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Voyage autour du monde de
l'Astrolabe et de la Zélée, sous les ...
Arago, Jacques, 1790-1855, Elle Jean François Le
Guillou, Le Guillou, Élie, né 1806, Jacques Arago, François Aragc
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VOYAGE
AUTOCR DU MONDE.
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9u mêmr Skttettr.
Pciwr parQître incessamment.
SOUVENIRS D'UN NATURALISTE,
ou
RECUEIL DES OBSERVATIONS D'fflSTOIRE NATURELLE,
M. LB bOQTEOR ÉtlS LB GDILLOU,
Chirargien^Major de la Zélée,
PENDANT LB DERNIER VOYAGE DE GIRGUH- NAVIGATION
2 vol. in-80, avec un atlas.
SCEAUX. — IMPRIMERIE DE B. DÉPÉE.
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Gomplément aux Souvenirs du» Ayeagle.
VOYAGE
AUTOUR DU MONDE
DE L'ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE,
sots LES ORDRES
Du eontre-amlral Dumont-d'UrvIUe,
PENDANT LBS ANNl^BS 1857, 5S , 5i> et 40.
FAA tUM £B aVTLLOVt
Chirorgien-nnaior rie la Z^lbi.
OutftauP tnxttbi br nombreux Vestine et be HùH% tctentifiqura ;
IHS EN ORDRE
PAR J. ARAaO.
2
AT- i2h!Z.
PARIS
BEBQUET ET PÉTION, ÉDITEURS,
HUG DU .TARDINBT, 11.
I84«
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^^OTHfeQUE CANTON^
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CAUSERIES.
^ j^étais chef d'une expédition scientifique et qu'il
mè fût permis de choisir mes compagnons de voyage ,
je voudrais les prendre, non pas de caractères divers ,
mais d'esprit opposé. Je désirerais avoir autour de moi
des hommes à controverse, des natures en quelque
sorte hostiles les unes aux autres. La vérité jaillit du
choc des opinions, et il me semblerait profitable à tous
que l'arrière du navire fût une arène ouverte à la dis-
cussion sur l'aspect d'un pays , sur la richesse ou la
pauvreté de la végétation , sur les usages , les mœurs
et le climat que nous venons étudier.
Des disputes jamais , des discussions toujours. Cha-
ir. \
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2 VOYAGE AtTOUR DU MONDE
cun s^éclaire de ropinion d^aulruî, on modifie la
sienne , on la rectifie parfois , et Ton est tout étonné
souvent de voir mieux à Faide des yeux et de Tintelli-
gence des autres.
Quant à mon équipage , à mes matelots que je choi-
sirais également de tous les pays, je m^en ferais plus
encore des émules que des. subordonnés; je les
écouterais non pas dans Texécution d^une manœuvre
de bord, car alors ils voudraient tous être les hommes
du conseil ; mais je tâcherais de saisir au vol leurs
observations de chaque jour sur les choses qu^ils ont
vues sans les étudier, et je suis convaincu qu^il y au-
rait d^utiles et curieux renseignements à puiser dans
leurs conversations intimes. Puis, en publiant le résul-
tat de mes courses , le fruit de mes campagnes j^oppo-
serais mon opinion personnelle 5 celle de ces cerveaux
inachevés, mais qui saisissent souvent mieux par ins-
tinct que nous avec notre raison cultivée et notre ins-
truction. Le monde décrit par un savant et un homme
ainsi taillé, serait une chose curieuse à connaître , ce
me semble , et je me plais autant aux naïves et co^ii^
ques confidences que se font Petit et Marchais dians les
Sompenirs de J. Arago^ qu^aux réflexions plus sérieuse»
^t plus profondes de cet observateur^
Notre bord n^offrait pas deux types aussi tranchés
que ceux des deux intrépides et dévoués camarades de
mon courageux prédécesseur; mais je n^ai pas moins
puisé chez quelques-uns de nos matelots, alors iju^il me
conduisaient à terre ou qu'il m'apeompMfnfû^ dans
mes excursions, de précieux doc^imentsjpour Thistaire
Digitizedby VjOOQIC
DE L^ASn<>LABE ET DE LA ZéliE. S
que je publie, et j'ai souvent compris qu'ils avaient
raison contre moi , en dépit de ma volonté à leur trou-
ver tort. La philosophie du gaillard-d'avant d'un na-
vire aurait souvent étonné Montaigne , Pascal , Locke
ou Condillac , et ce n'était pas toujours une distrac-
tion ou un plaisir que jallais chercher dans mes visites
en avant du grand mât de la corvette.
Un jour que, sous unvoquois des Moluques, je met-
tais en ordre les notes de mon calepin , et que j'avais
confié, avec le loisir delà vider, ma gourde à deux de
mes matelots, je les entendis discuter du mérite et des
avantages de notre expédition avec leur langage dé-
pouillé de figures de rhétorique, et je recueillis leurs
dtôcours plus encore pour l'instruction que pour le
délossement de ceux qui liront ces pages.
— Eh ben ! toi , que dis-tu de tout ça?
-— - Je dis que je ne dis rien et que j'en pense pas
davantage.
-^ Ni moi. Y'ià bientôt deux ans que nous bourlin-
guons ^ qu'avons-nous vu, je te le demande? des
hommes jaunes comme de l'or*
— Ou du safran.
— Des faces cuivrées. — Des frimousses noires. —
Des têtes sans cheveux. — D'autres qui en avaient dix
fois trop. — Et puis des chenapans qui ne savent pas
tant seulement ce que c'est que du viil. — Ni de l'eau-
de-vie. — Mais par-dessus tout ça , dis-moi ousqu'on
est heureux?
-~ Nulle part.
-»— Tu te trompes , à Noukétva.
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4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
— Et le mal français?
— Aux Carolines.
— , Et les Fidji qui lesrayageot?
. — AuxMarJannes.
— Et la lèpre?
— En mer.
— Et le scorbut?
— Au fond des eaux.
— Et les requins ?
— Sous terre.
— Et les vers?
— Alors nulle part.
— C'est ça.
— Mais c'est pour voir des hommes heureux que nous
courons le monde, ou du nooins pour les rendre tels.
— Que fesons-nous pour ça?
— Tout. N'avons-nous pas laissé des miroirs dans
toutes nos relâches?
— Ils seront joliment heureux de se voir les vilains
marsouins !
— Ne leur avons-nous pas donné des vêtements ?
— Ils marchent là-dedans comme dans une prison.
— Ne leur avons-nous pas appris à construire des
maisons solides ?
— L'air n'y entre qu'avec peine , tandis qu'il coU'
rait en liberté dans leur cabane.
— Et la religion qui les éclaire ?
«- La religion? on leur en apporte c}eux, comment
distingueront-ils la bonne?
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BE L^ASTAOLABE ET DE LA ZELEE. 5
-— Et leurs mœurs ?
— Âb 1 c^est vrai y on leur défend d'aYOÎr plusteut^
hommes ou plusieurs femmes ; mais ils n^en font pas
moins à leur tête, et au lieu de se contenter de deux
galants du pays , les jeunes filles en prennent un troi-
sième , un quatrième, Tétranger gui les visite...
— C'est tout de môme vrai.
— Tiens y mon garçon , je crois que nous fesong de
Teau claire y qu^à tout prendre nous ne serons pus
meilleurs au retour qu'avant notre départ, et que nous
devons iK>ns estimer contents si nous ne sommes pas
fichus dans la grande tasse. C'était bien la peine de
quitter sa famille et ses foyers, comme ils disent a TÉlat-
Major.
— Chut, silence, gabier. — Là-bas ils ont raison,
c'est nous qui avons tort. Y en a d'aucuns en-deçà du
grand mât qui rironl à leur retour.
— Comment l'entends-tu ?
— On leur crachera un ruban rouge sur la poitrine,
— Beau bénéfice!
— On leur montera des étoiles d'argent ou dés
épaulettes d'or sur les épaules , et puis ils auront du
quihus.
— - Cré mille sabords , je n'y avais pas songé.
— Tandis que nous, bernique.
«— Eh bien I ça n'est pas juste.
— Est-ce qu'on fait tout ce qui est juste, mou brave?
Si je voulais, j'empoignerais quelque chose de bien
aussi moi, mais je n'ai pas le cœur à^'ça.
— Que ferais-tu?
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6 TOTALE ACTODR M WÙHBt:
— Je dirais toujours des douceurs âu patron, 'au
makre, et à son tour il narrerait que je suis le meilleur
homme du bord.
-* Je ferais ce que tù dis.
— Né le fais pas , D. • . , ça dégrade.
— Ça grade , au contraire.
— J'en veux pas à ce prix. L'épine dorsale, comme
ils disent en arrière du grand mât, est faite pour rester
droite. Faut rien changer à ce qui a été créé par celui
qui est là'^haut.
le fis du bruit, les deux matelots s^approehèrent dé
moi et me demandèrent si j'avais entendit.
— Oui, mes braves, je n'ai pas perdu une seuls
parole de votre conversation.
— Qu'en dites*vous , Major?
— Que vous m'avez donné une leçott de morale.
— En profiterez-vous?
— Vous êtes bien curieux.
— Ce n'est pas répondre ça i
— Hé bien J'en profiterai.
— Tant mieux pour vous.
— Seulement , mes braves, souvenezsvous que tant
que vous serez à bord le franc-parler vous est interdît^
et que vous devez publier à son de trombe dans chaque
relâche que nous avons découvert des archipels et des
continents.
— Mais ce sont des e?o/fe5.
•— Ne sommes^nous pas voyageurs.
— Vous dites vrai ; t^pendant vaut mieux encore ne
pas mentir.
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DE L'ASTROLABE ET DE LA ZLLÉE, 7
— Tiens, tu as raison, toi, et je profiterai du conseil
que tu me donnes.
— Vous direz tout, major, au retour comme à présent?
— Je dirai tout.
— Alors, gare !
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1... L -.
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If
l
JAVA.
^ juin lis*, i^
BataTla* — Mcenrs* — Clilnolfl.
]>«t<mskttableai»4}si se déroulent à U méditatioii
èa navigatMr, le plus graBd, le plus mtgnifique)
sans contredit, est celui qui frappe nos iregards.
Les océans et leurs calmes si împosaÀts, les tempêtes
et leurs violenees, les volcans et leurs colères, les peu*-
pies sauvages et les arèfaipels parfumés, les plages dé^
sèrteS) tout cela laisse dans Tàme de ?ives impres**
^ous , tout cela nous étonne , nous attire, nous sub*-
jttgue.
Mais, trouver Paris à Tantipode de Paiis, mais se
{iromener dans une éîté florissante au milieu du luxe
européen, alors que les mers et les continents vous se*
II. 2
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^0 VOYAGE AI3T0CB DU MONDE
parent de la métropole, c^est là , en effet ^ un des spec-
tacles les plus curieux^ les plus magiques dont Tbom-
me d^étude puisse s^enivrer.
• En cinq jours, nous avons vu ce que la terre offre de
plus désolé, de plus inconnu, et ce qui attire à soi
les navires de toutes les parties du monde. Bornéo,
je vous Tai dit , n^appartient qu^à Bornéo, et tout im*
menses que sont les richesses qu^elle cache dans son
sein , la cupidité ou la science n^a pu fouiller encore
dans ses solitudes. Cependant, il y a là une voisine
importante, dominatrice, autour de laquelle flottent,
comme pour lui rendre hommage, les pavillons voya-
geurs de tous les peuples. Voyez, voyez! c^est une forêt
de mftts à fatiguer le regard ; c^est un monde de ca*
rênes se balançant sur une mer tranquille; c^est
TEurope , ce sont les deux Amériques , les deux In-
des; c^est la Chine etle Japon, qui viennent, rivaux
d^activité, apporter à Batavia les produits de leur sol
et de leur industrie, comme û Java n^avait pas assez
de ses trésors, comme s^il y avait quelque chose à faire
encore pour son opulence !
Et pourquoi Batavia ne fouille-t-elle pas Bornéo?
Pourquoi si prèsd^elle des hommes farouches, cruels,
des anthropophages? Poui^uoi la hache de Tindustrie
ne va-t-elle pas réveiller les échos de ces vastes fwéts
formées des végétaux les plus précieux?... C^est que
dans rinde on est esclave du ciel , plus encore que de
Tappas des richesses; c^est que là-j>as, le luxe est le
nécessaire , et que le nécessaire mi sous 1^ pieds du
planteur.
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DB L^ASnOLiBE ET DB LA ZÉLÉE. >I4
Mais n'iinticipons poiôt sur le réoit^ suivons pas à pas
les.conrettes qui cinglent sous tcmtes leurs voiles et qui
saluent bientôt des navires amis ; les voilà devant nous ;
notre traversée a été heureuse^ en dépit des averses
qui faisaient taire le vent et le ravivaient quelques in-
stants après. Un assez grand nombre de pros volante
giissent dans les mêmes eaux que nous, et les hommes
qui les gouvernent n'ont pas la courtoisie de nous sa*
luer du regard ou de la main. Cette indifférence est
fadle à traduire. Batavia la superbe a accoiituiirë les
archipels voisins à la présence de semblables visiteurs ;
ce sont comme des citoy^M inconnus les uns aux
autres qui passent et repassent dans une rue , ou qui
arpentent les grandes routes d^un pays civilisé. On se
regarde sans se voir, on se coudoie sans se dire gare ;
peu s'en faudrait qu'on ne se cherchât querelle, par
cela seul qu'on se rencontre.
C'est qu^en effet de grandes rivalités surgissent de
tant de concurrents. Ici, la fortune de Tun fait la
ruine de l'autre. Le navire arrivé aujourd'hui s'enri*
chit; le trols-màts arrivé le lendemain est forcé de
vendre sa cargaison $ru rabais pour payer les frais du
voyage, et il est presque vrai de dire qu'à Batavia le
commerce est une guerre ; malheur au vaincu I
Nous savions que notre séjour serait de courte durée;
il fallait donc Utiliser nos instants au profit d« nos étude$
et de notre curiosité ; il y eut migration générale des
officiers des deux corvettes ; nous choisîmes un botel
d'assez jbelle appareace , tenu par un confiseur fran-
çais, et quoique forcés à Téconomie p^l* (es exigences
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<(2 YOTAGE AUTOUR DU SONSE
d'un kng voyage et nos faiïAes appointeineiits, nous
n^eo dépensions pas moins de 55 à 40 fr. par jonr.
C'est qu'à Batavia y nul ne voyage à pied , si ce n'est
k Chinois et le Malais.; c^estqu'à Batavia , les chevaux
sont attelés pour vous conduire cfaes le voisin^ ei que
le planteuri le banquier et le commerçant cherchent
mutuellement à s'effocer par les dehors d'un luxe qui
va jusqu'à la prodigalité.
Batavia est coupé en deux parties : l'ancienne cité
est im amas confus de maisons en bois^ irréguliè-
rement placées, formant des rues étroites, tortueuses
où sont situés les boutiques, les factoreries , les ateli^v
d'artisans; la nouvelle sedessine, au contraire, grande,
vaste, aérée, toute brillantée de magnifiques jardins à la
végétaticm puissante, et pavée, pour ainsi dire, de pa^
lais somptueux.
Là-bas, sont les magasins, les comptoirs, les bu^
reaux; c'est l'opulence au milieu de laquelle voltigent
incessamment les Chinois, les Malais et les Européens
appelés, dans l'Inde par le négoce ; dans celle-ci se
prélassent le colon , le banquier , l'orfèvre fatigués
des affaires, et conjurant l'ardeur du soleil par toutes
les ressources du luxe et de la mollesse.
Dans la vieille cité , c'^t une c(Hif«sion , une ag*
glomèration incohérente de figures de toutes les cou-
leur^, de costumes de tous les pays, de marchands de
toutes les nations ; ce sont les épices, les curiosités, les
pierres précieuses, ie^ b^les soieries, les moelleux
cachemires de l'Inde; c'est tout ce qui peut tenter la
cupidité des hommes , tout ce qui peut eniwer l'or-
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BE L^ ASTROLABE ET DE LA ZELEE. 45
gueil des femmes...... Ce quartier est un iouneitse
bâzar.
Voyez l'autre : les palmes immobiles du coeotier
planent sur des appartements silencieux ; on s^ repose
le soir, fatigué du repos de la journée ; on y vit , pour
ainsi dire, de la vie horizontale, et quand on se dé-
place pour assister à une fête dans la rue voisine, c'est
un plaisir acheté par la fatigue. Le soleil se lèveàTho-
rieon , lai^ et chaud comme au Tropique ; il plane
impérieux sur la ville crevassée , il se couche là-bas ,
là-bas dans les flots océaniques, et le citoyen de Bata^
via, la paupière à demi-close, ne sait guère si le jour
a succédé au jour , que par le bruit des serviteurs qui
passent et repassent devant lui. A Batavia, la vie est
un travail ; à Batavia le travail est on châtiment.
Et pourtant, presque tous ces grands seigneurs,
écrasés aujourd'hui par leur opulence, ont été jëdis
des courtauds de boutique, des commis à faibles ap-
pointements , des jeunes gens aventureux qui avaient
juste asse^ de richesse dans leur pays pour y mourir
de faim , et qui sont venus ici tenter et vaincre la for-
tune à force de courage, de persévérance et d'activité.
Dans rinde ^ le lucre croit comme Tarbre de la forêt;
il vit beaucoup et fort en peu de temps, et il y a
plus d^une récolte dans l'année ; dans Tlnde, la vieil-
lesse arrive vite, et c'est pour cela qu'on se hâte de
jouir,
Pioorquoî l'industrie, qui a jeté à Batavia les racines
les plus profondes, n'y a-t-elle pas tranporté encore
nos plus utiles découvertes? Le gaz y est inconnu ; nul
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44 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
chemin de fer n^abrège les distances, les rues n^ sont
point pavées^ et le luxe seul des équipages y rappelle
notre pays.
Il n^en coûte pas beaucoup à TEuropéen de s'ac-
climater a Batavia ; le matin, la fraîche brise de mer s^y
promène libre ; et dès que les arbres et les édifices y
projettent des ombres presque verticales , on s'y re-
pose dans des appartements bien aérés ; on se réveille
pour un déjeuner où se servent les fruits les plussavou-
reux, et Ton s'étend de nouveau sur un lit ou dans un
hamac jusqu'à ce que sonne l'heure du diner. Après
ce repas, après les joyeux propos, la voiture e^t là
qui vous attend ; les chevaux piaffent, l'équipage vole,
vous vous éloignez de la ville bruyante, ou vous sil-
lonnez les larges rues au milieu desquelles la curiosité
a toujours plus à gagner que la science.
A Batavia , je vous l'ai dit , le luxe étale ses plus
riches produits; et cependant vous ne devez pas trop
reculer devant les exigences du pays.
Dans le Mexique, à Calcuta, au Pérou et même au
Brésil, nous nous épouvantons des dépenses auxquelles
nous condamne la vie la plus régulière , la sobriété la
plus parfaite. Ici , dans cette immense et fastueuse
cité , bazar parfumé de toutes les nations du monde,
vous vivez comme un bon bourgeois avec 55 ou 40 fr.
par jour. •** Deux repas, le thé, le café, un loge-
ment confortable, une élégante voiture.... Javs^ n'est
pas aussi dévorateur qu'on le suppose communément
chez nous.
J'en suis bien fâché pour la morale qui voyage, dil-
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DE L^StBOLABE ET DB LA ZÉLÉE. 45
on y avee des ailes de Ceu ; mais il parait qu'elle a fait
balte avant de se reposer à Batavia y ou plutôt qu^elle
a reculé devant les antiques habitudes d^un pays tout
oriental. Écoutez, mais n'oubliez pas, je vous prie,
que les demi-confidences du narrateur doivent souvent
être voilées, et sacbez que je mets à la torture mon
esprit et ma plume pour vous retracer le tableau qui
frappa un jour mes regards, lors d'une visite à certain
quartier de la cité éloigné de la rade.
Là , dans des cabanes en bois fort bien alignées ,
selon Fusage adopté dans nos foires et nos fêtes com-
munales, où s'étalent les marchandises de toute sorte,
vivent, parées de leur jeunesse et de leur cynisme, un
nombre considérable de jeunes filles ayant toutes un
même patron, qui vous appellent du regard et de la pa-
role, pour peu que vous fassiez attention à leur pré-
sence. Leur appartement est petit , six pieds carrés à
peu près ; il est coquet, mais sans luxe; propre, mais
sans recherche. La fille se glorifie de son état, assise
sur une sorte d'estrade; la porte d'entrée, qui est
porte et croisée à la fois, se masque à l'aide d'un ri-
deau courant sur une tringle, et quand vous voulez
éviter les regards importuns pour vos causeries inti-
mes, la tapisserie se développe. . . vous êtes seul.
Que voulez-vous? Je suis historien du monde, et
je voudrais, ardent prosélyte de tout ce qui agrandit
l'imagination et ennoblit le cœur, n'avoir que de riants
et suaves tableaux à dérouler à vos yeux ; je voudrais
que chaque religion eût son culte uniforme, chaque
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4 6 YOYAGS AUTOUR DU MONPB
peuple sa couleur, chaque u^age, chaque passion sa
délicatesse Il n^en est point ainsi , et dès que
TOUS avea quitté votre patrie, dès que vous avez sil-
lonné les océans , vous vous promenez au milieu d^un
monde nouveau sur lequel vous jetez souvent du mé-
pris , quand vous ne voudriez Tentourer que de votre
indulgence; et cela est si vrai, qu^un mois seulement
de séjour à Batavia vous familiarise avec ce qui vous
a paru tout d^abord un désordre, et qui n'est guère,
je le dis à notre honte , que le reflet ou la reproduc-
tion de ceqiii se passe dans nos capitales les mieux po-
licées.
Je vous ai signalé le danger, le danger existe; c'est à
vous maintenant, voyageurs aventureux, à juger si vous
aurez assez de courage pour visiter le Mister Cornélis^
ou assez peu de curiosité pour ne point chercher, ne
fût-ce que d'un œil , le quartier aux petites échoppes
dont je viens de vous parler. Cela est curieux à voir,
je vous l'atteste, et si vous avez autant de stoïcisme
que moi , qui ne m'y suis promené que comme au mi-
lieu de ruches d'abeilles au rigide aiguillon , allez
provoquer les sourires de ces jeunes bayadères , ([ui ,
après leurs causeries^ se rendent dans le voisinage, au
milieu d'enclos en plein air, et s'y livrent aux danses
les plus lascives auprès desquelles notre cachucha si
excentrique n'est guère qu'un grave menuet.
Gomme je n'aime point les esquisses, quand la toile
peut être achevée, je me hftte d^ajouter, avant de sor-
tir de cet antre consacré aux plaisirs, que les jeunes filles
qui en font reniement, — j 'allais dire la honte,-~ s'exer*
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DE L^ASTAOUBE ET DE Li ZÈtiE. 47
cept, À des heures données, aux danses qui peijiventleur
prêter des grâces, de la légèreté; et je tcinnine le ta-r
bleaii eu vous présentant , ici près du cadre, des grou-
pes nombreux de joueurs, cherebant sans doute à con*^
quérir par le hasard .les sommes perdues dans J^
conversations familières. Yous le voyez , le vice naît
du vice.
Batavia, je vous le répète, est un véritable bazar,
Indous, Malais, Japonnais, Américains, citoyens de
TEurope et Chinois se coudoient dans toutes les rues ;
etxomme on nous a ainsi bâtis, que nous ne som^
mes vraiment curieux que de ce que nous allons
chercher à Tantipode de notre patrie , vous ne serez
pas surpris de me voir quitter le quartier de Mister
Cornelù^ pour celui où les adorateurs du feu se li-
vrent à leurs amusements quotidiens.
Je comprends toutes les antipathies , j^accepte toutes
les affections, mais j'avoue qu'il me semble impossi-
ble qu'un Parisien se promène bras dessus bras des-
sous avec un Chinois sans lui chercher querelle. Le
diamètre de la terre à peu près sépare les deux peu.-
ples, il y a plus de distance encore entre leurs carac-
tères. L'un est calme , réfléchi , fourbe, hypocrite, vo-
leur; tout en dedans, tout absorbé dans ses ruses et
ses projets de rapines ; il est vaniteux sans motif, es-
clave avec bassesse , dominateur chez lui sans dignité.
Le progrès , il le r^arde comme une aberration, ou
au moins comm^ une fatigue. Depuis quatre mille ans
son costume n'a point varié ; ses maisons d'aujour-
d'hui sont comme celles des siècles passés , et il n'a
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tS VOYAGE ICTOCR DU MONDE
du génie ^ mais vraiment An génie, qtie pour lés baga-
telles, les babioles , tes colifichets.
Le Japon lui a donné des leçons d'industrie , Flnde
eirEurope des leçons de courage, et il a pris de lui*'
ipaènie des leçons de l&eheté.
Mats comme chaque nation ainsi que chaque homme
a ses heures de grandeur et d'énergie, disons que
le Chinois aussi s'est montré digne une fois, qu'il s'est
revêtu pour ainsi parler d'une sorte de magnanimité ,
et que, vaincu par ses ennemis , il a exigé du moins,
avant de courber le front et de parler à genoux, que
Gengis-^Kan aeoeptàt ses lois, ses vêtements et ses
usages.
 la bonne heure, rendons même au Chinois la jus-
tice qui lui est due ,' et ne déshonorons pas du titre de
Magots les jeunes citoyens de Canton , de Pékin , de
Maeao : le Crapaud a aussi sa grandeur.
Il faut que l'immense empire convoité également
aujourd'hui par l'Angleterre et par la Russie, soit
iaÛBimeal trop peuplé pour que les lois qui le régis-
s«»t ne subissent point d'e:sception. Tout Chinois vo-
lontairement abi^nt de son pays pendant plus de sii
noois ne peut pas y rentrer sans une permission ex-
presse de son mandarin. Dans leurs jonques grossières,
ils viennent visiter tous les archipels de cette partie de
Focéan qui entoure les Philippines et les Moluques , et
ils apportent là les produits de leurs pays , qu'ifs échan-
gent avec béoéiiee contre les piastres espagnoles, les
guinées de La Grande-Bretagne, ou les épiées des Ma-^
lais. Mais qu'arrive*t*il , e*estque, adroite et fripons;
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DE I.'AiTKOLABB ET ]l£ LA ZtLlÉE, 40
ik font presque toujours d^heurenx marcl»^; or,
comme dans leur pays^ ils ont à lutter contre des ôon*
frères, ils aiment mieux les trafiquants nouveaut qui
ne sont pas encore au fait de leurs supercheries. Leur
première entreprise une fois couronnée de succès , iU
poursuivent leur industrie avec cette persévérance qui
les caractérise, ils se dressent de nouvelles habitations^
ils se font une nouvelle patrie ; et , sans cesser d'a-
dorer leur Dieu , sans renoncer à leur éternel Cahen^
Slimoui^ et Càhen-Sahori ^ ils deviennent citoyens
d'une nouvelle t^re.
Si dans presque tout les paya du monde lé Chinois
^'affranchit des dlm^ et des servitudes, ici, le Hollan-
4tîs lui  imposé des obttgâtions qu'il s'est vu con-
iiraint d'acoepter. Ainsi, pour qu'un Chinois voyage en
voiture, il fmt qu'il paye Une certaine somme au gou-
vernement et ce n'est pas le seul impôt qui vienne lui
arracher une partie de ses bénéfices illicites.
Il en est des Chinois comme de ces objets de dé-
goût qui font mal à voir, et sur lesquels cependant
vous jetez comme involontairement les yeux. Moi par
exemple , curieux par instinct, curieux par étude et par
esprit d'observation , j'allais parfois dans les quartiers
chinois de Batavia , et je me plaisais assez à sonder
les UKBUrs intimes de ce peuple mystérieux et bizarre.
Le CibinofS se lève , puis il s'accroupit , taille dans une
boule #itoire, prend du thé, du rïz, de Tarek, dé
ropium. . ♦. il 8^ endort , et le lendemain c'est à recom-
mencer ju^tl'à ëon dernier jour, jxtsqu'à sa dernière
heure.
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su tOU6£ AUTOUR tV MOIfi)B
Vous comprenez que lorsque la monotonie fait
reiistebce, l^observateur est satisfait après une pre-
mière épreuve /et que ses études doivent se borner k
une visite. En quelques instants votis ôavez par cœut
un siècle chinois.
Hé bien ! tout sédentaires , tout pacifiques , tout
immobiles qu'ils paraissent , ces hommes se réveillent
par intervalles , et ont comme nous leurs jeux, j'allai^
dire 9 leurs joies et leurs délassements.
Ici , les Chinois qui ont abandonné leur patrie pour
ne plus y rentrer, ces êtres au front pelé, aux pommettes
osseuses , à la bouche petite , aux lèmres grosses , au
caractère de chartreux, ces trafiquants, c^est-à-dire
ces voleurs émérit^ qui se jouent également de là con*-
fiance et de la bonne foi , tuent leurs longues heures
d'ennui par des spectacles assez curieux pour des
étrangers.
Ce sont des théâtres dont quelques-uns en plein
vent, mais la plupart dans des maisons particulières,
où se jouent des drames intimes et des comédies histo-
riques propres à fortifier le peuple dans sa paresse et
sa servile souveraineté.
Les représentations ont lieu gratis ; c'est le chef de
rétablissement qui en fait les frais» Le public ^st placé
un peu plus bas que les acteurs, debout ou accroupi
par terre sur des nattes ; il écoute , il bâille parfois , il
dort souvent et il ne siffle pas plus qu'il n'applaudit...
Je crois que sous ce rapport nous ne sommes pas plus
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M L^ASTEOLABE ET B£ LA ZELEE. 24
sages que les Chinois, car nos arrêts au théâtre ne sont
{>a6 toujours dictés parla raison et le bon goût.
Deux personnages seuls, presque toujours homme
et femme, se montrent sur la scène comme acteurs de
la pièces le reste du théâtre est occupé par les chefs de
famille et les musiciens obligés, jouant du goum-goum
et du tambour avec une monotonie vraiment chinoise.
Ne demandez point de passion aux acteurs; ils ne la
comprennent pas, ou s'il la comprennent, ils Texpri-
ment d'une façon si énergique, si brûlante, si pleine
de frénésie, qu'on dirait des automates, de véritables
automates en bois , dont les bras , les jambes et la tête
se baissent et se relèvent comme par un ressort ; quant
aux paroles, ce sont des syllabes lentes ou précipitées,
mais toujours sur la même note, excepté à la fin de la
période qui monte de telle sorte que vous croiriez en*
tendre l'amoureux chant d'un coq enroué.
Ces spectacles ont lieu tous les soirs de sept à dix ou
onze heures, et ils me parurent si amusants, si instruc-
tifs, queje jurai j>ien qu'on ne m'y prendrait pas deux
fois. De la galanterie sôit , mais jamais au prix de la
fatigue et de l'ennui.
Je ne vous en dirai pas autant des feux d'artifice de
ce peuple exceptionnel. Ils sont magnifiques , merveil-
leux, etRuggieri n'est qu'un petit écolier à côté d'un
pyrotechnicien de Canton où de Macao. Leurs soleils
éblouissent ; leurs serpents épouvantent par leurs mille
sinuosités, leurs faisceaux de diverses couleurs bril-
lent à effacer les rayons les plus éclatants , et leurs fu-
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212 VOYAGE AUTOUR DÛ MONUl.
séesy partant d^abord invisibles^ mais éclatant fim
tard à une hauteur prodigieuse , se perdent en rubans
de feu dans les régions les plus élevées de Fatraos-
phère... Vous savez quel est le Dieu des Chinois.
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J
JAVA.
Bxcuvlan dans rtle« —
Tout ce qui tient à !a vie régnllère de Thomme est
ici assez modiquement eoté^ je crois vous Tavoir dit y
et, à tout prendre il n^en coûte guère plus cher de vivre
à Batavia qu'à Paris et à Londres. Mais les extrà^ c'est-à-
dire les dépenses que les riches seuls peuvent se per-
mettre , oh ! c'est bien différent. Il faut être opulent
pour voyager dans l'intérieur de l'île, si vous voulez ne
pas courir les grands-routes à cheval ou dans l'unique
malle-poste établie jusqu'à présent à Batavia.
Cependant, comme tout petit ver de terre à sa fé-
rocité , comme tout petit grand seigneur veut avoir des
pages, j'essayai moi aussi de me donner les allures du
banquier et de courir en chaise de poste jusqu^à B^u-
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24 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
tenzorg éloigné de quarante-cinq milles, et célèbre
par Thabitation principale du gouverneur-général des
possessions néerlandaises dans la Malaisie, parla beauté
des sites, les riches maisons de plaisance qui Fen-
tourent comme des vassales y les superbes plantations
qui les encadrent, et Tair'pur et limpide qui les vi-
vifie. Bien m'en prit, ma (pi , de m'arréter à point, et
de ne pas continuer un rôle au-dessus de mes moyens,
car j'aurais été ruiné pour le reste de la campagne, et
huit cents francs «eussent à peine suffi pour les frais de
ma petite excursion; merci à ma grandesse qui s'est
courbée devant les rigidités du pays.
Cependant la promenade était curieuse, instructive,
et en fouillant bien dans mon escarcelle de chirur-
gien-major de navire de guerre Français, je me trou-
vai o^^ez 6i>/i/Mir^, comme disent les matelots, pour
entreprendre le voyage de Beutenzorg à Taide de la
diligence-poste dont je vous ai déjà parlé.
Quarante francs pour allçr, quarante francs pour
revenir, là devaient se borper mes frais de route, et
bi^n que je ne fusse pas cousu de florins, douloureuse
expression de M. d'Urville, je ne regrettai pas les pias-
tres de mes économies.
En moins de quatre heures les quinze lieues furent
parcourues ; c'est que les chevaux de Java, quoique pe-
tits , sont de bonne race et que la route est parfaite-
ment entretenue ; à côté de la chaussée où courent les
équipages, sont, à droite et à gauche, deux contre-routes
pour les charrettes traînées par des buffies, attelés de
front, et cheminant toujours avec une extrême lenteur*
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DE L^ASnOtABE FF DE LA ZÉLÉE. 391
Çà et là , dans td«t le trajet que vous piMoufez^
peîateiit de belles habitations , signes eerteins de fa
prospérité de la colonie ; et sur le penekant 4e8 eA-
teaux, TOUS voyendes plantations immenses de caféiers,
étalant à Tair leur feuillage si verdoyant.
A Beutenzorg une fort agréable surprise me dé-
lasftft de mes fatigues. M. Diart^ homme d'énei^gie et
d'activité établi à Batavia depuis une vingtaine d'a«-
uéês^ m avait donné une lettre de recommandation
fow le ehefnnaturaliste de la cdoHie. M. le docteur
Forsteo m'accueillit avec de grands témoignages d'à-
»tié, m'obligea à letccepter un logement dans sa rianrt^
habitati<m, et voulut bien nî'aecompagiier et me diri-^
JS^ dans toutes mes courses.
U est Àiapossible de treirrer autre part , pas même à
Calculta, UB jardin bi»tanique pl^ vaste et plus riche
que «elui que la compagrtie des tndes hollandai-
ses a piaulé à Beuteni;org. L'Australie, la Chine,
le Japon, l'Afrique, les Moluques, les deux Améri-
ques s'y pressent avec une profusion à fatiguer l'étude
dans ce qu'elle a de plus ardent; et l'imagination i'e-
-cuk à l'idée des soins et des dépenses énormes exigées
pour un aussi splendide tableau. J'étais en eirtase,
j'aurais tduIu me reposer sous chaque grand végétal ,
f aurais V4>ulu dérober une feuille à chaque arbuste,
•«ne étamine à chaque fleur , aspirer tous les parftims
à la fois,., il me semblait que je pouvais fouler le
monde en quelques »Miutes , et f|ue je n'avais pas be-
soin de poursuivre mes voyages pour nourrir mon
Wlim îmaginfllion .
u. 4
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26 VOTiOE AI}TOUR< DU MONDE
pe «on côié le naturaliste Javannais était tout fier
de mon admiration parfaite, et je ne trouvai, dans ma
reconnaissance pour le bonheur que je lui devais , que
des expressions bien tièdes dont il devina pourtant la
chaleureuse sincérité.
Mais si tout ce qui m^entourait me jetait dans TextasC;
comment vous dire le magnifique panorama qui se
déroulait à mes regards dans un immense lointain?
Pes vallées profondes , des collines parées de leur
éternelle verdure, des monts gigantesques dont qu^ei-
xiues-uns ignivomes mais actuellement sçns puissance
pourchfttier la végétation vivace qui les domine, un
4iïel toujours bleu et la brise rafraîchissante qui ne
semble quitter ce pays magique qu^avec regret , ce sont
là de ces pages pleines de majesté, dont la palette seule
•de Claude Lorrain oserait tenter de donner une idée.
Vous pensez bien que, s^il ne m^était point permis
d^aller au-delà de ces monts gigantesques qui bor-
naicint Thorizon , je cherchais du moins à diminuer
Tamertume de mes regrets par mes courses réitérées
autour deBeulenzorg; et je recueillais avec une scru-
puleuse fidélité les curieux détails de mœurs qui m'é-
taient donnés par mon bienveillant cicérone.
Jésus de lui que le Malais, dont la vie naturelle*
ment turbulente a été forcée de se soumettre aux lois
hollandaises , se plait encore dans ses incessantes évo*
Jutions à travers les campagnes, et qu'il trouve sa
nourriture dans de petites cabanes dressées pour ainsi
dire à son usage. Là en effet, sur une estrade peu
élevée , sont gardés^ placés dans des vases en bambous,
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N° 2 6
lilK.Uo Fr"e>C'- r R:cKer.:
PUNITION DES MATLlOTS.A rlOBAR^-TOV/K
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^-^!'. r. du Jardin el.
Coogle
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"^!l.Sï^/iî>-
..Of ^ctiteur
ciu Jardinet.
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G. r. au jafaii
oogle
DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZÉLI^E. ^7
en tettCy en cocos ^ en feuilles de bananier» des fruits
secs et côniits y des mangues , des bananes ^ des gola^
ves^ de Tarek et quelques autres comestibles auxquels
les palais européens peuvent aisément se façonner.
Les. divers districts de la colonie y qui a une très
grande étendue, sont gouvernés par une sorte de
préfet européen nommé résident ou vice* résident;
sous ses ordres, sont les Adipati ou chefs malais
de première classe ; puis les Kapala qui comman^
dent directement aux masses , et à qui adressent leurs
plaintes^ leurs récriminations, leurs injures à venger,
ceux qui cbes nous ont qualification de peuple ou
])ourgeoisie. On nomme Djoumat, les fermiers des
vastes habitations à café.
Mais, quoique fassent les Hollandais, quelque rigide
que soit leur code, quelques sévères qu'ils se mon-
trent dans l'application des peines, les crimes se mul-
tiplient à Batavia avec une effrayante scélérat^se.
Quand il ne mérite pas la mort, le coupable est envoyé
dans une autre colonie et traité là en esclave. La corde
est le châtiment des plus grands criminels , et, il faut
le dire, les exécutions Qnt lieu en présence d'une foule
assez insouciante de ce qui se passe devant elle.
. Au milieu de nos excursions, nous nous trouvantes
enface d'un torrent dontun des bord^étpit fort escarpé,
l'autre au niveau des eaux. Pour le franchir, on a bâti
un pont en bambou d'une élasticité parfaite ; ce sont
des tiges de vingt-cinq A trent» mètres de longueur,
]iées^ les unes aux autres , et formant pour ainsi dire
une voûte élastique. Le plus petit poids le cintre d'une
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28 VOYAGE AOTO€ft DU MONDC
façoà eâraordtnai^e^ on y marche pour ainsi dire eu
«autîilaid ^ et ce sont encore des tiges de bambous
aotttennes à distance qui servent de parapet ^de guidé
au piétcm. Ce torrent s'appelle Kyssadal , et je vous
«9Siire qu'on est saisi d'un sentiment involontaire de
terreur, lorsque^ vers le milieu du passage, on se sent
balancé ou plutàt ondulé surTablme.
Il parait que le culte antique des premiers Malais
«st encore en honneur chez leurs descendants.^Çà et là,
ilaiia rintérieur de Fiie^ tous U*ouve2* des pierres or^
nées de earaotères et de signes bicarrés, appelées^BSetioefr-
Totdis^ e(t des débris de statues; dès que les Javanais
inmi ces rencontres, ils recueillent avec s<Mn ces pré*-
cieux témoignages de l'antiquité de leur origine, et les
plaoent avec respect dans dès cases ou liangars ou-
verts en plein vent auprès desquels les fidèles vont dé^
poser leurs pieuses offrandes.
J'ai recueilli dans une de mes courses le dessin de
la plus remarquable de ces pierres ,^mâis j'ai regret
qm nul numismate deBeutenzorg ou de Batavia n'ait pu
m'en donner la traduction. Les symboles , tes peuples
cA les superstitutions s'effacent également de la terre.
Je dois un avis utile aux voyageurs qui viendront
apris moi vi^er Batavia : ils ne peuvent sans s'expo-
sa au dang^ d'être arrêtés et conduits en prison,
s'élcrfgner de la ville , s'ils âe sont protégés par un
passeport en règle. A cet égiard, les Hollandats sont
d^Qâe Msceptibitité Mtréme. : Pour vous rendre pa^
tenre de Batavia à Samarang, par exemple, vous ne
poave» le faire sana une permission expresse du gou-
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il
Google I
DE L'ASTi9X)£«ABE ET DE LA ZELEE. iHd
yaraeuty et eette permission, son excellence ne la doàiie
qu'à grand'peine et dans de$ circonstances tontes par^
tîculiéres.
J'aurais voulu essayer une grande excursion , mats
le temps me fit défaut^ et j^en fus en quelque sorte dé-
dommagé par le gracieux accueil que me fit le gou^
vemeur. Je trouvai che? lui M. d'Urville et quel-
ques autres offîciera des corvettes , et dans un repas
somptueux, et un bal où le luxe et la coquetterie se
disputaient nos hommages ^ il nous fut permis de nous
rappeler ncrtre Europe si éloignée.
Si la puissance du gouverneur est immense , il se-
rait juste d^ajouter que sa dignité tient presque dû
despotisme. Ainsi, nul n'a le droit de lui parler à moins
qu'il ne soit interrogé , et comme sa grandeur est très
sobre de paroles , vous comprenez que les conversa-
tions ne sont pas très animées. M. d'Urville se trouva
blessa en quelque sorte de ce mutisme royal , et il en
témoigna son humeur, en quittant sans bruit le lende-
main le magnifique palais de Beutenzorg.
Ne croyez pas que l'élégance et la frivolité trônent
seuls dans la demeure du gouverneur-général des
possessions hollandaises dont le siège est à Batavia ;.
son excellence aime les arts et les cultive. La salle de
danse, entourée de colonnes en stuc, est vaste, aérée,
et vous trouvez à côté le plus admirable musée du
monde.
C'est un véritable arsenal où sont classés avec ordre
les plus riches armes des peuples et des chefs qui sont
soumis à la Hollande, Flèches, arcs, masses, crish directs
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30 VOYAOfi il'TOUR DU MONDE.
OU flamboyaots, sagayes et javelines de Tacier le piuspur,
ornées de dessins damasquinés , casques , cuirasses et
boucliers d'un métal précieux^ drapeaux , enseignes,
manteaux de chefs en plumes, en soie, en coton et en
tapas richement coloriés , tout se trouve là placé avec
méthode , et on peut venir dans cette vaste salle étudier
et approfondir Thistoire première de ces peuples au*
trefois si indépendants , aujourd'hui soumis aux lois
d'une des plus faibles nations européennes.
Mais comme toute extase pèse , comme toute admi*
ration fatigue , je m'éloignai sans trop de regret de ce
belliqueux musée, et je repris le chemin de la vad» nu
se fesaient déjà les préparatifs de notre départ.
Je devrais peut-être vous parler encore ici des m^i^
ladies épidémiques qui désolent ces contrées ; je ne
•veux pas rembrunir le tableau que je viens de dévoilera
vos yeux, et je me hâte d'ajouter que le typhus et la
dissenterie sont plus rarement aujourd'hui que par le
passé les hôtes dévorateurs de Batavia.
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SYN6AP0UR.
— Julo 1859.—
Cinq à six jours de traversée doivent nous porter à
Syngapour, créé par les Anglais sur la pointe de Ma-
lacca.
Belles terres, belle mer, navigation amie où le péril
n^est nulle part, où la distraction est partout* Les fortes
chaleurs du jour brûlent le pont, mais les brises
du soir et de la nuit nous rendent nos forces à demî-
épuisées ; et , au total , j^aime bien mieux tes courses
sous Téquateur que les aventureuses trouées des glaces
Australes.
Chaque nuit, ou presque chaque nuit, nous sommes
forcés de mouiller, car les fonds sont hauts dans tous
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52 TOTÀGE AUTOUR DU MONDE*
ces parages , et la prudence veut qu'on ne coure qu'à
petites voiles.
Nous passons à faible distance de File de Banca , cé-
lèbre par la richesse de ses minéraux et les immenses
produits qu'en retirent l'industrie et le commerce.
Cette ile peut avoir vingt à trente lieues de long; elle
se dessine osseuse, variée, pittoresque et tapissée d'une
vigoureuse végétation usurpant nième les crêtes les
plus élancées. Quand on songe à ces immenses riches-
ses que nous visitons depuis quelque temps, et qu'on y
voit encore si pauvrement exploitées, on se demande si
l'Europe est assoupie et si l'industrie a perdu son pres-
tige. La paresse seraii-dle donc un plus redoutable
champion que l'avarice? et ne serions -nous vaincus
que par ce qui ne peut pas combattre ?
C'est un sepectacle assez curieux que celui qui frappe
en ce moment nos regards : d'un côté, à notre droite, est
une grande chaîne de hautes montagnes appartenant à
l'île des Métaux et se dressant la dominatrice dé l'Ckéen,
tandis que, à gauche, s'élève modestement Sunatra qui
montre à peine quelques plaines régulières au-d-essus
des flots. Au reste , je n'ai pas besoin devons dire q^ie,
du côté opposé à celui que nous longeons, cetle der-
nière terre offre aussi d'imposants plateaux à Vim\ dti
voyageur, et que nia, l'ime^eô plus vastes du globe,
a aussi sa grave mijesté.
Salut h Syngtpoar oà nityus laisstyns tomW* l'ancre
au milieu d'un grand nombre de navires de toutes 1^
nationâ. La rade est bell^, spacieuse, protectrice. ïci ,
jamaia, ou {Hresq«e jaiwns, l'ouragan qui broie, le
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DE L^ASTi^OLABE ET DE LA zéhtt. US
typhon qoi fait voler à Tair navires et matelots ; toat
est calme, presque silencieux sur les flots et sur la
terre ; ce sera sans doute encore pour nous une dettes
heureuses relâches sur lesquelles nos vieux souvenirs
se reposeront avec le plus d'amour.
Les Anglais qui n'ont , comme vous le savez , nulle
jalousiecontre aucun de nos établissements dans Tlnde,
se sont pourtant alarmés des richesses de Batavia ,
et ont voulu lui donner une dangereuse rivale. Ce
peuple, tout noble, tout généreux , a pensé que deux
vastes ports pourraient, sans se nuire, recevoir les na-
vires voyageurs de toutes les nations ; peu lui impor-
tait sans doute que Jsrva fût le dépôt immense des tré-
sors des deux mondes ; mais par esprit d'égalité , il a
dressé là, presqu'en face du comptoir hollandais, un
comptoir britannique^ dont il espère tirer de grands
avantages. Toutefois, il pourrait avoir mal fait son
compte, car Batavia le domine, l'écrase toujours, et
Syngapour n'est que l'humble vassale de sa voisine.
Voyez pourtant ! La cité est grande, elle compte déjà
de 20 à 25 mille habitants. Ces vastes maisons sont
de petits palais avec péristyles et terrasses, propres,
élégants, coquets, entourés de plantations et de jar-
dins délicieux ; et la vie glisse au milieu de tout cela
dans une somnolence qui ferait envie au plus endolori
lazzarone de Naples.
Anglais et Chinois semblent vivre ici en fort bonne
intelligence. Les premiers commandent , les seconds
obéissent et ti*ompent ; tout est au mieux. Après cela,
les petits vases en porcelaine , les éventails en bois de
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Si ''^ TOTAGE AITTOm TO UONHB
mandai , le» boites et boules d'ivoire aritstement eîsieh
lée», quelques soieries, ïes laques, le thé, Tencreetle
bleu remplissent les magasins chinois sans enrichir les
marchands , car tous les objets fci sont d'une quafité
inférieure à ceux exposés aux ventes de Batavia.
Vous seriez surpris de la variété des costumes, et
surtout de celle des physionomies qui passent devant
vous dans les rues ou sur les places publiques. Des
hommes blonds et grands, ce sont les Anglais ; d'au-
fres , jaimes et trapus , ce soot les magots ; vous voyea;
aussi des hommes cuivrés, robustes, énergiques, ee
sont les Malais; et vous remarquez auprès d^enx des
gens noirs comme le Mozambique, à cheveux longs»
et soyeux, ayant tout* à -fait les traits européens:
la population de Syhgapour est une sorte d'arle-
quinade.
Les usages y sont' ceux de llndoustan. Dèsquevous
arrivez , et avant même que vous soyez installé , un
homme se présente à vous ; c^est un Daubcu^hi, c^est-
à-dire un domestique qui commande à d*autres do-
mestiques ; vous faites prix 2 fnincs par jour, c^est le
taux ordinaire, et dès que vous êtes d'accord , le dau^
baehi vous donne des serviteurs, eeluf-ci pour faire
vos commissions , celui-là pour blanchir votre linge,
le troisième pour les autres détails du nténage; ïibre
à vous de vous croire un grand seigneur, surtout si
TOUS pouvez encore dépenser une piastre pour une
voiture.
Je me suis souvent estimé heureux de trouver, dans
mes courses, des guides qui se changeaient bientôt en
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DE L^ISTEOUBE ET DE Ul zéhiE. S&
Amis, qm me pilotaient dans mes recherches et qui
m'aidaient de leur séjour dans le pays pour m^ études
de niduraliste. Ici, le même privilège m'a été accordé)
j'ai trouvé un confrère y homme de bonnes manières
et de savoir, qui se préla de la meilleure grâce à m'étre
utile; Texpérience du docteur Ledieu, notre compa-
triote> m'a facililé plusieurs courses pleines d'intérêt.
J'allai visiter I à ses cotés , une colline éloignée de
trois lieues de Syngapour ; nous eûmes bientôt franchi
cette distance, car la route est très belle , et nous la fi-
mes en voiture; arrivés au sommet, nous pûmes jouir
d'un panorama magnifique dont nos yeuK ne pou-
vaient se rassasier. »
C'était la presqn'ile de Malacca , se déployant dans
toute son étendue avec ses grands végétaux si variés et
si puissants ; c'était un horizon sens bornes où le ciel
se confondait avec les flots azurés; c'était un nombre
immense de petits ilôts, pour ainsi dire échelonnés
autour de la grande terre, pareils à de gigantesques
baleines immobiles au milieu de l'Océan. Peu de ta-
bleaux au monde peuvent rivaliser avec celui qui me
tenait cloué sur cette colline, qu'un large soleil embra-
sait de tous ses rayons verticaux ; je dominais la pointe
la plus orientale de cette Asie à la civilisation station-
naire, et la ville nouvelle où se développent les ger-
mes d'une régénération prochaine.
Au milieu d'un groupe de maisons-palais se dis-
tinguait, à la longue-vue, un petit édifice surmonté
d'une simple croix; plus tard mon cicérone me dit
l'origine de cette église ; je vous ferai part de ses con-
J ' Digitized by CjOOQIC
56 VOYAGE AUTOUR DU MOriDC.
fidences, et vous jugerez vous-même si Ton ne peut
y voir déjà les fondations d'une cathédrale florissante.
Dans leur prévoyante activité, les Anglais bâtissent,
en ce moment , sur ce plateau , un vaste hôpital , dans
lequel les dyssenteriques et les convalescents de fièvres
pernicieuses, trouveront à coup sûr un puissant auxi-
liaire contre le mal qui les dévore.
Le nom de cette colline est Bouguei-Tima: Elle a
environ trois cents mètres de haut, et occupe le centre
d'une vaste plaine couverte d'une riche végétation; a
ses pieds est une cachouerie d'un bon rapport, et l'on
sait, que le cachou est une branche importante du
commerce de la colonie. Tout ke long de la route, à
ilroite et à gauche, je voyais déraciner les grands ar-
bres et défricher le terrain pour planter des caféiers et
des cannes à sucre. Mon confrère Ledieu, me montrant
l'emplacement de son habitation naissante , me dit :
« Jusqu'à présent Syngapour n'était qu'une ville d'en-
trepôt, et le commerce y languit malgré la franchise
du port; nous espérons donner une nouvelle actinté
à son industrie, et lui faire acquérir l'importance qui
lui est promiçe par son heureuse situation, en déve-
loppant la fécondité du sol, en demandant à la terre les
richesses qui appellent en rade les navires spécula-
teurs. Sachant cela , le gouvernement anglais n'exige
aucune rétribution en échange des concessions de do-
maines , et j'en ai proûté, car la fortune attend les
planteurs les plus actifs. »
Mais deux fléaux désolent ce pays : des nuées de
singes dévorent les légumes et les fruits; des tigres
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DE L'iSTftOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 57
visiteurs viennent s^ abreuver de sang humain ; il ne
se passe guère de semaine qn^on n^ait quelque perte
à déplorer; aussi, avant de nous aventurer sur les
flânes du Bouguei-^Tima^mon compagnon me recom-
manda-t-il de glisser deux balles dans mon fusil.
Au retour, j^étais encore assourdi par les cris des
singes, mais j^appris que le tigre préférait s^attaquer
aux chairs nueé, et qu'il ne prenait guère ses victimes
que parmi les Indiens. Merci, ô mon habit!
Cependant je ne pouvais abuser des bontés de mon
compatriote, et je partis seul pour une excui^ion en
rade ; j'allai visiter un ilôt appelé Ile du Gouvernement^
dominé par des mâts au haut desquels flottaient les
pavillons annonçant Tarrivée des navires.
La course se fit dans un bateau du pays, mené par
trois petits Malais fort intelligents et très actifs. En
une heure, j'atteignis le but du voyage et je me trou-
vai bientôt comme enfermé dans un assez grand nom-
bre de maisons bâties sur pilotis , et dans lesquelles
on ne monte qu'à Taide d'une échelle en corde.
Auprès de ces maisons vivent aussi , dans des bar-
ques spacieuses, des ménages entiers de pécheurs ma-
lais, n'aUant pi*esque jamais à terre et laissant glisser
leur monotone existence conmie de véritables amphi-
bies.
Je passai toute la journée dans mon bateau , allant
d'une côte à Tautre , et je dois dire , à la honte de nos
gastronomes européens, que pendant douze heures
mes bateliers ne mangèrent pas un seul morceau, et
ne burent pas même une goutte d'eau, quoique la
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SS m>YÂGB ASTOCR M MONJ^lSi. *
elialeilr îàt excessive. Il faut bien dire ees efaose^à
quand oa veot être hktorîen fidèle et qu'oa «tudie les
liommes dans tous les détails de leur vie intifne; ils gaiv
dèreut pour le soir les débris de mon déjeuner que je
les forçai d'accepter.
Dans un des villages voisins de la côte, une fêle avait
lieu, et je n'eus garde demanquer l'occasion q^i m'était
offerte» J'aime à Toir le peuple, surtout dans ses joies;
mais, hélas! je dois le dire, les heures de calme et
de bonheur sont rares danstouteslespartiesdu monde,
et c'e^ parce que je ne l'ignore pas^ que je me jette
avec abandon au milieu des amusements qui effaeenii
pour quelque instants do moins, les souvenirs des
amertumes vieilles ou récentes.
Une feule immense ébiit réunie sous une ^pèce de
hangar , et semblait attendre avec impatience l'arrivée
du personnage qui devait égay^ la scène.* Le goum-
goum , orehestre favori de tous ces archipels, réson^
nait depuis quelques temps^ et l'héroïne ne paraissait
pas encore.
La voilà pourtant!... C'^it une jeune fille de
quinze à seize ans au plus, couverte seulement du c&^
hen-sahori attadié à la hanche et descendant jus^
qu'aux genoux; elle était jolie, bien faite, gracieuse.
De son épaule droite {^rtaik une sorte d'écharpe qui
allait s'attacher symétriquement sous le sein gauche,
et laissait flotter un de ses bouts au vent; des rondelles
en grand noa»bre ornaient ses bras, *t vous voyiez, au
milieu de ses dbeveux lisses, 0c»rset relevés à la chi*-
noise , courir et papillonner des banderoles de divers
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i,%^^^m j'-!
> ^t.
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niaitjzed hv vjOOO
NM3
Zmy d'Après F. Le
L^!h Riôc""'-eL:'^:HicKfr
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DE b^^^fa^ouQE wt n% %k mUt. 91
9âs eâujklivs ; sa gwffet était eo^iTerte par SMi éi^arpe
flottante, mais son col , ses braa et ses jambes âUiieot
«bs4>lu];QeBtntia, piiw^ueles brteelets.et leseolliers les
wilaieat à peine j et , eboee étrMge , ses doigts étaient
couverts d'une sorte 4e gaat& de peau termiBés par
des peintes en métal, k)ngues, aiguës, courbée,
knitant à nierveille €^& imagat faiilBsiB0gociqiies éta>*
lées cbeï le& nvarcbaad^ de jo.t^oux et appeléi diable-
tins* *
La jeune fîtte parle par saccade, tandis que le goum-
goum fait silence; les spectateurs écoulent avec une
singuKère attention, et moi, qui étudiais leur phy-
sionomie, je compris qu'on représentait devant euj^
uit drame plein d'intérêt.
Cependant^ la comédie se jouait encore;, depuis
q^uelques minutes , la jeune fille s'était retirée dans
un coin du cirque, quand Tun des spectateurs ,
jeune homme d'une viagtaine d'années ^ envahit U
scène et commença un. discours dont je ne me suis
pas. chargé de vouç donner la traduction. €ela fait,
les spectateur^ accroupis répétèrent les diermères
phrases de Thistrion improvisé, et api*ès que le hurle-
ment eut cessé, la jeune fille reprit s^udacieusemeiit
çon poste, renvoya les ijaterlocoteurs et occupa s/wle
l'attention générale-
nie ptn0 éaniter dttoirdbes,. inipos^ des fois;
à sa v^ix, efi^etfefc, on garda l'imim^biiité, et Tim ad**
mira s^ns restric(îi«> les poses fdua «p-équivo^fMs, h
mvàwè prameat^wv les piMi««s>el i» erotorsio» de
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40 TOTilUr kVTom tv icomE.
cette pauTre enfant, qui était peut-être la Mars ou la
Racbel de Syngapour.
Une heure après, tout était dit et fait; je repris le
chemin déjà parcouru, et je rentrai dans la ville presque
côte à côte avec une pirogue mise en mouvement par
une pagaye à double pelle, au moyen de laquelle on
agissait à droite et à gauche, sans que Fembarcation
fit le moindre embardé. L^ndustrie se fait jour chez
tous les peuples dans les moindres détails de la vie.
Les Européens de Syngapour sont presque tous né-
gociants; ils se réunissent en famille pour tuer les
heures du repos, et ne se fréquentent guère qu^entre
nationaux ; ijs forment [autant de petits clubs particu-
liers, anglais, portugais, américains; Tiin d'eux,
M. Balestrier, d'origine française, consul des États-
Unis, nous accueillit avec beaucoup de politesse; il avait
reçu de Tempereur de Chine une caisse de ce thé spé-
cialement réservé à la table céleste , et il nous pria de
participer à ce cadeau, que nous avons fait apprécier
depuis par plusieurs gourmets de notre connaissance.
Mais, de toutes les personnes que je rencontrai dans
cette coionie potyghiie, celles qui attirèrent le plus nàes
sympathies furent mon confrère Ledieu, dont je vous
ai parlé , et un bon prêtre français que j^appelais tou-
jours monseigneur, bien que sa modestie voulût s^y
opposer ; M. de Corvezi, évêque de Bide (in pariibus)^
membre de la société des missions étrangères; il est
des institutions qui imposent le respect, il est d^
hommes qui commandent Faffection.
M. de Corvezi est en même temps curé et évêque,
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DE L^ASTRaLABE ET DE LA ZÉLÉE. 41
et son coopérateur est Chinois. Vous ne sauriez croire
le bien qu'il a déjà produit, et Pamour que lui portent
toutes les classes et toutes les castes d'habitants. Aussi
a-t-il trouvé des offrandef généreuses lorsqu^il s'est
agi de la construction de son église.
Il avait fort peu de néophytes, pas de temple....
Qu'a-t-il fait? Il s'est adressé avec confiance aux sec-
taires des autres religions, et, chose merveilleuse,
chose incompréhensible pour quiconque connaît Tin-
tolérance des peuples asiatiques, il a reçu Fobole du
Malais, de l'Arabe et même du Chinois. Cela présage-
t-il qu'un jour viendra où la même religion réunira
toutes ces familles éparses? Ainsi soit-il.
u.
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'H
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ARCHIPEL SOULOU.
-~ UMigm. — méîmnm.
Le climat dévorâteur des Moluques et des Archipels
voisins s'est rudement fait sentir à bord des corvettes ;
un grand nombre de nos hommes sont malades ; la
dyssenterie et les fièvres pernicieuses se promènent
dans le faux-pont, et j'ai besoin de toute mon activité
pour résister aux fatigues d^un travail sans relâche , et
aux inquiétudes qui me poursuivent. Cependant,
ce n'est pas sans un vif sentiment de plaisir que
je vois se dresser devant moi Bornéo Tindomptée;
Taspect d'une végélalion vigoureuse peut venir en aide
à mes soins et à ma sollicitude.
Je me suis trompé; Sambas n'offre pas de rcs-
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44 VOYAGE AUTOUR BU MONDE.
sources; nous apprenons qu'on n'y prendra aucune
espèce de vivre , et la douleur se couche toujours dans
les cadres suspendus.
Sambas, à Tembouchure de laquelle nous mouil-
lons , est une magnifique rivière que les navires peu*
vent remonter à une assez grande hauteur. Sur ses
bords , à environ quinze lieues de la mer, les Hollan*
dais ont élevé un fortin, protecteur de leur vie; l'a-
venir peut-éjre lui réserve de grandes destinées. Non
loin de là, à Montradok, les Chinois ont fondé un beau
comptoir, nous pourrions dire, une véritable puis-
sance continentale , où ils exploitent , avec un grand
profit, les mines d'or et d'argent si abondantes dans le
pays.
Au surplus «6éÉe 41e , l'use des pins Rendues du
globe, a droit à des détails plus positifs, à des investi-
gations plus rigoureuses, et plus tard je m'acquitterai
dignement de ce que je dois à cetle grande reine de
l'océan Indien.
Notre mouillage n'a pas été long; nous sommes
partis sans rencontrer un seul naturel vingt-quatre
heures après avoir laissé tomber l'ancre, et je regrettai
que mon rigoureux devoir me retint à bord auprès
de mes malades qui avaient plus besoin de mes soins
que je n'avais encore soif de découvertes. Du reste
toujours la même richesse du ^1 ; toujours la même
variété dans les grands végétaux qui pèsent sur l'Ile
mystérieuse , toujours le même silence dans s^ éter-
nelles solitudes.
Les pluies ineess^ntes nous aocpmpagoiMnt 4^iis
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DE L'idSimOLABE ET DE LA tàUU.
quelques temps \ presque toujours sans veoi, pr^qu«
toujours sans brise , mais ^elquefbis aussi avec des
rafales cai^abioées. Dans cette traversée, un effrova-
hle ouragan est venu nous saisir, et nous avons poasè
une nuit entière dans de vives inquiétudes. La omh
notonîe du honbeur énene et glace les sens; les com-
motions électriques les réveillent; je me plais aux
contrastes.
Comme nous longions à petite distance les côtes de
Bornéo , nous pouvions en étudier de temps à autre
rimposante majesté. Elles s^étendcnt presque toujouii
basses et régulières, mais dans l'intérieur se dessinent
des sommets impérieux , qu'on peut voir à plus da
quarante lieues de distance. U y.a là peut-être assez de
trésors pour acheter l'Europe.
Décidément nous sommes en guerre avec les airs et
les flots ; les tempêtes se succèdent avec une rapidité
désolante; l'alerte réveille incessamment l'équipage en
haleine. Aujourd'hui >l 6 juillet, une tempête nousfait
tournoyer, demain le calme nous saisit et le surlende^
main une nouvelle tempête nous prend de l'arrière, et
nous pousse énergiquement vers l'archipel Soulou;
c'est en mer surtout que l'homme se montre dans toute
sa puissance.
Voici ce rigide archipel peuplé de pirates. Vous êtes
sur ^1 relâchant là, là et là, de trouver des cœurs in*
domptés, des êtres farouches, cruels, d'implacables
ennemis de tous les peuples. Les Abruzzes ont leuis
bandits, la Catalogne et la Sierra-Morena leurs mique-
lets et leurs contrebandiers ; les côtes africaines et l'ar-
ebipel ionien, leurs pirates et leurs corsaires ; Soulou
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46 VOYAGE AtrOlJR Dl llOi>DE
ses écumeurs de mer plus redoutables encore : Sou-
lou est Alger avant notre ttonquête.
Nous mouillâmes dans une rade assez passable a
deux encablures de terre ; Tîle principale a donné son
nom à Tarchipel Soulou ; Bewan est la résidence du
sultan et d'une demi-douzaine de grands officiers
nommés dans le pays Datons.
Le chef suprême comprend sa mission; il en use , il
n'en abuse pas ; ses agiles embarcations fondent avec la
rapidité de Taigle sur les navires marchands à sa por-
tée, il s'en empare, les dépouille, les échoue, et Té
quipage est captif; mais je me hâte d'ajouter que les
matelots eschvessont traités avec douceur s'ils ne ten-
tent point de prendre la fuite.
Un canot déborde et on annonce notre visite au sul-
tan. Dans le but de lui rendre hommage, et, pour as-
surer dans l'avenir un commerce facile entre les Soil-
louotesetles Français, le commandant desdeuxcorvettes
fait descendre les États-Majors en grande tenue et une
partie de ses équipages en armes ; il veut ,par-là prou-
ver au chef suprême le cas qu'il fait de sa puissance,
et arrivés sur la plage, nous nous acheminons avec
calme vers le Dalem.
L'embarras du sultan se peignit sur tous ses traits ;
il ne répondait qu'avec défiance à nos témoignages
d'affection ; il examinait nos présents d'un air distrait
et remarquant une grande effervescence parmi ses
sujets, il nous pria de nous rembarquer au plus vite.
Sa volonté nous était traduite par un interprète es-
pagnol établi depuis long-temps dans le pays, mais
comme en définitive nos cadeaux avaient élé uccep-
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 47
tés, nous ne comprenions pas l'insistance du Roi.
Alors seulement nous apprîmes qu'un navire hollan-
dais avait été pillé par ces forbans , et que le peuple,
qui confondait le pavillon de Hollande avec le pavillon
français, pensait qu'on venait lui déclarer la guerre*
Loin de fuir, chaque homme était à son poste armé de
crish, de fusils ou de lances, et prêt à défendre son pays
au dépens de sa vie ; on les voyait tous sur une im-
mense esplanade délibérant sur les moyens d'attaque
ou de défense , et disposés à nous bien recevoir.
Dans Tappartement du prince. étaient une certaine
quantité de gens armés , et il nous fut aisé de nous
apercevoir dé leur défiance et de leurs dispositions
hostiles ; aussi le Sultan était-il de plus en plus dans
la résolution de nous faire partir, et les datoùs, satis-
faits de noire déférence vinrent nous accompagner
jusqu'à nos chaloupes.
Puisqu'il est impossible de tenter la plus petite pro-
menade dans la ville , je vais vous parler de son aspect
extérieur.
Et d'abord l'embarcadère, vers lequel on nous
pousse si brusquement, est d'un pittoresque bien di-
gne d'attirer la curiosité. La laisse de la marée étant
fort étendue, les Soulouotes ont construit, au-devant de
leur rivage, plusieurs petits ponts étroits en planches,
soutenus sur des pieux, qui se prolongent à certaine
distapce dans la mer ; ces ponts communiquent entre
eux , et deviennent, par la suite, de vraies rues ou des
quais, car dans le même allignement s'élèvent des mai-
sons sur pilotis»
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4S TOTAGE ADTOUB im 1105»
Fiib> sur b terre ferme on aperçoit, à h limite
cju' atteignent les vogues^ une ligne de fortîflco lions,
un reflipart formé de terrasses retennes par des ma*
driers , avee des embrasures de canons donnant snr h
rade.
Comme TOUS levoyer, la viUc capitale des Soulonotes
est défendue aussi bien par la nature que par toutes
les ressources de Tart, et Faspect belliqueux qu'ifs
prirent à notre approche indique qu'ils sont toujours
prêts k repousser Finvasion par la force.
Mais c'était une conquête toute paciGque que nous
étions venus tenter; M. d'Urville pensait qu'un traité
de commerce avec cet repaire de brigands pourrait der
venir utile à la France. Le but était louable sansdoute^
mais le succès ne répondit pas à notre attente ; noi^^
en fûmes pour nos frais et nos avances. de négocia-
tions ; nous fîmes au Sultan quelques cadeaux d'étoffe
rouge et bleue, et d'armes qu'il reçut avec une graçe
particulière, quand il vit qu'il ne s'agissait pas d'autre
chose que de recevoir; il ne. nous donna rien en échan-
ge ; peut-être pensa-t-il que c'était un tribut que nous
venions apporter à sa grandeur : la vanité est reine
du monde.
I<e résultat db bos. hQm praoédés^ et ée; um mimmi
futenraîsop im^iîsedes a^uiiiitages qu'ils d^vi^ttts?
twellemoni 11011$ procurei?. Le pciiple j viA bn actft é$
faibksse et peutré^ aussi de rusç; il poitvait permet
qmernaus voulions le su^pTOudire dw^ m aoiilianee ^
il se mit sur ses gardes.
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' DE L^ASTftOLlBE %f DE LA lél^E. 49
D'un aoU*e côté^ les datous plus généreui nous ren*
datent toute justice , maïs il ne cessèrent de nous invi-
ter à ne point quitter le bord. Ils savent^ eux^ com-
bien le Soulouole est cruel alors que sa colère lui monte
au front y alors qu^il croit .avoir un vol à. commettre ,
unevengeance à exercer, un outrage à punir.
Nous trouvâmes en rade un navire espagnol , laMi-
nerva^ de Manille, dont le capitaine, don Manuel Anto-
nio Gomez, nous donna sur fe paysJes indications
les plus utiles. 11 nedescend|ait jamais à terre ; ton équi-
page veillait constamment en armes, et jamais la
nuit il ne laissait accoster de pirogtiei Quapd son
second entamait des affaires de négoce, à peine «tou-
chait-il la plage, et consentait-il à traiter avec quel-
ques hommes qu^il appelait à lui. Bien que les da-
tous aient toute puissance sur le peuple, ils ne man-
quent pas de prendre contre lui de grandes précau-
tions; pour un étranger, il est nécessaire de se faire
toujours escorter par un de ces chefs, car sans cette
assistance sa vie court à chaque instant de grands
dangers. .
* Le commerce des Souloo consiste en tripan , sorte -
de'poissons gélatineux fort estimés des Chinois : en co-
quilles de nacre, en perles, cire, huile de coco et
nids d'hirondelle, mets favori du peuple jaune. *
Cependant nous avions besoin de vivres frais, et
pour nous en procurer, sans exposer les hommes de
Téquipage , nous allâmes chez le datou de la marine
dont la mai^ était bâtie sur pilotis.
Là encore, ce chef plein d'attentions courtoises
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50 WTAW i^Oim DC MONDB
nous eAattà An» pas descendre, ûûuft disotit qùll
n« répondait point de» tnalh^irs qui pouvaient nom
arriver^ si notre curiosité nous poussait à quitter le ri-
vage, et nous comprio^cs en effet que lee^our du bord-
nous étaitseulpemnU*
Mais je ne suis pas do ceu% qui écoutent ay^ dôei^
lité les conseils de la prudence et je vois quand je veux
voir. Aussi, sans me soucier he moins du monde des
avertissem^its dq cUtôu notre ami, j^abaqdonnai la
elialoupe; je franchis aiidacieusement le mur d'en-
ceinte et je me- trouvai sur une esplanade environnée
de maispns. Je vis. arriver à moi un cavalier monté sur*
un mragnifique cheval, et je le priai le pluspolimentpps^
siMe jde me céder sa place. Ce cavalier avait tout à jfait
bonne mine, Tair franc et ouvert; ma demande parut-
le surprendre quelque peu^ omis il se. ravi^ ei me
dit en eëpagnol que si je. voulais le suivre à son kabh
tation de campagne,. il satisferait volontiers mes dé^
sirs; j'aeeeptai..
Cependant avant de repartir pour ehez lui, il mt
dit que des devoirs l'appelaient chez ledatou de la ma-
rine , et je profitai de la oîrconstance pour recruta*
un compagnon d'aventure. Mon ami Xafont accepta
l'offre que je lui m fis et nous voilà tous les'deui che-
minant ^ulé av€^ le datou qui nous avait <^eri l'ho»-
pitalité.
L'habitation de pe chef eat grande^ cariée, toute ^
construite en bois, élevée sur pilais et fortifiée à la fois
par l'art et par la nature ; él^ domine lea lieux ewi-
rpnnrot9«t elleâ^ trouve prol^gée par dçs mares pj)o-
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DE i'iSnOIiiBI ET BE 1>4 lÉLÉE. Hi
fondes rà pataugent les buffles y et par un \av^ fossé
qu'on ne franchit qu'à l'aide de ponts enbois fortéletés.
Un l^e asses confortable fut étalé à nos regards; le
daton possédait des meubla d'une certaine élégance^
et des porcelainet de Chine d'un goût exquis. Il nous
fit servir du chocolat,- des œufs, du lait et quelques
fruits : nous n'en demandions pas davantage, car nous
avions ^âte de visiter la campagne qui se déroulait à
nos yeux belle et florissante.
A cet effet de beaux chevaux nous furent offerts, et
nous partîmes pleins d'ardeur oubliant les périls dont
on nous avait menacés» Ce qui, sauve , ici comme par-
tout , c'est presque toujours la confiance.
Les propriétés de notre amphytrion étaient une vé-
ritable fortune ; ils nous les fit parcourir avec orgueil,
et il nous apprit que lui et les datous de la ville et de
la marine se montraient d^accôrd par les lois et par les
usages pour un partage égal clans les prises qui se fe*
saient. II se plaisait beaucoup dans sonile; avait ap-
pris depuis long-temps lalangue espagnole qu'il parlait
correctement et il ne voyait pas pour lui de patrie au-
delà de son horizon.
Dès que notre curiosité fui satisfaite , c'ert-à«<l!rc ,
dès que nous cAmes visité d'asses riches plantations,
nous toumAmes bride et rentrâmes dans la ville* Là le
peuple BOUS entoura avec une ardente c^urâsité, et
quand on eut appris que j'étais médecin on me pré-
senta divers malades, dont plusieurs atteints de la
bizarre infomité désirée chee nous sous le nom de
bec de lièvre, et Ton me pria deies guérir. Je fis à
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52 VOVAGE ACTOtH f)0 nO^UE
Tinitant même ropération à l^und^eux dtns la maison
du datou Taél , notre protecteur ; et comme il parait
que j^eus le bonheur de Texécuter avec un^orte de
dextérité, je m^attirai la confiance des spectateur^;
je me vis biratôt Fbfajet de la vénération générale.
