'attente 
nérale : les Chinois, les Indiens, les diverses peuplades de de 
Malaisie sont venus Arr sheet à Singapour 
duits pour ceux que l'Angleterre y envoyait d’Europ 


ÿ ; 
La 


sé Das. 4.6 1 


| 
| 


NOTES. 283 


que le colon trouvait dans le pays même. Il n’y avait plus là ces 


retards, ces riens, ces entraves qu’on rencontrait dans les posses- 


sions hollandaises ; les navigateurs n’ayant plus de péages oné- 


- reux à solder y vinrent en foule apporter leurs marchandises, et 


la colonie de Singapour ne tarda pas à prendre une importance 
réelle qui se serait, je crois, développée bien davantage encore, 


- si l'Angleterre lui avait accordé autant de soin qu’à ses premières 


_ possessions dans les Indes orientales. 
; On peut juger du système libéral qui a présidé à la fondation 
de cette colonie nouvelle par la loi d’après laquelle on fait les 
diverses concessions de terrain non défriché. Voici le sens de 
cette loi : la portion de terrain accordée à un colon quelcon- 
que ne payera aucun droit pendant les deux premières années. 


Ce laps de temps écoulé, chaque arpent de la propriété était 


- alors frappe d’un impôt très-minime qui restait le même pen- 


dant vingt ans, pour être doublé ensuite jusqu’à la trentième 
année. À cette époque, le propriétaire devait abandonner son 
domaine au gouvernement, ou pouvait le conserver en se sou- 
mettant à lui payer un impôt annuel et relatif à la valeur cou-- 
rante que toute propriété pourrait avoir alors. 

Comme on le voit, cette loi n’exige aucune mise première et 
elle accorde trente années dont le bénéfice total revient à l’ac- 
quéreur, car l'impôt exigé se réduit à rien. Ce système est en- 
courageant pour tous ceux que l’émigration n’épouvantera pas, 
et qui pourront venir à Singapour avec une dizaine de mille 
francs. ù 


(M. Marescot.) | 


Note 11, page 100. 


Un commerce assez considérable paraît avoir lieu entre Bor- 


néo et Singapour. Les principaux produits paraissent être l’an- 


- timoine, l’étain , la poudre d’or et l’ivoire. Le principal article 


_ 


(ar PE 1 


28 ; CO CNOTES 


de retour est le sel, qui paraît être fort cher sur r les | 
grande se ; 


pour. Un prêtre portugais qui y réside, voyant ses une Ê 
déserter pour se ranger sous le guidon de l évêque, en est devenu 
jaloux. La mésintelligence a commencé par des contestations et 4 
a fini par l’excommunication ; tous deux s’anathématisent ; ils fe- 1 
raient mieux de s’unir..… LE TRAME se | 
Une mission anglaise a aussi un comité dans cette ville. Jene 
‘sais jusqu’à quel point ces différentes religions réussissent. J esais ; 
qu'on se plaint encore ici des vols nombreux qui se commettent, 1 
et je sais que les femmes malaises y sont aussi débauchées que | 
dans les colonies hollandaises.… À 
La petite île de Singapour n'est séparée du Has que 
par un canal d’un mille et demi de large environ. Cette distance 
est franchie fort souvent à la nage par des tigres qui viennent 
dévaster les troupeaux des campagnes. Malgré une prime of- 
ferte par le gouvernement, on tue assez rarement ces hôtes dan=" 
gereux, Maintenant même il se trouve dans l’île un tigre fa-« 
meux par ses déprédations. Il a tué plusieurs Malais qu'il a« 
trouvés isolés dans les bois ainsi que plusieurs buffles. On nous « 
montre du doigt le lieu où il a déchiré et dévoré un malheureux | d 
bucheron.…. ‘ 24 
Ce soir, je fais partie des personnes invitées chez M. Balestier, 
consul américain dont j'ai vu les champs de canne à sucre ce 
matin. Ce fonctionnaire et planteur tout à la fois nous reçoit 
avec la plus grande cordialité. Son diner très-confortable à € été. 
préparé par un cuisinier chinois, quoique composé de plats eu- 
ropéens. Tous les domestiques sont chinois, et il nous s dit en ét 
fort content. nd 
Ces serviteurs proviennent des émigrants que la famine. : 


1e 


de leur ES . servent Poe ae, et à ge de frais, A 0 fr. 


NOTES. 285 


du service européen, mais n’en prennent pas les habitudes, et ne 


touchent même pas aux mets de cette cuisine: ils préparent eux- 

| mêmes leurs aliments, qu’ils achètent sur le prix de leurs gages, 

et, chose bien remarquable, nous répète M. Balestier, ils con- 

servent pour les usages de leurs maîtres et souvent pour eux- 
mêmes un grand mépris, tout en les servant fidèlement. ……. 

Le super-intendant des convicts, jeune homme que le hasard 

- nous à fait rencontrer chez M. Dutronquoy, nous offre de nous 

faire faire une promenade dans les plantations des environs; nous 

acceptons son offre obligeante, et sous sa direction nous voyons 

» d’abordun groupe de malfaiteurs, un anneau de fer au pied, par- 


- 
tir pour se livrer aux travaux publics des routes. 


at-il in de ‘fe |ÜN EE 


Ces condamnés sont tous exportés des colonies de l'Inde ; il y 
en a de différentes races et de différentes tribus. Ceux de Sin- 


gapour vont en revanche expier leurs méfaits aux lieux d’où 


he nd 5 nd ne 


les premiers proviennent et donnent ainsi lieu à un échange 
… annuel qui se fait facilement au moyen des grands navires ou 
| plutôt des frégates de commerce de la compagnie, qui vont d’un 
» point à l’autre des vastes possessions anglaises. 

“  Letravaildes convicts est exclusivement réservé au gouverne- 
… ment, et il a édifié quelques belles routes, larges et nivelées. 
| Dernièrement, en faisant des fouilles, ces hommes ont trouvé un 
pot renfermant des médailles en plomb. Notre guide officieux 
… nous en donne quelques-unes. Elles sont un peu plus grandes 
Ë qu’une pièce de dix sous de notre monnaie; d’un côté elles por- 
» tent l’efigie d’un criss malais et de l’autre celle d’un lion. 

On nous dit que le lion était l'emblème des armes des anciens 
à maîtres de l’île. Qui sait à quel point cela est vrai? 


Pour revenir aux convicts, il paraît que le nombre des mal- 


- faiteurs est assez grand à Singapour. La liberté du commerce 
- yamène un grand nombre d'étrangers qui, n'ayant souvent pas 
de quoi subsister, se livrent au vol. Les Chinois surtout se distin- 


guent sous ce rapport ; ils se dépouillent entièrement de leurs vê- 


1 
| 


286 | tnt 


TU 


sauvent. . | S . 
Dans certaines années, lorsque la récolte du riz manque 
Chine, on voit afluer à Singapour un grand nombre de Chi- 4 
nois qui viennent offrir leurs services pour vivre. Ils me sy. 
fixent pas ordinairement, mais après avoir ramassé un petit u ; 
pécule ou quand ils reçoivent de meilleures nouvelles de et. 
pays ; ils s’en vont. La plupart de ces émigrants sont employés 4 
dans la culture des terres; d’autres servent en qualité de do- 
mestiques ou de manœuvres. | ‘LHC 
| (M. Desyraz) | hs, 


Note 12, page 144. 


Le 8, les fonds qui s'étaient coca maintenus entre 17 4 
et 20 brasses tombèrent à 6 et 4, fond de vase, Du reste lés eau 
jaunes et vaseuses sur lesquelles nous naviguions nous indi 
quaient assez l'embouchure d’une rivière, mais deirière les à 
terres basses et noyées que nous prolongions, nous ne distin- ‘4 
guions rien qui ressemblät à un établissement. | # 

À dix heures du matin, le commandant, fatigué d’interroge + 
de sa longue vue cette côte monotone, donna l’ordre de laisser > 
tomber un pied d’ancre, et m’envoya reconnaitre le fleuve ave 
le grand canot bien armé ; en atterrissant, je ne trouvai | qui f 
terre noyée au pied des palétuviers qui la bordaïent ; la sond è 
indiqua jusqu’à 5 et 6 pieds d’eau. Devant moi se dévelop, À 
une baie immense, mais à travers ces terres basses et unifoi O! rm 
je n’apercevais aucune coupée, aucune apparence de rivièr 


NS 


Cependant une de ses pointes, plus haute que le reste, 


assez profond. Je gouvernai droit sur la haute po 
devant moi, laissant à bâbord une pécherie, C’éta 


PTT CT TN, PE 
: U ‘ 


NOTES. 287 


nette en bambou élevée d’une vingtaine de pieds au-dessus du 


sol. Je n’y aperçus pas figure humaine, et poussai de l’avant ; 
après une grande heure de nage, je doublai la pointe, et allai 
atterrir sur deux huttes adossées au rivage et bâties sur 
l'eau ; c'était l'habitation d’une pauvre famille de pêcheurs. 
J'accostai pour tâcher d'obtenir d’eux quelques renseignements 
sur la position du fleuve et de l’établissement hollandais, mais 
ce n’était pas chose facile ; cependant à force de gestes et de leur 


- crieraux oreilles Sambas! Sambas ils finirent par nous indiquer 


l'extrémité opposée de la baie. Quelques officiers de la Zélée ve- 
naient d’accoster, je leur laissai nos naturalistes, qui voulurent 
profiter du court espace de temps que l’on avait mis à ma dispo- 
sition, pour collecter quelques échantillons. Goupil qui tenait à 
dessiner la vue du fleuve vint avec moi ; une charmante petite 


. brise venait de s’élever, j'en profitai pour mettre à la voile, et 


ma bonne embarcation glissant sur les eaux tranquilles de la 


_ baie, eut bientôt franchi la distance. J’arrivai enfin devant un 


beau cours d’eau aussi large que la Seine et coulant à pleins 
bords entre une grande forêt dont les hautes cimes l’ombra- 
geaient presque tout entier. Le vent et le courant contraire 
m’empêchérent de le remonter aussi haut que je l’aurais voulu. 
Il était près de cinq heures du soir, j'étais à 12 ou 14 milles des 
corvettes, et c’est à 15 lieues dans le fleuve qu'est situé le comp- 
toir hollandais; je revins donc, longeant la côte opposée à 
celle où j'étais venu atterrir, jusqu’à une petite île séparée de Lx 
grande terre par un canal de 18 à 20 toises de largeur : jy re- 
lichai , tant pour donner un peu de repos aux canotiers, qui 
depuis cinq heures avaient les avirons sur les bras, que pour 
laisser au docteur le temps de ramasser quelques échantillons 
botaniques et géologiques. 


Un quart d'heure après je repartais, gouvernant sur les cor- 


vettes, dont j'apercevais à peine les mâtures. La marée venait 


de reverser, et nous avions à lutter contre un fort courant. La 


He 


perchée sur des loss de 15 à 20 pieds ; en Be, 
tage je \ vis entre ces pilotis et sur une forte A we 


rond de 10 à 12 pieds de circoter ele: da ne fc e ‘4 
basculer tout le système au moyen de fortes ] pierres qu'ils fai- à 
saient glisser sur la partie arrière de la poutre. Comme nous 
passions à côté d’eux, nous les vimes lever leur filet : il était ay 
de petits poissons. | RTE ns . 10 

Mais plus j'allais, plus je trouvais le courant Gore 3 il se 
faisait nuit noire, et nous distinguions à peine les feux des cor- 
vettes. Plusieurs fois je fus obligé de faire mouiller le grappin 
pour donner un peu de repos à mes hommes; enfin chacun re- . 
doubla de vigueur et à dix heures et demie nous touchions à 1 
l'échelle de l’4strolabe : il était ep l'é équipage du canot cétait 
harassé. . te: 4 pe 

Le canot de la Zélée, plus léger, était à son bord depuis p prè | 
d’une heure. | ; ss RÉ OUER 

Ces Messieurs, sans s’écarter beaucoup du rivage, avaient ‘4 
aperçu au milieu d’une belle plaine un assez gros village, et Jac- * 
quinot avait tué un singe pourvu d’un magnifique nez. C'est “à 
une espèce fort rare, et qui plus est un desiderata du J ardin ses 
Plantes. | | 41 fl 


Note 13, page 202. | na 1 br 


Le 22, à l’heure indiquée les embarcations portant? 
“ru ps nationales, se mirent en route , et se  : SA 


- NOTES. | 289 


sont Lee tout autour, d’une plate-forme en bambous, qui 
permet de circuler de l’une à l’autre. Passant sur les ponts qui 
servent de communication entre les divers quartiers, nous abor- 
dâmes une petite plage de sable, non loin du fort, où nous 
savions qu'était la résidence du sultan ; c’est le seul édifice qui 
soit élevé sur la terre ferme, fortification du reste très-gros- 
sière, peu haute, affectant une forme presque ronde, et ren- 
forcée dans son pourtour par de grandes pièces de bois verti- 
cales, dans lesquelles on a ménagé quelques embrasures pour 
des canons qui nous parurent en mauvais état , et incapables de 
faire beaucoup de mal. 

Avant de mettre pied à terre , il dou fut facile de voir que 
notre arrivée avait jeté la terreur parmi la population ; tous les 
hommes couraient aux armes, et étaient en mouvement: le 
tambour et le fifre qui, durant notre trajet, n’avaient cessé de 
faire entendre des marches guerrières; les mousquets que por- 
taient nos marins ; les pierriers et espingoles qui garnissaient le 
plat-bord de nos canots ; le nombre des officiers, tous en tenue 
brillante, et armés pour la plupart de fusils à deux coups, 
étaient autant de circonstances qui portaient à penser que l’an- 


nonce d’une visite amicale n’était qu’un prétexte , et que nous 


ne Venions, en réalité, que pour combattre et détruire; cet ap 


pareil, déployé dans le seul but de montrer de la considération 


pour le chef de Solo, et de toucher sa vanité, avait jeté l’a- 


larme dans les esprits , avait exalté toutes les têtes. Nous débar- 
quâmes néanmoins, et le détachement forma ses rangs : bientôt 
nous fümes entourés d’une multitude toujours croissante d’indi- 
vidus qui, armés de lances et de poignards, paraïissaient apporter 
desintentions peu pacifiques, et semblaient, au contraire, disposés 


au premier signal à commencer les hostilités. Quelques chefs 


‘étant survenus , ils parvinrent, non sans quelque difhculté, à 


écarter cette tourbe ; nous finimes par nous entendre, l’effer- 


vescence parut se calmer, et nous nous rendimes, en ordre, chez 
VIL. 19 


290 nn ; os 


le premier ministre qui parlait un peu la langue a de 
qui, par conséquent, était appelé à servir d’interprète. M. d'Ur- R 
ville expliqua de nouveau, le but amical dans lequel il était : 
venu, ajoutant qu’il était d’autant plus disposé à appuyer 
la première démarche qu'ils avaient déjà faite, quil y voyait 
pour l'avenir une sûreté de circulation pour les navires de 
commerce qui n'avaient, jusqu’à présent, évité leur île qu'à … 
cause des actes bien connus de piraterie dont quelques-uns 
avaient été les victimes. Ni ses paroles ni les cadeaux généreux ' 
qu'il fit étaler sur la table , et qui furent acceptés, ne furent 3 
capables de dissiper les soupçons et d'amener la confiance ; le 
sultan ne desserra pas les lèvres, et le datou ne prononça que’ 
quelques mots insignifiants qui n ’avançaient nullement la ques- 
üon. Il'était visible que tous deux étaient sous l'empire de la. 
crainte causée, à ce que nous apprimes ensuite, par une convic- à = 
tion intime que notre pavillon n’était pas celui que nous avions 
arboré , mais que nous étions sujets du roi de Hollande , et en- 
voyés pour tirer vengeance de quelques crimes commis sur ces } 
derniers par des forbans dépendant de l'autorité du chef de | 
Solo. D pris 
Durant cette conférence , la salle s'était remplie d'individus 
armés jusqu'aux dents ; une forêt de piques s'était formée autour 
de nous; nos matelots placés en dehors se trouvaient comprimés à 


par la foule, etavaient beaucoup de pri à maintenir LR 


2} 


La tn | TR à tout instant, devenir inquiét 


moindre signal, la moindre dispute, un rien p it fs, 


". 


cette multitude à à se ruer sur nous, et à nous faire u parti au- 


r, "Ne, MT NT SD), 


NOTES. 291 


tant plus mauvais, qu’assis et pressés comme nous l’étions, il 
nous eût été impossible de résister, et de nous mettre en dé- 
fense. | | | 

Voyant qu'il était inutile d'appuyer plus longtemps sur le 
principal motif qui nous avait amenés, et que nous ne pouvions 
faire cesser l’état de frayeur dans lequel se trouvaient les chefs, 
nous voulûmes au moins faire tourner cette relâche au profit 
de la science, et, par pure politesse , nous demandâmes l’autori- 


sation pour les naturalistes, de faire des courses dans l’intérieur, 


ainsi que celle d'établir à terre nos instruments d’astronomie 


et de physique. IL nous était permis de compter sur la liberté de 
circulation, et nous étions loin d’y voir le moindre empèêche- 
ment ; il n’en fut cependant pas ainsi : les deux puissances con- 
férèrent quelques minutes , et le datou nous communiqua le 
résultat de cette délibération , résultat qui nous remplit d’éton- 
nement dans un pays où nous croyions que le despotisme régnait 
dans toute sa force , et faisait plier toutes les têtes sous sa vo- 
lonté. Le sultan ne pouvant, dit il, répondre de ses sujets, et 
prévoyant des insultes, et même des dangers pour ceux qui 
voulaient explorer la campagne, nous engageait fortement à ne 
pas tenter l’entreprise ; quant aux officiers qui désiraient se livrer 


aux. observations de physique et d’astronomie, il tâcherait de 


_ les garantir de tout danger, en les entourant d’une garde 


d'homines dévoués; mais encore, malgré cette précaution, il 
n'osait leur promettre une tranquillité entière. 