Taël était un homme de vingt-cinq à trente ans,
d'une nature privilégiée , mais que Tusage immodéré
de* Fopium abrutissait en certains moments jusqu'à
ridiotisme. Il voulut nous retenir à diner'; nous accep*
tàmes sans façon et il nous fit servir des mets biei;i pré*
parés ma foi , tels que poisson , volaille et différentes
friandises venues sans'doute des Philippines.
Pendant le repas une musique harmomeuse com-
posée d'une flûte, d'un violon, d'une mandoline et
d'une voix de ténor d'une justesse extrême^ se fit en-
tendre par intervalle : • on joua des boléros, des fan*
dangos, des cegadillas ; et je me rappelai involontai-
rement ces musiciens cosmopolites qui viennent à
Paris chez les restaurateurs du troisiènié ordre faire
oublier l'indélicatesse des mets et l'âcreté des vins. Au
total ce fut presque un festin d'Europe.
Par une politesse poussée jusqu'à l'impuissance, le
datou nous proposa de passer la nuit dans sa demeure.
Lafônt et moi nous acceptâmes avec empressensent ,
mais avant de nous livrer au repos nous essayâmes
oUe nouvelle incursion. Dans cette course assez aven-
tureuse nous ne rencontrâmes que très peu d'homme,
tous bien armés et quelques femmes d'une beauté et
d'une propreté fort équivoques.
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DE l'aSTAOLABE ET DE L4 ZELEE. 55
.Nous traversâmes le marché; ça et là encore dans
les groupes nous remarquâmes quelques Chinois, et,
nous étant dirigés vers' leur quartier, nous les vimes
parfaitement installés dans une des plus belles rues do
la ville, dominant la nier et recevant de première maiu
la brise rafrâi<;hissante.
Dès que notre curiosité fut satisfaite, la nuit se fesant
noire, nous revînmes chez le datou', pour répon-
dre à son invitation; mais nous trouvâmes la porte close
et quelqu^instantes que fussept nos prières on ne vou-
lut pas nous ouvrir.
Nous apprîmes plus tard que la religion du pays,
née sans doute de la défiance , ne permettait a aucun
étranger de passer la nilit dans la ville ; le datou ne
voulut point donner Texémple de la désobéissance, eit
lorsque arrivés sur le rivage pour retourner à bord
nous cherchions notre enjbarcation, le majordome du
datou Taêl nous conduisit à une pirogue qu^il avait
fait préparer pour nous, et nou^ dit que nous n^avions
plus que des ordres à donner.
Cette prévoyance flatta notre vanité , nous partîmes
pagayes par les marins de Soulou , et nous arrivâmes
à bord où Ton était déjà inquiet de notre absence.
Comme je ne dois plus vous parler du datou de la
marine, quelques mots encore me sont permis pour
vous apprendre que les habitudes de ce chef sont tout
à fait asiatiques , qu^il passe les cinq sixièmes de sa
vijB à fumer de l'opium, et que mollement étendu sur
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54 TOTAOE AUTOUa DD IIOICBB.
de riohes tapis posés sur une estrade isolée , et gitrdé
sans cesse par des hommes armés^ il semble prendre
plaisir dans' de coupables exëès à abréger tiu^ exis-
tence qui pourrait être loQgue et florissiinte, .
Ses coffi^es sont pleins de bdles armes , de riqlMs
étoffes, de bijoux, de pierreries , où je^oyais des eoi-
preintes de blason ; il étalait à nos regards des mar^
cliandises précieuses quMl n^ avait pas toujours obtenues
par voie d'échange.
Jago, son majordome,* était un vieux Castillan blan-
chi dans la servitude; les musiciens dont je vous ai
parlé étaient desTagals enlevés presque dans les rues
de Cavité ; peut-être , dans tous ces esclaves , y avait-il
des échappés des prisons de Manille.*., et j'appris que
le barem déTaêl renfermait des filles de sang espa^
gnol ; quelle honte !
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6
SOULOU.
Mmpwlî fénéral de lUxT^tÈÊpA.
Cihq ou eiit tlee ou ttots dont la principale est eelle
que nons venons de quitter, une ville de 3,000 ha-
bitafits au plus^ des compagnes où les naturels se
ré«ini^ent, deâ bourgades de peu d'importance, d'au-
tres petits établissements e^més sur les terres voisines,
pareilles à des nids de vautours , et d'où s'écliappent,
ardents à la rapine, des hommes indomptés , féroces ,
sanguinaires; voilà ce que l'Europe civilisée permet
avec tant d'insouciance, voilà ce qui fait trembler dans
ces parages les capitaines de toutes les nations.
Alger a été pendant des siècles la terreur de la Blé*-
diterrannée ^ les puissants moi^rques qui avaient sous
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56 TOTAGE AjDTOCR DU MONDE
leurs mains de formidables escadres, souffraient que
leur pavillon fût insulté, leurs navires marchands en-
levés, leurs enfants* conduits en esclavage. Tout cela
est une logique difficile à comprendre pour quiconque
a du cœur, pour tout homnie qui sait que le premier
devoir des gouvememenis est la protection des sujets.
Ici, nul navire anglais, américain, espagnol ni
hollandais n^a droit de poursuivre sa route ou de se
reposer «ur. ses ancres, sans que tout Téquipage aux
aguets veille bien -si des pirogues abordent, si des
homiAes armés viennent Tassaillir. Je vous Tai dit, je
crois, le Soulouote est hypocrite et fort en même temps ;
s'il s'approche de vous, c'est une menace de mort, s'il
vous parle c'est un arrêt fatal.
Dès que le pillage lui est promis sans trop de danger,
soyez sûr que le pillage aura lieu. Que fait-il de ses
riches prises ? 11 les entasse dans des coffres solides, il
les parque dans ses demeures fortifiées ; et plus tard ,
quapd vient l'occasion , il les échange contre de i^ou-
velles denrées, contre de nouvelles étoffes , contre de
nouveaux besoins. Le Soulouote comprend Ja vie de
pirate comme le citoyen de Fez, d'Alger et de Maroc.
Voyez pourtant, Syngapoûr est là sous la domination
britannique ; Batavia est là sous le pavillon hollandais ;
des navires trafiquant des deux peuples sont attendus
à époque fixe , grâce aux régulières moussons de ces
climats... Hélas! les flots sont muets , muet aussi est
l'équipage fait esclave, rien ne paraît à l'horizoïi,
nulle carène attendue ne vient se reposer dans le port
d'où l'armateur a fait partir ses richesses. •• Manille
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DE L'iSTROLiBE ET DE LA ZÉLÉE. ' 97
au$si eettt riche eolcmie espagoole qui peu( rivalisor
avec le^us beaux élablissements du monde, attend
comme Batavia et Syngapour ses ' vais^aux et «et
hommes; mais les Soulouotes ont eu rœil ouvert sur
les cargaisons, et les trois colomies insouciantes w vont
.pas interroger les iles de lave où elles ont vu dispa-
raître leurs fortunes et leur dignité.
Cependant il arrive parfois qu^un peu de généreuse
honte se fasse jour à travers tant d'humiliation* . Un
navire bien armé se présente devant Soulou ; il «'em-
bosse, il menace, il ouvre ses sabords... on prl^
mente. Le sultan qui estooble et débonnaire lui rendra
les esclaves moyennant échange; il se dira, si vous Je
voulez, votre tributaire, et demain le sillage de votra
navire ne sera point effacé que déjà de nouvelles rapioeii
auront eu jieu , de nouveaux massacres auront rougi
ces mers; vive la civilisation I Ici Tastuce est compa*»
Çne de la force ; mais le Soulouote invoque d'abond
la première ; le crish , la lance et le canon w viennent
qu'en seconde ligne.
Puisqu'ils volent à tnain année, vous ne serez pas
étonné d'appi'endre qu'ils fraudent dans leurs échan-
ges de commerce ; ainsi ils ne se feront aucun sçi*iipu*
le de se servir de faux poids » d'introduire du gravier
et de la terre dans les paii^ de cire qu'ils vous vi-
dent ; ils fabriquent avec beaucoup d'adresse d^sperl^
fausses I tellemait bien imitées, qu'il faut avoir l'oûl
énercé du Chinois pour reconnaître la spperçjierie;
ils vont jusqu'à proposa de vi)s aUiî^^es en place de
Vmg^ d'or^ et qn%»â vous von» apercevez que voqa.
n. ^
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S8 TOTAGE AUTOUR DU MONDE
éted trompé y retrrez-vous , si vous n^étes eu force ^ car
à vos plaintes y à vos protestations ils répondront froi-
dement : «.ce qui est fait est fait , » ajoutant Tarro-
gance à la perfidie. Ne menacez point. ... car leurs crish
sont aigus , et pour eux Tassassinat n^est pas un crime.
le pourrais vous citer l'es navires anglais qiii, eh>l805'
et 1804, tont eu de semblables outrages à supporter ;
mais ce qu^ij-y a de plus bizarre dans Texistence de ces
bommes d'acier, qu'il faudrait chasser de leur repaire,
c'est qu'ils vivent dans une défiance continuelle les uns
des antres ; les simples particuliers ne font pas la plus
légère promenade sans être bien armés, «et les datons
ne sortent jamais sans une bonne garde, qu'ils doublent
ou triplent* selon leur volonté, et en cas de besoin au
bruit du tambour ; la nuit venuci , sous nul prétexte
aucune porte de chef ne s'ouvre à la prière ou à la me*
nace. Dans les gorges de TJndoustan, dans les forêts
africaines , dans les sables des déserts, les tigres et les
lions ne dorment pas autrement; le Soulouote est le
lion et le tigre de ces parages.
Et cependant des jours de paix et de ealme se lèvent
parfois sur ces iles de rapine et de deuil. Si vous par-
venez à vaincre la défiance de ces hommes, si vous avez
été une fois bien accueilli par eux, qu'ils n'ayent rien
à redouter de votre puissance, ou très peu à gagner au
vol... Oh I alors, leur commerce est assez facile; ils se
montrent bons, joyeux, causeurs ; ils aiment à répéter
les mots de votre idiome , ils s'enquièreht avec intérêt
de vos mœurs et de vos usages, et ils ne craignent pas
de vous traiter de barbares puisque trou^ n'avez point
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DE L^STfiOLABE ET DE U ZÉLÉE. $9
de femmes à bord de vos navires et que vos joiirs glis*
sent sans opium.
En vérité n'ai-je pas été trop sévère dans mon juge*
mént^ et ne dois-je pas comparer le Soulouote aux bien*
veillants naturels d'Hamoa que je regrette toujours? .
N'en croyez rien , mes amis; passez , passez vite de-
vant Soulou la farouche, et ne fraternisez avec eux qu'à
la longueur d'une épfée ou à la distance d'une balle.
Achevons : .
Je vous ai dit que j'avais opéré un bec de lièvre;
après cette opéi^ation je laissai ma trousse chez le da-
tou, et lorsque je revins le soir pour la. reprendre,, il
me fut impossible de faire ouvrir les portes de ce châ-
teau-fort, car le soleil était déjà couché. Le lendemain
matin au petit jour je me présentai de nouveau ; le
maître dormait encore , les mêmes obstatles/se présen-
tèrent ; bu ne me parla qu'à travers la porte close , et
l'on me fit parvenir ma trousse par un vagistas^quis'e^
à peine entr'ouvert.
J'étais pourtant fort peu redoutable , seul et sans
armes au milieu d'une population qui n^aurait fait de
moi qu'une bouchée.
Je retournai vers l'embarcadère; les corvettes
avaient les huniers en tète des mâts. Je me jetai .
dans ma chélive pirogue, et vite etvite., j'activai du
geste et de la voix le zèle de mes pagayeurs; mais à
moitié route , ceux-ci virent le grand foc hissé , une
brise bien ronde allait faire enfler les voiles... Ils
cessèrent de pagayer, échangèrent quelques paroles^,
et doublèrent d'activité pour regagner la terre. Alon^
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tuie intlé s^ngagea tiolente entre eux et moi , je rédâ^
mai la parole -donnée ; ils me firent entendre ^ne slls
vemient près du bord on pourrait leç garder^ et bon
{(Fé y mai^^ ils me ramenèrent sur le rivage.
. L^un d^eux.était mon opéré de la Teille;. quelle re-
oonnai'ssaace 1
He«re«»emeut mes camarades m^aperçurent aux
prises avec mes deui coquins; lef grand canot armé dé
dix hommes me fut expédié , et je regagnai la eohrette
qui avait déjà quitté le mouillage. Je me promis d^ètre
plus circonspect à Favenir, si je visitais une secon^de
fois Souloui-.. mais j'espère bien ne pas me trouver
encore en présence de ces hommes dont le souvetôr
seul pèse sur mon âme.
Adieu à Soulou !
. Eh bien nonl voici qui me rappellera encorei.cei
archipel dangereux : nous étions sous voiles, les mat^
lots occupés des manœuvres.^ et nous étudions le& bi*
zarreries de la côte... Tout-à-coup un homme, un
étranger se montre; c'est un Malais. Ses gestes, ses
regards^ sa physionomie demandaient grâce ^ depuis
quelques mois'il était esclave à Soulou; il avait voulu
la liberté au péril de sa vie; il était venu le long du
. bord la nuit (iomme un malfaiteur dans une frôle em-
barcation qu'il avait abandonnée au courant; la ^xs^
nelle fit semblant de ne pas l'apercevoir, le pauvre
Qcialheareux glissa parlesécoutiUes, se tint ^am entre
deux câMnnades, essayant de se rendre invisible; ae
pariant ni ne soufflant de peur d'éveiller l'âtten^cm ,
mais le jour venu, il fallut bien se montrer... il alla
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Aà.
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N° 27.
cil. DdKommft Del^
Litl». Paul Petit et C' Place du Doyenné. 3.
KAKOU ESCLAVE FUGITIF,
( ex. xcmpet y o mIo-u^ . )
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KAKOU ESCLAVE FUGITIF,
( ex tciiljoel VJo t*£o'M^ . )
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DE L^ASTROUBE ET DE LA ZELEE. 64
droit au lieutenant M. Dubouzet, qui ayant un goût
prédominant pour la langue malaise, prit en p'itiéle
pauvre fugitif. On Femmena; sa joie fut grande, sa re-
connaissance aussi, et quelque temps après nous le lais-
sâmes à Samarang ; il était là sous le pavillon protecteur
de^a nation, il y trouva des compatriotes et des moyens
de retorur à Makassar son pays natal.
Kakou avait Tintelligence peu développée; il se pré-
tait à tout, et faisait par sentiment ce que plusieurs au-
raient fait par calcul.
Avant et après lui d^autres esclaves espagnols ou
malais vinrent à nous pour tâcher d'échapper à la do-
/nination des Soulouotes, mais le commandant refusa
de les garder... car, après tout, en les emmenant,
nous aurions manqué aux droits des nations, sinon
à ceux de Thumanité.
Quant à moi, sans blâmer personne, j'aurais ac-
cueilli les esclaves fugitifs.
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RÉFLEXIONS.
La grande histoire du inonde est pavoisée d^une
infinité de petites histoires qui, vraies ou fausses, n'en
servent pas moins , à l'aide de la réflexion et de la
poésie, à la classification des faits e^des idées qui ont
taillé les hommes et les mœurs ce qu'ils sont en
réalité.
Ce qu'il y a de plus exact, c^est l'échelonnement des
vices et des ridicules que les peuples civilisés ont ap-
porté aux pays sauvages et qui s'y sont implantés en
despotes. Ce qu'il y a d'incontestable encore, c'est
Fardente lutte qui existe même aujourd'hui entre les
vieux usages et les enseignements nouveaux, entre le
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64 VOTAG^ AUTOUR DU MONDE
commerce et llDdustrie, tendant toujours au progrès,
et l'insouciance qui tient à rester stationnaire. Croyez-
moi, négociantsou explorateurs succomberont unjour;
leur courage, leur persévérance, leur enthousiasme sou-
mettront peut être pendant quelque temps les nations ;
mais ils se courberont tôt ou tard devant la douceur ou
la rigidité du climat, devant râpreté ou la richesse du sol.
Que si rhomme a le nécessaire, son intelligence
finit toujours par repousser le superflu. Ce qu'il re-
doute avant tout c'est la fatigue; et la paresse est son
état normal.
C'est principalement dans les climats sur lesquels
le soleil darde ses flèches les plus aiguës que le progrès
est difficile. Ici la terre est féccHCide , l'atmosphère em-
baumée, les eaux poissonneuses, la vie circule à
grands flots et se fait jour par tous les pores. On res-
pire , on se sent heureux de tous ces bienfaits semés
avec tant de profusion. La mort arrive qu'on est né à
peine , et comme il y a plusieurs récoltes en une seule
saison, l'existence de la créature suit cette progression
rapide , et les rides se posent en souveraines sur les
fronts de vïng-cinq ans.
Sous les zones rigides et glacées, un contraste de
ces choses logiques a lieu; c'est une nature marâtre
en hostilité permanente avec des corps sans cesse souf-
freteux et raccornis par les rigueurs d'un ciel de cui-
vre... Le Kamtschatkadal , le Lapon naissent vieux , si
je peux ainsi m'^exprimer, et chacun de leurs pas dans
la vie est un combat contre tout c^qui les^èntoure. Bien
ne leur est donné ; il faut qu'ils aillent à la conquête
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DE L^ASTAOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 65
des habitatfoDs qni les abritent , des fourrures qui les
couvrent; ils n^ont le temps ni de s^ aimer ni de se le
dire, ils existent parce que Dieu Ta voulu dans un ac-
cès d^humeur capricieuse. Pardon , ô mon Dieu !
mais tes mystères sont si impénétrables I
Dans les climats où les saisons sont tranchées y où
chaque mois est distinct, où la variété domine, où
chaque heure a, pour ainsi parler, ses habitudes et ses
besoins, Thomme est plus actif, plus industrieux, ses
guerres contre l'atmosphère il peut les accepter, car il
est fort , presque toujours victorieux ; et comme il se
trouve sans cesse en présence d'un ennemi nouveau
mais peu redoutable, qui oppose une résistance de
chaque moment , qui dresse des embûches , des obsta-
cles, il est obligé sans cesse de combattre... De là les
arts , rindustrie.
Hélas! de là aussi le luxe et la misère, contraste
effrayant qui glace le cœur et fait maudire la civili-
sation.
L'égoisme, ce hideux despote du monde, est sur-
tout rhôte des grandes cités. Partout où Tair est mesuré
aux poumons de Thomme, la nourriture est pesée à
son estomac; et nulle part on n'est moins chez soi,
que lorsqu'on se voit contraint de vivre auprès desautres ,
Partout où vous pouvez errer en liberté, vous deve-
nez bon et serviable. Vos besoins de chaque heure vous
servent d'enseignement, pour venir en aide à celui
qui doit essentiellement se trouver dans votre position,
et le mot misère est incompris de tous les archipels du
grand océan Pacifique.
II. S
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66 TOYÀOK kVTOm DU MONDE
Là y là et là y il n'y a pas d'hommes qui Vait ta e»*
bane ; il n'y a pas de famille qui n'ait sa souree ^ son
carré de terre , son cocotier et sa place pour uiit
tombe.
Chez nous, au contraire , si vous ne laissez pas de
quoi vous payer quatre pieds de ce sol que vous avez
abreuvé de tant de larmes , on vous jette froidement
dans un trou qu'ils appellent^o^^r^ commune. Mais vous
habitez des pays civilisés, mais vous êtes citoyens d'un
empire éclairé par l'industrie , les sciences et les arts.
Disons-le parce que cela est : nous sillonnons l«#
mers ; nous bravons les tempêtes et les calmes de^
océans ^ non au profit des peuples que nous nous flat^
tons d'instruire et de façonner à nos usages et à uoi
mœurs, mais pour nous seuls qui voulons un lucr^
contre toute fatigue , un bénéfice en échange de tout
déplacement.
En vérité les naturels de tous les archipels oeéani*
quesontdù bien rire à nos premières confidences^ à nos
premiers enseignements. Dans notre ardente passion
de pédagogues nous voulions leur apprendre non pas
comme on vil chez nous, mais comme on doit vivre
chez eux, et c'est pour cela que, sous un soleil ardent^
nous leur offrions en échange de leurs fruits savou-
reux, des vêtements et des chaussures. Et voyez jus-
qu'où nous poussions la prévoyance et la délicatesse!
Ils avaient des cabanes où l'air circulait en liberté,
et nous leur apprenions à se bâtir des demeures bien
closes , barrières puissantes il est vrai contre les atta**
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DE L^^ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. 67
ques des hommes ^ mais funestes à la santé puisqu'el-
les étaient fermées à la brise caressante.
Ici notre orgueil reçut un premier échec, Texpé-
rience nous vint en aide, et nous dûmes démolir pour
reconstruire. Bienfaisance soit, mais égoïsme avant
tout, car nous travaillions pour nous, qui changions de
pays et qui voulions nous donner le confortable. Dans
ces climats équatoriaux , tout oe qui vous entoure ,
tout ce qui vous touche est une gêne. Nos matelas
moelleux auraient épuisé nos forces, nous dûmes
donc renoncer à nos matelas , à nos couvertures, et
nous acceptâmes les hamacs et les nattes. La vanité
des naturels fut flattée de cette condescendance, et peut-
être commencèrent-ils à nous estimer un peu moins.
Ainsi fimes-nous de tous les objets nécessaires à la
vie usuelle ; et pour ma part, je vous dirai que si j'ai
d'abord éprouvé quelque répugnance aux fruits tropi-
caux ^ je les ai trouvés dans la suite supérieurs à ceux
de nos climats. Selon moi rien n'égale la douceur de
la banane onctueuse, nulle boisson n'est aromatisée
comme le lait de coco , nul fruit n'est agréable au pa-
lais comme Faigrelette jam-rosa.
Nous perdions par conséquent quelque chose de nos
premières habitudes pour nous façonner aux nou-
veaux usages, à une nouvelle vie , et c'est peut-être à
cette déférence que nous devons les premiers pas de
notre conquête : n'humiliez jamais le vaincu si vous
voulez qu'il reste soumis; ceci est une loi immuable
de tous les peuples; de toutes les époques.
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8
PHILIPPINES.
lliii««a«#. — SMBlioiiaiiir«a. -- ^étiiUs.
Il avait raison alors, ce puissant et glorieux monar-
que des Espagnes, de dire que le soleil ne se couebait
jamais dans ses États. C'était Fépoque des grandes
choses et des grands aventuriers; les Cortèz, les Piz-
zarre^ émules des Âlbuquerque et des Cabrai, ne sil-
lonnaient pas seulement les océans par esprit de eu*
riosité. Sur des vaisseaux mal armés, mal équipés,
transportés avec des équipages, rebut des nations, ton*
jours prêts h la révolte, comme si les tempêtes océani*
ques leur en donnaient Texemple, on les voyait,
infatigables, indomptés, s'élancer dans des régions in-
connues, creuser les immenses coucbes de fucus qui
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70 VOYAGE AlhrOUR DU MONDE
couvraient la surface des eaux, interroger les criques
les plus profondes, remonter les rivières les plus mys-
térieuses, jeler les produclions de leur sol sur les îles
et les continents nouvellement découverts, et ne son-
ger au retour qu'après avoir doté leur patrie de nou-
velles richesses, de nouveaux royaumes.
Mais les Portugais et les Espagnols étaient les vrais
dominateurs des mers; les deux Indes voyaient leurs
pavillons rivaux lutter de confiance et d'énergie pour
la conquête ou la possession d'un petit îlot, d'un cap,
d'un promontoire, d'une baie, et porter sur les con-
tinents les premières bases des établissements qui de-
vaient plus tard étonner le monde.
Voyez : le Mexique , les îles de son magnifique
golfe, les tenues basses et sablonneuses du Rio de
la Plata, le Cbili et ses rades èî Spacieuses, le Pérou,
les Mariannes, les Philippines, quelques îles des Molu-
ques, plusieurs comptoirs sur les côtes africaines... par-
tout l'Espagne se montre dominatrice; et, disons-le,
pour réveiller en elle le culte du souvenir, ellerougft
la première des excès de ces énergu mènes fougueux qui
voulaient imposer à la fois leur croyance et leur auto-**
rite; l'Espagne ordonna la répression de semblables
abus, et plus tard elle envoya sa religion et ses prétrei
pour Ittér l'idolâtrie et régénérer les mœurs.
Hélfts ! faélfts ! comme les siècles ont marché deptffè
cette époque ! Coûraie TEspagne est petite! cotHAM
tes géants sont devenus nains! L'absolutisme â pâ^sé
për-là, et h Kber lé seule conserve et régénère.
Quelques points éneoi*è preiqtiè invisible* sut h
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DE t'iSiaOLAEE ET W U ZÉLÉE. 74
carte du monde a|>partienncnt toujours à TEspagm*
Vous avez vi$ilé aveo moi les Marianues, promenas*
vous à mes côtés à Mindanao^ dans TArchipel des
Philippines; c'est là, comme par le passée un ciel pur,
une terre gén^euse, une végétatiou puissante, 4e%
eaux limpides, des sites à épuiser la palette du peioi-
tre ; ce sont des plaines riantes de verdure, de superbes
montagnes avec leurs volcans irrités; c'est un séjnur
de prédilection pour quiconque veut une vie calme ft
fortunée.
La nature est plus constante que les hommes i ellç
ne cliange qu a chaque saison ; mais les saison^ cnt
leur périodicité; elles se renouvellent, voilà tout*
La mer est belle, la brise constante, je vais voir un«
colonie espagnole^ et le passé se déroule h mes r^ardf ;
de la comparaison nait la philosophie de Thi^loirew
La teire se dessine devant nous variée, bizarre, a^
sez basse sur la côte, mais dominatrice dans Tinté-
rieur. Le vent nous pousse toujours avec une courtpî*
sie toute chevaleresque; en quelques heures nous se*
ronsau naouillage Nous y voici. .
L'iincre tombe sur un fopd de sahle^ la corvette tvi^
tiUe, elle se repose; salul au^ Philippines!
Uffe ville ou quelque chose qui lui ressemble est
di^vant nous; deux cent cinquante ou trois cents mei«>
sons au plus , bâties en bois, formaut des rues Tort
régulières; de ridies plantations autour; une belb
campagne se déployant derrière, bornée par des l^-*
teaux élevés; des bouquets imnœnses de eocotiers;
toute la iamiil^ dfs palmistes si variéf; ^ coquets ,
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72 V0IA6E ÀtrrouR du monde
yfûilk le spectacle qui nous est offert aujourd'hui, et
dont nous allons bientôt étudier les détails.
Tout visiteur étranger est importun, je le sais ; il est
égc^ste Je le sais aussi... Et cependant dès que son im-
portunité vient en aide à ses études , il en accepte toutes
les conséquences. J'appris qu'il y avait à Zambouan-
gan un confrère capable de m'éclairer sur les cu-
riosités du pays ; j^allai le voir, et je trouvai en lui,
comme j^ai trouvé presque partout, une grande bien-
veillance d'abord, et bientôt après une amitié dont le
souvenir me sera toujours précieux.
Notre première visite fut à T hôpital, dont il est mé«
decin en chef, et qui se trouve placé au milieu du
fort protégeant la ville et la campagne ; ce sont des
salles bien aérées, d'une propreté exquise; c^est la
santé se promenant au milieu des souffrances humai-
nes. En sortant du fort, je remarquai les défenses de
la ville du côté de la rade ; un fossé profond où coule
un beau ruisseau, et une ligne de palissades serrées aux
extrémités de laquelle sont deux maisons carrées en
planches hissées sur des poutres à huit ou dix mètres
du sol. Mon guide m'apprit que c'était deux espèces
de baslions-guérites où Ton montait la garde la nuit,
et d^où Ton faisait des signaux, afin de donner Talerte
et de se préserver d^attaques inattendues. Un boulet bien
dirigé, renverserait ces deux frêles édifices, qui ne sont
bâtis sans doute que contre les surprises des brutales
peuplades de Tintérieur.
Il parait que mon guide tenait ce jour-là à me mon*
trer combien la ville était bien défendue, car il me
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i
f
DE l'aSTROUBE ex DE U lEtËE. 75
mena d'un pas triomphateur à quelque distance dans
la campagne vers une maison bissée également à dix
mètres du sol, et qu'il appelait JSaluarie. Encore m
des sentinelles pour donner Téveil, quatre hommes et un
cçiporal de garde permanente, car les indigènes de Tiof*
térieur soutirés redoutés; encore ici quelques coups
de hache de sapeur, et la forteresse est détruite.
Celte immense guérite, armée de deux pi^rriers,
pourrait contenir une quarantaine d'hommes assef à
Télroit ; elle est adossée à de belles collines ; au*dev9nt
d'elle, du côté de la mer, se dérouie la ville et un ma*
gnifique payspge.
De belles prairies, de riantes campagnes, de frait
ombrages, une rivière limpide environnent ce pl^teoii
que vigile incessamment une brise salutaire ; U pUce
ne pouvait donc être mieux choisie pour fonder un«
maison de convalescence; c'est aussi )a destination d'un
édiGce assez bien distribué, et entièrement construit en
bambou, qui se trouve la toutprèsdeBa]uarté;onyvQit
accourir de Manille et de Makao, me dit Don Mathips,
des malades à qui Tair vivifiant de la vallée ne tarde paa
à rendre la santé et la force.
Pour mon compte, j'ai la meilleure opinion de la salu-
britédece pays, dont la bienfaisante influence se iitbientôt
sentir à bord de la Zélée. Nous en avions besoin. Depuis
notre départ de Batavia, où Ton sait que jamais navire
Oe séjourne impunément, nous étions assaillis de ma*-
ladie graves, de dysscnteries et de fièvres pernicieuse»;
huit à dix hommes furent dangereusement atteints;
l'un d'eux succomba à une attaque d'une violence ^i*
II. 10
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74 VOYAGE AUTOCR DU MONDE
tréme; les autres languissaient dans le faux-pont, et
sans concevoir encore de craintes sérieuses sur leur état«
je voyais avec inquiétude leur guérison entravée par
des rechutes continuelles. A Zambouan{;an, tous mes
malades se trouvèrent affranchis du fléau dévorateur.
Cependant, un indigène mourut en ville par suite
d'un coup de feu reçu à la cuisse. Le gouverneur, ap-
prenant que sa mort avait été précédée de circonstances
extraordinaires, et n'ayant pas une grande conCance
dans rinstruction du médecin de la colonie, m'envoya
chercher pour me demander mon avis sur ce qui s'était
passé. Savais suivi le traitement; il était irréproclia*
blç, le blessé avait été enlevé par une maladie terrible^
le tétanos , qui n'épargne jamais sa victime.
Par un désastreux hasard^ à peine venais-je d'expli-
quer cela à son Excellence, un cas nouveau se présenta à
bord de t Astrolabe, et en vingt-quatre heures un ma-
telot succomba, sans que les soins de mon confrère
lui fussent d'aucune utilité.
C'est que dans les pays chauds surtout, le tétanos est
plus redoutable encore que le choléra et la ûèvre jaune,
puisqu'il tue toujours celui qu'il frappe.
Notre relâche à Zambouangan, sauf les deux sinis-
tres que je viens de vous signaler, fut pour nos corvettes
un point de repos très utile ; les vivres de bonne qualité
y sont en abondance. La population nous accueillit
avec affabilité; chaque jour on envoyait une partie de
l'équipage jouir à terre des bénéfices de la promenade
sous les ombrages frais et au milieu des campagnes
riantes.
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DE L ASTROLABE ET DE LA ZELEE. 75
Le gouverneur vint en aide à une nalure généreuse
et protectrice; il nous donna des bals et des fêtes dont
les plus jolies filles du pays fesaient les honneurs
avec une grâce et une coquetterie tout espagnole; et
notre départ pour le bord était cliacpie soir un regret
pour les heures passées, une espérance pour le len-
demain.
Je ne vous dirai pas que TAndalousie se reflète dans
la petite ville de Zambouangan , mais il y a ici de frais
costumes, des visages chauds et colorés, des regards
provocateurs, une désinvolture attestant la force et la
virilité; et, mieux. que tout cela, une aménité de ma-
nières, une suavité de langage qui ne pouvaient nous
trouver tièdes ou insouciants.
Au total, puisque nous ne devions point relâcher à
Manille, puisque celte grande cité si florissante où font
échelle presque tous les navires qui, venant du ca|)
de Bonne- Espérance , vont dans le Japon, dans la
Chine et au Kamtchatka, ne devait point recevoir notre
visite, nous nous sommes estimés heureux de relâcher
à Zambouangan,. qui est, par rapport à la ca{>italey ce
que sont, par rapport à Paris, les villages des départe-
ments voisins.
Je lis seul , ou en compagnie de DoaMathias, plu-
sieurs courses aux environs de la ville. Un jour nous
nous éloignâmes de deux lieues pour visiter la Toq-
maga, riche domaine où l'un de ses amis élevait du
bétail dont il faisait d'excellents profits. Pourquoi Tin-
dustrieduMahonnais Don Pedro Ouro reste-t-elle sans
imitateurs? Pour celle expédition, nous nous étions
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76 VOYAGE AUTOUR DU MONDB
armés de pied en cop ; maïs tout le long de la route nous
ne fûmes assaillis que par les cris étourdissants des
singes qui peuplaient les grands arbres, et nous ne flmes
la guerrequ'âde charmants petitsoiseaux quidiapraient
les buissons. La retraite du pâtre était encore à plus dé
six mètres du sol : c'était encore une guérite.
Une autre fois j'établis mon quartier-général ùuBéh
luarté^ et delà je me répandis dans les lits des torrents et
sur les cimes de montagnes , où malgré ma crainte des
audacieux i/2di:bx dont on effrayait toujours mon imagi*
nation, j'ai fait de bonnes récoltes géologiques.
Ilparaitnéanmoinsque dans l'intérieur de Mindanao,
et mémesiir les côtes peu éloignéesdesétablissementseuo
ropéens, vivent des populations farouches, indomptées,
contre les attaques desquelles on ne saurait trop prendre
d'énergiques précautions. A cet effet, deux canonnières
bien armées croisent sans relâche et donnent, au be-
soin, Talerte à la colonie, qui se prépare à la défense;
mais tôt ou tard, si les moyens de protection ne sont
pas plus sagement préparés, il est à craindre qu^une
catastrophe ne dise à Manille qu'une ville a disparu
de son voisinage, et qu'une population entière s'est
effacée sous le massacre.
Disons avec regret que si la terre est fertile, le
ciel pur, l'atmosphère embaumée, les eaux poisson^
neuses, la paresse des habitants de Zambouangan ne
vient nullement en aide à une nature bienfaisante, et
que le peuple ici regarde le superflu c^mme un fléau.
Il dort sans sommeil, il savoure son cigare, il boit à sa
soif, il fait la sieste, il prend beaucoup de cltoeolat^
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DE L^iSTROLABE ET DE LA Z^LEE. V7
il vit; toute fatigue lui semble un châtiment, et il veut
qu'on ne le réveille qu'à ses heures accoutumées.
Quant à nous, oiseaux de passage, sans cesse en
lutte avec les périls et la monotonie d'une longue na-
vigation, nous dûmes regretter cette relâche si pai-
sible, et nous la quittâmes en effet pleins de doux et
tranquilles souvenirs.
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Google ,
COURSES AVENTUREUSES.
^▲oût cl septonlNre itm —
Où allons-nous? Dieu le sait. —Si lés venls nous
favorisent, nous irons là ; s'ils nous sont contraires,
nous irons ici. Les moussons et les brises se jouent
de nos prévisions, de notre constance, de notre téna-
cité; à peine les prenons -nous pour auxiliaires afin
de trouver une nouveiie relâche, qu ils changent de
direction et nous font faire fausse route. Toutefois les
voici plus constants, plus généreux; nous les remer«>
cions et leur livrons toutes nos voiles... C'était lin
leurre : ils se taisent, dorment et ne se réveillent que
pour nouslancer versune zone que nous voulions éviter.
N'importe, les vivres sont bons, Feau excellente^
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80 VOYAGE ACUTODR DU MONDE.
notre courage façonné aux vicissitudes; nous verrons
tôt ou tard qui se lassera plus vite des vents, des cou-
rants ou de nous.
Il parait décidément que nous pouvons en toute
confiance voguer vers Sydney, en doublant par le N.
et TE. les immenses terres des Célèbes, de la nouvelle
Guinée et de cette Australie où l'Europe a depuis long-
temps posé son pied souverain... Mais non; la brise
capricieuse nous prend par les épaules et nous fait re-
venir sur nos pas. Obéissons-lui en ron^^nt notre
frein, et courons de nouveau vers le S.-O. , car il faut
enfin que nous arrivions quelque p«Ft.
Le mois de juillet nous a élé terriblement hostile
par la quanlité de maladies sérieuses qu'il nous a don-
néçsj (Jans le mois d'août lu contre-mousspn noy^épui^*
Malgré cela, le passé sq reflète avec ses grandes choses
et ses beaux souvenirs, mais en revoyant les côtes pes-
tilentielles de la Malaisie, l'avenir se dresse devant nous
triste et menaçant. Imposons silence à nos craintes.
Nous voici en bonne route ; nous avons changé de des*
tinalion , faisons bon accueil au souffle protecteur qui
enfle nos voiles.
Les corvettes cinglent coquettement dans le détroit
de Makassar; il ne faut pas que cette navigation soit
infructueuse ; nous rallions pour la troisième fois la
côte de Bornéo, et nous faisons de Hiydrographie.
Tous les soirs, par un fond plus ou moins bas et vaseux,
nous laissons tomber Pancre, et le lendemain ce sont
de nouvelles études, ce sont de nouveaux et heureux
résultats.
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.n '-'
■ • -; '•■ -, X'
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GDogle
N* QO.
CHASSr. AUX NASICAS,
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11, rue du .'cr.rnf'" .
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DB L^ASTaOUBE ET SE U ZÉLÉE. 84
Voiei» à nplre droite, une large emboneliure de ri-
fière; le eointnandant veot Texplorer. Les embarca-
tions sont mises à Ools et qous piquons dessus; les
bas*fonds et les courants contrarient notre marcbe;
' cependant à force de tfitonnements, iH)qs avançons tou-
jours, et nous mettons enlin pied Ji terre, qu plutôt
BOUS nous enfonçons dapsi un sol malléable où nous
pataugeons a grand'-peine, ayant de la vase jtsqu'au-
dfssus du genou.
Un bruit inattendu qui avait lieu sur nos lèles ré*
veille notre attention; cbacun de nous se prépare à la
défense, car les naturels pouvaient venir nous sur-
pifendre dans o^tte position difflcile ; mais quel ne fut
pas notre étonnement de nous trouver aux prises avec
une nuée de grands singes de la famille des nasicas,
erianl, hurlant, sautant de branche en branche et pa?
raisfant furieux de notre arrivée cliei eux, comme si
nnus voulions leur disputer un territoire sacrét
C étaient des évolutions à fatiguer la vue ; c'étaient
()eg grimaees et ries grincements de dents à faire rire
des chartreux. Ils se glissaient le long des trônes pour
BOUS voir de plus près; mais effrayée sans doute de
notre laideur, ils remontaient comme des cerfs-vohmts
et se blottissaient silencieux dans le plus épais du feuiU
lagt de ces arbres, qui nom pas moins de. cinquante
à sqixante mèUes de hauteur.
Tantôt un élan commun les poussait vers le mémo
but; tantôt ils se réunissaient deux à deulc, quaire à
q«alre, comme s'ils méditaient une altaque, comme
•'ils pfépamiea). «o plan de défense.
n. «
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82 totâge iCTorE du monde
Cétait un véritable conseif de guerre avec son prési-
dent , son rapporteur et ses juges. L'un d'eux, — et ced
est de lliistoire, — au lâilieu do cercle, tournait k
droite, à gauche ; sa tôte hideuse semblait étudier les
physionomies et attendre le résultat de la délibération.
Jamais MontécucuUi, de paresseuse mémoire, n-ainûri
une attaque ou une défense avec plus de lenteur- et de
sagesse^ et, comme lui, les soldats de la race simiane
ne voulaient point fuir, mais combattre : seulement
avec plus de certitude de succès.
Nous étions dans une admiration si grande du calme
de cette assemblée en plein air, que nul de nous n'a-*
vait encore songé à jeter le désordre dans les rangs
ennemis. Les fusils étaient immobiles sur les épaulés;
les regards ne quittaient point le champ clos élevé oà
devait s'exercer le carnage ; mais généreux, parce que
nous étions forts et puissants, nous ne voulions pas^'
les premiers, commencer la bataille.
Tout à coup un cri perçant envahit Tespace; c'est le
hourra dn Kalmouk, le en avaru du capitaine français,
le alerte du guérillero.
La cohorte s^est ébranlée. •. Ce ne sont plus des
singes méditant la ruine d^une plantation, le sac d'un
poulailler, la destruction d'un champ de maïs, ce sont
des oiseaux qui voltigent, bondissent, tournoient, ser-^
pentent; c'est un véritable feu d'artifice à fatiguer
la vue.
Mais le plomb va vite* « .
Lestes à les suivre autant que nous le permet la pro-
fondeur de la vase, nous nous partageons les postes
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DK l'àSJEOLABE et DE LÀ ZÉLÉE. 85
«fin de mieux cerner l'ennemi commun ; et quand nous
Tavops parfaitenwnt englobé, nous faisons» à tour de
rôle, une déchaîne de notre mousi|ueterie.
Quelques-uns de ces rapides quadrumanes tombent
blessés à mort sur la vase; d'autres, atteints plus lé-
gèrement, poussent des cris de douleur, restent quel*
que temps suspendus par les mains et par la queue à
des branches protectrices, de telle sorte qu'ils n'acbè*
vent souvent leur culbute qu^à une seconde atteinte du
plomb fatal.
Rien n'excite au carnage comme le carnage; nous
voulions tout détruire, barbares que nous étions. Les
contorsions des mourants, les plaintes des mères qui
voyaient périr leurs nourrissons, les glissements des
pourrissons qui pleuraient leurs mères, rien ne nous
touchait, rien ne pouvait nous émouvoir; et les Can-
nibales, à un de leurs festins, ne sont pas aussi féroces
que nous, car nous tuions avec sang-froid, je devrais
dire avec galté.
Avant d'arriver sur la vase, nos armes, étaient char-
gées ; mais nous eûmes une peine tnfiiue à les charger
une seconde fois pour de nouvelles attaques, et Ton ne
peut se faire une idée de nos efforts et de notre lutte
contre un terrain aussi fangeux, lorsque nous allions
à la pèche, — c'est le mot propre, — dies nasicas abattus.
, La farce se mêle presque toujours au drame dans
l'ei^istence que le ciel nous a faite. Certes, notre posi-
tion était difficile au milieu de la glue tenace qui nous
clouait au J5ol ; mais par un bonheur inoui, nous nous
étions presque tous trouvés sur des bancs qui, à la ri-
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è4 tÔTlÂË ktièvà to tf6hb«
èuèài^, f)ôufàicnl nous portée. t*nrniî nôtià lètèît ùft
éhn^sëor inti*â()t€le tomme le Gaoulcho ou lé Palngon t
cinq pieds huit pouces, èarré, bien nourri, lùnt dané
la tîefeommune, mais coureur inralignblé quàfttl il était
question d'une chasse quelconque,., Celait M. Ducorpé
eommîs d'administration de V Astrolabe.
Entraîné par son audace naturelle à la poursuite dés
nàsicas, et pesant de tout fou volume sur un terraifi
plus docile que les autres, U se Vit bientôt dans la vûié
jusqu'aux reins. Intelligent, brave, indompté, il Voulut
tb tîrèr du péril sians notre secours; et plue il cher-
chait è se sauver par la Tuile, plus il plongeait éûM
Tabime boueux.
Il rt'y a pas d*h6mme de courage qui n'ait Éa minuté
de terreur; notre ami Ducôrps subit cette lôî'èorti**
nunie. Il appela, il gesticula, il pousfea dé loti;jl8 hélëé!
èndobrist et nous, actifb comme T^mitié, diaudi
éommè raffection, nous fîmes une espèce dé ëhatnè
pour arriver jusqu'à lui, et nous le ramënâiiies bientôt
en lieu sûr... Les fcingés devaient peu 6*en réjouir, car
è'èstlè plomb de Ducorps qui avait répâildu lé pïijii dé
déull dans h famille des infortunés na^cùs.
l^otrë èipéditibn dora pt^ès ée titigt**t[|uàlr^ hèwti^\
6A fi%i à pas ttl Souvent dé pliis mèuétrièfés.
VbiiS lé sàVte*, ÔtàUâ nâv%uuns de t^othpagnife ; Uk éè^
tèltès ëOurènt quelquefois tisfeéi ëloigftées l'uhé Àë l*au-
trë, hîàîis le plus souvent bôM^à bord. QdàÛdtob^^
est fbilè, qUâbd là Vbite est étlffèë, quand la fàèt é^
belle, fc^est un bled graiid pWiiifif qùê de èé vt4îr, idé ^
jifldèf, dé ié diM, à T^îdé dd [ibfté-toii, Mi ûHèim
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DE l'iSTBOMBE et DE U ZÉLÉE. 85
émotions de la campagne. Mais il y a souvent péril à
selivrer avec trop de. confiance à celle joie que le ca-
price de Tatmosphèrc peut changer en catastrophe.
Si le calme vous saisit, s il y a mulisme à l'air et sur
les eaux, les navires sont exposés à s'aborder, leurs ca-
rènes peuvent s^ouvrir, et nul des deux n'apportera
quelque part des nouvelles de Tautre. Ici, nous nous
trouvâmes dans une position assez périlleuse; mais à
notre départ de Zambouangan , le danger fut plus
grand encore, et sans une petite brise folle qui vint
nous relever, nous aurions probablement été forcés
d'abandonner les corvettes, ou tout au moins de rega-
gner le mouillage pour réparer de grandes avaries. Je
vousTai dit, en mer le moment le plus riant est souvent
celui qui louche de plus près au naufrage... Les grains
blancs, c'est-à-dire les terribles ouragans qui passent
comme un éclair et sont destructeurs comme la fou-
dre, tombent de l'atmosphère la plus limpide, s'élan*
cent du ciel le plus azuré.
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10
DÉTROIT DE MAKASSAR.
— Septembre 1830. —
VimiaoÉM Bornéo. ^ coap-d*œftI réirompeetli.
— Mon Totttin Cieorgott.
C'est un magnifique passage que celui dans lequel
nous naviguons ; nos matelots veillent sans cesse, nos
regards attentifs se promènent sur cette île aussi vaste
qu^un continent, la mer est rieuse, le ciel bleu, et notre
campagne avance.
Quand le péril est évité, on se félicite de l'avoir
couru; et c^est pour cela que nous sommes tous au-
jouiHÏ'liui dans la joie la plus vive. Dans cette disposi-
tion d'esprit rien n'échoppe à Tobservateur ; celui-ci
ne voit bien que lorsque sa tête est calme : Tenthou-
siasme ou la crainte fait mentir la réalité.
Le massif de vase que nous venons d'abandonner
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88 TOTÂGË AUTOUR DU MOIIDB
tient de trois règnes à la fois; c'est de Peau sur la
surface, de la terre par le pied, de Fair par le front des
colosses végétaux qui se promènent dans la région
des nuages. Est-ce une ile, une presqu'île, une forêt?
C'est tout cela ; seulement c'est une forêt marine, pa-
reille à un imniense berceau qu'un hasard capricieux
aurait jeté sur TOcéan.
En route, /"^^/ro/a^^ s'échoua sur un fond de vase.
A la bonne heure ! voici un incident nouveau et sans
danger, car nous savions bien qu'à marée montante la
corvette Se retrouverait à flot. En effet, la voilà qui re-
prend ses allures et qui poursuit avec nous la route
indiquée... Toujours même richesse, toujours même
prodigalité sur Bornéo, dont le terrain devient un peu
plus élevé sur ta côte en courant vers le sud. Du reste,
les hauts fonJs ou les calmes nous forcent à mouiller
chaque soir; et chaque nuit, après le coucher du so-
leil, noussonmies assaillis par des pluies incessantes,
et assourdis par le roulement perpétuel du tonnerre ;
c'est la saison des orages, et nous devons e|i subip
toutes les conséquences.
Pendant le jour, quelques pirogues détachées df
Bornéo glissent le long du bord, mais aucune n'w^
çostc, et la civilisation fait p^ur à la sauvagerie.
]Le -13 septembre, nous sortOQs du détrQil e| b^ui
nous trouvons en présence d un granc) uoiisbr^ d'IJQti
riches d'une belle végétation, couronpé^ w loin par
des montagnes imposantes.
Les canots-majors VQnt h terre , ^t l'oa trouve ïi
que ^vmie f uafitili^ ^e ^QMch^a soU^les dç |l9^ille| de
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZlÊLÉE. 89
sorte que si jamais une compagnie de bateaux à va-
peur est établie entre Manille et Batavia^ on pourra ici
renouveler le combustible sans qu^il en coûte grand
travail y puisque la mine est à fleur de terre.
Tout ce que je vous db là est peu pittoresque^ sans
doute; mais la propagation de l'utile n'est jamais une
faute. Du reste , on connaît si peu de chose sur jBor-
nA>, que je me fais un devoir de vous dire tout ce que
ocfnyavimffvii.
De tout temps et dans chaque pays il y a eu des
hommes audacieux , entreprenants , qui , sans but dé-
terminé^ quelquefois dans un élan de folie, souvent
aussi par un puissant motif d'utilité, se sont jetés en
aveugles dans les entreprises les plus périlleuses.
Une montagne de difficile accès était gravie par cela
seul qu'elle effrayait bien des courages; un désert était
franchi parce que nul encore n'était revenu de la ten-
tative. J'aime les hommes d'énergie et je crois à leurs
récits, quelque fabuleux qu'ils semblent tout d'abord;
pour l'ordinaire , le menteur est celui qui voit tout ,
qui sait tout sans être sorti de son cabinet de repos ,
et qui veut vous apprendre comment tourbillonne une
trombe, à vous qui avez navigué au milieu de ces
phénomènes dévorateurs de tant de navires.
Il n'est guère permis maintenant au voyageur d'a-
muser par des contes ; la vérité se fait jour d'un mo-
ment à l'autre, et si vou^'^entez sur un point, vous
êtes suspect pour tout |§^este; vous avez écrit un ro-
man , votre nom meurt avec lui dans les rayons pou-
dreux des bibliothèques inutiles.
II. 12
1
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iJ_
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Roberl Hapiiltoo a visité toutes hs capitaje$ de TEu*
rope, à pied, neB'arr^tiqitdaDs aucune 8ai$oo, sous au^
çuJd^ averse, nç pliant sous aucune gibo9l4e. $90 }i--
vre est une fatigue, vos genoux s'affaissent aux récits
du piéton insatiable^ mais il vous apprend beaucoup
^t vous délasse au bopt de la course*
. Un couteliçr de Rochefort a escaladé le premier le
Pitterboth} toupie de lavç, placée sur ^a pointe, au
sommet d^une des plus hautes montagnes de Tlle-de^
France.
Ilovira, espagnol de Montevideo, est parti ^r mu
çbçval avec des vivres pour si& jours sei^lement; il s'est
enfoncé dans les pampas qui bordent à Touest Buenos^
Ayres ; il a traversé le Paraguay, gravi les Cordillière^,
^t est arrivé sain et sauf à San-Yago, au Chili,
Les deux frères Landersont fait des prodiges d'au-
dace dans les deux voyages qu'ils ont entrepris pour
arriver à Tombouctou. Caillé a yisiiépeut-éire cette mys^
térieuse ville de l'Afrique centrale.
Bancks, je crois, a traversé l'Afrique, du sud au
nord. Rien n'a arrêté l'excursion des frères Verreaux,
horpmes de savoir et d'intelligence, dont le plus jeune
vient de repartir pour s'enfoncer dans les solitudes
de la Nouvelle-Hollande, d'où sans doute il apportera de
grandes richesses botaniques et xoojogiques.
Voyez Belzoni, Clapperton , Boutin , Mongo-Park,
qui pénètrent t4mérairemenUlansle Saharah, mais qui
n'en reviennent point %.
Voyez encore Sydney qui part de Calcutta^ et se pro-
mène pendant quatre ans sur les cimes 1^ plus él^
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DE Ii^ÂÉtaOLiBE ET I^E U tilÀE. 91
vée6 de i^Hjrmaiaya , et atteint presque ib front du Da-
walaekérjr.
Soâg tous l^s ràppoj^ls , Bornéo méritait dé piquer
la curiosité des hommes intrépides qui se dévouent
aux etplorations périlleuses; Aussi n'ont-ils pas fait
défaut; plusieurs se sont aventurés le plus célé^
bre de tous, le major Muller. Nul n'est revenu noué
apprendre les mystères auxquels ils s'étaient initiés ,
en sorte que nous sommes réduits à des notions su-
perficielles sur le littoral des lies g^*gantesquesdont Tin-
térieur récèle les richesses qui attirent le plus la cupi*
dite de toutes les nations : les métaui incorruptibles
et les pierres précjeùses.
Cependant) je vous ai dit hne autre foià les ob-
servations précises faites par M. le D^ de Caloune, sur
iinepèupladelimitrophedeBanjer-Mdssim;aujourd'^huî
je vais vous communiquer le récit d'un homme sans
instruction, maispleind'intelligence, qui était logé près
de la chambre que j'occupais à l'hôtel de Samarang.
Mon voisin Georges^ était Suisse d'origine; il vint
dans la Malàisie comme soldat hollandais , et fut
envoyé en garnison à Sambas ; là , il entendit parler
de la richesse des mines de Montradok , exploitées par
une colonie chinoise, à une très petite distance deSam^
bas« Éèà iùlàginatioU s^ënflamma ; il se rappela qu'il
avait été ii|uelque peu orfèvre et horloger dans sa jeu-
nesse; ...^ il quitta le service et se rendît chez les Chi-
nois ^ fënsaïrt qu'avec de l'industrie il y ferait for-
tune.
CM h<iffiffîè àe èoiinaiéàait pài éèi Uïè^ lès (^hi-
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92 VOYAGE iUTOlR DO MONDB
noîs prospèrent chez toutes les nations y mais je défie
bien aucun étranger de s'implanter chez eux^ Au sur-
plus je vais laisser parler mon voisin, je ne suis que son
secrétaire :
H Je reçus d'abord à Montradok un.acc^al plein
d'affabilité ; les Chinois , croyant que je venais faire
des en^plettes, me laissèrent visiter tous les ma-
gasins y toutes les usines. La ville est régulièrement
bâtie, et divisée en fort beaul quartiers ou bazars par
des rues larges et bien allignées ; elle occupe une éten-
due de plus de six milles carrés, dans une magnifi-
que plaine qui est arrosée par de nombreux ruisseaux
et couverte par une végétation des plus vigoureuses ,
les environs de la ville offrent des sites délicieux , et ,
de distance en distance, des forts détachés indiquent
que les Chinois sont décidés à s'y maintenir par la
force des armes.
« Mais quand il fut bien connu que je venais pour
tenter fortune , pour me faire mineur^ on changea de
manières à mon égard. Les Chinois me dirent que
leurs statuts s'opposaient au séjour d'aucun étranger
parmi eux ; qu'ils ne faisaient que tolérer les Malais
s'occupant des travaux les plus grossiers, et qu'ils im-
posaient à leurs compatriotes mêmes de rud^ obli*
gâtions avant de leur donner droit de bourgeoisie,....
On n'obtenait l'autorisation d'exploiter les mines qu'a-
près un long séjour dans le pays, après y avoir fait le
service de soldat , après avoir vécu des modiques pt^o-
fîts d'un commerce secondaire. Enfin , un ordre de
l[uitter la ville sous les quarante-huit heures me fut
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DE L^iSTROLA0E EX DE LA ZEUE. 95
signifié avec toute la courtoisie que savent mettre les
Chinois à éliminer les concurrents. »
—•A la bonpe beure,^ à ce dernier trahit je reconnais
en plein les sectateurs de Gonfucius ; mais yavoue ne
pas me rendre bien compte de ce que vous avez dit
d^abord des forteresses et de Tappareil militaire de ce
peuple brocanteur.
« — Je vais vous expliquer cela : pargoùtjtesChinois
n'aiment point la guerre^ mais iU Tacceptent quand ils
en attendent un grand profit ; là où il existe une civili-
sation f ils laissent à d'autres le soin de défendre le
pays ; ainsi^ dans les colonies hollandaises) il ne pren-
nent jamais part aux querelles, mais ici, quand ils ont vu
que le sol même était la source des richesses , ils se
sont mis en devoir de le posséder et de le défendre.
A tout instant , ils sont assaillis par les indigènes
qu'ils ont dépouillés ; a tout instant il pourrait pren-
dre fantaisie aux Hollandais de venir leur chercher
noise et pour mieux s'assurer leur conquête , ils
rqettent tout étranger et ne se recrutait que parmi les
leurs.
« Les Chinois me repoussaient,., j^étais contraint de
me soumettre; cependant je formai la résolution de
ne pas m'en retourner sitôt, et d'explorer plus avant
l'intérieur du pays où j'espérais trouver quelque mine
précieuse qui me dédommagerait de toutes mes pei-
nes.
«r Je me choisis une bonne pirogue, petite mais forte
en même temps, légère surtout, afin de pouvoir la
miuiœttvrer facilement, et la porter a bras au besoin, si
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94 tôfAèÉ ititodR et kbmn
je venaid à reneontrer des sautà ou ded bàrf&^èis ti^^
difficiles à franchir.
« Je pris de la pitance pour un rfibts; aveô de l^écôlio-
mie , me disais-je , mes provision) me conduiront
même au-delà ; je ferai sans doute des rencontres , dt
je ne reviendrai peut-être point de mon entreprises
mais à coup sûr je ne mourrai pas de faim.
m En avant done I Mes amis de quelques jours ne pu-
rent me détourner de mon téméraire projet ; il) mè
dirent adieu avec des larmes y et je me mis à ^agayè^
pour remonter le fleuve.
«t Le soir tout étaitcalme et silencieux sur la rive ; !è
bruit seul de ma pagaye troublait le repos de cette
majestueuse solitude, éternelle comme la créatiôA ;
mais la nuit devenait bruyante et périlleuse. Autour
de moi, le erocodile montrait son rostre verdâtre, et
dans la forêt auprès de laquelle j'amarrai ma jiirogué,
des bruissements et de violentes aspirations m'annon-
çaient la préèencè redoutée du Boa, T)eà voix d'bom-
mes y aucune ; le cri de Féléphant , aucun , celui du
singe , pas davantage ; le constrictor devait avoir
chassé tout être vivant de ces mystérieux parèges.
Quant ft moi , je ne dormais jamais que le pistolet aii
pôiôg.
ÀliësÉàtifaiils bûl peur lorsqu'il n*y à pei^ônneàuprèé
d'étix; fiiôi je ei^^igftaiè de pèàéontrei^ t[uelqu^iih. H
le craignais et le désirais à la fois, car je voulais voif et
apprendre, et cependant j'errais ëeul dans ce itiokidë si
îbH y éi imp()sant , si ténébreux , si calme, h vous juW
moèsiéur, poursuivit Tèaplèt-atèur , qûè tfiàlèrêttôi
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DE l'a$T||0I49B £T tE U létÉE. ^
j'aurais plonge daos cet imiqensç désert, tant il
^vf it de grapd^iir et 4^ subliç^ité.
« J'avqnçai$ p^u et fiK)Uveat av^c difûculté, selon la
lenteur ou la rapidité du courant. Bien n'entravait
ma çQurçe , lorsque le ciiiquièine jour après mon dé-
port, un bruit pareil à celui d'un galop de cheval
attira mon attentiQn.^.. Je ne cessai pas de pagayer ; .
inaisje m'éloiguaî du rivage de quelques brasses....
le bruil ne venant plu^ jusqu'à moi , je résolus d'aller
jusqu'à lui , et, amarrant la pirogue au tronc d'un co-
cotier sans fruit y j'entrai dans le plus épais du bois.
« Quelle ne fut pas ma surprised'y voir bientôt distinc-
tfiment tracé un petit sentier sinueux au bord duquel
des monticules réguliers» entourés de galets , se trou*
vaiçQl pour ainsi dire échelonnés.
^ Yoiei des hommes ! m'écriai^je inyolontairement à
^fiutevoix.
« Ma paroleétaità peine tombée que je me trouvaiau
goilieu de quatre gaillards armés de belles piques et
les bras cerclés de riches anneaux d'or. Ils étaient
grands, leur teint bronzé, leurs cheveux quelque peu
çrj^pus et leurs yeux brillants ^omme des comètes.
* En me voyant là . seul, immobile, le doigt sur la
d^teut^ de mofi piftolet dont iU ne comprenaient pas
V^sayç I un cri partit suivi d'ud grand éclat de rire
que |e traduisis ain^ : « Dieu qu'il est laid 1 »
f J(ç vous demande, monsieur, si ces drôles ne m^in»
snltaiçnt pas , ipe dit gagent l'auteur de cette odyssée,
en interrompant sa narration, et en caressant son
menton applati ; il poursuivit :
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96 VOYAGE AQTOtR DU MONDE
« Ces kommes , qui se croyaient si beaax'et que je
trouvais moi si épouvantables , me firent signe de les
suivre , et comme je feignis de ne pas les comprendre,
ils articulèrent quelques syllabes gutturales , et me
saisirent par les bras en mVntratnant au pas^e course.
« Au bout d^une demi-heure de cette marche rapide,
protégée par un dôme admirable de verdure, j'aper-
çus une clairière et bientôt je me trouvai à quelques
pas d'un village composé d'une centaine de cases,
bâties sur des pilotis de plus de six mètres de hauteur.
Mes guides pousssèrentun grand cri, et, en un instant,
je fus entouré par toute la population.
« Les femmes et les filles surtout me regardaientavec
une écrasante curiosité. Elles me tournaient , me re-
tournaient , me touchaient , me tiraient les cheveux ,
m'arrachaient mes vêtements , et semblaient douter
qu'il y eut, en dessous, un homme bâti comme leurs
maris, comme leurs frères.
« Me voici absolument nu. Les sauvages me regar-
daient avec une surprise toujours croissante ; mais
comme je tenais à éprouver leur naturel , je me hasar-
dai à leur faire comprendre que j'avais faim et soif.
« L'un d'eux s'élance sur un cocotier et en descend
un fruit ; une jeune fille grimpe par une échelle de
corde dans sa case , et*en revient avec un gros morceau
de chair grillée. C'était un fragment de boa. On me
servit avec un empressement où il y avait plus de curio-
sité encore que de bienveillance. On voulait savoir ,
sans doute, si je mangeais et buvais comme un
bomme.
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0B L'ASTROLABE ET 0E LÀ ZELEE. 97
« Or je sais que Les grimaces amusent, et que mes
confrères noirs, blancs, rouges ou cuivrés, se laissent
volontiers (livertir par des gambades.
« J'en usai ici comme dans un pays civilisé. Je dépo-
sai à terre le coco qu'on avait ouvert d'un coup de
crish , et le rôti de boa qui m'avait été servi sur une
feuille de bananier ; je fis d'abord le signe de la croix,
puis je récitai un pater, je tournai sur mes talons,
je levai le bras, je me frappai le front, je mouillai
mon index et fis une vingtaine de drôleries variées ,
dont j'aurais ri de bon cœur dans toute autre position.
Enfin JQ m^accroupis et je me mis à manger et à boire
sans toucher au fruit et au serpent autrement qu'avec
mes lèvres.
« Les sauvages étaient dans la stupéfaction. Ils me
plaignaient de n'en savoir pas davantage ; et Tun
d'eux — c'était une jeune fille, — me prenant à part, et
voulant me donner des leçoné de propreté , cracha
d'abord sur le reste du serpent, étendit sa salive sur
la peau du reptile pour enlever la poussière dont
elle était souillée, et mangea ensuite comme tout le
monde.
« Je me montrai soumis , j'imitai ma complaisante
institutrice ; et la bourgade entière retentit de cris de
joie.
« Cependant je craignais que, me trouvant trop cu-
rieux à voir et à montrer , les habitants de Nakihoha
nevoutûsseut me retenir, etje ne me trouvais guère dispo-
sé à passer ma vie avec eux. Ma situation était difficile,
et j'en comprenais toute l'horreur, lorsqu'avant la
IL 13
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98 YOYAGC AUTOUR DU MONDE
nuit , je vis arriver une douzaine de mes nouveaux
camarades portant ma pirogue sur leurs épaules. Je
crus qu^ils voulaient décidément faire de moi un singe
ou un paillasse , et je maudis ma témérîté,
« On se coucha : les femmes dans un appartem^ii,
les hommes dans un autre , et moi au milieu de ceux-
ci. Vous comprenez que malgré ma lassitude, je ne
dormis guère ; d^autant plus que, pendant que mes
voisins ronflaient , un énorme constrictor entra dans
notre chambre, la sillonna, se roula comme une
carotte de tabac brésilien et resta immobile,. A son ie^
ver, un sauvage le réveilla , le serpent partit et je le
vis se glisser dans une forêt voisine.
« Nous avons des chiens avec lesquels nous n'agis-
sons pas au trement. »
— Ne me faites-vous pas des contes , dis-^je à mon
narrateur?
— Si vous doutez , je ne continue plus. Il est des
choses qu'on n'invente point, et d'ailleurs le fait que
je TOUS cite n'est pas merveilles; car, même an Europe,
vous avez vu peut-être des boas apprivoisés.
— Poursuivez, j'ai foi en vous.
— Je ne prêche plus , je raconte.
— Et moi j'écoute.
« Les environs de Nakihoha sont bien cultivés, il y a
des plantations de riz, de taro, de cocotiers, des bana-
niers et des melons d'eau en abondance. Je ne doute
pas que les nombreux ruisseaux qui baignent ce« plan-
tations ne courent sur des paillettes d'or venant des
montagnes voisines ; car tous les sauvages , sansexeep-
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DE Ii'iSTâOIiABB Et DE LA ZÉLÉE. 90
tàôn j portât des bijoux grossièrement travaillés de ce
précieux métah
a Après une semaine de séjour à Nakihoha, je devins
importun^ et à la suite d'une délibération) offensante
pour ma dignité physique , je ne plaisais plus , mais
rassurante pour ma vie , il me fut permis de repartir.
Une fille de >I5 à 46 ans au plus, parla beaucoup en
ma faveur y mais elle ne fut point écoutée; on me ren-
dit mes vêtements , ma pirogue , un de mes pistolets
dont jen'avais pas ditTUsage, et qu'on regarda comme
un ornement , pu^is je promis de revenir après avoir
poussé plus loin mes recherches. Je reçus en cadeau
un collier d'or dont le poids seul faisait le prix , et
heureux de cette première vi^te, je redoublai de zèle
pour de nouvelles découvertes.
«Deux bras de rivière s'offrirent à moi, je pris celui
qui me parut le plus large, et je pagayai avec force
avant le lever du soleil. Un orage épouvantable accom-
pagné d'éclairs et de tonnerre passa sur moi pendant
toute la journée, et je m'abritai sous un multipliant
pour éviter l'atteinte des gréions volant avec la rapi-
dité de la flèche.
« Le soir je me remis en route, deux jours après j'en-
tendis un grand bruit d'hommes et de quadrupèdes
derrtère un bois dans lequel je remarquai aussi {)lù-
iieurs sentiers. Disons en passant que les monticules
que j'avais observés près de Nakihoha étaient les tombes
des naturels de cette partie de l'Ile.
« Jedélibérais sur ce quej'âvais à résoudre, si j'allais
rétrograder m poursuivre ma route, quand une sagaie
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400 TOTiGE ACTOCR M MONDE
siffla à mes oreilles, frisa mon épaule et fit pétiller
l'eau autour de mon canot.
<f J'étais découvert, la retraite devenaitimpossiUe; je
résolu^ donc d'accoster bravement et de me livrer à la
discrétion de gens qui pour premier signal d'amitié ,
lancent si vigoureusement leurs dards.
u J'étais arrêté cependant par une masse compacte de
joncs immenses qui bordaient la rivière et qui rendaient
tout abordage fort difficile. Derrière cette barrière
épaisse, un nombre assez considérable de naturels
étudiait ma manœuvre, et quelques-uns d'entre eux
perchés sur des troncs de cocotiers me montraient de
la tête et du doigt un passage , sans faire entaidre le
moindre cri , sans prononcer une seule parole.
a J'arrivai. Une femme jeune et belle me prit silen-
cieusement par le bras, appuya fortement son front
contre le mien, puis frappa trois fois de sa main droite
et de sa main gauche sur mes épaules, et me conduisit
vers la grande ville, qui bordait la rivière, et dpnt les
premières maisons pointaient non loin de nous au
travers des arbres.
« La jeune femme et moi ouvrions la marche, le reste
suivait eh bourdonnant une sorte de chant fu-
nèbre qui ne m'annonçait rien d'heureux. Bientât
nous arrivâmes au milieu de la place publique où
étaient assemblés plus de deux mille hommes d'un
côté et un nombre à peu près égal de femmes du côté
opposé.
« Sur tous les indiyidus sans distinction d'âge et de
sexe, je remarquai de volumineux ornements d'or; ils
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W t'ASTlOLiBE ET I« LA tihit. 401
las pwtai^it au ooo, dans la ebevdure , ceux-ci en bra-
celets , ceux-là en anneaux au^aur des jambes et des
cuisses. Il y avait là des richesses immenses.
« Un des principaux chefs y à en jug^er par le respect
qu'on lui témoignait et par sa haute stature, vint à moi
d'un pas rapide, me fit signe de m'asseoir et m'adressa,
lui debout, quelques brèves paroles dont je ne com-
pris pas le sens, et au milieu desquelles se présentaient
souvent les syllabe, babi, babi.
«c Je i^avais qu 'en malais ces deux syllabes veulent dire
cochon , je crus deviner que l'on me demandait si je
mangeais de cet animal immonde , à tout hasard je fis
un signe d'horreur, ce qui me valut un murmure gé-
néral qui me semblait d'un heureux augure.
« La femme qui m'avait d'abord servi de guide s'ap-
procha alors, me présenta une calebasse remplie d'une
pète blanche , gluante y trempa deux doigts qu'elle
porta à sa bouche et aspira , en me disant de l'imiter.
J'obéis : cela me parut aigre, mais je recommençai afin
de persuader à nion aniphytrion que son régal mé plai-
sait, et je reçus en récompense, un second frottement
de front plus vigoureux que le premier.
« Cette cérémonie achevée, on me conduisit vers une
sorte de guérite élevée sur pilotis , et Ton me l'indiqua
pour ma demeure en m'invitantà en essayer l'escalade.
Gomane je ne pouvais en venir à bout , un des sauvages
s'élança, me chargea sur ses épaules et me jeta dans
ma maison aux éclats de rire de toute la foule. On me
laissa là quatreheurespendantlesquellesje vis des grou*
pes se former, se décomposer, et dans ces groupes les
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402 tôfi« Ai^ô^ m m&HMr
feniiMs mê parure&t jôa«r Je tèlê le plu» impcvMit
Je compris qu'il s^ agissait de imii , que Ton délibérait
si je serais eoosenré ou mis à mort et je m'attendais à
use catafctroplie.
« Après HD combat singeUer entre des honmies arm4»
de glaires émoussés tombant avec TÎolenee sur le dos
protégé perdes cuirasses incrustées d'or, je fus con-
duit au milieu de la grande place où ie peuple était asr
semblé, et mis à la disposition d'une sorte de bourreau
qui fit quelques gambades autour de moi , et il se dis-
posait à me trancher la tète lorsque laletnme qui m'a*-
Vàit d'abord protégé s'éian^a rapide comme une tigresse
et se dépouillant du sup«d)e oollîer d'or qu'elle portait
à son cou,4f passa autovr du mien. L'esiécvleur suspen-
dît ses apprêts^ le. peuple se retira avec des témoignages
non équivoques d'intérêt, et je pus n^ regarda comme
eAfettt diéri de Bourobuzok.*>^C'^ le nom de la ville
où ma eurioeité venait de me jeter si imprudemment
«c Une babhatkm commode ïùb fut elierte, j'y vécus
non pas seul , mais en compagnie de ma libératrice*
A peu de jomrs de là elle m'offrit de novs éloigner de
ce séjour qui avait ftiillj m'étresi funeste, j'aecepléi
de grand coeur sa proposition. Nous ramassâmes au-
tant de bijoux qee nous le pûmes ^ noiH les caeh&mm
SMS uft dés sièges de mon canot laissé, série rivage^ ^
la n«il suif ante âprée nous éére pourrus amptaornit
de vivres, nous nous dirigeâmes vers le ieuve et je
poursuivis ma route.
«Je ne saurais vousdire le courage, la totee^racbressè
et le dévouement de ma compagne.
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DE L'ASTHOi^Aff |^T Bfl I^ lÉtÛt. 40î>
« Le$ crocodiles s'acproch^ieat ^uv^nt a imMf^ bateau,
soit pour Boqs atteindre, soit pour nous chavirer. Eh
bien I ma compagne quis'appelaitTaaia, était toujours
là pour repousser de sa hache ou dcrsa lance U redou-
table amphybie. Elle excellait d^ns l'art de gouverner
lineembarcatîop, et à nous deux nous remontions les
courants avec une incroyable vitesse*
(( Tous les [^ysque nous côtoyions étaienthabi0s/car
sur la rive nous voyions de belles plantations de taro et
de bananiers, ainsi que de magnifiques bouquets de
cocotiers. Partout une nature forte et puissante , par-
tout une végétation qui se baignait dans les flots.
« Ici, c^6st*à"direà pljus de>lâO milles de sonembou^
chure, le fleuve avait encore prèsd^une lieue de largeur
et ses eaux parais^ient très profondes. Il courait entre
d^uxeoUinescharmantes, premier échelond^unechaint
imposante qui se perdait au loin au-dessus des nouages.
a De temps à autre nous entendions des bruits de pas
dans les forêts, mais ma compagne me faisait com-
prendre qu^il y aurait péril à descendre, et elle me di-
sait de courir ^jours en m'assurant que plus loin ma
curiosité serait amplement satisfaite.
« Nous remontâmes le fleuve sansétr^ aperçus et après
avoir vaincu un courant d^une grande vitesse, nous
vime^ se dérouler devant nous, enclavé dans de hautes
moQtagqes, un magnifique lac baignant une ville im*
m^pse^ux alentours de laquelle étaient s^més des mai-
sons en bois bâties sur pilotis et enfermées dans uo
grand enielos. Ce lac 4tait évidemment la source du
fleuve que ja venais de piarçofirir ; c«tte villç, la capi-
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404 YOTAGI AOTOat JKÏ MONBE
taie d^uD grand royaume. J^allais pagayer lorsque ma
compagne me fit entendre qu'il serait plus prudent de
ne nous hasarder que la nuit dans le pays qui s^ouvrait
devant nous. J^obëis à cet acte de sagesse et nous con-
duisîmes notre embarcattoti vers une petite crique
protégée par un triple réseau de bambous où nous
étions en sûreté.
« Je n^aurais pas hasardé un si long voyage pour
m'arréter en si bon chemin ; je tenais à visiter la ville
mystérieuse que je n'avais fait qu'apercevoir^ et le so-
leil n^élait pas près de se lever que j^entrais dans le
lac.