Définitivement, il n’y avait rien à ürer de ces forbans, avec 
lesquels on ne devrait entrer en rapport qu'après leur avoir en- 
WOYÉ, pour préliminaires, quelques volées de canon, Quoique 
convaincus qu'il n’y avait de bien réel, en tout cela, que de la 
mauvaise volonté , et que le désir dominant était de susciter des 
entraves pour nous engager à quitter la rade le plus tôt possible, 
nous ne voulümes cependant pas courir la chance dont on nous 


menaçait, et nous préférâmes renoncer à toute excursion, plutôt 


… 


292 EN NDIES OS 


que d’exposer quelques personnes à la merci de cette canaïlle à 
nous primes immédiatement congé et nous nous rendimes. à 1 
canots dans le même ordre que celui dans lequel nous étions ar- 
rivés, en remarquant, toutefois, que les chefs affectaient de sen 
_ grouper autour de nous, et invitaient à la retraite la foule qui L 
ne cessait de nous suivre ; notre embarquement s opéra sans dés- Li 
ordre, et nous ralliâmes les corvettes, peu satisfaits du résultat 
qu'avait obtenu notre première expédition diplomatique; au 
fait, nous ne les avions amenés qu'à vouloir bien recevoir les … 


présents qui leur avaient été faits au nom du roi de France. 
{M. Jacquinot.) 


Note 14, page 202. He LE 


Le 23 juillet, malgré ce que nous avait dit le sultan, nous. 
envoyâmes nos chaloupes faire de l’eau à une aiguade tout près 
du mouillage; on eut soin de bien les armer et d'empêcher les | 
matelots de pénétrer dans l’intérieur. Les naturels qui passaient 
près de là en grand nombre, se détournèrent de leur route pour 


venir vendre aux hommes des poules et des fruits, et montrèrent. 


des dispositions assez ainicales ; leur conduite nous donna lieu de 
penser que les datous nous les avaient principalement dépeints : 

comme dangereux et méchants pour nous interdire l'examen 
de leur île. Plusieurs de leurs pirogues vinrent à bord de nos 

corvettes faire des échanges, et nous apprimes qu'on commençait 
à être persuadé dans la ville que nous n’étions pas des Hollandais. è 
Un datou puissant de la montagne était venu, avec un nombreux 
détachement d'hommes armés, voir qui nous étions, et avait : 
manqué de faire une révolution dans la ville. Ris : 
Nous eûmes les jours suivants quelques communications isO= 
lées avec la ville; on s’y procura d’excellents bœufs à un: prix à 
assez modéré; les officiers qui s’y aventurèrent eurent soin des e se. . 
fe 


faire accompagner le soir par des hommes d'armes des datous 


ï rs PTS 3 


Molou et Tahel, les deux hommes les plus civilisés, du ni 


NOTES. 295 


qui ayant beaucoup voyagé, avaient contracté l’un et l’autre du 
goût pour la société des Européens. : | 
Le 24, pendant la nuit, une petite pirogue montée par un 
seul homme vint accoster la corvette ; la brise était fraîche, et 
le courant portait alors avec vitesse au large ; il abandonna aus- 
sitôt sa pirogue et sauta dans notre chaloupe en demandant d’un 
air suppliant qu’on voulût bien le recevoir à bord. Comme 
il était nu et grelottant , il y eût eu de l’inhumanité à le repousser, 
malgré l'heure indue à laquelle il se présentait ; on l’admit donc, 
et en montant à bord, il remit son criss en disant qu’il était un 
malheureux esclave‘de Bouton, enlevé dernièrement par des 
pirates qui étaient venus le vendre à Soog , et que, maltraité 
par son maître et désireux de revoir son pays, il avait saisi cette 
occasion pour s'évader au risque de sa vie; nous le cachâmes 
donc à bord, et nous apprimes de lui qu’un grand nombre de 
ses compatriotes étaient esclaves dans le pays et y étaient très- 
maltraités. # 

L'ile de Soog , improprement appelée par les Espagnols Nolo, 
et par les Anglais Sooloo, et Solo par les autres nations, à de 
tout tempsété remarquable par son commerce et sa fertilité ; c’est 
le rendez vous de tous les Malais des îles voisines et des Chinois 
qui, bien avant l’arrivée des Portugais, venaient y chercher la 
nacre , les perles, la cire et les nids de salangam, qui ont tou- 
jours afflué sur son marché. Jadis tous les habitants de cette 
île et ceux des îles voisines, joignaient à leur commerce la 
profession de pirate, et s'étaient rendus tellement redoutables 
dans cette partie de la Malaisie, que les Espagnols, possesseurs 
des Philippines, se virent obligés de faire des expéditions contre 
eux et détruisirent à plusieurs reprises la ville de Soog, leur ca- 
_pitale, qui paraît avoir donné son nom à toute l’île; mais les 
habitants qui y étaient campés comme aujourd’hui, avaient 
toujours soin d'emporter leurs richesses dans l’intérieur. 


Aussi, malgré toutes les expéditions, comme les Espagnols ne 


294 NOTES. 


voulaient pas s'établir dans le pays, la pirates renaissait 
jours, et leur île fut considérée pendant longtemps ne les Eu- à 
ropéens comme l’Alger de la Malaisie. NISSES SSSR 54 
Les relations de commerce entre Soog et les Philippines sont 
maintenant régulièrement établies depuis le traité fait ilya 
quelques années avec le gouvernement de Manille, Le gouverne- 
ment est accusé d’avoir fait beaucoup de concessions pour obte- 
nir la paix avec ces pirates, contre lesquels il ne voulait plus 
faire d’expéditions. Malgré les traités les bâtiments po 
qui viennent à Soog se tiennent toujours sur leurs gardes, ne 
doutant pas que ces perfides insulaires ne manqueraient jamais. 
l’occasion de les enlever, s’ils pouvaient le faire sans rien ris- … 
quer. Le commandant de la flottille de Mindanao vient chaque 
- année, avec ses bâtiments, pour s'assurer si le traité n’a pas été 
enfreint. 3 qe 
J'avais désiré, avant de venir à Soog , voir un de ces sultans 
imalais qui n’ont subi ni la conquête ni ces alliances comme en 
imposent les Hollandais, qui y ressemblent beaucoup ; mais après 
avoir vu ja manière de vivre et d’agir de ces peuples livrés à 
eux-mêmes, j'acquis la triste conviction que la perte de la natio- 
nalité n’est pas toujours pour un peuple la plus grande calamité 
qui puisse lui arriver; car si la population de Soog, qui vit 
écrasée sous le joug de la plus affreuse oligarchie, eût subi … 1 
comme les peuples voisins l'influence de la civilisation euro=. 
péenne , elle serait beauçoup plus heureuse et ben n plus 


avancée qu’elle ne l’est aujourd’hui. | 
(M. Dubouzet. ) 


4 
À 


Note 15, page 202. 


NOTES. 295 


tagnes , dont les deux pitons principaux sont assez élevés et cou- 
verts jusqu'aux soramets d’une belle verdure. Le pays est en géné- 
ral bien accidenté j et il s’y trouve peu de plaines de quelque 
étendue. Les vallées et les collines qu’on voit autour de la baie 
offrent des cultures multipliées et des plantations dont l'aspect 
et fort agréable. ; | 
Les habitants de Solo appartiennent, dit-on, à la grande fa- 
mille malaise , et sont mahométans. Mais ils nous ont paru d’un 
teint moins brun , plus jaune, et, s’il est possible , encore plus 


laids que les Malais. Leur visage est large , plat, équarri, igno- 


- ble comme celui des Malais : peut-être en diffèrent-ils un peu 


par leurs yeux , qui semblent lésèrement bridés, comme ceux 
des Javans, mais beaucoup moins que ceux des Chinois. Ils 
sont en général vêtus d’une large culotte qui descend jus- 
qu'au-dessous des genoux, d’un gilet et d’une veste ou casaque en 
étofie légère ; ils ont une ceinture autour des reins, et un mou- 
choir noué sur la tête, d’où flottent en désordre quelques mèches 
de cheveux noirs : leur coutelas ou criss, dont la lame droite ou 
flamboyante a de 20 à 25 pouces de long, ne les quitte jamais. 
Ces armes , Souvent remarquables par de belles incrustations en 
argent et en or, sont pourtant d’une trempe très-médiocre. C’est. 
dans la beauté et la richesse de leurs armes que ces insulaires 
semblent mettre tout le luxe qu’ils déploient au dehors; car la 
mise des chefs n’a rien de recherché, et l’on ne voit ici que des 
gens sales et déguenillés. 

Ces insulaires ont de tout temps été adonnés à la piraterie, 
rançconnant tour à tour les Chinois, les Espagnols, les Hollan- 
dais et même les Malais, sans égard aux liens de parenté qui les 
unissent. La puissance des chefs de Solo s’étendait jadis sur la 
plupart des îles situées entre Mindanao et Bornéo, et même sur 
une partie de cette grande terre; mais il paraît qu'aujourd'hui 
cette souveraineté est à peu près nominale , puisque le sultan ne 


règne que sous le bon plaisir des datous. Nous n’avons vu dans 


296 | NOTE TES 4 


doute indépendante du sultan, est d’ailleurs e. ‘faible Rue 4 


maintenir sa puissance au dehors. Ilest probable que les chefs, 


les gens riches, arment quand il leur plaît un bateau pour la 

. course , et s’en vont à la mer chercher fortune, sauf à partager. 
les prises avec le sultan et les datous. Les praos de Solo , mieux 

construits, mieux armés et mieux équipés que les bateaux malais, 
ne résisteraient pas à nos plus petites goëlettes de deux canons. 
Mais ils sont redoutables pour des navires marchands qui n’ont É 
qu’un faible équipage , et dont les capitaines se laissent souvent 
surprendre par défaut de prévoyance. Ces praos ont un tonnage 
d'environ trente à quarante tonnes ; leur carène paraît assez bien 
taillée , mais leur accastillage est trap élevé pour qu'ils puissent 
avoir une marche avantageuse; l’arrière est surchargé d’une | 
énorme dunette flanquée de chaque bord d’une plate-forme 
semblable à un porte-hauban , soutenu par des courbes de bois 
très-massives. La moitié antérieure du bateau est à peu près 
rasée, n'ayant au-dessus du pont qu’une forte lisse supportée à - 
hauteur d’appui par des allonges. Cette installation laisse les for- 

bans sans abri contre la mousqueterie. Les bateaux sont armés 

d’un canon de 4 ou de 6, à pivot, sur l'avant, et d’une pièce à 

chaque bord. Ils ont deux mâts et un gouvernail double, à la 
façon malaise. | 


Le pavillon de Solo est blanc, avec une bande noire très 


étroite à la gaine et un écusson noir représentant les portes dela 


Mecque. On ne s'attendait guère à retrouver chez une peuplade … 
barbare de l'Océanie les anciennes couleurs de la France. On 
lit dans le voyage de Sonnerat, à propos de l’île Solo : | 

« Les Français ont pu y former un établissement ; le roi de ê 
» cette île, afin de montrer son amitié pour la nation, avait p 


» même demandé le pavillon français. » 


NOTES. 297 


Après avoir lu ces lignes que le voyageur Sonnerat écrivait 
en 1772, on sera moins surpris que le sultan actuel de Solo se 
soit pris d’une belle amitié pour les Français, et ait recherché 
leur alliance en 1839. IL serait peu honorable pour nous d’avouer 
de pareils amis; mais, comme en politique on est trop souvent 
obligé de se faire des amis partout, autant vaut accepter ceux 
qui viennent s’offrir. Nos marchands n’ont pas de grands avan- 
… tages à espérer dans leurs relations avec Solo. Cette île est trop 
petite et a une population trop turbulente pour qu’on puisse 
jamais établir un grand commerce dans le pays, à moins de l’oc- 
cuper militairement pour en faire un entrepôt. Mais , sans entrer 
dans la voie des conquêtes ou des établissements lointains, on 
peut tirer quelque parti du bon vouloir de ces bandits. Nos 
bâtiments peuvent les visiter detemps en temps pendant la paix, 
pour les accoutumer à la vue de nos couleurs qui les ont effa- 
rouchées. La baie de Bewan est sûre, et offre une aiguade excel- 
lente et de bons rafraîchissements. Cette relâche serait en temps 
de guerre très-précieuse pour nos croiseurs, qui, de là, seraient à 
portée des Philippines, de la mer de Chine, et du canal des 
Moluques. \ 

(M. Roquemaurel.) 


Note 16, page 202. 


Plusieurs de nos camarades ayant été bien reçus par le datou 
commandant la marine, Tahel Bahar, nous lui fimes notre pre- 
mière visite après avoir attendu quelque temps qu'il füt levé ; 
nous le trouvâmes assis sur des coussins, sous une espèce de dais, 
dans une vaste salle ressemblant plutôt, par le grand nombre 
de coffres et de caisses qui la garnissaient, à un magasin de né- 
- gociant. Ïl nous fit mille amitiés, et comme‘il parle un peu es- 
« pagnol, nous pûmes nous entendre tant bien que mal. C’est un 


homme de 25 à 30 ans, paraissant spirituel et enjoué ; on le dit 


298 su NOTES. 


européens qui viennent (Les lui acheter. Ce. système, ei 1 
aux autres, ne laisse pas que d° augmenter considérablement : 
sa fortune et prouve son entente du métier. Il s’est cependant 1 
laissé prendre dernièrement à une ruse assez grossière ; elle | 
nous fut racontée par lui-même. Il avait vendu au bâtiment 
français le Louis-Philippe des lingots d’or au milieu desquels 
était une bonne quantité de cuivre, et avait eu en échange des 1 
gourdes dont ilne soupçonnait nullement le titre ; enchanté de la. | 
ruse, il n'eut rien de plus pressé que de la conter à un des ca- L 
pitaines espagnols que nous trouvâmes au mouillage, ajoutant, 3 
pour se moquer du capitaine français qui venait de partir : » 
«Ces Français ne connaissent pas l'or de Solo. » « Voyons un à 
peu, dit l'Espagnol, les gourdes que tu as eues en payement » Il 
les lui montra , et l’on peut juger de la stupéfaction du fripon de 
Tahel en voyant qu'il avait eu affaire à aussi fin que Jui; les 
gourdes que lui avait données le capitaine français étaient un al-. 
liage d'argent et de zinc, cette dernière matière y entrant pres 
que en totalité; il ne s’en fâcha cependant pas et se contenta 
de dire : « Ce Français est un fripon, et j'avoue que pour 4 
tromper un homme aussi défiant que Tahel il fallait savoir | 
s’y prendre et n’en être pas à son tour d'adresse. » Tahel noi | 
donna sur le pays autant de renseignements que le peu de. 


CE 


temps que nous restâmes avec lui nous pers qe en recueill 


Il ne e peut rien faire, rien décider d'important sans 
dre l'avis des quinze datous, chefs des divers districts : 
plusieurs sont beaucoup plus riches et plus puissan ants 
sultan lui-même . et qui souvent lui imposent 


- 


RL PR ne ne : 6 de 


NOTES. | 299 


L'homme le plus puissant de fait est le datou de la montagne, 
frère du sultan et ayant sous ses ordres un grand nombre 
d'hommes armés plus à craindre que les habitants des côtes. 
Tahel nous a assuré que plusieurs tribus de la montagne étaient 
anthropophages, et que leurs incursions sur les côtes étaient plus 


à redouter pour les gens de la ville que les attaques des étran- 


- gers. IL est rare qu'’ilse passe un jour sans que quelques-uns de 


ces farouches montagnards essayent son criss ou sa lance sur 
quelque membre d’un autre district de Solo , et cela en pleine 
rue, sans qu'on puisse intervenir pour les châtier. Les datous 
étant tous du sang royal, les dignités de sultan et de datou sont 
héréditaires ; et dans le cas où un sultan mourrait sans enfant 
inâle , ce sont les datous qui sont appelés à lui succéder dans un 
ordre reconnu de temps immémorial. Solo, d’après Tahel, ne 
fait pas d'armement de pirate , les datous préférant aux risques 
de pareilles spéculations profiter des courses des autres îles en 
achetant les esclaves pris par les pirates et toutes les marchan- 
dises que ceux-ci y apportent après chaque croisière. Avant 
notre arrivée, cinq de ces écumeurs de mer se trouvaient au 
mouillage; quatre d’entre eux, saisis d’une terreur panique’ à 
notre vue, levèrent l’ancre et se sauvèrent. Le cinquième, plus 
bardi , resta tranquillement dans le port, jugeant bien que nous 
n’étions en droit de lui rien dire, ne l’ayant pas pris sur le fait. 