« Sans me'cacher désormais^ bien résolu au contraire
à tput braver au profit de mes recherches y je piquai
droit vers la plage où se dressaient les plus imposants
bâtiments^; nous étions encore h un mille, quand nous
vîmes se détacher de la côte une vingtaine de pirogues
élégantes venant à nous, gouvernées chacune par huit
ou dix hommes. Elles nous abordèrent , et quarante
ou cinquante voix éclatantes nous interrogèrent, sans
qu'il nous fût permis de répondre ; car nous ne conce-
vions rien aux questions qui nous étaient adressées.
c Cependant on nous fit signe de la main d'avancer;
nous obéîmes à ce geste impératif, et une pirogue se
plaçant devant nous à très peu de distance, nous na-
viguâmes dans ses eaux et atteignîmes bientôt la plage.
Plus de six milles personnes nous attendaient ; une
foule immense accourait de tous côtés pour jouir de
notre vue. N'en déplaise à ma compagne, j'étais
presque seul l'objet de la curiosité ; dès ce moment il
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IV'' :Riô^f"'5h:'*r.RirKer 7.
RENCONTRE DLS N/\TURLLS.
( OhcXtênf^HX^)
Bti'W.'^^. et P^Mor., Eci!''?ur:
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AifU' i^^
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,- h
Berquel el Pe^ion. Ecli>?urs. Digitized by VjQOQ tS Jar(ime> .
DE L^ASTROLABE ET DE LÀ zél^E. >I05
mB sembla que j^étais destiné ^ dans le pays, à âtre
montré comme un phénomène, mais presque con*
vaincu qu'on ne me ferait aucun mal , à en juger par
le soin que Ton mettait à ne point gêner ma marche.
(( Le lac, au bord duquel la ville était bâtie, pouvait
avoir six lieues de diamètre. Il se trouvait enclavé dans
une barrière de hautes montagnes admirablement boi*
sées ; et, comme je tenais à savoir s'il était la source du
courant d'eau que j'avais parcouru, ou si lui-même n'é*
tait qu'un vaste réservoir d'une autre rivière, je témoi-
gnai le désir d'en faire le tour. Le chef me comprit; il
mit à ma disposition plusieurs embarcations solides,
à peu près dans le genre des jonques chinoises, mais
plus petites, et munis de vivres nous commençâmes
notre exploration.
a Dans le bon vouloir des naturels , il y avait de la
vanité sans doute , car les alentours de cette immense
nappe d'eau sont magnifiques de culture. Çà et là , se
mirant dans les eaux , des maisons en bois, bflties sur
pilotis, au milieu des plus belles touffes de palmistes;
et de tous cotés , de frais ruisseaux , descendant des
montagnes , donnent la vie et la force à ce pays pri-
vilégié,
« L'exploration dura plusieurs jours, cartrès souvent
nous faisions halte , et nous ne nav%uions guère que
le mi4in de bonne heure et le soir, à cause de la cha-
leur qui était écrasante. De retour à la capitale, je té-
moignai mon admiration au chef pour les soins qu'il
donnait à la culture des terres , et je lui demandai la
permission de gravir l'une des cimes qui nous domi*
H. 14
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406 VOTAGE AUTOUR DU MONDE
noient) afin d'aller étudier Fintérieur de son royaume
où j'espérais enfin découvrir quelque mine d'or ou de
métal précieux ; il s'y refusa obstinément, en me faisant
comprendre qu'il m'en coûterait la vie, si j'enfrei-
gnais ses ordres. Mes prières devenant inutiles, je me
décidai au retour; et dès qu'on eût consenti à me lais-
ser partir, on exigea de moi le serment solennel que
si je parlais de la ville que je venais de visiter, je ne
dirais rien du moins de sa position et de son impor-
tance; il me paraissait fort difficile de leur obéir,
mais je tenais à ne point passer mes jours au milieu de
ce peuple qui n'est peut-être que le premier échelon
d'un peuple plus avancé , et je jurai tout ce qu'on
voulut.
« Le lendemain, deux grandes pirogues me recondui-
sirent jusqu'au chenal , première rigole du fleuve ;
et, abandonné là, je me livrai au courant avec ma
compagne dévouée. Nous passâmes, sans nous arrêter,
devant Burohuzok, et parvenu au confluent que je vous
ai signalé à petite distance de Nakihoha, je me décidai
à tenter de nouvelles explorations dans le bras de ri-
vière que j'avais négligé d'abord. C'était un bizarre
spectacle; tantôt son lit était large et majestueux comme
un fleuve, tantôt rapide et rétréci comme un torrent ;
il bruissait ici sur des côtes à pic dont les cimes se
montraient couronnées d'une végétation magnifique,
et au milieu de laquelle des myriades d'oiseaux, parés
des plus belles couleurs, étalaient leurs formes co-
quettes. Beaucoup décris, de rauquements, pas un
seul chant harmonieux, c'était l'image parfaite de
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DE L^ASTEOLABE ET DE LA ZÉiiÊE. 407
rbydre où Tceil se repose toujours sur une nature
diaprée qui semble avoir épuisé la puissance du Créa-
teur.
« Le troisième jour de notre entrée dans la nouvelle
rivière, nous naviguâmes dans un bassin d^une grande
étendue y où je résolus d'amarrer Tembarcation et de
tenter quelques courses intérieures..... Vains efforts,
ma compagne et moi nous nous trouvions arrêtés par
des lianes immenses qui se croisaient, se mêlaient, se
confondaient , pareils au constrictor jouant avec sa
compagne; le sol était jonché de feuilles et de bran-
ches abattues par les ans et les tempêtes. Çà et là , des
troncs séculaires à demi couchés sur le sol attestaient
le passage de la foudre ; etaprès bien des tentatives, qui
ne lassaient point Ténergie de ma femme sauvage et
qui m'avaient tout au plus éloigné d'un quart de lieue
de la rive , je me vis contraint de renoncer à mon
projet.
a Cependant j'étais menacé dans mes vivres, et il de-
venait possible que cette Bornéo mystérieuse ne fût
qu'un désert sur toute cette route que nous suivions.
Dès-lors , je résolus mon retour ; je le fis comprendre
à ma compagne, et je lui demandai son avis. Elle s'ac-
croupit, m'imposa silence et plaça son oreille sur le
sol. Puis, se relevant elle me dit qu'il fallait conti-
nuer notre course ; car elle entendait loin , bien loin
de nous un grand bruit digne de fixer mon attention et
d'appeler ma curiosité.
« Nous pagayâmes avec une ardeur sans égale, et/une
heure après, le bruit entendu par ma compagne arriva
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108 VOYAGE il TOI] R DO MONDE
jusqu'à moi. C'était comme ie roulement du tonnerre
que le tent m'apportait , bruyant , monotone. Je cruis
à la colère d'un volcan, ou à la voix d^une cataracte y
et mcm courage s^en accrut , car je voulais avoir des
choses curieuses à raconter, si je ne rapportais des tré*
sors immenses.
« Quelque désir que j'eusse d'arriver plust6t, je sui-
vais toutes les sinuosités de la cote ; car au milieu du
efaettal , le courant était trop impétueux pour me per-
mettre d'avancer. Je remarquai avec plaisir Fabsence
des erocodiles qui nous avaient si long-temps tenus
en haleine.
« Le bruit redoublait, et bientôt il devint menaçant.
L'eau était agitée , fiévreuse -f le courant plus rapide ,
et nous avions bien de la peine à le vaincre. La nuit
venue , nous fîmes halte dans une crique profonde où
le remous se faisait pourtant violemment sentir , et
nous résolûmes , pour ne rien donner au hasard , dt
poursuivre le bruit k pied , le long du rivage» (Tétait
téméraire , j'en conviens , mais notre salut dépendait
du canot qui nous voiturait , et il eût été trop impru-
dent de l'exposer au caprice des flots.
« le ne saurais vous dire le spectacle imposant qui se
(Croula le lendemain devant moi. La plus belle esta*
racte du monde , tombant comme une mer dans un
gouffre roeheux, et jetant au loin, avec sa voix sonore,
des milliers d'arcs-en-eiel et un océan de flots d'écume.
Elle tombait d'une hauteur verticale de plus de cin-
quante toises, et se détachait d'une montagne noire
et lisse qu'il nous fut impossible de gravir. Devant
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DE l'astrolabe ET BE LA ZÉLÉE. 409
nous , une barrière infranchissable d'eau et de granit ;
de tous côtés , «ne barrière infranchissable de forêts
étemèlleB eômme la création ; je devais rétrograder,
et comme Tama comprit le chagrin que f en éprouvais,
elle s'élança sur la roche grise qu'elle esaya de gravir ;
je lui ordonnai de descendre ^ elle revint à moi brisée
par la fatigue , et les mains et les flancs déchirés. Je
la remerciai de son dévouement^ et, après avoir passé
la nuit sur ma couche moelleuse de feuilles de bana-^
nier, nous rejoignîmes notre précieuse embarcation*
« Le retour était facile , trop sans doute pour mon
ambition peu satisfaite ; aussi fis-je entendre à Tama
que je tenais à étudier les abords du fleuve.
« Nous ralentîmes donc notre ardeur, en nous aban-
donnant un peu au courant qui nous entraînait.
« Pendant la première journée nulle trace humaine
ne se montra sur les eaux, ni sur la plage. C'était le
calme du désert, mais aussi le silence du chaos ; par*
tout des troncs gigantesques portant au haut (fes airs
leur chevelure épai^e et toujours v^e ; partout utié
végétation énergique pesant sur le sol .
« Gi^ndant le courant devenant plus rapide, nous
eàn^g à courir quelques dangers en passant au milieu
de roches grisâtres dominant les eaux, et où nous
nous serion» infailliblement brisés , si la nuit noUs
eût surpris dan» ces parages ; mais ma compagne^ je
vous l'ai déjà dit , manoravrait la pirogue avec uM
incroyable facilité. Irions franchîmes des ca^catelles
de bout en bout , sans la moindre avarie.
tSelonlesprobabttités nous devions rencontreiquel-
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440J TOTifiE AtrrouE du hondë
que trace d'habitation ; il me semblait difficile de sup-
poser que les naturels de Bornéo se fussent établis sur
un seul bras du fleuve. Mes prévisions ne me trom-
paient pas ; un bruit incertain j irrégulier y arriva
jusqu'à nous ; Tama me dit : ce sont des hommes !
et bientôt après : c'est une ville. Sa parole était sacca-
dée^ sa poitrine haletante y ses yeux hagards y et ses
bras perdant leur énergie cessèrent de pagayer. Je lui
demandai si nous avions quelque chose à craindre du
peuple qui était devant nous ; elle me fit entendre que
ce peuple était anthropophage. Je n'avais rien à gagner
à une visite à Boutika^ et je me laissai entrainer-par le
courant à la grande joie de ma compngne dévouée.
« La journée qui suivit fut écrasante par sa tempéra-
ture, nous avions, certainement, 55<) Réaumur à
l'ombre , et quand le soleil se dégageait des nuages
qui le voilaient par intervalle, nous naviguions dans
une véritable fournaise. Aussi , pour éviter d'être écra-
sés par ses rayons , nous côtoyons sans cesse le rivage,
abrités presque toujours par lès graiids végétaux dont
les pieds séculaires se baignaient dans le fleuve.
« Nos vivres diminuaient, etquelque sobres que nous
fussions dans nos repas , je compris que la faim nous
saisirait , si nous ne trouvions de nouvelles ressources.
Je me décidai donc à aborder aux premières traces
d'habitations ; et je fis comprendre à ma compagne
qu'il valait mieux' courir tes dangers d^une rencontre
que de s'exposer aux angoisses d'une faim dévorante.
Elle me répondit qu'elle s'armerait volontiers du crish
et de la lance , qu'elle combattrait valeureusement à
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BE L\4dTftOL.4BR ET DE LA ZELEE. 444
mon côté ; et qu'à l^aide du pistolet dont je lui avais
montré l^usage nous poumons sortir vainqueurs de la
lutte.
« La figure de Tama prît un caractère de fierté tout-
à-fait remarquable ; ses yeux étincelaient et elle sem-
blait défier le péril.
« La nuit était venue , et les rochers de la côte se
multipliaient, au large, dans la rivière ; la plus grande
prudence nous était prescrite. Tama infatigable com-
me Tamitié semblait n'avoir pas besoin de sommeil ,
et je ne saurais vous dire combien il y avait de dévoue-
ment et d^abnégation dans le cœur de cette jeune fem-
me volontairement exilée de son pays.
cNousamarrâmesIa pirogueà un vigoureuxcocotier,
et nous descendîmes à terre Tama bondit: des
hommes! me dit-elle, des hommes! Nous saisîmes
nos armes , et , cheminant avec prudence , nous avan-
çâmes dans le bois. La pluie tombait par larges gouttes^
le tonnerre grondait à Thorizon , et le zig-zag des
éclairs jetait dans la forêt des formes fantastiques,
capables d'épouvanter des explorateurs moins décidés
que nous. Bientôt d'énormes grêlons nous assaillirent,
et l'orage, qui marchait dans notre direction pesait de
toiit son poids sur la terre envahie. Sans le puissant
dôme de verdure qui nous abritait, nous aurions, à-
coupsùr été brisés par les rapides projectiles lancés
du haut des airs ; mais les troncs protecteurs de l'énor-
me multipliant devinrent pour nous un asile assuré ,
et nous laissâmes passer la tempête.
«Des hommes ! des hommes ! me dit encore Tama^
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ii2 YOYAGE AUTOUR DU IfONDE
en tournant sur les talons , et en flairant de tous cotés ; '
point de vivres, allons aux hommes, poursuivit-elle*
avec ardeur. Nous fîmes une centaine de pas encore,
à peu près dans la direction de la côte , et un sentier
frayé s'ouvrit devant nous. Nous le longeâmes , en
faisant crier le moins possible les feuilles qui jonchaient
la forêt.... Tout-a«coup : Maison , s'écria Tama.
c Ce n'était point une maison ; e'était un temple, un
lieu d'abomination, veux-je dire. L'édiflce pouvait avoir
quarante pieds carrés; il était bftti en arêtes de coco-
tier fortement liées entre elles et renforcées par des
lianes ; le dôme en pente était recouvert de feuilles de
bananiers sur lesquelles , pour les assujétir, où avait
posé d'énormes galais ; à chaque face était une porte
de quatre pieds de hauteur, ouverte. La curiosité nou^
y poussa instantanéitient Le spectacle était hor^^
rible.
c Au milieu du temple, une grande idole en bois ,
peinte en rouge, avec une tête monstrueuse, la gueule
ouverte etla langue tirée; on l'avait assise sur un pieux;
ses pieds étaient crochus et ses bras étendus. Ses épau*
les portaient huit ou dix régimes de bananes fratcher
ment cueillies; dans se bouche on avait jeté une grande
quantité de jam-rosa, et autour d'elle, placés avec ordre
et par tas réguliers, étaient des cocos, des goyaves et quel-
ques racines auxquelles nous ne touchâmes point. Plus
de deux cents têtes ornées encore de leur chevelure
étaient accrochées aux parois de l'édifice ; presque
toutes sèches et noires comme du vieux parchemin ;
mais quelques^imes sanguinolantes encore , attestant
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LejiancI
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MORT DE TAMA,
5"vructct Petion Editeurs.
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Pfi L^ASTROIAIE ET DE L\ ZÉLÉE. >I45
deréee&te sacrifices. D^énormes calebasses se voyaient
eocore «ox quatre coins, posées sur une hante estrade ;
dans ces ealebaises, une liqueur noire et fétide, du sang
à coupsàr; et plongés à demi dans t^es vases consa-
crés y reposaient des crisb flamboyants et des lances
de fer anmanebe damasquiné. Autour de Tidole, le
sd étttt profoodém^t labouré, et tout-à-fait aux pieds,
une énorme pierre carrément taillée indiquait suffi-
samment Tautel sacrilège.
« Tandis que j^observais ce lieu de meurtre et de
sang y Tama veillait à la porte.
« — Vite , vite, me dit-elle ! Toi , bananes, cocos,
allons.
« — Tu n^es pas effrayée ?
« ''— Moi connais ça.
« —Toi, venue ici?
« -^^McH , jamais venue ici , mais dans mon pays,
temples comme ça.
« Je m'emparai de tous les vivres que nous pou-
vions emporter, ainsi que d^un crisb et d'une lance
magnifique; et pour cette fois du moins, les dieux de
eell0 race cànnibéle servirent à noumr et à protéger
leslioBmies. Nous nous égarâmes dans notre route,
et après «ne heure de marcbe , nous nous trou-
v&mts aux abords d'une grande ville dont les maisons
étaÎMit élevées sur pilotis. Épouvantés, nous rebrous-
sèÉies cbenûn ; Tama iuattentive jusqu'à ce moment ,
pivota de nouveau sur ses talons, flaira comme elle
l'avait déjà fait et m'indiqua mon cbemin. Ma compa-
gne ne s^était pas trompée, nous aboutîmes juste au
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U4 YOyA» àUTOlIR M MOHBÊ,
•
oocotier où naus wom «marré la pÎM^M; OMUi^ai*
dames le flot , et qudqoes instante après vam élmaB>
déjà loin de la ville dont j^îgnore le ncm.
« Le lendemain fut p^cir moi un jonr de irittasat et
de deuil* Tama ^ qiie sa tenirease ^ soBdéffveiiicot
m'avaimit rendue si eh^, laîsBa Idmber fat qpiigsf^ «t
s^ajssit immobile sur le baoo^i faiaaît Im loi aiian. la
lui serrai la main avec ajfeotîoii :
« —Qu'as-tu, Tama?
« — Moisauffrir. * , . »
« —D'où?
a — De partout
« — Est-ce la fatigue? Réponds-moi.
« — Pas la fatigue.
« — Qu'as-tu donc?
a — Grandes douleurs.
« «—Accostons, Tama; en amaa plus ie^lme
à terre.
« — Allons toujours. Sur ttrre^ nà nr flauve^ j^nt
calme à moi ; m^ mourir»
« Jem'assis à côté de nà oompapie; j'appojiqi aaî
tète sur mon épaule , ja lui dooM» Ica témiiifnay
du plus touchant intérêt^ je lui jumi unei
saa^e éternelle ; m derbière lietre étaitTC
« Le eorps de Tama &'a£faissa lentémacA ; aa pm^
trine 4eyint lialetaatiei aes lèvres tremblèrent , aes.|«Bi
se fiamèreat à wmûé y ma pouls bi^t^am *e ip»»
lenoe ettrème.
n — - Adieu^ me<iit-ellecl^uBe Toix à peimé ratmdii«^
adieu. Ce aoûr, toi verras blaiios> taslrèr^; toi ou-
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DE t'âBfflOUBE BT 0E LA ZÉLÉE, 44^
bUir ImoMy 911 af^rtieik aux erocoAIeg au feuve.
n Iwm éteît bràlante ; je pris un coco, j^ FouTris^
«( au nKMMnt <Hi j^aUak m faire aspirer quelques
gouttes à la pauvre Tama , elle s^élança par une vio«
kttto «Mmilaîen ^ disparut dans les eaux. Je luttai
«taeaidttMreQiitreleeoiirattt, étudiant les remous dû
fleuve^ le auÉrant dans tous ses caprices; peines inu*
tiles ; Tama ne reparut plus
« lia brmaàenient 4«8 vagues, roulant sur le rivage,
m'apimiquenâa eoursaétait achevée, bêlas! Au prix de
IM Mrîatiià satisfaite, je ne voudrais point du souve-
MT detw voyage empoisonné par la perte d'une femme
aussi courageuse et aussi dévouée,
<c Mon nouveau séjour à Montradok ne fut pas long;
je m'empressai de gagner le port de Sounghi-Raïas ,
et je m'embarquai pour Samarang où je suis resté
depuis ,' bien décidé à passer désormais, dans Tobscu-
rité, une vie que mon travail suffit pour rendre très
heureuse. »
Ici se termine le récit de mon voisin Georges. Invo-
lontairement j'y ajoutai les deux vers célèbres que
Gilblas fit graver en lettres d'or, sur la porte de sa
chaumière :
Inveniportum; spes et foriuna» mlete,
Sat me luststis ; ludite^ nunc alios.
J'admirai la philosophie de cet excellent Suisse
qui s'identifiait si bien actuellement avec les habitudes
hollandaises , et qui fumant dans uiîe pipe de terre
bien blanche, s'environnait des nuages les plus épais.
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44$ VOYAGE AI^TOCK DU MONDE.
Ifi^ plus fantastiques Vous saurez toute soo eiis-
tence, si j'ai Findîscrétion de vous dire qu^îl s'est asso-
cié uQe honorable compagne , pour se consoler de la
p^e de Tama.
Je vous ai don^é sa narration dans sa pureté origi-
nelle ; il s'y trouve peut-être des aM^entricttés appa-
rentes, mais la masse se rapporte à tout ce qui a été
raconté par les explorateurs les plus accrédités.
Depuis , j'ai beaucoup entendu parler de ceite co-
lonie de Chinois; Montradok est le seul endroit oà ils
soient devenus soldats et conquérants. Yosa d«viMt
que c'est parce que le pays est riche en métavx pré*
cieux.
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ii
POINT D'ABRÉT.
Sar l'Atlas et dans tout lindonstan on classe le
lion , le tigre et la panthère ; dans les Molnqnes , on
chasse le crocodile ; dans la Patagonie et les Pampas
du Paraguay, on chasse le jaguar ;'à Bornéo, on chasse
le singe , race malvallante , exéctrée, maudite, faisant
la guerre aux plantations, et jetant quelquefois le deuil
dans les plus riches étahlissements.
Les nègres de presque toutes les parties do Monde
où la traite est en vigueur disent et croi^it que si les
singes ne parlent pas , c'est de peur qu^on ne les fasse
esclaves.
Uest certain que Tinteltigence^ r«dir^se^ laiégè-
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Î48 VOYAGE ADTOÎJR DO MONDE
reté , la ruse et même le courage des mandrils , des
joekos et des orang-outangs sont tellement supérieurs
à ceux que possèdent en général les malgaches, les mo-
zambiques, les angolais et les hottentots, que ce serait
offenser la race quadrumane que de lui opposer celle-
là ; et qu'au total, si j'avais à choisir, j'aimerais beau-
coup mieux être l'homme des bois , guetté parle chas-
seur, sautant joyeusement de branche en branche,
dévalisant les rizeries, les champs de cannes à sucre,
les riants vergers entourfe de liantes murailles , que
de me voir à peine soutenu par une faible et détestable
pitance, sans cesse agenouillé sur lesol^ et courbé sous
le fouet noueux du planteur. Le singe a le dôme dés
forêts pour se protéger contre les averses et les rayons
brûlants d'un soleil de plomb ,* le nègre reçoit sur ses
épaules nues et crevassées les eaux du ciel qui le bri-
sent et les flèches ardentes d'un jour torréfiant sous
une zone sans brise et sans fraîcheur. Et puis , l'air
libre pMr le prei&iert la ca«ef nfuiAéf pour )e iseocoid ;
à celoî-eisoarefiit «œ eau ero^pta, ài c^i4à les flots
du loiTenA o^ U^^ vifiears viviiUnteâ de la ca^eade ; a
l'bMUiie des ebtijie») au siqge l'e^ii^. Ghoi^i^ei?
Ge qu'il y a 4e pofWV^Ueiii: k #todi«r dtosles oKiduri
et Us k^lûtiidef de eas iâdividuasil^ taiUé» patries
courses aventureuwfi, c'est le p«£{l»t aocord, q'^
VhmrnomQ Mwrable <|uî régne daas leurs r^gs
ak)rs qu'il» se »on^ s^^emblés p»«r qa but de rapine
et de 4estriH)lioQ. Vous diriez ua aréapage de vieu^
guerriers façonnés aux périls des batailles , aux ru^i^
dei^ei^r^MMiaUei, w»m Mm un i^te«MaPf^itfi4^6,
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DE L'ifiWLilË Elt QS liA tfiLÉE. 149
0(4ifrés 4e tnùres é^ibératioiifty ne vovlaiit littter le
oammaiiâeimat qu'au plus bw^ im pbis tefaifo^^ ay
plus espérifineaté.
Dès (j«'il s'agit fiirmi la FMe flbnîane d'une oon**
qiéte de. pUotatMis à peîiis en maturité /toi» pM^
1M y màh da loin seuleBàtst^ apereevoir la gent savlît*
lidPileetciMrdè se rapfiTOelitr, s'agiter, frétiller, toir*
noji^r^ gaoymdtr^ dmaîr une yaâle clainène ou «m
forêt touffue, s'arrêter, puis se eaoiiBr petit à petit, |^
(fer eafiu FifiulK^Uté ^ feîiidre d'écmrter les coi»éils
4i r«a d'mtpe q«x qui , pkeé ao œstre, pretod tovfeè'
!• fraetté d'im magisbrat un d'un mérédnl, «« bm)*
teaot d'u0 amèt aol€tottd ott d'«fit ImtaiUe d'où dé-
pébdrajit le $al«t d' ya empioe.
Qm Mi^n pendant ce IcKifi sUeoee, lAi ■«liftt de
cette attente religieuse , que nul grogneutBt.n'^lieivît
iflkeAYMniNre , dqnt nulle gfotesqw gamlKsfe ne trou-
Un la majesié^On naani; naaiâetf quHly adnyrai,
Q'est ifu'aprèt unn en fdusîeuiis henres éi ee^ léélibéN
m^Qu imQwpprifln par Jios ii^Uigpmces/ tinq ou m
^ges se d^acbent in ffm de i'nrnaéeet TOÙt se poAer
émmaimmsuà^ h anBqunnte ou eoiiai^pns deià; sept
Q* bnit bmt mète-ince et se. plaeut itir les dekrièrea ,
Ittddis qv>n imi^iième pelota^ se dii^ge ksa les fhnes
etneinlileimllersiiri'eKpÉditioli. Tentes des mÊo i m
vftaenécitt^nver wae pcéeiskinrnMrvéiUeiiae^ le^
niral en ol»f£ donne laai«Ml de raAtnqne parm^ saart
et uncriai^) il s'élànne, il lienéit, il4én»mfetniinin,
€t mallienrà la pjkaitation surlnipratte il apno^eié de
porter le tfiiàtm es ia ^^re! Après qnelqiMi Ittimn,
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49i TOTAtt AOTOOa BV MIIM
plot ^ feiûUêi au arlM^ft y plus de wdt abrîiéi, piot
de pMté^es doooes et jiiteuses, plm de fraîches goia-
vesy plus d'oranges parfumées ^ plus de bananes chic-
immeêj plus dejam-rosas aigrelettes , plus de suaves
aura», plus de fleurs, plus dé verdure, tout est dé-
truit, toutes à t^re, moredé, déchiqueté , tout eat
débris, vous diriez que Tourafin Tient de passer, vom
croiries qu'un soufle de leu a tout ciMMUiDé sous son
haleâne ; rien ne manque à la déva^tion.
Mais le planteur s^éveilte à des cris fi^énétiqttes, â
lèMku stores de ses croisées, et il voit, perchés sur kè
arbres voisins de sa plall^tion les singes vandales
criant, riant de sa rafe, de son liUsespoir^ et insultant
à sa fureur et à ses menacea. Saas la raillerie, il n'y
aurttltpM deyeogaaoceeomplète: les dénacm inattl-
tntaiii: lames.
On parle bMttooup de la nudî§»ité^ de Tespi^fame
du sk^; Ton a tort Ces étmi moto renlemiMt un
semoàriettife bonet ée méchant aa seretraee, et
certes , ce n'est pus à la raee dont nous parlons que
noM FappliquMtMM a^ec quelque justesse. Le sînfe
«ut méchant, cndl, atroce, et de plut, il ert en générai
traître et lâdie. Quand il nuit, c'est pour le plaisir de
nuire; quand il égratigpie et mord^ e'ert qu'il a eu
hanhtwr à irire erier et à voir couler le sang. Encore
»'il f««^bait de ses enetkna , de eea rapines, de ses bri-
fandapes, on les lui pardoni^ratt en quelque sorte en
rakondesonin^iet, desanature.Mak non, le singe
àëxii et mutile, sachant à mervrille que son i^on est
basée ethideuseï et moins il y aura de danger à la
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DE L'i8l»0LABÊ ET m U XÉLLE. ^21
commettre, plus il s'y livrera nyec ardeur. Ne me
ciiexpas, je voMprie, cespefits singesJions si gfeirlîls,
n cùqneU , u lestes, si amusants, que tous portes sur
vos épaules, que vous laissez se promener sur Totre
table, toucher à vos mets et goûter, debout devant
vous, à la lïiéme tartine, ou mordre à la même grappe ;
fte me citez pas non plus ce délicieux ouistiti si vif, si
agile, si pétulant, si petit, si propre , si spirituel dans
sa physionomie , si expressif dans son regard, si crain-
tif, si suppliant dans sa voix; ce sont là deux grandes
exceptions qui confirment les règles générales, et puis,
je né vous dis pas non plus que toutes les familles dt
singw ont la même astuce, la même perfidie, la même
«tranlé. Et pourtant en observant avec attention les
mœurs de ces individus privilégiés, dont le Brésil seul,
je croîs, possède lés espèces, vous voyez encore chei
eux une tendance â la taquinerie, une stwrte de velléité
à la névolte qui vous frappera et dont voub n'expli-
querez firrésolution que par les perpétuels mouve-
ments de crainte et dé terreur fÂriles qui les forcent à
l'obéissance, alors que vous levez uô doigt ou une
baguette pour les punir de leur volonté on même dès
qu^ne menace s'échappe de vos regards.
iSîîÔt que la joie du méfait s^est suffisammait mafii-
festèe parmi la bande, celfe-ci n'attend pas que les
chasseurs puissent la traquer et la poursuivre. EH«
prend son élan , se précipite d'une forêt à Tairtre, tra-
verse les plaines les plus étendues avec la mpMlité.
d'un torrent et met entre elle et ses ennecms les collines
^ les ririères. Pour franchir celles-ei, l^s singes , qui,
II. 16
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122 VOYAGE AlTOm DC MONDE.
en général , ne savent point nager, se servent d^un
moyen si ingénieux qu'on aurait bien de ta peine à y
ajouter foi s'il n'était attesté par les récits des voyageurs
les plus véridiques.
Après avoir choisi un endroit du fleuve où la végé*
tation des d^ux bords se rapproche, du moins par les
cimes des arbres, les singes escaladent celui qui plane
le plus avant sur les eaux. L'un d'eux alors choisissant
Ja branche qui lui parait en niéme temps la plus ro-
buste et la plus flexible, se cramponne à Textrémité
par ses mains et par sa queue, de sorte qu'il forme un
demi-cerceau. Un de ses camarades le suit, se glisse
de la branche au corps de son ami, s'y cramponne
vigoureusement et forme ainsi un second anneau de la
grande chaîne qu'ils veulent tresser, et attend un troi-
sième singe qui vient à son tour en précéder un qua-
trième, puis un cinquième et ainsi de suite jusqu'à ce
que toute la troupe se trouve liée par les reins. Cette
première opération achevée, et avant que le singe en
tête de la colonne annonce que ses forces s'épuisent,
l'arrière-gard^ grimpe sur l'arbre, décrit un immense
cercle, et, se laissant aller tout-à-coup, donne un mou-
vement d'oscillation que chaque individu augmente ,
ainsi que nous le faisons dans une balançoire, pour
que le dernier puisse atteindre bientôt une desbran^
ches de la rive opposée. Une fois cramponné là, il de*
.vient à son tour la tète de la colonne ; le premier aban-
donne son appui, et la corde de singes, reprenant une
oscillation inverse , parvient à mettre entre elle et ses
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DE l'astrolabe ET DE LA Z^LÉE. ^ 425
«soen^is qne barrière que ceux-ci avaient jugée infran-
islii<»ible.
Et maintenant , copiaient poursuivre et atteindre
cette race malfaisante, si avide po.ur la destruction, û
aetive.daos sa fuite$ si ingénieuse dans ses moyens de
4^nse? La balle tuera peut-être un ou deu| de ces
individus; le plomb en blessera quelques autres; mais
Um forêts en sont infestées. Ils ont besoin de nourriture,
ils deviennent intrépides par nécessité, et les hommes
diai^és de veiller à la sûreté des plantations ne pravent
guère se passer la nuit du repos qui leur est refusé au
milieu des ardeurs du soleil.
La ruse vient cependant en aide au planteur. Il tâche
d'attirer dans un même bois le plus de singes possi-
ble qu'il y appelle par le sacrifice d'une partie de sa
récH>lte ; et ^ dès qu'il les voit voracement attachés au
butin , il fait monter une partie de ses esclaves sur les
ari>res qui entourent la scène du repas, il en place une
autre partie sur le sol avec ordre de faire un grand
bruit de tambours et d'instruments, et il attend que la
troupe aux aboischerche un asile conU*e ses adversaires.
Traqués sur les arbres, attaqués à terre, 1^ singes cher*
ehent à se blottir au milieu des tminches que les nègres
n'ont pas encore atteintes. C'est là ce qu'avait prévu le
planteur; c'est là aussi ce qu'il devrait. Une gomme
gluante avait été répaadue sur les brmiches, une de
ces gommes solide qui vous retiennent malgré vous à
la place où votre pied vient de s'appuyer et contre la-
quelle le singe lutte désormais en vain.
Il est pns , cloué, pour ainsi dire enchainé : plus il
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424 VOÏlfiE AUTOVR N Moms
pîétfioâ fQW aeMpper à la ghi, ping ^ht dmwt étfOK
gnante; il crie, il s'agite, se roule, et le chassan fttott
k temfis pûur le détruire à e^ups de gtu^ a« a^te^ le
plomb eu esealad^^t les trbnes voiiôa».
. I4& babitratft à^un$ paHie des ile&Malnian; de S»
matin ^d4 Jft¥a iélèveot d«8 singes poiuraUer à iaeoii^
quête de kurs fràres^ et cette ckasse qui n^eiife quede
la pA^€flAed et ne présettte aueoii danger, eat aeUe qm
produit las plus heureux résultats. Les singea esdarés
(l'élaiieeAt danslta forèis, se donnant des allures de
liberté et d'ii^^endanee tont à fait propres à séduiei
ceux qui, sages et craintifs, éditent le Toistnage des
Villes et des oumptoirs. Dès que les preaaiers eent par-
ifenus à se faire une cour asseï aambrituse^ ils se meU
ten£ à la tète d^une expédition cpii pantt dei^oîr être
meuHrîàve contre une f^antation ifolée; un d^eox se
détaebe ebndestînenient de la troupe afin d^^^ertir
son «attre, qui dresse ses embàehas, et quand arrivs
la gent wrace au milieu des eannes à suere, des biMs^
nierA et des riaières^ des ckasseurs apposées tmdeiMsur
&m d'iBameBses et solides filela sotta leaqueb un hm-
ment après ik Us écrasent à coups de hêim^ «n 9f^^
soin d^épatgiier les tndtrea embiicliwnrs, qu^on raeoa-
nasi à un eeUîtr rouge doat on a soîn d^orMr leur
eo«.
U liui au surplus se tenir en (^e contra Teug^t-
tioi^ de œrtains vopigeiir& qni leprésenleiit las fprèts
fl^kms , par exiemple, oomme infeatées d'une ia»-
inense quantité de singes ckstriicteurs et to^om*s pni^
à déè^Brer une gisorre dang^rm^aux booim«- £u
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DE i.'lSWaUB«. £T D^ U SfLEE. HV^
gà^ni li)& wiges n'ont de dofii?«g« «t 4'aiid«M 4{ii#
trequt dttos lents retraitea. liai» alof&e^eat uAe gtient
Mbumée aqi( étabbsaetnento , ^ il «'y a pa^ d'^ao^
quHk n» ewaeitt, éais leuts ^qpédîti^^a^ la raina da
qtteltyM plaliteur.
A [tféaefit qnt. voua «^ex aaak^ #V6C moi aw rapiaai
rt aiixdéprafatiotti ddicatte raee ariajrda et dévoraotai
entra a dws eaa fwéta étemeUeg (fe Bori»éo et da qu^i*
quea tfea Malaîaes où le roi de» siogiQs a éUAÀi ^im^m»r
pote,
là^ tréna fort ^ puisfiant, le fa<k>utal)le oraog-ojoir
iang ^ «at honuoe 4m ^oia qui marehe à peu pNte
oMmueToua^qm panaa pettt4tre aus» à aa ttaniÉiey ae
glisse ftirtiYaiiieBt auprès dea kabilatioas quHl dévaati^
^mkle prévoir Ica colëres des étémeots, okerehe un
abri eontte les orag^ qui nailaent à Phorizon^ le da-
oouTre , s'y Uottit et attend que ie ciel soit redevenu
bleu pour se lÎTrer à ses^ téifiSbreusea eieursicois.
Vow «pesdaut) iniRtigaUe e&plwatfw, ¥Oifâ vaaH
êtes atmoftumuaaiBentjelè dtts em nauiÉiiaeaaolfttluka»
eàj auimUeu de roa nkklîtailiotta .vous vgnis tromm
tèiit-À-ieQiip»prétaû» de l'ttrao^toulmg quoiroiiaiie
voyea paa^ car il est dan^ depina de malke ^ de prè-
¥oyuuseqiifileeiel ne vous en adoubé. Avoaràt^ païad
ttnaakire tranohaittcNi uufrépée^ à votre éftiBÉmti4imi
pistoiçta, sur votne épaule un fuaH> l-ôraug-Qutdng n'a
pour toute prolaetioa que le troae de Ta^re ou il ae
eaehe cemoie dmvière un r^tepart, les j^ias toutes
et les brw^a^ûUéa ép%iaaea qpfti te 4^ol>i^f^tt3fr y^^a et
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126 yf0iUE ArtotR w ifONM
le mMMt âtkiM à l'abri d^ baltes, ses dents aigttês qui
^édiireiit une l^âiiehe noueuse qu'il a taillée pour les
besoHis de sa marche et ceux de sa défense. Soyez armé
et fied en cap, «Importe : il y a grand péril pour
vous dans cette reni^oiitre. Il faut que totre plomb
frappe Tennemi à la tète; il faut que votre épée lui perce
le eceur ou que votre sabre lui abatte une épaule. L'o-
rang^utang saute /bondk, semonlre, s'efface; il est
ik I il vous touche, il'se fait grand ou petit, ses rapides
éventions le sauVMt de vos coups , qui portent dans
le vide. Il vous pousse comme un homme exercé aux
hHltes do corps; îf vous frappe comme s'il avait reçu
ées leçolts de pugilat; il fait le nioulinet de son bâton
noueux, il menace vos jambes et c'est votre tète qui est
Hessée ; de ses robustes mainset de ses crocs tranchants
it s^ittisobe à vos vêtements et à v(rfre chair; vous êtes
épuisé, en lambeaux , et - à peine le sang de la bête fu-
rieuse coule-t*il par quelque légère blessure. Vous
voules fuir alors, il se plante devant voos et s'i^ppose
ha ff dimeirt à votre retratte , car il devine que vous ne
rimidriet pitt à sa rencontre ou que vous n'y viendriez
ipae seul, et il veut vous At^ le pouvoir d'aller à la re-
eh^rche de nouveam^ chasseurs. Son triomphe, à lui ,
n'est complu que lorsqu'il vcmis vmt étendu sur les
leuîHes mortes de la forêt, Iwsqu'il ne seirt jkns les
bideuiwls de votre cœur, lorsque vos yeux sont sans
regard. C'est, je vous Tatteste, un bien dang^reus
ennemi que l'orang-outang traqué dans ses forêts.
On en a vu armés seulement de bâtons se défendre
eoÉàre une douzaiiie de chasseurs habiles /et il n est
V
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DE l.'A&TftOUl£ fil »£ U ZKfiC. 437
pas rafe d'entendre lès pas rapides d'un élé^Mttt oa
d'un buffle reteoUr dans les fbrète d'où (^s sîiifes m
lestes et si forts parrienn^t à diassér œs monstruem
et terribles quadrupèdes.
De pareils faits ont besoin d'être «oiivait écrits pow
combaltre l'incrédnlité^ et tous les voyageurs henrett*
sèment se trouvent d'accord là-dessus pour i|iie VM#
n'ayez pins droit de tes révoquer en doute.
Le mandril est trop stupide pour trouver desàras
protections contre les armes des; Malais et deii eiplon*
teurs. européens ; sa démarche lourde et eaarfMmraiaéa
le i^nd aisément victime des «diasseurs <[ti l'attaquMl
à coups de fusils, de pierres et de bâtons, et If fre»t
nent souvent dans des filets tendus sur son {Mbgaafe. I0
mandril n'a d'adresse qu'à l'heure de sa mort, et sa
dernière pensée (donneannoi une autre eipressioo) est
une vengeance. Btessé par le chasseur et jugeant ^'il
ne peut plus se sauver de ses atteintes, il tombe, reste
immoUle, se laisse tourner, retourner sur le sol, et
lorsqueleacalpel commeiicesa dissection, an moment
où roas*y attend le.moins, il sejettesursonennenûci
le mord avec voracité. Satisfait de ce triomphe d'^-
nisant^ iltombeet meurt sanspousser uacri. La rhasaa
au mandril est un jeu plus qu'une guerre, un «mMfh
ment plus qu' une fatigue.
L'orang-outeng et le mandril scmt origtMirai dpi
mêmes climats , et vivent des mêmes Ihiits rt dt 1«
même industrie; mais l'un est teste , actif, «itr^ov^
nant, plein de courage; l'autre est burd, presque
stupide. Il faut voir ce dernier traqué ^ans sa ra-
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1^ TOTAaE AUTOfjR M Même
Èniikê pmt rofan^otmg qtii le tequine , le bareète
«t «emUe vouloir lui donner un pea d'aetîvM. Aux
am dfe joie^ du bourreav y «us accents de douleur de
la yictime, les chasseurs accourent, déchai^nt leot«
«rmeft on déeodient leurs flèelies empoisontiées 6ur
les deaxiÎAgee, et vainqueur ^ vameu rendent en-*
mÊaaiAê le dernier eiMipîr.
Le mandril «e ft&Oid dans des filets:. Dès qû*i se sén(
ctplîf , il se eoucfié, et qu^ques instants après il songe
à sa liberté perdue ; il veut la reeimqwérir, et it isoei
tstttée IgnAeur à attaquer mee ses dente les maitles du
l éa rto qui Tempriscmne y qM les chasseurs ont U
temps d'^arrifcr et de l'abattre à coupa decfôsses de f u^
sifeou de pierres,
On dft proveAialement leste commeun sirige; pour^
qmii le mandril n'est-il pas classêparmi les maittot-
les 0u les {bloques? Le mandai déshonore la race si*
miane. '
De tous les singes qui parcourent les archipelB océa-
nîqueis , les rastes solitudes brésiliennes et les immen-
ses forêts vierges qui pèsent sur le sol de cetie magnî-
flqufe partie du Nouveau-Monde, le jockoe*, sans
èontrecHt , le pîus leste, le plus entreprenant , le plus
audacieux. A la vérité , il ne se montre que kt ntilt^
fuit les rayons du soleil ; mats quand tout dort dans
les habitations, quand tout est assoupi daùs les cases
dés nègres, il te ^issc furtivement , ainsi qu'on adroSf
lllou, dans les étables ou les greûiers où sont gardés les
gerbes, les graines et les fruite. Après avoir déposé i9on
butin au fond de quelque réduit , il revicïrtà la châfge;
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^
DE L^ASTROLABË ET DE LA ZÉLÉE. ^ >I29
recommence ses rapines , visite les endroits les plus
cachés, ouvre, brise les armoires le^ plus solidement
fermées , et ne se sauve que lorsque le jour le chasse.
Maiss^il est découvert dans un^ppartementou au milieu
d^in verger, loin de chercher à fuir alors, il s^arme de
résolution, s^élance en désespéré sur les chasseurs,
bondit comme un jaguar, pince, déchire, mord, et né
tombe presque jamais sans avoir fait de nombreuses
victimes.
Les flèches des Bouticoudos, des Paîkices, des Mon-
dnickus , des Tupinambas et les fusils des Européens
|>euvent seuls arrêter , dans ses excursions , le jocko
qui cependant, pris jeune, s^apprivoise facilement et
devient un des plus agréables, passe-temps des désœu-
vrés brésiliens.
L^ouistiti, et le singe-lion, le singe-volant de la Nou-
velle^ollande , qui ressemblent si bien à une chauve-
souris, se chassent à Taide d^un fusil chs^rgé de son ou
de sable très fin. Le coup les étourdit; ils tombent, et ils
n'ont pas encore repris leurs sens qu'on les tient déjà
renfermés dans une cage.
Tout gentils, tout coquets, tout amusants qu'ils
sont , vous les voyez , en l'absence dé leurs maîtres ,
ronger les petits fils d'arclial de leurs prisons , grino-
ter les bois , les rideaux , les étoffes qu'ils peuvent at-
tendre , et ne rêver que destruction.
Il y a tpujoursdu singe dans le singe, et l'ouistiti ne
ment pas à sa nature.
Il est impossible de se faire une idée de la véhé-
mence , ou pour mieux dire , de la rage avec laquelle
II. 17
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iSO VOTÀOE AUTOUR DU BiONOE
s'attaquent deux singes, grands ou petitg, jeunes ou
vieux, de quelque espèce *que ce soit, pour la posses^
sion d'un fruit ou la conquête d'un gite. C'est un dé-
lire , une frénésie ; ce sont des cris, des frétnissemeûta,
des hurlements à fatiguer les échos ; ce dont des mor*
sures profondes, des déchirures qui enlèvent de longs
lambeaux de chair. On ne cessera de copnbattre que
lorsqu'on n'aura plus de forces ou de dents. Autour
des deux athlètes, vous voyez les branches des avim^
tes brisées , les feuilles en poudra, t^ terre labourde ,
et vous pouvez vous approcher en ce moment , flagel-
ler les deux antagonistes, les piquer de vos épé^,
leur briser un membre , les percer même de p^iit
plomb, nul d'eux ne lâchera prise, nul d'eux ne
mourra sans serrer étroitement son ennemi dans êm
bras.
Si le singe avait autant de force que de méchaïu^té,
de puissance dans sa haine, ce serait un d& plus dan-
gereux ennemis des hommes.
Le singe a une peur effroyable du serpeut. A l'as-
pect du reptile, ses membres tremblotant oti ils rai-
dissent ; ses dents ç' entrechoquent , il s^agite dans im
mouvement perpétuel , il se cramponne de* sa queue
à la branche que les mains et les pieds abandonnent;
il courbe sa tête , fenne le$ yeux et se laisse tomber
sur le sol où il devient bientôt victime de 8«3 terreurs;
Des voyageurs dignes de foi assurent avoir observé 4es
singes , pendant une heure entière , pejpcbés aiasf par
l'extrémité de la queue aux plus hautes branckes 4es
arbres, et ils ajoutent que ces vertifi»» du quadra-
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DE L^AITtOLABÊ Et DB LA lÈhiË, 45f
mkne leur ont toujours indiqué, parmi les broud^aillé^,
la présence d'un serpent aux aguets en quête d'une
proie.
C'astlà une de ces études utiles et curieuses à recom-^
mander aux explorateurs.
Trop de précautions ne peuvent jamais être prises
contre les hôtes dangereux qui infestent les forêts éter-
nelles du Brésil , les solitudes africaines ou les archi-
peli indiens^ sillonnés par le redoutable boa dont je
vous ai déjà dit les effrayantes promenades.
On a beaucoup parlé de l'adresse des singes à évi-
ter tel ou tel piège tendu par l'es chasseurs ; on a beau^
coup parlé aussi de leur intelligence à se procurer les
aliments nécessaires à leur vie , mais tout le monde ne
sait pas que la plupart des espèces dont nous retra-
çons les mœurs , se construisent des habitations com-
modes, à l'aide de branches , d'écorces et de feuilles,
où ils se mettent à l'abri des injures du temps. Sous ce
rapport, l'orang-outang surtout fait des merveilles.
Les cases qu'il bâtit, et qu'on trouve éparses dans
■ l'intérieur des forêts où il règne , offrent une soli-
dité, une entente d'architecture qui épouvantent la
raison.
Mais ce qui tient du prodigô, c^est l'ardeur ou plu-
tôt la rage de possession dont il s'anime quand on
cherche à l'exproprier. Les combats que vous lui li-
vrer en rase campagne ou au milieu des bois sont dif-
itciles.et périlleux; ceux qui ont lieu autour des ha-
bitations deviennent des luttes où presque toujours la
victoire est du côté du singe. Orgueilleusement posté en
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452 VOYAGE AUTOUR WJ MONDE
seatinelle avancée y à quelque pas de son édifice , il a
Tair devousdirequepersonnen^aledroitd^y péaétrer ;
que cela est à lui ^ à lui seul et qu'il est résolu à mou*
rir plutôt qu'à céder. Jamais soldat ne montra plus
de fermeté y plus de détermiaation pour la défense du
poste qui fut confié à son honneur.
Maintenant, si vous essayez de passer outre, si
vous ne voulez pas attendre que rorang*<)utang se soit
éloigné de son magnifique palais, tâchez que vos balles
portent juste, car sa colère est chaude, et a pour auxi-
liaires la force et Tadresse. Ce sont des élans de buf-
fle , des évolutions de serpent , des morsures de tigre,
des attaques de gladiateur. II vous déchire dé ses dents
aiguës, de ses pieds vigoureux ; il vous soufflette de ses
mains promptes comme la pensée; vous oroiriez en-
tendre tomber sur votre dos les battoirs de vingt blan-
chisseuses pressées d'achever leur tâche.
Ici déjà naissent les regrets. L'imprudente querelle
dans laquelle vous vous êtes jeté vous ôte parfois toute
pensée de défense , tant votre adversaire s'empare de
votre admiration ! Ce n'est i]ue lorsque le sang coule
par maintes blessures, ce n'est que lorsque la douleur
vous ramène au sentiment de votre consenaiion que
vous en appelez à vos piques, à vos épées, à vos poi-
gnards, qui vous sont enlevés souvent par votre en-
nemi.
Dès que l'orang-outang se sent frappé à mort, loin
de fuir; il se poste encore menaçant devant sa maison,
semble jouir du spectacle d^ désordre qu'il a causé
parmi ses antagonistes , sourit aux derniers râles des
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. 455
chasseurs étendus sur la poussière et rentre chez lui
pour eipirer dans son domicile.
Quelques peuplades sauvages de l'intérieur du Bré-
sil se livrent avec ardeur à la chasse des grands singes
qui infestent les solitudes de cet empire, presque aussi
vaste qye l'Europe , mais elles font surtout une guerre
sans relâche aux frêles individus de cette race dont
elles estiment la chair.
Contre les jockos et quelques autres espèces géaiites.
les Bouticoudos surtout se servent de leui's arcs à flèches
et de leurs arcs à pierres , qui sont leurs seules armes
danslescombats avec les tribus rivales. Ces arcs à pierres
se composent d'un bambou coupé en deux de long en
long, aux extrémités duquel on a pratiqué des trous
pour le passage de la corde, qui est nouée extérieure-
mcQt^ à cette corde en est tressée une autréqui se sépare
de la première vers le milieu , de telle sorte que deux
petits bâtons ou deux os placés verticalement à ces
cordes les empêchent de se rapprocher. Là est un filet
à mailles fort serrées; ce fileta trois pouces de lon-
gueur et c'est sur ce repaire que le sauvage place la
pierre assujétie par l'index et le pouce, ainsi qu'on le
fait de la flèche. Vous comprenez que si leBouticoudo
lance la pierre en ligne droite, elle doit frapper le bois
de l'arc, puisque celui-ci se trouve dans le même plan
que les cordes et le filet. Or, le farouche Indien, qui
est, selon moi, le plus habile, le plus leste, le plus in-
génieux dès naturels vivant loin de toute civilisation ,
tend sa corde en biais, et la pierre qui devait s'arrêter
à son départ atteint le but en passant à côté du bambou.
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434 VOYAGE ACTOtJR DU ttONJTB
M. J. Arago a vu à RioJaueiro un ^afaat cb cbnise
ans offert en cadeau à M. Laodsdôrff, chargé d'affaires
de Russie auprès de Jean YI, et que son père avait ex-
pédié à ce savant naturaliste pour lui fournir une oc-
casion d'étudier sa tête après Favoir séparée du tronc ;
cet enfant , étonné qu'on lui laipsât la vie^ atteignait
presque toujours, à vingt*cinq pas de distance^ un plon-
geon qui était pendu à la dunette 4u natire.
A l'aide de ces arcs de cordes hauts de six pieds de
longueur, le Bouticoudo ne craint pas l'attaque du ja**
guar; jugez donc si le singe n'a pas tout à redouter
d'un pareil chasseur.
Quant aux gracieux ouistitis, aux singes-lions et aux
nombreuses fan)illes si légères , si rapaces , si petites
dont ils se nourrissent avec tant de sensualité, ils dé-
daignent pour eux les pierres et tes flèches, et les pren-
nent à l'aide d'une grande souricière (^onnezHnoi un
autre mot) placée à l'entrée d'un champ de maïs, de
cannes à sucre ou au pied d'un bananier. En grimpant
sur un arbre, en se promenant au milieu d'une plan-
tation , le ouistiti peut apaiser sa faim ; mais dans l'ha-
bitude où il est de regarder comme sienne la propriété
des autres, il dédaigne d'y toucher. La souricière ren-
ferme outre ses parois les grains, les fruits, les légu-
mes qu'y a déposés le Bouticoudo. Ici est la rapine,
ici est la perfidie, ici est la méchanceté : c'est ici , par
conséquent, que doit se jeter avec un bonheur inouï
cette gent malfaisante , et la porte du piège toinbant
derrière le quadrumane rongeur lui prouve que le vol
ne rapporte pas toujours bénéfice à qui le commet.
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DE l'astrolabe et D£ Li ZELEE. 455
Le& premiers^ explorateurs qui ont étudié les maii-
drîis, lesorafig-^outaugs, les jockos dans leurs foré^,
o)Qt publié bien des anecdotes curieuses sur 4es auBurs
et le^ habitudes de ces êtres singuliers qui ressemblent
sous tant de rapports aux sauvages habitants des pays
équatoriaux nourrissant tant d'êtres divers, tant de
natures oppoisées. Ils ont raconté mille extravagances
plus ridicules les unes que les autres, et dont la philo-
sophie et les études sérieuses des temps modernes ont
fait prompte et bonne justice.
Selon les voyageurs du quinzième et du seizième
siècle , époque si féconde en merveilles et pendant la-
quelle on croyait encore à l'eldorado , les singes dans
leuramour désordonné poyrles femmes, s'élançaient
au milieu des peuplades , luttaient avec ardeur contre
la jalousie des hommes, se choisissaient une compa-
gne, Temportaientau fond des bois et vivaient avec elle
en fort bonne intelligence. De ces bizarres et mons-
trueux accouplements naissaient, selon eux, les maca-
ques, les babouins, les moustacs, les talapouins, les
malbroucks, les monas et les guenons , formant l'im-
mense famille de singes ravageurs des plantations qui
peuplent encore une partie des vastes forêts de l'Inde,
de l'Afrique, de l'Amérique septentrionale et de la plu-
part des grandes îles malaises. Nous avons marché
depuis trois siècles ; les préjugés ont fait place à la lo-
gique; l'art de la navigation a grandi les connaissances
humaines; on a classé les espèces, on a interrogé la
nature avec une raison plus saine; et les singes les plus
industrieux, les plus lestes, les plus spirituels, setrou-
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136 TOYAGE ACTOCR DU MONDE.
Yent encore placés bien loin des Hottentots, des Mozam-
biques, des sauvages naturels de la presqu'île Pérou
et des stupides habitants de laNouyelle-Galles-du-Sud,
qui occupent, selon nous, le dernier degré de Téchelle
sociale.
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42
JAVA.
fllamarang» — Mlatifi^a.
NcMi» voici au tât|[e, la mer reprend ses ondulations
plus imposdtileS; les courants ont moins d'intensité,
et nous piquons une seeonde fois sur Java, où le 48
septembre nous mouillons en face de Samarang.
Je feux que vous me lisiez, et c'est pour cela que
je ne vous parle presque jamais de ces petites colères
célestes, de ces variations de raiguille aimantée, de ces
courants qui filent plus ou moins de nœuds dans telle
ou telle direction ; votre mémoire en sérail fatiguée;
presque rien aussi, jusqu'à présent, de notre situation
personnelle, et cependant il faut que je vous dise qu'ici
M« d'Urvilk a été saisi d'un accès de goutte si violent,
lu 1b
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>I58 VOYAGE ACTOrR DU MONDE •
que nous avons craint pour ses jours, et que le corn-
mandement de Texpédition a été conQé au zèle, à Tac-
livité et au savoir de M. de Roquemaurel , lieutenant
de l'Astrolabe.
La ville de Samarang est vaste , spacieuse ; c'est
presque une rivale de Batavia. Un grand nombre de
navires pavoisent la rade, protégée contre les tempêtes,
et le commerce y est florissant. Ici encore de belles
plantations, de riches factoreries, d^immenses maga-
sins' et du luxe. La population y est hollandaise , mais
on y voit un grand nombre d'Arabes et de Chinois
s'occupant de trafics de toute espèce... quelques négo-
ciants français qui y jouissent d'une grande estime et
qui y ont fait une fortune considérable. Le plus recom-
mandable d'entre eux est M. Tissot, dont la superbe
habitation est tenue avec un faste asiatique.
 une démi-lieue de la ville il s'est bâti un magni-
fique palais, où FEurope se reflète dans la somptuo-
sité des appartements, et dans les mille petits bénéfices
inventés pour tuer les heures si lentes des colonies ;
salle de billard, salon immense de réception, boudoirs
d'une élégance magique, allée parfumée où Ton res-
pire à Taise la vie et le bonheur; et, au milieu de tout
cela, traversant l'habitation, un canal servant de salle
de bain 9 et protégé par un* barrage contre les croco-
diles, et par un large kiosque contre les ardeurs du
soleil.
Nulle part chez nous les honneurs d'un hôtel ne sont
mieux faits qu'ici par madame et mesdemoiselles Tissot,
dont le teint un peu brun rappelle une origine afri-
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. >I59
caîne; elles cultivent les arts, et leur amabilité ne fait
janïais défaut à aucun visiteur.
Je parcours la ville; je me promène dans la partie
ouest où je suis appelé par d'imposantes bâtisses; c'est
un fort majestueux, bien placé et élevé par la sollici-
tude des Hollandais, qui craignent toujours de se voir
attaqués par les Javanais de l'intérieur, jaloux de leur
indépendance. Qtelle nefùt paè ma surprise, en trou-
vant au milieu du fort un puits artésien en pleine ac-
tivité ! C'est le premier qu'on ait creusé dans un terrain
volcanique. On le doit aux recherches et à la persévé-
rance de M. Jhné, ingénieur allemand, récemment ar-
rivé dans le pays.
Ma connaissance avec M. Jhné fut bientôt faite ; je
lui témoignai mon étonnement à l'aspect de son puits ;
il m.e dit les difficultés qu'il avait eu à vaincre pour
percer les diverses couches de tuf et de lave dont le
sol était formé... Et comme plus tard je lui manifestai
le désir de faire une excursion dans l'intérieur de I île;
il voulut s'associer à mon voyage, et je reçus sa propo-
sition avec un grand plaisir.
Les embarras du voyage sont grands à Samarang,
et n'obtient pas de passeports qui veut. On comprendra
cette rigueur de l'administration quand on voudra bien
réfléchir à quelle petite distance des villes européennes
vivent des peuplades farouches en haine avec la civili-
sation dont elles ne veulent pas, et toujours prêtes à se
ruer sur les usurpateurs de leur sol inhospitalier.
Cependant M. Jhné et moi fumes plus heureux ; M. le
résident, dont je regrette beaucoup de no pas me rap-
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AAO VOYAGE AUTOim DO MOUdE ,
peler le nom, accueillît très gracieusement la demande
que je lui fis d'un sauf-conduit, et sachant que je vou-
lais aller visiter Salatiga , ville importanfte de Tirité-
rieur, où rappelaient incessamment des affaires de ser-
vice, îj ine proposa une place dans sa voiture. Je re-
fusai ; car notre intention, à M. Jhné et moi , était de faire
un cours d'étude ; et pour cela, je vous lai dit lors de
ma première excursi()n au pic de Ttnériffe, rien n'est
moins favorable qu'un carrosse.
M. le résident ne borna pas sa sollicitude à de sté-
riles offres de service et au don d'une lettre de crédit
extrêmement chaude, écrite en hollandais et en java-
nais, il m'adjoignit encore une sorte d'officier malais
chargé de pourvoir spécialement à mes besoins, et de
faire donner prompte exécution à mes ordres, à mes
simples désirs.
Le matin, de bonne heure, un kapcda revêtu de su-
perbes étoffes et armé de deux crish à sa ceinture,
vint dans la cour de T hôtel attendre Fheure de mon
réveil. Il emmenait trois chevaux de selle pour nous et
notre domestique, et deux coulis (hommes de peine)
pour porter nos bagages.
Notre première halte fut à Énorang, à quatre lieues
de Samarang; là, notre guide, notre kapala, nous dit
que sa mission était finie, et nous confia à un second
kapala ; nous primes de nouveaux chevaux, de nou-
veaux coulis, et nous poursuivîmes notre route.
Cinq lieues plus loin, à Tana-Méra, autre relai;
pendant que l'on selle nos chevaux, je suis attiré par
un bruit i*etentissant de goum-goum et de tam-tam,
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DE L'iST&OLiBB ET DE LA ZÉLÉE. 441
et j^af^rends qu'un mariage javanais est cause de tout
ce tiûtamare; je me rends sur le lieu de la scène, et
au bruit de quinze à vingt tam-tams déchirant les oreil-
les parleurs divers diapasons, la cérémonie a\^it lieu.
Tout cela était simple, ordinaire comme fine nooe
de village. Assis sur de petits bancs -en face de tables
très basses, les convives mangeaient quelques mets du
pays dans de fort petites assiettes en porcelaine du
Japon et de la Chine , et la redoutable musique ron-
flait toujours; hommes et femmes étaient mêlés entre
eux; il y avait de la gatté, peu de désordre, et après
quelques instants d^observation, mes études et ma cu-
riosité furent satisfaites.
Après quatre heures d'une marche assez rapide sur
un plateau fort étendu, riche des productions du pays
et de la culture des légumes, des fruits etdes fleurs d'Eu-
rope, nous arrivâmes à Salatiga. Est-ce une ville? est-ce
une campagne? C^est Tun ou l'autre, ou plutôt c'est un
camp. Là, quatre à cinq mille hommes s'exercent au
maniement des armes pour les luttes fréquentes qu'ils
ont à soutenir contre les Javanais indépendants ; en
général ce sont des natures privilégiées, des physiono-
mies d'un caractère guerrier, prompts à la marche,
prompts au combat. On les a pris à tout hasard parmi
les aventuriers de tous les pays de l'Europe ; Anglais,
Français, Allemands, Hollandais , Belges sont là côte
à côte, servant dans le même régiment, et se dispu-
tant les grades à force de zèle et d'intrépidité.
Tout près de cette troupe d'élite , sont encore des
régiments de Malais et de Javanais, séparés, distincts,
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>I43 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
babilles également à Teuropéenne, mais condamnés à
ne s'élever jamais jusqu'aux grades supérieurs ; seule-
ment les mieu:x instruits, ceux surtout qui ont donné
les meilleurs gages de fidélité et de dévouenient, peu-
vent devenir petits officiers honoraires; et c'est là leur
bâtoii^ de marécbal.
Outre ces soldats bien vêtus , bien disciplinés, il est
encore un régiment également bien équipé de nègres
venus des côtes d'Afrique, auxquels on clierche à don*
ner les allures des soldats européens. Cette première
tentative a réussi, et nul doute qu'à la première guerre,
les homnjes noirs ne rivalisent avec les blancs en dé-
vouement et en énergie.
Toutes ces troupes ont, à Salatiga, des casernes bien
tenues, bien aérées; la santé est sur tous les visages,
la joie dans tous les cœurs, et Ton ne dirait pas qu'on
se promène dans un pays où les plus terribles fléaux
viennent périodiquement exercer leurs ravages.
M. Jhné et moi descendîmes dans un hôter tenu par
un Français. On nous y traila avec politesse, mais
sans empressement; on ne fit aucun frais pour nous
bien accueillir, et quatre piastres payèrent notre bien-
venue.
Au surplus, le paysage qui se déployait à nous de
cette maison propre et commode, mais sans somptuo-
sité, était d'une fraîcheur et d'une variété remarqua-
bles. Partout de riches cafeiries florissantes, des indi-
go teries à leur naissance, des champs de cannes à su-
cre répandus avec profusion , quelques maisonnettes
coquettes éparses çà et là ; et, planant sur cette nature
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 445
privilégiée, la famille des palmistes avec leurs cheve-
lures onduleuses et leurs têtes élancées comme des
bambous.
Poussez plus loin vos regards, étudiez les gorges
et^es cimes accentuées des hautes montagnes qui dé-
ploient devant vous leur majesté , et votre œil se re-
pose studieux sur un volcan dont la fumée s'échappe
toujours en spirales rougeâtres. Le paysage est digne
de Claude Lorrain ou du Poussin.
Après la fatigue et l'étude, le plaisir ; mais ici , sous
un soleil, tropical , il n'y a guère de plaisir sans lassi-
tude, et Tonne trouve guère d'abri contre les chaleurs
dévorantes qui crevassent la peau.
Cependant le vice-résident n'ayant pas encore reçu
ma visite d'usage, je crus devoir une politesse, et je me
rendis chez lui. J'y trouvai M. d'Urville et son acolyte
M. Jacquinot, qui avaient projeté, pour le lendemain,
une course sur les montagnes pour visiter une source
thermale et un temple antique fort célèbres dans le
pays.
Les préparatifs du départ furent bientôt achevés.
Les résidents et les commandants en voiture, M. Jhné
et moi à cheval ; j'aime à bien voir ce que je veux étu-
dier et traduire.
Une escorte d'une trentaine de cavaliers , vêtus de
tissus fort éclatants , caracoUaient autour de nous.
Arrivés à un pont jeté sur une petite rivière rapide et
surmonté d'un toit protecteur^ nous sommes reçus
par une nouvelle escorte vêtue de violet, tandis que
la première l'était de vert; car ici chaque district a
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^144 rOYAGE AUTOUR DU UùHDE
sa couleur oomme chacude de nos armes son uni-
forme»
Ces soldats choisis parmi Télite de la jeunesse java-
naise sont tenus d'aller au devant du résident, chaque
fois qu'il se déplace ; c'est une garde d'honneur et tme
protection à la fois.
Nous entrons bientôt dans la vallée d'Ambarrava ,
large plaine dominée, à de grandes distances, par de^
plateaux élevés, et au milieu de laquelle se trouve une
nouvelle forteresse qui pourrait contenii^ huit à dix
mille hommes. Les Hollandais échelonnant ainsi leurs
forces aux environs; car c'est de là que, peut-être uû
jour, partiront de redoutables ennemis qui viendront
apporter le carnage dans la eapitale.
Après avoir dépassé cette forteresse , où nous ne fî-
mes, pour ainsi dire, qu^une halte d'inspection, nous
commençâmes à gravir la colline; mais bientôt la
pente devint tellement rapide que les voitures firent
halte, et nos compagnons furent forcés d'achever l'ex-
cursion à cheval. Seulement, comme M. Jacquinot, qui
a peutrétre le pied marin , n'est pas de la famille des
Ceâtaures, il se fit porteir en palanquin, et ne vit le pays
qu'à travers une croisée et horizontalement étendu. Il
y a des habitudes qu'on n'aime point à perdre.
A mi-côte de la montagne, le chemin devient très
rocailleux, mais adroite et à gauche, formant deux
haies ravissantes, une immense quantitéde roses du Ben*»
g^le s'épanouissaient au soleil et semblaient nous êaffl*
ger à poursuivre gaimentnotre route. C'était une marche
presque triomphale , car la musique javanaise, à dia*»
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DE L^ASTAOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 445
que balte , résonnait à ébranler les écbos y et les po-
pulations voisines accouraient à notre passage avec un
'empressement qui , je dois le dire, était plutôt de la
curiosité que de Tadmiration.
Le résident possède ici une maison de campagne
qui n'est guère qu'un point de repos pour les voya-
geurs qui viennent visiter la fontaine et le temple.
Aquelques pas delà est la fontaine, nappe d'eau d'uh
mètre de circonférence , sortant d'un canal profondé-
ment cacbé dans les entrailles de la terre; l'eau est à
la température ordinaire et fortement cbargée de sels
de fer ; au reste, rien de bien remarquable pour le
géologue.
Nous sommes ici à 900 mètres au-dessus du ni-
veau de la mer ; à 200 mètres plus baut est le temple
antique où nous arrivons en une beure , car le sentier
est facile, quoique ardu.
Temple soit , mais je n'aurais pas osé lui donner ce
nom pompeux, s'il n'était déjà consacré; c'est un
cube de 4 à 5 mètres de côté, avec portes et croisées
latérales ornées de sculptures symétriques, usées
par le frottement du temps; quelques marcbes ser-
vent à pénétrer dans l'enceinte ouverte aux quatre
vents, et le tout est surmonté d'une coupole, ce qui
donne à l'édifice la forme exacte d'un tombeau arabe*
Personne ici ne put m'en dire l'origine ni le dieu au-
quel il a été consacré.
Quelques autres temples pareils à celui-ci pointaient
sur des crêtes plus élevées, mais nous nous tînmes salis-
faitisdecette première visite, et les curieux qui viendront
ir. 19
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A 46 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
après nous feroiït «ageinent d^imtter notre réserve ; les
arts et Thistoire auraient peu à gagner à une aacensic»!
plus aérienne.
J^aurais voulu pousser bien au-delà des ftiontagaes
mes courses aventureuses ; j'aurais voulu visiter les
domaines de Solo où sont gardés è vue lef sultans de
Tex-empire javanais ; mais hélas 1 le temps nous pres-
sait y je dus suivre dans leur retraite mes compagnons
de voyage; mais^ plus indépendants que tous, nous er-
râmes çà et là avant d'arriver à Samarang. Ne me
tracez; jamais une ligne droite, ne me forces point à
cheminer dans tel ou tel sentier, si vous voulea que
je trouve quelque plaisir à mes promenades, quelque
profit à mes études.
Dans un pays où la chaleur du jour est excessive ^
les orages se succèdent avec une effroyable rapidité.
Nous étions à cinq lieues encore de Samarang , quand
devant nous se dessina, pareil à un fantôme, un nuage
ctiivré qui étendit ses larges bras, envahit Thorizon ,
s^ affaissa et vomit bientôt sur nous des torrents d^une
pluie rapide. Les éclairs sillonnaient l'atmosphère,
Tair était en feu, et le tonnerre bondissait sans discon-
tinuer. Nous attendîmes la fin de cette crise, abrités
dans Tauberge d'Enorang, où nous liâmes conversa-
tion avec M. f^an Gordum , officier de la garnison de
Samborava , lequel , ainsi que nous , avait été surpris
par Forage : ici tous les gens bien élevés parlent le
français comme vous et moi.
Ce que Ton a de mieux à faire dans ce pays équa*
torial , c^est de voyager la nuit, lorsqu'une fois la eu-
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DE l'ASTM)UBE et BE LA zéiEE. •147
riosité est satisfaite; seulement , je ne conseillerai» pas
one telle c<Hidaite à tout royageur qui Totidrait se pixP
mener dans Finlérieur de Java ; car nmi compn^aoû^
de route me raconta mille histoires de Yoktarsplus
dramatiques les unes que les autres, et dônt^ ma foi^ une
seule attrait dû nous faire attendre lé retour dû sideiL
Mais il en est de ees bandits comme des crocodiles:
de Timor qui se promènent dans les villes épouvan-
tées, ccmrnie des boas de Didby c(ui font la siège des
demeures malaises y comme des lions du Saharah qui
emprisonnent les populations en armes y comme de»
ours blancs du Spitsberg qui ouvrent les navires* On
parle beaucoup de ces redoutables ennemis des hom-
mes y mais on en voit peu y très peu y et bien favorisés
sont les intrépide eiplorateurs qui en rencontrent quel-
ques-uns sur Umv p^sag^.
Mon compagnon etmoi nous arrivâmes à Samarang y
à cinq heures du matin ^ sans une blessure au flanc ,
sans la plus légère morsure de reptiles, sans la moin-
dre trace de. dent de rhinocéros ou de panthère.
Ce qu'il y a de vrai cependant , c'est que les forêts de
Java sont infectées d'hôtes dangereux, et que la pru-
dence veut que vous ne sortiez jamais sans un fusil sur
Tépaule , sans deux pistolets à la ceinture. Ajoutons
qu'ici encore la rencontre des hommes est plus à redou-
ter que celle des quadrupèdes.
Vqus comprenez bien que je ne veux pas me répé-
ter en vous disant ici , comme je l'ai fait ailleurs , les
détails des bals, fêtes, cérémonies javanaises et chinoi-
ses auxquelles j'assistais chaque jour , c'est à peu de
* •/ DigitizedbyLjOO^lC
448 VOYAGE AUTOCR DU MONDE.
chose près ce que vous savez déjà, ce dont je ne dois
plus vous entretenir, car la route est longue encore et
des drames plus palpitants nous attendent.
Mais je ne dois point passer sous silence la politique
hollandaise qui sait gouverner ici sans trop faire sentir
aux anciens chefs le poids de sa domination; elle laissé
aux vieux rajahs, aux sultans, de certaines prérogatives
peu dangereuses, et les salue du nom pompeux de
souverains , leur donné des ordres qui , sous la
formé de prières, n'en sont que plus rigoureusement
exécutés.
Ce ne sera point par le Javanais que le Hollandais
sera jamais chassé de Batavia , à moins toutefois qu'un
de ces hommes extraordinaires, qui surgissent à cha-
que siècle dans tous les pays du inonde, ne veuille en-
fin se montrer maitre chez lui et n'obéir qu^à la vo*
lontédeDieu.
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13
DETROIT DE LA SONDE.
4a¥a* — fiiiniatra. — Tcblngul. *- lladav.
Antliropoiiliagle.
Notre navigation continue sous Tes rayons verticaux
d'un soleil brûlant. Le >l^^ octobre nous quittons la
rade envasée de Samarang; nous touchons de nouveau
à Batavia pour renouveler notre provision de vin, et
le 6 octobre nous disons un adieu définitif à Java la
pestiférée.
Voici le détroit de la Sonde, Tun des plus magni-
fiques passages que les flots se soient ouverts au tra-
vers des terres florissantes. C'est partout une végéta-
tion riche et embaumée; ce sont de petites villas où
la mollesse doit se reposer dans des rêves de bonheur.
De ce côté, Java ressemble à un Jardin immense au
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450 VOYAGE AUTOUU DU MONDE
milieu duquel on aurait jeté de riantes habitations
pour le bonheur des hommes. La brise est plus cour-
toise que nous ne voudrions^ car de si beaux paysages
sont curieux à visiter, à étudier, et nous ne pouvons
en détacher nos regards. N'importe, il faut obéir à
qui nous fête si amicalement; nous franchissons le
détroit avec le secours de toutes nos voiles, et nous
laissons tomber l'ancre devant Tchingui, près Raja-
Bassa, sur la côte de Sumatra.
S'il nous avait été possible de faire des haltes dans
ce trajet si rapide, avec quel empressement n'aurions-
nous pas envoyé nos chaloupes aux navires mouillés
sur les côtes de Java, et sur les mâts desquels flot-
tait le pavillon de notre patrie ! Partout des regrets
au milieu de nos joies, partout des amertumes au sein
de nos félicités les plus pures !
*\ Ne vous étonnez pas de me voir employer, au su-
jet de Java, des expressions toût-à-fait opposées; quand
je vous parle des collines parfumées, des niontagnes
imposantes, de tout le pays intérieur si riche de pro-
ductions de toutes espèces, raffraichi chaque soir par
une brise bienfaisante, je ne me rappelle que des
souvenirs de bonheur ; dans le haut pays tout le monde
se porte "bien , même le colon qui est transporté à
six mille lieues de sa patrie, et qui a échangé la zone
froide et humide de la Hollande contre le climat
brûlant des régions intertropicales ; mais si j'arrête
mes regards sur la côte, je trouve une atmosphère
épaisse, rougeâtre, que les rayons du soleil ne peu-
vent percer qu'après avoir acquis leur plus grande
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. A^\
force; les équipages, énervés par la chaleur du jour
et rinsalubrité des nuits, n'y résistent paé à une halte
d'une ou deux semaines. En vain le capitaine pren-
dra-t-il l'utile précaution de soustraire ses matelots à la
grande ardeur du soleil, en faisant décharger et re-
diarger son navire par des hommes de peine... S'il
reste quinze jours en- deçà d'un myriamètre de la
côte, il y aura deuil à bord.
Nous réserverons pour le chapitre suivant la doulou-
reuse épreuve que nous en avons faite une deuxième fois»
Mais nous sommes au mouillage; mes malades ont
bien reposé la nuit; voyons la terre.
Tchingui est un petit village; je me trompe, Tehin-
gui est un cimetière par la tristesse et le deuil qui y
régnent; il est proprement bâti sur la côte; ses mai-
sons se détachent grises sur un fond terreux, et l'his-
toire ancienne des peuples qui l'habitent doit les ef-.
frayer sans doute encore, puisque les hommes que
yoilà, auxquels nous tendons une main amie, s'éloi-
gnent avec défiance et repoussent presque notre salut
amical.
Le commerce les fait vivre; on Jeur apporte des
étoffes et des ustensiles; ils donnent en échange du
café, du poivre et des épices.
Ne leur apportez point les arts et le sciences, ils
n'en veulent pas; ce serait un superflu funeste à leur
nécessaire. Ma foi, qu'ils vivent avec cette insouciance,
puisque les ruines de temples mahoînétans dont leur
sol est pavé, ne leur donnent aucun renseignement.
Est-ce malheureux que le temps nous fasse défaut
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452 TOTIGE AUTOUR DU MONDE
pour visiter l*intérieur de cette ile, qoi, la première,
a lutté avec une énergie incroyable contre les avi-
des Portugais y vainqueurs de cet archipel. Âlbu-
querque, de glorieuse mémoire, perdit dans de véri-
tables batailles rangées une partie de ^es meilleurs
matelots ; et s'il parvint à éloigner les indigènes de la
cote, il ne put jamais réussir à les soumettre dans Fin-
térieur, ni par la pei*suasion ni par la force des armes.
Ob ! j^aurais voulu étudier ces hommes de fer in-
domptés, indomptables, qui osèrent, à Taide seule
de leurs masses, de leurs javelines, de leur crish et
de leurs flèches , attaquer les premiers établissements
portugais, dont plusieurs ne résistèrent pas à tant de
persévérance et de courage. Aujourd'hui, comme aux
premiers jours de la découverte, les naturels de Su-
matra, ceux surtout qui vivent au sein des forêts et des
solitudes intérieures, sont anthropophages par goût,
par principe, et peut-être par religion. Oui, l'anthro-
pophagie est sans doute ici un culte; à coup sûr, elle
est une loi. Écoutez, écoutez : et si c'est une histoire
de sang, ne vous en prenez qu'à l'apathie ou à l'insou-
ciance des Européens qui, satisfaits des épices et
des aromates qu'on leur donne en échange de leurs
denrées, se soucient fort peu de modifier les mœurs
et d'enseigner l'humanité.
Tout prisonnier de guerre saisi les armes à la main
est condamné à mort et mangé; à chaque holocauste
une fête a lieu, fête joyeuse, enivrante, où l'on dé-
vore sans colère, mais avec plaisir, où les cris du pa-
tient se tordant sous la torture, se confondent avec
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N" 21.
• A, Le^rand. Lnh. Riôo f"- el C " r RlcKer T.
pUAND LA FEUII.LC ECT SFCHF, IL FAUT gU'ELLE TOMBE.
Berq^ifi of TV- ^ ■ FI diseurs.
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Beiq-fl e> T^.- - M éditeurs.
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLIBE. 455
bs chants du farouche triomphateur. Le premier est
là au milieu d'une foule impatiente; il attend à ge-
noux, sans espérance de grâce à son dernier rftle, le
premier coup de sabre qui va lui ouvrir Tépaule ou
lui déchirer le flanc. Dans leur désir de supplice, les
anthropophages ne veulent pas que la victime expire
trop précipitamment; il leur faut, à eux, une longue
agonie, des larmes, de la rage, du désespoir; sans
cela, il manque quelque chose à leur orgie.
Mais s'il y a raffinement de cruautés dans la ven-
geance du vainqueur contre le vaincu, comment ap-
pellerez-vous ces moyens minutieux, recherchés, in^
compréhensibles, que les féroces Battas, Tune des peu-
plades les plus nombreuses de Sumatra, emploient
pour punir quelques-uns des crimes précisés par leurs
lois. Un individu, par exemple, pris en flagrant délit
d'adultère, est à l'instant même condamné à servir
de pâture aux autres. Or, voyez comme on s'y prend
pour l'exécution de la sentence, voyez le rôle qu'y
jouent les indifférents, les juges et l'homme outragé.
Pauvre Europe, que tu es heureuse d'avoir échappé
au code réparateur des Battas !
L'heureux coupable est attaché à un arbre, au mi-
lieu des injures qu'on lui vomit à Toreille et au cœur;
ses bras sont croisés sur sa poitrine, ses pieds noués
au tronc, sa tête seule peut exécuter quelques mouve-
ments. Le premier bourreau s'approche de lui et lui
demande s'il éprouve quelque regret de son crime ;
eôôi est une sanglante ironie, car le repentir et le re-
mords ne sauvent personne.
n. 20
/Google
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454 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
Après cette première question résolue, on s^adresse
a Toffensé , on lui demande courtoisement quel est le
morceau du patient qu^il se réserve; s'il dit c'est To-
reille, Toreille est coupée; s'il dit le nez, le nez est
enlevé; s'il choisit un morceau de l'épaule, le sabre
du bourreau fait l'office; et à l'instant même, le mari,
satisfait, commence sa collation... Ne faites pas la gri-
mace, je vous en prie, ceci est une histoire grave et
sérieuse qui demanderait à nous, gens de civilisation,
autre chose que du dégoût; mais notre bronze et nos
canons sont muets contre Sumatra et les anthropo-
phages Battas; car je ne compte pour rien quelques
représailles exercées sur certains cas de piraterie dont
ces peuples farouches se sont dernièrement rendus
coupables envers nous.
La première opération du repas cannibale achevée,
un grand vase à demi-rempli de vinaigre, de poivre,
d'épices, est apporté au milieu du groupe; le mari
s'avance, trempe le morceau découpé dans le liquide,
le mâche et l'avale.
Après le mari viennent les parents et les juges;
chacun a choisi la partie délicate du coupable, cha-
cun a fait sa portion fort copieuse, et le malheureux
n'est pas même entendu dans ses imprécations, ou plu-
tôt ses cris sont une musique dont les anthropophages
goûtent fort la touchante harmonie.
Les indifférents viennent à leur tour armés de pe-
tites lames d'acier, et quelques-uns même de chalu-
meaux ; ceux-ci sont trempés dans les chaires vives,
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DE l'astrolabe ET DE LA ZELEE. 455
et on aspire le sang, comme vous feriez du jus d'une
orange à l'aide d'un tuyau de plume.
Dès que la mort est venue, dès que le sacrifice est
consommé, dès que le cadavre n'a plus de douleur,
dès que le convive n'a plus de joie, on ouvre le crâne
du mort, on en extrait la cei'velle que l'on place dans
un vase consacré; le mari l'accepte comme une reli-
que précieuse, et se fait une coupe pour ses repas de
la boîte osseuse qui lui appartient de droit.
Et si je vous dis maintenant que ce peuple des Bat-
tas, dans ses rapports avec les étrangers, est loyal,
bon et généreux, pensez-vous qu'il nous serait bien
difficile de le civiliser, et de déraciner chez lui celte
coutume barbare qui le rend l'effroi des peuplades
environnantes? Allons, missionnaires zélés, intrépides
propagateurs de notre religion de paix et de concorde,
je vous indiqujs du doigt Sumatra la farouche ; allez
prêcher aux Battas le pardon des injures; allez leur
apprendre comment on aime, et comment le Dieu de
l'univers châtie les atrocités et réprouve l'anthropo-
phagie. Vous courez souvent après le martyre, allez à
Sumatra visiter les Battas, là peut-être vous attendent
les plus beaux triomphes auxquels vous aspiriez.
Les conquêtes de la civilisation sont lentes, surtout
chez les hommes qui ont des codes écrits, et les Bat-
tas possèdent ces codes. Ainsi, dès que le naturel avait
atteint certain âge de la vie, il était regardé comme un
être inutile, et dès ce moment condamné à mort 11 le
savait, et il se préparait de gaité de cœur 9 quitter
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1
456 VOYAGE AUTOCR DU MONDE
ce monde, où ii n'aurait éprouvé que des dégoûts et
de Tamertume.
Voici la fête : Le vieillard s'achemine vers un arbre
indiqué; la foule le suit silencieuse. Arrivé au lieu de
l'exécution, l'homme qui ne doit plus avancer dans la
vie grimpe sur un arbre, se glisse le long d'une bran-
che et s'y suspend par les mains : vous comprenez
que ses forces vont bientôt l'abandonner ; mais avant
qu'il lâche prise, un chant de mort a lieu parmi les
assistants, et ce chant de mort est une terrible poésie :
a Quand la feuille est sèche, il faut qu'elle tombe. »
Le vieillard est à terre, un instant après il ne vit
plus, les javelots et le sabre ont fait leur office.
Ajoutons que depuis peu d'années les Européens
établis. sur la côte de Sumatra sont parvenus à dé-
truire chez les Battas cet usage barbare, contre lequel
ils auraient dû protester depuis bien long-temps.
C'est dans l'intérieur de Sumatra que sont les mines
les plus riches de cet archipel , et à M énang-Kabou
est l'arsenal immense où l'on fabrique presque toutes
les belles armes de la Malaisie .: ce ne seront jamais
les instruments de destruction qui manqueront aux
hommes.
On nous assure ici que l'empereur d'Achem,
royaume de la partie N. de Sumatra, est un monarque
dont ses sujets n'approchent qu'avec une grande véné-
ration, et qu'on trouve dans ses États une marine fort
remarquable et une industrie en tout rivale de l'indus-
trie européenne.
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DE l'astrolabe ET DE LA ZELEE. 457
Sumatra est, pour ainsi dire, divisée en deux parts :
la première libre, indépendante, indomptée, sauvage,
formée des royaumes d'Achem, de Siack et des Bal-
tas; l'autre, soumise aux Hollandais, qui, cepen-
dant, ne les dominent pas assez pour leur imposer
leurs lois et leurs usages.
Le jour n'est peut-être pas loin où dominateur et
indigène en viendront aux mains ; l'histoire nous dira,
comme toujours : des cruautés et des massacres.
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.V
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u
COMMERCE DES INDES ORIENTALES.
CansidératiaiM yënéraleii «ar le conmierce de*
Inde» iNTlentales*
Ce n'est plus le navire avec sa flamme au grand
mât et ses canons aux flancs, qui s'échappe d'un de
nos ports et franchit l'Atlantique; ce n'est ni une
frégate, ni un vaisseau de ligne qui va dicter ses lois
à une île rebelle, ou saluer un royaume ami; c'est un
simple trois-mâts, un brick, une goélette que le com-
merce vient de fréter, et qui est chargé d'apporter des
richesses au commerce.
Si le capitaine ou le sUbrécargue double le cap de
Bonne -Espérance et glisse devant l'Ile-de-France et
Bourbon pour jeter l'ancre dans un des ports du Ben-
gale, à la bonne heure, sa route est tracée ; nous ve-
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>I60 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
nons de le suivre. Mais s^il est parti pour Cantonou
Macao, s^il a fait voile pour Manille, les Moluques ou
le Japon, lui est-il plus favorable de franchir TOcéan
indien ou TOcéan pacifique? Dans le premier cas, il
fait échelle, s'il le veut, à Maurice, à Syngapour, à
Batavia; dans le second, il touche à Valparaiso'et aux
Sandwich. Ici, point de maladies équatoriales à crain-
dre, point de ces fièvres pernicieuses qui désolent les
équipages ; mais le trajet est long, le cap Horn rude
dans toutes les saisons, et vous ne trouvez pas toujours
aux Mariannes bu à ces iles célèbres par la mort de
Cook, touis les vivres nécessaires à votre équipage
épuisé. Dans le premier cas, au contraire, le cap de
Bonne-Espérance, l'Ile-de-France ou Bourbon, Java,
vous fournissent amplement toutes les provisions qui
vous manquent; et si vous faites route avec les mous-
sons , c'est le chemin que je vous invite à prendre ,
pourvu que votre halte à Java ne soit pas de trop
longue durée.
Si la politique divise les empires, le commerce est k
lien qui les unit. Toute l'Inde est ouverte à nos vais*
seaux voyageurs, vous trouvez le monde entier dans la
rade de Batavia, et vous n'êtes pas plus surpris de voir
mouiller à Canton ou à Manille une carène anglaise,
portugaise ou hollandaise, que de voir arriver, vous
citoyen de Paris, dans votre capitale, un habitant de»
Lyon, de Marseille et de Bordeaux.
Et ne croyez pas que plus un pays est loin de vous,
plus la fortune vous y attend ; le contraire serait plus
facile à démontrer, car le fin voilier qui arrive au*
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* DE L^AStROLABE ET DE LA ZÉL^E. 464
jourd'iiui et <j(ui est chargé de sfôieri^ ou de vins, fait
la ruine du navire rival qui arrive demain. Mon
atni Arago m'a dit avoir vu à Montè-Video, le ca-
pitaine d'un beau trois -mâts forcé de vendre son
propre navire pour payer les frais de son voyage,
Temmagasinement de ses marchandises et l^s droits
du fisc, plus dévorateurs encore. Un beau brick était
arrivé la veille, ei avait fait fortune avec les mêmes
produits.
L'histoire philosophique des deux Indes était un
rêve alors que Técrivain racontait tout ce que les voya-
geurs plus ou moins véridiques lui disaient avoir vu,
avoir entendu. Aujourd'hui le livre est plus qu'un
mensonge, c'est une folie, et dans les deux Indes tout
a changé de face en quelques années.
La prudence préside maintenant aux opérations
commerciales ; on ne livre plus sa fortune aux ca-
prices des vents, comme on le faisait aux jours des
hardies conquêtes; on apporte son superflu dans un
pays lointain pour l'échanger contre le nécessaire, et
vous comprenez, les sinistres et la concurrence font
seuls les pertes et les bénéfices. C'est une terrible ba7
lance bien dévorante et bien capricieuse que celle qui
est tenue par la main du Tout-Puissant, et dans les
plateaux de laquelle cinglent les navires voyageurs.
Vous doublez le banc des Aiguilles, toutes voiles
dehors, grand largue ; vous insultez dans votre pré-
somption aux rafales carabinées qui s'échappent du
fcanal mozambique et semblent vouloir vous respecter
dans votre course Gare à vous ! un fougueux vent
IT. 21
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^ffî TOTiGE ÀUTOUH DD MONI^E •
du snd s^échappe du pôle , arrive sur vous , se dé-
chaîne, tourbillonne autour de vos mâts qui crient, et
vous force à fuir à sec et à piquer au N, , lorsque c'est
vers l'E. que vous portez vos vœux et votre devoir;
cela s'appelle la navigation.
Comme si Dieu avait voulu poser des limites aux
explorations, il a dressé là-bas et là-bas deux pointes,
Tune le cap de Bonne-Espérance, ï*autre le cap Hom,
que le capitaine n'envisage jamais de sang-froid. Dans
le premier de ces promontoires, ce sont les vents ora-
geux qui déchirent votre carène enivrée; dans le se-
cond, ce sont les vents et les glaces qui se ruent sur
les navires comme dès montagnes mouvantes. Pen-
dant six mois vous avez à combattre les brises carabi-
nées de 1*^0. ; pendant six mois vous avez les mêmes
brises à soumettre, et la nuit si longue et si doulou-
reuse en ces parages élevés.... Allez, allez, le spécula-
teur a bien des heures d'insomnie à traverser, quand
il compte, pour le bien-être de sa famille, sur le retour
du vaisseau qu'il a expédié à l'une des deux Indes.
Et voyez comme le trafic s'échelonne. Les navires
de Manille vont à Kanton ou à Makao; ils mouillent,
ils descendent des piastres, du bois de sandal ou du
bois d'ébène ; on leur rend en échange des soieries ,
des lacques, de l'encre, des nankins, des porcelaines
et du thé. Vous chargez de vin ou de quincaillerie,
vous faites halte aux Philippines, eh bien! pas n'est
besoin que vous cingliez vers Makao. Vous trouvez à
Manille, et à meilleur compte , les objets que vous
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DE L ASTROLABE ET DE LA ZELEE. 465
achèteriez là-baë parce que le citoyen des Philippines
se les est procurés à Taide de ses superflus.
De l'autre côté, vers le S.-O. , vous trouvez encore
la Chine à Batavia, et la^ Chine, à son tour, y trouve
TEurope que vous y avez transportée.
Tout rOcéan indien est tellement sillonné, que
lorsque la mer est calme ou faiblement ridée, vous di*
riez des allées unies ou une plaine sablonneuse ou--
verte à des milliers de curieux. Si les lames se creu-
sait, si la tourmente les bouleverse, vous vous croyez
sur des collines ou dans de profondes vallées, au milieu
desquelles vous êtes sûr de rencontrer aujourd'hui ou
demain un navire aventureux comme vous. La route
est large, j'en conviens, mais comme on sait par
cœur la théorie des vents, c'est presque toi^ours dans
les mêmes eaux que glissent les carènes ; et si vous
ne veilliez pas bien pendant la nuit, vous pourriez bien
vous heurter avec un ami ou un ennemi dont vous
auriez voulu éviter la présence.
En mer vous n'avez pas le droit de louvoyer comme
dans vos cités rétrécies. La navigation est, je crois l'a-
voir dit autre part, une guerre perpétuelle aux élé-
ments, et un jour perdu, yne heure de retard,. une
minute d'irrésolution, vous fait perdre le fruit de
toute une campagne.
C'est une chose effayante à voir et à étudier que
ces immenses bazars de Batavia , de Syngapour, do
Samarang, de Manille et de Makao! Et il y a là des
richesses à épouvanter l'imagination, à rassasier la eue
pidité. Ce sont les plus riches tissus, les armes les plus
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404 VOUGE A6TO0R BU mWW
belles, les étoffes les plus coûteuses, les machmes le»
plus compliquées, les ustensiles les plus délicats^ les
liqueurs les plus esliuiées, jetées pèle-méle, aniooce-
lées, pressées dans des ateliers, dans des magasins qui
se renouvellent sans oe^se. 11 faut plus de génie à un
négociant de Java pour conserver où agrandir sa for-
tune, qu^il n^en a fallu à Gallilée pour ooaiprendrë
la mar^e de la terre dans Tespace. A celui-^i les mé^
ditalioiis de quelques années ; au premier les ealeuls
at les fatigues de toute la vie Raynal n'a rieu cooi*
ptis de tout cela , et scm ^oquente utopie n'est uad
leçon pour personne.
Si voâs pareouree les mers de la Chine, da Tin-*
d&9sttii et de la Polynésie, vous rei^ontrez presqM
toujours sur votr^ route dies navires anglais, où holLuir
dais, ou américains venant de Sydney chargés de blé ; de
Manille chargés de sucre; de Calcutta chargés de pro-
duits européens; des iles malaises ehargés de bois de
sandal , et vous sillonnez pendant des ànnéet entiènM
les détroits des archipels du vaste Océan paotlique,
du grand Océim indien, sans y renaontrer un navin»
de vot» nation, à laquelle cependant tonteft lea auti^
portant envie.
On dirait, ai vérité, qye notre marine est um hMt
rine d'essai, que la Méditerranée s^ule C0si|viral h
fic^ matelots, q«e rAUantiqiif épouvante «oi c{q)i-
taines, que les rafales, que les ouragans d« oap de
B<mne-£spérance et du cap Uoin noos arr^ei^t <iiO$
nos exeursioDs, et que notice f udaoe a'w ra. dàs qnf
nous perdont de vue les dtoa «me». U n'en est fpis
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DE JLASTaOLABE ET DE hk ZELEE. 4m
m^i pourtant; mais; par une politique maladroite,
nous montrons trop rarement notre pavillon chez les
nations éloignées j et comme nous avons supprimé dè-^
puis quelques années les primes d'encouragement act
cordées aux exportateurs des produits de notre indus^
trie, il en résulte que le commerce ne se hasarde poi^^
dans de si longs voyages, et que le monopole des bé-
néfices appartienjL tout entier aux nations rivales.
Mais la Malaisie appartient au monde; mais sur
ses côtes de larges rades sont ouvertes aux navires ex-
plorateurs; là, là et là vous trouvez des comptoirs hollan-
dais, chinois, anglais, espagnols et portugais, riches et
glorieux. Eh bien 1 prenez possession d'une partie de
Bornéo, dites à haute voix que vous voulez votre part
des produits de Tlnde, dites-le par la voix du canon, si
celle de votre indépendance ne suffit pas, et quand
nos navires feront le tour du monde, ils pourront au
moins une fois mouiller chez eux, et ne pas aban-
donner aux étrangers les bénéfices dus à leurs soins et
à leurs fatigues.
Nous parlons à des sourds, et le commerce français
est pour long -temps encore exilé des deux grands
Océans du monde.
Les baleiniers seuls, partis de Saint-Malo, de Nantes,
du Havre et de nos côtes occidentales, luttent avec avan-
tage contre. les baleiniers rivaux.,... C'est que le gou-
vernement récompense les soldats de cette guerre si
périlleuse, livrée dans son domaine bu plus grand et
au plus redoutable des enfants de la Création. Dans
ces courses presque sans relâche, dans cette ardente
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^ 66 VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
recherche de la baleine, d^autant plu^ irritable qu^elIe
est plus souvent traquée, d^autant plus furieuse qu'on
la poursuit dans les mers les plus rudes ^ nos mate-
lots acquièrent une expérience solide, et nous pouvons
les opposer sans crainte de désavantage aux meilleurs
équipages de la Grande-foetagne, de la Hollande et
des deux Amériques.
La pèche de la baleine est une de nos richesses;
mais elle est surtout une de nos gloires maritimes.
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15
DEUIL.
li y a des époques fatales, précises à la mémoire :
nous sommes au 9 octobre, et les avant-coureurs de
funestes catastrophes se promènent dans le faux-pont
silencieux.
J^avais douze hommes sur les cadres; le mal pou-
vait grandir encore, et ma responsabilité devenait im-
mense; je dis au capitaine Jacquinot combien notre
position était difficile, et mes inquiétudes fondées; il
me fit une réponse tellement éloignée des convenances,
que je cessai complètement mes rapports avec lui, et
je me vis forcé de m'adresser au chef de l'expédition.
Un canot me porta à bord de V Astrolabe ;\e ne cacht^i
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>I68 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
rien, je n^ajoutai rien de sinistre au tableau, et le. com-
mandant d'Urville. demeura fort surpris de toutes les.
confidences que je luifesais: — Abord der^^/roZflie^me
disait-il, comme pour éloigner de son esprit les scènes
de désolation que je lui présentais, rien de semblable
n'a lieu, tout le monde se porte bien ; — mais convaincu
de Texactitude de mes rapports par Tapparilion d<îs
maladies qui surgirent le lendemain sur son propre
navire, il donna Tordre d'appareiller sur-le-champ.
Huit heures piquaient : depuis le matin les canots de
provision étaient à terre; plusieurs officiers étaient
déjà en course, personne ne s'attendait à' quitter
Tchingui si prochainement un coup de canon ré-
sonne, le pavillon de partance flotte au mât de misai-
ne les promeneurs rallient les corvettes, et à neuf
heures nous sommes sous voile.
Où allons-nous?
L'habitude de M. d'Urville était de nous laisser
ignorer où il se proposait de mener l'expédition, ou
même de nous induire en erreur sur ses intentions
réeUes; mais, cette fois, nous savions que notre pro-
chaine relâche serait Hobart- Town, et je regrettai
fort qu'on entreprît une aussi longue traversée sans se
concerter avec moi sur les besoins éventuels de nos ma-
lades, et sut* les moyens de prévenir un plus grand
développement de l'épidémie qui nqus eiïvahissait.
Car, il est des circonstances où le capitaine assume sur
lui une grande responsabilité en ne consultant pas le
médecin du navire, et si tout doit plier devant la grande
•loi de l'autorité, les règlements de la marine d'accord
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. ^69
avec les mduetîons de la saine logique, laissent à ceux
qui sont spécialement chargés de la santé des équipages
le droit de conseil, de critique et de récrimination '*^.
Nous voilà donc en mer avec une certaine quantité
de malades sérieusement atteints ; à mesure que nous
avançons vers des latitudes plus élevées, les roulis plus
forts^ et rabaissement de la température, nous devien-
nent de plus en plus funestes; le nombre des dyssen-
teriques et les dangers qu'ils courent vont chaque
jour croissant ; les traitements les mieux combinés ne
donnent que des améliorations passagères; rienn'^ar-
rête le fléau, et je m'épuise vainement à le combattre.
Oh! la fatale influence du climat s'est cruellement
fait sentira bord! Mais ce qu'il y eut de plus remarqua-
ble c'est que le mal n'a sévi dans toute son intensité,
qu'un mois après notre départ des côtes infectes ou
nous avions puisé les germes de la maladie.
Ainsi les premiers symptômes se sont manifestés dès
la fin de septembre, au mouillage de Samarang; dans
le courant d'octobre nous voyons se développer des
affections de plus en plus graves, bientôt l'état-major
est envahi; le 4 novembre, un homme succombe à ses
douleurs, et désormais jusqu'à notre arrivée à Hobart-
Town, le 42 décembre, on peut suivre le sillage de la
corvette à la trace des cadavres.
J'avais l'âme brisée; analysez les souffrances, les
angoisses de vingt dyssenteriques entassés dans un
faux-pont resserré, obscur et humide, d'infectant les
* Voir la note à la fin du volume.
H. â:>
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470 VOYAGE ABTOCR DU MONDE
uns les autres de miasmes danton empêchait le séjour,
mais dont il était impossible de prévenir le renouvel-
lement; nous n'avons pas assez de cadres pour tous
nos malades, et d'ailleurs l'espace nous manque; nos
dyssçnteriques sont couchés côte à côte sur des matelas
à plat-pont, ou dans des hamacs incommodes, privés de
r^pos par l'atrocité des tortures, privés de sommeil par
dé sérieuses inquiétudes, par le fait d'un mauvais cou-
cher ou de la concentration dé l'air, par les gémisse-
ments de leurs voisins et par des râles de mort.
C'était la nuit du 5 au 6 novembre trois hommes
étaient à l'extrémité, et l'un d'eux succomba le matin
même !
Depuis long-temps, je ne voyais de salut pour nos
malades que dans une prochaine relâche, et chaque
jour je demandais à faire instruire le commandant.
d'Urville de ce qui avait lieu à bord de la Zélée^ espé-
rant qu'il renoncerait à se rendre à Hobart-Town, dont
l'éloîgnement nous était si funeste.
Le 6 novembre, la mer qui allait s'ouvrir pour une
nouvelle victime, était belle et riante; il faisait calme, le
YoU'You fut mis à flot, et je me rendis à bord de
VAstrolabe.
Je crois de mon devoir de publier à la fin du volume^
les détails et les résultats démon entrevue avec le com-
mandant d'Urville !!!...
Nous continuâmes à cingler pour Hobart-Town.
Les jours suivants les calmes et les petites vetits d'est
nous ont contrariés ; ces derniers qui eussent été si fa-
vorables pour gagner sans violentes secousses l'utile
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA litÈE. 47 i
relâche de File de France, nous devenaient tonH-fai(;
fâcheux, puisque nous devions tenir une route directer
ment opposée.
Oh 1 que je fesais des vœux ardents pour voir paraî-
tre les brises carabinées de sud-ouest, qui m'avaient
été annoncées comme fréquentes à cette époque dan§
ces parages , et qui nous prenant en poupe , devaient
nous jeter à bout de bord sur les rivages tant désirés
de la Tasmanie.
Bien! voilà des vents d'ouest, mais faibles, incons-
tants, et la route à franchir est longue encore. Cepen-
dant les cadres ne désemplissent pas dans le faux-pont;
à des cadavres succèdent de nouveaux malades , et la
consternation règne à bord.
Mais la brise fraîchit, elle est presque de Tarrière,..
Hé bien! que fesons-nous? peu de voiles sont livrées
au vent, nous avançons avec lenteur, et l'on nous dit
qu'il faut éviter les manœuvres, de crainte de fatiguer
les matelots. Je réponds , moi , ce qui les fatigue c'est
le roulis des corvettes ; ce qui les écrase, c'est le si*
lence d'un faux-pont humide j ce qui les tue, c'est la
mort du frère qui s'en va , c'est celle du voisin qu'on
vient de coudre dans un lambeau de toile.
Ce qui ferait vivre nos hommes , ce serait la terre
avec ses brises , la végétation avec ses parfums, l'im-
mobilité ave,c ses espérances... et nous n'arrivons pas!
et nous serons long-temps encore en mer avant d'ar-
river.
Les lugubres cérémonies suivent leur cours. Il
faut voir ce peuple de matelots, cette réunion d'amis
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^72 VOYAGE ALTOUR DU MO.\DE
dévoués jusqu'au martyre, après qu'une partie de la
journée s'est écoulée dans le rude travail des nianœu- v
vres , dès que l'heure du repos a sonné , descendre
pieusement auprès de leurs camarades en péril, adou-
cir la douleur par des paroles fraternelles , jeter un
sourire d'intérêt suivi d'une larme, presser doucement
d'une main calleuse une main amaigrie, et présenter
dans un horizon peu éloigné le bonheur et la santé à
celui que les flots réclament, à celui qui va pousser
son dernier râle.
Merci, Richieux; merci, Got; Merci, Jouannard;
merci à tant d'autres amis patients et dévoués; merci
surtout à toi , infatigable Lemoine ; merci , Lemoine ,
toi dans les bras de qui le mourant voulait rendre le
dernier soupir, toi dont la main voulait arrêter le
dernier battement du cœur.
Si la mort a épargné l'inûrmier Lemoine, c'est que
la mort a aussi ses générosités, et qu'elle a pris en
pitié la dernière agonie de ceux que les océans nous
ont ravis...
Oh! ce sont là de nobles cœurs! oh! ce sont là de
sublimes intelligences! pour deviner ce qui peut jeter
la joie à l'âme du mourant, pour que son dernier re-
gard soit un regard de gratitude. Jamais famille ne
s'est montrée plus unie, plus chaude dans ses affec-
tions que cette famille de matelots façonnés à des com-
bats de chaque jour, aux périls des tempêtes, à cel^ii
des calmes, aux flèches d'un soleil à pic, etqui viennent
là tous les jours, à chaque instant, demander d'une
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BE L^iSTROLABE ET DE LA ZELEE. "175
voix faible et timide des nouvelles de ceux qui souf-
frit et prieat
Morts Meur dit^n... et ils se frappent la poitrine ,
leurs poings se erispeni , et ils ne jurent plus.
Voyez , voyez , le gabier s'est fait fossoyeur; il atta-
fibe un boulet au pied de son vieux camarade , il le
coud dans la toile , il lui donne le baiser d^adieu et il
l'envoyé par le sabord. Demain peut-être ce sera son
tour; peut-être demain ce sabord sera la porte par où
il s'échappera du navire la tête en bas... et le sabord
ne se ferme point !
Cependant nous ne découvrions pas encore la terre,
et lesventset les calmes nous fatiguaient également, les
forts roulis étaient funestes au malades : V Astrolabe
comme la Zélée devait compter ses sinistres , et nous
apprîmes avec un étonnement mêlé de stupeur que
le commandant avait résolu d'essayer plus tard une
nouvelle pointe dans le sud avec ce qui restait de va-
lide des deux équipages.
Nous fîmes en temps et lieu nos observations à ce
sujet... Vainement. Nous ne voulions que la conserva-
tion des hommes, M. d'Urville ne voyait que la gloire.
Mais laissons courir les corvettes. •
Si le point est exact nous sommes à quatre-vingt
lieues d'Hobart-Town. Mais une observation de dis-
tances plus précise nous rapproche du port, et soixante
cinq lieues nous séparent à peine de L'embouchure du
Demfi'ent, jadis rivière des Français ; ce dernier nom
serait aujourd'hui une dérision, puisque nous ne pos-
sédons pas un pouce de terrain dans la Tasmanie.
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474 voTAc^ AUDroaa bu mokbe.
La dyssenterie ne cessait point ses ravages, la vftiHe
de notre arrivée à Hobarl-Town, nous perdîmes ear
core un boaime; et je désirais avee la plus vive ardeur
la relâche qui nous attendait , car j'avais l'espéranoê
de sauver quelques-uns des malades qui me restaient ,
et la presque certitude de préserver les mieux porta&ts
du redoutable fléau.
Terre I... c'est peut-être la santé. Salut à la Tasma-
nie que les regards et le cœur étudiait à la fois.
Nous passons dans le détroit d'Entrecasteaux , et
nous glissons en face de la rivière d'Huon, baptisée
du nom de Tun des camarades du malbeureux Lapé-
rouse.
L'Ile Boni, la presqu'Ue Tasman se montrent et
s'effacent tour à tour; nous voici dans le Derrweni^
où BOUS laissons tomber Tancre près Sullivan' s-Cove,
vis à vis d'Hobart-Town.
La santé vient à bord c'est-à-dire la commîssîoB
chargée de vérifier l'état sanitaire des équipages. Le
nôtre est alarmant.
Nous descendons à terre et il est convenu entre
les autorités et nous , que nos malades seront mieux
traités dans une maison louée à cet effet , l'hôpital
de la colonie étant d^à encombré.
Legouverneur sir John Franklin donna les ordres les
plus pressants de nous prodiguer tous les seeours dopt
nous avions \>e^n ; et nous devons de grands remei^
ciments, pour l'activité qu'ils mirent à nous être p^es,
à MM. Bedfort, médecin en chef, et Moiùarty, capi-
taine de Pprt.
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DE L^àSTAOLABB et DE LA ZÉLÉB. 475
fifeotôt nm dyœentwiqiiêfi pepofeèrent dans de bons
Kts; tcms se trouvèrent mi^ux, et la plupart ont fini
par recouvrer la santé ; cependant chez plusieurs Tal-
tération des organes était si profonde, que nous eû-
mes encore bien des pertes douloureuses à déplorer.
Pourquoi ne consacrerais-je pas trois lignes de ce
triste récit au souvenir du petit Moreau , intrépide Pa-
risien , parti à douze ans avec toutes les folles joies de
l'enfance, inaccessible jusqu'ici à la crainte des dan-
gers, à la violence de la rafale, aux hurlements de
la tempête.
Pauvre mousse ! que la dyssenterie a saisi si jeune,
et qui conserve encore toute son intelligence à sa der-
nière agonie ! « Adieu, docteur, me disait-il d'une voix
affaiblie, je ne vous reverrai plus. » Et chacun à bord
donna une larme au jeune Moreau.
Une cérémonie touchante eut lieu pour lui ; il fit sa
première communion quelques heures avant de mou-
rir. Il reçut le saint viatique des mains d'un excellent
prêtre irlandais, qui n'a cessé de prodiguer des soins
et des consolations à tous nos malades, et pour qui
nous conservons la vénération la plus profonde.
Mousses, matelots, maîtres, officiers avaient payé
leur tribut à la dyssenterie; deux services funèbres
furent célébrés, et le recueillement fut sincère parmi
nous. Quoiqu'on en ait dit, il y a de la religion au cœur
des marins, et voici les derniers mots qu'ils prononcent
en mourant : Mon Dieu ! ma mère !
Un modeste monument, une pierre sépulchrale
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476 VOYAGE ADTOO» DO MQ1»C«
rappelle aux voyageurs la mémoire de eeux que nous
avons pleures , mais presque tous ont eu l'Océan pour
tombeau.
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i6
ÏASMANIE.
— Décembre 1859.—
Habart-vo^vrii.
Que voulez-vous que je vous dise quand mon cœur
est serré , quand mon âme est en deuil de la perte de
tant de braves matelots confiés à mes soins , à ma solli-
citude? C'est une plaie que le temps aura bien de la
peine à cicatriser ; le flot s'est ouvert et fermé bien des
fois sur des cadavres dévorés par un soleil tropical et les
maladies épidémiques... Mes jours ont été sans repos ,
mes nuits sans sommeil ; Dieu est témoin que j'ai
rempli ma tâche.
Mais le devoir a ses exigences rigoureuses : d'abord
je devais m'occupcr de la santé des hommes qui
lu 25
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'ITS VOTAGC AUTOUR DU MONDE
m'étaient confiés ; Tétude réclamait mes autres instants.
Je fis donc une course dans le DerwenI, à l'aide
d'un canot qui me fut procuré par M. Moriarty.
M. Hobson, médecin distingué de la ville, voulut être
mon compagnon de voyage. Cette rivière est large à
Fembouchure, et les petite navires peuvent la remon-
ter à vingt -cinq lieues. Le courant est encaissé
dans des montagnes abruptes où le géologue trouve
de grandes richesses. Dès que le terrain s'est affaissé,
vous voyez sur la rive droite, à deux lieues de Tem-
bouchure^ une petite ville, New-Tomi, qui sera
peut-être un jour une cité florissante. Aujourd'hui elle
est seulement formée de quelques maisons fort bien
construites , et élevées de façon à donner plus tard une
parfaite régularité aux rues et aux places publiques.
L'industrie règne déjà en Tasmanie.Yous y trouvez
des mines en pleine exploitation,. des usines impor*
tantes , des magasins de toute sorte, des bateaux^à va-
peur et des chemins de fer. À Hobart - Town vous
vous croiriez dans une ville européenne , car çà et
là passent devant vous d'élégants tilburys, de beaux
équipages, de gracieuses dames avec le luxe d'une
toilette recherchée, des dandys vêtus avec goût, et de
lourdes diligences écrasant le sol.
Vraiment, cela est prodigieux, phénoménal, de
trouver l'Europe à l'antipode de l'Europe , et quend
on songe qu'une trentaine d'années au plus ont opéré
ce prodige , on se demande où s'arrêtera I9 civilisation
usurpatrice.
Naguère, des peuplades sauvages occupaient le ter*
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DE l'aSTHOLABE ET DE LA ZÉLÉE. >I79
rain au s^élève Hobart-Town; d'Entrecasteaux et La-
biUardîère, qui les visitèrent les premiers, nous ap-
prennent qu'elles étaient bienveillantes, gaies, con-
fiantes envers les étrangers; ils mentionnent surtout
un petit bossu qui attirait sur lui toute Tattention
par ses gambades et la tournure de son esprit.
Tout dans ce pays était nouveau pour les Euro-
péens, et nos compatriotes se plurent à baptiser des
noms qui rappelaient la France, Les criques, leâ ri-
vières, les caps et les déti*oits ; on en reti'ouvè encore
des traces^ mais la plupart des noms ont été changés.
Disons, pour adoucir Tamertume des regrets, qu'il
n'y eut pas de notre faute si les Anglais ont bientôt
usuq>é cette portion du globe dont nous venions de
prendre possession. C'était au commencement, de la
grande période révolutionnaire ; l'expédition avait été
armée sur la demande de l'Assemblée constituante,
pour. aller à la recherche de l'infortuné Lapérouse;
elle était largement équipée ; un nombreux personnel
de savants et d'intrépides explorateurs avait obtenu
l'avantage d'y être embarqué ; mais ta division régna
parmi les officiers, qui tenaient les uns pour le roi,
les autres pour le peuple; les commandants mouru-'
rent, les équipages furent décimés par les maladies,
et les navires retenus comme prises de guerre dans les
ports de l'Inde hollandaise.
Alors la France avait trop à faire sur son propre
territoire pour s'occuper de conquêtes lointaine^; mais
dix années plus tard, quand un rayon de paix sembla
luire pour les peuples civilisés, le géujç qui dirigeait
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iHi) VOYAGE ÀCTOUa DO MOHDE
nos destinées vers toute espèce de grandeur, décréta
une nouvelle expédition. Baudin partit plein de bril-
lantes espérances; mais bi^itôt survinrent nos guerres
avec TËurope entière, et cette fois encore, nos résolu
tats se bornèrent à des conquêtes scientifiques.
A son retour, le célèbre Pérou nous dépeint les in*
digènes de Tile de YaurDiémen comme des êtres d^un
caractère fort doux et très sociable. On voulut exami*
ner sur eux Teffet de notre musique; on leur joua la
Marseillaise, et ils restèrent impassibles; on joua
Malbroug ce fut des trépignements de joie, delà
frénésie, du délire.
Les Tasmaniens fraternisaient volontiers avec les
nouveaux arrivants. Bien accueillis par les naturels,
les baleiniers s'y reposaient de leurs fatigues; d'intimes
licrisons avaient lieu entre eux et les femmes sauvages,
et la constitution physique de celles-ci s'améliorait
sous riniluence des bons traitements dont elles étaient
Tobjet.
Car, vous le savez sans doute, chez laplupart de ces
peuples barbares, la condition de la femme est des
plus malheureuses; à elle tous les soins du ménage,
Téducation des enfants et la peine de pourvoir à la
nourriture de toute la famille. Elles allaient à la pêche,
elles préparaient le manger, et ne vivaient ensuite que
des restes de leurs maris bien repus.
Une chose fort remarquable chez eux, c'était la du-
reté du crâne ; au lieu de casser le bois sur leur ge-
nou, comme le font souvent les habitants des campa-
gnes, ils le brisaient en Tappuyant sur leur tète.
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DE L^STHOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 484
Les Tasmaniens avaient des fêtes dans lesquelles
s^ôbservait un cérémonial assez compliqué ; et les dé-
bris de leurs repas de coquillages se rencontrent è
chaque pas sur les bords du Derwent.
Sur cette terre de Tasmanie les hommes y comme
toutes les productions de la nature, nous offrent une
foule de particularités importantes à étudier. Ainsi ,
jusqu'à présent, il était admis que les gens de race
noire étaient défiants, traîtres, taciturnes, cannibales ;
voyez les naturels des Fidji et des Salomons qui por^
tent la fureur jusque dans les^ Carolines, et qui mas-
sacrent les équipages naufragés sur leurs cotes.
Les Tasmaniens du Sud nous prouvent de plus en
plus qu'il ne faut rien conclure de général d'après les
formes du corps, d'après la couleur de la peau.
Quelque attentif que soit un observateur, il laisse
échapper bien des détails intéressants, surtout s'il
est aussi rapidement conduit que nous Tétions par
M. d'Urville ; mais nous augmentons notre butin scien-
tifique des remarques qui ont été faites par d'autres
voyageurs, et nous ne voulons rien garder pour nous
seuls. C'est pourquoi j'aurais ici à vous raconter une
foule de choses curieuses que j'ai apprises à Hobart-
Tovirn d'un mien confrère et ami, embarqué sur nn
navire baleinier, si je ne savais que M. Félix Mayûard
publie de son côté les conquêtes de ses courses en di-
verses parties du globe ; je me bornerai donc à vous
indiquer une de ses observations ethnographiques;
c'est qu*il existe sur la côte S. de la Nouvelle -Hol-
lande line population noire dont les caractères phy-
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182 VOVAGE iUTOOR DU MONDE
dques contrastent avec ceux que Fou connaît de toutes
les autres antérieurement visitées ; les hommes y sont
forts, leur torse et leurs membres sont bien modelés.
C'est là une particularité qui m'a vivement frappé,
et je ne devais pas négliger de la mentionner; mais re-
venons à la terre de Yan-Diémen, que les Anglais ont
récemment appelée Tasmanie, du nom du célèbre na*
vigateur qui l'a découverte.
L'AngleleiTc possédait le Port - Jackson , Botany-
Bay et toute la partie E. de la Nouvelle-Hollande ; il
lui fallait les côtes voisines. La Nouvelle-Zélande
el la terre de Van-Diémen étaient là , la Grande-'Breta-
gne y planta son pavillon dominateur.... tout fut fait.
Ainsi se créent et se consolident les conquêtes.
Mais les naturels que sont-ils devenus? H^las ! ce que
deviennent les faibles quand ils luttent contre les forts.
Traqués comme des bétes fauves, ils se réfugièrent
d'abord dans les forêts et sur les hautes montagnes.
Les montagnes furent franchies, les forêts explorées; on
les y chercha , non pour les tuer , mais pour leur ap-
prendre le travail.. •• Ceux-ci n'en voulurent point. Des
luttes eurent lieu.... et maintenant, à peine quelques
familles survivantes de ce peuple noir et rabougri trai-
Dent<«lles leur souffreteuse existence dans une petite ile
du détroit de Bap, où on leur permet de vivre jusqu'à
ce que la misère les ait fait disparaître, comme cela a
déjà eu lieu dans le territoire de Sydney.
Les Anglais vivent assez paissiblement à Hobart*
Town , quoique l'aspect général du pays soit d'une
grandetristésse; ils vont, chaque soir, dans leurs logera
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DE l^ASTBOLABE ET DE I.i ZÉLÉE. ^85
tilburys, promener leur oisiveté au milieu de chemiûs
tortueux serpentant sur la colline du Padok , et ils
rentrent avec la nuit pour recommencer le lendemain
les mêmes distractions, les mêmes joies. — A la bonne
heure ! Mais je les plaindrais s^ils ne portaient leorafc^
tivilé vers des idées de progrès, à la fra^fieation des-
quelles ils emploient les déportés de la métropole.
Dix à douze mille eonvicts à peu près sont jetés dans
la colmûe. Lés pl« coupables d'entre eux ne sortent de
la vaste pris<m qui leur est destinée , que sous la sur-
veillance de guides bien armés. On les emploie à tracer
de larges routes ; mais les autres sont occupés à dé-
fridier la terre, et confiés aux soin? des planteurs.
Quand un navire arrive avec des convicts, un plan-
teur qui a besoin de bras se présente au gouverneur,
demande les hommes qui lui sont nécessaires; on les
lui accorde et il en répond. Si le convict donne des su-
jets de plaintes à son maître , il reçoit la schlague; s'il
se rend coupable d'un nouveau délit, d'un nouveau
crime , il est reconduit à la geôle, renvoyé à un lieu
de détention plus sévère , et souvent pendu sans misé'*
ricorde.
Le port d'Hobart-Town est une relâche utile au
commerce. Vous y trouvez souvent des navires de Cal-
cutta, des vaisseaux de Sidney, et surtout de baleiniers
qui viennent y réparer leurs avaries. Les campagnes
environnantes nourrissent de nombreux troupeaux;
l'une des professions les plus lucratives dans ce pays,
est celle de berger, et l'exportation des laines y tient
peut-être le premier rang parmi les sources de ri-
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484 VOYAGE AUTOUR DU BfOKDE.
cbesses. Le oommere d'huile de baleine y est aussi très
productif. Sans doute, Hobart-Town rivalisera bientôt
avec le Port-Jackson ; ce sera une ville auxiliaire de
cette magnifique colonie , et un voisinage utile ponr
les colons de la Nouvelle-Zélande.
La Tasmanie possède une administration spéciale
relevant directement de la métropole ; son gouverneur
actuel est lord Franklin, qui, le premier, je crois, a
résolu le grand problème de Texistence du passage de
la mer glaciale au nord de rAmérique. Aussi a-t-il reçu
de la Société géographique de France une énorme mé-
daille en or, qu'il nous montrait avec orgueil. C'est un
capitaine de vaisseau aux manières brusques, dont la
politesse est un peu abrupte; cependant il nous reçut
avec courtoisie, et il nous donna un 1^1 brillant, dont
sa femme et sa nièce, qui parlent parfaitement fran-
çais, firent les honneurs avec une gr&ce et une décence
extrêmes.
Ainsi donc , deqil à notre arrivée , joie au départ ;
telle est la vie que nous avons été forcés de nous faire
à Hobart«Town. Nous le quittons sans trop de re-
gret, car nous savons qu'une nouvelle relâche nous
y ramènera.
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17
ADËLIE.
Premier dëiNurt d*Hal>Ar(-Ta^irii. — I^es CllAces.
— 0éeo« verte de la terre Adélle* ,— Vemp^te.
— Une rencontre*
Nous venions de dire un douloureux adieu à douze
malheureux compagnons de voyage, et les corvettes
s^ étaient délestées de quelques hommes magnanimes^
morts hélas! à six mille lieues de leur patrie bien-aimée ;
le deuil était à bord, et les matelots qui nous restaient
interrogeaient du regard le faux-pont silencieux pour
y chercher leurs amis absents.
Dans ce pénible état; j'aurais bien voulu que la re-
lâche se prolongeât. J'en parlai au commandant
d'Urville qui tînt ferme dans sa résolution de départ
prochain , ajoutant qu'au surplus M. Jacquinot était
libre de le suivre ou de rester. C'était évidemment
II. 2/1
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^86 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
donner l'ordre d'appareiller, et j'en souffris plus que
tout autre, car les hautes régions vers lesquelles nous
allions piquer devaient évidemment être funestes a
des gens affaiblis par de si longues traversées.
Cependant, l'embarras du capitaine Jacquinot était
grand ; il ne lui suffisait pas de la volonté de remettre
en mer ; il lui fallait des hommes pour manœu-
vrer la corvette , et nos rangs étaient éclaircis. On
s'industria , on organisa des embaucheurs , l'on fit
une battue sur les quais et dans les guinguettes
d'Hobart-Town ; une foule d'étrangers, de convicts
libérés ou évadés, de déserteurs baleiniers vinrent
remplir les vides ; un équipage nouveau se pressa sur
le pont de la corvette à la place de celui que la dys-
senterie avait dévoré. On se hâta de réparer le grée-
ment, et de faire des vivres Bref, tant bien que
mal, chacun redouUant d'activité, nous fûmes prêts
à suivre V Astrolabe à l'époque désignée.
Il avait été décidé que notre hôpital temporaire se-
rait maintenu pendant notre absence, qu'on y laisserait
nos malades se guérir à leur aise, et qu'on reviendrait
les prendre après avoir tenté une nouvelle fois de trou-
ver la banquise du pôle austral. Mon collègue Hom-
bron, qui ne jouissait pas d'une santé robuste, de-
meura chargé de la direction et du traitement des ma-
lades des deux navires; mais ce qu'il y eut de fâcheux
c'est que cette mesure, sous prétexte d'économie.,,
ne s'étendit pas à un assez grand nombre d'hommes ;
plusieurs convalescents revinrent à bord malgré mes
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BE L^STROLABE ET DE LA ZÉLÉE. 487
conseils, et j'ai eu lieu de plaindre l'égarement des ♦
personnes qui me forçaient à les recevoir.
M. le capitaine Jacquinot était allé haranguer mes
convalescents, et leur dire que cette nouvelle pointe
au S, était toute la gloire de l'expédition ; que ceux-là
seuls auraient droit aux récompenses du gouverne-
ment qui s'aventureraient aVec les corvettes vers le pqle
austral Un infirme, mû par des sentiments d'hon-
neur, que j'essayai vainement de combattre, voulut
à toute force nous accompagner.
n n'eut qu'un rêve bien court de récompense et de
gloire !
Nous partîmes donc endolorisi mais pleins de cou-
rage et d'espérance en l'avenir, ^
Précisons tes dates, car ici l'intérêt est à civique pas,
et nous avons bonne mémoire des gri^nds phénomènes
qui ont passé devant nos yeux. ^. ^
Le 4®^ janvier, quelques heures avant notice départ,
M. Goupil expira, sur son lit, à notre hôpital tempo-
raire d'Hobart-Town. C'était un jeune homme de svh-
voir, d'intelligence et de courage; dessinateur de
notre expédition, il avait rempli sa lâche avec zèle,
et la collection de ses desseins prouve son activité et
son talent. ^^.
Hélas I le commandant ne voulut pas attendre que . N
nous eussions confié à la terre les restes de notre ami. .•
Nous partîmes deux heures après la catastrophe, et
nous emportâmes nos regrets et nos larmes.
Cependant la brise venait de s'éteindre, et nos vœux
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J18S VOYAGE AGTOUR W MOi^DK
semblaient exaucés; on mouilla à quelques encablu-
res du port, et nous pûmes espérer que nous ac-
compagnerions notre ami à sa dernière demeure.
M* d'Urville en décida autrement... Le lendemain seu-
lement nous piquâmes Vers le S.
Les vedts et la nier nous furent assez favorables ;
mais ce que nous avions prévu, pour la salubrité du
naVire, ne tarda pas h se manifester ; nos quatre con-
valescents, sortis trop tôt de Tliôpital, retombèrent
dangereusement malades ; d^un autre côté, des attein-
tes graves se montrèrent chez des matelots que la ma-
ladie avait respectés jusque là, si bien que le faux-pont
de la Zélée fut encore une fois rempli d^étres souf-
frants, dont les plaintes trouvaient dans mon cœur un
écho de plus en plu* vibrant; l'un d'eux succomba le
44jariviei*, et je cfc^ncevais des craintes sérieuseâ pour
quelques autres. /
Il y avait ({u^tque chose de pénible dans ma posi-
tion au naiMeu de mes malades ; c'est qu'au sortir d'un
port yfen approvisionné j'étais entièrement dépourvu
..da^rafraîchissements... J'adressai dès-lors des repro-
1 ches amers aux autorités de l'expédition... Mais réser-
vons pour la fin du volume ce que nous avons à dire
\ à ce sujet, et bornons-nous actuellement à suivre le
rapide sillage des corvettes.
Le 46 janvier, nous aperçûmes les premières glaces
qui nous avaient été annoncées la veille par t'abaisse*
ment du thermomètre — 2<>.
Le 48, nous nous trouvâmes par 64o de latitude,
sous un beau ciel, dans une belle mer; et le lende-
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DE LàSTAOLABë ËT de LA ZKiEË. AS9
main^ une vingtaine de glaces voyageuses, de diverses
dimensions y nous entouraient complètement , les
unes représentaient des minarets^ les autres des urnes
colossales ; c'était un spectacle magnifique.
Nous naviguions à petites voiles avec prudence,
le temps nous favorisait; d'énormes baleines se jouaient
dans les eaux, et nous crûmes découvrir la terre
fuyant au loin.
Ce fut pour nous une joie bien vive... mais, hélas!
le calme nous saisit ^ nous semblions cloués sur place,
et rhorizon n'était pas assez dégagé pour nous don*
ner une entière certitude.
A bord des deux corvettes, les paris étaient ouverts ;
les uns croyaient réellement voir la terre, les autres
prétendaient n'apercevoir qu'une banquise plus éle-
vée que les banquises ordinaires ; voilà tout.
Cependant plus on examinait la zone blanche qui
couvrait toute la partie australe dç l'horizon, plus on
apercevait d'indices d'un sol immobile; cette blan-
cheur ne ressembljait pas à celle qui domine ordinai-
rement les vastes champs de glaces ; son étendue était
plus large, plus élevée, et en dessous apparaissait une
zone obscure dans laquelle, avec bien de l'attention,
on croyait distinguer des formes de montagnes, de
vallées et de collines.
Jamais le calme ne nous avait plus contrariés ; nous
avions hâte d'acquérir la' certitude de notre conquête,
et dans notre impatience, nous restions tous sur le
pont; on braquait les longues-vues, on montait dans
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490 TOTAGE AUTOlUl DC MONDE
la mâture ; c'était à qui annoncerait le premier un
signe incontestable de la présence de la terre. Du
reste, le temps était beau, la mer couverte de glaces
majestueuses aux formes carrées, bien arrêtées; le
panorama était magnifique; mais bientôt nos mem-
bres engourdis nous obligeaient à chercher d'autres
distractions.
Enfin, le 24 janvier nos corvettes reprirent leur-
essor; une légère brise d'E. enfla nos voiles, nous
approchâmes suffisamment de la côte pour en distin-
guer toutes les anfractuosités et ne plus conserver au-
cun doute.
C'était bien elle ; c'était bien cette terre désirée dont
de vagues rapports avaient dit l'existence : c'était là
le but principal de notre longue campagne, et le pro-
blème venait d'être résolu.
Sous l'influence de nos vives impressions, le souve-
nir de nos récentes pertes s'effaça ; les dangers de nos
courses disparurent ; la découverte que nous faisions
devait jeter sur nous un certain reflet d'illustration;
et presque à l'antipode de notre patrie, il nous sem-
blait déjà que nous la touchions de la main, et que
nous recevions la récompense de nos travaux et de
notre dévouement.
La brise prit à tâche de nous seconder; elle se sou-
tint bonne et généreuse, et pendant toute la journée,
nous longeâmes cette côte isolée, où n'arrive jamais
le bruit des passions des hommes et des querelles des^
peuples. Ici l'ouragan seul se promène avec toutes ses
dévastations ; ici l'immense réseau desi neiges amon-
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DE L ASTROLABE ET DE LA ZELEE. 49^
celées par les hivers couvre d'un vaste linceul toute
végétation qui tenterait en vain de se faire jour à tra-
vers Técorce solide qui Tétouffe. Le stupide manchot^
le grave phoque sont là seuls debout sur le terrain so-
lide, tandis que la baleine, joyeuse et tranquille,
fouette de sa puissante queue les blocs de glace au mi-
lieu desquels elle se joue comme pour essayer ses forces
invaincues.
Jusqu'ici cependant on pouvait nier encore l'exis-
tence de la terre, car tout était blanc autour de
nous; mais après notre dîner, le doute s'effaça, la
conviction reprit ses droits ; plusieurs petits îlots de
vingt à trente mètres de circonférence se dressèrent
devant nous.
On les voyait , — chose curieuse, — noirs, arrondis ;
et le flot, qui les battait incessamment, les dépouil-
lait du manteau neigeux qui voilait les crêtes plus
élevées.
A la bonne heure, voici un contraste, car la mono-
tonie du blanc fatiguait nos regards et nous devenait
tout à hit iiiwpportable.
Cependant il fallait descendre à terre, il fallait
toucher du regard et de la main à la fois ces sommités
«ustrales, il fallait les fouler du ^ed pour pouvoir
dire au retour que tout cela était immobile, que la base
reposait dans les abîmes. Nous demandâmes à des-
cendre; le danger était grand, n'importe; le com-
mandant d'Urville hésitait, car il assumait sur lui une
grande responsabilité. Mais comme il se décida enfin
à mettre à flot un des canots de F Astrolabe, M. Du-
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192 VOYiGE AUTOUR DU MONDE.
bouzet et moi sollicitâmes avec plus d^instance le par-
tage de la même faveur, et nous nous mimes en route.
Nous partîmes enfin le cœur plein d'espérance et de
joie.
Il faut le dire, Tentreprise était périlleuse; six à
huit milles à peu près nous séparaient de la terre^ de
cette terre infécoiBKle où nous aurions trouvé la mort
avec toutes ces horreurs; et pour l'atteindre , nous
sillonnions des flots turbulents, sur lesquels la brume
épaisse étend si souvent son voile ténébreux. Perdre
les corvettes de vue, c'était courir à une mort pres-
que certaine ; dans le cas où la brise se lèverait plus
rapide, c'était un péril non moins à redouter
Le devoir l'emporta sur toute considération, et nous
atteignîmes enfin la terre Adélie que le commandant
venait de baptiser du nom de sa femme qu'une
terrible catastrophe a dévorée depuis à côté de son
mari et de son fils.
VaccoHoge offrait d'immenses difficultés, la gaffe
était sans puissance contre les formes arrondies qui
se pré^ntaient de toutes parts ; nulle crique protec-
trice ne venait à notre aide, et la lame qui déferiatt
avec vigueur menaçait de nous briser contre le roc
que nous étions venus interroger.
Toutefois notre patience et notre courage vainqui-
rent tous les obstacles; nous mimes pied à terre, nous
recueilltmes des échantillons de ce sol inhospitalier ;
nous en primes possession au nom de notre pays,
dont les couleurs flottèrent à l'air; et heureux de notre
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DE l'aSTHOLABE ËT I>E ti tihÛE. 195
«
conquête, nous reprtmeà le chemin des havîres qui
tïoûB dttendajent avec anxiété.
Le trajet de cette excursion 4ura m heures et fut
rude, surtout par le froid intense qui pesait sur nous
au milieu de toute tette nature de glace. Favorisés
pat* l'éclat d'un beau jour, nous rentrâmes à bord de
là Zélée à oniÉe heures et demie, au moment où le cré-
puscule commençait à descendre sur les flots.
Nous avions franchi le cercle polaire; c'était Up se^
cond triomphe dont noUs devions nous glorifler. Poui"
ma part, c'en était un troisième, car j'avais déjà éga-
lement franchi le cercle bohéai sur la corvette la jRe-
^efvketn >I855, expédiée pour aller à )a découverte
du hâvire commandé par l'intrépide et malheurettx
BIOBseville.
Le 22 janvieif, nouà nous trouvâmes en présence de
vastes champs de gla^ces amoncelées çà el là, imitant à
merveille l'aspect des villes mauresque^, se détachant en
présence de la mer^Ur un ciel pur et un horizon tranéhé.
Vous vous rappelez ce petit mousse dont je vous ai
déjà parlé lors de notre première kouée dans les gla-
ces, et qui nous demanda si naïvement où était la ville
devant laquelle nous étions mouillés; aujourd'hui |son
intelligence s'est développée, et en face des blocs
énormes qui nous entourent, il s'est écrié: « Je vois
bien la ville, mais je ne vois pas la terre... »
Recueillons le mot qui peut nous faire sourire a»
milieu de nos prèDCcupations si graves et si sévères.
Le 28 janvier nous avions longé une vin^#ine de
lieues de côtes ; mais ce jour-là, enclavés dans un golfe
II. 25
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494 VOYAGE AUTOim DU MOHDE ^
immense, nous sentimes la brise friytcbir^ et le roulis
nous fatigua cruellement. A cinq heures, nous virâmes
de bord pour éviter la terre et les glaces ; le vent avait
grandi , et dans notre manœuvre^ plusieurs de nos
voiles se déchirent, les écoutes en chaînes de fer du
grand hunier cassent; les matelots, combattus par
le givre, par la brume et le froid, épuisent leurs forc^
et leur énergie à obéir aux ordres des officiers ; Tat-
mospfaère se voile, Thorizonse rétrécit, à peine voyons-
nous à une encablure, VAitrotabe s'efface dans les
ténèbres, et Touragan se déphaine avec toutes ses fu-
reurs. Sans nous occuper de la manœuvre de notre
compagne, qui ne voit rien, qui ne peut rien voir, et
qui trouvera son salut autant dans le hasard que dans la
science de son capitaine, nous cherchons des passages
ouverts, encloués que nous sommes, par la terre, qui
peut nous ouvrir sa barrière de mort, et par ce cahos
de glace de plus de soixante mètres de haut, dont
le moindre choc pourrait briser notre coquille.
Toujours la rafale et ses caprices; toujours cette
demi-obscurité de brume ausd périlleuse que la nuit
sombre, toujours l'équipage sur le pont, Toeil ouvert,
la poitrine haletante, le froid aux membres engour-
dis. . . et rhorizon ne s^élargit point. Nous glissons par-
fois dans de véritables détroits ^nueux comme des la-
byrinthes, et la nuit entière se passe dans les plus
sensibles angoisses ; car toute manœuvre était deve-
nue incertaine, et le hasard seul, ou plutôt notre bonne
étoile, pouvait noua arracher à la mort qui nous me-
naçait de toutes parts.
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J
DE L'A9mOLiBE ET DB LA ZÉLÉE. 495
Toute la nuit on manœuvra avec anxiété; mais
vers six heures du matin ^ Thorizon s^élargit, la brume
monta , et nous nous vîmes enfin <légagé8 du golfe où
nous avions cru trouver une tombe.
Mais t Astrolabe qu^est-elle devenue? Nous inter-
rogeons l'espace ; rien à bâbord , rien à tribord y rien
devant nous, rien nulle part. S'est-elle ouverte contre
une glace? A*t-elle sombré au milieu de la tourmente?
Nous cbercbe4-elle à son tour et s'expose-t-elle à de
nouveaux périls pour nous retrouver? Vous le voyez ,
nos angoisses étaient mortelles, et nous souffrions
d'autant plus de nos inquiétudes, que, si F Astrolabe
avait eu besoin de secours, nous n'aurions pas pu lui
en apporter ; tout était déralingué sur la Zélée^ et l'ou-
ragan avait bien rempli sa mission.
Un rayon de soleil nous apporta un rayon d'espoir;
nous crûmes, non loin de nous» voir pointer, au
travers de la brume, les mâts de V Astrolabe ^ mais
bientôt elle disparut de nouveau , et nos alarmes n'en
devinrent que plus vives et plus poignantes.
La journée s'annonçant belle et calme, on se mit à
l'œuvre pour réparer les avaries causées par notre
duel avec la tourmente. Nous étions entamés de toute
part ; le froid brisait nos membres , mais ce n'était
pas le moment de manquer d'énergie, et le dévoue-
ment des matelots devint d'autant plus actif, que nous
vîmes, sur le soir, reparaître V Astrolabe ^ inquiète
aussi , sans doute , de notre sort.
Nous venions d'échapper au plus grand péril de toute
la campagne ; car ici le choc est un naufrage , et le
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10^ VOYAGE A^TOW N MONM
paufrage MM mort ecirtaine, Mais» c'eat surtout lorsque
k d^ng^if eit v^ucu ^ ^qu'oii en mesure toute lagmodaiir;
qua^d uo^s jetiousnp^ regmrds veraleaia<mts deglaoè
auxquels nous veniotis .d'^c^pper, quand nous son*
g^ona que le eooipas nous éti^t devaâu inutile» puisque
l'aiguille ainiaivtée ne pou# indiquait plu^ notre route^
nous primes une confiance sans borne dansi'avfDir^
et nous crûmes un instant à la rare protection qui
devait nous abriter désormais contre toyites les tem-
péteSf
Comme nous, l'Asuxdctbe avait aussi son désordre
à réparer^ et cependant nous pouvions voyager decom»
pagnie y prêts à nous aider dans les moments les plus
difficiles^
Depuis notre départ, c'est le seul instant où, les cor-
vettes se fussent perdues de vue, etd^ici à Toulon, nous
n'avons cessé de voyager comme deux amis qui se clier*
cbent et se désirent.
Une terre inconnue arrêtait notre course, notre man^
dat était rempli ; nous n^avions plus qu'à assigner la
position du pôle magnétique dont nous savions que
nous étions très rapprochés, car l'aiguille affolait con*
tinuellÈment ISousaliions nousremettre à l'œuvre p(Hir
compléter nos opérations scientifiques, lorsqu'un nou-
veau coup de vent) presqu'aussi furieux que le dernier,
nous força, le 27^ à veiller à notre sûreté personnelle.
, — Des blocs imm^ises de glace nous entouraient toUr
jours, la rafale carabinée souffiait avec une violence
extrême, et pour ne pas nous trQuver engagés de nou-
veau dans les glaces, nous piquâmes au N«
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DE L^ASSftOLABE BT DE U Z^tÉE. 497
Notre jote fiit g^ttnde ; nous é^ns à^h laiaés
de o«ttd rigide températare qui nous écm^t; nous
appelions de nos vœux les plus fenrents le retour à
une rdàehe salutaire^ et déjà nous voyions à Thorisoa
poindreHobart-^Town qu'on notts avait indiqué eoBibie
lieu é» repos et où nous avions eiieore des malades à
reprendre.
Hélas ! notre ivresse fut de courte durée; pour ma
part, j^en souffris d^autsnt plus que de nowelLes ma-
ladies s'étaient déclaréis à bord; etoependant, comme
le t^nnpe était rede? «Em beau j nous remimes le cap
au S. , attristés et vraiment fatigués.
Le 29, se dre^e devaat nous une éaorme baûqpise,
à la forme carrée et parfaitement régulière, pendant
une étendue de plus de 420 milles E. et O. ; elle avait
55 mètres de haut, et ne présentait auoun accident à
sa surface; aussi aucun de nous ne pensait que ce fut
la terre. Cependant , un an plus tard, à notre retour,
j'ai vu le problème nett^nent résolu, et cequej'up-
pelle, moi, un plateau de g^ace, les cartes nautiepias
l'appelleront terre CYorie, du nom de madame Glaire,
épouse du capitaine Jacquisot.
Au reste , si jamais favour a été justifiée , c'est en
ceUe dreonstance ; et la femme estimable, instruite et
\}é[le devait servir de pa^onne à une terre quelcon-
que, fùt--ee même à celle qui peut-être ei^iste réelle-
ment à cet endroit, et sur laquelle reposerait l'immense
glace dont je viens de vous parler.
A qua^e heures et demie, grande et joyeuse npu-
veUe !-— Navire au vent. — Il vient sur nous à force
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498 VPVAGE UTOCft W MONDE
ToUes ; perroquets et boonettes. -^ C'est an britk amé-
ricain. — Il manœuTre pour accoster l'AarvIabe.
— Le capitaine mmite sur son banc de quart, et em-
bonche le porte-Toix..... Écoutons*. •• Le sifflet de
tAêirokAe retentit, cm hisse la grande-voile et le
capitaine américain en est pour ses frais de coorse et
sa courtoisie.
Je comprends autrement une rencontre sur mer,
surtout dans das parages aussi rigoureux, où il est
presque miraculeux de trouver un camarade de route.
Je ne cherche pas à expliquer les motifs du comman-
dant ; |>eut-étre étaient-ils raisonnables; peutrétre crai-
gnait-il qu^on ne vint lui disputer sa récente décou-
verte Toutefois, réchange de qudques paroles
était une chose si simple, si parfaitement convenable;
et il n*est pas impossible que nous eussions trouvé
occasion de rendre service au navire d'une nation
amie.
Et pourtant il ne faut pas perdre de vue que nous
nous trouvions au milieu de circonstances assez déli-
cates ; les Anglais et les Américains , à la fois , avaient
expédié plusieurs bâtiments vers le p6le sud pour
tenter les mêmes découvertes que nous.
Nous savions que la division américaine se compo-
sait de cinq navires qui avaient dû partir de Sydney,
sous les ordres du capitaine Wilkes, au mms de dé-
cembre.
D'autre part, l'astronome Herschel avait écrit du
Gap-de-BonnerEspérance à lady Franklin, que deux
navires, commandés par le célèbre Ross, avaient quitté
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DC L^ASTftOLABE ET DE U zihiE. 499
TAug^eterre pour un voyage de découverte au pôle
austral.
, Certes, nous avions là de redoutables concurrents,
et dans ^e dernier surtout un de ces hommes de fer
que les plus grands périls ne peuvent émouvoir, un
de ces infatigables explorateui^ pour lesquels les
glaces n^ont point de barrières assez formidables,
actif .plus que téméraire, ayant résolu le problème du
pôle magnétique au nord* C'eût été fort curieux et
fort extraordinaire à la fois de nous rencontrer ri-
vaux d'ambition et de zèle, animant de notre triple
présence lesi parages solitaires de ces mers tempé-
tueuses où aucun navire n'avait encore montré sa mâ«
ture au périL
Nous parlerons plus loin de l'expédition des Amé-
ricains et surtout de celles du capitaine Ross. Si notre
vanité nationale en est un peu blessée, la science y ga-
gnera quelque chose , et l'on sait dans quel but nous
avons enU*epris ce voyage-
Le 50 janvier , le vent s' étant déclaré meilleur et le
roulis nous fatiguant un peu moins, un cai^otde/'^^-
trolabe nous est expédié. Il nous donne la nouvelle
rassurante qu'après une prochaine tentative pour que
les physiciens puissent descendre sur une glace, afin
de compléter leurs observations magnétiques, nous
abandonnerons définitivement ces parages glacés, etque
dans un cas de séparation, le rendez-vous était à la
Tasmanie.
Vainement, épuisons-nous nos forces pour une des-
cente sur un de ces rocs de glace qu\ stationnaient au-
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200 TOYAGE AU1»0l]R DÛ HONDE
tour de Mas ; la mév déferle avec trop de violeDee ^
il est impossible d'accoster, et nos physiciens revien-
nent à bord fort désappointés de l'insuccès de leur ten-
tative.
2 Février. *— Voici de nouveau le mauvais tetnps ;
nous gagnons au N. -«- Le roulis nous fatigue , noUâ
écrase ; la neige tombe à gros flocons, mais la joie rè-
gne à bord de la corvette ; car nous quittons enfin ,
pour ne plus les rencontrer , ces glaces voyageuses,
qui pouvaient nous heurter et nous ouvrir dans notre
élan.
Le 3 février, la brise soufflait avec constance, et
nous filions hardiment nos sept nœuds. Toui-à-i^oup :
« Glace , crie la vigie, devant nous ! » Ce sera la der-
nière sans doute ; mais elle est si belle, si curieuse, si
pittoresque, si imposante que nous ne potivons nous
lasser de l'admirer. — D'un côté, un large rempart à
demi-démoli , dans lequel les flots s'étaient ouverts un
passage voûté; de l'autre, une énorme tour avec ses cré-
neaux ; au milieu , des semblants de bâtisses, de mai-
sons, de palais, une ville entière. C^était un magique
spectacle, je vous l'atteste, dont nous ne pouvions nous
rassasier. — Salut à la glace fantastique ! '
Le4, lecalmenous ressaisit, et labrumepèse sur nous
avec toute son intensité ; encore un de ces désappoin-
tements qui énervent les courages ; nous tirons le canot
pour ne pas nous perdre. Mais le lendemain, la brise
se refait, quelques heures plus tard elle renjbrcit;
les jours suivants, elle conti tin e; le 45, hous voyons
la terre, et le 47, nous sommes au mouillage.
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DE L^ ASTROLABE ET DE Lk ZÉLÈt. 204
Je ne VOUS aï point parlé de quelques petites aurore?
australes, bien plus rares ici, dit la science, qu'elles
ne le sont au pôle nord. Ce phénomène ne s'est point
montré avec assez d'intensité. Si vous êtes curieux de l'é-
tudier mieux que nous , piquez vers la terre Adélie, et
essayez un hivernage au milieu des glaces éternelles
qui l'entourent et la défendent. Je vous souhaite un
bon voyage et un heureux retour.
^t>
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17
EXPEDITIONS RIVALES.
M9» f«»tliiUic» WUKw et
Ceci n^est point une affaire de nationalité, c^est une
affaire de science ; ceci n'est point un acte d'humilité
de notre part, encore moins un acte de flagornerie
pour les Américains et les Anglais, qui ont tenté en
même temps que nous le trouage des glaces australes.