Dans la nuit du 22, nous vimes arriver à bord un misérable 
Malais de Bouton, enlevé sur la côte de cette île par les pirates : 
fort heureusement pour lui, dégoûté des mauvais traitements 
qu’on lui faisait subir à bord du pirate, il avait résolu, dès qu’il 
nous avait vus, de profiter de cette chance favorable pour sorür 
de l'esclavage. S'embarquant sans bruit dans la première pirogue 
qu’il avait trouvée sous sa main, il avait fait route sur notre 
navire qu'il escalada malgré la crainte de recevoir un coup de 
fusil, Dès qu'il se vit le long du bord, il donna un coup de pied 


à la pirogue qu’il laissa aller en dérive et sauta sur le pont, 


œ 


300 NOTES. nee 


demandant presque à genoux qu’on le sauvât d’une mo 
taine en lui donnant ee sa Le fut grande, us on ui 


de notre AS , il s’endormit promptement et avant É jo 
alla se cacher dans la cale dont il ne sortit qu’après notre départ. 
Notre réfugié nous a confirmé ce que nous avait dit Tahel, À 
que les Soloans n'étaient pas eux-mêmes des pirates, mais sim- 1 
plement des recéleurs et que les écumeurs des autres îles fai- 
saient de Solo leur principal entrepôt. IL paraît d’après lui que 
leur quartier général est à la petite île Bouguigni, à quelques. 
lieues dans le S.-E. de Solo. C’est un renseignement qui peut 
être utile par la suite en ce qu’il pourra mettre sur la trace de ces 
coquins, ceux qui auraient à en tirer vengeance. Les Soloans sont 
en général mahométans; peu d’entre eux ont plusieurs femmes 
légitimes, excepté les datous, dont quelques-uns en ont trois au 
plus. Le nombre des concubines n’estlimité que par la bourse de 
chacun, et les riches en usentimmodérément ; cet abus de femines 
et celui de l’opium les énervent presque jusqu’à l’abrutissement: 
L'ile de Solo est une des plus belles et des plus pittoresques 1 
que nous ayons vues depuis notre campagne ; elle est d’une 
fertilité remarquable; elle produit tous les fruits et les léou- 
mes des pays intertropicaux et nourrit une grande quantité de 
bœufs et de chevaux. Il est rare de rencontrer un habitant de 
la campagne autrement que sur un bœuf ou un cheval; c'es 
le seul moyen de transport dans un pays montagneux et pri : 
de toute route. Dans leur accoutrement de guerre, avec leur 
casque en cuivre, leur cotte de mailles, leur lance et leu à 
bouclier , ils représentent parfaitement les cavaliers du moy | 
âge et FE un aspect on ne peut plus Pos à | 
pays. Je reviens à ma promenade dans la ville : 


causant avec notre ami Tahel, le temps s'était éco 


NOTES. 301 


» le plus de montagnards dans la ville , nous la choisimes pour la 
_ parcourir et juger de son ensemble. Avant de sortir de la maison 
de Tahel, nous fümes prévenus de nous tenir sur nos gardes 
et nous ne manquâmes pas de suivre cet avis. Presque toute la 
ville est bâtie sur pilotis , au milieu des eaux , et chaque maison 
communique avec la voisine par un pont en bambous ou simple- 
ment par un tronc de cocotier, ce qui indique la crainte que 
chacun a d’être pillé par son honnête voisin ; les maisons les 
plus voisines du rivage communiquent par un pont semblable. 
. Par cette disposition de la ville, on circule d’une rue à l’autre, 
comme dans chacune des rues, par une série de petits ponts, sans 
sarde-fou, sur lesquels il faut soigneusement conserver son 
équilibre , si l’on ne veut prendre un bain forcé, par une chute 
_ de dix pieds de haut. De chez Tahel au rivage il n’y avait qu'un 
pas à faire; un bond nous en fit franchir la distance et nous nous 
trouvâmes sur une plage étroite, resserrée entre la mer et une 
palissade de quinze pieds de hauteur , prolongeant le bord de la 
mer et isolant la ville aquatique de la ville terrestre , composée 
. de cases parsemées en dedans de cette muraille , curieuse par la 
peine et les travaux qu’elle a nécessités. Elle se composé de deux 
rangées de troncs d’arbres se touchant, séparées par un intervalle 
de sept à huit pieds, rempli de pierres et de terre ; c’estune bien 
faible défense contre une agression par mer dirigée par des navires 
armés de canons, mais plus que suffisante pour repousser toute 
attaque sans artillerie. Quelques embrasures armées de mauvais 
canons, la plupart hors de service, complètent la défense de la 
place. Le palais du sultan est dans un fort construit dans le même 
style, et que deux ou trois obus réduiraient en cendres. En sui- 
vant cette muraille nous arrivâmes à une petite place couveñte 
de peuple , de chevaux et de bœufs ; chaque homme, chaque 
enfant au-dessous de huit à neuf ans, avait une lance à la main 
et un criss au côté; c'était le mirché où chacun venait ainsi 


armé, pour vendre ou acheter une poule, quelques œufs ou 


302 NOTES 


des bananes ; nous traversâmes cette multitude : à Vas 


au regard oblique, et qui, pour une simple fantaisie ou 
avoir le peu que nous avions sur le dos, nous aurait bien 
tiers taillés par morceaux, si la crainte des canons des CO Y 


ne l’eût retenue , et nous nous enfonçämes dans le bazar » gr 


hangar couvert et construit sur pilotis; des boutiques sales gar-. 
nissaient les côtés, et plusieurs centaines de brigands encom- 1 
braient le passage; nous réussimes, non sans peine, à s ÿ 
de cette foule, et nous enfilâmes une longue série de. pont 
qui nous conduisit au quartier chinois, isolé du reste de 
la ville aquatique. Nous ne retrouvâmes pas là ce que nous étions | 
habitués à rencontrer chez les gens industrieux et commerçants 4 
richesse et luxe ; au contraire, ils nous parurent assez misérables … 

et me firent l'effet des juifs dans le Levant, c’est-à-dire, de. { 
sens comme ceux-ci , exposés aux avanies et cachant leur aisance M 


pour éviter le pillage. Après avoir donné sur tous les pois mi 


peu après je retournai à bord pour ne plus eo le pied : È 
cette terre inhospitalière. : 

On estime moyennement la population totale de l’île à 60, 000, 
et celle de la ville à 6,000. J’emportai de Solo la conviction 
qu'un seul bâtiment, en moins d’une heure, détruirait com- 
plétement cette ville, que l'on ne peut avoir vue sans s ’éton er » 
que les puissances européennes, ayant des possessions voisines 
l’aient laissée debout. Je considère l'existence de Solo com | 
une honte pour la civilisation. | 


(M. Montravel. Lu à 
Note 17, page 202. D 


ie la ville de S00g , aussi bien que dans les mo 
sultan de Solo r ne possède guère qu'une autor 


NOTES. 303 


mollesse et son incapacité en sont la cause; celui qui dirige les 
affaires est le premier ministre, homme que je soupçonne être 
d’une origine espagnole; ce dernier paraît jouir d’une grande 
considération dans le pays, et le sultan ne fait rien sans le con- 
sulter tout d’abord ; on lui donne d’ailleurs des lumières et une 
connaissance du monde au-dessus de sa position. 

Il passe également pour être le plus grand propriétaire de 
l’archipel ; sa fortune peut s'élever à une valeur de 150,000 
livres à peu près. Le sultan, malgré ses possessions , est loin. 
d’être aussi riche ; il a étendu son autorité sur quelques points 
de la côte N.-E. de Bornéo et sur plusieurs îlots. Les habi- 
tants de ces divers pays lui payent un tribut, et il leur envoie 
de temps en temps des bateaux armés pour le percevoir. 

Les trois principales autorités de la ville de Soog sont le sultan, 
son premier ministre et le capitaine du port. Ce dernier a une 
influence presque égale à celle du second, et sa place est aussi 
importante que lucrative; c’est à lui que revient presque entiè- 
* rement le monopole du commerce étranger ; c’est encore lui qui 
est chargé de toute la marine. | 

L'endroit que nous avions choisi pour faire notre eau était 
assez remarquable ; 11 y avait là une façon de rond-point où ve- 
naïent aboutir deux petits sentiers qui se réunissaient au chemin 
de la ville, tout le long de la mer. Mais ce qui aurait pu servir 
plus que toute autre chose à le faïre reconnaître , c'était un vieil 
arbre séculaire, tout crevassé et dont les branches noueuses 
étendaient leur ombre protectrice sur une petite colline de 
sable ; à quinze ou vingt pas de cet arbre, du côté de la ville et 
sur la grève même, se trouvait la source de l”A{strolabe et de la 
Zélée. 

Ce site était aussi pittoresque qu'agréable ; çäetlà, tout autour, 
croissait une partie de la flore du pays, qui fut dévastée, bien 
entendu , par nos savants en histoire naturelle, À ces avantages, 


cette position offrait encore.celui de pouvoir être défendue , avec 


nn : NOTES. De ne nn. 


Une quinzaine d'hommes armés auraient, je crois, tenu en We 
pect un nombre quatre ou cinq fois plus fort d’insulaires hostiles. j 
À mer tout à fait basse, l’eau était potable à dix et quinze 
pieds du rivage; je consigne ce fait parce qu’il m’a paru remar- | 
quable ; j'ai goûté plusieurs fois l’eau à divers endroits, et j'ai Ne. | 
partout trouvé qu’elle était douce aux sept huitièmes environ. 
Ce fait, d’ailleurs, m’a paru facile à expliquer : l'ile de Solo 3 
offre partout un terrain accidenté de hautes montagnes boisées; 
le petit nombre de plaines qu’on y rencontre sont elles-mêmes 
couvertes de forêts ; inondé fréquemment par les fortes pluies 
des régions équatoriales , ce terrain élevé en pente rapide au- 
dessus du niveau de la mer, doit nécessairement rapporter à 
cette dernière toutes les eaux pluviales qui viennent fréquemment 
l’arroser et le vivifier. Les bois épais qui le recouvrent à peu près 4 
partout, empêchent le soleil d'agir par absorption ; il en résulte, D. 
donc que les eaux, en arrosant ce terrain incliné, n’y laissent que … 
ce qui est nécessaire en fait d'humidité, et viennent, par infil- 
tration , se perdre dans la mer. | | 
(M. Marescot.) 


Note 18, page 202. : 


Je suis allé faire visite à bord d’un bâtiment espagnol, la Mi- 
nerva de Manille ; le second nous a offert de nous conduire sans 
danger à terre visiter le ministre de la marine, le plus riche da- : 
tou de la contrée ; il nous apprend que le son du tambour qui 
nous avait conduits à terre, avait répandu la terreur ; selon 


aps du pays, c'était un Hi % pures ctle son dus TOI 


- 


NOTES. 305 


générale des habitants était que nous étions l’avant-garde d’une 
expédition hollandaise , dont ils avaient reçu avis de Bornéo ; la 
similitude des couleurs du pavillon avait encore contribué à 
cette méprise, et c’est à peine si notre visite pacifique les avait 
détrompés; une partie des femmes, des vieillards et des enfants 
étaient refugiés dans les montagnes, avec ce qu'ils avaient de 
plus précieux. 

Après le diner, nous allâmes, M. Gervaize et moi, à la case du 
ministre de la marine, accompagnés de l'officier du navire es- 
pagnol. Le datou avait été prévenu quelques heures auparavant 
de notre visite : il était entouré de tous les gens de la maison, 
armés jusqu'aux dents ; la première chose qu’il me demanda en 
entrant fut — si nous faisions la guerre ou si nous étions amis. 
— Amis, lui répondis-je et il me tendit les deux mains en 
signe d’acquiescement, m’ayant fait asseoir à côté de lui, il 
me demanda si nous n’étions pas Hollandais, me fit part des 
soupçons que l’on avait conçus à notre arrivée, me fit expliquer 
plusieurs fois la différence qui existait entre notre pavillon et 
celui des Hollandais, et comme notre conversation se passait 
en espagnol , de temps en temps il faisait connaître aux specta— 
teurs mes réponses en les traduisant en langue de Soog. Les 
figures de ceux qui nous entouraient commencaient à prendre 
un aspect moins sombre à mesure que mes explications leur 
parvenaient, quelques-uns sortirent même et parlèrent à la 
foule qui entourait la maison, et qui se dissipa peu à peu. 

Le datou me fit une question assez insidieuse : Puisque vous 
êtes nos amis, me dit-il, si les Hollandais venaient nous atta- 
quer, nous défendriez-vous ? Je lui fis comprendre assez difficile- 
ment que nous étions aussi amis des Hollandais, et que n'ayant 
aucune raison de leur faire la guerre, un tel cas échéant , nous 
resterions neutres. Alors il me demanda quelles marchandises 
nous apportions pour trafiquer, et me dit qu’il avait à nous don- 


per en échange des nids d’hirondelle, de la nacte, de l’écaille, 
© il. | 20 


306 NOTES. É LS Pa 
de la cire et des perles; je lui répondis que nous ne f ais 
pas 86 commerce et ne ROTRORS pas de marchandises. — — 11 


réf 


sait en fait de navigateurs que des marco des pirates , he 


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#4: 
D RUE M NS DIET Ÿ 


je crois bien qu’il nous rangea dans cette dernière cappnes 
malgré mes dénégations constantes. es 

On nous apporta bientôt une table couverte de quatre pla- 
teaux : dans chacun d’eux était une tasse de chocolai à l’espa- 
gnole, des sâteaux et des confitures chinoises de toute espèce. 

L'aspect de la salle où nous nous trouvions était on ne peut 
plus remarquable : des caisses , des malles, des fauteuils dorés, 
des lances, des fusils, des kriss y étaient rassemblés pêle-mêle ; 
elle présentait tout le désordre d’une caverne de brigands enri- 
chis par le pillage. nr 
(M. Coupvent.) 


Note 19, page 202. 


Je descends à terre ce matin avec l’embarcation chargée d’al- 


ler chercher le bœuf quotidien que nous vend le datou Tahel. 


Nous pouvons voir à notre aise, en passant auprès de deux … 
ou trois praos mouillés près du rivage et abandonnés parleurs 

équipages, de jolies pièces de canon en bronze, placées sur 
l’avint et quelquefois aussi sur l'arrière ; un de ces bateaux en 
possédait deux toutes neuves ; elles étaient fixées sur des affüts 
immobiles, à en juger par leur structure, et qui par consé- 
quent, devaient empêcher de pointer ailleurs que dans l'aligne- ne 


ment de la proue. 


0 


Quoi il ne de bonne Rens et que sat res ne se ve 


NOTES. 307 


pilotis, et dont la longueur approximative peut avoir €0 à 
100 pieds sur 30 à 35 de largeur. L'intérieur de cette maison 
présentait assurément l'aspect d’une demeure de pirate : des 
caisses, des malles empilées contre les parois, des lances, des 
boucliers, des kriss appendus çà et là , des instruments de mu- 
sique, violons , guitares, flûtes, s'apercevaient d’abord ; puis, 
dans un coin , on découvrait ensuite une quarantaine de crosses 
de fusils ou de tromblons, et même dans un enfoncement j’a- 
percus deux petits canons. Que d'événements tous ces objets 
auraient pu raconter , s’ils avaient pu parler, et combien de 
propriétaires avait-il fallu dépouiller pour les acquérir? Le 
spectacle eût été encore plus curieux si l’intérieur des cof- 
fres eût offert à la vue leur contenu; que de rapines entassées, 
combien de larcins commis, et peut-être aussi combien de sang 
répandu ! E 

_ La personne du possesseur de ces objets n’était pas en har-. 
 monie avec les idées de meurtre et de pillage évoquées par 
cette première vue ; loin de présenter l’aspect farouche ou du 
moins visoureux et déterminé d’un véritable écumeur de mer, 
sa physionomie était douce, fatiguée par des rides précoces, mais 
gracieuseet avenante ; il parlait un peu espagnol, et après les pre- 
mières salutations , il nous conduisit auprès de fauteuils faisant 
face à une élévation du sol, formant une espèce de grand lit en- 
touré de rideaux où il s’étendit mollement sur des coussins. Près 
de lui se trouvaient une longue lance, diverses petites caisses , 
des kriss à demi enfouis sous des nattes et une lampe en cuivre 
servant à allumer sa pipe à opium, dont il paraissait faire un 
usage très-fréquent. 

 Datou Tahel est le fils de l’émir Bahar, qu’un voyageur fran- 
çais , auteur de la partie de l'Univers pittoresque qui traite de 
l’Océanie, M. de Rienzi, paraît avoir connu à son passage aux îles 
- Solo. D’après lui, cet émir Bahar avait été un homme possédant 


beaucoup de connaissances hors de la portée de ses concitoyens. 


308 _ NOTES. a 
11 laissa à sa femme , la seule qu’il eut, don Le libert Ft e 
suivre la religion ROUTE , qu'elle professait, et la rendit 
ensuite libre d’esclave qu’elle était. Il parlait plusieurs langues 
étrangeres et les écr ivait. Toutes ces connaissances ne l'empé- 
chèrent pas d'acquérir une grande fortune, probablement à l aide 
des moyens employés par son fils pour l’augmenter. Quoi qu Ha 


en soit, le fils, à la mort-du père, reçut avec son héritage le titre 
de Radja-laut, chef de la mer, et jouit d’une prépondérance qui 
le place aujourd’hui au nombre des premiers chefs de l'endroit, 
Malheureusement, les connaissances approfondies. de l’émir 1 
Babar ne lui ont pas été transmises , et l'influence qu’une mère 
Bissaya ou Espagnole aurait pu avoir sur lui, s’est arrêtée à la 
couleur de la peau. La plus grande occupation de cet homme, 


jeune, mais usé , consiste à aspirer, à chaque instant , la VSDRRS 


2 
enivrante d’une pipe d’opium; aussi ses cheveux déà presque 
blancs , ses yeux caves , ses membres grêles, quoique bien pro 
portionnés, indiquent les ravages de cette funeste drogue. 
Après nous avoir entretenus assez longuement des faux bruits 
que notre arrivée a fait naître dans le pays, le datou Tabel fit 
servir du chocolat, des gâteaux et des fruits. Le chocolat avait 
été fabriqué dans la ville même par des esclaves espagnols ; les 
gâteaux, composés en grande partie de farine de riz et de 
sucre indigène , auraient été bons sans le goût que leur laissait ÿ 
l'huile de coco dans laquelle ils avaient été frits ; quant aux : 


fruits, ils se réduisaient aux mangoustans , bananes et langouns 

que nous connaissions déjà. Fu 
Pendant le déjeuner, le datou Abdoulah , le même chez qui 

M. Lafond avait été conduit hier, arriva accompagné de Sa 


suite et plus tard emmena plusieurs de mes compagnons dans #1 


la campagne où il réside. Pendant qu'ils s’éloignaient, not otre 
hôte fit exécuter un concert par ses esclaves ; les airs joués , 


étaient espagnols : et quoique tous les exécutants n 
440 À EC 


sent pas à cette nation , ils jouaient avec assez 2 d'e ensembl 


NOTES, 309 


frère du datou Tahel, jeune homme adolescent, mais de cou- 
leur bien plus brune, jouait lui-même de la flûte et il exécuta 
plusieurs airs assez bien. Désormais la meilleure harmonie 
_semblait devoir régner entre nous et nos hôtes ; ce chef voulut 
nous donner deux gardes pour nous servir d’escorte dans la pro- 
menade que nous voulions faire dans la ville, mais déjà nous 
pensons que cette mesure était inutile et nous le remerciâmes. 
Cependant je crois que ces mêmes gardes nous suivirent de loin, 
soit pour nous protéger au besoin, soit pour savoir où nousallions. 

. Cette mesure était peut-être utile dans un payslivré à une anar- 
chie presque complète, anarchie dont nous venions d’avoir un 
exemple. Le domestique du capitaine Jacquinot s'étant aventuré 
hors du lieu où l’on a coutume de nous apporter des provisions, 
s'était trouvé sur la grande place du marché au milieu d’un con- 
flit élevé parmi les naturels; déjà les lances, dont les indigènes 
ne se dépouillent jamais , étaient en jeu, lorsqu'un mar- 
chand engagea ce domestique à s’en aller, ce qu’il fit sans at- 
tendre les résultats de la querelle, et d’ailleurs peu curieux 
d'y assister. : 

Quant à nous, nous pümes nous promener sans le moindre 
empêchement dans presque toute la ville. Souvent nous avons 
rencontré des bandes armées d'hommes de la campagne, mais 
déjà ils ne nous regardaient plus avec méfiance et ne portaient 
pas, comme le premier jour de notre relâche, la main à la poi- 
gnée de leurs kriss sur notre passage. Voici quelques-unes des 
remarques générales faites pendant cette ex cursion. 

Une palissade de troncs d'arbres, quelquefois équarris, 
garnit le pourtour du rivage; des embrasures carrées laissent 
voir çà et là quelques pièces de canon hors d'état de servir et 
qui n’opposeraient qu’une faible défense à un débarquement. 
La principale résistance qu’on rencontrerait viendrait des armes 
à feu dont tous les chefs sont pourvus, et qui sont la base de leur 
puissance : plus un chef en possède , plus il peut armer d’hom- 


fus 
Là CEE 


"310 à NOTES. 0 
mes et plus il Le Ft Tous ceux de la ‘ville “Rte po D re 
raient présenter un effectif de fusils, mousquetons ou trom- 3 
blons, s’élevant à environ 400, le His Tahel possède à lui seul 
quarante armes à feu, aussi passe-t-il pour un des plus ue & 1 
datous. : à 24 

. Aurivage, des planches mal ajustées forment une nombreuse 
suite de ponts fragiles qui, s’appuyant sur des pilotis, S’avancent 
vers la mer en se croisant dans différents sens jusqu’à l'extrémité. 

d’un banc de vase sur lequel on trouve de trois pouces à quatre 
pieds d’eau à marée basse. Tous ces ponts étroits, élastiques, Ë 
fragiles, aboutissent à des cases édifiées sur quinze ou vingt gros 
pilotis, et dont le plancher, ainsi que les parois, est formé par des 
claies ; ces dernières sont en joncs ou roseaux bien serrés, tandis 
que le plancher, construit avec des branches d’ arbres entrelacées, 
laisse des jours. | | 
Ainsi que me l’avait dit le capitaine Somes, les Labitetiole : 
des Chinois , dont on estime le nombre à 300, sont les plus éloi- 
nées du rivage : elles forment l’extrémité de la ville aquatique, 
et sont en général plus spacieuses que celles des indigènes. La 
plupart de ces demeures contiennent une chambre à coucher, 
un appartement où sont renfermées les marchandises, et une 
cuisine, si toutefois on doit donner ces noms aux espaces ré- 
trécis, séparés par d’informes cloisons, qui en tiennent lieu. 
Derrière la case se trouve ordinairement une cour, aussi sur 
pilotis, où ces commerçants étalent leur tripang et où ils le mani- 
pulent ; souvent aussi ces terrasses sont changées en jardins ; ; 
quelques pouces de terre y créent un parterre factice : j'ai vu à 
jusqu’à des bananiers croître ainsi sur lé domaine de la mer. 

Ces pauvres gens, qui mènent à peu près la vie des marins, ! 
doivent chercher à embellir par tous les moyens leur existence. 

CLR 


monotone; les indigènes eux-mêmes s appliquent à à cette cult 1902 
HE CE Fr 
il est fort curieux de voir dans un fond de vieille pirogue < t 


ques plantes grimpantes élever leurs rameaux vers l'édifice q qui 


NOTES. 311 


les protége du vent; cela égaye la vue, assez triste, de cet amas 
de maisons, qui semblent marcher sur leurs pattes de bois 
lorsque les LUS de la mer roulent vers la rive. ( 

L’habitude de construire sur la mer, adoptée par ces indi- 
sènes, tient, m’a-t-on assuré, à un motif très-simple. Ce n’est 
point, comme on pourrait le penser, une conséquence de leurs 
mœurs maritimes, mais seulement celle de leur paresse : ils 
vident les ordures de leur ménage bien plus aisément qu’à 
terre, la mer lave tout et leur épargne de la peine. Ce motif est 
assez plausible, quoique l'aspect de ces habitations ainsi cons- 
truites fasse naître des idées assez poétiques sur les causes qui 
ont présidé à leur origine. 

En arrivant au rivage par le pr incipal pont de la ville, hors 
des fortifications , on passe par un quartier , ou plutôt une rue, 
où se trouvent les boutiques des indigènes. Là les Chinois ne 
montrent plus leur longue queue, leur empire a cessé, et dans 
les petites cabanes qui garnissent ce lieu, on n’apercçoit que 
des femmes qui vendent des fruits, du bétel, de l’arak, 
et divers menus objets de peu de valeur, Plus loin on at- 
teint le marché des fruits et des comestibles à auprès duquel 
se trouve la maison du datou Molou, entourée de bandes 
de cavaliers venant de l’intérieur pour s'informer des inten- 
tions des navires français. Plus loin, à droite, la demeure 
du sultan s’élève non loin d’un ruisseau fangeux, et se dis- 
tingue par le pavillon blanc à gaîne bleue ou noire, qui le 
surmonte. 

On à bientôt vu tout ce qu’il y a à voir dans Banoua ; il ne 
reste plus alors qu’à s’occuper des habitants. Les indigènes 
offrent une nuance de race distincte de celle des Malais et 
des Bouguis que nous avons vus. D'abord leur langue diffère 
beaucoup des leurs; elle est plus dure que le malais, sans que 
pour cela elle soit rude ; les sons gutturaux y sont plus souvent 


employés, et les mots que j'ai pu recueillir ont plus de con- 


s'ERRee cs DOS | 


et ce n’est qu’une opinion toudée sur lire de l'or 
et non pas sur les renseignements fournis par des person 
ayant une connaissance approfondie de la langue. | | 
C’est ici le cas de rectifier le nom de ces îles , nommées S00/00 < 
par les Anglais, Jolo ou Holo par les Espagnols et Solo par les 
Français : leur véritable nom , le nom donné par les indigènes, 
est Soog; celui de la ville, Banoua. Sa population nous a été 
indiquée comme étant de 10,000 habitants, je crois ce chiffre 
exagéré : à vue d’œil je ne crois pas qu’elle dépasse celui de 6,000. 
L'intérieur et le littoral de ces îles paraissent être fort peuplés : 
on ne peut se hasarder à donner un nombre quelconque d'habi… 4 
tants, car on ne saurait s'appuyer sur des données satisfaisantes. 
La population de Soog est de petite taille ; elle est plus forte 
de structure, elle a un teint de peau plus jaune, c’est-à-dire 
plus clair, que les Malais; les yeux m'ont aussi paru plus 54 
bnidés, la figure plus large, la mâchoire un peu moins De 
proéminente. Les vêtements, les habitudes extérieures sem- 
blent être à peu près les mêmes. Le costume des gens pauvres 
se compose d’un calecon accompagné quelquefois d’une espèce | 
de chemise; les gens aisés portent des vêtements importés, je 
suppose, de Chine : ce sont des pantalons fort larges, en soie noire 
ou en étoffe de coton; quelquefois ils portent aussi des vestes à 
larges manches, aussi en soie; d’autres se servent de l’écharpe 
des Bouguis, et tous ou presque tous se couvrent la tête d’un à 
mouchoir à l'instar des Malais; les chefs seuls portent des paie 
toufles ou des sandales. | % 
Les femmes du peuple se montrent sans répugnance en pu- 
blic sans autres vêtements qu’un sarong ; leurs cheveux sont 
épars, et comme les hommes elles mâchent le bétel. Elles ve ; 
naient vendre Rime lus poules à nos cuisini 


NOTES. 313 


à leur parure, et les préféraient souvent à de l'argent. .... 
Une rencontre curieuse m'avait jeté dans un étonnement 
complet, lorsqu'on m'en donna une explication des plus 
bizarres. Voici le fait : javais rencontré une femme toute 
nue à cheval, les cheveux épars; sa gorge indiquait son sexe, 
et j'étais déjà convaincu de ses mauvaises mœurs en la 
voyant descendre de cheval et me faire signe de la suivre dans 
une case voisine. Peu disposé à l’entrevue qu’elle me proposait, 
je continuai mon chemin et je ne manquai pas d’en parler 
à mes compagnons, qui m'assuréèrent alors que cet être était 
un hermaphrodite, dont ils avaient publiquement reconnu la 
curieuse conformation moyennant quelque argent. Il voulait 
probablement en faire autant à mon égard, Cet homme ou cette 
femme est la même personne qui , hier, à l’aiguade, était venue 
auprès de nous à la recherche d’un esclave désertéur ; là du 
moins il portait un pantalon. | 
La nuit passée , un esclave transfuge s’est rendu à bord de la 
Zélée ; au qui-vive du factionnaire, il jeta son kriss à bord et 
monta sur le pont. Ce pauvre diable est un Malais Bouguis de 
Salayer, c’est celui que l'individu hermaphrodite cherchait hier 
aux environs de l’aiguade. | 
Les personnes de notre bord qui ont assisté à la fête du datou 
Molou rentrent pendant la nuit et sont fort satisfaites de leur soi- 
rée. Une nombreuse musique a joué fort longtemps des airs espa- 
gnols, eton a même fait danser des esclaves à la demande des spec- 
tateurs. Les femmes du datou Molou, contre l’usage des maho- 
._métans, ont paru dans la réunion , mais elles étaient assises dans 
le fond, à une certaine distance des hommes. Ce fait est à remar- 
quer, car les îles Soog ont été autrefois en grand renom de 
sainteté dans tout l'archipel d’Asie; c'était le principal foyer de 
la religion du prophète arabe, et c’est probablement à cette 
prépondérance passée qu’elles doivent de porter dans leur pa- 


villon blanc un dessin noir représentant, dit-on , les portes de 


314 . NOTES 


la bodies Aujourd’hui, cette influence religieuse Ï 


truite; Soog, sous ce rapport, ne l’emporte sur aucun « 
avoisinants, et je crois même qu'aucun lieu n’a d'il 
bien marqué sur les autres, comme plus PAT UPRISS emeñt 


dans l’archipel d'Asie. 
( M. Duras) à 


Note 20, page 202. 


À huit heures du matin, je descendis chez. le datou Tahel, 
qui s’empressa de nous offrir le chocolat; j'y rencontrai un de 
de la montagne, le datou Abdoulla, qui m 'engagea à l'accom- 
paguer dans l’intérieur. Bientôt nous montâmes à cheval; une 
longue suite de gens armés forma notre escorte et nous nous 
niimes en route. Le pays que nous traversions était admirable ï 
de végétation : de tous côtés on apercevait des cultures bien en- ‘1 
tretenues sur lesquelles l'œil se reposait avec plaisir. Il nous ' 
fallut marcher pendant une heure avant d’atteindre la demeure. | 
d'Abdoulla, chez qui m'attendait la réception la plus amicale, 
Après diner , nous fimes encore une jolie promenade à cheval, 
toujours accompagnés par une nombreuse escorte armée et par 
les deux fils du chef. Je voulus, pour reconnaître l'hospitalité 
de ce respectable vieillard , lui faire cadeau d’une belle paire 
de rasoirs que je possédais , d’une livre de poudre fine et d'une 
boîte de capsules ; en retour ; Abdoulla m'offrit une jolie petite 
antilope que je refusai , puis il me présenta deux douzaines de 
nids blancs d’hirondelles qu’il me priait d’ accepter, mais je le. 14 
reinerciai, ne voulant ‘empor ter de lui que le souvenir de sa “s 
cordiale hospitalité. Il me présenta ses deux petits-fils : 
étaient les plus jolis enfants que j'aie jamais rencontrés P 
ses nombreuses femmes, is remarquai une qui 
costume européen , mais je ne pus apercevoir 


car elle se cachait de moi soigneusement. Le vieux 


NOTES. 415 


m'assura que c'était une jeune fille des environs de Manille, 
qui appartenait à son fils aîné. I1 était six heures du soir lors- 
que je fis mes adieux à mon hôte, il me donna son jeune 
fils et une nombreuse troupe de domestiques pour m’accom- 
pagner. Je regagnai la ville. Nous descendimes d'abord chez 
Tahel, mais à huit heures'je me rendis chez le datou Molou, 
qui avait engagé plusieurs personnes à passer la soirée chez lui. 
J’y rencontrai MM. Jacquinot, Thanarou, Desgraz, Huon, 
Deflotte et Boyer; plusieurs datous y étaient aussi réunis, La 
soirée fut charmante, on chanta, on dansa et on fit de la musique. 
Vers les onze heures, on nous présenta une table admirablement 
servie en fruits, en pâtisseries et en liqueurs de toute espèce; nous 
. y bumes d'excellents vins d’Espagne, puis on nous offrit du thé, 
du café et du chocolat dans un magnifique service de porcelaine 
de Chine. La conversation se faisait généralement en espagnol. 
Le datou, qui commençait seulement à être persuadé que nous 
étions bien réellement des Français, et non pas des Hollandais, 
nous exprima tous ses regrets de ne nous avoir pas fait dès le 
début une réception plus amicale ; il parut désolé quand nous 
lui apprimes que notre départ était irrévocablement fixé au 
lendemain. Pour nous faire honneur, il avait réuni chez lui un 
orchestre complet composé d’une basse, de clarinettes, de flûtes 
_et de violons. Il était minuit, et j'étais resté seul parmi les ofli- 
ciers à la soirée du datou, lorsque je lui fis mes adieux; il me 
fit reconduire dans un canot armé par ses gens etilme fit cadeau 
d’un kriss magnifique. Dans la soirée, j’eus l’occasion de par- 
courir plusieurs fois la ville et de satisfaire ma curiosité : je ne 
remarquai jamais dans les habitants rien qui pâût me causer la 
moindrecrainte ; il était évident qu’ilscommençaient à s’amender, 
et que notre confiance ainsi que nos démarches toutes pacifiques 
commençaient enfin à calmer toutes les craintes que nous 
avions d’abord inspirées. | 
(M. Gervaize.) 


Es PRE UN, 
NOTES. 


Note M di 230, Li 3 REA 


un salut de vingt et un coups de canon qui lui fut hit mu 
diatement, et en égal nombre, par la forteresse espagnole; 
aussitôt après, je descendis à terre avec le commandant d® Urville, À 
et nous rendant d’abord chez M. le lieutenant de vaisseau de : 
la Cruz, commandant de la marine, nous le priâmes de nous À 
accompagner chez le gouverneur , à quoi il se prêta de la meil- ; 
leure grâce du monde. Cet officier était allé la veille offrir ses 
services au commandant, et s'était mis entièrement à sa dispo- À 
sition; nous pûmes nous convaincre bientôt que ces offres 
étaient faites de cœur , et durant notre séjour, il nous combla 
de politesses et d’honnèêtetés qui ne se démentirent pas un seul M 
instant , et qui nous pénétrèrent pour lui d’un sentiment de re- 
connaissance dont le souvenir ne s’effaeera jamais de notre mé- 
moire. 

Son second, M. Acha, officier du même grade, ne fut pas 1 
moins attentionné pour toutes les personnes de l'expédition, et 
acquit tout autant de droits à notre amitié. D 4e 4 

Nous nous rendimes chez le gouverneur don Manuel Sanz, « 
lieutenant-colonel, et nous en recûünes l'accueil le plus affable … 
que nous pussions désirer. Dès les premiers moments , il en agit 
avec nous avec une aimable franchise, et il nous témoïigna en. 
paroles et en actions tout le plaisir qu’il éprouvait à recevoir des” 
Français dans son petit gouvernement. Un déjeuner était servi, 


et nous RE DR at qui nous fut rt dl Pau 


due les naturalistes de ue les environs, M. 


nous donna Dé nue Me RONFSCONEAERS de a 


NOTES. 317 
dans leurs recherches. On ne saurait réellement être plus em- 
pressé qu’il le fut à notre épard dans toutes les demandes que 
nous pümes lui faire; souvent même il vint au-devant de nos 
désirs , et il chercha par tous les moyens possibles à nous rendre 
la relâche agréable : sa maison et sa table nous furent constam- 
ment ouvertes, ses chevaux et sa voiture furent chaque jour à 
notre disposition, et il poussa même les prévenances jusqu’à 
envoyer à bord quelques provisions de Manille et d'Europe, 
provisions qui pouvaient lui être nécessaires, mais qu’il offrit de 
manière à ne pouvoir être refusé. Généreux à l'excès, et se 
mettant constamment l’esprit à la torture pour nous être agréa- 
ble, ce bon colonel réunit, deux jours avant notre départ, 
tous les officiers de l’expédition , les diverses autorités et notables 
de la colonie, à un bal qui se prolongea très-avant dans la nuit, 
et qui fut interrompu au milieu par une somptueuse collation à 
laquelle chacun put prendre part. De notre côté, nous fimes 
tout notre possible pour reconnaître tant de soins ; nous l’invi- 
tâmes à bord de nos corvettes et nous lui témoignâmes notre 
reconnaissance par tous les moyens en notre pouvoir. Aux qua- 
 lités franches et chevaleresques, le colonel Sanz joignait un 
jugement sain, de l'instruction et une grande facilité pour 
s'exprimer et répondre aux questions que nous pouvions lui 
adresser. 