En mon âme et conscience, nous avons fait tout ce
qu'il était possible que nous lissions; et nos efforts
n'ont pas été sans récompense , puisque nous avons
planté notre pavillon sur une terre nouvelle; nous
avons eu à lutter contre les montagnes flottantes, les
tourbillons de neige et les ouragans; nos équipages
ont épuisé leur énergie à la guerre contre les éléments,
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204 VOYAGER ACTOlà DU MONDE
et si nous sommes sortis vainqueurs de celte lutte
acharnée , nous le devons a un bienfait de la Provi-
dence autant qu'à notre courage et à notre habilité.
Et cependant nous n'avons atteint que 66® 50' de
latitude, tandis que la prime nous était offerte si nous
étions parvenus à 75^.
Écoutez maintenant :
Wilkes part des États-Unis, touche à Madère, et ne
date son expédition que de cette ile célèbre, qu'il abau«
donne le 28 septembre 4858.
En novembre, il mouille à Kio-Janeiro, puis il va
reconnaître le Rio-Negro et les cotes environnantes
dont il fait Thydrographie. Dè-là, nous le voyons se
rendre à la terre de Feu, où il abandonne une partie
de son escadre et de sa commission scientifique. Puis,
il se dirigé vers le pôle en passant à FO. de la terre de
Palmer; bientôt sa flottille est dispersée par une violente
tempête; et cependant elle arrive à 70** de latitude;
arrêtée là par d'immenses banquises, elle échappe à
grand'peine au danger d'être bloquée. Le capitaine
Wilkes, jugeant alors que la saison avancée ne lui per-
mettait pas un plus long séjour dans les régions aus-
trales, renonce au projet de pénétrer plus avant, et se
propose de renouveler ses tentatives à une époque plus
favorable.
Il rallie tous ses navires et vient mouiller à Valpa^
raiso, le 45 mai 4859.
Vous vous rappelez que dans ces mêmes parages, au
commencement de 4858, l* Astrolabe et la Zélée n'at-
teignirent que 64"*, ainsi le capitaine Wilkes nous a
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y Google
DE L^ASTAOLABE £T DE LA ZELEE. 205
dépassés de €® ; à lui l^avantage au S. des terreis d'Âme-
fique, nous verrons s^il saura le conserver ailleurs.
Car ce n^était pas assez d'une tentative presque sans
succès pour un capitaine aussi aventureui que Wil-
kes; il lui fallait de nouveaux périls, de nouvelles
gloires. Il voulait ne rentrer chez lui qu'avec les dé-
bris de ses navires, et le voilà qui part de Sydney, le
24 décembre ^859, bien résolu cette fois à creuser les
barrières immenses de glaces qui murentlepoleaustral.
Il avait quatre navires bien armés, bien équipés, ro^
bustes et munis de vivres pour un an au moins : la fré-
gate le P^incemes, les corvettes le Poisson- frôlant, le
Paorij et le brick le Marsouin; et de plus un navire
de charge dont j'ignore le nom.
Jusqu'au 5 janvier les cinq vaisseaux naviguèrent de
compagnie; mais ce jour-là, un épais brouillard en-
veloppa l'escflidre, et le Poisson- P^okmt ainsi que le
Paon disparurent pour ne plus se montrer qu'à la fin
de la campagne.
Le premier rendez-vous avait été fixé sur l'ile Mac-
quarie. Le f^incennes et te Marsouin se dirigèrent
vers le point indiqué, mais les autres navires nç les
rejoignirent pas. Lassé d'attendre, le capitaine Wilkes
fit voiles vers l'île Esmeralda, deuxième point de ren-
dez-vous. Encore moins heureux cette fois, il ne trouva
ni ses compagnons ni la terre.
Le 40 janvier, par 64* de latitude, il rencontre
la première montagne de glaces, et continue à cingler
vers le S. au milieu de blocs énormes qui le forcent
souvent à dévier de sa route.
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â06 VOYAGE AUTOUR D0 KONDE
Le.42y il pénètre dans un grand golfe de glaces
par 64' latitude et 464' 55' longitude Ë. — Là, s^
course est arrêtée par une barrière insurmontable, et
bientôt il perd de vue le Marsoum qui disparait dan$
le brouillard.
Au reste, ce n'était pas on grand désappointement
pour le capitaine Wilkes qui était incapable de reculer
devant aucun obstacle, et qui, pqur stimuler le zèle
de ses compagnons de voyage, leur avait donné carte*
blanche en toute circonstance... Nous meptimmerons
par fois encore les autres navires, maisnoussuivrons sur^
toutleJ^ineennes\nsqu^k lafin desapérilleuseexeursion.
Le capitaine Wilkes fait route à TO. malgré les vents
de bout; le 46, il rencontre ie Paon et le perd de
nouveau, peu après.
Nous arrivons à une date importante ; le 49 janvier,
dans la matinée, la décoloration de Veau , le grand
nombre de phoques et de pingouins qui prennent leurs
ébats au milieu des glaces, indiquent à Wilkes la
proximité de la terre ; bientôt on l'aperçoit très distinc-
tement dans le S. E., mais une ceinture de glaces in-
franchissable en défend l'approche. Le f^incermes était
alors par 454' 27' de long. E. et par 66' 20' lat. S.
L'on se rappelle que c'est également le 49 janvier ,
que tAnrolabe et h Zélée aperçurent quelques indi-
ces de terres.
Cette eoïncidenee de date acquiert donc un grand
intérêt pour les personnes qui voudront discuter la
priorité de la découverte en faveur des Français ou des
Américains; à mes yeux la solution est douloureuse,
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DE l'aSTROIÂBB et DE LA ZÉLlÉE.*. 207
car les fVançaîs ne l'ont aperçue que le ^ir et méine
avec doute; les Américaine rayaient vue dès lé matin
avec un cortège de preuves irrécusables. Je le répète,"
c'est une solution douloureuse pour moi surtout
Tous les officiers de l'expédition n^ont pas mis le pied
sur la terre Adélie.
Ce même jour, nous n'étions pas très éloignés du T^in-
cemi^Sy au plus environ 450 lieues E. et 0. ; car à midi
notre point était 4 39% 4', 25" long. E. 65* 39' 55"
lat.S.Yous voyez que nous naviguions dans les eaux les
uns des autres , et que notre cachotterie à l'égard du
brick que nous rencontrâmes quelques jours plus tard
était une taquinerie inutile , une impolitesse gratuite
qui ne pouvait laisser que de fâcheux souvenirs.
Mais continuons à,suivre le sillage du f^tncennès.
Le capitaine Wilkes va toujours dans l'O. Le 22 jan-
vier, il est entouré d'innombrables glaces, et le 25, il
s'enfonce dans un golfe, formé par ces montagnes
mobiles, à travers lesquelles, malgré ses espérances ,
il ne trouve pas d'issue ; il était alors par 4 47* 30' long.
E, et 67"* 4' lat. S. Et c'est le point le plus austral qu'il
ait atteint dans cette nouvelle exploration des régions
polaires.
Dans sa course, il rencontre çà et là et perd de nou-
veau Tune ou l'autre de ses consentes; fréquemment
il voit la terre sans pouvoir l'aborder; c'est en vain
que le 28 janvier, il tente à treize reprises différentes
de forcer la barrière de glace qui s'oppose à ses désirs ;
autant de fois il est obligé de rétrograder, et à sa der-
nière tentative, li se voit assailli par une violente boiir-
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208 / TOTAGE AUTOUR DD XONBC
raâque déneige et de grêle qui dure plos de trente-çix
heures, et à laquelle il n^écbappe que d^une manière
miraculeuse.
«Le 50 janvier; dit le capitaiue Wilkes, noua nous
trouvons dans une baie hérissée de blocs de glaces très
élevées et de roches noires volcaniques ; la côte déten-
dait beaucoup dans le sud ; le terrain était monta-
gneux, et nous eûmes le fofld pw traite hsnmm^ maîft
ilnoa^foi impossible JPaeeoatcr àesHs daruapélMN-
silé des vents qui soufflaient en tempête, et auxquels
se joignirent des ouragans de neige et de grêle venant
du S.; la mer était très agitée quoique couverte de
glaçons , et ceux-ci nous pressant de toutes parts, nous
courûmes les pins imminents dangers. »
Le 54 janvier, les médecins annoncent que les hom-
mes sont épuisés de fatigue; que déjà plusieurs sont
malades, qu^il y a péril pour tous si on ne leur accorde
un peu de repos ; ce qui n^empécha pas Wilkes de con-
tinuer sa route et de gouverner sur la terre qu^il pro-
pose de nommer Conimeni amarctiqiêe.
Les jours suivants jusqu^au 45 février, Wilkes con-
tinue de cingler vers TO. avec des alternatives de beau et
de mauvais temps, jouissant de la vue de la terre quand
Tatmosphère est dégagée de brume, s^en approchant
alors le plus qu'il feut, et ne s'arrôtant qu'après avoir
reconnu l'impossibilité de franchir la barrière qu'il
rencontre partout. Ses efforts sont inutiles; il aperçoit
des montagnes et des vallées lointaines... il entend
briser la mer au rivage... encore trois milles, il fou-
lera d'un pied triomphant la conquête promise...yain
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DE L^STEOUBE ET DE LA ZÉLÉE. 209
espoir^ et Dieu qui a permis aux Américains de signa-
ler quatre cent cinquante lieues de côtes de plus que
nous , ne veut pas que le pavillon des États-Unis flotte
en dominateur sur ces terres glacées. A eux, si vous le
voulez, la priorité de la découverte, à eux la vaste éten-
due du noyau solide dont ils ont reconnu la présence ;
à nous des observations précises , à nous la possession
réelle ; nos hydrographes ont niinutieusement relevé
les détails de soixante lieues de côtes , et moi-même je
suis allé détacher de la roche vive les échantillons de
granit qui figurent au Musée royal de Paris.
Cependant le \6 février, le capitaine.Wilkes se trouve
entouré de blocs de glaces colorés de diverses nuan-
ces; il s^aperçoit que de nombreux échantillons de sa-
bles et de roches s'y montrent à découvert comme des
pierres précieuses sur un massif d^argent ; il s'en em-
pare sans peine, et nous apprend qu'il s'est rendu maî-
tre de fragments volumineux de quartz pesant jusqu'à
cinquante kilos.
Le >l 7, l'expédition américaine atteint la limite qu'elle
s'était proposée^ elle est par 97"* 50' longitude E. et
par 64^ latitude S. Cependant elle poursuit ses recher-
ches dans l'ouest. On recueille de nouveaux échantil-
lons de roches sur des glaces, et l'on s'emprisonne
dans un golfe dont on ne s'échappe qu'après quatre
jours de fatigues et de périls inouïs.
Ce fut le terme des explorations du capitaine Wil-
kes ; le 21 février, il résolut de piquer au N.
La dernière lie de glace fut aperçue par 54* de latî-
n. 27
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210 VaTAfiC J^JTOUR DU MONim
tude^ elle 45 mars 1840, la divmœi moutla emi^ade
de Sidney.
Je TOUS ai défà dit que les Français et les AmérieaMA
naidguaient daBs les mêmes parages^ cependant pour
mieux préciser le sillage des deux expéditîeQS rivalagy
disons que :
Le 2\ janvier à midi, t A$troIabeéià\k pw 6$ "^ 30^ la-
titude S. et 4 58' 2r longitude E.
Le 28 du même mois, on avait sur le VùmenmiGSfcm^
latitude 66' 55' , et pour longitude ^.^O' 50' laéndi»
de Greenwichi ce qui revient an 4-58* 40' E. du méri-
dien de Paris.
Vous voyez donc bien qu'il en est de la découverte
des continents, comme de certains problèmes dans les
sciences... On cherche long-temps, on discute, on bâ-
tit, on détruit des systèmes... puis tout à coup surgis-
sent dans le monde intellectuel , deux, trois génies qui
dans le même lieu ou h des distances éloignées, onl
pensé, ont écrit, ont publié la même vérité,
4840 était l'époque qui devait donner un démenti
aux assertions de Cook, le plus intrépide des naviga-
teurs. Les corps savants discutaient dt5 Texîsteiicé d'un
continent au^al ; on se demandait pourquoi la nature
avait placé une si grande quantité de terre au N. de
la ligne^et si peu dans l'autre hémisphèret 'On se disait
qu'il devait exister sous le cercle polaire anutarctique
un vaste massif solide d'énormes montagnes qni servît
tle coMre^oids aux *ewes moins élevées, îB«is plus
étendues de i'fcémfephère N., qu^Birtrement le globe
Qe serait pas en équilibre... Pttis,'0ii aja^teit : (^ la
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 2H
présmtt de cette terre gTaeée rendait raîson'du froid
plus intense que Fon éprouve dans les régions australes.
Cependant, tous les doutes n^étaient pas résolus.
Le eapitarae Gook est expédié pour aller Térifier le
fcrit... U rerient et n*a rien trouvé. Il part une seconde
foky ilenrîdiit le monde savant d'immenses découver-
te? géographiques; mais relativement au continent
austral y il prononce qu'il n'existait pas..... Puis,
comme s'il craignait cependant de s'être trompé, il
ajoute : « Au surplus, s^il y en a un, il ne serait utile
à rien, et je n'envie pas la gloire de le découvrir. >
J'aRais oublier; j'y reviens. Voici les conclusions
qui terminent le rapport du capitaine Wîlkes :
« On ne saurait mettre en doute l'existence d'un con-
tinent antarctique, s'étendant Tespace deTO^E. et 0.
et dont plusieurs points sont à certaines époques de
l'année dégagés de l'éternelle barrière de glace.
« Les phoques et les baleines y abondent, et devien-
dront l'objet d'exploitations importantes pour les har-
dis navigateurs qui ne craindront pas de s'aventurer
dans ces climats désolés. »
C'est déjà beaucoup que la solution de ces problè-
mes donnée par le capitaine américain.
Et maintenant que Wilkes et ses marins ont quitté
les glaces australes, rentrons-y avec Tinfatigable loup
de mer qui s'est acquis tant de gloire par ses beaux
travaux aux deux pôles.
Rossl A ce nom seul les matelots saluent, les capi.
taines préparent leurs paroles courtoises, et vous avez
froid en tendant la main à ce phoque indompté, qui est
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243 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
resté cloué dans les glaces boréaks pendant cinq an*
nées, séparé du monde^ de ses affections, et mort peut*
être à l'espérance.
C'est que Ross n'est jamais content quand il y a un
obstacle invaincu, et je ne serais pas étonné que ce
matelot voulût terminer sa carrière dans un pays sans
végétation, sous un ciel sans transparence, sur une
terre sans chaleur. .. Salut à Koss !
Ainsi que Wilkes, il touche à Madère et vieqt mouil-
ler à Sainte-Hélène, où il laisse un officier spécialement
chargé de faire des observations magnétiques.
Plus tard, il jette l'ancre à Table-Bay ; il y laisse en-
core un observateur, et courant vers l'E. par une lati-
tude assez élevée, il fait une halte de quelques semai-
nes à la terre de Eerguélen et àc^le de Sobrina^ afin de
coordonner toutes ses recherches; puis il s'élance vers
la conque qui lui est promise, et que nulle nation
désormais ne pourra lui contester.
Le voici à Hobart-Town; son équipage de fer se
repose et prend de nouvelles forces pendant les mois
d'août, de septembre et d'octobre. La lutte va être ar-
dente ; car lui aussi, Ross, savait que les Américains
et les Français avaient essayé de déterminer la position
du pôle magnétique, et qu'ils avaient fait la glorieuse
découverte d'un vaste continent.
' Ross devait déjà recevoir, à Hobart-Town, la pre-
mière récompense de son entreprise. Le gouverneur de
la colonie, le capitaine Franklin,'que nous connaissons
aussi, avait été son ami et son émule Sk gloire dans
l'hémisphère N. ; sir John s'inclina devant la puissance
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HE L^ASTEOtiBË ET DE LA ZÉLÉE. 243
de celui qui^ jeune encore, allait ajouter une nouvelle
palme à celles qu^il avait déjà conquises.
Suivons Texplorateur et trouvons avec lui lés mon-
tagnes flottantes y les rafales carabinées du pôle, et les
zones turbulentes de neige et de grêle qui rétrécissent
rhorizon et brisent les membres engourdis.
Le 26 octobre, l'Érèbe et la Terreur quittent Ho-
bart-Town et se rendent aux îles Aukland, qu'elles
abandonnent le 42 décembre 4840. Dix-neuf jours
après, c'est-à-dire le 4®"^ janvier, les deux bâtiments ar-
rivaient au cerclé polaire. L'intention du comman-^
dant de l'expédition était de se diriger par le sud-ouest
vers le pôle, plutôt que de mettre le cap directement
au S. La banquise, reconnue déjà par les Améri-
cains et les Français, ne lui sembla pas aussi formi-
dable que la représentaient les relations de ses pré-
décesseurs. Cependant des obstacles imprévus Tem-
péchèrent pçndant plusieurs jours d'en tenter le pas*
sage.
Le 5janvier, ilfranchit la banquisefort heureusement,
et, parvenu au-delà à une distance de quelques milles ,
il continua à se diriger vers le sud sans éprouver de
trop grandes difficultés. D'épais brouillards, des vents
contraires, une mer très houleuse et dés ouragans de
neige, retardèrent encore sa marche jusqu'au 8; mais,
le matin du 9, après avoir parcouru un espace de 200
milles au travers de cette banquise , FÉrèbe et la Ter^
reur se trouvèrent enfin dans une mer parfaitement li-
bre et firent route au S.-O.
Le 44 , dans k matinée, par 70* 44' latitude S, , et
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2H TOTiNÎE ACTOTR IHÎ liOror
^72? 5^ longitude E., on aperçut !a terre à une dis*-
tance d'environ 400 milles, dans la direction que su>
valent les deux bâtiments. Uiie telle découverte inspira
d'abord au capitaine Ross quelques regrets, car elle de^
vait Fempécher de lemplir Tune des parties les plus
importantes de sa mission, qui était la recbercbe du
pote magnétique. Il continua cependant à courir sur
cette terre, dont il fait une magnifique description.
« Ce sont, dit-il, d'immenses montagnes à pic, de 9,000
à 12,000 pieds d'élévation, entièrement couvertes dé
neiges étemelles ; de superbes glaciers descendaient de
leurs sommets jusques dans la mer à une distance.de
plusieurs milles. A mesure que nous en approchions ,
nous^ découvrions quelques fragments de roche à nu*
« Nous nous dirigeâmes alors vers une petite baie,
dans Pintention de débarquer; mais les blocs de
glace étaient si nombreux, et la lame si grosse, que nous
dûmes renoncer à notre projet et gouverner au S.-O.
pour y chercher un lieu de débarquement moins pé-
rilleux. Le matin du 42 janvier, je descendis ertfin sur
le rivage d'une lie, accompagné du commandant Cro-
zier et des officiers des deux navires, et nous prîmes
possession de cette terre au nom de sa très gracieuse
majesté, la reine Victoria.
« L'île sur laquelle nous venions de débarquer se
compose entièrement de roches volcaniques, dont j'ai
recueilli de nombreux échantillons.
(c Elle est située par 7t' 56' latitude S, et >l7r T Ion-
gitude E.
<f Observant que îa côte courait N. et S., j'espérai
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DE L^ISXROLASE £T DE XA ZELEE. Si5
d^itl>ôiid ^«it^eA f>étiétraQt au sud ati^ 4oûi que cela
serait possible, je dépassersâs le pôle ^a^^lgi^tqiie (fai,
selon nos ^s^rvations^ doit se trouver an 76® de-
gré, et qu'ensuite en gouvernant à TO., j'^eii ierais
oon^^latemeiit le tour. Nous saîvimes «donc •cette lerre
si ii^pos^te^ et, le 22 jaavier, nous atteîgmioies, par
T^"" 4:5' S., la phis haute latitude méridionale à la*
quelle soient jafi»ais parvenus les navigateur qui hous
ont précédés, e'est4*dire un seul d'eirtre l^, a^e
compatriote le capitaine James WeddelL
« Malgré les Tents^^intraîres^ d'épais ^^millurds et
la neige qui oe cessait lie tDmbei:;, iMi^us relev&nies eette
cote au S., et le 27 nous 'déharquâiaes sur «me a^tre
lie, située par 76"* 8' latitude S. et ^tièrement c^odpo-
sée, comme la première, 4e rocbes volcaûîque&.
(( Le lendemain matin, au point du jour, nous i^per-
çAmes une însmense.iiiontagnequi s'<élevait à 42,000
pieds au-dessus du niveau de la mer, et qui vomissaii
d'énormes toiurkilloas^defiaiiftme et de lfu«ée. Ce v^l**
<âin reçu! le nom 4e Mont-Êrèbe. Il est &^é pur 77^
'SS' lal&tiMk &, et 467' k^gitwle E. A l'est, il domiœ
UB «i*iktèr«e éteint, mais plus bas^ q«e oous«ap^ltoei
Mont-Terreur. Le continent conservait, sa diraetÎQn
^»ers le S., ^ ttocm ne icessÂmes pas 4e le ^mre
}us<|u'»u point où, 4*as riqs*ès-«iidi4u miéme^r,
m)m Stmtes tout-ihcocq) arrêtés par ute bamère de
glace <}ui, fartant 4'fmeap de k^^^, se 4ii%eait à
4'E.rS.-E.
« CkittelHtrrièm«Émoii^0«îre, 4'«ieJi«lltejttr4e1IS0
pieds, éépolsail im jsiàte tes pl»^to^s da tm mvî*
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246 VOYAGE AGTOVR W MONÛE
Te9y et nom cachait entièremeût la yue de tous les oIh
jets situés derrière elle, à part les sommets neigeux
d'une chaîne de montagnes courant au S.-S.-E. par
rO"" de latitude. »
Le capitaine Ross suivit cette barrière à VE. jusqu'au
' 9 février, et il reconnut qu'elle s'étendait sur un es-
pace de plus de 500 milles. Enfin, il s'arrêta devant une
banquise infranchissable, et ce fut avec beaucoup de
peine qu'il se fraya un passage au travers de l'étroit
canal qui lui avait pennis de pénétrer si loin^ Sans une
forte bise, il était pris dans les glaces. N'oublions pas de
le signaler; à un mille ei denu de ce mur glacé, la
sonde donnait 54 8 brasses, et le thermomètre marquait
20^ au-dessous de zéro.
L'expédition se dirigea ensuite à TO., et, le 45 fé-
vrier , elle se trouvait par 76* sud ; mais on ne put ap-
procher du pôle magnétique qu'à la distance de 460
milles. Toutefois, les nombreuses observations re-
cueillies par les ofGciers des deux navires , sur tant
de points différents, permettront au capitaine Ross de
déterminer à son retour la véritable position du pôle
magnétique avec presque autant d'exactitude que s'il
l'avait atteint.
De nouvelles tentatives de débarqu^nent demeu-
rèrent infructueuses. Le capitaine Ross dut donc
se bonier à relever, du 70* au 79* degré de latitude, le
continent qu'ilvenait de découvrir, et auquel il donna
le nom de la reine d'Angleterre — Victoria — . Le
25 février*, il reconnut que cette terre se terminait brus-
quement par 70"" 40' latitude S. ^ 4^"" longitude E.
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DE L^ISTHOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 247
Il passa le reste de février et tout le mois de mars à
naviguer dans ces parages afin de compléter ses obser-
vations, et ce ne fut que le 4 avril qu^l laissa porter
sur la terre de Van-Diémen et la rade d'Hobart-Town.
Le capitaine Ross termine sa relation en annonçant
au secrétaire de Tamirauté que, durant tout ce rude
voyage, c'est-à-dire pendant six mois de mer, dont
quatre passés au-delà du cercle polaire, les médecins
des bâtiments n'ont constaté aucun cas de maladie.
En vérité , c'est là une expédition devant laquelle
doit s'incliner toute nation rivale ; et quand on songe
que l'équipage du capitaine Ross, au milieu des
rafales, au sein des tourbillons de neige floconneux,
au centre dès glaces flottantes et par 20* de froid, a
manœuvré sous les ordres de son capitaine toujours
sur le banc de quart , oh se croit en droit d'annoncer
que nul n'ira plus loin ; que si le hasard pousse plus
au sud un brick ou une corvette, l'indompté capitaine
dont nous parlons est capable, dans un sentiment de
glorieuse émulation d'aller apprendre comme on pi-
vote sur le pôle : les noms immortels de Cook et de
Ross sont désormais inséparables.
îU 28
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19
ILES AUKLAND.
Betour é, Holiart-Tawii. — CSlea-Iâelgtli. — iVei^-
mor folle. — Amanelpliites. — Ile» Aakland.
«- Un suicide.
H y avait à peine un mois et demi que nous avions
quitté le port, et cependant des bruits sinistres circu-
laient à Hobarl-Town ; on nous croyait vaincus par les
périls que nous étions allés affronter; on nous disait
victimes de nos audacieuses entreprises, quand le 4 7 fé-
vrier, à trois heures de Taprès-midi, le télégraphe de
la pointe Pierson signala deux navires français Et
le lendemain, des fragments granitiques delà terre Adé-
lie, que bien des personnes s^obstinaient à nommer
Marie*Âmélie, ornaient les cheminées des principaux
habitants de la vjlie.
On nous félicitait de notre retour, dfi nos succès ; les
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220 VOYAGE AUTOUR Dtl MONDE
journaux firent des articles élogieux dans lesquels
M. d'Urville était surnommé le James-Cook de l'épo-
que ; et cependant, comme il est impossible à la nature
anglaise de nous accorder jamais complètement Thon-»
neur d'une découverte, on ajouterait que la terre
Âdclie avait été entrevue, (}ue son existence était an-
noncée par le même capitaine qui avait signalé le
continent d'Enderby.
En rentrant, ma première visite fut pour les malades
que nous avions laissés à terrefdfimx avaient succombé
pendant notre absence, les autres étaient en bonne voie
de guérison.
Notre bôpital temporaire fut donc fermé; et j'en-
voyai à rbôpital de la ville deux malades que je rame-
nais expirants de la caurse aux glaces; leur présence à
bord n'était pas sans danger pour le reste de l'équi-
page, et sachant bien que leur dernière heure ne tar-
derait pas à sonner, j'insistai auprès du commandant
pour qu'ils fussent abandonnés sur la terre étrangère.
Là encore je remplissais un devoir sacré , et je ne
m*exp)ique pas l'opposition que je reneontrai ahe»
M. d'Urville. Je donnerai à 1» fi» dit v#laine b eopia
de Tautbgrtapbe qm je re^ «s de loi dflâ» ostte eiro^ns*
tance.
Hélas! h4la6^ mes pf évitions se toat eruelleiiKiit
réalisées ! L? épidémie dont j'msoq^i le déiMrt «vent de
qcnltir h Malaisie, nous a eidové^x^ltiiitkommes.
Cependant ha ZélÉ^iib de nauviaMOi viwes;, teeurta
de nouveaux matelots, et comme mes eonvatoseents
n'avaient plus besoin ^ue de conseils hygiéniquee, il
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DE L^ASmOIilK ET BE EA TÈtil,; 334-
me fut permis de qurtter ta vîHe pour ma fiTrer à mes
études fitTOfites.
Mon aiBi Hoèson et moi nous résoMmes de fâtre une
grande exeursiott', ^fue iiie» deroirs de médecin ne
m'avaient pas permise h la précédente relâche, et qur
exigeait trois jours d'absenee. Nous partîmes donc
pour rifitérieur dans une belle dilïgienee, et nous nou&
rendîmes » Tbabita^on de M. Jemesson , rîebe plan-»
teur, chez qui nous étions attendus, et qui nous reçut
avec une grande aménité. Il av^it beaucoup de con«
Tiets à son serrice , il leur dcmnait ^ par le tra^ail^ le
goât du travail^ et il leur apprenait lanaorale, Bùn
pas seulement à Taidede livres , mais par son exemple
et cetuf de toute sa famille. Le matin et le soir, des
prières avaient lieu ; le dief de la maison les récitavi
à haute voix, et le cœur des assistants se mettait de 1*
partie pour implorer TÉtiernel.
Aussi les déportés de Glen-Leigtb étaient devenus
honnêtes gens, selon la religion et la^ morale, et le plan-
teur m'assura que, depuis longtemps, il n'avait iniigâ
aucune punition.
Peu de courses m'ont été aussi profitables pour mes-
recherches géologiques. Dans une de nos promenades
aux environs de la belk maison de campagne oà je
recevais une hospitalité si cordiale, je fus conduit par
M. Gunn, botaniste distingué, gendre de M. James^
son, sur une eoUine dominée par un gros arbre com-
plètement sitieifié. Le tronc était une agatke parfute,
avec son brittarut et son moiré» 11 avait deui. mètres de
haut, et une circonfârenoe de trois mèteM... et Dies
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222 VOYAGE lUTOOa DO MONDE >
8ei|l sait Tépoque qui a va commencer la pétrification
du grand végétal. J'en ai apporté de curieux fragments
dont j'ai fait hommage au Jardin-des-Plantes.
M* Jamesson feisait son bonheur de la vie des
cbanaps. Quand il se fut aperçu de Tintérét de cu^
riosilé que j'attachais aux plus petits détails d'a-
griculture , il me prit en grande amitié et me mena
visiter ses canaux d'irrigation pour les prairies ^ ses
terrains disposés à Tavance pour le blé, la pomme
de tçrre, les divers légumes; ses enclos pour Téduca*
tion des abeilles; son magnifique jardin qui offrait, en
fort belle qualité, tous les fruits d'Europe, mais où je
fus étonné de n'en trouver aucun qui provint du pays
même. La niaison de notre hôte était meublée avec
luxe; et le soir, le son d'un piano harmonieux nous réu-
nissait dans la salle.
M. Jamesson nous présenta à ses voisins; tous n'a-
vaient pas la même opulence, mais chez tous régnait
la plus exquise propreté. La raison en est facile à com-
prendre ; dans ces chaumières anglaises les ménagères
sont les dames mêmes de la maison. Après avoir veillé
à tous les soins qui exigent leur présence en robe de
bure, vous les voyez subir une métamorphose com-
plète et se vêtir de toilettes élégantes pour se mettre à
table; puis elles disparaissent pendant l'inévitable />af^-
wine.
Cependant, excepté quelques échappées sur le Der-
vvent ou de rares points de vue sur la roule qui tra-
verse la Tasmanie du S. au N. , je n'aperçus rien de pit-
toresque dans toute cette excursion; les ligues de
I
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DE l'astrolabe ET DE LA 2ÉLÉE. 225
montagnes sont belles, mais le paysage même est son>
bre, les arbres sont tortueux et rabougris, leurs feuilles
sont étroites et ternes ; à peine quelques arbustes épi-
neux viennent-ils vous égayer par leurs fleurs vivement
colorées de jaune ou de rose. Tai ouï dire que le roi
des végétaux, en Tasmanie, était une grande fougère
qui atteignait jusqu'à cinquante pieds de haut; elle se
nomme dicksonia ; on Tutilise à divers usages domes-
tiques.
Le chemin que nous avions suivi pour nous rendre
chez M. Jamesson était une belle grandVonte , sui-
vant le cours du Derwent , et semée d'auberges à en-
seignes fastueuses, dans lesquelles on ne doit faire
halte qu'après avoir bien compté sa monnaie, car tout
y est fort cher : la bouteille de bierre coûte 5 shellings,
c'est-à-dire 5 francs 75 centimes, et la bouteille d'eau-
de-vie 6 shellings, 7 francs 50 centimes.
• New-Norfolk, que nous avons visitée en route, est
une ville naissante, que sa situation appelle à devenir
riche un jour ; placée à douze lieues d'Hobart-Town,
elle domine le Derwent et devra servir d'entrepôt
aux productions agricoles de toute la partie S. de la
Tasmanie; de grandes communications sont établies
soit par eau, soit par terre entre les deux cités, et le tra-
jet en commun ne coûte pas cher; mais lorsque Ton
est obligé de louer une voiture exprès, on peut n'en
être pas quitte à moins de deux guinées; c'est ce qui
nous arriva à nous deux mon ami Hobson, forcés que
nous étions de rentrer à Hobart-Town certain diman*
che soir.
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224 T0YA6E âUTOUE DQ IM^DE
yo«i« savez déjà qa^Hobart-Town est uoe yilk rieba,
je dois vous dire aussi que c'est une yiUe ogr^Ue à
Tceil, à cause de la krgisur et de la r^larké des rues;
si elle ne possède pas ^oa&re d^édifioe qui mérite
d'être cité pour son architectinre, ea revancbe toutes
les maisons ea sont propres ot r^fulièremeot bâties.
Le palais du gouverneur s'élève «u centre d'une cbar-
piaate colUne qui domine la rade, et sur lamelle ser-
pentent de nombreuses allées ornées de fleurs et om-
bragées d'arbres toujours verts; c'est un charmant
bosquet artificiel qui ^aye Teatrée de la ville ; puib,
ea montant un peu à gauche, vous apercevez les bar"
raques ou casernes, bien cpostruites, bien aérées sur-
tout, et d'où la vue -s'étead ibrtau loin sur la rade et
sur la campagne.
Quand je reporte mes pensées vers Hobart-Town, je
me rappelle avec bonheur diverses personnes qui m'ont
fait un accueil plein de cordialité et de la politesse la
plus exquise. La plupart parlaient français , avaient
vécu en France, ou du moins étaient venus y complé-
ter leur éducation ; les dames cultivaient les arts avec
succès, et je ae pouvais me défendre d'un sentiment
d'orgueil en voyant leurs efforts pour imiter les
modes de nos Françaises si gracieuses. Tai donné
des regrets sincères aux familles Scott, Brovm , Offi-
cier, Jamesson, Gunn, Hobson etStewen : il est des
souvenirs qui se conservent gravés au cœur.
Dareât^ la fréqveatatioB du mtmàB mm^Ms m'ap-
prenait chaqtie jour quelque chose d'intéressant^ mssi
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DE L^ ASTROLABE ET INS LA ZELEE. 225
je reconnus d'abord qu'il y avait dans ta société deux
sections bien tranchées : celle des familles immigrées
librement, et tout-à-fait pures de parenté ou d'alliance
avec les convicts ; celles des émancipistes et des per-
sonnes venues dans le pays pour suivre un des leurs
frappé de condamnation.
Toutes deux se subdivisent ensuite à Tinfini; et,
dans la première , chaque échelon aristocratique est
une barrière infranchissable aux yeux des ladies qui
vous appliquent Tépithète de disreputable si vous
n'êtes pas de leur cotterie.
La seconde section de la société exige au préalable
quelques explications; c'est que parmi les convicts, il
y a des coupables à divers degrés depuis le crime lo
plus atroce jusqu^au délit le plus léger, depuis l'assas-
sinat et la baraterie jusqu'à la prostitution , au va-
gabondage ; mais è tous les plus grandes franchises
sont accordées, pour peu qu'ils offrent des garanties de
leur bonne conduite future. Ainsi , outre les convicts
renfermés en prison et ceux confiés à des industriels ou à
des planteurs, il y en a un certain nombre qui jouissent
de ce que Ton nomme Tiiet of leaçe, sorte de congé
au moyen duquel ils peuvent former des établissements
sous certaines conditions, par exemple , celles de ne
pas sortir de telle rue ou de tel quartier, et de se pré-
senter tous les dimanches matin à la geôle.
Les convicts qui ont fini le temps de leur peine pren-
nent le nom di émancipistes, et certaine tache indélé-
bile restant fixée aux individus et à leurs familles, il
en résulte qu'il n'y a pas d'homogénéité entre eux ;
H, 29
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22iS voTàos: Afrrouft M monde
ils foritient de petits groupes qui se déchirent les uns
les autres; car chaéuti éonserve le souvenir de la gra-
vité des crimes de son voisin, et ne veut pas frayer
avec un homme qu'il croit avoir raison de mépriser.
Pour toutes ces causes ce que l'on croirait être la
terre d'oubli, ne sert au contraire qu'âmeitre les fautes
plus en évidence, en étendant la honte d'un seul à
toute sa famille, à tous ses descendants; bref, la
déportation a de tels inconvénients que j'ai entendu
plusieurs légistes anglais blâmer ce système péniten-
ciaire et demander à grands cris le rétablissement de
l'ancien mode de pénalité. Au surplus la moralité des
condamnés s'airléliore si peu, que le nombre des exé-
cutions capitales était, pendant notre séjour, de trois
ou quatre par mois.
C'est ici l'occasion de mentionner certaines colonie»
récemment formées dans la NouveUe-Hollàad«, et* où
l'on ne reçoit que des immigrants libres et hoonétei
gens; de ce nombre sont Port-Western et le nouvel
établissement de M. Bremer, que nous avons visité à
Essington-Bay, sur la côte N. Les philantropes espè*
rent beaucoup de ces dernières.
Quoiqu'il en advienne des unes et deè autres, les co-
lonies de Sydney et d'Hobart-Town ont pris rang parmi
les plus florissantes, et en songeant à leur origine,
je ne puis m'empêcher de faire un rapprochement
bien singulier; c'est que jadis, les rois d'Espagne ne
permettaient d'émîgrer, pour certaines colonies, qu'à
des individus de familles nobles et pures... Et voyez
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DE I.'ASTaOl4iB» ET JDE U ZÉLÉE. SSuT
ce que cda a pro4»it| w 43hili, par ex^Dapk, l'amour
du /ar-m>«/^ jse propage (de père ea fils.
Après tout, ms loatelote s'amusaleat fort à fibbart-
Town; les boissons éui?raote^ ne leur cpûtaîe&t pas
trop eber, et de temps à autre ils faisakot la partie cEe
boxe avec les inventeurs du i^re* J'aî su d'eux que la
poUpe était irès bieafoiite par las watc^en, qui seiont
bie^t empara des réealeitraets et des tapageurs ; ri y
a ftour ces derniers deus pujQ&tkms assez singulières :
Tune coB^iste à être exposé aux regards du public
ayant les deux pieds scellés dans une planche, l'autre
à fm^ tourner la |[rande roue d'un moulin à farine;
c'est un exercice analogue à cel«i de Téeureuil qui
prend m$ ^bats dans sa cage môbde, c'est le mécanis-
me des ^ure-moles et des g^es de nos ports miiitairesi.
Il parait que le mateli^ frwçais a une prédispo^tioa
particulière m vertu de laqudle il est plus souvent re-
pris que l^ matelots des autres nations ; aussi, dit*on
par la ville que le pain renchérit quand il y a peu de
navirç^ frai^yçais en rade.
Un mot sur M. Damoutier, lie phrénologue, qui
ob^rvait si bi^, enfoui ^us un tas de peaux, dans le
détroit de Magellan. Il a conservé son amour pour les
i^rânes ; il s'en va quêtant des erài^s partout, crânes
d'animaux ou erânes humains , tout loi ^t bon ;
or, il avait aperçu, dans certaine maison ifHobart-
Town, une fort beUe tète d'opossum, sorte de kanguroo
propre à La Tasmanie, et il la convoitait de loute son
âme : — Vous avez une bien belle tête d'opossum, — ^^dit
au nniaitre Anglais le pbréïiol«0gue qui croyait, par ces
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228 VOYAGE AUTOl}R DU MOrSDE
paroles flatteuses , se préparer une audience favorable ;
mais le propriétaire prit la chose autrement, et croyant
qu^on avait Taudace de comparer son noble chef à
une tête d^opossum, il entra en fureur et chassa de chez
lui la collecteur importun. .. Vous le voyez/ la phréno-
logie mène parfois au danger.
L^heure du départ allait sonner. Vu notre qualité
de navire de guerre, on se dispensa d^une précaution
que Ton prend à bord des autres bâtiments pour pré*
venir l'évasion des convicts; c'est d'y placer des
watchmen exprès, trois jours avant le départ. Mais
outre ces watchmen parfaitement connus pour tels, il
est bon de savoir qu'il y en a beaucoup d'autres qui
sont d'autant plus redoutables qu'ils se cachent sous
les apparences de diverses professions. En voici un
exemple : Nous avions à bord un convict se disant libéré,
inscrit parmi nos matelots, faisant bien son service,
quand nous vimes arriver un constable, muni de toutes
les pièces nécessaires, et notre homme nous fut enlevé
pour être conduit à la geôle. Évidemment, Williams
avait été dénoncé; mais par qui? par notre marchand
de lait, en qui personne n'avait reconnu un poliçman
déguisé... Williamsnousavaitprésenté de faux papiers.
Le 26 février , à trois heures du matin , on vire au
cabestan ; nous dérapons et nous voilà sous voiles.
Salutà laTasmanie!
Le lendemain nous voyons une aurore australe ; ici ,
c^est un phénomène assez rare, et je ne devais pas le pas-
ser sous silence.
Une lueur opale embrassait l'atmosphère; c'était
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DE LiSTaOLABE ET DE LA ZELEE. 229
une de ces clartés douteuses produites par un soleil à
demUvoilé, et qui rendait incertain les objets qui nous
entouraient. Elle s'effaça bientôt, et nous poursuivî-
mes notre route ; mais il était dit que le même phéno-
mène se reproduirait sans tarder ; deux jours après, en
effet, une nouvelle aurore vint no\is visiter comme
pour saluer notre bienvenue. Les anciens auraient tiré
bon augure du phénomène ; la science nous a donné
d'autres enseignements.
Le 7 mars, nous voyons les lies Aukland , plateaux
superposés , dont le pied se pare vaniteusement d'une
végétation rabougrie, tandis que les crêtes décharnées
attestent les rigueurs de Tatmosphère et le bruyant pas-
sage des rafales du pôle.
Le 44, nous mouillons à la baie de Sarah-Bossom,
belle, fort bien abritée , où les baleiniers, traqués par
la tempête, viennent souvent chercher un abri et se
reposer de leurs rudes combats. Ici l'aspect des terres
a changé avec Texposition à TE.; les vallons sont riants
de verdure, une végétation touffue quoique peu élevée
se presse sur les coteaux jusqu^à leurs cimes.
Malgré la pompeuse description qu'en fit TAmé-
ricainMorell vers 4850, les lies Aukland, dont ta dé-
couverte ne date que de quelques années auparavant,
ne possèdent pas encore d'habitants fixes ; mais elles
ont été fréquentées dans le principe par des pécheurs
de plioques qui y faisaiait de bons profits ; et to«t der-
nièrement, en 4858, des industriels d'Hobart-Town
imaginèrent d'aller y construire une petite goélette ;
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250 VOYAGE AUUTOUa DU MOJUPE.
ils ont bien réussi, ^râce à une espèce de pin qui y est
fort commun.
Plus curieux, plus rare eneore dans ces parages
que les aurores australes^ un navire portugais était
mouillé en même temps que nous dans une baie voi-
sine de la nôtre. -
C'était aussi un pécheur de baleiiief qu'une tempêta
avait poussé au milieu des iles Aukltnd. Nous reçiuncB
le capitaine avec un gand plaisir, et il nous parut plein
de courtoisie et de bonnes manières.
Outre un abri sûr, les baleiniers trouvent aux îles
Âukland d'excellentes aiguades, quelques végétaux
utiles, des coquillages, du poisson en abondance, du
gibier et divers oiseaux à riche plumage.
La veille et Favant-veille de notre mouillage, nous
avions été vivement intrigués en entendant des coups
dç canon qui se succédaient de demi-heure en demi-
heure; nous craignions que ce fût un navire en dan-
ger qui demandait du secours, et nous regrettions
beaucoup que les brumes et les vents contraires nous
retinssent éloignés des côtes ; cependant quand nous
vîmes brûler un moêne , espèce de fusée usitée en
marine, nous nous rassurâmes en peaisant que c'était
un navina de guerre qui faisait d» signaux à un
h&timmi ami* Une imcgip&oa trouvée dans uoe
attdeone chaiuMère die pécheurs de phocpes, H we-
produite dans use bouteille imchelée au pied d'im
potew, nous upprend ee qui a dû te passer; ooos
lisons : « Qm le b'iek des État^Uak h MÉtrmmm a
relâché à la même baie de Sarah-Bossom d4i 7 an
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DE L^ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. 231
40 mars^ aprèf avotr rôdé dons les «nviroM du cercle
polaire, au S. de TAustralie, et qu'il va se rendre à
la baie des iles. » Sans doute ce brick aura eu eon '.
Baissance de nous; et nous prenant d'abord pour ses
compatriotes, il nous atait adressé tous les avertisse-
ments qui étaient en son pouvoir.
Sur le même morne se voyait «ne tombe ; ceci est
une faistmre qui s'est terminée par un drame^ et qui
prouve d^ plus en plus que, dans toute espèce de lutte,
le calcul et le courage ne remplacent pas Fadresse et
le témérité. Écoutez :
M. L***, armateiir, dont je tais le nom par égard
pour sa famille qui babite Nantes, atait imaginé tout
un syst^e d'attaque et de défense contre le géant des
mers ; c'étaient des art>alètes pour lancer les harpons
et les lances, c'étaient des canots închdvirables et des
gilets de sauvetage. Voyant dans ses inventions une
source de fortune , il* n'avait pas voulu garder pour
lui seul les profits qu'il pouvait en retirer; il se fit
le cbef d'une sociMé €i% commandite qui arma plu-
sieurs navires d'après ses plans... Mais le succès ne
répoixlit pas à son attentée
Cependant, c<Matit dans ses précédés, et persuadé
qfu'œi ne les a pds bieui mis k exécution, M. V"** pré^
pare un nouvel armemcoit dont^il sera le chef; et, afin
de pouvoir payer de sa personne au moment le plus
périlleux^ à la première attaque du cétacé, son âge ne
lui permettant pas d'espérer qu'il acquierre l'habileté
nécessaire pour se tenir droit malgré les soubresauts de
la baleinière, il imagine de faire construire audevant
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232 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
de Fembareation une espèce de selle sur laquelle on
Famarre avec force.
Voici rheure : Tennemi est un cachalot ; M. L***
vise et frappe juste; mais Tanimal se retourne, cha-
vire Fembareation, et Fagresseur a la cuisse cassée.
Dégoûté du métier, M. L'^'^'^ fit de sérieuses réflexions
pendant son traitement; sa fortune était anéantie, celle
de ses associés compromise, son avenir décoloré, et
il voulut en finir avec la vie.
Je ne sais plus quel cuisinier se fit sauter la cer*
velle, parce que la marée manqua. On cite encore un
tambour-major qui se perça la poitrine, parce que
devant Fempereur, sa canne quHl avait fait voltiger,
tomba à teire... Ici, nous n^avons pu nous «Dipècher
de donner une larme au malheureux arpiateur qui^
aussi fou que le tambour-major et le cuisinier, se sui-
cida après un échec*
Et voyez comme Fhomme ^uryit à Fhomme en
quelque sorte ; M. L*** avait, ou croyait avoir, le gé-
nie de la mécanique ; il se prépara de longue main son
instrument de mort : c^étaient quatre canons àe pisto-
let, parfaitement ajustés dans une boite; les quatre
gâchettes étaient mues par une seule tringle qui,
elle-m^e, obéissait à une espèce de bascule; et un
jour qu^il se promenait à terre aVec le médecin du
navire, il pria son compagnon de le laisser seul
quelques instants. Le médecin s^éloigna, mais au bruH
d^une détonnation formidable, il reparut sur le lieu de
la scène. L^expérience était faite. •• il ne trouva plus
qu'un cadavre.
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20
NOUVELLE ZELANDE.
llaMMicres. — Tentatlire» 4e eolomlsatlon
flrançalfie. — Taonë-Roa.
Après dix purs condacrés^ aux îles Âttkl«»4, à des
travaux d'hydrographie, de physique e( d'histoire nâ-*
tureile, nous réprimes la mer et mimes le eap ou N.
dur la NoBvelle-Zélande* La trayersée (utheureuse, sauf
quelques rafales eambinées qui nous fcaroère nt à mé*
nafsr nos Toihis.
Le 50 mars, nous découvrimea devant nous cette terre
tachée de sang, où les roia de l'Europe ont si long-
temps laissé exercer des massacres , et où^ depuis peit
d'années seulement^ la religion à &it entendre ta pa«
rôle dnlisairiee.
Nous naviguons dans un bane de poissons^ dont la
pèche nous donne une nourriture bienfaisante ; et ,
II, 30
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254 TOTAGE AUTOUm DU MOlfBB*
longeant la côte j nous ne sommes pas peu surpris de
voir des couches de sable projetées sur de hautes col-
lines. Quels flots asses tempétueux arrachent des abî-
mes ces agglomérations que le ciel y avait jetées? Quels
ouragans assez terribles les ont portées si loin de leur
premier lit?
Tout est en colère autour de la NouTelle-Zélande, la
mer, la terre, le ciel et les eaux; et c^est pour cela
sans doute que Dieu a semé cette côte inhospitalière de
criques protectrices où les navires peuvent venir s'abri-
ter à Taise.
Voici Otago, qui se creuse un large bassin au milieu
duquel nous laissons tomber Tancr^. C'est un bien cu-
rieux spectacle que celui qui nous est offert aujour-
d'hui! Naguère, ici, des hommes nus, sauvages, vi-
vant de rapines et de meurtres, faisant la gu^re
à tout étranger, égorgeant tout ennemi qui tombait
dans leurs mains, et ne voulant pour appui que les
cimes des montagnes, que la profondeur des forêts.
Ce n^est plus cela maintenant. Des hommes bronzés,
vêtus à Teuropéenne, ramant des embarcations bien
taillées, viennent à bord, fraternisent avec nous, et
nous proposent amicalement des échanges Vous le
voyez : c'est le commerce, c'est Tindustrie.
Croiriez-vous que ces hommes, dans leurs frêles em-^
barcations, osent s'attaquer aux baleineaux qu'ils font
prisonniers et qu'ils traînent sur le rivage? Là , ils les
dépècent, en extraient l'huile et la vendent aux navires
européens contre des vêtements ou des ustensiles.
Leurs forêts sont riches, ils en abattent lesx troncs se*
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZELEE. 255
eulaires, ils en a^rovisionnentiesnaTires, et ils reçoi-
vent en échange tout ce qui peut leur être utile.
Et cependant nul missionnaire n^est venu , que je
sache, frayer à Otago une civilisation que le commerce
seul a fait avancer. Les mcsurs se sont adoucie, les
massacres ont cessé , et on descend maintenant à terre,
dans cette paisible rade, sans se faire précéder par Tar-»
tillerie.
En est*il ainsi sur tous les points de la Nouvelle-
Zélande? Non , sans doute. Mais à Otago, les hommes
semblent dégénérés au physique, et peut-être trouve-
rions-nous la première cause de leur obéissance dans
la faiblesse de leur constitution ; ils sont très bouffis ;
la laideur de leur femmes est remarquable, et il m'a
semblé quela propreté n'était point une de leurs vertus.
Nous avons trouvé à Otago quatre navires pécheurs
de baleines, dont Tun français que nous avions déjà
rencontré à Talcahuano; depuis lors il avait fait un re-
tour en France , et sa cargaison était de nouveau à peu
près complète ; il se félicitait beaucoup de l'habileté de
son équipage composé de matelots bretons et normands;
les autres navires étaient Anglais ou Américains.
Deux cents individus au plus forment actuellement
la population d'Otago ; on en comptait douze cents, au
moins, il y a dix ans à peine. A quoi attribuer cette dé-
croissance ? A rémigration peut-être et à une. maladie
analogue à la rougeole, dont les ravages remontent à
quatre ou cinq ans ; ajoutez- y la privation de vêtements
convenables, ladis des nattes d'herbages leur suffi-
saient; aujourd'hui ils ont oublié la manière de les
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356 ¥OyiGE ACTOdR DU MMBE.
f ake, ils oseat inuoédiatenmit les habite qu^iU reçoi*
vent au temps de la péohe, et Thiver les troare sans
défense oontre les întempéries de la aaison : il y a sou-
vent danger & 4|«itter une industrie nationale.
Comme le mouillage y est bien abrité, comme les
mooursdes bahitante sont douées, il est probaUe qn'O
tago deviendra un jour «m riche établissanent, et l'on
y pense à coup sûr, puisqu'il y a déjà un comptoir tenu
par un Angbis, Tundes plus intrépides spéculateurs
des naers australes.
Nous apprenons ici que la divinon américaine, diar*
gée d'explorer les gUoes du pôle, a fait bonne route, et
dignement rempli sa mission périlleuse ; mais que Ton
conçoit de vives inquiétudes sur la sort d'un des na*
vires qui n'a pas reparu* Puisse- 1« il avoir trouvé un
port aussi tranqnille que celui où Ton nouadonne cette
triste nouvelle !
Après trois jours d^une heureuse navigation le long
de la côte, nous soomies arrivés à Akaroua, rade spa^
cieuse, où f Astrolabe s'est échouée ; pendant quelques
instants il y a eu danger pour elle.
Ici encore nous trouvons deux navires pécheurs ,
Tun américain, l'autre français; celui^ parti du Havre
depuis dix mois et ayant déjà terminé sa eargaiscm : c'est
là un des résultats les plus heureux que je connaisse,
La cote se dessine abrupte, sauvage, pauvre de végé^
tation; c'est unsol rigidequ'il faut combattre sanscesse,
comme te flot torbalent qui rugit dans ses anfractuo-*
sites; on n'aperçoit d'arbustes vigoureux que sur une
petite colline.
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DE L^ASXaOUBE ET DE LA ZELEE. 237
Il y a là, i«olé du monde y un Wa¥e AogldU mec
sa léoime, qui a bâti une petite iDaiaoaaette ea
boisi qui a planté qu^ques légume^etquiaourrit queK
ques vaches. Autour de lui se groupait çà et là» dam
de mauvaises cases, plusieurs déserteurs de navires ^t
une douzaine de naturels vivant de la cbasse, de la
pèche et des libéralités des baleiniers» U^ sont à peu
près nus, mais se couvrait leis épaules de quelques
nattes pour 3^abriter contre les averses et les gibou-
lées. Tout cela est triste, désolé; toutcela^ c'^tlaJSou*
velle-Zélande,
Voyez maintenant ce plateau élevé qui domine la
rade; ilaétéletbéâtred'un drame sanglant, d^one ?io«
lation flagrante du droit des hommes; le fort écrasant
le faible ; le vainquei^r s'abreuvant du sang du vaincu*
Un Aillais, dont je n'ai pju apprendre la nom i^tal,
fit un jour une descente à Akaroua, accompagoant le
ce^in de la baie Condij alors en guerre avec le chef
d'Akaroua« Lui, le premier^ il descendit à terre avec
quelques matelots favorisant Tastuce, il se porta sur le
plateau que je vous ai dés^né, et invita les naturels à
venir à lui, sous prétexte de négoce. Ceux-ci se rendi-
rent à. ces témoignages d'afCection, et lorsque, occupés
des échanges, ils dis(^Uaient leurs intérêts, le roi de
Condi et s^guerriers, secondés par le traître, se rué*
rent sur eux et en firent une horrible boucberi^.
L'époque de ce massacre date de sept à huit ans au
plus, et vous voyez encore sur le plateau des ossements
humains blanchis par le temps, consacrant la honte de
l'Européen et la cruauté des Zélandais.
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258 Voyage Auroua m moinde
Quelques femmes et quelques enfants parvinrent
seuls à gagner les bois, et plus tard on apprit d^eux les
détails de cette scène de carnage. 11 n^est que trop vrai ;
quand le Néo-Zélandais médite une vengeance ou une
cruauté , les hommes et les éléments n'ont pas assez
de puissance pour éteindre la soif qui le dévore : le
crime doit être accompli.
Qui ne se rappelle la catastrophe récente dont un
navire français fut la victime. Le trois mats VAréthuse
partit de Sydney pour aller relâcher dans un des ports
de la Nouvelle-Zélande , ayant comme passagerun roi qui
voulait rejoindre son peuple, et qui payait largement
la faveur qu'on lui accordait. Dans la courte traver-
sée, le capitaine de VAréthuse traita le monarque sau-
vage sans le moindre égard; il le relégua surTavant
du navire, le fit manger avec les mousses et le con-
damna même à danser et à faire certaines grimaces
pour amuser son équipage.
Le roi se soumit à tout, sans exhaler la moindre
plainte; il ne mangea point sa faim; il ne but point
sa soif; il fit rire les matelots par de folles gambades ;
bref, le paillasse remplit bien son rôle jusqu^au bout.
Après ces exercices, il allait se reposer à côté du
beaupré, accroupi sur les bordages; et là^ quand il
n^ avait rien à faire, le mousse Thorn venait causer fa-
milièrement avec le prince déchu , et partager en ami
quelques biscuits et même sa piètre ration d'eau-<le-
vie. Le grand et le petit se lièrent d'une affection par«
faite ; c'était le petit qui protégeait le grand ; c'était
l'enfant qui soutenait la virilité.
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DE l'aSTEOLABE ET DE LA zétÉE. 259
— Terre!
Le n>i zélandais bondit comme un chacal , ses yeux
flamboyent, ^a main se crispe, sa poitrine burle.». Puis
il s^apaise, pareil au volcan dont les feux souterrains
n^ont pu se bîre jour par le cratère. Il embrasse le petit
mousse^ il se joue avec sa chevelure et se rassied.
Le navire laisse tomber Tanore. On appelle le roi^
on le fait venir sur le goillard d^arrière, on Tinterroge,
et Ton veut savcMr si Ton sera bien accueilli parmi les
siens ; il répond qu'on ne trouvera que des amis h
(errCi qu'il est heureux de pouvoir témoigner sa re-
connaissance pour les attentions dont il a été Tobjet, et
il demande k descendre lui-même dans le premier ca-
not qui débordera.
Le capitaine le remercie, lui serre la main, et lui fait
servir un verre de rhum. Le monarque s'incline, ac<*
cepte, et se précipite dans Tembarcation qu'on avait
mise à flot.
Huit hommes l'armaient; elle accoste, le roi saute à
terre, ses heureux sujets l'entourent, le félicitent; et
lui, endianté de les revoir, les prie de traiter en amis
les matelots qui l'ont accompagné. Il y eut repas
splen(fide de cochons, de volailles et de fruits.
Le soir, les canotiers repartaient et rejoignaient le
bord, enchantés de leur séjour à terre. On se livra au
sommeil.
Mais le roi zélandais, furieux de l'outra^ qu'il avait
reçu, ameute ses sujets, leur parle de vengeance, de
massacres; il leur dit qu'il ne faut faire grâce à per-
sonne, que celui qui ne tuera pas sera tué, que celui
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240 YOTiOE AUTOUR D0 1fOl>fl)Ë
qui ne mangera pas un Français sera mangé, et que
teui^grand génie ne laissera point se promener au^essus
des nuages après sa mort le guerrier qui reviendra sans
une tache de sang.
Les pirogues sont laneéès; les coeurs battent avec
violence, les casse-têtes sont entre les mains, on ayanee
petit à petit, on glisse doucement poussés par la pa-
gaye et la mer; on approdbe, on touche le trois mâts,
on escalade, Tennemi est à bord; mais un de ces en-
nemis puissants et redoutables qui s'entourent de ca-
daTres et se timt des larmes et de Tagonte. Le premief
matelot qui se présente est abattu; un cam«*ade, rè*
veillé au bruit, tombe auprès du premier* L^alerte est
donnée; l'équipage monte sur le pont, et dis qu*un
homme se présente à Técoutille, il est teriMBé; car le
redoutable easse-téteest en bois de fer et en ]a^ trao^
chant et poli. La mêlée s^engage , le roi à la tête des
siens» le capitaine à la tête des matelots qui ont échappé
au premier choc. A l'aspect de son ennemi, le sauvage
pousse un cri terrible; il ordonnée ses soldats d'épar-
gner celui dont il a subi l'affront ; qudques balks
trouent les poitrines; les sabres font aussi de brges
entaille», mais les farouches Zélandais sont nomlHreùx ;
le guerrier qui succombe est a l'instant même rem-
placé par un guerrier debout et terrible. Ce n'est ploé
un combat, c'est une boucherie ; et au milieu de tant
d'hommes râlant leur derni^ soupir, un seul est de-
bout, c'est le capitaine, contre leqwl on s'^nœ et
que l'on saisit à la gorge. Il est lié au graad mât,
chaque Zélandais passe devant lui, le soufflette et lui
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. 24>l
crache au visage; puis le roi s'avance et faisant tour-
noyer son casse-téte^ il écrase contre le bois le front de
celui qui l'a outragé.
Le navire était captif ; on allait Téchouer sur la plage
afin de le piller plus à Taise; on lève les yeux pour la
manœuvre, et Ton voit perché au bout cTune vergue le
mousse ami du roi pendant la traversée* A l'instant dix
sauvages veulent s'élancer. Le chef les retient ; il leur
ordonne de s'arrêter, et il prend sous sa protection le
pauvre enfant qui se croyait à sa dernière heure. On Tap-
pelle, il hésite ; le roi monte, l'enfant s'élance dans les
flots ; le monarque s'y élance après lui; il nage, nage
encore de son bras robuste, raisit Tinfortuné qui allait
<ttsparattre pour toujours, et le ramène à bord, où il
est traité avec les plus grands égards, où il reçoit les
témoignages de la plus vive tendresse.
Dès que le faux-pont, les soutes et la calle eurent
été envahis, dès qu'on eût enlevé tout ce qui pouvait
être utile aux insulaires, la flamme fît son ofBce, le
navire s'engloutit, et tout s'eflaça sous les flots, car le
roi, prudent au milieu de sa colère, voulait cacher aux
Européens le désastre qu'ils avaient provoqué.
Deux mois après la catastrophe, un baleinier vint
mouiller dans la rade du deuil. Les sauvages, crai*
gnant des représailles, se retirèrent dans les bois ; mais
le soir, dès que la niiit fut v^due, un d'eux pil(^ le petit
nioi^ae jusqu'au baleinier, et regagna bientôt la terre.
Thorn refusa d^abord par reconnaissance de racon-
ter ce qu'il avait vu : mai? apr ès^ lé d^art du navire
pêcheur, ildonna lesdétaibles plus précis sur lecombat
H. 31
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242 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
OU plutôt le carnage dont il avait été ténooln, et depuis
lors nous n'avons pas appris qu'aucun châtiment ait
eu lieu dans la baie si fatale à nos malheureux compa
trioles.
Quelque temps avant nous, la corvette française
V Héroïne, commandée par M. Cécile, avait visité le
port d'Akaroa, situé sur la presqu'île de Bank's; le
plan de la baie avait été fait avec soin, et c^est à cet
endroit que des Français viennent tout récemment de
tenter une ébauche de colonisation ; nous voudrions an-
noncer une réusdte, mais nous n'osons pas Tespéren
Le signal du départ était donné... les vents s'y
opposèrent ; puis des brumes épaisses leur venant en
aide pour nous contrarier, les deux corvettes se per*
dirent de vue ; de temps à autre le canon retentissait et
grâce à ce signal, chacun de nous savait la position de
son ami... On mouilla de nouveau.
Enfin, le surlendemain nous primes le large et tan-
tôt près Tun de Tautre, tantôt éloignés , soit par les
courants, soit par la variété de la marche^ nous arri-
vâmes en quelques jours à la baie de Taone-Roa, où
nous laissâmes de nouveau tomber Tancre.
La terre se dessine heureusement boisée ; au sud la
baie est abritée par une immense dune de sable,
qui se dresse et fatigue les regards, amoncelée sans
doute par les ouragans. Dans le lointain, des crêtes
élevées dominent les premiers plans ^ ainsi que les
grands végétaux qui les couronnent, et d'épaisses
nappes de neige tranchent d'une manière éclatante
avec le ciel bleu qui leur sert de dôme.
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^: ^ ■■
.^^^'
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)
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-z.
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DE L^ASTAOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 2^5
Cependant, comme dons nos deux précédentes relâ-
ches notre curiosité n'avait été que médiocrement
satisfaite, nous ne comptions guère trouver plus de
distraction dans la rade de Taone-Roa, car nous pen-
sions que la Nouvelle-Zélande était un pays uniforme
et régulier. Â peu de cboçe près, me disais*je, qui a
étudié le sud connaît le nord, du moins quanta la na«
ture et au caractère des habitants. Cependant, il est cer-
tain que l'ile est vaste, et que vous devez dans vos
observations, établir, pour être vrai, la différence des
climats. Dans Iç sud les rafales carabinées ont déca-
pité bien des forêts; dans le nord la végétation €st
plus puissante, car elle est abritée par les hautes mon-
tagnes de rintérieur et échauffée par les rayons moins
obliques d'un soleil bienfaisant. ^
Le canot de V Astrolabe seul descendit à terre, et
certes , il fut témoin d'un spectacle aussi curieux qu'in-
téressant. Un grand nombre de cases éparses çà et là
et formant de véritables villages, entourent la rade
spacieuse et bien abritée ; cinq ou six mille individus
au moins s^y livrent à la culture des terres, au plaisir
de la pèche et au besoin du commerce, qui devient
une source de fortune pour tout le pays. Ajoutez à cela
que la religion, celte puissante dominatrice du monde,
a déployé sur ces hommes, naguère si farouehes, son
étendard régénérateur , et que le vol y est puni comme
une honte , le meurtre comme un forfait. Un-mission-
naire anglican s'est établi depuis quelques années a
Taone-Roa. 11 y est descendu seul, sans armes» sous la
protection de sa foi et de sa parole; il a dit à ces
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;^
244 VOYAGE ACTOUa DU HORDE
hommes de féo : travaillez; il leur a dit : vivez en
frères; il leur a dit aussi : priez, et les naturels ont
>béi. Plus de nudité parmi eux , ils sont velus à Teii-
ropéenne y mais comme je vous l'ai déjà dit autre part^
ils ne veulent point de chaussures; c'est la seule liberté
qu^ls demandent et on aurait grand tort de la leur
refuser.
Un cotre anglais et un trois-mAts se trouvaient au
mouillage en même temps que nous ; la rade de Taone^
Roa est sans contredit celle qui mérite le plus d'être
fréquentée de toute l'île. L'abri n'y est peut-être pas
excellent, mais en revanche on y trouve bienveillant
accueil , et toutes sortes de provisions en abondance,
tels que légumes, volailles et porcs, que vous vous
procurez à un prix très raisonnable. Je comprends la
vie à Taone-Roa.
Mais nous n'avons pas encore assez étudié le pays.
Là-bas, lors de notre première relèche à Otago , nous
avons trouvé un peuple sale et dodu, gouverné par
un roi très riche en piastres , sans doute , puisqu'il en
avait dépensé plus de deux cents pour Tachât d'une
orgue de Barbarie , dont il amusait son oisiveté. Avec
elle aussi, sa grandeur appelait les étrangers descendus
à terre , et il leur offrait les jeunes beautés du lien
en récompense de leur courtoisie. Merci de ta géné-
rosité, gracieux monarque; à l'égard de la beauté
des traits . ce que désirent les européens c'est la pro-
preté , et tes sujettes ne connaissent pas la maxime de
saint Augustin, dont nous avons déjà fait mention.
D'Otago à Taone*Roa il y a deux cents lieues à peu
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DE Ii^ASTAOUBE ET DE U ZELEE. %i^
près et déjà vous étesfrâppéadu conlrâsle, iei la nature
est forte et puissante, j^ hommes Bosit bien taillés et
robiistes^ et les feiuaies quoique aussi broûzées, y
semblent douées de plus de grâces et d'élasticité. Que
les races se eroisent, et yous aurez une pi^ulttion à
part d'une nature privilégiée.
Nous partons encore^ et comme il est décidé que
nous ferons écbeBe dws toute cette partie de la Nou-
velle«2iélande) nous la côtoyons en nous dirigeant vers
la baie des lies.
Courant à contrebord, un baleinier américain nous
salue et tire deux coups de canon. Surpris de ce signal
qui prouvait un appel , un salut ou une provocation ,
nous manœuvrons pour aller à lui ; et bientôt nous
voyons un canot se diriger vers nous. C'était le capi*
taine lui*méme et le subrécargue du baleinier, qui
venaient nous rendre visite ; ils montèrent à bord , ils
nous apprirent que les deux coups de canon tirés
étaient des signaux de réjouissance convenus entre
tous les baleiniers ppur annoncer l'heureuse pèche
qu'ils avaient accomplie , et comme le calme était sur-
venu , nous les invitâmes à diner ; ils acceptèrent avec
plaisir, et ce fut pour nous une joyeuse causerie que
celle de ces braves gens infatigables , toujours en alerte
pour combattre dans son empire le plus fort et le plus
grand des êtres de la création.
Ils nous racontèrent maintes histoires plus curieuses
les unes que les autres de leurs luttes et de leurs triom-
phes. Il faut bien le reconnaître, la profession de ba*
leinier est celle qui développe au suprême degré les
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1
246 VOYAGE iDïOCB w u/omB.
qoèlités essentielles du marin ; Pesprit (Inobservation et
rhabitnde de profiter des moments chez le capitaine ,
rintrépidité et Tadresse chez le matelot. Aussi voyez
qudle rivalité parmi eux de nation à nation^ de navire
à navire, de pirogue à pirogue... Ce sont des joutes
plus palpitantes que les tournois des temps chevaleres*
qnes : Farène ici est un abime sans pitié.
Le soir les péclieurs nous dirent adieu ; et y profitant
de la brise qui s'étatt levée , nous laissâmes tomber
Tancre à la baie des lies.
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l:
21
BAIE MS ILBS.
M«ffo*Marélui» — I^e Ihivmi «kierry»
Voici une ville , Koro-Raréka ; une véritable ville
avec ses quais , ses douaniers en station , ses fraîches
maisons à l'européenne, ses rues allignées, ses places
sablées» ses temples et ses carrefours. Tout cela n'est
pas complet, sans doute» mais tout cela est déjà posé,
échelonné ; c'est une naissance , c'est pour ainsi dire
une création.
Tous les peuples du monde semblent s'être donné le
mot pour envoyer leurs représentants à Koro-Raréka ,
Français, Américains, Anglais, Belges, Allemands
s'y trouvent réunis dans une même pensée, celle de la
civilisation , et le commerce est là pour leur prêter
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248 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
main-forte et les récompenser de leur zèle. Au milieu
d^eux, révéré pour ses vertus apostoliques, trône un
évéque, M. de Pompalier, qui enseigne lès livres saints
et les prêche d'exemple. Il a , sous sa domination toute
paciGque, environ deux cents indigènes ; des frères à
ceux-ci y enfants du même Dieu y sont cependant sépa-
rés déjà par quelques dogmes, car il y a ici deux égli-
ses, là croyance catholique et la secte luthérienne. Au
reste, ces hommes bronzés, soumis en apparence, ai-
ment assez leur indépendance native ; et toujours prêts
à s'émanciper, dès qu'une querelle a'engage, dès qu'un
droit leur est contesté , ils menacent d' aller chercher
dans leurs forêts leurs frères plus libres et de porter
à Koro-Raréka la désolation et le carnage.
Ges menaces auront un jour un funeste résultat , si
les nouveaux-venus ne se sont bientôt protégés par des
citadelles hérissées de canons : il est des hommes que
le bronze seul peut soumettre ; les Néo-Zélandais sont
de cette nature.
Avec de l'industrie et de Tactivilé on^peut aisément
faire fortune k Koro-Raréka. Nous y avons trouvé un
Français , un Bordelais , «'est tout dire , qui , arrivé là
depuis six mois à peine avec cinq cents francs dans
sa poche , avait déjà amassé de trente-cinq à quarante
mille francs. De sa fortune primitive, il avaitconsacré
trois cents cinquante francs , à Tachât de terres vierges,
et le reste il Pavait gardé pour vivre comme si cela eût
été nécessaire; d'autres Européens arrivèrent après
lui; il leur céda quelques pouces de sa propriété ^
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DE l'astrolabe ET DE LA ZELEE. 249
^t tandis qu^il vendait quelque chose d'un côlé, il ra-
chetait de Taulre de nouvelles positions.
Aujourd'hui M. do Sentis doit être capitaliste, et
gare aux colons qui en allant s'établir à la Nouvelle-
Zélande auront affaire à lui, non pas que je veuille
laisser soupçonner même qu'il ne soit plein de délica-
tesse ou de probité , mais parce que personne ne sait
mieux que lui que deux et deux font quatre , parce
qu'il sait choisir a merveille le lieu le plus propre aux
utiles spéculations , et que sa perspective à lui c'est la
France, sa patrie, avec un somptueux hôtel et de ma-
gnifiques équipages : ses chevaux éclabousseront bien-
tôt dans les rues de la capitale.
Vous le voyez : nous sommes à l'antipode de TEu»
rope , eh bien ! ne proiriez-vous pas que je vous parle
d'un voisin , pu des intérêts de la famille se discutant au
foyer? On va vite sur les chemins de fer, mais les navires
ont des voiles, et ils se voyent cependant précédés par
Ta civilisation ; de Paris à Eoro-Karéka il y a moins de
distance que de Paris aux landes de Bordeaux , aux la-
gunes de la Vendée.
Rien n'est bizarre et fantasque comme l'aspect
de la ville. Je vous ai dit que d'élégantes maisons se
dressaient déjà sur le rivage; cela est vrai. Plus loin
vous en voyez qu*on remarquerait dans une de nos plus
belles rues, quoique bâties en planches et en madriers;
mais à côté et placées sur l'alignement vous voyez des
lentes, et dans ces tentes des meubles pleins d'élé-
gance , et près de ces meubles des Européens avocats ,
médecins, industriels ou commerçants venant ici tenter
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250 TOYAOB AUTOUR D0 MONDE
la fortonè, cette capricieuse qoi s^est raillée d'eux
dans leur pays. Ce n'est pas tout , vous jetez un coup
d'œil à droite et à gauche, et tous trouvez des enclos
assez réguliers au milieu desquels s'étèv^it des cases fort
basses et fort petites ; ce sont les cases des naturels qui
ne veulent pas quitter le sol où ils sont nés, qui ne
veulent point de vos coutumes et de vos mœurs , et qui
vous quitteront un jour pour les montagnes et les fo-
rêts, si les montagnes et les forêts leur offrent pins ^
ressources que votre commerce et votre charité.
Je me logeai chez M. Wood , Anglais émérite , et
comme je n'aurais rien appris de ma chambre fort si-^
lencieuse et fort mesquine, je parcourais presque
toute la journée la ville que je voulais connaître à fond.
Pas un de ses secrets ne m'a été dérobé. J'ai trouvé
là M. Bonnefin , isincien officier de cette marine qui
s'était acquis tant de renom dans les mers de Tlnde...
En >I844, M. Bonnefin quitta le service militaire pouf
se livrer à des spéculations commerciales, et des opé->
rations importantes l'ont appelé à Koro-Raréka , où il
mène une vie assez paisible auprès de sa sœur, jeune
Française d'un rare mérite et d'une grande beauté;
c'est la première compatriote que nous ayons reiHM>n«
trée depuis notre d^rt de Toulon , et notre joie a été
grande de pouvoir la citer comme modèle de grâce ,
d'élégance et d'aménité à tons les étrangers de Koro^
Raréka. Madame de l'Arbre, était une voyageuse intré-
pide , elle était venue ici par le cap de Bonne-Ëspé^
rance , et elle parlait de Maurice , de Bourbon , de Ski»
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DE L^ASTAOUBE ET IW U ZÉLÉE. 254
ney, de Sainte-Hélène en fonme qui avait étudié , en
intelligence qui avait compris.
lei eneore nous avons serré la main à un autre com^
patriote, lequel avocat en herbe , après avoir épousé à
Maurice une belle et riche créole, était venu à Koro-Ha^
réka dépenser sa fortune , en attendant que la civilisa-
tion lui permit de la rebâtir ; par prévision il se faisait
construire une élégante DEiaison où il se proposait de
traiter les visitents mieux que sous la tente provisoire
qui lui servait de palais ; au surplus la bière y Mulait à
flots mousseux, ses canapés éteient d'un moelleux
asiatique , et nous nous prélassions là aux sons d'une
simple guitarre que devait plus tard remplacer l'har-
monieux piano,
ki, vous le voyez, la vie est dans l'avenir beaucoup
plus que dans le présent et dans le passé, et les hom-
mes oublient ce qu'ils ont fait pour ne s'occuper que
de ce qu'ils ont à faire.