_ Lors de leur établissement sur cette partie de Mindanao, les 
Espagnols la trouvèrent entièrement inhabitée : la population se 
forma d’abord de gens qu’ils amenèrent de Manille et s’aug- 
menta plus tard des individus qu'y laissèrent à diverses épo- 
ques leurs navires venant d’Acapulco et du Japon; en sorte 
que la race actuelle est un composé bâtard dont il serait impos- 
sible d’assigner l’origine. | 
Si ce n’était la tendance naturelle que les habitants ont à 
émigrer, pour suivre le penchaut qui les porte à naviguer, la 
population de Samboangan augmenterait dans une proportion 


- 


318 = NOTES | ik je 


dans la proportion de un à trente pour le même : in 2 
valle. Il y a véritablement de quoi être étonné, en considéra nt 
la quantité d'enfants qui s'offrent aux regards à l'entrée de cha- 1 
que case, tant dans la ville que dans les environs. És “3 
A l’exception de quelques maisons qui sont construites à Veu- 4 
ropéenne , et qui présentent un certain air d’ aisance, toutes les | 
‘autres ne sont que d’assez misérables cases élevées sur 4 pieux a. 
à quelques pieds au-dessus du sol , fabriquées avec des bambous, | 
et couvertes en chaume. La partie inféri ieure sert de parc : aux bes- 
tiaux et aux volailles. * HAE 
La prostitution paraît être une chose rare dans cette colonie j 
mais les liaisons de gré à gré y sont généralement admises; et ; 
une femme se croit toujours très-honorée d’être la maîtresse en 
titre d’un officier espagnol. | FA j 
La relâche de Samboangan est excellente pour les navires, 4 
qui, venant de Manille ou des mers de la Chine, se dirigent en- 
suite vers le détroit de Makassar, pour gagner un des passages des: ‘À 
îles de la Sonde ; elle l’est, surtout, pour les baleiniers qui établis- 4 
sent leur croisière dans la mer de Célèbes. L’eau y est de bonne 


qualité, et s’y fait très-promptement ; l’on peut, facilement, 
et à un prix très-modéré, s’approvisioner de volailles, de bœufs, 
et de cochons. Les légumes seuls y sont rares, et l’on ne saurait 4 
guère se procurer autre chose que des courges. Les bananes y ‘ 
sont abondantes , et de bonne qualité; les cocos s'y trouvent à 
profusion. | 
Les habitants qui forment la colonie , sont au nombre d en 
viron sept mille, dont trois mille habitent la ville propreme 
des ils ne sont soumis à aucun Aie peRenRsE ni HG e 


CS TE 


É NOTES. 319 


et il était réellement impossible de les en dégager ; c’est celle 
d’un médio (environ six sous de France), à laquelle toutes les 
personnes , sans exception, sont imposées, pour parer aux dé- 
penses, et soutenir ce poste de déportation. 

Tous les membres de cette colonie professent la religion catho- 
lique, mais ils n’ont évidemment que l'extérieur de la dévo- 
tion ; ils assistent aux offices et marmottent des prières , plutôt 
comme passe-temps que par conviction ; naturellement pares- 
seux et mdolents, ils ne se livrent à aucune industrie, et ont 
besoin d’être constamment surveillés par les personnes au ser- 
vice desquelles ils consentent à se livrer momentanément. Du 
poisson , une poignée de riz, et des cocos, voilà la base de leur 
nourriture, et ils ne pourraient se résoudre à faire la moindre 
chose au delà de ce qui leur est nécessaire pour s’assurer la pi- 
tance de la journée. Ce n’est pas cependant le terrain qui 
manque ; 1l est de bonne qualité, et n’attend que des bras et du 
travail pour produire-et rapporter de grands profits. Chaque 
individu peut en prendre la portion qui lui convient, pourvu 
qu’il la cultive et la mette en rapport ; mais si, après deux ans 
de possession , on s’apercoit qu’il l’abandonne et la néglige, elle 
lui est enlevée immédiatement ; dans le cas contraire, la pro- 
priété lui est acquise, et au bout de dix années, il devient le 
maître de la vendre , de l’échanger, et enfin d’en disposer sui- 
vant son caprice. 

Je-me rappellerai toujours avec un vif sentiment de plaisir le 
séjour de Samboangan , et je regarderai comme une des plus 
agréables circonstances de ma vie aventureuse; celle où je suis 
entré en relations avec monsieur le lieutenant colonel Sanz, 
et messieurs les officiers de la marine espagnole, /a LAS et 
ACha. 

Je ne dois pas, non plus, oublier le curé de cette station, 
homme jeune, instruit, d’une tolérance bien entendue, et pos- 
sédant des mœurs parfaitement adaptées au mandat sacré qu'il 


. sont suffisantes pour arrêter des hommes qui viendraïent l’atta- 


NOTES. 


du is dons la ne * ce ministre qui, à une in ee 
struction solide et à des connaissances variées , joignait une V5 
politesse exquise, et une douceur de caractère réellement 


évangélique. ; 
fol (. Jacquint. is 


Note 22, page 939, 


Je ne descendis à terre que le soir ; nous débarquâmes à côté 
du fort, petite forteresse en pierre, armée d’une douzaine de 
petits canons, construite en forme de rectangle avec un bastion 
à chaque angle : à l'époque où elle fut élevée, elle était suffisante 
pour repousser les Maures dont on craignait l Lnse mais elle 
ne résisterait pas, dans l’état où elle est aujourd’hui, à à quelques À 
volées d’une corvette. Près de là on passe la rivière sur un 
pont ; son cours , qui suit presque parallèlement le rivage, sert ‘à 
de fossé d’enceinte à la grande place qui se trouve directement 


sous le canon du fort. Au delà, le rivage est garni d’une en-. 


ceinte de hautes palissades comme celles des villes malaises, qui 


quer sans artillerie. La ville, qui est presque entièrement com- 

posée de cases en bambou, est bâtie régulièrement; toutes les | 
rues aboutissent à la grande place et sont parallèles au cours de» 
la rivière. On remarque seulement sur la place quelques mai- 
sons qui se distinguent des autres par de grandes galeries avan- 
cées, et des murailles blanchies : ce sont celles du gouverneur, 


du commandant de la marine et 1e PONS 


“NOTE A ee ET 
ane. “peuples d or 19 ine DE paie de « contentément et de 
bonheüt q qu on reuarquelt sur tous | es visages compensait avec 
avantage l'absence de ja de richésses a et de cet immense mou- 
vement commercial des colonies voisines. Après avoir traversé 
toute la ville, ; je profitai du reste du jour pour prolonger ma pro- 
menade dans les environs. Le pays, par sa beauté, la richesse et 
la variété de sa végétation, répondit : à ce que J ’en attendais 
je pris un joli chemin suivant le cours de la rivière qui je à 
l'extrémité de la ville, tourne presque à angle droit. D’un côté 
se trouvait une plaine fertile parfaitement arrosée et qu'on pré- 
parait alors à recevoir la semence du riz, et de l’autre côté, 
des vergers plantés de cocotiers, de bananiers et d’arekiers, 
_de nippa et d'énormes manguiers, au milieu desquels étaient dis- 
persées de jolies habitations. Partout en passant, j'étais accueilli 
par les buenas noches des Indiens qui circulaient ou qui prenaient 
le frais sur le devant de leurs maisons. La réunion de celles-ci : 

répandues sur un espace de près de deux milles, forme un village 
_ considérable et très-peuplé, qui est en quelque sorte le faubourg 
de la ville. 
Lemonument principal de Samboangan est l’église, qui estsituée 
à une des extrémités de la ville ; elle a l'apparence d’une église de 
village et elle est isolée sur une grande place; c’est un grand bâti- 
ment surmonté d’un petit clocher carré, recouvert d’une toiture à 
deux faces, qui laisse apercevoir la cloche. Près delà, sur le bord 
de la rivière , on a construit un petit belvédère où se réunissent 
chaque jour, pour prendre le frais et se communiquer les nouvel- 
les, les notables du pays. M. le lieutenant de vaisseau Acha, qui 
m'avait accompagné, m’y présenta le soir même, et j’y fis d’un 
seul coup la connaissance du sergent-major de la place, du curé, 
et de deux ou trois autres personnes qui étaient avec le gouver- 
neur, les seuls Européens du pays ou plutôt toute l'aristocratie 
de l’endroit. Chacun d’eux s’empressa de w’interroger sur les af- 
faires politiques de l'Espagne, à laquelle, quoique exilés, ils pre- 
L'ALE 21 


322 NOTE 
À EC . É Ê LU 
ient le plus vif intéré et nous nous tous ensen 
heu TL F ai 530 rt, e RLRABIRE * nous mire HAE ENT PA Mad à 
suivant habitude, à deviser sur son avenir, malgré le 
DAYS Jijel ÉTAIT rer ei & si CIO Ajé ISF ERAEENL IQ ÿys 1” + 
données que nous avions pour cela. Don Carlos, . comptait 


{SQL AL i (RRFTER 3 3 3) LP LOC ILOUX DS, SRE ©h33 JISS 


Ra eux aucun artisan, el chacun d'eux s ’exprimait sur son 


FRA AIOUVX HU ED LAÎERU.N Cora LEE 


> compte avec ‘cette liberté d’ opinion qu’ on ne rencontre guère 

CAC 5 À RU ago, LE * # Gi À AIR 1 

que ‘dans des colonies, où J'ai toujours remarqué combien l'in- 
ne ES | EVE 


dép dance de l'o opinion Le ; Contrastait avec la dépendance à la- 


1 Diiot 


‘quelle Les condamne leur position. | " 
£ &; ID sisivia 61 35 exist : 
| (M. Dülot) 


Note 23, page 239. 


, ‘A forteresse de Samboangan est un carré bastionné, assis sur 

‘an terrain bas, à environ 50 toises du rivage, mais le fort, qui 
est d’ailleurs très-mal armé, ne bat que très-obliquement le bon 
mouillage, et n’empècherait pas un débarquement au Nord de 
la ville. Il a des murs en pierres, sans fossé : seulement les 
fronts du Nord et de l’Est sont protégés par le ruisseau cana- 
lisé, qui les contourne, avant d'aller à la mer du côté de la 
pointe Sud. 

La face qui regarde la mer se prolonge vers le Nord de ma- 
nière à former contre le fort une nouvelle enceinte qui est com- 
plétement ouverte du côté de l'Est, et en partie du côté du Nord. 
Cette espèce de camp retranché, fort incomplet, servait peut-être 
de refuge à la population du village et de la campagne, en cas. 
d’attaque de la part des forbans de Hôlo ou de Mindanao. C’est 
dans le même but qu’une palissade s’élève le long de la mer pour 
protéger le village. es 

Ce n’est donc point une véritable colonie que nous avons sous 
les yeux ; c’est un simple poste militaire, établi sur la côte de 
Mindanao pour contenir les peuplades . féroces et belliqueuses 
qui l’habitent, ou pour réprimer la piraterie. C’est un présidial 
pour les criminels, et un lieu de relâche pour les vaisseaux. Si Fe 


LA 


NOTES. 323 


tel est le but que se sont proposé les fondateurs de cet établis- 
sement , il faut convenir qu’il est assez bien rempli, car la for- 
teresse qu’ils ont bâtie sur ce rivage suffit pour en imposer à 
tous les forbans. Mais pour être en état de résister à des forces 
européennes, il lui manque un fossé, un chemin couvert et 
quelques dehors, surtout du côté du Nord, qui est la partie la 
plus faible. Les approches par le Sud et par l'Est ne seraient . 
pas faciles, à cause du circuit de la petite rivière et du terrain 
marécageux qu'elle parcourt. Plusieurs postes ou vigies établis 
sur le rivage et dans la campagne servent à surveiller les praos 
- malais et hôlos qui voudraient tenter un débarquement, ou les 
tribus de l’intérieur. Ces vigies sont de grandes cages en bois de 
19 à 20 pieds de côté, perchées sur des poteaux de 10 à 15 pieds 
de hauteur. Elles sont occupées pendant la nuit par quatre ou 
cinq miliciens armés de fusils, qui seraient obligés de les évacuer 
à la première sommation, sous peine de s’y voir brülés vifs. Mais 
les indigènes ne sont jamais assez entreprenants pour troubler la 
douce quiétude des Espagnols, en s’avisant d'allumer un fagot de 
paille sous ces guérites aériennes. | 

_ Le village construit en lattes de bambou, à la façon malaise, 
se déploie sur quatre rues parallèles au rivage , au Nord de la 
forteresse dont il est séparé par une esplanade sans arbres. Le petit 
canal formé par les eaux de la rivière n’a que sept à huit pieds de 
large. Il contourne le village par le Nord et l'Ouest et se replie 
ensuite pour embrasser la forteresse; entre celle-ci et le rivage se 
trouve une large baraque, partie en planches, partie en ma- 
connerie , pour loger les prisonniers qui sont en petitnombre. 

Il n'existe à Samboangan d’autre construction en pierres, 

_ qu’une petite église située à l'extrémité du village. 

Les montagnes sont couvertes de forêts qui fournissent le 
teck, et plusieurs autres bois de construction. Le cannellier y 
croit aussi sans culture , maïs son écorce est moins aromatique 
que celle de Ceylan. Les torrents charrient de la poudre d’or 


32% NOTES. 
que les indigènes recueillent en petite quantité par des lavages. 
Quant aux mines de ce précieux métal qu’on suppose exister 


> à 
4 


dans l’intérieur, elles ont encore échappé à la cupidité des Eu- 
ropéens. Les peuplades nègres ou mahométanes qui habitent le 
centre de Mindanao paraissent s'occuper fort peu de l’exploita- 
tion de ces mines, car il n’en arrive que de faibles produits. On | 
peut supposer toutefois que ces peuples sauvages ne sont pas 

tout à fait étrangers au travail des métaux. Leurs sabres, con- 

nus sous le nom de campilangs, sont fabriqués par eux avec Ë 

les vieux fers européens qu’ils parviennent à se procurer. Ces 
armes, très-estimées des pirates, nous ont paru d’un bon tra- 

vail. 

On n’a que des données fort incertaines sur la population 

de Mindanao. S'il faut en croire les rapports des missionnaires 4 
qui ont pénétré dans l’intérieur, les premiers et plus anciens 
habitants de cette terre appartiendraient à la race nègre, la 
même qu’on trouve dans l’île de Négros et dans l’intérieur de 
‘île de Luçon. Dans le cours des treizième et quatorzième sie- 
cles , ils furent refoulés par les invasions de plusieurs peuplades 
mahométanes venues des autres points de la Malaisie; celles-ci 
occupent toute la partie du littoral qui n’est pas au pouvoir 
des Espagnols, c’est-à-dire toute la côte sud , depuis Samboan- 


gan jusqu’au cap Saint-Augustin, plus une partie de la côte 
ouest. Ces peuplades, groupées sous la domination de divers 
chefs ou sultans, se livrent de temps en temps à la piraterie, 
qui fut sans doute leur preinier métier. Les nègres de l'intérieur 
vivent à l’état sauvage, sur le bord des grands lacs, rançonnant 
et massacrant sans distinction les chrétiens et les mahométans 
qui osent s’aventurer dans les montagnes. | } 
La province de Samboangan est gouvernée par un chef mis … 
litaire aux appointements de 2000 piastres , à la condition ex= 
présse de s'abstenir de tout trafic ou commerce. Les états de la 
Real Hacienda portent à 10,000 âmes le chiffre de la population ; 


#4 - ‘ V Rs cf 
| Mn 7 le N'INRÉRUE" 
œ & > s PPT DES PP 


NOTES. 325 


mais l’état dressé par la mission des Récollets qui régit cette pro- 
vince , ne lui donne que 5,700 habitants. Voici cet état détaillé, 
qui sans doute ne comprend que des individus soumis et con- 
vertis. ; | 

PARÉSMES RRQ lee AT 1/28 


Lr PSN ER Re PR En te #08 
D LES ETC OR TR A RS AS er 


Province de Samboangan. 


Mariés de toute classe. . . , . . 1613 
Veufs-et veuves. . . . . sa 259 
de communion. 4. . 4512 


élibataires : b 
Senre de confession. : . . ‘792 2 


Enfants des deux sexes. . . . . ,. 41501 : 1 48391 
Espagnols. e ° e , Ê ° e (2 ea — (0) 2: 3 + J É FAI 
Chinois établis. .: .. : . . . , 48... spgup 5h 

Total. , . _5f04si sb 35 s56ïœ 


C 
Paictl SL œ Le 


. 1 
Si les nouvelles conversions (qui d'ailleurs paraissent assez 


Jq SHIOEO SHSQ Su MOT. 

rares) ne sont pas comprises por une onne part < dans le chiffre 
IOY COUT À si. re Le ET * 
283 donné pour les baptêmes, il faut croire que LS naissances 


À f: 
: &LEO" VE 


doivent l ns ADP sur les décès. 
nuiqoELsid Sub. 

Quoi qu'il en ‘soit, ‘cette population est Don Gers es 
$5b s2oqmos 5e , 881 56 dy 

ou dix quartiers de la plaine, et “Jon à. oué Duel P 1 e 
SINAGUI 6 SD JnEDABLEr EE 231D$o{1d E 

2000 poids dans | le vi age ucune contri uton ne pèse sur 

Ée RO 1bvil ZUSZAI) Sb ASIN HILSe 18% 5b SERIE 
s'HAbitn su , de fa ait Sralent ortembarrassés pour fivrer 


na PR easb #30 qgns » SILUSIGSOUS NO CYHOÏSITTIeNON & 
aux agents du fisc autre Chose que du riz ou des cochons. Il 


5) 

existe cependant ici un agent de la pots ral qui est “ta 
poeelnse 9 HÉEMIET 

de percevoir les deniers royaux et de} payer les Us mployés. Où uel- 
191L8. € 

ques droits sur les boissons et le tabac, qui est ici di un ire 
199 J1xOçBEE 38) aus & silihoh &f sh uo Sisiolos sara gl 

général, ne suffisent pas pour couvrir les dépenses de cet éta- 

… b S14918 

blissement. Mais il faudrait une population plus nombreuse , et 
2OHÉGTIQRO D 

surtout moins indolente, pour étendre les cultures, et tire parti 
CINE) SIE 5 

de ce beau pays. 


auensissil-essoe OT 


826 0 CONÔTES 


La garnison de Samboangan se compose de deux ôu trois Res 
gnies de métis ou tagales ; elleest au besoin renforcée par un corps 


de milices, de force à peu près égale. Les soldats, régulièrement 
payés par le trésor de Manille, sont assez bien vêtus. Il en est dé. 
même d’un détachement de 50 à 60 matelots formant l'équipage 
d’une petite goëlette qui est en ce moment désarmée à l’embou- 
chure de la rivière. Cet équipage est réparti sur les deux cha- 
loupes canonnières ou felouques qui ont aidé nos corvettes à … = 
gagner le mouillage. La tenue militaire et la propreté de ces 
embarcations font honneur aux deux lieutenants de vaisseau 
de la Cruz et Acha , qui n’ont pas oublié les bonnes traditions 
de la vieille marine d’Espagne. Ces chaloupes, à demi pon- 
tées, ont sur l'avant un canon de bronze de six, établi à côté du 
mât de misaine, sans en gêner la manœuvre. Un détachement 
de quatre canonniers et un caporal est chargé du service de cette 
pièce et de la ‘garde du bateau. Sur le plat-bord sont établis 


six pierriers du calibre de une et deux livres, et sur l'arrière se 
q ‘& 14 ls £ 
trouvent une petite cabine por un officier et les soutes à pro 
ES LA +6T (14 
visions. Ces felouqus, voilées en chasse-marées , arment vingt 


2H is 1) ar: è i 


avirons. , 
D fITÉFCRAFESO(É à 


La + marine des Philippines, suivant l'état donné par l'alma- 


desrct Fiiate HAE noie of Aion, dre rs 


nach de 1838, se compose de : e 
br ve 3 à heprrs ï. it d ia aie cg ci sl PAATÈTEIED. * 
1 riga ier , co man ant e a max ne 
ga ma - 1 rin 21 sacfà AMIS 


capitaine de vaisseau chargé des travaux hy dis graph 1iq es. 4 


Ya tTr} É pi É eo pr 1128 +rei sh à DORE ua enf 
1 constructeurs ou Rare : employés CR l'arsenal de 
2TTLETS D: 298% 10 pri V 2461 OMATITE O7 it ft FIAaUR Mise Y ; 
Cavite. r D 
nes cris ?e on Te 51 f: br EE 17 sk Ah tr 136 star Foi ra haqan toire À 
9 lieutenants de vaisseau. 
iprere ni cé nb 15 ti: pot ésntnts sal ORAN af | 
2 Aie ; 
OUERrE ARE D EN 293 Hrp  # ele af.42 ronsstod esf tre ohiosh au à 
a marine coloniale ou de la flottille a un état major com 
: : à dan ah 20045 AA! “crsuiro THIOCF 28 tisonfléra ALES GR OTIE 34. 
posé de : 


srlotac rs mnitsls SECTOR ACEFE TE “biret fi CTT traceoeefet 
6 capitaines. 
taeug touts Qonttlsés onf abat rarocg atitalohet ation trrotecra 
8 lieutenants. TA t R 
: pe start ox 6h 
10 sous-lieutenants. F) sh ps 


\ 
» 


2ATOA ges 
NÔTES. 397 


rate Det HEINA4QTO farpont ,: (royone sbinalnt marrswrreg 
ous n avons qu'à nous louer de l'accueil que nous avons 
too pit Danieot Aron 69 92 x? CHEN ND IF ENŸSEENTARNEÉ 
‘trouvé à Samboangan dont les autorités se sont montrées 
\ HQE gronr 9 Lie RL EL & Hero La RATER 2H RTE sr 
pleines affabilité ét d’ ‘empressement ; toutes les ressources et 
[re FES 2 RU Adrlrel enrpes [29% ati ,f DEV KITRVOT PDAAIN D'aty 
les mo ë s ravitaillement que peut offrir cet établissement 


DEADDEGANTE À BIO LS FC LT ITLLAT 


or D FSRTTE { TERRE ON FE) FE 

ont été mis à h disposition des corveltes, La POP pulation a été 
nhive) hr AUEEE ï Icyox srrrereten À CET re rh 19 Sn 
bonne et hospitalière pour nos bi La relâche de Sam-. 
tre) ide} tr + Per Ê ON FE: FAR ENDOR mn É- aÎn0 x  morpaors trel 
boangan est pre ne. our les navires ul descendent 1 1er de 
4. À 

BTE ani D aYe SES > SE ro, RÉ EN SÙ ir TE Le (RE VATÉONITEÉ 


12 
Chine ou qui € erc ent à remonter à contre- HA RENEN Et Jassant 


SET TINCRSER F8 DCI VF] STI E ER 


\3artt 


= par a DATE ILES APCE 
r le détroit de. Basil an ; ist trouveront sur ce point de Min- 


# ES En AE 
Érail «oh »3ITE oMentob SUR ocre 29 TI F Ë 


anao un air pue > une ‘bonn ane laiguadé et des vivres f frais spots, ‘ 


pire Frot als : Pro LAINE © »rF2: 3 MYRES 
lé Apaee à assez bas prix ; on peut ficileent s S'y pouryoir de 
FtLOPATÉ CEE si bal: bacmnronss DEF ont Doit 8 ACOUXECT 
bois de construction pour réparer des avar ies , et iéin trouver 
- nah, Aa3lligsoas pal sUILUIEYEIT ei Srrp pal BCE PA JÉVZLL 
des bois propres à a mâture. Les forêts Qui couvrent les mon- 
pal one ani los nh irncoas rain 2 Mn 15 res 09 SAIT 
tagnes offrent ne assez grande abondance de gibier, surtout 


-Pah 29 +ros BEEN, BOF OP re Rp tRES SN dorer eff Fr ro old AFF 


des EE et plusieurs oiseaux bons, à manger ;. elles sont aussi 
ï » SiaE 


SrL£iu>® trio CE F 
ariannes et dès En possessions dans cette partie 
osurevé E & ssornsatàh juoz 

du monde, est confié à un chef eue qu, au titre de gouver- 

sraraifto, F» CE PES EE RISAINSATEE 2 .Nidarrég Dr ed bae(t 

neur, réunit ceux de président audience (uice ätrone real), 
marrn 2npunand.sb & te A dron. AË brras sarrotos ALT LONTLETTIL 
de juge-coi missaire e la ferme des postes , ee directeur des 
a tan asbhrraseg ah aride }52 cvarre ar TL : spdrntend ab ons 39 
He et de capitaine général son autorité embrasse tout ce qui 
ab sosretenmtrs Daflrrg are} RAILS #10 er ro ARRCA RECETTE 

dérive de e titres, tant pour l'a administration que pour la dé- 
Lis as Sa 53115 .no7e ANT s dioh F5 : oùerbSnctnret Sflatert 
fense et la s sûreté u territoire. esi F sont divisées en provinces ; ; 


; bg 5 F9 fIIr LED sabre cri se gore yalee ke: Ste re + 
à Tai iète de chacune d'elles est un ci ï su rt qui à à le titre de 


FL ? ct et 


celui des 


à) un j£ proc ques ETAPE TA +? : arr: SEE “EE sal ts Die LE +9 
lées d’une petite espèce des Singes; mais il est bon d de ne pas 
F9 AE TU shral ere 20971 à : PAIPAOÏIR DFA 29H98 
eu s'engager dans l'intérieur, à moins d’ avoir es gui nes Qu- 
d' xa2 plie -sbrlliyr ah cosceor son 53 LE EN LIÉE | a drop VENT after 
Ps en for ce pour repousser les sauvages au’ on pourrait Ten- 
De =lerrarmnr Smotierdertie ol ont à Fiie nono 26137 9't 
contrér. : x EE 
#$ 22 tre à rat orneh ner 5al tratoioze b ale TETE te tx Fi fo f 
: ; (MW. Roquema urel. EN 
ire air . mrraroilsr Barry + EE 07 cafrs AALTETANDSO & eo ntisr js AR 1: 
er D olaet vriah ab sole “rhgrrt naf Erin pattes bah trrap2ren 
[02 
pal wrroegs patri nie 2%, p ARE A da procedih 241 tro 
ap ES 5allares pr BODIFER D unir +arahsner nfr spavtire 
| La fon ation de fille date ‘de deux EE soixante- uit 
IT iront ah 14d1 ai RE LU TEL aie 5 nf: affarpé ra 
ans. nn de Luçon, d 1es Î es JÉRRICE* Jouer à 
PANNE h prrvcar NIK 


328 NOTES, 


TC 2ATC 


gouverneur (alcalde mayor ) ; lesquels exercent une uen 4 


ONE à up H3uoss# Et si 9H 0 éUONN 6 UP éHOVE  ENO 
administrative et contentieuse en première inst nce; ils sont 


29 joue 234 {n0b TR NE Pau INC L AYHO  : 


JO)Hr 


lande militaires . ont à leur ch aarg Ep uyremen nt Fi 
Se À lg 


JAIOLAOE JE 23190 : MOIS TIEU: 5 D és 
des deniers royaux sous leur responsabilité, garan ie par cau- 
10) 399 HO FE SUD HUSLES Are HYST 59.6 19 Y OF e3l 
tionnement, et sous Le inspection du commissaire général de l’ar- 
isvr08 23b notfisogab #£ Ë eltit 319 J0O 

mée et du directeur du domaine royal. La province de Cavite 
‘E j ISFSELE BON HEOY SY3h F5 qOL 35 SO 

fait exception à Ja règle, e recouvrement de l'impôt À étant : fait, 

vit 25] 146q Ken HISI IS ILE 31864 

aujourd hui par un teniente, ou délégué c e la justice ma Or. | 
Hot £ JOSIS IS) LE NO > SAT 

-Chaque province ‘est subdivisée en pueblos, communes ; cha- 
; Juo1a HO 8h": 8) est 5 HOrISE Si "15% 


cun d’eux est administré ] par un gobernadorcillo, avec des lieu 


HO ; JÉEOLS GÉHLIOCE SH na H£ HE OSLR 
tenants et alguazils de justice qui sont généralement Po 
IX BC See paie 
parmi les indigènes les plus récommandables. ls em lissent, 
SOS CEUOU ONE EP IUEE Gi} 10 
5 à 
diverses fonctions , telles que la surveillance des semailles, , 


8)910E 98  SÉRSRTRE FA B 51 Le. Dan €3 
cultures en général, et tout ce qui ressort de la police, ans les 
“barre Xe ct JU91HO eus 
pueblos où il y Y à un nombre Aion de métis, » Qui sont les des- 
1553210 ATIKGIÉLIEE 39% EL 19 62 
céndants des Chinois et des Espagnols, ils forment une peuplade 
ot 12 MIA né ob : 329449 31554 SEE E a 
séparée et feurs autorités sont prises dans 1 jeux pobee sein. Les 
Li D, NOÉ E ND, 1500600810 OS 
gébernadorcillos à sont à peu prés nos maires de villag E ils sont 
L'HHIONS TO) ETE) #2 3906 7EI Ge ji 'Yreo re Y'E LOU din 19 S'Li9 
revêtus comme eux de toutes les attributions municipales, avec 
NY HI09 
l'obligation spéciale d’assister les curés dans tout ce qui est re- 


latif au culte et à l’observance des préceptes religieux ; ils con- 
naissent des causes civiles jusqu’à la pes de deux taels d’or 


pour les Chinois et de CumaatélquAtre pi Qfres fortes pour les 
autres; ils procèdent, dans les Causes criminelles à à | DRE 


[O2 1139. XD b 


par laquelle ils sont tenus d informer le chef de la provi e. Le va 


.# S311L £DE f on XL JOLIS V ve | eL 


leur est permis de percevoir : à leur pool certains, 
DéeOC 9er vi CECNTTIN ET der 


sont déterminés à à Fonrnce ge 
#11} 6, 51H 1. jili sus loto nus ñ 3109 as. FT 


Dans chaque puebl 0) il existe un certain nombre d'officiers 


SHOT sibuetsbusbiesriq 5b 2429 FAO 


municipaux désignés sous le nom de chefs de barangas , Ou car 
e9b 14919941 5D ; e21400 46h Stat 868 5b S'RPREL LEE 1OD-HOLIE 5h 


bezas de barang as : : chaque cabeza est oblig é de prendre soin dé sl 
OI Lt0e : IC19n90 SRUTTe ee js a 


bEl' 2 99 HO TA 94 LES “Ji 
quarante-cinq ou cinquante pars tributaires, dont il à 
»-p} OCT SEE ne tr 38 E “EO(T en ET ee Gi» AR 


tutelle immédiate : il doit qe ex A ab elles dans la € et ss 


+49 0GLIUTE Ho cooelib to & t 5 SHLOHPIIS HS Gite 


artier signalés, veill er au bon ordre, artir entre 1- 
de YHit: per #14 FIV19) it Le Qi 149 À RS SAHIBE, He 


EP 


NOTES. 329 


nistrés tous les services qui intéressent la communauté , accor- 
pa D re jusviob eisbibmgeg 254 .x10v esb 

der leurs différends A Per EVE impôt, et en. verser le montant 
-0a 5) 5h saasyoun Déesto £ GS. HOIfS1 

entre les mains du gobernadorcillo. Les cabezas sont les procu- 
loussc es | RS 109 SL 1° 

reurs nés, et, plus est, Les protecteurs de  Teurs barangas 

3 “50 il | 95) € NE 
dan toutes les is qui regardent la communauté. Les douze 
SETSY LEE S%: frite à FODOUTI .: 


og s} £ js 
plus D puce ‘chaque village ont seuls le droit de voter les 


139 LE 33; OS S£ 1 : 
pour du gobernadorcillo e et des officiers de justice; ils pré- 
3iob 3JQY, Si sel Co À « Ë 2533 
sentent à l'autorité supérieure trois candidats aux fonctions de 
er DOI 18 SDISTIA 25 SiisetlL009 5 16-36) ED 


Fi 11 


90 rnadorcillo, et ceux- ch, avec celui qui vient de cesser. ses 
Dust F0 su 5! sen b TEE S9AIVO ji 
fonctions ; p rocè ent à “l'élection des autres ‘officiers , tels que 
mitie Gi V5 DCE: BEBT Si Ge LENE EF 40 3 SL 1,2 Ë 

lieuténants, ale uazils et autres agents. es 
ep L 13V- 69" ie 5 15367 59 5 
an, époque antérieure à la conversion au catholicisme, ; es 


ni ÈE furent sans d doute 4& éditaires ; au) jourd lhui ‘elles. sont - 
Héreienres et. has Quand cles. viennent à yaquer faute 
lhéritier ou par suite d de démission, 1 le remplaçant est nommé, 

r le surintendant, dans les provinces voisines de la Capitale, 
113 j15113:; H e3l 35 e HSLESVSS di 


et dans celles he. par les gouverneurs, mais toujours sur 


la proposition du Phare ce des : autres s cabezas. 
FASVASen0S 9 JO els 91): 


! } 13 
12373  J 


recouvrement ‘des déniers royaux, sont exempts d impôts. Das 

quelques provinces, ils restent en fonctions | troi is années, et si 
M “gestion à été fidèle et | | consciencieuse, 7. ils sont reconnus 
comme les principaux de 1 leur village, à reçoivent tlet titre de ca 
bezas parad a Loxes (chef honorable ) : etla qualification de don 
leur est De. Ce sy stème, quoique libéral, # a Je grave incon : 
vénient de soultiplier pue classe privilégiée | qui est. exempte | de 


Shen 


Ÿ AUS 


char mes personnel Iles et augmente par cela même e les charges du 
33 CHASASTIND jGe Lj 255 JEIS 190 L£ LEQ . FÉES NI Q ë 
olétaire. 
ein 2535 3 OL Gi ji: 319 Si ! SITES 
Les emplois de in PR cillos, ieuferahts et alguazils de 
Sols 15604514 035 550en( 5b nedoipoil air olisiobfarador 


justice sont annuels et toujours électifs, sauf l'approbation” de 
21 2i55pe5b LIESY 5 SLT 654 5% 31109 10° IANSHISAIIVEOS Su 
l'autorité supérieure ; ; les élections se font au commencenient de 
-ffFOU 34 SOLE »28) LISE O APPEL 252 © SEGA DITES * 53) 30591325 
Fe 1e année dans la casa real, hôtel- de- ville ; les électeurs sont 
Label a Gi TIGE TIR SP IE #11 ae F4) Ge 25 400% Bad 21911 
le gobern 24 dorcil illo quittant et les douz us anciens cabezas: on 
Je 21Hp451 LHI1EQ . SXISTF “à HÉrre LES }fiOe #1H93)95 315 