Disons en passant que les pliis belles plantations de
la colonie , les terres les plus riches , les établissements
les mieux situés appartiennent à un convict qui avait
fini Bon temps à Sidney, et dont la fortune touche au-
jourd'hui à l'opulence.
Prenez garde , messieurs les Européens , je vous
cite ici des exceptions , et vous ne devez pas croire que
le pactole , style mythologique , coule à Koro-Raréka.
Je reviendrai plus terd sur l'histoire générale de
cette vile : histoire qui n'a ni ses Charlemagne , ni ses
Tamerlan ^ ni ses Gromv^rel, ni ses Napoléon , mais qui
n'en est pas moins un livre curkux à étudier. Que je vous
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2d2 VOYAGE AITOCR DC MONDE
dise tout d'abord et en peu de paroles les faits géné-
raux; le drame palpitant s'y trouve à défaut d'épopée;
mais, si la tradition avait tout recueilli y il y aurait de
beaux enseignements pour les peuples barbares et pour
les peuples civilisés.
Les Anglais nous demandent , d'un ton railleur , ce
que nous pensons de Toccupation britannique , en sup-
posant le fait accompli : quant à nous, nous ne croyons
pas que Toocupation puisse être admise en droit , et
plusieurs légistes Anglais sont du même avis. Voyons
ce qui s'est passé : une causerie qui peut être un rayon
de jour a droit à une page de ma narration.
M. le baron de Thierry , fils du valet de chambre
de Louis XVI , et filleul du duc d'Angoulème, voulut
un jour se créer une royauté dans l'Oceanie ; rêve si
vous voulez , mais rêve qu'il réalisa en quelque sorte ;
et c'est ce que vous allez voir.
Sur un navire français, il parcourut FOcéanie,
visita presque tous les archipels, se fit connaître par-
tout , en s'aidant de ce que certains hommes préten-
dus sages appellent de l'extravagance , et que lui plus
sensé appelait de l'originalité. 11 savait, M. Thierry,
que Toriginaliié est un passe-partout qui ouvre bien
des portes; mais , sérieux dans ses exigences, il vou-
lait bien ce qu'il voulait, et il s'était tiatté d'arriver à
son but.
Il passa dans l'archipel Nouka-Hiva, fut bien reçu
par le prince régnant, et trouva tout simple de hii don-
ner une preuve de sa haute protection. Voici le texte
des leitres*palentes qu'il lui délivra pour lui senir de
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^^\
DE L'iSTAOLAB£ £T DE LA ZÛli£. ^5
rdeoimnaiidûtion auprès des étrangers qui visîieratant
son lie :
a Nous Charles, baron de Thierry, Souverain de
« la NouTelie-Zéiande , et roi de Tlle Nouka-Hiva ,
« nous nous plaisons à certifier que Yavam^uba , chef
« de Portua , est Tami des Européens; il s'est toujours
« conduit à notre égard avec respect et souoiission ;
c en conséquence, nous lui délivrons la présente pour
« le recommander aux bons soins des navigateurs à
« qui nous garantisscms ici une parfaite sécurité. >»
Donné à Port-Charles (Anna-Maria), ileNoukahiva,
le 23 juillets 835.
Ch. baron de Thierry.
Par le Roi :
Ed. Fergds,
Colonel et aide-de-camp.
Dès ^822 il avait fait élection de résidence à la baye
des lies; il traita avec les divers princes du littoral et
de rintérieur, les réunit sous sa domipation, et ima-
gina de se donner un pavillon, des armoiries, un
grand chancelier; en un mot» une cour... Peu s^en
fallut qu'il ne kttttt monnaie : la matière première
seule lui fit défaut.
L'odyssée de M. Thierry était à peine à son début ,
lorsque, je ne sais à quel propos, en 4825, il saisit
Toccasion de signifier au gouvernement anglais sa
prise de possession de la Nouvelk-Zélande , en qua-
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254 VOYAGS JeCUTODR BU HOBAE
Kté de souverfin ; et, tnmqciiUe sur le résultat , H re-»
vint en France.
La cour des Tuileries ne mit aucun obstacle aux pro-
jets âuri)iti6iix deM • Thierry ; il fut autorisé à emmener
avec lui qBelques oflicitrs dont il fit ses dignitaires ; et»
le front presque couronné, ilseremitenroutepoursV
donner tout entier au bonheur de son peuple et aux soins
de son empire.
Ses idées étaient toutes philantropiqnes; il voulait
le travail pour tons , ki peine prar tous , le plaisir pour
tous. Cétait , en un mot , un monarque modèle comme
on n'en trouve d^exemple nulle part;.. Vive Thierry !
L'esprit de cet intrépide et bizarre Thierry était si
insinuant , qu'il sut, sans combats , par la puissance
seule de sa volonté , gagner la confiance des sauvages.
Il obtint d'eux les produits de leur chasse , ceux de
lepr pèche, et ces cannibales, devenus généreux par
une force surnaturelle, lui apportaient des racines
bienfaisantes ou de la chair de quadrupèdes, et l'abri-
taient même dans leurs huttes.
C'est une histoire si originale que celle de ce pbilo^
sophe-diplomafe, qu'en vérité, tous les d^îls de sa vie
aventureuse me semblent digâes d'èlre conservés. Ce
n'est point comme usurpateur, ce n'est point comme
conquérant qu'il vint établir sa puissance à la Nmivelle-
Zélande; c'est plutôt comme législateur et premier
occupant.
Aussi , quand les Anglais tentèrent leur pi^mier éti^
blissement , quand ils posèrent ïk les bases de leur
premier comptoir, il» voulurent dépecer Thierry, mais
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DE L* ASTROLABE BT PE LA ZÉLI^E. W6
eelui-ci réekma bauten^nt aa nom da droit des gens ,
au nom surtout de sa principauté méconnue.
Nous ayons entre les mains le texte précis dea que-
relles que les Anglais suscitèrent à notre béros , et des
franches et loyales réponses que celui-ci leur fit en-
tendre,
— Vous possédée d'immenses terrains , lui dirent
les nouveaux venus.
— Immemes en eftet
— Gomment les avez*vous acquis?
— Parce que j'ai traité avec les Naturels.
— Eb bien ! nous qui sommes plus forts que tous
vos alliés , nous venons biffer d'on trait de plume ce
traité malencontreux, et vous ifomander, dans vos bé*
néfices, la part du gouvernement britannique.
— Votre gouvernement prendra-t-il aussi s« part
de mes fatigues, de mes sacrifices et de mes dangers?
— Ces misère&-là ne nous regardent point.
— Dès-lors je proteste, et tout d'abord je vous dé-
fends de m'arracber une piastre; car le revena de mes
possessions n'est que dans l'avenir : à peine quelques
arpents de terre sont-ils défrichés, et je n'ai pas même
d'ustensiles pour abattre les forêts voisines.^ Que me
prendrez-vous donc?
— Cet avenir dont vous parlée.
— Â la face du monde , je déclare que votts étee
usurpateurs; et de ce mommt-K^i j'écris à votre goo-
vernement qui saura bien me rendre toute jostwe.
Pauvre Thierry qui comptait sur la loyauté brila«
nique ! elle lui a feit défont , comme lui a Mi dMairt
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256 TOTAGE AUTOUR DU MONDE
awsi l'appui de la France qu^il sollila en même lemps««.
et la Nouvelle-Zélande est devenue colonie j^nglaise.
Ce qu'il y a de vraiment bisarre dans Toçcupation
de cette ilesi vaste et maintenant si disputée^ c'est que
Français ou Anglais, Hollandais ou Allemand, Belge
ou Espagnol, prêtre catholique ou anglican, quicon*
que est venu s'établir là, s'y est fait une case à soi,
s'y est taillé un jardin et préparé un bien-être sans se
soucier le moins du monde de la forme du gouver-
nement sous lequel il allait vivre. On se courbait de-
vant tous les pavillons, on obéissait à tous, ou plutôt
on n'obéissait à aucun.
Insouciants et confiants à la fuis, les Français surtout
lafesaieut courir les années et ne s'inquiétaient guère
des jours à venir. Mais l'Angleterre, renard et léopard
aux aguets, lorgnait du Port-Jakson sa florissante
voisine ; et, à leur venue, elle expédia ses vaisseaux et
dit de sa voix puissante : Ceci est à moi.
Voyes ce que nous lisons dans t.Australian aro-
nick, i la date du 25 février 4 840 ; c est ne document
Mses curieux pour être conservé jHir l'bistorien et
le voyageur : le mot prdiecléuir y acquiert une im«
menm éxtfflision, et en peu de temps l'ami devient
maître... Peut-être bientôt le maître deviendra esclave*
« Le 5 février 4 840, a eu lira la conférence générale
des dwCs sélandais de la baie des lies, et des officiers
supérieurs envoyés par la Grande-Bretagne pour a>n-
clure un traité de paix. A cette eiet, on s'est rendu de
part et d-aotresur une large esplanade de la pi*opriété de
M. Basby, où des tentes avaient été dressées à l'avance.
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i
DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 257
uoe immense tente sous laquelle éiaient tine table et
des chaises. M. Hobson, commandant F Herald, prit
la présidence; à ses côtés s^assirent les prédieans
anglais , Tévéque catholique et son ficaire, les chefs
Nà) - Zélandais et un grand nombi*e d'Eorepéeûs
établis depuis quelque temps à Koro-Raréka.
M. Hôbson lot le texte du traité, par lequel la reine
d'Angleterre offrait aux indigènes de la Nouvelle-Zé-.
lande sa protfclion contre renvahissement de la nation
des Oui'Oui (Français). »
 cette notUîcation assez injurieuse pour des peu-
ples indépendants, les chefs sauvages déclarèrent qq'ils
ne (K>mprenaient pas comment une nation si éloignée
d'eux pouvait les protéger; et l'un d'eux, plus scanda*
Usé encore, ajouta : Qu'il n'avait que faire lui de la
prote(^on d'une femme, et qu'il lui semblait plus na*
turel de lui proposer d'être son défenseur.
Cependant les Anglais, qui font bien les choses quand
ils le veulent, avaient eu soin de verser force liqueur
dans les gosiers avides des nouveaux alliés qu'ils vou^
laient se donner. Quelques-uns signèrent le jour même,
en faisant une croix sur le traité ; d'autres refusèrent
et se soumirent cependant le kndemain, pressés de
s'en retourner dans leurs forêts ; enfin, plusieurs chefs
des plus puissants ne voulurent, en aucune manière,
reconnaître la prétendue protection, et se retirèrent
disposés à accepter toutes les chances de leur reftjte.
Nous ferons remarquer en passant que Monseigneur
de I^rxhRaréca, vicaire apostolique de TOcéanie oc-
cidentale, n'assista pas en spectateur oisif à la spolia-
H. 33
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258 VOYAGE ÀDTOtR DU MONDE
tion des Néo-Zélondaîs ; n'ayant nî la force ni Tau-
torité nécessaires pour protester plus énergiquement,
il intervint en conciliateur... et exigea qu une portion
du terrain de la ville même fût réservé aux naturels;
sans notre pieux compatriote M. de Pompalier, les pro-
tecteurs chassaient les protégés du domaine de leurs
ancêtres : admirez la bonne foi anglaise.
Les choses en étaient là à notre arrivée à Koro-
Raréka ; mais les Anglais ont appuyé leurs prétentions
par des batteries et des vaisseaux, et ils savent bien faire
rentrer Timpôt dont ils ont frappé le pays : Thierry
seul ne leur a pas donné une piastre.
Nous aimons à laisser des amis partout où nous
avons mis pied à terre ; mais ces amis nous les acqué-
rons par des prévenances ou des protections. Ici , la
scène a changé; notre présence a porté ombrage à
la colonie , et Ton s'est quitté sans égards et sans re-
grets.
M. d'Urvîlle n'était pas facile a plier; sa tête nor-
mande tenait un peu du Breton , et quand il voulait
une chose , il la voulait fortement. En arrivant à la
Nouvelle-Zélande , il se proposa de ne pas traiter le
gouverneur de k baie des îles comme gouverneur,
mais de lui rendre seulement les politesses qu'il en
recevrait comme capitaine de vaisseau. Gela était bien,
cela était digne.
' Il est d'usage, en arrivant dans un pays , de traiter
du salut. Je tirerai vingt-un coups de canon, vous me
les rendrez coup pour coup Est^e entendu? —
Oui. —Feu!
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DE L^ ASTROLABE ET DE LA ZELEE. 2^9
Ici y le payiUon britannique ne recevra pas notre
politesse. Nous mouillâmes ; à quelque distance est le
Buffido^ belle corvette anglaise, avec sa flamme au
grand mftt. Sa conduite réglera la nôtre Elle nous
reçoit avec fierté y nous lui répondons avec imperti-
nence ; j'aime fort y je vous Tassure y ces témoigna-
ges d'affection entre deux puissances si cordialement
unies.
Cependant y le gouverneur nous envoie un canot.
De son habitation , située au fond de la rade y il avait
appris notre arrivée, et, jaloux de nous montrer sa
puissance , il nous avait expédié un officier pour nous
prévenir quUl recevrait avec intérêt le commandant de
rexpédition, ainsi que Tétat-major* et que nous pou-
vions compter sur ses bons offices. La réponse de
M. d'Urville fut courte, et précise :
c( Je ne reconnais point M. Hobson comme gouver-
<( neur de la baie des iles ; mais je rendrai avec plaisir
« au capitaine de vaisseau Hobson, mes devoirs de po-
« litesse. ».
Vous comprenez que, dès ce moment , nos relations
devinrent froides, <mse tint y comme disent les ma-
telots, à longueur de gaffe 'y on se salua du bord du
chapeau, on ne s'adressa que des paroles brèves, et
Ton n'eût pas mieux demandé de part et d'autre que
d'en venir aux mains.
Je vous l'ai dit , le Bifffalo était mouillé à une assez
grande distance de nos corvettes ; sur un ordre de
M, Hobson, il se rapprocha de nous, et cette manœuvre
nous sembla une bravade ridicule.
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2<^0 VOYiQE ACTOUa M MPNDJB
Au 8orplas , cette immitié, qui refait sur les flots,
étatt aoifiî chaude à terre, eotre les ministres mgltis
et les fnrétres français. Les premiers n'avaient pas Iak
un pas sur ceux-ci , ils comptaient à peu près W mteoe
acMnhre de prosélytes^ et si le trafic et le commerce ne
leur venaient en aide^ je crois que leur sèle serait ftnrt
ébraalé par les privations auxquelles ils sont eoidun-
nés, sur ce sol inhospitalier.
M. de Pcdoapalier, évéque de Koro»Raréka^ était en
tournée apostolique; nous entendini» la messe qui
fut dite par ]^. Petit ^ son vicaire , et noM pûmes re*
uaarquer que ta religion s'était glissée dans Tâme des
naturels, dont les vénérables pasteurs avaient attermi la
foi. C'est un spectacle digne du plus haut iattérét^ je
vous l'atteste , que celui de ces hommes, naguère si
farouches, en lutte permanente avec toute civiiisation,
toujours prêts à se déchirer ^atre eux ^ à d^orer
les étrangers, courbés aujourdliui sous des doctri-
nes généreuses , répondant à un bîen&it par mi hiei>-
fait , et adorant un Dieu de paix et de misérîeorde.
Us sont là, silencieux, agenouillés dans unct sorte de
liangar servant d'église, se frappant la poîfcrine et
psalmodiant avec une dévotion vraie ^ les prières et trà
cantiques qu'ils savent par cœur, comme le desservant
le plus assidu de nos cathédrales.
Nous devions appareiller le lendemain, et il me
fut permis de retourner à i^re, pu je jouÂs d'une
surprise d'autant plus agréable^ qu'elle vint seccmder
mes désirs immodérés de curiosité. J'allai rendre
mes hommages à M. Petit , dont la conversation hon-
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D£ t^ASmOIiâBE ET DE LA ZÉLÉE. 264
i^ et mstrnetive aidait tm eharme tout particolier.
Près de loi , nms sur une chaise , était qd: homme
d^ane taille moyenne, d^nn abord aimable et d^une
physionomie ouverte. Son parler était laconique , et
son regard incisif disait encore plus que sa parole.
Pmnt de geste , point de ton dédamateur ; il ne s^em-
parait point de la conversation , maïs il profitait du
silence pour placer son mot, et son mot était une
pensée.
11 était vêtu simplement, mais avec propreté; et
son pantalon à bandes rouges me fit d'abord supposer
que j'avais devant mot un de ces aventureux âoldat» dé
ïïoé armées, cherchant la fortune et la gloire partout
où il y a péril à les conquérir
C'était Thierry.
Thierry, vous savez , le rot des îles Marquises, cet
empereur des archipels, cet autocrate de l'Océanie, ce
potentat de la Nouvelle-Zélande... II était mieux que
tout cela , c'était un homme brave , indépendant , lut-
tant sans relâche contre la tyrannie anglaise , et jurant
de mourir , ou de rendre à ses premiers habitants le
pays dont il s'était emparé.
Il tiendra parole , ce Thierry si fabuleux ; car il me
disait connaître déjà plusieurs chefs qui n'attendaient
qu'un signal , une occasion pour venir renverser cette
puissance anglaise qui les étouffait.
« — Ces hommes bronzés que vous voyez là , me
disait-il encore, apprennent des Anglais bien plus que
la guerre , on leur enseigne à devenir hypocrites et
rusés. Leurs chefs, les plus prudents et les plus belli-
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2C2 VOViGE ADTOta DU uo^w
queux, ont des espions ÎQteliigents dans J^rorRaréka ;
ils amassent des armes, de la poudre, et le jour n^est
peut-être pas loin d'une Saint-BarUiélemy fatale aux
Anglais.
a Je connais à merveille le caractère des Néo*Zé-
landais, poursuivit -il, en s'apercevant que j'éprou-
vais un grand plaisir à Tentendre ; on ne les vaincra
jamais par la force, et les Anglais le savent si bien,
qu'ils laissent souvent impunis le vol , le meurtre et
l'assassinat. Une sentence de mort contre un indi-
gène serait peut-être le signal d'une révolte générale ,
et je ne conseille point à M. William Hobson de ten-
ter l'aventure. Appelez cela prudence, si vous voulez;
d'autres diront que c'est faiblesse; moi, je soutiendrai
que c'est une lâcheté ; et , dès-lors , vous comprenez
que la puissance de la Grande-Bretagne est compro-
mise. L'expérience m'a appris à coloniser , et si j'étais
resté roi, c'est-à-dire si j'avais conservé plus de pouvoir,
si les Anglais n'avaient point usé de félonie envers moi ,
il me semble que là Nouvelle*-Zélande eût été bientôt
un vaste et formidable empire Au reste, j'arriverai
plus tard.
« Que voulez-vous, continua Thierry, en changeant
de ton et en baissant la voix, les Français m'avaient
promis aide et protection; je devais compter sur leur
, parole , j'y avais droit rien n'est arrivé , ni amis ,
ni conseils, ni vaisseaux. Napoléon seul ne fût point
arrivé à Moscow ; ^nnibal seul n'aurait point franchi
les Alpes pour s'endormir à Capouel »
Il y avait de la colère et de la dignité dans les pa-
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DE L^ÀSTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. 263
rôles de Thierry, il y en avait bien davantage dans sa
bouche contractée, dans le mouvement fébrile de ses
lèvres , dans la pâleur de son front. Thierry voulait un
trône, une armée, un empire; il avait deux auditeurs,
une maison de planches , une chaise de paille : ce h^é-
tait pas assez pour cet intrépide aventurier qui man-
quait souvent de pain.
Thierry en savait plus encore qu41 ne disait; mais
il gardait le silence dans la crainte sans doute de fati-
guer mon attention. Je compris sa réserve, et je le ques-
tionnai de nouveau.
— Croyez-vous à l'avenir de la colonie?
— Je n'y crois qu'à l'aide de massacres ou de la
religion ; le premier est la foudre , le second la rosée.
Ce sont les expressions de Thierry.
— Laquelle des deux croyances est-elle plus aimée
dans le pays ?
— Les Catholiques font des progrès rapides et plus
sûrs ; les Protestants soumettent par la ruse et la pa-
tience. I^es Zélandais échajpperotit peut-être aux minis-
tres anglais , ils resteront fidèles, à coup sûr, aux prê-
tres de Rome.
— Quand vous êtes arrivé ici pour la première fois,
aviez-vous des missionnaires avec vous?
— Un seul , c'était moi. Peu importait à ceux que
je voulais convaincre que je fusse vêtu de noir ou de
brun, que mes cheveux flottassent au vent 6u que mon
synciput fût décoré d'une tonsure. J'avais la foi , je
voulais persuader, je réussissais.
— Et maintenant ?
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264 VOyAGE AUTOUR DU MONDE,
— Maintenant, d'autres ra'ont remplacé. Ingrats,
comme presque tous les hommes , ils n'ont teni\s au-
cun compte de mes luttes et de mes progrès. Les mis-»
sionnaires français me sont toujours restés fidèles ; je
suis encore leur ami , et je les seconde, de tout mon
pouvoir , dans leur œuvre de régénération. Si mes
efforts sont souvent infructueux, c'est que je suis dé-
daigné, c'est que ma puissance est morte*
Quant aux ministres anglais , arrivés ici peu de
temps après moi , poursuivit Thierry avec colère, je les
méprise autant qu'ils me haïssent. Non*seulement ils
sont mes enn^nis déclarés, mais ils me nuisent en-
core dans l'esprit des chefs zélandais , en cherchant à
leur persuader que je veux les livrer aux sectateurs
de la héte fauve de Borne. — C'est la traduction lit-
térale de Tinjurieuse et stupide phrase qu'ils emploient
à l'égard des missionnaires catholiques : « Felhws cf
« the beau ofRome. »
Si le canon ne m'avait appelé à bord, j'aurais puisé
auprès de M. Thierry ^e nouveaux et curieux rensei-
gnements; mais à mon grand regret , forcé de le quit-
ter, je lui serrai la main avec affection, et je reçus avec
plaisir l'assurance de sa parfaite amitié.
Le roi détrôné reconquerra peut-être un jour sa
couronne. Dieu le veuille, comme je le veux, conmie
le veut Thierry !
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2â
DÉTROIT DE TORRÈS.
Orages. — îles lioyalty. — Moitirelle CaléAimle»
— Détroll de Vwtvém. — Ile l¥arrlor*ff.
Encore une insolence britannique, encore une de
ces crâneries sur lesquelles on devrait cracher avec do
la mitraille Nous virons au cabestan, le Bu/falo
vire au cabestan; notre ancre dérape, Tancre du Buf-
falo dérape aussi ; nous mettons sous voile, le Buffalo
met sous voile comme nous et navigue dans nos eaux,
et nous escorte à vingt-cinq ou trente milles de la côte.
Là, voyant que nous piquons au N., il nous aban-
donne et va reprendre son mouillage.
Nous avons tnéprisé cette fanfaronnade de mauvais
goût; mais nous devions la signaler pour prouver avec
quelle aménité les Anglais font les honneurs de chez
lu ^*
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266 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
eux, aux vaisseaux des nations amies, lorsqu'ils ont à
redouter une influence rivale. Que ces renseignements
ne soient pas perdus pour Thistoire.
Nous gagnons bientôt les régions inter^tropicalès.
Nous voici en pt*ésence du volcan Mathieu ; l'his-
toire ne dit pas quel Mathieu, d'aventureuse mémoire,
a découvert ce cône élevé au pied duquel pointe une
assez belle végétation, mais dont le front nu est cou-
ronné d'un long panache de fumée et de flamme. De
loin, vous diriez la cheminée d'un bateau à vapeur ou
un navire dévoré par un incendie.
Les 'IS et ^14 mai nous passons à quelque distance
des îles Chabrol et Halgan, où nous découvrons, à
l'aide de nos longues vues, des habitations, des coco-
tiers, des pirogues dont aucune ne se détache de la
plage pour venir saluer notre bonne visite. Eh bien !
dédain pour dédain, laissons courir et voyons la nou-
velle Calédonie.
C'est uaae terre haute, irrégulière, coupée de criques
profondes; de vastes forêts au pied, de vastes forêts
aux flancs des plateaux, de vastes forêts sur leurs
cimes.
Le canal où nous naviguons s'élargit de temps à au-
tre, mais du milieu on ne perd jamais les deux terres
de vue. Les iles Loyalty qui passent à tribord sont bas-
ses, régulières et parées d'une des plus magnifiques
végétations du monde.
Nous devions mouiller en face d'un de ces ilôts;
mais la brise était faite, et dasïs la crainte des calmes k
venir nous changeâmes d'avis et pointâmes vers le cé^
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DE L^ASTftOUBE ET DE LA Zl^LÉE. 267
lèbre détroit de Torrès^ diMit hoas «rioitô taioement
jadis tenté le passage.
De la baie des tt^ au détroit de Torrès^ mais surtout
aux environs de h Douvelle Calédonie, les orages pèsent
sQi^ nous avec une vicdénee àftire briser les mftts. Jamais
éclairs ne furent plus éblouissants, plus rapides ; Fat-
mosphère était en feu , et les roulements perpétuels du
tonnerre joints au mugissement des flots formaient un
rancert et uneilluminaiion à la foisqui Uesëaient notre
vue et reî^aient le porte-vo^x inutile. Grâee à ces flèches
aiguës qui dominent les navires et qui maîtrisent la
foudre, nous avons été épargnés par le fluide électri-
que, quand tout près de nous T^ncelte faisait jaillir *
les flots : notre paratonnerre seul a pu nous sauver de
fdus d^une catastrophe.
Dans ces parages, si calmes d'ordinaire, mais où
les orages passent comme des météores, il est rare que
des torrents d'une pluie lourde et serrée ne pèsent pas
sur les navires en péril. Ici, pour la vingtième fois,
nous en fîmes la rude épreuve; le pont était submergé,
les épaules des matelots brisées, et les voiles criaient
sous la brûlante averse..... Il faut avoir vu ces phéno-
mènes pour les comprendre ; la plume est inhabile à
les décrire.
Voici des terres élevées qui commencent à se dessi-
ner ; ce sont des montagnes abruptes et des brisants à
quelque distance de la côte. Les courants nous dros-
sent, les vents nous sont contraire, nous voilà forcés
de changer de route, et il est écrit que nous épuiserons
nos forces avant d'arriver àce détroit fatal qui seJQue
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268 VOYAGE AUTOUR PC At05DC
de notre prévision et de notre courage! Cependant la
brise se refait de nouveau courtoise et soutenue, nous
lui livrons toutes nos voiles, bonnette hautes et basses,
tribord et bâbord ; et tout pavoises nous entrons enfin
dans ce passage difficile qui sépare la Nouvelle-Hol-
lande de la NouvellC'Guinée.
Ici les courants changent à chaque moment; les
bancs de sable varient selon les caprices de la mer, et
le navigateur qui se hasarde dans ces parages ne doit
faire route qu'avec une grande circonspection.
Le 5i mai nous mouillons près de Tile Darnley, à
Teacheron*s-Bay.
Ce petit ilot^e trois lieues de circonférence et d^une
hauteur de trois cents mètres à peu près est irès peu-
plé; et la vie doit y glisser heureuse et calme. Les ha-
bitants sont noirs, trapus, laids, sales; c^est la Nou-
velle-Guinée , c'est Rawak, c'est la terre des Papous.
Leurs pirogues rappellent celles des iles Salomon et
sont coquettement relevées à la poupe et à la proue ;
on les manœuvre à l'aide de courtes pagayes agitées
avec une grande vélocité. %
Nous sommes descendus à terre; on nous a fait assez
bon accueil, et après une heure de promenade, nous
avons repris le chemin du bord sans laisser ni joie ni
regrets parmi les naturels insoucieux de notre visite.
Le lendemain i ^^ juin nous levons l'ancre et faisons
route à rO; l'Asirohbe nous procédait, nous la sui-
vions de près et nous nous félicitions à haute voix de la
bénignité d'un passage que l'on nous avait dit si redou-
tpble Chez nous et autour de nous, tout respirait le
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DE L^^STROLABE ET PE hi ZÉiËE. 269
bonheur, car chaque inatantnous rapprochait delà pa-
trie, et nous ne craigi^ions plus d'avoir à revenir sur
nos pas; les flot$ étaient sans colère, Thorizon clair
et dégagé; une brise courtoise enflait nos voiles, et
nous glissions sans fatigue dans un canal bordé d'ilote
apparaissants comme des oasis à la surface de la Mer-
Bleue; on y voyait des habitations ombragées sous une
végétation touffue, et des forêts de cocotiers balançant
à Tair leurs tiges élancées, leurs cimes^élégantes; les
indigènes se pressaient sur les récifs pour nous voir
passer, et leurs signaux nous invitaient à nous rappro-
cher d'eux.
Nous naviguions donc avec une pleine sécurité ; évi-
tant à propos les pointes de rocher qui se prolongeaient
sous les eaux, contournant les terres et suivant toujours
le lîtdu chenal, commenousTaurionsfaitavec un pilote
pratique... C'est que ce passage si rempli d'écueils a
été l'objet d'un travail sévère confié aux soins du savant
King. Nous possédons ses cartes qui sont d'une ad-
mirable exactitude, et nous reconnaissons les balises
que le laborieux hydrographe a posées dans les endroits
difficiles.
Mais voici deux passages qui s'ouvrent devant nous :
l'un, spacieux, libre, bien ouvert; l'autre à bâbord
étroit, tortueux, hérissé de récifs... L'Astrolabe prend
celui-ci..... et le capitaine Jacquinot, qui est doué
d'une organisation spéciale pour pressentir le danger,
blâme hautement la conduite du commandant d'Ur-
ville, mais ne l'en imite pas moins, disant avec doq-
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s»
270 fOTÀM AtJTOVR IHJ MONDE
Imt : « Il y va^ lui, il feat bien que je le suite. )» Tout
à coup :
— Haut-fond derant ! crie la vigie.
^-- Laisse courir^ répond M. d^Urville.
Sa corvi^te talonne, se relève, talonne encore et s^é-
elioue.
Nous vîmes Tévénrasent, et au moment où le capi-
taine Jacquinot allait peut^tre ordonner le mouilla-
ge... nous talonnons à notre tour et nous restons en-
sablés.
Heureusement, la brise n'était pas trop forte; mais,
avec le juzant, les corvettes tombèrent sur le coté et
donnèrent toutes deux une bande affreuse. A la ma-
rée haute et à l'aide d'ancres bien mouillées, nous es-
périons nous tirer de ce pas embarrassant..... la
nuit fut mauvaise; un raz de marée d'une extrême vio-
lence nous saisit, nous jeta plus avant sur le récif ; et le
lendemain, complètement envasés, nous nous trouvâ-
mes en plus mauvaise position que la veille.
Les lames déferlaient avec fureur, les grelins cas-
saient, les ancres chassaient sur le fond sableux; nous
avions tous mis la main à la manœuvre avec un en-
thousiasme sans exemple, et il nous semblait impos-
sible que le ciel nous réservât une destinée affreuse
alors que nous avions déjà échappé à tant de périls.
Cependant, si l'espérance était dans nos paroles, la
terreur était dans nos âmes t non la crainte de périr
inm^diatement, mais le chagrin d'être obligés d'aban-
donner nos corvettes et de perdre notre butin scienti-
fique, nos riches collections acquises avec tant de
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 274
8oins, conservées avec tant de peioes ; nos travaux 4e
trois ans perdus en un instant! c'était là une pemée
douloureuse, dont ehaeun rendait M. d'Unrille res-
ponsable.
Chaque instant nous approchait d'une catastrophe;
il fallut donc gérieuseoi^it songer à la vie et se réso-u-
dre à dire un dernier adieu àoos fringantes eofV€ftte8,
On parla d'ordres d'erabarquenient dans les canots
et la chaloupe ; chacun ne devait emporter avec soi
qu'un petit paquet de linge; puis il fut questîmi de
construire, le plus solidement possible, un radeau pro«
lecteur.
Dans cette position critique , notre pensée se repcnia
involontairemeatversle souvenir des malheureux navi-
gateurs que les flots avaient épargnés, ou qui raient
péri dé faim, de soif au ^lilieu de leurs efforts épuisés.
Le nom de Bligh sortit de chaque boucla, et chacun
disait sa dramatique histoire. Écoutes :
C'était un loup de mer, un honune rude, brutal,
intrépide, infatigable. Il ne dormait point ei il ne vou-
lait point que son équipage dormit; il ne mangeait
point, et il voulait que son équipée se so^ioiil eomme
lui à la diète. Toutes ses paroles étaient des eolèpes,
tous ses ordres des menaces, toutes s^ menaees la gar-
cette. Un jour, sont équipais se révolte ; on s'empare
du requin qui n'a de pitié pour personiœ. m Ne crié
pas, ne crie pas, lui dirent les matdots mutinés; nous
ne voulons pas te tuer, mais nous i^ t'obéirons plus.
Nous mettrons le grand canot à la mer aree qg^lqites
vivres, nous t'y jetterons avec quatre matelote, bans
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272 VOYAGE AtTOUR DU MONDE
nageurs, et puis, fouette les flots puisque ton bras a
tant de plaisir à frapper. Adieu, Bligh, bon voyage;
voilà ta boussole; cherche et trouve. »'
Seul, au milieu du vaste Océan pacifique, dans une
frêle embarcation non pontée, Bligh prit son courage
à deux mains et piqua vers TO. ; il vit Touga-Tabou,
et aborda ; il toucha aux lies Fidji, arriva au détroit de
Torrès, le traversa de TE. à TO. et atteignit enfin Timor
aprèsnn voyage de plus de dix4iuit cents lieues.
Nous arriverons à Timor aussi pour peu que Féner^
gie et la constance aient quelque poids dans la grande
balance du Très-Haut. L^arrière des navires était ensa-
blé, et, au passage de chaque lame, L^avant se heurtait
avec une force à ouvrir la carène. A marée basse, les
deux corvettes donnèrent de nouveau une bande ef-
frayante; le point d^appui nous manquait; à chaque
instant nous croyons Theure de la culbute arrivée.
Le commandant dTrville vint à bord; il se concerta
avec le capitaine Jacquinot, et le résultat de la délibé-
ration fut que, si nous étions obligés d^abandonner les
corvettes, nous irions nous établir sur Tllot voisin, où
nous emporterions autant de provisions et de vivres
que nous permettraient le temps et la mer. Delà , nous
pourrions nous mettre en route avec nos enbarcations
et sur un radeau pour achever le passage du détroit,
et joindre Timor si le ciel voulait que nous revissions
encore notre patrie.
Chacun était prêt ; la position était acceptée et le
courage se ravivait aux dangers que nous avions encore
à braver.
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DE l'astrolabe ET DK LA ZÉLÉE- 27o
Le plomb de sonde de t Astrolabe donnait deux
pieds à tribord et quatorze à bâbord; la pente était ra-
pide et offrait quelques chances de succès pour de
nouvelles tentatives; aussi le commandant d'Urville
nous envoya-t-il demander uile corvée de trente hom-
mes pour essayer de remettre sa corvette à flot... « Si
je réussis, et que la Zélée reste envasée, disait-il, eh
bien! nous achèverons la campagne avec un seul na-
vire. » Dans toutes les combinaisons, M. d'Urville pen-
sait toujours à soi le premier.
Nous nous tenions parés à abandonner les corvettes,
mais rien ne nous y obligeait encore, et la journée du
2 juin se passa dans des angoisses continuelles. La nuit
suivante fut pénible ; notre corvette semblait clouée au
banc de sable, et pourtant nous voulions encore tenter
de nouveaux efforts ; nous tenions à épuiser à son se-
cours toutes les ressources humaines. Deux ancres fu-
rent mouillées en croix, nous virâmes au cabestan , le
navire frétilla; nous brisâmes nos poitrines et nos bras
à cette heureuse indication, et nous sentîmes enfin le
balancement régulier de la corvette.
Oh! ce fut alors une bien grande joie parmi nous;
les chansons peu catholiques s'échappèrent des bou«
ches écumeuses en couplets saupoudrés d'une sau-
vage énergie, nous n'avions plus rien à redouter des
menaces de l'Océan; nous voyions devant nous notre
patrie adorée; nous entrions dans le port; nous ser-
rions la main à nos amis ; nous étions chez nous.
Le péril de l'Astrolabe était toujours imminent ; son
inclinaison était de près de 45**, et l'équipage hors d'ha*
u. ^^
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274 yOTAGE AUTOUR DU MONDE
leine Tenait chercher un reftige sur la ZéUe , lorsque
en désespoir de cause^ on fait un nouvel et dernier
effort; et tout à coup le navire flotte.
Dès lors, nos deux équipages respirèrent en liberté^
mais les corvettes avaient beaucoup souffert de leur
^chouage; les fausses quilles enlevées, les cuivres et les
^rdages éraillés, les mantelets de sabord arrachés et
jetés à la cote, attestaient de U violence des seeousses
et des cbpes qu^eUes avaient éprouvés. Nous ne pou-
vions prendre trop de précautions désormais pour évi-
ter de si iarribles accidents, et on résolut d'attendre au
mouillage que le canal fût exploré et balisé. Enconsé-
quense, dfô canots furent envoyés de Tavant pour
sonder et noua assurer une libre navigation. Le passé
devait nous rendre prudents.
Nous occupions le milieu du chenal, et nous avions
à lutter contre les courants qui nous portaient sur les
récifs ; nous assurâmes donc notre position en mouil-
lant plusieurs grosses ancres; mais sur le sable la tenue
n^est pas bonne, et la brise vint à fraîchir de manière
à favoriser encore le fâcheux effet du courant; les
ancres chassaient et la corvette allait de nouveau se
heurter contre les roches.
Nous étions sur la dunette, le capitaine Jacquinot^
M. Dubouzet et moi ; nous déplorions le sort qui nous
menaçait encore de si près.
M* Jacquinot n^avait plus d^ancre à mouiller et le
péril renaissait plus immédiat que jamais. Que faire?
Un matelot s^ avance , prend de Tindex et du pouce
son bonnet et dit en s^inelinant :
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DE l'astrolabe ET DE LA ZELEE. 275
— Salut , commandant.
— Que veux-tu, Got?
— Pas graad'chose, commandant; nous retombons
sur le récif.
— Je le vois bien. Que veux-tu que j'y fasse?
— Dam, si vous hissiez votre grand foc, et si vous
mettiez la barre à bâbord, cela pourrait nous relever.
' — Voyons, Got, répète-moi cela.
— Oui, commandant; si vous mettiez la barre des-
sous et si vous hissiez votre grand foc, le vent étalerait
le courant, et nos ancres ne chasseraient plus.
— Qu'en dites-vous, Dubouzet?
— Je dis que Got a raison, et qu'il n'y a qu'à faire
cela.
— Appelez le maître....
La manœuvre fut faite et les brisants esquivés !.. . .
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25
ILE WMRIOR'S. - TIMOR.
Nous étions debout et parés ; au premier salut de
la brise, nous allions reprendre nos courses, et comme
il nous fallait attendre que le canal fût suffisamment
exploré, nous mimes à profit les heures qui glissaient
lentement sur les corvettes, et nous allâmes visiter
l'île Warrîor's qui est là près de nous, se dressant
de trois pieds à peine au-dessus des flots.
Pendant que nous luttions contre les récifs prêts à
nous briser, les sauvages de cette terre inhospitalière
étaient aux aguets, debout sur la grève ; quelques-uns
se hasardaient sur les madrépores, touchaient à nos
manœuvres, montaient à bord et semblaient désirer
la perte des corvettes, afin dVxploitér plus tard notre
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278 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
fâcheuse position. Mais nous avions des armes, nous
ne manquions pas de coeur, et nous n^étions pas gens
à nous laisser dévaliser ou massacrer par des hommes
dont les armes n^étaient que de faibles sagayes et
d^impuissants casse-tétes.
Ces naturels sont d'un noir peu foncé, comme de la
suie ; ils ont les cheveux crépus et par petites mèches,
ou en touffes et tordus ; les jambes et les bras d'une
maigreur extrême; les pieds et les mains d'une pro-
digieuse grosseur. Cependant ils n'ont ni la laideur,
ni l'apparence stupide des habitants de la Nouvelle-
Galles du sud, et l'on dirait qu'il y a eu croisement de
race entre ceux-ci et les insulaires des Salomons.
Nous descendîmes à terre ; mais soit que les sau-
vages craignissent de laisser dans le cœur de leurs
femmes trop de souvenirs de notre visite, soit qu'ils
fussent naturellement jaloux de leur propriété, ils
enfermèrent au milieu de leur lie leurs chastes moi-
tiés et leurs filles; et je le dis à notre louange, nous
ne fîmes aucun effort pour franchir le triple cordon
sanitaire qui mettait obstacle à notre courtoisie.
Les cases de ce peuple que je suppose nomade
d'après certains indices du géologue, sont solides et
bien abritées. On les a bâties dans de petits enclos se-
més de palissades ) et l'intérieur est divisé en petits
compartiments destinés chacun à quelque besoin sé-
paré du ménage; au total, cela est propre, bien en-
tretenu 9 cela est infiniment supérieur aux cabanes dé-
solées et à jour des naturels de la Nouvelle-Hollande.
Leurs pirogues sont bien taillées et bien pagayées;
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BE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 279
ils ont des voiles de pagne, et ils les manœuvrent avec
une merveilleuse adresse.
Quant à leurs tombeaux, vous les voyez ornés et
couverts d'amas de côtes et de têtes de douyong, ani-
mal amphibie, appartenant à la grande famille des
cétacés, très commun dans ces parages, et entourés
de grandes perches, au haut desquelles flottent des
banderolles de feuilles de cocotier et de pandanus : le
culte des morts est une religion dans tous les pays de
la terre.
Je vous ai dit que je croyais avoir affaire à un peuple
nomade. En effet,, ils ont là, auprès de leurs demeures,
de grands blocs de granit et de basalte que le» flots,
à coup sûr, n'y ont pas portés, tandis que, non loin,
à cinq ou six lieues. Ton doit en trouver des masses
énormes dans toute cette mystérieuse nouvelle Guinée,
dont une partie dès côtes est à peine connue* J'ajoute
que cette île n'en est séparée que par des récifs et
des bancs madréporiques qu'on peut presque suivre
de l'œil dans les basses marées.- Ce sont ces variétés
de terrain, ces gisements divers des bancs de sable ou
de corail, ce sont ces hauts et bas-fonds dont les mous-
sons se jouent à leur gré, qui rendent le détroit de
Torrès si fatal aux navigateurs : vous savez l'immi-
nent péril auquel nous venons d'échapper avec tant de
difficulté.
Comme il n'y a pas d'eau douce à l'île Warrior's,
les naturels conservent celle du ciel dans d'énornaes
bénitiers qu'ils abritent dans leurs cases. Leur nour-
riture consiste en poisson et en coquillages ; ils ont
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280 VOYAGE AUTOUn DtJ MONDE
peu de fruits; seulement de rares cocotiers promènent
dans les airs leur chevelure flétrie, et vous comprenez
que ce lieu de désolation n^est peut-être qu^une halte
passagère pour les insulaires que nous y avons trou-
vés : à coup sûr la Nouvelle-Guinée est leur véritable
patrie.
Nous partons; t Astrolabe ouvre la marche et nous
précède de vingt-quatre heures éclairée par quatre ca-
nots dont le brigadier a constamment le plomb de
sonde à la main. La corvette talonne sur un récif,
mais arrive enfin aux grandes eaux et nous attend.
A notre tour, nous naviguons à petites voiles, et nous
mouillons bientôt à côté de notre compagne de voyage.
liC lendemain tout était accompli pour cette passe dif-
ficile du détroit de Torrès.
Devant nous, à tribord et à bâbord, nous voyons se
dresser un assez grand nombre de petites îles, dont
quelques-unes basses et boisées; d'autres élevées et ri-
ches cpmme les premières d'une végétation vigoureuse.
A quelque distance des corvettes les canots sondaient
toujours; et nous vimes un assez grand nombre de
pirogues se diriger sur eux. Nos camarades, bien ar-
més, et qui n'avaient rien à craindre de leur voisi-
nage, n'en continuèrent pas moins leurs pénibles opé-
rations, et grâce à leur infatigable activité, nous fran-
chîmes enfin, sans nouvel échec, le détroit dangereux.
Nous voici au large, nous respirons à l'aise, le ma-
telot pourra se reposer et dormir, l'officier quitter
pour quelques instants son banc de quart, et nos repas
seront sans amertume.
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DE li^ ASTROLABE ET DE hk ZÉLÉE. 28J
^ Encore quelques mots de l'ile Warrior's el du chef
de la peuplade que nous y avons visitée.
Il me sembla mieux taillé que la plupart de ses
sujets^ et avoir aussi plus d'intelligence. 11 vint le pre-
mier à bord, gesticula y parla, gambada, observa tout
arvec une grande curiosité , et nous fît comprendre
qu'il désirait savoir si tant de merveilles étaient ve-
nues du ciel. Dès que nous descendions à terre, il était
là pour nous recevoir; et à notre départ, il nous mon-
trait du doigt la route à suivre, sans oublier surtout
de nous indiquer celle qu'il nous fallait prendre pour
nous éloigner tout à fait. C'était une courtoisie dont
nous lui tenions compte, et plus que lui, nous dési-
rions bientôt nous voir loin de ces tristes parages.
J'ai tout dit; je crois, sur les événements des jours
passés. Les corvettes cinglent coquettement vers des
mers plus profondes, livrons toutes nos voiles au
vent, et félicitons-nous des périls que nous visnons
de courir, puisque nous aurons quelque chose de
plus à raconter, et qu'il nous sera permis de payer
à nos deux équipages le tribut d'éloges auxquels ils
ont droit pour leur énergie et leur infatigable persé-
vérance,
La route est belle et large, les courants nous vien-
nent en aide, et nous ne tarderons pas à découvrir les
premières îles, avant-postes des Moluques, au milieu
desquelles se dressera Timor l'indomptée.
En effet, voici une terre qui pointe à l'horizon;
en voici une autre, puis une troisième s'y groupant
aveq harmonie, et si la brise continue, nous mouille-
n. 86
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282 VOYAGE AUTOUIl DU MO?iDE
rons aujourd'hui même dans la rade de Koupan^j.
Mais il y a un canal à franchir; nous le dépassons,
puis nous revenons sur nos pas, et nous comprenons
bjQn que la nuit se passera sous voiles. L^équipage
a pourtant besoin de repos ; il a été écrasé par tant
de fatigues, il s'est brisé contre tant d'écueils, que le
calme d'un port azuré lui est devenu indispensable.
Au reste, il a derrière lui les immenses rubans de
mers qu'il a sillonnés ; il a devant le beau-pré l'espace
qui lui reste à parcourir, sa patrie qu'il va bientôt sa-
luer; et son cœur s'ouvre à l'espérance, et ses forces
renaissent, et son courage grandit.*
Timor est là entourée de Rottie, de Savu, de Simao,
de Kéla, de Bao et de Denka. Je ne vous parle pas
d'Ombay, terre d'anthropophages se dressant non
loin de là comme un phare fatal au voyageur; mais
la cîme de Lifao se dégage des brumes qui la voi-
laient, nous étudions le gigantesque paysage qui se
déroule à nos yeux, et bientôt nous laissons tomber
l'ancre dans la rade malaise, à deux encablures du
rivage, entre le fort Concordia, à droite, et le temple
chinois, à gauche, dominant la plage et la ville.
Quelques mots sur l'histoire générale de ce pays si
curieux, les détails viendront plus tard.
Les Hollandais en firent d'abord la conquête et s'éta-
blirent à Coupang, rade fort bien abritée. Plus tard,
les Portugais mouillèrent dans le port de Dielhy; et
sur une plaine riche de la plus belle végétation du
monde, à côté d'une imposante forêt, ils jetèrent les
fondements d'une colonie nouvelle. /
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DE l'aSTROUBE Eï DE U ZELEE. 285
La Hollande s'en émut, et protesta contré ce qu'elle
appelait une uisurpation; le Portugal laissa dire et en-
voya une frégate pour protéger ses droits. Un accord
fut signé par les deux peuples; chacun s'abrita le
mieux possible sur le terrain qu'il s'était choisi, et ils
agirent avec prudence, car les Malais qu'on venait sou-
mettre, se révoltèrent à leur tour et massacrèrent les
nouveaux -venus dès qu'ils purent compter sur l'im-
punité.
Le canon a la voix retentissante ; il fit taire les ra-
jahs insurgés qui vinrent à tour de rôle déposer leurs
sceptres entre les mains du gouverneur, lui promirent
l'impôt, et lui demandèrent sa protection pour toutes
les guerres qu'ils auraient à soutenir contre leurs voi-
sins. C'est ce que demandait la Hollande; car, moins
elle eut d'ennemis à combattre, plus sa puissance ac-
quit de force. Aujourd'hui elle est souveraine de la
plus grande partie de; l'ile; mais, il faut le diFe, elle est
mioms aimée que redoutée, et chaque année elle a des
révoltes à punir.
Le Portugal a conquis et pacifié à la fois; il envoya
à Dielhy ceux de ses sujets dont il était mécontent :
c'était une déportation, mais il Içur donnait plein pou-
voir; et, dans le but de s'enrichir, les divers résidents
qui se succédèrent, traitèrent avec une grande bonté
les rajahs voisins, qui leur apportaient des vivres, des
armes, de la cire et de l'or.
Depuis bien des années Coupang est statiohnaire ;
depuis quelque temps Dielhy s'agrandit et s'occupe de
commerce; Dielhy deviendra un jour yne colonie fla-
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28^4 V0TA6E AUTOUR DU MONÙE
pissante ; à mdns que la Hotïande ombrageuse ne
proOte des dissensions de la métropole pour anéantir
ses comptoirs.
Quand mon camarade Arago a tisité les deux colo-
nies y les populations étaient malaises pur sang. Au-
jourd'hui Coupang est peuplé d'une race croisée : ce
sont des Hollandak, des Belges, des Allemands qui
ont épousé des Malaises, et dont les enfants s^appli-
quent aux études des arts et des lettres ; il y a des écoles
publiques à Coupai^ ; tout le monde y apprend à lire,
et c'est un pays presque civilisé. Toutefois gardez-voua
de vous étoîgner de la viljte, car votre vie est en péril ;
et ce qui peut vo^ts arriver de plosheoreux, e'est d'être
seulement dévalisé.
Quant aux Chinois composant la portion la plus
compacte de U population de Coupang, il» sont ici,
comme partout^ parqués chez eux, trafiquant avec les
étrangers, et les friponnairt selon leur ni^le habitude.
Non-seulement ils vendent des porcelaines, des ame-
lettes, des cigares, des étoffes et toutes sortes (fe baga-
telles ciselées en ivoire ou en sandal; mti^ ils ont
aifôsi le numopole presque exclusif des c^ux^ des ca«
rottes, des cocos^ et autres approvisionnements des
navires^
Je voofi défie, voos et vousy d'échapper aux Clmiots^
quand il n'y en aurait qu'an dans une cotoôie.
A Dielhy, les Chinois ont moins de puiss^ace, et ik
paient impôt au gouverneur. Arago vous dit da0s ses
Sou^^rs ce que, d'ordinaire, ils offrent aux éla^àngers;
c'est à vous de voir si vous voulez faire acquisition.
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DE l'astrolabe et DE LA ZELEE. 285
Le gros commerce du pays consiste en bois d'ébène,
de sandal et en or; toutefois les mines y sont faible-
ment exploitées, quoique immensément riches. Deux
Européens seuls se chargent des grandes affaires de
négoce ; mais comme les arrivages sont fort rares et
la coupe des bois très coûteuse, la fortune vient lente-
ment, et l'avenir ne s'y déroule pas sous des couleurs
éblouissantes.
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2Â
LE BUFFLE.
Le Buffle est Pun des plus redoutables et en même
temps Fun des hôtes les plus utiles de Timor; disons
comment on lui fait la guerre pour s'en nourrir, disons
comment on s'en rend maitre pour l'employer aux
usages domestiques.
Ce n'est pas proprement dit une chasse dont je veux
parler, mais un combat, un duel à mort; c'est la co-*^
1ère ardente en lutte contre l'adresse et le sang-froid ;
c'est un seul coup de corne donné, un seul coup de
crish vigoureusement appliqué. Tout est dit et fait;
le duel ne se prolonge pas au-delà de quelques minu-
tes, une seule suffit souvent aux deux athlètes.
Si ces buffles sont réunis par bandes et font crier le
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288 VOYAGE AUTOUK DU MONDE
sol SOUS de rapides bonds, il est rare de les voir s^ atta-
quer aux hommes; vous croiriez qu^ils dédaignent une
violence qui ne peut leur être funeste. Aussi les Ma-
lais, dès qu^ils entendent le retentissement de la terre
sous les pas du troupeau, ne se hâtent-ils guère de
gagner un asile sûr, car ils savent, par expérience, que
nul danger ne les menace. Ce n'est pas d'ailleurs con-
tre une masse si formidable et si compacte qu'ils ose-
raient se révolter ; nulle puissance n'arrêterait l'avalan-
che de buffles excités par la colère.
Mais quand le quadrupède ruminant a quitté sa nom-
breuse famille, quand il broute seul sur une vaste plaine
et qu'il voit venir à lui le farouche Malais, oh ! alors sa
queue s'agite, ses narines se gonflent, sa langue ver-
dâtresemeut incessamment, ses lèvres tremblent, tout
son corps frémit, sa peau se ride, ses yeux se voilent à
demi comme pour affaiblir le jour trop puissant qui
les irrite ; il frappe la terre de ses de«x sabots . il recule
de quelques pas, il prend de l'espaee et part...
Le Malais reste là de pied ferme , il tient dsm sa
main le redoutable crish qu'il fait tournoyer avec tant
d'adresse, il attend que la bète furieuse l'inonde de son
haidne brûlante , et c'est alors qu'elle n'a pins qu'à
baisser la tète et à lancer à l'air son ennemi que celui-
ci, par un saut rapide, se jçtte de côté et abat les jar*
rets du buffle qui tombe en poussant de lugubres mu*
gissements.
Gela est téméraire, sans doute; nraîs si vous avez as^
sisté à une belle course de taureaux à Valence, à Gre-
nade ou à Madrid ^ vous ne serez pas «i^ris de tant
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DE L^ASTEOLABE ET DE LA ZÉLÉE. 289
d^audace; les toreadares espagnols se font en quelque
sorte un amusement de ce périlleux exercice.
Gardez*vous Uen de croire cependant qu'un pareil
combat tourne toujours à Tavantage du Malais ; Tins-
tinct du quadrupède lui vient souvent en aide , et il
n'est pas rare de voir le fougueux animal lancé de toute
la rapidité de ses jarrets s'arrêter tout à coup, esquiver la
lame flamboyante et abattre le Malais pour l'acbever
ensuite de son museau et de ses sabots rugueux.
Ici encore les fossés recouverts de branches et de
feuillages sont employés pour la conquête des buffles,
et c'est un spectacle curieux que de suivre de l'œil les
rapides élans de la bête allant à la rencontre de l'hom-
me immobile qui l'attend au-delà du fossé dans lequel
elle tombe avec un fracas horrible.
Si elle n'est pas très mutilée, on ne l'abat point; mais
on la laisse là pendant plusieurs jours sans nourriture
et sans boisson, et lorsque ses jambes affaiblies fléchis-
sent, un Malais descend dans le fossé, troue la narine
du quadrupède , pose presque sous ses lèvres une am-
ple provision d'herbes; l'animal prend sa nourriture,
ressaisit ses forces, et c'est alors qu'à l'aide de solides
courroies dont les bouts sont amarrés à des troncs
d'arbres, elle remonte par une pente facile, et regagne
la plaine où on la parque pour les besoinsi de la co-
lonie.
Jamàisbuffle n'a été parfaitement apprivoisé, jamais,
à Timor au moins, on n'est parvenu à l'employer au la-
bour des terres. Il faut de la liberté à ce formidable
quadrupède , et l'-on dirait qu'il a pris quelque chose
II. 37
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290 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
des mœurs farouches et indépendantes des peuples au
milieu desquels il a été jeté.
On a vu quelquefois un Malaiâ, go^ûé de vitesse par
le buffle irrité, s'arrêter tout à eoûp/ faire volte^ace
à son ennemi, tomber à terre sur le dos ait iDoment
où le front delà bête furieuse allait TaUeindre, et la
frapper de son glaive au ventre quand elle pion*
geait sur. lui. Ainsi font également les Patagons à
Taide de leurs fusils, lorsque le jaguar s'élance sur
le poitrail du cheval qu'il croit sans défense, parce
qu'il ne porte pas son cavalier. Mais vous comprenez
conibieu le danger du Malais est plus immiaent en-*
core, puisque le monstrueux quadrupède qui frappe
dans le vide avec se^ cornes, son front et seè épaules,
le broie souvent sous ses pieds gigantesques et sa masse
colossale. Aussi n'est-ce que dans un moment dé lutte
désespérée que le naturel de Timor einploie le moyen
périlleux que je viens de vous indiquer, et alors que
tout espoir de salut par la fuite lui est enlevé.
On trouve de nombreux témoins des combats à mort
du boa contre le buffle, combats dans lesquels celui-ci
est toujours vaincu ; mais il n'y a pas d'exemple qu'un
crocodile se soit jeté sur le redoutable quadrupède
pour essayer de le soumettre. Au contraire, l'on a vu,
a Boni surtout, fréquentée par les alligators, le buffle
et l'amphibie se promenant à quelques pas de distance
l'un de l'autre sans se plaindre ou s'étonner même du
voisinage.
Leur instinct de destruction leur apprend sans doute
qu'il doit y avoir accord entre eux pour miieux dispu*
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 294
ter aux hommes la conquête d'un pays 3ont jusqu'à
présent on a Tainement cherché à les exiler. La même
harmonie paraît régner entre le boa et le crocodile ,
tandis que le buffle et le monstrueux reptile sont eii
gu^re permanente.
Que de faits curieux à approfondir! que de courages
lassés à la recherche de certains secrets guidant l'ins-
tinct des animaux que Dieu a jetés sur la terre !
Il parait que la servitude des buffles de Timor n'a
jamais pu être parfaitement complète, quelques soins
que les dompteurs eussent d'ailleurs pour leurs escla-
ves; car sit6t qu'on voulait s'en servir pour amener
à l'obéissance les buffles sauvages, ceux-ci, au lieu dé
ranger du côté des vaincus, les animaient au con-
raire par leurs terribles beuglements, les excitaient à
la révolte à coups de cornes, et parvenaient enfin à les
mettre à la débandade. C'était alors, une avalanche
foudroyante, une dévastation générale, une éruption
de laves dévorantes, un monde pour ainsi dire boule-
versé. Aussi les Timoriens se virent-ils bientôt forcés
de renoncer à ce genre d'attaque, et se trouvent-ils
aujourd'hui dans leurs vastes solitudes ifttérieures
contraints à de bien grandes précautions pour échap-
per aux fureurs de ces redoutables quadrupèdes, qui
se ruent indomptés contre tout ce qui se meut devant
eux.
Le plus sûr moyen de s'en^arer d'un buffle est de
se saisir d'abord d'une femelle, de l'attacher vigou-
reusement à un arbre à l'aide d'un gros anneau de
fer passé au naseau, et d'attendre qUedeux buffles ri-
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292 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
vaux viennent se disputer la possession. G^est aloi*s un
combat à mort, mais un combat d^une minute au plus*
Les deux amoureux quadrupèdes arrivent par bonds
retentissants de deux côtés opposés. Les voilà en pré*
sence Tun de Tautre, se mesurant, grattant la terre de
leurs rudes sabots, jetant autour d^eux des élans de co-
lère et de rapides bouffées d^une fumée noireet brûlante.
Leurs flancs se gonflent et se resserrent oomme un im-
mense soufflet de forge; leurs jarrets tretnblottent,
leur peau se ride et frémit, leur langue tombe et se
relève comme une nappe rougeâtre tourmentée par
le vent, et leur queue , incessamment mouvementée,
siffle avec une vibration perpétuelle.
Les adversaires ont accepté la lutte; ils s^éloignent
alors à petits pas sans cesser de se regarder face à face;
ils reculent, ils reculent encore, et quand vous croyez
qu^ils se sont volontairement et d'un commun accord
disposés à une retraite, vous entendez un cri lugubre
sortir de leur poitrine haletante, et s'élançant de toute
la rapidité de leurs jarrets, ils se heurtent au plus fort
de leur course, et pareils à deux navires qui s'abor-
deraient grand largue courant à contre bord, les fronts
des buffles s'ouvrent et l'un des deux adversaires au
moins tombe, se raidit et meurt en vomissant des flots
énormes d'un sang noir et globuleux.
On voit parfois deux buffles s'attaquer ainsi dans
leur colère et tomber ensemble inanimés sur le sol.
Cependant, il n'y a pas toujours de femelle auprès
d'eux qui vienne justifier la violence de leur rage. Ils
se tuent peuL-étre pour une poignée de gazoii. La vie
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DE L^iSTEOUSE ET DE hi ZÉUE. 295
du buffle est une querelle sans relâche ; il s'attaque
aux troncs séculaires qu'il cherche à renverser quand
nul être ne s'agite autour de lui pour qu'il puisse l'at-
teindre.
On comprend à merveille les appétits de destruction
du tigre, du lion, de la panthère, du chacal; m^is le
bufOe, par sa colossale structure et ses formes disgra-
cieuses, ne devrait vivre que dans i'inaction. l\ n'en
est pas ainsi pourtant, et le hideux quadrupède ne s'é-
chappe d'une mare boueuse que pour se vautrer dans
le sang.
On a remarqué que presque tous les animaux féro-
ws se sentaient abattus, saisis de frayeur aux approches
soudaines de quelque phénomène atmosphérique. Les
chiens, les chèvres, les chevaux, les éléphants cher-
chent un abri contre les éruptions volcaniques avant
même que le cratère ait vomi ses laves; et c'est même
à cette sorte d'agitation fébrile de ces quadrupèdes
qu'on reconnaît d'ordinaire les ouragans, les tempê-
tes et les tremblements de terre qui doivent bientôt
éclater.
Eh bien ! le lion et le buffle seuls ne sont point sujets
aux terreurs qui poursuivent même l'homme dans ses
demeures le plus solidement construites. Sitôt que la
foudre envahit l'espace, sitôt que l'éclair brise la nue
et embrase le ciel, aji moment où, poussant à l'air d'é-
normes blocs de roche, la gueule du volcan vomit une
longue colonne de feu qui semble vouloir déclarer la
guerre aux astres, ce formidable quadrupède, comme
s'il se croyait ciîssez fort pour lutter contre de si terri-
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294 VOYAGE AUTOim DC MONDE
bles destructeurs , ft^appe le sol de ses sabots, rugiî,
bondit ainsi que les blocs arrachés aux entrailles de
la terre et court furieux, renversant tout sur son pas<-
sage...
Âut approches des coups de vents si terribles dans
les pays équatoriaux, il n'est pas rare non plus, alors
que la mer immense se rue sur le rivage qu'elle cou^
vre, de voir les buffles se poser comme d'ardents gla-
diateurs en face de l'Océan qui se gouQe, menace et
Tenvahit, comme s'ils voulaient le provoquer à un com^
bat singulier.
N'essayez pas, au milieu de ces cris ardents, la con-
quête du buffle ; rien ne vous sauvera de ses corntw
rudes et noirâtres, si vous osez l'attendre et le braver.
C'est une montagne qui se rpule sur vous avec un hor^
rible fracas ; et quand votre cadavre en lambeaux sera
étendu sur le sol, le buffle, peu satisfait d'une si faible
conquête, viendra l'insulter en le broyant sous ses na-
seaux de feu, sous ses jarrets impatients. Lui, voye^-
vous, quand il a vaincu, tué, il mutile l'ennemi qui a
eu l'audace de le braver.
Il n'est pas rare de trouver après ces bouleverse-
ments de la nature auxquels sont exposés la plupart
des pays volcaniques, les cadavres à demi-consumés
de quelques buffles qui, excités par les rugissements
des feux srouterrains, s'élancent vers la cîme des monts
et ne s'arrêtent que lorsque la lave dévorante les a, pour
ainsi dire, cloués sur le mont envâlii.
Combien de fois aussi des buffles brisés sur leç ga-
lets de la plage ont-ils roulé, enlevés par la lame au
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DE l'âSTROLA^ et Di: LA ZÉLÉE. 295
sein de laquelle ils n'avaient pas craint de se plon-
ger.
N'est-ce pas un bienfait du ciel que ces vengeances,
que cette guerre des éléjpfients contre un si dangereux
quadrupède qui, funestement doté d'une force si pro-
digieuse, n'a pas plus de générosité que le tigre et la
panthère?
A Dielhy, les Malais soumis au résident sont tenus
de payer au gouvernement portugais, en buffles ou en
porcs, un certain impôt presque toujours taxé à l'a-
miable.
Or, que font les farouches naturels qui habitent
l'intérieur des terres inconnues? Ils placent d'immenses
nœuds coulants aux abords des bois où les buffles vont
se mettre à l'abri des rayons du soleil à pic; et quand
le boa voraee s'élance sur un de ces quadrupèdes pour
satisfaire sop appétit; ceux qui échappent à se^ replip et
à ses étrolates coui|^||t dans toute la plaine ouverte et se
prennent aveuglément au piège qu'ils n'ont pas eu le
t^ps d'éviter.
3e ne sais pourquoi il y a un grand nombre d'aui,
maux auxquels vous remarquez des instincts qui se
rapprochent des sentiments de l'homme même enor-
gueilli de sa supériorité. On accorde quelque gran-
deur d'âme au lion, de la finesse au renard , de l'as*
tuce au singe^ de l'hypocrisie au crocodile... Eh bien !
on ne prête aucune sorte de mérite ou de vice au buf-
fle; on n'est pas plus généreux envers le bison, et l'on
croit voir marcher, bondir, se rouler, beugler et brou-
ter des niachines se mouvant par hasard et prêtes ^ se
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296 VOYAGE AUTOUB DC MONDE
ruer contre les troncs d'arbres aussi bien qtie contre
les hommes.
Lorsqu'une des deux colonies portugaise ou hollan-
daise estfrappée par la famine, les gouverneurs ordon-
nent des chasses aux buffles, et Ton est témoin alors au
sein des vastes solitudes de cette lie vigoureuse, si dé-
chirée, si poétique, si eiffrayante dans tout son aspect, de
luttes terribles entre des populations armées de javelots,
de flèches empoisonnées, de crishet de fusils contre ces
quadrupèdes aux épaules robustes, aux jarrets nerveux,
aux cornes acérées ; luttes formidables où le sang coule
à flots pressés de part et d'autre et où le quadrupède
vaincu sert de pâture au vainqueur. Celui-ci tue et dé-
vore; celui-là tue et mutile.
Quel est le plus généreux? Si les buffles raisonnaient,
ils se diraient plus magnanimes que les Malais.
J'ai vu les uns et les autres. Le Malais est plus cruel
que le buffle.
Gardez-vous de tous les deux.
Ainsi donc, voilà un pays sur lequel la brise se pro-
mène ardente et dévorante, voici une terre où tout est
en hostilité flagrante, où le caillou est en guerre avec
le caillou voisin, où l'arbuste veut vivre aux dépens du
colosse qui l'abrite et le protège , où le rima et le mul-
tipliant qui occupent tant d'espace, marient leurs che-
velures diverses comme pour se disputer la souverai-
neté du sol sur lequel ils pèsent et celle de l'air qu'ils
envahissent. Voici une ile où la terre tremble souvent
comme la mer qui veut l'engloutir, et au milieu de la-
quelle elle s'est insolenMnent dressée dans un jour de
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DE L^ASTEOLABE ET DE U ZÉLÉE. jSfedT
terrible conquête; une masse immense de laves d^où
les feux intérieurs s'échappent avec fracas pour inBuL
ter aux feux du ciel vomis au milieu des tempêtes ôquci-
toriales.
Et voyez encore les singuliers habitants de cette i)^
gigantesque , le crocodile infestant les rades ^ les ri-
vages où le voyageur ne trouve aucune sécurité, le cro-
codille, effroi des eaux et de la terre, des poissons et
des hommes ; voyez le boa promenant ses spirales
meurtrières au milieu des déserts intérieurs et parmi
les troncs séculaires des forêts, et le buffle hurlant
comme la cataracte, bondissant comme elle, et le Ma-
lais pluscruel, plusféroce, plusindomptéipie^e buffle,
le boa et le crocodile ; le Malais dont chaque parplc est
une menace, dont chaque menace est la mort I
Visitez donc Timor, vous qui aimez les voyages et
les sauvages harmonies, étudiez Timor, vous dont lea
flèches d'un soleil brûlant crevassent le corps sana
amortir le courage, et dites-moi ensuite ce que vous
pensez de cette Europe régulière, alignée, tirée au cor-
deau, où ne souffle que le tiède zéphir, où ne s'agitent
que des nains, où ne se promènent jamais l'ouragan,
le boa, le crocodile, le buffle et le Malais avec soncriéh
trempé dans le Bohon-Hupas.
A côté de cette Timor, dont le nom fatal est peut-être
emprunté à la langue latine , sont plusieurs groupes
d'îlots détachés sans doute de leur mère par quelque
commotion sous-marine* Là se dresse Kéra, toute par-
fumée de son éternelle végétation balsamique, mais où
le gigantesque alligator vient baver sous les élégants
Ji. 38
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298 TOTÂGE AUTOUR DU MONDÉ
panaches du bananier. A côté de Kéra s*allongeSayu,
qui donne la main à Simao, à Rottie et à Denka, dont
les forêts naturelles sont si régulièrement plantées,
qu^on les dirait échelonnées par la main habile des
hommes ; eh bien ! toutes ces liés visitées par le croco-
dile et le boa, nourrissent de nombreux troupeaux de
buffles paisibles et sans colère, qu'on emploie à la cul-
ture du sol et aux besoins des populations.
Expliquez cette différence dans les mœurs et les ha-
bitudes des quadrupèdes, vous qui trouvez une cause
à tout effet.
Je vous dis ce qui est, apprenez-^oi pourquoi cela
est ainsi et pas autrement.
Est-ce qu'il suffit de toucher à Timor pour se sentir
une vie plus active, un sang plus chaud, des nuits plus
tourmentées, des jours plus orageux? cela pourrait bien
être; il y a des pays corrupteurs de tout sentiment no-
ble, comme il y a des zones sous lesquelles se brisent
les membres, s'émousse la force, s'aliène la raison.
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2S
PHYSIONOMIE DE LA CAMPAGNE.
En quittant Timor, nous pouvions regarder noire
mission comme accomplie , car nous rentrions chez
nous, et les relâches qui nous attendaient étaient plu-
tôt des points de repos que des haltes pour l'étude. —
Bourbon, Maurice, le cap de Bonne-Espérance, Sainle-
Hélène, tout le monde a été là Un homme surtout
a été à Sainte-Hélène, et cet homme c'est celui. dont
nous irons pieusement visiter la tombe
Cependant le commandant avait quel(Jues graves con*
fidences à nous faire , puisqu'il nous convoqua tous à
bord de t Astrolabe^ le jour raeme de notre départ de
Coupangle2Sjuin.
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500 VOYAGE AUTOUR DU MOINDE
Après une courte allocution sur les principaux évé-
nements de la campagne ; il nous dit qu^l la considé-
rait désormais comme terminée; que par conséquent
nous allions prendre la date de France , et porter ce
jour le 26 sur nos journaux*.
Le commandant ajouta : que dès notre prochaîne
halte nous rencontrerions des camarades , des amis,
des détracteurs peut-être. . . ; que sauis doute nos travaux
se verraient en butte à bien des récriminations ; que
Ton nous questionnerait sur la direction générale de
la campagne , sur Futilité des relâches, sur les résul-
tats de nos courses et que, pour être à même de dis-
cuter ces matières avec une entière connaissance de
cause, il nous fallait entendre les instructions du mi-
nistère. »
Il lut:
Lettre du Ministre de la marine d M. Dumont d'Urville^ capitaine
de vaisseau^ commandant l'expédition des corvettes
l'astrolabe et la z^lée, ci Toulon; pour lui servir d'ins-
truction relativement au voyage de découvertes
qu'il va entreprendre.
Paris, le 36 adût 1837.
a Monsieur, le plan du voyage scientifique que vous allez
entreprendre avec les corvettes l'Astrolabe et laZélée^ pro-
posé par vous-même et modifié selon les indications don-
* Dans le chapitre suivant , je donne la raison de ce changement
de date, qui tient à ce que nous avons fait le tour du monde par
ro. Si nous l'eussions fait par TE. y nous aurions compté un jour de
plus.
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DE l'astrolabe ET DE LA zétEE. 504
nées par le Koi , a définitivement reçu l'approbation de âa
Majesté.
« Les travaux que vous avez exécutés dans vos précé-
dentes campagnes , les études auxquelles vous vous êtes
livré dans le cours de trois expéditions *, dont la science
était le but principal , l'expérience que vous avez acquise ,
vous donnaient en effet le droit de proposer vos idées sur la
direction à suivre dans une expédition nouvelle, ayant pour
objet de compléter la masse des renseignements recueillis
par vous-même et par d'autres navigateurs, sur des pa-
rages encore imparfaitement décrits et cependant fort in-
téressants à connaître sous les rapports de l'hydrographie,
du commerce et des sciences.
« Vous avez pu d'avance m^iter le plan de cette canipa*
gne, ^ étudier les détails, en calculer les résultats pos-
sibles, en prévoir les difficultés et combiner par la pensée
les moyens d'exécution à employer pour en retirer tout le
fruit qu'elle peut produire.
« Aussi me suis-je empressé de mettre à votre disposition
toutes les ressources qui vous ont paru nécessaires, devons
entourer de collaborateursf>ossédant votre confiance, et de
déférer à toutes vos demandes, en ce qui concerne l'arme-
ment de V Astrolabe et de la Zélée.
« Je suis donc fondé à attendre beaucoup de la mission
que vous allez remplir , et je suis bien persuadé que de
votre côté vous ferez tous vos efforts pour justifier et peut-
être dépasser ces espérances.
« Les instructions que j'ai à vous tracer sur la conduite
* lo De 1819 à 1821, sur la corvette la Chevrette, capitaine Gaul-
tier, dans la Méditerranée. — 2° De 1812 à 1825, sur la corvette ia
Coquille, capitaine Duperrey, autour du monde — 5o de 1826 à 18^29,
Sur la corvette V Astrolabe , capitaine d^Urville, dans TOcéanic.