# 


330 NOTES 
“+ el ATP Tel ti Lut r SFNTNTR auf attot x 
élit à la pluralité ds voix. Les ‘cand didats doivent cu d” 
tin 19 lôc 112 L'OTAN", ah h de la À 
certaine considération , appartenir à la classé moyenne de la s0= 
etes al _offiorohenisdos rribarce CTRETIT 
ciété et savoir Parker, lire et écrire correctement l'espagnol. 
Î QAIJOIOSANEE 2 PONETTIÉ f, 1470. Î%  AHONANMEENF 
Quant aux autres officiers de ee on en ‘élit: un par C aque. 
LER EAN frohiresy top avuels 291 rot en 
assemblée, j jusqu’à à conr léter le nombre qui revient à la popu- 
ta 50 fr 5! s9% Fr BÉARET RER EN a5 gctar REFES ASS ‘F 
lation , soit par la même He Soit par, e ‘comité électif des 
NY] Dr } 213 DE aitre nb REV | (ARS LE à 2HrOt AA 
sobern labs fo comme il a été dit plus haut. e vote LA 
TAN AR» FÉA bibrieo z PER D'AITOINOOEITA AOL ‘f fe + cr 
être secret, Végatisé p par le commissaire et présidé ni le chef 
32 ‘1922 Li OUR TIRER RIUÉS naze 4 At) 13 Pr ESS de N 
la province ; il est perinis au curé d’ y assister s il le juge conve- 
aue 2iot sante parie 2 h conrtaat F barnbôndoc BOT Dt ï 
nable , pour représenter ce qui lui semblerait bon et non pour 
Ve SORTIR E 145 A FE 5 als FE shreR en tant 
autre chose : il lui est interdit de voter. Le procès-verbal des 
CÉFDEUIOUIERS 1FÉ (MOSS ANT NE CORTE Ve L RENTE at COPETEE 0) 
élections est remis, scellé, aux chefs supérieurs pour les pro- 
Let terel Hrure NYSE © m9 Aatibie rl ateroh 21e fervent 2 DIN E LATINE 
vinces ds Tondo , Balacan L Zambales, Balaan, Nouera, 
d 917 3 bager(» pavshaals te : 2asictés RU RE 
Eciÿa, Laguna, Batangas et Cavite ; + les autres provinces 
DIT ÉLOLE 2 TES tof c ALT S ÉTAOR re M Fr 
trop é Oignées Q la ce ca telles que | es Marie- Anne, Min- 
sit à ef ah oasrraton easfirrone nets .Faebar: SH ETS 5k: “Eet - 
danao , les gouverneurs RTE, candidats et les mettent en 
15 Ha tie Sreré ERTIIOS À et Fer 2330490 œ 231199 ecteh Æ, ne 
possession de leurs fonctions. ‘A 
osse ab 39 offs QE (A her: actes TE snitiae QUE El © 
Les chefs des barangas peuvent être élus, tout en consérvant 
n1 frrou OUAIS AIS DE Pre | Percer EST NUITS ANTEAT ts 2exvi F5 FE 4 
leur ca ezarias et le recouvrement de l'impôt ; car il n’est pas 
oran + og AIRE SAND 80 À CERCLE FROM 
l'ordonnance royale , que les citoyens les plus distin- 

5 DIODES, AFTETE) ACHAT D FES Toe, © RO EENET [be ES €] art 
gués soient privés sde] ‘honneur de devenir gobernador Cillos. F. 
pt GS Frn2 pnsrarsnesdos Ho Alahit aa ques tisof 

Leg gouverneur Barco décida, par He ordonnance ne finars | 
EN VATIS EE AT AN EU Fr ##j COTON CNE DO OCENPONR 
1780, que 1 cabezas peuvent être nouimés a a lorcillos, | 


nterei Fais 


juste dit 


À Qi S iNrlées » fi } i OUI L SON ; |. LR 
pourvu qu'i s ne soi nt en rien CE se HE a 0 
tr ATEN Erebcl assproren Jarre atoya ce: + ri tes ral Fi 
ou aux partfeuliens. 0 
à FETE ; FUICE A8S EN DIT site te ah tas s 4 
"Les Chinois ont la fitulté e choisir leurs magistrats, mais 
vorciln 59 ansôct lac te RAA ta-sall LÉO mater 
seulement parmi ceux d'entre eux qui sont chrétiens et: Re 
EVTTS alor 
une junte présidée par l'alcade mayor de Tondo. Il leur revie El 
af » Lwr rrx AE +5 À SX EST LiDE à PAGE EE DÉS CEANE QUES ah ste Éren ET 
un gobernädorcillo, un Mao de} justice el un premier al 
sb LE HE TE FI PRES pitt ES DUErE Frot + placer Ron. 
zil. Le gouvernement leur confère les titres en vertu des 
af HS TA CES CN OR US Hosni on scrap ai St 4 RTE Fra ài 
exercent leur ‘juridiction ; ; les autres officiers de ju 
ess g'itratna à pal + aifir.ah fatéd not NT 2NER 98 
ment bilangos et sont choisis par le gobernadoraillo en 
AE Se SERA EN SHATITE prrleg : sure D ani Ts texehin rs ésquel ie à 
électeurs sont au nombre de treize, parmi lesquels 


NOTES. 331 


qui vient de sortir, les capitaines sortants et les champanes pas- 
sés et en service. Aujourd hui le recouvrement de l'impôt, ou 
capitation des Chinois, est fait par l’alcade mayor, dans la pro- 
vince de Tondo, avec un contrôleur choisi parmi les employés de 
la Real Hacienda (le trésor). Dans les autres provinces ce recou- 
vrement est fait par les chefs respectifs; un patron tient la ma- 
tricule de la classification des Chinois et il est chargé de fixer la 
cote personnelle de chaque contribuable selon ses moyens. 

Les gobernadorciltos et Les officiers de justice, dit encore l’or- 
donnance, méritent la plus grande considération pour les fonc- 
tions utiles et honorables qu’ils remplissent. Il est prescrit aux 
chefs des provinces de les estimer en raison de leurs fonctions 
respectives et de leur donner assistance dans toutes les occasions, 
et d’empécher surtout que les curés de paroisses ne les traitent 
avec trop peu d’égard. Je ne sais si cette dernière clause est stric- 
tement observée aux Philippines ; mais aux Marie-Anne les go- 
bernadorcillos et leurs employés ne sont que les humbles servi- 
teurs du clergé qui a acquis sur la population assez d'influence 

pour contre-carrer trop souvent les ordonnances des gouverneurs 
eux-mêmes, Partout où : Espagne a fondé colonies, cette dé: 
testable engeance est venue; par sa rapacité, détruiredes. meil- 
leurs règlements et exploiter la religion à son profit. Ce sont 


2% 4 srt 


Yéritablement les frelons de la fable. Reese 


EE PR RE 


à = £ Et 
ACT EN CE ha q or { re ve Es 
2FÉT DFESLrS FAMEANIE DA SETPLEERSEI ! AITQIS 2,8 
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| <: : È D E 5 : 
AfSL EN Le, ED BON TTAVEÉE S 0 srl nsrersat ci Brratcg xErp» dormait s L res 


seit A de oasis 


M4 NOTES. 


Population des Philippines avec le nombre des pueblos de chaque 
province, les tributaires et la population en 18317. 


Tributaires. Total de la population. 


Provinces. Pueblos. 
| Albay. . he 26,349 131,745 
Antigue. . . se ae 11,020 55,100 
[| Balacan. . . . .. 36,394 181,970 
|| Bataan. . . . . . 7,217+ 36,087+ 
| Batangas. . . . . 97,132 188,660. 
| Batanès (iles)... » 8,000 
HÉCATIe ee 2. 18,320+ . 91,602+ 
| Cayagan, . . .. 18,444+ 02/2227 
| Calamianez. . . , 3,230+ 16,052+ 
L'CARIZ ete ere 24,104 120,520 
| Camarinez , sud, 34,794 + 158,972+ 
» nord. 4,997 24,985 
M'ONT TETE 5.995+ 29 29774 Mindanäo. 
| Ile de Negros. . 41,124 35,622 
| Ilocos, sud . . . 47,302+ 236,510 
» nord. . 34,441 + 472,207 À 
Moon. 2 ee 46,082 230,410 4 
| Laguna. ,. . . , . 28,561 142,805 4 
l'élite TS, 18,433 02,165 ‘4 
! Marinnas. . . .. » 8,522 2 
| Misannis. . . . . 5,602+ 34,583+ Mindanäo. ee. 
| Mindoro. . . ,. 5,926+ 29,632 + $ 
uen Ecija. . 8,914 L4,570 | 
1W Pamp pangan. ; 36,344 181,720 
l'Pangasinan. FT 45,880 229,402 
Leanar AT 19,927 99,635 | 
È un ST » 10,000  Mindanäo. $ 
17,049 85,245 
. 230,025 | 
36,080 À 


Zebà. NE 
IROE 51) 1H01q tre 
TOQUXAT S 


250,817 


———— 
3,285.84; ee 
si sb el tascasidstit 


Tor 
«. HiCES 


Le signe + indique les populations mélangées. 


Dans le nombre des tributaires sont compris les métis chinois 
et les non convertis (reservados). | 

La ferme des vins et liqueurs qui, à l’époque de la création 
(1712), ne produisait que 10,000 piastres par an, en donne au- 
jourd’hui 30,000 net, et le produit tend encore à s augmenter 


ar l’extension que prend la ferme dans les rovinces de Cama- + 
P que p P' Fe 


rines et Albay. 


NÔTES. 


. La ferme des tabacs qui fut crééé en1781 occupe 6000 femmes 


333 


et 1150 hommes à la manutention de Binudo. 


Voici ses produits nets dans la dernière période quinquen- 


pale. 
j'£ E FR 
; (ET RRMNNE PR 
se 
18304 11. 
ASS: = ee 


Les douanes ont rapporté net. 
| de 1824 à 1828. . 


de 1829 à 1833. . 
== de 1834 à 1837. 


1,445,027 pesos, 


1,656,054 
1,731,374 
1,833,405 
1,922,259 


625,981 


553,803 
518,190 


id. 
id. 
id. 
id. 


pesos. 
id. 
id. 


Solde annuelle des chefs des provinces, ce qu'il payent à l’état par année 
pour avoir la faculté de commercer, leur cautionnement 


Provinces. Solde. Ce qu’ils payent. Cautionnement. 


BIDAY EE 0 . . " . 600 
CENT. -. |." 2000 
Ilocos sud.. . . . 600 

ME nord. 27.1 :8300 
Marie-Anne. . . . 1800 
Samboangan. . . . 2000 
Momie 70 00.01.26 7900 


- 125 


» 


125 


e 


. 8000 pesos. 


A 
» 


8000 
800 


Défense de commercer. 


Il est en outre alloué 500 piastres de gratification pour les 


embarcations nécessaires à l’inspection des îles. 


État ecclésiastique. 


1 archevêque. . .« Manille. 


Chapelle royale, aumôniers de la marine. 


Séminaire de Saint-Charles. 
* Augustins chaussés. 
Oïdre de Saint-François. . 
Grûäre de Saint-Dominique. . 
Augustins déchaussés. . . . 
Saint-Jean de Dios. :. . . . 
Curés de provinces, séculiers, 
Id, réguliers. , 


- 


3. évêques, . . . Nouvelle-Ségovie, Nouvelle-Cacérès, Zebà. 


7 prêtres. 


27 
138 
119 

. 471 

PEPITT 

41 

«ke 178 

4 07 


I 
PE 


A ceux de la province de RU ne : 420 187 pes. 


_ À tous les AUITÉS CAN 0 NE NES à . Ur AA 


> OS BP + C1 Pæ C1 L 


même que celle des vétérans À. l’armée. 


État militaire des Phiippines. me 


capitaine général, HQE VE : Don André Garcia Cam à 


Etat-major Ë . 
maréchal de camp. | FU ER : 0% 
brigadiers. À DOTE À ÿ 
compagnie de hallebardiers, gardes du capitaine général. 
régiments d’infanterie de 1000 hommes chacun. à .. 


bataillon d'artillerie de 6 compagnies à pieds et 2 à cheval. 
compagnie de génie, 3 officiers, 72 soldats. sr 
escadrons de cavalerie , dont 1 de lancigrs. 

corps d'infanterie de marine de 300 hommes. 


Milice provinciale. 


1°" régiment de Luçon, sous les armes. 

2er id, Pangasinan, non réunis, Van 
3° id. Pampangan, id. LX k 
ÉRACAT E Batangas, ; id. 04 20e Fe 
pe id. _Jlocos, LAN pen, er 
6 id.  Zambales yBataan, id. +. ae ER 


‘ 


« | 
8 compagnies d'artillerie. AE LR 
-  & escadrons de lanciers. | jus 
k id. de chasseurs de Cavite, x d 


NOTES. 330 


3 compagnies de volontaires de Pampangan. 
12 id. de Passeg Laguna. 
600 gardes de la ferme publique, montés, 
État de la marine coloniale. 


Commandant en chef : le capitaine général, gouverneur. 
Secrétaire : 1 lieutenant de vaisseau. 
1 brigadier, commandant. A 
9 lieutenants de vaisseau. 
2 Alferès, 


Arsenal de Cavite. 


1 lieutenant de vaisseau, directeur. 
2.+ ji. id, constructeurs. 


Commission des travaux hydrographiques. 


A capitaine de vaisseau. 
EL : id.  d’artillerie. ê 
2 sous-lieutenants de la flottille. 


Flottille. 
6 capitaines, 8 lieutenants, 10 sous-lieutenants. 


Cette flottille est commandée par le brigadier ; elle se compose de : 


2 goëlettes de 9 canons. . . . . . .  40hommes d’équip. 
1 pilote-boat, armé. . . . . . . . 40 id. 

16 launchas, armées de canons et pierriers. LA PRE (SERRE 

6 falouches, id. 14, 47 {10 id. 

27 falouas , n° 1, armées de pierriers. . 30 id. 
MEN 2 id. LT. 25 id. 
ea 0e 2. Tes id. 


a, 


Total. 68 embarcations dont 35 armées et 1115 hommes d’équipage. 


Iles Marie-Anne. à 


Gouverneur : don José Cashillas y Salazar, lieutenant colonel d'infanterie, 
Sergente mayor : don Louis Torres, capitaine de milice. 


6e . NOTES COS 
La force armée des Marie-Anne consiste en 61 homm 6 


13 officiers et 1 sous-officier et deux tambours. 


Population : 


Apagha. 0 ce NEED) 
Les environs. , . . etre 748 
Dmala 0 0 Ces 241 - 
Merise. 0 ARR SES 
Anater "ETES SERRE 257 
Inaharah.. 7 RTS UNE 
He ROta, ES SCT QU RCE 15527 


Total, . . . 6,982 


Les îles Marie-Anne sont situées à 400 lieues à l'Est des 
Philippines. Leur chaîne compr end une étendue de 150 lieues, 
depuis le 13° jusqu’au 20° latitude Nord. La capitale Agagna est 
située par 13 26’ latitude nord et 150° 58° longitude Est du 
méridien de Cadix. L’archipel se compose de 16 îles, Guaham ë 
et Rota sont les seules habitées. Elles furent découvertes CAR 
1521, par Magellan et réunies à la domination de l'Espagne, 
par Legaspe, en janvier 1565. Elles furent converties au chris- 
tianisme, en 1668, par Savitornés et des jésuites envoyés par 
la reine d'Espagne Marie-Anne d'Autriche dont elles portent le 
nom. Les habitants de Guham sont bons, humains et Horse ‘4 
liers C’est une excellente relâche de ravitaillement; on y trouve 
en abondance toute espèce de vivres frais. L'eau yest bonne et. 
facile à faire ; mais il est Rp de s’y procurer des vivres 
de campagne. ] 2 

3 (M. Demas.) 


\ 


NOTES. 337 


Note 25, page 239. 


L’aiguade de Samboangan est assez commode ; les chaloupes 
se rendent au débarcadère, auprès des débris d’une jetée en 
bois dont on a abandonné la construction. Là , se trouve l’em- 
bouchure d’un petit ruisseau qui vient rouler son eau courante 
dans les cailloux du rivage. C’est un embranchement d’une 
rivière assez considérable, qui , après avoir arrosé les rivag£s 
des environs de la ville, va se réunir à la mer un peu à l'Est 
cette dernière. 

Le ruisseau de l’aiguade passe dans la partie occidentale de 
la ville, tout le long de la palissade qui entoure et défend cette 
petite cité coloniale. Les eaux sont quelquefois bourbeuses et 
_ sales dans la journée. On ne peut guère penser alors à remplir 
les futailles. Pour avoir une eau limpide ,:il faut envoyer les 
chaloupes pendant la nuit ou de très-grand matin : les habitants 
de la ville n’ont pas encore souillé les eaux de cette aiguade, 
soit en y lavant du linge, soit en y jetant des corps étrangers. 
Comme ils ne boivent pas cette eau , ils ne sont pas intéressés à 
_ la conserver pure et limpide. | 

Il y à dans les environs de la ville plusieurs sources d’eau 
vive où chacun va puiser la petite provision de chaque jour. 

Plusieurs d’entre elles sont respectées et même assez bien en- 
tretenues. La plus belle, qui s'échappe d’une roche voisine , est 
entièrement réservée à l’usage de la classe aristocratique du pays, 
c’est-à-dire pour la maison du gouverneur et des cinq ou six 
Européens qui, à Samboangan, remplissent les premiers emplois 
civils et militaires. 

Monsieur le capitaine du port nous fit partager cet avantage : 
chaque matin il nous envoyait à bord deux barils d’eau de ro- 
che pour les tables du commandant et des officiers. 

Le 5 août, tout le bord fut attristé par un événement mal- 

VE. We. 90 


heureux. Un de nos meilleurs hommes mourut du tétanos ; dl 
se nommait Avril et avait depuis un an gagné les galons de. 
quartier-maître. En arrivant à Samboangan, il s’était blessé au 2 
pied gauche en marchant sur un clou. La plaie, d’abord légère, + 
s’enflamma peu à peu, mais elle était loin cependant de nous 


faire craindre la mort de l’infortuné. Le 4 août, sur les trois 


heures du soir, les mâchoires du blessé se serrèrent, et, dans 
la nuit, la poitrine commença à se prendre. Le chirurgien-ma- 
jor lui prodigua tous les soins imaginables , il passa la nuit près 
de lui; tout fut inutile... Le lendemain, le malheureux marin 


mourut sur les onze heures. 