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502 VOYAGE ALXOUA DO AlOr^DB
;
à tenir dans le cours de votre campagne ne comportent pas
de longs développements. Je vous ai déjà transmis , en
effet , un mémoire rédigé au Dépôt général des cartes et
plans de la marine, qui contient T indication des questions
les plus intéressantes à résoudre sous le rapport de T hy-
drographie. Je vous ai adressé aussi des instructions spé-
ciales qu'une commission prise dans le sein de TÂcadémic
des sciences a rédigées pour vous sur les divers objets scien-
tifiques dont vous aurez à vous occuper dans le cours de
votre voyage.
ce Ces instructions, approuvées par F Académie, sont
imprimées , et vous en avez des exemplaires en nombre
suffisant pour qu'elles puissent être j^aoées entre les mains
de chacun des officiers appelés à vous seconder.
a J'y joins, selon le vœu de l'Académie , les instructions
précédentes, tracées pour la campagne de la Bonite^ et dans
lesquelles vous trouverez des indications précieuses.
a Ces divers documents vous serviront de guide dans
l'exécution des travaux qui vous sont imposée, et les sources
dont ils émanent rendent surperflu tout ce que je pourrais
ici vous dire sur le même objet, *
« II me suffira donc de rappeler l'itinéraire que vous de-
vez suivre, de signaler le but dans lequel il a été conçu et
d'appeler votre attention sur quelques intérêts qui , pour
être étrangers à la science proprement dite, n'ont pas moins
le droit d'être comptés pour beaucoup dans le but d'un
voyage de circumnavigation, exécuté par des bâtiments de la
marine royale.
a II imiM)rte que l'Astrolabe et la Zélée puissent appa-
reiller de Toulon vers le premier du mois prochain, et,
d'après les ordres que j'ai donnés à ce sujet , je ne doute pas
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DE l\sTROLABE et DE LA ZÉLÉE. 505
que ces deux con^ettes ne soient entièrement prêtes à cette
époque.
« Partant de cette supposition , je vous recommande de
faire vous-même toutes vos dispositions pour pouvoir met-
tre à la voile le 1®^ septembre.
a Vous dirigerez votre route de manière à atteindre ,
dans le milieu d'octobre , les îles du Cap-Vert. Si vous étiez
contrarié par les vents pour votre sortie du détroit , vous
pourriez prendre à Gibraltar un bâtiment remorqueur, afin
de ne pas perdre inutilement un temps précieux.
c( Une relâcbe de deux jours dans la baie de la Praya
vous s^ra utile pour remplacer Teau consommée depuis le
départ de Toulon, pour prendre quelques provisionsfrai-
ches et r^ler les montres marines.
(c Continuant ensuite votre marche vers le sud, vous
atteindrez, en passantentre les terres de Sandwich et les Ues
New-Shetland, les parages voisins du pôle austral, et vous
commencerez , par l'exploration de ces mers, la série de vos
travaux.
<c Vous rfignorez pas les difficultés rencontrées , dans
ces latitudes, par les navigateurs qui déjà s'y sont portés,
ni les découvertes qu'ils y ont faites ; une prudente vigi-
lance vous fera triompher des périls que peut offrir cette
navigation, et vous n'oublierez pas que, s'il est intéressant de
recueillir le plus grand nombre possible d'observations sur
ces régions à peu près inconnues , la conservation des na-
vires placés sous vos ordres est d'un bien plus haut inté-
rêt et que la plus belle découverte ne vaut pas la vie d'un
homme. »
Ici la figure de M. d'Urville se rembrunit un peu ; il
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504 TOYÀGE ADTOCR DU MONDE
fronça le sourcil^ et dit en jetant sur moi un regard à la
dérobée : '
c Qui potest capere, copiât.
€ A ce compte, Messieurs, autant valait ne pas en-
treprendre la campagne, car dès notre entrée dans les
glaces, nous avions des scorbutiques menacés de mort
prochaine. »
Il hocha la tête et continua :
a Vous étendrez d'ailleurs vos recherches vers le pôle ,
autant que pourront le permettre les glaces polaires.
a Après avoir terminé vos opérations sur ce point , vous
serez libre de renvoyer en France la corvette la Zélée , si
vous le Jugez utile , ou de la retenir pour vous seeonder
dans vos recherdies ultâieures , et remontant au nord ,
vous irez traverser le détroit de MageUan dont vous ferez
l'exploration.
(c Vous visiterez ensuite Tile Ghiloë que fréquentent sur*
tout nos navires baleiniers.
<c Je suppose que vous pourrez être rendu sur les côtes de
cette île vers le mois de mars 1838.
a Du 20 au 30 du même mois, l'expédition pourra at-
teindre Valparaiso, où il sera utile de faire une relâche,
afin de remplacer Teau des bâtiments, prendre du bois et
des rafraîchissements , réparer les avaries qui auront pu
être faites dans la navigation pénible des mers glaciales et
du détroit de Magellan , et enfin de remettre V Astrolabe et
la Zélée complètement en état de continuer leur voyage.
ce De Valparaiso, vous dirigerez votre route vers le 23®
degré de latitude, et prolongeant toute la bande des îles
Dttde ) Piteaini) Gambier, Bapa, Bourontac, Mangia, Ba*
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DE l'astrolabe ET DE LA ZELEE. 305
rotonga, v(his ferez en sorte d'arriver dans le conrant du
mois de mai à Vavao, où vous relâcherez pendant dix jours
environ. Ce point très important, surtout pour les balei-
niers , est la meilleure station de toute cette partie de TO-
oéanie. , '
« tes premiers jours de juin pourront être employés à
compléter sur les îles Viti le grand travail exécuté en 1827
dans le premier voyage de T Astrolabe.
tt L'expéditienvisiteraensuite,aunorddes Nouvelles-Hé«
brides , les iles Banks dont on ne connaît encore à peu près
que le nom ; vous passerez près de Vanikoro , sans y mouil-
ler ; vous vous contenterez d'envoyer vos canots à terre ,
pour visiter le cénotaphe élevé à la mémoire de Lapérouse
et de ses compagnons , et pour recueillir encore , s'il est
possible, de nouveaux renseignements auprès des naturels.
« Vous atteindrez ensuite par Santa-Cruz ou Nitendi , le
groupe des îlesSalomon, vous pourrez sans doute y arri-
ver vers le mois de juillet, et vous en ferez la reconnais-
sance en visitant surtout avec soin la baie des Indiens , où
divers motifs vous font supposer que les Français échappés
au désastre de Vanikoro durent terminer leur carrière.
« SiFétat desbâtimentslepermet, comme je l'espère, vous
prendrez dans le mois de septembre la route du détroit de
Torrès, vous visiterez la nouvelle colonie hollandaise
fondée sur la rivière Dourga , les îles Arrou et Key, puis
vous irez mouiller à Amboine; dans le cas contraire, l'ex-
pédition se rendra à Amboine en passant par le nord de la
Nouvelle-Guinée , et après avoir visité la baie Humboldt ,
découverte dans votre précédent voyage , mais où VAstro-
lobe ne put alors mouiller.
ce Une relâche de dix jours à Amboine vous suffira, sans
doute, pour ravitailler et mettre en état les deux bâtiments.
Vous arriverez ainsi aux derniers jours du mois d'octobre.
II. 39
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306 VOYAGE .Aim)BR DC MONDE
oi G'eBt alérs que Tcms rènverrer la ZéUe em FraQ0&, d
d* après lâi dreoiistaiieiss y toi» «vez jugé convenable de te
gak*dèr dvee vdtts, apr^iirexploràtiôiLdeB aiersâap^.
<c Youfi prpfitertz da tetour de œ bâtiment poàr expé^-
dier les collections déjà faites , les résaltats des travjùx
e^Déentës et pour faîjre rentrer en France les msdades de
r expédition,
« En novembre et ^cembre 1838, ainsi que dsA&k
oiirairt d^ janvier 1839^ VAstroia^y en oontcnovant la
jKouvdle-^oUaoc^ , pour rentes daua FQcéan-^ttc^ue,
ATt^itera la nouvelle CK^enie fondée par les Angiai» sUr la
rivière des Ciguës, passerai Hobart-Tovifn, ott plie s«(jonr*
nera buit jours et se dirigera sur la Kouv^le-Zéimude.
(c Vous consacrerez les moisde février et de mars aux tra*
vaux à exécuter sur cette grande t^rre, et vous explorerez
surtout avec soin les diverses parties du détroit deCopk qui
vous paraîtront pouvoir offrir le plus de ressources à nos
navires baleiniers,
« En avril vous conduirez V Astrolabe aux tles Ghatam,
sur lesquelles aucun renseignement nouveau n'a été dcmoé
depuis Ija découverte par Brigb ton en 1791.
« Gouvernant ensuite au nord , vous visiterez en mai ,
juin et juillet , les iles INiouba, Mitcbell , Peyster, Saint*
Augustin, Gilbert, Marscball, et pinceurs de^CaroUn^
récenunait reconnues par le capitmne LiiUue, mais qii'U
serait important de revoir sous les rapports idiysiques 6t
ethn(^aphiques, aussi bien que pour y numtrer le pavillon
français.
i( Vous atteindrez en août Mindanao, vous y séjournerez
pendant quelques jours, et vous irez ensuite visiter plu-
sieurs points de Vile Bornéo y tels que Balambangan, Pon-
tiQuak et Banyer-Massing.
a L'Astrolabe pourra arriver, dans le courant doct<^
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DE L^ASTftOLABE ET OE LA K^LEE. S07
bre à Batavia, où elle devra né faire qu'an très oeuH s^oui
après lequel vous viriteres au ittoinà en, un point les eètel
de Sumatra.
<t Ce aéra le tenue de votre voyi^ ; le retour de Texpé-^
dititm se fera comme à fordmaire par le Ci^ de Bonne-^
Espérance, et vous ramènerez l'Astrolabe à Toulon en évi*
tant toute rdàebe qui ne serait pas motivée par a^cttn but
d'utilité.
« En approuvant ce plan dé campagne, le Roi , Mon^
sieur, n'a pas seulement voulu vous donner Toecàsion de
compléter les importants travaux que vous avez déjà faits
dans rOeéanie. Sa Majesté n ^ pas eu en vue seulenteot ks
{NTOgrès de T hydrographie et des sciences ntaturdlee; sa
royale sollicitude pour les intérêts du coœmerce français
et pour le développement des expéditions de nos i^matenrs,
lui a fait envi$ager sous un point de vue plus large, Féten*-
due de votre mission et le» avantages qu elle d<Ht réaliser*
a Tous vifitarez un grand nombre de points qu'il est
très impCMTtantd* étudia sous le rapport des ressources qu'ils
peuvent offrir à nos navires bsdeimers. Vous aurez à reh
cueiUir tous les renseignements propres à ks guider dans
leurs expéditions pour les rendre plus froetueuses.
« Vous relâcherez dans des ports où déjà notre com-^
merce entretient des relations et où le passage d'un bâti-
ment de rÉtat peut produire une salutaire influence , dans
d'autres où peut^-étre ks produits de notre industrie trou-
veraient des débouchés ignorés jusqu'à ce jour, et sur
lesquels vous pourrez, à votre r^our, fournir de précieuses
indieaticaiB.
a Vous aurez probaUement aussi l'occasion de remplir,
sur pinceurs points de votre voyage , la mission de pro-
tection qui est k plus bel iqpanage des commandants des
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508 VO¥iGE AUTOUR DU M0N1)B
bâtiments du Boi, et qui rend leur rencontre toijyonrs avan-
tageuse aux navires de notre commerce.
a Vous n* oublierez pas les obligations qui vous sont
imposées sous ce rapport, et c*est ainsi que vous répondrez
complètement aux intentions du Boi , et que vous justifierez
la confiance que Sa Majesté a mise en vous.
€( J'appelle toutevotreattentionsùr cette partie de votre
mission. Je n'ai rien à vous dire sur les devoirs généraux
qui découlent de votre position, comme commandant dune
expédition ; vous les connaissez et vous saurez les remplir,
comme dans Vos précédentes campagnes, avec toute la
fermeté qu'exige la discipline militaire, mais en même
temps avec tous les ménagen^ents que réclame la natare
de votre mission.
(c Cette mission est dans vos goûts et de votre cfaoix, vous
avez tout ce qu'il faut pour la remplir dignement et la
rendre féconde en bons résultats.
a Je me repose donc entièrement sur votre z^e et votre
expérience, et je n'ai plus à vous exprimer qu'un vœu :
puissent vos efforts être couronnés par le succès et votre
voyage s'accomplir beureusement!
c( Becevez, Monsieur, l'assurance de ma considération
distinguée.
c( Le vice-amiral. Ministre de la
Marine et des Colonies.
<c Signé HosjMJSL. »
M. d'Urville continua encore :
« Vous connaissez, messieurs^ les changements que
j'ai dû apporter à ce plan de campagne; ainsi à la re-
lâche de la Praya, qui n'avait d'autre but que de
nous faire régler nos montres, j'ai substitué celle de
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DE l'astrolabe et DE LA ZELEE. 509 i
Ténériffe, dont le pic imposant appelait nos étu-
des.
« Au lieu d'aborder les régions polaires, à une époque
où les glaces sont encore soudées entr'elles, je suis allé
explorer le détroit de Magellan, pour attendre la saison
favorable.
<( Plus tard à divers petits ilôts insignifians de Focéan
pacifique , j'ai substitué de grands et beapx archipels ;
j'ai fréquemment interverti l'ordre des relâches ; à notre
programme déjà assez étendu; j'ai ajouté encore de nou*
veaux devoirs, c^est ainsi que la deuxième exploration
des glaces n'était même pas indiquée dans nos instruc*
tions, la recherche du pôle magnétique non plus , m
l'exploration des iles Âukland, refuge si utile aux navires
baleiniers ; j'ai souvent pris sur moi, etje penseque les
travaux de la mission en auront chaque fois acquis plus
d'importance; au reste vous en ferez vous-même l'ana*
lyse, mon but, aujourd'hui, n'est que de vous donner
les éléments nécessaires pour diriger votre jugement. »
De cet instant seulement, nous sûmes les projets du
ministère et les modifications qu'y avait apportées le
commandant d'Urville. Il appartient à chacun d'en
apprécier l'opportunité. Ainsi , je demanderais au
chef d'expédition , pourquoi ces passes et contrepas*
ses perpétuelles d'un point à uii antre dans les ré-
gions intertropicales, dans les zones pestilentielles q«î
brûlent le sang, du côté deJava;alorsqne la science n'a-
vait rien à gagner à nos fréquentes relâches , alors
que la santé de l'équipage dépérissait chaque jour ?
M. d'Urville est mort, mais s'il était présent au mo-
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S40 VOTAGfi AUTOUR DO HKml)E
ment où je publie ces lignes, jerépondreis à sa phrase
latine, visiblement appliquée à la résistance que je lui
ai sans ce«0e opposée, dèsqu'il sW agi entre lui etmoi
de la santé des matelots. Si le ehef d'une expédition a
son mandat, le médecin du naiîre a le sien , qui n'est
pas moins sacré, et comme le dit Finstruction du mi*
nistre , « la plus beUe découverte scientifique , ne vaut
pas la 9ie étuitjL homme. »
Laissons donc passer sans la relever autrement qu^
par le cri de notre conscience , la tortueuse interpella^
tion de M. d'Urville; et, grave dans le rapide coup-
d'œil que nous allons jeter sur nos travaux achevés,
indiquons par un simple aperçu, les résultats de cette
longue et^oulooreuse campagne.
TéDéri(fe a été notre première relâche; il est vrai que
d'autres savants ont dit avant nous les richesses bota*^
niques et minéralogiques de Tlle des anciens Guanehes^
et notre ascension a été trop prompte pour apporter de
grands trésors à la science; cependant chacun de nous
s'est iN^quitté avec zèle de la mission qu'il avait ac-
ceptée, et cette fois du moii» les baromètres de l'As^
trolabe arrivèrent intacts au sommet du pic, dont la
hauteur a été calculée 5,700 mètres.
Que dire de notre courte exploration dans le débroit
de Magellan, dnon que leâ points déterminés par nous^
levaient é^à é4é par Kîng» dans d'^oéHeoles cartes
marines , dont tout explorateur léra bien de se pour-
voir, s'il veut naviguer en sàreté tiens le passage qui
a iliustré l'istrépide Portugais. King , savant bydro-
praphe anglais , est r^té deux ans au moÎQ3 dans le
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DE L^ASTMLâBE Et DE LA ZÉLÉE. 544
<lâtrôît, eti'ion wiDf^rencI eôxnbiea an hétnnie de nié-
m\e^ d'énergie et de patience, a du fouiller ayeeexaéti-
tttd^ |€^ mqfies, les baiea, les anses et les courants
.d'eau qui forment le canal et renrtchisâ^it. Feui^dtre
c^pandioit aimli»-iians i*apporté quelques util» obser-
vi^ojls pour la physique; p^t^tre aussi les trareuic
géolog»iues auxquels je me suis spécialement livrÂ^ et
dont je donnerai nî^e notion pins précise à là fiii de ée
volume, ne seraaf-ils point perdus pour^ la science. )
Noi^ avons vu lesPatagons; cette rel^cl^e a été un
délassement plutôt qu'une étude^ n'importa; rhistotre
du monde ne perd rien à nos cjcaifidienoes*
Voici les glacesd'où nous sommes ebassés sans avoir
obtenu le résultat que nous espérions. Pourquoi? e'est^
il me semble, parce que nous tes ayons abordées a^ec
un vent arrière, qui les refermait sur nous^/au Ue«
d'attendre des yei^ts larguas om au plus près, qui nous
eussent ouvert un passage. Les baleiniers et leb pèr
cheurs de morues qui fréquentent les banquises de
l'un et l'autre pple, oaat à cet égard une expérience po^
sitive; pourquoi M. d'Urvilk n'en a*t-il pas profité?
Et si nouç avons été envalns par le scorbut, cette ma-
ladie inx^onnue depuis long-temps à bprd des navires de
rjÈtat^ n'est-ce pas de notre faute? n'était-il pi)s to^t
logique, avant de tenter qe trouage si difficile, de preo«^
dre à bord quantité de vivres frais, et d^ raviver UOs
équipages endoloris par une loague traversée* RioJa-
neiro, Buénos-Ayreç ou Montevideo ensae^t été, selom
moi, des relâcha utiles, quand bien même on aurait
dû leur sacrifier celles du détroit de Magiellan*
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542 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
Il faut frotter de miel le vase amer que Ton préiente
à Tenfanceou à Tâgemur; le beau ciel du Brésil nouB
eût inoculé des forces contre le scorbut qui devait nous
assaillir sous le cercle polaire.
Avant de commencer TexécUtion d'une enti^prise
importante, on doit en calculer les difficultés et les ré-
sultefs probables. Voyez ce que fait le capitaine Ross;
il arrive à Hobart-Town au mois d'oût, et ne repart
qu'au mois d'octobre, après avoir bien laissé reposer
ses matelots, et en avoir changé même une bonne par-
tie, afin de n'avoir à bord que des hommes robus-
tes Aussi, n'est-ce plus qu'un jeu pour ces hommes
de fer, de résister aux tempêtes australes ; Ross atteint
le79<^ de latitude S. , il supporte 20 degrés de froid au
dessous de zéro, et revient après six mois de cette rude
navigation sans un seul malade à bord 1
Nous avons touché au Chili , délestés de quelque;-
uns de nos hommes, et notre état sanitaire nous a obli-
gés à un séjour plus long que ne l'aurait accordé le
commandant, dont l'activité semblait se complaire à la
masse plutôt qu'à la valeur réelle des travaux. C'est là
une région féconde et curieuse; elle exigerait de
longues études, et dans mon aventureuse humeur je
me suis enfoncé dans l'interieur des terres , au profit de
mes souvenirs et des besoins de ma conscience; je suis
allé visiter la cordillière des Andes.
Mangaréva, Noukahiva, Taïti, Hamoa,Vavao, Hapa!,
Iles et archipels où la civilisation vient de s'implanter,
saluent notre pavillon voyageur, et nous voyons avec
orgueil nos pieux missionnaires y jeter les germes d'une
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DE «.'iSTitOLABE £T I>Ë LA 2éi£E. ^45
feligion dainte^ 6t abolir à jamai» Fanthropophag^e et
les Bâerifik^s htimains qoi araient jusqu'à présent fait
tant de viottmes* Nos courses ici ûe sont que des pro^
meaêdé^ et ce n'est pas pour les joies de notre jour-
née que nous avons entrepris un voyage autour du
monde : passons.
> Aux Fjtdfij lin ^pîtaine français a été assassiné ; no^
tre devoir nous étaitindiquéd^vanee, les corvettes vont
s'embossar dans la rade de Piva; un village est inqen-*
dié, et nous apprenons aux farouches habitants de bêt
ardbipel de sang, eomtnent les droits de l'humanité
-doiveiit être respectés de tous.
L'Astrolahe et lA Ziiée glissent devant les Salomoik
dont la partie septentrionale devient Tobjet d'un travail
Jiydrographiquô important; totrtefois^, nous ne^ retirons
pas de ta halte quenou» y faisons toute l'ulîUié possible ;
que d'études ont été négligées faute dé moyens^ d'&xé-
<intîdnf mais enfin, la prudence guidait notre chef^
«k Dotis né voulons id que signaler une lacubef^énible
dans nos travaux.
Nous marquons par unMésastre notre passage à Ho-
gQleu.«« ÉkngnoDs^naus vite de la rade dé désolation
où les sauvages ontperdu tant de moiidé par fe fer et )è
plomb de nos soldats, et arrêtohs^tious aux M ariannes,
prèi de cette Guam si parfumée, où la vie est si active^
d'où s'ef£aeent pour toujours, sous le sang espagnol, là
race des ai^^iens Tokammores, dont les premiers his-
toriens explorateurs racontent tant de merveilles.
ISotts levons l'ancre , nous arrivons aux Moluques^
et^Dotre loQg séjour dans ces archipels, aux maladies
II. ^0
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544 VOYAGE AUTOUR DU MONDE*
per])jci6iiseS) est, sans nul doute, une des premières
causes de cette mortalité qui a désolé notre campagne.
Qu'en avons-nous rapporté? Rien, absolument rien.
Ne me dites donc pas que les points que nous avons
relevés sous voil^ sont d^ utiles enseignements popr
les navigateurs ; on en a de plus exacts, de plus pré*
cis, et ce n^est pas nous que Ton consultera quand on
voudra se guider dans les mille sinuosités de cet ar-
chipel si bien connu des navires de toutes les nations
du monde.
Je pourrais ici vous citer les belles cartes d^Ausg*
bourg, qui nous ont servi de guide à nous-mêmes pour
toute la Malaisie, le tracé des côtes de la Nouvelle-
Hollande qui avoisinent le détroit de Torrès, par TAn-
glais King, quantité de plans particuliers dont se ser-
vent les caboteurs de ces immenses archipels, mais je
veux dans le même exemple vous prouver combien nos
travaux étaient inférieurs à certains que nous trou-
vions tout faits par d^autres hydrographes, et la bonne
opinion de nous-mêmes qui nous entraînait à exagérer
r importance des nôtres :
Sur les côtes des Philippines, prèsdeZambouangaUi
nous venions défaire de simples relevés sous voiles; deux
officiers espagnols, fort instruits, que nous y rencon-
trâmes, avaient exécuté le même travail au moyen de la
triangulation du terrain, et par déférence pour M. d'Ur-
ville, ils lui en présentèrent quelques portions entière-
ment terminées; celui-ci les regarda à peine, puis avec
une suffisance qui mortifia beaucoup les hydrographes
castillans, il se contenta de dire: « Oui, ces cartes
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DE L^ASTROLABE ET DE LA Zl^ÉE. 545
doÎYent être bonnes ; elles rappellent assez bien ce que
nous ayons obtenu à bord. »
Hobart-Town reçoit notre visite ; hélas l nous avons
laissé en route des amis, des compagnons fatigués, des
camarades qui comptaient revoir une patrie ! Mais voici
le point culminant de notre voyage de circum-naviga*
lion, voici pour ainsi dire le but de toute la campagne,
quoiqu^il n'en soit fait aucune mention dans les ins-
tructions du ministère. Hélas! encore, notre équipage
était épuisé, nos matelots traînaient à leur remorque
les maladies des climats intertropicaux! Comment
dans ces circonstances lutter avec avantage contre
deux expéditions rivales qui nous disputaient la gloire
acquise par des courses aventureuses dans ces zones
glacées. Nous avons baptisé la terre Âdélie, nous en
avons vu cinquante lieues au plus; Wilkes*^ parvient à
labourer les mêmes cotes, dans un espace de plus de
quatre cents lieues; et Ross, ce même Ross qui jadis
a été encloué dans les glaces du pôle Boréal , avan-
ce, avance encore, se perd dans les vastes solitudes an-
tarctiques, pousse à 42^ plus S. que nous, tient la mer
six mois entiers, rôde pendant plus de cent jours
dans des baies fermées par des montagnes mouvantes ,
impose les noms de ses navires à deux pics igni-
vômes, ne perd pas un seul homme , et rentre dans le
monde habité avec un seul regret, celui de n^avoir
pcmit pivoté sur Taxe de la tarre.
* Ce que nous avoiit ÔH de rexpédition américaine, est puisé k une soarce au-
. thentique, leè AwMlUi maritimei; et voilà que, pendant Tiropression de notre I:-
Yre,le8 Journaux révoquent en doute la véracité de Wilkes... ses comfiagnons de
voyage nient avoir vu la terre le 19 janvier... Honte ^ RqtrQ Tival! Honte à tout
capitaine menteur!
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51 Q Voyage autolr du mouixe
Nous n^avoD&pas fait grand cho^e à la Nouvelk^
Zélande , et nos travaux ont peu de valeur après ceux
de VHérwie^ exécutés avec plus de temps et plus de
soin ; mais nous avons fait beaucoup trop au détroit
de Torrès où nous avons été punis de nos tentatives
présomptueuses pour naviguer dans des passes dont
rentrée nous était interdite sur des cartes bien con*
nues et parfaitement tracées par ce mêmeKîng dont
nous avons déjà admiré les travaux au détroit de Ma*
gellan.
Nous voici revenus à Timor, le cercle de nos explo^
rations a été parcouru, et, diaprés cette rapide ana^
lyse, on penserait peut*étre que tout a été infructueux
dans cette longue et pénible navigation. U n'en est
pas ainsi , et nous avons tiré, je crois, le meilleur
parti possible de chacune de nos relâdbes; cariions
mettions à profit nos instants de repos, et Ton nous
tiendra comf^e, j^espère, de nos incessantes fatigeK^
de notre courage et de notre persévérance.
Lemonde d^aujourd'hui n'estplus le monde parcou-
ru il y a \ingt années. Nos mœurs, nos wsages, notre
religion se sont implantés dans les archipels océani-
ques ; nous avons partout des frères, des compatriotes,
des amis;.^ Cook serait bien surpris s^il voyait nos
vêtements, nos manufactures, nos édifices, nos tem-
ples dominer les îles sauvages ou le meurtre d^un
homme était une action nitgnaniip^ , où Tanthropo*
phagie était un culte. ,
Les siècles des merveilles géographiques sont pas-
sés ; à peine quelque point imperceptible du globe
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DE .I^'aSXEOI^BE es PE U ZELEE. ^7
i^ste-t-il ignoré <|e Târt do naTÎi^tenr; ao^fti daassoa
rapport à rAcadémie des Smences^ sénnee du >I4 ooto^
bre >I84>I , Tillustre auteur du Ntpiune ftançaù^ nous
dit-il, qu^il considère « notre yojrage, eomme jayant» en
quelque sorte ) clos la Garri«*e des grandes explorations
hydrographiques. )»
Disons ce qui reste à faire à nos successeurs ; citons
quelques autres paroles de M; Beautemps-Beaupré :
« Presque tout ee qui a été ex|doré> dans de grands
voyages , demanda à être décrit de nouveau avec une
précision à laquejle on ne peut atteindre, qu'en enir
ployant sur le même point de grands mayens et beau-
coup de temps.
« Personne ne sera porté à croire que des cartes le-
vées sous voiles, comr^e onen a levé ungraid nombre,
d^une manière plus ou moins exacte dans vingt voyages
de circumnavigation, puissent suffire long-temps à un
commerce qui embrasse le monde entier. Les Anglais
sont entrés franchement depuis environ un demi-siècle,
dans la carrière des travaux hydrographiques spéciaux y
et la surprise serait grande si Ton voyait réunis les ré-
sultats de toutes les entreprises de ce genre qu'ils ont
déjà conduites à une heureuse fin...
« C'est donc à perfectionner ce qui a été fait sous voi-
les, jusqu'à ce jour , qu'il est à désirer que soient em-
ployés, par la suite, les bâtiments de Tétat que le gou-
vernement fera naviguer dans l'intérêt de la science et
du commerce ; parce que dans notre conviction , le
plan d'une seule position maritime importante, levé
avec exactitude, et auquel on joindra un bonne instruc-
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518
VOYAGE AUTOUR DU MONDB.
tien nautique, sera une acquisition précieuse pour la
navigation ; tandis que le plan de cette même position ,
s'il a été levé à la hftte et d'une manière inexacte, sera
souvent la cause de grands malheurs. »
Terminons : les mers sont bien plus connues que
les terres; et si Ton veut aujourd'hui apprendre quel-
que chose aux hommes d'étude , il faut aller fouiller
dans cette Chine mystérieuse où Macarthney seul a
pénétré ; dans ce Japon , si despote, que nul pied eu-
ropéen n'a foulé aicore; dans cette Bornéo silen-
cieuse, qui a dévoré tant d'explorateurs; dansées
admirables Amériques qu'on ne défriche que pas à
pas, et surtout dans cette sauvage Afrique où les Mun-
go-Park, les Beizony, les Boutin , les Glaperton ont
trouvé une tombe si glorieuse.
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26
RETOUR.
IM
iae des trois Jewliiu *
La mer est belle, les vents nous fayonsent, tous les
cœurs sont à la joie, car Thoriion se déroule brillant
à nos yeux !
Mais la route est longue encore, c^est égal.
Nous avons dit adieu aux pays sauvages, aux archi-
pels incivilisés, aux glaces polaires, aux climats dévo-
rateurs des matelots Nous avons rudement heurté
contre les roches madréporiques de quelques détroits
difficiles, sans y laisser notre quille entr'ouverte ; nous
avons fraternisé avec les peuples les plus farouches du
monde, et les ouragans nous ont ballottés dans leurs
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520 VOYAGE AUTODR DU MONDE
caprices sans lasser notre constance ou attiédir notre
courage.
Maintenant y tout est dit , tout est fait. Nous allons
revoir un pays français ; parler avec des amis notre
langue française si aimée. Nous voilà chez nous ; en-
core huit à neuf mille lieues , et nous saluerons le
clocher de notre village, la rade protectrice que nous
avons pleurée à noire départ*
Le bonheur est bavard , aussi vais-je vous conter
un petit détail de voyage, favorable à Texplication
d^un fait qui parait d^abord assez bizarre, et qui n^est
que tout simple quand on y réfléchit.
Vous savez que , pour annoncer un hasard dénué
de toute probabilité, on dit proverbialement : Cela
arrivera la semaine des trois jeudis. Eh bien ! la semai*
ne d^.traift jwdis p^ut^xiatier^ eU^ e^sta çn effet, et
je crois bien vous étonner en vous apprenant qu'au-
jourd^hui je suis moins âgé que si je n^avais pas quitté
mon pays natal ; expliquons :
ïen'ai pas vécu moins iong4a»ips«*.^4 lani^j'ai v£cu
Uûjoor'deBiOiiiSy o'e^ihdiie qae lé sdléiLs^est l^é
pour moi une fois de moins que pour voua.
Expliquons-nous encore, c«r je veux ôtreicompm :
En ma Aémartîqnes , on proc5ède soAvent par V^h^
surde po«r arriver à la vérité. Supposons qtieile soleil
matvbe et non pas la ieive ; le grand asita*e tomrt de
TE. à rO. ; mats mai y j'ai courut aussi de VE. à PO.,
dans le même sens que le soleil , quoiqm'il allât iuh
itiiment plus vite que les corvettes. Or, je perdais sesifiî-
blement quelifue chose dans diaque journée ; le soleU
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DE l^astholabe et de la zitih. 32f
86 levait pour moi un peu plus tard que pour vous, car
je faisais avec lui une partie de la course, et il s^en est
suivi que lorsque j'ai eu achevé le tour de la sphère j
j'étais d^hérité de vingt-quatre heures.
Complétons la démonstration j je ne parle qu'à ceux
qui ne savent point :
Si deux voyageurs vont l'un vers Tautre, ils se ren-
contreront plus tôt que si l'un d'eux est stationnaire ,
ou qu'ils courent dans le même sens avec des vitesses
inégales; La Palisse ne dirait pas mieux. Or, le voya-
geur qui va vers l'E. et le soleil qui court dans un
sens inverse se retrouvent en présence bien plus tôt
que le soleil et moi qui cheminons l'un devant l'autre.
Donc, le navigateur qui fait le tour du monde par l'E.,
gagne un jour au bout de son voyage, quoiqu'il n'ait
pas en réalité vécu plus long-temps.
^ Supposez maintenant que le premier, c'est-à-dire
moi , Le Guillou , j'arrive à Paris aujourd'hui ; que
le second , c'est-à-dire Jacques Arago , arrive le même
jour; pour lui, le jeudi c'est le vendredi ; pour moi ,
le jeudi n'est que le mercredi ; pour le Parisien , le
jeudi ne change pas Voilà la semaine des trois jeu-
dis expliquée.
Le droit d'aînesse pourrait être justement disputé à
un frère jumeau par celui qui aurait fait le tour du
monde vers l'E que le législateur y songe !
Mais jugez que de graves inconvénients peuvent ré-
sulter de ce désaccord dans les dates ! A Hobart-Town,
par exemple , j'étais invité à dîner par un billet ainsi
conçu : Nous vous cUtendons mardi prochain.....
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522 youGç AUTOUR pu monde
Bien paré» bien musqué, je me rends, fielon mm ca»
lepdrier, à la demeure de mon amphytrion».... Pert»
sonne ! on dinait autre part; et j'en fus pour m#« frais
de toilette ; le jour n'était pas arrivé.
Il faudrait y faire bien attention s1l s^agissqit de la
priorité d'une découverte en mer par df ux voyageurs
rivaux; mais s'il était question d'un mariage ou d'un
enterrement, après unecircum-navigation exédutéepar
rO, , la fiancée pourrait être piquée au vif et renoncer
au bonheur ; etle mort se dire injustement inhumé.
Ceci est plaisant et sérieux à la fois ; la gaité më
vient de la belle route que nous faisons, et il est bien
permis de rire un peu au navigateur qui a bravé tant
de dangers, à Texilé qui va revoir sa famille
Vous ne sauriez croire le bonheur que l'on goûte à
suivre de l'œil , du doigt et de la pensée , sur la carte,
le long trajet que l'on a parcouru , lorsque déjà la
moitié de la course est achevée. A chaque trait mar-
qué par un point plus foncé que les autres, est signalé
le danger vaincu ; à chaque station de bonheur indi-
qué par un signe quelconque, votre cœur s'épanouit,
votive front se déride, l'espérance se glisse k l'âme avec
toutes ses fleurs, avec tout son parfum, et vous jetez un
regard de dédain sur le chemin que vous devez par-
courir encore ; car vous êtes façonné aux dangers ,
car les tempêtes et les mers n'ont plus rien désormais
qui puisse ébranler votre courage ou lasser votre con-
stance.
Et cependant la terre est si vaste , la carte sur la«
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DE L^AST&OIAbE et DE LA ZÉLÉE. 525
quelle TOusTétudiez a si peu d'étendue, qtte vous vous
effrayez sans le vouloir, alors que poussé par une brise
courtoise, voua tracez votre point, et quef Vdtis voyei:
le petit espace occupé par la ligne parcourue pendant
les vingt-quatre heures qui viennent de s*écouler.
Je vous demande bien pardon, ami lecteur, de vous
entretenir de tous ces petits détails ; mais si , comme
noils/vous étiçz séparé depuis plusieurs années dé
votre famille, de votre patrie, vaincu par d'horribles
maladies ; si yos matelots les plus dévoués , si vos ca-
marades aimés avaient disparu sous les flots ; si Votre
én)ergie s'était épiiisée aux combats des éléments , et
que votre courage seul vOus restât , je vous défierais
de ne pas presser de vos vœux les plus fervents l'heu-
reux moment qui devrait vous récompenser de vos fa-
tigues, celui qui devrait vous abriter contre les écra-
santes rafales polaires et les bouffées plus lourdes en-
core des zones équatoriales.
En meVf tout est émotion pour l'hottime de cœur ,
pour le pusillanime , pour l'homme d'études. La ba«
leme qui jette au vent j^a cascade bruyante; la trombe
qui se dresse à l'horizon ^ tourUoie, afspire, fait bondir
les flots» , enlève jusqu'aux plus hautes régions de
l'atmosphère les volumineux habitants de la mer ; la
brise ainiée qui se lève fraîche comme une douce
pensée; la dorade parée de ses éclatantes couleurs ; la
bonito rapide; le mollusque qui glisse , perdue dans
cette immensité ; hiff égaie y^ si coquette, sa voile tou-
jours ouverte ; le marsouin capricieux qui aime à chan-
ger de cHmat, comme vous rimez à changer de Mnge;
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524 VOYAGE ACTOUR DO MONDE
le nuage qui se lève, grandit, varie ses formes, se
perd là-bas sous Thorizon ; la terre qui se dresse à
votre appel , et plus que tout cela, le navire voyageur
qui pointe sur les flots et va vous donner des nouvelles
de tout ce que vous regrettez. — Oh ! ne me dites
point que la mer est monotone, car je vous répondrais
que vous ne la connaissez pas , que vous n^étes point
initié à ses richesse, que vous ne comprenez point ses
prodigalités !
De loin, et pendant la nuit , tandis que nous cher*
chionsTUe-de-France à l'horizon, nous sommes guidés
par un point brillant éclairant Tespace, et au lieu de
relâcher dans l'ile anglaise, encore dotée d^unnom
français, nous allons effectuer notre avant-dernière
station au milieu de nos compatriotes, et abrités, pour
ainsi dire, sous le pavillon national.
Voici Bourbon avec son volcan en feu ; voici Bour-
bon sur laquelle se sont brisés tant de navires , sur la*
quelle tant d^ouragans ont déchainé leurs fureurs ; d'un
côté Saint-Denis avec sa rade foraine , c^est-à-dire la
mort, quand la rafale souffle du large, quand un raz-
de-marée porte la mer aux nues; de Tautre, Saint-Paul,
anse assez bien fermée, mais séjour triste et désolé.
Nous mouillons à Saint-Denis; les galets du rivage
disent la violence des tempêtes qui en ont arrondi
les aspérités.
Ici un volcan presque toujours en colère, d'immeôi-
ses torrents de lave envahissant un sol nommé Pays-
Brûlé, les salazes dont le front domine les nues, et le
piton des Neiges, pic dominateur de toute Tile, sorti
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DE I^\STftOLAB£ ET DE U Zi^LÉE. 525
dans une secousse de bitume qui a soulevé les flots et
envahi les airs.
Mais autour de ces masses gigantesques^ des nègres
courbés sous le fouet du maître moins encore que sous
les rigidités d^un soleil veHical , des ravins profondé-
ment creusés, des criques ouvertes pour la vague fu-
rieuse y de riches habitations toutes parfumées, d^im-
menses champs de cannes à sucres, des rizières et des
caféières en plein rapport... et le colon, avec son
chapeau de paille de Manille , sa veste blanche , son
pantalon, sa cravate livrée à la brise, et son bâton à la
main, étudiant ses richesses de Tannée et ses richesses
avenir
Voici pour Taspect général de cete lie restée notre
propriété, quand TAngleterr^ s'emparait de sa voi-
isine.
Et maintenant jetez un regard dans cette cité popu-
leuse et animée, où Ton fait de chaque rue un comp-
toir, et reposez-vous quelques instants dans une des
cases ouvertes à votre curiosité où se repose , fatiguée
de son oisiveté de chaque jour, une femme tantôt brune,
tantôt colorée, tantôt blonde, appelée pourtant , mulâ-
tresse. ••.. Ok\ c^estlà une étude vraiment intéressante
à faire.
C'est un spectacle vraiment curieux que les réunions
de ces folles prêtresse, consacrées depuis leur enfance
au plaisir, alors qu^elles veulent captiver un étranger
ou étaler leur fortune acquise à si bons titres. Chez
elles point de père, point de frère; on dirait qu^elles
rougissent de leur naissance et de leur parenté. Toutes,
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336 VOYAGE AUTOtJR M MONDE
San» exception, aimeront imeux être maîtresse d^un
blanc sans fortune, qu'épouse légitime d'un mulâtre
dans Topulence.
Rien n^est gracieux comme la désinvolture de ces
jeunes filles qui s'habillent avec un goût exquis et qui
communément parlent plusieurs langues avec assez de
pureté. La coquetterie leur donne le goût de Tétude;
et Tétranger gagne quelque chose à cette instruction
dont la mulâtresse sait tirer un admirable parti. Elles
sont grandes , taillées comme la Diane chasseresse j
leurs yeux ont une vivacité qui tient du climat chaud
qui les à vu naître, et que le besoin déplaire rend en-
core plus dangereux. Naguère elles habitaient un quar-
tier, un camp , qui les séparait en quelque feorte des
colons par tin ostracisme cruel et offensant à la fois.
Aujourd'hui, la ville est pavée dé leurs demeures;
chez elles le luxe étale ses plus grandes richesses.
Hâtons-nous d'ajouter que la saine morale n'a point
perdu de ses droits chez cette easte si lavorisée du
ciel y et qu'à côté de celles dont je viens de parler , on
en voit aujourd'hui un grand nombre d'a*tres très
gracieuses encore^ dociles aux levons d'instituteurs
éclairés, tâcher défaire oublier par leur conduite sévère
le vice de leur naissance; car c'est un viee aux yeux du
colon pur-sang, que de devoir le jour à deux n)ulàtres
unis selon nos lois et notre religion*
La plue belte Àe ces inetHutions est sans eotitredit
celle que madalne Goyon dirige avec un zèle digne des
mggnifiqws vésQUat^i|u'elle obtient.
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DE L^ASTBOLiBE ET DE LA ZÉLÉE. 527
On ne m fait point une id^e en Europe de Tétet de
nos colonies j dès qu'un Parisien a quitté Iq ville îoi'
mense et paresseuse, dans laquelle il a laissé glisser $es
premières années; dès qu'après avoir doublé le cap de
Bonne-Espéranee , il met, par exemple, le pied sur
Bourbon^ il lui semble tout extraordinaire que le ci-
toyen de Saint-Paul ou de Saint*Denis parle la laugue
de la métropole, et il tombe dan$ l'ébahissement lors-
que parcourant les campagnes il voit partout des cbe^
mins bien tracés, de larges canaux, des ponts biensus^
pendus sur chaque torrent, sur chaque ra^vjae, et il ^
demande si ce n'est pas là. une hallupination , un pre^
tige, un rêve que le réveil viendra bouleverser. Qu'on
ne s'y trompe pa§ : pour le luxe, pour les arte , pour
l'industrie, Saint-Denis, la capitale de Bomrbon, est
moins loin de Paris que Saint-Denis , pu reposent l^
cenudres de nos rois.
Sous un soleil presque vertical t on devine que la
vie du colon est calme et retirée pendant le jour. La
lecture, son hamac favori, $a conehe sans matelats ,
munie de la moustiquaire de rigueur, et le calcul de
ses bénéfices ou de ses pertes, voilà sa régulière existen-
ce. Mais vienne le soir avec la brise rafraîchissante, avec
ses émanatiouis balsamique^, et le colon se dresse plein
de sève et de santé; il va chez §on voisin à pied, il court
dans une rue éloignée , en palanquin ou à cheval , et
peu de nuits se passent sanp quelqves-unes de ce» réu*
nions joyeusea et amicales pendant lesquelles on oublie
les chaleurs du jour, l'ouragan qui la veille a ravagé la
colonie, et le ra^-de^-marée qui peu auparavant a vopii
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528 TOTÀGB AUTOUR PU kONDB
sur la grèye les débris des navires et les cadavres des
équipages»
Âh I c^est que Bourbon n'a point de port^ c*est que
la rade de Saint-Denis est une tombe fatale aux vais-
seaux et aux fortunes , et les Anglais le savaient bien
lorsquUls nous donnèrent Bourbon^ et nous prirent Ttle
de France aujourd'hui leur conquête.
Je ne vous parle point des femmes créoles ; me voici
loin de cette lie de lave avant-dernière relâche de no-
tre long pèlerinage 9 et je ne veux pas réveiller des
souvenirs quime reporteraient malgré moi loin de ma
patrie : à chaque pays sa .richesse.
Mais je vous dirai un mot de mes excursions dans la
campagQe, et particulièrement au pays brûlé ^ c'est-à-
dire à cette partie de File envahie par la lave et où ne
pointe aucune végétation? C'est un cahos très curieux
à étudier; il devait recevoir ma visite. J'ai vu là une
grotte de 500 mètres de profondeur que l'on parcourt
tantôt debout^ tantôt éourbé , mais qui, tu sa grande
étendue, n'est pas moins un phénomène très remar-
quable.
Tout près [sont les salages et le pitOQ des neiges |
point culminant deTile. Vous y voyez, tombant dans
un cirque assez rétréci, plusieurs admirables cas-
cades formant aux temps orageux de véritables tor-
rents dévorateurs, et dont la principale n'a pas moins
de 800 mètres d'élévation. Je ne sais si je vous l'ai dit,
mais Bourbon est un sol de prédilection pour le paysa-
giste.
Pendant notre séjour à Bourbon , toute ta colonie
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DE Ii^ ASTROLABE ET DE LA RELIÉE. 529
était en émoi dans l'attente des ordonnantes concer-
nant la mise en liberté des nègres esclaves. Disons-le
hautlBment; on ne saurait trop hâter ce bienfait des
idées modernes , mais il faut raccomplir sans ruiner
les propriétaires y il faut le faire surtout dans le but
d^améliorer le sort des hommes que Ton émancipe , ei
pour ceUi de grandes précautions me paraissent né*
cessaires.
Le mieux serait, à notre avis, de n^amener ce résul-
tat que progressivement , et de s^en rapporter à la
générosité et à Fintérèt bien entendu des col<m8
eux-mêmes, pour obtenir complète satisfaction des
exigences de Phumanité.
Déjà Ton peut citer Bourbon, comme la colonie
dans laquelle les nègres sont traités avec le plus de
douceur. Tous les ans, de nombreuses émancipations
ont lieu , et elles portent principalement sur de jeu-
nes noirs; mais par malheur, ce sont là autantde bras
perdus pour Tagriculture , puisque tous ces individus
se livrent à des professions qui les en éloignent, telles
que celles de charpentier , ébénistes ou autres, tandis
qu'il faudrait un système d'émancipation qui les atta-
chât à la culture delà terre, et au moyen duquel chaque
habitation devînt bientôt une espèce degrande ferme.
Il faudrait donner aux nègres un peu plus d'ins-
truction morale qu'ils n'en ont généralement, favori-
ser les mariages parmi eux , leur accorder à tous le
droit de posséder en propre une partie de leur gain ;
et petit à petit, établir comme fermiers , moyennant
certaines redevances annuelles, les plus intelligents
II. û2
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530 TOTAGB AUTOUB DU MONDE.
d'entre eux, ceux qui auraient la conduite la plus
exemplaire.
Point d'ingratitude envers les citoyens de Bourbon
qui m'ont accueilli avec une bonté si affable ; disons le
plaisir que nous avons eu à retrouver un camarade
d'enfance ^ M. Guyon^ chef de l'institution dont je vous
ai parlé ; payons un juste tribut de reconnaissance
à des amis nouveaux, qui ont été bientôt pour nous
comme d'anciens amis ; M. Richard, botaniste distin-
gué , nous a offert une partie de son riche herbier de
Madagascar; M. Maillard, inspecteur-voyer, a bien
voulu nous accompagner dans toutes nos courses ;
M. de Saint-Maurice , capitaine de port, a été plein
d'obligeance pour nous; citons encore mesdames
Frère, MM. Dejean, Desroches et Lépervanches*
Méziëres; chez tous les habitants de Bourbon on
trouve une courtoisie de manières , un laisser-aller de
colon qui vous mettent sur-le-champ à votre aise et
vous créent pour ainsi dire en quelques jours le fils de
la maison ; chez eux, comme chez les Écossais de la
Dame Blanche^ l'hospitalité se donne , elle ne se vend
pas : vous voyez que l'érudition rapporte quelque
chose.
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27
SAINTE-HÉLÈNE,
lie cap de Bonne-Espérance* — Pèlerinage.
Le 4^ août, nous saluons Bourbon.
Ainsi donc, point de regrets pour le passé qui
n'est plus; espérance pour Tavenir qui se dresse. La
tortue aussi fait son chemin, parcourt les continents
et les mers quand Dieu lui prête vie.
Plus rapide qu^elIe, presqu^aussi aventureux qu6
le pétrel qui passe sur nos mâts en poussant un cri
aigu , indomptée comme Talbatros dont Taile infa-
tigable brave Touragan , voilà que la corvette, toutes
voiles dehors , cingle de Tocéan indien où elle s^est
long-temps promenée, vers Tatlantique où ellç « essayé
ses premières ondulations.
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552 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
La carte est là sous nos yeux attentifs; la brise à été
constante; quelquefois carabinée; et les courants
nous prêtant leur appui , nous aurons franchi sans
doute un vaste espace. Voyez, le tracé est presque im-
perceptible, et nous voudrions pouvoir donner un
démenti à la science qui nous irrite. Mais la nuit se
présente sans rideau ; des étoiles scintillent plus
belles, plus éblouissantes que celles de Thémisphère
boréal, le vent nous pousse de l'arrière et la journée
de demain se lèvera favorable comme celle de la veiHe :
que la gaité ne quitte point le bord, que les chansons
joyeuses des matelots réjouissent le pont, et se jouent au
travers des cordages;... en avant, la mer est belle et
le Cap de Bonne-Espérance va être bientôt doublé.
Cependant nous amenons et carguons quelques voi-
les, car nous savons que de ce détroitcélèbre appelécanal
Mozambique, par le travers duquel nous nous trouvons
maintenant , s'échappent ces ouragans dévastateurs
qui déchirent les vmles , brisent les mâts, et font som-
brer ks navires*
Oh ! nous aurions voulu visiter cette pointe sauvage
9ur laquelle le Camoëns a poétiquement assis Ada^
mastor. Le cap des tempêtes a changé de nom ; ces
sinistres parages n'ont point changé de nature. Les
pemiers vaisseaux qui Tont doublé l'avaient baptisé
au départ; de retour des Indes orientales, ils lui don-
nèrent un nom plus consolateur, et l'e&péranee se
posa sur le roc même où la terreur avait établi son
empire.
Là est une ville puissante, belle entre toutes, pro-
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DE l'astrolabe ET BE LA ZÉLÉE. 555
pre et coquette Nous voudrions bien visiter Table-
Bay.
Là y les Hollandais ont posé jadis leur plus beau
comptoir; aujourd'hui la colonie est anglaise,..,. Pas*
sons vite.
Nous piquons au S.; nous sommes dans l'atlantique,
nous retrouvons notre premier ami, qui nous a si
bien fêtés Courons vers ce volcan mort , qui a reçu
le dernier râle du volcan couronné qui fesait trembler
le monde.
Le jour se lève pur et limpide, le soleil radieux à
l'horizon va trôner bientôt dans toute sa majesté
Deux soleils rivaux, tous deux usurpateurs du monde,
le premier brillant de tout son éclat, chaud de tous
ses rayons, toujours là-haut à la place que le Tout-
Puissant lui a une fois assignée; l'autre à jamais éteint
et reposant dans une ile de lave , cette ilé du deuil et
des grands souvenirs que nous voyons là-bas , là-bas
pointer et dominer les flots.
Chapeau bas. Sainte-Hélène.
Nous sommes tous debout , pour suivre dans leurs
caprices les mille sinuosités decetossement africain jeté
à l'eau après une commotion volcanique. Voici la rade^
et les corvettes cinglent vers James-Town* -— Range à
carguer les voiles! — Amène et cargue. — Parez la
chaîne. — Mouille. — Et t Astrolabe et la Zélée fré-
tillent et se reposent de leurs fatigues..,., jour pouf
jour, trois ans après notre départ de France.
C'était une douleur et une joie ; chacun de nous
voulait voir le cirque funéraire , les saules pleureurs ,
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554 V0YAGEA9T0UE DU IIONB&
les peupliers rabougris, la case du pâtre, la petite
fontaine où il se désaltérait. Chacun de nous brûlait
d^aller s^agenouiller devant cette maison où son agonie
fut si longue et si brûlante. C'était le complément de
notre longue campagne ; c'en était la première récom-
pense.
Des escouades furent formées; on descendit, on
nous montra la pierre sur laquelle il posa le pied en
quittant le BeUérophon ; et dès ce moment Tile nous
parut un cercueil.
James-Town est une ville fortifiée; le séjour de l'em-
pereur Napoléon, et non pas le lieu d^asUe du général
Bonaparte , comme disait insolemment le chat-tigre
rouge Hudson-Lowe , est devenu une ville de guerre ,
une citadelle de difficile accès. Chaque point culmi-
nant est dominé par un fortiil ; chaque crique à ses
bastions et ses créneaux , chaque pointe sa guérite et
son so]dat de garde Nous n'avons plus rien à de-
mander à Sainte-Hélène, les cendres de l'homme nous
ont été rendues , ils peuvent démolir leurs citadelles ,
ils peuvent démonter leurs canons, ils peuvent dormir
en paix comme celui dont ils ont si long-temps troublé
le sommeil.
Je voulais que ma première course fût un pèleri-
nage; je fis le trajet à pied, escorté d'un enfant Chi-
nois qui se chargea de me donner les indications qui
me seraient nécessaires. J'escaladai la grande rue assez
verticale, servant de premier échelon au voyage; et
dès que vous avez dépassé les dernières bâtisses, votre
œil plonge à droite sur une sorte de vallon , où est
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. -.'a Ji
DE l'aSTROLABB ET DE U ZI^L^E. 555
encore le pavillon occupé tout d^abord par Tempereur,
habité maintenant par un colonel qui m^accueillit plus
tard avec une grande courtoisie.
Vous montez, vous montez encore les rampes creu^
sées dans la lave dont les couches sont colorées de di-
verses nuances, et vous arrivez à un petit bois de pins,
souffrant à la fois des rafales carabinées qui les déca-
pitent, de la pauvreté du sol qui les a vu naître , et de
Tardeur du soleil qui les calcine.
Voici un jardin. •• Â la bonne heure, une chau-
mière, un peu de verdure, quelque chose qui dit la vie
sur cette scène de deuil et de désolation ; à la bonne
heure , des tiges vigoureuses ; à la bonne heure, des
fleurs et desparfums là où tout appelle la destruction.
Mais vous* ne faites point de halte dans cet enclos pri-
vilégié , car vous êtes parti pour d'autres émotions ,
pour d'autres joies qui ont aussi leur amertume.
Vous regardez devant vous, vous ôtez votre cha-
peau ; car là-bas, dans le lointain, est la tombe sacrée
avec le cortège historique et lugubre dont vous parlent
tous les voyageurs. Trois saules déchiquetés, une grille
circulaire en bois, une petite tente, une guérite
hors de Tenceinte, une grille en fer en dedans, et
une pierre, c^est presque tout. Dans la guérite un re-
gistre où chacun écrit son nom, trace ttne pensée; il
y a là de bien belles choses, il y a là bien des fnvdi-
tés, il y a là aussi bien des hontes et des bassesses.
Quelques anathèmes contre Thomme qui gouverna
le monde, qui fit trembler tous les rois de la terre ; des
paroles fetales contre le grand cœur qui repose là du
1
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536 VOYAGE AITTOUB pU MONDE
somoaeU éternel i et puis , de ces paroles généreuses
qui reposent i^âme, qui vous enivrent et vous font
doucement rêver... C'est la vie.
J'ai remarqué en général, dans les pensées jetées là
en pâture à la curiosité des voyageurs , une tendance
au ridicule, à l'effet; et alors même que l'écriture
était illisible, le nom du signataire semblait moulé.
« Voyons, que dirai-je? d se demandait-on en route
pour le tombeau. Et la tête remplaçait le cœur, en
supposant même un cœur au moment du départ.
Je passai un gros quart-d'heure à feuilleter ce re-
gistre* JLes noms français y pullulent; les Anglais y
signent seulement, et quelques-uns d'entre eux y dé-
fendent la conduite de sir Hudson Lowe* J'ai soup-
çonné la même main de s'être essayée sur* plusieurs
pages , et je ne serais pas surpris que cet intraitable
geôlier se fût rendu lui-même ce service : le tigre n'a
guère d'amis dans le monde.
On souffre d'un devoir^ mais on le remplit.
Signé DiCK.
Ce Dick est un valet, sans contredit.
A la place de Lowe^ j'aurais agi comme lui.
En voilà un qui doit avoir sollicité un poste d'exé-
cuteur des hautes^omvres.
Je ne voudrais pas être Anglais quand je songe que
sir Hudson Lowe est de mon pays.
Davis, George'^Street^ 15.
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DB l'astrolabe et DE LA ZÉLJ^E. 557
Cela fôt bien de donner son adresse après avoir si-
gné une telle ligne.
Ou je me trompe fort , ou j'aurais pu apposer un
nom connu à une page représentant le profil très res-
semblant de TEmpereur, avec ce quatrain au bas :
Do inonde ii a fait la conquête
Par ses vertus ;
U a le cœur comme la tête :
A la Titus.
Une de ces inscriptions était ainsi conçue :
Je me suis fait matelot pour centre salluer encor
une fois les restes de mon vieux caporaUe quil ma apelé
par mon non. Si je tenais mosieu Lowe entre quatre
zieux! Sèt un qua/^nm. Je demeure uit joiff' dans Vil
ei je signe
Germain, fourrier de t ex-vielle garde.
Un grand nombre de noms de dames décorent ces
pages, que Ton renouvelle chaque année au moins;
et il est juste d^ajouter que presque toutes siguent des
pensées grandes et généreuses.
Une éternité de bonheur à la mère d un pareil mar-
tyr! Ernestine,
Et plus bas, d^une autre main :
Des siècles de torture à qui a pu oublier qu'elle était
la femme de V empereur Napoléon!
Adélaïde Cotterot.
II. 43
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5SS VOYAGE ADTOCR fiC HONDE
J'ai iÙ0 ans ; ma mare iria appris à taimerj et je
l'aime comme sifen avais quarante. LomsE.
Six pieds de terre à quia rempli le monde. N'imr-
porte, T Angleterre ne le rcq)etissera point.
JtLiE Radier.
Son repos fait le repos de la terre. S'il se recueillait^
le monde se réveillerait avec lut.
ANATOLE ChABTON.
J'inscrivis mon nom sur le registre, et je poui-sui-
vîs ma route.
J'entrai dans Tenceinte; je cueillis quelques ra-
meaux de saule, quelques feuilles de géranium ; j'a*-
vançai encore, et je fis volte-face vers la pierre tumu-
laîre ; à gauche, presque à hauteur du coude, est une
espèce de mur en moellon et en lave, qui arrête les
éboul^fnents ; à côté de ce mur est la fraîche mare
dans laquelle on a jeté quelques galets roulés pour
que Teau se détache plus limpide du sol , et ceîle-ci
glisse et court dans une petite rigole imperceptible ,
d'où elle s'échappe par mille petits conduits plus fai-
bles encore. A quelques pas de là, cette source, où
l'Empereur alimentait sa douloureuse existence , est
complètement effacée, donnant à peine un peu de sève
aux petites fleurs qui croissent et meurent parmi le
gazon.
Âvanci^, avancez toujours.... II demeurait là y il
souffrait là , il mourut là. Voilà le péristyle : quatre
marches... aujourd'huiil n'y enaplus. Voici sa cham-
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DE L^ASTlOLi^E ET DE LA zélÉE. 559
bre à coucher, le lieu saint de son agonie dernière...
c^est un blutoir. La tapisserie est presque tout^hlait
enlevée ; quelques lambeaux dominent encore votre
tète, parce qu^on n'a pu 1^ saisir; et partout des in-
scrif4iona que les ùhihj les curieux et les penseurs
viennei^t y déposer. Franchissez rédificC) et vous tous
trouvée sur un terrain uni qui a servi de champ-clos
à deux champions dont le nom mérite d'être conservé.
A hauteur de Tœil vous lisez sur le mur, à côté d'une
strophe d'Hugo, ces deux lignes aussi belles que tout
ce qu'a écrit le grand poète :
Ici Pierre Roberi ^ Mathieu Mhrm se som aUigné
pour savoir le quel quel des deux aimait le mieu le
petit Caporal... Mathieu Morin a été blessé , mais pas
cowainqu.
Plus loiii encore, dans la campagne, vous aperce-
vez une somptueuse demeure, un château avec tout
ce que le luxe a de plus confortable, des salles de bal,
de bain, de billard, un jardin magnifique... Mais,
hélas ! point d'hôte, point de chant qui l'anime, point
de femme qui l'embellisse. J'y allai pourtant, et j'y
trouvai M. Lefroy, officier distingué de l'artillerie an-
glaise, gentilhomme aux bonnes manières, savant mo-
deste, s'occupant beaucoup de minéralogie pour tuer
la lenteur du temps, et de magnétisme terrestre pour
satisfaire à ses devoirs. M. Lefroy est l'observateur que
Ross avait laissé dans l'ile lors de son expédition au
pôle austral.
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540 VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
En entrant dans la maison aujourdliui si Lâohement
profanée, on vous présente, sur une table fortcom*
mune, un grand registre pareil à celui de la guérite.
Nous y avons lu les vœux que les officiers de la fré-
gate la yénus y exprimaient en 4839, pour que les
débris de la maison fussent achetés par la France , et
qu'elle devint Tasile de pieux invalides.... Le vœu ne
sera point exaucé.
Ce que nous avions à voir c'était le tombeau , c'était
aussi ce que nous avions vu ; il ne nous restait donc
plus rien à étudier dans Tile d'où nous emportions
cependant quelques roches pour nos études de géolo-
gue... et nous regagnâmes le bord*
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2S
FRANCE.
La course est accomplie , la circonférence parcou-
rue, nous respirons à l'aise, nos poumons oppressés
ont repris leur élasticité normale, encore deux milles
lieues de promenade et nous saluons de la main et du
regard le clocher de notre village : salut à la patrie.
"; Du nord au sud, de Test à Touest , nous venons de
sillonner eette terre que le sédentaire et te piéton trou-
vent si vaste et le navigateur si mesquine. Nous en
connaissons les secrets , nous en avons étudié les mer-
veilles et les océans malgré leurs caprices, leur incon-
stance et leurs irritations , nous avons rempli la tâche
d'honneur que nous avions entreprise.
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542 VOYAGE AUTOUR DU MONDE
Hélas ! nous avons laissé bien des cadavres en route :
ces cadavres sont ceux d^hommes de patience et d^in-
trépidité que les climats ont vaincus, et au milieu des
joies du retour nous pleurons sur des malheurs qu^il
nous a été impossible de prévenir. Le ciel a ses arrêts
contre lesquels la ferme volonté de Thomme vient inu-
tilement se briser.
La ligne fut franchie, nul de nous n^avait à rece-
voir le baptême, et le passage d^un hémisphère à Tau-
tre eut lieu sans folie. Ténériffe est là sans doute à
notre gauche , mais nous n^apercevons pas le cône do«
minateur dont nos pieds ont foulé la tête.
Le 20 octobre, se montrent à nos yeux les volcani-
ques Açores, où se dessinent de blanches maisonnettes
et une ville bâtie sur un coteau. Nous piquons dessus
et chacun s^attend à un mouillage. •• Mais non; le sil-
lage des corvettes ne se ralentit point; la brise nous est
favorable y nous nous laissons doucement porter vers
notre patrie que nous appelons de tous no» vœux.
Silence l tout le OMMOKle sur le pont.» . Terre 1 Terre \
a crié la vigie; terre à tribord, c^estT Afrique sauvage...
oe n^egt pas elle que nouacberefaons. Terre encore..*
c'est TEurope, c'est l'Espagne^ et cette coupuce qui se
dessine, c'est le détroit dj^ Gibraltar... Nduâ le fran-
chissions le 54 oetobre. Bientôt sedressentles Baléares^
au S. desquelles aous glbsons, JQ ne sais pourquoi;
et le fii novembre^ à travers une brume asses épaîise ,
nous reeo0nai8$oas le cap Cépet^ qui est notre point
indicateur pour rentrer dans la rade dé Toulon.
Silence au port ; silence sur la côte; nos eœura bat-
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DE l'astrolabe ET DE LA ZÉLÉE. 345
tent d'émotion et de joie ; la voilà cette ville que nous
avons saluée avec tant de regrets , la voilà devant nous
avec son magnifique arsenal , ses forts protecteurs, sa
rade tranquille, toute pavoisée de navires , et ses rou«
ges forçats pour rembrunir le tableau... Mouille.
Nous sommes chez nous ; nos amis, notre famille
nous attend; au point du jour nous leur serrerons la
main ; au point du jour nous saurons si nous avons
une famille, des amis.
En achevant ma course, un mal, un regret, une
larme pour ceux que nous avons laissés pendant le
voyage. Paix aux morts.
FIN.
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NOTES
SCIENTIFIQUES.
II. iit\
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MEMOIRE
LU A L'ACADÉMIE DES SCIENCES,
PAR ■!• FBAIVÇOM ARAC80.
(séance du 15 DECEMBRE 1841.)
PHYSIQUE GÉNÉRALE DU GLOBE.
Notice êur tapoiUion des pôles magnétiques de la terre y
par if. L -J. DuPERRBY.
Sut les cartes da globe terrestre , que j*al dressées et publiées en
1836, Ton voit indiqué pour chaque région polaire, un pôle magnéti-
que dont la position a été rendue dépendante de la configuration des
méridiens magnétiques qui s*y trouvent représentés, non pas par le
prolongement indéfini du grand cercle de la sphère qui passerait par la
direction horizontale de Paiguille aimantée^ mais bien par une courbe
dont la condition est d*étre dans toute son étendue, c>st-à-dire, d*un
pôle magnétique à Tautre, le méridien magnétique de tous les lieux
où elle passe. Les pôles dont il est ici question, et qu'il ne faut pas
confondre avec les centres d'action intérieurs , qui sont les vrais
pôles magnétiques de la terre, se trouvent placés, Tun au nord de
TAmérique septentrionale, par 70« 10' N., et 100« 40' 0,\ l'autre au
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548 NOTES
sud de la NouTelle-Hollande, par 76» 0' S. et 155» 0* £. Cette der-
nière position a été modifiée et fixée à 75o0' S. et 156"» 0^ E., en 1857,
alors que j'ai pu disposer de nombreuses observations qui avaient
été faites en 1820 par les capitaines Bellingshausen et Lazareff, dans
toute rétendue de la zone comprise entre les parallèles de 55 à 70
degrés de latitude sud.
La position du pôle magnétique boréal s'est trouvée confirmée
par rinclinaison de 90o, que le capitaine J. Ross a obtenue en 1852
sur la terre de Bootàia-Félix; ea| il résnlle 4e eette importante ob-
servation , dont je n^ai en connaissance en France qu'après Texécu-
tion de mon travail, que le pôle magnétique dont il s'agit était alors
par 70'» 5' N. et e9o 12' 0., ou 50 milles seulement dans; Test de la
position indiquée ci-dessus. On verra tout-à-rheure qu'il en a été
ainsi du pôle magnétique austral, à en juger du moins par les obser-
vations qui viennent d'être faites aux approches de ce pôle dans les
expéditions scientifiques de MM. les capitaines d'Urville, Wilkes et
J. Ross, et notamment par celles qui appartiennent à la première
de ces expéditions.
La position des pôles magnétiques se trouve figurée dans mes
cartes pour l'année 1825 , époque à laquelle j'ai ramené toutes les
déclinaisons observées de 1815 à 1850. Pour placer ces pôles, j'ai
fait usage de deux procédés : le premier condste à faire croiser dans
une projection polaire , et mieux encore sur un globe, ceux des mé-
ridiens magnétiques dont la figure est à la fois It micvK détaminée
et la plus régulière; l'autre procédé qui, mdheureusement, n'a pu
être employé, faute d'observations, que dans un petit nombre de
cas; consiste à coordonner les inclinaisons de l'aiguille aimantée qui
ont été observées en différents points d'un méridien magnétique de
mes cartes> avec les latitudes magnétique^ respectives ;, qui sont les
portions de ce même méridien comprises entre les stations et la ligne
sans inclinaison. La courbe que l'on obtient en coordonnant ces
deux éléments, étant continuée jusqu'à la coordonnée qui s'élève
sur le dO»"" degré de l'inclioaison, permet d'apprécier avec exacti-
tude, lorsque le prolongement de la courbe doit avoir peu d'étendue,
la latitude magnétique du pôle magnétique, et, par conséquent, la
différence en latitude magnétique qui sépare ce pôle de la station la
plus voisine.
Cette méthode des coordonnées ou d'interpolation, qui est indé-
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SCIENTIFIQUES. 349
pendante de toute hypothèse ^ est précieuse en cela que la ooinrhe
obtenue étant comparée à la courbe qui résulte de la formule taug
L == *-^Y-î, dans laquelle on donne à i toutes les valeurs de Tincli-
naison depuis jusqu'à dO^y fait voir immédiatemfflit la difierence
qui existe dans le méridien magnétique, que Ton considère, entre
la véritable loi de Taccroissement de Phiclinaison qu'elle exprime et
la loi empirique que représente la formule dont il 9'agit, laquelle n'a
pu être établie que pour le cas où les méridiens magnétiques ser-
raient des quarts de grands cercles compris entre les pôles magnéti-
ques et la ligne sans inclinaison ; condition qui ne peut avoir lieu que
dans une sphère parfaitement homogène, et dont Taction du magné-
tisme sur tous les points de la surface ne serait troublée par aucune
cause d'anomalie.
La formule tang L = -~- y est applicable aux inclinaisons qui ne
dépassent pas 30°, et peut servir, par conséquent, à déterminer la
position d'un point de Téquateur magnétique toutes les fois que Tin*
clinaison ne dépasse pas cette limite. Cela provient de ce que les
lignes d'égale inclinaison qui ne sont pas éloignées de cette courbe
lui sont à peu près parallèles, Mais les lignes d'égale inclinaison qui
avoisinent les pôles magnétiques sont loin d'avoir ces pôles pour
centre de figure, en sorte que la formule cot L' = -^—-^ j dans la-
quelle L' devrait être la distance du pôle magnétique à la station, ne
pouvant satisfaire à la question que dans quelques groupes de mé-
ridiens magnétiques, ne peut-être employée que comme moyen d^ap-
proximation.
Cette remarque nous oblige à exprimer, dès à présent^ le regret
de n'avoir que la formule cot. L' = i~— à appliquer aux observa-
tions que le capitaine Ross a faites en 1841, en vue de la terre de Vic-
toria, où il a trouvé, étant par 76° 12' S. et 161° 40' E., l'inclinaison
de 880 40' et la déclinaison 109° 24' E., ce qui, d'après cette for-
mule, dont le capitaine Ross parait avoir lui-même fait usage, place-
rait le pôle magnétique austral par 75° 6' S. et 151° 30' E., et, par
conséquent, à 160 milles de la station.
les méridiens magnétiques qui passent sur la terre Victoria ne
présentent que des stations fort éloignées où l'inclinaison ait été
observée^ en sorte qu'il est impossible de faire usage de la méthode
des coor<lonnées sans laquelle on ne peut déterminer la position d'un
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550 NOTES
t)6le magnétique avec exactitude. Nous reviendrons plus loin sur ce
fait important.
Le capitaine Wilkes, commandant l*expédition scientifique des
États-Unis, se trouve dans un cas également défavorable. Ses obser-
vations faites sur la glace , en vue de terre , dans un enfoncement
quUl a nommé Baie du désappointement , ont donné pour Tinclinai-
son %7'* 50* et pour la déclinaison i^"^ 58* E. Il était alors par 67'' 4'
S. et 145o iO* E., à environ 180 milles dans Test de la terre Adélie,
où les observateurs de Texpédition de VAstrolabCy commandée par
notre compatriote, M. dUrville, opéraient dans le même temps.
D'après ces observations, la formule empirique donne L* = 5°, ce
qui placerait le pôle magnétique par 71° 55' S., et 141o 40' E., posi-
tion douteuse d'après ce qui a déjà été dit relativement à cette for-
mule* Les observations que nous avons faites, M. de Freycinetetmoî,
dans le méiidien magnétique qui passe par la station du capitaine
Wilkes, sont trop éloignées en latitude pour qu'il soit encore possi-
ble d^essayer ici la méthode des coordonnées.
Les observations faites par MM. Dumoulin et Coupvent, durant
l'expédition de V Astrolabe, sont, quant à présent, les seules qui nous
paraissent de nature à résoudre la question qui nous occupe. L'As-
trolàbe^ en s'éloignant d'Hobart-Town, a suivi par un hasard heu«
reux, la trace du méridien magnétique qui, de cette ville, se dirige
vers le pôle magnétique austral; de nombreuses observations, dues
au zèle de MM. Dumoulin et Coupvent, ont été faites le long de cette
route jusque vis-à-vis de la terre Adélie, où les boussoles de décli-
naison, d'inclinaison, d'intensité magnétiques ont été mises en expé-
rience sur un banc de glace situé à une petite distance de la pointe
Géologie. Le méridien magnétique d'Hobart-Town est, d'après mes
cartes, non-seulement celui de la terre Adélie, mais encore celui qui
passe à une petite distance de Paramatta, de Sidney, de Cleveland,
du Port-Praslin et de plusieurs autres points où l'inclinaison avait
déjà été observée, soit par moi, soit par d'autres navigateurs, en
sorte que je trouve dans ce méridien, dont j'ai fixé l'origine sous la
ligne sans inclinaison, par 6'' 15' N. et 150<> 50' E., la série la plus
complète dont il me soit possible de disposer pour arriver avec cer-
titude à la position définitive du pôle magnétique austral.
Cette série est contenue dans l'avant dernière colonne du tableau
suivant. La dernière colonne contient les latitudes magnétiques des
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SCIENTIFIQUES.
551
stations, que j'aurais pu mesurer (kns mes cartes, mais que j'ai pré-
féré calculer, en me fondant sur ce que les latitudes géographiques
des stations sont connues ainsi que l'angle que fait le méridien ma-
gnétique avec la ligne équinoxiale, et qu'enfin ce méridien est, par
cas exceptionnel, un grand cercle de la sphère depuis Téquatenr
jusqu'à la terre Adélie.
LIEU
des
OBSERVATIONS,
Equateur mag-
Pori-Praslin...
CIcvelaïKl
Pararoatta .
SIdney.
NOM
des
OBSERVA-
TEURS.
Dupcrrey . . .
Duperrey . . .
KJng
BrisDane.*.<
Duperrey. . >
Dunlop*..*'
Wickharo...'
Freycmet..
Duperrey...
Fllz-Roy...
Tessan......
vwickham . ..
Dciroit de Bass! wickham . . .
/Filz-Roy....
irobart -Town . ? J!!'.^"''"": • •
^Wickham...
Dumoulin...
Duperrey. . .
Dumoulin
et
Coupvént**'
Id
Id......
Id......
Id
îd
Id
En mer.
Id....
Id.
Id.
Id.
Id.
Id.
Id.
Id.
1824
1823
1819
1821
1824
1831
1838
1819
J824
1836
1838
1839
1836
i836
1837
1838
1840
1842
1840
îd.
id.
id.
id.
id.
id.
Lalilade.
6'15*>
4 45 8.
19 10
33 49
id.
id.
id.
33 52
id.
id.
id.
id.
40 28
42 52
id.
id.
id-
46 4
48 30
54 30
60 25
62 15
64
05 40
66 30
Longit.
150'30'e.
150 28
144 36
148 35 .
id.
id.
id.
148 50
id.
id.
id.
id.
142 45
145 4
id.
id.
id.
141 42
142 40
142 15
141 10
139 45
139
139
137 48
INCLINAISON.
62" 36'
62 27
62 51
62 50
62 47
62 20
62 49
62 45
62 51
70 35
70 31
70 25
70 44
20 40
44 7
62 41
tATl-
T!1>E
ma^né-
tï>jue.
0* c
11
25 50
40 17
62 45
40 20
69 8
47 21
70 34
49 26
73 8
52 49
74 58
55 20
77 38
81 45
83 8
83 42
85 6
85 19
60 51
67 18
69 10
70 57
72 37
73 36
On voit qu'ici la date des expériences ne saurait être un motif
d'exclusion , puisque Tinclinaison n'a pas sensiblement varié dans
l'espace de vingt ans.
La courbe qui résulte de cette longue série d'éléments, traités par
la méthode des coordonnées , est parfaitement régulière , ce qui
prouve en faveur de toutes les obsei^ations qui ont été mises à con>
tribution. Cette courbe donne , pour la distance du pôle magnéti-
que à la terre Adélie, 9* 10*, qui étant combinés avec la déclinaison
observée 12* 12' E., et la position géographique de la station , place
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552 NOTES
le pôle dont il s*4git par 79* 20* S. et ISO» 10* E.; position qmt^iû-
corde en latitude, et qui ne diffère qoe de 80 milles de TE. à TO.
de celle qae j^étais panrena à dédaire de la configuration de tous
les méridiens magnétiques. La différence en longitude , que nous
trouvons ici ; n*est point à considérer, par la raison que si MM. Du*
moulin et Coupvent ont trouvé la déclinaison de 12° 12* E. à la terre
Adélie, le capitaine Wilkes Ta trouvée nulle dans le même lieu et à
la même époque , ce qui m*autorise à conserver le pôle magnétique
dans la position que je lui avais assignée en 1857.
Un fait remarquable , c*est qu'ici la formule cot. L* = *"'^ -- , est
immédiatement applicable à Tinclinaison observée à la terre Adélie^
car en disant I = 89* 19^ on a L* =9* 18*, comme ci-denus, à
8' près.
MM. Dumoulin et Coupvent ont encore observé, étant toujours en
vue des nouvelles terres antarctiques , deux déclinaisons de Tai*
guille en deux stations suffisamment éloignées en longitude pour
faire espérer qu*il résulterait du croisement des deux directions
une position exacte du pôle magnétique. Cette méthode > dont ils
avaient fait usage, plaçait le pôle par environ 71o 45* S. et 154^ E.^
ce qui n*est point admissible et prouve qu*on ne doit pas compter
sur les déclinaisons observées dans les lieux où rinciinaison appro-
che de 9«.
Le capitaine Wilkes a dû recueillir un grand nombre d*observa*
lions dans sa belle excursion , qui comprend près de 60o en longi-
tude le long de la bande septentrionale des nouvelles terres antarc-
tiques ; mais elles ne sont pas encore publiées. Quant à celles qui nous
sont parvenues, il est bien étonnant qu'ayant été faites dans la baie
Désapointement , très voisine de la terre Adélie , où Tinclinaison
s'applique si bien à la formule cot. L'= '-^y"» "^"^ n'ayons pu en
déduire par cette même formule qu'un résultat inadmissible. 11 est
probable que ce résultat doit être attribué, sinon à une erreur dans
les observations , du moins à des causes de perturbations locales ,
dépendant de la nature du sol dans la baie Désapointement. L'hypo-
thèse d'un pôle magnétique occupant une surface d'une certaine
étendue , dans laquelle l'inclinaison serait partout de 90°, et dont
la limite offrirait différents points, selon le lieu des] observateurs,
a souvent fixé ma pensée ; mais c'est là une question qui ne peut être
résolue que par des observations directes.
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SGIENTIFIQUfiS. 553
«l'ai ei^prim^yaucommencemeBi de cette notice, le regret de n'a-
voir pu appliquer aux observations faites, à la terre Victoria , par le
capitaine Ross, que la formule cot, V «»~^ , dont il a lui*méme
fait usage, puisqu'il dit dans son rapport qu'il était à 160 milles da
pôle magnétique, alors qu'il observait &8o 40' d'inclinaison* Ce re-
gret est fondé, ainsi que je l'ai dit, sur ce quejes pdles magnétiqnes
sont loip d'être les centres de figure des lignes d'égale inclinaison,
et j'en trouve une preuve bien caractéristique dans les indinaifons
que les capitaines Sabine et Parry ont observées en isao dans les
lies Melville et ByamrMartin, qui sont situées à environ 530 milles
au nord du pôle magnétiqucT boréal t et non pas à 180 milles qœ
donnerait la formule.
J'ai cherché, il ya plusieurs années, à savoir quelle était la cause des
irrégularités que l'on remarque dans la marche des phénomènes du ma-
gnétisme âla surface de la terre ; et les foits que j'ai rassemblés, ponr
atteindre ce but , semblent prouver d'une manière incontestable
que lesanomali^esqui affectent la configuration des lignes d'égale in-
tensité, et par suite celle des lignes d'égale inclinaison et des méridiens
magnétiques, sont principalement dues aux anomalies que {Hrésentent
les températures à la surface des mers et des continents, J)ans la ré-
gion glaciale de l'atmosphère nord, un froid excessif régne dans la
direction du pôle magnétique au pôle terrestre, et de ce dernier pôle
vers le milieu de la côte septentrionale de la Sibérie. Cet il)aissement
dé température, ainsi prolongé, augmente l'intensité du magnétisme et
repousse, par conséquent, vers la Sibérie les lignes d'égale intensité qui
entraînent , sans néanmoins coïncider avec elles, les lignes d'égale
inclinaison , dont la figure se, trouve, par ce fait , considérablement
altérée. Les méridiens magnétiques qui , en l'absence de cause d'a-
nomalie , seraient rigoureusement perpendiculaires à ces lignes ,
ayant une tendance à conserver cette propriété, se rapprochent outre
mesture les uns des autres dès le milieu de la Sibérie , et se dirigent
ainsi vers le pôle magnétique en passant sur les lies Melville et
Byani-Martin , où l'inclinaison de l'aiguille est , en eiïe^ , beaucoup
plus grande que le comporte la distance^ qui sépare ces îles du pôle
magnétique. Si actuellement nous portons notre attention dans
l'hémisphère sud, nous verrons également les méridiens magnétiques
se presser les uns contre les autres partout où de vaste» courants
d'eau froide abaissent la température d'une manière senâble. C'est
II. /»5
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554 NOTES
aiaii, en effet, que se présentent ceux de ces méridiens qui passent
dans les parages de l*iie de Rergaelen, où il existe un courant po-
laire qui prend probatriement son origine entre là terre d'Enderby
et les nouvelles terres antarctiques ; et c'est ainsi , enfin , que se
présentent les méridiens magnétiques qui, de la terre Victoria, où le
capitaine Ross a fait ses obserrations , traversent ce vaste courant
qui porte des eaux froides sur les côtes du Pérou , et dont j*ai,
le premier , fait connaître Torigine et l'étendue dans nne carte
publiée en 1851. Ces derniers fkits semblent établir que la terre
Victoria est placée , à Tégard du pôle magnétique austral, dans les
mémesconditionsque les lies Melville etByam-Martin le sont h Tégard
du pôle magnétique boréal ; qu'en conséquence il pourrait se faire
que la formule cot. L* ==^^^^ , qui aurait trompé les capitaines Sa-
bine etParry, s'il en avaient fait usage, ait trompé le capitaine Ross
en lui faisant croire que le pôle magnétique n'était qu'à 160 milles
du lieu de son observation, tandis qu'il en était à plus de 400 milles,
d'après les observations faites dans toute l'étendue du méridien ma-
gnétique d'Hobart-Town, tant par MM. Dumoulin et Coupvent, que
par les navigateurs qui les ont précédés.
On voit , d'après tous les faits rapportés dans cette notice, qu'il
n'y à pas opter entre les résultats des trois expéditions; mais, disons-
le , la coïncidence de la route parcourue par l'yistrolabe avec un
méridien magnétique est un fait indépendant de la volonté de nos
compatriotes. En s^éloignant d'Hobart-Town, M. d^Urville avait pour
but d*atteindre, par la voie la plus courte, les régions les plus éle-
vées en latitude , et ce sont les vents qui régnaient alors qui ont
fait prendre la' résolution de gouverner au sud de la boussole. Si
M. d*Urville avait suivi , comme Pont fait les capitaines Wilkes et
Ross, toute autre direction qu'un méridien magnétique, les inclinai-
sons observées pai* MM. Dumoulin et Coupvent , après le départ d'Ho-
bart-Town , ne seraient pas susceptibles d'être traitées par la mé-
thode des coordonnées, que j'ai expliquée à la détermination des
pôles magnétiques , et que je conseille d'employer de la même ma-
nière dans plusieurs piéric^ens magnétiques, lorsque l'occasion s'en
présentera , afin de garantir la position des pôles de l'incertitude
que présente encore , dans cette méthode , la déclinaison observée
dens les lieux où Pinclinaison est très grande.
Espérons que bientôt les nombreuses observations recueiUies
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SCIENTIFIQUES. 555
dans les trois expéditiims sde&tifiqaes, mentioiiiiées d-dessus, vien-
dront répandre de nouvelles lumières sur la belle et importante qoes*
tion qui nous intéresse.
NOTES RÉDIGÉES PAR M. F. ARAGO.
PHYSIQUE GiHERALE DU GLOBE.
Du bruU du eanon eoniiâiré comme moyen de disiiper les orages.
Les navigateurs paraissent assez généralement persuadés que le
bruit de Tartillerie dissipe les nuées orageuses et mémcf les nuées de
toute espèce; mais ils citent peu de faits authentiques à Tappui de
leur opinion. Ce que j^ai recueilli de plus net sur un sujet aussi digne
d'étude se trouve , à la date de 1680 , dans les Mémoires du comte
de Forhin^ publiés pour la première fois en 1729.
« Pendant le séjour que nous fîmes « dit cet intrépide marin, sur
« ces côtes (les côtes voisines de Carthaghie des Indes), il se for-
« malt journellement, sur les qua^ heures du soir, des orages mé-
« lés d'éclairs , et qui, suivis de tonnerres épouvantables , faisaient
« toujours quelques ravages dans la ville où ils venaient se déchar-
« ger. Le comte d'Estrée^ à qui ces côtes n'étaient pas inconnues, et
« qui, dans ses différents voyages d'Amérique, avait été exposé plus
N d'une fois à ces sortes d'ouragans, avait trouvé le secret de les dis-
« siper en tirant des coups dfo canon. Il se servit de son remède
« ordinaire contre ceux-ci : de quoi les Espagnols s'étant aperçus et
« ayant remarqué que dès la seconde ou la troisième décharge Torage
a était entièrement dissipé , frappés de ce prodige et ne sachant
« à quoi l'attribuer, ils en témoignèrent une surprise mêlée de
« fïrayeur, etc. »
Dans divers pays les agriculteurs » encouragés par TopinioQ 4^
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556 HOTBS
hommeg de gmrre « ont maintauBt reooarci an brait du cânon lors-
qu'à» M croient meuaoés d'un orage , et surtout d'un otage chargé
de grêle. A quelle époque cette pratique est-elle née ? Je ne saurais
le dire avec exactitude ; mais tout me porte à penser qu'elle n'est pas
très ancienne. Dans la première Encyclopédie, dont la publication
remonte à 1760, je lis à l'article Orage de M. de Jaucourt : « Nous
« avons ouï dire plus d'une fois à nos militaires que le bruit du ca-
« non dissipe les orages, et qu'on ne voit jamais la grêle dans les villes
« assiégées.... Cet effet du canon ne me paraît pas hors de toute vrai-
« semblance. Après tout, que risquerait-on à faire un ensA? Quelque
« quintal de poudre , les Irais de transport de quelques pièces de
« canon qui ne vaudraient pas moins après avoir été employées à cet
« usage. Peut-être qu'au moyen de cette espèce de mouvement d'on-
ce dulation qu'on exciterait dans l'air par l'explosion de plusieurs ca-
« nons tirés les uns après les autres, «n pourrait ébranler, diviser,
« dissiper les orages qui commencent à fermenter. »
Il ressort avec évidence de tout ce passage, qu'en 1765 l'emploi
des canons ou des haitee à feu comme moyen de dissiper les orages
n'était pas placé dans la pratique ; que les auteurs le recommandaient
encore à titre d'important sujet d'expériences; matt , à la date de
1769, on avait fait un pas de phis. Je trouve,. en effet dans k t. Vin
de V Histoire de l'air et des météores, qu'en mai 1769^ le eomté de
Chamb , en Bavière , essuya de violents orages ; que les campagnes
furent ravagées, excepté, cependant, « celles dont les habitants ont
fc introduit l'usage de faire, aux premiers coups de tonnerre cpii se
« fout entendre, des décharges multipliées de bottes et de pjstits
« canons. »
. C'est vers la même année 1769 que M. le wuarquis de Chevriers ,
ancien officier de marine , retiré dans sa terre de f^€mrenard (ÂÊd-
ponnais), imagina de combattre le fléau de la grêle de la manière
dont il avait vu en mer dissiper, à ce qu'il croyait, les nuées orageu-
ses, c'est-à-dtre à l'aide des explosions de l'artillerie, il eonsonttiait
annuellement, pour ce seul ot^ti deuï à trois cents livres de poudre
démine.
Le marquis de Chevriers mourut ai; o^nmenoement de la révo-
lution ; mais les habitante de sa commune , convaincus de la bonté
du procédé qu'il avait mis en usage , continuèrent à l'employer. Je
trouve dans un Mémoire rédigé sur les lieux pa^ M. Lesehevin^ oom-
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SGIENTinQUES. 357
iQîflsaire en chef des poudres et salpêtres, qii^èa 1806, les bottes m
les canons étident en usage dans les commnnes de f^auremf^^^ é'I^
§er^ ûUzé, de Bomanioki^ de Julnaê^ de Terrine^ de Pouiilffi de
Fleury^ de SainhSorlin, de f^iviin, des Bouteaux^ etc« La corn-
mane de Fleury se seirait d^on mortier qui reoevait une litre de
poudre à la fois; d'œitres employaient des bottes plus on moins
larges; o^est ordinairement sur les haatenrs que les déobarges se
faisaient. La consommation de pondre de mine était ^ pour ce seul
objet, de quatre à cinq cents kilogrammes par an.
Le procédé du marquis de Chei^rieri n'est pas resté concentré
dans le Màamnaiê. Naguère un maire des environs de Blciê m*ap^
prenait que (kns sa commune on tirait également des bottes à rap-
proche des orages, et désirait savoir si la science avait légitimé cette
coutume, ce qui, par parenthèse, ne semblait pas indiquer que Pu-
sage eu eût complètement démontré refflcacité«
La méthode màeonnaiiêe on bavtxraisê de dissiper les orages se
fonde jusqu'ici sUr une opinion des marins et sur Vohêêreation uni-
que recueillie dans les pannes de Cêrthagène dêi Indeê; mais, en
matière de météorologie, Texpénence de quelques jours ne semble
guère pouvoir servir de base à des conclusions générales. En cher-
ehant dans ma mémoire si je ne trouverais fms quelque fait qui vtnt
à Tappui de (»lui que Forbm rapporte, j'en ai tronvé Un qui est pré-
cisément tout l'opposé, et, chose remarquable, c'est aussi un amiral
du temps de Louis XIV, et ce sont encore les côtes orientales de l'A-
mérique qui s'y trouvent en jeu»
TransportoBs^ious par la pensée au mois de septembre 1711 , et
nous trouverons l'escadre de Dugtmy-JYouin^ en vue de Bio*Ja*
netro. Cette escadre, composée des vaisseaux le Lyê, le Magnanime)
le Brillant, l'Achille^ le Glorieux y le Mars; des frégates VAtgo*
naute^ VAvMoone , Uk Belhmé, l'Aigle ^ et de plusieurs navires de
moindres dimenst(Hi8, emploiera tonte la journée du 19 à forcer l'en-^
trée de la rade , défendue par la formidable artillerie d*un grand
nombre de forts et par celle de quatre vaisseaux et de trois frégates.
L'intervalle du 19 an 19 sera, de jour comme de nuit, sera un combat
continuel de mousqueterie et d'artillerie. Des galiotes lanceront des
boBtbes; les Pcnrtngais mettrcmt le fén à phisienrs foomea»t de mi-
ne»; ils feront éatâer pluHevrs de lewrê vaUseauâfy fis incendie-
ront beaucoup de magasins^ etc. Enfin, le 90, jour de la prise de la
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558 NOTES
pUce, deux tâisManide Du§uayhTromn^ le Brillant et le Mare;
la batterie de l'ile des Chhwee^ composée de cinq mortiers et de dix-
hoit pièces de fi4, feront un feo continael qui rasera une partie des
retranchements de la ville ; la nuit, le signal donné par le comman-
dant sera suivi d*un feu général des batteries et des vaisseaux, et cela
n^tmpécherapae qu'il n'éclate un orage accompagné, dit Duguay^
Ttouin, âee éclate redoublée d^un tonnerre affreux et d'éclairs
qui se succéderont les uns aux autres sans laisser presque aucun
intervalle.
Voilà une expérience dans laquelle se trouvaient assurément réu-
nies toutes les conditions désirables de succès, et cependant mille
et mille détonations bien plus intenses que celles des petits canons,
des petites bottes du Maçonnais^ n'empêchèrent pas V orage de
naître f et, une fois formé, ne le dissipèrent pas.
Si tin seul fait, celui que f ai emprunté à Forbin^ n^a pas semblé
démontrer suffisamment que des détonations ont la propriété de dis-
siper les orages, on pourra bien ne point voir dans le fait isolé que,
d*autre part , j*ai tiré des Mémoires de Duguay^TYouin , la preuve
de la thèse inverse. Sans aucun doute , celui qui aurait sous la main
les annales détaillées des dernières guerres, y trouverait une multi-
tude de documents propres à éclaircir la question que nous venons
de débattre. J'en rapporterai deux qui me reviennent à la mémoire,
dans Tespérance qu'ils provoqueront des citations analogues.
Le S5 août 1806, c'était le jour qu'on avait choisi pour l'attaque
de l'ile et de la forteresse de Dannholm, près de Stralsund; le gé-
néral Fririon^ afin d'occuper et de fatiguer la garnison suédoise, la
fit canonner toute la journée, llalgré ces vives et continuelles dé-
charges d'artillerie, un violent orage éclata sur les neuf heures du
soir.
Par une rencontre singulière, le Duke, vaisseau anglais de 90, fut
frappé de la foudre, en ±79^, pendant qu*il se canonnait atec une
batterie de la Martinique^
Voici, enfin, le résultat d'un petit travail qui, à défaut d'expérien-
ces plus directes, pourra ne pas paraître totalement dépourvu din-
térét.
Il y a dans le bois de Fincennes, âi près de deux lieues de Vùb-
sertatoire de Paris, un polygone où l'artillerie s'exerce pendant
certains mois de l'année. Ce polygone est armé de huit pièces de
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SCIENTinQUES. 559
siège tirant de plein fouet; de quatre pièces de siège tirant à rico-
chet; de six mortiers, et enfin d'une batterie mobile de ^ pièces.
Les écoles ont lieu, certains jours de la semaine, de sept à dix heures
du tnatin. Le nombre de coups qu'on tire chaque jour est d'environ
cent cinquante. Comme leur retentissement est encore très fort à
rObservatoire , il m'a semblé que s'il exerce sur l'atmosphère l'in-
fluence à laquelle croient tant de persoànes , le ciel doit être plus
rarement couvert les jours d'école , les jours de tir, que les autres
jours de la semaine. Telle est Vidée que j'ai soumise à une discussion
minutieuse.
M. le général Duehan^ commandant de l'école de HncenneSy a
bien voulu, à ma prière, faire dresser le relevé des jours où il y a eu
tir de Tartillerie, depuis 1816 jusqu'en 1855. Le nombre total de ces
jours s'est trouvé de six cent soixante-deux.
Les registres météorologiques de l'Observatoire m'ont donné, pour
chacun des six cent soixante-deux jours d'école , l'état du ciel à
neuf heures du matin. Dans ces six cent soixante-deux jours, il s'en
est rencontré cent cinquante-huit pendant lesquels le ciel , à neuf
heures, était entièrement couvert. Sans le tir du canon, ce nombre
aurait-^l été plus considérahlef
Il m'a semblé que je mettrais la solution du problème à l'abri de
toute contestation , en faisant pour chaque veille de jour d'école ou
pour chaque lendemain , le recensement météorologique dont je
viens de parler, et en prenant la moyenne des deux nombres pour
l'état normal météorologique des jours d'école, je veux dire pour cet
état dégagé de toute influence possible du bruit de l'artillerie. Les
résultats ont été :
Parmi les six cent soixante-deux veilles de jours d'école , cent
vingt-huit jours couverts ;
Parmi les six cent soixante-deux jour* d* école ^ cent cinquante-
huit jours couverts ;
Parmi les six cent soixante-deux lendemains des jours d'école ^
cent quarante-sbc jours couverts.
La moyenne de cent quarante-six et de cent vingt-huit ou cent
trente-sept est tellement inférieure à cent cinquante-huit , qu'on
serait tenté d'en conclure qu'au lieu de dissiper et de chasser les
nuages, le bruit de l'artillerie les condense et les relient ; mais je sais
très bien que les nombres sur lesquels j'ai opéré ne sont pas assez
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560 IfOTBS
forts pour permettre d'aller ju9que*là. Je oie bomerei seulement à
dire que^ relativement aux nuages eommuns, la détonation des plus
forts canons parait être sans influence.
Voilà donc encore un problème qui exigera de nouvelles reeher*
ches. Je prendrai la liberté de les recommander à MM. les géné-
raux commandants de nos écoles d*artillerie. Des observations sur
Tétat du del recueillies dans le polygone même pendant le tir, au-
ront un grand prix. Celles qui seraient faites à une ou deux lieues
de distance ne contenteraient pas des esprits difficiles : on pourrait
craindre qu'à la station météorologique , ratmospbère ne devint ex-
ceptionnellement couverte par suite du refoulement des nuages qui,
sans le tir, se maintiendraient au zénitb du polygone. Entons cas, il
sera indispensable de joindre aux observations d^ chaque jour d'école
les observations de la veille et celles du lendemain, faites bien exacte-
ment, toutes trois, aux mêmes hemres. Si Ton se contentait de noter
les variations de temps pendant la durée du tir, on courrait évi-
ment le risque d'attribuer aux détonations de l'artillerie le change-
gement dans l'état du ciel qui presque tous les matins se manifeste
à mesure que le soleil s'élève sur l'horizon *.
Est-41 prouvé^ en fait^ que dei paratonnerres aient préservé des
ravages de la foudre des BATiMBirrs sur lesquels on les avuU
établis f
D'après la manière dont la question vient d'être posée, chacun a
déjà deviné que nous essaierons ici de la résoudre par les simples
faits et sans recourir en aucune façon aux déductions, du reste, si
simples, si directes, si légitimes, qui tout-à-l'heure nous dévoilaient
le mode d'action des paratonnerres. Les faits ^ nous les emprunte -
terons, comme on verra, à tous les temps et à tous les pays ; ils se-
* Dans les 662 jours d*école de FtncefifiM , on a compté en joars parfaitement
sereiiM,
Les veilles des écoles, 83
Les jours d*école, 84
Les lendemains, 8o
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SCIENTIFIQUES. 564
ront nombreux, car c'est par leur nombre qo'îls acquièrent du prix
et de rimportance.
Le temple des Juifs, à Jérmalem, exista depuis le temps de Sa-
lomon jusqu^à Tan 70 é^ Jésus-Christ , ce qui fait un intervalle de
mille ans. Ce temple, par sa situation, était complètement exposé
aux orages très forts et très fréquents de la Palestine, Cependant ,
la Bible et Josèphe ne disent pas que la foudre Tait jamais frappé. Si
Ton se rappelle avec quel soin les anciens peuples enregistraient les
tonnerres qui produisaient quelques dégâts ; combien de fois , par
exemple, les annales de Borne font mention de ceux qui atteignirent
le Capitule ou d^autres édifices. On ne pourra guère expliquer le
silence de rÉcriture-Sainte à ce sujet, qu'en admettant avec l'orien-
taliste Michaëlis, que le temple de Jérusalem ne reçut pas en dix
siècles un seul coup véritablement foudroyant. Veut-on ajouter à la
probabilité de cette conclusion? Je rappellerai que l^ temple, hoisé
intérieurement et extérieurement, aurait certainement pris feu si
un seul coup de tonnerre était venu le frapper.
Le fait une fois bien établi , nous devons , à la suite de Michaëlis
et de Lichtenherg, en chercher la cause. Cette cause est très simple.
Par une circonstance fortuite, le temple de Jérusalem se trouvait
armé de paratonnerres semblables à ceux qu'on emploie aujour-
d'hui et dont la découverte appartient à Franklin»
Le toit du temple, construit à l'italienne et lambrissé en buis de
cèdre recouvert d*uiie dorure épaisse, était garni d'un bout à l'autre
de longues lances de fer ou d'acier pointues et dorées. Au dire de
Josèphe , l'architecte destinait ces nombreuses pointes à empêcher
les oiseaux de se placer sur le toit et d'y laisser tomber leur fiente.
Les faces du monument étaient aussi recouvertes , dans toute leur
étendue, de bois fortement doré. Enfin, sous le parvis du temple
existaient des citernes dans lesquelles l'eau des toits se rendait par
des tuyaux métalliques. Nous trouvons ici , et les tiges des paraton-
nerres, et une telle surabondance de conducteurs , que Lichtenberg
avait toute raison d*assurer que la dixième partie des appareils de
nos jours sont loin d'offrir dans leur construction une réunion de
circonstances aussi satisfaisante.
Définitivementi le temple de Jérusalem, resté intact pendant plus
de mille ans, peut être cité comme la preuve la plus manifeste de
l'efllcacité des paratonnerres.
II. A6
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562 NOTES
Dans la ûÊrMhie, m détêm du eoaite OraM, Téf^ise, plaoéa rar
ane éminence, était si souvent frappée de la foadra» il y arrivait tant
d'accidents déplorables,- qu^on atait fini par ne plus y célébrai) le
service divin en été. lians le courant de Tannée 1T30, un seul eeop
de foudre détruisit entièrement le clocher. Après qa^l fnt rétabli, le
météore continua, terme taioyen, à le frapper quatre ou cinq fois par
an. Dans ce calcul , je prie bien de le remarquer, [on ne tient pas
compte des orages extraordinaires pendant lesquels cinq et même dix
coups foudroyants atteignaient le clocher dans une seule journée.
Vers le milieu de 1778, à la suite d*un de ces orages, le bâtiment
menaçant de nouveau ruine, il fut démoli et reconstruit immédiate-
ment après; mais , cette fois , on le munit d'un paratonnerre pointu
et d'un bon conducteur. En 1785, date delà note de Lichtenberg où
je puise tons ees détJliU, c*est-è-dire après une période d'environ
cinq années^ 9fï lieu de vingt d vingt'dnq coups , le clocher n^en
avait reçQ qu'un, et celui-là même était tombé sm* la pointe métal-
lique sans produire aucun accident.
Dans le printemps de l'année 1750, la foudre tomba sur la tour de
TégUse hollandaise de New- York. De la cloche elle se rendit à l'hor-
loge établie sept à huit mètres plus bas^ en suivant , à travers plu-
sieurs plafonds, le fil métallique à l'aide duquel les rouages mettaient
en mouvement le marteau des heures. Tant que le métal ne lui man-
qua pas, elle ne fit aucun dégât dans la bâtisse; elle n'élargit même
pas les trous qui donnaient passage au fil à travers les plafonds, quoi-
que leur diamètre ne fût guère que de treize millimètres. Jusqu'à
quelque distance de sa partie inférieure, le fil n*éprouva d'autre dom-
mage que celui d'être réduit aux deux tiers de son épaisseur primi-
tive. Dans le bas, sa fusion fut complète; mais aussi, à partir de là,
la foudre s'élança sur les gonds d'une porte voisine, brisa la porte et
se dissipa.
En 1763 , le tonnerre tomba sor le mêm^ clocher avec dès effets
identiques^ quoique le fil de communication entre le marteau de la
cloche et le^ rouages de Uhorloge eût été remplacé par une petite
chaîne en cuivre. *
En 176K, nouvelle explosicm. Alors, la tige de là pirouette com-
muniquait avec un conducteur en fer, extérieur, continu, et qui des-
ceadait jusque dans le sol humide ; aussi , la porte et le fil du mar-
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SG1ENTIFI<ÎUES. S65
teau de Thorloge restèrent celte Uns parfaitement întaots ; la bâtiBse
n^éprouva également aucun dommage. '
Depuis sa constracticm, Féglise de Sainê-Mchel^ fi (^ênrleêtowt^
était visitée et endommagée par la foudre, chaque deuoi <m tnoU ans^
On se décida à y placer un paratonnerre. En irf 4, M. Henley appre-
nait d'Amérique, que durant la période de quatarsie ans qui s^étaît
écoulée à partir de l'établissement de Tappareil, Téglige n'arat plus
été frappée.
En 1772, Toaldo imprimait que le château roffûl de Turin, le ya-
lentino, n'était plus frappé de la foudre depuis qutBeecaria avait
armé ses principaux pavillons de tiges métalliques élancéesauxqnelles
aboutissaient des fils pénétrant dans le sol. Avant cette époque , le
château était souvent ravagé.
Le clocher de Saint-Marc , à Fenise ■., dont la construction date
d'une époque très reculée, n'a pas moins de. 104 mètre^i (^20 pieds)
d'élévation. La seule pyramide qui le surmonte a 27 mètres 6 milL
(85 pieds). Le tout se termine par un ange en bois recouvert de
cuivre, de 5 mètres 1 milL (9 pieds 6 pouces) de haut.
La grande élévation de ce clocher, sa position isolée et p»*-dessud
tout la multitude de pièces de fer qui enU*ent dans sa-oonstruetion ,
l'exposaient fortement à la foudre. Aussi a-t-il été fréquemment
frappé, Malheureusement les registres de la ville ne mentionnent pas
tous les coups ; ils n'ont relaté, en général , que ceux qui nécessitè-
rent de dispendieuses réparations. En voici^ au surplus, le tableau :
±^$S, 7 juin (point de détails) ;
1417, la pyramide incendiée ;
1489, 12 août, la pyramide réduite de nouveau en cendres ;
1548, ... juin (point de détails) ;
1565, {idem) ;
1655,-^ — {idem);
1745, 25 avril, grands dégâts : trente-sept crevasses menaçaient la
tour de ruine ; la réparation coûta plus de 8,000
ducats;
1761, — f— , dégâts peu considérables ;
1762, 25 juin, de notables dommages.
Au commencement de l'année 1776 , le clocher de Saint-Marc fut
armé d'un paratonnerre. Il n'est pas venu à ma connaissance que de-
puis cette époque il ait été endommagé par la foudre.
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564 NOTES
la belle tour de Sienne était trëssouTent foudroyée^ et, chaque
fois, fortement endommagée. A peine fut-elle pourvue, en 1777, d'un
paratonnerre, qu*elle reçut, le 18 avril, une nouvelle décharge. Seu-
lement cette fois le météore ne produisit absolument aucun dégâU
Je Us dans un mémoire de M. W.-S. Harris, qu'il y a en Devon-
shire iix églises surmontées de clochers élevés ; que toutes les no?,
dans le court intervalle de quelques années, ont été frappées par la
foudre ; qu'une seuk Ta été sans avoir éprouvé de dommage, et que
c'est précbément aussi la seule qui soit armée d'un paratonnerre.
Genève est fort exposée aux orages , et cependant les tours de sa .
cathédrale, quoiqu'elles soient l'édifice le plus élevé de la ville, quoi-
qu'elles dominent sur tous les objets placés dans les environs à une
grande distance, jouissent depuis plus.de deux siècles et demi du pri-
vilège de n'être point foudroyées. Au contraire, le clocher, beaucoup
plus bas, de Saint-Gervais , est assez souvent endommagé par le
météore.
Saussure cherchait, dés Tannée 1771, la cause de cette singulière
anomalie , et il la trouvait dans les conducteurs accidentels dont les
tours sont munies. La tour du milieu existe depuis près de trois cents
ans, <c et comme elle est toute en bois, dit Saussure, elle a dû tou-
V jours être, comme elle Test encore actuellement, recouverte de fer-
« blanc de haut en bas ; or, il est aisé de concevoir qu'un volume
n aussi considérable de métal a toujours dû faire un excellent con-
« ducteur, et que sa large base communiquant avec toutes les parties
« de l'édifice, a pu facilement rencontrer dans son étendue quelque
Cl matière qui achevât la communication. » Ajoutons, pour compléter
l'explication de l'illustre physicien, que la communication avec le sol
se faisait, à des degrés différents il est vrai, par foutw les matières,
par toutes les parties de l'édifice, et que le nombre suppléait ainsi à
l'intensité. Disons, enfin, que les tuyaux de plomb ou de ferblanc
adaptés depuis plus d'un siècle aux murs du temple et qui condui-
sent les eaux pluviales sous terre, forment une communication peut-
être plus parfaite que celle des barres ordinaires.
La grande colonne de Londres^ nommée le Monument, fut élevée '
dans l'année 1677, par Christophe Wren^ en commémoration du
grand incendie de cette capitale. Elle a environ 62 mètres (202 pieds
anglais) de hauteur, à compter du pavé de Fish-Slreet. Sa partie su-
périeure se termine par un large bassin de métal, rempli d'un grand
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SCIENTIFIQUES» 565
nombre de bandes également métalliqncs, plus ou moins contour-
nées, dirigées dans divers sens, et qui, étant destinées a figurer des
flammes , sont toutes terminées en pointes très aiguës. Du bassin
jusqu*à la galerie, descendent verticalement quatre fortes barres de
fer qui servent d'appui aux marches deTescalier de môme métal abou-
tissant au bassin. Une des quatre barres (elle n*a pas moins, à sa base,
de cinq pouces de large sur un pouce d'épaisseur) est en communi-
cation avec les mains courantes en fer de Tescalier, lesquelles des-
cendent jusqu^au sol. Tout le monde retrouvera ici les pointes mul-
tiples de certains paratonnerres, et le conducteur. Je ne sache pas
que, dans les cent soixante années qui se sont écoulées depuis 1677,
un seul coup de foudre aitfirappé le Monument.
Le 12 juillet 1770,1a foudre tomba simultanément, kPhUadel-
phie^ sur un êloop dépourvu de paratonnerre, sur deux maisons qui
étaient dans le-méme cas, et sur une troisième maison défendue par
un de ces appareils, bans les quatre points la détonation parut épou-
vantable. Les deux premières maisons et le sloop furent gravement
endommagés; la maison armée d'un paratonnerre resta parfaitement
intacte : on remarqua seulement que la pointe de la tige était fondue
dans une assez grande longueur.
En 1815 , dans le mois de juin , au port royal de la Jamaïque , le
vaisseau le Norge et un navire marchand, non munis Tun et l'autre
de paratonnerres, furent frappés par la foudre et gravement endom-
magés. Les autres bâtiments, en grand nombre, que le port renfer-
mait, dont le Norge et le navire marchand étaient entourés, n'éprou-
vèrent aucun dégât : tous ceux-là avaient des paratonnerres.
En janvier 1814, le tonnerre tomba dans le port ûePlymouth.
Des nombreux vaisseaux stationnant dans VHomoasc , un seul fut
FRAPPÉ et endommagé. Ce vaisseau, le Milford^ était aussi le seul
qui, dans le moment, ne se trouvât pas armé d'un paratonnerre.
En janvier 1850, dans le canal de Corfou, trois coups de foudre
terribles atteignirent le paratonnerre du vaisseau anglais l'Etna :ïe
bâtiment n'en éprouva aucun dommage. Les vaisseaux, «on^paro-
tonnerres, le Madagascar et le Mosqueto, placés non loin de l'Et-
fia, furent également frappés : sur ces deuK navires il y eut des dé-
gâts considérables.
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566 NOTES
Leêpafatonnerreê à tiges élancées et pointues attirent-ils
la foudre f
Je viens de prouver que la foudre ne produit point de d^ât dans
les b&timents où elle tombe, quand ces bâtiments se trouvent armés
de bons paratonnerres. Les paratonnerres » pourvu qu'on les multi-
plie suffisamment, sont des préservatif à peu près certains. Je ne
connais aucun cas où ils se soient montrés inefficaces , sans qu'en
même temps des défauts palpables de construction n'aient été immé-
diatement découverts. Je ne voudrais pas affirmer, cependant, que de
très rares exceptions soient àbsohêmefU impossibles. Si l'existence
d'une action puissante des barres métalliques et particulièrement des
barres pointues, soit sur la matière fulminante renfermée dans les
nuages^ soit sur cette même matière quand elle s'est déjà échappée à
l'état â'édair en siig-ieg^ ne peut guère donner lieu à des difficultés
sérieuses , il n'en est plus ainsi du cas où la matière de la foudre a
pris la forme d'un glàbe d^ feu et paraît s'être assimilée des sub^
stances pondérables. Ces cas exceptionnels, au surplus, doivent être
si rares qu'ils ne valent pas la peine de nous occuper. Aussi n'est-ce
pas de ce c6té que les paratonnerres excitent des scrupules ; leur
propriété préservatrice n'est plus guère niée; seulement on croit
qu'à raison du mode d'action qui leur est propre, ils attirent ta fou-
ére; on prétend qu'une maison pourvue d'un paratonnerre est plus
souvent fouâroyêe que si le paratonnerre n'y était pas.
Cette opimon^ Nollet la soutenait en 1764; JVilson aussi s'en
montra le très ardent avocat. Or, comme la garantie du conducteur
ne paraissait pas infaillible, la multiplicité des coups, conséquence
présumée de l'action de la pointe , devait, suivant ces deux physi-
denSf anéantir et au-delà les bons effets du conducteur. Voilà com-
ment ils arrivèrent à déclarer que les paratonnerres de Franklin
éttdênt phis dangereux qu'ouates.
J'exciterai probablement quelque surprise si j'affirme qu'il y a des
indices assez évidents de l'opinion que les pai^tonneires à tiges poin-
tues augmentent le nombre des coups foudroyants, même dans les
écrits des partisans les plus déclarés de l'invention de Fi'ankUn ;
mais, je le demande, que signifierait, sans cela, ce précepte de Toal-
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SCIENTIFIQUES. 567
49 ; <f A regard des magasins à pondre , il con^>%ent de êe tênêr êur
« la défmfive^ de ne pas placer de pointe epr Tédifice, et de se con^
« tenter de mettre toutes les pièces métalliques quV)n y remarque en
« communication avec le conducteur? » Ce préjugé détourne beau-
coup de personnes de recourir aux paratonnerres, par un sentiment
analogue à celui qui les tiendrait éloignées d'un épais parapet en
terre contre lequel seraient incesssanment dirigés les impuissants
boulets d'une batterie; mais il sera renfersé de fond en comble si
Ton veut seulement prendre la peine d'examiner avec un peu d'at-
tention les faits rapportés dans le chapitre précédent.
Que voyons- nous, en eÉFet, dans l'église de Carinthief Quatre ou-
cinq coups par an tant que le paratonnerre n'existe pas, et un coup
dans cinq ans après l'établissement de cet appareil.
Dans l'église de Charlestown^ la diminution est telle qu'en qua-
torze ans il n'y a pas un seul coup foudroyant, tandis qu'à en juger
par ce qui arrivait avant que le paratonnerre fût construit, on aurait
éù en observer six ou sepj;.
Au f^alentino, les paratonnerres de Beccaria font totalement dis-
paraître les coups foudroyants , qui précédemment étaient si com-
muns.
Le Monument^ à Londres, malgré son paratonnerre accidentel, ne
parait pas avoir été foudroyé en cent soixante ans.
En 1814, dans Vhamoase de Plymouth^ parmi un grand nombre
de bâtiments , un seul est atteint d'un coup foudroyant , et ce bâ-
timent est le seul aussi qui n'ait pas de paratonnerre.
Voici, enfin, un cas qui nous présentera la nature sur le fait :
Le 21 mai 1851, pendant un très violent orage , le vaisseau le Ca-
ledonia était à la voile dans la baie de Plymouth, De la ville on
voyait la foudre se précipiter vers la mer à de médiocres distances
du vaisseau j elle tombait aussi sur le rivage et y occasionait divers
accidents. Entouré de tous ces coups foudroyants , le Caledonia ,
armé de ses paratonnerres, n'était jamais atteint, et il naviguait avec
la même sécurité que par un ciel serein.
J'ai cité beaucoup de cas, parce qu'en pareille matière rien ne peut
suppléer au nombre. Un, deux faits isolés,, favorables ou contraires à
la thèse que j'avais en vue , auraient été sans importance. La cause
de la curieuse influence exercée par les paratonnerres , et que nous^
venons de constater , sera entrevue de tout le monde , en se repor-
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368 NOTES
tant aux expériencei de Beecaria sar le nombre prodigieux d*étîa-
celles que dans des temps orageux les tiges aiguës du ralentino en«
levaient silencieusement aux nuages. An surplus, clair ou obscur sous
le rapport théorique, le fait n'en est pas moins certain : les paraton-
nerres^ nulle conclusion, ce me semble, ne pourrait clore plus con-
venablement cette Notice , les paratonnerres n'^oni pas seulement
pour effet de rendre les coups foudroyants moffensifs ; par leur
influence te nombre de ces coups est^ en outre, considérablement
réduit.
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REPONSE
A UN PASSAGE BtJ LIVBE INTITULÉ :
VOYAGE
AV PO&S fUH XT 9ANB VOCÈAVTE^
SUR LES C0RVBTTI8
L^ASTROLABE ET LA ZÉLÉE,
PAK M. DUMONÏ-D'UBVILLE.
J^mrais gardé le silence en présence d*une grande catastrophe ;
je me serais tenu sur la réserve en face d'une tombe à peine fermée ;
mais la mort de Tamiral Dnmont-d*Ur?il1e n'ayant point interrom-
pu la publication de son ouvrage qui contient contre moi des alléga-
tions de nature à compromettre mon honneur, et de fâcheuses récri-
minations s'en étant suivies, je dois répondre.
« Il est peut-être convenable de faire savoir au lecteur que j*avais
moi-même attaqué le premier, aussitôt après notre retour, certains
stctes de la campagne ; mais cette occasion, que je ne cherchais pas et
qui m'est offerte, me permettra d'expliquer quelques incidents trop
rapidement traités dans mon livre , et d'indiquer les causes pour les-
quelles j'ai été privé d'une justice que l'on croirait tout d'abord ne
devoir foire défaut à personne.
On lit dans le deuxième volume de la relation 'de notre voyage ,
piâ)liée sous les auspices de la marine (pages 65 et 64) , ces mots ac-
cusateurs :
lï. hl
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570 NOTES
« M. pombron s^était rendu à mes raisons, à mes assurances pour
m le reste du voyage ; mais H. Le GuiUou , sous le prétexte d'hu-
« manité, persistait à dire que le mal existait toujours chez ces hom-
« mes , prêt à reparaître au premier moment et à sévir avec plus de
« force que jamais. »
Sauê le prétexte d'^ht4manitéf me paratt une allégation mons-
trueuse M. d'Urville ignorait-il donc qu'il faut autre chose que
des prétextes pour attaquer Thonneur d^un officier?
S11 existait encore Tauteur de ces lignes malveillantes, je relèverais
les faussetés et les perfides insinuations qui les suivent Au-
jourd'hui, après avoir fait remarquer la présomption du capitaine qui
veut , à propos de maladie, imposer ses opinions à un premier mé-
decin de navire, je me bornerai à prouver que le passage que j'ai
transcrit s'éloigne beaucoup de la vérité.
Chacun peut facilement constater que la Zélée a été envahie par
le scorbut bien plutôt que l'Astrolabe; qu'elle a eu beaucoup plus
de malades, environ le double , et des malades plus sér ieusemenl
atteints
On lit dans le livre même du capitaine :
« Trente - huit scorbutiques sont alités à bord de la Zélée •
m dont sept ou huit à toute extrémité. Chez nous (à bord de VAe-
« trolahe) , une vingtaine de matelots sont sur les cadres; deux
« ou trois seulement laissent des inquiétudes.» (Tome Q, notes,
pages S59).
« Ayant appris que notre hôpital temporaire à terre était disposé,
« et le temps étant plus beau, je donnai Tordre que les malades
« des deux navires y fussent transportés dans la matmée. Cette opéra-
« tion fut longue et pénible, surtout à bord de la Zélée, où le nom-
« bre des scorbutiques était beaucoup plus grand. » ( Ibid.^ texte ,
page 15.)
« Tous les scorbutiques de V Astrolabe avaient successivement
« rallié le bord, et les derniers rentraient dans la journée, (le 29
« avril). Il ne reste plus à l'hôpital qu'une douzaine d'hommes de
« la Zélée » {Ibid., page 49. )
Il n'yavait doncpas lieu d'établir aucune paritéentre l'état sanitaire
des deux bâtiments, et quand le médecin de V Astrolabe était parfai-
tement rassuré, moi, médecin de la Zélée, je pouvais conserver des
ei'aintes bien fondées; et, par suite , j'engageai le commandant d'Ur**
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SCIENTIFIQUES. 574
ville à prolonger, autant qne possible , la relâche da Chili ^ afin de
consolider la guérison de nos scorbutiques.
Sa réponse fût :
•^ « Décidez , médecin; si vous jugez que la Zélée ne puisse re-
mettre sous voile immédiatement , je donnerai l^ordre au capitaine
Jacquinot de rester ici juçqu^à guérison parfaite de tous vos hommes;
et ensuite vous retournerez en France. »
Je répliquai:
. — <c Commandant, sauf quelques malades que je vous conseille
de débarquer ici , Téqnipage de la Zélée est à la rigueur en état
de reprendre la mer; les convalescents qui nous restent se ré*
tab liront je Tespère, au moyen de soins hygiéniques, si vous
prenez la précaution d*emporter pour eux quantité de vivres trm,
dont Tusage journalier prolongera les bons effets obtenus par
leur séjour à terre ; mais je dois vous prévenir que la plupart de ces
hommes ont reçu une violente secousse, (jii'ils s*en ressentiront pen-
dant tout le reste de la campagne, et que si jamais une nouvelle épidé-
mie vient à fondre sur nous, l'équipage de la Zélée n'opposera qu'une
iiaible résistance aux causes de distruction. »
Le scorbut qui avait à peine effleuré VJstrolàbe avait tué deux hom-
mes à bord de la Zélée^ et je restais sous cette fâcheuse influence. Mais
hélas 1 j'ai été prophète d'un bien triste avemr ! car, plus tard, la
dyssenterie nous a enlevé dix-neuf de nos braves compagnons. On
n'attribuera donc pas mes prédictions à un vain prétexte d'huma-
nité, l'on sera plus logique en y voyant le besoin de mettre ma res-
ponsabilité à couverte
Mais il est des chefs qui ne souffrent point d^observations» quelque
raisonnables qu'elles soient, et qui incriminent vos intentions, ne
pouvant point incriminer vos actes.
. M. dUrville était tellement pénétré de son autocratie, qa'ii ne
se fusait aucun scrupule de transgresser les recommandationsles plus
expresses du ministère Sesinstructionscontenaientcettephrase :
« roui n^ùublierez pa$ que laplui belle découverte êcienti'
fique nevautpas la vie d'un homme »
Et il disait â cela :
~« L'humanité ! c^est bon pour vou$^ médecin; et même cette qua-
LiTiS honore votre caractère ; quant à moi , j'e ne m'en soucie pas,
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572 NOTES
et je conduk mes matelote à la mêr, comm$ im capUainô €<m4uU
ses soldatê au feu* »
Il ne fallait pas lui objecter que le médecin fût tant soit peu res-
ponsable de Tétat sanitaire ; il vous répondait brutalement :
— « rouSy méâeciny vous n'êtes à bord que pour voir mourir du
monde; c'est votre métier, »
' Lui, capitaine de navire, qui estimait si peu la vie des matelots, devait
cependant connaître les règlements delà marine, dont voici le texte :
« Le médecin proposera au capital les mesures quHl jugera né-
« cessalres pour prévenir les maladies ou pour arrêter les progrès de
« celles qui se seraient manifestées. » (Ordon. du 51 octobre 1827,
art. 618.)
Une autre fois, peut-être, je développerai ce précepte; mainte-
nant il me suffit de Pindiquer pour pronver que les fonctions do
médecin à bord d*un navire ne sont pas aussi passives, aussi rétrécies
que M. â'Unrttle semblait le croire. Je ne sortais pas de mes attribu-
tions sévèrement prescrites en prenatit Tinitiative pour certaines
mesures qui intéressaient au plus baut degré la vie des hommes con-
fiés à ma sollicitude.
Continuons Thistoire sommaire de nos pertes douloureuses...
Deux motifs, qu'il n'est pas absolument nécessaire de rappeler ici,
m'avaient obligé de cesser complètement mes relations de service avec
le capitaine de la Zélée ^ et le 9 octobre 1859, étant mouillés sur la
c6te de Sumatra, je me rendis à bord de VAstrolàhe, afin de faire
savoir au chef d'expédition que la Zélée était envahie depuis plu-
sieurs jours par la dyssenterie V Astrolabe ne comptait encore
aucun malade , mais le lendemain de fâcheux symptômes surgirent ,
et l'on appareilla sans prendre aucune disposition générale con-
tre le fléau dont nous ressentions les premières atteintes.
Après vingt-cinq jours de mer, le vosà avait UàX de terribles pro-*
grès, et le 6 novembre, j'obtins de retoomer à bord de ^AstroMe,
afin de oonc^rter avec le commandant dlJrvilk ce qui ponrrûl être
le plus avantageux pour nous.
— « Déjà deux malades sont morts , lui dis-je ; vingt autres , dont
deux officiers, courent des dangers imminents, et dans le reste de
* La plupart de ces phrases sont extraites textuellement de mon rapport of-
ficiel , dent M. dUrvOle a dû prendre connaissance dans les bureaux du onnistère»
car il'Y était déposé plus de qi^Qze mois avant sa déplorable fin.
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SCIENTIFIQUES. 575
réquipage je compte une douzaine d'individus peu valides ou de
convalesoentsaffaiblis; quelque décision que vous preniez, je perdrai
encore plusieurs malades , mais je conserve Tespoir d'en sauver la
plus grande partie, si d'ici à quinze ou vingt jours vous pouvez leur
procurer le repos à terre ».
Le commandant accueillit mon rapport avec une indifférence mar-
quée.
— « À bord de T^^tro/ote^ dit-il, c'est identiquement semblable i
mais jusqu'à présentée n'est rien que cela c'était bien autre
chose à la dernière campagne. Au surplus , l'homme est fait pour
mourir; un peu plus tôt un peu plus tard.... et Une faut pas vous
désoler, médecin, si vous ne reculez pas toujours le moment fatal...
Ce qui abrège la vie du matelot, c'est la débauche et l'ivrognerie...»
Puis M. d'Urville se laissa aller à de froides plaisanteries , ou à des
réûexions philosophiques qui me parurent au moins fort déplacées.
De ce moment, je dois l'avouer, date ma désaffection pour M. dTr-
ville ; cependant , je ne me déconcertai point, et j'insistai pour qu'il
examinât l'opportunité d'un changement de route.
Et voici notre position : SI» â' lat. S. , 90o lU' long. E. -— Nous
étions à peu près à 200 lieues de rétablissement de la rivière des
Cygnes ; à 500 du port du Roi-Georges; à 640 de l'Ile-de-France ; à
880 de Hobart-Town... Les vents régnaient de la partie de l'E.
— « Où voulez-vous que nous allions? me dit M. d'Uville.
— d Commandant , c'est à vous à le décider ; je ne connais ni
les instructions du ministère, ni vos projets particuliers , et je n'ai
que des données vagues sur les ressources que nous trouverions
dans tel ou tel port , ou sur les circonstances maritimes de vents
et de courants qui pourraient hâter ou retarder notre course..... Ce
qu'il faut à mes malades, ce sont de bons lits, des salles closes , le
reposa terre; mon devoir m'ordonnait de vous faire connaître leurs
besoins; mon devoir m'ordonne d'attendre vos décisions pour cal-
mer leiui inquiétudes et abréger leurs périls. »
— « La rivière des Cygnes... il ne faut pas y songer ; nous n'y trou-
verions rien ; cet établissement n'a, paur ainsi dire, qu'une existence
nominale, peuU^tre même est*il abandonné; je ne sais rien de plus
rassurant concernant le port du Roi-Georges , Quant à l'Tle-de-
Fnmee c'a été le tombeau * de nos malades à la précédente cam-
* Je fis observer à M. d'Unrilic qu'il se trompait prot)abIemeot sur la salubrité
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374 NOTES
pagne. Au reste, nous avons encore des vents d'Ë., mais ils sont très
faibles, et nous sommes dans la zone des vents de S.-O. qoi ne doi-
vent pas tarder à paraître; ainsi, j^oserais affirmer que nous n'arri-
verions pas à rile-de-France dici à trente-cinq on' quarante jours,
tandis que j'espère bien voir Hobart-Town dans une vingtaine de
jours , vingt-cinq au plus tard ».
Je n'avais pas lieu d'insister davantage ; mon devoir était rempli.
Cependant > j'appris que mon confrère Hombron gardait le lit , et
bien que je fusse très pressé de retournera bord, j'allai lui rendre une
rapide visite ; je lui parlai de ma démarche^près du commandant.
— « Je vous félicite d'avoir oêé toucher cette corde-là^ me dit-
il ; depuis plusieurs jours j'en avais reconnu la nécessité, et j'allais
le faire enfin , lorsque je suis tombé malade ; mais à votre place
j'aurais insisté davantage pour une relâche à l'Ile-de-France.
— « J'ai fait tout ce que me dictait ma conscience ; à vous désor-
mais la parole, si vous trouvez qu'il y ait mieux à dire.
— «Je ne puis pas, moi; je ne puis pas aller en parler de but-en-
blanc ; étant malade moi-même, le commandant attribuerait mes dis-
cours à un intérêt personnel.... Mais s'il me demandait mon avis,
j'aurais d'excellentes raisons à faire valoir en faveur de l'Ile-de-
France.... En y allant, nous nous éviterions les froids intenses et Tes
grands roulis qui nous attendent sur la route d'Hobart-Town , et qui
nous enlèveront beaucoup de monde Au surplus, ce que dit
M. d'Drville de l'insalubrité de cette colonie est tout-à-fait inexact ,
ce qu'il dit de son éloignement est un leurre Il suffit de voir la
carte et de reconnaître la proximité des vents alizés pour s'en con-
vaincre.... Oh ! que je souffre d'être condamné à l'inaction dans une
circonstance aussi grave
......,....,,»
Cette conversation m'indiquait un nouveau devoir; je retournai
près du commandant ; mais cette fois je fus accueilli avec une défa-
veur marquée , et comme je n'étais censé que porteur des paroles de
M. Hombron :
~ « Bah ! bah ! s'écria M. d'Drville , votre confrère Honobron est
un (ici je crois devoir supprimer quelques mots) je l'ai vu,
de rflede France... Depuis J'ai su qu'il mHmpotait pour le nombre des malades
qu*il y avait perdus. Son médecin de ce voyage-là, M. Lesson (Pierre- Adolphe),
m*a dit qu'un seul homme était morl*à Tlle-de-France... Quelle opinion doit-on con-
server de H. d'VrviUe ! Nul plus que moi n*a sujet de déplorer sa mort prématurée !
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SCIENTIFIQUES. 575
moi^ dans les glaces.... (je supprime encore diverses phrases).... et
maintenant le voilà abattu, parce qu'il a perdu deux malades ! Allons
donc! il faut être plus énergique que cela. »
Je cite textuellement, sauf omissions volontaires.
Je relevai ce qu'il y avait de désobligeant dans ces paroles
Une discussion vive s'en suivit, et, en définitive, M. d'Urville persista
dans la résolution d*aller à Hobart-Town.
Je ne dois pas omettre de dire, quoique je l'eusse d'abord regardé
comme une plaisanterie de mauvais goût , et peut-être comme une
preuve d^àberration mentale passagère , je ne dois pas omettre
de dire que M. d'UrvillCi dans un premier accès de brusquerie, me
lâcha ces bigarres paroles :
— « Ah ! c'est bien cela ; tout le monde en a assez de la cam-
pagne !.... £h bien! j'y renonce aussi !... . Que les officiers des deux
navires m'en fassent la demande signée par eux , et je laisse immédia-
tement porter sur l'Ile-de-France.
—«Commandant^ je vous ai fait mon rapport en âme et conscience,
et les officiers autres que les médecins n'ont rien à faire dans la ques-
tion qui nous occupe Nos malades ont besoin de gagner, le plus
rapidement possible , un port qui leur donne de bons lits et des
salles closes c'est à vous d'y pourvoir. »
De retour à bord de la Zélée , j'osai à peine confier à quelques
compagnons de voyage l'état de trouble complet dans lequel j'avais
laissé le chef de l'expédition.
Cependant, M. d'Urville lui-même se rendit presque aussitôt à
notre bord, passa une sorte d'inspection de l'équipage; et, au mi-
lieu d'un embarras dont je pourrais expliquer les causes toutes per-
sonnelles, il laissa échapper :
— K II n'y a aucune suite à donner à la demande faite par M. Le
Guillou de la part de quelques officiers de la Zélée.... »
Cette erreur de M. d'Urville, que je n'hésitai pas à qualifier d'un
autre nom de son vivant ", fut aussitôt démentie par moi; cependant,
comme il se hâta de quitter notre navire sans me répliquer, je pro-
testai plus formellement contre son assertion par une lettre que l'on
"^ Voir certaine pièce qui doit exister encore dans les archives du conseil de
santé à Toulon... c'était une plainte contre MM. d'Urville et Jacquinot ; pourquoi
n'y a-t-il pas été donné suite? Si l'enquête que je provoquais alors avait eu lieu, je
n'aurais pas aujourd'hui la douleur de remuer d^ cendres l
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576 NOTES
doit troaver dans ses papiers, et qui lui fut expédiée dès que l^état de
la mer le permit. La triste situation morale dans laquelle j*avais laissé
M. d'Urrille à bord de VMtrolàbe, et qui me parut se prolonger
pendant sa visite à bord de la Zélée, m^obligeait de lui répéter par
écritrobjet de la mission que j'avais remplie de vive-voix, et je crois
provisoirement inutile de reproduire ici les expressions dont je me
servis; mais comme j'ai ouï dire que mon confrère Hombron n'accep-
tait pas volontiers la demi-responsabilité de ridée â^ aller à Tlle-de-
France, je vais citer les propres mots qu'il m'écrivit un an plus tard :
« La relâche à TIle-de-France B*ent rainait nullement la
nécessité de tronquer la campagne. L'idée d'y conduire les malades
ne pouvait être inspirée que parle besoin d'atteindre, le plus promp-
tement possible, les conditions favorables à la guérison * »
M. dTrville m'avait annoncé que dans vingt ou vingt-cinq jours
nous serions à Hobart-Town ; nous n'y arrivâmes qu'au bout de cinq
semaines. Ce retard nous a été cruellement funeste !
Dix-huit morts sur soixante- quinze hommes d'équipage dans Tes-
pace de quatre mois ! Et par suite d'un examen plus approfondi des
circonstances où nous nous sommes trouvés, m'étant convaincu de
plus en plus que nous aurions sauvé la presque totalité de nos mala-
des, si Texpédition avait été autrement dirigée, depuis le 9 octobre,
jour où j'annonçai l'invasion du fléau , je n'ai pas craint, dans mon
rapport officiel de la campagne, de demander compte de leur vie à
M. d'Urville.
Je le répète : M. d'Drville a eu tort de quitter la rade de Tchin-
gui sans prendre de nouvelles informations sur l'état sanitaire des
équipages ; mais aucun reproche ne doit peser sur lui , loi*squ'il
s'agissait d'un changement de route à la mer, le 6 novembre, s'il
a été de bonne foi en évaluant â quarante jours le temps néces*
saîre pour se rendre à PlIe-de-France (640 lieues ), tandis qu'il
ne supposait devoir eti mettre que vmgt-cinq pour gagner Ho-
bart-Town (880 lieues). Au reste, ce n'était pas à nous d'exa-
miner si M. d'Unûlle avait eu raison de sacrifier la vie de quel-
ques malades à l'accomplissement de ses desseins.... C'était au Gou-
vendent à le juger, et nous lui en avons religieusement laissé le soin,
* Je consente rauto^^ruphe de M. Hombron.
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SCIENTIFIQUES. 577
à nommer pour cela une commission dans le sein de la Marine , s'il
Tavait trouvé convenable ; mais ma conscience me dit que j*aî rempli
un devoir , en mentionnant tous mes regrets dans mon rapport écrit.
Je n*admets pas avec M. d'Urville que le médecin « n'ait d*autre
métier à hord que de voir mourir du monde. » Les traditions de
nos écoles de santé, les actes de nos devanciers et de nos camarades,
aussi bien que les règlements de la Marine, disent:
« Que le médecin d'un navire n'est pas seulement l'homme qui
« applique des appareils et des médicaments aux blessures et aux
« mal<idies des matelots; il est le représentant de la Marine pour
« tous leurs intérêtshygiéniques; leur avocat-né dans toutes leurs
« souffrances ; il est leur père^ leur protecteur, leur défenseur^
« et au besoin , il devient l'exécuteur testamentaire de leurs
« pluintes au lit de mort .»
£t devant ce grave devoir, je n*ai pas dû m'arréter à des considé-
rations d'intérêt personnel; en Taccomplissant je savais très bien que
je m*exposais à perdre les fruits de ma campagne ; mais je n'ai ps^
hésité ; et , je Tespère bien , les hommes de cœur me comprendront:
à chacun sa manière d'honorer sa vie.
Pendant le voyage même, ce qui acheva de me prouver que j'avais
profondément blessé M. d'Urville en mettant autant de zèle dans Tac-
complissement de mes devoirs, ce fut la proposition qu'il me fit de
quitter l'expédition àHobart-Town.... Je reconnus le piège tendu à
ma loyauté, à ma franchise et je répondis : « Que nul motif au
monde ne me déciderait à abandonner un poste qui m'avait été
confié en France ».... L'honneur ne traçait-il pas la ligne sur laquelle
je marchais d'un pas ferme .^
Je termine par un nouvel extrait de mon rapport ofiGciel ; ma dé-
fense ne serait pas complète, si je ne donnais au lecteur la mesure de
la délicatesse de sentiments de M. d'Urville, exprimée dans un de
ses autographes ci-joint :
J'avais envoyé à l'hôpital d'Hobart-Town deux hommes dont la
maladie était tellement grave qu'il leur restait à peine quelques
jours à vivre, et je.déclarai qu'il nous faudrait les laisser à terre quand
nous viendrions à partir ; M. d'Urville en jugea autrement, et donna
des ordres en conséquence. Alors, je fis par écrit à M. d'Urville une
demande formelle et motivée, non-seulement sur l'humanité , mais
sur le danger de voir, s'ils rentraient à bord, la maladie se propager
IL 68
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578 NOTE»
de nouveau par ctmtagion dans notre équipage. Void la réponse
que je reçus :
« Aucune disposition ne m'aotorisc & laisser (des marins) en pays
« étranger où la France n'a ni consul, ni agent des matelots. Les dewc
« malades rentreront à leur bord lundi matin, à moins qu'ils ne soient
« morts ou expirants. Dans ce dernier cas, les dent cbîrurgîens-majo#8
« français, avec le chirurgien de l'hôpital , voudront bien constater
« le fait, et m^cn remettre leprocès-verbal signé par eux trois. Moyen-
« nantce, quoiqu'àtort peut-être, je prendrai sur moi de les laisser.
<c J. d'Ur. »
Je me dispense de toute réflexion... Le prôcè*-verbal ftil rédigé,
signé et expédié ; mais comme souvenir au docteur officier, inspec-
teur général des hôpitaux de la Tasmanie, Je ccmsignerai ici Us pa-
roles qu'il prononça lorsque je lui donnai à lire le billet de M. dTJr-
villc : « Morts ou expirante ! Inhumanité; le cœur se révolte à cette
a lecture. Soyez tranquille, confrère, je garderai vos malades ; j'irai,
« s'il le faut, trouver le gouverneur sir John Franklin. Pourm'arra-
« cher vos hommes, il faudrait forcer les grilles de mon hôpital
A Vos malades sont devenus les miens, je saurai les défendre. »
Ce qui prouve que dans tous les pays les médecins savent se com-
prendre quand il s^agit d'un devoir à remplh*.
Et maintenant que nous avons repoussé le blâme , rappelons que
nous n'étions pas indigne de récompense, soit comme médecin,
soit comme naturaliste.
Je voulais publier ici^ la lettre du Conseil de santé de Toulon, de-
mandant la décoration pour moi, à titre de récompense de mes ser-
vices dans cette campagne. Cette lettre, comme toutes les lettres de
service, devait exister aux archives du conseil de santé et dans les
cartons du ministère ; cependant, j'en ai vainement fait chercher la
minute à Toulon, et jusqu'à présent, mes instances pour l'y retrou-
ver ou la revoir à Paris , ont été infructueuses. Serait-il vrai qu'elle
aurait été remise à M. d'Urville, comme on me l'a fait craindre? Se-
rait-il vrai que M. d'Urville l'aurait détruite I
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SCIENTIFIQUES.
57»
Voici le rapport de T Académie des Sciences, sur une partie de nos
récoltes d'histoire naturelle :
« Indépendamment des documents relatifs au détroit-de Magellan
« et à la Tasmanie, M. Le Guillou a mis sous nos yeux des notes qu'il
« a recueillies sur beaucoup d'autres points; le catalogue raisonné
« des échantillons qu'il a rassemblés dans tout le cours de Texpédi-
« tion, et la collection qu'il a déposée dans les galeries du Muséum.
« Cette collection se compose de plus de 5,000 échantillons que
« M. Le Guillou a recueillis non-seulement sur les plages où il a
« abordé, mais même sur des montagnes a ssez élevées et assez avan-
« cées dans les terres, avec un zèle et une activité que vos commis-
« saires ne se sont pas lassés d'admirer.
« Nous pensons que les amis des sciences doivent désirer la publi-
« cation complète des observations de M. Le Guillou, et que les res-
n sources dont le ministère de la marine dispose si libéralement en
« faveur des voyages de circum-navigation, ne sauraient être mieux
ft appliquées. Cette publication ne doit pas se réduire à une simple
« nomenclature, elle exige une élaboration qui ne peut manquer
« d'être longue. M. Le Guillou doit étudier, nommer, décrire ses
« roches et ses fossiles; il doit, en outre, les comparer non seule-
« ment aux collections d'Europe, mais aussi à celles que ses devan«
« ciers ont recueilUessur tant de plages lointaines, et déposéet comme
« lui au Muséum d'histoire naturelle. Cette comparaison ne peut être
« bien faite iqu'à la condition préalable d'être faite à loisir; il est
« d'ailleurs impossible que le travail de M. Le Guillou se termine
« avant celui de ses compagnons de voyage , puisqull consistera en
« partie à placer sur les plans nautiques et topogr»phiquet dont Pex-
« pédition a rapporté les éléments, les couleurs géologiques qu^il a
« étendues sur des croquis pris à la hâte pendant ses relâches.
« Si M. le docteur Le Guillou était obligé de reprendre dans un
« bref délai son service dans les ports , les espérances que nous fait
<( concevoir Tabondance de ses matériaux s'évanouiraient en grande
« partie ; il lui resterait le mérite d'avoir enrichi le Muséum d'une
« suite nombreuse d'échantillons; mais ses notes et ses souvenirs
« seraient perdus pour la science. Nous pensons qu'ils doivent, au
« contraire , fournir la base d'une des parties essentielles de la pu-
« blication à laquelle l'expédition des corvettes l'Astrolabe et la Zé-
« lée va probablement donner lieu. Si l'Académie sanctionnait le
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380 INOTES SCIENTIFIQUES.
« témoignage favorable que ses commissaires croient devoir rendre
« aax travaux commencés par M. Le Guillou , M. le contre-amiral
« Dumont-dTJrville, dont le zèle pour tout ce qui pouvait contribuer
« au succès des expéditions qu*il a dirigées a reçu d'une manière si
(( constante le suffrage de ses compagnons, s^empressera, sans doute,
« de prendre près du ministère de la marine les mesures nécessaires
« pour ne pas être piîvé d'un collaborateur aussi utile que M. Le
u Guillou.
« Signé à la minute : Coudibr, Elib de Beauhont, rapporteur.
« Les conclusions de ce rapport sont adoptées.
« Pour copie conforme :
«t Le secréta^e perpétuel de V Académie pour
« les sciences naturelles ,
« Signé : Flourens. »
Tout au contraire des vœux de TÂcadémie, M. d'Urville s'est for-
mellement opposé à ma collaboration. Je reçus donc l'ordre positif
de retourner au port de Brest où j'aurais été immédiatement embar-
qué; mais l'état délabré de ma santé, à la suite de mon voyage de
circumnavigation, ne me permettait pas de reprendre la mer; j'ai
dû demander, et je n'ai obtenu qu'avec peine la mise en non-acti-
vité, position qui me fait perdre la moitié de mes appointements, et
les diver&es allocations attribuées aux médecins de la marine que des
travaux scientifiques retiennent à la capitale; c'est, du reste, un
nouveau sacrifice que j'ai accepté volontiers, piiisqu'il me laisse la
faculté de mettre en ordre les nombreux matériaux que j'ai rappor-
tés de ma campagne. Certes, il n'y aura pas de ma faute si le moin-
dre de mes souvenirs est perdu pour la science.
Le Guillou,
médecin d« la marine.
raris, 9 octobre 1842.
FIN.
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TABLE DES UÂTIÈRËS.
i. — Causeries. 1
S. Java. — Batavia. — Mœurs. — Chinois. 7
5. Java. — Excursion dans Tile. — Bentepzorg. 31
4. Syngapour. 29
9. Archipel Soulou. — t Mœurs. — Usages. — Détails. 42
6. SouLOU. — Aspect général de TArchipel. 55
7. Réflexions. 6S
3* PfliLippiifES. -- Mindanao. — Zambouangan. — Dé«
tails. 79
9. Courses aventureuses. — Détroit de Makassar. —En-
core Bornéo. — Les Nasicas. 79
10. DÉTROIT DE Makassar. •— Toujours Bornéo. — Coup-
d'œil rétrospectif. — Mon voisin Georges. 87
11. Point D'ARRéT. 117
12. Java. — Samarang. — < Salaliga. 157
15. DÉTROIT DE LA SoNDB. — Java. — Sumatr». — • Tchin-
gui. — Battas. — Anthropophagie. 149
14. Commerce des Indes-Orientales. — Considérations gc*
nérales sur le commerce des Indes orientales. 139
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582 TABLE DES MATIERES.
Pagei.
i5. Deuil. 16r
16. Tasmanie. — Hobart-Town. 177
ir- koéiiB, — Premier départ d'Hobart-Town. — Les Gla-
ces. — Découverte de la terre Âdélie. — Tempête.
— Une rencontre. 185
18. ExpÉDmoNs RIVALES. — Lcs capitaines Wilkes et Ross. 205
19. Iles Adkland. — Retour à Hobart-Town. — Glen-
Leigth. — New-Norfolk. — Éo^ancipistes — Iles
ÂnUand. — Un suicide . * 219
20. Nouvelle Z<landb. — • Otago. —Presqu'île de Bank^s.
Akaroua. — Massacres. — Tentatives de colonisa-
tion française. — Taoné-Roa. 255
21. Baie des îles. — Koro-Raréka. — Le baron Thierry. 247
22. DtooiT DE ToRRBf . — Oragcs. — Iles Loyalty. —
Nouvelle Calédonie. — Détroit de Torrès. — Ile
Warrior's. 265
25. Ile Warrior's. — Timoré. 277
24. Le Buffle. 287
25. Physionomie i^e la campagne. 299
26. Retour. — La semaine des trois jeudis. — Bourt)on. 519
27. SAiNTE-HéLÈNB. — Le Cap de Bonne-Espérance. — Pè-
lerinage. 551
28. La France. 597
n0te3 scientifiques . 545
Mémoire lu à TAcadémie des Sciences, par M. François
Arago. (Séance du 15 décembre 1841.) -^ Physique
générale du globe. — Notice sur la position des pô-
les magnétiques de la terre, par M. L.-J. Duperrey. 547
Du bruit du canon considéré comme moyen de dissiper les
orages. 555
Est-il prouvé, en fait, que des paratonnerres aient pré-
servé des ravages de la foudre des bâtiments sur les-
quels on les avait établis ? 560
Les paratonnerres à tiges élancées et pointues attirent la
foudre f 565
Réponse à un passage du livr^ intitulé : Voyage au pôle
sud et dans V Océanien sw Us corvettes TAstro-
labe et la Zélée» par M, Dunumt-d'Orvilie. 569
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PLÀGEMEIfT DES GRAVURES.
^'' Tom. Pag.
1 Haapa-Waïné, régente de Taïo-Haô (Archipel Nouko-HIva). ... i H4
2 Kao-Tang. Temple Chinois à Macassar (lie Célébes). , i S80
3 Naturels des lies VitI, venant visiter la corvette la Zélée i 182
4 Rade de Taïo-Haë, un essaim de femme vient à bord à la nage. . . i 120
5 Chef de Patagons en tenue de guerre i 66
6 Naturel des fies Carolhies allant à la pèche i 2f8
7 Maté-Oumo, prince de l'île Nouka-Hiva : . . i |23
8 Délassement de la royauté d'Hapia. : . . 1 i6ij
9 Évéché de Mangaréta (Océanie) 1 108
f Terre de Louis-Philippe. i 82
11 Danse des femmes de Nouka-Hiva i 128
i2 Danseuse de Syngapore (presqu'île de Malana) n 58 >
13 risite au roi de Labonie (ilôt Osalaou, archipel ViU). ..*... i 290
14 Maria, la belle écuyère de Taiti* . . i 14«
i5 Papa-toi, Taïtienne pur sang • t 146
16 Le cadeau de noce de Boni-Boni i 277
17 Bchouage des corvettes F Astrolabe et la Zélée (détroit de Torrès). . 11 270
18 Mort de Tama n 115
19 Rencontre des naturels (à Nakikoba) u 96
20 Chasse au nasicas (détroit de Makassar). n 82
21 Quand la feuille est sèche il faut qu*elle tombe (lie Sumatra). ... n 156
22 Vengeance des maris battus (lie Sumatra). . . n 153
23 Pèche au baleineau (Nouvelle-Zélande-Otago) n 934
24 Vengeance d'un roi de la Nouvelle-Zélande (Akaroua) 11 240
26 S. A. R.le prince de Joinville dans la plaine de Laguna (Ténérifle). . i 17
26 Punition des matelots à Hobart-Town (lie van-Diémeu) n 26
27 Kakou, esclave fbgitK (archipel Soulou) n 6i
28 Naturels de la Nouvelle-Zélande n 232 ^
29 Réception de Famiral Dumont-d'Urville à Pao (tle Viti) i 189
30 Pirogue des naturels de Balahou (lie VitO. •••«.«..• i 186
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