Comme nous devions partir le lénderiath | on enterra notre 
compagnon de voyage sur les sept heures ai soir. Le chef de 


l'expédition donna l’ordre de satisfaire à tous les frais des funé- 


railles ; on se conforma à ce qu’exigeait la coutume espagnole. 


Un détachement de marine , sous les ordres d’un officier, ac- 
compagna le corps du défunt jusqu’à sa dernière demeure. On : 
lé conduisit d’abord à l’église, et après la bénédiction et les 
oraisons du prêtre, le cortége s’achemina du côté du cimetière. 


Il y eut dans cette cérémonie une certaine solennité; on avait 


choisi parmi les deux équipages ceux des matelots que des liens 
de camaraderie où de pays unissaient au défunt ; toutes ces 


figures brunes et hâlées témoignèrent hautementpär leur tristesse 
que le compagnon de route qui venait de nous quitter si ino- 


pinément, laissait dés regrets à ses amis aussi bien qu’à ses chefs. 


On surmonta la tombe d’une simple croix en bois peint. D’un 
côté on écrivit le nom du marin, de l’autre celui de l’A4strolabe. 
11 avait échappé aux glaces australes et au scorbut pour venir 
s'endormir sous la ligne. Qu'il repose en paix... * 


(A. MALE | je | 


(3 


* Le journal de M. Marescot finit à ce passage. Quelques mois après, 1 
officier expirait, et ses LA ETARME de roûte confiaient son cadâvre à je , 


MEPerroreoere LR à v. D. ; 


4 È » ce EE V £ 
TOR TS Es CR Se OR 


. NOTES. 339 


« 


Note 26, page 239. 


Voulant profiter d’un de mes jours de liberté pour courir 
un peu les environs, j'arrangeai avec MM. Dumoulin, le chi- 
rurgien et urr officier de l’Astrolabe, une ‘partie dans la mon- 
tagne, pour faire une chasse au singe. Nous nous mimes en 
route à six heures du matin, guidés par le gobernadorcillo (es- 
pèce de maire), et ayant pour nous quatre un seul cheval. Une 
route charmante nous conduisit à une première rencontre de la 
Toumaga (nom de la rivière) ; il nous fallut la traverser à gué, 
opération qui nécessita une manœuvre savante. Nous avions en 
tout trois chevaux, celui du gobernadorcillo don Leone, celui du 
garde porteur d’une partie des vivres, et le nôtre ; il nous fallait 

donc passer la rivière à six sur trois chevaux, dont un, celui 
des vivres, ne devait passer qu’une fois pour ne pas mouiller 
nos provisions. Deux de nous passèrent d’abord, puis deux au- 
tres , et enfin le cinquième sur les chevaux ramenés chaque fois 
par un des domestiques à pied. Trois fois nous exécutâmes cette 
manœuvre avant d'arriver à Toumaga, poste avancé sur le bord 
de la rivière, à trois milles environ de Samboangan. La course 
du matin, quoique courte, nous avait ouvert l'appétit, et nous 
ne youlümes pas pousser plus loin sans dire un mot d’amitié 
aux poulets froids et au jambon que nous avions apportés. Après 
un bon repas, assaisonné par un délicieux appétit, nous nous 
_remimes en route, et, remontant la Toumaga, nous pénétrâmes 
dans la forêt. Des arbres gigantesques nous mettaient à l'abri des 
rayons du soleil, et nous firent, tant que nous marchâmes sous 
leur ombrage, supporter parfaitement la chaleur du jour. Quit- 
tant une demi-heure après le bord de la rivière, nous gravimes 
les premières hauteurs sous l’ardeur d’un soleil qui nous mit en 
_peud’instants aux aboïs. L’envie d’arriver au gîte des singes nous 


{ 
: 


fait quelques pas sur le versant boisé de ces hauteurs, que no 
ne tardâmes pas à voir un grand nombre de singes gris, courant 


frayée par notre présence, toute la troupe simiaque se mit en 


sur les branches les plus élevées de ces arbres gigantesques ; je 


émoi, et, sautant de branche en branche avec une agilité s sur De. 
prenante , s’enfonça de plus en plus dans la forêt; elle ne par- CN 


vint cependant pas à s'échapper sans laisser quelques-uns de k 4 
ses membres sur la place ; deux tombèrent morts à nos pieds, et. : 


— 16 :nlés dun à 


d’autres, blessés, restèrent sur les arbres hors de nos atteintes. d. 
Poursuivant notre victoire, nous arrivames dans la vallée 


qu’arrose la rivière, et là de nouveaux triomphes nous atten- 


daient. Plusieurs centaines de singes faisaient au-dessus demos 


têtes un vacarme effrayant; mais ils étaient à une trop grande / 
hauteur pour que nos coups pussent les atteindre. Nous gravimes 
une pente presque verticale de la montagne voisine, et, nous 
plaçant presque à la hauteur du refuge des singes, nous ou-. 


vrimes notre feu sur tout ce qui se montrait ; quatre d’entre 
eux tombèrent sans vie au pied de la vallée; les autres, y com- 
pris plusieurs blessés, prirent la fuite. Gette chasse au singe est 
sans contredit la plus amusante que Von puisse faire ; ilest plai- 
sant de voir l’agilité avec laquelle ils savent profiter d’une chance 
de fuite , et la ruse avec laquelle ils se cachent derrière les bran- 
ches. Tant qu ‘il leur reste un souffle de vie ils restent sur Var 
bre, qu'ils n’abandonnent que quand la mort leur fait lâcher 
prise. J’ai vu l’un d’eux atteint de plusieurs chevrotines- sup 
porter encore, sans tomber, deux coups de fusil, et ne lâche 
la branche à laquelle :ïl était cramponné, qu’ avec. da 
Fatigués du carnage, nous regagnämes, Dumoulin et m 


le bord de la riviére, et Sr, le HG ur continuer sa coi | 


NOTES. 341 


_- hous rémimes en route pour retourner au poste de Toumaga. 
Après avoir pris là un instant de repos, nous reprünes le che- 
min de la ville en suivant un sentier différent de celui par lequel 
nous étions venus, et en nous arrêtant de case en case. Partout 
nous rencontrâmes des villages riants et des gens empressés à nous 
offrir le peu que contenaient leurs demeures. Ce qui surprenait 
le plus ces braves gens, était de nous voir rapporter des singes 
morts , et tous nous questionnaient , ne comprenant pas ce que 
nous pouvions en faire. Nos coquilles et nos insectes les éton- 
naient moins , bien qu'ils n’en sussent pas davantage l'emploi. 

_ Je suis persuadé qu'ils nous ont considérés comme des fous 
naviguant pour leur santé , et ayant une permission d’ab- 


sence de Charenton. C’est au reste l’effet que nous avons produit 
partout, ; | 


(M. Montravel. 


Note 27, page 930. 


Il faut à peine une demi-heure-pour visiter toutes les rues de 
Samboangan , auquel on donne 6,000 habitants. Les maisons 
sont mieux bâties qu’à Soog. Quelques-unes sont sur pilotis 
comme à Gouaham ; mais,en général, elles offrent une espèce de 
rez-de-chaussée entouré de cloisons en roseaux, qui contiennent 
des provisions de bois, l'emplacement de la cuisine, ainsi que 
quelques cochons en quête d’une nourriture qu’on leur laisse 
chercher. — Les toits de ces maisons sont semblables à ceux des 
Malais ; 1ls sont faits de la même manière, seulement leur forme 
est plus élevée, et leur sommet plus aigu. 

Presque toutes ces cases ont au rez-de-chaussée, une petite 
boutique qui étale tout son avoir sur un petit treillis de bran- 
ches, servant en même temps de volet. Ce sont des fruits, 


du tabac, et d’autres menus objets de peu de valeur, On trouve 


_349 | NOTES. LL. 


deux ou trois débitants de liqueurs, et deux are d'ét 
occupant le premier étage de leurs maisons. - vois à peu Pi 
toutes les ressources commerciales du pays. | 

Au bout de la première rue, près du rivage, se trouve l'é église 
C’est un édifice en pierre, qui n’a rien de particulier ; la maison | a 4 
du padre y est jointe, et à quelques pas de là un petit pont , “ 
protésé par un toit, garni de bancs, traverse un ruisseau 
encaissé dans un joué , creusé à main d'homme, et offre un 
lieu de repos agréable, d’où l'on aperçoit le rivage ainsi qu'un 
édifice singulier qui s'élève à deux pas plus loin, et qui sert = « 
aux vigies qui surveillent la côte. Cet édifice consiste en une + JS 
petite cahute placée sur des poteaux très-élevés , à trente ou 4 
quarante pieds du sol; on en voit de semblables sur toute $ 
la côte. | 

La crainte des Moros, ou des pirates qui viennent, à la 
faveur de la nuit, piller les propriétés et enlever des hommes, | 
pour les réduire à l'esclavage , est grande à Samboangan, où 


la population a néanmoins une réputation de bravoure. Der- 


nièrement un pêcheur a été enlevé sur la côte, malgré les 


moyens de surveillance qui y existent et la présence des cha-… 
loupes canonnières. Ce sont les habitants de Bassilan qui exé- 
cutent ces hardis coups de main. Ils viennent ainsi sur de lé- 
gères embarcations conquérir des esclaves. 

Je n’ai pas pu savoir si la population de Samboangan est ori- 
ginaire des lieux où elle habite, ou si elle descend des premiers 
occupants provenant des Philippines, Ces hommes différent pour 
la force et la taille des habitants de Soog, ils ont aussi les traits ; 
plus caractérisés, et la langue qu'ils parlent diffère du dialecte a 
des iles voisines. Ils ont en grande antipathie les Moros, c ’est Fa 
ainsi qu’ils nomment leurs voisins d'outre-mer, de même qu È 


los Negritos , noirs qui habitent l’intérieur de Mindanao. “ 1 0RS 


NOTES. 343 


animaux leur servent rarement de monture, mais ils sont sou- 
vent attelés à des brancards qui ont plutôt l'air de traineaux 
destinés à un pays glacé qu’au climat de Mindanao. Ces animaux 
paraissent fort dociles; on les rencontre souvent dans les ruis- 
seaux , enfoncés dans l’eau jusqu’au nez ; ils ne présentent hors 
de l’eau que le bout de leur muffle et leurs larges cornes renver- 
sées. Quelquefois on est fort étonné de voir l’eau se troubler à 
quelques pas de soi et un énorme buffle soulever subitement sa 
masse inaperçue. C’est là que leurs maîtres vont les chercher et 


. qu'ils sont sûrs de les trouver. 


Un achat que je désirais vivement faire était celui d’un kam- 
pilan , véritable arme de Mindanao, fabriquée par les indigènes, 
et dont la forme est assez curieuse : c’est une lame étroite au 
manche, longue de deux pieds et demi à trois pieds et large de 
deux pouces environ à la pointe. La trempe de quelques-unes de 
ces armes jouit de quelque réputation, mais je la crois bien 
aventurée. Je puis aujourd’hui acquérir un de ces kampilans à 
un prix assez élevé (cinq piastres), mais telle est leur rareté, 
que ce n’est qu'avec la plus grande difficulté que je puis me le 
procurer. | 

Les habitants de Samboangan semblent aussi tenir beaucceup 
à leurs armes et y attachent un grand prix ; le moindre kriss de 
Solo vaut de douze à vingt piastres, et loin de vouloir les céder, 
ils demandent si on veut leur vendre des sabres. j 

La fabrique des kampilans, autrefois très-active , paraît avoir 
décliné tout à fait dans les possessions du sultan de Mindanao, 
qui lui-même paraît être un pauvre sire , fort misérable. M. de 
la Cruz nous raconte que dans ses visites annuelles il lui fait un 
cadeau fort apprécié, en lui donnant ses vieux souliers. Toute- 
fois, au prix d’une once (quatre-vingt-cinq francs environ), on 
peut se procurer une arme passable dans la juridiction du sultan. 
C’est de là que viennent celles que possèdent les habitants de 
Samboangan. 


44 NOTES 


ne dépasse pasle chiffre 15 à 20 dans l’année. Ils \ relâchent pot TS 
prendre des rafraîchissements à l’époque où la. mousson les force 
à passer dans le détroit de Makassar au lieu de suivre une ligne 
plus directe. Quelquefois aussi des pêcheurs de cachalot y pas 
sent quelques jours et apportent aux habitants des étoffes , en 
* échange des provisions qu’ils embarquent. Il paraît même que 1 
ce commerce est assez lucratif, à en juger’ par l’empressement ; 
_ que les habitants mettent à acquérir de nos matelots divers 
petits objets de luxe. Les petites fioles contenant des huiles 
odorantes, provenant de Singapour, font surtout fureur ; à 
chaque fois que j'ai marchandé un kriss, on m'a demandé si 
javais des étoffes de soie à donner en échange ou à vendre. Je - 
suis sûr qu’on aurait obtenu bien plus facilement par ce moyen 


ces armes pour lesquelles on me demandait de huit à quinze 


+ 4 
g'A 


_piastres. | | | 
Les provisions ne sont pas chères; les cochons surtout; onen + 

a d’assez gros au prix d’une piastre l’un. Les poules sont plus | 
rares et beaucoup plus chères qu’à Solo où nous en avons acheté 
jusqu’à dix pour cinq francs ou quatre pour une livre de mauvaise 
poudre. En revanche on trouve peu de lécumes ; ilya bien des 


patates douces, mais il est difficile d’en obtenir des quantités au- 


dessus de cinq à six livres à la fois. La paresse empêche les pay- 
sans de les collecter en plus grand nombre. Les bonnes bananes 
sont assez rares dans cette saison et c’est à peu près le seul fruit 
qui soit abondant. On trouve des mangues et divers autres fruits 
des colonies, mais en petit nombre. Une femme m’a présenté, il 
y a quelques jours, une mangue, en me disant : « Senor, achetez- 
» moi ce fruit, car il n’y en a pas de pareils en Espagne. » J' ai 
trouvé cette remarque curieuse ; c’est la première fois | que ÿ n 
tends un marchand des pays tropicaux manifester cette ic é 
ane d’ailleurs. 


NOTES. 345 
chappe, fait danser chez lui. Des violons et une flûte forment 
l'orchestre qui fait agir les jambes nues des danseuses , jusqu’à 
onze heures du soir et même plus tard. L’amour de la danse est 
dans les mœurs espagnoles, et les habitants de Samboangan 
sont Espagnols sous ce rapport. Quelques personnes des deux 
corvettes s'étant mélées une fois à cette réunion » Ont pro- 
duit une vive sensation de plaisir ; le bon vieux Zndio, boute- 
en-train , est venu leur dire quelques paroles françaises, leur-a 
parlé du passage des navires de guerre français, commandés 
par M. Dubuisson, qui ont relâché sur ce point il y a déjà de 
nombreuses années, et a fini dans son effusion par embrasser 
ces messieurs. 

La familiarité de nos manières étonne ces pauvres Indios; 
accoutumés aux manières froides des blancs, ils nous trouvent 
charmants. C’est assez naturel: nous les traitons comme on le 
fait chez nous à l’égard des personnes de toutes les conditions, 
tandis que les Espagnols pur sang les considèrent absolument 
comme étant d'une nature inférieure ; et quoique, en général, ils 
agissent avec bienveillance envers eux , néanmoins ils leur font 
sentir durement cette prétendue supériorité. 

Buenos Franceses, nous dit-on souvent, et souvent encore 
on nous demande si nous voulons emmener avec nous quel- 
ques-uns des habitants. Plusieurs s’offrent de bonne volonté; 
il paraît d’ailleurs que ce penchant existe depuis longtemps, 
car ilest défendu aux indigènes d’aller trafiquer le long du bord 
des navires. 

Les recherches de nos naturalistes excitent l’étonnement de la 
population. Pourquoi ramassez-vous tant de pierres, demandait 
un paysan à un de nos chirurgiens, est-ce pour trouver de l’or?— 
Non, répondit M. Lebreton, c’est pour bâtir une maison au 
roi de France, avec des pierres prises dans toutes les parties 
du monde, — Caramba! quel roi puissant ce doit être ! pour 
qu’on aille entreprendre de pareils voyages por buscar piedras / 


_ Cette explication s ‘est répandue | om ni 

_ plusieurs foiset c "est en vain que j'ai ten! exF 
table motif de ces collections. Je n’ai jamais pu 
vaincre mes auditeurs , et la réponse de M. Le 


gravée dans leur conviction. 


MOYADE AU POLE SUD HT DANS JOCÉANIE 


Cap Sûper 


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TABLE DES MATIÈRES 


__ CONTENUES 


DANS LE TOME SEPTIÈME. 


Car. XLVIII. — Séjour à Batavia. 1 
Cap. XLIX. — Réflexions sur les établissements hollan- 

ES dais en Asie. 38 
CHar. L. — Traversée de Batavia à Sincapour par 
les détroits de Banca et de Dryon. — 

; Séjour à Sincapour. 77 
Cap. LI  — Traversée de Sincapour à l’embouchure 


de la rivière Sambas. — Séjour sur 
la côte occidentale de Bornéo. — Tra- 
ne versée de Bornéo à Solo. 101 
Cuap. LII. — Séjour sur la rade de Bewan (îles Solo). 145 
CHaP. LIL . — Traversée de Bewan (iles Solo) à Sam- 
-  boangan (Mindanao). — Séjour à Sam- 
boangan. a 203 
Notes. 243 


FIN DE LA TABLE DU TOME SEPTIÈME. 


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